!
Digitized by the Internet Archive
in 2010 witii funding from
University of Ottawa
I
littp://www.arcliive.org/details/revueencyclopd47jull
REVLE
ENCYCLOPÉDIQUE.
JULi.il970 )) ^S3
lYrofjnvrHiT' de makcellin-legrand, plassa?»* etC'%
BCK IM) PETIT-VACCIRARP , R" lÔ.
PAlllS. — IMPRIMERIE DE PLASSAN ET C's
Ul E DE VAlOinARU, n" l5.
REVUE
ENCYCLOPÉDIQUE,
ou
ANALYSE RAISONNÉE
DES PRODUCTIONS LES PLLS REMARQUABLES
DANS LES SCIENCES, LES AKTS ISDISTRIELS, LA LITTERATIKE
ET LES BEAUX-ARTS ;
PAR UNE RÉUMON
DE MEMBRES DE L'INSTITUT.
ET d'aVTRES hommes DE LETTRES.
TOME XLVII.
PARIS.
AU BUREAU CENTRAL DE LA REVUE ENCYCLOPÉDIQUE,
ET CHEZ SÉDILLOT, LIBRAIRE, RUE DE l'odÉOA , N° 5o»
JUILLET-SEPTEMBRE 1 83o.
w
"> n
u ïoiilfs los sciences sont los rameaux d'une même lige.»
Bacon.
o L'art n'est autre chose que le contrôle et le registre des meilleures pro-
ductions... A contrôler les productions (et les actions) d'un chacun, il
(j'engendre envie des bonnes et mépris des mauvaises. »
MOHTAIGNE.
<■ Les belles-lettres et les sciences, bien étudiées et bien comprises, sont
des instrumens universcL» de raison, de vertu, de bonheur. »
BEVUE
ENCYCLOPÉDIQUE,
AiNALYSES ET AiNNONCES RAlSOlMNÉES
DES PaODUCTIOlNS LES PLliS EEUARQUABLKa
DANS LA LITTÉRATURE, LES SCIENCES ET LES ARTS.
I. MÉMOmES, NOTICES,
LETTRES ET MÉLANGES.
COURS D'HISTOIRE DES SCIENCES NATURELLES ,
PAR M. CUVIER.
N. B. Nous nous proposons de rendre compte du Cours
sur l'Histoire des Sciences naturelles que professe M. Cuvier an
collège de France, en insistant principalement sur les géné-
ralités, et réduisant beaucoup les détails historiques, 'scienti-
fiques ou biographiques qui nous entraîneraient trop loin. Si
quelque erreur se glisse dans ces articles, le lecteur devra
s'en piendre à nous , et non au savant illustre' dont 'nous
cherchons à rendic les idées. Cependant, après avoir suivi
<; COLUS D'HISTOIRE
ses leiuns avec l'attention la plus soutenue, non* a\ons pris
de telles précautions que ces erreurs ne pourront être que
très-rares. Mais, avec l'exactitude des faits, des dates et des
noms propres, nous ne saurions offrir, dans le cadre étroit
(l'une analyse trop resserrée, l'image de cette clocution si
claire et si abondante où tous les fruits du travail, du génie
ot d'une immense lecture viennent se coordonner et se fon-
dre sous les apparences d'une conversation élégante et né-
gligée. Dans un tems où les promesses trompeuses d'une mé-
taphysique incertaine exercent encore quelque influence svir
l'esprit des jeunes gens, il est inutile de faire ressortir l'im-
porlauce et rulilité d'un cours véritablement sérieux et in-
structif, dans lequel se trouvent développés, à la fois, l'ori-
gine, les progrès, la philosophie de chaque branche des con-
naissances naturelles, le; rapports nombreux qui les unissent
en faisceau, leurs intimes relations avec les révolutions po-
litiques et les modifications sociales. Nous entrons donc
inuiiédiatemenl en matière, en lâchant de faire parler M. Cu-
^ icr lui-même.
PREMIER ARTICLE.
lIlSTOlBE DES SCIENCES NATIREI.LES CHEZ LES PEl PLES aNTÉRIEI Rs
Aix Grecs.
L'clude de riiiîloirt des sciences naturelles est indispensable
à tous ceux qui les cultivent : elles reposent sur des faits con-
states par notre propre expérience ou par le témoignage d'au-
tiui ; et ce témoignage ne peut être apprécié lui-même si l'on
ne connaît le témoin et les circonstances où il a vécu , les
aiuycns qu'il avait en lui et hors de lui de connaître la vérité :
leur uiarche est progressive ; et, faute d'avoir fait cette étude.
1 eux qui veulent lifiter leurs progrès s'exposent, après de longs
ell'orls, a découvrir des choses déjà trouvées, à relever des
erreurs déjà réfutées : d'ailleurs, la connaissance des idées de
nos prédécesseurs peut devenir pour nous une source féconde
de nouvelles découvertes. Cette élude nous offre encore une
DKS SCIENCES INATUllELLliS. 7
nlilité d'tiu ordre plus élevé, en démonlraiil la vanité des
nombreux systèmes qu'on voit se succéder et se détruire sur
les objets inaccessibles à l'esprit humain. Les faits bien déter-
mines demeurent seids immortels avec les noms de ceux qui
les ont dévoilés : un des besoins de notre âge est de fixer leur
importance et leur durée.
C'est par l'observation de la nature que les liommes ont été
conduits aux découvertes qui, fournissant tout le matériel de
la société, ont favorisé son développement. La société n'est
autre chose qu'un combat contre la nature; or, la nature ne
se combat que par elle-même ; chaque progrés des sciences
avance donc la société, et l'histoire de leur développement et
de leur influence serait l'histoire môme de la civilisation.
Il ne faut pas oublier que ce qui est vulgaire aujourd'hui a
fait partie de la science même, dans Torigine; et nos premiers
moyens d'existence ont été d'abord les fruits du génie de nos
ancêtres. La Providence avait, sans doute, destiné l'homme à
re comble de jouissances physiques et spirituelles auxquelles
une partie de l'espèce est parvenue ; mais elle avait résolu de
les lui faireacheter par letems et le travail. Jeté nu et sans armes
à la surface de la terre, il serait resté le plus faible des animaux,
s'il n'avait été doué de trois instincts puissans : la sociabilité, le
langcige, l'abstraction.
Si l'on cherche à établir l'ordre de succession des décou-
vertes capitales dans les sciences naturelles, on voit l'homme re-
connaître d'abord que l'air n'est pas conducteur du calorique,
et ressentir le besoin des vêtemens et des malsons : ce qui le con-
duisit aux premières notions d'architecture et de mécanique. Il
s'aperçut ensuite que l'oxygène, en se combinant, abandonnait
son calorique, et il chercha le feu, ([u'il appliqua à la cuisine et
auxpremiers artschimiques. En remarquant que iefeu liquéfiait
certaines substances susceptibles de se fondre et de se forger,
les viétaux, il eut l'idée des armes et de leur emploi à la chasse.
En reconnaissant que l'eau portait descorpspluslégers, il con-
çut la navigation appliquée à la pêche. Certains animaux pou-
vaient se soumettre et se multiplier : de cette observation naquit
8 GODIiS D'HISTOIRE
l'arl pastoral el lus voyages. Ccrlaincs }>I<intes pouvaient se
iiiulliplicrclsepcHectionner : i\G\i\ l'agriculture. Les diflcrens
climatsproduisaient des substances diverses el réciproquement
utiles : ce fut, dans son esprit, le premier germe du commerce
entre les nations. La marche des saisons se montrait régulière-
ment soiuTiise aux mouveniens des astres, et il étudia Gastro-
nomie, qui lui fit inventer le calendrier. Des rapports existaient
entre la position des astres el la sienne propre sur terre ou sur
mer, et il s'attacha à la navigation astronomique, d'où dépend
la géographie. Par l'élude des propriétés de l'aimant, il retrouva
cette même position sans le secours des astres : dès lors il put
tracer le chemin des Deux-Mondes. Par la fabrication de la
poudre à canon, l'empire fut enlevé à la force parmi les indi-
vidus comme à l'égard des nations. Il créa l'imprimerie , qui
assure une durée éternelle à toutes ses autres découvertes.
Knlui, il a construit les machines à vapeur ; el Ihomme possède
désormais une force sans liiiiiles.
A ces découvertes se rattachent des développemens corres-
ponduns dans l'élal social. Les premiers honiines, ne se sou-
WR'llaiil (ju'à l'anioui' ou à la force, se divisèrent entre eux :
la force décidait de tout. En se créant dos demeures, des vête-
lueus, des armes, ils conuiiencèrent à prendre l'idée de la
propriété apj)liquéc aux produits de leur industrie : l'industrie
contrebalança la force. En l'ormant des troupeaux, ils prirent
l'idée d'une propriété sur des choses qu'ils n'avaient point pro-
duites : aussitôt parurent l'inégalité des richesses et celle des
(omlilions indépendantes de b force : les prisonniers ne se man-
gèrent plus; on en fil des esclaves pour les utiliser. En s'exerçant
à la culture de la terre, les hommes apprirent à connaître la
propriété territoriale : l'inégalité put alors devenir extrême ; in-
dépendamment des esclaves, les hommes libres sans propriété
travaillèrent pour les autres. Le commerce fit apprécier l'im-
l)orlancc de la propriété mobiliaire, affaiblit les effets de l'ex-
trême inégalilé, cl l'invention de la ùoussole ncvvnl pvoiWglexi-
.^emenl la puissance du commerce. La poudre d canon, mettant
le pouroir entre le^ mains du gouvernement, rendit lou> les
DKS SCIliINCl'S NATLIlELLlvv 9
hoiimics égaux dcvanl la loi. L'imprimerie , einpêchaiil la
durée do l'erreur, obligea les gouverneiTiens eux-mêmes à
lemplix" leur missTon , qui est le mainlien de la justice.
Tels sont les bienfaits successifs qui dérivent de l'observa-
lion de la nature scientifique. Mais leur développement n'a pas
été spontané : il a fallu pour le déterminer Pimpulsion d'hom-
mes de génie, d'esprits spéculatifs, qui, tiraiU parti des décou-
vertes duos au hasard, ont su les coordonner et les appliquer.
L'histoire des sciences offre trofs époques principales : l'é-
poque religieuse, l'époque philosophique et celle qui a pour
caractère principal la division du travail dans l'étude de la
nature.
Dans l'origine, il a fallu parler aux liomiucs au nom de la
divinité : la science et la religion étaient confondues : aussi les
peuples ont-ils mis au rang des dieux leurs premiers instruc-
teurs, Minerve, Neptune, Cérès, Triptolènie, Hermès et les
dieux de l'Egypte, Brama, Fo , Mancocapac. Aujourd'hui
même ce ne sont guère que des missionnaires religieux qui
parviennent à éclairer les sauvages. Mais la conduite de ces
précepteurs des nations n'a pas été partout la même. Dans
certains pays, les savans ont conservé à leur doctrine le carac-
tère religieux : la science a été censée révélée, et, par suite, elle
est restée stationnaire. Ils ont établi des castes héréditaires; cl,
pour conserver le privilège de la science , ils l'ont présentée
aux peuples voilée d'emblèmes : sous la forme de divinités fac-
tices, comme dans l'Inde; avec des figures et des hiérogly-
phes, comme dans i'Égypte. Cependant l'esprit de caste aurait
arrêté ses progrès, et maintenu le genre humain dans une éter-
nelle enfance, si des circonst.inces heureuses ne l'avaient
transportée hors des temples. Les Hébreux et les Grecs, for-
més par les colonies égyptiennes, furent les premiers qui étu-
iièrent les sciences pour elles-mêmes , débarrassées de's allé-
gories qui les masquaient encore. Moïse enseigna une doctrine
pure, et défendit les images : malheuieusement il parlait à une
nation trop faible, où le sacerdoce était encore héréditaire; cl
colle nouvelle influence ne put se nianifeslcr avec force que par
lo COURS D'HISTOIRE
le christianisme, la seule relijjion au sein de laquelle les scien-
res soient cultivées de nos jours. Les Grecs ne reçurent d'E-
gypte et de Phénicie que des rites symboliques sans explica-
tions; et les connaissances qu'ils allèrent chercher pins tard
en Égvplc cl aux Indes en revinrent suus la seconde forme,
c'est-à-dire, sous la forme philosophique.
L'époque philosophique commence donc aux premiers .*;»-
ges de la Grèce, qui firent ces voyages, environ mille ans après
l'élahlissenient des colonies égyptiennes. Il n'y avait pas alors
de sciences proprement dites : toutes les connaissances hu-
maines, dont l'ensemble fut désigné plus tard sous le nom
de philosophie, séparées de la religion, se cultivaient à la fois
par les mêmes hommes, qui les communiquaient sans réserve
au vulgaire.
Dans les sciences, comme dans rindiistrie. la division du
travail est la condition des progrès. La troisième époque oi'i
celte division fut bien marquée aurait daté d'Aristote , si ses
•iisciples avaient pu suivre la marche qu'il leur avait tra-
cée; car ce grand homme classa les sciences avec une supé-
riorité de vues admirable. Mais, après lui, la secte des péripaté-
ticiens, (pi'il avait fondée, tomba dans le mépris, et la confusion
renaquit dans les sciences. La médecine resta seule séparée en
sa qualité d'art pratique. Cette troisième époque ne doit donc
être comptée réellement qu'à partir de la renaissance des let-
tres au xvi" siècle. Alors chaque ordre d'idées se détacha et
fornia une science spéciale sous la direction générale de la
phnosophic, restée ainsi la science des sciences, parce qu'elle
esl celle de l'instrument général des connaissances de l'esprit
humain. Les sciences ne comptent donc en réalité que trois
siècles d'eflbrts constans et de travaux méthodiques. Quelles
espérances ne doivent pas faire concevoir leurs progrès mer-
^eillcux dans un si court intervalle! quel avenir leur développe-
ment ne promel-il pasàl'espècc humaine! qui oserait assigner
des limites à leur essor!
L'origine des sciences doit être comptée du jour même de
l'apparition de l'homme à la surface de la terre ; cl laconsidé-
DKS SCIENCKS N ATlilKLLKS. ,i
laliori siaiuitanée des phénomèucs naturels, dos moiiunicns
historiques, des traditions religieuses, malgré le peu de don-
nées que l'on a pour résoudre cette question , permet d'en
déterminer l'époque d'une manière satisfaisante.
Tous les peuples se vantent d'une haute antiquité : des mil-
liers de siècles ne coûtent rien à ceux qui ne suivent pas la
Bible. Mais, si l'on se borne aux histoires sérieuses, aucune
d'elles ne remonte à plus de 5,ooo ans avant notre âge; et dans
toutes se trouve conservé le souvenir d'une grande catastro-
phe, qui, changeant la surface de la terre, anéantit la pres-
que totalité de l'espèce humaine. L'étude du globe nous ap-
prend aussi que, des diverses révolutions qui l'ont agité, la
dernière correspond sensiblement à l'époque assignée au
déluge.
Parmi les considérations géologiques qui permettent d'as-
seoir une opinion sur la date de cette immense révolution ter-
restre, on doit compter surtout les dunes qui s'élèvent au
bord de la mer, les atterrissemens qui s'accumulent à l'em-
bouchure des fleuA'es, les talus qui se forment au pied des
montagnes, car ces phénomènes ont dû commencer inniiédia-
tement après le dernier bouleversement du globe, et se conti-
nuer dans une succession régulière. Or, l'observation, nous
apprenant à calculer leur augmentation annuelle, démontre
qu'ils ne peuvent compter que 5 ou 6,000 ans au plus. En
outre, les ossemens et autres débris organisés qu'on rencontre
sous les couches marines sont dans un état de fraîcheur qui
prouve leur peu d'ancienneté. Les circonstances naturelles,
susceptibles d'appréciatiou, s'accordent donc pour confirmer
l'exactitude des traditions hum unes qui oflVent elles-mêmes
une éloiuiante conformité.
Toutes les annales des peuples anciens pailent de cette cata-
strophe, et la fixent à des époques très-rapprochées les unes
des autres. Le texte hébreu de la Genèse place le déluge à
l'an 2549 avant Jésus-Christ; celui des Septante, à l'an 552o;
«eluides Samaritains, à l'an 5o44- Les Grecs, selon Varron et
Ccnsorinus. portent l'année de leur déluge en 2076: selon
,3 COURS D'HISTOIRE
Acuiilaiis cl Eusèbe, en 1796. Les Indiens, d'uprès Caliyoug,
f(jiit commencer le quatrième âge du monde, l'âge de la terre,
relui où nous vivons, à l'an 3 102; chez les Chinois, Contu-
cius représente le premier roi, Yao, faisant couler, en 2584,
les eaux de l'Océan, élevées jusqu'au sommet des mon-
tagnes. iSinns, d'après Ctésias, fonda l'empire de Bahy-
lone, en 2548 ; et, selon Hérodote, en j25o. Les rois de Tha-
gada, fds du soleil, et les premiers humains, commencèrent
à régner en 2200. Ainsi toutes les histoires s'accordent à rap-
porter la fondation des grands empires à 2000 ou 2 5oo ans
avant l'eie chrétienne : cependant, les hommes ne peuvent
avoir commencé à tenir des registres réguliers, à établir des
systèmes scientifiques positifs, que long-tems après cette
époque.
La plus ancienne de toutes les sciences est l'astronomie, dont
les premières observations paraissent avoir été faites en même
lenis par plusieurs pcujdes. La première éclipse observée à la
Chine date de 776; à lîabylont-, la première des Chaldéens qui
semble authentique est de 747? sous l'ère de Nabouassar. Les
zodiaques, tracés sur les murs de ccrtnins temples en Egypte
ont fait penser que l'astronomie y était cultivée depuis un tems
plus reculé; mais .>!. Champollion a reconnu leur date précise :
.:elui de Dendeiah fut construit sous ÎNéron, un autre sous
Domitien , etc.
On a prétendu, il est vrai , que des observations remontant
à l'an 19015 avaient été envoyées à Aristote par Callisthènes,
lorsque ce philosophe se trouvait à Babylone, à la suite d'A-
lexandre ; mais Aristote n'en parle pas ; et ce fait n'est rapporté
que par Simplicius, écrivain grec du Bas-Empire, qui vivait
Goo ans après J-C. : Ptolomée lui-même n'avait aucune con-
naissance de CCS observations. Le calendrier attaché aux Védas
des Indiens paraît dater de i5oo ans avant J.-C; mais on
doute aussi de son authenticité.
Tout annonce donc que la société humaine n'a pris assez
de consistance pour conserver des Mémoires et pour donner une
forme un peu régulière ;i «e« connaissances que dans le vin'
DES SCIENCES NATURELLES. iS
siècle avant J.-C; bien que les docuinens restés derantifjiiiic
I10MS portent ;\ penser <[iic , tics i5oo ans avant l'ère diré-
lionne, (jualre grands peuples subsistaient eu corps de nations :
les Chinois , les Indiens, les Babyloniens et les Egyptiens.
Les Chinois ont toujours vécu séparés du reste du monde,
et leurs progrès dans les sciences n'ont jamais eu d'influence
sur la civilisation universelle Quant aux trois autres nations
primitives, il existe une si grande ressemblance entre leurs
emblèmes religieux, leur constitution sociale et la fornie même
de leurs monumens, qu'on ne peut s'empêcher de leur recon-
naître une origine commune.
Leur système de religion représente la même philosophie
avec des légendes fort semblables. Chez toutes, les emblèmes
sont des divinités, Athor, Astarté, Vénus, Bavhané, Brama.
Phta, Vulcain , Rhama , Bacchus, Osiris, Chrishna, Horus.
Apollon. Leur doctrine est une espèce de panthéisme : partout
règne la métempsycose. Le sujet de la métaphysique est
le même pour toutes les nations : on conçoit donc à la rigueur
qu'elles puissent arriver à la fois à une même philosophie re-
ligieuse, revêtue d'emblèmes à peu près semblables emprun-
tés des objets naturels les plus Hmiiliers; mais l'identité de la
constitution politique ne peut provenir évidemment que d'imc
communication entre ces peuples.
L'organisation sociale dans l'Inde est restée telle qu'elle était
du tems d'Alexandre. On y observe quatre castes principales:
les prêtres ou bramines, dépositaires de la religion et des scien-
ces, jouissant seuls du privilège de lire les védas, et de les ex-
pliquer; les kchatrias ou guerriers, autrefois chargés de la dé-
fense du pays, dont le privilège est d'entendre lire les livres
sacrés; et deux autres classes, qui ne doivent apprendre que
dans les pouranas, les marchands ou vaisia, et les artisans ou
joudres, subdivisées elles-mêmes en autant de castes hérédi-
taires qu'il y a deprofessions diverses. Une pareille division eu
castes héréditaires, sous le gouvernement des prêtres, n'a jamais
eu lieu à la Chine ; mais celte constitution singulière, évidem-
ment produite sous l'empire de circonstances aociden telles,
i4 COURS D'HISTOIRE
se retrouve exactement dans rniitique Éj^^yple : une coïnei-
ilence aussi extraordinaire ne saurait être imputée au hasard.
Les nionumens, dont les formes doivent être plus arbitraires
de leur nature, offrent, chez ces peuple?, une ressemblance plus
l'-lonnantc encore : ce sont des pyramides, des grottes, des
temples souterrains; et cependant les matériaux n'étaient pas
les mêmes : dans l'xXssyrie, la brique seule était en usage,
tandis qu'aux constructions de l'Inde et de l'Egypte on em-
ployait la siénite ou le granit.
Une grande analogie se montre aussi dans leur position géo-
graphique, qui dut être pour ces peuples une cause puissante
de prospérité. Tous les trois s'établirent dans le voisinage de
grands lleuves, dans des pays fertiles, plats, percés de canaux
et d'une culture aisée. Les Indiens forment leur empire sur
les rives du Gange, en envoyant quelques colonies aux bords
de l'Indus; les Babyloniens, dans le Delta de l'Euphrate ; les
Egyptiens, le long du Nil; et tous sont placés sur la route
d'un grand commerce, protégé par la religion, puisque leurs
édifices sacrés servaient d'entrepôt aux marchandises. Au mi-
lieu de tant de circonstances favorables, pourquoi les sciences
ne s'y sont-elles pas élevées à un haut degré de perfection?
Quelles furent les causes extérieures de leur rétrogradation?
Tous ces peuples primitifs occupaient un sol fertile, qu'en-
touraient des plaines sablonneuses ou élevées, peu suscepti-
bles de culture, et habitées par des nomades, naturellement
actifs, sobres, courageux, portés à lajconquêtc. Dans les tems
reculés, l'histoire nous montre les nations civilisées luttant
sans cesse contre les hordes nomades, et souvent subjuguées
par ces voisins dangereux : la Chine a été conquise dix fois
par les Tartares ; l'Inde , trois fois depuis que nous connais-
sons son histoire, par les Mongols, les Turcs et les Persans ;
la Perse ellf-même passa sous le joug des Turcs et des Arabes :
dés le commencement de l'histoire, on Voit les désastres des
Assyriens et des Chaldéens : Samarie est détruite en 720 par Sal-
manazar; Jérusalem , en 587, par Nabuchodonosor ; T3T, par
Ifimême; Rabylone, parCyrus, etc. : l'Egypte fut occupée, de-
DKS SCIl'lNCES NATURELLES. \-j
pui:» jG5o jusqu'à i^oo avant J.-C, par les nomades arabes,
sous le nom d'hicsos , qui di-lruisirent l'oidre des prêtres, et
.inêtèrenl l'essor des connaissances humaines; en 784, elle
l'ut soumise par Sabaccon, l'Lthiopien; en 54i. parCambyse;
plus tard, par les Sarrasins, et enfin par les Turcs. Ce ne fut
donc que parleur transmission des Egyptiens aux Grecs, et de
ceux-ci aux peuples occidentaux, que les sciences, à l'abri de
ces commotions politiques, purent se développer d'une ma-
nière continue.
Tout se réunit pour nous faire penser que l'Inde a été leur
berceau, et qu'il faut y chercher les premières annales du
monde. Contenant les plus hautes plaines de la terre, celles
qui avoisinent les chaînes du Thibet et de l'Himalaya, seule,
elle a pu offrir un abri aux hommes échappés du déluge, ou der-
nier cataclysme de notre globe : la Babylonie ne présentait alors
qu'un marécage; et, par le nombre des couches annuelles du
Nil, superposées sans se confondre, on peut reconnaître que,
2000 ans avant J.-C, toute la Basse -Egypte n'existait pas
encore : du tems de Mènes, en 2200 avant notre ère, le Delta
n'était qu'un marais.
Une tradition, que l'on ne semble pas avoir prise en considé-
ration jusqu'à présent, tend encore à prouver l'antériorité des
Indiens sur les autres peuples de l'antiquité. Dans des trag-
mens conservés des ouvrages de Manéthon, on voit que, vers
161 5, sous le règne d'Aménophis, roi de la seizième dynastie,
une colonie indienne s'établit dans l'Ethiopie ou Haute-Nubie :
or, Diodore de Sicile et les autres auteurs qui ont écrit sur
l'Egypte font venir sa religion de l'Ethiopie. On sait d'ail-
leurs que Thèbes n'était qu'une colonie de Méroë, du moins
pour ses castes supérieures, car les classes inférieures parais-
sent avoir été d'une autre race. La civilisation, dont le foj^er
primitif était dans l'Inde, passa donc de là dans la Nubre, et
de la Nubie dans l'Egypte; et l'on peut conjecturer encore que
lie l'Egypte elle gagna Bab} loue, en se fondant sur les récits de
Diodore. qui prétend que les Chakléens, c'est-à-dire la caste
1(3 COURS D'HISTOIllE
sacrée dans la Babyloriie, irétaienl d'abord «(irune colonie des
j)rOlres égyptiens.
Pour établir la marche des sciences parmi les Indiens, ses
premiers fondateurs, on ne peut tircraucun sccoursdes ouvra-
ges qui nous en restent : ils n'ont rien publié sur l'histoire de
leur pays, bienqu'ilsaient beaucoup écrit et depuis très-loug-
tems. Les premières notions que les Grecs en prirent, lors des
conquêtes d'Alexandre, étaient passagères et superficielles;
celles des Ptolomées et des Romains ne se fondaient que sur
des traditions de uiarchands. Les Indiens condamnent l'étude
de l'histoire : ils méprisent le tems présent, et se moquent même
des Européens. On ne peut donc puiser quelques renseigne-
mcns à cet égard que dans leurs autres livres ou dans leurs
monumens.
Les monumens de l'Inde sont postérieurs à Alexandre et aux
Ptolomées, puisque, malgré leuj's proportions gigantesques, les
écrivains grecs n'en ont jamais parlé ; et les endilèmes qui leur
servent d'ornement se rapportent tous au culte actuel, déve-
loppé dans des traités plus récens que les vâdas : ces édifices
religieux n'existaient donc pas au tems où les védas furent
composés. Ils n'ont d'inscriptions à dates conn.ues que d'un
siècle avant .J.-C. : Stobée, qui vivait au ii' siècle, sous Hé-
liogabale, est le premier qui en fasse mention.
Les védas et les pouranas, dont l'ensemble forme les livres
sacrés des Indiens; les upavédas , recueils de traités de mé-
decine, de musique, de danse, sur la guerre, l'architecture
et soixante autres arts; les anciens poèmes de ce peuple , où
la philosophie générale se mêle à la mythologie, et qui font
aussi partie de sa littérature sacrée, sont tous écrits en sans-
«ril, langue des premiers Indiens, langue la plus régulière de
(ouïes, (\u\ n'est parlée aujourd'hui nulle part, et de laquelle
paraissent dériver, puisque leurs racines y sont comprises, le
grec, le latin, l'alleinand, l'csclavon, et les langues qui en dé-
pendent. C'est donc encore dans l'Inde qu'il faut aller cher-
cher l'origine du langage, de cet instrument primitif des sciences.
On a pu ralculer le tems o\) les védas furent composés, à
Vn'n]o iVuii calendrier ajouté à l'un d'eux, le Jasus véda : d'a-
près les lois connues de l'astronomie, il doit être de i 58o avant
J.-C. Les lois de Menou sont de 1280.
Les védas, dont la métaphysique offre une espèce de pan-
théisme, sont leurs plus anciens livres, cités dans tous les au-
tres. Il n'y est question ni deCrishna, qui, selon Johnes, date
de 1200 avant notre ère, ni de Uhama , postérieur d'un siècle.
Leur contenu est l'adoration d'une divinité unique qui se ma-
nifeste dans les phénomènes de la nature : les êtres sortent
tous de l'infini pour y rentrer; le leu, l'air et le soleil formeni
la trinité divine. La mythologie des Indiens , recueil de fables
sur lesquelles repose aujourd'hui la religion populaire , n'es;
venue que long-tems après.
Bailly a soutenu, dans le dernier siècle, que les Indicii--
avaient possédé jadis une astronomie plus avancée que cello
même de nos jours; mais, en consultant les données astrono-
miques renfermées dans leurs propres ouvrages, on recon-
naît facilement que leurs formules étaient erronées , et qu'ils
n'avaient pas même de géométrie méthodique. 31. Delamhre a
réfuté complètement l'opinion de Bailly : il a prouvé que l'on
ne trouvait pas chez eux le moindre vestige d'observations
dans les tems anciens. Les philosoplies grecs, qui ne rappor-
tèrent de leurs vo3'ages aux Indes que des notions d'une as-
ironomie dans l'enfance , ont toujours cité les astronomes
«haldéens, et jamais les Indiens. Bentley (de l'Aôadémie de
Calcutta) pense même que l'astronomie indienne n'a dû com-
mencer qu'en 027 avant J.-G. Cependant, on croit que l'arilh-
niéliquc actuelle vient d'eux : peut-être la devons-nous aux
\rabes.
En général, h s Bramines, même de nos jours, n'appellent
savans que les grammairiens, les métaphysiciens et les théo-
logiens. L'astronomie leur paraît traiter d'objets très-maté-
riels : à plus forte raison, l'histoire naturelle proprement dite,
î^uralgèbre va jusqu'au deuxième degré, leur géométrie jus-
T. xi.vji. jniLRï I h5o. 2
iS COURS D'IIISTUIKL
«|u';iii (an»' ;!»' l'hypolhénuse et aux triang;le> semblable» :
on ne les v cioit arrivé»; qu'au xi' siècle.
Les connaissances des Indiens en histoire naturelle devaient
se borner, vers le lenis où l'une de leurs colonies civilisa l'É-
gyple. à des notions sin- les produits du règne végétal de leur
pays. L'horreur que la rcligio?i inspirait pour le cuir, pour
les cadavres et pour le meurtre des animaux, s'opposait à tout
progrès sensible en zoologie. Dans leurs anciens poèmes , il
est souvent parlé de l'or, mais pas encore des perles : ils con--
naissaient l'ivoire, et savaient le travailler ; ils fabriquaient des
tissus, employaient la teinture, faisaient un grand commerce
d'épices, de poivres, de parfums, sous la direction des prêtres,
qui avaient institué, ;i cet cflet. des caravanes. de< pèlerinages
et des fêtes.
Les colonies indieinies ne purent donc porter en Egypte
que leiu' constitution sociale, les formes de leurs monumens
d'architectvne, la connaissance des productions végétales de
leur patrie, et des habitudes relatives à la vie domestique :
sans pouvoir fixer l'epoijuc de ces émigrations, on recon-
naît que la dernière ne remonte pas à plus de 2000 ans
avant .).-C.
Sur les bords du Nil. les sciences diuent se développer avec
lapidité, favorisées par plusieurs circouslances locales. L'E-
gvpte possède le sol le plus fertile; à peine r.-t on besoin d'y
remuer la terre pour eu obtenir d'abondantes récoltes : elle est
difficile à envahir, et propre à être réunie sous une même do-
mination. Forcés par les inondations de rester des mois entiers
dans les villes, ses habitans durent naturellement s'adonner
aux exercices de l'esprit, qu'excitaient encore les nécessités de
leur situation singulière. Pour retrouver les limites des pro-
priétés après la retraite du fleuve, il fallut chercher les pro-
cédés de l'arpentage et les règles de la géométrie élémen-
taire ; pour prévoir ses dèbordemens réguliers, il fallut se
livrera l'étude des mouvemens célestes, que favorisait un ciel
toujours serein ; pour faciliter l'écoulement des eaux, il fallut
f(Mi«truirc de- cauMiix. ri cuilivcr l'ai I li\ driiidi«|iio lliches en
DES SCIENCES NATURELLES. 19
<ai rières de grès el de granit, matériaux durables qu'ils pou-
vaient transporter facilement sur le Nil, ils furent portés à
l'architecture et aux arts du dessin qui en dépendent; posses-
seurs de mines nombreuses, ils étudièrent la minéralof^ic, et,
par suite , la chimie , qui en est inséparable. La pratique
des embaumemens leur fournit des notions exactes en anato-
mie. Au culte qu'ils avaient reçu des Indiens ils ajoutèrent
l'adoration de certains animaux; ce qui les conduisit à en ob-
server les mœurs et à en dessiner les figures dans leurs édifices
«acres : leur religion, formée probablement d'un mélange des
rites de l'Inde avec le fétichisme, qui dut être le premier culte
des Ethiopiens, comme il l'est en général de tous les peuples
de race nègre, n'était donc point un obstacle aux études de
l'histoire naturelle : au contraire, elle semblait les favoriser.
Malheureusement, il ne reste aucun ouvrage écrit de ce
peuple; nous avons seulement un catalogue des livres sacrés
d'Hermès, conservé par Clément d'Alexandrie. Ces livres
étaient en Egypte l'objet d'une grande vénération ; ils trai-
taient des rites , des lois , de l'astronomie , de la géographie ,
des hiéroglyphes, de philosophie, de médecine et d'autres su-
jets; mais aiicun n'était consacré à l'histoire : Jamblique dit
qu'il y en avait 36,52 1. Dès le tems de Calien, la plupart de
ceux qui portaient ce nom étaient déjà très- suspects ; ceux
d'aujourd'hui sont apocryphes.
A défaut d'annales de l'Egypte, nous avons, dans Eusèbe et
dans quelques autres écrivains , plusieurs listes de ses rois ;
mais il y règne une grande confusion, qui provient vraisembla-
blement de la division du pays en États indépendans, dont les
souverains sont présentés sans date sur une ligne continue,
comme s'ils s'étaient succédé sur le même trône.
Les probabilités sont que l'Inde a devancé les autres peu-
plés dans la carrière de la ci*'ilisation. Mais, si, à une époque
reculée, 16 ou 1 700 ans avant notre ère , elle a pu influer sur
l'Egypte, ses communications scientifiques se sont bornées à
des idées métaphysiques ou religieuses, et aux premiers élé-
meus des mathématiques. Les propres ouvrages des Indiens,
..o COl'IîS JVHISTOTIU':
poslérieiirs à ces coiiumiiiicilioits, l'urrnl coiiipiisés i\nn> do
Icnis moins i-eculés que les livres sacrés des K^ypliens, qui
paraissent d'ailleurs n'avoir contenu rien d'intéressant pour les
«sciences. Les nivslères que l'on croyait écrits sur les monu-
n^iens se réduisent de leur côté à des litanies et à des descrip-
tions adulatoires. Ces édifices n'offrent probablement que des
représentation.* mythoIog;iques, comme ils représentent les
exploits de ilhama dans l'Inde, et ceux d'Hercule ou d'Âchillc
dans la Grèce : Gatterer prélend même que Menés, Osyman-
dias, iVIœris, Sésostris et llhamsimités n'ont existé que dans
l'imagination des cicérone qui expliquaient les pyramides ; on
ne trouve, en effet, aucune trace des exploits de Sésostris
chez les historiens des autres nations.
Il est donc permis de penser que l'Egypte n'a pris de l'u-
nité et de la consistance qu'après l'expulsion des pasteurs ,
alors que toutes ses petites souverainetés furent réunies sous
un même sceptre. Seulement, à pailii- de cette époque, elle
fut assez puissante pour entreprendre de grands travaux.
M. Champollion, en lisant les noms des souA^erains, éciils sur
les monumcns en caractères hiéroglyphiques, a reconnu
qu'aucun d'eux n'était antérieur aux xviT et xvin' dynasties,
c'est-à-dire, ;i celles (fui expulsèrent les nomades : peut-être
même les édifices élevés eu l'honneur de ces princes n'ont-ils
été bâtis qu'après leur mort, comme on en érige aujourd'hui
parmi nous à Henri IV et à saint Louis.
Les pyramides , monumcns de reulance de l'art, ne fu-
rent construites, suivant Manéthon, qu'après le règne de Sésos-
tris, le vainqueur des pasteurs : elles sont donc postérieures
aux premières émigrations de l'Egypte, celles de Cécrops ,
III 1556 avant J.-(]. , de iMoïse, en 1/191, de Danaiis, en i4B5.
La Bible n'en fait aucune mention, et les Hébreux ne les imi-
tèrent pas : la même observation peut se faire à l'égard des
colonies qui se dirigèrent vers la Grèce. On croit que les py-
ramifles furent fondées en 1100, un peu avant David et la
guerre de Troie. Les autres édifices leur sont postérieurs : on
doit porter leur date au lems ou l'Kgypte llorissail le plus.
DtS ïsClL.NChS NAiU.xiLLES. ui
depui.- I lou ju;<[u\i Tan 55o aM^nt J.-C. i époque de l'in^a-
sion lie Cauibv?e . qui mit un ternie à sa projpn-ité. Leur
nombre, leur beauté . leur grandeur, n'ont rien d'étonnant
sous un fiel où les matériaux se conservent inaltérables, et
dans un pays au sein duquel avaient dû s'accumuler d'iiu-
uienses richesses, par suite de la fertilité du sol et de sa po-
sition géographique, ([ui le rendait nKiiln:' ilu iomnieroe de
r Afrique et de llnde.
Fermée aux étrangers pendant sa prospérité, TEgypte leur
ouvrit ses ports pour la p:emiere fois, vers l'an 6ûo. sou>
Psamméticus, qui. pour apaiser des troubles civils, se vit
force d'appeler des troupes grecques auxiliaires. Ses prêtres
purent alors communiquer leurs connaissances à.Thalés,à
l'ythagore . et successivement aux autres philosophes grecs
qui vinrent s'instruire dans ses temples. ïhnlés y vint en 55o.
Peu après, en 54', Cambyse conquit l'Egypte : mais cet évé-
nement n'empêcha pas les Grecs de s'y rendre encore. Pjtha-
gore vers 5oo. Hérodote en -po. Platon en 400. Eudoxe
on 070.
Ainsi, les travaux vraiment scientitiques des Egyptiens com-
mencent environ 1200 ans avant J.-C. ; ils se ralentissent lor»
des troubles civils, vers 700, et cessent presque entièrement
à la conquête de Camliyse, en 541. ou 548, selon d'autres : ou
les voit enfin appréciés et réduits à leur juste valeur, en 064,
par les Grecs d'Alexandre, qui transportèrent sur les bords du
Ml les sciences, telles que, depuis Thaïes, en 200 ans, ils les
avaient développées. Bien que cette période de sept à huit siè-
cles ait été plus que -ullisaute pour conduire à de nombreuses
découvertes , l'esprit liuniain ne tit pas en Egypte de grands
progrès pendant ce long intervalle : la période grecque, à
partir de Thalé?. et même en y comprenant l'ecole d'Alexan-
drie, ne fut guère que de mille ans; celle des modernes n'en
compte pas encore cinq cents.
On peut juger des connaissances des Egyptiens par cel!e>
des émigrans. Les premiers, dans les xv'' et xvi' siècles
avant T.- C. flécinps. Dencalion . Moïse. Danaiis . n'a-
214 COURS D'HlSTOIRli
vai( lit que l'amice lunaire de 555 jours, avec des intercalla-
tioiib. Environ mille ans après. Thaïes n'en rapporta que l'an-
née de 365 joins; on dit même qu'il leur montra la manière
de mesurer par l'ombre la Jiauteur des pyramides : Pythagore
y apprit l'arithmétique, mais non son théorème du carré de
rhy[iolhénuse : Hérodote y trouva encore l'année de 3G5 jours:
Eudoxe y vit une sphère grossière ; et , de son tems, on y avait
adopté l'année de 565 jours un quart. Mais que savaient d'ail-
leurs les Égyptiens? qu'ont-ils pu enseigner aux philosophes
grecs ?
Ils cultivaient l'hydraulique, cai' ils avaient creusé des ca-
naux; In mécanique, qui leiu" fit transporter et élever des
masses énormes à une grande hauteur; la stéréotomie, au
moyen de laquelle ils taillaient des pierres sous des formes ré-
gulières ; i'artde l'arpentage, qui servait à diviser et à retrouver
les propriétés. Ils s'adonnaient à l'étude de l'astronomie ,
((u'ils portèrent assez loin pour trouver l'année de 565 jours
et un quart, très-approchée de la véritable, et pour orienter
leurs pyramides; mais il n'est pas prouvé qu'ils soient les auteurs
des constellations, lui physi(jue générale, ils paraissent n'a-
voir eu que des idées vagues et fausses, puisqu'ils regardaient
le feu comme un animal dévorant. En géologie, ils avaient
observé les lois des atlerrissemens du Nil, qui leur permet-
taient d'expliquer, comme nous, la fru'mation du Delta ; mais
ils faisaient tout dériver de l'eau. Ils connaissaient les pro-
priétés les plus usuelles des minéraux , si abondans dans leur
pays, savaient travailler les pierres fines, les porphyres , le
granit, le grès, l'or, l'argent, etc. , sans doute an moyen d'in-
strumens iranchans, donnés par la trempe dos métaux; ils fa-
briquaient nos émaux, nos porcelaines, des verres Cfdorés de
toute espèce, l'omposaient les couleurs les plus brillantes et
les plus -solides ; enfin , pour les procédés des arts chimiques,
ils étaient lKau(f)up plus avancés que ne le furent jamais les
Grecs et les llomains. leurs successeurs. En zoologie, l'étude
des mœurs et des formes des animaux était favorisée par la
religion . et les dessins de plus de cinquante il'entre eux
DES SCIENCES NiVlLUELLES. ^'5
tix'S-reconnaissables se retrouvent encore dans leurs Umu-
ples. Ils avaient aussi des notions d'analoiriie.
En se livrant avec persévérance à robser\ation des faits, les
Egyptiens durent être conduits à chercher les théories géné-
rales qui expriment leurs rapports : peut-être ont-elles été
perdues par suite de l'oppression de la caste sacerdotale,
après la conquête de Cambyse; mais toutes ces théories , liées
a leur mythologie, entravées par des lois de castes, cachées
sous des formes mystiques, n'offraient rien de solide, hors do
la pratique des arts; et toutefois, un Crotoniate fut meilleur
chirurgien pour Darius que tons les Egyptiens,
On a peu de notions sur les connaissances des peuples voisins
de l'Egypte à ces époques reculées. Les Chaldéens avaient un
observatoire sur le temple de Bélus : ils fn^nt des obseivations
grossières d'éclipsés de lune, conçurent quelques idées de l'as-
tronomie sphérique, et connurent l'année solaire de 565 jours
5o' 28". Les Phéniciens étaient très - industrieux , faisaieni
un grand commerce, et fabriquaient le verre, la pourpre,
le ged, etc. ; mais, à en juger par Sanclioniaton. leurs théories
cosmogoniques étaient encore plu- ridicule> ou plus déguisées
que celles des autres nations.
Les chefs des colonies égyptiennes ne possédaient, avec les
procédés pratiques, qu'une partie des connaissances dont le
dépôt était conservé dans la caste sacerdotale : élevé dans le."
temples, Moïse seul était initié aux doctrines philo>o})hiques
des prêtres. A la prendre pour humaine, sa cosmogonie est
étonnante; et ses livres prouvent qu'il avait des idées exactes
sur plusieurs points de la plus haute philosophie. L'ordre qu'il
assngne aux diverses époques de la création s'accorde parfaite-
ment avec celui qu'on déduirait des considérations pin-emenl
géologiques. C'est ainsi que la Genèse nous montre la terre
et le ciel formes d'abord et animés de la lumière , puis les
])oissons, ensuite les plantes, après lesquelles viennent les
animaux terrestres, et enfin l'honnue, le dernier des être-
créés. Cette succession est exactement la même qii'adntet hi
géologie. Dans les terrain,- situés aux plus grandes pinibn-
34 coins D'HlSTOIUt; DKS SClOCliS natlu.
(.leurs, et par conséquent antérieurs aux couches superposées-
on ne voit aucune trace d'êtres organisés; la terre était donc
;ifors sans habitans : en s'élevant aux couches superficielles.
!cs coquilles et les débris de poissons se montrent d'abord, et
successivement les restes des grands reptiles et les os des qua-
drupèdes; les ossemens humains ne se trouvent que dans les-
icrrains meubles, tels que les cavernes et les fentes de rochers :
l'homme est donc, de tous les êtres organisés, le dernier qui ait
apparu à la surface de la terre.
La Bible parle de l'olivier, du safran, du papyrus, du nard»
de l'orge, du blé, du figuier, du sycomore, de plusieurs par-
l'imis : pour les plantes qui y sont mentionnées, on peut voir la
Flore biblique dans Sprengel ; en ce qui concerne les animaux-.
\\ faut consulter l'Hiérozoicum de Bochard.
ÀfL GONDINET.
G P I iM O iN de M . Edouard L i v i n g s t o ^
Si;U LA PKliNE DE MORT.
Extrait du Rapport .servant u'introdi/Ctiou au sistem^
DE LOI PÉNALE PRÉpAKÉ POUR l'EtAT DE LA LoiUSIAîSE (l).
En entrant en matière, nous sommes arrêtés par la difficulté
de découvrir la vraie théorie de la loi pénale. Il faut que la
(i) Nous devons la communication de cet Extrait h M. Taillandikr,
notre collaborateur, qui le premier a ]>ublié en Europe le résultat des
travaux de M. LIV1^GST0N sur la lé-^islalion criminelle. La haute répu-
tation que ce législateur de la Louisiane s'est acquise, la force des argu-
mens qu'il a employés pour Cûmhallre la ])eine de mort, qu'il répudie d<
son Gode, ne nous (ont pas hésiter à insérer cet Extrait, dans lequel l'il-
tiislre ;Hileur s'est de nouveau élevé contre ce terrible châtiment. On rc-
OPIINION DL M. LIVINGSTO.N SLU LAPEINE, etc. -aj
philosophie nous hi iévèl<! ; car (.'elle ihéorio dciive de pro-
fondes lecheiches sur les facultés de l'esprit humain^ et sur
leur action habituelle; et il appartient à une législation sage
de l'adapter à l'usage des sociétés. A aucune autre époque, la
science de la jurisprudence, et particulièrement de la juris-
prudence pénale n'a autant qu'aujourd'hui attiré l'attention.
A aucune autre époque, ses progrès de la vérité théorique ù
l'utilité pratique n'ont été plus apparens, ou n'ont produit de
plus importans, de plus heureux résultats. Des hommes éru-
dits et sages consacrent à ce sujet leur tems et leurs talens ;
et, dans le conflit intellectuel qu'a produit cette discussion in-
téressante, il est bien satisfaisant de remarquer que les prin-
cipes que TOUS ayez sanctionnés ont été confirmés par les plus
honorables opinions, et soutenus parles raisons les plus con-
tluantes. Ceux-mêines qui diffèrent sur d'autres points s'ac-
cordent à approuver les doctrines générales d'après lesquelles
vous avez voulu que votre Code fût préparé, quoiqu'ils n'en
déduisent par les mêmes conclusions, et qu'ils n'aient pas puisé
leurs autorités daiis les mêmes sources.
Ainsi, tandis que tous confessent que le véritable but de la
jurisprudence criminelle est la prévention des crimes, et que
la doctrine des lois vindicatives est absuide et injuste au plus
haut degré, les uns soutiennent que les crimes ne doivent
être réprimés que par le seul exemple des punitions ; les
autres, que la réforme est le seul objet légitime que l'on doive
se proposer. Quelques-uns font dériver le droit de punir d'un
contrat tacite entre la société et ses membres; d'autres, du
seul principe d'utilité générale ; d'autres enfin n'admettent
marquera quelques locutions vicieuses dans le slyle; mais nous cioyoïis
devoir les conserver, parce qu'elles feront connaître à nos lecteurs l'état
de la langue française à la Louisiane. Le Rappoit d'où ce passage est ex-
trait a été, comme tous les actes législatifs de cette contrée, publié en
anglais et en français. Ce n'est donc pas une traduction que nous pré-
sentons ici; et, à ce titre, nous n'avons pas cru qu'il nous fût permis dt
vien changer à un dooimcnt oflîciel.
' l\uic (fil licddclciir.
26 OPhN^ON DE M. LIVINGSTON
d'autre origine à ce droit qu'une justice abstraite. Chacune
de ces opinions a ses sectateurs. Pour nous, sans nous en-
foncer dans les abstractions de leurs raisonnemens, conten-
tons-nous de f-e rt'sullat important, que, soit que le droit de
punir soit fondé sur (Contrat, utilité ou justice, soit que l'objet
doive être la punition ou la réforme; quelle que soit la vraie
doctrine sur ces points, nous avons la satisfaction de savoir
(juc, par un bonheur particulier, si l'une de ces théories est
bonne, les résultats pratiques q»ie nous avons déduits de
notre raisonnement ne peuvent être mauvais ; car toutes les
dispositions de notre système coïncident avec la justice abs-
traite, avec l'utilité générale, et avec les clauses admissibles
de tout contrat originel supposable ; et que ce soit la réforme
ou la punition qui soient le vrai moyen de prévenir les
crimes, notre plan de discipline des prison»; remplira cet
objet; car il embrasse l'une et l'autre.
Si, sur un examen (litiqne du système (\u'\ vous est pro-
pose, on trouvait extraordinaire qu'il s'adapte si bien à des
principes qui sont considérés comme opposés les uns aux
autres, ce sera cerlainemont un grand pas vers la conclusion
il tirer, que la dispute théorique porle plus s(U", les mots que
<ur aucune dinVrence réelle dans la cho-^e. Par exemple, si le
prétendu conlrat social a jamais existé, il n'apu être fondé que
sur la conservation des droits naturels de ses membres ; ce
(|ui lui donne les mêmes effets (pie produit la théorie qui
adopte la justice abstraite pour base du droit de punir ; car
l'une et l'autre ont le même but. d'assurer à chacun son droit;
et si l'utilité générale, qui est la troisième source d'où l'on
fait découler ce droit de punir, est si intimement liée avec la
justice qu'en jurisprudence criminelle elles soient insépara-
bles, il s'ensuit que tout système fondé sur un de ces princi-
pes doit être appuyé par les autres.
De même pour ce qui est relatif au butconuuun de tous, la
prévention du crime, si la punition la plus edicace est celle
qui prixliiil la rcrormc ; toutes ces théories sont d'accord dans
la prali(pie. quelle (pie soit d'ailleurs la dift'érence de leurs
raisonueint ii>.
SI il LA PEIXE I)K MORT. 27
On a cru eu conséquence qu'il était p!u> couxcnablc de
s'abstenir de paraître dans la lice de la controverse avec les
disputans, ainsi que d'adopter implicitement les dogmes d'au-
«une de ces écoles, mais de se contenter de réunir, s'il était
possible, le suffrage de toutes dans les résultats pratiques
(|ue nous établirons. Il y a cependant un de ces résultats qui,
(juoique déduit clairement des premiers principes admis par
tous, n'est pas encore généralement mis en pratique. Ce trait
qui distingue si honorablement des lois actuelles de toutes les
autres nations le plan que vos prédécesseurs ont unanime-
ment approuvé ; ce trait qui a excité l'attention du monde ci-
vilisé, et qui semble l'avoir fixée sur cet objet principal, est
(comme vous devez l'avoir pressenti) Vabolition de la peine de
mort. Itarement aucune doctrine a fait d'aussi rapides pro-
grès dans l'opinion publique. Quoique combattue par les pré-
jugés invétérés, par la longue routine, {)ar les opinions reli-
gieuses erronées et par l'appréhension générale et indéfinie
des innovations, le nombre de ses prosélytes s'accroît néan-
moins chaque jour davantage; l'exemple de notre État est par-
tout cité : les mesures futures de son assemblée générale sont
attendues avec le plus vif intérêt, et la civilisation européenne
avec une confiance mêlée d'anxiété attend de vous l'abolition
d'une peine qui répugne à notre nature. Un citoyen éclairé de
Genève (1) a publié l'annonce d'un prix qu'il propose pour
(1) M. Sellon, membre du Conseil Souverain de Genève, proposa au
Conseil, dés l'année 1816, d'abolir la peine de mort; et ce fut en 1826
qu'il proposa le prix mentionné dans le texte. Dans l'annonce, après
avoir cité les opinions de Beccarla et de Bcnlham, il ajouta : <■ Je teimine
ces observations en produisant le document le plus récent et le plus con-
(luant en faveur de ma proposition; c'est l'assentiment de l'assemblée
générale de la Louisiane aux principes tracés par M. Livingston dan;-
son Rapport. Mes concitoyens y verront une république adoptant des
dispositions dont la principale est la suppression absolue de In peine de
mort. » Il donne ensuite une copie de noire loi de 1820, du cerlifical
de ma commission, de toute la partie du Rapport qui est relative à !;•
peine de mort, et de ]« lésoliitiMn qui iippi'ou\a le Rapport. Dans une
■>\] OPINION I)K M. LlVlMiSTON
le nicilliur essai sur cesujcl, et il y a iiiliou'iiil. cuiiimc lexte,
la copie des argnmensqui ont reçu l'approbation de cet État.
Vne Société a suivi cet exempte à Paris. Les nombreux pa-
piers périodiques de France, d'Angleterre, d'Allemagne et de
Hollande, sont remplis de dissertations, la plupart fortement
approbatives de l'abolition; mais, autant que j'ai pu le voir,
aucun, même de ceux qui doutent du succès, n'a combattu
l'expérience comme dangereuse.
Si ce principe est maintenu dan-; notre Code, sa date sera
celle du vote d'approbation, et nous assure parmi les nations
nn nom auquel de plusieurs siècles nous n'aurions pu pré-
iiule sur la loi, il dit : <• !\'ayant d'autre but dans cet écrit que de con-
vaincre mes concitoyens que l'abolition de la peine de mort serait une
mesure aussi utile qu'honorable pour ma patrie, j'ai cru ne pouvoir
mieux l'atteindre qu'en leur donnant connaissance du Rapport fait par
M. Liviugslon à l'assemblée générale de la Louisiane. La Louisiane est
une république; elle est partie constituante d'une illustre union, comme
nous faisons partie de la confédctation suisse; et la constitution des
Klals-Unis, comme notre acte fédéral, permet à ses membres de se
donner les meilleures lois, encore qu'elles dill'èrent de celles des autres
litals. .Nous sommes redevables à M. Taillandikr de la traducti(jn de ce
Ra[(port, etc., et il termineson programme en citant rexem|)lcdes nations
modernes chez lesquelles la suppression de la peine de mort a été effec-
tuée : i" la Russie, sons Elisabeth; 2» la Toscane, sous Léopold ; 5" la
Loui.'ùane, en Amérique, qui, sur le rapport de M. Livingston, et par
une résolution solennelle de l'assemblée souveraine, a décrété la sup-
pression absolue de cette punition. Ce Rapport, dans lequel l'auteur,
comme on le verra, a rassemblé toute l'expérience des tems passés et
présens, me paraît être un document du plus grand intérêt pour Ge-
nève, dont la position, la population et la constitution, ont un grand rap-
port avec celles de la Louisiane, qui, comme Genève, membre d'une fé-
dération , s'est donné de bannes lois, sans tonsuller ses voisins à cet
égard, leur offrant un noble et sage exemple à suivre, sans craindre
qu'une législation douce attirât les criminels. Il faut espéier que nous
suivrons cet exemple; ■> et il ajoute: « 11 est aisé d'en faire l'essai; le
monde entier l'ajjprouvera ; la gloire en rejaillira sur toute la nation, et
l'histoire ne peut manquer de mentionner honorablement le peuple qui
le piemicr renoncera à une pratique qui n'est jilu? requise par la nécej-
silé, qui seule pouvait lui servii d'e.xcusc. »
' \otc Hc M. Livini^flon. ;
s L K LA l> ! : ! N V. DEMO ilT . uï)
irriilic });ir iiolro j)Oj)iihi[ioii on noire l'oiCi; lelalive, et unr
ilistintiion plus honorable que celle que donnent les ricluîsscs,
la puissance ou les progrès dans toute autre science.
Ce n'e-^t pas aux hommes éclairés auxquels je m'ailrt'sjc
que j'ai besoin de taire observer combien cette distinction ob-
tenue par un pays rejaillit sur ses citoyens, ni à quel point,
en exaltant l'honneur de la nation, ils augmentent le bonheur
des individus qui la composent. C'est la terme persuasion oii
je suis que l'un et l'autre s'accroîtront à un degré incalcu-
lable par la mesure en question, qui m'induit à la repré-
senter encore à la considération de la législature, et à y ajou-
ter quelques réflexions aux argumens qui furent dans une
occasion précédente considérés comme concluans. A cette
époque (i), j'exprimai l'opinion que le droit de punir de mori
pouvait être établi dans des cas où l'importance de l'objet à ob-
tenir, et la nécessité d'infliger cette peine pour y parvenir,
étaient l'une etFautresuflisamment démontrées; mais je niais
l'existence de celte nécessité. En revoyant cette partie du
rapport, j'ai pensé qu'elle avait besoin de quelque éclaircis-
sement.
L'existence est le premier don que l'homme reçut du Créa-
leur : existence accompagnée non-seulement de l'instinct né-
cessaire à sa conservation et à la propagation de l'espèce ,
mais d'une disposition sociale (et non purement aggrégative)
qui opéra si soudainement, qu'à moins de remonter en idée
justju'au premier homme, il n'est guère possible d'iaiaginer,
et moins encore d'indiquer, un état autre que celui de so-
ciété. Cet état de société a été rencontré partout où l'on a
trouvé des hommes, et doit avoir existé aussitôt que l'espèce a
été assez nombreuse pourTeffecl uer. Ainsi, l'homme étant créé
pour la société, le Créateur de l'homme a voulu sa conserva-
tion; et, comme il agit par des lois générales, et non parik-^s in-
terventions spéciales (exceptédans les cas que la religion îiou^
(i^^ RappnrI fait à l'axsemhlcc v;cnè)\tlc de la ï.oiilxiane, 1S25, 11. - -71.
5o OPINION DK M. LIM.NGSTOiN
(irdoniie de croire), toutesoeiété primitive a élé investie, ainsi
([ue chacun de ses membres, de certains droits naturels et de
certains devoirs correspondans, antérieurs en date, et supé-
rieurs en autorité ;'i tons ceux qui peuvent résulter d'aucun
consentement mutuel. Le premier de ces droits, peut-être le
seul incontestable, est pour l'individu aussi-bien que pour la
société le droit de conserver l'existence qu'ils ont reçue de la
toute-puissance divine qui créa l'homme pour l'état social ;
et le devoir correspondant et mutuel de l'iiomme et de la so-
ciété est de défendre ce droit. iMais, lorsque le droit est
donné, les moyens de le maintenir doivent, dans la loi natu-
relle comme dans la loi positive, avoir également été donnés.
.Si donc les individus et la société ont le droit de conserver
leur existence respective, et sont réciproquement tenus de la
défendre lorsqu'elle est attaquée, il s'ensuit que, si l'une ou
l'autre est menacée de destruction, et que pour l'éviter il soit
nécessaii-e d'ôter la vie à l'assaillant, le droit, je dis plus, le
devoir de l'ôter existe : l'impulsion irrésistihie de la nature
indique le droit qu'elle a conféré; et sa première loi est que
la vie peut être «îtée dans la défense personnelle. L'agresseur,
il est vrai , a le même droit d'exister; mais, si ce droit res-
tait sacré lorsqu'il tente de l'ôter à lui autre, il existerait en
mêmetems deux droits égaux et opposés; ce qui est une con-
tradiction dans les termes. En conséquence le droit dont je
parle est prouvé; mais, par rapport ;\ l'individu comme à la
société, ce droit est strictement défensif : il ne peut être exercé
que pendant la durée du danger; j'entends pendant letemsoù
la question est : Lequel des deux existera de l'agresseur ou
de la partie attaquée, soit individu ou société? Avant ou après
ce moment critique, ce n'est plus défense personnelle; leur
droit respectif de jouir de l'existence est alors co -existant et
égal, mais non opposé, et il serait injuste à l'im d'en dépouil-
ler l'autre.
Ainsi jecrois avoir prouvé ce que j'avais avancé, que le droit
d'infliger la mort existe, mais seulement dans la défense per-
SIK LA FKINK DK MORT. .>i
sonnelle de Piiulividii on de la société (i), et (|ii'il est confiné
niix cas où il n'y a pas d'autre allcrnative pour détourner
limmineiice de la destruction.
Afin de juger s'il y a nécessité de mettre en action ce droit
abstrait, il faut se rappeler le devoir imposé à la société de pro-
téger ses membre."»; devoir qui, si nous avons bien raisonné,
dérive de la nature sociale de l'homme, indépendamment de
tout contrat implicatif. Tant qu'on peut imaginer la société
dans un tel état d'enfance et d'imperfection qu'elle ne puisse
remplir ce devoir de protection sans ôter la vie à l'agresseur,
nous devons lui accorder ce droit; mais existe-il un pareil
état de société? certainement non . dans le monde civilisé; et
nos lois sont faites pour des hommes civilisés. L'emprisonne-
ment est une alternative facile et efficace ; aiasi dans la société
civilisée, et dans le cours ordinaire des choses, nous ne sau-
rions admettre la nécessité, ni conséquemment la légitimité de
l'exercice de ce droit ; et même parmi les hordes les plus sau-
vage*, où les moyens de détention peuvent manquer, le ban-
nissement peut, dans beaucoup de cas, dispenser de la néces-
sité d'infliger la mort. Il n'est pas douteux qu'une imagination
active ne put inventer des cas ou des situations dans lesquels
cette nécessité existerait peut-être : mais de pareils cas, s'il
en est (ce qui est suffisamment probable pour justifier une
exception dans la loi), doivent être présentés comme cas d'ex-
ception , et dès lors ne feraient que confirmer la règle; mais,
par un travers de raisonnement de la part de ceux qui ap-
puient cette espèce de punition , ils mettent l'exception à la
place de la règle, et une exception , qui pis est , dont la pos-
sibilité d'existence est douteuse.
Observez que j'ai cité le cas de la préservation de la vie
comme le seul dans lequel même la nécessité puisse autori-
ser à ôter la vie ; et cela , par la raison bien simple que c'est
le seul cas où ces deux droits naturels et d'égale importance
(i) Ceci explique cette partie du premier Rapport qui est relative a
la comparaison du mal de l'offense et de la punition.
( IW^ie de M. Lirinaslotu )
Tri 0riM()> bi: M. LlM>(;SÏON
piiissenl être balancés, et oi\ la balance doive pencher en la-
voiir (le celui ([ui s'oppose à la ilestruclion contre celui qui
lilche de Topérer. Le seul vrai fondement du droit d'infliger
la mort est la préservation de la vie. Ce don de notre Créa-
teur semble, par le dés^ir universel de le conserver, qu'il a iu-
lusé dans toutes les parties de la création animale, être le seul
fpril n'ait pas eu l'intention de laisser à notre disposition.
Mais alors, dira-t-on , que deviennent nos autres droits? La
liberté et l'inviolabilité personnelles, la propriété privée, doi-
vent-elles être abandonnées à la merci du premier usurpateur
puissant? Comment les défendre . si vous reslreiiçnez le droit
d'ôter la vie au seul cas de défense contre un attentat à l'exis-
tence? A cela on répond : la société étant un état naturel,
ceux qui la composent ont collectivement des droits naturels.
Le premier de ces droits est celui de maintenir l'existence so-
ciale ; ce (jui ne peut s'elVectucr qu'en maintenant celle des
individus qui la composent. Elle a donc des devoirs ainsi que
des droits; et les uns et les autres ont été sagement rendus
inséparables. La société ne saurait exercer ses droits de pré-
servation propre d'elle-même sans en même tenis remplir ses
ilevoirs en préservant ses membres. Toutes les fois, que l'une
des choses qui sont l'objet de l'association , telles que la vie.
la liberté ou la propriété, sont attaquées, la force de tout le
corps social doit être employée pour la défendre. Et cette
force collective, dans le cas d'une attaque individuelle, est
généralement suflisaute pour la repousser, sans sacrifice
d'existence; mais, dans les cas extraordinaires, où la force
des assaillans est telle qu'ils persévèrent de manière à com-
[>romettrc l'existence sociale, alors la loi cie la défense de soi-
même devient applicable.
Mais il peut survenir des circonstances dans lesquelles les
droits individuels se trouvent lésés avant que la force com-
nunie ne puisse intervenir. Dans ces cas, comme la nature ôv
la société ne prive point l'individu de ses droits personnels, il
peut défendre sa personne ou sa propriété contre toute vio-
lence illégale avec une force -uni-anic pour rcpous^icr cell»'
sur, LA l'I'JNE DE MOllT. 55
de l'assaillant. Ceci résulte clairement du droit de propriété,
de quelque source qu'on le fasse dériver, et de l'inviolaljilite
personnelle, qui est (avec quelques restrictions imposées par
la nature elle-même) incontestablement un droit naturel.
Comme le tort dont il est menacé peut ne pas admettre de
compensation, l'individu peut, pourleprévenir, user de force;
et si celle employée par l'assaillant met en danger la vie de
l'assailli (i) , la question rentre encore dans la catégorie de la
défense personnelle, et le même raisonnement employé dans
ladite hypothèse démontre le droit d'ôter la vie d;ins le der-
nier cas. Mais lorsque l'individu attaqué peut, par sa seule
force physique ou avec l'aide de la société à laquelle il appar-
tient, défendre sa personne ou sa propriété; lorsque l'attaque
n'est pas de nature à compromettre sa propre existence dans
la défense; s'il ôte la vie à l'agresseur en pareille circon-
stance, il l'ôte sans nécessité, et conséquemment sans droit.
Voilà toute l'étendue que la loi naturelle de la défense per-
sonnelle accorde à l'individu pour infliger la mort à autrui.
Une association quelconque d'individus peut -elle l'infliger
pour aucune autre cause, et dans aucune autre circonstance •'
La société n'a le droit de défendre qu'elle-même, c'est-à-dire
sa propre existence, et ce que les individus qui la composent
ont le droit de défendre; et de détruire tout individu, ou toute
autre société qui tenterait de la détruire. Mais elle n'a ce
droit que comme les individus, pendant la durée de l'attaque,
et lorsqu'il n'y a aucun autre moyen de la repousser,
C'est-là le seul sens que j'attache au mot, si fréquemment
employé, si abusivement prodigué, et si peu entendu, né-
cessité ; elle existe entre nations, durant la guerre; entre une
nation et une de ses parties constituantes, dans les cas de ré-
bellion et d'insurrection ; entre des individus, durant le mô-
(i) La seule csistence du danger ne suffit pas pour justifier l'homi-
cide; d'après les lois anglaises et autres, il faut que le danger ne laisse
pas d'autres moyens de l'éviter. {Note de M. Livingsion.)
T. XLVII. JUILLET l85o. 5
54 OPIMON DE M. LIMNGSTON
ment d'un attenlat ;> l'existence, qui ne peut pas être autre-
ment préservée; mais, enln; un individu et la société, telle
qu'elle est aujourd'hui formée , elle n'existe jamais. Je con-
clus donc (bien explicitement, parce que je désire être com-
pris) que, (pjoique le droit de punir de rnort puisse, sous un
rapport abstrait, exister dans certaines sociétés, et dans cer-
taines circonstances qui peuvent le rendre nécessaire , néan-
moins, dans l'état actuel de la société, ces circonstances ne
peuvent être raisonnablement même supposées advenir; que
dès lors il n'existe aucune nécessité, et par conséquent au-
cun droit d'innig;er la mort comme punition.
On a également employé des raisonnemens très-forts pour
réfuter ceux qui fondent le droit d'ôter la vie pour crimes surun
contrat originel fait par les individus lors de la première fonda-
lion des sociétés : d'abord , qu'un tel contrat non-seulement
n'est pas prouvé, mais ne peut même guère être imaginé; en-
suite, qu'alors même qu'il le serait, il serait confiné au seul cas
de défense. Les parties, dans ce contrat, n'ont pu donner à la
société que les droits qu'elles avaient individuellement ; leur
seul droit sur la vie d'autrui était celui de préserver la leur; voilà
le droit qu'elles purent donner à la société, etpasd'autre. Ainsi,
dans cette théorie également, ledroit se résout en celui de faire
ce qui est nécessaire pour sa conservation; la grandequeslion re-
vient donc encore : la peine de mort est-elle nécessaire dans au-
cime société civilisée pour préserver, soit la vie de ses mem-
bjes individuellement, soit leurs droits sociaux collectivement ?
Si elle n'est pas nécessaire, je pense avoir prouvé qu'elle n'est
pas juste; et, si elle n'est ni juste ni nécessaire, peut-elle être
utile? Pour qu'elle lut nécessaire, il faudrait démontrer que
sans elle la vie des citoyens et l'existence de la société ne
sauraient être préservées. Mais ceci peut- il être soutenu en
face de tant de preuves contraires? L'Egypte, pendant vingt
années , sous le règne de Sabace ; Rome , pendant deux cent
cinquante ans ; la Toscane, pendant plus de vingt-cinq ans; la
Russie, pondaul vingt-un ans, sous Elisabeth, démentiraient
celte assertion. Il y a plus : s'il est vrai, comme on vous le
SUR LA PEINE DE MORT. 55
ilil . que les lois pénales espagnoles aient été abrogées par la
cession, cet État lui-même vous offre une preuve incontes-
table que celle nécessité n'existe point. Car, si ces lois n'exis-
taient pas en force , il est évident qu'il n'y en avait aucune
qui imposât la peine de mort, depuis l'époque du transfert
(décembre i8oj) jusqu'au 5 mai i8o5, que fut passée notre
première loi pénale. Eh bien! durant cette période, où les
préjugés nationaux étaient exaltés, où l'un des gouvcrnemens
avait abandonné, et l'autre n'avait pas encore établi son au-
torité, je crois qu'on ne vit pas un exemple de meurtre ou de
tentative de troubler l'ordre de la société. Ainsi il faut qu'on
renonce à l'un ou à l'autre argument; ou les lois espagnoles
existaient, ou nous étions nous-mêmes une preuve qu'une
nation peut exister en paix sans la peine de mort. Des socié-
tés ont donc existé sans elle; elle n'était donc pas nécessaire
à ces sociétés. Y a-t-il quelque chose dans l'état de la nôtre
qui rende cette punition nécessaire? Autant que j'ai pu l'ap-
prendre, rien de pareil n'a été même suggéré. Mais, si elle
n'est pas de nécessité absolue, ses partisans auront-ils recours
au misérable prétexte qu'elle est convenable ; que les crimes
auxquels on l'applique diminuent en plus grande proportion
que ceux auxquels une autre peine est infligée ; mais le con-
traire est malheureusement trop vrai. Le meurtre et la tenta-
tive de meurtre , qui sont punis de la peine capitale, se sont
multipliés, dans quelques Etats de l'Union, à un degré qui non-
seulement répand une alarme générale, mais qui imprime au
caractère national une tache qu'il sera très-difficile d'effacer.
Je pourrais là-dessus m'en remettre aux sentimens des mem-
bres du corps auquel je m'adresse; mais, comme le lésullat
est susceptible d'être démontré par des chiffres, j'appelle leur
attention sur les tables annexées à ce rapport, dans lesquelles
ils verront, quelque incomplètes qu'elles soient, un accrois-
sement de ces crimes, qui démontre, si quelque chose peut le
démontrer, l'inefficacité des moyens adoptés, et si obstiné-
ment maintenus pour leur répression. Le petit nombre d'exé-
cutions, comparé avec les faits bien authentiques des crimc'^ ,
36 OPINION DK M. LIVINGSTON
prouve (lue la sévcrilé de la punilioii auj^iui-nle les chances
d'acquit ; tandis que l'oisive curiosité qui attire la foule au
spectacle des souiTrances humaines, dans les exécutions, et
l'insouciance ii-réfléLhie des spectateurs, prouvent les effets per-
nicieux d'un tel spectacle sur la morale et la sensibilité juibli-
qnes, et que les crimes commis pendant l'exhibition même des
exemples destinés à les prévenir, démontrent l'inefficacité abso-
lue du prétendu remède. Il est un cas de celte nature trop frap-
pant pour être passé sous silence. En 1822, un individu nommé
Jean I. cellier fut exécuté à Lancastre, en Pensylvanie, pour
un meurtre atroce. L'exécution attira, comme à l'ordinaire,
une midtiludc immense d'assistans; et nous pouvons juger de
l'effet salutaire qu'elle produisit surles spectateurs parl'extrait
suivant d'une gazette imprimée dans le voisinage (1); et le.'^
faits y relatés m'ont été depuis confirmés par une autorité ir-
récusable.
«C'est depuis loiig-lems un point de controverse (dit le ju-
dicieux éditeur) si les exécutions publiques, par l'air de
solennité qu'on leur donne, ne sont pas pour la partie vicieuse
de la communauté plutôt un stimulant au crime qu'un moyen
d'en détourner. Ce qui vient de se passer à Lancastre indui-
rait à penser que le spectacle d'une exécution publique pro-
duit moins de réformes que d'inclinations vers le crime.
Pondant qu'une ancierme offense était expiée, plus d'une
douzaine de nouvelles ont été commises, et quelques-unes
d'une nature capitale. \'ingt-huit personnes ont été empri-
sonnées à Lancastre, vendredi soir, pour différentes offenses,
telles que meurtres, larcins, etc., sans compter que plusieurs
messieurs perdirent leurs portefeuilles; mais les filous se sont
évadés; autrement, la prison eût déboi'dé.
i)Dans la soirée, un nommé Thomas Barnc, tisserand em-
|(kiyé dans la manufacture près de Lancastre, se retirant chez
lui, l'ut rencontré par un certain Jf'^Uson avec lequel il avait eu
(1) Gaîctte 'k \'orhfown.
SUR LA FELNE DE MOUT. 57
quelque précédent dc^mêlé : "W ilson tira son couteau et lui en
donna plusieurs coups eii divers endroits; quelques-unes des
blessures sont réputées mortelles ; "Wilson a été arrêté et em-
prisonné ; on lui a mis les mêmes fers que portait Lechler, et
qui n'avaient pas eu le tems de se refroidir. »
Une lettre en réponse à quelques informations que j'avais
demandées à ce sujet ajoute à ces renseignemens que Wilson
était un de ceux qui avaient (juitté leur résidence exprès pour
venir assister à l'exécution de Lechler; et, afin de ne laisser
aucun doute sur l'exactitude des faits relatés dans la Gazette,
que ledit "Wilson a été depuis convaincu de ce meurtre.
Je prie les avocats de la peine de mort de réfléchir sur cet
exemple, de le rapprocher de celui que j'ai détaillé dans mon
premier rapport, concernant le brocantage des faux billets
dans la même chambre où gisait le cadavre de celui qui ve-
nait d'être exécuté pour le même crime (1). Je les prie de
réfléchir sérieusement sur ces cas, sur beaucoup d'autres de
la même nature dont ils ont pu avoir connaissance, et de dire
s'ils peuvent penser sincèrement que la peine de mort soit une
punition efficace pour le meuitre. La plus intense, la plus
mûre réflexion a conduit mon esprit à conclure que, non-seu-
lement cette punition n'a aucun effet répressif, mais qu'au
contraire elle incite au crime. Comment? c'est ce qui n'est
(1) Le fait suivant, que je trouve rapporté par une personne dans une
assemblée à Southanipton, eu Angleterre, comme le tenant de M. Bux-
TON, est encore pins étrange : « Un lilandais, convaincu d'émission de
faux billets de banque, fut exécuté, et son corps fut remis à sa famille;
tandis que sa veuve se lamentait sur le cadavre de son mari, un jeune
homme se présenta pour acheter de faux billets. Dés qu'elle sut son in-
tention, oubliant à la fois sa douleur et ce qui l'avait causée, elle souleva
le cadavre, et tira de dessons le corps de son mari une quantité de ces
mêmes papiers dont l'émission lui avait coulé la vie, A ce moment, on
donne l'alarme, en annonçant l'approche de la police; et la veuve, ne
sachant où cacher ces billets, les mit dans la bouche du cadavre ; c'est là
qu'ils furent découverts par les officiers de police. »
[Note <k M. Ltvingflon.)
58 OPINION DE M. LIVINGSTON
pas facile à découvrir, et moins encore à expliquer. Mais j'ar-
gumente d'après les faits; et, quand je les vois généralement
les mêmes après chaque événement de ce genre, je dois croire
que l'événement est la cause efliciente qui les produit, quoi-
(|ue je ne sois pas capable de suivre et de découvrir exacte-
ment leur connexion. C'est la difficulté qu'on éprouve prin-
cipalement, en déduisant des effets moraux de causes
physiques, ou en raisonnant des effets des causes morales sur
les actions humaines. L'influence mutuelle des opérations
réciproques de l'esprit et du corps sera toujours pour nous un
mystère. Quoique nous soyons tous les jours témoins de ces
effets, ils ne sont jamais plus apparens, ni la cause plus profon-
dément cachée, que dans cette propeusion de l'esprit à imiter
ce qui a fait une forte impression sur les sens, et cela fréquem-
ment dans des cas où la première sensation à dû produire une
iiiipression pénible de crainte. C'est un des premiers déve-
loppemens de l'intelligence dans les enfans. D'autres mobiles
nous font surmonter ce sentiment pénible et la crainte natu-
relle de la mort. Les tortures que s'infligent les Fakirs de
l'Inde, les mortifications et les rudes pénitences de quelques
oi'dres monastiques parmi les chrétiens, le bûcher où s'immo-
lent les veuves du Malabar, peuvent être attribués en partie
à la religion, en partie à l'amour de la distinction et à la crainte
du blâme; mais aucun de ces motifs, iii tous réunis (excepte
dans le cas Irès-ran; d'un héros ou d'un saint), ne réussiraient
à ^iroduire des effets aussi extraordinaires sans cet esprit
d'imitation dont j'ai parlé. Le législateur doit donc remarquer
celle disposition, ainsi que toutes les autres propensions de lu
nature humaine, et bien se garder d'cxécuU.'r, dans ses puni-
lions, les mêmes actes (ju'il prétend réprimer, de peur d'eu
faire des exemples attrayans plutôt qu'elïrayans.
l ne autre raison, peut-être, de l'inefficacité de celte puni-
lion, raison siir laquelle on n'a pas assez appuyé dans le pre-
mier lapport, est rincertiliide de son inflietion, rpii réduit la
. cl)anee du danger à moins f|ifon n'eu court volontairement
SUR LA PEINE DE MOUT. Sg
dans pliisicurà des états de la vie. Les soldats niaichciil gàîment
au combat, avec la certitude que nombre d'entre eux y péri-
ront. Ceux qui commettent un crime capital y procèdent
toujours avec l'espoir de n'être pas découverts. On trouve des
hommes qui affrontent la mort, sous quelque forme qu'elle se
présente (i), dans la poursuite de leurs dangereux projets ;
qui, pour le plus léger bénéfice, se lancent dans les entreprises
les plus périlleuses. Tant qu'il y a une chance de salut, l'heu-
reuse disposition de notre nature nous fait espérer que cette
chance nous sera favorable. Nous embrassons avidement la
jouissance certaine que nous offrent la gloire, le profit, ou
même l'agrément, et nous comptons échapper au danger in-
certain. Si cette vérité est admise pour le cours ordinaire des
affaires delà vie, peut-on la repousser pour les cas des crimes ?
La grande erreur de nos lois est de s'obstiner à ne vouloir pas
considérer leur violateur comme mu par les mêmes mobiles,
(i) Le grand peintre moderne des passions et des caractères, dans
un de ses plus heureux tableaux, a tracé admirablement, dans le per-
sonnage fictif d'un féroce boucanier, ce mépris désespéré du danger çt
de la mort.
Blasé sur les périls, sous descieux étrangers.
Dans toutes leurs terreurs il a vu les dangers,
A soutenu le choc des élémens en guerre ;
Trombe, ouragans, tempête et tremblemens de terre.
La mort! il la connaît sous ses plus noirs aspects :
Dans la contagion, ses dévorans progrès;
Lente dans la torture, et soudaine à la bjèche ;
A l'abordage, il sait par la lance ou la flèche.
Ou la mine, ou le plomb, «es différens efTels.
Elle ne l'émeut point ; il sait toutes ses routes.
Ses formes, ses couleurs, et les méprise toutes.
BuBTRAM est le beau idéal d'un pirate; mais nous rcUrouvous celte
même insouciance de la mort, à un moindre degré peut-être, chez d'au-
tres flibustiers; témoin la froide observation de l'un d'eux à ses com-
l)agnons placés sur la roue avec lui : Pourquoi faiie tant de bruit? ne
savicz-vous pas que, dans noire profession, nous sommes, plus que les
autres, sujets à cette maladie? {I\olc de M. Livlngslon.)
4o O PI MON DE M. UVINGSTON
i^uidé par les mêmes motit:) qui t'ont agir les autres membres
de la société, à rel'user de le considérer comme un homme.
Elles le supposent un démon ou un idiot; et leurs dispositions
sont, en conséquence, la plupart calculées pour un être poussé
par une perversité trop ennicinée pour être corrigible, ou par
une folie qui le rend incapable de suivre la route de son bon-
heur, quand elle lui est indiquée. Si, au contraire, nous dési-
rions faire nos lois pour l'homme , tel qu'il est , penserions-
nous que la crainte «le la mort fût un frein suffisant pour
contenir celui qui, avant le crime, a pris toutes les précautions
que la prudence peut suggérer pour n'être pas découvert, et
qui, après sa commission, calcule sur l'incertitude des lois;
lorsque nous-mêmes ne sommes pas détournés de l'appât du
moindre gain, ou même d'une jouissance passagère, par la
( onsidération du même danger? Il est vrai qu'on pourrait dire
que l'honnête homme s'expose à la mort, mais non pas à une
mort de ce genre , et qu'il n'est plaisir ni profit qui pût l'in-
duire à risquer d'encourir l'infamie, quand le plus grand dan-
ger d'une mort honorable ne l'effraie point. Tout cela est très-
vrai et donne une grande force à l'argument; ce n'est donc
pas la mort qu'on craint, mais bien l'ignominie; et si c'est
l'ignominie qui rend la mort redoutable, ne peut-elle pas ren-
<lre la vie insupportable? Si l'on ne peut endurer le tourment
de la honte pendant le court intervalle qui sépare la con-
damnation de l'exécution, comment le supportera-t-on du-
rant tout le covus de la vie?
Mais le meurtrier n'a point de honle! Si c'est là votre argu-
ment, il n'a donc, dans son état criminel, rien qui lui rende la
luort plus redoutable qu'à vous, dans votre occupation hon-
nête, d'.jspirer les exhalaisons pestilentielles d'un hôpital, ou
les vapeurs empois(»nné«-s d'uu laboratoire de mercure ; ou,
(|uand vous la bravez héroïquement face à face sur un champ
de bataille ou sur les flots. Alors pourquoi voulez-vous qu'il
^oit arrêté par un moindre risque, contre lequel il s'est précau-
lionné, lorsque vous ne l'êtes poinl vous-même par celui plus
s LU LA l'ElNE DE MOUT. 4i
i;r;uul que vous sarez devoir affronter? Qu'il n'éviide pas celle
«luestion celui dont le devoir est de prononcer sur cette ini-
portanle mesure ; et s'il y répond, suivant ce que lui dicteront,
je pense, la raison et la moindre connaissance du cœur hu-
main, la peine de mort sera reconnue impuissante pour ilé-
tourner de la commission du seul crime auquel on croit conve-
nable de l'appliquer.
II n'est pas un point de la thèse sur lequel on puisse produire
des raisons plus convaincantes ou des autorités plus persua-
sives que sur celui-ci, qui s'est nécessairement présenté plus
d'une fois ; car il se rattache à tous les autres. Depuis la mise
en exécution des premières lois écrites dont nous parle l'his-
toire jusqu'à nos jours, tous ceux qui ont pris la peine de
penser ont invariablement observé que l'inexécution des lois
pénales a toujours exactement suivi la proportion de leur sé-
vérité. Celles de Dracon sont devenues proverbiales par leur
cruauté, qui, d'après l'opinion générale, causa leur abolition
par Solon. Mais le lait est qu'elles furent abolies, moins par
Solon que par l'impossibilité de les exécuter. Alors que le vol
d'une pomme encourait la peine de mort, quel citoyen se fût
porté accusateur, quel témoin eût déposé, quelle assemblée du
peuple eût condamné, quel exécuteur eût voulu présenter la
coupe empoisonnée ? Aussi nous dit-on expressément que ces
lois furent abolies, non par aucun décret formel, mais par le
consentement tacite des Athéniens (i). Je ne cite pas sur ce
pointles modernes qui ont écrit sur les lois pénales, parce qu'il
n'en est pas un qui ne se soit prononcé en faveur de l'opinion
que je défends. Et cependant, par une diversité très -singu-
lière, chacun d'eux a un crime favorij auquel spécialement il
juge cette punition inapplicable.
Ceci n'est point un essai pour prouver l'inutilité, le dangei-.
(i) Draconis leges quoniain videbantur, impendio acerbiores , noii
decieto jussuque, sed tacito illiteratoque Alheniensuiii coi;s'.nsii, obiit-
teiala- sunt. ( Ailu-Gbijlb, L. 5.)
4i OPINION DE M. UVINGSTON, etc.
et (si l'on admet l'un et l'antre) le crime d'employer la peine
de mort. Un tel ouvrage exigerait un arrangement méthodique
et une recherche des premiers principes de la loi pénale : ce
qu'on ne peut pas attendre d'un simple rapport explicatif,
dans lequel on ne lait qu'indiquer, sans beaucoup d'ordre ni
de développement, les argumens principaux, laissant aux es-
prits éclairés auxquels on l'adresse la tâche des conséquences
à tirer des sujets qu'on présente à leur considération. Cela
posé, j'ajouterai encore quelques réflexions sur cette question
si intéressante pour nos plus louables scnlimens.
( La fin au prochain CaJiier. )
II, ANALYSES D'OUVRAGES.
SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES.
Voyage de la corvette V Astrolabe, exécuté par ordre du Roi,
pendant les années i8îiG-i827-i828-i829, sous le comman-
dcinont de M. J. Dumont (I'Urville, capitaine de vaisseau,
publié par ordonnance de Sa Majesté. — Histoire du
Voyage : T. I (i).
Le président des États-Unis disait, à la fin de 1826, dans
-on Message au Congrès : « Les voyages de découvertes illus-
trent les nations qui les entreprennent, en même tems qu'ils
reculent les limites des connaissances. Nous avons recueilli
le fruit des grands travaux exécutés par la France et par l'An-
gleterre : il est tems d'acquitter la dette de la reconnaissance,
en contribuant à notre tour à l'accroissement du trésor com-
mun. Il ne s'agit point d'expéditions qui puissent être onéreu-
ses à nos finances : cent voyages autour du monde, comme
ceux de Cook et de La Peyrouse, ne coûteraient pas autant
qu'une seule campagne de guerre. Mais une autre sorte de
dépense doit être prise en considération ; c'est celle de la vie
des hommes habiles et dévoués qui dirigent ces belles entre-
prises, et qui trop souvent y succombent. Quelles compensa-
tions pouvons-nous offrir à leur pays! Il n'en est qu'une seule:
conservons avec amour la mémoire de ces hommes si utiles,
et marchons sur leurs traces. »
(i) Paris, i85o; im|)rimciic de Tastii. Grand in-8° de cxii-Szj pages,
avec vignettes et filanclics. Chaque livraison se compose d'un demi-vo-
lume de plus de 5o.i paf^ps, et de 6 )>!aiiches, et coûte i4 fi'.
44 SCIKNCtS PHYSIQUES.
M. J. Q. Adam? est descendu du laulcuil de la présidence.
L'I nion promène les étoiles de son pavillon sur toutes les
mers , mais c'est dans l'intérêt de son commerce, dont la ma-
rine se compose de près de 1,400,000 tonneaux; et, si l'ex-
portation des pelleteries de JNootka vers la Chine se trouve
réduite de plus de moitié, i5o navires américains parcourent
les côtes de l'Australie pour exploiter la pêche de la baleine.
L'Angleterre, occupée à jeter une partie de sa puissance sur
les principaux points de l'Océanie, semble renoncer aux voya-
î;es de découvertes, excepté vers le pôle boréal : inconnu jus-
qu'à ce siècle dans l'Océan pacifique, le pavillon de la Russie
vient de s'y montrer plusieurs fois. La France, redevable en
partie aux sciences de ses victoires, aperçoit, du sein des dés-
astres qui ont fondu sur elle, ime gloire nouvelle ù conqué-
rir par des circumnavigations : et malgré les contributions de
la Sainte-Alliance, malgré le milliard d'indemnité accordé par
privilège à l'émigration, trois grands voyages sont exécu-
tés dans le cours de onze années. UUranie s'est perdue, et sur
un écueil qui peut-être n'était pas inévitable; mais ses tra-
vaux ont été conservés aux sciences. Plus heureuse, la Co-
quille, après avoir également parcouru près de 25, 000 lieues,
leur a rapporté d'idiondantes richesses. Endn VAslrolabe^ par
ses explorations, ses découvertes et ses cuUections, surpasse
les -espérances des savans. L'histoire de la politique n'est pas
impartiale, car elle ne se préserve pas des passions des partis:
plus modérée, l'hisloirc des sciences est en outre reconnais-
ï-ante. La première dira qu'en 1817 le portefeuille de la ma-
rine était confié aux mains incapables de M. Dubouchage; la
seconde aime à rappeler qu'il prépara le voyage de M. Frey-
cinct. La réprobation qui pèse sur le ministère de 1823 sera
partagée par la postérité ; M. de Clermont Tonnerre, qui fut
l'un des principaux membres de cette administration, présida
au départ de M. Duperrey. La France refuserait un bill d'in-
demnité à M. de Chabrol, qu'elle n'oublierait pas que ce mi-
nisti-e accueillit le projet de l'expédition de M. Dumont d'Ur-
ville: et son successeur, M. Hvde de Neuville- a favorisé la
SCIENCES PinSiQlJES. 45
publicalion du voyage de V Astrolabe. Ces exemples peuvent
apprendre encore aux ministres qu'en secondant les progrès
des sciences et des lettres, en attachant leurs noms à des en-
treprises durables et véritablement glorieuses, ils se procurent
des consolations, et acquièrent des titres à l'estime des peuples.
La Revue Encyclopédique , vaste répertoire de matériaux
choisis pourl'histoire philosophique et scientifique, a déjà in-
diqué les travaux et les résultats de l'expédition de V Astro-
labe. Dix mois après son retour, le premier volume de la Re-
lation historique a paru, avec plusieurs livraisons de planches :
les autres parties vont être publiées avec autant d'activité,
pourru que l'administration ne suscite point d'obstacles. On se
souvient que, si le gouvernement impérial ordonna en 1806
l'impression du Voyage aux Terres australes, des débats entre
deux minisires en retardèrent tellement la publicalion que le
second volume ne fut achevé qu'en 1816, long-tems après
que l'amirauté anglaise eut fait paraître la Relation complète
de Flinders. Il faut le dire aussi, la tribune nationale qui, de-
puis l'établissement du gouvernement constitutionnel, a eu
à discuter tant et de si énormes budgets, s'est trop peu occu-
pée des expéditions scientifiques : elle en eût tiré de nouveaux
moyens pour combattre l'abus des sinécures, toujours habile
à se couvrir du manteau du royalisme. En effet la Coquille,
nommée ensuite V Astrolabe, n'a guère plus dépensé que si
elle eût été employée pour une croisière; ses deux voyages
de découvertes ont moins coûté qu'un bal de la ville de Paris.
Ce fut le 25 avril 1826 que M. DiMOSTd'URViLLE appareilla de
Toulon, emportant les instructions qu'il s'était, pour ainsi dire,
tracées à lui-même, principalement d'après la circumnavi-
gation qu'il venait d'exécuter, en qualité de commandant en
second de la Coquille (1). L'Océanie est un archipel immense ;
(i) M. d'UHViLLB se livra, autant que son service le lui permit, à la
botanique et à l'entomologie. Les rapports de l'Académie des sciences
sur le voyage de la Coquille font mention de son herbier, qui, sur près de
5,000 espèces, en a procuré au Muséum environ 4oo nouvelles, et de sa
4(; SCIENCES PHYSIQIES.
(le 1788a 1809, des navires (lu cominerce, de simples balfiiicrs
y ont découverl environ cinquante-neuf îles, groupes d'il()ls,
écueils : la plupart des grandes terres de TAuslralie n'onlpas été
entièrement re(.onn;ics ni ilécrites ave(". (>xacti(ude. Combien
d'études il reste à taire sur des peuplades qui sont encore dans
l'élat de nature,sur d'autres appelées sauvages, quoique les arts
chez elles soient plus développés que dans beaucoup de can-
tons de l'Europe ! et combien d'observations à poursuivre, de
récoltes à faire pour la zoologie; coiîibien d'expériences et
d'explorations qui doivent enrichir les sciences physiques, et
perfectionner la géographie! il eût suffi de moindres travaux
poiu- exciter des naturalistes et des officiers, qui avaient prispart
aux expéditions précédentes, à s'exposer encore aux vicissitu-
des et aux dangers qui attendaient V Astrolabe. MM. Quoi et
(iAYMARD avaient participé au voyage de YUranie ; la Coquille .
avait eu pour officiers M. JACQriNOT et M. Lottin, qui a dressé
avec talent une grande partie de ses cartes.
Des vents contraires retinrent V Astrolabe dans la Méditer-
ranée; enfm, le trente-quatrième jour de son départ, elle put
franchir le détroit de Gibraltar, «où deux lieues de mer séparent
deux continens, et semblent être, pour l'intelligence humaine,
les limites de la mort et de la vie. » la description physique des
îles Canaries par M. de Buch , ouvrage classique pour la géo-
logie, serait plus connue en France, qu'on ne lirait pas moins
avec intérêt les récils de l'excursion au pic de Ténériffe , par
MM. d'Urville, Quoi et Gaymard (1). Par un arrangement
collectiun d'iiisecles, dont r')o espaces niaiiqiiaient à cet iilablisscment,
on n'<îtaient |)as encore d6critc«. Dt-jà le Miisi;nm avait reçu des dons non
moins prici(Uix du même officier qui avait accompagne M. le capitaine
Gaulliier dans la Mer-Noire et la MédiCerianée ; et le Musée du Louvre
est redeval)le à M. d'Urville de la découverte de la A'énrs de Milo.
(1) M. DK LA FoYii, prori-.sse(U' de physique à la Facultfi des sciences de
l'Académie de Caen, vient d(; traduire la partie la |>liis importante de
l'ouviape de M. Lcopold de Buch, membre de l'Académie dos sciences
de Berlin. Cette traduction a été recueillie dans le premier volume (se-
conde série) des Mitiwlres de la Sov'ièlc Linnccnnc de l\orm(nidie. In-V".
SCIENCES PIIYSIOIES. 4;
([ni est presque une innovation, quoiqu'il soit de justice rigou-
reuse, l'histoire de ce voyage, écrite par le Commandant,
oflVe en appendices divers extraits des journaux des ofTiciers
et des artistes de l'expédition. Comme pour les dangers ([u'ils
ont surmontés ensemble, il y aura entre eux communauté dans
le succès de leurs travaux. Des publications partielles, sous
des titres divers, compromettent une entreprise, ou du moins
provoquent coutre elle la critique passionnée ; et c'est peu
servir les sciences que de disperser ainsi, dans un grand nom-
bre de volumes, les observations faites simultanément sur les
mêmes objets et par le concours des mêmes personnes. Mais
dos relations qui paraissent ensemble se complètent les
unes par les autres, et les dilï'érences qui peuvent résulter de
la manière de juger des choses, des fonctions et des genres
d'études, attestent la véracité et l'indépendance de chacun des
collaborateurs.
i<. h' Astrolabe passera, sans s'arrêter, de Ténériffe au sud du
cap de Bonne-Espérance, traversera la mer des Indes, et du
détroit de Bass ira relûcher dans le port Dalrimple. On suppose
que trois mois et dix jours suffiront pour cette traversée. »
Ainsi sa marche a été tracée à Paris; et le cent-huitième joui-
la corvette jette l'ancre au port du roi Georges, si intéressant
par sa position; elle trouve à ajouter aux descriptions qu'en
ont faites Vancouver, Baudin et Flinders : sa traversée a été
d'environ 4,000 lieues, sans qu'elle ait rencontré d'autre terre
que les rochers inabordables de la Trinité, dont elle a opéré la
reconnaissance pour suppléer au plan qu'en avait levé La Pé-
rouse. Mais déjà que de coups de vent, que de tempêtes es-
suyées! Pendant près de cinquante jours la mer a été terrible ;
des brumes perfides ont failli causer la ruine de la corvette : les
quatre-vingts marins de V Astrolabe étaient suspendus sur des
abîmes; les officiers faisaient des expériences avec le thermo-
métrographe jusqu'à 5 20 brasses.
Après une relâche de seize jours seulement , employés aux
observations astronomiques, à des herborisations dans des fo-
rêts magnifiques où errent des naturels, de tous les sauvages
48 SCIENCES PHYSIQUES.
les plus misérables el les muitis farouches, nos navigateurs
reprennent la haute mer, qui a peu perdu de sa furie. Il leur
faut jeter la moitié des boites de comestibles, mal arrangées
d'après les procédés d' Appert. L'ancre tombe au Port-AVeslern,
où aucune expédition scientifique n'a encore mouillé; et cette
pointe australe de la Nouvelle-Hollande enrichit de maté-
riaux précieux et inconnus les journaux des officiers, les cais-
ses des naturalistes et le portefeuille des dessinateurs. Les
cartes qu'ont dressées de cette côte le capitaine Flinders et
M. de Freycinet ne s'accordent point : M. d'Urville acquiert
la preuve que ces erreurs graves ne proviennent pas du navi-
gateur anglais. Ensuite la baie Jervis, avec sa végétation si
vigoureuse et ses habitans qui ont quelque idée de l'industrie,
est visitée et décrite ; et le 2 décembre V Astrolabe se trouve
affourchée à Sydney-Cowe.
Des édifices et des maisons décorés par tous les arts, descom-
pagnies d'assurance, une chambre de commerce, deux ban-
ques dont le dividende s'élève jusqu'à 40 p. loo de leurs ca-
pitaux; des routes avec des relais, un service journalier de
voitures publiques, des champs, des fermes habilement ex-
ploitées, une navigation très-active, et par son entremise une
contrebande continuelle ; trois gazettes remplies en partie d'an-
nonces; une salle de spectacle dont le devis s'élève à 5,ooo
liv. sterl.; des bals où se réunissent plus de200 personnes d'é-
lite, car le nombre des coteries n'est pas moindre que celui
des sectes religieuses; tous ces établissemens et ces usages
feraient croire qu'on lit la description d'une ville de la
Grande-Bretagne; et la plupart des chefs-lieux de nos
départemens envieraient une semblable prospérité. Elle
appartient à une ville jetée dans un autre hémisphère, sur le
bord d'un continent désert qui embrasse en longueur plus de
2,000 milles géographiques, et dans sa largeur 1,800 milles,
que les Néerlandais ont sans droit réel appelé la Nouvelle-Hol-
lande ; car il est douteux que la découverte leur en soit due.
Fondée depuis moins d'un demi-siècle, Sydney est parvenue
dans cet intervalle de lems à une civilisation inconnue à toute
SCTKNCMS PHÏSl(>lKS. /{()
i'antiquilf, et foiiil <ri!ii luvcdont In courniênic île LmiisXlV
ti(; prévit pas les iMllincinens. Le Tibre n^i pas encore de ba-
U'aux à vapeur, et les lUDiitajriies Bleues ne recèlent pas
c^mme les \pennins des bandes de brigands." Si ces pauvres
sauvages n'ont pour assurer leur salut élernel ni rosaire, ni
absolution , ils ne cachent point de poignards suus leurs peaux
de kangarons ; int)ilcn>jits , ils ne tiennent à la main qu'un
cône de banksia allumé, soit pour se réclianffer en le prome-
nant du menton an bas du ventre, soit pour se frayer des
passages dans leurs forêts. Quel contraste présentent ces
hoiumesqui forment {)eut-êlre une race distincte, dont l'inlelli-
gence ne s'est jamais éveiilée pour anciine industrie, et ces
êtres flétris par des crimes qui provicnnentmoins peut-être de
leur perversité que de la fausse direction donnée à nos insti-
tutions sociales. [Mais, malgré les vices que l'on retrouvechez
la plupart des convicts, les arts et le travail les rendront di-
gnesdedevenirla souche d'une nation composée de laboureurs,
de manufacturiers, de magistrats, et aussi de lords et de ladies ;
car plutôt que d'abjurer ses {iréjugés, rarlstocr;t,tie d'Europe
les propage jusque dans les cases de la N->uv<'lle-Galles.
La seconde partie du premier volume de V Astrolabe con-
tient (p. 21 5 à 528) un précis de l'histoire de cett« colonie et
des tribus indigènes, d'après les meilleures relations et les ga-
zettes de Sydney : résumé intéressant p^om- notre pajs, qui
s'occupe, mais seulement en théorie, de la colonisation des
condamnés. Ce précis renferme aussi des tableaux que re-
chercheront les villes et les États qui couvriront un jour ce-
- vaste continent : ils posséderont des orl^infs certaines que ni
Rome, ni les Gaules, qu'auccndes empires modernes n'ont pu
trouver en des siècles qu'ils ont tant interrogés sur les tems pri-
mitifs. La première expédition anglaise, eu 17S7, transporta
563 hommes condamnés, 192 femmes, et seulement Go fonc-
tionnaires et gardiens : elle employa huit mois et neuf jours à
une traversée qui à présent s'effectue en quatre ou cinq mois.
Toutes les espèces d'animaux apportées d'Europe produisirent
_ d'abord plus de mâles que de femelles : la premii' le récolte
! T. xi.vii jriLLF.T iSrio. 4
5o SCIENCES PHYSIQUES.
ne rendit que 2i)o boisseaux de blé et 55 doige. En 1796, un
iccensemcitt donna 4.848 Européen» : 88g à l'ile Noriolk, 454
dans l'Hawkcsbury , r)65 à Parramatta , et 2,219 à Sydney,
où trois écoles réunissaient plus de 100 enfans. La poj)ulation,
en 1S02, s'éleva à 10,195 individus, dont 5,772 convicts,
3, 170 émancipés et2,oG5 enfans nés dans ces localités. La pre-
mière galette parut le 0 mars i8o3; en 181 i, on commença
à publier Talmanacb de AVi»-i5o«/A-//'a/e5, qui , Lien diffé-
rent en cela de la plupart de nos annuaires, a acquis chaque
année un intérêt nouveau. Plus de 20,000 liabilans, 9,000
acres cultivées en blé, 200,000 brebis, et plus de 5o,ooo bêtes
à cornes; tel était l'état de la colonie en 1820. Mais ce ne fut
pas sans .soulever une forte opposition que le gouverneur,
M. Macquarie. ronféra a des émancipés qiielqtie* emplois pu-
blics. <' Les grandes propriétés et la majeure partie des inté-
rêts commerciaux, dit M. d'L'rville, se trouvaient concentrés
entre les mains d'un petit nombre d'individus qui exerçaient
aussi des fonctions civiles et militaires, ou qui les avaient pri-
mitivement remplies. Ils ne tardèrent pas à former une sorte
d'aristocratie dont.les efforts tendirent incessamment à enva-
Itir tout le pouvoir et à dominer la colonie entière. Aux yeux
de ces colons, toute la classe des cmancipistes (les convicts qui
recouvrent leur liberté par pardon, ou api es avoir rempli le
tems de leur condamnation), ne méritaient aucune considé-
ration. »
Lespallialifs et les promesses décevantes encore à l'usage de
la vieille politique des gouverncmcns européens n'en imposent
plus aux peuples. Le parlement anglais rendit, en 182J, un acte
qui ordonnait pour 18^.7 l'établissement d'un conseil législatif
composé au plus de sept membres, d'une cour suprême et d'un
tribunal, {général (/iiarter sessions of peace. Mais, outre que des
envois trop fréquens de convicts compromettaient la sécurité
pub'ique, un commissaire extraordinaire entravait les mesures
conciliatrices du gouverneur; et la métropole, par les cliar-
ges qu'elle imposait au commerce et à l'industrie, parais.sait
tUc jalouse des progrts si rapides de la colonie, et déjà redou-
SCIENCES PU\S1QUES. 5i
ter 50U aflVancliisseaieiit. Aussi des h()niiu«>s de loi, des mé-
decins, d'autres liabilaus, n'ont ce>sé dcxpiiiner, dans les
']ourniiuxVy4ustraliaHe\. le Monitor, les plaintes les plus éner-
giques, surtout contre les prétentions dC'* grands propriétai-
res. Dans nos colonies, les hommes de couleur, qui n'ont mé-
rité ni subi aucune condamualion, réclament bien moins de
droits que les convicts émancipisles australiens ne jouissent
de privilèges; quand des complots ne sont pas imputés aux
premiers, les tribunaux condamnent ou bannissent ceux qui
ont reçu de simples brochures publiées à Paris; même le mi-
nistéreappréhendeque les mulâtres ne trouvent des défenseurs
à la tribune des députés. La presse périodique n'est aux Etats-
Unis et en Angleterre ni plus active, ni plus véhémente qu'à
Sydney; elle y emploie tous les ton-, toutes les formes de
style, et parfois elle devient démagogique, entraînée qu'elle
est par les passions d'une opposition qu'irritent les actes et les
vices d'une administration partiale, cauteleuse, qui ne sert
pas les intérêts de tous.
Ces gazettes fournissent, au moins par les extraits que
M. d'Urville a traduits, des notions intéressantes sur l'émi-
gration et sur le régime colonial. La INouvelle-Galles, à la fin
de i8".i6, contenait 200,000 bêtes à cornes, 5oo,ooo brebis et
i5,ooo chevaux; plus de 700,000 acres étaient occupées par
les Anglais : le gouvernement louait par an les pâturages 20
schellings les 100 acres. Cinq villes et plusieurs villages ren-
ferment une population de plus de 4-;000 individus qui con-
somment annuellement pour la valeur de35o,oooliv. sterl. de
produitsdesfaliriques anglaises; les exportations s'élèvent déjà
à 100,009 liv. sterl., et à 10,000 tonneaux; enfin le revenu
colonial dépasse 5o,ooo liv. sterl. Il résulte de divers tableaux
que de 1787 à 1821 cet établissement à coûté à l'Angleterre
5,5oi,023 liv. sterl., qui ont servi au transport et à renlretien
de 55, i55 personnes, à la solde du service de terre et de mer
et à toutes les autres dépenses coloniales. La Grande-Breta-
gne, en gardant dans son sein ces condamnés, eut payé sur les
p<wlons, dont il eût fallu accroître le nonibre de 40, environ
52 SCIENCES PHYSIQUES.
7,214.4^^ 'iv. sterl.; et dans des mnisoiis péniteriliaires (ce
qui eût lendii nécessaire l'élabliissement de 4^ maisons nou-
velles) à peu près 16,509,861 liv. sterl. Je regrette que l'es-
pace me manque pour comparer avec ces lal)leauxles dépenses
d'établissemcul et les rcvemis des deux colonies de bienfai-
sance que je \isitais uaguèie dans les Pays-Bas, et dont
la loudatioii lait tant d'honneur à la nation et an gou-
vernement belges. Les évaluations des papi(îrs australiens
et anglais paraissent un peu exagérées; mais il en sort nue ré-
l'utalion complète des opinions que des écrivains distingués
ont publiées en France poin* déprécier oti contester les avan-
tages de la colonisation des condamnés, il serait plus vrai de
dire que la dernière expédition contre l'Espagne a plus coûté
à la France (|ue rétablissement du qsialre colonies dans l'Aus-
tralie, qui bientôt stîraient devenues aussi florissantes qu« la
Nouvelle-Galles.
Pendant ia comte relâche de V Astrolabe à Sydney, les ha-
hitans soupçonnèrent que celte corvette venait prendre pos-
session de King-Georgcs-Sound, de Western-Port ou de Jer-
vis-Bay; enfin qu'elle avait pour mission de choisir un lieu
(Onvenalde à un dépôt de forçats. Certes, les relèvemens que
M. le capitaine d'rrville a ojiérés de ces trois ports, et de tant
d'autres contrées de l'Australie, préserveraient du désappoin-
tement que causa à l'Angleterre la reconnaissante inexacte de
Ilotany-Bay par le célèbre Cook. Mais c'était attribuer' à no-
tre gouvernement un projet conçu seulement par des philan-
trop(s. La France ne peut pas espérer, inéuie povn- aucune de
•^es colonies actuelles, un a venir aussi prospère que le prévoit,
avec assez de probabilités, le Monitor australien pour Sydney
en l'an 1900. 11 ainionce, pour cette époqut;, l'arrivée d'un ba-
teau à vapeur d'Angleterre, après une traversée de 4/ jours par
le canal Darien ; l'approche d'un corsaire de la Nouvelle-Zé-
lande ; des négociations politiques avec l'Etat de Tasmanie; puis
le départ prochain de 56 naviresen charge pour l'Europe. L'ex-
portation delà laine «'élève à 20 millionsde livr, ; lecensde 1899
a donné ab'^S'5'j. liabilans à Svdncy : une session législative
SCIK^i;KS l'IliSIQDES. 55
va s'ouvrir; i'i celle occasion on atlciid une iiouiinaliuii de ba-
ronnets auslraliens, etc. Les colonies de Taïti et de l'ilc iMer-
ville sont dans l'état le plus florissant, ainsi que Java, heu-
reuse depuis l'expulsion de ses niailres d'Europe Sans
contredit le lèveur journulisle de Port Jackson est plus spiri-
tuel que son confrère de Londres, qui , critiquant la manie des
spéculations, a publié la lettre suivante qu'on s'étonne qu'une
Berne très-esliuiée ait lra!luite<'omnie véritable. « On vient de
taire d'Anglelene à Sydney un envoi de deux millions de do-
ses de sel purgatif d'iîpsoni, (pumlité suffisante à la consom-
mation de la colonie pendant 5o ans, en supposant que cha-
que habitant preinie une dose par semaine. Les Innnnies et
les femmes sont la marchandise qui y ont le plus de deman-
des : ou ne refuse pas les vieilles; car, même à Go ans, elles
deviennent mères dans la Nouvelle-Galles. »
Bientôt les siences morales ne trouveront plus pai tout le
globe un des principaux sujets de leurs études, la com-
paraison de la civilisation raûnée et de l'état de nature
avec ses misères et son indépendance. Les castes de l'Hin-
doust-an n'ont guère plus de mépris les unes pour les au-
tres que n'en nourrissent à Sydney les légitimâtes, pars méri-
nos ouémli^ranseivchisionisics^ contre les hnanc'ip'tstes ou illfgi li-
mâtes, qui se subdivisent eu r«rrtc//'rf.v titrés, en canaris, etc. Les
tribus de la Nouvelle-Hollande avaient aussi leurs litres [bian-
noi) ; mais les cicatrices de «es chefs désignaient leur autorité.
L'aristocratie curopé«Mine ne s'est jamais conlenlée de la re-
devance d'une dent, comme la tribu Gouia-Gal, qui en exige
une de chacun des hommes des atilres horties. Cas sauvages
sont aussi maladroits dans leurs rapines que les convie Is dé-
ploient d'habileté à dérober; mais les naturels metleut plus
d'adresse dans leurs conil)als simulés et d'ordre dans la réu-
nion de leurs tribus que les (;«//rt;tA' anglais ne montrent d'art en
boxant et de sobriété dans les tavernes. Irlandais et indigène?.
Ions ont conservé des croyances superstitieuses. On raconte
que des maleiots, retenus par un vent contraire, s'amusaient
lanuit à l'aire cuire des coquillages : uusauvagf^ leur représenla
54 SCIENCES PHYSIQUES.
qu'ils eiijpêcliaient ainsi le Aent de leur devenir favorable;
mais eux, lui attribuant ce retard , ils le maltraitèrent.
Un grand nombre de voyageurs ont visité à la t'ois trop de
terres et fait sur cliaciMif un trop court séjour pour approfon-
dir l'état do rhaipie peuplade sauvage. M. Dumont d'I rvdk-,
quoiqu'il ait résidé plusieurs fois à la Nouvelle-Galles, joint, à
ses observations propres, des renseignemens que lui ont C(;m-
muniqués des colons instruits et des fonctionnaires qui ont eu
des rapports continuels avec les indigènes; en outre, des ex-
traits des journauxde M. Qvoi, naturaliste, et de M. de Sainsom,
qui a rapporté tant de vues, de portraits, de dessins également
curieux et bien exécutés. Ce premier volume est une belle in-
Iroduction aux travaux, si importans pour les progrès de»
sciences, qu'ont opérés les navigateurs de V Aslrolabe.
Isidore Le Brbh.
^Tirr^irrrr
SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.
Yoblesi'nCen iiBER DIE Gef.engniss-k.unde, ctc. — Leçoss sur
LA CONNAISSANCE DES PRISONS, OU SDR LEUR AMELIORATION, SUR
LA RÉFORME MORALE DES DETENDS, DES FORÇATS LIBÉrÉs, CtC. ;
faites à Berlin, en 1827, pav N. H. Jilius, docteur en mé-
decine (1).
troisième et DERNIER ARTICLE.
(Voy. Bev. Eue, t. xli, pag. 407-427 ; t. xliv, pag. 66-86).
Nous allons continuer ici, sans préambule, l'analyse de cet
ouvrage, auquel deux articles ont été déjà consacrés dans la
Revue Encyclopédique.
Septième Leçon.
Après avoir examiné les mesures nécessaires pour assurer
dans les maisons de détention la sécurité, la salubrité, la sur-
veillance et la classification, M. Julius s'occupe de deux objets
non moins imporlans et étroitement unis, savoir : Yorganisa-
tion du travail et l'enseignement religieuic el moral des prison-
niers. Sans le travail, l'enseignement moral et religieux le
mieux dirigé et le mieux appioprié à leurs besoins peut ne
laisser dans leur esprit qu'une disposition à des pratiques as-
cétiques, accompagnée d'une sensiltilité factice qui n'inspire
aucune énergie pour résister aux suggestions des penchans
!i) Berlin, i8î8; librairie de Stulir. 1 vol. in-S" avec planrhts,
rwî SCIENCES SI0R\LE5
i!iii>ilj!cs. Sans un cn.-^cigiicnicnl moral et religieux, ic ira-
vail peut donner aux facultés une trempe plus vigoureuse,
mrus propre seulement à rendre le malfaiteur plu»* redoiital)}e
pour le repos de la société; car cette force toute animale se
développe aux dépens de ce qu'il y a de plus élevé dans sa
nature. Le travail et l'enseignement doivent donc se donner
la UKiin pour contribuer à la régénération morale du ciiminel.
vérilalde but de la sentence })rononcée sur lui.
Si l'oisiveté est la mère de tous les vices, on peut dire
aussi qu'elle est la mère d'une foule de maladies, observe
avec beaucoup de justesse M. Viller.mÉ (i). Ces dangers sont
doublés par risoleUienl ; ils sont centuplés pour l'iioniiue
auquel le passé n'offre que des remords, le présent des dou-
leurs, l'avenir des craintes. On ne saurait donc trop blâmer
l'essai fait en Amérique de l'emprisonnement solitaire, sons
travail, connue moyen de pimition (2). Le régime propre à
«létourner de l'imagination du détenu toute peusée perni-
cieuse est un travail continu pendant toutes les heures (pii
ne sont pas employées i\u repos, à l'instruction ou à l'exer-
cice en plein air. (.")
A ce prenu'er avantage du travail s'en joignent plusieurs
autres également imporlans : le détenu perd l'habitude de la
paresse et contracte celle d'un genre de vie régulier. Il lui est
assuré, à l'époque de sa libération, des moyens d'existence
par l'exercice d'une profession lucrative. Lorscpi'au contraire
il sort de prison sans autie sa\oir-faire que celui de Iraus-
(1) Dicltomiuire des Sciences médicales.
(2) ISi'nio est ex impriidentibiis, qui relinqiii .sibi del>cat. Tnnc mala
i-nnbilia afjilanl, tune aut aliis aul i|)sis f'utiira i)ericula struunl. Tune cii-
pidilalcs iiii|)iubas oïdinant, Unie, qiiidqiiid aiil mclu aul |juduic cela*
bal, aniinu.s i'X|iroinit , lune audaciarn aciiil, libidiiiciii irritai, iracun-
diaiii instigal. Sénti/iic.
(!î) Le iiiallaileur en prison n'est jilus touriiieiilé, soit par riiKjuiélude
tl'èlre découvert, soit par telle de ne pouvoir fuurnii aux besoins du leu-
(leiuain .sans coinineltre quelque nouveau crime : on doit aussi compter
sur celle cerlitud<; de son sort pour calmer l'ajfilation de son esprit.
ET POLITIQUES. 5;
presser les loL^, il iic t.iaic pa^ à épui-er le,-? Icj^^tres ressources
que la charité a pu niellre eiilie ses mains; et bieiuôt, con-
traint parle besoin à rechercher ses anciens complices, il ren-
tre avec eux clans la carrière dont on ne l'a éloigné que uio-
mcntanément.
Vn dernier avantage enfin, qui ne doit nullement être né-
gligé, c'est le produit : d'une part, il sert à la formation du
pécule destiné à l'entretien des détenus libérés depuis le jour
de leur délivrance jusqu'à celui où ils trouvent à se caser de
nouveau dans la société; de l'autre, il en résulte pour l'Etal
une économie considérable. Dans beaucoup de prisons de la
Grande-Bretagne, de l'Irlande et des États-Unis, cette écono-
mie s'est élevée jusqu'à phis de la moitié des dépenses de
rétablissement. La prison de l'Etat de Vermont, en Amérique,
s'est soutenue pendant cinq années, presque uniquement par
des ouvrages de tisserand.
L'utilité du travail étant ainsi constatée, il reste cette ques-
tion à examiner : quel genre de travail convient le mieux
aux établissemens de déteuiion? M. Julius arrive aux résul-
tats suivans :
i". Il ne faut point introduire dans la même prison une
trop grande diversité d'occupalions. Les divisions de travail-
leurs devenant alors plus nombreuses, on ne saurait conser-
ver im égal degré de surveillance qu'en multipliant aussi le
nombre des gardiens : delà un contrôle plus difficile à exercer
et des frais plus considérables.
2°. Il est important de choisir pour chaque prisonnier le
genre d'occupation le plus propre à changer totalement sa
manière de vivre antérieure. Que le faussaire, que l'escroc,
habitués à mettre en jeu les subtilités de leur esprit, soient
appliqués à un travail corporel, fatigant, et, autant que possi-
ble, en plein air; que le vagabond, le voleur de grands che-
mins, soient employés dans l'intérieur, à des ouvrages séden-
taires, qui exigent toute l'attention de leur intelligence moin-
active, tels que ceux de tailleur, de cordonnier, de tisseranfl.
ù". Il est également imporlant. dans le choix d'une occ u-
58 SCIENCES MORALES
pation pour le prisonnier, d'avoir égard à cette con.sidéraliiin.
«avoir: si elle couslitiiera pour lui une profession qu'il puisse
exercer ulile'.iient après l'expiration de sa peine. On doit gé-
néralement donner la préférenceanx métiers sédentaires, très-
mullipliés dans la société, et la nécessité seule doit l'aire adop-
ter des industries qui ne sont guère en activité que dans l'in-
térieur des prisons, comme l'épi iichement des étoupes, du
colon, etc.
4°. Enfin il e^t à propos de consulter encore, pour la déter-
mination des travaux, l'intérêt direct de rétabli>sement :
Toutefois cette considération doit toujours être subordonnée
à celle de leur influence sur la réforme morale des détenus.
Suit un tal)lean des différens genres d'occupations que l'ex-
périence a démontré pouvoir être introduites dans les prisons,
mais que sa longueur ne nous permet pas de transcriie ici.
Un principe adopté aujourd'hui dans toutes les maisons de
détention bien administrées est la concession au prisonnier
d'une partie du revenu de son travail ; ce système est infini-
ment ])référable à l'usage américain qui consiste à lui assi-
gner une lâche journalière, après Taccomplissement de la-
quelle il lui est permis de travailler pour son propre compte ;
on en conçoit aisément les nomlireux inconvéniens. IM. Julius
pense qu'au lieu de mettre à la disposition du détenu une
portion de son gain, dont il fait souvent mauvais emploi, il
serait plus convenable d'en porter la totalité à la masse qui
lui est réservée pour l'époque de sa libération définitive. La
quotité du profit accordé aux travailleurs n'est pas la même
dans les diverses prisons anglaises ; elle varie de la moitié au
huitième. L'auteur propose d'y puiser un élément de plus
pour contribuer à la réforme morale : il voudrait, ce qui n'a
été jusqu'à ce jeur établi dans aucune maison de détention,
que cette .(uotilé allât croissant en raison des progrès du pri-
sonnier dans la bonu'; voie, progrt'S représentés par son ad-
mission successive dans les trois classes dont nous avons parlé
(voy. iR^r. £nc., t. xnv, p. 85) et sur lesquelles nous aurons
occasion de revenir.
ET POLITIQUES. 5^
On ne peut qu'approuver les efforts faits pour déterminer
à un travail volontaire les simples prévenus que l'on ne sau-
rait y contraindre sans injustice, mais une part de profit plus
considérable doit alors leur être attribuée. En cas d'acquitte-
ment, ce profit et l'apprentissage qu'ils ont fait deviennent
une espèce de dédommagement d'une détention souvent fort
longue, au défaut de celui que, peut-être, les lois devraient
leur accorder : en cas de condamnation, ce noviciat n'est
point sans fruit pour eux. Quoiqu'il arrive, c'est du moins une
ressource contre l'ennui, fléau de la santé et delamoralité (r).
L'expérience vient confirmer hautement la salutaire in-
fluence des habitudes de travail contractées par les prisonniers.
Le comité des daines de la prison de >iewgate a observé que
là où les détenues n'étaient point occupées, leur moral, malgré
tous les efforts de la per-uasion, ne s'améliorait pas sensible-
ment ; que l.i où elles étaient soumises à quelques travaux, on
remarquait aussi chez elles quelque amélioration ; que là enfin
où les travaux étaient constans et régulièrement établis, on
apercevait une amélioration décisive. — Les prisons de .Man-
chester et de Glasgow ont donné lieu à une observation ana-
logue : dans la première, où presque tous les détenus travail-
laient. il ne s'en est trouvé qu'un tiers en état de récidive,
tandis que dans la seconde, où régnait l'oisiveté, on en a
compté le double, c'est-à-dire les deux tiers du nombre total.
Le travail, ainsi que nous l'avons dit, n'exercerait cependant
qu'une action passagère sur la conduite du prisonnier s'il ne
-"'y joignait l'apprentissage d'un métier, en un mot l'acquisi-
tion d'un moyen d'existence pour las enir. De concert avec
cette éducation professionnelle, l'enseignement des connais-
(i) Pour ecLapper a cet eunui mortel, les détenus, dans plusieurs pri-
sons anglaises, ont imaginé une sorte de Code pénal à leur usage ; li-s.
nouveau -venus, ou ceux qui semblent cbcicher à s'isoler, sont traduits
devant un d'entre eux chargé par les autres des fonctions de juge (c'est
ordinairement le pins criminel de tous), et les prétendus délinqnans sont
condamnés à ât» amendes dont le produit est consommé on orgie».
6a SCIENCES MORALES
sances piiuiaires doit être donné à ( eliii qui ne les possède pa-.-
par un maître attaché à l'établissement. Enfin reducalioii
morale, destinée à couronner l'œuvre de la i-é l'orme, doit être
confiée au directeiu- spirituel de la prison. 11 n'est point de
plus belles fonctions; e!U;s exigent l'emploi de tontes les fa-
cultés de l'esprit et du cœur, celui de tous les moniens; non-
seulement l'homme qui en est revêtu doit sentir tout le i>ien
qu'il peut faiie, il doit savoir aussi persuader à ceux dont la
régénération esl commise à ses soins qu'il est capable d»;
l'accomplir. La fermeté, quelquefois même la contrainte, sont
nécessaires avec des êtres indociles et vicieux, mais souvent
la douceur et la bienveillance peuvent beaucoup plus encore
sur les âmes les plus endurcies. — Les devoii's du directeur
spirituel ne se bornent point aux inst! lutions données en coui-
mun aux détenus; elles n'en forment même qu'une partie se-
condaire : il doit étudier profondément et ia vie passée et le
caractère de chacun de ses disciples, et mériter sa confiance;
ce n'est plus alors avec le ton solennel de l'enseignetnent qu'il
doit s'adresser à lui; c'est avec la chaleur et l'abandan d'un
ami, mais d'un ami supérieur en intelligence et en pureté, qu'il
doit chercher à devenir le confident de ses peines et le soutien
de ses espérances. 11 ne s'agit point d'une adoption d'un jour
et restreinte aux uuirs de la prison : les conseils et les bons
offices du père spirituel doivent être prodigués à l'homme dé-
chu pendant la durée de son épreuve, soutenir ses premiers
pas chancelans dans la société, l'accompagner dans sa cariière.
future et s'étendre à sa famille.
Huitième Leçon.
Si l'on jette un coup d'œil sur l'histoire de raichilecUire de.-,
prisons, on est frappé par une observation générale ; c'est que
la sûreté fut d'abord la s<'ule condition que l'on eût en vue de
remplir : il ne s'agissait alojs en efl'et que i!e débairasseï' la
société, par des moyens moins inhumains ([uc ceux dont on
avait usé jusque-là, d'ini honnne (|ne l'on jugeait dangereux
pour son lepos Ce fut seub ment pendant la seconde moitié
i:t politiques. 6i
(lu XV m* siècle que l'on s'occupa d'assurer la saliibritr, et d'in-
Iroduirn l'usage du travail; plus tard on songea à établir une
classification parmi les détenus, et dans ces derniers tenis enfin
à leur donner un enseignement moral ci religieux, et à les sou-
iiietlrc à un système régulier de survcillavce : ces perlcction-
nemens successifs en amenèrent dans l'art des constructions;
le dernier particulièrement exerça à cet égard une influence
dé('isive.
Toutefois les progrès de l'achiteclure des prisons ne s'opé-
raient qu'aveuglément et non sans de fréquentes rechutes dans
les anciens erremens, faute d'avoir posé les bases d'après les-
quelles ces progrès devaient être dirigés. C'est à la Société
des prisons de Londres r]u'aj)partieiit le mérite d'avoir ras-
semblé les élémens que fournissaient l'expérience du passé et
les réflexions du présent, et d'avoir enfin indiqué le plan radié
comme offrant, pour la construction des établissemens de dé-
tention, des avantages incontestables sur tous les autres.
Le pays de l'Europe qui paraît avoir donné, le premier,
l'exemple d'organiser des travaux dans les prisons, vraisem-
blablement dan^ im but d'économie, et plus tard celui de
mettre au nombre des soins importans la salubrité et l'ensei-
gnement, n'est point l'Angleterre, mais la Hollande, qui se
trouvait alors à la tête du monde commercial. On peut legar-
der comme un progrès mémorable dans l'architecture des
prisons l'érection de celle de Gand par les États de la Flandre
autrichienne. Cet établissement, décrit avec détail par M. de
ViLAiNxm (i), etcitéparHoward comme un modèle à imiter,
n'a été que très-récemment augmenté d'après le plan primitif,
circulaire, mais se rapprochant sous quelque rapport du sys-
tème radié.
Jusqu'à cette époque, en Angleterre et en Hollande, comme
partout ailleurs, la sûreté étant le seul but recherché, on avait
(i) Mùmoire suv les moyens de corriger les mulfidleurs el fainèatis à leur
propre ax-antage, el de les rendre utiles ô l'Etat, \ya\ le vicnintp de 'N'h.ain.
CanH, 1—5.
Ci SCIENCES MORALi:S
cru voir dans un carré fermé , contenant une cour intérieure
pour les détenus, la combinaison la plus parfaite qui! fût pos-
sible de réaliser. Une des constructions les plus modernes,
exécutées d'après ce principe, est la gi-ande prison de Newgate
à Londres, dont raflligeante solidité brave jusqu'à ce jour les
efforts d'iiniéiioration tentés par les pliilantropes anglais.
Les espérances les plus bardies que Howard lui-mf'me ex-
primât dans son bel ouvrage ne s'élevaient pas d'abord au
delà du carré fermé, ainsi que Taltéslc le plan dressé par lui
pour une prison de comté, plan qui néanmoins ofl're un germe
très -vague du carré ouvert, en usage un peu plus tard. Les
principaux perfeclionneniens exécutés à cette époque consis-
tent dans l'élablissenient de sallcsdi verses pour le jour et pour
la nuit, de cours destinées à l'exercice en plein air, de cba-
pelles, de divi^ions parliculièies pour les malades, et dans un
commencement de classification.
Ce n'est qu'en i^^^S, dans la prison construite à Exeter, que
fut accomplie la transformation du carré fermé en carré ou-
vert. Grâce à ce progrés, non-seulement les cours cessèrent
d'être entourées de bâlimens élevés qui les dérobaient à la
salutaire influence du vent et des rayons solaires, mais on put
encore augmenterconsidérjblement la dimension ctle nombre
de ces cours, de manière à permettre une classification cora-
plèle. Londres possède un modèle, assex- remarquable pour
l'époque, de ce genre de coiislriution, dans la prison de Cold-
ballificlds : cet élablissemeut, placé autrefois dans une position
Irè^-saiiie et à distance des liabilations, se trouve aujourd'hui
environné par la ville qui ne cesse de gagner du terrain.
On peut considérer comme le dernier progrès appartenant
à celle période, et servant de transition aux progrès ulléi leurs,
la pensée d'élever, au lieu d'un seul édifice pour tons les dé-
tenus, plusieurs corps de logis is^'lés les uns des autres , et
affectés ;iiix différentes classes, mais entourés d'une seule mu-
raille d'enceinte. Dan* la pi ison érigée, en 1 78S, à Sbrewsburj,
on avait déjà disposé un bâtiment particulier pour les femmes;
mais, bientôt après, l'architecte Blaokburn conçut une idée
KT POLITIQUKS. 65
féconde en ré«ult.'it.s, et qu'il mit à exéculion dans le plan de
la prison de Dorchester; ce fut de placer la maison du direc-
tem- au centre, puis d'élever quatre autres bâtimens. séparés du
premier et situés obliquement à ses quatre coins, pour les dé-
tenus : ceiix-ci, dans les huit cours destinées à leur usage, se
trouvaient ainsi soumis à une surveillance, trés-incompléte
encore à la vérité, de la part des personnes placées dans l'édi-
fice central.
La seconde période de progrés qui se remarque dans l'his-
toire de l'architecture des prisons présente beaucoup d'hésita-
tions, d'erreurs, et même de pas rétrogrades; elle n'embrasse
pas moins de trente années, et commence, ainsi que nous l'a-
vons indiqué, àla promulgation, en 17S5, de la première loi
sur les maisons pénitentiaires, loi qui ne fut mise en pratique
qu'en 1 791, et qui provoqua un grand nombre de pkns divers
pour les établissemens de détention. Ces plans, dont il est
inutile de parler ici avec détail, peuvent être rangés en deux
cfasses, .selon lesprincipes sur lesquels ils reposent. Une même
pensée sert de base à tous, celle d'entourer le logement du
directeur par ceux des détenus, et de ménager entre eux des
cours dans lesquelles puisse plonger aisément l'œil placé au
centre. Tel est le but que les uns ont voulu atteindre par la
forme d'un cercle entier, d'une portion de cercle ou d'un poly-
gone, d'antres par celle d'une étoile.
Outre la maison de travail d'Edimbourg (1), dans laquelle
a été suivi, mais imparfaitement, le plan panoptique de Ben-
tham, les pilsons suivantes appartiennent au premier de ces
modes de construction; savoir : celles de Cliestcr, de Devize,
de Brixton et de Kirkdale; aucune d'elles cependani ne sau-
rait être comparée à l'immense établissement de Milbank à
Londres.
L'idée de Blackbui-n, dont nous avons parlé tout a l'heure
et d'après laquelle furent construites les prisons de Manchester
(1) Voir une description de cette maison dans le Journal de la Socwlé d»
in morale cltréùcnne. T. xii, p. iî64 ; février i83>i.
(x'i SCIENCES MORALES
et (rYpswich, peut être n'ganlôe coiume ayant inarqnr le pas-
«;a"e du système circulaiic , dominant, pendant la seconde
période, au système radié, adopté de préférence dans la troi-
sième. Quatre corps de logis affectés aux détenus, placés au-
tour d'une maisoii octogone lia!)itée par le directeur, dans la
disposition des ailes d'un moulin à l'égard de leur axe, el
formant tantôt une croix de saint André , tantôt une croix
grecque, donnaient, entre leurs intervalles, huit cours acces-
sibles au renom (dlement de l'air, à la surveillance du centre
et au passage inaperçu des gardiens : il ne mainpiait plus que
d'établir une séparation entre les ailes et l'édilice du milieu, et
de pratiquer des fenêtres pour que le directeur put, du même
point, étendre sa surveillance jusqu'à l'intérieur des bâtimens
de détention.
Le mérite de ce perfectionnement qui forme le déi)ut de la
troisième période appartient à l'architecte George Ainslie ; il
se trouve indiqué dans ses plans présentés, en 1819, au co-
mité du parlement chargé de l'enquête sur les prisons.
Le système radié, étant ainsi fondé et perfectionné, inspira
ime multitude de projets reposant sur le même principe, et
variant par le nombre des ailes et par leur dimension, selon
Us localités , la quantité des détenus, etc. Tels lurent ceux
d'après lesquels on éleva la maison de correction de la ville
d'York avec trois ailes, celles de Rnutsford et de Glasgow avec
quatre ailes, celles de Carlisle el de Nen caslle avec six ailes, en-
lin celle de l'État de Pensylvanic, décrite par M. Julîus, qui
doit en avoir sept. Parmi les plans noadjriMix qu'a publiés et
proposés la Société des prisons de Londres, il en est dont la
simplicité surpasse <;elle même de la maison pénitentiaire de
Genève , puisqu'ils ne se composent que d'un édifice central
attenant à deux ailes : le plus compliqué est dû à M. Ci'bitt,
inventeur du moulin de discipline, dont nous aurons occasion
de parler tout à l'heme ; il veut porter jusqu'à quatorze le
nombre (les ailes : M. .Tulius considère celui de cinq comme
présentant le plus d'avantages.
Après celte revue hi'^torique des progrès introduits succès-
ET POLITIQUES. 65
tiivement dans l'architecture des établisseinens de détention,
l'auteur, pour plus de clarté, expose avec de grands détails W
projet d'une prison pour deux cents personnes des deux sexes:
ce n'est pas. comme il prend soin de le dire, un modèle dont
il propose l'imitation, mais simplement un exemple de l'appli-
cation du système radié avec ses perfectionnemens. L'espace
*[n'occupe cette description ne nous permet pas de la transcrire:
elle serait d'ailleurs de peu d'utilité et difficile à concevoir en
l'absence des plans figuratifs qui l'accompagnent.
Neuvième Leçon.
Cette leçon est consacrée à la description de plusieurs pri-
sons bâties, soit d'après le pian circulaire ou polygone, soit
d'après le plan radié, puis à la comparaison de ces deux modes
de construction, comparaison qui lait ressortir l'incontestable
supériorité du dernier.
Quatre grands édifices de {"orme circubiire ou polygone.
savoir : la priion d'Edimljoar<i;, la maison de correction de Brix-
toii , la ynaison de confection de Kirkdale et la prison péniten-
tiaire de Milbank, sont dépeints avec le plus grand soin par
M. Julius, qni les a visités lui-même, ainsi que trois autres
construits selon le système étoile; savoir : la 7nalson de cor-
rection d'York, la prison de la ville de Bristol, la maison péni-
fentiaire de Genève.
Dans une construction circulaire, les corps de logis habités
par les détenus se trouvent nécessairement à une distance
beaucoup plus considérable de la maison centrale occupée
par le directeur que dans une construction étoilée, puisqu'ils
en sont séparés par des cours : il devient donc impossible aux
employés d'exercer une surveillance exacte et invisible dans
les ateliers, les salles et les corridors, où ils ne peuvent par-
venir qu'en traversant cet intervalle sous les yeux même des
prisonniers. Un autre inconvénient résulte de la disposition
<les bâtimens en forme de cercle ou de polygone : les fenêtres,
se trouvant placées plus ou moins obliquement les unes à l'é-
gard des autres, pernitltent des communications entre les dé-
T. XI.VII. TVII.LF.T l<S5o. 5
G6 SCIENCES MORALES
tenus appartenant aux difl'érentes classes , communication.';
(•jïalemenl faciles, dans les cours que de simples murailles sé-
parent; ces cours, d'ailleurs, sont entourées de hâtimens ou
(le murs élevés qui empêchent d'y établir descourans d'air, et
de donner accès aux rayons du soleil. Enfin l'expérience a
lait reconnaître que les corps de logis de la détention, situés
entre la demeure du directeur qu'ils environnent et le mur
d'enceinte extérieur, forment une espèce de paravent, derrière
lequel les prisonniers peuvent, sans crainte d'être aperçus,
faire des préparatifs d'évasion. A cette comparaison du plan
circulaire avec le plan étoile nous devons ajouter , d'une part,
que les sons se transmettent plus aisément des extrémités au
centre dans un édifice de cette dernière forme, avantage qui
peut être augmenté au moyen de tubes de métal passant par
les corridors et venant aboutir dans la chambre du surveil-
lant; de l'autre part, que, dans les prisons circulaires, les dé-
tenus trouvent le secret de communiquer ensemble par des
sons légers qui se propagent le long des murailles, sans pouvoir
r^re entendus par les inspecteurs logés au centre, de l'autre
côté des cours.
De tout ce qui précède il résulte que des six conditions ré-
putées nécessaires à un établissement de détention les quatre
premières, savoir : la sûreté, la salubrité, la surveillance et la
classification, se trouvent réalisées d'une manière beaucoup
plus complète par le plan radié que par le plan circulaire,
également moins avantageux, ainsi que nous allons le voir, à
plusieurs autres égards.
La distribution des alimens, celle des matériaux destinés au
travail, l'enlèvement des immondices, etc., sont rendus singu-
lièrement connnodes par la proximité où les ailes se trouvent
du bâtiment central ; cette proximité lacilite surtout beaucoup
l'accès de la chapelle. Enfin le plan radié présente, de plus, la
possibilité d'augmenter l'établissement par la prolongation des
ailes; ce qui devient tout-à-fait impossible dans un cercle ou po-
lygone feinié : chacune de ces ailes constitued'ailleurs un édi-
fice à pari ; dès que la première esl bâtie, elle peiit être occu-
ET POLITIQUES (y<^
pèe par des prisonniers que Ton emploie, si Ton veut, aux
autres constructions.
Quelle que soit néanmoins la supériorité du système étoile
sur le système circulaire, ce dernier est préférable, sans con-
tredit, à celui qui semble avoir pris faveur aux États-Unis, et
d'après lequel a été construite, en 1820, la prison d'Auburn,
dans l'État de Ne^v-York, prison déclarée modèle par les Amé-
ricains. Cet éditice forme, avec les murs extérieurs épais de
trois pieds, un carré long de deux cent six pieds et large de
quarante-six. Dans ces murs sont percées trois rangées de fe-
nêtres garnies de vitres et d'un fort treillage en fer. A l'inté-
rieur de cette espèce de boité ou de vaste hangar couvert d'un
toit se trouve le bâtiment de la détention, élevé de cinq étages;
chacun de ceux-ci consiste en deux rangs de cellides. séparés
par un mur mitoyen ; il en contient cent onze, ce qui donne
pour l'établissement entier le nombre de cinq cent cinquante-
cinq. Les cellules ont leur entrée sur la cour intérieure, qui
n'est autre chose qu'im intervalle de dix pieds entre les deux
boîtes concentriques : au rez-de-chaussée les portes donnent
immédiatement sur cette cour; aux étages supérieurs elles
donnent sur des galeries de bois ouverfes, larges de trois pieds,
qui s'étendent tout autour du bâtiment et auxquelles condui-
sen tdes escaliers placés aux quatre angles. Les cellules , dont
les cloisons intermédiaires ne sont épaisses que d'un pied, en
ont sept de longueur, sept de hauteur et trois et demi de lar-
geur : la partie supérieure de leurs portes consiste en un gril-
lage de fer, par lequel l'air, la lumière et la chaleur pénètrent
de la cour intérieure, garnie de cinq petits poêles, de six plus
grands et de douze petites lampes. Des ventilateurs sont
adaptés aux cellules. Dans la cour se promènent deux senti-
nelles qui peuvent entendre les paroles prononcées à voix
basse aux étages les plus élevés.
Si l'on étudie ce plan beaucoup trop vanté, en a3"ant égard
aux six conditions dont nous avons reconnu la nécessité, on
aperçoit aussitôt ses vices : 1° en ce qui concerne la sûreté, les
cloisons qui séparent les cellules ne semblent point devoir em-
lis SCIKNCES MOflALKS
pedici' loiite rdiumiiiiiciilion des détenus entie eux. 2". A l'é-
gard de la .salubrité, les iiicoiivéniciis sont plus graves encon;,
les cellules ne jouissant que de cent soixante-onze pieds et demi
cubes d'air, reçM, pour ainsi dire, de la seconde main, c'est-à-
dire transmis par nue cour qui n'est elle-même en communi-
cation avec le dehois que par des croisées. De pareilles cri-
tiques peuvent être faites contre le mode de distribution de la
chaleur et de la lumière. 5°. Quant à la surveillance invisible^
elle n'a lieu dans les cellules que lorsqtie les gardiens par-
courent les galeries ; elle est nulle dans les ateliers, dans les
réfectoires et dans les cours servant à la promenade. 4°- Enfin
on doit tenir compte des inconveniens qui peuvent résulter,
soit de la présence simultanée d'un nombre considérable de
détenus dans des galeries étroites, lorsqu'ils se rendent au tra-
vail, au repas, à la promenado, ou loisqû'ilsen reviennent, soit
de l'extrême confiance que le directeur, privé des moyens de
surveillance immédiate , dont il est en possession Seins quitter
sa demeure dans un édifice étoile, est obligé de témoigner à
ses subordonnés et même à de simples sentinelles.
Il est à regretter que ce byslème imparfait soit en assez
grande faveur en Amérique pour que l'Ktat de New-York eu
ail ordonné l'applic-ation darts la prison de Sing-Sing sur le
Jleuve lludson, l'Elat de Massachusscls dans celle de Cbarles-
town, et celui de ConnecliiutàW eathcrsficld. En Pensylvanie,
au contraire, ainsi que nous l'aNOns dit, le plan radié sert de
base à la construction du nouveau pénitentiaire de Philadel-
phie.
Avant de terminer, nous devons dire un motencore surl'cx-
lérieur convenable à une prison. D'après le principe de tout
monument d'architecture, elle doit présenter le caractère de sa
destination. Forte, sûre, inébranlable, elle doit encore, selon
Howard, oflVir quelque chose de sévère, de sombre, de repous-
sant. Il ne faut pas qu'une idée agréable se joigne à celle d'une
existence assurée, privilège dont jouit le détenu, que ne pos-
sède pas aujourd'hui le pauvre (moins favorisé, sous ce rap-
port, que le serf ou l'esclave lui-même), et qu'il serait alors
1:T polit i(^lKS. . fi,j
Irop M)inonl tiMilé île lui eiivior. Les suites liiim; lelie dispn-
silioii, appuyée par l'appaience extérieure des établissemens
de détention, ne seraient point sans danger pour le repos de la
-ociéle.
Dixième Leçon.
JuMprici M. Julius a pu trouver des jal 'Us dans les travaux
antérieurs au sien ; mais, arrivé a l.i partie la plus importante,
à celle qui constitue essentiellement la science des prisons y c'est-
à-dire aux moyens de réforme morale, ces guides l'aban-
donnent. L'Angleterre elle-même ne présente que quelques
essais isolés, dépourvus de lien systématique. Nous ne saurions
dire que M. Julius a trouvé ce lien ; c'est dans une sphère
plus élevée, selon nous, qu'on devra le chercher; la réforme
des prisons n'est qu'une division de l'éducation publique, dont
les principes fondamentaux sont loin d'être arrêtés, et ne le
seront, sans doute, que par un ordre d'idées totalement étran-
gères à celles qui la dirigent aujourd'hui. Alors, sans dôme,
ces idées nouvelles nécessiteront un bouleversement complet
de l'édiûce élevé par les philantropes, mais leurs veilles n'au-
ront point été inutiles, et l'ouvrage que nous examinons, dans
cette partie comme dans les précédentes, fournira des maté-
riaux précieux pour la construction de l'édifice à venir.
Les procédés de réforme, suivant l'auteur, doivent varier
selon les individus sur lesquels ils sont appelés à exercer leur
influence, et par conséquent selon la nature des prisons dans
lesquelles on les introduit.
Revenant sur les cinq espèces de prisons indiquées dans U!ie
précédente Leçon (la 6""), les maisons d'arrêt, de correction,
de réclusion ou prisons proprement dites , institutions péni-
tentiaires et établissemens pour les travaux forcés, on voit que
le mécanisme de la discipline pénitentiaire ne serait que diffi-
cilement applicable dans celles de la première et de la dernière
classe. Nous en avons dit les motifs : les détenus qu'elles ren-
ferment se trouvent placés aux deux extrémités de l'échelle ;
les uns ne •seraient pas soumis assez loug-tenis au joug de
;o SCIENCES MORALES
réducation pour en conserver l'empreinte; chez les aiitre.>^, il
V a peu d'espoir de trouver uno persévérance assez longue
pour accomplir leur régénération.
Paraii les mesures disciplinaires en usage dans les maisons
de détention, les unes ont plus particulièrement pour objet
d'influer sur le physique, les autres sur le moral. Nous nous
occujierons d'abord des premières, autant du moins qu'il est
possible d établir une ligne de démarcation entre elles par la
nature de leur action.
La règle des prisons anglaises admet trois moytns princi-
]taux, savoir ;
Le moulin de discipline,
Le silence,
La solitude.
Le moulin de discipline a été le sujet de critiques qui nous
semblent motivées. Rien ne saurait donner une idée plus
exacte du genre de fonctions auquel il réduit les hommes que
ces cages tournantes dans lesquelles on enferme les écureuils.
L'ouvrier-machine n'y fait l'apprentissage d'aucune profes-
sion utile, il est rabaissé plutôt qu'élevé à ses propres yeux,
enfin il est privé de la récompense qui doit accompagner un
travail quelconque, la satisfaction du succès. Ces raisons sont
suffisantes pour engager à ne faire usage du moulin de dis-
cipline que dans les cas de détentions très-courtes , pour ap-
provisionner la maison d'eau, de farine, etc., et particulière-
ment comme un châtiment applicable dans l'intérieur des
prisons.
D'après les renseigneraens donnés par l'inventeur lui-même,
M. Cubitt, le moulin à pied fut introduit pour la première fois
en novembre i 8iy dans la prison de Bury Saiqt-Edmond. Une
description en a été publiée par la Société des prisons de
Londres (i), et il a été adopté dans un nombre considérable
Cl) Description of thc trcad ntill for tiic cmployinenl of prisoners, tra-
duite en français sous ce titre : Description d'un moulin de discipline,
Tl'ptlé tiead niill ; avec plusieurs planches. Londres, 1S22.
ET rOLITIQLï^S. 71
des élablis.-emeiis de détention de la GiiUHie-Bretagiie (1), ;i
Hambourg. "NYerden et Kronach en Allemagne, eu Hollande
à Leuwarden. L'état sanitaire des juisunniers parait 11 avuir
fait qu'y gagner.
Si l'on veut apprécier l'efficacité du moulin de discipline.
il est nécessairo de l'examiner d'une manière tout-a-l'ai[ pra-
tique, et de se poser les trois questions suivantes :
1°. Combien d'individus peut-il employer à la fois?
2°. Doit-on relever fréquemment les travailleurs?
j°. Quel est le tems le plus long qu'un homme puisse con-
sacrer à ce travail, sans préjudice pour sa santé, soit dans un
jour, soit pendant la durée entière de sa réclusion?
Un rapport de M. Peel, du i5 avril 1824 i'^)^ répond ainsi a
la première de ces questions : le plus grand nombre d'individus
employés à une seule et même roue est cinquante-deux (dans
la maison de correction de Swaffham); le moindre nombre
est quatre (à Shepton-Mallet). La plupart des roues occupent
de douze à dix-huit personnes : terme moyen, d'après le ta-
bleau des moulins de discipline en exercice en Angleterre,
i5 gy. Plusieurs roues peuvent être adaptées au même mou-
lin (5). La petitesse de ces roues et l'accroissement de leur
nombre facilitant la classitication des détenus, celles qui n'exi-
gent que six, douze, ou tout au plus quinze travailleurs, pa-
raissent devoir être préférées, bien que demandant une aug-
mentation de frais.
iVI. Cubitt lui-même a cherché à résoudre les deux autres
questions en dressant des tables où sont mis en regard le
(1) D'après un rappoit du miuislre de l'intérieur, fait à la Chambie
des communes le i5 février 1825, des monlins dé discipline étaient en
activité dans cinquante-quatre prisons de l'Angletene et du pays de
Galles.
(2) Copies ofpapers showi?ig ihe résulta of in';uirlcs ntailo t>\ tlic secre-
liiry of slaic for tite home département, as lu Ihe effert ofthe trcadwhccl
1)1 lUc prisons.
(3) La piisoii de Biixton pussède un moulin auquel dix lOiies sjnt
adaptées : r'esl le seul exemple d'un aussi grand nombre.
72 SCltlNCliS MOUALES
nombre des heures de travail pendant les différentes saison-;
de l'année, celui des pas nécessaires pour mettre la machine en
mouvement, etc. ; mais rien ne peut être absolu dans leur so-
lution, qui demeure toujours dépendante de plusieurs condi-
tions, telles que (;elles-ci :
»". La durée du travail forcé auquel on veut astreindie
chaque prisonnier. — L'exercice du moulin devant être consi-
déré comme une punition, il faut le calculer de manière à ce
rju'il remplisse cet objet. Le détenu qui n'y est soumis que
pour peu de jours doit et peut supporter un travail plus oné-
reux que celui dont la peine s'étend à plusieurs semaines ou
4Xême à plusieiirs mois.
2°. Le nombre des heures consacrées chaque jour au tra-
vail. — Celui de dix est généralement adopté en Angleterre,
et ne saurait guère être dépassé sans iacouvénient. On regarde
comme très-convenable la division dutems en trois cinquièmes
le miitin et deux dans l'après-dinée , plus l'intervalle d-'une
heure pour le repas.
5°. Le sexe des travailleurs. — Les femmes ne sont soumises
à l'exercice du moulin de discipline que daiis les prisons de
Dorchester, .d'Exeter et de Coldhathfields à Londres (i) : le
produit de leur travail, comparé à celui du travail des hom-
mes, présente environ le rappnrtde7à lo. Nous pensons, avec
i\L le do(;teur .Iidkis. qu'un paieil genre d'occupation, fût-ce
en qualité de châtimeut, ne saurait convenir à des femmes.
4". La quantité de matériaux soumise à la fois à l'action du
uicurui, soit qu'il s'agisse de grains à aioudre comme en An-
gleterre, ou, comme à Hainl>onrg, de draps à fouler. — Plus
cette quantité est considérable, plus la roue tourne lentement;
l'exercice des marclicurs est alors moins pénible : il le devient
d'autant plus, au contraire, que la roue tourne plus rapide-
ment, ce qui a lieu lorsque la force du moulin agit sur une pe-
tite quantité de matériaux.
;i) Les niagistials ont aboli ccl usage dans la i)ri.'iiiièi c d(' ces villes.
ET l'OLlTlQliiS. 75
5". Le diamètre de la roue; le tems nécess;iire pour sa rola-
lion étant en raison Inverse de sa circonférence.
6". Le nombre des marches qui forment la circonférence de
la roue. — De son étendue dépend, il est vrai, principalemeul
la facilité de son exercice ; mais les degrés peuvent aussi se
trouver trop ou trop peu rapprochés, et contribuer à rendre cet
exercice beaucoup plus incommode. *
7". Enfin, le nombre des marches qui doivent être franchies
dans un tems donné. — D'après les tableaux dressés en An-
gleterre, le chiffre moyen est 48 par minute; combiné avec le
terme moyen du tems consacré au travail ( 8 heures ), et avec
l'élévation moyenne des degrés ( 8 pouces 4 vi lignes ) , il
donne la hauteur de 16,076 pieds 9 } pouces comme celle
que le marcheur doit franchir en mi jour. L'expérience dé-
montre que cette limite ne peut être dépassée sans inconvé-
nient.
Quant à l'emplacement convenable aux moulins de disci-
j)liue, la Société des prisons de Londres veut (ju'ils soient
construits en plein air, mais sous un tcit et dans le voisinage
des salles de jour , afin qu'en cas de mauvais tems ou dans le
moment où les travailleurs passent d'un exercice très-actif au
repos, ils ne soient point exposés à l'influence du froid. Placés
dans des lieux fermés, ils offriraient toutefois l'avantage, pen-
dant les courtes journées d'hiver, de pouvoir être mis en mou-
vement t» la lumière le matin et le soir.
Il est aisé sans doute de prescrire à dos hommes rassemblés
un silence absolu; mais un tel règlement est illusoire, parce
qu'il .est inhumain, non pour des chartreux que la foi soutient
au milieu de leurs privations, mais pour des prisonniers que
révolte la contrainte. Aussi l'interdiction de la parole est-elle
généralement inobservée par le surveillant ou transgressée par
les détenus au moyen du langage des signes, d'autant plus nui-
sible qu'il est grossier et secret.
L'homme doit entendre, penser et parler, ou ne faire aucun
pas dans les voies de la perfection ; il ne faut pasi, même
-, SCIENCES MOKALES
(Ml priï<on, qu'il soit privé de l'exercice de ces facultés. Mais il
ne lui suffit point de parler ou d'écouter par ordre ; ce dont il
a besoin, c'est d'un entretien libre où l'âme peut s'épancher et
manifester son intérêt pour tout ce qui la frappe. Toutefois le
*ilencc est une régie importante dans la discipline péniten-
tiaire; il doit être obligatoire pour la classe d'épreuve, hormis
aux heures de l'enseignement. Dans la deuxième classe, celle
\\es éprouvés, la conversation doit être permise à titre de récom-
pense , sauf interdiction de toute expression malhonnête,
cris ou chuchotcmens; c'est à l'aumùnier, pendant les heures
consacrées le dimanche soir à la conversation , à savoir lui
donner un cours utile et intéressant. Enfln , dans la classe
de préparation, rien ne s'oppose à ce que les détenus puissent
s'entretenir librement, mais à des heures déterminées, et en
présence d'auditeurs.
Si l'on a toujours considéré la solitude comme un des plus
nobles moyens de perfectionnement pour l'homme, c'est que
l'on supposait chez ceux qui s'y condamnaient volontairement
une disposition à méditer sur les sujets les plus sacrés; mais
peut-elle exercer cette influence salutaire sur des malfaiteurs
chez lesquels on doit présumer une vocation tout opposée?
^()n sans doute, et nous nhé^itoiis pas à considérer l'empri-
sonnement solitaire prolongé comme l'état le plus corrupteur,
après le contact avec des criminels endurcis. Cependant ce
moyen peut être employé avec succès comme punition ; que
le- coupable soit abandonné seul à ses remords pendant peu de
teins, mais qu'il n'ait pas celui de se familiariser avec cette
situation, et d'occuper son reciieillement à ruminer de nou-
veaux crimes. M. Julius, d'accord avec nos sentimens à cet
égard, ne conseille l'emprisonnement solitaire qu'envers les
individus (]ui n'ont point abjuré toute idée religieuse, ou qui
déjà ont fait quelque retour sur eux-mêmes. Quant aux au-
tres, il veut que le tems de leur solitude soit rempli par un
travail assidu et fatigant , qui ne soit interrompu que par le
repos strictement nécessaire cl par renseignement spiiitucl.
i:t politiques. 75
Il est indispeDsable d'éluùier avec soin le caractère des hommes
auxquels on prétend appliquer cette peine, dont l'eftet varie
étrangement. M. Buxton rapporte que deux paysans de la
même ferme ayant été condamnés à l'emprisonnement soli-
taire, l'un, sot et paresseux, avait passé son tems à dormir,
tandis que l'autre, vif et intelligent, avait failli perdre la rai-
son. Il est des individus pour lesquels ce châtiment est une
torture intolérable, et l'on en a vu demander la mort comme
une grâce. — lia été obseivé en général que la solitude pro-
longée influait sur le moral d'une manière très -nuisible , à
moins qu'elle ne fût accompagnée d'un travail conliau, tandis
que ce moyen, employé avec intelligence et ménagement, de-
venait un puissant auxiliaire dans l'œuvre de la réforme.
Il est presque inutile de recommander un soin tout parti-
culier à l'égard des communications avec l'extérieur. Pendant
la période d'épreuve, toute visite aux détenus doit être formel-
lement interdite : ce n'est que pendant les deux périodes sui-
vantes qu'elles peuvent être autorisées peu à peu, après des
informations très-précises sur la moralité des visiteurs , et
toujours devant témoins. Ces visites, outre l'impression di-
recte qu'elles peuvent exercer sur le prisonnier, ne sont pas
sans une influence préjudiciable à l'extérieur même. <> Une
prison dont les portes sont ouvertes à des curieux oisifs, dit
l'auteur anglais d'un excellent article sur les maisons de dé-
tention (1), perd infailliblement la moite de la terreur qu'elle
doit inspirer : les idées tristes qui se joignent au mol de prison,
et qui contribuent sans doute à détourner les actes criminels,
se trouvent écartées par l'aspect de la propreté, de l'ordre et
du bien-être apparent qui régnent dans ses murs. L'homme
est ordinairement disposé à juger d'après ce qui frappe ses re-
gards,, et ce que les visiteurs ne voient pas, c'est-à-dire la
solitude et les dégoûts, l'extrême frugalité et le travail pénible
auxquels les détenus sont assujettis, tout cela ne se présente
pas à leur pensée; ils quittent la prison convaincus que l'on
fi) Ouarlcrly rcuicw. T. xxx, p. 4i5.
;(; SCILNCKS MOllALES
exiigèie les maux de la captivité, et si celle opieiion n'influe
pas sur leur propre conduite, ils ne manquent pas du moins
(le la propager au dehors. »
L'enseignement qui a pour but diiiculquer au détenu des
habitudes de travail, d'ordre et d'écoaomie, et de le mettre,
par la possession d'une industrie lucrative, à l'abri des tenta-
tions dont il sera assailli en rentrant dans la société, et rensei-
gnement religieux destiné à perrcclionner son moral, sont,
comme on le voit, trop intimement liés pour les séparer : ils
doivent marcher de front. Qu'à l'apprentissage d'un métier se
joignent l'instruction élémentaire de la lecture, de l'écriture,
(lu (liant, le catéchisme, la prière solitaire qui n'est entendue
que de Dieu, et la prière en comuum qui harmonise les âmes;
qu'une cérémonie religieu>e accompagne l'entrée en prison
et la délivrance de chaque détenu, c'est la première et la der-
nière pierre du monument que vous entreprenez d'élever à
Dieu dans son cœur : ces deux époques doivent y laisser de
profondes impressions.
La division des prisonniers en trois classes n'est en usage en
Angleterre que dans les maisons pénitentiaires où une diffé-
renc(; de costume les dislingue. Cette mesure poiurait être
introduite dans les prisons ordinaires sans grande dilTicullé.
Pour la classe d'épreuve la solitude et le silence sont de rigueur
pendant la première année au uxoins ; la sévérité de ce régle-
uient doit être fort adoucie pour la classe éprouvée ; elle doit
l'être beaucoup plus encore pour la classe de préparation chai.
laquelle le travail en coumiun doit devenir peu à peu une ha-
bitude. La promotion d'une classe à l'autre ne doit pus avoir
lieu sans quelque solennité; qu'elle soit précédée pour celui
qui en est l'objet de quelques jours de solitude dans une salle
dont la décoration puisse frapper son espiit, et que cette soli-
tude ne soit iulerrompue que par la visite de l'aumijuier et
remplie par un choix de lectures convenables à sa situation. —
La durée du séjonr des prisonniers dans cha([ue classe doit être
(lélerminee par le dircclenr, l'instituteur et l'aumônier. —
Ceux d'eniri' le- <léleiiM^ qui se di^liiimienl par leur boiuu-
1;T POLlIlQUliS.
( omliiilc peuvent être eJevés aux tbiictioti-i de .soiis-iiis|>ei,;-
leurs, sans pour cela cesser d'être soumis aux régleniens i>éué-
laiix de la maison. — Enfin, poiu- exciter l'émulation , ,-Ics
récompenses peuvent être accorilécs , telles que la prolf)u^a-
lion des momens de repos ou de conversation, des emplois
domesti(|ues daiis rétablissement, l'exemption des châtimens
corporels, la l'acidlé d'être appelés en témoignage, etc. Les
moyens de punition seraient alors la privation de tous ou de
«luelques-iins de ces privilèges, la rétrogradation vers une
classe inférieure , et pour la dernière de ces classes le renvoi
de la maison aux travaux forcés. — Cette organisation étant
fondée dans les prisons ordinaires, le nombre des institutions
pénitentiaires proprement dites pourrait être considérable-
ment réduit et les frais qu'elles occasionent épargnés. M. .Tu-
lius, appliquant ce système à la Prusse, pense qu'il y suffirait
de deux pénitenciers modifiés selon les degrés très-diffe!en>
de lumières qui séparent la partie orientale de la partie occi-
dentale.
A cette leçon sont joints les réglemens des prisons de Mil-
bank et de Genève.
Onzième Leçon.
L'arguraeut le plus spécieux que fassent valoir les adversai-
res du système pénitentiaire, c'est le mauvais succès des éla-
blissemens de ce genre dans le pays où il a été primitivement
introduit et perfectionné, dans les Etats-Unis d'Amérique.
M. Julius a regardé comme un devoir de repousser les induc-
tions que l'on pourrait tirer de ce fait sans en avoir apprécié
les causes.
Ces causes, d'après le rapport d'un comilé institué à Xcw-
York pour eu faire la recherche , sont les suivantes :
1°. L'architecture vicieuse des prisons. — Aucune n'était dis-
tribuée de manière ;\ empêcher la communication des détenus
entre eux.
2°. Le défaut de classification. — Celle des sexes élait la
seule en usage. L'objet principal, celui qui dominait tous les
autres, éliiil de rendre le travail aussi prorlnctif qiic po>;>iii)le.
;8 SCIENCES MORALES
sans songer, aini^i que l'ol)>ervc le comité, qu'un tel procédé
(levait mettre au néant tont le S3^stème.
5°, Le manque d'espace. — Outre l'impossibilité d'établir,
lors même qu'on l'aurait voulu, aucune classification, ce défaut
entraînait l'inconvénient suivant non moins grave :
4°. L'usage abusif du droit de grâce. — Ces grâces étaient
a(;cordées avec autant de légèreté qu'on en mettait à appuyer
les demandes; et cela afin de ïaïce place à de nouveaux pri-
sonniers, qu'il fallait loger.
5°. l ne nourriture trop peu abondante sans interdiction des
liqueurs fermentées. — C'était le fruit de la même tendance
l'uneste qni portait à tout sacrifier au lucre du travail.
G°. L'absence d'écoles pour les jeunes condamnés. Partout,
mais surtout dans la ville populeuse de New- York, s'offre le
tableau déplorable d'une nombreuse jeunesse privée d'in-
struction , grandissant d;ins le vice et destinée au crime.
7°. La mutation fréquente des fonctionnaires publics par
suite des triompbes et des chutes successives des différens par-
tis politiques. Ces mutations se font sentir jusque dans l'ad-
ministration des prisons (i)»
Ces causes ont eu des suites sur lesquelles un rapport fait,
en 1 820, à l'occasion d'im projet d'institution pénitentaire pour
les jeunes délinquans s'exprime de la manière suivante :
«La nature démoralisante de quelques-uns de ces établisse-
mens nommés pénitentiaires est tellement connue, il est si rare
que les détenus libérés n'en sortent pas plus dégradés et plus
corrompus qu'ils n'y sont entrés, et plus experts dans les pro-
cédés du vol, que ces lieux ont mérité le surnom d'écoles du
(1) M. Charles Lucas vient de publier le second volume de son ouvrage
sur le Système pénitentiaire : il y trace avec détail l'historique de la dé-
cadence de ce système aux Ktats-Unis (p. 5i et suivantes). Nous y ren-
voyons ceux de nos lecteurs qui voudraient en avoir une plus ample con-
naissance. — A'oycz aussi : J bric f étalement of Ihc causes wliich hâve led
I0 ihc abandonmcnl of thc cctcliraied System of pcnilentiary discipline in
smne provinces of thc itnitcd slates of America. By William Roscoe. Liver-
pnni, 1857.
ET POLITIQUES. -«.
crime. La somme des maux causas à notre ville et à notre État
}iar les défauts du régime des prisons est si grande que , de
l'avis de bien des gens, il est douteux si le système actuel,
avec son attirail dispendieux, sa douceur et sa moralité appa-
rentes, n'est pas , en dernière analyse , plus nuisible encoio
à l'ordre public que le simple emprisonnement d'autrefois,
avec ses punitions corporelles, ses fustigations publiques, ses
piloris, sa marque , etc., etc. (i)-"
Un semblable tableau serait bien décourageant pour les par-
tisans du système pénitentiaire, si l'on ne pouvait lui oppo-
ser les expériences faites dans plusieurs prisons d'Europe ei
dans le petit nombre de celles d'Amérique qui ne se sont point
trouvées encombrées : ^es auteurs du Rapport auquel nous
avons emprunté l'énumé ration des causes qui ont entraîné sa
décadence, décadence dont ils sont loin de faire un mystère,
terminent leur travail par ces paroles remarquables :
«Dans l'espace de trente années, il n'a pas été signalé un
seul fait , découvert un seul vice qui fût capable de nous con-
vaincre que ce système n'est pas en état de réaliser tout ce qu'on
a pu en attendre » .
Après cette digression nécessaire, M. Julius reprend son
exposition en traçant les devoirs des hommes appelés à donner
la vie au système, et sans lesquels tous les avantages d'une si-
tuation favorable, d'une construction habile, d'un emplace-
ment étendu, etc., ne serviraient de rien.
"La fonction de directeur de prison gagne journellement en
considération publique et en importance; cela est juste : cette
fonction est honorable, difficile, elle entraîne une délicate res-
ponsabilité, et suppose une confiance toute particulière dans la
personne que l'on en investit. L'accomplissement ponctuel et
loyal de ses devoirs rend un directeur de prison digne de l'es-
time et de la reconnaissance générales. La sûreté de l'établisse-
(i) Report of a commillee appoinled by ilic sociely for ihc prciention of
pniiperlsm in ihc cily of New- York, on thc expedicncy of erecting an insti-
Itiiimi for thc reformalirn ofjiireriilc ddinqucnls. ^tew-Yiiik, iSaô.
ment qu'il administre est son premier soin ; mais il n'est pa?
le seul. Ses efforts ont aussi un objet moral, et le repos de la
«ociétc et le sort de* plus malheureux des hommes en dépen-
dent. Il doit savoir régler l'emploi de sou autorité, encoura-
ger l'obéissance et prévenir bien plus (|ue réprimer la muti-
nerie. Ses ordres doivent «'jtre précis, son humeur égale et son
,imour de Téquité sensible pour tous : enfin il doit apporter
dans l'exercice de sa charge non-seulement fermeté de carac-
tère et droiture de Jugement, mais encore une âme remplie
de sentimens bieuveillans et religieux».
Immédiatement après ce ionctioimaire supérieur qui doit
embrasser tous les besoins de rétablissement, deux autres
trouvent leur place, auxquels est confiée immédiatement la
direction morale et intellectuelle des prisonniers ; Vaumônier,
c'est-à-dire le confident, le guide de leurs consciences, et 1'/»-
stitateur, dont l'emploi doit être également revêtu d'une haute
considération ; vient ensuite V instructeur i\y\\ enseigne aux déte-
nus la profession industrielle qu'ils doivent exercer; et le mé-
decin, dont le docteur Julius indique les devoirs en homme de
l'art.
Toutefois cette organisation intérieure de la prison ne lui
paraît pas encore suHisante pour remplir complètement son
objet. S'api)uyant ^ur l'opinion, émise il y a plus de vingt'-
cinq ans, par un homme d'Etat éclairé, feu M. d'Armm. minis-
tre de la justice en Prusse (i), il croit nécessaire d'établir entre
les autorités supériemes qui ne peuvent, sans inconvénient, des-
cendre à une surveillance a l'égard de chaque fonctionnaire,
et les administrations particulières des prisons, des conseils
chargés d'assister les directeurs dans leur gestion, et composés,
dans chaque localité, outre le justicier, raunujniei- et le mé-
(i) Briiclisliiclie iibir F erbrecltcn iind Stvufcn, etc. — Fragmens sur les
délits cl les peines , ou pensées sur l'accroisseinent remaïqué dans les
États prussiens du nombre des crimes contre la propriété; avec des pro-
positions sur les moyens d'y remédier par une bonne organisation des
]>rison$. Fianci'iirl, 180."^.
KT l'OLIilQUES. 8i
(Iccin de la maison, de plusieurs des citoyens les plus nota-
bles qui accepteraient sans doute volontiers ces commissions
purement honorifiques. La sollicilude publique sciait ainsi at-
tirée sur les établissemens de détention, et travaillerait à leur
perfectionnement. M. Julius observe que des eflforlstrop sou-
vent méconnus, surtout à l'époque où écrivait M. d'Arnim,
avaient depuis long-tems créé dans un but religieux des in-
stitutions analogues à celles qui sont ici conçues d'après un
point de vue politique. Sans parler des traces laissées par les
empereurs romains dès les premiers siècles du christinanisme,
on ne peut s'empêcher de citer les nondireuses confréries qui
de Rome se répandirent dans l'Italie et dans tout le monde
chrétien, et particulièrement celle de la Miséricorde, qui avait
dans beaucoup de villes des confréries affiliées des deux sexes,
et dont les réglemens furent renouvelés en 1831 (1). Ces as-
sociations ne se bornent pas à porter des consolations aux con-
damnés à mort ; elles s'occupent aussi de l'enseignement reli-
gieux des prisouniçis, et de leur distribuer du travail , des
vêtemens et de la nourriture.
Ce qu'avait fait le sentiment religieux, la philantropie a de
nos jours essayé de le reproduire; elle a voulu intéiesser les
efforts individuels à l'amélioration du sort des détenus et à
leur réforme morale. Dans toute l'Europe, mais particulière-
ment en Angleterre, les Sociétés pour la visite des prisons se sont
multipliées. Parmi ces associations, il est impossible de ne pas
mettre en première ligne la Société pour la réforme des femmes dé-
tenues, et le nom de sa fondatrice, M"' Elisabeth Fry, de cette
femme chez laquelle la douceur et la fermeté, le dévouement
et l'élévation d'âme forment un ensemble harmonique si digne
de respect et d'admiration. Nous nous faisons inie véritable
violence poui- ne pas reproduire dans son entier l'histoire de
(1) CelU; conlVéïie, citée comme modèle à imiter dans les écrits de
Scaiiaioli (De f'isilaliouc Carccraforum) et de Mnratori ( Dcl/a CavUà cris
Liana) fut rencontrée par HoAvaid dans la plupart <Jes villes d'Italie et
lie Portugal.
T. XÎ.VIl ,T1 ILLKT ! 87)0 b
8a SCIENCES MORALES
ses étonnans succès; et c'est à regret que nous nous bornons
à recomn^iiKÎer à nos lecteurs ce chapitre de M. Julins comme
l'un des plus intéressans de son ouvrage. Nous y joindrons
l'indication d'un petit volume composé par le même auteur
dans l'espoir, réalisé peu de tems après, de provoquer la créa-
tion d'un comité de dames à Berlin pour la visite des pri-
sons (i) ; ainsi que celle d'un éciit de M""^ Fry elle-niênie :
Observations sur la visite, la surveillance et la dincction des fem-
mes détenues. (Londres 1827.}
Toutefois, en rendant ici un hommage mérité aux assem-
hlée^ charitables dont il s'agit, nous sommes loin de nous exa-
gérer IVllicacité de tentatives isolées, divergentes souvent
dans leur tendance, et qui ne sont à la réforme des prisons
que ce (ju'est l'aumône pour la mendicité, un palliatif momen-
tané. Quelques heureux résultats, obtenus par de si faibles
moyens, font seulement pressentir ceux qui naîtraient d'une
organisation profonde et générale; le cœur humain a tant de
ressources pour retrouver la bonne route, lors même qu'il
s'en est le plus écarté ! que ne pourrait-on donc pas attendre
«l'un système de traitement moral embrassant à la fois toutes
les prisons, et dans les prisons toute l'existence des détenus?
l'^t pourtant ce serait peu encore. Une partie de la société est
malade; il faut s'efforcer de la guérir sans doute, mais il faut
surtout chercher les causes du mal au sein de la société elle-
même, et savoir y porter le remède. Or une pareille lâche ap-
l>artiènl aux chefs de cette Société, car eux seuls peuvent Tac-
fomplir : il a fallu toute leur négligence à le faire pour légitimer
l'usurpation tentée par les associations philantropiques, bien
que cette usurpation manifeste plutôt un besoin qu'elle ne le
satisfait. Mais j'ai parlé à tort de négligence ; c'est impuissance
(1) Voir rlaiis !es Archives phllanlropu/iics, journal publié par la So-
ciale de la murale chrétienne (t. i, p. 29 et i5i ; mars et mai i>cto) quel-
ques détails sur la société des prisons de Berlin, et pailiculiéienient sur
le comité des dan)es. — Le livre de M. Julius doiil il est question ici a
pour litre : Die ivcllfllclie Fiirsorgc, etc. {Soins ftes femmes pour les di-te-
nuts cl les malades île leur sc.r.c. )
i;r POL! MOUES. S7>
qu'il falhiit uire. Lors<[n'aniveiit les époqiMis de rciiovation.
(.eux qui représentent les anciennes idées bt»nl naturellenienl
les derniers à accepter les idées nouvelles : ù ces époques, on
voit grandir peu à. peu en dehors du pouvoir- la philosophie,
disons mieux la religion de l'avenir, jusqu'au jour où de l'as-
gentiment universel elle se înel à la lête de la société.
Douzième et dernière Leçon.
M. Le docteur Julius, dans ses onze leçons précédentes,
avait tracé l'histoire des prisons envisagées sous le rapport de
leur perfectionnement successif, auquel l'Angleterre a eu la
plus grande part ; il avait indiqué les changemens apportés
dans leur architecture, dans leur organisation, dans leur dis-
cipline; il avait exposé les principes qui, selon lui, doivent
présider à la réforme morale des détenus; il avait fait con-
naître les avantages du système pénitentiaire et tes efforts es-
timables de quelques réunions hienfiiisantes ; cependant son
entreprise n'était point achevée à ses yeux; il n'avait accom-
pagné le prisonnier que jusqu'au moment de sa délivrance,
comme si la sollicitude de la société devait expirer pour lui
avec son châtiment. Il restait donc à parler des mesures pro-
pres ù prolonger l'influence de l'éducation pénileuliaire.
Avant que le philantropc Beccaria eût prêté des expres-
sions à l'opinion publique contre la législation pénale de son
tems, dès le milieu du xviii' siècle, le célèbre romancier an-
l^lais Fielding, qui occupait alors des fonctions imj)ortantes
dans la police de Londres, avait observé dans un fort bon écrit
fur l'accroissement du nombre des voleurs (i), que trois mois
après l'exécution d'un coupable, c'est-à-dire, à l'époque des
assises suivantes, ceux de ses complices qui n'avaient point
partagé sa condanmation se trouvaient ordinairement à leur
tour chefs de nouvelles bandes. L'expérience avait égale-
ment démontré en France que sur dix forçats libérés après
fi) Henry ¥\klï)\^c. On tlie Inaecine nfHohhcrs, etc. Londiin, ijiSf
84 SCIENCKS MORALES
expiration de leur peine, il n'y en avait pas trois qui ne mé-
ritassent d'être condamnés à perpétuité (i). On avait vu en
Angleterre des malheureux, sortis de la prison sans aucune res-
source, pour ne pas succomber de nouveau à des tentations cri-
minelles avoir recours à l'horrible préservatif du suicide (2).
Et cependant, il s'écoula bien "fin tems avant que l'on son-
geât à l'onder des établissemens pour recueillirces infortvmés ;
il s'en écoula bien plus encore avant que les associations qui
avaient ouvert ces asiles donnassent la main à celles qui s'oc-
cupaient de la réforme dans l'intérieur des prisons, afin de
faire succéder immédiatement à leurs en^eignemens une tu-
telle appropriée aux forces des disciples, et de les préparer peu
à peu à marcher d'un pas assuré dans la société : car il est
nécessaire, pour que de tels soins ne demeurent point inutiles,
(le connaître parfaitement ceux qui en sont l'objet, leurs anté-
cédens, les dispositions de leurs âmes pendant les différentes
périodes de la captivité et surtout aux approches de son terme.
L'influence de la pensée d'une délivrance prochaine est si
glande sur l'esprit des détenus que l'on en a vu, dans l'excès
de leur joie et de leur impatience, tomber malades et mourir.
Puisque la seule attente de ce moment peut jeter dans un pa-
reil délire l'âme d'un homme encore enfermé sousles verroux
d'un cachot, quel sera donc le torrent de sensations qui l'assié-
gera lorsrpie toutes ces entraves viendront à se briser? Ce qui
avait occupéson imagination comme un avenirloiutaind'abord,
mais se rapprochant deplusen plus, pendant son travail du jour,
prntlant ses rêves de la nuTl , l'heure de la liberté a sonné :
cette heure solennelh; a été préparée pour lui par les conso-
lations de la religion ; des exhortations touchantes ont atten-
dri son cœur, tumultueusement agité, et l'ont ouvert à l'affec-
tion de ses semblables : il entre ainsi dans le monde; et les
(1) Dictionnaire des Sciences médicales. T. xr,v, p. aâp.
(2) yi sermon, prcoched in saint Pcter's citurcb, Dublin, on siinday, Ja-
ntiar^' 4 ''' 1824, by tlie Bcv. Charles IJardin. in aid nf Ihc sheltcr for fe-
iiiaLs dischnrgcd from prison.
1-T POLITIQUES. 85
hoinnies que dans son ivresse il voudrait embrasser, avec les-
quels il voudrait sentir, se réjouir et s'affliger, près desquels
il voudrait s'établir pour consacrer sa vie future à une loyale
industrie, commentées bommes l'acciieillent-ils ? les meil-
leurs d'entre eux s'éloignent avec embarras, avec répugnance
de celui qui porte le signe du désbonneur sur sa cbair, sur
ses vêtemens, sur son passeport : des mécbans le dépouillent
peut-être eu quelques jours du petit trésor acquis par un tra-
vail de plusieurs années, et que ce travail lui fait estimer ou-
tre mesure, pour le repousser ensuite avec mépiis. Il reste
isolé, p'Crsonne ne lui tend la main , bormis les anciens com-
plices de ses fautes : ceux-là le reçoivent avec amitié, ils en-
veniment son ressentiment contre la société, qui le repousse
comme s'il était encore un des leurs; au lieu de la misère et
des privations qui l'attendent, ils lui promettent des jouissan-
ces étourdissaïites; il ne tarde point à retomber dans les liens
de la dépravation et du crime, qui s'emparent de tout son
être par des nœuds désormais indissolubles.
Ils ont donc bien mérité de l'humanité ceux qui les pre-
miers conçurent et exécutèrent le projet de créer un établis-
sement pour servir de transition entre la vie des prisons et le
retour dans la société.
C'est à la ville de Lyon, selon toute apparence, que cet
honneur doit être attribué. La fondation des sœurs de Saint-
Joseph, qui, non contentes de faire le service dans la prison
des femmes, ont érigé une maison où celles-ci, à l'époque de
leur libération, sont instruites dans des travaux de leur sexe,
pour être ensuite placées au dehors, est antérieure aux insti-
tutions anglaises du même genre.
Les deux maisons de refuge affectées aux différens sexes (i),
qui existent à Londres, et auxquelles par une exception toute
spéciale le parlement accorde une subvention de 5,ooo liv.
sterling, ont été fondées par une Société qui se rassembla en
i8o5 : elles sont ouvertes à sept classes de malheureux.
(i) Refuge fortlic maie tiestilule. Uc/agc for (lie fenialo dcsliUile.
86 SCIENCES M 011 A LES
r. Les condamné!^ à mort graciés ; ■ — 2'. Ceux en laveur de
qui les juges ont suspendu l'exécution de la sentence; —
3°. Les détenus qui, ;ipiès l'expiration de leur peine, ne peuvent
réussir à se placer; — 4°- Ceux qui , sortant des pontons, se
tioiivent dans le même cas;— 5". Les prévenus acquittés; —
6'. Ceuiqueles juges recommandent à l'établissement au lieu
de les envoyer en prison ; — 7". Des jeunes gens qu'une con-
duite irréguliére a perdu de réputation, et qui, sans être pour-
suivis juridiquement, se voient repoussés de la société.
Chacun de ces deux établissemens, qui peuvent contenir
ensemble environ deux cents prisonniers, est partagé en deux
divisions, l'une temporaire, l'autre permanente. I>e refuge
temporaire est le premier séjour de tons les individus qu'ad-
met la société: il est le seul pour ceux qu'elle espère récon-
cilier avec leurs familles, ou encore pour ceux qui y sont pla-
cés par des associations charitables, moyennant une légère
rétribution (7 schellings par semaine). Ils y sont tenus à l'a-
bri des mauvais conseils et des mauvais exemples, accoutu-
més à l'ordre et au travail : ceux qui manquent de vêtemens ou
d'outils en sont pourvus.
Quant aux imlividus dont la Société prend à ses frais l'en-
tretien, après que leur caractère a été suffisamment étudié ,
ou les fait passer de la division temporaire à la division per-
manente. Dans l'une comme dans l'autre l'enseignement com-
prend les préceptes religieux et moraux, la lecture et l'écri-
ture, et diverses professions indiistrielles. (Celles-ci, dans la
maison des hommes, sont celles de cordier, tailleur, cordon-
nier et relieur; on y fait aussi tailler des allumettes, éplucher
du lin et du chanvre. Les femmes sont occupées à des ouvra-
ges domestiques et au blanchissage soit pour des i-articuliers,
soit pour plusieurs établissemens d'orphelins. Les récompen-
ses en u>age consistent ii être nommé sous - surveillant d'ime
escouade de dix personnes: à changer un travail peu lucratif
contre nu autre qui l'est davantage, enfin à voir porter à sa
masse un sixième du produit. S'il faut punir, on fait asseoir
le délinquant i'i une tnblc {>nrticulière dan-* le réfectoire ef
K'i POLITIQUES. 87
cr.ins l'église, ou son nom et sa faute sont inscrils -ni- un ta-
bleau exposépubliqucnienl; les cas plus giavesentraînent l'eni-
prisotinement solitaire au pain et à l'eau; les cliàtinieus cor-
porels sont absolument interdits.
Le tems du séjour dans la classe permanente est fixé à deux
années; les fdles sont ensuite placées comme domestiques, et
les garçons chez des maîtres ouvriers. Mais la Société ne les perd
pas de vue dans cette nouvelle condition; elle vient à leur
secours, s'ils se trouvent dans le besoin sans qu'il y ait de leur
faute.
Les faits suivans sont la meilleure preuve des résultats sa-
lutaires de cette -prolongation de tutelle. Trois condamnés à
mort graciés, après avoir fait un séjour dans la maison de re-
fuge, exerçaient à Londres un métier honnête et productif;
mais sur la nouvelle ([ue des emplois de sous-surveillans s'y
trouvaient vacans, ils vinrent se présenter, demandèrent avec
instance que ces emplois leur fussent confiés, et ils les occupent
encore aujourd'hui. — Chaque année un repas est donné dans
la division des femmes à toutes celles qui en font partie; les
anciennes pensionnaires viennent aussi y prendre part. En
1822 , trente-six d'entre elles y assistèrent; elles déclarèrent
hautement devoir leur bonne conduite et leur bien-être ac-
tuel au séjour qu'elles avaient fait dans la maison , et s'impo-
sèrent en sa faveur une contribution qui monta à 10 livres
sterling 5 schellings. L'année suivante la même collecte fut
renouvelée, et offrit 1 1 liv. sterl. 6 schellings.
Ces deux établissemens, depuis i8o5, époque de leur fon-
dation, jusqu'au 1" janviei' 1826, c'est-à-dire pendant une
période de vingt ans, ont reçu dans leurs nmrs 2,974 person-
nes, savoir: 1,021 hommes et 1, 655 femmes, qui vraisembla-
blement sans leurs secours auraient été perdus à jamaii :
Nous ne saurions faire ici l'énuméralioud'uneassez grande
quantité de fondations analogues, telles que V Asile de fVest-
minster, V Asile deSurrey, la Maison de refuge de Dublin, etc.
Toutes ont confirmé, ce que d'ailleurs on pouvait prévoir, que
pour obtenir des succès réels ce n'est pas aux criminels âgés
«y SCIENCES MORALES
et emlunis qu'il l'aut s'adresser, mais aux jeunes gens, plus
souvent comiables par légèreté que par corruption. Aiuisi les
institutions anglaises en laveur dei^ libérés se sont-elles géné-
ralement transfoimées en institutions pour les jeunes délin-
qivans.
A ces dernières se rattachent naturellement celles on l'on
recueille lesenfans. Si leurs Ames encore tendres sont plus ai-
sées à façonner, l'œuvre dont ils sont l'objet est aussi d'autant
plusimportan te qu'ils ont devanteux une carrière longueà par-
courir, dont les preujiers pas sont décisifs. Dès l'année 1788,
se forma à Londres par les soins du philantrope Robert
Young une association en faveur des enfans malfaiteurs ou
lîls de malfaiteurs : l'établissement créé par cette association
(TJie plùlaniropic Society for the prévention of crimes by the
addmission of tlic offspring of convicts and for the reformalion
of criminal poor c/iildrcn) renferme aujourd'hui 200 enfans
des deux sexes, divisés en trois classes. — La première, com-
posée des enfans malfaiteurs, est placée dans le bâtiment
nommé la Reforme : là, sons la direction d'un ecclésiastique,
ils reçoivent un enseignement moral et intellectuel; et, de
pins, ils apprennent à raccommoder des vêtemens et des chaus-
sures. De cette classe, où leurs parens ne peuvent les visiter
qu'une fois en trois niois, ils ne passent dans la seconde que
lors(|u'on les juge sufllsamment corrigés. — La seconde classe.
In Manufacture, reçoit, outre les enfans dont nous venons de
parler, ceux de pères criminels, pour lesquels on redoute l'in-
fluence du mauvais exemple ou de l'abanden. Ils sont occu-
pés dans des ateliers à difl'érens métiers enseignés par des maî-
tres- — La même subdivision n'.ijant pu être établie dans la
troisième classe, celle des fdles, on n'y admet que des enfans
non coupables de parens condamnés, ou quelquefois aussi de
très-jeunes fdlesqui n'ont à se reprocher qu'une faute légère.
Elles sont instruites dans les travaux de leur sexe et placées
souvent comme domestiques.
Des établissemens du même genre existent ilans plusieurs
parties de l'Angleterre et de l'Irlande, en Amérique, à Part^
ET POLITIQUES. 85)
(Maison de refuge pour les jeunes prisonniers), à Suashourg-,
Berlin, Kœnigsberg, Weimar, Posen, etc.
En nous occupant successivement des institutions fondées
on laveur des jeunes délinquans, puis des enfans malfaiteurs
ou nés de malfaiteurs, nous sommes arrivés à toucher au
plus grave sujet qui puisse réclamer les méditations des amis
de l'humanité, savoir : les mesures propres à prévenir les dés-
ordres auxquels la prison sert de répression. C'est ici surtout
que se trahit l'impuissance de la prévoyance individuelle;
c'esl ici que les esprits les plus prévenus ne peuvent s'empè-
eher die reconnaître l'immense lacune, tranchons le mot, la
complète nullité de l'éducation sociale actuelle , comparée
même à celle des siècles grossiers où la prédication, la
confession, où toutes les institutions du catholicisme dans
.sa vigueur, formaient un ensemble systématique d'éduca-
tion adapté à l'état des mœurs. Mais, si nous entrions dans
celte voie, il ne s'agirait de rien moins que de faire sentir
combien l'éducation que reçoivent aujourd'hui les hommes
les approprie mal au rûle qu'ils sont appelés à jouer dans la
société, combien d'erreurs et de déceptions elle leur prépare,
et de montrer qu'un nouveau système d'éducation ne peut
s'élever que d'un corps de doctrines homogènes comme
l'étaient celles dont nous voyons finir le règne. Nous nous
contenterons donc de suivre M. Julius dans l'indication de
quelques établissemens liés immédiatement aux maisons de
détention , puisqu'ils sont destinés à combattre les causes qui
contribuent incessamment à les peupler.
Selon lui, ces causes qui fiappent tous les esprits sont de
trois sortes : l'immoralité, l'ignorance et l'irréligion, monstre
à triple tête, qui n'habite point l'enfer des prisons pour en dé-
tendre l'entrée, mais pour y précipiter chaque jour de nou-
velles victimes.
L'immoralité et les passions qu'elle met en jeu se manifes-
tent plus particulièrement che?. les hommes par des actes de
violence que le sentiment de la disproportion illégitime des
fortunes dirige surtout aujourd'hui contre le droit de pro-
90 SCIENCES MORALES
priété; chez les fenunes, c'est priticipalementpar le liberlinaj^e.
■ — Les moyens prôveiilifs employés contre la première es-
pèce de désordres -ont les institutions dont nons avon«- paiié
ponr la refoimc de^ jennes malfnilenrs, la destruction dt-^ dé-
pôts de reLèlenicnt , l'abolition ûc^ luleries et jeux de hasard,
la répression du vagabondage et de la mendicité, la punition
des cruautés exercées envers les animaux, etc. — Les fonda-
lions de Sainte-Madeleine ont pour objet de s'opposer aux
dérèglemens des l'euîmes. La plus ancienne maison de ce
genre est VHôpital de la Madeleine , érigé à Londres en i ^58.
Les fdles repenties, après un noviciat qui dure deux mois et
qui s'écoule dan- l.i solitude, passent successivement par une
classe d'épreuve, puis par une classe éprouvée ; pendant ce lems.
elles reçoivent une instruction morale, et font l'apprentissage
d'une profession; le produit de leur travail est accumulé dans
leur intérêt; et, à leur sortie de l'établis-enient, elles sont pla-
cées par les soins des administrateurs. Depuis le lo juil-
let i^ôS, époque de la fondation, jusqu'au 5i décembre 1826.
on y avait entretenu 5,585 personnes, dont le sort se trouvait
fixé de la manière suivante :
Placées ou réconciliées avec leurs familles. . . . 0,624
Aliénées ou atteintes de maux incurables io4
Mortes. 98
Sorties volontairement 8^8
Renvoyées pour cause de mauvaise conduite. . . ôgS
Échappées de la maison 2
Habitant aujourd'hui l'établissement 80
r).5S5.
Londres possède encore une institution analogue, fondée
en 1807 ( '^'^ London fcmale peniteniiar^-). Il en existe une à
Edimbourg, une à Bath, cinq à Dublin, dont la plus ancienne
est de 1766. Il >e trouve .1 Hand)ourg un établL-semeut de
Madeleines . et .1 Pari-j une Maison de Refuge, dite dn Bot»
rnsieur.
ET POLITIQUES. gr
Les fondations tlonl nous venons de parler onl principale-
ment pour objet d'oflVir nn asile aux filles qui se présetitent
fatiguées du vice . et disposées à rentrer dans le chemin de la
vertu. Une association ([ue nous devons citer fait plus encore;
elle va les chercher jusciiie dans les repaires où se cache lein-
infamie. Les membres de la Sociêfé pour la Consenatinn de la
Morale publique (the Guardian Society and asyluni for the
préservation of public morals ) non-seulement ont ouvert une
maison pour y lecevoir ces malheureuses , mais ils onfélé les
rechercher dans la grande maison de travail de Londres (city
Bridewell) ; ils ont pénétré dans les demeures des ignobles
créatures qui exploitaient leur misère et leur déshonneur;
quelquefois ils ont poursuivi celles-ci devant les tribunaux;
et, avec le secours des lois, ils onl eu la satisfaction de parve-
nir à leur arracher leur proie.
Nous ne nous étendrons pas sur les associations dont le but
est de dissiper l'ignorance populaire : elles sont aujourd'hui
extrêmement multipliées, et particulièrement dans notre pays :
il en e.st pour propager l'enseignement élémentaire, les con-
Baissances usuelles [ihe Socieîy for the diffusion of useful
knowledge) les professions mécaniques [mecanics institutions)
des Bibliothèques ambulantes [Itiitrrant Parisli libraries, etc.
Quant aux associations contre l'irréligion, nous nous bor-
nerons à citer les Sociétés bibliques et celles des missions, qui,
par l'abondance de leurs revenus et l'étendue de leur sphère
d'activité, comparées à toutes ks autres, attestent la puissance
supérieure du sentiment religieux; mais n'attestent-elles pas
mieux encore , pour les hommes dont le regard sait se porter
vers l'avenir, tous les prodiges que ce sentiment pourra opé-
rer, lorsque, dépouillant des formes arriérées, il ne se présen-
tera plus devant la raison que pour puiser en elle de nouveaux
élémens de grandeur?
Nous voici parvenus au terme de la tâche que nous avion?
entreprise, celle de faire connaître, au moins dans ses parties
essentielles, le beau travail de M. Julius. Ainsi qu'on a pu le
j)j SCIENCES MORALES
voir dans le cours de cette analyse, nous ne partageons pas
toujours la confiance de l'auteur dans des^ rélormes particu-
lières aux établissemens de détention; les réformes, selon
MOUS, pour être efficaces aujourd'hui, doivent porter sur les
relations sociales elles-niênics. Mais nous croyons avoir ap-
précié comme il le mérite un tableau historique plein d'inté-
rêt, des recherches statistiques consciencieuses et soignées,
des vues intelligentes et généreuses; nous croyons en un mot
avoir justifié le désir que nous exprimons en terminant, que
cet ouvrage soit mis en entier à la portée des lecteurs fran-
çais par une bonne traduction.
H,C.
WVWVWVWVWM
MoNtMRNS ARABES, PERSANS ET TURCS (lu Cabinet de M. le duc
DE Bi.ACAs, et d'autres cabinets^ considérés et décrits d'après
leurs rapports avec les croyances , les mœurs et C histoire des
nations musulmanes ; par M. Keinacd, employé au Cabinet
des manuscrits orientaux de la Bibliothct/ue du Roi, mem-
bre de la Société asiatique de Paris, etc. (i).
«Cet ouvrage n'est pas de nature à satisfaire seulement les
savans et les personnes qui, par étal ou par goût, sont vouées
aux études orientales; nous espérons qu'il conviendra égale-
mcJit aux amateurs, aux curieux, à tous ceux qui ont appli-
qué leur esprit à l'histoire des croyances, des mœurs et des
usages des divers peuples de la terre. »
C'est par cette phrase (jue l'auteur termine V Introduction
ou Préface, dans laquelle il s'est elTorcé de donner une idée
de son travail; et je m'empresse de déclarer qu'en effet il est
peu d'ouvrages oTi l'on puisse, recueillir des notions plus
(i) Paris, 1S29; Dondcy-Diipré. 2 vol. in-S", imprimés, par autorisa-
tion du Roi, à l'iiDprimL'i ie n.yalc; |)rix, 18 fr., [)a]>ier f>rdinaire; et
5o fV., papier vélin.
ET POLITIQUES. 95
exactes sur les anliriiiilés. l'hi.'^toire, les opinions loligioiises et
même politiques des musulmans. Pour une pareille publica-
tion, les circonstances paraissent favorables : nous touchons
à une époque où des irftérêts de plus d'un genre, des rela-
liont=; multipliées, nous feront un devoir de mieux connaître
les peuples soumis à l'islamisme. Les portes de l'Orient sont
ouvertes ; et désormais, les communications, il faut le croirr
du moins, deviendront plus faciles et plus fréquentes entre
les peuples de l'Europe et ceux de l'Afrique et de l'Asie.
L'ouvrage avait paru, l'année dernière, sous un titre q-ii
n'annonçait qu'une simple description des monumens musul-
mans que renferme la collectioa de M. le duc de Blacas.
L'auteur vient de réformer ce titre; et celui qu'il y a substi-
tué indique mieux ce que contient le livre : on en jugera par
l'aperçu que je vais présenter de toutes les matières qui
entrent dans sa composition.
Expliquons d'abord ce que l'auteur a entendu par ce mot
MOXfMExs. Ce ne sont ni des palais, ni des mosquées, ni des
tombeaux, qu'il explore et décrit; mais des objets de petite
dimension, de simples meubles qu'un amateur éclairé a
réunis, non sans de grandes dépenses, aux collections variées
de son riche et précieux cabinet. Ces petits objets méritent
de fixer l'attention des érudils, autant et peut-être plus que
de massifs et intransportables édifices : les inscriptions dont
ils sont couverts fournissent d'importantes notions sur les
moeurs et les usages de l'Orient.
Le premier volume est divisé en deux parties : l'une con-
tient un Traité des pierres gravées musulmanes. On y voit par
quels motifs les Musulmans préfèrent, pour la fabrication de
leurs cachets, les pierres fines aux métaux. L'or, dans leur
opinion, annonce le luxe que proscrivait Mahomet, et le fer
est pour eux, on ne sait pourquoi, une source d'impureté et
de souillures ; ce qui ne les empêche point d'aimer beaucoup
l'ormonnoyé, et d'employer le fer en armures et en ustensi-
les de toute espèce. Quant aux pierres fines, ils attribuent à
quelques-unes d'étranges vertus. Le rubis, par exemple, for-
.j4 SCIENCES MORALES
tifie le cœur, gaiarilit de la pesle et de la foudre; l'éméraude
passe pour un excellent spécifique coutre les piqûres des
vipères ; le diamant guérit de la colique, etc., etc. Ces ridi-
cules opinions, ces préjugés sont répandus chez tous les peu-
ples de l'Orient; et c'est une preuve, entre mille autres, de
leur ijjnorance prolônde.
On ne voit point ordinairement sur les pierres gravées mu-
sulmanes de figures humaines, ni même de figures d'ani-
maux. Mahomet, à l'exemple du législateur des Hébreux, a
proscrit les représentations figurées de tout ce qui respire, de
tout ce qui a une âme. Mais les artistes musulmans trouvent
moyen de montrer leur talent dans les ornemens dont ils en-
tourent les inscriptions, dans les enjolivemens, quelquefois
bizarres, q\i'ils adaptent aux lettres de l'écriture arabe. D'ail-
leurs, ils réussissent très-bien à représenter les plantes et les
fleurs, qui, pour les orientaux, sont, comme on sait, un lan-
gage aussi expressif qu'agréable.
La seconde partie du premier volume contient d'excellentes
notices sur les personnages dont les noms Sf trouvent le plus
fré(|uemment dans les inscriptions arabes, persannes et tur-
ques. Des motifs qu'il ne fait point connaître auront sans
doute porlé M. îleiuatid à placer ces Notices avant l'explica-
tion des ins( riptions, qu'il ne donne que dans la troisième par-
tie de son ouvrage. Je suivrai dans cet article un ordre qui
me parait plus naturel, et m'occuperai des inscriptions avant
de parler des personnages qui y sont mentionnés.
L'usage des sceaux, des cachets, des anneaux , des boucles-
d'oreille, est de la plus haute antiquité en Orient. Combien ne
trouve-t-on pas de ces objt!ts dans les hypogées de l'Egypte
et sur les momies même. Le plus ancien de? livres que ren-
ferme la Bible oiVrc une preuve que, dés le tems des patriar-
ches, l'an^ieau était le signe du pouvoir souverain. Quand
Pharaon transmet à l'Hélueu fils de Jacob ime grande par-
tie de sa puissance, il lui met au doigt son anneau (i). Au-
(i) TulUquc itiinuliiDi de munu siiâ, et dcdit in matin ejits. Geii. xli, /^t.
Eï POLITIQUES. 95
jourd'hui encore les Miisiilnian.s n'apposent point aussi fré-
quemment que nous le faisons leurs signatures au bas des
actes les plus importans, ni même de leurs lettres particuliè-
res : l'empreinte de leur cachet équivaut ù une signature, que
souvent ils ne saunient pas tracer.
Au lieu de figures d'êtres animés et d'armoiries, les sceaux
ou cachets, et en général toutes les pierres gravées en
Orient, portent des inscriptions tirées pour la plupart du Co-
ran, et quelquefois aussi de tel ou tel poète célèbre. C'est,
comme je l'ai dit, à l'explication de ces légendes que M. Uei-
naud consacre la troisième partie de son ouvrage, c'est-à-
dire tout le second volume. Savant orientaliste, il a pu en
donner non-seulement le texte exact, mais la traduction; at-
taché à la bibIiolhè(|ue , dans le département des ma-
nuscrits orientaux (et il s'occupe en ce moment à les classer
et les cataloguer) , il lui a été plus facile de retrouver et d'in-
diquer 1(^5 sources de ces divers passages ou fragmens d'écrits
qui sont tantôt en vers, tantôt en prose; et , comme ils font
le plus souvent allusion à quelque dogme religieux, ou ii quel-
que usage que l'auteur ne néglige jamais de faire connaître,
il en résulte quecettepurtie de l'ouvrage, où l'érudition était si
nécessaire, n'en est pas moins intéressante sous les rapports
historiques, politiques et moraux.
Les Musulmans ne pouvant, sans enfreindre la loi , obéir à
ce penchant si naturel à l'homme qui le porte à retracer sur
quelque matière solide et durable les scènes fugitives de la
vie. les rêves même qui remplissent son imagination; ne pou-
vant même exprimer, par des figures emblématiques, les pen-
sées qui les occupent le plus vivement, il a bien fallu que,
pour manifester leurs pensées les plus intimes, leurs senti-
mens, leurs passions, ils eussent recours à l'éciiture, quelque
froid et imparfait qu'a dû paraître à des hommes aidens, natu-
rellement poètes, ce mode de communication avec leurs sem-
blables. Ils en ont usé et même abusé peut-être : des inscrip-
lions couvrent les murs de leurs mosquées, tant à l'extérieiu'
que dans l'intérieur, aii.si que les murs des monumens publics,
(jG SCIENCES MORALES
«les palais. Elles sont célèbres, ou du moins bien connues, celles
qu'on lit flans les uiagniiHjues salles, dans les bains, sur les fon-
taines de ce vieux et superbe Alhamhra, édifice inimitable, té-
moignage éternel du génie des Maures. Au milieu des fleurons
el d'une multitude d'ornemens variés et du goût le plus délicat,
on y voit tracées des inscriptions ou gracieuses ou morales ;
mais aucune ne l'est plus souvent que celle-ci : « Dieu est grand;
• — il n'y a de Dieu que Dieu.» On sait que tout bon Musulman
doit l'avoir sans cesse à la bouche. Telles étaient aussi les in-
scriptions que nos savans de l'expédition d'Egypte ont vues sur
les monumens construits depuis l'IIégire; inscriptions dont l'un
d'eux (M. Marcel) a donné l'explication dans plusieurs Mé-
moires (i).
Quoique les monumens décrits par M. Reinaud soient d'un
tout autre genre, les inscriptions qu'il explique ont une grande
analogie avec celles qui couvrent les édifices et les grands mo-
numens. Dans les unes, comme dans les autres, dominent un
sentiment religieux et souvent même un ton de mysticité
qu'approuveraient sans doute nos dévots chrétiens les plus
austères. Les plus remarquables, celles qui plairont aux hom-
mes modérés et sages, quels que soient leur culte, leur secte,
sont tirées du Coran ; celle-ci , par exemple : « Dieu est le seul
Dieu, le Dieu vivant et éternel. Le sommeil n'approche point
de lui. A lui appartient ce qui est au ciel et sur la terre. Qui
pourrait intercéder auprès de lui sans sa volonté? Il sait ce
qui était avant le monde , et ce qui sera après. Nul ne possède
de -la science que ce qu'il veut bie/i accorder. Son trône em-
brasse le ciel et la terre; et il les conserve l'un et l'autre sans
efforts. Lui seul est grand et sublime.»
Le Coran contient vingt autres définitions de Dieu, plus
magnifiques, plus poétiques : on les retrouve en grande par-
lie dans les inscriptions des pierres gravées; et c'est là que l'on
peut se convaincre de l'esprit religieux (jui anime tous les Mu-
sulmans. Mais dans quelques-unes se montrent aussi leur fa-
(') ^oy. Pala'Ographic nrnl/i, par J. >1. Marcel; Paris, 1828. 1 vol,
in -loi.
ET POLITIQUKS. tj^
natlsme, leur haine invétérée coiilre les peuples cpii ont une
autre cnnancc , un autre culte.
Les maximes morales sont dans TOiicnt ce qu'elles doivent
être chez tous les peuples civilisés. La morale est partout la
même. Fuir les vices qui portent atteinte à la société; aider,
secourir ses semblables : tels sont les préceptes qu'on lit à
chaque page du Coran, et que l'on retrouve sans cesse dans
les inscriptions musulmanes.
C'est encore le Coran qui fournit les inscriptions que gra-
vent les Musulmans sur leurs armes, sur leurs vases, leurs
meubles de toute espèce. Sur tel sabre on lit ce passage : « Le
secours vient de Dieu, et la victoire est proche; annonce cette
bonne nouvelle aux croyans ; » sur un poignard : « Que Dieu
nous soit en aide; » sur des étendards, cet autre passage du
même livre sacré : « Assurément nous t'avons accordé une
victoire illustre ; Dieu t'a pardonné tes péchés passés et futurs,
afin d'accomplir sa tâche sur toi, de te diriger dans la voie
droite et de t'aider d'un puissant secours. » Ces paroles sont
celles que Mahomet prononça, lorsqu'il entra triomphant h la
Mecque. De semblables légendes, que l'on retrouve partout,
annoncent une foi vive et constante; et telle est celle de tous
les sectateurs de l'Lslamisme.
La superstition est la compagne inséparable de l'excessive
piété. Les Musulmans doivent croire et croient fermement à
la magie, à l'astrologie , à l'art de la divination par divers pro-
cédés mystérieux. L'Orient, au reste, a toujours été le ber-
ceau des plus absurdes croyances : c'est de là qu'elles sont soi*-
ties pour envahir le monde; rien d'étonnant, si c'est encore
là que prospèrent sans contrariété, sans obstacle, toutes les
fables, les superstitions, qui ont si long-tems contribué à l'a-
brutissement de notre Europe ; dont nous ne commençons que
d'hier à nous délivrer, et difficilement encore; qui peuvent re-
paraître parmi nous, pour peu que l'ignorance se perpétue, se
propage, pour peu que l'on continue de proscrire l'esprit
d'examen, ou pour mieux dire, la philosophie.
Parmi tous les instrumens de magie, les plaques talismani -
T. XÏ.VII. JUILLET l83o. 7
98 SCIENCES x^lOIl\LES
que*, les vases, les coupes, les miroirs dont M. Reinaud
donne, dans son livre, la description, l'explication et souvent
la gravure , il est un objet qui, plus que les aulres, m'a paru
mériter l'attention : c'est une coupe en métal, d'une assez
grande dimension, et qui occupe les planches "v et vi. On sait
que les coupes, dès les lenis les plus anciens, étaient un
ustensile indi^pensable pour quiconque faisait métier de pré-
dire l'avenir. 11 paraît même, d'après la Bible, que le patriar-
che Joseph employait, ou du moins feignait d'employer une
coupe d'argent pour interpréter les songes du Pharaon d'E-
gypte, et pour toutes ses autres prédictions. C'est du moins
ce que fait entendre très-clairement un passage de la Ge-
nèse (i). La coupe que décrit M. Reinaud était certainement
employée à un usage analogue. C'est un talisman qui doit
préserver le possesseur, moyennant quelques cérémonies qui
ne sont pas indiquées, de plusieurs accidens ou maladies dont
on voit l'énimiération inscrite en arabe sur les bords. Voici
l'inscription : « Ce.lalisman béni , digne de figurer parmi les
trésors des rois, sert contre toutes les espèces de poison; il
réunit une foule d'avantages constatés par l'expérience. On
l'emploie utilement contre les piqûres des serpens et des scor-
pions, contre la morsure des chiens enragés, contre la fièvre,
les douleurs de l'enfanlenient, le mauvais lait des nourrices,
les douleurs d'entrailles, les coliques, la migraine, les bles-
sures, les sortilèges et la dyssenterie. » L intérieur de la coupe
est entièrement rempli d'inscriptions tirées du Coran, et con-
tenues dans des espèces d'écussons, qui rappellent un peu les
Cartouches des hiéroglyphes égyptiens. Plusieurs de ces écus-
sons renferment, ou du moins paraissent renfermer aussi quel-
ques informes représentations d'êtres animés. Ainsi les artis-
tes musulmans contreviennent quelquefois à la loi de proscrip-
tion lancée par le prophète contre les représentations de cette
espèce.
(i) Chap. XLiv, V. 5. — La coupe que Joseph fit mettre dans !e sac de
l.lé de Benjamin, son frère, était la coupe qui lui servait dans ses pro-
pliùlirs.
i:i FOLITIQLES. yy
■On voit aussi de» figures d'êlres auimés sur uu miroir hicn
plus curieux encore que cette coupe , et qui tenait de même
aux sciences occultes en si grand crédit chez les orientaux.
M. Reinaud croit que ce miroir a été fabriqué vers la fin
du xm" siècle de notre ère. La surface ne porte aucune in-
scription; il n'en est pas de même du côté opposé : sur une
bande qui en fait le tour, on lit d'abord ces mots : «par le
grand nom de Dieu... talisman, » Au milieu est une espèce de
chat-huant, les ailes déployées; autour, dans des bandes pla-
cées l'une au-dessus de l'autre, sont les figures des planètes
et des signes du zodiaque «Les planètes sont représentées
deux fois : la première fois, elles sont sous la forme de sim-
ples bustes et privées de leurs attributs; la seconde, elles sont
groupées avec les signes du zodiaque; ce qui donne à ces der-
niers un caractère astrologique.» Ainsi parle M. Reinaud; et
il s'efforce ensuite de rendre raison des modifications appor-
tées par les Musulmans aux figures ordinaires du zodiaque.
Celte partie de son ouvrage a dû lui coûter beaucoup de re-
cherches et d'études. Le monument méritait l'intérêt d'un
auteur qui s'est fait un devoir de tout expliquer. Ce ne pour-
rait être que dans une dissertation, qui serait ici déplacée,
qu'il conviendrait d'examiner si les opinions qu'il émet sont
incontestables : aussi ne veux-jeconsidéror ce miroir que sous le
rapport de l'art ; et j'observerai que l'on ne saurait imaginer
rien dfe plus grossièrement dessiné que les figures du zodiaque ;
qu'elles sont une preuve sans réplique de l'inexpérience des
artistes musulmans dans la représentation des êtres animés.
Mais il faut répéter que, dans les figures des plantes, dans
ces ornevfflens bizarres que l'on quaViùe xVarahesrfues, ils ne se
montrent pas sans génie, ni sans goût.
Il me tardait d'arriver ù la partie de l'ouvrage où l'auteur,
par d'excellentes Notices puisées dans une foule de manu-
scrits orientaux, nous fait connaître l'opinion des Musulmans
sur im grand nombre de personnages dont l'histoire et les reli-
gions les plus répandues dans le monde ont consacré les noms.
,u.. SCIKNCF.S MORALES
(>'('-lail un .ippemJicc ni-cossaire an tablonii de la rroyance re-
li"-ieuscdes> peuples qui professent l'islamisme. 11 a divisé celle
pallie de son travail en trois sériions : dans deux sections, il
passe en revue les personnages, dont les uns ont précédé el
les autres suivi Malioniel. Dans la seconde section, Mahomet
comparaît seul ; elle est entièrement remplie par l'histoire du
prophète législateur.
Les Musulmans ont ajouté bien des fables aux évènemens
(le la vie des personnages qui figurent dans notre Bible. Il y
a plus : ils .Mil placé au nombre de ces personnages des hom-
mes que la Bible ne mentionne nullement ; ils lenr attribuent
des aventures, quelquefois très-singulières, et qu'ignorent en-
tièrement les juifs et les chrétiens. Mais il fallait bien que ces
aventures fussent universellement connues au tems de Ma-
homet, puisqu'il y fait allusion dans son Coran. Le Talmud
et les livres des Rabbins, les évangiles, tant vrais que faux, qui
circulaient alors dans tout l'Orient, furent sans doute les sources
de toutes les opinions singulières qu'avaient adoptées les peu-
ples sur les patriarches hébreux, sur Jésus, ]\larie, sur les apô-
tres. Mahomet n'avait aucun intérêt à détruire ces opinioîis;
il les présentait , au contraire, comme des autorités respecta-
bles, lorsqu'elles pouvaient étaycr le nouveau système reli-
gieux qu'il voulait imposer à sa patrie. Les commentateurs d&
son livre sont venus ensuite, qui ont corroboré, par des fables
encore plus bizarres, celles (pi'd n'avait que légèrement indi-
quées. II en est résulté un amas de légendes, toutes plus
déraisonnables les unes que les autres, et qui rappellent ces
contes des Mille et une ISuits, où se manifeste à un si haut de-
gré la vive et brillante imagination des Arabes. Citons seule-
ment quelques exemples, parmi un bien plus grand nombre.
Adam est pour les musulmans, comme pour les juifs et les
chrétiens, le premier homn)e, le père du genre humain ; mais
ils ne croient pas qu'après avoir été chassé du Paradis leiies-
tre il eût du moins, pour se consoler un peu dans un si grand
malheur, Eve, sa femme. L'ange du Seigneur le jeta dans l'ilo
de Cevian, et Eve fut reléguée sur les côtes de la Mer-Uou£«'.
T'T l'OLIJlQLES. 10»
Ce lie lui que (ieiix cenls ;ms après que Dieu, loiiclic do Itiir^
larmes, consentit à les réunir dans les environs de la Mecque.
II s'ensuivrait de là que ce pays si révéré, parce qu'il possède
la maison sacrée, la fameuse Caaba, doit l'être encore,
comme le berceau du genre humain. Au reste, ce que les
chrétiens ignorent, Adam était un prophète ; il avait sur le
front le rayon lumineux qui depuis brilla sur le front de
Moïse.
Après Noc, dont ils n'ont pas trop défiguré l'histoire, les
musulmans citent deux prophètes dont il n'est point parlé
dans la Bible. Ce sont Houd et Saleh. Le premier alla prêcher
la foi à des Arabes, géans s'il en fut jamais; car les plus
petits avaient soixapte coudées; mais ils ne voulurent point
croire au Dieu unique qu'il était venu leur aiuioncer. Saleh,
l'autre prophète, alla, dans une vallée de l'Arabie, prêcher
aussi le vrai Dieu à une autre tribu de méchans Arabes qui
se moquèrent de lui. En vain,- poiu- les convaincre par un
miracle, fit-il sortir des flancs d'une montagne une chamelle
prête à mettre bas: ils tuèrent la chamelle et son petit. Il est
souvent fait mention de cet événement dans les écrits des
Orientaux, qui, lorsqu'ils passent près de la montagne où
:?'opcra le prodige, croient encore entendre les cris du cha-
melon.
iMais le patriarche sur la vie duquel ils semblent avoir pris
plaisir à entasser le plus- de fables, c'est Abraham, qu'ils
nomment Ibrahim, et qui est chez eux en grande vénération.
Certes, dans la Bible, l'hisloire d'Abraham est fort extraordi-
naire; mais c'est bien autre chose dans le Coran et dans les
commentaires de ce livre. A l'âge de quinzemois, Abrahamétait
grand comme un jeune homme de quinze ans ; et il pouvait
se nourrir à peu de frais; car il n'avait qu'à sucer ses doigts.
De l'un, il tirait un lait exquis ; de l'autre, le plus doux miel.
Plus âgé, il alla prêcher les habitans de lîabylone; mais
Nemrod, leur roi, le fit jeter dans un bûcher, qui, si l'on en
croit quelques auteurs, se changea en un parterre de roses.
Mahomet raconte bien le miracde, mais sans y joindre la der-
nière circonstance. Voici ce qu'on lit dan- le Cori'.o : <'Pour-
n-2 SCIENCES MOUALES
«iioi adorez-vous, di.>;ait Abialiam aux idolâtres, des simu-
lacres impuissans dont vous ne pouvez attendre ni bien, ni
mal? Malheur à vous et aux objets de votre culte ! N'ouvrî-
rez-vous point les yeux? — Bridez l'impie, s'écrièrent les ido-
lâtres, et défendez vos dieux. — Nous commandâmes au l'eu
(c'est Dieu qui parle) de perdre sa chaleur, et au salut de des-
cendre sur Abraham (i). »
Combien, au reste, la mémoire d'Abraham ne doit-elle pas
être eu vénération chez les musulmans. Ils croient qu'il a
construit de ses propres mains la Caaba (la célèbre maison
sacrée à la Mecque, vers laquelle ils se tournent dans toutes
leurs prières), et que son fils Ismaël lui apportait les niaté-
jiaux, à mesure que s'élevaient les murs. Aussi, très-anté-
rieurement au tems de Mahomet, les'Arabcs faisaient le pèle-
rinage de la 31ecquc. Ils venaient y vénérer la mémoire
d'Abraham et d'Ismaël. «Ce n'était d'abord qu'un usage, dit
Savary ; ^Mahomet le consacra par des cérémonies religieuses,
et leur en fit un précepte (2). »
Quant à un autre patriarche non moins célèbre, Joseph, ou,
comme prononce les musulmans, Jousfouf, ils ont aussi em-
belli son histoire, déjà si intéressante dans la Bible, de plu-
sieurs traits romanesques. Suivant eux, Joseph était si beau
qu'aucime femme ne pouvait le voir sans l'aimer; ce qui
excuse Textrême passion que conçut pour lui la femme de
Putiphar, dont la Bible ne donnait point le nom, mais qu'eux
ils appellent Zolclklia. Comme on parlait mal d'elle en Egypte,
et que les femmes du pays la désapprouvaient surtout d'avoir
donné son cœur à un esclave, elle en invita quelques-unes à
venir manger chez elle des grenades. Toutes ces fenimes
étaient à table quand .loseph parut, et elles furent si éblouies
de sa beauté que, sans songer à ce qu'elles faisaient, elles se
coupèrent les doigts au lieu des grenades. Celte aventure se
trouve représentée dans un très-beau manuscrit persan de la
Bibliothèque du Roi.
^1) Le Coran. Siirale, xxi, vers. 68 cl siiiv.
[y] !.c Cnrrin, T. 11, ['. 91 (à !;< p.olc).
Eï POLITIQUES. io5
Au reste, il l'aut bien que l'opinion de la merveilleuse
beauté de Joseph ait été répandue, au moyen âge, ailleurs que
dans l'Orient; car un poète du xii' siècle, Pierre de Riga,
chanoine de Reims, dans un poème latin, intitulé : Aurora,
trace de l'amant de Zoleïkha le portrait le plus séduisant.
Il nous apprend même une chose fort extraordinaire : c'est que
non-seulement la femme de Putiphar, mais que Putiphar lui-
même, bridait d'amour pour Joseph. Et le poète semble ex-
cuser un peu le mari de ce goût dépravé, en considérant
que, même au tems où il écrit, les princes de la terre étaient
tous atteints du même vice, qu'il s'efforce de flétrir par l'épi-
thète de siilphareum. Comme le poème de Riga est peu connu,
puisqu'il n'a jamais été imprimé, je citerai les vers dans les-
quels il décrit la beauté de Joseph et la passion de Putiphar,
qu'à l'exemple des musulmans, il nous donne pour un des
principaux ministres de Pharaon.
Sulptiineo vitio qui diciiur esse nutatus
Putiphar iste fuit captus amore Josepli.
Nam qui scit quos non laqueo prœdetur anioi i»
Os in quo certant lilia mista rosis!
Magnus Iiabebatur antistcs régis : eoquc
Putiphar à vitio non alienus erat.
Nunc etiain taies absorbet, eôqnc iaboranl
Qui mundi regimen et loca summa tenant (i).
Dans quelques endroits de ce poème de V Aurora, qui n'a
pas moins de i5,ooo vers, j'ai trouvé une assez grande con-
formité entre les faits racontés par le poète et ceux que les
musulmans ont consignés dans leurs livres ascétiques. D'ort il
résulterait que les aventures qu'ils prêtent à certains person-
nages de nos livres saints n'ont été regardées par nous coinme
des fables qu'assez tard, e4: presque de nos jours.
Amaury Dijval,
De l'Académie des Inscriptions et Bellcs-Leltres.
(La suite au Cahier prochain.)
l\) Voy. le poème do V Aurora, dans le nianusciit S097 de la Biblie-
tlirqur.
io4 SCIE-NCES MOKALL.S^
SUISSE.
Canton du Tessin (i).
I. DeLLA lllFORMA DELLA COSTITIZIONE TICl>'E<E. De la Hc-
forme de la Constitution du Tessin (2).
II. L'OpCSCOLO DELLA RiFORMA DELLA COSTIXrZIONE TICINESE
DIFESO DAL SUO ATTORE {5).
III. AttI E Ri.SOLCZIOSI DELLA SESSIONE STB A0RDI5AR1 A DEL
GRAS COKSIGLIO /DEL CaSTONE TiCISO DEL 6 MARZO I 83o , E
SlJCCESSlVI (4).
IV. G. B. Qtjadri , Landamaiw Reg^ente, Alccne Osserva-
ZIOM DELL' ATTORE D1 V5 PROGETTO DI AdRIZZO DA FARSI DELLE
COMCNI.
V. Giac. Lr'vi>i-PER!5EGHi>i E Stefano Fraxscini. Risposta
ALl' OPCSCOLO DEL SIC. Lnnd. QrADRI.
VI. Ciov. Reali , Ce>m apologetici sopra i rove punti es.sex-
ZIALI d'iNA RiFORMA CO^TITl ZlONALE CHE FUVOXO SÏAMPATI E
DIVAMATI.
MI. Battisia Moxti Pensieri intorno al migliorake la costi-
TTJZIOÎTE DEL CANTONE TiCINO. LeTTERA C05CER>'ESTE I SlOï
Pensieri.
viii. g. b. ploda, osservazioni intor>0 alla riforma dkli.a
COSTITl ZJO>E.
(i) La Revue Encyclopédique, recueil centra! de la civilisalion, enre-
gistre tout ce qui atteste les progrès des peuples en tout genre. L'heu-
reuse rélbrme constitutionnelle, qui vient de s'opérer dans un des canton>
de la Suisse, est un de ces événemens qui appartiennent à l'histoire du
perfectionnement social, et qu'il était de notre devoir de signaler.
M. A. J.
(î) Zurich, 1S29 ; Orell et Fussli. In-S" de 69 pages.
(3) Zurich, i85o; Orcil et Fussli. In 8° de xvi-67 pages.
^4) Lugano, i83o; Franc. Veladini. In-S^de 117 pages.
ET l'Ol.lTlQLEij. io5
IX. Ciov. Jav'Ch, Lettera svl modu di elecceue i membhi del
GRAK CONSIGLIO.
X. Giac. Ang. Land. lleggente. Discorso pronunciato all' es-
TRATA DELLA SESSIONE ORDINARIA DEL CRAN CoNSlCLK), il
giorno 7 giiigno i8?)0.
\I. Giac. Lcvim-Perseghixi, Colpo d'occhio al paragrapho
7° DEL DeCRETO GOTERNATIVO l8 GIDGXO, elc, CtC.
Une rÉformc radicale vient de s'opérer dans l'organisation
2)olitique du canton du Tessin; nous aurions dit une révolu^
tion, si ce mot ne réveillait pas dans la plupart des esprits
l'idée de la violence et des troubles. Or, le renversement,
moins des hommes en place que des institutions vicieuses qui
pesaient sur le Tessin, n'est pas l'ouvrage d'un soulèvement
ou d'attaques violentes, mais de l'opinion publique, de la pu-
blicité , du réveil de tout un peuple, de l'opportunité, de la
sagesse administrative, de la raison qui a présidé aux débats
législatifs, enfin de quelques actes arbitraires qui ont hûté et
facilité la réforme.
Pour éclairer la matière dont nous devons entretenir nos
lecteurs, jetons historiquement un coup d'œil sur les phases
de l'état politique du canton du Tessin. Les provinces italien-
nes qui forment aujourd'hui cet Etat, après avoir passé sous
la domination de plusieurs maîtres, simultanés ou successifs,
et avoir été tour à tour le théâtre de la valeur des Suisses et
l'objet de leurs conquêtes, furent enfin incorporées à la confé-
dération helvétique, au commencement du xvi"" siècle, comme
pays sujet d'une république orgueilleuse de sa liberté , mais
qui ne comprenait pas encore toute la portée de la liberté.
Devenu suisse en sous-ordre , ce pays ne fut plus guère connu
que sous le nom de Bailliages italiens . Ww'ii baillis y exerçaient
les droits de républiques despotes : une partie du pays appar-
tenait à douze cantons; ùue autre partie, aux trois cantons
primitifs; Uri seul possédait en propre la Léventine : la for-
mule du serment prêté par celte vallée à ses notiveaux mai-
u.tJ SCIENCI'S MORALES
1res, en 1466, et conservée clans le livre des statuts de la
Léventine , donne une idée des relations des pays sujets avec
leurs souverains suisses; la Léventine jurait, entre autres, «de
prêter obéissance, sans la moindre contradiction, en tout ce
que le pays d'Uri entreprendrait à l'égard de ladite vallée Lé-
vciiline». Néanmoins, quelques droits politiques, quelques
franchises, avaient été conservés à la Suisse italienne ; ces pro-
vinces sujettes avaient une part dans l'administration judiciaire
en matière civile, et, dans des Assemblées générales, elles
nommaient leurs magistrats et leurs autres fonctionnaires pu-
blics. Mais, malheur à elles, si elles venaient à fournir quel-
qjie prétexte de les dépouiller de ces prérogatives! Des maî-
tres, jaloux de toute liberté qui n'était pas la leur propre, sai-
sissaient avidement cette occassion de resserrer les chaînes de
leurs sujets. Telle lut la conduite d'Uri, lors de la révolte de
la Léventine, en 1^55. La longue possession et l'habitude
étendirent les prérogatives de la domination, et rendirent la
sujétion plus molle et plus lâche. Vn système de gouvernement
favorable à l'avidité administrative plongea peu à peu le pays
dans la coriuption. Héritiers d'a])us dont plusieurs avaient
leur source dans la religion mal entendue, les huit baillis en
créèrent de nouveaux. La Suisse italienne payait peu d'im-
pôts, et le revenu légal des baillis était plus que modique;
mais ils achetaient à un grand prix leur emploi, que les can-
tons mettaient en quelque sorte à l'enchère , et ils ne rece-
vaient cet emploi que pour deux ans. Ils mettaient ce tems si
conrt à profil ^jour se rembourser d'abord de leurs avances;
puis, pour s'enrichir. Outre les baillis, le collège des douze
députés des cantons formait, sous le nom de syndicat^ un tri-
bunal d'appel et de patronage; la justice et la protection pa-
ternelle devinrent deux branches de commerce lucratives qu'on
exploita sans miséricorde. Une lettre écrite par nu membre du
syndicat, et dont je garantis l'authenticité, renferme sur l'ad-
iiiinistialion des bailliages italiens des faits extrêmement cu-
rieux, qui paraissent ici pour la première fois au grand jour
de la publicité.
I:T POLiTIQLKS. luj
« Imaginez iiuc délestahle adiuini.^lralion, et vous iic serez
j)as t'DCOie à la hauteur do celle des douze cantons (Appenzell
n'en était pas).
» Il y avait appel du bailli au syndical et du syndicat aux
douze cantons. Vous jugez bien de l'impossibilité de plaidoi-
devant douze cantons, dont sept ou huit au moins trafiquaient
de leurs suffrages,
». M on prédécesseur au syndicat, ?J. X, avait poursuivi le
député d'un canton aristocratique catholique, pour avoir
vendu sa Toix comme juge. Le député, pour étouffer l'affaire,
signa que lui, conseiller à Lucerne, reconnaissait avoir vendu
sa voixdans le procèsde***. M. X se contenta de cet aveu, et
nie remit la déclaration faite en due forme, d'avoir, contre
son serment et contre les lois, accepte telle somme pour con-
damner telle partie.
»Dans nos séances de la diète , j'étais assis au-dessus du dé-
puté prévaricateur. Me doutant un jour qu'il avait pris de
l'argent dans un procès, que nous avions à juger, je tirai sa
déclaration de mon portefeuille , et, la plaçant près de lui, je
frappai de la main sur la table en le regardant, pour la lui faire
rL-marquer. Le député coupable sortit, et quitta la diète et le
Tessin, Sa place resta vacante, sans qu'aucun député en fît la
remarque ; tant ils étaient complices ou fauteurs du coupable.
Voilà son fauteuil vacant.
«Quelques jours après , on installa avec beaucoup de céré-
monie un nouveau bailli en présence de nombreux specta-
teurs. On lut un grand nombre de lois contre la corruption
des juges et la vénalité des magistrats. Le nouveau bailli jura
qu'il avait été élu dans son canton sans avoir acheté les suf-
irages. Mon nouveau voisin, se penchant sur le fauteuil vide,
me dit en riant : Cela Lai plaît à dire; sa place lui a coûtée je
ci-ois , G,ooo beaux florins. Je lui fis signe de se taire ; ilcrut
que je n'avais pas compris, et répéta en jurant et à haute voix
(]ue celui qui jurait là avait payé cette charge de 6,000 florins,
et il le dit en présence du peuple, qui avait entendu le faux ser-
ment du bailli. Mais personne ne parut surpris de tant d'im-
pudence.
loS SCIENCES MORALES
» Un jour un autre de mes collègues, liomuic assez aimable,
me dit : « Vous ne prenez jamais votre part de l'argent que
les i)laideurs nous donnent. Vous nous laites grand plaisir, car
ce que vous ne prenez pas nous revient, nous nous moquons
de vous. Un plaideur met toujours de côté une somme pour
acheter les suffrages; et ce que vous refusez nous revient à
nous. Vous voyez que votre vertu est bien inutile. » Je me di-
sais à moi-même : si je reste long-tems dans ce pays, je suis
sûr que je finirai par être un malhonnête homme.
» Dans les procès ciiminels, on payait en raison de la gra-
vité du crime. Tous les assassinats restaient impunis. Le cou-
pable sortait du canton, et puis marchandait sa grâce auprès
des juges.
»> t/insolcnce des juges était égale à leur cupidité. La pre-
mière inrormalion que je reçus dans ma chambre était celle
d'une mère et de deux de ses filles assez jolies. Quand la mère
allait commencer son information, les trois dames se mirent
à genoux devant moi. Je leur dis à l'instant de se lever, et les
grondai d'une telle profanation. L'information finie, je me dis :
Puisyu'cllcs se sont mises à mes genoux, il faut que d'autres
députés permettent cet usage. J'allai aussitôt dans, la chambre
d'un autre député, et je vis le député assis et les trois dames
élaldies à genoux devant lui.
»I1 n'y avait presque jamais de procès criminel sans tor-
ture. Un bailli zuricois m'a raconté ce fait , qui s'était passé
dans un bailliage voisin du sien (de Val IMaggia). Deux hom-
ïiics avaient couché dans la même chambre. Le lendemain,
l'ini d'eux alla accuser l'autre de lui avoir volé un louis. Le
voleur avoua aussitôt et rendit le louis. Les juges de sang
(Blutrichtor) se dirent dans leur sagesse : Cet homme a volé
un louis ; il pourrait bien avoir quelque part volé autre chose.
Ib te mircnl à la torture pour lui faire faire ses confessions.
» Quand j'arrivai à Lugano , un jeune homme était détenu
dans les prisons. Il avait été torturé , puis déclaré innocent.
Le bailli continuait à le tenir en prison, où il couchait sur la i
pierre, sans paille ni lit. IN ous le finies relâcher; il vint me
i;r l'oij i'[OL[-:s. nx,
voir; il éUiil si laihle qu'il tu; poiiv;iit pas Iciiir une prise de
tabac entre ilcux doigts ; on lui versait le tabac sur la main
pour le prendre.
»Bien antérieurement, un bailli avart fait verser du ploiuh
fondu sur la tête d'une vieille femme, pour lui faire avouer ou
elle avait mis son argent.
» vV Val Maggia, la chambre où l'on torturait était vis-à-vi-:
de la chambre à coucher des dames du château (i).
'> Les procès duraient tant que les parties avaient de l'argent
pour payer les avocats et les juges. Le procès de la commune
d'Anscrnone concernait, dans l'origine, une valeur de 5 li-
vres. Quelques années plus tard, il avait déjà coûté 120 ou
20 mille livres, et n'était pas fini. (Je crois 120 mille, mais
mettons 20 mille, ce sera déjà assez.) Les habitans de cette
vallée, divisés en deux partis, se fusillaient, et personne n'y
allait qu'armé. On avait plusieurs fois tiré sur le curé.
"Locarno était une ville de 2,000 âmes. II y avait oa avo-
cats et procureurs. La seule marchandise, dans ce pauvre
pays, c'était la justice.
«Tous les revenus de l'hôpital de Locarno étaient partagés
entre les syndicateurs.
«Dans les petits cantons, les bailliages se donnaient au plus
olYrant. Cela faisait 2, 5 ou 4 francs par membre de la Landsi^e-
meind (2). Le bailli payait à son souverain deux ou trois fois
plus que les revenus légitimes du bailliage : ainsi toute la
communauté était complice.
«Entre nous autres députés, on parlait franchement. Ces
messieurs me disaient : «■ Nous ne levons pas d'impôt; le pays
ne nous rend rien que de cette seule manière; il paie moins
qu'aucun pays de l'Europe. Nous convenons que cette taxe
(1) Lorsque le célèbre Jean de Mtiller visita le château de Gruytre,
dans le caaton de Fribourç, il trouva le cabinet de madame la baillive à
côté de la chambie où l'on donnait la question. Les bois qui servaient à
la torture étaient comme vernissés parle{;rand nsa^e : c'était en i-5o.
(2) Assemblée générale du peuple.
iio SCIKNCES MORALES
n'cât pas morale ; ruais enfin il paie moins qu'aucun pays ci-
rilisé. » — Avec une bonne administration, il aurait rendu le
centuple sans s'appauvrir, et sans effort , tandis que le denier
enlevé injustement ruinait tous les habitans moralement et
économiquement.
» Le pa3"s était obligé de loger et meubler les baillis. Un
bailli, à qui le pa^'S n'avait pas fait le présent qn'il voulait,
cassa, brisa tous les meubles de son château, la veille de son
départ.
«Le régime a duré jusqu'en 1798. Et qu'on nous parle en-
core des vertus républicaines! On a bien raison de trembler
en Suisse à l'idée de la lilîerté de la presse, n
La servitude et la corruption développés par le tems lais-
sent des traces durables . même sous un régime de régénéra-
tion ; l'ignorance générale dont elles se font un auxiliaire, la
puissance de Phabitude, la douceur des prérogatives, la hié-
rarchie de la corruption organisée, les traditions de la servilité
ralentissent les progrès de la guérisonet s'opposent long-tems
à l'extirpation du mal. Seize années de liberté, depuis 1798
jusqu'en 181/}, ont été une période insuffisante pour cicatriser
les vieilles plaies de l'État; il restait encore et des habitudes,
et des traditions, et des hommes du précédent régime. Aussi,
lorsqu'après un intervalle de fluctuation et après le règne de
l'Acte de médiation, arriva la contre-révolution de i8i4j elle
trouva des aides bénévoles dans ces hommes, dans ces tradi-
tions et dans ces habitudes ; le revirement du vaisseau de l'E-
i-al fut une opération aussi facile qu'elle devint funeste. A rai-
son de la durée et du degré de la servitude antérieure, à raison
de la profondeur de l'ignorance du peuple et du manque de
bonnes institutions, le régime aristocratique pesa dès lors sur
le canton du Tessin , d'un poids plus lourd que sur aucun
des autres cantons nouveaux. Les faits que nous niions rap-
porter expliquent ce phénomène.
Le Grand-Conseil ou Corps-Législalif fut réduit à 76 mem-
bres pour une population de 99,600 âmes, proportion la plus
faible de tous les cantons où la représentation est en partie di-
ET POLITIQUES. , , ,
recle et'Cn partie indirecte (i). La majorité absolue était deoq,
à supposer le Grand-Conseil assemblé au complet, ce qui n'ar-
rive presque jamais. Le Conseil -d'État ou pouvoir exécutif,
composé de ii membres, en faisait partie. Dans les affaires
qui intéressaient ses prérogatives, on peut croire qu'il était
unanime ; il n'avait donc besoin que de s'assurer une vingtaine
de suffrages pour transformer ses désirs en lois et en décrets.
Or, ce nombre de suffrages lui était acquis par l'influence qu'il
exerçait sur les élections indirectes , par la dépendance des
agens révocables, membres du Grand-Conseil, et par les re-
lations de parenté; car, depuis i8i4? la composition des con-
seils législatifs des nouveaux cantons a fréquemment rendu
hommage à la sainteté des liens du sang. Dans le Tessin.
comme ailleurs, les abus des nominations indirectes avaient
révolté les esprits bien pensans. II en était de même de la trop
longue durée des fonctions des membres des pouvoirs législa-
tif et exécutif, et de leur rééîigibilité continuelle.
(i) Voici Je Tableau du rapport numérique de la repri'senlation à la
population dansjcs cantons représentatifs. Nous le tirons de la brocliurc
Délia Riforma (n° i).
Ga>to.\s.
Berne
Genève
Zuricli
Vaud
Argovie
Saint-Gall
Bàle
Fribourg
Soleure
Lucerne
Thurgovie. . . I
Tessin
ToTAr,
I\ ombre
des membres du
Grand-Conseil.
'99
2 12
iSo
i5o
i5o
i5o
i44
101
100
100
76
1 ,qTO
Population
Un membre
par
approximative.
âme.
55o,ooo
1,170
02,000
182
218,000
1,028
170,000
944
1 56,000
1,000
i44îOoo
96»
54,000
56o
8^,000
585
53,000
5 25
116,000
1,160
S 1,000
Sic
ç,9,5oo
1,^09
i,;j79,ooo
S06
,iu SCIENCES MORALES
L'ailminislratioii judiciaire a donné lieu à des plaintes géné-
rales et souvent répétées. Quoique le canton du Tcssin ait été
un des pr<;miers à posséder un Code de procédure criminelle
et correctionnelle et un Code pénal, ce bienfait se trouvait
neutralisé par l'ignorance de beaucoup de juges de paix, et
même de juges de piemièr-t; inîtance, triste résultat de l'ab-
sence de conditions sufîisantes d'éligibilité et du manque
d'une instruction publique au moins passable. L'impunité
criante des contraventions , les longueurs interminables des
procès criminels, les tribunaux extraordinaires créés dans des
cas graves, comme dans la fameuse tentative d'empoisonne-
ment, l'intervention du pouvoir exécutif dans les affaires ju-
diciaires , voilà certes des griefs suffîsans contre l'ordre de
cboses établi depuis i8i4- Et que peut être la sûreté indivi-
duelle dans un pays où nous venons d'apprendre, par un dis-
cours prononcé dans le Grand-Conseil, qu'un prévenu gémit
depuis quatre ans dans les prisons sans avoir encore été jugé?
L'instruction primaire misérable, l'instruction moyenne
insuffisante, l'instruction supérieure nulle, demandaient la ré-
forme d'une organisation politique incompatible avec les lu-
mières.
La presse était livrée à l'arbitraire, c'est dire qu'il n'y avait
point de liberté de la presse, point de publicité ; la liberté d'as-
sociation n'exislait pas même pour des travaux pbilantropi-
qucs dont l'objet était déternn'né et connu. Le Conseil-d'Ktat
avait défendu, il y a peu de tems, les réunions d'une Société
d'utilité publique affiliée à la Société suisse de ce nom, la-
quelle compte dans les divers cantons plus de 5oo membres,
et s'occupe de l'éducation, de l'industrie et des pauvres. —
Deux gazettes se publiaient dans ce canton : // Carrière suiz-
zero et la Gazelta ticiiiese, l'une et l'autre presque silencieuses
sur les afïaires intérieures; car toi était le bon plaisir du gou-
vernement.
Nous ne rapporterions rien fie ce que nous avons lu et en-
tendu sur quel(|ues parties de l'exploilation financière du can-
Jon, parrrque ce sont (le> cboses à ne croire et surtout ;i ne dire
KT POLITIQUES. 1 15
que les piruves à la main, si nous ne pouvions pas citer un
écrit signé, c'est une brochure de M. l'avocat : Ldvini-Pebse-
GHiNi (n* 11), datée du 27 juin; nous copions ses propres
paroles : « Le nom lessinois doit l'opprobre auquel il est con-
damué à des actes réitérés d'extorsion, ù la vente ouverte de
toutes les charges, à la démoralisation publiquement protégée,
à l'oubli des besoins du peuple, à des lois rendues bien plutôt
en faveur des intérêts particuliers que des intérêts publics, à
des monopoles honteusement adjugés, ù la dilapidation des
linances, enfin au régime entièrement despotique établi dans
un pays destiné à jouir du plus beau don du ciel, de la li-
berté. »
La situation politique du canton du Tessin, sous les prin-
cipaux rapports, se résume donc depuis 1814 dans ces mots :
,yystcine d' asservissement et de servilité au profit de quelques
hommes habiles.
Il nous reste à exposer les évènemens qui ont amené la
ruine de cet état de choses et les bases du système qui lui a
succédé.
Dans la session législative ordinaire de l'année 1829, un ho-
norable député direct, M. Jean- Baptiste Maggi, fit une motion
pour obtenir un changement ilans le système des élections; elle
fut repoussée comme subversive de la constitution ; un Te Deum
soleonisa le triomphe du statu quo. Au commencement de la
présente année se trouva tout à coup répandue dans tout le can-
ton labrochure Délia Ri forma dont nousavonsplacéletitresous
le n" 1. Exposer les vices de la constitution et les réformes
à faire fut le double but de l'auteur anonyme. Ses assertions
étaient si bien fondées, qu'à quelques détails d'opinion près
chacun y reconnut ou y découvrit la vérité. Rarement peut-être
un écrit a plus contribué à donnera l'opinion de la consistance.
— Dans ces entrefaites, s'appuyant sur cette opinion qui avait
rejeté ses langes, un journal national s'était établi, VOs-
servalore del Ceresio, rédigé par trois citoyens d'un couragt
civique digne de leurs lumières, M. Stefano Franscini, auteur
d'une Statistica délia Suizzera, dont nous avons rendu compte
T. XLVIl. JUILLET iSTlO. S
ii4 SCIENCES MORALES
tinnsia licr^iie Encyclopédique {y oy . t. xl. p. 4^9)? et deuxaro-
r-ats, M. LiîViNi Pebseghiki, et IM. Péri. La surveillance de la
j)ublicité dérange les habitudes de l'arbitraire. Une minorité du
Conseil-d'État, se trouvant un jour de séance peu nombreuse
(21 avril), forme la majorité, hasarde un coup d'État; elle
supprime VOsserratore, et livre les éditeurs aux tribunaux,
sans préjudice des mesures surrérogatoires que laisse entrevoir
la peur administrative. Des bruits de sédition, de visites domi-
ciliaires sont répandus. L'autorité prend en tremblant une
altitude menaçante; elle réussit bien à inquiéter le peuple,
mais non à le soulever.
Parvenu au faîte de l'arbitraire qui gouverne depuis long-
tems le Tessin, le pouvoir exécutif en va descendre rapide-
ment. La lutte venait d'être transportée sur le terrain de la
publicité. Le 6 mars, A l'ouverture d'une session extraordi-
naire du Grand-Conseil, M. QuADRi, landammann en charge,
avait prononcé un long discours qui n'était guère qu'une ten-
tative de réfutation de la brochure Délia Riforma. Ce discours
fut publié olTiciellcment avec deux pièces envoyées sous le
titre de Alti e Resoluzioni^ etc. (n'-^). Quelque tems après pa-
rut la réplique du premier auteur (n° a). Dans cette même ses-
sion législative du mois de mars, le Conseil-d'État, en vertu
de son autorisation, avait fait une proposition relative à des
changemens à la constitution; sentant bien que le statu quo
n'était plus une position tenable, il joua d'adresse et proposa
siir le mode de révision de la constitution une loi destinée à
tromper les espérances des partisans des libertés publiques.
Mais devant la finesse de l'opinion les finesses du pouvoir
échouent, ou si elles réussissent ce n'est qu'en se faisant mé-
priser. La première de ces alternatives fut le partage des co-
ryphées tessinois.
Le I" mai, l'Assemblée communale de Lugano se réunit
constitulionucllement pour élire un nouveau syndic ei une
partie des autres officiers municipaux, he nouveau syndic,
M, LrviNi, adressa à l'Assemblée un discours de remercî-
ment dans lequel il parla éloqiiemment des besoins de la pa-
teic. Ce fnl une étincelle électrique. L'Assemblée répondit par
ET POLITIQUES. uf)
vies acclanialinn.'i. Le ili«coiirs l'ut imprime; plus de mille
exemplaires s'en répandirent en peu d'heures; un second li-r
rage s'en fit sur-le-champ. De proche en proche toutes les
Assemblées communales exprimèrent les mêmes besoins et
les mêmes vœux. Trois jours apiès la pacifique explosion de
Lugano, qui donna le signal de l'émancipation de l'opinion
nationale, la majorité du Conseil-d'État , impatiente de la tu-
telle sous laquelle la tenait une de ces supériorités qu'on rencon-
tre dans toutes les républiques où il y a des élémens aristo-
cratiques à exploiter, se déclara aussi émancipée. Des mesures
vives lui furent proposées; elle les rejeta. Vers le milieu du
mois de mai une demi-feuille d'impression, répandue avec et
sans les journaux, indiqua neuf points essentiels et indispensa-
bles pour une bonne réforme de la constitution. Les neuf points,
tous adoptés depuis, furent en quelque sorte le centre autour
duquel tourna une discussion animée, soutenue dans les jour-
naux et par des brochures , dont nous avons cité les principa-
les sous les n* 4-9-
Enfin la session ordinaire du grand Conseil s'ouvrit le
7 juin, sous la présidence de M. le landamraann en charge
LoTTi. Digne de la circonstance, le discours d'ouverture de ce
magistrat respira le patriotisme le plus pur, et fut accueilli
avec enthousiasme : l'impression en fut ordonnée (n" lo).
Rompant avec le passé, sans astuce et, à ce qu'il semble,
sans regret, le pouvoir exécutif se place en tête du mouve-
ment général ; il use de son initiative pour présenter un projet
de constitution dont les bases sont plus libérales que celles
d'aucune autre constitution des cantons confédérés. Modifié,
par une commission d'examen, puis discuté dans huit séances
législatives, ce projet est enfin provisoirement adopté avec de
nouveaux amendemens parle Grand-Conseil, en attendant
que les Assemblées primaires le sanctionnent.
Les principaux points de la nouvelle constitution, rapportés
sans commentaire etisans développement, feront connaître à
fond l'esprit de la réforme qui vient de s'opérer.
ï^nreprésenltition nationale sera portée de 76, membres à 1 ) 'î,
jiC SCIENCES MORALES
tous élii's ilirectenicnt par h; peuple pour quatre ans seulement.
Les membres ihi Grand-Conseil ne peuvent remplir aucune
charge salariée quelconque qui les mettrait dans la dépen-
dance du pouvoir exécutif; les offices municipaux sont seuls
exceptés. Les séances sont publiques.
La division des pouvoirs sera plus complète que dans aucun
autre canton; les membres du Conseil-d'État , réduits de 1 1
à 9 , ne seront plus membres du Grand-Conseil ; mais le Con-
seil-d'État assistera en corps ou par commission aux débats
législatifs, excepté quand il s'agira de l'examen de sa gestion
et de ses comptes; il lie sera jamais présent à la votalion. Les
Conseillers-d'État nommés pour quatre ans ne sont immédia-
tement rééligibles qu'une fois, au bout de huit ans de fonc-
tions ils ne sont rééligibles qu'après un intervalle de deux
ans.
Le président du. Grand-Conseil ne sera plus pris dans le Con-
seil-d'État, mais dans le Grand-('onseil lui-même, et ce titre
(Id président sera substitué à celui de landammann.
Les meml)res du tribunal d'appel seront pris en dehors du
Grand-Conseil.
Les membres des Iriliunaïur de première instance seront
choisis sur une présentation triple faite par les cercles ou As-
semblées primaires.
Les cercles nomment leur ju^e de paix, l'assesseur et le
suppléant.
La constitution garantit la Hhcriii de la presse, le droit de
péCition, la sûr eU personnelle . iNul ne peut être arrêté ni mis
en cause qu'en vertu d'une loi ; nul ne peut être distrait de
son juge naturel ni détenu au delà de vingt-quatre heures sans
être renvoyé par devant U\ juge compétent.
Tous \xi^ jeux publics de hasard, y compris les loteries, sont
prohibés. Les concessions temporaires déjà accordées ne pour-
ront pas être proiogées.
Aucune loi d'mi/w7, ou pour l'augmentation d'un impôt, ne
peut cire sanctionnée sans le concours des deux tiers des mem-
bre? du Grand-Conseil.
ET POLITIQLES. 117
La constitution ne pourra être modifiée à l'avenir qu'après
un laps de douze ans, et toujours sous réserve de la ratifica-
tion par la majorité absolue des cercles. La sanction des cer-
cles est aussi exigée pour le changement actuel.
Entre les dispositions transitoires nous lisons que la loi pour-
voira avec sollicitude à l'instruction publique.
Un phénomène remarquable de loyauté et de désintéresse-
ment dans l'œuvre de la réforme, c'est que le Grand-Con-
seil a prononcé le renouvellement intégral de ses membres.
Fondée sur ces bases et sur les vœux du peuple clairement
exprimés dans des adresses, la nouvelle constitution vient
d'être sanctionnée par les Assemblées primaires, le 4 de juillet.
Des 38 cercles dont se compose le canton , 5^ l'ont acceptée
à l'unanimité des suffrages; le '0%', sous l'influence d'une
puissance expirante, a mis des conditions à son vote alfirma-
til'. Cette dissonnance de commande s'est effacée au milieu des
jubilations universelles, du son des cloches et de toute l'ex-
plosion d'une joie bruyante, sans tumulte et sans désordre.
Notre but dans cet article a été uniquement de présenter
une exposition historique, et d'expliquer des faits par des faits.
Nous ne nous engagerons pas dans une discussion critique.
Déjà des publicistes suisses de couleurs fort diverses, et des ci-
toyens dont les lumières politiques méritent la plus grande
confiance, ont blâmé quelques dispositions de la réforme qu'ils
trouvent trop radicale : telle que la nomination des juges de
paix par leurs cercles respectifs, et le principe que toute la ma-
gistrature supérieure et à peu près tous les fonctionnaires pu-
blics seront exclus du corps législatif. Ils croient que le Grand-
Conseil sera privé de cette façon du concours des hommes les
plus éclairés.
Nous n'examinerons point la validité de l'objection; mais
l'équité exige, ce nous semble, que l'on considère la nou-
'velle constitution moins peut-être dans ses rapports avec l'état
présent du Tessin, qu'avec l'état plus brillant et plus prospère
dans lequel elle mettra ce canton. L'équité exige encore qu'on
ne sépare pas de l'ensemble de la réforme le développement
ii8 SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.
rapide que ra prendre l'instruction publique, dans une con-
trée où un climat plus méridional produit une plus grande ac-
livité d'esprit, et où le soleil de la liberté, dissipant enûii les
nuages qui le couvraient, allumeia dans toutes les âmes le zèle
du patriotisme. Dans quelques années la masse des citoyens se
sera placée d'elle-môme à la hauteur de ses devoirs civi(|ues,
et la masse des représentans et des employés à la hauteur de
leurs fonctions. La constitution nouvelle a une double tâche,
rompre avec le passé et former l'avenir; rendre le peuple li-
bre d'abord, puis digne de sa liberté; c'est une œuvre d'éman-
cipation qu'elle a faite et une oeuvre de régénération qu'elle
doit faire encore. La plus grande partie de l'Europe méridio-
nale touiue dans un cercle vicieux : son émancipation n'est
possible qu'à l'aide de l'instruction , et son instruction n'est
possible qu'à la suite de l'émancipation. Dans les pays affran-
chis, au contraire, et sans doute on va le voir en particulier
dans le canton du Tessin , la liberté fait prendre l'essor à
l'instruction publique, et l'instruction publique protège, épure,
agrandit la liberté.
Heureuse la nation îessinoise si elle féconde, si elle met eu
iiarmouie tous les élémens de prospérité qui lui sont départis;
si elle comprend toute la beauté du rôle dont elle vient de se
charger! Sur un des théâtres les plus brillans de la nature, où
le grandiose des Alpes se marie avec des formes plus douces,
où la neige éleinelle s'unit à la suavité de l'air du midi; où de
riches eaux feililisent le sol et secondent l'industrie; où des
vallées alpestres aboutissent à des li^fcs aux rives gracieuses,
et où des noms harmonieux rapellent des souvenirs de gloire ;
là les Tessinois, doués d'une heureuse et vive intelligence,
parlant l'une des plus belhfs langues du monde, étendant leurs
idées par l'étiule, présenteront, s'ils le veulent, aux yeux de
la confédération suisse et de l'Europe le spectacle des progrès
que la liberté fait faire, de la sagesse qu'elle inspire et de la
dignité qu'elle donne même à une petite peuplade subitement
éniaruipér par un eflort d'énergi(|ue volonté.
C. MO-N.iARD
LITTERATURE.
L'Iliade d'Homère; traduction nouvelle en vers français, pré-
cédée (T un Essai sur Cépopée homérique, par A. Big:^a>' (i).
Notre époque, féconde en préoccupations politiques, est
peu favorable aux travaux littéraires ^ et surtout aux études
sur l'antiquité. Une mince brochure, relative aux affaires du
jour, a mille fois plus d'importance aux yeux du public et
plus de chances de succès que des recherches laborieuses ou
des ouvrages purement scientifiques. L'illustre auteur d'Âna-
charsis , après avoir terminé , au bout de trente années , ce
grand et impérissable monument, hésita, avant de le livrer au
public, parce qu'on était à l'aurore de la révolution, et qu'il
craignait de passer inaperçu au milieu des grands évènemens
qui se préparaient. Il se décida enfin à cette épreuve qu'il
regardait comme si périlleuse pour lui, et le succès démentit
heureusement ses tristes prévisions. Mais, en serait-il de même
aujourd'hui, et le savant Barthélémy pourrait-il attirer l'at-
tention publique absorbée par des circonstances si graves? il
est permis d'en douter. A l'époque où parut Anacliarsls , il
restait encore dans la nation de vieilles habitudes littéraires,
si l'on peut s'exprimer ainsi; l'influence que la littérature
avait acquise par les ouvrages de Voltaire, de Rousseau, de
Buffon, de Montesquieu et d'autres écrivains célèbres, dut
(i) Paris, i85o; lielin et Maudaid, rue Saint- Aadré-dcs-Ai la, u' 55
2 vol. in-S" ; prix, i5 ïr.
I2U LITTKRATLRE.
résister ([iielque lenis à l'invasion de la politique et à la ten-
dance nouvelle des esprits. Mais, aujourd'luii que la France
s'émeut encore après quarante ans sur ses intérêts les plus
chers, il faut du courage pour affronter l'indifférence géné-
rale, en lui offrant des travaux qui ne portent point la date de
notre époque, c'est-à-dire, le cachet de tel ou tel parti. Ce cou-
rage, ou plutôt cette noble confiance du talent, n'est pas aussi
rare qu'on pourrait le supposer, si l'on n'était point au courant
des publications nouvelles. Sans parler de la belle édition de
Cicéron par le docte et consciencieux M. Victor Leclerc, de
l'élégante version des Métamorphoses d'Ovide par M. y illenave,
de la traduction en vers de Lucrèce par M. de Ponger^'ille,
ouvrages déjà connus et appréciés, ne doit-on pas citer en
première ligne la collection des classiques latins de M. Panc-
koucke, dont plu?itur.- parties méritent tant d'éloges, la tra-
duction en prose (PHomère et les savantes remarques de
M. Dugas-Montbel, et ces Études sur Virgile que M. Tissot
présente à ses anciens auditeurs du Collège de France comme
un dédommagement de «es brillantes leçons?
M. Bignan, déjà très-avantageusement connu dans la répu-
blique des lettres, vient aujourd'hui augmenter le nombre de
ces littérateurs courageux qui semblent se dire comme les
anciens chevaliers : Fais ce que dois, advienne que pourra. Sans
examiner si notre baromètre est à la littérature ou à la poU-
tique , il se présente, son Iliade à la main , c'est-à-dire, avec
le fruit de dix années de veilles soutenues, et il réclame de la
critique un examen séiieux, un jugement impartial. Le nom de
M. Bignan et l'importance d'un travail , ti-l qu'une traduction
romplèteeu vers de rijiade, commandent suffisamment l'atten-
tion, je ne dis pas du public en général (le public a bien d'autres
affaires aujourd'hui ), mais des hommes de lettres, des hellé-
nistes, de tous ceux qui sont restés fidèles au culte d'Homère
i-t de Sophocle dont l'école a donné à la France ses plus illus-
tres écrivains. Nous allons, en conséquence, nous occuper de
l'ouvrage de M. Bignan, et essayer de lui rendre la justice qu'il
mérite. Nou? laisserons de côté la queslion de savoir si l'on
LITTÉKATUIU:. jii
doit traduire les poètes en vers ou en prose, question souvent
traitée et diversement résolue , comme on le pense bien, par
les traducteurs en vers et par les traducteurs en prose. Il nous
semble d'abord que la poésie peut seule traduire la poésie, et
c'était l'opinion de Voltaire. Mais il ne s'agit point ici, selon
nous, d'une question de prééminence ; et les versions, soit en
vers, soit en prose, ont chacune un mérite particulier, quoique
à un degré différent. Voulez-vous lire un grand poète de l'an-
tiquité dans une version qui le fasse revivre avec son harmo-
nie , son langage périodique et nombreux , .choisissez une
version faite par un poète habile. Tenez-vous , au contraire,
au sens littéral des mots: prétendez-vous connaître surtout
la marche , les tours de l'original , recourez à une traduction
en prose, la plus fidèle que vous pourrez trouver, à une tra-
duction interlinéaire même, comme M. Frémont ou M. Vidal
en faisaient jadis, et vous aurez le sens précis de chaque mot
sans être obligé de feuilleter votre Dictionnaire. Ainsi la pre-
mière des deux versions pourra plaire au lecteur instruit ; mais
la seconde instruira mieux celui à qui les auteurs anciens ne
sont point familiers.
II semble que de tout tems le.public a parfaitement compris
cette distinction : car, de tout tems, il a accueilli par ses suf-
frages les traductions en vers ou en prose qui avaient un mé-
rite réel. Il faut abandonner cette question de prééminence
aux docteurs qui imaginent de si belles choses depuis quel-
ques années, et qui sont venus bien à propos pour nous cor-
riger des erreurs que nos pères nous avaient léguées. Ce sont
ces mêmes docteurs qui, souffrant avec peine les traductions,
de quelque nature qu'elles soient, ont cependant établi un art
poétique nouveau pour ce genre de travail. On a proscrit en
masse toutes les versions de la littérature classique, et entre
autres celle des Géorgiques, par Delille , parce qu'elles n'é-
taient pas faites dans un système de fidélité scrupuleuse. Il
faut non-seulement qu'un traducteur en vers exprime le sens
(le l'original, mais encore qu'il le suive pas à pas, mot à mot,
^ans rien ajouter ni rien retrancher. Il esl impossible de rcpro-
122 LITTÉRATURE.
diiire ainsi les lormes brillantes , ia mélodie enchauteresse de
l'urigioal; mai» peu importe : la poétique nouvelle n'a pas be-
soin de tous ces vains ornemens que la littérature classique re-
cherchait avec tant de soin. L'essentiel, dans une traduction
en vers, c'est de rendre les mots de l'auteur, et de ne pas adop-
U'.v la méthode de ce Delille , qui a si étrangement défiguré le
poème de > irgile.
Tels sont les paradoxes qu'on entend répéter tous les jours,
et qui décèlent la plus complète ignorance dans ceux qui les
professent. Certainement, il est nécessaire qu'un interprète soit
exact et fidèle : car sa mission est de reproduire les idées d'au-
irui; mais cette fidélité doit-elle s'attacher minutieusement à
exprimer les mots de l'original, et ne suffit-il pas que la pen-
sée soit rendue? N'est-il pas évident, pour tout homme qui
connaît un peu les langues anciennes et la langue française,
que ce mot-ù-mot, cette exactitude puérile ne sera réellement
qu'un contre-sens perpétuel, puisque avec ce système on rem-
placera l'élégance par hi sécheresse et la raideur, le coloris
par un style terne et rampant, la mélodie par des sons âpres
et rocailleux? Si nous voulions en citer des exemples , nous
n'aurions que l'embarras du. choix. Les langues anglaise et al-
lemande sont très-riches et très-abondantes; elles se prêtent
souvent d'une manière admirable à la reproduction des formes
antiques, comme un vêtement souple se plie sans eflort à tou-
tes les formes du corps qu'il doit couvrir. Hé bien , malgré
cet avantage, Pope, dans sa belle version de l'IUade, ne s'est
point astreint à une fidélité scrupuleuse et scholastique : Dry-
den s'est donné les mêmes libertés dans sa version de Virgile;
et cependant, jamais on ne s'est avisé d'en faire un reproche
à ces deux grands poètes. Chez les Allemands, Voss a été sé-
duit par les facilités que sa langue lui offrait ; il a cherché à
être littéral, et les doctes critiques de sa nation n'ont pas man-
qué d'observer qu'un système de fidélité minutieuse avait
donné à ses traductions un air de contrainte et de raideur qui
les déparait quelquefois. Si le soin d'une exactitude scrupu-
leuse a entraîné Voss dans des fautes graves, combien ces
LITTERATURE. ia3
failles seront plus tïcqtieiites pour celui qui préteiulra traduire
ainsi en vers français, c'est-à-dire dans une langue si pauvre,
lorsqu'on la compare aux idiomes de l'antiquité! Il est inutile
d'ajouter qu'on ne doit pas outrer ce système d'une liberté
raisonnable; une traduction n'est pas une imitation, et celui
qui dépasse trop les limites que son devoir de traducteur lui
prescrit mérite la sévérité de la critique , comme celui qui ,
sous prétexte d'être plus fidèle, devient lourd et traînant.
Heureusement, les traducteurs ont désormais une boussole
pour se diriger sur une mer si féccmde en naulVages ; l'immor-
telle version des Géorgiques est un modèle qui a fixé d'une
manière irrévocable les conditions du succès dans cette car-
rière difficile." M. lîignan ne paraît point partager celte opi-
nion; il semble au contraire adopter le système nouveau qui
s'est établi dans l'art de traduire, ainsi qu'il s'exprime lui-même
dans son avant - propos : « La plupart des versions des trois
derniers siècles, dit-il, justement surnommées de ùellcs infi-
dèles , altéraient la physionomie des auteurs anciens, en les
couvrant d'une enluminure moderne : celles d'aujourd'hui, en
serrant de plus près le texte de leurs modèles, nous ont ré-
vélé une foule de beautés jusqu'à présent inaperçues. »0n
peut remarquer ici que M. Bignan applique indistinctement à
toutes les traductions anciennes ce qui n'avait été dit que des
seules traductions de Perrot d'Ablancourt, qui effectivement
portait la liberté jusqu'à la licence , et dont les versions très-
infidèles n'étaient pas toujours belles , comme il est facile de
s'en convaincre par la simple lecture. Quant aux travaux
d'Amyot, de Lemaistre de Sacy, deGuéroult (traducteur des
morceaux choisis de Pline), de Jacques Deiille , ils ont réuni
les suffrages des juges les plus sévères; et nous sommes loin
de penser que les traductions modernes nous aient révélé des
beautés inaperçues, en serrant de plus près le texte. M. Bignan
aurait bien dû citer ces versions nouvelles, et nous épargner
la peine de les chercher. Il assure plus loin qu'il a été aussi
fidèle qu'il lui a été possible, et qu'il a préféré le système de
Cowper et de Monti à telui de Pope et de Cesarolti. M. Bi-
124 LITTERATURE.
gnan a couimis ici une eirciir (ju'il importe de signaler. :Moiiti
ne peut être cité comme un modèle de fidélité; très-grand
poète d'ailleurs, il ignorait complètement le grec, et il avouait
avec franchise qu'il n'avait traduit VlUade que d'après une
version latine, et ses nombreuses infidélités le prouvent. Une
traduction en vers italiens, réellement très- fidèle, est celle
d'Hippolyte Pindemonte ; mais, comme elle est souvent froide
ou sans couleur, elle est beaucoup moins connue et moins
estimée que celle de Monti. L'avant-propos de M. Bignan
pourrait donner lieu à plusieurs observations semblables;
mais elles nous conduiraient trop loin. Il nous suffira de dé-
clarer qu'en général cet avant-propos, ou Essai sur l'Epopée
homérique, nous paraît également bien pensé et bien écrit;
nous voudrions cependant en faire disparaître quelques ex-
pressions , telles que celles -(i : Ils ne voyaient point de par-
tout. — Dans le cycle de ses anciennes traditions — une antithèse
perpétuelle de bien et de mal. — Une fidélité inter linéaire. — Tout
concourait d poétiser leurs ouvrages. — Le peu de succès attri-
BUABLE d l'in/luence des tems ; et, enfin, les répétitions trop
fréquentes de certains mots bizarres, tels que ceux de discré-
pances, astrolâtrie, élément pélasgique, anthropomorphisme ^ im-
portation niylhriaque, doctrine orphique, //ieortiac/î<V, et quelques
autres (pii ne sont ni plus harmonieux, ni plus intelligibles
pour la plupart dos lecteurs.
Il nous reste maintenant à examiner la traduction même
do l'Iliade, et à signaler les parties brillantes et les côtés dé-
fectifeux de cet immense travail. M. Bignan , jeune encore,
aura tout le tems nécessaire pour profiter des conseils de la
critique, pour revoir lui-même son ouvrage d'un œil sévère,
et lui donner ainsi ce degré de perfection qu'on ne saurait
atteindre dans une première édition. Delille avait débuté
d'une manière éclatante par ses Géorgiques; et cependant il
ne s'endormit point comme on dit sur ses lauriers ; il s'oc-
cupa sans cesse de corriger sa traduction , et parvint ainsi à
faire d'im ouvrage déjà remarquable im véritable chef-d'teu-
wv : il savait (pic le travail ost une dixième Muse, et qu'il
LTTTIÎRATIRE. laS
peut ?eul donner aux productions du talent celte maturité qui
les fait vivre. M. Bignan, qui est entré dans la même car-
rière, est digne de suivre en tout l'exemple de cet illustre maî-
tre. Ainsi, dans nne prochaine édition, il cherchera à donner
quelquefois à son vers plus de souplesse et de mouvement;
il s'affranchira davantage des chaînes dont il s'est volontaire-
ment chargé; et, devenu plus libre, il marchera avec plus
d'aisance et de naturel. En un mot il fera ses efforts pour être
toujours lui -même, c'est-à-dire pur, coulant, harmonieux.
Son Iliade mérite déjà beaucoup d'estime ; c'est une œuvre
de conscienoe et de probité littéraire, qui honore singulièrement
l'auteur, surtout à l'époque où nous nous trouvons. M. Bi-
gnan a su se préserver de ce style à la mode, renouvelé de
Ronsard et de Jodelle ; sa phrase est presque toujours cor-
recte, sans recherche et sans afféterie. J'ouvre le livre au ha-
sard , et je tombe sur le passage où le poète raconte la dou-
leur d'Achille après l'enlèvement de Brîséis ; écoutons M. Bi-
gnan.
Loin de ses compagnons, le héios, l'œil £n pleurs,'
Près des flots blanchissans court porter ses douleurs ;
Puis, étendant les mains, il s'assied, et sa vue
De l'immense Océan mesure l'étendue :
«O ma mère! dit-il, de mes rapides jours
Puisqu'un destin jaloux précipite le cours.
Le maître du tonnerre, illustrant ma mémoire,
Aurait dû m'accorder au moins un peu de gloire.
Hélas! il m'abandonne; Atride avec mépris,
Pour flétrir mes exploits, m'en arrache le prix. »
Il parlait en pleurant; dans la grotte profonde,
Thétis, qui reposait près du vieux roi de l'onde.
Entend sa voix, se lève, et paraît sur les mers,
' Semblable à la vapeur qui monte dans les airs.
Près d'Achille plaintif, inquiète, elle vole.
Le flatte avec la main, de la voix le console :
«Mon fils, pourquoi ces pleurs? Quel mal peut l'alTliger?
Ne me le cache pas; je veux le partager. »
Achille a soupiré : " Faut-il donc, ô ma mère.
Rappeler le sujet de ma douleur amèreî etc.
126 LITTERATUl\i:.
Ca' moment est d'autant plus renia i-qnablc que cette fois
la /klélité n'a pas nui à l'élégance, et l'on pourrait facilement
citer de nombreux passages où le traducteur n'a pas été
moins heureux. Ouant à celui que nous venons de transcrire,
le lecteur a dû remarquer que Virgile en avait fait une imita-
tion, au quatrième livre des Géorgiques, dans l'épisode d'A-
ristée qui va se plaindre à l'Océan de la perte de ses abeilles.
La version de M. Bignan peut sans désavantage soutenir ici la
comparaison avec le passage de Virgile traduit par Jacques
Delille. Nous étions tentés de faire ce rapprochement, mais
les limites assignées ù cet article ne nous le permettent point.
Nous sommes forcé par la même raison de passer sous silence
le morceau d'Homère que Racine a imité dans son Tphigénie,
lorsque Achille rappelle qu'il n'a aucun grief contre les
Trojens :
Et que m'a fait à moi cette Troie où je cours ?
M. Bignan nous paraît avoir lutté heureusement contre
Homère et Racine. Le passage suivant, tiré du second chant,
est également d'un tour facile et poétique :
Le fantôme s'échappe ; Agamemno») se livre
Au séduisant espoir dont le cliarmc l'enivre :
Crédule, il se flattait que, dans ce même jour,
La cité de Pria m périrait sans retour;
Car h ses yeux trompés un voile impénétrable
Cachait de Jupiter l'arrêt inexorable,
- Et ce Dieu préparait aux deux peuples rivaux
Des combats, des périls et des malheurs nouveaux.
Tandis qu'Agamcmnon se réveille et s'étonne,
A son oreille encor la voix des cieiix résonne;
Seul, debout, sur sa couche il se dresse; le lin
L'enveloppe aussitôt du tissu le plus fin;.
Tout son corps, revêtu de la simple tunique,
S'entour»; des longs plis du manteau magnifique;
Les riches brodequins à son pied diligent
S'enlacent; sur son dos brille im glaive d'argent.
En marchant vers la flotte, il balance la masse
Du sceptre incorruptible, attribut de sa race.
LTTTERATUUK. lu;
Nous ne pouvons résister an plaisir rie t iter encore un
morceau que Virgile a imité clans le deuxième chant de l'É-
néide, par l'épisode de Laocoon :
Baipné d'une onde fraîche et pure,
Sur nous un beau platane étendait sa verdure,
Quand soudain, ô prodige! un dragon monstrueux,
Echappé de l'autel en replis tortueux,
Dressant son dos rougeâtre et sa sanglante crèle,
S'élance, et du platane escalade !«• faîte.
Dans le feuillage épais, huit passeraux couciiés
Sous l'aile matornelle y reposaient cachés ;
Malgré leurs cris plaintifs, le dragon les dévore;
Autour du nid désert, leur mère vole encore;
Elle gémit; le monstre, en cercle replié.
L'enlève et dans son sein l'engloutit sans pitié ;
Mais Jupiter commande, et l'énorme reptile,
En pierre transformé, se durcit immobile, etc.
M. Bignan, comme on le voit, sait manier l'instrument
j>oétique. Les fautes qu'il serait facile de signaler appartien-
nent plutôt à son système qu'à son talent; ce talent que le
public estime et apprécie depuis long-tems, vient d'augmenter
ses titres déjà si nombreux. Il ne reste plus à l'auteur qu'à
soumettre son travail à une révision sévère , telle que son
goût éclairé la lui prescrira, pour rendre son ouvrage irré-
prochable, et effacer entièrement ses devanciers. Nous regret-
tons de n'avoir pu mettre son travail en parallèle avec celui
de Rochefort , d'Aignan, et même aTCC les traductions étran-
gères. Nous terminerons ici ce faible examen de l'Iliade de
M. Bignan , bien persuadé que les amateurs des lettres anti-
ques s'empresseront de connaître par eux-mêines une traduc-
tion digne sous tous les rapports de l'intérêt public.
Servan de SrGNY.
28 LUT KK M LUE.
Harmonies poktique? et religiev?es , par Alphonse de
Lamartine (i).
Est-il vrai, comme noas le répétons sans cesse, que le siè-
cle ne soit point poétique? Les grands poètes lui manquent-ils
donc? Ou, s'il s'en fait entendre, leur refuse-t-il audience?
Ni l'un ni l'autre assurément, et je n'en veux d'autres preu-
ves que l'admirable talent, les éclataus succès de M. de La-
martine.
Sans doute, la préoccupation toute présente des intérêts de
l'orde social nous a rendus assez indifférens à ce qui a été jadis
la grande affaire d':1ges plus frivoles ou moins libres. Nous ne
sommes plus à l'époque où l'art et niGuie le métier suffisaient
au plaisir, à la gloire littéraires. Pleurons, si on le veut, le
charme détruit, les honneurs perdus de la versification; mais
ne nous attendrissons pas hors de propos sur la poésie, qui ne
peut passer, ni périr, sur la poésie vivace comme le cœur hu-
main par qui et pour qui elle est faite.
Oui, je n'en puis douter, ces passions, ces sentimens, ces
instincts que notre sein recèle, et qui sont l'homme même,
trouveront dans tous les tems quelques éloquens interprètes
et des milliers d'auditeurs attentifs; dans notre tems surtout,
si bien préparé à ces hautes inspirations du génie, à ces no-
bles plaisirs de l'esprit, par le spectacle des révolutions et la
gravité des mœurs publiques.
Il y a dix ans qu'une voix solitaire , inconnue , s'éleva tout
à coup. Elle chantait les ennuis secrets de l'âme, désabusée des
biens périssables d'ici bas, et aspirant à une plus pure, à une
plus durable félicité ; la curiosité inquiète qui la pousse à péné-
(i) Paris, i85o; Cti, Gosselin. 2 vol. in-S" de 342-556 pages, ornés de
vignettes gravées sur bois par Pond, d'après les dessins d'Alfred cl
Tony Johannot : prix, 16 fi.
LtTTERATURE.
129
ïrer l'énigme de sa nature et de sa destinée ; ses dégoûts, ses
désirs, ses doutes, ses pressentiniens, ses visions; cette Aoix
avait des accens pleins de mélancolie et d'enthousiasme ; elle
élak mélodieuse et forte ; elle troubla , elle ravit ; chacun se
tut pour l'écouter. Et cependant, de grands talens appelaient
aux tableaux animés du drame les imaginations, ou, dans des
chants passionnés, les entretenaient des triomphes et des mal-
heurs, des affections et des haines de la patrie : de la tribune,
lin-ée à d'orageux débats, s'échappaient d'électriques paroles
qui remuaient la France entière : cette littérature active ne pmt
prévaloir sur une poésie rêveuse et méditative, qui. se sépa-
rant du monde, demandait ses inspirations et ses succès à ce
qu'il y a en nous de plus secret et de plus intime, mais peut-
être aussi de plus puissant, le sentiment religieux.
Cette source féconde qui, pendant un siècle de scepticisme
et d'indifférence, s'était amassée au sein de notre état social,
n'a pas été épuisée par ce qu'en a fait jaillir le génie de deux
hommes, auxquels on peut, à égal titre, malgré la diversité
de leurs vocations littéraires, décerner le grand nom de poè-
tes, Chateaubriand et Lamartine ; qu'écartant la foule indis-
crète qui à leur suite s'est précipitée autour du rocher, mais
pour qui le rocher est resté aride, ils y frappent encore, et il
en coulera de nouveaux torrens de sentiment et d'harmonie.
Mon âme est un torrent qui descend des montagnes
Et qui roule sans Cn ses vagues sans repos
A travers les vallons, les plaines, les campagnes
Où leur pente entraîne ses flots ;
Il fuit quand le jour meurt, il fuit quand naît l'Aurore;
La nuit revient, il fuit ; le jour, il fuit encoie;
Rien ne peut ni tarir, ni suspendre son cours,
Jusqu'à ce qu'à la mer, où ses ondes sont nées,
Il rende en murmurant ses vagues déchaînées,
Et se repose enfin, en elle, et pour toujours. (T. 11, p. 12.)
Ces vers de l'auteur des Harmonies poétiques et religieuses
expriment, par une espèce de symbole , ce qui frappe d'abord
dans M. de Lamartine , ce dont sa récente publication offre un
T. XLVII. JCIJuLET l85o. 9
i3o LITTÉRVTLRK.
bien frappant témoignage, Tintarissable abondance qui , sous
des formes toujours nouvelles, reproduit un sujet toujours le
même. La mer où se précipite et s'abyme le génie du poète,
c'est l'infini, l'éternc.I , l'invisible vers lequel l'emporte in-
cessamment un irrésistible instinct; les talions, les plaines, les
campagnes qu'il traverse dans son cours, ce sont les images de
la nature sensible, qui lui viennent de toutes parts, mais où il
ne peut.'Jf reposer ; son mouvement, son harmonie sont peints
aussi par cette onde déckaliwe qui fait en murmurant ; et, si
dans une strophe si habilement suspendue, si facilement pro-
longée, se rencontrent par aventure quelque dureté , quelque
répétition, quelque redondance, ces défauts de la négligence,
les seuls qu'on y aperçoive , comme dans le ;esle du recueil ,
achèveront pour nous la similitude, en nous montrant le tor-
rent qui mêle au bruit majestueux de son onde, aux plaintes
mélodieuses de ses rivages, le retentissement des cailloux
broyés sur un lit inégal , ou qui s'épanche et se répand capri-
cieusement hors de ses limites.
M. de Lamartine ne revoit pas, ne corrige pas ses vers; il
aime mieux en faire de nouveaux. Il faut tout ensemble nous
en applaudir, et nous en plaindre. Nous y gagnons nombre de
pièces charmantes, produites avec la facilité, avec l'aisance de
l'improvisation ; nous y perdons la pureté qu'un peu de travail
eut pu ajouter à quelques morceauxd'élile. Est-il vrai, comme
paraît le croire l'auteur des Harmonies, que la correction et
l'inspiration s'c.rcluent [Atert. p. lo)? Il y a dans son livre
bien des pages qui paraissent prouver le contraire par une per-
fection trop exquise pour n'avoir coûté aucun effort. Le sta-
tuaire, quand il a imprimé au marbre sa pensée, le façonne
encore et le polit avec un soin curieux. Le poète peut bien
aussi repasser sur son œuvre, et, sans la refroidir, lui donner
ce fini qui doit toujours manquer au premier jet, ou qui at-
testerait une merveilleuse organisation. Ce que M. de Lamar-
tine , je le soupçonne du moins, a pris quelquefois la peine de
faire, pourquoi ne sel'imposerait-il pas toujours? Effacer cer-
taines répétitions, certaines consonnances , abréger quelques
UTTÉKATUni!]. ,31
dévcloppemens, éla^^uer quelques images, éclaircir telle idée,
telle expression, voilà tout ce que lui demanderait la critique la
plus exigeante. Sa poésie n'en deviendrait pas plus belle assuré-
ment, mais plus irréprochable; le charme n'en serait mêlé
d'aucun trouble.
J'insiste sur ces imperfections d'un rare talent, avec d'au-
tant moins de scrupule, quo lui-même les avoue, et qu'à mon
grand regret il y consent. Du reste, il ne les érige pas en beau-
tés, et ne réclame pas pour elles l'admiration, comme il ar-
rive quelquefois dans ce tems-ci. Il est encore plus éloigné de
les rechercher par esprit de système. M. de Lamartine ne s'est
pas, je pense, beaucoup occupé d'innover dans le rhythme, dans
l'expression. Il ne versifie pas, il n'écrit pas, à ce qu'il semble,
autrement qu'on ne fesait dans les deux derniers siècles. Et
cependant, par la vertu d'une inspiration personnelle des plus
heureuses, tout chez lui paraît nouveau, non-seulement les
sentimens et les idées, mais le mètre, mais la strophe, mais
le tour. Cette manière facile et naturelle de rajeunir l'art des
vers et du style pourra bien décréditer un peu les opérateurs
violens qui l'essayent à la façon des fdles de Pelias.
Il est difficile d'analyser un recueil de pièces détachées. Les
Harmonies, cependant, comme \e?: Méditations, se rapportent
plus ou moins à une même pensée, à un sujet unique que
nous avons déjà indiqués; c'est toujours l'expression du sen-
timent religieux. La nature avec ses touchans, ses sublimes
spectacles, le monde avec ses illusions et ses mécomptes, ses
joies et ses douleurs, voilà le point de départ de ce rêveur
inspiré; la vie à venir et Dieg, voilà le terme de son essor :
cette poésie est comme suspendue entre la terre et le ciel ; les
affections humaines et l'amour mystique sont les pôles oppo-
sés entre lesquels elle semble graviter. Seulement les Médita-
tions étaient un peu plus de ce monde : les Harmonies sont
plus voisines de l'antre.
Don sacré du Dieu qui m'enflamme,
Harpe qui fais trembler mes doigls,
Sois toujours le cii de mon âme,
A Dieu seul rappnite ma voix;
,52 LITTÉRATIRE. .
Je frémis d'amour et de crainte
Quand, pour toucher ta corde sainte.
Son esprit daigna me choisir!
Mol, devant lui moius que poussière.
Moi dont ju.*qu'alors l'âme entière
IVétait que silence et désir 1
Hélas I et j'en rougis encore,
ln<^rat au plus beau de ses dons.
Harpe, que l'ange même adore.
Je profanai tes premiers sons;
Je fis ce que ferait l'impie,
Si SCS mains, sur l'autel de vie^
Abusaient des vases divins.
Et s'il couronnait le calice.
Le calice du sacrifice.
Avec les roses des festins 1
Mais j'en jure par cette honte
Dont I ougit mon front confondu.
Et par cet hymne qui remonte :
Au ciel dont il est descendu 1
J'en jure par ce nom sublime
Qui ferme et qui rouvre l'abime,
Par l'œil qui lit au fond des cœurs.
Par ce feu sacré qui m'embrase.
Et par ces transports de l'extase
Qui trempent tes cordes de pleurs!
De tes accens roortels j'ai perdu la mémoire,
>'ous ne chanterons plus qu'une éternelle gloire,
Au seul digne, au seul saint, au seul grand, au seul bon ;
Mes jours ne seront plus qu'un éternel délire,
Mon àme qu'un cantique, et mon cœur qu'une lyre,
Et chaque souflle enfin que j'esbale ou j'aspire,
Un accord à ton nom 1 (T. i, p. 22.)
Le poète, et nous autres mortels ne nous en pkiindrons
point, n'a pas tellement quitté la terre qu'il ne s'en souvienne
et ne la regarde encore. Cette passion si pure et si tendre,
qui s'exhalait dans les Méditations, se fait entendre, par inter-
valle, dan? les Harmonies^ et en tempère la gravité mystique
LITTÉRArURE. i3ô
par quelques accens plus humains. Ce sont les séduclions cit
la gloire, les plaisirs de l'étude, la contemplation de la na-
ture, les douceurs de l'amitié, l'amour de la beauté naïve et
ingénue, et même il faut qu'une analyse soit complète, le
i^ passager enivrement d'une affection moins pure.
Je vois passer, je vois sourire
La femme aux perfides appas,
Qui m'enivra d'un long délire,
Dont mes lùvres baisaient les pas 1
Ses blonds cheveux flottent encore,
Les fraîclies couleurs de l'Aurore
Teignent toujours son front charmant.
Et dans l'azur de sa paupière
Brille encore assez de lumière
Pour fasciner l'œil d'un amant!
La foule qui s'ouvre à mesure
La flatte encor d'un long coup d'oeil ,
Et la p>3ursuit d'un doux murmure
Dont s'enivre son jeune orgueil;
Et moi! je souris et je passe :
Sans eflbrt de mon cœur j'cflace
Ce songe de félicité,
Et je dis, la pitié dans l'âme :
Amour! se peut-il que ta flamme
Meure encore avant la beauté? (T. n, p. 124.)
Nous voilà jetés bien loin des hauteurs où habite de préfé-
rence la pensée de M. de Lamartine. Mais, vers quelque sou-
venir profane que l'ait portée l'inclination ou le caprice, elle
y remonte toujours sans effort, et là se perd dans la contem-
plation de ce qui n'a point de forme, et qu'elle se fatigue
pourtant à revêtir d'une apparence sensible, appelant à son
aide toutes les images qu'elle a rapportées de la scène visible
du monde. J'ai souvent entendu taxer cette poésie d'indéci-
sion et de vague. C'est la condition du sujet, mystérieux,
obscur, comme l'infini, qui est bien une conception de notre
esprit, mais non pas une idée claire. Loin d'adresser à ce
sujet aucun reproche à M. de Lamartine, j'admire vivement.
,54 ' LITTÉRATURE.
au contraire, la richesse inépuisable, l'éclat éblouissant,
le sens frappant des ûgures par lesquelles il traduit, autant
qu'il est possible, l'instinct religieux de l'âme et son insaisis-
sable objet.
Ah ! si j'avais des paroles ,
Des images, des symboles
Pour peindre ce que je sens !
Si ma langue embarrassée
Pour révéler ma pensée
Pouvait créer des accens!
Quelque chose en moi soupire ,
Aussi doux que le zéphire
Que la nuit laisse exhaler.
Aussi sublime que l'onde,
Ou que la l'oudre qui gronde ;
Et mon cœur ne peut parler !
Océan, qui sur tes rives
Épands tes vagues plaintives.
Rameaux murmurant des bois.
Foudre dont la nue est pleine.
Rameaux à la molle haleine,
Ah! si j'avais voire voix! (ï. i, p. 555.)
Ces passages que je transcris sans choix, à l'ouverture dir
livre, ne sont certainement pas les plus sailians qu'il renferme;
iTiais ils en offrent comme une poétique table des matières, il?
font comprendre et l'intention générale et la manière habi-
tuelle de l'auteur. Partout vous trouvez chez M. de Lamartine
cette même confusion de la nature et du monde invisible, se
servant l'un à l'autre d'explication ou d'emblème. Ainsi, chez
lui la pensée prend toujours un corps, une figure, et la ma-
tière, à son tour, une âme et une voix. Il est émiiienmient des-
criptif, mais tout autrement que l'ont été Delille et sou école ;
car il ne décrit pas pour décrire, mais pour produire, au de-
hors, et .sous des traits palpables, l'émotion, l'idée dont il est
plein. Nul poète n'a répandu dans ses tableaux plus de trait?
LIirÉRATURE. * i35
empruntés aux beautés naturelles, n'a broyé sur sa palette de
plus riantes, de plus éclatantes couleurs; mais nul aussi n'en
a composé un plus grand nombre d'ingénieuses similitudes,
de symboles Irappans. Que dire de l'aisance, de l'harmonie
singulière avec lesquelles se développent les rhythmes nom-
breux oii il renferme ces trésors d'imagination et de senti-
ment ? Rien n'égale l'impression que laissent dans l'oreille et
dans l'âme quelques-uns de ces vers.
Cette impression ne risque-t-elVe pas de fatiguer parla ré-
pétition? Quelques-uns le disent, et sans doute l'éprouvent :
pour mon compte, et je m'en félicite, je suis encore loin
d'être blasé là-dessus. On abuse trop contre les génies féconds
du reproche de monotonie. Sans doute, ils se ressemblent à
eux-mêmes par le continuel retour de ce qu'ils ont la vocation
d'exprimer, par l'emploi fréquent des procédés qui leur ap-
partiennent et fo'it leur originalité. Mais, dans ce cercle, li-
mité comme tout ce qui est de ce monde, quelle fécondité
d'invention ils déploient! Ainsi que la nature, leur modèle,
ils recommencent, mais sans se copier; ils sont toujours les
mrêmes, et toujours nouveaux. Sans remonter bien haut, ceux
qui de nos jours ont le plus long-tems occupé le public de
leurs productions, WalterScoU, Byron, Scribe, Rossini ont
souvent été jugés monotones, lorsqu'on eût dû être frappé
avant tout de leur inépuisable variété. Je me trompe fort si
ce n'est pas de la même façon que M. de Lamartine est mo-
notone.
Mais, qu'on ne lise pas de suite, comme un livre ordinaire,
ses Méditations, ses H arnionies . Nulle poésie, si elle n'est sou-
tenue par la continuité d'un récit, par le mouvement d'un
drame, ne résiste à cette épreuve. Lisez ces élégies, ces odes,
comme elles ont été écrites, une à une, par intervalles, dans
ces heures que la fatigue de la vie active prépare et laissre à la
rêverie. Rêver, c'est de tous les états de iTmie le plus passa-
ger ; ne le prolongez pas au-delà de sa mesure ; vous arriveriez
à l'ennui, et par votre faute.
Encore une apologie ; ce sera la dernière. Beaucoup de
i36 LITTÉRATUKE.
personnes, ne regardant qu'au peu d'étendue des poésies de
M. de Lamartine, n'y voient que des essais par lesquels il se
prépare à quelque œuvre de plus longue haleine ; ils l'admi-
rent conditionnellenient, dans l'espérance et dans l'attente de
ce qu'il promet. J'ignore ce qui est réservé à l'avenir de M. -de
Lamartine. Il est toujours téméraire de restreindre ou d'éten-
dre d'avance la carrière du talent. Mais, quand les Médilatiom
et les Harynonies devraient être ses seules productions, quand
il n'y devrait ajouter que des compositions du même genre,
la gloire d'avoir renouvelé avec tant d'éclat dans notre litté-
rature, par l'inspiration religieuse, la poésie élégiaque et la
poésie lyrique, suffirait certainement à son nom, et déviait
lui mériter une place parmi les plus illustres.
H. Pati».
vk\\> vvA www www \
III. BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUIi
LIVRES ÉTRANGERS (i).
AMERIQUE SEPTENTRIONALE.
ÉTATS-UNIS.
1. — * Encyclopœdia Americana. — Encyclopédie aniéri-
caine publiée par F?'«na,< LiEBER, aidé de E. Wiggles'oorth.
Philadelphie, i85o; Carey et Lea. In-S" de 616 pages impri-
mées sur deux colonnes.
Ce premier volume est le commencement d'une entreprise
aussi importante que recommandable, et qui, si elle est me-
née jusqu'au bout avec le talent et la conscience qui président
au début, fera honneur à la littérature d'Amérique, et com-
blera un vide qui s'y fesait sentir. Conçue sur le plan du Dic-
tionnaire allemand {C onversations Lexicon) ^ ceXie Encyclopédie
embrasse toutes les découvertes les plus récentes de l'Europe,
ainsi qu'une grande quantité d'articles originaux sur l'Améri-
que, et de notions biographiques d'un haut intérêt. Une circon-
stance assez curieuse c'est que l'éditeur, jaloux de réserver de
la place à des sujets plus importans, et se mettant au point
de vue d'une nation jeune et libre comme celle des États-
Unis, a omis tout ce qui regardait la science du blazon et des
armoiries. Nous signalons ce fait comme caractéristique, ie
volume s'étend depuis la lettre A jusqu'au mot bataille. Les
renseignemens donnés sur chaque chose sont exacts, clairs
etconcissans sécheresse. Les parties géologique et biographi-
que promettent des choses neuves, et les spécimens donnés
sont de nature à faire bien augurer de ce qui doit suivre.
L. S. B.
(1) Nous indiquous par un astérisque (') , placé à côté du titre de
chaque ouvrage , ceux des livres étrangers ou fi ançais qui paraissent
dignes d'une attention particulière, et nous en rendrcins quelquefois
compte «lans la section «les yJna/yscs.
i58 ÉTATS-UNIS.
2. — Eléments ofgeometry, ivitli pnulical applications, elc.
— Éléniens de géométrie, avec des applications à la pratique,
à l'usage des écoles; par T. Walker. Seconde édition. Boston,
i85o. In-i'i de io4 pages.
L'ouvrage de M. SValker ne nous est connu que par un ar-
ticle du 67"" numéro de la Revue nord-américaine (the north-
american Review) ; l'auteur de l'article, qui commence par je-
ter un coup d'œil rapide sur l'histoire de la géométrie et sur les
ouvrages élémentaires les plus estimés pour l'enseignement
de cette science, arrive au petit volume du professeur de
Northampton, et lui donne des éloges qui paraissent fmpar-
tiaux et mérités. II ne serait pas inutile de faire en Europe la
comparaison de ce petit livre avec les nombreux traités dont
on embarrasse l'enseignement, surtout en France, et dont au-
cun ne manque de prôneurs. Si ce traité de io4 pages in- 12
vaut mieux pour l'instruction commune que ceux que nous
possédons, pourquoi ne l'adopterions-nous pas? L'intérêt des
étudians , avant tout, car c'est Tintérêt delà société. Si après
avoir comparé les Etats-Unis à la France, par rapport ù l'en-
seignement de la géométrie élémentaire, nous pensons que
notre situation actuelle est assez satisfaisante pour que nous
ne cbercbions pas à la changer, nous inviterons les Anglais à
s'emparer du livre de M. \N alker, à moins que son origine ne
leur porte ombrage. Il semble que la Grande-Bretagne se con-
damne à manquer éternellement de bons élémens de géomé-
trie ; comment peul-ellt! s'obstiner à mettre Euclidc entre les
mains des étudians? Si jamais méthode fut contraire à la
marche naturelle de l'esprit humain, fatigante, asso7nniante ,
c'est bien celle de cet ancien géomètre. On ne peut douter que
l'obstination de la routine cpii a conservé son ouvrage dans les
écoles de FAnglelerrc ne soit une cause de l'aflaiblissement de
l'instruction mathématique dans la patrie de >»ewton.
5. — Eléments of lecUnology , etc. — Elémens de techno-
logie, tirés principalement du Cours d'' Application des Sciences
aux Arts fait à Cambridge, et publiés pour l'usage des écoles
et des étudians; par Jacob Bigelow , D. SI., professeur de
matière médicale, membre àeV Académie américaine des Scien-
ces et des Arts, etc. Boston, 1829. In-8" de 5o7 pages.
Jusqu'à présent, le mot technologie n'a pas été défini avec
précision et clarté. Il doit signifier autre chose que l'applica-
tion des sciences aux arts mécaniques; autre chose aussi que
la description de ces arts, de leurs procédés et de leurs inslru-
mens. Ces descriptions seraient de volumineuses monogra-
phies dont la collection composerait la Bibliothèque des Arts
lÏTAïS-U-MS. iSg
et Métiers; on en tirerait des matériaux pour une lechnolugie
qui resterait ù faire, en généralisant sous quelque point de
vue particulier ces notions dÎAerses et isolées, en rassemblant
les idées communes à toutes les monographies, en formant
des groupes des objets analogues qu'elles présentent, et eu
procédant envers les êtres industriels ;'i peu près comme le
naturaliste envers les animaux, les plantes et les minéraux
qu'il classe d'après la méthode qui lui paraît la plus naturelle
et la plus commode pour l'étude. Comme la technologie est
encore à naître, si elle suit dès sa naissance la direction que
l'histoire naturelle lui a tracée, direction qui est peut-être la
meilleure et peut-être la seule qu'elle puisse prendre, elle
éprouvera le sort de l'histoire naturelle, commencera par des
méthodes imparfaites et qu'il faudra quitter; les technologues
ne seront pas plus d'accord entre eux, que les naturalistes ne
l'ont été et ne le sont encore aujourd'hui. Comme ils seront
venus les derniers, ils ne seront probablement pas les pre-
miers à se réunir à une doctrine commune; et par consé-
quent, la science viendra très-tard, et ses élémens plus tard
encore. On ne peut contester à la technologie le titre de science,
puisqu'elle doit être un ensemble, un système de connaissan-
ces généralisées. Elle peut donc avoir ses élémens, comme
toutes les sciences, au lieu qu'un art est un assemblage de con-
naissances particulières, toutes nécessaires à la production du
résultat, qui ne forment pas un système, qui ne dérivent point
de principes communs, et qui , par conséquent , ne sont point
susceptibles d'être exposées dans des Traités élémentaires.
Ce préambule devait être long, parce que nous sommesv
dans la nécessité de déclarer que le bon et intéressant ou-
vrage de M. Bigelow ne contient pas les élémens de la tech-
nologie. C'est une dissertation très-bien faite sur plusieurs
arts, sur leurs ressources, leurs procédés, les secours qu'ils
ont reçus des sciences; des descriptions succinctes et claires
d'une multitude d'opérations curieuses; des observations sur
les beaux- arts dans lesquelles on reconnaît une intelligence
capable de les sentir, de les analyser, de les juger. Le livre de
M. Bigelow offre à l'homme du monde une lecture aussi
agréable qu'utile; il peut même contribuer aux progrès de
l'étude des arts mécaniques et autres, tant par la justesse de
ses vues, la curiosité qu'il excite et le goût qu'il fait naître,
que par des préceptes et des conseils dont il est à désirer que
l'on profite partout; mais il faudrait changer le titre, car les
élémens de la technologie ne sont certainement point dans cet
ouvrage. F.
,4o ÉTATS-UINIS.
/j. — Considérations on the propriety and necessity of an-
nexing the province of Texas io the United-States, elc. — Consi-
dérations sur la convenance et la nécessité de réunir la province
de Texas aux Elats-Lnis ; par un Officier de V armée de la révo-
lution. ]Nevv-York., 1829; Hopkins père et fils.
Cet écrit n'att<;int pas tout-ù-fait son but, l'auteur pouvait
se dispenser de prouver que la province de Texas est à la con-
venance des États-Unis, puisqu'elle est, en partie, dans le
bassin du Mississipi, et que, par conséquent, les deux répu-
bliques limitroplies ne peuvent plus avoir de frontières natu-
relles que sur la ligne de partage des eaux ; quant à la nécessité
de la réunion dont il parle, on ne la sent point dans les Etals-
Unis, où tant de moyens de force, tant de garanties d'in-
dépendance sont maintenant accumulées ; ce ne serait donc
que pour la province de Texas seulement que cette réunion
pourrait avoir de très-grands avantages, quoiqu'on ne puisse
regarder comme nécessaire la réunion des désorts à la confé-
dération des Etats-Unis. L'étendue territoriale de l'Etat, l'un
de ceux qui forment aujourd'hui la république mexicaine ,
équivaut au moins aux deux tiers de la France, et la popula-
tion n'y excède pas , dit-on , douze mille habitans! les glaces
de la Laponie en comptent, à proportion, plus que le dou-
ble. II ne peut donc être vrai , n'en déplaise à l'officier amé-
ricain, que les Etats-Unis ne puissent se passer de cet accrois-
sement d'étendue. Mais, comme pays propre à la fondation
de nouvelles colonies, le Texas mérite la plus sérieuse atten-
tion; considérons le sous (;e point de vue.
L'art social n'a pas moins besoin d'expériences nouvelles
que la médecine, l'art de la guerre, les diverses applications
des connaissances humaines. Point de perfectioimemens de
quelque importance sans découvertes; et, dans les sciences
expérimentales et les arts, c'est ordinairement par des essais
que l'on force la nature à révéler qiiel(jues-vuis de ses mys-
tères, quelques vérités fécondes qui l'ont une révolution com-
plète dans la scieu'e ou l'art qu'elles viennent éclairer d'une
lumière subite. Lorsqu'un hasar 1 heureux fait apercevoir une
de ces vérités sans qu'on ait nîême pris la peine de sovdever
le voile qui la couvrait, on n'est point dispensé de la sou-
mettre à des épreuves assez nombreuses et assez diverses pour
que son autorité soit reconnue sans contestation. Laissons
donc le diamp libre aux expériences de toutes sortes , et en
politique , une colonie nouvelle est certainement le moyen le
plus commode et le plus sûr do vérifier ce que nous croyons
savoir : l'homogénéité des élcmens qu'on y rassemble simplifie
ÉTATS-UNIS. i4i
toutes les questions . ef laisse démêler plus nicilement les cau-
«îes et les effets : peut-être même ne saurons-nous jamais bien
que ce que nous aurons appris par cette voie qui est réelle-
ment celle de l'analyse.
Ajoutons encore, en faveur de ce mode d'épreuves politi-
ques, une observation dont on ne contestera point la justesse,
c'est qu'elles ne font que des victimes volontaires, en cas de
non succès. Le médecin essaie sans scrupule ses remèdes
nouveaux sur les malbeureux qui implorent les secours de
son art ; certains gouvernemens traitent aussi lestement les na-
tions sur lesquelles ils exercent leur plein pouvoir : dans une
colonie nouvelle, on va droit au bien commim, on s'entre-
aide pour atteindre ce but; la société naissante offre l'image
de ce qu'elle serait, si en grandissant et acquérant des forces,
elle conservait sa raison et ses vertus. Réunissez sur un sol
tout neuf et fertile des hommes qui soient bons, sains, labo-
rieux; vous aurez fait des heureux. D'ailleurs, il est des hu-
meurs inquiètes, indociles, avides de nouveautés, des carac-
tères qui ne peuvent s'habituer à nos mœurs, à nos vieilles
institutions ; il convient de leur laisser au moins une voie pour
nous échapper, un lieu d'asile sur la terre où ils puissent vi-
vre à leur manière ; qu'ils aillent au Texas , qu'ils s'enfoncent
dans les solitudes où l'homme n'a pas encore pénétré; la
vieille Europe ne les poursuivra pas dans cette retraite; ils y
seront même en sûreté contre la jeune Amérique, s'ils ont
une insurmontable aversion pour tout ce qui leur rappellerait
nos formes sociales.
Aucun lieu sur la terre ne convient mieux que cette pro-
vince mexicaine pour y établir une grande et belle colonie,
et faire l'essai des théories morales et politiques dont quelques
hons esprits douteraient encore. Point de voisins incommo-
des ; plus de garanties contre les dangers d'une invasion qu'on
n'en aurait au milieu de l'océan; cent lieues de côtes, des
baies, des ports, les embouchures de plusieurs rivières na-
vigables, dont l'une a plus de deu^x cents cinquante lieues de
cours; un sol fertile, un climat plus salubre qu'on ne l'aurait
espéré, point de marais pestilentiels, une chaleur constante et
modérée près de la mer, des froids sévères dans les monta-
gnes, et entre ces deux extrêmes , tous les degrés des tempé-
ratures intermédiaires. Aucune contrée ne semble plus con-
venable pour la culture de la vigne, car elle y croit partout
spontanément, s'élève à une hauteur extraordinaire, sur un
tronc dont la grosseur est im phénomène que les Européens
ne voyent que dans ce pavs et dans les montagnes de l'Tude.
i42 KTATS-DMS.— AMERIQUE MÉUIDIOî^ ALE.
Enin; 27" et 55° dt; lalilude nord, ce pays sillonné par de
nombreuses rivières, où des montagnes s'élèvent jusqu'à la
région des glaces éternelles, ne méritait pas l'abandon auquel
on l'a condamné jusqu'ici, mais dont il sera bien dédommagé,
s'il a été réservé pour des colonies dont les progrès de la mo-
rale et de la civilisation soient le but. Malheureusement, l'es-
prit de spéculation s'empare de ces ressources qu'il eût fallu
consacrer à un plus noble usage; il a jeté les j'eux sur le
Texas, et probablement, il a déjà formé ses projets d'enva'-
hissement. On ne connaît pas bien, en Europe, la nature,
l'organisation et le but de la colonie fondée dans ce pays par
M. Aiutin, citoyen des Etats-Unis , et qui est aujourd'hui
entre les mains de son fils, M. le colonel Austin; il est bien
à désirer que nous ayons enfin une description exacte et com-
plète de cette contrée intéressante sous tant d'aspects divers et
d'une haute importance : mais cette instruction ne nous sera
donnée qu'à la suite d'un voyage de reconnaissance, et nous
le disons sans hésiter, c'est à un Français que des recherches
de cette nature devraient être confiées. La France est aujour-.
d'hui très-bien pourvue d'hommes qui possèdent l'assorti-
ment de connaissances qu'exige un voyage de découvertes ;
et de plus nous avons acquis, au milieu de nos agitations po-
litiques, une habitude d'observer que nous ne perdrons point,
si nous sommes assez courageux pour défendre nos institu-
tions contre tous les ennemis ligués pour les détruire.
Y.
AMÉRIQUE MÉRIDIONALE.
5. — Meinoria sobre laEducacion, etc. — Mémoire sur l'É-
ducation, par J. Del V. — Guatemala, 1829; imprimerie de
l'Union. In-8' de 49 pages.
L'auteur de ce Mémoire, M. José Del Vallé, est membre
de la Société établie à Paris pour l'amélioration de l'enseigne-
ment élémentaire, et s'acquitte envers elle, en lui communi-
quant ses idées sur l'éducation, telles qu'il les a modifiées
pour les rendre applicables à sa patrie. Son Mémoire est un
extrait d'im ouvrage assez considérable, composé d'abord
dans la prison où M. Del Vallé fut enfermé par ordre de
Vempercur Iturhide; puis, au milieu des travaux et des sou-
cis des hautes fonctions dont il fut chargé , et des horreurs
d'une guerre civile dont le premier effet fut de suspendre la
liberté de la presse. Ainsi, quand même on remarquerait quel-
que défaut d'ensemble dans l'exposilion des idées et des faits.
AMÉKIQIE MKIllU. - GIIA^N Dfcl-liUETAGNK. i^o
il serait éqiiilahle tic l'altribuei- à la situation pénible et con-
trainte de ['écrivain : mais on ne sera pas clans le cas d'user
envers lui de cette sorte d'indidgence. On trouvera dans son
Mémoire quelques dures vérités, telles que celles-ci : Les plus
grands maux que lliumunlté ait soufferts ont été causés par de
mauvaises lois ; ses plus grands ennemis ne lui auraient pas été
plus funestes que ses législateurs. L'idée si juste et si impor-
tante d'une école d' instituteurs est reproduite ici, d'après l'ex-
périence de notre ancienne école normale, monument tout-à-
fait effiicé en France, mais dont le souvenir sera conservé par
les peuples plus éclairés sur leurs véritables intérêts. M. Del
Vallé passe successivement en revue les divers degrés d'en-
seignement dont sa patrie aura besoin, depuis les écoles élé-
mentaires jusqu'aux Sociétés savantes; et, pour que rien ne
manque à l'édifice dont il propose l'éiection, il le termine par
une Académie d' éducation. Les enseignemens spéciaux n'en-
traient point essentiellement dans son plan , quoiqu'un État
bien organisé ne puisse s'en passer, et qu'ils doivent être coor-
donnés avec l'éducation nationale. Cette coordination est sans
doute établie dans l'ouvrage dont ce Mémoire est un extrait,
et dont nous attendrons la publication avec une impatience
d'autant plus vive, qu'une impression de cette importance at-
testera le retour de la paix et du bon ordre dans cette partie
de l'Amérique. Y.
EUROPE.
GRANDE-BRETAGNE,
6. — * Rep exions on the décline of Science in England, and on
some of ils causes. — Réflexions sur le déclin de la science en
Angleterre, et sur quelques-unes de ses causes, par Charles
Babbage, professeur de mathématiques à l'Université de Cam-
bridge, et membre de plusieurs Académies. Londres, i85o;
Fellowes et Booth. In-8".
Tandis que les sciences ont produit en France tant de théo-
ries ingénieuses, tant d'importantes découvertes, restées
long-tems, à la vérité sans application, par suite de l'iner-
tie de nos classes ouvrières, elles sont devenues pour ainsi
dire toutes pratiques dans la Giande-Bretagne, où les con-
naissances des praticiens sont proportionnellement beaucoup
plus étendues que celles des savans, ou de ceux qui préten-
dent à ce titre. Il résulte de là que les sciences mécaniques
ont pris un grand développement, et que toutes celles qui
i44 LIVRES ETRANGERS.
reposent S(ir l'observation , et qui exigent des études longues
et al)straites, sont demeurées stationnaires. C'est cet état de
choses qui a frappé M. Babbage ; il l'attriljue à l'absence d'un
plan raliounel d'éducation scienlifique, au manque d'encou-
ragemens nationaux offerts aux hommes distingués, enfin,
à l'inQuencc dangere\ise d'une société fondée dans le prin-
cipe pour étendre et seconder les progrès des lumières. En
«fft't, les sciences sont peu ou point enseignées dans les Uni-
versités anglaises : ni concours, ni examens, ne viennent sti-
muler les élèves, et les forcer à faire preuve de savoir. L'en-
^eignement , quand il y en a , se borne à des notions vagues
■et générales, doiniées par un professeur, sans démonstrations,
m expéiiences. Pour se dévouer à des recherches savantes, il
faut en Angleterre l'indépendance de fortune, car aux études de
ve genre ne se rattachent ni emplois lucratifs, ni postes honora-
bles; les étudians qui entrent avec ardeur dans la carrière du
savoir en sent bien vile détournés par l'obligation de se créer
un état, et un avenir : reste une classe d'amateurs riches, jaloux
de rattacher leurs noms à quelque établissement d'utilité publi-
<|ue , mais c'est à prix d'argent qu'ils se font une réputation de
savatis : ainsi ou n'apprendra pas sans surprise qu'il en coûte
cinquante livres stei'iing pour se faire nommer membre de la
Societt; Kovale; les hommes du plus grand mérite ne peuvent
s'exempter de payer cette somme, tandis que la facilité avec
laquelle on admet ceux qui n'ont d'autres droits que leur for-
tune a augmenté le nombre des membres dans uwe propor-
tion déraisonnable : et a, par cela même, diminué l'impor-
tance du titre. Le président et les secrétaires sont nommés par
coterie, et sans égard au mérite réel. Le conseil est au choix
du président cl ne relève que de lui. Les rapports de la so-
citHé sont mal tenus, et parfois falsifies; les correspondans
font peu de communications, ou figurent sur la liste pour
leurs titres de lord ou de duc; bref, tout tend à amener le ra-
pide déclin d'une fondation, détournée de son véritable but.
M. Babbage cite plusieurs faits à l'appui de ses assertions.
Les observations faites à l'observatoire de Greenwich, et pu-
bliées aux frais du gouvernement, avec le plus grand luxe,
ont été trouvées flans une bouti(|ue de Thames-Street où on
le.s revendait à la livre pour en faire du carton de Bristol. Il
parait qu'un des memlnes du conseil, chargé de ce dépôt, avait
imaginé d'en tirer ainsi parti. In autre inconvénient beaucoup
plus grave, résultat de la négligence des étudis mathémati-
ques, est signalé par M. Babbage : «Le gouvernement dé-
couvrit, il y a peu de tems, que les termes d'après lesquels il
c a A N DK- li il r;r a c. n v . 1 4 5
payait les annuités étaient inexacts, (;t de nouvelles table*
durent faites par ordre du parlement. Il fnt constaté à la même
épo([ue, que les fausses tables avaient occasioné an pays une
perte de deux ou trois millions de livres sterling. On savait de-
puis long-lems qu'il existait nombre d'erreurs dans le règle-
ment de ces comptes, mais le gouvernement en fr.t le dernier
informé. Moitié de l'intérêt de moitié de cette somme, judi-
cieusement appliquée à l'encouragement des études mathé-
ijiatiques, eût empêché que de pareilles erreurs ne se renou-
vellassent jamais. ;>
On voit que dans son otnrage M. Rabbage aborde et ap-
profondit d'importans sujets, et de hautes questions : il ne re-
cule devant aucun abus; il les démasque tous, et en appelle
arec intrépidité et bonne foi au sens de la nation pour les faire
disparaître. L'intérêt de la science l'anime seul, et son tra-
vail, aidé de l'autorité d'un nom qui déjà se rattache à d'im-
portantes découvertes, ne peut manquer d'amener sur plu-
sieurs points de grandes améliorations. L. Sw.-B.
7. —On the portraits of englbh nuilwrs of gardeaing, etc.
— Sur les portraits des auteurs d'horticulture anglais, avec
des Notices biographiques , par S. Felton; Seconde édition
considérablement augmentée. Londres, i8jo; EfTmgham
Wilson, royal exchange. In-S" de •20.1 pages.
Quoique l'ouvrage de M. Felton soit réellement une bio-
graphie, l'auteur a su lui donner un iu'iérêt dramatique, une
vivacité de coloris qui anime ses peintures, fait mouvoir ses
personnages, au lieu de !es représenter dans l'attitude d'hom-
mes qui se laissent peindra. Quoiqu'il ait consacré son travail
aux écrivains anglais qui ont contribué par leurs ouvrages à la
propagation des connaissances d'horticulture, il n'a pas tout-
à-fait oublié les auteurs français; et, lorsqu'il parle de quel-
ques-uns de nos jardiniers, c'est avec une scrupuleuse impar-
tialité, en digne citoyen de la république des lettres. Nous ne
pouvons cependant nous dispenser de faire un reproche à son
livre ; les citations textuelles d'auteurs français y sont criblées
de fautes d'impression ; et en général, lorsque les presses an-
glaises reproduisent quelques lignes de français, il est rare
qu'elles ne les traitent point hostilement. Si nous nous per-
mettons le même procédé envers les auteurs anglais, lorsque
nous les citons textuellemeut, ne pouvons-nous pas alléguer
le droit de représailles. Dans les livres d'agrément, et celui-ci
en est un, la correction typographique est plus nécessaire que
dans tout autre écrit; une faute d'impression y cause une sen-
.tation désagréable, c'est une tache sur une parure élégante,
r, xrvii. jviM.KT i8"o. jo
i46 LIVKKS lhT,AN(;i<:ilS.
un délaut dans une fleur. La Fontaine conseillait de corriger à
la main les fautes d'impression que l'on trouverait dans ses
poésies, ce ([ui prouve qu'il était un lecteur délicat, et il faut
rC'lre pour apprécier les ouvrages de goût. Y.
8. — Picture of India : gtograp/iicat . fiiatorical aiul des-
criptive. — Tableau géographique, historique et descriptif de
rinde. Londres, i8jo ; "NVittaker et C"". 2 vol. ia-12.
Ces doux volumes répondent, par leur élégance typogra-
phique, aux idées de magnificence qui s'associent dans notre
esprit avec le nom de VInde ; tout ce qui nous intéresse dans
ee pays y est indiqué légèrement, mais d'une manière inté-
ressante La partie géograp]ii(|ue est traitée avec intelligence
vX savoir, et l'ouvrage contient plusieurs détails amusans sur
l'histoire naturelle de cette contrée. La description du gros-
bec indien [loa-ca phiUppina), et de ses précautions pour ga-
rantii' son nid de l'atteinte des serpens et de ses autres enne-
mis ailés, est des plus curieuses, (^et oiseau suspend sa petite
habitation, faite en forme de panier, avec des herbes habile-
ment nattées, au bout d'une corde composée des mêmes ma-
tériaux. Le nid est divisé en trois apparleniens. Lemàle se tient
dans le premier, gardien de la femelle et des petits qui occu-
pent les deux autres; une provision île vers luisans conservés
.sur im petit tas île terre humide, pourla nourriturede la famille,
a fait dire que le mTde, pour plus de sûreté, éclairait son ap-
partenïcnt. On lira aus^^i a>ec plaisir dans ce volimie la des-
cription de l'état des arts et de l'industrie parmi les Indous,
faite avec beauf oup de vivacité et de couleiu', et, à ce qu'il
nous a semblé, avec justesse et impartialité.
g. — * Notes on ilie Bédouins and IValiabys. — ISotes sur
lesliédouinset lesWéchabites, recueilliespar t/o/(nBcRCKiRDT,
pendant ses voyages en Orient. Londres, i85o; Colburn.
In -4".
Ce dernier volume desintéressans voyages de Burckardt, pu-
blié après sa mort, est un peu afïiiire de spécidation. La division
de l'ouvrage, en partie descriptive et partie historique., a l'incon-
vénient de donner les mêmes faits par duplicata; iNéanmoius
l'auteur des notes a vécu si long-teins parmi les Arabes, leurs
mœuis Ini" étaient devenues si familières, que ses moindres
observations, les nioindres traces de ses souvenirs sont en-
core de précieux dncumens. Burckardt est le voyageur qui a
le mieux connu et le mieux fait connaître les Arabes. Leurs
vertus hospitalières ressorlent avec éclat dans tous ses récits:
nous remarquerons surtout ce qu'il dit du harainy, ou prison-
nier mis à lancon. Il est traité tour à foui' avec barbarie et
GRANDK-miDTAGiNE. i4;,
humanité, en ennemi eten fils. Dès qu'il peut toucher le mai-
?ie, quelqu'un ou quelque chose qui lui appnrlicnne, en s'é-
t riant : Anudaklteilak^ « je suis ton protégé, "il n'est plus ex-
posé à aucun mauvais traitement. Si un entant lui donne un
morceau de pain , il a droit de réclamer le privilège d'avoir
mangé avec un libérateur, et on le remet aussitôt en liberté.
La pitié des chefs des tribus voisines peut sur-le-champ laire
tomber ses fers. L« dévoûment d'un de ses proches (souvent
sa mère ou sa sœur), si elle parvient à s'introduire dans le
camp des Arabes, assure sa délivrance. C'est ordinairement
sous le costume de mendiante que se présente la parente du
Imramy. Lue fois qu'elle sait dans quelle tente est le prison-
nier, elle s'y glisse la nuit, tenant à la main un peloEon de
fil ; elle tâche de lui en mettre un bout dans la bouche, ou de
le lui attacher ù la jambe, afin qu'il sache que quelqu'un des
siens est venu à son aide. La femme se retire ensuite, dérou-
lant le fil à uiesiu'e, jusqu'à ce qu'elje atteigne (me tente voi-
sine. Là, elle réveille l'Arabe endormi et lui posant le peloton
sur la poitrine, elle lui dit : « Regarde moi ! par ton amour pour
Dieu et pourtoimême, jemetsceci sous ta protection! » Aussilcjt
(|ue l'Arabe comprend le sujet de cette visite nocturne, il se lè-
ve, et, suivant le fil qu'il lient, il marche droit à la tente qui ren-
ferme le liaramy, et somme le maître de relâcher son captif,
déclarant que c'est son dahheil ou protégé. Il n'y a pas d'exem-
ple qu'une pareille demande soit jamais refusée. On délie le
prisonnier, on le régale comme un hijte bien venu, et ou le
renvoie libre. Ce fait, tout romanesque qu'il puisse sembler,
n'est point une fiction : le voyageur l'a vu se renouveler plu-
sieurs fois pendant son séjour chez les Arabes; et ce n'est pas
le côté le moins frappant de cette vie nomade et aventureuse,
([ue le respect de coutumes humaines, garanties seulement
parla bonne foi de tous. Il y a quelque chose de touchant dans
cette civilisation organisée d'un commun accord, et sans son
cortège obligé de lois et de châtimens. La pitié et la sympa-
thie ont là un code convenu, régulier, et dont le plus sau-
vage Bédouin n'oserait s'écarter. L ne histoire de la secte san-
guinaire des AYéchabites termine le volume, et n'en est pas la
partie la moins curieuse. L. Sw.-B.
10. — *On ihe best means cf improving ilie moral and pliysi-
<:al condition ofihe working dusses, etc.' — Des meilleurs moyens
d'améliorer l'état moral et ])hysique des classes lal)orieuses ;
-discours prononcé à la première assemblée scientifique men-
suelle de Ylnsdtul de mécanique de Belfast ; par Htnry iM'CoR-
MAC, D. M. Londres, i85o; Longman. In-8" de 24 pages; prix,
un shilling:.
,4« LIVRES KTUA.NGKRS.
i\l. le (locknir M'C^oiniac avait à leiiiplir iino t^u-lie devenue
Jafile à quelques égaids, diiricilc suvis un autre point de vue ;
il fallait faire sentir de plus en plus les avantages de la pro-
pagation des connaissances et de l'esprit d'association, et, par
conséquent, ajouter de nouveaux motifs à tous ceux qui ont
été exposés plusieurs fois. Il les a trouvés dans les circon-
stances particulières où l'Irlande est placée aujourd'hui. On a
peut-être à lui reprocher une erreur hien excusable : il pense
que tout homme est capable d'instruction, et que, de quel-
ques mauvaises qualités que la nature l'ait doué, l'éducation
peut le rendre meilleur. Quoique cette {U'oposition soit vraie
pour les masses, elle ne l'est point pour q-ielques individus ;
i! en est quelques-uns que l'instruction rend plus redouta-
bles, qu'elle arme d'in>trumens de crimes, instrumens plu»
dangereux (|ue ne peut l'être la brute nature, dans toute sa
perversité. Mais cette opinion de iM. M'dormac, qui est celle
de plusieurs philosophes des plus distingués, n'influe point
sur l'ensemble de ses vues de bienfaisance éclairée, active,
cfïicace, s'attachant à détourner la source du mal, au lieu de
se borner à des palliatifs. Tout ce qu'il dit peut être pratiqué
partout, aussi-bien qu'en Irlande. Y.
1 1. — Ireland and ils cconomy ; being tlie rcsalt of observa-
tions mode in a tour tlirougli ihe country, in the autanin ofi^iç).
— De l'Irlande, et de son économie intérieure ; résultat d'ob-
servations laites dans ce pays pendant l'automne de iS-jt);
par J. E. BiCHENo. Esq. Londres, i85o ; Murray. In-8°.
C'est lorsque la grande mesure de l'émancipation avait déjà
apporté quelque soulagement aux maux de l'Irlande, que
M. Ri( heno a parcouru ce malheureux pays. Dans des vues
toutes philanlropiques, il a cherc^hé à déconviir la cause des
souflVances dont il était témoin. Une population qui s'accroît
à mesure (pie les moyens de la faire vivre diminuent, c'est là
le fait malheureux qui donne un démenti à tous les raisonne-
mens des philosophes et des économistes, et qui déjoue tous
leurs plans d'amélioiation. Le voyageur anglais, imbu, sans
s'en douter lui même, des préjugés aristocratiques que dans
sa patrie on suce avec le lait, regrette l'organisation des clans^
qui parquait une masse d'hommes au profit d'un seul, et at-
tribue les malheurs de l'Irlande à l'abandon d'un système, qui,
selon lui, unissait le propriétaire au prolétaire par des liens
d'affection et de patronage. Il dit avec raison, que les dissen-
sions et les troubles ne viennent point des oppositions reli-
gieuses, que celles-ci sont un phénomène, un effet, non une
cause. Tous ie'^ riches sont pintf<tans, fous les pauvres, ca-
tholiqucâ, cl l'ôlul de guerre entre ces deux classes ne \ ieiit
pas do la différence de sectes; c'est bien plutôt leur haine
mutuelle qui les a rangées dans deux camps opposés. Cette
vue de i\I. Biclieno est ibrt juste; mais il est étonnant qu'il ne
donne pas sur-le-chainp l'explication de cetétat de choses, et
qu'il aille la chercher dans l'abandon d'un vieux système que
le {;enre humain grandissant a dû briser, comme l'enlant brise
ses lisières, quand ses mem])res sont assez forts pour le por-
ter. La cause de la haine entre les pauvres et les riches, en
Irlande comme ailletns, est facile à troiiver : elle naît de ce
que les uns ont tout; les autres, rien.
M. Bicheno se range parmi ces admirateurs du passé, qui,
tournant incessamment dans un cercle vicieux, attribuent
les maux de l'humanité aux nouvelles doctrines, et, en expli-
(juant deux effets l'un par l'autre, prétendent remonter aux
causes. Le voyageur peut regretter, mais il ne rappellera pas
ces tems où « les rentes, que l'on a refusées depuis aux land-
lords républicains, étaient volontairement payées à des chefs
despoti(iues; où des contrats passés en rompant une baguette
ou une paille étaient plus ojjligatoires que ceux qui sont enre-
gistrés aujourd'hui sur le parchemin, et dont le peuple se rit,
ne se regardant pas comme lié parce qu'il y a du noir sur du
blanc, des lettres tracées sur uuepeaude monto». » Chaque âge
de la société a ses vertus; les besoins et les maux se sont accrus
avec les lumières, non comme conséquences les uns des au-
tres, mais tous naissant de l'expérience, de la vie, des lois de
noire organisation; car la société, établie sur le modèle de
l'homme, grandit comme lui, et ses exigences , ses défiances
grandissent avec elle.
Les regrets de ces tems d'enlance appartiennent aux poètes :
à eux, le champ des souvenirs et celui de l'espérance, ces deux
paradis sans bornes, entre lesquels marche la vie positive : le
moraliste, l'observateur qui recueille des matériaux pour la
législation et pour le gouvernement des peuples, a une autre
tâche : il faut qu'il mette le doigt sur la plaie et lui donne son
véritable nom, car c'est presque toujours indiquer le moyen
de la guérir. La division des propriétés est l'unique, mai^ diï-
ficile remède, à la situation de l'Irlande, si critique, que ce
n'est pas de sa durée que le ministère s'inquiète, puisqu'elle
est impossible , mais bien de la manière dont le pays peut
trancher la question, si l'autorité ne la résout. C'est à lui,
c'est au gouvernement, de trouver les moyens d'amener pro-
gressivement, légalement, une répartition que, tôt ou tard,
une révolution effectuera : une Révolution, c'est-à-dire, une
,5c> LIVRES KTRANGEPxS.
(le ce» violentes iiijuslico.'^ qui, de teins ;'i autres» viennciti
tout à coap compenser en un moment des siècles d'oppres-
sion, et redresser par une terrible secousse Ui balance sociale.
L. Sw.-li.
RUSSIE.
13, — Réponse à la Lettre de Tutunc/Ju-Oglou , par M. de
Hammer.
i3. — Observations sur fa Lettre de Tiitandju-Oglou-Moiis-
tafa-Jga, véritable philosophe turk, à M. Thaddée Balgarin^
rédacteur de VJbciUe du Nord, etc., par F.-B. Charmoy. In-8"
de4op. Saint-Pétersbourg, 1828; imp. de C. Hintze.
Nous voici engagé dans une discussion, sans doute un peu
longue, au sujet de deux ou trois brochures, dont le l)ut est
peut-être un peu trop spécial pour un recueil qui ne peut et
ne doit s'attacher qu'à présenter à ses lecteurs l'analyse som-
maire, et pour ainsi dire l'essence des faits les plus généraux
ou des productions capitales de la science ; mais nous croyons
avoir prouvé qu'il s'agissait de quelque chose de plus ici que
d'une simple discussion littéraire entre deux Orientalisle>;. .-i-
non également célèbres, du moins également recommanda-
bles ; et d'ailleurs, il serait injuste de reluser à la défense la
place que nous avons accordée à l'attaque. Écoutons donc un-
instant M. de Hanmier et celui qui s'est constitué son défen-
seur oilicieux, sans doute par estime pour ce savant pro-
fesseur et par con\iction pour sor\ b(ui droit.
Dans sa Réponse ^ insérée dans le cahier de juillet 1828 du
Nouveau Journal asiatique (p. 5o à 7«), 31. de Hammer
essaie d'abord d'intéresser à sa propre cause l'honneur de
la Société asiatique de Paris, qui l'a nonnné le premier de ses
associés étrangers, cl dont le jugement, dit-il, est compromis
par Vindigne attaque de M. Senkovsky, et par le ton et l'objet
de sa criti(|uc. Nous ne voyons pas tout-à-fait la conséquence
d(î ce raisonnement; nous ne croyons point qu'aucune so-
ciété du monde ])uisse être compromise eu rie-n. parce que les
écrits d"un de ses membres on d'un de se-^ associés auront été
Fobjet d'ime critique plus ou moins sévère, plus ou moins
fondée, de la part d'un autre savant étranger à la société, ou
même faisant partie de la société ; à moins de déclarer que
cette société et tous ses membres ou adhérens sont infailli-
bles : prétention que nul homme ou même nul corps n'est en
droit (l'aflichor à l'égard de tons les autres, et dont le ridicide
ferait aujourd'hui ju^tii e.
(^)uoi qu'il en soit. M. de. Hammer ne répondra {)as , dit-il ,
kussil;. ir>i
par des injmo!^, aux injures de M, Sciikovsky; ii veni, suivant
l'expression de !'(dyl)e , (jue sa défense soit uon-sciilemenl une
lutte, mais encore une ccoie. Mous ne pouvons en eela qu'ap-
prouver i>l. de Hatnnier, (pioi((uc nous devions à la vérité de
déclarer que nous avons trouvé bien des malices, l)icn des mé-
chancetés dans la lettre de M. Senkovsky, mais rien qui ne
nous paraisse être de bonne guerre, et surtout rien qui ressendde
le moins du monde à des injures. Après un préambule, où h»
modestie de notre célèbre orientaliste M. Silvestre de Sacy
reçoit un éloge que tous ses confrères déviaient bien tâcher
de mériter comme lui, M. de Hammer entre en matière, et
passe franchement condamnation sur les fautes et les erreurs de
sa traduction. Il avoue qu'il a eu tort «de traduire les mois
ichtlar et mounfesi/ian comme s'ils étaient des noms propres» ;
qu'il n» mis par mégarde dans cette traduction, le côté droit
pour le côté gauche^ et ceuw-ci pour ceux-ld )i ; il avoue qu'il
aurait du «lire herke , au lieu de birke», et qu'il a eu >' tort de
prendre les mots {/aki-ol-djaji, haki-el-djuyi , ou hakil-djayi
pour le litre d'un ouvrage». Enfin il reconnaît que « la leçon
de djebal ( montagnes ) vaut mieux que celle de djcîîial (cha-
meaux ) ». — «Voilà, dit-il, pour les fautes d'inadvertance;
pour les autres qui ont été relevées par M. Senkovsky, elles
sont autant de fictions de sa création. » Si la leçon de Kdrran
vaut mieux que celle de Kazirau {\olor, dealba tor) , qu'il a rendue
par foulon , il n'est pas vrai , ajoute-l-il, que ce mot signifie
une blanchisseuse, comme le veut M. Senkovsky, ce qui don-
nerait lieu de croire que ce sont les femmes qui blanchissent
en Perse , tandis que ce sont les hommes. Si la leçon de
Gliouniran vaut mieux que celle à''Oamran^ il n'en a pas moins
eu raison de traduire celle-ci (qui est celle que poile son ma-
nuscrit) par le mot de culture, qui est celle que lui donne Ihn-
Klialdoun et le dictionnaire arabe-turc (.VJkhiéri, qui a paru
il y a deux ans à Constantinople. Il soutient que le mol per-
san kundus est le nom d'une lierhe vénéneuse ^ et non celui du
castor, comme le veut iM. Senkovsky, qui a confondu ce mot,
dit-il, avec celui de koundliouz.
Nous ne suivrons pas plus loin le célèbre orientajiste de
Vienne sur le terrain glissant de cette discussion, où il semble
reprendre quelquefois l'avantage contre son adversaire, qu'il
taxe à son tour, en propres termes, d'ignorance et de présomp-
tion, et qu'il accuse d'user souvent à son égard « d'un procédé
qui ne peut réussir qu'auprès des personnes qui n'entendent
rien aux textes orientaux» ; c'est de paiaitre corriger ses tra-
ductions «par une nouvelle interprétation, qui est en réalité
i53 LlVilliS lïrilANGEilS.
moins jlI^te el niojiis fidèle à la lettre dti texte. » Nous ne som-
iiies point juge compétent dans ces matières, comme nous l'a-
vons déjà déclaré, et nou> aAonshâle d'anivei au point le plus
important de cette discussion, qui est relatif au sujet même
de l'ouvrage de M. de Hammer, critiqué par M. Senkovsky,
c'est-à-dire aux origines russes. «Il en sera, dit-il, comme
l'entend M. Senkovsky, je ne serai, comme il lui convient de
le dire, et si l'on peut le croire, qu'un //"«/îc ignorant, un c/iar-
Uitan{\), en histoire et en géographie; je lui abandonne tous
mes ouvrages, car il paraît que c'est leur quantité qui l'irrite...
mais je ne puis désavouer ce que j'ai dit sur les Sacœ, les mots
Czar, Ras, Corsarcs et sur la patrie originaire des Germains. »
Ici l'auteur s'attache à prouver les cinq propositions suivantes,
savoir: i" que «les Sâxat des Grecs /;flram^//< être les Slaves»;
2° que« le nom de Czar est nu nom asiatique»; 5° que« les
Corsans du Chahnamé sont les Xwcoaoot des géographes
grecs ) ; 4° qne« les Assliahi-Ras du Coran, placés par quel-
ques commentateurs sur les bords de l'Araxe, ionX. probable-
ment les P&K de l'Écriture, c'est-à-dire les Russes d'Asie y
que les historiens orientaux classent parmi les Turcs » ; 5° en-
lin (et cette dernière proposition n'est plus relative aux Rus-
ses, mais aux Germaitis), que «la patrie originaire des Ger-
mains et des Teutons est au delà de l'Oxus, la lioukharie»
(quoique, ajoute M. de Hammer lui-même, la « leçon du ma-
nuscrit de Mirkhond qui porte Germania pour Djôrdjania soit
fausse», ce qu'avait observé son critique).
II faut lire dans la Défense même de l'auteur toutes les rai-
sons qu'il cherche pour appuyer son opinion, et les compa-
rer ensuite avec celles que donne M. Senkovsky pour corro-
borer ia sienne, (jui lui est toute contraire, et pour la(((ielle
noué avons déjà dit que nous penchions. Mais cette opinion
ne reçoit point de valeur de la nôtre, que nous devrions ap-
puyer à notre tour sur des preuves. Ce n'est pas ce que l'on
peut faire en quelques mot^. Nous le tenterons peut-être un
jour; mais dans un travail spécial, pour lequel nous n'avons
encore qu'une bien faible partie des matériaux, et surtout des
connaissances que nous sentons être nécessaires. Nous ne
voudrions pas imiter en cela l'exemple de savans célèbres qui
se sont présentés (pielquefois dans l'arène, armés un peu trop
à la légère, et qui ont donné des conjectures ha.sardées pour
des faits, qimique nous ne puissions prêter à nos erreurs l'au-
(0 Remarquons, en passant, que ces mots ne se liouvenl nulle pai ï
lexluellcnicnt dans la leltte île M. Stnkuvsky.
ilLSSlK. 1-55
turilé il'uii nom qui les rendît I)ieii dangereuses, et que pat
cela même sans doute nous fussions plus excusables. Les sa-
vans, et en général tous ceux qui écrivent sur une matière
quelconque , devraient s'appliquer avant tout à augmenter la
somme des vérités connues. Ce n'est pas la peine de s'élever
au-dessus du vulgaire et de monter ù la tribune, si l'on ne fait
(jii'embrouillcr la (jucstion et épaissir davantage le voile de
l'erreur ou du doute. C'est là le point moral de la discussion,
e'cst là où nous voulions en venir; et tout notre désir serait
de voir les savans se rendre un peu plus respectables en se
respectant un peu plus eux-mêmes dans les querelles que
peut leur susciter l'amour-propre.
Il nous reste bien peu de place pour parler des Obsenations
de notre compatriote M. Cbarmoy, qui, on ne sait trop pour-
quoi, est venu se mêlera celte discussion. Ma raison, dit-il,
se refuse à attribuer, comaie M. de Hammer, un semblable
libelle à un homme aussi distingué que M. le professeur Sen-
kovsky. ))I1 entreprend donc de lui répondre, et il essaie de le
faire sur le même ton qui règne dans la lettre de son adver-
saire, ou plutôt de celui de iM. de Hammer; mais, si la plai-
santerie est une arme que l'on se plait généralement à voir
manier par les Français, et dans laquelle on avoue assez
volontiers la supériorité de notre nation , il faut bien recon-
naître qu'en cette occasion notre compatriote a été vaincu
par un étranger, qu'il est resté bien loin de la finesse, de l'i-
ronie, et surtout des convenances, et des formes du style em-
ployé par l'agresseur; nous dirons même que sa brochure,
écrite en français, mais très-peu soignée sous le rapport ty-
pographique , semblerait bien plutôt traduite péniblement
d'une langue étrangère que celle de 31. Senkovsky, qui a été
écrite originairement en russe.
Ce qu'il y a de plus clair dans la brochure de M. Cbarmoy,
c'est qu'il a voulu, sous le prétexte de défendre M. de Ham-
mer contre les attaques de M. de Senkovsky, montrer que ses
connaissances sont supérieures à celles de ces deux savans ; ce
que nous souhaiterions de tout notre lœur, ne fût-ce que par
esprit national. En effet, il accuse le célèbre orientaliste de
Vienne (p. 4) de travailler « parfois avec trop de légèreté».
Il ne s'est, dit-il (p. b) , immiscé dans cette discussion, que
parce que M. de Hammer» s'est laissé intimider par le ton
tranchant du quolibet dirigé contre lui », et qu'il s'est borné
"ft chanter la palinudien , au lieu de relever les fautes gros-
sières cJoiU fourrn-.'if; 1'!);!"» i ti;;c de sou adversaire. Il oppose
(p. 9 à 12) sa propie Aersion de quelques passages a la tra-
duction de M, Senkovsky, et prétend prouver par-là que ce
i54 LIVRES ÉTRANGERS.
«mordant censeur les a tout aussi mal entendus que le savant
qu'il a critique». Étrange manière, on Tavonera, de défendre
M. de Hainmcr!
Mais, ce qu'il y a de plus curieux dans cette prétendue dé-
fense, c'est (|ue le fumeux Djebal , sur lequel M. de Hammei-
hii-mrme a passé condamnation de si bonne grâce, no «loit
plus être remplacé, selon M. Cliarmoy, par celui de Djcmal
(ou Djimâl) qu'a proposé 31. Senkovsky ; mais qu'il faut lire,
à la place de ces deux mots, celui de chutarlia, que l'on trouve,
dit-il, dans le texte persan, donné par M. de Hammer lui-
même à la suite de son ouvrage. C'est ce qu'on appelle faiie
d'une pierre deux coups ; c'est tuer à la fois (toujours dans la
suppositioncpie notre compatrioteait raison) et M. Senkovsky.
contre lequel il dirige sa réfutation , et M. de Hammer, (pi'il
préteiul défendre, (kda nous rappelle enfin la fable de VOitrs
émoucheur (i) , et ce vers de notre bon et inimitable La Fon-
taine :
Mieux vaudrait un sagf; ennemi,
qu'on pourrait appliquer à de plus grandes erreurs.
Edme HÉREAu.
POLOGISE.
14. — * Discours pi'ononeé par M. le comte 'Slos'vty^sH.i ^ séna-
teur palatin,, ministre de l'intérieur et de la police du royaume
de Pologne , èi l'oueerlure de la diète, le 28 mai i83o. Varsovie,
18Ô0 ; imprimerie de Clucksberg. In-8" de 59 pages.
Les ministères ne sont pas aussi mobiles en Pologne qu'en
France : nous avoiîs sous les yeux les discours prononcés de-
puis i5 ans parle même ministre, à l'ouverture de chaque
diète. Cette stabilité est un bien ou un mal , suivant l'usage
que font du pouvoir ceux qui en sont dépositaires Mallieu-
leusement, le bien ne peut être opéré (jue lentement, au lieu
que le mal j>cut tond^er comme une bombe qui écrase par sa
chute, et répand au loin ses éclats meurtriers. >(»us nous plai-
gnons avec raison de l'état actuel de la France; nous sentons
péniblement toute l'étendue de nos besoins, le poids énoime
du fardeau qui nous accable; nous connaissons les moyens de
soulagement et les obstacles qui s'opposent à leur adoption :
la Pologne est-cl'e mieux (jue nous? Examinons.
l'our une population (pii n'est guère «pie le sixième de
C(!lle de la l'ranc»; , on conipte i/|,i4'i causes criminelles; ce
serait, à proportion, au moins 85, 000 pour la France; il y en
'1) L'()u)'s cl C A mal un- tics jardin r., liv, viii. fal). x, édit. parisienne.
iH)L()(;:>E. ,5S
s moiii.s che/- nous. Mais il paraît que les écoles supérieures
soûl plus fréquentées en Polop^ne quen France. Quant ;'i l'in-
struction primaire, ce discours ne donne pas la mesure des
progrès qu'elle i\ pu faire en Poioiiue ; M. le ministre de l'in-
térieur annonce que le nombre des éludians s'est accru, quoi-
que celui des écoles ait été diminué. Les maximes qui diri-
gent le gouvernement polonais, relativemcut à la propagation
des connaissances, doivent être remarcjuées par les philan-
tropes; nous les livrons à leurs méditations. Les voici telles
que M. le comte Mostowski les expose : » Aucune société dont
ïes membres n'auront point appris à discerner le bien et le
mal, le vice et la vertu ; auxquels on n'amait pas, à cet effet,
ainsi que pour la direction de leur avenir, enseigné les pre-
miers élémens de toute instruction sociale, à lire, à éciire, à
compter, et ce qui est strictement nécessaire à la profession
qu'ils exercent, ne saurait être mure pour chérir et maintenir
un état de choses hors de leur portée. Et, s'il est peut-être
vrai que l'extension irrégulière des connaissances, en aug-
mentant la sûreté des personnes, tend à diminuer celle des
propriétés, par les nouveaux désirs qu'elle excite, le moyeu le
plus simple d'écarter l'appât des jouissances illicites se trou-
verait eu facilitant surtout pour chaque état l'instruction li-
mitée qui lui convient, et qui attachera davantage. » Cette
doctrine poussée trop loin ne serait point sans danger : elle
tendrait ;"t faire penser que l'effet de l'instruction pourrait être
d'engager les assassins à se contenter d'être voleurs, ce qui
serait une amélioration ; mais que. d'un autre côté , l'accrois-
sement illimité de l'instruction multiplierait les vols , ce qui
serait aussi un grave inconvénient. Quant à V instruction limi-
tée qui convient d chaque profession, il est fort à craindre que les
distributeurs ne se trompent sur une dose aussi précise, qu'ils
n'aiment mieux être avares ([ue prodigues, et que, pour éviter
plus sûrement la multiplication des vols, ils ne laissent faire
quelques ]>as rétrogrades vers l'assassinat. Mais continuons
notre examen.
En raison de la population, le clergé polonais n'est pas la
moitié de celui de France . et proi)al)lement il n'est pas traité
plus magniîiqueuK'ut : c'est un bien. Dans l'espace de cinq ans,
267 fonctionnaires , prévenus de concussion ou (Calnis de pouvoir^
ont été poursuivis criminellement : justice a été faite, c'est en-
core un bien ; mais le nombre des prévaricateurs est très-
grand, ce qui décèle quelque vice dans les lois ou dans les
mœurs; voila un mal. Xous ne manquons pas non plus de
fonctionnaires prévaricateurs; mais bien peu sont poursuivis
i.">(i LIVRES Jh'ilA.NCiJlS.
criiuiiieilfcinent. Les levées de reciues oui été moindres en Po-
lojrne qu'en France. En Pologne, les routes s'aniélioraienl ,
landis que les nôtres se dégradaient de plus en plus. Les amé-
liorations sont rapides, dans un pays où l'on avait tant à répa-
rer ; chez nous, où il ne s'agissait que de conserver, on n'a
rien acquis; et sans les eflbrts constans des amis de la patrie,
les })ertes eussent été nombreuses, et peut-être irréparables.
Que les Polonais soutiennent leur courage, qu'ils ne cessent
jamais d'espérer, et qu'ils s'attachent à resserrer le faisceau
national : pour eux l'avenir n'est pas, comme pour nous, me-
naçant et chargé d'orages. Tout l)ien considéié, rlans les cir-
constances actuelles, ils ont à se féliciter d'un étal de choses
qui ouvre la voie à de nombreuses améliorations. Tous les
vœux des amis de l'humanité accompagnent et encouragent la
nolile nation polonaise dans sa tendance progressive; et le mi-
iiislre qui veut la favoiiser, et qui remplit ainsi les intentions
(le son jeune souverain, mérite aussi des éloges. N.
ALLEMAGNE.
i5. — MikroskoiHsc/te Linlersiicliungenji. s. w. — Recherches
microscopiques sur la découveite laite par M. Robert Brocvn
de particules vivantes, indestructibles même dans le feu. se
trouvant dans tous les corps, et sur la génération des Monades ;
par le docteur C. Jug. Sigm. Schiltze. Carlsruhe et Fri-
bourg, 1828. In-4''-
Depiiis le commencement des recherches scientifiques, un
des buts principaux de la physiologie a été, d'un côté, de
])oi:rsuivre le gci-me de la vie jusque dans ses premiers mou-
vemens; de l'autre, de découviir les phénomènes qui signa-
lent,-le passage de la vie à la mort. Le microscope a servi
inaintes fois à l'examen de ces problèmes encore insolubles, et
il a ramené les philosophes à ces idées de molécules et d'a-
tomes qu'avaient déjà professées Empédocle et Démocrite.On
a vu là, comme vm beaucoup d'autres points, un obscur ius-
tiiicl de ces antiques génies devancer les démonstr.itions de la
science.
M. llobevi lÎRovvN, (pii se li\re aux recherches microscopi-
ques, annonce, dans \\n Mémoire (pii a paru à Londres en
1829, et dont la Revue Encjcloijàlique a rendu compte ( voy.
l. xLiv, p. 124), que tous les corps organiques et inorganiques
'ontininent des particules animées, pourvues Wan mouvement
propre^ qui sont dans tous les corps de la même forme et de la
même grandeur y et qui ont le même mouvement.
Ct'llc <nirslion a (lt;)i'i ctr sonniisc an jiigoment de l'Aindé-
inic ik's sciences. M. Ad. Brongmart avait présenté un Mé-
nioiie flans lequel il avançait que c'est un caractère commun
aux corpuscules reproducteurs de tous les êtres organises de jouir
d^une vie propre qui se manifeste par des muuvemcns sponiuîirs.
M. BroT^n étendait letle proposition à tous les corps de la na-
ture. L'Académie, appelée trois l'ois à prononcer son avis dans
ces difficiles questions, élève dans son premier rapport la dé-
couverte de M. Brongniart jusqu'aux nues, admet le doute
dans le second, et dans le troisième déclare que les travaux de
M. Robert Brown fomnissent de Ibrtes présomptions contre
l'hypothèse du naturaliste français.
Ce sont ces travaux de M. Brown que t>l. Schultze a soumis
à un nouvel examen ; et il est arrivé à des résultats tout diffé-
rens:
1°. Le mouvement des molécules n'est point un mouvement
spontané; il est dû à l'évaporation du li(|uidc, à l'imbibition
ou à la dissolution des particules. Si on les place dans un li-
quide qui s'évapore dillicilement , l'huile par exemple, le
mouvement cesse; il l'accélère beaucoup dans l'alcool et l'é-
ther. En étudiaut avec attention ces mouvemens, M. Schultze
est parvenu à en distinguer trois espèces qu'il rapporte à trois
causes difterentes : le premier, d'ascension et de descente, est
produit par l'évaporation du liquide; le second, d'oscillation,
semblable à la supination et à la pronation de la main, est du
à l'imbilùiioii successive des particules; le troisième, d'e rota-
lion, à leur dissolution dans la liqueur.
•2". M. Robert Brown a avancé que ces mêmes particules
qu'il a aperçues dans le pollen des plantes se retrouvent
comme molécules élémentaires dans tous les organes des ani-
maux et des végétaux , et sont les mêmes que celles qu'ont
décrites BufFon, Needham, \Vrisl;erg, Midleret MilneEdwards.
M. Schultze nie 1 1 vérité de celte proposition pour les parti-
cules organiques. Elles ditïèrent de formes et de grandeurs
suivant les animaux et suivant les organes. Et le raisonnement
est ici d'accord avec les faits; car quelle explication des diffé-
rens phénomènes vitaux pourrions-nous espérer d'atteindre,
si ces opinions d'une similitude complète entre toutes les
parties élémentaires des corps organisés étaient confirmée^
par l'observation ? Quant à la texture des corps inorganiques,
où M. RobertBrown prétendavoir trouvélesmolécnlesconime
parties élémentaires, il semble à iM. Schultze qu'elles sont un
produit de l'art , et qu'on peut leur donner le degré de gros-
seur qn'itn \en! par la poix ('ri-^alion.
,58 LIVUES KTRANGl-US.
Tels sont les résultats auxquels est arrivé M. Srhultze par
«Il grand nombre d'observations attentives et ingénienses. Il
esl impossible de méconnaître la valeur de ses objections; et
on en sentira encore davantage la force si l'on se rappelle qu'un
observateur plein de sagacité, M. Raspail, a déjà attaqué, et
presque par les mêmes motifs, le Mémoire publié par
IM. Adolpbc Brongniart sur les particules du pollen. Il est
évident que, ([utd (|ue soit le pouvoir de nos verres grossis-
sans, nous sommes encore loin d'avoir atteint les limites où
la nature commence ses opérations. E. L.
i6. — * Corpus [lislonœ Byzaniinœ. — Collection des His-
toriens de B3'zance : Nouvelle édition publiée par les soins de
M. NiEBVHR. Bonn, isôo. In-S".
Cette belle entreprise marche d'un pas rapide ; déjà elle
nous a donné Jgatliias, Niccphore, Constanlin Porpliirogtnete,
XeSjiicellc, etc., etc. : aujourd'hui MM. BerkercI îSiebihr pu-
blient plusieurs nouveaux écrivains : ce ^ont Dexippe, Eunapc,
Petrus Fatr'icius, Priscu.t , Malchus. Mrnandre . Olympio-
tlore, NonnosuSy Candide et Tliéopliane; enfin le volume est ter-
miné par les })anégyriquos de Procopc et de Priscien. Nous
<,'mpruntons à la prél'ace quelques renseignemens sur ces di-
vers historiens. Dexippe, Athénien, fut honoré de la dignité
d'archonte éponyme et fui agonothèle aux panathénées; il se
distingua à la fois comme oratiiur et comme historien, aussi
lui érigea-t-on une statue. La gloire militaire embellit aussi
>a carrière, car il défit les Hernies qui s'étaient jetés sur
Vlhènes, et leiu- tua 5,ooo honmies. Dexippe vécut jusqu'au
régne de Probus. Les fragmeus qu'on nous donne de lui sont
relatifs à la guerre des Scythes et aux afïaircs de Macédoine :
Photius vante beaucoup son style. — Eunape naquit à Sardes
en .5'i7, et continua l'histoire de Dexippe: il paraît d'après
Photius qu'il la poussa jusqu'en 4o4, année de l'exil de saint
Jérôme. Eunape professait une haîne aveugle pour les chré-
tiens. On a joint à ces historiens, ainsi qu'à Ménandre, des
fragmens découverts au \atican par l'abbé Mai. — Petrus,
né à Thessalonique, se distingua à Conslantinople dans l'art
de la parole. .Juslinien le chargea de plusieurs missions im-
portantes; dans l'une d'elle, il tondja au pouvoir du roi des
(îdths, à llaveune, et demeura trois ans cajitif ; après avoir
conclu plusieurs traités avec les Perses, il termina sa longue
et brillanle caiiière, laissant un fils qui suivit ses traces. Pe-
trus é( ii\ il l'histoire, mais il serait (liiruilc de dire où il com-
mença, on ))résume qu'il s'ariêta où commence Eunape. —
Priscusde Thrace a écrit huit livres sur Attila. On ne sait pas
ALLEMAGNE. i5g
non pins quel l'ut Icrommencement de son hisloire : scnlement
on remarque qu'on ne la cile pour aucunévèneineut anléricurà
455; on a des raison s de croire enlin qu'elle Unissait à 474- '"'"«6
où commence celle de Malchus. Celm-ci , né à Philadelphie en
Palestine, faisait à Constanliuople le métier de sophiste ; il
continua Priscns jusqu'à l'an 4^0, époque de la mort de l'em-
pereur Léon. Son ouvrage contient sept livres et embrasse
sept ans. Quant à Ménanilre, il continua l'histoire d'Agathias,
depuis l'invasion des Huns repoussés par Bélisaire en 558,
jusqu'à la fin de Tibère en 582. On ne sait d'Olympiodore,
<lc Candide, de Nonnosus et de ïhéophane que le peu que
nous eu apprend Pholius. AI. Classex a revu la traduction la-
tine. Il y a dans cette édition une multitude de corrections et
d'ingénieuses conjectures, les unes de M. ]Siebuhr, les autres
de M. lîekker : on les distingue par les initiales dont elle sont
signées- P. de Golbéry.
ij. — Antiquitates Saynenses^ etc. — xViitiquités de Sayn
recueillies en 1684 par Jean-PliUippe de IIeifieïnberg et pu-
bliées pour la première fuis sur les manuscrits originaux. Aix-
la-Chapelle et Leipzig, i85o ; J. A. Mayer. In-8°, avec figures.
Quoiqu'écrit à la fin du wii*" siècle, et publié seulement
au commencement du xviv" siècle, cet ouvrage était loin d'ê-
tre ignoré. Plusieurs savans y ont reconru avec fruit et se sont
appuyé de son autorité, entre autres le célèbre Hontheim qui
songeait à en faire cadeau au public ainsi que desiYote et Ad-
dltiones in Annales Browerinnos Trevirenses du même auteur.
Les Anliquilés de Sayii sont divisées en quatre parties. Dans la
première, il est traité de la ville de Sayn, de son château et de
ses dépendances ; dans le second, de Cunostein-Engers qui
est dans le voisinage, lieu où J. P. de ReLiTenberg reconnut
les débris du pont jeté sur le Rhin par César et dont celui-ci
fait mention dans le vi"" livre de la Guerre des Gaules. La troi-
sième partie est consacrée à des recherches sur Begiodulum,
non pas celui dont parle Tacite {Hisl., Iib.i\), mais le Regio-
duluin d'Ammien Marcelin. Enfin dans la quatrième est dé-
crite la paroisse de Heiuibach. Les differens chapitres ou Mé-
moires sont précédés d'une préface et accompagnés de notes
par M. ExGELMANN, conseiller à Arensberg, lequel n'a pas
jugé à propos de se nommer. de Reiffenbebg.
Ouvrages Périodiques.
i&. —* Kritisc/ie Zeitschrift. — llecueilciitique de jurispru-
dence et de législation étrangères, publié par MM. Mitter-
;,fio LIVRES ïiTHANGKFlS.
MAiER ol ZACiiAui.t. T. II : caliicrs u et m. Heidelherg, iSôo.
In -8".
Deux article? iinportaiis pour la Suisse ouvrent ce nouveau
volume. Dans le premier, M. Mittermaier examine le nou-
veau projet de Code pénal du canton de Genève ; dans l'autre,
M. Frey, docteur hfdois, entretient ses lecteurs des Codes
d'Uri et d'Appenzell. Attachons-nous d'abord aux lois qu'on
prépare pour l'heureuse cité qui , française au tems de notre
gloire, jouit aujourd'hui d'une liberté et d'une prospérité
dignes d'envie. Genève jusqu'à ce jour était encore régie par
notre Code pénal : cependant il y avait été fait des changemens
dictés par l'humanité et par la raison. Il est peu de pays qui
puissent se glorifier d'autant de lumières : de savans juriscon-
sultes, des historiens célèbres répandent sur leur belle patrie
l'éclat de leur réputation, et c'est de Genève que s'est élevée
récemment la philantropique discussion d'une des questions
les plus graves, de celle de l'abolition de la peine de mort. Le
projet dvint il s'agit aujotu-d'hui est le dernier travail du cé-
lèbre traducteur d(! lienthanr. Il ne s'agit de rien moins que de
mettre en pratiqvie les idées du philosophe anglais. Mais
M. IMittermaïer, tout en reconnaissant le mérite du travail de
M. Dumont, pense que son adoption n'aurait pas pour Genève
de résultats heureux. Passons sur la nomenclature des crimes
et la liste des peines. M. Mitlermaïer n'approuve pas les dé-
finitions qui souvent ne servent qu'à entraver l'usage qu'on
voudrait faire des lois, et (|ui ressortent bien mieux du bon
sens et du discours ordinaire, que de phrases trop souvent dé-
fectueuses et presque toujours incomplètes. Il critique plu-
sieurs de ces définitions, dont il fait sentir le vague et l'insuf-
fisance. Il blâme bien plus encore les explications que l'on a
cru- devoir doimer sous le titre ({''Expositions. La peine de
mort est conservée dans le projet, mais sous la réserve de ce
(jue le Grand-Conseil eu ama ilécidé : du lesle, elle n'est des-
tinée qu'à l'assassinat, à l'incendie au premier chef, à la
révolte, à la trahison. iM. Mittermaïcr réprouve le luxe des
amendes, qui sont fort chères et prodiguées avec une désespé-
rante profusion. — Jusqu'à ce jour on a peu fait pour la jiuis-
prudence suisse : aussi la publicjition des ordonnances el des
>laluts d'Lri et d'Appenzell est-elle un bienfait qui portera
bientôt ses fruits. Tout cela est écrit sans ordre, sans suite, en
langage vulgaire, et quelquefois même en rimes. On doit à
M. le docteur Frey un morceau iort curieux sin- ces statuts,
qui renferment f\es dispositions fort originales. Nous signale-
rons, quant à présent et sans ces analyses, deux iriorceaux
ALLF-MAGNE. ITALIK. i6i
d'une grande importance pour le droit français : l'un, sur les
nullités en matière de procédure, par M. Uauter, de Strasbourg;
l'autre, du savant avocat Fcklix ; ce dernier a pour objet
la séparation des l'onctions d'avocat et d'avoué. Eufln nous
indiquerons comme fort intéressant un apen u sur des col-
lections de droit d'Arménie et de Géorgie, nous réservant
de parler avec plus de détail d'articles d'un intérêt plus
général, tels que celui de 31. Mitlermaïcr sur la marche et les
progrès de la législation criminelle en général.
P. DE GOLBÉRY.
ITALIE.
19 — ■*Teoria c Pratica dcl Prohabile, dcW abate Giiiseppe
Bravi, etc. — Théorie et Pratique du Calcul des Probabilités,
par l'abbé Joseph Bravi. Milan, 1828; imprimerie de Félix
llusconi. Grand in-8" de 235 pag. ; prix, 3, 48 lires italiennes.
20. — Ra^ionamcuto critico sulla Teoria dcl Prohabile delL*
abate Giuseppe Bravi, etc. — Dissertation critique sur la Théo-
rie des Probabilités de Vahhk Joseph Bravi. Bergame , 1829;
imprimerie de Ma^zaluni. Grand in-8" de 1 53 pages; prix,
2, 5o lires d'Autriche.
Le second de ces deux écrits est du même auteur que le
premier. M. l'abbé Bravi répond à une critique de son ouvrage,
insérée dans le lecueil périodique publié à Wodèue sous ce
titre : Mcinorie di Morale e di Leileraiura. Le critique, animé
d'un zèle dont la religion pouvait se passer, et que la morale
ne réclamait pas davantage , n'a pas attendu l'approche du
danger pour jeter un cri d'alarme; il .1 deviné les projets de
l'ennemi, observé sa marche, et, allant à sa rencontre, il atta-
que impétueusement l'avant -gardé qu'il croit apercevoir.
L'auteur de la Théorie du Probable, étonné de se voir assailli
si brusquement comme ennemi de la religion, se fâche, et
riposte avec vigueur. Cette escarmouche n'aura pas de suite;
le combat doit cesser dès qu'on se sera reconnu de part et
d'autre. Nous n'avons donc à nous occuper que du livre qui
a été l'occasion de ces débats inutiles.
L'exposition de la Théorie est divisée en neuf chapitres, et
les applications en comprennent six. Le premier chapitre peut
être considéré comme une introduction ; l'auteur y expose en
peu de mots l'histoire des travaux des géomètres sur le calcul
des probabilités, et partant des notions générales de sensatiois,
(Vidées, de principes, il indique ce qui a pu jeter quelques philo-
>ophes pleins de droiture et de discernement hor- de? voies
T. XtVIT. .iriLTET I 83o. 11
ifîi LIMIKS KTlLUNCiEilS.
qui lui paraisi-cnt seules dirigéesAers la vérilé. Dès ce début,
quelques leeteiirs prendront peut-être un peu d'(>mbrage , el
observeront de plus près les raisonnemeus de l'auteur;
M. l'ahbè liravi n'y perdra rien. Quand ntême on s'ècarlerail
de tenis en ten.s de sou avis, re qui est inévitable, on recon-
n.'.ît si l)ien en lui l'amour sineère du vrai et le désir de pro-
pager le'^ conuaissaiices utiles, qu'on le suit avec intérêt,
qnebjue route (|u'il suive. Son introduction mériterait d'être
citée presque en totalité, tant j)our la justesse des pensées
(|ue pour celle des expressions ; nous nous bornerons par né-
cessité à traduire le dernier alinéa, où l'auteur indique plus
spécialeuienl son but et l'oidre qu'il suivra.
«J'ai profité, pour la composition de mon ouviage, des
lumières qu'ont répandues les écrits des géomètres dont je
viens de parler : j'ai surfont mis à contribution Bernoutli,
Conr/orcct et l.aplace. Mais, quel qu'ait été le génie de ces
bommes illustres, quel que soit le mérite des ouvrages qu'ils
nous ont laissés, il me semble qu'on peut faire disparaître des
c<tmplicati(»ns inutiles et des obscurités qu'ils y ont laissées,
(orrigcr certaines erreiu's qu'ils n'ont point aperçues, restituer
à la science des princi|)es (|u'ils ont omis. Je me suis donc
atlacbé à simplifier, ;i établir entre toutes les parties les liai-
sons nécessaires, à lemplir des vides, et ce travail amenait
quelques cliangemeiis. Je devais aussi, pour rendre la science
facile el ai'cessible à tons, éviter les longs calculs dont les
f;éonièlres ont rempli leurs ouvrages, déduire des notions les
[>lus communes les principes fondamentaux, el traiter le tout
par une métbode uniforme : le public jugera si j'ai réellement
fait ce que j'avais projeté. Jusqu'à présent aucun ouvrage
italien n'avait traité d'u9.e manière scientifique l'importante
question des probabilités; celui-ci contient déjà beaucoup de
véiités utiles, et déterminera sans doute quelque penseur plu»
profond à perfectionner ce que je n'ai qn'ébaucbé. »
Le second cbapitrc appartient à la métaphysique; l'auteur
V traite de la certiludc considérée en elle-même nul mit qu'il nous
est possible de lu connaître. Ici la mélapbysique ne manque point
d'amener son immense cortège de nuages, et d'en couvrir les
notions les j»lus claires ; l'idée iW certitude ieva\i de ce nombre >i
l'on pouvait s'abstenir de cbercber à l'éclaircir encore, si on
remployait partout avec confiance au lieu de scruter péni-
blement ce qu'elle peut être. Nous comprenons à merveille ce
f\\\e, c'est qu'/:,'//(')Tr. et les explications qu'on en donnerait ne
nous apprendraient rien de plus; nous sa vous tout aussi-bien
ce que c'est que le doute ; nous n'ignorons point qu'il diminue
ITAUK. i(r.
;i mesure que nous acquérons des connaissances lelatives à
l'objet (le noire incrédulité, et que, lor>(|u'il est enticren:ent
dissipé, la certitude le remplace ; en un mot, que, par rapport
à notis, la certitude est la conviction intime, cl ne peut être autre
chose. Si de ce qui se rapporte à notre intelligence nous pas-
sons aux ol)jets dont elle s'occupe, il nous faudra d'autres
mots, car nous aurons de nouvelles idées; et si, à raison de
quelque analogie partielle entre l'une de ces idées et quelque
autre appartenant à un ordre de conceptions diffère nteîî, nous
nousdésignons l'une et l'autre par le même mot, l'expression
Jiianquera d'exactitude, et le raisonnement où ce mot sera em-
ployé se ressentira de cette incorrection. Si le mot cfr/i^«f/c dési-
gne l'étal de l'esprit qui ne doute point, et ne peut douter, parce
qu'il apei'coit clairement la totalité de l'objet dont il s'occupe, il
ne devrait pas être permis de dire ]a certitude fi' tin fait. Dansée
cas, puisqu'il s'agit des choses, le mot réalité n'est -il pas le plus
convenable, le mot propre? M. l'abbé Bravi n'a pu échapper
entièrement à l'obscurité d'une discussion métaph vsique. quoi-
que son raisonnement y soit d'une sagesse lemarquable, et
qu'il fasse très-bien connaître les causes de l'incertitude qui
s'attache à tous les résultais de notre intelligence, même en
mathématiques. 11 démontre ave( une telle évidence la néces-
sité d'évaluer le degré de probabilité de chacune de ces opé-
rations qu'après avoir lu ce chapitre on est persuadé que la
partie la plus précieuse de l'art du raisonnement est celle qui
établit les méthodes et dirige les applications du calcul ne?
proba! ilités.
Dans les chapitres suivans l'auteur discute successivement
îes notions de probabilité simple, de prcbabiliié composée, et il
passe en revue les causes diverses qui font varier celles-ci,
quant à la valeur que nous leur attribuons. Il traite ensuite de
la combinaison des différentes soiles de probabilités plus ou
moins complexes, plus ou moins appréciables. L'usage du
calcul lui devient indispensable; mais il le réduit à des opéra-
tions d'arithmétique très-faciles, et supplée par le raisonne-
ment à ce que les signes algébriques eussent représenté. Dans
le troisième chapitre, au sujet de la probabilité simple, une
question de mots ne semble pas déplacée, et peut répandre sur
les choses mêmes quelques lumières dont la scieuf e profite-
rait. L'auteur, d'accord sur ce point avec tous les j^èomèties,
établit cette loi générale : « Dans nue série d'évèneniens éga-
lement probables, le degré de leur probabilité relative est ex-
primé par une fraction numéri((ue dont le numérateur est
l'unité, el dont le dénonriiialeur est le nombre total de ces
i64 LIMIES ÉTHA.NGlKS.
évènemens. » N'est-ce pas une rèsle de calcul que l'on transforme
ici en loi? Les lois tiennent essentiellement à la nature des
choses; dans le cas dont il s'agit, ce n'est plus sur les choses
que porte notre jugement, mais sur la connaissance que nous
en avons. Nous regardons comme également probables des
évènemens dont l'éventualité nous est inconnue au même
degré, mais qui ne sont point également possibles, ni même
placés (Ions des circonstances également favorables. Ainsi, par
excmble , les numéros d'une loterie occupent dans la roue,
avant le tirage, une place déteiTninée : voilà pour ce tirage un
premier fait : quelques-uns de ces numéros sont en avant,
d'autres en arriére ou dans l'intervalle; le mouvement de ro-
tation de la rnue et la pesanteur les affecteront d'après cette
position initiale, et il est évident que leur place, après le mou-
vement et au moment du tirage , dépend de celle où ils se
trouvaient d'abord. Ils ne sont donc pas tous également à la
portée de la main du tireur, leur sortie n'était pas également
probable. Le calcul n'est donc fondé que sur une hypothèse
représentant, non pas l'état des choses telles qu'elles sont, mais
notre ignorance de ces premières données : ce n'est donc pas
une loi que l'on a introduite dans l'évaluation des chances
de la probabilité. A la rigueur il n'y a peut-être point d'évè-
nemens également probables; on serait tenté de l'affirmer si
l'accusation de fatalisme ne menaçait pas le téméraire qui ose-
rait avancer cette scandaleuse proposition ; mais ce dont on ne
peut douter, c'est que les cas d'éventualité réellement égale
pour un grand nombre de chances sont extrêmement rares,
et que par conséquent le calcul fondé sur cette égalité doit être
fort souvent en défaut.
Cet ouvrage niériterail une analyse approfondie. Le peu que
nous en avons dit d'après une lectiue trop rapide nous a con-
vaincu de son utilité, et ce que nous avons pu relire est pré-
cisément ce qui nous a le plus sdisfail. Cet ouvrage est
très-propre à provoquer des méditations sans fatigue, et fruc-
tueuses : on ne sera pas moins content des applications que de
la théorie. Il est bien à désirer que nos professeurs de philoso-
phie sachent profiter de l'excellent travail de M. l'abbé Bravi.
Ferry.
21. — * Tealro di Shakespeare, volgarizato , etc. — Théâtre
de Shakespeare, traduit en italien par Firginias Soncini, avec
des notes explicatives. i\Iihin, i85o; Ranieri Fanfani.
Notre Relue a déjà en l'occasion de témoigner l'estime
<|u'elle fait des talens de M. V. Soncini lorsqu'il publia son
Histoire de la Suède. Aujourd'hui c'e^t aM-r encore plus de. «-a'
ITALIE. i65
ùsJaction que nous applaudissons aux travaux littciaiics de
cet écrivain. Ses traductions des deux tragédies d'Othello et de
Macbeth, qui seules jusqu'ici ontparu, nous semblent lui pro-
mettre un véritable succès. Il a compris son auteur, il l'a tra-
duit fidèlement dan? un langage pur, facile et qu'il a su ani-
mer de différentes couleurs, selon les différentes pensées qu'il
avait à rendre. Peut-être pourrait-on accuser M. Soncini de
se servir quelquefois d'inversions et de phrases qui s'éloignent
autant de la simplicité que de la hardiesse du style de Sha-
kespeare; mais en généial il sait très-bien rendre les expres-
sions anglaises par leur analogues italiens, et nous osons dire
qu'il est souvent parvenu à reproduire sur ses lecteurs les im-
pressions que le texte original produit sur les lecteurs an-
glais, de même que nous ne croyons pas nous contredire en
ajoutant que, dans certains passages, M. Soncini est plus
simple et plus touchant que l'original.
Dans les notes qui accompagnent cette traduction , il y a
tant de grâce, de bon sens et de profondeur, qu'elles seules
suffiraient pour nous rassurer sur la capacité du traducteur à
remplir la tâche qu'il s'est imposée.
Nous avons le plaisir d'annoncer que M. Soncini va sous
peu livrer au public la traduction de quatre autres tragédies,
et nous avons toute raison d'espérer qu'il complétera ce beau
et très-utile travail. Jusquïci les Italiens n'avaient pu lire dans
leur langue que quelques-unes des pièces de l'Kïchyle anglais,
traduites en vers par M. Leoni ; et encoie cette traduction s'é-
carte tellement de l'original , qu'on devrait plutôt l'appeler
une imitation.
M. Soncini est aussi l'auteur d'une traduction des comé-
dies de Molière, qu'on nous dit être excellente : mais nous
ue l'avons point encore lue, et nous attendrons en consé-
quence pour en entretenir nos lecteurs. l).
Ouvrages périodiques.
22. — * Annali universali di siatistica, etc. — Annales uni-
verselles de statistique, d'économie publique, d'histoire , des
voyages et du commerce. 23' volume. Milan, i85o; on s'a-
bonne chez les éditeurs, quartier del Agnello, n" 965. Le prix
de la souscription est de 20 tires par an, et 24 lires par la
poste.
Nous revenons toujours volontiers à ces Annales, parce
qu'elles abondent en matériaux qui nous conviennent. .^'"^
d'une fois peut-être il nous est arrivé de faire usage a n
Plus
otre
loO LlVUi:S ÉTUANGEl'wS.
iiKii de (luruK-t'S (jne noire immoirc nous rappelait alors, et
que le Reueil milnnais nous avait fournie*. Si nous sommes
quelque jour dans la nécessité d'opposer une nouvelle résis-
tance à l'accumulation des propriétés territoriales entre les
mains d'un petit nomhie de possesseurs, nous emprunterons
certainement des laits et des raisonnemens à deux articles in-
sérés dans le cahier de mars de cette année ; l'un est un Mé-
moire de >1. le docteur Vanni, lu à la Société des Géorgoplii-
les, le 5 mai 1829, et l'autre est l'analyse d'im ouvrage de
M. l'avocat FoGGi, intitulé : Essai d'un traité théorico -prati-
que sur le système de la distribution des propriétés, suivant les
lois et fa jurisprudence de Toscane. L'auteur de cette analyse,
JM. >A>N!M, expose avec clarté les principes d'économie pu-
hlifpiequi résolvent toutes les questions relatives à cet objet,
et dont le légishiteur ne devrait jamais s'écarter. On a fait
pourtant chez nous, on y renonvel'era peut-être des tentati-
ves pcuir imprimer à nos lois imc direction contraire à ces
princij)cs. Et remarquons que ces Annales sont publiées en
Italie, dans un pays où le gouvernement représentatif estabo-
li : heureusement les principes de toute bonne administration
n'y sont pas méconnus, et il est permis de les proclamer dans
les livres, et même dans les écoles publiques.
'lo. — * Giornale arcadico, etc. — Journal orradien des scien-
ces, dos lettres etdes arts. Rome, i83o; Archini, libraire, rue
du Cours (via del Corso), n° 249. Journal mensuel de 8 feuil-
les au moins par cahier : format in 8"; prix de l'abonnement,
5 cens romains par an.
Ce journal, commencé vers la fin du xviir siècle, a été con-
temporain de grands bouleversemens politiques, au lieu
même de sa naissance, et il est encore debout : la raison hu-
maine et tout ce qu'elle produit, les sciences, les lettres et les
arts échapperont désormais aux causes de destruction qui les
atteignirent autrefois, et peut-être à plus d'une époque; les
journaux rpii secondent les développemens intellectuels et la
propiigation des connaissances participeront à cette immor-
talité; ils l'auront méritée. Le seul caliier de ce journal que
nous ayons rrcii cette année est du mois de janvier, et tout
annonce que les lecteinvs en seront aussi satisfaits en i85o qu'ils
l'ontété jusqu'à présent. Dans la section consacrée aux scien-
ces, nous voyons que l'Tlalie a les yeux ouverts sur les tra-
vaux de nos savans. et qu'elle s'empresse d'en piofiter. Nos
ouvrages périodiques avertissent de l'apparition des écrits
dignes d'estime; on veut les juger par soi-même; et, s'ils ré-
pondent à ce que ranuoncc promettait . on les traduit : c'est
ITALIl-;. — F V^S-BAS 167
ainsi que la géométrie de .M. (Iliarles Diipiii va servira l'iii-
•tructioii de la jeunesse ilalieniie. En litlérature, il faulavouei
que l'Italie semble nous livrer .1 uous-mèmic, et attendre pai-
siblement que les accès de délire de quelques-uns de nos plus
fougueux novateurs soient passés : on ne parle point de nou>;
mais les auteurs italiens sufTisent pour alimenter les journaux
de cette contjée, et occu])er le loisir des lecteurs. 31ais, afin de
satisfaire en même tems le goût de la variété, les rédacteurs y
ont entremêlé quelques écliantillons de prose et de poésie
chinoises, pièces qui n'ont guère d'autre mérite (|ue Vctran-
geté : mais elles viennent de loin; voilà ce qu'il faut à une
classe de curieu.v. Si nous nous en rapportons à une Notice de
M. Odescalchi sur un tableau de iM. le professeur Agricole,
de l'Académie de Saint-Luc, le romantisme n'a pas plus en-
Aahi la peinture italienne que la litlér.ilure du mêiiie pays;
Ce journal n'est pas le seul (|ui fasse prendre une opinion fa-
vorable de la situation de la république des lettres dans ce pays
où elle parut autrefois avec tant d'éclat, et qui est encore une
d^ses contrées de prédilection. Ln pays où les Inuis ouvrages
périodiques se .'ouliennent et se multiplient occupe cerlaine-
mejil un rang distingué dans la statistique intellectuelle.
N.
PAYS-BAS,
u4- — Description piltoiesque de (a grotlede Hun Aiir Le^nc,
par J. Alle«eireldt, docteur en médecine. Bruxelles, 1829;
lith. de Vanl)urggralï. In-fol. , orné de 27 gravures.
La grotte de Han. qui prend son nom d'un petit village si-
tué dans les Ardennes, à peu de distance de fiochefort et de
Saint-Hubert, n'a guère commencé à être connue que depuis
une dixaine d'années, époque à laquelle on parvint à suivre
toutes ses sinuosités à travers la montagne dans laquelle elle
se trouve. Mercator, dans le 1" volume de sa Géographie, édi-
tion de 1608, a représenté, sur sa carte du Luxembourg, l'in-
terruption de la Lesse, petite rivière qui .se jette dans la grotte ;
mais dans le texte il ne dit rien des particnlarilr's qu'elle pré-
sente. On pouvait pénétrer depuis long-tems dans la montagne,
lorsque quelques personnes dans ces derniers tems parvinreiit
;\ trouver des passages f[u'on ne connaissait pas encore, et s'a-
perçurent qu'on pouvait, en les suivant, traverser la montagne
de part en part. M. le comte de Robiano, dans un des jour-
naux de Bruxelles, appela le preuiier l'attention du public sur
la iirotle de Han. L'.VcaJémic di- Bruxelles, vers la même
itîK LIVRES ETUAiNGEKS.
èpu(|iie, liésigaa deux de se» uienibies, M. Kicku et moi, pour
aller sur les lieux prendre connaissance de l'état des choses,
et lui présenter à ce sujet un rapport qu'elle fit insérer en 1822,
dans le 2' volume de ses Nouveaux Mémoires (1).
Il paraît que la Lesse tournait autrefois autour de la mon-
tagne de Han; mais que cette petite rivière, dont les eaux à
certaines époques prennent un volume considérable, finit par
se frayer un passage dans la roche calcaire et aniplia considé-
rablement les cavités qui pouvaient s'y trouver déjà. Partout
on trouve des traces de son action long-tems continuée, et des
éboulemens nombreux qui semblent avoir eu lieu dans des
tems plus ou moins reculés. La Lesse , dont les eaux coulent
avec rapidité sur un lit de rochers, vient se jeter en bouillon-
nant dans un gouffre profond, situé vers la partie méridionale
de la montagne. Ses eaux, dont il est impossible de suivre le
cours, paraissent pénétrer dans l'intérieur de la grotte parles
nombreuses fissures que leur présente la roche calcaire. On les
revoit plus loin dans la montagne d'où elles sortent en for-
mant une rivière de près de '.io mètres de largeur. La galerie
lie sortie, dont la voûte est formée par un plan immense de
lochers. présente le coup d'œil le plus imposant. C'est par-là
qu'on entre ordinairement dans la montagne, au moyen d'une
barque qui pénètre a?-sez loin dan» son intérieiw. Dans la der-
nière partie de la grotte, dont l'étendue entière est de plus de
1 . 100 mètres, on suit l'ancien lit de la Lesse, et l'on peut sor-
tir {)ar plusieurs fissures qui viennent aboutir à une vaste ca-
vité par où la Lesse entrait autrefois. Quand, pendant l'hiver,
celte rivière se gouile et que la grotte du gouffre ne suffit plus
pour donner passage à ses eaux, elle vient encore se jeter dans
la montagne par cette même cavité, et souvent le surplus de
ses eaux rentre dans l'ancien lit autour de la montagne.
La grotte de Han renferme des stalactites et des stalag-
mites d'une grande beauté. Quelques salles de son intérieur
ont jus(ju'à 5o et même 70 mètres île largeiu'. Je me rappelle
que, lor'i de la dernière visite que j'y fis. nous restâmes égarés
pendant (pielque tems au milieu des débris de rochers déta-
chés par les éboulemens qui ont eu lieu dans la plus grande
salle ; quoique nous fussions une dixaine de personnes , armées
de fiambeaux, riou.s ne parvenions à éclairer cette vaste cavité
(1) Cet écrit a été rcinipiimé en iSaJ, sous ce titie ; Relation d'un
voyaf^c fait n Li giotic de Han au innis d'août 1S32 ; par AIM. KicK.t et
Q«:KTEtEï, av<;c des Notices sur plusieurs autres gioUt-s du pays; a\rc uti
plan «t \ planches. 1 vol. iu-S", chez Deiiiat. Bruxelli;s.
PAYS-BAS. 16^
que par partie», et nous eûmes de la peLie à rentier dans les
chemins connus, malgré deux à trois conducteurs qui étaient
avec nous. Je trouvai alors une galerie nouvelle que j'ai figu-
rée sur la carte générale que j'ai donnée de la grotte. Lorsque
je visitai ces cavités en 1823, plusieurs passages étaient très-
difficiles: vers le milieu de la grotte, on devait même traver-
ser un bras de la Lesse. dont la profondeur, dans les circon-
stances les plus favorables, était au moins de deux pieds. A
cause de tous ces obstacles, il ne fallait pas moins de trois
heures pour parcourir les sinuosités de la grotte; aujourd'hui
les curieux trouvent des chemins plus praticables et moins
dangereux.
L'auteur de l'ouvrage que nous annonçons a eu pour but
de présenter une description pittoresque de la grotte de Han,
mais on peut craindre que les détails minutieux dans lesquels
il est entré pour donner les dimensions des moindres Irag-
mens de rocher ne parlent pas à l'imagination du lecteur, sur-
tout si l'on considère que le moindre éboulement suffit pour
changer les mesures qu'il donne avec tant de soin. C'est un
écueil que nous avons senti nous-même. et peut-être ne som-
mes-nous pas parvenus à l'éviter dans la partie descriptive de
1 intérieur de la grotte. L'auteur j'' a consacré tout lin volume
in-folio, car c'est de cet objet spécial qu'il s'est occupé. Du
reste, si les détails dans lesquels il est entré peuvent paraître
trop minutieux, son travail sous ce rapport même peut avoir
un avantage, c'est de faire constater par la suite les change-
mens qui pourraient provenir par de nouveaux éboulemens
ou par l'action des eaux. jNous avons regretté que la plupart
des planches ne donnent qu'une idée très-imparfaite des ob-
jets qu'elles représentent; quant à l'exécution typographique,
elle ne laisse rien à désirer. A. Quetelet.
25. — Leop. Atjg. "NYakskotnig Doitrina jiiris phlloso-
pliica aphorismis distincta , in usum scholarum. Louvain, i83o;
.Michel. In-8°.
La jurisprudence traitée scientifiquement peut être consi-
dérée sous les points de vue historique, didactique, exégétique
et philosophifjue. Sans le dernier, les trois autres manquent
de clarté. Il faut que la philosophie fasse reconnaître son em-
pire dans l'étude du droit, comme ailleurs : elle seule peut
fournir la solution de ces importantes questions : d'où dérive
tonte notion du dioit? Quelles sont les causes premières du
droit universel? quelle e?t la (in suprême du droit? Elle seule
[>eut nous appiendrc si le droit est l'œuvre de la nature, du
hasarfl ou de la volonté des gouvernans ; elle seule est capable
i;») MVUES JiTUANGEUS.
lie MOUS révéler l'orij^iiie véritable des idées (.la juste et de Vin-
jtiste, sans lesquelles nous ne saurif)iis prononcer avec com-
pétente sur les lois qui régissent les peuples, ni sur les in-
^tilulions publiques et privées de la cité. Ces recherches
constituent la philosophie du droit que >1. AVarnkœnig res-
serre dans un court, substantiel et lumineux abrégé. Il cona-
mence par exposer les opinions les plus célèbres professées
sur la inatiéie qu'il traite, et part de Grotius et de Puffen-
dorffpour arriver jusqu'à nos jours. La méthoile qu'il adopte
lui est particulière, et annonce un esprit aussi juste que vi-
goureux. 11 s'aide d'abord de l'histoire et de l'expérience ,
puis denîande des lumières à la science de l'homme, tant phy-
sique qu'intellectuel et moral. Sous ce rapport, ses principes
sont anllii-opologiques ou déduits de la psychologie empirique ;
en second lieu, rationels, c'est-à-dire empruntés aux lois de la
raison, (les derniers se subdivisent en logiques, en tant que les
règles du raisonnement servent à les découvrir; en métaphy-
siques, que les lois de la cognition établissent; euOn en cthi-
qaes ou moraux, qui décordent des lois de la volonté. Il faut
\oir dar^ le livre même l'usage heureux que fait l'auteur de
rinslrunieul qu'il s'est ingénieusement fabriqué. Arrivé à la
dernière page, on resse-it celte satisfaction ([u'éprouve celui
qui est parvenu sans fatigue au terme d'un long vfiyage, et
qui, grâce à son guide, n'a rien oublié de ce qu'il a trouvé sur
sa route. L'écrit de M. >Varnkœnig est dans la forme classi-
que, eu latin, par paragraphes , avec la citation de toutes les
sources que l'on peut consulter. Mais ce professem- a pris ren-
gagement de revenir sur son travail, et de le reprendre eu
grand pour des lecteurs plus exercés. Les amis de la science
ne le tiendront pas quitte de sti proùiesse. de Ueiffenberg.
26. — * Petiù a Thymo Historia liralntntiœ iHplojiiatica, Regiis
auspiciis ediJitV. A. Ab IIeiffekburg.Toui. I ". lîiuxelles, 1800;
imprim. normale. lu-S" avec lig.
Nous avons déjà annoncé que le roi des Pays-Bas avait or-
donné la publication des monumeus iiutlits de l'histoire de
son royaume. L(! volume que nous signalons est le premier de
cette importante collection. Le méiite iVJ Thymo a été juste-
ment appré( ié par M. de iSelis dans son Proilromus. Cet écri-
vain né uunoins , dans le commencement de sa compilation,
olfre peu d'intérêt; en effet, suivant la coutume des chroni-
queurs , il y a rassemblé un grand nombr*; de fables; il dé-
bute même parla donation de Constantin. >L»is, plus il avance,
plus il devient précieux par le grand uombie de documens
originaux qu'il conserve. L'éditeur a enrichi ce tome d'une
PAYS-llAS. i;i
prèrace t'l<'{i;aiitt', tic léiiioijjnage.s iioiuhrcMX , iiinsi que de
iTUScigneiiiens sur railleur, d'une talile chronologi(|ue, d'un
(.omiTionlaire et d'appendices. Un beau portrait de Charle-
ujagne a été co])ié sur la peinture connue qu'on voit dans l'é-
glise du sacre, à Aix-la-Chapelle.
37. — * Geden kwaardi ghcilcn, etc. — i^lémoires sur l'histoire
delaGueldre,appuyésde pièces oiiginales, par/5, yen. ^YHOFF.
I" partie, Arnhem, i85o; Faul Nyhoft". Gros in -4", avec
figines.
Ce volume présente un tableau Irés-curieux et Irés-intéres-
sant de laGueldre pendant la première moitié du xiv"" siècle.
Les révolutions du sol, la population , l'état de l'agriculture,
du commerce, des sciences et des lettres, la politique exté-
rieure cl intérieure, voilà les objets dont s'occupe principale-
ment M. INyhoff, et sur lesquels il donne une multitude de dé-
tails entièrement neufs et extraits de documens authentiques.
Ces documens sont mis sous les yeux du public. Dans le pre-
mier volume, il y en a 404? piesque tous transcrits en entier.
Le plus ancien est de l'atniée 1286 : le plus récent appartient
à l'année i543. Les pla nches présentent des /'«.-«/m/Ze de sceaux
et d'écritures.
28. — * Histoire de r Ordre de lu Toison -d'Or, depuis son
origine jusqu'à la cessation des chapitres généraux , tirée des ar-
chives de cet ordre et des ouvrages gui en ont traité, par le baron dk
Reiffenberg. Bruxelles, i83o; imprimerie normale. Grand
in-4" d'environ 700 pages, avec dix planches; prix, 84 fr.
65 cent.
Celouvrage entièrement neufest dédié au prince d'Orange,
au nom duquel, comme le dit jusiement l'auteur, se rattache,
tout ( e qui est noble, grand, chevaleresque. Dans une longue
introduction, M. de lleilleidjerg raconta l'origine de la Toi-
son-d'Or, en analyse les privilèges et les statuts, en fait con-
naître l'esprit et les rappoits politiques, puis examine à quelle
puissance en appartient vérilablement la grande - maîtrise.
Cette discussion très-approfondie est présentée avec une cir-
conspection toute diplomatique, bien qu'elle mette la vérité
dans son jour. L'histoire de l'Ordre, qui vient ensuite, est un
extrait des protocoles mêmes, tenus par les greffiers de la Toi-
son-d'Or, avec des notes historiques, généalogiques, héraldi-
ques et littéraires, et des appendices tirés soit de manuscrit?
précieux, soit d'ouvrages imprimés peu comnuins. Voici un
fait, entre mille autres, (pii donnera une iilée ties renseigue-
mens précieux (pie contient ce bel ouvrage. Les chevaliers de
l'Ordre exerçaient autrefois le? uns sur les autres une censure
,;2 LIVRES ÉTRANGERS. — LIVRES FRANÇAIS.
morale, dont la hardiesse étonnerait de nos jours, quoique
nous commencions à devenir difficiles en fait d'audace. Le
terrible Charles de Bourgogne, surnommé le Téméraire , n'en
était pas plus exempt qu'un autre ; et , en 1468, il s'attira, de
la part de ses confrères et cotripaignona, la réprimande suivante :
«Que mondit seigneur, sauf sa bénigne correction et révé-
rence, parle parfois un peu aigrement à ses serviteurs, et se
trouble aucunes fois en parlant des princes. — Qu'il prend
trop grande peine, dont fait à douter qu'il en pût pis valoir en
ses anciens jours. — Que, quand il fait ses armées, lui plût
tellement dresser son fait, que ses sujets ne fussent plus ainsi
travaillés ni foulés, comme ils ont été par ci-devant. — Qu'il
veuille estre bénigne et attempré , et tenir ses pays en bonne
justice. — Que les choses qu'il accorde et dit, lui plaise entre-
tenir et être véritable en ses paroles. — Que le plus tard qu'il
pourra il veuille mettre son peuple en guerre, et qu'il ne le
veuille faire sans bon et mûr conseil. » Nous le demandons,
jamais Chambre de députés, jamais parlement tinrent -ils
un langage plus ferme, et de pareilles semonces ne font-elles
point prdir ces adresses contre lesquelles se gendarment si fort
certains ministres qui voudraient nous ramener aux traditions
du passé dont ils ignorent, comme on voit, la valeur ? — L'his-
toire <le la Toison -d'Or jette un nouveau jour sur les régnes
de Philippe-le-Beau et de Charles-Quint, ainsi que sur le pro-
cès des comtes d'tguiont et de H ornes. — Les planches sont
copiéesfraprès d'anciennes miniatures , et off'rent desportraits,
des blasons et des costumes. P.
LIVRES FRANÇAIS.
Sciences physiques et naturelles.
29. — Notice sur quelques animaux élevés et apprivoisés ; par
M. Chassay , lieutenant-colonel en retraite. Bayeux, i85o;
Groult. In-8" de 25 pages; ne se vend pas.
M. le lieutenant-colonel Chassay a pris plaisir à apprivoiser
des épervier, araignée, cochon^ crapaud, loup et coq : cet ordre
est chronologique. Ce qu'il a fait et comment il a fait, l'auteur
l'expose avec une crudité et une simplicité de langage qui font
image, et qui le montrent dans un état voisin de l'extase, plus
occupé de ses élèves que de son lecteur. Le loup, auquel il
a donné ses soins, et qui a vécu de 1814a 1828 à la ménagerie
du jardin du Roi. excita un certain intérêt.
M. Chassay parait persuade que la nature l'avait doué
SCIKNCES PHYSIQUES. 175
de facilités ad hoc ; il parle de son point de mire juste et de
ion tact tout particulier pour l'éducation des animaux.
Aux questions comment il s'y prend , il répond : « Je
regarde d'abord l'animal avec des yeux où il distingue enfin un
vif sentiment de bienveillance pour lui; j'étudie ses besoins,
ses moindres désirs; j'y pourvoie. Est-il un être au monde
qui i*ésiste à des caresses, à de tendres soins dont il est l'ob-
jet ? » Tel est le précis de ses réponses. Son secret, c'est d'aimer
pour être ainié à son tour.
M. Chassay conclut de ses expériences qu'il est ainsi pos-
sible de changer le naturel des animaux. Cependant, si leurs
habitudes d'aujourd'hui n'étaient que le résultat d'une con-
trainte qui les aurait anciennement modifiées, si elles ne for-
maient que des habitudes viciées par l'intervention et la
multiplication d'une espèce qui combat avec la toute-puissance
de son état social pour fasciner et asservir tout ce qui existe
autour d'elle, les expériences de M. Chossay ne prouveraient
que le^fait d'un retour à l'ancien ordre de choses.
Geoffboy-Saint-Hilaire.
5o. — * Cours de Chimie générale, par M. Lai gier, profes-
seur de chimie au Jardin du Roi. l'aris , 1829; Pichon et Di-
dier. 5 vol. in-S" avec un atlas; prix, 24 fr.
Nulle science ne fait des progrés plus rapides que la chimie;
nulle science n'est en même tems l'objet d'un culte plus gé-
néral. Le merveilleux de ses expériences captive d'abord l'at-
tention des hommes, qui plus tard sentent le besoin de s'initier
à ses théories. Il n'est guère de carrière en effet où la chimie
ne donne lieu à quelques apj)lications utiles : toutes les profes-
sions industrielles exploitent ses ressources; lu médecine et la
pharmacie lui empruntent la préparation de leurs médica-
mens ; l'agriculture y trouve l'explication de quelques-uns de
ses mystères; et l'homme du monde lui-même ne peut se dis-
penser de rendre raison par des explications chimiques d'une
foule de phénomènes qui se passent tous les jours si>us nos
yeux.
On peut trouver la mesure de ce besoin général de connais-
sances chimiques dans l'avidité avec laquelle sont suivis tous
les cours où l'on s'occupe de cette science. A Paris, le vaste
amphithéâtre de la Sorbonne, celui du collège de France et
celui du Jardin du Roi sulBsent à peine pour recevoir toute
une jeunesse avide d'instruction. En province, des chaires de
chimie sont établies ou s'établissent sur tous les points,et partout
ces cours sont suivis ave( passion. Les publications sur celte
scienip ont du se ressentir de cet élan ; aussi depuis quelque
i;/4 LIMUiS FUANÇAIS.
icnis voyons-lions pulluler les liaités de chimie élémeiitaiir.
ou appliquée ; on pourrait en effet en citer au moins vingt qui
ont été publiés en France «irpuis cinq ans.
Toutes ces publications sur un même sujet prouvent, n'en
floiitons pas, ini grand besoin d'une science, dont les élément*
leront sans doute bientôt partie de l'enseignement élémen-
taire.
L'ouvrage de iM. Laugier est la rédaction du cours professé
par ce savant distingué au .lardin des plantes. Ce cours qui ne
comprend que cinquaUc-Irois leçons, faites du mois de mai
au mois d'août, doit présenter un système complet de connais-
sances chimiques à Tusage des nombreux élèves en pharma-
cie et en médecine, qui suivenllescours d'été du Jardin des plan-
tes. Les connaissances étendues de M.Laugier, ses travaux nom-
breux et sa longue expérience de la science rendent son cours
extrêmenunt instructif, et les hommes qui peuvent y assister,
de même que ceux que leur éloignement de Paris prive de cet
avantage, pouiront se proctirer son ouvrage, qui est conçu
avec méthode, écrit avec clarté, et qui est mis ainsi même à la
portée des personnes qui ne veulent pas faire de la chimie une
étude approf<mdie.
Le professeur exanu'ne d'abord les corps simples non métal-
liques, les oxides et les acides auxquels ils servent de radi-
caux. Les métaux divisés en six sections se présentent ensuite
avec leurs oxides; puis vient l'étude générale et spéciale des
sels. L'ouvrage est terminé par l'étude des deux chimies orga-
niq'.ies. F>n général >l. Laugicr a pris pour base de son cours
celui de M. Thénard.
5i. — * Cours de cfiimie, par M. Gay-Lussac : comprenant
l'histoire des sels, la chimie végétale et animale; cours fait à
la Faculté des sciences. Paris, 1828; Pichon cl Didier. 2 vol.
in-8" ; [)rix, 1 8 fr.
Les cours de la Sorbonne sont partagés en deux parties qui
sont confiées chacune à des professeurs diiVérens. C'est ainsi
<\ne le cours de chimie a été long - tems partagé entre
MM. T/a7(a?Y/et/)»/<;n^',etlecoursdephvsiqne entre MM. Cay-
Lussac et Poaitlet. Des arrangement de famille (»nt provoqué
un échange de tiavaux entre >! M. (îay -Lussac et Dnlong.
Cette circonstanc»', qui a privé l'auflitnire de la Sorbonne des
savantes leçons de l'in» de nos plus inlatigables chimistes, a
fait connaître au moins en » onipensation la manière dont un
de ses dignes émules envisage la science.
Jusque-là le public n'avait reçu de M. Gay-Lussac que d'ex-
cellentes et instructives leçons de physique et l'on devait dé-
sirer ardemmeni d'enlendre parler sur la chimie l'illustre au-
sciJiîNCiKS rii\siQui:s. ,;:>
leur de, taiil de travaux et d'iinportiuites déco ii\ cites ([iii ouf
«Miiiclii celle branche de nos connaissances.
M. Gay-Liissac o dans cet enseignement sonterui dij^ne-
ineiil sa réputation comme savant et comme prolossenr, et
il a su, chose assez difTicile , con-ervcr un auditoire assez
nombreux justju'à la fin de ses leçons. L'ordre du cours lui
léj^iiait une des parties les plus arides de la science, celle qui,
vivant moins d'expériences anuisautes. parle plus à l'intelli-
j!;ence qu'aux yeux. Cette partie embrasse les sels et la chimie
organique : elle comprend trente-trois leçons, cpii ne suffisent
pas au cadre d'une science qui s'agrandit chaque jour. Aussi
toutes les leçons sont-elles bien substantielles et fort nourries.
Nous émettons ici un regret, c'est de voir resserrer autant un
enseignement dont le public et les professeurs sentent si pé-
niblement l'insuffisance. ■
On a eu l'heureuse idée de sténographier et de publier les
leçons de M, Gay-Lussac, et c'est cette publication que nous
annonçons. Elle est une expression assez fidèle des leçons du
savant professeur, quoiqu'elle n'ait pas été retouchée par
lui, et nous croyons qu'elle sera de la plus grinde utilité à
tous les amis de la science et de l'enseignement. Elle sera sur-
tout utile à la classe nombreuse d'éludians qui suivent les
cours de la Sorbonne, et qui, souvent étrangers à la science, sui-
vent avec peine les savantes leçons du professeiu*. Ils tronvt!-
ront ici un guide qui les préviendra des matières traitées da:is
chaque leçon, et qui leur permettra par là même de se pré-
parera la recevoir, et de la méditer encore après l'avoir reçue.
52. — * Leçons de chimie appliquée à la teinture, par M. E.
Chevreit, , membre de l'Institut. T. I" : leçons iG*" — T>o'.
Paris, 1 83o ; Pichon et Didier. Le cours complet sera composé
de l\ vol. in-8" fermant en tout environ 5,5oo pages, et com-
prenant 60 leçons dont le prix est de 45 fr.
En annonçant le 1" volume de cet ouvrage (voy. Rer.
Enc. , t. xLii, p. 4^6), nous avons présenté des oliservations
générales sur le plan de iM. Chcvreul cl sur le mérite et l'uti-
lité de son livre. Le volume que nous annonçons aujourd'hui ,
digne en tout de la grande réputation de l'auteur, n'appelle
notre attention que sur ses détails. 11 comprend coMime le
premier quinze leçons.
11 termine l'étude des métaux, puis il s'occupe, avec tous
les développemens désirables des acides et des bases organi-
«pies pour traiter immédiatement, d'une matière plus générale
et plus complète, la classe si importante des sels. Cet ordre
«st une innovation heureuse qui a permis à M. ChevrenI de
grouper l'élude des sels sans distinction de règne, et qui per-
176 LIVRES FRANÇAIS.
met ainsi de donner aux principes plus de généralité. Jusqu';»
présent les auteurs qui ont traité la chimie d'une manière élé-
mentaire n'ont présenté les propriétés générales des sels qu'a-
près avoir adcjpté une classification par genres, établis ou d'a-
près la nature de la base ou d'après la nature de l'acide. Ces
deux modes d'établir les genres conduisent l'un et l'autre à
ces généralités qu'il est important de faire connaître, et
M. Chevreul montre les sels sous ces deux faces principales.
Ayant à traiter dans ce volume la chimie organique dont il
s'est occupé avec tant de persévérance et de succès, M. Che-
vreul a résumé tout ce qui a été publié d'intéressant sur cette
matière, et ses travaux sur les corps gras, sur le bleu de
Prusse, sur les matières colorantes y occupent une large
place. On lira surtout avec intéiêt l'article indigo, qui, envi-
sagé dans ses propriétés chimiques, dans ses préparations, ses
qualités commerciales et ses emplois industriels, est le travail
le plus complet qui ait été publié sur cette matière.
En résumé l'ouvrage de M. Chevreul est remarquable par
les vues philosophiques qu'il a su répandre sur la science, et
par la clarté et la simplicité qui régnent dans ses explications.
Ces qualités rendent son livre digne tout à la fois des médi-
tations du savant et de l'élève. Disbr^nfaut.
35. — * Cours de Chhnie élémentaire et industrielle, destiné
aux gens du monde; par iM. Paten, manufacturier-chimiste.
Paris, i85o ; Tliomine, rue de La Harpe, n" 88. Cet ouvrage
parait par livraisons de deux feuilles chacune ; prix de la li-
vraison. 60 cent.
La Société des méthodes d'enseignement ayant désiré qu'il
fût fait un cours 'public et gratuit dans lequel les principes de
la chimie et leurs applications à l'industrie seraient mis à la
portée de toutes les classes d'auditeurs, M. Payen a consenti
à remplir cette tâche. Ce cours se fait dans le local de la So-
ciété, rue Taranne, n" 12; les leçons sont sténographiées et
imprimées. Les trois premières leçons sont actuellement pu-
bliées; elles sont dignes du savant désintéressé qui saci ifie si
généreusement son tems et ses peines à une branche utile
d'enseignement. Les six feuilles qui sont en vente ne renfer-
ment encore que l'énoncé des propositions de physique les
plus nécessaires à l'étude de la chimie. Les livraisons paraî-
tront successivement à mesuic que l'auteur continuera ses
leçons. Francckbr. .
54. — Esfai sur la Narigation dans l'air. Note présentée à
l'Académie royale des Sciences, dans la séance du 21 dé-
cembre 1829, par Dupiis-DEr.r.O! i\T. Paris, i85o; Delaunay.
(irand in-8" de 7>6 pages.
SC!Jîn:CES PIiYSlQUK5. ,^y
L'art de voyager dans les airs occupe on ce moment niicl-
qiies espiils dans les deux mondes ; en Amérique, M. Genêt
et ses coopéraleiu-s, et en Lnrope, trois rivaux, MM. Dui'îiis-
Delooi'RT, Chabbier et Vallot. M. Genêt a londé ses pioiels
sur quelques propiiélés qu'il attribue aux fluides élastiques;
s'il échoue, ce ne sera pas à ses hypothèses qu'il inq)ulcra le
i!on succès. Ici, lescoricurrens en aéroslalion parais^^ent piiwns
de confiiuve; car ils s'empressent de l'aire constater l'époqne
précise de leurs découverles. Nous n avons aucune connais-
sauce de celle de M. ballot, ingénieur-riiécanicien : nous man-
quons aussi de tonte notion sur la machine de M. Chahrier
trés-diacrcntc, dit M. Dupuis-DcIcourI, des applications que
le même savant a voulu laire de ses idées sur le vol des oi-
seaux. Tout ce que nous savons, c'est qu'il y a quelque res-
sendjîance enlie les v>ies aérostatiques de 31M. Dupuis-Dcl-
court et Chal)rier; qu'il y en a de même entre les mécanismes
de MM. Chahrier et Valh)t; mais peut-être n'y a-l-ij rien de
commun entre le pr( mier et le troisième de ces invenletu's.
«M on intention était de présetiier à l'Académie, sur mes moyens
de voyager dans l'air, un Mémoire détaillé et digne de iixer
son attention : il n'est point terminé. J'aurais attendu encore
si , dans le tra\ail que vi. nt de soumettre à l'Académie sur le
même objet, M. Chahrier, il ne se ti'ouvait des points de rea-
senihlance qui m'o!)ligent à prendre date, pour évitera l'ave-
nir toute réclam;ition, ou toutes fausses interpiétalions. »
M. Dupuis-DelccHU't donne une ic/ce de son aérostat iliri-
geable : plus d'un lecteur ne trouvera pas dans son ima"ina-
lion les moyens de suppléer à ce que sa description ne l'aft pas
assez connaître. L'autejir ajoute ensuite :(tOn trouve facile-
ment, au moyen de quelques opérations simples et claiies, le
calcul relatifdes dimensions, des pes mleurs, forces et résistan-
ces nécessaires à une semblable machine, non pour marcher
contre un vent violent, ni pour lutter contre une atmnsj.hère
en lurie, mais pour avancer par un lems calme, dévier par un
vent faible, et vaincre les oscilialious , s'il y en avait, les frot-
temens, la force dlnerlie, celle (légère) d'ascension qui rom-
prait l'équilibre, et tenterait de faire élever la machine^ tout
ce dont enfin on n'aurait pu faire état. «Si l'auteur possède ef-
fectivement une méthode simple et claire d'appliquer le c;!Îcul
à sa machine, et de résoudre toutes les questions relatives à sa
construction et à son mouvement, il devrait en enrichir les
sciences mathéniatiques ; une acquisition aussi précieuse ne
serait pas moins estimée que l'art de diriger les aérostats.
L'auteur continue ainsi :« Une fois le mouvement en if^ne
T. xr.vn. Jf.a.i.EJ iH.'o.
.-8 UVftKS FRANÇAIS.
(Iroilc coinmeiicé, il faut complei' que l'aérostat trouvornit eu
lui-même une nouvelle puissance dans sa lorce d'impul-iou.
LU corps long el étroit, tel que serait celui de cette machine,
devra trouver, dans les tVottemens et la résistance même de
lair contre ses parois, un auxiliaire propre à le maintenir dans
sa situation, et à lui continuer son mouvement.» Il est bien
probable que, si des géomètres ont lu cette brochure jusque-
là, ils n'iront pas plus loin. Si M. Dupuis-Delcourt est intime-
ment convaincu de la justesse de ses idées, s'il est certain de
réussir, qu'il s'arrange pour se passer de l'Académie, car il
n'aura pas l'approbation de ce corps savant.
On trouve dans cette brochure une liste des personnes qui
se sont élevées dans l'air au moyen des ballons. Il y a quel-
ques omissions, telles ((uc celles de Guyton - Moiteau, de
M. Coulclle, etc. ; il n'est point question delà compagnie d'aé-
losliers qui accompagna les armées françaises pendant quel-
ques années.
Le perfectiounenient des aérostats exige plus que de l'ima-
gination, plus que le génie des inventions mécaniques : on n'y
réussira point sans de profondes connaissances mathémati-
ques el sans l'habitude d'en faire l'application à la physique el
aux machines. Nous sommes loin néanmoins de vouloir dé-
courager M. Dupuis-Delcourt, qui, jeune encore, mérite des
éloges pour le zèle et la persévérance avec lesquels il a con-
stamment dirigé sa pensée et les nombreuses expériences qu'il
a faites vers un but noble et utile : cebii de perfectionner un
art encore an berceau, el d'ouvrir à l'homme des roules nou-
velles el des moyens de faire de nouvelles conrpiêtes sur la
nature.
55. — Réfutation du Rapport de M. Lisfranc à r Atadémie
royale de mcdecir.e, en date du 5 mai i85o, par Loiù-i François
GoNDRET, docteur médecin honoraire des dispensaires de la
Société philantropique, médecin consultant de Vlnsiiiuiion des
jeunes aveugli s, meiuhre de plusieurs Sociétés savantes; au-
teur 1" d'un Mémoire sur Cemploi du feu en médecine et de In
pommade ammoniacal'; ; 2" d'un Mémoire concernant les effets de
la pression atmosphérique sur C homme, el de l'action de la ven-
touse dans dijferens ordres de maladies; 5° d'un Mémoire sur la
cataracte, el d'autres opuscules. Paris, i85o; imprimerie de
Riguoux. In-8^ de 5^ pages.
Par des motifs Ires-honorables el liès-philantropiques, ex-
posé> dans la préfare decet écrit, >J. le docteur Gondret avait
demandé au ministre de l'Intérieur «pi'une salle, dans l'un des
hôpitiiix (If Paii*. fût consacrée à l'applicaliou de sa méthode
SCIENCES l'IlYSIQLKS. 179
«onlre les anectioris ociilaiies. L' Vcailômiedf niiMlecine, con-
sullée siif c«'lle ileniaiide, chargea MM. (icran/in, lircamier^
MaijoUn, PioiTY', Hou.v, Emery et Lis franc de lui faire un
rapport sur cet objet, et la Commission choisit M. Lisi'ranc
pour être sou organe. Le rapport est très-succinct, beaucoup
trop peut-être; les tribunaux daignent quelquefois expliquer
plus longuement les motifs de leujs arrêts. Ce que nous allons
citer est à peu près le tiers de l'arrêt prononcé par l'Acadé-
£nie de médecine contre la demande de M. Goudret.
« M. le docteur Gondret prétend que ce qu'il nomme sa
nouvelle méthode est inoparfaitement imité dans les hôpitaux.
Pour répondre à cette allégation, il suffira de dire que tout
le monde a pu lire les Mémoires de notre auteur, que les
moyens qui y sont indiqués sant du ressort de la chirurgie
dont l'exercice est confié sans le moindre inconvénient à
nos élèves les moins forts.
«Votre Commission conclut unanime7nent que. la méthode
de M. Gondret n'est pas nouvelle, qu'elle peut être dange-
reuse dans certains cas, que cette méthode ne doit pas être
exclusivement employée, qu'elle est d'une application très-
simple et très-facile, et à la portée de tout le monde, et qu'en-
fin il n'y a pas lieu à accorder au docteur Gondret une salle
dans les hôpitaux de Paris. »
M. Gondret ne se résigné point à subir toutes les consé-
quences de celte condamnation ; il en appelle au jugement
du public, et revendique la part d'estime et de confiance que
la décision académique pourrait lui faire perdre. Il s'agit donc,
pour ceux qui sont étrangers aux sciences médicales, de mul-
tiplier les faits authentiques, et, pour les médecins, d'appro-
fondir la discussion, et d'examiner si la Commission acadé-
jiiique ne s'est point trompée dans son jugement. Il paraît,
d'après la préface de cet écrit, que l'Académie de médecine
n'a pas encore adopté les conclusions de sa Commission, et
que la cause n'est pas jugée. Puisque le plaidoyer peut être
continué, revenons au rapport de M. Lisfranc. 11 faut avouer
que ce docteur expédie lestement urnîqu-estion grave : il sem-
ble même qu'on aperçoit dans ces décisions brusquées l'habi-
tude de prononcer, d'après un simple et rapide coup d'œil,
sur la vie d'un pauvre malade. On serait autorisé à conclure
que les droits de l'iiumanité sont peu respectés dans quelques
hôpitaux de Paris, peu connus de quelques-uns des médecins
attachés à ces établissemens. Les malades y seraient donc li-
vrés à l'apprentissage des élèves, comme l'argile et le plâtre
aux jeunes artistes qui aspirent à exercer leur ciseau sur des
i8o LIVRES FRANÇAIS.
matit'res précieuses. Que ces médecins y prennent garde; ils
n'échiipperont pas loiiioiirs aux rognrds scrnlatcurs de qnel-
qn(!s sincères el judicioiix amis de i'iiiinianilé ; on leur rap-
pellera {[ue le àoitcnr Sto}-r/i , avant de l'aire aucun u<age de
l'extrait de «iguë, en fit sur lui-même im essai prolongé, et
ne se- permit aucune exj)érience sur les hammes cotifiés à ses
soins dans les hôpitaux de \ienî!e. Ou (lualifiera comme il
doit l'être ce mépris pour l'honmie accablé de soufl'rances et
de mistre,cc révoltant abus de confiance, qui ne craint point
d'expo'^er à une mort certaine le malheureux qui est venu
cher( lier un remède ou un soulagement aux maux qu'il en-
dure. Les noms seront placés à côté des épithètes méritées ;
il est tems de l'aire une justice complète.
M. Gondret remarque que trois des membres de la Com-
misî-ion n'ont pas signé le rapport, et que les conclusions
n'ont peut-être pas été adoptées aiis-i iinanimemeitt que le
rappoileur l'a di't. De plus, une di-cussion assez vive s'est
élevée dans l'Académie à la séance où cerap|)urt lui l'ut com-
muniqué. M. Gondret produit quelques extraits d'aniiens rap-
ports de M. Lisl'ranc qui lui sont plus favorables; mais, si
linflucuce de (pielques vues étrangères à la sc'ence ne se ma-
nifestait point dans cette afPaiie, on justifierait aisément
M. Lisl'ranc decesvariations, qui [)euvent êlre le résultat d'ob-
servations nouvelles, de connaissances plus mûres et plus
complètes; mais ce docteur ne peut être excusé, ni aux yeux
des médecins, ni à ceux du public, d'avoir fait un rapport où
les convenances les plus ordinaiies sont aussi mal obser-
Tées.
Nous n'examinerons point en délai! la réplique de !M. Gon-
dret elle nous mènerait trop loin, ou bien notre examen
serîiit i>i.-un[isarit. et u'é( lairerait jias a-sez les lecteurs. Nous
nous bornerons donc à des ol)servali()us générales sur la na-
ture de la reititude en médecine, sur le iiomi)re et le degré
d'aullienlicité i\c.> fails qui peuvent la fonder. Ou ne peut dis-
convenir ((lie les données sur lesquelles ce grand art doit opé-
rer sont tellement variables, que ses résultats sont nudns as-
surés (lue ceux des autres applications des silencesàdes êtres
matériels. Il fut moins dillit ile de découvrir le système du
monde que de fonder une théorie médicale (pii soit autre chose
qu'une hypothèse, Le calcul des probabilités appliqué à la
médei ine doit tenir compte decetle extrême couiplicalion des
causes, des données et des questions; ce qui suffirait pour
établir un luit historique ordinaire laisserait encore beaucoup
H'iiircrtilud« relativement à un fait médical. Il n'a pas dé-
SCIEiNCES FHÏSÎQIJI^S. i8i
pendu de M. Gnn.lrct de citor anlaiit de faits qu'il le fandruit
pour conslater les ofTcts de sa méthode; il n'avait ni le tems,
ni les Mialériaux nécessaires pour éL'iire de gros volumes: on
pourra donc n'être pas encor,^ convaincvi ni par ses écrits anté-
rieurs, ni par celui-ci; mais, à coup sûr, on prendra une ircs-
honnè opinion de l'écrivraiu et de sa manière de raisonner
en médecine. N.
56. — Elémens d'Algchre à l'usage des élèves qui se desti-
nent à l'Ecole Polyleclniique, à la Marine, à l'Ecole militaire
de Saint-Cyr et à rÉcole forestière , par le Ijaron RtysAXiD,
examinateur pour l'admission à ces Ecoles, etc. Paris, i83o;
Bachelier. In-8° de 600 pages; prix, G fr.
Dans cette nouvelle édition, M. lleynaud divise l'algèbre en
deux sections : lapiemiére comprend les matières exigées pour
l'admission directe à l'École de marine de Brest, et démon- .
trées dans les Ecoles forestières et de Saint-Cyr; la seconde
section complète les connaissances nécessaires pour l'admis-
sion à l'École Polytechnicjue , et comprend les parties de la
haute algèbre qu'on voit dans celte dernière École. L'auteur
s'attache particulièrement aux dillicuîlés qui peuvent arrêter
les élèves aux exair.eus publics. Il y donne nn procédé pour
ramener les fonctions matérielles à des formes plus élémen-
taires; il présente d'une manière plus simple que dans les
éditions précédentes les démonsli'alionsrelalivesà la détermi-
na lion des limites des racine> et à la règle des .-i^nes de Descartes.
On y voit encore des observations nouvelles sur la théorie^ des
racines réciproques, sur celle des radicaux réels et imagitiaires
de tous les degrés, elc. (^et ouvrage esTprincipalemeut destiné
aux professeurs des Collèges royaux et aux élèves qui se des-
tinent aux diverses écoles militaires. Ad. G.
37. ■ — - yjpplicnlion des Globes à la Trigojiométrie spliiiique et
adioers calculs d'astronomie et de gcngraphie , pour servir d'ap-
pendice à l'ouvrage de M. F. Delamaeche, géographe; par
John JuMp, inventeur d'un instrument qui représente les cer-
cles verticaux de la .sphère, approuvé par la Société de géo-
graphie. Paris, 1829; F. Delamarche ; FayoUe. In-S" de
1 04 pages; prix, 2 fr.
Lorsqu'on n'a pas besoin d'une grande précision de calcul,
on peut résoudre sur un globe tous les problèmes de trigono-
métrie sphéiique, au moyen de cercles mobiles, propres à
mettre en pla'-e les données de la question : c'est ce que
M. Jump expose dans cet ouvrage. Les méthodes graphiques,
fournies par la géométiie descriptive, vont plus près du but,
et entre des maine exercées, poussent l'approximation asses-
ï83 LIVRES FRANÇAIS,
loin. £n6n, pour les besoins de l'astronomie et de ses appKca-
tiens, rien ne peut suppléer au degré d'exactitude que Vow
obtient par les méthodes connues. L'usage du globe et des so-
lutions qu'on peut obtenir par les procédés de M. Jump est
certainement utile aux commencans ; il les accoutume à se re-
présenter, soit sur la terre, soit dans les espaces célestes, les
opérations des géographes et des astronomes, et les met en
état de se passer de ce mécanisme j>our des études plus éle:-
vées. L'introduction de ce petit ouvrage dans l'enseignement
peut donc rendre un service réel , soit à la jeunesse qui ne se
destine point à la carrière des sciences, mais qui veut au moins-
n'y être pas étrangère, soit à celle qui voudra la parcourir
dans toute son étendue. \.
58. — *Trailé des Roues hydrauliques et des Roues d vent, à
la portée des personnes qui connaissent les premiers élé-
meus des mathématiques; par L. M. P. Coste, capitaine
d'artillerie , et ancien élève de l'Éctde Polytechnique. Pa-
ris, i83o; Anselin, rue Dauphiue, n° 9. In-S"" de 160 pages;
prix, 3 fr. 5o c.
La théorie de l'action des cour* d'eau sur les roues hydrau-
liques laisse beaucoup à désirer ; non-seulemt;nt cette tliéorie
n'est pas d'accord sur tous les points avec l'expérience, mais
il est souvent dilTicile de savoir si, dans des conditions don-
nées, il faut préférer une roue à aubes eu dessous, ou de
côté, à une roue en dessus. La doctrine des aubes^ courbes, si-
judicieusement établie par les travaux de M. Poncelel, est
aussi de nature à présenter des difficultés dans l'application' à
la pratique, selon que la chute offre telle vitesse, ou telle
masse d'eau. Les fabricans de ces appareils sont encore incer-
tains du degré de vitesse qu'il faut donner au mouvement de
rotation de la roue en dessous, par rapport à celle de la chute-
La disposition des moulins à vent est sujette à des diincultés
de même nature. M. Coste s'est proposé de donner une ana-
lyse complète de ces théories; ce n'est pas un ouvrage de
pratique qu'il présente, mais il veut mettre d'accord la théo-
rie avec l'expérience. On lira avec intérêt cet utile ouvrage,
où toutes les parties sont liées ensemble par des principes
communs et certains, quoique sur plusieurs points l'auteur
n'adopte pas les opiuions reçues. C'est l'œuvre d'un homme
habile et exercé; la lecture doit en être recommandée à toutes
les personnes versées dans la science des mécaniques.
09. — Guide du Mfiunicr et du Constructeur de moulins , par
Oliver lîvANs, avec des additions et des corrections du profes-
seur (le mécanique à l'Institut de Franklin, en Pensylvauie,
SCIE.NCKS l'insiOLKS. i85
el la dcstiipliuii d'un uiouliii en gros ixiilecliuiiiic )>iir C. cl
O. KvANS, ingén;eui>; tiiuluil Mir la 5" édition américaine,
augmenté de notes, et de la description des moulins de
iM. Benoist, à Saint-Denis; par P. i\l. !N. BkiNoît, ingénieur
civil, ancien élève de l'Ecole Polytechnique, membre de plu-
sieurs Sociétés savantes, etc. Paris, i85o; Malher et conip',
passage Dauphine. 2 vol. in-8° contenant 616p. et 17 planches
gravées ; prix, 5 IV.
Lorsq.u'on rétlechit à la variété des connaissances qui ser-
vent de base à l'art de la meunerie, on est étonné de voir com-
bien l'expérience peut tenir lieu d'instruction; car on doit
avouer que la plupart des meuniers sont dépourvus des études
théoriques les plus nécessaires à leur profession. Tl n'en est
pas moins certain que les perlectioimemens que cet art a reçus
de nos jours n'ont pu être laits que par des hommes remar-
quables par leurs lumières, et dont on doit écouter les conseils
lorsqu'on veut livrer à la consommationles farines lesplusbelles
avec peu de frais et de déchets. L'appréciation de la force mo-
Irice du vent ou d'un cours d'eau, l'emploi de la puissance de la
vapeur, la manière de gouverner ces actions avec adresse et
économie, le choix des engrenages, l'art de diminuer les iVotte-
mens et de tirer partie de la force centrifuge des meules tour-
nantes sont des choses qu'on ne peut savoir sans une étude
particulière; ici la théoiie est aussi indispensable que la pra-
tique.
L'ouvrage d'Olivei' Evans mérite d'être médité pai' toutes
les personnes que ce sujet intéresse, parce qu'il Ta embrassé
ilans toute son étendue. Cet habile mécanicien, connu par le
parti (ju'il a su tirer de la vapeur à haute pression, et par l'ou-
viage qu'il a puî)lié sur cette matière, joint des connaissances
expérimentales à celles que l'étude de la théorie lui a permis
d'acquérir. 11 passe en revue toute* les parties de la meunerie.
Après avoir exposé les p''incipes de mécanique nécessaires à
cet art, et analysé les machines simples et leurs combinaisons,
tant en repos qu'en mouvement , les faits d'expérience qui
modifient la théorie, et particulièrement ceux qu'on doit à
Smeaton sur la force du vent et celle de l'eau, l'auteur indique
les règles propres à la construction des roues hydrauliques et
des ailes de moulin à vent. Des tables clairement disposées
>onl propres à guider le constructeur dans le choix des moyens
pour tirer parti des cours rfeau lors de rétablissement des
roues. Les in>trucnons de TIt. EHicot , de ff^. Frencfi , cout-
slrinteurs de moulins, et de Th. Joties. jettent sur ce sujet la
clarté désirable. On trouve dans ^ouvra^'' tous les détails con-
i84 LÏVilES PilÀNÇAIS.
ecrnant le rabillaj![c des niciilcs, la dishihuiion des édifices de
moudire, de scierie, etc., les larares, Ijliilloirs, etc.
Mais ce qui donne à ce traité nn grand iulérêt, c'est la
parlio que ie traducteur, RI. Benoît, y ^ ajout* c, tant pour
relever quelques erreurs tliéoriques de l'auteur que pour dé-
veiopjicr les principes mécaniques de l'ari de la meunerie, et
en montrer les applications. Cette composition sera consul-
tée avec iViiit par les personnes éclairées qui veulent établir
des moulins, ou tirer nn meilleur parti de la force motrice
dont elles (iisposent. Le sujet y est traité avec suin , clarté
et exactiluùe. On voit que l'aiiteur est exercé à la pralique
des appareils, et qu'il a bien étudié son sujet pour en apprécier
les di(Ii;ullés et les surmouler. On trouvera cuÇ\n nue descrip-
tion détisilire dos beaux moulins de M lîeuoist à Saint-Dcuis;
on peut rej^arder cet établissement comme un mod- le que doi-
vent se proposer de suivre toutes les pcisonnes qui font de la
moulure l'olijet spécial de leurs travaux.
Je me peraictlrai une observation relativement à la traduc-
tion de l'ouvraj-e d'O. Evans. On ne conçoit pas ce qui a pvi
déterniiner iM. Benoît à conserver les mesures anglaises, tota-
lement inusitées parmi nous, et qiii ne sont pas dignes d'un
autre sort- Si c'est pour s'épargner la pe'nc de traduiie en
mètres, kilogrammes, etc. les nombres de Tauteur, M. Benoît
est inexcusable. Outre qu'on trouve faligansde rencontrer par-
tout les termes fvcl^ yard, jwinvi, f^al/on, ctilwc.h. qui ne repré-
sentent rien à notre esprit, ce n'est pas traduire un livre que
d'y conserver les imités métriques étrangères, et il est peut-
être ]>lus lacile au lecteur (h; metire du frnncais sous cbaquc
mot anglais du texte (p?e de convertir les mesures en mètres,
kilograuui.es et litres. Il m'a aussi paru que M. Benoît forçait
r.n peu < e qu'on appelle la force d'un cheval, en style de fabri-
cant de macliiu(! à vapeur, puisfju'on ne l'évalue com.muné-
menî (pi'à 70 kilogrammes élivés à i mètre par seconde. Watt
la siip[)orait de 7/1 kilogiammes : M. Benoît la fait de 80,
Fr AN COEUR.
l\n. — Le Vêclieur frnurnis , Traité de la pêche à la ligne en
eau douce, contenant l'histoire naturelle des poissons, la pê-
che particulière à chacun d'eux, etc., etc. ; par Rrf.sz aî'ié.
Biii.ricmcraitiim. Taris, i8r)o; Audot. ln-12 de iv et 4i5 pages
avec ao phuvhes; prix, ,5 fr.
Pendant les jours de la révolulio:i, la pêche, autrefois pro-
hibée, fut periuie à tout le monde; mais ce tems de fran-
«•liise dura peu . l'an X y mil fui. Le privilège de pêchei' pou-
vali être vendu et rapporter quchpif chose au trésor; on en
SCIRNCE5 PllYSÎQIJBS. i85
d/ipouilla la masse et on le vendit à quelques-uns. Depuis, on
a siRccssivement ajoulé aux restrictions apportées à ce droit
con»mun. Le fisc y trouva iin autre avantage : les restrictions
anienèieiit lesoonliaventions et les coniravenlions des procès,
de» amendes : le tiud)re et l'eniegislrement y j;agnèrent, de
pauvres gens lurent ruinés, et le public perdit un plaisir. On
créa des garde5-]>t'c!ie , et l'arniée des salariés Ait auguîen-
tée de quelques nullii rs d'iudivi ius , chose qi.i n'était pas non
p us à dédaigner : ùe> fonctionnaires à 5oo, à 200 Cr. et même
à plus bas piix! c'est avoir des gens à soi au meilleur marché
possible. Le motif sur lequel on s'appuya pour justifier cet
envahissement du pouvoir fut la con>ervation de l'empois-
sonnementdes rivières; mais ce molifétailpeu l'ondé puisqu'on
permettait la même dévastiilion moyennant finance, et que
d'ailleurs le moyen le plus eïïîcace de s'opposer au dommage
consistait à restreindre la p«>he au Olet, qui est la seule vrai-
ment deslruclive. On négligea ce seul moyen : les fermiers
eurent des gardes à eux. et ne furent pas surveillés {tar les
gardes de l'administration ; la déviistation fut plus grande ciue
jamais, et est devenue telle qu'il faut être passé jnaître rusé
pêcheur pour atlraper maintenant un poissori passable, dans
une rivière aifemiée à cjjaque bail pour un prix inférieur à
celui du bail précédent. La pêche à la ligne était inoffen-
sive ; cependant on ne put se résdiidre à laisser prendre gratis
aux amateurs cet innocent plaisir, et le pêcheur que vous
voyez au bord de l'eau a payé 9 à 10 fr. par an la tranquillité
dont il jouit ; ou bien c'est un fraudeur qui redoute la pré-
sence du garde. La latitude laissée à la pêche licite est telle-
ment resireinte qu'il est presque impossible de n'être point en
contravention. C'est ainsi que petit à petit tout ce qu'il y avait
d'onéreux et de vexdtoire dans les anciennes ordonnances a
été remis en vigueur; mais laissons ce sujet, sur lequel il y
aurait trop à dire, et revenons au livre de M. Kp.esz aiué.
C'est avec regret que nous avons vu disparaîtie dans cette
deuxième édition tout ce qui avait trait aux grandes pêches dont
s'occupent les pêclieiu'sde prol'es-^ion ; c'était bien assurément
la pallie la plus rcniarquablede l'ouvrage. Dans la seconde édi-
tion, l'auteur ^'occupe setdementde la pêche à la ligne : nous
regrettons aus.^i ces giavures dans lesquelles le pêcheur était
rej)ré.enté en action sur les bords rocailltMix où la pêche est
le plus fru( tueuse ; M. Rieszlesa reuqjlacécs par son portrait.
Quoi qu'il en soit, cette seconde édition contient en échange
de ce qui a été supprimé de la première quelques préceptes
dont les pêcheurs pourront faire leur profit, notamment «ur
iSO LIVUES FRANÇAIS.
la pêuhe aux pelotes, qui est celle {|ue l'auteur parait le mieux
eiilendre. OE.
41. — *Traitc clcmenlaire deGéograp/ne, contenant unahréi^é
méthodique du Précis de la géographie universelle de Malle-
Brun, terminé d'après le plan et les matériaux de ce célèbre
géographe, par ses collaborateurs, MiM. Larenai dière. Balbi
et Hi'OT, contenant V Histoire de la Géographie, tes Principes ft
la Description générale de l'Europe. Paris, i85o; Aimé-Andié.
quai Malaquais, n" i5. In-8° de xvj et 989 pages. 11 y aura
deux vol. , avec un atlas composé de 12 cartes, dessinées pai-
M. Poirsoîi, et de tableaux stalisliques et autres; prix, 17 fr.
Il est bien plus dillicile qu'on ne le croit communément tle
composer un bon traité élémentaire sur (pielque branche que
ce soit des connaissances humaines. Sans parler du peu d'a-
vantages qu'un travail de ce genre peut otïrir à son auteur,
soit pour sa lortiine, soit sous le rapport de la célébrité, il
exige un assez grand nombre de conditions qu'il est rare de
trouver réunies : une connaissance complète et approfondie
de la science sur laquelle on veut écrire; un esprit juste et
méthodique, possé'Iant l'art peu commun de rendre claire-
ment les choses les plus difficiles, et de marcher sans cesse, et
par degrés, du simple au composé ; im choix judicieux de ma-
tériaux recueillis à l'aide de longues recherches , non-seule-
ment parmi nous, mais encore chez les étrangers, qui se sont
occupés avec succès de la même matière; enfin, une expé-
rience suffisante des diverses méthodes d'enseignement qui y
ont été applicpiécs jusqu'ici.
Ce sont peut-être ces difficultés, et d'autres encore plu>
spécialement attachées à l'étude de la géographie, qui nous
ont empêché jusqu'ici d'avoir un bon traité élémentaire sur
cette science, si utile et si agréable en elle-même, et à laquelle
d'importantes découvertes ont donné, tout récemment , im
nouveau degré d'intérêt. 11 est bien digne de remarque, en
effet , que nous possédions en France tant d'hal)iles et labo-
rieux géographes, dont les travaux sont justement appréciés
de l'Europe savante, et que pas un d'eux ne paraisse avoir
songé à nous donner un traité élémentaire en harmonie avec
l'état actuel de la science. On peut s'étonner encore que la
Société de géographie, (pii décerne chaque année plusieurs
prix pour des ouvrages relatifs aux objets piincipaux de se>
éludes, n'ail jamiiis mis au concours la composition d'un sem-
Itlable triiilé. Il r-l péiiilile d'avouer que, jusqu'aux lems ac-
tuels, renscigneuieul de la i^éngrapliie dans nos écoles ne s'est
l'ait qu'au moyen de Iraduclifuis d'ouvrages auglai»- et aile-
SCIENCES PHYSIQUES. 187
mands, dont notre indigence a lait exagérer le mérite, et qui,
grâce à elle, ont obtenu depuis trente ans de nombreuses
réimpressions.
Les personnes du monde, (jui, après des études superficielles,
veulent s'occuper plus sérieusement de cette science ({u'on ne
peut le faire dans les collèges, pouvaient du moins, depuis
peu d'années seulement, consulter avec tVuit le beau travail
de Malte-Brun, véritable traité de géographie univeiselle ,
qui, sans doute, eût encore mieux justifié son titre, s'il eût été
possible à l'auteur de le publier en entier avant sa mort. On
se rappelle avec quel empressement le public accueillit ,
en 1809, le projet et le premier volume de ce gr.md ouvrage.
D'après la pensée féconde de l'auteur, toutes les sciences de-
vaient fournir des matériaux à son vaste édifice, et, pour la
première fois, la description de la terre allait se montier com-
plète et universelle comme son objet. Mais c'est le sort des
livres de ce genre de vieillir en peu d'années; la géographie
proprement dite, les sciences qui s'y rattachent , et surtout
les divisions politiques qui en forment un important acces-
soire, ont éprouvé depuis vingt ans de nombreuses modifi-
cations. Ce grand ouvrage, malgré l'immense ériulilion de
Malte-Brun, malgré les talens et le zèle si estimable de ses
continuateurs, deineiu-e donc encore incomplet, et ne satis-
fait plus qu'imparfaitement aiix besoins de la science. Son
étendue et le prix élevé qui en résulte le mettaient en même
tems hors de la portée d'un grand nombre de lecteurs.
Rien ne pouvait donc être plus agré.ible aux personnes qui
s'occupent spécialement de cette étude , et même à tous les
homiries instruits, que la publication d'un nouveau traité,
extrait du précédent, enrichi de tout ce que celui-ci présen-
tait de neuf et d'essentiel, dégagé seulement des considéra-
tions trop scientifiques et inutiles au commun des lecteurs. Ce
travail a été fait avec un soin et un talent (pie nous ne pou-
vons trop louer, par MM. Larcnaudière, Balbi et Huot, colla-
borateurs et disciples de Malte-Brun, et dont les noms seuls
offrent la plus honorable garantie. Analyser un pareil ou-
vrage, qui, nous l'espérons, remplira complètement les espé-
rances qu'il a tléjà fait concevoir, c'est en faire l'éloge le plus
entier et le moins suspect, >ous allons donc indiquer sommai-
rement le plan véritablement neuf de ce nouveau Traite élé-
mentaire.
Ce plan se trouve exposé par Malte -Briui lui-même dans
un fragment que les nouveaux auteurs ont placé en tête de
leur préfiic<'. On y voit dominer cette idée, <|ui paraîtra ui\
.38 LIVRES FRANÇAIS.
peu fcti'iingc à plus d'un lecteur, qu'un «trailé de g^éographic
ne doit pas oïlVir la description détaillce des diverses parties du
monde; ce serait comnie si l'on voulait faire entrer un dic-
tionnaire dans une giamniaiie. » L'auteur du Précis pensait
donc qu'on devait se borner, dans un tel ouvrage, aux ])rin-
cipes généraux, et ce n'est que par une sorte de concession à
l'usage él:ii)li , qu'il se proposait de descendre à ces descrip-
tions (|u'oflVent les traités ordinaires. Nous voyons avec plaisir
que les auteurs de l'Abrégé n'ont pas suivi rigoureusement le
systèuje de Malte-lirun, (|ui, s'il nous est permis d'exprim.er
ici notre opinion personnelle, nous semblerait détourner la
géographie de son but principal, \adesiri/)tion de (a terre, comme
l'indique sou nom même. Toulerois nous serions tentés de leur
dire qu'ils ne se sont pas encore assez rapprochés, en cela, des
usages reçus. Nous aurions voulu voir, par exemple, dans la
description des contrées de l'Europe, l'indication détaillée du
cours des grands fleuves qui la traversent, et ce n'est pas as-
sez pour iaiie connaître celui du Danube, que dédire «qu'il
divise le sol de la Bavière en deux grandes lormalions géolo-
giques. »0ù trouvera-t on, si ce n'est dans un traité élémen-
taire de géographie, la désignation des sources et des embou-
chures de CCS fleuves et des accidens de leurs cours ? Il semble
que le Uhin, le Volga, l'KlJie, le llhone, etc. , méritaient bien
quelque chose de plus qu'une simple mention. Par un motif
semblai)le, nous n'aurions pas été fâchés de voir indiquer
avec plus de précision les limites politiques de départemens
et de provinces, souvent à peine nommées dans ce Tiailé,
peu agréables il est vrai à étudier, mais qu'il faiit pouitant
savoir, et qu'on ne devrait pas être obligé d'aller chercher
ailleurs.
A la suite d'un Précis, très-bien fait et très-substantiel, de
l'histoire de la géogra])hie depuis les premiers tems histori-
ques jusqu'à nos jours, se trouve placée l'exposition des prin-
cipes généraux, comprenant les bases astronomi(|ues, malhé-
iTiatiijues et géologiques de la science. D'importantes notions
sur l'eau, qui couvre une partie de la surface du globe, sur
l'air, qui l'enveloppe de toutes parts, sur la cause et la nature
des vents, sur les températures locales et les climats physi-
ques, sur les révolutions arrivées à la surface du globe, sur la
disti ihulion des animaux et des végétaux qui l'habitent, toutes
choses aussi intéressantes qu'étrangères jusqu'ici à la plupart
de nos traités de géographie, présentent tout ce qu'on peut
désirer de savoir à cet égard. Viennent ensuite les diverses
rlai'siriciUion? de la race humaine, ce qui regarde les langues,
5CIENCES PHYSIQUES, 189
les religions, les divers modes de goiivornemeuf. Ici se ter-
mine la première partie, qui occupe à peu près la moitié du
volume.
La seconde division , nommée descriptive, et qui roristilue
la partie géographique propromi'Ut dite, commente par des
notions génér.des sur l'Euiope, ses dinieiisions, ses mers, ses
montagnes, ses lleuves, ses diverses productions ; enfin sur l'im-
portance, la force et la richesse de clia'jun des États cjui la compo-
sent. Là se trouvent encore de précieux dociunen-* stati>tique3
qu'on cliercherait vainement ailleuis. Ensuite vieiment les
desciipli«ms de chafjue contrée en parliculiei-, en commen-
çant par la France. On a adopté ici une marche, déjà suivie
dans le Précis universel, et qui, nioins monotone sans doute
et moins pénible pour l'étude que Pancienne, nous paraît aussi
moins méthodique et moins rationnelle. Les divisions par pro-
vinces et par dé[)artemens ne sf)nt plus rappelées q-ie dans
des tableaux répétés à la fia de l'article; la surface du royaume
est ('écrite par bassins, et comme pourrait le voir un voyageur
instruit qui la jiarcou irait successivement, du Nord au Midi,
en s'écartaot au besoin à l'est et à l'ouest, et sans s'inquiéter
aucunement de sa division administrative. Cette classification
par bassins, en suivant les lignes de partage des eaux n'est
pas, comme on sait, une idée nouvelle : elle offre beaucoup
d'avanlages pour l'étutle de la géographie physique ; mais nous
le répétons, l'étude des divisions politiques et administratives
est aussi d'une grande importance, surtout à l'époque actuelle;
et l'on ne peut nier que le nouveau Traité, d'ailleurs si com-
plet, ne laisse quelque chose à désirer sous ce rapport.
Les autres contrées de l'Europe sont décriles d'après le
même système; d'abord la Suisse et l'Italie : puis l'Allemagne
et les autres contrées du Nord; la Turquie d'Europe et la
Grèce (indiquée ici, peut-être pour la première fois, comme
nn Elat indépendant); l'Espagne et le Portugal; enfin, les
Iles Britanniques. Pour chacun de ces Etats, les auteurs ont
donné des détails statistiques d'une haute importance, qu'on
n'avait consignés jusqu'ici dans aucun ouvrage de ce genre, et
qui sont dus, ?ans doute, aux savantes et consciencieuses re-
cherches de M. Raibi, l'un des collaborateurs. Nous y aurions
seulement désiré quelques piiges de plus, sur l'industrie ma-
nu facturicre, surtout pour les Etats dont elle forme la princi-
pale richesse; et sous ce rapport, sans doute, la France et
l'Angleterre méritaient bien quelques détails, que le plan de
cet ouvrage semblait d'ailleurs comporter.
L'Atlas, dont nous avons encore à parler, contient seule-
igo LIVRES FRANÇAIS.
uieiil douze carie?, exécutées avec un soui et une délicatesse
(le Inuin remarquables, et dont l'exactitude ne peut être mise
en doute, puisqu'elles sont l'ouvrage de M. Poirson. dont le
talent est si bien connu, et à qui l'on doit le superbe globe
manuscrit qui orne le milieu de la galerie d'Apollon, au
Louvre. Ces cartes sont précédt-cs de plusieurs tables in-
diquant la position des capitales des cinq parties du monde
par rapport au méridien de Paris, ainsi que la valeur compa-
rative de leurs poids et mesures et de lexirs monnaies, rappor-
tés aux nôtres. Y. L.
Sciences religieuses, morales, politiques et historiques.
42. — Elablisscment protestant pour l' éducation d'enfans
pauvres, au Neuhof, prés Strasbourg. Strasbourg, 1829; im-
primerie de M"" veuve Silberman. In-S" de iG pages.
En lisant cet écrit on prend un vif intérêt à l'établissement
de Neuhof et à ceux qui le dirigent : M. Rrafft, supérieur du
pensionnat théologique attaché au séminaire protestant, etc.,
est président du Conseil d'administration et rédacteur de cette
notice, cjui, dans l'espace resserré de 16 pages, contient la
biograpliie du fondateur principal, l'histoire et Torganisation
de l'établissement, la distribution des heure» du travail, soit à
l'étude, soit au ménage et à la comptabilité, les noms des bien-
faiteurs et la note de leurs dons. Arrêtons- nous un moment
à la biographie par laquelle M. Kraflt a débuté, car le vertueux
^^ lUTz, mode] accompli du chrétien, est un de ces hommes
qui font honneur à l'iiumanité, et dont la vie fait connaître
tous les biens que le christianisme répandrait sur la terre s'il
était mieux connu et si ses maximes étaient mieux suivies.
W urtz naquit dans la pauvreté, supporta dés l'enfance des
infortunes dont la religion le consola, ne perdit pas de vue un
seul instant le but du voyage que le chrétien fait sur la terre,
et la route par laquelle il peut l'atteindre. Le peu de biens qu'il
avait acquis par son travail, ses soins durant les dernières an-
nées de sa vie, tout a été consacré à l'établissement de Neuhof.
Ln simple monument y conservera son souvenir; sur l'une
des faces on lit cette inscription : « Philippe-Jacques "VN'urtz,
fondateur principal de l'établissement pour l'éducation d'en-
fans pauvres an Neuliof, né le 19 octobre 1745. décédé le 23
juin 1828. » Sur une autre face : Paroles dv défwt en i825.
« Ce bien terrestre n'est point ma propriété; c'est un talent
que m'a prête le Seigneur, et je dois le lui rendre avec usure;
je le lui rendrai en le transmettant à ces plus petits de mes
SCIENCES MORALES. ij,i
rr<'MC5.))Troisièn)o lace : Paroles du Scignf.i:u. «O bon et fidèle
serviteur, lu as (;té fulèlr en peu de choses; je Tri a 1)1 irai sur
beaucoup; entre dans la joio de ton seifi,ncur. -> Quatrième
l'ai'e : Sentiment des enfans. u Dieu ! tu as délivré mon âme de-
la mort; tu as gardé mes pieds de broncher, aiîn que je mar-
che devant Dieu en la lumière des vivans ( ps. 56, v. i4)-''
Pour avoir une juste idée de la vie toute chrétienne de
\N urtz, il faut liie cette notice tout entière, et remarquer que
cet homme d'une véritable piété a traversé toute la révolu-
tion, subi ses calamités, supporté ses orages, sans que la tran-
(juillité de son âme en ait été troublée.
Au Neuhof, outre l'instriution religieuse que reçoivent les
enfans, on leur fait apprendre le français et l'allemand; la
calligraphie, le dessin linéaire, la géographie, le calcul, etc.,
sont aussi l'objet de leçons assez fréquentes pour que les jeunes
élèves en tirent un profit réel. Le ménage et les travaux cham-
pêtres sont faits par les enfans, sansleconcours de domestiques
ni de journaliers. 3Ialheureusement, quoique le zèle des
bienfaiteurs se soutienne, il éprouve des variations qu'il serait
îm[)ortant d'éviter : nous lisons dans cette brochure, au sujet
d'un envoi de pommes de terre et d'autres denrées, fait par la
commune de Lampertlieim : « Ce dernier secours nous arriva à
une époque oCi notre provision était épuisée, une avance de
quatre sacs consommée, et où notre pusillanimité était sur le
point de se deuiander : que mangeront nos enfans?» Les do-
tations foites aux établissemens tels que celui-ci sont aussi
l'un des moyens par lesquels la Providence pourvoit à leur
conservation : il serait bien à désirer que les largesses prodi-
guées aux couvens reçussent cette destination. La bienfaisance
appliquée à l'éducation des enfans pauvres ne fiit sans doute
aucune distinction entre les diverses communions chrétiennes;
l'Institut du Neuhof iie peut encore se passer d'offrandes an-
nuelles. Les clirétiens disposés à venir à son secours voudront
bien adresser leurs dons soit à M. Rrafft, soit à l'un des mem-
bres du Conseil d'administration, qui sont ÎMiM. le professeur
HERREN^CH^EIDER, LvNG, marchand de soieries, Doldé, pro-
priétaire, HiCKEL, notaire royal. On peut aussi adresser à
MM. LEGRANDpère et fils, membres correspondans, à Fouday,
au Ban 'de la Hoche. Y.
43- — I-'^ /■' ocabiilaire des Sourds-Muets [^partie iconographi-
que^ ; première livraison, contenant cinq cents noms appella-
tifs de la langue usuelle, interprétés par un paieil nomlire de
figures correspondantes; par M. Pirocx, directeur de l'Insti-
tut des sourfis-muets de Nancy, membre de plusieurs So-
)fj2 L1V11E5 FRANÇAIS.
ciélcs savante?. Nancy, i85o; à réluMissemenl des .^ovircls'-
miietset chez L. Vincenot et Viilart, au Casino. In-S"; prix de
chaque livraison, 2 fr. ôo c, 5 IV. pour les uon-soiiscriplours;
les autres livraisons paraîtront de six en six nioTs.
Un tiavail du i;;enre de ciiui dont nous venons de tracer le
titre avait été rcconini/uidé par M. de Gicrakdo dans so!i esti-
mahlo ouvrage sur ruistriiclion des sourds-mucis ; iM. l'iroux
était liion digne de s'a»so( ier au vœu de Ihonorahle philan-
trope en l'accomplissant. Son ouvrage, qui se composera de
cin(| livraisons, est divisé en pai tie iconf)i;rapln((iie et en partie
le\irologi([ne , c'est-à-dire qu'il réunit (]c^ fignies et des ap-
pellations correspondantes; on conçoit tous les avantages de
cette méthode pour parler à la l'ois aux yeux et à l'intelligence.
L'auteur, pour exciler plus encore le tiavail des élèves, a eu
le soin de ])lacer les figures au verso du feuillet sur lequel les
noms sont inst rits. Nous ne ])Ouvons qu'enc(un'ager l'auteur
dans son utile cntrepiise, «pu a déjà obtenu les sullVages des
directeurs d'élaMissemens royaux , parmi le.-(|ucls H. l*ironx
figure lui-mênu" si lionorablenieut. L'instruction d'une classe
d'êtres mallieuieux, dont près de moitié en Fran:;e, environ
8,000 individus , n'en peuvent recevoir anciuie , en devien-
dra plus r>imple et plus facile. L'auteur aura donc rendu par
là un service important à la société. D
44- — * Histoire fiitanciire de la France depuis f origine de la
monarchie jusqu'à la fin de 178G, avec un Tahhari ï,cnéral des
anciennes impositioiia et l'.n Etat des recettes et îles dcpmses du
Trésor royal à la même épo(iue ; par M. A. Bailly , inspec-
tein--général des liiianccs. Paris, i85o; Moutardier, rue Gît-
le-Ca;ur, n" l\. 2 vol. in-8° ensemble de xxxvi et 954 pag-;
prix, i5 fr.
L'année dernière, M. Jacques Bresson publia sous ce même
litre un ouvrage dont il a été rendu compte dans la Jîcvue
Encyclopédique (t. XLi , p. O78), et qui n'étaii, à propre-
ment parler, qu'un exposé de la \ie des surintendans et des
ministres des finances depuis i5oi jiisq l'en i85o; M. Cresson
n'avait point traité son sujet comme on auiait pu l'atlendre
de sou talent, et le travail était à ref lire ; 11L lîailly est entré
dans la carrière, et son livre est en quelque sorte la contre-
partie de celui de M. Bresson. Laissant de côté les noms et les
personnes, il s'attache aux faits et passe en revue l'étal des
îinances sous lu domination romaine et sous les trois pre-
mières races. On voit qu'il s'est beaucoup aidé de l'ouvrage
d'Arnould, publié en 1806; ses recherches l'ont complété :
mai"» i! ef<\ à regretter qu'il n'aitpas su mieux résumer le» faits
SCIExNCES MORALES. ujS
et qu'il n'ait pas t'ait icssorlir avec plus de force et de clarté les
différences notables qui se font remarquer dans les diverses
phases de notre histoire ; son livre renferme heauconp de
chos(!s, beaucoup de documens à consulter, de matériaux im-
portaiis; ils seront utiles à celui qui saura nous donner enfin
un tableau complet et précis, ajipuyé sur des chiffres, de l'his-
toire de nos finances depuis l'origiiie de la monarchie jusqu'à
nos jours. w.
45. — Des Domaines et de l'rtat constitutionnel de la Lor-
raine, par M. NoEL , notaire et ancien avocat. Nancy, i83o.
In-8° de l'io pages.
L'administration des domaines voulant faire entrer le gou-
vernement en possession de ceux qu'on appelle aiiénés ou
engagés, cette grande question a produit phisieurs écrits in-
léres^ans sous le rapport de l'histoire et du droit public, au
moyen âge. Parmi eux, nous avons remarqué le Mémoire
publié par M. Noël, de Nancy. L'auteur, qui a réuni un grand
nombre de livres et de manuscrits curieux sur la Lorraine,
examine la nature de ce duché et la puissance donnée aux
ducs lors de l'investiture, essentiellement en ce qui regarde le
domaine. «Les Francs, dit-il, lorsqu'ils s'emparèrent des
Gaules, ne possédaient rien du sol; la conquête n'était pas la
propriété du chef, mais celle de tous les vainqueurs. Le chef
n'était point maitro , mais seulement administrateur du bien
commun; sous ce rapport, il ne pouvait l'aliéner seul.... De-
puis i5i4> à peu près dans le tems où les états-généraux ou
nationaux ont été assemblés pour la première fois, il fut publié
des ordonnances qui déoJaraient les domaines inaliéliables, et
révoquaient les aliénations faites même par saint Louis depuis
1226 » Eu Allemagne, dont la Lorraine faisait partie, de-
puis le traité de Bonn en C)2i , l'empereur était électif
Toutes les capitulations successives n'avaient pour objet que
de diminuer ses pouvoirs , en augmentant celui des princes
qui, par le fait, ont pu disposer de leurs domaines, en toute
propriété, à moins qu'ils n'en fussent empêchés par leurs États
particuliers, tandis que l'empereur ne le pouvait nullement
En résumé, en France tout domaine de l'Etat était inalié-
uable ; en Allemagne, le seul domaine mis en réserve pour
les charges de la couronne élait inaliénable, comme une pro-
priété commune. Le surplus des domaines était aliénable .
sans recours ni restitution, comme étant bien particulier ou
privé <c En 1048, lors de l'établissement de l'hérédité du
duché de Lorraine dans la maison de Gérard d'Alsace , la
province avait une organisation modelée îur celle de l'empire.
î. XtVlI. JCILLEl iH7to. i5
i«j4 LIVRFS FilANÇUS.
Les rlirvalicrs jugeaient leiiis propres causes el celles (le.-<
particuliers; les États, composés des chevaliers, des prélats,
des l)t)urgeois, des vilains, avaient le droit de reconnaître le
duc, de décider de tontes les affaires, lois, aides, contril)utions
relatives au duché Charles III pnhlia des ordonnances do-
maniales pour le duché de Bar, les 21 juin j56o el 27 juin
i56i. Les Etats, composés des prélats, ilea chevaliers et des
bourgeois, résolurent de lui rel'user ses aides, de ne lui rien
payer; les aides représentaient alors le budget d'aujour-
d'hui (i).... Sous (thalles ]'*, la Lorraine ayant été envahie
par la France, les lois fuient méconnues — Louis \III éta-
blit un conseil souverain à Nancy Les liibunanx subsistans
n'exerçaient qu'en vertu de commissions données par le roi
de France ; les Lorrains ne vonliuent pas se l'aire juger pai'
eux Ils se transportèrent partout où leur Cour souveraine
de Saint-31ihiel rendit ses arrêts, à Luxembourg, à Siritz, à
Vesoul »
La coutume de Lorraine, homologuée par Charles III,
porte : Quiconque, sans interruption, a possédé de bonne foi
héritage, soit de fief, franc alleu ou roture, par l'espace de 5o
ans, il a acquis la propriété et seigneurie dudit héritage...
avec titre ou sans litre, entre al)sens ou présens, contre le prince
r)u le vassal
Léopold, en J722, imposa une contribution assez forte aux
détenteurs des domaines aliénés. Il n'en avait pas le droit, et
c'est avec peine que l'on (.critique les actes d'im prince qui a
acquis à tant de titres le respect et l'amom- âvs Lorrains. »
François 111 alla plus loin ; il soutint que « les domaines de la
couronne sont inaliénables et toujours reversildes suivant le
bon plaisir des donateurs — Il annula toutes les aliénations
faites depuis 1697, et exig<'a que les acquéreurs antérieurs
payassent la contribution imposée par Léopold — » Celte
ordonnance fait exception aux règles générales du droit,
comme à l'équité et à la justice ; elle ne peut pas être suscep-
tible d'extension par interprétation ; loin de là, on doit lui
appliquer toutes les restrictions qu'il est possible de lui faire
subir. La première est, san< doute, d'effacer l'effet rétrctactif;
la loi di-posc seulement pour l'avenir « Sous le règne de
François 111 s'est éteinte la puissance des ducs en Lorraine.
(1) Les iilliasdecc lems-là nr jolaienl-iis pas les ii.iiils ciis de et: qu'un
reftisail' le budget à un prince trompé ]>arses ministres ?
( Noie (lu rcrliicleiir. )
SCIENCES MORALES. 195
StJiiiislas ne fui qiu- duc bénéficiaire ou usulVuilier ; c'est
pourquoi il ne disposa eu rien du domaine , lo'ites les aliéna-
lions en furenl adjugées par suite des ordonnances du roi de
France, promulguées par Stanislas lui-même. » On lira avec
plaisir le discours que JM. de ^ ence prononça lorsque ce prince
vinl prendre possession de la Lorraine: «Sire, la fortune,
lassée de vous accabler, vient enfin de se fixer sur vous; il
étaittems que l'ami de Charles XII et le beau-père de Louis XV
cessât de donner à l'Univers le spectacle affligeant de l'incon-
stance des choses humaines. V. M. va régner, et sur qui? Ah !
Sire, jugez par nos larmes de ce que nous perdons et de ce
que nous allendons de vous. Si la renommée de vos vertus
ne vous avait devancé, nous oserions vous citer Léopold ,
d'éternelle mémoire, et son fils que nous n'avons qu'entrevu;
nous supplierions V. M. d'imiter ces princes. Mais il ne faut
point d'exemple à un héros , son cœur lui dicte ses devoirs ;
écoutez le vôtre, Sire, et nous serons heureux. »
« Stanislas a surpassé l'attente des Lorrains.
» Leur courage, leur fidélité, leur patriotisme sont encore
indigènes dans cet ancien État. Au milieu des troubles de la
révolution, la Lorraine est la province qui a donné le moins
d'hommes variables en opinion politique ; poiu' preuve, nous
pouvons citer le général comte Drouot; il a hérité des vertus
de nos aïeux, et certes il n'est pas le seul ; mais c'est un bel
exemple à citer. «
L'amitié a copié ces dernières lignes avec bien du plaisir.
L*.
46. — Considérations et opinions sur cette question: «Con-
tinuera-t-oti de délivrer, pour les inventions industrielles ,
tie titres qui, sous la dénomination de brevets, conféreront le
droit privatif d'exploiter ces inventions pendant un tems dé-
terminé?» Par A. B. Vigarosy. Castelnaudary, 1829; impri-
merie de G. P. Labadie. In-S° de 66 pages.
Cet écrit est du nombre de ceux que provoqua le ministre
du commerce durant la courte existence de son ministère.
C'était alors l'usage d'interroger l'opinion publique, les hom-
mes éclairés . et d'écouter les réponses; on ne croyait pas à
\a.certaine science. Sur les vingt-sept questions que M. de Saint-
Cricq avait proposées, M. Yigarosy n'a traité que la première,
paice que si la solution qu'il propose était admise, i! serait
iiiutilc de s'occuper des autres; il ne croit point à l'utilité des
brevets d'inventions, et par conséquent il les repousse comme
une grave erreiu- en économie publique, un obstacle au déve-
loppement de l'industrie. Mais ce qu'il voudrait mettre à leur
uf) LIVRES FRANÇAIS.
place ne nous éloigner;iit-il pas aussi du but? Ferions-nous
autre cliose que changer d'erreur, si nous étal)Iissions un Ordre
du Mérite pour récompenser et encourager les inventions nouvel-
les? La pauvre hunianilé serait-elle condanniée à ne jamais
revenir au simple bon sens; et faut-il que^ sous une forme ou
sous une aulie, elle tienne une marotte à la main? Si l'on
continue en France la multiplication des Ordres, des déco-
rations et des autres prétendues récompenses du mcme genre,
leur nomenclature ne sera pas moins bizarre que le blason,
et CCS deux sortes d'instrumens ilils sociaux seront très-juste-
ment assimilés, quant au degré d'utilité et le mérite de l'in-
vention.
La dissertation sur l'industrie est suivie d'une ode sur le
même sujet. iM. Vigarosy fait très-bien les vers, mais le sujet
qu'il a choisi n'a pas assez échauffé, enflammé sou imagina-
tion; ses pensées sont trop exactement vraies poiu' atteindre
jusqu'à la poésie de l'ode. Avec le lilre et sous la foime cVE-
pitre, cette pièce de vers plairait davantage, et serait sans
reproches. !M. Vigarosy a le talent d'écrire, une bonne mé-
thode d'exposition et de discussion; quoi qu'il ait fait, celte
fois, \m emploi malheureux de cette faculté précieuse, il ne
renoncera pas à la carrière, et ceux qui approuveront le moins
cette brochure ne seront pas les derniers à désirer qu'il pi cnne
une éclatante revanche : il le peut ; nous le lui demandons. N.
47. ■ — * Disco(u's sur cette question : « Quelle a été l'in-
fluence du gouvernement représentatif depuis quinze an-
nées en France sur noire littérature et nos mœurs? » par
M. Edouard Ternatjx, avec cette épigraphe : « L'esprit du
siècle a pénétré de toutes parts. Il est entré dans les têtes et
même dans les cœurs de ceux qui s'en croient le moins enta-
chés. » Chateaubriand. Paris, 1 83o ; Éverat, imprimeur, rue
du Cadran, n" 16. In-8° de k) pages.
Ce discours, qui e.^t publié à part, après avoir été inséré
dans l'un des derniers numéros de la Revue de Paris (recueil
très-intéressant par le choix et la variété des matériaux qu'il
renferme, mais-qui est un Magasin littéraire et non pas une
Jievue), fournit une preuve nouvelle de cette tendance salu-
taire vers les aniéliorations et de cette appréciation éclairée
des bienfaits de notre réf^énéralion polilicpie, qui distinguent
la plus grande et la meilleiue partie de la nouvelle généra-
tion. IM. Ed. Ternaux, qui porte et qui soutient digiicmenl
un nom très-honoiable, a développé avec consciei'ice et avec
talent, en traitant la question proposée, poiu* laquelle il a ob-
tenu le second prix, les avantages que la France et l'Europe.
SCIENCES MORALES. rg;
la tivilisalion et l'humanité doivent à notre lévolution, si
atrocement calomniée par ceux qui affectent de n'y voir que
les déplorables excès, également commis par tous les partis,
dans les jours de leurs sanglantes luttes, et qui sont asseï
aveugles pour méconnaître l'accroissement de population, de
richesse, de liberlé, d'industrie, de bien-être, de moralité
même (car toutes ces choses se tiennent étroitement), qui a
résulté de l'ordre constitutionnel, substitué à l'arbitraire de
l'ancien régime. Le jeune écrivain esquisse rapidement quel-
ques traits de « ce drame immense qui s'ouvre et se ferme au
bruit du canon, sous les créneaux de la Bastille et dans les
plaines de Waterloo. — Tout a eu son tems et sa part : l'élo-
quence, ses éclats et ses foudres; la liberté, ses jours de fête
et de brillantes illusions ; la licence, ses saturnales; le crime,
ses orgies; la victoire, ses glorieux prestiges; le despotisme,
sa grandeur et son châtiment. »I1 montre « qu'il n'y a plus de
place pour une littérature de luxe et de parade, pour le clin-
quant de l'ancienne société, au milieu des grandes réalités de
réforme et d'intérêt public qui passionnent tous les esprits. »
Il rappelle que, « si la révolution, comme Saturne, avait dé-
voré ses enfans, comme Saturne aussi elle fut détrônée par
son fils, qui ne se souciait guère des rigides vertus républi-
caines, » ou plutôt qui les a étouffées et proscrites, pour réta-
blir, à son profit, comme il le croyait, l'ancienne corruption,
les préjugés, les habitudes et les mœurs monarchiques.
Il insiste sur cette vérité, que « le gouvernement représen-
tatif, qui n'est qu'un gouvernement de discussion et de libre
examen, ne doit pas et ne peut pas avoir de ressorts cachés;
tout y brille au grand jour. On lui demande compte, non-
seulement de ses résultats, mais aussi de ses moyens.... C'est
le gouvernement public, chacun peut y ujettre la main — La
littérature, les arts, les sciences, tout enfin ne deviait-il pas
être soumis à ce régime de controverse et d'examen ? »
M. Éd. Ternaux est conduit à signaler deux grands traits
distinctifs de notre littérature contemporaine : un retour vers
le moyen âge, considéré comme l'âge héroïque des tems mo-
dernes; une vive et franche sympathie pour les idées reli-
gieuses.
Sans vouloir décourager ceux qui cliercbent à ouvrir en
littérature des routes nouvelles, il blâme la violence effrénée,
les prétentions absurdes et les écarts de quelques novateurs
imprudens et fougueux qui déclarent ime guerre à mort aux
anciens principes, et il termine en exprimant cette consolante
espérance, que « la raison, dans les lettres comme dan? la p(i-
,98 LIVRES FUÂNÇATS.
Ktif|iie, relèvera la tr*le. cl reprendra son empire : la réformr
fera justice de? excès commis en son nom. » M. A. .).
48. — * Le Bon Sens national, par Marc-Antoine Jvllie> de
Pario ; avec cette epij:raphe : « Ce n'est point ici la pensée
d'un seul homme, ni une opinion isolée ; c'est l'écho des sen-
timens, des vœn.v, des discours de presque tous les Jionmies
d'action, de cœur, d'énergie, qui ont combattu et vaincu, et
des hommes de '^en-, de réflexion, d'expérience, qui \eulent
que la victoire du peuple pi ofite ;'i la France et au monde. '■ —
Paris, 6 août i85o; Sédillot. rue del'Odéon, n°3o; prix, jjc.
Se vend au profit des martyrs de la libellé et de leurs fa-
milles.
Le retard qu'a éprouvé Fa publication de notre cahier nous
permet d'annoncer cette brochure improvisée, écrite le 5 août,
puhtiécled, et qui retrace rapidement les évènemens héroïques
de la Semaine dit Peuple^ et pose avec netteté et précision la
question politique du moment. Il non* suffît d'en citer quel-
ques passages : « Le général La Fayette et le duc d'Orléans,
tous deux dignes de la cause populaire, raUient aujoiud'hui
tous les esprits, toutes les affections, toutes les opinions: ils
représentent les deux grandes idées de liberté et d'ordre, élé-
mens nécessaires de la société qui vient d'être ébranlée dans
ses racines : I'umon est le seul moyen de conserver les biens
qui nous sont acquis. — Le nom seul de rcpnhUqae porterait
l'effroi dans beaucoup d'esprits pusillanimes, ou piévenus, ou
même très- éclairés, tant en France qu'en Euroj.e. Ainsi, point
de république. La monarchie représenlalive , si elle est bien
combinée, fondue en bronze et non moulée en plâtre^ peut nous
donner toute la portion de liberté que désirent les patriotes
les plus exigcans. Nous devenons le modèle des peuples, sans
être la terreur des rois. — ÎMais la nomination d'un roi doit
être précédée par une déclaration ou bill des droits, qui sera
comme la base première de la grande Charte nationale, dont
la rédaction définitive ne saurait être l'ouvrage, ni d'un seul
jour, ni d'une (dianibie qui n'a point un mandai spécial pour
une tâche aussi importante. — C'est la cause fie l'ordre et des
lois, de la paix européenne, de la liberté du monde entier et
de la civilisation, qui a triomphé dans ces derniers jours, à Pa-
ris. Gardon-i-iious de la compromettre. Ce triomphe, loin
d'effrayer les monarques, si notre conduite est sage el modé-
rée, peut garantir leurs Fiais de commotions populaiies et de
révolutions sanglantes, pourvu qu'ils sachent comprendre
cette grande lcç(ui. » >'.
'\Ç\. — Voyage à Paris, ou Esquisses des liouiiues et des choses
SCIKNÇIÎS MOIÎALKS. îqç,
dans celle cointale ; par le marquis Louis Rentier Lanfkanchi.
Paris, i83(); V' Ltpolil, nie ilc Soibonnc, n" ç). In-8":
prix, 6 fr.
Voiei un livre fort aimi.sant, et (|iii tient Ix'aiicouji plus (pie
^Oll titre ne promet; singularité littéraire assez remar(pial)le
pour être d'abord signalée à nos lecteurs. Nous en ferons com-
pliment à l'antciir, quel qu'il soit; car, s'il faut tout dire,
l'existence de M. le marquis Lanl'ranchi n>)us a paru singuliè-
rement problématique; et par plus d'un motif , nous sommes
tentés de le regarder comme ap})arlenant à cetle famille nom-
breuse qui a produit dans ces derniers tems Joseph Delorme,
feu M"" de Cliamilly, et bien d'autres. Ce n'est pas que, dans
une de ces lettres, nous ne tiouvions des regrets fort touclian.s
de l'auteur sur l'esclavage de l'Italie, une belle phrase sur le
Campo-Santo de Pise, sa patrie, et sur cette lour penchée , si
connue des voyageurs. Mais, dans mille autres passages, nous
croyons reconnaître un Parisien spirituel et malin, qui ne s'est
fait aucun scrupub^ de s'égayer aux dépens de ses compa-
triotes, sousun masque italien. Une seule chose nous ferait hési-
ter dans cette opinion : c'est l'éloge singulier que fait le voya-
geur de la commission de censure dramatique, devenue , à ce
()u'il assure, «un tribunal vraiment littéraire, où des honnnes de
goût aident l'auteur à corriger ses inadvertances. "Ou bien ce
n'est pas un Français qui a écrit ces lignes, ou il n'aura voulu
qu'ajouter une épigramme de plus à toutes celles que renfer-
mait déjà cette piquante revue de la capitale. Nous abandon-
nerons ce problème à la sagacité du lecteur, nous bornant à
donner un aperçu de ce livre, écrit avec grâce et élégance,
plein d'observations ingénieuses, de critiques presque tou-
jours fondées et exprimées avec une urbanité toute nationale.
Dans cette nombreuse galerie, un seul portrait nous a semblé
Iracé avec des couleurs et une intention tout-à-lait différentes :
c'est celui d'un ministre qui, dans ces derniers tems, a fait
admh'ei" à la tribune un des plus beaux talens oratoires dont la
France puisse aujourd'hui s'honorer. Le voyageur étranger
en |;arle à plusieurs reprises, avec un dédain qiie nous ne vou-
lons pas qualifier. L'amertume de ses sarcasmes contraste
étrangement avec le ton général du livre, et l'on serait tenté
de croire que des motifs particuliers, une cause toute person-
nelle, ont conduit ici le crayon de l'observateui'.
Cet ouvrage, sous la forme de lettres, comme on l'a déjà
vu, est adressé à un ami, et contient les remarques de l'auteur
sur tout ce que Paris peut offrir d'intéressant à l'avide curio-
silé d'un étranger. Il ne s'y est assujetti à auruii plan, e? pass<',
200 LIVRES FRArs^ÇAIS.
«suivant son Ciipricc et sans nulle transition , d'un sujet à l'au-
tre. Ainsi, apn.'S un aperçu général de cetle grande cité, de sa
population, ou plutôt des populations si distinctes qu'offrent
ses dilTérens quartiers, vient un chapitre sur le Théâtre-Fran-
çais, où chaque acteur a son article à part, tracé avec une
malice qui u'cxdut pas la vérité. Le talent de Talma et ses
différentes phases, si l'un peut ainsi parler, sont caractérisés
ailleurs avec infiniment de sagncité. Les entrepreneurs de suc-
rés à juste prix ne sont pas oubliés; et c'est ici un de ces nom-
breux passages qu'une main étrangère n'aurait ccrtainenient
pu tracer d'une manière si sûre, ni si exacte. Plus loin, dans
une soiiée chez .Al. de Jouy, vous voyez défiler devant vous
la plupart de nos célébrités littéraires La politique a «a place,
comme on le pense bien, dans cette revue parisienne; et ce
qu'il va de singulier, c'est qu'au commencement du livre or»
parle du ministère Villèle comme encore existant, et que, dans
les lettres suivantes, on voit successivement apparaître ceux
dont ont fait partie MM. de Marlignac et de Bourmont. Nous
passons ailleurs dans la galerie du Luxembourg, à laquelle
l'auteur a consacré deux chapitres, où les beaux ouvi*hges de
nos peintres vivans, ceux qui l'ont la véritable gloire de l'école
moderne, sont appréciés avec le goût et l'enthousiasme d'un
sincère ami des arts.
Au milieu de ce désordre apparent, qui donne à l'ouvrage
fe genre de mérite que la foule des lecteurs apprécie le mieux,
celui delà variété, se trouvent îetés, comme par hasird, un
chapitre très-remarquable sur le goût dans les arts en France,
et un épisode romantique, dont l'auteur aurait pu nous faire
grâce, sorte de concession faite à un genre qu'il a si bien et si
heureusement combattu ailleurs.
Nous avons fait connaître le goût de notre voyageur pour
les portraits; mais il s'en faut bien que nous ayions iudiqué
tous ceux qu'il s'amuse à tracer dans ses lettres. Celui de Na-
poléon, qu'il ne pouvait oublier, est dessiné avec un talent
tout particulier; (eux de MM. Chateaubriand, Lafayelte,
ne sont pas mt.ins dignes d'atteulion. Il en est eucore un au-
tre, auquel l'auteur a donné tous ses soins; il le trace avec
enlhousia.^me ; il en soigne les moindres accessoires : on dirait
qu'il a voulu en faire son chef-d'œuvre. Peul-êlre le pidilic dé-
sintéressé le trouvcra-t-il un peu flatté: mais sûrement la
Nouvelle Corinne, la Sœur virante l'/es Anges de Sainie-Genevière
et ses nond)reux admirateurs ne s'en plaindront pas.
Il est bien difficile, dans un tableau si vaste cl qui comprend
SC1E>CES MOSIAÎ.ES. -LITTÉRATURE. soi
tant do siijols ilifférens, ilo ne pas laisser échapper quelques
erreurs, quelques jngetneiis incomplets. Aussi, nous permet-
trons-nous à peine de l'aire remarquer à i\J. le marquis Lan-
iranclii, ou à son spirituel interprèle, qu'on ne plaide pas dans
la salle des Pas-Perdus; que M"' Elisa Mercœur n'est pas en-
core tout-à-fait regardée comme une grande pocte^ et que M. de
Lamarline a même formellement désavoué le mot flatteur
qu'on lui prêtait à ce sujet. Nous pouriions ajouter encore
que l'auteur, quel qu'il soit, se trompe cotnpiétement, en
affirmant que M. de .Tony n'a peint, dans ses Ermites, que les
mœurs de la classe élevée; tous ceux qui connaissent ces
cliarmans ouvrages, où un si rare talent d'observateur s'unit
à un talent non moins rare d'écrivain, peuvent se rappeler
que les tableaux les plus piquans sont pris, au contraire, dans
les derniers rangs de la société; il suffirait de citer pour
preuves V Ecrivain public, la Vente après décès, la Maison de
la rue des Arcis, la Journée d'un Fiacre, le Curé Touchard, etc.
Y. Z.
Liitérature.
.5o. — Sctiios, ou une Joiu'née de l'ancienne Egypte, poème
dramatique en cinq parties. Paris, i85o; Kilian. In-S" de
xxxviii et 71 pages; prix, 2 fr.
L'auteur de ce poème rend compte à ses lecteurs, dans une
préface spirituelle, d'une lecture qu'il fil de son drame, vers
le milieu de la durée de l'empire. Les opinions ultra-classiques
du tems, qu'il caractérise d'une manière piquante, contras-
tent singnlièienient avec celles du nôtre. Condamné par ce
rigorisme littéraire, l'auteur n'en juge pas avec moins d'im-
partialité l'esprit de licence qui lui a succédé. Dans toutes les
réflexions que lui suggèrent les tentatives des novateurs ac-
tuels, il fait preuve de beaucoup d'inslructioa et de goût.
IS'ous regrettons de ne pouvoir parler aussi favorablement de
son drame que de sa préface. Le style, généralement faible
et languissant, mais pur, naturel, parsemé de beaux vers et
)nême de beaux passages, est encore la partie la plus récom-
mandable de ce drame. L'action, obscure et compliquée, n'est
point disposée d'une manière théâtrale. L'intérêt est presque
nul; les détails de mœurs, siu'tout dans les trois premières
parties, éloufTent, pour ainsi dire, le sujet. Faire de la pein-
ture des mœurs historiques l'objet principal du drame est
une idée malheureuse et jusqu'ici inféconde. Tous ceux qui
rnt tenté consciencieusement cette entreprise y ont échoué.
202 LIVUES FRANÇAIS.
Si quelques-uns des adeptes de l'école prétendue historique
ont obtenu des succès, c'est pour avoir dédaigné ses pré-
ceptes, non pour les avoir suivis. Ch.
5i. — * Le Sylphe, Poésies de feu Dovalle- précédées d'inic
?<olice par >I. Loi vet, et d'une préiace par Âl. f^ictortiiGo.
Paris, i83o; Ladvocat. Grand in-8"; prix, 9 fr.
« Ce manuscrit du poète tué à vingt ans réveille de si dou-
loureux souvenirs! Tant d'émotions se soulèvent en foule sous
chacune de ces pages inachevées! On est saisi d'une si pro-
fonde pitié au milieu de ces odes, de ces ballades orphelines !..
Quelle critique faire après une si poignante lecture ! «Ces
paroles empruntées à la lettre de >1. f^. Hugo auxéditeurs d<;
iM. Doraile expliquent assez pourquoi nous arrivons si tard à
parler de ce lirre. Maintenant nous sommes heureux de dire
que l'œuvre n'a lien perdu à nos yeux du touchant- intérêt
qu'elle semblait empruntera celte mort si triste et si préma-
turée du poète. Jusqu'ici notre critique s'était adressée à de
vieilles renommées, devant le.-quelles nos opinions étaient mê-
lées de réserves, où à de jeunes athlètes, que nousaimions à
suivre dans le développement progressif de leur talent. Ici,
rien de semblable; c'est un poète de vingt ans qu'il faut juger
comme une vieille renommée: t'est un hynme de jeunesse
que l'âge mùr n'achèvera pas. Toute la vie, tout le talent,
toute la destinée du poète est dans ce livre de 200 pages, dont
lu uiort a laissé la dernière inachevée.
Cette vie, ce talent, cette destinée, le secret en est tout en-
trer dans le morceau q-ii ouvre le recueil, et dont le titre,
par une heuren-e pensée des éditeurs, est en même tems ce-
lui du livre, le Sylphe.
Le Syiphb.
L'aile lornic et (ie rosée Imuiide,
Syl|)lie inconnu, paiini les Ileiiis couché.
Sdiis une feuille, invisible cl tiuiide,
J'aime à rester caclié.
Le vent du soir me b«Tce dans les roses;
Mais, quand la nuit abandonne les cieux,
' Au jour aident mes paiipièies sont closes ;
Le joui- blesse mes yeux.
I';iuxif lutin, papillon épliénière,
Ma vil-, a moi, c'est mon obscurité i
Moi, bien snuvenl je dis : c'est le mvsière
Qui l'ail la volupté.
LITTÉRATURE. 2o5
Et je m'endors dans les i)alais magiques
Que ma bagiiellc élève au fond des bois,
El dans l'azur des pî'des véroniques
Je laisse errer mes doigts.
Quand tout à coup l'éclatante fanfare
A mon or«-ille annonce le chasseur.
Dans les rameaux mon faible vol s'égare.
Et je tremble de peur.
Mais si parfois, jeune, rêveuse et belle,
Vient une femme, à l'heure où le jour fuit.
Avec la brise, amoureux, autour d'elle,
Je voltige sans bruit.
J'aime à glisser aux rayons d'une étoile.
Entre les cils qui boident ses doux yeux ;
J'aime à jouer dans les plis de son voile
Et dans ses longs cheveux.
Sur son beau sein quand son bouquet s'effeuille.
Quand à la tige elle arrache un bouton.
J'aime surtout à voler une feuille
Pour y tracer mon nom...
Ohl respectez mes jeux et ma faiblesse,
Vous qui savez le secret de mon cœur!
Oh! laissez moi pour unique richesse
De l'eau dans une fleur.
L'air frais du soir ; au bois, une huuible couche,
Un arbre vert pour nie garder du jour...
Le Sylphe après ne voudra qu'une bouche
Pour y mourir d'amour.
Le poète est là tout entier avec .-^a pensée charte, sa lan-
gue haimonieuse, son alluie molle et abandonnée ;« rien de
sombre, rien d'amer, dit encore le poète que nous citions en
commençant: rien de fatal, l ne poésie toute jeune, enfantine
parfois; la joie, la volupté, l'amour; la lema)e surtout, la
femme divinisée ; et puis, partout des fleurs, des fêtes, le prin-
tems, le matin, la jeunesse; voilà ce qu'on trouve dans ce
portefeuille d'élégies déchirées par une balle de pistolet; ou,
si quelquefois cette douce muse se \oiIc de mélancolie, c'est
comme dans le Premier chagrin. \v.\ accent confus, indistinct,
presque inarticulé, à peine un r-oupir dans les feuilles de l'ar-
bre, etc. » Une pièce surtout nous a paru marquée de ce ca-
ractère ineffable, celle qui a pour titre : Le Conroi d'un jeune
enfant. Partout ailleurs, M. Dovalle se laisse aller à une poé-
sie plus en sympathie avec la fraîcheur de son lalenl; la Cam-
pagne après une pluie fraragc. la Clia^sr invisible . la Jeune fille.
ao'i LIVRES FRANÇAIS.
5ont de charmantes composition? où la négligence est encore
(le la grâce : ailleurs, elle est quelquefois de la faiblesse. Un
autre reproche que nous ferions à ce livre, si nos reproches
pouvaient encore être des conseils pour l'auteur, c'est l'ab-
sence du rhylhme dans la phrase poétique ; il va harmonie et
donceur dans chaque vers isolé, dans chaque hémistiche pris
à part, dans chaque mot ;, mais'nulle mélodie dans le mouve-
ment de la stance, nul art dans le choix de la strophe. Il sem-
ble que, dans sa douce insouciance, le poète laisse prendre à
sa rêverie la première forme qui vient à elle : de lu peut-être
aussi cette incertitude qui se trahit çà et là dans la marche de
certaines composition*. Nous citerons encore, en finissant,
M. Victor Hugo; après avoir parlé de la préoccupation aus-
tère que les révolutions politiques ont laissée de nos jours
dans les âmes, il ajoute, en revenant à M. Dovalle : « ïleureux
pour lui-même le poète qui, né avec le goût des choses fraî-
ches et douces, aura su isoler son âme de toutes ces impres-
sions douloureuses; et, dans cette atmosphère sombre qui
rougit l'horizon long-tems encore après une révolution, aura
conservé, rayonnant et pur, son petit monde de fleurs, de ro-
sée et de soleil! » A. de L.
52. — * L'Insurrection, poème dédié aux Parisiens, par
MM. Barthélémy et Mért. l'aris, i85o; A. -.1. Denain, rue
Vivienne, n" 16. In-8° de 55 pages; prix. 2 fr. 5o c.
Nos poètes nationaux ne pouvaient rester muets devant les
admirables évènetnens qui ont rendu à la France sa gloire et
sa liberté : déjà Casimir Delavigne a célébré, dans la Marche
parisienne, les héroïques exploits des enfans de Paris; bientôt
sans doute, Eérangcr chantera la résurrection i\vL Vieux Dra-
peau ; et voici Barthélémy et Mér}-, ces audacieux adversaires
du jésuitisme et de l'arbitiaii'e ministériels, qui, déposant leurs
armes citoyennes, retracent en beaux vers l'histoire de notre
glorieuse insurrection, c Témoins de tant de merveilles, di-
sent-ils dans la préiace, nous avons écrit ce poème sous leur
inspiration; la poésie est bien froide après un drame si vi-
vant, et les émotions sont encore trop ferventes, poin- qu'on
puisse donner à unp. œuvre de littérature ces soins minutieux,
enfans des calmes loisirs. N'importe ; nous nous sommes hâ-
tés de payer notre dette à la circonstance, nous qui avons si
souvent chanté le drapeau tricolore devant Villèle et Polignac.
D'ailleurs, nous osons dire à la critique qu'un bon nombre de
ces vers n'onf pas été composés dans le silence du cabinet, et
que nous avions cessé d'être poètes pour nous faire citoyens »
Au<;si n'irnns-noiis pa^ rocher' her dans leur poème par quel*
LITTÉRATURE. ao5
défauts pèchent la conception de l'ensemble et l'agencement
des détails ; nous ne diions pas quelles lignes auraient pu être
retranchées sans nuire à l'effet poétique, ni quelles expres-
sions choquent l'oreille et la raison par leiu- obscurité et leur
maladroite nouveauté. Mais nous applaudirons aux patrioti-
ques intentions des jeimes auteurs, et nous admirerons, avec
tous les amis de la belle poésie et des nobles scntimeus, la ri-
chesse et l'harmonie de leur langage, ia verve et l'éclat de
leurs pensées.
Comme nous l'avons dit déjà, Barthélémy et Méry se sont
bornés à faire l'histoire poétique de l'insurrection de juillet.
Et d'abord, ils racontent les discours mensongers des conseil-
lers du trône :
Yoici ce que disaient îes courtisans prophètes :
Voyez-là cette ville idolâtre des fètcs !
Comme aux jours dccrépils de l'empire romain,
Dans l'ivresse dn cirqr.e où son peuple se plonge,
Chaque soir de la vie, il s'endort, sans qu'il songe
A ses maîtres du lendemain.
En ses faubourgs de fange,
Que fait la plèbe vile? Elle boit, elle mange,
Elle exhale sa joie en de cyniques chants;
Ignobles journaliers, grotesques politiques,
On les verrait encor trembler dans leurs boutiques
Devant le prévôt des marchands.
Ils ne sont plus ces jours où la voix de Camille
Convoquait la révolte au pied de la Bastille;
La rouille a dévoré la pique des faubourgs.
Tout ce peuple abiuti doit d'un pénible somme,
Et Santerre aujourd'hui, sans éveiller un homme.
Passerait avec ses tambours.
Osons tout, oublions leurs vieux anniversaires,
Déployons sans effioi des rigueurs nécessaiies ;
Le trône de Saint Cloud est bàli sur le roc ;
D'un brumaire royal faisons naître l'auroie :
Si Paris se levait, il tomberait encore
Devant le canon de Sainl-Iloch.
Eh bien 1 ils ont osé... Quand la lave voisine
S'apprête à secouer Agrigente et Messine,
D'abord la grande mer, par élans convulsifs,
Pousse des flots huileux sur l'algue des récif»,
2oG' LlVRIiS FRANÇAIS.
De bleuiUres va[)euis s't;cliap|>eiit du c-ratère ,
lit la voix d'un volcan grontU; au loin sous la terre.
Tel bouillonnait Paiis : les travaux et les jeux
S'anêtent tout à coup sur un soi orageux;
Un penj^lc entier, sorti des foyeis domestiques,
Ond'jle en niu;-inurant sur les places publique»,
El partout, sur les murs du splendide bazar,
De propliétiques mots menacent Balthazar.
La mort nous enveloppe, entendez-vous nos cris?
Au secours! au secours! défenseurs de Paris!
Venez prendre une part à nos combats éi)iqnes.
Vous qui sortiez jadis avec cent mille piques,
Hedoutablcs faubourgs Saint-.Vntoine et Marceau,
Du vieil llùtel-de Ville envahissez l'arceau;
Saluez en passant l'ombre de la Uastille,
Le canon du dix août va tonner à la grille;
Repienez les marteaux qui brisent sur les gonds
Les lourds battans de bronze oii veillent les dragons.
Et vous qui prolongez vos ligues parallèles,
Saint-Denis, Saint-Martin, grandijs cités jumelles,
Venez, armez vos bias du fei' des atelier».
Tondiez du l'antlié(jn, généieux écoliers,
Quittez vos bancs; payez par votre jeune audace
La grande insciiption qu'aucun maître n'eH'ace ;
Montrez-vous les premiers, au front des couibattan.s,
Enfans de Gnttemberg opprimés si long-tems !
Gloiie a vous, jeunes gens de plaisiis et de fêtes!
Quels bravos sont s.^rlis de nos cœurs de poètes.
Quand vous avez paru dans le poudieiix cbeniin.
Sous les babits du luxe, un fusil à la main !
Et vous dont les accens éleclrisent une ànie.
Un rôle vous est dn dans ce merveilleux drame,
Artistes citoyens! amoncelez ici
Les sabres de Coriulhe et ceux do Porlici ;
Kouilliz, ]iour soutenir notre lutte civile,'
Tout, jusqu'à r.usenal du joyeux Vaudeville.
Paris se lève en bloc! au sigtial assassin.
Tout bouline dans son cœur seiil vibter ain tocsin.
Éternelle infamie au l.îcbe qui s'absente !
Siiiveiil la peinture de la nuit du 2S aii 29, cl de la journée
qui suivit, la prise du Louvre et des Tuileries, et la venue i\n
roi nouveau, proclamé par le peuple; puis, un hymne inti-
tulé : La Tricolore, dont nous citerons seulement quelques
strophes :
\ oila le drajieari iricoioie.
Glorieux enfans de Paris!
Vos bras l'ont reconquis encore.
Nous le saluons de nos cris ;
LITTEHATIUK.
L'Eiiiopc liciiil)l«', (]iianil il hiillc
Sur !(• l'ioiil (\i' mis ji'imes riiiigs,
C'est la méduse des tyians,
Ces! !e (Irapcan de la Hastillc :
Plaise sia- nos soldats, astre de liberté,
Honneui- au l'ran.i Paris qui t'a ressuscité
Ton triomphe, nouvelle Spaite,
Sur ton sol restera gravé ;
Chaque letLri- de notre chai te
Est éciife sur un pavé :
Si, troublant cette grande f'ète,
L'Europe nous jetait un roi,
Avec les tables de la loi
Que le peuple écrase sa tête.
De notre gloiie vieil emblème.
Sur la colonne il s'est placé.
Et des Bourbons le drapeau blême
Comme un spectre s'est effacé.
Les héros ciselés d'Arcole,
La garde gravée au buiin,
Suivent la spirale d'airain
Pour le revoir sur la coupole.
Que notie licite ramenée,
JVoyant le signe des trois fleurs,
Sur la mer méditerranée
Se pavoise des trois couleurs ;
Que les peuples semés sur l'onde,
Nos frères de tous les climats.
En les saluant sur nos niàts.
Chantent la liberté du monde.
Plane sur nos soldais, astie de liberté.
Honneur au grand Paris qui t'a ressuscité.
I.
55. — Epître à la Société d'agricuUure, sciences, et arts du
département de la Dordogne; par 31. de Gageac, membre cor-
respondant, avec cette épigraphe : Celebrare domestica fucta.
Périgiieiix-, i85o ; F. Dupont. In-8" de 92 pages.
La cenlralisalion n'a pas réuni à Paris tons les talens de
notre époque. Je n'en veux pour témoin que l'Épitre adressée
par M. de Gageac ù l'Académie de Périgneux. C'est un re-
mercîment (jui lompt avec giâce la tiiste monotonie à laquelle
nous ont accoutumés nos réceptions académiques. L'auteur a
eu le bon esprit de cacher l'éloge de ses confrères dans des
allusion;; (pii, sans être moins flatteuses, n'exposent pas le
2o8 LiVUES FRANÇAIS.
panégyriste ù des questions indiscrètes sur la légitimité des
renommées locales qu'il célèbre. Mais, lorsqu'il demande à
l'histoire les grands imms que revendique sa terre natale, il
rappelle avec honlieur Bertrand de Born, Monlaiiiuc, Fénelon.
Les lieux célèbres par des actions d'éclat, qui s'offrent à nous,
dans le Pcrigord, ne doivent pas moins au poète qui achève
de nous les l'aire connaître dans les notes qui accompagnent
son Épître. Ces notes pleines d'intérêt ne sont pas seulement
une preuve de l'érudition patriotique de l'auteur, mais un
nouveau témriignage des rich<..-scs prcsqife ignorées (|ue ren-
ferment nos provinces. En attendant, voici les vers du poète.
Au milieu de iénuuiération de ses souvenirs hislori{[ues, un
confrère de la section d'agriculture l'interrompt pour lui dire :
Et que fait, s'il vous |.'ijît, à la race bovine.
Qu'on ail leniis en selle un nioiiaïque à Hoiivinc?
Que nos murs aient reçu le vainqueur de Coulras,
Que m'importe? mes bœufs en seront-ils plus gras?
Monsieur de IJorn et tous les exploits de nos pères
Me donnent-ils un bon système de jnchères?
Que les cbamps qu'un bon acte a transmis en mes main»
Aient fleuri grecs, chinois, ostrogotlis ou romains.
Que m'importe? Je sais, de principe immuable.
Qu'ils sont miens; que de plus je suis contribuable;
Et que les plus beaux vers, n'en déplaise à l'auteur.
Ne sont pas pour comptant pris par le percepteur.
Ces vers ingénieux nous apprennent que tous nos poètes
n'ont pas suivi le conseil de Voltaire : ils riment eu province,
et même s'v font imprimer sur beau papier, avec de beaux
caractères. A. D. L.
54. — Irène De/fino, chronique vénitienne, par Falconetti ;
traduite d<; l'italien. Paris ih5o; Sédillot, i ue de l'Odéon,
n" r>o. 4 \ t»l- iii-12 ; prix, 12 fr.
M. Falconetti débute avec succès, et nous ne doutons pas
que les lomans de cet émule de 3ianzoni ne soient accueillis
aussi favorablement en France qi'en Italie. La chronique d'/-
réiic Del/ino a été traduite par un écrivain habile, M. César
RossETTi; et, si l'on trouve dans cet ouvrage quelque froideur,
ce défaut est compensé par le mérite du style, dont la couleur
et le mouvement ont été bien rendus par le traducteur.
55. — Cloudcsley y par JVdliam Godwin, auteur de Caleh
IViiliams; traduit de l'anglais \\;\v Jean Cohe.x. Paris, i85o;
Foiunier jetine, rue de Seine, n° 14. 4 ^^'- in- 12 formant
ensemble 900 pages; prix, 12 fr.
>1. Godwin jouit depuis long-teni« d'une réputation méri-
LITTÉRATURE. —BEAUX-ARTS. 109
tee, qu'il doit surtout au roman de Calcb Williams qui a
servi de texte à ce drame de Falkland, où Talma mettait en
saillie, avec tant d'art et de génie, tous ces tourniens du re-
mords développés avec uue sagacité si ieuiarqual)le par 1«
romancier anglais. Comme l'a dit un de nos collaboraieurs,
M. Godwin «excelle à décrire une passion; il la prend à l'oii-
gine, remonte à ses causes secrètes; c'est d'abord un atome
qui s'agite pour vivre; puis, à peine visible, il grossit rapi-
dement, absorde les peas';es, les désirs, se précipite au but
à travers mille obstacles, l'atteint alors que dans l'âme il
n'y a plus puissance de jouir ; nous assistons ensuite au désen-
chantement, au dégoût de ces biens si ardemment souhaités,
si chèrement payés : la peinture des nuances et des progrès
des sentimens constitue le principal mérite de ses ouvrages. >»
(^loudesley a sous ce rapport beaucoup de ressemblance avec
le chef-d'œuvre de Godnin ; toutefois l'intérêt et la curiosité
n'y sont pas aussi-bien soutenus que dans Caleb M illiams.
Nous renvoyons d'ailleurs, pour uue analyse plus détaillée et
pour un jugement plus complet, à l'article que nous avons
consacré à ce romun lors de sa première publication à Lon-
dres (voy. Rev. Eric, t. xlvi, p. i58). Du reste, c'est un
ouvrage intéressant et dont la traduction mérite d'être favo-
rablement accueillie.
Beaux- Arts.
56. — * Traité complet de la Peinture, par M. P*** de Mo?r-
TABERT. Paris, 1829; Bossange père. 9 vol. in-S", avec un
atlas in-4°, renfermant 110 planches; prix, 92 fr.
Cet important ouvrage est réellement un Traité complet,
ainsi que l'annonce son titre. L'auteur y a considéré l'art de
la peinture sous tous ses rapports et dans toutes ses branches.
Histoire générale de cet art, chez les anciens, dans le moyen
âge, et chez les modernes ; histoire -chronologique des artistes ;
catalogue des ouvrages écrits sur le même sujet à toutes les
époques; idées sur la théurie de l'art, sur la beauté; principes
d'anatomie à l'usage des peintres; géométrie pratique; per-
spective; procédés de la peinture proprement dite ; art du co-
loris; encaustique; art de réparer et de nettoyer les tableaux :
tel est le vaste champ que s'est tracé M. de Montabert. 11 n'a
rien oublié de ce qui lui a paru propre à instruire ou à inté-
resser les artistes et les amateurs. Son ouvrage offre un en-
semble de faits, de vues et de raisonnemens, que personne
n'avait eu jusqu'à présent le courage et le tnknt de réunir en
T xi.vii. .11 iii.vT i85h. 14
jio LIVRES FRANÇAIS.
un seul corps. Un si vaste tableau ne saurait être analysé dans
quelques lignes. Il suffira aujourd'hui de cette première an-
nonce; nous nous livrerons à un examen plus attentif, dans
l'un de nos prochains cahiers.
5y — * M ufce de peinture et de sculpture, ou Recueil des
principaux tal)U'aux, >talues et bas-reliefs des collections pu-
bliques (ît particulières de l'Europe; dessiné et gravé à l'eau
forte par Réveil, avec de-? Notices descriptives, rritii/nes et his-
toriques, par DuciiESNE aine, gi^ livraison. Paris, )83o: Audot,
rue des Maçons-Sorbonne, n" 1 1. Prix, i fr. chaque livraison,
composée de 6 planches gravées et de 12 pages de texte.
Depuis que nous avons annoncé cette intéressante collec-
tion (voy. lier. Enc. , t. xxxviii; mai 1828, p. /196, et
t. XLiv, octobre 1829, p. 201), elle est parvenue à .sa
Qi*" livraison. Le même soin a présidé au choix des tableaux,
à l'exécution des gravures et à la rédaction i]es notices. Le
procédé de la gravure sur aciei'donne beaucoup plu>! de finesse
aux planches, et par ce moyen toutes les épieuves sont éga-
lement belles. Nous n'insisterons pas .sur l'agrément et l'utilité
d'une enlrcprise qui jouit d'un succès éprouvé, cej)endant nous
citerons les articles qui nous semblent mériter luie mention
particulière.
Le quatrième volume contient , par exemple, toute l'his-
toire de Marie de Médicis. peinte [>iiv Ruhens dans l'ancienne
galerie du Luxemboiug; le* tableaux du Con>eil-d'Etat qui
n'avaient pas encore été gravés, et parmi le.-quels on remar-
que la mort de Duranti, par De/aroc/ic; la mort de Brisson, par
(Sdsfies; Mole insulté par le peuple, et l'arre-tatiMU du
parlement, par Thomas; enfin Mazaiin préscnfam Colbert à
Louis XIV, par Schnetz. Ce volume renferme encore des
talrleaux peints par MuriUo^ et lires de la galeiicdu maréchal
Souit, duc de Dalmalie. Ce n'est pas sans intérêt non plus
que les souscripteurs éloignés de la < apilale y trouveront !a
réuniondesstiituesnouN t llemcnt plat ées >ur lepo .i-OuisXVI.
Parmi les sujels intére^sans contenus dans !e 5* volume, on
doit rcmarcjner les sacrcmens du /^of*.?"!//!, comp"sili'>ns subli-
mes qui sont rendues avec une perfection remarquable et à
la(|uelle ne sont pas toujours ariivées des gravures d'une plus
grande dimension : les notices qui les accompagnent sont pi-
quantes j)ar les recherches dont l'auteur les a remplies, et dans
lesquelles il rapporte souvent l'opinion de Poussin lui-même
sur ses tableaux.
Le mélange des ouvrages des grands maîtres de toutes les
école? apporte dans ce recueil beaucoup de variété. Auprès
BKAtX-AKTS. su
des Raphaël, des Ronibramlt, des Téniers, de^» \an D^ck, so
trouvent de belles et imporlantes productions de l'art nrjo-
derne. On ne peut voir sans surprise le tableau du sarre par
Gérard, qui tenait une si giande place au salon, réduit à une
proportion de cinq pouces sur trois, et rendu avec une exac-
titude et une finesse qui ne laissent rien à dé>irei-. Le niêuie
mérite se retrouve dyus les immenses compositions des batail-
les d'Alexandre par Le Brun.
Parmi les tableaux modernes intéressans, dont cbacun
aimera à retrouver le souvenir, sont la Plièdre de Giu'rin, le
Ma ri us de Drouais , le serment des Horaces par Darid , la fa-
mille malheureuse par Prudlion, le jugement de loid Jlussel
par Hayter, l'Hippocrate de Girodet, le iMazeppa d'Horace
Verne.t.
Nous bornerons là nos citations de tableaux. Dans chaque
livraison ime planche est consacrée à la .-cidpture, et repré-
sente des chefs-d'œuvre dont quelques-uns n'ornent plus notre
Muiée. Quant au texte, les notices sont en gérerai concises et
substantielles. L'auteur, en décrivant les tableaux, donne avec
soin rhisturique du sujet, et y joint des ol)servaîions sur l'art,
le style et la composition, qui annoncent en lui beaucoup de
connaissances positives.
11 en est de même de ses Notices historiques : chaque vo-
lume en contient trois, avec des portraits. L'auteur y fait
Iden connaître le talent de l'artiste et le caractère de l'homme :
il résume les jugeaiens qui ont été portés sur les peintres et
les sculpteurs célèbres dont il donne la vie, et il y joint la liste
<le leurs meilleures compositions.
On trouve dans celle collection, outre les tableaux impor-
<ans du Musie royal de France, les principaux tableaux des
Musées de Dresde, de Munich, de Vienne, de Florence, de
Pétersbourg, et des belles collections de Stailbrd et d'Auger-
slein, en Angleterre.
11 n'est pas inutile de rappeler que le prix modique de cha-
que livraison, qui.n'est que d'un franc, permet à toutes les for-
tunes de se procurer cet ouvrage, qui fera véritablement un
Musée européen de peinture et de sculpture, utile surtout à
<;eux, qtn n'ayant pas fait des arts une élude approfondie, en
ont cependant le goût. Le texte français est accompagné d'une
traduction anglaise; des tables complètent chaque volume :
enfin l'ouvrage est failen conscience, et offre autant d'ajré-
jnent que d'utilité. ^)ryE?SA^.
JI2 LIVRES FRANÇAIS
Ou vraies perindiq ii rs .
38. — Raiieil agronomique publié par les soins de In Société
des sciences^ agriculture et helles-lcttres du département de
Tarn-et-Garonne. Journal mensuol. IMontanhan, i83o; im-
primerie de Lapie-Foiilanel. Chaque cahier est d'environ
3 reuille?, et suivi de planches, si le ^ujet l'exige; prix de
Tabonnemenl, 5 francs par an, franc de port.
59. — Journal du Comice agricole du département de la
Marne. Châlons, i83o; imprimerie de Boniez-Lambert. In-S"
de 2Z1 pages par cahier. Publication mensuelle; prix de l'abon-
nement, G bancs par an, Iranc de port.
La Société des sciences et d'agriculture de Montaubon est peut-
être la première qiu ait donné l'exemple de ces publications
qui contribuent souvent, plus que de gros volumes, à la pro-
pagation des connaissances usuelles. Elles sont à la portée de
tous les cullivateuis, et par la modicité du prix, et par les
matières qu'elles traitent. Comme les rédacteurs ont à leur
disposition tout ce que leur apporte la presse périodique, et,
de plus, les bons ouvrages d'agricidture, chaque livraison est
remplie de notices d'une utilité reconnue, et (pii viennent
toujours à propos. Il semble que le Recueil de Tarn-el-Ga-
ronne embrasse plus d'objets, afm d'être au niveau des be-
soins de la culture méridionale; le Journal du Comice agri-
cole de la Marne se restreint à l'agriculture du nord. Nous
n'entrerons point dans le détail de ce qu'ils contiennent. Les
soins que d'habiles rédacteurs donnent à chaque livraison et
le l)ut (ju'jls se proposent garantissent assez l'utilité de ces
publications, qui ne sauraient trop se multiplier dans nos dé~
parlemens. N.
Go. — * V /^gricuUeur-manufaclurier, Jourjial de Mécanique,
de Physique et de Ctùmie appliquées à l'agriculture et aux Arts qui
s'y rattachent , tels que : les sucreries de betteraves et de can-
nes , les amidonneiies, les féciileries, les brasseries, les dis-
tilleries, la meuneiie , la fabrication des sirops de fécule et de
raisins, d(s vins, des cidres, des poirés, des vinaigres, des
liuiles, des beun-es, des fromages, de l'indigo, des cafés in-
digènes, le travail des lins, des chanvres, le raffinage, etc.;
par M. DvBRi NTAVT. Paris, i85o; l'auteur, lue Pavée,
n° 2^1, au IMarais, et Bachelier, quai des Auguslins. Le journal
paraît par cahieis mensuels de 3 à 4 feuilles et un ou deux
planches ; prix , 3o fr. par an pour Paris ; Sa pour les départe-
mens; et 35 pour l'Etranger.
OUVRAGES PElUODIOliKS. «i5
Il existe un grand nombre de recueils destinés a enicgislrei-
les progrès de l'industrie eu général, mais il n'eu est aucun
dont les rédacteurs aient tracé à leur cadre des limites qu'ils
se soient interdit de dépasser. II en résidte que ces recueils, ea
s'adressant à toutes les industries, sont rarement d'une utilité
bien grande poiu' la généralité de leurs lecteurs, et qu'ils ne ren-
dent à chaque prol'essiun en [)arti(ulier que des services peu
imporlans, par des documens publiés de loin en loin sur des
objets qui s'y rattachent. C'est à cette cause, il n'en faut pas
douter, que tient, en France, le peu de succès de ces jour-
naux qui semblent s'adresser plutôt aux hommes qui s'occu-
pent de spéculations scientifiques qu'aux praticiens qui, le
plus souvent, ignorent jusqu'à leur existence.
Cependant nous sommes dans le tems des spécialités. Cha-
que classe, soit qu'elle commence à être passablement pourvue
des principes scientifiques sur lesquels repose l'art qui l'oc-
cupe, soit qu'il ne lui reste pas de tems pour les embrasser
dans toute leur étendue, veut que toutes les pages du livre
qu'on lui propose se rattachent à cet art; directement on in-
directement, ce que chacun recherche, ce sont des applica-
tions, des laits relatifs à sa profession et le compte fidèlement
rendu d'expériences tentées et susceptibles d'être facilement
répétées.
Aucune cLisse peut-être ne sent ce besoin d'une manière
aussi vive que les agriculteurs. Depuis que les saines doctrines
d'économie ont pénétré parmi eux, les agriculteurs, éclairés
par l'habitude de l'observation , setitent que leur tâche est loin
d'être terminée avec la rentrée des récoltes, qu'ils doivent
rechercher les moyens d'utiliser les hommes et les animaux de
leur exploitation aux époques où les travaux des champs sont
interrompus; qu'il leur importe de savoir tirer parti d'un
grand nombre d'objets qu'ils laissent détéiiorer parce ({u'ils
ignorent les procédés qui les rendraient propres à l;i consom-"
jnation ; pénétrés de plus en plus des paroles de iM .Say, que
M. Dubrunfaut a prises pour épigraphe, ils savent que l'hom-
me qui se borne à récolter des mains de la nature n'est pas
agriculteur, et songent aux moyens de Hibriquer eux-mêmes
les produits dont jusqu'à présent ils ont livré au commerce
les matières brutes. En un mot, ils comprennent que l'agricul-
teur intelligent et laborieux doit être en même tems sucrier,
bouilleur, féculiste, etc., et que ces diverses branches d'in-
dustrie elles-mêmes n'acquièrent toute leur prospérité qu'au-
tant qu'elles sont intimement liées à \n ridluie des teries et
à renaraisjemenl de* bestiaux.
2 1 4' LIVRES FRANÇAIS.
Mais lin gr.inrl oljstacle s'opposait an dévrloppcment du ces
i:i(lustiios agricoles, source de richesses pour les hommes la-
borieux répandus sur le sol de la France; une instruction gé-
nérale ne sulTil pas pour la pratique de ces arts divers, et il
n'existait aucun recueil qui pot leurapporter des conseils sages
et des données précises, tant sur les dépenses premières que
sur remploi des appareils et les fabrications. Pour ceux mê-
mes qui nul lait une étude spéciale des traités ex-professo pu-
bliés siu- ces divers arts, parmi lesquels se placent en pf^mière
ligne les ouvrages de M. Duhriuifaut, lui-même, il manquait
encore un ouvrage périoiitfjne spécial destiné à leur l'aire
connaître les changemens, les perlectionnemens apportés dans
la construction des appareils et les méthodes nouvelles de
fabiicalion. Privé de ces renscignemcns, le propriétaire-ma-
nufacturier risquait, en continuant sur les mêmes erremens,
de tomber dans la routine et d'être bientôt incapable de sou-
tenir la con( urrence avec ses voi.^ins mieux informés ou aidés
des conseils d'un praticien éclairé par la science.
II appartenait à M. Dnbrunfanl de porter remède à cet état
de choses; livré par goût aux applications des sciences à l'a-
griculture, ce jeune savant a puissamment contribué, par ses
ouvrages et ses iMémoires, par ses leçons et ses infatigables
travaux, au perfectionnemenldes arts agricoles en France, de
la distillation, et surtout de la fabrication du sucre de bette-
raves, industiie avec laquelle son nom est désormais identifié,
et dont il se propose de constater régulièrement les progrès
dans son journal.
Ce recueil e.<t, pour' ainsi dire, le complément de ses le-
çons. Chacune de ses pages consacre un fait, une expérience
répétée d'ai)ord dans le laboratoire, sous le point de vue
scientifique; puis, dans l'atelier, sous le point de vue indus-
triel et é: onomique. Les appareils qu'il décrit, s'il les recom-
mande, c'est qu'ils ont fonctionné dans son atelier, qu'ils ont
été (construits chez lui sous ses yeux, qu'il a pii ainsi appré-
cier leur économie, et qu'enfin il les a placés dans les nom-
breuses usines qu'il a montées ou fait monte,-, soit en France,
soit en Belgique, en Pologne, en Russie et en Suède.
Déjà doux cahiers de ce recueil ont été publiés; le premier
contient, entre autres articles, la description avec le dessin de
la presse hydraidique horizontale de Bramah pour les graines
oléagineuses; un article sur les progrès de la fabrication du
sucre de belleraves pendant 1829; un moyen de distinguer
le> sucres bruts de la canne et de la betterave: un plantoir à
brtieraves. etc.
OUVilACiES l'ÉUlODIQLES. 4i5
Le a* numéro, mai i83o, contient des questions de droit sur
l'agriculture manulacturière, un article sur la défécation du jus
de betteraves ; la description d'un laveur continu ; une note
sur le sucre de fécule; un article sur la culture des lins, etc.
Les planches dont chacpie cahier est accompagné sont dues
à M. Le Blanc; c'est assez dire qu'elles sont exécutées avec
soin, et qu'on peut compter sur l'exactitude de leur échelle.
Si M. Dubrunfaut tient la promesse dont les deux premiers
cahiers ont été un commencement d'exécution, nous ne dou-
tons pas que son journal tout spécial ne soit apprécié par les
agriculteurs, et surtout par les fabricans et les raffîneurs de
sucre, pour lesquels il finira par former un corpsde doctrines,
et qu'il tiendra ainsi au courant de toutes les améliorations
sur lesquelles ils étaient obligés d'aller chercher des renseigne-
mens épars dans un grand nombre de recueils divers. H. D.
61. — * Journal (mensuel) des Sciences mililaires des armées
déterre et de mer, etc.. Paris, juillet i83o. J. Corréard
jeune, éditeur, rue Richer, passage Saulnier, n° i3. In-8°
de 176 pages. Prix de l'abonnement.
Au milieu du mouvement général imprimé aux connais-
sances humaines en Eiu-ope depuis deux ou trois siècles, la
science des armes, dont les peuples n'ont malheureusement
que trop besoin, ne pouvait rester stationnaire. Aussi a-t-elle
éprouvé, pendant cet intervalle, d'importantes modificatio.ns,
dont elle est surtout redevable à la découverte de la poudre:
plans de campagne, tactique, stratégie, attaque et défense des
places, etc. il a fallu tout changer ; tant nos projectiles l'em-
portent sur ceux que les anciens lançaient avec les arcs, les
balistes et les catapultes! L'histoire de tous ces changeinens
présente beaucoup d'intérêt, et la création d'un journal des
sciences militaiies fut certainement une heureuse idée, comme
l'attestent le succès de cinq années obtenu par celui dont
M. Corréard est l'éditeur. Le cahier de juillet que nous avons
sous les yeux contient : 1" le commencement d'un Mémoire
sur différentes parties du service de l'artillerie, il paraît que ce
travail a été rédigé, en 1793, par M31. Docai et Lariboissière,
après la reddition de Mayence. On y propo-rC dans le matériel
plusieurs améliorations dont l'expérience avait prouvé la né-
cessité, et qui ont eu lieu en partie, depuis cette époque.
2° 4°"^ Article sur la Rectification du matériel de l'artillerie., par
>I. le baron Mallet de Trumilly, lieutenant colonel en re-
traite. L'écrivain s'y occupe spécialement du tir du mortier à
pivot et à aiguille, dit tir par comparaison. Les hommes de
l'art doivent se/souvenir que M. Wallet est inventeur d'utr
ii6 LIVRES FRANÇAIS,
mortier avec appareil à aiguille, truiie siipériorité reconnue
pour la justesse et la promptitude du tir; il en expose de nou-
veau la théorie, pour en l'aire mieux ressnitir les avantages.
Ce mortier a servi onze an'* au polygone de Vincennes : il en a
été retiré, en 1829, on ne sait trop pourquoi, et va n'est pas la
seule injustice dont rinventeur ait ou à se plaindre ; tant il est
di(ïi(ilc, mêmeau vrainiérite, de lutter contre de jalouses riva-
lités ! ô" Obseï valions sitr l' A dmimstralion mililaire : on trouve
dans cet article d'excellentes vues sur les allril)utions des fonc-
tionnaires de l'armée. 4° Tubteaudes forces navales des puissances
marilhnes de CEiirope. Il résulte de ce tableau que l'Angle-
terre pos.-'ède encore aujourd'hui i5i vaisseaux de ligne,
1^9 frégates, 55G corvettes, hricks. etc.. ; en tout, ()i5 bâ-
timent de guerre, nombre r[ui snr|'asse de moitié celui des
vaisseaux que la France, la Russie , la Hollande, l'Espagne et
le Portugal peuvent opposer ensemble à la dominatrice des
mers. On prétend qu'en 1814 '^i Grande- Bretagne avait
en activité 1,026 bâtimens, dont 27G vaisseaux de ligne et
26.3 frégates, le tout monté par 100,000 matelots, et plus de
56,000 hommes de troupesde marine. Kn 1819. on ne comp-
tait plus que 20,000 matelots sur h'S flottes anglaises; on a
calculé aussi que, depuis 1688 fus(pi'en 181 5, c'est-à-dire
dans un espace de 127 ans, les Anglais avaient eu 65 an-
nées de guerre i\\\\ leur ont coûté 2,024,000,000 de livres
sterlings , ou 56,6no,ooo,ooo de francs. Faut -il s'étonner,
d'après cela, que la délie nationale, en Angleterre, s'élève
à 28,000,000,000 de francs!
Nous ne dirons rien de l'article sur l'expédition d'Alger,
qui termine cette livraison, parce qu'il n'est qu'un siu)ple
extrait des nouvelles transmises par le Moniteur.
Livrer en langues étrangères ^ imprimés en France.
62. — * A Abelha, etc. — CAheitlc (portugaise), ou Recueil
de connaissantes agréables, instructives, nécessaires on utiles
à toutes l'^s classes de la société, extraites des journaux scien-
tilniucs et littéraires de toute l'fkirope, et des ouvrages des
meilleurs vv\i\a\n% : J ournal portugais , rédigé et publié tous
les mois à Paris, par François Ladislos Alvahes d'Andhada,
bachelier-és-lcltres de l'Académie de Paris, de l'Académie
royale des sciences, belles-lettres et arts d'Orléans, membre
de la Société française statistique universelle, etc. — On
s'abonne à ce nouveau recueil, à Paris, chez le rédacteur,
vi\e de l'Arcade, n" 36. — à Lisbonne, chez Georges Rey,
LIVRLS UN LANGUES ÉTUANGKUKS. 217
rue des Martyrs, et chez M. Pierre-Nicolas Brelaz, négociant.
— à Uio-.Taneiro, chez M. Laemmert, iil)rairc ; prix pour
l'année, 3o fr. pour hi France; 20 schellin^s pour l'Angle-
terre; 4f^<>o reis, pour le Portugal et le Brésil. Ou peut aussi
se procurer les cahiers séparés, au prix de 4^Q i'^''" chacun.
1" cahier. Paris, juin, i85o. In-8" de 60 pages, avec une li-
thographie.
Le rédacteur de ce nouveau journal se propose encore plus
que de répandre les connaissances usuelles dans tous les lieux
occupés par la uan'on portugaise; il élahlit avec ces contrées
une correspondance pour l'envoi de livres, d'instrumeus pour
les sciences, les arts et l'agricidture dont le journal aura rendu
compte avec éloge. M. d'Andrada avait sous les j^eux un grand
nombre .de modèles de publications analogues à la sienne;
mais il les généralise, il renferme dans son cadre tout ce qui
mé'/ite le nom de connaissance, et par conséquent il établit
une sorte de Revue Enryclopcdu/ue portugaise. La presse pério-
dique ne lui fournit (|u'une partie des matériaux qu'il met
en œuvre; il en prend partout où il en trouve à sa conve-
nance, saur tenir compte d'autre chose que de l'utilité des no-
tices dont il fait provision poiu' ses compatriotes. L'entre-
prise de M. d';\ndrada est généreuse; elle peut devenir
grande et belle, si elle est secondée. Placé ici. hors des pas-
sions politiques dont sa patrie ressent encore les atteintes , il
ne voit que le bien qu'il serait si facile d'opérer partout où
la nation portugaise s'est établie; et parmi ces biens il ne
pense pas qu'il faille prononcer aucune exception. Tous les
arts y sont compris, n)ême le plus mobile, le plus capricieux
de tous, celui de la marchande de modes. Le prospectus an-
nexé au premier cahier est un des bons articles qu'il ren-
ferme; les lecteurs y trouveront des observations très-judi-
cieuses sur l'iufliience des lumières et de l'habitude du travail,
sur l'état intellectuel de l'Europe , et sur les moj'ens de l'a-
méliorer de plus en plus. N.
IV. iNOLVELLES SCIENTIFIQUES
ET LITTÉRAIRES.
AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
ÉTATS-UNIS.
Progrès des moyens de communication. — Le tableau »ui-
rant fera mieux apprécier que tous les discours cette pro-
gression rapide de tous les éléniens de la civilisation, qui, en
si peu d'années, a élevé l'Amérique du Nord au niveau de»
contrées les plus prospères de la vieille Europe.
Il y avait, Bureaux de poste, Revenu,
En 1790.
-5
37,935 dollars.
— 1795.
455
160,620
— 1800.
8c.3
280,804
— i8o5.
1,558
421,375
— iSio.
2,3oo
55 1,684
— i8i5.
3,006
1,043,065
— i8îo.
4,5oo
1,11 1,927
— 1825.
5,667
1 ,3o6,525
— 1S29.
8,004
1,707,418
Milles Salaires déteruiinéii
Il V avait, de chemins de poste, Clercs, par la loi,
En 1790.
— 1798-
— 1800.
— i8o5.
— 1810.
— i8i5.
— 1820.
— 1825.
— 1829.
jNew- York.. — Nouvelle Université. — Il est fortement ques-
tion de fonder i; i nu établissement d'e lucation sur le plan du
1,875
,
,
15,207
4
2,000 dollars.
20,817
7
4,25o
31,076
9
9,i5o
36,4o6
12
i2,55o
43,748
i5
i6,58o
72'49a
21
22,700
94,o52
27
28,3oo
11 5,000
38
39,700
ÉTATS-IMS. - ASIK. sig
collège de Londres, qui prospèic. en dépit de ses nombreux
détracteurs. La ville (le New- York veut faire un appel auxsa-
vau5 les plus distingués des États-Unis, et compte beaucoup
sur leur coopération pour réaliser ce projet.
ASIE.
Malacca. — ÀboUiion de l'Esclavage. — Une première as-
semblée des liabitans s'est tenue le 18 novembre dans le but
de prendre en considération le mode le plus convenable pour
abolir l'esclavage dans cet établissement. Il a été arrêté (jue,
tous les travaux domestiques étant exécutés par les esclaves,
et ies «aturels ayant depuis long tems contracté l'haljitude
d'être ainsi servis, il était impossible d'effectuer un aflVanchis-
sement immédiat. Toutes les classes d'babilans, ayant intérêt
et droit à peser la ([uestion, et à la résoudre en conciliant leurs
intérêts particuliers avec la justice générale, ont été invitées
à envoyer une députation à une seconde réunion qui a eu lieu
le 28 novembre, et à laquelle se sont en effet rendus cinq dépu-
tés de la j)art des Portugais, cinq envoyés parles Cbinois, cinq
par les Malais, cinq par les Cboolcas. Après une discussion
calme et éclairée, on a fixé l'époque de l'émancipation des es-
claves à douze ans, à dater du jour de la décision. Les liabitans
ont ensuite adressé un rapport et une lettre de remercimens au
gouverneur, qui a hâté cette résolution de tous ses vœux et
de tous ses efforts : et Ton a inscrit solennellement sur les re-
gistres que l'esclavage ne serait plus autori-é ni reconnu dans
la ville et le territoire de ÎMalacca, après le 3i décembre 1841.
— Nouveaux réglemens pour la presse. — La censure
de la presse vient d'être abolie ici'; on y a substitué des régle-
mens qui interdisent aux éditeurs de journaux : «rToute ani-
madversion contre les mesures et les actes de l'honorable cour
desdirecteiu's, ou autrcsautorités publiques anglaises chargées
du gf)uvernement de l'Inde; toute enquête sur les transactions
jtolitiques de l'admistration locale, ou remarques offensan-
tes sur la conduite publique des membres du Conseil, juges
de la cour suprême, etc., etc.
2°. Toute discussion qui pourrait faire craindre aux na-
turels que t'influence anglaise s'exerçât sur leurs opinions ou
leurs observances religieuses. Toute controverse sur des sujets
religieux est également défendue.
5". La réiiripression des passages des journaux anglais qui
Iraiteraient de ces sortes de sujets, et pourraient tendre à
aiTaiblir la pin'ssnnce brifanniqi'e dans l'Inde.
■2-20 ^SIE.
4". Eafm les scandales parliculieii et les remarquée per-
suiirielles sur lés indiviclus. qui pounaient exciter dos troubles
et des dissensions dans la société. »
Certes il v a loin de pareilles mesures à la liberté de la
presse : cependant, comparées au régime de l.i censure, ce
sont autant d'améliorations. Malheureusement la rédaction
des réglemens laisse un champ bien vaste aux interprétations,
et on ne pourra guère savoir si l'on a gagné ou perdu à ce
changement de système qu'après une ou deux applications
de la loi. Mous regrettons que le journal de l'Inde n'ait pas
joint aux réglemens le tableau des peines qu'encourront ceux
qui les auront violés.
Chine. — ■ Discipline des prisons. — Sollicitude du dernier empe-
reur sur ce sujet. — Eœlrnitdu registre deCanton. — Sa M. impé-
riale qui, depuis quelque tems, s'occupe deliie et de commenter
les ordres donnés par léu son père, en a dernièrement trouvé un
relatif aux prisons de Canton. C'était lors de la dixième année
du règne de l'empereur. Outre les prirons du gouvernement
appartenant aux districts de Canton et de AVhampoa, il y avait
des lieux de réidusion où les olFiciers de police enfermaient
toute personne arrêtée pour de légères offenses, accusées de
crimes non prouvés, ou appelés à témoigner devimt la loi.
Ces maisons étaient si mal saines et si mal tenues que plusieurs
des gens arrêtés y moururent souvent; on les y retenait indé-
finiment. Il n'y en avait pas moins de cinquante-trois dans
le seul distinct de \ an-Haè, et onze dans celui de Swang-Yer.
Lorsque les détenus ne pouvaient ou ne voulaient pas payer
certaines sommes, exactions des gens de police, ils étaient
maltraités, affamés, au point que, d'après les notes même
de l'empereur, quelques-uns expiièrent de faim. Il compare
ces prisons aux plus noires profondeurs de l'enfer. Il y on avait
encore d'autres, réservées pour les femmes, mais, où bien loin
d"être protégées, les malheureuses se trouvaient exposées a
toutes sortes de violences et de brutalités de la paît de leurs
gardiens, c|ui les forçaient de se livrer à la prostitution pour
leur arraclier ensuite l'argent qu'elles en retiraient. D'après
cet exposé, laissé par le défunt empereur, Sa iMajesté actuelle,
craignant que d'aussi odieux abus ne se perpétuent encore
dans qi-clques parties de l'empire, a donné ordre à tous les
gouverneurs de province de s'enquérir de l'état des prison»
et de la conduite des magistrats auxquels ces établissemen»
sont confiés, et enfin d'interdiie toute réclusion parliculièrc.
il y a environ six ans que cent (renie personnes mouriu'ent en
[Miîon. a Canton . pendant un des mui5 d'hiver. ],. S. B.
CRANDE-BUETAf.NF. aai
EUROPE.
GRANDE-BRETAGNE.
Souscription en faveur des blesses pendant les journées des
27, 28 et 29 juillet. — Rien sans doute ne peut mieux faire
conipren(Ir(,' les progrès de let esprit tie Iraternité universelle
entre les hommes aux dépens de l'esprit de nationalité fjui lui
est tiop souvent contraire, que ce qui vient de se passeren An-
gleterre à la nouvelle de notre glorieux alTranchissement. Un
enthousiasme général s'est subitement manifesté parmi toutes
les classes de la population et les feuilles publiques de pres-
que toutes les nuances d'opinions se sont réunies pour accor-
der à notre nation, et notamment aux braves habitans de l'a-
ris, les témoignages les plus éclatans d'admiration. La mani-
festation de ces généreux sentimens n'a pas été stérile; des
souscriptions ont été ouvertes partout en faveur des blessés et
des familles qui ont été frappées dans quelqu'un de leurs
membres, pendant ces mémorables journées. Un des meilleurs
recueils périodiques de l'Angleterre {IV esiininster Reeiew)
a répandu une adresse par laquelle tous les citoyens sont in-
vités à contribuer à cette noble offrande, les riches pour les
sommes dont ils voudront disposer, et les hommes des classes
laborieuses, en bornant leiw don à un sou. Les éditeurs prient
les agens de la Revue, dans toute l'Angleterre, à ouvrir par-
tout des listes de souscription; ils annoncent que les sommes
seront adressées à Paris au général Lafayette ; les éditeurs ont
déjà souscritpour 10 liv. sterl. 10 schel. ; le colonel Thomson,
pour trois mois de sa demi-solde ou 5o liv. sterl. 12 schel.;
ftl. Hume, pour 5 liv. 5 schel. ; M. Taylor pouro liv, sterl., etc.
N'ous reviendrons sur des actes de générosité bien faits pour
cimenter l'union entre deux peuples qui tiennent le premier
rang dans la grande famille humaine et que tout doit porter
désormais à s'estimer. D.
Mémoires de Lord Byron. — Commérages littéraires. — Les
clameurs pour et contre lady Byron continuent et donnent
lieu à une guerre de plume assez vive. Après s'être abstenu
de prendre parti, lorsque parut la réclamation de cette dame
contre l'ouvrage de M. 3Joore, les journaux se déclarent en-
fin pour le bon droit, et demandent que les griefs soient net-
tement articulés. Le Monihly Magazine se montre un des plus
virulens : il rappelle à lady B;yron que l'austérité de morale
et de principes dont elle fait tant de bruit aurait du lui ren-
3 3-2 EUIIOPF.
dre plus présenter les paroles de la Bible, qui dit : «Tu laisseras
ton père et ta mère pour suivre ton mari : »et celles du Ri-
tuel, que les époux se prennent et s'acceptent mutuellement
« pour les meilleurs tems et les plus mauvais jours, for bettér
for worse , jusqu'à ce que la mort les sépare. "Il termine
ainsi un article très-amer. « S'il n'est pas rare que des que-
relles soudaine*, et même des séparations aient lieu entre
gens mariés, où est la preuve d'aucune ientative de retour
de la part de celte femme? d'aucun efl\>rt pour adoucir
le caractère dont elle connaissait l'iriitabililé avant son
mariage? A-t-elle , après la mort de son mari, témoigné
douleur ou repentir. Non; elle n'a pas mêi.'.e observé les
moindres convenances; ni sa voiture, ni celle de sa fa-
mille n'a suivi le convoi : nul envoyé ne représentait elle
ou sa fille aux funérailles. Quels honneurs a t-elle rendus à
la tombe de celui dont la gloire la distingue seule de la po-
pulace titrée? Encore pouvait-on croire qu'absorbée par sa
huinc , elle nourrissait dans le silence ses vieux ressentimens;
mais voilà qu'au bout de six ans, elle sort de son repos pour
réveiller dïnsidieuses calomnies, poiu- déverser le blâme et
jusqu'au déshonneur sur la mémoire du père de .sa fdle, d'un
poète, digne par son génie et par sa mort des respects de son
pays et de la postérité : et le prétexte de tout ce scandale,
c'est la justification d'une laJylNoël Milbanke, d'un sir italph,
personnages insignifians, dont personne n'efit soupcf>nné l'exis-
tence, si, dans un jour de malheur, lord Byron ne les eût at-
tachés à son sort. »
De nouvelles brochures vont aussi compliquer la querelle,
que sans doute elles envenimeront : on en annonce deux;
Tune a pour ùivfi : ScpAration de Byron^ ou Lord B)ron justi-
fiés des allégations de Tliomas Campbell; la seconde est une
réimpression de la Lettre de Lady Byron d Tliornas Moore,
suivie de quelques observations, et conmientaires.
Beaux-Arts. — Galerie de portraits de feu sir Tliomas hk~
^vBE^CE. — Celte exposition, la plus complète qui ait jamais
eu lieu des ouvrages du dernier président de l'Académie de
peinture, continue à attirer la foule à la galerie britannique,
dans Pall-Mall. Le nombre des amateurs payans a dépassé
tous les jours quinze cents, et s'est parfois élevé à deux mille.
Il est vrai qu'outre son mérite conmie art cette collection a
l'avantage d'être historique, et comprend presque tous les
grands personnages qui ont figuré de nos jours dans les An-
nales de l'Europe : aussi les contrastes y sont-ils frappans et
Ji'iombieux. A côte de la physionomie fine, non? dirion» pre;*-
GRANDE-BRETAGNi:. - ilUSSIE. aa5
que astucieuse, du diplomate autricliien, le prince de Mctter-
nicli, on voit la figure rude et lulléc du vétéran Bkicher.
Après le duc de "NVeiliti^^on, vient Plaloir, l'iietnian des Co-
saques ; puis, Capo-d'Istiia , le comte Nesseliode , le défunt
marquis de Lùiidondeny, etc., etc. Les portraits de femmes
sont peut-être les plus étonuans comme tableaux : remarqua-
bles de composition et de couleur, ils ont un éclat et une vie
extraordinaires. L. B.
RUSSIE.
Expédition scientifique à CArarat^ par M. Parrot fils (i).
— « Dès que l'Ararat eut été conquis par les armées russe, le
professeur Parrot , de Dorpat , forma le projet de faire à ses
propres frais une visite à celte montagne, célèbre dans la plus
haute antiquité, et consacrée par nos livies saints comme le
second berceau de l'humaiiilé. C'est au milieu de mars 1829
qu'eut lieu son dcpait. Apics s'être muni des meilleurs in-
strumens d'observation et de tous les autres objets nécessaires,
51. Parrot se choisit parmi les élèves de l'Université de Dor-
pat quatre compagnons de vojage; MM. Féodoro/f, Sc/ile-
man, Ilahn et Be/tagel, pour l'astronomie, la zoologie, la bo-
tanique et la géognosie. 1/empereur ajouta de son chef un
courrier, homme sûr, destiné à liâter les expéditions sur la
toute, et à épargner aux voyageurs bien des détails fatigans,
et chargea le comte Paskeaulch d' Eriian de pourvoira la sû-
reté des voyageurs, ce qu'il fit, pendant une campagne aussi
difficile que glorieuse, avec un zèle et des soins inspirés par
l'amour des sciences qui caractérise cet illustre général.
Laissons parler le voyageur lui-même dans les lettres adresr-
sées a ^n père. — « Musdok, le 28 mai iS'iC). Me voilà sur le
point de traverser les colosses du Caucase, mes anciennes
connaissances. De Tcherkask , le voyage se diiigea au travers
de la steppe des calmouks, de village en village, nivelant conti-
nuellement avec le baromètre, et suivant les piquets de ko-
saks jusqu'au bout du grand marais que forme le Manittch,
et où il se trouve nombre de lacs salans. J'ai vu 1 1 plupart de
ces marais, dans lesquels la cristallisation ne s'oj)ère qu'au
fort de l'été, et quelquef as pas du tout , quand la saison a été
pluvieuse. Dans plusieurs d'entre eux, l'eau n'a qu'un pied
de profondeur lors de la cristallisation, et la croûte de
(i) Les extraits siiivans sont empruntés à une Notice manuscrite rom-
mnniquée à V .■icadémie dêf xrlenrcf rie PariF.
)
■224 Et'ROPK.
«el un pouce d'épaisseur. — Ttfli.s. le' 26 juin. Je suis ici de-
puis trois semaines, après avoir opéré un nivellement de Mos-
(lok , par Wladikat'kas, Vroâheck, au travers de la chaîne du
Caucase. .M. le général Renenkampff, qui accompagne le
prince de Perse dans son voyage à Pétersbourg, nous in-
struisit que déjà la peste ravage Erivan et la contrée voi-
sine ; circonstance qui m'a arrêté à Tiflis jusqu'à présent. J'ai
emplojé mon séjour ici à des opérations très -soignées et
souvent réj)élées sur le pendule constant et les aiguilles ai-
mantées, pour lesquelles je me suis établi ici une espèce
d'ob?ervaloire, où j'ai continué, comme à Dorpat, les obser-
vations du pendule pendant quatre fois vingt-cpsatre heures.
M. Féodoroff me fournissait les tems exacts pour l'obser-
vation des hauteurs du soleil et de quelques étoiles. Je n'ai
pas encore calculé les observations du pendule, mais l'influence
de la diminution de la pesanteur saute aux veux. — Tiflis. 18
jaillit. L'intensité du magnétisme est ici (d'après un calcul
approximatif), 0,955 de Dorpat; l'incljnaison moyenne 55*
55' ; la déclinaison inunédiatement observée 5° 01' à l'ouest.
Ces dernières observations ont été faites avec deux grandes
aiguilles, l'une parallélippédique et pesante, l'autre très-lé-
gère et en forme de lance. Les résultats ont été les mêmes.
J'étais décidé à partir pour l'Ararat, sans me soucier plus long-
terus de la peste, qui diminue déjà, d'autant plus que je me
suis muni de chlorure de chaux, et que je ne négligerai pas l'u-
sage du vinaigre en cas de danger. .Mais toutes les personnes
de ma connaissance ne veulent pas me laisser partir, parce
que le voyage dans ces plaines humides, pendant l'excessive
chi'leur, cause des fièvres dangeieuses et des dyssenteries.
Pour passer cette saison malsaine avec avantage, je vais me
jeter dans le pays montiieux de la Cachétie , encore lout-à-
fait inconnu. — Tiflis, 00 août. Les vallées et les montagnes
de la Cachétie sont encore tellement en proie au brigandage
des Lesghis, qu'on ne peut s'écarter d'une verste de la ligne
des villages ([ui bordent celte partie du Caucase. La seide ex-
cursion un peu considérablii qui nous fut possible fut dirigée
sur la plus haute montagne de ces contrées, dont nous attei-
gnimes le somm.et. élevé d'environ 1666 t. au-dessus du ni-
veau de la mer, et cela ne fut possible qu'en nous faisant
escortei' par 120 hommes d'infanterie, commandés par un
capitaine, et *ioo gergious d'élite, bien armés, et commandé
par un des principaux princes de la Cachétie. J'ai déjà pii
faire là quelques observations relatives à la ligne des neiges
peimanentes. et non* avon> nivelé tout ce terrain . jusqu'à Ti-
RUSSIE. aa5
flis, pondant l'allce et le retour. Dans deux ou trois jours, nous
nous mettrons en marche avec les meilleures espérances. Lu
saistin des grandes chaleurs est passée, la peste diminue de
plus en plus à trivau et dans le> environs. l'Ile n'a point
atteint le beau monastère dÉrivas d'Etschniiazin, qui nous ser-
vira de slalioii pendant tout le tems que nous vouerons à 1" Ara-
rat, et de centie de réunion après nous être dispersés dans les
environs. — Couvent Saint-Gré^or, sur le pem liant inférieur <ie
l'Jrarat, •2.[\ septembre 18^9.— ISous partîmes le i"seplembre
deTiflis; nous arriv;1mcs, toujours en nivelant noire route, au
monastère d'iitschmiazin, le 8 de ce mois. Le lendemain, trois
archevêques et plusieurs archimandiites nous lionorèrent
d'une visite; et ensuite le patriarche, vieiLard de 90 ans,
reçut la nôtre, entouré de sori haut clergé, avec beaucoup de
dignité et de bonté. Un jeune diacie, nommé Abojan, qui
nons servait d'interprète à cette cérémonie, demanda et ob-
tint, à ma prière, la permission de nous accompagner à l'A-
rarat. >ous parlimes le 10, traversâmes l'Araxe , cauchûmes
la nuit eu plein air et arrivâmes le 1 1 au soir ici. Nous ne trou-
vâmes dans ce couvent délabré et solitaire qu'un archiman-
drite de 70 ans, qui n'a jamais quitté cette solitude, où il
souffre, avec une résignation vraiment chrétienne, les mau-
vais trailemens des Persans. Ce couvent est A quatie verstes
du village d'Argure, nom qui signifie plantation de larigne, et
doit rappeler que c'est là que Moé a plante les premiers ceps.
Notre tnanière de \ivre est tout-à-fait militaire. Outre les trois
kosaks qui nous ont escortés depuis ïiflis, j'en ai lait venir en-
core quatre d'Lrivan et quatre soldats d'infanteiie. Ma tente
est an milieu de la c(un-, gardée par une sentinelle : elle con-
tient les instruoiens, et me sert de chambre à coucher. Mes
caniara les logent daiis une grande salle du cloître. A notre
première tentative d'ascension de l'Ararat, faite à l'est de la
montagne, nous ariivâmes à 2, itiô toises au-dessus du niveau
de l'océan. Mais, parvenus à cette hauteur, ijous vîmes évidem-
ment qu'il serait impossible d'atteindre le sommet de ce côté, à
raison delà laideur de la pente des surfaces de glace que nous
aviunsàparcourir. Jesuivisen conséquence, quelquesjouisplus
tard le conseil d'un paysan du village, de faire un essai du
côté nord-ouest, accompagné de MM. Beh;igel, Schlieman, le
brave diacre Abojan, deux soldats d'infanterie, un kosack, et
cinq habitans du village. Nous atteignîmes le premier jour la
limite des neiges permanentes, où nous passâmes la nuit au-
près d'un feu de bivouac. Nous partîmes au point du jour
pour le sommet, espérant l'atteindre vers midi; mais, à cette
T. XLVII. jriLLET I >S5i>. l5
2-26 EUROPE.
heure, nous n'avion* atteints que la hauteur /Je 2.600 loi-ses-
c'e.-it-à-diie fait un chemin d'environ 5oo toises perpendicu-
laire; et, comme il me paraissait que nous avions encore une
hauteur de plus de 5oo toises à gravir par une marche tou-
jours ralentie , et voyant des nuages <t des brumes s'avancer
ver? la montagne, et qui, vers le soir, la couvrirent de neige,
je me trouvai Ir-rcé de redescendre, après avoir planté au point
le plus élevé (jue j'eusse atteint, une grande croix de bois, dé-
passant de 10 pieds le niveau de la glace, et sur laquelle j'a-
vais cloué une plaque deploml), sur laquelle était rinscriplion
suivante : A /cc.'«'-J, Pauli filio , toiins RnihenicE aulocratore ju-
hente, Itoc asylum sacro-sanctum armaia manu tindicarit , fïdei
Ckri^lianœ , Jo/tannes Fridirici filiii.s PaskeijoUfch ah Eriœan,
nnnoDomint M / 'CCCXXIX..\\iiut\o tlépart. l'anhimandrite
bénit solennellement cette croix et les voyagcuis. L'Aiarat est
une masse inmiense de laves. Depuis 5o Averstes aux environs,
jusqu'aux neiges permanentes, nous n'avons vu, dans toutes
nos excursions et nos deux asiensions, rien que des laves.
Mous n'avons piis trouvé de cratère de l'orme ordinaire, si l'on
ne prend pas pour tel une énorme crevasse au côté nord-
ouest. L'Ârarat entier n'otiVe aucun arbre ; qjielques noyers et
autres arbres fruitiers plantés autour de ce couvent sont des
liroussailles qui méritent à peine le nom de buissons. Les ar-
mées de serpens et d'animaux carnassiers dont on nous me-
naçait ont disparu, au moins devant nous; les Rourdes n'in-
quiètent plus ce côté de l'Ararat , et la peste est entièrement
étouffée. Les excursions zoologiqnes et géognosliqiies se con-
tinuent, et M. Hahu cherche avec un soin scrupuleux ce (jui
se trouve encore de piaules reconnaissables enfoîiies dans
i'iierbe sèche, tandis (pie .M. Féodorofl' ne (juilte pas un moment
ses observations.
Couvent Saiiit-Grcgor, 'iS septanhre — Je me hnte d'C l'an-
noncer que l'ascension complète de l'Ararat m'a réussi. C'é-
tait la troisième tentative cpic j'entrepris le a.^ de ce mois;
j'étais accompagné du robuste et intrépide Abojan, de cinq
paysans et de deux soldats russes. Nous arrivâmes le 27, à
trois lieures après midi, à la cime. Les diflicnltés étaient nom-
breuses, et je dois beaucoup, peut-être le succès entier, à l'ar-
deur des deux soldats et d'un des cinq paysans, les quatre
autres n'ayant pu nous suivre. Dès le premier pas que nous
fîmes sur la neige glacée, juscpian sommet, nous avons dû
nous former, pas par pas, à la hache des marches pour y as-
seoir le pied, ie.-quelles nous forent bien pins nécessaires pour
Ja descente que pour la montée; car le coup d'œil, plongeant
de celte hauteur sur c(;s surfaces immenses et escarpées de
RLSSIK. aay
giaces luisantes, eiitrcc.oup ■es de. précipict;^ pioi'oiids et ol)--
scurs, a réellement quelque chose d'imposant, même pour ce-
lui qui est aj;uerri àces entreprises. Celte lois-ci, comme à la
seconde tentative, le tems nous favorisa complètemeiit; nous
avons passé la nuit au milieu de ces frimats, dans une at-
mosphère si tranquille et si sereine , que je sentais à peine le
froid, qui, d'ailleuis, est extrêmement sensible à de si grandes
hauteurs. La hme même prit soin de guider nos pas incer-
tains sur le cône de glace , I()rs(iu'après le coucher du soleil ,
je me trouvais encore bien au-dessus de la région des neiges
permanentes. Le baromètre était au sommet à 180.7'", 'i ^"^
température de — 5", 5. c. ; ce qui donne environ 2,700 1. pour
la liautenr au-dessus du niveau de l'océan. La hauteur de la
ligne des neiges éternelles est d'environ 2,000 t., hauteur ex-
traordinaire pour cetle latitude de 59", 45'? selon les cartes,
ce qu'on doit attribuer, vrai>em!dablement, à ce que l'Ararat
est une montagne tout-à-fait isolée, dont le climat n'est pas
lefroidi par d'autres montagnes voisines qui déi)assent cette
ligne (1).
L'Ararat n'offre de tous côtés, depuis la ligne des neiges
jusqu'à une distance de 5o weistes, ou environ 12 lieues de
Fi'ance, absolument rien que des laves, mên»e sans autres
produclious volcaniques, de sorte qu'on doit le regarder
comme un des plus grands volcans, et comme ayant cela de
parti-, ulier, (ju'il se trouve à la même distance de 80 lieues de
la mer Noire et de la mer Caspienne, et doit par conséquent
être envisagé comme un volcan méditerrané. On est étonné
<le voir d'immenses rochers de laves s'élever au-dessus du
reste comme des masses fondues, qui viennent de se figer en
l'ai;'. J'ai élevé sur ce sommet une crois de cinq pieds de hau-
teur au-dessus de la glace, comme un signal de la religion
chrétienne qui domine, et éclairera bieut<"jt ces contrées. Je
ferai les expériences du pendide aux environs du couvent où
nous sommes, mais en plein air; le couvent ne nous offre,
dans son intérieur, aucune base assez solide. J'ai déjà fait
plusieuis expérientes magiiéliques; mais je les multiplierai
(1) Au Casbeck (45* degré de latit.) elle ne. monle qu'à 1C47 l. Selon
la loi descaiiés des cosi.iiis des latitudes, la ligne des neiges de l'Ararat
ne devrait s'élever qu'à 1822 1^ , et par conséquent de làS t. de
moins que la véritable. M. t^arrot se trouvant à l'Ararat dix-sept joiu's
plus lard qu'au Casbe.k (qui s'é!oig!ie de tr .is deg:é= un q ia:lde iatilude
de i'Aruiat), ii di it avuir été .sur le .souiinet des diniv njjntai^'-cs piécisé-
Bienl dans la même saison relative; c'est ce qui doit faire [.leférer il
toute autre l'observation faite au Casbeck.
■i-iH ELIIOFF.
et les répéterai, pour leur donner le plus haut degré d'exac-
titude. Nous séjournerons ici encore trois ou quatre se-
maines.
Ti/lis. \" décembre 1829. — Demain j'expédie trois de uies
camarades pour le retour, avec les iiistrumens et les coUec-
lions. escortés du fuiéle courrier. M. Behagel et moi ferons
encore pin-rieurs nivellemeiis haromélriques. Le premier sera
H'ici directement à Reduute-Knlé, sur la mer Noire, pour ré-
duire tout d'un coup nos hauteurs mesurées au niveau de
celte mer, sans l'intermédiaire de la mer Caspienne. De Re-
doute-Ralé, je retournerai à Tiflis, pour niveler sa distance
jusqu'à Bakou. De celte ville, nous passerons à Astrakan, et
essaierons de percer depuis l'embouchure de la Rouma jus-
qu'aux sources du Manillscli , autant que l'hiver, qui n'offre
point de fourrages ù la cavalerie d'escorte , le permettra. En-
fin, je m'efforcerai de gagner le tems de niveler les rives du
Volga jusqu'il Zarizin.
SUÈDE.
Travaux publics e.récuiès en Siii-ie par t' armée. — M. Théo-
dore Olivier, l'un des fondateurs de VEcole des J ris et Ma-
nn factures . à Paris, et l'un des professeurs de ce précieux
établissement, a fait un a*sez long séjour en Suède, où il a
visité, en i825, les travaux de la forteresse de Vauas, sur le
lac "VN'etern ; il a inséré, dans les Annales de rindustrie fran-
çaise et étningère., une notice très-instiuctive siu* ces travaux.
Nous croyons devoir transcrire en entier les réflexions par
lesquelles il débute, et les faire suivre des observations qu'elles
provoquenl, aîjn d'examiner ce qu'il est convenable d'établir
en Fiauce, avant de nous occuper de ce qui se passe eu
Stiède.
«Dans ce moment, l'industrie fraî?.caise jette, non sans mo-
tif, un œil inquiet sur les coumiuuications intérieures du pavs.
De tous côtés l'on voit apparaître des Mémoires sur l'état de
r.os routes et de nos canaux; plusieurs ingénieurs ont publié
leurs olis^v.'rvations sur ce sujet important, et proposé les
moyens cpTils croyaient les plus projires à empêcher les maux
qui ncuis menai enl. >iolre but n'est point de discuter les pro-
jets proposés, ni d'en exanjiner la valeur réelle. Au reste,
nous ferons observer que, iléjà plusieurs f<jis. on a parlé
dans ces derniers tems de soldats utiles à la patrie en tems de
paix, d'armée employée aux grands travaux publics ; que l'on
ie*t même souvenu que les légion'' romaines, après avoir ron-
SUEDE.
229
quis un pays, y étaient employée:*, pendant les loisirs de la
paix et pour consolider la conquête, à construire des route»
militaires, des aqueducs, etc. Nous avons donc pensé qu'il
serait opportun de pul)lier des documens aulhenli([ues sur
l'cuiiiloi de l'armée suédoise dans les travaux publics. Et
d'ailleurs, qui ij^nore que l;i grande route du Simitlon a été
exécutée par l'armée française? (|ue des bornes niilliaircs at-
testeront il la postérité que U'.\ régiment construisit, en telle
année , telle partie de cette route mémorable qui a aplani les
Alpes?
«Que de travaux, de ports, de forteresses, de canairx, de
routes, n'ont pas été exécutés ])ar notre grande ar-mée:
presque tous ces travaux furent exécutés, il est vrai, sur les
terres conquises; létranger en jorrit seul maintenant, et sans
doute av»K- dédain ; rierr n'est resté à notre patrie. Dès lors nos
soldats pourr-aienl-ils ne pas employer avec plaisir leurs bi'as
à élever sur le sol de la patrie des monumens utiles que tous
les Français pourraient coutenrpler ?»
Arrêtons-nous ici. Quand cessera-t-on d'attribuer aux lé-
gions romaines les constructions qrr'elles fiieiit exécuter par
les malheur-eux habilans des pays conqiris? S'il peut être utile
de conserver sur le territoire français ces traces de notre an-
cienne servitude, c'est apparemment afin qrre nos descendans
connaissent d'autant mieux le hairl prix de lindépendance na-
tionale, et repoussent avec plus d'iiorreur l'idée de se sou-
mettre à une domination étrangère qui les gorrvernerait mili-
tairement, et emploierait leurs bi as à fair'c des roules pour ses
soldats, ties aqirédrrcs pour ses naumacbics, etc. Certes, ce
n'est pas en cela qu'il iiorrs convient d'iriiiter les Romains.
Mais, sans chercher des exemples air dehors ou dans Je passé,
ne pouvorrs-nous contracter l'habitude de faii'e dériver rros
lois et nos institutions du petit nombre de principes qui for-
ment à peir près toirte la politique des nations? Tant que
nous n'aurons qrre des lois mal r-aisonnées, contr-aires à des
vérités irrcouirsiablès et fondamentales, et que ces mauvaises
lois ne seront pas mieux appliquées qu'elles n'ont été conçues,
le malaise social sera la conséquence inévitable d'uri pareil
état de choses. Voyons donc quels sont les principe:; dont on
ne peut s'écarter impunément, lors([u'il s'agit de l'organisa-
tion d'une armée nationale.
On admet en France deux modes de recrutement pour
les armées : les engagernens volontaires sont le premier mode,
relni dont on <*p contenterait, s'il pouvait sullir'e; les contin-
25o El UOPE.
gens fourni* par les (lep;iileniens, quoiqu'ils soient la piîncf--
pale ressource de (onles les armes el la pépinière des meil-
leurs soldats, n'obtiendraient point la préférence, si l'or*
trouvait qnelqtie mn\'cn de s'en passer. Il semble niTme que
les doctrines le plus généralement professées aujourd'juii ten-
dent a ne compo>Lr les armées que de soldats mercenaires , et
font peu de cas des hommes que les lors appellent sous les
drapeaux, liommes qui, dans certains cas. pourraient se sou-
venir qu'ils ont une pairie à servir et à défendre. Jus(|u'à pré-
sent ou n'a point senti les inconvéniens de ce double mode
de formation des corps militaires, dont la force dépend en
grande partie de leur homogénéité : les enrôlés volontaires
sont en trop petit nombre pour ne point disparaître, a,hsorbés
par la masse des soldats appelés en exécution des lois. Si, par
la suite, ces deux élémens de nos armées se rapprochaient de
l'égalité numérique, on se déterminerait probablement à les
séparer, et à former de chacun des corps di.-tincts entre les-
rpjels ou pourrait susciter une louable émulation, au lieu de
les contraindre à supporter paisiblejnent une association cpie
leur origine repousse. En attendant, comme nos armées sont
prest|ne entièrement composées de soldats réunis sous les
drapeaux en exécution des lois, c'est pour ceux-là qu'il s'agit
de résoudra, la quesliou de l'emploi des troupes dans les tra-
vaux publics.
L'iuipôt du service militaire est, sans contredit, le plus
onéreux de ceux qui pèsent sur les contribuables : ajoutons
qu'il est aussi le plus inégalement réparti. Les autres taxes
n'affectent que les revenus, et pès» nt ''quitablement sur toutes
les fortunes : celle-ci di-^pose des plus belles années, del'.ive-
nir,-d'im petit nombre de jeunes gens désignés par le sort pour
acquitter seuls toute la conliibution, tandis que tout le reste
de la génération virile en est complètement affranchi ; une ré-
partition aussi vicieuse, aussi évidemment contraire à toutes
les notions de justice et de bon gouvernement ne peut être
excusée <iue par une rigoureuse nécessité, par l'impossibilité
d'a"ir auliemeiit. One doit faire le b-rislateur dans ces cas où
il est forcé de céder à un pouvoir au-dessus i!es principes de
morale et de justice? Alléger autant qu'il est possible le far-
deau qu'il ne peut faire peser que sur un petit nombre, ne
rien exiger au delà de ce qui est néce.'saire, ne pas imposer
d'autres devoirs que le noble emploi des aimes et du courage
pour la défense de la patrie. S'il reste du tems au soldat, après
l'accomplissement de ses devoirs militaires, c'est une propriété
qu'il n'a point aliénée, dont aucinic loi n'a disposé, el gu'on
ne peiil lui ravir sans la plus révoltante injn-lice. Un teins
viendra peut-être où l'on fera mieux (jue ile ne pas ag-;j;raver
le sort (lu soldat, en le privant du tenis (|u'il pourrait consa-
crer à se préparer im avenir lorsqu'il rentrera dans ses fovers;
on sentira que les nations n'aïupiiltent point lenrs dettes en-
vers leurs dél'enseurs, en leur l'onrnissant la subsistance, et
rien de plus. Si l'on médite sur la meilleure organisation de la
force publique, on sera conduit à des vérités encore inaper-
çues, ou tout-à-tait hors d'usage, combattues par des préjugés
plus puissans que la raison : peu à peu ces vérités seront pro-
clamées par des voix élocjuentes dans l'enceinte législative;
reçues avec empressement par la raison publique, elles feront
bientôt partie des doctrines professées par toutes les nations
éclairées; et tôt ou tard il faudra bien que les gouvernemens
s'y conforment. Si nous arrivons un jour à ce degré de perfec-
tionnement, il ne sera plus question d'enjj)!oyer l'armée aux
travaux publics. Et même, dans l'état actuel de nos connais-
sances, de nos opinions et de nos lois, les maximes fondamen-
tales de l'organisation dont il s'agit sont j)ressenties par 'tous
les esprits droits et toutes les intentions patrioti(|ues, en dépit
des eiforts que font encore les préjugés pour diriger en seiis
contraire les opinions et les actes du gouvernement. C'est à
cette cause qu'il faut attriljuer l'aifaiblissement de l'esprit mi-
litaire en France. Vous faites tout ce cp.ie vous pouvez pour
dépouiller de sa dignité le titre de soldat français; et vous
vous étonnez qu'on ne veuille plus rester sous les drapeaux !
Encore une observation sur l'emploi du l'ai mée aux travaux
publics, et celle-ci est sévère; vous parlez de l'aire creuser
des canaux, des ports, etc., par nos soldats. Si les bagnes vous
fournissaient un assez grand nombre de travailleurs, vous leur
donneriez la préférence; ainsi, vous suppléez par des soldats
aux galériens dont vous manquez! Certainement, M. Olivier
n'a pas aperçu toutes les couî^équences de la proposition qu'il
a faite, quoique l'exemple de la Suède ait pu l'induire en er-
reur. Qu'il fasse attention à la différence essentielle entre la
constitution militaire de la France et celle de la Suède, et il
sera pleinement convaincu de la nécessité de renoncer à faire
chez nous ce qui réussit au delà de la Baltique. C'est à sa ISole
que nous empruntons les détails snivans :
') L'armée suédoise est divisée en deux parties très-distinc-
tes : l'une est permanente, elle se compose d'hommes qui sont
soldats pendant toute leur vie, et prend le nom d'armée m(i<;/ia;
l'autre se compose d'hommes enrôlés pour un tems, et prend
Je nom d'armée tarvat. Les deux régimensdes gardes à pied,
a."3u LUKOPE.
le régiriiciit des ganles a cheval , les truis régimen» d'artillerfe-
el le réj^inient des hussards du prince royal composent Impar-
tie variât de Tarmée suédoise. Il y a environ 5'i.ooo hommes
d'infanterie intUlia; et c'est cette Infanterie seule qui est appelée à
coopérer à l'errcution des grands travati.r d'ntHilé puliliqae.
» Chaque année, on désij;ne les ré;;inicns qui doivent en-
voyer des Jioniuies aux travaux pnbli( s. Les régimens désignés
envoient cliacnn à peu prés le même nombre d'iiommes, et
chaque régiment, à tour île rôle, fournit son contingent. Les
troujies se rendent à leur destination en armes, el le sac sur
ledos, n'emportant que les efl'cts de petit é(juipement militaire;
pendant tout le tems quelles sont sur les travaux, elles sont
exercées au maniement des armes et aux évolutions militaires
le dimanche, dans laprés-uinée.
» Le nombre des oITiciers, chargés du commandement des
troupes envoyées sur les travaux, est ordinairement la moitié
de celui établi par l'organisât ion milita ire. Cependant, suivant les
localités et le genre du travail a exécuter, ce nombre varie;
il est réglé par des ordres particuliers envoyés aux régimeii»
au moment du départ des troupes.
»En tout ce qui regarde la discipline, les soldats obéissent à
le;irs ofTuiers. C'est par eux (ju'iis sont conduits et ramenés
du travail; pendant le travail, les ofïïciers surveillent les
soldats, pour s'assiuer, soit qu'ils exécutent avec obéissance
et activité les tra^ aux dont ils sont chargés , soit qu'ils n'entre-
prennent pas ou que les ingénieurs n'exigent pas d'eux des
travaux au-dessus de leurs forces, et qui pouriaient compro-
mettre leur santé. Du reste, penrlant les heures de travail ,
les soldats sont entièrement sous les ordres des ingénieurs, et
dirigés par eux seuls. Les heures de travail et de repos sont
indiquées militairement.
)) L'organisation de l'armée indelta est due à Charles XI, qui
fut un roi habile et un bon atlministrateur. Dans chaque pro-
vince, ily a un ou deux régimons cantonnés a perpétuité. Cha-
que ollicier a sa métairie [hostcl) qu'il fait valoir, et dont le
revenu forme la solde de son grade. Cha<|ue soldat a une
chaumière, et un coin déterre (torp) assez grand pour qu'il
puisse suflire à ses besoins. Il reçoit du goiivornement l'équi-
pement militaire. Une conipagnie est cantonnée, soldats et
officiers, autour d'un village. Tous les dimanches la compa-
gnie se met sous les armes, et manœuvre.
«Chaque année, pendant trois semaines, le régiment se
rend au champ de manœuvie, et campe. Quelquefois, deux.
«MI Un plus grand iionibre de rétiniens se réunissent pour exé-
SI KDE. — ALLKM AGM: . 233.
fiitcr lie grandes inaiiœuvies- Pendant tout le tcms que les
soldats passent sous la tonte, ils reçoivent du gouvernement les
vivres de campagne. Par la même raison, pendant le teuis que
les soldats sont occupés aux travaux publics, ils leçoiveut,
comme en tems de guerre, les rations de vivres. Mais, pres-
que toujours, le soldat appelé aux travaux publics reçoit
ses rations en argent, parce que les localités permettent rare-
ment d'établir des ma;;asins provisoires.
«C'est le roi qui ii'g'.e, suivant les lieux où s'exécutent les
travaux, l'indemnité ou solde [briing^ que chaque soldat
doit recevoir par jour. Cette solde varie, parce que, pour l'é-
tablir, on consulte les matricules des prix des denrées dans
l'endroit où le soldat doit séjourner.
«Chaque soldat peut, après avoir terminé le travail exigé,
el fourni s» journée, prendre à son compte un supplément de
travail pour lequel il fait prix de gré à gré avec ringénieur.
La solde de ce travail se nomme ofvir beting, et forme ses bé-
néfices. ■)
Les détails exposés dans le reste de la note font sentir le hesoin
de mieux connaître tout ce qui concerne l'iulanterie indtUa de
l'armée suédoise; mais il est assez, évident que la France ne
peut adopter aucune institution militaire qui soit analogue à
celle de cette infanterie, et que, si nous prenions la Suède
pour modèle, ce serait pour imiter l'organisation et l'emploi
de son- armée varvat , qui n'est point chargée de travaux pu-
blics.
ALLEMAGNE.
Beblin. — Société de géographie. — Cette Société a tenu sa
dernière séance le 6 juin. Le célèJjre géographe C/i. Ritter
y a !u des notices sur la race des nègres qui habitaient autre-
fois dans les montagnes de l'Himalaya, et sur les masses de
fer météorique trouvées dans TLide et en Arabie. Il a égale-
ment présenté une copie de la carte du géographe arabe
lin al Wardi, d'après le dessin de M. Jobannsen.
20-4
El ROPE.
DOCUMEXS RELATIFS A LA STATISTIQUE MOUALE DE L.t
MONARCHIE PRUSSIENNE.
(Voy. t. XLvi, p. 494 et P- 79i')
10. Crimes et Délits.
a. Tableau dos crimes et ilèlils eotn mis dans la monarchie prussienne en iSij,
distin"ucs en crimes el délits cominis
Pbovircks.
ISrandeboiiig
Poniéraiiic
Prusse
Posea
Silésic
Saxe
Westplialic
Provinces rliéiianes.
Les anciennes pro-
vinces sans les pio-
, vinces du Itliin. . .
ToTAr, de toiile la
nionaichic prus-
sienne
Contre
les personnes.
— i-i^'
— .
-.
en général
sur
cent
l(j6
16
45
10
1 10
10
65
'7
'ji.>
12
lôo
6
60
4
lin
j>
827
9
0'->7
8
Contre
les propiiétés.
1,030
''99
1,045
5oi)
ivi74
2,1..J
1,.)42
5,5o7
8,o4t>
84
9^
85
88
94
97
ToTj
'>2J9
444
i,i55
565
iv-97
2,267
i,6o'i
5,4.7
8,870
1j. Tableau des crimes el délits commis dans les anciennes provinces de lu
monarchie prussienne pendant l'année 1S26, ovce l'indication de leur pro-
portion relulivemcnt au.v personnes et au.v propriétés, et de leur rapport à
la population existante dans la même année.
aovi.\CKS.
Hrandebourg,
Poméranie . .
Prusse. .....
Posen
Silésie
Saxe
Wcst^IiaHe. .
Toi
Population
en 1S26.
1,52.5,000
862,000
2,05o,0()0
I ,i't)7,oo(i
2,522,(100
1 ,578,001
1 ,200,0111
10,584,000
Crimes
—
-^--- _-=
-^^^
ronirr
lis |itr-
!.■> pro
.. ' ■ -1
.o„nis.
piiélis.
^
888
2,69g
5,587
284
62C
C)10
1,272
"^97''
5,24 s
7'^-
I,25c)
''97^
1 ,780
5,280
5,.65
1 ,Gio
2.579
4,189
676
1,520
2,190
7,246
1 5,9-4
25,170
des orinn-s et dôliti»
entre eux : sur
100 crimes el dtliis
les pe:
sonne
2 5
^7
55
58
roulrc
les pro-
7G
-5
63
65
61
69
'^9
hahil.
425
087
540
458
029
■'47
448
ALLEMAGNE. a35
c. Tableau général offrant le nombre des personnes condamnées à mort dans
toute ta monarchie prussienne, depuis iSiS^HSc/u'cn iBij inclusixement,
en (tislin-^uant les sentences r/iii furent confirmées de celles oh la peine de
mort a été comniuùc.
1" Par PuoviiNCns.
De )8iS à 1827 inclusivement.
Brandeb.
Pomérai
ie.!
Prusse.
Pose».
Sllésie.
Saxe.
WesIpliMic'
Prû>. rhén.
^
i
1
1
1
S
c
n
0
H
c
o
II
Jjl
1
w
%
1
§
n
H
Û
Û
1
"tï
l
i:
J
0
0
0
—
—
—
i
1
—
!
1
-
—
—
-
—
-
—
~
—
-
-
—
ïS
• 4
3a
6
'
1
5
L
u8
i5 5:-
9
8
'7
1 5
1 2
27
7
7
»4
4
f)
11
10
60
70
î° TuTAL GÉNÉRAL,
Avec la distinction du sexe des condamnés
Sentences cor.fi
iméi's.
Coniimiée
■^.
Total.
w
1 ..
!n
1 "
E
=
.-
s
5
=
c
rt
c
s
0
S
S
C
^
—
3
c
H
0
H
^
i;
H
cd
b
—
^
77
10
87
87
56
1 25
164
4(i
aie
5" Résumé général avec le rapport des exécutés et des graciés a la
POPtLATlQ.N.
De 1818 à 1827.
Dans les anciennes provinces.
Dans les provinces rhénanes.
DaiiiS toute la monarchie
124,096 i52,625
2^7,100 Ô9,îi-
i55,4i4 ;,-''578o
( La s aile au Cahier prochain )
Nombre d'hahilans
pour une condamnation
•oiifirmée. comnînèf. en générai
68,688
53,871
56, 100
a:î6 KIROPE.
ITALIE.
Ti'RiN. — Académie des sciences: Section des sciences morales,
historiques et philologiques. — L'Académie propose, pour sujet
(Je priv, un travail sur les Institutions municipales en Italie^
depuis la chute de l'empire d'Occident, en ^çG,^ jusquà\a. fin
de la doniinatson de la maison de Souabe (Ho]ien.->tau(en), en
1224- Ou demande i " des détails sur l'état des dernièies ins-
titutions municipales romaines, et sur les chanp;eniens qu'y
firent tour à tour les Goths, les Grecs, les Lombards, etc.,
pendant que l'Italie était une proie que se di-puiaicnt des
princes italiens, français, allemands, et enfin sous les empe-
leiM's et rois des maisons de Frauconie et de Souabe; 2° une
analyse des historiens qui ont parlé de la destruction, soit
entière, soit partielle, de ces institutions romaines; on indique
spécialement Si^onio, Funiagalli, Lupi, Sismondi, Muratori,
Savigny, Lro. Pagnoncelli Les Mémoires, écrits en italien,
latin ou i'ranrais, devront être rcmi^ avant la fin d'octo-
bre 1802. Le prix est une médaille d'ordela valeur de6oo lires.
GRÈCE.
Etat de renseignement primaire en Grèce. — Nous avons plu-
sieurs fois entretenu nos lecteurs de cet objet important pour
un pays où tout est à créer, les hommes et les choses. La
publication d'un document oiriciel nous fournit l'occasion
d'y revenir, et nous la saisissons volontiers. La génération
grecque actuelle, habituée à la guerre, est peut-être inhabile
à seconder l'établissement de l'ordre et à goûter le calme de
la paix : il s'agit il'en former une autre plus en harmonie avec
l'avenir probable de la Grèce. Il faut, eu un mot, faire l'édu-
cation d'iMi j)eiiple. Parmi ceux qui s'y emploient avec ardeur,
nous remarquons, non sans une vive satisfaction, un de nos
compatriotes, .M. Dulrdnc, dont nous avons plusieurs f'MS si-
gnalé les utiles travaux et le zèle pour la régénération de la
Grèce. C'est à lui, en grande partie, qu'est dû l'état satisfai-
sant de riiisiruclion pui)lique tel qu'il est exposé dans le rap-
port suivant fait au président par le secrétaired'Etat, Chryso-
gclos. Cette pièce est datée du 26 février (10 mars) i85o.
RiPPOBT. — « En exécution des ordres de V. Exe, le se-
crétaire pour les affaires ecclésiastiques et pour l'instruction
publi(|ue a l'honneur démettre sous vos yeux, M. le président.
l's nnseignemens qu'il a recueillis ju-^qu'à ce jour relative-
• CRÉCF. àSy
ment aux écoles de langue grecque et à celles d'enseignement
mutuel qui se trouvent établies dans l'Etat.
» Ces renseigneuiens, d'une part puisés dans les rapports
que les couunissaires exlraordinairos et les gouverneurs pro-
visoires ont faits au gouvernement, en se conformant à la
circulaire qu'il leur avait été adressée, en date du 5 octobre
dernier, et d'un autre côté confrontés aAcc les catalogues des
maîtres et a\ec les indications données par des particuliers ù
portée de connaître la situation de ces établissemens, ont été
consignés dans un registre ad Itoc. Ce registre contient le ca-
talogue des écoles de langue grecque et de relies d'enseigne-
ment mutuel, le nom des m-.ulres de chacuive d'elles, riudi-r
cation du traitement de ceux-ci, les fonds accordés par le
gouvernement pour la fondation et l'entretien de ces établis-
semens, enfin les contributions payées par des particuliers.
» D'après le tableau sommaire que j'ai l'honneur de trans-
mettre à V. Exe, elle verra qu'il se trouve établi : i" dans le
Péloponèse, dix-huit écoles pour la langue grecque, conte-
nant 6f)4 élèves.
Vingt-cinq écoles d'enseignement mutuel, con-
tenant 1,768
f)ans les îles de l'Archipel, y compris l'Orpha-
notrophe et l'école centrale, trente-une écoles
pour la langue grecque lîji'i
Trente-sept d'enseignement mutuel 5,G5o
Total, cent onze écoles, renfermant . -. . 7,824 élèves.
Quand à la Grèce continentale, le lieutenant plénipoteu-
fiaire vient de fonder à Lépante une école pour la langue
grecque, et rédifice qui se construit pour le même objet à
Missoionghi, aux frais du gouvernement, va bientôt être
achevé. Ainsi V. Exe. se convaincra que les Grecs, à peine
rentrés, depuis son arrivée, dans leurs habitations, s'empres-
sent parlou-t avec une égale ardeur à concourir de tous leurs
moyens à la fondation des écoles.
» Les re-sotirces que la sollicitude de V. Exe. a procuiées
à ces établissemens, les mesures qu'elle a bien voulu aJopter
pour les assujettir à des régies uniformes, la fondation d'ime
école centrale où viennent déjà se former les instituteurs qui
doivent les diriger, le zèle enfin que des citoyens hellènes,
domiciliés en Grèce, ou dans l'étranger, mettent à encoura-
ger l'instruction, garantissent à la nation des progrès rapides
vers les lumières, qui constituent le principe vital do toute
société. I-
■25K FKANCK.
FRANCE.
PARIS.
Institut. — Académie des Sciences. — Jcillet i85o. —
M. Caichy l'iiit un rapport sur un iMénioiie de W. Ch.
Stbum, intitulé : licyumc d'une nouvelle Théorie relative à une
clause de (onctions Iranfcendanles ; nous en donnons les conclu-
sions. « M. Sturni s'est conteiité !e plus souvent d'énoncer les
propositions auxquelles il est parvenu. Ayant vérifié un grand
nombre de ces propositions, nous les avons trouvées parfaite-
iTient exactes, et nous pensons que le nouveau Mémoire de
ftl. Sturm est très-digne de l'approbation qui a été accordée
aux autres ouvrages de ce jeune savant. En conséquence
nous proposons à l'Académie d'insérer ce Mémoire «lans le
recueil des savans étrangers. « ( Approuvé. ) — 31. CauCiit
présente un nouveau Mémoire sur la détermination des racines
primitives. Il annonce qu'il se proposait de revoir ce Mémoire
rédigé, il y a plusietu-s mois. Maisuu journal scientifique ayant
annoncé que d'autres personnes s'occupent du même sujet,
il se borne à présenter la rédaction primitive ; sur sa de-
mande, ce iMémoire sera paraphé par un des secrétaires. —
MM. Geoffroy-Sainl -H ilaire et Serres font im rapport sur une
noti' de M. le D' Dii'oirqiet, conceinant un enfant double, du
gc\irG iscliiadclp/ic, né à Salies (Basses-Pyrénées), dans les der-
niers jours de mars. Cemonstre présente l'idée de deux enfans
réunis et collés sur une- ligne circulaire qui partirait du bour-
relet des anus et passerait sur les pubis, de telle manière que
la peau des deux ventres, en s'agglulinanl , a caché les or-
ganes sexuels, et que les deux enlans ne semblent avoir
qu'un abflomcn commun et n'ont qu'un seul cordon ondji-
lical.
— Séance du l'j, juillet iS5o. —M. Guiltaume Libri présente
une note contenant une formule qui domic en nombres, diiec-
leiiieiit ou d'une manière générale, Ic-^ racines primitives d'un
nomi)re premier quel(on;|ue. (MM. Poisson, Caiicliy, commis-
saires. ) — L'Académie procède au scrutin pour la nomination
d'im candidat à la cluiiietle l'Ecole de pharmacie; sur.jj vo-
tans, M. Soubeiran obtient 26 voix, M. ('aventou 1 i ; la nomi-
nation de W . Soulieiran sera adressée au ministre. M. Chevallier
avait renoncé à la candidature. — M. Di'puvtren pi'éseule à
l'Académie un enfant âgé de 10 à 12 ans, lequel, par suite
d'une inflaumiation gangreneuse à la face, avait perdu la
PAJIIS. aT.9
rommissure des lèvres, une partie de la lèvre supérieure, la
totalité de la joue et la majeure partie de l'os maxillaire infé-
rieur du côté droit. Ces pertes de substances étaient accom-
pagnées d'un écoulement involontaiie de la salive et des
alimens, d'impossibilité de former aucun son articulé et d'un
déplacement de la langue qui pendait jusque sur la partie
moyenne du cou sans jamais pouvoir être ramenée dans la
bouche. Ces difl'ormités et-ces incommodités avaient fait ex-
clure le malheureux enfant de toute réunion publique; son
existence semblait être arrivée au dernier terme; il fallait
venir à son secours, sous peine de le voir périr d'inanition.
Après de mûres réflexions, M. Dupujtren s'arrêta à l'idée de
faire un emprunt à la peau du cou, pour réparer la perte de
substance et corriger la difformité <Ie la face. Api'ès trois opé-
rations successives, rendues nécessaires par des accidens iiidé-
pendans de la méthode employée, l'enfant a été guéri de tout
écoulement involontaire de la salive, des alimens, de toute
difformité produite soit par la chute de la langue sur le cou,
Sf)it par la destruction delà joue, et quoi([u'assurément la face
ne soit pas des plus régulières, elle n'offre rien de repoussant.
— iM. Arago met sous les yeux de l'Académie un Mémoire
de grogrtip/iie nudhernotu/ue de J/. Pentland, contenant les lon-
gitudes et les latitudes des points les plus remarquables de la
partie du Haut-Pérou, qui maintenant porte le nom deliolioia.
Ces déterminations ont été obtenues, en 182(1 et 1827, pen-
dant un voyage que M. Peutland a fait en Amérique par les
ordres du gouvernement anglais. Les instruniens dont il était
muni sont : un excellent sextant de Troughton ; un sextant à
tabatière; un cercle à réflexion; un horizon artificiel à mer-
cure; deux chronomètres de poche d'Arnold et iloskeil, et
une collection complète de baromètres, thermomètres et hy-
gromètres. Les latitudes ent été déterminées par des hauteui's
circumméridiennes des étoiles situées au nord-est et au sud
du zénith ; les longitudes de* prii^ipaux points se fondent
sur de nombreuses observations des distances de la lune aux
étoiles. Il résulte du travail de .AL Pentland ([ue les cartes de
l'intérieur du Pérou doivent être complètement refondues. —
M. Arago met sous les yeux de l'Académre l'extrait d'un tra-
vail que >L Qi ÉTELET, directeur de l'Observatoire de Bruxelles,
lui a remis, et qui concerne les degrés successifs de force qi.i'ane
aiguille d'acier reçoit pendant les frictions mu.tiples qui servent
à l'aimanter. L'auteur a trouvé que toutes ces forces sont re-
présentées par une formule exponentielle contenant trois
constantes, en sorte que, si l'on a ol.servé riiileii?ité du ma-
a4o IHANCK
gnétisuie de l'aiguille, après une. deux et trois frictions, par
exemple, on peut cnlcnler ce qu'elle sera après quatre, cinq,
dix, vingt, etc. En étudiant ensuite la manière «lont le ma-
gnétisme d'une aiguille se renverse quand on le frotte en sens
contraire avec les mêmes barreaux qui d'abord avaient serri
a l'aimauter, M. Quételet a rccoun'i fjue la charge madimum
■devenait de plu; eu plus faible à mesure que le? renversemens
semullipliaiciil. Ainsi, après rainiiMilalion primitive, Taiguille
oscillait plus vite qu'à la suite du premier renversement ; mais
cette dernière l'orce à son tour surpassait celle dont l'aiguille
•était douée, quand, de nouvelles frictions ayant encore ren-
versé les pôles, elle se trouvait revenue, du moins pour le ^ens
<le l'aimantation, à l'élat initial, et ainsi de suite. Au reste, ces
diflereuces aiiaieut continuellement en s'aiTaiblissant, et, sui-
vant toute apparence, elles auraient fini par devenir insensibles.
— >1. Arago communique une lettre dans laquelle M. Dac-
Bi'issoN , correspondant de l'Académie, rend compte d'expé-
riences qu'il a faites à Toulouse avec M. Castel pour résoudre
ces trois questions d'Iiydr au U que : i" . Sous de petites charges . le
coë/ficientdc ta contraction de laveine fluide au^mente-t-il lorsque
la charge diminue, comme on le supposait déjà? La répt)nse est
aflirmative. 2°. Le coL/ficient propre aux orifices rectangulaires
allongés esl-il len}ême que celui des orifices circulaires ou carrés,
ainsi qu'on l'admet généralcmmt? L'expérience a répondu né-
gativement. 5°. La dépense par un orifice est-elfe affaiblie si,
dans le voisinage du premier, il en existe d'autres au irav:rs des-
quels le liquide puisse aussi couler? Pour de petites charges,
cette influence que divers orifices voisins pourraient exercer
les um' sus les autres n'a pas lieu. Si les expériences de ce
genre faites sur les empèlem'ens des portes d'é< luse du canal du
infdi sont exactes, on a eu tout au moins tort d'en généraliser
les résultats. — M. Cacchy lit un Mémoire sur la théorie des
nombres. — M. Crvien lit un jSlànoire sur quelques ossemens
qui paraissent appartenir d un oiseau dont l'espèce a été détruite
seulement depuis deu.r sicrles. Cet Oiseau habitait l'île Maurice
à l'époque -où les Européens s'y sont établis. M. Cu\ier trouve
ijue ses restes donnent des preuves suflisantes que cet oiseau
-.nppartenait à Tordre des gillinacées. Oes restes ne ^ont point
pétrifiés, mais seulement recouverts d'ime légère incrustation
-calcaire. Leur décomposition n'est pas grande, en sorte qu'on
peiU les considérer comme avant été deposé> à l'époque géo-
logi(|ue actuelle. — M. de Bï.ainville fait l'observation que,
^lepnis plusieurs années, il s'est occupé d'un travail sur le
J)ni)o. pour lequel il a fait l'aire trois plauches. qu'il met .*ous
TAIUS. 2^,
1.ÎP yeux de rAcadéniie. Ile.st «rrivé à ce leMiltat (|iio, suivant
lui, c'était un vautour et non un gallinaeé. ni un manchot
comme l'ont voulu quelques auteurs. H se prop')se de lire son
IMenioire dans la séance prochaine. — :\I. Geoffroy-S uxt-
HiLAiRE présente aussi quelques oliservations au sujet du Dodo
La disparition complète de cet oiseau lui rappelle qu'on trouve
aujourd'hui des momies entières de crocodiles qui ne res-
semblent pas à ceux qui peuplent actuellement le Nil
— Séance du 19 juillef. — M. Peltier annonce avoir
applique le galvanomètre à la mesure du produit des piles
sèches, et que les piles de 20 à 3o couples lui ont donné le
ma.rawnn de déviation de i5 à 24 dci^^rés; qu'à 200 couples
Il y a a peine de /i ou 4 degrés; que de 600 à mille il n'y a
de sensibmte que par intermittence. En réunissant au con-
traire les pôles de même nom, il a rougi la teinture du tour-
nesol avec 00 piles de 5o élémens, et réduit du nitrate de
cuivre. Le galvanomètre augmente de déviation dans le rap-
port du nombre de piles. Avec une pile de 4., élémens de six
pouces eu carre, il a rougi en trois heures la teinture de tour-
nesol, et le galvanomètre marquait 80 degrés. — MM. Che-
vallier et Payes adressent de nouvelles observaticus sur les
moyens à mettre en usage pour prévenir les faux en écriture. Ils
proposent d'introduire dans la pâle du papier destiné à porter
le timbre une substance colorante qui puisse rési.>ter à l'ac-
tion de l'air, de l'humidité et des autres causes qui agissent
sans le concours de l'homme sur le papier ordinaire, mais qui
serait susceptible de se décolorer lorsqu'on altérerait le pa-
pier pour couimetire un faux. (Renvoyé à la commission déjà
nommée.)— Sur la demande du ministre de l'instruction pu-
blique, la section de physique est chargée de fournir des expli-
«ations sur certains points de son instruction sur les paraton-
nerres, et notamment snr la distance à laquelle ils doivent être
placés les uns des autres. — M. le docteur Foxtaneilles adresse
deux insectes rendus par une de ses malades à la suite de pilu'es
purgatives. «Ayant observé ces <leux insectes au microscope,
dit ce médecin dans sa lettre, il m'a paru leur reconnaître les
caractères d'une espèce de chenille arrivée au commencement
de sa métamorphose en chrysalide ; ils ont ù peu près un pouce
de longueur. Leur peau e^t assez dure et luisante, le museau
est rond et ressemble à celui du ver à soie. Je crois avoir
distingue six rangs de |.attes inférieures. » f M. Z>/»nm7, com-
missaire.)—MM. CrviER et de Blainville font un rapport sur
le Mémoire de M. Dtjgès, contenant quelques observations
nouvelles sur les planaires et genres voisins. Ce travail, qui
T. XLVIl. JUILLET 1 83o. 10
offre beaucoup d'intérèl, sera imprimé dans le Recueil des sa-
vans étrangers. — M. CAtciiY présente un Mémoire sur la dis-
persion de la lumière.
— Séance publique du 2G juillet. — Prix décernés. — 1". Le
grand prix de mattiématiques, consistant en une médaille d'or
de trois mille francs^ que l'Académie avait proposé pour celui
des ouvrages, ou manuscrits ou imprimés, qui présenterait
l'application la plus importante des théories mathématiques ,
soit à la physique générale, soit à l'astronomie, ou qui con-
tiendrait une découverte analytique très -remarquai)le, a été
partagé entre la famille de feu de M. Abel, de Christiania, et
M. JACOBr, professeur de mathématiques à Kœnigsberg. —
2". Le sujet du grand prix des sciences naturelles était une des-
cription anatomiquc des nerfs des poissons; l'Académie n'a
icçu qu'un seul Mémoire rédigé en latin, et accompagné de
dessins du fini le plus précieux, qui représentent la distribu-
tion des nerfs dans le sandre ( perça lucioperca ) , le brochet
[eson lucius ) , et la lamproie [ petromy^on inarinus. ) Ce
Mémoire contient des observations excellentes et une histoire
presque aussi complète qu'il était possible de l'attendre des
nerfs des dAix premières espèces; mais cette histoire est
beaucoup moins parfaite pour la troisième espèce, ainsi que le
rédacteur lui-même le reconnaît. Néanirioins l'Académie, dans
la vue de contribuer au perfectionnement de ce travail et à sa
publication, lui accorde, à titre d'encouragement, la somme
entière de quatre mille francs, consacrée au prix proposé. —
5°. Prix d'astronomie. L'Académie décerne cette année la
médaille fondée par iM. Dcîalande, à M. Gambart, directeur
de l'Observatoire de Marseille, quia aperçu le premier la nou-
velle comète de i85o, l'a observée avec le plus grand soin, et
a déterminé les èlémens ])araboliques de son orbite. Elle a dé-
cerné fleux autres médailles; l'une à >L Gambey, à qui l'Ob-
servatoire de Paris est redevable d'une magiiifique lunette
méiidienne, et d'un cercleéqualorial très ingénieux; l'autre, à
M. PEr.RELET, inventeur d'un comj)teur à détente, à l'aide du-
quel un observateur inexpérimenté peut déterminer les ins-
tans des passages d'une étoile sons diflférens fils de la lunette
méridienne, avec la précision d'un dixième de seconde de
tems. ■ — 4"' Pi't^x de mécanique de M. de Moutyon. L'Acadé-
mie a partagé le prix; elle a accordé une médaille de 700 fr.
h M. Tflir.oRiER, pour les perfecfionnemens remarquables
qu'il a apportés dans sa machine à comprimer les gaz; et une
seconde médaille de 5oo fr. , à M. Babiket, professeur de
phv^iqiip. auteur d'un perfcclionucniont divs machinps.pncu-
PARIS. 2:\^
viatiques. — 5". Le prix de pliyi^lolo^ie e,ipéritnfnîa(e de M. de
Montyon est décerné à roiiviaj:,e de AJ. Lkon Dufour, iiililidé :
K Rccliercliis undli'ini'.jiiis el.i liysiiiU)^l(jins sur Ir.s hcmiptèrcs ,
acrinnpiii!;iires de cmisiiiéi atloiis rcitlins à l'histoire naluriile et
d la (tussi/iaiti'iii de ce.t iiisfrlcs , arrc alla^. » L'Ara ■léitiio ac-
corde une mention Iionoiable à l'ooMage de >i. i'OCi.cviD,
inlJlulé : Lum de ror^'Hiimie civnnt, on a'^pliration dt!s lois
phv?ico-cliiiui(|ues à la pliysioioyic. — G". Le prix de 31. de
Moiiljon en laveur de celui uui ania déconveit les moyens de
rendre nn ait on nn i::éliei* moins insa!id)!e est accoi'vlé à
M. le clievalicr Ai.di.\j. à t|ui Ton doil Curl de préserver les pnn-
piers de l'action de la /hiiiiiiie dans les iinciidies; l'Académie,
prenant en con-i iéralion le dévoùment de M. Aldiin et les
dépen-es considéraijies qn'il a l'ailes, Ini accorde la somme de
liait titiile francs. — j'. Le prix île stalistiqite, fondé par M. de
Montyon, et corjsislant en nne mi daille d'or de la valeur de
57)0 fi ., a été décerné à M. A. Pcvis, ancien olFrier d'arlille-
rie, anlenr de ronvra|!>e intitulé : ISolice slidisticjiit' sur le dé-
partement de C Ain,
Prix proposé-. — 1°. Grand prix de malhémaliqurs. Une mé-
daille d'or de 5,ooo i'r. sera décernée à l'auteur du meilleur
Mémoire sur l'expl irai ion du phcnonicne de la grêle. Ce que
l'Acailémie demande, c'est une théorie appuyée sur des ex-
périences positives, sur des observations variées, faites, s'il
est possibic, dans les régions mrme on ii;iît la grêle. — 2". Pa-
reille médaille sera accordée au meilleur travail sur le sujet
suivant :k Exaun'ner dans ses détails le phénomène de la ré-
sistance des fluides, en délerniinanl avec soin, par des expé-
riences exactes, les pressions que supporlent séparément im
grand nouihie de points conNCuahlcment choi.-is sur les par-
ties antérieures, latérales et po.»lérieui es d'un corps, lorsqu'il
est exposé au choc de ce fluide en mou\emenl, et lorsqu'il se
meut dans le même fluide en repos; mesurer la \ilesse de
l'eau en divers ]ioints des filets qui avoisinent le corps; con-
struire sur les données de l'observation les courbes que for-
ment ces filets; déterminer le point où connnence leur dévia-
tion en avant du corps; enfin établir, s'il est possible, sur les
résultats de ces expériences des foriuules empiriques, que
Ton comparera ensuite avec l'ensemble des expériences fai-
tes antérieurement sur le même sujet. » (1" mars i852.) —
5°. Grand prix des sciences nalnrellrs. L'Académie propose
4,000 fr. à l'auteur du meilleur Mémoire sur le sujet sui-
vant :« Faire connaître, par des recherches an itoinirpies,
et à l'aide de figures exactes, l'ordre dans lequel s'opère le dé-
.44 FilANCK.
veloppement des vaisseaux, ainsi que les pn.uipanx rhan{re-
mcns q, réprouvent en général les organes destines a \\ cu-
cnlation du <ang chez les animaux vertébrés, avant et après
leur naissance, et dans les diverses époques de leur vie «
r i"iinvier i85i J — 4°- Pri^ fondé par M. Allmmhtrt. L'Acadé-
mie propose un prix de i,5oo IV. au meilleur Mémoire ...r la
question suivante : « Déterminera l'aide d'observations, et dé-
montrer par des préparations anatomiques et d -s dessm*
exacts les modifu-ations <pie présentent dans leur squelette et
dans leur* muscles les reptiles batraciens . tels «lue les gre-
-.jouilles et les salamandres, en passant de l'elat de larve a ce-
lui d'animal parlait. -. fi" avril iS3i.)- 5". L, prix ,1 astro-
nomie fondé par M. de Laia^de, et consistant en une medadle
d'or de G55 fr., sera décerné en juin iH3i. — 6». Le prix de
phyHologie exprrimeniale fondé par >l. de Monty.m sera de
8q5 fr., et décerné à la même époque. — 7". Le prix de mé-
canique àe M. de Montyon sera pour i85i une n.édadle d or
de 5oo fr. — 8». Prix divers du legs Montyon. Des prix seront
décernés aux auteurs des ouvrages ou des découvertes qui se-
ront jugés les plus utiles à l'art de guérir, et à ceux qui au-
ront trouvé les moyens de rendre un art ou un métier moins
insalubre. — 9". Un prix de cinf/ vulle francs, provenant du
legs Montyon, sera décerné au meilleur Mémoire sur cette
question : « Déterminer quelles sont les altérations physiques
et chimiques des organes et des lluides dans les maladies dé-
signées sous le nom de fièvres continues ? quels sont les rap-
ports qui existent entre les symptômes de ces maladies et les
altérations observées? insister sur les vues de thérapeutique
qui se déduisent de ces rapports. »— 10°. Ln autre prix de
siar mille francs pour cette (piestion </e rA/V'/rg/c. <' Détermi-
ner par une série de faits et d'observations authentiques
quels sont les avantages et les inconvéniens des moyens mé-
caniques et gymnastiques appliqués à la cure des difformités
du système o'sseux. »— 11". Le prix de statistique fondé par
M. de Montyon consiste en une médaille de 55o fr. — Après
la proclamation des prix, M. Cuviep. lit l'éloge de Humphrey
Davy; M. Abago, celui de Fresnel. La longueur de la séance
n'a pas permis à M. CrviER de lire l'éloge de Vauquelin.
A. 1M1CHEI.OT.
Suciéiéphiiotecliuique. — Séance publique du 25 mai 1 83o, sous
la présidence de M. de Po>gervii.le. — M. ThiessÉ, secrétaire-
perpétuel, dans un élégant discours d'ouverture, a passé rapide-
1»AK1S. 2,5
meiil t!i> ie\ m; If- traviiii.v, les pertes, les i>!.(|iii>i(iinis tic laSo-
<;ic'té |)euiiinit le seiiiestie écoulé depuis lu séance précédente.
Ce morceau, aussi bien écrit quel)ien composé, excnjpt de lon-
gueurs, plein de goùl et de convenance, a été fréipjeniinent
applaudi. On a surtout dislinj;iié riionimage louchant rendu
par l'orateur au respectable Gohier, (ju'une maladie, devenue
bientôt après mortelle, retenait éloigné de la séance ; une No-
lice également loiiclianle sur un autre membre de la Société,
M. Levava.Kseur, mort victime de son zèle à secourir les mal-
heureux pendant^ les rigueurs du dernier hiver; et surtout le
passage où, rappelant l'élection de son conlrèrc. M. de Pon-
f^ervitle, à l'Académie IVançaise, M. Thiessé a su associer au
juste tribut d'éloges que mcrilail le traducteur de Lucièce et
il'Uvide une loyale appréciation du talent et des litres de ses
concurrens.
Après le disours du secrétaire-perpétuel, on a entendu
avec plaisir deux jolis apologues de M. Michaiix [C/ovif:); un
J'ragment des excellentes études de M. Tissot sur Airgile ; iir!e
épître agréable et fortagréablemeul lue de M. I'ebvÉ, auquel ou
pourrait seulement repro(;her de nepoint assez varier le choix
de ses sujets; un morceau plein d'intérêt, (aisant partie de
l'hittoire du (Îrand-Frédéric, par M. CainUle Paganel ; trois
fables de M. le baron de Ladoucetie. Un heureux mélange de
sentimeut et de gaîté, un débit vrai, expressii'et spirituel ont
l'ait vivement applaudir \cconie populaire par lequel M. Boiilly
a terminé la partie lilléiaire de la séance : un concert où «e
sont fait enlendre plusieurs artistes distingués, AIM. L'aiidioi,
Romagnési, Tilmant, MM""^'' Romagiicxi, Tttede el Baïu/iot , n
complété la satisfaction du nombreux auditoire (pie la chaleur
déjà vive de la saison n'avait pas empêche de se réuuir dans
l'enceinte de la salle Saint-.lean.
Institution aujiliairc de fEeole de Droit pour tes ctudians
mdionaitx et étrangers, située lue des Francs-Bourgeois, n" 8,
tlirij;ée par M. Darragon. — IVons avons d«'jà parlé de celte
Institution; nous avons montré combien elle offrait de sécu-
rité aux parens qui craignent de voir leurs fils abandonnés à
erix-mêmes dans une ville comme Paris, et que celte crainte
empêche souvent de donner à leur-éducation toute l*exten-
sion qu'ils désirent. L'accroissement rapide de la maison de
M. Darragon a prouvé cpie le public avait jugé comme nous
de cette maison, et aujourd'hui il n'est plus aucunement né-
cessaire d'en faiie l'éloge.
Bornons-nous à signaler, parmi les nouveaux avantages que
M. Darraecn a réunis cbci lui, rétablissement d'ini coins
u4o FRANCE.
d'éloquftife jiidiciiiiie el d'un antre de déclainntioii, qui, avec
les cours de droit et de sciences qui s'y font depuis deux ans,
assurent aux jeunes avocats une insliuction solide et distin-
ffuée.
Projet il' une yJ ■••soriatlon iminslrie/le sons le vont de Com-
pognir ^rtici nie du l.eitDit. — Tel est le tiire d'un écrit très-re-
marqtiaMc, répauflu dans !e nwuidi' spiMidaleiir par un lionime
qui parle de ce qu'il a\n, soljineuseiiient dhservéi connu par
les voies les pjtis sûrt.-s (\\\\ jinissenl mener à la connaissance
statistique des crmtrces dont il pai!e ; il siiflit de nommer
M. Delaborde. dépité de la Stiue, pour exciter la curiosité,
et fixer l'attention. Il ne s'agit point d'exp.loiter la nouvelle
conquête de la Fiance avant de i'avoir consolidée, et de s'être
assuré qtie le sang- et les trésors français n'auront pas été pro-
digués au profit d'un peuple ii\al : le plan de M. Delaborde
est indé|'endant de l'aiVaire d'Alger, et tient à des considéra-
tions plus va-les; laissons-le s'expliqiicr lui-même.
u Une révolution enlièrement à l'avantage de l'industrie,
du travail et de la civilisation, s'est opérée simultanément dans
le Levant. L'empire turc s'est tourné tout à coup vers les in-
stitutions et les arts de lEurope; il ne peut plus l'etomheidaos
la barbarie. Vue dos ])liis intéressantes pailies de ce paj's, la
Grèce et ses des, ]M'ései.le déjà dans les relalions qu'on peut
former avec elle toute la garantie d'un ordre de choses régu-
lier et légilime L'K;rvple, d'un autre côté . gouvernée par
un clief Iiabile et fidèle à ses eniagemens, donne d'immenses
jîroduils, et des moyens d'écliange avec les olijets manufacturés
de l'Europe. Enfin le siilîan actuel, interrompu un moment
dans ces iiiiies innovations, a su rési-ler à la fois aux succès
d'une campagne et aux revers d'une autre , sans dévier de
cette mfMiie lÎL'ne d'inuova lions qu'il s'était tracée, et qu'il est
déterminé à suivre. Les inlerprèles de la loi, le corps des ulé-
mas, les gian;!s de l' Etat, ont décidé que rien dans le ('nian ne
s'op]>osail formellement à ces cbangemens, el qu'il fallait que
l'empiie olloman sortit enfin Avs liens où les piégugés ra-
valent Irop long-lems retenu. La Médileriaiiée présente donc
en ce moment le ebamp le plus vaste, le plus neuf pour toute
entiepiisc coumieiciale et iodiisliielle, agrandi encore par
l'ouverture (\\\ Bosphore et l'eiitiéc libre «les produits de la
mer Noire et des nouveaux établissemens russes sur la côte
de l'Asie. »
Eu continuant cet evjfi>é. dan- ie(]iie! on ne trouvera riea
PARIS. î4-
d'exageie, rien (|iii s'adresse à l'imagiiKiliuii jduldt (inaii lai-
soiuienient , M. Uelaborde arrive à son projet, dont le carac-
tère mérite l'attention de ceux mêmes qui ne sont point appe-
lés à y prendre part, mais qui s'intéressent à tout ce qui peut
contribuer au bien de l'Iiumanité. Il s'agit d'une entreprise à
laquelle des maisons respectables de France, d'Angleleirc et
de Hollande, sont invitées à concourir. L'avantage des spécu-
lateurs n'est pas ici, connue au jeu de l'agiotage, une perle
équivalente pour ceux avec lesquels ils ont traité ; c'est un
échange de bénéfices également profitables. M. Delaborde
avertit que l'exposé qu'il va l'aire n'est qu'un extrait d'un plus
grand travail, dont il donnera le développement, si le prin^
cipe est une fois adopté.
Quant a la nature des opérations de la Compagnie générale
du Levant, elle se bornerait à l'cxploilalion du commerce de la
Aiéditerranée. Elle établirait des comptoirs servant au dépôt
et à réchange des produits naturels au manufacturés ; elle
lerait fabriquer dans le goût même des pays où ces produits
seraient débités; le lieu île fabrication lui serait indifférent,,
pourvu qu'elle pût livrer à bon compte, et y trouver de l'a-
vantage. «Ainsi elle débiterait les planches de l'Istrie et de
1 Albanie, la clouterie de la Carinlhie, les fouriures de Polo-
gne, les velours d'Italie, si elle pouvait se les procurer facile-
ment, comme les toiles de Rouen, les draps de Carcassonne,
la qiîiiicaillerie anglaise, etc., différente en cela de l'ancienne
Compagnie du I.,evant, qui n'a pas pu réussir, par les entra-
ves que lui opposaient ses statuts. «Cette ancienne Compa-
gnie anglaise n'échangeait que les produits des fabriques de
la Grande-Bretagne, qui convenaient rarement aux peuples
chez lesquels on les transportait. Il est probable cependant
qu'elle ne poussait pas l'ignoiance on l'étourderie aussi loin
que ces maisons de connnerce qui ont expédié, comme M. De-
laborde le rapporte, des fourrures et des patins à BuénosT
Ayres, où il ne gèle jamais, et dans le Levant, des plumes, du
papier à lettres, des pains ù cacheter, etc.
Les opérations do la Compagnie seraient divisées ainsi qu'il
suit : la Grèce, VEgypte et la Syrie, Constantinople et la mer
Noire ; V Asie-Mineure serait comprise dans cette troisième
division. ÎNons regrettons de ne pouvoir transcrire les impor-
tantes observations de M. Delaborde sur chacune de ce? con-
trées, en les envisageant sous le point de vue commercial;
il serait inutile d'en rien détacher, car c'est l'ensemble qu'il
faut voir. M. Delaborde le présente à la suite des détails, et,
portant encore ses regards sur l'état actuel de ces contréçï^j il
a48 FlîANCK.
prévoit que la Conipiigiiie tl<)iit il propust; la t'urinalijii potrr-
lait bien compter pai'ini ^es actionnaires le vici;-roi d'Kiivpte
et les principaux sarals de Constantiiiople.
Vient ensuite un projet de statuts prorisoircs de la (Jonipii-
gnie générale du Loanl. On y remarque que le domicile so-
cial e?t lixé à Paris, et qu'ime succursale sera éiaUlie à Mar-
seille : le premier (ilre régie ce qui couc«'rne le fonds social
et les droits des aotiounaires ; le second a pour objet l'orga-
nisation de la société, ses assemblées générales, ses conseils,^
}'inlérêt, le dividende et la réserve, la direction des alïaires,
la caisse principale et le cautionnemenl ; le troisième titre
règle la liquidation et l'arbitrage, en cas de dissolution de la
société; enfin le quatrième titre pourvoit aux modificalions
des statuts et aux publications.
Parmi les projets que les circonstances actuelles ont l'ait
concevoir, aucun ne se présente avec autant de moyens d'en-
traînement que celui-ci. La raison commence par le discuter,
et l'approuve; l'imagination vient ensuite la revêtir de ses
charmes. En pailaut des associations et des illusions qui peu-
vent les séduire et les égarer, M. Delaborde s'exprime anisf :
«doit-on ne pen-er qu'aux pertes éprouvées par le principe
d'ass0( iation , et oublier les immenses richesses que le monde
fui doit, depuis ses ()remiers développtmens? TS'i-n cit^Mis
pour exemple que cette Compagnie, qui (Commença ses tra-
vaux avec trois millions de capitaux el deux vaisseaux, et qui
possède aujouid'hui cin(|iiautc millions de sujets tributaires,
une armée de deux cent mille honmies à solde, et la plus
singulière existence où ait pu ])arvenir le génie industriel.
Sans dofrte, c'e.»t plus à son influence politique dans les pays
qu'elle exploitait qu'à ses opérations commerciales qu'elle a
dfl sa puissance, et nous nous sommes interdit absoliniient ce
dangereux moyen d'aciion , cet abus de l'hospitalité. Mais,
sans spéculer sur les passions des honmies et la discorde des
peuples, n'est-il pas permis, louable même, de mettre à
profit leur reconnaissaucîc , de leur créer des besoins pour les
encomager au travail, de leur enseigner des jouissances pour
avoir l'occasion de lis satisfaire, enfin de s'enrichir eu les
rendant heuieux?» L'homme (]ui a conçu ce projet est bien
digne de tiou\er d'autres hommes (|ui le compreiuieul et le
second» ut. «Que faudrait-il pour que ce! utile pr(»jet réussît?
La participation seule ou collective d<! (pielques uiaisous res-
pectables de France, d'Angleterre ou île Hollande, de ce>i
maisons qui as^iueiil le stucès de toute afTain* par la seule
raison «|u'elles rapprou\enl, et dont les noms placés ea tête
PAJUS. .,4.j
d'un projet veulciil dire : ron/iancc , suciés , vit liesse. C'est ù
ces maisons que nous proposons celte grande, cctle nouvelle
entreprise qne nous regardons coaime une des plus proîilablcs
et des moins hasardeuses qu'on puisse iiîiaginer en laveur de
l'industrie et de l'humanité. !V.
Chronique des théâtres pendant le mois de Juillet iS^o. —
Neuf pièces nouvelles seulement ont élé représentées, pen-
dant ce mois, sur les diftërens théâtres de Paris. — ■ Au
Théâtre-Français on a ressuscité VEniieua-, comédie en cinq
actes et en vers, de M. Dorvo (6 juillet) , et qu'un arrêt du
tribunal du commerce a mis les comédiens dans l'obligation
de représenter ; on sait que cet ouvrageavait paru sur l'Odéon,
alors la Comédie Française, le soir même où ce théâtre fut
consumé par un premier incendie. On a remarqué dans VEn-
tieux quelques vers bien fait:*, mais la fable a laru nulle et
comnmne, et les caractères faibles et froids.
A TOdÉon, le Mari de ma Femme, comédie en 5 actes et en
A ers, par M. Rosier, a obtenu des applaudissemens nombreux
et mérités ( i4 juillet). Tl n'y a toutefois, flans cet ouvrage,
rien de bien neuf ni de bien vraisemblable . ni même une
peinture de mœurs bien décidée; mais il y a beaucoup de
gaité, et, dans unecouiédie, la gaîté tient lieu de bien d'autres
qualités ; seulement la plaisanterie est ici trop prolongée, parce
que les peisonnages sont toujours dans la même situation,
qu'un mot peut la faire cesser, et qu'on s'impatiente contre
l'auteur de ne pas dire ce mot lorsque le badinage s'épuise et
que l'on sent la curiosité moins vivement piquée; mais un
style spirituel et des vers piquans ont soutenu l'attention jus-
qu'à la ("m. — Une œuvre plus importante est le Guillaume
Te//, tragédie en 5 actes, de feu I'ichat, jeprésenté le 22 juillet.
Turnus et Léonidas avaient déjà fait connaître le nom de
Pichat. Presque tout est imitation dans Guillaume Tell, mais
de cette imitation qui est encore œuvre de poète, et où l'ori-
ginalité se montre sans cesse dans la pensée et surtout dans
l'expression. Le fond de l'ouvrage appartient évidemment à
Schiller : l'exécution pleine de goût et la couleur brillante
appartiennent au poète françai-^. Ilésolu de ne point altérer la
simplicité de ce grand sujet, obligé de se p(;iver d'une foule de
détails qui plaisent aux Allemands, mais (pii, chez nous, plus
pressés d'arriver à l'événement, font languir un drame ; forcé
enfin de leirancher ce einquième acte de Schiller, que ses
compatriotes suppriment eux-mêmes à la repiésentation , le
200 FilANCi:.
poète français a disposé avec beaucoup d'art son sujet ainsi
dépouillé de ressources assez abondantes. Le succès a été
brillant, et doit aujourd'hui un nouvel éclat aux circonstances
qui donnent pour les Français une valeur nouvelle aux idées
de patrie et de liberté.
Au Vaudevili.i:, ie Voyage par désespoir, vaudeville en 4 t^"
bleaux ( 5 juillet) . n'a Diit qu'une courte et malheureuse ap-
parition ; puis la Petite Prude, vaudeville en i acte, de
3liM. Di'VERT, Desveugers et Vari?; ( 12 juillet), a été plus
favorablenicnt accueillie, f^râce à quelques détails plaisans ,
brodés sur un fond tant soit peu usé, et grâce à une critique
assez ingénieuse de l'éducation mystique qivi commençait à
redevenir à la mode chez nous. — Aux Variétés, les Jockeis
anglais, ou \es Courses d^Epsom , tableau-vaudeville en 1 acte,
ont éprouvé une vive opposition.
Au théâtre de la Porte-.Saint-Marti>' , yibcn-Unmeya, ou
les Arabes sons Philippe II, mélodrame de M. Mabti>ez de la
llosA , avec de la musique composée par M. Gomis ( 18 juillet .
Lu vif intérêt s'attachait à cet ouvrage d'un des hommes les
plus honorables de notre époque. Chacun sait la noble part
(jiie M. Marliuez de la Rosa a prise aux évènemens politiques
qui ont un instant replacé l'Espagne au rang qu'elle doit oc-
cuper parmi les nations européennes; mais peu de personnes,
en France du moins, savaient que, dans le cours de sa vie si
pi.» e et si pleine, le généreux patriote avait eu le tems de
conquérir une autre gloire. Ses tragédies, dont la Revue
Encyclopédique a eu l'occasion d'entretenir ses lecteurs (voy.
t. xLiii , p. 744)» O'it eu le plus grand succès en Espagne.
Par une audace rare et presque poétique, il a a^ouIu réus^-
sir encore sur un théâtre étranger, sur le nôtre, le plus
glissant de tous peut-être; laissant là le souvenir de ses
études, son art, son goût, sa langue, il a voulu penser et
écrire, selon un art différent, et pour d'autres goûts, dans une
langue cpii n'est |^as la sienne, émouvoir le pidilic le plus
blasé, le plus didicilc. devant lequel échouent nos plus ha-
biles auteurs. Quelle tâche ! le ])oète ne s'en est pas effrayé. Le
sujet de son drame est vaste et élevé, et d'unanimes applau-
dissemens ont accueilli plusieurs scènes fort belles et artiste-
ment dessinées, q:ielqiies sil nations fortes et une foule de no-
bles sentimens exprimés en style élevé et sonore; toutefois,
on sent trop parfois que l'auleur se sert d'un style appris, et
appris dan-* des livres français devenus communs. Malgré
cette in)perfection. son drame est une belle pensée, et on doit
\v IVliciu-r d'au succès aussi honorable. — A i.'Ambigu Co-
PAïus. - >"KcnoL()(;ii:. aat
MiQiii, la Leçon de dessin, comédie en i aclo, par MiM. Davesne
et Ar.Tiup. (S jtiillcl), et à la G.aîtÉ, Je/fries, on le Grand-Juge,
rnélodranie ci 3 actes, par 31, Beîsjamin, ne peuvent comp-
ter sur une bien longue evislcnce.
NÉCnOLOGIE.
Savoie. — Le général comte de Boigne, dont plusienrs
biographies (tnt parlé avec inexactitude, vient de mourir à
Chamix ry, le 21 juin i85o, universellement et certes bien
justement regretté de ses compatriotes. Le nom de cet homme
remarquabh;, la glorieuse carrière militaire qu'il a parcourue
dans l'Inde, les grandes richesses qu'il a acquises par de no-
bles travaux, et l'admirable usage qu'il a fait d'une partie de
sa fortune, méritent que nous entrions iii dans quelques dé-
tails qui se rattachent également à l'histoire générale de
l'Inde.
M. de Boigne naquit à Chambéry, le 8 mars i^Si. Il (piitta
son pays à i;- ans, pour entrer au service de France, où il
resta pendant 5 ans ; il se rendit alors à Paros, et entra comme
capitaine dans un régiment grec, au service de l'impératrice
Catheiine. Fait pi isonnier au siège de Ténedos, il ne devint
libre qu'à la paix; il quitta dès lors le service de Russie, où il
ne pouvait plus espérer d'avancement, et prit la résolution
d'aller chercher dans l'Inde un sort plus conforme à ses dé-
sirs. Fortement pénétré de ce dessein, il se livra à son étoile,
qui, à travers mille dangers, le conduisit enfin à l'un des plus
hauts degrés de la gloire et de la fortune.
Arrivé à Madras au commencement de 1778, il entra dans
un bataillon de Cypayes, au service de Ja ConipagniedcsTndes,
et fit peu après la campagne contre Hyder Ali. Craignant que
sa qualité d'étranger ne nuisît à son avancement, il quitta ce
service au l>out de 4 ans, et se rendit dans le nord de l'Inde, où,
après avoii' denieuiè quelque tems dans l'inaction , il adressa
ses offres de ser\ice au ra'ah de Jypore, «pii les accepta.
En 1784, il entra au service du célèbre piince mahratle iMaha-
dagy-Scindia, avec 2 bataillons qu'il avait levés et disciplinés
à l'européenne. L'année suivante, ce prince passa le Chum-
bnll, et vint mettre fin aux querelles des factieux qui tour à
tour s'emparaient du pouvoir à la cour de Delhi : bientôt
après, une ])artie des >Jongols, se joignant aux Rajepoutes,
attaquèient Scindia, et le re|ioussèrentau delà du (Ihuinbull;
les deux bataillons du général de Boigne soutinrent seuls la re-
traite. Le priii'^c mahrntte reprit l'affensive en 1788. et. après
25a NECROLOGIE.
un premier combat, où il lut repuus.»e, il remporta, le 18 junv,.
devant Agra, une victoire décir^ive ; dans i es deux affaires, le
général savoisien se fil distinguer d'une main'ère toute parti-
culière par son thef, qui le récompensa noblement. Ils se
quittèrent en conservant une liante estime l'un pour l'autre.
M. de Boigne se leiidit à Luckoow, où il s'occupa d'opéra-
tions conmierciales. justju'eii 1790, époque où il l'ut rapj.elé
par Scindia, qui lui ordonna de former une brigade de
: 2,000 hommes. Le général, par un souvenir bien touchant
de patiiotisme, la réunit sous un drapeau portant la croix
blandie de Savoie. A la tête de cette armée, il marcha à la
rencontre des Mongols et des Rajepoutes, réunis au nondire
de 60,000, sous les ordres du fameux Tsmai'd I3og. 11 les bat-
tit le 22 juin à Patan, poursuivit les Rajepoutes, qu'il attei-
gnit à AJirtah, et détrui-^it lein- armée. Ces victoiies rendirent
à Scindia toute sa puissance, et valurent à M. de Boigne la
confiance illimitée de ce prince, qui lui donna ordre de lever
deux nouvelles brigades, chacune de 10.000 hommes, le com-
bla de récompenses et d'honneurs, et lui assigna une part
considérable des contributions levées sur les Rajepontes.
Il fut peu après, en outrr, nommé chef de 62 districts, dont
les revenus, s'élevant à 22 lack de roupies (5,5oo,ooo fr.j
par an, lui furent assignés pour l'entretien de ses tioupes.
M. de Boigne, indépendamment ile son traitement <le général,
fixé à 1 5,000 fr. par nuii-, et de la propriété d'un corps de
cavalerie d'tlile, préh'vait encore 2 p. 100 sur les revenus
des Sa di.-tricts qu'il administrait. On comprend par ces faits
comment sa forlime a pu parvenir au point où elle s'est éle-
vée.
En 1792, Scindia eut affaire avec un rival de sa nation,
Holkrur, autre prince mahratle. Le général de Boigne fut en-
voyé contre lui, et le défit à la bataille de Lukhairie. A la même
époque, il marcha contre le ra');>h de .lypore, qui se soumit en
lui payant une contribution de 20,000,000 de fr. (1)
Lu 1795, la guerre éclata entre les Mahratles et îSizam-Aly.
prince d'ilyderabad, le général de Boigne réimit à l'armée
mahratte une de ces brigades qui remporta la grande vic-
toire de Kurdia.
A la lin de celte même année;, la santé gravement altérée
de M. de Boigne l'avait déterminé à solliciter de son prince
(1) La li:mqiiillit<'- , aciiolcr au prix de t.TiU de victuircs, permit à
M. de B( if^ne d'.Tclievei l'iM^aiiisatiun de son amie»;, d»; créer des fabri-
ques d'ai uic.s, et d'établir des fonderies de canons à Horel et à Paliiel.
NECROLOGIE. 257>
la poiiiiission de 5e rotirer; et ce ne lui pas sans difTicullé
qu'il obtint, en 179O. celle de qnitler l'Inde, qne lui accorda
enfuj Dolat-Uao-Sc'india. petit- neveu et .successeur de Maha-
dajry-Scindia, depuis la mort de ce dernier, 1(^ 12 février
>r94-
M. de Boigne avait fait passer sa fortune en Angleterre; M
y arriva lui-même en janvier 1797. L'année suivante, il pen-
sait à revoir le théâtre de sa gloire; Dolat-Rao-Scindia. en
ayant eu connaissance, lui écrivit en iyfyi)une lettre pre-sante
pour hâter son retour; mais les évènemens en ordonnèrent
autrement; !e gouvernement de Napoléon, qui était à son au-
rore, assura !a traurpuilité du pay- nalal de M. de îioigne, qui
revint s'j- fixer pour toujours; Chambéry dès lors fut sa rési-
dence, et, jusqu'à sa mort, il y a semé les bienfaits à pleines
mains. Qu'il nous suffise d'énumérer simplement les œuvres
publiques de bienfaisance qui lui sont dues et auxquelles il a
consacré un capital d'environ 5,5no,f)oo fr.
Agrandissement de l'Hùtel-Dieu de Chambéry. — Fondation
et dotation du bel hospice de Saint-Benoit pour les vieillards
des deux sexes. — Fondation et dotation d'un dépôt de men-
dicité. — Fondation et dotation d'un hospice pour les aliénés.
— Fondation de lits pour les malades non reçus dans les autres
hôpitaux. — Idem pour les pauvres voyageurs de quelque
nation et religion qu'ils soient. — Rente annuelle pour fouinir
toutes les semaines aux pauvres piisonniers ime chemise
blanche et ime distribution de pain et d'argent. — Fonds pour
établir les jésuites au collège royal de Chambéry. — Grande
et nouvelle rue à portiques qui traverse la ville entière. —
Construction de l'église dcsCapucines de Chambéry. — Fonds
pour une façade à l'Hôtel-de-Ville de Chambéry. — 60,000
fr. pour réparer le théâtre. — Picnte annuelle en faveur de la
Société royaleacadémique de Savoie. — Dotation de la compa-
gnie des chevaliers-tireurs de Chambéry. — Dotation de celle
des pompiers.
Des sommes considérables sont encore laissées et consacrées
dans son testament à des œuvres et des établissemens de bien-
faisance.
L'accusation, que les journaux français ont renouvelée il y
a quelque tems et qu'on lui avait faite, d'avoir livré Tippoo
Sa'ib,est donc de toute fausseté . puisque jamais il n'a été sous
les ordres dt; ce souverain, (jui n'a succombé dans sa capitale
qu'en 1799, trois ans après le refour du général en Europe.
France. — Arxould (^l^ icolas-Franfois), néà Auteuil,le24oc-
2 54 NLCftOLOGir.
tobrc ijfp» mort à Paris, le 24 avril i83o, est auteur, pour sa
part, de trois opéras reçus à l'Académie royale de musique,
Pjgmalion. Erostrate, Aiala. Ces ouvrajj;es, dont le premier
tut mis en répétition il y a quelques années, paraîtront sans
doute un jour sur la scène, et iis y témoijïueront d'un talent
facile, élégant, gracieux, qui eût pu s'élever à des composi-
tions d'un autre ordre, et auquel ont man(|ué la confiam e et
le tems. Les lettres n'ont été pour M. Arnuuldquelc délasse-
ment des affaires, la distraction des jours de loisir, la conso-
lation des souffrances qui ont prématiux^mcnt intei rompu une
vie paisible et fortunée. Il est ])crmis d'espérer qu'elles ajuu-
terout plus tard qMel(|ue lustre à sa mémoire, (lu'clles appor-
teront quelque a loucissement aux vifs et justes regrets de sa
famille et de ses amis.
'l'AIILI' DES AliTJGLES
CONTENUS
DANS LE CAHIER DE JUILLET i83o.
\. MÉMOIRES, NOTICES ET MÉf AîNGES.
Pages.
I. Cours d'Histoire dos sciences naturelles, par M. Cuvier;
1"' article ; Histoire des sciences naturelles chez les
peuples antérieurs aux Grecs Adolphe Gondinet. 5
a. Opinion sur la peine de mort Livingsfon. 24
II. ANALYSES D'OUVRAGES.
7>. Voyage de la corvette V Astrolabe, exécuté pendant les an-
nées 1826-1827, sous le commandement de M. J. D. d'Ui-
villc Isidore Lebrun. 4<5
l\. Leçons sur la connaissance des prisons, par N. H. Julius
(ouvrage allemand) ; troisième et dernier article. . H. C. 55
5. Monumens arabes, persans et turcs, considérés et décrits
par M Reinaud Amaury-Duval, de rinstitul. 92
6. De la réforme delà constitution du Tessin; (onze brochures
italiennes) G. Moiinard. io4
7. L Iliade d Homère, traduction nouvelle en vers français, par
A. Bignan Servan de Siigny. iiq
8. Harmonies poétiques et religieuses, par A. de Lamartine.
H. Patin. 128
111. BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
Annonces de 62 ouvrages, français el étranger s.
Amérique septentiuo^ale. — Etats-Unis, 4 iSy
Amérique ceistrale, 1 142
Europe. ■ — Grande-Bretagne, 6 i45
— lUissie , 2 ' , i5o
— Pologne, 1 i54
— Allemagne, 4» dont 1 ouvrage périodique i56
— jf fa /(>, 5, dont 2 ouvrages périodiques i6i
■ — Pays-Bas, 5 . . . ., 167
]''RANtE, 54, sSiXdiv •.Sciences physiques et naturelles, lô 172
— Sciences religieuses, viorales , politiques et historiques, ^ . . . 190
— Ldlléralure. 6 .- 301
u56 TABLE l)r> AIITICLFS.
— Beuiix-arix ,2 209
— Ouvrages périuditiues , t\. . . . '. ai 2
— Livres en langues étrangères ^ imprimés en France , i . . . . 2i(>
IV. NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES.
AMÉniQrE sErTENTRiONAi.E. — Etols- Unis : Progrès des ino^eiis
de communication. — A eiP-Forfc ; ISouvcl le université . . iiS
Asie. — Malacca ; Abolition de lesclavage ; Nouveaux régle-
mens sur la presse. • — - Chine : Discipline des prisons ; Solli-
citude du dernier empereur sur ce sujet; Kxtrail du re-
gistre de Canton 219
EUROPE.
Gbande-Bretagxe. — Souscription en faveur des blessés pendant
les journées des 27, 28 et 29 juillet. — Mémoires de lord
lîjron : Commérages littéraires. — Beaux-arts : Galerie de
portraits de feu sir Thomas Lawrence 221
RissjE. -^ expédition scientifique à l'Ararat, par M. Dorpat fils. 223
Suède. — Travaux publics exécutes par larmée 228
Allemagne. — Berlin : Société de géographie. — Suite des do-
cumens relatifs a ta statistique morale de la monarchie
prussienne 233
Italie. — Tajvn .- Académie des sciences : Prix proposé . . . . 2 36
,<ÎKÈcE. — État de renseignement primaire Ibid.
France. — Paris. — Institut: Académie des sciences : Séances
du mois de juillet i85o. — -Société philotechnique : insti-
tution auxiliaire de l'Ecole de Droit. — Projet d'une asso-
ciation industrielle sous le nom de Compagnie générale du
Levant. — Chronique des théâtres pendant le mois de juil-
let i85o 258
Nécrologie.
Savoie : Conile de Boigne. — France : Nicolas-François Ar-
nould -i.")!
Il E V y K
i;iNCYCLoriir)iQijE.
ANALYSES ET ANNONCES RAISONNÉES
DES PRODUCTIONS LES PLUS P.EM ARQUABLES
DANS LA LITTÉRATURE, LES SCIENCES ET LES ARTS.
I. MEMOIRES, NOTICES,
LETTRES ET MÉLANGES,
DES ARTS QUI TRAVAILLENT A LA FORMATION
DE NOS HABITUDES MORALES.
(Voy. Rev, Enc, t. Xxxtiii, p. 58o, un Mémoire intitulé : Des arts qui
ont pour objet la culture et le perfectionnement de noire nature physique ;
et t. XLi, p. 5o5, un second Mémoire, sous ce titre : Des arts qui s'occu-
pent de l'éducation de nos facultés intellectuelles. )
Trois condilions sont nécessaires pour que l'homme se dé-
termine et pour qu'il ne prenne que de bonnes détermina-
tions. Il lui faut quelque chose qui le pousse : des besoins,
des instincts, des sentimens, une imagination. Il lui faut
quelque chose qui l'éclairé et le dirige : de l'intelligence, de
la raison. Enfin, il a besoin d'une force intérieure qui le rende
T. xi.vii. AOUT i85o. 17
258 DE LA FOR^IATION
capable de soumettre l'instinct à l'intelligence, les facultés
impulsives aux faculté'* directrices, les déterminations irré-
flécliîos aux conseils de la réflexion.
Sans imagination et sans passions, l'homme n'agirait pas.
Sans intejlijrence et sans raison, il serait fort exposé à mal
agir. Sans le pouvoir de soumettre la passion à la raison, à
quoi la raison lui servirait-elle? Mieux lui vaudrait, comme
les brutes, avoir été réduit aux simples impulsions de l'in-
tinct, que d'avoir reçu la rai-^on sans le pouvoir de marcher à
«a lumière. La raison, sans le pouvoir de la suivre, ne serait
bonne qu'à empoisonner sa vie et ù la remplir de rem.ords
inutiles.
Ces trois ordres de facultés, le sentiment, l'intelligence, la
vertu ne se développent pfts en même tems. L'homme ne suit
d'abord que son imagination et ses passions, et ses premières
déterminations sont tout instinctives. Plus tard, son intelli-
gence se forme ; mais l'habitude et l'entraînement continuent
à le diriger dans le sens de ses premières impulsions ; il per-
siste à faire mal long-tems après avoir reconnu qu'il pourrait
faire mieux. Enfin, mais très à la longue, il apprend à mettre
quelque accord entre ses actions et ses lumières, entre les
mouvemens de la passion et \e% directions de l'entendement.
Je dois ajouter que le développement de son activité suit la
même marche dans quelque direction qu'on l'observe; c'est-
à-dire que, dans ses travaux comme dans sa conduite, dans
son action sur les choses conmie dans ses rapports avec lui-
même ou avec ses semblables, il commence toujours par agir
instinctivement; qu'ensuite l'expérience l'avertit, l'observa-
tion l'éclairc ; qu'enfin il apprend à agir conséquemment à ce
qu'il sait, et qu'il se laisse moins aveuglément conduire par
ce qu'il sent, qu'il met moins d'entraînement et plus de ré-
flexions dans ses actes.
IMaiutenant, quelles sont les directions où son activité peut
devei'ir morale, et quand peut-on dire qu'elle le devient?
L'adjectif mora/, morale, dérive évidemment du latin mos,
Monis, MORES, MORALis. Il semble donc, à prendre ce mot par
son étymologie, qu'on devrait l'appliquer à toute manière
UE xNOS HABITUDES MORALES. aSg
d'agir qui est passée en usage, en pratique, en habitude, et
qu'on devrait dire d'une action qu'elle est morale par cela
seul qu'elle est accoutumée, par cela seul qu'elle est dans les
habitudes de l'individu ou du peuple qui la fait.
Cependant il n'en est point a^nsi : d'abord on ne qualifie
de morales, alors même qu'elles seraient habituelles et régu-
lières, aucune des actions qui se rapportent au travail; on ré-
serve cette qualitication à celles qui sont relatives à la con-
duite; on distingue les mœurs d'un peuple de ses travaux,
son savoir vivre de son savoir faire. Ensuite, encore bien
qu'on donne le nom de mœurs aux habitudes telles quelles
qui nous dirigent dans la conduite de la vie, on ne dit pas
toujours de ces habitudes qu'elles sont morales. On ne donne
le nom de morales aux habitudes qui nous gouvernent que
lorsqu'elles sont dignes de nous gouverner, de nous servir de
règle, lorsqu'elles méritent de former nos mœurs. On recon-
naît universellement qu'il y a des mœurs ou des habitudes
morales et des mœurs ou des habitudes immorales.
Ainsi, tant que notre activité ne renferme pour ainsi dire
que du travail, tant qu'elle ne se compose que d'industrie,
d'adresse, de dextérité, d'intelligence, elle ne saurait être ni
morale ni immorale. i)ue nos travaux soient habituels ou in-
solites, dominés par la routine ou livrés à l'esprit d'innova-
tion, ils sont également destitués de moralité. On pourra dire
d'un ouvrier ingénieux qu'il est habile, on ne dira pas qu'il
est moral; on dira d'un homme, non qu'il travaille morale-
ment, mais qu'il se conduit d'une manière morale. Encore
un coup, cette qualification n'e«t applicable qu'à celles de nos
actions qui se rapportent à la conduite de la vie.
Ensuite, pour ce qui est de la conduite, il y a à dire qu'elle
n'est point morale tant que les déterminations de l'homme
sont purement instinctives, tant qu'il ne fait qu'obéir aux im-
pulsions du besoin, de la passion, du sentiment. On sait assez-
en effet que les meilleurs senlimens peuvent l'entraîner à mal
faire. Il est possible que l'amour, l'amitié, li tendresse pater-
nelle le portent à de mauvaise^ actions. \ plu- fnrto rai«on îot
26o DE LA FORMATION
sentimcns qui se prennent ordinairement en mauvaise par(,
l'amonr-propre, la haine, la colère, l'orgueil, l'avariée, qui,
bien dirigés cependant, sont susceptibles de produire d'heureux
eflels, peuvent-ils, s'ils sont laissés à leur propre impulsion^
le pousser à des actes coupables. En général, nos afl'ections,
qui sont presque toutes bonnes et dignes d'être entretenues
comme stimulans, comme forces motrices, ne valent rien
comme régulateurs; et une conduite (|ui n'est dirigée que
parle sentiment est si loin de pouvoir être qualifiée de morale,
qu'il n'est pas un de nos sentimens, même dans le nombre des
plus purs et des plus sympathiques, qui n'ait indispensable-
ment besoin dCtie réglé.
De plus, la conduite de l'homme ne devient pas morale
par cela seul que le sentiment est éclairé chez lui par l'intel-
ligence. Il faut sans doute, pour qu'il soit capable de faire le
bien, qu'il apprenne d'abord à le connaître ; mais de ce qu'il
apprend à le connaître, il ne s'ensuit pas qu'il devient capa-
ble de le pratiquer. On aurait beau démontrer à un homme
que la vertu consiste à agir d'une certaine façon, si l'on se
bornait à lui dire ce qu'il faut faire, il serait assez douteux
qu'il le fil; il se pourrait très-fort qu'éclairé sur le bien, il
continuât à faire le mal. Telle est en cflét la disposition de \n
plupart des hommes :
Video mcliora probofjiie, détériora scqtior.
On sait combien il peut y avoir loin d'un homme ioslruil
à un homme vertueux, d'un homme éclaire sur la morale à
un homme moral, et combien il nous reste à faire encore pour
devenir d'homiêtes gens après que nous avons le mieux
compris en quoi l'honnêteté consiste.
Notre conduite n'est donc pas morale tant que nous vivons
sous l'empire du sentiment, car il peut arriver à tout moment
que nos sonlimeus nous égarent ; et elle ne le devient pas par
cela seul que nous éclairons notre esprit, car les lumières de
l'esprit n'excitent pas nécessairement les facultés du cœur, et
Dt NOS HABITUDES MOrxALES. abi
ia connaissance du bien ne donne pas toujours la force de le
faire. Nous ne devenons des homnaes moraux que lorsque
nous accoutumons nos affections et nos arts à se régler sur la
lumière de la raison. C'est un travail tout-à-Hiit à part; tra-
vail différent de celui qui a pour objet d'éveiller notre sensibi-
lité, et de celui qui tend à perfectionner notre intelligence; car
l'artiste a beau nous émouvoir, il ne nous apprend pas à con-
naître le bien; et le savant a beau nous éclairer, il ne nous ac-
coutume pas à le faire. Il faut de nécessité que, dans le lems
où l'art nous émeut et où la science nous éclaire, un travail
d'une autre espèce nous appfenne à soumettre les passions aux
avertissemens de la raison.
Or, tel est proprement, ou tel du moins devrait être l'ubjcl
de l'art ou des arts qui se proposent ou qui paraissent se pro-
poser de nous fiiire contracter de bonnes habitudes morales.
Le moraliste pratique a sûrement grand besoin que l'artiste
entretienne notre sensibilité et que le savant perfectionne no-
tre intelligence; car la vertu ne se compose que de sentimeat
et de raison; mais sa tâche à lui, foncièrement distincte de
celle de l'un et de l'autre, consiste surtout à accoutumer nos
facultés affectives à agir conséqueniment à ce qu'enseignent
nos facultés intellectuelles; elle consiste à nous faire con-
tracter, par de certains exercices, l'habitude de nous bien dé-
terminer, comme celle de l'artiste et du savant consiste à nous
habituer, aussi par l'exercice, à sentir délicatement et À pen-
ser d'une manière juste.
On peut distinguer dans la société plusieurs classes de per-
sonnes et de professions qui travaillent ou qui sont censées
travailler à la furmatioji des mœurs. Tel est ou tel devrait être
l'un des principaux objets de l'éducation domestique et de
celle des écoles. Telle est aussi la ijn principale que devraient
se proposer les hommes qui enseignent ou qui prétendent en-
seigner les choses de l'autre vie, les hommes qui dans toutes
les religions se livrent à l'exercice du sacerdoce. Enl'm le
gouvernement n'a pas de devoir plus essentiel, de tâche plus
»63 DE LA 10RMAfiOî?f
i'oiicîanienlale, et si l'objot inunédial de «on intervenlion est de
vider les procès, d'apaisci- les querelles, d'arrêter ou de ré-
parer les désordres, son but final et véritable est de prévenir
tous ces maux en s'efforcant de corriger les habitudes vicieu-
ses qui les engendrent. Au reste, quoique l'instituteur, le prê-
tre, le magistrat s'occupent également de nous faire ^contrac-
ter de bonnes habitudes, ils y travaillent par des moyens assez
différcns et chacun de leur côté d'une manière assez importante
pour que la profession que chacun d'eux exerce mérite d'être
considérée séparément. Il ne sera question, dans cet article, que
de celle de ces professions qui est exercée par l'instituteur^
et encore ne sera-t-elle envisagée ici que dans ce qu'elle a
de relatif avec la formation des habitudes morales.
La première et pour ainsi dire la seule chose qui frappe
aujourd'hui lorsque l'on considère l'éducation domestique et
surtout celle des écoles dans leur rapport avec la formalion des
mœurs, c'est leur insuffisance, je dirai presque leur nullité re-
lativement à cet objet.
Je ne parle pas de l'enseignement spéculatif et purement
intellectuel de la morale. Je ne dis pas que l'éducation néglige
absolument de nous instruire de ce qu'il faut faire, de ce que
nous devons éviter. Il n'est pas douteux qu'on ne charge notre
mémoire des noms de beaucoup de vertus et de vices; qu'on
ne nous dise quelque chose des maux que le vice engendre, des
biens que produit la vertu, des motifs que nous avons pour
nous abstenir de l'un et pour pratiquer l'autre. Cet enseigne-
ment sans doute est extrêmement imparfait. Il y a bien des
actions recommandées comme bonnes qui sont indifférentes
ou mauvaises: il y a bien des motifs assignés aux bonnes ac-
tions qui «ont insuflisans ou vicieux; mais enfin cet enseigne-
ment existe, et, bien ou mal, on exerce notre esprit sur la
morale comme on l'exerce sur une multitude de sujets. Mais
on n'exerce Ki-dessus que notre esprit. C'est, si l'on veut, une
partie de l'éducation de rintelligc^nce, c'est une branche du
cours de philosophie; mais ce n'est que cela; les faf ons que
DE iNOS H A BU L Ut S MORALES. u«5
reçoit il cet cgaid notre entendement ne s'étendent pas jusqu'à
notre volonté ; on ne nous exerce pas à pratiquer le bien qu'on
nous apprend à comprendre : ce que l'éducation néglige, en
un mot, c'est la formation du caractère et des mœurs.
Cette négligence est telle qu'il est difficile de ne pas la voir;
mais elle devient particulièrement frappante quand on consi-
dère les soins que reçoivent d'ailleurs nos autres facultés.
Combien n'y a-t-il pas d'arts occupés à entretenir et à perfec-
tionner nos forces physiques , affectives , intellectuelles ?
Quelle variété d'exercices notamment ne fait-on pas faire à
notre esprit ? Quel tems ne donne-t-on pas à sa culture? On
exerce douze et quatorze heures par jour l'intelligence d'un
adolescent : on lui fait faire des cours de grec, de latin, d'élo-
quence, de logique, de calcul, de physique, de chimie, etc., etc.
Mais, pendant qu'on use les jours entiers A exercer son intel-
ligence, on emploie à peine des momens à faire l'éducation de
sa volonté ; pendant qu'on travaille à graver dans son enten-
dement toutes sortes de connaissances, ù peine peut-on dire
qu'on forme son cœur à la pratique de quelque vertu. L'édu-
cation des écoles nous apprend peut-être à disserter sur les
préceptes de la morale; mais on conviendra qu'elle ne nous
instruit guère à les observer. Nous apprenons à disputer, non
à vivre : non vitœ, sed schofœ discimus. Pour apprendre à vivre,
nous attendons, comme dit Montaigne, que la vie soit passée.
Comme du tems du philosophe périgourdin, « le soing et la
despense de nos pères ne visent qu'à nous meubler la teste de
science, et pour ce qui est de la vertu, peu de nouvelles. Criez
d'un passant : ô le savant homme! et d'im autre : ô le bon
homme! notre peuple ne manquera pas de tourner ses yeux
et son esprit vers le premier (i). » Diogène pourrait encore se
moquer des musiciens qui savent accorder leurs flûtes et qui ne
savent pas accorder leurs mœurs, des orateurs qui s'escriment
à disputer sur la justice, et qui sont incapables de la prati-
quer (2) . Nos vertus, pour la plupart, sont écrites et consignées
i) Essais, 1. I, ch. 34 : '/« Pédnnlismt .
1) Ibid.
364 l>^ I A FOUMATION
dans nos livres de morale, et c'est là qu'au besoiu nous tdlon»
les puiser : « Me veulx-ie armer contre la crainte de la mort?
c'est aux despens de Seneca. Veulx-ie tirer de la consolation
pour moy ou pour un aultre? je l'emprunte de Cicero. le
l'eusse prinsse en moy-mesme si l'on m'y eust exercé « , ob-
serve Montaigne (i).
Il est vrai pourtant qu'on ne peut pas faire l'éducation de
notre esprit ou de nos membres sans le concours de notre vo-
loaté, et par conséquent sans accoutumer cette faculté ;'t vou-
loir ce que d'autres doivent faire, sans travailler plus oir moins
à son éducation. Par cela seul que notre éducation, telle
qu'elle est faite, nous astreint à un certain travail, elle nous
inculque nécessairement de certaines vertus. Tout travail exige
que nous prenions un certain empire sur nous-mêmes ; tout
travail nous exerce plus ou moins à la patience ; tout travail
nous fait contracter l'habitude de l'activité, de l'application,
d'un certain ordre, etc. D'ailleurs l'éducation ne peut pas dé-
velopper nos facultés affectives et intellectuelles sans agir indi-
rectement sur notre volonté; elle ne peut pas réveiller en nous
de bons sentimens sans nous exciter à faire le bien ; elle nous
porte, jusqu'à un certain point, à le pratiquer, par cela seul
qu'elle nous le fait connaître, et qu'elle nous en montre les
avantages.
Je conviens de plus qu'on ne s'en tient pas absolument à
nous dire ce (ju'il faut faire : on nous stimule aussi à l'exécuter
par un usage plus ou moins judicieux de rapprobalion et du
bUane, des peines et des récompenses. Le seul fait de la vie
en commun a , jusiprà un certain point, pour les élèves d'une
école, l'eftét de réformer ce qu'il peut y avoir de violent et
d'injuste dans leurs volontés : chacun des élèves est plus ou
moins contenu par tous les autres, et obligé de i"éprimcr ses
mauvaises dispositions.
L'éducation a donc plus ou moins pour résultat de rendre
nos habitudes morales, (juoiqu'clle ne vise pas directement à
(i) Essais, t/i, cil. .i\ : (tu Pcdantimw.
DE NOS HABITUDES MORALES. -^m
ce but. y)ah ce que je lui reproche, c'est précisément de ne
pas se faire un objet spécial de la formation de nos habitudes;
de ne pas soumettre la volonté, conïme l'intelligence, à des
exercices régulieis ; de ne pas réduire la vertu en art comme la
science, quoique l'on sache très-bien que, si la science a be-
soin de s'apprendre, il est encore plus indispensable de faire
l'apprentissage de la vertu.
Cette absence, dans l'éducation, d'exercices propres à for-
mer les mœurs est devenue particulièrement sensible depuis
que les idées religieuses ont perdu une si grande partie de leur
ancienne influence. Sous l'empire de ces idées, on voyait quel-
que chose d'analogue à ce que je demande. Il se mêlait à l'ob-
servation des devoirs purement religieux de certaines pratiques
qui pouvaient être considérées comme des exercices destinés
à corriger les mauvais penchans et à faire contracter de bon-
nes habitudes. La prière , l'obligation de se recueillir et de se
mettre fréquemment en présence de Dieu, les bonnes résolu-
tions du matin, l'examen de conscience du soir, la confession
de ses fautes à un directeur spirituel, que l'on consultait sur
les moyens de corriger ses imperfections morales , avaient in-
contestablement cet objet. Je n'examine point ici la valeur de
ces pratiques. Je dis seulement (ju'elles avaient pour but la
correction des mœurs, et qu'en général, sous l'empire des
idées religieuses, apprendre à vivre était l'objet d'un travail
formel, d'une étude expresse et positive. Mais, à mesure que
ces idées se sont affaiblies, les exercices dont je parle ont été
négligés; peu à peu on ne s'y est plus livré que pour la forme,
on en a oublié le véritable sens; ce qui en reste n'est guère,
dans beaucoup d'écoles, qu'un objet d'indifférence, de déri-
sion ou d'hypocrisie, plus propre à démoraliser la jeunesse
qu'à lui inspirer des seutimens vertueux. En général on a re-
noncé à ce mo^^'u: vu l'abandounant , on ne l'a pas remplacé
par d'autres; et maintenant, dans l'éducation , la seule chose
qui frappe, relativement aux mœurs, c'est, comme je le dis,
l'absence à jxeu près complète de pratiques propres à les
former.
266 DE LA l'OilMATlON
Il y a plus : c'est qu'on pariùt regarder de telles pratiques
comme inutiles. La seule chose aujourd'hui qu'on trouve im-
portante, c'est d'éclaiier, c'est d'exercer toujours davantage
l'entendement. C'est de là qu'on paraît tout attendre. On a
l'air de croire que le travail l'ait sur l'esprit suffit pour redres-
ser les défauts du caractère, et que la diffusion des lumières
doit entraîner nécessairement la réforme des mœurs. Ces idées
sont lellcu)ent établies que la seule chose, par exemple, qu'on
semble demander pour l'amélioration des classes inférieures
de la société, c'est la propagation de l'enseignement pri-
maire. On suppose que ces classes deviendront plus morales
par cela seul qu'elles auront un commencement d'instruction;
on pose en lait qu'il y a d'autant moins de délinquans dans
une certaine population qu'il y a plus de gens sachant lire et
écrire (i). Le fait peut être vrai ; mais il n'est pas rapporté à
ses véritables causes, ou du moins à toutes ses causes. Il y a
plusieurs bonnes raisons pour qu'il se commette moins de
délits là où il se trouve plus de gens sachant lire et écrire. Le
fait d'une popidalion plus instruite suppose une population
plus aisée, moins exposée aux séductions du besoin et de la
misère, appartenant à des familles mieux réglées, au sein des-
quelles elle a trouvé de mei leurs exemples; pour que celte
population apprit à lire il a fallu qu'elle passât quelque tems
dans des écoles, où elle a été surveilée, tenue, obligée de se
plier à de certaines habitudes d'ordre et de discipline; le talent
qu'elle a acquis lui permet d'ouvrir des ouvrages où elle peut
puiser quelques bonnes inspirations, etc. Il n'est donc pas
étonnant (|u'(lle soit moins portée au mal, et (|u'elle fasse moins
de fautes ; mais ce n'est pas précisément, ou du moins unique-
ment à cause du peu d'instruction littéraire qu'elle a acquis.
(i) C l'st une proposition que ])liisieuis auteurs de statistique ont déjà
avancée, et qui résulte, suivant eux, de la couipaiaison du nombre des
^'ens sachant iiie et écrire à celui des gens qui ne savent ni l'un ni l'au-
'le, dan» la masse de ceux qui sont Iradiiils annuellement, {)our crimo«
<Mi (lelils, devant les Iribiuianx.
DE .NOS HAUITUDl-S MORALKS. y.G;
Il n'3" a pas de liaison rigoureusement nécessaire entre le tJiIent
(le lire et la vertu de se bien conduire, ni même en gcnéral
entre le lalonl et la vertu. Pour faire le bien, il fiait sûrement
le connaître; mais de la connaissance à la pratique on sait la
dislance qu'il y a. Pratiquer le bien qu'on connaît est un mé-
rite tout différent de celui de le connaître, et qui ne s'acquiert
pas par les mêmes moyens. On peut faire de nous des savans
sans être assuré d'en faire des lionimes moralement recom-
mandables, et l'on sait que les plus grands casuistes ne sont
pas toujours les plus gens de bien.
Il y a donc quelque chose d'extrêmement erroné dans cette
disposition d'esprit qui nous porte aujourd'hui à attendic le
perfectionnement des mœurs dé la seule culture des inlelli-
gences, et qui nous fait négliger comme inutile, dans l'édu-
cation, tout travail, tout exercice (jui aurait directement pour
objet de les former.
Au reste, de ce qu'il n'y a rien d'arrangé pour cet objet,
dans les écoles, il ne s'ensuit pas qu'il n'y pourrait rien avoir;
de ce que l'art de former les habitudes n'existe pour ainsi dire
point, il ne s'ensuit pas qu'il est impossible. La vertu se peut
enseigner et apprendre comme les autres choses de la vie.
Quoi donc, dit Plutarque, les hommes peuvent se former à
tout, et ou ne pourrait les plier à l'art de bien vivre! «Les hom-
mes apprennent à chanter, à danser, à lire, à écrire, à se vêtir,
à labourer la terre, à dompter les chevaux ; ils ne sont capables
de bien faire ces choses qu'après les avoir apprises, et celle
pour laquelle toutes les autres s'apprennent , la bonne vie, la
sagesse pratique dépendrait uniquement du hasard, et serait
la seule qui ne se pourrait enseigner ni apprendre (i) ! » Mon-
taigne observe, d'après Xénophon, que les Perses eiîsei-
gnaient la vertu à leurs enfans, comme les autres nations fai-
saient les lettres. Rousseau est d'avis qu'il n'est pas de vertu
dont on ne puisse faire l'apprentissage, et il observe que la
constance, la fermeté et les autres vertus sont des apprentis-
'i) Œuvreu moi"., chap. t? : Que In vertu .<e peut cnffii;nci- et tiiprenrlrf
268 DE LA FORlUATIOiN
sages (le l'enfance. Cet apprentissage sans doute n'est pas uise:
mais il est possible. Tout le monde n'y apporte pas les mêmes
dispositions : on est plus ou moins apte à la vertu comme à
la science; on est plus ou moins porlé à la pratique de telle
vertu comme à l'étude de telle science; mais il n'est pas de
vertu à laquelle on ne puisse plus ou moins former notre vo-
lonté, comme il n'est pas de notions avec lesquelles on ne
puisse plus ou moins familiariser notre intelligence.
Et non-seulement la vertu se peut apprendre, mais ou sait
quel est, en général, le moyen par lequel on y peut réussir.
Ce moyen est l'exercice. « Vouldrais-ie, demande Montaigne ,
(juc le Palluel ou Pompée, ces beaux danseurs de mon temps,
nous apprinssent les caprioles à les voir faire seulement, et
sans bouger de nos places (i) ?))Eh bien, si nous ne pouvons
apprendre les cabrioles seulement à les voir faire, nous ne
pouvons pas davantage nous former à la vertu en la voyant
seulement pratiquer. La.puissance de vaincre nos désirs, ob-
serve Locke, s'acquiert et se perfectionne par la coutume, à
qui tout devient facile et familier. Il ne faut pas, ajoute le
même écrivain, instruire les enfans par de simples règles qui
leur écliappent continuellement de la mémoire ; mais ce qu'on
juge nécessaire qu'ils fassent, il faut le leur faire pratiquer
aussi souvent que l'occasion s'en présente, et s'il est possible,
en faisant naître les occasions. Cela produit des, habitudes qui,
une fois établies, agissent d'elles-mêmes et sans le secours de
la mémoire (2).
A la vérité, les philosophes qui reconnaissent le mieux
qu'on ne peut former la volonté, de même que l'intelligence,
qu'en l'exerçant, qu'en la faisant agir, sont assez endjarrassés.
de dire par quels exercices on réussit le mieux à la dresser;
comment, par exemple, on parvient à faire l'éducation du
courage, de la patience, de la sobriété, de la justice, etc. ; et
néanmoins il n'est pas douteux qu'il n'y ait des méthodes pour
(i) Essais, l. I, cliap. a5 : De l'instilulion i/cs ciifatis.
(2) Educalwn des cnj'ans, § 09, 67 ol (JS.
DE NOS HABITUDES MORALES. 569
régler la volonté et des procédés pour former les habitudes. Il
est des hommes qui s'entciulcnt particulièrement à faire l'é-
ducation du caractcre, coainie il y en a qui sont parliculière-
nient propres à faire l'édiicalion de l'esprit. II pourrait y avoir
des établissemens pour la première de ces éducations, tout
aussi-bien qu'il y en a pour la seconde ; ou bien les établisse-
mens montés pour faire l'éducation de nos facultés intellec-
tuelles pourraient être ordonnés, très-probablement, de ma-
nière à servir aussi à faire l'éducation de nos facultés morales.
Qu'est-ce qui empêcherait que, dans une école bien organi-
sée, on ne fît des cours de vertu comme des cours de science,
des cours de gymnastique morale connue des cours de gym-
nastique intellectuelle ou corporelle ? On voit dans les .Mé-
moires de Benjamin Franklin, qu'à l'époque de sa vie où il
forma, comme il s'exprime lui-même, le hardi et difjici le pro-
jet de parvenir à la perfection morale, il sut s'arranger de ma-
nière à allier à ses travaux et à ses études un cours pratique
des principales vertus auxquelles il sentait le besoin de se for-
mer. Rien de plus simple et de plus ingénieux tout ensemble
que le moyen dont il s'avisa. Il avait tracé sur une tablette
d'ivoire, qu'il portait toujours avec lui, un certain nombre de
colonnes transversales, en marge desquelles était inscrit le
nom des vertus qu'il désirait particulièrement acquérir. Ces
colonnes étaient croisées par sept colonnes perpendiculaires,
portant en tête les jours de la semaine. C'est sur ce tableau
que s'opérait son travail. Il donnait, pendant une semaine en-
tière, une attention rigoureuse à chacune des vertus inscrites
en marge du tableau , abandonnant les autres à leur chance
ordinaire, et ayant soin, chaque soir, de marquer les fautes
du jour. La semaine d'ensinte, il étendait son attention à la
vertu placée dans la seconde colonne transversale, puis à la
vertu placée dans la troisième, et ainsi de suite jusqu'à la fin
du tableau. Il faisait un cours complet en treize semaines, et
quatre cours en une année. A mesure qu'il persévérait dans
ces utiles exercices, il avait la satisfaction de voir les marques
de ses fautes devenir moins nombreuses, et sa vertu faire des
2-0 DK LA l'OiliMATION
progrcs (i). Qu'esl-cc qui cmpêcheiail qu'on n'usilt de sem-
blables procédés dans les écoles? qu'on ne traçât pour chaque
classe, suivant l'âge des élèves, un tableau des bonnes habi-
tudes auxquelles on voudrait les Ibrnier? Que ces vertus de-
vinssent chacune à leur tour, et pendant un certain tems ,
l'objet d'exercices communs à tous les enfans d'une même
classe ? qu'on intéressât leur énxulation à les pratiquer? qu'on
notât les atteintes qu'y porterait ostensiblement chaque élève?
qu'on les accoutumât à faire eux-mêmes, chaque soir , l'exa-
men de leur jeune conscience, et à se rappeler les manque-
mcns du jour? L'efficacité de ces pratiques pourrait être ac-
crue par un usage éclairé de tous les stimulans propres à taire
agir la volonté dans le sens des déterminations qu'on voudrait
lui faire prendre : par la douceur, parle bon exemple, par des
appels aux bons sintimens des élèves, par une action judi-
cieuse exercée sur leur raison, en leur exposant avec simpli-
cité et fidélilé les conséquences des bonnes et des mauvaises
habitudes, en leur enseignant conmient les habitudes s'ac-
quièrent et se perdent, comir.ent une première action ou une
première abstinence en rendent plus facile une seconde, com-
ment on peut s'accoutumer par degrés aux actes et aux priva-
tions qui paraissaient d'abord les plus pénibles; que sais-je ?
on sent aisément qu'un art aussi difficile que celui du mora-
liste pratique ne se peut pas improviser, qu'il est difficile de
dire ce qu'il y a à faire; mais il y a très-assurément quelque
chose à faire.
Si donc, dans la plupart des maisons d'éducation, on dé-
pense peu du tems et l'on déploie peu d'art à former les ha-
bitudes morales, convenons que ce n'est pas la faute des
choses, mais celle des instituteurs. Il est indubitable qu'on
pourrait approprier les écoles â l'éducation de la volonté
comme à celle de l'intelligence, s'y former à l'art de'bien vivre
comme à l'art de bien penser, y apprendre l'ordre , la justice,
(i) Voy. «I /^(c ef tes OEuvres ponthumen , trachiiff* de l'anglais par
il»»iéi», t. Il, p. r>SS yJ suiv. l'ai^, .in ru
DE NOS HABITUDI-S MORALES. 271
la sincérité, tout comme le calcul, la grammaire, la rhéto-
rique, et y l'aire autant de progrès dans la morale en action
que dans la morale en théorie.
S'il e?t certain qu'on pourrait réduire la vertu en art, il ne
l'est pas moins que cet art serait de nature à exercer sur la
société la plus grande et la plus salutaire influence.
On sait quel rôle les bonnes habitudes personnelles et la
bonne morale de relation jouent dans l'économie sociale. On
n'ignore pas que, de tous les élémens dont se compose la puis-
sance du travail, les vertus privées et civiles sont un des plus
indispensables. Je n'ai donc pas besoin de dire quelle est,
pour tous les arts, l'importance de celui ou de ceux qui tra-
vaillent directement à produire la vertu ; te qu'ils peuvent
donner de valeur aux hommes, et ce qu'ils leur procurent, pour
tout ce qu'ils ont à l'aire, de puissance et de facilité d'ai^tion.
C'est une vérité qui peut se passer de développement et de
preuves.
Mais les arts qui s'occupent de la formation de nos habi-
tudes morales ne sont pas imporfans seulement en ce sens
qu'ils rendent tous les autres plus fa( iles, et qu'ils leur four-
nissent un des ingrédiens les plus essentiels de leur liberté; ils
ont une utilité plus immédiate. Comme tous ceux qui s'exer-
cent sur l'honmie, ils ont l'avantage de travailler directement
à sa culture, et peut-être sont-ils, de tous ceux à l'action
desquels il se prête, ceux qui contribuent les plus à son per-
fectionnement.
11 est sûrement d'un grand intérêt pour l'homme qu'il y ait
des arts qui s'occupent de l'amélioration de sa nature physi-
que, que d'autres travaillent à l'entretien de son imagination
et de ses affections, que d'autres s'appliquent au développement
de ses facultés intellectuelles; mais s'il lui importe de devenir
beau, sensible, intelligent, nul doute qu'il ne soit pour lui
d'une plus haute importance encore de devenir vertueux, et
les arts qui lui apprennent à soumettre son imagination et ses
sentimensà la direction de son intelligence sont, sans contre-
3^3 DE LA FOllMATION
dit, (le tous ceux qui s'occupent de sa culture, ceuxqui tra-
vaillent le plus eiïica'jcment à sa diguilc et à son bonheur.
La vertu, cette force intérieure qui, sans étouffer aucune
de nos affections naturelles, nous rend capables de les
contenir toutes dans les bornes que leur trace une raison
éclairée, la vertu est de nos facultés la plus noble et la plus
précieuse. Sans elle il n'y a que désordre ou faiblesse dans
nos actions ; elle seule a le pouvoir d'empêcher que la raison
ne soit un piésent stérile, et les passions un présent funeste.
Elle Ole aux passions leur venin et à la raison son impuissance;
elle fait servir le sentiment à animer, à échauffer la raison , et
la raison à éclairer, à diriger le sentiment. Elle corrige ainsi
ces deux ordres de facultés l'un par l'autre, et elle les perfec-
tionne également tous les deux.
Les passions, contre lesquelles on a tant déclamé, peuvent
toutes contribuer à la perfection de notre Être, même celles
dont le nom se prend en mauvaise part et que l'on qualiûc
ordinairement de malfaisantes : la haine devient un bon sen-
timent lorsqu'elle n'est dirigée que contre le vice; il est beau
pour un prince de se montrer avare du sang et de l'argent de
ses sujets; Vorgueil peut nous préserver de beaucoup de bas-
sesses; il y a des vanités bien placées, etc., etc. Mais, d'un
autre côté, toutes les passions peuvent nous avilir et nous
rcndie misérables; toutes, même les plus bienfaisantes, peu-
vent avoir de funestes effets : quels désordres abominables n'a
pas produit l'exaltation et la mauvaise direction du sentiment
religieux ? Combien une charilé mal entendue ne peut-elle pas
développer de misères et de vices ? Que de fureurs et de cri-
mes n'a pas engendré l'amour, la plus tendre pourtant et la
plus bienveillante des passions? Toutes nos affections sont
donc alternativement bonnes ou mauvaises, salutaires ou
désastreuses, suivant la dirt;ction que nous leur donnons. Eh
bien! c'est un effet de la vertu, et des arts qui la font naître,
de leur ôter, en les renfermant dans de justes bornes, ce
qu'elles ont de malfaisant. Le propre de ces arts est de mo-
difier nos penchans de telle sorte qu'ils nous portent toujours
DE NOS HABITUDES MOUALES. 275
à agir de la manière la plus conforme à notre vrai bien.
S'ils agissent utilement î^nr les passion?, ils n'exercent pas
sur la raison une intlucnce moins salutaire. J'ai déjà obsené
qu'il est possible d'être tort éclairé sur la morale sans être pour
cela un homme plus moral. Postquamdocti prodierant boni de-
suiit, a dit un ancien moraliste ; depuis qu'il y a tant de sa-
vaas on ne voit plus de gens de bien. Ce n'est pourtant pas
que la science soit un obstacle à la sagesse; et Sénèque a sû-
rement grand tort de présenter les lumières comme ennemies
de la vertu, puisque nos meilleurs senti^aens ont besoin d'être
éclairés pour ne pas nous induire à mal faire. Mais, si la
science n'est pas contraire à la vertu , il faut convenir qu'elle
ne suffît pas pour la produire. On sait combien il est commun
de voir des hommes instruits qui manquent de jnœurs. des
hommes très-chastes dans leurs discours et très-déréglés dans
leurs liabitudes, des hommes très-libéraux en théorie et très-
injustes et très-despotes dans la conduite. Il se peut même
que ce contraste d'une raison très-peil'ectionnée et de moeurs
encore imparfaites soit d'autant plus sensible chez un peuple
qu'il a plus cultivé sa raison, si, à mesure qu'il a donne plus
de tems et de soin à la culture de sa raison, il a négligé da-
vantage celle de ses habitudes. C'est peut-être ce que nous
avons fait : il semble qu'on ne s'est jamais moins appliqué à
la formation des moeurs que depuis qu'on s'occupe avec plus
<l'ardeur de la formation des intelligences. De là sans doute
cette imperfection de nos habitudes à côté des progrès de notre
entendement, qui fait croire à tant de gens que les progrès
de l'entendement nuisent à ceux des bonnes habitudes idée
bien déraisonnable sans doute, mais qui est pourtant assez
naturelle, et qu'il est réservé aux arts dont je m'occupe
en ce moment de faire cesser. C'est à ces arts qu'il appartient
de lever la contradiction qu'on croit apercevoir entre les
mœurs et les lumières, et, en mettant autant de soin à plier
la volonté aux directions de l'intelligence, que d'autres arts
en mettent à développer l'intelligence elle-même, de faire ces-
ser ce scandale d'une raison très-exercée qui est sans pouvoir
T. XLVII. AOIT i85o. iS
o;4 DE LA FORMATTON
sur lu ooiidiiilL'; de donner à la raison, en lui faisant acqué-
rir la force de vouloir, ce qu'elle a la capacité de comprendre,
une façon qui est le complément de sa culture et sans laquelle
ce qu'elle a appris ne peut lui servir à rien, si ce n'est à lui
mieux faire sentir sa faiblesse et la dépendance humiliante où
rite est naturellement des passions.
Non-seuîement les arts qui travaillent à mettre nos penchans
d'accord avec nos lumières nous tirent d'un état fort humi-
liant, mais ils nous délivrent d'un état excessivement pénible.
Quoi de plus pénible, en effet, que le combat que se livrent,
au dedans de uous, la raison et les passions? que cet état où
notre moi , selon la remarque de BnlTon , se trouve comme
partajjé en deux personnes, dont l'une, la faculté raisonnal)!e,
blâme T;e que fait la seconde , sans être assez forte pour s'y
opposer, et dont l'autre, la faculté passioiméc, fait ce que blâme
la preim'ère, sans pouvoir se dérober au jugement que celle-ci
porte de sa conduite et qui empoisonne tous ses plaisirs? Quoi
de plus misérable qu'un homme éclairé qui manque d'empire
sur lui-même? qu'un homme dont l'esprit exercé démêle tout
ce qu'il y a de blâmable dans uiie mauvaise action, et que ses
penchans entraînent sans cesse à faire ce que son esprit ré-
prouve? Mieux vaudrait, ce semble, manquer tout-à-fait de
sentiment ou de raison, que d'être ainsi tiré en sens contraire
par des facultés opposées. Mais ce qui vaut encore mieux que
d'être sans passion ou sar.s raison, c'est de posséder à la fois
des facultés alïectives et des facultés raisonnables, lorsqu'une
bonne éducation morale nous a fait acquérir la force néces^
saire pour soumettre le.-- premières de ces facultés à la direc-
tion des secondes.
Les arts qui nous donnent ce pouvoir, les arts qui dévelop-
pent en nous cette classe de facultés qu'on appelle des vertus,
des habitudes morales, sont indubitablement ceux qin* nous
procurent les plaisirs les plus parfaits. Il manque quelque
chose à tous les autres : les plaisirs des sens sont j;rossiers et
fugitifs; ceux de la passion, remplis de trouble ; ceux de l'in-
telligence, mêlés de sécheresse : les plaisirs de la vertu sont les
DE NOS ÎIABIIUDES MORALES. 275
;^ohL^ auxquels il ue manque rien. Ceux-ci, sans exclure les
autres, excluent tout va qui les corrompt; ils se composent
surtout de cette sécurité, de ce calme, de cette satisfaction
élevée que nous procure l'empire de nous-mêmes et l'habitude
de ne céder à nos affections que conformément aux régies
d'une intelligence éclairée.
Ainsi l'art du moraliste-pratique n'a pas seulement pour
effet de créer un ordre de moyens indispensables à la liberté
de tous les autres; il nous donne encore la plus importante
des éducations. Pendant que d'autres perfectionnent nos or-
ganes, cultivent notre imagination et nos affections, dévelop-
pent notre intelligence, celui-ci achève l'œuvre si difficile de
notre éducation en nous apprenant à soumettre les facultés
qui nous émeuvent aux facultés qui nous éclairent, et en nous
portant à faire des unes et des autres un usage judicieux et
modéré. Par là il les conserve toutes; par là il rend plus vifs
les plaisirs variés qu'elks nous procurent; enfin il nous fait
trouver dans cet empire qu'il nous instruit à exercer sur les
imes et sur les autres un plaisir supérieur à tous ceux qu'elles
peuvent nous donner.
Non -seulement donc il est possible de réduire en art l'ap-
prentissage de la vertu, mais cet art, comme je l'ai dit, serait
de nature à exercer sur la société la plus grande et la plus
utile des influences (1).
(1) Il va sans dire pourtant que, pour que l'art moral pût produire de
tels effets, il ne faudrait pas que les hommes se trouvassent dans quel-
qu'une de ces situations violentes dont l'insurmontable effet est de les
rendre vicieux et médians. Telle est, par exemple, la rigueur de la con-
dition à laqiielle l'aristocratie territoriale de l'Angleterre paraît avoir ré-
duit, dans la plupart des comtes, la population agricole de ce pays, en la
dépouillant do toute participation à la propriété foncière, que, de l'aveu
des écrivains anglais les plus judicieux, même dans le nombre de ceux
qui appartiennent au parti tory, il n'est pas d'art qui pût donner à cette
population une honnêteté, une moralité, incompatibles avec la situation
déplorable à laquelle on l'a réduile. « Des efforts nombreux ont été ten-
tés, observe sir Walter-Scott, pour améliorer les mœurs corrompues du
•ijG DE LA FOUiVIAT. DE NOS HABIT. MORALES.
Il sérail aisé de monlrcr, en troisième lieu, que cet art,
comme tous les autres, se prêterait à l'application des divers
moyens généraux sur lesquels se fonde la puissance du tra-
vail; mais ceci nous mènerait trop loin.
Ch. Dl'NOTER.
Vfcv w* wvvwv WV W W W \V
OPINION de M. Edouard Li vin os ton
SUR LA PEINE DE MORT.
Extrait du Rapport servant d'introduction au système
OE LOI PÉNALE PRÉPARÉ POUR l'EtAT DE LA LOUISIANE (l).
SECOND ARTICLE.
(Voy. ci-dessus, pag. 24- )
Toutes les nations même les mieux organisées sont sujettes
à des troubles politiques, durant lesquels les passions vio-
peuple des campagnes. On a fait des frais énormes pour le mettre à
môme de participer aux bienfaits de l'éducation, dans l'espérance qu'en
l'éclairant sur ses devoirs on le rendrait plus honnête. On a construit
partout des prisons, des maisons de correction, des pénitentiaires; on a
formé des associations pour poursuivie les voleurs, les braconniers, ou,
ce qui revient au même, jiour transférer plus sûrement les liabilansdes
campagnes de leurs chaumièies dans les maisons de force. D'autres asso-
ciations se sont formées pour les catéchiser quand ils sont détenus. Mais
tous ces eilbrts étaient en ])ure perte. C'était vouloir nettoyer le ruisseau
sans épurer la source. Un bon Code criminel, une police bien organisée,
pe ivent rendre la découverte du crime plus certaine et sa punition plus
.prompte. Mais cbs moyens répressifs ne diminueront que bien faible-
ment cette multitude que la misère et le désespoir poussent avec une
puissance irrésistible vers les portes de nos geôles et de nos péniten-
tiaires. 0 fVoy. dans la Hcviie Brit., n" 58, p. 219 et 220, un article de
Walter-Scott sur la situation du peuple des campagnes en Angleterre,
traduit de la licvuc Trimestrielle (Quartcrly flewicw).
(1) Nous nous ap]ilaudissons d'autant plus d'avoir iuséié dans notre
OPINIOÎN DE M. LIVINGSTON SUR LA PEINE, etc. 277
lentes qui so (Jéchîiiiieut profitent de tous les prétextes pour
autoriser leurs excès ; et les partis, mutuellement enflammés de
la rage des discordes civiles, s'accusent réciproquement des
intentions les plus noires, des crimes les plus atroces; mais,
dans les conflits même les plus acharnés des fureurs intes-
tines, il est rare que l'on tente la destruction du parti ennemi,
ou d'un chef dangereux, sans leur imputer quelque crime. On
ne fait pas de nouvelles lois dans ces occasions ; mais on tord
et on pervertit les lois existantes; on n'invente pas de nou-
velles peines; mais celles déjà établies sont rigoureusement
appliquées à l'innoeenl:. C'est ce qui arrive d'ordinaire dans
toutes les commotions intestines, et même après qu'elles ont
pris la forme de la guerre civile accompagnée de toutes ses
horreurs. Ceux qui n'ont pas péri dans les combats sont
soumis à une espèce de jugement avant d'être sacrifiés. Le
meurtre revêt dans ces occasions l'hermine immaculée de la
justice, se couvre de sa robe, monte sur son siège sacré, em-
prunte son saint langage, adopte ses formes, qualifie son
iniqu« sentence de jugement légal; et même, à l'instant où
son bras sanglant se lève pour l'exécution , il est armé du
même glaive, et n'inflige à la victime innocente d'autre puni-
tion que celle que les lois préexistantes avaient établie pour
le criminel.
Recueil l'opinion de M Edouard Livi.-sgstos sur la peine de mort, que
ceUe opinion a ('•lé invoquée par le général Lapayette dans la discussion
ouTerte à la Chambre des députés, le 17 août, sur la proposition de
M. Fictor DE Tracï , relative à l'abolition delà peine capitale. Aucun
témoignage ne pouvait, être d'un phi.s grand poids que celui de l'illustre
philantrope dont la vie entière a été un combat pour la liberté el pour
les idées généreuses. La proposition de l'honoi-able M. de Tracy a été
prise en considération par la Cbauibre; la discussion ultérieure qui en
résultera ne pourra, nous en sommes certains, que gagner beaucoup, si
ceux de MM, les députés qui se proposent d'y prendre part veuleat bien
se pénétrei- des argumens pleins de force et de nouveauté énoncés dans
l'opinion de M. Livingston. Ils i)Ourront aussi consulter avec fruit une
dissertation de M. IIkiberc sut le même sujet, insérée dans la Revue En-
cyclopédique (t. X, p.,55i el 660). (JVofc du Rédacteur.]
\
278 OPINION DE M. LIVINGSTON
Cela est inévitable et de nécessité couranle dans les cas de
discordes civiles. Quels que soient les projets de chefs sans-
principes, le peuple, qui fait leur force et compose leur parti,
doit être induit à croire que ceux qu'il soutient sont eux-
mêmes les soutiens des lois. Aussi ne souffrirait-il aucun mé-
pris ouvert, aucun oubli matériel des formes établies, lors-
même que les élémens essentiels de la justice sont violés sans
scrupule. Les formes parlent au sens, la justice substantielle
ne parle qu'à lenlendement. Ce dernier peut être perverti par
les passions, ou déçu par la fausseté des faits ou les sophismes
du raisonnement, tandis qu'il ne faut que des yeux et des
oreilles pour observer une violation de forme. Dans ]cî^ cir-
constances que j'ai supposées (et qui peuvent affliger notre
pays comme les autres), il est très-important qu'il n'existe pas
de ces punitions qui puissent servir à la destruction de nos
meilleurs citoyens; ce sont ceux-là qui gênent tous les par-
tis, ne partageant la violence d'aucun ; ils sont par cela mOme
suspectsà tous, et deviennent leurs premières victimes; jamais
tempête révolutionnaire ou factieuse n'a désolé un pays sans
avoir causé la perte d'hommes regrettés même par leurs fré-
nétiques bourreaux quand le calme de la paix les a. rendus à
leur sens. Prenez donc garde d'aiguiser la hache et les autres
instrumens de mort pour en armer la main violente des partis.
Prenez garde d'accoutumer le peuple tellemenWk-leur usage,
que, lorsque son jugement sera égaré au point de lui faire
croire l'innocent coupable, il ne contemple froidement et sans
la moindre émotion les dernières agonies d'un homme dont
ensuite il sentira la perte comme une calamité publique, et
dont il déplorera la mort comme une tache nationale; j'ap-
puie sur cette considération parce que je sens profondément
son importance.
L'histoire nous présente le miroir magiijue dans lequel la
vue du passé nous laisse discerner en perspective les évène-
mens futurs. Il n'y a que la folie qui n'y regarde point; il n'y
a que la perversité qui ne profite pas de ses leçons. Si la ci-
guë n'avait point été broyée pour les coupables dans Athènes,
SIR LA PEINE DE MORT. 279
Socrale eùl-il vidé la fatale coupe? Si le peiipU! iiVùt pas «'té
l'amiliarisé avec les scènes d'hoiuiiide judiciaire, la France
et l'Anglelei re se seraient-elles souillées des meurtres inutiles
de Louis ou de Charles? Si la peine de mort n'avait pas été
sanctionnée par les lois ordinaires de ces royaumes, Tun
eût-il été inondé dans sa révolution du sang de l'innocence,
du mérite, du patriotisme et de la science ? l'autre eût-il dans
ses dissensions civiles immolé sur les échafauds ce qu'il y
avait de plus noble et de plus pur? L'un, dans ses boucheiies
journalières de tout ce qui était grand et respectable , eùt-il
livré au fer de la guillotine son aimable reine si indignement
calomniée, le vertueux Malesherbes, l'érudit Condorcet, la
lleligion personnifiée dans les pieux ministres de ses autels, le
courage et l'honneur dans la foule chevaleresque d'une no-
blesse magnanime, la science et les arts dans leur digne repré-
sentant Lavoisier? L'autre eût-il fait tomber sous la hache
des bourreaux les Rcssel, les Sydney et celte longue série de
victimes des partis et de la tyrannie? Les feux de Smithfiekl
n'eussent jamais été allumés, et après des siècles écoulés nous
ne frémirions pas encore au seul nom de la Saint-Rarthélemy,
si la loi ecclésiastique n'eût usurpé les attributs de la vengeance
divine ; et, par la doctrine absurde et non moins sacrilège que
les offenses contre la Divinité devaient être expiées par la
mort, n'avait fourni un prétexte à ces atrocités. Jamais l'au-
guste et mystérieuse scène de l'agonie au mont Calvaire n'au-
rait eu lieu si, par la vue jomnalière de la croix, comme
instrument de justice, les Juifs n'eussent été préparés à eu
faire celui de leur rage sacrilège. 31ais l'on ne finirait jamais si
l'on voulait citer la multitude d'exemples qui se pressent dans
la mémoire, et qui prouvent à quel point l'exercice de ce pou-
voir par la loi en a porté le redoutable abus sous l'apparence
de la justice. Chaque nation a répandu des larmes sur-la tom!»c
de patriotes, de héros, de martyrs immolés dans ses morne u-
de frénésie, et chnque ^ige a eu ses annales sanglantes.
Mais, sans recourir aux époques de troubles et de dissen-
sions pour faire re.-sorlii le danger de ces exemples, ne lu
28o OPINION D£ M. LIVLNGSTON
considérons encore une l'ois que sous le point de vue sous le-
quel je l'ai déjà présenté, et sous lequel je dois le présenter
encore subséquemment, c'est-à-dire dans le cours paisible et
régulier de la pratique ordinaire lorsque l'inflietion de cette
punition, irrémédi;i])le de sa nature, est, par méprise, par des
préventions populaires, par des témoignages faux ou erronés,
dirigée sur la tête de l'innocent, cas beaucoup moins rares
qu'on ne l'imagine. Mon intention n'est point d'entrer dans le
détail de ceux que j'ai lecueillis moi-même, et ils sont en
assez grand nombre, quoique sans contredit en bien petite
quantité, comparés à la masse des cas dont je n'ai pas eu con-
naissance. L'auteur d'un ouvrage de jyande autorité sur les
Preuves a rassemblé plusieurs de ces cas bien authenti-
ques (i). Les gazettes de France, dans un court espace d'une
année, m'ont fourni sept cas dans lesquels des personnes con-
damnées à mort par des Cours d'assises ont été acquittées par
jugement de tribunaux supérieurs qui ont cassé les sen-
tences (2). De pareils cas ne sont pas rares dans les autres
Etats de l'Union. Chez nous, l'organisation de nos Cours pré-
vient toute correction d'erreur, de droit ou de fait, par urt
tribunal supérieur; mais il est même étonnant qu'en quelque
part que ce soit on puisse parvenir à découvrir quelques cas
de ces fatales méprises. Les infortunés qui en sont victimes
sont pour la plupart sans appui. Leur conduite a générale-
ment dû être vicieuse, sans quoi le soupçon ne se serait pas
attaché à eux ; et souvent des gens de bien croient qu'il est
inconvenant de témoigner de l'intérêt pour de pareils êtres,
ou d'entrer dans un examen minutieux des circonstances de
leur cas. Ils sont abandonnés par leurs connaissances s'ils en
(1) Pliilips, SOI- les Preuves. Appeiidix.
(2) i\'est-c«; pas là une leçon l'iappante qui nous déniontic la nt'cessité
de pourvoir aux moyens de corriger les erreurs, au criminel ainsi qu'au
civil; de proléger la vie et la liberté aussi-bien que la propriété. L'im-
portance du sujet m'excusera peut-être si je nie réCi-re encore une fois
au projet de loi qui a>ail été [nésenlé .'i l'assemblée générale ]>ar le ra]i-
poiteur. [iVole ilc M. lAvingston.]
SUK LA PKI NE DE MORT. aS»
ont; quant à des auiis, les nuilheureux n'en ont point ; ils sont
condamnés, exécutés, oubliés, et peu de jours après on dirait
que la même terre qui a recouvert leur corps a absorbé leur
mémoire, et tout doute sur leur culpabilité ou leur innocence ;
il est donc raisonnable de supposer qu'il existe une bien })lus
grande quantité de ces cas qu'il n'en a pu être mis au jour ( i).
(i) Qu'il me soit permis de dortner la substance de l'argument contre
la peine capitale dans les propres termes d'un homme auquel la science
de la législation est redevable de l'attention marquée que l'on donne à
ses vrais principes, et auquel on eût érigé des statues si les bienfaiteurs
du genre humain étaient aussi honorés que les oppresseurs des nations.
« La même objection (dit-il) peut être élevée contre toutes les peines
aOiictives ; savoir qu'elles sont iiréniédiables : mais elles sont susceptibles
de compensation, il n'y a que la mort seule qui n'admette aucun dé-
dommagement. Quel est l'homme si peu versé dans la procédure crimi-
nelle qui n'éprouve pas une espèce de terreur quand il considère à
quelles légères circonstances tient la vie d'un homme accusé de crime
capital, et qui ne se rappelle des cas où des individus n'ont dû leur vie
qu'à quelque circonstance extraordinaire, survenue accidentellement au
moment critique du danger? Les chances de danger sont sans doute dif-
férentes, suivant les dilférens systèmes de procédure; mais est-il quelque
forme judiciaire qui mette parfaitement à l'abri des pièges de la fausseté
et des illusions de l'erreur? Non, une sécurité absolue est un point de
perfection dont on peut approcher plus qu'on ne l'a fait jusqu'à présent,
sans pour cela l'atteindre; car les témoins peuvent tromper ou être
trompés; le nombre de ceux qui s'accordent sur le même fait n'est pas
une sûre garantie; cl, quant aux preuves déduites des faits circonstan-
tiels, des circonstances les plus concluantes en apparence, de celles qui
semblent ne pouvoir s'expliquer que par la supposition de la culpabi-
lité, celles-là même peuvent être le résultat du hasard ou de moyens
concertés d'avance et préparés par des personnes intéressées. La seule
preuve qui paraîtrait porter une co. viclion complète, le libre aveu de
l'accusé, outre qu'elle est très-rare, ne donne pas toujours une certitude
absolue, puisqu'on a vu, comme dans des cas de sorcellerie, des j^ens
s'avouer coupables de crimes dont la commission était impossible. Ceci
ne sont point des alarmes imaginaires, puisées dans de simples possi-
bilités; il n'existe pas de registre criminel qui n'offre des exemples de
ces fatales méprises, el ceux qu'un concours singulier d'évènemens a
fait connaître nous autorisent à croire que beaucoup d'innocentes vic-
times sont restées inconnues. Il est même à observer que ce sont les cas
282 OPINION DE M. LIMNGSTON
Voudriez-voiis maintenir nne punitinnqui, clans le cof.iv.
ordinaire des évènemons, doit (juelqiieiois être inémédiable-
ment infligée à l'innocent, quand même elle serait un frein
eflicace pour le coupable ? mais il s'en laut bien que ce soit le
cas. Par cela môme que dans certains cas vous ne pouvez em-
pêcher que celte [leine ne tombe sur l'innocent, elle doit, vu
l'imperfection de tout témoignage, favoriser l'évasion du
coupable, et la maxime si souvent citée dans Qes occasions (i)
ne cessera d'être pervertie, pour f:\ciliter le compromis entre
la conscience du juré et la sévérité de la loi, que lorsque vous
n'admettrez de punitions que celles susceptibles de révocation
et de réhabilitation dans les cas où elles seraient reconnues
avoir été injustement infligées.
11 serait facile de présenter d'autres argumens non moins
forts, d'autres autorités non moins respectables pour démon-
trer les mauvais effets de cette espèce de punition; mais la quan-
tité d'objets divers dont il'me reste à parler dans ce rapport
me contraint de me borner à demander quel bien on peut at-
tendre, ou quel avantage actuel on retire de la conservation
de ce genre de punition. Notre législation l'abandonna d'abord
sans débat dans tous les cas, excepté ceux de meurtre, de ten-
tative de meurtre, de viol et d'insurrection d'esclaves; ensuite
elle rétendit à une espèce particulière d'effraction avec cir-
dans lesquels on emploie le plus le mot de pieuve, où les lémoigiiages
sont le plus doiilciix, lorsque le crime imputé est un de ceux qui exci-
tent kl plus i'iirte aiilipatliie ou qui exaltent l'esprit de parti, les témoins,
sans s'en douter, deviennent accusateurs, ils ne sont que les échos de la
clameui' publique, la i'ermentation s'accroît par sa propre action; et il
n'est plus })ermis de douter que ce l'ut une fiénésie de ce genre qui d'a-
bord s'empara du peuple et se communiqua ensuite aux juges dans la
malheureuse all'aire de Calas. » {Tlicoric des peines et des recompenses,
par lÎKMUAM.) (IVote de M. Livingslon. )
(i) Qu'il vaut mieux laisser échapper dix coupables que de punir un
innocent est une maxim<: invariablement recommandée au jury dans,
tous les cas ca|)ilaux qui dépendent des preuves circonstantielles, et qui
ue manquent jamais leur eflel quand il n'y a ])as de causes irritantes.
( ^ole de M. Livin^ston. )
SUR LA ['El NE DE MORT. 283
fonstances aggravantes (i). Maintenant comme ces cas sont
les seuls pour lesquels on l'a réservé, comme cette piinitioa
a été abandonnée pour tous les autres, une question sé-
rieuse se présente d'elle-même : pourquoi l'a-t-on mainte-
nue dans ces cas? pourquoi y a-t-on renoncé dans les au-
tres? Il faut que son inefficacité, ou quelques autres des défauts
qu'on lui objecte aient été bien manifestés dans les cas nom-
breux où elle a été supprimée, salis quoi on l'eût certaine-
ment conservée ou rétablie. Prenant pour base de notre argu-
ment cette inefficacité reconnue dans un grand nombre de
cas, examinons s'il y a quelque raison qui rend plus appro-
priée aux otlenses ci-dessus énumérées la peine qu'on a jugé
injuste et inconvenable d'appliquer aux autres. Il y a trois
manières de découvrir la vérité sur ce point : en raisonnant ^
d'après les effets généraux des motifs particuliers, sur les ac-
tions humaines par l'analogie ; en jugeant, d'qprès les lésultats
dans un cas, des résultats probables dans un autre ; enfin par
l'expérience des effets dans un cas donné. Le raisonnement
général sur la justice et l'efficacité de cette punition ne sera
pas répété ici ; mais on s'y référé comme étant concluant pour
(i) Par la troisième section de l'acle <lii 20 mars 181S, entrer avec
effraction dans une maison de résidence, pendant la nuit, dans l'inten-
tion de dérober, etc. La loi de i8o5 avait déjà pourvu à la punition de ce
crime. La peine de mort a été ajoutée d:ins le cas où quelqu'un se trou-
verait légitimement dans la maison, et où l'oflenseur serait armé d'un-
instrament dangereux, ou s'armerait dans la maison, ou ferait une atta-
qué sur la personne qui serait légitimement dans la maison. Si l'occu-
pant de la maison n'y était pas légitimement, l'offenseur évite la mort.
De quelle circonstance fait-on dépendre la vie d'un homme! Si l'occu-
pant a un bail en règle, le voleur est pendu, sinon il échappe à la mort î
en outre, si le voleur ne rencontre personne dans la maison, et vole
dix mille piastres, il en est quitte pour la piison ; mais, s'il aperçoit un
domestique, et le menace du bâton, il est pendu, quoi-qu'il n'ait rien
dérobé. S^il y pénètre sans armes, et qu'il enlève tout ce qu'il y a dans
la maison, il n'est qu'emi)risou!îé ; s'il y trouve un fusil de chasse, qu'il
s'en empare et l'emporte, il est pendu. A oilà un échanlillon de ces lois
qu'on ne peut tenter d'aiiicnder sans la plus audacieuse présomption.
[Note de M. Lirlniision.)
284 OPINION DE M. LIVINGSTON
toutes les offenses, et n'admettant aucune exception » ni poui' l(
meiu'tre, ni pour les trois autres cas où nos lois l'infligent. Si
nous raisonnons par analogie, nous dirons que le seul argu-
ment qui ait jamais été employé en faveur de la peine de
mort est que l'exemple imposant qu'elle offre doit détourner
de la commission de l'offense; mais en y renonçant dans tous
les cas, hors trois, vous avez reconnu son inefficacité. L'ana-
logie nous conduit donc à la conclusion, que si elle est sans
effet dans le plus grand nombre de cas, elle sera de même dans
les autres. Mais il est reconnu que ni analogie, ni aucun
autre mode de raisonnement, ni aucune théorie, quelque plau-
sible qu'elle soit, ne peut prévaloir contre l'expérience. Eh
bien ! vous l'avez faite , vous avez essayé ce remède, et vous
l'avez troîivé inefficace. Les crimes auxquels vous l'avez ap-
pliquée ont-ils diminué en nombre, décru en atrocité? S'il en
est ainsi , il serait imprudent de faire aucun changement quand
même vous auriez la certitude que le nouveau système ne se-
rait pas moins efficace. Examinons donc cette expérience.
Pendant les trois premières années après le transfert de la
province, il n'y eut pas une seule exécution, ou condamna-
tion pour aucun de ces crimes énumérés. Cependant dans le
cours des six premières années quatre individus résidant dans
les limites de cet lUat firent une attaque sur quelques habilaus,
ils furent livrés par leur tribu, ou arrêtés et condamnés, et
deux d'entre eux furent exécutés, comme pour meurtre. Lu
nègre fut en outre condamné et exécuté pour insurrection.
Dans les six années qui suivirent, il y eut dix condamnations;
dans les quatre subséquentes, jusqu'en janvier 1822, il y en
eut quatorze. De manière (jue nous trouvons que le nombre
de condamnations pour les crimes sus-d'ésignés a presque dou-
blé, tous les six ans, en dépit du remède héroïque. Mais la po-
pidation de l'Etat ne se douMe que tous les vingt ans; la pro-
giession des crimes est doue à celle de la population comme
trois est à un. Et n'oublions pas, en faisant ce calcul, le fait im-
poilant et alarma ni des cas nombreux d'homicides, ou tentativcti
d'homicides <pii sont i.n'omcnt poursuivis, et plus raiemeut
SUR LA PEINK DE MORT. 285
encore punis. Je parle de cette classe d'offenses qui prennent
leur source dans un Taux point d'honneur, et qui enihiassent
non-seulement les nombreux sacrifices d'existences faits à
l'opinion publique dans les duels, mais encore les cas moins
excusables et plus multipliés de blessures, de mutilation et de
mort infligés en expiation de la moindre injure laite à la di-
gnité personnelle. Depuis la création du statut contre l'assas-
sinat je ne trouve jusqu'à l'année 1822 que trois condamna-
tions, et une seule pour viol pendant le même intervalle ; et ce
qui est assez remarquable pas un seul cas d'effraction [Burglaiy)
depuis i8o5à 1829; dans cette dernière année et la suivante il y
en eut deux cas précisément deux ans après que la peine capitale
eut été appliquée à ce crime. Quelle conclusion devons-nous
tirer de ces faits? D'abord, pour ce qui concerne le vol avec
effraction , un des crimes auxquels la peine de mort est atta-
chée , une expérience de quinze années (durant lesquelles il n'y
a pas eu un seul exemple de condamnation, et, autant qu'on a
pu s'en assurer, pas même une accusation sous l'empire de la
loi qui n'infligeait pour cette offense que l'emprisonnement )
doit nous avoir convaincus qu'une punition plus sévère était
inutile; tandis que les deux cas qui se sont présentés, dans les
deux premières années de l'application de la peine de mort à
cette offense, sont une preuve manifeste que la peine de U70rt
n'est point un remède efficace à ce mal : quant au viol, que la
rareté de sa commission doit être attribuée bien plus aux
mœurs du siècle qu'à la crainte de la punition qui y est atta-
chée; car si ce frein était efficace pour ce cas, il devrait l'être
encore plus pour le meurtre, offense à laquelle le criminel
n'est pas, comme dans les autres cas, poussé par le plus impé-
rieux des appétits sensuels.
D'ailleurs ce n'est pas là le rempart derrière lequel se retran-
chent les avocats de la peine de mort. Forcés sur tous les au-
tres points, ils la défendent comme spécialement convenable
pour les cas de meurtre. L'abandon graduel qu'on a fait de ce
remède pour les autres offenses est une preuve de la mar-
che progressive des vrais principes, et la ténacité avec laquelle
286 OPINION DE M. LIMNGSTON
on s'obstine à le conserver dans ces cas prouve la force des
impressions premières et des préjugés invétérés sur les es-
prits les plus sains d'ailleurs. Il faut néanmoins que ce préjugé
cède tôt ou tard à l'évidence des résultats pratiques qui ont
accompagné constamment l'application de ce remède, résultats
qui démontrent que l'exhibition publique de l'homicide ordon-
née par la voix sacrée de la loi, loin de réprimer ce crime,
l'encourage au contraire dans les querelles privées. Les parti-
sans de cette punition s'étaient communément du principe
d'une juste repiésaille, vindictive justice (i), et ne peuvent
dans le fait en invoquer aucune autre. Celui qui donne la
mort mérite la mort. L'homme qui immole son sembla-
ble doit être immolé par ses semblables! sang pour sang!
voilà les exclamations que l'on substitue aux argumens. De
tels sentimens, combinés avec le spectacle des vengeances lé-
gales qu'ils autorisent, ne sauraient produire qu'im seul effet,
celui de détruire en grande partie la répugnance et l'horreur
de répandre le sang humain, par l'habitude d'en voir faire un
devoir public; d'en voir sanctifier les motifs qui ne trouvent
que trop facile; justification dans l'esprit d'im individu irrité,
qui exagère l'injure qu'il a reçue, oublie la provocation qui la
lui a attirée, et se croit excusable de faire, pour assouvir ses
passions, ce que fait la justice publique, par le même motif,
celui de la vengeance. La sensation d'horreur que nous fait
éprouver la vue d'un être humain souffrant une mort violente,
(i) Je conveisais un jour avec un magistrat d'un rang supérieur,
honiuic distingué par ses talens et sa libéralité, il était question de l'abo-
lition de la peine de mort; il approuvait celte mesure pour tous les cas
hors celui de meurtre, à cause de la difficulté de garder le coupable, et
de la sévérité de l'emprisonnement solitaire qu'on proposait de substi-
tuer à la peine capitale ; mais lorsque ces deux objections eurent été
combattues et levées à sa satisfaction, à ce qui me parut, il répliqua par
une de ces exclamations citées dans le texte, et ajouta avec fiancliise :
« Il faut que je confesse qu'il se mêle un petit sentiment de vengeance
dans mon opinion sur cette matière.» Si tons les raisonneurs étaient d'aussi
bonne loi, il y aurait moins de difficultés à établir les saines doctrines.
{Nn/c de M. Livingston.)
SLR LA PKLNE DE MOUT. 287
s'acrroilrait cerlainenient encore, si le bras do la justice n'é-
tait jamais employé a cette œuvre sacrilège; et la veoji^eance
particulière pourrait être réprimée par les lois (juand elles ne
l'encourageraient plus par leur exemple.
Mais, quoique ce sentiment vindicatif se décèle dans la cha-
leur de la conversation, on se garde bien de le mettre en avant
dans aucune discussion sérieuse : il est trop universellement
réprouvé. Que dit-on alors? Que celte peine est proportionnée
au crime, qne le meurtre étant le plus grand des crimes, la
mort, la plus grande des punitions, doit lui être appliquée. Mais
pourquoi doit-elle lui être appliquée? Proportionner la puni-
tion à l'offense ne signifie pas l'aire soufiVir au coupable la
même quantité de mal qu^il a infligé par son crime; ce serait
à la fois impossible et injuste. Cela signifie que la punition
doit être telle qu'elle détourne de la commission du crime , et
rien de plus; si donc la peine de mort ne produit pas ce résul-
tat, pourquoi doit-elle être appliquée? Or, les raisonnemenset
les faits prouvent qu'elle ne le produit pas. Pourquoi donc
continuez-vous à l'appliquer? Pressé par ces questions, on re-
court à l'éternelle réponse : « Le meurtre mérite la mort»; il
n'y a pas de raisonnement qui puisse les faire sortir de ce cer-
cle. Quelquefois , il est vrai, ils nous demandent : mais êtes-
vous bien sûrs que, si nous renonçons à cette punition, celle
que vous voulez y substituer sera efïicace? Si vous entendez
efficace au point de déraciner le crime, je répondrai non.
Mais je suis aussi sûr qu'on peut l'être par l'expérience, par
l'analogie et par le raisonnement réunis, que ce moyen sera plus
efficace que le vôtre. Que pouvons-nous craindre? Pourquoi
hésisler? Vous savez et ne pouvez nier que la crainte de l'é-
chafaiid ne réprime pas le meurtre. Nous avons vu un meur-
tre délibéré , commis dans la foule même qui assistait au
spectacle de la mort d'un meurtrier: parlerons-nous encore de
l'inefficacité de l'exemple? Au mépris de votre peine capitale,
l'homicide se promène en paix, et lève en plein midi sa main
ensanglantée, au milieu même de la foule qui se presse dans
vos rues populeuses. S'il est arrêté dans sa carrière, il se cou-
288 OPINION DE M. LIVINGSTON
vre de l'exemple de vos lois ; et dans leur sévérité même trouve
un abri contre la punition méritée. Essayez l'effet des peines
plus douces, elles ont réussi, vos propres statuts et ceux de
tous les État? de l'Union prouvent qu'elles ont réussi pour
d'autres offenses ; faites cette grande épreuve pour celle-ci,
soyez conséquens, rétablissez la peine capitale pour les autres
crimes; ou abrogez-la pour celui-ci. Ne craignez point qu'at-
tirés par la lénilé de votre Code pénal, les meurtriers af-
fluent desi»utres parties du globe, et viennent établir ici le
Théâtre de leurs exploits. Nous avons à cet égard un exemple
bien frappant. Nous avons vu qu'en Toscane, ni le meurtre, ni
aucun autre crime, n'avait été puni de mort, durant une pé-
riode de vingt années, pendant laquelle, comme l'attestent non-
setiment les déclarations officielles du souverain, que tous les
crimes avaient diminué, et que ceux d'un caratère atroce étaient
devenus extrêmement rares, mais encore le vénérable Fran-
klin, dont l'autorité vient à l'appui de ces faits concluans. Il
nous dit qu'en Toscane, oOi le meutre n'était pas puni de mort,
il ne s'en était commis que cinq en vingt ans, tandis qu'à Rome,
où kl peine capilale était infligée à ce crime avec beaucoup
de pompe et une grande parade, soixante meurtres avaient eu
lieu , dans le court espace de trois mois , dans la ville et seS'
environs (i). Il est remarquable (ajoute-il) que les mœurs,
'i) Si jamais pliilnsojiliie a mérité les épilhètes d'ntile et de pratique,
c'est -celle du docteur Franklin. Ses opinions doivent être appréciées
non-seulement à cause du caractère du personnage, mais encore à cause
des ryisonnemens simples et clairs dont il les élaie. Que dit ce témoin vé-
nérable et irrécusable dans la cause de l'Iiumanité que nous défendons?
« Je soujtçoiine que l'obstination de certains esprits, d'ailleurs éclairés en
matière de peines capitales, à conserver la punition de mort dans les cas
de meurtre, provient d'une fausse interprétation d'un passage de l' An-
cien-Testament, conçu en ces termes : Celui qui verse le sanTg de
l'fiumme aura son sang versé par l'homme. On a supposé que cela si-
gnifiait que le sang ne pouvait être expié que par le sang. Mais je penche
à croire, avec un commentateur moderne de ce texte de l'Écriture, que
c'est plutùl une prédiction qu'une loi. Le sens en est simplement que la
A)lie et la dépravation de l'homme sont telles que, dans tous les lems, le
SUR LA PELM'] DE MOilT. 2R9
tes principes cl la religion tics lial)ilans de la Toscane et de ceux
de Konic sont exactement les mêmes. La seule abolition de la
meurtre, ainsi les lois qui infligent la mort pour le mcuitre sont ,
dans mon opinion, aussi anticlirétiennes que celles qui justifient ou tolè-
rent la vengeance : car l'obligation religieuse d'encourager le repentir,'
de pardonner les offenses, et de remplir les devoirs d'une bienveillance
luiiverselle, ne concerne pas moins les Etats que les individus.
» Le droit de disposer de la vie humaine n'appartient qu'à celui là seul
qui l'a donnée. Les lois humaines qui transfèrent cette prérogative en
d'autres mains sont donc en rébellion contre le créateur de l'homme. Si
la société peut être garantie de violence par la réclusion du meurtrier, le
but de la répression est rempli. Il peut s'amender dans la solitude, ou si
la réforme est im|>raticable, il peut être détenu pour un terme probable-
ment égal à celui de sa vie.
>i II fut un tems où la punition des prisonniers de guerpe était la ser-
vitude nu la mort, et où la destruction indistincte des paisibles cultiva-
teurs, des femmes et des enfans, était jugée nécessaire au succès de la
guerre et à la sûreté des Etats. L'expérience nous a désabusés, et à me-
sure que l'humanité a triomphé des principes d'une fausse politique, les
guerres ont été moins fréquentes et moins cruelles, et les nations ont joui
de plus longs intervalles de tranquillité intérieure. Les vertus sont toutes
des anneaux de la même chaîne, ce qui est humain est sage, ce qui est
sage est juste ; et tout ce qui est humain, juste et sage, sera reconnu être
le véritable intérêt des Etats, soit que des criminels ou des ennemis
étrangers soient l'objet de leur législation.
» On peut dire, pour l'honneur de l'humanité, que dans tous les pays
et dans tous les âges on a vu des hommes chez Jesquels la droiture natu-
relle triomphait des coutumes et des lois. Comment expliquer autrement
l'abandon des uiaisons situées près des place» d'exécution. Pourquoi
verrions-nous fermer des portes et des fenêtres à l'heure des exécutions,
pourquoi entendrions-nous parler de secours secrèlem'<:nt fournis aux
criminels pour adoucir ou éluder la sévéïilé de leurs punitions? D'où
viendrait l'horreur qu'inspire généralement l'exécuteur des hautes-œu-
vres? Ces effets décèlent les combats internes de la raison, ou plutôt
l'agence secrète de la divinité même parlant au cœur humain, et se
soulevant contre la folie et la cruauté des punitions publiques. ,
,» Je terminerai ces réflexions en observant que c'est la même fausse
religion, la même philosophie erronée qui, dans le tems, allumèrent le
feu du fanatisme sur l'autel delà persécution, et qui condamnent aujour-
d'hui les criminels à l'ignominie publique et à la mort. Mais à mesure
qu'une saine 'philosophie et la charité chrétienne dévelopi^eiont leurs
T. XLVIX. AOIT 187)0 19
a()0 OPINIOIN DE M. LIVINGSTON
peine de mort a produit cette difTérence dans le caractère n>o-
ral de ces deux nations. Il paraîtrait d'après cela cjue les meur-
triers de Toscaue auraient été attirés, par la sévérité des pu-
nitions, dans le voisinage de Rome, plutôt que ceux de Rome
ne l'étaient en Toscane par la lénité des lois. Nous n'avons
donc rien à appréliender de cette mesure, et, si d'ailleurs quel-
que mauvais eirct pouvait résulter de cette épreuve, il n'est
(]ue trop facile de revenir au système d'extermination.
lin argument sur lequel j'ai insisté dans mon premier rap-
port et qui a trait au caractère de férocité imprimé an peu-
ple par celle punition, vient d'être développé d'une manière
si frappante par un événement snhséquemmenl arrivé dans la
Pensylvanie, que je ne puis le passer sous silence. Après que
l'exéculiou de Lechler eut assouvi la curiosité des habitans
des environs de New-York et de Lancastre, et eut produit ses
résultats d'homicides et autres crimes, un malheureux fut con-
damné à la même peine de mort, pour une offense du même
genre, dans une autre partie de l'État oi"i le peuple n'avait
pas encore joui de ce spectacle ; une foide immense se ras-
sembla, la viclime fut amenée, tous les yeux de la masse vi-
vante (jui environnait le gibet étaient fixés sur cet infortuné,
et brillaient du désir de voir le moment où il serait lancé
dans l'éternilé. Il y eut du délai ; ils devinrent impatiens : ce
délai se prolongea, ils s'exaspérèrent, poussèrent des cris sem-
blables à cv.ux (juc fait entendre le parterre quand au théâtre
il provoque la levée du rideau trop tardive à son gré. Avides
du plaisir qu'ils attendaient du spectacle de l'agonie de leur
vrais |iiiiicij)es, elles s'accordfront à tlniiiriT les flauuncs el i\ bannir les
supplices. Si ces p:incipes cuniiniient de lépandie leur iiiiluenee -iiir le
goiiverneinciif, comme ils le fimt depuis quelque tems, je me jilais à es-
pérer que le moment n'est pas bi^m éloigné où les échalaiids, les piloris,
les Fers, les carcans, les roiics (instrumens habituels des jiuiiilioiis publi-
ques) seront relégués dans riiisloire-avec les chevalels, les tenailles, etc.,
comme nionuineiis de la barbarie des siècles el des États, el comme une
preuve allligeanle de la lenlern- des progrés de la raison el de la leligion
dans l'espiit humain, n', licflc-fiotis sur les piinilums publiques.)
à
StK LA PlilNt: DE MOUT. 291
semblable, leurs claïuonrs devini-ont celles de cannibales.
Mais lorsqu'on leur annonça qu'un sursis les privail de la
jouissance de contempler ses dernières anfî;oisses, leur fureui-
ne connut plus de bornes, et ce ne fut qu'avec diiricullé que
le pauvre maniaque (car on découvrit qu'il était insensé) put
Cire dérobé par tes ofllciers de justice, au sort que semblaient
lui préparer les plus déterminés (1). Ceci n'est point un
tableau surchargé ; plus d'une l'ois ce sentiment barbare s'est
nianilésté dans diverses parties de l'Union; et il sera toujours
excité parles exécutions publiques, à moins qu'il ne soit rem-
placé par hi sentiment non moins dangereux d'admiration et
d'intérêt pour le patient. Lequel des deux prévaudra ? c'est
ce qui dépend des circonstances que ni le législateur, ni le
juge ne sauraient prévoir ni détourner. Mais l'un et l'autre
de ces sentimens détruisent entièrement le bon efief qu'on es-
père obtenir des punitions publiques.
Je ne puis ni ne dois abandonner ce sujet sans représenter
encore aux plus sérieuses méditations de la législature un ar-
gument dont l'importance s'accroît dans mon esprit chaque
fois qu'il le considère de nouveau, et que la voix de la cons-
cience, si nous l'écoutons, nous dit être concluant : c'est la na-
tm-e irrémédiable de cette punition. Jusqu'à ce que les hom-
jTies aient acquis de nouvelles facultés qui les mettent à mC'mc
de discerner l'innocence de la culpabilité sans le secours de
témoins faillibles et corruptibles, nous courons le risque d»-
condamner l'innocent. Si cette conséquence était aussi pro-
fondément sentie qu'elle devrait l'être, se trouverait-il un seul
partisan qui oserait étaycr cette punition qui . infligé»; en pa-
()) Cotte sctne scandaleuse eiU lieu à Orwighbourg ; le inallieiii eux
insensé qui faillit être sacrifié s'appelait Zienerman. Je tiens ces detai's
fl'iine personne de la plus haute respectabilité en Pensylvanie, q^iajoule
au narré de ce l'ait : Les exécuiir.ns, dans cet Etat, soat des scènes de
désoidie et de toutes sortes d'iniquités; vingt, trente, quarante mille
persoimes se rassemblenl en cette occasion. Dans les campagnes deux,
trois jours se passent en i éjouissances qui rappellent les foires d'atiln -
t<iis. {Noie (le M. Liringslo».)
<j2 OPINION DE M. MVINGSTON
icil cas, a pour la malhourt'iise iiiiioceiicc; lous les caractères
(In meurtre le plus atroce. Ses effets surpassent en borharie
l'acte du plus infâme assassin. Celui-ci poignarde, frappe ou
empoisonne, et la A'ictime expire d'un coup imprévu, sans
êtie donnée en spectacle à la curiosité pulilique, sans laisser à
ses meilleurs amis des doutes sur son innocence, sans se voir
abandonnée d'eux, dans la conviction de sa culpabilité; elle
meurt, et sa mort est un de ces accidens inévitables auxquels
sont soumis tous les mortels. Sa famille est affligée, mais non
deslionorée ; sa mort est déplorée par ses amis et bonorée par
son pays s'il en a bien mérité durant sa vie. Mais l'bomicide
juridique, le meurtie de l'innocent , avec les formes sacrées
delaloi,n'a point ces circonstances adoupissantes. L i la mort,
lente dans son approcbe, indécise dans ses coups, fait éprou-
ver à sa victime, non-seulerrient ces angoisses de l'âme qui
naissent du conflit de la crainte et de l'espérance, en atten-
dant sa condamnation; mais après...., dans l'isolement d'un
cacbot, elle est en proie , durant cliacune des minutes de vie
que lui laisse la cruelle douceur des lois, à toutes ces antici-
pations décourageantes, cent fois pires que la mort. Le sen-
timent intime de l'innocence, qui nous soutient dans les
autres adveisités, se convertit pour lui en une source d'a-
mertume et de désespoir quand il reconnaît que ce n'est pas
une protection contre l'infamie et la mort; et lorsque les
liens qui l'altacliaient à sa patrie, à sa fanulle , à ses amis,
vont à jamais être brisés , aucune réflexion consolante ne
vient adoucir l'horreur de ce der:iier muincut : il bisse à ses
eid'ans une infîmiie non méritée, à ses autres parens, un nom
flétri dans la société, et courbe vers le tombeau les têtes blan-
chies des auteurs de ses jours. En sortant de son cachot, il
voit la foule assemblée pourcontempler ses dcrnièresagonies;
ilinonie au fatal polea\i , et une vie innocente est terminée
par une niort desbonoranie. Ce n'est pas nu tableau d'ima-
gination : plût ;i Dieu le fût-il! Plût à Dieu, si la mort doit
être infligée, qu'on pût découvrir des moyens certains pour
ne la faire tomber que sur des (êtes coupables! Mais ces faits
SI II LA PîiNE DE MOUT. aj;.".
sonl arrivéî^ ; ces nieinlres légfiux ont été foiiunis. Kl quels
rurenl les premiers ailleurs c!c ces crimes ? Qui a autorisé une
jMHiition qui n'admet aucune rémission pour l'innocence?
«Qui a serré le nœud fatal ? Qui u fait tomber la hache sur une
iiioffensive créatin'c? Ce n'est pas le bourreau, vil instrument
salarié pour accomplir l'œuvre de mort. Ce n"est pas le jury
qui condamne, ni le juge qui prononce la sentence, ni la loi
qui sanctionne ces erreurs, mais bien les législateurs qui ti-
rent la loi, ceux qui, ayant le pouvoir de la rappeler, la lais-
sent exister. Voilà les personnes qui sont responsables à leur
patrie, à leurs consciences et à leur Dieu. Non-seulement ces
horreurs ont eu lieu , mais elles seront renouvelées; les mê-
mes causes produiront les mêmes elTets : l'innocenl a élé sa-
crifié pour le coupable , il le sera encore. Nous le savons,
cette affreuse vérité fatigue nos regards. Nous ne pouvons ni
la méconnaître, ni l'éviter. Un mot suffirait pour sauver l'in-
nocent et assurer la punilion du coupable, et nous pourrions
hésiter à le prononcei! Nous contenterons- nous de notre
exemption imaginaire de pareils accideus, et fermerons-nous
l'oreille aux cris de la justice et de l'humanité ! « La sensi])i-
lilé, pour me servir de l'expression d'Eden (i), s'endormira-
t-elle au sein des jouissances, sans se réveiller à la voix de
l'infortune? » Je m'appesantis sur ce point, parce que j'ai vu
plus d'une condamnation sur de fausses interprétations de la
loi, sur la foi de témoins déçus ou parjures, condamnations
qui eussent été révoquées avant ce jour, si les malheureuses
victimes n'étaient hors de la iK)rtée des réparations hu-
maines. .J'ai vu, dans le sombre silence des cachots, l'expres-
sion muette de l'indignation profondément concentrée, luttant
contre la douleur. J'ai entendu des attestations solennelles ,
d'innocence faites d'un ton que l'artifice ne saurait imiter.
J'ai écouté avec un étonnement mêlé d'effroi les adjurations
d'une de ces victimes, dont les accens, d'une énergie plus
{{u'humainc , sommaient son perfide acusateur et son juge
f :
(i) Principes de la lui pénaU .
294 OPIMON DE M. LlVlNGSTON
abusé à comparaître avec lui devant le trône de Dieu ; cet
appel au grand tribunal, (|ui n'erre jamais, et devant lequel
l'appelant allait paraître dans quelques heures, était t'ait pour
exciter la présomption de son innocence : cette présomption
lut changée en certitude; le parjure du témoin fut décou-
vert, et le monstre échappa par la fuite à l'infamie qui l'atten-
dait, ^lais il était trop tard pour réparer le mal. et cette décou-
vei'te n'eut d'autre conséqiiejWM' que d'ajouter à la quantité
de cas pareils un exemple de plus du danger, je tlirai de l'im-
piété de s'arroger cet attribut de la puissance divine, sans être
doué de l'infaillibilité qui peut seule en diriger l'exercice»
Cette seule objection . lors même que toutes les autres rai-
sons pressantes qui s'élèvent contre la peine de mort n'exis--
teraient pas, cette considération seule suffirait pour me faire
accueillir avec transport le décret d'abolition de la punition
lapitale, comme un événement si honoiable pour ma patrie.
-i consolant pour l'humanité, qu'il ne serait pas trop chère-
ment acheté au j)rix d'une vie entière de travail.
.Te ne puis abandonner ce sujet sans soumettre préalable-
juentà l'assemblée générale l'opinion d'iui liomme dont l'an-
lorité justifierait des épreuves bien plus hasardeuses que
celle qu'on propose, et dont les argumens sont aussi con-
vaincans que le nom est respectable; ce ne sont pas ici les
opinions d'un individu que le jargon moderne qui couvre l'i-
i-'iiorance du siècle puisse qualifier de théoricien, mais celles
d'iMipersunnage dqnt l'existence entière fut dévouée à l'exer-
cice des fonctions utiles et honorables de la plus haute ma-
gistrature, dont le nom n'est jamais prononcé qu'avec révé-
rence, et dont la doctrine est citée comme autorité, toutes les
lois que les vrais principes des connaissanc'es légales sont mis
en question ; écoutons le vénérable d'Aguesseau.
«Qui croirait qu'une première impression décide quelque-
fois la question de vie ou de mort? Une réunion fatale de
eirconstances qui semblent avoir été expressément rassemblées
par le sort pour cousoMuner la ruine d'un infortiuié. une foule
de témoius muets, par cela même plus dangel'eu.\^ déposent
StU LA PEIM": DE MOKr. 2y5
t'ontit; rinnoccnce ; elles iiilluencent le juge; ï^on uiuiguatioii
s'allume; son zèle même coutribue à le séduire. Convertis-
sant son caraetère de juge en celui d'accusateur, il ne consi-
'dère que ce qui tend à prouver la culpabilité; et il sacrifie à
ses propres raisonnemens l'iiomme qu'il eût sauvé s'il u'eùt
fait attention qu'aux preuves de la loi. Un événement imprévu
démontre quelquefois que l'innocence a succombé sous le
poids de conjectures, et révèle la fausseté (ies conclusions que
Le juge avait tirées des circonstances. La vérité lève le voile,
dont la probabilité l'avait enveloppée ; mais elle se montre
trop tard , le sang de l'innocent crie hautement vengeance
contre les préventions de son juge, et le magistrat passe le
reste de sa vie à déplorer un malheur que tout son repentir ne
saurait réparer (i). »
On a quelquefois reproché aux partisans de cette réforme
la chaleur avec laquelle ils y travaillent, comme procédant
d'une crainte puérile qui exagère l'appréhension d'une chose
que nul ne peut éviter. On se trompe ; nos raisonnemens n'exa-
gèrent point le prix de la vie. Il est des occasions où l'on doit
en risquer la perte; où la certitude de la mort doit être envi-
sagée avec calme et fermeté. Ces occasions s'offrent au patrio-
tisme, dans la défense de la patrie et de ses droits; à la bien-
veillance, dans le salut de sou semblable en péril; à la reli-
gion, dans la persécution qui présente aux fidèles la couronne
du martyr; et ce serait une grande erreur que de s'imaginer
que ceux qui proposent l'abolition de la peine de mort redou-
tent, plus que ceux qui veulent la maintenir, cet accident inévi-
table de notre nature, ou cette conséquence possible- de nos
devoirs. Celui qui sauvait la vie d'un citoyen romain obtenait
une récompense plus honorable que le soldat qui aventurait
la sienne, en montant le premier à la brèche. Le chêne était
préféré au laurier, et la couronne civique à la couronne mu-
rale. Dans le.; beaux jours de la république, les Romains avaient
(i) D'Aguesseat, iG"- nit.'itiirialc.
29« OPINIOIN DE M. UVTNGSTON, etc.
aboli cette punition. Loin (s'écrie leur grand orateur, s'ef-
forçant, dans un âge corrompu, de réveiller les anciens senti-
mens à ce sujet ) loin de nous la punition de mort, ses ministres»
ses instruniens! Écartez-les, non-seulement de nos corps, mais
de nos yeux, de nos oreilles, de notre pensée ! Car non-seule-
ment l'exécution, mais l'appréhension, l'existence, la mention
même de ces choses, est indigne d'un homme libre et d'un
citoyen romain. Les Romains n'étaient pourtant pas remar-
quables par leur crainte pusillanime de la mort. A l'époque
dont je parle, ils n'avaient pas besoin du stimulant de la peine
capitale pour les exciter à s'immoler pour la patrie. On
pourrait, au contraire, arguer avec plausibilité, que la dispo-
sition servile qui dégrada les derniers tems de la république
fut, en quelque sorte, due au changement qui fit du sacrifice
de la vie l'expiation du crime, au lieu de la preuve et de la
consommation du dévoûment patriotique.
Convaincu d'être tombé dans beaucoup de répétitions, et
certain d'avoir affaibli, en les reproduisant, des argumens
mieux développés par d'autres, je crains néanmoins encore
d'avoir omis quelque chose qui eût pu peut-être porter la
conviction dans l'âme de ceux auxquels ce rapport, s'adresse.
La ferme et religieuse persuasion où je suis de la vérité de la
doctrine que j'avance, contrariée par le sentiment intime de
mon incapacité de la communiquer aux autres, doit avoir
répandu de l'obscurité là où les intérêts de l'humanité eussent
■ exigé de la clarté, et semé de la confusion dans un travail où
le plus grand ordre était requis. Mais la vérité se fera jour ;\
travers ces obstacles. Du sein des nuages dont s'enveloppe
l'imperfection humaine, sa voix se fera entendre, comme celle
du Toul-Puissant, du sommet de la montagne, répétant aux
nations ainsi qu'aux individus le grand commandement : « Ta
ne tueras point. »
NOTICE NÉCROLOGIQUE. ^ij-;
[NOTICE iNÉCROLOGlOUE
SUR
M. Jean SCHWEÏGHAELSER, de Strasbovrc.
Au commencement de ce siècle, l'ancienne université de
Strasbourg, célèbre suitout parles bonimes éminens qui s'y
succédèrent dans la chaire de droit public et d'histoire, était
illustrée par trois philologues, tels qu'on les rencontre ra-
rement à la fois et dans la même ville. La Hollande avait bien
vu se perpétuer chez elle la série des savans interprètes de l'an-
tiquité : lluhnken avait pris la place d'Hemsterhuis, Valcke-
naer et AVittenbach les suivirent à peu de distance; mais ja-
mais on n'y avait vu , au même endroit, une réunion de savans
presque du même iige et de la même célébrité, comme Stras-
bourg l'offrait à cette époque. Brusck., ScHWEiGHAEtisER et
Oberlin y formaient alors un triumvirat utile et paisible, qui ,
loin de proscrire, attirait au contraire de toutes parts les hom-
mes studieux, ceux surtout que la gravité des lettres antiques
avqit su captiver. Aussi ne fut-il point éphémère comme l'é-
taient jadis ceux que l'intérêt et la soif de dominer avaient ap-
pelés à l'existence : l'ambition, la jalousie ne rompirent pas
les liens qui attachaient entre eux ces hommes que l'ardeur de
la science avait unis, et que leur ville natale confondait dans
une même estime.
L'éditeur de Sophocle et d'Aristophane, Brunck, le plus âgé
des trois, fut aussi le premier à payer le tribut à la nature;
arrivée au milieu de grands évènemens politiques , sa moit no
fit pas autant de sensation qu'on aurait dû s'y attendre après
une vie si utile à la science , illustrée par des travaux si im-
portans. Trois ans après , Olierlin suivit au tombeau celui mu
tes traces duquel il avait marché : le deuil fut alor^ d'autant
'2(jS NOTICE NÉCUOLOCIQLE
j)lusgéiit:ral que raclivilé de ce savant infatigable, qui se mul-
tipliait pour sullirc à tout, avait été plus grande, qu'elle s'é-
tait étendue à toutes les branches de la vie littéraire et scien-
tifique de sa ville natale , cl qu'il ne restait plus de cette école
féconde en savans ,- que celui (jui remplit alors un triste de-
\ oir, en consacrant la aiéuioire de son collègue par un discours
digne, par son éloquence et la pureté de la diction latine, de sur-
vivre à toutes ces compositions académiques dont les rentrées,
les promotions et tous les évènemens quelconques offraient
alors d'éternelles occasions. 11 est vrai qu'à lui seul Schweig-
haeuser pouvait suffire à la gloire d'une l niversité, comme au
sacertloce des Muses antiques : mais à la mort d'Oberlin, en
1806, il avait atteint sa soixante- quatrième année; son tour
semblait prêt à venir aussi, et personne n'était là pour re-
cueillir un si bel héritage.
Cependant, malgré les vicissitudes du sort, malgré les fati-
gues d'Une vie presque accablée de travaux , la carrière de ce
savant se prolongea bien au-delà des limites communes, et
enrichit la science de trésors nouveaux qu'on n'aurait osé se
promettre de la plume débile d'un septuagénaire; à quatre-
vingts ans même sa tfiche n'était pas accomplie, et ce n'est qu'a-
près avoir mis la dernièie main au monument qu'il éiigeait au
père de l'iiistoire, que le digne vieillard posa enfin la plume
et se reposa de ses travaux. Ses facultés n'éprouvèrent
pas la moindre altération , et nous étions à la fois heu-
reux et étonnés de l'espoir que nous avions de le conserver
encore des années, (juand il nous fut enlevé subitement par
une mort qui, long-lems pressentie et ariivée au dernier terme
de la vie humaine, nous paraissait pourtant inopinée.
Jean Schweighaeuser, fils d'im pasteur et chanoine au tem-
ple protestant de Saint-Thomas, naquit à Strasbourg le 26
juin i^/j'-i. A peine âgé de cinq ans, il entra au gymnase de
cette ville, étal)lissement anli«pic, fondé au tems de la réforme
religieuse sur le plan du savant Sturm ; et, après avoir passé
huit ans à cette école, où plus d'un prix fut décerné à ses pro-
grès, il fit inscrire son nom sur ia liste des étudians de l'I'ni-
Slll SCinVEIGHAElJSEfi. 290
veisilé. Là Raitj;- cl Loieiiz dov iniciil se.'^ iiiaîtrc> pu'iilc f^iccet
le laliii ; il ctiulia l'hisloiro sons Sthoepflin, auquel sou immense
savoir a obtenu la charge d'historiographe du roi ; d'autres sa-
vans l'initièrent aux profondeurs de la philosophie ou lui en-
seignèrent les Uiathémaliques, la physique, la chimie. Destiné
au ministère du culte, il s'appliqua ensuite à l'étude de la
théologie, ainsi qu'à celle des langues hébraïque, syriaque et
arabe, dont la connaissance est considérée, parmi les protes-
taus, comme une hase indispensal)le de la première. Le dogme
et l'histoire ecclésiastique l'occupèrent après : son génie vaste
et multiple n'avait aucune peine à embrasser à la fois tant de
branches du savoir, et il ne crut pas nuire à ses succès en y
joignant encore la botanique, l'histoire naturelle et l'anato-
mie, bien qu'elles semblassent le détourner du but que déjà
il s'était propo.'-é. Mais séduit par la réputation des Spielmann,
des Herrmann, il ne voulut point rester étranger à des cours
fréquentés par une foule de jeunes gens de tous les pays, que
la célébiité des professeurs attirait. Heuss et Frid, ses maîtres
de philosophie, nejouissaient pas de la même réputation; mais
leur élève ayant une prédilection marquée pour celte science, il
aimait à se fortifler, par leur commerce , dans l'étude analy-
tique de nos facultés, ainsi que des règles imposées à leur exer-
cice. Toutes ces parties embrassées à la fois avaient dû consu-
mer plus d'années qu'on n'en accorde ordinairement aux cours
imiversitaires : au lieu des trois ou quatre ans qui aujourd'hui
paraissent si longs à l'impatience de la jeunesse, il passa dix
ans sur les bancs de l'école, retenu d'ailleurs dans sa ville na-
tale par les devoirs que lui imposaient l'âge avancé de son père,
et la piété avec laquelle il les remplissait. Décidé enfin à faire
l'essai de ses talens, il soutint, eu 1767, sous la présidence
du vénérable Reuchlin, une thèse sur l'ordre moral qui règne
dans le monde , imprimée sous le titre de Sjslenia morale fiu-
Jus universi. Cette dissertation, que le répondant avait bji-même
rédii^ée, méthodique et cliire aus^i-bien qu'écrite avec lu^
grand usage de la langue latine, annonçait dans son auteur
un*' lête forte et bien luganisée, repoussant de vaincs théo-
5oo NOTICE NÉCROLOGIQUE
ries, une profondeur inlelligible aux seuls aileples, mais creu-
sant la nialièie avec une rare pénélralion.
Le vieux pasteur n'avait pu être témoin de ce premier
triomphe de son fils, il était mort avant la solennité qui a
marqué si honorablement les premiers pas de ce dernier dans
la carrière des sciences. Dégagé alors du lien qui l'avait retenu,
Scinveighaenser quitta Strasbourg avec la résolution de n'y re-
tourner qu'après avoir l'ait, dans les pays étrangers, une am-
ple provision d'expérience et de lumières. La capitale l'attira
naturellement en premier lieu : il y vola avec l'ardeur de la
jcimesse et cette soif de la science qu'une vie si longue n'a pu
entièrement satisfaire. Les trésors entassés pour la science,
et le commerce des savans l'attirèrent tour à tour; s'étant
surtout attaché au célèbre de Guignes, il fit, sous sa direction,
de gratuls progrès dans la connaissance du syriaque et de l'a-
rabe. Puis il alla en Allemagne pour étudier encore les langues
orientales : à Gœttingue il fréquenta avec la plus louable persé-
vérance les cours de ^Valch, de Miller, d'Acheuvall, deHeyne,
de Feder, de Diez et de Less, et plusieurs de ces hommes distin-
gués accordèrent leur amitié au jeune homme studieux qui at-
tachait un si haut prix à leurs leçons et à leur estime.. De Gœttin-
gue, il alla à Halle, et de là à Leipzig où il se fit aimer de Reiske
(jui l'iiiilia , lui et son ami Schnurrer, depuis professeur à Tu-
bingue, dans la connaissance plus intime non-seuletueut de
l'arabe, mais encore de la langue grecque et de ses grands
auteurs tragiques. Le tems passé près de ce savant, si original
à la fois et si érudit, fut précieux pour lui; et ce qui stimula-
encore son zèle, c'est qu'il eut pour condisciple la fenuncde son
maître, versée dans la littérature ancienne, et dont les progrès
pouvaient bien exciter son émulation. L'Allemagne abonde en
foyers de sciences et de lumières : de Leipzig, Schvreighaeuser
passa à Dresde et puis à Berlin, où il fit la coilnai.ssancc des
Sulzer, des Lamberi, des Mérian, des Mendelsohn, des Spal-
ding, des liusching et d'autres houmies placés alors sur les
sommités de la carrière des lettres. Leur accueil plein de bien-
\ eillancc lui fil legrclter la hâte avec laquelle il fut obligé de con-
SUR SCmYKÏGHAKUSlîU. Soi
limier son voyage. Basedow élait aussi alors à Berlin : notre
jeune éliidiant ne négligea pas l'occasion de voiriniphilosnplu;
déjà connu alors, et que ses efforts pour améliorer les nnétliodes
d'enseignement deyaient rendre célèbre. Depuis long-tems
l'Angleterre appelait notre voyageur : il se rendit, par Bruns-
wick et "\\oirenhuttcl, à Hambourg, où, avant de s'embarquer,
il eut l'avantage de voir le grand Lcssing dont les lauriers em-
bellissaient la retraite. A Londres, Askew et Turton accueil-
lirent avec empressement notre philologue : le premier le fit
même assister aux séîuices de la société royale où il se félicita
d'approcher des érudils célèbres avec lesquels il resta ensuite
en relation; il travailla aussi au Musée britannique, fré([uenta
la bibliothèque royale, etTÎsita les librairies qui avaientalorsle
plus de renommée. Sa connaissance de l'anglais lui fut d'un
grand secours, et la facilité avec laquelle il s'énonçait en latin
lui offrit un moyen subsidiaire auprès des savans qui ne par-
laient ni le français, ni l'allemand. A Oxford, ilpassaune grande
partie de son tems à la bibliothèque Bodieïenne, en consuma
le reste avec Kennicott, Swinton , Hunt et AVhite, et se lia
particulièrement avec ce dernier. Si près de la résidence de
l'évêque Lowth dont il avait soigneusement étudié les ouvra-
ges, il ne put résister au désir de présenter ses hommages à
cet homme éminent; il en fut reçu avec une hospitalité par-
faite, relevée par la simplicité des manières de ce prélat.
Plus de deux ans s'étant déjà écoulés depuis son départ de
Strasbourg, et les dépenses inséparables d'une vie passée ainsi
en voyages menaçant d'épuiser ses ressources, Schweighaeuser
songea enfin ù retourner chez lui, heureux de trouver sur sa
route de nouveaux objets dignes de tout son intérêt, et l'oc-
casion de faire d'autres connaissances non moins utiles à son
avenir. Ayant choisi la route de la Hollande et des Pays-Bas, il
visita Piotterdam, La Haye, Amsterdam, Ltrecht et Leyden, et
vit dans cette dernière ville, siège illustre de l'érudition classi-
que, le célèbre Ruhnkenius dont les commentaires sont des
modèles de critique comme son éloge d'Hemsterhuis est un
chef-d'œuvre d'éloquence. Il arriva enfin par Buxelleset Metz,
5o2 NOTICE NÉCUOLOGIQLI-:
à Stnisbourg, vers la fin ilc i^Oq; ses anciens maîtres le re-
virent avec joie, et Brunck, alors dans toute la force de son
talent, le reçut dans son intimité.
Schweigliaenser avaiteuà peine le tems de repasser dans son
esprit et de mettre en ordre tous les trésors dont son voyage l'a-
vaitenrichi. II commençait seulement à tirer parti de la connais-
sance de rhe])rcu et de l'arabe que ce même voyage lui avait pro-
curée, quand la chaire de logique et de métaphysique, deve-
nue vacante, éveilla son ambition en même tems qu'elle rani-
mait son ancienne prédilection pour la philosophie. Il l'obtint
en effet en i 770, comme professeur-adjoint, et consacra le pre-
mier pas fuit dans la carrière des horineurs académiques, par
une dissertation inaugurale sur cette question : quelle est la
connaissance de l'homme qui a le plus de certitude pour lui,
de celle des choses corporelles, ou bien de celle qu'il a de sa
propre essence? Dans une déduction rapide, mais concluante,
Fauteur fait voir que toute la connaissance que nous avons des
choses extérieures se réduit à des accidens, à celles de leurs
qualités qui tombent sous les sens, mais que c'est par l'étude
de nous-même que nous acquérons l'idée de substance que
rien au dehors ne saurait nous donner. Cette dissertation,
comme la précédente, prouva dans son auteur une rare apti-
tude pour l'analyse et une clarté parfaite dans les idées ; il faut
dire la même chose de celles qu'il rédigea successivement pour
les jeunes aspirans aux degrés académiques, appelés à les
soutenir comme thèse» sous sa présidence. De ce nombre sont
le traité de .sensu morali , les sentences philosophiques et la
théologie, ainsi que la morale de Socrate, qui sont de l'an-
née 1780.
Jusqu'en 1777, Schweighaeuser avait alternativement en-
seigné la logique et la métaphysique : la mort de Scherer lui
en ouvrit à cette époque la chaire dont il n'était encore qu'ad-
joint; mais sou collègue Muller étant mort immédiatement
après, il obtint la chaire des langues grecques et orientales,
qu'il occupa jusqu'à la fin de ses joints, et pour laquelle il
avait trouvé dans In personne du célèbre Obcrlin un compé-
SUR SCHWIÏIGHAEIjSKU. 5o:>
titciir redoutable. Au moment d'entrer eu fonctions, il invita
le pid)rK'. à celte solennité, suivant l'usage, par un programme
où il rend compte des principaux évènemens de sa vie, avec
une candeur et une modestie dignes d'éloge. Ce lut le i4 no-
vembre 1778 qu'il fut installé. Il revint alors à l'étude des
langues, avec cette ardeur et celte peisistance qui sont les
plus sûrs garans du succès, sans toutelois négliger la philoso-
pbie, à laquelle ses thèses, rédigées pour des élèves appelés à
les soutenir, eurent toujours trait, comme il a été dit plus
haut. En même tems, il ne dédaigna pas des études plus mo-
destes : il donnait en particulier des leçons d'anglais, et ar-
rangea, dans desmomensde loisir, une petite Encyclopédie de
la jeunesse, intitulée : Teulsclies Lesebuch , où il fit entrer un
chapitre sur la nature de l'homme tout entier de sa main, et
composé avec le plus grand soin. Il parait avoir attaché beau-
coup d'importance à ce morceau, puisque, l'ayant traduit
en latin, il l'inséra plus tard dans le pi-emier volume de ses
opuscules, en forme d'appendice.
Jusque-là l'activité littéraire de Schweighaeuser se réduisait
à des compositions de peu d'étendue : nous allons le voir se
lancer dans la carrière qu'il a depuis parcourue avec tant de
gloire. Quand il en eut fait l'apprentissage sous Brunck, qu'il
aida dans son édition d'un choix de tragédies grecques, ce cé-
lèbre savant le mit eu relation avec l'anglais Musgrave, qui,
désirant connaître les leçons cl les variantes d'un manuscrit
d'Appien , conservé à la bibliothèque d'Augsbourg, s'était
adressé à Krunck pour en obtenir la communication. Ce-
lui-ci chargea notre jeune philologue de collationner ce ma-
nuscril fort important avec les éditions imprimées; et c'esl
pendant ce travail que Schweighaeuser se convainquit à quel
point le texte de l'historien des guerres civiles et de Mithridate
était altéré, de combien d'améliorations il était susceptible.
Plein d'empressement, il fit part de ses découvertes au sa-
vant anglais, de manière à lui donner une haute idée des
moyens de son correspondant ; il rédigea presque immédiate-
ment plusieurs dissertations, non-seulement sur le texte de
5o4 NOTIClî NKCHOLOGIQUE
l'histoire d'Appien, mais encore sur la personne el la vie de
cet auteur, ainsi que sur le degré de coufiance auquel il peut
prétendre. Dans ces opuscules, écrits toujours avec la même
élégance du style latin, il hasarda plusieurs conjectures criti-
<[ues, avec une prévision si heureuse, que l'examen des ma-
nuscrits les confirma pour la plupart. Musgrave, distrait par
d'autres occupations, et forcé par son état physique de s'ahste-
nirdu travail, l'engagea alors à se chargerai ui-même de la tâch€
que ses recherches avaient déjà facilitée, lui promettant son
appui et ses conseils. L'entreprise n'était pas facile : depuis
cent ans personne n'avait songé à piu-ger le texte d'Appien des
altérations de toute espèce que les copistes lui avalent fait su-
bir, et cet auteur était tombé dans une déconsidération que rien
ne justifiait. Quant aux deux premières éditions, elles étaient
aussi incorrectes que défectueuses; Toll , qui dans une troi-
sième, avait bien essayé quelques améliorations, poussa l'incu-
rie jusqu'à réimprimer les fragmens de l'histoire illyrienne
donnés par Charles et par Henri Etienne , bien que depuis, et
<-o ans avant Toll , Hoeschel eut mis au jour ce livre tout en-
tier. Une nouvelle ère commença pour l'historien grec avec
la nouvelle édition que Sch-vvcighaeuser en publia en 1785 :
en prouvant que l'histoire des Parthes, à laquelle surtout Ap-
pien devait sa mauvaise réputation, n'était aucunement son ou-
vrage, il lev(;ngea desattaques porléescontrehii, et il débarrassa
le reste de ses compositions d'une foule de leçons inadmissi-
bles. De plus, il lui restitua l'histoire illyrienne dans son inté-
grité', combla les lacunes qui jusque-là avaient interrompu le
récit des guerres puniques , recueillit dans Photius et dans
Suidas de nouveaux fragmens qu'il renvoya à l'endroit d'où ils
étaient détachés, et rangea tous les livres dans leur ordre natu-
rel que les autres éditeurs avaient interverti. Au texte reconstruit
ainsi à l'aide de matériauxlrès-nombreux, comme d'une criti-
que conjecturale le plus souvent heureuse, il joignit des notes
détaillées justificatives du texte, des tables alphabétiques, un
vocabulaire des principales locutions d'Appien, et refondit
entièrement les anci»'nt>es traductions latines faites sur des
SIU SCIIV. EIGBAEUSEU. 3o5
•«rîginaux encore encombrés d'erreurs. Ce savant travail, pii-
î)lié il Loipzi{j^, en dix tomes ou trois volumes in-8°, ne l'onda
pas seulement la réputation de son auteur, mais le plana de
prime-abord au premier rang des critiques et des hellénistes.
Grand ami du travail et incapable de s'arrêter dans la route
tiù son premier pas était un succès, Schweighaeuser n'inter-
rompit un moment ces recherches que pour se livrer à d'au-
-tres non moins pénibles. Après avoir fait paraître, en 1789,
une série d'observ-ations grammaticales et critiques sur le Lexi-
tpie de Suidas, monument précieux par les restes d'ouvrages
qu'il a sauvés, mais qui ne nous est parvenu que surchargé
d'altérations, il commença l'édition de Poljdje, peut-être son
ouvrage le plus important, celui qui rendit le témoignage le
plus éclatant de sa perspicacité critique, de son grand usage
des manuscrits, et de sa facilité àpénétrerdans l'esprit et le style
<l'un auteur. Le premier volume parut la même année, encore
à Leipzig, où le libraire Weidmanti s'empressa d'accueillir et
4.1e provoquer les nouvelles entreprises d'un liomme dont le
iiom commençait à devenir européen.
On sait qu'il ne reste des œuvres de l'Achéen, ami des Sci-
pions, que les cinq premiers livres en entier, puis des extraits
des douze ou ti-eizesuivans, faits anciennement par un abrévia-
teur, enfîu quelques fragmens conservés dans les recueils intitu-
lés : De Lfgationibus et De Firtutibus et Vitiis. A ces précieuses
reliques l'éditeur en ajouta d'autres recueillies dans Suidas et
dans Etienne de Byzance, et, le premier, il s'appliqua à reconnaî-
-tre l'ordre suivant lequel tous cesfragmens étaient disposés dans
les trente-cinq Hvres perdus, pour l*s rétablir à Icur^éritable
place. On sent de quelles difficultés une semblable entreprise
Vitait accompagnée, mais elles furent surmontées avec tant de
bonheur qu'un petit nombre de fragmens seulement, trop courts
pour offrir des moyens de classification, durent être rejetés à la
fm de l'ouvrage. Après cette opération, il s'appliqua ti corriger
ie texte vulgaire à l'aide de manviscrits jusque-là négligés , et
des nombreuses variantesentassées plutôt qu'exploitées par Ca-
T. XJ.VH. Aoi'T iSrîo. 20
5o6 NOTICE MiCROLOGIQLE
sauboii. Des notes critiques peu étendues furent placées sons
le texte, un commentaiie plus détailh- suivit dans des volu-
mes à part; la traduction élégante mais souvent inexacte de
Casaubon fut refondue, les laJ)les des matières augmentées,
et cette édition fut encore enrichie d'un glossaire Irès-remar-
quable dans lequel sont discutées les particularités du style de
Polybc.
Malheureusement ce travail important ne put pas s'accom-
plir sans interruption : tombé dans des tems de désastreuse
mémoire, il ne défendit pas son auteur contre les tribulations
auxquelles tant d'hommes de bien se trouvaient alors exposés.
Schweighaeuscr, sage et ferme dans ses principes, avait donné
peu de gages de civisme ; on l'accusait d'être le confident de
l'infortuné Dietrich, premier maire de Slrasboiwg, de tenir
chez lui des conciliabules noctm-ncs, d'intriguer contre le triom-
phe de l'égalité républicaine. Ayant d"aiileurs actepté quelques
fonctions publiques, il y avait déployé la franchise et l'éner-
gie de caractère qui lui étaient propres : c'était plus qu'il n'en
fallait pour aller gros.-ir le nombre des suspects que nos Ja-
cobins entassaient au séminaire éjii^copal. Après y avoir passé
vingt jours, cette prison ne s'ouvrit pour lui qii'à condition
que dans les vingt-quatre heure» il (juittât !a ville pour s'éloi-
gner des frontières d'au moins vingt lieues. Baccarat, hum-
ble village du département delà .Me urîl'.e, lui offrit alors un asile.
où il resta plus d'un an avec une partie de sa famille. Mais là
mf-uie il ne put continuer tranquillement ses paisibles tra-
vaux. La lampe nocturne du savant, ses veilles prolongées
souvent jusqu'à l'aube du jour, paraissaient suspectes: quel
motif pouvaient-elles avoir si non des trames aristocratiques
et de sourdes menées? Des hommes incessamment acharnés
aux intérêts matériels de leur cupiilité ou de leur ambitioi\
pouvaient-ils comprendre une activité produite par la seule
ardeur de s'instruire et d'étendre aussi les bornes de la science?
Toutefois les dénonciations restèrent sans effet, on en comprit
l'absurdité ; on s'assura qu'il était possible de travailler la nuit
SLil SCll^VI-IGIlAELSEU. So;
sîiiis conspirer; cl d'aillciii s consacrer ses veilles au républicain
ami (le ces Scipions dont on inv(K[iKiit les souvenirs, n'était-ce
pas lin litre d'eslime aux yeux des puissans du jour?
L'édition de Polybc lut donc achevée; le neuvième volume
parut en i jc)5 ; aujourd'hui elle est épuisée. Tous les houuiics
capables d'aprécier un travail de celte nature furent unanimes
dans le jugement favorable qu'ils (;n poriaicnt. Délivré de sou
exil, Sdnveighaeuser retourna alors à Strasbourg, où les étu-
des commencèrent à se relever,
L'Ecoie centrale du déparlement du Bas-Rhin venait d'èti-e
ouverte : Schweighaeuser, ayant été nommé professeur de litté-
rature ancienne, y fit des cours de lang;:e grecque et d'arabe. La
mélhode avec; laquelle il procédait, sa marche analytiqne, la
clartéqu'ilsavait tonjours répandre sur ies objets traités par lui,
la condescendance avec laquelle il se mit à la portée de ses au-
diteurs, la plupart faibles encore, donnèrent à son enseigne-
ment un haut degré d'utilité; il s'y livra avec un véritable
plaisir : propager la science, inslruiie la jeunesse, faire ger-
mer dans son espiit une science réelle, et y éveiller le goût des
études graves et solides, c'était pour lui une passion, la seule
peut-être qu'il connût- Il prêchait d'exemple à ses auditeurs
la modestie et la circonspection , leur rappelait sans cesse la
nécessité de se rendre un compte exact de tout ce qui s'offrait
à leurs méditations, et lem* faisait comprendre que jamais ils
ne sauraient réellement que ce qu'ils auraient saisi avec luci-
dité et classé avec mélhod-e. Plus tard, quand V Académie pro-
testante de Strasbourg prit la place de l'ancienne Lnivei'sité de
cette ville, il fut aussi rétabli dans la chaire où il avait déjà
rendu de si grands services, et où il conlinua d'ensrigner,
même quand cet antique établissement eut été réduit aux bor-
nes étroites d'un séminaire, à la suite du système de centrali-
sation et d'unifoiuiité alors généralement suivi. A peine l'In-
stitut de France fut-il organisé, que Schweighaeuser, nommé
correspondant de la 5^ classe, y fut compris : sa réputation
'^'était déjà fait jour au travers des intérêts politiques et des ^
r,M8 NOTICE NÉCROLOGIQUE
pùparatifs militaires qui absorbaient alors rattention publi-
que. Dans la suite, quand les classes furent remplacées parles
quatre Académies, il fut nommé académicien libre de celle
des Inscriptions et Belles-Lettres.
Ces succès, loin de rallentir le ztde de notre pbilologue,
l'excitèrent à de nouveaux efforts que l'état de sa fortune
rendait d'ailleurs nécessaires. L'exil de 1794, fatal à sa bi-
bliothèque, avait aussi porté un coup sensible à ses affaires do-
mestiques jusque-là florissantes : pour subvenir à toutes les
dépenses dont sa position lui faisait une loi, et entretenir ho-
norablement sa nombreuse famille, dont l'aîné commençait
dès-lors à marcher sur les traces glorieuses de son père, il
fallut redoubler d'activité. Heureusement qu'en servant la
s-ience, la lil)rairie de Leipzig avait bien fait ses propres af-
faires : \N'eidmann demanda donc à publier de nouvelles édi-
tions de classiques retouchés par une main si haljile et si exer-
cée. Schweighaeuser, que l'amour de la philosophie n'avait
jamais quitté, choisit les raonumens de celle d'Épictète , con-
servés par Arrien et par Simplicius, et les publia , à la fin du
dernier siècle, en six tomes, ou cinq volumes in-8°. Cette édi-
tion eut pour avant-coureur celle du Manuel d'Kpictète, avec
la Table de Cébès, deux précieux opuscules qu'il affection-
nait, et qu'il ne croyait pouvoir assez recommander à l'atten-
tion des jeunes disciples des philosophes.Villebrune s'en était
occupé tout récemment ; mais, loin d'en améliorer le texte, il
y ataitporté la confusion. Le Manuel devait aussi entrer dans
rédition complète des Epicteleœ philosophiœ M 0 nnmenta :imis
Schweighaeuser était bien aise d^exposer, avec des détails
que ce grand ouvrage ne comportait pas, les principes qu'd
avait suivis pour la reconstruction du texle, et de donner une
revue complète des ressources qu'offraient les manuscrits
existans. L'édition anglaise d'Lplon forme la base du grand
travail ; mais cet éditeur n'avait eu sous les yeux que des ex-
traits très-imparfaits de plusieurs manuscrits de Paris, dont
.on successeur a pu noter toHtes les leçons importantes. Moms
liu.ide qu'T pton. il a fait putrer dans le texte un grand nombre
Sin SCHAVEIGIIAEUSER. .xuj
de variantes (jiie celui-ci .s'élail conlonté de mettre en relief;
il y eu ajouta d'autres qui avaient échappé à Uptoii , et ipi'il
dut ou à ses manuscrits, ou à la révision de toutes les éditions
anciennes d'Épictète qu'il entreprit, à l'exception seulement
de celle de Salaniauque. (^omme pour Polybe, il recueillit un
grand nundire de l'ragmens que ses devanciers n'avaient pas
reconnus, refondit les tables des matières, et enrichit Vindea;
grœcitat is d\iue foule delocutions nouvelles.
A peine la philosophie d'Épictète fut-elle ainsi rendue acces-
sible aux investigateurs des doctrines antiques, que son res-
taurateur, de plus en plus sollicité par les libraires comme par
son zèle, se mit à un ouvrage bien différent, et dont la facé-
tieuse gaîté effaçait bien vile les rides qiie les leçons sévères
del'élèvedu Portique avaient gravées sur le front de son inter-
prète. La Société typographique de Deux-Ponts, dont tant de
bonnes éditions de classiques attestent l'activité éclairée, dé-
sirait donner une édition nouvelle du Banquet d'Athénée,
espèce d'encyclopédie à laquelle nous devons des lumières de
toute nature sur la vie des anciens, leurs arts, leurs idées, et
sur un grand nombre de particularités de la langue grecque.
L'entreprise était difficile, car elle exigeait dans celui qui s'en
chargeait une mulli})Iicité de coimaissances qu'on trouve ra-
rement réunies dans le même hi^mme; mais elle promettait de
grands résultats. On s'adressa à Schvveighaeuser, qui d'abord
voulut s'en excuser ; cependant, des sollicitations réitérées lui
firent accepter ensuite la proposition, bien que, de son propre
aveu, il n'eût jamais lu jusqu'alors cet auteur d'un bout à l'autre.
Ici, qu'on ne se presse pas de l'accuser de présomption : un
commentaire explicatif de toutes les choses renfermées dans
les Deipnosophistes n'entrait pas dans son plan ; il avoue lui-
même, avec la plus grande ingénuité, que ses connaissances
n'y auraient pas suffi, que plusieurs de ces matières lui étaient
entièrement incomiues, et que, s'il est des hommes qui em-
brassent à la fois les parties les plus diverses, son genre d'oc-
rupations ne lui avait pas permis de se placer de leur nombre.
Il faut le dire e^i celte occasion, Schvveighaeuser poussait bi«
5io NOTICE NÉCilOLOr.IOUE
loin la modestie dans les jiit^emens qu'il portait sur lui-même ;:
loiu de se ménager, il avouait avec frautliise ce que «ou tra-
vail lui semblait laisser à désirer; là où des hommes plus su-
perficiels avançaient sans encombre, lui se trouvait arrêté à
chaque pas; et plus d'une fois il dit ces paroles : qu'il n'était
pas aussi heureux que ces jeunes philologues, souvent ses
élèves, qui comprenaient sans diflicullé des passages dont l'in-
telligence, très-voilée à son avis, lui avait coûté des semaines
d'études. Ce langage honorait son caractère en même tems
qu'il pouvait confondre la médiocrité. D'un autre côté, tou-
jours prêt à recevoir des lumières de quelque part qu'elles lui
vinssent, Schweighaeuser aimait à rendre justice aux autres,
très-différent en cela de ces demi-savans qui croient se gran-
dir eux-mêmes de tout le mérite qu'ils refusent à leurs rivaux.
Schvï'eighaeuser sentait donc bien toute l'importance du tra-
vail dont il se laissait charger, mais il comptait sur l'assistance
de se? amis, de Brunck, de Herniann le naturaliste, et surtout
d'un savant dont il n'a pas cru pouvoir révéler le nom. Mal-
heureusement ces espérances furent déçues.
Ayant découvert un manuscrit de Venise qui avait appar-
f.enu autrefois au cardinal Bessarion, et que sa perspicacité
lui fit reconnaître pour celui ilont tous ceux qu'on connaissait
entièrement étaient copiés, il put rétablir le texte d'Athénée
là oi'i les copistes l'avaient altéré, et, à l'aiJe d'un autre ma-
nuscrit renfermant l'épilome et l'abrégé du Ban(|uet fait très-
anciennement, et dont le scholiaste Eusthathe s'était déjà
servi ^ il remplit les grandes lacunes qui étaient lestées dans
les éditions. De plus, il lira parti des observations publiées
sur Athénée par Hugo Grotius, Saumaise, l\t'incsius, Valcke-
naer, Toup, Rubukenius et Lefèvre de Villebrune, postérieu-
rement à l'apparition du savant rommentaire de Casaubon ,
et y ajouta le r<-sultat de ses propres lectures. Sa préface, lon-
gue de cent vi.'igt pages, est un ch(;f-d'œuvre de stylo, comme
elle est un modèle de discussion, de criii{[ue et de modestie.
Toute cette belle édition, imprimée de 1801 à 1807, foruie
14 volumes in-8° ; elle est un des plus beaux litres de gloire
pour son auh'ur.
Slil SCHAVElGHAhUSEU. 3ii
En i8()0, Oborliii fut enlevé à T Académie de Striishoiirg-,
dont il était un des orneniens : notre philologue fui chargé
d'en faire, suivant l'usaije anciennement établi, l'éloge public en
langue latine. Rien de plu.s intéressant que ce discours par
lequel il rendit aux mérites de son rival le plus juste hom-
mage; la finesse des observations s'y allie à la plus grande
simplicité de l'expression, et le style latin, digne des grands
maîtres à l'école desquels Schweighaeuscr s'était formé, ne
peut être comparé, dans les tems modernes, qu'aux écrits
immortels des grands philologues de Leyden et d'Amsterdam,
on, en remontant plus haut, qu'à la latinité élégante et châtiée
de M uret. La même année, Schweighaeuscr publia la collection
des opuscules critiques et philosophiques dont il a déjà été ques-
tion. L'homme vieilli dans les travaux n'avait pas à rougir de ses
essais de sa jeunesse : les OpusculaacaJemica, justement estimés
de ceux ({ui préfèrent le positif dans les théories à de vagues
et excentriques spéculations, fournirent une nouvelle preuve
de la netteté qui des idées était passée dans le langage de leur
auteur, en même tems qu'ils déposèrent en faveur de ses se nti-
mens chrétiens et de son attachement aux vérités religieuses.
Entre les mains de la jeunesse, ce livre, trop peu répandu,
serait de la plus haute utilité, en ce qu'il fixerait irrévocable-
ment ses idées sur des matières qui , éclaircies depuis long-
tems, ne peuvent que perdre à la manière nouvelle dont on
s'évertue à les produire. Aussi, son auteur s'en était-il promis
de grands résultats : car, par une bizarrerie dont les exemples
sont fréquens, il attachait bien plus d'importance à ces discus-
sions philosophiques dont sa vocation l'avait rappelé, qu'à ces
travaux précieux auxquels il devait le grand nom qu'il avait
obtenu dans la république des lettres; pleine d'un réserve mo-
deste quand il tient l'arme de la critique, il devient tranchant
<"n discutant les systèmes des philosophes. Il assure avoirpres-
senti les idées auxquelles Rant a donné ensuite tant de relief,
il se flatte même (|u'en les produisant il a évité les erreurs
contre lesquelles ce grand penseur et ses disciples n'ont pu se
prémunir. Cependan! il ajoute, et ce passage mérite d'être
3i2 NOTICE NÉCROLOGIQUE
pris en considération : «Ce n'est p;is que je veuille faire ce/-
tendre que j'aie découvert alors des choses toutes nouvelles ;
au contraire, plus, dans la psychologie et la morale, une dé-
couverte paraît nouvelle et inouïe, plus elle s'éloigne des idées
ordinaires des hommes (de ceux bien entendu qui . ayant ré-
fléchi sur leur nature, savent se rendre compte des notions dont
ils ont conscience), et plus aussi elle doit inspirer de doutes sur sa
vérité et son utilité. Aussi ne voit-on^ pas sans élonnement que
les homaics qui ne trouvenl la philosophie que dans ta pré-
tention de s'élever au delà de l'intelligence ordinaire des hom-
mes, par un essor qui les porte dans je ne sais quelles régions
supérieures, qui se félicitent d'y reconnaître la V( rilé tout
entière à l'aide d'une intuition parfaite de la nature des cho-
ses dans ce qu'elle a de plus mystérieux, que ceux-ci, disons-
r>ous, ne s'aperçoivent pas, malgré toute leur perspicacité ,
que ce qu'ils ont apporté de ces hauteurs, que ce que tant
d'efforts leur ont acquis, n'est autre chose que les rêves et les-
brouillards d'une imagination en délire, des disputes de mots
artificiellement arrangés et ronflant à l'oreille , mais incapa-
bles de fournir à l'esprit aucune notion positive, aucune idée
lucide ; que, dans le cas même le plus favorable, ils n'ont
trouvé que ce que le bon sens lui seul révèle à tout homme
.nttenlif à lui-même, révélations qui sans doute ont leur uti-
lité quand elles sont rendues sans affectation dans un langage
clair et intelligible, mais qui, enveloppées ainsi d'obscurités
factices, présentent les plus grandes difficultés , sans procurer
aucune utilité réelle. » Aux dissertations philosophiques dont
nous avons parlé plus haut et auxquelles l'auteur fit des re-
tranchemens, des additions, des changemens de toute espèce,
sont jointes, dans un second volume, les recherches érudites
sur Appien et sur Suidas. Enfin , la même année 1806 vit en-
core paraître la petite édition de Cébès, enrichie de nouvelles
variantes : imprimée à Strasbourg, elle fut destinée aux élè-
ves du gymnase de cette yille, comme l'édition abrégée du
Manuel d'Epictète, publiée à Leipzig, avait été faite aupara-
vant à l'usage de la jeunesse des écoles allemandes.
SLK SCHMEIGIIAELSEU. 3iJï
Une ([uarantaiiie de voiumes, fruits de la plus rare assiduité,
étaient ainsi, entre les mains des savans, les preuves iiiclra^ra-
bles du talent et de l'érudition de notre philologue : peu de
tenis avait suffi pour les préparer et les mener à maturité, et
potwtant rien dans leur contenu si grave, si difficile, ne se
ressentait de la précipitation. On a de la peine à comprendre
comment il a pu trouver le tems nécessaire à de si grands tra-
vaux, surtout quand on songe que les cours publics qu'il fai-
sait et auxquels il se préparait soigneusement , que la bil)lio-
ihèque de la ville dont il était conservateur, et qu'à 1 exemple
d'Oberlin, son devancier, il avait entrepris de mettre en ordre,
que d'autres soins, au nombre desquels il faut compter surtout
une correspondance très-étendue, réclamaient aussi une
grande partie de sa journée. Mais l'ardeur au travail et la per-
sévérance viennent à bout de toutes choses; et pour que la
vie suffise à toutes sortes d'occupations, il n'y a qu'à la bien
distribuerd'abord et l'épuiser ensuite. Même dans sa vieillesse,
Schweighaeuser se couchait rarement avant minuit, et pous-
sait assez souvent son travail jusque vers la pointe du jour; il
se levait matin, et évitait ce qui pouvait le distraire sans uti-
lité de son travail. Lorsqu'il ressentait de la fatigue , il quittait
ses livres pour respirer librement au sein de la belle nature :
ami de la vie champêtre et piéton infatigable , il couiait alors
dans les montagnes, le plus souvent accompagné de sa famille.
et en revenait avec de nouvelles forces.
Depuis long-lemsSchweighaeuseravait vu avec regret qu'au-
cun savant ne s'était occupé, dans les tems modernes, à don-
ner une édition séparée et facile à l'usage, des épitres si inté-
ressantes adressées par Sénèque le philosophe à son ami
Lucilius; lorque Matthise, à Francfort , entreprit de combler
cette lacune, il sempressa de lui communiquer, sur sa de-
mande , les variantes extraites des manuscrits de ces épîtres
conservés à la bibliothèque de Strasbourg. 31atthiœ, s'étanl
bientôt aperçu que de si riches matériaux devaient servir à la
réforme complète du texte latin dont ses loisirs ne lui per-
mettaient pas de s'occuper, engagea son cf»rrcspondant d'à-
3i4 NOTICE NÉCROLOGIQLE
border lui-même une t;a'he pour laquelle il ne se senlail pa>
assez lie courage. Scliweighaeuser y lut bientôt décidé : l'é-
dition assez médiocre que iluhkapf donnait alors des œuvres
complètes du maître de Néron lui démontra la nécessité d'ap-
peler ratlcntion il':s savans sur les nouveaux secours que la
critique était en état de fournir pour l'amélioration de leur
texte, même après les efforts d'Érasme, de Muret, de Juste
Lipse et de J. Fr. Gronovius. Quelque mesuré que fût le ju-
gement du nouvel éditeur sur le travail dé Uubkopf, celui-ci
ne le lui pardonna point , mais s'en vengea d'une manière peu
honorable aussitôt qu'il en trouva l'occasitui. Les épîtres mo-
rales parurent, en 1809, par les soins de la société de Deux-
Ponts, en deux volumes : indépendamment d'un texte purgé
de fausses leçons, elle offrait les variantes de trois manuscrits
nouveaux dont l'un, écrit au ix" siècle, est d'un grand prix.
A l'organisation de l'université de France, Schweighaeuscr
fut nommé piofesseur de littérature grecque à la nouvelle
académie royale de Strasbourg: il devint en mTme tems doyen
delà Faculté des lettres, et ce litre lui fut doublement acquis,
et par ses cheveux blancs, et par l'immense savoir qui le dis-
tinguait. Sa position était alors des plu.- agréables : estimé de
tous ses collègues, souvent heureux de s'éclairer de sons avoir
ou de son expérience, révéré (les élèves nombreux qn'il for-
uiait à rinlelligence des grands auteurs classiques, illustre
dans la république des lettres, il jouissait encore de cette ai-
sance que le savant ne trouve pas toujours, bien qu'elle soit si
nécessaire au succès de ses travaux. Son fils aîné, qu'i: se féli-
citait d'avoir pour collaborateur dans l'enseignement comme
dans le travail des manuscrits, lui promettait un digne suc-
cesseur ; le second fils et -es deux sœurs rivalisaient de soins
et de tendresse pour charmer toiu* à tour les vieux jours de
leur père. L'une de ces dernières, son inséparable compagne,
guidait ses pas d.'ms .ses excursions champêtres ou venait au
secours de la faiblesse de sa vue en lui faisant la lecture; l'au-
tre réchauffait son âme par les vers souvent gracieux qu'elle
composait. Il passait l'été, soit dans les Vosges, soit aux eaux
SDR SCH>VEIGHAEUSE1V. ")i5
tfc Bade, cliariiiaiit séjour où il clait sûr de rcncoiilrer d'an-
ciennes connaissances, ou des hommes empressés de lui (offrir
leurs hommages, et de jouir de son intéressant commcMw e. Sa
vie s'écoulait ainsi paisii)lenîpnt entre le travail et les délasse-
mens.
Nous voici arrivés à son dernier ouvnige, à celui qui , après
l'avoir occupé dix ans, marqua le dernier terme de sa glorieuse
carrière. Il s'agissait de rétablir le texte précieux du père de
l'histoire , et d'en donner une édition plus commode que l'in-
folio de Wesseling. Schweighaeuser, toujours prêt à honorer
le mérite, était loin de contester celui de l'édition hollandaise,
mais il lui reprochait une timidité poussée trop loin. Non-seu-
lement Wesseling n'avait pas tiré tout le parti possible de
ses trois manuscrits de Paris, mais, alors même qu'ils lui avaient
fourni les véritables leçons, il n'avait osé éliminer les ancien-
nes pour leur substituer ces dernières, et, surtout, il avait eu
scrupule de corriger le texte, bien qu'évidemment altéré, sur
de simples conjectures, quelque spécieuses qu'elles lui parus-
sent à lui-même. Avec les amtériaux entassés par lui , lleiz et
Schaefer, critiques du premier ordre, avaient fait à ce texte
des changemens notables, et Borheck même, avec des moyens
plus faibles, y avait puisé la matière de toutes sortes d'amé-
liorations. Il importait de fixer enfin, par une critique sévère
et savante, ce texte si précieux à l'histoire : Schweighaeuscr
entreprit cette tâche; son édition parut, en 1816, en six vo-
lumes in-8°, partagés chacun en deux tomes. Revu sur de
nouveaux manuscrits aussi-bien que sur ceux que W esseling
avait déjà employés, l'original grec fut accompagné d'une vci-
sion latine dont celle de Laurentins Yalla , .corrigée déjà par
plusieurs éditeurs, forme la base, mais qui, relailc par Sch^vcig-
haeuser, devint un véritable chef-d'œuvre, non-seulement pisr
l'èlégancie du style, mais surtout par la souplesse et i'exdcli-
tude avec lesquelles elle i-eud toules les nuances, tous les ac-
cidens de langage, si l'on peut s'expiimer ainsi , de l'original
dont on retrouve partout l'admirable !;aïvcté. Toutes les no-
ies de Wesseling et de Vab kenarr furent maintenues, celles de
ôiG NOTICE NÉCROLOGIQUE
Gronovius, moins utiles, ne furent conservées que par ex-
traj»*s, mais le nouvel éùiteur y joignit les siennes plutôt criti-
ques qu'explicatives.
Nous n'entrerons point ici dans la discussion qui s'éleva en-
lie llulikopl" cl l'cditeiir, sur le système suivi par ce dernier à
l'égard du dialecte ionique dont Hérodote s'est servi, et que
des copistes sans mission ont successivement elTacé. En sou-
tenant que son auteur, pas plus qu'Honi'^re, ne s'était astreint
rigoureusemcMit aux formes usitées dans son pays, mais que
l'usage universel d'un mol le lui avait quelquefois fait adop-
ter, quand bien même il appartenait à un autre dialecte,,
Schweighaeuser avait pour lui l'autorité de Scliaefer, et Ruh-
kopf n'a pas prouvé le contraire. L'accueil favorable que
trouva celte édition, (jui fut même contrefaite en Angleterre,
le vengea de ces reproches dictés par la susceptibilité blessée;
d'autres critiques restèrent sans objet quand leLexicon Hero-
doieum fut publié. Ce glossaire très -étendu qui parut en
1824, en deux volumes iu-8", fut le dernier ouvrage du vieil-
lard déjà plus qu'octogénaire, qui, pour compléter la liste de
ses travaux, avait encore mis au jour, en 1814, un petit vo-
lume de morceaux choisis d'Appien et du conimentaire de
Simplicius, accompagnés d'une traduction latine et arrangés
à l'usage des écoles. Le Lexicon Hcrodolnwi, orné du por-
trait très-ressemblant de l'auteur, se rattache à toutes les édi-
tions des Muscs dont il forme un complément précieux, fruit
d'une sagacité et d'une application qu'on n'était pas en droit
d'attendre d'un vieillard de 8j ans, dont la vue, faible même
dans sa jeunesse, était alors enliènmient obscurcie. Non con-
tent d'y inscrire toutes ces locutions familières ou particu-
lières à Hérodote, il y rend aussi compte de l'ensemble de son
style, y discute un grand nombre de passages de son histoire,
tant sous le rapport du langage que sous celui des choses,
complète ainsi son commentaire, et corrige en bien des eu-
droits ou le texte qu'il avait adopté ou la version qu'il en avait
faite.
De même (jue le roi, à l'occasion de la naissance du duc de
Sim SCIÏWEKillAKliSEIl. 517
Bordeaux, avait voulu recoimnîtro le rare mérite de Sclnvei-
ghaeuser,en lui cou fora lit l'ordr^dela Légion-d'lIonneur,elque
rAcadémie lui avait plusieurs fois prouvé son estime en le
recevant dans son sein, soitcomme correspondant, soit comme
académicien libre, de même aussi la Société royale des lettres
de Londres désira oflVir à une vie si laborieuse un hommaj^e
public. Elle lui décerna, en 1826, troisième année de son exis-
tence, une magnifique médaille d'or ornée du buste du roi, et
poitant cette inscription : Joanni Schweigliaeuser critico grœco
erndilissimo. Cette médaille vient d'être déposée par la i'amille
à la Bibliothèque publique deStrasbourg. Quatre ans avant, un
hommage d'un autre genre, bien doux au cœur de celui qui
en fut l'objet, avait été adressé au Nestor des savans. Sa fa-
mille et ses collègues s'étant réunis pour célébrer le 80" anni-
versaire de sa naissance, les étudians voulurent y prendre
part. Le banquet avait duré plusieurs heures quand, à l'ap-
proche de la nuit, ils arrivèrent silencieusement dans lacour
de l'habitation de leur professeur : suivant un usage encore
observé dans les universités allemandes, ils entonnèrent tout
à coup, à la lueur de leurs flambeaux, le Vivat acculemia, vivant
professores, et chantèrent ensuite, avec accompagnement d'in-
strumens, des couplets que l'un d'eux avait composés pour
cette occasion. Bientôt le vieillard est au milieu d'eus : il les
remercie d'une manière touchante de cette preuve_de leur af-
fection. Alors deux de ses élèves s'avancent vers lui, lui
adressent quelques paroles de gratitude au nom de leurs cama-
rades, et, après lui avoir présenté quelques exemplaires des
couplets chantés par ceux-ci, ils posèrent, aux acclamations
unanimes de l'assemblée, une couronne de lauriers sur le
front vénérable de leur professeur. Son émotion était visible :
à peine put-il articuler quelques mots, et la confusion où le
mettait l'emblème placé sur ses cheveuxblancs, ajoutait encore
à la vénération des assistans. Le banquet continua alors jus-
que bien avant dans la nuit, et les jeunes gens, invités à y
prendre part, y portèrent leur gaîté.
>lalgré son âge, Schweigliaeuser n'avait pas discontinué
5i8 >OTICt: NÉCROLOGIQUE
encore son cours de littérature grecque : seulenieiit , il ne le
l";ii<ait plus qu'en hiver, et ne paraissait plus aux examens. La
vigueur de son esprit était toujours la même, comme la clarté
de ses idées. 11 aimait à s'entourer de jeunes gens, à leur offrir
d'utilesdireclions, et à stimuler leur zèle. S'intéressaiità tout, il
les interrogeait sur leurs études, les cours suivis par eux, leurs
projets, leurs plaisirs; rien ne lui restait étranger, il prenait une
partégalei'i loutcequise passaitautourde lui. Cependant, deux
ansaprès cet anniversaire, il demanda enfin sa retraite, et dès-
lors il n'agit plus sur la jennessequepar ses conveisations, par
l'intimité à laquelle il admit plusieurs de ses anciens élèves. La
campagne l'attirait constanmient ; il y passa l'été, les dernières
années de .sa vie, entouré de ses enfans et de ses petits-fils,
dont les naïfs disi.'ours charmaient son désœuvrement. Son
tcms était partagé entre la lectiu'e, la promenade et le repos:
on lui lisait, à des heures réglées, les journaux, des recueils
scientifiques et des livres de piété. Car ScIiAveighaeuser aimait
la religion, et sur son lit de mort des cantiques spirituels qu'il
rappelait à sa mémoire, à mesure ipi'on lui en lisait quelque
partie, remplirent agréal)lement ses derniers momens. Peu de
jours avant sa fin, il discuta avec un vif intérêt le plan adopté
par les nouveaux éditeurs du Trésor de la langue grecque
d'Henri Ltienne, et (ju'un de ses anciens élèves, celui (pii trace
ces lignes, lui exposait : il y songea pendant sa maladie, et
aurait voulu donner quelques directions aux jeunes savans
chargés de cette immense entreprise. C'est ainsi que, jusqu'à
son dernier soupir, sa vie était consacrée à la science.
Les rigueurs inouïes de cet hiver, auxquelles tant de per-
sonnes n'ont pu résister, exercèrent aussi leur action malfai-
sante sur le vieillard. Après une promenade qu'il faisait habi-
tuellement ilans l'intérieur de sa maison, il se sentit affecté : la
lièvre le prit, et, après avoir fait espérer un moment que son
excellente constitution en triompherait encore, il y succomba,
le 19 janvier i85o, à deux heures du matin, âgé de 87 ans et
7 mois. Sa perle fut vivement ressentie : elle est irréparable
sons tous les rapports, et prive Strasbourg d'une de ses plus
SLll SCinvni'TGHAELSER. 5 19
gi-amlcs illustrations. Le séminaire protestant, l'Académie
royale, les autorités de la ville voulurent rendre au vénérable
défunt les derniers lionnenrs : sa volonté expresse s'y oppo-
sait, et ce fut à regret que M. le recteur de l'Académie céda à
une dispositioa écrite de la main de Sclivveighaeuser quelques
années avant sa mort. Peu d'amis et ses plus proches parens
devaient l'accompagner au champ du repos : point de faste,
point d'apparat. Son collègue et ancien commensal, M. Dah-
1er. docleur en théologie, devait prononcer quelques paroles
de consolation avant que le cercueil ne fût enlevé ; il le char-
geait d'annoncer à ses amis qu'il était mort reconnaissant eu-
vers Dieu de toutes se.s bontés, coniiaiit en la promesse qu'il
avait donnée aux hommes par l'organe du Sauveur, et sur de
l'inmiortalité de S'sn âme ; il le priait encore d'assurer ses amis
qu'il avait gardé jusqu'au dernier moment le souvenir de leur
amitié. Tout se passa ainsi : mais le laurier placé sur le cer-
cueil, et que la tombe reçut dans son sein, n'apprit que trop
tôt à toute la ville qu'un de ses plus illustres citoyens lui était
enlevé.
Schweighaeuser, d'un caractère mâle et ferme, était pour-
tant aussi indulgent et bon; son commerce était- facile, ses
manières cordial&s. Une probité rigoureuse le dirigeait dans
toutes ses actions, et la foi le soutenait au milieu des vicissi-
tudes du sort. Consciencieux dans tous ses travaux, il ne put
jamais se îratisfaire lui-même : aussi rien n'égala sa modestie.
Il porta toujour.^ dans l'accomplissement de ses moindres de-
voirs du zèle, de l'empressement, la croyance de se rendre
utile en les pratiquant. Il fut un homme estimable aussi-bien
qu'un savant consommé.
Marié dès 1770, et veuf depuis un grand nombre d'années,
il laisse deux fils et autant de filles : l'aîné est le digne héritier
de son nom; puisse sa santé chancelante se raffermir, p-uisse-
t-il contribuer encore de sa part à perpétuer parmi nous les
honorables traditions qu'y ont laissées les Brunck. les Oberlin
et les Schvveighaeuser, et que nu! autre ici ne semble vouloir
recueillir !
J. H, SCRXITZI.ER.
oao SOLVENIUS
SOUVEMRS POLITIQUES.
LA R ÉVOLUTION ET L'EMPIRE.
Mars i83o.
Dans CCS jours incertains où la paisible enfance
Fait place à la jeunesse, dû d'une autre existence
Va commencer le cours: où s'enivran.t d'espoir.
Dans un long avenir, l'âme croit entrevoir
Tous les biens à la fois que peut donner la vie,
L'amour et ses transports, les élans du génie,
La gloire et ses lauriers, l'immense volupté
Que promettent l'hymen et la }>aternité ;
Quand de l'illusion le séduisant prestige
Dans un monde nouveau, de prodige en prodige
Nous conduit, nous entraîne, et fait briller encor
A nos yeux fascinés un nouvel âge d'or;
Déchirant souvenir i déception étrange !
De raison, de folie incroyable mélange !
Dans cet âge d'espoir, d'illusion, d'erreur.
Pour la France, pour moi, j'osai croire au bonheur.
Je crus que la vertu, l'amour de la patrie,
Et des ccvurs généreux la uoble sympathie,
Pour le bonheur public saintement conjurés,
A. l'estiuie, à la gloire, étaient des droits sacrés.
De cet espoir trompeur combien je fus victime!
Pour la France, pour moi se creusait un abîme;
Et mou imprévoyance et ma sécurité
Marchaient vers l'avenir d'un pas précipité.
J'aimais à contempler l'horizon politique
Qui s'ouvrait devant moi : son éclat prophétique
M'olfiait, riche de gloire et de félicité.
Puissante par les lois et par la liberté,
La France, de la paix gardienne fidèle,
Seivant aux nations d'aibitre et de modèle.
Mais, bientôt, des partis l'implacable fureur
Fit régner en tous lieux la haine, la terreur,
Les soupçons ombrageux, les noirs complots, l'envie
De fiel et de puison incessamment nourrie;
POLITIQUES.
La vengeance pailonl dressait des éclial'auds :
Les nieilleurs citoyens, sniis le fer des bourreaux,
Victimes des excès d'un fanatisme impie,
Succombaient, immolés an nom de la patrie (i),
La pallie, en ces jours d'orage et de danger,
Pai' d'indignes Français vendue à l'étranger.
Pour échapper au joug du plus dur esclavage.
De ses Gis bien-aimés implora le courage.
A cet appel soudain chacun a répondu,
Et dans le monde entier un bruit s'est répandu :
« Des rois Eiu-opéens les bandes meurtrières
De la Fâ'ance envahie ont franchi les banières.
Mais la France est debout, elle défend ses droits.
Et voit avec mépris les vains complots des rois. »
Tes braves défenseurs, guidés par la victoire.
D'un vaste bonclier couvrant ton territoire,
O France! ont repoussé les farouches soldats,
Serviles instrumens de quelques potentats,
Dont l'insolent orgueil se promettait d'avance
D'anéantir tes droits et ton indépendance.
La voix des nations célèbre tes succès;
Tous les cœurs généreux sont devenus français.
La cause de la France, où leur espoir se fonde.
Doit faire triompher la liberté du monde (2).
Mais cette liberté, ses immenses bienfaits.
Par la guerre étouffés, ont besoin de la paix.
J'ai vu sur L'horizon, après un long oiage.
D'un ciel pur et serein le consolant présage
Dans l'écharpe d'Iris apparaître à nos yeux.
Tel, pour nous, de la paix le retour précieux,
Unissant désormais, par une immense chaîne,
Tous les membres épars de la famille humaine.
Après des jours de sang, de guerre, de terreur,
Promet un avenir de calme et de bonheur.
Oh! comme avec transport, au sein de la souffrance.
L'imagination embrasse l'espérance!
Comme un faible mortel, entraîné par les eaux,
S'attache fortement aux plus frêles roseaux!
(1) En 1793 et 1794.
{2) En 1795 et 1796, jusqu'en i8o3,
T. XLVII. AOT'T l83o.
SOUVFNIIIS
Ainsi, la France, à peine écliappce aux teinpèlrs,
Tout entière aux plaisirs, au tourbillon des fêles,
Confie imprudemment sa gloire et ses destin»
Au guerrier revenu des rivages lointains.
Sorti (les rangs obscurs de la nouvelle armée,
Qui vil en quelques mois grandir sa renommée ;
Dont l'Europe admira les rapides exploits;
Qui porta la terreur dans les palais des rois ;
Grava sur ses drapeaux : liberté, tolérance;
Promit aux nations la paix, l'indépendance;
Délivia l'Italie, et lui donna des fers;
En Egyjitc éprouva des succès, des revers,
Va vainqueur des partis qui divisaient la France,
Sur les débris des lois établit sa juiissance (i).
Tels étaient le désir, le besoin du lepos.
Qu'un bommage unanime accueillit le héros
Dont le complot heureux et l'audace impunie
Le firent proclamer sauveur de la patiic.
Et moi qui, dans les jours de l'affreuse terreur,
D'un tyran sanguinaire affrontant la fureur,
Aux bourreaux de Carrier n'échappai qu'avec peine ;
Moi, long-tems pomsuivi par l'implacable haine
Des mêmes proconsuls, teints du sang des Français,
Dont j'avais combattu les coupables excésj
Sous un maître nouveau, d'une âme indépendanlç
J'opposai l'énergie, hélas! trop impuissante
Aux plans ambitieux, inspirés par l'orgueil,
Qui de la liberté préparaient le cercueil.
Ma franchise déplut. De mon humeur sincère
La disgrâce, l'exil devinrent le salaire.
Les rois bien rarement aiment la vérité;
J'osai la faire entendre, et fus persécuté.
Tel, au milieu des flots, et bravant leur colère,
Dominateur superbe, un rocher solitaire,
Elevant dans les airs son sommet orgueilleux.
Dans un vague lointain s'unit avec les cieux :
Tel, de Napoléon le colosse héroïque.
Heureux usurpateur du pouvoir jxilitique.
(i) En 1800.
POLITIQLES. 3a3
T)es droits sacrés du peuple et de !a libellé,
Et <Ies droits qû'afFectait l'antique royauté,
Chéri de lu victoire, idolâtré des braves,
Appesantit son joug sur les peuples esclaves,
Et de l'obéissance imposant le devoir,
Fait respecter au loin son suprême pouvoir.
A la fois héritier et du peuple et du trône.
Fier de porter le poids d'une double couronne.
Monarque d'Italie, Empereur des Français,
Napoléon vainqueur parut vouloir la paix.
Mais l'Europe, à regret à ses lois asservie.
D'un bras libérateur, contre sa tyrannie
Implorait le secours ; et les rois alliés.
Par l'aigle impérial long-t«ms humiliés,
D'un prétexte pompeux colorant leur vengeance,
Pioclanièrent les mots d'honneur, d'indépendance,
Abjurèrent leurs droits de maîtres absolus.
Et flrent un apjjcl aux civiques vertus (i).
Chez les peuples Germains, une ardente jeunesse
Qu'exaltait de ses rois la trompeuse promesse.
Croyant combattre aussi pour la cause des lois,
Reproduit des Français les immortels exploits.
Dans des jours ])lus heureux (2), l'amour de la patrie,
Exerçant sur nos cœurs sa puissante magie.
Nous fit vaincie l'Europe et les rois conjurés:
La Liberté guidait fios bataillons sacrés.
Et des peuples vaincus le penchant sympathique
Formait des vreux secrets pour notre république.
Combien tout est changé ! les peuples aujourd'hui (5),
Dans leurs propres foyers, sur leur sol envahi,
Repoussent des F'rançais les phalanges guerrières
Qui d'un roi conquérant ont suivi les bannières.
La victoire naguère accompagnait nos pas :
Les lauriers nous cachaient les horreurs du trépas.
La Liberté pour nous a cessé de combattie ;
Et de la Liberté, que le monde idolâtre,
(i) En iSiô et 1814.
(_2) En 1795 jusqu'en i8o5.
(3) En iSi3.
324 SOUVENIRS
Le nom seul prononce, dans les rangs ennemis.
Enfante des guerriers, vengeurs de leurs pays (i).
Toi qui naguère vis notre invincible armée,
Jeune par la valeur, vieille de renominée.
Que précédait la gloire et suivait la terreur;
O Rhin! quand sur tes bords, avec son empereur.
Elle apparut soudain, comme un grand météore;
Lorsque tu vis llotter son drapeau tricolore.
Espoir des nations, gage de liberté;
Quand tous, ivres d'espoir, d'un pas précipité.
Nos généreux soldats, sur le sol germanique
S'avançaient en vainqueurs, quelle voix piophétiqiic
Eût osé proclamer les l'.ibuleux revers
Qui devaient avant peu mettre la France aux (ers?
La France a méconnu ses grandes destinéi-s,
Au caprice d'un maître, hélas 1 abandonnées.
Les peuples opprimés réclamaient son appui;
D'un avenir meilleur l'espérance avait lui.
Sur les rives du Pô, de l'Adige, du Tibre,
Un sentiment profond, le besoin d'être libre
Exaltait les espiits, fermentait dans les cœurs,
Kous avait fait bénir comme libérateurs (2).
Ton espoir fut trahi, malheureuse Italie!
Par des tyians nouveaux démembrée, asservie.
Tu dus subir eucor le joug de l'étranger.
Sans pouvoir t'aU'ianchir, sans pouvoir te venger.
A ces jours de bonheur dont tu crus voir l'aurore,
Un servage nouveau vint succéder encore.
Et ton sang généreux, versé dans les combats.
Fut en vain prodigué pour des maîtres ingrats.
Aux champs de Maiengo, le moderne Alexandre
Fut sourd à fa piiére. Il refusa d'entendre
Une voix prophétique, un cri de vérité :
« Général, l'Italie attend sa liberté.
Ce jour seul t'app.irtient. Le beau nom d'Italique
Est à toi, si tu veux. Mais l'aigle Germanique,
(1) En i8ir> et iSi^.
(2) En 179^ jusqu'en i8o5.
POLITIQUES.
Demain, si lu ne sais profiler du succès,
Utîssaissiia sa pruie, anacliée aux Fiançais (i). »
Et toi, Pologne aussi, noble terre des braves.
Tu voulais que tes Cls ne lussent plus esclaves;
Tn voulais reparaître au rang des natioiis ;
Abjurant l'anaicbie et les dissentions
Qui de nos jours encore ont causé ta ruine,
ïu voulais rappeler ton illustre origine ,
Réparer tes malheurs, accomplir tes destins;
Si ton sang le plus pur, eu des climats lointains.
Sous des chefs étrangers, a coulé pour la France,
C'était pour leur patrie et pour sa délivrance
Que tes pieux enfans, dans plus de cent combats,
Prodigi'.es de leur sang, bravèrent le trépas.
Ce sang, germe lecond, immortelle semence.
Est le gage sacré de ton indépendance.
La France est débitrice aux fils de Kosciuzko
Des exploits immortels qu'a célébrés Chodzko(2).
(i) Voyez, dans le Uecudl des pièces of^uiellcs dcxllnces A détromper lis
Français sur les éiéneniens qui se sont pcssis depuis quelques années, 1. ix ,
Paris, 18 1 5, un Mémoire sur l'organisation fédcralive et indépendante de
l'Italie, remis au premier consul Bo.napahte, le 21 messidor an 8 (10 juil-
let iSoo), après la bataille de Marengo. On y lit ces passages remarqua
blés : 0 Le grand intérêt général de l'Italie, le besoin impérieux pour
elle de sortir d'une position toujours dépendante et précaire, est de de-
venir, comme je l'ai dit, une lig.;e de neutralité assez forte pour servir de
rempart entre la France et l'Autriche, et pour n'être plus une arène tou-
jours ouverte à ces deux puissances Il s'agirait d'établir un pacte fé-
dératif et une ligue défensive entre les États d'Italie, qui, en conservant
à chacun d'eux les avantages d'une administration locale dans un terri-
toire peu étendu, ajouterait à et; bien précieux l'avantage non moins
nécessaire de la force d'un grand tout; le système fédéralif étant suffi-
sant pour la garantie d'un empire contre les invasions étrangères, et
n'exposant point les peuples voisins à des guerres offensives, ni à des pro-
jets hostiles ou envahisseurs — Il ne faut qu'oSKR et vocloib. Aujour-
d'hui, voiis pouvez tout pour le bien de votre pays ; demain, si l'occasion
s'est échappée, vous serez peut-être forcé de plier sous le joug impéiieux
des circonstances et de la nécessité. »
(2) M. Chodzko {Léonard}, jeune Polonais, auteur d'une Histoire des
Campagnes des Légions polonaises en Italie, non moins distingué par son
3-26 SOI VENTRS
Oui, braves Pulonais , les nobles funérailles
De vos pères tombés sur nos champs de bataillcï
Vous ont acquis des droits, dans la postérité,
A notre sang versé pour votre liberté.
Oh 1 si Napoléon avait voulu comprendre
Les intérêts sacrés qu'il aurait du défendre;
Si son puissant génie, inspiré par le cœur,
De son siècle avait su mesurer la hauteur ;
Si de l'anibilion, de l'orgueil en délire
Le fatal a-cendant n'eût plané sur l'empire ;
D'un peuple généreux si respectant les droits,
Lui-même eût tempéré son pouvoir [>ar les lois;
Organe impartial de la raison publique.
S'il eût sur la vertu fondé sa politique.
Et consacré sa force et son activité
Au bonheur de la France et de l'humanilé;
D'un nouveau Washington la suprême influence
Pour un long avenir, dans une sphère immense.
Sur l'Europe et le monde, exauçant leurs souhaits,
Eût versé deux grands biens, la liberté, la paix ;
Et de Napoléon l'ini mortelle mémoire
Eût, bienfaisante et pure, apparu dans l'histoire.
Mais lui-même, inGdèle à ses brillans destins,
Enivré par sa gloire, ébranla de ses mains
De sa fausse grandeur le fragile éiiifice.
Et devint l'iustiumeut de son propre supplice.
Vous, de la vérité qui craignez le flambeau,
Sur vos devoirs, ù Rois, consultez son tombeau.
Dix lustres écoulés nous offrent l'hécatombe
De nos contemporains qu'a dévorés la tombe,
Sur les champs de l'honneur, ou sur les échafauds.
-Dans les cachots obscurs, dans l'abîme des flots.
Du vaisseau Le Vengeur, volontaire victime.
L'univers admira le dévouement sublime ;
Et l'Europe et l'Afrique ont vu, dans les combats.
Mortellement blessés, nos généreux soldats
patriotisme et ses talens, comme écrivain, que par le courage dont il a
donné des preuves à Paris, dans les mémorables journées des 77, 28 et
3Ç) juillet.
POLITIQUES. 527
D'un K'gard expirant sourire à la victoire.
S'applaudir d'au tiépas couronné pai- la gloire,
Et leur dernier soupir, à loui' postérité,
Pour prix de tout leur sang, léguer la liberté.
Vous saurez féconder cet auguste héiitage,
Vous tous, jeunes Français, dont le mâle courage.
Dont la civique ardeur, les travaux, les vertus
Relèvent, de nos jours, les esprits abattus.
De vos nouveaux destins, glorieux et prospires,
La conquête appartient aux efforts de vos pères.
Jaloux de conserver ce qu'ils vous ont acquis,
Héritiers de leurs noms, soyez leurs dignes fils;
Lisez sur leurs tombeaux : la France rekaissawtb
Aux GRAA'DS HOMMES FUTURS SERA RECONNAISSANTE (l),
M. A. JtLLiEjî, de Paris.
(i) Cette invocation prophétique à la jeunesse, et ce pressentiment
consolateur du courage et de l'héroïsme qui devaient affranchir la France,
ont précédé, de quatre mois seulement, l'époque de sa délivrance su-
bite et miraculeuse.
L'auteur avait peint, dans ces deux vers, le malaise et l'état de mé-
contentement, de défiance et d'antipathie mutuelles d'un peiii)le hu-
milié, opprimé, dépouillé de tous ses droits, et d'un roi qui, ne sachant
point comprendre ce peuple, le calomniait pour se justifier à lui-même
les crimes de son gouvernement :
Et le Peuple, et le Roi, l'un de l'autre honteux,
De leurs malheurs communs s'accusent tous les deux.
Les quatre vers sqivans furent improvisés par l'auteur, le lundi 26 juil-
let i83o, après la lecture du Moniteur qui contenait les trois ordon-
nances contre-révolutionnaires :
La Charte, des Français commune garantie,
Servait .i réunù' le trône et la patrie.
Elle n'existe plus. La patrie est en deuil,
Et du tiùne déjà s'enti'oiivre le cercueil.
II. ANALYSES D'OUVRAGES.
SCIliMCES PHYSIQUES ET NATURELLES.
Second rectjeil de tableaux publiés pap. la Commission
géxébale de statistique (l).
Nous nous étions proposé, dans notre second article sur
la statistique du royaume des Pays-Bas (2), d'attendre lesré-
sullats'du dénombrement dont on s'occupe aujourd'hui, pour
entretenir encore nos lecteurs de ce qui concerne la popula-
tion ; mais les nouveaux tableaux que la Commission de sta-
tistique vient de faire paraître donnent lieu à quelques remar-
ques qui^ne seront peut-être pas sans intérêt. Le premier
recueil contenait ce qui se rapporte aux naissances, aux décès
et aux mariages, pour la période décennale de 181 5 à 1824,
c'est-à-dire, celle qui a suivi la bataille de "VN'aterloo et l'éta-
blissement de la monarchie actuelle ; le recueil qui vient
de paraître contient les mêmes documens pour la période dé-
cennale de 1804 à 18 13, qui a précédé notre séparation de la
France. On sent que les conséquences qu'on peut en déduire
méritent quelque attention, quoique malheureusement la
population , à notre avis, n'ait guère été mieux connue pour
une période que pour l'autre. Tout ce qu'on peut admettre
comme étant du moins très-probable , d'après les recense-
mens particuliers qui ont eu lieu , c'est que la population était
généralement croissante dans les différentes parties du
(i) Bruxelles, iSôo; VVi is>t;nbiuch. lii-S".
(2) Voyez Uevuc Htuyclo/iidiquc, t. xi.vi, calikr d'aviil i.S5;p, |p. 28.
SCIENCES PHYSIQUES. 5j.>
royauiue . excepté peut-être dans les provinces des deux
Hollandes, d'Anvers. de la Zélande et surtout dans les villes qui
en l'ont partie.
Lçs pertes de population que ces provinces ont faites, sous
le gouvernement précédent, peuvent provenir de la gène
qu'ont éprouvée les relations commerciales pendant les guerres
qui ont eu lieu et qui ont î'ernié pendant long-tems la mer à
tous les vaisseaux; car, depuis le rétablissement de la paix, la
population est redevenue croissante, quoique d'une manière
moins prononcée pour la Hollande septentrionale. Nous ne
prétendons certainement pas qu'un accroissement de popula-
tion soit un signe infaillible, et bien moins encore une cause
directe de prospérité ; l'exemple de l'Irlande nous prouve as-
sez le contraire, et nous montre qu'un pays [>eul être mal-
heureux tout envoyant croître sa population.
On pourrait s'exposer à des erreurs plus graves encore, en
ne tenant compte que du nombre des naissances qui ont eu"
lieu dans un pays. Car, s'il est vrai que le découragement
porte quelquefois les malheureux à multiplier de plus en plus
comme en Irlande, et qu'une dégradation morale soit un très-
grand stimulant pour les mariages précoces (i), il peut arri-
ver encore que la mortalité n'en fasse que d'autant plus res-
sentir ses ravages; et l'un des plus grands fléaux pour un
peuple serait de voir ses générations se renouveler avec une
rapidité qui ne lui permettrait pas de conserver les hommes
utiles. Comme je rai déjà fait observer ailleurs (2), les ma-
riages sont plus nombreux dans notre pays que chez nos voi-
sins, et ils sont en même tems plus productifs : mais les dé-
cès, qui sont à peu près en même nombre qu'en France, sur-
passent de beaucoup ceux de la Grande-Bretagne ; la dispro-
portion est considérable; elle est environ dans le rapport de
trois à deux. Ainsi la Grande-Bretagne produit moins que
(1) Voyez un article de M. d'Iterxois iriséré d.itis la Bibliolltcquc uni-
vcrsetle de Genève, mars iSôo (voy. Rcv. Enc, t. xi.vi, p. 45oj.
^2) pcclierchcs slalhliques snr le royaume des Pays-Bas, p. 9.
53o SCIENCES PHYSIQUES.
noire pays, mais les fruits sdiit plus durables ; elle doune K
jour à moins de citoyens, mais elle les conserve mieux. Si
l'on peut s'en rapporter à l'estimation actuelle de notre popu-
lation, la Zélande serait, de toutes nos provinces, celle qui, tou-
tes choseségales, produiiait le plus de naissances; mais on se
tromperait sans dîjute, en la regardant par ct-la mT-me comme
donnant le plus de signes de prospérité, puisqu'elle est en
même tems la province qui produit le plus de décès.
On a souvent cherché à estimer lu prospérité d'un peuple,
et à cet effet on a fait usage des mouvemens de la population.
La possibilité de parvenir à des résultats satisfaisans, en suivant
une paieille route, mérite sans doute d'être examinée d'une
manière approfondie. C'est une question qui nous a toujom-s
paru d'un haut intérêt ; mais, nous devons l'avouer, les don-
nées seules de la population ne nous paraissent pas suffisantes
pour la résoudre. Les influences locales, le climat, les habitu-
des, etc. sont des élémens que Ton ne peut guère négliger en
comparant un peuple à im autre : peut-être le ferait-on avec
moins de danger en comparant un peuple à lui-même pour
difl'érentes époques, pendant lesquelles ces élémens n'ont pas
éprouvé de variations sensibles. Mais, comme nous l'avons déjà
dit, le chiffre seul des naissances nous parait absolument insulfi-
sant. iSous aurions plus de confiance dans le chiffre des décès,
surtout s'il ne s'agit (pie d'établir une mesure à laquelle on
puisse s'assurer si une population a atteint ou dépassé les limites
qu'elle ne saurait franchir sans se condannier au /JrtM/;t'rtA7/je.
M. d'Ivernois a fort bien montré, dans un des derniers cahiers
de la Bibliothèque universelle, l'utilité dont il peut être sous ce
rapport, et l'on doit désirer vivement la publication de l'ou-
vrage (pi'il aiuutuce sous ce titre : De ta Morlalilè moyenne, cn-
visa(^ée comme Mesure de r aisance et de la ciciUsation des peu-
ples. Cette mesure universelle, dit l'auteur, je nie flatte de l'a-
voir trouvée dans 1(! rJii/j'rc mortuaire des peuples, par où j'en-
tends celui (pii in(li(]ue si la proportion des décès annuels,
comparés au iiombr»; lutal des vivans, augmente ou diminue.
Non.'' avons prul-ctic t<irl de préjuger des résultats; mais, si
nous observons (pic ictlc nie-iire ne clian;;!' pas dès (pie le te-
SCIIÎNCKS PHYSIQIJKS. 35 r
{al (les vivaiis reste le même, ainsi que celui de* décès, on
peut avoir quelques craintes sur sa précision. Une popiilatinii.
en effel , peut rester numériquement la même dv dinércnles
manières, et présenter un nombre d'honnnes utiles phi s ou
moins grand, sans que l'on puisse dire pour cela que son ai-
sance demeure aussi la même. Par là on estimerait en quel-
que sorte un entant à l'égal d'un homme utile. Pour n'en
prendre qu'un seul exemple, si, par une cause quelconque, la
mortalité dans un pays florissant s'attachait à frapper plus
particulièrement les hommes utiles en épargnant les enfa/is,
le nombre des décès et celui des naissances demeurant d'ail-
leurs le même, il arriverait infailliblement que cette {)opula-
(ion, après quelques années, aurait perdu beaucoup d'élémcns
de prospérité; et cependant, la perte qu'elle aurait éprouvée
n'aurait été nullement accusée par la mesure employée. Le
chitfre mortuaire serait resté le même, et un nombre considé-
rable d'hommes utiles, qui produisaient pour leurs semblables ,
auraient été remplacés par des enfansqui seraient venus pren-
dre part à la consommation et auraient causé ainsi un véritable
appauvrissement. Une population peut donc rester intactedans
certains cas et même augmenter, le nombre des décès de-
meurant le même, sans qu'on puisse inférer de là que son
état de prospérité ou d'aisance demeure également le même.
On ne saui'ait nier, certainement, qu'il n'existe des relations
très-étroites entre le bonheur d'un peuple et les mouvemens
de sa population; comme nous l'avons déjà dit, le tout est de
savoir comment les exprimer. 11 nous semble, à cet égard,
qu'il y a une distinction importante à établir : on peut , en
etïet, envisager la question sous un double point de vue. On
peut se proposer, en s'occupant d'un peuple, d'examiner
quelles sont les années désastreuses, celles pendant lesquelles
il a plus ou moins souffert; ou bien on peut rechercher d'une
manière absolue quel est le nombre d'hommes utiles dont il
peut disposer, en un mot, quelle est sa force , qui est aussi
l'un des principaux éléniens de sa prospérité. Dans le premier
cas, le chiffre des décès pourra presque toujoius être employé
t\ ce beaucoup de succès ; cai une année désastreuse est gé-
55a SCIENCES PHYSIQLES.
néralemenl accompagnée et suivie de privalioiis de toutes es-
pèces, même chez les peuples les plus favorisés, et les priva-
lions sont mortelles pour l'espèce humaine. Ainsi, quand on ne
saurait pas que l'année 1817 a été une année de disette pour le
royaume des Pays-Bas, on le verrait sans peine pal* le nombre
des décès qui a été plus grand que pour les années qui précè-
dent ou qui suivent. Celte mortalité plus grande s'est fait res-
sentir aussi dans les dépôts de mendicité où elle a presque été
double de ce qu'elle était précédemment, el même jusque
dans les hospices des Enfans trouvés, comme dans le tems j'en
ai fait la remarque dans mes Recherches sur la Population, etc.
Quant à la seconde manière d'envisager la question, j'ai
déjà cherché à faire comprendre pourquoi le chilfre seul des
décès ne me paraît pas suffisant. Il ne sulfit pas, en effet, de
savoir combien de décès donne une population, il faudrait sa-
voir encore à quel âge ces décès ont lieu. Quelques écri-
vains ont employé dans des estimations semblables, les uns,
la durée de la vie moyenne, les autres, la durée de la vie
probable , et ils ont cherché à établir leur appréciation
d'après les changemens que subissait l'une ou l'autre de
ces valeurs. Mais ici se présente un inconvénient à peu près
semblable à celui que j'ai signalé d'abord : c'est que la durée
de la vie probable et de la vie moyenne peut avoir la même
valeur de diilérenlcs manières. Cet inconvénient se fait sur-
tout sentir quand on emploie le nombre qui exprime la vie
probable, puisqu'on ne considère, dans le fait, que l'époque à
laquelle un certain nombre d'individus de même âge se trouve
réduit de moitié ; et l'on n'exprime pas si ceux quTsont morts
les premiers ont pu se rendre utiles pendant un tems plus ou
moins long; on n'établit également rien à l'égard de ceux qui
survivent. En prenant le chiffre qui exprime la vie moyenne ou
la moyenne des âges auxquels sont parvenus un certain nom-
bre d'individus que l'on suppose nés en même tems, on donne
aussi même valeur à une année de la vie d'un enfant qui vient
de naître et à celle de la vie d'un homme dont les travaux sont
profitables à la société. Ces considéralionsdoiventmontrerassez
combien il est difficile (roi)tenir d.ui-: do pareilles apprécia-
SCIENCKS PflYSJQlKS. 555
lions une mesure exacte on même une approximation satis-
faisante.
Lorsqu'il s'agit d'estimer les forces dont un État peut dis-
poser, en considérant, bien entendu, le problème sous un point
de vue purement physique, comme on l'a fait, il me semble
que le chemin le plus sur serait de comparer numériquement les
hommes utiles à ceux qui ne le sont pas. Les élémens de com-
paraison devraient, dans ce cas, être puisés dans les tables de
mortalité; et il faudrait rechercher combien, sur un nombre
donné d'individus, il se trouve d'enfans hors d'état de se rendre
utiles, et combien d'hommes en âge de contribuer au bien-
être général; on pourrait partager une population en deux par-
ties, l'une ayant moins, l'autre ayant plus de quinze ans. Je
suppose ainsi, il est vrai, que l'homme ne peut se rendre plus
utile à trente ou quarante ans qu'à seize ou quatre-vingt;
mais c'est un inconvénient qu'on trouve aussi dans les autres
méthodes d'appréciation, et qu'on pourrait faire disparaître,
d'ailleurs, en attribuant plus d'importance à certaines années
de la vie qu'à d'autres, si une extrême exactitude ne devenait
illusoire en pareil cas. L'objection la plus forte serait , sans
doute , qu'on attribue une valeur trop grande aux années de
la vieillesse; mais on trouvera, d'une autre part, une espèce
de compensation dans les secours qu'oflre encore son expé-
rience, et dans la longue série de services qu'elle a pu rendre.
Nous présentons ces observations avec les doutes qu'on doit
naturellement éprouver en abordant des questions aussi déli-
cates, et l'on peut dire, aussi compliquées. Tout ce qui se rap-
porte au mouvement des populations mérite le plus sérieux
examen, si l'on ne veut s'exposer à de graves erreurs. Si l'on
nous disait, par exemple, qu'après un certain nombre d'an-
nées, une population sei'a plus nombreuse, si elle a été con-
stamment stationnaire, que si elle a été alternativement crois-
sante et décroissante, quoique le rapport de l'accroissement
ait été égal à celui du décroissement, et que le gain d'une
année ne compense pas la perte d'une autre, on pourra, au
premier abord . regarder cette proposition comme très-pro-
blématique ; cependant je crois l'avoir mise hors de doute.
534 SCIENCES PHYSlOllES.
lie mr-me qu'imantre résultat non moins curieux. (Voy. Recher-
ches slalistiques sur le royaume des Pays-Bas. ) Ces sortes île
•(uestions sont surtout du domaine des mathématiques, qui,
dans le plus grand nombre des cas, les résolvent sans peine.
Nous finirons par citer ici, à l'appui de ce qui a été dit au
commencement de cet article, des documens statistiques pui-
sés dans les tableaux publiés par le gouvernement. Nousavons
mis en regard les nombres des deux périodes décennales, afin
de faciliter les rapprocbemens.
« oô
■S Q
t^ C5 CiSO 00 ^5* O CTJLC O O -J*t^ <X> C^ C^ C^OO u^
O O -<* — C^fi — 00 CM 1.-Î 1/^ (/^ (S w — l^tO lO Ci
C « '^c t-c co C-. OO 3~,oo -ïj-v^ CT: i^co " M ::rnn ~<i-
to - - « n o c-.cc ^*- - o -00^1 -toto «
t» - 1^00 ^ OO - - t\ i^t-c vo -^ o "^ Ç''^ '^ "
r tO »0 lO u-5 ce
- 'O o^ti'; o 'O -^00 1^ t^ c"/sO o ixic !0 00 to
r^>o i^vo oo'O cs-ïtoioio - Ci ui ce ce « - o
ko ao >^ i'; ^* C".-^ o to <o O o r^ — LO -« i^' Cvo
I ^ - i^io I ^'o ^*-"~îtt'^-ïrt^ooio-.!}'toto vo
1 00 -îf ^ !0 "î o C "5 -^ l-v^T-m !0 — Ol 05(0 ^^
oD o 1^00 a>^* Cl « '
j. lO Cl o ^^tO c><o
00 ■<* o - lO o
. o o *o u^ o m •- Cl^^
■~ ^ c
•^ -S ^
<s -S ^ -2
g c 5 S
>- s "S s
u p Jii «
SCIENCES PHYSIOIES.
iS5
]\ AISSANCKS
De i8o4 à i8i5.
Dau^ les villes. Dans les canipag
Janvier 68,255 i:>g,-Hj
Février 65,4o4 1 55,454
Mars 69,267 164, 85i
Avril 64,089 142,5-2
Mai 62,102 154,44*^
Juin 56,855 120,995
Juillet "^JiiSi i2'.,5i2
Août 59,620 1 5 1,657
Septembre 60,707 159,751
Octobre 62,5oo 146,562
Novembre 62,200 i4i,566
Décembre 65, 120 148, 1S6
Moyenne 62,770 142,182
Décès
De i8i5 à 1824.
Dans les >;iles. Dans le
59,892
116,129
5i,254
104,495
54,277
114,244
5o, 146
io5,So4
48,911
9^v«4
45,104
81,759
45,212
77,7^^
47,002
78,802
48,572
82,585
5 1,649
89,514
5i,ioi
86,695
55,65i
98,705
50,759
95,981
Ce tableau met de nouveau en évidence la remarque que
j'avais faite pour le royaume des Pays-Bas relativement aux
époques des maxinia et des niinima pour les nombres des
naissances et des décès aux difleientes époques de l'année,
remarque qui a été étendue et développée par M. Villermé,
avec une lucidité et un ensemble d'observations qui semblent
ne laisser plus rien à désirer.
A. QUETELET.
SGlEiNCES MORALES ET POLITIQUES.
Histoire de la civilisation ex France, depuis In citule de
l'empire romain jusqu en 1789; par M. (irizoT, professeur
(1 tiistoirc à la Faculté des lettres de Paris. Première Époque,
jusqu'au x' siècle (cours de 1829.) (0 — Deuxième Époqle :
xr, xii" et XIII' siècles (Cours de i85o.) (2).
On n'a pas oublié les motifs par lesquels, en commençant,
Tannée dernière, son histoire de la civilisation moderne,
M. Guizot a exposé qu'il avait été déterminé d'abord à étudier
de préférence l'histoire d'une civilisation spéciale, puis à choi-
sir celle de la France plutôt que celle d'aucune des grandes
nations qui nous avoisinent : après avoir ainsi bien établi la
méthode qu'il avait résolu d'adopter, le professeur devait né-
cessairement entrer en matière par un tableau de l'état dc
l'administration et de la société en Gaule pendant les derniers
tems de la domination romaine. Tel a été, en effet, son point
de départ, et ses premiéies leçons, après avoir retracé la dé-
cadence et l'impuissance de la société civile gauloise, ainsi que
les causes de cette décadence, nous ont bientôt amenés aux v'
et VI' siècles, époque de l'invasion du peuple germanique sur
le sol gallo-romain. On se fait en général une idée très-fausse
de l'invasion des Barbares, de l'étendue et de la rapidité de ses
(1) Paris, 1829; Pichon et Didier. 5 vol. in-S" ; prix, 27 fr. (voy. iîei'.
Enc, t. xmi, août 1829, p. TiTii et suiv., le compte rendu de cette pre-
mière partie, par M. dk Sismondi).
(2) Paris, i85() ; les nirmes, 2 vnl. in-8" ; prix, 18 fr.
SCIENCES MORALES ET POLlTIQUIiS. 33;
effets. On se représenle souvent celle invasion comme une es-
jîèce (rirriiption générale, de bouleversement universel ac-
compli dans un tems assez limité; mais l'invasion au contraire,
ou plutôt les invasions furent des évènemens essentiellement
partiels, locaux, momentanés (i). Ces apparitions des bandes
barbares, courtes, il est vrai, et bornées, mais souvent renais-
santes, partout possibles, toujours imminentes, n'amenèrent
donc qu'à la longue l'occupation complète du territoire ; et de
même ce fut successivement, lentement, inégalement, que
s'accomplit la dissolution respective et simultanée de la so-
ciété romaine et de la société germaine mises ainsi, par l'in-
vasion, en présence et en contact l'une avec l'autre. Mais une
société ne périt que parce qu'une autre société nouvelle fer-
mente et se forme dans son sein ; et ce fut en effet de la disso-
hilion de^deux sociétés romaine et germaine que se formèrent
les élémens du nouvel état social, manifesté par deux symp-
tômes, deux faits qui commençaient dès lors à se laisser en-
trevoir, d'abord une certaine tendance vers le développement
de la royauté, puis la naissance de l'aristocratie territoriale.
Chez les nations germaniques, la royauté avait une double
(i) Dans son Ilistotre de j Français (l. i, p. i28-i3i),M. de Sismokdi,
s'appuyant sur l'autorité de saint Augustin, paraîtrait incliner vers une
opinion contraire, et considérer l'empire romain comme ayant été, en
quelque sorte, inondé tout à coup par un débordement général des na-
tions du Nord et de l'Orient refoulées elles-mêmes sur le midi de l'Eu-
rope par l'invasion des Tarlares et des peuples asiatiques. Mais les ternies
généraux employés par M. de Sismondi, dans le passage dont il s'agit,
prouvent clairement que, dans cette desciiption de l'invasion de l'empire
romain, il n'a entendu considérer ce grand événement que de haut et
dans son ensemble, et ne s'attacher qu'à son aspect le plus vaste, en né-
gligeant les points de vue de détail : d'où il suit que cette contradiction
apparente, entre M. de Sismondi et M. Guizot, disparaîtrait en l'exami-
nant de plus près. Quant il la lettre de saint Augustin citée par M. de
Sismondi, son autorité ne nous semble pas péremptoire, car elle porte
évidemment l'empreinte de cette exagération emphatique qui se re-
trouve chez tous les historiens, et surtout chez les écrivains religieux de
celte époque, et même jusqu'aux xii« et xni* siècles.
T. XI-VII, VOI'T l83o. 22
338 SCIENCES MORALES
origine; elle était militaire et. religieuse ; comme militaire,
elle était élective; comme religieuse, elle était héréditaire (i).
En passant sur le sol gallo-romain, la royauté germanique y
trouva d'autres principes, d'autres élémens, qui devaient grave-
ment modifier son caractère ; là dominait la royauté impériale
romaine, institution essentiellement symbolique, et sym-
bole purement politique. A côté de la royauté impériale nais-
sait la royauté chrétienne, institution symbolique aussi, mais
symbole purement religieux. Ainsi, sous un double point de
vue, la royauté romaine différait essentiellement de la royauté
barbare : politique ou religieuse, celle-ci était une préroga-
tive personnelle ; politique ou religieuse, celle-là était un pur
symbole, une fiction sociale.
Tels sont, pour ainsi dire, les quatre origines de la royauté
moderne, les quatre principes qui, après l'invasion, travail-
lèrent à se combiner pour l'enfanter. Sous la première l'ace,
les rois francs voulurent rester chefs des guerriers, et se pré-
valoir en même tems de leur descendance religieuse et bar-
bare. Mais ces notions étaient trop compliquées pour les Bar-
bares du VI* siècle : aussi ne réussirent-elles point; et, lorsque
la royauté reparut avec vigueur dans la personne des Carlo-
vingiens, elle avait subi une grande métamorphose; la royauté
germanique reparut alors avec le caractère militaire seul, dans
Pépin de Herstall et Charles Martel. Pépin-le-Brcf s'empressa
d'y ajouter le caractère religieux chrétien; Charlemagne alla
plus loin : il entreprit de redonner à la royauté franque le
caractère de la royauté impériale romaine, d'en refaire un
symbole politique, de reprendre lui-même ce rang de repré-
sentant unique de l'État qu'occupaient les empereurs ro^
mains.
Un tel système tendait évidemment à affranchir la royauté
de toutes les relations féodales, à la rendre partout présente,
partout puissante; il tentait ce qui ne devait s'accomplir en-
(i) Voyez les Essais sur l'Histoire de France, par M. (ii>izoT, p. 394
et sniv.
ET POLITIQUES. 539
tièrement que sous les règnes de Louis-le-Gros, de Louis-lc-
Jeune et de Philippe Auguste. Toutefois la tentative réussit
tant que Charlemagne y présida ; ses successeurs entreprirent
de la continuer, mais ils ne surent pas y parvenir. D'un autre
côté, le lien qn« la volonté et les conquêtes de Charlemagne
avaient établi entre tant de nations différentes, l'unité de pa-
trie et de pouvoir étaient fiictices, et ne pouvaient subsister;
l'état moral et l'état social des peuples, à cette époque, répu-
gnaient également à toute association, à tout gouvernemeni
unique et étendu. De là, la dissolution et le démembrement de
l'empire de Charlemagne, auxquels concourut, en outre, l'u-
sage suivi jusqu'alors de partager le territoire entre les Gis du
souverain; delà, aussi, la naissance progressive des sociétés
locales qui, lorsqu'elles eurent revêtu une forme un peu régu-
lière et déterminée, tant bien que mal, les relations hiérarchi-
ques qui les unissaient constituèrent cette sorte de confédéra-
tion des grands possesseurs de fiefs, cet état de choses enfin
désigné par le nom de régime féodal. C'est vers la fin du
x'' siècle, et lorsque la race des Carlo vingiens disparait, que
l'on peut regarder cette révolution comme consommée.
C'est aussi à cette même époque que commence, comme
nous l'avons déjà dit, la véritable civilisation française. Toute
unité national-e avait pourtant alors disparu ; mais alors aussi
se développa une autre unité plus profonde et plus puissante,
celle qui résulte de la similitude des élémens sociaux, des
mœurs, des idées, des sentimens et des langues; or, au com-
mencement du régime féodal, cette unité existait à un degré
incontestable, et se développait graduellement en présence
même, et en dépit de ce démembrement du peuple et du pou-
voir en une multitude de petits peuples et de petits souve-
rains, de cette -absence de toute nation générale, de tout gou-
verneme^it central, qui sont le caractère propre de la féodalité.
Peu de questions historiques ont été plus longuement et
plus vivement débattues que celle de savoir quand et comment
a commencé le régime féodal : Chantereau-Lefèvre, Salvaing.
Brussel, Boulainvilliers, Mably, Dubos, Montesquieu, s'en font
,-.',o SCIENCES MOllALLS
chacun une idée dilTérente, parce qu'ils ont presque lou s voulu
trouver, dans son bcrceati même, le régime féodal tout en-
tier, tel qu'ils le voyaient à l'époque de son plein développe-
ment; mais la ftodalité, comme tous les antres grands faits
sociaux, n'est point apparue complète et tout à coup; elle s'est
formée lentement, successivement, avant d'arriver à consti-
tuer un ensemble systématique; il y a donc, pour qui veut
étudier sérieusement cette époque, nécessité absolue de tenir
compte exactement des caiisos et des circonstances qui ont
précédé et accompagné l'origine du régime féodal; celte his-
toire de sa formation progressive peut se résumer en trois faiis
essentiels que l'on doit considérer comme les élémens consti-
tutifs de ce régime.
Le premier de ces trois faits principaux est la nature parti-
culière de la propriété territoriale sous les deux premières
races; en d'autres termes, l'état des terres. Aussitôt après l'é-
tablissement des nations germaniques sur le sol gallo-romain,
on voit apparaître deux sortes de propriétés territoriales : les
bénéfices et les aleuic (alodia). Ce dernier terme désignait une
terre que le possesseur ne tenait de personne, qui ne lui im-
posait envers personne aucune obligation. Les bénéfices au
contraire désignaient une terre reçue d'un supérieur à titre
de récompense, et qui obligeait envers lui à certaines charges,
à certains services. C'est à tort que Montesquieu, Robertsou
et Mably pensent que les bénéfices furent d'abord complète-
ment amovibles, ensuite temporaires, puis viagers, et enfin
héréditaires. Les vraisemblances morales et les témoignages
historiques repoussent également ce système. La propriété
bénéficiaire fut bien, il est vrai, soumise à ces quatre condi-
tions, mais simultanément et non successivement; elle pré-
senta presque toujours à la fois ces divers caractères, et ce fut
tantôt l'un, tantôt l'autre, qui fut le fait dominant. Elle n'a
donc point passé du \' au ix' siècle successivement et régu-
lièrement par l'amovibilité arbitraire, la concession tempo-
raire, la concession viagère et l'hérédité. Ces quatre états se
rencontrent à tontes les époques : si la condition viagère fut
ET POLITIQLES. 54.1
le véritable «^tal piiuiitil', le caiactère conimiin de ce genre île
concessions, l'état héréditaire fut 'ja condition normale et dé-
finitive; et au ix* siècle cette condition avait, à peu de chose
prèsy entièrement prévalu. En eftet, la propriété alodiale du
v'' au x*" siècle, sans disparaître complélcnient, se resserra de
plus en plus, et la condition bénéficiaire héréditaire deviiii la
condition commune de la propriété territoriale.
Le second fait principal, le second élément constitutif du
régime féodal, est la fusion de la souveraineté et de la pro-
priété, c'est-à-dire la réunion dans la même main de la pro-
priété territoriale et du pouvoir législatif, judiciaire, adminis-
tratif et même sacerdotal : dans l'intérieur de ses domaines, et
sur les individus qui les habitaient, le possesseur de fiefs exer-
çait tous les pouvoirs ; dans cette sphère, son autorité était
absolue. Plusieurs publicistes ont pensé que la fusion de la
souveraineté et delà propriété était née uniquement de la con-
quête, n'avait d'autre origine que la force et la violence. En
fait, comme en droit, ils se trompent : la fusion de la souverai-
neté et de la propriété n'a pas été un fait si simple, si pure-
ment matériel, si brutal, pour ainsi dire ; son origine est plus
complexe, plus lointaine, que le simple droit de conquête. II
faut la chercher dans les deux modes d'organisation sociale de
l'ancienne Germanie : d'une part, la tribu ou peuplade, société
sédentaire formée de propriétaires voisins, vivant du produit
de leurs champs et de leurs troupeaux; d'autre part, la bande
guerrière, société errante, formée volontairement et tempo-
rairement de gueniers réunis autour d'un chef, soit pour
quelque expédition particulière, soit pour aller chercher for-
tune au loin , et vivant de pillage. L'ascendant du chef sur ses
compagnons formait la bande et la retenait autour de lui ;
elle se gouvernait parla délibération commune; l'indépen-
dance personnelle et l'égalité militairey jouaient un grandrôle.
Quant ù la tribu ou peuplade, son élément primitif n'était pas
l'individu, le guerrier, mais la famille, le chef de famille ; elle
-e cojnposait des familles, des chefs de familles, propriétaires
■'lablis les uns près de? autres : pour toutes les affaires gêné-
342 SCIENCES 310nALES
raies de la iribu . la souveraineté appartenait à l'assemblée des
chefs de famille propriétaires ; pour tout ce qui se passait dans
l'intérieur de chaque domaine, au chef de famille lui-même,
sous l'autorité de qui vivaient sa famille proprement dite, ses
colons et ses esclaves. Lors de l'invasion, ce ne fut pas la tribu,
mais la bande germanique qui passa sur le territoire gallo-
romain, et s'y établit. En Allemagne, c'est la tribu agricole;
chez nous, c'est la bande guerrière qu'on aperçoit au berceau
de la société, et qui est devenue un des élémens primitifs de
notre civilisation. Ces nouveaux conquérans durent naturel-
lement vouloir reproduire les institutions de leur patrie et
prendre pournwdèle l'organisation de la tribu germaine ; mais
le changement des situations et des circonstances extérieures
devait introduire et introduisit en effet dans la société nou-
velle de graves altérations, dont le résultat fut que la souve-
raineté domestique de l'ancienne tribu germaine, lorsqu'elle
fut transplantée en^ Gaule, perdit son caractère de famille, de
régime patriarcal ; l'élément qui devint dominant fut celui
de la conquête, de la force. Ainsi la fusion de la souveraineté
et de la propriété, l'un des trois grands caractères du régime
féodal en France, ne fut pas uniquement le fait de la conquête,
puisqu'un lait analogue existait dans le sein de la tribu ger-
maine. Mais, en Germanie cette fusion s'était accomplie sous
l'influence de deux principes, qui sont, d'une part, l'esprit de
famille, l'organisation de Clan ; d'autre part, la conquête, la
force. En Gaule, la part du régime patriarcal, de l'organisa-
tion de famille et de Clan, s'atténua beaucoup; celle de la
conquête et de la force devint au contraire le principe très-
dominant de la fusion de la souveraineté et de la propriété :
telle fut du iv' au x" siècle la transformation de ce fait, qui,
venu de Germanie, a revêtu sur notre sol un tout autre caractère.
Quant au troisième des grands faits qui constituent le ré-
gime féodal , encore bien que, dans son essence, il soit en
quelque sorte plutôt négatif que positif,plut(jt nominalqueréel,
il n'en est pas moins vrai que l'on doitleconsidérerà juste titre
comme un des principaux caractères de la féodalité; ce trni-
liT POLITIQIJES. 343
sième lait est l'ordre des rapports des possesseurs de fiefs en-
tre eux, le développement progressif de l'organisation qui les
unissait, ou plutôt qui était censée les unir ; en effet cette union,
cette organisation était bien plutôt un principe qu'un fait :
sans doute, en principe, les possesseurs de fiefs étaient liés les
uns aux autres, et leur association hiérarchique semble sa-
vamment organisée; en fait, cette organisation ne fut ni réelle,
ni efficace. Si tel a été son état dans tout le cours de l'époque
féodale, à plus forte raison devait-il en être ainsi au com-
mencement de cette époque vers la fin du x' siècle. Du v* au
x' siècle, nul principe d'unité sociale et politique n'a pu conser-
ver ou acquérir l'empire ; tous ceux qui avaient régné aupa-
ravant ont été vaincus, abolis; et c'est au-dessus de leurs
ruines que paraissent les essais grossiers et incomplets de
l'organisation féodale. Immédiatement après l'établissement
territorial des Germains dans la Gaule, trois principes d'orga-
nisation sociale, trois natures d'institutions coexistèrent et se
trouvèrent en présence ; le système des institutions libres, ce-
lui des institutions aristocratiques et celui des institutions mo-
narchiques. Chacun de ces trois systèmes avait respective-
ment une double source, une double origine dans l'état de
choses qui existait, d'une part, en Germanie, et de l'autre,
en Gaule, avant l'invasion ; mais cette parité dans leurs élé-
mens constitutifs ne se retrouvent pas dans leur destinée.
Dans ce long intervalle compris entre l'invasion des Barbares
et l'avènement de Hugues Capet, tous les principes du sys-
tème des institutions libres allèrent s'énervant de plus en plus;
tous ses moyens d'action furent brisés. Tel fut aussi le sort
des institutions monarchiques ; le caractère religieux de l'an-
cienne royauté germaine avait disparu, ainsi que son carac-
tère militaire primitif; le caractère politique de la royauté
impériale des Romains était incompatible avec la société
nouvelle; le caractère religieux chrétien conservait seul quel-
que empire, mais un empire f;iible et rare; toutes les bases
du système des institutions monarchiques étaient ébranlées ;
tous ses principes vitaux avaient perdu leur énergie.
544 SCIENCES .MORALES
Il en était tout luitrement du système des institutions aris-
tocratiques; au lieu de décliner, celui-ci avait été en progrès.
Les élémens, soit germains, soit romains, qui le constituaient,
s'étaient tous affermis, développés : la souveraineté domes-
tique du chef de famille propriétaire Gei'main, transplantée en
Gaule, y était devenue plus complète et plus absolue, le pa-
tronage du chef de bande sur ses compagnons, tout en chan-
geant de forme, s'était accru et fortiGé; de telle sorte que, tan-
dis que les deux premiers systèmes ont été déclinant, le système
des institutions aristocratiques a vu au contraire ses bases
s'affermir, ses principes jirendre plus de vigueur; il n'a point
acquis, il n'a point donné à la société en général une forme
régulière, de l'unité, de l'ensemble ; il n'y atteignit même ja-
mais : mais il n'en est pas moins évident que seul il finit par
prévaloir^ par être le fait dominant de l'époque qui nous oc-
cupe.
Tels furent les faits matériels et moraux sous l'empire des-
quels fut préparée et se constitua progressivement du y' au
X' siècle la société féodale : nous avons dû nous borner à pré-
senter dans son ensemble, et sous son aspect le plus général,
l'histoire de sa formation graduelle ; les bornes de cet article
ne nous permettent pas de suivre M. Guizot dans les détails
remplis d'intérêt et empreints d'une véritable érudition qui
sont le fruit de ses recherches et viennent à l'appui de ses vues
et de ses doctrines. le même motif nous oblige de passer ra-
pidement sur les dévoloppemens auxquels, après avoir ainsi
examiné les origines de la société féodale, il se livre pour étu-
dier cette société en elle-même pendant l'époque qui lui ap-
partient en propre. Rien de plus curieux, de plus instructif,
que le tableau qu'il trace de lu vie que menaient en général les
possesseurs de fiefs au sein de leurs châteaux, et que les con-
sidérations par lesquelles il est conduit à établir que la vie de
château et la situation des possesseurs de fiefs ont contribué
notablement aux progrès de l'esprit de famille, et surtout de
l'influence et de la condition des femmes. A l'époque oi'i la
féodalité atteint son complet développement, c'esl-à-dire vers
KT POLITIQUES. 345
te milieu du m"' siècle, nous voyons, pour faire diversion à
leur isolement et à leur oisiveté , les seigneur» féodaux rassem-
bler autour d'eux dé nombreux officiers, un cortège considé-
rable, une petite cour. En même tems, du sein de ces modifi-
cations apportées parle tems et les circonstances aux anciennes
moeurs germaniques surgit un fait qui mérite d'autant plus l'at-
tention que son origine et sa nature ont été presque toujours
et sont encoie souvent inexactement appréciées : ce fiiit est la
cheyalerie.
On a représenté la chevalerie comme une grande institution
formée, au xi" siècle, dans le dessein moral de iultei- contre
le déplorable état de la société, de protéger les faibles contre
les forts, de vouer une certaine classe d'hommes au redres-
sement des torts et des injustices; 31. de Sismondi lui-même
n'a pas su se défendre de l'influence si générale de cette idée (i).
Il n'en fut point ainsi : la chevalerie n'a point été, à l'époque
dont nous parlons, une institution amenée par une nécessité
spéciale et combinée daas le dessein d'y pourvoir. Elle s'est
formée d'une manière beaucoup plus simple, plus naturelle,
plus obscure uiême : elle a été le développement progressif de
faits anciens, le produit des mœurs germaniques et des relations
féodales; elle est née dans l'intérieur des châteaux sans autre
intention que de déclarer l'admission des jeunes hommes, soit
fils du suzerain, soit fils du vassal, au rang cl à lavie des guerriers,
et de fortifier ainsi , par un acte solennel, le lien qui unissait le
vassal à son seigneur, qurl'armait chevalier : c'estce que prouve
évidemment l'histoire du mot même qui désignait le chevalier,
du mot »h7ê.s, employé constamment , jusqu'au xiii^ siècle,
comme synonyme de vassal. A mesure que la chevalerie
se développa , ce fait tomba sous l'empire de, deux in-
fluences qui ne tardèrent pas à lui imprimer un autre ca-
ractère : la religion et l'imagination, ri?!glise et la poésie
s'emparèrent de la chevalerie, et s'en firent un puissant moyen
de répondre aux besoins moraux qu'elles avaient mission de
satisfaire: si, d'une part, on ne peut contester que la chevalerie
(i"'; Histoire c/cs Français, t. iv, 199-201,
346 SCIliNCES MORALES
a joué un rôle assez long et assez important dans le dévelop-
pement moral de la France ; on peut aussi d'un autre côté affir-
mer que, dans le développement social, elle a tenu peu de
place et possédé peu de consistance : aussi ne dura-t-elle pas
long-tems. Dès le xiv^ siècle, la chevalerie proprement dite
était en pleine décadence; ce n'est pourtant pas qu'elle eût
entièrement péri : elle avait enfanté les Ordres religieux mili-
taires, les templiers, les chevaliers de Jérusalem, les cheva-
liers teutoniques ; elle commençait à enfanter les Ordres de
cour, les cordons, les chevaliers de rang et de parade; elle
devait figurer encore long-tems dans la vie et le langage de la
société française; mais la chevalerie originaire, la vraie che-
valerie féodale avait dépéri comme la féodalité elle-même.
Malgré les graves obstacles qu'opposait au développement
de la civilisation le genre de vie des maîtres du sol, il est évi-
dent toutefois qu'il y avait eu des améliorations réelles, et que
les classes supérieures de la société gallo-franque n'étaient
point restées stationnaires ; il n'en fut pas de même au sein de
la population agricole : elle demeura pendant long-tems beau-
coup plus immobile, beaucoup plus étrangère à tout mouve-
ment social; rien là que de fort naturel; le progrès de la ci-
vilisation veut de la paix et de la liberté; et ces deux élémens
manquaient entièrement à la population agricole , exposée
sans protection à tous les périls et complètement dépourvue
de paix et de sécurité. Son état déplorable j sa servitude, sa
misère, ne datent pas seulement de l'invasion des barbares,
comme on le pense généralement ; ses vices et son immobilité
remontent plus haut que la conquête germanique; et c'est
dans la condition des habitans des campagnes sous la domi-
nation romaine qu'il faut en chercher les véritables causes,
ainsi que le prouvent les détails infiniment curieux dans les-
quels est entré M. Guizot sur l'origine et sur la condition des
colons dans la Gaule avant la conquête des Romains et sous
leur administration , sur les obligations de cette classe envers
les maîtres du sol, et sur les modifications apportées à sa con-
dition par l'invasion des Barbares. Ces changemens, d'abord
T-T POLITIQUES. 547
presque nuls, durent à la longue aggraver la sitnation des
colons, surtout sous le rapport politique Toutefois , malgré
l'oppression féodale, la condition de ces mêmes colons, dési-
gnés plus tard sous le nom de villains (villani), finit par acqué-
rir quelque fixité. Du v^ au x* siècle, on la voit constamment dé-
choir ; mais, à partir du x" siècle, le progrès commence," progrès
partiel, assez long-tems insensible, mais que cependant on
ne saurait méconnaître, et qui amena plus tard la fameuse
ordonnance de Louis X sur l'affranchissement des serfs. Il est
vrai que ce n'était pas dans des vues désintéressées et pure-
ment morales que Louis-le-Hutin proclamait le principe de
ces affranchissemens ; il n'entendait point donner la franchise
aux colons ; il la leur vendait à de bonnes et convenables con-
ditions; mais il n'en est pas moins certain, en principe , que le
roi croyait devoir la leur vendre, et qu'ils étaient capables de
l'acheter; c'était là, à coup sûr, entre le xi* et le xiv*^ siècle,
une notable différence et un immense progrès.
Après avoir ainsi étudié la société féodale dans son élément
simple et primitif, le savant professexir arrive à l'examiner dans
son organisation hiérarchique et dans son ensemble : cet exa-
men, par la prodigieuse complication des faits sur lesquels il
porte, présentait de grandes difficultés qui n'ont été, du reste,
pour M. Guizot, qu'une nouvelle occasion de faire remarquer
cette sagacité, cette clarté de vues et cette parfaite intelligence
des matières historiques, qui sont le caractère particulier de
son talent. Les relations féodales et leur origine, les rapports
des possesseurs de fiefs entre eux, la complexité delà situation
de ces derniers, qui souvent étaient à la fois suzerains et vas-
saux, leurs relations et obligations mutuelles, tant morales
que matérielles, les droits et les devoirs réciproques des
suzerains sur les vassaux, et de ceux-ci envers leurs suze-
rains; puis les rapports des vassaux entre eux, rapports qui
n'existaient guère que par l'intermédiaire du suzerain : tels
sont les premiers faits dont l'analyse nous conduit, par un en-
chaînement naturel, à la recherche de ce qu'étaient le système
des garanties politiques, l'organisation judiciaire, et le mode de
procédure suivi dans les contestations respectives, soit entre
348 SCIENCES MORALES
!>uzerains, ?oit entre vassaux, soit enlre chacune de ces deux
classes. Il est superflu d'ajouler que ces garanties étaient à
peu près nulles ; encore bien que le principe du jugement par
les pairs esflstât dans la société féodale, et se soit même per-
pétué lorsqu'il y eut, sous le nom de baillis, une classe
d'hommes spécialement investis des fonctions de juges, rien
n'était pkis irrégulier que les cours féodales ; l'arbitraire régnait
dans leur composition, et par conséquent dans leurs décisions :
et comme il n'existait pas de force publique chargée de faire
exécuter les jugemens; il n'y avait dès lors, pour l'accomplis-
sement de la justice, d'autre voie que le recours à la force : de
là les combats judiciaires et les guerres privées. Faute d'insti-
tutions capables de protéger ses droits, l'individu se faisait
justice lui-même. Il y avait, si l'on veut, goût, penchant, pas-
sion pour cette façon d'agir qui était si bien d'accord avec l'état
des mœurs à celte époque ; il y avait, de plus, nécessité. Aussi
la guerre privée et le combat judiciaire devinrent-ils de véri-
tables institutions, réglées selon des principes fixes et avec des
formes minutieusement convenues. On trouve dans les mo-
numens féodaux beaucoup plus de détails, de précautions, de
prescriptions sur les duels judiciaires et les guerres privées
que sur les procès proprement dits et les poursuites juridiques.
Il n'y avait donc point d'institutions générales, fixes et bien
établies, ayant mission de régir la société féodale dans son
ensemble. A la vérité, à défaut d'institutions réelles, certaines
garanties morales, certains principes de droit et de liberté
prési<Iaient à l'association des {possesseurs de fiefs. Mais ces
garanties, d'ailleurs fréquemment violées, avaient toutes pour
but de protéger exclusivement la liberté personnelle, l'indé-
pendance de l'individu contre toute force extérieure; il n'y
avait alors, dit M. Guizot, ni sujets, ni citoyens; la société
proprement dite , c'est-à-dire la mise en commun d'une cer-
taine poi tion de la vie, de la destinée, de l'activité des indivi-
dus, était Irès-faible et très-bornée; la portion d'existence, au
contraire, qui demeure distincte, isolée, c'est-à-dire l'indé-
pendance individuelle, était très-grande : l'infériorité de
ET POLITIQUES. 549
l'éléincnl social à l'élément individuel, c'esl là le caractère
propre et dominant de la féodalité. Il n'en pouvait être, au-
trement : la féodalité a été un premier pas hors de la barbarie,
le passage de la barbarie à la civilisation. Or, le grand fait de la
société barbare, c'est l'indépendance de l'individu, la prédo-
minance de l'individualité. Ce fait fut combattu et limité par
l'établissement du régime féodal; cependant l'indépendance
individuelle demeura encore le principal caractère du nouvel
état social ; ses principes la consacraient, ses garanties eurent
surtout pour objet de la maintenir. Evidemment, dans le ré-
gime féodal et parmi les possesseurs de liefs, cette indépendance
était excessive, et s'opposait à la formation, au progrès véri-
table de la société. Aussi, indépendamment de toute cause
étrangère, par sa seule nature, par sa tendance propre, la so-
ciété féodale était-elle toujours en question, toujours sur le
point de se dissoudre ; incapable, du moins, de subsister régu-
lièrement et de se développer sans se dénaturer. Ce qui le
prouve , c'est la prodigieuse inégalité qui s'introduisit très-
vite dans la répartition de la propriété territoriale : dans l'ori-
gine, la multiplication des fiefs avait été très-rapide, et la
pratique de la soiîs-inféodation avait donné naissance à une
multitude de petits fiefs. Dès le milieu du xi° siècle commence
le phénomène contraire : le nombre des petits fiefs, des petits
seigneurs, diminue; les fiefs déjà grands s'agrandissent, et
presque toujours par la force, aux dépens de leurs voisins.
Ainsi, par cela seul que le lien social manquait à la féodabté,
les libertés féodales périssaient rapidement ; les excès de l'in-
dépendance individuelle compromettaient perpétuellement la
société : aussi chercha-t-elle dans des principes contraires,
dans d'autres institutions, les moyens dont elle avait besoin
pour devenir permanente, régulière, progressive. La tendance
vers la centralisation, vers la formation d'un pouvoir supérieur
aux pouvoirs locaux, ne tarda pas à se manifester, et le résul-
tat définitif de cette tendance fut l'intervention sur tous les
points du territoire de la royauté générale, de cette royauté qui
devint la royauté française.
55o . SCIENCES MORALES
Nous avons dit , au commencement de cet article , quels
furent les origines diverses et les caractères successifs de la
royauté sous les deux premières races ; on n'a point oublié
que, sous les derniers Carlovingiens, et après le démembre-
ment de l'empire, le caractère de la royauté impériale romaine,
que Cbarlema-nc avait réussi à faire prévaloir, s'était smgu-
lièrement affaibli, et avait fini par succomber, eu fait, devant
les progrès toujours croissans de l'association féodale , et de
l'indépendance à laquelle étaient parvenus les grands posses-
seurs de liefs. Cette révolution eut son représentant dans la
personne de Hugues Capet dont l'avènement ne fut, à vrai
dire que le triomphe de la féodalité sur l'ancienne royauté un-
périale. Toutefois , ce ne fut pas sans avoir à lutter contre
d'assez graves obstacles que Hugues Capet parvint à affermir
la couronne sur sa tête; un principe, qui déjà avait paru sous
les régnes précédeus, se produisit alors avec plus de force; ce
princrpe était celui de la légitimité : on s'était habitué à consi-
dérer les descendans de Charlemagne comme ayant des droits
au trône, et le chef de la troisième race, pour consolider sou
pouvoir, dut chercher un moyen de combattre l'inûuence de
cette idée. Dans ce but, Hugues Capet plaça la royauté nou-
velle sous l'égide des idées chrétiennes, et eut soin de se don-
ner constamment pour le bras droit de l'Église. Sous son
rè'^ne,ce fait prit une extension très-remarquable, qu'il con-
serva,' du moins en grande partie, sous ceux de ses trois pre-
miers successeurs. Mais c'est seulement après Philippe I" et à
l'avènement de Louis -le -Gros que commence la royauté
féodale proprement dite et qu'elle revêt son véritable carac-
tère. Il est même plus vrai d'avancer que cette révolution est
antérieure à l'avènement de Louis-le-Gros et remonte jusqu'au
tems où il n'était encore que prince royal; c'est alors en effet
que nous voyons commencer ces expéditions militaires, dont
Suger nous a conservé le récit, et qu'entreprenait la royauté,
tantôt sur un point, tantôt sur un autre, et même à des dis-
tances considérables , pour l'exercice du droit qu'elle s'attri-
buait de rétablir l'ordre et la paix entre les suzerains, et de
ET POLITIQUES. 35 1
punir la désobéissance des sujets; droit qui n'a plus rien de
féodal, et qui place le pouvoir royal bien au-dessus de celui des
grands leu'dataires, dont jusqu'alors le roi n'avait été, à bien peu
de chose près, que l'égal.
Ainsi s'accomplissait ce grand changement qui nous montre
la royauté s'établissant comme un pouvoir d'ordre et de paix
au milieu du désordre et de l'anarchie, comme un pouvoir
unique et central au milieu des suzerainetés locales ; carac-
tère tout nouveau qu'elle reçut de Louis-le-Gros et qui fut
tellement celui du gouvernement de ce prince que, sous le
règne de Louis-!e-Jeune , son fils, il se conserva entre les
mains de Suger, malgré l'incapacité et l'absence même du roi,
que la croisade éloigna long-tems de ses Etats. Cette tendance
à l'unité, cette supériorité, cette iufluence que gagnait rapi-
dement le pouvoir royal, renfermait évidemment un principe
de force ; mais, si l'on examine les faits, oa reconnaît que la
puissance réelle du roi de France était encore très-faible, soit
par rapport au territoire, soit par rapport à la juridiction. A
la vérité, sous Louis VU, le territoire recul un vaste accrois-
sement par le mariage de ce prince avec Eléonore d'Aquitaine,
mais on sait aussi que cet accroissement ne fut que tempo-
raire, et que , par la dissolution de ce même mariage, le
royaume de France se trouva à peu près réduit à ce qti'irétait
sous Louis-le-Gros : tel était, sous un double point de vue,
l'état de la royauté à l'avènement de Philippe-Auguste; d'a-
bord son pouvoir fut et devait être effectivement faible et
borné; mais bientôt il se dévoua à l'accomplissement de sa
mission, et consacra plus des deux tiers de son règne à recon-
stituer le territoire français, à mètre la royauté de fait au ni-
veau de la royauté de droit. La tâche était difficile ; car ses
ressources étaient fort limitées, et il avait à lutter contre des
rivaux et des voisins plus puissans que lui : son adversaire le
plus redoutable était le roi d'Angleterre, qui, sauf la Bretagne,
possédait presque toutes les provinces occidentales de la
France, Ce fut contre lui que durent naturellement se diriger
les principaux efforts de Philippe ; mais c'est seulement après
352 SCIENCES MORALES
la mort de Henri II qu'il commença à gagner du terrain sur
RicharJ-Cœur-de-Lion et Jean -sans-Terre, ses deux fils. Les
vices et le caractère aventureux de Richard donnèrent sur lui
un grand avantage à Pliiiippe, patient, persévérant, et qui ne
donnait rien au hasard; puis, lorsque Jean-sans-Terre, véri-
table valet de comédie sur le trône, eut succédé à son frère,
Philippe, profitant, avec constance et habileté, de la faiblesse
et de la pusillanimité de son rival, l'eut bientôt dépouillé de
tout ce qu'il possédait en France , sauf la province d'Aqui-
taine, et se hâta de faire légitimer ses conquêtes par une assem-
blée de barons on pairs du royaume, qu'il avait convoquée
pour juger et condamner le roi Jean comme assassin de son
neveu Arthur de Bretagne (i).
En 1217, sur 67 prévotés dont se composait le royaume,
32 avaient été acquises par Philippe- Auguste, qui dès lors se
trouva maîlre d'un territoire beaucoup plus considérable qu'au-
cun de ses prédécesseurs : après avoir agrandi et consolidé sa
puissance matérielle, Philippe s'appliqua à développer le ca-
ractère d'unité et de supériorité que le pouvoir royal avait reçu
et conservé sous les deux règnes précédens : il essaya de con-
stituer des Assemblées fréquentes de barons, mais sans obtenir
de ce moyen de gouvernement tout le succès qu'il en atten-
dait; ses travaux législatifs sont attestés par Sa actes portant
la date de son règne, et qui se trouvent dans le recueil des
ordonnances des rois de France ; il faut y ajouter encore le
testament politique qu'il fit rédiger en partant pour la Terre-
Sainte , et dans lequel on remarque un soin de gouvernement
tout-à-fait inconnu jusqu'alors. Un autre fait non moins digne
d'altenticn du règne de Philippe -Auguste est la résistance
que la royauté commença alors à opposer, soit au clergé in-
térieur, soit à la papauté, ainsi que l'habileté avec laquelle le
roi sut se servir, dans cette lutte contre l'Eglise , de l'aide de
ses grands vassaux. Enfin tout le monde sait que la protection
accordée par Philippe aux écoles, qui déjà attiraient les étu-
(i) Voyez M. de Sismondi, Tlistolre des Françaix, t. vi, p. 2^4 et suiv.
ET POLITIQUES. 353
■tfians étrangers, porta spécialement sur l'université de Paris,
•qui lui dut ses premiers privilèges ; ce fut aussi sous son règne
<(tie s'exécutèrent les premiers travaux publics pour reuibel-
lissement et l'assainissement de la capitale, et que fiuent dé-
posées dans \in lieu déterminé les chartes et archives du
royaume, qui jusqu'alors étaient transportées à la suite des
rois dans leurs diverses expéditions.
Tel est l'exposé sommaire des moyens par lesquels Philippe-
Auguste sut, en suivant la voie que lui avait ouverte son
^lïcul Louis-le-Gios, étendre et maintenir le nouveau carac-
lère avec lequel la royauté lui avait été transmise. Alors se
trouva accomplie, au commencement du i3' siècle, cette grande
révolution dont le résultat devait être de faire surgir la mo-
narchie féodale proprement dite du sein de l'associatiou aris-
tocratique des possesseurs de fiefs, dont l'origine remonte,
ainsi que nous l'avons vu, jusqu'à la conquête germanique;
c"'est à cette époque que s'arrête la première partie du cours
dont nous avons entrepris l'analyse, et dans laquelle M. Gui-
zot a jeté sur la première période féodale une lumière d'au-
tant plus vive que ces tems de notre histoire sont en général
plus imparfaitement connus; dire que, dans les leçons qui
vont suivre , le savant professeur continuera l'examen du rôle
que fut appelée à jouer la royauté sous Philippe- Auguste et
ses successeurs jusqu'à Philippe de Valois, et qu'il nous fera
assister aux commencemens de cette lutte si énergique et tant
de fois renouvelée que soutinrent contre le pouvoir royal et
contre les suzerains féodaux les communes du moyen âge,
c'est proclamer d'avance le haut intérêt historique que pré-
sentera la dernière partie du cours de cette année.
Albert Dutens.
■S. XLVIK AOUT l85o.
rr)4 sciKNCKS morales
MoMiMRNS AUABts, i'ER?ASs ET Ti BCs clu Cabinet de M. le duc
bi; Br.ACAs, et d'autres cabinets, considérés et décrits d'après
leurs rapports avec les croyances, les mœurs et l'histoire des
nations musulmanes ; par M. REl^AlID, employé an Cabinet
des manuscrits orientaux de la Bibliothèque du Roi^ mem-
bre de la Société asiatique de Paris^ etc. (i).
StCOND ARTICI-K.
(>'oy. ci-dessus , p. 92.)
3e reprends l'examen des notices de M. Reinaud sur les
personnages célèbres mentionnés d.ms l'AIroran, comme
dans la Bible et les Evangiles.
Moise ne pouvait Olre oublié par Mahomet : c'était, comme
lui, \n\ prophète et un législateur. Aussi le cite-t-il avec hon-
neur dans plusieurs sourates (chapitres); et les orientaux ont
encore ajouté aux prodiges qu'opérait sa baguette. Par exem-
ple, dormait-il : sa baguette, sous la forme d'un serpent, veil-
lait sur lui, et le défendait de ses confrères les autres magi-
ciens, qui ne voyaient pas sans envie, comme on peut le
croire, qu'il avait une bien plus grande puissance magique.
David n'a pas moins de célébrité chez les musulmans que
chez nous : ils se fout une si haute idée de ses talei>s dans la
niu>i(pie, qu'ù les en croire, sa voix enchantait les oiseaux,
arnollissail le fer et aplanissait les montagnes (2).
Mais le personnage qu'ils semblent mettre au-dessus de
tous les autres, c'est Salomon, qu'ils font régner sur l'Orient
et sur l'Occident. Il n'y a point de merveilles qu'ils ne lui attri-
buent. Non -seulement les hommes, mais les animaux lui
étaient soumis : il commandait même aux élémens. Avait-il
(1) l'aris, iSay; Dondey-Dupré. 2 vol. in-S", imprimés, pai- aiiloiisa-
tion du Ri)i, à l'imprimerie royale; prix, 18 fr., papier ordinaire; et
3o fr. , papier vélin.
(2) Le Coran. Sourate xxxiv, vers. 10.
ET POLITÎQIjI-S. j55
lin voyage à Caire , il montait sur un vent, et arrivait presque
au.s.-itcJI ilansles régions les plus éloignées. Il savait la langue
des oiseaux, «t même celle des insectes. L'Alcoran n'a pas
dédaigné de rapporter les entretiens qu'il eut avec une fou;-
mi. Grâce à un anneau qu'il portait, il avait aussi à ses or-
dres des génies : c'est par leurs mains qu'il éleva sans peine
le palais de la reine de Saba, et tous les autres monumens
qui ont illustré son régne. Il n'est pas étonnant, au reste,
qu'il ait passé dans l'Oiient pour le chef des magiciens; car
on lui a long-teins altribié plusieurs livres de sortilèges qui
circulaient dans tous ces pays, et dont fait mention l'historien
Josèphe. Mais Mahomet assure que ces livres étaient l'ou-
vrage de certains démons qui avaient pris le nom du plus sage
des rois (i).
Laissons de côté nombre d'autres personnages renommés
sur lesquels M. Keinaud nous donne, d'après les orientaux,
de curieuses notices. Tels sont : Le fabuliste Loknian (2), qu'ils
croient neveu de Job ; un certain Kheder, que plusieurs con-
fondent avec le prophète Elle; Jonas, dont ils racontent, à
peu près comme nos livres saints, le long séjour dans le corps
de la baleiue ; Àlexandre-le-Grand, que Mahomet a désigné
par l'homme â deux cornes; un Zaclmrie, qu'ils confondent
avec le prophète de ce nom, tout en lui donnant pour fils
saint Jean-Baptiste; d'autres encore, qu'il serait trop long de
citer. Ce qui me paraît devoir nous intéresser davantage,
c'est l'opinion qu'ils ont (\e Jésus-Christ, et de sa mère, Marie.
Et d'abord, déclarons hautement que le fondateur du chris-
tianisme est pour eux un objet de vénération. Ils lui attri-
buent même quelques miracles, un peu ridicules, il est vrai,
que sans doute ils trouvèrent rapportés dans l'un ou l'autre de
ces nombreux Évangiles auxquels on ajoutait encore foi du
(1) Sourate ii, vers. 96.
(2) Nous avons une traduction de ses fables, avec une iNotice sur sa
vie, par M. Marcel, ancien directeur de l'iiuprimerie du Caire. Parisj
)8o3; 1 vol. in-i 2.
356 SCIENCES MORALES
tcms de Mahomet. C'est le prophète hii-mêmc qui relate
une partie de ces miracles dans quelques versets du Corau
que je consignerai ici :
- « Un jour. Dieu rassemblera les prophètes, et leur deman-
dera ce que les peuples ont répondu à leurs exhortations...
Dieu dira à Jésus, lils de Marie : Souviens-toi des grâces que
j'ai répandues sur toi, et sur celle qui t'a enfanté. Je t'ai for-
tifié par l'esprit de sainteté, afin que tu instruisisses les
hommes, depuis ton berceau jusqu'à la vieillesse. Je t'ai en-
seigné l'Écriture, la sagesse, le Pentateuque, l'Évangile. Tu
formas de boue la figure d'un oiseau, et ton soufile l'anima
par ma permission. Tu guéris im aveugle de naissance et un
lépreux, par ma volonté. Tu fis sortir les morts de leurs tom-
beaux. Je détournai de toi les mains des juifs(i) ; au miiieu
des miracles que tu fis éclater à leurs yeux, obstinés
dans leur incrédulité, ils s'écriaient : Tout cela n'est que
prestige.
» J'inspirai aux apôtres de croire en moi, et en Jésus, mon
envoyé, et ils dirent : Nous croyons; rends témoignage de
notre foi.
» O Jésus, fils de Marie, dirent les apôtres, ton Dieu peut-
il nous faire descendre des cieux une table préparée? Crai-
gnez le seigneur, répondit Jésus, si vous êtes fidèles.
» Nous désirons, ajoutèrent-ils. nous y asseoir et y man-
ger; alors nos cœurs seront tranquilles. JNous saurons que lu
nous as prêché la vérité, et nous rendrons témoignage.
» Jésus, fils de Marie, adressa au ciel cette prière : Sei-
gneur, fais-nous descendre une table du ciel. Qu'elle soit une
fête pour le premier et le dernier d'entre nous, et im signe de
ta puissance. Nourris-nous; tu es le plus libéral des dispen-
sateurs. ')
(i) Les inusiilnians nient la passion el la mort de Jésiis-Chrisl. L'AI-
coran s'est expiimé ainsi à ce sujet : « Les juifs croient avoir mis à mort
le Messie, envoyé de Dieu : ce n'est pas lui qu'ils ont fait mourir; c'est
quelqu'un qui lui lessemblait. »
I.c Coran. Souiate iv, vers. i56 el suiv.
ET POLITIQUES. 357
« Le Seigneur exauça sa demande, et dit : Celui qui, après
cette merveille, sera incrédule, subira le supplice le plus ter-
rible qu'éprouvera jamais aucune créature, (i) »
Mahomet parle aussi de la mère de Jésus comme d'une
mortelle privilégiée; il se fait dire par Dieu même :
«Célèbre Marie dans le Coran; célèbre le jour où elle s'é-
loigna de sa famille du côté de l'Orient. — Elle prit en secret
un voile pour se couvrir, et nous lui envoyâmes Gabriel,
notre Esprit, sous la forme humaine.
» Elle conçut, et elle se retira dans un lieu écarté. Les
douleurs de l'enfantement la surprirent près d'un palmier, et
elle s'écria : Plût à Dieu que je fusse morte avant ma concep-
tion ! — Ne t'afflige point, lui cria l'ange; Dieu a lait couler
près de toi un ruisseau. Ebranle le palmier, et tu verras
tomber des dattes mûres.
0 Elle retourna vers sa famille, portant son fils dans ses
bras. — Marie, lui dit-on, il vous est arrivé une étrange
aventure Pour toute réponse, elle leur fit signe d'interro-
ger son fils. Nous adresserons-nous, lui dît-on, à un enfant
au berceau? — «Je suis le serviteur de Dieu, répondit l'enfant.
Il m'a donné l'Evangile, et m'a établi prophète.... (2)»
Voilà encore un miracle que les chrétiens ne liseut dans
aucun de leurs Évangiles.
Mais, si Mahomet plaçait Jésus au rang des prophètes, il
s'en fallait bien qu'il reconnût en lui une nature divine.
«Ils disent que Dieu a un fils, s'écrie-t-il, daus la même
sourate, en parlant des chrétiens, et ils profèrent un blas-
phème. Peu s'en faut «jue les cieux ne se fendent à ces mots,
et que les montagnes brisées ne s'écroulent (3) ! »
(]e n'est pas avec moins d'indignation qu'il déclame sou-
(1) Le Coran. Sourate v.
(2) A.c Coran. Soiirale xix.
(S) Ibid., In fine.
j58 SC1E>XES MORVLES
vent contre les juifs. Il les accuse d'avoir altéré le Pentateu-
que, d'avoir persécuté les prophètes, etc. ; mais le vrai molit'
de sa colère était que les juifs de son tems refusaient obstiné-
ment de voir en lui un envoyé de Dieu.
La vie de ce législateur des musulmans, qui fonda par la
parole et par le glaive, sur les ruines de vingt cultes divers,
une religion grave, austère même, dans laquelle on ne peut
trouver qu'un seul dogme, l'unité de Dieu; une religion rai-
sonnable dans son essence, et que l'on pourrait praliq-ier san-
prêtres et même sans temples; une religion qui domine au-
jourd'hui danspresque toutes les contrées de l'Orient, et qui,
sans la victoire de Charles-Martel, près de Poitiers, serait
peut-être celle de l'Kurope, celle du monde entier : une telle
vie, dis-je, devait sans doute tenir une place importante dans
l'ouvrage de "SI. Reinaud. Aussi, elle y remplit phis de cent
pages du premier volume.
Nous avions déjà plusieurs vies de Mahomet, L'Arabe
Abulfeda, au commencement du xiv*" siècle, en avait com-
posé une, d'après les traditions qui s'étaient conservées dans
l'Orient; traditions où quelques vérités se trouvaient mêlées
à un grand nombre de fables. Il avait aussi puisé dans la chro-
nique arabe de Thabari, qui écrivait au x' siècle, c'est-à-dire,
aune é].o(|ue bien plus voisine de celle où florissait Mahomet;
et ce IV. t là sans doute qu'il dut trouver les renseignemens
les plus authentiques, Jean Gaguier, Français réfugié en An-
gleterre, donna, à Londres, en 1723, une traduction latine el
le texte arabe de cette vie de .ALahomel. File fut publiée,
quelques années après, à Amsterdam, traduite en français.
C'est avec ces matériaux, et en mettant de plus à contribu-
tion quelques auteurs orientaux, que le voyageur Savaryécri-
\it, vers la fin du dernier siècle, une vie de Mahomet, qui
remplit le premier volume picsque entier de sa traduction
du Coran.
M, Ueinaud, venu après cet auteur, raconte les mêmes évè-
nemens; ce qui nécessairement devait être; mais il y ajoute
ET l'ULlTlQl ES. .'ôj)
quelques parlitulaiités qu'il a puisées dans des luanuscrils pro-
bablement inconnus à Savary. Ces additions ont de l'impor-
tance : c'est ce que reconnaît du moins un de nos orientalistes
les plus célèbres (i), bien plus capable que je ne puis l'être
de juger du mérite de ce travail. Il y a , entre ces deux der-
nières vies de Mabomet, rédigées l'une et l'autre par des bom-
mes de mérite, une différence qu'il u'est pas inutile peut-
être de remarquer : c'est que dans l'une (celle de M. Reinaud)
Mahomet n'est le plus souvent représenté que comme un en-
thousiaste , un fourbe, un ambitieux; que ses faiblesses et ses
erreurs y sont minutieusement retracées; tandis que Sayary
le peint sous de tout autres couleurs. S'il faut en croire ce der-
nier, Mahomet était un homme d'un génie éminent, qui con-
naissait parfaitement le caractère de ses couîeiiiporaius , le
secret d'exciter leurs passions. Ecoulons-le, lorsque, ré.SM-
mant la vie de son héros, il semble prononcer lui-même le
jugement que l'on en doit porter. » Mahomet fut un de ces hom-
mes extraordinaires qui, nés avec des talens supérieur?, pa-
raissent de loin eu loin sur la scène du monde pour en changer
la face, et pour enchaîner les mortels à leur char. Lorsque l'on
considère le point d'où il est parti, le faîte de la grandeur où
il est parvenu , on est étonné de ce que peut le génie humain
favorisé des circonstances. Né idolâtre, il s'élève à la connais-
sance d'un Dieu unique, et, déchirant le voile du paganisme,
il songe à donner un culte à ses semblables. L'adversité qu'il
éprouve en naissant ne sert qu.'à affermir une âme faite pour
braver tous les revers. Instruit par ses voyages, il avait vu les
Grecs, divisés dans leur croyance, se charger d'anathèmes ; les
Hébreux, l'horreur des nations, défendre avec opiniâtreté la
loi de Moïse ; les diverses tribus arabes plongées dans les ténè-
bres de l'idolâtrie. Frappé de ce tableau , il se i-etire dans la
solitude, et médite, pendant quinze années, un système de
religion qui pût réunir sous un même joug le chrétien, le
juif et l'idolâtre. Ce plan était vaste, mais impossible dan?
^i) y]. SvrvKSTHF DK StcY, flais !«• Journal (hs Sarai^x, mars iSv<).
ôGo SCÏEISCES MORALES
l'exécution. Il crut en assurer le succès, en établissant un
dogme simple, qui, n'offrant à la raison rien qu'elle ne puisse
conuevoir, lui parût propre à tous les peuples de la terre : ce
fut la croyance d'un Dieu unique, vengeur du crime et rému-
nérateur de la vertu. Mais, comme il lui Fallait, pour faire adop-
ter sa doctrine, se dire autorisé du ciel, il ajouta l'obligation
de le regarder comme le ministre du Dieu qu'il prêchait. Cette
base posée, il prit de la morale du christianisme et du ju-
daïsme ce qui lui semblait le plus convenable aux peuples
des pays chauds. Les Arabes ne furent point oubliés dans son
plan : c'était principalement poiu* eux qu'il travaillait. Il leur
rappela la mémoire toujours chère d'Abraham et d'Ismaël, et
leur fit envisager l'islamisme comme la religion de ces deux
patriarches (i). »
C'est un drame plein d'intérêt que la vie du fondateur de
l'islamisme, quoiqu'elle n'offre rien de miraculeux, d'incroya-
ble. Six siècles auparavant, on avait vu un autre fondateur de
religion, né dans les derniers rangs de la société, parcourir
les villes et les campagnes de sa patrie, se proclamant le fils
de Dieu, prêchant à des hommes corrompus «ne morale pure,
déclamant contre les riches, établissant en principe régalité
des hommes au n)ilieu d'une nation composée de maîtres et
d'esclaves : pour appuyer sa mission, ses doctrines, il opère
les plus éclatans miracles; et pointant il ne séduit que peu
d'esprits, ne réunit que peu de partisans, est toujours per-
sécuté, pendant le peu d'années qu'il lui était donné de rester
sui- la terre, et périt enfin du dernier supplice, dans la ville
mêine où, quclqyes jours auparavant, il avait été accueilli
avec honneur. Quoi ! un houiiue qui ressuscite des morts, gué-
)it des aveugles et des boiteux, nourrit avec cinq pains et deux
poissons cinq mille hommes accourus pour entendre si parole,
change l'eau en vin , etc., etc., ne peut persuader qu'il est l'en-
voyé de Dieu! Là, tout étonne, confond la raison : l'incré-
dulité des juifs, non moins que les miracles du Christ.
(i) Le Coran. T. i, j). 2^0.
ET POLITIQUES. 36 1
Dans la vie de Mahomet, au contraire, rien (pie de natu-
rel, que de conforme aux règles ordinaires qui enchaînent les
évènemens à leurs causes. Né pauvre , mais au sein d'une fa-
mille A'énérée dans sa tribu, parce qu'on en faisait remonter
l'origine jusqu'à Abialiam, il épouse une riche veuve; ce qui
lui donne pouvoir et considération dans la IMecque, sa ville
natale. Aussi ose-t-il y abjurer les dieux que, pendant qua-
rante ans, il avait adorés. Il devait nécessairement en résulter
pour lui des persécutions; il s'y soustrait en fuyant à Médine,
ville rivale de la Mecque. Là, grâce à son éloquence, et
peut-être à sa richesse, il réussit à se donner un assez grand
nombre de sectateurs, à la tête desquels il marche sur la ftlec-
que, autant pour la punir de ses dédains que pour y établir
sa nouvelle religion. Il y entre en triomphant, après avoir
battu, dispersé ses adversaires; et son premier soin est de
renverser les 56o idoles dont l'ancien temple de la Mecque
était entouré.
Je m'arrêterai ici un moment pour exprimer un regret : c'est
que M. Reinaud, en décrivantfortbien celte grande époque de
la vie de Mahomet, ne soit pas entré dans déplus grands détails
sur les attributs de ces 36o idoles, et sur les divers cultes aux-
quels elles appartenaient. Cette petite excursion dans un sujet
qu'à la vérité il ne s'était pas chargé de traiter, cette digres-
sion, si Ion veut, nous aurait mieux fait connaître le genre
et la multitude des religions, qui, au vu" siècle de notre ère,
s'étaient répandues en Orient. Mais, je le crois, les matériaux
lui manquaient; et peut-être neparviendra-t-on jamais à réunir
sur ce sujet des notions bien exactes. Et pourtant un savant
orientaliste qui a rendu compte, dans un jouiiial allemand,
de l'ouvrage de 31. Reinaud, raconte la destruction des idoles
de la Mecque avec quelques détails qui ne sont point à dédai-
gner, et que je crois devoir répéter ici.
« La Caaba, dit M. Neumann (i) , était alors entourée de
56o idoles, consacrées chacune à un jour particulier de l'année
(i) Dans le Knnsi-Blult, journal piiblit' à Stiittgail : n" '\. jaiiv. iSzy.
562 SCIENCES .MORALES
lunaire des Arabes; elles étaient faites de bois, de pierre, d(
verre et de bronze; les unes avaient des ligures huBiaines ;
d'autres, des figures arigéliques; d'autres encore étaient des
masses informes. La plus grande de ces idoles s'ippelait Habol,
et venait de la Syrie, où, suivant la tradition, elle était tombée
du ciel, et était adorée comme le dieu de la pluie {Jupiter
Pluvius). Sa figure étaitcelle d'un vénérable vieiîlaid à longue
barbe; sa main droite était d'or. Mahomet s'approcha de ces
prétendues divinités, les toucha d'une baguette, cl dit : « La
vérité s'est montrée pour que le mensonge di<sparaissç » ; et
en même teras ces idoles furent mises en pièces par des secta-
teurs. Peu avant Mahomet, le judaïsme avait fait de grands pro-
grès en Arabie : des tribus entières, telles que celles despuissans
chaibar, avaient end)rassé la doctrine de Moïse; et de là viiil
sans doute que dans la Caaba se trouvaient les statues iVAhru
ham et iVIsmaël. Ces ancêtres de toute la nation arabe ne
furent [las épargnés nou plus; letn-s stntues furent également
brisées. Après cette action, qui fut regardée avec eflVoi par une
grande partie du peiqile idolâtre, Maliouiet assend)la tous ses
sectateurs, et dit : « Il n'y a point d'autre Dieu que le Dieu
qui a rempli toutes les promesses qu'il avait faites à son ser-
viteur, et qui a mis ses ennemis en fuite. Désormais vous
n'adoicrez plus vos pères Abraham et Ismaël ; ils étaienl
hommes comme vous. » Mahomet voulait empêcher (|iie la
religion du Dieu unique et éternel ne dégénérât avec le teuis
en un. culte d'idoles et d'images, et il défendit à cet effet toute
représentation matérielle de la Divinité. La peinture et la
sculpture lui étaient égalemeut odieuses. En cela il se confor-
mait enlièremeut aux irlées des Juifs. '>
Le succès enhardit : Mahomet tenta bien lot de plus grandes
entreprises. Cène fut plus sur la Mecque, sur l'Arabie seule,
(pi'il voulut dominer; il crut pouvoir étendre sa domination,
avec le nouveau culte, siu- des contrées que les Juifs, les Grecs,
soumis aux lloinaius dégénérés, n'étaient plus eu éteit de dé-
fendre. Le désir du pillage, autant qu»; le fanatisme religicftx
que Mahomet savait si bien inspiver, avait réuni sous ses dra-
liT POLlTiQlES. Tikiô
peaux des lioiipes nombreuses. Partout oi\ elles se présen-
taient, il fallait croire au Dieu de Mahomet ol payer tribut.
Voilà ce qui explique la rapide propagation de IMsIaniisme.
Pour faire croire à sa mission de prophète, de réformateur,
il n'eut pas besoin de recourir à des miracles. Lorsqu'il coni-
luença à prêcher sa doctrine, on lui demanda bien qu'à l'exemple
du fondateur du christiauismc il prouvât par quehpies miracles
(|u'il était véritablement l'envoyé de Dieu; mais il répondait qu'il
était venu non pour faire des miracles auxquels le plus sou-
vent on n'ajoute pas foi, mais pour annoncer la parole divine.
Quand il eut long-tems répété qu'il était le favori de Dieu,
mais surtout après vingt victoires éclatantes, on ne se permit
plus d'en douter; et lui-même peut-être a bien pu le croire.
De grands désastres lui auraient sans doute ôté cette orgueil-
leuse opinion ; mais, plus heureux qu'un aulic conquérant de
nos jours, qui ne fut ni moins ambitieux, ni moins confiant en
sa fortune, il n'éprouva jamais d'irrémédiable calamité; et,
s'il mourut empoisonné, ce fut le tardif elTet de la vengeance
d'une femme.
C'est une chose remarquable que es fondateurs des deux
religions qui se partagent le monde presque entier n'ont rien
écrit de leurs dogmes ni de leurs préceptes. Si les évangélistes
n'eussent pas raconté dans leurs écrits ce qu'ils avaient vu ou
entendu dire, nous ne saurions rien de certain sur l'Etre divin
qui était venu laver le genre humain de la tache originelle :
peut-être même ignorerait-on que Jésus a existé ; car il n'a
laissé aucune trace, aucun document autographe de son pas-
sage sur la terre. Et quant à Mahomet , il n'écrivit rien non
plus, car il ne savait pas écrire : il dictait ce que Dieu lui inspi-
rait par l'entremise de l'ange Gabriel, et ses paroles recueil-
lies sur des morceaux de parchemin étaient déposées pêle-mêle
dans un coffre, que l'on n'ouvrit qu'après sa mort. Ce fut son
oncle Abubeckre que l'on chargea de former de tous ces frag-
mens des discours de Mahomet ce fameux Coras ( le lirre par
excellence;, qui est le (]ode religieux et civil de la moitié du
moude. ïlestpo^sible qu'Abid3e( kre n'eu aii rien rctraiiclic, n y
564 SCIENCES MORALES
ait rien ajouté; et dans cette hypothèse nous aurions l'ouvrage
même de Mahomet, quoiqu'il ne soit pas de sa main. Cepen-
dant, n'en doutons pas, s'il en eût coordonné les parties, qu'il
l'eût enfin rédigé lui-même, il y eût mis un meilleur ordre, il
en eût retranché les contradictions, les obscurités, et de fati-
gantes répétitions. Ce livre, si imparfait aux veux des Euro-
péens, passe dans tout l'Orient pour un chef-d'œuvre de style ;
ce qui prouve du moins que Mahomet était naturellement élo-
quent, ou qu'il a toujours eu d'habiles secrétaires.
Le Coran, comme je l'ai dit précédeinnient, ne contient
qu'un seul dogme, l'unité de Dieu. La religion de Mahomet ne
serait donc que le déisme pur, si l'on n'eût tiré d'un principe
unique de singuliers et souvent d'absurdes corollaires. Maho-
met lui-même avait senti qu'une religion dén\iée d'institutions
de toute espèce, qui n'eût consisté que dans l'adoration de
l'Etre-Suprême , ne pourrait facilement s'introduire chez les
peuples de son tems, livrés à des superstitions sans nombre,
plies sous le joug d'usages, de préjugés devenus pour eux des
habitudes, des besoins. N'a-t-on pas remarqué que, chez les
chrétiens, les apôtres, ou du moins ceux qui les ont immédia-
tement suivis et que l'on doit regarder comme les vrais pro-
pagateurs du christianisme, les Pères de l'Eglise, comme on les
nomme, avaient été obligés de conserver, eux aussi, certaines
institutions et cérémonies païennes : telles, par exemple, les
ablutions par l'eau bénite à la porte des temples; les statues,
les décorations fastueuses dans les temples mêmes ; les pro-
cessions solennelles, etc. : telles encore les prières chantées
avec accompagnement d'insfrumens de musique, et même
les jeux di! cirque, ainsi que toutes ces cérémonies burlesques
qui, peniJant toute la durée du mo^'en âge, otaient au culte
chrétien sa pureté et sa décence?
Par cette raison qu'une religion trop simple, sansespérances
ou sans menaces pour une existence à venir, n'eût pu être
appréciée par des-peuples amis du merveilleux, d'une imagi-
nation vive et brillante , mais ignorans et élevés dans l'oubli
«ic tout ce qui est iriorale. humanité, justice. Mahomet cou-
ET POLIÏIQUES. 365
sei'A'a plusieurs usages admis de toule ancienneté, sans que
l'on puisse en concevoir l'ntililé : la circoncision, par exem-
ple, qui, surtout chez les Juifs, était une Irés-ancienuc {)rescrip-
tion, à laquelle on obéissait, même au tems d'Abraham et de
Jacob (i). Mais il faut dire que Mahomet n'ordonna point
strictement cette cruelle et ridicule opération. Il n'adopta
point non plus sans restriction la polygamie. De son tems, les
Arabes, et en général tous les peuples du Midi, pouvaient
prendre autant de fenmies qu'il leur plaisait d'en avoir; il
borna à quatre (et ce nombre est bien sulïisant sans doute)
le nombre des femmes que peut épouser un musulman ; mais,
en revanche, il permit les concubines en nombre illimité.
C'est une erreur trop répétée, qu'il ne reconnaît point aux
femmes d'âmes de même nature que celles des hommes , et
qu'il les exclut de son paradis. Loin de là ; on trouve, dans le
Coran même, le texte du serment qu'elles doivent prononcer
en embrassant l'islamisme; et, certes, il n'a pas oublié leurs
intérêts dans ce monde, puisqu'il prescrit, en maint endroit,
de leur restituer, en cas de divorce, tout ce qu'elles ont ap-
porté, et même plus qu'elles n'ont apporté ;\ leurs maris.
Il ne prohibe point d'une manière positive le vin et les jeux
de hasard ; il conseille seulement de s'en abstenir. «O croyans,
dit-il, le vin, les jeux de hasard, les statues et le sort des flè-
ches (2) sont une abomination inventée par Satan : abstenez-
vous-en, de peur que vous ne deveniez pervers. — Le démon
se servirait du vin et du jeu pour allumer parmi vous le feu
des dissensions, etYOus détourner du souvenir de Dieu et de
la piière. Youdriez-vous devenir prévaricateurs? Obéissez à
Dieu, à son apôtre, et craignez (5). »
C'est de ce style qu'il recommande le jeûne du Ramazan (le
jeûne du mois où le Coran lui fut apporté par Gabriel; ; l'usage
(1) Voyez Genèse, chap. xxxiv, vers. i4i i5 et suiv.
(2) C'était une espèce de diçination par des flèches, en usage avant
Mahomet.
(3) Le Coran. Sourate x.
5G0 SCIENCES MORALES
des viandes de tout teins réputées immondes cliez les Arabes ;
les fréquentes ablutions ; les prières que doivent faire les mu-
suhiians, le visage touiné vers la Caaba, etc. , etc. Quel parti
n'ont-ils pas su tirer de ces prescriptions, les hommes intéres-
sés à exploiter la crédulité de leurs compatriotes ; ces ulémas,
ces imans, dont le métier est de mettre à profit les erreurs et
les superstitions !
Le Coran, comme la Bible, comme l'Evangile, a été expli-
qué, commenté par des centaines de docteurs, de théologiens,
qui y ont trouvé tout ce qu'il. était de leur avantage de faire
croire, d'instituer ; et ces explications et ces commentaires ont
produit diftérentes sectes, qui toutes s'abhorrent entre elles.
qui ne s'unissent que dans leur haine contre les juifs et les
chrétiens.
Quand on lit le Catécinsme des musulmans, on a peine à
s'expliquer qu'un culte qui exige tant de pratiques austères
ait pu jamais être adopté par des nations naturellement indo-
lentes, et qui ne connaissent d'autres plaisirs que les plaisirs
des sens. Nous avons une traduction fiançaise de l'un de ces
catéchismes, très-estimé surtout en Turquie (i). On le croi-
rait soiti du cerveau de f(uel(pie moine du xii*^ siècle ; tant il
contient d'idées mystiques ; tant il recoiumandc de piatiques
minutieuses et puériles. C'est là qu'après la définition des prin-
cipaux dogmes (et ce sont les mêmes à peu près que ceux de
toutes les religions dans lesquelles le polythéisme est proscrit),
on voit quelles sont, dans la reli-gion musulmane , les obliga-
tions et les prohibi'ions. On y distingue très-subtilement les
ariiclcs d^obligatio?! divine et ceux û' obligation canonique ; les
pratiq'jes nécessaires de celles qui sont suicrogatoires , etc. En
vérité, la Sorbonne en corps n'aurait pu mieux faire. On y dé-
finit les vertus dont, comme dit le docteur musidman, on doit
s'appliquer à orner son cœur. Ce sont : La patience, la confir.nce
en Dieu, la sincérité, l'humilité, la piété; les vices sont : Les
(i) Exposition (II- lu foi mitsiitmane, traduite du turc avec des notes,
par M. Gahcin de Tassi. i'inis, 1822, Ir;-8".
I:T POLIilOllES. -fi^
jugeriicns léiiUTaires, l'iiypocrisie, l'envie, l'orgueil, l'anioiii-
(lu monde, les passions qui portent à aimer avec exagération
les bons mets, les femmes, etc. Pour plus de clarté, l'auteur
du catéchisme énumère, dans un chapitre spécial, tous les pé-
chés que l'on peut commettre par les différens membres du
corps : par Voreille, par exemple? Il ne faut écouter ni mu-
sique, ni médisances, ni discours obscènes; par les yeux"? «Il
est défendu à tout fidèle, de quelque sexe qu'il soit, de regar-
der du nombril aux genoux, les liommes ; à la femme, de re-
garder du nombril auxgenoux, une personne de son sexe (i). »
— On me dispensera, j'espère, de détailler les péchés que,
suivant notre docteur, on peut commettre par tous les autres
membres.
Pour que les crimes fussent punis , et les actions vertueuses
récompensées, il fallait bien que Mahomet promît aux croyans
un enfer et un paradis. Son enfer est à peu près celui des chré-
tiens ; mais il n'en a pas fait les peines éternelles : quant à son
paradis , il comprend bien dans le bonheur dont jouiront les
justes la contemplation de Dieu ; mais il leur promet aussi
quelques autres plaisirs accessoires dont les apôtres du Christ
n'ont pas cru devoir nous offrir l'espérance. Écoutons-le lui-
même; il est vraiment poète d-ans la description qu'il fait de
son paradis.
«Les élus seront les plus près de l'Eternel; — Ils habite-
ront le jardin des délices. — Un grand nombre des anciens et
quelques modernes seront ces hôtes heureux, — Ils reposeront
sur des lits enrichis d'or et de pierres précieuses'; ils se regarde-
ront avec bienveillance ; ils seront servis par des enfans doués
d'une éternelle jeunesse, qui leur présenteront du vin exquis
dans des coupes de différentes formes. Sa vapeur ne leur mon-
tera point à la tête, et n'obscurcira point leur raison. Ils au-
ront à souhait les fruits qu'ils désireront, et la chair des oi-
seaux les plus rares. — Près d'eux seront les houris aiix yeux
(i) Exposition de la fui musulmane, traduite du turc avec des notes,
par M. Gabcim de Ta-si. Pai is, 182Z. p. ôj.
368 SCIENCES MORALES
noirs : la blancheur de leur teint égale l'éclat des perles. Leurs
faveurs seront le prix de la vertu — Les discours frivoles se-
ront bannis de ce séjour; le cœur n'y sera point porté au mal;
on n'y entendra qiie le doux nom de paix (i). »
Voilà comme il fallait pailer à des hommes tout sensuels,
d'une imagination ardente et voluptueuse. Mais, par cela
même, par une conséquence de ces qualités, ou, si l'on veut,
de ces défauts, ils étaient continuellement entraînés vers l'ido-
lâtrie. Dans les statues, ils vo^-aient des êtres surnaturels tou-
jours prêts à écouter leurs yœnx, à satisfaire leurs désirs sans
cesse renaissans. Que d'efforts il fallut à Mahomet pour déra-
ciner une si douce erreur dans sa superstitieuse nation. Moïse
avait dit en vingt endroits aux Hébreux : «Vous ne fabriqiieiez
point des images de bêtes terrestres, ni aquatiques; y.el il en
donnait aussitôt le motif : Ne forte deccpti faciaiis vobis sculp-
tam similitudlnem aiif imaginem maxciiU et femince Nefortè^
eleratis acl cœLum oculis , vidcas solem et lunam, et oninia astra
cœli ; et errore deceptas adores ea et colas quœ creavit dominus
tuas in ndnisleriam cunctii gentibus quœ sub cœlo sunt (2).
Ce fut^ar ces mêmes raisons que Mahomet, adoptant dans
toute son étendue le précepte de Moïse, ne cessa de lancer les
foudres de son élo(iuence contre les statues, les images quel-
conques d'objets animés. Sans la rigoureuse défense qu'il fit
aux croyaus de fabriquer de telles images, avec quelle ardeur,
et probablement avec quel talent, la nation éminemment poé-
tique à la(|uelle il appartenait n'aurait-elle pas représenté sur
le marbre on sur la toile toutes ces fables ingénieuses et si va-
riées , ces contes merveilleux qu'elle invente avec tant de faci-
lité. LesOrientaux ne s'expriment que par figures, queparmé-
taphores, ne raisonnent que par paraboles; ils auraient peint
ou sculpté les sujets de leurs discours, et tout ce qu'ils auraient
voulu confier à la mémoire de leurs contemporains, ou faire
passera la postérité. Ainsi firent les anciens Égyptiens et les
(i) Le Coran. Sourate i,vi.
(2) ZJeutcr., cap. iv, vers. 16, 17, 18, ig.
ET rOUTIQLES. 56<y
t^rccs; l'Arabie aurait eu aussi ses artistes célèl)res, et peut-
f lie en plus grand nombre que n'en compte aujourd'hui l'Jùi-
rope, parce que l'Europe est plus raisonneuse, plus positive,
moins poétique. L'investigateur des monumens orientaux au-
rait eu une tâche plus agréable à remplir, plus facile que celle
d'expliquer de monotones inscriptions : ses recherches au-
raient eu pour objet de véritables monumens de l'art, des ta-
bleaux, des bas-reliefs, etc.
Mais les inscriptions, je me plais à le répéter, sont, sous
d'autres rapports que ceux de l'art, d'un très-grand intérêt : ce
qui le prouverait, c'est le grand nombre des observations
qu'elles m'ont suggérées dans cet article. Peut-être aussi les
ai-je trop multipliées : c'est un tort dont je prie le lecteur de
m'absoudre.
Il reste un autre travail à entreprendre, et que j'imposerais
volontiers au savant orientaliste dont l'ouvrage vient de m'oc-
cuper si long-tems : ce serait de nous donner aussi la des-
cription et l'explication des monumens arabes antérieurs à
l'ère de Mahomet. Sans doute il existe, et en assez grand nom-
bre, de ces monumens, puisque, dans un Mémoire qui fait
partie du grand ouvrage sur l'Egypte, je trouve un paragraphe
qui a pour titre : Des Caractères employés par les Arabes dans
teurs inscriptions, avant fliégyre^i). Il y a, si je ne me trompe,
de pénibles recherches à faire à ce sujet; car la langue et l'é-
criture arabe ont subi, si j'en crois le Mémoire que j'ai cité, un
changement presque total, au tems de Mahomet; mais toute
découverte en ce genre serait accueillie avec empressement
par les érudits. — M. Reinaud a prouvé que les difficultés ne
sauraient l'arrêter ; l'ouvrage que je lui propose est le préli-
minaire indispensable de celui qu'il a publié,
Amaury Du val ,
De l' Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
(i) Voyez, dans le grand ouvrage sur l'Egypte, les Mémoires de
M. Marcel.
T. XLVIII. AOVï l83o. 34
LITTERATURE.
Comédies d'Aristophane, traduites fin grec par M. Artai:»-
proEesseur au collège de Louis-Io-Grand (i).
Il est impossible de juger sérieusement le théâtre d'Aristo-
phane, ou même de comprendre ce que sont ses pièces, si
l'on ne possède des notions exactes sur l'état politique et mo-
ral du peuple pour qui elles furent composées , et si l'on ne
se reporte à l'époque où elles furent représentées. Toutes ces
connaissances ont manqué à Voltaire; et, quand il a prononcé
qu'Aristophane n'était ni fioète, ni comique, il a fait plus de
tort à son propre jugement qu'à celui qu'il censurait avec tant
de légèreté. Molière a déjà besoin de commentaire, au moins
pour être entièrement compris; et si, d'ici à deux mille deux
cents ans, des étrangers se mêlent de l'apprécier, ils feront
sagement d'étudier d'abord le siècle de Louis XIV, pour échap-
per au danger des décisions aventurées et des critiques sans
fondement.
Parmi nos lecteurs, il en est plus d'un sans doute qui, à
Athènes comme à Paris, se trouve en pays de connaissance.
Four ceux auxquels l'anliquKé est moins familière, nous es-
quisserons le tableau de la république et de la société Athé-
niennes, à l'époque de Périclès, de telle sorte qu'en s'y trans-
portant ils cessent d'y être étrangers. Cet essai leur foiu-nira
peut-être le moyen, de s'aboucher avec Aristophane, de com-
prendre son langage, d'entrer dans ses idées, de saisir les rap-
(i) Paris, 1829 et i85o; Ain)é André. 6 vol. grand in-ôa ; prix, 21 fr.
LITTERAÏUIIK 3; i
ports qui ont existé entre ses combinaisons dramatiques et les
ciironslaiiccs sous l'intliience desquelles il écrivait.
Tout en investissant le peuple de la souveraineté, Solon
avait donné de puissans contrepoids à la démocratie. Ces con-
trepoids avaient été emportés par Clisthènes, Aristide et sur-
tout Périclès. Au tems de la guerre du Péloponèse, les projets
de lois, sur lesquels le peuple votait, avaient cessé d'être exa-
minés et discutés préalablement par le sénat. La paix, la guerre,
les alliances, les impôts, la législation, tout était du ressort
du peuple : il prononçait sur tout, sans préparation et sans
autres conseils que ceux de ses orateurs, dont on n'exigeait
plus aucune garantie de talent et de probité politique. Quand
l'ignorance, le caprice, ou la corruption de la multitude, com-
promettaient les grands intérêts de l'État, ses folies ne pou-
vaient plus être corrigées, depuis qu'on avait affranchi ses
arrêts de la sanction des archontes, de la révision et de la cas-
sation de l'aréopage. Lorsqu'elle empiétait sur les droits de
ses magistrats ou des corps étalilis par ia constitution, l'aréo-
page se trouvait encore hors d'état de la refouler dans ses limi-
tes, parce qu'il avait perdu lui-même cette haute surveillance ,
indépendante de son pouvoir judiciaire, et correspondante à
l'autorité des éphores de Sparte et des censeurs de Rome. Ces
funestes innovations étaient dues à Périclès, qui, en avilissant
le sénat et l'aréopage, en leur ôtant leurs attributions primi-
tives, avait arraché les deux ancres sur lesquelles Solon avait
arrêté le vaisseau de l'Etat. Du vivant de Périclès, on n'avait
pas éprouvé les effets de l'extension extravagante donnée par
lui au piincipe démocratique, parce qu'il avait hérité de toute
l'influence qu'il enlevait aux deux premiers corps de l'État;
parce qu'il avait concentré entre ses mains les élémens mo-
narchiques déposés au sein de la république par le législa-
teur; parce qu'il avait usé de sa royauté viagère pour dominer
et conduire un peuple, souverain de nom et de droit, mais, par
le fait, sujet de son génie; parce qu'il l'avait sauvé de son inca-
pacité , de sa pétulance, de son aunbition.
Mais, à la mort de Péri?lès, dont les beaux-art?, protégés par
.-.72 LITTÉIIATURK. /
lui, ont prolégt* ù leur loiir la iii('nioire,en couvrant d'iin voile
brillant les fautes de l'homme d'État, les choses reprirent leur
cours naturel, et ce cours fut déplorable. Les corps politiques
ne purent re^sal>ir leurs anciennes prérogatives , le peuple
garda ses usurpations, et il posséda tout ensemble, dans le
pouvoir législatif, l'examen préalaJde , le vole inmiédiat et la
sanction.
La prospérité de la république était déjà inconciliable avec
cette intempérance de pouvoir législatif accordée au peuple.
Toutefois ce n'était là que le premier des empiéfemens po-
pulaires, et la liste en est si longue qu'il faut se borner à rap-
peler les ])rin«Mpaux. Aux termes de la constitution de Solon,
les magistrats devaient être choisis exclusivement dans les trois
premières classes; l'autorité résultant de ces magistratures
-devait appartenir seulement à ceux qui, par leur fortune, of-
fraient des garanties suffisantes à la chose pu!)lique. Dans les
assen>l)lées où ils étaient élus, comme dans celles où l'on dé-
libérait sur les lois, les citoyens âgés de plus de cinquante ans
votaient les premiers : chacun sent la sagesse d'une pareille
disposition; en effet, comme le remarque Montesquieu, si les
conseillers sont utiles aux rois, ils !«ont indispensables au peu-
ple. Enfin les hommes entachés d'infamie étaient, dans le
principe, suspendus du droit d'élection et de suffrage.
Après Périclès, et au tems d'Aristophane, les changemens
introduits successivement dans la constitution avaient ren-
versé toutes les barrières opposées à la domination, disons
mieux, au despotisme de la populace. Aussi quelles erreurs,
quelles folies, dans Kîclioix, (Unis la destitution des magistrats
et des généraux! Le marchand de lanternes Hyperbolus, le
corroyeur Cléon, obtiennent la conduite des affaires et des ar-
mées. C'est peu qu'ils ililapident le trésor, qu'ils détournent à
leur profit les sommes destinées à la solde et à l'eatretien de.s
troupes : Cléon mène les soldats d'Athènes à une mort certaine
sous les murs d'Amphipolis, et perd en un jour la supériorité
qu'Athènes avait péniblement conquise par cinq ans de victoi-
!■<'&. Alcibiade est seul capable d'assurer le succès de l'expédi-
LlTTEllATURE. 5*5
tîoii (le Sicile : Akibiatle est dépouillé du commandoment, et
la Ibiluiie d'Alhènes va taire naufiafïe dans le jxni de Syra-
cuse. Plus tard, lorsqu'il ne s'agit plus pour Athènes de la su-
prématie, mais de l'existence même, on replace AlcJbiadc à la
tête des troupes. Engage des services qu'il peut rendre, il
donne les victoires d'Abydos et de Cyzique. Ce? victoires ne
peuvent lui sauver une seconde destitution; celle des x\)ginu-
ses ne peut garantir ses successeurs d'une plus cruelle dis--
grâce. Le peuple livre la dernière armée et la dernière flotte
de la patrie à des généraux dont les uns sont à peine dignes
de figurer dans les derniers rangs, dont les autres, tels qu'A-
dimante, sont payés par Lacédémone pour trahir leurs conci-
toyens. La défaite d'OEgos-Potamos livre Athènes à la tyrannie
des Trente et au joug de l'étranger. Tels étaient les incroyables
désordres, les déplorables résultats, pour lesquels les bons ci-
toyens n'avaient pas assez d'indignation et de douleur.
iMais ne pouvaient-ils donc, au lieu de se lamenter inuti-
lement, opposer une salutaire résistance aux bacchanales po-
litiques de la multitude? Nullement. Outre que le peuple avait
pour lui le texte des lois rendues dans les dernières années, et
une absurde légalité, il tenait entre ses mains une arme ca-
pable de vaincre toutes les oppositions de l'aristocratie, tous
les efforts du patriotisme. Investi du droit de juger, il appe-
lait incessamment la puissance judiciaire au secours de la
puissance législative et de la faculté de nommer les magistrats :
iHiannissait par l'ostracisme , ruinait par les sentences qu'il
rendait dans les tribunaux quiconque contrariait ses caprices
sur la place publique. Il était trop dangereux de chercher à le
sauver malgré lui, pour qu'on s'y aventurât.
Aristote (i) reprochait à Solon d'avoir accordé au peuple
une influence décisive dans les aiTaires, en lui attribuant cette
puissance judiciaire , conjointement avec la puissance légis-
lative. Solon avait essayé au moins de modéier des conces-
sions, arrachées peut-être parles circonstances. Il avait ordonné
(i) De Rcpnbl'uù, lib. u, cap. 12.
274 LITTERATURE.
que, chaque année, tous les citoyens justifieraient devant les
magistrats de leurs moyens d'existence; il avait, en outre, flétri
l'oisiveté par l'infamie. Pressé par la nécessité de satisfaire à
ces lois, par la nécessité plus impérieuse encore de fournir à
ses besoins et à ceux de sa l'amille, le citoyen obscur manquait
ordinairement du tcms et de la volonté nécessaires pour exer-
cer ses droits politiques. Il faisait des tuniques et des manteaux,
au lieu de faire des décrets ; il trouvait des prétextes pour
échapper à la nécessité de juger des causes civiles et crimi-
nelles qui ne l'intéressaient guère, d'après des lois qu'il con-
naissait encore moins. Mais quand Périclès eut accordé deux
oboles, et Cléon trois, à chaque homme du peuple, pour cha-
cune des fois qu'il se rendrait à l'assemblée, ou qu'il siégerait
dans les tribunaux; quand cette rétribution (i), suflîsante à ses
besoins journaliers, devint un appât offert à sa paresse, pour
satisfaire sa vanité, alors il ne quitta plus la place publique et
les Cours de justice. Dès lors tous les maux écartés par la pru-
dence de Solon fondirent sur la république, et le désordre fit
(lection de domicile perpétuel à Athènes. Il mena si bien sa
constitution que le moindre; choc devait renverser la frêle ré-
publique. Dans cet état de choses, le service le plus grand à
lui rendre était d'éloigner d'elle toute commotion violente, et
de la dissuader surtout de la guerre qu'elle conduirait, nous
l'avons vu , en dépit du bon sens.
Après nous être rendu compte de la situation politique
d'Athènes, au tems de la guerre du Péloponèse, éludions un
peu le caractère et les habitudes des Athéniens sur lesquels
ou s'est fait d'aussi étranges illusions que sur leur gou\*er-
iiement. « Que les Athéniens étaient un peuple aimable, »
dit Voltaire. Voyons quel était le genre de son amabilité, au
(i) 2 oboles, 6 sous ; 3 oboles, 9 sous. Les déniées de pieiiùère néces-
sité étaient à vil prix, el l'argent encore rare, comparutivemenl à nos
tems modernes. Les 3 et même les a oboles suffisaient à la nourriture
journalière d'un citoyen, comme le reconnaît M. Iîoeckh, dans son Eco-
nomie pn/it!qiie ctos Jlhénians. {\o\. Rer. Enc, t. xliii, Septembre 1829,
pag. 618.)
LITTÉIIATUKE. 3;5
rapport de trois contemporains, deux sciieux et un plaisant,
les historiens Thucydide et Xénophon, le peintre de mœurs
privées et publique? Aristophane. Le peuple d'Athènes aime
la bonne chère et d'autres plaisirs, les uns conformes, les au-
tres contraires à la nature, que ses poètes comiques appellent
sans scrupule par leurs noms. En se promenant dans les rues
de sa ville, il aime à satisfaire le sentiment du beau, très-vif
chez lui , par la vue des chefs-d'œuvre de l'architecture, de la
sculpture, de la peinture. Lorsque les évènemens politiques
laissent quelque relâche à sa terreur, à sa pitié, à son admira-
tion, à son humeur satirique, il se plaît encore à réveiller tous
ces sentimens par les drames tragiques et comiques. A cette
ardeur pour toutes les jouissances matérielles et intellectuelles
il joint, non pas seulement quelques grains, mais une forte
dose de noble ambition; et ses désirs ne vont à rien moins
qu'à dominer îa Grèce entière d'Europe et d'Asie. Voici qui
commence à changer; car la fureur de la domination entraîne
l'effusion du sang. Cependant Alcibiade , qui est la personni-
fication même (les Athéniens, to\it en guerroyant, n'en de-
meure pas moins un homme aimable, et Voltaire jusqu'ici a
raison. Mais on juge bien mal un individu ou une nation sur
une heiu'e de conversation et d'examen : il faut demeurer plus
long-tems avec lui, il faut le voir dans les diverses habitudes
de sa vie pour prendre une juste idée de son caractère.
Le peuple athénien a des goûts bien prononcés de luxe et
de dépense, et il est possédé d'une égale passion pour la pa-
resse. Il répugne désormais à se livrer à l'agriculture et au
commerce qui pourraient fournir à ses nécessités : l'une est
trop pénible , l'autre est trop chanceux , exposé à trop de dan-
gers. Il attend que les gâteaux tout cuits, les poissons tout gril-
lés, les ragoûts et les vins délicieux, viennent se placer d'eux-
mêmes sur sa table (i). Notre proverbe moderne : « Il se flatte
que les perdrix lui tomberont toutes rôties dons la bouche»
semble avoir été composé après coup sur ses dispositions. De
'i) Chevaliers, t. ii, ji. i m-j i-
576 LITTÉRATURE.
là, comme diraient nos économistes, rupture complète de l'é-
quilibre entre les besoins d'une part, l'industrie et les produits
de l'autre. Comment fait ce bon peuple pour le rétablir? Le
moyen est merveilleux. Outre les trois oboles qu'il prend pour
son droit de présence aux assemblées et aux tribunaux, il s'al-
loue un salaire pour assister au théâtre, et se fait pa^er pour
s'amuser : de plus, il reçoit de ses flatteurs des pensions sur le
trésor public, comme les courtisans en obtenaient de Lo.uis XV
et de ses ministres; en sorte que cette démocratie présente
tous les abus d'vme monarchie dans le tems de son plu.s grand
désordre. Pour ne lion distraire au profit de l'État des sommes
qu'il s'est appropriées, le peuple rejette toutes les charges sur
les riches : l'obligation de construire et d'équiper les flottes,
les frais et l'embarras des représentations théâtrales, ainsi que
des fêtes religieuses, qui sont pour lui un autre spectacle. Quand
ses ressources se trouvent au-dessous de ses dépenses privées
ou publiques, son esprit inventif trouve d'autres expédiens.
Il intente des procès aux métèques^ c'est-à-dire aux étran-
gers domiciliés dans ses murs; gagne sa cause devant des juges
tout nationaux, et s'approprie la fortune de ces barbares, qui
évidemment ne sont bons qu'à servir à ses menus plaisirs (i).
Il contraint les alliés à traverser les mers pour porter leurs pro-
cès, et venir chercher des sentences à Athènes; et comnie il
n'y arien de si précieux que la justice, il la leur vend à un prix
exorbitant (2). Mais la principale branche de ses revenus con-
siste dans les tributs qu'il exige de ces mêmes alliés pour les
défendre contre les Perses qui, depuis cinquante ans bientôt,
n'attaquent plus la Grèce; tributs qu'il élève peu à peu de
2,600,000 fr. à la somme annuelle de 7,i5o,ooo fr. Les alliés
s'oublient au point de trouver mauvais que ceux qu'ils ont
créés leurs chefs deviennent leurs tyrans, et que ceux qu'ils
(1) Chevaliers, t. ti, p. /(S, 4y.
(2) Xé^opho.v, (fc licpiiblic. Al\ien., ch. 5, énumèr»; lotîtes les enquête»
ruineuses auxquelles sont exposés les alliés, par suite de la piiissarice ju-
diciaire que les Athéniens se sont arrogée sur eux.
LITTKllATURE. ' 377
ont tîlablis pour les défendre les désolent par leurs exactions.
Tant d'amlace est pioinptenient et justement répiimée! Avec
les lïiibitans de Samos, on se borne à détruire leurs niuiuilles,
à prendre leurs vaisseaux, à les cliargcr d'impôts plus pesans
et à emmener leurs principaux citoyens comme ùtat',cs à
Athènes. Mais, comme la récidive est de mauvais exemple,
on confisque le teriitoire, on massacre mille des notables ha-
bitans de Lesbos révoltée; à Scione , on tue tous les mrdes en
âge de porter les armes; on vend comme esclaves les femmes
et les enfans. La mansuétude du peuple athénien à l'égard de
ses alliés est égalée par son respect pour le droit des gens et
par son humanité à l'égard des nations ennemies : ainsi il
envoie au supplice les ambassadeurs de Sparte tombés entre
ses mains; ainsi, avant la bataille d'OEgos-Potamos, le dé-
magogue Philoclès propose, et toute l'armée confirme, un dé-
cret aux termes du(juel on coupera le pouce aux prisonniers
lacédémoniens. Dans ses rapports avec ses propres conci-
toyens, le peuple n'a pas fait des pas moins sensibles vers un
meilleur ordre de choses auquel l'appelle la perfectibilité indé-
finie de la nature humaine. Autrefois, il se bornait à bannir
pour un certain nombre d'années les grands hommes dont les
(alens et les vertus lui portaient ombrage, et l'ostracisme
n'entraînait pas la confiscation des biens : maintenant il con-
damne à mort, il dépouille de tous ses biens, Alcibiade con-
vaincu d'avoir mutilé les statues de Mercure, auxquelles il n'a
pas louché : maintenant il prononce la peine capitale contre ses
généraux vainqueurs aux Arginuses, mais coupables de n'avoir
pas été plus forts que la tempête et de ne lui avoir pas arraché
les corps des guerriers morts dans l'action. Ses jeux aussi sont
parfaitement innocens et ses plaisanteries du meilleur goût.
Par exemple, Cléon accuse ies généraux de Sphactérie de
trahir la république et de ne pas réduire les Lacédémoniens à
capituler, par mauvaise volonté toute pure. Le peuple trouve
piquant de le charger lui-même de la conduite de cette entre-
prise. Cléon, avec la conscience de son incapacité, refus'e le
commandement; le peuple le lui impose, lui l'ail u\n: 1"! de
378 LlTTÉRATLIlli:
l'acceplei-, parce qu'il sera singulièrement divertissant de voir
rentrer î\ Athènes ce grand hâbleur vaiiKii et humilié. Cette
facétie, selon toute apparence, ne coûtera qu'une armée ; on
voit bien que le peuple ne la paie pas ce qu'elle vaut. Que les
Athéniens étaient un peuple aimable!
Il n'est pas un seul de ces monstrueux abus dans la consti-
tution et le gouvernement; pas un seul de ces vices de cœur,
de ces habitudes honteuses, de ces saillies d'ambition, de ces
excès d'imprudence ou de cruauté qu'Aristophane n'attaque,
ne poursuive de ses continuels et sanglans sarcasmes. Le ta-
lent de lobservaliou et de longues études lui ont livré la na-
ture sur le fait, l'ont conduit ù une parfaite connaissance des
passions, de la vie politique et privée des Athéniens. Il les
peint avec une fidélité si scrupuleuse, avec un bonheur de
ressemblance tel que, Dcnvs tlemandant à Platon des rensei-
gnemens sur le gouvernement d'Athènes, le philosophe lui
envoya pour tout document les comédies d'Aristophane.
Tout roi aime la flatterie, et le souverain collectif d'Athènes,
!e peuple, s'en montrait aussi avide qu'aucun souverain indi-
vidu : c'est ce dont on trouve des preuves innombrables dans
Aristophane. Comment doue exph"quer la hardiesse et l'inqiu-
nité des reproches que le poète lui adresse en face? Voici le
mot de cette énigme : Aristophane fut courageux; Aristo-
phane sut amuser les Athéniens, et quiconque les amusait re-
cevait pleine licence de leur tout dire, même des injures. Les
faits se pressent à l'appui de chacune de ces assertions. Dans
\c^ -Babyloniens s Aristophane a déjà lancé ses premiei's traits
l'ontre ses concitoyens. Dans les Chevaliers, il revient à la
charge , et s'en prend non-seulement au peuple, mais encore
ù Cléon, le plus puissant des démagogues depuis la mort de
Périclès; et c'est une guerre à mort qu'il déclare à ce formi-
dable adversaire; car il le traduit en personne stir la s^cène, le
désigne par son nom, et le charge des imputations les plus
odieuses. Il voit, lui, sans sourciller les dangers d(! cette double
attaque, mais tout tremble autour de lui. Il ne trouve pas lui
acteur poiu' jouer le rôle de Cléon. pas im r.uviirr pour fabri-
LllTÉllATUriE. ô;9
quer un masque qui lui ressemble : cliacuu redoute la ven-
j^eance de ce nouveau maître du peuple. Arisloplmiie monte
alors sur le théâtre, joue lui-même le rôle abandonné par la
crainte publique, et, à défaut de masque, se barbouille le vi-
sage. Dans les Gnêpeu, dans la Paix, il rappelle avec un juste
orgueil l'intrépidité de cette conduite. « Jamais, dit-il, eu par-
lant de lui-même, il ne s'attaqua à des particuliers obscurs, ou
à des femmes. Il s'arma du courage d'Hercule pour affronter
liés monstres terribles, ?ans être rebuté par la fétide exhalai-
son des cuirs ((Uéon était corroyeur). Oui, j'osai le premier
assaillir cette bête aux dents aiguës, dont le regard lançait des
feux effrayans , dont le front était léché à l'envi par les lan-
gues perverses de cent flatteurs. L'aspect de ce monstre ne
m'effraya pas : je marchai contre lui, et je combattis pour vous
et pour les iles (dont Cléon dévorait les revenu») ■' . Ailleurs ,
il se vante d'avoir le premier relevé avec franchise les vices
des Athéniens, et il prétend que le roi de Perse trouve leurs
armes plus redoutables, depuis qu'il leur donne des fonseils.
Mais il eût péri certainement, s'il n'avait désarmé la haine
par le rire^ s'il n'avait répandu le comique à pleines mains en
même tems que le blâme ; si les Athéniens, en sortant de ses
pièces, ne s'étaient écriés : il nous censure avec amertume,
mais qu'il est amusant ! Il faut savoir ce qui amusait les Athé-
niens, pour connaître quel genre de comique il a dû adapter à
son drame essentiellement politique, et pour compléter l'i-
dée que nous devons nous former de son théâtre. Dans de
beaux livres, auxquels on nous renvoie sans cesse pour étu-
dier les gouvernemens et les mœurs de l'antiquité, et où tout
est faux, tout de convention, on nous représente les Athéniens
dans les objets qui tenaient à l'intérêt public comme des pa-
triotes désintéressés et d'incorruptibles législateurs; et, dans
les choses d'esprit et d'imagination, comme des arbitres d'un
goût délicat, d'un jugement exquis. On vante à tout propos le
sel attiquc, le tact et la délicatesse des Athéniens. Nous savons
déjà à quoi nous en tenir sur le premier point : sur le second,
nous n'avons pas Uioins ,i reformer dans nos piéjugé^. pour
58o LITTliRATUKE.
peu que nous veuillons arriver à la vérité. Les Athéniens en
masse étaient peuple, tout-à-fait peuple, clans l'acception la
plus stricte et la moins relevée de ce mot. Les images et les
mots delà plus dégoûtante obscénité ; l'expression des besoins
les plus Immilians pour la fierté de notre nature ; les injures
des halles; les plaisanteries de taverne ; les débauches de l'es-
prit faux et étroit, telles que les pointes, les jeux de mots, les
calembourgs, faisaient sans aucun doute les délices du grand
nombre des spectateurs athéniens. Pour les mettre en belle
humeur, pour les disposera recevoir, sans trop regimber, les
graves réprimandes que mérite leur conduite politique, Aris-
tophane leur prodigue ces amusem'ens favoris avec une faci-
lité et ime abondance qui confondent. L'Arétin, Rabelais,
Vadé et Brunet ont pu s'insjiirer également par la lecture de
son livre.
La première londition pour que les Athéniens prissent du
plaisir à une représentation théâtrale était donc qu'ils assis-
tassent à une dionysiaque ou bacchanale continuelle. Leur se-
cond besoin paraît avoir été de comprendre vile et de suivre
sans faliguc l'intention principale de l'auteur. Aussi Aristo-
phane appelle-t-il un chat un chat, et Cléon un voleur, un
fourbe, un impudent (i); aussi, dans toutes ses comédies, ne
trouve-t-on pas une seule intrigue fortement nouée., et dont
les fils ne puissent être saisis par l'intelligence la plus vulgaire :
à la vérité, il emploie fréquemment l'allégorie ; mais elle est
lelleinent transparente qu'il faudrait être aveugle pour ne pas
apercevoir la réalité derrière son voile. Enfin on doit se rap-
peler qu'à Athènes chaque jour et chaque quartier n'avaient-
pas, comme à Paris, leur spectacle particulier; que les repré-
sentations élaieul rares; que les Athéniens voulaient rassem-
bler les divers genres sur la même scène, réveiller chez eux tou-
tes les émotions, et prendre en un jour du plaisir pour six mois.
Aristophane a largement satisfait à cette foule d'exigences:
aussi prenez l'une de ses pièces au hasard', ou analysez -les
(i Voycr, dans les CUivallcrs, les srt-iies f nlrc !»• Lliarculier cl Cléon,
LITTEIÎAÏURE. .ISi
successivement, vous ne toniljcrcz jamais sur une seule qui
remplisse ridée que vous vous formez d'une comédie. Vous y
trouverez sans doute un certain nombre de scènes du meilleui"
comique; mais vous y rencontrerez, à côté, des scènes d'o-
péra, de ballet, de parodie, de vaudeville satirique, de tré-
teaux en plein vent, auxquelles succèdent, dans la parabase,
des élans lyriques et dithyrambiques. Chacun de ses drames
est un ambigu.
Soumettons à celte épreuve la pièce qui porte pour titre :
La Paix, et qui fut jouée la dixième année de la guerre du
Péloponèse. Depuis que les Grecs se déchirent entre eux, la
paix a quitté leur terre ; elle s'est réfugiée au ciel. Là elle a été
saisie par la guerre, qui !'a plongée dans une caverne profonde,
dont l'entrée est obstruée |)ar d'énormes quartiers de rochers.
Le vigneron Trygée rassemble des citoyens appartenant aux
diverses classes des principales républiques de la Grèce, pour
déblayer l'entrée de la caverne, délivrer la paix, et la rame-
ner au milieu d'eux: selon que chacun de ces peuples est plus
ou moins désireux de la paix, il se met avec plus ou moins de
cœur à l'ouvi'age. Ils tirent bien ou mal, à droite ou à gau-
che, d'après les dispositions qui les animent. Les Mègariens,
qui ont allumé la guerre du Péloponèse, qui meurent de faim
et qui manquent de forces, depuis qu'Athènes leur a fermé
ses marchés; les Athéniens, qui sont tout occupés de procès,
ne parviennent même pas à él)ranler les pierres. Les Béotiens
font en apparence de grands efforts, mais réellement ne tirent
pas. Les Argiens tirent en sens contraire, parce qu'en en-
tretenant la guerre ils espèrent obtenir tour à tour des sub-
sides des deux partis. EnOn ou renvoie tous ces faux travail-
leurs ; et les laboureurs de tous les partis et de tous les peuples,
qui seuls ont un véritable intérêt à voir cesser les hostilités,
entreprennent et exécutent promplement la délivrance de la
paix. Voilà une scène vraiment comique. — ïrygée part de
terre monté sur un énorme escarbot, entreprend un périlleux
voyage à travers les airs, et parvient à la demeure des dieux.
Voilà des scènes d'opéra , où le machiniste doit déployer la
382 LITTEUATLRE.
puissance de son art, et la magnificence des décorations. —
Cléon et Brasidas, qui voulaient, l'un dans l'intérêt de sa ra-
pacité, l'autre dans celui de sîi gloice, entretenir les inimitiés
entre Athènes et Sparte, Cléon et Brasidas. les mortels enne-
mis de la paix, viennent de succomber. Dans la joie que leur
cause cette nouvelle, les laboureurs formant le chœur exé-
cutent (les danses à diverses reprises. Voilà le ballet.
Aristophane transporte incessamment au milieu de ses jeux
bouffons les vers pathétiques, les grandes tirades d'Euripide :
incessamment il accuse Sophocle d'avarice, Cratinus d'ivro-
gnerie, Morsimus et .Mélanipius de vices plus bas encore,
Xénoclès et son fils Carcinus d'impuissance comique. Voilà la
parodie et la revue satirique. — Mais bientôt le poète quitte
la terre et la fange où il s'est roulé avec ses rivaux ; il monte
au ciel, prend des idées et un langage dignes de ces hautes
régions, et, par la sublimité des conceptions, l'élévation du
style, rivalise avec Homère.
« Merccre. — Tu n'es pas encore près de parvenir jusqu'aux
dieux. Ils sont tous partis hier.
Trvgée. — I^our quel lieu de la terre?
Mercure. — De la terre, dis-tu ?
Trtgée. — Où sont-ils enfin ?
Mercvrb. — Bien loin; dans l'endroit le plus reculé des
cieux.
Tbïgée. — Pour quelle raison sont-ils p irtis ?
Mercure. Par colère contre les Grecs. Aux lieux où ils ha-
bitaient, ils ont logé la guerre en vous livrant à sa discrétion :
pour eux, ils se sont en allés le plus loin possible, afin de n'être
plus témoins de vos combats et de ne plus entendre vos
supplications. >>
Par ces concessions faites , par ces satisfactions données à
tous les goûts, à toutes les fantaisies des Athéniens, Aristo-
phane s'était acquis le droit de censurer leurs vices, de fla-
geller leurs désordres . d'immoler les ambitieux qui les
perdaient , de les retenir sur le penchant de l'abîme où ils se
précipilaient. Ainsi fait-il; et, si ces avis avaient été écoutés.
LUTEIIAÏURE. 387)
les Alliôniens auraient détourné de leurs têtes l'oi âge des mal-
heurs qui fondit sur eux durant la guerre du Péloponèse ; d'une
main courageuse, ils auraient aussi arraché de leur sein le mal
qui rongeait lentement les principes de leur liberté et de leur
grandeur. Ami déclaré, constant auxiliaire de Nicias et de
Démosthènes, il soutient avec eux les paities aristocratifpiesdt!
la constitution battues en brèche et tombant de toutes parts en
ruines. Il vient courageusement dénoncer au peuple lui-même
les abus de son pouvoir, les excès de ses nouvelles attributions :
il vient réclamer, pour les principaux citoyens, le droit, non
de décider seuls, c'est-à-dire en maîtres, mais celui de con-
seiller et de diriger le peuple, celui de remplir les charges,
d'exercer les fonctions, interdites aux pauvres par leur incapa-
cité, et livrées par leur ignorance aux flatteurs et aux intrigans.
La démocratie est le gouvernement de tous les citoyens riches
et pauvres, partagés dans la distribution des pouvoirs, seloi»
leur mérite, leurs lumières et leurs richesses ; l'ochlocratie est
le gouvernement exclusif de la populace aveugle et passion-
née. Où trouver une satire plus virulente de ce régime absurde
que dans les pièces d'Aristophane ?
Le Charcctier. — Et dis-moi, comment deviendrai-je un
personnage, moi simple charcutier ?
DÉMOSTHÈNES. — C'cst pour Cela que tu deviendras grand ,
c'est-à-dire parce que tu es un vaurien, un effronté, un homme
de la lie du peuple.
Le Chabcuxieb. — Je ne me crois pas digne de ce haut
rang.
DÉMOSTHÈNES. — Quoi douc ! d'où vient que tu ne t'en crois
pas digne ? On dirait que tu as quelque bon sentiment. Se-
rais-tu donc issu d'une honnête famille ?
Le Charcutier. — J'en atteste les dieux, j'appartiens à la
canaille.
Démosthènes. — Mortel fortuné! les heureuses qualités que
tu as reçues pour les affaires publiques
Le Chaucutier. — Mais, mon cher, je n'ai pas la moindre
éducation, si ce n'est que je sais lire, et encore assez mal.
384 LTTTÉRATURE.
*Dkmosthèkes. — Ceci pourrait te faire tort, de savoir lin'
niêinc assez mal. Le gouvernement populaiie n'appartient pas
aux hommes instruits et de moeurs irréprochables, mais aux
ignorans et aux infâme?. Ne dédaigne donc pas ce que les dieux
t'annoncent par leiu's oracles (i).
De pareils liommes cesseraient d'obtenir les premières places
de la judicature, de l'administration, de l'armée; les funestes
décrets avec lesquels on joue chaque jour la prospérité et le
salut de la république cesseraient d'être rendus, au moment
où les uns et les autres manqueraient de l'appui et des suf-
frages de la multitude. Et la populace cesserait d'apporter
dans le Pnix (2) son ignorance, son aveuglement, sa corrup-
tion, dès qu'elle n'y serait plus attirée par un salaire. En effet,
l'exercice des droits purement honorifiques, la perte de son
tems sans profit, ne sont nullement de son goût : l'examen et
la décision d'affaires auxquelles elle ne comprend rien la plu-
part du tems l'ennuient mortellement : avant Périclès , il fal-
lait recourir à la violence et aux amendes, quand on voulait
amener sur la place publique un nombre de citoyens assez
considérable pour que les lois fussent votées légalement. C'est
ce qu'Aristophane c-omprcnd très-bien : aussi n'est-il pas une
seule de ses pièces où il n'attaque, à diverses repinses, le sa-
laire accordé au peuple, le fatal triobole. Mais, comme il sait
en mT-me tems que l'intérêt seul a l'oreille d'une nation morte
à la vertu politique, c'est le langage de l'intérêt qu'il lui parle.
Il lui conseille de prendre pour elle, à la place du triobole, les
tributs levés sur les alliés, tributs que les démagogues détour-
nentàleurproût, et dont le produit doit fournir abondamment
à ses besoins, sans l'astreindre à remj)lir les devoirs politiques
qu'on lui impose (5).
Si la démagogie et l'intrigue ont, au moyen du pouvoir lé-
gislatif, élevé l'édifice de leur puissance sur la place publique,
(1) Les Chevaliers, t. 11, p. 54, 55.
(2) La place publique d' Athènes. \
(5) Voyez tes Guêpes, t. m, p. 70-75.
LITTÉHATUUK. Ô85
«lies ont placé les deux arcs-boiilans, qui leur servent d'ap-
pui, dans le sénat et dans les tribunaux. Le sénat, mainlenant
dominé par les démocrates purs qui s'y sont introduits en
majorité, le sénat, infidèle à l'esprit et au but de son institu-
tion, conspire à la ruine commune avec la populace qu'il était
originairement destiné à éclairer et à retenir. Ses décrets, exé-
cutoires pendant un an, sont devenus l'intermède ou le pré-
lude des lois les plus désastreuses. De plus, il accueille toutes
les accusations portées contre les ennemis de l'anarchie et du
désordre. Pour que les bons citoyens conservent leur vie, leur
patrie et leurs biens, il faut qu'ils échappent aux at lions poli-
tiques intentées contre enx devant le sénat; comme aux ac-
tions civiles qui les attendent dans les tribunaux, où ils re-
trouvent encore la populace toute puissante par le nombre.
Aristophane vient se placer dans leurs rangs découragés, atta-
quer leurs ennemis, battre en brèche des institutions avilies et
pernicieuses, avec cette machine du ridicule et de l'ironie, ir-
résistible à Athènes. Dans les Chevaliers , il montre les séna-
teurs accueillant les imputations les plus absurdes et les plus
calomnieuses, prenant d'abord en n\ain la cause de l'intrigant
contre celui qui le démasque; puis, abandonnant l'intrigant
pour son adversaire, dès que le dernier leur a enseigné le
moyen de se procurer une grande quantité d'anchois, au prix
d'une obole (i). Dans les Guêpes, ce sont les attributions judi-
ciaires de la populace que le poète essaie de saper par leur
base. Il emploie d'abmd le ridicule dont il couvre la manie de
juger et l'humeur processive. Il réveille ensuite l'amour-pro-
pre et l'amour de l'indépendance chez les citoyens pauvres, en
leur montrant qu'on les tient captifs à la chaîne dans le chenil
des tribunaux, pour les lâcher ensuite contre ceux des alliés
ou des Athéniens qui ont encouru la disgrâce des ambitieux.
Et que la crainte de perdre les gratifications qu'on leur fait sur
îe trésor ne les retienne pas. Encore une fois, dès qu'ils au-
ront brisé le joug de ceux qui se sont établis leurs maîtres, ne
(i) Les Chevalier a, t. ii, p. 71-7J.
T. XLVa. AltVT iSÔo, ii5
38G LlTTEPiATlUE.
letlevien'liuiit-ils pas souverains dispensateurs des revenus pu-
blics? C'est ainsi que, pour ruiner l'aulorité de la populace,
\ristophane excite et flatte les passions populaires : il veul
(jue le monstre se dévore lui-mênne.
On a dit avec raison que notre révolution, même en com-
mençant, était déjà achevée, parce que l'Assemblée consti-
tuante n'avait tait que décréter ce que l'immense majorité de
la nation pensait cl voulait. Il est évident {[u"elle n'aurait ni
voulu, ni pensé de la sorte, cent ans plus tôt. Ce gra(ul chan-
gement avait été opéré dans les idées par les écrivains du
xviii' siècle. Si leur influence est incontestable, celle d'Aris-
tophane ne l'est pas moins dans un événement de même na-
lure, quoique de résultats diamétralement opposés à la crise
de 89. II y avait vingt ans qu'Aristophane, presque d'année en
année, présentait l'ochlocratie sous un jour ridicule ou odieux,
loisque, l'an 4' •» s'accomplit à Athènes une révolution, dont
les résultais naturels devaient être de détruire la souveraineté
tvranniq'ic fie la populace, et de la remplacer parle gouver-
nement mêlé de démocratie et d'ari^tocratie que Solon avait
jadis donné à ses compatriotes. Un corps de 400 membres rem-
plaça l'ancien sénat, et mie assemblée de 5, 000 citoyens fut
substituée aux assemblées du peuple : la basse classe fut ex-
clue des aftaircs par une loi, conmie elle l'était par le l'ail,
avant les innovations de Fériclès et de (>léon. Mais, au lieu
de s'appliquer à consolider la révolution par sa modération,
l'aristocratie u.-a despotiquement du pouvoir qu'elle avait re-
couvré, et le perdit au bout de quatre mois. Atliènes revint à
ses anciennes Ibrmes politiques et à ses excès, mais non pas
impunément: car les peuples, comme les individus, qui ne
savent pas se corriger à tems, courent à une perte inévitable :
tombée successivement au pouvoir des Lacédémoniens, des
■Macédoniens, des Romains, elle vécut sous le bon plaisir de
l'étranger, et n'eut plus de cette liberté, transformée par elle
en licence et en anarchie, que ce qu'on daigna lui en laisser.
Elle ne pouvait en aucune manière échapper à la domina-
tion romaine : mais ellt- aiuail é( happé au joug lacédémonien
LlTTiîii.VrUlUî. 5^7
el à la siipvénuilre macéclonieniie, si elle n'eut combiné les
vices de ses institutions avec les chances toujours si périlleu-
ses de la guerre. Aristopliane n'était pas prophète , et il ne
soupçonna certainement pas les destinées que réservaient à sa
patrie deux peuples barbares, alors profondément incon-
nus. Mais Aristophane était sage, clairvoyant, et apercevait
dans leur étendue les dangers auxquels s'exposait sa patrie
dans la lutte contre Sparte et la Grèce presque entière. Des
succès passagers ne pnrent faire tourner une têle aussi forte,
et il ne perdit pas une occasion de conseiller la })aix. Dans
celte intention, il composa trois drames, les jdc/iarnUrui, en
426; lu Paix, en 4^0 ; LjsUtraie, en 4*2 j et il épuisa les rai-
sonnemens les plus capables d'ébranier ses compatriotes, pour
les porter à un accommodement. Lorsqu'on rapproche ces trois
pièces des évènemens de la guerre, on Toit que, si les Albé-
niens eussent suivi ses avis à la première époque, ils se se-
raient épargné les défaites de Délium et d'Amphipolis, et au-
raient conclu une paix beaucoup plus avantageuse que la paix
de Nicias; et que , s'ils eussent été dociles à ses conseils, l'an
4«2, ils auraient échappé à la défaite d'yEgos Potamos, au
ion."- ue Lacédémone et à la tyrannie des Trente, dont les
proscriptions, au rapport de Xénophon, enlevèrent à la répu-
blique plus de citoyens que tous les cornbats de la guerre du
Péloponèse.
Nous nous sommes bornés à indiquer les traits les plus ■^ail-
lans du théâtre d'Aristophane. Ce livre est une mine pres-
qu'inépuisable de documens sur l'état moral et politique des
Athéniens, dans une période de 55 années (41*8-395). Pour
ne citer qu'un seul exemple des secours qu'il fouinit à l'éru-
dition, tournée vers des sujets de la plus haute importance,
nous rappellerons que M. Bœckhena tiré les plus nombreu v
et les plus précieux renseignemens pour sou ouvrage sur 1% -
conomie politique des Athéniens. Il n'est pas un homme in-
struit qui ne soit tenu de le placer dans sa bibliothèque, et
qui ne le consulte avec autant de fruit que de plaisir. Préférera-
t-il la traduction de M. Artaud à celles qui ont été publiées
588 LITTÉRATl'RE.
jusqu'à ce jour? C'est ce qui n'est pas douteux, selon nous,
dès que le travail de notre collègue sera connu et apprécié. Il
a profité, pour l'intelligence du texte hérissé de difficultés de
tout genre , des savans travaux de Brunck et de M. Boisso-
nade;des remarques inédiles de M. Dugas-iMontbel, connu
par sa traduction d'Homère ; des nombreux éclaircissemens
fournis par les érudits allemands et hollandais; des essais de
traductions, soit partielles, soit complètes, de M°" Dacier, de
Boivin, de Poinsinot de Sivry, et de Ch. Brottier. En com-
parant la version de M. Artaudavec celle de M. Dupuis, la plus
récente de toutes, et insérée dans le Théâtre des Grecs, de
M. Raoul Rochelte , on trouve encore des différences assez
nombreuses et assez importantes pour que les philologues, ac-
quéreurs de ce dernier ouvrage, puissent avoir la curiosité de
comparer les deux interprétations. Dans les éloges que mérite
M. Artaud pour cet important travail, nous réserverons à son
collaborateur, M. Destainville, la part qui lui est due : nous
espérons que le succès mérité de cette publication les paiera
l'un et l'autre des soins qu'elle a dû leur coûter.
A. POIRSON.
»H*»«*W
l-\\\VV\WVV\V\VV\V\ V\\V\V\XV -\VVX\ VV\>.V%V\,%V%VV\\\\\VV\VV\V^V\X\XXV\\\^'VV%^%V\\W\V\\\W\V\V\*A\'%WV
m. BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
LIVRES ÉTRANGERS (i).
AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
ÉTATS-UNIS.
63. — The Science ofMechanics, etc. — La science des machi-
nes appliquée au perfectionnement des arts utiles en Europe et
aux Etats-Unis; ouvrage destiné à servir de manuel des mé-
caniciens et des fabricans; par Zachariali Allen. Providence
(Rhode-Island), 182g.
L'ouvrage de M. Allen est bien court, en raison du nom-
bre et de l'importance des sujets qu'il a dû traiter. Des notions
générales de physique et mécanique; la théorie de la pesan-
teur appliquée aux machines et aux matières dont elles sont
faites, l'hydrodynamique et l'hydraulique, les roues à eau,
les moulins à vent, la théorie du frottement, les diverses
communications de mouvemens, les moyens de les établir ou
de les interrompre momentanément, etc., etc. ; tous ces ob-
jets, dont chacun en particulier exige d'assez longs développe-
mens, composent encore un énorme volume, lorsqu'on vient
à les réunir, et ne sont plus un manuel. Dans les écrits sur les
arts, le laconisme a plus d'inconvéniens que la prolixité. Nous
le disons à regret, M. Allen n'a pu atteindre le but qu'il avait
en vue : il se proposait de contribuer à l'instruction de l'Eu-
rope, mais il faudra que les mémoires de nos savans aillent
encore en Amérique, et qu'ils y hâtent les progrés de l'indus-
trie, tandis que nous recevrons d'Amérique des exemples du
(1) Nous indiquous par un astérisque (*) , placé à côté du titre de
chaque ouvrage , ceux des livres étrangers ou français qui paraissent
dignes d'une attention particulière, et nous en rendrons quelquefois
compte dans la section des Analyses.
TyQiy LIVRES ETilANGEllS.
1)011 iisaj^e de la liberté, des encouragemens à porsisler dans
la voie des perfeclionneniens sot'iaux.
64- — ■ y^ dresses deliiercd on varions pnhl'u- orcasions, etc. —
Discours prononrés en public, en différentes occasions, par
John D. Codma> . D' M. , ancien professeur d'histoire natu-
relle à VlnstUat de Franklin (Pensyh anie), professeur d'ana-
lomie au collège de médecine de Rntgers, membre de plusieurs
Sociétés savantes, etc. : avec un Appcmlice o\\ l'auteur expose
en {)eu de mots les peinicicux effets sur la respiration, la circu-
lation et la digestion, de l'habitude contractée par plusieurs
femmes de serrer leur corps en se laçant. Philadelphie, 1829;
(Jarey. ln-8" de i()4 pages.
Comme Al. Godmaii sait très-bien observer les convenances,
ses discours ne sont pas longs, et ce petit volume en contient
huit, outre phisieiu's notes que l'auteur y a jointes, afin d'en
rendre la lecture encore plus utile. Quoique les sujets traités
par le professeur soient très-sérieux, il se fit écouter sans
«loute avec intérêt; car ici même on preml plaisir à le lire.
Mais il ne dissimule point que ses discours ont été revus pour
l'impression. Sa préface est empruntée ù Boileau, et transcrite
telle que l'a faite no4re illustre poète : « Parlons maintenant
de mou édition nouvelle. C'est la plus correcte qui ait encore
paru : et non-seulement je l'ai revue avec beaucoup de soin,
mais j'y ai retouché plusieurs endroits ; car je ne suis point de
cesauteurs fuyant la peine, etc — » 31. Godman n'est pas non
plus du nom!)re de ces auteurs paresseux qui, sous prétexte
de conserver à leurs ouvrages le caractère d'originalité, y lais-
sent subsister tout ce qui fait reconnaître une ébauche, un
travail imparfait, où de bonnes pensées, un but louable, quel-
ques traits d'élotpieiu e n'empêchent point qu'on ne remarcpie
de trop nombreuses incorrections. On ne saura pas mauvais
gré ù M. Godnian du soin qu'il a pris de traiter en homme de
lettres aussi-bien qu'en savant des sujets tels que la dissection
des morts, l'étude de l'anatomie, etc. Quelques autres sujets
n'excluaient pas quelques ornemens oratoires; tels sont le
dessin, ses usages et son influence, les charmes de l'étude de
l'hiscoire naturelle. On remanpiera surtout dans ce recueil un
discours de clôture réservé pour la fin, comme ou s'y attiMi-
dait. Mais ce (pii devrait être répandu parmi nos dames, ce
sont les observations exposées dans raj)pcndice sur la mode
des corsets, où elles s'emprisoinuMit en se faisant lacer bien
serrées. Cetabus, (|ui n'est pas moins nuisible aux grâces qu'à la
santé, ne devrait-il pas être combattu en même tems par les
médecins et par les peintres'.^ et ces derniers, comme juges
ÉTATS-UNIS. 591
suprêmes on matière de l)C'auté, et par conj^equcut de bon goQi,
i)'ainaieiit-ils pa< encore plus d'ascendant qije les médecins,
dont les ordonnances sont parfois austères? M. Godnian n'a
pas négligé tio réclamer ans^i eu laveur des grâces nn peu plus
de liberté de ces tailles emprisonnées dans un corset, un peu
de souplesse et de mobilité : mais il n'est que médecin, et le
beau sexe ne le mettra point au nombre des juges compétens :
c'est donc aux peintres qu'il iaut s'adresser pour faire diminuer
au moins im mal si préjudiciable, et de deux manières. Il pa-
rait que l'abus des corsets est poussé en Amérique beaucoup
plus loin qu'en Europe; un journal de Baltimore en donne la
preu\e. Une négresse arrivée depuis peu dans celte ville avait,
apporté les modes de ^ew-York, et s'y conformait ponctuel-
lement, même dans son état de femme de chambre : pendant
qu'elle était occupée à repasser du linge, elle tomba morte.
L'ouverture du cadavre fit voir que la compression du lacet
avait déplacé le foie. La cause immédiate do la nient avait été
la ruptuie d'un vaisseau près du cœur.
65. ■ — *Memoirs ofthe Life and ininistry oftiierev. J afin Sam-
merfield, etc. — Mémoires sur la vie cl le ministère du révé-
rend/o/(«iS'M/y( w<;r/?fW, prédicateur méthodiste ; par. I. H oll and.
New- York, 1859. In-H",
Celle biographie est pleine de faits Irès-intéressans sous
divers aspects; la religion, la morale, rhi>itoire de l'esprit
humain y trouveront des observations qui ne peuvent être
négligées, et qui seront appliquées tôt ou tard pour le bonheur
de riumianité ; en voyant que les vertus évangéliques appar-
tiennent également à toutes les croyances <hrétiennes , que
chaque secte peut se glorifier d'un certain nombre d'hommes
qui fuj-ent les disciples du Christ, dans l'acception la plus juste
de ce mot:, on pensera que les points de doctrine ijui divisent
ces sectes n'ont aucune influence sur l'esprit rel'gieux, et ne
devraient point être un obstacle à la réunion sincère de tous
les chrétiens, au rétablissement de VEglise telle qu'elle fut
dans ses plus beaux jours. >i. Summerfield naquit en 1798.
et mourut en 1825. Cette vie de vingt-sept ans-paraîtra lon-
gue, en raison des évènemens qui la remplissent. A l'âge de
onze ans, Summerfield devient maître d'école pour aider sa fa-
mille accablée par un revers de fortune; un peu plus tard,
l'enfant devenu jeune homme contracte quelques-uns des vices
de son âge, mais il rentre bientôt dans la Ifonne voie, et le
jeune libertin de seize à dix-sept ans devient un apôtre à vingt
ans ; le zèle de la prédication l'emporte a'i delà de ses forces,
et prépare sa fin prématurée; on le vif toujours prê-'hont 'n
'92 LIVllES l'rniAiN'GEUS.
Irlande, en Angleterre, en Amérique, en Fiance, où il lit un
voyagepour rétablir sa santé délabrée, enfin en Amériqnc, où
il devait trouver le seul repos qu'il lui lût possible de goûter.
Pendant son séjour à Paris la Société biblique tint sa séance
annuelle; le pieux missionnaire fit un discours pour celte so-
lennité ; M"*" la duchesse de Broglie le traduisit en français, et
M. le résident des Etats-Unis le prononça. Mais le climat du
nord de la France ne fut rien moins que favorable à sa santé;
ses maux physiques augmentèrent, tandis que l'activité de son
âme achevait de consommer le peu de forces qui lui restaient.
31 fallut retourner promptenieut en Amérique; il était à Bal-
timore lorscju'il apprit que son père, établi à New- York, était
atteint d'une maladie grave ; quoique très-souffrant lui-même,
il ne peid j)as un monient, va prodiguer à son père les soins
les plus tendres et les plus assidus, el succombe en remplis-
sant les devoirs de la piété filiale. Ses vertus furent aimables
comme celles de notre Fènelon , comme celles d'un sincère
ami des lionmies; sa mémoire était extrêmement ornée, et lui
fournissait des citations remarquables par leur autorité et leur
à-propos. Il aA ait cultivé la musique, et le sentiment du beau,
partie essentielle du talent oratoire, était si développé et si sûr
dans cet homme si heureusement organisé, qu'il eût été l'un
ilespremiers artistes de ce siècle, si ses hautes facultés n'avaient
point pris une autre direction. Remercions 31. Hollaud de tous
les détails iutéressans qu'il a recueillis sur cette vie hien digne
d'être connue de la génération actuelle et de celles qui lui suc-
céderont. ]N.
EUROPE.
GRANDE-BRETACNE.
()d. — .'in Account ofilie ^rcal (loods of Àiiguat^ etc., etc. —
Desciiplion des tiombes, orages et inondations (pii eurent
lieu au mois d'août 1829 dans la province de Moray, et dans
les districts avoisinans ; par sir 77ir/H)rt5 D. Lavder. Londres,
i83o; Longnian. Edimbourg, Black. ln-8° de l\7j\ pages;
prix, 16 schellings.
Voici un livie qui, contre l'ordinaire, tient beaucoup plus
que ne promet son titre. On fî'attend à des détails de gazettes,
au relevé des désastres et des malheuis causés par les trom-
bes et les ouragans qui éclatèrent en Ecosse au mois d'août,
et l'on est agréablement surpris en rencontrant à chaque page
des détails piltores(]ncs, des incidcns dramatiques, des ré-
GRANDE-IIRETAGNE. 3()3
cils pleins d'inlerêt et de naïveté, car ce sont les témoins de
ces eilVayantes catastroplies, qui content eux-mêmes, et dans
leur dialecte, leurs sensations, leurs terreurs et leur salut mi-
raculeux : l'auteur n'a fait souvent que sténographier, et,
quand il parle en son nom, il n'est point au-dessous des nar-
rations vraies et animées qu'il a recueillies.
Ce fut vers le 2 août 1829, qu'après un été d'une séclie-
resse extraordinaire, les habitans du district montagneux de
Moray remarquèrent d'inexplicables variations dans la tem-
pérature. Des averses soudaines tombèrent sur les hauteurs,
et formèrent des trombes d'eau qui, se brisant sur les cimes
des rochers, inondèrent le pays, grossirent le cours des ri-
vières, et firent autant de fleuves des plus petits ruisseaux.
Cependant les eaux commençaient à s'écouler, lorsqu'une ef-
frayante trombe de vapeur, qui avait bala^'é les côtes du
Caithnesset du Sunderland, attirée par les hautes montagnes
du comté de Moray, se dirigea vers ce point, environnée de
tonnerre et d'éclairs. La pluie descendait par nappes larges et
livides d'un vert bronzé; le veut soufllait sans relâche, et les
torrens entraînaient dans leur passage, les pierres, les mai-
sons, les arbres qui cédaient comme autant de roseaux. Us
tombaient un à un, faisant rejaillir l'eau à une hauteur
considérable. La racine apparaissait tm moment à la surface,
puis tout semblait englouti: mais un peu plus bas, on re-
voyait le tronc mutilé et sans branches tournoyer sur l'abîme,
et emporté par le com-ant, fuir avec la rapidité d'une flèche.
« Le bruit était une combinaison distincte de deux sortes de
sons : un rugissement effroyable et continu causé par la vio-
lence des eaux, et une suite de décharges d'artillerie, qu'i-
nu'taienten tombant et en roulant les pierres énormes et les
quartiers de roc que Tinondalion chariait. «Jamais fléau plus
grandiose ne s'était déchaîné contre ce malheureux pays :
aussi les pauvres habitans se croyaient-ils à leur dernier jour,
et il fallait à gens plus éclairés de la force d'âme pour ne pas
croire à un déluge universel. Dans cette lutte épouvantable,
l'instabilité de toute chose humaine était effrayante. La main
de Dieu était à l'œuvre, et d'un mouvement semblait anéan-
tir les mondes. Le ncmibre des ponts emportés, des routes
détruites passe toute croyance. Les rivières, s'ouvrant de nou-
veaux lits, entraînaient avec elles des prairies entières, des
champs labourés, des portions de rives et les maisons qui y
étaient bâties. Dans quelques gorges, l'inondation monta jus-
qu'à quarante et cinquante pieds. Les toits des édifices se cou-
vraient non-seulement d'hommes, mais de lièvres, dcbelettcs^
594 LIVRES ETilANGliRS.
«le rais, et même (?e taupe? qui venaient y clieiLher refuge.
Des meuniers, surpris par les eaux au milieu de la nuit, s'eu-
l'uireut à grand'peine, et virent s'engloutir une à une leurs
propriétés. Arrivés à 80 ou 100 pieds au-dessus du Findliorn,
torrent qui causait ce ravage, ils se regardèrent comme en sû-
reté , et commençaient à s'y établir, lorscjue le 27 survint un
nouveau déluge et une nouvelle crue. La rivière trouvant la
base du rocher déjà ébranlée, l'attaqua, la mina, et en déta-
cha avec un bruit effroyable une énorme portion, qui ouvrit ù
dix pas de la cabane des rétiigiés un précipice à pic. delaspect
le plus sinistre. Plus loin , sur les bords de la même rivière,
était une petite maison habitée par une vieille femme infirme
et sa nièce. La première succomba, l'autre fut sauvée, après
dix-sept heures d'inexprimables angoisses, et dont le récit de
cette pauvre fille peut seid donner une idée, John Cly, vieil-
lard de j5 ans, s'était viupoursuivi d'une façon remarquable
par les inondations. Celle de 1768 commença sa ruine, com-
plétée en i;-85 parla crue qui emporta sa maison et son mou-
lin. C'était un lioinme d'un caractère singulièrement indé-
pendant et philosophique. Cinq fois il avait perdu et recréé
sou avoir. Tl résolut de se mettre de nouveau à l'œuvre, et se
rappelant que. sous un sol, alors couvert de quartiers de roc et
de gravier, il existait, en 17^)8, un sol gras ei fertile, il entre-
prit de déblayer environ deux acres, au grand étonnement de
ses voisins qui le raillaient de ses peines. Il fit des pierres un
rempart autour de son champ, et à cinq pieds de profondeur
trouva ce qu'il cherchait, une excellente terre végétale. Il l'en-
semença, et obtint d'abondantes récoltes. Mais ce fruit de
tant de labeurs et de persévérance devait encore lui être en-
levé ; le 3 août, sa terre fut balayée comme les autres, mais sa
longanimité lui resta. «Je l'avais prise à L'Awen^ disait-il, en
montrant la rivière, que UAwcnXvL reprenne! •> Et, comme un
de ses voisins s'arrêiait un joui' à sa porte pour lui parler de
cette perle, John Cly coupa coiut aux doléances du bavard,
en répliquant : « Eh bien, si j'ai perdu mon clos, j'ai à la place
un joli pclit étang, où je peux pêcher, sans demander per-
mission à personne. «Il s'était b-lti tme maison sur le roc, à
mi-côte du vallon, et au mois d'août, lorsque l'eau faisait
rage et battait violeumient la porte et les fenêtres, sa sœur,
plus âgée que lui, s'effrayait et proposait de fuir. « De quoi as-
tu peur, femme !«lni cria iiiq)atiemuionl John, »n'avons-nous
pas tous deux pour appui le roc de la natire , el le roc des
siècles! » faisant ainsi une doidjlé allusion à son âge et à l'É-
ternité. N*^ cioii-riit^nn pa- r.'^connaîlre \,\ philo-ophiqui- in-
Gll A N DE-IÎRET AG NE. ô^fj
soiuiance et la RMiiioté ilTune ()iio Walter Sioll -'csl j»!u à
peindre dans le niendianl Ocliillrie de l'Antiquaire? (]e n'esl
pas les seuls traits de nature qui, dans ce livre, rappellent le
talent du grand romancier écossais. A chaque page on recon-
naît ses sites favoris et les mœurs auxquels il nous a initiés:
c'est plaisir de voir la richesse de la mine, et ce qui reste en-
core à exploiter. Ilien de plus dramatique que l'histoire du
pauvreaubergiste Cruickskanks, qui, après une joyeuse jour-
née de chants et de danses, l'ut entraîné par le torrent avec le
radeau sur lerjucl il se trouvait, et, se cramponnant à un arbre,
attendit vainement du secours pendant plus de six heures,
poussant par intervalles des cris de détresse et de longs sifïle-
niens. 11 serait impossible d'analyser tous les passages curieux
et intéressans de ce volume , qui est à la fois une œuvre litté-
raire pleine de mérite, et qui forme les annales les plus variées
du comté le plus pittoresque peut-être de l'Ecosse. Sir Tho-
mas Lauder a mêlé aux récits des désastres récens, les sou-
venirs historiques du pays, les superstitions, les légendes
consacrées, la description des lieux, etc. Enfin, pour complé-
ter son travail, il y a joint deux cartes indiquiint le cours des
rivières qui ont joué le principal rôle dans l'inondation; et
soixante-cinq giavines à Teau forte représentant <les sites de la
province, ses habilans, leursmaisons, desruines, des ponts, etc.
67. — * Family Libî-ary. IS" xiv : Lives of Briihh phjsicians.
— Bibliothèque de famille. N° \l\. Yies des médecins anglais.
Londres, i85o*. Murray. 1 vol. in- 12.
La collection que fait paraître M. Murray, sous le titre général
de Bibliothèque de famille, devient de jour en jour plus po-
pulaire, et justifie pleinement son succès, par le choix des
sujets, les noms des auteurs et la foule de documens curieux ,
de faits ignorés, de remarques neuves, que rassemblent les
volumes déjà pid^liés. Ce dernier donne les vies de dix-huit
praticiens les plus célèbres dans l'art de guérir : écrites d'un
style vif, animé, entremêlées d'anecdotes curieuses, parfois
plaisantes, et disposées de façon à former un historique fidèle
et très-remarquable des progrès de la médecine en Angleterre,
depuis le comnicncement du xvi'' siècle jusqu'à nos jours.
Linacre , fondateur du collège royal des médecins de Lon-
dres, arrive, à juste titre, le premier. Frappé desinconvéniens
qu'il y avait à laisser plus long-iems la médecine aux mains
d'empiriques, et de moines ignorans , il sollicita et obtint de
Henri Mil la permission d'instituer une corporation régulière
de médecins qui pouvait seuls délivrer le privilège d'exer-
cer ;'ï Londres, et dans un circuit de sept miÛo-; aux environs.
396 LIVRES J^TRANGERS.
Après lui, vint Gains, médecin de la Cour sous Edouard VI,
la reine Marie et la reine Elisabeth ; puis Harvey, dont le nom
rappelle de gratids services rendus à l'art, et dont la théorie
sur la circulation du sang peut rivaliser avec celle de Newton
sur la lumière et la gravitation. Il vint au monde à Folkstone,
en 1578. Sa réputation , commencée de bonne heure , lui va-
lut la confiance de Jaques I", et les bonnes grâces de Charles,
qui prenait un vif intérêt à ses recherches anatomiques, et as-
sistait régulièrement à ses expériences. Ce fut à la requête du roi
que Harvey disséqua Thomas Parr, mort en s 655, à l'âge de
cent cin(iuanle-trois ans. Celait un pauvre paysan, qui avait
été tiré de son pays natal, le Shropshire, et amené à la (]our,
comme objet de curiosité, par Thomas, comte d'Arundel. Il
s'était marié pour la première fois, i\ 88 ans; à 102, il avait
fait amende honorable, dans l'église, pour incontinence. A
120 ans, il avait épousé en seconde noces une veuve, avec la-
quelle il vécut en très-bonne intelligence. A i3o, il était en-
core batteur en grange, et faisait d'autres travaux pénibles
pour gagner sa vie. Il se nourrissait de pain noir, fait de son ,
de fromage rance et de petit lait aigre : mais , lors de son
séjour chez le comte d'Arundel, il prit des alimens plus sub-
stantiels, but du vin , et mourut au bout de peu de tems. Har-
vey, attribua sa mort au changement de régime , et à l'insa-
lubrité de l'atmosphère de Londres. «Les poumons étaient
adhérens à la plèvre du côté droit; le cœur était gros; les in-
testins en bon état. Les cartilages des côtes, au lieu d'être
ossifiés, comme il arrive généralement chez les personnes
âgées, étaient souples et flexibles; particularité très-remar-
quable dans un homme qui avait vécu plus d'un siècle et demi.
La cervelle était saine. Il avait perdu la vue vingt ans avant sa
mort, mais il entendait bien. Sa mémoire était mauvaise.»
Le manuscrit original du cours fait par Harvey est , dit-on,
conservé au Musée britanique, ainsi que quelques prépara-
tions curieuses (malgré leur imperfection comparée aux ingé-
nieuses méthodes employées aujourd'hui) qu'il fit lui-même
à Padoue, ou qu'il se procura à cette célèbre école, et qui lui
servirent à démontrer ses nouvelles doctrines. Il était violem-
ment affligé de la goutte; sa manière de se tiaitcr est assez
singulière pour trouver place ici : «Il s'asseyait les jambes
nues, même par la gelée, au grand air, sur les plombs de
Cockaine-lunise (|u'il habita long-tems, ou jjien se mettait les
jambes dans un sceau d'eau, jusqu'à ce qu'il fût presque transi
de froid : il regagnait ensuite son poêle, et l'accès était passé.
Pour combattre les iusonmies auxquels il était fort sujet, il
GRANDE-BRFrAGNE. 397
usait à peu près du même moyen; il se levait et se promenait
en chemise dans sa chambre, jusqu'à ce que le froid le prît;
quand il commençait à frissonner, il regajçnait son lit, et ne
tardait pas à s'endormir. » Nous passons à la hàle, quoique à
regret, la vie du célèbre Sydenham, celle do l'original et bourru
Radclifle ,'qui tenait à honneur de ne pas payer ses dettes. Lu
paveur, après plusieurs longues et vaines tentatives, le sur-
prit un jour comme il descendait de voiture, et réclama avec
instance le prix de ses journées. «Comment, drôle, dit le doc-
teur, tu prétends te faire payer un pareil travail ! tu m'as gâté
mon pavé, et tu l'as recouvert de terre pour cacher ta mau-
vaise besogne.» — «M. le docteur, répliqua l'ouvrier, je ne suis
pas le seul dont la terre cache les sottises. » — « Ah! ah ! «reprit
Radcliffe ; tu fais de Tesprit, en ce cas, tu dois être pauvre;
entre. » Et il le paya. Il perdit sa place de médecin de la Cour
pour avoir répondu au roi Guillaume, qui lui montrait l'enflure
de ses jambes, et lui demandait ce qu'il pensait : <■ Ma foi, je
ne voudrais pas pour les trois royaumes de votre Majesté avoir
ses deux jambes. »
Mead, Huxham, Hunter, Baillie mériteraient chacun une
mention particulière ; mais il ne nous reste d'espace que pour
parler de Jenner, celui de tous qui a le plus puissamment
contribué à la conservation de la vie, et à l'allégement des
souffrances humaines. De toutes les versions qui ont circulé
sur la découverte de la vaccine, voici la plus atithenlique :
.-«Comme Jenner étudiait la médecine chez un professeur, à
Sudbury, une jeune femme de la campagne se présenta pour
le consulter. En l'interrogeant sur ce qu'elle éprouvait, il
nomma la petite vérole : elle l'interrompit, et lui dit :«Je ne
puis pas l'attraper, car j'ai eu celte des vaches (cow-pox). »
C'était une des idées populaires de ce district; mais pour la
première fois elle attira l'attention du jeune médecin, qui ne
tarda pas à s'assurer par lui-même de la vérité du fait. Dans
une note, datée de 1799, il écrit : «Je ne connais aucun au-
teur ancien qui fasse allusion à cette maladie des vaches. Ce-
pendant, voici \me anecdote qui me paraît devoir s'y rappor-
ter. Lorsque Molly Davis (depuis lady Mary Davis) et d'autres
raillaient la duchesse de Cleveland, leiu' compagne, de ce
qu'elle aurait bientôt à déplorer la perte de cette beauté qui
faisait tout son orgueil, et que pouvait détruire d'un moment
à l'autre la petite vérole qui régnait alors à Londres, elle ré-
pondit qu'elle n'avait rien à craindre de semblable, parce qu'elle
avait eu une maladie qui l'empêcherait de jamais altra}ior
la petite vérole. Cette anecdote m'a été communiquée récem-
nieiU par im genlilhoDimc de ce comté, maia il n'a pu se lap-
peler ni me citer son auteur. » Jenner proclama partout sa loi
ilans l'eflicacité tle la vaccine, mai.s il rencontra d'abord de la
froideur et de l'opposition dans le public. Il n'en poursuivit
pas moins sa tâche, animé de l'espoir de délivrer la pauvre
liumanité d'un de ses plus cruels fléaux. C'était là sa seule
ambition. Lorsque son ami, M. Cline, l'un des premiers clu'-
rurgieas de l'Angleterre, l'engagea à venir se fixer à Londres,
lui prédisant qu'il se l'erail bientôt un revenu de dix mille livres
sterling par an , il refusa, préférant à la fortune, le repos et
la médiocrité. «Si j'étais nécessaire à la p.ropagation de la vac-
cine, écrivait-il, j'y sacrifierais mes goûts; mais il est évident
qu'une fois connue et ado})tée la chose fera s^n chemin d'elle-
niêine ; c'est un bon gr?iin semé, qui ne peut manquer de
tructifier, d'autant mieux que cette découverte est de celles
que tout le monde peut appliquer. »
ÎSous bornerons là nos extraits de ce livre, eu le recom-
mandant comme une lecture attachante, instructive, et comme
un excellent modèle pour créer en France un ouvrage du
même genre, qui nous semble manquer, et qui serait, selon
toute apparence, accueilli a^ec empressement. On pourrait
même en agrandir le plan, et y faire figurer ceux des méde-
cins étrangers dont la réputation est devenue européenne.
68. — Anii-Draco : or reasons for a'ooLlsIdng tUe paiùslimenL
cf f/eat/i, etc. — L'Anti-Dracon : ou raisons d'abolir la peine
rapitale pour crime de faux; par m/î ^roraf. Londres, i85o;
['.idgway. În-S" de l\q pages.
Il arrive à certaines époques que des idées long-tems relé-
guées dans le domaine des théories, des questions souvent agi-
tées sans être résolues, prennent tout à coup un corps, et
deviennent des faits de la veille au lendemain. Il nous était
lionne de voir se réaliser aiusi, comme par miracle, nos plus
beaux rêves de gloire et de liberté; d'élever le positif au ni-
veau de notre imagination ; de vouloir noblement, et d'agir
de même. C'est peut-être le plus haut point auquel un peu-
ple puisse atteindre que cet accord entre ses principes et ses
actions. Le plus dillicile est fait, mais le triomphe d'une belle
«anse se lie à une foule d'intérêts sacrés; toutes les pensées
de droiture, de justice, se pressent à l'envi l'une de l'autre,
et réclament une place dans le nouvel ordre de choses qui Ie<
appelle et ne peut exi>ter que par elles. Quand la société se
refond et se purifie, const.rvera-l-elle son droit sanguinaire
tic vie et de mort? Vouera-t-elle à l'infamie un Jionime,
Jiicurtrier lé"al et soldé des deniers de l'Étal '.' assislcra-t-elle
(i;iiAi>j Dii-uivi;TA(;NE. 599
likhcmeiit, derrière dos Ijaïoniicltes, a cos spectacles de
saiiiï? Y enverra-t-elle Icspopnlalions liéroïqncs, qui, au mi-
lied (l'une lutte terrible, animées des pins vives passions,
n'ont pas un moment trahi un instinct de cruauté? Non; de
même que la torture a été al)olic, la peine capitale doit l'être;
elle est hors de notre tems, hors de nos mœurs. Il tiuil la
rejeter dans ce passé dont un abîme nous sépare. C'est un
exemple glorieux à donner à l'Europe; le seul digne de ce qui
a précédé. Ce n'est pas au moment où cette importante dis-
cussion va s'ouvrir à la Chambre, que nous pouvons entrer
dans des raisonnemens, et développer des idées qui sont dans
tous les esprits, et trouveront assez d'interprètes. D'ailleurs,
aujourd'hui, l'abolition delà peine de mort est une réclama-
tion d'inetinct encore plus que de réflexion; et quaml un prin-
cipe est devenu un sentiment, un besoin impérieux de l'âme,
la conviclion est au-dessus de la logique.
La brochure que nous annonçons demande l'abolition de la
peine de mort pour un cas seidement, mais l'auteur n'a pu se
îenir sur le terrain qu'il avait choisi, il lui a fallu, bon gré
mal gré, aborder le Tond de la question, et donner à ses argu-
mtns une base plus large. Du reste, son travail ne pouvait
venir plus à propos.
C9. — Lires of remarkable joatlifi of boili sexes. — Yies des
jeunes gen.i remarcjuables des deux sexes. — Londres, i85o;
Colburn. '>. vol. in-8". Il n'a encore paru qu'un premier vo-
lume.
C'est une grande tâche que celle d'écrire pour la jeunesse,
et bien peu d'auteurs comprennent ce qu'elle a de grave et
d'imposant : bien peu sont dignes de cette haute mission. Il
faut à la fois tant de prudence et de sagesse, tant de pureté,
de respect pour ces cœurs ardens et naïis, poiu' ces âmes neu-
ves aux voies de ce monde, qu'on s'effraie à l'idée de trou-
bler de jeunes consciences, de dissiper la crédulité au bien si
naturelle à cet âge. Le grand art de l'éducation consiste peut-
être à prolonger de généieuses illusions, tout en développant
les facultés ; ne pas croire au mal est déjà im préservatif con-
tre la contagion de l'exemple ; et lorsqu'enfm une vérité cruelle
vous atteint et vous force à une conviclion pénible, il y a en-
core un refuge dans l'observation qu'on ne saurait trop culù-
ver, parce qu'elle fait presque toujoi'.rs découvrir l'excuse à
c»Mé de la î'aute. L'homme vaut souvent mieux que ses actes:
cette vérité devient surluut impoitante quand il s'agit déju-
ger autrui; et loin d'affaiblir notre penchant à 1^ vertu, elle le
seconde en nous iiiontraut que les plus grands ci-inies peuvent
4oo LIVRES ÉTRANGERS.
Être le résultat de la laiblesse, et que notre force morale doit
être exercée à tout prix. Selon nous, il y adanger àanticiper les
années, à faire sortir les enfansdu cercle habituel de leurs idées,
de leurs sensations, à développer trop tôt leur sensibilité, leur
ambition, même en la dirigeant vers un but louable. Ne pres-
sez rien : la nature fait tout admirablement, paice qu'elle fait
tout à point. Quand l'heure sera venue, jme noble action, un
mot allumeront plus d'ardeur dans une jeune âme que toutes
vos précoces leçons. En excitant le feu trop tôt, vous risquez
d'épuiser la flamme. La vie de sir Thomas Lawrence^ en ad-
mettant, comme le conte son biogiaphe, qu'il fit des portraits
au crayon à cinq ans, et des ta])leaux à dix, ne créera jamais
un artiste, mais pourra faire naître dans un enfant des pré-
tentions ritîicules, et entravera son éducation par l'obstacle le
plus insurmontable de tous, une sotie vanité.
Un des graves inconvéniens de ce livre, que nous annon-
çons moins pour le faire connaître que pour mettre en garde
contre lui, est l'esprit d'aristocratie qu'il prône et soutient. Il
offre pour encouragement au génie le patronage des lords,
ducs et pairs d'Angleterre. Avec lui le talent est un brevet de
courtisan. On se croirait aux bons tems féodaux, où de nobles
et puissans seigneurs entretenaient et nourrissaient ménestrels
et poètes, à la charge de chanter leurs exploits. Dieu merci,
de pareils bienfaits ne sont plus de saison, et le nombre de
ceux qui les eussent acceptés diminue de jour en jour. Il y a
un autre genre d'énmlaliou , une autre gloire à proposer poiir
but de nobles efforts.
En général, les auteurs sont restés bien au-dessous de l'in-
telligence de leur épo(jue, bien loin de ce qu'il y avait à faire,
et leur ouvrage a plutôt le caractère d'une compilation , que
d'une production mûrie et consciencieuse.
70. — Personal Mcmoirs: or Réminiscences of MenandMan-
ners. — -Mémoires personnels : ou Réminiscences des hommes
et des mœurs en Angleterre et à l'étranger, pendant le dernier
demi-siècle : fragment du portefeuille de Prvce Lockart Gor-
don. Londres, 1880; Colburn. 2 vol. in-S",
Encore un de ces livres comme il s'en fabrique tant dans la
Grande-Bretagne. Un homme a-t-il griffonné à la hâte quelque?
notes sur ses voyages, sur les jersonnages qu'il a rencontrés
dans les auberges ou les salons, il assemble tant bien que mal
(es fragmens décousus, et les présente an public, lui laissant le
soin de séparer la paille d'avec le grain. Il est cependant pres-
que in)possible qu'on aie vécu cinquante ou soixante ans à la
surfiice de notre globe, san* voir et sans entendre quelque
GRAJN DK-IilJETA(;NE. 40 1
chose d'inléressant, surtout si l'on a mené nue vie et-ianlc et
aventureuse diuis des pays divers, et au milieu de peuples
variés. M. Gordon nous transporte de Londres à >iaj)l{;s, de
Napies à (]ork, puis sur le continent, ne suivant ifaulre gjuide
que son eaprice ; il l'ait défiler devant nous mainte et mainte
figure, parfois célèbre, parfois grotes(|ue, rarement nulle. Ici,
c'est le révérend père O'Leary, qui joua un si grand rôle dans
la première élection d'O'Gounel à Clare. Nous retrouvons
cette vieille connaissance se reposant de ses patriotiques la-
heuis dans tme délicieuse retraite, savourant les parfums des
{leurs de son jardin, les livres de sa bibliollièque, tous don-
nés par des amis, la fraîcheur de son verger, et V'omelettc
soufflée de sa gouvernante. Il y a clans ce tableau d'intérieur
un calme, et pour ainsi dire une suavité d'égoïsme qui font
envie. Plus loin, l'auteur est en tiers avec Nelson et lady Ha-
milton dont il tait un portrait peu flatté. A Gadix, il assiste, chez
l'ambassadeur, ;i un bal où se trouvait Wellington. L'anecdote
vaut la peine d'être contée. «Un peu avant souper, un cour-
rier arriva, apportant le fameux 29" bulletin de la grande
armée française, où Napoléon annonçait l'incendie de Moscou.
La sensation fnt grande, la joie universelle. Wellington partait
le lendemain ; au moment de s'end)arquer, et, comme il était
sur la rive entouré de tout l'état-major, le général Gooke lui
présenta un officier qui, la veille, avait trouvé moyen de
faire de lui une miniature assez ressenddante, qu'il tenait à
honneur de lui offrir. >> elliuglon ouvrit la boête, regarda ra-
pidement le portrait, complimenta l'artiste, et après avoir
échangé quelques mots avec lui, et pris note de ses services :
"Je ne vous oiddierai pas, »ajouta-l-il ; «et, en attendant, «il
lui mit un papier plié dans la main : «Gardez cela en souvenir
de moi : c'est la plus grande curiosité que j'aie jamais eue en
ma possession, oïl remonta à cheval, et gagna le bateau. La
foule entoura le jeune homme ;«G'est une compagnie, criait
l'un; — ■ «non, c'est une commission d'officier d'état-major,
disait un antre. — « Vous figurez-vous, reprit le militaire, que
lord Wellington porte ainsi d-ms sa poche des giades et des
commissions à doimer ? Quoiqu'il en soil, je vais satisfaire votre
curiosité et la mienne.» Et déroulant le papier, il trouva la
dépêche que le général en chef avait reçue la veille; le sq*" bul-
letin de la grande armée! » Élaljli avec sa famille à Bruxelles,
lorsque lord Byron et Walter Scott visitèrent, à de courts
intervalles l'un de l'autre, le fimeste champ de Waterloo,
M. Gordon eut Ihonneur d'être le Cicérone des deux illustres
T. XLVII. AOUT l83o. 26
/loa LIVRES ÉTRANGEIIS.
\ (i\ :i{;cuis ; et le rt-cit de ces excursions mémorable!* n'est pas
la |)aiii(- 1.1 moins inlrressante de son join'nal.
l'iis dans son ensenil)le, l'onvrage n'esl {j^nère qu'un recueil
d'anecdotes et de souvenirs assez confus, où se trouvent çà el là
des Plissages amusans, et des noms auxquels se rattachent tou-
jours un vif intérêt, et qui donnent du piquant aux moindres
détails.
7 1 . — *Paid Clijford. — Paul Clifford, par l'auteur de Pelhnin,
t\vDeveve(i.v, etc. Londres, i83o; Colburn. 5 vol.in-i2.
Les brigands de haut et bas étage, depuis le sentimental
lean Sbogar jusqu'au rusé Cartouche et à l'audacieux Man-
drin, ont (iguré de tant de façons dans les romans el dans les
mélodrames, que la matière semblait épuisée. Pour trouver
du nouveau en ce genre, il fallait faire des excursions en Corse,
(■Il (iré<e, partout où des mœurs à demi sauvages, les lois mal
comprises d'une civilisation toujours repoussée, la fatigue
d'une oppression ennemie, ennoblissaient la lutte et lui prê-
taient un (;aractère chevaleresque. De tout tems la sympathie
générale s'est éveillée pour ces hommes aventureux, ivres de
liberté et d'ambition, cherchant plus encore les dangers et la
guerre que les richesses, ne possédant rien sous le soleil, et
risquant sans cesse leur vie pour des biens qu'ils ne peuvent ni
ne savent garder. Ce libre exercice des passions, ce mépris de
tout frein ont poiu' beaucoup de natures un charme tout puis-
sant, el imposent à la midliUide un respect mêlé de crainte. Les
(irecsde la plaine s(; plaisaient à conter el à grossir les exploits
des Klephles, <(ui, tous les quinze jours, descendaient de leiu's
montagnes pour piller indistinctement le Turc el le Kaïa. Pas
une chaumière (uii n'eût nue grossière image de Kalzanlonis,
(H» de quehpie autre capitaine nonmoins fameux. C'était l'efiVoi
cl la gloire ilu pJivs ; et quoique les petits enfans se pressassent
autour de leurs mères, dès (|u'on prononçait ces noms redou-
tés, ils éc(tulaieut avec ravissement et savaient par cœur les
chansons klephliques. L'âme humaine est ainsi faite : l'objet
de ses terreurs lui inspire souvent un intérêt profond : avide
«le mystère et de poésie, elle se prend à tout ce (|ui lui proniet
de.s sensations vives, des émotions nouvelles. Mais si elle ac-
(U)ntpag'i<; de ses vœux cl de ses espérances l'homme forcé de
( (uiquérir sa part de liberté les armes à la main, quelle sym-
pathie peut elle avoir avec le vulgaire fdou des grandes villes,
avec le voleur de grands chemins, héros du bagne et de liicê-
Ire, eondanuiés à expicir ieiu-s exploits sur l'échafaud? Celte
écume d'une société corrompue n'esl-clle pas trop abje» te
pmir qu'on y puisse arrêter ses regards? Sans doute sa sm-
GIIANDE-BRETAGNE. 4o5
face inspire le dégoût; on se sent d'abord repi ussé par des
dehors ignobles, par le cynisme effronté du vice; mais si,
creiisanl plus avant, on remonte à la source du mal, si l'on
cherche à reconnaître dans cette gangrène morale les fautes
de législation qui l'ont amenée, si enfin l'on y retrouve sous
son aspect le plus hideux, dans sa plus dégoûtante expression,
le système corrupteur qui a long-tems régi les plus hautes
classes de la société, légitimé les plus honteuses turpitudes,
alors de cette étude triste, mais utile, ressortent une foule de
vérités. C'est le point de vue qu'a choisi l'auteur de Pelliam,
celui qu'il affectionne, et d'où il lance ses plus amers sar-
casmes contre l'ordre social, tel que les mauvaises passions
des hommes nous l'ont fait : mais il a su donner à sa satire tout
l'intérêt et tout le mouvement pittoresque nécessaires à un ro-
man. Quiconque n'y cherchera que des aventures amusantes
aura amplement de quoi se satisfaire; et le penseur, le philo-
sophe, qui veulent plus qu'une lecture amusante, n'auront pas
perdu leurtems en parcourant ce livre.
Dans un cabaret des ruelles de Londres, rendez-vous habi-
tuel de la lie de celte capitale, inie femme se meurt, par une
nuit d'ouragan et de pluie, et lègue son fils, garçon de six ou
sept ans, à la maîtresse de la taverne. Cet enfant, qui n'est
autre que Paul Clifford, le héros du drame, cioît en l>eanté
et en intelligence. La société dans laquelle il vit, les principes
«lu'ilentendprofesser, échauffent sa tète, et il se décide à tenter
la fortune. Après une vive querelle avec sa vieille protectrice,
il s'enfuit, fier de n'avoir désormais recours <{u'à lui seul pour
vivre et pour conquérir son indépendance. Là commence une
série d'épreuves où de dupe il devient fripon. Arrêté et con-
damné pour un vol qu'il n'a point fait, il retrouve en prison de
vieilles connaissances, qui l'endoctrinent et achéveiit sa con-
version. Dans le cours de ses aventures de grande route, il ren-
contre une jeune fille qu'il avait déjà entrevue au spectacle. Il
en devient amoureux. Les moyens qu'il prend pour l'obte-
nir en mariage sont d'accord avec sa profession : l'auteur a su
se défendre de faire de son voleur un de ces amans décoinai;és,
repentans, criminels par circonstance, et vertueux par « Iiniv.
dont les romans sont pleins II a été plus vrai. Paul Clilïbid
est un honime énergique, ambitieux, qui, trouvant toutes les
avenues fermées, s'en est frayé de nouvelles : un de ces liaidis
maraudeurs, qui, selon la bizarre image d'un auteiu- auiilais,
« prtMiant le monde pour leur huître, l'ouvre à la pointe de
lépée. » Il légitimtî et justifie la part qu'il s'est faite, et
considère la société comme plus coupable encMc que lui.
4o4 LIVRES ETRANGERS.
Toute sophijlique que soit cctle doctrine . il e«t facile de lui
pitter un air de vérité, et c'est à quoi M. Buhver réussit trop
parfois. A côté de ce caractère dont la vigueur est toute en
dehors, il en est un autre également ardent, mais dont l'éner-
gie s'est usée à une lutte d'hypocrisie ; à force de scélératesse
et de calcul, il s'est fait une haute réputation de talens, et
cumule les emplois et les titres. Ce misérahle intrigant de
salons et d'anlichamhres est certainement plus odieux que le
brigand. Et cependant tous deux valaient mieux que leur des-
tinée. Le but de l'auteur a été, je pense, de montrer au bas
el au haut de l'échelle la corruption qui peut naître des abus.
S'il a quelquefoi-; exagéré, souvent aussi il n'a été que peintre
fidèle. Nous ne dirons pas quel lien réunit ces deux person-
nas:es, et donne à la catastrophe dernière un caractère si
terrible. Il faut laisser au lecteur toute la vivacité de ses im-
pressions. Ce roman ne tardera pas, dit-on. à paraître en fran-
çais. L. Sw. Belloc.
Ouvrages Périodiques.
72. — * Le Représentant des peuples^ hebdomadaire de la po-
litique et de la littérature étrangères, i.ondres, i85o ; A. Hays,
iG5, Régent Street ; RoUer etCahlman, 21, Soho-Square, etc.
I>e prix de l'abonnement est de 12 schellings, payables à la
fin du trimestre; un schelling par numéro de 56 pages in-S".
Ce journal s'empare d'une éminente dignité, et s'impose
les devoirs qui y sont attachés. S'il ne s'élève point jusqu'à la
hauteur de son titre, il ne sera point révoqué, mais délaissé,
ce qui est encore plus fâcheux. Comme nous n'avons pas vu
le prospectus de ce nouvel ouvrage péaiodiqne, dont l'appa-
rition ne remonte qu'au moi< de mars de cette année, nous
ignorons quel sens y est attaché au mot représentant, en sorte
que nous sommes réduits à nous en tenir au sens vulgaire.
Rien de médiocre ne peut être toléré dans le Représentant des
peuples ; il faut qu'une forte raison s'y exprime avec une élo-
fpience soutenue, que tout y soit grand , digne des regards de
toutes les nations. La politique des peuples, c'est celle des
Américains affranchissant le Nouveau-Monde, celle des Grecs
périssant pour conquérir leur indépendance, des Etats-Unis
récompensant Lafayette, des Français chassant un roi parjure :
en présence de ces actes véritablement nationaux, la pensée
ne peut plus s'occuper de petites choses; on risque de l'im-
))urtuner. même en l'entretenant de littératiu-e. 1/organe des
peuples, l'interprète de leurs vœux doit être en même tems
GRAîSDIi-IiRETAGNE. 4o5
leur guide vers le but commun de leurs etïorts. Qu'il recueille
les vues utiles à tous, et par conséquent généreuses; ((u'il in-
dique les institutions qui manquent encore, celles qui doivent
être perrectio<inées ; qu'il combatte les erreurs dont l'in-
fluence est si funeste aux lois, aux mœurs, aux gouvernemens;
qu'il avertisse ceux qui s'égarent, invite ceux qui n'osent en-
core se réunir à la confédération universelle, et qu'il s'attache
à fortifier de plus en plus cette alliance plus sainte que celle
de certains rois contre les peuples : voilà comment il justifiera
son titre, et s'acquittera de la mission dont il s'est chargé.
En faisant abstraction de son titre un peu trop fastueux pour
im journal, on lit avec intérêt le Représeniani des peuples. INous,
Français, noire avis sera peut-être soupçonné de partialité, eu
faveur d'un écrit périodique publié à Londres en notre lan-
gu,e ; on se tromperait sur les motifs de nos éloges, comme
on s'est mépris trop souvent sur le motif de nos critiques ;
(juel que soitl'ouvrage dont nous rendons compte, l'auteur y est
complètement oublié, T7-05 Tyriusve fuat.'^ou^ ne craignons
donc point de dire que ce journal aura l'approbation des An-
glais raisorniables, même lorsqu'il discute les questions rela-
tives à l'Angleterre. Quant ;i celles de la France, on j)eutvoir
par les numéros du mois de juillet que les derniers évènemcns
y sont pressentis, mais que la i.ipidilé de leur accomplisse-
ment et l'importance du résultat n'ont été prévues nulle part,
et ne pouvaient l'être ; ce phénomène politique était en-
core inconnu dans l'histoire, et l'étoiinemcnl qu'il a excité
durera long-tems.
On s'attend bien que la littérature tient peu de place dans
ce journal; dans huit numéros consécutifs que nous avons
parcourus, nous avons vu la politique envahir toutes les pa-
ges; et nous ne l'avons nullement désapprouvé. Les joyeux
passe -tems viendront plus tard; quant à présent, soyons
tout entiers aux choses sérieuses. Si la politique de tous les
pays est aussi-bien conçue et traitée dans ce journal que celle
delà France en particulier, les rédacteurs ont atteint leur but,
et leur entreprise mérite les suffrages et les encouragemens de
tous les amis de l'humanité. Le spectacle qu'ils nielteutsous
les yeux des nations est encore douloureux : en s'arrêtant au
•24 juillet, nous y voyons la France inquiète, mais coura-
geuse, l'Espagne et le Portugal continuant à rétrograder, l'I-
talie n'avançant point dans la carrière des améliorations, le
sort de la Grèce encore indécis, notre armée d'Afrique livrée
aux maladies et à l'incapacilé de son chef, les vertueux exi-
lée des Pays-Bas sans asyle :^ur le continent européen, etc.
4o6 LIVIŒS ETUA.NGEUS.
Le nini.s d'août sera moins triste ; des rayons d'espoir se feront
jonr à travers les sombres nuages dont l'avenir des peuples
est encore enveloppé.
Nous n'avons parlé que du but, de la tendance, de l'esprit
du nouveau journal ; nous lui devons, et surtout nous devons
à nos lecteurs de faire connaître aussi le style de la plupart de
ses articles , afin (|u'il soit apprécié sous tous les aspects. Nous
ne citerons point un article relatif à notre pays; tranquilles
désormais sur notre avenir, c'est des autres nations que nous
devons nous occuper : choisissons un article relatif à l'Italie.
« Le moyen principal du gouvernement de l'Autriche en
Italie, c'est rcspionnage. Timet limerites, rnetus in auctorem re-
dit, a (lit Sénèquc, en parlant du tyran. Cesmots s'appliquent
on ne peut plus justement à nos gouvernons ; partout où il est
possible que quatre personnes se réunissent, on est sûr de
rencontrer un espion. Ils sont sur les places publiques, dans
les promenades, aux théâtres, dans les églises mêmes. Les hô-
tels, les cafés, les cabinets de lecture en sont infestés; l'or-
ganisation et la solde de cette bande dans toutes les villes sont
telles que l'on trouve toujours des hommes pour en faire par-
tie. Les simples agens ont deux livres d'Autriche par jour,
les inspecteurs en ont quatre, les espions nobles en ont dix,
et les agens supérieurs ont à peu près tout ce qu'ils veulent.
j)On avoue ici l'existence de cette police, et on obtient par
cet aveu l'avantage de jeter la défiance dans toutes les rela-
tions sociales , de restreindre les conversations, d'empêcher
toute réunion d'Iionmie. d'inquiéter l'amitié même. Ainsi, l'i-
solement des indi\idus fait la force du gouvernement.
» Les révolutions, comme on l'a ditavec raison, se font dans
les idées avant de passer dans les choses. Le grand soin de
nos gouverneurs et de la police est de saisir les idées à leur
passage, et d'en empêcher la communication. C'est pour cela
que les honmies les plus icmarqiiables par leui^ lumières,
leurs lalens ou letirs vertus sont environnés d'observateurs
chargés de rendre compte des visites faites ou reçues, et même
de simpleshabiludes de famille; d'un autre coté, un ordre po-
sitif, dont l'exécutionestpublique, faitouvrir toutes les lettres.
et elles sont remises dans cet état. C'est ainsi que la crainte
empêche à peu près toute correspondance avec les étrangers,
la personne qui reçoit une lettre étant considérée comme
aussi coupable que celle qui l'écrit. La surveillance de la po-
lice s'étend ])lus spécialement sur les établissomens d'instruc-
tion pulilique, les collèges et les académies, et des rapports
très-circonstanciés rendent iouruellc'nent compte ili:.^ leçons
(.llANDK-lillKTA(;NK — RlSSli:. ',07
(les iiLÙln;-- et de la conduite des clèvos Au imiiiidie mot
d'une interprétation hostile, au moindre signe d'iui sentiment
national, le cours est suspendu, et le piofes-eur deslilné.
C'est ce qui est arrivé à un profe>*seur d'histoire qui, dans sa
chaire, avait cité ce mot connu du papeJules 11 : Funrdel l'ita-
liu i l'avbari^ hors de l'Italie les Barbares «Tout le
reste de l'article n'est pas moins caractéristique, ni moins iii-
slructir. F.
RUSSIE.
^3. — * Séance extraordinaire tenue par l' /icadcinic impériale
des Sciences de Saint-Pélcrshourg , en r honneur de M. le baron
Alexandre i)V.Wm\ho\.ï)T , le i6novem!)re 1829. Saint-Pél» rs-
i)Ourg, 1829; imprimerie de l'Académie des Sciences. I11-4"
de 40 pages.
Les voyages de M. de Humbohit t'ourniront quelques-unes
des pi us belles pages de l'histoire de» sciences. Si l'on compare
les résultats de la reconnaissance qu'il vient de faire au nord
de l'Asie avec ce que Pallas nous avait appris sur les iriêmes
contrées, on sera suijiiis de l'abondance de la nouvelle ré-
colte. Cependant, Pallas a écrit tout ce (pi'il avait vu, et tout
ce qu'il croyait , d'après des témoignages dignes de foi ; sou
voyage dura plusieurs années, et il eut le lem^^ d'observer sous
divers aspects, dans plusieurs saisons, les pays rpi'il traver-
sait. Il est vrai que Pallas était jeune encore, qu'il était lïioins
bien secondé que 31. de Hiunljoldt ne l'a été, et qu'à répo(|ue
on il visita la Sibérie, les sciences n'avaient pas fait \v^ im-
Di«;nses progrés qu'ini demi siècle de travaux mieux dirigés
devait amener. M. de Humboldt donne une idée très-juste de
ces progrès : citons cette partie intéressante du discours qu'il
prononça dans cette séance. - •
« Pendant le long intervalle qui a sépare nies deux voyages,
la face des sciences ])hysiqncs, surtout de la géoguosie, de la
chimie, de la théorie électro-magnétiqne a considérablement
changé. De nouveaux appar«'ils, j'oserai presipie dire, de nou-
veaux organes ont été créés pous mettre l'homme en contact plus
immédiat avec les forces mystérieuses (|ui animent l'œuvre
(le la création, et dont la lutte inégale, le,> pei turbations ap-
parentes sont soumises à des lois éternelles. Si les vovageurs
modernes peuvent somnettre à leurs observations, en peu de
tenis , un plus grand espace de la superficie du globe, c'est à
la précision des sciences mathématiques et physiques, au per-
fectionnement des méthodes, à l'art de grouper les faits et de
4o8 LIVllES ÉTJIÀNGEKS.
s'c) ever à des considérations générales qu'ils doivent les avan-
ta^ es dont ils jouissent. » Le voyageur trace ensuite les devoirs
de ceux qui vont, comme lui, à lu découverte des faits de la
nature, devoirs auxquels ont satisfait, dit-il, ceux qui l'ont
précédé dans la cairiére, et dont l'exftnplc a souvent ranimé
son ardeur dans les momens difficilrs. Tel est , ajoule-t-il avec
modestie, (a source des faibles succès d'un dévoûnient que l'in-
dulgence ir C Acd'lnnie a daigné agrandir jwr ses suffrages.
«Terminant sous d'heureux auspices uu voyage lointain en-
treprisparordre d'un monarque magnanime, puissaniuicntaidé
des lumières de deux ."-avans dont l'Europe apprécie les tra-
vaux, 31M. Ehre>berg et IIose. je pourrais me borner ici à
déposer devant vous l'iiommage de ma vive et respectueuse
reconnaissance; je pourrais solliciter de celui (i) qui, très-
jeune encore, avait osé pénétrer dans ces mystères antiques,
sources mémorables de la civili-alion politique et religieuse de
la Grèce, de me prêter le secours de l'art de bien dire, pour
exprimer plus dignement les seulimens qui m'animent. >lais
je le sais, messieurs, le charme de la parole, dût-il même
être d'accord avec la vivacité du sentiment, ne suffit point
dans cette enceinte. Vous êles chargés, dans ce vaste empire,
de la grande et noble mi.-sion de donner une impulsion géné-
rale à la cidlure des S( icn( es et des lettre*;, d'encourager les tra-
vaux (pii sont en harmonie avec l'étatactueKles coimaissances
humaines, de vivifier et d'agrandir la pensée dans le domaine
des hantes mathémati(|ncs, de la physique du monde, dans
celui de l'histoire des |ienples éclairée par les monumens des
difïérens Hges. A os regards se portent en avant sur la carrière
qui reste à parcourir, et le tiibut de reconnaissance que je
viens vous offrir, le seul digne de votre inslitulion, est l'en-
gagement solennel que je prends de rester fidèle à la culture
des sciences jusqu'au dernier stade d'une carrière déjà avan-
cée, d'explorer sans cesse la natuie, cl de poursuivre une
route tracée par vous et vos illustres devancier.-. »
jSous regrettons de ne pouvoir transcrire en entier l'énu-
méralion des travaux scientifiques exécutés depuis quelques
années dans la Jlussie; mais il ne faut rien omettre de ces nom-
breuses et importantes notices, non plus que de l'inilicalion
des lecheichis idlérieures à faire sur le territoire de la llussie,
dont l'étendue . dit notre voyageur, dépasse celle de la partie
visible de la lune ; loiitcs les parties des sciences physiques ont
[l'j M. OlvaBOf, président tic l'Académie.
KLSSli;. 409
actnellenient besoin du concours des sa vans russes, afln de
compléter et de coordonner les obseivations laites sur les au-
tres parties de la terre. Ce discouis est le proi^ranime i^énéral
des questions à ré-oudre, l'exposition des méthodes à suivre,
la désignation des lieux les plus propres aux observations :
partout où il sera lu , les savans se mettront à l'œuvre, et s'em-
presseront de contribuer à l'édifice dont M. de Humboldt nous
présente le magnifique ensemble. «C'est aux corps scientifi-
ques qui se renouvellent et se rajeunissent sans cesse; c'est aux
Académies, aux L'niversités, aux diverses Sociétés savantes ré-
pandues en Europe, dans les deux Amériques, à l'extrémité
méridionale de l'Afrique, aux grandes Indes et dans celte Aus-
tralasie naguère si sauvage, où déjà s'élève un temple d'Ura-
nie, (|u'il appartient de faire observer régulièrement, mesurer,
surveiller, pour ainsi dire, ce qui est variable dans l'écono-
mie de la nature. L'illustre auteur de la Mécanique céleste a
exprimé souvent verbalement la même pensée au sein de
l'Institut, où j'ai eu le bonbeur de siéger avec lui pendant dix-
huit ans. » iM. de Humboldt a toujours soin de parler des au-
tres savans, et le moins possible de lui-même : la justice et
l'amitié sont deux passions auxquelles il s'abandonne comme
à l'amour des sciences.
Le discours du président de l'Académie est parfaitement
adapté à la circonstance; c'était une séance extraordinaire dont
l'illustre voyageur devait surtout faire les frais, comme il en
était l'occasion. Nous voudrions aussi pouvoir transcrire en
entier les tiois pages où M. le président à montré jusqu'à quel
point il possède Varl de bien dire; mais il faut nous borner à
la péroraison.
«Félicitons-nous, messieurs, du concours favorable des
évènemens qui, à l'époque la plus brillante de notre histoire,
a amené parmi nous l'homme le plus digne d'eu apprécier les
avantages. Qui, mieux que lui, pourrait se lendre compte de
cet accord de la force physique et de la force murale qui consti-
tue les grands États, et seul les consolide? Que les scènes
variées qui se sont oûertes de toutes parts à ses yeux ne s'ef-
facent pas de sa mémoire : qu'il se souvienne lo:ig-tems d'un
pays où son mérite a été apprécié, ses talens reconnus, son
caractère estimé à leur véritable mesure : qu'il dise à ses com-
patriotes, à l'iiurope , qu'il a vu la Russie s'avancant dans la
carrière qu'il a lui-même illustrée.»
Deux Mémoires furent lus à la même séance, l'un par M. Hess,
académicien adjoint, sur la géognosie des contrées situées au
delà du lac Baïkal, l'autre par M. Rcpfeb. membie de l'A-
4io LIVIU'S ÉTilANGERS.
cadi'mie, .'^ur quelques phénomènes magnétiques. Nous aurons
roccasion d'en parler ailleurs. F.
^4 — * Mémoires de L' Académie impériale des sciences de
Saini-Pétershourg (en lutin cten français). Sixième série, com-
mencée en i83o. Premiire section : Sciences tnathcmatiques,
physiques et naturelles. Tome premier : i" litraisoii (il y en aura
sept). Pétersbouig, i85o; imprimerie de l'Académie. In-4"
de 1 15 et IX pages, avec une planche ; prix des sept livraisons,
i8 roubles (environ i8 Irancs.)
■ — li)EM. Deu.riénie section : Sciences politiques, histoire,
philologie. Tome premier : i'" livraison (il y en auras/.r). Saint-
Pétersbourg, i85o; imprimerie de l'Acadéniie. Iii-4" de 88
pages, avec une planche; prix des six livraisons, \'i roubles
(environ la francs).
L'Académie des sciences de l'étersbuurg a publié, tluraut
\c premier siècle de son existence, ^5 volumes de ses Mémof-
res, (|ui ont successivement paru en cinq séries, et sous les ti-
tres suivans : 1. Commcntarii Acadeniia; impcrialis scienliarum
Petropolitanœ, depuis 1726 jusqu'en i747« en i4 vol. in-4'' —
i.N ovi Commentarii , 1747" '77^' ^i vol. — o.Acta, 1776-1783.
12vol. — ^. AotaActa, i785-i8o5, i5 vol. — Et 5, Màiwires,
1805-1826, Il vol. Cette dernière série a été plusieurs fois
annoncée dans la Revue Encyclopédique. A chacune de ces
dillércntcs époques seraltaclie quelque souvenir remarquable,
tels que. en 1726. la Première séance publique en présence de
l'impéiatrice (lalherine 1", époque de Tinauguralion de l'Aca-
démie: en 1747, Ifs lèglemensdounésàcelle Société par Eli-
sabeth, fille de Pierre I"; en 1776, la célébration solennelle
du jubile semi-séculaire; en 1783, la nomination de la prin-
cesse Dachkof, directeur de l'Académie; en i8o5, les non
veaux réglemens donnés par Alexandre ; enfin, en décembre
1826, la célébration de la fête séculaire. Pour tacililer le débit
de ses Mémoires, et en accélérer la publication, l'Académie
vient d'adopter un nouveau mode pour la rédaction de ce re-
cueil, qui commence actuellement sa sixième 5me, divisée en
deux sections, comme l'indique le titre placé en tête de cet ar-
ticle. Les travaux de cette Société seront mis, decetle manière,
à la disposition de tous les savans avec beaucoup plus de ra-
pidité et de régularité qu'ils ne l'ont été jusqu'à ce moment,
ce qui ne peut manquer de tourner au profil des sciences.
Parmi les quatorze Mémoires du plus haut intérêt que con-
tiennent les deux prcmiér(;s sections (pie nous annonçons,
il s'en trouve f<W/ qui ont rapport a la llussic. et cjui, par ce
piotil, fixeront ratteiitiun spéciale des lectems étrangers; ce
RUSSIE. 411
sont, dans la section des sciences mathémaliqiics, les Mé-
moires : Sur les Sels communs du goucerncmctit d' [rkoalzk (en
Sibérie), par M. Hess; Calcul des oppositions de J upiicr et de
Saturne, observées à Pctersbourg en 1818, par Tarrhanof; el
dans celle des sciences politiques, histoire et philologie, les
Recherches de M. Herrmaî«?>, sur le nombre des Suicides et des
Homicides commis en Russie pendant les années 1S19 et 1S20;
article de la plus haute importance ; la iNotice, du même aca-
démicien, sur VÉtat actuel delà Population tatare en Tauride ;
enfin, celle de M. Gr.efe , eu latin, relative à une ancienne
1 nscription grecque, trouvée dans les ruines de l^ ancienne ville de
Sarai, prés de Tzaritzine, sur le Volga. — Un des plus zélés et
des plus savans collaborateurs de la Revue Encyclopédique,
M. Ferry, qui a déjà donné un article étendu sur les derniers
volumes de la cm(7«t(7«c5tT/c de ces Mémoires (voy. Rer, Enc,
février 1829; t. xi.i , p. 545-3(i6) consacrera incessamment à
ceux que nous annonçons ici une analyse détaillée, que ré-
clame l'importance des objets dont l'Académie de Pélersbourg
s'est occupée.
75. — * Mémoires présentés d CÀcadénïie impériale des scien-
ces de Pétersbourg , par divers sava>s, et lus dans ses assem-
blées* Tome premier, i" livraison (il y en aura six pour chaque
volume). Pétersbourg, i85o; imprimerie de l'Académie.
In-4° de 95 pages, avec 2 planches; prix des 6 livr.iisons,
i5 roubles (i5 francs.)
Les i\lémoiresdes5arfln5É/rang<??-5 se publient à part,etsonl
destinés à former un recueil indépendant de celui des acadé-
miciens, et qui paraîtra de la même manière que les pré-
cédens, par livraisons de 10 à i5 feuilles in-4" chacune, el
dont six formeiont un volume. La première livraison, que nous
annonçons, contient 'i.v 31émoires, dont deucc en latin de
MM. ScHULTEs et Degen, cl quatre en français, de MM. De-
GEN, BazA-IKe, Schvlten et Bartels. — La septième livraison
de la section des sciences mathémathiques . physiques et na-
turelles, est destinée à offrir V histoire de l'Académie et les
rapports lus dans les séances et dont la publication aura été
arrêtée; les 9 pages qui se trouvent annexées à la première
livraison de la première section contiennent le Bulletin des
séances de l'Académie depuis le yI- septembre 1829 jus(}u'an 7-^^
février i85o. Nous profitons, pour notre section des Nouvelles,
de ce bullelin qui oflVe beaucoup d'intérêt.
Serge PoLTORATZKV. de Moscou.
/,ia LIVRES ÉTRANGERS.
^6. — Poezye Alcxandra Cliodzki. — Poésies à' Alexandre
(^iiODZKO. Saint-Pélersboiiiir , 1829. In- 12.
Un des anciens étiidians de l'universilé de W ilna , d'abord
proscrit, aujourd'hui libre, M. Alexandre Chodzko s'est livré à
Saint-Pétersbourg à l'élude des langues orientales, et le pre-
mier fruit qu'il en a retiré il l'a consacré à sa patrie, en publiant
le recueil de poésies dont nous parlons. On y trouve peu de
pièces originales, mais en revanche nousy voyons un recueil des
meilleurs chansons traduites du grec moderne, un poème en
deux chants ou ^a.sit'c/as composé, pour la plus grande partie,
d'après les poètes arabes et turcs, et intitulé Derar; eulin des
élégies, des ballade- et des chansons tantôt de l'auteur, tan-
tôt traduites de Fanglais, de l'allemand, du russe et du morla-
que. Le choix de ces sources nouvelles, et jusqu'ici incoiniucs
(lans la littérature polonaise, aurait snfTi pour attirer l'atten-
tion du public, si M. Chodzko n'avait pas encore possédé un
véritable talent poéti<(iie. Mais ce jeune écrivain réunit un goût
exquis et le mérite d'une versification soignée à une instruc-
tion solide et variée. En pa^'ant ici un juste tribut à son talent,
nous ne sommes que les interprètes du public polonais dont
les organes légitimes, les journaux qui se publient à Varsovie,
ont été unanimes pour faire l'éloge de ses productions. Enfin,
la route sur laquelle il marche appartient à lui seul, car
jusqu'à présent, outre les traductions de la Bible, au xvi' siè-
cle, tout ce qu'on connaissait en Pologne de la littérature
orientale ne l'était (pie d'après les versions des autres langues.
M. Kray, imprimeur de Saint-Pétersbourg, mérite aussi des
éloges pour la beauté de toutes les éditions de livres polonais
qu'il publie ; mais malheureusement les lilliographies mons-
trueuses qu'il y ajoute souvent, et surtout celle qu'il a placée
à la tête du recueil de M. Chodzko, ont uii double désavantage :
d'abord, parce qu'elles déparent l'édition, ensuite, parce
{[u'elles déshonorent les artistes de la capitale de la Russie,
où cependant la célèbre Académie des beaux-arts compte un
grand nombre de talens distingués. M. P.
POLOGNE.
7^. — Poeiye Jozefa Massalskiego. — Poésies de Joseph
Massalski. Wilna, 1827-1828. 2 vol. in-12.
Le premier vt)lume de ce recueil contient : 1° les fables;
2° les contes ; 5° les épîtres ; 4° poésies diverses. Dans le se-
cond , il y a des fables et des poésies diverses. Cet auteur se
fait remarquer par mi mérite particulier : c'est la facilité, la
POLOrxL>E. 4,5
légèrelé. lagaité volage, cl par-dessus loul lasimplicilédii style
et du récit. Dans ce genre de poésie, M. iMassalski n'a point de
concurrens parmi les écrivains actuels de la Pologne ; seul , il
rappelle souvent le génie du grand Rrasicki ; en le lisant on
est en même tems ému, charmé et égayé. Mais l'auteu:-
abandonne quelquefois la route qui lui est si naturelle ; il tombe;
dans la tristesse, il veut être grave et rêveur; et alors il nous
semble qu'il jie réussit point. Plusieurs de ses fables et de ses
contes portent l'empreinte de la véritable poésie, et si l'au-
teur se néglige parfois il n'ôte jamais TiHusion à ses lecteurs.
Sans doute le recueil des poésies de 31. Massaiski n'est'qu'un
échantillon de son beau talent, et ceux qui connaissent
l'histoire de sa vie s'étonnent qu'il puisse conserver encore
sa verve dans la position triste et fâcheuse à laquelle il est
réduit. Cité parmi les étudians les plus distingués de l'uni-
versité de "Wilna, M. Massaiski partagea le sort de tous ses
collègues qui se faisaient remarquer parleurs talens. En 1825,
Mickiewicz fut envoyé en Tartarie ; Thomas Zan. en Sibérie;
Jezoïrski, à Moscou ; Alexandre Cliodzko, à Petersbourg; So-
holeitslà, à Arkhangel et plusieurs autres étudians dans diverses
contiées plus ou moins éloignées des frontières de l'ancienne
Pologne. Quant à M. Massaiski, le grand-duc Constantin lui
réserva un sort encore plus triste ; il le condamna à êtie sim-
ple soldat, dans un des régimens moscovites, avec la pension
de trois centimes par jour. Cependant ce jeune homme, au
lieu de faire partie d'une Société patriotique, comme les au-
tres compagnons de son infortune, ne subit le triste sort sous
lequel il gémit actuellement que pour une faute très-légère
et entièrement étrangère à la politique : c'est donc au milieu
de la vie étrange à laquelle il a été condamné, qu'il a com-
posé toutes ses poésies.
78. — Poezye Kazimierza Brodzlnskics;o. — Poésies de Casi-
mir Brodzinsri. Deuxième édition. Varsovie, 1829; 2 vol.
in- 12.
M. Brodzinski, savant professeur de littérature polonaise à
l'université de Varsovie, est placé aujouid'hui au premier
rang parmi les poètes nationaux. La naïveté, la candeur «t la
simplicité sont les qualités qui distinguent surtout son talent;
et l'amour de la patrie domine dans tous les écrits qu'il a pu-
bliés, tantôt en vers, tantôt en prose. Il a d'abord consacré sa
lyre à la gloire des guerriers polonais, et se fit connaitre par
les poèmes intitulés : Le Légionnaire en Italie, le Camp de
Raszyn ( 1809), et par plusieurs autres ouvrages du môme
genre; s'es«ayant ensuite dans la poésie villageoise, il sur-
4i4 LIVRES ÉTRANGERS.
passa tons ses devanciers, snrtont par le poème auquel il
donna le titre de f^icslaw, et qui est, sans contredit, une
des productions les plus remarquables dans ce {jenre. Plus
lard, il voyag:ca dans les États slaves de l'Autriche, y étu-
dia les langues de la Bohème, de la Moravie, de l'Illjric ,
de la Croatie, de l'Esclavonie , etc., et publia en polonais une
traduction, pleine de beautés et de naïveté, des chansons natio-
nales de ces peuples. Cependant M. Brodzinski ne cherche
jamais à fasciner l'esprit de ses lecteurs; sa manière est celle
qui s'adresse au cœur plutôt qu'à l'imagination; elle n'en est
pas pour cela moins pourvue de charuîcs et d'attraits. Aussi,
la nouvelle édition de ses poésies , augmentée de plusieurs
pièces inédites, a obtenu les plus grands éloges, et toutes les
voix se sont accordées pour lui décerner les hommages les
plus flatteurs.
79. — Pociye bihliync Stefana JJ^itwickicgo. — Poésies bi-
bliques, par Ê/iVnng Witwicki. Varsovie, i83o. 1 vol. in-i2.
ho. • — Poczye sieiside. — Poésies champêtres, par le même
auteur. Varsovie, i85o. 1 vol. in- 12.
81. — Edmund. — Edmond, roman, parle même auteur.
Varsovie, 1829. ivol.in-8°.
M. Etienne "NVitwicki débuta, dans la carrière littéraire, par
de^ poésies délacliées, qui furent insérées dans divers journaux
de \arsovie, depuis 1820 jusqu'en 1822. Son talent plut au
public, 01 l'on attendît avoc impatience la publication du re-
cueil complet de ses productions. C'était l'époque où la poé-
sie albiuiande était en grande faveur auprès des Polonais, par
suite de la publication des ouvrages de M. Mickiéwicz. le plus
• listingué des écrivains formés par l'étude de la littérature de
rAlleuiagne ; M. ANitwicki, au lieu de suivre les inspirations
de son propre génie, s'essaya à imiter ces ballades dont le
nom même ne fut jamais connu chez le peuple polonais; il ne
fut pas entièrement heureux dans cette maladroile tentative.
Ka critique releva tous les défauts qui déparaient son recueil,
mais ne négligea point de proclamer le talent bien réel de
l'auteur pour d'autres genres de poésie. Quelques années s'é-
taient ainsi écoulées, et M. Wilvvicki, persuadé enfin de l'im-
possibilité de suivre une vocation (pii n'était point la sienne, se
li\ra à des travaux sérieux dans un genre nouveau, dont il est
le créateur en Pobigne : c'est la poésie bibli(pie. Il y a une
(iiflérence uolabb^ entre ses anciennes b-dlades et le recueil
(|u'il a pid)lié il y a f|ii('lques mois, et tout à l'avanlag-e de ce-
lui-ci. On y remarque deux espèces de poésies : dans les unes
le poète traduit des extraits de l'Ancien Testament, comme
POLOGNE. —ALLEMAGNE. /jiS
par ('\emplo Ruth, Samson, tiré des livres îles .Iiif>:es, Saiil ol
Dariil, (les livres des llois, etc.; dans les autres, il domie une
nom elle lornie aux sujets tirés des livres des Hébreux, et telle
est eutie autre Tohie^ scène lyrique. L'apparition de cet ou-
vrage excita les plus vifs éloges, et l'auteur fut ainsi ample-
ment dédommagé du peu de succès de ses premiers ouvrages.
— Le.> anciens Hébreux sont, il est vrai, aussi étrangeis aux
Polonais que les Allemands actuels ; mais l'esprit religieux qui
règne dans leurs ouvrages est celui sur lequel la Pologne chré-
tienne s'est formée. Aucun pays ne possède d'aussi belles et
d'aussi nombreuses traductions de la Bible auxvi^ siècle que la
Pologne; et c'est évidemment la langue duxvi' siècle qui sert
de modèle aux écrivains actuels de ce pays. Ainsi, M. W'itwicki,
en puisant dans les Bibles de ce siècle et ses sujets et les beau-
tés de la langue, se trouva sur le terrain national qui lui con-
vient le mieux.
A peine cet ouvrage eût-il paru , que l'auteur en publia un
autre, sous le titre de Poésies champêtres. Autant on remarque
de dignité et de majesté religieuses dans le précédent, autant
on est charmé dans celles-ci par des beautés qu'on ne re-
trouve que dans les ouvrages de Brodzinski. Tout ce que
nous avons dit des mérites de ce dernier poète, s'applique
aussi an recueil des poésies champêtres de M. AVilwicki;
mais on peut apercevoir facilement entre ces deux écrivains
une différence réelle : le premier nous retrace le tableau des
mœurs de tous les slaves occidentaux (Polonais, IMoraves,
Bohèmes, Croates, etc.) , et semble s'attacher à faire con-
naître l'esprit général qui les rapproche; taudis que son émule
se renferme dans les bornes de la Pologne , qu'il veut séparer
des autres pays slaves. Ensuite, M. AVilwicki a consacré son
recueil spécialement à ce genre, taudis que M. Brodzinski ne
lui a donné que peu de place dans sou recueil.
Nous ne pouvonsque léliciler M. \s itwicki d'avoirchoisi une
>i belle route, d'avoir cherché la .■^implicite et la naïveté dans
deux genres de poésie populaire, qui, l'un et l'autre, convien-
nent surtout aux mœurs et aux itiées de ses compatriotes. —
Enfin, quant au roman intitulé Edmund^ où l'anfeura voulu
retracer le caractère d'un enthousiaste, il possède tons les
méritée du style et de la diction: mais il nous semble que
le choix du sujet n'a pas été très-heureux. M. P.
ALLEMAGNE.
8'2. — * Gesciiichtlic/u Dorslellam; des îlandels, etc. — Ta-
^iC- LIVilES ÉTRANGERS.
blea\i historique dii coniint'iie, des arts niikaniques et de l'a-
gricnltiiie des princi|>aiix Etats commereans de notre tems ,
Tpnv Giistare de Gilicu : T. T. Jena, i83o; Fr(unnianii. Grand
in-S" de xii-48g pages, plus 9 feuilles de tabicanx.
M. deGuliel). riehe propriétaire dans le royaume de Hano-
vre, doué d'un esprit juste et intelligent, actif et pénétrant,
dont il a développé les dispositions naturelles et les facultés
par de bonnes études, au nioven desquelles il a acquis des
connaissances aussi étendues (|ue profondes dans l'histoire,
les sciences naturelles et physiques, l'agricullure, le comnaerce
et l'industrie, coiitiuuclleuient occupé du désir d'être utile à
son pays, consacre son tems, ses éludes et sa fortune à des
recherches dans l'intérêt des sciences en général, et spéciale-
ment du commerce, de l'industrie et de l'agriculiure. C'est
ainsi qu'au milieu de ses études, attiré de plus en plus vers
ces trois derniers objets, il conçut le projet de poursuivre ,
d'une manière plus particulière encore et plus active, les re-
cherches nécessaires pour en acquérir une connaissance aussi
exacte qu'approfondie, et pour s'instruire à fond de leur état
actuel, particulièrement en Allemagne ; et enfin de communi
quer au public les résultats de ces recherches. Telle est l'ori-
gine de l'ouvrage important dont nous venons annoncer le
premier volume. Cet ouvrage est dans le genre de celui de
31. Alex. MoREAV de Josnès : « l.e commerce au xi\' siècle, etc.,»
publié en 1825. Mais le travail de M. de (iulich pré-
sente un plan beaucoup plus étendu, puisqu'il place le com-
mencement de son tableau dans les teins les plus reculés, et
qu'il endirasse dans ce même plan, outre le commerce, les
arts industriels ou mécaniques et l'agricidture d'une manière
pliis particulière que M. Moieau de Jonnès qui ne les traite
que comme accessoires. Nous nous abstiendrons de tout juge-
ment sur le contenu de ce premier volume ; nous nous con-
tenterons de dire qu'habitant le même pays que l'auteur, nous
avons été témoin du travail et de la peine qu'il s'est donnés
pour recueillir les matériaux nécessaires à la construction de
son grand édifice ; de l'activité et du zèle avec lesquels il a tra-
vaillé à rassembler ces matériaux et à les mettre en œuvre,
fait des voyages de longue haleine dans diverses parties de
l'Allemagne, en Fi ancc, en Angleterre, dansles Pays-li is, etc.;
en un mot qu'il n'a rien épargné pour donner à son ouvrage
toute l'importance, l'exactitude et l'étendue dont son sujet
était siisceplibJe.
Ce premier volume est divisé ainsi qu'il suit: Après l'intro-
duction qui lem pli 142 pages, et donne un aperçu de l'ensemble.
ALLEMAGNE. 4i;
vient rcxposition historique de l'état du commerce, de l'in-
dustrie et de l'agriculture de l'Angleterre, divisée en neuf pé-
riodes. Vient ensuite une exposition semblable pour le Portu-
gal, puis pour l'Espagne. Après cela, suivent les cliapitres
consacrés à la France, aux Pays-Bas, à la Russie, à la Pologne,
à la Suède, à la Norvège et au Danemark. Le tout est accom-
pagné d'un grand nombre de tableaux explicatifs et compa-
ratifs des résultats des recherches historiques déduits dans le
ccurs de l'ouvrage. Nous terminons cette annonce par la
transcription d'un des plus petits de ces tableaux aGn d'en
donner une idée: c'est la seule citation que, par rapport ù
l'espace, nous osions nous permettre. Il est intitulé :
yi perçu de l'importation et de l'exportation de la France,
depuis Tannée i'^ 16 jusqu'à l'aimée iSaS.
Terme
JIOVES A^■^L•EL DAKS LES ANNÉES
Impûhtatiox.
Exportation.
Fiaurs.
Fr.^ncs.
De
1716
à
1720.
92,091,000
12 1,258,000
—
1720
à
1752.
1 i5, 885, 000
148,477,000
—
1-52
à
1755.
120, 402,000
164,596,000
—
1 j55
à
1759.
167,655,000
194,901,000
—
17^9
à
1-48.
182,667,000
248,529,000
—
1748
à
1755.
275,551,000
559,190,000
—
1755
à
1765.
i/jv^-îooo
249,044,000
—
1765
à
1776.
555,076,000
591,675,000
—
1776
à
1785.
545,609,000
557,815,000
—
17S5
à
1785.
567,710,000
495,947^000
—
17S5
à
1787.
600,944,000
525,557,000
En
1792.
(les a
-signais.)
919,455,000
800,979,000
—
1790.
(de même.)
004,859,000
554,951,000
—
1800.
ôi"-, 116,000
271,575,000
—
1801.
419,940,000
5o5,4i5,ooo
—
iSio.
556,000,000
576,000,000
—
l8l2.
257,000,000
585,000,000
—
i8i5.
198,416,000
597,7o4,('00
—
1816.
261,569,000
465,2 2 1,000
—
1817.
359,800,000
594,787,000
—
1818.
556,915,000
449,206,000
—
18.9.
509,223,000
415,479,000
—
1820.
565, 159,000
454,918,000
—
1821.
594,442,000
404,764,000
—
1822.
426,176,000
385,168,000
—
1823.
061,828,000
390,754,000
Ce tableau est accompagné de
faut nous abstenir de traduire.
T, XLVII. AOl'T i83o.
notes explicatives, mais qu'il
Ce volume est terminé par
^,8 LIVRES ÉTKA^GEilS.
deux lislcs des ouvraiic.s dont l'anleur a fait usage; l'une lon-
licnt les ouvrages allèmand-s l'autre les livres français, latins,
anglais etc. ''• »e Lucenay.
85. Topograpliisclic Carte des Rlieimtromrs. — Carie topo -
«rraphique du cours du Rhin de Huiiingue à Laulerbourg.
Fribourg, i85o; Herder. In-folio; prix, 54 Oorins (i-^o fr.
environ).
Nous avons émis notre opinion sur cette belle entreprise
(voy. Rev. Enc. , t. xlii , p. iSg), qui est, comme nous l'a-
vons annoncé, le résultat du travail de la commission des li-
mites, et qui présente sur l'échelle ,„'— tous les détails que
l'on peut désirer, soit dans l'intérêt de la stratégie , soit dans
celui de la géographie, soit même dans celui de l'agriculture.
Depuis rimpression de notre article, M. Herder a complète
sa collection , et ses dernières cartes sont dignes de l'exécu-
lion des premières; jamais la lithographie ne produisit rien
de plus parfait. Combien il serait désirable que nous eussions
pour toutes nos provinces des cartes semblables ; mais les tra-
vaux nécessaires à leur exécution exigent d'immenses dépen-
ses ; la publication elle-même n'aurait pu avoir lieu sans le
secom-s du gouvernement. Les cartes que nous avons à signa-
ler à l'attention de nos lecteurs" sont celles qui portent les
numéros i à g, i3, ^^ et 17. Elles sont accompagnées d'un
superbe titre entouré de médaillons, au pied de ce titre est
un petit monument à côté duquel sont les attributs de la
science, et ov'i l'on voit, sur le frontispice, les nonis deMM. de
Berckhebn et Gailleviinot, des colonels Tulla et Epailfy, des
capitaines Sclieffel et Immelin, qui tous ont concouru à ce
beau travail ; les premiers, en fixant les limites des deux Etats ;
.'t les deux derniers, en traçant ces cartes. Les douze médail-
lons représentent Archimède et La Condamine, Kepler
et Tycho-Brahé, Copernic et M. Tulla, Galilée et M. de la
Lande, enfin ilcischell et Monge. Le tout est surmonté d'une
vue de Strasbourg, prise de la rive droite du Rhin, et dominé
par les armes de Bade. Il y a , en général , beaucoup de goût
et d'élégance dans la disposition de ce titre. Il est suivi d'un
second qui présente le sommaire des 19 cartes dont se coni-
pose l'atlas. Les détails qui suivent le cours du fleuve s'é-
tendent toujours à une demi-lieue; on y trouve jusciu'aux
croix de mission; mais, dans les fortifications d'il uningue ,
on ne voit rien qui annonce qu'elles sont détruites; on a
même signalé la redoute Abatlucci. Au reste, toujours même
exactitude à inarcpicr les maisons isolées, les rues des com-
ALLEiMAGxNK. 419
munes, et jusqu'aux écluses des canaux. Jerenjarque avec plai-
sir, qu'auprès de Kembs, la Cambes des Romains, on n'a pas
oublié les vestiges de l'ancienne voie, et je regrette qu'on n'ait
pas indiqué l'embianchenient qui partait de ce lieu et tra-
versait la forêt appelée la Hart, se dirigeant sur Mandeure.
On n'a point omis toutefois les vestiges de la rive droite qui
communiquaient à ce passage, et pour lesqu'îls nous ren-
voyons au savant ouvrage de M. Leiclit/cn, intitulé : La
Souabe sous les Romains. Nous avons remarqué sur le nu-
méro 5 jusqu'à la forme octogone du temple d'Otlmarsheim.
Pli. DE Golbéry.
84- — * Dilder fur die J agend, etc. — Tableaux pour la Jeu-
nesse, rédigés et publiés par Ernest de Houwald. T. i"'.
Leipzig, 1829; Goescheii. ln-8" de m-252 pag. avec 1 5 gra-
vures ; prix, 8 fr.
M. de Houwald, dont le nom est si avantageusement connu
dan-i le monde littéraire comme poète tragique, présente ici
à la jeunesse des matériaux pour son instruction et son amu-
sement, après avoir, il y a (|uelqiies années, comme un délas-
sement d'ouvrages plus sérieux, déjà travaillé pour Penfance.
^ oici comment cet aimable auteur raconte, dans sa préface,
l'origine de l'ouvrage dont nousannoncons le premiervolume.
Le feu libraire Goeschen, à qui la littérature allemande doit
d'importans services rendus, possédait un grand nombre de
planches de cuivre gravées par les meilleurs artistes de l'Alle-
magne, et il lui en avait laissé choisir quelques-unes pour en-
richir son livre destiné à l'enfance, publié en 1819. -^l'HS
l'intention du propriétaire de ces planches étant que les autres
fussent aussi publiées pour l'usage de la jeunesse, chacune
d'elles, accompagnée d'une description convenable, ayant
pour but d'instruire en amusant, M. ile Houwald lui promit de
se charger de la rédaction du texte de ces tableaux; et c'est
ainsi qu'il a composé lui-même, ou choisi et arrangé, les treize
descriptions contenues dans ce premier volume.
Autant qu'on peut en juger par ce premier volume, cet ou-
vrage doit avoir une influence avantageuse sur la jeunesse à
laquelle il est destiné, tant sous le rapport moral que sous celui
de l'esthétique et du goût ; et, nous n'en doutons pas, il attein-
dra son but. Les gravures que contient ce voIuibc sont dues
au burin de graveurs recoramandables, les Fleischniann, A.
JV. Boelim., Jcs. Siœber el C. A. Schmerti^ebiirt ; et plu>ieurs
ont été faites d'après les dessins de Ramberg. Il nous suITira^
pour appeler l'atte.iticn sur cet intéressant petit ouvrage, dont
420 LIVRES ÉTRANGERS.
nous attendons avec empressement le second volume, de citer
quelques-uns des sujets traités dans ces gravures : ce sont
Picrre-le-Grand et Charles \II. avec la biographie de chacun
de ces deux gramls hommes ; la Villa d'Horace ; celle de Mé-
cènes; le Vignoble du porte Kœrner, près de Dresde; une
Vue de Blaser ilz cl du pavillon de Gœthe , prise du vignoble
de Kocrncr, et autres, toutes suivies de descriptions char-
mantes. J. DE LrCE>AY.
85. — II illenisclic AHerthamskiinde. — Connaissance de
l'Antiquité grecque sous le rapport du gouvernement, par
IVilhelm "SV icnsMXJTH, prolesseur à ^Lniver^ité de Leipzig.
T. II. Halle, j8'i(). Li-8".
Ce second voliune est consacré à l'économie politique, à
la législation et à l'organisation militaire. L'auteur a toujours le
mérite de resserrer beaucoup de choses en peu de mots : aussi
ne se jette-t-il pas dans les divagations auxquelles auraient
pu l'entraîner facilement les nombreux écrits déjà publiés sur
ce sujet. Athènes l'occupe principalement, et c'est sur Athènes
aussi que les anciens nous ont laissé le plus de détails; on ne
pouvait donc manquer, en se reportant aux sources, en fran-
chissant, pour ainsi dire, ce monceau de dissertations moder-
nes, de faire jaillir de l'antiquité quelques étincelles qui
n'avaient point encore briilé aux yeux du monde savant, et
peu de personnes étaient aussi capables que "SI. AVachsmuth
d'obtenir ce succès. Il examine quelles furent, dans les tems
héroïques, avant la guerre des Perses, après cette époque, les
institutions judiciaires, militaires et financières de la Grèce.
Il y a une belle et profonde introduction sur l'organisation
des cités grecques, sur leurs divers magistrats, sur les pliyles,
les .phratries, les génos, les dômes. Le commerce intérieur et
les finances occupent la première section; tout ce qui se rap-
porte à ces objets y est traité : poids, mesures, roules de com-
merce, marchandises, relations d'Etat à Etat, passent successi-
vement sous les yeux du lecteur. La section du droit a rapport
aussi à la police administrative : elle ne se borne point à de
simples qut'sti)nsde jurisprudence ou de procédure, elle entre
dans les détails de la législation pénah;. Lacédémonc, à cet
égard, nous a légué beaucoup moins de souvenirs qu'Athènes;
de là la nécessité pour M. A\ achsnuilh, de se renfermer dans
un cadre beaucoup plus étroit. Enfin, la section militaire ex-
pose avec la clarté la plus salisfaisanle ce qui a rapport à
l'armure, à la solde, au biUin,aux signaux, aux manœuvres, etc.
Dans un prochain vobune, l'auteur s'occupera de la police, des
mœurs, du culte, des arts et des sciences Quatre appendices
ALLEMAGNE. — SUISSE. 4:11
ajoulcnl au n»érile de ce volume. Le pieiiiier renferme l'énu-
mération des dèmes de l'Attique, les noms des d émoi es , et
l'indicatiou de la tribu à laquelle appartenait chaque dême; le
second a pour objet les écrivains publics; le troisième a rap-
port au supplice, usité dans les tems les plus anciens, celui qui
consistait à lapider les coupables ou à les murer; enfin, le
quatrième donne par ordre alphabétique les noms des écri-
vains politiques de rantitjuilé grecque. P. de Golbéry.
SUISSE.
86. — * Islorla délia Suizzera, etc. — Histoire de la Suisse,
écrite pour le peuple suisse, par Henri Zschokke; première
traduction italienne faite sur la seconde édition de l'original
allemand. T. i". Lugano, 1829; Ruggia et compagnie. Tn-13
de xxiv-2i5 pages.
Nous n'avons rien à dire de l'Histoire de la Suisse pai
M. Zschokke ; elle est connue même en France. Des critiques
français l'ont appréciée avec justice, parce qu'ils en ont saisi le
véritable point de vue ; ce n'est point un livre pour les salons
ni-pour les gens de lettres, c'est un cours de patriotisme
donné à la masse des citoyens dans l'école des faits. Nous ne
parlerons donc que du travail du traducteur italien, M. Sie-
fano Fra>scini, qui avait déjà bien mérité de la patrie par sa
Statisiicfi délia S ulzzera , et que nous avons aujourd'hui laper-
mission de proclamer comme l'auteur de la brochure délia lU-
fontia délia ConstituzioncTicuiese, levier puissant mis en jeu pour
la régénération du Tessin. {\oj. ci-dessus, p. 104.) Son style lim-
pide, élégant, noble, énergique, brille d'un nouvel éclat dans sa
traduction, sans cesser d'êlre populaire. Il ne s'est pas fait l'es-
clave de son auteur, mais l'homme de ses lecteurs. Ne les per-
dant jamais de vue, il a laissé de côté quelques idées de l'histo-
rien original, il en a développé quelques autres; il a évité, autant
que la clarté le permettait, la répétition fréquente de ces noms
propres germaniques dont les oreilles italiennes s'effarou-
chent; enfin, il a supprimé quelques traits qui tombaient sur
le catholicisme, tout en rendant hommage à l'impartialité de
M. Zschokke dans l'histoire de la Réformation. Tel est le sys-
tème suivi dans cette trcnluction, dont nous espérqns que la
fin ne se fera pas trop attendre. L'Histoire de la Suisse est
aujourd'hui pour les Tessinois une étude de circonstance et
de première nécessité. C. Monnard.
87. — * Histoire de la Nation suisse, par H. ZscnoKKE ; tra-
duite de rallemand par Cli. Monîvard. ISourelle édition, rewe
423 LIVRES ÉTftAINGliRS.
parle traducteur. Arau, i85o; Sauerlseuder. lu- 12 de 479 p.
La première édition de cette traduction, tirée à un très-
grand nombre d'exemplaires , était épuisée. Des demandes
réitérées de cet ouvrage, devenu populaire dans les cantons où
l'on parle francaig, ont engagé l'éditeur à en faire une nouvelle
édition à bas prix, et dont l'exécution typographique est néan-
moins soignée. Le traducteur a profité de l'occasion pour
perfectionner son travail sous le rapport du fond et delà forme.
Nous avons comparé les deux éditions de la traduction; la
seconde est réellement une édition corrigée, et même avec
soin. Cependant il reste au lecteur à corriger quelques fautes
typographiques, entre autres, dans les chiffres. **.
ITALIE.
88. — Carte de l' Afrique septentrionale, d'après les dernières
découvertes ; par Jérôme Segxto. Florence, i83o.
Nousautres Français, nous devons remercier M. Segato du
choix qu'il a fait de notre langue pour la rédaction de cette
carte ; mais toutes les nations applaudiront au résultat du tra-
vail diflicile qu'il s'est imposé , et à l'habileté dont il a fait
preuve, en coordonnant les matériaux incomplets, pour la plu-
part, que les voyages en Afrique lui ont fournis. Il a repré-
senté tout le golfe arabique, ou mer Rouge, presque toute
l'Arabie, l'Egypte et l'Abyssinie, tout le bassin du Nil, le Dar-
four, le Soudan, et à l'ouest, Timbouctou est sur les limites
de sa carte qui s'étend, en latitude, depuis 4* ^0' jusqu'à 34%
et, en longitude, depuis 3° vers l'ouest, jusqu'à 47 ? i l'^st du
méridien de Paris. Aux soins et aux succès du géographe, il
faut joindre la netteté du burin qui l'a parfaitement secondé.
Celte carte suffirait seule pour donner une haute opinion du
perfectionnement auquel sont parvenus à Florence les arts
qui contribuent essentiellement an progrès des sciences.
M. Segato a eu soin de tracer sur sa carte les itinéraires des
voyageurs qui ont parcoTirn l'Afrique depuis une trentaine
d'années, et auxquels on est redevable des découvertes les
plus récentes. La route de chaque voyageur est distinguée par
une ponctuation particulière. Cette carte sera donc très-utile
aux lecteurs des voyages en Afrique; c'est un tableau synop-
tique de ces difficiles et périlleuses entreprises qui ont déjà
tant fait pour la géographie ; mais, pour achever la reconnais-
sance de cette partie dn monde, il faudra peut-être encore
pins de tcms, de travaux et de pertes douloureuses que n'en
a conté l'acquisition des ctmnaissances dont cette carte pré-
sente l'ensemble. F.
ITALIE. ,25
8(). — Saggi" ili Letterc sullci Suiizfra. -— Essai de lellres
ôiiila Suisse : Le canton des Grisons. Milan, i S29 ; A. F. Stella
et lils. în-12 de 202 p.
go.- — LaSuizzeraconsiclerofa.clv. — La Suisse cunsidéire dans
ses beautés pittoresque; , son histoire , ses lois et ses mœurs :
Lettres de Tullio Dandolo.T. i-iv. aussi sous le titre de Voyage
dans la Suisse occidentale. Milan, 1829 et i85o. 4 vol. iu-12.
Etranger à la Suisse par sa naissance, mais Suisse par le
cœur, M. le comte Tullio Dandolo consacre à l'étudier, à la
l'aire aimer une partie du loisir que lui donne une position
indépendante. Tout n'est pas original dans ses livres, mais à
peu près tout est neuf pour l'Italie, plus insouciante de con-
naître la petite république qui l'avoisine , que ne le sont l'An-
gleterre, la France , l'Allemagne et même quelques pays plus
septentrionaux. En effet, comme l'auteur le rappelle , hors la
statistique de Franscim, il n'y avait pas un livre sur la Suisse
écrit par un italien ; encore M. Franscini est-il Suisse. Cette
lacune sigulièreil a voulu la remplir, et ses ouvrages nous pa-
raissent éminemment propres à communiquer à ses concitoyens
la passion de la Suisse, dont son tlme est possédée; sa passion,
c'est le mot propre ; mais elle est du nombre de celles qui
éclairent et n'égarent pas. Il ne veut dire que le vrai , mais
le vrai intéressant. Observe-t-il par lui-même, il voit bien;
consulle-t-il , ce sont généralement les meilleures autorités;
en cite-t-il de douteuses , il les met au prises avec les criti-
ques : c'est ainsi que l'enthousiasme se marie avec la bonne
loi.
Ces éloges ne sont point infirmés par quelques légères er-
reurs de détail, par quelques omissions là où l'auteur a sur-
tout consulté des livres un peu anciens. Des lacunes , dont
nous ne citerons que quelques exemples, nous ont principale-
ment frappés dans les deux chapitres consacrés aux hommes
qui ont illustré le nomVaudois, ou Lausanne et son Académie,
et à ceux de nos compatriotes qui ont vécu de nos jours.
Parmi les premiers on eût désiré voir les deux frères Alla-
MAXD, dont l'un, professeur à La Haye . a fourni à Buffon des
articles entiers, et l'autre a réfuté avec esprit, dansrVAnti-
Bernier les erreurs irréligieuses de Voltaire; B. Phil. Vicat,
professeur de droit vi Lausanne, à qui l'on doit, outre plu-
sieurs autres écrits, un Vocahulariam Juris utriusquc, houoié
en Italie d'une contrefaçon; Ptdl. Rod. Vicat, médecin, au-
teur de divers ouvrages de médecine et d'histoire naturelle,
entre autres de la Bibliothèque médico-physique du Nord et
424 LIVRES ÉTRANGERS.
d'un Wémoire curieux i^ur la P'ique polonaise; Alex. Ces.
CuAVANNEs, professeur de théologie, conuu par deux pro-
ductions fort distinguées, un Essai sur l'Education intellec-
tuelle et une Anthropologie abrogée. Son antropologie déve-
loppée, manuscrit en i5 vol. in-S", est une mine de savoir et
de vues profondes. M. Chavannes savait presque toutes les
langues de l'Europe , et c'était, chez lui , non une érudition
morte , niais un trésor à l'usage de son esprit philosophique.
Au nombre des contemporains, le nom du général Reykier
aurait dû rappeler à M. Dandolo celui de son frère Louis Rey-
KiER, attaché comme savant à l'expédition d'Egypte, intendant-
général des posles du royaume de Naples et plus tard du can-
ton de Vaud, numismate érudit, et auteur d'une série de vo-
lumes sur l'cconouiie publique et rurale des peuples anciens.
A côté de M. Philippe Bridel, dont le Conseixateur suisse a
fourni à l'auteur de précieux matériaux, viennent se ranger ses
deux frères défunts, Louis Bridel, professeur u Lausanne, et
Saui. £//5.f/e Bridel, également connu comme poète et comme
botaniste (i). — Les personnes qui ont étudié le pays regret-
teront peut-être de ne pas trouver, dans les monographies
cantonales de M. Dandolo, la description de quelques sites ori-
ginaux et caractéristiques, bonne fortune pour un auteur,
parce que les voyageurs écrivains ne les ont pas exploités. On
pourrait désirer çà et là quelques renseignemens plus déve-
loppés, par cxem.ple, dans le volimie des Grisons, lorsqu'il est
question des routes du Splugen et du Bernardin; il était fa-
cile d'en trouver d'exacts et d'intéressans dans le texte dont
M. le docteur Ebel a accompagné le Voyage pittoresque dans le
canton des Grisons, par J. J. Meyer (Zurich, 1827. 1 vol.
in-4" oblong).
Mais, en général, le choix et la distribution des matières
ainsi que le bon goùl qui a présidé à la composition font des
ouvrages de M. Dasdolo une lecture agréable et instructive;
la nature, les mœurs, les institutions , les bases politiques,
les parties saillantes de l'histoire, les traditions conservées
dans la mémoire du peuple, en un.mot, la partie esthétique
et morale dos cantons des Grisons, du \ allais, de Vaud et
de (ienève voilà l'objet pour lequel l'auteur demande à ses
lecteurs une sympathie qu'il est habile à faire naître. Ses
(i) Nous avuns donne luu; nulice iiio^iaphiquc Cl Inbliogiapliique sm
ces trois IVèrcs dans la liçvuc Encyclopédique.
ITALIE. 4a 5
couleurs ne sont pas moins variées que les sujets, et il change
de ton avec la gracieuse facilité d'un vrai talent d'observation
et de peinture; parfois il s'élève jusqu'à l'éloquence. Ses Tues
philosophiques, sans être toujonrs profondes, appartiennent
toujours à une âme noble et chrétienne, et répandent sur ses
tableaux et ses réflexions une certaine grâce murale. C'est avec
un esprit né pour la philosophie de la politique qu'il étudie,
résume et juge les constitutions des cantons et leurs rapports
avec les mœurs et les progrés à faire.
Les livres de 31. Da>dolo sont un service rendu à la Suisse
qu'ils font aimer et à l'Italie qu'ils instruisent. >'ous souhaitons
qu'il entreprenne un travail semblable sur les autres cantons,
mais surtout qu'il prenne envers lui-même l'engagement
de tout voir par ses propres yeux : les pays et les peuples de-
mandent à être étudiés sur place. C. 3io>>ARD.
gi . — *3L Vitrtixli PoUioiùs Arcliitectura, etc. — Architecture
de Vitruve, dont le texte a été revu sur les manuscrits, et à
laquelle on a joint les Exercices de Jean Poleki , les dernières
notes de ce savant, et, pour la première fois, différens com-
mentaires recueillis par Simon Stra.tico. T. iv : i" partie.
Udine, 1829; les frères Mattiuzi, éditeurs. Grand in-4° de 3o
feuilles de texte, et jg planches gravées sur cuivre ; prix ,
34 lires. Les exemplaires sur papier vélin coûtent le double.
(Voy. ci-dessus, t. xxxix, septembre 1828; pag. 65o. )
Cette magnifique édition de Vitruve n'attend plus que la
seconde partie du quatrième volume, qui comprendra les deux
derniers livres de ce célèbre traité d'architecture. La première
partie du même volume renferme le neuvième et le dixième
livres, dans lesquels l'architecte romain expose des connais-
sances dont les artistes d'aujourd'hui ne se piquent point;
l'arpentage leur semble au-dessous de leur dignité, et ils lais-
sent la gnomonique aux astronomes. Ces deux applications
des sciences mathématiques sont la matière du neuvième li-
vre. Dans le suivant, ce sont les machines que l'auteur décrit,
et, au lieu de se borner à celles que les arts de la construc-
tion emploient, il parcourt les arsenaux de son tems, ensei-
gne à faire des balistes, des catapultes, des tortues; les arts de
la paix sont aussi l'objet de ses soins, et les divers moteurs
hydrauliques connus des anciens trouvent place dans le même
livre. Lorsque cette remarquable édition sera terminée, ce
qui ne tardera point, nous continuerons l'analyse que nous en
avons commencée, (^'est une dette que nous avons contrac-
tée envers les éditeurs et nos lecteurs, et que nous nous en^-
presserons d'acquitter. Y.
^■zG LIVRES ÉTRANGERS.
Ouvrages périodiques.
(ja. — * Foglio commerciale italiano ; — i'Eclfclico ; — Hi-
hliografia italiana. — Feuille commerciale d'Italie ; — l'Eclec-
tique; — Bibliographie italienne, ouvrage pério(li(|ue. Parme.
i85n. — Ce titre est celui d'un journal hebdomadaire, publié au
cabinet de lecture de cette ville. Les deux premières pages sont
consacrées aux aimonces de la Feuille commerciale ; la troi-
sième contient un choix de Notices relatives aux sciences et
aux lettres ; c'est VÉclectique; la quatrième est le Journal de la
librairie italienne.
lue publication qui embrasse des objets aussi divers que
ceux de cette /ew/Z/e n'a pas besoin d'être quotidienne;, c'est
bien assez qu'elle paraisse une fois par semaine. D'ailleurs,
dans un pays aussi paisible que le duché de Parme, le besoin
d'informations journalières ne peut être senti que d'un très-
petit nombre. Lnseul cabinet de lecture peut suffire aussi dans
une ville de quarante mille habitans, oTi le goût delà lecture
n'est pas encore très-commun. A mesure que le nombre des lec-
teurs augmentera , ce qui arrivera nécessairement par les pro-
grès des sociétés humaines, un seul lieu de réunion ne pourra
plus les contenir ; mais il importera, dans tous les tems, que
l'un de ces établissemcns soit très- vaste, que ses abonnés
soient en très-grand nombre, afin que l'on puisse y réunir les
productions les plus intéressantes de la presse périodique, et
mettre à contribution toute la république des lettres. Ces ren-
dez-vous de lectem-s ne doivent pas être considérés seule-
ment par rapport à la propagation des connaissance^: ils ont
encore d'autres avantages, non moins dignesd'attention. Pre-
mièrement, on ne peut douter que l'homme qui consacre son
loisir à des lectures iaslruclivcs ne fasse un bon usage de son
tems : et de toutes les lectures qui ne sont point une étude ,
qui, loin de causer aucune fatigue, sont au contraire un dé-
lassement, am;une n'est plus instructive que celle des jour-
naux bien faits : elle fait connaître les hommes et les choses
de notre tems; elle nous fait suivre la marche de notre siècle,
elle nous fait participer le plus tôt possible aux améliorations
amenées par le tems, et fait souvent prévenir les maux que
ces perfectionnemens peu vent entraîner ; car ce sont des inno-
vations <|ue l'on n'iibliout point sansquelque.sefforts, et même
sans quehpie douleur. Ceux qui refusent de se livrer à ce
mouvetrient général, et prétendent rester immobiles comme
un roc au milieu (l'im (leuve rapide, éprouvent malgré eux
l'action du courant ; ils décroissent et s'aflaiblisscntà leur insu^
ITALIE. — PAYS-IiAS. 427
tnndis que l'impétuosité de l'onde qui les luijie \a toujours
en augmentant, et finit par les entraîner. Telle est la véritable,
la seule cause des révolutions dont notre âge est témoin, y
compris celle qui vient d'être opérée en France. Le seul
moyen d'é\iter ces violentes catastrophes est de se laisser en-
traîner paisiblement, d'acepter ce que le tems et le progrès
des connaissances nous apportent; et cette sage résignation
ne viendra point , si l'on détourne ses regards du grand spec-
tacle de la marche des sciences, des arts, des opinions, des
peuples; si l'on redoute le contact des êtres divers qui se
meuvent dans cette foule, souvent avec peu d'ordre. Qu'on
lise les journaux, qu'on en lise beaucoup, plutôt dans un ca-
binet de lecture que chez soi. Dans une réunion de lecteurs,
on apprend à connaître les difterentes classes qui les compo-
sent, à les juger plus favorablement; on s'en rapproche, à
mesure qu'on les estime davantage, et ces résultats heureux
sont bien plus assurés à mesure que les réunions sont plus
nombreuses. Ces observations sur les salles de lecture nous"
ont entraînés loin de la Feuille coynmerciale , rédigée par
M. Pastobi. Nous ne pouvons juger que de la seconde partie,
l'Eclectique : ciA\e-Q\, d'après les numéros que nous avons
sous les yeux, est faite avec beaucoup de soin et d'impartialité
dans les jugemens; les auteurs et les lecteurs ont lieu d'en
être également satisfaits. Quant aux annonces commerciales
ou bibliographiques, on ne peut douter qu'elles ne soient
exactes : mais, pour les dernières, nous devons ajouter qu'el-
les seront d'autant plus nombreuses, que les produits des
presses italiennes seront d'autant plus conij)1élement annon-
cés au monde littéraire, à mesure que le cabinet de lecture
sera mieux fourni de journaux, et que, par conséquent, il
sera plus fréquenté, et comptera plus d'abonnés. L'entreprise
de >1. Pastori, honorable et utile pour son pays, mérite d'ê-
tre encouragée par ses compatriotes et par les étrangers amis
des lettres qui voyagent en Italie. N.
PAYS-BAS.
Ç)3. — De Zeebad inrigtine; te Scheveningerin, etc. — Les
bains de mer à Scheveningue, et la saison des bains de 1828,
par J. F. d'Atjmerie, docteur en médecine, attaché à l'établis-
sement des bains. La Haye, 1829. In-8' de 1 18 pages.
Ce n'est que depuis peu d'années que les bains de mer ont
acquis quelque vogue en Hollande , et ce n'est que depuis
i828qu'existe à Scheveningue, près de la Haye, cet établisse-
ment magnifique, qui, à la vérité, peut être nommé européen^
428 LIVRES ÉTRANGERS.
et qui rivalise avec les élablissemens de cette sorte les mieux
organisés, s'il ne les surpasse.
L'ouvrage quenous annonçons contient cesquatre chapitres :
une description de l'établissement, un aperçu des avantages
qu'il oflVe, et une relation de l'analyse chimique de l'eau de
merde Scheveningue pour en déterminer les vertus médicales,
des observations sur la saison des bains de 1828, etc., le ré-
cit de quelques guéiisons remarqualjles quiy ont eu lieu; en-
fin, une invitation à plusieurs genres de malades pour venir
essayer la guérison de leurs maux aux bords de l'Océan, à
Scheveningue. On peut attester la véracité des récits que cet
ouvrage contient, et le grand nombre d'étrangers qui sont ve-
nus visiter les bains de Scheveningue, en 1829, offre les plus
heureux auguies pour la prospérité de l'établissement. X. X.
Outrages périodiques.
g/j.. — * Journal (T Agriculture, d'Econoinie rurale et des Ma-
nufactures. Deuxième série : t. XI, Bruxelles, 1800; au bureau,
rue des Sablons, n" 28; Paris, Raynal, rue Pavée-Saint-André,
n" 10. Un vol. in-8° chaquemois; prix, 18 fr. par an.
tlne colonie de laboureurs belges est passée par Paris, au
commencement de juillet, avec un convoi de chevaux et un
chargement d'iuslrumens aratoires d'origine flamande. M. Van-
Castell, savant agronome et propriétaire dans le Berry, pro-
cure à cette province une importation, dont les siècles der-
niers ont fourni des exemples assez nombreux. La Belgique a
devancé les autres nations modernes dans l'agriculture , comme
elle a la gloiie d'avoir exploité dans le nord de l'Europe des
genres de labrication et le commerce qui firent, au moyen^
âge, la splendeur de Venise et de Florence. Les Anglais eux-
mêmes avouent qu'ils sont redevables de leur horticulture à
des jardiniers flamands; ce furent des tisserands belges et
normands qui, au xiv^ siècle, portèrent la fabrication de la
toile dans la Grande-Bretagne. Vers i 55o, un courrier fut en-
voyé de Londres à Calais, afin de s'y procurer un flacon d'huile
pour les salades de S. /!/., suivant le manuscrit des dépenses par-
ticulières de Henri VIIL J'ai déjà dit (voy. Rev. Enc, t. xxxvi,
p. ^72), qu'il y a moins de 40 ans, la culture du colza s'est
répandue de la Flandre dans le Calvados et d'autres départe-
mens, dont elle est devenue une des principales richesses. (Ce-
pendant, im très-petit noud)re d'agronomes français propagent
les espèces supérieures de la pomme de terre de la Bolgiqiie ,
s'occupent d'améliorer nos espèces bovines et chevalines par
celles de la Hollande et de la Frise; et lorsque, dans les Vayi-
PAYS-BAS. 429
Bas, on travaille à acclimater la vigne et le mûrier, nous ne
savons pas profiter de leurs excellons procédés pour la cul-
ture du lin, si florissante jadis, tant négligée aujourd'hui dans
la jNorniaudie, la Bretagne et l'Ile de France. Malgré les gran-
des améliorations apportées à notre agriculture, que de pré-
jugés elle suit encore, que de méthodes défectueuses elle ne
cesse de pratiquer! Le département de la Seine compte un
grand nombre de savans agronomes: et néanmoins, dès les
barrières de Paris, vous ne voyez que champs infestés d'herbes
parasites qui épuisent pour un quart et plus la vigueur de la
terre; partout une perte énorme d'engrais, par l'emploi vi-
cieux qu'en font des laboureurs, laborieux, mais si routiniers,
qu'ils ne veulent pas profiter des exemples de nos voisins,
môme quant à la disposition des gerbes et au tassement des
meules.
Le sol de la France ne le cède aucunement à celui de la
Belgique, qui naguère encore était française; et la totalité de
nos riches pâturages dépasse de beaucoup le territoire de la
Hollande, qui produit, année commune, 26,000,000 livres
de beurre, et 5o, 000, 000 livres de fromage. Les cultivateurs
belges lisent aussi peu que les nôtres, et ils sont plus supersti-
tieux; mais ils se transmettent d'excellentes traditions, qui
m'ont paru se réduire à ces préceptes : Un labour profond et
égal, des façons répétées pour rendre la terre meuble et nette;
emploi d'engrais liquides et partant très-actifs; semence pu-
rifiée et de choix; sarclage dès les premières herbes. Ajoutez
des instrumens aratoires perfectionnés, la division des pro-
priétés; car, malgré les déclamations de nos utopistes aristo-
crates contre le morcellement des terres, les fermes les plus
considérables de la Belgique ne se composent que de 3o à
55 bonniers (hectares). Dans un Etal où les meilleures mé-
thodes sont populaires, l'agronomie doit recevoir sans cesse
des améliorations, être véritablement une science. Ce sont ces
perlectionnemens. les essais heureux et les observations pra-
tiques que recueille, depuis quinze années, le J oarnald' Agri-
culture des Pays-Bas. Il continue, dans les cahiers du premier
semestre de i83o, cet enseignement si précieux pour la pros-
périté de nos cultures, et qui leur manque trop générale-
ment. Des fermes expérimentales, établies dans chacun de nos
départemens, y amélioreraient sans doute l'agriculture ; mais
ils se procureraient bien plus promptement de meilleurs pro-
cédés et des réformes, si les riches propriétaires attiraient dans
leurs exploitations quelques laboureurs belges, et si ces agro-
nomes consultaient davantage le Journal d'Economie rurale,
dont la réputation est européenne. Isidore Le Bri-5,
45o LIVRES ÉTRANGERS. — LIVRES FRANÇAIS.
()5. — * Correspondance matliématlque et physique^ publiée
par A. QuÉtelet, dirocteur de l'observatoire de Bruxelles,
membre de l'inslilut des Pays-Bas, etc. Bruxelles, i85o. In-8°,
avec des planches. Un ^ olume chaque année, par livraisons
d'environ trois feuilles. Prix de l'abonnement, ;: florins dans
les Pa3'S-Bas, 9 florius à l'étranger.
Comme nos lectenrs ont en plus d'une fois l'occasion de
prendre connaissance des travaux de M. Ouételet, nous nous
bornerons, par rapport à cette correspondance, à publier une
bonne nouvelle pour ses abonnés. L'auteur a parcouru l'Al-
lemagne; il voyage maintenant en Italie, et outre l'ample
provision de matériaux qu'il aura faite dans ces deux fer-
tiles provinces de la république des lettres, il aura fait l'ac-
quisition de nouveaux correpondans qui enrichiront de plus
en plus son intéressant recueil. On sait qu'il ne se borne point
aux mathéuiitiques et aux sciences physiques, qu'il y réu-
nit la statistique, et surtout les parties de cette science mo-
derne qui tiennent de plus près à la morale, et supposent
vme profonde étude de l'homme considéré en lui-même et
dans l'état de société. Ou trouvera, dans le volume de celte
année, le relevé fies crimes et dclits commis dans les provinces (ta
Brubanl mrridiona/, des deux Flandres, du Hainaut et d'Anvers,
pendant l'année 1 829, continuation des travaux analogues que
l'auteur a déjà publiés dans ses Reclierclies statistiques sur le
royaume des Pays-Bas. Nous ne pouvons nous dispenser de
citer au moins la fin de ce nouveau relevé ^ dont il faudrait
peut-être transcrire tous les tableaux.
" Nous rappellerons encore l'attention sur la presque iden-
tité des nombres de l'année 1829 avec ceux des années pré-
cédentes : nous persistons à croire que cet examen est digue
d'occuper les méditations des philosophes et des hommes d'E-
tat. Nous l'avons dit ailleurs, on s'occujie de discuter sur les
deniers que paie une nation aux caisses de l'Etat, et l'on sem-
ble à peine apercevoir le déplorable impôt qu'elle paie, avec
une régulai ité effrayante, aux prisons, aux fers, à l'échafaud.
Voilà SU) tout les budgets qu'il faudrait s'efforcerde réduire. »
LIVRES FRANÇAIS.
Sciences physiques et naturelles.
96. — Etat général des végétaux originaires , ou Moyen
pour juger, même de son cabinet, de la salubrité de l'atmos-
phère , de la fertilité du sol et de la propriété des habilans
SCIENCES PHYSIQUES. 43i
iluns toutes les localités de l'univers ; par iM. le docteur Layy,
membre de la Faculté de médecine de Turin, médecin ordi-
naire de la maison du roi de .'"ardaigne. Paris, i85o; J. B.
Baillière, libraire de l'Académie nationale de médecine. In-8"
de 4o2 pages ; prix, 7 fr. 5o c.
Les lecteurs trouveront sans doute quelque ctrangetc duns
le titre de cet ouvrage, et seront curieux de connaitre Tau-
leur; qu'ils lisent, à la page 67, l'article de la flore d'Aosfe
(patrie de 31. le docteur Lavy) qui est suivi d'une notice bio-
graphique et de quelques détails sur les ouvrages que M.. le
docteur a publiés avant celui-ci : ces ouvrages sont 1° une
Phillograp/iie picmontaisc ; 1° une Méthode très- facile pour déve-
lopper les secrets de la nature dans le corps humain, par l'explora-
tiondupouls ; ù" P rcsai^cs tirés du pouls, d' après l' école phygmique ;
/j" un drame intitulé : Epanchement du cœur humain, etc. Ce
drame, imprimé à Paris en 1827, « est, dit M. Lavy, l'histoire
d'une demoiselle de grande distinction, dont il avait cultivé
l'esprit lorsqu'elle sortait à peine de l'enfance, à laiiuelle il
donna les mêmes soins jusqu'à ce qu'elle atteignît l'âge de
raison, et qu'il perdit de vue pendant dix ans. » Cet opuscule
a pour but d'avertir (ju'il n'est pas toujours à propos le dire la
vérité et de donner des leçons aux maîtres de maison. 0 Le
rôle de deux statues allégoriques a donné beaucoup d'intérêt
à cette pièce. »
Comment l'auteur peut-il atteindre le but de son ouvrage,
donner le moyen de juger, de son cabinet, de l'air, du sol et des
habitans d'une contrée? Nous ne pouvons mieux répondre à
celte question qu'en Iranscrivanl, en grande partie, l'instruction
qu'il donne sous le titre de Procédé pour la pratique de cet ou-
vrage. Les lecteurs doivent être prévenus que c'est un étranger
qui exprime ses idées dans une langue qu'il n'a pas cultivée
'omme homme de lettres.
« Les animaux et les végétaux vivent ensemble dans
leurs propres et naturelles localités, en qualité de fidèles et in-
-éparables compatriotes, el cela en raison des qualités de
l'atmosphère et du sol qui leur est homogène. Cela posé, on
peut dire que, connaissant les plantes originaires de telle ou
telle autre localité, on viendrait facilement à connaître aussi
les localités du sol et de l'atmosphère de cette même localité,
ainsi que le caractère de ses habitans. Pour ceteffet, j'ai disposé
les plantes en différentes flores, selon leur lieu natal, où elles
croissent indifféremment, où elles aiment un sol particulier; et
c'est là le motif pour lequel ce lieu est déterminé dans quel-
ques-unes. Quant au caractère national des habitans , j'ai
^j2 UVRRS FRANÇAIS.
transporté à cliaque localité l'opinion même qu'on pourrait
lire dans l'Enoyclopédie.
» Pour avoir ces connaissances relativement ù un pays quel-
conque, il est nu moyen bien simple : qu'on se procure une
poignée du foin des biens-fonds qu'on doit acheter, ou de la
campagne qu'on doit choisir pour un séjour salutaire, ou le
domicile tle l'individu à examiner; on consultera ensuite une
personne de l'art, c'est-à-dire un botaniste, afin d'avoir le
nom de ces plantes originaires. Cela obtenu , on examinera,
dans lesdilïérentcs dores, où se trouve leur pluralité ; ainsi l'on
déterminera si elle appartient à l'Afrique plutôt qu'à l'Amé-
rique, à l'Europe phuôt qu'à l'Asie, etc., etc. Lorsque la plu-
ralité sera plus grande, par exemple, en Amérique, on en fera
de même pour les différentes contrées de ces mêmes parties
du globe, afin de parvenir à juger ses qualités de la plus petite
localité , et conséquemment de la propriété de ses habitans
dont il est à remarquer, dans de petites contrées, l'esprit
bourgeois, le langage patois, le traitement avec plus ou moins
d'excès, auxquels, par la bonne tranquillité, on doit se con-
former, et même tolérer en vue de l'impossibilité de les con-
traindre. »
On voit que M. le docteur Lavy n'est pas toujours intelli-
gible pour des Français , et qu'il eût mieux fait d'écrire en
italien. Quant au fond de sa doclrinft, on s'abstiendra de la
juger avant de l'avoir comprise. Qu'il s'attende à rencontrer
beaucoup d'incrédules, car il va très-vite dans ses jugemens, et
ses nombreuses erreurs en géographie inspireront inévitable-
mentquehiue méfiance. Une récapitalatio7i,'p\acce à la dernière
page et disposée en tableau s3'noptique, énonce, avec un ex-
trême laconisme, des jugemens sur vingt-cinq contrées, sans
que l'on voie quelles relations sont établies entre les habitans
et les plantes de ees lieux. Quelques-uns de ces jugemens
achèvent de désappointer les lecteurs : les îles Caraïbes sont
distinguées par le sang- froid de leias habitans^ la Corse par la
richesse de ses produits, l'Egypte par ses habitans d sciences sa-
vantes, la Hollande par quelques auteurs de poésie, etc. F.
97. — * Principes de Physiologie comparée, ou Histoire des
Phénomènes de ta vie dans tous les êtres qui en sont doués, depuis
les plantes jusqu'aux animaux les plus complexes ; par Isidore
Bourdon, de l'Académie de médecine. Paris, i83o; Gabon,
.1. li. Baillière. In-S" de Goo pages: prix, 7 fr. 5o c.
En même tcms que l'histoire naturelle s'enrichissait par la
découverte des productions de toutes les parties du globe, l'ana-
tomie comparée des animaux et des diverses classes de végétaux
SCIENCES PHYSIQUES. 455
agrandissait ses vues par l'examen de laut de nouvelles espè-
<Ts , sons de nouveaux rapports. Après l'étude des Ibrnies et
des modifications des organismes, il devint nécessaire d'en re-
chercher les ronctions suivant leurs degrés de complication. Il
est évident que la seule connaissance de physiologie humaine,
telle que les anciens et les modernes nous l'ont transmise, est
aujourd'hui imparl'aite , insuffisante, jusque dans le grand
monument élevé par Ha lier, comme nous l'avons exposé dans
notre ti'aité de la Puissance vitale.
Une nouvelle carrière a été ouverte par les leçons d'anatomie
comparée de 31. Cuvier, et par d'utiles travaux entrepris simul-
tanément, soit en Angleterre , soit en Allemagne, parmi les-
quels il est juste de citer ceux de J. Fréd. Meckel, Tiedemann,
Bliimenbach, Ilndolphi, etc., comme ceux de .MM. Blainville,
GeoCfroy-Saiiit-IIilaire , Duméril , Serres, Flourens, Des-
moulins, etc., en France. On doit rappeler aussi les noms an-
glais d'Éverard Home, de Robert Knox, etc., et des célèbres
botanistes de diverses contrées qui rivalisent noblement avec
ceux dont noire patrie se glorifie.
Tant de richesses méritaient d'être coordonnées ; cependant,
l'œuvre ne parait pas aisée. On n'est nullement d'accord sur
les principes; car, au milieu de tous ces matériaux épars, les
lois générales, les rapports philoso}dii(|ues sont souvent ce
qu'il y a de plus diilicile à élajjlir. Il Tant enjbrasscr de haut
l'ensemble des faits; il faut porter la lumière dans le chaos :
œuvre du génie (jui doit suppléer à ce qui manque, et: décou-
vrir l'erreur. Il faut enfin s'élever aux vraies sources de l'or-
ganisation, aux causes primordiales de la vie, autant qu'il est
possible de le faire.
On ne peut raisonna!)lement es()érer, dans l'état actuel des
sciences physiologiques, cette œuvre parfaite, irréprochable;
mais on doit applaudir aux efforts de quico^ique tente une aussi
noble entreprise ; elle exige une puissante étendue de savoir et
de capacité intellectuelle pour enchaîner les faits dans un
système régulier. Car les vrais principes de la science nous
semblent loin d'être encore dévoilés.
M. Isid. Bourdon a su rassembler, et souvent avec bonlieur,
les élémens connus de toutes les notions physiologiipics, pui-
sées dans la zoologie et la botanique. Dans les (piatre livres
qui composent son premier volume , l'auteur traite d'abord
de la vie chez les corps organisés et des lois si. i vaut lesquelles
elle se nianifeslc. La génération ou production des animaux
et des végétaux fait le sujet du second livre. On lit, dans le
troisième, l'histoire de l'accroissement des corps vi van-. ; c«
T. XLVIl. iOTJT i85o. aS
:^:)^ LIVRES FRANÇAIS.
qui comi>rfiul l'état de l'œuf, la vie fetalc, les liéveloppe-
niens des organes, leur niétaaiorphose, le? monstruosités ou
anomalies, l'hermaphrodisme (qui serait mieux plaeé , selon
nous, dans l'histoire de la génération). Enfin, le quatrième
livre renferme l'histoire de la nutrition et des ulimens, de
leur digestion, de l'absorption, des effets de l'abstinen-
ce , etc., etc.
L'autetn-, dans un volume suivant, devra compléter toute
la série des fonctions de l'organisme dont l'histoire reste à
traiter. On ne peut que désirer vivement cette suite, impor-
tante d'ailleurs, pour apprécier l'ensendjle de ce grand travail.
ÎSous ne croyons donc pas qu'il soit juste d'asseoir un juge-
ment décisif sur un ouvrage encore inachevé qui présente,
au milieu de quelques imperfections, de très-utiles dévelop-
pcmens.
M. Isid. Bourdon a beaucoup desprit, et quelquefois trop;
il joint, à une facilité merveilleuse d'expres.-ion , des aperçus
lins, délicats, qui décèlent une grande habileté et im profond
savoir. Il cite, in iilobo, au commencement des chapitres, ses
auteurs, sans indication; puis, il travaille à «on aise sur
leurs recherches; il en retrace un élégant et clair résumé, tou-
jours avec grâce et talent; rarement il va plus loin. Il a le dé-
faut de rejeter parfois, comme douteuses, des choses très-
cerlaines, comme l'existence des animalcules iufusoires. Nous
pourrions joindre ici notre témoignage à celui de tant d'ob-
servateurs sévères qui les ont observés. Nous devrions blâmer
quelques détails peu nécessaires et des digressions; mais il
serait injuste de ne pas reconnaître une foule de choses im-
portantes, utile^;, bien exposées et signalées à l'allention avec
une rare lucidité.
Ce travail, sans faire beaucoup avancer la science, en ex-
pose fort bien l'état actuel; il est très-approprié à des élèves
en médecine auxquels il importe de se familiariser avec les
connaissances d'histoire naturelle, d'autant plus qu'elles les
mettront en garde contre cette foule de théories étroites, ex-
clusives, dont l'ancienne physiologie est encore infectée, même
dans les traités les plus récens de nos écoles. C'est ici le trioni-
plic et la manifeste utilité du nouvel ouvrage de M. Bourdon ,
et ce qui lui assure la reconnaissance de tous les amis de la
science. Cependant, nous devons signaler aussi des défauts
qu'il eût été facile d'écarter; à quoi bon réfuter aujourd'hui
les erreurs sur la prétendue fécondation de certains poissons
qui avalent la liqueur que jclle le mille, et sur celle des pcr-
firix, au inovf'ii de Tair, ou siiu< le veut dw mâle, selon les
SCIENCES PIIVSIQIES. 435
anciens ? La physiologie végélalc nous semble aussi beaucoup
moins exactement développée rpie celle des animaux:, dans le
livre de M. Isid. Bourdon; au sujet des métamorphoses des
insectes, l'auteur n'a pas retracé l'état actuel de nos connais-
sances qui fait considérer ces prétendues transformations,
comme un vrai accouchement successif par le dépouillement
des membranes foetales qui forment les larves, les nymphes,
avant que l'animal apparaisse parfait.
Nous ne pousserons pas plus loin la critique de détail qu'il
est toujours si facile de multiplier, quand on veut chicaner
les meilleiu-es productions. Nous engagerons M. Isid. Bourdon
à faire un choix sévère des faits les plus élevés de la science,
en s'attachant moins à quelques individualités. L'enchaîne-
ment méthodique des diverses parties de la science aurait peut-
être gagné à un plan autrement combiné.
En résumé, cet ouvrage se classe honorablement dans les
sciences physiologiques; c'est un essai hardi et heureux,
comme pierre d'attente d'une œuvre plus haute; car on n'at-
teint que par échelon le faîte des vérités. On doit donc applau-
dir aux efforts tentés par un bon esprit occupé à défricher
celte roule ascendonte , pour faire entrer dans le domaine
public tant de découvertes précieuses qui restaient enfouies sous
les laborieuses et pénibles recherches des expérimentateurs.
J. J. ViREY, D. M.
98. — *Traii(; clnnentaire dc7n(diére médicale, Y>i\r 3. B. G. Bar-
bier, médecin en chef de l'Hùtel-Dieu d'Amiens, professeur
de pathologie et de clinique internes, etc. , membre de plu-
sieurs Sociétés savantes françaises et étrangères. Troisième
édition. Paris, i83o; Méquignon -Marvis , rue du Jardinet,
n° i3. 5 volumesin-8°de65oà ^oopageschacun ; prix, 26 fr.
M. le professeur Barbier vient de donner au public une
troisième édition de son Traité de matière médicale : six années
s'étaient à peine écoulées depuis la seconde. La réputation de
l'auteur et le mérite bien connu de l'ouvrage, qui est entre les
mains de tous les médecins, nous dispensent d'en faire l'éloge.
M. Barbier n'a pas changé sa classiflcation ; celle qu'il a adop-
tée était en effet la meilleure que l'on pût suivre dans l'état
actuel de la science. Ainsi, on retrouve encore dans une divi-
sion spéciale un certain nombre de médicamens'qui, d'après
son opinion , ne pouvaient entrer convenablement dans au-
cune des classes précédentes. L'iode et ses préparations sont
rangées dans cette division ; c'est un des articles agrandis et
entièrement neufs que l'on distingue dans cette édition nou-
velle. Si M. Barbier n'a point parlé du chlore comme médica-
430 LIVRES HIANÇAIS.
ment, bien qu'on l'ait diverses l'ois préconisé dans ces der-
nières années, nous sommes loin de lui en fcure un reproche,
nous l'en louons au contraire, en répétant à cette occa^ion ce
(ju'il a dit au sujet de l'iode : «La phtisie n'a pas encore son
remède. »>ous pensons que, dans les essais que l'on lait de
cette substanc<^ contre cette maladie, il vaudrait mieux l'ad-
miaislrer en pilides ou en iriction? à l'aide de ses composés,
que de l'employer en vapeur : quelle que soit la peilection
avec laquelle seront construits les divers appareils dont on
puisse faire usage pour l'aspirer, on n'évitera jamais de ren-
contrer, dans la poitrine même, de l'air alm(v-;pliérique, avec
lequel le chlore se combinera de manière à former le gaz le
plus irritant (pie l'on puisse insinuer dans les bronches.
M. Barbier a, cette fois, placé la laitue parmi les touiqiies;
ou s'étonnera de trouver dans cette classe de remèdes la iliri-
dace, à laquelle on a fait la réputation d'un hypnotique (qui
provoque le sommeil) ; mais nous ne doutons pas que l'expé-
rience <les praticiens ne vienne bientôt à l'appui de l'opinion
de M. Barbier. Il conteste à la iaitue et à ses extraits la vertu
calmante. ÎSous avons lieu de penser que cette façon de voir
est extiêmement juste : nous avons plusieurs fois employé la
thridace à la dose de dix grains par jour, et, bien que nous eu
eussions continué l'usage pendant des semaines entières, ja-
mais elle n'a produit de soulagement aux douleurs, -amais
elle n'a fait naître la plus légère propension au sommeil.
L'une des classes de médicameus dont ^L le professeur
Barbier ait le plus avancé l'étude est celle des narcoli(pies.
On trouvera, aux articles opium, (ligitnle, Jiisqiiiame , bella-
done^ etc. , fies considérations neuves et étendues sous le rap-
port des effets de ces renu'des sur nos divers systènies d'or-
ganes Ces perfectionnemens nous [)araissent liés aux progrès
tout récens (]ue la science doit à plusieurs savaus médecins, et
à M. liarbier lui-mênie dans l'étude des affections encéphali-
ques et nerveuses. Lue des parties les plus neuves et les plus
intéressantes de la nouvelle édition !;st celle qui se rapporte
aux affections des nerfs ganglionnaires.
M. liarbier a | eu de confiance dans la méthode eudermique:
il la trouve aussi incertaine que l'application des remèdes sur
l'épiderme. Il y distingue avec raison deux sortes d'effets,
ceux qiu" dépendent de rimprcssion du remède ^-ur le derme,
et ceux qui dépeiuh ut de l'absorption de ses molécules : il a
trouvé que l'une et l'autre étaient très-variables. Pour nous,
en reconnaissant avec lui (pie celle manière d'employer les
remèdes est tr('!S -infidèle, nous croyons devoir ajouter qu'elle
SCIENCES PHYSIQUES. 457
a parfois des clVcts tiès-proinplset tri's-énorg;ique;> : nous avons
vu (les ni\iisées cl de l'assotipisseineiU suivre (le liès-piès l'ap-
plication eiulermifi^ue de ropiuni.
Il n'est pas de nié'dicanient non \ eau sulTisamment accré-
diti;, ni d'application nouvelle des anciens remildes dont
iM. Barbier n'ait tenu compte; et souvent il les a soumis à
l'essai de sa sévère et consciencieuse expt;rienc(^ Ceux f]ui
compareront comme nous, page à page, l'é'dilion actiudle
avec les précédentes, se convaincront aisément du soin que
l'auteur a pris de celle-ci, et jugeront bienl("»t qu'elle a dû lui
coûter un long tiavail : il n'est pas jusqu'à l'expression qu'il
n'ait maintes ibis modifiée.
Déjà on remarquait, dans la seconde édition de ce Traité,
des traces de la nouvelle doctrine médicale que professe l'au-
teur; mais on ne peut parler de l'édition actuelle, sans s'arrê-
ter à cette doctrine dont elle est toute imprégnée. En faisant ,
à la fin de chaque classe de médicamens , l'applicnlion géné-
rale de la médication qu'ils produisent, M. Barbier les consi-
dère agissant sur nos divers .systèmes d'oiganes, suivant l'es-
pèce de lésion dont ils sont aflécles, et fait voir ce qu'ils
peuvent procurer de bien ou de mal, selon que nos tissus sont
atteints d'(!ligotrophie , d'hypcitrophie, de malaxie, de sclé-
riasie, etc. Le premier volume de l'ouvrage que nous annon-
çons contient un résumé succinct de cette doctrine, que l'au-
teur, dans son amour sincère de la vérité et dans son zèle
ardent pour le bonheur des hommes, se félicite de professer
et de suivre. Si la médecine des lésions n'a pas encore été ac-
cueillie avec toute la faveur qu'elle mérite, c'est, suivant nous,
parce que l'ouvrage dans lequel IM. Barbier doit l'exposer
{^Précis de ISosologie et de Thérapeutique^ n'est pas publié tout
entier. On a besoin de développemcns ultérieurs pom- eii sai-
sir l'ensemble et en juger les rapports : nous devons espérer
que iM. Barbier ne laissera pas le public dans une longue at-
tente. Sa doctrine n'est point de théorie, mais de piatique :
c'est dans ce sens qu'il faut juger des divisions qu'il a étal)lies.
Ce ne seia probablement pas le dernier mot tie la science;
mais c'en est du moins un progrès remarquable. E\-P. R.
99. — * Manuel d^Education i)/i\si(jue ,' gyniiui.<ill([ue et mo-
rale, par le colonel Amoros, chevaliei- de la Légion-d'Hon-_
neur, directeur du Gymnase noimal, militaire et civil, etc.,
Paris, i85o; Rorel. 3 vol. in- 18 de fioo pages chacun, avec
un atlas renfermant u'i grand nombre de planches pour les
machine-, inslrnnicns cf figures gymnastiqucs ; prix, 10 fr.
5() c.
/|58 LIVRES Fl\.iNÇAIS.
Le colonel Amoros est, en France, l'Iionime f|iii a le miens
compris les avantages et les ressoinces de la gynmasliciue; et
il aura la gloire d'avoir fait revivre, et, pour ainsi dire, récréé
nn art, dont on ne peut calculer l'hcmeuse induence sur l'a-
venir des peuples. Rendre les hommes meilleurs et plus forts,
Toilà son but, et il l'atteint par les moyens les plus simples,
les plus faciles, qui, loin de s'opposer an développement de
l'intelligence, le favorisent. Il suffit de visiter le bel établisse-
ment du Gymnase normal , militaire et civil, pour compren-
dre et apprécier l'excellence de la méthode de ce célèbre pro-
fessenr. Dans notre système d'instrnction publique , on ne
s'aperçoit pas, qu'en ne s'occupant que des progrés intellec-
tuels, on néglige à peu près complètement les facultés mo-
rales, et que la perfection des autres fonctions organiques est
comptée pour rien. Vi\ pareil système a de graves défauts , il
n'atteint pas le lésnllal (|u"il se propose, ne cultive pas les
qualités qui seules peuvent faire le bonheur des hommes, et
ne produit (ju'une foule d'êtres chétifs et délicats à prédomi-
nanc e nerveuse, qui sont déjà usés, à la fin de leurs éludes, ou
ne portent dans le monde (pi'une imagination inquiète et ca-
pricieuse, rim}>uissance des conceptions fortes et de la persé-
vérance nécessaire pour les accomplir. Beaucoup d'autres, qui
se seront fait la réputation de paresseux ou d'incapables,
sortent du collège avec une instruction peu étendue, une pro-
fonde aversion pour le travail et un caractère vicieux, parce
qu'il n'a pas été diiigé. Les premiers tems de leur vie n'au-
ront été qu'enmji et contrainte, et la liberté, objet de leurs
désirs, sera bientôt de la licence. La nouvelle vie qui com-
mence pour la France commande des réformes dans l'instruc-
tion publique ; mais je ne m'attache qu'aux résultats que peut
donner la gymnastique introduite dans les collèges. Par elle,
la santé sera fortifiée, car sa première condition est l'équi -
libre général, et l'exercice le rétablit, en enqiêcliant les con-
gestions partielles que produit l'activité d'un seul organe.
Toutes les puissances musculaires seront mises en jeu, et les
jeunes gens accpn'irront par une foule trtsxercices ingénieux
etamusans, du sang-froid, un coup-d'œil juste, l'habitude de
juger les résistances ou les dangers, et les moyens de les sui-
mouler; les ehauls, dont le rilhme guide leurs mouvemens,
établiront l'ordi e et la précision ; les paroles généreuses qu'ils
expriment leur inspireront le désir d'imiter les nobles actions
qui leur sont proposées pour modèles; et l'émulation sera
entretenue par de? éloges et des récompenses justement dis-
tribués.
SCIENCES PHYSIQUES. 45;)
Lorsque le tems de^ étiulcs oalincs et profondes sera arrivé,
elles seront à leur tour regardées comme un délassemetit et
im repos, et l'altention ne sera pas continnellenient distraite
])ar le besoin de mouvement , qui est un des atlrilnils de l'en-
fance. L'intelligence profilera de la vigueur de l'organisme,
comme le prouve l'exemple des Grecs, qui se livraient à la
gymnastique avec ardeur, et dont le génie excitera une éter-
nelle admiration.
Les moyens de la gymnastique sont tellement nombreux,
ses applications si diverses selon les âges, l'état de santé et la
position sociale, que M. Âmoros a cru devoir établir dans celle
science quatre divisions principales : i" la gymnastique civile
et industrielle ; a" la gymnastique militaire, terrestre et m.ari-
time ; 3" la gymnastique médicale; 4° la gymnastique sccnique
ou funamhuUque. — Les deux premières se divisent encore en
gymnastiques élémentaires et en gymnastiques complètes, et
comprennent aussi une des parties de la gymnastique médi-
cale qui est V hygiène. La troisième se divise en quatre parties :
1° la gymnastique hygiénique ou prophylactique, pour conserver
une santé robuste ; 2° gymnastique thérapeutique pour le trai-
tement des maladies ; 5" gymnastique analeptique, ou des conva-
lescens ; 4° gymnastique orthopédique. La quatrième division ne
pouvait occuper M. Amoros, puisque le i'unambulisme com-
mence où le noble but de la gymnastique, qui est de faire du
l)ien, est sacrifié au frivole plaisir d'amuircr et de faire des
tours de force.
Déjà la gymnastique civile a été adoptée par plusieurs insti-
tutions, et le ministère de la guerre, ayant eu connaissance des
résultats avantageux que pouvait produire la gymnastique mili-
taire, voulut la rendre générale dans l'armée, et désigna une
commission pour lui proposer les mesiues que l'on devait
prendre à cet effet. En iSsç), M. Amoros fut nommé inspecteur
général desgymnases régimenlaires, et ses leçons ont eu tant de
succès, que Ion avait préparé pour l'expédition d'Alger un
parc gynuiastique , qui aura dû servir à surmonter une foule
d'obstacles et contribuer à nos succès.
Les bôpilaux militaires ont aussi réclamé la fondation de
gymnases médicaux, et une mesure aussi utile ne peut tarder
à être adoptée.
L'ouvrage du colonel Amoros est le plus complet que l'on
possède sur la gymnastique ; il expose tous les exercices ima-
ginés par ce professeur, et l'ordre dans lequel on doit les cn-
l reprendre. Des exemples bien choisis de traits de courage et
de dévoùmcnt doivent développer mic Hu.îbic émnlalion ?t
44o LIVRES FRANÇAIS.
inspirer les sentiineiis les plus généreux. Des planches hier?
faites l'acilitent rinfeilii;en(;e dn texte, et i'I n'y a pas de doute
(|ue cet ouvrage, eu ajoutant à la réputation de son auteur, ne
serve à ré[)audre le goût de la gymnastique, dont l'iniportauce
ne peut plus être méconnue. C. S***.
loo. — Notice s(ir Bourbontie et ses eaux thermales^ par
F. Lemolt. Paris, i85o; Gabon. Tn-8° de 5o pages ; prix, i fr.
et 1 fr. a5 cent. , au profit des malades indigens admis à l'u-
sage des eaux.
Au premier rang de ces pvécicuses sources de saiitéqxù jouis-
sent de propriétés mystérieuses et en dehors de nos moyens
vulgaires d'investigation, se placent les thermes du départe-
ment de la Haute-Marne , coimus sous les noms de liour-
honîie- les- Bain:f. Plusieurs siècles d'expérien(;es continues
leur ont valu leur brillante réputation. Eclairer le malade sur
la pratique de ces eaux, faire connaître leurs propriétés ca-
ractéristiques et le légime pajliculier de leur emploi, popu-
lariser les résultats d'une pratique journalière, comme méde-
cin inspecteur des bains civils, aidera l'avance docteurs et
valétudinaires de toutes les notions désirables sur la situation
du pays et les ressources qu'il oflVe sous le rap[)ort de l'éco-
nomie et de l'agrément , voilà le but de la monographie de
M. le docteur Lemolt. — Sa INotice est divisée en sept courts
paragraphes. Après (luelqucs observations préliminaires sur
l'usage iliii^ eaux minérales en général, l'auteur résume en
peu de mots la stalisti({ue de JJourbonne. Viennent ensuite la
topographie de rétablissement thermal, des indications sur
le meilleur mode d'administration des eaux, sur les maladies
que leur usage plus ou moins soutenu peut combattre avec
avantage, sur les soins diététiques qui doivent précéder, pré-
parer,-accompagner et suivre le traitement.
Les archéologues et les étymologistes n'ont pas manqué de
s'exercer sur le nom même de lîourboime, qu'ils déduisent
en droite ligne de deux radicaux celti(|ues, r<*t»et ven (chaude
i'ontaine). Quoi qu'il en soit de cette érudition, Bourbonne
possède trois sources thermales, dont le degré de chaleur
varie de (\[\ à Sa degrés de lléaumur, et f|ni donne par j<iur de
•j.[\ heures S.n/p i)ieds cubes. 31 iM. Bosc et Bt'zii, de Bour-
bonne, 31 IM. Jtlùnns, Des fosse et le doctctn* Ronrnirr ^ de
Besançon, ont soumis à l'analyse chimi(]ue même quantité
d'eau, mais sans oblernr, il s'en faut de beaucoup, des résul-
tats identiques. Parinliées par les eaux minérales artificielles,
dont !M1\L Duchanoy, Tryairc çXJ urine ^ dont les pharmaco-
pées civile et militaire ont donné la recette, les eaux therma-
SCIENCES PHYSIQUES. 44i
les naturelles se prennent (Jeroiitinxiilé par ^.ai^ons de 21 jours
chacune, qui se peuvent réitérer trois et quatre l'ois, à huit ou
quinze jours d'inlervalle. Contre-inditjuées, dans tous les cas
d'inllanimation aiguë, elles conviennent aux affections essfcn-
tielleuient cliroiu(iues. M. Lemolt énumère 24 grandes lamil-
les de maladies dans lesquelles il les recommande; s'il arrive
que le mal résiste, si elles ne gucrissenl ni ne soulagent, loin
de tuer infailliblement , ainsi que le prétend le plus déraison-
nable et le plus ridicule préjugé, elles restent toujours d'une
complète innocuité, toutes les l'ois que le tiaitement aura été
convenablement dirigé, sagement appliqué, et observé avec
une scrupuleuse exactitude.
La brochure de M. Lemolt est un service rendu à toutes les
personiaes que leur position meta même d'avoir recours aux
eaux de Bourbonne ou de les conseiller. On regrette, en la li-
sant, que l'auteur ait cru devoir se renfermer dans d'aussi
étroites limites. Ses 5o pages ne sont, pour ainsi dire, que la
table des matières d'un ouvrage très-important qui manque
jusqu'ici à la science, nous voulons parler d'une physiologie
viéilicale générale des eaux minérales, avec des applications aux
spécialités. P. L. P.
101. — * Manuel de la métallurgie du fer, par C. J. B. Rars-
ten; traduit de l'allemand par V. J. Ctlmann. Deuxième édi-
tion. T. IL Metz, i85o; M°" Thiel, éditeur. In-8" de xxiv et
495 pages, avec 9 planches; prix, 7 fr.
Le second volume de cet important ouvrage renferme la
théorie des machines soufflantes et !a description de celles qui
sont le plus connues : cette partie, qui forme la troième sec-
tion, laisse quelque chose à tlésirer, etnous nous proposons de
revenir sur ce qui la concerne, lors de l'annonce du 5" et der-
nier volume qui nous fournira l'occasion de jeter un coup
d'œil sur l'ensemble du travail. La quatrième section, trè.s-
remarquable par la méthode, la clarté et l'enchainenient des
démonstrations , est consacrée à l'extraction du fer crû, au
mode de construction des hauts-fourneaux et autres, à leur
allure, à l'art de jeter en moule, à la refonte du fer. et en gé-
néral à tout ce c|ui concerne le fer non encore affiné. Celte
section, qui est celle qui intéresse davantage les producteurs
du fer, est parfaitement bien traitée et répond à la haute répu-
tation de l'ouvrage. (Yoj. l'annonce du 1^' vol., Rev. Eue,
t. XLv, p. 685.) OE.
102. * Mémoire sur la Navigation d vapeur, lu à l'Institut, le
sGdécembre 182C), par M. SÉGciNainé. Paris, 1828; Bachelier.
In-4" de 29 pages, avec une plar.chc; prix. 5 fr.-
442 LIVRES FRANÇAIS.
M. Séguin a divisé son Mémoire en trois parties : dans la
première, il s'attache ù « ramener à des principes simples et
faciles à saisir les circonstances qui accompagnent la trans-
mission du mouvement développé par le moteur, soit au fluide
qui lui sert de point d'appui, soit au mobile qu'il est destiné à
mettre en mouvement. » Ses recherches sur cet objet l'ont
convaincu que la forme de la carène d'un bateau exerce une
très-grande iiiiluence sur la vitesse du mouvement qu'il peut
recevoir d'une force donnée, en surmontant la résistance de
l'eau. L'auteur s'occupe, dans la seconde partie, de la déter-
mination de la forme du solide de la moindre résistance, et il
trouve que cette forme approche beaucoup de celle d'un pois-
son; quelques expériences auxquelles il applique le calcul
viennent à l'appui de cette analogie. La troisième partie est
consacrée au calcul de la résistance du fluide, soit que le corps
qui l'éprouve se meuve contre le fluide en repos, soit qu'il
s'agisse de l'action d'un courant plus ou moins rapide contre
un obstacle immobile. L'auteur rassemble, discute et applique
les méthodes de calcul que les géomètres ont établies jus-
qu'ici: mais, après avoir lu et médité ce Mémoire, on sent que
la science n'a pas encore assez fait pour résoudre les questions
abordées pai' iM. Ségiu'n, et que les expériences tentées jusqu'à
présent pour déterminer la résistance des fluides n'ont pas
encore été sufli-;amment analysées, ni faites assez en grand,
pour que les a])plications en soient tout-à-fait dignes de con-
fiance. Le tems approche sans doute où notre patrie, remise
eu possession de tous ses moyens de prospérité , pourra faire
au monde savant et industriel le beau présent d'une suite d'ex-
périences concluantes sur cette partie essentielle des sciences
mécaniques : on aura préparé à loisir les moyens d'épreuve ;
les bateaux à vapeur en feront partie, et leur construction sera
^oumise alors à des règles sûres et d'une facile application. Ce
Mémoire est une très-bonne dissertation sur les bateaux à va-
jieur ; l'auteur y a fait usage de tout ce que l'état actuel de nos
connaissances en hydrodynamique pouvait lui fournir; mais
la science n'a pas encore fait assez de progrès ; et, pour les
hâter et les assurer, il faut de nouvelles expériences sur la
résistance des fluides; il les faut grandes, nombreuses, diver-
sifiées, éclairées par une analyse exacte de toutes les causes
qui concourent au résultat. Ajoutons que ces expériences se-
lont mieux faites en France que {lartout ailleurs; c'est chez
nous que l'on trouvera le plus d'hommes capal)les de les di-
liger. et la plus grande sonunc des idées (ju'clles exigent. F.
io5. — *îtiinrairc ilcicriptlf (le la France, nu G<'ogrnp/tic coni-
SCIKiNCKS PHYSIQUES. 4/,.-,
l>U:l» de ce royaume par ordre de routes , par M. Vatsse du: Vil-
LiERS, iiiicien inspecteur des portes. — Route de Paris à Eouen,
au Havre, Dieppe, etc. Paris, i85o; Jules Renouard. In-8° de
348 pages, avec carte ; prix, 5 fr.
Nous avons déjà rendu compte (t. xlvi, avril i85o, p. iS'i ),
de cette utile et iujportante collection, avec tous les éloges
qu'elle mérite. Grâce au zèle de W. A'aysse de Villiers, la France
possédera bientôt une description complète de son territoire ,
par ordre de routes, qu'elle pourra opposer avec confiance à
ce que les étrangers peuvent oflVir de plus parfait dans ce genre.
Le nouveau volume que nous annonçons, rédigé avec le même
soin, la même conscience d'observation que les piécédens,
nous a paru digne des mêmes éloges, et recevra certainement
le même accueil du public. Il sera, surtout, bien venu des
habitans de la capitale, qui, malgré le peu de goût qu'ils mon-
trent, en général, poiu- les voyages, ont tout au moins exécuté
ou projeté, une fois en leur vie, celui du Havre et d<; Dieppe.
Nous pouvons leur promettre, dans l'Itinéraire que publie
anjourd'bui M. Vaysse, le meilleur, le plus judicieux cl le plus
agréable de tous les guides.
Il nous suffira, pour justifier cette opinion, de donner ici uu
aperçu de ce que ce volume contient d'intéressant. L'aulern- y
décrit d'abord les deux routes de Paris à Rouen, dites d'cr/.
hautet d'en bas ; l'une par Saint-Germain, Mantes et Louviefs ;
l'autre par Saint-Denis, Pontoisc et Magny. La première offre
successivement à l'observateur le beau pont et le château de
Neuilly, les jolis coteaux de Marly et de Luciennes; Saint-
Germain, dont le château bâti par cinq rois rappelle Imt de
souvenirs; celui de Maisons, que Voltaire h:ibita dans sa jeu-
nesse ; Poissy, où naquit im de nos plus grands rois, et où
l'auteur n'oublie pas la célèbre maison centrale de détention ;
Mantes, renommée par son site gracieux ; enfin, Rosny, séjour
d'une princesse qui va expier dans l'exil les faut(;s graves de sa
famille, et déjà célèbre par le nom de Sully. M. Yaysse s'est
atttaché à décrire avec soin ce lieu doublement remarquable, et
les détails qu'il donne à cette occasion sont pleins de charme
et d'intéiêt. Il poursuit sa route par Gaillon, dont on citait
jadis le château, bâti en 1 5oo par le cardinal d'Amboise, mo-
nument précieux des premiers lems de la renaissance, et dont
l'une des façades figure encore aujoiud'hui au milieu des tristes
débris du Musée des Pelits-Augustins. Plus loin, s'oftVent Lou-
viers, si connu par ses maiiui'actures, et Pont-de-l'Arche ,
d'où l'on découvre les restes âyi Prieure des deux Amans. Nous
arrivons enfin à Rouen, dunl la descriplion se trouve placée à
/,44 LIVRES FRANÇAIS.
la suite de la route ci-après, dite d'en haut, plus courte d'en-
viron trois lieues que celle dont il vient d'être fait mention.
Cette seconde route, qui est aussi beaucoup moins intéres-
sante, se dirige, comme il a été dit, par Saint-Denis, que
31. Vaysse se propose de décrire plus lard , eu même tenis
que la route de Paris a Londres, par linghien et la belle vallée
de Mi/ntmorcncy, qu'il tait connaître en détail, et par Pontoise
et -Maguy. Plus loin, le bourg de Saiut-Clair-sur-Epte rap-
pelle a la mémoire toujours présente de l'autein- le traité cé-
lèbre qui y fut signé, en 912, entre Charles-le-Simple et le
cbef des Soruiands, llollon, par suite duquel celui-ci prit
possession de la belle province à laquelle ces hommes du Nord
ont laissé leur nom.
C'est ici f|ue M. Vaysse a placé la description de l'antique
capitale delà Normandie, et il y a mis, suivant sa coutume,
une telle exactitude, que l'éiranger qui parcourra cette grande
ville, le livre à la main et sans demander aucune espèce d'in-
dication, pourra être assuré de n'avoir rien négligé de cu-
rieux. C'est une épreuve que nous avons faite nous-mêmes,
pour plusieurs descriptions semblables du même ouvrage, et
toujours avec un entier succès.
Nous arrivons maintenant aux deux routes de Paris au
Havre, toutes deux partant de Rouen, l'une d'en bas, par Cau-
debec, et l'autre d'en /laut, par Yvetot. L'auteur note, en pas-
sant, les ruines des célèbres abbayes de Saiut-Genrges-de-
Rocliervilk. de .lumièges et de Sainl-Wandrille, sur lesquelles
on aurait désiré quelques détails de plus; il n'oublie pas, en
parlant de l'ancienne Juliobona, Liilebonne. de citer les dé-
couvertes précieuses d'antiquités qui y ont été faites dans ces
derniers tems, et qui se renouvellent encore tous les jours. Le
nom de la ville d'Yvetot lui rappelle, comme on le devine,
celte singulière royauté qui y était attachée jadis, dont l'ori-
gine n'est pas bien clairement établie, et dont les derniers ti-
tulaires ont vécu de nos jours.
La description de la ville du Havre, de ses bassins, de ses
phares, de ses principaux édifices, offre le même intérêt, la
même exactitude que celle de Rouen. \ ers la fin du volume ,
nous trouvons le détail des routes de Paris à Honfleur. qu'on
pourrait presque regarder encore comme deux nouvelles rou-
tes du Havre. j)uis(|uc cette dernière ville n'est séparée de
l'autre que par un bra'^ de mer que l'on franchit souvent en
moins d'une heure. L'une de ces roules passe par Rouen et
Pnnt-Audemer : l'aulr»; par Louviers et Elbeuf. L'auteur a eu
grandement rai'nn d»" ne }ta« oublier, eu parlant d'IIonflcur.
SCIENCES PHYSIQUES. 4^5^
la délicieuse silualion tle la cliapclle de Notre-Dainc-dc-Grâce,
qui, avec >cs ex-udo , les beaux arbres qui l'eutourent et son
magnifique point de vue, est certainement un des lieux les
plus dignes, dans toute celte contrée, de l'admiration des
voyageurs.
Ce volume se termine par les routes de Paris à Fécaïup, et
de Saint-Valéry-en-Caux, et par un aperçu de celle de Dieppe,
que l'auteur promet de donner avec pins de détail, en parhnit
de la route de Paris à Loncl^'es. Dans la description du château
de Eécamp, M. Vaysse a soin de raconter l'audacieuse entre-
prise du capitaine Boisrosé , qui l'enleva pendant les guerres
de la Ligue, aidé seulement d'un petit nombre d'hommes dé-
terminés. L'auteur, qui rapporte cr trait d'après M. >ioël, à
qui l'on doit un Essai sur le département de la Seine-Inle-
rieure, aurait pu prendre lui-même le récit original dans les
Mémoires de Sully, où se trouve même une circonstance pi-
quante que M. Noël parait n'avoir pas citée. Le capitaine Bois-
rosé, étant venu à la cour solliciter la juste récompense de son
courage, ne put parvenir jusqu'au roi. Il s'en plaignait hau-
tement à tout le monde, et ayant un jour rencontré Sully, qu'il
ne connaissait pas, il s'emporta vivement, tout en lui contant
sa mésaventure, contre le ministre iavori, qui, disait-il, ne lais-
sait faire au roi que ce qu'il voulait. Sans trop s'arrêter à ce
mode un peu brusque de pétition, Sully s'empressa de recom-
maiider à Henri IV la belle action de Boisrosé, que le vain-
queur de Contras et de Fontaine -Française devait apprécier
mieux que personne; et Boisrosé, nommé gouvernein- d'une
place importante, apprit, avec une grande surprise, à qui il en
avait robligalion.
104. — * Dictionnaire topographique , liisiorique et statistique
du drpartement de (a Sart/ie, par J. 1\. Pesciie. i5' et i/j." livrai-
sons. Paris, i85o; Bachelier, qxiai des Angnstins; et Lance,
rue Croix-des-petits-Champs ; prix de la livraison , 2 f. 5o c.
Nous avons déjà lait connaître à nos lecteurs (voy. Rev.
Enc, tom. XLvi, avril i85o, pag. 187. ) l'ulile entreprise de
M. Pesche, qui la continue sans relâche , av<;c des soins et une
persévérance très-dignes d'éloges. Malgré tout ce qu'on peut
dire sur la forme de dictionnaire qu'il a cru devoir préférer,
il serait certainement bien à désirer que chacune de nos an-
ciennes provinces possédât un répertoire semblable de tous les
faits qui intéressent ses habilans. Un travail de ce genre, ré-
sultat des plus pénibles recherches, conduit rarement à la cé-
lébrité; mais il peut rendre de nombreux et imporlans servi-
ces ; il répand des lumières dans le pays ; il met en rapport les
Vj« livres français.
individus d'une même conlrée, souvent étonnés des richesse
locales qu'ils ne croyiiient pas posséder; il mérite enfin au ci-
toyen qui s'est ainsi dévoué la reconnaissance et l'estime de
ses compatriotes. Nous aimons à croire que , de ce côté du
moins, rien no manquera au succès de M. Pesche.
Les deux nouvollos livraisons que nous annonçons contien-
nent la suite de In Biographie dcpariemrntale, cl celle de l'excel-
lent/^/•(W.s"/».v<o;(V///e dont l'auteur a cru devoir faire piécéder son
dictionnaire. La première de ces deux sections ii'oflVe aucim
article digne datlention poiu- les lecteurs étrangers au dépar-
tement de la Sarthe. Nous nous occuperons donc seulement
ici du précis historique, en indiquant, parmi les évènemens
remarquables de la période qu'il embrasse, ceux qui se rap-
portent spécialement à la contrée dont il s'agit.
Cette période commence à la Saint-Bartbelemi, et finit au
teuis de la chouannerie, dont l'ancien Maine fut particulière-
ment le théâtre. L'auleur fait observer que le trop fameux Pel-
letier, curé de Saint-Jacques-la-Boucherie , de Paris, et l'un
des plus féroces ligueurs, était né au Mans. Le maréchal de
Rois-Dauphin, de la maison de Laval, Beaumanoir de Lavar-
din, qui avait reçu de la Ligue le même titre, confirmé depuis
par Henri \\ \ et les princes fie Lorraine, seigneurs de Mayenne
et de Sablé, appartenaient encore à la même province. Plus
loin, on lit av<îc inlérêl la circulaire adressée par le roi de Na-
varre à plusieurs personnes notables du royaume, pour les
engager à assister à l'a-semblée de Mantes, où se prépara sou
abjuration. Cette pièce, qui parait n'avoir pas encore été pu-
bliée, a été découverte en original, par l'auteur lui-même,
dans les archives du château de Boniiélable, propriété de
MM. -de Montmorency.
Ce fut sous le règne de Henri IV que s'établirent au Mans
les fabriques de cire et d'étamines, devenues depuis si célè-
bres, à peu près h l'époque où le voyageur Pierre Belon en-
richissait sa patrie d'une foule de végétaux peu ou point con-
nus jusqu'à lui, et où d'autres hommes distingués honoraient
encore la même province. Parmi ceux que cite M. Pesche, il
ne faut pas oid)lier du Boullay, AmJjroise Paré, le père delà
chirurgie française; Lacroix-du-Maine, Garnier, Ronsard et
le célèbre statuaire Germain Pilon , dont on admire encore le
ciseau, dans la chapelle si curieuse et si peu connue de So-
limes, près de Sablé.
Nous passons rapidement sur les guerres de la Fronde, qui
causèrent de grands dommages dans le Maine, sur la révoca-
tion de l'édit (le Nantes cl snr d'autres évènemens postérieurs,
SCIENCES PHYSIQUES.— SCIENCES MORALES. 447
qui irollrent pas, clans celte province, de ciiconNÎanccs pro-
pres il atlircr noire attention, et nous nous liàlnns d'arriver à
une époque trop mémorable, qui y a laissé de farauds souve-
nirs. Nous voulons parler du passage de l'armée vendéenne et
de celte déroute du Mans, si sanglante, et d'ailleurs si dé-
cisive, que les faibles débris qui avaient pu écliapper ne tin-
rent plus désormais contre les armes républicaines, et dispa-
rurent enfin complètement à Savenay. Quelques communes
de l'ouest de la Sarthe s'étaient déjà soulevées contre la Con-
vention, mais elles furent promptement soumises. Ce fut au
mois de décembre 1790, que la grande armée vendéenne,
qui venait d'échouer au siège de Granville , parût sous les
murs du Mans. C'est surtout dans les Mémoires de 31'"" de la
llochejacquelcin qu'il faut lire le récit de ce mémorable désas-
tre. Ce morceau, que M. l'esche cite presqu'en entier, est de
l'intérêt le plus dramatique, cl oflre en mêmetemsun modèle
pariait de narration et de style.
La guerre de la chouannerie qui désola surtout, comme on
sait, les déparlemens de la Sarthe et de la 31ayenne, moins
fertile en év» nemens et surtout moins honorable que celle
des Vendéens, ne fut pas moins funeste au pays. On lira ce
qu'en raconteM. Pesche, avec la confiance que mérite un
homme de l)onne'foi, écrivant sur les lieux mêmes, et d'a-
près des documens irrécusables. Eu total, ce précis historique
est composé d'une manière très-satisfaisante : on voit que
l'auteur s'y est préparé par des études sérieuses, et les lecteurs,
même étrangers au pa^s poiu- le([uel il a travaillé, le liront
avec intérêt et souvent avec profit. Y. Z.
Sciences reiii^ieuses, morales, poUliques et historiques.
io5. ■ — * Instruction pratique et théorique, ou Guide des
Maitres pour la lecture élémentaire, suivant une nouvelle mé-
thode de décomposition également applicable à tous les modes
d'enseignement; par M. Dirivau. Paris, iS3o; Arthus Ber-
trand. ln-H° de 71 pages et g tableaux; prix, 5 fr. 5o c.
J'ai déjà annoncé avec éloges dans ce recueil plusieurs mé-
thodes de lecture : je vais avoir encore à louer celle-ci; ce-
pendant les pi'océdés indiqués sont tous diflérens, quelquefois
contraires : comment se fait-il que tous, à mon avis, soient
bons et utiles ? Ces jugements n'impliquent-ils pas contradic-
tion ?
Il est facile de répondre à cette objection : mru'ns Féducation
est avancée, plus l'étude est pratique : les théories grairimati-
448 LIVRES FJIANÇAIS.
cales sont très-étendues; la théorie de la lecture l'est fort pen.
Presque tout le travail du maître et de l'élève est un travail
d'action, une pratique, je dirai presque une routine. Le livre
qui n'expose, la plupart du tems, qu'une théorie appuyée de
quelques exemples, considt re les choses à apprendre sous un
aspect général, et, sous quelque point de vue qu'on les examine,
cha»]ue théorie fait toujours disparaître quelques difficultés,
et en laisse subsister d'autres. Ainsi quelques maîtres, rebutés
des obstacles qu'ils rencontraient dans la variété des combi-
naisons de Kos lettres, pour exprimer un petit nombre de sons,
ont imaginé d'attribuer toujours le même son au même signe,
comme le voulait la Société île la Réforme orthographique : on
a ainsi vu diminuer prodigieusement les difficultés de la lec-
ture : mais bientôt se sont pressées en bien plus grand nombre
celles de l'orthographe. Les partisans de Vèpellation se vantent
du petit nombre de leurs signes; les partisans de la lecture
syUabujue (i) leur opposent une multitude de leurs combi-
naisons; et ces combinaisons, ils les prennent, quant à eux,
pour des signes simples, et les font apprendre par cœur. Ils
prétendent qu'il y a un avantage dans celte méthode.
Ce que l'on peut assurer, c'est que ces divers pocédés. plus
ou moins satisfaisans pour la raison, doivent dans la pratique
leur plus grand succès à l'assiduité, à la patience des maîtres,
au travail et :'i l'attention des écoliers : car, comme je le disais
tout à l'heure, l'enseignement de la lecture est presque tout
pratique : et, par consétpicnt , l'exercice y produira toujours
plus de fruit que des considérations métaphysiques. La preuve
en est au reste qu'on a fort bien et fort mal appris à lire par
des méthodes semblables, dill'érentes ou contraires. On voit
par- là comment, sans prendre parti ni pour ni contre l'épella-
tion , j'ai loué des ouvrages tendant au même but par une
route différente, lorsque j'y ai trouvé ce qui dans toutes les mé-
thodes, doit incontestablement produire un grand bien pour les
élèves, je veux dire le soin de graduer les diffcultés, et de rendre
sensibles, par tons les moyens, 4es diflerences qui séparent un
objet d'un autre. M. Durivau s'est attaché à rendre son ou-
vrage satisfaisant sous ce double rapport; allant toujours du
simple au composé avec une rigueur mathématique, il divise
en neuf tableaux l'art de syUaber, d'où doit découler immé-
(i) L'i^pcllali-in con.sistc à îipprendie Imiles les Iittres une à une, et à
déduire le saii de leurs comljiuaisons du son des letlies simples. La lec-
ture svllabicjue consisie, au rontiaire, à faire lire toutes les syllalies ou
une bonne partie des syllabes comme des sons simples.
SCIEINCES MOIIALES. 449
diiiteiDent l'art de lire. Le premier contient les sigiîes indé-
composables, c'est-à-dire, les lettres ou réunions de lettres
(par exemple, o, an, eau, cli, pli, gn) , qui forment des sons
simples.
Tous ces signes, rangés selon un ordre qu'il faut étudier dan?
le livre même , reparaiss(;nt un peu phts loin dans un ordre
différent, et permettent ainsi de faire saisir jusqu'aux moin-
dres traits qui les distinguent.
Plusieurs exercices divers se rattaclient à ce même tableau
et forment ensemble la première partie de celle méthode de
lecture.
La seconde partie comprend l'étude des élémens décompo-
sables, c'est-à-dire, des syllabes où une articulation se com-
bine avec les voix simples (i) énumérées dans le premier ta-
bleau ; et ici se présentent encore plusieurs divisions, selon que
Tarliculation est initiale ou finale, simple ou composée.
Enfin, dans la troisième partie, sont des piincipes pour pas-
ser à la lecture proprement dite.
Le tout se termine par quelques notes où M. Durivau dis-
cute les méthodes proposées avant lui, les avantages ou les
désavantages qu'on peut y rencontrer : il établit, avec cette
raison supérieure dont il a fait preuve dans l'examen de la
méthode de M. Jacotot (voy. Rev. Eue, t. xliv, p. 454), lés
raisons qui lui font préférer telle ou toile marche, telle ou
telle disposition. C'est là surtout, et dans le discours qu'il a
mis en tète de son ouvrage, que Ton peut apprécier l'in-
fluence de l'espiit philosophique sur l'instruction de la pre-
mière enfance : aussi je regarde cet ouvrage, quelque court
qu'il suit, et peut-êUe nsêaie parce qu'il est si court, comme
l'un des meilleurs giiides que l'on puisse recommander, soit
aux maîtres, soit aux moniteurs, dans les écoles d'enseigne-
ment mutuel. R, J.
106. — * Instruction du peuple français; /ivres vendus au pria;
coûtant. — La Science du bonhomme Richard, par Benjamin
Franklin, imprimeur, précédée d'une Notice sur sa vie, cl
suivie de V Histoire du sifflet. Paris. i83o; imprimerie de Fir-
min Didot. In- 16 de 34paêGs; P'ix, 2 sous.
Ces publications sont faites par les soins d'une Société dont
(1) Les voix sont les so-is produits par l'air vocal dans le gosier; va
les représente par les voyelles ; les articulations sont les modifications r'u
son produites par les mouveniens de la langue, des lèvres, des dents, etc.
On !*■•; représente par les consonnes.
T. XLVIl. AOIT !85o. -iU
45o LIVRES FHANÇAIS.
M. le conilc de Lapteirie est président. Le bureau est établi
rue Saiiit-Bonoît, ii" 7. à Paris.
En débutant dans la nouvelle carrièredc pbilanlropie qu'elle
s'est ouverte , la Société qui se charge de publier ces petits
écrits ne pouvait mieux faire que d'oftVir d'abord celui qui
doit servir de modèle a tous les écrivains qui se consacreront
à l'instruction populaire. La uollce sur Franklin est elle-même
une excellente instruction : les hommes laborieux y trouve-
ront de puissans encouragemens, des consolations pour le
présent, des espérances pour l'avenir. Beaucoup d'autres no-
tices biograpbi([ues in^pireront la même sorte d'intérêt, et
olYrironl aussi de très-bons exemples.
Le titre de cette collection est-il bien convenable? Nous
sommes tous du peuple français, quoique nous n'ayons pas be-
soin de ces petits livres pour achever notre éducation. N'ou-
blions pas que les Romains ont consacré l'expression la ma-
jeslédu peuple, et que les Anglais l'ont renouvelée; ayons soin
nous-mêmes de ne pas faire descendre ce mot au-dessous de
sa dignité. N.
107. — De la lUc/iesse, ou Essais de Ploutonoviic, ouvrage
dans lequel on se propose de rechercher et d'exposer les prin-
cipes de cette sciince; par M. Robert-Gutard. 1" et 2'' livres.
Paris, 1829; Verdière. In-8° de 90 et 176 p.; prix, 3 fr. 5o c.
Ces deux premières parties d'un ouvrage dont nous ne
saurions prévoir la portée ni les dévoloppemens ultérieurs ne
contiennent encore (|ue des définilions générales et des axio-
mes qui n'atteignent point les questions vraiment pratiques de
la science. Le. titre adopté par l'auteur annonce d'abord son
goùl pour une certaine méthode que j'appellerais volontiers
grammaticale, méthode plus jn-éoccupée peut-être des mots
que des choses, et qui, tout en cherchant à expliquer les ter-
mes ou à les rendre plus précis, risque souvent <le perdre de
vue les vraies difficultés philosophiques, pour s'escrimer en
de vaines logomachies. Nous ne discuterons point si l'inven-
tion du mot Ploutonomie était bien nécessaire, mais nous
voyons qu'il se renconire fort peu au delà du titre de l'ou-
vrage. La préfaceest courte, comme le sont en général les cha-
pitres, les alinéas, et elle ne contient guère qu'un pompeux
éloge de Condiilac. Chacune des idées de l'auteur, souvent
même des idées incidentes, est indiquée en marge, quelque
brièvement qu'elle soit exprimée dans le texte; de sorte que
la pensée est plutôt disloquée et brisée que divisée utilement
pour l'esprit du lecteur. En isolant trop les détails, on fait
disparaître les masses, le lien général et le but d'un ouvrage.
SCIENCES MORALES. 45 1
Les mots richesse, appropiiabililé, utilisabililé, appropriation,
utilisation, coiisommalion, usage, service, emploi, jouissance,
valeur, sont définis minutieusement dans les cinq premiers
chapitres. Arrivé à la valeur, l'auteur soutient qu'elle est
toute relative, et que, n'étant qu'une idée, elle n'est point com-
raensurable d'une manière absolue. Ensuite il oppose rapi-
dement ]et définitions des divers économistes sur la richesse
à celle qu'il adopte et qu'il emprunte exclusivement aux deux
notions de propriété et d'utilité. Le second livre traite, d'une
manière non moins générale, du travail, de ses causes, des
mobiles qui le favorisent, de ses instrumens, de ses résultats,
de sa division, de la production et de l'épargne. Ces matières
dans leur application peuvent fournir une foule de problèmes
des plus intéressans pour la société; mais à l'état d'abstrac-
tion où l'auteur se plaît à le* maintenir, en vertu de son ex-
trême confiance daus la métaphysique condillacienne, nous
craignons qu'il n'en tire aucun résultat bien iratisfaisant, ni
par sa grandeur, ni par son utilité. V.
108. — * De la Production nationale considérée comme base du
commerce , et application de ce principe d La solution de la ques-
tion des laines ; par M. le baron de Morogues. Paris, 1829 ;
M"" Huzard; Renard. In-S"; prix, 2 fr. 5o c.
La plupart des économistes modernes ont admis comme
principe, que la liberté du commerce extérieur ne saurait être
trop absolue, et que les douanes, en la limitant, sont un ob-
stacle à la prospérité des peuples civilisés qui les conservent
comme moyen de protéger les producteurs nationau"ï:. M. de
Morogues lui-même avait, en 1822, admis cette opinion dans
son Essai sur les moyens d'améliorer f agriculture en France.
Ayant depuis approfondi davantage celte question impor-
tante, il a modifié ce système; aujourd'hui, d'accord avec
MM. Ferrier, Daude, Mathieu de Dombasle et d'autres écono-
mistes habiles, il abandonne le système absolu de MM. Say,
Blanqui, Charles Dupin, Mac-Culoch, etc. , etc. , pour démon-
trer que, la production nationale étant la seule qui puisse ser-
vir à satisfaire nos besoins, soit en étant consommée di-.
rectement, soit en étant préalablement échangée contre la
production étrangère, le premier de tous les moyens de nous
pourvoir est de produire le plus possible; en sorte que tout
ce qui peut tendre à restreindre la production intérieure est
dangereux pour le pays. Ces deux opinions ne diflerent l'une
de l'autre qu'en apparence : car, en supposant que le com-
merce soit absolument libre, il laut le pourvoir, le plus abon-
damment que l'on pourra, des divers objets d'échange dont
453 LIVRES FllANÇAlS.
il aura besoin, el par conséquent accroître la production pour
qu'elle suffise à toutes les demandes. Or, de toutes les sources
qui peuvent alimenter le commerce, le solest, pour la Fiance,
la plus abondante, et en même tems celle dont la surabon-
dance est le moins à redouter. Tout nous invite donc à multi-
plier autant que possible nos productions agricoles, de quel-
(jue nature (ju'elles soient.
Appli(ju;uit (c principe à la solution de la question des lai-
nes, M. de Morogucs démontre que nous ne pouvons produire
nos laines el nos troupeaux en France à aussi bas priK (pie les
peuples pa>teurs qui nourrissent leurs moutons sans frais, sur
de vastes pacages incultes, tandis que nous sommes con-
traints de les élever comme instrumens obligés de nos exploi-
tations rurales; tellement que, plus le produit particulier de
ces instnmiens sera diminué, plus la dépense nécessaire à la
production de nos grains sera grande. Il faut donc, ou que le
prix de nos laines se soutienne, ou que celui de nos grains
augmente, pour que nos cultivateurs ne soient point en perte,
et puissent continuer à approvisionner nos marchés. Cette
conclusion semble avoir besoin de quelque nouvel appui, de
preuves encore plus convaincantes ; elle est d'une très-grande
importance , car nous ne saurions remplacer nos productions
agricoles acluellespar d'autres d'un aussi grand intérêt, et qui
occupent un aussi grand itombre de bras; conditions dont les
partisans de la liberté absolue du commerce extérieur recon-
naissent la nécessité.
Il nous est impossible, dans im article très-restreint, de dé-
velopper toute la théorie (pie iM. de i\iorogues a corroborée
par de nombreuses recherches et par des calculs qui nous ont
semblé d'un grand intérêt pour la France. La Société d'amé-
lioration des laines, jngii com{)étent en cette matière, les a
considérés comme résolvant la question des laines d'une ma-
nière définitive, ^'oici comment son rapporteur s'est exprimé
à cet égard, page 5o du treizième Bulletin. Nous adoptons en-
tièrement ses conclusions :
« M. de Morogues vient de compléter l'instruction du
grand procès, en prouvant qu'il y a impossibilité pour la
France de produire des laines en concurrence avec les laines
étrangères, et néanmoins impossibilité de se passer de trou-
peaux sans compromettre sa richesse agricole, et sans affecter
sensiblement la production des céréale> et de toutes les autres
denrées de première nécessité et de grande consommation.
Nous doutons qu'on réponde ù ces argumens,
)iCe savant agronome a donc rendu un grand service à la
SCIENCES MOIixVLES. 455
France, en éclaircissant complètement une question ardue et
trop long-tcms controversée. Son livre doit être consulté par
les hommes d'Etat appelés à concourir aux mesures de pro-
tection que réchune la souftVance de l'ag^riculture; nous ne
pouvons que recom.mander sa lecture à tous les amis éclairés
du pays. » Z.
log. — * Discours prononcé par le procureur-général Moinoco
( à Pondichéry ) , à la séance d'installation de M. DumÉlay,
gouverneur des établissemcns français dans l'Inde, le 12 avril
1829. Paris, i83o; inifirimerie de Uignoux. In-8" de 21 p.
IM. iMoiroud dédie son discours à la magistrature française
et à ses anciens confrères du bareau de Paris. » Je publie au-
joiudhui le discours, à la suite duquel j'ai été forcé de me
démettre de mes fonctions de procureur-général à Pondichéry.
Avant peu, je rendrai compte de l'état de la colonie, au jour de
ma démission En quittant le sol de l'Inde, j'annonçai à
M. le gouverneur Dumélay que j'en appellerais à l'opinion de
la France; qu'elle juge donc entre lui et moi. »
Le capitaine de vaisseau Dumélay, nommé gouverneur de
l'Inde, par ordonnance du 23 mars 1828, an iva à Pondicliéry,
le 1 1 avril 182g, et fut installe le lendemain. M. Moiroud l'a-
vait connu à Paris chez des amis communs, et se félicitait d'un
choix qui donnait à la colonie un chef pour lequel il avait
conçu beaucoiq) d'estime, d'après les opinions et les sentimens
qu'il lui supposait. « Ce fut en requérant l'enregistrement de
sa commission que je prononçai le discours qui suit : deux
heures après l'audience, je me présentai ;'i l'hTitel du gouver-
nement, à la tête de toute la magistrature française de l'Inde,
pour y saluer le gouverneur. M. le capitaine Dumélay reçut
les magistrats d'une cour souveraine, à peu près comme des
matelots qui auraient manqué à l'ordre. Son alloctition, en
style de marin, ne fut, d'un bout à l'autre, ([u'une âpre cen-
sure de la profession de foi que je venais de faire, .le ['écoutai
avec le calme que m'imposait la toge dont j'étais revêtu ; et je
me bornai à dire : M. le gouverneur, soyez sûr que votre mer-
curiale 7ie sera pas perdue. Dix minutes après, ma démission
était dans ses mains. »
En lisant ce discours avec la plus sciupuleuse attention, on
n'y découvrira rien dont un homme de sens puisse paraître
offensé, mais au contraire beaucoup de choses qu'un fonc-
tionnaire équital)le el bienveillant eût écoutées avec recon-
naissance. La misère à laquelle le système d'impôts réduit le
peuple malabare y est exposée avec courage ; l'orateur dénonce
l'atroce maxime exprimée en sa présence, en plein conseil de
454 LIVRES FllANÇAIS.
goiiverneniént. qu't'/ faut que le peuple ait faim, pour qu'on aft
muilleur marche de ses sueurs. Les manœuvres des jésuites
dans cette contrée lointaine y sont mises au grand jour; des
honmies pervers y sont flétris comme ils l'ont mérité, etc.
Comme nous sommes réduits à citer peu, transcrivons au
moins un extrait (|ui donne une idée juste de l'esprit et des
intentions qui ont d!( té ce discours.
«> Parmi les grands intérêts qui appelleront votre sollici-
tude, je ne chercherai à la fixer que sur un seul, parce
qu'il me semble dominer tous les autres, et que trop peu de
Toix, jusqu'ici, se sont élevées pour sa défense. Vos regards
se porlcroul avec bonté sur cette population indienne , qui
n'a été tant calomniée par ses oppresseurs que parce que
la calomnie donne un prétexte à l'oppression ; ils ont fait des
esclaves, et ils leur reprochent les vices qu'engendre la ser-
vitude ! Ils les ont chargés de chaînes, et ils leur font un crime
des fers! Qu'une fois au moins on essaie de les traiter en
hommes; appelez-les à l'exercice d'une liberté sage et modé-
rée, et vous en ferez des citoyens. »
M. Dimiélai est un exemple de j.lus de Tinfluence corrup-
trice du pouvoir absolu ; on en avait déjà plus qu'il n'en faut
pour notre instruction. Lorsqu'on reverra la législation colo-
niale, car sans doute elle suivra les progrès de nos institutions,
que les pensées exprimées si noblement dans ce discours de-
viennent celles des législateurs ! Nous ne résisterons point au
désir, au besoin impérieux de faireencore unecitation. M. iMoi-
roud adresse la parole à ses amis de France, à ses confrères
du barreau de Paris '« Mes amis, si le ciel m'accorde de vous
revoir, je pourrai recevoir vos embrassemens, car je serai
resté. digne de vous. Quand vos courageux accens assurent le
triomphe de nos libertés et l'affranchissement de la Grèce, les
miens v répondront en disant à la population malabare qui
m'entoure : Indiens des étabiissemens français^ vous êtes les su-
jets du roi de France ; 7)iais vous n'êtes les esclaves de personne.
Obéissez à la loi, car désormais ce n'est plus qu'à elle que vous
devez obéir. Si jamais des préjugés barbares, si d'odieux usages
tentaient de s'appesantir sur vous, venez vous jeter dans les bras
de la magistrature que le roi vous a donnée ; tous la trouverez
toujours prête à combattre pour les droits éternels de la justice et
de l'humanité. i> En prononçant ces paroles, l'oiateur voyait
des larmes dans les yeux de la population malabare dont il était
environné. Cette vue fit sur lui une impression que des siècles
n'efiaceraient point, comme il le dit dans une note qu'il ter-
mine ainsi : « Pauvres Indiens ! vous que j'ai aimés de toute
l'effusion d'une âme ardente, vous qui m'avez donné de si
SCIENCES MORALES. 45')
toucbans témoignages de reconnaissanco, je ne vous abniiJon-
nerai pas; et, si ma voix ne parvient pas à vous ainitdier à •
l'oppression, elle sera du moins assez forte pour flétrir vos
oppresseurs. « Y.
1 10. - — Histoire résumée de la guerre cC Alger, d'après plu-
sieurs témoins oculaires, avec un portrait du Dey. Paris,
i83o; J. Corréard jeune, rue Rieher, passage Saulnier,
n° i3. In-S" de 36 pages; prix, i Ir. 5o c.
Au milieu des glorieux évènemens qui ont agité la France
et la ville de Paris, on a presque oublié Alger, et cette loin-
taine querelle, et notre rapide conquête. C'est que nos vrais
ennemis n'étaient pas en Afrique, et que, si la prise d'Alger
nous promet une riche colonie , la victoire du 29 juillet nous
donne une patrie heureuse et libre. Toutefois, la destruction
de ce repaire de pirates ajoute un laurier de plus à notre cou-
ronne militaire, et a droit, par conséquent, à notre admira-
lion et à notre sympathie. L'auteur de la brochure que nous
annonçons a eu pour objet de rappeler, dans un court ex-
posé, les causes et les principaux évènemens de la guerre : il
nomme avec une attention scrupuleuse les officiers et sol-
dats qui se sont distingués, et donne une petite notice biogra-
phique sur les officiers-généraux employés dans l'expédition.
Néanmoins nous devons dire que ces pages brèves el incom-
plètes apprendront peu de chose à ceux qui ont suivi dans les
journaux le récit des hostilités. Elles ne contiennent rien de par-
ticulier sur la nature du climat , les mœurs des habitans, leurs
dispositions à l'égard de l'armée française, et ne font qu'ana-
lyser les bulletins assez mal faits insérés au Moniteur.
La partie biographique nous a paru passablement insigni-
fiante. La honteuse désertion de M. de Bourmont est racontée
avec une mesure qui ressemble presque i l'approbation.
Quant à l'amiral Duperré, le fait le plus honorable peut-être
de sa carrière militaire est passé sous silence. ftL Duperré,
nommé, en 18 15, commandant pour le roi, des Antilles fran-
çaises, conduisait à la Martinique une seule frégate, lorsqu'il
rencontra, à l'entrée de la rade, une frégate anglaise, beau-
coup plus forte, dont le lieutenant s'avisa, en l'absence du
capitaine, d'arborer un drapeau tricolore renversé au-dessous
du drapeau anglais. Le brave marin ne put tolérer cette insulte
gratuite à un pavillon proscrit, il est vrai, mais immortalisé
par cent victoires. Bien qu'une escadre anglaise croisât à peu
de distance, il fil battre à son bord le branlebas de combat,
et signifia au lieutenant anglais, que, s'il ne relevait immédia-
tement le drapeau tricolore, et ne le saluait de plusieurs coups
/|o6 LIVRES FUANÇAIS.
de caiiuii, il commencerail le l'eu. Cette fière attitude en im-'
posa, et le noble drapeau , hissé au haut du grand mat, reçut
les honneurs militaires. Ce n'est pas tout : à l'arrivée du com-
iiiodore anglais, 31. Duperré l'obligea à traduire devant un
conseil de guerre le lieutenant qui fut destitué. — Cet acte
d'énergie et de patriotisme oublié sous le règne des ennetnis
acharnés de notre gloire, méritait d'être rappelé aujourd'hui,
et nous a;irions désiré le retrouver duns la note relative à l'a-
miral. A. D.
1 1 1 . — *Eré!iemc7is de Paris des 26. 27, 28 et zg juillet 1 83o,
par plusieurs témoins oculaires. Deuxième édition continuée
jusqu'au serment de Loris Philippe 1", et augmentée de la
Charte naîioinde^ avec Tindicatiou compaiée des nouvelles mo-
difications. Paris, i8jo; Aiidoi. In- 16 de 208 pages; prix, > f r.
Celle histoire est bca\icoup mieux écrite qii'on ne devait
s'y attendre, au milieu du tumulte d'une révolution terminée
en dix jours, dans toute l'étendue d'un royaume aussi vaste
que la France. Les écrivains qui ont rédigé ce petit volume,
témoins oculaires de ce qu'ils racontent, étaient sans doute
dans les rangs des plus intrépides conquérans de notre indé-
pendance ; la délicatesse ([ui les empêche de se nommer est
aussi l'un de ces trais qui embellissent cette époque si mémora-
ble de notre histoire : ils racontent ce cpi'ils ont vu , nomment
les braves dont le ni>m doit passer à la postérité, et se placent
eux-mêmes hors de la peinture sublime qu'ils mettent sous nos
yeux. >ous ne ferons point d'extraits de cet ouvrage; il faut
le lire en entier; hors de France comme chez nous, tous les
j)cuples y trouveront de salutaires leçons, et surtout, il ne
tiendra qu'aux gouvernans d'en profiter : jamais avertisse-
ment plus utile ne leur fui donné plus à propos. N.
112. — * Causes et conséquences des événemeiis du mois de juil-
let i8Ijo, par J. FiÉvÉE. Paris, i83o; A. Mesnier. In -8° de
107 pages; prix, 2 fr. 5o c.
C'est une tentative hardie, un mois après une révolution,
de prétendre en indiquer la cause précise, et en annoncer les
vastes conséquences, de dérouler ainsi en quelques pages tout
le passé et tout l'avenir d'un peuple, et d'assigner à chaque
fait sa place réelle dans l'ordre des évènemens successifs qui
ont précipité vers la pins honteuse chute ime d^^nastie royale.
Quand de tels mouNcmciis ont agile les Ftats, il semble que
Tecrivain philosophe, laissant aux hommes d'actioii la tâche
pénible de récrépir provisoirement l'édifice social, doit se re-
cueillir quelque tems, ra])peler à lui ses principes les plus fer-
mes, ses souvenirs les plus sûrs, et ne pas donner des idée.*.
SCIENCES MORALES. 457
incomplètes, des inspiriitions plus ou moins heureuses, pour
la vraie et déliuitive raison des choses. Nous accuserons donc
de léméiité l'auteur de la brochure (|ue nous annonçons, et
nous lui reprocherons d'avoir cru que l'esprit sulHsait à une
telle œuvre, quand le génie même reculerait devant elle.
Au milieu du style brillant et ingénieux, mais souvent sub-
til et alambiqué de M. Fiévée , il est assez difficile de distin-
guer un ordre de raisonnement exact et sévère, par consé-
quent de réiuter ou d'appuyer ses opinions. Toutefois, dans le
dénombrement des causes de la révolution actuelle, une la-
cune nous a frappés. Anciennement attaché au parti roya-
liste, M. Fiévée a voulu se dissimuler à lui-même la haine
profonde que le peuple avait toujours portée aux protégés de
la Sainte-Alliance. Il n'a pas osé dire qu'entre les Bourbons et
nous, il y avait tout le sang deYValerloo ; et que, si les hommes
habiles, les raisonneurs peuvent eftacer de U ur esprit de sem-
blables souvenirs, le ])euple les garde tonjfturs. Depuis le mois
de juillet i8i5, depuis le jour où la famille déchue fit à Paris
son entrée triomphale an milieu de cette armée toute cou-
verte encore du sang de nos frères, il y eut en France, parmi
les niasses, une agitation sourde et constante, ini espoir iné-
branlable de faire briller de nouveau le drapeau tricolore, et
de secouer enfin La poussière qui souillait ses nobles couleurs !
Paris se préparait depuis quinze ans aux grandes ])atailles de
juillet, et les hymnes lidicules que chaque parti appelé au
pouvoir entonnait à la tribune, en l'hdnneurde nos maîtres,
restaient sans écho dans la nation.
Si M. Fiévée a négligé cette cause féconde des évènemens
de juillet, cette cause qu'on pourrait appeler le préjugé pa-
triotique, il en a saisi et développé spirituellement l'origine
immédiate et occasionelle. «Après la dissolution de la garde
nationale, dit-il, les habilansde Paris n'ayant plus aucun signe
polir se rallier, avcî' plus de quatre cents n;illions de monu-
mens qui leur appartenaient, c'est-à-dire, dont ils avaient suc-
cessivejuent fourni les fonds, se trouvèrent sans un seul bâti-
ment pour se réunir et se communiquer leurs pensées, si
quelque danger l'exigeait. C'est ce qu'on appelait la préroga-
tive royale — A l'apparition des ordonnances, nous serions-
nous portés vers le parlement comme an tems de la Fronde,
pour le supplier d'aller se jeter aux pieds du roi, afin de lui
faire entendre la vérité, au moins pour la dernière fois, et de
lui porter des propositions de conciliatioa? Nos cours ro3'ales
sont composées d'hommes du pouvoir, et non d'hommes do
pouvoir. D'ailleurs, notre confiance ne pouvait être là; trop
458 LIVJŒS FRANÇAIS.
de condnmnalions politiques nous en avaient avertis depuis le
ministère du 8 août. ISous serions -nous portés vers l'Hôtel-
de-Yillc pour exciter le zèle de nos échevins, et nous mettre
sous leur direction':' Notre Hôtel-de-Yille est l'hôtel du préfet;
au lieu de nos magistrats, nous n'aurions encore trouvé là que
des hommes du pouvoir; autant dans ce qu'on appelle nos
mairies, que ne connaissent guère que ceux qui ont été s'y ma-
rier, ou y demander des certificats. La Chambre des députés
était feruiée', la Chambre des pairs de même. Le peuple se
groupa dans les rues, parce qu'il n'y avait que les rues qui
appartinssent au peuple. Quand les soldats vinrent les lui dis-
puter, l'action s'engagea ; car encore t'aut-il que le peuple soit
quelque part. Aucun despotisme ne peut parer à cet inconvé-
nient »
Certes, il est impossible de dire plus finement comment
s'engagea cette immortelle bataille ; et, en général, à quelque
page que l'on ouvre la brochure de M. Fiévée, on trouvera
force réflexions piquantes, force tableaux pleins d'esprit et de
vivacité. Mais ces richesses sont confuses et incohérentes, les
considérations sérieuses, sacrifiées à des mots heureux, les con-
séquences souvent étrangères à leurs principes. L'auteur est
lui-même infidèle à ses promesses, ou plutôt à celles de son
libraire, et, en dépit du titre officiel, on chercherait vainement,
dans son ouvrage, une suite d'aperçus relatifs aux résultats
probables de la révolution de i83o, à moins qu'on ne com-
prenne sous cette dénomination les quelques idcex jetées au ha-
sard à la fin du livic. fséaiunoins, et malgré ces imperfections,
chacun voudra connaître cet ouvrage d'un homme d'esprit,
quand ce ne serait que pour apprendre comment se font les
conversions au xix' siècle, et comment on peut passer du Con-
servateur anTem.s, en soutenant qu'on n'a jamais cru à la pos-
sibilité de l'existence des Bourbons. A. D.
11 3. — Questions sur la Révolution de i83o, par le baron
Massias. Paris, i83o; Firmin Didot. In-8" de 4o pages; prix,
I fr. 5ocent.
Le début de cet écrit, dû à l'auteur de divers ouvrages phl-
Ioso])hiqucs importans , est un tableau rapide et animé des
grandes journées qui doivent ajouter une si belle page à no-
tre histoire. M. Massias y caractérise avec beaucoup de force
le règne de ce monarque imbécille qui, invoquant sans cesse
la sagesse divine, ne sut même pas s'éclairer des plus simples
lumières de la sagesse humaine. Il passe de là à l'examen
de questions d'un si haut intérêt que les circonstances ont sou-
levées, el il le* résout, en général, comme l'ont fait nos dé-
SCIENCKS MORALES. 45g
pûtes, à un pclit nombre d'opposanj près, lesquels, au sur-
plus, ont trouvé bien des approbateurs paraii la nation. Nous
énumérerons les diverses questions que traite l'auteur, comme
le meilleur moyen de faire connaître son écrit :
1°. Le parjure et C abdication de Charles X sufjlrent-ils pour
abolir entièrement les lois et la Charte?
2°. ^ qui, après la consommation du parjure, appartenait de
maintenir, modifier et compléter la Charte ?
3°. La chambre de^ députés, en droit de conserver et de modi-
fier la Charte, avait-elle le droit d'en changer les articles fonda-
vientaux ^ et démettre la France en république'?
4°. Eût-il été expédient que la chambre des députés mit la
France en république, lors même qu'elle en aurait eu le droit et
le pouvoir?
5°. La chambre des députés, qui n'était pas en droit, et pour qui
il n'était pas opportun de proclamer la république, avait-elle le
pouvoir de nommer un roi?
6° Qui, tac/iambredes députés, ayant droit dénommer un roi,
devait-elle élire, de Napoléon II, du duc de Bordeaux ou du duc
d'Orléans?
On voit par quel enchaînement logique l'auteur est arrivé
à l'ordre actuel de choses; chemin taisant, il examine cer-
taines questions incidentes, notamment la légitimité de la nais-
sance du duc de Bordeaux. M. Massias n'y croit point, et il
présente à ce sujet des rapprochemens et des anecdotes qui
peuvent fortifier des doutes déjà conçus; nous y renvoyons
les personnes dont la conscience est encore préoccupée de cette
insignifiante légitimité, en présence des œuvres glorieuses de
la légitimité nationale. En somme, cet écrit, dont on n'adop-
tera peut-être pas toutes les opinions, dénote du moins un bon
citoyen et un homme résolu à rompre en visière avec cette
ignoble congrégation dont le joug nous a tant humiliés; or,
comme dit Coxirricr, c'est là le point. P. A. D.
1 14- — De /« Charte d'un Peuple libre. Le peuple français
ayant reconquis ses droits, quelle sera désormais la Charte
d'un peuple libre et digne dé la liberté ? par A.-D. Vergnacd,
ancien élevé de l'École Polytechnique. Strasbourg, août^ i83o ;
imprimerie de Silberniann ; et Paris, Roret, rueHaulefeuille.
In-S" de 09 pages; prix, i fr. ( Se vend au profit des bles-
sés. )
ISous ne pourrions nous livrer ici à la discussion de tous les
articles dont se compose le projet de Charte que M. > ergnaud
présente à ses concitoyens, trop tard, il est vrai, pour qu'il
puisse concourir à éclairer le pouvoir constituant sur les vœux.
46o LlVniiS FRANÇAIS.
et les besoins du pays, mais à tems encore pour conîribuer à
répandre partout des idées saines sur la nature des institutions
qui conviennent à un peuple libre. Nous noi;s bornerons donc
à l'annoncer, en reconnaissant, sans toutefois approuver en-
tièrement toutes les opinions professées par l'auteur, que c'est
l'œuvre d'un bomme instruit et d'un bon citoyen. Z.
11 5. — Piiition d MM. les Membres de la Chambre des Dé-
putés. — De la Révision de la C/iarte , des motifs qui la déter-
minent ; par M. DE FRA>CLiEr. Senlis, 4 août i83o. ln-4" de
4 pages.
1 i6, — Pétition : moment présent ; ensemble des mesures ,
des lois que je propose à MM. tes Membres de la Chambre des
Députés; par M. de Francliei. Senlis, i5 août i85o. In-4°
de 8 pages.
Nous avons eu plus d'une fois l'occasion de faire connaître
à nos lecteurs les idées politiques de M. de Franclieu, et ses
opuscules qui se distinguent souvent par des vues utiles, tou-
jours par un vif amour du pays et un zèle ardent pour la liberté.
Ces deux nouveaux écrits .'!e recommandent au même litre. Sur
le premier, publié au moment où la nouvelle révolution avait
tout remis en question parmi nous, M. de Franclieu deman-
dait que les cbangemens à faire à la Cbarte ne fussent opérés
que dans des formes solennelles et spéciales pour ce grand
acte de révision. L'auteur reproduisait un projet déjà publié
par lui, et tendait à fixer, par un mode régulier et déterminé
à l'avance, les améliorations successives et périodiques que
doit subir la constitution d'un peuple , pour rester toujours
au niveau des progrès de la civilisation et des besoins poli-
tiques de ce peuple.
La seconde pétition renferme quinze observations qui por-
tent sur des objets plus ou moins graves. L'auteur demande
que le Pantliéon soit rendu à sa destination première, et pro-
pose l'érection de divers monumens. Il demande que la
Cbanibre des députés soit renouvelée par cinquième chaque
année ; qne la Chambre des pairs soit remplacée par un Sénat
électif, mais avec des conditions d'élcclion différentes de celle»
de la Chambre des députés. Il veut un tribunal d'Étatsuprême
pourjugerlescrimes de lèse-nationetles fonctionnairesprévari-
cateurs ; une organisation de la force publique, qui embrasse
toute la ))opulatiiin , divisée en sept classes, depuis l'enfance
jusqu'à la vétérance. fixée à l'âge de 6o à 70 ans. Enfin, les
«•ftlonies attirent aussi rultenlion de notre publiciste , qui ré-
."Uime.pour elles des luis stables et un régime définitif.
Dans l'étroit espace d'ïuie pétition. iM. de Franclieu n'a pu
SCIENCES MORALES. — LITTÉRATURE. 461
qu'énoncer des propositions; on voit, à lenr nombre et à leur
importance, qu'un vul u me sufliraitù peine pou ries développer.
Il nous faudrait aussi faire un livre, si nous voulions les exa-
miner à fond. Nous aurions quelques points à contester à
M. de Franclieu, mais lors même que nous ne nous trouvons
pas de son avis, nous ne saurions nous empêcher de rendre
témoignage à ses lumières, à ses intentions et à son amour du
bien public. M. A.
Littérature.
1 17. — * Œuvres de Voltaire, arec préfaces, avertissemens,
notes, etc., par M. BEccnoT. 9^ et 10" livraisons, comprenant
les tom. m, v, xix, xx, xxxix et xl, des Œuvres complètes.
Paris; i83o; Lefèvre, rue de l'Éperon; prix du vol. , 4 ff-
5o c.
Nous avons déjà recommandé aux lecteurs de la Revue Ency-
clopédique, cette importante publication, pour laquelle le nom de
M. Beuchot était une garantie plus que sulFisante. Les nouveaux
volumes que nous avons sous les jeux nous paraissent dignes des
mêmes éloges que les précédens, soit par le mérite très-notable
de l'exécution typographique , soit pour l'extrême correction
du texte , soit siutout par les annotations savantes et judicieu-
ses de l'éditeur. En attendant que l'entière puldication de l'ou-
vrage nous mette à portée d'examiner cette belle édition aA^ec
tout l'intérêt qu'elle mérite, nous nous contenterons d'indi-
quer ce qu'ofî'rent de plus remarquable les six volumes que
nous annonçons aujourd'hui.
Les deux premiers (met v delà collection) font partie dvi f/iéâ-
ire, et contiennent, entre autres pièces, Zaïre, Adélaïde du Gues-
clin, Mahomet, Mérope et Séiuiratnis. Chacune de ces tragédies
est accompagnée de sesva)-iantes et de notes, presque toutes d'un
grand intérêt. A la suite d'Adélaïde se trouve une pièce intitulée:
Le duc d" J lençon , oi'i le même sujet], déjà traité dans le duc de
Foix, avait été arrangé par l'auteur en trois actes, et sans rôle
de femme, pour le petit théâtre de Potzdam : cette dernière
tragédie n'a été imprimée qu'en 1821. L'autre volume con-
tient, de même, des fragmens d'une pièce inédite intitulée :
Thérèse. Ces deux ouvrages sont, du reste, très-peu remar-
quables , et nous n'en faisons mention que pour montrer com-
bien l'éditeur a mis de zèle et de conscience à rendre cette
collection aussi complète qu'il était possible de le désirer.
Les deux volumes suivans (xix et xx) comprennent en en-
tier le siècle de Louis XT\ . avec le supplément, qui manque
462 LIVRES FRANÇAIS,
dans beaucop d'éditions même assez récentes, et qui contient,
comme on sait, une réponse, telle queVoltaire pouvait la faire,
aux critiques et aux invectives de La Beaumelle.
Enfin, sous le titre de Mélanges, se trouvent rassemblés,
dans les tom. xxxix et xl des œuvres complètes, des Mémoi-
res, discours, et autres morceaux relatifs à divers sujets,
parmi lesquels on remarque tout ce qui se rapporte au mémo-
rable procès de Calas, une lettre très-curieuse sur l'impôt du
vingtième, publiée pour la première fois en 1819 par M. de
La Bédoyère , et son examen critique des œuvres de Mauper-
tuis, qui n'avait pas encore été r.dmis dans la collection des
œuvres de Voltaire.
Ce petit nombre d'o])servations, auquel nous devons nous
borner pour le moment, fait voir, du moins, avec quel soin
M. Bcucbol poursuit la tâche laborieuse qu'il s'est imposée, et
que per^onne n'était , assurément, plus capable de bien rem-
plir. Y. Z.
118. — * Françoise de Rimini, drame en cinq actes et en
vers, par Gustave Drouineau, représenté pour la première
fois sur le Théâtre-Français, le 28 juin i83o. Paris, i85o;
Timothée Dehay. In-8° de xiv et 120 pag. ; prix, 3 fr.
Parmi les sujets nombreux que le drame a empruntés à
l'épopée et au roman , il en est bien peu qui aient obtenu un
succès complet. Outre qu'il est rare que la même action con-
vienne également au récit et au théâtre, il semble qu'une fois
que le génie a impiimé son cachet à un événement, l'imagi-
nation se prête avec peine à le voir reproduire sous des formes
nouvelles. Le nom de Françoise de Rimini rappelle à tout lec-
teur du Dante deux situations, j'oserai dire caractéristiques;
celle où Françoise et son amant s'abandonnent aux séduc-
tions du livre des Amours de Lancelot; situation si heureuse-
ment livrée à la rêverie du lecteur par le vague de ce dernier
vers :
Quel giorno piii non vi leggemmo avanie;
et celle OÙ le poète les peint au séjour des supplices, errant dans
le vague des airs, comme deux colombes, souflVans, mais éternel-
lement unis. Or, de ces deux .>-ituations, la preuîière ne con-
vient sous aucun rapport au théâtre; la seconile est postérieure
à l'action. Que reste-t-il au drame, privé de ces deux élémens?
L'aventure d'une fenune tuée par son mari, parce qu'il décou-
vre (pi'elle aime son beau-frère! Cela n'est ni bien original, ni
bien important. Il faut, pour remplir le drame, ajouter à ce
fond d'autres évèncmens, d'autres personnages, d'autres com-
binaisons; et c'est ce qu'a fait !M. Drouineau. La querelle des
LITTKRAÏLRE 463
Guelfes et des Gibelins, les efforts du Dante pour relever les
espérances de ce dernier parti, occupent une assez «^randc
place dans son ouvrage, surtout aux premiers actes. Par mal-
heur, ces détails politiques ne font que rallentir l'action et
compliquer le sujet. Ilien de moins intéressant que les Guel-
fes et les Gibelins. Ces factions déchiraient l'Italie pour la
cause de deux puissances rivales , le pape et l'empereur, dont
le triomphe ne pouvait que lui être également funeste : si les
peuples italiens avaient eu alors plus de lumières, ils se seraient
armés contre tous deux. Une invention plus heureuse, c'est
celle d'un tournoi où Paolo remporte le prix; la jalousie de
lierthold, qui lui suggère l'idée d'obliger Françoise à ceindre
l'écharpe au vainqueur et à lui donner le baiser d'usage , pro-
duit une situation très-dramatique. Cette scène, et plusieurs
autres, où la passion est peinte avec énergie et délicatesse, con-
firment les espérances qu'avait fait concevoir le succès de
Rienzi, et que réaliseront sans doute les nouveaux ouvrages
que M. Drouineau nous promet dans sa préface. Nous re-
marquons, dans cette préface, une protestation d'admiration
et de respect pour les anciens maîtres de notre scène, qui
honore à la fois le talent et le caractère de ce jeune auteur.
Pressé par la coterie romantique de dire à quel régiment
littéraire il appartient, M. Drouineau répond « qu'il ne conçoit
pas qu'on puisse enrégimenter les intelHgences, que les con-
quêtes de l'esprit doivent êtie individuelles, qu'il ne s'agit
pas de suivre un drapeau, mais bien ses propres idées et l'es-
sor de son imagination. » Cela est juste et vrai, aussi bien ex-
primé que bien pensé. Je suis moins satisfait des moyens qu'il
propose pour renouveler les tableaux trop souvent reproduits
sur notre scène. » Donner de la vie à l'érudition , animer d'un
coloris intime et vigoureux les sujets qui ne nous ont été
offerts qu'à l'aide de demi-teintes pTdes et timides : faire pal-
piter la science historique; rajeunir toutes ces vieilles passions,
en les représentant avec l'énergie et la couleur vraie de leur
siècle ; les jeter comme contraste au milieu de notre civilisation
moderne, où toutes les physionomies s'effacent, etc. Ce style
enluminé fait mon supplice, quand je le vois appliqué aux
matières de raisonnement et de critique. La théorie des arts
est bien assez abstraite, sans y joindre l'obscurité du langage
à la mode.
Que veut dire M. Drouineau ? Que les personnages et les
évènemens que nous offre le drame doivent désormais por-
ter les couleurs du pays et du tems? Le précepte est bon,
mais il n'est pas nouveau; et ponr ne citer qu'un petit nom-
464 LIVRES FRANÇAIS,
bre d'exemples, il me semble que le Cid, les Horaccs^ Atha-^
lie, Tancrcde, en présentent d'assez benreuses applications;
que les moeurs y sont peintes avec autant d'exaclitndc que le
permet l'intérêt dramatique. Mais peut-être M. Drouineau
veut-il que les personnages reparaissent à nos jeux absolu-
ment tels que les faisaient les usages, les opinions, les costu-
mes de leur siècle. De pareils tableaux pourront être agréa-
bles aux antiquaires : mais je doute qu'ils soient fort goûtés du
public. Pour l'émouvoir, pour l'attacber, il faut, de toute né-
cessité, que les béros du drame sympathisent avec lui. Il faut
sous le costume du siècle peindre l'homme de tous les tems.
J'ai encore une objection à soumettre à M. Drouineau. « Je
crois, dit -il, ù la perfectibilité de l'espèce Jmmaine; je
crois à la perfectibilité des arts; je crois donc l'art dramati-
que susceptible de modifications inépuisables. «L'espèce hu-
maine est perfectible sans doute, en ce qui est le fruit de l'ex-
périence et de l'observation. Ainsi les sciences, les arts
mécaniques, l'organisation des Sociétés, la moralité même de
l'homme sont indéfiniment susceptibles de progrés. Mais il n'en
est pas ainsi des arts où l'imagination domine. Leur empire
ne s'étend pas de siècle en siècle , et l'avantage de l'expé-
rience n'y compei.se point linconvénient de trouver la car-
rière déjà parcourue. Les hommes de génie qui ont initié les
peuples à la culture de ces arts en resteront donc probable-
ment les plus heureux moiièles. Quels progrès à faits l'épopée
depuis H ojiière ; l'ode, depuis Pindare et Horace; l'élégie,
depuis Tibulle ; la tiagédie, depuis Voltaire; et qui pourrait
croire que, dî»n=^ 1^» fahle et dans la comédie , La Fontaine et
Molière seront jamais surpassés ! Cb.
1 iq. — Mchn^<ges, ou Suite des promenades d'un solitaire, par
CliurAes d'Oitrepont. Paris, i85o; Firmin Didot, rue Jacob.
lri-8° de viii et 222 pages ; prix, 5 fr.
Ce n'est point ici un titre en l'air ou pris au hasard; médité
sous des ombrages inspirateurs, cet ouvrage est bien réelle-
ment l'œuvre d'un philosophe qui vit solitaire au milieu de
Paris, qui puise en lui-même et dans ses livres une pensée
pure et indépendante, vuie opinion lil)re, et que n'influence
point l'opinion du voisin. Si c'est là un avantage, si l'honane
qui écrit ainsi est plus lui, plus original, cet avantage n'est
pas à l'abri de quelque inconvénient; il est bien certain qu'il
y a aussi quelque chose à ajiprendre dans la grande fréquen-
tation des honuiie-. qu'il est telle conversation où, sans per-
dre son indépendance originelle, une opinion se travaille et
se modifie, imr pensée s'élal)f)re et s'aiguise. Toufefois l'étude
LITTÉRATURE. 4G5
d'un livre, tel que les Promenades, est peut-être pour le lec-
teur uue étude plus curieuse que celle d'un livre composé
connue lous les autres ; on peut espérer d'}^ trouver plus d'in-
dividualité et moins de ce qu'on trouve partout.
D'après ce que nous venons de dire, on ne s'étonnera pas
si, malgré la haute raison de l'auteur et le mérite réel de son
ouvrage, on n'est pas toujours de son avis, si l'on rencontre
de tems en tenis des idées qui peut-être auraient gagné à
passer dans le frottement de la société. Nous croyons, par
exemple, que c'est mal comprendre notre tems que de le re-
présenter comme : « Un siècle où le matérialisme et l'athéisme
sont tellenieiit en crédit qu'il faut avoir quelque courage pour
oser confesser Dieu et les doctrines qui se rattachent à cette
croyance. » Nous pensons qu'aujourd'hui il y a heaucoup [dus
de liherté snr ce point qu'au dix-huitième siècle ; que l'incré-
dulité est iiioins systématique, et la liberté de croyance beau-
coup plus entière, beaucoup plus à l'abri de toute persécution,
même de tout sarcasme, il y a aussi, dans le livre de M. d'Ou-
trepont , certaines questions politiques sur lesquelles nous ne
partageons pas le sentiment de l'auteur, et nous croyons que
notre opinion, plus conforme à l'opinion commune, est aussi
plus conforme à la vérité. Nous essaierions de le prouver, si
la discussion de telles questions n'exigeait pas des dévelop-
pemens assez étendus. Peut-être aussi, en évitant la discussion,
évitons-nous une défaite; car M. d'Outrepont est un adver-
saire qui peut faire douter de soi-même quand on est en op-
position avec lui.
Au reste, il est impossible que, sur un livre qui renferme
tant de sujets divers, deux hommes soient toujours de même
avis; outre qu'il est poli et qu'il est juste de penser que cha-
cun à son tour peut avoir tort et raison, il faut bien convenir
(et ceci regarde le critique comme l'auteur) qu'il entre sou-
vent un peu de préjugé dans nos doctrines. « J'ai écrit que
bien penser, sous le rapport politique, dit M. d'Outrepont,
c^est penser comme nous pensons, et malheureusement cette ma-
nière d'être est la base de tous nos jugemens. Lord Sandwich
disait un jour à l'évêque Warburton : « Je ne vois aucune dif-
férence entre C orthodoxie et iliciérodoxie, et l'évêque répondit :
l'orthodoxie, milord, c^est ma doxxe, et f hétérodoxie, la doxie
d'un autre homme. » Si nous prenions à la lettre la plaisante-
rie de l'évêque, il en faudrait conclure qu'il n'y a rien de vrai
parmi les hommes, et que toutes les opinions se valent ; mais
c'est une exagération qu'il faut savoir comprendre, et qui ren-
ferme une pensée pleine de sens. »
T. XLVII. AOITT i&5o. 5o
46« LIVRES FRANÇAIS.
Quelquefois aussi nous ne pouvons attribuer qu'à une sim-
ple tlisirartion l'erreur où nous cro^^ons que notre auteur est
tombé. Ainsi, dans un elinpitre intitule : Que d'erreurs et d ab-
surdités dans une bUitiollièque^ chapitre qui prouve à la fois
beaucoup de lecture et un lact f(trt judicieux. ]\]. d'Outre-
pont accuse une pensée de Sophocli; que nous tenons à justi-
fier, car Sophocle est un de nos auteurs de prédilection : « Il
faut respecter le pouvoir suprême, dans quelque main qu'il
soit déposé. 1) Soph. [Antigone.) M. d'Outrepont n'a pas de
peine à faire sentir ce qu'il y a d'immoral et de faux dans
cette maxime; puis, il ajoute : «Les poètes sont quelquefois de
singuliers citoyens. Remarquons que Sophocle est ici inexcu-
sable, car il ne met point sa maxime dans la bouche d'un ty-
ran, ou dans celle d'un valet de cour; mais il la faitdiie par
le chœur, par le personnage qui est toujours chargé de la par-
tie morale et sentencieuse dans les tragédies grecques. » D'a-
bord la phrase grecque est beaucoup moins absolue que la
phiase française. Ensuite, s'il est vrai que le plus souvent le
chœur est le personnage moral de la pièce, ce n'est pas une
régie sans exception, et parmi les exemples du contraire, le
chœur de V Jniigone a été plus d'une fuis cilé. Les vieillards
«pii composent ce chœur sont des courtisans de Créon, ils
plaignent le malheur, mais ils obéissent aux volontés du maî-
tre ; et l'intention assez manifeste de Sophocle, dans tout le
cours de la pièce, a été de prouver que le despotisme perver-
tit même le bon naturel ; c'est une flatlei ie populaire qui n'est
pas rare chez les auteurs dramatiques d'Athènes, lesquels usent
de tous les moyens poiu- ra})peler aux Athéniens tous les vices
du gouvernement d'un seul, tons les avantages de la liberté.
L'erreur que nous venons d'in(li«iuer, nous l'aurions laissé
passer impunément dans beaucoup de livres ; mais les opinions
de M. d'Outiepont sont si bien marquées au coin de la sa-
gesse, elles ont à nos yeux une autorité si respectable, que
nous avons cru nécessaire de venir au secours de Sophocle.
Cette remarque nous sert d'ailleurs à varier le ton de cet ar-
ticle, dont le sujet nous offre beaucoup à louer. Il est peu
d'ouvrages où l'on trouve ainsi réunis un savoir étendu, une
vue perçante, une conscience d'honnête homme. Studieux,
observateur et écrivain, M. d'Outrepont s'adresse à un grand
nombre de lecteurs. Chez lui la profondeur de la pensée est
unie à lu légèreté des formes; les vérités morales n'ont rien
de rébarbatif, et se présentent sous une apparence piquante;
témoins, entre autres, les chapitres intitulés : Jadis et Aujour-
d'hui ; En tonte chose, il faut considérer la fin. C'est une revue
LITTERATURE. ^67
<Catistique et souvent fidèle de la société d'aujourd'lmi que le
chapitre intitulé : Philotas; la grande question do la soiu-i;e
du pouvoir est habilement discutée dans un dialogue entre A et
B, et dont le titre est : La première letire de T Alphabet n'apas tou-
jours le se^is commun. Ici, M. de Bonald est vigoureusement
réfuté; là, Louis XIV est jugé avec une haute indépendance;
ailleurs, !e matérialisme est combattu avec une conviction pro-
fonde, et la tolérance professée avec des paroles dont l'ex-
pression s'échappe du cœur; un Discours à un Prince âaê de
quinze ans, qui forme ce dernier chapitre, est empreint d'une
haute et touchante éloquence ; et le chapitre précédent : Édu-
cation d'un petit Prince allemand^ à la manière du bon vieux teins,
sauf les exceptions , est une espèce de scène comique, un dia-
logue écrit, comme M. d'Outrepont les sait écrire, de main de
maîti-e.
Nou^ aurions voulu pouvoir citer quelques fragmens des
Promenades, mais des phrases détachées n'indiquent jamais
fidèlement le talent qui brille dans un livre, et l'espace nous
manque pour les longues citations ; c'est au lecteur à ratifier
nos éloges, qui, du reste, ont reçu leur passeport des criti-
ques qui les précèdent. M. A.
120. — * Jycs Mauvais Garçons (par M. Alphonse Royer).
Paris, i85o ; Eugène Renduel, rue des Grands-Augustins,
ri° 22. 2 vol. gr. in-8° de 400 p. environ chacun ; prix, 14 fr.
121. — * Les Deux Fous, histoire du tems de François I" :
1624; par P. L. Jacob , bibliophile, membre de toutes les
Académies, éditeur des Soirées de IV aller Scott à Paris. Pa-
ris, i83o; Eugène Renduel. Grand in-S" de xih-Sqj pages;
prix, 7 fr.
Depuis quelques années, la littérature en général, et la poé-
sie en particulier, semblent être devenues, pour ainsi dire,
les succursales de l'érudition. Celle-ci, nous 11e devons pas
le nier, a rendu d'iniportans services à la science : elle a rec-
tifié les erreiu's nombreuses où les préoccupations philoso-
phiques avaient entraîné les publîcistes les mieux instruits et
les plus ingénieux du siècle dernier; elle a jugé, avec cet
équitable sang-froid ([ui tient compte de toutes les circonstan-
ces locales, les hommes et ks choses de la féodalité; elle noifs a
présenté enfin l'ensemble de cette époque remarquable sous
un jour nouveau et plus vrai. iMais, nos poètes et nos roman-
ciers, en la suivant dans cette sage et consciencieuse révision
des jugemens historiques, n'ont pas su se garantir d'une exa-
gération dangereuse. De l'observation plus exacte du cos-
tume, de l'étude pins approfondie et plus impartiale du ciu-ac-
4fi8 LIVRES FRANÇAIS.
lèic (le chaque siècle, esl résulté ce qu'on appelle la couleur
locale, sorte (le vernis a-^réable et piquant, qui peut bien ra-
jciMiirles détails d'untahh'au, niaisqui ne saurait en dissimu-
ler la faiblesse et Tinrorrection. Kh bien, nos jeunes auteurs,
en dirigeant leurs efforts vers la recherche de cette qualité,
peut-être trop négligée parleurs devanciers, sonttombés dans
nue erreur fatale : ils ont cru qu'elle pouvait constituer à elle
seule le mérite des ouvrages d'art, et qu'elle suffirait à leurs
succès. Bien plus, ils ont méconnu la nature même de cette
couleur locale dont l'acquisition leur paraissait si précieuse :
ils l'ont fait consisler dans la représentation exacte des formes
extérieures, au lieu de la chercher dans l'intelligence des idées
morales (|ui dislingucnt une époque parmi toutes les autres.
Ainsi, les uns ont minutieusement décrit la forme d'un cha-
peau, la couleur et les plis d'un haut-de-chausses; ils ont par-
hiitcnient analysé la disîiibution des diverses parties dont se
comjiosait, au xv' siècle, un château seigneurial, ou même le
logis d'un riche bourgeois; d'autres se sont crus plus hliWles,
eu introduisant dans leur dialogue quelque juron historique,
(Ml faisant retentir, sous les voûtes d'un corps-de-garde ou
d'un cabaret, le refrain gothique d'une vieille chanson : la
plupart ont fait comme ces peintres qui demandent à leur
palette les plus brillantes couleurs pour rendre toute la ri-
chesse d'un uniforme ou d'un habit de cour, et dont le froid
pinceau ne couununiqnc ni vie, ni expression aux pâles figu-
res écrasées sous ces lourds ornemcns. Bien peu se sont
attachés, comme les grands maîtres, à étudier les traits
caractéristiques de la physionomie d'un siècle , afin de les
personnifier dans (pielques portraits d'imagination, types
pliilosophi(|ues ou poéîi(|ues, pour ainsi dire, des opinions et
des mœurs de leur tems.
Ce reproche ne pourrait s'adresser enlièremcnl, sans injus-
lice, aux auteius des deux romans que nous annonçons. Les
rilanviiis Gnrrans offrent un tableau assez vivant de l'intérieur
du vieux Paris; l'action en est curieuse et animée, etles figures
j)rincipales sont (racées avec soin et avec une agréarble variété
dans le dessin. Quant aux Dcii.t Fous, un intérêt mélancolique
s'attache à la personne du héros principal, Caillette, qu'un tmiour
irop sincère et troj) générciix pour la personne de Diane de
Poiliers conduit, à travers plusieurs aventures assez habilement
liées entre elles, à ui'.e mort volontaire et prématurée. Il y a
ccrlainemeut quelque chose dans ces ouvrages qui révèle
deux talens originaux ; mais ces talons sont gâtés par
un défaut, disons nn'eux, par une manie qui nuit singulière-
LITTÉRATURE. ^(k,
ment à l'eflet que leurs productions sont destinées J obtenir
sousie lapport de l'art : c'est raiVectation de la coultMir locale,
non plus appliquée seulement aux petites choses, comme nous
l'avons déjà signalé, mais transportée jusque dans le style. Soil
(ju'ils aient voulu donner une teinte plus antique à leur travail,
soit qu'ils aient réellement formé le projet de réformer la lan-
f^ue, 31. Jacob et sou émule semblent d'accord pour intercaler,
dans un récit écrit en français de notre époque, avec élégance et
naturel, des dialogues interminables, où tout ce que l'élude la
plus laborieuse des écrivains du xvi'' siècle a pu leur fournir
d'expressions grotesques et de façons étranges de parler est re-
cueilli avec une scrupuleuse exactitude. Qu'en lésultc-t-il ?
Une disparate choquante, un défaut d'harmonie qui l'atiguent et
repoussent. Et encore, si ce dialogue était simple, court, et
approprié aux personnages : mais non, ceux-ci sont tous éga-
lement bavards, sentencieux et diffus, ne laissant échapper
aucune occasion d'ouvrir la bouche, et, lorsqu'ils ont une
fois obtenu la parole, la conservant avec une persévérance
admirable. De bon compte, les dialogues occupent, pour le
moins , les deux tiers de chaque volume ; et certains mots pé-
dantesques, tels que iSa/rtnas, viessire Apollo, dame Juno,elc., y
reparaissent avec une complaisance qui porterait à croire que
les auteurs leur attribuent quelque vertu magique d'attrac-
tion. Certes, le langage moderne peut faire d'utiles conquêtes
dans les domaines négligés du vieux français : que de mots
expressifs, que de tournures naïves et énergiques, un écrivain
habile, un nouveau Courrier, saurait rendre populaires eu
les adaptant avec art aux habitudes nouvelles de notre lan-
gue. Mais c'est une tâche qui demande du discernement et
de la mesure ; ce sont des conquêtes qu'on ne peut obtenir que
lentement et par degrés; pour y réussir, il ne suffit point de
lancer inconsidérément dans le public un gros volume, tout
farci de phrases bien lourdes et bien obscures ; et c'est une
tentative ridicule que de vouloir placer le vocabulaire mo-
derne eu présence de cette nomenclature de mots éteints aux-
quels la mode capricieuse a tour à toiu- retranché deux ou
trois lettres, afin de leur donner une allure plus jeune, et qu'on
est tout étonné de voir ressuscites pour contester à d'heureux
dérivés leur juste droit de cité. Quant aux avantages que l'art,
pour lui-même, peiit retirer de cette innovation, païaîtront-
ils plus évidens? Je ne le pense pas. Loin de contribuera
l'effet de l'ensemble, je l'ai déjà dit, ce placage d'un dialogue
antique au milieu d'une narration à la moderne est du plus
mauvais goût, et ne produit (ju'une maladroite discordance :
470 LIVRES FRANÇAIS.
et puis, quelle pourra «'ire la vérité de ces discours dont le9
membres de pjirases ont été pillés cà et là daus des livres, qui
souvent ne sont point contemporains les uns des autres, et
qui, dans tous les cas, entachés de l'érudition pédantesque et
de la subtilité scolastique du tems , ne peuvent donner une
idée juste du langage familier et populaire. Aussi, qu'est-il ré-
sulté des premiers essais de ces jeunes écrivains ?.I!s n'ont fait
ni de bons ouvrages d'érudition grammaticale et littéraire , ni
des romans complets et amusans : une autre fois, qu'ils tra-
cent, entre les deux genres, une ligne de démarcation plus
précise, et certes ils sont bien capables d'obtenir des succès
solides et durables dans l'un et dans l'autre.
122. — Le Grenadier de CUe d'Elbe, Souvenirs de i8i4 et
181 5; par A. Babginet, de Grenoble ; avec cette épigraphe :
La vertu, c'est le détournent. Paris , i85o ; Marne et Delaunay-
Vallée. 2 vol. grand in -8°, formant ensemble plus de 800
pages ; prix, i4 fr.
M. Barginet n'avait certainement pas déterminé le plan de
son ouvrage avant de prendre la plume ; car il est dillicile de
comprendre, lorsqu'on a eu l'attention de le lire jusqu'au
bout, quel en est le véritable héros, et sur quelle action l'au-
teur a voulu diriger l'intérêt. Le fabuleux épisode des Cent-
jours, qui intervint, avec tant de merveilleux et de déplorables
incidens, entre les deux prétendues restaurations, paraît avoir
vivement frappé l'imagination de M. Barginet. Fort jeune en-
core en 18 i5, et placé, daus sa ville natale, aux avant-postes
de cette popuhitiou enthousiaste qui fêta la première ISapo-
léon échappé àc sa triste captivité de l'île d'Elbe, il recueillit
avec soin les impressions profondes que ce beau spectacle ne
put m.anqiier de produire sur son imagination encore neuve. Des
circonstances particulières, et dont le récit occupe une place
dans son livre, durent ajou-ter encore à la force et à la magie
de ses souvenirs. Aussi ne faut-il pas s'étonner s'il a cédé,
peut-être même un peu tard, au désir de les consacrer par un
hommage public. Ainsi, bien évidemment, son premier pro-
jet doit avoir été de tracer un tableau poétique de ce grand
événement, et de constater la part, toute minime qu'elle soit,
qu'il peut y avoir eue. Si les détails nouveaux et personnels
qu'il pouvait ajouter à l'histoire de cette épo(|ue avaient été
assez nombreux ou assez im|)ortans, il aurait donc fait tout
simplement des Mémoires; s'il avait été doué du talent d'a-
ligner des rimes et de mesurer des sylhibes, il aurait embou-
ché, cotnme on dit, la trompette épique : mais ni l'une, ni
l'autre entreprise ne paraissant convenir à son talent, ni aux
LITTERATURE. 4;,
matériaux qu'il avait à mettre eu œuvre, l'auteur a cherclié un
genre mixte, où l'on trouve de nombreux essais d'épopée en
prose, et, par-ei , par-là , (juelques pages d'anecdotes histori-
ques, le tout mêlé à une intrigue fort ordinaire de roman, dans
laquelle un austère et lidèle grenadier de la vieille garde joue
le rôle principal. xV parler l'ianchement, ce singulier amal-
game ne produit point im heureux effet; et la pompe trop re-
cherchée du style ne déguise pas toujours l'absence d'intérêt ,
l'inutile allongement du récit, et le peu de proportiondu nom-
bre et de la valeur des idées avec l'étendue des phiase.s. Ce-
pendant, on y trouve des passages bien écrits; quelques épi-
sodes, ceux surtout oi^i le brave vétéran reparaît à de rares
intei'valles sur la scène, sont touchans et naturellement racon-
tés ; enfin, parmi les mille et une digressions à propos de
Napoléon, de son génie et de ses erreurs, se lencoiitrent
beaucoup d'opinions exprimées avec sagesse et patriotisme,
quoique le jugement général de l'auteur sur cet homme ex-
traordinaire nous semble pécher par cette affectation d'impar-
tialité qui, pour égaliser les deux plateaux de la balance,
s'empresse trop complaisamment d'alléger le coté du mal, aux
dépens de la saine justice.
iis3. — Oui et Non, roman du jour, par lord Normanby ,
auteur de Malllde; traduit de l'anglais par MM. Claudon et
Paquis, traducteurs de la Collection des romans i'ashionables.
Paris, i83o ; M"' Bréville, rue de l'Odéon, n" J2. 4 vol. in- 12,
formant ensemble prés de 1200 pages; prix, 12 fr.
Deux amis, Oakley et Germain, sont introduits auprès des
lecteurs, dans une auberge où leurs caractères se dessinentdcs
l'abord d'une manière bien prononcée : l'un est soupçonneux,
méfiant, taciturne et bourru; le s<;cond affable et gai, mais
doué d'une humeur facile et trop confiante. De là, cha-
cun court employer la belle saison à sa guise; l'im, dans une
sombre retraite, où il assiste aux derniers momens d'un oncle
misanthrope, qui lui laisse, en mourant, un immense héritage ;
l'autre, dans une société du beau monde, où il perd son ar-
gent, avec une sorte d'aimable et caustique roué,, et son
tems, auprès d'une lady insensible et coquette. Arrivent les
élections du comté qui amènent de nouveau la rencontre,
puis la rupture des deux amis, présentés concurremment aux
suffrages des freeholders réunis. Oakley, libéral indépendant,
émet avec éloquence des opinions vigoureuses qui lui assurent
d'abord la majorité des voix ; mais la modération de Germain,
ses manières ouvertes et affectueuses, et les efforts bien diri-
gés des meneurs de sa coterie l'emportent à la fin sur la rudesse
473 LIVRES FRANÇAIS
de l'orateur radical, qui, par respect pour les principes, a
refusé de grisera ses frais les électeurs campagnards. J'oubliais
(pTOakley, toujours enclin à de jaloux soupçons, se brouil-
lait avec sa maîtresse, parce qu'elle avait un instant porté
les couleurs de son rival, sans pour cela perdre l'amour de
celle qui a voué une sincère admiration à son noble ca-
ractère; puis Germain, détrompé sur ses espérances par
lady Latimer dont il était devenu l'assidu courtisan , s'attache
de plus en plus à la sœur de celle-ci, lady Jane Sydenham,
dont il sait apprécier les qualités agréables et solides. Enfin,
lorsque l'ouverture de la session parlementaire rapelle a Lon-
dres, avec toute la société fashionable, les deux nîiuveaux
députés, l'un devient un assidu défenseur des intérêts du
peuple, landis que l'autre sacrifie trop souvent ses devoirs
politiques à son goût pour les plus coûteux plaisirs. Toute-
fois, ce dernier a ime fin plus heureuse que son rival;
emporté par son humeur fantasque et défiante, celui-ci
cherche querelle à un petit-maître dont il n'a jamais pu sup-
porter l'impertinence et la frivolité, et meurt dans un duel
devenu indispensable, au moment d'épouser Hélène à laquelle
il rend enfin justice. Germain, au contraire, ruiné par ses folles
dépenses, trouve encore, dans sa détresse, lady Jane fidèle à
ses engagemens; et, cédant aux vœux exprimés dans le testa-
ment du malheureux Oakiey, il retrouve, en l'épousant, unefor-
tune indépendante qui lui est assurée dans la succession de son
ami. Il serait trop long de discuter ici la valeur morale des pré-
ceptes de conduite que peut comporter cet ouvrage ; mais , en
le considérant comme un «simple roman , disons qu'il est amu-
sant et spirituel : les diverses scènes le'.ativcs aux élections
surtout sont décrites avec beaucoup de gaîté , quoique les
tiiiducleurs en aient souvent aflaibli les couleurs, soit par une
négligence bl;1mable, soit peut-être jiar ignorance du langage
et des mœurs de l'Angleterre. et.
Beaux- J ris.
I 'il\. — * Mctliodes d'/iannonie el de composition, à l'aide des-
(juelles on peut apprendre soi-Uiême à accompagner la basse
( hiffrée, et à composer toute espèce de musique ; par M. Geor-
f^cs Albkechtsbergek ; nourellr rdUion traduite de l'allemand
avec des notes, par M. (Ihoron, directeur de l'Institution de
musiqlie religieuse. Paris, i83o; Bachelier. 2 vol. in-8°. T. 1
de xxxii et 219 pages. T. 11, entièrement composé de planches
de musique dLj'isées en /j séries de io5, 37, 208 et 78 pages
non compris le titre ; prix, iG fr.
BEAUX-ARTS. 4-3
Né à Rlostenieubourfi:, à deux lieues de Vienne, le 3 février
1736, Jean-Georges Albrechtsberger s'appliqua dès l'enfance
à l'étude de la musique avec une assiduité peu coinnuine au
jeune âge; après avoir touché l'orgue en ditféreiis endroits ù
la satisfaction générale, il fut, en 1772, successeur de son
maître Mann , organiste de la Cour, et vingt ans plus tard , en
1792, remplaça Léopold Hoffmann, maître de chapelle de la
cathédrale de Saiut-Étienne, àViennc. Il occupa cette place jus-
qu'à sa mort, arrivée le 7 mars 1809; et c'est pendant qu'il
s'acquittait de ses honorables fonctions qu'il composa un nom-
bre fort considérable de messes , offertoires , graduels, etc. Il
publiait en même tems quantité de morceaux de musique in-
strumentale, presque tous dans le style fugué, faisait imprimer
la Méthode de Composition qui est l'objet de cet article, et for-
mait de nombreux élèves , parmi lesquels on remarque Beet-
hoven, Hummel, fVeigl, le chev. Seyfriid, etc.
C'est ce dernier qui s'est chargé de recueillir en un seul corps
les traités d'Albrechtsberger épars jusqu'à ce jour, et de placer
ce travail en tête de la Méthode de composition , en ajoutant à
ce dernier ouvrage des augmentations communiquées par l'au-
teur lui-même. Le Traité d'harmonie et de basse chiffrée occupe
80 pages : le système développé par l'auteur est d'une simpli-
cité extrême ; après avoir défini l'accord pariait et ses dérivés,
et en avoir réglé l'emploi, il présente cet accord primitif
comme susceptible de recevoir successivement ou simultané-
ment ses dissonnances de septième, neuvième, onzième et
treizième, et formant ainsi de nouveaux accords susceptibles
de renversemens ainsi que ses premiers, et qui deviennent
chacun l'objet d'une étude particulière. Quelque nombreux
que fussent les exemples correspondans à cette première par-
tie, M. Choron a foit sagement d'y ajouter un choix excel-
lent de partimenti ou leçons de basse chiffrée , tiré de la col-
lection de Carlo Cotumacci : l'usage d'étudier l'harmonie en
s'exercanl à l'accompagnement était fort commun dans ces
admirables conservatoires d'Italie, aujourd'hui entièrement
déchus du rang qu'ils ont occupé durant un siècle ; une telle
méthode est fort simple et fort commode, et c'est probable-
ment pour cela qu'elle est tout-à-lail inusitée en France où
l'on commence à ne trouver plus d'accompagnateur qui ait
l'habitude du chiffrage.
L'enseignement du contrepoint est présenté avec autant de
clarté que celui de l'harmonie. Après avoir posé quelques
régies générales, l'auteur indicjue les moyens d'écrire cor-
rectement les cinq espèces de contrepoint simple à 2 , 3 et 4
4^4 LIVRES FRANÇAIS.
parties, et termine par (pielques notions sur la composition à
cinq voix. Viennent ensuite les règles de l'imitation et de lii
fugue simple, puis celles du contrepoint double à l'octave, à
la dixième et à la douzième, enfin des notions sur la fugue
double et les canons; le tout est terminé par une instruction
sur les instrumens et les voix, leur étendue et la manière de
les employer.
M. Choron a conservé dans son entier le travail d'Albrechts-
berger; il n'a fait subir au texte aucun changement notable, si
ce n'est la transposition de certains chapitres qui semblent hors
de leur place, et l'addition de quelques éclaircissemens passa-
gers. Quant aux no tes assez nombreuses qu'il a placées au bas des
pages, nous ne saurions trop en recommander la lecture aux élè-
ves qui étudient la composition. On y retrouve cette véritable
sciencemusicale,au)ourd'huisirare, surtout en France: nous si-
gnalerons en particulier les notes des pages gg, 1 5g, 2o5 où les rè-
gles du contrepoint et de la fugue sont décrites de telle manière
qu'elles paraîtront claires aux intelligences les moins dévelop-
pées : M. Choron expose cette partie, en quelque sorte méca-
nique de la composition, comme il n'avait jamais été fait jus-
qu'à cette heure, en apprenant à l'élève comment il doit s'y
prendre pour écrire, lui indiquant les écueils qu'il doit évi-
ter et la route dont il ne peut s'écarter sans faillir. Cette nou-
velle édition d'Albrechtsberger et un servive de plus rendu à
la musique par M. Choron; mais nous ne le tenons pas quitte;
souvent il annonce dans ses notes un ouvrage qui a ])Our titre :
Introduction à V Eluda gmcralc et raisonnée de la Musique : nous
devons à l'amitié de M. Choron la connaissance de plusieurs
parties de cet excellent livre qui, piésentaut l'art musical sous
un jour nouveau, nous paraît devoir tout expliquer et tout
éclaircir ; là, point de difficultés éludées, point de théories aven-
tureuses, point de déclamations extravagantes, mais des vé-
rités neuves bien reconnues et bien établies, digne fruit de
quarante années de travaux et de méditations. Que M. Cho-
ron se hâte de mettre la dernière main à ce travail et de le
livrer au public, il sera le sceau d'une des réputations musi-
cales les plus justement et les plus honorablement établies.
J. Adrien Lafasge.
125. — Manuel complet de la Danse, comprenant la théorie,
la pratique et l'histoire de cet art depuis les tems les plus re-
cidés jusqu'à nos jours; à l'usage des amateurs et des profes-
seurs; par M. Blasis, premier danseur du théâtre du roi
d'Angleterre, el coiui)osileur de ballets; traduit de l'anglais
de M. Barton, sur l'édition de i85o, par }l. Paul Vergnaud,
BEAUX -ARTS. — MÉMOIRES ET RAPP. 475
o.t revu par M. Gardel. Paris, i85o; Roret. Iu-18 de vi-412
pages, et 24 pages de musique notée, avec un giand nombre
de figures ; prix, 3 fr. 5o 0.
Deux noms célèbres dans les annales de la chorégraphie
recommandent suffisammenl cet ouvrage , où la matière est
traitée ex-professo et avec tous les développemens néces-
saires, dans six parties, divisées chacune en de nombreux
chapitres.
Mémoires et Rapports de Sociétés savantes.
126. — * Séance pul/lique de la Société libre d'émulation de
Rouen, tenue le 6 juin 1829. Rouen, 1829; imprimerie de
Baudry. In-S" de 196 pages.
Après un discours de M. Destigny, président, où les bien-
faits des sciences, des lettres et des arts sont exposés avec di-
gnité, et où l'orateur fait en peu de mots l'éloge de Laroche-
foucauld-Liancourt , dont toute la France regrette encore la
perte, 31. P. A. Corbeille, professeur d'histoire et secrétaire
de la Société, rendit le compte annuel des travaux aussi nom-
breux que variés des sociétaires. Les sciences et leurs appli-
cations aux fabriques de l'industrieuse ville de Rouen y ont eu
leur part ; mais la littérature y domina , ce dont le plus grand
nombre des lecteurs ne se plaindra point. Ce compte, où tant
d'objets sont passés en revue, est cependant fort court. On lut
à la même séance un fragment d'une tragédie de M. Deville,
compatriote de Corneille, mais qui, au lieu de puiser dans
l'histoire romaine, va chercher ses héros dans nos propres an-
nales, et a mis en scène la mort du duc de Guise, dans le
château de Blois. — Une Notice nécrologique sur M. le doc-
teur Marquis, professeur de botanique, poète, antiquaire, en-
levé aux sciences et aux lettres à 5i ans; M. Caraxiet est son
biographe. — M. Tovgard fait un rapport sur les médailles
d'encouragement distribuées par la Société aux artistes, aux
fabricans, aux ouvriers. Tel était le sujet dont le public fut
occupé, à la séance annuelle de 1829. frois Mémoires sont
insérés dans ce volume, par décision de la Société ; le pre-
mier est une Notice sur les poids et mesures, par M. Lemar-
chandde la Faverie; le second est intitulé : Delà Mort sentie,
par M. le docteur Ave>'El; et le troisième est le rapport de
M. Deville sur le projet de monument à élever à Pierre Cor-
neille. Le projet ayant été adopté, la souscription ouverte et
remplie, cet hommage rendu au fondateur de la tragédie
française sera bientôt une sorte de compensation des outrages
/j^G LIVRES FRANÇAIS.
dont la ?ol-disante école inodernc croit flélrir la uiénioiic des
ailleurs qui ont porté le plus haut la gloire de notre littéra-
ture.
Ouvrages périodiques.
ny. — * Annales provençales d'agriculture pratique et d'éco-
nomie rurale, publiées par MM. TotLoizAN et Feissat aîné. — ■
3" année : \\"'ùi et . "52 (janvier et février). Marseille, i83o. On
s'abonne an bureau, rue de la Canebiére, n" 19. Ce recueil
niensnel paraît par cahiers de trois l'euillcs d'impression; prix
de l'abonnement, par année, 6 fr. pour Marseille, 8 fr. polar le
reste de la France.
Dans le cahier de janvier, M. Planche entre dans des consi-
dérations générales sur l'introduction d'un troupeau de bêtes à
laine dans un domaine situé entièrement dans la plaine, sans
bois et sans collines. Il rend compte des soins qu'il a donnés
jusqu'à ce jour à un troupeau dont les premières brebis ont été
achetées en 181g, des expériences laites successivement pour
améliorer la race dans un pays moins propre que les départe-
niens du nord de la France à l'engraissement des troupeaux,
des résultats qu'il a obtenus; et nous met sous les yeux, dans
trois tableaux synoptiques, l'accroissement progressiTdes pro-
duits réels. Ces détails sont d'autant plus curieux, et doivent
d'autant plus intéresser les agriculteurs du département des
J)()Uches-dn-Uhùne , que les habitans de cette partie de la
France se sont obstinés jusqu'ici à rejeter tous les perfection-
nemeiis introduits dan? l'agriculture. Cette obstination , qui
provient 'd'un déplorable esprit de routine, tient un grand
nombre de départemens du midi dans une infériorité immense
lelalivement à ceux de la Normandie, de l'île de France et
de presque toutes les provinces septentrionales. Espérons qui;
le brillant résultat des efforts tentés par >!. l'iancheengagerales
propriétaires et les fermiers à l'imiter; que les procédés et les
instrimiens actuellement en usage en Provence seront aban-
donnés pour faire place aux nouveaux ; et que cette belle pro-
vince arrivera enfin au niveau de celles où l'on accueille tous
les perfectionnemens que la science et l'expérience doivent
nécessairement amener. Dans tous les cas, M. Planche et ses
associés ont acquis par leur tentative et le succès de leurs tra-
vaux des droits à la reconnaissance de leurs compatriotes et
de la France entière.
Le numéro 7>i des annales contient im article sur la compa-
tibilité de la taille élevée avec la superfinessc de la laine chez
les moulons.
OUVRAGES PÉRIODIQUES. 4-7
L'aulcur prétend, en l'appuyant des résultats de ses propres
expériences : i°qiie les montagnes et pâturages qui nourisseiit
moins richement le bétail et lui donnent la mèche lâche, pro-
duisent une laine fine, soyeuse, et d'un irisé régulier, signe
caractéristique de la laine améliorée ; 2° que les montagnes et
pâturages, donnant plus de graisse avec le brin fin, et toison
tassée, produisent, au contraire, avec le même troupeau une
laine beaucoup plus grosse, plus riche et d'aspect cotonneux,
c'est-à-dire, ayant perdu en grande partie son frisé. D'où on
peut conclure que de maigres pâturages, en taisant perdre aux;
moutons l'embonpoint qui leur est nécessaire, donnent à la
laine encore plus de finesse; mais qu'alors, à force de s'être
amincie, elle a perdu de son nerf comme de ses autres qua-
lités.— L'auteur, ayant donc posé en principe que la santé,
l'embonpoint et la taille des moutons sont toujours en raison
directe de la beauté des pâturages, et que des pâturages trop
gras leur donnent im excès de graisse aussi nuisible pour la
qualité de leur? laines qu'une maigreur excessive, soutient
que la taille moyenne est seule compatible avec la siiperfinessc
de la laine chez les moutons. Z.
1 uS. — * Recueil industriel, manufacturier, agricole et com-
mercial, de la Salubrité publique, et des Beauœ-Arts , auquel
son réunis et aj.outés ce journal et la Feuille des arts et métiers
de l' Angleterre, et les Annales de la Société royale des Prisons.
— Répertoire général des Brevets d'invention, renfermant la
description des expositions publiques faites en France et à
l'étranger; dédié au roi, par J. G. Y. de Moléon, ancien élève de
l'École Polytechnique , ingénieiir en chef des domaines de la
couroTUie, etc. Paris, i85o; de Moléon, rue Godotde iMauroy,
n° 2; Bachelier. 12 cahiers par an, de 6 à ^ feuilles, et4planches,
formant 4 volumes; prix. 5o fr. pour Paris, 5G fr. pour les
départemens, 4^ fr. pour l'étranger.
On ne peut exiger que ce recueil satisfasse complètement à
son titre; il faudrait, pour obtenir ce résultat sans un mira-
cle spécial, que le mouvement de l'industrie fût très-lent,
que la société de Statistique ne fit presque rien, etc. Il faut
donc le considérer en lui-même, sans le comparer aux pro-
messes qu'il fait trop imprudemment. On n'en sera pas mé-
content, s'il est considéré plutôt comme indicateur que comme
recueil de Notices instructives : l'instruction sur les arts exige
beaucoup dedéveloppemens, elle est nécessairement verbeuse,
et lorsque les mots ne suffisent point, elle appelle le dessin
à son secours, et dans ce cas, le dessin même doit être prodi-
gué. Si les articles d'une certaine étendue se multipliaient dans
4;8 LIVRES EN LANGUES ÉTRANGÈRES
ces cahiers, ce serait aux dépens du nombre des insertions,
et par conséquent des indications. Dans le cadic étroit de 6 à
7 feuilles, il est peut-être impossible de réunir avec a^antage
deux sortes de publications, dont l'une n'atteint point le but,
s'iMui est défendu d'être volumineuse. D'ailleurs, ce n'est pas
une tâche peu difïicile, ni un service médiocrement utile que
la rédaction d'un indicateur mensuel des divers objets com-
pris dans ce recueil, et un jugement éclairé, impartial des di-
vers écrits qui les concernent. Il est donc à désirer que M. de
Moléon restreigne son plan , s'il veut rendre son ouvrage
utile comme recueil, ou l'étendue de quelques-uns de ses
articles, afin de ne rien omettre de ce qu'il a compris dans ses
altributious. N.
Livres en langues étrangères , imprimés en France.
129.' — * Caroli Linvœi, sueci, doctoris medicinœ^ Systema na-
iarœ, etc. — Système delà nature, ^nv Charles Li>né, suédois,
D. M. , ou les trois Régnes de la Nature distribués systémati-
quement en classes, ordres, genres et espèces : première édi-
tion publiée de nouveau, et revue par A. L. A. Fée, pharma-
cien en chefde l'École de médecine militaire de Lille, professeur
de botanique, associé de l'Académie royale de médecine, etc.
Paris, 1 y5o ; Levrault. In-8° de 86 pages : prix , 4 fr»
M. Fée avait le projet de publier cet ouvrage, avec une tra-
duction française faite par son ûls , âgé de moins de dix ans ,
et qui s'en occupait avec autant de succès que de zèle, lorsque
la mort l'enleva. L'infortuné père consacre une partie de sa
préface à la mémoire de ce fils si digne de ses regrets, et peut-
être de ceux des sciences, des lettres, de la patrie : nous di-
sons peui-êlre, car, il faut l'avouer ! le génie même est soumis
à l'empire des circonstances, et son début dans la carrière
peut être environné d'un éclat qui n'éblouisse qu'un mo-
ment.
L'édition que M. Fée renouvelle fut publiée eu ijoS. De-
puis cette époque reculée de près d'un siècle, l'histoire natu-
relle a fait d'immenses acquisitions, ainsi que les sciences dont
elle reçoit quelque lumière. La minéralogie de Linné est aban-
donnée, et le souvenir n'en sera conservé que dans l'histoire
de la science; sa zoologie subira bientôt la même destinée : sa
botanique a résisté jusqu'à présent à des attaques vigoureuses
et multipliées ; elle se maintiendra peut-être encore long-tenis,
moins par ses propres forces que par la faiblesse de ses ad-
versaires. En général, c'est du perfectionnement des méthodes
IMPRIMES EN FRANCE. 4;<j
tle descriptioa que l'histoire naturelle éprouve le besoiu, et
nul syj^tème ne peut la Taire découvrir. Si t(jutes les procluc-
tions de la nature étaient décrites avec exactitude et précision,
on pourrait procéder à une classification méthodique, et for-
mer des groupes de tous les êtres dont l'analogie serait re-
connue; ces groupes seraient subdivisés en suivant les mêmes
règles , etc. ; on arriverait ainsi au véritable systime de la na-
ture : nous ne sommes pas encore assez avancés pour cette en-
treprise. Multiplions donc les monographies, les descriptions
détaillées, dussent-elles être prolixes, volumineuses; le tems
du laconisme dans cette partie des sciences n*est pas encore
arrivé; il faut qu'une science soit complète, avant que l'on
essaie de la réduire à son expression la plus simple.
Il y a des auteurs bien dignes de l'immortalité, mais dont
les ouvrages peuvent cesser d'être lus, même par les érudits.
Bien peu d'écrivains échapperont à cette destinée, et le plus
souvent, ce ne sont point ceux qui ont fait faire aux sciences
les progrès les plus remarquables; c'est principalement au
mérite du style que ce privilège est accordé : Pline et Buffon
seront lus aussi long-tems que leur idiome se conservera. P.
lY. NOUVELLES SCIENTIFIQUES
ET LITTÉRAIRES.
AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
ÉxiTS-UNi*. — New-Haven. — Aérolithes. — Les faits re-
cueillis par M. le professeur i^iV/nnan, sur les aérolithesdu Té-
nesséeet <le in Géorgie, fjiflërent en quelques points de ceux
qui accompagnent le plus communément la chute de ces corps :
celui de la Géorgie partit d'un nuage petit et noir, et fit, en
tombant, un bruit pareil à celui de l'eau subitement vaporisée
par le contactd'un corps emi)rasé. Son poids était de 56 livres:
le fer y est à l'état métallique, plus brillant que nos arts ne
peuvent le rendre. Comme on ne l'avait pas encore ana-
lysé, nous ne pouvons savoir jusqu'à quel point sa compo-
sition chimique est analogue à celle des aérolithes connus;
mais sa iexture , semblable à celle des aérolithes , le distingue
de ceux dont on avait écrit l'histoire : le fer y est distribué en
points brillans sur un fond gris de cendre, et l'aimant peut
le séparer de la gaugue qui le renferme. Sa pesanteur spéci-
fique est 3, Jj. F.
— Etat de New-York.' — Rochester. — Accroissement de la
population. — Cette ville contenait, en 1828, plus de dix mille
habitans, quoique les premières maisons eussent été bâties
en 1811. et que. parmi les habitans qui y sont nés, les plus
âgés n'eussent pas plus de 17 ans. Ces rapides progrès sont
pnn( ipaiement dus au canal Erié , qui traverse la rivière Ge/^
nessi dans un aqueduc de huit cents pieds de long, et aux
grands moulins à farine que met en mouvement la chute de
la rivière, de seize pieds plus élevée que la plus haute des
i'hutes de la Clyde. Z.
Canada. — Otébec. — Société littéraire et historique. — Pohne
-''ur la prise (leMissolon^lii, en 1827. — Movt-Réal. — Presse pé-
riodique. — Journaux français. — La Bihliotlièque canadienne.
AMÉRIQIE SEPTENTRIONALE. — ANTILLES. 481
journal français, qui paraît à 3Iont-IUal, deux lois par mois, en un
cahier de 24 pages in-8% depuis plusieurs années, puisqu'il est
parvenu à son neuvième volume, annonce (n'du 1 5 juin i85o,
j)ag. 4840 ■> n"^' dans la Société de iUtcralure et d'Iiisloire de
Québec, il a été lu un poème héroïque, en français, sur la
j-rise de Missolonghi par lesTurcs, en 1827. A une séance, tenue
le 6 mai i85o, M. Set\el, président, a informé la Société
qu'il avait reçu de M. Duponceati, président de la Société phi-
losophique américaine pour l'avancement des connaissances
utiles, à Philadelphie, le premier volume des transactions de
la classe historique et littéraire de ce corps, en retour du fer-
mier volume des travaux de la Soclctc de Québec. M. Dupon-
ccau, dans la lettre qui accompagnait cet envoi, exprimait
l'espoir que les relations amicales entre les deux Sociétés se-
raient de longue durée. Outre la Bibliothèque canadienne, on
publie encore un autre journal français à Mont-Uéal ; c'est la
Minerve , rédigée par M. Ludger Duveunay. ■ — On peut con-
sulter une notice détaillée sur V Abeille canadienne, journal
français entrepris ù Montréal, en août 1818, insérée dans la
Revue Encyclopédique. (Voy. t. iv, novemb. 1819, p. l\\l\-!\\Q.)
S. P-Y.
ANTILLES.
CvBA. — Tableau du covirricrce de cette lie, en 1837 et 1828.
— D'après les documens officiels espagnols, recueillis par le
prefesseurPiAMON de la Sagra, le conmierce extérieur de cette
colonie a donné les résultats ci-après, pendant ces deux années :
Différence entre
1827. 1828. ces deux années,
fr. fr. fr.
Importation.... 86,764,270 97,674,610 10,910,040
Exportation 71,400,960 60,571,810 5, 859,160
Commerce total. i5S,ig5,25o— — 160,246,420 5,o5i,i9ofr.
Le commerce a été réparti, ainsi qu'il suit^ entre la 31étro-
polc et les différentes puissances maritimes :
Importations. 1827. 1828. 1828.
Rapport à la valeur
fr. fr. lotafede l'importation,
Espagne 12,706,610 02,784,050 Ln o<'.
États-Unis 55, 810, 470 3a, 995,480 Un 5''.
Villes anséatiques.. 6,099,090 8,706,990 Un 1 1"'.
Anglelerrc 8,091,855 8,85o,425 Un ii"".
France 7,061,020 8,179,275 Un 12"^.
Pays-Bas 1,800,960 1,677,500 Un 60'.
Ilalie 559,920 615,700 Un i6o''.
Russie 546,425 428,060 Un2I5^
T. XLVII. AOUT l85o. <51
482 ANTILLES.
Exportations. 1827. 1828. 1828.
Rapport à la valeur
fr. fi. totale de l'exportation.
Espagne 11,421,200 i5,i3i,225 Un 4''.
États Unis 20,5j7,25o 15,884,820 Un 4^
Villes anséatiques.. 8,547,ooo 9,65j,5o5 Vn y'.
Angleterre 8,025,36o 8,059,100 Un S'.
France r), 218,090 0,774,060 Un i8«.
Pays-Bas 4,908,420 1,677,555 Un 4o'.
Italie 2,193,055 1,128,700 Un 60'.
Russie 2,244,045 0,597,910 Un 20*.
L'importation des produits manufactures d'Europe a été
répartie de la manière suivante, en 1828:
fr.
Importé d'Espagne, pour 3,9.34,120 Un 8<".
— des Etats-Unis 6,000,390 Un ô"".
— des Villes anséatiques.. . . 8,191,605 Un 4'-
— d'Angleterre 6,020, 8i5 Un S".
— de France 5,178,605 Un 6*.
— des Pays-Bas 6jo,i65 Un 4/".
— d'Italie 225, 4oo Un '.35».
— de Russie 378,710 Un 8o«.
Valeur totale des produits manufacturés 3o, 569, 000 fr.
— des autres produits importés 35,oo.o,ooo
Valeur totale de l'importation 65,569,000 fr.
Les principaux objets de l'importation ont été les sui-
vans, en 1828 :
. 196,673 barils de farine, ou environ 19,667,000 kilogrammes.
7,025,660 kilogrammes de riz..
2,44',9'0 '^. de beurre et saindoux.
105,94? bectoUtres de vin.
37,585 pièces de toile de Bretagne.
68,090 i(l. d'esto|>ille ou toile claire.
1,299 "'• ''*-■ Hollande.
3,936 (d. d'Irlande.
88,012 id. de platitte.
En 1827, il avait été importé :
Pour 6,097,900 fr. de vins, eau-de vie, liqueurs.
— 4,786,885 de viande salée, fumée.
— 5,216,121 de beurre, saindoux.
— 1,544,160 de poissons secs, sales.
— 14,609,685 de grains et farines.
— 47^,1 3o d'é{)icerics.
ANTILLES. 483
Pour 6,9^8, 43o fr. de tissus de coton.
— 2,010,400 de tissas de laine.
— 12,545,125 de linges et effets.
— 2,259,740 en cuirs, peaux.
— 5,534,501 en soieries.
En 1828, l'exportation des principales denrées provenant
du sol €t des manufactures de la colonie, a consisté dans les
articles suivans :
2,864 pipes de tafia.
68,421,259 kilogrammes de sucre, ou 68,421 barriques.
14,767,012 id. de café.
246,146 'd. de cire.
8o5,556 id. de tabac en feuilles.
96,299 id. de tabac travaillé.
549,861 id. de cotOQ en laine.
29,977,595 id. de miel.
En 1827, il avait été exporté :
67,647,626 kilogrammes de sucre.
23,018,204 id, de café.
257,623 id. de cire.
851,954 id. de miel.
909,719 id, de tabac en feuilles.
La navigation relevée à l'entrée et à la sortie des ports de
ia colonie offre les nombres suivans :
1827. 1828.
Entrés. Sortis. Entrés. Sortis.
Navires espagnols i85.... 184 279.... 3o4
— des Etats-Unis. 1,242. ... 1,107 1,175.... 990
— anglais 166.... i5i 206.... 175
— français 92.... 70 77..,. 79
— hollandais 4S. . . . 46 53.... 32
— danois 55.... 25 52.... 28
— sardes 27.... 21 21.... i5
— brêmois 21.... 20 12.... 11
— hambourgeois.. 12.... i4 12.... i4
— toscans 6. . . . 5 8. . . . S
— suédois 4« • • • 5 9» • • • 7
— russes 2.,.. 2 — • — i5. ... »
— portugais 1.... 1 1,... 1
— prussiens 1.... » 2.... 5
— siciliens 1.... » 4- • • • 5
— autrichiens.... ».... » 3.... 5
— romains ».... » 1.... »
— haïtiens » . . . . » 1 . . . . 1
Totaux i,84i 1,649 ''SSg i,6S6
Le tonnage des navires entrés a été de 277,066 tonneaux.
des navires sortis 225, 83o id.
/i84 ANTILLKS.
Résultais.
1". Les produits de l'Europe et des Etats-Unis importés à
Cuba sont estimés à près de loo millions. C'est près d'un 6"
de ce que la France reçoit du dehors, tant pour sa consomma-
tion que pour ses entrepôts C'est le quintuple des importa-
tions faites, par nos nayiies, à la Martinique , qui est la plus
considérable de nos colonies.
2°. Les produits de Cuba, exportés en 1828, valaient 65 mil-
lions et demi; ou plus d'un 9" des exportations annuelles de la
France, et 5 fois un quart autant que les denrées coloniales que
nous recevons de la Martinique ou de la Guadeloupe.
3°. L'Espagne est entrée, en 1828, pour un tiers, dans les
importations faites à Cuba, et pour un 4* dans les exportations
de ses produits. En 1827, ses relations avec la colonie avaient
été moindres de moitié.
4°. Les importations des Etats-Lnis égalent en valeur celles
de la métropole, et leurs exportations sont dans une égale
proportion aux achats qui y sont faits par l'Espagne; en sorte
que celte puissance voisine prend exactement la même part
que la métropole, dans les transactions commerciales delà co-
lonie. En 1827, cette participation était beaucoup plus grande.
5°. Les villes anséatiques et l'Angleterre entrent pour la
même valeur dans l'importation , et les denrées qu'elles achè-
tent sont en plus grande quantité.
6". La France porte à Cuba presque autant de marchandi-
ses que l'Angleterre ou les villes anséatiques, mais ses retours,
en 1827 et 1828, ont été singulièrement inférieurs; ce qui
semble indiqr.er qu'elle ne peut exporter, avec les mêmes
avantages, les denrées coloniales de cette île. Les importa-
tions forment le 1 1" de celles de la colonie, et ses exportations
le 18° seulement.
7°. Les autres pays de l'Europe ne prennent qu'une faible
part au commerce de Cuba. Cepandant, on remarque que la
Russie accroît ses relations avec cette île, et qu'en 1828, elle
en a exporté une quantité de denrées dont la valeur ne diffé-
rait que très-peu de celle des produits achetés par la France.
8°. En examinant la nature et la quantité des marchandises
importées à Cuba, on remarque que celte colonie n'offre pas
aux farines d'Europe et des États-Unis un marché où l'on
puisse vendre 20 millions de kilog. de farine. C'est seulement
la subsistance annuelle de 4,620 individus ou le i57' de la po-
pulation de l'île; d'où il suit que 627,000 habitans vivent des
produits agricoles du sol de In < nlonie , et ne mangent point
ANTILLES. 485
de pain, ou du moins n'en consomnient pas habituellement-
L'importation des farines peut donc s'accroître, comme l'ai-,
sance publique, indéfiniment.
9". La consommation du ris exotique est i'ort grande; elle
est plus considérable qu'en aucune autre colonie américaine de
la zone torride ; elle prépare l'abandon du régime composé
des produits indigènes, et amène l'accroissement de la con-
sommation des farines de froment.
lo. La consommation du vin est plus répandue que celle
du pain ; on peut admettre qu'il y a 35,ooo individus ou un
sur 18 qui en boivent habituellement une bouteille par jour.
1 1°. L'usage général de fonder presque entièrement la nour-
riture animale, sur le poisson sec, salé ou fumé, rend fort
considérable la consommation du beurre, de l'huile et des
autres assaisonnemens gras. La dépense qu'ils exigent égale
presque celle du vin.
ia°. Les subsistances importées ne surpassent en valeur que
d'un 6* le montant des produits manufacturés venant d'Eu-
rope ou des Étate-Lnis.
Les tissus de coton se rapprochent du quart de la valeur
totale de ces produits.
Ceux de laine en font le iS", et ceux de soie le io%
Les cuirs et peaux préparés en constituent le i5'.
Mais, ce sont les effets d'habillement, le linge, qui en com-
posent la grande masse; leur valeur égale presque la moitié
de toute celle des produits manufacturés.
i3". L'exportation des denrées provenant du sol et des fa-
briques de Cuba, montre avec quelle rapidité se développe
la prospérité des pays du Nouveau-Monde, lorsque quelques
circonstances heureuses en favorisent l'essor. En 1828, Cuba
a fourni au commerce d'Europe et d'Amérique 68,4oo barri-
ques de sucre. C'est à très-peu près la quantité qui est fournie
à la France, par ses quatre colonies agricoles, et beaucoup
plus que la consommation annuelle du royaume.
i4°. En calculant sur 2,5oo kilogrammes de sucre, par
grand carré des Antilles, et non compris la consommation lo-
cale, on peut porter les cultures de la canne à sucre de la colo-
nie à 26,000 carrés, faisant 35,5 10 hectares ou 17 lieues car-
rées.
i5°. Cuba a fourni à l'exportation de 1827 près de 25 millions
de kilogrammes de café. Cette quantité est double de la con-
sommation annuelle de la France, et un tiers en sus. Elle
suppose une forêt de cafcyers de 55 millions d'arbres, couvrant
35,538 hectares ou 18 lieues carrées.
486 ANTILLES.
16°. Le coton n'est cultivé que partiellement à Cuba, et
son exportation n'excède pas 55o,ooo kilogrammes. Le tabac
est plus abondant; il se rapproche d'un million pesant ; mais,
un produit étranger aux autres colonies d'Amérique, et qui
donne à la Havane une branche de commerce étendue, c'est
la multiplication extraordinaire des abeilles, qui a fait obtenir,
en 1828, iMie exportation de miel de prés de 5o millions de
kilogrammes. C'est ^5 fois plu? qu'il n'en sort de France,
provenant de nos entrepôts ou de notre industrie agricole.
17". La navigation donne lieu aux remarques suivantes.
Cuba reçoit annuellement 18 à 1900 navires, composant un
total de 1177,000 tonneaux; c'est presque pt)ur chaque arri-
vage un port de i 5n tonneaux.
18°. Les États-Unis fournissent environ les deux tiers de ces
navires; l'Espagne, un 10*; l'Angleterre, un 9'; la France, un
20^; les Pays-Bas et le Danemark, un 40% etc.
19°. Le nombre de navires que reçoivent annuellement la
Havane et les huit autres ports de Cuba égale celui des na-
vires qui entrent à Maiscille, et leur tonnage est maintenant
supérieur.
20". CHaque cargaison vaut environ 5o,ooo fr. , et chaque
tonneau 5Go fr. C'est le nombre considérable de navires amé-
ricains chargés d'objets de consommations d'un grand encom-
brement , qui réduit ce nombre à de tels termes ; car, par une
moyenne de plusieurs années, on trouve, que dans nos rela-
tions commerciales, avec nos colonies d'Amérique, les car-
gaisons s'élèvent à 120,000 fr., et la valeur de chaque ton-
neau à plus de 5oo.
21°. Enfin, d'après la moyenne des deux dernières années,
l'importation s'élève à 92,219,000 fr., et l'exportation à
G8,5o 1,000. La popidation est d'environ 65o,ooo personnes,
ce qvii donne à chaque habitant de toute classe une participa-
lion de près de i5o fr. dans la valeur des importations, et de
1 10 dans l'exportation des denrées de la colonie.
A la Martinique, il y a deux ans, l'ensemble des produits
français et étrangers importés dans la colonie valaient 25
iniilion>;; et l'exportation des denrées provenant du sol et des
l'abriquesde l'île, plus de 27. La population n'était pas tout-à-
l'ait de 100,000 personnes; conséquemment, la parti(,ipation
de chaque liabilant était au moins de 25o fr. dans les marchan-
dises de toufe espèce importées annuellement, et de 270 dans
les produits agricoles exportés m France et à l'Étranger.
Ainsi . la masse du comniercc de Cuba, comparée à la po-
pulation de cette Ile. donne annuellement pour chaque habi-
ANITILLES. — ASIi:. 487
tant, une valeur de 260 IV., tandis que celte somme s'élève à
la Martinique à 620 fr. ou moitié plus.
Cette différence est celle qui existe entre l'acliviié agrico-
le, industrielle et commerciale de l'une et de l'autre de ces
colonies, proportionnellement à leur population. Elle indi-
que quelle immense carrière d'améliorations et de succès est
encore ouverte dans la première de ces deux îles, et montre
la possibilité de porter son commerce annuel au-delà de 5oo
millions de fr. , ce qui serait le double de la valeur de celui de
la Jamaïque, la plus riche et la plus importante des colonies
nombreuses de l'xiugleterre. A. Moreau de Jonxès.
ASIE.
Rl'SSIE ASIATIQUE. SibÉRIE. VÉNISSÉÏSK. Positioil géo-
graphique. — Population. — Une note communiquée, en octobre
1829, à VAcadcviie des Sciences de Pêlersbourg ^ par M. Hak-
STEEN, voyageur en Sibérie, a donné la position géographi-
que de la ville de Yénisseïsk, une des plus considérables de la
Sibérie, et située à iijô lieues de Moscou, et à i348 de Pé-
tersbourg. Sa longitude a été trouvée, par les méthodes di-
rectes, égale à 109°, 5o', 54"? à l'est de l'île de Fer, et la
latitude 58", 27', 19"; la population de cette ville était, en
1829, de 5,726 habitans.
GÉORGIE. ■ — TiFLis. — Population. — Presse périodique. — ■
Journaux publiés dans trois langues : russe, géorgienne et pei'-
sane. — Cette ville, qui a eu, en 1829, une population de
17,000 Ames, possédait, à cette époque, trois journaux en
trois langues différentes :
1°. Ti/lisskla Fédomosti, etc. — Gazette de Tillis, en langue
RUSSE, commencée au mois de Juillet 1828, et publiée hebdo-
madairement, par numéro de 4 pages in -fol. , sur deux co-
lonnes, et depuis le mois de janvier i83o, deux fois par se-
maine, à cause du succès qu'a obtenu cette intéressante feuille,
répandue dans toute la Russie.
2°. Gazelle de Ti/lis, en langue géorgiek>e; elle a commencé
en même tems que la gazette russe , et a cessé de paraître en
avril 1829. Sa collection se compose de 26 numéros hebdo-
madaires pour les 6 derniers mois de 1828, et de 12 numéros
pour les 5 premiers mois de 1829; en tout, 58 numéros in-fol.,
de quatre pages chacun, sur deux colonnes.
5". Gazette de Tiflis, en langue persane; il en paraît, cha-
que semaine, depuis le mois de juillet 1S29, un numéro de
quatre pages, petit \n-\", sur deux colonnes.
488 ASIE. — EIROPE.
L'intéressante collection de ces trois journaux publiés en
Asie, dans les trois langues russe, géorgienne et persane , a été
adressée, par l'auteur de cet article, à la Revue EneycLopé-
dique, pour la Bibliothèque fondée au bureau de ce recueil,
Serge Poltoratzky, de Moscou.
EUROPE.
GRANDE-BRETAGNE.
Sympathie de L'Angleterre pour notre dernière Révolution. • —
Les Journaux anglais coulinuentà louera l'enviTunde l'autre
la juste résistance et l'élan patriotique de la population pari-
sienne. Plusieurs réunions ont eu lieu à Londres pour célébrer
dignement les glorieux exploits des trois jours de juillet. Les
villes de provinces ont (ait chorus avec la capitale : de nom-
breuses souscriptions se sont ouvertes en l'honneur de nos
blessés, à Birmingham , à Plymouth, etc. L'Ecosse n'est point
demeurée en arrière. Il y a eu à Edimbourg, le 20 août der-
nier, une assemblée de mille personnes, dans laquelle on a en-
tendu entre autres discours remarquables celui de M. Jeffkey,,
ex-édileur delà Revue d'Edimbourg, connu pour ses opinions
libérales. Il a salué la Révolution qui vient de s'accomplir du
titre de triomphe universel. « C'est, a-t-il dit, un événement
public , sans précédent dans les annales des peuples, dans les
annales du monde ; événement qui ne peut être ni égalé, ni
surpassé, et pour le bien qu'il promet, et pour l'héroïque et
sévère vertu avec lat[uclle il a été accompli. "Ce que l'orateur
exalte surtout comme caractère de cette grande crise, c'est
qu'elle décèle une haute portée morale. La France était riche,
prospère, mais elle manquait de dignité à ses propres yeux et
à ceux de l'Europe, et c'est un besoin d'estime et de liberté
qui souleva les masses, el leur fit tout risquer plutôt que de
subir une dégradante oppression. 11 compare la Révolution de
1789 à celle de i85o, el en fait admirablement ressortir tou-
tes les oppositions. Enfin, passant à ce (jue la France a le
droit d'attendre et d'espérer de l'avenir, il proclame l'opinion,
la seule puis-ance et le seul despotisme possible de nos jours;
et termine en établis>ant que la France, en unissant la sagesse
à l'énergie, la modéi ation à la victoire, a non-seulement re-
vendiqué ses droits de la façon la plus glorieuse, mais a fait
aussi tout ce qui dépendait d'elle pour maintenir la paix en
Europe, el s'allirer la symj)nlhie et l'eslime des nations voi-
sines, et par(i( nliiKinenr de la Grande-Bretagne, qui, ayant
GRANDE-BRETAGNE. 489
foudé sa liberté, doit plus que toute autre applaudir à de pa-
reils eflorts et se réjouir de leur succès. «Ce discours a été
interrompu à div erses reprises par les applaudissemens et les
bravos de l'auditoire.
Londres. • — Mesures pour te soulagement des ouvriers. —
Le comité nommé pur le parlement pour examiner la situa-
tion des classes laborieuses, et aviser aux moyens de l'amé-
liorer, a proposé de former des Sociétés dans toutes les villes
et cantons manufacturiers, et d'y admettre tout artisan, de
n'importe quelle profession. La direction de la Société et ses
fonds seront confiés, d'après les règles arrêtées, à un comité
élu par les membres. Chaque membre, tant qu'il aura du tra-
vail, paiera une somme de — , par semaine ou par mois; s'il
discontinue ses paiemens pendant deux mois, il lui sera permis
de reprendre sa place sans perte, mais en se soumettant à
pajer une amende, qui augmentera à proportion du tems
écoulé, trois, quatre ou cinq mois. Une suspension de six mois
entraînera la confiscation des fonds au profit de la Société.
Lue maladie, certifiée d'une manière satisfaisante pour le co-
mité, sera toujours une excuse valable pour tout retard ou
suspension de paiement. Le montant des sommesversées par
chaque membre sera inscrit sous son nom, et ne pourra être
retiré qu'en justifiant du manque de travail. Dans ce dernier
cas, on aura droit à une somme fixée par le comité, payée par
semaine, ou par jour, jusqu'à ce que les fonds à soi apparte-
nant soient épuisés. »
Suivent plusieurs autres réglemens également sages pour
multiplier ces sortes de caisses d'épargne, et pour leur assu-
rer, par acte du parlement, toutes les facilités légales et les
privilèges accordés aux antres banques. L. S. B.
Statistique de la marine anglaise. — Il résulte des documens
présentés cette année au parlement, qu'en 1829 '^ marine an-
glaise a employé au commerce, avec les puissances suivantes,
savoir:
Matelots.
La Russie 16,000
Prusse 5,800
Allemagne 5, 200
Pays-Bas 6,800
France 9^000
Portugal 2,5oo
Espagne 5,4oo
Italie 5,000
Inde 45800
Chine 2,800
États-Unis d'Amérique 2,700
490 EUROPE.
Matelots.
CuJonies anglaises des Indes-Ocridentales.. i4,4oo
Canada et colonies de l'Amérique septentrionale.. 20,000
Brésil 1 ,Soo
Pèche de la baleine 4)4oo
Total des marins, en 1829 122,000 homme».
Total du tonnage anglais, id 2,184,000
RUSSIE.
PÉtersbotjrg. — A cadémie des Sciences. — Séances des mois de
septembre , octobre, décembre iS'iC); janvier et février i83o. —
M. OsTROGRADsKY aniiouce à l'Académie qu'il a résolu le pro-
blème sur la propagation des ondes à la surface d'un liquide
renfermé dans un vase ayant la forme d'un secteur cylindri-
que. Le problème sur la propagation des ondes à la surface
des fluides renfermés dans des vases de forme invariable a été
résolu par l'illustre auteur du Calcul des résidus dans le cas du
vase rectangulaire ; M. Ostrogradsky l'a traité dans le cas du
vase cylindrique. Ses recherches relatives à cet objet seront
imprimées parmi les Mémoires des savans étrangers , publiés
par l'Académie des Sciences de Paris. Le problème dont
i>J. Ostrogradsky annonce actuellement la solution est plus
général que celui qu'il a résolu dans son Mémoire antérieur.
Il détermine l'élatde la surface fluide au bout d'un tems quel-
conque, non pas en supposant que le bassin soit im cylindre,
mais en lui attribuant la forme d'un secteur cylindri(jue : de
sorte qu'en admettant que l'angle du secteur devienne égal
à 4^0", on retrouve la solution du problème présenté à l'Aca-
démie de Paris. — .M. Ostrogradsky croit avoir trouvé l'équa-
tion aux différences partielles relative à la propagation de la cha-
leur dans l' intrieur des liquides; «je n'ignore pas, dit-il, que
l'illustre auteur de la Théorie analytique de la Chaleur a trouvé
depuis long-teius l'équation à laquelle la température dans l'in-
térieur d'un liquide doit satisfaire ; mais cette équation n'est pas
connue juscju'à présent. Sonauteur en a réservé la publication
au second volume de la théorie malhémaliquc de la chaleur.
— M. RiPFER communi(|ue ([uelques positions géographiques-^
de plusieurs points des Monts -Ourals et de la Sibérie, déter-
minées par M. Hansteen , et qui lui ont été adressées, avec des
observations magnétiques très-iniportanles par ce voyageur dans
dcuxlelires consécutives, datées de Krasnoiarsket d'Irkoutzk ;
les longitudes des points de l'Oural oui élé déterminées par
le moyen d nu seul rjwonomètie, en so)[c qu'on ne peut les
RUSSIE. 491
regarder comme exactes qu'à une minute près», au lieu que,
pour celles des lieux de la Sibérie, on avait lait usage de
deux chronomètres et avec beaucoup de soins. {Voy. ci-des-
sus, p. 4^'7)- — î^l- Kupfer a communiqué une lettre de M. Ber-
zÉLirs à Stockholm, qui contient des notices sur quelques mi-
néraux de l'Oural, comparés avec ceux de Norvège. — Comme
on sait que beaucoup de salines qui se trouvent dans l'étran-
ger contiennent dans leurs eaux-mères du brome, substance
halogène découverte par M. Balard, M. Hess annonce à l'A-
cadémie avoir fait plusieurs expériences sur les eaux- mères
des salines de Staraïa-Roussa, ville du gouvernement de Nov-
gorod, pour savoir si elles contenaient aussi cette substance;
il a trouA'é qu'effectivement elle s'y rencontrait en grande
quantité, et pourrait en être retirée avec plus de facilité que
cela n'a lieu en Allemagne; c'est surtout le procédé de Des-
fosses qu'il croit applicable. — Une lettre adressée d'Odessa,
au secrétaire perpétuel de l'Académie , par M. Hany, mem-
bre correspondant, en date du 4 décembre 1829,' commu-
niquait des détails sur le tremblement de terre qu'on a ressenti
dans cette ville, le ~ novembre 1829, et un relevé des ob-
seiTatlons météorologiques faites avant et après cet événement.
— M. Kupfer lit une lettre de M. Hansteen, datée d'Oren-
bourg, du ~ janvier i83o; les observations qu'elle contient
sur la déclinaison juagnétique à l'est de la Sibérie , prouvent
qu'il y a des déclinaisons occidentales considérables à l'est de
la ligne sans déclinaison, qui passe près delà ville d'Irkoutzk,
située à 15^0 lieues de Moscou. Cette ligne sans déclinaison,
dont l'existence a déjà été établie depuis long-tems par les
observations de Schubert, a été l'etrouvée par M. Hansteen.
M. RupFER, s'appuyant sur les observations de iM. le capitaine
Vranguél, avait pensé que les déclinaisons ne changent pas
de signe d'un côté à l'autre de cette ligne de déclinaison;
mais les observations très-précises de M. Hansteen prouvent
qu'elles changent de signe, et que par conséquent la ligne
sans déclinaison qui traverse la Sibérie jouit des mêiiies pro-
priétés que celles qui passent près de Kazan, et par les Etats-
Unis de l'Amérique septentrionale.
Serge PoLTORATzKY, dc Moscou.
Calendrier russe. — Réclamation contre une assertion de la
Revue des Deux-Mondes. — 'La Revue des Deux-Mondes, re-
cueil d'ailleurs très-estimable, publié à Paris, sur un plan ana-
logue à celui iXcnoivG Revue, qui l'a annoncée avec éloge (voy.
janvier i83o, t. xlv, p. i9Î)-i97; et inai i85o, t. xlvi ,
492 EUROPE.
p. 478-479), contient une assertion fausse et hasardée, relative
à 1.1 Ilussie , qu'on ne peut s'empêcher de relever, à cause de
l'importance du fait qu'elle signale, plutôt ou qu'elle invente.
« Le calendrier grec (disent ses rédacteurs dans leur cahier de
mai-juin i85o, p. 44o) H"' était, comme on sait, en arrière de
douze jours sur le calendrier grégorien, vient d'être aboli. »
Celte abolition n'a pas eu lieu, et seralong-tems encore diffé-
rée; c'est une des grandes questions politiques et religieuses
qu'on ne résout pas légèrement. S. P. -y.
ALLEMAGNE.
DOCUME-\S RELATIFS A LA STATISTIQUE MORALE DE LA
MONARCHIE PRUSSIENNE.
(Voy. t. XLTi, p. 4^4 et p. -91, et ci-dessus, p. 204})
1 1° Comparaison e>'tre tE rapport des Écoliers a la popula-
tion, EN i8i6eT 1825, ET LE RAPPORT DES CRIMINELS, EN l825,
A LEUR POPULATION CORItESPONDANTE.
Pbovinces.
Brandebourg
Poméranie..
Prusse
Posen ,
Silésie
Saxe
Westphalie
Provinces rhénanes
181G.
Nombre
des écoliers
sur
10,000 habit.
1,120
i,o5o
921
I,i5l0
1,594
767
.65
1825.
Nombre
des écoliers sur
l,û(io enfans en âge
de fréqueuttr
le* écoles.
NoMBHB
d'babitatis
correspondant
à chaque crime et délit
commis eu iSsS.
429
468
94o
451
490
584
491
525
245
58ci
ALLEMAGNE.
49^
13° Classification des 8 grandes provinces de la monarchie
PRUSSIENNE d'après LE NOMBRE d'ÉCOLIERS QUI ONT FREQUENTE
LES Ecoles en 1825, et d'après le nombre de crimes et
DÉLITS QUI Y FURENT COMMIS EN 1817, 1826, ET DEPUIS 1819
JUSQUES ET V COMPRIS 1826.
D'après le nombre
d'Ecoliers
qui fréquentèrent
les Ecoles
en 1825.
D'après le noc
En 1817.
abre des crimes et
En 1825.
délits commis
De 1819 a 1826.
1. Saxe
2. Westphalie . . .
5. Silésie
4. Brandebourg. .
5. Prov. rhénanes.
6. Poméranie. . . .
1. Saxe
2. Prov. rhénanes.
5. Westphalie . . .
4. Brandebourg. .
5. Silésie.. ......
6. Prusse
7. Poméranie.. . .
8. Posen
i. Prov. rhénanes.
2. Prusse
5. Brandebourg. .
4. Posen ,.
5. Saxe
6. Westphalie...
7. Silésie
8. Poméranie. . . .
1. Prov. rhénanes.
2. Westphalie , . .
5. Prusse
4. Brandebourg. .
5. Posen
ô. Saxe
7. Prusse
8. Posen
7. Silésie
8. Poméranie. . . .
Observation. Les provinces de Posen et du Rhin, dont la plus
grande partie des habitans professent la religion catholique, offrent à
peu près le même contraste sous le rapport de l'instruction et du nom-
bre des crimes que présentent les deux provinces de Poméranie et de
Prusse, dont la majorité des habitans est protestante. L'explication de
ce phénomène n'est pas impossible. Voyez nos réflexions sur les crimes
et délits commis en France pendant les années 1825, 1826 et 1827,
comparés î» l'instruction primaire, dans le cahier de novembre 1829 du
Bulletin universel des Sciences (pages 261-264).
1^° Comparaison entre les villes et les campagnes.
Nota. Ce Tableau ayant déjà été publié dans la Revue Encyclopc(ti(/ue
( voy. t. XLi, janvier 1829, p. 4ii) nous l'avons supprimé ici; mais en
indiquant la place où nos lecteurs pom-ront le trouver, afin de complé-
ter aulant que possible pour eux l'ensemble de cette statistique de la
monarchie prussienne.
14" TaBLF.AC STATISTIQIE DES PB1>CIPAUX CBIMES ET DÉLITS COMMIS, E>' 1S17, DAXS lES luiU PROVINCE*
MÊME
PaOVI.NCES.
Brandebourg.. .
Poniùranic
Prusse
Posen
Silésle
Saxe
Wcstphalie. . ..
Prov. rhéDanes.
Total
Suicide.
175
r^8
'79
95
56
65
700
6,Soo
3 1,5 16
8,620
20,676
11,257
i3,o65
28,417
29,444
4,569
Meurtre.
Cl
595,000
221,555
255,555
127,500
185,182
76,400
204,600
i54,585
167,655
Assassinat.
48
297,500
664,000
1,400,000
95,626
145,929
165,714
204,600
251,875
209,542
Assassina t
accompagné
de vol.
Cl
1,190.000
i.i46'000
541,000
618,555
1,257,250
Assassinat d'un
époux ou d^ne
épouse.
Cl
s;
1,190,000
664,000
l'400'000
765,000
5o3,7o4
V
1,023,000
618,553
1,257,250
Infanti-
cide.
91,558
552,000
65,636
76,500
185,182
95,500
1 1 5,666
125,667
107,000
i5» Tableau des cbimes et des délits commis dans les anciennes provinces de la moraecbiiIP
ET Y
1826.
Meurtres
Assassinais
Infanticides, rccelem. de U gros.
et de l'enfantcm. et atoiUni...
Duels
Vols
Dommag. cause! à la propriété aTec
préméditât, ou par escroquerie.
Brigandage ou vol sur les
grands chemins
/ volontaires. .
Incendies I
(involontaires.
Autres crimes et délits. .
Totaldes crimes et délits.
4
1,520
446
34
1,214
5,283
556
9"
2
6
18
5i3
12
4
i4
4
52
17
2
5
2,474
716
5go
'97
25
8
59
24
77
'7
2,025
i,oo5
5,i3o
1,99-^
9
7
59
4
2,279
209
22
26
42
1,284
24
1,198
4(.
97^
756
219
6
j4
8
1,295
44
45
186
i4
9.299
1,859
82
166
256
8,io5
20,Ol4
5
i5
i4
5
1,541
461
i,ii5
3,2o5
461
86
3
555
901
16:
62
i3
3i
45
1,634
4,242
AL.L,Ji31AUl>(lV
49^
E LA IIÛNABCHIE PRCSSIEMJfE, AVEC L INDICATION DE I.ELU UAPrOHT A LA POPLLATION EXISTANTE A LA
Parricide.
Duel.
Fol avec des
circonstances
aggravantes.
assaut avec
effraction.
Brigandage.
Incendie-
Indistinctcmem.
c
^
D
s
a
3
ç:
o
S
c-
■i
"1
£-
0;
21
C
0
C
c
3
P
a
tr
S
c
5>(
•2
3
c
cr
cr
.
»
a
95s
1,242
^3
l6;301
148,750
14
85, 000
1,249
955
»
»
»
■>
375
iv/i
'7
39,059
3
22 1,535
4
166,000
4U
1 ,495
»
*
3
466,667
920
1,522
95
14,7^7
1 ?
1 16,667
i6
87,500
I ,i53
l,2l4
1
765,000
■>
t
25l
3,o4S
i5
5 1 ,000
6
127,500
28
27,593
565
2,107
1
2,01 5,000
7)
671,667
1,339
i,5o5
117
1 i,58i
'9
io6,o55
59
51,667
iv97
1,121
»
»
»
»
1,865
6i5
229
5 ,oo4
i3
88,1 54
3o
38,200
2,267
5o6
»
»
I
l.025'000
1,247
820
259
3,950
24
42,625
12
85,250
1,602
659
2
927,500
4
i>855>ooo
2,691
6S9
544
3,4io
56
35,125
16
115,93-
5,417
545
4
2.5i4.5oo
11
914,064
9,646
1,043
1,^09
7,1 58
i4i
71,353
i59
63,258
12,292
6i3
iUSSIEKNE, PENDANT LES ANNÉES 1824, iSsS, 1826, ET LEUR NOMBRE TOTAL DEPUIS 1819 JCSQUES
COMPRIS 1826.
1825.
c
a
a
4
V5
n'
03
0
"H.
S'
7
9
r*
3
4
6
7
27
58
58
»6
3
5
5
2
902
2,210
1,544
856
424
181
558
248
i5
19
18
8
a5
14
20
1 2
69
46
29
7
955
1,359
97-=^
1,094
122
5,925
2»975
2,a57
48
45
205
>7
9,65i
1,761
78
i35
216
7»495
1826.
6
18
18
5
1,9^4
554
5
41
24
1,182
19,626 5,587
i-d
^
c
c
V5
V3
y.
s
,-5
a
v;_
p
a
»
n
14
6
18
7
2
2
i5
3
i5
12
6
9
48
22
79
35
1 1
-
2
1
5
1
-.
449
2,979
857
2,477
1,628
1,018
126
522
160
438
6o5
206
5
54
i5
26
i5
8
6
io5
20
25
42
14
7
Si
55
63
28
5
5o8
910
1,648
858
1,919
i,8i8
927
0,248
1j976
5,o65
4,189
2,195
w
53 \
l,5l2
222
'>976
14
157
11,342
96,296
2,211
21,208
103
735
206^
209
s, 660
3,208
60,020
185, l52
496
EUROPE.
l6''TABLEArDES CRIMES ET DES DELITS COMMIS DANS LES PROVINCES
Dr Rhin (i) pendant les années i8a4, iSaS et 1826, et
LEUR nombre total DEPTJIS |822 JDSQfES ET Y COMPRIS 1 826.
Qualification DES crimes et des délits.
Metiitic et simple homicide.
\ ol et larcin
Fausse monnaie
Parjure
Avortcment et infanticide. ,
Blessures graves
Bip;ainie
Rébellion
Mauvais traitemens envers les parens..
Incendie
Attentat à la pudeur avec violence.. ..
Viol
Destruction des ustensiles d'une fabrique.
Menace d'incendie
Corruption
Concussion
Exposition d'un enfant
Homicide involontaire
Banqueroute
Escroquerie
NOMBRK DES CRIMES ET DÉLITS
commis dans les années
1S24.
7
218
5
TOTAL
1825.
1826.
de 1822
à 1826.
10
12
65
147
5
i55
I
8;5
»
4
2
«7
.5
«7
ai
122
2
"
7
5
5
6
4
6
42
56
2
1
I
10
î «
7
45
B
„
5
2
j
4
5
n
»
1
»
■>
5
«
n
11
4
Ô
21
6
208
194
1,290
Total 2g4
Berlin. — Question proposée par la classe de p/iilosophie et
(f histoire de l'' Académie royale des sciences. — «Quel fut l'état
de l'administration de l'empire arabe pendant la durée de la
puissance séculière de Khalifes, c'est-à-dire, depuis l'origine
(1) On a séparé la province du Rhin, parce que les gouvernemens
qu'elle comprend sont encore régis d'après le Code français, très-diffé-
rent du Code en vigueur dans les sept autres provinces de la monarchie
prussienne. Cette partie offre par conséquent des élemeus entièrement
comparables avec les étals correspondans rédigés en France avec tant
de sagacité par M. Guehhy de Ciiamp.>euf, et publiés annuellement par
]c ministre de la justice.
ALLExMAGiSE. —SUSSE. 497
tic l'cuipirc uia'oe, et sa roiidation pai rintroductioa <lc l'isla-
misme, jusqu'à la fm tin onzième siècle de l'èie chrétienne?)
Ti' Académie désire que les conrurrens ne se bornent point ù
exposer et à discuter en généraU'administration introduite par
les Arabes, mais qu'ils la développent par rapport aux diiré-
rens pays qui lurent successivement soumis à la domination
de ce peuple; que l'histoire morale et politique de ces pays
soit résumée, ainsi que leurs codes, leurs procédures juridi-
ques, etc.; que l'influence de l'ancienne administration soit ol)-
servée dans les tems postérieurs, et que les traces qui la font
reconnaître soient indiquées, etc. Les Mémoires seront reçus
jusqu'au 5i mars i832, terme de rigueur, et le prix (de 100
ducats) sera décerné au mois de juillet de la même année, à
la séance anniversaire de Leibnilz.
SUISSE,
Appenzell (Rhodes extérieures ). — Instruction publique.
— Ex ungue leonem. Un fait, un trait répand quelquefois du
jour surtout l'esprit d'une institution, comme un mot, dans
certaines circonstances, révèle tout im caractère. Une École
cantonale a été fondée, il y a dix années, dans le bourg de Tro-
guen , chef-lieu d'Appenzell protestant; c'est à la génésosité
de particuliers que la création en est due ; le gouvernement
n'est intervenu qu'enviion cinq ans plus tard. La bonne étoile
de l'école a voulu qu'elle fût placée sous la direction d'un de
ces hommes nés pour être l'âme d'une institution de cette
nature , M. Rrusi, appenzellois, et l'un des premiers coilabo-
lalcurs de Pestalozzi. Par un autre bonheur, sa surveillance
supéiieurc est confiée à un philantrope chrétien versé dans la
science pédagogique, dans la connaissance du peuple suisse
et de son éducation, ardent ami de la jeunesse et de sou per-
fectionnement, M. Jean Gaspard Zellwîîguer; ce nom est
entouré de l'estime de la confédération entière. Le i"de juii!,
l'école a célébié sa fête annuelle des examens publics; ce mot
de fête n'est rien moins qu'une ironie. M. Zelhvéguer a ou-
vert la séance par un discours, dans lequel il a fait la proles-
. sion de foi pédagogique de l'école; c'est comme une utile le-
çon donnée aux éducateurs que nous en citerons quelques
passages. Il a montré que les vraies lumières sont une souice
,de prospérité pour un pays, en même tems qu'un moyen de
conserver sa liberté. «Mais, a-t-i! ajouté, il ne faut pas cher-
cher ces lumières uniquement dans les connaissances et les
sciences; celles-ci ne sont qr.'un moyen de faire descendre la
T. XI.VIl. AOUT 18Ô0. ô-i
498 EUROPE.
lumière céleste dans IMme de l'homme. Une étincelle divine
anime tous les mortels; mais celui qui se plonge tout entier
dans la vie animale se rapproche de l'animal , tandis qu'en
vivifiant son esprit l'homme se rapproche de la Divinité ; or,
quelquefois on voit des personnes riches de connaissances vi-
vre dans l'esclavage de leurs passions, senïbiables au chien
instruit à faire des tours, et qui n'en reste pas moins confiné dans
la nature animale. Celui-là seul qui s'applique à faire la vo-
lonté de Dieu , qui reçoit Dieu dans son cœur et vit en lui , qui
s'efforce de devenir semblable à la Divinité, non-seulement par
l'amour des hommes, mais encore par une intelligence culti-
vée, celui-là seul ravit la lumière du ciel et reconnaît qu'elle
n'est qu'une préparation à ime lumière à venir et plus pure.
Allumer ce flambeau dans le cœur des enfans qui nous sont
confiés, tel est notre but; nous ne nous ravalerons jamais
jusqu'à faire de notre école une institution de partage!
La manière dont M. Zelhvèguer envisage l'étude de l'his-
toire mérite ime attention particulière.
«ISous instruirons dans l'histoire les enfans qui nous seront
confiés, mais non pour les mettre en possession d'un répertoire
de noms et de dates; nous voulons qu'ils y apprennent à con-
naître la nature de la vraie liberté, et à comprendre que la
liberté disparaît quand disparaît la vertu. Ils doivent appren-
dre que le flatteur du peuple vise au despotisme, que l'anarchie
est le chemin (pii conduit à la tyrannie; que la source du dé-
vofmient patriolicpie n'est pas dans les connaissances acquises,
mais dans l'amour pur de Dieu et du procliain ; que la vérita-
ble patrie ne consiste pas dans le sol, mais dans les hommes,
leurs lois, leurs mœurs et leur religion
i)Tant que des prédicateurs politiques font consister la li-
berté dans la souveraineté illimitée du peuple, on n'a pas
saisi l'esprit de la liberté. Le peuple qui s'arroge, par !a grâce
de Dieu, un pouvoir illimité, n'est pas moins lyian qiie le
despote qui s'assied sur un trône, par la grâce de Dieu, et pro-
clame sa volonté. La liberté n'est pas non plus où un petit
nombre «léclai'e méprisable tout ce qui ne pense pas comme
eux. La liberté ne règne que là où l'amour des honneurs et de
la gloire, de l'éclat et de l'argent n'ont pas supplanté l'amour
pur du devoir, la ferme volonté de plaire à Dieu; là où ne
gouvernent ni l'homme assis sur le irône, ni la multitude dans
les rues, mais les lois. \vs lois seules, limitant le pouvoir de
chacim. Nous jonii-ons de celte liberté réelle lorsque la lumière
céleste t-era répandue sur toutes les classes de la société; la
répandre doit être la tâche c,>-icntiellc des écoles. »
SUISSE.— PAYS-BAS. 499
Ces vues, marquées au coin de la sagesse, ont aujourd'hui
pour la France le mérite de l'a propos. Les quarante-iin ans
qui viennent de finir forment pour la liberté une période d'es-
sais, de luttes, d'épreuves, durant laquelle, elle a été conquise,
puis épurée; une ère nouvelle s'ouvre, celle de sa consolida-
tion et de son accomplissement; elle va s'asseoir sur la hase
solide de l'instruction générale, et cette instruction, pour
être digne de la liberté, salutaire, protectrice, devra être vi-
vifiée par un esprit religieux, mais d'une religion large, géné-
reuse, dévouée, pleine d'enthousiame, opposée en tout à la
pratique mesquine des frères ignoranlins, et à l'impie égoïsme
des jésuites. Dans l'entreprise vitale d'une régénération de
l'instruction populaire, la France, toute brillante d'intelligence
qu'elle est, ne dédaignera pas, nous l'espérons, de consulter
ce qui se fait dans des pays plus avancés dans cette œuvre. A
ce titre, la Suisse mérite son attention ; le vaste et imposant
royaume trouvera, par exemple, un excellent modèle, et fera
peut-être des découvertes, dans la petite école centrale et nor-
male de lune des moitiés du petit canton d'Appenzell.
C. MOSNARD.
PAYS-BAS.
Amsterdam. — Institut royal des Pays-Bas : Prix proposes.
— La troisième classe a tenu sa séance publique à l'hôtel de
l'Institut, le 24 novembre 1829. Après un discours d'ouver-
ture prononcé par le président, J. TeyssÈdre I'Ange, le se-
crétaire, M. C. A. Des Tex, a lu le rapport des travaux de la
classe pendant les deux dernières années.
La classe avait proposé, dans sa séance publique du 28
août 1827, une question, sur C existence, les vraies hases et te
but de la science du droit naturel^, et sur les causes qui l'ont
fait plus ou moins apprécier d différentes époques. Comme la
classe n'avait reçu aucune réponse satisfaisante, elle a mis de
nouveau cette question au concours, en y joignant les quatre
suivantes :
1°. Jusqu'à quel point la Grèce ancienne a-t-elle emprunté
aux peuples de l'Orient, sous le double rapport de sa langue,
de son écriture, de ses arts et de ses sciences? Quelle mar-
che a-t-e!le suivie pour y introduii-e les changemens et les
améliorations exigés par son caractère, ses besoins et sa po-
sition ? — 2°. Que peut-on conclure avec un certain degré de
probabilité du témoignage des anciens sur cette espèce de co-
médie mixte, qui tenait à Athènes le milieu entre le genre
5oo EUROPE. — FRANCE.
antique et le genre moderne? En quoi consistait principale-
ment la différence de la comédie mixte avec ces deux der-
niers genres? Que sait-on des poètes qui se sont illustrés dans
cette espèce de comédie, et des pièces qu'ils ont écrites? —
5". Quelle a été l'influence des colonies romaines, dans l'Eu-
rope occidentale, sur la civilisation des peuples de cette con-
trée? — 4° L'i )lémoire appuyé de preuves sur la part qu'ont
prise les SchuUens à la promulgation de la littérature orien-
tale.
Les Mémoires devront être écrits d'une autre main que
celle de l'auteur, en latin, hollandais, français, anglais ou al-
lemand (mais en caractères italiques). Ils devront être signés
par quelques mots distinctifs, qui devront aussi être placés
sur un billet cacheté et conlenant le nom de l'auteur. Les
Mémoires devront être reçus tVanc de port à l'iujtel de l'In-
stitut, à Amsterilam avant le i" aoû! i85i.
M. le professeur Geel, de Leyde, a lu un discours, sur la
manière d'étudier l'hifloire ancienne et la littiralare, et les li-
mites des reclierciies qui s'y rapportent. Après quoi le président
a déclaré la séance close. X. X.
FRANCE.
PARIS.
Institvt. — Académie des Sciences. — Séance du 4 août i85o.
— M. le D'Oz*>AM, de Lyon, adresse des expériences nou-
velles et àc^ observations sur la transformation du virus va-
rioli({ue en virus vaccin, et sur l'identité de la vaccine avec la
vario4e. En voici un extrait : «Au mois de novendire dernier,
je vous adressai vni .Mémoire, destiné pour le prix Moutyon,
sur la mortalité de l'espèce liuui.iine comparée (liez les divers
peuples de l'Europe. J'y joignis des considérations sur la vac-
cine, avec une série d'expériences prouvant que le virus vac-
cin, extrait d'individus attaqués d'autres maladies, même des
maladies contagieuse?, ne comnuuiique jamais que la vaccine.
Aujourd'hui je vais vous soumettre le résultat de quelques
expériences que j'ai faites, soit dans ma salle de l'Hôtel-Dieu,
soit à l'hospice «le la Charité de cette ville, sur une propriété
singulière du virus vnriolique. » Ici l'auteur donne le détail
de ses expériences, et continue ainsi : ;<ïl me paraît bien con-
firmé que le virus varioli(pie, mitigé par un mélange de lait
frais de vache, produit une éruption semblable à celle de la
l'AUIS. 5oi
vaccine, et qu'il jouit de l;i même tbcullé de se projirii^fcr sous
vtette dernière forme , dont il a acquis la nature et les proprié-
tés». Aprèsquelqaiesconsidérations pathologiques, M. Ozanam
conclut ainsi : i"que la variole (petite-vérole) n'est point une
maladie innée dans l'homme, mais importée en Europe vers'
le VI- siècle par les Maures d'Espagne; 2" que la vaccine est
la véritable variole , mais de l'espèce la plus bénigne ; 5° qu'en
innoculant le virus vaccin seul ou celui de variole mélangé
avec le lait de vache t'riis, en très-petite quantité, on obtient
autant de boutons que de piqûres en générai, et que les bou-
tons sont la véritable petite-vérole qui met les enfans à l'abri
de contracter cette maladie dans son état de malignité, ou
plutôt qui en est le préservatit', vu qu'en général, on ne la
contracte qu'une seule fois. Dès lors on ne manquera jamais
de vaccin , car lorsque la variole se manifestera dans quelque
canton, en prenant le virus d'un bouton au sixième jour de
son éruption , c'est-à-dire au moment où le liquide qu'il con-
tient est fluide et clair, et en le mêlant avec du lait, on l'in-
sérera par des piqûres, comme on le fait pour le vaccin, et les
résultats en seront les mêmes. » ( Renvoyé à la commission
des prix Montyon.) — iM. Peschier, pharmacien de Genève,
annonce qu'il a cherché dans quelle espèce de saule la salicine
se trouve le plus abondamment. Le salix incana et le salix mo-
nandra, variété liclix, sont les deux espèces qui en contiennent
le I lus. Les Jiiédecins de Genève ont arrêté la marche de fiè-
vres intermittentes, en administrant la salicine à la dose de
i5 ou 18 grains, dans l'intervalle des accès (M. Becquerel,
commissaire). — M. Sat, médecin français à Saint-Péters-
bourg, adresse la copie d'un rapport qu'il a lu à l'Académie
impériale, sur une opération de lithotritie qu'il a pratiquée
avec le plus grand succès. Il pense que l'Académie des scien-
ces de Paris n'apprendra pas sans intérêt qu'un chii-urgien fran-
çais ait mis en vogue un procédé opératoire qui avait constam-
ment échoué entre les mains des Allemands et des Russes, et
qui dans le nord de l'Europe était considéré comme fantastique
(M. Boyer commissaire). — M. Geoffroy Saint-HUaire (ah un
rapport sur un modèle analomique de M. Aizoux, en pâte de
carton. Le rapporteur regarde cette branche d'industrie comme
pouvant être très-utile l'i l'enseignement de l'anatomie, dans les
collèges et dans les établissemens où la pratique de la dissec-
tion est impossible; il reconnaît que M. Auzoux a beaucoup
perfectionné cet art, et qu'il mérite les encouragemens de l'A-
cadémie (Approuvé). — MM. Bouvard et Damohcau font un
rapport sur u ne machine proposée par M . Voizoï' , ayant pour
5o3 FRANCK.
objet de résoudre, .sans calcul, tous les problèmes de trigo-
nométrie sphérique. Le rapporteur pense que cette machine
sera toujours insuiïlsanle pour tenir lieu des opérations du
calcul, et qu'elle serait d'une exécution très-coûteuse. Elle
pourrait tout au plus être employée comme moyen de vérifi-
cation, et pour l'aire reconnaître une faute grossière de calcul.
Cependant M. Voizou a fait preuve de talent, et l'Académie
l'engage à poursuivre ses recherches, mais à les diriger sur
des objets qui puissent le conduire à des applications plus heu-
reuses. » ( Approuvé. )
— Du [) août i85o. — M. Po«,<;on annonce que le Mémoire
sur la résistance des fluides, auquel l'Académie a accordé une
uicntion honorable dans le dernier concours, est de M. Le
Chevalier, officier d'artillerie. M. Le Cliexalier désire aujour-
d'hui que son travail soit considéré comme un Mémoire or-
dinaire, et devienne l'objet d'un rapport. (MM. Poisson et
Dulongy commissaires.) — M. Dulong lit l'extrait suivant
d'une lettre que M. Berzélifs lui a écrite. « Je viens d'obtenir
quelques résultats curieux, au sujet d'un acide végétal qui se
trouve dans le tartre du vin. M. G ay-Lussac avait déjà donné,
dans les annales de Physique et de C/iiînie , quelques détails
sur les propriétés de cet acide, connue en Allemagne sous le
nom de Voghcsen-Laure (acide des Vosges). Mon analyse de
l'acide tartrique différant de celle de Proust, dont les expé-
riences m'inspirent la plus grande confiance, je l'ai répétée et
suis arrivé au même résultai que lui. .Mais, après avoir analysé
l'acide des Vosges, j'ai trouvé qu'il avait la même composi-
tion et le même poids atomique que l'acide tartrique. Cepen-
dant les caractères de cet acide et les formes cristallines de
ses combinaisons diffèrent des caractères de l'acide tartrique
et des formes cristallines des tartrates. Les deux genres de
sels prenant le même nombre d'atomes d'eau et les mêmes
espèces étant héléromorphes, il demeure prouvé que des corps
composés d'un même nombre d'élémens, dans les mêmes
proportions, peuvent présenter des propriétés chimiques dif-
iërenles, et être hétéromorphes. C'est, comme on le voit,
l'inverse du principe de l'isomorphisme des composés formés
d'élémens de diverse nature, dans les mêmes proportions.
On connaît déjà plusieurs exemples analogues à celui des
deux acides lartriques, soit dans les combinaisons inorgani-
ques, soit dans les composés organiques. Tels sont l'acide
phosphariquo ancieniKimenl connu et l'acide phosphorique
calciné, les deux oxide.- stauni(|uc, l'albumine fluide et l'albu-
mine coagulée. Je propose d'appeler isomères ces €OInposé^
PARIS. 5o3
lÎDués de propriétés différentes et de composition identique,
et pour distinguer l'une de l'autre deux combinaisons isomè-
res, on ferait précéder le nom de l'une de la préposition grec-
(|ue TTaoK. Ainsi l'on dirait acide phosphorique, acide para-
pliosphorique , etc.» — M. Henri de Cassiki fait un rapport
verbal très -favorable sur la Monographie des capanulces , ré-
cemment publiée par JM. Decandolle /Z/5. — M. Geoffroy-
Saint-Hilaiue lit un Mémoire intitulé : Sur une chèvre des
deux sexes : femelle quant à ses parties externes ou de copulation,
et mâle dans ses organes profonds et de reproduction.
— Du 16 août. — M. Dulong lit une note de M. Le Cheva-
lier, ofTicier d'artillerie , sur la caléfaction de l'eau dans des
vases portés au rouge. D'après les expériences de l'auteur, il
paraîtrait que l'eau contenue d:ins un vase fermé porté au
rouge peut être à une température inférieure à 100° centi-
grades; et que de l'eau à la température de l'ébuliition se re-
froidit quand on la verse dans un creuset incandescent. — I.e
ministre de l'intérieur écrit à l'Académie pour l'inviter, d'après
le désirmanifesté parle gouvernement autrichien, à faire procé-
der à la comparaison de la toise de Vienne et du mètre français.
Une commission, composée de MM. Legeridre , Prony, Ma-
thieu et Arago , s'occupera des moyens de répondre promp-
tement à la demande du ministre. — M. Gcoffroy-Saini-H i-
laire rend compte d'un Mémoire de M. Courbebaisse, relatif
à un veau bicipliale. M. Courbebaisse, vétérinaire à Aurillac,
auteur de cette communication, l'a rendue satisfaisante, en
l'accompagnant d'un dessin si bien fait, que nos artistes les
mieux exercés à Paris n'eussent guère mieux réussi. Le
veau, ayant deux têtes et aussi double train antérieur, est né
le 20 août iSar, dans une vacherie des montagnes du Can-
tal, appartenant à M. Garnier, banquier à Aurillac. L'Acadé-
mie décide que des remercimens seront faits à M. Courbe-
baisse , et que son dessin sera gravé dans le recueil de ses
•Mémoires, avec le rapport de JM. Geoflfroy-Saint-Hilaire.
— Du 20 août. ■ — MM. Thcnard ci Scrullas font un rapport
sur le Mémoire de MM. Uobiqtjet et Boi'tro>-Chaula-rd. re-
latif aux amandes amères et à l'huile volatile qu'elles four-
nissent. En voici les conclusions. < En résimiant le travail de
MM. Robiquet et Boutron-,Charlard, on y trouve, outre les
preuves d'habileté dans l'art des expériences, en faits nou-
veaux ou mieux constatés: i''Que l'huile volatile d'amandes
amères n'est pas toute formée dans le fruit; que l'eau est né-
cessaire à sa production ; 2" Que l'acide benzoïquc ne préci-
pite pas non i)lui? dans l'huile volatile; mais que celle-ci est
5o4 FRANCE.
susceptible de se convertir entièrement en acide benzoïque
par l'absorption de l'osigine ; 5" Qu'il existe dans les aman-
des amères une matière cristalline particulière, blanche, ino-
dore, inaltérable au contact de l'air, d'une saveur amère qui
rappelle celle des amandes ; très-soluble dans l'alcool et cris-
tallisant par le refroidissement en aiguilles rayonnées ; suscep-
tible de dégager de l'ammoniac quand on la chauffe avec de
la potasse caustique en dissolution; que celte subtance, que
lés auteurs nomment amygdaUne. serait la cause unique de
l'amertume des amandes amères, et l'un des élémens de l'huile
essentielle, dans lai|uelle ils seraient portés à admettre l'exis-
tence d'un radical benzoïque. Le Mémoire a paru à vos com-
missaires très -intéressant et digne de linseriion dans le re-
cueil des savans étrangers. » ^\pprouvé.) — M. Caicht lit un
Mémoire d'analyse sur \\ dispersion de la lumière.
— Du 5o août. — M. Larret litunapercu chirurgical sur les
dernières journées de jiiillel- i85o. — Aunomd'one connnis-
sion , M. de Blatnville fait un rapport sur le Mémoire de
M. Deshaies, relatif à l'analyse du genre hélix putris. <• Il
résulte en définitive du travail de M. Deshaies, que l'organi-
sation des ambresscs présente des différences suffisantes pour
confirmer, jusqu'à un certain point, l'établissement d'un
genre Succinea, tel que Draparnaud l'avait défini, d'après la
considération seule de la coquille ; et que ces différences por-
tent essentiellement, comme on devait s'y attendre, sur l'ap-
pareil de la génération. Il sera intéressant de voir si les gen-
res agatine, hulsine , caillot , jnaroroUe , etc.. également dé-
membrés des hélices, prés(;ntent des différences aussi consi-
dérables, quoique cela soit peu probable, au moins pour
plusieurs. L'Académie ne doit pas moins encourager' M. Des-
haies à continuer son travail, et l'inviter à lui en faire part :
c'est du moins la proposition que nous avons l'honneur de lui
faire en terminant ce rapport. (Approuvé.)» — M. Dumcril
rend compte de l'examen qu'il a fait de deux larves d'insectes
que M. le docteur Fonta>eilles avait adressées à l'Académie,
et qui avaient été rendues par une dame qui avait fait usage des
pilu les écossaises. Le rapporteur pense que ces larves, ou che-
nilles, ont été avalées soit avec des tiges de choufleurs ou de
salades, soit avec des racines de navets ou de toute autre
plante potagère. Nous trouvons, dans les auteurs, beaucoup
d'observations de ce genre qui, dans la plupart des cas, ont
été, comme dans «elui-ci, considérées comme âef' expulsions
de vers intestinaux. iMais les connaissances acquises sur la
structure des insectes, comparée à celle des licbnintlief, peut,
PARTS. r)o5
dans la plupart dos cas, éclaiicr les lucdeciiis ohsct valcjirs.
Nous pensons que l'Académie doit remercier M. Fontaneilles
de cette communication, qui ajoute un fait de plus à ceux
([ui ont été déjà publiés à ce sujet. (Approuvé. ) — M. de
BiAiiNviLLE lit le Mémoire sur le Dodo ou Dronte, qu'il avait
annoncé dans la séance du 19 juillet dernier. — iM. Cv-
viER, dans son dernier voyajije en Angl(!terre, a vu la tête
de Dronte qui existe à Oxt'ord , et le pied du même oiseau
qui se trouve dans le Musée britannique. Il compte être pro-
chainement en état de lédiger un Mémoire oi^i les questions
que le Dodo ou le Dronte à fait naître seront traitées d'après
un examen immédiat des seules pièces qu'on ait conservées
dans les collections d'histoire naturelle. — M. Savart lit un
Mémoire sur la sensibilité de l'organe de l'ouïe. — M""" Heu,
sage-i'einmc, annonce qu'elle a reçu, le 4 juillet, un garçon
bien portant, qui a un double train de derrière; elle propose
à l'Académie de le lui montrer. M. Geoffroy-Saint-IIilaire se
charge de prévenir M™" Heu que l'Académie accepte son offre
avec empressement. M. Geoffroy-Saint-Hilaire espère pou-
voir présenter lundi prochain un poulet qui a aussi un dou-
ble train de derrière. A. Michelot,
— Acadhnie française. — Séance publique du 26 août , pour
la distribution des prix de vertu et autres , fondée par M. de
Monthjon. — Du mois s'était écoulé depuis la dernière réunion
solennelle de l'Institut. Celle-ci, tenue par l'xVcadémie des
sciences, avait eu lieu précisément le 3O juillet, jour de sinis-
tre luémoire, désormais marqué dans nos annales en carac-
tères qui ne peuvent plus s'eftacer. Déjà étaient connues dans
Paris ces funestes ordonnances qui, remettant tout en ques-
tion, appelaient la force au secours de la perfidie. La ville était
tranquille encore, mais de cette tranquillité qui fait peur, et
qui pi ésage la tempête. L'assemblée réunie par cette pacifique
solennité était calme aussi, mais animée de sentimens qui ne
demandaient (ju'à s'épancher; et lorsque M. Arago, dans son
éloge de Fresnel, vint à raconter l'odieuse conduite d'un mi-
nistre envers ce jeune et lualheureux savant, cette assemblée
tout entière, mêlant des cris d'indignation à ses justes applau-
dissemens, sembla vouloir s'associer à une accusation géné-
reuse, qui venait de recevoir, des circonstances, une si vivo
opportunité.
Un mois s'était écoulé, et que de merveilles il emportai"
avec lui! Après des faits que nous-mêmes avons peine à croire,
l'ordre et la paix renaissaient de toutes parts, et les portes de
l'Institut, encore mutilées par les coups de la mitraille, se
5o6 FRANCE.
rouvraienl de nouveau devant une assemblée composée peu l-
être en grande partie des mêmes auditeurs, mais pleine, au-
jourd'hui, de bonheur et d'espérance. On savait, d'ailleurs,
que par une touchante sympathie, vivement appréciée, rx\ca-
démie venait de consacrer, au soulagement des victimes de la
cause nationale, une somme de i5,ooo fr. provenant des fonds
du prix de M. de Monthyon, non employés l'année dernière.
Aucune vertu, en effet, n'est plus digne d'une récompense
éclatante que le dévoûment à la patrie, et les bienfaits de cet
ami de l'humanité ne pouvaient recevoir une plus heureuse
destination.
La séance a été ouverte, à deux heures et demie, par un
discours de M. Parseval-de-Gra>dmaiso>", qu'on a entendu
avec intérêt, surtout en ce qui se rapportait aux glorieux
événemens de juillet et aux prix de vertu, objet principal de
cette séance. Deux de ces prix, de la valeur de 5,ooo fr.. ont
été mérités par deux femmes, dont la vie, aussi modeste
qu'utile, n'est qu'une suite de bonnes œuvres et de témoi-
gnages d'un admirable devoùment au service des pauvres.
Ln autre prix de 4-000 fr. a été accordé à l'héroïque courage
de Simon Albony, de Ru*!ez, qui , attaqué par un chien atteint
de la rage, sut retenir, au péril de sa vie, cet animal furieux,
jusqu'à ce qu'il fût possible de le tuer, et délivra ainsi ses
concitoyens des plus elTroyables dangers. Il est consolant
d'apprendre que, malgré quatorze blessures, presque aussitôt
cautérisées par un médecin habile, ce généreux citoyen n'a
pas succombé, et que l'on donne, au contraire, l'espoir d'une
guérison complète.
L'Académie ne pouvant mieux faire, d'après les conditions
qui lui sont prescrites, a en outre, très-honorablement men-
tionné la belle conduite de 3L Banquier, avocat et notaire à
Saint- Ambrois (Gard), qui, après de longs et rigoureux sacri-
fices, est parvenu à acquitter des engagemens sacrés que do
fausses spéculations avaient fait contracter à son père. Enfin,
seize autres médailles, de la valeur de 600 fr. chaque, ont été
décernées à autant de personnes, appartenant toutes à la classe
peu aisée, et parmi lesquelles, ainsi qu'on l'observe chaque
année, il se trouve beaucoup plus de femmes que d'hommes.
M. le président a fait connaître ensuite que l'Académie
avait jugé à propos de décerner : 1" à M. Sat, pour son Cours
complet (C Économii' politique, un prix de 8,000 fr. ; 2" à M . Charles
LiCAs, pour son ouvrage sur h'. Système penite?>.ciaire en Europe
et aiur Etats-Unis , un prix de 6,000 fr. ; 5" à 31. de Norvins,
auteur du poème de C Immort alite de l'âme, j.ooo fr. ; 4 " enfin, à
l'A lus. 5o7
M. Chazet, 2,000 fr. pour un traité sur les Abus, Us Lois et les
Mœurs, en tête duquel se trouve la vie de M. de Monthyon.
Le sujet d'éloquence proposé pour cette année était l'éloge
de Malesherbes. Un seul discours, sur douze qui avaient été
envoyés, a fixé l'attention de l'Académie. 11 aurait, dit le rap-
port, obtenu le prix tout d'inie voix, si l'auteur eût tracé la
vie de son héros aussi-bien qu'il a raconté sa mort. Le même
prix est remis au concours pour i85i. tin autre, de poésie , et
qui sera décerné à la même époque, a pour sujet la Gloire lit-
téraire de la France ; enfin, on y joint encore le grand prix de
10,000 fr. sur la Charité considérée dans son principe, ses appli- ■
calions, etc., déjà proposé, et plusieurs fois remis au concours
depuis 5827. L'Académie propose de même, pour i832, un
autre prix de même valeur, déjà pareillement ajourné, et
ayant pour sujet : L'influence des mœurs sur les lois et des lois
sur les mœurs. Pour ce dernier concours, un seul Mémoire,
sur douze envoyés dans l'année actuelle, a été remarqué, par
l'étendue des recherches qu'il suppose et l'esprit de raison et de
justice qui y a présidé.
Ces détails ont été écoutés avec distraction par l'Assem-
blée, déjà prévenue, par le programme, qu'elle devait enten-
dre un conte nouveau de M. Andrieux et une ode de M. Le-
MERCiER. Il est presque inutile de dire avec quelle bienveil-
lance a été accueilli le premier de ces deux morceaux. On sait
combien d'estime s'attache à la personne et aux talens du
respectable secrétaire perpétuel de l'Académie, et l'on ne s'é-
tonnera pas davantage d'apprendre que cette nouvelle pro-
duction de l'auteur de tant tie jolis contes n'avait, malgré la
faiblesse de son organe, aucunement besoin d'une si favorable
disposition du public. Cette pièce a pour titre : l'Enfance de
Louis XII et quelques traits de sa vie. L'auteur a su faire
oublier, à l'aide d'un débit plein de charme et de cette
bonhommie spirituelle et parfois malicieuse qui forme le ca-
chet de son talent, le peu d'importance du sujet. Il ne s'agit,
en effet, dans ce conte, que de savoir si l'on donnera, ou non,
le fouet, à l'héiitier présomptif de la couronne. Beaucoup de
vers heureux, que nous regrettons- de ne pouvoir citer, ont
été justement applaudis, et l'Assemblée a montré qu'elle par-
tageait vivement les espérances de l'aviteur, sur l'avènement
d'un prince si digne du trône, qui a porté, commeLouisXII, le
titre de duc d'Orléans, et qui , comme lui, méritera sans doute
un jour celui de père du peuple.
Les mémorables évènemens de la grande semaine avaient
heureusement inspiré l'auteur d'Agamemnon. On a retrouvé,
5oH FRANCE.
tl;iiis l'ode intitulée : Le Triomphe naliomd, dont la letluie ,
laite par M. Leuiercier, avec le talent qu'on lui connaît , a ter-
miné la .séance , tonte la verve de ses belles années, toute l'é-
nergie d'une dme vraiment éprise de la liberté. Nous citerons
avec plaisir les strophes suivantes, qui ont été les plus ap-
plaudies :
Roi proscripltîur, I<t foiulrc grnnde :
Va, fuis! tes lys sont morts, tes châteaux investis.
Paris voit, au sang qui l'inonde.
D'un parjure agresseur les titres engloutis.
Quoi! notre illustre capitale
Qu'un czar, vengeant Moscou, n'osa sacrifiei,
Poussé de démence fatale,
Un roi français la livre au bronze nieiu'tricr.
A-t-il quelques droits légitimes
Qu'un sophisme imposteur lasse encore révérer ?
La légitimité des crimes,
Est-ce un dogme légal qu'on veuille consacrer?
C'est un- autre roi que réclame
La France, souveraine et libre de son choix;
J'entends Paiis qui le proclame,
Jemmape et ses vertus l'élèvent au pavois.
Périsse l'espoir chimérique
De rallier l'Etat, sorti de ses dangers, ■'■*'
A l'héiédité despotique
De deux berceaux, flottant aux mains des étrangers 1
Y. L.
Société royale des Antiquaires de France. — Rrsumé de ses tra-
vaux pendant le premier semestre de i85o. — Nous avons déjà
eu plusieurs fois occasion tl'appelcr l'attention de nos lecteurs
sur les utiles travaux de cette Société (voy. notamment le
tom. xxxvi, octobre 1827, p. 'i.[\^,i\Q\A Revue Encyclopédique).
Klle a continué depuis à remplir d'une manière distinguée le
but qu'elle s'est proposé. Parmi les nouveaux membres rési-
dans qu'elle a reçus dans son sein, pendant les années i8a8
et 1829, nous citerons MlM. Gauthier d' Arc, Taillandier , Cra-
pelet, Etienne fils, de Montrai, etc.
On verra, par le résumé rapide que nous allons donner de ses
séances, pendant les six premiers mois de cette année, qu'elles
ont été coiistamment occupées par de sa vans rapports et d'in-
PARIS. 5o9
téicssantes communications. — Janvier. — La première
séance de janvier a été employée an renouvellement du bu-
reau. M. Drppirig a été nommé président; M)I. le baron de
la Doucette et le haron Coq ttehcrt de M oîithret , viec-présideut ;
M. Taillandier, secrétaire ; M. Etienne fds, secrétaire-adjoint,
et iM. Derriat-Saint-Prix , archiviste. — Séance du 19 : im
membre fait lecture d'un Mémoire de M. Bcgé sur queiqiîcs
monumens celtiques de l'arrondissement de Châtillon (Côte-
d'Or). M. Warden fait hommage de cinq médailles en bronze,
provenant de l'arc de Cahors, dans l'endroit où était situé un
temple de Diane. Ln membre donne lecture d'un Mémoire
de W. PeLet sur l'arc d'Orange. — Séance du 29 : M. de Speyèr
Passavant communique le manuscrit de la Bil>le dont il est pos-
sesseur, et qu'il croit avoir été donné par Alcuin à Charle-
magne ; il demande qu'une commission soit chargée de faire
un rapport sur ce mamiscrit. M. le président désigne pour
faire partie de cette commission MM. Rolle, de Roquefort et
Jorand. — Février. — Séance du 9 : 31. de la Doucette commu-
nique un certain nombre d'Eirennes turquoises, imprimées ù
Lille, et qui contiennent des chansons en patois de Lille et de
Turcoing M. Coquebert de Montbr.d est prié de faire un rap-
port sur ces chansons. M. Etienne fils communique un très-
beau manuscrit relatif aux funérailles de la reine Anne de
France, qui est renvoyé à l'examen de M. de Roquefort. Ln
membre fait lecture d'un Mémoire de M. Duvivier sur une
sépulture ancienne trouvée à Cons-la-Grand'Mîle, arrondisse-
ment de Mézières (Ardennes). M. Bourée, médecin àCbâtillon-
sur-Seine, est reçu associé-correspondant. — Séance du iC):
M. Baudot, correspondant à Dijon, transmet des détails sur la
découverte de divers objets antiques, faiîe par M. Lacordaire,
dans le territoire de Poully en Auxois." Parmi ces objets, on
remarque plusieurs médailles d'argent et de grand bronze,
entre autres un Diadumenianus en argent, une Julia Paula
aussi en argent, et un Balbinus en bronze. Ln membre fait
lecture d'un Mémoire de M. Ze/e^ne, correspondant à Chartres,
sur l'âne qui veille et la truie qui iik'. sculptures gothiques que
l'on remarque à une des portes de la cathédrale decette ville. —
.Mars. — -Séancedu 1"; M. de Roquefort ï'nh un rapport surT/Z/j-
toire delà Touraine, par M. Cliabnel. Ln membre donne lecture
d'un Mémoire de M. Fi?rrtn(/sur l'amphithéâtre d'Arles. — Séance
du ç) : M. Rifaud est reçu membre résidant, et M. Marmin,
associé-correspondant pour le département du Pas-de-Calais.
— Séance du 19 : un membre fait lecture d'un Mémoire de
M. l'îibbé Castellan sur Ie< plaines où Marin- vainquit pour la
5 10 FRANCE.
seconde fois les Ambrons et les Teutons. M. RoUe^ au nom de
la commission chargée d'examiner le manuscrit de la Bible
qui appartient ;\ M. Speyer-Passavant, fait un rapport très-
étendu sur cette Bible que la Commission a comparée à celle
dite de Cliarles-le-Chauve, qui appartient à la Bibliothèque du
Roi. Elle pense que ce précieux manuscrit peut bien être du
teras de Charlemagne; mais elle révoque en doute l'opinion
de M. Passavant, qui croit qu'elle a été écrite par Alcuin lui-
même, et ([u'il en a fait hommage à Charlemagne. Le rapport
de M. RoUe est rempli des considérations les plus savantes, et
prouve que la Commission a mis le plus grand scrupule dans
l'examen auquel elle s'est livrée. — Scaiice du 29 : la Sociale
des Anliquaires de Copenhague fait hommage de l'ouvrage sui-
vant : JSordiskeforiids Sagact', etc. (Anciennes Sagas du Nord,
traduites en danois sur les textes irlandais, soit imprimés, soit
manuscrits, par C. C. Rafn. 2 vol. in-8"). M. Gilbert fait lec-
ture-d'un Mémoire sur une maison de la rue des Bernardins
à Paris. Cette maison, bâtie en 1567 ?•>'' Dnfoi'U abbé de la
Case-Dieu, est peu remarquable par sou architecture et les
ornemens de sculpture qu'on y voit; mais elle est curieuse,
en ce qu'elle oflVe une idée des maisons des persoimes riches
au xvi.* siècle. — Avril. ■ — Séance du 9 : M. de la Doucette fait
un rapport sur deux Mémoires de M. Sclaveigliceuser sur les
antiquités de l'Alsace. Le même membre fait un autre rapport
sur une dissertation de M. Jouannot relative aux antiquités du
déparlement de la Gironde. — Séance du 19 : un membre
donne lecture d'tm Mémoire de 31. Doul)let de Boisiliil>uult sur
le verre de Charlemagne, conservé anciennement dans le tré-
sor de l'abbaye de la Madeleine ;i Châteaudun, et déposé ac-
tuellement dans la bibliothèque publique de Chartres. —
Séance du 29 : 1\L Le Prérôl, associé-correspondant à Rouen,
transmet des détails sur les anliciuités romaines découvertes
récemment à Bcrlhonville, arrondissement de Bernay (Eure).
Ces objets consistent en des inslrumen>". de sacrifice et des
oflVandes votives, la plupart d'une beauté admirable et pres-
que tous ornés d'inscriptions. Plusieurs portent l'enqircinte
du style grec le plus élevé. Le tout est du Haut-Empire et
appartenait à un temple de Mercure qui paraît avoir existé
dans le voisinage (1). M. de la Doucette lit une notice nécrolo-
gique sur feu M. Devisme, associé-correspondant ;'i Laon. —
(1) Les objets aiUiqr.rs Uoiivt's à Uei llionvilic ont «■.lé acquis par
M. ruioitl-Iînclicttc et doivent fire placés dans le cabinet des aniiquos de
la bibliiitlièqiie. {Noie du lUdacIcur,)
PARIS. 5ii
Mai. — Séance du lo : M. Coqnebertde Montbret coinmuniqiif
un manuscrit mexicain qui a été soumis à l'examen des Aca-
démies des Sciences et des Inscriptions et Belles-Letires.
M. Banliea, associé-correspondant à Nancy, lait lecture d'une
notice sur un chapiteau à bas-relief trouvé à Toul. M. l'aljbé
Castellan est reçu associé-correspondant pour le département
des Bouches-du-llliône. — Séance du 19 : 31. Dulanre tait un
rapport sur le Mémoire de M. Véranda relatif à l'amphilhéàlre
d'Arles. — Séance du 39 : 31 M. Finn Magnusen et Rafn, prési-
dent et secrétaire de la Société des Antiquaires de Copen-
hague, écrivent une lettre latine à la Société pour la remercier
de les avoir admis au nombre de ses correspondans étranj^ers.
Un membre donne lecture d'un Mémoire de M. Le jeune sui'
les joutes aux coqs dans le pays chartrain. M. Frédc?Hc Cail-
liaud est reçu associé-correspondant pour le département de
la Loire -Inférieure. — Juix. — Séance du g : M. de Labouderic,
au nom de la Commission des Mémoires, fait un rapport sur
ceux qui devront composer le 9" volume. Ln membre donne
lecture d'un Mémoire de M. Dufoiir sur le temple de Mont-
morillon. — Séance du ig : il est fait lecture d'une notice
nécrologique de M. Lerouge, sur feu M. Mangourit , l'un des
fondateurs de la Société. — Séance du 29 : après différens ob-
jets d'administration, M3I. Daiezac-Mocaya et de Talairat sont
reçus associés -correspondans pour les départemens de la
Haute-Garonne et de la Haute-Loire, et M. l'abbé Chiarini,
professeur de langue hébraïque à l'Université de Wilna, est
admis au nombre des correspondans étrangers. R.
— Société pour l' enseignement élémentaire. — Prix proposé.
— Utilité des machines. — La Société de C enseignement élé-
mentaire, dans sa séance du 18 août, a proposé un prix de
5oo fr. qui sera décerné à l'auteur du meilleur ouvrage, dans
lequel on aura démontré les avantages pour les classes ou-
vrières de l'existence des machines.
Publication prochaine. ■ — M. Chartes Potjgexs, un de- nos
plus laborieux académiciens, vient de mettre sous presse une
nouvelle édition de son ouvrage, intitulé : Jbel, ou tes Trois
Frères, 1 vol. in-i a d'environ aôopag. , imprimépourlapre-
mière fois en 1820. Paris, Mongieaîné. Boulevard des Italiens,
n° 10, et dans lequel il démontre l'illégitimité de la peine do
mort, ainsi que les graves inconvéniens des peines infamantes.
Cette nouvelle édition, considérablement augmentée, et cor-
rigée avec soin, sera vcn bie au profit des blessés.
511 FRANCE.
Richimalion. — Monsieur, dans une lettre insérée dans cahier
de Juin do la Rente Encyclopédique, M. Jomard fait remar-
quer qu'en opposant (vo}'. t. xlvi , p. 554) '' son hypothèse
de l'écoulement d'un bras du Dliioliba dans le lac de Tchad,
les hauteurs respectives de Temboclou et du lac, je lui ai fait
dire par inadvertance que la première est de 2.00 à 2G0 pieds ,
tandis qu'il l'a évaluée de 25o à 260 mètres. La remarque de
iM. Jomard est juste ; mais, comme par suite de la même inad-
veitance, j'ai porté la hauteur du Tchad observée par Denham,
à 5oo/'iVf/.s au lieu de 920 pieds français ou environ 5oo mètres ,
il s'ensuit que les deux erreurs se compensent, et que l'objec-
tion subsiste.
J'ai rhonneur d'être, Monsieur, avec une haute considéra-
lion, votre, etc. Chavvet.
Chronique des Théâtres pendant le mois d'août i85o. —
La révolution qui vient de ramener parmi nous le règne de la
bonne loi, et qui permet d'espérer que les institutions libé-
rales deviendront enfin des vérités, sendjle promettre un ave-
nir plus heiueux à nos théâtres, dont l'existence est encore si
languissante. Depuis long-tems on réclamait en faveur de
l'industiie théâtrale, comme de toutes les industries, la li-
berté que décrétait la Charte; on demandait aussi l'abolition,
ou du moins la modification, de cette censure arbitraire et
mesquine d'un gouvernement trembleur, qui s'est couverte
(le tant de ridicule durant la restauration : aujourd'hui le
tems est venu où les priv iléges de tout genre doivent être abo-
lis, et où les gouvernemens, s'appujant sur l'estime du peu-
ple-, ne doivent plus craindre de laisser parler librement tous
les organes légitimes de l'opinion publique. Une commission
a déjà été formée pour aviser aux moyens de rendre quelque
vie à notre littérature dramati(|ue : on aurait pu , ce nous sem-
ble, aj)pcleravec avantage dans son sein quelques directeurs
de théâtres et mên)e (|uel(iucs arlisle>, gens fort capables de
comprendre les intérêts de l'art en général, et ceux de leur
professicin en particulier. Quoi qu'il en soit , espérons que les
lumières et les bonnes intentions des commissaires choisis par
les ministres sutfirout pour éclairer les difficiles questions
qu'ils sont appelés à examiner. En attendant, celles des entre-
prises théâtrales qui peuvent encore lutter contre les embar-
ras de leur position ont cherché à tirer partie des circonstan-
ces politiques. Les unes ont ressuscité les cheî's-d'œuvres de la
littérature révolutioiniaire de 1790 : on a repris, avec (|ue!-
TARIS. 515
^^u-e succès, et malgré ranachronismc des plaisanteries ou des
déclamations siu- la vie monacale, les Fisitandines, de PiCAnn
f't Devienne (à l' Opéra-Comique), et les Fictimes chlfrccs , de
IMoNVEL (au théâtre de la Porte-Saini-Martin) ; d'antres ont
montré sur la scène les héroïques journées de juillet, avec tons
leurs épisodes sublimes ou plaisans; les dernières enfin ont
profité de lu chAte de la censure pour réhabiliter les produc-
tions qu'avait repoussées son pouvoir tyrannique. lie mois
«niier a fourni 16 nouveautés, sans compter les reprises. Nous
arrivons aux détails.
L'ODÉoNadoiiné, pour sapart, 3[)ièces :1e 14, t' Entrée en F a-
tances, comédie en im acte et en prose , à laquelle tles couplets
<le circonstance ont sauvé une chuletrop bien méritée par l'ab-
sence de tout intérêt , de toute intrigue, de toute peinture de
caractère. C'est un avoué qui, sur le point d'aller à la cam-
pagne, se décide à rester pour soigneiune cause dont il espère
de gros bénéfices, et qui se hâte ensuite d'abandonner la cause
et Paris, dupé par sa femme. Celle-ci, fort contrariée de se
voirprivéedes vacances, feintun teiidrepenchantpour le client,
rend ainsi son mari jaloux, et le force, par ce stratagème, à
changer de résolution. Ce peu de mots suffît pour donner une
idée delà nullité de cet onvrage, attribué à trois auteurs qui se
sont cachés sous le nom de Paulin. — Le 19 août, première
représenîalion de Dix jours après, ou k Gentil/wmwe de ta
Chambre, à propos national en vaudevilles, par MM. Sauvage
et Georges, Ce genlilhomuie qui, grâce à nue forte dose d'o-
pium, prise pai' mégarde . s'est endormi, le liS juillet, après
avoir quille son service à Saint-Cloud , ne se réveille que le
5 août. C'est la vieille idée d'Èpiménide qu'on n'a jamnis man-
qué de reproduire, à chaque révolution politique. Mais les dé-
tails rajeunissent toujours un peu ce fond qui toinbe de vé-
tusté. Les diverses classes de citoyens qui ont figuié dans la
grande semaine sont ici représentées : c'est tui élève de l'école
polytechnique, un médecin qui a établi des anï1)nlances en
faisant le coup de feu, un faubourien blessé, des femmes- qui
font de la charpie. Des couplets remplis de la joie du triomphe
ou d'allusions satiriques, des noms propres livrés aux anplau-
dissemens ou aux sifflets du parterre, tout décèle di1ns cette
bluette l'effervescence du moment : en harmonie avec les sen-
timens du public, elle a obtenu un plein succès. — Samedi 28,
1" représentation de Jeanne la Folle, ou la Bretagne ou xiii' siè-
cle, drame historique en 5 actes et en vers, par M. Fontan. Les
chroniques rapportent au xi" siècle l'histoire d'Hoël V, prince
imbécille, bigot, lâche, sous le règne duquel le poète a placé
T. XLVll. AOtT i85o. 35
r)i4 FIIANCK.
l'action de son drame. Malgré le titre, il ne laulpas y chercher-
beaucoup de faits historiques, c'est im ouvrage presque entiè-
ment d'imagination. Jeanne la Folle est un personnage créé
par le poète, et l'on remarque dans cette physionomie de beaux
traits et des détails bien sentis; malheureusement, leiisendile du
rôle est un peu vague, et ne tient pas assez à l'action. L'auleur
a peint, dans celle pièce, les déplorables conséquences du règne
d'un prince faible et abruti par la superstition. Ce prince se
fait le vassal de l'étranger, les grands l'insulleiit en face, et
trament secrètement des complots contre sa vie; entraîné par
une inique préférence pour Gonaii, son fils cadet, il déshérite
l'aîné , jeune homme de cœur et d'espérance, pourdoimer la
couronne à Conan, monstre de coips et d'âme , bossu, à la
chevelure rouge, à l'œil lerne et sinistre, toujours plongé dans
une crapuleuse ivresse, qui, non content de dépouiller son
frère, de lui ravir la couronne et sa maîtresse bien-aimée ,
vent aussi lui ôter la vie, et finit par massacrer son propre
père. Le misérable ne jouit pas du fruit de ses crimes : il périt
dans l'incendie du palais, ((ui termine la pièce. Cette figure,
atroce et ignoble à la fois , inspire l'horreur et le dégoût; c'est
vvne de ces exceptions dont l'urliste ne doit pas êlie prodigue,
et qui sont justifiées par le talent d'exéculion. Il y eu a beau-
coup dans cette peinture qui se dislingue par la vigueur du
trait et l'énergie de la couleur. C'est dans ce rôle, dans quel-
ques parties de celui de Jeanne la Folle, dansphisieurs belles
scènes et dans un style vrai et nerveux que se trouve surtout
le mérite de cet ouvrage, dont malheureusement la donnée
est un peu commune et l'intéiét peu pressant. La caricature
du vieil Hoël, qui rappelait à tons les yeux un prince non
moins fatal à la France que l'autre le fut à la Bretagne, a con-
tribué au succès de la pièce, succès que pouvait d'ailleurs
assurer le talent du poète, et aussi le vif sentiment de bienveii-
lence que sa personne inspirait. Victime de la barbarie d'une
police odieuse, les tortures qu'il avait sid>ies à Poissy avaient
ému tous les cœurs; et les lâelies persécutions dont sa pièce
clle-mOn)e avait été l'objet, méritaient d'être vengées par le
pul)licd'uue manière éclatante. Aussi, JertH^e la Folle, accueil-
lie avec beaucoup de faveur le premier jour, continue à rece-
voir de nond)ieux applaudissemens.
A r()pî;RA-(>oMiorK, on a donné, le 21 i\où[. Trois jou7\i en
une heure, à propos patriotique en un acte , par'ALM. Gabriel
et Masson, musi(iue de MM. Adolphe Adam et ÎIomagkési. Ce
tableau des belles journées de juillet, moins animé, moins
complet que d'autres pièces du même genre, ne manque ce-
PARIS. 5x5
pendant ni de mouvement, ni de chaleur. Dans la paitilion,
véritable impiumptu musical, on a remarqué les coiiplel^ :
En avant, du courage, qui ont été vivement applaudis.
(v'est le Vavdeville qui a célébré le premier la suljlime in-
surrection des Parisiens : dès le 17 août, lMIM. Etienne Arago
«t Ouvert y ont l'ait représenter Les 27, 28 et ic) juillet , pièce
en trois journées, llapidemcnt composé, non moins rapidement
appris, cet ouvrage n'a d'autre prétention que de repro-
duire avec fidélité les faits les plus remarquables des trois im-
inwtelles journées : les tableaux dont il se compose sont rendus
avec une verve , une franchise de patriotisme qui ne pouvaient
manquer d'exciter des transports d'enthousiasme dans un au-
ditoire encore chaud de l'action qui s'y trouve retracée. Aussi,
ie succès a-t-il été complet. — Aux Variétés, on a vu, d'abord,
la Femme du Sous-Prcfet^ vaudeville en un acte, de MÎM. iMo-
REAiî et Sey\'Rin (i3 août), bluetle agréable et gaie, à laquelle
a succédé : M. de La Jobardière, ou la RéKolution impromptu ,
vaudeville en un acte, par MM. Dumersan et Dvpin (19 août),
critique fort amusante où reparait une spirituelle caricature
de 1814, M. de La Jobardière, l'ancien régime personnifié,
avec ses ailes de pigeon et ses gothiques idées; puis, l'Ivro-
gne, drame grivois en deux actes, mC-lé de couplets, par
M. Sauvage (26 août), qui a été leçu par de nombreux sif- ■
flets. — Aj)rès quelques semaines de vacances, le Gymnase a
ouvert ses portes à un nombreux auditoire qui est venu, dans
la même soirée ( i4 août), assister à deux premières repré-
sentations. Le Foyer du Gymnase, vaudeville en un acte, est
un petit à propos dans lequel figment plusieurs personnages
du répertoire de ce thééitre, et qui a paru ennuyeux et froid
assez généralement. Une Faute, drame en deux actes, par
M. Scribe, est une sorte de contrepartie de Misanthropie et Re-
pentir, un tableau bien sombre pour un vaudeville et où le
mélange des impressions de tragédie et des fadeurs d'un cou-
plet langoureux forme un étrange disparate. Du reste, la leçon
morale qu'il amène est forte, et adoitement ménagée ; et la
pantomime, parfois terrible , de M""" Fay, émeut vivement :
c'est, en un mot, un de ces ouvrages qui oppressent la poitrine
plutôt qu'ils ne mouillent les yeux : mais ce genre a aussi de
nombreux amateurs. — Aux NotjveadtÉs, qui ont pris le titre
de Théâtre national, on a remarqué un d propos spirituel sur
les évènemens de juillet, par M. Masson. André le Chanson-
nier, drame en 5 actes, par MM. Fontan et Deskoters, a
paru le 9 août. Jugée trop forte par la censure du régime
déchu, cette production e>t . m réidilé , trop faible pont"
5i6 FRAiNCE.
les nouvelles circonstances. Bien qu'évideuiuient remaniée
par les auteurs dans quelques-unes de ses parties, pour l'é-
lever au niveau de l'actualité, la pièce ne satisfait pas asse*
aux exigences du moment : ce n'est plus à présent qu'il nous
faut montrer le côté hideux de la révolution, comme pour
nous en faire peur. A part ce défaut capital, ou remarque
dans cet ouvrage des couplets spirituels et délicats, des situa-
tions attachantes, surtout de bons sentimens très-bien expri-
més. Le nom de l'un des auteurs, si digne à tant d'égards de
l'intérêt général, a été "ialué par d'nnanimes applaudissemens.
Au même théâtre, la Contre-Lettre, vaudeville en un acte, par
MM. Paxliîj et Edoiart> n'a obtenu qu'un succès contesté.
Nous citerons . povir mémoire seulement, au théâtre de la
Porte - Saint -M ARTiiN , la Barricade ^ à propos vaudeville
par iMM. liE^JA>IIN et Asicet (ôoaoût); à I'Ambigi-Co-
MiQiE, la France au xv' siècle, mélodrame en 5 actes, par
M. Charles Desnoyers (5 août); et à la Gaîté , John Bull y
imitation d'une pièce anglaise, par M. Théodore (9 août).
Banquet mensuel de la Bévue Encyclopcdique. ( Mardi
10 août.) — Ce banquet patriotique avait attiré à la Grande-
Chaumière, boulevard du Mont-Parnasse, une grande af-
fluence de personnages de disliucliou , français et étrangers.
Quatorze nations différentes se trouvaient représentées dans
cette réunion, et assises à la même table, pour fraterniser en-
send)le. On s'est félicité mutuellement sur les grands évène-
mens qui viennent d'assurer le triomphe île la liberté en
France : on a reconnu (]u'ils doivent exercer une salutaire et
puissante influence sur le sort des aulres peuples. Le système
oppresseur de la Sainte-Alliance va faire place à une direction
politique plus analogue à l'état actuel des lumières et au be-
soin d'amélioration j rogressive qui se fait généralement sen-
tir. Les monarques, comme les peuples, ont également à ga-
gner à ce changement de direction. Les trônes, devenus
populaires, seront mieux affermis; l'opinion publique, satis-
faite par de justes réformes, ne sera plus portée à se manifester
par des révolutions violentes et orageuses; la monarchie con-
blihitioniielle, .«•agcmeut pondérée, deviendra le droit public
de l'Europe.
On voyait des Français, de Paris et des déparlcniens, des
Jonglais, des Hollandais, (\e-' Belges, des Busses, des Polonaisy
des Allemands, des Italiens, des Espagnols, des Danois, des
Crées, i]cs Américains i\u nord cl du midi, rapprochés par
une douce et profonde sympathie, abjuicr les vieux préjugés-
PAlllS. 5i7
de rivalités nationales, s'entretenir de leurs intérêts com-
muns, de l'avenir prochain d'avancement social, de prospérité
et de {gloire que peuvent espérer désormais les nations. On a
porté des toasts patriotiques : au roi constitutionnel des Fran-
çais, au roi citoyen qui a promis que la Charte sera désor-
mais une vérité; à Lalayelte , à l'homme de la liberté, de l'é-
galité et de l'ordre public, an citoyen modèle; à l'héroïque
population parisienne; à la garde nationale; à l'union des na-
tions; àni'tre poète populaire Béranger; à M. de Jouvexcel,
député, l'un des convives, et aux 221 qui, par leur adresse
courageuse, ont préparé la révolution de i83o, et qui doivent
la compléter par leur énergie et leur sagesse, en accepter
toutes les conséquences et la rendre profitable au peuple.
D'autres toasts ont été portés : par M. Chodzko, auteur de
VHistotre des Cnvipagncs des Légions polona'cses en Italie : aux
trois plus grands citovens des tems modernes; ff'^as/iinglon,
Kosciusko et Lafayctte; par M. Alphonse c^'Herbelot : à la li-
berté de la presse; par M. Lehec, avocat d'Epinal : à la mé-
moire de Foy et de Manuel; par M. Qie>ti>, d'Angers : aux
braves ouvriers de Paris ; par M. Jilliein", de Paris : aux dames
françaises! elles ont prodigué des soins touchans et des se-
cours aux blessés; elles ont inspiré le courage pendant le
combat, la modération après la victoire; elles ont honoré par
l'humanité le triomphe obtenu par le patriotisme. M. Jibert
SowiKSKi, de Varsovie, l'un de nos pianistes les plus distingués,
a joué quelques-unes de nos mélodies patriotiques , avec cette
puissance de talent qui donne de l'âme et de la vie à l'instru-
ment auquel des mains mioins exercées et moins habiles ne sa-
vent taire rendre que des sons. L'hymne glorieux des Marseillais
a été chanté par M. Floriot, des Vosges, et répété en chœur
par tous les assistans. M. Jtllien, dans une improvisation vi-
vement applaudie, a rappelé les récens titres de gloire de la
population parisienne, et il a lu des vers adressés au général
Latayette, qui retracent, dans un tableau rapide, les princi-
paux événemens de la vie de ce grand citoyen (voyez Rev.
£nc. tom. xLv, pag. 48''^-)
Ln toast a été porté à la reconnaissance des nouvelles répu-
bliques de l'Amérique du sud et à leur prospérité. M. Mcr-
PHY, consul du Mexique, a répondu par une allocution éner-
gique . en protestant de l'affection sympathique des Américains
indépendanspourleurs frères d'F.urope. MM. Gaimard, x\moros,
La CHArviGMÈRE ont exprimé le vœu que l'assemblée adres-
sât une demande à M. le préfet de la Seine, pour faire don-
ner le nom de Rue V cinneait. à la riif lîabvionf , dans laquelle
5j8 FRANCE. — ÎNÉGROLOGIE.
cet héroïque élève de l'Ecole Polytechnique a été trappe; h
nom de Place des Braies , à la place de Grève , où ne devront
plus avoir lieu les exécutions publiques, si toutefois la peine
de mort et la peine infamante de la marque ne sont pas très-
piochainement supprimées, et de rendre le nom de Hue de
Lille à la rue ci-devant Bourbon. Une demande contenant ces
propositions a été rédigée, et signée, à l'instant même , par
toutes les pei-sonnes présentes. ■ — Cette fêle civique, signalée
par les plus nobles élans de l'enthousiasme et de la généro-
sité ne pouvait se terminer, sans qu'on y fît mention des hono-
rables victimes des sanglantes journées de juillet. Une collecte
p.n faveur de nos blessés a été faite parmi les assislans; elle
a produit une somme de 164 francs, (pii a été versée par
MM. QcEMiN et Jlllien, entre les mains du maire du onzième
arrondissement.
NÉCROLOGIE.
France. — Lair [Pierre- J ac(/ ues-Gabriel) naquit à Caen, en
1 76g. Les espérances qu'avaient inspirées ses brillantes études à
l'Université de cette ville ont été de beaucoup dépassées par
les talens et les services qui lui ont valu l'une des deux places
d'inspecteur-général des constructions navales. Emplo3'é d'a-
bord à lîrest dans le génie maritime, il fut envojé au Havre,
alors port de constructions militaires, et dont les bassins sont
au noujbre des ouvrages les plus admirables du commence^
ment de ce siècle. Lair prit ensuite une grande part aux prépara-
iifs de l'expédition de Boulogne : il suppléa a la rareté du bois
degayacpar des rouets de poulies en 1er coulé aux(|uels on sub-
stitua, dans les ports du Calvados, des rouets en porcelaine.
Ce fut principalement à Anvers qu'il déj)loya sa science pro-
fonde et toute l'activité de son esprit : par ses conseils, il con-
tribua à l'exécution du magnifique bassin qu'aujourd'hui le
gouvernement des l'ays-Bas juge trop vaste pour le commerce,
et qu'il fiiit combler dans une partie pour bfitir sur une forêt de
pilotis vm entrepôt; il dirigea à la fois l'établissement d'un ar^
senal inmiense et la consU'uction de la flotte qui inquiéta le
plus l'Angleterre, et f]ue le traité du 25 avril 1814? accepté
avec une irréflexion déplorable, a fait perdre à la France; et il
secondapuis-amment le général Carnot durant le siège célèbre
que soutint cette place. Avant M. Bruwn, ingénieur anglais
rpii a formé, en 1821, des embarcadères d'une longueur con^
sidérable, Lairavait élabli des ponts \i)lans et des embarcadères
HolUuis : l'essai f|u'on en (il. en i8i3. réussit complétcDienl;
NlîlCROLOGIE. r,,,j
rfvec lin seul de ces embarcadères, on peut en quelques minutes
jeter jusqu'à mille soldais d'une rive à l'anlrc de l'Escaut; ce
procédé un peu modifié vient de servir au débarquement de
l'armée sur les côtes de l'Alrique. L'art si important delà cor-
derie est redevable à M. Lair de plusieurs perfeclionneinens.
Aucun antre ingénieur n'a plus que lui contribué à soutenir et à
accroître la supériorité de la France dans les constructions na-
vales ; supérioiité que l'Amériqiie du Nord avoue, et qui ne
nous est pas contestée, même par l'Angleterre. Commandant de
la Légion-d'Honneur, nommé baron en 1821, Lair fut obligé,
dans ces dernières années, non de prendre du repos, car il ne
l'a jamais connu, mais de donner des soins à sa santé qui a\ait
toujours été délicate : il établit prés de Caen une fabrique de
sucre de betteraves qui a augmenté la prospérité de l'agricul-
ture dans cette contrée, une des plus fertiles de la France. Le
village de Matbieu, où naquit le poète iT/arot, que Clément, son
fils, a faiton])]ier, ctqu'babitait dans sa ]cuncf^sc Jugastin Fres-
nel, enlevés! totaux sciences et à l'Institut, a vu mourir M. Lair,
le 27 mars i85o. Il n'a laissé aucun ouvrage, mais ses éminens
services restent à la France, et ceux qui ont connu cet bomme
d'une modestie extrême conserveront le souvenir de ses ex-
cellentes qualités. Les administrations de la marine et de la
guerre devraient, au lieu des noms adulateurs, mythologiques
et parfois ridicules qu'elles donnent à des vaisseaux, à des quais
et à des chantiers, préférer des noms aussi honorables que
celui de Lair. Isidore 1,e Brun.
— SÉGiiR (le comte Louis -Philippe) , fils du maréchal de
Ségur, ministre de la guerre sous Louis XVI, est né, à Paris,
le 1 1 décembre 1753. Tour à tour sous-lieutenant, capitaine,
colonel, le comte de Ségur n'employa pas, à l'imilatiou des
jeunes seigneurs de cette époque, la plus grande partie de son
tems dans les galanteries et les amusemens frivoles : il alla
suivre un cours de droit public à Strasbourg, et s'y forma à
l'étude de la diplomatie; puis, à son retour à Paris, il prit des
leçons du célèbre LeRain, pour apprendre à bien lire et à bien
dire. Recherchant avidement la société de-s savans et des
hommes de lettres les plus distingués , il fréquentait les réu-
nions de M"" Geoffrin et Du Deffant; et, malgré sa jeunesse,
il obtint l'amitié de d'Alerabert, de l'abbé Raynal, du comte
de Guibert, de Champfort, de Snard, de Rulhiéres, de lîouf-
flers, de Barthélémy., de Delille, etc. ; enfin, La Harpe et Mar-
montel l'éclairèrent par leurs sages avis , et protégèrent ses
premiers essais. Comme il le dit lui-même dans ses Mémoires :
« Né avec une imagination yive, au milieu d'une cour et d'un
020 NÉCROLOGÏK.
siècle où l'on s'occupait plus des pl.iisii's que des affaires, dc:^
lelli-es que de la politique, des intrigues de la société que des
intérêts du peuple ; aimant avec passion la poésie et cette phi-
losophie nouvelle qui, soutenue par les œuvres brillantes des
esprits les plus fins et des plus beaux génies, semblait devoir
assurer le triomphe de la raison ; entraîné par le tourbillon d'un
monde vain, léger, spirituel et galant, je me vis tout à coup
forcé, par l'élévation de mon père au ministère de la guerre,
à faire un tout antre emploi de mon tems, à m'occuper des
affaires publiques, à sortir du vague des salons pour entrer
dans le secret du cabinet, et à reclilier, parla connaissance des
hommes, par l'évidence des faits, les erreurs trop fréqueiites de
resj)rit de système et des théories sans expérience. » La carrière
politique du jeune diplomate connnença par une mission, en
qualité de ministre plénipotentiaire, à la cour de Russie, au-
près de laquelle il l'ut envoyé, en ijSô, après son retour
d'Amérique, où il avait pris part à la glorieuse défense des Etats-
Unis contre leur ancienne métropole. La noblesse de son ca-
ractère, Sun esprit et son habileté rétablirent promptement
l'harmonie (|ui, depuis long-tems, avait cessé de régner entre
les deux puissances. On sait de quelle faveur il a joui con-
starmnent auprès de l'impératrice Catherine, qui savait ap-
précier les hommes de mérite, et qu'il accompagna dans son
célèbre voyage en Tau ride, durant lequel elle étala, dans le
cours de i,Goo lieues, tant de luxe et de magnificence. Cinq
jours avant son départ, il avait eu la satisfintion de signer (le
1 1 janvier i ^Hj) tm traité de commerce fort utile à la France.
La guerre ayant éclaté, en 1789, entre les Turcs et la Russie, le
comte de Ségur fil accepter la médiation de la France, et la
promesse de signer une (piadriqilc alliance projetée entre la
France, l'Espagne, la Prusse cl la Russie. Lesévènemens delà
révolution le rappelèrent, peu de tems après, dans sa patrie.
En 1790. il lut nommé maréchal de camp, et, plus tard, en-
voyé par le roi à Berlin, pour relarder la guerre : il réussit
dans cette mission, malgré beaucoup d'obstacles. W. de Sé-
gur, ainsi que son père, refusa d'émigrer; cependant , en
1792, le comité de sûreté générale les fit arrêter, mais ils
échappèrent à l'échafaud. Toutefois, leur fortune périt au mi-
lieu du naufrage commun : ruiné à Saiut-Donnngue et en
France, "SI. de Ségur sut trouver, dans la philosophie et dans
la culture des lettres, les nobles consolations et les ressources
du travail. Napoléon, cet excellent appréciate<n- des hommes,
l'arracha plus tard à sa retraite, et I appela dans ses conseils:
il y prit une part très-a{li\e ;'i la discussion des (^odes. En iSoTt,
iNÉCKULUGlE. Sai
il fut nommé membre de l'Institut; et l'ordonnance royale de
1816 le conserva parmi les membres de la nouvelle Académie
française. Après avoir été l'un des ornemens de la cour de
Napoléon, où il remplissait les fonctions de grand-maîtro des
cérémonies, même pendant les cent jours, M. de Ségur fut, à
l'époque de la restauration, éloigné pendant quelque tems de
la Chambre des pairs, où M. Decazes le fit rappeler, en 1818.
Toujours fidèle à la cause de la liberté constitutionnelle, il ne
rechercha plus d'autres faveurs que l'estime générale de ses
concitoyens. C'est dans cet esprit et avec toute la vigueur de
son talent, qu'en même tems qu'il prenait part à la discussion
des plus hautes questions politiques, et qu'il les éclairait de
son expérience, il tenait d'une main ferme et sévère le burin
de l'histoire : il traçait encore, dans ses derniers jours, le ta-
bleau et les terribles leçons du règne de Louis XI.
M. de Ségur est mort le 27 août dernier; il laisse un fils,
héritier de ses opinions libérales et de son talent, I.; comte
Philippe DE SÉGDR, dont l'Histoire de la Campagne de Russie
a obtenu ini si beau succès, et qui occupe déjà honorable-
ment un siège au sein de l'Académie française.
On a de M. de Ségur : 1° Pensées politiques; in -8"; —
2° T héâtre de l'Ermitage ; 1798. a vol. in-S"; — 5" Histoire des
principaux évineinens du règne de Frédéric-Guillaume II, et
Tableau politique de l'Europe, depuis 178G jusqu'en 1796,
sous le titre de : Tableau statistique et politique de l'Europe ;
1801, 3 vol. in-12; 1800, 3 vol. in-8°; — 4° Mémoire sur le
Pacfe rfe /amt7/e (dans la deuxième édition de l'ouvrage suivant);
— 5° Politique de tous les Cabinets d^ l'Europe pendant les règnes
de Louis XV et de Louis XVI : deux éditions ; 1801. 5 vol.
in-8''; — 6° Contes, Fables, Chansons et Vers; 1801, in-8" ;
1808, in-8°; • — 7° Histoire de l'Europe moderne; 1816, in -8° ;
— ^"Galerie morale et politique ; 1817-1823. 3 vol. 10-8°; —
9° Abrégé de l'Histoire ancienne et moderne, à l'usage de la
jeunesse; 1817-1829, in- 18 ; — 10° Les Quatre Ages de la vie,
Etrennes à tous les âges; 1819, in-8"'; — 11" Romances et
Chansons ; 1819, in- 18; — 12" Le Premier jour de l'An,
Chanson; 1820, 10-8";- 13" Pensées, Maximes, Réflewions
de M. le comte de Ségup , 1822 , in-18; — 14" Notice sur le
chancelier d' A guesseau ; 1 822, in-18 ; — i5" Mémoires, Souve-
nirs et Anecdotes, formant les trois premiers volumes des C?E/<-
vres complètes de M. le comte ve Ségur, publiées de 1S24-
1829, en 36 volumes; — 16" Recueil de famille, dédié à
M"" la comtesse de Ségur; 1826, in-8°, — 17" Histoire des
Juifs; 1827, in-8". — M. de Ségur a fourni des articles au
53 *
5a2 Ni^CROLOGII-.
Mercure, an Journal de Paris , et à la Revue Encyclopédique;
il a lionne en, outre, plusieurs pièces qui ont été représentées
au A'audeville, au théâtre Montansicr , et à l'Opéra. I! a été
l'un des fondateurs des célèbres Dîners du Vaudeville, et de la
»S'3c/V<e littéraire et politique du Portique Républicain, qui a
compté, parmi ses membres, Parny , Chcnier, Mercier, NcU-
geon, etc.
« M. de Ségur, dit Dussault, est un homme de beaucoup
d'esprit; il écrit avec élégance, grâce et clarté; il a autant de
pureté dans le jugement que de droiture dans le cœur. » —
« M. de Ségur, a dit M. Arnault, dans un discours prononcé
sur sa tombe, réunissait à ce que la culture des lettres peut ap-
porter de plus 'piquant dans les habitudes de l'homme du
grand monde, ce que les haliitudes du grand monde peuvent
prêter de plus aimable au commerce de l'homme de lettres.
Ni les inquiétudes de l'esprit, ni les chagrins du cœur, ni les
souffrances du corps ne purent altérer en lui ces précieuses
qualités; quand il souffrait, il semblait que ce fût pour lui un
fortune des plus diverses, à l'abattement du malheur, et, ce
qui esit plus rare, à l'euivroment de la prospérité. »
^J*g++SŒ=-
TABLE DES ARTICLES
CONTENUS
DANS LE CAHIER D'AOUT i85o.
I. MÉMOIRES, NOTICES ET MÉLANGES.
Pages.
1 . Des arts qui travaillent à la formation de nos habitudes mo-
rales Cil. Dunqye?'. 257
3. Opiuiou sur la peine de mort (second article}. Livingston. 276
5. Notice nécrologique sur Jean Schweighaeuser, de Stras-
bourg J. //. Schnitzler. 297
4. Souvenirs politiques : La Révolution et l'Empire ; Vers . .
M. A. JuUien, de Paris. 020
II. ANALYSES D'OUVRAGES.
5. Second recueil de tableaux par la commission générale de
statistique du royaume des Pays-Bas A. Quételet. 028
6. Histoire de la civilisation en France, par M. Guizot : époque
féodale (cours de i85oj Albert Diitens. 336
7. Monumens arabes, persans et turcs, considérés et décrits
par M. Reinaud (second article)
Amaury-Duvai, de l'Institut. 354
8. Comédies d'Aristophane, traduites du grec par M. Artaud.
A. Poirson. 370
III. BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
Annonces de 67 ouvrages, français et étrangers-
Amérique septentrionale. — Etats-Unis, 5 689
Europe. — Grande-Bretagne, 7, dont 1 ouvrage périodique. . 392 "
— Russie, 4 407
— Pologne, 5 ... 412
— ■ Allemagne, 4 • 4^5
— Suisse ,2 42 1
— Italie, .5, dont 1 ouvrage périodique 4^2
— Pays-Bas, 5, dont 2 ouvrages périodiques 4^7
rV.ANCE , 54 , savoir : Sciences physiques et naturelles ,9 43o
— Sciences religieuses, morales, fwUtl.queset historiques, 12. . . 44?
— Littérature. 7 4^1
024 TABLE DE^ ARTICLE?.
— Bcaiix-arts , -2 ^72
— Mémoires et Rapports de sociétés savantes , i f^~5
— Ouvrages périodiques , 9 4?^
— Livres en langues étrangères , imprimés en France , 1 . . . . 479
IV. NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES.
Amérioie septentrionale. — Etats- Unis : ?>en'-IIavcn : Arto-
lithes. — Etat de j\ew-Fork : Rocliester : Accroi>seLajnt de
la population. — Canada : Québec : Socii-té liUéraire et his-
torique ; Poème sur la prise de Missolonglii, en 18^7. —
il/o/if.Z}tV)/ ; Presse périodique ; Journaux français 47!)
Aatili-es. — Cuba : Tableau du commerce de cotte île, en 1827
et 1828 /|8i
^SjE. — Russie asiatique; Sibérie: Yénisséisk : Position géogra-
phique ; Population. -^Georo^/f ; Tiflis : Population ; Presse
périodique ; — Journaux publié? dans trois langues ; russe,
géorgienne et persane . 4'^7
EUROPE.
GnANPE-BRETAGNE. — Sympathie de l'Angleteiro pour notre der-
nière révolution. — Londres : Mesures pour le soulagement
des ouvriers, — Statistique de la marine anglaise 488
RissiE. — Pétersbourg : Académie des sciences t Séances de sep-
tembre 1829 à février i85o. — Calendrier russe : Récla-
mation contre une asserlion de la Revue des Deux-Mondes. . l\(\i)
x\i.LEMAG.NE. — Suite et iin des documens relalifs h la statisti-
que morale de la monarchie prussienne. - — Berlin : Ques-
tion proposée par la classe de philosophie et d'histoire de
rAca<lémie royale des sciences . 49^
SrissE. — AppenzeU {Rhodes extérieures) : Instruction pub.lique. f\Q-j
Pays-Bas. — Amsterdam : Prix proposés parllnslitut royal des
Pays-Bas 499
France. • — Paris. — Institut : Académie des sciences : Séances
du mois d'août i85o. Académie française : Séance pu-
blique du 25 août. — Société royale des antiquaires; Ré-
sumé de ses travaux pendant le premier semestre de i85o.
— Société jjour l'enseignement élémeutaire ; Piix proposé :
Utilité des machines. — Publication prochaine. ■ — Récla-
mation de M. Chauret. — Chronique des théâtres pendant
le mois d'août i85o. — Banquet mensuel de la Revue Ency-
clopédique, du 10 août 5oo
Nécrologie.
Franre ; Lair ; comte de Ségur . Sig
REVUE
ENCYCLOPÉDIQUE.
ou
ANALYSES ET ANNONCES RAISONNÉES
DES PBODDCTIOKS LES PI.l'S REMARQUABLES
DANS LA LITTÉRATURE, LES SCIEISCES ET LES ARTS.
I. MÉMOIRES, NOTICES,
LETTRES ET MÉLANGES.
L'AVEIVIR.
L'avenir ! Nous n'avons garde de prétendre le prévoir. Qui
aurait osé, au commencement de juillet, concevoir l'idée des
évènemens que nous avons vus? Qui aurait compté sur ime si
prompte résistance au premier acte de tyrannie ? Qui aurait cru
que le peuple d^une ville vaincrait en trois jours une armée?
Qui aurait calculé ce qui était ircalcnlable? Non; l'avenir se
dérobe à notre vue; nous ne songeons point à le prédire; nous
cherchons seulement à exposer nos désirs, nos vœux sur ce
ï. XLVII. SEPTEMBRE I 8.>0. 34
526 L'AVENIR.
qu'il couvre, à consulter l'expcMience pour diriger nos efforts
vers ce qu'il peut accomplir.
La France est jusqu'à ce jour seule coinplètemeul libre , au
milieu de peuples plus ou moins asservis, plus ou moins cour-
bés sous le joug. La France seule regarde avec confiance et
amour les institutions qu'elle se donne, tandis que tous ses
voisins appellent avec impatience des changemens, qui , pour
les uns, peuvent n'être que des réformes; qui, pourles autres,
doivent atteindre àde complètes révolutions. Puisse la France
conserver ces institutions qui font sa gloire! puisse- t-elle
obtenir tout le bonbeur dont elle s'est montrée si digne ! puisse-
t-elle éclairer les autres peuples par son expérience, comme
elle les a encouragés par son béroïsme ! Mais qu'elle ne l'oublie
point, la France est seule ! .'•a première attention doit se porter
sur cet isolement. La France est seule au milieu d'Etats ri-
vaux; la France a donné un exemple effrayant pour les gou-
vernemens; la France, sans vouloir agir, et en ne s'occupant
que d'elle-même, menace tous les abus dans les Etats voisins :
la France entend les appiaudissemens des peuples; qu'elle
écoute aussi les malédictions des ministres des rois ; partout
où s'exerce un pouvoir fondé sur la déception ou la violence,
elle est sûre d'avoir un ennemi. Sur cbacune de ses frontières,
cet ennemi veille poui- profiter de ses fautes; sur chacune, il
attend avec espérance. Que personne ne soit si insensé que de
se reposer sur des notes diplomatiques pour reconnaître le
nouveau souverain, sur des ambassades, sur des promesses.
De même que, sans le vouloir, la France, par l'exemple seul
de sa liberté, fait la gucne à toutes les tyrannies ; toutes ces
tyrannies, dès qu'une chance leur serait offerte, se trouveraient
conjurées contre la France. La paix ne saurait dissoudre cette
ligue; elle subsistera, elle se montrera dans dix, dans vingt ans,
comme demain , tant que le système progressif et le système
rétrograde des gouvernemens seront eu présence. N'oublions
jamais celte inimitié, qu'elle fasse sentir à la France la néces-
sité de chercher dès a\ijourd'hui toute la force qu'elle peut
trouver en elle-même, de chercher à l'avenir au-dehors toute
la force qu'elle peut s'assurer par des alliances.
L'AVEMK. 529
La Franre est aujourd'hui forte par ellc-môine; elle désire
ardonuiienl n'avoir point la guerre, uiais elle sent que la guerre
ne lui apporterait pas des dangers. Isolée comme elle l'était,
dans les cent jours, au milieu de l'Europe ennemie, elle sent que
les proportions sont changées entre elle et toute coalition. En
i8i5, sa population virile et militaire avait été épuisée par
vingt-cinq ans de guerre ; chaque année, la conscription avait
enlevé la fleur de la population, toute la partie de la jeunesse
qui était le plus propre au service; aussi , les levées en masse
ne présentaient plus que des rangs affaiblis. Aujourd'hui, quinze
ans de paix ont laissé accumuler, pour la défense de la patrie,
tous les jeunes gens qui, durant ces quinze années; sont ar-
rivés à l'âge viril; ils sonlTigés de dix-neuf à trente-quatre ans;
leurs rangs n'ont pas été décimés, n'ont point éprouvé de
pertes, et leur vigueur est redoublée par les souvenirs de la gloire
fies générations qui ont passé devant eux. En 18 15, la popu-
lation découragée, fatiguée, ne désirait que le repos; elle
8'était usée sur tous les enthousiasmes; les mots de liberté,
de gloire, de patrie, n'excitaient plus que des efforts languis-
sans; les âmes faibles se résignaient à une ignominieuse ser-
vitude. Aujourd'hui, une nouvelle flamme s'est allumée, une
nouvelle liberté est apparue à nos yeux, une nouvelle auréole
de gloire, acquise dans les derniers jours de juillet, couronne
la patrie. Les armées coalisées de 181 5 se présenteraient sur
toutes les frontières , qu'elles rencontreraient partout de la
résistance, qu'elles se fondraient quand elles se trouveraient
aux prises avec deux millions de gardes nationales. Au reste,
ces armées de 18 1 5 n'existent plus nulle part ; à cette époque,
l'enthousiasme , ramT)ur de l'indépend-mce et celui de la li-
berté avaient quitté la France pour passer dans les rangs en-
nemis. Tous ces sentimens ont été éloufiés, punis mênle, par
les rois qui en avaient profité. Où sont aujourd'hui les peuples
qui se lèveraient pour écraser la France? Oli sont les land-
wehrs qui s'armeraient volontairement, qui combattraient avec
patriotisme, quand chaque sujet d'un monarque sait qu'en as-
servissant la France il riverait ses propres chaînes? Non : dans
5aS L'AVEMU.
ce moment, la };iKirc est impossible ; les étrangers le savent ,
et ils n'attaqueront pas.
Mais les étrangers attendent et ils veillent; mais ils se ré-
jouissent, quand ils voient des symptômes de désorganisatioji ;
mais ils applaudissent, quand les Français déconsidèrent le
pouvoir qu'ils ont créé, les ministres que la révolution leur a
donnés, les Chambres qui ont sanctionné leurs droits. Ils sa-
luent avec joie cette image de i8i5; car c'est ainsi que, dans
les cent jours, le peuple, qui s'était fait un gouvernement nou-
veau, oublia qu'il devait s'intéresser à son ouvrage; le peuple,
(|ui avait désigné à son chef un nouveau ministère, oublia
f|u'il devait être ministériel. Les étrangers se réjouissent; car
ils savent que l'effet d'une révolution est de détendre entre les
mains du gouvernement tous les ressorts matériels qui font
mouvoir la force, pour ne plus lui laisser que le ressort de
l'opinion; si les organes de l'opinion s'attachent à détruire
celui-ci à son tour, le gouvernement ne gouverne plus; la
nation n'a pas perdu sa force; mais elle en a perdu l'usage,
elle ne peut plus agir avec ensemble, et elle se trouve à la
merci de ses inférieurs en puissance.
Ne nous demandons point (qu'on permette à celui qui écrit
dans un journal français de parler comme un Français), ne
nous demandons point si la Chambre des députés, si le mi-
nistère ont mérité quelques reproches ; ils sont l'expression de
notre volonté, ils sont la création de notre puissance, ils sont
les agens par lesquels nous exerçons notre force, les instru-
mens avec lesquels nous devons opérer notre salut. Laissons
aux amisde Charles X le soin de former l'opposition; ils sau-
ront assez veiller sur les fautes et découvrir les abus; ils se-
ront toujours assez prêts à crier aux attentats contre la li-
berté, eux qui ne la connaissent et qui ne l'estiment pas; notre
affaire à nous, qui voulons être libres, c'est d'être aujourd'hui
ministériels (i) , de l'être en nous souvenant ([ue les honnnes
Cl) Pour qii*' 1(> paliidics soiiMil ministériels, il Tant avaiU lunl que It-
I/AVKMil. 5.>y
soiil honuiies ; que, (jnels que soient ceux a ([ui nous délégue-
rons uo'i pouvoiis, nous ne !es trouverons jamais parfaits, et
que, plus nous les changerons souvent, plus nous les rendrons
ignorans, novices et hésitons, plus nous nous affaiblirons nous-
mêmes.
Je ne sais point si les nouveaux ministres ont l'ait des fautes ;
mais je sais qu'il était à peine possible qu'ils n'en fissent pas.
Ils n'ont trouvé chez tous leurs subordonnés que des enne-
mis; il était urgent de les remplacer; e-t cependant, ils n'ont
pu le faire que par des honunes neufs. Ils ont dû consacrer un
tems précieux à la réorganisation de tout le personnel de l'ad-
ministration, pour se mettre en garde contre la perfidie; et
en même tems, tous ceux qu'ils ont appelés à leur aide, ont dû
commencer par faire un nouvel apprentissage. Il a dû résul-
ter de cette double cause une suspension presque absolue du
travail journalier de l'administraticn, à l'époque même où les
nécessités du moment imposaient un travail presque double.
Peut-on s'étonner q\ie , pendant ce noviciat inévitable, on
niiHistère soit lui-même pfl<r(0<c ; qu'il soit l'expression franclie et f'ortc-
uient prononcée des intérêts nationaux ; qu'il accepte sans hésiter toutes
les conséquences nécessaires de la révolution ; qu'il ne s'appuie point sur
des lois évidemment wauiaises et contraires aux principes consacrés par
notre loi fondamentale, rtiais qu'il en piovoque sans aucun délai la révo-
cation ; il faut qu'il donne des gages au nouvel ordre de choses, au lieu
de se traîner dans les anciennes voies; qu'il lass<' ouvertement la guerre
aux abus, au lieu de les combattre avec mollesse ; qu'il f'iappesans pitié
les gros trailemens, les cumuls, les sinécures, au lieu de les ménager avec
indulgence; il faut enfin qu'il s'explique nettement sur ses principes de
politique intérieure et exféiieure, afin qu'au dedans la liberté et l'ordie
public soient fortifiés etgaiantis l'un par l'aiitie, afin qu'au dehors notie
volonté bien connue, hai.tement manifestée, d(!f.e point intervenir dans
les affaiies des autres Etats, mais de ne point souffrir qu'en aucun cas ils
puissent violer le principe de non-intervention, force les gouverneniens
à nous respecter, sans avoir à nous ciîjindre, et leur prouve que notre
modération n'est jioint et ne sera jamais de la faiblesse. A ces condi-
tions, mais à ces conditions seulement, nous pourrons devenirminisiériels,
N. D. R.
53o L'xi VENIR.
n'ait point préparé de nouveaux projets de lui, on n'ait point
exécuté de réforme? On s'impatiente d'une langueur causée
par le renouvellement de toute l'administration : le mal tire ;'»
sa fin ; au lieu d'v porter remède, on le redoublerait en chan-
geant l'administration encore une fois.
La France fait aujourd'hui la glorieu;e expérience d'un gou-
yernement national; mais n'oublinns point qu'elle est entrée
dans une carrière dû aucun exemple ne la guide. Son succès
sera le plus beau que puissent désirer les hommes réunis en
société ; mais, pour l'atteindre , elle est à peine éclairée par la
théorie; elle ne Test par aucune expérience. Qu'on se garde
de lui demander de suivre les principes^ mot avec lequel tant
de gens se dispensent du raisonnement et de l'examen. Où
sont les principes du gouvernement nouveau ? La France s'est
donné une monarchie constitutionnelle; où est l'exemple
d'une monarchie constitutionnelle qu'elle puisse imiter? Si le
mot de principes rappelle des règles générales tirées de la
monarchie anglaise, toutes ces règles seront décevantes; car
la monarchie anglaise repose sur des bases tout opposées.
La monarchie constitutionnelle anglaise nous présente tm
roi dont le pouvoir est étayé sur des idées et des habitudes
héréditaires, dans un pays où tout e^t héréditaire; où la loi
est un usage immémorial; la liberté, uii privilège delà race
anglaise; où aucune théorie abstraite n'est opposée aux droits,
ou plutôt aux faits existans qu'on appelle coiisiittifion : ce roi
est soutenu par une chambre des pairs dévouée à sa dynastie
et au gouvernemeiit monarchique; par une aristocratie qui,
tour;'i tour lui emprunte et lui prête son lustie; par une ma-
gistrature qui a conmiencé par être bassement servite, et qui n'a
acquis un peu de libéralité que paice que la liberté est deve-
nue la loi du pays; par un clergé qui regarde la couronne
comme défendant ses glèbes et sa dîme, et qui dispose à son
tour d'un peuple de croyan* ; par une armée, enfin, formée
par des engagemens volontaires, et façonnée à une double
obéissance, envers l'aristocratie et envers la couronne. En
France, au contraire, la naissance n'éveille aucun préjugé.
L'AVENIR. 53 1
riiéiédite du pouvoir est couï^idért-e comme un abus, la li-
berté est une conquête qui a renversé les anciennes lois, l'o-
hligalion de tout innover a forcé de recourir sans cesse à
l'abstraction, à ce qu'on uonmie les principes. Ln roi citoyen,
un roi à qui la patrie doit de l'amour et de la reconnaissance,
a été choisi par le peuple; mais il n'y a pas de prestiji^e au-
tour de lui ; c'est sa personne qu'on aime, non pas sa race ;
il ne dispose d'aucune puissance de souvenirs; il est seul vis-
à-vis de la nation, et tout ce qui appuie le trône anglais est
conjuré contre lui. La chambre des pairs, toute récente d'o-
rigine, avait été faite à la main par son adversaire. Par un
simple usage de ses droits, par le rejet d'une loi nécessaire,
elle pouvait renverser le trône ; et , si elle était demeurée telle
que la contre-révolution l'avait faite, avec sa majorité égale-
ment ennemie de la dynastie et de la nation, elle l'aurait ren-
versé dès son premier scrutin secret. L'aristocratie, si l'on
peut dire qu'il en reste une en France, a perdu tout le lustre
que s'efforçait dt; lui donner le dernier roi ; elle a blâmé l'im-
prudence de Charles X, mais elle regrette Louis XYIII; elle
est secrètement ennemie d'une dynastie nouvelle qui consa-
cre son abaissement. La magistrature, que par respect pour
de prétendus principes on n'a pas voulu épurer, contient dans
son sein de nombreux ennemis <le la nouvelle dynastie, qui
tourneront contre elle, toutes les fois qu'ils le pourront , avec
sûreté, tout ce qu'on lui laissera de pouvoirs constitutionnels.
Le clergé, enfin, est, de tous les corps de l'Etat, le plus una-
nime et le plus acharné dans sa haiiie. Sa con>;cience et ses
préjugés, son intérêt pécuniaire et son amour du pouvoir, tous
ses sentiméns enfin lui font désirer la contre-révolution ; il se
trouve dans l'État, partout présent, partout agissant de con-
cert, comme un pouvoir organisé pour une conspiration perma-
nente; c'est lui qui aigrit tous les mécontenteniens, qui pousse
au désordre et à la révolte une population ignorante, qui entre-
tient la correspondance avec l'étranger, et qui, toujours dé-
i-obé uu châlimcnt , sait encore y soustraire ses agens coiq)a-
bh's. De tous les soutiens du trône biilaunique, l'armée seule
532 L'WENIR.
demeure au roi des Fi-anrais , celle-là n'est point ennemie,
mais elle n'est point dévouée; elle est nationale, et non pas
monarchique; et, si des souvenirs pouvaient l'emporter sur
son premier sentiment , son sentiment français, ses souvenirs
de la république, de l'empire et des Bourbons, seraient con-
traires au nouveau trône.
Que conclure de cette inspection de ce qu'on regarde ail-
leurs comme les appuis, les ouvrages avancés d'une constitu-
tion monarchique? Aucun d'eux ne défendra le trône de Louis-
Philippe ; plusieius, au contraire, le battent en ruine. C'est
donc au peuple lui-même à entourer, à défendre le roi de son
choix: c'est a'i peuple à mettre de côté une jalousie que les
noms excitent, mais que les choses démentent , pour consti-
tuer de bonne foi, avec d'autres élémens que ceux employés
en Angleterre, un pouvoir royal suffisant pour se maintenir,
suffisant pour donner à la chose publique l'impulsion, la vi-
gueur qu'on a demandées au principe monarchique, suffisant,
enfin, pour sauver la France toutes les fois qu'elle sera atta-
quée. En France, le pouvoir royal est aujourd'hui tout entier
dans l'administration; il est, il doit être le pouvoir unique
qui exécute; il doit former un réseau qui atteigne, qui couvre
toute la surface du royaume; qui, par les minisires, les pré-
fets, les maires, arrive inmiédialement à l'accomplissement
i!e celte volonté nationale que la loi a exprimée. Quiconque
administre est un membre du pouvoir royal qui doit être
soumis au chef. Chaque préfet, chaque maire est comme un
bras du roi ; il doit être aussi l'élu du roi. L'unité du pou-
voir national, la force de la France, sa sûreté au milieu de
gouvernemens ennemis sont attachés à la prompte et régulière
obéissance de tous les agens du pouvoir exécutif, à la certitude
qu'une seule volonté , conforme à biloi, fera mouvoir tous
les bras, sans réflexion, sans résistance.
Des écrivains patriotes, appliquant à la France libre le sys-
tème des résistances locales, où la liberté s'était réfugiée daos
de vieilles monarchies, ont fait entendre le vœu, que, non seu~
lement les conseillers municipaux, mais les maire-* fus.sent nom^
L'AVElMK. 533
mes par les communes; que, non-seulement les conseillers de
département, mais les préfets fussent nommés par les départe-
mens; qu'ainsi le roi ne commandât qu'à des agens qu'il n'aurait
point choit is, qu'il nepourraitpointdestituer,et qui seraient dès
lors dispensés de lui obéir. C'en est fait de la France comme na-
tion, de son indépendance, de son pouToir de résistance aux
étrangers, si ce vœu est écouté. Songent-ils à ce que devien-
drait, non pas un roi, mais un gouvernement quelconque, sour-
dement attaqué par la pairie et l'aristocratie, par la magistrature
et le clergé, qui trouverait encore dans ses agens immédiats
résistance, et non obéissance. Aux députés de la nation ap-
partient la manifestation de la volonté nationale, qui doit être
une pour tout l'empire ; elle doit être éclairée par toutes les
lumières nationales, compréhensive et se rapportant au tout,
non à ses parties; aux élus des \illes, aux élus des départe-
mens appartiennent, dans les conseils de commune et de dé-
partement, la manifestation des besoins locaux, la surveillance
sur les agens du gouvernement, pour qu'ils restent toujours
dans la loi , le contrôle de la comptabilité ; mais aux élus du
roi l'exécution doit appartenir partout et sans partage. Le roi
est lui-même l'élu de la nation ; sa force est dans la nation et
dans l'opinion nationale; pour renforcer sa popularité, il aura
soin, sans doute, de choisir des agens qui soient populaires;
maisoB ne doit point oublier que ces agens exécutent la volonté
de tous, par opposition à celle des localités; que ces agens re-
présentent plus réellement la nation que ne le font les élus du
village. Malheur à la France, si le droit populaire des repré-
sentans de la commune se met en opposition au droit popu-
laire des représentans de la nation; les intérêt- locaux arrê-
teront sans cesse l'intérêt national, tous les préjugés seront
représentés, tous auront leur droit de veto contre les progrès
delà raison. Dans une ville, l'autorité municipale fera brider
les machines ; dans une autre, elle fixera le prix du pain, ou le
s^ilaire des ouvriers, ou elle interdira le transport du blé d'un
district à l'autre ; ici , elle exclura les protestans, ou les juifs;
là, elle s'opposera aux mesures de finance; ailleurs, à celles
de défense nationale, qui, salutaires pour la nation, sontsou-»
5?i4 L'AVENIR.
Tent préjmliciables aux localilcs : partout elle se dira repré-
senter le peuple, agir ;ni nom du peuple, et elle invoquera
cette souveraineté qui appartient à la France , et non pas à
chacune de «e< parties.
Quand le despotisme était au centre, ces municipalités po-
pulaires étaient le seul refuge de ce qui restait de liberté,
parce qu'elles rallentissaient un peu l'aclion du pouvoir, qui
cependant avait en tous lieux d'autres agens qu'elles; parce
que leur résistance, tout aveugle qu'elle était quelquelois ,
valait souvent mieux encore que la volonté du maître. Les
municipalités étaient populaires dans l'ancienne France ; elles
le sont à Naples, en Espagne, en Portugal, en Uus.^ie ; dans un
pays où le peuple n'a aucune part au commandement, on veut
bien consentir à ce qu'il se concerte pour trouver la manière
d'obéir qui lui est la moins onéreuse, et il faut y accepter pour
bon tout ce qui peut entraver la marche impétueuse du des-
potisme. Les municipalités sont aussi toutes populaires en
Suisse et en Hollande, et il est remaïquable que, dans l'im et
l'autre pays, elles ont complètement paralysé le pouvoir lé-
gislatif. Les conseils souverains des cantons suisses, et les
États généraux dos provinces unies n'essayaient pas même de
faire des lois, connaissant l'impossibilité de triompher de la
résistance des localités. Ainsi, les communes avaient con-
damné ces deux pays libres à ne plus faire un pas en avant, de-
puis les révolutions qui fondèrent leur liberté. Il n'y a pas eu
d'autre cause de la conservation de la torture dans le canton
riche, éclairé, prolestant, de Neufchâtel. Le roi de Prusse l'a-
bolit en6n en j8i5 par une ordonnance inconstitutioimelle,
parce que dans l'État ne se trouvait ntdle part le pouvoir de
faire ime loi. Dans toute la Suisse, les conmituics se sont consti-
tuées les gardiennes de tous les préjugés et île tous les abus;
elles ont fait oublier la patrie pour la localité, qui est toujours
rivale et jalouse de toutes les localités qui l'entourent ; elles ont
maintenu à leur profit la confusion des pouvoirs législatifs,
administratifs et )U(iiçiaires; dans plusieurs cantons, elles ren-
dent impossible d'établir jamais aucun nouvel inip«Jt , et de
changer par conséquent aucun des anciens, quelque absurde>
L'AVEiMU. 555
qu'ils soient; et leur économie, souvent sorditlc , en soii;nant
les intérêts matériels de leurs ressoriissa7is, leur sacrifie les in-
térêts intellectuels de la patrie, souvent la liberté de leurs con-
citoyens. Ainsi la Suisse est tourmentée aujouid'liui par une
classe nombreuse d'hommes, qu'on nomme licimaildose (sans
demeure), parce qu'ils n'appartiennent à aucune coxnmune,
chacune d'elles les repoussant également, pour ne pas se char-
ger de leur indigence.
Revenons à la France qui a le bonheur de ne point con-
naître encore par expérience cette résistance habituelle de
toutes les parties au tont. Sa Ibrce, avons-nous dit, ne dépend
pas seulement de sa brillante et belliqueuse population, et de
l'enthousiasme qui Tanime ; elle a besoin que son gouverne-
ment soit puissant dans l'opinion, qu'il soit puissant parla
stabilité et l'expérience de ses ministres, par la confiance, et,
au besoin, par l'indulgence de ses administrés, par le franc
appui de la presse libérale, tandis que la presse servile ne ces-
sera de l'attaquer. Elle a besoin que son action soit une, qu'elle
soit prompte, qu'elle soit éclairée, que les rouages de la ma-
chine administrative ne se révoltent pas, s'il est permis de
parler ainsi, contre la force motrice qui les met en jeu : elle a
besoin esfin que le peuple soit ministériel, tandis que la no-
blesse, les tribunaux et le clergé feront de l'opposition. Si la
France ne' sait pas comprendre ces nécessités de sa position,
elle sera bientôt attaquée par les gouvernemens absolus; et,
malgré toute son énergie, sa victoire n'est pas assurée.
Mais, si la France ne détruit point elle-mC-me à plaisir sa
force, elle est inattaquable; elle aura la paix, et alors c'est
des gouvernemens absolus que l'heure a sonné. Dans toute la
partie occidentale de l'Europe , il y a un progrés des intelli-
gences qui ne peut plus s'accommoder d'un gouvernement
qui prétend mesurer la lumière, maîtriser la pensée, et inter-
dire l'instruction; il y a un progrès de dignité humaine, qui
ne permet plus à l'homme de se soumettre à \\n pouvoir dont
il ne reconnaît et n'approuve pas le but, dont l'origine est une
usurpation ; il y a un progrès de moralité qui ne peut plus ad-
mettre l'arbitraire a la place de la justice, et la violence au
556 L'AVEN fil.
lieu du droit ; il y a cufin uu progrès de richeescs niatéricllrs
et mobilières qui demande des garanties dont la richesse Ibu-
cière peut à la rigueur se passer. Un despote ne peut pas dé-
penser les champs de ses sujets : s'il les confisque, il est forcé
do les rendre à d'autres, et le domaine de la nation demeure
à peu près le même; mais la richesse du commerce est faite
pour la consommation ; ce que le gouvernement prend aux
industriels, soit urgent, soit marchandises, il le dissipe lui-
mf'me ; et, si des bornes ne sont mises à son pouvoir, il pourra
tojjt [>rendre, parce qu'il pourra tout dissiper. Paitout donc
où se trouve un développement d'intelligence, de dignité, de
moralité ou de richesse commerciale, se trouve aussi un besoin
intense de liberté constitutionnelle et de garantie. En vain,
après la victoire remportée en 181 5 sur la France, la Sainte-Al-
liance essaya d'étendre le système de Metternich sur toute
l'Europe; en vain elle attaqua partout l'intelligence, la dignité
humaine et le sentiment du droit ; le besoin des hommes déjà
civilisés était plus foit qu'elle ; la résistance recommençait
partout, l'intelligence se révoltait partout contre la force ma-
térielle, et la victoire de Paris a enfin révélé l'impuissance des
despotes, l'accord des peuples et les besoins du siècle. I.e
parti vaincu n'a plus d'espérance que dans les fautes de la
France; si celle-ci reste digne d'elle-même, chaque despo-
tisme de l'Europe occidentale doit crouler au sein de la nation
qui le_ supporte, par les forces mêmes du pays qu'il opprime.
Une mémorable leçon a enseigné aux peuples, dans les der-
niers jours de juillet, quelle était leur puissance, même contre
des armées ; elle a enseigné aux armées, et cette leçon est plus
importante encore, le sort qui les attend , si elles combattent
les peuples. Désormais, les soldats auxquels on ordonnera de
tirer sur le peuple songeront que la garde royale et la gen-
darmerie oui été licenciées pour avoir obéi; que leurs soldats
sont rentrés humiliés, honnis, privés de leur état, dans les'
rangs de ce peuple qu'ils avaient combattu; que les Suisses
ont été repousses hors de cette France, à laquelle ils tenaient
à honneur «le s'associer, après sTMre fermé toute carrière à
L'AVENIR. 5:57
eiix-uirmes par leur aveugle obéissance, (^uc ceux qui, tlans
d'aultes paj^s, suivraient leur exemple, aux nus ou aux autres,
ne s'aUendent pas à être traités avec autant d'inilulgcnce.
.Après cette leçon, le devoir militaire est mieux compris de
l'Europe; ceux qui auront Ciu ([u'ils doivent pousser l'obéis-
sance jusqu'au crime seront désormais traités par le peuple
vainqueur,comme des criminels,
La politique delà France, conforme aux principes qu'elle
professe, lui interdit de se mêler des affaires de ses voisins, ou
d'usurper la souveraineté de chaque nation sur elle-même.
Elle ne se permettra donc point d'intervention; mais elle n'en
permettra point aux autres. Point de Sainte-Alliance des rois,
ou bien il y en aura une des peuples ; point de garantie mutuelle
des usurpations, ou bien la France proclamera une garantie mu-
tuelle des droits. Car, après tout, elle veut respecter le prin-
cipe de l'indépendance nationale; mais ses vœux, avec tous
ceux des amis de la dignité et de la moralité humaines, sont
pour la liberté. Son intérêt dcmaade impérieusement la liberté
de ses voisins : car ce n'est qu'avec des Etats libres qu'elle
contractera jamais des alliances sur lesquelles elle puisse comp-
ter. Viennent les revers, et les alliés despotiques qu'elle croi-
rait avoir agiront, comme agirent envers la nouvelle dynastie
de Napoléon, l'Autriche et la Prusse, et tous les princes d'Al-
lemagne. La France est puissante aujourd'hui par son enthou •
siasme ; mais le calme doit venir ensuite, et dans le calme il
faut que les forces matérielles se balancent. L'Europe ne jouira
de ce calme, après lequel elle soupire, que lorsque tous les
pays qui entourent la France auront obtenu les gouvernemcus
nationaux qu'ils réclament.
La Belgiqle s'est la première mise en mouvement pour ob-
tenir des institutions et des garanties, et c'est pour elle que la
France est appelée à reconnaître , pour la première fois, et à
faire reconnaître aux autres le principe de non-intervention.
Dans ce cas, elle sacrifie ses intérêts, presque ses droits, au
désir de maintenir la paix. La Belgique, unie malgré elle, et
})ar une force étrangère à la Hollande, a toujo(U'S détesté cette
538 L'AVENIR.
union. On ne peut douter que les Belges ne préférassent au fond
<lu cœur se réunir de nouveau à la France, que tous les Bel-
ges âgés de trente à cinquante-cinq ans ont aimée comme leur
pairie ; les étrangers n'ont pas plus le droit de gêner leur choix
i\ cet égard , que de les empêcher de changer leur gouverne-
nient. Cependant, par amour de la paix, pour ne pas ébran-
ler l'équilibre de l'Europe, la France et la Belgique peuvent
sacrifier leur désir et leur intérêt commun , pourvu que les
puissances voisines montrent la même sagesse et la même mo-
dération que la France. Si on laisse les Hollandais et les Belges
arranger entre eux leurs intérêts, il est bien probable que les
derniers obtiendront la constitution et les garanties qu'ils dé-
sirent, obtiendront siu^tout de se séparer de la Hollande, et
de former deux États, comme la Suède et la Norwège, sous
un même roi. Le souverain de deux pays, qui à l'aide de l'un
ferait la guerre à l'autre, entendrait bien mal ses intérêts : à
supposer qu'il subjuguât l'un des deux, son pouvoir ne serait
guère durable; il commencerait par la faiblesse et l'épuisement,
il finirait par ime nouvelle révolution. Mais, si ce souverain,
au lieu d'employer les Hollandais à faire la guerre aux Belges,
appelait les Prussiens, certes la> France ne devrait pas le per-
mettre. Le spectacle d'une conire-révolution opérée par une
armée étrangère serait trop dangereux; il enivrerait d'orgueil
les despotes, il allarmerait la France, et il ne pourrait man-
quer d'allumer bientôt une guerre universelle.
La Prusse et toute I'Allemagne septenirionfde sont égale-
ment mûres pour des institutions : l'i aussi, les progrès de l'in-
telligence et de la dignité humaines, de la moralité et de la
richesse mo])ilière, réclament des garanties qui ne peuvent
être long-teiHsrelusées ; mais aucun pays d'Europe n'a une es-
pérance plus fondée de les obtenir sans révolution : les gou-
vernemens ont marché avec les peuples; s'il n'ont pas donné
des garanties, il ont presque toujours agi, comme si elles
existaient; ils n'outpas violenté l'intelligence, ils n'ont pas
outragé la justice, el ils ont soigné avec habileté tous les in-
térêts matériels. Les princes, toujours lents à se dessaisir du
L'AVENIR. 559
pouvoir, n'ont peut-être tardé jusqu'à ce jour à donner aux
peuples les constitutions qu'ils avaient promises, que parce
que l'influence de l'Autriche les en empêchait. S'ils le tentent
aujourd'hui de bonne foi, leur tâche ne sera pas difficile: car
l'exemple de l'Angleterre leur est bien plus applicable qu'à
la France. Les familles régnantes, qui n'ont jamais démérité,
sont toujours chères au peuple, par une aflection héré-
ditaire; le pouvoir attaché à la naissance et à raiitiijuite est
toujours grand chez les Allemands; ils vont chercher leur li-
berté, moins dans les droits de l'homme , que dans les souve-
nirs du moyen /îge ; leur noblesse est entourée de respects qui
nous paraissent souvent servîtes : elle leur offre tous les élé-
mens d'une pairie indépendante; leur clergé , surtout le pro-
testant , est ami en même tems de la liberté et du pouvoir :
il sera modérateur et conservateur; leurs tribunaux sont sa-
vans, indépendans, mais attachés à toutes les traditions anti-
ques. Enfin, il n'y a presque qu'à vouloir, pour y faire une
nouvelle Angleterre, moins ses abus.
Combien la condition de I'Espao'e et celle du Portugal sont
différentes î là, il faut que le gouvernement tombe, et qu'il
tombe d'une manière violente : il a par trop abusé de son pou-
voir; il a pous>é trop loin la tyrannie, pour qu'aucune réforme
soit possible avec lui, La nation, dont une partie appartient
encore aux siècles de la barbarie la plus reculée, et une au-
tre à la civilisation de notre âge, ne demande point tout en-
tière des institutions. On y trouve des masses qui ont horreur
de la lumière, de la légalité et delà liberté; mais Ferdinand
et Miguel se sont montrés si perfides et si stupides, ils ont tel-
lement ruiné leurs pays, ils ont tellement compromis toutes
les existences, que leurs sujets, si divisés entre eux, no s'ac-
cordent que pour les haïr et pour les mépriser. Il est proba-
ble qu'ils tomberont sans qu'un bras s'arme pour leur défense ;
que l'armée, qu'ils laissent mourir de faim, se joindra avec joie
à ceux qui les renverseront. Il n'y a rien à faire d'eux , ni pour
eux : quel que soit leur sort, ils ne méritent aucune pitié. Quel-
ques journaux anglais annoncent des projets de constitution
o4o L'AVENIR.
monarchique avec Ferdinand ; quel? sermons prêterait-il donc
qu'il n'ait déjà violée? Quelle garantie exigerait-onde lui,
dont il n'ait déjà montré l'insuffisance? La France a éprouvé
qu'une constitution libérale était impossible avec les Bourbons ;
et pourtant Charles X était un philosophe, auprès de Fer-
dinand; il était un homme probe, loyal, observateur reli-
gieux de sa parole, humain, compatissant, économe, auprès
du roi de boue de l'Espagne. Si la nation espagnole pouvait
supporter un roi, un fds du roi des Français lui conviendrait
peut-être mieux qu'un autre; mais, certes, ce ne serait pas
un trène à lui envier. Une longue anarchie eJt peut-être le seul
avenir qu'on puisse prévoir pour l'Espagne et le Portugal : du
moins, cette anarchie formera des hommes, tandis que celle
d'aujourd'hui les détruit; elle fera renaître les élémens des so-
ciétés civiles, et celle-ci les pervertit. Quand cette révolution
qui paraît s'approcher sera accomplie, elle ôtera à la France
tout sujet de crainte du côté des Pyrénées; mais elle ne lui
donnera pas de long-tems une alliée efficace.
Nous ne parlerons point des puissances plus éloignées, la
Russie, le DA>EMiRK, la Svède ; l'AriRiCHE elle-même est as-
sez loin de la France, pour n'être pas peut-être entraînée par
son exemple. Il n'est pas impossible que le système de Met-
ternich, de fermer tout abord à la pensée, d'interdire toute
communication entre les peuples, d'arrêter tonte instruction,
puisse être toléré quelque tems encore dans les Etats autri-
chiens, d'à niant pi us qu'il se concilie, du moins quant aux quatre
millions de sujets qui sont de la race allemande, avec un grand
bien-être matériel, un grand soin pour la classe agricole, qui
fait la grande masse delà population, un grand respectpour les
droits privés et pour la iu^tice, sous la réserve seule du droit
à l'intelligcîice. Les [aysans autrichiens sont contens de de-
meurer paysans; les seigneurs seront plus contens encore de
demeurer seigneurs ; le reste de la nation a peu d'importance.
M. de Metlcrnich a jugé le reste de l'Europe d'après l'Autriche
et la Bohême; il a cru que les autres peuples ne tenaient pas
plusàla liberté que ceux qu'il avait sous les j(eux. Son erreur est
cuise des violentes convulsions par lesquelles nous avons passé ;
L'A VENIR. S41
mais il a trop d'esprit pour ne pas voir aujourd'hui qu'il lui
serait impossible d'enlever encore une fois à la race humaine
ses libertés par droit de conquête. S'il le comprend, il doit
renoncer à la guerre qui compromettrait ce qui lui reste de
l'empire des ténèbres; car, pour sauver son Autiiche, sa
Bohême, sa Hongrie de l'invasion de la lumière, il faut les
séparer des pays où l'intelligence est en mouvement, et où les
peuplée réclament leurs droits. Qu'il étende, s'il veut, ses
frontières à l'Orient; qu'il y comprenne la Bosnie, la Servie,
l'Albanie, la Macédoine même; il ne leur fera que du bien,
en les détachant de l'empire turc qui tombe en lambeaux, en
les sauvant de l'anarchie. Que l'Autriche s'agrandisse de ce
côté, de manière à, demeurer toujours un utile contre-poids de
la Russie; elle le fera, aux applaudissemens du reste de l'Eu-
rope.
Par amour de la légitimité ou peut-être du beau idéal en
fait de despotisme, M. de Metternith a voulu jusqu'à présent
sauver la Turquie en dépit d'elle-même, conserver ce colosse,
encore qu'il n'eût plus de sang pour l'animer, de bras pour se
défendre. 3Iais, après la chute de Charles X, l'inviolabilité
des trônes n'est plus qu'un rêve, et les peuples n'auront pas
plus de vénération pour le pouvoir roj'al, encore que Mah-
moud conserve le droit d'abattre des têtes selon son caprice.
D'ailleurs, tout l'empire turc se désorganise, la révolte éclate
partout, les finances se tarissent, la population disparaît, et
l'Autriche, quand elle le voudrait, n'aurait plus la force de
sauver le trône des Osmanlis. Qu'elle s'étende donc au midi
du Danube, aussi loin qu'elle croira pouvoir convenablement
et prudemment le faire ; qu'elle s'y arrondisse ; qu'elle s'y
donne de bonnes frontières; qu'elle lie toute la Hongrie à la
côte de l'Adriatique ; elle y acquerra des terres fertiles , de
braves soldats, des sujets qui ne se soucient ni du progrès de
la pensée, ni du perfectionnement de l'éducation, ni de la li-
berté de la presse ; des hommes qui obéissent et ne raisonnent
pas, à qui la licence suffit sans la liberté; qui seront contens,
si on ne leur coupe pas la tête sans motif, si on ne le? pille
T. XLVII. SEPTEMBRE I 83o. 55
:^\'^ L'AVENIR.
pas sans ordre, et si on les appelle aux arinée>:. pour leur doii-
ucr le plaisir de se battre. Qu'on ajoute encore à ces confes-
sions la légalité et l'ordre de l'Autriche, et on les élèvera dans
l'éthelle sociale ; on repeuplera bientôt les déserts oi"i l'oppres-
sion les disperse, on ajoutera une force réelle à l'empire au-
trichien. Sa population sera homogène, du moins quant à
l'intelligence et à la moralité; elle ne sera tourmentée par au-
cun désir d'indépendance, par aucun mouvement séditieux;
et, si l'empereur d'Autriche déclare ensuite à l'Europe que
ses sujets sont trop serviles pour estimer la liberté, trop igno-
rans pour rechercher l'origine de son pouvoir ou de sa justice,
trop abrutis pour désirer de s'instruire, pour avoir besoin
de livres, de journaux et d'Universités; si , en conséquence,
il coupe toute communication entre ses Etats et le monde ci-
vih•^é, on le laissera faire, et on l'en croira sur parole.
Mais, peur atteindre ce bien suprême de la politique autri-
chienne, pour s'enfermer avec sécurité dans le paradis des
sots, il faut renoncer à I'Italie. La possession d'une langue
de terre prolongée vers la France, entre la Sufsse et la Tos-
cane, d'une langue de terre couverte de villes populeuses et
riches, où tous les besoins de l'esprit se font sentir, où tous
les sentimens généreux sont entendus, où une grande richesse
industrielle demande toutes les guanties, cette possession est
un contre-sens pour l'Autriche. Son joug y est abhorré, sa
langue seule y excite la colère ; il y a antipathie entre les deux
peuples, Italien et Allemand; il y a un frémissement conti-
nuel dans celui qui, depuis quinze ans, est courbe sous le joug
autrichien, qui n'obéit qu'à un droit 'de conquête qu'aucun
titre plus respectable n'a encore consacré, qui ne reconnaît
pas plus dans ses maîtres des souverains héréditaires que des
souverains de son choix. Les Lombards et les Yénittens sont
mûrs pour la liberté qu'ils ont connue, qu'ils ont goûtée; mais
tous prél'éreraient encore obéir à un mauvais roi de toute l'I-
talie, plulôl qu'à une constitution libérale donnée par les Au-
trichiens ; tous mettent avec raison l'indépendance nationale
au-dessus même de la liberté. A la première convulsion de
L'AVENIR. 545
l'Europe, ils seront prêts; et, tandis qii« la paix dure entre
l'Autriche et la France, il faut les garder par de puissantes
armées. On parle de quatre-vingt mille hommes à envoyer en
Italie, pour la tenir tranquille; et dans un moment où les
iVonlières de Turquie, de Russie, de Prusse, réclament aussi
des soldats, un tel déplacement de forces est ruineux pour la
monarchie. Que serait-ce, si la guerre éclatait, si Napies et l'E-
tat de l'Eglise se soulevaient au midi, le Piémont au couchant;
si la France arrivait avec ses années : le corps autrichien aven-
turé dans la Lomhardie serait perdu, et sa destruction ouvri-
rait lesavenues déjà connues, déjà pratiquées de Vienne. Quand
les bataillons milanais passaient en vainqueurs les portes de
cette capitale ennemie, les soldats criaient en riant : Appal-
tali, abonnés^ c'est la troisième fois que nous entrons sans puycr !
Ils comptaient bien y entrer encore; ils y entreront en effet
si l'Autriche ne sait pas prendre son parti; si, pendant
qu'elle en a encore le pouvoir, elle ne concourt pas à élever
une puissante monarchie italienne, une monarchie indépen-
dante entre elle et la France, une monarchie qui, pouvant ad-
mettre plus d'élémens aristocratiques que la France, sera
moins dangereuse pour elle, par son voisinage et son exemple ;
une monarchie qui, animée du désir de sa conservation, et
ayant besoin de paix à son premier établissement, tiendra la
balance entre les deux puissans empires, ses voisins, dont l'un
représente le système progressif, l'autre le système rétrograde
de l'espèce humaine.
Cette haute détermination de l'Autriche, qui, pour s'arron-
dir, abandonnerait volontairement le pays auquel elle a donné
le nom barbare de Royaume Lombardo-Vénitien, et se ferait
céder en retour une compensation d'égale valeur et d'étendue
supérieure, dans la Turquie d'Europe, conmie elle l'a fait au-
trefois pour les Pays-Bas autrichien*, serait, pour elle, nous le
croyons, le seul moyen sage, honorable, avantageux, de sor-
tir d'une situation périlleuse. Nous confessons aussi que nous
n'avons aucune espérance de le lui voir adopter. L'Autriche
entassera ses sohlats demi-barbares sur le sol de la Lombar-
544 L'AVENIR.
die; elle exaspérera toujours plus les peuples qu'elle foulera
par leur présence; elle épuisera ses provinces allemandes et
hongroises d'homines et d'argent; elle y éveillera un mécon-
tentement qu'on n'y sentait pas encore; ses soldats allemands
apprendront en Italie les idées italiennes ; les soldats lombards
les répandront en Allemagne; et, quand le moment du choc
arrivera, tout l'empire d'Autriche sera embrasé. Déjà M. de
Metternich peut savoir que, dans cet empire même, les hom-
mes se groupent selon leur langue et leur origine, qu'ils se
comptent et s'étonnent que vingt-cinq millions de Bohèmes,
de Hongrois, de Polonais, d'Iilyriens, d'Italiens, aient pu
obéir si long-tems à quatre millions d'Autrichiens; que, n'o-
sant encore réclamer des droits, ils s'attachent du moins à des
souvenirs nationaux, que leurs efforts pour reproduire ce qu'ils
ont été montrent leur mécontentement de ce qu'ils sont. Dans
cet empire même, l'orage n'attend qu'un premier choc élec-
trique.
Et comment ce choc pourrait-il être long-tems évité ? L'Au-
triche a maintenu dans toute l'Italie, par son influence, des
gouvernemens cent fois plus vicieux que le sien ; elle a ar-
rêté, elle a anéanti par ses annes, la réforme qui s'opérait à
Naples; elle y a poussé le gouvernement dans des voies de
perfidie et de cruauté qui l'ont rendu l'abomincCtion de l'Eu-
rope; les supplices, les tortures se sont multipliés ; des récits
d'horreur circulent déjà, le procès effroyable de iMattei n'est
encore qu'imparfaitement connu ; mais la lumière qui brille
en France éclairera bientôt tous les crimes , et le ressenti-
ment d'une nation si barbarement traitée ne peut tarder à
éclater. L'état valétudinaire du roi de Naples est peut-être la
seule chance de salut qui reste à sa maison ; si son fils arrive
bientôt au pouvoir, pur des souillures du dernier règne; s'il
rend à un peuple cruellement trompé la liberté que tant de
sermens lui avaient garantie, l'Autriche interviendra- 1 -elle
alors pour l'empêcher? De quel droit, et avec quelle sécurité?
Lorsqu'en violant un territoire neutre et indépendant, elle y
appellerait les armes de la France ; lorsqu'en engageant ses
L'AVE MR. 545
armées jusqu'au fond de la péninsule, elle les exploserait à ce
que toute retraite leur fut coupée ?
Mais ce n'est pas à Naples seulement que le sol tremble;
quelle est la partie de l'Italie où un gouvernement stupide et
souvent féroce n'ait pas enseigné à ses sujets îi soupirer après
une révolution? A Modène, un prince autrichien a pris à tâ-
che de rivaliser avec don Miguel. Sa haine pour les lumières,
dans le pays de Muratori et de Tiraboschi, a blessé les Modé-
nois dans leur antique renommée : sa tyrannie a pénétré plus
avant encore dans toutes les familles, et il s'est aussi rendu,
s'il est possible, plus odieux encore. Le gouvernement du
Pape s'est signalé à Rome, par un mépris de toutes les lois, de
toutes les formes, qu'on n'aurait plus cru possible en Europe :
il renverse les jugemens des tribunaux, il interdit ou il fait
recommencer les procédures, il suspend les prescriptions, il
délie les biens des liens hypothécaires, selon la fiiveur ou le
caprice. Il n'y a, dans tous ses Etats, pas une famille qui n'ait
quelqu'un de ses membres atteint par d'iniques poursuites
judiciaires, pas une fortune que l'arbitraire des légats ne me-
nace et ne puisse renverser. Les Etats du Piémont, plus avancés
peut-être en intelligence qu'aucun autre en Italie, plus remplis
des souvenirs d'un régime libéral, ont été soumis ù une con-
tre-révolution qui n'a épargné aucun perfectionnement, au-
cune des idées du siècle. Les jésuites ont été investis de tout
pouvoir dans l'Etat, dans l'église, et dans l'instruction de la
jeunesse. D'insolentes prérogatives ont été accordées à la no-
blesse, pour la brouiller avec la bourgeoisie ; les journaux, les
livres, la pensée ont été repoussés à la douane, comme une
odieuse contrebande, et le gouvernement, qui craignait la rai-
son humaine, a cessé lui-même de la consulter. Son système
économique, ses prohibitions à l'entrée et à la sortie, sont
tellement absurdes, qu'elles exciteraient le rire, si l'on ne sa-
vait combien elles font souffrir. De tous côtés l'Italie est mûre
pour une révolution; et, si elle éclate dans un pays neutre,
que fera l'armée autrichienne? Si elle réussit, comment dé-
fendra-t-elle les frontières lombardes contre le désir toujours
plus ardent des Italiens de redevenir un seul peiiplc ?
5!»6 L'AVENIR.
Nous n'avons pas besoin d'arrêter nos regards sur la Suisse^
engagée et par ses intérêts et par ses goûts à défendre sa neu-
tralité. L'exemple de la France ne sera cependant pas perdu
pour elle : là au'isi il y a de vieux abus à réformer, de vieux
préjugés à détruire, de vieilles taclies à faire disparaître. C'en
est une qui ne peut plus s'accorder avec un siècle de moralité
et d'intelligence que l'babitude des capitulations pour le ser-
vice étranger. Le métier d'hommes qui se loueut pour aller
tirer sur le gibier humain qu'on leur désignera, sans s'infor-
mer de la cause qu'ils défendent ou qu'ils attaquent, sans se
soucier du droit ou de linjustice, sans être appelés à cette œu-
vre de carnage par le devoir, le patriotisme, la fidélité, mêuie
ie préjugé ou la passion; ce métier est trop odieux pour pou-
voir se continuer; aujourd'hui que l'opinion du monde est
appelée à le juger, il ne pourra soutenir la réprobation du sen-
timent moral qui le flétrit. Ce n'était pas pour faire ce que la
conscience des Français aurait refusé de faire, que les régi-
mens suisses entraient autrefois au service de France; ils de-
mandaient alors seulement à paitager l'honneur et les dan-
gers des amis de leur patrie ; entrant aujourd'hui dans la mêm«
carrière, ces montagnards comprennent mal le mouvement
lîu monde et ne s'aperçoivent pas qu'elle ne les conduit plus
au même but. 11 est tems qu'ils s-'arrêtent , avant que le trafic
({u'ils font de leur sang et du sang d'autrui les signale à la
haine de tous; il est tems, s'ils ont besoin de guerres,
qu'ils sachent choisir celles auxquelles un juste enthousiasme
peut associer des étrangers, celles où ils défendront, si ce n'est
leur patrie, du moins ce qui leur est cher dans leur patrie;
qu'ils abandonnent les palais des rois pour se ranger aux avant-
postes de la civilisation; qu'ils aillent combattre dans la Grèce
ou à Alger pour l'avancement de la religion , de la liberté , des
mœurs et des lumières , pour la défense des femmes et des
citoyens paisibles, et ils retrouveront cet honneur militaire
que leurs pères allaient chercher dans les services étrangers.
Tels sont les voisins qui entourent la France; tels sont les
peuples sur lesquels son exemple exerce une puissante in-
fluence; et qui, mûrissant pour la liberté, quand ils aurout
^A^E^(lR. 547
uL'qiii? cuuimc la Fiance des institutions protectrices, ne se-
«ont pas ni'jins ciiipi-essés qu'elle à maintenir la paix. Mais il
reste, en l'ace des rivages de France, un antre peuple puissant,
un peuple que la France avait long-tems considéré comme
l'ival, auquel elle gardait une profonde rancune pour lui avoir
ramené les Bourbons, et qui , dans cette dernière circonstance,
a manifesté tant d'enthousiasme pour sa délivrance, que tout
autre souvenir est effacé , sauf celui de cette noble sympathie.
Les Anglais ont applaudi avec transport, quand les Français
ont brisé le joug, parce que l'action était belle en elle-même,
non parce qu'elle leur était utile. Au contraire, elle dérange lem-
politi(iue précédente , et elle pente de l'incerlilude dans toutes
leursalliances, dans tous leursprojets. llsavaient établi l'ordre
qui vient de tomber, et ils se croyaient intéressés à le défen-
dre. De vieilles habitudes, dont il serait difficile de trouver le
motif, leur faisaient considérer l'Autriche comme leur alliée
nécessaire; ils sendilaient donc appartenir au système rétro-
grade, tandis que leur constitution, leurs sentimens, leurs
pensées , leurs intérêts les rangeaient dans le système progres-
sif. La France, reconnaissante de leur sympathie et désireuse de
leur alliance, ménagera jusqu'à leurs préjugés, autant qu'elle
poui ra le lâire. C'est surtout par égard pour eux qu'elle n'est
point intervenue dans les affaires de la Belgique, qu'elle n'in-
terviendra point dans les affaires d'Italie, à moins que d'au-
tres puissances, également étrangères, ne s'en mCdent les
premières. C'est d'accord avec eux qu'il conviendrait à la
France d'engager l'Autriche à se retirer de la lutte des révolu-
tions, en a!)andonnant ses possessions en Italie, et prenanldes
coivpensations dans l'Orient. C'est d'accord avec eux qu'il lui
convien(h"ait de reconnaître une Italie libre, indépendante et
forte; de garantir à VEspagiie qu'aucun pouvoir étranger ne
la troublerait dans sa difficile réorganisation; d'aider le roi
des Pays-Bas à assurer l'indépendance et l'harmonie des deux
peuples soumis à sa couronne. Un intérêt égal pour la paix,
la liberté et l'indépendance des nations, rendra eilicace la
médiation des deux nations les plus éclairées de l'Europe; et
plus elles étudieront le.- destinées probable- du genre luimain,
5/|8 L'AVENIR.
plus elles trouveront que leurs intérêts et leurs vœux doi-
vent être identiques.
On a cherché à faire naître une opposition d'intérêts entre
la France et l'Angleterre, à l'occasion de la possession que la
France vient d'acquérir sur la côte d'Afrique. \j^ expédition
d'Jl^cr a souffert de la révolution de France : son chef, sen-
tant bien qu'il serait rappelé, paraît n'avoir mis ni soins pa-
ternels à garantir la santé de ses soldats, ni bienveillance ou
adresse dans ses rapports avec le peuple conquis, ni vigilance
pour empêcher un honteux pillage. Son successeur aura une
tâche diiïicilo pour rétablir quelque ordre et quelque sûreté
en Afrique. Cependant les attaques des Bédouins, les massa-
cres de Belida et de Bonne ont assez prouvé que ce peuple
perGde et avide de pillage était hors d'état de se gouverner
lui-même ; qu'évacuer Alger, ce ne serait pas rendre cette
ville à l'indépendance, comme l'a proposé ridiculement un
journal anglais, mais condamner ses habitans ù être pillés et
massacrés. L'humanité, le progrès de la civilisation, la sûreté
du commerce dans la Méditerranée , demandent toujours
plus impérieusement qu'un peuple civilisé possède Al-
ger. Le midi de la France a senti l'importance de cette colo-
nie; les Provençaux mettent l'espérance de leur commerce
compromis, dans les établissemens qu'ils se préparent à faire
sur la côte d'Afrique. Dans cette première année, cependant,
les pertes ont été considérables, et la possession onéreuse à
la France ; mais c'est un droit de plus qu'elle a acquis à une
conquête qu'elle ne pourrait évacuer sans honte pour elle-
même, sans cruauté pour les habitans qui se sont confiés à
sa foi.
Tandis que l'Angleterre applaudit généreusement aux révo-
lutions qui bouleversent sa politique, on demandera peut-être
si elle ne court point risque d'en être elle-même ébranlée.
Nous ne le croyons pas. Sans doute, beaucoup d'abus y ré-
clament encore des réformes; beaucoup de souffrances, dans
les ordres inférieurs du peuple, demanderaient une meilleure
distribution de la propriété. Mais l'Angleterre est déjà en pos-
session de moyens légaux pour marcher <an« secousse à son
L'AAENIR. 549
perfectionnement; clic n'a pas besoin des tlangcrcnx expé-
(Hens qui ont réussi à la France, mais auxquels on ne recourt
jamais sans effroi. Constituée bien différemment quela France,
avec une masse bien plus grande de prolétaires, avec plus de
richesses, mais incomparablement plus de pauvreté, elle de-
vrait trembler si une insurrection remettait son sort, comme
il a remis celui de la France à la sagesse et à la vertu des
classes ouvrières. C'est par plus de lumière, qu'elle peut por-
ter remède aux maux qu'elle éprouve, et non par plus décou-
rage. C'est de calme, d'ordre et de réflexion qu'elle a besoin,
pour découvrir le moyen de rattacher ù la propriété ces mil-
lions d'ouvriers qui vivent au jour le jour, en faisant seuls
tout l'ouvrage des manufactures et de l'agriculture. Sa tâche
est bien plus difficile que celle de la France, parce que le but
qu'elle doit atteindre est bien plus mal défini. Mais nous es-
pérons que, dès qu'elle connaîtra le remède, le patriotisme
ne lui manquera pas pour rapplicpier ; nous espérons, disons-
nous, pour l'honneur de la liberté, que la France et l'Angle-
terre, ayant toutes deux passé par une heureuse et glorieuse
révolution, n'auront jamais plus le besoin de s'y engager de
nouveau.
Jetons en finissant un dernier regard sur cet avenir dont
nous avons cherché à soulever le voile ; il dépend de la France,
si elle n'oublie point que son devoir envers l'univers est d'être
unie et forte. Alors, respectée aujourd'hui pour son héroïsme,
elle sera bientôt entourée d'une ceinture d'États libres, qui
garantiront sa prospérité comme sa sécurité. Si elle s'agite
pour avancer, sans savoir où elle veut aller; si elle change
sans cesse ses institutions, et les dépositaires de son pouvoir,
ce pouvoir s'évanouira entre leurs mains; au lieu de peuples
alliés, parmi ses voisins, elle ne verra que des princes enne-
mis ; elle sera appelée de nouveau à une lutte terrible; et vic-
torieuse ou vaincue, elle n'en sortira pas sans dommage pour
sa liberté.
J. C. L. DE SlSMO^D^.
55o DE LA MÉTHODE
DE
LA MÉTHODE D'OBSER\ ATION,
APPLIQUÉE
AIX SCIENCES iMOIlALES ET POLITIOLES.
A M. LE DIRECTEUR DE LA REA LE ENCYCLOPEDIQUE.
MONSIETJB,
Il est toujours richcux pour un écriv.iia de n'avoir pas été
compris ; mais cela est surtout pénible pour celui qui écrit sur
I;i morale ou sur les lois. Dans ces matières, en effet, un faux
principe en théorie conduit nécessairement à de mauvaises
actions dans la pratique. Si l'auteur n'est pas accusé d'incon-
séquence, les reproches adressés à son ouvrage tombent pres-
que toujours sur sa personne. Vous ne sei-ez donc pas smpris
si je vous adresse quelques observations sur l'article inséré
dms le numéro de la Revue française du aïois de mai, au su-
jet de mon Traité de Législation. Ces observations seront, du
reste, étrangères aux critiques relatives au mérite littéraire;
elles ne porteront que sur le fonds des choses.
Avant de répondre au critique, je dois le remercier de tou-
tes les marques de consiilération qu'il me donne, et que je liii
rendrais sans doute, s'il n'avait pas eu la modestie de me ca-
cher son nom. Il est animé pour moi d'une si grande bien-
veillance, r[u'il ne ni'alliibue pas un taux raisonnement sans
l'accompagner de l'assurance de sa profonde estime, et qu'il
m'accable d'éloges, toutes les fois qu'il peut trouver l'occasion
de m'impiiler une absurdité. Ou sera peut-être surpris de
DO BSKll NATION. 55.
Aoir lin houinic doué truii si bon naturel se résigner à iiioii-
Irtr au doigt les l'aules du prochain, poiu' leqiîcl il parait avoir
une affection si sincère; mais l'étonnenient cessera quau'i
j'aurai dit que c'est un homme extrêmement attaché d la loi
du devoir. 11 avait à renjplir U7ic tâche pénible qui lui était im-
posée, dit-il, par le nom de l'auteur, et parle mérite du reste
du livre; il n'a pas dû rendre compte de l'ouxragc , sans sii^îia-
ler une introduction dont les doctrines lai paraissent offaiblir
l'empire de l'obligalion morale , et ôler à la science son autorité.
Si l'on pouvait douter de la répugnance avec laquelle le
critique a rempli la lâche pénible ^ une seule observation sufll-
rait pour dissiper tous les doutes. L'ouvrage dont il dit avoir
voulu rendre compte forme quatre volumes ; et sur les vingt-
six pages dont son article se compose , vingt-une sont co!i-
sacrées à la tâche pénible ; cinq pages ont suffi à l'analyse des
onze douzièmes de l'ouvrage : c'était ici la tâche agréable. La
loi du devoir ne permet pas de consulter ses affections.
Suivant le critique, j'ai donc professé des doctrines propres
à affaiblir l'empire de Vobligalion morale, et à ùter à la science
son autorité. Il est à craindre, suivant lui, que l'autorité de
mon nom ne serve à donner du crédit à mes principes, et
c'est pour cela qu'il s'impose la tâche pénible de les réfuter.
Ce reproche, fait par un homme qui me témoigne tant d'es-
time, et qui montre un si grand zèle pour la loi du devoir, est
très-grave, tellement grave, qu'il serait difficile d'en faire un
plus fort à un écrivain qui s'occupe de morale ou de législa-
tion. La question est de savoir s'il est mérité, et si, dans cette
occasion, le critique n'a pas montré plus de zèle que de
science. Ai -je réellement professé les doctrines qu'il m'attri-
bue; et celles que j'ai professées peuvent-elles avoir les con-
séquences qu'il leur suppose? En lisant son article, il ni'a
paru évident ((u'il ne m'avait pas compris : vous jugerez.
Monsieur, si c'est sa faute ou la mienne.
Je conçois deux manières de traiter un sujet quelconque:
on peut le traiter comme science, ou comme art pratique. Si
552 DE LA MÉTHODE
on le traite comme une science, on le considère, ce me sem-
ble, comme la connaissance d'un certain ordre de phéno-
mènes. Quelquefois ces phénomènes ont entre eux plus ou
moins d'analogie ; quelquefois aussi ils dérivent les uns des
autres. Si, par exemple, je veux acquérir la science de la lé-
gislation, il faut que j'étudie et que je classe les diverses lois
auxquelles les peuples sont soumis. Il faut que j'observe en-
suite les rapports qui existent entre elles, et que je recherche
les causes qui les ont amenées et les résultats dont elles ont
été suivies. Si je yeux étudier la morale comme science, il faut
que j'observe les diverses passions qui se manifestent chez les
hommes; que j'examine les circonstances ou les faits sous
l'empire desquels elles se développent, et enfin que j'en dé-
couvre, les conséquences.
On procède différemment quand on considère, sous le rap-
port de l'art, l'une ou l'autre de ces deux branches de nos
connaissances. On recueille alors les vérités ou les principes
que la science a découverts ; on les convertit en règles, et ces
règles servent à nous diriger dans le cours de la vie. C'est
ainsi que la plupart des sciences ont fourni des procédés ;\
tous les arts, et ont dirigé une multitude de gens qui les
ignorent. Il ne faut pas conclure de là que toute règle de con-
duite a toujours été précédée d'observations scientifiques : il
est des choses tellement simples qu'elhis nous frappent, sans
que nous ayons besoin de réfléchir; il est aussi des sentimens
tellement naturels, tellement énergiques, qu'ils nous entraî-
nent avant que nous ayons eu le (ems de penser.
La science, ne procédant pas de la même manière que l'art,
quoiqu'elle tende vers le même but, n'a pas non plus le même
langage. La première expose ou déduit; le second donne des
règles, prescrit. L'une montre la nature des choses, et ob-
serve les lois : l'autre commande, trace des devoirs. La
science, telle du moins que je la conçois, ne sera long-tems
connue que du petit nombre; mais l'art de se bien conduire
doit êlrc appris à tous.
D'OBSERVATION. 553
Celui qui étudie une science n'a, selon moi, que deux
règles à suivre : rechercher la vérité avec l'attention et la
persévérance dont il est capable; l'exposer ensuite de la ma-
nière la plus simple, la plus claire, la plus méthodique; s'il
remplit cette double tHche, pn n'a plus rien à lui demander.
Voulant traiter la législation et la morale comme sciences,
j'ai dit que je procéderais comme on procède habituellement
quand on écrit snr les sciences; c'est-à-dire que j'exposerais
un certain ordre de phénomènes, que je tâcherais d'en mon-
trer l'enchainement, d'en faire voir les conséquences. J'ai dit
que les règles en sortiraient d'elles-mêmes, et que je n'aurais
même pas à parler de droits, ni de devoirs; j'ai surtout dis-
tingué l'autorité des lois de notre nature, de l'autorité des
écrivains ou des savans. J'ai démontré que la première a une
puissance irrésistible; mais j'ai dit aussi que les hommes qui
s'occupent de sciences n'ont pas d'autre puissance que celle
que leur donne la vérité; ce n'est pas à eux que l'autorité ap-
partient ; c'est aux lois dont ils ont fait la découverte. J'ai dit,
en parlant des personnes qui cultivent les sciences, qu'un sa-
vant qui fait des recherches sur les causes, la nature et les con-
séquences des actions ou des institutions humaines, n'a pas
plus d'autorité sur les peuples que n'en a sur les classes indus-
trielles un homme qui fait des recherches sur la mécanique.
L'un et l'autre, ai-je ajouté, peuvent décrire les phénomènes
relatifs à la science dont ils s'occupent; l'un et l'autre doivent
exposer les conséquences d'un bon ou d'un mauvais procédé ;
mais il n'appartient pas plus au premier qu'au second de par-
ler de devoirs.
Ayant distingué la science, qui recherche des règles de con-
duite dans l'observation des phénomènes de la nature, de l'art,
qui apprend à faire l'application de ces règles, j'ai dit qu'il
appartenait aux hommes qui dirigent leurs semblables de leur
enseigner leurs devoirs, de leur prescrire l'accompUssement
de leurs obligations : j'ai cité parmi les personnes qui sont
dans ce cas, les ministres de la religion, les magistrats, le*
parens.
5:)'| DE LA MÉTHODE
Vous remarquerez qu'il n'est ici question que de niélhode
et de propriété de langage; il ne s'agit nullement du fond des
choses : rien de ce qui est étranger à la méthode n'est af-
firmé, rien n'esl mis en doute.
Le critique parait cependant singulièrement scandalisé de
ce langage. Après avoir rapporté quelques passages de mon
livre, il s'empresse de rassurer ses lecteurs, en leur disant
qu'il ne faut pas conclure de mes paroles que je ne reconnais
pas de devoir dans l'homme. Il veut bien leur apprendre qu'il
existe dans mon ouvrage plusieurs passages qui prouvent que
je reconnais des devoirs et des droits. Il leur dit que ceux qui
me connaissent personnellement n'ont pas besoin de mes pa-
roles imprimées pour en être convaincus. Enfin il assure,
qn'rt» lieu du renégat, le devoir trouverait au besoin en moi
im martyr : Impacidum ferient ruinœ.
Je suis fort reconnaissant de la bonne opinion que le cri-
tique a de ma personne, en ayant une si mauvaise de mes
opinions; je suis fort reconnaissant sin-tout de l'atteslalion qu'il
veut bien en donner, après avoir rapporté des passages de
mon livre qui, suivant lui, pouvaient rendre cette attestation
nécessaire. Je me permettrai cependant d'observer, en pas-
sant, qu'il me donne ici plus d'éloges que je n'en mérite, et
que je ne suis pas un homme aussi héroïque qu'il veut bien le
dire. Si, au moment où j'écris cette lettre, j'entendais cra-
quer fortement, je ne dis pas le globe terrestre, mais seule-
ment les murs de la maison que j'habite, j'aurais peur; cela
me paraît certain. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
Le critique veut bien apprendre à ses lecteurs que je recon-
nais des droits et des devoirs : s'il leur avait dit que je ne
conçois pas que cela puisse être mis en doute, et que mon
opinion à cet égard l'ésulte de toutes les parties de mon ou-
vrage, il aurait parlé avec plus d'exactitude. Cela aurait été
plus obligeant, et surtout plus vrai que la citation du vers
d'Horace.
Dans im des chapitres qu'il désapprouve, après avoir som-
mairement examiné quelques-uns des systèmes qu'on a faits
D'OBSERVATION. 555
sur la morale, je m'expiinie en ces termes : Qu'on ne se hâte
pas de conclure de là que, pour s'instruire dans les sciences 7110-
rates, il est nécessaire de n'avoir point de règles , de mépriser lu
Justice, de ne tenir compte d'aucun devoir. Qii poirratt avoir
TKE TELLE PE^■sÉE ? La question n'est pas de savoir s'il faut se
conformer à la justice., s'il est des devoirs qu'il faut observer, des
droits qu'il faut respecter, des maximes ou des principes qu'il est
hon de mettre en pratique ; elle est de savoir quelle est la meil-
leure méthode pour arriver à la découverte de ce qui est juste, de
ce qui est droit, de ce qui est un devoir (1 ) .
Ainsi, dès les premières pages de mon ouvrage. J'ai an-
noncé assez nettement, ce me semble, que j'allais traiter une
question de méthode, et que je ne concevais pas que la pen-
sée pAt venir à un homme de mettre en question s'il existe ou
non des droits et des devoirs. Si le passage que je viens de
citer n'était pas assez clair aux yeux du critique, il aurait pu
en trouver beaucoup d'autres qui peut-être l'auraient été da-
vantage : je pourrais en citer plusieurs, mais je pense qu'un
second suffira.
«Dans tous les pays, on a beaucoup écrit contre les philo-
sophes : on les a accusés d'incrédulité, d'athéisme, de maté-
rialisme, enfin de toutes les opinions qu'on a cru propres à les
rendre odieux aux nations. Je n'ai point à examiner si ces re-
proches ont été de bonne foi, et s'ils ont été bien on mal fon-
dés ; mais je crois pouvoir faire observer ici que, s'il est au
monde une classe d'individus à laquelle ils conviennent, il
n'en est aucune qui les mérite aussi-bien que les possesseurs
d'hommes. Est-il, en effet, une incrédulité plus effrayante pour
le genre humain, que celle des individus qui nient l'existence
de toute espèce de devoirs? Les hommes auxquels on a reproché
d'avoir affecté le cynisme dans leur impiété ont-ils jamais eu
l'imprudence de soutenir qu'un père ne doit rien à ses enlans,
qu'un fîls ne doit rien à sa mère? Ont-ils jamais osé publier
qu'un marine d(nt rien à sa femme, ni une femme à son
(1) Toin. I , pag. 9.
556 DE LA METHODE
mari? Ont -ils jamais dégradé les hommes jusqu'au point de sou-
tenir qu'un être humain n'a aucun devoir à remplir ni envers lui-
même, ni envers les autres ?
B L'incrédnlilé qui porte sur Vexistence de tous les devoirs mo-
raux est plus liuieste, et je dirai même plus impie que celle
qui porterait sur une vie à venir, ou sur l'existence d'un Etre
suprême. Qu'importerait, en effet, la croyance dans une autre
vie, ou même celle de la Divinité, ù celui qui croirait en
même tems qu'il n'a aucun devoir à remplir, ni envers lui-
même, ni envers les autres, ni envers celui qui lui a donné la
vie? Celui qui fait de la ruse et de la force la Diesure de ses
droits, et qui ne reconnaît pas d'autre devoir que celui d'o-
béir aux caprices d'un maître, ne dénie-t-il pas l'existence de
tous les devoirs moraux, l'existence de la justice et les pré-
ceptes de toute religion? Ne dénie-t-il pas, par conséquent,
l'existence de tout rapport entre l'homme et un Être suprême?
En se faisant lui-même le but et le centre de tous les devoirs
des hommes qu'il tient asservis, ne se substitue-t-il pas à la
place, non-seulement du genre humain tout entier, mais de la
Divinité elle-même (i) ?»
A3ant dit, dans les premières pages de mon ouvrage, que je
ne pouvais supposer que quelqu'un mît en question s'il existe
ou non des droits et des devoirs, j'ai fini comme j'avais com-
mencé. Mais, dit le critique, si vous les admettez, vous refu-
sez.aux savans le droit d'en parler ; et ce droit leur appartient
incontestablement. J'en demande pardon au critique; mais il
me fait tenir un langage qui n'est pas le mien. Il transforme
en question de droit une question de méthode, ce qui certai-
nement n'est pas la même chose. Si je disais à un écrivain
qu'il doit observer les régies de la grammaire ou de la logi-
que, et s'il me répondait qu'il a le droit décrire comme il lui
plaît, que pourrais-je lui répondre ? Rien, si ce n'est que je ne
lui ai pas contesté son droit.
(i) Toin. IV, pag. 4'ii tt 4o2.
D'OUSERVATION. 55^
Montesquieu j ensait qu'un écrivain devait prouver les qua-
lifications par les choses, et non les choses par les qualifica'-
tions. J'ai partagé son opinion sur ce point, et c'est une des
raisons qui m'ont fait penser que, pour donner la qualification
(le droits ou de devoirs aux choses, il fallait dabord montrer
ce que les choses sont. J'aurais cru tomber dans un cercle vi-
cieux, si, comme tant d'autres, j'avais fondé nos devoirs sur la
loi du devoir ; il fallait donc procéder d'une autre manière. Une
autre raison a dé tet mi né le parti que j'ai pris, et cette raison tient
peut-être à une disposition personnelle. Un soldat qui parle
l)eaucoup de sa bravoure, un prêtre, de sa piété, une femme,
de sa pudeur, et un agent d'affaires, de sa probité, m'inspirent
t;n général peu de confiance. Je puis dire aussi que des écri-
vains qui parleraient à tout propos de leur conscience et de
leur soumission à la loi du devoir ne prendraient peut-être
pas î« meilleur moyen de me persuader. Il est des choses qu'on
fait et dont on parle peu : c'est pour cela qu'à mon avis il est
des expressions dont il faut être sobre.
Convaincu que la vérité, quand elle est bien exposée, finit
lot ou tard par avoir sur les peuples une puissance irrésistible,
j'ai dit que pour faire faire des progrès aux mœurs et aux in-
stitutions, il suffisait (l'appliquer à la législation et à la morale
la méthode qu'on suit dans toutes les sciences, la méthode
d'observation. Celte méthode, ai-je ajouté, n'est peint exclu-
sive du sentiment moral (ovi de la conscience); elle ne peut,
au contraire, être efficace que parce qu'elle en admet ou en
suppose l'existence.
Ici, le critique se récrie : il passe l'expression admet, mais
leinot suppose 'e choque singulièrement; il y voit une incon-
séquence palpable. « L'analyse qui suppose l'existence d'un
«fait, et d'un fait dont on n'a pas une idée nette et précise!
«Cependant le but principal de ce premier livre est de re-
)) pousser toute hypothèse. »
J'ai dit, en cosimencant cette lettie, que le critique ne m'a-
vait pas compris; j'ajouterai maintenant qu'il ne me paraît
pas bien comprendre les termes de notre langue. Quand j'ai
T. XLVII. SEPTEMBUF. l 85<). . 56
.>58 DL LA MliTUODE
fait ()l)S(;rvcr qr.c la huiIkuIc aiialvlit[\ie ne peut prétendre à
quelque efficacité qu'autant qu'elle adviet cru suj^pose le senti-
ment moral, quel a été le sens dans lequel j'ai pris ce mot sup-
pose? Je l'ai pii- dans le <ens qu'il a naturellement; dans celui
que lui attribue le Dictionnaire de l'Académie. J'aurais égale-
ment rendu ma pensée si, au lieu de supposer, j'avais écrit
sous-enund. Supposer, dit l'Académie, c'est poser une chose
pour établie, pour reçue, afin d'en tirer ensuite quelque indue-
lion. Sur quoi donc le critique a-t-il pu se fonder pour me
faire dire que je considère le sens moral, ou, si l'on veut, la
conscience, comme une pure hypothèse?
L'erreur dans laquelle il est tombé me paraît ici d'autant
moins excusable que, s'il n'était pas clair à ses yeux que le
mot suppose devait être pris pour sous-entend, il povivait en
trouver le sens naturel dans le chapitre même où il est em-
ployé. Dans ce chapitre, en effet, je tâche de faire comprendre
que les lumières que nous acquérons, ou que nous communi-
quons par la science, seraient sans effet , s'il n'existait pas en
nous un principe d'action pour nous porter vers ce qui est
bien, et nous détourner de ce qui est mal. Voici les paroles-
mêmes dont je me suis servi :
« Le seul effet qui lui soit propre (à la méthode analytique),
et (|u'elle produit sans le secours d'aucun autre agent, est de
faire connaître le bien et le mal qui résulte de tel action ou de
telle loi. Il faut donc, pour que les connaissances qu'elle donne
ne soient pas stériles, qu'il existe dans l'homme un principe
d'action qui le pousse vers ce qui est bien, et qui l'cloigne de ce
qui est mal ; qui le détermine à approuver les habitudes ou les
institutions utihïsau genre humain, et à réprouver celles qui lui
sont funestes. Si l'homme no portait en lui-même aucun prin-
cipe d'action, la science serait sans cfF<:l, car elle ne saurait en
créer un ; elle ne saurait imprimer au genre humain un mou-
vement qu'il n'aurait pas (i). »
(i) Tom. I, pag. loi. .Te dis, dans la page suivante, en parlant du
sens moral : » Ce sentiment exl inconicsinlilc ; il se nianil'este par nn»
D'OBSERVATION. 5.1;)
(Comment se peut-il, je le répète, qu'ayant reconnu l'exi-
stence de ce phénomène d'une manière si nette, si positive,
le critique me fasse dire que je le considère comme ime pure
hypothèse ? Je le comprends d'autant moins que j'ai donné à
cette observation plus de développemens peut-être qu'il n'é-
tait nécessaire, et que les termes dont je me suis servi n'ont
rien d'ambigu.
Le critique me dira peut-être qu'il ne suffisait pas d'ad-
mettre le fait comme positif, comme indubitable, mais qu'il
fallait de plus le prouver, le décomposer, l'expliquer. Je ne
partage pas son opinion à cet égard; j'en dirai la raison, eu
répondant à quelques autres objections de même nature.
Après m'avoir reproché la méthode d'exposition que j'ai
adoptée, le critique me fait un reproche d'un autre genre ; il
trouve mauvais que j'aie dit qu'il appartient aux hommes in-
vestis d'une autorité quelconque de parler de devoirs à leurs
subordonnés dans l'ordre naturel ; ce mot de devoirs^ employé
par des parens envers leurs enfans, par des magistrats envers
les simples citoyens, par les ministres de la religion envers les
personnes de leur communion ou de leur croyance, ne lui
parait pas convenable, au moins dans mon ouvrage.
Le critique ne voit pas, il ne lui est pas possible de com-
prendre de quel droit pourraient parler de devoirs, dans mon
système, le législateur, le père, l'Instituteur, le mari, le ministre
du culte, auxquels cependant je reconnais le droit d'eu parler ;
car si je ne pars pas du principe de l'utilité, comme fonde-
ment de l'obligation, en tant que principe de morale, que
reste-t-il au père, au mari, au législateur? Est-ce la loi posi-
tive, l'autorité, la volonté du supérieur? « Mais, ajoute le criti-
que, la loi positive, l'autorité, la volonté du supérieur, lors-
qu'elles ne se fondent, ni sur l'utilité', ni sur l'obligation ,
multitude de laits; il est pour l'iiomme un principe ou une cause d'ac-
tion ; il contribue à former nos mœurs. Sous ce rapport, il est un dt s fon-
demens de la morale et de la légisL-lion ; il en est en quelque forte ta pre-
mière cause, u
r;()o DK L\ MKillODE
nous craignons fort (]u"t'lles ne se rcsolvenl dans la force la
plus irrationnelle et lapins brutale. Cependant, ce n'est pas là
ce que M. Comte a voulu dire. Aussi sonniies-nous forcés de
confesser notre inipo-^sibilité de comprendre sa pensée. »■
.le suis oiiligé de rappeler ici une ol)servalion que j'ai déjà
faite : quand j'ai parlé de la méthode et du langage qui con-
viennent aux sciences, je ne me suis occupé en aucune ma-
nière des droits des savans; cette expression, employée dans
imc question de méthode, m'aurait paru fort injpropre. Ce
n'est cependant qu'en m'altrihuant des termes dont je ne me
suis pas servi, et que j'aurais repoussés s'ils s'étaient présentés à
mon esprit, que le critique me presse de ses objections. Otez
de sa réfutation les expressions qu'il m'attribue à tort, et ses
objections s'évanouissent. Mais venons au fond de la question.
Le critique ne voit pas de quel droit parlerait de devoirs un
père à ses enfans, un magistrat aux citoyens, un ministre de
la religion aux personnes de sa croyance, si les uns et les
autres ne se fondent ni sur l'utilité, ni sur l'obligation. J'avoue
fjue si le critique ne comprend pas ma pensée, je ne com-
prends pas mieux la sienne, à moins qu'il ne veuille faire en-
lendre ([ue je ne crois à l'existence d'aucun devoir, quand
j'affirme que personne ne peut avoir la pensée de la nier.
Je ne sais quelle est l'école philosophique à laquelle le cri-
tique a;. parvient ; mais, quelles que soient ses doctrines, pré-
tendrait-il (ju'on doit procéder dans la pratique de la morale
comme ou procède dans l'exposilion de la science? Si je veux
donner à mes enfans des habitudes de tempérance, de sincé-
rité, de candeur, de simplicité, de désintéressement, faudra-
t-il que je m'arme d'abord dos écrits de Kant, de Reid ou de
lîentham? Faudra- t-il que je commence par les initier dans
les secrets de la psychologie ou de l'idéologie, et que je leur
uolifie mon dr(jit de leur parler de leurs devoirs, en leur ex-
posant la théorie du jurisconsulte anglais ou des philosophes
écossais? Si je m'abstiens de leur enseigner ces théories, ou si
je les ignore, mon aiitorité se résoudra-t-elle nécessairement
dans la for Cl la plus irnilionnrllc et la plus hrutaU? W faut bien
D'OliSEllVATiON. 5()i
que ce soit la pensée du ciiluiuc, à moins, je le répèle, qu'il
ne m'accuse de ne croire à l'existence d'aucun devoir.
J'observe tous les jours des maj^istrats qui parlent aux ci-
toyens de leurs devoirs, et qui en exigent l'accomplissement;
je vois qu'ils leur parlent au nom des lois; mais je ne remar-
que pas que, quelles que soient leurs théories philosophiques,
ils commencent par leur exposer les doctrines du jurisconsulte
anglais sur l'utilité, ou celle des philosophes de l'Ecosse sur
le devoir; je suis même très-disposé à croire que la plupart
d'entre eux n'ont jamais lu deux pages de Bentham ou de
Reid ; fairt-il dire cependant que leur autorité et celle de la
loi qu'ils exécutent est hi force la plus irrationnelle et la plus
brutale? Je ne crois pas que ce soit la pensée du critique; mais,
s'il en était ainsi, qu'a-t-il voulu dire?
Il me semble qu'il emploie des termes dont il n'a pas d'a-
bord déterminé la valeur, et que ce défaut de précaution l'en-
traîne dans de singulières méprises. J'avais toujours cru, par
exemple, qu'un père qui instruit ses enfans dans les pratiques
de la morale, remplit lui-même un devoir, et un des devoirs
les plus rigoureux. Aux yeux du ciitique, ce n'est pas un de-
voir que le })ère remplit, c'est un droit qu'il exerce. C'est sous
le même point de vue qu'il considère l'autorité des magis-
trats, des ministres du culte, et enfin de tous les hommes qui
exercent quelque pouvoir sur leurs semblables. Jamais chez
lui il n'est question que du droit de parler de devoirs.
Ce n'est pas ici une simple question de mots ; la différence
qui existe entre nous sur ce point porte sur le fond des choses.
Tout homme dont la raison a acquis un certain développe-
ment est libre de renoncer à l'exercice d'un simple droit;
mais il n'est pas également libre de renoncer à l'accomplisse-
ment de ses devoirs. Je suis persuadé qu'en y regardant de
près, le critique finira par être de mon avis; mais alors, il sera
obligé de convenir que la plupart des mots dont il fait usage,
dans les objections qu'il m'adresse, sont pris à contre-sens.
Je regrette, au reste, de ne pouvoir pas répondre ici à toutes
les difficultés qui paraissent avoir assailli son espi it quand il n
362 DK LA MÉTHODE
iii le premier volume de mon ouvrage : mais je ne puis faire
dans quelques pages un traité de droit et un traité de morale.
Le critique paraît avoir une grande répugnance pour ce
qu'on nomme VaiUité ; il avoue, avec douleur, qu'il me soup-
çonne d'avoir du penchant pour cette pernicieuse doctrine.
Je reconnais, qti'en effet, je n'ai pas eu d'autre objet en écri-
vant, que de faire un ouvrage utile ; si c'est un mal, j'en suis
coupable, et ne cherche point à m'en excuser : j'ai péché en
pleine connaissance de cause. J'ai aspiré à faire un livre propre
à concourir au perfectionnement des mœurs et des lois, un
livre utile.
Ayant admis, comme un fait incontestable, que l'homnKî
porte en lui-même un principe d'action qui le dirige vers ce
qui est bien, et qui l'écarté de ce qui est mal, mais ayant admis
en même tems que, dans un grand nombre de cas, l'homme a
besoin de lumières pour distinguer ce qui est mal de ce qui est
bien, et que l'instinct ne lui suflit pas toujours pour se bien
conduire, j'ai dit que la science ne pouvait pas avoir d'autre
objet que de l'éclairer. Mais comment la science de la législa-
tion, par exemple, peut-elle éclairer les hommes? En leur
faisant observer les institutions qui les régissent; en leur mon-,
tranl les divers effets qu'elles produisent; en leur faisant con-
naître les causes qui les ont amenées et celles qui les soutien-
nent. J'ai dit que, si l'on ne voulait pas que les peuples se
livrassent à de vains efforts de perfectionnement, il fallait, en
remontant d'un fait à un autre, arriver à des phénomènes qu'il
leur fût possible de modifier (i). J'ai indiqué les principales
(ij \oici les termes mêmes dont je me suis servi : a En procédant
ainsi (en montant d'un l'ait à un autre), on anive à des faits primitifs ou
à des phénomènes dont on ne trouve plus les causes; là, il faut s'arrêtei',
parce qu'au-delà on ne trouve plus que des ténèbres. On peut ne pas tou-
jours remonter jusqu'à ce qu'on arrive à des causes incocpluablcs ; mais il
faut cependant, poiii' que les sciences ne soient pas des cofinaissanc«'s
stéiiles, passer d'un pliénomène à un autie, jusqu'à ce qu'on arrive à des
faits qu'il soit dans la puissance des hommes de modifier. En morale et
en législation, comme en toute autre science, on n'agit eHlcacement
iju'^utant qu'on agit sur des causes. " T. i, p. 78.
D'OBSERVATION. 505
causes qui, à mes yeux, exercent plus ou moins d'influence
sur les institutions et sur les Imbitndes morales des peuples ,
et j'ai ajouté que, pour modifier ces institutions ou ces habi-
tudes, il fallait en attaquer les causes. Tenter de modifier les
effets aussi long-temps que les causes subsistent, ai-je ajouté,
est la plus vaine des entreprises. En considérant ces causes re-
lativement aux phénomènes qu'elles produisent, je les ai dési-
gnées sous le nom de faits primitifs. J'ai donné le même
nom aux causes dont il nous est impossible de donner l'expli-
cation, et que nous ne connaissons que par les effets qu'elles
produisent. A mes yeux ce sont là, en effet, les phénomènes
primitifs non du monde, mais de la science dont je m'occupe.
Le critique trouve cette qualification mauvaise, mais sans
en indiquer une meilleure; il doute, dit-il, qu'on puisse ac-
cepter ma définition. Suivant lui, les faits primitifs ne sont pas
ceux dont il ne nous est plus possible de trouver ou d'expli-
quer les causiîs, mais ceux qui, par leur nature, sont incompa-
tibles avec l'idée d'effet dans l'ordre de la création; ceux, par
exemple, dont le contraire implique contradiction. Il aurait dé-
siré me voir traiter des faits primitifs de la nature morale de
l'homme, en prenant cette expression dans saveritable acception.
Son désir, dit-il, n'a pas été satisfait. (Pag. 2-21.)
Je n'ai pas eu l'intention de traiter des faits primitifs, en
donnant à ces mots le sens absolu que leur donne le critique.
J'avoue que mon intelligence ne va pas jusqu'à expliquer les
iaii^ qui, par leur nature, sont incompatibles avec l'idée d'effet
dans l'ordre de la création. Je ne suis pas même sûr de com-
prendre la pensée du critique, quand, par forme d'exemple, il
nous dit, que les laits dont le contraire implique contradiction
sont par leur nature incompatibles avec l'idée d'effet dans
l'ordre de la création. J'avoue que, quelle que soit la bran-
che de nos connaissances que j'étudie , je rencontre à
chaque pas des phénomènes inexplicables. J'avais même en-
tendu dire que ce malheur, si c'en est un, arrive à des gens
qui, sur un grand nondire de points, en savent beaucoup plus
que moi. Je sais bir-n qu'il est des hommes qui prétendent
504 DE LA MÉTHODE
donner rexplicalioii universelle de toutes choses : je ne suiV
point de ce nombre (i).
Voici des reproches non moins graves. Suivant le critique,
je me suis arrêté à la vie extérieure de l'homme ; je parais n'a-
voir attaché une grande importance qu'à la description des
faits sensibles de Fhumanité; \es actions extérieures elle?, in-
stitutions de l'homme ontévidemment absorbé mon attention
tout entière; je ne me suis guère efforcé de pénétrer les mys-
tères de l'âme humaine, et les secrets de la nature morale ;
j'ai établi un parallélisme absolu entre les sciences physiques
et les sciences morales; j'ai affirmé que les sciences morales
doivent s'arrêter tout juste là où s'arrêtent les sciences phy-
siques ; j'ai affirmé que le champ des unes n'est pas plus
étendu que le champ des autres : pour avoir le droit d'affir-
mer cela, il fallait établir d'abord, sous peine de retomber dans
riiypothi'se, que C homme n'est que matière ; et je n'ai pas prouvé
que l'homme n'est que matière ; enfin , de ce que le {)hysicien
n'arien àprescrire aux arbres et aux pierres, y*fli conclu&érieu-
semcnt que de même il n^apparticnt pas au moraliste et an
piibliciste de parler de devoirs (pag. 21, 222 et 225).
J'en demande pardon au critique ; mais il me prête ici une
série d'absurdités dont je le défie de trouver la moindre trace
dans mou ouvrage; si elles ont existé quelque part, ce n'est
certainement que dans son imagination. Où donc a-t-il vu
que.j'ai établi un parallélisme absolu entre les sciences physi-
ques et les sciences morales? où a-t-il trouvé cette singulière
(1) Les liomiiies qui prétondent tout expliquer, et qui se vantent de
posséder la science univtrï^elle, sont de grands admirateurs de Platon.
Voici cependant ce que pensait ce philosophe de ceux qui, de son ten!s,
manifestaient les mêmes prétentions : « Lorsque quelqu'un viendra te
dire qu'il a trouvé un hnniaie qui sait tous les métiers, qui réunit en lui
seul, dans un degré éniinent, toutes les connaissances qui sont partagées
entre les hommes : voici, à ce que je crois, ce qu'on doit penser de ceUii
qui tient de tels discours ; il faut le regarder comme un huLécite qui s'est
laisse duper par un ehartatan. » De la licpitl/lii/uc, liv. x, toni. n, p. 2^8,
ile la traduction de Grou.
D'OBSERVATION. 56îy
assertion, que les uues doivent s'arrêter exactement, et au
même point que les autres, et que le champ des premières
n'est pas plus étendu que celui des secondes? J'ai dit que,
pour arrivera la découverte de la rérité, il n'y a qu'une bonne
méthode, celle de l'obscrvatiun ; j'ai ajouté que la méthode
est la même quel que soit l'objet auquel on l'applique ; mais,
loin de conclure de l'identité de la méthode l'identité des su-
jets auxquels elle est appliquée, j'ai précisément dit le con-
traire. Voici les termes mêmes dans lesquels je me suis ex-
primé : « Les sciences morales dijfererit des autres par la nature
des faits qui en sont l'objet, elles ne peuvent en différer ni par
la méthode, ni par la puissance qui est propre à la véri-
té (i). «Proclamer que les sciences morales et politiques dif-
fèrent des sciences physiques par la nature des faits qui en
sont l'objet, est-ce établir un parallélisme absolu entre les unes
et les autres? Est-ce dire que le champ de celles-là n'est pas
plus étendu que le champ de celles-ci?
En vo3ant le critique pren !re des questions de méthode
pour des questions de droit, j'ai commencé à soupçonner
qu'il ne savait pas bien ce qu'est une méthode ; ici mes soup-
çons se changent en certitude : il est évident, en effet, qu'il
ne distingue pas la méthode des objets auxquels elle s'appli-
que. L'erreur dans laquelle il tombe ressemble à celle d'un
homme qui confondrait une procédure judiciaire, avec les faits
ou les droits qu'elle doit mettre en évidence.
Le critique veut bien m'apprendre qu'un physicien n'a rien
à prescrire aux arbres et aux pierres, et qu'il ne pourrait,
sans abuser des mots, déduire de ses observations que les uns
ont le devoir de croître, les autres, celui de graviter vers le
centre de la terre. Ensuite , il ajoute immédiatement :
M. Comte en a conclu sérieusement, que de même il n'appartient
pas au moraliste et au publiciste de parler de devoirs (pag- 225).
Quand on attribue de pareilles extravagances à un écri-
vain, il faudrait, je pense, se donner quelque peine pour le*
(i) Toni. I, pag. 4'->-
566 DE LA MJiTHODE
prouver ; mais le critique n'y regarde pas de si près. Persuadé
sans doute que de telles assertions n'ont pas besoin de preuve,
il continue, et se demande, si la conséquence est ralionnelle.
Oui, ajout'e-t-il , si l'homme n'est que matière ; s'il est, comme
la matière, dépourvu de toute moralité, et soumis d r empire de
la nécessité.
En lisant de pareilles observations, je marche, je l'avoue,
de surprise en surprise. Le critique s'imaginera-t-il que le
naturaliste, en exposant les lois du monde physique, adresse
ses leçons aux arbres et aux pierres, et qu'il se propose de
leur enseigner les lois de la végétation ou de la gravitation?
Ou bien supposerait-il que les hommes auxquels il s'adresse
sont aussi dépourvn>^ de conscience et de liberté que les pier-
res et les arbres, et qu'il n'existe chez eux aucun principe ca-
pable de les déterminer a faire un bon usage des connaissan-
ces qui leur sont données?
Il paraît croire qu'on ne saurait l'aire sortir la connaissance
d'aucun devoir de l'observation du monde physique, et c'est
probablement pour cela qu'il me reproche un parallélisme
que je n'ai pas fait. Je ne suis pas de son avis; je suis, au con-
traire, bien convaincu que nos devoirs se multiplient à me-
sure que nos connaissances s'étendent. Du moment qu'un
homme qui se destine à la pratique de la médecine, par exem-
ple, a appris que tel remède guérit tel maux, son devoir vi'esi-
il pajs d'en faire l'application à ceux qui en ont besoin, et qui
réclament les secours de son art? Faut-il conclure de là, que
le professeur ou l'écrivain qui expose les principes de cette
science, doit commeticer par faire un traité des devoirs ? je ne le
pense pas : dans toutes les sciences, il est des vérités que l'on
n'exprime pas, parce qu'elles sont sous-entendues; je neveux
pas dire supposées, le critique m'accuserait de mettre ces véri-
tés au rang des hypothèses.
Je me suis arrêté à la vie extérieure de l'homme , dit le cri-
tique, je n'ai attaché une grande importance qu'à la descrip^
tion des faits sensibles de l'humanité; les actions extérieures et
les institutions de l'homme ont évidennnent absorbé mon
jillenti'Mi tout (Mitièrc.
D'OBSERVATION. 5G7
Quels sont les faits que le crilifiue enten'.l désigner par ces
mots la vie extérieure, et les faits sensibles? Veut-il parler des
faits qui se passent dans nos organes physiques, ou que nous
accomplissons par leur moyen ? Si c'est des faits de ce genre,
me reprocherait-il de n'avoir point parlé des iali internes?
Je ne le pense pas; car, je ne saurais concevoir l'obligation
de parler de la circulation du sang, de la digestion ou d'autres
phénomènes physiologiques, dans un traité de législation. Il
veut donc parler des phénomènes qui se rapportent à l'âme,
et il trouve mauvais que je ne les aie pas distingués en faits
extérieurs et en faits intérieurs, et que je n'aie pas parlé des uns
et des autres.
Cette distinction se trouve, je le sais, dans un grand nom-
bre d'écrits récemment publiés : cependant je ne l'ai pas adop-
tée. Si j'avais distingué les faits de l'àme ou les faits de
conscience, en intérieurs et en extérieurs, le critique n'en au-
rait-il pas conclu que, dans ma pensée, l'âme a un dehors et
un dedans ; que, par conséquent, elle est étendue ; et, par con-
séquent, matérielle? J'avais bien d'autres raisons pour ne pas
m'engager dans des discussions de cette nature; je les ferai
bientôt connaître.
Ce n'est pas tout : je n'ai attaché, dit le critique, une grande
importance qa'aux faits sensibles de l'humanité. Qu'est-ce
qu'il entend par ces deux mots? Voudrait-il dire que je n'ai
mis de l'importance qu'aux faits apercevables? Si telle est sa
pensée, j'avoue qu'il a raison; mais alors je voudrais bien
qu'il m'expliquât comment j'aurais pu mettre une grande
importance à des faits qu'il m'aurait été impossible d'aperce-
voir, et par conséquent de connaître. J'ai considéré les hom-
mes dans leurs facultés intellectuelles et dans leurs facultés
morales, comme dans leurs facultés physiques. Qu'avais-je à
faire de plus?
Les actions extérieures et les institutions de l'homme ont
évidemment absorbé mon attention tout entière. Ce reproclie,
que le critique m'ajdresse, lui paraît fort grave; je ne m'en
justifierai pas. J'avoue qu'en effet je n'ai pas eu d'autie objet
que do concourir, autant r\\\c rela dépend de moi, à donuet-
568 DE LA METHODE
aux actions et aux institutions humaines toute la lectitudedont
elles sont susceptihles. Mais cela est-il donc si peu de chose?
et celui qui aspire à produire un pareil résultat doit-il , à cause
de cela, être signalé comme affaiblissant l'empire de l'obliga-
tion morale et l'autorité de la science ? Ne sera-t-il plus per-
mis de concourir au perfectionnement des mœurs ou des lois,
à moins qu'on ne commence par se livrer à d'obscures et sté-
riles rêveries ?
Le critique se trompe d'ailleurs quand il prétend que les
actions et les institutions de l'homme ont absorbé mon atten-
tion tout entière; j'ai voulu de plus en connaître et en mon-
trer les causes, en exposer les résultats. C'est à la connaissance
de cet ensemble de phénomènes et de rapports qui les lient,
que j'ai cru qu'il convenait de donner le nom de science. J'ai
cherché à découvrir les lois de notre nature; mais je n'ai pas
cru et je ne crois pas encore qu'il soit nécessaire de dire aux
hommes, à mesure que chaque loi se présente, votre devoir
est de la suivre. Cela est sous-entendu, si non supposé.
Parmi les nombreuses questions que le critique soulève an
sujet de mon ouvrage, il en fait une qui renferme une accu-
sation assez grave. 11 demande si mon éloignement pour toute
autre méthode que celle que j'ai adoptée ne m'aurait pas en-
traîné à coniprehdre dans mon animadrersion , et les méthodes
que je réprouve , et les résultats de ces métlwdes^ sans me don-
ner trop la peine de vérifier si par hasard ces résultats n'étaient
pas justes, quoique découverts en tâtonnant, à l'aide d'une
méthode vicieuse ? (pag. 217.) Ensuite, il cherche à me faire
comprendre que les résultais ne sont pas nécessairement faux,
par cela seul que la méthode à l'aide de laquelle ils ont été
obtenus n'était pas irréprochable.
Il ne s'agit ici que de principes de morale, et il est bien clair
qu'en me reprochant d'avoir compris dans mon animadverslon
et les méthodes vicieuses et les résultats de ces méthodes,
même quiuid ils sont justes, il m'accuse d'avoir repoussé des
vérités morales sans m'être donné la peine de les examiner. Je
ne .sais sur quoi celle accusalion est fondée; car le critique ne
lente mémo pa'* dr lu ninlivcr. Je ne crois pas qu'il existe dans
D'OBSERVAÏIOX. 569
mon onvra',fe une seule phrase qui puisse en avoir iburni le
prétexte. Loin d'attaquer les maximes pratiques admises dans
les divers systèmes que j'examine, je dis, au contraire, et)
parlant des doctrines des jurisconsultes, que ces maximes sont
généralement bonnes (1) ; je ne dis pas un mot de colles qui
sont admises dans les autres systèmes dont je parle. Comment
donc le critique peut-il me reprocher de confondre les métho-
des qui me paraissent défectueuses, avec les résultats de ces
méthodes ?
Il prétend que j'ai mutilé les sciences de la morale et de la
législation. Mais, comment les ai-je mutilées ? En les réduisant,
dit-il, à la simple description des rnœurs , des habitudes , des ac-
tions et des institutions hamaines. Je lis le premier chapitre de
mou ouvrage, et j'y vois (pag. 17), qu'en dégageant les scien-
ces morales et politiques des croyances particulières à chaque
religion, elles ne sont que la description des actions et des
institutions humaines, des causes physiques et morales qui les
produisent, et des effets qui en résultent relntivemerit au bien-être
des hommes. Il est clair qu'il y a ici une mutilation ; mais est-ce
moi qui mutile les sciences, ou le critique qui mutile mes
pensées?
En examinant le système de M. Benthnm, qui donne l'uti-
lilé pour base à la législation, j'ai dit qu'une science est l'ex-
position méthodique d'un certain ordre de phénomènes, et non
le développement d'une maxime; j'ai dit que si l'on fait d'une
maxime de morale la base de la science, on s'expose à tomber
dans un cercle vicieux , si le principe adopté n'était pas une
idée parfaitement claire et universellement admise ; car com-
ment raisonner avec des gens qui mettraient ce principe en ques-
tion ? comment, par exemple, prouver à des législateurs qui
se moqueraient du bien public et qui ne croiraient pas à l'en-
fer, que l'utilité générale doit être h; principe de leurs raison-
nemens ?
Cette objection, qui peut Ctre faite contre tout systèuK;
( \) T(im. I, pag. \\- .
070 DE LA METHODE
fondé sur tinc maxime, devient le sujet d'une accusation. Le
critique me reprodie de ne pas l'avoir réfutée; il aurait dé-
siré savoir si le législateur qui préfère son intérêt à l'intérêt
général a droit ou tort. Ensuite, il ajoute qu'il est fâché de se
sentir obligé de reconnaître que, si j'étais pressé sur celte
question, je reviendrais probablement au principe de Ben-
tham. Cette accusation est grave ; car, à ses yeux , le principe
de l'utilité est un principe funeste (i).
Il est très-vrai que je n'ai pas examiné si le législateur qui
se moquerait de l'utilité générale aurait droit ou lori ; à mes
yeux ce n'est pas là qu'est la difliculté ; elle est dans la ques-
tion de savoir comment il faut s'y prendre pour que les na-
tions aient de bonnes lois, et des gouvernemcns qui marclient
droit. Ceci, je l'avoue, pourrait bien tendre un peu vers
l'utilité, et sentir par conséquent l'hérésie ; cependant, le criti-
que se trompe quand il dit que, si l'on me pressait, j'en re-
viendrais à un système dont j'ai fait voir les défauts. Ses con-
jectures à cet égard me prouvent qu'il n'a pas compris un mot
(i) Le Critique paraît être du nombre tle ceux qui considèrent le prin-
cipe de Bentliam comme une nouveauté dangeureuse. Qu'il lise Platon,
et il verra que ce philosophe professait le principe de l'utilité d'inie n)a-
nière aussi nette, aussi positive que le jurisconsulte anglais. Dans son
Traité de la République ou du Juste, Platon dit assez clairement qu'à ses
yeux, ce qui est juste et ce qui est utile aux hommes est une seule et même
chose. " On a et on aura toujours raison, fait-il diie à Sociale, de dire que
l'utile est Iwnni'tc, et qu'il n'y a de houleux que ce qui est nuisible, a Liv, v,
t. Il, p. 9.-. Voyez aussi les pages i54, '^iS et 5i4 du même volume.
Dans son livre Des Lois, Platon traite les hommes qui mettent l'«<i7cd'un
côté, et \c juste de l'autre, bien plus sévèrement qu'il n'a traité les pos-
sesseurs de la science universelle. "Quanta moi, dit-il, la chose me pa-
raît aussi évidente (l'identité entre \c Juste et l'utile) qu'il m'est évident
que la Ciète est une île : et si j'étais législateur, je ne négligerais lien
pour engager les poètes et tous mes citoyens à tenir les mêmes discours :
je n au7-ais point de cliàtiwens assez grands, pour punir quiconque oserait
dire qu'il y a des médians qui vivent heureux, et que l'utile, l'avantageux
est un, et le Juste un autre, a Liv. ii, t. i , p. 4'5» traduction de Groii. Il
est bien clair que les écrivains de la nouvelle école, qui admirent Platon
f.i condamnent Henlhani, ne coiniaissant même pas leurs écrits.
D'OIiSEllVATION. 57 1
de ce que j'ai dit sur la méthode. C'est au public à juger si
c'est ma faute .ou la sienne.
J'arrive à un reproche très-grave ; mais indirect. Le criti-
que, pour me réfuter, m'apprend (pag. 226) qu'il y a dans
l'homme liberté et moralilé. Cela ne va-t-il pas faire croire à
ceux qui n'ont pas lu mon ouvrage, que je ne considère pas la
liberté et la moralité comme des lois de notre nature, ou que
du moins je ne me suis point expliqué à cet égard? Je doute
qu'une telle pensée se présente jamais à l'esprit de ceux qui
auront lu les chapitres où j'expo;;e les effets du despotisme et
de l'esclavage domestique. Quand on réfute un écrivain j il
faudrait tâcher de ne pas lui imputer, même indirectement,
des opinions flétrissantes, diamétralement opposées à celles qu'iL
a publiquement manifestées, surtout quand il n'a jamais donné
le droit de mettre ses écrits en opposition avec sa conduite.
Suivant le critique, j'aurais dû traiter des faits incompatibles
avec l'idée d'effet dans l'ordre de la création; j'aurais dû dé-
crire l'âme humaine , les conditions de sa nature , les princi-
pes qui régissent son activité (pag. 221, 225 et 227); et je
n'ai rien fait de tout cela. J'avoue qu'en effet, je ne suis pas
remonté à la création pour y observer les faits primitifs; je
n'ai point décrit l'âme humaine; je n'ai point déterminé les
conditions de son existence; je n'ai pas décrit les principes qui
régissent son activité.
On pourrait faire sur ces remarques diverses questions; je
n'en ferai qu'une ; mais celle là pourrait me dispenser d'en faire
et d'en examiner d'autres. Ce que le critique m'accuse de n'a-
voir pas fait est-il possible ? Si cela n'était pas dans l'ordre
des choses possibles, y aurait-il de la justice à me reprocher
de ne l'avoir pas fait? Je suppose bien que le critique ne me
demande que ce qu'il croit exécutable ; cependant ,fç-e liii con-
seille d'en tenter lui-même l'exécution , avant de se prononcer
à cet égard. Qu'il songe bien surtout, s'il en vient à l'expé-
rience, qu'il s'agit de décrire des êtres tmma^me/5, des faits
non sensibles, et qu'il les représenterait mal avec des signes
matériels, grossiers, sensibles. Enfin, qu'il n'oublie pas qu'il
5^2 DE LA METHODE
ne s'agit pas ici de faire de la poésie , mais de la science, et
que par conséquent les images, les comparaisons, le langage
figuré doivent en être bannis. Si , après avoir rempli ces con-
ditions, il exécute, en langage intelligible, ce qu'il me repro-
che de n'avoir pas exécuté, je reconnaîtrai que j'ai eu tort, et
je m'empresserai de profiler de ses découvertes.
Le critique paraît persuadé, et il n'est pas seul de cette opi-
nion , (ju'il n'est point de questions insolubles pour les scien-
ces ; il veut qu'on ait une réponse pour tontes les demandes,
et que cette réponse satisfasse toujours la curiosité de ceux à
qui elle est adressée. Je suis si loin de partager son opinion à
cet égard, qu'à mon avis savoir ignorer est une des premières
conditions de toute science; je suis convaincu, et l'expérience
de chaque jour me confirme dans ma conviction, que nous
sommes environnés de toutes parts d'impénétrables mystères;
je ferai volontiers ma devivedumot si connu et si méprisé d'un
de nos philosophes : Que sais-je ? Et ce n'est certes pas d'au-
jourd'hui que je sens la nécessité de mettre des bornes à notre
curiosité; je l'ai reconnue dès les premières pages de inon
livre; lorsqu'en 1821 je fus appelé à donner un cours de lé-
gislation, ce fut une des premières vérités que je m'efforçai
d'inculquer dans l'esprit de mes élèves; enfin, dans le cours
que j'ai donné il y a deux ans, c'est par là que j'ai commencé.
Je sais bien que des esprits au<lacicux ou inexpériementés ne
craignent pas de se lancer dans un océan de conjectures ;
mais je sais bien aussi que, sur cette mer dangereuse, plus
d'une réputation a fait naufrage.
Beaucoup d'autres avant moi ont écrit sur la législation, et
ils n'ont pas jugé nécessaire, soit de traiter d'abord des faits in-
compatibles avec l'idée d'effet dans l'ordre de la création, soit
de décritio l'âme humaine, les conditions de sa nature, les
principes qui régissent son activité. Je ne crois pas cependant
(|ue le rrili(pic leur reproclie d'a/faiblii' f empire de l'obligation
morale et l'autorité de la science; comment ce qui n'est pas
un sujet de blàine dans leurs livres, serait-il donc ime cause
*le condamnation dans le mien ?
D'OBSERVATION. 5yZ
En me reprochant de n'avoir pas traité des faits incompa-
tibles avec ridée d'effet dans L'ordre de la création, le critique
n'aiirait-il pas voulu m'accuser indirectement d'athéisme?
IS'aurait-il pas voulu cacher une imputation de matérialisme,
sous le reproche qu'il me fait de n'avoir pas décrit l'ûme hu-
maine, ni les conditions de son existence? Enfin, n'aurait-il
pas voulu m'attribuer la dénégation de la conscience, quand
il m'a fait considérer le sens moral comme une hj'pothèse ? Je
voudrais écarter de pareilles idées, car je ne saurais les ad-
mettre, sans admettre en même tems que ce n'est ni de la cri-
tique ni de la science qu'il a voulu faire. Et, cependant, elles
assaillent mon esprit malgré moi , quand je vois qu'il signale
ce qu'il appelle mes doctrines comme affaiblissant l'empire de
la morale; quand je vois, surtout, le soin qu'il prend, après
m'avoif attribué un raisonnement absurde que je n'ai pas fait,
de déclarer que la conséquence est rationnelle, si l'homme n'est
que matière , il est, comme la matière, dépourvu de toute mo-
>-aUte; mais que je nai pas démontré que l'homme n'est que
matière.
Quand Montesquieu publia l'Esprit des Lois , ses ennemis
lui reprochèrent de n'avoir parlé ni du péché originel, ni de la
grâce. Le reproche ne pouvant être réfuté, les dévots ne man-
quèrent pas d'en conclure que l'auteur ne croyait ni à l'un ni
à l'autre. Le critique m'accuse de n'avoir pas traité de la
cause première dans l'ordre de la création, et de n'avoir donné
la description ni de l'âme, ni des conditions de sa nature, ni
des principes qui régissent son activité. Je conviens qu'en effet
je n'ai pas donné celte description , mais.quelles conséquences
veut-il en faire tirer?
Montesquieu se justifia en disant que, s'il avait parlé du
péché originel, on aurait pu lui reprocher de n'avoir pas
parlé de la rédemption, et ainsi, d'article en article, à l'infini.
Ne pourrais-je pas dire aussi que, si j'avais traité des faits
primitifs dans l'ordre de la création, et donné une description
de l'âme et des conditions de sa nature, on m'aurait repro-
ché de n'avoir pas traité de la fin du monde, et de n'avoir pas
T. XLVII. SEPTEMBRE 1&5g. 5^
5;74 DE LA MlhHODE
décrit les peines et les récompenses de la vie éternelle?
L'auteur de l'Esprit des Lois ajouta qu'ayant traité un sujet
immense il avait été obligé d'omettre quantité de choses qui
appartenaient à son sujet, et qu'à plus forte raison il avait
omis celles qui n'y avaient point de rapport. Si j'avais recours
a une pareille excuse, le critique n'y verrait-il pas un nouveau
motif d'accusation ?
Mais quel est au fond le différent qui nous divise ? Le voici.
Je suis convaincu que, par leur propre nature, les nations
tendent vers ce qui est bien, et s'éloignent de ce qui est mal ;
mais qu'elles ne voient pas toujours la bonne voie, et qu'elles
ont besoin de la chercher pour la trouver. Il ne s'agit donc,
suivant moi, que de les éclairer pour les faire marcher droit :
il sufTit de leur faire connaître la nature, les causes et les con-
séquences de leurs actions et de leurs institutions, pour les
déterminer à se bien conduire. Quand elles posséderont ces
connaissances, elles sauront ce qu'elles doivent faire et ne pas
faire, sans qu'on ait besoin de le leur dire ; leur conscience ou
leur sens intime leur fera discerner nettement ce qui est et
ce qui n'est pas un devoir; elles posséderont les connais-
sances que les sciences de la législation et de la morale peu-
vent donner.
Suivant le critique, cela ne suffit pas. Il faut d'abord ap-
prendre aux hommes qu'ils ont une conscience ou un sens
moral, ce qui, ù mon avis, est aussi nécessaire que de leur en-
seigner qu'ils ont des yeux, quand on veut leur apprendre à
lire. Il faut ensuite leur montrer un à un les élémens dont la
conscience se compose, ce qui est propre à donner à un homme
le discernement du bien et du mal, comme la connaissance du
mécanisme de l'œil est propre à lui donner une bonne vue. Il
faut de plus leur donner, en termes clairs et positifs, une bonne
description de l'âme, des conditions de son existence et des
principes qui régissent son activité, et leur faire bien remar-
quer les différences qui existent entre ces phénomènes et ceux
qu'on désigne sous le nom de faits de conscience. Il faut leur
donner en outre un traité des faits primitifs, c'est-à-dire des
laits qui sont inconipaliblt-s avec l'idée d'effet dans l'ordre de
D'OBSKRVATION. 570
ia création. Enfin, il l'aul leur dire ce qui est et ce qui n'est
pas un devoir, de peur que, par caprice, leur sens moral ne
s'avise de se taire quand il devrait parler, et accompagner tout
cela d'éloquentes exhortations.
Il est bien clair qu'il existe quelques différences entre ces
deux manières de concourir au perfectionnement des mœurs
et des lois. Je suis convaincu que la simple exposition de la
vérité exerce à la longue sur les nations une influence im-
mense, et que leur sens moral les dirige bien quand elles sont
éclairées, et qu'elles ne sont entraînées par aucune mauvaise
habitude. Le critique semble avoir moins confiance dans la
force de la vérité , dans la puissance des lois de notre .lature ,
que dans l'autorité des savans ; il revendique au profit de
ceux-ci la force que je reconnais à la conscience humaine, et
il se fait le défenseur de leurs droits, auxquels j'avoue que je
n'avais pas pensé. Il n'a pas non plus la même conflance que
moi dans le sens moral; car il veut qu'on le prouve et qu'on
le rappelle sans cesse aux hommes, ce qui suppose qu'ils peu-
vent l'oublier, ou ne pas y croire. Il pense aussi que, pour se
déterminer, ce sens a besoin du secours des orateurs, puis-
qu'il nous donne jusqu'aux formules à l'aide desquelles on peut
l'exciter.
Je ne déciderai pas laquelle de ces deux manières est la
plus conforme à une bonne méthode : c'est une question
dont j'abandonne la solution aux hommes qui s'occupent de
sciences morales; mais, quelle qu'elle soit, il sera toujours
évident que ma croyance dans la tendance des hommes à
remplir leurs devoirs est au moins aussi ferme que la sienne.
Je ne sais si le critique s'est ou non livré à l'étude de la mo-
rale et de la législation; l'étonnement que lui a causé la lec-
ture du premier volume de mon ouvrage me permet d'en
douter ; s'il s'en était occupé, il aurait vu que la manière dont
je crois qu'il convient de traiter ces sciences est loin d'être
nouvelle. Qu'il lise donc les écrivains qui ont traité de la théo-
rie de la morale ou de celle des lois, depuis Aristote jusqu'à
Montesquieu, et il verra si, à chaque pas qu'ils ont fait, ils ont
5^6 DE LA MÉTHODE
cru nécessaire de dire, ceci est un devoir, cela est un droit. Je
doute que lemot^fi^o/rsoit prononcé une seule fois, soit dans le
Traite de Morale d' Aristote, soit dans V Esprit des Lois. Dans le
dernier de ces deux ouvrages, on ne trouve pas un seul petit
chapitre consacré à l'exposition de la théoiie du devoir : à
peine le mot s'y Irouve-t-il accidentellement. Quel sujet de
scandale pour le critique, s'il fait jamais une pareille décou-
verte !
Le critique présume que, repoussé par les formes de cer-
tains systèmes, non entièrement satisfait par d'autres, j'ai
voulu secouer en même tems le joug de tous, et marcher
dans une voie nouvelle. « Mais, ajoute-t-il, avant de prendre
ce parti, a-t-il examiné à fond, et sans aucune préoccupation
de pensée, tout ce qu'on avait fait avant lui? Le lecteur en ju-
gera (p. 234). » Voilà le grand secret mis au jour : je n'ai
pas fait consister la science des mœurs et des lois dans la con-
naissance d'une obscure métaphysique; je n'ai pas suffisam-
ment étudié les doctrines de quelques-uns de nos docteurs;
je ne me suis pas laissé enrégimenter sous leur bannière.
De là ces nombreuses altérations faites à mes pensées pour en
faire résulter des accusations indirectes de matérialistne et d'a-
tliéisme. Si le critique m'a épargné l'imputation de sensua-
lisme ^ c'est assurément par bonté d'âme, et pour ne pas me
perdre complètement aux yeux de ses lecteurs.
-Le critique se trompe toutefois, s'il croit que je ne
connais rien de ce qu'a pu!)lié son école : j'en ai bien lu
([uclque chose, et même, puisqu'il faut le dire, des volumes
tout entiers, ce qui n'arrive guère à personne; mais s'il fallait
rendre compte de ce que j'y ai appris, en fait de science, j'a-
voue que je serais fort eudjarrassé. Mais puisque nous en som-
mes aux aveux, le critique lui-même aurait-il examiné à fond
ce qu'on avait écrit avant l'apparition de l'école nouvelle?
N'iturait-il pas cru sur parole les docteurs qui, du haut
de leur chaire, ont proclamé qu'ils en avaient fini as gc les écri-
vains du xv!!' et du xviii' siècles, et mêmeavecunebonnepar-
tie de ceux du xix'? Si, comme beaucoup d'autres jeunes
D'OBSERVATION. 5;-
gens, il s'en est rapporté à eux cet égard, qu'il lise quelques uns
de ces écrivains avec lesquels il semble croire qu'on en a de-
puis si !ong-tems fini : il y apprendra ce que c'est qu'une mé-
thode, et comment, quand on écrit, on peut donner de la pré-
cision à son langage. Qui sait même si, après les avoir lus, il
ne sera pas tenté de dire ;'i ses maîtres :
Les gens que vous lucz se porleiit assez bien.
Il est tems de mettre un terme à cette discussion; qu'il me
soit permis cependant d'ajouter encore une réflexion. Le cri-
tique, qui attaque si Yivemenl le premier livre de mon ou-
vrage, celui dans lequel j'expose la méthode qu'il convient
de suivre quand on tiaite des sciences morales, fait des autres
parties, mais surtout du dernier volume, un éloge que je crois
exagéré. Cependant que trouve-t-on dans ce dernier volume?
on y trouve l'application rigoureuse, à un sujet qui n'avait
pas été compl/.'tement traité, de la méthode exposée dans le
livre premier. Or, si l'on ne prouve pas que j'ai été infidèle à
la méthode, il faut qu'on reconnaisse ou qu'elle est bonne, ou
que tout l'ouvrage est mauvais; il est impossible, en effet, de
partir d'une base fausse et d'ari'iver à des résultats vrais, sans
tomber dans l'inconséquence. Ce qui est mauvais en théorie
ne saurait être bon dans l'application; mais aussi ce qui est
bon dans l'application ne saurait être vicieux dans la théorie.
Gomment le critique n'a-t-il donc pas vu qu'en faisant l'éloge
du dernier volume, après avoir condamné le premier, s'il ne
pouvait pas me convaincre d'inconséquence, il était lui-même
inconséquent? Au lieu de s'attacher aux choses, il n'a couru qu'a-
près des mots ; il a refuté les idées qui se trouvaient dans sa tête,
au lieu d'examiner celles qui sont dans mon ouvrage. « -Ain'^i,
déclamant en l'air, et combattant contre le vent, il a rem-
porté des triomphes de même espèce (i), » Ce nxalheur, je le
sais, n'arrive que trop aux jeunes gens qui s'avisent «.l'écrfre
sur des matières qui ne sont pas de leur âge ; mais quand oa
(i) Montesquieu, Défense de L'Esprit des Lois.
5;8 DE LA MÉTHODE D'OBSERVATION.
veut absolument parler de ce qu'on n'est pas sûr de savoir,
faudrait-il du moins consulter des amis éclairés, avant que de
publier ses pensées.
Le critique, en attaquant les doctrines qu'il m'a prêtées, a
rempli, dit-il, un devoir pénible; c'est aussi pour remplir un
devoir que je lui ai répondu. Les principes que j'ai exposés
dans mon ouvrage ne sont pas différeus de ceux que j'ai pro-
fessés dans des cours publics : or, je n'ai pas dû laisser croire
aux hommes qui m'avaient honoré de leur confiance, que j'en
ai abusé en professant des doctrines propres à affaiblir l'em-
pire de h morale et l'autorité de la science. L'Académie française
a jugé mon ouvrage utile aux mœurs; et elle a rendu cette
décision à l'unanimité^ puisque la seule voix qui s'y soit op-
posée n'a fait aucune objection ni sur la tendance morale du
livre, ni sur la vérité des principes qu'il renferme. Je ne de-
vais pas laisser croire, par mon silence, non-seulement que je
m'étais trompé, mais que j'avais entraîné dans l'erreur un
corps qui jouit à tant de titres de la confiance publique, et
qui renferme un si grand nombre d'hommes éclairés. Enfin,
je suis intimement convaincu que la méthode que j'ai adoptée,
mais dont l'invention ne m'appartient pas, est le moyen le
plus propre à faire avancer les sciences morales, et à garantir
les jeunes imaginations des obscurs systèmes qui menacent de
les troubler. Les motifs qui me firent adopter cette méthode
m'imposaient donc l'obligation de la défendre, et de repous-
ser des attaques dont l'cflet le moins mauvais ne peut être que
d'obscurcir ce qui est clair.
Charles Comte.
P. S. Cet article devait paraître il y a près de trois mois :
diverses circonstances en ont retardé l'insertion dans la Revue
Encyclopédique.
379
DE L'ABOLITIOiN GRADUELLE DE L'ESCLAVAGE
DANS LES COLONIES ErROPEENNES , ^
Et notamment dans les colonies françaises.
Considérée à la fois dans l'intérêt des esclaves, des maîtres, des
colonies et des Métropoles.
SECOND ARTICLE.
(Voy. B.ev. Eue, t- xvi, p. 52j).)
L'histoire de cette question est l'histoire
(ie toutes les questions de justice et d'huma-
nité. Quand elles ont été proposées, elles ont
rencontré un nombre considérable d'oppo-
sans; et, lorsque leurs effets ont été bien con-
nus, elles ont obtenu l'assentiment universel.
(PuiLiPS, Discours à la Chambre des Com-
munes, session de 1826,)
Après avoir, clans la première partie, constaté ce qu'est,
en point de droit et de fait, la condition actuelle des esclaves
dans les colonies européennes, nous considé'erons succes-
sivement, dans celle-ci, les résultats moraux et matériels d'un
tel état de choses : 1° en ce qui concerne les erclavcs; 2° en
ce qui concerne les maîtres ; 5" en ce qui concerne les colo-
nies ; 4* en ce qui concerne les métropoles. ]Nous prouverons
que, sous tous ces divers rapports, l'esclavage n'est pas moins
condamné par le bon sens et la morale ; nous démmitrerons
ensuite qu'il n'est pas, comme on le croit généralement, la
condition nécessaire de l'existence des colonies.
I. En ce qui concerne les esclaves. Les colons cit .';ouveMt
58o DE L'ABOLITIOlN GRADUELLE
combattu les adversaires de l'esclavage, en opposant lu 'con-
dition des noirs dans les colonies à celle des paysans dans
quelques contrées de l'Europe; et comme, tout balancé, ils
n'ont pas hésité à déclarer les premiers beaucoup plus heu-
reux que les second, il en est résulté que nous aurions tort
d'aller si loin chercher des misères à adoucir et à réparer,
quand nous en avions auprès de nous de plus pressantes en-
core. Peu de mots suffiront pour prouver combien de telles
assertions sont inexactes et peu sincères.
II est bien vrai que l'état des classes laborieuses, dans plu-
sieurs parties de notre Vieux-Monde, laisse encore beaucoup à
désirer. A peine échappés aux agitations sanglantes, aux
guerres acharnées, aux pesantes servitudes du moyen âge,
les habitans des campagnes sont encore, en plusieurs pays, il
faut l'avouer, dans la situation la plus pénible. Ce n'est qu'au
moyen d'un travail rude et excessif qu'ils parviennent à sub-
venir à la plus chétive existence. Le fisc saisit avidement la
plus forte portion de leurs salaires, et les contraint à suppor-
ter des privations do toute espèce. Au sein des prodiges du
luxe et des arts, leur sort fait pitié; et néanmoins, combien un
tel sort est encore préférable à l'esclavage !
Sans doute, si l'homme n'avait pas d'autre destination ici-
bas que celle de vivre, l'esclave d'un bon maître pourrait
être considéré par exception (car la nature même de l'escla-
vage veut qu'un bon maître soit une exception) comme plus
heureux que le paysan libre d'un pays où la société est encore
mal organisée. Il le serait, en effet, comme être vivant; mais
ce n'est point là la vie humaine. Tout démontre que l'homme
existe bien réellement pour développer, sans entraves, ses fa-
cultés intellectuelles, pour devenir membre libre de la so-
ciété, à laquelle il doit un tribut à la vérité, mais un tribut
dont il peut choisir à son gré l'espèce, selon les dispositions
de sa nature individuelle. Telle est évidemment la loi de l'hu-
manité; et voilà pourquoi, d'un pôle à l'autre, un secret in-
stinct a révélé aux hommes cette vérité dont l'expression est
devenue vulgaire, que la Liberté est le plus grand des biens.
DE L'ESCLAVAGE. 58i
La condition du paysan est quelquefois misérable, sans
doute; mais que de circonstances peuvent y apporter quel-
que adoucissement ! Il travaille beaucoup, mais il est maître de
limiter son travail: son salaire est faible, mais ce salaire est
une dette qu'il peut exiger, non xine concession qu'on peut
lui faire et lui retirer. La fortune l'a mal partagé ; mais la jus-
tice lui tend la main, et elle le traite à l'égal des riches et des
puissans. Comme père, comme époux, comme possesseur de
sa chose, il ne connaît que Dieu et la loi commune à tous ; et,
si les charges qu'il paie à l'État lui sont pesantes, du moins
peut-il se dire sujet ou citoyen de cet État. C'est peu; son
sort lui paraît-il intolérable? mille voies lui sont ouvertes pour
en changer. Le monde est devant lui ; si les montagnes lui
déplaisent, il descend dans les plaines, il franchit les barriè-
res des cités; là l'industrie l'appelle dans ses ateliers; l'église
le reçoit dans ses milices , l'armée dans ses rangs. Il arrive à
tout dans ces carrières diverses. Il est apte à posséder toutes
les richesses, tous les titres, toutes les grandeurs !
A quel immense intervalle se trouve l'esclave d'une pa-
reille situation ! En payant son prix, comme denrée, le maî-
tre n'a pas seulement acheté sa personne; il a acheté ses vo-
lontés, ses désirs, ses pensées, son être moral tout entier, en
un mot. Il ne s'appartient plus, il n'est plus à lui, il n'est
plus] lui. Il travaille autant que son maître le veut, et ne se
repose que quand il lui plaît. Il cultive comme le bœuf la-
boure. Le hasard l'a attaché à un champ de cannes, à une ri-
zière, à une plantation d'indigo; il doit y mourir, et jamais
le mode de son travail ne pourra changer, à moins que le
maître ne le juge convenable à ses intérêts. Quand son ar-
deur s'éteint, le fouet la ranime ; pour salaire, il a la subsis-
tance et l'abri, réglés à la volonté de son maître. Il ne peut
boire, manger , dormir , être vêtu que comme l'entend ce
maître. Le voilà dans le sein de l'habitation; au dehors, il est
sans cesse poursuivi par la double ignominie attachée à son
état d'esclave et à la couleur de sa peau. On l'injurie, on le
frappe à plaisir, pourvu qu'on soit blanc. Il n'y a de réprimés
582 DE L'ABOLITION GRADUELLE
que les torts qu'il peut faire aux autres. L'ordre de chose est
toujours, en ce qui le concerne, absurde, incohérent et con-
tradictoire; il est hors du droit commun, et toutes les obli-
gations sociales l'enchaînent; on le reconnaît homme, et on
lui refuse le droit de se défendre contre un homme ; il possède
et il est possédé j son pécule lui appartient, et ses enfans ne
lui appartiennent pas; on nie sa moralité, sa conscience, et il
y a pour lui des devoirs et des délits ; on le dégrade de la di-
gnité d'être raisonnable, on l'assimile aux êtres privés de
discernement, et on le punit avec plus de rigueur que ceux
en qui l'on suppose la connaissance du juste et de l'injuste.
Placé sous de telles conditions, on peut dire qu'il n'est, ni
dans la société, ni dans l'État, ni dans la 'Jité ; qu'il n'est pas
même dans la famille, dont il peut toujours être séparé et
banni à la volonté du maître!... C'est là celui qu'on prétend
comparer aux paysans d'Europe! 11 e;t maintenant facile d'ap-
précier la valeur d'un semblable parallèle.
Développons mieux encore les vices de cette institution, si
monstrueuse et si funeste, lors même que la raison et l'huma-
nité ont tâché d'en atténuer les résultats.
L'expérience a prouvé que rien ne peut être aussi nuisible
au bon ordre de la société que l'existence d'une loi double, en
quelque sorte, et qui se partage une population vivant sur le
même sol. Les vices d'un semblable état de choses sont ma-
nifestes ; Il y a privilège légal en faveur des uns, et oppres-
sion légale à l'égard des autres. Dès lors la communauté est
en état permanent de guerre ; elle se compose de deux frac-
tions essentiellement ennemies, dont l'une tend sans cesse à
alferuiir le joug qu'elle fait porter, et l'autre à briser le joug
qu'elle porte. Le lien social n'est plus dans cet intérêt com-
mun qui fait marcher toutes les classes vers le même but; il
est dans la force matérielle qu'une circonstance quelconque
peut déplacer. La loi, n'étant plus en harmonie avec l'équité,
a perdu sa sanction, et se présente sous l'aspect d'une volonté
capricieuse, que chacun croit avoir le droit de mettre i\ l'é-
cart , quand il peut le faire avec iiDpunilé. On n'appelle or-
DE L'ESCLAVAGE. 585
gaiiisation un pareil système ijUe par un abus étrange des
mots. C'est, à le Lien prendie, lu.e véritable désorganisation
consacrée en droit, c'est-à-dire, tout ce qu'il peut y avoir de
plus insensé. L'histoire est là pour nous apprendre les maux
qui en découlent, et toutes les nations civilisées sont tellement
convaincues qu'une loi égale pour tous est le premier des be-
soins, que leurs efforts tendent particulièrement à introduire
ce principe dans leurs constitutions politiques.
Or, il est de la nature même de l'esclavage que, partout où
il existe, il y ait une loi spéciale qvii ne concerne que les es-
claves, une autre loi spéciale qui ne soumette que les hommes
libres ; tel est aussi, nous l'avons vu, le système régnant dans
les colonies. Bien plus, là, comme nous le montrerons ailleurs,
on peut reconnaître dans la législation une troisième loi qui
régit ceux qui, bien que libres, n'ont pas l'honneur d'être de
pur sang européen...: ne parlons ici que de la loi spéciale qui
concerne les esclaves, et examinons les caractères du système
qu'elle consace.
Nous disons que ce système est essentiellement contraire à
l'équité, véritable base et principe conservateur de la société
civile. En effet, il établit, comme règle fondamentale, qu'un
homme, moyennant la nourriture et l'entretien le plus chétifs,
peut exiger d'un autrs homme le travail forcé de sa vie en-
tière, et il est bien évident que ces obligations respectives se-
raient encore hors de toute proportion , quand même il ne
faudrait pas ajouter à la part de l'esclave le sacriflce de toute
liberté physique et morale, l'abandon de ses droits comme
époux et comme père, la soumission aux châtimens corpo-
rels, etc. S'il est vrai , comme le croit IMalouet (i), qu'il s'é-
tablit une espèce de pacte entre l'acheteur et l'acheté , i>' est-ce
pas là manifestement le plus injuste et le plus vicieux qui
puisse avoir lieu entre des contractans; et quand le législateur
vient pour en affaiblir les résultats; quand, par exemple, il
impose au maître l'obligation de laisser à son esclave le pro-
'i) Mémoire, etc., pag. 19.
584 DE L'ABOLITION GllADLELLE
iliiit du travail de quelques jours ou de quelques heures, quand
il lui défend de vendre les enfans de cet esclave au-dessous
d'un certain âge, etc., ne lait-il pas ainsi l'aveu de Tiniquité
radicale dé la convention?
De ce que ce système n'a pas l'équité pour base , il suit qu'il
est nécessairement fondé sur la violence. En effet, nulle part
on n'a besoin d'user de contrainte pour faire des agriculteurs;
mais il faut un fouet et des chaînes, partout où l'on veut avoir
des esclaves. Que l'esclavage soit, de tout point, fait et main-
tenu par la violence ; que la législation ait pour objet princi-
pal de la légaliser, et que cette vfolence légalisée soit sa véri-
table garantie, c'est ce qu'on ne saurait contester, si l'on se
reporte au tableau que nous avons offert, à tous ces traite-
mens auxquels on ne peut, sans une sorte de honte, voir des
hommes être soumis, à cet ensemble de dispositions cruelles,
reconnu indispensable pour maintenir une juste subordination
et un salutaire effroi parmi les esclaves. Nous avons exposé,
sans commentaire, cette portion des lois coloniales; nous ne
l'examinerons point ici en détail. Assurément, il est bien dif-
ficile que les personnes, même les moins familiarisées avec
les questions de pénalité, n'y aient pas vu la violation constante
de tous les principes d'après lesquels la raison et l'humanité
veulent que la matière soit réglée. Rappelons simplement les
peines portées contre les coups ou jnenaccs adresses aux blancs,
la rrïutilalion des atiimaux , la dései-tion, délit que Montesquieu
a déclaré ne pouvoir comprendre, quand il est imputé à un
esclave, etc. (i).
Œuvre d'injustice et de violence, comment ce système lé-
gal pourrait-il être réellement efficace , en ce qu'il renferme
de garanties pour la personne des esclaves? Conunent devien-
drait-il véritablement protecteur à l'égard de ceux envers qui
il est si barbare ! cette assertion que la loi coloniale est presque
toujours sans efficacité, quand elle est en faveur des esclaves,
avait déjà été énoncée, et l'on peut être frappé de sa justesse
(i) MosTBSQiiEi.-, Esprit des Lois. Liv. xv, ch. n.
DE L'ESCLAVAGE. 585
en voyant que, presque partout et notamment dans nos colo-
nies, il a fallu sans cesse reprorluire tout ce que les actes
avaient présenté de favorable aux noirs depuis l'origine mf-uie
des élablissemens , et toujours avec la même inutilité , au dire
de plusieurs écrivains recommandables et bien instruits. Le fait
a paru tellement constant qu'on a quelquefois prétendu que
ce n'était pas en réalité chose praticable que de vouloir inter-
venir entre le maître et l'esclave, qu'on ne pouvait arriver de
la sorte qu'à unrésuUat nuisible à l'un ou à l'autre, et souvent
même à tous les deux; quoi qu'il en soit de cette opinion tour
à tour invoquée par les adversaires et par les partisans de l'es-
clavage, il est facile de comprendre que c'est précisément parce
que le système est vicieux, dans toutes ses parties, qu'on
craint davantage d'y toucher. On a peur que la moindre at-
teinte ne fasse chanceler et tomber en ruine un édifice assis sur
de telles bases, voilà pourquoi, quand quelques améliorations
sont accordées aux esclaves, une secrète inquiétude qu'elles
ne soient bientôt tournées contre les maîtres porte à statuer
de telle sorte qu'en définitive ceux-ci sont toujours à peu
près libres d'agir comme il leur plaît. Il ne manque rien
à la loi que ce qui fait qu'elle est exécutée, et elle ne l'est
point.
Un système présentant les caractères que nous venons de dé-
terminer doit nécessairement opérer l'entière dégradation mo-
rale de l'individu qui s'y trouve soumis. C'est assurément un
fait qui ne peut être contesté que l'état d'abrutissement , ana-
logue en quelques points à celui des peuplades non civilisées,
dans lequel la race noire a été généralement maintenue dans
les colonies. Ce fait n'est pas contesté par les colons eux-
mêmes. Seulement ils refusent d'attribuer le résultat à sa vé-
ritable cause; ils prétendent que les noirs sont dégradés
comme noirs, tandis que l'évidence nous montre qu'ils ne le
sont que comme esclaves, et que Tesclavage est la source
unique des imperfections morales qu'on affirme être natives
en eux.
Ici se présente la question de l'infériorilé de (a race noire
586 DE L'ABOLITION GUADUËLLE
comparée à la race blanche, question long-tcms débattue avec
gravité, et qui ne nous arrêtera qu'à peine, parce que le tems
l'a rendue presque ridicule. On fonde cette infériorité du noir
sur les différences organiques qu'il présente, sur la couleur
de sa peau, ses cheveux laineux, ses lèvres épaisses, etc.
Mais, de ces caractères constitutifs d'une organisation physi-
que autre que celle des blancs, couiuient peut-on induire
l'inégalité nécessaire du développement moral et intellectuel ?
Quant aux nuances de la peau , nous voyons qu'elles sont va-
riées à l'infini sur le globe, du noir au blanc, du rouge au
jaune. Selon l'explication la plus probable, le phénomène de
couleur s'effectue entre l'épitkrme et les tissus. Or, quel rap-
port peut-il y avoir entre l'iatelligence humaine, cette noble
émanation de la divinité, et une peau faite de manière à ré-
fléchir ou à absorber tous les rayons lumineux? Nous pour-
rions en dire autant de la nature des cheveux; et quant à la
formation de la tête, caractère plus essentiel à la vérité , nous
ferons remarquer d'abord qu'elle est bien loin d'être identi-
que chez toutes les tribus noires ; que, dans la même peuplade,
elle varie souvent, suivant les individus, de même que parmi
les blancs, et qu'après tout, de l'aveu des auteurs, il ne faut
pas attacher une trop grande importance à l'ingénieuse théorie
de l'angle facial de Camper et de Cuvier (i).
Les lumières physiologiques s'unissent aux croyances reli-
gieuses pour reconnaître l'unité du type primitif de l'espèce
humaine. Si , par suite des bouleversemens que le monde a
subis, les diverses fractions dre l'humanité, placées sous des
conditions climatériques et hygiéniques différentes, ont éprouvé
certaines modifications dans leur organisation physique, d'où
vient qu'on en conclurait que quelques-unes sont essentielle-
ment inférieures aux autres, surtout quand on ne voit pas que
(i) On peut Consulter, pour les développemens relatifs à l'aptitude
des noirs, à leurs travaux intellectuels, etc., l'ouvrage curieux et instruc-
lif de M. Gbécoire, iulitulé : De la Litlcrai tire des nègres. Paris, i8io.
I vol. in-8"^
DE L'ESCLAVAGli. 58?
l'espèce ail été altérée par ces modifications. Or, c'est bien le
cas pour les noirs , en qui l'on reconnaît généralement une
vigueur, un perfectionnement sinj^ulier des sens, et, compara-
tivement aux blancs, une grande supériorité de forces physi-
ques, supériorité qui a causé tous leurs maux, en les faisant
préférer pour les cultures coloniales.
Rien donc peut-il être plus absurde que de prétendre que
les noirs sont, comme noirs, et de toute nécessité, dégradés et
vicieux; qu'ils sont, de leur nature propre, menteurs, pillards,
impudiques, crédules et superstitieux, empoisonneurs, adon-
nés à la magie , incapables d'instruction et de comprendre les
devoirs sociaux, etc., et qu'il faut toujours avoir la main haute
avec eux, si l'on veut réprimer des pencha ns sur lesquels leur
raison, toujours dans l'enfance, ne peut rien?
Et pourtant, combien de fois de semblables allégations ont-
elles été renouvelées avec une étrange assurance? Tout ré-
cemment encore, n'a-t-on pas vu , à la Jamaïque et dans les
autres îles, lorsqu'il s'est agi d'accorder aux esclaves la fiiculté
de porter témoignage devant les cours de justice, de longues
discussions, de minutieuses enquêtes s'établir pour décider
si les noirs sont susceptibles d'arriver à la notion de La valeur
du serment"? Quel pitoyable aveuglement ! une faculté accordée
en Europe à l'individu placé le plus bas dans l'échelle sociale,
au paysan le plus stupide, on la refuse, dans les Antilles, à
un homme que son génie naturel porterait peut-être, s'il pou-
vait passer un bras de mer, à la tête d'une armée ou d^ins les
rangs d'un sénat!
Parmi les colons eux-mêmes, cependant , quelques-uns qui
ont bien observé et bien connu les noirs se sont attachés à
justifier leur caractère moral et à faire juger de ce qu'ils se-
raient, une fois libres, par ce qu'ils étaient dans l'esclavage,
quand leur condition se trouvait accidentellement adoucie.
«Les noirs cultivateurs, dit le colonel 3Ialenfant (i), sont gé-
néralement doux, humains, généreux, hospitaliers, bons
(i) Pag. .95.
588 DE L'ABOLITION GRADUELLE
pères, bons maris, bons fils, respectueux envers les vieillards,
soumis à leurs maîtres, à leurs pères, laborieux, quoiqu'on en
puisse dire». Nous pourrions invoquer une foule d'autres té-
moignages semblables. Mais, de quelle valeur seraient-ils de-
vant le fait décisif d'Haïti. Là peut s'observer une population
noire dont la civilisation est rapidement progressive; là, des
écoles tenues par des noirs répandent l'instruction religieuse
et les connaissances utiles (i) ; là, il y a des lois faites par des
législateurs noirs, que des magistrats noirs sont chargés de
faire exécuter; toutes les occupations civiles, toutes les fonc-
tions politiques peuvent être et sont remplies par des noirs.
Après cela , osera-t-on encore répéter que les noirs ne sont
pas faits pour arriver à toutes les conquêtes de la sociabilité,
que c'est la nature, et non le système colonial, qui arrête-leur
développement moral et intellectuel , et qui condamne irrévo-
cablement celte race à l'état de dégradation où elle est encore
plongée?
C'est peu de dégrader, ce système tue. Il opère bien visible-
ment l'extinction de l'espèce, et cette extinction serait déjà
consommée, sans la traite qui lui a toujours offert un aliment
nouveau. Comme on l'a déjà vu , le travail excessif auquel les
esclaves peuvent être contraints est, dans les colonies, une
première cause de mortalité parmi les noirs. Le défaut de
soins, une nourriture malsaine, des châtimens insensés, les
souffrances physiques et morales, le sombre désespoir qui en
est quelquefois la suite sont autant de causes qui y concourent.
Cette mortalité a été souvent signalée à l'attention publique,
mais jamais peut-être de manière à bien présenter toute sa
grandeur véritablement effrayante. Recueillons quelques ren-
seignemens. Un écrivain (i) nous apprend que, de i68e à
1776, c'est-à-dire, dans l'espace de 96 ans, on avait introduit
plus de 800,000 noirs à Saint-Domingue. En 1777, la colo-
(i) Voy. les Lettres du g<^néral l.>f;i.-v.\c aupiésidenl de la Société pour
l'enseignement élémenlairo, et le journal de cette Société.
{">.) IIiLLiABo b'AinBRTK! it. Touj. Il, pag. 6.5.
DR L'ESCLWAGK. 589
nie n'en coiuplaU que 290,000, dont 140,000 seulement
étaient des noirs créoles, c'est-à-dire, nés dans la colonie.
Ainsi, sur le plus beau sol du globe, 800,000 individus se trou-
vaient , après un siècle , malgré le? naissances que la fécouilité
hâtive des femmes rend si nombreuses dans ces flimals, ré-
duits à 140,000 ! ! ! • ■ • ■ •
A Surinam, il y avait, vers la fin du sit'tle dernier, 7.5.000
noirs. F.n défalquant les vieillards et lesenfans, il restait 5o,ooo
individus, nécessaires pour les travaux de culture et autres.
L'importation annuelle dans cette colonie se montait à 2,5oo
environ, et cette importation était indispensable pour tenir au
complet le nombre des 5o,ooo Irivailleurs. Il suit de là que
le nombre des morts excédait, chaque année, les naissances
du même nombre de 2,600 ; ce qui effectuait, sur la totalité,
une perte de cinq pour cent, et démontrait, par conséquent,
qu'une génération active et saine de 5o,ooo individus s'étei-
gnait en vingt années (1) !
Si l'on en croit M. de Humboldt (2), la mortalité est, à
Cuba, de sept pour cent par an.
Le décroissement est, à la .Martinique, d'un treizième par
an , au rapport d'un honorable orateur de la Chambre des dé-
putés (5), appuyant cette évaluation sur les lenseigneraens
officiels fournis parle ministre en 1824.
Sur 750,212 esclaves des Indes occidentales britanniques,
il s'est opéré , de 1817 à 1820, suivant M. Moreau de Jonnès,
une diminution de i8,25i individus par la dift'érence des dé-
cès et des naissances. C'est 6,000 individus par an, ou un sur
126. Une telle mortalité laisserait à peine à ces colonies un
■ avenir de trois générations (4). A ces renseignemens, nous en
ajouterons d'nutres, empruntés à un tableau slati>tique publié,
en 1827, par un recueil périodique exclusivement consacré à
(i) Stedma.x. Tom. m, pag. 84 et i85.
(2) Essai politique. Tom. 11, pag. Sg.
(3) M. Dbvacx, du Cher. Session de i8s6.
(4) Du Commerce, etc. Tom. n, pag. 34y-
T. XLVll. SBPTEMBRE 1 83o. 58
590 DE L'ABOLITION GRADUELLE
la noble cause de l'abolilion (i). D'après ce tableau , pendant
les années 1818, 1824, la population esclave s'était accrue
dans trois colonies seulement [Bahama, liarhade e\. Domini-
que')^ de 5,4'V-^ individus, et elle avait éprouvé dans toutes les
autres une perle qui s'élevait à 5i,4i9. et eflecliiail pour six
ans, le nonsbrc précédent soustrait, une diminution de 27,997
individus.
Si, dans l'ensemble, on calcule cpie, depuis l'origine des
établissemens, l'Afrique doit avoir envoyé par an aux régions
équinoxiales de l'Amériiiue une quantité moyenne de 70,000
individus (2), formant peut-être de 20 à 25 millions d'hom-
mes, pour produire une population de quelques millions de
noirs disséminés dans les îles et dans les deux Amériques, on
aura l'idée du fléau le plus dévastateur qui ait jaijiais mois-
sonné l'humanité.
Et l'on ne peut avoir le moindre doute que ce ne soit bien
l'esclavage avec ses conséquences désastreuses qui amène cet
affreux résultat. Car, partout où le système est amélioré, la
mortalité s'airail)lit ; parlcpiit elle est exactement proportion-
nelle avec l'espèce et la durée du travail imposé aux esclaves.
Mais un fait plus concluant, c'est que , dans les mêmes lieux,
cette même population qui décroît rapidement, tant qu'elle
est esclave, s'accroît au contraire d'une manière sensible , dès
qu'elle est affranchie. Les Etals- Luis et Haïti en sont la
preuve; divers rapports officiels ont constaté le fait, pour la
plupart des colonies anglaises. La Trinité en a offert un frap-
pant exemple. On transporta, en 18 iG, environ 744 Noirs
américains, de tout sexe et de tout âge, qui avaient pris parti
pour les Anglais, dans la guerre précédente. On leur concéda
un terrain où ils vécurent libres; en 1824, cette petite colonie
s'élevait à 925 individus; re qui formait, pour huit années.
(1) Anti slavcry monthly reparler, N" 9.6, pag. ii.
(2) M. DK IIl.miioi.dt l'a i)ort<''C à 74,000; M. Ghégoibe à 80,000;
d'autres à 100,000 ; M. Ualbi évalue ^ 5o,ooo individus la seule impor-
tation annuelle du Brésil.
DE L'ESCLAVAGE. 5g,
wn accroissement de 149 personnes, ou de 2 1/2 pour cent,
taux précisément égal à celui de la mortalité dans la même île
parmi les esclaves (1).
Si donc il résulte nécessairement de Pesclavage qu'il doit
être régi par une loi spéciale, et si cette loi crée de toute né-
cessité, en ce qui concerne la personne des esclaves , un sys-
tème contraire à l'équité, fondé sur la violence, inefficace
dans les garanties qu'il accorde, propre à opérer la dégradation
de l'individu et l'extinction de l'espèce, quelle voix osera s'é-
lever pour prendre sa défense, pour repousser l'anathème dont
une telle institution doit être à si bon droit frappée?
II. En ce qui concerne les maîtres. — S'il est une vérité con-
stante, c'est que l'esclavage ne corrompt pas moins le maître
que l'esclave. Cette vérité a cent fois été reproduite et déve-
loppée. On a pu citera l'appui des faits nombreux, pris dans
tous les tems : celui que présentait la société coloniale était
le plus frappant qu'on pût invoquer.
Il ne s'agit ici nullement de diriger des traits satiriques
contre les colons ; mais, il est impossible que le système adopté
pour la culture des colonies n'ait pas exercé une inOuence
quefconque sur leurs habitudes morales, et nous devons dé-
terminer la nature de cette influence.
Or, qui ne conviendra que l'esclavage ne semble merveil-
leusement combiné pour encourager les penchans vicieux
auxquels les institutions sociales doivent chercher à mettre un
frein ; que cette domination absolue et illimitée qu'exerce sur
son semblable l'homme , qui sait si rarement se dominer lui-
même , ne soit précisément faite pour ôter toute digue à ses
passions ; que la cupidité, la débauche, la colère et toutes les
autres maladies de l'âme ne trouvent là un attrait et un ali-
ment qui se reproduisent sans cesse? En thèse générale, la
vertu est-elle compatible avec un tel état de choses? Com-
ment resterait-on modéré dans ses désirs, quand on peut tout
(1) Anii-slavery monildy reporter. Novenibie 1827, paj?. i56.
592 DE L'AROUTION (.RADUELLE
exiger des sueurs de l'iiunuiie ; contiuent, quand on n'a même
pas besoin de se donner la peine de séduire; humain, quand
on a si fréquemment sous les yeux des chàtimens dont la plus
vile populace de l'Europe pourrait seule endurer le spectacle?
Nous le demandons : n'y a-t-il pas là une cause perpétuelle et
nécessaire de dépravation?
On a souvent remarqué que, dans les colonies, ce sont les
onfans, les jeunes femmes qui donnent les plus fréqnens exem-
ples d'insensibilité froide et de cruauté réfléchie, à l'ég ird des
esclaves. Cette observation n'a pas besoin de commentaire;
elle démontre assez par elle-même toute l'étendue du mal
moral dont l'esclavage est l'origine.
Une raison plus forte, un intérêt mieux entendu répriment
quelquefois, chez les hommes ce fatal entraînement à tout se
permettre envers les esclaves; et l'on a souvent trouvé là un
argument contre toute réforme, contre toute amélioration ve-
nant du dehors. Laissez agir les maîtres, répétait -on sans
cesse; reposez-vous sur leur raison, et plus encore sur leur
intérêt, qui est de faire vivre des hommes qu'ils ont bien
payés, et qui forment la plus forte portion de leur capital!..
Mais le lérnoignage irrécusable des faits prouve combien la
raison et l'intérêt sont faibles devant les passions brutales :
comme nous l'avons vu , les nègres payés si cher mourraient
par milliers, chaque année; chaque année aussi, l'extension
des cultures, et par conséquent l'accroissement de la morta-
lité élevaient considérablement le prix de ceux qu'on transpor-
tait d'Afrique, C'était là une cause de ruine imminente; les
calculs les plus simples le pouvaient démontrer, et rien ne
changeait pourtant , rien n'éclairait la masse des colons ; ils
n'en persévéraient pas moins, à quelques exceptions près,
dans ce système de destruction; ils n'en continuaient pas
moins à imposer à leurs esclaves un travail qui les exténuait ,
à les faire châtier de manière à les rendre infirmes, ou à les
priver de la vie; ce qui effectuait sur-le-champ une perte de
capital, portée qnchjuefuis jusqu'à douze mille francs, mais
DE L'KSCLAVACK. 5î)7)
dont ou se consolait, en disant : L'Afriinie rst iiiir bonite
mère ( i ) /
Des écrivaijjs dignes de foi nous oui (ait coimaître ce que
sont la plupart du tems les Ijlancs préposés à la surveillance
des esclaves; et l'on sait que c'est de leur part surtout que
ceux-ci ont à souflVir tous les genres d'oppression. Le système
paraît là dans tout ce qu'il a de plus hideux, de plus propre à
moiitrer la t'unesic influence qu'exerce l'esclavage sur la race
blanche. Lii)ertinage , orgueil et cruauté, tels sont les traits
habituels du caraclcie de ces uiaîtres secomlaiics. C'est par
eux qu'ont été consacrés ces principes qui rornient comme nu
corps de doctrine ci une morale à l'usage des colonies : que le
nèisre esl fait par la nature pour être esclave ; qu'il faut ?)e lui
rien passer et se montrer toujours terrible avec lui ; que le grand
art consiste d faite en sorte qu'il produise le plus et coûte le moins
possible; surtout que, si l'on veut faire fortune aux îles, il
faut commencer par étouffer la sensibilité philaniropiqite de l' Eu-
rope; et il est malhciueusement trop vrai qu'elle est souvent
étoutïée, et qu'après s'être montrés compatissans, la plupart
des Européens finissent par adopter les idées et la conduite
des colons à l'égard des esclaves; tant est profonde sur le ca-
ractère moral l'influence qu'exerce i\n ttl spectacle d ini-
quité !
En iSi'i, un jeune homme du cap de Bonne-Espérance, fils
d'un ecclésiastique' de la colonie, fut convaincu du meurtre
d'un esclave et condamné à mort. Interrogé par le pasteur
qu'on avait chargé de l'assister dans ce terrible moment, sur
ce qu'il pensait de l'esclavage, « Monsieur, s'écria le malheu-
reux jeune homme, en montant sur l'échafaud , l'esclavage est
un a/freux système, pire encore pour les maîtres que pour les es-
claves [i) ! Qu'ajouter contre l'esclavage à ce témoignage
d'une de ses victimes, en présence même delà mort!
Au surplus, nous le répétons, il ne s'agit ici du caractère
(i) Malkafakt, pag. ijô.
fîj .hUl-slaicry rcporler, 1S2S. IX" .52, pag. ijô.
594 I>E L'.UiOUTION GRADUELLE
colonial que sous le rapport de l'esclavage. Ou lui a rendrt
justice à tous autres égards; et, récemment encore, un écri-
vain déjà cité (i) a dit :«Les colons sont d'ailleurs les plus
honnêtes gens du monde, bons, serviables, justes et humains,
pourvu qu'il lie soit (jucstion de noirs, ni d'hommes de couleur.
Ce sont des hommes fanatisés par les préjugés de leur en-
fance; ce ne sont pas les personnes qui sont coupables , c'est
le système qui est criminel. «
IIL En ce qui concerne les colonies. — Qu'une population
maintenue dans l'état de dégradation et de souffrance que nous
avons fait connaître mette, en plusieurs contrées de l'Amé-
rique, la société dans un péril toujours croissant; c'est ce que
le raisonnement et l'expéi ience démontrent également. Pour
apprécier toute l'élendue de ce péril, établissons aussi exacte-
ment que possible le rapport de la population blanche, soit
avec les noirs, soit avec les hommes de couleur.
L'Archipel des Antilles présente une population totale de
2,845,000 habitans; savoir;
482,600, blancs.
1,212,900, libres de couleur.
i,i47j5oo, esclaves (1).
Dans les Guyannes, on compte une population totale d&
215,922 individus, ainsi partagée :
9»97»jWyncs.
11,402, hommes de couleur.
194,549, noirs esclaves.
Au Brésil, la population doit présenter à peii près les résul-
tats suivans]:
900,000, blancs.
600,000, hommes de couleur.
1,900,000, esclaves.
Environ 1,600,000 Indiens, métis, dont un certain nom-
(i) MoRiîiNAs. Pag. 58-.
(2) lIlMIlOLDT. TollI. 11.
I)K L'ESCLAVAGE. 51)5
bre sont esclaves, coniplèlcnt le total de 5, 000,000 , iuiqiiel
011 croit pouvoir poitei' la populatioîi actuelle de cet empire.
Aux Etats-Unis, la population était, en 1 820, de 9,600, 000 ha-
bilans (quelques tribus indiennes non comprises). Cette po-
pulation était ainsi partagée :
7,726,525, blancs.
235,557, hommes de couleur.
1,558, 118, noirs esclaves.
Il faut remarquer que la population esclave et affranchie se
trouve à peu près tout entière comprise dans dix Etats méri-
dionaux, où les noirs et hommes de couleur sont au nombre
de 1,496,285, et les blancs, de 1,188,796.
On peut évaluer à environ 2,5oo,ooo les noirs et hommes
de couleur libres, ou dont la liberté prochaine est assurée, qui
sont dispersés dans les nouveaux États de l'Amérique, parmi
8 à 9 millions d'hommes appartenant à diverses races.
11 résulterait de ces évaluations, que la ra^e noire compte-
rait à peu près pour (//a; millions dans les quarante^ dont se
compose, à ce qu'on croit, la population totale de l'Amé-
rique, c'est-à-dire qu'elle formerait le quart de cette popula-
tion, et qu'il y aurait trois hommes de race européenne, ou
bien indigènes, pour un individu originaire d'Afrique.
On ne verrait là aucune raison de concevoir des alarmes
bien vives, si cette population était également distribuée dans
l'immense étendue du Nouveau-Monde. Mais nous voyons, au
contraire, qu'elle est toute concentrée sur quelques points, et
de manière à y présenter les résultats suivans :
Dans les dix Etats de l'Union, où la population se trouve à
peu près réunie, il n'y a pas tout-à-fait un blanc pour un
homirie originaire d'Afrique ; le rapport est exactement le
même au Brésil, si l'on comprend les Indiens avec les Blancs;
mais il y a bien près de trois Africains pour un blanc, si, comme
il convient de le faire, on met ces tribus à part.
Dans les Gnyaiuies, on trouve vingt à vingt et un noirs ou.
l'innmes de couleur, et dans l'Archipel des Antilles , de qualre d
D9ti 1>K L'ABOLITION GUADLELLE
ciiKj pour un blanc eiiiipéen, ou créole. Il est inutile d'établir
ce rapprochement dans les autres parties de l'Amérique, où
l'on s'est mis à l'ahii de tout danger sons ce rapport, par un
système d'affranchissement graduel, mais effectif.
La situation devient beaucoup plus grave dans les Antilles,
par l'inégalité plus grande encore de la répartition des deux
mces. Ainsi, l'on voit que, si dans l'ensemble il se trouve sur
loo individus 17 blancs, 4^ hommes de couleur libres, et
4o esclaves, ou bien, en réunissant ces deux dernières classes,
85 d'origine africaine contre ly de race européenne , ce dernier
nombre se trouve être élevé à 45 pour Cuba, tandis qu'il se
réduit à 12 pour la Jamaïque, et à 1 1 pour les deux Antdles
françaises. La proportion décroit encore dans d'autres colo-
nies, où elle ne se trouve plus que de 5 ou 6 pour cent. En-
fin, dans certaines îles, il y a plus de cent noirs ou hommes de
couleur pour un blanc.
Ces rapprochemeus, qu'il serait facile de multiplier, sont
bien expressifs; on peut y ajouter encore quelques considé-
rations importantes.
On avoue que l'esclavage est lu plaie des Étals-Unis (1) ; au
iirésil il est, pour tous les hommes qui voient de haut et de
luin, la source des plus sérieuses inquiétudes. Mais, si Ton eu
redoute les conséquences dans ces puissans Etals, combien les
doit-on redouter davantage dans cet Archipel, où la dispro-
portion entre les deux races est beaucoup plus considérable,
le système infiniment plus rigoureux, et où les bras de mer
qui coupent les territoires de chaque nation rendent, en cas
de révolle, les secours moins faciles et moins prompts.
Dès l'origine même des colonies . on avait pressenti les iu-
convéniens qui pourraient résulter un jour de l'imporlation
inconsidérée des noirs dans ces élablissemens pour le main-
lien du bon ordre et de la subordination. L'Espagne, après l'a-
voir simplement tolérée, voulut en réprimer l'abus (^2) ; mais
(1) Wabden. t. i; Jntroduil'wn, pag. 5". — Cooper, Lcllrcx sir lix
Elats-i'nis.
(a) Charlkxoix. Toin. i, [>. «9^.
DE L'ESCLAVAGE. 597
on lie tarda pas à s'écarter de celle sage ré-'eivc, et tontes les
nations semblèiont , connue à l'envi, s'attacher à encombrer
de noirs leurs établissemens. Le principe s'établit alors qne
l'angnientalion de prospérité dépendait absolument de l'aug-
mentation des esclaves. Il ne fut plus question d'améliora-
tions dans le système agricole, dans la fabrication des pro-
duits ; il ne fallut (jne des nègres, on s'occupa simplement d'en
recevoir d'Afrique, cliaque année, un peu plus quil n'en était
mort dans la précédente ; et c'était là ce qu'on appelait peu-
pler les colonies (1).
Toutefois, l'expérience prouvait que, plus nombreux, ils
devenaient aussi plus remnans et moins dociles, et que le sen-
timent de leur force numérique ne lardait pas à les porter à
briser le joug sous lequel ils gémissaient. « Les esclaves , dit
l'auteur des Annales du Conseil de la Martinique (2), ne sont
plus, depuis la paix le i^Cio, ce qu'ils étaient, trente ou qua-
rante ans avant. Il semble qu'ils ont tous lu le morceau qui
les regarde dans ^Histoire philosophique et politique de Ray-
nab). L'Europe pressentit alors le danger, et ses avis firent
connaître aux colons tout ce qu'il y avait à redouter de ces
dispositions nouvelles de leurs esclaves; des insurrections par-
tielles vinrent prêter appui aux conseils de la sagesse euro-
péenne ; mais rien ne put éclairer les colons, et ils n'en con-
tinuèrent pas moins à demander sans cesse à l'Afrique de
nouveaux nègres qui ajoutaient au péril, non-seulement en
aiccroissant cette population hostile, mais encore en rappelant
aux nègres créoles les souvenirs du sol natal, en réveillant
en eux l'amour de l'indépendance et la haine de l'oppiession .
De nos jours même, nous avons vu ces colons, nous les voyons
encore, après la sanglante catastrophe de Saint-Dominge, lut-
ter avec opiniâtreté pourmaintenir une importation condar^-
(1) Qiielquefuis on a été jusqu'à pl■opo^er au gtiuveinenicnt d'accoi -
de;' une prime pour cliaque Ictc de noir iiilroduitc flans les établisseniciu •
(Ladarthe. Foyiigc au Scncgal. I11-8", 1S02, pap-. 100.'
'9' DfssALLK. TiiiJi. II. pag. 049-
598 DE L'ABOLITION GRADUELLE
née par le simple hon sens, quand même elle ne serait pas
réprouvée par l'hiimatiité !
Certes, il est permis de s'étonner de tant d'imprudence;
mais ce n'est rien encore ; dans la position extrême où se trou-
vent les planteurs des îles, ainsi épars au sein d'une population
nombreuse et lorcément ennemie, il semble qu'il devrait
suffire encore du simple bon sens pour leur aprendreque,
plus le joug qu'ils feront porter sera rigoureux, et plus
il y aura de danger pour eux; que ce danger s'affaiblira,
à mesure que l'esclavage deviendra plus lolérable. L'expé-
rience est encore là, d'ailleurs, pour servir d'appui au raison-
nement en montrant qu'il n'y a jamais eu de révolte parmi les
noirs dans les contrées où ils ont été plus humainement trai-
tés, notamment dans l'Amérique espagnole. On croirait d'après
cela, que le régime devrait être d'autant plus modéré que la
population noire serait plus considérable. Et bien ! c'est tout
le contraire. Si l'on observe ce qui se passe dans les Antilles,
on voit presque toujours que l'esclavage y est d'autant moins
amélioré que les esclaves y sont plus nombreux. Plusieurs fois
même, les colonies ont précisément opposé aux améliorations
qu'on exigeait d'elles cette supériorité numérique qui était
une raison suffisante pour les faire accueillir. Par exemple, en
1ÎS25, le Conseil de Tabago, dans une adresse au gouver-
neur, sur ce qu'on alléguait que le régime de l'esclavage n'é-
tait pas dans cette île établi sur des bases aussi libérales que
dans quelques autres, disait : «Quand bien même le fait serait
exact, le gouvernement ne pourrait être surpris de ce qu'on
eût accordé de plus fortes garanties à la Société , dans une île,
où aSo colons libres se trouvent au milieu de i4,ooo esclaves;
ce qui établit le rapport de 1 à 56 (i). Nous verrons, quand
il sera question des hommes de couleur, un nouvel et plus
frappant exemple de ce qu'on peut avec justice appeler la de-
raison coloniale.»
Voici donc l'état de choses que présentent actuellement,
(1) Royal Gazette of ■fittiatiai, iN-i")
DE L'ESCLAVAGE. 599
sons ce rapport, les colonies européennes. Environ 5oo,ooa
blancs y sont entunrés, pressés, comptés par une population
maintenue dans la plus misérable condition où des hommes
puissent être, et qu'une inégale répartition rend sur quelques
points dix, vingt, cent fois plus considérable que celle qui l'op-
prime. Si on la laisse languir et s'éteindre, comme par le
passé , les colonies se perdent ; si on la laisse s'accroître , elles
sont menacées d'une inévitable subversion ; les évènemens en
ont déjà affranchi une moitié : à Surinam, à la Jamaïque, des
révoltes ont établi l'indépendance de ces tributs redoutables
de marrons avec lesquelles il a fallu quelquefois transiger (1).
Dne révolution terrible a rendu, dans la plus grande, dans
la plus riche des Antilles, 600,000 esclaves maîtres et sou-
verains. D'autres passent graduellement an rang de citoyens
dans les nouvelles républiques du continent !... de tous côtés,
les esclaves de nos îles peuvent du rivage saluer des compa-
triotes affranchis!... dans cette situation, les colons ne sem-
blent s'inquiéter que de ce qui s'écrit à Londres et à Paris sur
l'esclavage, et ils voient tout le mal dans les pages oCi on leur
démontre l'impérieuse nécessité de modifier et d'abolir un
système qui menace la société coloniale d'une inévitable ca-
tastrophe !
IV. En ce qui concerne Les Métropoles. — Les colonies, sur-
tout celles de l'Amérique, ont rencontré, de nos jours, un
grand nombre d'adversaires ; et en effet , au premier aperçu ,
quelques îles jetées dans un autre hémisphère, avec des rades
d'un accès facile et sans travaux d'art pour les défendre , pa-
raissent des possessions dont l'avantage réel est tout au moins
(1) A la Jamaïque, les marions ont quelquefois mis en péril la colo-
nie ; reconnus iridépendans par des traités, ils vivent dans des forèls
inaccessibles. Il leur est alloué une certaine somme pour chaque esclave
déserteur qu'ils ramènent à son maître. Cette étrange transaction rap-
pelle assez celle que les Romains faisaient avec les tribus barbares aux-
quelles ils confiaient la garde de leur iVontière, quand ils avaient renoncé
àM'espoir de les dompter On sait quel en fut le résultat 1
(îoo DE L'ABOLITION GRADLELLE
doiiieiix. lilles peuvent être si facilenienl enlevées, en cas de
guerre, qu'on hésite à faire pour leur prospérité des sacrifi-
ces un peu considérables en teins de paix; et cepenîant, si
l'on ne fait ces sacrilîces. elles dépéiis^cnt et deviennent une
<liar2:e. La nécessité de proléger (|uel([ucs européens, qui s'y
trouvent placés au milieu d'une population devenue infiniment
redoutable par l'oppression (ju'on fait peser sur elle , reud leur
cnlrelieQ très-coflteux : par une conséquence toute naturelle
d'un tel état de choses, il faut quelquefois y mainlenir un ordre
politique tout-à-fait contraire aux vrais principes de gouver-
nement, et qui devient alors, en Europe, un sujet perpétuel
d'accusations; il faut sans cesse y renouveler les administra-
lions qui s'y croient ordinairement en pays de conquête, et les
soldats, que les maladies y moissonnent avec une effrayante
lapidité; et tous ces renouvelleinens se résolvent toujours en
pertes d'hommes et de millions pour la mère-patrie.
Ainsi, nous voyons, par exemple, qu'en 1820, nos deux An-
tilles coulaient, pourleursdépensesintérieures, i i,86o,ooofr.,
et qu'elles rapportaient 5,790,000 fr.; leschoses n'ontpasbeau-
(Oup changé depuis. Il en résulte que la France paie un peu
plus de six millions l'honneur de posséder ces deux îles. Mais
c'est beaucoup plus, si Ton considère l'excédant de prix que
nous sommes obligés de payer pour les denrées qu'elles pro-
duisent, et que nous pourrions prendre ailleurs à plus bas prix.
Elles nous vendent 5o fr. les cent livres de sucre que la Ha-
vanne nous livrerait à 55 fr. , et l'Inde anglaise à meilleur mar-
ché encore. M. Say fait monter de 70 à 80 millions par an la
somme que nous coulent nos colonies sous les (]i'ii\ points de
vue que nous venons d'indiquer (i). En Angleterre, on s'est
jécrié cent fois contre les privilèges particuliers qu'il a fallu
accorder aux denrées des colonies de l'Amérique, au détri-
menl de celles des autres parties de l'empire britannique (2).
(1) Cours complet d' Kronomic politique, elc. Toiii. ii, 1828.
(2) On a avancé que la dette publique de l'Angleterre a dû être
.'iiigirn ii!ér, dan.". Ir.> tie;i!e dernières année?, de i5o millions par la pos-
DE L'ESCLAVAGE. (îoi
Et qiu»i (Je plus extiaordiiiairc, en eflVl , que de voir, au seiii
même d'une nation, les mêmes produits inégalomeiil taxés?
Quoi de plus contraire à l'équité, soit envers les producteurs,
soit envers les consommateurs? On répond que, sans celle
inégalité de taxes, les colonies à esclaves ne pourraient sou-
lenir la concurrence. Mais, alors pourquoi avoir des colonies
à esclaves ?
On sent que nous no pouvons qu'indiquer ici les hautes
questions qui naissent en l'oule d'un examen approfondi. On a
écrit des volumes pour et contre les colonies. Les évèneniens
poliliques eh ont déjà séparé plusieurs de leurs métropoles.
S'il est dans l'avenir de l'Amérique que toutes les autres soient
successivement affranchies, l'Europe aura bien certainement
de justes motifs pour s'en consoler. En attendant, il serait
peut-être peu raisonualilc de vouloir qu'on les abandonnât ;
mais il y a toute raison à demander que leur régime soit amé-
lioré, de manière à ce qu'elles ne deviennent pas un fardeau
de jour en jour plus incommode. Or, c'est de l'esclavage que
naissent, en très-grande partie , les iuconvéniens de leur pos-
session; et c'est aussi le point sur lequel, dans cette grande
controverse, doit se porter exclusivement notre attention.
En thèse générale, les colonies peuvent être surtout utiles
à la métropole, en offrant des débouchés à ses produits, et en
lui envoyant en retour des denrées qui sont presqu'au rang
de ses premiers besoins.
Pour ce qui regarde particulièrement la France, on peut cal-
culer que le montant de l'importation totale dans toutes ses
colonies s'élève à environ 84 millions. Sur ce total , il y a à
déduire tout ce qui est importé de l'étranger, par suite de l'in-
terlope qu'on n'a jamais pu empêcher, malgré toutes les pré-
cautions possibles, parce qu'il résulte à la fois de l'éloigne-
ment de la mère-patrie qui seule a intérêt à l'empêcher et des
session des colonies à sucre; et que le pays gagnerait, à l'abandon de et s
colonies, 2 millions qu'elles gagnent elles-mêmes pai- le liant juix au-
quel on leur paie cette denrée.
€03 DE L'ABOLITION GRADUELLE
rapports faciles qui peuvent toujours être établis entre les dif-
férentes îles d'un même arcliipel. Il se montait, suivant M. Mo-
reau de Jonnès (i) , à 17,000,000 fr. , il y a quelques années,
pour nos deux Antilles seulement. Cette importation étrangère
est soldée en denrées coloniales, et toute cette valeur perdue
pour nos produits. C'est ainsi que se trouve tarie cette source
de débouchés tant vantée. Les effets de cet interlope sont si
funestes, ajoute l'auteur (p. 55g), qu'autant vaudrait presque
avoir perdu les établissemens.
Le reste du montant de l'importation est fourni par la mé-
tropole à la consommation coloniale. Mais qui ne voit, de
prime abord, combien cette importation serait plus considé-
rable, si l'esclavage était détruit? En effet, la population totale
de nos colonies peut s'élever à 570,000 habitans, dont 509,000
esclaves. Ces derniers qui forment au-delà des quatre cin-
quièmes de la totalité, n'entrent, dans la consommation des
objets importés, que pour une faible somme en morue, en
viande salée et en tissus sans valeur. Par conséquent, les
58,000 blancs et les 25,oôo affranchis, en tout Gi,ooo indivi-
dus, peuvent être considérés coamie les consommateurs à peu
près exclusifs des produits de la métropole. Supposons main-
tenant les 509,000 esclaves transformés en ouvriers libres;
certainement, pouvant dès lors, comme en Europe, et bien
mieux qu'en Europe, trouver dans le prix de leur travail une
nourriture plus saine et plus abondante, des vêtemens plus
appropriés à leur goûts et aussi aux variations de la tempéra-
turc, enfln toutes ces commodités diverses qui appartiennent
à la vie sociale , ils seraient promptement amenés à consom-
mer autant à eux seuls que l'autre cinquième de la population.
L'importation serait donc doublée, ainsi que le tonnage qu'elle
suppose, et elle serait toujours croissante, puisque la popu-
lation placée dans une pareille situation , au lieu de perdre
chaque année , comme il arrive , à moins qu'on ne la renou-
velle par la traite, s'accroîtrait rapidement.
(1) Pag. 29.4.
DE L'ESCLAVAGE. Go5
C^est donc un intérêt pressant pour notiv. industrie que les
esclaves soient, s'il est possible, transformés en ouvriers li-
bres. Il y a donc là un moyen bien réel de lui ouvrir des dé-
bouchés qu'elle léclamc, et dont le besoin se fait de jour en
jour plus vivement sentir.
On peut appliquer ce calcul à toutes les colonies à esclaves
indistinctement. Ajoutons qu'il n'a pas peu contribué à for-
mer en Angleterre l'opinion qui se manifeste avec tant de
force en faveur de l'affranchissement des noirs.
Il est facile de concevoir aussi que ce surcroît d'importa-
tion suppose nécessairement un accroissement proportionel
dans la création des valeurs d'échange ou d'exportation; et
cet accroissement ne pourrait manquer d'avoir lieu : en effet,
on a calculé que, pour produire tout ce qui est nécessaire à là
consommation intérieure, au commerce d'exportation, à l'ali-
mentation des cultivateurs, il faut à la France 76 lieues car-
rées de terres coloniales, et i4?' à peu près, si l'on veut que
tout le coton nécessaire à nos fabriques soit fourni par nos co-
lonies. Or, l'étendue de ces colonies (y compris Bourbon) est
de 4^0 lieues carrées, dont un tiers seul sullit, par consé-
quent, pour le but proposé. Ce tiers correspond , à la vérité,
à l'étendue actuelle des propriétés existantes qu'on évalue à
environ 146 lieues carrées. Si donc cette portion de sol est
bien loin de satisfaire à l'exportation demandée par la mé-
tropole, il faut de toute nécessité en accuser le système éta-
bli pour la production, c'est-à-dire, l'esclavage.
Si les tei-res ne manquent pas, les hommes ne manquent
pas non plus, comme il est prouvé par les calculs suivans que
nous empruntons à la même source.
Pour produire la quantité de denrées coloniales que, con-
somme actuellement la France, il faut seulement 5o,ooo car-
rés de terre (5,4'>2 toises carrées par chaque carré), cette
mesure agraire, vu l'état inférieur de l'agriculture dans nos
colonies, produit 6,000 liv. pesant de sucre, 2,000 de café,
^50 d'indigo, on 5 à 600 de coton. Il faut trois hommes pour
la culture de deux carrés en cannes à sucre ; un seul pour
6b4 DE L'ABOLITION GRADUELLE
chaque carré en calevcr, ou iiidigoiier; un seul aussi pour
trois carrés de cotonniers. D'après ces bases, le nombre d'in-
dividus nécessaires poiu- produire toutes les denrées colonia-
les exigées par notre consommation se monte à 4f'5'300. Il
peut devenir double, si les cultures prennent un grand ac-
croissement. V On voit qu'il ne faut pas les 800,000 habitans
que possédaient les colonies françaises avant la révolution ;
qu'il ne faut, dans l'état actuel de l'industrie agricole, que 80
à 100 mille cultivateurs (i). >»
Si donc, avec nos 309,000 travailleurs esclaves, nous ne
produisons pas ce que pourrait rigoureusement produire
40,000 cultivateurs ordinaires, il faut encore de toute néces-
sité accuser le système qui les met en œuvre, c'est-à-dire,
l'esclavage.
On avoue, en effet, qu'on pourrait singniièremcnt amélio-
rer la culture des terres et la fabrication du sucie, en intro-
duisant les procédés agricoles ou chimiques de l'Europe,
l'emploi des animaux et des machines; qu'on obtiendrait par-
là une augmentation d'un quart au mois dans les produits.
Mais le principal obstacle , c'est d'avoir des esclaves, c'est-à-
dire, des ouvriers plus routiniers encore que les nôtres Cp. 2^0).
Et qui peut douter, au surplus, que ces 009,000 individus qui
languissent sous le joug, s'ils étaient transformés en ouvriers
libres, et travsiJlant pour leur compte, ne créassent promjîte-
ment un surcroît considéra])le de produits dans les colonies!
En thèse générale, l'avantage du travail libre ne peut plus
être contesté; la science économique s'est attachée à en dé-
montrer l'évidence, et divisés encore sur une foule de points,
les plus célères économistes, depuis Adam Smith jusqu'à J. B.
Say, se sont trouvés d'accord sur celui-ci. La plus simple ob-
servation du passé ne suffit-elle pas d'ailleurs pour établir
cette utile et généreuse théorie? Dans lestems anciens, comme
dans les tems modernes, peut-on trouver un état quelconque
dont la fortune agricole, industrielle, ou commerciale, dont
(1) MosKAf DR .To>Tifes. Toiii. I, pag. 206.
DJ: L'KSCLAVAGfc:. 6o5
\e capital social, enfin, n'ait pris un accroissement considé-
i-able, par suite de l'afiranchisseraent des classes laborieuses ?
Il résulte de ces considérations, que l'esclavage doit être
encore condamné dans l'intérêt de la métropole, et que son
abolition augmenterait considérablement la valeur do ses co-
lonies.
Mais cette abolition est-elle praticable? L'esclavage n'est-il
pas essentiel à l'existence des colonies? Le climat, la nature
du sol, l'espèce des cultures, la diflërence des races ne s^op-
posent-ils pas invinciblement à ce que le travail y soit libre,
comme ailleurs? Enfin, demander l'abolition de l'esclavage,
n'est-ce pas demander la ruine des colonies ? Telles sont les
questions que nous avons maintenant à examiner.
On a écrit cent fois, et l'on répète sans cesse, que les tra-
vaux des cultures coloniales sont au-dessus des forces des Eu-
ropéens. Les planteurs l'ont si fortement et depuis si long-
tems assuré, qu'ils ont fini par se le persuadera eux-mêmes,
et par convaincre sur ce point un grand nombre de person-
nes, auprès desquelles la déplorable condition des noirs n'a
plus été dès lors qu'un mal nécessaire. Ce n'est là pourtant
qu'un véritable préjugé, comme l'examen des faits peut le
démontrer. En effet, si l'on remonte à l'origine des colonies,
notamment des colonies françaises, on voit que les premiers
travaux, c'est-à-dire, les plus pénibles, ceux que nécessita le
défricbement, furent effectues par des Européens. Ces cultiva-
teurs d'Europe, qu'on. employa dans les premières planta-
tions coloniales, furent ai^^^lès Engagés de trcîite-six mois, par-
ce qu'ils contractaient en France l'engagement de servir dans
les colonies trois années, à l'issue desquelles ils étaient libres
de retourner dans leur patrie.
En i665, l'établissement français de la Tortue se compo-
sait d'environ 45o personnes, qui cultivaient le tabac. Il n'y
avait encore à Saint-Domingue que la colonie de Léogane,
d'environ 120 individus, et point d'esclaves encore dans ce
nombre, qui, en quatre années, fut porté à 1,500, p;ir la sage
administration du premier gouverneur de cette colonie, d'O-
T. XLVII. SEPTEMBRE I 85o. 3()
()oG DE L'ABOLITION GUADLELLE
j;(i(iii. Il j.araîl qu'il n'y en eût quelques-uns échappés de la
partie cspa}j;uole de Saiut-Dniningie que vers 1669 (1).
Le système ûcs engagés ne fut point , sur-le-champ, comme
un pourrait le croire, remplacé par celui de l'esclavage des
Vfricains. Il y en eut hnig-tems encore, et l'on croyait si peu
alors les travaux et le climat des colonies incompatibles avec
l'organisation physique des Européens, qu'on imposa,
jusqu'à une époque assez avancée, aiix propriétaires de ter-
lains, roJ)Iigation d'en employer. Des arrêts de 1696, 1716
cl I 728, ordonnaient de prendre au moins an engage par chaque
vingtaine d'esclaves qui résidaient dans une habitation (2).
Mais ces arrêts étant insensiblement tombés en désuétude,
par suite de la facilité que l'on avait à se procurer des nègres,
le préjugé que les blancs ne pouvaient travailler dans les co-
lonies s'établit peu à peu. Nous pouvons indiquer les princi-
pales causes qui contribuèrent à l'accréditer.
En général, quels étaient les Européens qui se rendaient
lians les colonies? ordinairement, il faut en convenir, des
gens sans moralité, quelquefois perdus de dettes, et qui,
apiès avoir dissipé leur patrimoine, allaient chercher «ous un
autre ciel une nouvelle fortune à dévorer. Pourde tels hommes,
les moyens les plus prompts, les plus aisés de gagner de l'or,
étaient les seuls qui convinssent ; et livrés la plupart du tems
.i la paresse et à l'indolence dans leur patrie, était-il probable
quMls pussent se dévouer à des travaux pénibles sur un sol où
la cupidité les avait momentanément appelés. En outre, le tra-
vail des terres se trouvant là, dès lors, le partage de la race
noire, et la race noire étant maintenue dans un tel état de dé-
gradation , il y avait un nouvel obstacle à ce que les blancs
européens s'occupassent du travail des terres. Cette sorte de
mépris, qui s'attachait dans les colonies à la culture, unique-
ment parce que les nègres y étaient exclusivement consacrés,
est un fait qui a frappé tous les bons observateurs. C'est là
(i) Chaiii.evoix, Histoire de S ainl- Dominique. Toni. 11, liv. vni.
[■>) IIll.LlAIIO d'Ai liHBTEllI,. Toill. It, pag. i~~'^ ■
DE L'ESCLAVAGE. 607
ce qui a fait manquer la plupart des essais qu'on a voulu faire
pour améliorer le système agricole danscesélablissemens. Par
exemple , on a plusieurs fois essayé d'y introduire la charrue :
pour en faire goûter l'emploi aux esclaves, on envoyait quel-
ques laboureurs bien choisis; mais ces hommes, placés au ni-
veau des cultivateurs noirs de la colonie, ne tardaient pas à se
regarder comme avilis; ils accablaient de dédains et d'insultes
leurs compagnons de travail, qui, chose étrange, méprisaient
aussi et raillaient ces blancs dont les bras partageaient leur pro-
pre besogne (1). Ceci, joint à tous les inconvéniens que ren-
contre toujours le manouvrier enlevé au sol qu'il a jiisque-là
cultivé, et à la routine qui est sa sagesse, suffisait bien pour
dégoûter de leur position ces laboureurs. Dès lors, les essais
manquaient, "et bientôt ils étaient abandonnés.
Si les noirs étaient consacrés à la terre, les professions in-
dustrielles étaient assez généralement exercées dans les villes
par les hommes de couleur, et il y avait encore, dans l'état
d'abjeition où cette classe était maintenue, un prétexte à re-
garder comme avilissant cet emploi si utile et si honorable de
la capacité physique et intellectuelle de l'homme. Voilà,
comme on voit, des raisons suffisantes pour motiver l'état
d'oisiveté et de désordre dans lequel vivait ordinairement la
partie de la population blanche qui n'était pas occupée à di-
riger les cultures ou les opérations commerciales avec la mé-
tropole.
C'était au sein de cette partie de la population que venaient
la plupart du tems se perdre ces jeunes gens qui, mus par di-
vers motifs, passaient dans les colonies. Ils y apprenaient à
persévérer dans leurs habitudes de dissipation et de prodiga-
lité ; l'intrigue et la friponnerie leur enlevaient promptement
le peu de capitaux qu'ils possédaient. L'abus des plaisirs, fatal
dans tous les climats, mortel dans celui-ci, ruinait leur santé.
Affaiblis et languissans, mal soignés, livrés au regret de voir
toutes leurs espérances déçues, quelquefois en proie aux bc-
(1) Malekfaiît, pag. i56.
Go8 DE L'ABOLITION GRADLELLE
soins les plus pressons , le chagrin s'empafait d'eux; ils expi-
raient, et l'on ne manquait jamais de dire qu'ils avaient suc-
combé aux atteintes du climat dévorant des colonies, quand ils
n'avaient été victimes que de leurs passions. Tout en effet
porte à croire, comme un grand nombre d'écrivains l'ont re-
connu (i), qu'un régime irritant et des excès, auxquels on
n'est que trop porté sous un ciel brillant et pour lesquels il y
a toute facilité sur une terre d'esclavage, étaient les véritables
causes de la mortalité observée parmi les Européens.
On insiste sur la nature des travaux dans ces contrées, si
différens de ceux de l'Europe; et, pour prouver qu'il n'y a
que les Africains qui puissent les accomplir, on cite les Indiens
dont la race s'est éteinte dans les Antilles ; mais il suffit d'une
simple observation pour prouver combien l'objection a peu de
fondement. Les Indiens ont péri, non dans les travaux des
cultures coloniales qui existaient à peine alors, si elles exis-
taient, mais dans les travaux des mines qui seuls paraissaient
dignes d'attention aux conqiiérans.
La tentative malheureuse de colonisation, faite dans le
siècle dernier à la Guyanne, a paru à Malouet un fait con-
cluant en faveur de l'opinion qu'il émet aussi contre la pos-
sibilité de faire travailler les Européens aux cultures co-
loniales (i). Mais il suffit de connaître, dans ses détails,
l'histoire de cette expédition désastreuse, pour voir qu'on ne
peut absolument rien en induire. Ce n'est pas parce qu'ils
travaillèrent que ces colons, envoyés sur ce sol avec tant d'im-
prévoyance, périrent misérablement; c'est au contraire parce
que diverse^;. circonstances étrangères aux cultures les empê-
chèrent de travailler; de là, une profonde misère, des souf-
frances de tout genre, des maladies dévorantes. En voilà assez
(i) Mcmolre sur les maladies de Siiint-Domlngiie, par M. Bourgeois,
secrétaire de la chambre d'agriculUire, imprimé dans un volume inti-
tulé : Voyages tnicrcssans dans différcnics colonies; par M. N Lon-
diTS, 1788. i vol. in-8".
(■2) Mémoires, pag. (j7>.
DE L'ESCLAVA(;E. 600
peur expliquer une catastrophe dont le travail des plantations
est bien injustement accusé. Au surplus, certaines parties des
Guyannes sont peu salubres, et il est bien clair que, toutes les
fois qu'on voudra y fonder des colonies avant d'avoir pris tous
les moyens possibles pour en assainir le sol et l'atmosphère,
ces colonies seront détruites avant de naître.
Qu'il faille absolument des noirs d'Afrique pour produire
les denrées tropicales, c'est, en vérité, ce qu'on ne peut ad-
mettre, en présence de tant de faits qui établissent le contraire.
Il est bien reconnu que la culture de la canne et la fabrication
du sucre constituent ce que le travail colonial peut avoir de
plus pénible. Or, on cultive la canne et l'on fait du sucre, sans
noirs d'Afrique, dans plusieurs contrées des deux Indes. L'In-
doustan, avec sa population indigène dirigée par le génie in-
dustriel de l'Angleterre, en produit à lui seul une quantité
toujours croissante. A Java, où l'on ne compte, sur 4 à 5 mil-
lions d'habitans, que 27,000 esclaves, presque tous domes-
tiques, la culture de la canne à sucre est l'une des plus impor-
tantes de l'île (1). Le Mexique peut être considéré comme
n'ayant jamais eu de population noire ; on évaluait à six mille
ceux qui se trouvaient répandus dans l'immense territoire de
la Nouvelle -Espagne, et la plupart étaient également consa-
crés à la domesticité ; cependant, le Mexique produit du sucre ;
«il y a vingt ans, dit M. de Humbolt, qu'on ne connaissait pas
en Europe le sucre mexicain : aujourd'hui, laVéra-Cruz seule
en exporte 120,000 quintaux (2). »
Ce point est d'ime importance telle que nous ne croyons
pas pouvoir l'appuyer de trop de faits et de témoignages.
L'auteur des Considérations sur Saint-Domingue (3) n'hésite
pas à reconnaître que l'on peut très-bien faire travailler les
blancs aux cultures coloniales, et il déclare qu'il serait avan-
tageux de faire travailler, concurremment avec les esclaves, tous
(1) Sir Stamford Rafles, History ofan Arcliipchf;o, etc., vol. 1.
(2) Essai pollli({ue. Tom. 11, pag. 4o.
(.1) HlLLlAKD d'AdBERTBCIL, Toill, 11, pBg. 274.
6io DE L'ABOLITION GRADUELLE
les vag^aboiuls oisifs qui remplissent la colonie. Un voyageur,
que nous avons cit«'i dit : « Qu'il est absurde de croire jc[ue les
Européens ne puissent vivre et travailler dans ces climats;
qu'on voit de IVéquens exemples du contraire; que des fa-
milles allemandes ont travaillé avec succès à la Louisiane, et
des Irlandais à la Barbade, sans avoir de nègres; que le sys-
tème des anciens euKaçés des colonies françaises existe dans
quelques parties des Etats-Unis, où le colon a en même tems
des engagés et des esclaves, avec cette différence que les pre-
miers travaillent mieux et lui coûtent moins (i). Un Améri-
cain, magistrat en Géorgie, et ancien planteur dans les Indes-
Occidentales, déclare que c'est une erreur de croire que la
canne à sucre, le cafeyer, etc., ne puissent être cultivés que
par des noirs ; les créoles, blancs de l'Anguilla et de Tortola,
et les hommes de la Barbade , appelés ten acre men (hommes
de dix acres) , qui sont accoutumés à mener une vie active et
sobre, sont agiles, robustes, et prouvent que les blancs peuvent
cultiver le sol colonial (2) . » Enfin, un écrivain français, connu
par des travaux d'un grand intérêt sur nos colonies, et qu'il faut
compter parmi ceux de nos contemporains qui les connaissent
le mieux (3) , a si bien reconnu que les Européens sont tout-
à-fait aptes aux travaux agricoles des colonies qu'il propose
d'envoyer dans les nôtres, pour accroître leur prospérité,
6,000 cultivateurs tirés de nos campagnes, et il voudrait voir
ce nombre ultérieurement porté jusqu'à 20,000.
Il ne faut donc pas de toute nécessité des noirs pour la
culture des colonies ; mais , comme par le fait cette culture
s'opère par des noirs, examinons maintenant s'il est absolu-
ment nécessaire, comme on l'a tant répété aussi, que ces noirs
soient esclaves. C'est le second point de la question , et il ne
nous sera pas moins facile de démontrer qu'il n'y a là encore
qu'un préjugé démenti par des faits irrécusables, et dont il est
(i) Robin. Tom. m, pag. 21g, 228.
(2) Stokes. Conslilulwn oftlie Britlsh, colonies, pag. /|.i4.
(3) .MoHBAU OB JoNPiÈs. Dit Cotiimcrcc au xix*' siècle. Tom. u.
DE L'E8CLA\AGE. - 6ii
U'm> (le laiit' justice. Ceux qui le défendent >(• foiKlcnt no-
tamment sur ce qu'entre les tropiques la terre nourrit si faci-
leuieut ses hahitans, (lu'ils sont, par lanature deschoscs, livrés
à l'apathie, et qu'ils ue travaillent qu'autant qu'on les y con-
traint (i). Dans nos colonies, par exemple , un tiers d'arpent
suffit à la subsistance d'un homme pour laquelle il faut six ar-
pens en France, d'au il suit f|ue le (loiizième de la population
peut subvenir à l'enlretien de tout le reste qui, dés lor>, de-
meure les bras croisés.
Mais que conclure de l'admirable fécondité du sol in-
lertropical, si ce n'est qu'il est destiné à faire vivre un
plus grand nombre d'individus , et que des circonstances
tout humaines , et où la nature n'est pour rien , peu-
vent seules empêcher que cette invariable destination ne soit
accomplie. Par là se résout d'elle-même aussi l'objection que,
sur un sol pareil, une partie de la population doit rester oi-
sive, pafce que ses produits ne trouveraient pas de consom-
mateurs ; car la population croîtrait là comme partout avec la
production, et dés lors les consommateurs ue lui manque-
raient pas.
Il faut, dit-on, que le travail soit forcé entre les tropiques :
il faut que le fouet tire Ips hommes de l'engourdissement où
les plongent les ardeurs accablantes d'un soleil perpendicu-
laire; il faut enfin que le culliy.iteur soit esclave ou brute.
Étrange, absurde contradiction de laquelle il résulterait que
ce serait précisément dans les climats où la nature a rendu le
fardeau de la subsistance le plus léger, où elle a voulu épar-
gner les sueurs de l'homme, que l'homme devrait Cti-e néces-
sairement condamné à tout ce que la condition humaine peut
avoir de plus affreux !
Avouons-le, on a donné, sous ce rapport , beaucoup trop
d'importance aux degrés de latitude. Si, dans les tems an-
ciens, comme dans les tems modernes, on suit de l'œil les di-
vers parallèles, il est impossible de ne pas reconnaître que
(i) Barré dk S>H5t-Vf.n a.nt. Dex Colonies: itiodirnes. elc
6i2 DE L'ABOLITION GRADLELLE
rien n'a été plus vaiiable que l'espèce et le degré du travail
exécuté par les hommes dans des situations entièrement ana-
logues. On a travaillé peu ou beaucoup sans esclaves, ou avec
des esclaves, selon les circonstances. La religion, les lois, le
voisinage des côtes ou des montagnes y ont influé. On parle
des contrées tropicales; mais, dans les siècles où les parties
septentrionales de l'Europe étaient inexplorées et barbares,
on efit été fondé aussi à déclarer que jamais ces régions glacées
ne seraient cultivées, ou qu'elles ne le pourraient être que
par des esclaves. On l'a peut-être dit cent fois dans l'ancienne
Rome; et cependant ces contrées sont, de nos jours, riches
d'agriculture et d'industrie, et si dans quelques-unes les terres
sont encore cultivées par des scifs, il en est d'autres dont les
paysans sont au rang des cultivateurs les plus libres et les
plus civilisés du globe.
Revenons aux noirs, nous ne rapporterons point ici tout ce
qui a été dit sur leur paresse invétérée, sur cette disposition
morale qui empêchera toujours, assure-t-on, d'en faire des
ouvriers libres et industrieux (i). A quoi bon, en effet, com-
battre des assertions dont l'inexactitude est démontrée par
des faits manifestes? Les colons, qui ont accrédité cette erreur,
aflirmaient qu'on devait les croire, eux qui avaient sans cesse
les noirs sous les yeux, de préférence à ces raisonneurs
d'Europe qui s'étaient faits leurs apologistes, sans les con-
naître. L'expérience a pourtant prouvé que c'étaient les rai-
sonneurs qui ne se trompaient pas, et qu'il était injuste et
absurde de prétendre que les Africains ne j^euvent êtreameeés
à travailler sans porter des chaînes.
Les colons croyaient connaître les noirs , et en réalité ils ne
(i) Récfninient encore, l'auteur d'une brochure imprimée au IlAvrc,
relative à l'.ifrranciiisseinent des esclaves, disait : Il est sans exemple que
jamais noir ait travaillé sans y vire forcé, sans être dans un état de soumis-
sion absolue (paîj, lô). Ccu)nient se peut-il, q'i'en présence de tant de
faits qui donnent un déaiciiti fura)el à de telles assertions, elles soieot
kaiis cesse reproduites avec une aussi étrange assurance!
DE L'ESCLAVAGE. Gi7>
connaissaient que leurs esclaves. Oubliant que les hommes,
loin de se civiliser, s'abrutissent par l'esclavage, ils s'étonnaient
de ne pas voir se développer, sous le fouet des commandeurs,
la capacité intellectuelle et physique de cette race, et ils dé-
claraient ce développement impossible; ils arguaient, par
exemple, de ce que les esclaves qui, dans les colonies, déser-
taient les habitations pour se jeter dans les forêts, préféraient
toujours un vagabondage inactif au travail. Mais, quelle était
ordinairement la cause qui les avait portés à braver le sup-
plice et à fuir? On ne le conteste pas : l'horreur que leur inspi-
rait un travail qui n'était productif pour eux que de misères
et de mauvais traitemens. Comment dès lors ce même tra-
vail pouvait-il être le mobile et le but de ces hommes devenus
libres?
On alléguait encore la répugnance que les affranchis
marquaient pour les travaux agiicoles, la préférence qu'ils
accordaient toujours aux professions industrielles des villes.
Nous avons parlé du mépris voué en général dans les îles au
travail de la terre, parce qu'il était exclusivement affecté aux
esclaves; et ceci explique assez l'aversion des affranchis pour
ce genre d'occupation. D'ailleurs, si la profession qu'ils adop-
taient devenait plus avantageuse pour eux que la culture, s'il
y avait à la fois plus de lucre et moins de peine à travailler de
la sorte qu'à louer leurs bras dans les sucreries : le choix quMls
faisaient prouvait du sens, et voilà tout. On ne peut donc rien
conclure de ceci contre le travail libre des noirs , non plus
que de la négligence que les esclaves mettaient quelquefois à
cultiver ces jardins dont les produits entraient dans leur pé-
cule. Cette négligence est explicable, quand on se rappelle
que le plus souvent les esclaves n'avaient pour cette culture
particulière que les heures qu'ils pouvaient dérober à leurs
repas, et en outre, qu'ils étaient accablés outre mesure de tra-
vail le reste du tems, de l'aveu même de ceux qui accusent
leur paresse. On voit que nous nous attachons à ne pas lais-
ser sans réponse une seule des objections qui ont été faites
par les apologistes de l'esclavage.
(ji4 DE L'ABOLITION (.SlADLELLi:
Ain?i, conclure de ce qu'il faut souvent employer la coii-
Irainte et les châtimens pour faire travailler les noirs aux cul-
tures, tant qu'ils sont esclaves, ou bien de ce qu'ils ont quel-
quefois le travail en aversion, lorsqu'ils cessent d'être esclaves,
que les noirs ne peuvent travailler libres, c'est manifeste-
ment raisonner mal, et contre l'évidence. Car, si nous exami-
nons ce qui se passe devant nos yeux, nous voyons un grand
nomJjr-e de noirs affranchis travailler, niême à la terre, dans la
plupart des contrées de l'Amérique; ils se louent facilement,
pour le teras des récoltes, aux États-Unis et au Brésil, où ils
forment une population assez considérable, plus facilement
encore dans les républiques hispano-américaines, où le tra-
vail n'a jamais pu devenir le partage exclusif de la race noire;
dans les Antilles mêmes, où tout semble combiné pour les
éloigner des occupations agricoles; là, il est iuGniment ordi-
naire de voir les planteurs , dont les terres sont voisines des
grandes villes où se trouve surtout concentrée la population
aiïranch'ie , troiwenparmWes tiégres libres qui y résident, quand
ils ont besoin d'un surcroît de bras, des ouvriers qui viennent
travailler chez eux, moyennant un prix convenu. Divers rap-
ports officiels faits au gouvernement anglais rendent ce fait
incontestable.
31. de Humboldt, après avoir visité diverses plantations de
la Nouvelle-Espagne, dirigées indifféremment par des noirs
libres, mulâtres ou zambos , déclare que les faits constatés par
lui prouvent, ce qui a depuis long-tenis cessé d'être douteux
pour les colons éclairés, à savoir, que l'Amérique peut produire
du sucre et de l'indigo par des mains libres, et que les mal-
heureux esclaves sont susceptibles de devenir des paysans ou
des fermiers semblables à ceux de l'Europe (i). Ajoutons, re-
lativement aux cultures du Mexique, quelques détails em-
pruntés à une lettre en date de 1826, écrite par M. "NVard, en-
voyé anglais auprès du gouvernement de cette république.
M.Wardy déclare que, voulant contribuer de tousses moyens
(i) Essai politique, etc.
DE L'ESCLAVAGE. 6i5
à éclairer la grande question coloniale qui s'agilait alors, il
visita lui-même la vallée de Cuernavaca et Cuantla Amilpars,
aux environs de Mexico, laquelle fournit en grande partie le
sucre et le café produit par la fédération mexicaine, et où,
néanmoins, // n'y a plus un seul esclave. Toutes les ciiltures
étaient primitivement opérées par des noirs achetés à la Véra-
Cruz, de 3 à 4oo dollars chacun. Quelques riches habitans,
ayant reconnu que la fatigue de la route et le changement de
climat leur en faisaient perdre un grand nombre, imaginèrent
de créer une race de cultivateurs libres, en donnant chaque
année la liberté à quelques esclaves qu'ils retenaient comme
ouvriers, et encourageaient à se marier avec des naturels. Ce
plan économique réussit, et lors de la guerre de l'indépen-
dance, en 1810, ceux qui Ta valent adopté s'en trouvèrent bien;
car leurs ouvriers continuèrent à travailler pour eux, tandis
que les esclaves des autres désertèrent leurs habitations.
M.Ward ajoute qu'il n'est pas question ici du moindre moyen
coercitif pour provoquer au travail ces ouvriers, tout noirs ou
mulâtres qu'ils sont (i).
Les noirs affranchis travaillent à Sierra-Léone. h. la vérité,
on a pu s'étonner de la lenteur des progrès de cette colonie,
et souvent les adversaires du travail libre des noirs ont cru
pouvoir l'opposer victorieusement aux défenseurs de la thèse
contraire ; mais il faut remarquer, d'abord, que trois fois, de-
puis sa fondation, qui ne date que d'un demi-siècle, elle a été
atteinte des fléaux de la guerre; ensuite, cette pensée si gé-
néreuse, si honorable pour ceux qui l'ont conçue, ne suppose
pas nécessairement le génie indispensable pour l'accomplir ;
enfln, convenons-en, quand toute l'Europe faisait la traite à la
côte de Guinée, quels résultats pouvaient avoir les efforts de
quelques philantropes pour civiliser l'Afrique?
Citons encore Haïti : cette république compte actuellement
environ 900,000 noirs affranchis, ou fils d'aflVanchis, qui tra-
vaillent. En 1824, l'exportation des produits du sol s'est
(1) Anti-slavery Monthly reporter, 1828,11'' 9, p. aSi, et iSig,!!" 5i , j'. 36,
6i6 DE L'ABOLITION GRADUELLE
inontée à 720,000 livres de sucre, gga,g5o livres de coton ,
07,700,000 livres de café, sans compter les bois d'ébéniste-
rie, le cacao, le rhum, etc. Sans doute, cette exportation, qu'on
peut évaluera 65, 000, 000 francs, n'égale pas même la moi-
tié du montant de l'exportation, en «78g, pour la seule partie
française, et elle est peut-être encore exagérée. Mais, en af-
faiblissant les chiffres d'un tiers ou de moitié, il reste encore
une quantité assez considérable de produits coloniaux; et,
certes, après k-s longues guerre; intestines dont cette île a été
le théâtre, de nombreuses émigrations, et l'absorption d'un ca-
pital immense dans la dévastation et l'incendie des bâtimeus ,
des plantations, des sucreries, on ne peut s'étonner que cette
quantité ne soit pas plus considérable. Dans l'état actuel, sa
population est croissante; par conséquent, ses cultures sont
en progrès. Voilà un l'ait à l'autorité duquel il faut se sou-
mettre. Il est donc avéré que les noirs peuvent produire les
denrées tropicales, sans être esclaves. Il est donc évident que
celte race peut être transformée en une population active et
laborieuse, et que ce n'est point là un des rêves de la philan-
thropie européenne.
Concluons de tout ce qui vient d'être dit : 1° que les blancs
européens ou créoles peuvent cultiver les colonies; 2° que les
colonies peuvent être cultivées sans esclaves, c'est-à-dire par
les noirs libres.
Ni)us nous réservons d'examiner, dans la troisième partie,
le travail libre dans ses rapports avec la propriété, telle qu'elle
est actuellement constituée dans nos colonies , et de faire voir
par quels moyens on peut concilier l'intérêt réel des maîtres
avec la liberté des esclaves.
Résumons-nous. Si l'on a pu soutenir ce paradoxe étrange,
que les hommes ne sont pas essentiellement nés pour l'état
social, on n'a jamais du moins contesté que partout où la so-
ciété existe, elle ne doive constamment tendre à ce qui la per-
pétue et l'améliore. Or, comme nous l'avons vu, dans l'es-
clavage, il y a teujours tendance à la dissolution de la société;
il constitue un système de violence et d'injustice, honteux et
DE L'ESCLAVAGE. 617
immoral, essentiellement antipathique avec les principes qui
servent de base et de lien à la communauté ; il organise le
travail qui la fait vivre, de telle sorte que tous les fruits sont
pour les uns et tous les labeurs pour les autres; il maintient
la classe productive dans un état d'abjection, de misère et de
souffrances, constant, nécessaiie, inévitable; il crée sur le
même soi deux et souvent trois classes divisées, ennemies et
toujours menaçantes l'une pour l'autre; il compromet tou-
jours ainsi la sécurité des colonies; il met obstacle à ce qu'il
y ait sur le même sol un ordre légal uniforme, et rend la loi
à peu près illusoire, dans les garanties qu'elle accorde à la
personne des esclaves ; il est pour la race noire une cause de
destruction rapide et constante ; il abrutit et dégrade cette
race, la prive de tout développement moral et intellectuel, et
par suite de tous les avantages de la sociabilité ; il est un prin-
cipe nécessaire de dépravation pour la race blanche; il im-
pose à la métropole le fardeau d'un entretien coûteux; il
empêche les colonies d'arriver au degré de prospérité qu'elles
recevraient de l'augmentation de la population et des cultures;
il prive l'État du surcroît de revenu qu'il retirait naturelle-
ment de l'accroissement des propriétés et des produits ; il
porte enfin préjudice au commerce et à l'industrie de la mèrti
patrie, en affaiblissant, en rendant presque nulle l'importance
des débouchés naturels ouverts à ses produits.
L'esclavage colonial est donc de tous points contraire aux
intérêts de la communauté; il est donc pour elle un principe
nécessaire et constant de désorganisation ; il peut donc être
proclamé haiitement anti-social ! il doit donc être aboli, au
nom de tous les intérêts sociaux qu'il met en péril.
P. A. D.
'V\*f\^p\^WVW>i^WWV%*\^VWVW^WV «^VWVWVVW \WV%%WVWVVWVCVVW\^W\^WVVWVVWWWVWVVW
IL ANALYSES D'OUVRAGES.
SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES.
A COMPENDIITM OFTOE COCRSB OF CHEMICAL INSTBCCTION, CtC.
Abrégé du Cours d'instruction chimique, fait à la Faculté de
médecine de l'Université de Pensylvanie, par M. le docteur
Hare ; ouvrage destiné à ses élèves (»).
Nous avions espéré que cet ouvrage de M. Hare, comparé
à des écrits analogues de même date, ou plus récens, publiés
par des professeurs européens, nous fournirait l'occasion de
mettre sous les yeux de nos lecteurs l'état de l'enseignement
de la chimie dans les deux mondes. Mais il paraît que les chi-
mistes regardent les théories comme assez avancées, assez
complète?, et qu'ils se livrent exclusivement à la recherche
des faits : de l'immobililé des théories résulte la durée des ou-
vrages destinés à les enseigner, surtout dans ce tems, où l'on
ne manque, pour aucune science, de bons traités à l'usage
des étudians et des professeurs. Ainsi nous attendrions peut-
être encore très long-tems l'apparition d'un ouvrage que nous
pussions associer à celui de M. H;ire, afln d'observer la mar-
che de l'un et de l'autre ; et, si les méthodes présentent quel-
ques diversités, d'examiner quelles sont celles qui semblent
préférables. Nous n'assisterons donc qu'aux leçons du pro-
fesseur américain ; nous le suivrons dans la partie de son cours
qu'il a publiée, et qui est arrivée jusqu'à nous. Au mois de
(i) Philadelphie, 1828; Cany et Loa. Grand in-8° de 558 pages, avec
"Il grand nombrf; de figures gravées en bois.
SCIENCES PHYSIQUES. 619
novembre 1828, le résumé des leçons sur l'électricité, le gal-
vanisme et rélectro-iuagnélisme n'était pas encore livré à
l'impression ; depuis ce tems, Touvrage est certainement com-
plété , mais l'importante division de la science qui lui man-
quait encore ne nous est point parvenue. Nous le regrettons
d'autant plus que ce qui donnera le plus de prix à cet ouvrage
est la description et la figure de cha(pie instrument, ou ap-
pareil employé par le professeur dans ses expériences, et que,
sans doute, les leçons sur l'électricité et le magnétisme sont
bien pourvues de ces moyens d'exposition et d'explication.
Ce traité devait répondre à sa destination, et, par consé-
quent, diriger vers la médecine les applications de la physi-
que et de la chimie. On doit donc s'attendre à y trouver quel-
ques parties plus développées, aux dépens de quelques au-
tres qui occupent plus de place dans les ouvrages où la
science n'est pas considérée sous un point de vue spécial.
On s'en aperçoit à la marche rapide de l'auteur, lorsqu'il
s'occupe de la lumière et des pliénomènes de la vision, ma-
tière expédiée en six pages, qui contiennent en effet ce qu'un
médecin ne doit pas ignorer sur les propriétés de la lumière
et le mode de son action sur les corps organisés. La cristallo-
graphie, quoique moins importante pour les sciences médi-
cales, est traitée moins brièvement : mais la théorie du calori-
que est exposée avec soin, ainsi que les faits dont elle est
déduite, et ses applications qui ajoutent encore au nombre de
ces faits.
Les instrumens pour mesurer la pesanteur spécifique des
corps ont été muUipliés entre les mains de M. H4|e; on en
voit ici deux nouveaux qui paraissent très-commodes, et que
nos artistes construiraient facilement d'après le dessin et avec
le secours de l'explication. L'auteur s'est attaché à rendre les
expériences aussi promptes et aussi sûres qu'elles doivent l'être
dans un cours public, en sorte que son livre n'est pas seule-
ment un recueil de leçons de chimie , il renferme aussi plus
d'instruction sur l'art des expériences que la plupart des au-
teurs de traités de physique et de chimie n'ont cru devoir en
(y20 SCIENCES PHYSIQUES.
joindre au développement des doctrines scientifiques. On
pense bien que les formules algébriques n'ont point été ad-
mises dans ces leçons données à des étudians en médecine ;
les mathématiques n'ont pas encore pris rang parmi les scien-
ces qui peuvent concourir au perfectionnement de l'art de
guérir. Cependanl il faut observer qu'une connaissance exacte
des lois du mouvement et de leurs effets est une des bases de la
physique ; on ne contestera pas non plus que le médecin ne
peut se dispenser d'être physicien, à moins qu'on ne regarde
la chimie comme une science de luxe dont la médecine n'a
guère profité. Cette opinion, quoique directement opposée à
toute bonne logique, ne manque pourtant point de partisans
dans toutes les écoles de médecine ; elle en compte beaucoup
en Allemagne, un peu moins peut-être en Angleterre, en Italie,
et surtout en France; M. Hare nous apprend, dans sa préface,
qu'un certain nombre de ses disciples paraissent peu convain-
cus de l'utilité de l'instruction qu'il leur donne, et réduiraient
volontiers cette partie de leurs études au point qu'ils feraient
aussi-bien d'y renoncer entièrement. Ainsi nos erreurs, en
fait d'instruction, ont traversé l'Océanet pénétré dans le Nou-
veau-Monde avec nos doctrines. Le tems approche où les rap-
ports entre les diverses subdivisions des connaissances hu-
maines seront mieux connus, ainsi que les secours mutuels
qui peuvent mettre toutes ces parties de l'ensemble en état de
profiter des progrès de chacune d'elles. On s'étonne que des
hommes exercés au raisonnement, initiés dans quelques-uns
des mystères de la nature, dont la mémoire doit avoir conti-
nuellemqi^ à sa disposition une multitude de faits physiques
classés méthodiquement, que ces hommes n'aient pas reconnu
que les phénomènes de la vie, de la digestion, de la nutri-
tion, etc., sont autant de faits chimiques extrêmement com-
plexes, et dont les lois ne peuvent être découvertes qu'au
moyen de l'analyse préalable de ces phénomènes et de leurs
causes. Qu'on se rappelle par quelle suite d'expériences
Spallanzani parvint à constater que la digestion est une disso-
lution chimique des alimens dans le suc gastrique, et qu'elle
SCIEXCHS PHYSIQUES. Oii
s'opère même hors du corps vivant, lorsque l'on met la ma-
tière soluble en contact avec le dissolvant : c"est ainsi
qu'il tant interroger la nature, pour lui arracher ses secrets et
dévoiler le mystère de ses opérations. Ces recherches sur la
digestion, si habilement dirigées et décrites par le célèbro
professeur italien, seront, dans tous les tems, un modèle de
sagacité, de logique expérimentale, et suffiraient pour re-
coinmander l'étude de la chimie à tous les amis des sciences
naturelles et de leurs applications. Mais on ne peut tiop Je
redire , les théories chimiques ne seront bien comprises qu'à
l'aide de connaissances approfondies sur les propriétés géné-
rales des corps; ou, en d'autres termes, si l'on n'est pas assez
instruit en physique, ou sera fréquemment arrêté dans le
cours des recherches chimiques, exposé à s'égarer, quand
même on aurait acquis la plus grande connaissance des faits
isolés, et que l'on posséderait à un très-haut degré l'adresse
des manipulations. Si les chimistes ne peuvent se dispenser
d'être physiciens, ils devraient s'imposer aussi l'obligation de
ne pas négliger les matliématiques. On cite il est vrai, parmi
les promoteurs de la science, des hommes qui manquèrent
totalement de cette instruction préliminaire ; mais ils la ser-
virent par la découverte de quelques faits que l'on ne pouvait
concilier avec les théories admises jusqu'alois, en faisant sen-
tir la nécessité de réformer ces doctrines, en préparant les
bases de théories moins imparfaites; mais ils ne contribuèrent
point à élever l'éilifice sur ces bases. Lavoisier et Berlhollct
n'étaient point pourvus des connaissances mathéma^ues in-
dispensables pour approfondir les théories physiques ; mais i^s
eurent le secours des plus illustres géomètres de leur tenis,
et ils en firent un heureux usage : une partie de la reconfiais-
sance que les chimistes ont vouée à Lavoisier serait équitahle-
meni décernée à Laplace.
Dans l'étatactuel de nos coniuiissances et de nos habitudes,
M. Ilare ne pouvait adopter un autre plan que celui qu'il a
suivi dans cet ouvrage; réduit à s'abstenir des applications et
même des formes mathématiques, il ne pouvait présenter les
T. XLVII. SEPTEMBRE l85o. 4"
622 SCIENCES PHYSIQUES,
notions de physique autrement qu'il ne l'a fait, ni les Jtendre
plus loin, excepté celles Je la lumit-rc, dont on regrette qu'il
n'ait pas un peu plus développé la théorie. Il ne peut être in-
différent pour la chimie, ni peut-être pour la médecine, que
les phénomènes de la lumière soientproduitspar un lluide éma-
né du soleil et des corps célestes de même nature, dégagé par
certaines actions chimiques, etc., ou qu'ils soient le résultat
des vibrations d'un fluide répandu dans les espaces célestes,
et considéré comme immobile : ces deux hypothèses peuvent
satisfaire à peu près également à l'explication des faits de
mouvement et de vision ; mais on ne voit pas clairement
comment on en déduirait les mêmes résultats chimiques.
M. Hare adopte l'hypothèse ne^vtouienne, admise, dil-d, par
la majorité des physiciens; mais les questions de physique ne
sont point résolues, comme celles de politique. Dans les scien-
ces exactes, lorsque les opinions sont partagées, c'est que la
vérité ne s'est pas encore manifestée, et que, par conséquent,
on ne sait rien encore, et qu'il faut de nouveaux efforts pour
arriver à des connaissances positives.
Sous le titre de Chimie pneumatique, l'auteur a réuni la théo-
rie générale des gaz, et Texposiliou des caractères et des pro-
priétés de tous ceux que les travaux chimiques ont fait con-
naître ; il les combine, soit entre eux, soit a^ec le ca.rbone, le
soufre, le phosphore, le bore, le sodium, etc. Toute cette par-
tie de l'ouvrage est au niveau des connaissances acquises, et
conforme aux doctrines actuellement reçues. Veudiométrie y
est traitée avec quelque étendue, et, parmi les instrumens
qu'elle emploie, l'auteur en décrit deux qui sont de son inven-
tion. VUyërometvie obtient aussi les soins qu'elle réclame dans
un ouvrage destiné aux études médicales Le seul leproche que
l'on puisse taire à cette chimie pneumatique n'est peut-être pas
fondé, et certainement il est sans importance : toutefois, nous
ne l'ou.ettrons point, afin de conserver les droits de la criti-
que. C'est a la fin que l'auteur a placé l'exposition des divers
moyens de mesurer la pesanteur spécifique des gaz; on s'at-
tendait à la trouver immédialemenl après la théorie générale
des fluides élastiques.
SCIKNCES PHYSIQUES. 625
La ?eiiion suivanle est la chimie dos métaux. Ici, rautcur
a pris pour guide notre célèl)re Thénard, et le travail du pro-
fesseur américain peut être considéré comme un résumé très-
bien fait des leçons du professeur de Paris sur le même sujet.
La dernière section est consacrée à la chimie des substances
végétales et animales. L'ouvrage y représente fidèlement tout
ce que nous croyons savoir sur ces deiix objets, et que proba-
blement il faudra désapprendre tôt ou tard. La science suit
actuellement, dans les recherches sur les corps organisés, une
marche opposée à celle qui lui a si bteu réussi pour arriver
à la théorie des substances inorganiques : pour celles-ci, elle
a généralisé et simplifié; pour les autres, elle apporte chaque
jour de nouvelles complications. Ce n'est pas dans l'emploi
<le cette méthode que nous engagerons les chimistes duNou-
veau-iMonde à imiter ceux de l'Europe : si nous sommes toul-
à-fait hors de la bonne voie, que nos erreurs soient confinées
parmi nous, et que d'utiles avertissemens puissent nous arri-
ver de quelque part ; tandis que nos chimistes semblent tra-
vailler à l'envi pour épaissir les nuages qui nous cachent le
but, qu'une lumière lointaine puisse nous le faire au moins
en^trevoir, et rendre noire marche moins incertaine. Nous
devrons beaucoup à l'Amérique, si elle nous apprend à mar-
cher avec plus de précautions, lorsque la loute est mal éclairée,
périlleuse, hérissée d'obtacles : telle est celle que les chimis-
tes ont à suivre, dans les recherches sur les corps organisés,
et principalement sur les corps vivans. M. Hare nous donne
l'exemple de cette sage défiance : voici comment il termine
la section où il expose la chimie des végétaux et des animaux.
«Je prends congé de cette partie de la science qui se réduit
à peu près à des faits non généralisés. Les grandes décou-
vertes dont la chimie des corps inorganiques s'est enrichie
ont fondé la théorie de ces corps et des élémens dont ils sont
composés, et nous donnent l'espoir de parvenir également à
la découverte des lois de la matière organique, ou de l'in-
fluence qu'exerce le principe de vie pour modifier et diveisi-
fier les résultats des lois générales de la matière non organisée»
Ca4 SCIENCES PHYSIQUES. ^^
«Un cours limité à quatre mois ne peut suflirc aux expé-
riences et aux menus détails qu'exige la chimie des corps or-'^ '*.
ganisés; et d'ailleurs, les élèves n'auraient pas le tems de
retenir tout ce que le professeur aurait dit. Mais l'exercice de
la médecine est une continuation des études que nous ne
pouvons pousser plus loin dans ces leçons ; le médecin a cons-
tamment sous ses yeux des objets à observer, des faits qu'il
doit analyser, des actions et des réactions dont les lois peu-
vent se laisser entrevoir. S'il a besoin de 'f: elques expérien-
ces directes, il peut toujours les faire aisément et à peu de
frais....» En effet, comme celte partie de la chimie est spécia-
lement dans le domaine de la médecine, c'est aux médecins
qu'il faut recommander les tra\aux que son perfectionnement
exige.
M. Hare a réuni, dans un Appendice, plusieurs Mémoires ou
Notices qu'il avait fournis précédemment à l'excellent recueil
périodique publié par M. le professeur Silliman. Le premier
est une dissertation sur cette quesiion : Les effets de la cha-
leur pe»ivent-ils être produits par le seul mouvement? II
conclut qu'il faut admettre l'existence d'un calorique^ fluide
auquel il attribue non-seulement tous les phénomènes de la
chaleur, mais ceux de la lumière et de l'électricité. Ce Mé-
moire a été l'occasion d'un démêlé scientifique où les deux
adversaires ont paru tour à tour dans le recueil de M. Silli-
man; M. Hare a placé ici la défense de son opiiiion. Parmi
les autres notices renfermées dans cet aj)pendice, on remar-
que une solution algébrique du problème de déterminer dans
un mélange de gaz, la quantité de chacun des fluides mélan-
gés, d'après la pesanteur spécifique du mélange et celle de
chacun des fluides qu'il renferme. On y remarque aussi la
description et la figure de plusieurs instrumens imaginés par
l'auteur, et que nous pourrions nous approprier. Nous l'avons
déjà dit, et nous nous plaisons à le répéter : l'ouvrage de
M. Hare sera consulté avec profil par les physiciens et les
chimistes qui chercheront à pcrfeclionncr l'art des expé-
riences. Ferrv.
SCIENCES MORALES ET POLITIOIJES.
Des science? occvltes, ou Essai sur la Magie, les Prodiges et
les Miracles, \)ar Eusibe Salveute (i).
Quand on voit l'homme d'iitat, infatigable défenseur des
droits et des intérêts de son pays, ne quitter la tribune où il
a fait entendre des paroles de sagesse et de liberté, que pour
se livrer à des études graves et profondes, oiUieprises pour
édairer la nation , pour l'arracher an joug de l'ignorance et de
l'erreur, on ne saurait trop admirer un aussi pur patriotisme ;
et c'est celui de M. Eiisèhe Salverte. Qu'il nous soit permis
de rcnJre hommage à son beau caractère: député, il n'a ja-
mais reculé devant la vérité; la France l'a toujours trouvé
fidèle à son mandat; écrivain, il a constamment attaché son
nom à des ouvrages uliles à riiunianité, et son Iiilroitaciion à
r/dstoire de la civilisalioti , depuis les premiers tans historiques
jusqu'à fa fin du xv!!!*" siècle, pensée immense, qu'il n'a pas
craint d'aborder, est un monument à jamais durable de la
haute portée de ses vtîes philosophiques.
L'étude des sciences occultes chez les anciens était une bran-
che importante de ce grand travail. Les lecherches de
M. Salverte a3ant pris assez d'éten<Uie pour pouvoir être déta-
chées du cadre de l'ouvrage principal, et former un tout sus-
ceptible d'un intérêt spécial, il s'est décidé à les publier sépa-
rément. Déjà son Essai historique et philosophique sur les norns
d'Ho7Jimes, de Peuples et de Lieua-, publie en 1834, avait révélé
(1) Paris, uS29-iS5o; ScdillvTt, lucdu l'Odéoii, n" 5n. 2 vol. ii;-S" ;
prix, I j tV.
626 SCIENCES MOli.VLES
»;» vaste érudition; son Essai sur les Sciences occulles n'est point
au-dessous de ses premiers écrits.
Yan-dale, Bayle, Fosteîselle avaient effleuré ce sujets ils
avaient voulu prouver que les oracles étaient le produit de l'a-
dresse et de la superstition. Mais aussi, avec quels ménage-
mens ils ont émis leurs opinions; ils n'auraient jamais osé at-
taquer ouvertement et de front les prodiges et les miracles;
M. Salvei'te, venu, il est vrai, dans un tems plus éclairé, a
eu l", courage de traiter franchement la question , de la discu-
ter sous toutes ses faces, de combattre à outrance, en un mot,
les erreurs et les préjugés. On n'est nullement disposé, j'ima-
gine, à brûler vifs les sorciers d'aujourd'hui; mais, quand on
songe que ces affreuses exécutions avaient encore lieu , il y a
quatre-vingts ans, et qu'on croyait alors presque généralement
à la puissance surhumaine de ces malheureux, on peut s'éton-
ner que l'on ose prouver à présent qu'elle n'existait que dans
l'imagination des hommes fanatisés. L'ouvrage de M. Salverte
fait faire un grand pas à l'esprit humain ; il apprend aux incré-
dules à se rendre compte de leur opinion, à l'appuyer sur de?
faits; il porte un dernier coup aux superstitions populaires,
et rinléret soutenu que sa lecture inspire est un sûr garant de
son succès, et par conséquent du bien qu'il produira. Avant
d'en tracer l'analyse complète, nous allons faire ressortir la
pensée principale qui l'a constamment dirigé.
Les livres anciens sont remplis de témoignages en faveur de
la magie; tous la représentent comme une science surnatu-
relle. Aussi, parmi les modernes, les uns l'ont niée absolu-
ment (et dans le dernier siècle surtout, on s'était habitué à
l'idée que ce n'était qu'impostures et mensonges); les au-
tres ont affirmé qu'elle était une manifestation de la puissance
de Dieu dans les prophètes, et de celle du démon dans les
ennemis du peuple juif. M. Salverte prend un autre parti ; non
pas qu'on pui.-se admettre une science surnaturelle, mais est-il
raisoiuKible de penser que celte multitude de prodiges rap-
portés par les écrivains anciens soient tout-à-fait controuvés ;
que, s'il y u eu supercherie, la foule ne s'en soit jamais aper-
MT POLITIQLKS. 627
tue; que lo^ prèlies et le? initiés (jui exploitaieut à leur prolit
l'étude lie l;i nature et la crédulité populaire n'eussent jamais
pu parvenir à exécuter autre chose que quelques tours de char-
latans? Non, sans doute; aussi, M. Salverte présente tous
ou presque tous les témoignages comme vrais; il donne, de
la plupart des prétendus miracles, une explication, si noi;i
incontestable, au moins très-plausible. On trouvera peut-être
qu'il semble trop avoir pris d'avance le parti de tout expliquer.
On a de la peine à imaginer que les anciens, dans la marche
de leurs sciences, se soient si parfaitement rencontrés avec
les modernes ; que les découvertes laites nouvellement nous
servent à ex])liquer des prodiges qu'on aurait jusqu'à ces der-
niers tems regardés comme incroyables. Mais, comme le but
de M. Salverte est moins d'expliquer quelque chose en parti-
culier que l'ensemble des faits, on ne disputera pas avec lui
sur quelques explications plus ingénieuses peut-être que fidè-
les, et l'on conclura avec l'auteur quelo plupart des faits attri-
bués à la magie sont vrais, mais qu'ils nous ont été transmis
quelquefois sous le voile de l'allégorie, quelquefois avec des
détails invraisemblables, souvent d'une manière inexacte;
mais que du moins les anciens, les initiés surtout, ont été plus
loin dans l'étude des sciences physiques qu'on ne le croit eom-
munément. Nous allons maintenant suivre M. Salverte dans
les développemens qu'il a donnés à son sujet.
L'homme est crédule, parce qu'il est naturellement véridi-
que; il aiiue à exprimer ses sensations, ses sentimens et ses
souvenirs avec la même vérité que ses pleurs, ses cris et les
mouvemens de sa physionomie révèlent ses souffrances, ses
craintes et ses plaisirs. En agissant sur ses passions par sa cré-
dulité, les hommes supéiieurs (jui voulurent imposera leurs
semblables le frein de la religion présfuUèrent les miracles et
les prodiges comme des signes certains de leur mission ,
comme des œuvres inimitables de la divinité dunt ils étaient
les interprètes. L'histoire de tous les pays et de tous les ûge.s
est chargée de récits merveilleux qu'on aurait tort de rejeter
avec un dédain peu philosophique ; tous les faits peuvent s'ex-
(i28 SCIENCES MOiWLES
pliqiier par un pclit nombre de causes plus ou moins faciles à
discerner, et la recherche de ces causes nous ouvre les archi-
ves dune politique mystérieuse dont quelques hommes savans
se sont servis dans tous les tems pour gouverner le genre hu-
main, et le conduire à la grandeur ou à la bassesse, à l'escla-
vage ou à la liberté.
Dans le doinaine du merveilleux, on doit disiinguer les pro-
diges ou les évènemens singuliers que la nature ne produit
qu'en paraissant s'écarter des lois qu'elle s'est invariablement
prescrites, et les miracles ou œuvres magiques, émanés des
hommes. L'attrait attaché aux faits extraordinaires , le pen-
chant à l'exagération qui en est la conséquence, l'opiniâtreté
des traditions, les expressions inexactes, l'explication erronée
de représentations emblématiques, l'emphase propre aux lan-
gues de l'antiquité, et le style figuré, attribut essentiel de la
poésie, ont dû grossir de fictions les faites de l'histoire. A
l'appui de cette opinion, l'auteur cite un grand nombre d'exem-
ples; nous reproduirons les plus saillans.
Que l'on rejette ce qu'ont raconté de l'immense ArrtAcn les
marins du nord ; que l'on taxe d'exagération ce que rappor-
tent Pline et Elien des dimensions de deux poiypes de mer,
<|ii'avaient pourtant dû voir des observateurs nombreux; il
suffit d'admettre avec Aristote que les bras de ce mollusque
alteignaienl quelquefois iusqîi'à deux mètres de longueur, et
on avouera qu'il peut enlever un homme sur une chaloupe dé-
couverte. Que devient alors la fable de Scyllaî ce monstre, le
fléau des poissons les plus forts qui passaient à sa portée, et
dont les six têtes, soudainement élancées hors des flots, sur
leurs cous démesurés, entraînèrent six des rameurs d'Ulysse;
ce monstre, si l'on substitue à l'exagéiation poétique, la réa-
lité possible, n'est qu'un polype parvenu à une croissance ex-
traordinaire et collé contre l'écueil vers lequel la crainte du
gouffre de Carybde forçait les navigateurs peu expérimentés
à diriger leurs frêles embarcations.
Eh lui promettant tine lithe part daiis les biens que Dieti
doit doiuior ;'i "■••ii [XMiple. "îSoï-e décide le niadianitc Hobab à
ET POLITIQUES. GiiO
s'unir à la marche des Israélites, o ]Se nous abandonne pas, lui
dit-il, tu sais dans quellieu du désert il nous est avantageux
de camper; viens et sois notre guide. «Sa marche, ainsi réglée,
est ouverte par l'arche sainte avec laquelle s'avance et s'arrête
tour à tour le peuple tout entier: les prêtres qui l'environnent
portent le feu sacré ; la fumée est visible le jour, et la flamme,
pendant la nuit; Dieu même guide son peuple la nuit par une
colonne de feu, et le jour par une colonne de fumée.
Vers la fin d'un combat opiniâtre , les nuages amoncelés
produisaient une obscurité presque complète ; soudain ils se
dissipent devant la lune qui s'élève à l'orient, tandis qu'à l'oc-
cident le soleil n'est point encore descendu sous l'horizon ; ces
deux astres semblent réunir leurs clartés pour prolonger le jour
et donner au chef des Israélites le tems d'achever la défaite de
ses ennemis. Ce chef a arrêté le soleil et la lune.
Sur le mont Éryce, en Sicile, l'autel de Vénus était situé
en plein air, et une flauime inextinguible y brillait constam-
ment, sans aucun aliment visible, et malgré le froid, la pluie
et la rosée. Bayle traite ce récit de fable. En d'autres lieux, ce-
pendant, la nature a allumé des feux semblables. Les feux de
Piétra-3iala, en Toscane, sont dûs, suivant sir Humphry
Dav}-, à un dégagement de gaï hydrogène carburé. Les flam-
mes pei'pétuelles que l'on admire à l'Atesch-Gah , près de Ba-
kou, en Géorgie, sont alimentées par le naplite dont le sol est
imprégné. Ce sont des feux sacrés, et les prêtres Hindous les
ont enfermés dans une enceinte de cellules, comme on avait
élevé autour du feu de la montagne Éryce le temple de Ténus.
En Hongrie, dans la saline de Szaliua, cercle de Marmarosch,
un coiuant d'air impétueux, sortant d'une galerie, s'est
enflammé spontanément, c'est du gaz hydrogène sembl/ible à
celui que l'on emploie aujourd'hui pour l'éclairage. Des prê-
tres, dans une civilisation de forme fixe, auraient consacré ce
plîénomène à la superstition; dans une civilisation perfectible,
l'industrie en tire un service utile. D'autres faits naturels, peu
lonnu- ont donné lieu à de grossières erreurs. A la surface des
»MUx ihernialcs de Baden en Allemagne, et des eaux (rischia,^
G3o SCIENCES xMORALES
île du royaume de Naples , on recueille le zoogène , subslaiice
singulière qui ressemble à la chair humaine revêtue de sa peau,
et qui, soumise à la dislillation , fournit les mêmes produits
que les matières animales. Près du château de Lepomena , et
dans les vallées de Siuigalia et de Négreponte, les rochers sont
couverts de celte substance. Voilà l'explication de ces pluies
de morceaux de chair, qui figurent au nombre des prodiges
de l'antiquité.
Arrosée et fertilisée par le Jourdain, la vallée des bocages
s'ouvrait devant le voyageur qui du désert arrivait à Ségor. Là,
Sodome, Gomorrhe et vingt-six autres cités fleurirent pen-
dant un demi siècle; les villes, les habitations lurent détruites
par une conflagration subite. Vn lac d'eaux amères, le lac As-
phaltide remplaça la vallée des bocages. Strabon attribue sa des-
truction à l'éiiiption d'un volcan; la nature du sol suffit seule
à la solution du problème.
La vallée était assise sur la couche de matières éminem-
ment inflammables qui forme encore le fond du lac Asphaltide.
Dans des puits nombreux, on y voyait sourdre ,. exposé à une
atmosphère brûlante, le bitume qui s'étendait sous la terre,
'/embrasement déterminé par une cause accidentelle se pro-
pagea avec une rapidité dont ne nous donnent point une idée
les incendies qui dévorent (|ucl(juelbis les mines de houille et
de charbon de terre. Les maisons en feu , la campagne minée
au loin par la flamme souterraine, s'abîmèrent dans le goun"re
que formait l'allaissement du sol, affaissement proportionné
à la consommation du bitume. Le Jourdain se précipita dans
le nouveau lac, dont l'étendue fut bientôt assez considérable
pour que le fleuve s'y perdît tout entier, abandonnant à la sté-
rilité les contrées qu'il arrosait auparavant, et l'on a vu la co-
lère du ciel dans un accident de la nature.
Le passage de la iMer Ronge est aussi facile à expliquer. Le
flux et reflux, en se faisant avec une violence extraordinaire,
mais dont on a vu des exemples encore ti)ut récenmienl, dé-
truisent toute la ronleiu merveilleuse du fait.
M. Salverte. en réunissant d'innombrables citations de ce
ET POLITIQUES. 05 r
genre, a toujours soin de s'appuyer sur des aiitoiilcs puissantes.
La bonne foi de riiistoricn Josèphe lui fournit des armes liien
redoutables. Pbiloii lui-nit^me attribue à des causes naturelles
quelques miracles de Moïse; ainsi, en parlant de la source qui
jaillit du rocher d'Horeb : «Moïse, dit-il, frappa le rocher;
et, soit que, par un heureux hasard, il eût ouvert l'issue à
une nouvelle source; soit que les eaux eussent d'abord été
amenées là par de secrets conduits, et que leur aliondance les
fît sortir avec impétuosité, le rocher jeta autant d'eau qu'une
fontaine. »
Après avoir ainsi démontré que les prodiges peuvent s'ex-
pliquer naturellement, l'auteur, appliquant ce principe aux
œuvres magiques, pense que les prêtres et les initiés n'ont
pas seulement spéculé sur l'ignorance et la fraude, et que leurs
secrets cachaient une science très-étendue et toutes les con-
naissances théoriques, nécessaires pour opérer des résultats
merveilleux, et dont a dû se composer la magie.
Long-lems la magie a gouverné le monde, et son origine va
se perdre dans les tems les plus reculés. L'Orient , l'Occident,
le Nord ont, pendant des siècles, respecté sa puissance et son
antiquité. Ses œuvres furent également attribuées au bon et
au mauvais prfncipe ; mais on ne croyait pas qu'elles fussent
le renversement de l'ordre naturel. Tout secours inespéré pa-
raissait un bienfait de la divinité, et c'est ainsi qu'on admet-
tait des degrés différens dans l'importance des miracles et
dans la science des thaumaturges. Zoroastre descend à plu-
sieurs reprises dans la lice avec les enchanteurs ennemis de
sa nouvelle doctrine; il ne nie point leurs œuvres merveil-
leuses, il les surpasse; il affirme qu'elles sont l'ouvrage des
Deivs , émanation du principe du ui:d, et il le prouve, en
remportant sur eux la victoiie au nom du principe du bien.
Moïse, prophète du vrai Dieu , lutte de miracles avec les prê-
tres égyptiens, sûr d'établir, par la supériorité des siens, la
supériorité du maître au nom duquel il parle devant le roi
d'Egypte. Suivant une tradition hébraïque, conservée en
Orient, il devina le secret des procédés employés par ses ri-
632 SClEiNCES MORALES
vaux, sans que ceux-ci pussent pénétrer les siens; ce qu'ex-
pi inic en style figuré la verge de son frère dévorant celles d(î
SCS antagonistes, tianformées en serpens.
Dès que quelques lueurs liistoiiques permettent de pénétrer
dans les temples, on reconnaît qu'une vaste branche des con-
naissances humaines n'a pu fleurir qu'au fond des sanctuai-
res, et qu'elle composait une partie importante des mystères
religieux. Tous les miracles (jui n'appartenaient pas à l'adresse
ou à l'imposlure étaient le fruit de celte science occulte; c'é-
taient, en un mot, de véritables expériences de physique.
Lorsque, de nos jours, Swedenboig déclarait que ceux qui
ne croyaient point à sa parole, ne se rendraient pas non plus
à (les miracles; c'est qu'il comprenait fort bien que le tems des
miracles était passé. Nous sommes, dit-on, trop éclairés pour
y croire; n'est-ce pas dire, en d'autres termes : Ce qui for-
uiait une science secrète, réservée uniquement à (luelques
êtres privilégiés, est rentré dans l'immense domaine des scien-
ces accessibles à tous les esprits.
En effet , des arts, depuis long-lems vulgaires, ont dû pas-
ser pour divins ou magiques, tant que leurs procédés sont res-
tés secrets; et, dans les luttes d'habileté qu'élevaient, entre les
dépositaires de la science, des iutérêts opposés, pour ne point
laisser apercevoir aux regards profanes les bornes des moyens
de la magie, un pacte tacite ou foimél existait entre les thau-
maturges. Déjà, dans la mythologie grecque, il n'était pas per-
mis à ini (lieu de défaire ce qu'un autre dieu avait tait. Dans
les luttes des thaumaturges, il pouvait en être de même en
général; on voit mên;e que le triomphe de l'un d'eux ne pa-
raissait nullement décisif à ses adversaires, prêts à choisir à
leur tour unv. épreuve où leur capacité l'emportera. Moïse a
vaincu les prêtres égyptiens; Élie, les prophètes de ÎJaaI.
Loin de s'humilier, Pharaon poursuit, à main armée, le peuple
qu'a conduit M</ise : Jésabel jure de venger, par la mort d'É-
lie, les prêiies ((u'il a mis à mort.
Eiï résumé, l'art des magiciens parait inoins un secours
«i un l)içiifail ccnliuM'l de la i]ivinil<'' que le produit d'une
ET POLITIQUES. 6.17»
science péniblement acquise et dinicilement conservée. Poin-
oi)ércr magiquement, il fallait des préparatifs très -étendus sur
la nature, et sur l'action desquels on jetait un "Voile mystérieux.
Apollonius se défend d'être au nombre des magiciens, qu'ii
appelle artisans de miracles. Enfin, Moses Mainionitle nous
apprend que la première partie de la aiagie des Chaldéesis
était la connaissance des métaux, des plantes et desanimaiix,
et que la seconde indiquait les tems ot'i les œuvres magi-
ques pouvaient êlre produites, c'est-à-dire, les momens où
la saison, la température de l'air, l'état de l'atmosphère secon-
daient le succès des opérations cbiBiiqucs ou physiques.
Ajoutez à cela les opérations mécaniques, les gestes, les pos-
tures, les paroles inielligibies et ini'itelligibles, le charlata-
nisme de l'escamotage, les tours d'adresse plus ou moins gros-
siers, le sort consulté sans cesse, et dirigé pa' .-.la ruse; ces
oracles, que Fontenelle et Van Dale ontdévoilés ; et vous au-
rez un système à peu près complet.
Comme il fallait partout montrer un pouvoir surnaturel,
et cacher la main de l'homme, un secret religieux couvrit îes
principes de la science : ime langue particulière, des expres-
sions figurées, des allégories , des emblèmes en voilèrent les
moindres détails. Les hiéroglyphes, une écriture inconnue,
le langage énigrnalique des évocations, les révélations gra-
duées, partielles, et qu'ur. petit noinbre de prêtres obtenaient
dans leur plénitude, et la religion d'un serment terrible, con-
tribuèrent à les envelopper d'une obscurité impénétrable.
jMichœlis, qui savait relever, par une philosophie saine et i»î'o-
londc, le pris de sa vaste érudition, remarque qu'une langue
universelle, créée par les savans, et à l'usage des sa vans seuls,
les mettrait en possession exclusive de la science; s'il eût l'ait
un pas de plus, Michtelis aurait observé, que son hypo-
lhè-;e était l'histoire de l'antiquité ; (<ue les religions possé-
daient presque toutes une langue et une écriture sacrée, et
qu'elles permettaient aux initiés d'imposer aux profanes, qr.i
osaient concevoir l'espoir de deviner ces énigmes , et for-
niaionl mille conjectures extravagantes. Le thaumaturge, loin
054 SCIENCES MORALES
de les dissiper, les aidait à se répandre ; c'était autant de ga-
ranties de rinviolabilité de son secret.
Aussi, concentrée dans un petit nombre de mains, trans-
mise souvent d'une manière incomplète, la magie dut se dé-
grader; les siècles s'accumulèrent, et elle se réduisit à une
pratique dénuée de théories, à des formules inexactes et sou-
vent intraduisibles. Plus tard, l'ignorance et la curiosité, l'o-
pinion qu'(Mi imitant des figures d'hiéroglyphes, ou devait
opérer des prodiges, qu'on obtenait précédemment par le
procédé dont ils déguisaient l'expression, produisirent d'é-
tranges aberrations, et firent germer parmi la multitude les
erreurs les plus grossières.
Tant que 1 esprit de .forme fixe de la civilisation subsista,
les mystères restèrent cachés au fond des sanctuaires, au fond
des écoles philosophiques. Ils ne se répandirent, à la longue,
que par l'influence de la civilisation perfectible. La commu-
nication habituelle des Grecs avec les successeurs des mages,
dispersés en Asie, après la mort de Smerdis ; les victoires
d'Alexandre; l'appauvrissement de Tlîgypte, après la conquête
des Romains, qui fit affluer à Rome des prêtres de grades in-
férieurs qui y trafiquèrent des secrets des temples; les poly-
théistes, enfin, qui se convertirent au christianisme, et a]tpor-
lèrent dans son sein les connaissances magi(|ues qu'ils possé-
daient, propagèrent les débris de la science sacrée. Elle
subsista long-temsdans les écoles des philosophes théurgistes,
et parmi les prêtres errans ; on peut, sans invraisemblance,
assigner pour successeurs, aux premiers, les sociétés secrètes
de l'Europe; aux seconds les sorciers modernes.
Après avoir ainsi tracé l'histoire de la magie, M. Salverte
recherche quels progrès les sciences avaient pu faire dans
l'anti(pulé, et après avoir esquissé à grands traits les mer-
veilles que la pratique donnait au thaumaturge la possibilité
d'opérer, tableau empreint des plus vives couleurs, écrit de
verve, d'un style rempli d'images et de poésie, il s'engage
dans l'exposé des conquêtes scientifiques des anciens, et
jette sur cette énuinéralion, qui semble un peu aride au pre-
ET POLITIQUES. G35
mier abord, un inttrOt de curiosité toujours croissant par la
variété des détails, l'heureux choix des citations, et par les
rapprochemens inattendus, les explications ingénieuses qu'il
accumule avec un rare talent.
Nous allons suivre l'auteur dans cette partie importante de
son livre, et reproduire succinctemcnL les principaux faits
qu'il a recueillis, heureux si nous pouvons donner une idée des
immenses recherches du savant écrivain. Une analyse rapide
ne reproduira jamais qu'imparfaitement ce vaste ensemble
plein d'intérêt et de vie , qu'il faut étudier dans l'ouvrage
même.
I. La mécanique, l'acoustique, l'optique, l'hydrostatique,
sont l'objet des quatre premiers chapitres. Ces sciences étaient
connues des thaumaturges, et portées à un degré de perfec-
tion que les modernes n'ont pu atteindre pendant long-tems,
et qu'aujourd'hui même ils ont à peine surpassé.
Les planchers mouvans, les machines qui saisissaient les as-
pirans à l'initiation et les faisaient disparaître, se retrouvent
dans presque tous les temples; les statues qui se mouvaient
d'elles-mêmes prouvent que la construction des autoinates
n'est rien moins qu'une invention récente, et les paroles qu'el-
les prononçaient, au rapport de tous, très-distinctement, in-
diquent assez que les anciens avaient découvert le secret des
androides, qui, de nos jours encore, sous le nom de femme invi-
sible, ont excité l'admiration de bien des gens. Quelle devait
être la terreur de la multitude, en entendant des arbres, des
animaux proférer des phrases pleines de sens, et ces tôles par-
lantes, dont les écrit'^ des chroniqueurs de tous les pays font
mention si fréquemment? On savait aussi dans les sanctuaires
imiter parniitement le bruit du tormerre; on connaissait le
mécanisme et l'usage des orgues hydrauliques , des coffres r; -
sonnans.
Les illusions offertes à la vue n'étaient pas moins extraordi-
naires. Les thaumaturges se servaient de miroirs qui repré-
sentaient les images multipliées, les images renversées, et,
chose plus remarquable encore, qui perdaient dans une posi-
«ÔG SCIKNCES MORALES
tioiï particulière la propriété de réfléchir. Ils ménageaient avec
habileté les effets de la lumière; les jardli^s délicieux, les
magniOques palais, qui, du sein d'une obscurité profonde, ap-
paraissent subitement éclairés à perte de vue, comme par un
soleil qui leur lût propre, l'ont supposer, dans des tems recu-
lés, l'existence du dlorama. D'un autre côté, les apparitions
des dieux et des omlires des morts n'étaient-elles pas dues à
la fantasmagoiie : inconsolable de la perte d'Eurydice, Or-
phée se rend à Aornos, dans un antre consacré aux évocations;
il croit que l'ombre d'Eurydice le suit; il se retourne, et,
voyant qu'il s'est trompé, il se tus de désespoir.
Ne doit-on pas rapporter également aux prestiges de la diop-
trique, une faculté extraordinaire, dont parlent les écrivains
d'âges et de pays assez différens, pour que l'on puisse croire
qu'ils ne se sont pas copiés les uns les autres. Des magiciens
avaient trouvé le secret de fasciner la vue des hommes, au
point de rendre des personnes invisibles, ou, du moins, de les
faire paraître sous la forme d'êtres d'une espèce différente.
Sans faire mention de Protée, Cratisthènes, au rapport d'Eusta-
thius, s'entourait de flaumies qui semblaient sortir de son corps,
et passait seulement pour un faiseur de piesfiges. Ce fait extraor-
dinaire, dont les livres anciens racontent tant d'exemples, fut
retrouvé au Mexique et au Pérou. Les naguals, prêtres natio-
naux, prenaient tout à coup un aspect effroyable, et se trans-
fonîifiicnt, aux yeux des hommes, en aigles, en tigres, en ser-
pens monstrueux; ces miracles ne s'opéraient que dans un
endroit choisi et désigné d'avance ; ils indiquent l'existence
des machines, mais n'en font pas deviner les ressorts.
Nous ne nous étendrons pas sur la fontaine merveilleuse
d'Andros, sur les statues qui versaient des larmes, les lampes
perpétuelles, etc. L'hydrostatique explique aisément ces phé-
nomènes. Les anciens connaissaient aussi les liqueurs alcoo-
liques, la distillation, les liquides ch.angeant de couleur, et
grand nombre de résultats chimiques; mais ils possédaient
rn même tems la recelte de secrets que nous avons été bien
long-tems à décduviir. Les moyens de se préserver de l'at-
ET POLITIQUES. 6ô:
teinte du feu, si souvent employés dans les cérémonies du
culte, et dans les épreuves judiciaires, étaicRt mis en usage
en Asie, en Italie, dans le Bas-Empire, et jusqu'aux derniers
siècles en Europe. L'art de tisser l'amianthe était une invention
très-ancienne ; elle vient d'être tout récemment renouvelée par
le chevalier Aldini , et sera d'un immense avantage dans
les incendies. Les thaumaturges avaient enfin, pour rendre le
bois incombustible, un procédé que nous n'avons point re-
trouvé. '■ '
II. La connaissance parfaite des plantes, de leurs proprié-
tés fournissaient aux initiés des armes redoutables; sans
doute, le pouvoir de l'harmonie et des bons traitemens de-
vait agir sur les sens des animaux; mais combien de fois ce-
lui des odeurs n'a-t-il pas servi à les dompter. Et , pour citer
un seul exemple, la faculté qu'avaient les i'hsylles de braver
la morsure des serpens, mis hors de doute par des expérien-
ces faites de nos jours en Egypte, tenait à des .émanations
odorantes, qui affectaient les sens des reptiles, et échappaient
à ceux de l'homme. 31. Salverte examine les vertus de ceitai-
nes lierbe.'^, de drogues et de breuvages préparés par les prê-
tres; les unes, causant un assoupissement profond, les au-
tres, plongeant dans une imbécillité passagère. Les Scythes
s'enivraient en respirant la graine d'une espèce de chanvre je-
tée sur des pierres rougies au feu. On sait que les baies de bel-
ladone, prises comme aliment, produisent une folie furieuse,
suivie d'un sommeil qui dure vingt-quatre heures. L'odeur
seule de la jusquiame, surtout quand la chaleur excite son
.énergie, dispose à la colère, aux querelles. On peut rappor-
ter, entre autres, le trait de deux époux qui, parfaitement
unis partout ailleurs, ne pouvaient, sansen venir à des débats
sanglans, rester quelques heures dans la chambre où ils tra-
vaillaient. On ne manqua pas de croire la chambre ensorcelée,
jusqu'à ce que l'on découvrit, d;ins un paquet considérable
de graine de jusquiame, placé près d'un poêle, la cause de
ces dispates journalières, que la disparition de la subsla.ice
\ énéneu,se fit cesser .sans retour.
T. XLVII. SEPTEMBRE I Soo. 4'
(K>8 SCIENCES MORALES
C'est donc, sans aucun doute, dans certaines propriétés
connues de substances et de compositions particulières, que
l'on doit rechercher les mobiles de ces illusions délicieuses ou
elfra^^antes, de ces révélations involontaires, de ce courage in-
vincible, de cette force morale qui résistait à tous les tour-
mens, dont l'histoire des initiations anciennes oftVe tant
d'exemples.
Ajoutez à cela l'effet des onctions magiques, et vous aurez
l'explication de l'histoire entière des sorciers. M. Salverte
montre clairement que la plupart des faits qui leur étaient
imputés n'avaient pu exister qu'eu rêves; que pour produire
ces rêves, il snflisait des drogues dont ils se frottaient, et de
l'opinion certaine qu'ils avaient conçue d'avance qu'ils al-
laient être transportés au sabbath. En 1750, à Wurtzbourg,
une religieuse, prévenue du crime de sorcellerie, fut traduite
devant un tribunal : elle déclara opiniritrement avoir, par ses
maléfices, tranché la vie à plusieurs personnes. Ces personnes
vivaient ; leur présence démentait ses aveux insensés, et ce-
pendant elle périt sur le bûcher, et cela en i^So.
L'histoire duFieua; de la montagne et de ses jardins enchan-
tés confirme ce qui précède. Il était entouré de fanatiques,
dont le dévoûment sans borne ne lui coûtait, dit-on , que le
soin de les endormir par jine boisson narcotique, et de les
faire tran^^porter dans des palais délicieux où, à leur réveil,
toutes les voluptés réunies leur fiiisaienl croire, pendant quel-
ques heures, qu'ils goûtniont les plaisirs du ciel; n'est -il pas
évident qu'une pareille illusion doit s'expliquer par l'ivresse
physique combinée à l'ivresse de l'âme. Chez l'homme cré-
dub; et préparé d'avance par les peintures et les promesses
les plus flatteuses, le breuvage enchanteur produisait sans
|)eine, au sein d'un profond sommeil, et ces sensations si vi-
ves et si douces, et la continuité magique qui en doubinil le
prix. Interrogez uu homme qui vient d'assoupir des douleurs
aiguës avec une dose d'opium; le tableau des illusions en-
< hanteresses qu'il ne cessera d'éprouver, dans l'état d'extase
(tù il peut rester long-tems plongé, sera exactement celui
ET POLITIQUES. 659
des voluptés surnaturelles dont le chef des assassins coudjlait
ses futurs séides ; la promes.e de les soustraire à l'empire de
la douleur exaltait encore leur fanatisme, et , s'il connaissait,
comme tout le fait présumer, quelque moyen d'engourdir la
sensibilité physique, l'accomplissement de cette promesse de-
venait un nouveau miracle, une preuve ajoutée à tant d'au-
tres du pouvoir certain de commander à la nature.
L'un des plus puissans auxiliaires des thaumaturges était
l'imagination préparée par la croyance habituelle à des récits
merveilleux, par l'exaltation des facultés luorales, par une ter-
reur irréfléchie , par les pressentimens. Nous sommes chaque
jour témoins des effets singuliers qu'elle peut produire; que
des guérisons miraculeuses lui sont dues; et que de services n'a-
l-elle pas dû rendre à la médecine qui, née dans les temples,
faisait partie des sciences occultes, et ne fut long-tems exer-
cée que par des prêtres! La crédulité et le charlatanisme for-
tifiaient leur influence; on sait que les abstinences extraordi-
naires, dont les anciens font si souvent mention, provenaient
de substances nutritives réunies so\!s un volume presque im-
perceptible, qui permettaient de rester long-tenis sans pren-
dre en appaience d'alimens. Matthiole n'attribue-t-il pas aux
Scythes l'usage d'une herbe agréable au goût qui suppléait si
efficacement à la nourriture, que l'effet s'en prolongeait quel-
quefois douze jours entiers : souvent aussi les thaumatm'ges
guérissaient des maladies qui n'avaient jaiTiais existé, et l'his-
toire des résurrections elle-même semble fournir quelque ap-
pui à cette assertion. La fille de Jair est mourante ; son père a
imploré le secours d(; Jésus ; on vient annoncer qu'elle a cessé
de vivre. Jésus rassure Jaïr; il dit positivement aux person-
nes qui pleuraient : ne pleurez point, la jeune fille n'est pas
morte, elle n'est (ju'endormie : et en eiîet, un instant apiés, il
la réveille. On a vu dans ce fait une résurrection; mais les jia-
roles de Jésus indiquent elles-mêmes le contraire. La fille de
Jaïr était tombée en léthargie, et Jésus l'en a tirée.
Les anciens initiés pouvaient inspirer aussi la terreur p.ir la
G.'jo SCIENCES MOr, ALES
connaissance approfondie «juMIs possédaient des substances
vénéneuses. Sans doute, ils rendaient d'iinnienscs services à
l'humanité par leur science, mais, lorsque les circonstances
exigeaient des exemples frappans, ils n'hésitaient point à em-
plo^'er les dangereux moyens de destruction qu'ils avaient en
leur pouvoir. L'art de graduer les poisonsade toustems existé
dans l'Inde. Hélait connu chez les Hébreux; et si aujourd'hui
un prophète se présentait devant un roi, comme Elle devant
Joram, lui annonçait, en puniliou de son impiété, sa fin pro-
chaine et les symptômes de la maladie qui doit lui ravir le
jour, et que si prédiction se réalisât, qui n'accuserait le pro-
phète d'avoir coopéré à l'exécution de sa menace!
III. Ce qui nous frappe le pluschez les sages de l'antiquité,
c'est le talent de l'observation. Aux yeux d'un peuple crédule
et ignorant, qu'ils devaient paraître puissans, ceux qui pré-
voyaient avec exactitude les tremblemens de terre, les ébou-
leinéns, la pluie, les orages, les changemens de vents, qui
possédaient enfin l'art de soutirer la foudre des nuages. Et
pourtant un examen approfondi des phénomènes. météorolo-
giques et des signes ava:it-(-ourcurs (|ui précèdent ordinaire-
ment de tels accidens suffisait pour assurer ces prédictions
que le vulgaire transformait en la faculté d'accorder ou de re-
fuser la pluie et les vents favorables. Les thaumaturges profi-
taient de ces dispositions au merveilleux, j>our agir plus ou-
vertement dans leurs épreuves et les étendre à tous les faits
naturels; c'est ainsi qu'ils s'entouraient d'opérations magiques
pour écarter la grêle, lorsqu'ils savaient fort bien que les
nuages n'en portaient point.
Ils connaissaient sans aucun doute les innuenses ressources
que pouvait leur offrir l'électricité. M. Salverte entre à ce su-
jet dans une dissertation fort curieuse et fort savante sur les
diverses traditions qui tendent à le prouver. Après avoir mon-
tré rSuma Pumpilius faisant les expériences de notre Franklin,
et TuUus Hoslilius, frappé de la foudre, comme ie prolésseur
lleichmann en i755, pour les avoir répétées avec Ijop peu
1':t politiques. 641
de précaulioiis , il prouve que l'exisleuce de cel art icmonte
jusqu'à l'rométliée, qu'il explique le mythe de Salnionée; qu'il
lut conuu dos Hébreux, puis de Z,oroastre, qui s'en servit pour
allumer le feu sacré, et opérer dans l'initiation de ses secta-
teurs des épreuves et des merveilles.
Nous ne le suivrons pas dans cette discussion que l'(Miscml)le
imposant des laits (pj'il a recueillis rend très-inléressaule.
La science des thaumaturgies s'étendait à bien d'autres ob-
jets. Ils avaient appris que certaines cultures se nuisaient les
unes aux autres; que certaines compositions étaient propres à
nuire aux récolles de tout genre, à dessécher les plantes, à
faire avorter les fruits. Dès lors, ils étaient en droit de prédire
la stérilité des arbres ou des céréales, quand Timprudence du
cultivateur avait donné- des voisins malfaisans aux végétaux
utiles, ou loisqn'ils avaient jeté quelque sortilège sur le soi. Ils
possédaient également l'art allVcux de rendre l'air pestilentiel,
dont les guerres de la révolution nous ont amené l'applica-
tion. Les Sonnes, au rapport de Strabon, non contens de bles-
ser leurs ennemis avec des armes empoisonnées, suffoquaient
les guerriers qu'ils n'avaient pu atteindre, en leur lançant des
traits chargés d'inie poudre piéparé(;; et ces piojecliles ré-
pandaient au loin une odeur si infecte, qu'elle frappait de
mort quiconque avait le malheur de la respirer. ,
M. Salverte termine l'exposé des faits qui indiquent des
connaissances très-avancées chez les anciens, en faisant ressor-
tir les merveilles qu'Us pouvaient multiplier par l'emploi du
phosphore et du pyrophore, du naphte et des liqueurs alcoo-
liques; il donne l'explication du feu descendu d'en haut, re-
présente le sang de Nessus comme m\ phosphore de soufre, et
le poison que Medée emplo^^a comme un véritable feu Gré-
geois; ce feu , retrouvé à plusieurs reprises, a été mis en œu-
vres* très-anciennement : on faisait usage d'un feu incxliuguible
en Perse et dans l'Hindouslan ; l'auteur s'attache ensuite à
prouver que l'invention de la poudre remoiUe à une ép')(|ue
très-reculée; qu'elle a été de tous tems connue à la Chine; il
642 SCIENCES MORALES
appuie celle assertion d'une foule de preuves incontestables;
et découvrant dans les temples la connaissance du fusil à vent,
des forces de la vapeur et des propriétés de l'aimant, il exa-
mine si la flèche <£ Abaris n'était point la ])oussole dont l'his-
toire de quelques peuples démontre l'antique existence.
Cet aperçu rapide fait voir que les thaumaturges avaient
des moyens innombrables d'imposer à la classe ignorante, et
si l'on descend jusqu'aux procédés d« nos jongleurs, jusqu'aux
amusemens de la physique expérimentale, qui n'étaient certes
pas inconnus à des hommes intéressés à s'environner de tout
ce qui pouvait grandir leur pouvoir, on doit certainement
conclure que de semblables causes ont du donner lieu à bien
des miracles, et qu'il serait absurde de prendie le parti de tout
nier, parce que le fait en lui-même serait voilé sous des allé-
gories ou des expressions figurées. La méthode de M. Salverte
est d'un esprit élevé; elle ouvre un vaste champ aux recher-
ches scientifiques, car les secrets de la thaumaturgie devaient
être très-multipliés, et sans doute il ne les a point tous expli-
qués ; il en est dont la mémoire, ensevelie sous une enveloppe
fabuleuse, dans quelques documens anciens, sortira un jour de
cette espèce de tombeau, réveillée par des découvertes heu-
reuses qui, sans honorer moins leurs auteurs et l'esprit humain,
ne seront pourtant que des r^é inventions.
Le premier philosophe connu qui ait étudié la science,
comme elle doit l'être, eu observant, Démocrile, disait que la
magie se renfermait tout entière dans l'application et l'imita-
tion des lois et des créations de la nature. M. Salverte est parti
du même principe, et il a traité son sujet en homme qiii a su
comprendre parfaitement l'antiquité.
Son livre a trouvé des adversaires dans quelques jeunes
écrivains, plus spirituels qu'instruits; les uns, se faisant les
champions de l'erreur, érigeant < n principe que c'est chose
nécessaire, ont trouvé mauvais qu'on ait osé attaquer le cha-
pitre des superstitions et déclaré hautement que c'était dé-
truiic I;i [)i)ésic de Tliistoire; d'autres, sont reverius à cette
v:ï politiques. G45
vieille idée du xviu'' siècle , que la plupart dos prodiges cl des
miracles n'ont exist»J que dans l'iinagitiation, et que 1(îs sciences
n'auraient pu être consvîrvées mystérieusement dans les tem-
ples anciens, si elles avaient été portées réellenienl à un haut
degré de perfectionnement.
Nous ne nous arrêterons pas à de telles opinions qu'une
saine philosophie et l'histoire entière de l'antiquité démentent
assez coniplèlement; nous ne nous occuperons pas non plus
de répondre au reproche qui a été l'ait à l'auteur d'avoir accordé
trop de confiance au consensus omnium. Il faut avoir un hien
grand désir de trouver quelque chose à critiquer pour en venir
là, et, quant à nous qui croyons que tout livre consciencieux
et bon dans ses conséquences est un liAre à louer, surtout
lorsqu'il est entouré, comme celui de iM. Salverte, du prestige
d'un style élégant et de hautes considérations philosophiques,
nous pensons donner une nouvelle preuve de notre bonne foi
littéraire en admirant un travail qui a coûté vingt ans de
veilles, et qui jette un jour nouveau sur l'histoire de l'hu-
manité.
Les notes qui le terminent contiennent un article fort intéres-
sant sur la statue de Memnon, et une dissertation sur les dra-
gons et serpens monstrueux qui figurent dans un grand nom-
bre de récits fabuleux ou historiques, dissertation insérée dans
la Revue Encyclopédique. (Voy. t. xxx, p. 3oi et 623.)
L. Am. s — T.
e* t-ts-9o^^-&&«^'&*^e^
644 SCIENCES MORALES
A HisTORT uf England fro.m the iirst ixvasio> by the ilo-
MAKS, etc. — Histoire d'Angleterre, depuis la première in-
vasion par les Royiiains ; par John Lingard(i).
Histoire d'Anxleterre , etc., traduite en français par M. de
RoiMorx (2).
On-s'éloune quelquefois de ce que l'histoire moderne ait
en général, jusqu'à ces derniers tems, aussi peu fixé l'attention
et excité l'intérêt des peuples mêmes dont elle retrace l'exis-
tence. Quelques écrivains ont cru en trouver la cause dans un
enthousiasme immodéré . pour ces anciens, dont les lumières
recueillies, comme en un foyer, dans les cloîtres du moyen
Age, nous ont fait ce que nous sommes. Cette explication a
été assez généralement admise, et bien des gens pensent que,
pour rendre parmi nous les études historiques à leurvéritahle
objet, il est d'abord indispensable ùt se délivrer définitivement
des Grecs et des Romains. Mais, c'est là évidemment une vue
superficielle; il ne se peut qu'une telle préférence n'ait pas
une plus haute origine ; les nations ne vivent pas ainsi sur un
sentiment de gratitude exaltée; la niison publique veut de
plus i)uissans motifs, et l'on ne s'explique point de la sorte
pourquoi ceux qui se sont passionnés pour les anciens se sont
si peu passionnes pour les modernes. Peut-être que, si l'on se
fût donné la peine de regarder de plus près ce qu'est l'his-
toire, de la mettre véritablement à sa place, comme travail
de l'esprit humain, on eût trouvé quelque chose de mieux à
dire à ce sujet.
.Assurément, si Diisloire n'était autre chose qu'un amas in-
cohérent et bizarre des faits divers successivement amenés
par le cours des siècles, nous ne a' oyons pas pourquoi celle de
(1) Paris, 1826; I,. lîaudiy, rue (lu Coq Saiiil-IIonoié, 11° y. 16 vol.
in-8» ; prix, 112 fr.
(2) Paris, 1826 ; Carié de la Charic, nie de rjîcoIe-de-Médecinc, n" 4.
10 vol. ont paru ; piix du vol., 6 fr. 5o c.
ET POLITIQUES. 045
rKiirope moderne n'exciterait pas un liant intérêt. Oi'i tron-
ver une plus ample et plus riche collection de batail-
les et de révolutions, d'é\ènemens de toute sorte, immen-
ses par leurs résultats pour les peuples qui les ont accomplis?
Mais l'histoire est mieux que cela; sans quoi il la faudrait
presque mettre an rang des contes qui servent à tromper la
longueur des veillées. 3Iensonge ou vérité, la différence ne
serait pas grande, et l'on concevrait que les esprits supé-
rieurs ne vissent là qu'un vain amusement à renvoyer à "\Val-
ter Scott.
Si, comme l'observation attentive le révèle, et comme di-
vers travaux cnntemporains l'ont démontré, la société, dans
son ensemble, est invariablement soumise à la loi du progrès;
si elle a le sentiment profond que telle est sa marche néces-
saire, il est clair qu'elle ne sera vivement intéressée par une
série de faits qu'autant que la pensée du progrès s'y trouvera,
qu'autant qu'ils n'appartiendront pas à luie de ces époques, où
l'humanité paraît accidentellement stationnaire, ou rétro-
grade. Dans ces époques, en effet, il ne peut y avoir pour elle
que du bruit et du mouvement, que des tableaux de calamités
avec lesquelles elle sympathise, mais dont elle éloigne bien
vite ses regards, pour les reporter sur ces tems glorieux, où le
progrès se manifeste par ses deux caractères essentiels, le dé-
veloppement des lumières et de la liberté.
Il faudra donc, pour que l'histoire nous attache fortement,
qu'une pensée d'affranchissement ou de civilisation la domine ;
il faudra que nous puissions suivre cette pensée au travers
des phases divei'sesde la nation dont il s'agit ; que tout vienne
là, hommes et choses, que chaque fait y apporte son tribut,
et que le terme où l'on s'arrête se trouve aussi être le' pas le
plus en avant dans la carrière. Alors, et seulement alors, il y
a vie et puissant intérêt; c'est de l'histoire.
Voyez, en effet, parmi les révolutions qui marquent les
annales des peuples, si ce ne sont pas toujours celles auxquel-
les ils doivent la liberté qui-fixent pi"esque exclusivement no-
tre attention! Autant en dirai-je de ces vastes conquêtes qui
G46 SCIENCES MORALES
changent tout à coup la lace d'une portion du globe. Nous n'ad-
iniions, nous ne voulons connaître que celles qui sont faites
au profit de la grande cause sociale, par un peuple civilisé sur
un peuple barbare. Et ainsi s'explique le degré si différent
d'intérêt qu'excitent en nous, par exemple, les expéditions
d'Alexandre et celles de Timur-Bek, ou de plusieurs autres dé-
vastateurs de l'Asie.
Ces idées sont tout-à-fait applicables aux hommes mêmes
(|ui figurent dans l'histoire. De grandes qualités, de beaux
exploits peuvent être signalés dans tous les tems. Chaque âge
eut ses héros; mais dans quel but ont été dirigés leurs efforts;
à quelle cause leur bras s'est -il dévoué? C'est là toute la
question. On pourrait citer quelques personnages du Bas-Em-
pire, dont les noms sont à peine connus du lecteur, et dont
la carrière fut peut-être non moins glorieuse que celle de
Scipion; et Bélisaire serait peut-être dans cette classe, si un
conte populaire n'en avait fait un frappant exemple de l'in-
gratitude des rois. Mais ces personnages illustres ont dépen-
sé leur vie au profit du lâche et honteux despotisme des em-
pereurs d'Orient , et nous nous soucions peu dès lors de leur
gloire. Je reste indifférent à vingt traits de dévoûment subli-
me, dictés par un amour aveugle pour une dynastie déchue,
et la mort de Léonidas ne se présente jamais à ma pensée,
sans exciter en moi une vive et profonde émotion !
Maintenant, on voit de suite pourquoi certaines parties de
l'histoire ont été si universellement adoptées, pourquoi d'au-
tres sont restées dans l'oubli , et n'ont pas même trouvé de
narrateurs dignes d'estime. Car, c'est une chose remarquable,
et que tout ce qui précède fait suffisamment comprendre, que;
partout où l'histoire a réellement valu la peine d'être traitée,
où elle a été véritablement nationale dans une acception nou-
velle du mot, elle a rencontré d'habiles interprètes. Le gé-
nie s'y est 'de lui-même porté. Voilà comment l'histoire de
ces peuples libres de l'antiquité, qui dominèrent et éclairèrent
le monde, a passé dans de si admirables productions, et com-
ment aussi, après tant de siècles accomplis sur la poussière
ET POLITIQUES. 647
de leurs cités, celte histoire excite encore un plus viC intérêt
qu'une grande partie de l'histoire moderne.
Il faut bien voir, en effet, que les annales de notre Europe
commencent partout par une déplorable invasion de la bar-
barie sur la civilisation, par la plus effroyable scène de mort
et de dévastation dont le monde ait jamais été le théâtre. Sans
doule , il y a là matière à de rapides et profondes considéra-
tions à la manière de Montesquieu. Mais les détails présentent
nu chaos non moins fastidieux qu'affligeant, et sur lequel le
zèle d'une science vaine peut seul aimer à s'appesantir. Vient
ensuite la féodalité qui s'étend imiformément sur toute l'Eu-
rope, la féodalité réhabilitée dans ces derniers lenis par une
école philosophique , et qui fut certainement un progrès de
l'état social, comparativement aux tems anciens, mais qui
amena un nombre infini de luttes longues et sanglantes, où la
liberté succomba presque toujours, et où ne se trouve plus
dès lors cette sorte d'intérêt que j'ai signalé. Les tableaux
prennent plus de grandeur, quand la réforme vient donner
le signal de l'affranchisssement de l'esprit humain et frayer
les voies à la liberté civile; ils en deviennent atissi plus atta-
clians. Pour plusieurs peuples, l'histoire ne date véritablement
que de là.
Les considérations et les rapprochemens viennent en foule
à l'appui de ce système, et prouvent que, dans le fait, le but et
les résultats des évènemens en font tout le prix devant la pos-
térité. L'Espagne, théâtre d'une guerre si longue et si achar-
née, et dont le peuple hcroùpie reconquit, pied à pied, son
sol sur les Maures, devrait, ce semble, pouvoir offrir une
histoire pleine d'un puissant intérêt : pourquoi donc est-elle
si négligée, et n'a-t-elle trouvé qu'un jésuite pour histo-
rien (i) ? C'est qu'en définitive, elle présente le tableau de
toutes les franchises nationales vaincues par le monachisme,
et d'une grande victoire sur Mahomet, dont tous les fruits ont
été pour l'inquisition. Que voulez-v(»us faire d'une histoire
(1) Mabiana
648 SCIENCES MORALES
rouronnéc par une telle fin? Au contraire, qu'un petit peuple
fasse retentir t-es monts du ci i de liberté ; qu'il déploie de mâ-
les vertus pour renverser la tyrannie; qu'il s'a ÛVanchisse enfin
par d'héroïques efforts; aussitôt tous les autres ressentent un
vive sympathie pour cette partie de son histoire ; on ne la lit
pas sans émotion, et il trouvera, un Jean de Miller pour la
retracer!
Nous n'avons pas encore, dit-on, d'histoire nationale ; miù-i
est-ce aux écrivains ou à cette histoire elle-même qu'il faut
s'en prendre ? L'espace me manque pour traiter ce point. Dans
la crainte d'abuser du droit de préambule, je l'abandonne aux
réflexions du lecteur, et j'arrive à l'histoire d'Angleterre.
Ici, du moins, il ne peut y avoir de doute sur l'îmmense
intérêt qui doit s'attacher à un exposé fait avec talent. Il s'agit
d'une nation chez laquelle une pensée de liberté domine tous
les faits, s'associe à tous les changemens politiques. Cette na-
tioji a posé la base de ses franchises, à une époque déjà re-
culée ; elle y a ajouté, à chaque siècle, à chaque règne : toutes
les classes ont concouru à l'œuvre; le clergé souvent, la no-
blesse toujours; le peuple est constamment resté sur la brè-
che. Parmi ses longs troubles civils-, on voit nailre et se
développer la monarchie représentative, c,ette belle inven-
tion moderne, la plus heureuse alliance du pouvoir et de la
liberté qui ait été jusqu'à présent conçue : on puise des leçons
d'expérience politique à chaque page, et, pour compléter
l'imposante majesté du tableau, on suit un agrandissement
progressif qui a livré à ce peuple la domination des mers du
globe et lu Ibitune de l'univers; certes, il faut convenir que
rarernent le génie de l'histoire eut une |dus belle et plus large
carrière à parcourir.
Aussi, les historiens n'ont pas man(|ué à ce pays ; quelques-
uns sont comptés parmi ses écrivains les plus distingués et ont
même (pielquefois mérité d'être placés à peu de distance des
beaux génies de rautir(uité. Dans le nombre , il en est un qui
a réellement pris rang à côté d'eux par les mérites divers de
-on vaste et beau travail ; on voit que je veux parler de David
!i IM E .
ET POLITIQUES. G49
L'ouvrage de ce célèbre écrivain est très-connu en France;
c'est celui que lisent et méditent les personnes qui veulent ,
parmi nous, faire une étude approfondie de l'histoire Britani-
(|ue. On apprécie généralement les qualités précieuses qui dis-
tinguent ce travail, la pureté du style, la vivacité de la nar-
ration, la hauteur des vues, une parfaite connaissance du cœur
humain el du mécanisme des sociétés, surtout une entière im-
partialité entre les diverses sectes qui jouent un rôle si impor-
tant dans ces annales. Ce caractère particulier de l'histoire de
H urne est d'autan tplus à remarquer qu'il est peut-être le seul des
philosophes du xyiii^ siècle en qui l'on puisse pleinement le
reconnaître. Il est vrai qu'ayant devancé toute son école, et
poussé la doctrine sceptique jusque dans ses dernières consé-
quences, il lui en a peut-être moins coûté qu'à un autre pour
rester tonl-à-fait indifférent entre des opinions si vaines à ses
yeux. Catholiques, épiscopaux, presbytériens, n'ont plus été
pour lui que deshommesà blâmerou àplaindre successivement,
suivant qu'ils étaient tour à tour oppresseurs ou opprimés.
Il semble qu'il y avait quelque présomption à tenter après
Hume une nouvelle histoire générale d'Angleterre dans les
mêmes dimensions ; l'ouvrage du D"^ Lingard a prouvé qu'une
telle supposition eût été mal fondée, et que, malgré la supé-
riorité avec laquelle ce vaste tableau avait été exécuté, nom-
bre de parties pouvaient ne rien perdre, gagner même à être
vues par un autre œil et retracées par une autre main.
Le D"^ Lingard était déjri connu en Angleterre par quelques
travaux d'érudition. Dans une préface écrite d'un ton de sin-
cérité quelque peu fière, il fait lui-même connaître comment
lui est venue la pensée d'écrire l'histoire de sa patrie. Halu-
tuellement livré, pour ses travaux de prédilection, à la lec-
ture dcs.monumens de cette histoire, il songea à annoter, che-
min faisant, les passages qui rectifiaient des erreurs commises
par les historiens précédens. Peu à peu , ses notes se grossis-
sant chaque jour, il lui sembla qu'il avait les élémens d'un tra-
vail original. Dès lors, il se mit à l'œuvre , et pour lui Conser-
ver ce caractère spécial d'originalité , il renonça sur-le-champ
G5o SCIENCES MORALES
à la lecture des ouvrages de ses prédécesseurs et se borna uni-
quement à la lecture des autorités, se réservant de revenir aux
premiers, quand il aurait achevé d'écrire; méthode excel-
lente qu'on ne saurait trop recommander, mais qui ne trou-
vera malheureusement que peu de partisans, parce qu'on
a plutôt lait de copier des erreurs que de chercher à les rec-
tifier. Ainsi a été composée la nouvelle histoire d'Angle-
terre.
Il suit de là qu'elle se distingue par une mérite inconlesta-
ble, et qu'on ne saurait méconnaître après la lecture de quel-
ques pages : c'est un caractère d'authenticité et de vérité qui
la place au premier rang sous ce rapport entre les composi-
tions historiques : elle est bien réellement un ouvrage de cou-
science. L'auteur déploie dans l'examen et la comparaison des
témoignages un soin infini et une grande sagacité. Quelques-
unes des sources où il a puisé lui appartiennent en propre, et il
les a très-habilement mises à profit pour jetter un jour tout
nouveau sur certaines partie de l'histoire. Il est supérieur en
ce point à Hume dont les recherches sont néanmoins en gé-
néral exactes et approfondies.
M. Liiigard appartient à une classe d'hommes à qui, soit
injuste prévention, soit croyance l'ondée en raison, on n'ac-
corde guère en Angleterre, et l'on peut bien ajouter aussi en
France, la faculté de juger avec calme et impartialité les évè-
nemens historiques : 31. Lingard est ministre de l'Église ro~
maine. Soyons justes; cette persua:5ion, acquise d'avance,
qu'un prêtre catholique ne saurait être impartial, l'ait qu'on
est quelquefois très- exigeant à son égard; on l'attend ;\ cer-
tains passages; on l'arrête au moindre mot, et souvent on lui
suppose assez gratuitement des intentions ou des préventions.
Si le nouvel historien anglais ne sort pas entièrement intact
de cette épreuve, il faut pourtant convenir qu'il n'y a quo de
faibles reproches à lui faire à cet égard. En général, il
lient exaitement la balance entre les factions religieuses, et
attribue avec justice à chacune ses torts et ses excès. La Rc-
riir d'Edimbourg l'a accusé d'être, comme de raison, dévoué
ET POLITIQUES. 65 1
aux (loctrinos de Rome : ce dévoûmcnt me paraît renfermé
dans de sages limites ; enfin, le caractère sacerdotal dont l'au-
teur est revêtu n'a évidemment exercé qu'une faible influence
sur ses jugemens; j'en excepterai toutefois celui qu'il porte
sur la reine Marie : je ne puis admettre qu'on accorde toutes
les vertus à une femme atrocement fanatique, qui dictait
chaque jour des arrêts de mort de son oratoire. Il ne faut pas,
comme fait l'auteur, prétendre l'excuser, en alléguant qu'elle
vécut crans un siècle où l'on se faisait un principe de gouver-
nement de ramener ù l'unité. L'assertion est vraie; mais tous
les princes du siècle, quoique imbus des mêmes idées , n'agi-
rent pas avec la même cruauté. Qu'elle soit donc flétiie pour
ses sanglantes persécutions, de même que ce Philippe II, bien
digne de lui être donné pour époux, et qui n'imita que trop
ses fureurs,
(]'est au contraire sans aucunes restrictions qu'on recon-
naîtra dans le D' Lingard un zélé partisan des libertés pu-
bliques et des di oits du peuple. Il en expose constamment le
triomphe de manière à montrer que cette cause est la sienne.
Il la défend toutefois sans exagération, etenavouantles eireurs
où ime ardeur immodérée a pu quelquefois entraîner la na-
tion. Son ouvrage est. sous ce point de vue, préférable à ce-
lui de Hume, à qui l'on a reproché, non sans raison, no-
tamment dans le récit de la grande lutte parlementaire du
xvn' siècle, quelque partiailé pour la couronne. Hum;,-, en
effet, Écossais, et élevé parmi des jacobites , ne put jamais se
défendre d'un peu de prédilection pour un parti vaincu et si
souvent persécuté. Il se montre en général trop favorable
aux Stuarts ; d'ailleurs, vivant dans la haute société d'une
époque où le jargon sentimental eu faveur des intérêts popu-
laires servit trop souvent à déguiser l'égoïsme profond des es-
prits, Hume partageait le dég"ùt générai qu'inspirait alors la
pensée de toute victoire des dernières classes. C'est une sin-
gularité assez piquante qu'un prêtre catholique se tiouve ici
infiniment plus libéral qu'un philosophe du xv!!!*" siècle , ami
du baron d'Holbach et de M""" du Deffant.
652 SCIENCES 310UALES
Du reste, le docteur Lingard fait profession de n'être point
ce qu'on appelle un historien philosophe; mais il me paraît
s'ôlre mépris sur ce qu'on entend en général par philosophie
de l^ histoire ; W seml)le croire qu'elle consiste exclusivement
dans l'art de pénétrer les intentions secrètes des personnages
et les motifs cachés des évènemens, et il prétend (|u'il faut
laisser aux romanciers cette vaine recherche. J'observerai d'a-
bord qu'on pourrait opposer à l'aiiteur nombre de passages
où lui aussi s'attache à la partie intime de l'histoire, et s'ef-
force de dévoiler la raison du jeu des acteurs; cela doit être,
et il en sera de même dans toute composition historique. Cest
aussi un des mérites de Hume qui déploie, sous ce rapport ,
une rectitude de jugement et une finesse de vues qu'il ne fau-
drait pas dédaigner, parce qu'on ne saurait y atteindre; je
crois que c'est un peu ici le cas du D' Lingard. Mais la philo-
sophie de l'histoire , au moins dans le sens ordinaire de cette
expression , s'occupe bien moins des individus que de l'hu-
manité en général, de ses intérêts, de ses besoins, de ses pro-
grès. Elle fournit ces grandes vues qui guident au travers du
labyrinthe des laits, les soumettent à une appréciation com-
mune , les ramènent à un ensemble imposant et utile. Sans
elle, l'histoire ne serait que chronique indllférente et morte;
il faut qu'il y ail de la philosophie dans tout travail historique,
digne de fixer l'attention des hommes éclairés; et il y en a
dans l'ouvrage du D' Lingaid lui-même, (|uoi qu'il en dise.
Quant au style, on a généralement rendu justice au nouvel
historien. Sa diction est constamment claire et soutenue. Il se
sert quelquefois, comme l'école poétique actuelle d'Angle-
terre, de termes rajeunis; mais il les place toujours à propos.
Ses tours sont élégans sans recherche; la narration se lit
avec plaisir. Peiit-être, néanmoins, y voudrait-on rencontrer
plus souvent de ces traits vifs el heureux qui surprennent et
excitent l'intérêt dans celle de son devancier.
Je ne puis rendre un compte détaillé d'un aussi grand ou-
vrage : ce serait presque la matière d'un volume. Dans l'im-
possibilité de suivre pas j pas l'auteur, j'extrairai simplement
tT POLITTQI ES. G55
de mes notes quelques-unes de celles qui concernent le règne
de Charles I", règne si fécond en évènemens importans et dé-
cisifs. De nouveaux rapprochemer.s avec l'histoire de Hume
achèveront de mettre le lecteur à même d'apprécier les mé-
rites respectifs des deux écrivains.
Dès le début, les qualités principales qui distinguent le
D' Lingard ressortent d'une manière frappante. Il y a mani-
festement plus de soin et de clarté dans sa narration; celle de
Hume est plus confuse et quelques circonstances intéressantes
y sont omises; mais celui-ci reprend tous ses avantages, en re-
traçant l'histoire de la session qui amena la mémorable péti-
tion de droit. Ici le récit est plus complet, plus plein de frag-
mens empruntés aux débats parlementaires, et propres à en
mieux faire comprendre le résultat. Tous deux, au reste, jugent
ce résultat à peu près de même ; c'est pour Hiune une véri-
table révolution, et le D' Lingard dit que le parlement a, dans
cette circonstance, bien mérité de la postérité, en plaçant les
libertés de la nation sur des bases fermes et imtnuaùlcs) (Vol. ix,
p. 555.)
Hume e^t, comme on le pense l>ien, beaucoup plus favo-
rable au comte de Strafford que le nouvel historien : il cher-
che à pallier ses attentats envers la nation; il le présente
presque comme un grand homme, victime d'ennemis puissans
qui lui supposent des torts imaginaires. Le D"^ Lingard, tout
en exprimant une juste compassion pour la fatale destinée
d'un homme doué des plus hautes qualités et de grands talens,
voit en lui, néanmoins, le plus actif et le plus formidable ennemi
des libertés du peuple. (Vol. x, p. i lo.) Il est également équi-
table, en rapportant la condamnation et la mort de l'arche-
vêque Laud, dont il ne dissimule pas le zèle persécuteur con-
tre les adversaires de l'Lglise d'Angleterre. Hume, dans sou
indignation contre les juges du malheureux vieillard, va jus-
qu'à justifier ses persécutions passées par une réflexion assez
peu philosophique : il eût été à désirer, suivant lui, qu'on re-
tînt les presbytériens dans l'uniformité par epielqucs rigueurs
salutaires et légales. Des rigueurs salutaires! niii se serait at-
r. XI.VII. SEPTEMBRE I 85o. /) •>
054 SCIEiNCIiS MOJIALES
tendu à trouver là cette expression tant lepruchée de nos jour»
à un écrivain de la congrégation !
Je terminerai cet examen par la citation d'un passage dans
lequel l'auteur apprécie de la manière la plus judicieuse la
position et la conduite des Stuarts, dont l'histoire a d'autant
plus d'intérêt pour nous, qu'elle s'est exactement reprotUiite
dans ce pays, et qu'une révolution glorieuse vient aussi de lui
donner im dénoûmeiit conforme. Cette citation servira eu
même lems à faire mieux connaître la manière du D"^ Liugard,
autant toutefois qu'il est possible à une traduction de remplir
un tel oflike.
«Les Stuarts, dit riustorien (vol. x, p. iSa), s'assirent snr
le trône des Tudors, avec la persuasion qu'ils possédaient lé-
gitimement tous les pouvoirs arbitraires, réclamés et exercés
par leui's prédécesseurs. Mais, dans le cours des cinquante
dernières années, les esprits avaient été changés par une éton-
nante révolution. Il était devenu de mode d'étudier les prin-
cipes du gouvernement, et d'opposer les droits des sujets aux
prétentions du souverain. INous avons vu qu'Éli.vabeth, mal-
gré la crainte respectueuse qu'inspirait la fermeté de son ca-
ractère, avait été, vers la fin de son règne, incapable de ré-
primer l'expression des idées libérales; elles firent de rapides
progrès, sous la domination modérée de Jacques I". Les eni^
barras et les besoins qui naquirent des guerres et des dettes
de Charles I" débarrassèrent l'opinion de toute contrainte.
Le bon sens eût dû apprendre à ce monarque qu'il fallait cé-
der aux seulimens généreux de son peuple; mais, dans tous
les siècles, les princes ont été lents à comprendre cette impor-
tante leçon, que l'influence de l'autorité doit en définitive
fléchir devant l'inChienoe de l'opinion. Charles resta opiniâtre-
ment attaclié à la prérogative royale; et, s'il en abandonna en-
fin (luehjue point, ce ne fut qu'après avoir si longuement lutté
et de si mauvaise grâce, qu'il donna toujours lieu à ses sujets
de concevoir des soupçons sur sa sincérité ; soupçons confir-
més par une habitude de duplicilé qui avait constamment
marf|ué sa conduite (k'puis ses premiers pas dans la vie pu-
ET POLITIQUES. G55
t)liqiie. Leur dcfiance devint comme l'antidote de leur grati-
tude ; ils ne lui tinrent aucun compte des plus importantes
concessions, et le désir d'assurer ce qu'ils avaient obtenu les
porta à faire de nouvelles et plus importantes demandes. »
A'^. B. M. DE liOTîJOXJx a publié une traduction de cette his-
toire d' Angleterre y au mérite de laquelle on a rendu toute
justice. Je n'ai pas actuellement cet ouvrage sous les yeux,
et c'est ce qui m'empêche de lui faire un emprunt auquel le
lecteur eût gagné, selon toute apparence.
P. A. DrFATJ.
\ \% XW V\ V vvv \
LITTERATURE.
Essai slr l'histoire de la littérature néerlandaise, par J.
DE S'Gravenweert , chevalier de l'ordre royal dii Lion-
Belgique, membre de l'Institut des Pajs-Bas, etc. (i).
Naviia de ventis. A ce titre, personne n'était plus en état
que M. de S'Gravenweert de faire connaître, surtout en
France, la littérature néerlandaise (ce mot de nouvelle créa-
tion a été nécessité par la réunion de la Belgique aux ci-de-
vant Provinces-Unies des Pays-Bas). Il avait entendu révo-
quer en doute à Paris l'existence d'une littérature, et presque
d'une langue hollandaise. Il prit l'engagement de détruire
celte oulrageuse prévention, et il tient parole. Il donne,
dans un premier chapitre, l'histoire de l'origine, de l'altéra-
tion et de l'épuration de la langue néerlandaise; il retrace,
dans le deuxième, les premiers teins de la littérature néer-
landaise, jusqu'au xvn' siècle. Le troisième embrasse cette
époque (le xvii* siècle), la plus glorieuse dans les annales des
Provinces-Unies. Le quatrième chapitre développe les causes
de la décadence (nous aimerions mieux de la détérioration) de
cette littérature, jusques vers le milieu du xvui" siècle. Dans
le dernier chapitre , l'auteur présente le tableau de sa renais-
sance jusqu'à nos jours, et présage ses destinées futures.-
Il ne nous est guère possible d'entrerdans les détails d'érudi-
tion du premier chapitre. L'auteur établit que, dès le commen-
cement du v° siècle, la langue néerlandaise devint une langue
écrite. Il existe des statuts de saint Boriiface, qui ordonnent
(i) Amsterdam, iSôo; Delachaux. In-S" de 25 1 pages.
LlTTERATLiUJ:. 65;
aux pi êtres d'instruite le peuple, non en latin, mais en langue
vulgaire. Telle fut aussi la volonté de Charlemagne , dont la
cour faisait usage du teuton, ou de l'un de ses dialectes. A la
mort de Louis-le-Débonnaire, fils et successeur de Charle-
magne (800), la plus grande partie des Pays-Bas échut à son
fils Louis, surnommé le Germanique. Ce prince accorda
toute sa protection à la langue du peuple. Le capitulaire de
l'an 81g est le plus ancien document écrit en dialecte néer-
landais. C'est à une époque postérieure (881) qu'il faut rap-
porter un chant de victoire, trouvé dans l'abbaye de Saint-
Amand , et attribué à un habitant du Hainaut, où alors en-
core on se servait du teuton. La traduction des psaumes par
Notkin, abbé de Saint-Gall, en Suisse, date des premières an-
nées du XI'' sièle (1). « Ces deux écrits, dit notre auteur, ont
une telle ressemblance avec le hollandais et le flamand , qu'il
est permis de les ranger dans la première littérature néerlan-
daise. » Sous les empereurs de la maison de Souabe, les dia-
lectes allemands et néerlandais se rapprochèrent de plus en plus ;
témoins deux inscriptions tumulaires, l'ime de 1166, l'autre
de 1296, citées par l'auteur. A l'avènement de la maison de
Habsbourg, le flamand ou le hollandais se sépara entière-
ment du dialecte allemand. La Flandre, le Brabant et la Zé-
lande restèrent en possession du dialecte flamand, parlé dans
la Gaule Belgique : la province d'Ltrecht, et surtout la Hol-
lande, conservèrent l'ancien dialecte dans une plus grande
pureté. Ce dialecte devint, dans les Pays-Bas, et spéciale-
ment dans les Provinces-Unies, la langue écrite et universelle
(1) M. Ypev a publié, à Utrecht, en 1812, un savant ouvrage sur l'His-
toire delà langue hoUandai^c, depuis !es tems les plus anciens jusqu'à nos
jours. (1 vol. in-8° de 5yô pag.) M. S'G. caracférise ainsi cette laiiq-ue,
à la fia de son premier chapitre : « Sœur aînée de l'allemand moderne,
mais essentiellement distincte dans su grammaire et dans ses inversions,
elle est riche en synonymes et en nuances; elle est forte, sonore, élo-
quente et hardie, ce qui la rend plus propre à l'histoire, à l'épopée, à
l'ode et à la tragédie, qu'à la poésie légère et à la comédie. Partout le
caiactèrc sérieux de la nation se reproduit dans son idiome. »
G58 LITTERATURE.
du clergé, des savans et du gouvernement, la langue ensei-
gnée dans les écoles primaires.
»Au XIII' siècle, la langue néerlandai.'^e avait déjà fait de
sensibles pi ogres. Une ordonnance des ducs Henri I" et Hen-
ri II de Brabant, donnée à Bruxelles, en 1229; une autre,
du roi Guillaume, comte de Hollande et de Zélande, sous la
date du 1 1 luars i354, et la coutume d'Anvers, de i5oo, en
fournissent la preuve. L'usage de cette langue était si univer-
sel en Flandre que, dans les négociations des Gantois avec
Pliilippe-le-Hardl, roi de France, en 1286, les Flamands con-
sidérèrent la nécessité de négocier en français comme une des
plus vitdentes injures que ce prince leur eût faites. »
Depuis la page i5 jusqu'à la page 20, l'auteur conduit
ainsi l'histoire de la langue hollandaise jusqu'à nos jours. Heu
est résulté un peu de confusion dans l'ordre chronologique, un
peu d'anticipation, impossible à éviter, sur les chapitres sub-
séquens, et ainsi de redite dans ceux-ci. Quelque intéressant
que soit le surplus du premier chapitre, nous passons au
deuxième, intitulé : Première époque littéraire ^ depuis le xiir
jusqu'au xvii" siècle.
La traduction des lais des ménestrels ; les romans de la Ta-
ble-Ronde du roi Arthur, traduits par Claes (jNiculas) van
Brecliten, de Harlem, ouvrent ici le catalogue des auteurs
néerlandais. « Néanmoins leurs ouvrages, depuis long-tems
perdus ou oubliés, prdissent devant ceux de Jacques de Maer-
lant , né en Flandre (à Maeriant), en i255. Il n'était pas ec-
-clésiastique ; Il occupa dans sa province l'emploi de greffier
de la ville de Damme, où il est mort en i3oo, et où on lui
érigea, àTHôtel-dc-Ville, une espèce de monument. Ses ou-
vrages sont presque tous des traductions de Pierre Comestor,
de Vincent de Beauvais, etc. Les ouvrages de Maeriant n'ont
aucun mérite poétique : c'est de la prose rimée ; mais la lan-
gue est déjà plus pure, la tournure de ses phrases ne manque
pas d'une certaine élégance, et ses idées s'élèvent ([uelque-
foisau -dessus des préjugés de son siècle. Métis [Evillc] Stoke^
son contemporain, et probablement moine de la célèbre ab-
LITTÉUVIURE. 65()
baye il'Egmont, vivait vers la fin du xiii* siècle. Il domia des
chroniques riinées de la Hollande, et les di-dia au comte Guil-
laume III, dont il s'intitule le prtarre ckrc. » (Voyez l'article
que nous lui avons fait dans la lilograp/iie universelle.) « Un
troisième auteur du tems, plus poéti(juc, mais moins pur de
style, est Jean de Hélu , Brabançon : il choisit paur sujet d(î
son ouvrage la victoire remportée par Jean, duc de Brabant .
en 1258, et il s'élève quelquefois au ton de la poésie. Enfin,
on place dans ce siècle la dissertation riinée du Frère Thomas
ou Gérard, sur le système de la nature ; fatras des préjugés du
tems, mêlés aux système de Ptolémée. L'air et la terre y sont
dépeints comme peuplés de monstres qui se combattent
sans relâche, pour effra3'er le genre humain. » — Les romans
de chevalerie faisaient, à cette épo(iue, les délices des gens
soi-disant comme il faut, et VHistoire de Charies-de-C Èlé-
gaste, les Amours de Florant et de Blanchejleur, les Enfansdti
Limbourg, etc. passèrent en néerlandais avec une vogue po-
pulaire. C'est peu de chose pour un siècle; mais ce siècle
était un siècle d'ignorance et de discordes civiles. Il serait in-
juste de passer sous silence Louis de Fclthem^ continuateur
de Maerlant ; ISicolas Leclerc, secrétaire d'Anvers, à qui nous
devons une chronique rimée des ducs de Brabant, sous le ti-
tre de Gestes (Gesta) brabançons ; Ctacs IVillemsz (Nicolas, fils
de Guillaume) un peu plus poète que les deux autres, et dont
l'ouvrage est intitulé : Co«/'s d'Amour, et enfin, \e i\ouveaa
Doctrinal, ou le Miroir du péché, par Jeayi de TVeert , produc-
tion remarquable par la liberté des idées religieuses. Une cause
principale de la décadence de la littérature néerlandaise, a
cette époque, est dans les changemens successifs des maisons
souveraines qui gouvtrnèrentles Pays Bas, et dont la maison de
Bourgogne réunit enfin les dépouilles en i455. Cette maison,
toute française d'origine et de mœurs, encouragea peu la lan-
gue nationale, et elle contribua à l'altération du style et de l.t
prononciation.
Il faut rapporter à cette époque les Chambres de rhcluri-
Ltciis, très-multi})liées dans les campagnes non moins que dans
GOo LITTlî RATURE.
les rites. M. S'Gravcinvci'ii estime qu'eu égard à la vulgarité de
leur composition, icnr influence lltléraire fut nulle ; ce qui est
peut-être trop dire; ils représentaient des mystères et des mora-
lités ; ils s'entre-di^lrihuaicnt des prix de poésie ; ils rivalisaient
quelquefois d'improvisation. Chaque chambre avait son bla-
son, sa devise et son étendaixl ; les chefs ou directeius por-
taient les titres de prince ou de doyen ; elles figuraient dans les
solennités publiques par des entrées triomphales, par des ca-
valcades, par la richesse et la bizarrerie de leurs costumes.
Philip()e-le-Bel ne dédaigna pas de s'y faire inscrire. Elles
s'attirèrent plus d'une fois l'animadversion de l'autorité, par
la licence de leurs satyres contre le gouvernement et le clergé.
M. Rops nous a donné une intéressante histoire des rhétori-
ciens, dans les Mémoires de la Société de philologie hollandaise
de Leyde, t. ii, p. a55-55i.
M. S'Gravenweert attribue encore au xv" siècle les premiers
ouvrages flamands ou hollandais en prose. Une traduction de
l'AncienTestament, d'après la Vulgate, parut àDelft, en 1477?
l'Histoire ou la Chronique des Pays-Bas, par Veldenacr, à
Utrechl, en 1480. C'est dans le siècle suivant qu'il faut surtout
distinguer Coornhert, secrétaire de Guillaume I". ( Voy. nos
articles Coornhert et Lipsius, dans \a Biographie universelle. )
Engagée par Coor/)/<rr<, la chambre des rhétoriciensd'Am>ler-
dam publia, en 1 .t8-J, une grammaire hollandaise, dont il com-
posa la préface. ,
Philippe de Marni.r, seigneur d'Aldégonde, le Mornay de la
Hollande, méiite émineinment d'être mentionné ici. Celui de
ses ouvrages en prose, qui fit le plus de sensation, est su Ruche
de l'Église catholique, satyre dans le genre de Swift , mais an-
térieure au Conte du Tonneau de plus d'un siècle. Sa traduc-
tion des Psaumes de David, en vers hollandais, d'après l'origi-
nal hébreu , lai fit aussi beaucoup d'hon.icur. L'air national
de IVilhelmusvan ISas^auwen (Guillaume de Nassau) est encore
de Marnix : c'est la Marseillaise du tems.
Nous passons sous silence des noms moins illustres; mais il
faut rendre justice à Corneille Kilian, proie de l'imprimeur
UïTERATURE. 661
Pltintin; il publia à riiiniiimcric; de Plantin, en iôçô, son
Tlie.sauras Lingiiœ Teulonlcœ. Le Vocabulaire étymologique et
grammatical de Kilian, réimprimé pour la troisième fois à
Anvers, en 1599, sert encore aujourd'hui de base à toutes les
recherches des philologues néerlandais.
Les historiens hollandais Bor et vaji Mcteven figurent ici dans
leur ordre chronologique.
Enfin, deux personnages intéressans lient , pour ainsi dire ,
le XVI* siècle au xvii' : ce sont Rœnur (Romain) f isschcr et
Henri, fils de Laurent Spieghct. La crainte de trop étendre
cet extrait nous fait encore renvoyer nos lecteurs à nos arti-
cles de la Biographie universelle.
La plus glorieuse époque de l'Histoire de la Hollande est,
sans contredit, sous tous les rapports, la première moitié du
xvii'^ siècle. M. S'G. en trace un magnifique tableau, qu'il faut
lire dans l'ouvrage. Les deux coryphées de celte époque
sont Hoofft et Vondel. (Voyez l'ouvrage ; voyez aussi nos arti-
cles, dans la Biographie universelle.) Nous en disons autant de
Cats, leur émule de gloire. Cals est le poète éminemment po-
pulaire de la Hollande.
Un grand nombre de noms illustres se groupent autour de
ces chefs de file : l'époque était si inspiratrice ! La création du
théâtre d'Amsterdam est de cet âge. Vondel et Hoojft en illus-
trèrent la naissance. Samuel Coslcr, Bredero, Jean Vos y con-
coururent, mais avec une grande disparité de mérite. Les
deux filles de Romain Visscher furent à la fois les Muses et les
Grâces de cette mémorable période. L'immortel Grotius, ainsi
que Daniel Hemxus, comptent parmi les écrivains hollan-
dais les plus distingués.
Viennent ensuite Constantin Huygens, seigneur de Zuili-
chem, et père du célèbre mathématicien de ce nom; le poète
sacré Kampluiisen ; le poète erotique Jonktys ; le poète frison,
écrivant dans le dialecte de sa province , Gisbert Japix. Il faut
apprendre à connaître dans l'ouvrage, ou dans la Biograpliie
universelle, Jércmic de Decker, Jean de Heemskerk , Régnier
Anslo, etc. Le Parnasse hollandais se glorifie encore . dans ce
662 LITTÉRATURE.
siècle, d' J ntojusdés van dcr Goes , et du théologien Vollenho-
ren, immortalisé ;;urtout par son Triomphe de la Croix.
M. S'GravcHweert range parmi les poètes du second ordic
de cette époque. Bin\scro, Oudaen, Pluymer, Elisabeth Hoof-
man, Wellekens. Fraticius cl Bronchlnisius ( Broekhuizen ) n<'
bornèrent pas leur mérite à la poésie latine ; la muse natio-
nale reçut aussi leurs hommages.
D'accord avec M. de Vries , dans son Histoire (anthologi-
quc) de la poésie hollandaise, l'auteur fait dater de cette
époque le déclin de la littérature et surtout de la poésie na-
tionale en Hollande. «On avait commencé (dit-il) à lire Cor-
neille, Racine, Molière, les types de la perfection dramatique,
et l'on trouva plus commode désormais de les traduire (m de
les imiter, que de créer. » L'originalité de la muse hollandaise
s'évanouit, à mesure que prévalut la manie des traductions.
L'esprit de coterie s'introduisit d'ailleurs avec les clubs ou les
associations littéraires, et dès lors on se disputa, on s'entre-
déchira pour un mot, pour une phrase ou une inversion; «la
médiocrité inventa des lits de Procaste; » on pardonna à la
froideur et à l'afTectation, en faveur d'une monotone régula-
rité. Amsterdam vit naître, en 1670, sous la pompeuse devise
de JSilvolentihiis ardaiim, une société qui, à force de traduire,
bannit prèscjuc entièrement de la scène les chef-d'œiivres
de Vondel. Pels., fondateur du nouveau club, n'était cepen-
dant pas sans mérite; en 1668, il avait donné une tragédie de
laMort de Didon, et son imitation libre de V Art poétique d'Ho-
race Cît un ouvrage estimable, ainsi que son discours en ver<
.sur l'usage et l'abus du théâtre (1C81). Catherine Lescailze, en-
tièrement animée. de l'esprit de Pels, donna des imitations en
vers de Rotrou et de Corneille ; elles sont au nombre de sept,
et forment le 5" volume de ses œuvres, recueillies en 5 volu-
mes in-4% Amsterdam, 1722; les deux premiers contiennent
ses poésies mêlées. La faiblesse y est mal compensée par l'i
correction.
Quand la poésie hollandaise eut pris son essor avec Vundel
et Iluo/J't , la Flandre- demeura stationuaire. et cet état, arriére
dure jusqu'il nos jours.
LIÏTEUATUUE. 663
M. S'Giavenwecrt revient sur la prose hollandaise. Hoofft
ne l'ut pas moins grand prosateur que poète, témoin surtout
son Histoire de Hollande ; témoin encore son Histoire de
Henri IV, pour laquelle Louis XITI lui donna lo cordon de
Saint-Michel, et son Histoire de la Maison de M cdicis; enfin son
admirable traduction de Tacite. Les Brandi (Gérard), et Gas-
pard et Jean, fils de Gérard, sont ici en seconde ligne. Le chef-
d'œuvre de Gérard Brandi est sa vie de Ruiter.
La traduction hollandaise de la Bible, adoptée au synode de
Dordrecht ( 1618 et 1619) , est un monuuient très-reuiar-
quable.
Enfin, M. S'Gravenweert mentionne ici quelques voyageurs
hollandais, JeanNieuivhoff, le pasteur Baideus, Scliouîen, Bos-
mun, de Brujn, et il n'a garde de passer sous silence le grand
ouvrage qui parut, en 1706, sous le titre de la Tartaric septen-
trionale et orientale , par le bourguemestre d'Amsterdam, Ni-
colas fP^itsen, l'ami intime de Pierre-le-Grand.
Nous sommes fiers de transcrire ici, pour l'honneur de la
Hollande, le témoignage rendu à Witsen, par Voltaire, dans
son Histoire de Pierre-le-Grand. «C'était, dit- il, un citoyen
recommandable à jamais par son patriotisme et par l'emploi
qu'il faisait de ses richesses qu'il prodiguait en citoyen du
monde; envoyant à grands frais des hommes habiles re-
chercher ce qu'il y avait de plus rare dans toutes les parties
de l'univers, et frétant des vaisseaux à ses dépens pour décou-
vrir de nouvelles terres. »
Le surplus du 5" chapitre offre quelques considérations sur
l'état comparatif de l.i littérature hollandaise au commence-
ment et vers la fin du xvii" siècle. Nous regrettons de ne pas
pouvoir les transcrire, et nous renvoyons nos lecteurs à
l'ouvrage de M. S'Gravenwert. Le chapitre suivant est con-
.sacré au xviu" siècle.
Dans la revue du xviii" siècle, l'auteur reconnaît, et il aurait
grand tort de ne pas le faire, que cette époque qui est carac-
térisée par la détérioration, n'en offre pas moins plusieurs
poètes et prosateurs irès-distingués , et il se plaît à leiu" ren-
664 LITTÉRATURE.
dre justice. Il la divise en trois périodes : depuis 1700 jusqu'à
1775; depuis 1775 jusqu'àla révolutiou de 1795 ; et enfin, de-
puis celte catastrophe jusqu'en i8i5, période (dit-il), de la
restauration qui se rattache au moment actuel.
Voici les sommités littéraires de ce tems qui lui ont semblé
les plus dignes de commémoration.
Sclwnur (Lucas) promettait infiniment; mais sa carrière
fut terminée à vingt-deux a.is.
Poot (Hubert), fils d'un paysan des environs de Dclft, né
en 1689; dès son premier âge, il se délassait des travaux
agricoles par la lecture de Vondel , de Hooft, à'Anlonidès, et
il publia à Rotterdam, en 1716 , un recueil de poésies qui fixa
aussitôt sur lui l'attention des connaisseurs. Mort à l'âge de
40 ans, il a excellé dans la poésie anacréontique et dans l'idylle.
M. S'Gravcnweert assimile Pool à Béranger. Comparaison
n'est pas raison.
Langendjk (PitiTc), né en iG85, est le premier poète co-
mique de la Hollande. Il trouva la scène comique occupée par
des farces ignobles, et son bon-sens lui indiqua, une autre
route. A l'âge de 16 ans , il puisa son premier sujet dans le ro-
man de Cervantes, et son don Quichotte, ou les Noces de Ga-
rnachet pièce bien conduite, bien versifiée et pleine de verve,
est restée au théâtre. Les ridicules qu'il a peints avec le plus
de succès sont les querelles des physiciens de son lems sur le
système de Newton; les spéculations de Lav\', qui boulever-
sèrent en Hollande tant de fortunes, et la manie des anoblis-
semens, fruit de l'élévation de Guillaume III au trône d'An-
gleterre. Telle fut l'origine de ses Matlicmaticiens , de son
Quincampoix, ou Arlequin actionnaire, de la Double Duperie en
Mariage et de son Krelis Louwen. Il s'éleva tout-à-fait au
genre de la comédie de mœurs dans son Miroir des JSégocians.
Sa Xantippe, épouse de Socrale , n'est pas non plus sans mé-
rite.
Hoogvliel [Arnold), né en 1687, débuta dans la carrière poé-
liquepar unetiaduction des Fastes d'Ovide, entreprise ingrate.
Doux volumes de poésies rnclces offrent quelques pièce? remar-
LITTÉRATURE. ()«:>
quables; mais sa céléhrilé se fonde surtout sur sonA braliam
le Patriarche, poème en douze chants qui parut en 1727. «Cet
ouvrage, brillant de poùsie descriptive et d'une versification
forte et harmonieuse, n'est pas, quoiqu'on en ait dit, un
poème épique; c'est un long et superbe récit, dans le style
de l'épopée, de la vie, des sacrifices et des combats du père
des croyans. » Adopté, nationalisé en quelque sorte par le goût
religieux des Hollandais, V A braliam a donné naissance à une
foule de mauvaises copies, et la Bible entière a failli être tra-
vestie en prétendus poèmes épiques.
De Marre (^Jean) , né en 1696, mérite surtout d'être cité
pour sa tragédie de Jacqueline de Bavière, représentée e*a 1736.
On a encore de lui un beau poème en six chants, intitulé :
Batavia, dont le sujet est la domination hollandaise dans l'ar-
chipel d'Asie.
Feituma [Sibrand), plus versificateur que poète, est auteur
d'une bonne traduction de la Henriade : il a aussi publié une
imitation en vers de Télémaque. Brutas et Alzire se distinguent
parmi les emprunts qu'il a faits à la Melpomène française.
On doit à Philippe Zweers une très-bonne tragédie, intitu-
lée : Sémiramis, ou la Mort de Ninus. La ti'agédie à'Ada,
comtesse de Hollande, par François van Steenwyk, mérite des
éloges. Mais les deux plus grands hommes que la littérature
néerlandaise ait produits à cette époque sont, sans contredit,
Balthasar H uydecoper et Onno-Zwier van Hareri.
Haydecoper réunit à un très-haut degré les deux mérites si
divers de grammairien critique ou philolologue hollandais, et
de poète; ses productions du premier genre sont toutes classi-
ques. Il commença sa carrière poétique, en 1719, par sa belle
tragédie A"" Achille. Son Arsace eut également un succès mé-
rité. Son imitation des Satyres et des É pitres d'Horace est un
chef-d'œuvre en son genre.
VanHaren, issu d'une des plus illulres maisons de la Frise,
et qui occupa, avec des désagrémens infinis, les plus hautes
dignités de la république, fournit au théâtre deux tragédies :
Agon, sultan de Baniam . tableau de la chute des souverains
666 LITTÉRATURE.
de cette contrée île l'Inde, et Guillaume I". Mais ces ouvrages^
torts de talent et de pensées, sont écrits et versifiés arec une
négligence impardonnable. II en est de même de son poème
des Gueux, sobriquet adopté comme titre d'honneur par les
fondateurs de la liberté hollandaise au xvi' siècle. Cet ouvrage,
en vingt chants et en stances régulières (Oftava-Rima), parut
en 1769. Il offre, avec les plus riches tableaux, les plus ma-
gnifiques et les plus touchans épisodes. Il a fallu qu'en 1780,
BiUerdyk et Feitli seréunissent pour châtier le style et corriger
la versification des Gueux, afin de placer cet ouvrage au rang
qu'il mérite.
Van Haren [Guillaume) , frère du précédent, fut homme
d'Etat et diplomate commi; lui; et, comme lui, à la plus ri-
che imagination , à l'esprit le plus cultivé, aux sentimens les
plus nobles, il joignait le style le plus rocailleux et la versifi-
cation la plus disparate. Il n'en est pas moins vrai que la
Hollande lui doit son seul véritable poème épique. Ce poème
est intitulé : Friso, roi des Gangarides et des Prusiates : ce Friso
est unpersonnageplusquedouteux, dont quelques chroniques
font mention , et qui aurait été le fondateur du peuple Frison.
Son avantureuse carrière est présentée dans une suite de dix
chants. L'invention seule du sujet annonce un génie créateur;
les détails étincellent de beautés du premier ordre.; les épiso-
des sont variés et intéressans. Il ne manque encore qu'un Bil-
derdyk ou un Feith pour le retoucher. Friso a été faiblement
traduit en prose française , par M. Jansen. Une belle ode de
Guillaume van Haren, intitulée : Léonidas, et sa sombre com-
plainte lyrique sur lavie humaine sont dans tous les souvenirs
Hollandais. Nous en avons trouvé la traduction en prose, dans
un recueil intitulé : Variétés Littéraires. Voltaire a adressé à
Guillaume vnn Haren de beaux vers qui commencent ainsi :
Déniostlicne au conseil et Pindare au Parnasse,
L'augusîe liberté marche devant tes pas :
Tjrtée a dans ton sein répandu son audace,
Et tu liens sa Iruropette, organe des combats.
LITTI-!:UATIJUE. QGy
Lucas Trip, Jean Eascbe Foet^ Roger Sc/tat le ne sont point
passés sons silence comme poètes lyriqncs sacres.
Parmi les grammairiens se distinguent Lambert Tenkate,
Mo?ien, Hoogstraten, surtout le premier; nous avons déjà rendu
justice à Haydecoper.
L'histoire, si noblement commencée par Hooft et Brandt,
cite avec distinction à cette époque Gérard van Loon , Finan-
çais van Mieris, parent des célèbres peintres de ce nom, van
der T yiickl, membre du conseil de Flandre, en s 729, et qui,
sous les auspices et aux frais du comté de Cobenzel, écrivit une
Histoire des troubles des Pays-Bas , tirée seulement à six exem-
plaire^, et surtout JVagenaar. (Voyez, pour ce dernier, la
Biographie universelle. )
Junte van Ejfen publia, avec, succès, de ijSi à 170 5, un
Spectateur hollandais^ dans le genre de celui de Steele. Ce
genre donna naissance en Hollande au Philosoplie ( de Philo-
sooph), au Penseur ( de Denker ) ; van Engelen fut un des col-
laborateurs les plus estimés de ces feuilles hebdomadaires.
Unancien journal littérairehollandais, intitulé : leBoekzaalder
Gelearden (la Bibliothèque des Savans), était un peu trop théo-
logique, un peu trop ecclésiastique. M. S'Graven^veert a oublié
d'en parler. En 1 ;6 1 , parurent les Vaderlandsclie Letteroefenin-
gen (études littéraires nationales); ce journal fut suivi de
deux autres non moins méritans, sous les titres de Bibliothèque
universelle ^ et iV Ecole universelle des Arts et des Sciences.
Le ferment patriotique se développait dans les Provinces-
Unies. Selon M. S'Gravenweert, la poésie s'en ressentit sur-
tout ; il la voit redevenir plus originale, et il attribue à diverses
conjonctures la naissance d'^un genre mixte auquel ne fut rien
moins qu'étranger l'essor que la littérature et la poésie' alle-
mande prirent à cette époque.
Dans ce genre mixte, mais plus français qu'allemand,
l'auteur dislingue d'abord Nicolas-Simon van Winter, et son
éitonse Lucrccc-Guillelmine vanMerken. Né à Amsterdam, dans
la classe aisée, en 1718, van Winter cultiva les lettres par dé-
lassement. On lui doit un poème dans le genre descriptif, in-
068 LITTÉllATUJŒ.
titillé : le Fleure d'Amstel, en six chants; un poème des i^at-
sons , en quatre chants, et deux tragédies originales , Memikoff
et Monzongo. Il est mort à Leyde, en i8o5. (voy. Biogra-
phie universelle.) Son épouse, qui commença à s'iUustrer sous
le nom de van Merken, nous a laissé un poème moral et reli-
gieux, en trois chants, sur C Usage de l'Adversité. Il établit
avec éclat sa réputation; mais elle se surpassa dans un poc<ne
héroïque, en douze chants, intitulé : David. «Il est empreint,
dit M. S'Gravenweert, d'une douceur et d'une grâce qui com-
pensent l'énergie de Hoogvliei. .> En 1779, elle prit encore un
plus noble essor dans son poème épique de Gcrmanicas, en
vingt chants, qui a été faiblement traduit en prose française.
Simplicité, régularité, élévation, s'y unissent au plus rare ta-
lent pom- la poésie descriptive et à une couleur locale dont on
ne peut trop admirer la vérité. Les caractères sont beaux et
soutenus; l'action et les épisodes naturellement enchaînés; la
. politique et la morale empreintes d'une haute sagesse ; le style
est harmonieux et pur; sous le rapport de la versification, on
a appelle M"' van Merken la Racine de la Hollande. Elle a en-
core fait paraître, de 1772 à i78t), sept tragédies de son in-
vention, qui n'ont pas toutes le même mérite, mais qui sont
toutes des productions très-eslimables, savoir : le Siège de
Leyde, ]es Camisards , Marie de Bourgogne, Louise d'Arlac,
Sibylle d'Anjou, et Simon de Byk. La dernière est son chef-
d'œuvre, M""" van Merken est morte à Leyde, en 1789. Après
M°" van Merken, M. S'Gravenweert nomme une autre Muse
contemporaine très-distinguée, Julienne Cornélie de Lannoy ,
auteur d'une excellente tragédie de A<?on-/e-Grfl«r^, et de deux
autres, dont l'une a pour sujet le siège de Harlem, signalé
par le coui'^age de la Jeanne d'Arc hollandaise, Kenau Hasse-
laar ; l'antre est inulilée Cléopatre, veuve d'Antipater. Dans
un volume de poésies mêlées que M"° de Lannoy publia en 1 780,
on distingue des épîtres et des satyres, où elle a pris Boibau
pour modèle.
Nous passons sous silence Sara- Marie van der JVilp; et
Cjnthie Lenige ; mais nous ne pouvons pas ne pas faire men-
LITTÉUÂTIJUE. OOi)
*îon de deux illustres associées. M""" JVulf, née Bekker, el
Agathe Dckcn. Sous son nom de faniille , la première avait
<."ommcncé à se faire connaître par quelques poésies légères,
pleines de verve et d'originalité. Ces dames ont publié ensem-
ble des romans nationaux qui ont eu un merveilleux succès ,
bien qu'on puisse leur reprocher un peu de prolixité. Ce sont
Sara Burger/iart, JVillevi Lcvend , C'urncUa JF'ildschut , et les
Letives cC Abraham Blankaert.
JeanNomsz, qui mourut à l'hôpital d'Amsterdam, après
avoir long-tems soutenu par ses ouvrages le théâtre de cette
ville, eut le tort de se charger de trop de bagage pour aller à
l'immortalité, comme il en avait la vocation.
Nous renvoyons à l'ouvrage de M. S'Gravenweert, ceux qui
voudront connaître Havercorn (Guillaume), Uy lenbroek (Jean).,
LeFrankvan Berkhey, auteur d\mc FI istoire naturelle de Hollan-
de, préférable à ses poésies, V ereul. De Krayjf, VanderWoordt;
Van Alplien, le Berquin hollandais; Bcllci?nj, que l'on peut
<;omparer à M. de Lamartine ; Nieuwland, prodige de science
et de verve, le plus grand génie peut-être qu'ait produit la Hol-
lande, et qu'elle a perdu, en 1792, à l'âge de 5o ans ; Slyl (Si-
mon), poète et historien. La réputation de i'//oe?t a été aussi co-
lossale qu'éphémère. L'auteur de VEssai ne le nomme seule-
ment pas, et comment aurait-il tout nommé ? Est modusin rébus.
Sur les confins de l'avant-dernière et de la dernière époque,
indiquées par M. S'Gravenweert, seprésentela grande célébrité
poétique de Feilh (Rhyntis) : l'ode et la tragédie sont les plus
beaux fleurons de sa couronne. A un concours poétique, dont
\G'sU]e\.iiia\\.V E loge de Ruyter, il avait envoyé deux pièces, l'une
en vers alexandrins, l'autre en vers lyriques. Les juges balan-
cèrent entre les deux poèmes, et s'en remirent au sort pour le
prix et pour l'accessit. M. Feith se trouva l'auteur de l'un et
de l'autre. Deux poèmes religieux et moraux, l'un, intitulé le
Tombeau (1792), l'autre, la Vieillesse (i8o5j, ajoutèrent en-
core à li. réputation de Feith. Ses tragédies sont Thirsa, ou la
anère des Macchabées (1784), Jeanne Gray (1791), Inès de
Castro (1794), et Mucius Cordus (1795). Feith est mort à
T. XLVII. SEPTEMBRE iH.lo. IÇ)
(ijo LirrEI\ATCUE.
Zwoll, sa ville natale, en 1824; il fui un des premiers mem-
bres (lo l'Institut balave.
Dans la dernière époque se distinguèrent Hehners (Jean-
Frédéric), dont le plus beau titt'ede gloire est son poème de la
Nation hollandaise^ en 6 chants (1812). Le 1" chant célèbre le
caractère moral du peuple batave ; le 2"" ses combats sur
terre; le 5°" ses combats sur mer; le 4°"^ sa navigation ; le
5°"" son mérite dans les sciences; le 6°" son mérite dans les
arts.
Après Hehners^ l'auteur nomme Lovajes (Adrien), poète
prosateur et journaliste. Ses plus beaiix titres littéraires sont
SCS romans historiques, dans le genre de ceux de M"" de Gen-
lis : Franc de Borselcn, Jacqueline de Bavière, Louisede Coligny,
Jean de IVitt, Hugues de Groot ( Grotius), Maurice Lynsla-
ger ; ce dernier est un tableau plein d'intérêt des mœurs du
XVII' siècle. L'auteur y a fait paraître avec beaucoup d'art les
principales notabilités du tenis.
Fan JVinter (Pierre), fils de l'époux de Lucrèce-Guilelmine
Van Merken est auteur de fort estimables traductions en vers
des odes d'Horace, des quatre premiers livres de l'Enéide , et
de V Essai sur l'Homme de Pope. Le baron de Meerman ( fean) ,
fils de celui qui a écrit sur l'origine de l'imprimerie, a publié
des voyages, des ouvrages historiques, etc. Du tems de la
réunion de la Hollande, il était membre du Sénat conserva-
teur. M'°' de Meerman, née Mollcrus cultivait aussi les lettres,
et la poésie. M°" Fan Streek, Klyn (Bernard). L'avocat Van-
hall, d'Amsterdam, bon poète, est auteur de deux charmantes
productions, moitié d'imaginalion , moitié historiques; l'une,
intitulée Pline le Jeune, l'autre, Mécène. Il a intercalé, dans la
dernière, un grand nombre de fort belles traductions d'Ho-
race, d'Ovide, de Properce, de Tibulle. Mais le géant de cette
époqueest M. Bilderdyk(Guillanmr) , né î\ Ann^ierdam, en ijSG,
et encore aujourd'hui l'un des principaux ornemens de l'In-
stitut de Hollande. Érudition, grammaire et philologie, cri-
tique littéraire , poésie , tout est également de son ressort. « Il
est à lui seul une; génération», dit énergiqucment iM. S'Gra-
venvveert, qui entre dans beaucoup de détails à son sujet.
Si l'on avait un reproche ;'i faire à !M. Bilderdyk, ce serait la
LITTERATURE. C;!
profusion de sa richesse . et l'on doit encore rcgrelter qu'il
lermine sa carrière par le paradoxe, le fanatisme, et par une
intolérance haineuse et tracassière. M"" BUderdyk, qui vient
de mourir, s'est associée à la gloire poétique de son mari.
Nous signalerons parmi les rivaux de gloire de M. BUder-
dyk, M. Kinker (Pierre), poète, philologue et philosophe de
la plus haute portée. Il est professeur à l'Académie de Liège.
La langue hollandaise a dû, deTios jours, son système d'or-
tliographe. autorisé parle gouvernement, à M. SicgenOeck ,
professeur d'^doquence et de littérature nationale à Lcyde.
De 1799 '* i8ii, M. Pierre JVeiland, pasteur des Remon-
Irans à Rotterdam, a publié, en 11 vol. in-S", un excellent
Dictionnaire de la Langue liollandaise.
Jusqu'à un certain point, Swift a trouvé un émule dans
ArencL Fokke.
Il est échappé une méprise à M. S'Craven^eert, p. 200.
L'auteur de l'ouvrage de la Richesse de la Hollande n'est point
le professeur Luzac, foudi'oyé dans le désastre de Leyde, mais
l'avocat £//e Lu:ac , libraire à Leyde et à Gœttingue, com-
mentateur du droit naturel de Wolff. (Voyez la Bibliographie
imiverselh. )
Ici se présentent quelques hommes qui, dans le dernier pé-
riode, ont écrit sur l'histoire de Hollande, et l'auteur rend jus-
tice à Tcwater, iiKlait, au Iwron de Spaon, au vénérable Nestor,
jM. Vanvoyn. — Parmi ceux qui ont traité quelques autres par-
tie de l'histoire, il distingue, à juste titre, Martin Stuart. Ce
yénérable pasteur des Remontrans d'Amsterdam, mort en
1826, a publié, de 179'i à 1810. une Histoire Romaine, jus-
qu'à l'époque de Constantin, en trente volumes in-S",
Ce qu'a fait Stuart pour VHistoire Romaine , M. van Kam-
pen le fait en ce moment pour celle de la Grèce. Les trois pre-
miers Tolumes de son Histoire de la Grèce ont paru à Rotter-
dam et à Dordrecht, de 1827 à i85o, in-S", et ils font attendre
avec une vive impatience les trois ou quatre autres qui doi-
vent les suivre.
L'Histoire Sainte et l'Histoire Ecclésiastique ont été sa-
vamment traitées par van Hamelsveld, Ypey, Muntinghe et
Vander Palm. Ce dernier, profeseur de langues orientales à
Leyde, est encore à nommer parmi les colosses de la liuéra-
G;!ï LITTIiPvATUKE.
tiire hollandaise, soit comme hisloiien, ou comme philolo'-
gue, on comme orateur sacré. L'éloquence de la chaire a pris
en Hollande, surtout depuis une trentaine d'années, un grand
et bel essor. Avec Van der Palm ttStunrt, il Tant citer sur-
tout Borger, Kist , Hulshof, Clarisse, etc.
Martinet, pasteur à Zutphen, a eu le mérite de populari-
ser en Hollande le goût de l'histoire naturelle, par son Ca-
téchisme de la nature.
ISous regrettons de ne pas pouvoir faire connaître, connue
ils le mériteraient à divers titres littéraires, Perpoiicher, Kan-
telaar, Ockerse, le La Bruyère de la Hollande, Loots, Tollens,
et une foule d'autres.
M. S'Gravenweert n'a pas oublié les artistes dramatiques;
et ici, la rivale des plus hautes réputations de ce genre,
M"" Wattier, devenue M"' Zièscnis, sort entièrement de ligne.
Ainsi, l'uuteur arrive, et nous arrivons avec lui , au terme
de son Essai. Dans les sciences, quel pays, proportion gai'-
dée de son étendue et de sa population, a fourni une plus
brillante carrière que la Hollande? Ici du moins, on lui rend
universellement justice.
L'histoire littéraire des Provinces-Unies a eu pour dignes
interprèles, mais dans l'idiome national, de Vries, Ypey,
Sc/ieltcma y Collot d'Escury, JV itsen-Geysbeck , van Campen,
de. Clerc, etc. M. S'Gravenweert a honorablement rempli par
son Essai une déplorable lacune de la littérature française, et
son ouvrage doit faire cesser bien des préventions injustes (i).
■Nous terminerons notre extrait par cette citation :
« La littérature, ingénieusement appelée la physionomie
du peuple, -est, en Hollande, grave et religieuse, comme la
nation : toujours simple, et souvent sublime ou hardie, elle
se distingue par un caractère oiiginal de méditation et de pa-
triotisme. Dans la marche de la civilisation, elle conservera
une place qui lui est propre, et qui pourra avec quelque droit
lui être enviée. »
Marron.
(i) Le principal litre littéraire de M. de S'Giaven^vfcrt est une tra-
duction d'Homère en vers hollandais.
m. BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
LIVRHS ÉTRANGERS (i).
AMERIQUE SEPTEÎNTRIONALE.
ÉTATS-UNIS.
i3o. — * Tables togarithmiqaCfS et trigcnomêtriqucs à 7 déci-
maies en petit formai^ corrigées des erreurs des Tables précé-
dentes, par F. il. Hassler, M. S. P. A.; stéréotypées par
Guillaume Hagar et C'e. New-\ork, i83o; Carvill. In-13.
La publication de ces Tables en français, dans le Nouveau-
Monde, et pour l'usage des navigateurs, est une bonne nou-
velle pour notre commerce et pour notre langue : l'Amérique
s'annonce comme favorablement disposée à former et à per-
pétuer avec nous des relations trop différées par le gouverne-
ment dont nous sommes enfin délivrés, mais qui n'en sont que
plus intimes, depuis qu'une politique plus libérale préside à
nos destinées. Outre les avantages ordinaires attachés à ces
liaisons entre les peuples, nous pouvons espérer de rendre
d'importans services aux jeunes républiques améritaines, de
les aidei' dans leur carrière de civilisation, d'industrie, de pro-
grt'S inteliectuel-s, de bonheur public et privé; et, si nous ob-
tenons cette satisfaction, elle ne sera pas sans^ profit pour
nous-mêmes: un peuple qui ne s'améliorerait point n'aurait
jamais le pouvoir de contribuer, par son exemple et par son
influence, au perfectionnement de nations lointaines avec les-
quelles il n'aurait de communication que par ses livres, les
navigater.rs et les voyageurs de part et d'autre.
Les Tables de logarithmes sont du nombre des livres qu'il
(1) Nous indiquons par uii astérisque (') , placé à côté du lilie de
chaque ouvrage, ceux des livres étrangi rs ou fiançais qui paiai.ssent
dignes d'une attention particulière, et nous en reniirms qntUpicfois
compte dans !a section des Analyses,
0:4 LIVRES ÊTRAiSGEKS.
convient de multiplier par les impre^sious stéréotype?. L'in-
troduction est en français; quant aux formules trigonométri-
ques, elles sont dans la hingue universelle des sciences ma-
thématiques. Nous ignorons par quels motifs les Tables de
logarithmes des fonctions Irigonométriques et celles des sinus
naturels des arcs, depuis o° jusqu'à ç)0°, sont annoncées par un
titre en latin, anglais, français, allemand et espagnol. Voilà
quatre idiomes (|ui, dans tout le livre, sont réduits à cet em-
ploi. Au premier coup d'œil, ce titre polyglotte semble inu-
tile; mais il avertit tous les habitans des États-Unis et ceux
des nouvelles républiques, que le livre est à leur usage, s'ils
sont familiarisés avec les calculs qui exigent ces Tables. Quant
à la correction des chilYres, on n'a sans doute lien négligé
pour s'en assurer avant de passer au stéréotypage. Le carac-
tèie est d'une extrême finesse, et il fallait ce degré de petitesse
pour renfermer autant de choses sons un aussi petit volume,
et transformer nos in-4° ou nos gros in-8° en un petit in-12.
La diffîcullé de cette entreprise a été aussi-bien surmontée
en Amérique qu'elle eût pu l'être en Europe.
1 5 1 . — Suggestions respeeting tmprovemetits in éducation^ etc.
— Vues relatives au perfectionnement de l'éducation, présen-
tées aux curateurs de la maison d'éducation de jeunes filles,
à Hartford, et publiées d'après leur demande; par Catherine
E. Bef.ciier. Hartfovd, i85o. In-S" de 84 pages.
L'auteiu' de cet ouvrage est directrice de l'Institulion de
jeunes fdles à Hartford, élablissement dont elle a considéra-
blement accru la renonmiée et la prospéiité. Ce ne sont donc
point des vues purement spéculatives qu'elle communi(|ue au
public, mais des fruits de l'expérience j)arvenns à la matu-
rité ; il serait à désirer qvi'elle eût complètement raison sur
tous les points, car elle établit qu'tV n'y a point de défaut de ca-
ractère, ô'hahitude.s et de vianières qui ne puisse être corrigé.
Comme elle a continuellement une centaine de pensionnaires
snus les yeux, elle a certainement beaucoup vu, beaucoup
observé; mais n'a-t-clle pas jugé avec quelque indulgence?
On ne lui saurait pas mauvais gré d'avoir mieux pensé de
quelf|ues-unes de ses élèves qu'elles ne le méritaient réelle-
ment, d'avoir considéré coumie guérisdcs maux qui n'étaient
que palliés. Celte disposition à juger favorablement est peut-
être une condition de rigueur pour que l'in*tituteur ou l'in-
stitutriie obtienne fiuelqiie succès. Ce petit ouvrage prouve
ce que l'on soupçonnait déjà, que l'on a fait en Amérique les
niTme? fautes qu'en Fnrope. relativement à l'éducation; mais
il fait vi;ir aus-i (jue Vnw y tait de grands efforts pour :-ortir de
ih'ATS-LMS. 675
cfitlo ancienne el profonde oini»'ie, que l'on y obtient des
améliorations dont l'effet nécessaire sera d'en aniencr d'autres
non moins importantes. L'éciit de Madame Beecher est, à
quelques égards , une statistique des meilleures maisons d'é-
ciucation de demoiselles, aux États-Unis : celle d'Hartford se-
rait, ^ coup sûr, des plus remarquables, même dans l'une des
plus grandes capitales de l'Kurope.
L'auteur soutient que les femmes doivent être exclusive-
ment chaigées de l'éducation des personnes de leur sexe : ou
ne peut lui opposer aucune expérience contraire, mais quel-
ques inductions très-probables font soupçonner que sa propo-
sition est trop absolue. On sait que l'éducation de l'homme ne
serait pas aussi-bien faite par des hommes seuls, que lorsque
des femmes sensées y prennent paît; ne peut-on pas appli-
quer la même remarque à l'éducation des jeunes fdles ? Puis-
(pie nous en sommes encore à faire ces questions, et que la
solution nous embarrasse, il faut avouer qu'en fait d'éduca-
tion, nous en sommes encore aux premiers élémens. llecueil-
lons donc les faits instructifs, car c'est par les faits seulement
que les arts s'enrichissent et s'acheminent vers leur perfec-
tion ; et quel art mérite mieux nos recherches et nos soins que
celui d'élever nos enfans pour leur bonheur, et pour le bien-
être des générations futures ? F.
i52. — Thouglits on éducation in its connexion with ma-
rais, etc. — Pensées sur l'éducation dans ses rapports avec
la morale : poème récité devant la Société philosophique et
littéraire du collège de Hampden Sidney, au cinquième anni-
versaire de l'institution; par /)««<>/ Bryan. Richmond, i85o;
AVhite. In-H° de 5 feuilles.
Ce qu'il faut louer surtout dans cet ouvrage, c'est la droi-
ture d'intention et le zèle de l'auteur, qui a fait preuve de
beaucoup de bonne volonté en se rendant à l'appel fait aux
poètes par la Société du collège de Hampden : mais, sur le
titre, nous avions rêvé plus et mieux que cela. Il y a tant de
choses à apprendre en éducation, cette science qui va s'élar-
gissant et se complétant à mesure que le genre humain avance.
Nous attendions des vues importantes et nouvelles sur un pa-
reil sujet, traité dans un pays libre ; nous croyions voir com-
ment, jeune, on apprend à subordoni.er son intérêt person-
nel au bien-être de tous ; comment on s'élève de bonne heure
aux pensées hautes et généreuses qui fondent et conservent
les républiques. Au lieu de ces graves enseignemens, M. Bryan
a'a donné qu'une suite d'allégories assez froides, une galerie
de portraits de tous les vires que l'édiu ation doit étouffer, et
Gy6 LIVRES ÉTRA>GERS.
des maux qu'elle peut faire naîtic si l'on suit un mauvais
système. C'est l'ambition, la g:îieire. les factions, l'intempé-
rance, etc., etc. Bref, disons-le franchement, nous clierchions
des idées et des observations, si piécieuses en pareille ma-
tière, et nous avons trouvé une amplification de collège, vide
et boursouflée. L. S. B.
1 53. — ^ narra/ Lve oftlie Anti-masonicexcitement in ilie\TVes~
tern pari of ike Slate of New-York, etc. — Histoire du soulè-
vement (tjitimaronniifue, dans la partie occidentale de l'État de
JSew-York , depuis 182G jusqu'en 1829; Y>^i^ Henry URoyyy ,
conseiller es lois (counseilor v.l law). Batavia, 1839. I»-^" Je
244 pages.
Le récit de M. Brown fait mieux connaître la siluation mo-
rale et sociale de la population des États-Unis, ou. plus exac-
tement, de l'État de ^ew-lork , que tDut ce qu'on recueil-
lerait dans les livres des vo^^ageurs les plus dignes de foi. Les
faits qu'il met, pour ainsi <iire, sous les yeux de ses lecteurs
sont tels que l'imagination d'un romancier n'aurait rien conçu
de mieux, et seiait proboblement restée au-dessous de la réa-
lité, de même que les créations des poètes sont au-dessous de
la nature qu'ils ne connaissent point, et qu'ils prétendent
imiter ou surpasser. Un prisonnier pour dettes est élargi;
des bourses se sont ouverlC'^ pour satisfaire ses créanciers ;
une voiture l'attend à la porte de la prison, il y monte : il est
tombé entre les mains d'ennemis plus impitoyables que ses
créanciers, on l'emmène , il disparait : voila la part du roman;
'•jjoutons-y les infortunes de l'épouse de ce prisonnier, qui,
mariée à l'âge de 16 ans, en 1819, a partagé les revers suc-
cessifs qui ont ruiné son époux, supporté les vices et les désor-
dres que ces revers ont entraînés, etc. Quant aux tableaux de
mœurs locales, la rivalité de deux imprimeurs établis dans un
village ( Batavia ) , l'efl'et protluit par la menace de révéler par
la presse tous les mystères de la franc-maçonnerie; des tenta-
tives pour mettre le feu à la maison du téméraire imprimeur;
quelque lems après, un projet d'attaque contre sa forteresse,
car s;i maison était en état de soutenir un siège, munie de
deux pieniers, de 5 à 6 pistolets, de i5 à 20 fusils. Viennent
ensuite des procès particuliers, des informations judiciaiies ,
où Ton peut observer la Diarclie des tribunaux dans l'Etat
de New- York. Les actes de violence furent d"abord contenus,
mais enfin des attaques eurent lieu, et les francs -maçons
furent les agresseurs; mais leurs adversaires ne furent pas
moins reprébeusibles, d'autant plus qu'ils firent intervenir a
politique et même la religion dans des querelles où les inté-
ÉTATS-UNIS. — GUAiM)E-BllETAGNE. 677
ïêts du ciel n'élaieiit point cuiiipromis , non plus que ceux cle
la pallie; et, dans un gouvernement républicain, toute la po-
litique consiste dans la connaissance de ces intérêts de la patrie,
et des moyens de les assurer sans nuire à ceux de l'humanité.
11 est à désirer, sans doute, que les républicains aient quel-
que aversion pour tout ce qui se passe dans une retraite mysté-
rieuse où l'on n'admet que des adeptes et des initiés; si les souve-
rains de l'Europe ont pu croire que leurs trônes étaient menacés
parla t'ranc-maconnerie, il faut excuser les citoyens de l'Etat de
New-York d'avoir conçu quelque défiance en voyant celte as-
sociation se répandre chez eux, jusque dans les plus petits
villages, et appeller, au besoin, les associés des autres États.
Celte histoire, fort bien écrite et pleine d'observations judi-
cieuses, apprendra beaucoup de choses que la plupart des
hommes d'Etat ne savent pas encore assez; elle leur fera voir
qu'aucun préjugé n'est sans influence, que l'elï'et dont ils sont
capables sont les plus souvent imprévus, opposés à ceux aux-
quels on s'attendait, et qu'il est toujours imprudent de comp-
ter sur d'autres résultats que ceux des vérités morales et po-
litiques. Y.
EUROPE.
GRANDE-BRETAGNE.
i34- — * Prospectus ofaplan of p/tilosophy, etc. — Prospec-
tus d'un plande philosophie, contraire à tous les systèmes mo-
dernes, et fondé sur la parole de Dieu, par Florent Calli,
ex-aide-dc-camp du général Mina, membre de l'Académie des
Arcades de Home, fondateur et piésident perpétuel honoraire
de l'Académie des Regenerados, éditeur d'e/ Ecropeo, en Espa-
gne, et de r/?7>, au Mexique; auteur des Mémoires sur la der-
nière guerre en Catalogne. Londres, i85o; imprimerie de
Howlett et Brimmer. In-4° de 20 pages.
M. Galli n'est pas consolant; le tableau qu'il met sous nos
yeux nous montre le préseul sous un terrible aspect ; et le
passé, surchargé des erreurs et des calamités qu'elles en-
traînent, ne pouvait nous amener à rien de mieux que ce
que nous voyions. La faculté dont l'homme s'enorgueillit le
plus n'a servi <ju'à le perdre; semblable aux lumières insi-
dieuses produites par les exhalaisons des marais, elle nous a
toujours fait quitter la bonne voie, et diriger nos pas vers les
lieux les plus malsains, les plus dangereux. C'est sur la foi de
ce guide pervers que nous en sommes venus au point de croire
CjS LlVKliS ETilANGl'RS.
que la terre tourne autour du soleil, etc., etc. Et qui pour-
rait compter les égareniens de cette sorte, df)nt nos prétendues
sciences sont coupables? On peut donc être assuré, que la
pliilosophie de M. Galli sera nouvelle à tous égards, et
({u'elle non* fera désapprendre à peu prés tout ce que nous
avons cru savoir jusqu'à présent, sans en excepter les véri-
tés mathématiques, dont le réformateur ne parle point, mais
qui ne sont nullement en sûreté, Ci\r elles ne sont point fon-
dées sur la parole de Dieu, et ne peuvent être comprises dans
la nouvelle philosophie.
Ce prospectus est écrit avec chaleur, entraînement, con-
viction profonde : ceux dont il n'ébranlera point les croyan-
ces philosophiques ne seront^iourtant pas ir^se^siblesaux char-
mes de l'éloquen» e, car il y en a beaucoup dans ce pro>pectus,
et l'érudition de M. Galli ne la dépare point. Ceux qui l'au-
ront lu d'un bout à l'autre seront au moins tentés de se faire
inscrire au nombre des souscripteurs, pour l'ouvrage qu'il
se dispose à publier. Voici commeut il l'annonce.
« Dix années d'observations, d'épreuves et de voyages, l'é-
tude assidue de l'aspect de l'univers, étude faite sur les cho-
ses et non dans les livres, m'ont démontré que rien n'est
exagéré dans l'esquisse que j'en ai présentée, et que l'horizon
politique de l'Europe est réellement très-sombre, plus som-
bre que je ne saurais le dépeindre. Je propose donc aux na-
tions civilisées un système de philosophie, dont l'objet est
d'attaquer le mal dans toutes ses racines, de calmer les pas-
sions, de panser les plaies, d'éteindre l'esprit de parti, de pro-
pager l'union, la paix et l'harmonie parmi les hommes, en
travaillant à réconciliei- la science avec la morale, la politique
avec la religion, la philosophie avec les lumières divines, la
nature avec Dieu. On sait trop bien que, sans la religion, la
justice des rois n'est pas une garantie pour les peuples, que
les rois ne peuvent se confier à la loyauté de leurs sujets, que
ni les peuples, ni les rois ne peuvent compter sur la sainteté
des prêtres; que la faveur (lu Tout-Puissant est refusée aux
prêtres, aux peuples et aux rois. L'erreur, l'incrédulité et les
dissentions domestiques dominent toute l'Europe. Malheur à
cette population! Le jugement de Dieu se prépare, et l'atteindra.
«L'ouvrage est déji'i fort avancé, et un grand tableau pré-
sentant les bases et le type de tout le système est fout prêt pour
l'impression : c'est un précis de tout mon travail ([ue je me
propose de livrer au public par souscription, Je donne à ce
tableau le nom de Tabula pliilohgica, parce que mon s^'Stème
lepnse tout entier sur le texte de saint Jean e-j y.py.n -n-j o loyoç (iu
piincipin ciat Tcrbum , etc.). Le tableau philologique est de
GllÀNDE-liilLT AGM'. 6-0
nature à Ctre bien mieux compris à la seule inspeeliou, qu'il
ne pourrait l'êlre par les explications d'un prospectus : mais,
afin que l'on puisse s'en former une idée, traçons ses piinci-
paux linéaniens. Il représente une coupe de l'univers, dirigée
suivant l'axe terrestre, et la voûte des cieux, à l'horizon : le
milieu est occupé par un symbole hiéroglyphique, relatif à la
nature de Dieu. Le tint est surmonté par la genèse du lan|jage
humain, avec le tracé des rayons qui , partant de ce foyer
commun, se diligent vers lescinq parties du monde, et vont
y former toutes les langues et leurs dialectes, au nombre d'envi-
ron deuxmille cinq cents. Les textes qui forment la base du
système représenté parce tableau, sont transcrits littérale-
ment, avec l'explication à côté de l'original; tout le reste est
en anglais.
» Le prix de la souscription au Tableau philologique et au
livre qui l'explique, est de 2 livres sterling et 2 srhelings. »
(On souscrit à Londres, chez M>L Treultel, 3o, Soho Square ;
Arch, Cornhill; Longman, Patenioster row. )
En prenant le mol p/iitologie dans le sens ordinaire, et non
dans l'acception plus spéciale que 31. Galli lui attribue, on sera
curieux de voir l'immense travail que notre novateur en phi-
losophie a fait SIM' les langues. Son prospectus annonce déjà
l'étendue de son érudition; son tableau doit en donner une
bien plus haute idée, et répandie quelque clarté dans l'his-
toire, encore si obscure, des migrations des peuples et de l'in-
vasion de toute la terre par l'espèce humaine. N.
i55. — * Lectures on an entire iiew stale ofsociety^ etc. — Le-
çons sur un état de société tout-à-fait nouveau, comprenant
une analyse de la société en Angleterre, et des vues sur la
production et la distribution des richesses, la formation des
caractères individuels, le gouvernement au-dedans et au-de-
hors ; par Robert Owen, écuyer. Londres, 1800 : suite de
brochures d'une feuille d'impression, pui)liées par Strange,
Tateruoster row, et Heterington, et vendues, au prix de trois
deniers chacune, par G. Purkess, 'ii AVardour street , Soho,
et (liez tous les libraires, ainsi qu'au bazar coopératif, 19 Gre-
ville Street, Hattongarden, et dans tous les magasins coopératifs.
La Bévue Encyclopédique a déjà parlé plusieurs fois des en-
treprises philantropiques de M. Owen. Quoiqu'il n'ait pas
encore obtenu un succès complet et décisif, même dans le
Nouveau-Monde, il se présente pourtant avec l'aiiioiité de
quelque expérience, et ne s'appuie pas, comme M. Gaili, sur
des fondemens qu'il ne soit par permis d'examiner et de son-
der. Ses idées sont au niveau de notre intcUigcucc : mieux ou
68o LIVRES ÉTRANGERS.
les conçoit, plus on s'y attache; et si l'on est forcé de recon-
naître que les moyens de bonheur qu'il nous présente ne sont
pas encore applicables à notre situation, ce sont des regrets
que l'on éprouve, et non pas un désappoiniement; l'espé-
rance n'est pas tout-à-fait perdue, on se résigne à différer
jus(|u'à ce que les lumières S'aient plus répandues, les esprits
mieux préparé? pour des réformes auxquelles la raison seule
présideiait. Les idées consolantes arrivent en foule, et font
oublier les maux présens, en laissant entrevoir dans l'avenir
des biens que l'imagiiialion appiécie à sa manière, sans se pi-
quer d'exactitude. Partout 011 les écrits de M. Owen pénétre-
ront, il peut compter sur un grand nombre de lecteurs atten-
tifs, et ceux mêmes qui n'adopteront pas ses doctrines con-
cevront une haute estime pour l'écrivain, et s'empresseront
de rendre justice à ses inlenlions.
iSous n'avons encore sous les yeux que les cinq premières
feuilles de ces leçons; le. réformateur commence par l'analyse
de l'état soeial en Angleterre, et passe ensuite à l'exposition
des erreurs qui jusqu'à présent ont dirigé tous les peuples, et
servi de bases à toutes les associations humaines que nous
puissions observer, ou dont l'histoire nous a transmis la con-
naissance. Cette matière abonde au point que M. Owen y a
consacré deux leçons, après lesquelles il arrive aux réformes
qu'il veut proposer : elles sont radicales, comme on va le
voir. «Dans le nouvel état de société que je veux faire con-
naître, une religion n'est pas nécessaire, non plus que la res-
ponsaliililé individuelle, l'artifice des récom|tenses et des
punilions; non plus que les propriétés privées, la concurrence
commerciale, l'inégidilé des rangs et des conditions, les
unions conjugales célébrées avec la solennité dont elles ont
été accompagnées jusqu'à présent. Les lois éternelles de la
nature y seront ponctuellement observées; aucune passion
n'y portera au crime; la pauvieté n'y sera point à redouter;
tous les échanges seront au profit de tous; on n'y connaîtra
point le désir des richesses, des honnciu's, des distinctions;
point de dissolution, mais au coiiliaire une chasteté réelle et
pure; une tendance universelle vers le bien de tous, une af-
fection nuituelle, les douceurs d'une inaltérable concorde.
«Cet état social si désirable sera le résidtat de la connais-
sance et de l'appliciition des lois de la nature hiniiaine, de
l'expérience que l'histoire doit nous donner, desaveriissemens
(|uc l'on y trouvera pour éviter les fautes commises par igno-
rance, et les vices que ces fautes ont engendrés, des soins que
l'on prendra pour l'éducation de la jeunesse, et même des
GRANDE-iiRETAG?JE. 681
«Iges plus avancée, de la direction que l'on sntua donner aux
actions et aux penchius, des institutions raisonnables qui se-
ront établies, pour s'emparer de l'homme naissant, et ne le
quitter que lorsque la tombe le réclame. Ce sera par ce
moyen que chaque génération ajoutera quelques nouveaux
dégrés au perfectionnement de celle qui l'aura précédée. »
(]'est ainsi que INl. Owen commence sa quatrième leçon,
dans laquelle il entreprend de prouver qu'une société perfec-
tionnée se passe de religion, de système de récompenses et
de chàtimens et de propriétés privées. L'acte d'accusation des
religions est très -véhément; les reproches qui leur sont
adressés sont des plus graves; et, si elles les ont mérités, rien
ne peut les justifier. Il est bien évident que le réformateui' ne
parle que des systèmes religieux imaginés par les hommes, et
n'a point en vue les dogmes révélés, ni rien de ce que Dieu
même a daigné manifester aux hommes. Ceux qui s'avise-
raient de crier à l'impiété, au scandale, prouveraient sur-le-
champ qu'ils savent mieux persécuter que raisonner. En effet,
qui oserait dire que l'homme est en état de créer une religion,
ou, en d'autres terme?, d'établir des relations entre la divinité
et la race humaine? et si, malgré son impuissance, il cons-
truit un système religieux pour servir de bases à son état
social, n'aurait-il pas abandonné la raison, et pris son imagi-
nation pour guide? M. Owen insiste sur un axiome ([ue les
législateurs perdent souvent de vue, et dont ils ne s'écartent
jamais impunément ; c'est qu'il ne peut y avoir de sûreté pour
les peuples que dans l'application des vérités morales, c'est
à-dire, des rapports qui subsistent réellement entre les hom-
mes, d'après les luis générales de la nature himiaine. Le ré-
formateur attaque avec la même force de logique le système
de responsabilité individuelle, de récompenses et de peines,
de propriété privée; c'est principalement contre cette dernière
institution, base fondamentale de nos sociétés actuelles, qu'il
dirige les plus vigoureuses attaques. Il faut en convenir, la
défense est difficile, si on ne veut la confier qu'aux armes du
raisonnement. On voit, au contraire, au premier coup d'œil,
qu'un système social où tout serait mis en commun remédie-
rait à la plupart des maux que nous souffrons; (}ue les ma-
chines, par exemple, y procureront l'avantage de créer, pour
l'usage de tous, la plus grande somme de produits avec le
moindre travail, et de faire jouir à la fois du maximum de ri-
chesses et de loisir : loin de proscrire ces créations de l'indus-
trie, on s'attacherait à les perfectionner de plus en plus, en
sorte que le travail immédiat de l'homme serait exclusive-
G82 LIVRES LTRANGERS.
ment réservé pour ce que l'on ne pourrait faire an moyen des
machines.
La cinquième leçon a pour but de démontrer qu'une société
pertéctionnée n'admet ni commerce, ni distinctions sociales,
ni mariages contiaclés à notre manière. Cette matière n'est
pas terminée dans les léuilles que nous avons sous les yeux;
nous attendrons ai'ec impatitnce la fin de celte intéressante
discussion , et surtout quelques informations sur les effets
que les doctrines de M. Owen ont opérés en Angleterre. Sa
philosophie n'est pas simplement spéculative; c'est aux actes,
aux résultats qu'il attache du prix, et ses efforts sont bien
dignes d'obtenir la seule récompense qu'il ambitionne, de voir
quelques heureux (|u'il aura laits, et dans la carrière du per-
fectionnement social, quel(|ues pas qu'il aura provoqués et
guidés. Y.
i56. — *The friend cf Aitstralia; or a Plan for explnring tlie
inierior, etc. — L'Ami de l'Australasie, ou plan pour explorer
l'intérieur de tout le continent de la iNouvelle-Galle méridio-
nale, par un officier retiré du service de la Compagnie des Indes.
Londres, i85o; Hurst. In-8' de 428 pages, orné d'une carte
et de cinq planches.
Il est bizarre que les Anglais, qui ont dépensé tant de mille
livres sterling pour résoudre le problème géographique des
glaces éternelles du pôle, qui ont prodigué un si grand nom-
bre de vies et beaucoup d'argent pour les expéditions d'Afri-
que, aient jusqu'ici complètement négligé l'exploration d'une
de leurs plus importantes colonies. Tout ce qu'on sait en An-
gleterre de la Nouvelle-Galle du sud, c'est que c'est un lieu
de déportation pour les voleurs et les rebelles irlandais, que
la côte est presfpie partout stérile et sablonneuse, que de
hautes montagnes ferment l'accès de l'intérieur, d'où soufflent
à certaines époques des vents brfilans, qui ont fait augurer
que le centre était occupé par des déserts arides : plusieurs
faits démentent cette dernière supposition, entre autres les
inondation» soudaines qui viennent souvent assaillir les vallées
et les basses terres, sans qu'on puisse leur assigner une cause,
et savoir par où elles arrivent, et par où elles disparaissent au
bout de deux ou trois jours. Les embouchures des cours d'eau
intérieurs ne sont pas même bien connues; quelques per-
sonnes ont, il est vrai, reçu du gouvernement la mission d'ex-
plorer le pays; mais les moyens ont été si disproportionnés à
l'entreprise, qu'elles ont été obligées de couper court à leurs
excursions, et de revenir sur leurs pas, faute d'armes, de pro-
GRANDE-BRETAGNE. 685
visions, etc. C'est ce qui arriva à Blaxlaiid, Wcntworlh, Law-
son, et aux capitaines Oxley, Ring et Jamicsoii.
Le but du livre dont il s'agit est de proposer de faire plu-
sieurs expéditions à la lois sur différens points, ayant un cen-
tre commun, d'oi'i l'on expédierait, à l'aide de dépôts établis
de dislance en distance, des provisions, de la poudre, des ha-
ches ; bref, tout ce qui peut être nécessaire à des explora-
teurs. Les moyens indiqués par l'auteur sont ingénieux, mais,
comme il n'en a pas essayé, plusieurs peuvent n'être pas aussi
praticables qu'il le croit. Sa grande terreur, c'est que la France,
dont les navigateurs ont en effet remonté les premiers la ri-
vière Suan, jusqu'à vingt lieues dans l'intérieur du continent,
ne vienne revendiquer ses droits sur la Nouvelle-Galle, et
n'envoie une commission savante reconnaître la côte et en
prendre possession sur un autre point que celui qu'occupent
les Anglais. « N'imitons pas, dit-il, les Espagnols qui fondè-
rent une première ville (Saitit-Michel), au Pérou, en i55i,
et négligèrent la géographie de l'Amérique méridionale, ou
la tinrent secrète pendant près de deux cents ans, jusqu'à ce
que la Condamine entra dans le fleuve des Amazones, en
'i'y'5y, et donna la première carte exacte du cours de cette
immense rivière. Ne nous laissons pas ravir l'honneur d'avoir
découvert et civilisé ces terres inconnues : tout relard est
dangereux. Une nation d'un génie plus entreprenant peut
nous dépasser. Louis XV envoya dans l'Amérique du sud une
expédition savante, composée de vingt-cinq personnes, au
moment où il était engagé dans une guerre importante. La
France est riche, éclairée, avide de gloire ; prévenons-là. «Et
pourquoi ne prendrions-nous pas ces craintes pour un avis?
qui empêcherait la France, dans un an ou deux, et plus tôt
peut être, de fonder, à l'instar des Anglais, une colonie nais-
sante sur ces plages qu'elle a reconnues la première? d'établir
dans l'Océan pacifique un vaste entrepôt de marchandises, un
échange des produits de la Chine et de l'Inde contre ceux
d'Europe ; ou bien encore d'en faire un lieu de baïuiissement'
pour ses criminels, si, comme il fiuit l'e-pérei', elle se prononce
pour l'abolition de la peine de mort. Quoi qu'il en soit de ces
projets, ce serait toujours chose utile de s'éclairer sur ce pays,
sur la nature du sol, sur les ressources qu'il présente. Le cli-
mat est généralement tempéré ; dans les plaines qui avoisi-
nent les montagnes, on obtient, avec un peu de culture, du
blé, d'abondans légumes et des fruits savoureux. Les eaux
qui viennent de l'intérieur, et particulièrement les inonda-
tions dont nous avons parlé plus haut, amènent avec elles d'c-
684 LIVRES ÉTilANGEllS.
normes troncs d'arbres qui t-cuioignent de la fertilité du cen-
tre. La rivière du Prince-Ilégent, dans laquelle on a pénétré
jus<iu'à une distance de cinquante-quatre milles, l'orme, au-
dessus des rochers qui barrent son lit, «ne cascade de cent
quarante pieds de hauteur; et, sur ses bords, les alluvions et
les débris d'arbres et de rocs prouvent (]ue les eaux montent
souvent de dix à douze pieds. Enlîii, tout porte à croire que,
de même que la côte de Coromandel, ce nouveau continent a
pour ceinture des déserts de sables, et des monlugues, der-
rière lesquelles s'étendent des plaines semées de collines, et
arrosées par une grande quantité de lacs et de rivières. Du
reste, il est inouï qu'on en soit encore aux conjectures, et
qu'il ne se soit pas organisé non-seulement une, mais vingt
expéditions, pour reconnaître un pays qui promet tant de nou-
veautés aux savans, et tant de découvertes curieuses aux
voyageurs.
107. — *MiUla)y Réminiscences, etc. — Souvenirs militaires :
Extraitsd'un journal tenu pendant quarante années passé<!S en
acti vite de service dans les Indes-Orienlales, par le colonel (/fljnes
"Welsh. Londres, i83o; Smilh, Elder et C"' . 2 vol. in-8°.
Une foule de gens, même en Angleterre, où de continuelles
relations avec l'Inde auraient dû éclairer les esprits, ne voient
encore dans les adorateurs de Brama qu'une race de Païens
impassibles, dépourvus de passions, soigneux de la vie ani-
male, dévoués à l'idolâtrie, aux exercices de la pénitence, et
aune indolente méditation. On prend pour accordé que l'im-
mense population éparsc sur le vaste territoire qui s'étcfid du
cap Comorin aux monts Himalaya a mêmes traits, même
physionomie, bien que formée de tribus ausM distinctes que le
sont entre elles les diverses nations d'Europe. Les innombra-
bles ouvrages publiés eu Angleterre sur les Indes-Orientales
n'ont pas apporté jus(iu'ici de grandes lumières Sur le véri-
table état du pays : écrits pour la plupart par des hommes
imbus de préjugés, et qui cherchaient dans les faits non la vé-
rité, mais la confirmation de leurs propres erreurs , ils renfer^
ment peu de vues justes et impartiales. Il n'en est pas de
menu du livre quejious annonçons.
Entré au service de la compagnie en 1790, le colonel AVelsh
a habité quarante ans dans l'Inde , et a fait partie de l'armée
Sepoy, composée de naturels qui aident à subjuguer leurs
compatriotes : là, il a pu observer toutes les nuances de carac-
tère qui distinguent cinq castes, différant essentiellement de
mœurs, de religion, de coutumes, et offrant cependant dans
leur ensemble nu cxcuiplc admirable de discipline et d'har-
GRANDE-BREïAGNi:. G85
monie. 11 donne, snr l'organisation de ce ledoutahle instru-
ment de tyrannie, des détails fort curieux, mai-, que nous ne
répéterons pas, dans noire impatience d'arriver au récit d'une
de ces violentes injustices, de ces sanglantes expéditions, ù
l'aide desquelles la Compagnie des Indes a étendu si rapide-
ment ses conquêtes. La guerre de Poligar, enlrepri.-e en 1801,
futà peu prés ignorée de l'Europe; elle mérite pourtant d'être
connue ; et c'est bien le moins qu'une sympathie tardive vienne
récompenser les efibrts généreux de malheureux braves, assas-
sinés pour avoir voulu repousser une oppression étrangère.
« L'ennemi ne tenant plus nulle part, dit M. "NN'elsh , on en-
voya des compagnies battre les broussailles et les taillis où les
Indousauraientpu se réfugier : j'eus pour ma part le malheur
d'être devancé, dans la poursuite d'un des chefs, dont la têle
était à prix, par un parti de nos alliés qui tirèrent sur lui , le
blessèrent, et le firent prisonnier à quelques pas de nous,
nous enlevant ainsi uoe récompense de dix mille pagodes, ou
quatre mille livres sterling. En peu de jours, les deux Mor-
dous et leurs familles, Catabonia Naig, Dela^nai Pilly, et le
Frère Muet, furent tous pris et pendus, excepté Dora Souamy,
ie plus jeune des fils de China 31ordou, et Dehnvai PiHy, qui,
étant moins importans , furent transportés pour la vie à l'île
du prince de Galles, arec soixante-dix de leurs plus dévoués
partisans : ainsi finit cette cruelle guerre, où périt tant- de
monde, et dont le résultat fut loin d'être honorable à ceux qui
survécurent. Des deux Mordons, le frère aîné se nommait
"SVella, ou Véli Mordou ; mais il ne se mêlait en rien du gou-
vernement du pays : tout son tems était pris par la chasse,
qu'il aimait avec passion. C'était un homme' d'une taille et
d'une force extraordinaires, et dont le plus grand amusement
était de lutter avec les animaux féroces, auxquels il faisait ime
impitoyable guerre. Débarrassé de tous les soucis et de tout
laltirail du pouvoir, il menait une vie errante, visitant àTan-
jore, ù Tripolichiny, à Madura, ses voisins européens, qui
Testimaient beaucoup. Si quelqu'un voulait du gibiep, il suf-
fisait d'un message à Véli Mordou pour en obtenir. Il mettait
le même empressement à donner à tout étranger le plaisir
d'une de ses dangereuses chasses; mais, prenant un soin tout
particulier de la sûreté de son hôte, il lenvironnait de ses meil-
leurs et de ses plus intrépides piqueurs, et s'avançait seul à
la rencontre du ligie qu'il avait traqué. Une vie semblable
peut paraître puérile et insignifiante aux habitans de nos con-
trées civilisées, mais elle avait un but et une b.aute utilité dans
un pays couvert de taillis et infesté dos plus dangereux ani-
T. xLvii. sF.PTEMnriK I 8oo. 44
GSG LIVRES KTIWNGERS.
maux. Lorsque j<; fus en station à .Madura. en 1790, je reçus
plusieurs marques d'intérêt de ce Nemrod oriental. Son frère,
China Mordou. était le Siinverain o«tensil)le d'un territoire
étendu et fertile; il résidait à Sherewéle. Il était basané, grand,
bien fait, d'une aiïabiiité remarquable, trés-accessible, et de
mœurs fort douces. Quoique roi d'un peuple pour qui le
moindre de ses désirs était une loi, il habitait un palais ouvert
.i tout le monde, et n'avait pas un garde. Quand je le visitai, en
février lyip, chacun entrait et sortait librement de chezlui,et
tous le bénissaient connne le père de ses sujets. Il me prit en
amitié, et pendant tout le tems que je passai à Madura, il m'en-
voyait continuellement des présens , du riz, des fruits; entre
autres, une espèce d'orange très-grosse, à peau rude, d'un par-
ium et d'un goût exquis. Ce fut lui qui m'apprit à jeter la
IriHce et à faire divers exercices en usage dans le pays. Ce-
[icndant le sort me condamna plus tard à poursuivre ce même
iiomme comme une bête fauve; à le voir blessé, pris, lan-
guissant dans sa prison avec la cuisse fracturée, et enfin hissé
a un gibet infâme, avee son brave frère, son fds, et leurs plus
fidèles ser\ iteurs. »
Lhi autre membre de cette triste famille mérite une men-
iion particulière : c'était un proche parent de Catabonia
Naig, né sourd - nuiet. Les Anglais l'appelaient Du77ihj , les
tlusidmans Moiikah, et les Jndous Oumi; noms qui dési
gnaient tous son infirmité. Grand, élancé, d'une apparence
i'rêle et maladive, ce jeune garçon avait une de ces âmes
énergiques auxquelles on en appelle dans les tems de trouble,
et son défaut d'organisation était une puissance de plus sur
des esprits ignorans et superstitieux. L'Oumi était adoré des
siens; son moindre signe était un nrarle, et chacun volait
pour exécuter ce qu'il ordonnait. Pas un conseil ne se tenait
<|u'il ne le présidât ; il ne se faisait pas une enlrcj)rise hasar-
deuse qvi'il ne fût à la tête. Ses harangues étaient simples et
( ourtes. Il rassemblait sur la paume de sa main plusieurs brins
de paille , les arrangeait par ordre, de manière à représenter
les troupes anglaises : puis, de l'autre main, il les balayait, en
poussant un sifïlcment aigu qui était le signal de l'attaque.
Tout ce que le courage peut tenter en audace, tout ce que la
valeur peut accomplir >ans guides et sans discipline, le j)auvre
Onmi le tenta, et en vint à bout. Mû pai- le patriotisme le plus
ardent et le plus pur, il fit beaucoup de lual aux Anglais en
l'iiflërentes rencontres, et l'armée tout entière se ligua \)onv sa
perle. Le 24 uiai. à la suite d'un engagement terrible, il tomba
rouvert de blessures, prés d'un jietit village, à o milles du
lamp l'unemi. » Le- Inilous étaical en {)lrine retraite, et le
r.RANDE-BRETAGNE. 6S;-
cnlonel pronnl iiac récompense aux Eléapuaricns nos aliics,
pour chaque chef qvi'ils ramèneraient mort on vif. Bion que la
unit fût avancée, ils partirent joyeux, pour aller à la décou-
verte. Cependant, le silence et une apparence de calme avaient
enhardi les femmes du village voisin, et elles se rendirent sur
le champ de bataille, dans l'espoir de soulager quelques-uns
des leurs. L'une d'elles découvrit son propre fils, encore vi-
vant, au milieu d'un monceau de cadavres, et, comme elle
s'apprêtait à l'enlever, il rassembla le peu de forces qui lui
restaient, et s'écria loMère, laissez-??iw mourir, mais sauvez
la vie du Souamy, qui meurt blessé près de moi : » désignant
le sourd-muet par l'épithèle de Soiua?ir, qui signifie littérale-
ment Dkinité. La femme obéit à son fils mourant, et, aidée de
SCS compagnes, transporta le jeune chef chez elle. Mais, comme
elles s'occupaient à le faire revenir et à étancher le sang qui
coulait de ses blessures, elles entendirent les cris des Etéa-
pouriens , animés à la poursuite. Jetant aussitôt un drap sur
le blessé, elles commencèrent les lamentations de mort ; à
leur arrivée, les ennemis, ayant demandé la cause de ces cla-
meurs, et ayant appris qu'un jeune "garçon venait de mourir de
la pelile-vérole, s'enfuirent du village sans oser regarder der-
rière eux. »Ce stratagème ne retarda que de deux mois la dé-
plorable fin du malheureux Ounsi, qui fut pris et pendu avec
le reste de sa famille; un enfant de quinze ans. Dora Souamy,
fut seul excepté de ce massacre général, etl'anlcur le retrouva
dix-sept ans après, dans l'ilc du prince de Galles, où il avait
été déporté. L'infortuné avait alors trente-deux ans; c'était un
vieillard courbé, à cheveux blancs, mais qui, sous cette dé-
crépitude prématurée, conservaii encore une âme ferme et
résignée, rie vivant plus que de souvenirs d'anciennes gloires
et d'anciennes atfections. Quoi<ii!e, comme on a pu en juger
par quelques passages de son récit , M. T^ elsh n'ait pas grande
peine à faire céder son humanité à ce qu'il croit être son de-
voir de soldat, il ne put se défendre d'un peu d'émotion à la
vue d'une si grande infortune, et il fait un appel au gouver-
neur des Indes, en faveur de cette malheureuse victime d'un
système odi3ux. Dieu veuille qu'il soit entendu, et qu'on rende
à ce pauvre Indou la douceur d'aller mourir dans son pays!
C'est déjà trop de barbarie que d'avoir prolongé si long-tems
un exil qu'aucun trouble dans l'Inde ne peut plus motiver.
Forcée de choisir entre un grand nombre de choses intéres-
santes, je passe à regret une chasse au tigre, la réception ma-
gnifique quele rajah de Courg fit au voyageur, le séjour de ce
dernier chez ce despote d'Orient, les effrayantes confidences
G8S LlVI\i:S ETIUNGKRS.
qu'il y reçut, les prodigieux tours d'adreesc dout il fut té-
moin, etc. , etc. A Baugalore, il assista à une cérémonie qui
est en grand renom chez les Indous. Il ne s'agissait de rien
moins que de voir des hommes marcher sur un brasier ar-
dent. «La fournaise était préparée dans une fosse ohlonguedc
18 pieds sur 12, remplie de charbons allumés, et parfaitement
rouc;es. La procession s'avança, et chacun de ceux qui en fai-
saient partie marclia ou dansa délibérément sur ce feu dans
toute la longueur de la fosse : la chaleur était si intense, qu'il
nous fut impossible d'approcher très -prés. Nous restâmes à
quelques toises, sur nos chevaux, mais à même de tout voir
et d'épier chaque geste. La fêle était en l'honneur de Maria-
mah. déesse de la petite-vérole, à laquelle on sacrifie lui coq,
avant de se hasarder dans la fournaise. Les exécutans étaient
tout barbouillés d'une substance jaunâtre. Ils allaient et ve-
naient au milieu du feu , tantôt vite , tantôt lentement , mais
sans aucune souffrance apparente. Un homme portait sur ses
épaules un enfant qui ne cria même pas. » M. ^Velsh fit de
vaines tentatives prés des natiu'els pour apprendre le secret de
leur préservatif; mais, soit ignorance, soit mauvaise volonté,
ils ne voulurent rien lui dire.
Ces deux volumes, écrits d'un style simple, renferment
beaucoup de faits, et plus de renscigncmens sur l'Inde qu'on
n'en trouve dans des ouvrages à titres plus ambitieux, et à
plus hautes prétentions.
i58. — The fiftli of Nocember , or tlie Gun-powdcr Plot. —
LeXinq-Novembre , ou la Conspiration des poudres; pièce
historique qu'on croit avoir été composée par William Shaks-
PEARE. Londres, i85o; lialdwin. In-8° de 114 pages.
Il est des noms([ui, à eux seuls, évoquent des mondes, re-
peuplent l'imagination d'une foule d'êtres qu'on a vus dans
des heures de repos et de béatitude; des noms, qui réveillent
les plus vives émotions de l'âme, qui ont en eux quelque
chose de sacré, qu'on ne prononce qu'avec amour et respect :
Shakspeare est un de ces noms -là ; et en le voyant figurer sur
le titre d'une pièce historique découverte depuis peu, nous
avons éprouvé un mélange de scntimcns divers. Ce graivd
homme mourut en 161G, et la conspiration de> poudres eut
lieu en i6o.5 : il put donc profiter de dix ans, passés à la cam-
pagne, dans la solitude, pour composer une tragédie que
les circonstances ne lui permirent ])as de publier. Voilà pour
les probabilités, et il n'en coûte rien d'accorder cela. Mais
quelle crédulité résisterait à la lecture de celte œuvre attri-
buée au plus sublime génif ilc l' Angleterre ? Comment accep-
GUAMDE-BUETA(i:SE - RI SSlbl. 689
tiT ce style oiiiphatiiine et plat, lias et guiiulé, pour la conti-
nuation de celte intarissable verve, s'amassant et roulant à
pleins bords? Quel degré d'impudence n'a-t-il pas fallu au
faussaire pour croire faire une seule dupe? Qui jamais a lu
Shakspeare sans retenir quelques-unes de ces tournures har-
dies , de ces paroles fortes et pleines, qu'il semble créer ex-
près, et sur l'heure : sa pensée arrive toute vêtue, comme Mi-
nerve sortit toute armée du cerveau de Jupiter. Cette langue,
qu'il plie «t manie à son gré, on croirait qu'il l'invente, et
pourtant rien ne révèle ni fatigue, ni effort; c'est une création
large, facile, naturelle, au milieu de laquelle le génie se joue
comme un dieu , laissant échapper des flots de poésie, et se
complaisant en son œuvre, comme le Très-Haut de Raphaël
se complaît à la vue des mondes échappés de sa main. C'est
chose bien magnifique que cette puissance , pour peu qu'on
s'y arrOte et qu'on y réfléchisse; mais on conçoit pourtant
que quelques écervelés n'y voient que de l'audace, et se figu-
rent en pouvoir approcher : du moins, telle a dQ être l'illu-
sion de l'homme qui s'est avisé de continuer Shakspeare.
Sa composition n'a de remarquable que le grand nom qui s'y
rattache, et la grossièreté de l'imposture : à part ces deux ti-
tres à l'attention, c'est une platitude assez niaise, et qui pou-
vait passer inaperçue de la critique. L. Sw.-Belloc.
RUSSIE.
iSg. — * Essais eiitomologu/ues publiés par À rvid-David Hvsi-
MEt. (de Gothembourg) , membre correspondant de l'Acadé-
mie des sciences de Pétersbourg, etc. Pélersbourg, 1821-1827 '
Imprimerie de la Chancellerie privée du miiiislèie de l'inté-
rieur. Tome I, composé de six cahiers formant ensemble
270 pages in-8".
L'histoire des insectes, de quelque manière qu'elle soit trai-
tée, excite la curiosité par les faits singuliers, les phénomènes
nouveaux qu'elle fait passer sous nos j^eux. Si le naturaliste
qui nous les dévoile sait agrandir son sujet, aller à la recherche
de quelques lois générales, approfondir ce qui n'avait été vu
que superficiellement, la curiosité du lecteur change de ca-
ractère; elle devientamour delà science, besoin d'instruction.
M. Hummel ferait naître quelquefois cette disposition à -l'é-
tude, s'il n'était point de tems en tems plus missionnaire que
naturaliste, s'il ne convertissait jamais ses leçons en prônes,
et s'il pouvait s'abstenir de substituer la théologie à l'histoire
naturelle. Mais l'ardeur de son zèle l'entraîne, le subjugue ; et
ce zèle n'est pas, comme il en est persuadé, l'effet d'une forte
oyo LIVilES ÉTilANGEIlS.
et intime coiniction leligiet'.se. mais très-rnatérielleuient l'iiiî
des syniptômes de !'hiiiTieur acrimonieuse dont ses essais por-
tent quel(|uefois l'empreinte. (Voyez l'offensante critique d'iii\
ouvrage de >1. Billbïirg, autre eiitoinulogislc suédois, Essais
n" 4? V'^ë^ ^') Il ^'^t ^i"'î' fli'fi? dans l'essai suivant, .M. Huui-
mel demande pardon de cette offense, qu'il cherche à la répa-
rer en chrétien pénitent, et non pas en naturaliste, en sorte
qu'il ne lait aucune ré]>aration. Cependant cet acte de contri-
tion sert de préface à VEssai n" 5, consacré tout entier à des
remontrances sévères adressées aux observateurs de la nature
qui, dans le cours de leurs recherches sur les créatures, né-
gligeraient de s'occuper en niTme teins du Créateur, d'admi-
rer sa haute sagesse, de s'humilier devant son intelligence in-
finie. « Ouvrons les livres qui traitent des sciences pliysiques ,
ceux de ^hi^toir(' naturelle en particulier; si l'homme (lui
s'occupe de quelqu'une de ses hranches est forcé de les con-
sulter, et pouivii que ce ne soient point de simples nomencla-
tures, il sera sur d'y rencontrer le plus souvent le matéiia-
li.sme, le déisme, le polythéisme, ou quelque autre syslè'ne
infernal qui conduit au chemin de la perdition. Je ne parle
pas ici des livres (^irefi^m^nf opposés au christianisme, et com-
posés pour en sapper les fondemens, dictés par l'esprit du mal
et avidcmeat lus par ses disciples : je parle de ces ouvrages
qui, en apparence, ne traitent que de la science; qui même ,
par-ci par-là, parlent avec un respect affecté de la Providence, de
l'auteur des merveilles de la nature, maisdontla doctrine dégui-
sée n'en est pas moins funesle. car elle est contraire à la BiMe ;
etsan- la liible, ])oint de chiislianisme, et hors du christianisme,
point de sailli. )>M. lluniniel déclare qu'il ne nomme la peu' ut ces
ouvrages et leurs auteurs; cependant, on lit cette note au bas
de la page : c Croirait-on que, dans le courant de 1824? i' ait
paru à Paris un ouvrage, d'ailleurs fort savant, où l'auleur,
après avoir beaucoup loué la tolérance des philosophes païens,
regrette que la doctrine des Indous n'ait pas de tout tems pré-
valu sur la terre ? Voyez VEssai historique et philosophique sur
les noms d' lionimes, des peuples etdes lieux, ^lav Ensèhc Salveîite.
Paris, 1S24. tom. 11, pag. 25. » Est-ce le véritable esprit du
christianisme (|ui a fait dire à l'auteur de ces Essais, n°5, p. 5,
«.Que la plùtosopUic superficielle et brillante qui rejette la Bible «,
pour ainsi dire, infusé l'esprit d' Anté-Clirist dans beaucoup d'éta-
hlissemens littéraires de nos jouis? » Que les recherches sur l'an-
li(|uité des connaissances astronomiques et sur l'âge des zo-
diaques servirent « au trop fameux Dupuis à bâtir la fable la
plus absurde et la plus impie , dans l'abominable livre auquel
illSSIK. (uji
il n'a pas rungi de donner son iioni?» CertaincineMl, rhtinieui-
atrabilaire n'est pas incompatible avec la sincéiité de la foi ;
mais le meilleur clnétien, le plus semblable au divin iiiodrlo
est toujours le plus tolérant. On doit regretter (|ne M. Hum-
mel n'ait pas consacré à l'entomologie les pages dans lesquelles
il combat avec un courage très-inutile de prétendus ennemis
du christianisme :
jVoh defensoribus istis
Tempus eget.
Venons enfin au naturaliste. Ces essais offrent de tems en
tems des faits pleins d'intérêt, et qui contribueront, parleur
enseinlile, ii. taire placer l'entomologie au nombre des sciences
aimables. Qu'on lise les notices sin- les l'ourinis de Pé-
tersbourg et sur la blatte germanique , on prendra une idée
juste des attraits de cette étude, des plaisirs qu'elle procure à
ceux qui peuvent s'y livrer. Nous reviendrons une autre fois
sur ces Essais^ considérés uniquement par rapport à la science ;
nous avons dCi commencer par ce (]ui intére.-se essentielle-
ment l'esprit scientifique, l'indépendance de chacune des di-
visions de nos connaissances, et de ceux qui les cultivent.
Ferrv.
1 4o. — * Poiititclicski Balance Sréla, — Balance poliiu/iic du
Globe, en 1828, par M. Adrien Balbi ; lra(!!!ite en russe par
EiNERLiNG. et augmentée d'une carte géographique, d'après
Mercator, et d'un texte explicatif, l'éteisbourg, i83o. Deux
grandes feuilles; prix, 8 roubles.
h'ARcvae Encyclopédique, ayant contribué à la publication i!e
la Balance du Globe , a jugé convenable de s'abstenir, jusqu'à
présent, d'un examen de cet ouvrage, et de ne point antici-
per sur les jugemens qu'en porteraient les recueils périodiques
étrangers. Maintenant que cet important travail, qui a coûté à
lM. Balbi de laborieuses et immenses recherches, est déjà
connu et apprécié dans le monde savant, et qu'on vient d'eu
publier des -traductions en plusieurs langues, nou^ pensons
que le lourde la Revue est venu de l'annoncera ses lecteuis.
Nous croyons ne pouvoir mieux faire que d'emprunter à V A-
beilleduNord, dePélersbourg(fi"73, du ,":,',"|'['^ i83o), la notice
que ce journal a publiée sur la Balance du Globe^ et qui, en fai-
sant connaître cet ouvrage d'une manière analytique etdélail-
lée, donne en même îems une idée de l'accueil qu'il a reçu en
Russie : « 11 est impossible, dit V Abeille du Nord, de méconnaître
la tendance de notre siècle vers de^ occupations sérieuses. En
Russie, comme dans les autres pays civilisés, les connais-
CÎJ3 LIVUES ETllANGEllS.
santés, reiifcviuées d'al)!)rd dans les cabinets des sa vans, se
.sonl ensuite répandues dans les dilTérentes classes qui se vouent
à l'étude des sciences, et dans toute la société. Connaître,
analyser, approfondir, tel est le caractèce distinctif de notre
époque; c'est pourquoi l'on s'occupe avec zèle de celles des
sciences qui sonl le plus propres à satisfaire cette tendance,
et au nombre descpielles la statistique occupe, sans contredit,
le premier rang. Aucun raisonnement ne peut résister à la con-
viction que produit, dans certains cas, le rapprochement des
chiffres (i) ; ce moyen de conviction a «ne force positive, qui
n'admet aucun donle; chaque jugement devient, à l'aide des
nombres, ime vérité mathémaliqiie, accessi])le aux esprits les
moins pénétrans (2).
(i) Sans contester entièrement la puissance et la juslessedes argumens
produits par des cliiiries,on ne peut c(;|)endanlpasen admettre la certitude
d'une manière absolue. On ne sauiail assez se méfier d'une conviction
apparente, [irodulfe quehjuefois jiar la combinaison attrayante des nom-
bres. Un citoyen et un savant distini;ué, pour lequel nous professons une
vive admiration et une haute estime, a souvent réussi à former, avec des
nombres, des combinaisons exactes et iieureuses, et à justiflei ainsi l'épi-
graphe d'un de ses plus beaux ouvrages : « Mttndum rcgunt niimcri ; »
mais il lui est aussi an ivé d'abuser de l'emploi des nombres, lorsqu'il les ap-
pliquait d'une manière trop absolue et trop inconsidérée au mouvement
intellectuel et moral des nations. IIeureus<,-merit pour la science, l'auto-
rité de sou grand talent a liouvé un cotitiepoids et nu contiùle dignes de
1 .i, dans un autre talent distingué; nous voulons jjailcr des argumens
])leins de force, de justesse et d'éloquence que M. Dcnoyer a op[)osés,
dans un article de la Bcviic Française (n" 4» juillet 1S28, p. j^-g»), aux
calculs de M. Charles Dupin. — Cet article remarquable a été traduit
en russi; dans le Tùlcgraphc do Moscou, rédigé pai M. I'ulévoï. S. P-y.
(2I C(.'pcndanl, pour démontrer à l'auteur de l'article de ['ytbe'dicdu
Nord, et à tous les pailisans des nombies combien les vcrllcx mathé-
matiques de ce genre soûl quelquefois errances, nous signalerons, comme
un exemf)le de l'abus qu'on peut faire des ehilfres, les diverses don-
nées qui ont rapj)ort h la population de ta Russie : les Archives du Kord,
publiées à Pétcrsbourg, l'ont portée, en iSaj, d'après un recueil alle-
mand ( ! ? ), h 5g,5jô,3oo habitans (septembie iSaj, n" 1 j, I. xxix, p. 88);
M. IÎalbi, dans sa Balance du globe, publiée en 1828, à ^c millions; et
dans son tableau : l'Empire liasse, compare aux prinripau.r Etais du monde,
en iS?y, à 55, 226,000; M. Sch.mtzier, dans son Essai statislit/iic sur ta
Russie, publié en i82r), à Strasbourg (p. 55-58), à 55 millions. Il en est de
même des nombres qui ont rapport à la population des villes delà Rus-
sie : Pétersbourg, par exemple, dont la véiitable poi)ulation , en 182S,
a été indiquée, dans la i'cvuc Encycfdpédlquc, ]iar M. Balbi lui-même,
d'après des leuseignemens authentiques (juin i82y, t. xlii, ]i. 789-790;
et octobre 1829, I. xi.ni, p. 228-229), aurait, d'après le Dictionnaire
géographique de M. Vsévoli)jskj' (^Moscou, 2'' édition, iSa")) , 25o,ooo ha-
bitans ; d'après les yîrclnics du ISord (octobie 1827, n» 19, t. xxix, p. 276),
5o5,ooo; d'après \' Abrùgè de Ccographic, par M. Langlois (Paris, 1827,
t. 1, p. 45^)5 200,000; d'a[)ièsla Balance, de M. Haibi, 520,000 ; tnfinj
IlLSSI!' 695
')0n n publié plusieurs lahloaux slatisliques des différentes
pnrlics du globe; mais les notions qu'ils renferment ne pou-
vaient servir de base à un bon ouvrage. Pour réussir dans un
travail aussi important, il a fallu avoir les moyens qui sont
(lc[)uis long-tenis à la disposition de M. Balbi. Sa correspon-
dance avec des savons des deux liémisphères qui s'occupent
de statistique, les matériaux qui lui ont été communiqués par
des hommes d'état de différens pays (1) , l'ont mis dans la
position la plus favorable pour faire en ce genre le travail le
plus complet; nous dirons donc hardiment de sa Balance du
Globe, qu'il est impossible de réunir, sur une seule feuille,
plus de notions qui puissent offrir une idée plus exacte des
forces de chaque État.
«L'étendue des pays est calculée en milles géographiques,
à 60 par degré ; les revenus, ainsi que les dettes, sont marqués
en fi ancs, ce qui rend l'usage du tableau très-facile.
»En comparant entre elles les cinq parties du monde , nous
trouvons que l'Asie occupe la première place en étendue et en
population; que dans l'Europe, qui est quatre fois plus petite, la
population relative estplusgrande quedauslesautrespartiesdu
globe ; que, dans toute l'Amérique, il y a à peine autant d'ha-
bitans qu'en France et dans les Pays-Bas, pris ensemble ,
quoique l'étendue de ces deux pays ne forme que la 68"°^ par-
tie de l'Amérique.
:) Relativement à l'étendue, la Russie est le pays le plusvaste
de tous; car elle occupe plus de la 7""* partie de tout le glcbe
terrestre. Après la Russie viennent la Grande-Bretagne, la
Chine et le Brésil, tandis que la France occupe le vingt-
deuxième rang (a).
d'après l'Essai, de M. Schnitzler, publié dernièrement (1S29, p. 58),
012,970. Des vérité j statistiques de ce genre ne sont elles pas de nature
à perpétuer les erreurs à l'infini ? — Pour régulariser autant que possible
des données aus^i incei laines , et aussi nuisibles aux progrès de la statis-
tique, nous nous eccupons à rédiger (d'apiès des documeus que nous
possédons et que nous croyons les plus autbentiques , parce qu'ils offrent
les n(unbres les moins incertains et les plus approximatifs) un Tableau
statislif/iie de la population dos ri lies de Russie, qui paraîtra dans un des
procliains cahieis de la Uevue Encyclopédique.
(1) 11 n'en a malheureusement pas été ainsi de la Russie : nous avons
entendu M. Balbi se plaindre à nous de l'insuffisance des renseigneniens
statistiques qu'il a eus sur notre pays.
(2) Les rédacteurs de VJbeillc du Aorc/ auraient dû expliquer la cause
de la différence qiu existe entre cette classification et celle qu'ils ont pu-
l)liée, d'apiès un recueil allemand, dans leur autre journal (Archives du
I\oid, août 1827, n" 16, t. xxviii,p. ?>;2-Ô73\ où la Ciiiue est placée.
CujLi LIVRES ÉTUANGEUS.
»Les piiys les plus populeux sont la Chine, la Grande -Brc-
lagne, la Uussie (i) , la France et l'Autriche.
»Sous le rapport des revenus, ces Etats se classent dans
l'ordre suivant, l'Angleterre, la France, la Chine, la Russie el
l'Autriche.
»I1 serait inutile de nous étendre sur les raj)prochemens cu-
rieux et sur les résultats intéressans qu'on peut tirer de ce ta-
bleau. Le tra\ail de M. Balbi mérite, sans contredit, une juste
reconnaissance. Le traducteiu' y a ajouté une carte géogra-
phique, d'après Mercator, sur laquelle les colonies et les pro-
vinces soumises sont désignées avec les mêmes couleurs que
les Etats auxquels elles appartiennent. Ce tableau offre , sous
le rapport géographique et statistique, tout ce qu'il y a de
plus important et de positivement connu. »
Il est singulier que V Abeille du Nord se soit abstenue de
l'aire connaître en détail le texte explicalil", ainsi que les aug-
mentations et les rectifications que le traducteur aura sûre-
ment faites à ceux des articles relatifs à la Russie que
M. lialbi a été contraint, à défaut de renseignemens authen-
tiques, de marquer avec des signes dubitatifs.
Serge Poltoratzry, de Moscou.
ALLEMAGNE.
141. — * Der- Menscli auf seinen kcerprrlic/ien, gemuthllchen
und geisiigen Eniwicklungsstufen. — L'homme représenté
dans les divers degrés de ses développemens physiques, mo-
raux et intellectuels, par le D' J. C/ir. G. .Ioerg, professeur
d'accoucliement. Leipzig, i8a9;Barth. In-8" de Sao pages.
M. Jœrg n'est pas le premier médecin qui porte ses médi-
tations sur le développement successif des facullés physiques
et intellectuelles de l'homme. Ce tableau a été tracé plusieurs
fois. Notre intention n'est point de comparer l'ouvrage de
M. Jœrg à ceux de ses prédécesseurs, ni d'examiner si d'au-
tres ont rempli ce cadre aussi bien que lui ; nous nous borne-
uerons à faire connaître la marche suivie par le professeur
d'accouchement de Leipzig. Il a divisé son ouvrage eu six
poiu l'élondue, avant la Graiidc-Brelagne, cl où la France iiccupe, non
pas le ■22'"'' raniî, niais le afi""".
(1) Dans le tableau publié dans les Archives du Nord (septembre 182-,
:i" 17, t. XXIX, {). 8S), le Japon vient ininiédiatcincnt apièsla Russie.
ALLEMAGINE. ^ U()5
chapilres; le premier a pour objet la forma lion du (celus; dans
le deuxième eliapifre, l'auteur considère l'homme dans son
enfance : rallailernenl et la dentition occupent paiîiculière-
ment son attention; il passe de là, dans le troisième chapitre,
an développement de la puberté, qu'il envisage séparément
dans les deux sexes. Les deux chapilres suivans ont pour ob-
jet l'âge vijil et la vieillesse. L'auteur termine par des consi-
dérations sur riiomme ;i l'état de la mort, et dans la décom-
position de sa dépouille mortelle. Fourtracer un pareil tabkau,
il faut être à la fois médecin et philosophe. Grâces -aux pro-
grès des études, la médecine et la philosophie s'allient tiès-
bien dans les universités d'Allemagne. On en voit la preuve
dansi cet ouvrage de M. Jœrg : il parle toujours en médecin
instruit et en homme éclairé. Toutefois, on pourrait ne pas
partager tous les avis de .^L Jœrg. Il veut, par exemple, que"
l'on emploie les jeunes théologiens à travailler à l'améliora-
tion morale de^ prisonnier.-^, et il n'approuve pas qu'on envoie
à grands Irais des missionnaires chez les païens des; autres
parties du monde, tandis qu'il y a, dit-il, assez de païens dans
nos pays pour occuper bs missionnaires. Il est sans doute
louable de travailler à l'instruction et à l'amélioi'ution mo-
rille des piisonniers; cependant, les détenus aussi ont leur li-
berté de conscience, et il ne serait pas juste de tourmenter
leur foi religieuse. En parlant des naissances illégitimes,
M. Jœrg pense que l'illtat a le droit d'exiger une déclarition
de ces naissances de la part de la mère et du père, afin que
l'on ait des garanties relativement au sort futur des enfans.
La recherche de la paternité est admise dans la législation an-
glaise : en faisant quelques études, l'auteur poujra se con-
vaincre qu'à cet égard la législation française, qui n'admet
point la recherche de la paternité, est aussi bonne, peut êtie
même meilleure, que la loi anglaise. An total, le livre de
M. Jœrg, ai^^traction faite de qp.elques opinions hasardées,
nous paraît être un très-bon Manuel. D — g.
142. — * Lehrbuch der Liieraturgeschlchtc, etc. — • Elémens
de l'Histoiie des Littératures, par L. Wachler. Deuxième édi-
tion. Leipzig, i83o; Barth. In-8° de 667 pages.
Le D' L. Wachler, auteur d'une monographie, précise et in-
téressante de la Saint-Barthélémy, et d'un Manuel estimé d'His-
toire littéraire, en trois volumes, vient de publier la seconde
édit i on d'un livre élémentaire, dont M. DE G olbÉrt rendit compte
dans la Revue Eiwjclopédique , lors de ton apparition. (Voy.
t. XXXVII, p. 145, cahier de janvier 1828.) Jlalgré quebjues
critiqiies de détail dont l'auteur a eu tort de ne point proûlerj
«90 LIVRES KTUANGEllS.
noire savanl cuUaboraleur donnait à l'ouvrage des éloges qu'il
mérite mieux encore aujourd'hui, par les nombreuses amé-
liorations qu'il a reçues. Ce n'est pas, toutefois, que nous
lussions cmbarassés d'y signaler encore mainte lacune, même
dans la partie relative à l'Allemagne. Quant à la France, ces
lacunes sont si graves qu'il nous est impossible de les passer
sous silence : et. pour ne parler que de l'époque où nous vi-
vons (traitée généralement, il faut le dire, d'une manière
moins salislaisanteque l'antiquité et le moyen-âge), comment,
dans un tableau des principales productions intellectuelles,
ne trouve-t-on ni parmi les philosophes, ni même parmi les
économistes, le nom de Henii Saint-Simon? Comment le
nom de "Manuel est-il oublié parmi ceux des orateurs, celui
de Lamennais parmi les théologiens à côté de de i^Lii^tre, ce-
lui de Ballanchc, parmi les prosateurs, celui de Victor Hugo
parmi les poètes? Nous ne nous faisons point illusion sur les
nombreuses recherches auxquelles oblige un Recueil comme
celui de M. Wachler et sur la difficulté de' son exécution :
mais des notabilités qui devraient tenir les premiers rangs dans
le catalogue le moins complet ne sauraient être négligées
sans reproche , dans un volume où près de sept mille écri-
vains divers se trouvent euregistrés. Nous ne doutons pas que
l'auteur ne se hâte de faiie disparaître des imperfections aussi
fâcheuses dans une nouvelle édition, que l'utilité de son tra-
vail ne tardera pas certainement à rendre nécessaire. H. C.
1^5. — * Àrhtopluinis Fragmenta. — Fragmens d'Aristo-
phane, publiés par Dindorf. Leipzig, 1829. In-8°.
Le nombre des pièces d'Aristopliane est, pour les savans ,
unsujet de conleslation : aussi M. Dindorf, que d'utiles tra-
vaux ont rendu justement célèbre, cherche-t-il d'abord à con-
cilier les opiu'ious difféienles qui existent à cet égard. Dans
une dissertation sur les titres et le nombre des comédies de
son auteur, il se sert habilement d'une variante d'un bon ma-
nuscrit de la Bibliothèque royale, qui porte p5 , c'est-A-dire
l\^\, et qui allie ainsi l'opinion de Suidas , dout il renferme
les œuvres, à celle d'autres grammairiens. M. Dindorf recti-
fie (juehpies litres, rejette quelques-unes des pièces attribuées
ordinairement à Aristophane, et donne pour cette décision
des motifs coufoimes à la saine critique. Quant aux fragmens,
ils sont rangés par ordre : viennent d'abord ceux de la pièce
intitulée : Lca Babylovicns. Le poète y attaquait Cléon, sans
même déguiser sou niun : aussi, cet excès d'audace lui fit-il
beaucoup d'ennemis. 11 s'agit ensuite de la comédie intitjjlée
Proagov. principalement dirigée contre Furipide. M. Dindorf
ALLEMAGNE. Gc)-
a enrichi ces fragnicns de recherches sur. les acteurs employés
par Aristophane. Ampliiarée, représentée en la 2' année de la
f)i- olympiade, s'adresse surtout à la superstition : on croit
que Nicias tst le sujet des railleries du poète. Puis, M. Din-
dorf donne de justes éloi^es à la dissertation que M. Putter a
publiée à Bonn, en 1828, sur le premier Plutus; viennent en-
suite VJ^olosikon, qui appartient à la comédie moyenne, et le
Kokalus , qui marque la transition vers la nouvelle : il paraît
(|ue cette comédie l'ut la dernière composée par Ari>tO}diane.
Les lecteurs du Musée du R/tin, qui parait à Bonn, se rappel-
lent encore comment M. Granert y a réuni toutes les tradi-
tions sur ce Kokalus. Anagyre, les Laboureurs, la Vieillesse,
Gérjtade, Didale^ les Danaldes occupent peu de place dans
le livre de .M. Dindorf. Il pense que la pièce intitulée Lem-
îùœ était une sorte de parodie de l'Hypsipyle d'Euripide. Les
Cigognes paraissent avoir rappelé les idées des anciens sur la
piété filiale de ces oiseaux. Nous ne citer;>ns pas tons les autres
titres ; nous dirons seulement que les fragmens recueillis s'é-
lèvent au nombre de 719; que des notices font autant que
possible connaître le sujet des pièces auxquelles elles appar-
tiennent, que les leçons reçoivent d'utiles corrections. Un bon
index termine cet ou\rage, qui ajoutera aux titres déjà si
nombreux que l'éditeur s'est acquis à l'estime des philologues.
1/14. — Phirecrates et Eupolidis fragmenta. — Fragmens
de Phérérate et d'Eupolis. Léi{>zig, 1829 In-8°.
M. Pir>KEL nous a donni, il y a deux ans, le peu de mots
de Cratinu? que le tems a respectés. D'injustes critiques ne
l'ont point effrayé : il nous présente aujourd'hui les restes de
deux autres poêles comiques. Phérécrate vivait au fenis de
Platon et d'Aristophane. Il écrivait ses comédies de l'Olym-
piade 88 à gS. L'éditeur pense qu'il en composa 17; il en
donne ici les titres et presque l'argument. Quant à Eupolis, né
dans la 2' ou la 5^ année de la Sô' olympiade , il composait
dans le même tems que le précédent. On lui attribue , tantôt
quatorze, tantôt dix-sept et tantôt vingt CL-médies. Il y avait
dans ses créations de la verve, et surtout de l'esprit. Eupolis a
laissé son nom à une espèce de mètre, dont il faisait plus par-
ticulièrement usage. Le volume est terminé par un appendice
et par un supplément à l'édition de Cratiiius, qui contient de
nombreux IVagmens. M. Piunkel a fait usage d'une disserta-
tion du docteur Lucas, publiée à Bonn, en 1828.
P. DE GOLBÉRY.
145. — Gescinclite der Malereï in Italien. — Histoire de la
peinture en Italie , depuis la renaissance de l'art jusqu'à la fin
G()8 LIVRES ÉTRANGERS.
(lu xviu' sit'cle, par L. Lanzi, traduite de l'italien , et publiée
par y/c/.T>"AGXER, avec les note? de J. G. de Qiaxdt. Tom. i".
Leipzig, i85o; Darth. In-8'* de 6i4 pages.
Tous les altistes les et amateurs des aris connaissent l'ou-
vrage iîalien de Lanzi, qui a été traduit dans plusieiirs langues.
L'éditeur de !a traduction allemande ne s'est pas borné À re-
pr;iduire l'original : un écrivain, qui s'occupe spécialement de
l'histoire de l'art, M. de Quandt, a ajouté un grand nomljre
de noies qui tendent à compléter et quelquefois ;i rectifier le
texte; le tradncteur y a joint aussi des noies; on trouve de
plus, à la tête de la traduction, un morceau curieux, où l'ou-
vrage de Lanzi est jugé non pas par un iulmiraleiu' aveugle,
mais par un critique impartial. Ordinairement les traducteurs
sont à genoux devant l'original. Ici l'on juge Lanzi de manière
à ne pas lui laisser im mérite bien élevé : l'amour (ie la vérité
paraît l'avoir emporté, chez !e traducteur, sur l'intérêt qu'il
avait à faire valoir son auteur. — Lanzi, est-il dit dans cette pré-
face, était un de ces honnêtes collecteurs qui sont infatigables
dans leurs recherches, et mettent un zèle très-louable à re-
cueillir tout ce qui peut orner leur collection; mais il n'allait
pas plus loin. Il n'était pas échauffé par le génie de la pein-
ture : il ne saisissait pas l'influence de la religion et des mœiu's
sur les arts chez ses compatriotes; il adoptait des opinions
toutes faites sur le mérite relatif des peintres. Il aurait volon-
tiers pesé les artistes dans la fameuse balance inventée par de
Piles; il avoue qu'il a empiuntc la plupart de ses jugemens à
3Iengs ; or, "\îengs avait des idées particuliéi-es sur le beau ,
fini ne sont qu'un système aussi peu soutenable que beaucoup
d'autre.-?. En résumé , il fiiut compter pour peu de choses les
jugemens que Lanzi porte sur les ouvrages, de l'art, mais ou
peut en toute sûreté le consulter sur les dates et les localités.
C'est un guide, un cicérone, qui vous dit exactement où se
trouve tel ou tel tableau d'un certain maître, combien ce
maître a lait d'ouvrages, à quelles époques î! s'en est occupé,
et quel a été le sort de ces chefs-d'ccuvre. — Je ne pense pas
que Lanzi eftt été bien flatté de voir son travail réduit à celui
d'un guide ; mais je crois que les éditeurs allemands ont assez
Itien apprécié le talent du prétendu historien de la peinture.
(>eux qui le consulteront à l'avenir feront bien d'avoir égard
aussi aux notes des éditeurs allemands ; ils y trouveront beau-
roup d'indications relatives ;'■. l'histoire de l'arl. D — g.
SUISSE. (Jç)9
SUISSE.
146. — * Bline in fias TVexen, etc. — Vue siir le but et la
nature de l'éducation des femmes; ouvrage destiné aux mè-
res et aux fdles capables de réflexions; par Vl'^" Rosette Nie-
DEREK, née Rasthofer. Berlin, 1828; A. i\ucker. In-8° de
xet 49(3 pages (i).
Lorsqu'on étiulie avec attention les développemens de l'es-
pèce humaine, on aperçoit, à l'un des extrêmes de l'éduca-
tion des femmes, des pensionnats de demoiselles et des maisons
qui semblent n'aspirer qu'au titre de succursales de la mar-
chande de modes, du coiffeur et du maître de danse ; à l'au-
tre extrême, des instituts d'éducation et une vie de famille, où
l'on se propose de résoudre le grand problème de la destinée
de la femme, dont le perfectionncm<Mit individuel , la pros-
périté, le bonheur et la moralité religieuse de la famille sont
la solntion. Ceux qni croient que la femme accomplit sa des-
tinée lorsqu'elle parvient à s'établir dans le monde à force
de frivolité agissent conséquemment , s'il la dressent pour
cela. Mais, quand on respecte l'âme humaine et la divine em-
preinte que le Créateur Y a hiissée, sii tâche se complique, en
iiîême tems qu'elle devient plus noble. Indépendamment des
intérêts éternels de la nature himiaine, premier objet de la
science générale de l'éducation, on se demande quel est le ca-
ractère distinctif de la femme, quelles attributions la nature
lui a données, quelles relations résultent de là pour elle avec
la famille et avec la société, quelle sorte d'influence son édu-
cation doit exercer sur l'une et sur i'autie. C'est ainsi qu'à
procédé M"'' Niedereb. Compagne d'un homme placé sur la
première ligne des collaborateurs de Pestalozzi , directrice
d'un institut d'éducation justement célèbre, riche d'une expé-
rience faite consciencieusement, et douée de hautes facultés,
elle a droit de suffrage dans les discussions philosophiques les
plus approfondies sur la fonction des éducateurs. A défaut
d'autres garanties, son livre en serait une preuve péremptoire.
Prenant pour point de départ la reconnaissance intime de la
nature féminine, et les principes immuables de l'éducation
envisagée au point de vue d'une philosophie religieuse, elle
(i) Xons plaçuiis cet article dans le liulletin bibliographique de la
Suisse, qiKiiqii'il ait été publié en Allcniafjne, paire qu'il a été écrit en
Suisse, par une dame suisse, et qu'il coniplète le tableau des publiia-
Uons relatives à l'éducation récemment faites dans ce pays.
-00 JJVflLS l'MRiNfiERS.
combine ces deux élémeii» ; puis, elle construit sur cette Ijase
une théorie, dont toutes les parties se correspondent, et Ibr-
uient un ensemble s.uis lacune et parfaitement harmonique.
Comment l'âme de la femme se présente-t-elle aux yeux de
l'auteur? Ecoutez : « Une immense plénitude d'aflection est
innée à l'âme de la femme, destinée par Dieu à Aivifier et à
développer tous les garans délicats du sentiment humain {der
MeusckllcIikeU). Le feu sacré demande à être entretenu avec
un saint respect, et nourri des flammes de l'amour divin, afin
qu'il ne s'éteigne pas dans l'atmosphère épaisse de la terre,
mais qu'au contraire, s'il \ient à s'obscurcir au milieu des
orages de la \ie, il se ravive au céleste foyer où il fut puisé. »
Voici maintenant de quelle manière l'auteur envisage l'éduca-
tion en général : « L'éduralion se propose Je conduire le genre
humain au but que Dieu lui a marqué, par le chemin de ses
lois. Les moyens humains qu'elle emploie sont le développe-
ment et la culture du corps, de l'esprit et du cœur, par la
raison et la conscience, par Part et la science. Les moyens di-
vins sont le développement et la culture de la raison et de la
conscience, par la révélation que Dieu a donnée aux hommes,
par les événemens de la vie, par des êtres inspirés de Dieu,
par l'église, par le baptême, et la sainte Cène. Dès qu'on sé-
pare et qu'on isole les moyens humains et les moyens divins,
leur application présente des contradictions et des luttes; en
renonçant à leur union, ils perdent leiu- salutaire influence;
alors, au lieu d'améliorer l'homme, l'éducation le pervertit ;
par une conséquence inévitable, cette perversion le met en
désaccord avec la nature, avec lui-même, avec son espèce et
avec la Divinité. »
Nous sentons, en traduisant ces passages, qu'on leur tron-
veia en France une teinte de my.-ticisme et de dévotion illi-
bérale; tant est diflerer.t le génie des deux langues et des deux
peuples. Uicu, cepentlant, n'est plus éloigné de la simplicité
et des petites prati(|ues d'une dévotion méticuleuse ou pédan-
tesqiie, que l'élévation de l'esprit religieux qui règne dans le
livre de M™" ÎSiederer; son cliristianisme prend la forme ap-
propriée à \m esprit d'une culture philosophique.
L'ouvrage est divisé en quatre livres. L Besoins et habitudes:
Sommeil; nourriture; gymnastique; propreté; décence;
amour du travail ; économie; ortlre dans l'espace ; ordre dans
le lems; ordre dans l'éducation. II. Edacailon morale : Déve-
loppement du sentiment, à l'occasion des soins physicjues don-
nés à l'enfant ; amour maternel ; vie domestique; réveil et dé-
veloppement de la sensibilité enfantitie ; amour; reconnais-
SLISSE. r-oi
}*ance ; conscience; loi; courage et humilité; récompenses et
peines; morale fie la vie de l'enfant; développement dos élé-
mens religieux; réconciliation. 111. Educalion intcUecUtclle :
Rapport du sujet, sous le point de vue de Téducation intellec-
tuelle;... de l'instinct dans ses rapports avec l'intelligence;...
rapport des lacnltés intellecUielles aux autres facultés de la
nature humaine, et leur influence ; fraudes et erreurs dans la
marche de l'éducalion intellectuelle des fdles; la lecture,
moyen d'éducation intellectuelle ; tendance naturelle de l'é-
ducation intellectuelle des fdles, comme résumé de l'ensem-
ble de cette éducation ; conséquences de cette éducation pour
l'humanité. IV. Éducation sociale : Éducation esthétique;
forme et nature de la société; sociabilité; rang; luxe et
mode;... publicité; fêles; liberté; patrie; église. »
Rapprochée des principes fondamentaux du livre, celle sim-
ple indication des matières essentielles qui y sont traitées, et
de leur ordre, fait assez bien connaître l'esprit dans lequel il
est écrit. L'auteur fait reposer la science de l'éducation sur sa
véritable base, la j>sychologie ; elle cherche, dans le sanctuaire
deràme humaine, les réalités dont les phénomènes de la vie ne
sontque les images;el, loin dese borner à satisfaire unecnrio-
silé spécul.itive, ses recherches sont noblement pratiques, puis-
qu'elles tendent à épurer et à élever la pensée et lessenlimens.
L'impression générale produite par un livre en est la meilleure
pierre de louche : l'etVet de celui de IM"" àSiederer est de vous
placer dans une atmosphère morale , où, sans vous enorgueil-
lir de la natin-e humaine, vous respectez en elle les intentions
de son auteur, et vous vous sentez pressé de la rapprocher de
son type primitif. « Quant une lectiue vous élève l'esprit, dit
La Bruyère, et qu'elle vous inspire des sentimens nobles et
courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l'ou-
vrage; il est bon , et fait de main d'ouvrier. » La main de l'ou-
vrier se reconnaît à chaque page de celui que nous recom-
mandons ici.
Tandis qu'on ne considère le plus souvent l'éducation des
filles que sous le point de vue du bonheur individuel et do-
mestique, on devrait y voir l'une des causes des vertus publi-
ques ou de la décadence des mœurs, et, par conséquent, des
Etats. Ses rapports avec la société civile ont été considéré?
par l'auteur d'ime manière complète; ce grave sujet nous
semble épuisé dans les chapitres intitulés : Institution d'édu-
cation pour tes filles ; publicité; liberté; patrie; uou;< invitons A
II-,^ méditer les hommes appelés à s'occuper de l'éducation
publique : beaucoup d'entre eux, nous ne craignons pas de
T. XLVII. SEPTEMBRE 1 85o. ^5
noa LIVRES ÉTRANGERS.
l'avancer, y trouveront une richesse d'idées et une profondeur
philosophique qu'ils n'eussent pas trouvées en eux-mêmes.
Ce mérite du fond nuit peut-être à la forme ; trop philo-
sophique pour les femmes dont la culture intellectuelle n'est
pas avancée, elle ùte au livre ce caractère de popularité que
nous aurions ai.'né à y trouver, parce que nous voudrions
le voir dans les mairis de toutes les mères. Qu'on ne se mé-
prenne point sur notre critique : ce que nous semblons blâ-
mer est une qualité rare, que bien des honniies ambitionne-
raient : c'est la précision rigoureuse du langage de la philoso-
phie, que l'auteur doit d'ailleurs vivifier par les couleurs de
l'imagination et par la sensibilité d'un cœur de femme. Ce-
pendant, plus de simplicité cûtxju quelquefois plus de charme.
1/17.* — Die Hausmidtcr. — Lft mère de Famille, Ouvrage
pour le peuple, par M. Titus Tobleii, D-M. Buhler (canton
d'Appenzell) , )83o; Michel Buft". In-i 2 de viij-207 pages.
La forme de ce livre est aussi populaire que celle du pré-
cédent l'est peu; tout y est en action. Elisabeth, la mère de
famille, (|uoique femme-modèle, n'a rien de fantastique; c'est
une excellente paysanne du canton d'Appenzell, entourée des
habitudes et des mœurs de son. canton. Seulement, elle donne
à ses concitoyens un bon exemple, que l'auteur, Appcnzellois
comme elle, accompagne de bons conseils, sur cent objets de
la vie du peuple. Son langage même est celui que le peuple
comprend; l'expression appenzelloise est sagement préférée
à l'expression classique, toutes les fois que celle-ci ne serait
pas à la portée des personnes auxquelles l'ouvrage s'adresse.
La tournure proverbiale donnée aux leçons et aux conseils
est aussi heureusement choisie. La Mère de Famille est à la
fois un livre d'éducation des femmes, et un Manuel de bon
sens sur des choses usuelles placées en dehors du domaine de
l'éducation. Pour atteindre le premier but, l'auteur montre
plutôt le résultat qu'il ne déroule le moyen d'y arriver; mais
l'esprit dont il cherche à pénétrer le lecteur est celui de l'é-
ducation véritable, du jicrfcctionnement moral. Les autres
avis portent sur les préjugés et les superstitions du peuple,
sur les soins de la santé et de la fortune, sur l'économie do-
mestique et la vie de famille. Tout le livre respire un senti-
ment moral sans affectation. Sous le rapport littéraire, il est
attrayant par une naïveté aussi originale que la peuplade pour
laquelle il est écrit.
C. MOKNARD.
SUISSE. ^o%
Ouvrages Périodiques.
148. — *Zeitsclirift fur Vollissckutlelirer, etc. — Journal pour
les Instituteurs du Peuple, publié par une société d'hommes
attachés à l'éducation publique en Suisse et dans l'Alleuiagne
méridionale. Bâle , 1829 ^^ i85o; Félix Schneider. Cahiers
in-12, de deux à trois feuilles d'impression , paraissant tous
1-es deux mois.
En Allemagne et dans la Suisse allemande , l'éducation
n'est pas seulement une de ces matières générales sur les-
quelles les personnes instruites réfléchissent, parlent ou écri-
vent d'une manière plus ou moius vague, une espèce de
terre commune dans le domaine de la pensée; c'est une par-
tie parfaitement circonscrite, une province distincte dans
l'empire de la science, et qui a ses divisions territoriales , sa
charte et sa propre législation. La pédagogique ou science de
l'éducation forme une branche à part, comme l'économie po-
litique ou la géographie ; des chaires lui sont consacrées dans
les universités; les ouvrages qu'elle a fait éclore composent
une vaste bibliothèque; elle occupe des journaux scientifiques et
d'autres plus populaires. Celui que nous annonçons participe
de ce double caractère ; les sujets y sont traités scientifique-
ment et pourtant mis à la portée des instituteurs ordinaires
et des pères de famille dont la culture intellectuelle n'est pas
bien avancée. Chaque cahier du journal contient trois divi-
sions : 1° dissertations, mémoires, lettres; 2° notices histori-
ques; 5° analyses d'ouvrages relatifs à l'éducation. Dans la
première de ces divisions se traitent des sujets d'uiie grave im-
portance : par exemple, le but et les limites des écoles popu-
laires, les rapports de l'école avec la vie pratique, les rapports
de l'église avec l'école; on y trouve une série de lettres
adressées aux instituteurs du peuple, par M. Kkiîsi, ancien
collaborateur et ami de Pestalozzi, et aujourd'hui directeur
de l'école cantonale des Rhodes extérieures d'Appenzell. Les
notices historiques rendent compte de l'établissement et du
perfectionnement des diverses sortes d'écoles en Suisse prin-
cipalement, puis aussi en Allemagne. Dans la section des analy-
ses, on ne rend compte que des ouvrages les plus marquans. La
théorie et les faits concourent ainsi dans ce journal à faire ré-
fléchir les instituteurs et à donner à leurs efforts une direction
éclairée. L'éditeur du journal, M. Rod. HA^•HART, professeur
de pédagogique à l'L liiversile de Baie et recteur du Gymnase,
appartient à la classe des écrivains distingués dans celte bran-
7o4 LIVRES ETRANGERS.
i-he des sciences; sou active coopération à ce Recueil pério-
dique, où d'autres noms recoinmandables se groupent autour,
du sien, permet de croire que le mérite de son journal se sou-
lieudra.
i^Q. — Journal d'Education, publié par la Société d'utilHé
publique du canton de Vaud. Yverdun. 1H29 et i85o; Fivaz,
lils aîné. Cahiers in-8"; la première année d'une feuille et de-
mie d'impression, la seconde année d'une feuille.
La Société vandoise d'utilité publique a été bien inspirée
lorsqu'elle a conçu l'idée de faire publier, par un comité, un
journal d'éducation, dans le but de propager, parnii les insti-
tuteurs et les pères de famille, la connaissance des principes
pédagogiques, et d'otTrir aux uns el aux autres un moyen de
correspondance publique, de communication réciproque des
résultats de leur expérience et de leurs réflexions. I! est fâ-
cheux que l'exécution ait été trop hâtiv e. Les publications ont
commencé, il semble, ayant que les personnes qui s'en trou-
vaient chargées spécialement aient arrêté un plan avec toute
la conscience de la lâche entreprise, el aient ordonné, avec
maturité et d'une nianière systémati((ue, des matériaux suffi-
sans. La faiblesse des premiers cahiers a jeté de la défaveur
sur l'entreprise, en sorte que malgré l'amélioration sensible
des numéros suivans , et surtout de ceux de l'année cou-
rante , elle n'a pas reçu tout l'encouragement que méritait
son objet. Lue teinte religieuse d'une nuance particulière
a aussi nui an Journal d'Education aux veux de la majorité
du j)nblic. Les premiers cahiers étaient remplis de détails de
méthodologie; la partie morale, négligée; et les bases psy-
chologiques de l'éducation n'étaient guères prises en considé-
ration. Sous tons ces rajjports, le journal a successivement
subi des réformes utiles. Il ne pourrait que gagner par des
emprunts plus fréquens faits aux journaux et aux ouvrages
pédagogifiues de l'Allemagne; ceux de la Hollande trouvent
un interprète instruit dans cette matière, et le journal une coo-
pérateur actif en !>!. Van Muyden-Porta. C. Monnard.
ITALIE.
i5o. — * Mémoires de Mathématiques et de Physique, par 6'Mt7-
/a«me LiBRi. T. 1". Florence, 182;); Léonard Ciardetli. In-4".
Ces (Mémoires ont attiré en Itali*; Tattention de tous les sa-
vans, et ont excité leur smprise et presque leur admiration.
C'est le coup d'essai d'iui jeune homme <|ui promet par là de
prendre une belle placr d.iii'^ Ic^ s'iences. el de continuer
ITALIi:. n.f)
celle série dMioinines illustres qu'elles oui produit dans sa pa-
trie, parliciilièieniL'Ut peudaut le xviu'' siècle. Nous sommes
heureux de sij^ualer à la Frauce cette reuounné(! naissante
dont elle peut, je crois, s'enorgueillir, puisque M. Lilni lui
appartient, sinon par sou origine, du moins p;ir l'étude de sa
langue, dont il se sert, et de ses grands mathématiciens, dont
il rappelle le style clair et précis. — Les Mémoires qui com-
posent ce voliune, auquel Fauteur promet une suite, traitent
«les matières ci-après :• — i" sur quelques formules générales d'a-
nalyse; — '>," théorie de la chaleur; — 5° des fonctions continues; —
4° trois Mémoires sur la théorie des nombres. — - Nous invitons
beaucoup tous ceux qui s'occupent des hautes mathématiques
à porter leur attention sur cet ouvrage remarquable , qui dé-
note une grande supériorité de savoir et de génie dans son
auteur.
i5i. ■ — HimedeiPelrarca, etc. — Poésies de Pétrarque, édi-
tion publiée sur la leçon du professeur Marsand, avec des ad-
ditions et des corrections, par Jngelo SiccA. Padoue, 1829;
Picotti.
Voici une fort belle édition de Pétrarque. Les noms des
hommes qui la publient doivent la recommander à tous les
amis des textes corrects et des savantes recherches bibliogra-
phiques. M. Sicca est connu surtout en Italie, où il a mérité
par ses beaux travaux des récompenses académiques et des
témoignages de reconnaissance de plusieurs corps savans, no-
tamment de l'Athénée de Brescia. Quant à M. Marsaïul , il
s'est fait connaître dans toute l'Europe par ses recherches as-
sidues des éditions de Pétrarque, auquel il a consacré les études
de toute sa vie, et par la collection qu'il en a rassemblée. On
sait que cette collection a été acipiise pour la Bibliothèque
particulière du roi de France. P-
Ouvrages périodiques .
i52. — * Annali universalidi Stalistica^ etc. — Annales univer-
selles de Statistique, d'économie publique, d'Histoire, de
voyages et de commerce. Milan, i85o; les éditeurs des An-
nales universelles des Sciences et de l'Industrie, Cont.''' dell
Agnello, u" 960. Cahiers mensuels in-8".
i55. — * Annali universali di /I gricultura,'etc. — Annales uni-
verselles d'Agriculture, d'économie rurale et domestique, et
d'arts et métiers. i\lilan, i83o; les mêmes. In-8".
Ces deux recueils mensuels, dont nous avons déjà parlé
plusieurs fois, continuent à faire un très-bon choix parmi les
matériaux mis à leur disposition. Mais nous continuerons
joG LIVRES iiTRA^^GERS.
aussi a leur faire un reproche que nous avons dcja exprimé,
reproche intéressé, sans doute, car nous voudrions profiter
souvent de ces deux publications pour enrichir la nôtre, ce
qui ne peut avoir lieu que par les notices qu'ils nous donne-
ront sur l'Italie. Les rédacteurs de Milan trouvent dans les
écrits périodiques de l'Angleterre, de la France, de l'Alle-
magne, etc. , tout ce qu'il leur faut pour tenir l'Italie au cou-
rant de ce que l'on fait dans toute l'iîurope pour le progrès
des sciences agronomiques, économiques et statistiques : en
échange, ils doivent à l'Europe une ample instruction sur les
travaux analogues exécutés en Italie; et si l'on ne fait pas as-
sez dans celte contrée, qu'ils stimulent leurs compatriotes,
qu'ils provoquent les recherches, qu'ils en recueillent les ré-
sultats. Toutefois, dans les circonstances actuelles, on ne peut
savoir mauvais gré aux Annales de Statistique de s'étendre sur
Alger, et de faire connaître cette contrée, ses habitans, la do-
mination que l'aimée française eu a chassée. On lit aussi avec
intérêt et profit, dans \c^ A nnales d' Agriculture, les articles de
MM. LoMEM et Manetti, quoique le premier nous fasse per-
dre l'espoir de naturaliser en France la patate (convoltulus
batatas) , et que le second nous prouve que nous avons tardé
beaucoup trop long-tems à multiplier sur notre sol deux ar-
bres intéressans sous plus d'un rapport, le spruce noir de Vir-
ginie [allies nigra) , et le magnolier glauque. M. Lomeni est
un des principaux rédacteurs des Annales d' Agriculture : celles
de statistique sont confiées à M. Lampatô.
154. — * E jfcmeridi di Mcdicina omiopatica. etc. — Ephéme-
rides de la Médicine homéopatliique, rédigée par une So-
ciété, de médecins napolitains, sous la direction du professeur
C, M. DE HoRATus, médecin -chirurgien de S. .M. le roi des
Deux-Sicilcs. Naples , iSag-iSôo; imprimerie de ïObscrva-
ieur médical. In- 12.
Tandis que le gouvernement auliichien interdisait l'ensei-
gnement des doctrines du docteur Hahnemann. dans les Élats
soumis à sa domination, ce système , propagé par les méde-
cins de son armée, pendant l'occupation du royaume de
ISaples, s'introduisait dans la pratique médicale de ce pays,
où ses prosélytes ont entrepris la publication d'un journal qui
compte déjà plusieurs cahiers, et qui se compose d'essais théo-
riques sur les doctrines dont il entreprend la diffusion, et
d'observations expérimentales destinées à en démontrer les
avantages.
i55. — * Antologia. etc. — Antologie, journal des sciences,
des lettres et des arts. Florence. i83o; au cabinetscientifique
et littéraire de G, P. \ieu.-seux. direcleur cl éditeur. riil)Ii-
ITALIE. J07
Ciilîon mensuelle, par cahiers in-8"ilc 10 feuilles au moins.
Prix de l'abonnement, 5G lires loscaiies pour l'Italie; 52 fr.,
franc de port, à Paris.
L'Italie est une des provinces delà rcpiil)li(|ue des lettres
le mieux pourvues d'exceliens ouvrages périodiques, et VJn-
lologie csl certainement de ce nombre. Partout où Ton exerce
ainsi une critique éclaiiée, équitable et même bienveillante,
la raison publique se fortifie, les connaissances se répandent,
les perlectionnemens intellectuels et moraux arrivent succes-
sivement, et se maintiennent. La critique raisonnable et dé-
cente exerce sur les esprits et leurs diverses opérations une
influence non moins salutaire que celle d'une bonne police sur
les mœurs. La critique a même l'avantage d'étendre son ac-
tion beaucoup plus loin que la police; elle ne reconnaît
point de circonscriptions territoriales, point de limites qui
l'airêtent; en tous lieux et dans tous les tcms, elle attaque les
délits contre le goût et le bon sens, et venge la raison des ou-
trages que lui firent des auteurs qui ne sont plus, et de ceux
que lui prodiguent trop souvent les écrivains de notre époque.
Un mauvais drame est applaudi en France, imprimé, livré à
ses juges compétens; il en trouve en Italie, et n'échappera
point à leur arrêt. Hernani a comparu devant le tribunal de
î'Antologie (n° ii5, juillet i85o); après des informations
scrupuleuses et un examen dont l'auteur ne peut se plaindre,
la condamnation de l'ouvrage est prononcée , avec tous les
égards que mérite le caractère de l'auteur. Il semble que la
critique peut s'exercer aussi sur quelques parties de la disser-
tation sur la pièce de M. Hugo, et sur la tragédie moderne.
Citons une des observations que l'on y remarque.
« INous pensons qu'une seule innovation d'un immense
pouvoir sur le théâtre serait celle qui permettrait aux mo-
dernes de mettre sur la scène tragique, à l'imitation des Grecs,
les ministres des autels. Nous ne doutons nullement que cette
tolérance, loin de nuire au respect qu'on doit au culte et au
sacerdoce, ne contribue au contraire à inspirer pour eux une
vénération plus profonde, à augmenter la puissance morale des
cérémonies religieuses. Supposons, par exemple, qu'on mette
sur le théâtre la catatrophe delà conjuration des Pazzi, ou celle
de notre tems contre Yisconti, avec une représentation fidèle
des circonstances de l'événement; qu'on y voie la pompe
du service divin , que l'orgue se fasse entendre , que la
fumée de l'encens s'élève en nuages vers la voûte du tem-
ple , que le peuple soit prosterné , etc. : qui ne sortirait
pénétré d'horreur, après avoir vu couler le sang dansla
maison du seigneur, au moment même où l'on célébrait
;:o8 LIVIŒS ÉTKA.NGLllS.
les plus arif^usles mystères de la religion?... n Mais si vou»
représentez fidèlement la conjuration des Pazzi , après la
scène de l'assassinai de l'un des Médicis, au moment de l'élé-
vation de l'hostie, ne Inudrait-il pas montrer l'archevêque et
Bandini pendus à une fenêtre du palais, ce dernier saisissant
avec les dents son complice, et ne lâchant cette horrible proie
qu'au moment où il expire? Nos romantiques oseraient peut-
être souiller la scène de ces atrocités; mais, à coup sur, le
public ne les supporterait point. Quant aux cérémonies reli-
gieuses, et la religion elle-même, il est à délirer qu'elle soif
écartée de nos yeux , et traitée constamment avec la réserve
qui convient à son essence mystérieuse. Celle des Grecs por-
tail l'enipreinte de son origine; l'homme pouvait user à son
gré de ce qu'il avait créé :Tnais une religion émanée de Dieu
même ne peut être détournée de son augu>le destination.
Mais, dit-on, la religion use d^une grande condescendance envers
les arts ; elle laisse revêtir de formes matérielles les essences spi-
rituelles dont elle nous a révélé Ceaistence ; elle ne s'offenserait
pas plus des libertés que fart dramatique se permettrait envers
elle que de celles dont la peinture et la sculpture sont en posses-
sion, etc.. 11 serait à désirer que les beaux-arts n'eussent ja-
mais dénaturé les idées religieuses; et aujourd'hui, là saine
philosophie doit s'attacher à réparer le donunage que cette
imprudence a causé. Puisqu'il est encore lems de s'opposer à
de nouveaux envahissemens dont la religion aurait à souffrir
de nouvelles pertes, (|u'on s'abstienne de ces sortes d'innova-
tions, et (pjc les théâtres se boinent à exploiter l'inépuisable
mine des passions humaines et de leurs résultats.
i56. — *Il Nuovo RicogHtore,e\.c. — Le Nouveau Collecteur,
ou Archives de toute Littérature ancienne et moderne, avec
l'indication et des notices des livres nouveaux et des nouvel-
les éditions. Milan, i85o; Ant. Fort. Stella et ses fils.
i'jii recueil succède au Spectateur italien et étranger, dont la
pu])lication est de j i[\ cahiers, et au Collecteur, qui a fait pa-
raître 9(5 livraisons. Celui-ci est dans la sixième année de sa
renaissance. Les douze cahiers de l'année peuvent être réunis
en deux volumes, ou n'en former qu'un seul, de 5'( feuilles
d'impression au moins. Prix de l'abonnement , à Milan, i5
livres d'Italie, pour Tannée, et la moitié pour six mois. Pour
les étranger-, l'abomiement est augmenté de 2 livres par an,
frais du port jus{|u'aMx fiontières du royaume. Les éditeurs
peuvent procurer les ouvrages annoncés, et préviennent ceux
qui en feraient la demande «pie les prix sont en livres d'I-
talie.
ITALIE. — GRÈCE. 709
Ce recueil peut «"'tre comparé à notre Mercure; et, s'il
éprouve les vicissitiifles auxquelles le doyen de nos journaux
littéraires tut exposé, si la fortune lui estquel(|uelV)i,s contraire,
ousi la capricieuse le comble de ses faveurs, il pourra dumoins
compter sur une existence plus que séculaire, traverser plu-
sieurs générations, tandis qu'il verra s'élever et tomber la plu-
part de ses contemporains, et même de ceux qui ont brillé
d'un plus grand éclat. Les éditeurs ne s'attachent point à sui-
vre un ordre déterminé, et, en effet, les lecteurs ne le deman-
dent point; comme les livres de cette sorte sont faits pour
qu'on les prenne et qu'on les quitte à volonté, rien n'empê-
che qu'une pièce de Vers ne vienne se placer à côté d'une dis-
sertation philosophique, que la gravité des sciences ne succède
aux saillies de l'esprit, aux caprices de l'imagination. Quant
aux notices bibliographiques, l'ordre y serait utile, sans doute;
mais il en est un par lequel il faut commencer, et qui s'ac-
corde rarement avectoute autre classification , c'est celui d'an-
tériorité, qui semble constituer im droit à être annoncé avant
toutes les productions d'une date plus récente. C'est ainsi
que les causes sont appelées à tour de rôle devant les tribu-
naux; et, en fait de littérature, le public est le tribunal. Quel-
quefois, les rédacteurs des recueils périodiques se chargent des
fonctions de rapporteurs de ces causes, et par leurs analyses
ils peuvent influer sur le jugement : il nous a paru que ceux
du ISuoro Ricoglitore s'acquittent de ces fonctions avec impar-
tialité et pleine connaissance de la chose à juger, en ayant au-
tant d'égards pour les écrivains que pour les lecteurs. Il serait
inutile de citer quelque partie de ce recueil pour donner une
idée de l'ensemble, d'après une ou deux pièces détachées;
personne n'ignore aujourd'hui qu'on ne peut faire connaître
par ce moyen une oeuvre de plusieurs mains, où l'on emploie
toutes sortes de matériaux, ovi l'on n'est pas toujours libre d'ac-
corder à chaque travail le tems qu'il exigerait. En parcourant
les cahiers que nous avons sous les yeux, nous y avons trouvé
une agréable variété , plus de littérature que de sciences, et
celles-ci mises ù la portée des lecteurs qui ne se piquent point
d'être savans. Il y a donc tout lieu d'espérer que le Nouveau
Collecteur plaira long-tems, et sera digne du succès qu'il ob-
tiendra. Y.
GRÈCE.
157. — AtaT«7p,«,.. Cf., T. T. — Régîemens sur l'organisation
de l'Ëcole centrale militaire. Egine, 1829. In-S" de 21 pages.
;io LIVRES ÉTRANGERS.
Les I églcmens de VEcv/e militaire, confiée aux soins de
M. le capitaine Taczié, ont été empruntés à ceux qui régissent
en France les établissenicns du même genre. Les personnes
qui ont visité avec soin celui que l'on a créé dernièrement en
Grèce s'accordent à faire l'éloge de l'instruction des profes-
seurs et du zèle et des progrès des jeune^ cvelpidcs. qui sont
l'espoir de leur pays.
La Grèce attend avec impatience la création d'une Ecole
maritime, qui lui est peut-être plus nécessaire encore, parce
qu'elle aiaiique de bons ofliciers de mer. Cette utile institu-
tion ne tardera pas sans doute à être définitivement organisée.
ï58. — Siœ feuillets de tncs Tablettes, par M. Eug. de Vjlle-
^E^VE. Égine, 1829; imprimerie française. In-8° de 12 pages.
Nous n'aurions pas mentionné ce léger et insignifiant opus-
cule, si le lieu où il a paru ne donnait pas quelque intérêt ù
sa publication. 11 offre une nouvelle preuve de l'universalité
de notre langue, qui commence à être généralement parlée en
Grèce, où elle devient un des élémens de l'éducation pu-
blique. E. G.
PAYS-BAS.
I 59. — * Fables de La Fontaine, ornées de 100 gravures à l'eau
forte, par £(/g'c/fe VERBCtCKHOvEN. Bruxelles, i85o; Deuien-
geot et Goodman. 2 vol. grand in-8° sur papier vélin d'An-
nonay.
Nous copions ici le prospectus publié par les éditeurs de cet
ouvrage : nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en leur
faisant connaître celte belle entreprise de librairie.
« On sait le grand prix attacbé de tous lems par les ama-
teurs aux gravures à l'eau forte; celles des peintres célèbres
de l'Ecole flamande et bollandaise sont montées à un taux
tellement élevé, qu'il faut aujourd'luii posséder une grande
fortune pour pouvoir en réimir la colleclion complète dans
son portefeuille. Cette faveur n'est point sans motifs; ce genre
de gravure est émincnuncnt propre, en effet, à reproduire
d'une façon vive et animée la pensée de l'artiste avec sa fou-
gue et son originalité, qui bien souvent s'effacent et disparais-
sent dans le travail plus long qu'exigent toutes les autres ma-
nières de graver.
» Un de nos artistes les plus distingués, M. Eugène Ver-
bœckhovcn, qui, nous pouvons le dire avec orgueil, est sans
rival en Europe dans l'art de peindre les animaux, a conçu
riicurcusc idée d'une collection de 100 gravures à l'eau forte,
PAYS-RAS. ;,i
tlonl les sujets soronl cmpninîés aux fables de La Fontaine. Tl
a h'wn voulu Imiter avec MM. Dcnienj^eol et Gooslman pour
sou beau travail, qu'ils puljlieui par sousciiplion. Le talent
bien connu de cet artiste est une garantie de l'exécution parfaite
de son ouvrage; non-seulement on y trouvera une remarqua-
ble correction de dessin , mais encore cet art merveilleux de
donner une pbysionomie à chacun des animaux mis en scène,
et de rendre avec infiniment de naturel, de pittoresque, la
pensée tout entière de l'immortel fabuliste. »
Ouvrages /Hriodu/iie!;.
jGo. • — * La Revue des Revîtes, (mile lins. Journalier, magasins,
annales et recueils des arts et des sciences physiques , chimiques ,
technologiques, agricoles, économiques et commerciales ; par wna
Société d'industiiels. Bruxelles, 1829-1850. Cette publication
mensuelle a commencé avec l'année 182g. Chaque cahier est
de 4 il 5 feuilles in-8°, avec plusieurs planches lithogi'aphiées-
avec soin. Prix de l'abonnement, 12 florins; i5 florins, franc
de port, dans toutes les provinces des Pays-Bas; i5 florins
pour les pays étrangers.
Il semble qu'on multiplie trop les livres faits avec des livres,
et les journaux composés avec des journaux. Paris en est
inondé, l'Allemagne et l'Angleterre nous en envoient: l'Italie
se met, à cet égard , an niveau des pays où les redites et les
republications abondent; il est à craindre que les productions
originales ne deviennent de plus en plus rares, tant il semble
que l'on peut s'en passer pour faire gémir la presse et con-
sommer tout le papier qu'il nous est possible de fabriquer.
Le mot Revue a besoin d'être défini , car les acceptions qu'il
reçoit aujourd'hui divergent de plus en plus, et par conséquent
il serait bientôt impossible d'y attacher un sens précis, si on
ne prenait pas la précaution de fixer celui qu'il eut à son ori-
gine, et qu'il convient de lui conserver, à l'exclusion de tout
autre. Les ouvrages périodiques , auxquels le titre de Revue
fut donné pour la première fois, furent consacrés à l'examen
des livres nouveaux, des productions scientifiques et litté-
raires, des écrits sur les arts, et en général, de ce qui avait
quelque intérêt pour la république des lettres. Assez long-
tems , ce titre ne désigna point d'autres fonctions, en sorte
que les Revues qui vinrent partager avec les premières le tra-
vail des inspections littéraires se bornèrent à celle occupa^
tion, déjà suffisante pour un grand nombre (le coopérateurs.
Les Revues anglaises n'ont point altéré rinstitutinn primitive ;
712 LIVRES KTRAiNGERS.
eu France, la Revue Encyclopédique ne s'en est pas écartée non
plus, quoique son plan soit plus vaste que celui des Revues
anglaises. Quelques écrivains périodiques sont allés plus loin ;
ils ont pensé q»ie copier, ou traduire, c'était revoir, et leurs
magasins ont été ouverts sous l'enseigne de Revues. En ceci,
ics Anglais nous ont encore donné l'exemple d'une plus
grande correction dans les titres de leurs ouvrages périodi-
ques; ceux de ces ouvrages où ils accumulent des notices de
toutes sortes, originales ou d'emprunt, sont des Magasins, et ils
en ont de très-hien fournis. Quelques-uns des recueils publiés
sur le continent, sous le titie de Revues, s'imposent l'obliga-
ticn de ne rien insérer (jui leur appartienne, de pouvoir ci-
ter, dans tous les cas, un ouvrage imprimé qui ait fourni
chacun de leurs articles; ils sont donc aussi des magasins, quoi-
qu'ils diffèrent de ceux de l'Angleterre , en ce qu'ils ne tirent
rien inmiédiatement des fabriques, et ne s'approvisionnent
que de ce qui est déjà livré à la consommation. Cette discus-
sion à propos de titres et de mots n'est point une vaine subti-
lité : on ne peut douter (pi'on sert beaucoup mieux les sciences
et les arts, en ajoutant aux connaissances acquises <jue lors-
qu'on se borne à répandre ce qui est déjà su ; dans le prenn'er
cas, on a travaillé pour tous sans exception, et dans le second
cas, seulement pour ceux qui ne savaient pas encore. Multi-
plions donc, autant que nous le pourrons, les journaux qui se
chargent de mémoires originaux, qui forment l'avant-garde de
l'armée d'expédition contre l'ignorance et le faux savoir : le
corps d'armée sera toujours assez nombreux. C'est ainsi que
chez nous le Journal du Génie civil s'est élevé rapidement à
une haute prospérité, en raison des publications originales
dont il est rempli. Faites que l'on trouve dans votre recueil
ce que l'on chercherait en vain dans tons les autres; vous
n'aurez pas à craindre qu'on vous délaisse. Le journal de
Bruxelles est, certainenient, très-digne d'estime; les choix sont
bien faits, les notices intéressantes; mais en associant^iux ar-
ticles d'iunpriint un certain nombre de choses qui n'aient point
encore paru dans d'aulies lecueils, les rédacteurs seront en-
core plus assurés de plaire et d'instruire, et pour les services
de cett«î nature, le public n'est jamais ingrat. La ville de
Bruxelles est aussi un centre des sciences et des arts, un des
foyers d'où la lumière se répand dans tout le monde civilisé :
on y est promptement instruit de toutes les découvertes, on
en fait quelques-unes ; que la presse périodique se hâte de les
publier. Cet honorable emploi suffit pour exciter l'émulation
des rédacteurs de journaux consacrés aux connaissances utiles.
PAYS-BAS. — LIVRES FRANÇAIS. ; i5
La Revue des Revues, qui t'ait déjà très-bien, lera mieux en-
core, si elle consent à se charger de tous 'es articles originaux
qu'elle pourra trouver, dût-elle renoncer à son titre.
Il y a déjà, dans ce recueil, des notices de cette espèce;
mais elles appartiennent spécialement aux Revues , et ne peu-
vent être considérées comme propageant des connaissances
nouvelles. Telles sont, par exemple, les observations sur les
produits de l'industrie et les tableaux exposés cette année.
Les jugemens sur le travail des tabricans sont exprimés avec
une modération qui inspire la confiance ; il n'en est pas ainsi
de la Revue du Salon de peinture. A Bruxelles, comme à Paris,
leux qui s'érigent en arbitres des beaux-arls se croient dis-
pensés d'observer les convenances : un ton rogne et tranchant,
(|ue Beaumarchais renvoyait aux libellistes ; des prétentions à
l'esprit qui ne provoquent aucun sourire; cependant, l'éloge
domine dans toute celle revue, mais on voudrait que l'exagé-
ration n'y fût pas quelquefois trop évidente, et que partout on
pût reconnaître le langage de la raison, toujours simple, et
manifestant la justesse des pensées par celle des expressions.
Au reste, il faut croire que ces articles sur les beaux-arts sont
fort difiiciles à bien faire, car on n'y réussit pas mieux à Pa-
lis qu'à Bruxelles. Quant aux autres objets sur lesquels on
trouve des notices dans la Revue des Revues, nous répétons
avec plaisir que les lecteurs auiont lieu d'être satisfaits du
choix et de la rédaction. N.
LIVRES FRANÇAIS.
Sciences physiques et naturelles.
16 1 — * Discours sur les révolutions de la surface du glohe,
et sur les changemens qu'elles ont produits dans le régne animal;
par M. le baron Cuvier. Siaicme édition française, revue et
augmentée. Paris, i85o; Edmond d'Ocagne. In -8" de 408
pages, avec 6 planches; prix, 7 fr. 5o cent.
Des savans anglais et allemands ont pensé qu'il serait utile
de détacher ce discours du grand ouvrage de 31. Cuvier, sur
les ossemens foS;siles, et de le mettre à la portée des lecteurs
qui ne font pas de l'histoire naturelle leur étude spéciale, ou
qui doivent s'interdire la dispendieuse acquisition d'un ou-
vrage qui renferme plus de 400 planches. En faisant passer
dans leur langue l'excellente introduction aux recherches sur
l'^s ossemens fossiles, les savans traducleurs l'ont enrichie de
noies, dont l'auteur a profilé pour cette édition, en y joignant
;i4 LIVRES FRANÇAIS.
oncore ci; que ses recherches ullérieures lui ont l'ail décou-
vrir. Mais ces nouvelles connaissances ue pouvaient ctre qu'in-
(liriuées dans ce discours, qui est le résumé de ce que l'on sait
aujourd'hui sur le monde souterrain, sur ces plantes et ces
animaux ensevelis depuis tant de tems, à une si grande pro-
tondeur : notre illustre naturaliste se propose de les repro-
duire en détail dans le volume de supplément à son grand
ouvrage, où il réunira ses propres découvertes à celles que
l'on a t'ailes dans les deux continens. Lorsque cet intéres^■ant
volume sera publié, nous aurons tout ce qu'il faut pour ap-
précier convenablement les additions faites à ce discours, dans
cette nouvelle édition : M. Cuvier promet de discuter, dans
le volume supplémentaire, les hypothèses nouvelles auxquel-
les les découvertes ullérieures auront donné lieu ; il sera donc
lems alors d'examiner si ces découvertes et ces hypothèses
peuv,ent réagir sur l'introduction même, et si les opinions et
les doctrines exposées dans ce discours sont susceptibles de
quelques modifications. F.
162. — Mimcirc sur le Charbon, son eniploi dans l'assai-
nissement des eaux et à divers usages rconorniques, par A. Che-
V ALLIER. Paris, i85o; imprimerie de Dezaiiche. In- 13 de
52 pages.
Toutes les classes de la société pourront lire avec fruit le
31émoire de 31. Chevallier sur les ciiiplois des diverses espèces
de charbon végétal, animal ou schisteux pour la décoloration
des liquides, tels que vinaigres, huiles, eaux-de-vie, etc. L'au-
teur y indique les fréquens usages du charbon de bois coilime
engrais; ensuite, comme moyen d'économie domestique pour
le chaulTage "par un procédé particulier, et d'hygiène pour la
désinfection des viandes, leur conservation, ainsi que celle de
l'eau et son assainissement. Il est fort à désirer que cette der^
nièie propriété du charbon végétal soit plus connue, et surtout
utilisée dans les hautes plaines du Jura et le midi de la France,
où riiabitude est de conserver pour l'usage journalier les eaux
pluviales dans des citernes, souvent très-mal saines. R"' C.
i65. — Description d^un nouveau système d'arcs pour les
grandes clutr pentes, exécuté sur un bâtiment de 20 mètres de
largeur, à Marac, près Rayonne, et sur le manège de la caserne
de Libourne; par A. R. Émv, colonel du génie, en retraite, ex-
directeur des forlidcalions de La Rochelle et de Rayonne,
membre de l'Académie de La Rochelle, etc. Paris, 1828; Ca-
lilian Gœury. In-f(dio de i5 pages, avec 7 planches gravées;
prix, (i fr.
M. le colonel Lmy rappelle d'abord les services trop long-
lems niéconaus que Philibert Delormc a rendus ù l'art du
SCIENCES PHYSIQUES. 71 5
charpentier. Le système d'arcs eir planches, imaginé par cet
ingénicnx architecte, n'avait encore été employé qu'à de pe-
tites constructions, lorsqu'on en vit enfin une application en
grand à Paris, à la Halle-aux-Blés. Si nos architectes avaient
quelque habitude des mathématiques et de leurs applications,
s'ils connaissaient le calcul de la résistance des bois, et les faits
nombreux qui confirment ces résultats, ils auraient construit
avec plus d'économie et d'élégance la vaste étendue des mar-
chés de cette capitale, des Halles-aux-Vins, des Greniers d'A-
bondance, ctc : peu à peu, l'art du charpentier aurait adopté
les periéctionnemcns dont il a grand besoin , l'instruction se
serait répandue de haut en bas, suivant l'ordre naturel, et elle
aurait pénétré jusqu'au fond de nos campagnes. Aussi long-
tems que les études des architectes conserveront leur direction
actuelle, ces changemens, si désirables, n'auront pas lieu;
mais, ce qui est assez vraisemblable, c'est que les charpentiers
recevront, par une autre voie, l'instruction que les architec-
tes ne leur donneront point , et que les maîtres de L'art seront
moins habiles que quelques-uns des ouvriers qu'ils emploient.
Si l'enseignement industriel continue comme il a commencé,
il ne sera plus permis aux architectes de persévérer dans l'i-
gnorance dont ils semblent se faire mi point d'honneur, comme
les gentilshommes du moyen âge auraient cru déroger en sa-
chant écrire leur nom.
M. le colonel Émy n'est point dans ce cas : les systèmes de
charpente qu'il a fait exécuter, et ceux qu'il propose, sont
autant d'applications des lois connues de la résistance des bois.
Il décrit d'abord la charpente du hangar de Marac et celle du
manège de la caserne de Libourne, et il les compare avix char-
pentes construites suivant les méthodes ordinaires; il passe
ensuite aux applications à des arcs de plus grande portée. Le
premier projet, dont il donne une notice et le dessin, est celui
du comble du manège de 100 mètres de longueur, et de 4o
mètres de largeur, qui devait être construit à l'école de cava-
lerie de Saumur. 11 ose passer ensuite à vm comble de 100
mètres de portée , et il termine ces hardies conceptions de
l'art parla construction des plus vastes coupoles. On remar-
quera spécialement, dans ces divers projets, l'attention que
l'auteur a eue de profiter constamment de tous les modes de
résistance dont les bois sont capables, de leur associer le fer,
sans prodiguer ce métal, et en ne l'employant qu'avec de
petites dimensions. Tous les détails de ces constructions gi-
gantesques peuvent être exécutés par des ouviieis onlinaires,
avec les inslrumens de leurs travaux habituels. Cet ouvrage
7i6 LIVRES FRANÇAIS.
est un !*ujet crétuile trt-s-convenable pour les jeunes geus qui
se destiiienl aux arts de la construction; ils y apprendront
comment on peut tirer parti des hommes et des matériaux
qu'on a sous la main, même lorsqu'il s'agit d'ouvrages re-
marquables par leur grandeur et leur perfection.
164. — Manuel du Ferblantier et du Lampiste, ou l'Art de
confectionner en ferl)lanc tous les uslensibles possibles, les
appareils récemment inventés, comme auguslines, cafetières,
caléfactenrs, etc.. ; l'étamage, le travail du zinc; l'art de fa-
briquer les hmipes d'après tous les systèmes anciens et nou-
veaux; tous les appareils d'éclairage, depuis les lustres jus-
qu'aux quinquets ; enfm, de faire tous les orne mens des produits
du fer])iantîer et du lampiste : suivi d'an vocabulaire deste>-mes
techniques ; par M. Le Brtn. l'aris, i85o; Roret, rue Haute-
feuille. In-i8 ; prix, 5 fr.
Cet ouvrage est divisé en quatre parties. La première traite
des matériaux et des outils en usage dans la ferblanterie, et des
procédés généraux de fabrication. — La seconde indique l'art de
travailler les ustensiles de cuisine, tels que cafetières, fdtres.
passoires, râpes, caléfacteurs , casseroles, écuelles, lanternes
siphons, entonnoirs, baignoires, etc. On y traite aussi du tra-
Aail du zinc, de l'étamage, etc. — La troisième partie donne la
construction de toutes les espèces de lampes, depuis la veil-
leuse et la lampe de cuisine, jusqu'aux lauipes à mouvement
d'horlogerie, inventi-espar Carcel, Gagneau. Du verger et Got-
teux : on y trouve aussi l;« description des lampes hydrostati-
ques de Girard, deThilorier, de. Morel et dcGarnier. Cette par-
lie est en grande partie extraite de l'ouvrage de M. Péclet sur
l'éclairage, et de l'article lampe du Dictionnaire technolo inique.
— La (|uatrième paitie a pour objet les ornemens, le vernis,
la peinture, le polissage, la dorure des métaux employés dans
les appareils piécédemment décrits. Elle est terminée par la
des( ription de l'art de faire le moiré métalli(|ue.
Cet ouvrage est écrit avec ordre et clarté; il sera utilement
consulté par les personnes qui se livrent à la fabrication des
appareils de ferblanterie, et par celles qui s'intéressent aux
progrès des arts. C'est un des meilleurs traités de la collec-
tion des manuels : écrit sans prétention, il donne une idée
juste des procédés les plus usités dans ce genre de travail,
dont les produits sont si fre(|uemmenl employés. EnANCOEtR.
i65. — Manuel du Bonnetier et du fabricant de bas, par
M. V. Leblanc et M. Préaux -Caltot, de Troyes , fabricans.
Paris, ibôo; Roret. In-18 de 020 pages, avec figures;
prix. 5 fr.
SCIiiNCES PHYSIQUES. -17
Cet ouvrage s'adresse à un grand nomltre de lecteurs. L'art
du bonnetier embrasse dans son ensemble plusieurs profes-
sions : les dateurs, les laveurs, les apprêtcurs, etc. Il se divise
lui-même en quatre branilies principales : la bonneterie en
coton, la bonneteiie en fii, la boruieterie en laine, et enfin ia
bonneterie en soie, qui ont été traitées séparément par les au-
teurs. Paris eut long-tems et conserve encore la réputation
d'être la première ville manufacturière pour cette dernière
espèce ; mais, depuis l'abolition des privilèges, cette industrie
a pris un essor considérable, elle est maintenant répandtie
sur plusieurs points de la France. Lyon, Nîmes, Mont-
pellier, Dourdan ont aussi leurs manufactures de tricot
■de soie. Si l'on récapitule le nombre des fabriques de tout
genre de bonneterie établies dans nos départemens, on trou-
vera que le total s'élève à près de sept cents , non compiis les
métiers isolés. L'n renseignement statistique curieux, que nous
regrettons de ne pouvoir fournira nos lecteurs, serait d'éta-
blir combien il y a de métiers par fabrique : cette somme trou-
vée, on saurait aisément combien d'hommes sont employés à
cette fabrication, puisqu'on peut toujours compter six per-
sonnes employées par chaque métier battant pour la filature",
le lavage, le peignage, la teinture, la couture et les apprêts.
On verrait par ce moyen de quelle importance est cette bran-
che d'industrie qui fournit des moyens d'existence à une quan-
tité si considérable de monde : il y a eu telle de ces fabriques
où l'on a compté plus de trente mille personnes de tout âge
employées. Si de ces considérations générales sur son utilité
nous passons à l'examen du manuel en lui-même, nous n'au-
rons à reprocher aux auteurs que d'être parfois trop concis,
ej la concision est souvent un défaut dans les livres techniques ;
mais, d'un autre côté, il y avait tant de choses à l'aire entrer
dans cet in- 18, que nous ne pouvons en conscience nous ap-
pesantir sur ce reproche. OL".
166. — * L'Esprit (/i> l'/iomme de ij;uer)'e, ou Essai moral, his-
torique et Ihéori- pi alique sur l'art mi lit air c , accompagné de
tableaux et de planches; par le capitaine L. A. D'Esmon».
Paris, i85o; Corréard jeune; Anselin. In-8° de 414 pages,
avec 7 tableaux et 16 planches; prix, 12 fr.
Nous n'avons pu que parcourir cet ouvrage d'une lecture
facile , d'une étude agréable, mais dont l'analyse exige quel-
ques méditations; nous serons donc dans la nécessité d'y re-
venir en tems plus opportun. Nous aurons, sans doute, à faire
quelques observations critiques, à rectifier quelques légères
inadvertances; et comment une lecture attentive n'en ferait-
T. XLVII. SEPTEMBRE l85o. 4^^
;iB LIVRES FRANÇAIS.
elle pas découvrir dans un volume de 4oo pages ? L'auteur
kii-même prévient ses lecteurs que son livre porte le cachet
d'une première édition, et termine son avant-propos par le ju-
gement que Martial pronon^;ait sur ses propres épigranimes.
La modestie de M. le capitaine d'Esmond est beaucoup trop
sévère; on le serait encore trop, en transposant deux mots
dans le vers du poète latin, et disant :
Siiiit mala ; sunt quxdani mediociia ; sunt bona plara.
Ce livre est du nombre de ceux auxquels on revient volon-
tiers. Nous nous empresserons d'en rendre à nos lecteurs un
compte un peu détaillé, malgré la multitude et la variété des
objets qu'il embrasse. P\
l'ij. — * Manuel élémentaire {)our la construction et le dessin
des caries géographiques , par A. M. Perrot. Paris, i83o; Ro-
ret. In-i8 de iv et 258 pages, avec 7 planches; prix, o i'r.
De tous les moyens d'apprendre la géographie élémentaire,
le plus expéditit'et le plus agréable consiste sans doute à co-
pier les cartes d'un atlas, en choisissant, pour les marquer sur
son dessin, les villes ou les accidens naturels qu'on croit avoir
besoin de se rappeler, en guidant ses traits par le tracé des
méridiens et des parallèles, et relevant le tout par une bril-
lante enluminure : de cette manière on se met parfaitement
dans l'esprit la position relative des lieux et des objets, et l'a-
grément des couleurs, la netteté des formes contribuent sin-
gulièrement à la fixer dans notre mémoire.
Mais cet exercice, bon pour les enfans et ceux qui com-
mencent, ne peut bientôt plus satisfaire ces élèves dont l'es-
prit veut toujours aller au delà de i;e qu'ils ont sous les yeux;
ils voient bien dans leur caUjuc ou leur dessin une image de
la carte qu'ils copiaient : mais cette carte elle-même, com-
ment l'a-t-on faite? comment représente-t-elle la terre ou ses
diverses parties? pourquoi les méridiens n'ont -ils aucune
coxirbure, si le pôle est au milieu d'une carte circulaire? pour-
quoi, dans les mappemondes ordinaires, sont-ils courbés en
sens opposés au-dessus et au-dessous de l'équateur? pour-
quoi sont-ils droits et à des distances progressivement crois-
santes dans la projection de Mercator?
Toutes ces questions et d'autres semblables, pour être réso-
lues complètement, exigent des notions assez avancées de
géométrie descriptive ; mais combien de gens ont étudié cette
science qui ne se doutent pas de ce que c'est qu'une carte, ni
fur quel principe elle es! construite : c'est pour eux que
SCIENCES PHYSIQUES. 719
M. Penot a écril son livre, plein de faits et de recherches;
on jugera par le compte que nous en allons rendre s'il mé-
rite, comme nous le croyons, l'attention de tous ceux qui se
livrent à l'étude de la géographie.
M. Perrot divise en trois parties ce qu'il a à dire sur les
cartes géographiques : dans la première, il explique leur usage
et leurs diflcrentes espèces, selon que l'on veut y étudier
les divisions naturelles, politiques, administratives, mili-
taires, etc. (1) Il passe de là aux mesures absolues et rela-
tives au moyen de déterminer la forme et la surface de notre
planète. Plusieurs tables sont consacrées à nous faire con-
naître les nombreuses mesures itinéraires en usage dans les
divers pays, et les dimensions exactes du sphéroïde terrestre,
ù tous les degrés de longitude et de latitude exprimés dans
le système centésimal, ainsi que dans le système sexagé-
simal.
Le rapprochement de ces deux divisions déjà mises en pra-
tique pour quelques cartes (2), où l'on traçait sur le bord
intérieur du cadre les degrés centésimaux , doit nous faire
espérer que le tems n'est pas éloigné, où les divisions de de-
grés seront toutes conformes à notre système de numération,
et n'introduiront plus dans le calcul ces fractions et ces quan-
tités complexes que le système mélrfque en a chassées : en
même tems, les tables des mesures de distance, où l'on ne
trouve pas moins de seize lieues différentes pour la Fiance
seule, convaincront peut-être les écrivains de tous les pays
qu'il n'y a pas d'autre moyen de présenter une idée nette et
certaine à leurs lecteurs, que d'exprimer toutes les quantités
dont ils parlent en mesures métriques, ne les mettraient-ils
qu'entre parenthèses, et que tout ouvrage où cette précaution,
aura été négligée ne sera certainement compris, s'il parle de
(1) ]M. Perrot appartenait, ce nous semble, à la direction du Biblio-
tnappe; ce traité de géograpliie établissait en principe qu'il ne fallait ja-
mais mettre dans une carte que ce que l'on avait besoin d'y trouver pour
l'objet spécial auquel elle était destinée ; il fondait là-dessus des divi-
sions et sous-divisions de caries, à l'aide desquelles il pouvait présenter
jusque dans leurs plus petits détails, mais chacun seulement à sa place,
tous les accidens de terrain ou de construction qu'on ne peut jamais
présenter à la fuis même dans des cartes beaucoup plus grandes. M. Per-
rot a suivi cette idée avec persévérance ; il la développe au commence-
ment du manuel que nous annonçons, et nous promet, comme devant
paraître prochainement, un Atlas administratif de France, contenant
une carte pour chacun des services publics : nous ne doutons pas que
cet Atlas ne présente beaucoup d'intérêt aux lecteurs.
(2) Je puis citer^ dans ce genre, l'Atlas classique de !\î, Bassït.
720 LIVIŒS FilANÇAÏS.
grandeurs, que du petit nombre de ceux qui auront fait une
étude approfondie de la matière qu'il traite.
Après avoir ainsi détaillé, dan? la première partie, les me-
sures de la terre, l'auteur indique dans la seconde les moyens
de la représenter : le plus simple, quant à la théorie, c'est
sans doute de faire un globe : c^est aussi par là qu'il commence ;
mais un globe est toujours restreint, souvent incommode ; en
aucun cas, il ne peut se diviser de manière à ne présenter à
l'œil que la partie de la terre dont on veut s'occuper avec as-
sez de détails pour dispenser d'autres recherches : il a donc
fallu recourir aux cartes; mais les cartes sont la représenta-
tion d'une surface courbe sur une surface plane, et cette re-
présentation ne s'obtient que par des projections. M. Perrot
traite donc de ces divers moyens de rapporter la face ter-
restre tantôt sur un plan, tantôt sur une nappe conique ou cy-
lindrique que l'on déroule ensuite pour la ramener à la sur-
face plane; il montre les avantages et les défauts de chacun de
ces procédés, et la préférence que l'on doit donner à l'un ou à
l'autre selon le genre de carte que l'on veut décrire ; il en fait
lui-même l'application aux principales parties du monde, et
entre à ce sujet dans des détails aussi complets qu'ils sont né-
cessaires et souvent peu connus (i).
La troisième paitie est consacrée à la description des instru-
mens nécessaires au géographe, aux conseils sur le tracé des
cartes, sur le choix du papiei", des crayons, des couletu's, etc. ,
sur les signes de convention dont il est bon de faire usage,
pour représeuler les villes, les fleuves, les marais, les bois, les
sables, les ruchers, les limites, etc., etc. C'est proprement
la partie géographique de l'ouvrage, et celle dont nous devons
le moins nous occuper.
L'auteur y a joint, outre de nombreuse.; planches, une liste
des ouvrages à consulter s(U" la construction et le dessin des
(i) On peut juger combien la plupart des iiommes ignorent les prin-
cipes des projections, par une carte qu'on %'oit aciuellemcnt chez qu(;l-
ques niarcliaixls d'estampes, et qui a pour objet de représenter la posi-
tion de la lerie par rapport au soleil dans les douze mois de l'année. La
gravure en est assez soignée; mais, ce qu'on aura de la peine à s'imagi-
ner, c'est que Viixc de la terre, au lieu de eonseiver le ])aiallélisme que
la nature lui a donné, tourne successivement ses pùles vers tous les points
du ciel, et, ce qui est ])]us fort encore, il y a des positions où l'écliptique
est représentée par unv ligne sinueuse. Or, je demande si jamais un
cercle peut être placé de lîinnière à présenter à l'œil un S allongé? Et
si un homme qui s'occupe du dessin des cartes fait de paieilles fautes, h
quoi ne doit-on pas s'attendre de la part de ceux qui ne s'occupent que
superficiellement de cette science.
SCIEiNCES PHYSIQUES. 721
caries g(^'Oi;iaphi([ues, et un voc:ibiil;iiie tlôlaillc de tous !cs
termes techniques employés, soit dans le cours de son traité,
soit dans l'art du géographe.
Nos lecteurs jugeront sans doute, d'après cet exposé, qu'il
était difficile de rassembler plus de choses sous un plus petit
volume , et ils regaideront ainsi que nous le manuel de M. Per-
ret , comme l'un des meilleurs qui aient été publiés jusqu'ici.
B. J.
168. — * Histoire générale des Voyages, ou Nouvelle Collection
des relations de Voyages par terre et par mer, mis en ordre et com-
plétés jusqu'à nos jours, par C. A. Yvaikenaer, membre de
l'Institut; t. xix. Paris, i85o; Lefebvre, In-8"de45i pages;
prix du vol., 7 fr.
Cette nouvelle histoire des voyages, que les progrés conti-
niicls de la géographie avaient rendus depuis long-tems né-
cessaire, sepouisuit toujours avec le même succès par les soins
de M. "Walkeniief et de ses savans collaborateurs. On a déjà
vu , dans le iiuméro du mois de juin dernier (t. xlvi, p. 719),
l'analyse du 1. xviii, et l'indication des cartes qui l'accompa-
gnaient. Le v(jlume que nous annonçons aujourd'hui n'offre
pas moins d'intérêt. îl continue la série des voyages au midi
de l'Afiique, et particulièrement au cap de Bonne-Espérance
et le long des côtes, depuis le cap Negro jusqu'au cap Corien-
tes. Le 1 "de ces voyages est celui de M. LATROBE,de la commu-
nauté anglaise des Frèies-Mor.ives, envoyé en 181 5 au Cap,
pour y visiter deux établissemens de cette secte, et aviser au
moyen d'en fonder un troisième. On y trouve des faits cu-
rieux, contés avec une simplicité et um: bonne foi remarqua-
bles, "^ers la fin, se lit une description du fameux vignoble
de Coîistantia ou Constance, qui doit son nom à la femme d'un
des anciens gouverneurs de la colonie. Vient ensuite la rela-
tion d'une deuxième excursion du missionnaire Campbell ,
remplie de détails non moins intéressans, et terminée par do.î^
observations générales sur les peuplades sauvages visitées
par le voyageur, et sur la ville de i.altakou, déjà décrite dans
le volume précédent. Celui-ci est terminé par la relation de
J. Philip, inspecteur des missions, et par un extrait des jour-
naux de quelques-uns de ses confrères, depuis «798, suivi
d'une Notice intéressante sur l'état actuel et le résultat de ces
missions. On voit avec plaisir qu'elles ont contribué à amé-
liorer le sort des naturels, en établissant parmi eux quelques
principes de religion et de civilisation, et en modérant, d'un
autrccùté, les vexations, souvent intolérables, exercées envers
res mallîCiUTux par des ffouvorneurs liollàndais , et même,
^23 LIVRES FIliNÇAIS.
quoique plus rarement, dans ces dernières années, par les
agens du gouvernement anglais. Y. Z.
169. ■ — * Statistique de l'arrondissement de Falaise, par
M3I. Fred. Galeron, y/ //;/«. de Brebisson , Jul. Des-
noyers, etc., 6' et 7" cahiers. P'alaise, 1 829-1 S^K^Pa lis, Lance,
rue Croix-des-Petits-Champs, n° 5o. 2 cahiers in-8", chacun
de 172 pages, aAec des dessins lithographies; prix du cahier,
3 francs,
1^0. — Histoire et description de F alaise , par M. Fréd. Ga-
lERON. Falaise, i85o; Brée l'aîné. Paris, Lance. In -8" de
iv-144 pages; prix, 5 fr., avec un portrait de Guillaume-le-
Conqiiérant, par .M. Cli. de YArguELiN, et une vue du château,
par M. Alhert d'Oilliam^o^.
Voltaire reprochait à des érudits d'avoir publié, dans de
lourds in-folios, l'histoire d'obscures bourgades : ces écrivains
exploitaient leschnrtres et les ruines; ils se passionnaient pour
une inscription ou pour une image armoriée; puis, exigeant
d'idiomes qu'ilsne savaient pas, l'explication des étyniologies,
ils attribuaient à des conquéraus, à des rois, à la famille de
Priam, et même à celle de Noé, la fondation des petites villes qui
étaient le sujet ou le prétexte do leurs livres. Versés dans
l'histoire sacrée et mythologique, ces historiograph-es canton-
naux ne pensaient point à rechercher, dans la conformation
du sol, l'histoire des catastrophes empreintes dans les moin-
dres parties du globe ; ils négligeaient d'interroger et de dé-
crire les usages et les institutions de tems passés. La géolo-
gie, la statistique , l'économie politique sont des sciences
toutes nouvelles, et que doit avoir cultivées l'écrivain
qui entreprend de tracer la description d'une contrée im-
portante. Des statistiques réceuunent publiées eussent été
des ouvrages très-estimés dans le xviii'' siècle : Voltaire n'eût
pas jugé trop volumineuse la description du département des
Bouches-du-5lh(Hie, par M. de Villeneuve. Tous les préfets n'ont
eu ni le même zèle, ni autant de sagacité, pour profiter des
travaux des Académies locales. On pourrait citer des admi-
nistrateurs qui ont refusé des renseignemens nécessaires à de
simples annuaires; genre d'écrit d'une utilité réelle et pro-
gressive, mais jusqh'ici très-négligé, à cause peut-être de l'in-
térêt qu'un gouvernement jésuitique trouvait à celer ses actes
et à dissimuler la situation de chaque département (1). Ce-
(1) Ainsi l'Annuaire de la î\Ianclie , qui, dès sa première année,
avait l'uurni des détails cn.ieux sur ce dépaj-tenient trop peu connu, n'a,
SCIENCES PHYSIQUES. 7*3
pendant, pliisieurs maj^islrats ont piihlié des essais estimal)Ies
de statistique locale. L'historien de la ville deïhion ville, M. Tes-
sier, qui vient de passer à la sous-préfecture de Saint-Etienne,
nous procurera, on l'espère, une description de cet arrondis-
sement si remarquable par son industrie. M. Galeron , magis-
trat non moins instruit et zélé, s'est proposé de faire con-
naître Falaise à ses propres habitans. « Après douze années
passées au milieu d'eux, dit-il, c'est un trop faible témoi-
gnage du dévoûment que je leur porte, »
Falaise avait déjà été le sujet de rccherclies , mais moins
étendues et moins approfondies que les écrits publiés sur lu
ville de Bajeux , sans doute parce que cette dernière, d'ori-
rigine celtique, devint un siège épiscopal dès les premiers tems
du christianisme; tandis que Falaise, fondée par les Normands,
appartient seulement à l'histoire politique et commerciale.
M. Fred. Pltjqttet a fait oublier ses devanciers par son Essai
sur la Villeet i' arrondissement de Bajeux (voy . Rev. Enc.^ t. xlii,
p. 49'5)- ^^' Galeron a fait imprimer, à part, l'histoire et la
description du chef-lien de l'arrondissement dont il continue
la statistique. Guillaume naquit et résida dans le château de
Falaise : il emmena les seigneurs et une foule d'habitans du
pays à la conquête de l'Angleterre : résolution glorieuse, qui
semble avoir attiré sur Falaise, dans les siècles suivans, des
sièges et les malheurs que produisirent les guerres de la féo-
dalité, de religion, et la domination anglaise. Cetteville subit
aussi les effets du système des foires, qui faisait comme appa-
raître un grand commerce dans des contrées dépourvues, en
partie à cause d'elles, de toute industrie. Peut-être des recher-
ches dans les archives municipales procureraient de nouveaux
renseignemens sur l'état des arts dont les produits affluaient à
Guibray, foire franche dès le xi" siècle. L'auteur a pu com-
mettre, sans doute, quelques erreurs de généalogie; mais,
en revanche il a recueilli avec beaucoup de soin des actes cu-
rieux, qui viennent appuyer le récit des faits; il nous apprend
ainsi qu'à la fin du xii' siècle, les revenus de Falaise n étaient
que de 54o hvres, et qu'aujourd'hui ils s'élèvent à 87,779 fr.;
il rapporte la charte municipale qu'octroya, en i2o5, Phi-
lippe-Auguste; etc.
M. Galeron a subi l'influence de l'esprit des petites villes,
qui ne permet pas à l'historien de tout raconter : il a pu ani-
pu paraître pour i85o. L'Annuaire du Calvados a été continué. Rédigés
avec plus d'indépendance, ces livres vont sans doute raconter les événe-
mens dont la Basse-Norniandie a élc dcrnicrenienl le théâtre.
724 LIVRES FRANÇAIS.
mer la pailic iopographi(iue par des extraits naïfs de chrnnr-
qiies anciennes, niais il a lait peu d'emprunts à la clironiqne
tonlcmpoiaine. Peut-être y a-t-il de rexagération à évaluer
■i 5o millions de francs le mouvement des affaires à la foire
de Guihra}", et à 170,000 douzaines de bonnets de coton, les
produits de la principale industrie du pays. D'un autre côté,
il y a sûrement de la modestie à taire le zèle que l'auteur a
communiqué aux hahitans, pour recueillir, dans un petit mu-
.«ée , les armes, médailles, etc., trouvées dans la contrée, et
pour fonder, par souscription, une bibliothèque comptant déj;'»
4,000 volumes, dans une ville qui a fourni son contingent à la
liste si longue des littérateurs, savans et artistes qui sont néir
dans l'ancienne Normandie.
La Slaiistique de C Arrondissement de Falaise prouve mieux
encore les connaissances variées et le patriotisme de M. Gale-
ron : comme le? dessins qui accompagnent les deux nouvelles
livraisons prouvent le zèle et le talent de iMM. Cli- de Vai;-
QiELiN, Alb. d'0illiams05, Jlp/i. DE Brebissos (i). Cette
statistique gagnerait à être débarrassée de quelques répéti-
tions : elle n'aura pas moins de 4 ^<^lume in- 8°, dont le
dernier sera consacré anx sciences géologiques et naturelles.
D'après cette proportion, la statistique du Calvados se com-
poserait de 25 volumes, et celle de toute la France, d'environ
ï,4oo volumes. Mais beaucoup d'arrondissemens sont moins
liistoi iques que celui de Falaise, et sa statistique, destinée prin-
cipalement à servir les intérêts et les besoins assez compli-
qués de la population, expose en outre l'état ancien et présent
des cantons limitrophes. On doit encourager cette publi-
catioji : jr.squ'à ce que nous possédions de semblables des-
criptions statistiques pour les principales contrées des gran-
des divisions du royaume, il sera très-diiïîcile de composer
une histoire de France à la fois topographique, littéraire, mo-
rale, industrielle et politique. Isidore Lebrcn.
Sciences religieuses, morales, politiques et historiques.
171. — * Sainte Bihle de Vence, en latin et en français, àvc<''
des notes critiques et historiques, des préfaces et des dissertations ,
tirées du commentaire de dom Calinet, abbé de Sénoncs, de
l'abbé de Frncc, et des autres auteurs les plus célèbres, pour
(1) AI. Brcbiss.in fils cnrtlimiotiv< c succès la publication des mnusxex
fie la Noriui'.nclic, collection destinée à fhtililer l'éfiide de la iiniscoloj;ie
de la Fiance, et qiii te rnniposeia de S fssrirnlPF. in-f^"; ]'iit, ^ Tr.
SCIKNCES MORALES. ;25
faciliter l'intelligence ilc rÉcriture Sainte ; enrichie de figure?
et de cartes géographiques. Cinquième édition, soigneuse-
ment revue, et angnienlco d'un grand noml)rc de notes, par
M. Dracu, rabbin converti, et enrichie de nouvelles (/isserla-
tions. T. XYiii et xxîii. Paris, i85o; 31équignon-Havard , rue
des Saints-Pères, n° lo. 2 vol. in-8"; prix du volume, j t'r.
Le tome xvin contient des remarques sur les douze petits
prophètes, qui ne sont pas sans intérêt; une préface sur les
deux livres canoniques des Machabées; une dissertation sur
la parenté des Juifs et des Laccdémonicns ; une dissertation
sur l'arche d'alliance; les deux livres des Machabées, et un
abrégé de l'histoire des Juifs, depuis la mort du pontife Simon
jusqu'à la naissaccc de Jésus-Christ.
La dissertation sur la parenté des Juifs et des Lacédémo-
niens nous dit bien que les chefs de ces deux peuples s'écri-
virent réciproquement, mais elle ne nous apprend pas lequel
des deux commença le premier. Le grec porte qu'Aréus, roi
de Sparte, écrivit d'abord à Onias, souverain pontife des Juifs,
tandis que le latin porte au contraire que la correspondance
fut entamée par Onias. Le disseriateur ne décide point li
question.
Quant à la parenté, quelques savans croient qu'elle est foute
chimérique et sans fondement réel; d'autres la croient véri-
table; et d'autres la mettent au rang des choses douteuses et
incertaines. Le dissertateur voudrait bien ne pas se pronon-
cer; comment faire? La chose est toute simple. «Quelque
parti que l'on prenne, dit-il, paimi ces sentimens divers, il
est certain au moins que les Hébreux et les Lacédémonicns
l'ont cru sérieusement, et par conséquent qu'ils avaient de
part et d'autre des raisons au moins plausibles pour s'en per-
suader. » A oilà qui est puissamment raisonner. Tout le reste
est de cette force. La dissertation finit de cette manière. «Pour
peu rjue ces peuples eussent d'envie de se croire parens, et
de le persuader aux autres, rien n'était plus aisé que d'y réus-
sir, avec tant de marques extérieures de ressemblance : ap-
paremment leur intention n'a jamais été qu'on approfondit
beaucoup cette affaire, et qu'on la prît dans toute la rigueur;
elle ne souffre point un examen profond et littéral. »
Dans la dissertation sur l'arche d'alliance, on examine !-"i elle
fut remise dans le temple après la captivité de Babylone, et si
elle doit un jour reparaître. On répond à la première ques-
tion que le sentiment qui est le plus répandu et \c plus com-
nmn aujourd'hui, et qui a été le plus ordinaire parmi les an-
ciens, est que l'arche ne fut jamais rccoiîTrcc . et ne parut pas
726 LIVRES FRANÇAIS.
dans le second temple. On répond à la seconde question que
les deux prophéties du second livre des IMachabées et de Jéré-
niie, dont l'une annonce que l'arche reparaîtra, et l'autre
(|u'elle ne reparaîtra ])as, se concilient aisément, parce que la
dernière est plus claire et plus formelle, et qu'il faut s'en te-
nir à celle-ci.
Le tome xxiii renferme les sept dernières épitres de saint
Paul, et les sept épitres catholiques, avec leurs préfaces et des
dissertations sur l'Ante- Christ, sur la fin du monde, sur le
voyage de saint Pierre à Rome, sur le fameux passage de la
première épître de saint Jean : Très sunt qui testimonium dant
in cœlo, etc. , et sur le livre d'Enoch.
On trouve quelques opinions singulières dans la disserta-
tion sur l'Ante-Christ.
1°. Un roi est méprisable, selon RoUin, quand il no monte
sur le trône ni par le droit de sa naissance, ni par le choix vo-
lontaire des peuples.
2". La religion catholique peut subsister, quoique le chef
de l'Eglise ne réside point à Rome.
5°. Les éditeurs persistent dans l'opinion que Mahomet est
un des précurseurs de l'Ante-Christ, marqué dans les Écri-
tures, malgré les révélations d'une béate, qui désigne Napo-
léon.
4°. Le dernier ennemi de Jésus-Christ se nommera peut-être
Mahomet. Il régnera sur l'univers entier. Il viendra à la fin du
monde. Il tiendra son siège à Jérusalem ou à Rome. Il s'élè-
vera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu...
Dans la dissertation sur le passage de la première épître de
saint Jean, l'auteur regarde comme indubitable que le plus
grand nombre des anciens manuscrits grecs et latins et les
versions orientales ne lisent point ce passage; que la plupart
des pères, tant de l'Orient que de l'Occident, ne l'ont pas
connu..., et néanmoins il est authentique. J. L.
172. — * Des 3Jysti'rcs de la Vie humaine, par le comte de
MoNTLosiER, précédé d'une Notice sur la vie de l'auteur. Paris,
182g; Pichon et Didier. 2 vol. in-S"; prix, i5 fr.
M. de Montlosier regarde la vie humaine comme une par-
tic de la vie universelle; il traite donc des mystères de celle-
ci avant d aborder les secrets de la première.
L'univers est pour lui une lutte entre des forces qui
jouent les unes contre les autres. Les forces vaincues ont été
limitées, et les limites qui leur ont été imposées constituent ce
que nous appelons les formes. Trois grandes forces domi-
nent nu-dessus des autres : 1" la force céleste, qin' coordonne
SCIENCES MORALES. 727
les soleils et les balance dans l'espace; a° la force solaire,
qui se déploie par ralliactioii des planètes et par l'émission
de la lumière; 5" la force terrestre, qui se manifeste par la
rotation de la terre sur elle-même, par sa révolution autour
du soleil, et encore par la cohésion de ses parties, par leur
cristallisation, leurs affinités, et par certaines émanations et
répulsions. Il appelle la première esprit céleste ou Dieu, la
seconde, esprit du soleil, et la troisième, esprit de la terre.
Quant au corps ou à la matière, l'auteur ne sait où la trou-
ver. Cette terre que vous dites inanimée, dit-il, a soin de
tourner autour da soleil , pour baigner tour à tour ses deux
pôles dans la lumière et la chaleur de cet astre ; elle roule sur
elle-même pour ne pas soutenir toujours sur la même face
la foudre des rayons solaires. Cette pierre, que vous appelez
l)rute, vous résiste, si vous voulez en séparer les parties; les
molécules se sont choisies et disposées, et vous présentent les
phénomènes que vous appelez affinités, cristallisation; elles
exercent des répulsions, sous le nom d'élasticité, de calorique,
d'odeur, de couleur, etc.. Cet ensemble d'action compose la
vie minérale; c'est l'esprit de la terre qui agit ici. Les spiri-
tualistes ont donc tort, selon l'auteur, de parler de quelque
chose d'inorganique, d'inanimé.
La vie végétale répugne de même à l'idée de corps brut,
La pla.'ite, par ses feuilles, s'approprie les émanations du so-
leil , les fait descendre jusqu'à ses racines, où elle les mêle aux
sucs de la terre, et les fait remonter en fleurs, en fiuits et en
bourgeons. Chaque portion de la tige, chaque fibre de l'écorce
sait comment elle doit agir dans l'œuvre de la circulation,
de la floraison et de la fructification, CJiaque partie est donc
un esprit particulier , soumis toutefois à l'esprit général qui
fait l'ensemble de la plante. Il y a ici alliance de l'esprit de la
terre et de l'esprit du soleil.
C'est d'une manière plus manifeste encore que la vie ani-
male accuse le concours de ces deux esprits. La chaleur, l'é-
lectricité, et même les gaz qui composent l'atmosphère sont,
d'après M. de Montlosier , des émanations de la terré et du
soleil. L'animal absorbe une partie de ces produits, et il con-
somme des végétaux et des animaux qui en ont été nourris.
Chacun de nos muscles sait quant et comment il doit agir
pour triturer les alimens ; les glandes de la bouche savent
qu'elles doivent verser des sucs pour faciliter ce travail; l'es-
tomac, les intestins, le foie, les poumons, lecœur, les artères
et les veines connaissent le rôle qu'elles ont à jouer, et le rem-
plissentquand ilene-t teuis. Tousces esprits épais se subor(;lon-
728 LIVRES FRANÇAIS.
lient à l'esprit général, qu'on uppcîle le corps luiniain, comme
lous les esprits de la plante à l'ànie végétale, comme tontes
les forces terrestres à l'esprit de la terre, comme la terre elle-
même à l'esprit du soleil , et celui-ci à l'esprit du ciel ou à
Dieu.
Indépendamment de la vie animale individuelle, M. de
iMonllosicr reconnaît une vie animale collective. Une ruche
d'aheilles , un camp de fourmis ne sont pour lui que de
grands animaux, dont les divers organes ne sont pas couverts
d'un tissu , et peuvent s'écarter un peu plus les uns des au-
lies qu'on ne le voit chez les animaux individuels. Les neu-
tres, chez les abeilles, sont des estomacs vagabonds, et les
reines sont les parties génitales de la ruche. Tous ces petits
êtres n'ont qu'une vie de relation, et il leur est aussi impossi-
l)lc qu'aux parties de notre cœur de se séparer sans mourir. Aus-
^i, quoiqu'ils soient des esp?-iis particuliers, ils obéissent à un
esprit commun^ qu'on peut appeler l'esprit de la ruche, comme
chez nous, chaque muscle , chaque artère, chaque valvule se
soumet à l'esprit général, qui est l'esprit de ce qu'on appelle
notre corps.
Tels sont les degrés par lesquels l'auteur a cru devoir ani-
ver à la r/e humaine. Il est , continue-t-il, un animal chez le-
(jnel l'esprit indispensalile aux fonctions de l'animalité engen-
dre une sorte tle superflu, qui produit ce qu'on nomme les
opérations intellectuelles, telles que la mémoire, la pensée, la
volonté. L'auteur donne à ce produit le nom Wesprit surabon-
ilanl; et il réserve à l'esprit d'animalité le nom d'esprit ncces-
saircy nom qu'il étend à l'esprit de la vie végétale, à l'esprit
minéral, à l'esprit terrestre, à l'esprit solaire, et à l'esprit cé-
leste. L'a-prit nccessaire est, parce qu'il a dû être; il v a un so-
leil, une terre, des végétaux, etc., parce qu'il ne pouvait
pas ne pas y en avoir. Du reste, il agit d'une ujanière infailli-
ble : jamais le soleil n'ouLdie d'émettre ses rayons, jamais la
«erre ne se trompe de route; jauiais le minéral ne change "sa
cristallisation, jamais la ph'uite ne ntei ses fleurs à la place de
ses r.iciiies, jamais l'eslomac ne secrète de larraes, ni l'œil de
liqucin- propre à la digestion. Mais Vc^prit surabondant ta-
lonne, oublie, calcule, et s'égare. Il reste quelquefois absorbé
dans Vespril (mimai, comme pendant le sommeil, et pendant
la folie. Quelquefois aus.-i, il veut soimiettrc Vesprit nécessaire:
il le combat par l'abstinence, ou il s'en sépare violemment;
c'est ce qui produit la vie drrote et le suicide.
V esprit sarahondanl. ou l'esprit des fonctions intellectuelles,
os! le ^cul qui s'occupe de l'esprit c'élesle et de la vie à venir:
SCIENCES MORALES. -20
il est iclii^icux ; Vesprit nccessab'c esl aihcc. Ccpciuhuit, !o pre-
mier cherche aussi le bonheur ici-bas.
M. de Monllosicr compte trois élémcns de bonheur : i" faire
sa volonté; 2" être avec un autre; 3° être d'accord. Libcrtc,
amour et ordre, tel est le bonheur de l'individu. De même
qu'il y a, iiux yeux de l'auteur, des animaux individuels etdes
animauxcollcctifs, la vie hinnaine se présente aussi soit comme
individuelle, soit comme collective; sous ce dernier aspect
c'est ce qu'on appelle VcUit ou la socicié. Les conditions de
bonheur, pour un peuple et pour les peuples entre eux, soûl
les mêmes que pour l'individu. Le soin des publicistes doit
être, en conséquence, d'établir, dans les rapports de gouver-
nans à gouvernes, et de peuple à peuple, liberté, amour et al-
liance.
Tel est le singulier système imaginé par M. de Montlosiei-.
11 y a sans doute plus d'une objection sérieuse à élever con-
tre ces fictions platonicicniscs. Il ne laudrait cependant pas se
contenter de l'idée qu'on en peut prendre dans cette aride
analyse. Nous engageons les hommes chez qui la science n'a
pas desséché l'imagination, à lire l'ouvrage même. Malgré la
bizarrerie du langage, ils trouveront, à plus d'un endroit,
sous les grâces du génie poétique, cet esprit de généralisation
qui, dans les sciences, produit les découvertes et les vues
philosophiques. Adolphe GARXiiiR.
175. — Rapport fait au nom du Bureau de charité du 11* ar-
rondissement, dans i' Assemblée générale du l'ornai i83o, par
M. DU GÉRANDO, l'un des administrateurs. Paris, i85o. In-8".
174- — Société des établlssemens charitables ;'réi>:lemens et
discours des président et secrctaireprorisoires. Paris, 1 85o;Treuîti'l
et Wurtz. In-S".
C'est une belle et généreuse idée que celle qui a fait naître,
de nos jours, ces nombreuses sociétés charitables que nous
remarquons aujourd'hui de tous côtés sur le sol de la France,
et particulièrement dans sa capitaîe. Au milieu des désordres
et des crimes dont nos cités sont le théâtre, et dont la misère
est bien souvent le motif ou tout au moins le prétexte, il est
consolant pour l'ami de l'humanité de viiir ces associations
bienfaisantes fournir à l'indigence estimable des secours et
du travail. Ce n'est en effet qu'à cette double condition que
la charité est réellement une vertu, et il a fallu beaucoup de
tems et une fâcheuse expérience pour comprendre tout ce
que peut faire de mal une cliaiité aveugle, qui n'a pour résul-
tat que d'épuiser stérilement les ressources de la bienfaisance
et d'encourager une honteuse mendicité.
-3o LIVRES FRANÇAIS.
La plupart de ces précieuses institutions datenf, comme nous
l'avons dit. de notre tenis. Toutefois , comme il faut être juste
envers les époques de même qu'envers les individus, nos lec-
teurs apprendront sans doute avec plaisir que, quelques an-
nées avant la révolution de 1789, il existait dans la paroisse
de Saint -Sulpice une administration des pauvres qui pu-
bliait chaque année le ccmipte de ses travaux. M. de Gérando,
dont on est sur de rencontrer le nom partout où il y a du
bien à faire, a donné, dans le rapport indiqué ci-dessus, des
détails très-intéressans sur cette société, et sur l'ordre parfait
qui régnait dans ses opérations , qui , à ce qu'il assure, pour-
raient encoie servir de modèle aujourd'hui. Déjà on avait eu
l'heureuse idée d'établir des ateliers pour les indigens valides.
L'administration avait quatre maisons de ce genre, où étaient
occupés près de 800 enfans des deux sexes. Ces élablissemens,
loin de coûter, étaient productifs, et les enfans pouvaient rap-
porter à leurs parens, toutes leurs dépenses prélevées, une
petite somme ([ui s'élevait jusqu'à 12 francs par mois. Enfin,
d'autres sommes étaient employées en achats d'outils, en se»
cours distribués à des familles laborieuses, frappées par des
malheurs inattendus, et en loyers, dont on ne payait jamais
que le quart, pour contraindre le pauvre à s'aider aussi lui-
même. On ne s'étonnera pas, d'après ces détails, que l'admi-
nistration des pauvres de la paroisse de Saint-Sulpice ait été
citée , alors, comme le meilleur modèle qui existât en France
pour la distribution des secours à domicile.
A la suite de cette notice se trouve le compte rendu des se-
cours donnés aux indigens du 1 1* arrondissement, pendant
l'année 182g. On y voit que cet arrondissement, qui com-
prend pourtant des quartiers où règne une certaine aisance,
compte j pauvre sur 12 individus, ce qui excède l'évaluation
faite pour la capitale en masse, qui n'est que de 1 sur 10. Les
2°"^, 5'"'' et 10"' arrondissemens sont beaucoup mieux parta-
gés, puisqu'ils ne comptent que 1 sur 24, 22 et 20 environ.
Peud'ant l'année 1829, le bureau a secouru 0,009 indigens.
Les recettes avaient été de io9,o55 fr. 63 c. ; les dépenses,
partagées en trois branches (secours en nature, en argent et
à domicile) , montent à 101,900 fr. 33 c. , d'où résulte, mal-
gré des circonstances défavorables, et surtout l'extrême cherté
du pain et le froid excessif de l'hiver dernier, un restant en
caisse, au 1" janvier i83o, de 7, i53 fr. 3o c.
Nous ne dirons qu'un mot de la seconde brochure annoncée
( i-des>us. Elle contient plusieurs pièces relatives à la fonda-
tion d'une société nouvelle , dite des Etabliisemens charitables ^
SCIENCES MORALKS. ySi
qui a pour objet, suivant les expressions de M. de Gérando,
son secrétaire , de Ibrliier les archives ou les annales de la
charité; d'établir un centre de correspondance pour les insti-
tutions philanthropiques ; d'examiner et de préparer les amé-
liorations que peut recevoir le système des secours publics.
La liste des membres déjà admis présente une foule de noms
honorables, qu'on est habitué à retrouver dans toutes les as-
sociations utiles, et qui sont du plus heureux augure pour
l'avenir de celle-ci. Y. Z.
ijS. — 1 Premier rapport de la Société pour l' encouragement de
C instruction primaire parmi les protestans de France. Paris, i B29-
i85o. In-8° de 02 pages.
Ce rapport olTi-e d'abord l'ordonnance d'institution et le rè-
glement de cette honorable et utile Société. Ces pièces sont
suivies du procès-verbal de la séance extraordinaire du co-
mité du 24 avril i83o, présidé par M. le comte de Jaucourt.
C^est M. jÉf/owrt/ï/LAFOKD DE Ladkbat qui s'est chargé de rendre
compte des premiers travaux de la Société. Mais son existence
très-récente ne lui a permis que de faire pressentir l'heureuse
influence qu'elle est appelée à exercer un jour. Du reste, le
discours de M. de Ladébat, rempli de détails intéressans sur
les écoles protestantes de Paris et des départemens, a été en-
tendu avec plaisir. Cette lecture a été suivie de diverses pro-
positions relatives à l'amélioration de l'instruction primaire.
Le rapport se termine par la liste des souscripteurs, au nom-
bre de 181, et dont les cotisations respectives s'étaient éle-
vées, le 00 avril dernier, à la somme de 5^565 fr. A.
1 ^6. — Questions sur la Peine de mort, par le baron Massias.
Paris, 1800 ; Firmin Didot frères , rue Jacob, n" 24. In-8" de
3o pages ; prix, 1 fr. 5o c.
Ce nouvel écrit de M. Massias traite d'une des plus hautes
et des plus intéressantes questions qui puissent être agitées au
sein de la société actuelle. Soulevée il y a près d'un siècle, elle
n'a depuis cessé d'appeler l'attention des publicistes, et elle les
a souvent partagés. Je ne crois pas que les questions posées et
résolues par M. Masîias soient destinées à terminer ce' grand
débat. La première qu'examine l'auteur est celle-ci : La so-
ciété a-t-elle le droit de punir de mort? M. 3Iassias, remontant
aux principes qu'il a établis dans ses écrits philosophiques,
décide que la société a le droit de décerner la peine de mort,
quand c'est pour elle un besoin conforme à l'ordre, et il expose
ensuite comment, à son avis, la peine de mort est réellement
en quelques cas, pour la société, un besoin conforme d l'ordre.
Il défend au surplus cette thèse par des argumens souvent
-02 LHPiLS FilANÇAIS.
reproduits, et qui riC m'ont pas convaincu , je l'avoue, après
les réfutalions multipliées qui en ont été faites dans ces der-
niers tems, notamment par M. Charles Lvcis, dont les tra-
vaux ont tant avancé cette grande controverse. M. Massias
examine ensuite dans quelles limites doit être restreint le droit
de condamnation à mort, et il veut que l'applicatioii de cette
peine n'ait lieu qu'en cas de meurtre couuiiis sciemment , mé-
tliamment et volontairement. 11 semblerait, après une solution
semblable, que cette question, si la peine de mort peut être ap-
pliquée aux délits politiques, ne devrait même pas être posée
par l'auteur. Il s'en occupe aussi néanmoins, et semble même
être d'avis qu'd est des cas où un homme d'Etat est bien plus
coupable qu'un malfaiteur, c'est-à-dire où sa vie doit être éga-
lement sacrifiée CiVi besoin conforme d Tordre. Enfin, M. Massias
en vient au point qui semble être le but de son écrit ; il se de-
mande si les ex-niinistres, coupables des ordonnances du 20 juil-
let, sont passibles de la peine Me mort. Sans se piononcer po-
sitivement sur la culpabilité, il les recommande à la clémence
iTun peuple généreux qui s'est montré assez grand dans la
conquête de ses droits, poui- n'avoir que faire de quelques
gouttes de sang après la victoire. Après tout ce qui précé-
dait, je ne m'attendais guère, je dois l'avouer, à une telle
conclusion; il est fort probable que bien des lecteurs épiou-
veront la même surprise, et qu'on ne comprendra guère com-
ment, pour calmer les esprits, amenci' la nation ù ne point
user de rigueur en cette grande circonstance, M. Massias a
cru devoir s'attacher d'abord à justifier toutes les idées vul-
gaires relativement à la peine de mort. P. A. D....
177. — * Histoire des Conquêtes des Normands, en Italie, en
Sicile et en Grèce , accompagnée d'un atlas in-4"; par E. Gait-
TiER d'Arc. Première époque : ioi6-io85. Paris, i8jo; L. De
Bure, rue de Bussy, n° 5o. In-S", avec un Atlas in-4"; pi'ix?
12 fr. Le second volume va paraître, et coulera 7 fr. 5o c.
Nous consacrerons une analyse à ce travail intéressant,
dans un de nos plus prochains cahiers.
178. — * Histoire de Frédéric- le- Grand , par M. Camille
Pagakel. Paris, i83o; A. Desauge, rue Jacob, n" 5. 2 vol.
in-8°; prix, i5 fr.
Entre le grand nombre d'ouvrages publiés sur ce roi de
Prusse, littérateur, philosophe et guerrier, qu'on pourrait ap-
peler le JuUien des tems modernes, on doit distinguer celui
que nous venons signaler. Nous en eussions fait le sujet d'un
article étendu, si M. Paganel n'eût mis son livre au jour à
l'époque même où le parjuje royal délivrait la France de cette
prétendue légitimité essentiellement conspiratrice, puisqu'il
SCIENCES 3I0KxVLES. 733
€St dans son essence de méconnaître et de traiter en rivale
rebelle la véritable souveraineté. Des évènemens immenses
ont absorbé l'altenlion, et durant dewx mois ne lui ont
guère laissé la possibilité de se reposer sur les objets qui
n'étaient pas d'intérêt public. Par la force des choses, les
sciences et les arts sont devenus d'une considération secon-
daire. Quel est le lecteur qui se iVit arrêté à l'analyse d'un
livre, lorsqu'il était queslit)n de conquérir la liberté, ou d'en
régulariser la conquête ? iMaintenaut tout rentre peu à peu dans
l'ordre habituel, et l'on peut revenir à ses travaux. Nous ai-
ions donc reprendre les lectures que la révolution avait inler-
rompues. L'ouvrage de M. Paganel paraît avoir le premier
des droits à notre attention, parce qu'il est sans contredit le
meilleur dans son genre; nous le trouvons rempli de faits
pressés et exposés dans un ordre admiral)le ; l'intérêt y est
soutenu ; le style y est ce qu'il doit être, quand un grand mo-
narque, vraiment digne du trôiie, fait le sujet du tableau,
c'est-à-diie qu'il est noble, pur, franc et simple. On voit que
l'auteur a long-tems travaillé sa composition; il s'est princi-
palement occupé d'en resserrer le contenu; il doit avoir fait
de grandes recherches pour réunir ses matériaux; mais il a
sacrifié ceux qui n'étaient pas indispensables ; il n'a dit
que ce qu'il iaHait, et eu même tems tout ce qu'il était
nécessaire de dire. Nous nous bornerons, pour le mo-
ment, à l'annoncer, en attendant que nous puissions en offrir
une analyse étendue. Nous nous occuperons de ce livre avec
d'autant plus de plaisir, qu'ayant aussi fait la guerre sur le
terrain où le héros de M. Paganel s'est acquis une gloire im-
mortelle, et qu'ayant étudié sur les lieux les opérations qui
placèrent Frédéric en tête des maîtres de l'art, nous sommes
pénétrés d'une respectueuse admiration pour l'homme prodi-
gieux dont l'ombre puissante semblait encore habiter Sans-
Souci, quand les suites delà victoire d'Iéna nous y transpor-
taient. BORY DE SaiKT-YiNCENT.
i^ç). — Bataille de Paris, en juillet i85o, par le lieutenant-
général d'arlUlerie Alux. Paris, iSrîo; Corréard jeune. In-8°
de l\o pages, avec un plan d'une partie du champ de bataille ;
prix, s fr.
Dans cette brocîuire, la politique tient plus de place que les
faits et les considérations militaires. iM. le général Allix com-
mence par exposer la cause éloignée de la révolution de juillet;
il passe ensuite à la cause immédiate, et rappelle une pétition
qu'il adressa, en 182G, au roi Charles X, à ses ministres, et
aux deux chambres. Il n'épargnait pas alors les vérités à
T. XLVII. SEPTRMBRC 1 83o. 4?
;54 LÎVRFS FRANÇAIS.
des gens peu disposés à les ('COUler, et il les icpiôdtiit aujour-
d'hui, plus dures qu'elles n'avaient poru jusqu'au dénoùnient du
liinget pénible drame si improprement nommé Restauration.
«. Lesordonnanc<sdu uS juillet étaient à peine publiées, que
la bataille s'engagea entre la contre-révolution et ses adver-
saires. 11 m'est impossible de décrire en entier le champ de
bataille où elle a été livrée, il faudrait décrire tout Paris, et
indiquer l'emplacement de toutes les barricades qui turent
élevées, en une seule nuit, dans toutes les rues et à tous les
carrefours; ce serait im travail immense : je dois me bornera
décrire ime partie très-petite, sans doute, de ce vaste champ
de b;itaille, et du plus vaste que je connaisse... » Après avoir
exposé les moyens défensifs, M. le général Allix suit la mar-
che des troupes de Charles X , et note les fautes commises par
IMarmont. «■ La plu?, grande, dit-il, fut de n'avoir pas assuré la
subsistance de ses troupes. La défense sentit très-bien le parti
qu^'lle pouvait tirer de cette faute, et le premier de ses actes
fut de s'emparer de tous les magasins de vivres et de fourrages
établis dans Paris pour la nourriture de la garnison. »
Des considérations politiques viennent suspendre le récit
de la bataille et les observations militaires. Le général suit,
'lans ses écrits, la méthode de Montaigne, ou }>lus exactement,
il use de la même liberté, caiise familièrement avec son lec-
teur, et lui communique toutes ses pensées à mesure qu'elles
se présentent. On lit, dans cet article, une multitude d'anec-
dotes, dignes non-seulement d'être insérées dans des mémoi-
res historiques, mais de passer dans l'histoire même, pour ter-
miner les portraits des hommes qui exercèrent la plus forte
infkience sur les évènemens et sur les nations. Enfin, le récit
de la bataille continue: l'esprit et les disposilions des habitans
de Paris reçoivent les éloges qui ont retenti dans toute l'Eu-
rope. « Tous les intérêts individuels furent méconinis, oubliés.
Le recueil des belles actions sera immense, et elles ne seront
pas toutes recueillies. » Parmi bîs faits rapportés, il en est un
sur lequel ks opinions seront partagées, et qui provoque une
discussion.
« C'étaient des Suisses qui défendaient le Louvre lorsque
la défense eut pri^ l'offensive. Tous les Suisses qu-i tnmi)èrent
dansles mains des vainqueursélaient, morlsou vifs, jetés dans
la Seine, près le Pont-des-Arts ; et la défense disait que c'é-
tait des estaffelles f[u'elle expédiait pour Saint-Coud. C'était,
en d'autres tcrjiies, dire aux Suisses de ne plus y revenir. Ils
avaient oublié le \o août; ils n'out»lieioiit pas sans doute
If 9.Q JMilK'f. "
SCIENCES MORALES. ^35
La peiKsée du général Allix n'est pas surtisammenl déve-
loppée; l'honneur des coniliattans parisiens exige (pi'on éloi-
gne d'eux jusqu'au soupçon d'une cruauté sans but, et qui,
au premier coup d'œil, scuiible tout-à-fait inexcusable. Exa-
minons la conduite des Suisses dans cette grande crise poli-
tique ; voyons si ce qu'ils ont lait était leur devoir. S'ils étaient
à la solde de Charles X , et non de ki France, ils ne pouvaient
inspirer aux Français qu'une forte aversion, et la morale la
plus sévère ne blûmera point cette antipathie; les peuples ne
peuvent s'accoutumer à n'être comptés pour rien dans les af-
faires qui les concernent, et dont ils paient tous les frais. Si
la France n'était pas étrangère aux capitulations avec les Suis-
ses, les régimens de cette nation ne devaient nullement se
mêler de nos affaires domestiques; une nation s'oflènse avec
raison lorsque des étrangers, qu'elle n'a pas chargés du soin
de la rappeler à ses devoirs, viennent, les armes à la main, faire
des remontrances, et commander au nom des lois, dont ils ne
peuvent être les organes. Les officiers suisses n'ont point senti
l'inconvenance, l'illégitimité de leur conduite ; on ne peut les
excuscrd'aucune manière, car après tout ils ne sont pas dispen-
sés de raisonner. Qu'ils n'allèguent point l'esprit militaire, la
discipline, la foi du serment; rien de tout cela n'est applicable
aux circonstances du mois de juillet. Ces officiers n'ignoraient
point combien la présence d'étrangers en armes au milieu de
la France était odieuse aux Français, et, en les menant au
combat, ils devaient s'attendre à l'effet de ces animosités in-
A'étérées. L'exaspération des Parisiens, portée au plus haut
degré, et dans une affaire décisive telle que l'attaque du Louvre,
ne pouvait être contenue par aucune considération : on ne
faisait pas plusde quartier aux Suisses qu'aux gendarmes qui,
depuis seize ans, étaient, dit M. le général Allix, les exécuteurs
des hautes-œutrcs de la coni) c- révolution. Dans les affaires de
juillet, ce ne sont pas les Parisiens qui méritent d'être blâmés
par rapport à leur conduite envers les Suisses, mais les offi-
ciers de cette nation , qui ont joint leiu's soldats à ceuxque le
crime dirigeait contre nous. On s'est montré généreux envers
les soldats français que les passions politiques avaient peut-
être égarés; mais les étrangers, que ces passions n'exci-
taient point, étaient sans excuse; on les a traités, non comme
ennemis, mais comme des assassins pris en des circonstances
qui les mettaient hors de la loi.
Les évènemens de juillet feront probablement sentir aux
Cantons suisses qu'il n'est plus tems de fournir des soldats
aux Fatals qui leur en demandent, et qu'il faut employer d'une
r^6 LIVIiES FRANÇAIS,
autre manière l'excédant de leur population. Ils ont déjà iait
quelques essais de colonies lointaines ; mais ce n'était encore
que des essais, on n'avait pu tout prévoir ; on n'a, sans doute,
pas obtenu tout le succès que l'expérience aurait assuré si
l'on avait mis ses leçons à profit. Si l'on revient à ces projets
avec plus de données, en choisissant des contrées plus conve-
nables, et tn procédant avec une sage lenteur, on parviendra
certainement à créer de nouvelles Hcivétics, dignes en tout de
leur mère commune. Veut -on s'établir dans d'autres Alftes?
l'Ancien-Mondc ofîVirait des régions caucasiennes, mais il tant
les conquérir : l'Amérique résente ses 77ioniagnes rocheuses^
la protection d'une république puissante e! aiïermie, un cli-
mat salubie, de belles t'orêts, un sol fertile; mais là, presque
plus de relations avec le monde civilisé, et encore moins avec
l'Europe, avec cette patrie si chère, et d'autant plus désirée,
qu'on a moins d'espérance de la revoir. Les montagnards con-
sentent-ils à vivre dans les plaines en s'exposant aux dangers
d'un climat nouveau, d'une température inaccoutumée, etc. ?
Ils se rapprocheront des auties humains, mais c'est encore le
Nouveau-Monde qui vient leur proposer son territoire. L'im-
mense vallée du Mississipi s'enorgueillirait de compter une
Suisse nouvelle au nombre de ses divisions territoriales. L'an-
cien continent ne se prête pas de même à la formation de
colonies nouvelles ; deqiielque côté que l'on dirige ses regards,
on ne voit que des popuhitioiis hostiles, ou des gouvernemens
dont les habitiules républicaines ne s'accomuiodcnt point. >Iais.
avant que la Suisse ait envoyé aux États -Lnis d'Amérique
tous les colons qu'elle peut lui fournir, d'autres ressources ne
lui manqueront point, et elle ne sera pas dans la nécessité
de renouveler ses fournitures de soldats aux monarchies de
l'Europe, s'il en était encore quelques-unes qui voulussent en
faire la demande.
Revenons à la Bataille de Paris, et aux anecdotes racontées
par iM. le général AUix. Après avoir fait remarquer qu'aucun
des serviteurs si zélés de la fatuille des Bourbons, aucim des
partisans dévoués du ministère Polignacne prit les armes dans
les ntémorables journées de juillet , il rapporte le fait suivant :
« Il m'a été raconté que Cliarles X, alors comte d'Artois, en-
voyé à Lyon lors du relourde l'île d'Elbe, disiit à ses cour-
tisans, en présence (lu général Albert, ai 'e-de-raiup de M. le
duc d'Orléans : Notre victoire ne sera point douteuse ; dix
mille gentils-honmies ont pris les armes : à cpioi le général
Albert répondit (jue dix mille paysans comme lui valaient
beaucoup mieux ; en efTet, eu 1810 comme en i8ôo, pas un
SCIliNCLùS MORALES. -5;
seul de ces préleiultis braves ne se moiilra pour défendre leur
idole. Ils lie se sont jamais montrés qu'au trésor, qui était bien
leur véritable et seule divinité, et c'est bien certainement la
seule qu'ils re{i;rettenl. »
Autie anecdote. « Le 18 mars 181 5, dans sa première entre-
vue avec Napoléon, le maréchal Ney lui demandait, moi pré-
sent : Qui a pu vous déterminer à l'ormer une entreprise où
vous deviez cent l'ois périr? La lecture du Moniteur, répondit-
il : j'ai vu que les actes du gouvernement des Bourbons étaient
en opposition avec les intérêts de la Fiance, et j'ai jugé que la
France était à moi ; je suis venu. » F.
180. — Du Passé f du Présent et l'J venir, par Micliel Berr
[(leTurique). Paris, i83o; Delaunay. In-8° de 3o pages; prix,
1 ir.
181. — Népomucène L, Lemercier , d ses concitoyens , sur la
grande semaine. Paris, i85o; librairiedcsétiangers, rue Neuve-
Saint-Augustin , n" 55, et rue de la Paix, n° 1 1 ; Delaunay,
Levavasseur, au Palais-Royal, etc. In-8'' de 48 pages; prix,
i ir. 5o c.
La brochure de M. Michel Berr n'est déjà plus précisément
de circonstance: composée avant la proiiuilgation de la nou-
velle Charte et l'élévation au trône du duc d'Orléans, elle sem-
ble aujourd'hui antique et surannée, tant les évènemens se
sont précipités avec vitesse. Piempli d'intentions excellentes
et d'honorables vœux, ce travail est d'ailleurs peu fécond en
idées utiles : c'est l'œuvre d'un bon citoyen, mais non d'un
homme politique.
L'écrit de M. Lemercier est d'une toute autre importance.
« La chute de rancienne monarchie française, à la fin du xviii''
siècle, dit M. Lemercier, fut une grande révolution. Quicon-
que put en être témoin, et sut juger les causes de cette inévi-
table catastrophe , ne considérera pas les importans évène-
mens de juillet dernier comme une révolution nouvelle, mais
couime la continuation de celle qui éclata dans l'année 1789,
et dont un concours de circonstances fortuites a retardé l'ac-
complissement. Parmi les nombreuses variations des choses,
des gouvernemens et des systèmes, le principe virtuellement
révolutionnaire qui meut la population en masse, n'a pas cessé
d'agir progressivement. Traversé par mille obstacles, il a mar-
ché dans le même sens avec constance ; il marche encore. C'est
erreur ou folie de présumer qu'aucime puissance répressive
le puisse arrêter ou détourner de son but ei jamais. Ce prin-
cipe est le produit d'une cause morale, et sa force, ainsi que
r58 LIVRES FKA^iÇAIS.
toute; loice inatéiielle dans la nature, a son impulsion mo-
trice et ses effets universels que rien ne peut anéantir, etc. »
Cette idée si juste et si rationnelle, W. Lemercier la suit
dans loules ses conséquences. Il nous montre le principe ré-
\ olutioiMiaire renversant la Bastille, et terrassant l'Europe, à
la fin du siècle dernier, se ralliant à Bonaparte par dégofit de
ranarcliio, puis aux Bourbons, par dégoût du despotisme ;
eliassant enfin au-delà de la mer cette dynastie parjure, lors-
qu'elle veut leniplacer un joug caché sous des lauriers, par un
gouvernement d'antichambre et de sacristie. Puis , allant du
passé à l'avenir, M. Lemercier offre au pouvoir nouveau de
sagesconseils qu'il n'a guère suivis. Il l'exhorte à rompre pour
jamais avec les voltigeurs de tous les anciens régimes, avee
ceux de l'empire comme avec ceux de la restauration , et lui
lait voir son appui naturel dans cette jeunesse à la fois coura-
geuse et intelligente, également habile à défendre la liberté
par la plume et pirl'épée.
Ces avis de M. Lemercier et de tant d'autres dévoués ci-
toyens n'ont guère été suivis; il leur reste le mérite de lesavoir
donnés : il reste encore à M. Lemercier un aulre et plus bril-
lant titre de gloire. Le jeudi, 29 juillet, à onze heures du ma-
lin, au moment où le sang des |)atriotes coidait à la caserne de
Babylone, au Louvre, aux Tuileries, au Palais-lloyal, M. Le-
mercier accepta les fonctions périlleuses de pré>ideul delà
'.oruniission insurje( tionnelle dtr 1 1*^ ariondisscinent, et con-
tinua de les exercer pendant tout ie tems du danger. "Sous qui
l'avons vu calme et ferme dans ces jours de crise, nous ne
pouvons terminer cet article sans rendre ce faible hommage
a l'iin de nos plus vei tucux et de nos plus illustres citoyens.
A. D.
18 '2. — Philippe l", roi (les Français: Précis historique, par
iM. A. Chateai neijf. Paris, 1800 : les marchands de nou-
veautés. In-8"_^de vii-Sr pages; prix, 1 fr. aS cent.
Un changement de règne fut toujours une bonne fortune
})Our b's biographes. Mais, c'est un graïul peuple qui appelle
un prince à l'honneur de le gouverner; il suffît presque de ra-
<outet cet avènement exIracu'diuaiKe : les peuples ont pu si
rarement élire eux-mêmes ItMirs chefs! Que si ce prince n'a
pris aucune part aux évènemens qui ont amené la vacance du
trône, il a donccon<pn's tant de popularité par la pratique de
toutes les vertus civiques ; et cette unanimité d'une nation toute
entière dans son choix explique assez quelle à été la vie du nou-
veau sou\ erain. Cependant les contemporains cherchent dans le
passé des gages pour l'avenir : ils observent incessamment le
SiClENCES MORALES . 759
monarque, pour qu'il reste inaccessible aux sédiicliun; et aux
excès du pouvoir suprême ; et la postérité surtout voudra ju-
ger le roi par le prince.
M. Cli*it('auiR'ut', auteur de riiisloire estimée di-s grands ca-
pitaines de la révolution, a publié ce précis historique, peu
après ces journées terribles dont le duc d'Orléans, par son
acceptation de la couronne, a assuré la gloire et les bienfaits.
La criti([ue ne peut pas être sévère pour un livre fait aussi ra-
pidement; d'ailleurs, l'auteur, véridiqueet instruit, s'est pré-
servé de l'adulation. Il nous montre Louis-Pliilippe.d'Orléans,
né à Paris, le6octo]>re i^jô, déjà commandant une division à
Valmy, oi'i 22,000 Français, soldats presque improvisés, met-
tent ea fuite 70,000 Allemands. A Jemmapcs, le duc de Char-
tres, vainqueur aussi à l'affidre de lioussut, rallie des régi-
mens, et-s'éiance à la tête des grenadiers, vers les hauteurs que
défendent 5o,ooo Autrichiens et 200 canons. Xervinden et
Tirlcmont sont en outre témoins de sa valeur : déjà de la
gloire et le plus ardent patriotisme! Mais le géaéral de vingt
ans est prince royal ; et il expiera par l'exil, dans une vie er-
rante et malheureuse, sa naissance et ses talens militaires.
Perdu pour la cause nationale, il devient, sous le nom de
M. Corby, régent d'histoire et de mathématiques au collège
de Reichenau. De la Suisse, ce prince va visiter le Dane-
mark, la rsorwège, la Laponie, jusqu'au cap Nord, à 18 de-
grés du pôle : il parcourt la Finlande, la Suède, et revient à
Hambourg, en 1796, « presque sans avenir, mais persistant
dans son refus d'entrer dans \e^ camps des étrangers ; et le Di-
rectoire négocie secrètement son expulsion de l'Europe. »
Charles X et sa famille n'ont rien appris dans les révolutions,
ni par les voyages: troisgénérations de princes, tombées ensem-
ble du trône de France, viennent d'être transportés de Cher-
bourg à PortsmoiUh, et à l'aspect du pavillon étoile, flottant
sur le Great-Britain, le roi déchu di.-ait au couimandaut de
l'expédition, M. Duujont-d'l'rville : « Ah! si mon frère n'eût
pas favorisé l'indépeudauce de l'Amérique du nord!.. Il a causé
la perte de notre dynastie : -tous les malheurs de la Fiance pro-
viennent de là ."Jamais voyages, au contraire, n'ont été mieux
régléspour l'instruction des princes, que ceux qu'une suite de
circonstances déplorables lit entreprendieau duc d'Orléans. 11
a vn l'Allemagne, les États du nord de l'Europe, il ré?iJa quel-
que teuis en Angleterre, et, traversant l'Océan , il visita pres-
que tous les États de l'Union : c'est lorsqu'il vient d'étudier
les institutions et l'industrie des deux nations les plus libres
du monde, qu'il est appelé en'Sicile. Là, le boaheur enfin lui
;4o LIVRES l'RANÇAIS.
sourit. Il épouse la princesse Amélie, qui «devait à un natiu-e
heureux, secondé de l'éducation, une dignité sans orgueil»
une vertu sans faste, et une bienl'aisanee sans ostentation. »
La France profilera sans doute d'une instru( tion si doulou-
reusement ac(|uise : le prince, bieu avant de ceindre la cou-
ronne, a reeu la consécration de l'infortune pour lui et pour
ses fils, qui ne pouriont pas oublier, et les malheurs de leur
famille, et de bien terribles exemples. Roi des Français ou
duc d'Orléans, Louis-Philippe n'a rien à7?i»rfrdans sa vie pri-
vée. M. Cliâleauneufa relraté seulement sa vie politique, et
même il termine son précis historique à la séance mémorable
de la Chambre des pairs, en 1 8 1 5, dans laquelle ce prince dé-
fendit, avec MM. de Rroglie, Lanjuinais, etc., le trône et son
droit sacré de elénience contre une majorité avide d'exils et
de supplices. On regrette aussi que ce livre ne nous montre
pas le protecteur éclairé des beaux-arts et de l'industrie, l'ex-
cellent père de famille, le propriétaire qui, prince au Palais-
Royal, était à iSeuJIIy un savant agronome, et l'ami des ou-
vriers. Isidore Lebrun.
i85. — Notices historiqufS sur S. A. R. Louis-Plii-
Cippe d'Orléans, roi des Français, et sur le général Lafayetle,
commandant en chef les gardes nationales de France, extrai-
tes de la Biograptde universelle et portative des contemporains,
et précédées de quelques notes sur la nécessité de se rallier au duc
d'Orléans: par V. de IJoisjoslin. Paris, i83o; les éditeurs,
rue de l'École-de-Médeeine, n" 5. In-8° de 112 pages; prix,
^5 cent., au profit des blessés.
On recherche maintenant tout ce qui peut contribuer à faire
apprécier le caractère des deux citoyens illustres que les der-
niers évènemens ont placés l'urrsur le trône, auquel ses vertus
promettent un éclat nouveau, l'autre à la tête de cette mi-
lice nationale dont il a jadis secondé si glorieusement la pre-
mière organisation. Nous recommandons les deux Notices
annoncées ci-dessus, et extraites d'un recueil dont nous avons
eu déjà plus d'une fois l'occasion de louer l'exactitude et l'im-
partialité, ;'i tous ceux qui 'h'sirent connaître par quelle suite
d'événemens et de patriotiques dévoûmens Lafayette et Louis-
Philippe ont aequi> des droits à "l'estime des Français.
Litlératare.
i84- — *Bil)liolliéque latine- française : Collection des classiques
latins, avec la traduction en regard, publiéepar C. L. F. Panc-
KOtCKE. Institution oratoire de Quintilien , traduction nou-
LITTÉRATIRE. r4 ,
vclle , par C. V. Oiuzille, chef de limeaii au iiiiiiibliTc de
l'intérieur. T. ii. Paris, 1800; C. L. F. Pauckoucke. In-8°;
prix, 7 fr. (Voy. Bev. Enc, t. xlvi, p. 75G.)
La notice qui précède ce volume est à peu près extr.iite de
Dodwcll; mais cet extrait, dégagé des formes de la disserta-
tion, est clair, précis et élégant; les considérations qui sui-
vent sur kl décadence des lettres, et sur les torts de Sénèque
envers la vieille littérature de Rome, pourraient bien déplaire
aux romantiques contempteurs de la nôtre ; et, si Quintilieu est
venu ressusciter les bonnes doctrines chez les Romains, nous
n'avons pas moins besoin d'y revenir. La lecture de son Insti-
tution or aioire Pi\\ià\\. beaucoup de conversions à opérer; elle con-
viendrait surtout à ceux, (jui faisam sibi scientlœ persaasioneni in-
duerunt ; ce passage du premier livre a été fort bien rendu par
M. Oiiizille, dont la traduction est claire et fidèle. Il nous se-
rait impossible, sans doute, d'entrer ici dans une discussion
philologique du mérite qu'elle présente. Il vaut mieux instruire
nos lecteurs des moyens dont il s'est servi pour en faire un bon
travail. L'édition de Quinlilien, qui fait partie de la collection
de M. Lemaire, a été fort utile au traducteur, qui se plaît à le
reconnaître, et qui a profité aussi des remarques de MM. Adry
et Capperonnier ; et, grâces à lui, on pourra lire avec fruit et
avec plaisir celle. Institution oratoire^ que La Harpe qualifiait
de livre immortel. La notice sur Quinlilien est parfaitement
écrite, elle est forte de choses et de style ; nous en extrairons
les faits suivans. L'auteur naquit à Calahorra, et suivit
à Rome les leçons de célèbres orateurs, puis il accom-
pagna Galba, que Néron avait désigné pour commander en
Espagne. A l'avènement de Galba , il fut nommé professeur
d'éloquence ; après vingt ans d'exercice, il se retira ; et il com-
posait son Institution oratoire, quand Domitien le choisit pour
présider à l'éducation de ses petits neveux; enfin, ce ne fut
que sous Adrien , et dans un ;1ge fort avancé , qu'il parvint au
comble des honneurs et des richesses. Cela explique com-
ment, sous Trajan, Pline s'adressait encore au rhéteur plus
riche en vertus qu'en ressources. M. Ouizille cherche à absoudre
son auteur du reproche d'avoir loué Domitien. Nul doute,
dit-il, que l'éloge de cet empereur n'eût été imposé à tous les
gens de lettres du tems par l'ombrageuse susceptibilité de ce
tyran. La lecture de Quinlilien a été fort recommandée par
Rollin : elle doit plaire surtout aujourd'hui, (/ue l'éloquence a
recouvré ses plus nobles prérogatives, et qu'elle est appelée à exer-
cer une si haute influence sur notre avenir, aujourd'hui qu'elle est
devenue le plus puissant moyen d'illustration personnelle, et qu'il
74» LIVRES FJIA>ÇA1S.
importe tant de lui donner une direction sage et généreuse, digne
enfin des institutions qui 7ious régissent. Ces mois sont de
Al. Ouizille, et prouvent que, s'il est bon philolo|^ue et tra-
ducteur exact, il n'est pas inoins bon Français.
1 85. — * Dibliotlièquc Lalhic-française, pul)liée pai'C.L.F. Panc-
KoucKE. — Comcd'es (leTérence, traduction revue par M. âmar.
T. II. Paris, i85o; C. L. F. Panckoucke. In-8"; prix, 7 IV.
M. l.EMAiRE. dans son édition de Térence , avait, PCur le
texte, suivi <'cl!e de Porlet.piddiée à Leipzig, en 1 821 . W. Amar
adopte ce niCine texte, cl le place en regard de sa traduction;
les notes appartiennent en grande partie à M"" Dacier, qui,
de la sorte, conserve encore sur le poète romain une partie de
SCS droits. Elle aura toujours, aux yeux des vrais auiis des let-
tres anciennes, l'honneur incontestable de les avoir l'ait aimer
par ses traductions; mais son style ne connaît aucune espèce
de variété; elle prête indistinctement à tous les personnages
d'ime pièce le même ton, le même langage. On ne fera donc
})as ù M. Amar la (piestion chagrine qu'il sendde s'adresser :
Pourquoi traduire Tt'rcnce après 3/""" Dacier? On lui demandera
encore moins pourquoi il l'a traduit après l'abbé Lemonnier ;
bien que ce dernier se soit montré lîaliile latiniste et écrivain
correct, il a manqué de vie et de mouvement, et lui-même n'a
eu d'autre but que de créer pour les jeunes enl'ans une lec-
ture qui les délassai de la construction des phrases. Ku sorte
qu'il n'a donné Térence (pi'au collège, tandis ((u'aujaurd'hui
cet auteur prend réellemenr sa place dans notre littérature. La
traduction de M. Amar est d'une élégance soutenue, elle rend
avec vérité la pensée cl l'expression du comique j-omain. On
liraUvec bien du plaisir les précieuses réflexions dont il a
semé sa prélacc, et surtout le parallèle établi entre Piaule et
Térence; l'un, licencieux dans les choses comme dans les
mots, l'autre préléi'ant le sourire <\c> gens de goût au gros rire
de la populace. Ft (|ue l'on ne dise pas que, de l'un à l'autre,
la civilisation romaine avait fait des progrès, que la littérature
s'était épurée, que les spectaieurs étaient devenus meilleurs
juges, en devenant des connaisseins plus éclairés. La nais-
sance de Téience précéda de huit ans la mort de Piaule, et il
n'y en avait que dix-huit que ce dernier avait cessé de vivre,
qtiand V Andrienne fut jouée pour la première fois. M. Amar
transciit ici quehiues passages de M. Auger; ils expliquent à
merveille celte dissonnance morale qu'on remarque entre les
deux poètes. Térence, honoré de l'amitié de Furius, de Lelius
et de Scipion, parle toujours en homme de bonne compa-
gnie , tandis que la position sociale et les relations habituelles
LITTlillATlRE ^45
de Piaule lui avaieul lait ecniliacler uiit; rudesse tie laiiga}>e,
un dévergonilage de style qui va sou veut jusciu'à l'obscénité.
Ce volume renferme V Andriennet'X V Eunuque.
P. DE COLBIÎUY.
i8G. — * Œuvres complètes de M. le vicomte de Ciiateav-
BRiAND, pair de France, membre de l'Académie française. ï. xv
et XYi : Itinéraire de Paris à Jérusalem : 1. 1" et ii. Paris, i83o;
Fayolle, rue du Rempart- Saint -Honoré ; Fournier jeune.
2 vol. in-i2 de 55o pages chacun, avec des cartes; prix de
chaque volume 5 fr. 5o c. pour les souscripteurs aux œuvres
complètes; 4 !•'• pour les non-souscripteurs. (Voy. Rev. Enc,
t, XLVI, p. 4t>o.)
M. DE FoRTiA, auquel on doit cette belle édition des œuvres
du premier écrivain, peut-être, de notre époque, continue à
lui donner les soins éclairés et presque minutieux du biblio-
graphe de bon goût et du savant énitlit. Comme nous l'avons
déjà fait observer, cette édition réunit, à l'agrément d'une
impression correcte, l'avantage d'être la dernière et la plus
complète; et, ce qu'auctme autre ne peut offrir, le mérite de
notes fort curieuses ajoutées à la fin de chaque volume, par le
laborieux éditeur. Nous remarquons, dans ceux-ci, une très-
longue note sur Videntité de l'ilc de Goze et de l'Ogjgie d'Ho-
mère.
187. — Romances , ballades et légendes, par M. Boucher de
Perthes. Paris, i85o; Treuttel et Wurtz, rue de Bourbon,
n° 17. In-)8; prix, 5 fr.
La légende nous vient d'Allemagne , où Bùrger l'a rendue
populaire. Son théâtre est le moyen âge, sa mythologie le
christianisme avec le cortège des fables nées des imaginations
du Nord : telle l'a trouvée JM. Bovcher de Perthes ; mais il la
transforme avant de nous la rendre. Ses conceptions sont
moins fantastiques, ses couleuis moins étranges, sa langue
moins trivialement colorée. La chevalerie lui prête ses noms;
le remords, le crime, la vengeance animent ses inventions ;
l'amour les domine toutes; innocent ou coupable, il en est
le nœud. Le poète a-t-il été neuf dans ses idées? Je ne le crois
pas. Elles rentrent souvent dans le cercle des imaginations
connues. Voyons s'il lésa rajeunies parla forme.
La forme la plus ordinaire ce cette sorte de composition
est le récit. Il en est une plus vive, qui tient le milieu entre
le drame, auquel elle emprunte quelquefois son dialogue, et le
récit, dont elle suit, par moment, la marche progressive. C'est
celle où le poète saisit les points principaux de sa légende et
les développe isolémeni, en y ramenant par allusion les cir-
constances secondaires. M. Boucher de Perthes parait affec-
;44 LIVRES FRANÇAIS.
lionner cette dernière forme, et, selon nous , avec raison ; et
nos éloge* seraient ici sans restriction, si les discours des per-
sonnages étaient entremêlés de lécits placés dans la bouche
du poète : chaque morceau de M. Boucher de Perthes n'est
qu'une rapide élégie qui, placée surles lèvres d'un personnage
passionné . ne permet au poète que le développement d'une
seule situation, et lui interdit souvent l'eftet de contrastes.
Nous arrivons avec plaisir à l'examen du style, où nos éloges
seront peu mêlés de critiques. Il est toujours simple , élégant,
harmonieux, souvent vif, quelquefois énergique; et, si les
couleurs en étaient plus fortes et plus animées, il ferait sans
doute oublier ce qui manque au fond des idées de haidiesse
et de nouveauté. Il serait facile de trouver dans ce recueil dix
morceaux égaux en mérite à celui que je vais citer :
Le Pauvre honteux.
Il ne demande pas, mais, sur son front livide,
Ah! ne lisez-vous pas ces mots affreux : j'ai faim !
11 ne demande pas ; il est Cer et timide :
Lui lefusciez-vous, hélas! un peu de pain?
Hâtez- vous, le tems presse; une minute encore,
Et peut être à vos pieds vous le veirez mourir.
La faim, depuis trois jours le ronge, le dévore;
11 ne den)ande pas, car il faudrait rougir.
Il fut soldat, dit-on; soldat il était brave,
.J'entendais autrcfiiis célébrer sa vertu.
Oui, ce rtgaid n'est pas h- regard d'im esclave:
11 a, n'en doutons pas, vaillamment combattu.
On dit qu'il fut frappé d'une injuste sentence.
Quel était son foi-t'ait ? un ancii-ii souvenir.
Courtisan du malheur, dédaignant la puissance,
Son cccur était fidèle : ah! pourquoi l'en punir?
Toi, tu n'es pas heureux, tu n'es pas insensible;
ISous connaissons aussi Is tourment de la faim.
Mon père, tu le sais, tu sais qu'il est horrible.
Mais pour un jour encor n'avons-nous pas du pain ?
Après ces vers, attendons avec confiance le nouveau recueil
que le poète nous promet, sous le titre de C/ianls armoricains.
A. DE L.
i88. — À la jeune France, ode, par M. Victor Hrco, insé-
rée dans le Globe du 19 août.
18g. — Une Semaine de Paris , messénienne, par M, Casimir
Delavig:<e. Paris, i8jo: Alex. Mesnier. In-8°; prix, i fr. 5o c.
LITTllUATURK. 745
190. — Le Triomplie national, ode aux citoyens do Paris,
par M. A'V/)07?mcène Lemebcier. Paris, i85o; Delaiinay. 111-4° ;
prix, ^5 c.
191. — Le Soleil de la Liberté , par M. Gasiare Dromneau,
stances lues au Théâtre-Français, le 10 août. Paris, i83o;
Timothée Dehay. In-8"; prix, 20 c.
192. — La V Icioire du Peuple , nationale, par Hyacinthe, de
CoMBEROiTssE. Paris, i85o; Timothée Dehay. In-8° : prix ,
75 cent.
195. - — Les Trois Jours, par Théodore Villenave. Paris,
i83o ; Timothée Dehay; Lassime. In-8° ; prix, 60 c.
194. — LesTroisJ ours, esquisses en vers, par M. Louis\...
DE Brienon. Auxerre, i85o. In-8°.
Si, dans la merveilleuse révolution qui vient de s'opérer
sous nos yeux quelque chose a droit de nous surprendre, c'est
la supériorité des niasses sur les individus, de l'intelligence
commune et populaire sur les calculs des doctes et des ha-
biles. De même que, dans l'ordre politique, nous avons vu le
peuple remporter en trois jours une victoire admirable, et les
hommes d'État continuer maladroitement son œuvre; de
même, dans l'ordre littéraire, quand tout autour de nous était
dévoûment, poésie, enthousiasme, l'art s'est montré froid,
pTde et glacé, et l'imagination est restée fort au-dessous de la
réalité. Les pièces de vers que nous annonçons en olTrent le
triste témoignage; et, à l'exception d'un petit nombre de
traits heureux et de vers énergiques, elles n'ont qu'une va-
leur éphémère et de circonstance dont on ne tiendra guère
compte dans l'avenir.
Nous ne citerons que pour mémoire la composilion de
!M. Louis V de Brienon : elle est faible et sans couleur,
pleine d'allusions de mauvais goût aux souvenirs de l'ancienne
Grèce; elle iait beaucoup plus d'honneur au patriotisme qu'au
talent du poète. iNous en dir(Mis à peu prés autant de la Natio-
nale de IM DE CoMBERoussE, et des Trois Jours de M. Ville-
nave, quoiqu'elles renferment cà et là des vers assez bien
faits; mais eiles manquent d'originalité et d'élégance, et ne
s'élèvent jamais au-dessusde la médiocrité. L'ode de M. Gus-
tave Droiineau n'est pas sans quelque chaleur, et a d'ailleurs
le mérite inappréciable d'être courte. La strophe suivante
donnera une idée de son style, qui, généralement pur et
correct, n'a guère droit à d'autres éloges :
Qu'avec rapidité le Français se réveille!
Oh! comme ils combattaient ces bourgeois qui, la veille.
;46 LIVRES FRANÇAIS.
Travaiilaient à gagner le pain de leurs enfans!
Leur belle mort nous laissa triomphans....
ÎVe pleurons pas respect à leurs mânes sublimes i
Car un Dieu juste a lerii ces victimes
Dans le sein jjalernel de son élernilé ;
Et fra|)i»ant des vaincus les hordes conslcrnées,
En couroniiaiit nos fionts de gloire et de clarté,
11 coiDbatlail jiour nous dans ces grandes journées,
Le soleil de la liberté.
Nous en venons niainlenant aux trois compositions vrai-
nienl impoilantes de cette espèce de concours poélique, aux
pièces de MM. Lehercieb, Casimir DELKViGyiE. et F iclov Hcgo.
On a déjà cité dans ce recueil plusieurs stances de M. Lenier-
cier (vov- ci-dessus, p. 5n8.) On y retrouve les dél'auts habi-
tuels de sa manière : une versification rude et rocailleuse, de
la recherche à côté des expressions les plus triviales, et de
longues dissertations philosophiques qui détruisent TeiTet gé-
néral. Mais .M. Lcmercier a du moins senti ce qu'il a chanté :
im vif amour du pays, une haine violente pour ses oppres-
seurs respirent a chaque page, et l'énergie dçs sentimens fait
pardonner la faiblesse du style. Ses vers ont le désordre du
combat : on voit, qu'inspirés par l'enthousiasiTie de la vic-
toire, ils ont été jetés sur le papier, entre la prise du Louvre
et le voyage de Rambouillet : ce n'est pas le fruit des calculs
du poète, mais le cri du citoyen.
Ace titre, et malgré de nombreuses imperfections, nous
préférerons l'ode de M. Lemercier à la messénienne de 31. De-
lavigne. Depuis le succès de AVaterloo et de Jeanne d'Arc, tout
se change en messénienne sous la plume de M. Delavigne ,
joie ou tristesse, victoire ou revers. Celte forme heureuse-
ment transportée des voyages d'Anacharsis dans le domaine
de la poésie, l'auteur l'avait habilement appliquée à l'élégie
politi(jue ; mais il l'a aus.-itôt usée, en l'imposant à toutes les
idées qui venaient traverser son imagination. En général,
M. Delavigne reproduit maintenant avec alïectation les pre-
mières inspirations de sa muse, et paraît s'habituer à se co-
pier lui-même, ce qui est encore plus dangereux que de co-
pier les autres. Dans sa Parisienne, chanson médiocre, que les
circonstances et une musique facile ont rendue populaire, il a
tant bien que mal inséré les traits les plus saillans du Passage
du Mont-Saint-Dernard : dans une Semaine de Paris, il a eu
recours à ces dialogues patriotiques où se complaisait autre-
fois son talent, et qui Hrent en partie la fortune de Parthénope.
Mais ce qui dans Parthénope était neuf et plein de vie est
LITTÉKATDUE. 7^7
commun vt dôplacù dans une semaine de Paiis. D'ailleurs,
ces épisodes perpétuels iiilenompent la luuralion, lui ûtent le
caractère de grandeur et d'unité qu'elle devrait avoir, et lui
donnent l'air d'un recueil d'Ana mis en vers, plutôt que d'une
œuvre d'inspiration. L'inspiration en effet, rcntli(jii>iasnie est
la sève du génie; voilà ce qui manque à la nouvelle messé-
nienne, et ce que l'élégance de la versification ne peut com-
penser. ISous citerons une seule strophe, plus passionnée que
les autres, et moins empreinte de cet amour de périphrase
qui dépare les morceaux les plus distingués de la Semaine de
Paris .
A'engcance! place au drapeau noir!
Passage, citoyens, place aux débris funèbre»
Qui reçoivent dans les ténèbres,
Les sermens de leur désespoir.
Porté par leurs bras nus, le cad^'ivrc s'avance.
Vengeance! tout un peuple a répétr; vengeancel
llest(;s inanimés, vous serez satisfaits!
Le peuple vous l'a dit, el sa parole est sûre;
(^e n'est pas lui qui se parjure :
Il a tenu quinze ans les sermens qu!il a faits.
En résumé, la pièce de M. Dclavigne n'est pas complète-
ment digne de sa belle réputation ; et, dans cette lutte, l'école
classique, qu'il représente, a peut-être été vaincue par l'école
romantique. M. A iclor Hugo a chanté la révolution de i85o,
dans une ode imparfaite, sans doute, entachée de négligences
impardonnables, d'affectations noiubreusesetde mauvais goût,
mais 011 étincellent de sublimes beautés : vivement ému parle
spectacle qui se déroidait sous ses yeux, il en a tracé le ta-
bleau, non pas avec le calme d'im narrateur officiel, mais avec
l'âme d'un poète. Dans l'impossibilité d'insérer ici le passage
où i\J .Victor Hugo fait ses adieux à la famille déchue, nous don-
nerons cette peintme de la bataille, oTi quelques taches ne
détruisent point l'effet d'ensemble :
Alors tout se leva : l'homme, l'enfant, la femme.
Quiconque avait un bras, quiconque avait une àme;
Tout vint, tout acci;urut; et la ville à grand bruit
Sur les lourds bataillons se rua jour et nuit.
Vn vain boulets, obus, la balle et les mitrailles.
De la vieille cité déchiraient les entrailles ;
l'avés et pans de mui', croulant sous mille efforts.
Aux portes des maisons amoncelaient les morts;
Les bouches des canons trouaient au loin la foule ;
lOlle se reformait comme une mer qui roule ;
Et de son râle alfreux ameutant les faubourgs,
Le tocsin haletant bondissait dans les tours!
74« LIVRIiS IRANÇAIS.
Il est difficile d'exprimer en [)lus Idéaux vers l'enthousiasme
qui poussait au combat Paris tout entier. >'ous terminerons
par une stro[)lie où M. Hugo, s'adressaiit aux jeunes gens, en-
fans des belliqueux lycées, personnifie en ces termes l'aigle im-
péiiale :
Aigle qu'ils devaient suivre, aigle de notre armée
Dont la plume sanglante en cent lieux est semée,
Dont le tonnerre un soir s'éteignit dans les flots;
Toi, qui les as couvés dans l'aire paternelle,
Regarde, et sois joyeuse, et crie, et bats de l'aile !
Mèie, tes aiglons sont éclos 1
Certes, ces enfans ont prouvé sous le feu qu'ils étaient
braves et de bonne race. Malheureusement, ils n'ont guère
plus de Carnot, de Hnche et de Napoléon pour les conduire,
et llougel-de-l'Ile est bien vieux pour les chanter!
195. — La Cour de Marie de Mcdicis, Mémoires d'un cadet
de Gascogne. i6i5-iGi8. Paris, i85o; Al, Mesnier, place de
la Bourse. In-8° de 5oo pages; prix, G tV.
Avant de parler des Mémoires d'u-i cadet de Gascogne, nous
devons rendre justice à la bonne foi de l'éditeur, qui déclare
au public ne pouvoir pas garantir l'aulheuticité de ce livre. Et
au fait, il n'y avait pas besoin d'un long examen pour se con-
vaincre que la cour de Marie de Médias rentre dans la classe
des compositions de fantaisie à propos d'une époque histo-
rique. C'est encore une imitation éloignée des romans de
"Walter Scott; un jeune homme obscur, ignoré, que le hasard
jette à travers de grands évènemens, qui les observe, les juge,
s'y mêle progressivement, et finit par devenir im acteur du
premier ordre dans le drame politique de son tems.'Muis de-
puis Francis Osbaldistone , Ivanhoë et le 3Jergy de .M. Méri-
mée (chronique de 15^2, ) ces caractères sont bien usés en
littérature : d'ailleurs, le cadre choisi par l'auteur de la Cour
de Marie de Mcdicis est médiocrement hemeux, et ne prête
guère à des développcmens attachans et passionnés : il com-
prend le tableau des petites intrigues qui troublèrent le
royaume pendant la régence de Marie de 31édicis, époque
mesquine et presque insignifiante , perdue entre la mort de
Henii IV et l'élévation du grand lUchelieu. Un seul fait dans
cette période offrait un beau et poétique sujet : mais l'auteur
a tiré peu de parti de la mort du maréchal d'Ancre, et, toujours
racontant sans jamais peindre, il n'a pas donné assez de vie
' I " ■> r — ■-- ■
aux anecdotes dont fourmille son ouvrage. Cependant, s
parait manquer d'éclat et de coloris, il a fait preuve d'érud
MEMOIRES ET RAPPORTS. y/^e^
tion, et nous pensons que son taleiil j-cia plus À l'aise (!;iii<
l'ouvrage sérieux qu'il promet au public (i).
Mémoires et Rnpporia. de S'Tirtrs savtinlrs.
jg6. — *Mêmoires de la Socictc d'agricuilure ^ fcieiuex, arts
et belles-lettres du département de rÀiil>p. Troyes, i85o; im-
primerie de Sainton.
Il paraît \\n numéro de ces Mémoires à la fin de chaque tri-
mestre. Les quatre numéros forment un volume, dont le prix
est de 5 fr. à Troyes, et de (3 fr. par la poste.
Au mois de mai dernier, la Société do Troyc> a tenu sa
séance publique annuelle, et l'un des secrétaires y a présenté
le tableau de ce qu'ont produit, dans le cours de l'année pré-
cédente , les travaux des sociétaires sur les diverses branches
de connaissancesqu'ils cultivent plus spécialement. Nous avons
remarqué, dans cette analyse très-bien faite, qu'en rendant
compte d'un rapport fait par M. Founeron sur l'ouvrage de
M. Bergery, intitiilé : Économie de foui^rier, M. le secrétaire
semble partager l'ojiinion du rapporteur, que l'auteur del'ou-
vrage aurait pu s'élever à une philosophie plus digne de l'hom-
me, et ne pas se borner à fixer continuellement la pensée de
l'ouvrier sur l'emploi le plus profitable de son tems, de ses
salaires et de ses ressources. Mais, il ne faut pas perdre de
vue que M. Bergery a traité de Vcconomie de fourrier, et que,
.suivant l'usage des géomètres, il s'est renfermé dans les limi-
tes de son sujet. Cet esprit d'exactitude est malheureusement
trop rare parmi les écrivains; et cependant, il n'est pas moins
rare qu'un ouvrage soit non-seulement bienfait, mais réelle-
ment bon, s'il manque de ce caractère de justesse, de préci-
sion, de sage écononnie dans le choix et l'emploi des maté-
riaux.
On saura gré à M. le docteur Bedor de sa Notice sur un
livre philosophique peu connu, et très-digne de l'être, que
l'on doit à un médecin français de naissance, mais qui a con-
stamment passé pour Espagnol , c'est le docteur Juan-Huarte,
qui vivait au xvi"" siècle. Son ouvrage est intitulé : Examen
des esprits dans leur aptitude aux sciences. Vne traduction nou-
velle de celle œuvre physiologico-philosophique aurait aujour-
d'hui presque tous les avantages d'une production nouvelle,
( ) PUtoirc de France depuis ta mort de Henri IV jusqu'à la mort de
Mmariij 1610-1661, par M. A. Bazik. 6 vol. in-S".
r. XLVII. SEPTEMBRK l85o. 4^
;jo LIVRES FRANÇAIS.
et personne n'est plus en étal que M. le docleur Bedor de
l'aire ce présent au public studieux.
M. Gi'Y soutient àTroyes rhonneiir des .Muses classiques,
au risque d'attirer sur lui les sarcasmes de la nouvelle école,
dite littéraire. On trouve, dans ce recueil, une traduction de
six cantates de Métastase, en vers français, où la langue e^t
respectée, où les anciens préceptes sont observés, sans que la
poésie semble y rien perdre, quoiqu'elle soit intelligible d'un
bout à l'autre.
Nous nous bornons à cette mention des Mémoires de la Société
de l'Aube, parce qu'elle nous seudîle suffisante pour inspirer le
désir de consulter ce recueil, dont la lecture ne sera point sans
fruit. Lessujetsde prix i^-oposés par la Société pour iSôi pa-
raissent de nature à exiger beaucoup plus de tems qu'il n'en
est accordé aux concurreus; le premier est rédigé ainsi : « Ana-
lyser très-succinctement l'histoire de la navigation de la Seine
à Troyes et au-dessus de cette ville ; — indiquer les causes qui
l'on interrompue d'abord, et qui plus tard l'ont lait cesser
entièrement; — démontrer les avantages que promet ce ca-
nal, comme opération particulière, et déterminer rinfluencc
favorai)le qu'il doit exercer sur le département. »Le sujet de
l'autre prix est ime f[ueslion plus générale, mais dont lu solu-
tion exige peut-être encore plus de tems ; il s'agit« d'indiquer
les nioyeiis d'améliorer les terrains tourbeux, et de les rendre
propres à la végétation » On demande que les concurrens rap-
portent les expériences de chimie agricole et les procédés de
culture dont ils auront fait usage. Les iMémoires doivent être
adressés à M. Dubois de Mor^mbert, secrétaire-général : les
prix seront décernés dans la séance publique de i85i ; ils con-
sistent en imc médaille d'or du prix de 200 fr. F.
ij)^. — *Société d'émiilalioii du département da J ara : Séance
publi(iue du ij novembre 1829. Lons-le - Saulnier, i85o.
In-8°.
Le compte rendu de cette séance académique s'ouvre par
un discours de M. Valdenvit, alors préfet du département, et
président de la Société. Ce discours, qui ressemble à tous ceux
du même genre, se termine par un éloge du roi déchu : « Nous
relrouvons dons le souverain bien -aimé qui nous gouverne,
dit M. le préfet, les pensées du bon roi, ce cœur généreux qui
souffre des privations des peuples, ce? sentimens a/fectucu.r dout
la prévoyante bonté porte la consolation dans toutes les clas-
ses. «C'est par un tel langage, pl.ilement adulateur, que les
fonctionnaires de l'époque entraînaient graduellement ce
prince vers l'abîme où il >e<t enfin précipité. Xprè"; ce dis-
MÉMOiniiS ET IIAPP. — 01 VRAGî:S PÉRIOD. ybi
■cours, M. leD'GuYfcTANT, seciéUiiie perpétuel, a fait rinjapport
sur les travaux de? membres de îa Société, entre lesquels nous
remarquons un Essai d'analyse des eaux de Lons-te-Saulnier,
par 31. PoiRiiiu, pharmacien de cette \ille; un exposé fort
intéressant (/c L'Kiat de la Maison pénitentiaire et de l'Ecole pour
les petits enfaiis de Génère^ résultat d'un voyaj^e fait par M. le
secrétaire perpétuel dans cette ville; ime note sur diverses
améliorations agronomiques opérées par M. Chevillard; une
Notice curieuse sur les antiquités de Lons-le-Saulnier, par
M. MoTJNiER, conservateur du Musée; enfin, un savant Mé-
moire de M. Hoi'RY sur l'Analogie des langues grecque, la-
tine et sanscrite. Voici pour la pro.-e. La Société a également
payé son tribut poétique, par plusieurs morceaux qui ne sont
pas indignes d'être remarqués; nous citerons spécialement
des Imitations d'Horace, par iM. le général Delort, et de 77«o-
mas Moore, par 31. Viakcin.
La Société a remis au concours pour i85o un sujet sur le-
quel elle n'avait reçu qu'un 31émoirc : c'est i'iiistoire du pays
formant aujourd'hui le département du Jina, depuis Jules-
César jusqu'à nos jours; le prix est nue médaille d'or de 200 fr.
La Société annonce également qu'elle décernera des médail-
les d'encouragement aux meilleurs 31émoires historiques sur
les diverses localités, ainsi qu'aux ouvrages inédits, scientifi-
ques ou littéraires, qui lui seront adressés par les auteurs. La
Société propose également divers prix pour l'encouragement
de l'agriculture dans le département. A,
Ouvrages périodiques.
198. — *Bulletin des sciences géographiques , etc. '.Economie
publique. Voyages : 6" section du Bulletin universel, publié par
la Société pour la propagation des connaissances* scientifiques
et industrielles, et sous la direction de 31. le baron de FÉrvssac.
T. xvi (dejjxième volume supplémentaire dei 828). Paris, i85o;
au bureau du Bulletin, rue de l'Abbaye, n" 5. In-S" de
420 pages.
« Lorsque nous fûmes appelé, en 1828, dit 31. deFérussac, en
qôalité de chef de division, à diriger les recherchl^s statistiques
queparaissait vouloir entreprendre le ministère du commerce et
des manufactures, afin de pouvoir appuyer la marche des affaires
sur une parfaite connaissance des faits, notre premier soin fut
de constater toutes les sources de renseignemens existantes
alors, que nous pouvions consulter avec fruit, en nous atta-
chant à tenir cet inventaireconstammentà jour. Obligéde nous
;5a LIVRES FRANÇAIS.
ilémetlie de ces t'oiiclions, lorsque nous cHmes acquis la cer-
titude que le seul plan praticable, pour arriver à une connais-
«ance ("onipKto de faits positifs sur toutes les questions d'in-
térêt public, n'était point agréé par le ministre, nous conçûmes
le projet d'utiliser ces matériaux pour le Bulletin, en nous
bornant à rappeler les documens trop anciens, et à donner, sur
tous les travaux récens dont nous avions connaissance , un
article spécial et court, propre à les faire connaître aux lec-
teurs de ce recueil. » (Extrait de V A ver ùs sèment).
Ce Volume est donc un recueil d'indications relatives à la
statistique de la France, un guide à consulter dans les recher-
ches que l'ou pourra faire, soit sur quelques parties du ter-
ritoire, soit sur toute son étendue. Pour »me telle destination,
il fallait que toutes ces iSolices fussent réunies, au lieu d'être
réparties dans les cahiers du Bulletin ; mais comme elle sont
une partie essentielle du plan de celte grande entreprise scien-
tifique ;. conmie elle serviront très-efficacement à rendre plus
prolitables tous les documens ultérieurs qui seront publiés sur
les mêmes contrées et sur les faits qui les concernent, il fallait
les associer aux cahiers du Bulletin, mais en dehors, en faire
un volume supplémentaire; c'est le parti que M. de Férussac
a pris, et les amis des sciences statistiques lui en sauront gré.
Une table alphabétique très-détaillée rendra les recherchesen-
core plus faciles : rien de ce qui pouvait venir au secours du
laborieux invcsligaleur n'a été omis, et l'on n'a pas craint de se
livrer à un travail ingrat et rebutant, pour l'épargner à des
savans et à des honnncs d'Etat ([ui (uU à faire un autre em-
ploi de leur lems.
199. — * Le Franc Parleur de Vaitcluse, journal politique,
industriel et littéraire. Avignon, iSôo; typographie d'Armand
Guichard. On s'abonne à Avignon, chez M. Henry >1acmet,
avocat, rue Calade. Ce journal est mensuel; chaque numéro
est de 2 feuilles d'impression. Prix de l'abonnement : 1 2 fr.
par mois, 7 fr. 5o pour G mois, 1 fr. 5o par numéro.
Les cœurs français battent en province avec autant de force
qu'à Paris ; lisez le Franc Parleur, et vous en serez convaincu ;
et ce journal n'est pas un fruit de notre récente et glorieuse
résurrection; il est né sous le régime prosciipteur de toute
franchise ; il a paru comme l'un des signes qui annonçaient la
chute prochaine de la tyrannie qui accablait et déshonorait la
France. D'Avignon, où il était rédigé, \eFraiK Parleur était ré-
duit à se faire imprimer à Marseille : aujourd'hui, le titre qu'il
a raison de conserver peut être porté par tous les écrivains
qui ne prostituent point leur plnni'', A l'avenir, la franchise
OLVRAf.F.S PÉRIODIQUES. ;53
cl la siocrrilî; seronl îles qualités commuuos à tous ; le inérile
des écrits, périodiques ou non, consistera dans la justesse des
pensées et des vues et le sentiment de Ta propits, ce tact dé-
licat qui fait discerner le moment opportun pour que des vé-
rités puissent se produire avec le plus de succès pour l'intérêt
commun, le bien de la patrie. Nous recommandons l'Avigno-
nais franc parleur aux Français du nord, de l'est et de l'ouest,
afin qu'il y apprennent à bien connaître leurs concitoyens du
midi, connaissance encore plus rare qu'on ne l'imagine. Nous
ne ferons aucun extrait de ce journal, non moins bien écrit
que bien pensé; il est trop couit pour qu'on ne le lise point
d'un bout à l'autre partout où il parviendra. Quant aux ma-
tièies dont il se chargera, comme il a l'avantage d'être court,
et de plu-, indépendant quant an choix; et. comme nous vi-
vons dans un tems fertile en sujets intéressans, on est fondé ù
croire que les deux feuilles ne contiendront rien qui ne mérite
d'être lu.
il est peut-être impossible, surtout en France- qu'un
homme d'esprit n'ait point quelque teinte de malice : les lec-
teurs se plaisent à le remarquer dans les écrits; le Franc Par-
leur donne aussi cette satisfaction, mais avec la décence et la
réserve convenables. En général, il paraît que la presse pério-
dique a fait une acquisition agréable et prérieuse ; c'esl le
Franc Parleur. Y.
IV. NOUVELLES SGIEiNïlFIQUES
ET LITTÉRAIRES.
AMEUIOlJE CENTRALE.
GrATEMALA. — Supprc&siondes Couve.ns. — Extinciiondes Or-
dres religieux. — Le Congrès fcdcral de la république cenlro-mné-
ricaine, considérant que les religieux ont été chassés de l'Etat
dcGualeniala, par des motifs (ju'approuvent la prudence et la
justice; que, de l'ait, ils ont évacué tout le territoire de la répu-
blique ; que cette circonstance favorise les suppressions et les ré-
formes que les communautés religieuses doivent subir pour le
bien de l'Etal; que l'autorité suprême a jugé convenable de pro-
voquer les délibérations sur cet objet, et que le sénat a auto-
risé lecongrès à s'en occuperpendant lasession^actuelle ; que
les raisons qui motivèrent l'oxpulsion des religieux subsistent
dans toute leur force pour faire prononcer l'extinction des
ordres ; que les autorités de l'Etal de Guatemala ont déjà com-
mencé cette extinction, puisque les maisons conventuelles
mèr^s y existaient toutes, et que leur destruction entraîne iné-
vitablement la chute des couvens dont ces maisons entrete-
naient la population; que les principaux motifs qui firent ad-
mettre les religieux et conserver les couvens furent le service
des autels et le soin des âmes, fonctions qui peuvent être aussi
bien remplies par des prêtres séculiers que par des religieux;
(pic même le clergé séculier se rendra plus digne encore de son
ministère sacré lorsqu'il en sera chargé seul ; que, d'ailleurs, la
conservation des couvens est incompatible avec les maximes
d'une politicpie éclairée, dont l'utilité publique est le seidbut;
(jue l'opinion généi-ale a condamné ces établissemcns; qu'ils
ont été suppriuiés partout oi'i l'on a su combiner les grands et
I especlables intérêts de la religion avec tout ce que la politi-
(pic et les lois peuvent faire pour le bonheur des citoyens :
voulant régler invariablement ces deux parties essentielles de
l'ordre pnlilic, sans éientlre les réformes au-delà de ce qn'cxi-
AMERIQUE CENTRALE. — Al STKAUE. yb'i
gent les circonstances actuelies , adopte les résolutions siii-
vanles.
Article premier. — La nation ne reconnaît et n'admet dans sou
sein aucun ordre relij^icux. Ceux qui étaient ('tahlis jus(|u'i\
ce jour sont suppiinics.
•2". Los liéthléniisles ne sent pas compris dans la suppression
générale prononcée par l'article premier. L'asseml)lée légis-
lative de l'Etat fera les dispositions nécessaires poiu- régler
le mode d'existence de ces religieux confinés dans son terri-
toire.
5". Les religieux des ordres supprimés pouiront continuer à
vivre dans la république, cojimie prêtres séculiers, pourvu
qu'ils ne se rendent pas indignes de la confiance du gouver-
nement.
4". A l'avenii' la nation ne reconnaîtra point les vœux so-
lennels et perpétuels des religieuses. 11 n'y a d'exceptions que
peur celles qui existent actuellement; leurs communautés sub-
sisteront telles qu'elles sont. Par la suite, les femmes qui en-
treront dans un cloître n'y resteront qu'autant qu'elles le vou-
dront, et elles y vivront à leurs frais.
Soit transmis au Sénat.
Fait à Guatemala, le 6 septembre 1829.
Signé Urbano Ugarte, président.
Francisco Ftofizs , ) ,. ^, ,, .
El . ,, députes secrétaires.
trancisco Jdenavent, \ ^
Scellé par le Sénat, le 29 septembre 1829.
Au pouvoir exécutif.
Mariano Zebtexo, président.
AUSTRALIE.
Colonies anglaises. — Fondation de deux nouvelles villes sur
tes bords de la rivière duCya,iie{Swan Iiivcr).-^\jn(', lettre datée
du 10 septembre 182;) donne les détails sui vans su ries non veaux
établissemens que viennent de fonderies derniers émigrans.
C'est l'un d'eux qui écrit : «Comme l'hiver était dans toute sa
rigueur, lors de notre arrivée, le li-eulenant gouverneur jugea
à propos de nous faire débarquer dans l'île du Jardin ( Gardcn
Islund), où nous eûmes beau; oup de gros tems , sans que
notre santé en souffrît. Depuisque le printems est enfin venu,
nous sommes presque tous établis à dix milles de l'emboii-
cliure de la rivière, où nous avons commencé à bâtir la ville
de Perth : le site choisi est d'une grande beauté, et le pays
plu.« riant el plus fertile que je n'en puis donner l'idée. C'est
;56 ALiSTKALIE.
i( i que cuaiiiieiice le soi, dont les qualités varient à l'intini,
I t le leniient jti'u[tre .i toute espèce de culture. Le terrain des
bords de la rivière depuis la mer n'est guère coinposé que
d'alluvion, détrempé d'eau denier, et mêlé de sable : et
( ependanl, toute la surlace est couverte de beaux herbages,
très-variés, ot (jui, dit-on, offrent une abondante récolle au
botaniste. A l'embouchure de la rivière, \me petite ville com-
mence aussi à s'élever : les officiers du ôS"" y ont fait un grand
jaidin ou, ils cultivent des pommes de terre et des pois qui vien-
ruMit bien malgré la qualité inférieure de la terre. Cette colo-
nie naissante a pris le uom de Fr-cemanI le,^il deviendra bientôt,
je crois, un grand entrepôt de commerce. Notre population,
ycouipris ]>lus de deux cents nouveaux-venus, se monte à
près de cinq cents âmes : nous avens deux cents moutons,
quarante têtes de bétail, vingt-cinq chevaux, etc. Le climat,
autant que j'en ai pu juger, est très-salubre : pendant tout
l'hiver, il n'y <> pas eu une maladie grave. Nous sommes ad-
miral)lement placés pour commercer avec l'Inde, surtout avec
les Malais, qui pourront encore trafiquer avec nous, alors
que les autres communications leur deviendront difficiles ou
impossibles. Enfin, tout nous promet un avenir prospère» .
Polynésie. — Archipel de la Société. — Etablissement
(Cune presse d Éimeo. — Joie des naturels. — Leur ardeur
/'('(/;■ le savoir. — Leur roi. — Leurs chants populaires. —
Au moment où la presse vient d'accomplir tant de mer-
veilles parmi nous, où elle a fait si glorieusement l'édu-
cation des masses, il y a plaisir à la voir apparaître pour la
première fois chez un peuple neuf, e\ l'y voir accueillir par
des transport de joie. M. Ellis, missionnaire protestant, vient
de publier, sous le titre de Polynesian Researches, des détails
d'un haut intérêt sur l'importation de l'imprimerie dans les
îles du grand Océan, situées à l'est des Philippines, et formant
les nomijreux groupes qu'on désigne par le nom général de
Polynésie. Rien de plus touchant que l'enlhonsiasme de ces
populations naïves pour une si rapide et si magique manifes-
lati'ju de la pensée. On ne peut comparer leur ivresse qu'à
celle qu'inspira en F'rance la première ascension d'un aéros-
tat, et en Angleterre l'apparition de la première voiture
mue par la vapeur.
M. Eliis partit, emportant avec lui des caractères et une
presse, dont il avait appris ù se servir. Ce fut à Eimeo qu'il
monta son imprimerie, et nulle part invention ne fut plus
considérée et plus utile. Dans plusieurs familles i\ n'y avait
qu'un livre, où tous etudiaitnt tour-à-tour ; beaucoup n'en
possédaient même pas. Les un.« avaient copié le .*>yllabair* tiu
AUSTRALIE. 75*
entier : d'autres, ne pouvant se procurer du papiei, avaient
préparé avec soin des nuin eaux d'écorce, et, à l'aide d'uu
jonc trempé dans une teinture rouge ou violette, avaient tracé
une à une les lettres de l'alphabet, et jusqu'à des phrases en-
tières. C'étaient des fragmens des saintes écritures ou des
portions de discours qu'ils avaient retenues. Le roi Ponriare,
dont le zèle pour l'instruction de «es sujets peut servir d'exem-
ple à plus d'un souverain d'Europe, fut ravi de voir ai river une
presse, et fouruit tout de suite ime maison et tout ce qui était
nécessaire pour monter l'imprimerie, demandant pour unique
récompense qu'on l'envoyât chercher quand tout serait prêt.
Il vint, en effet, accompagné de quelques chefs favoris et
suivi d'un immense concours de peuple. M. Ellis prit l'outil de
compositeur ; mais, A'oyant avec quel plaisir le roi examinait les
caractères neufs et brillans, il lui proposa de composer lui-
même le premier alphabet. La figure de l'insulaire devint rayon-
nante; il accepta cette tâche, et plaça les lettres du grand
et petit alphabet, auxquels on ajouta ensuite le peu de mono-
syllabes complétant la première page du syllabaire. Charmé
de voir toute une page composée, il se résigna à attendre que
la feuille fût terminée avant le tirage. Lorsqu'on lui lit dire
qu'on allait enfin imprimer, il arriva avec dt;ux chefs et une
nombreuse suite, jalouse d'assister à cette grande opération.
La foule, assemblée devant la maison, s'ouvrit pour le laisser
passer, ainsi que ses deux compagnons; puis, sur sa prière,
la porte fut fermée et la fenêtre voilée. Il examina attentive-
ment alors et avec un vif plaisir les formes fixées sur la presse;
et, comme il se disposait à tirer lui-même la première feuille
imprimée dans ses États, il pria ses amis de ne pas trop le
regarder et de ne pas se moquer de lui , s'il s'y prenait mal.
M. Ellis lui enseigna à se servir du tampon, plaça le papier, et
lui dit de tirer le levier. La feuille fut nettement imprimée.
Pomare la prit, examina le papier d'abfird. et ensuite les ca-
ractères avec une profonde admiration. Il la passa à l'un des
chefs, et tandis qu'il continuait à tirer deux autres épreuves,
la première fui montrée en dehors au peuple, qui poussa une
acclamation générale de surprise et de joie. Il ne se passait
pas de jour que le roi ne vint surveiller les progrès de l'ou-
vrage; observant toutes choses, il compta plusieurs lettres, et
parut étonné de retrouver cinq mille fois la lettre A dans les
seize pages du sylla!)aire. On miprima 2,600 exemplaires de
ce livre, un catéchisme taliitien, un choix d'extiaits des saintes
Écritures, l'Évangile de saint Luc.
O grande Bretagne, terre du savoir! .*"écriaicnt lans cesse
-58 AUSTRALIE.
tou^ LCiix qui se pressaieril aux portes et aux fenêtres tic l'ini-
priiucrie. La foule accourait de toutes les parties d'Eiuieo,
et même des îles voisines, pour voir les missionnaires à
l'œuvre, et pour se procurer des livres. Le rivage était bordé
de canots; les maisons des hahitans étaient envahies par des
hùtes nombreux; et de tous cotés des groupes campaient en
plein air. Pendant plusieurs semaines que dura le tirage, on
eût dit alentour une foire permanente.
Aliii de conserver les livres, on jugea nécessaire de les relier
d'une façon im peu solide avant de les livrer aux demandeurs
" M. Ellis s'était mis au fait de la reliure en Angleterre. Mais les
matériaux lui man(]uaient; il l'allut y sujiplécr. On fabricpui
d'excellent carton avec de la toile li'écorce d'arbre. De vieux
journaux teints en violet foncé furent collés par-dessus, et on
se servit, pour le dos et les coins, du petit nombre de peaux
de mouton apportées d'Europe. Lorsque les provisions furent
épuisées, les naturels firent la chasse aux animaux pour s'en
procurer de nouvelles. Ils arrivaient triomphans avec la peau
de quelque gros chien, ou de quelque vieille chèvre, aux-
quelles tenaient encore le poil et la barbe. D'autres fois c'était
la dépouille d'im chat sauvage attrapé dans les montagnes.
Lors(ju'()n leur eut enseigné à apprêter le cuir, ils le firent chez
eux, et de tous côtés on voyait des peaux suspendues aux bran-
ches des arbres ou tendues dans di^s cadres, ;'i sécher au soleil.
Les livres élémentaires se distribuaient gratis : mais il fut
arrêté que tout ouvrage plus considérable ou plus important
se vendrait pour couvrir les frais du papier et de l'impression,
et poiu' empêcher que le peuple ne fît peu de cas des choses
données poui rien. Le prix fixé fut une petite quantité d'huile
de noix de coco, facile à se procurer et que les naturels se sou-
mirent à payer avec joie. Tout pénible et tout fatigant qu'était
un travail sans relâche, sous les tropiques, et dans une saison
où le soleil est vertical, M. Ellis dit que cette époque est parmi
les plus heureuses de sa vie.
«Je voyais souvent, ajoute-t-il, arriver trente à quarante
canots des parties les plus éloignées d'Eimeo ou de quelque
île voisine, amenant chacun cinq à six personnes qui ne iai-
saient le voyage que pour se procurer des exemplaires des
.saintes Ecritures, qu'il leur fallait souvent attendre six ou sept
semaines. Elles apportaient d'énormes paquets de lettres,
écrites sur des feuilles de jdalane cl roulées comme d'.inciens
parchemins; c'étaient autant de suppliques de ceux qui, ne
pouvant venir eux-mêmes, demandaient par grâce qn'on leur
euvovât des livres.
AlSîllALlE. 759
«Lu soii'. au l'oiiflier du soleil, un c.uiot arriva dv, Tahilt',
intintépar iin(| lioinnies. llsdcbarqiiùreiit, plitrciit leur voile,
tirèrent leur catiot sur la playe, et s'achcitiiiièrcnl vers ma
ilenieure. j'allai au devant d'eux : » Luka, te parau na Luka!
— Luc, la parole de Luc! me dirent-ils tous à la l'ois, en me
montrant des eannos de handjou pleines d'huile de coco qu'ils
offraient en paiement. Je n'avais point d'exe.'uplaires prêts;
je leur eu promis pour le lendemain malin, et je les engageai
à se retirer chez quelque ami dans le village pour y passer la
nuit.
Le crépuscule, toujours Irès-court sous les tropiques, avait
disparu. .le leur souhaitai le bonsoir et me retirai. Le lende-
main, au point du jour, je les aperçus, à mon grand étonne-
ment, couchés à terre devant la maison sur des nattes de
feuilles de cocotier, sans autre couverture que le laige man-
teau de toile d'écorce qu'ils portciit habituellement. .Te me
hâtai de soitir et je sus d'eux qu'ils avaient passé là toute la
nuit. Lorsque je leur demandai pourquoi ils n'étaient pas allés
loger dans une maison, ils répondirent : Oh! nous avions trop
peur qu'en notre absence, quelqu'un ne vint de grand malin
vous demander les livres que vous aviez p)éparcs, et qu'alors
nous lussions obligés de repartir les mains vides; nous avons
tenu conseil hier soir, et nous avons résolu de ne nous éloi-
gner qu'après avoir obtenu ce que nous sommes venus cher-
cher. Je les conduisis dans l'imprimerie, et, ayant assemblé
des feuilles à la hâte, je leur donnai à chacun un exemplaire;
ils m'en demandèrent deux aulres, l'un pour une mère, le se-
cond pour i[ne sœur. Ils enveloppèrent les livres dans un
morceau de loile blanche du pays, les mirent dans leur sein,
me souhaitèrent une heureuse journée, et sans avoir bu,
mang;é, ni visité une seule personne de l'établissement, ils
coururent au rivage, remirent leur canot à Ilot, hissèrent leur
voile de cordes de palmier nattées, et se dirigèrent tout joyeux
vers leur île natale. »
Api'ès l'Evangile, les missionnaires imprimèrent un volume
d'hvmnes en vers, qui ac(|uircnt bientôt une grande popula-
rité, ces peuples ayant un goût tout particvdier pour l'harmo-
nie poétique, à laquelle leiulangue est singulièrement propre.
lis possèdent de nombreuses ballades historiques et mytholo-
giques où se trouvent retracés ime foule d'évènemeus en rap-
port avec chaque époque de la vie. Ces poèmes se nomment
uhtis : on enseigne aux enfans à les réciter de bonne heure, et
pour ainsi diie à les représenter, car ils ont paifois le carac-
ièrc du drame ou delà panlomimc. Il y a un chant pour la pO-
7^0 AUSTUALIL:. — ASIE,
che, un aulre pour la consliiictioii d'un canol, pour lancer
nue pirogue en mer, pour abattre un arbre de la forêt Cti
sont des harmonies imitafives d'un accent neuf et sauvaire
tandis que les paroles rappellent ilos usages singuliers d'an-
cienne superstition qui vont disparaître. Ilesrfortà souhaiter
que les missionnaires conservent non seulement la ^ub^tance
de ces poésies populaires, mais les poésies mêmes dans leur
lorme originale, et qu'on en ait un jour des traductions aussi
près du texte que possible. Les chansons tahiliennes surtout
contiennent beaucoup de mots qui ne sont plus en usa-e dans
j'idiùme parlé, et que M. Eilis croit devoir faire remSnter à
la plus haute anliqulté. Ces chants sont pleins tl'images, vifs
.1 lies passionnés quand le sujet l'exige. Les rares spécimeus
qu en donne le voyageur missionnaire se rapprochent beau-
coup de la plus belle poésie orientale.
ASIE.
^^^'^^i^^sy.^TiQvE.~GÉimGiE.—rnstructionpublirfne.— Écoles
— La Gazette de Ttjlis, feuille intéressante que nous avons fait
connaître à nos lecteurs ( voy. ci-dessus , cahier iVaoât i83o ,
.|«;-4»o j , et que presque tous les journaux russes exploitent
a 1 envi sans le moindre scrupule, continue à nous offrir des
notions intéressantes et circonstanciées sur les provinces du
Caucase sous les rapport historique, .statistique, ethno-n-a-
phique et industriel. C'est à elle que nous devons les détails
suivans sur lesprogrès de Viiislraclion publique enGcornie. — Du
nioment où cette province fut réunie à la Russie, on posa , en
i8o2, los hases de l'é.lucation de la jeunesse, par la fondation
d une.ro/.a l.His, qui fut remplacée , en 180/,, par une pm-
sion rxoble, destinée principalement à procurer de rinslruction
aux enlans des gentilshommes géorgiens; chaque année huit
e evcs devaient être envoyés à la pension de l'Université de
Moscou, pour y achever leurs éludes. Mn 1807, IN^iseigne-
inent de cette école fut assimilé à celui des gymnases, et dfvi.é
en quatre classes; l'illustre général Vermolov , ayant reconnu
par la suite que ce mode (renseignement n'était pas en har-
monie avec les besoins ûu pays, y Ça, en ,8h), de nouveaux
cliangemens: 1 enseignement des langues latine et allcmamle
lut remplace par celui de la langue tatare, beaucoup pkis usi-
tée dans ces couines ; l'on ajouta au cours d'études plusieurs
branches des sacnccs milUaires. L'école ainsi réorganisée eut
)usqn a .:>oo élèves : mais, d'après le .but de sa fondation, ell^
n ofirfHt q.i ., 1,, seule aristocratie géorgienne les ])ienfails de
ASIE. — FAROPE. ;(> i
l'édiicalion, dont les autres classes de la population conimeu-
caient aussi à sentir le besoin à mesure du développement de
la prospérité générale. En ronséquence , on a étal)!i en mai
i85o un gymnase àïiflis, et ringt écoles de district dans le-
provinces. A ce p;\mnase est attachée une pension pour
/jo élèves du gouvernement, dans laquelle sont admis, aux
Irais de leurs parens, les enfans des gentilshommes, des mili-
taires et des employés. A l'époque de son ouverture, cet éta-
blissement comptait 2q8 élevés.
S. P — Y.
EUROPE.
GRANDE-BRETAGNE.
Londres. — Pompe d incendif mue par la vajeur. — Celte
machine, de l'invention de Al. Bbaithwaith, a rendu déjà les
plus importans services : la simplicité des moyens, la certi-
tude et la facilité de l'action, la force extraordinaire du jet, et
la quantité de fluide qu'elle envoie, lui donne des avantages
incontestables sur les pompes ordinaires. Elle peut lancer en-
viron 9,000 gallons (4o tonneaux) par heure, ù une élévation
de 90 pieds, par une ouveiture d'un septième de pouce de
diamètre. Plus le tube est large, plus la quantité d'eau aug-
mente ; avec deux jets, on obtiendrait cinquante tonneaux par
heure, lancés à cinquante ou soixante pieds. Mais l'élévation
dépend beaucoup du vent. Par un tems calme, on a projeté un
jet d'un septième de pouce de diamètre, à une distance de
»4o pieds. Le second point important est le tems qu'exige la
formation de la vapeur. Des témoins oculaires affirment que,
du moment que le feu est allumé, l'eau de la chaudière étant
lout-à-fail froide, il ne faut pas plus de 18 minutes pour que
la vapeur atteigne toute son intensité : presque toujours les
anangcmens nécessaires pour atteler les chevaux, se procurer
de l'eau, etc., remplissent cet intervalle; et la marche n'ar-
rête même pas l'action du feu, qui est constamment ravivé
par un souîllet dont le mouvement correspond à celui des
roues. Deux hommes suffisent pour diriger l'eau et faire tra-
vailler la pompe ; les frais de combustible sont de six sous
d'Angleterre (12 sous de France) par heure.
Le prix d'une de ces machines est de 800 livres sterling;
l'inventeur se charge de fournir un homme accoutumé au
service de la pompe, et prend sur lui tous les frais de répara-
tion pendant 10 ou 20 ans, «elon le* conditions.
;6s F.L'ÎIOPE.
RUSSIE.
PÉTERSBorRG. ■ — Académie des sciences. — Sravccs des mois
de mars et d'avril i8r>o. — M. B.ER a lu un Mémoire sur une
dent de mannnoiilli ou élèpliant fossite^ semblable à la dent de
rdép/iant WJ fri(/iir vivant j et un autre snr les espèces du ; enre
Felis fjiiise iroiiveni en Russie. --— M. yiciiNÉvsK.Y a présenté
trois dessins et une description de Vaarore'boréale, qu'il a ob-
servée le — mars lîSoo. — M. Schmidt a présenté en ma-
nuscrit une grammaire nicngo'e, dont nous parlons plus ba-",
et M. ÎMebtens, une dissertation sur les acalip/ies,cl un
deuxième traité sur les physsophores. ■ — 31. Frkhn a lu
un Mémoire relatif l'i tt'ois médailles des Bulgares du Vol^a du
ix" siècle; et M. B^B, son rapport sur le manuscrit de
M. KiTLiTz, ayant potir objet quelques oiseaux du Chili ; \\
signale avec éioi^e It-s notions ornitbolojjifpies recueillies par
M. Kiilitz pendant son court séjour au Cbili, oi'i il a décou-
vert i)lusietus nouvelles espèces d'oiseaux. — 31. Hamel, au-
teur d'un excellent ouvraj;e sur la Fabrique d' ormes de Toula
(voy. Revue Encyclopédique, janvier 1828, t. xxxvii, p. 126-
12g), a lu un Mémoire daiis lequel il démontre l'utilité dont
il serait pour la science et pour l'industrie manufacturière
d'étudier, avec plus de soin qu'on ne l'a fait jusqu'ici, l'his-
toire naturelle de ces espèces d'oestrus, dont les larves sont
logées sous la peau de divers animaux, où elles se nourris-
sent, et parviennent à leur entière croissance dans des abcès,
qui oceasionent dans le cuir des trous et d'autres défauts,
au.xquels les tanneurs et les chamoiseurs russes donnent le
nom de petite vérole. - — ^-31. Ostuogradsky a fait connaître
(pi'il avait achevé sa dissertation sur les inégalités séculaires des
éli'mcns des planètes ; ce travail doit être adressé à l'Institut de
France. — 31. le g;énéral Bazai^e a présenté son 3Iémoire,
intitulé : Nouvelle démonslralion du binôme de Newlon pour le
cas de l'exposant entier et positif, indépendante de la théorie des
permutations et des combinaisons. — 31. 31ertens, qui a fait
lin voyage autour du monde, a donné des détails sur les pro-
grès rapides delà civilisation parmi les insulaires de l'Océan-
Pacifique; il pense qu'il serait important pour l'histoire de
l'humanité en général, et pour celle de ces insulaires en par-
ticulier, de recueillir tout ce qui a rapport à leur industrie
indigène. En offrant à l'Académie les curioHtés relatives à cet
objet, ([u'il a recueillies pendant son voyage, il a exprimé le
<lé>ir qu'elles forment la base d'un Musée, qui rétmirait tout
RUSSIE. 763
ce que l'Académie possède en l'ait d'Iiahillemens, d'armes,
d'ustensiles, d'ornemens, etc., des peuples sauvages, et dont
une section serait consacrée aux insulaires de l'Océau-Facili-
([ue. — M. RiTLiTz a adressé un Mémoire sur les oiseaux du
gtoupe d'iles de Bouinsima, et une liste d'animaux empaillés
ou conservés dans de l'esprit de vin, qu'il a rapportés de son
voyage autour du monde, ainsi qu'une grande quantité de
plantes du Kamtchatka. Tous ces objets sont offerts à l'Aca-
démie, ainsi qu'une collection géognoslifiue, un portercuille
de 4'5 dessins, de M. Postels, minéralogiste et peintre de
l'expédition du capitaine Litke, et un porlefeuille de 47 des-
sins de 31. MiKHAÏLOv, peintre de l'expédition de la corvette
Mollcr. — On a lu une lettre du capitaine Litke, contenant
les résultats de ses obsevxations sur la pendule, laites a l'Obser-
vatoire de Greenvvich, à Valparaijjo, à Silka, au port de Saint-
Pierre et Saint-Paul (Kamtchatka), à Sainte-Hélène, et à
l'Observatoire de Pétersbourg. — M. Hansteen a été élu
membre honoraire de l'Académie, à l'occasion de l'achève-
ment du voyage qu'il a entrepris en Piussie pour des observa-
tions magnétiques.
Tbavaux publics. — Canaux. ■ — On construit, en Russie,
trois nouveaux canaux qui ont été, commencés en 1825 :
l'un, sous le nom de canal de la Vindnva, est destiné à joindre
cette rivière au JNiémen; le second, doit réunir le Niémen à
la Vistule ; et le troisième, joindre le \ olga à la Moskva.
^'oYAGE AUX COLONIES AMÉRICAINES RUSSES. — Découverte
d'une ilc habitée. — M. KhromtchÉ^ko, dans son voyage qui
a duré environ deux ans, et duquel il est revenu à Kronstadt
en juillet i83o, a découvert, au 7° (j' 5G" de latitude méri-
dionale, et 177° i5"de longitude-est de Greenwich, une pe-
tite ile habitée, qui n'est désignée sur aucune des cartes les
plus récentes, et à laquelle il a donné le nom de Lœwendahl ,
en l'honneur de son premier adjoint; le voyageur a déter-
miné la position de deux groupes d'iles (dont Kotzebue n'a
parlé que d'après les rapporta d'un insulaire), et il en a lait la
description.
Instruction publique. — Statistique universitaire. — !So?n-
bre des élèves en 1829. — hWniversitc de Pétersbourg, qui
comptait, en 1826, 5o élèves, en a en i';y pendant l'année
1829. Le nombre des étudians dans les huit gonvernemens
de son arrondissement, a été de 10,200.
— Le nombre des élèves de VUniversité de Moscou, qui a célé-
bré, en janvier i85o, le 75'" anniversaire de sa londalion, a été,
pendant l'année scolaire 1829, de 660, non compris les
764
ELiROPE.
1 8 candidat*, et 58 cliiiuif^ieiis qui y ont continué leurs étu-
des. Le nombre total (tes élèves, dans les 296 établissemens
d'instruction publique des 07ue gouvernemens de l'arrondis-
sement universitaire, a été de i5,6oi. Ces élèves étaient ré-
partis ainsi qu'il suit :
ROMBBB et CK5RB
des
Établissemens.
SOMBBB
des
Élèves.
NOUBBK et GEKRB
des
Établissemens.
NOMBRE
des
Élèves.
1 1 Gymnases.
1,089
Université
de
Moscou.
716
94 Ecoles
de district.
7,5o6
Pension des nobles,
à Moscou.
27a
i54 Écoles
de paroisse
et primaires.
4,945
Haute École
de Demidov,
a laruslavle.
79
54 Pensions
el Écoles
particulières.
9g4, dont
562 garçons
et 652 filles.
Nombre total dos
Établissemens.
296.
Nombre total
des Élèves.
1 5,601.
Le nombre des élèves a été, en 1829, de i ,5oo plus consi-
dérable qu'en 1828; celui des professeurs et dos maîtres s'est
élevé à 827 ; ce qui fait environ un pour 18 élèves. On a ou-
vert 8 nouvelles écoles paroissiales et 3 nouvelles pensions
particidières.
Les onze gouvernemens de l'arrondissement universitaire
de Moscou se classent dans l'ordre suivant, d'après le nombic
tic leurs élèves :
RUSSIE.
765
MOSIS
Gouvernemens.
NOMBRE
des
Elèves.
NOMS
des
Gouvernemens.
NOMBRE
des
Elèves.
I. Moscou.
5,9"9
7. Tver.
1,187
2. Riazane.
1,395
8. laroslavle.
1,087
5. Toula.
1,589
9. Novg-orod.
1,047
4. A'iadimir.
1,573
10. Tambov.
1,009
5, Orel.
1,571
II. Kùstroma.
654
6. Voronège.
!
1,200
TOTAL.
1 1
TOTAL.
10,601 j
On doit regretter que les autres Universités, celles d'Aijo
(transférée en 1828, aj^rès l'incendie de cette ville, à Helsing--
tbrs) , de PcJershourg, de Kazane, deKharkof, de Dorpatetde
Vilna négligent de pul)lier de semhlal)les documens, avec
lesquels on pourrait dresser un tahieaii statistique très-curieux
de l'état de l'instruction publique en Paissie, et établir les rap-
ports qui existent entie la population de ses différens gouver-
nemens et le nondjre des élèves; car tout ce qui a été publié
jusqu'à présent à ce sujel dans les journaux est inexact et in-
complet. Serge Poltoratzky, (Je Moscou.
Philologie obiestale. — Grammaire de la l-angue mongole,
par M. ScHMiDT. — Cette grammaire est le fruit de longs et cons-
lans travaux. Dans un rapport présenté à l'Académie des
sciences de Pétersbourg, M. Schmidl expose tout ce qui a été-
fait avant lui dans cette branche de la pliilologie orientale, et
prouve que, malgré les excellens travaux de IJever. nos con-
naissances sur le mécanisme de la langue mongole sont encore
Irès-défectueuses. L'Académie, considérant ([ue la piddica-
T. XIVII. SEPTEMBRE 1 83o.
4y
;()() EliUOPE
lion de la grammaire mongole de iVl. Schmidt. reconnu ponr
l'orientaiiSlc le plus versé dans celle langue, sera non-seule-
ment re( ne par le monde savant avec beaucoup d'intérêt,
mais qu'elle sera encore d'une grande utilité ponr la Russie,
a résolu d'en publier, à ses ("rais, deux exilions, l'une avec le
lexle allemand, et l'autre en russe.
Arkhangel. — Beaux- Arts. — Sculpture. — Monument en
bronze d Lomonossor, par Martos. — Le célèbre poète, dont
s'honore la Russie, n'avait eu jusqu'à présent qii'ini simple
sarofipluige élevé à Pélersbourg, sur sa tombe. Une souscrip-
tion, ([ui produisit 5o,ooo roubles, fut ouverte pour lui ériger
un monument, qui se compose de deux figures, dont la plus
grande, de dimension colossale, représente Lomonossov dans
un moment d'inspiration poétique ; son bras droit est étendu;
il tient dans la main gauche une harpe, ornée du chiffre de
l'impératrice Elisabeth, et soutenue par un génie ailé. A l'imi-
tation des anciens, M. Martos a représenté le poète à demi-
nu. Il est debout sur un hémisphère, où l'on voit la partie
septentrionale de la Russie européenne, et les mots : Mer
glaciale et Kholmogory^ lieu de naissance de Lomonossov. Le
tout est en bronze, ayant trois archines et deux verchoks (un
peu plus de deux mètres) de haut, sans compter l'hémisphère.
Cette masse reposera sur un piédestal de granit, dont le de-
vant poilcin en lettres d'or le nom de Lomonossov. La hau-
teur totale du monument est de sept archines et demie (en-
\ iron ciii(| mètres).
Pr.r.ssE PÉRIODIQUE. — Nombre et indication des Journaux pu-
blics eh liussie en langue française ., pendant les années 182;)
et iB5o. — Le nombre des jourHaux en langue française, pu-
bliés en Russie pendant l'année 1829, a été de 7, dont 5 à
Pélersbourg, 5 à Moscou et 1 à Odessa. Deux de ces jour-
naux, publiés à Moscou, ont cessé de paraître : le Bulletin du
Nord, rédigé depuis janvier i8->.8 jusqu'en décembre 1829,
par M. Lecointe de La» eau; sa collection, qui se compose de
24 cahiers mensuels, ou 6 volumes in-8° pour les deux an-
nées, ne peut manquer d'intéresser les étrangers, en leur tai-
sant connaître Us ri hesses scientifiques, littéraires et indus-
trielles de la Russie. On trouve, dans les cahiers de janvier,
lévrier et mais 1S28 de ce Bulletin, un article très-curieux sur
l'état de la Presse périodique en Russie, traduit du Télégraphe
de Moscou (N°'22, 25 et i.\, de 1827), et qui fait connaître, à
quelrpies omissions et inexactitudes près, les titres et l'époque
de publication de tons les Journaux qui ont paru en Russie de-
puis qu'on y a introduit ce genre d'ouvrages (c'est-à-dire, de-
ilUSSIi:. -6;:
puis le commencement du xviii" siècle jusqu'à l'année 1828J;
le lédaclcur Irançais a seulement eu le tort de donner le litre
impropre (.VEspiùt des Journaux russes à des articles (|ui ne
présentent (|u'une simple notice hihliograp/iir/iie. Lo Biil/ciin a
rendu encore à la littérature le service de relever les erreurs
que les journaux étrangers commettent si inconsidéreuiment
et si obstinément, en donnant des articles inexacts sur la iuis-
sie, et en défigurant les noms de nos écrivains; et, quoique
des observations justes et même sévères aient été adressées à
ce sujet dans le cahier de janvieriS2S (p. 28-38) du Bullclin
du No7'd, aux rédacteurs du Journal général de la Littérature
étrangère, publié à Paris depuis trente ans, ces messieurs n'en
ont guère tenu compte, puisqu'ils continuent toujours à of-
frir, sur la liltérature russe, des notions d'une inexactitude
inconcevable, et poussent la négligence au point de faire pa-
raître, au mois A' août i83o, leur cahier de mars. — îl est fort
à regretter que le Bulletin du Nord ait cessé de paraître. — Le
second journal dont nous avons à annoncer la cessation n'a
eu qu'une existence éphénu're : c'est une feuille puiiliée à
Rioscou, sous le titre de Théâtre Français, et distribuée le soir,
à raison de /|0 centmies. Chaque numéro, dont il n'a paruque
5 , en janvier 1829, se composait d'une page in-4°, sur deux
colonnes, et ne dill'érnit du Moniteur des Théâtres, feuille quo-
tidienne, publiée à Paris depuis six ans, qu'en ce qu'il n'avait
pas, comme celle-ci, vingt spectacles à annoncer, et qu'il
tempérait l'aridité de ses annonces en les faisant accompagner
de couplets, de charades, de logogriphes, etc.
Le nombre des journauo) français publiés en Russie, réduit
à 5 par la disparition de deux journaux de Moscou, s'est élevé,
en i85o, jusqu'à 8, dont 4 i> i'étersbourg, 1 à Moscou et
3 à Odessa ; savoir :
I. — Le Journal de Saint-Pétersbourg , politique et littéraire^
paraissant trois fois par semaine, les mardi, jeudi et samedi,
par numéro de quatre pages in-fol. , à deux colonnes. Il fait
suite, depuis le mois de janvier 1826, au Conservateur impar -
tial , publié depuis iSio jusqu'en décembre 1824, deux fois
par semaine, par numéro de quatre pages in-4", sur deux co-
lonnes, comme une continuation du Journul du Nord. Le
Journal de Pétersbourg, rédigé au ministère des affaires étran-
gères est, pour ainsi dire, le Moniteur russe; car il donne les
nouvelles officielles, diploni.atiques et celles de la cour, avant
les journaux russes. On y trouve peu d'articles relatifs à la
littérature rus^e ; ceux qui ont rapport à la statistique, au
commerce et à l'industrie, sont traduits, en grande partie,
des journaux du pays.
768 ELROPE.
2.- — Le Journal des Voies de communication. — Cette inté-
ressante publication, que la Revue Encyclopédique a t'ait con-
naître avec détail (mars 1828, t. xxxvii, p. 713-716), datr
du mois de juillet i8ii6, et n'a paru régulièrement que pen-
dant six mois, après lesquels elle a malheureusement éprouvé
des interruptious continiiellos ; an lieu de 24 livraisons men-
suelles, qui ont été promises pour ladeuxannécs 1827 et 1828,
on n'a publié que six numéros de ce journal (de 7 à 12), et,
pour l'iituiée 1829, seulement deux (numéros i3 et i^). I-c
\5'°' cahier a paru en janvier i85o, et le 16°"' an juin; ou réi-
tère la promesse de le publier avec plus d'exactitude; ce qui
est à désirer, dans l'intérêt des sciences. Chaque livraison est
aussi publiée en russe; prix des 12 cahiers in-S", 4^ francs, et
80 fr. pour le journal dans les deux langues.
j. — Le Furet, journal de la littérature et des théâtres , pu-
blié à Pétersbourg depuis le mois de juillet 1829, par M. Saist-
JiLLiEN, les mercredi et dimanche, par numéro de q>ialre
pages in-4" sur deux colonnes. C'est une pâle imitation du
malin et spirituel Figaro, et du caustique Corsaire. Le Furet ne
vit, en grande «artie, que d'emprunts : c'est, en petit format,
un Voleur, un Pirate, un Conipila/eitr, un Cabinet de lecture.
4. — Mélanges làtéraircs, publiés à Pétersbourg, par
M°" LA^SKOY-^ ii.LAMOv ; les quatre premières liTraisons pour
l'année i85o forment un volume in-8'', d'environ 3oo pages.
Le prix de la souscription est de 3o roubles.
5. — Bulletin de laSoeiétc des Naturalistes de Moscou, publié
depuis le mois de mai 1829, sous la direction de M. Fischer.
La première année de ce Bulletin, auquel on ne s'abonne pas,
miiis qui se distribue gratis aux membres de la Société et aux
amis des sciences, forme un volume in-8° composé de douze
numéros. Le premier numéro de la seconde année a paru eu
mai 1800. Il est à désirer que li publication de ce Bulletin
n'éprouve pas d'interruption, et (ju'elle ait lieu régulièrement
tous les mois, conformément aux promesses du prospectus. Ce
Bulletin est le seul journal français (pi'on publie cette année
à Moscou.
6. — Le ^ournal d'Odessa, commencé au mois d'avril 1820,
parut d'abord sous le titre de Messager de la Russie méridio-
nale, doux fois par semaine, par numéros de quatre pages
in-4"sur deux colonnes. En juillet 1821, il fut aussi publié en
langue russe, mais cela ne fui pas continué; en novembre
1820, il changea son titre, et fut intitulé -.Journal d'Odessa, ou
Courrier commercial de la nouvelle Russie. Depuis le mois de
j'invier 1827, il est imprimé dans les deux langues r«.v<î<' et /»««-
RISSIK. ;(;.)
fiilse, et parail jusqu'à [»iésuntaveo exactitude tous le» iiiei-
cretli cl les .samedi, [>ar numéros de 4 p!io<-'''> format iu-ful.,
soiis le litre de Journal d'Odessa, eu russe : Odcsski F éstnik.
<!ette leuille, couHue déjà des lecteurs de la Revue Encyclo-
pédique ^voy. novembre 1H27, t. xxxvi, p. 389-090), est très-
intéressante <!t offre beaucoup d'articles instructifs et impor-
tans sur les provinces méridionales de la Russie.
J-. — Feuille de commerce, paraissant low?, \c% samedis , par
numéro de deux pages in-fol. sur deux colonnes, depuis le
mois de janvier i85o, et distribuée avec le Journal d'' Odessa.
8. ■ — Bulletin de la Société agronomique de la Russie méridio-
nale. Le premier numéro de ce Bulletin, publié dans les deux
langues russe et française, a paru en juillet i85o, sous la forme
de Supplément au Journal d'Odessa; il contient un court avant-
propos dans lequel les rédacteurs indiquent les motifs qui ont
déterminé la Société agronomique, établie depuis peu de tem?
à Odessa, à cette publication, et donnent l'aperçu suivant de
la marche qu'ils se proposent^de suivre. «Les rédacteurs, ap-
préciant à sa juste yaleur la tâche qu'ils ont à remplir, pu-
blieront de_'préférenoe les travaux déjà approuvés des au très So-
ciétés d'agriculture, avec lesquelles ils sont en relation. Uépan-
dre toutes les découvertes et les perfeclionnemens, dont l'éco-
nomie rurale est l'objet, lorsqu'ils seront utiles et applicables
à ces provinces, appeler l'attention des propiiétaires sur cette
branche d'industrie non er.core explorée, et, en réveillant leur
sollicitude, opérer des améliorations dans l'économie rurale
de la Russie méridionale, tel sera l'objet des efforts des rédac-
tems, et ils s'estimeront heureux s'ils ne deviennent point
entièrement infructueux. Les vieilles routines ont des racines
profondes. Les hommes y tiennent comme à une partie de
l'héritage qu'ils ont reçu de leurs pères. Yoilà quel a toujours
été le plus graiid obstacle à l'avancement des sciences agri-
coles. iSous espérons que tous les propriétaires se réuniront
d'intention avec nous, et contribueront aux progi'ès de la
science dans cette province par l'application des nouvelles
méthodes. Nous recevrons avec infiniment de reconnaissance
les observations qu'ils auront faites, et, si la sphère rétrécie
de cet écrit ne nous permet pas de les publier, nous eu pro-
literons pour rectifier des théories agronomiques, qiiel{[uefois
séduisantes, mais souvent inapplicables. <i — Ce Bulletin est
adressé sans rétribution aux aboiniés du Journal d'Odessa.
S. r— Y.
77^' EIUIOPE.
ALLEMAGNE.
AtxaiCHE. — Proip'èfide C industrie. ■ — Depuis ci(iq an?, trois
ohemiiis de l'er ont été construits en Autriche par des compa-
gnies particulières. Le plus grand sera celui qui va de la ri-
vière.Moldau (en Bohême, confins de la Bavière) jusqu'au Da-
nube. Sa longueur excède déjà i5,/jOO cordes : la corde est
une mesure égale à six pieds d'Allemagne. 11 est question aussi
d'établir sur plusieurs fleuves des j)onts suspendus. L'indus-
trie et le commerce .-ombicnt avoir pris dernièrement une
nouvelle inq)idsinn, mais jiisqu'ici le mouvement ne se lait
sentir (ju'eu Autriche.
Brlnswick. — Nouvelle édition des Œuvres de J. H. Campe.
— Parmi le grand nombre de bons écrivains pour la jeunesse
querAlIcmagne a produits, le vénérable Campe, cet ami bien-
veillant de l'enfance, u'eût-il écrit que le Nouveau Ilobinson,
ouvrage traduit dans toutes les langues, aurait encore des
droits incontestables à notre reconnaissance. Cet ouvrage, et
tous ceux qu'il a composés, ont eu, lors de leur publica-
tion , (me grande influence sur le perfectionnement de l'édu-
cation, et le mérite réel de la plup.'rt d'entre eux fait qu'ils
conserveront cette bienlaisante influence long-tem^ encore.
Il e.-t donc intéressant «l'apprendre que 11. \ ievvig , gendre
de feu Campe, va publier une nouvelle édition complète de
tous les ouvrages de celui-ci destinés à l'enfance et à la jeu-
nesse. La collection formera 07 vol. in-12, pour le modique
prix de souscription de 10 rixdales. Voici quelle sera la dis-
position des volumes : Le 1" est l'Abécédaire, avec 24 g""''"
vurescoloriées; lessuivans, dea-;, la Petite Bibliothèque pour
les Enfans , 0 gravures; — 8, Psycologie pour les En-
fans, 5 gravures; — 9, le Petit Livre de Morale, une gra-
vure; — 12-14. 's Découverte de l'Amérique, 3 gravures et
5 cartes de géographie; — i5, Livre d'Estampes historiques,
iS feuille?; — 16, Règles de prudence pour la Jeunesse, une
gravure; — 17-55, les deux Collections de Voyages, etc.,
i() gravures et plusieurs cartes ; — 36, Conseils d'un père à sa
Fille; et, enfin, 37, Théophron , ou Conseils de l'expérience
pour la jeunesse. J — h de Li'Cenav.
SUISSE.
Découvertes d' Antiquités. — On sait combien le. sol de la
Suisse est riche en dcbri.s de la domination romaine, auxquels
SILSSK. ;;,
>i; ai«~'l»'iU (juil(|ii(!- Iiac(;s du pas.siigc, vA du .scjuui' de? liordrs
barl)are^ qui out proineiié la désoialiou sur la surlacc de l'Eu-
rupo. Malf^ré les louillcs ahoudaiilcs laites dans quclques-utis
doseaiitous, il reste encore ;\ glauer dan^^ tes cliauips souter-
rains , et cha(|ue année on découvre des objets de (jucUiuc
ititérèt. Nous réunissons ici une partie des découvtnles les
plus récentes ou les pins curieuses.
îl y plusieurs années que, dans le canton de Zurich, a iuie
dcnii-licue de la ville de "NVintertlicjur, on construisit une fila-
tm'e au bord de laTœss, sur un roc de molasse, lin creusant
les l'ondemens et les caves dans ce roc, on y vit beaucoup de
fissmes, dont plusieurs contenaient un {;rand nniubre de de-
mi-cylindres de métal, semblables à des canons de fusil par-
tagés en deux dans leur longueur; des barres de métal, d'un
pouce d'épaisseur sur âeux et demi ou trois pieds de lonji, et
terminés, à leur extrémité la plus large, par un bouton sphé-
rique d'environ deux lignes de diamètre; plusieurs exemplai-
res d'un instrument lait d'airain de Corintlie , mais dont on
ignore l'usage; il est plat, long de quatre pouces, renflé dc^
deux côtés vers le milieu, l'extrémité la plus large arron-
die, fort tranchante, à Texlrémité phis étroite une entaille.
(Un instrument tout sciiibiable , mais de pbis grandes
dimensions et de métal plus grossier, fut trouvé, il y u
huit ans, daijs luie tourbière, à une demi -lieue de Zu-
rich, près de ^Vicdikon.) Enfin, le roc de molasse leuferuiait
encore, dans ses lentes, des lames d'épées et de poignaids,
et plus loin un canal de trois pieds de longiteur et de
profondeur, dans lequel étaient des charbons et des lesies de
cadavres humains. I.e propriétaire du sol, et par conséquent,
des objets découverts, mécanicien habile, mais sans instruc-
tion scientifique, n'a conservé qu'un seul exen)plaire des bar-
jes de métal et de l'instrument inconnu ; il s'est servi de tout
le reste pour si s fabrications. Ce n'est que plusieurs années
après qu'un homme instruit a eu connaissance de cette décou-
verte, dont il a bien voulu nous faire part.
Une ville des Rouraques, célèbre du tcmsde la domination
des Romains en Helvétie, puis détruite par les Huns, en/|5o.
a laissé son nom au petit village d\^€ugst, dans le cantcn dv
BTde. Malgré les nombreuses fouilles et découvertes faites ^nr
cet emplacement d'une ville jadis florissante, on continue
avec succès à exploiter ce sol fertile en mouuniens historiques.
On y a retrouvé, entre autres, des sépulcres, un aqueduc bien
conserA'é , une grande route qui y conduisait de "Vindonissa,
la ville la plus brillante de l'Helvéli*' romaine, dont le nom
7^3 Etnori;.
^'est conservé dans celui du village de "NN indisuh . ;iu canionr
d'Argovie. L'automne dernier, M. Schmidt, labriiaut de pa-
pier, a découvert, à un pied et demi de profondeur, deux su-
perbes mosaïques, sous lesquelles on croit qu'il existe de vas-
tes bains, Il est propriétaire du théâtre romain, fort spacieux,
et il possède une riclieroUection d'antiquités trouvées à Aeugsf,
médailles, ustensiles, divinités, etc. Un ingénieur, M. Frey,
a levé le plan de l'enceinte dans laquelle ce* monumens de la
ville d'Augusta ont été retrouvés.
Aux environs de Nidau, j etite ville à l'extrémité orientale du
tac de Bienne. dans le canton de Berne, on a souvent aperçu des
traces des établissemens que les Romains avaient formés dans
cette contrée. Au pied du Jensberg, situé à quelque distance
de la ville, on avait déjà précédemment déterré des médailles
romaines. Des fouilles ordonnées au printems dernier par
le préfet ont fait découvrir des monnaies romaines, et des
vases en terre, ornés de figures en reliefs de divinités, d'hom-
mes et d'animaux. Le gouvernement a mis à la disposition de
la curatelle, ou commission académique, une somme pour
faire continuer les fouilles, sous sa direction. Des antiquaires
présument que l'emplacement en question fut celui de l'an-
cienne Pclinesca ; les découvertes qu'où fera aideront peut-
être à éclaircir celle question.
A l'extrémité opposée du même lac, sur les confins des can-
tons de Berne et de Neucliâtel , il existait sans doute du tems
des Romains une ville considérable. Le sol y recèle des mé-
dailles romaines; les vignerons en rencontient de tems en
tems sous leur lioyau ; au commencement du mois de juin
dern'er, on en a trouvé une en cuivre, de Constantin-le-Grand.
L'espace dans lequel se voient tant de vestiges de la présence
des vainqueurs de l'Ilelvétie est estimé avoir 5,ooo pieds
en longueur; un pan de mur semble attester encore qu'il y
avait là une ville.
Vers le même tems, à deux lieues de ia ville de Berne, dans
la direction orientale, au bord d'un bois, un paysan, ayant
arraché un sapin , vit sous les racines une médaille romaine
d'une moyenne grandeur, d'airain de Corinlhe, légèrement
argenté; l'inscription porte : .¥.. IL Fa". DiV^.S A^G^S-
T^ S. (Auguste est rcpié>^enti; avec une couronne d'é-
toiles. ) CONSENS\ SK>. OUDIN. EQ. PQH. La figure
qui se trouve sur le revers tient une branche d'olivier à la
main. Une route romaine passait dans celte contrée; peut-
èlre aboutissait-elle au lac de Thouu, silué a (|uelques lieues
de là . au midi.
SLISSE. ;;:>
Ali luoi;; de mai, le ■idiiveinemciit ihiirisorim fit faire de?
travaux sur la grande roule qui longe le lUiin et l'extiémité
occidentale du lac de C()n>tance. Dans les derniers jours du
mois on trouva, à i4 pieds de profondeur, des monnaies d'ar-
gent très-fin qui avaient conservé tout leur brillant primitif.
Trois des pièces présentent d'un côté l'inscription suivante
autour d'un croix : CARLVS RE 7 Fil 7 ; sur le revers l'une
porte : MliTVLLO 7; la seconde. MEDIOL 7; la troisième,
PAPIA, et au milieu un signe qui se refuse à la description.
Chacune de ces trois pièces pèse 35 grains. Toutes les autres ,
au nombre d'une trentaine, du poids de 52 grains, paraissent
provenir des Sarrasins. Les mêmes caractères se trouvent sur
l'un des côtés de ces pièces; mais sur les revers chacune a
quelque chose de particulier, en sorte qu'il n'y en a pas deux
qui se ressemblent parfaitement. Avant d'arriver à ces mon-
naies, on trouva dans le même emplacement quelques osse-
mens humains et un éperon presque détruit par la rouille.
L'état du sol fait présumer que ces objets étaient là par suite
d'un éboulement.
A Cormevoz, Milluge fribourgeois , situé à cinq quarts de
lieue d'Avenche (ancienne Aventicum), un paysan, ayant ar-
raché un arbre, découvrit sous les racines un beau pavé en
mosaïque , bien conservé, d'environ vingt pieds carrés. Au
centre, on voit un médaillon d'à peu près quatre pieds de dia-
mètre, qui représente Thésée tuant le .Minotaure. Le large
cercle qui entoure le médaillon, et occupe presque tout le carré
à l'exception des angles, est divisé en huit compartimen? dont
le dessin' symétrique et uniforme offre un symbole du lab\'-
rinthe.
Un artiste de Lausanne, distingué par son talent, son goût
et son savoir, a dessiné le médaillon sur les lieux; il enpot'te
le jugement suivant : «Il existe sans doute des mosaïques plus
belles et infiniment plus soignées dans l'exécution : mais celle-
ci se distingue par sa dimension et par une exécution large.
L'attitude de chaque figure est très-convenable, le Alinotaure
est beau. La composition est d'un artiste habile ; mais l'exé-
cution se ressent de l'éloiguement de Home, et peut-être aussi
d'un commencement de dégenération dans l'ait. La main de
Thésée et celle du Minotaure laissent lieaucoup à désirer, sous
le rapport de la régularité du dessin. »
Cette uîosaïquc appartient probablement a une villa des
environs d'Aventiciuii. Les antiquités qu'on dccuu\ re encoiT
chaque année dans l'emplacement de celte cite romaine, at-
testent sa vaste étendue et sa splendeur. Le guuvernemcal
;;4 EUROPE.
rnboiirgcdis se piopo.-'C, dit-on, de faire transportorà Frii)ouii;
la mosaïque découverte il y a quelques semaines, et de jetci
ainsi les l'ondeniens d'un Musée. 11 est à craindre (jue ce mor-
ceau précieux ne souffre dans le transport.
Le gouvernement raudois , de son côté, a autorisé les con-
servateurs des antiquités cantonnales à construire un Musée
à Avenche, pour y recueillir les débris mobiles d'Aventicum,
et donner à ces antiquités plus de prix, en les laissant rappro-
chés des monumens immobiles qu'on voit en j;rand nombre
dans l'enceinte et dans les environs d'Avenche, humble ville
qui n'a conservé de la magnifique cité qu'elle remplace que
des ruines et des souvenirs. 1-e canton de Vaud possède ;i
Lausanne un Musée central; néanmoins, le gouvernement
a préféré avec sagesse , pour cette partie considérable de
nos antiquités, l'intérêt de la couleur locale aux avantages
généraux de la centralisation.
Parmi les découvertes qui se font annuellement à Avenche
et dans les environs, une, laite en i823, mérite d'être remar-
quée. Sous une masse considérable de plâtras, le hasard fit
apercevoir des débris de l'ancienne ville. On fouilla, et l'oi'
trouva des colonnes de marbre, des aigles d'albâtre, im mur
encore debout avec des peintures à fresque, et non loin de là
un aqueduc en marbre blanc et poli. C'étaient sans doute les
restes du palais de quelque personnage considérable. — Les
fouilles entreprises par les propriétaires de fonds de terre
n'ont guère pour objet que de trouver des matériaux de con-
struction; elles suivent la ligne des murs. L'idée de diriger
les fouilles dans l'intérêt de la science, et de découvrir les
traces du plan de la cité (jui dut aux îlomains un si haut point
de splendeur, incontestablement fort intéressante, nous pa-
raît impo<*sible à exécuter sans d'énormes sacrifices. Des
champs et des prés couvrent l'antique ville: qui consentirait
à sTcrifier ses récoltes à des investigations de pure curiosité
scientifi(|ue ? Nul doute cependant (|ue le zèle des conserva-
teurs et l'intérêt que le gouvernement fait voir pour cette
partie de l'histoire cantonuale ne se soient communiqués à un
grand nombre des habilans d'Avenche. Lu des conservateurs
s'est sagement attaché à une idée plus praticable que celle de
fouilles systémali(|ues, c'est de dresser un procès-verbal dé-
taillé de celles (|ui ont été faites ou qui se feront encore.
Quoiqu'il n'ait été ([ueslion dans cet article que d'antif|iii-
tés découvertes en Suisse, <;e ne sera pas trop s'écarter du su-
jet que de mentionner un don d'objets analogues que vi<:ul
de recevoir la Bibliothèque publique de Berne, d'un régiment
SUISSE. y;r5
bernois, au service de Naples , stationné à Nola , celte vieille
cc.lonie étrusque dont les potiers jouissaient d'une céléhiilé
immense. Le corps des officiers de ce régiment a fait faire à
ses trais des fouilles dans des tombeaux souterrains d'une
baute antiquité. 11 a acquis par Ce moyen une collection de
deux cent treize vases, dont plus d'une douzaine sont d'une
grandeur et d'une beauté remarquables, enrichis de figures et
d'autres ornemens, tantôt rouges sur un fond noir, tantôt
noirs sur un fond rouge. On ne peut qu'admirer le bon goût
des formes et des ornemens. L'un des vases de première gran-
deur est d'une espèce très -rare, vu le caractère des ligures et
deux courtes inscriptions grecques : aussi la commission de
surveillance, sans l'autorisaticm de laquelle on ne peut sortir
du royaume aucun objet d'antiquité, désirait-elle vivement
acquérir ce morceau pour le Musée royal; il n'a fallu rien
moins qu'une intervention supérieure pour que les premiers
acquéreurs pussent le conserver. La collection complète
vient d'arriver à Berne, parfaitement bien conditionnée. On y
a joint un modèle en relief d'un tombeau antique, pour ftiire
bien comprendre la place qu'y occupent ces sortes de vases.
On nous promet la prochaine publication d'une description
raisonnée de la collection, accompagnée de planches litho-
graphiées.
En voyant cette féconde exploitation du sol helvétique, il
est impossible de ne pas désirer qu'il se forme , à côté de tant
d'autres associations, une société (Cantiquaires suisses. Atten-
tive à toutes les découvertes, elle veillerait à ce qu'aucun ob-
jet de quelque prix ne se perdît, ou ne restât dans des mains
barbares; sans prétendre centraliser les collections, elle cen-
traliserait la connaissance des découvertes éparses, lierait sys-
tématiquement entre elles, par des catalogues raisonnes, les
diverses collections cantonnales ou personnelles, et saurait
ainsi tout ensemble conservera ces restes d'une ancienne ci-
vilisation une physionomie locale, et en nationaliser l'étude.
Nous soumettons ce vœu à ceux de nos compatriotes qui ont
fait leurs preuves dans cette branche d'éi udition.
C. MONNARD.
GmsoNS. — Histoire naturelle. — • Au commencement de
mai, on a tué dans la Haule-Eiigadine un oiseau ries contrées
les plus septentrionales, le grand plongeon de la mer du Nord
(cotymhiis glacialisj. Il pesait sept livres. Cet oiseau entre-
prend quelquefois en hiver des voyages lointains.
-;(> EUROPE.
GRÈCE.
ExTKAiT d'une Lettre acirc^si'e au Direcleiir- Fondateur de la
Revue Encycloi'Édiqve : Situation générale ; Ferme modèle ;
Orphanolrophe. — Écoles Normales. — Paras et Nauplie,
17 mai et i5 juin. — « A force de persévérance, chaque par-
lie de l'administration s'améliore; mais les progrès sont lents;
ils le seraient moins, si nous étions délivrés de quelques intri-
gans qui se mêlent de nos affaires sans titre ni Aocation.
«Je ne vous parle pas des projets conternant l'agriculture,
les arts et métiers, les colonies, etc.; tout ceci pourra se faire;
mais avant tout, il faut savoir comment et par qui. Dans l'é-
tat actuel des choses, et tant que l'administration de la Grèce
ne sortira pas du provisoire, il est impossible de rien pro-
mettre. J'aime à penser que, sous peu, nous saurons ce qui
en adviendra du gouvernement; le nouveau souverain décla-
rera ses intentions.
« La ferme modèle établie à ïyrinthe, entre Nauplie et
Argos, avance. M. Paléologue fait espérer que cet établisse-
ment prospérera. Avant l'automne, l'école de celle ferme
renfermera au moins 24 élèves. L'orphanolrophe , à Egine,
va très-bien; il contient cinq cents ent'ans, et un nombre con-
sidérable d'entre eux se distinguent dans la gramujaire, le
dessin et la musique; une vingtaine ont été placés dans la
marine, et par leur discipline servent de modèles aux vieilles
moustaches.
» On eu a envoyé une quarantaine à Nauplie, pour y appren-
dre'les étals de lailleui',detourneur cl de charpentier. Presque
tous réussissent. A côté de l'orphanolrophe d'Egine, sont en
pleine activité deux écoles normales, l'imepour l'enseignement
mutuel, l'autre pour les éludes supérieures. Elles sont sous la di-
rection de M. McsTOXiDi; elles comptent environ troiscents élè-
ves, et, suivant toute apparence, en contiendront sous peu le
double. Ou ne peul qu'éprouver un sentiment de surpiise et
de joie, en voyant ces jeunes gens, sortis depuis un an des té-
nèbres de l'ignorance et des horreurs de la miscre, faire des
progrès aussi rapides et aussi extraordinaires.
Que les espérances qu'ils nous donnent sont douces et- flat-
teuses, que celle rrconipense tic l'intérêt (ju'on leur porte est
satisluisante !
Nauplie sort un peu de ses ruines et de >es marais; ou y
b.ilit bejiucouj). Il en est de même de Tripolitza, de Patras,
de (]orinthc et d'aulriîs villc.^. (iliaque province possède à cette
GRIXE. >77;
heure, une ou deux écoles d'enseignenjent mutuel. Paros csl
bien changé, les ri:cs y sont pj-opres ; on a établi un jardin
public; là où il n'y avait que des rochers est une école d'en-
seignement mulucl ])our trois cents écoliers; on va construire
un quai le long de la nier, depuis la mairie jusqu'à l'ancien
arsenal, et on coninieuce à bâtir un uDuvel arsenal ; en un
mot, cette ville est tellement embellie et améloirée qu'à peine
est-elle reconnaissable.
M. IMaiin, jeune pharmacien plein de zèle et d'instruction,
qui, après êlie resté quelques mois en qualité d'aide pharma-
cien, chez M. Moiin, à Genève, s'était décidé à offrir à la
Grèce ses services et ses talens, vient d'y être nommé phar-
macien des troupes régulières , et directeur de la pliarmacie
centrale. Z.
Code de Commerce français adopté en Grèce.- — Sur la demande
des négocians grecs, le Code de Commerce français a été mis
en vigueur dans les Etats de l'Hellade. Les dispositions si con-
fuses de la législation civile dans ce pays font regretter vive-
ment que la même mesvire n'ait pas été étendue aux auli'cs
Codes qui nous régissent. L'identité de législation entre les
peuples, en simplifiant leurs l'apports , forme un des liens les
plus puissans de la civilisation, et nos Codes ont été pris pour
modèles par toutes les nations qui ont jugé utile d'apporter
quelques réformes à leur législation antérieure.
Etablissement d'une monnaie. — Un atelier pour frapper
les monnaies vient d'être créé à Lginc, par les soins de M. de
CAPO-d'IssTRiAS. Il a placé à la tête de cet étaldissement un Ar-
ménien, anciennement employé à Constanlinople. Les pièces
sorties des ateliers sont passablement frappées. L'unité mo-
nétaire grecque a été fixée à 90 centimes. La pièce d'argent
de cette valeur poile le nom de Phéniw. On n'a point encore
frappé de multiples de cette monnaie, qui a déjà été contre-
faite.
Suppression du journal : l'Atrore. — Peu de tems après
l'établissement du gouvernement grec à Napoli de llomani,
un Grec, W. AistosidÈs , armateur à Candie, a fait paraître
un recueil périodique, intitulé : L'//«rore, Hw?. Ce journal,
(|ui traitait de la politique, de l'agriciiltute, du commerce et
de la littérature, était faiblement rédigé. Cependant, on a
jugé que son exi.'^tence pouvait compromettre la tranquillité
du pays; il n'a pu paraître que durant trois mois, et il a été
supprimé. Bien que les sciences et les arts n'aient pas à le re-
gretter, on a généralement désapprouvé les mesures prises à
cette occasion par le gouvernement, qui est ainsi resté le
maître des deux seules gazettes publiées dans le pays. E. G.
7;8 EUJIOPE — BELGIQUE.
BELGIQUE.
Statistique. — Population. — Diins un moment oi^ le })eu-
pie belge liitle avec une constance héroïque pour conquérir
à la fois sa liberté politique et son indépendance nationale ;
quand tous les cœurs généreux, en Europe, palpitent d'une af-
fection sympathique et profonde pour cette population levée
loutentière contre ses oppresseurs, nos lecteurs ne liront point
sans intérêt le tableau ci-après de la population des principa-
les villes des Pays-Bas. Ils y verront la preuve qu'il est im-
possible à la Hollande de maintenir, avec les forces militai-
res dont elle peut disposer, l'union malheureuse de deux
peuples qui différent de religion, de langage, do mœurs, d'in-
térêts, et qui n'avaient été associés, contre leur volonté etcon-
Ire la nature des choses, que par la combinaison diplomatique
la plus déplorable et la plus criminelle.
Population des principales villes des Pays-Bas.
Brcxellbs io5,noo liabitans. Liège 5o,ooo habilaiîs.
LoovAiîf 25,5oo AnvERs 65,ooo
Gand 65,000 Maêstricht. , . . jy,ooo
liBL'GES 35,000 Namih IJ,000
MoAS 20,000 Tournai 24,000
Des calculs statistiques de notre savant collaborateur
'\I. IMouEAr DE JoN>Ès font connaître, d'après des bases nii-
ihentiqucs, à quel nombre peut s'élever la levée en masse des
provinces belges. La population de ce pays étant de qi'Aïre
MILLIONS d'habitans, le nombre d'hommes âgés de quinze ans
à soixante, et capable de porter les armes en cas d'invasion,
est composé des cinq séries suivantes :
Agés de i5 à 20 ans i-9,jç)i honiines.
— de 20 à 5o 527,582
— de 3o à 4o 28 1 ,075
— de 4u à 5o 252,095
— de 5o à 60 178,588
Total de la levée en masse 1,198,000
On compte, dans celte masse, 840 mille hommes âgés de 20
à ."io ans, et propres au service militaire le plus iiclif. Il sulfit
de ces nombres pour donner au peuple belge la conscience de
^es forces, et ])oi;r lui f;iire sentir qu'il dépend de lui de ré-
gler sa destinée et île se constituer <!n Etat lilire et imlépen-
dant.
FllANCE. — DEFARTEMENS. -".j
FRANCE.
DÉPARTEMENS.
TdiîLovsE. [HauU-Garotine.) — Prix proposes. — L' yiradcnnc
royale des Sciences de celle ville propose la queslion suivanle,
pour le prix qui sera décerné en i833. « Indiquer les circonstan-
ces dans lesquelles le minerai de 1er extrait des mines de Rancié.
et traité dans les forges catalanes des Pyrénées, y produit une
>;orte d'acier naturel, dit fer cédât, ovtfer fort, dans le pays, par
opposition au fer doux que l'on retire habilueileiaeut de ces
mêmes forges. Déterminer ensuite les conditions qui assu-
rent la production du fer fort de manière à l'obtenir a vo-
lonîé. >i La solution des deux parties de la queslion doit être
fomlée sur des faits observés dans les forges catalanes, et
constatés d'une manière authentique. Le prix est une mé-
daille d'or de la valeur de 5oo fr.
Pour l'année 1 8.5a, im prix double (médailled'or de i ,000 i'r.)
sera décerné à une théorie physico-mathématique des pompes
aspirantes et foulantes, faisant connaître le rapport enti(! la
force motrice et la quantité d'eau élevée à une hauteur dan-
née, en ajMut égard aux principaux obstacles que la force doit
surmonter.
Les lettres et mémoires seront adressés à M. D'Aubtssos
nEsvoisi>s. secrétaire perpétuel de l' A<adémie ; le terme de
rigueur pour qu'ils soient admis au concours est le i" fé\rier.
— académie des Jeux floraux: — Prix décernés ea\ 85o. A la
séance du o mai , on a couronné les auteurs des pièces sui-
vantes : '."Attila., ode, par M. GriLniro de Lavergne, a rem-
porté le prix réservé du genre : — 2" La Jeune Veuve à son
Fils, ode élégiaquc, par )!, ïîrel de la Martimère, a obl<'nu
une violette réservée: — 5° Florette, poème, par M. Guir,-
uiTD de Lavergxe, a remporté le prix de l'année; — 4" ^^
Jeune Fille, élégie, par M. Tirel de la MartiniÈre, a rem-
porté le prix de l'année; — 5° Le Retour du Bal, élégie,
par M. Mafge, a obtenu un prix réservé du genre ; — 6° Les
Deux Sœurs, hymne à la\'ierge, par M. Adolphe de Pii-
BrsQrE, a remporté le prix de l'année; — 7° Le sujet de dis-
cours proposé par l'Académie était la question suivante :
Quels axantages peuvent retirer nos écrivains de la lecture des au-
teurs fran{'ais antérieurs au iisif siècle? yi. Granié (du Gers)
( l M. GxiLHArD DE Lavergne ont obtenu chacun mie églan-
tine d'or. — L'Académie propose pour le sujet du discours mis
780 FRANCE.
au concours de i83i, la question suivante : Est-ce par t'imita^
tion ou par l'invention que la liitératiire française a faille plus de
progrès? Pour le coiicom-.sde 1 83i, les auteurs feront remettre,
par une personne domiciliée ùToulouse, trois copies de chaque
ouATOge à M. ôe Malaret , secrétaire perpétuel, qui en don-
nera un récépissé.
— Société royale d'Agriculture du département de la Haute-
Garonne. — Le grand piix d'hoimeur pour l'amélioration des
laines sera décerné dans la séance publique du 24 juin i83i.
Ce prix consiste en houlettes de vermeil et d'argent.
PARIS.
ÏNSTiTrT. — Académie des Sciences. — Séances du mois de sep-
tembre j 8jo. — Séance du 6. — >1°"' Evde, sage-femme, présente
l'enfant à double train de derrière, dont il a été question dans
laprécédente séance. — M. Geoffroy-Saint-Hilaire lit un Mé-
moire à ce sujet, où il fait connaître ce qu'il y a de particulier
et d'incomplet dans ces membranes surnuméraires. — M. Gay-
Lussac annonce que M. Braconnot, de Nancy, a découvert
dans le peuplier la substance nommée salicine, et une autre
substance, qu'il regarde comme nouvelle, et qu'il nomme po-
pulinc.' — MM. Cuvier et Duinèril i'oni un rapport sur le Mé-
moire de M. ]5rescfiet, relatif à l'organe de l'audition de quel-
ques poissons. En voici les conclusions :« Les fonctions des
parties de l'oreille sont encore si obscures que l'on ne peut
trop s'occuper de discerner ce que ces parties ont de constant
et de variable, pour arriver à fixer leur essence ; et la classe
des poissons présentant à cet égard plus de variations qu'au-
cune autre, c'est sur elle que l'attention des anatomistes doit
naturellement se porter. Les observations de M. Breschet
confiiment en partie ce qui a été vu le plus récemment par
les anatomistes qui l'ont précédé, el elles offrent plusieurs
particularités nouvelles. Nous en avons vérifié une grande
partie, principaleiaent celles qui concernent l'alose, l'estur-
geon, la carpe et la raie. Nous nous sommes assez convaincus
de l'exactitude scrupuleuse de l'auteur pour ne faire aucun
doute que l'on ne vérifie de la même manière celles que nous
n'avons pas eu l'occasion de réf)éter. Nous pensons donc que
l'Académie doit accueillir favorablement ce travail, et en or-
doiuier l'impression dans les Mémoires des savans étrangers,
si l'auteur ne le l'ail pas paraître auparavant par quelque autre
voie. (Approuvé.) — - MM. Gay-Lussac et Scrullas font un
rapport >nr le Mémoire de "M. Lecam', relatif à la matière en-
1»A111S. ;8i
îorante du sang ou lu-matosine. » En résumant ce qui précède,
dit en terminant M. le rapporteur, on trouve que la matière co-
lorante lia sang ou hématosine n'e^t pas un principe immé-
diat, mais une combinaison d'albumine et d'une substance
colorante particulière que M. Lecanu, à l'aide d'im procédé
facile et qu'il décrit avec soin, e^t parvenu à isoler. Il propose
de nommer cette substance glohuline, en lui assignant les ca-
ractères suivans : i° d'être d'un beau rouge à l'étal d'hjdrate,
et d'un rouge brun à l'état sec ; 2° de contenir, ce qu'il est fa-
cile de démontrer par l'incinération, les 0,174 t'c son poids
de fer; c'est-à-dire une quantité double de celle qu'on a trou-
vée dans la matière de .Al. Berzélius, et par consé(iuent pro-
portionnelle à la quantité d'albumine qui en a été séparée;
5° d'être très-soluble dans les alcalis, et Ijeaucoup plus que ne
l'est l'albumine coagulée, car il sufTit de deux ou trois gouttes
d'eau de potasse ou d'ammoniaque pour en dissoudre très-
promptenient,plusieurs grammes ; 4° enfin, et c'est une de ses
propriétés les plus remarquables, de former avec l'acide hy-
drochlorique im composé soluble dans l'alcool concentré.
Ces faits, qui sont présentés avec clarté, et qui ont exigé beau-
coup d'expériences pour les établir, font des Mémoires de
M. Lecanu un travail qui mérite l'approbation de l'Académie.
(Approuvé.) — i\l.M. Gay-Lu.'^sac , Flourens et Navier font un
rapport sur le Mémoire de M. de Chabrier, relatif au moyen
de voyager dans l'air, et à une tbéorie nouvelle des mouve-
tnens des animaux. En voici quelques fragmens :«Il est aisé
de comparer la quantité d'action que l'homme est capable de
produire avec celle qu'exige le vol. L'oiseau qui plane dans
l'air dépense dans chaque seconde la quantité d'action néces-
saire pour élever son poids à 8° de hauteur, tandis que,
dans le même tems, l'homme ne peut élever son propre
poids à o^jOSG : de sorte que la quantité d'action n'est que
la ~- partie de celle que l'oiseau dépense pour se soutenir
dans l'air. Si Ihomme était le maître de dépenser dans ua
tems aussi court qu'il le voudrait la quantité d'action qu'il dé-
pense ordinairement en huit heures, on trou\e qu'il pourrait
chaque jour se soutenir dans l'air pendant 5 mmutes; mais,
comme il est fort éloigné d'avoir cette faculté, il est évident
qu'il ne pourrait se soutenir que pendant un tems beaucoup
moindre, et qui ne serait qu'une très-petite fraction d'une mi-
nute. Ces rapprochemens montrent à quel point les tenta-
tives faites dans la vue de rendre l'homme capable de voler
étaient chimériques. L'homme et la plupart des ([uadrupèdes
étant dans l'impossibilité de se soutenir <lans l'air, il reste à
T. XLVll. SEPTEMBRE 1 85o. 5o
;?83 FRANCE.
examiner ce qu'il est possible de faire, lorsque, par l'usage de
capacités remplies d'un gaz plus léger que l'air atmosphérique,
le poids de l'homme est supporté, et qu'il ne s'agit plus que
de mouAoir et de diriger à volonté l'appareil. — L'usage des
ailes remplies de gaz, proposées par M. Chabrier, ne semble
pas praticable , parce que l'on ne pourrait leur imprimer la
vitesse nécessaiie pour se procurer un mouvement continu
par l'eflet de battcmens alternatifs. Il paraît qu'un homme
supporté par un aérostat agirait sur l'air d'une manière beau-
coup plus avantageuse, en faisant tourner rapidement des
roues armées d'ailes obliques, disposées comme celles d'un
moulina vent, comme l'avait indiqué Meunier, de l'Académie
des Sciences. M. Navier, auteur du rapport que nous analy-
sons, a soumis ce moteur au calcul. Il est évident qu'en sup-
posant l'appareil placé dans un air parfaitement calme, on
n'aurait besoin que d'une force très-petite; u)ais la force né-
cessaire, qui est proportionnelle au cube de la vitesse, aug-
mentera très-rapidement avec le mouvement imprimé. La
question consiste donc à rechercher quel'e vitesse un appareil
suspendu à un aérostat, et par un certain nombre d'hommes,
pourrait acquérir. Le résultat du calcul, dans lequel l'aérostat
a été supposé sphérique, est que la vitesse limite dont il s'a-
git augmente pi-oporlionnellement à la puissance ~ du rayon
de l'aérostat; et si l'on attribue à ce rayon une valeur de 10°,
qui est double de celle qui a lieu pour les aérostats ordinaires,
on trouve que la valeur de cette vitesse est environ 2" ~ par
seconde. Par conséquent, l'aérostat ne pourrait être maintenu
immobile contre un veut dont la vitesse dépasserait 2 " 3- par
seconde, vitesse très-faible, puisque c'est à peu près celle qui
permet au moulin à vent de commencer à travailler. Comme
on a négligé dans le calcul plusieurs élémens qui auraient
augmenté la valeur de la force nécessaire, il paraît que, mal-
gré l'avantage que l'on trouverait à donner aux aérostats une
forme pins propre à fendre l'air que la forme sphérique, on
peut conclure que, dans l'état le plus ordinaire de l'atmos-
phère, l'appareil serait le jouet des vents. On ne trouverait
d'ailleurs aucun avantage à remplacer la force de l'homme
par celle de la vapeur d'eau, ou d'un gaz fortement comprimé
d'avance d^ius un réservoir. L'homme est encore aujourd'hui
l'agent mécanique qui, à poids éj^al, est capable de pioduire le
plus grand travail continu qu'il soit possible. Nous pensons
d'après cela, dit M. ISavier, que la création de l'art d'une na-
vigation aérienne vraiment utile est subordonnée à la décou-
verte d'im nouveau nu)UMn', dont l'action comporterait un
PAKIS. ;.85
apparoil beaucoup moins pesant (pie les moteurs connus.... A
l'égard du travail de M. de Chabrier, nous ne pensons pas que les
vues présentées par l'auteur soient propres à atteindre le but
qu'il s'était proposé..) (Approuvé.) — Le ra})port sera im-
primé dans le recueil de l'Académie.
■ — Du i5 septembre. — iM. Arago lit une lettre qu'il a reçue
de M. MATTE^EI, de Forli, et dans laquelle ce physicien cite
des expériences qui prouvent, suivant lui, qu'au moment du
contact de deux substances dissemblables, il y a dévelop-
pement d'électricité, même quand ce contact n'est accompa-
gné d'aucune action cbimique. — Le reste de la séance est rem-
pli parla lecture de plusieurs iMémoires sur lesquels nous fe-
rons connaître le jugement de l'Académie.
— Du losepienibre. — MM. L«<re(7/e et Z)«mcVt7 font im rapport
sur la monographie des insectes mélitrophiles de MM. Per-
cheron et Gaurv. «Sous le rapport de la variété et de la richesse
des couleurs, qui sont d'autant plus frappantes que la taille,
généralement assez grande, et la figure ovale du coips, les fait
mieux ressortir, on ne pouvait choisir un sujet plus digne du
pinceau d'un artiste. Dans l'intérêt de l'entomologie, il eût été
à désirer que les frais de cette entreprise eussent reçu une au-
tre destination, celle par exemple de nous aider à reconnaî-
tre les espèces de quelques autres familles d'insectes, où le
secours des figures est plus nécessaire, disons mieux, indis-
pensable. Mais comme un ouvrage de cette nature ne pourrait
plaire aux simples amateurs d'images, qu'il aurait par con-
séquent peu de débit, il a bien fallu se soumettre au goût do-
minant. Nous nous plaisons cependant à rendre cette justice
aux auteurs de ce travail, que si la beauté des figures qui
l'accompagnent, et qui ont été exécutées par M. Guérin, doit
contribuer au succès du livre, la science y gagnera aussi, en
ce qu'elles sont coordonnées par une bonne méthode, appuyée
sur un grand nombre d'observations nouvelles, et propre à sim-
plifier beaucoup l'étude de ces insectes » (Approuvé.) — M. Fré-
déric CuviER lit un essai sur la classification naturelle des ves-
p€rtillions et la description de plusieurs espèces de ce genre.
— Du 27 septembre. — MM. Arago^ Gay-Lussac et Savart,
rapporteur, font un rapport sur une lampe hydraulique pré-
sentée par la maison Thayot et C'. « Les inventeurs de cette
lampe ont entrepris de faire disparaître des lampes de Girard
tous les défauts qui les ont fait abandonner, et l'on peut dire
qu'ils ont complètement atteint le but qu'ils se proposaient.
Comme il nous serait impossible, sans le secours d'un des-
sin, de donner nue idée nette de cette machine, non.'* nous
^84 FRANCE.
bornerons à dire qu'elle se compose, comme la fontaine de
Héron, de trois réservoirs : i° d'un réservoir supérieur qui
contient l'huile destinée à alimenter la colonne constante qui
comprime l'air; 2° li'im réservoir inférieur, occupé par un
certain volume d'air, et qui communique avec le supérieur*
par un tube renfermant la colonne liquide comprimante; 5"
enfin, d'un réservoir intermédiaire, contenant aussi de l'huile,
et qui communique, d'une part avec le réservoir inférieur, de
l'autre avec le bec, par un tube, dans lequel s'élève à une hau-
teur constante l'huile qui doit servir à la combustion. Le ser-
vice n'exige aucune précaution que tout le monde ne puisse
prendre ; il se fait avec promptitude. Le seul reproche que
l'on puisse faire à celte machine, d'ailleurs si simple et si in-
génieuse, est de présenter plusieurs soudures qui demandent
à être faites avec beaucoup de soin; néanmoins comme elles sont
presque toutes situées à l'extérieur, on peut dire que leur véri-
fication étant très-facile, cet inconvénient est en réalité moins
grand qu'il ne parait d'abord. En résumé, la lampedeM.Tha} ot
et C*" est remarquable par la simplicité de sa con>truction,par
la disposition .ingénieuse de ses diverses parties, parles pro-
priétés dont elle jouit, de pouvoir être chargée facilement
it transportée d'un lieu dans un autre sans déversement
d'huile; en conséquence, nous pensons qu'elle mérite l'ap-
probation de l'Académie. » (Appprouvé.) — MM. Henri Cas-
sini cl Mirhel font un rapport sur les observations d'anatomie
et de physiologie végétales que le D' Schpltz avaient présen-
tées à l'Académie. Il en résulte qu'il existe dans les végétaux
une circulation comparable, à quelques égards, à celle des ani-
maux. En effet, quand on considère les vaisseaux d'un lambeau
de stipule, longd'un à deuxpouces, et lai'ge de trois à quatre
lignes, on ne saurait se refuser à l'idée qu'il existe un suc vital,
cl <i ne ce suc passe plusieurs fois parles mêmes routes. Mais il y a
cette différence notable entre la circulation des végétaux et
celle des animaux d'im ordre élevé, que dans ces derniers il
existe un point uni([ue de départ où aboutissent deux systè-
mes vasculaires bien distincts, l'un qui porte le sang jus-
qu'aux exirémités du corps, l'autre qui le ramène à sa source;
tandis que dans les végétaux on ne découvre ni point spécial
de départ, ni double système vasciilaire. Des vaisseaux d'une
même nature foiJULut un réseau dor)t les mailles sont autant
d'appareils circulatoires semblables, qui communiquent tous
entre eux; de sorte qu'il y a unité de mouvement tant que
les parties vivent en commun, et mouvement propre à chaque
partie dès qu'elles sont séparées. — La découverte de RI. Schnllz
PAUIS. 780
est (lu plus haut inléicl i)our ranatoiiue et la physiolojjie vé-
gétale?; elle éclaire ces deux hiaïuhes de la science l'un<j par
l'autre , et elle montre entre les végétaux et les animaux des
rapports qu'on ne soupçonnait même pas. » La lettre de
IVl. Schuitz, et les beaux dessins qui l'accompagnent, seront
insérés dans le recueil des savans étrangers. A. Michelot.
Télégraphe perfectionné , de jour et de nuit, à l'usage du
public. — L'art de !a télégraphie est moderne, et par con-
séquent susceptible de progrès dont quelques-uns fixeront
les époques de son histoire. Celui que l'on propose sera peut-
être du nombre de ces perfectionnemens remarquables. L'in-
venteur s'est proposé de simplifier le mécanisme f[^ui transmet
les signaux, de donner à chaque signal une expression plus
étendue, quoique très-précise, et d'obtenir, au moyen de la
machine plus simple qu'il a imaginée, un nombre de sjgnaux
beaucoup plus grand que les appareils usités jusqu'à présent
ne peuvent en fournir ; ce qui enrichit la langue télégraphique,
et rend son expression beaucoup plus lapide. De plus, afin de
mettre tout le tems à profit, des sig.uaux de nuit peuvent dou-
bler les ressources que procurent les moyens de correspon-
dance diurne. On estime que dix mots seront exprimés par
douze signaux, et que cinq signaux au moins seront transmis
par chaque minute; ainsi, chaque heure d'activité peut suffire
à la transmission de 5o mots, ce qui, au moyen du laconisme
qu'exige une dépêche dont la rapidité est le principal mérite ,
permet d'expédier plus d'un avis par heure, et par jour, un
nombre qui excède certainement les besoins probables d'une,
correspondance aussi accélérée.
Des expériences ont été faites à Paris, en présence de bons
juges et de conimissaires du gouvernement : les résultats ob-
tenus ont fourni les données des calculs qu'on vient de faire ;
les assistans ont été pleinement satisfaits : ainsi, le succès de
l'exécution en grand ne peut être douteux. Le bas prix et l'ex-
trême célérité de cette correspondance dispenserait les négo-
cians d'envoyer des estafettes qui ne peuvent devancer les
lettres que de quelques heures, au lien que, d'une extrémité
de la France à l'autre, en passant par la capitale, le télégraphe
fait la demande et transmet la réponse dans l'espace de tems
qu'il faudrait accorder à un commissionnaire pour porter un
message dans Paris. Quant au prix des dépêches télégraphi-
ques, on a calculé qu'il pourrait être assez modéré pi. nr qu'une
communication de quelques lignes de Paris an Havre sm; coù-
;8C FRANCE.
tilt pas pius de i5 francs. Bientôt, sans doute, nous sa«ran5
déûnitiveinent ce qu'on doit attendre de cette heureuse con-
ception ; elle ne semble pas destinée à rester dans l'oubli qui,
trop souvent, fait perdre le fruit de longues et frnctueuses mé-
ditations, tandis que le charlatanisme sait faire adopter des
projets ruineux, presque sans examen préalable, sans expé-
riences sur lesquelles on puisse fonder l'espoir du succès.
Nous suivrons avec intérêt l'établissement de ces télégraphes
commerciaux; nous annoncerons leurs progrès comme une
bonne nouvelle, comme un signe de la prospérité croissante
de notre patrie.
M. Ferrier , de Draguignan, auteur du nouveau système,
se propose de faire une seconde expérience publique, dans le
courant du mois d'octobre (i).
Voyage autour du monde, qui doit être prochainement entre-
pris dans les intérêts combinés des découvertes, de la civilisation
et du commerce. — Un voyageur anglais, déjà célèbre,
M. BrcKiNGHAM, que nous possédons dans ce moment à Pa-
ris, a conçu l'idée de ce grand voyage dont on trouvera le
plan détaillé à la suite de ce cahier. Tous les amis de l'huma-
nité applaiidiront aux vues généreuses qui ont inspiré ce pro-
jet destiné à établir des relations nouvelles et des échanges
réciproquement utiles entre des peuples séparés par l'immen-
sité des mers, étrangers jusqu'ici les uns aux autres, et que
des intérêts communs doivent rapprocher. Plusieius grandes
villes manufactiuières d'Angleterre ont encouragé ce projet
par des souscriptions; et la France voudra sans doute imiter
leur exemple et s'associer, par une coopération active, à cette
philantropique entreprise.
Réclamation de M. .Iomard, à propos d' une assertion du Globe^
— L'un de nos collaborateurs, IM. Jomard, membre de l'Insti-
tut, justement estimé pour son désintéressement, son hono-
rable caractère , et les services qu'il a rendus aux sciences et
à l'instruction populaire, vient d'être l'objet d'une attaque
qui porte sur deux faits également erronés, et de nature à
porter atteinte à la considération qui lui est acquise depuis
long- lems. Si l'auteur de l'article du Globe eût mieux
(i) La Revue Emyclopcdique a déjà annoncé avec éloges et à plusieurs
reprises fvoy. ticv. Enc, l. xxxiv, p. 8i,> ; t. xxxi, p. 852 ; t. xxx, p. SSy ; et
passhn) le Télcf^mplic de jour cl de nuit, de terre et de mer, de M. le con-
tre-amiial Saint-Haouen, don! le fils est niainlenant à l'armée d'Afrique,
où l'on a l'nil usaj^e avec succès de ce mode de communication entie
la Hotte «t l'atuiée.
PARIS. 787
eonnu ce digne cîloyen, il se serait épargné, ainsi qu'à l'esti-
mable journal qu'il a induit en erreur, des assertions dénuées
de tout fondement. Sur un bruit controuvé, et qui paraît l'ou-
vrage de la malveillance, on a prétendu que M. Joniard ve-
nait d'être nommé à une nouvelle place, et on ajoute que le
dépôt de géographie dont il est le conservateur à la Biblio-
thèque royale, n'est pas encore livré au public; ce qui réunit,
dit-on, sur une seule tète, les inconvéniens du cumul et d'ime
sinécure. Le fiiit est que tous les jours, depuis six mois, le
dépôt de géographie, est ouvert, et que M. Jomard n'occupe
qu'un seul emploi rétribué. En revanche, il appartient à un
grand nombre de commissions gratuites et de sociétés de bien
public. Ce que M. Jomard a fait depuis dix-sept ans pour la
cause de la civilisation et de l'humanité est trop connu dans
toute l'Europe, pour que nous nous étendions davantage; et
nous insérons ici avec empressement la lettre qu'il a écrite au
Globe, qui sans doute n'a pu lui donner une place, à cause de
l'abondance des matières politiques.
Paris, 34 septembre i85o.
A M. le Rédacteur du Globe.
Monsieur, c'est par un article de votre journal de ce jour
que j'apprends ma nomination à un nouvel emploi. H y a de
fortes raisons de croire que cette nouvelle est sans aucun fon-
dement. Comme je n'ai jamais demandé de place non gra-
tuite, je ne choisirai pas ce moment pour grossir la foule des
solliciteurs, et l'on ne me verra jamais prendre la place de
personne. Vous avez été mal informé, Monsieur, au sujet du
dépôt de géographie de la Bibliothèque : il est depuis long-
tems ouvert au public; il l'est même aujourd'hui, malgré les
vacances. L'emploi de conservateur est le seul que j'exerce,
il est la récompense de trente -deux ans de travaux, les
plus actifs et les plus assidus : c'est au public à en apprécier
le mérite et l'utilité, et non à moi d'en faire l'apologie : voilà
la seule réponse que je puisse faire aux ins'nuations de l'au-
teur de l'article. Il est des hommes que leur caractère, leurs
actes et leur vie entière, consacrée au bien public et aux pro-
grès des lumières, devraient garantir contre de telles attaques.
J'espère de votre impartialité, Monsieur, que vous voudrez
bien donner place à cette réponse dans le plus prochain nu-
méro du Globe.
J'ai l'honneur d'être , etc. Signé Jomard.
788 FRANCE.
Publication nouvelle. — Le dernier voyiif^e de lady IMorgab
en Fi ance lui a l'uiinii de nouveaux sujets (l'observaîioris et de
nouvelles peintures de nos mœurs. Kous recevons à l'instant
son ouvrage, qui sera l'objet d'une analyse dans un de nos
prochains cahiers. On le trouve chez Fournier , rue de Seine.
2 vol. in-8" avec un portrait de l'auteur ; prix, 12 fr.
Chronique des théâtres pendant le mois de septembre i83o.
— Outre plusieurs reprises, parmi lesquelles nous citerons
celle de Fénelon, tragédie de (Ihékier, représentée à la Gaîté,
le 26 septembre, et celh; de Robert, chef de brigands, mélo-
drame imité dv. Schiller, an théâtre de la Porte-Saint-Martin, les
différcns répertoire«se sont accrus, pendant ce mois, de quinze
nouveautés.
Le Théatre-Fbaxçais en a donné trois : le 9, un drame en
trois actes et en prose intitulé : Trois jours d' un grand Peuple ;\k
i3, Junius Brutus, tragédie en cinq actes, par M. AM)RiErx; et
\e 0.0, Corinne, drame en trois actes et en vers. Le Théâtre-Fran-
çais a été mal inspiré en cédant à l'entraînement universel qui
met sur tous les théâtres les résultats de notre dernière révolu-
tion. Les pièces de circonstances, où des évènemens réels sont
retracés tels qu'ils viennent de se passer sous nos yeux, convien-
nent peu à un théâtre où l'on est accoutumé à voir des créations
d'ailisles, et, les fictions d'une imagination qui s'efforce de
nous tirer du monde vulgaire. Un vaudeville qui ne lait que
rappeler, par des allusions louangeuses ou satiriques, les évè-
nemens de la veille, peut amuser un instant, mais quel plaisir
trouver à la représentation pâle, mesquine, pros.'iïque, plate
enfin, d'une révf)lntion qui fera l'admiration de la postérité. Le
public, qui s'était ennuyé dès le premieracte, a pris le parti de
ne pas écouter lesdcuxderniers, et l'auteur n'a pasélé nommé.
— C'était presqu'aussi un ouvrage de circonstance que la tragé-
die de Junius Brntus: singulier mouvcmeiit dm choses poli-
tiques, fpii fait qu'après trente aimées inie pièce, composée
dans les i.lées du moment, et à laquelle les circonstances avaient
ensuite fermé le théâtre, se retrouve toute remplie de ces
traits qui émeuvent ])rofon<lément une assemldée, parce qu'ils
réveillent tous les senlimens qui agitent a( tuellenient la so-
ciété! On ne peut nier que la première représentation n'ait dû
à cet à-propos une partie de ce succès d'enthousiasme que
peu de tragédies ont obtenu. Nous nous empressions d'ajou-
ter,, toutefois. r|ue le talent (|ui brille tlans cet ouvrage lui au-
PARIS. 789
mit, dans tous les tems, assiirt' un accueil favorable. Ce n'était
pas une tilchc facile de faire applaudir au lh('ntro une tragédie
sur le même sujet que l'une des productions dramatiques les
plus estimées de Vollaire. Malgré quelque faihks'^c dans l'in-
trigue, le Uriitas de uoIih; grand tragique luille d'un éclat très-
vif; l'enthousiasme républicain, l'héroïsme des senlimens ro-
mains, le pathétique déchirant qui naît de la lutte entre la na-
ture et le patriotisme, y sont admirablement exprimés. En
suivant les inventions d'Alfieri , en les modifiant avec talent,
M. Andrieux est parvenu à rajeunir un peu ce sujet. Ce n'est
point ici l'amour qui entraîne les fils de Brutus dans la con-
spiration en faveur du roi banni, c'est leur amitié pour le fils
de ïarquin, c'est leur inexpérience qui les rend dupes d'un
traître, et leur persuade que le seul moyen de sauver leur
père d'une mort inévitable, est de s'engager dans ce fatal
complot; de sorte que ce malheureux père est obligé de con-
damner ses fils pour un crime dont leur tendresse pour lui a
été le principal motif. Celte combinaison paraît ingénieuse au
premier coup d'œil; malheureusement elle est excessivement
pauvre d'exécution chez Alfiéii , et n'est pas même très-vrai-
semblable ici, quoique M. A ndrieuxait corrigé avec adresse quel-
ques-unesdes fautes de son modèle. Si nous voulions examiner
la pièce dans la rigueur classique, nous pourrions reprocher au
poète de fréquens changeinens de lieu, et la léunion, en vingt-
quatre heures, de celte multitude d'évènemens qui se passent
depuis la mort de Lucrèce jusqu'à l'affermissement de la répu-
blique par l'acle terrible de patriotisme de son fondateur. Mais
nous croyons, au contraire, que le poète ne mérite que des
éloges pour avoir ainsi développé son action dans un cadre
où il a pu faire entrer cette belle scène de place publique, où
le corps sanglant de Lucrèce explique et la proscription desTar-
quin, et la haine du peuple contre les rois, et l'exaspération de
Rome entière contre les citoyens qui ont osé conspirer pour
eux. Le rôle de Brulusest plein de nerf et d'énergie, et les scè-
nes du peuple sont en général bien faites. Cet ouvrage, enfin, ne
peut qu'accroître la réputation d'un auteur dont on applaudit
depuis si lon^-tems les ingénieuses comédies, qui s'est placé
au rang de nos conteurs les plus spirituels, et qui, sous tant
d'autres rapports, enfin, est en possession de l'estime publi-
que. — La Corinne de M""" de Staël a fourni le sujet du drame
donné aa Théâtre-Français, et la pièce, dépouillée forcément
de presque tout ce qui a fait le succès du roman, ne pouvait es-
pérer une bien brillante fortune. L'auteur, quia imaginé un dé -
noûment nouveau, a suivi son modèle dans le reste du drame.
790 FRANCE.
donl l'action un peu froide ii'.i pu être réchauffée par un style
élégant et des vers spirituels. La pièce n'a rencontré que des
appiaudissemens, ce qui n'a pas empêché l'auteur de se ca-
cher sous un modeste anonyme.
Le contingent de l'Odéon consiste, pour le mois de sep-
tembre, en une petite comédie de circonstance, en un acte et
en vers, par M. d'ÉPAGNY, intitulée : Les Hommes du Lende-
main (il septembre) ; et un drame, en cinq actes : Nobles et
Bourgeois, ou la Justice des Partis (20 septembre). Débar-
rassons-nous tout de suite d'un reproche que nous avons à
faire à M. d'Épagny : sa pièce est plutôt une satire qu'une co-
médie, et, comme presque toutes les satires, elle ne montre
le sujet que du côté du blâme: nous croyons qu'en jugeant
l'événement qui fait le fond de sa pièce, avec le sentiment
qu'elle inspire, on jugerait mal et sans beaucoup de justice.
Nous convenons que dans le court espace d'un acte il était
difficile d'échapper à cet inconvénient , que le poète rachète
d'ailleurs par des peintures vraies, de la verve et du bon co-
mique. Les lâches du lendemain sont justement flétris dans
cette esquisse, où l'amertume d'Aristophane était tout-à-fait à
sa place; les stygmates que leur a infligées M. d'Lpagny ont
trouvé de la sympathie dans l'assemblée, qui a vivement ap-
plaudi la pièce. — Le succès de Nobles et Bourgeois a été vive-
ment contestée; ce titre promettait ce que le drame n'a point
donné : le contraste des ridicules, ou la lutte des inimitiés de
deux classes rivales. Le drame ne roule que sur luie aventure
romanesque empruntée aaxFatriciensûe P^anderVelde. Le pu-
blic s'est peu intéressé à cette action bizarre et compliquée,
malgré des détails bien peints, des situations bien imaginées,
et le caractère d'une jeune fdle qui oftie, dans sa bizarrerie,
des traits où se révèle le talent des deux auteurs qui ont gardé
l'anonyme.
Le Congréganiste ou les Trois Educations, comédie-vaude-
ville en trois actes, par MM. Villeneuve et Andisson, mise à
l'index il y a peu de mois par la censure déchue, a paru, grâce
au régime nouveau, sur le théâtre du Vaideyille , le i3 sep-
tembre. Ce congréganiste est encore un tartufe, qui abuse
de la pieuse confiance d'une noble dame pour escroquer sa
fortune et séduire sa nièce. Ses basses intrigues ont pour ré-
sultat de démontrer aux spectateurs, que l'éducation claus-
trale ne vaut pas mieux que l'éducation mondaine, et qu'une
jeune fille, élevée par une mère vertueuse, a plus de sagesse
et de raison que celles dont la jeunesse s'est formée au milieti
des dissipations d'ime salle de bal . ou dans les minutieuses
PARIS. 791
pratiques de la Aie dévote. Rien dans tout cela de bien neuf ni
de réelienieiit comique. La Foire aux Places, vaudeville en un
acte, par M. Bavard (20 septendiie), est une satire amèrc
plutôt que gaie de cette impudente manie de solliciter dont
le moment actuel olïre tant de déplorables excès, et de la mal-
encontreuse faiblesse des puissans du jour, qui partagent
sans examen et sans réllcxion les laveurs administratives dont
la France leur a confié la répartition. — Les Variétés ont
donné le Jésuite retourné, ou la Demande en mariage, vaude-
ville en un acte, par M. Edouard (i5 septembre), et Voltaire
chez les Capucins, comédie-anecdote en un acte, mêlée de cou-
plets, par iM>l DiMERSAN et Dcpin (28 septembre). Le héios
de la première de ces pièces, M. Ncirville, est un magistrat
municipal, et non pas un jésuite, (pioiqu'il apporte dans ses
intrigues autant d'astuce et de duplicité qu'on en suppose gé-
néralement aux eufansde Loyola : mais, comme ses maîtres en
faits de ruses, il finit par être la dupe de ses sourdes menées,
et se trouve forcé de céder la main de la riche héritière qu'il
convoitait à l'amant qu'elle piéfère. On connaît l'anecdote de
Voltaire chez les capucins, qui ne semble point de nature à
fournir la matière d'une comédie ; aussi les auteurs ont-ils
mis sous la protection du grand homme une légère intiigue
amoureuse, que son intervention, auprès des bons pères chez
lesquels il a reçu l'hospitalité, conduit à un dénoûment heu-
reux. Ces deux ouvrages, le second surtout, ont obtenu «n
favorable accueil. — Aux Nouveautés, on a vu, le 17 septem-
bre, le Bourgeois de la rue Saint-Denis, comédie en trois actes,
mêlée de chants, par M31. Brazier, Villenei ve et Emile, qui
doit son succès au jeu plaisant et gai de Bouffé, chargé du
rôle d'un commis-marchand de la rue Saint-Denis.
L'Ambigu-Comiqie, fermé depuis quelques mois par suite
des embarras où s'était trouvée l'ancienne administration,
vient de rouvrir ses portes, le 2 5 septembre, pour la première
représentation de Henriette, ou Deux ans après, mélodrame en
trois actes et en cinq tableaux, par M. Angelot, dont le mé-
rite n'a pas été également apprécié par les divers spectateurs.
— A la Gaîté, on a vu, le 4 septembre, le Jésuite, mélo-
drame en trois actes, par M. Victor Di'Caxge, qui n'est que la
mise en action d'un des romans les plus connus de l'auteur
[les Trois Filles de la Veuve), et qui a obtenu un succès com-
plet. On a donné, au même théâtre le Te iJeum et le Tocsin,
tableau patriotique en un acte, mêlé de couplets, par MM. Ho-
noré et SiM0NNi>' , et le Marchand de Bœufs, vaudeville en nu
acte , par MM. Brazier et Carmovche (19 septembre), imi~
rga FRANCE.
lation assez gaie du conte de La Fontaine, la Clochette. — Au
Cirque-Olympique, on a ilonné Philippe ou la Gucrison mili-
taire, pièce en un acte (28 septembre).
Beaix-Arts.^ — M usée cosmopolite (rue de Provence, u° 18, en
face de la nie Lepellelier). — Ce beau musée offre une suite dv
tableaux dans le,gt'nre du D/o/'nma, d'une dimension moins éten-
due, mais où tout est vivant et vrai : c'est la nature même. On
parcourt les principaux sites remarquables qui fixent l'attentiou
du voyageur allant à Alexandrie en Egypte. — La vue d'Alger
et de toute la côte, qui a fourni le sujet de plusieurs tableaux,
dus en partie à M. de Saint-Avlaire, mérite surtout des élog(;«.
Od ?e croit transporté en Afrique, et sur les traces de notre
armée. On admire ce pays à la fois si favorisé de la nature, si
maltraité par le- bommes, et qui attend de nous les bienfaits
de la ci\ ilisation. Puissions-nous ne pas avoir offert des pro-
messes trompeuses d'amélioration et de liberté à la popula-
tion malbeureuse et opprimée qui occupe ce rivage ! — Le
Musée cosmopolite va reproduire incessamment les trois gran-
des journées de juillet, les scènes improvisées des barricades,
la résistance béroïqiie du peuple etle triomphe delà liberté. O.
• — Médaille du général Lafavette [i], destinée à servir à C/iis-
taire de la révolution de i85o. — Cette médaille, du module de
22 lignes , est la seconde que M. Cannois a gravée en l'hon-
neur du plus grand citoyen de notre époque. La presse pério-
dique , naguère persécutée avec tant d'acharnement, put du
moitis dénoncer les procès que lui intentait le gouvernement ;
mais l'opinion publique a ignoré qu'il se soit alarmé d'une
médaille laite spécialement pour perpétuer dans l'Amérique
du Nord la mémoire d'un voyage triomphal, et nouveau en-
core pour l'histoire. J'en conçus l'idée, au départ pour les
Etats-Unis, de Vhâle de la nation, en 1824 : d'un coté, l'effigie
très-fidèle de M. Lafayetlc; sur le revers, l'inscription en an-
glais : Citoyen des Deux-Mondes, cl dans l'exergue, la date de
sa naissance et celle de son embarquement. Que .M. Puymaurin
ait défendu de frapper à Paris cette médaille toute améri-
caine, on peut expliquer cette répugnance et cet acte arbi-
traire d'un agent du parti contre -révolutionnaire ; mais
l'honorable capitaine Bacdix, négociant au Havre, qui a la
propriété do ces matrices , veut les expédier pour l'Union , où
plus de 10, 000 souscripteurs les attendent ; le ministère del'inté-
(1) Paris, Lévt-quc, Palai.s-R(.\al, galciit de \ aloi.-, 11" 121. piix, 6. fr.
PARIS. — NÉCIIOLOGIE. jgS
rieur est en émoi ; la police, quitlécachèto les lettres, étend ses
investigations dans les bureaux de diligence; le 26 août, la
voiture qui emporte les coins transmet aussi des ordres aux
magistrats du Havre de faire, dans le comptoir de M. liaudin,
les recherches les plus minutieuses : au même moment, des
agens de iMM. Corbière et Franchet envahissent le doini<ile et
l'atelier de M. Cainiois, qu'ils font traduire et condamner en po-
lice correctionnelle : procès qui cause la mort de sa jeu ne épouse.
Cependant les matrices parvinrent heureusement à New- York ;
mais, chose étonnante, il ne se trouva pas dans toute l'Linion
de balancier assez f(;rt, ni d'artiste assez exercé pour frapper
cette médaille de 18 lignes : il fallut recourir à l'hôtel des mon-
naies de LiA'erpool, en xVngleterre. - — La nouvelle médaille de
Lafayette est dédiée aux gardes nationales de France : elle
reproduit, avec une ressemblance parfaite, les traits du géné-
ral et du député que même les ennemis de la liberté des peu-
ples ne peuvent s'empêcher de vénérer. L'inscription dit :
Appelé par le peuple au commandement de la garde nationale. Pa-
ris, •iS Juillet i85o. M. Cannois , auteur du viédaillrr français
pour le xix^ siècle , va prouver de nouveau, par sa statue du
général Foy, que ni les vexations, ni les rivalités intrigantes
ne peuvent décourager l'artiste qui possède l'amour de son
art et un véritable talent. Isidore Lebrin.
NÉCROLOGIE.
Grande-Bretagne. — Rennel. — Le major anglais, James
Renncl, associé étranger de l'Académie des Inscriptions et
Belles- Lettres de France, mort dans les premiers jours d'a-
vril i83o, a été inhumé le 6 à"W estminster. Il était né en 1742?
à Chudleigh, dans le Devonshire. Dès ij'îi, il s'était distin-
gué comme officier de marine, à la prise de Pondichéry ; cinq
ans après, il servait dans l'Inde comme officier de génie. Une
blessure grave l'oiiligea de quitter le service; il se livra dès
lors à l'étude, et particulièrement à celle de la géographie. Son
premier ouvrage connu est une carte du banc et du courant
du lac Lagallas. En 1781, il publia un atlas du Bengale et une
notice sur les cours du Gange et du Brahma-Soutra. Depuis,
il a mis au jour une carte de l'Indostan , accompagné d'un
iMémoire: le système de la géographie d'Hérodote ; des obser-
vations sur la topographie de laTroade ; des éclaircissemens sur
l'expédition de Cyrus le jeune, et sur la retraite des 10,000. Il
s'est occupé aussi de recherches sur l'intérieur de l'Afrique :
c'est lui qui a rédigé le voyage de Hornemann. On annonce que
rcj4 NECIIOLOGIL.
le major llemiel laisse un traité manuscrit sur les courans de
rOcéan atlantique, avec des cartes fort détaillées. Z.
Allemaok. — Bavière. — Fraumiofer [Joseph). — Le tribut
que nous payons à la mémoire de cet illustre opticien est bien tar-
dif; mais l'homme qui vécut paisiblement utile, et que la renom-
mée vint cherche)-, sans qu'il eût fait un pas au devant d'elle,
loin de chercher à faire parler de lui après sa mort, disparaît
sans bruit, comme il se plaisait à vivre. >ié à Straubiiig, en
1787, Frai MioFER fut enlevé aux sciences et aux arts, en
1826. En moins de quarante ans, il sut vaincre les plus grands
obstacles ([u'un homme puisse rencontrer dans la carrière de
l'instruction. 11 devint mend>re de plusieurs Académies, et il
exécuta des travaux qui furent admirés, même par l'Angle-
terre. Attaché dès l'enfance à un travail manuel, orphelin à
onze ans, mis en apprentissage chez un maître très-exigeant,
il raanquade tous les secours pour apprendre à lire et à écrire,
et pourtant il apprit. Retiré connue par miracle de dessous les
ruines de la maison qu'il habitait, et qui s'était écroulée subi-
tement, il devint l'objet de la curiosité, d'abord, et ensuite
de l'intérêt de j)lusieurs hommes de mérite, au nombre des-
quels on se plaît à trouver le roi Mcurhnitien Joseph. Le jeune
homme, ou plus exactement, l'enfant, n'usa qu'avec une ex-
trême réserve des secours qui lui furent oflerts. Accoutumé à
tirer de lui-même la force et les moyens nécessaires pour sur-
monter les difficultés qu'il rencontrait , passant la journée dans
un atelier, ses outils à la main, et la nuit dans un cabinet sans
fenêtres, où il lui était interdit d'avoir de la lumière, il vint
à bout d'apprendre les mathématiques. A l'âge de vingt ans,
il fut reçu dans le bel établissement créé par MM. Reichen-
bach et Utzschneider, pour la confection d iustrumens de ma-
thématiques et d'optique, et il commença la carrière qu'il a
parcourue avec tant de succès. En 1823, il fut nommé con-
servateur du cabinet de physique de l'Académie de Munich,
dont il était déjà mendne. h' Institution astronomique d'Edim-
bourg se l'était aussi associé, ainsi que l'Luiversité d'Erlangen,
et plusieurs Sociétés savantes. D'autres distinctions auraient
flatté son anioiu'-propre, si son iime tout entière n'eût point
appartenu aux sciences, aux arts et aux vertus sociales. Le roi
de Bavière le nonmia chevalier de l'ordre du mérite civil, et
le roi de Danemark lui envoya la décoration de l'ordre de Da-
nebrog. Le célèbre télescope de l'Université de Dorpat est
l'ouvrage de Fraunhofer : c'est assez pour attacher à jamais son
nom àl'histoire des sciences mathématiques et physiques. F.
TABT.E DES ART [CLES
CONTENUS
DANS LE CAHIER DE SEPTEMBRE i85o.
I. MÉMOIRES, NOTICES ET MÉLANGES.
Pages,
1. L'Avenir J. C. L. de Sismondi. 626
2. De la m<Hhode d'observation, appliquée aux sciences mo-
rales et politiques Charles Comte. 55o
3. De l'abolition graduelle de l'esclavage (9' article). P.A.D. 679
IL ANALYSES D'OUVRAGES.
4- Abrégé du cours d'instruction chimique fait à la Faculté de
médecine de l'université de Pensylvanie, par le D"^ Ilare
("ouvrage anglais) Ferry. 618
5. Des sciences occultes, ou Essai sur la magie, les prodiges
et les miracles, par Eusèbe Salverte L. Am. S — t. 626
6. 1° Histoire d'Angleterre, par John Lingard; 2" la même,
traduite en français, par M. de Roujoux . . P. A. Dufaii. G44
7. Essai sur 1 histoire de la littérature néerlandaise, par J. de
Sgravenweert Marron. 656
m. BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
Annonces de 70 ouvrages, français et étrangers.
Amérique septentrioaale. — Etats-Uiiis, 4 ^/^
Europe. — Grande-Bretagne, 5 677
— Russie, 2 689
— Allemagne, 5 694
— Suisse, 4, dont 2 ouvrages périodiques 699
— Italie, 7, dont 5 ouvrages périodiques 704
— Grèce, 2 709
— Pays-Bas, 2, dont 1 ouvrage périodique 710
France, 09, saxon' : Sciences pliysiciues et naturelles, 10. ... 713
— Sciences religieuses, morales, politiques et historiques, i3. . . 724
— Littérature. 12 74o
— Mémoires et Rapports de sociétés savantes , 1 749
— Ouvrages périodiques , a 7^1
7gt) TABLE DE!i ARTICLES.
IV. NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES.
Amérique centrale. — Guatemala : Suppression des couvens ;
Esliiiction des ordres religieux 754
Australie. — Colonies anglaises .• Fondation de deux nouvelles
villes sur les boi-ds de la rivière du Cygne. — Polynésie.
Archipel de la Société. Eimeo : Établissement d'une presse ;
Joie des naturels ; leur ardeur pour le savoir ; leur roi; leurs
cbadts populaires ySf»
Asie. — Russie asiatique ; Géorgie :hislT\xct\on publique; Écoles. 760
EUROPE.
Grande-Bretagne. — Londres : Pompe à incendie mue par la va-
peur 761
Russie. — Pefers6oH>"g' .• Séances de l'Académie des sciences des
mois de mars et d avril i85o. — Travaux publics : (banaux. —
Voyage aux colonies américaines-russes : Découverte d une
île habitée. — Instruction pubiKjue :\ Statistique des uni-
versités de Pétersbourg et de Moscou. — Philologie orien-
tale : Grammaire de la langue mongole, par Sclimidt. —
Arkhangcl : Bcaux-Àrls : Sculpture; .Monument en bronze
à Lomonossov, par Martos. — Presse périodique : iNombi'e
et indication des journaux publiés en langue française, pen-
dant les années 1829 et i85o 762
Allemagine. — Autriche : Progrès de l'industrie. — Brunswick :
Nouvelle édition des œuvres de Campe 770
Suisse. — Découvertes danliquilés dans les cantons de Zurich,
de Bàle, de Berne, de Thiirgovie, de Fribourg et de Vaud.
— Grt.sons ; Histoire naturelle 770
Grèce. — Situation générale; Ferme modèle; Orphanotrophe;
Code de commerce français adoplé en Grèce ; Établissement
- d'une monnaie ; Suppression du journal : /'^if/roce 776
Belgique. — Statislif[ue ; Population 778
France. — Toulouse (Haute-Garonne) : Prix proposés par l'Aca-
démie des sciences, l'Académie des jeux floraux, et la So-
ciété d agricultui'e 779
Paris. — Iitstitut : Académie des sciences : Séances du mois de
septembre i85o. — Télégraphe perfectionné, à l'usage du
public. — Projet d'un Voyage autour du monde. — Ré-
clamation de -M. Jomard. — l'ublication nouvelle. — Chro-
nique des théâtres pendant le mois de septembre i85o. —
Beaux-Arts : Musée cosmopolite ; Médaille du général La-
fayelte , • • . 780
INÉCROLOGIE.
Grande-Bretagne : James Reniiel. — Allemagne; Bavière: Joseph
Fraunhoier ■-ç)ù
SUrPLÉ!\lEiVT A LA RFVLE ElVCYCLOPi^;i)IQM:,
SEPTEMBRE l85o.
ESQUISSE D'UN PLAN
DE
VOYAGE AUTOUR DU MONDE,
PAR LA ROUTE
DES INDES, DE LA CIII^'E, DU JAPON
ET DES ILES DE L'OCÉVN PACIFIQUE;
AYAXT POIR BUT LES I>TÉrÈTS COMBINÉS
DES DÉCOirVERTES, DE LA CIVILISATIOX ET DU COMMERCE.
socs lA DIRECTION ET LE COMMANDEMENT
DE J. S. BUGKINGHAM,
Auteur des Voyages en Palesliiic , en Sjiic , en Arabie, en Mésopotamie et en Perse; Membre
des Sociétés littéraires de Bombay et de Madras, de la Société Asiatique du Bengale
et des Sociétés Géographiques de Londres et de Paris (i).
On se propose, dans le cours de ce voyage, de compléter, ou tout au moins
d'accroître, autant qu'il sera possible, nos connaissances sur les objets sui-
rans, d'une si haute importance pour les peuples et pour les particuliers :
1». Former une collection de doctimens re latifs aux contrées de l'Orient ;
2°. Ucpandre les connaissances usuelles dans tous les lieux, que l'on visitera ;
5°. Ouvrir de nouveaux débouchés aux fabriques de l'Europe;
4°. Découvrir de nouvelles matières dont les vaisseaux puissent se charger en
retour.
Jusqu'à présent, les rivalités nationales ont causé de très-grands
maux, sans les compenser par aucun bien. Si un peuple fait une
entreprise , tous les autres s'empressent de lui susciter des obsta-
cles : l'apparition d'une découverte, la création d'un art, les pro-
grès intellectuels, les améliorations politiques et morales, tout ce
qui peut contribuer à la prospérité des uns est vu avec dépit par
ceux qui n'en profitent point. Dès que les hommes sont divisés en
nations, ils oublient qu'ils sont adorateurs d'un même Dieu, enfans
d'un même père ; les liens de la grande famille ne subsistent plus;
et, loin de s'entr'aider pour arriver tous ensemble au bonheur, les
sentimens d'affection mutuelle sont tellement dénaturés qu'on se
réjouit des malheurs qui affligent les voisins, qu'on s'attriste lors-
qu'ils prospèrent : erreur bien funeste , si ce n'e.'-t qu'une erreur !
Mais il semble que les nations, plus éclairées sur leurs véritables
intérêts, commencent à se rapprocher; que les préjugés s'affai-
(l) Ce projet a été lu à la Société de Géographie et à la Société Asiatique, ({ui ont nommé
chacune des commissions spéciales pour l'examiner.
798
blissent ; que no'X'? nous déj^ageons peu ;i pou des erreurs et des
passions de nos pères. La France aura contribué puissamment à
cet heureux changement, en donnant au monde l'exemple d'une
nation qui se régénère avec autant de sagesse et de courage. La
Grande-Bretagne tout entière a célébré ce glorieux événement :
tous les âges, tous les rangs, toutes les professions l'ont appris avec
enthousiasme; leurs appUuuhssemens ont retenti hors de leur ih\:
l'Europe les a compris, elle s'est ébranlée. Ainsi deux nations puis-
santes, libres et généreuses, s'uniront désormais pour tout ce qui
sera juste et bon. utile à l'une et à l'autre, à tous les peuples. Elles
auront pour auxiliaires les hommes qui pensent, et ne sont pas
condamnés au sih'uce ; en quelque lieu qu'ils soient placés, ils
prendront part à l'association universelle pour l'affranchissement
du genre humain. C'est la ligue du courage et de la vertu, guidée
par la raison: de jour en jour, ses forces deviendront plus impo-
santes, son triomphe plus facile et plus assuré.
•l'ai vu cette disposition des esprits: j'en ai conçu plus d'espé-
rance pour l'accomplissement d'un projet qui exige la coopération
d'un grand nomlire de personnes éclairées et généreuses. Un
membre distingué du sénat français m'ayant invité à communiquer
ce projet aux Français amis de la civilisation et du perfectionne-
ment social, je suis veiui à Paris, afin de donner moi-même les
explications et les développemtns qui pourraient être désirés. Le
plan d'opérations que je vais exposer avait été conçu depuis
loniï-temps, mais sans être définitivement arrêté ; et ce fut seu-
lement vers la fin de juillet que je le conimuniquaià l'Listitution
Fxoyale de Londres, sous les auspices d'un membre de la famille
royale, avec l'approbation de quelques-uns des hommes les plus
illustres, les plus éclairés, les plus vénérés en Angleterre, par
tous ceux qui peuvent apprécier leurs vertus philanthropiques. Ce
fut précisément la même semaine que la France victorieuse, se
délivrant d'une ignoble domination, faisait luire, pour tous les
peuples, l'aurore d'une liberté fondée sur la justice, et dirigée par
la sagesse; et dès que je sus quel chef la nation régénérée s'était
choisi, je fus assuré que mon projet n'avait besoin d'aucun appui
pour se présentera la nation française; que si un homme, qui pense
et sent comme tous les Français dignes de ce nom, venait proposer,
avecdesuffisantes garanties, uueentieprisedont le résultat doit être
au profil (lerhumanilé, il pouvait compter sur un accueil favorable ;
qu'il serait écouté, compris; et secondé : je suis venu.
A la France donc! à son monarque citoyen! à son peuple! à ses
libérateurs! à ses députés! à son connnerce! à tous les gouverne-
mens, à toutes les nations de l'Europe qni s'intéressent aux [)rogrès
de la connaissance de notre globe et de ses productions! parce que
celte connaissance promet à tous les hommes un accroissement de
jouissances et de ressources! je propose une expédition que j'ai
méditée soigneusement, et qui peut être une source de prospérités
pour les peuples moins bien traités par la fortune, sans porter au-
<un préjudice à ceux qu'elle a déjà comblés de ses faveurs, et
même en leur accoidant de nouveaux dons.
799
L'utilité des connaissances géographiques est trop généralement
sentie pour que j'insiste sur un sujet aussi peu contesté; mais je
dois rappeler qu'une partie de te que nous croyons savoir a l)esoiii
d'être revu et rectifié ; que d«fs régions très-anciennenienl habitées,
et dont la navigation nous a souvent rapprochés, ne sont pourtant
pas encore explorées. Jamais l'Europe ne tut mieux préparée pour
de grands voyages de découvertes : les méthodes d'oi)servation
sont perfectionnées, les connaissances préliminaires abondent ;
l'esprit d'entreprise est un des caractères de notre époque, et ce
qui rend les circonstances encore plus favoraljîes , les moyen-
d'exécution s'accuiijulent continuellement.
Depuis le tems d'Alexandre-le-Grand et de Ptolémée, qui en-
voyèrent l'un et l'autre une expédition pour découvrir les source-
mystérieuses du Nil, jusqu'aux dillîciles et dispendieuses entreprises
dirigées par nos compatriotes Franklin et Parry an miheu des glaces
polaires, pour chercher vers le nord une voie navigable entre les
deux Océans, les marins les plus habiles et les plus intrépides se
sont bornés à la solution de quelques problêmes de géographie. Leur
pensée ne s'occupa point de considérations d'un ordre plus élevé;
nul autre motif ne les soutint au milieu des périls : cependant , ils
surmontèrent tous les obstacles, et leur renommée est immortelle.
Depuis Néarque jusqu'à Colomb, les découvertes de terres nou-
velles frappèrent l'imagination des peuples, l'épandirent un vif éclat
sur les souverains qui ordonnèrent ces expéditions , recommandè-
rent à la postérité les hommes qui vinrent à leur secours par leur
fortune, leur influence et leur savoir.
Les sciences hydrographiques et géographiques ont fait d'im-
menses acquisitions, mais elles peuvent en faire encore. Très-cer-
tainement, nos cartes ne sont pas au complet, ni toutes parfaitement
correctes. Quand même une nouvelle circonnavigation du globe
n'aurait point d'autre objet que de remplir des lacunes et de corri-
ger des erreurs qui peuvent devenir funestes aux marins et à ceux
qui les emploient, elle mériterait les encouragemens de toutes les
nations qui prennent quelque part au commerce de tout l'univers .
et dont les navires peuvent s'engager dans ces mers encore peu
connues. Mais il ne s'agirait plus aujourd'hui de ces voyages de
simple reconnaissance; on voudrait former des établissemens de
commerce, et les consolider en laissant aux peuplades qu'on visite-
rait les souvenirs les plus attrayans et les plus propres à leur faire
désirer le retour de leurs amis de l'Europe ; ce serait, de l'instruc-
tion, les premiers élémens de l'agi'iculture et des arts les plus utiles.
On joindrait l'exemple au précepte ; on les initierait par degrés à
noti'e manière de vivre , aux jouissances et au bonheur de la civili-
sation; on les conduirait par la route du plaisir à toutes les amélio-
rations intellectuelles et morales dont on les trouverait susceptibles ;
et, pour le bien qu'ils nous devraient, nous ne leur demanderions
que des échanges, encore plus profitables pour eux que pour nous-
mêmes.
Les portions du globe où cette entreprise peut obtenir les plu^
8oo
l)iillnn> succès sont les cotes et les iles île l'hémisphère orientai,
entre la Chine et l'Amérique du sud, en y joignant la presqu'île
de Corée, Fonnose , le Japon, li<irnéo, la Nouvelle-Guinée, Cé-
lèbes, les Molnques, les P]iili])pines, l'archipel des Kouriles et les
innombrables iles éparses dans l'Océan Pacifique. Toutes ces con-
trés sont peu connues du monde commerçant, parce que le privi-
lège de la Compagnie anglaise des Indes orientales en interdisait
l'accès à tous les vaisseaux qui n'appartenaient pointa cette com-
pagnie : elle réservait pour elle seule l'exploitation de près d'un
tiers du globe, et d'un nombre prodigieux de peuples dont nous
ne connaissions tout au plus que les noms. Enfin son monopole va
cesser, et les peuples qu'il avait dépouillés rentreront dans leurs
droits naturels ! il est tems de se préparer à les faire valoir, et
préalablement, de reconnaître les lieux on ils doivent être exercés.
Faute de données certaines sur ces pays, les plus reculés que le
commerce puisse atteindre, les premières spéculations dont ils fu-
rent l'objet eurent les suites les plus fâcheuses; les commercans ,
jahiux de profiter de la nouveauté, s'efl'orcèrent d'arriver les pre-
miers; leur cargaison fut mal assortie; et, faute de connaître les
besoins des peuples auxquels ils s'adressaient, ils n'eurent que peu
de débit : les échanges ne furent pas plus avantageux. Le nouveau
marché s'euî^ombra de marchandises non recherchées-; elles s'ava-
rièrent, les pertes s'accrurent, les entrepreneurs furent ruinés : le
désespoir fit renoncer à des branches de commerce qui seraient de-
venues très-productives ^i elles eussent été mieux dirigées. Ces
malheurs ne peuvent être attribués qu'au défaut dé connaissances
exactes des lieux et des peuples, et le seul moyen d'acquérir ces
connaissances est une exploration méllif)dique, soigneuse, qui ne
se borne point à voir les objets en masse, et qui entre dans les dé-
tails si nécessaires pour le succès des opérations commerciales.
Afin de procéder à cette nouvelle exploration, les associés qui se
chargeront des premiers frais de rentrej)rise devront faire l'acqui-
sition d'un vaisseau de grandeur sufTlsante, ainié, équipé , prêt à
mettre en mer. Il conviendrait peut-être de lui procurer la res-
source d'une machine à vapeur, afin qu'il ne soit point retenu par
les calmes , ni entraîné par les courans : dans ce cas, on choisirait
la machine la plus durable et la moins exposée aux accidens du ku
et des explosions ; on profiterait de toutes les recherches faites ré-
cemment sur l'architecture navale et les arts qui s'y rapportent.
Comme l'achat et l'équipement de ce vaisseau sont une forte dé-
pense, le nombre des souscripteiu's doit être très-considérable. Il
est à désirer que les amis des découvertes, delà civilisation, des
progrès du commerce et de l'industrie, se joignent à cette associa-
tion pliilanlropiquc , dans tons les pays où le gouvernement ne s'y
opposera point. Dès qu'un bâtiment tel que je le demande me sera
confié, les souscripteurs seront déchargés de tous les frais ulté-
rieurs; aucun autre appel à leur générosité ne sera fait par la suite.
L'entielien du navire , de ré([uipage et des personnes embarquées
seront à mou compte jusqu'au retour : j'y pourvoirai par le com-
merce.
8oi
Comme ce vojiigc a spécialement pour objet de reconnaître les
lieux et de l'aire (les essais île commerce, l'association des souscrip-
teurs n'est point une compagnie, et ne se réservera point les titres
de propriété que les sociétés commerciales s'attriiiueut ordinaire-
ment. L'avance du bâtiment est un don l'ait par des amis des con-
naissances utiles et de l'humanité ; si ce don peut être la source
de quelques bénéfices, ils appartiendront à ceux qui auront exé-
cuté l'entrepiise. Quant au résultat des recherches qu'on aura
laites, il entre dans le domaine de tous les peuples; les vues des
souscripteurs se sont étendues sur l'univers entie»-, sans donner
ujie attention particulière aux intérêts de leur nation.
Voici les objets dont je m'occuperai constamment, durant tout
le cours de l'expédition :
I. Perfectionner la géographie et l'hydrographie des côtes et des
îles qu'on visitera; ajouter de nouveaux faits à ce que l'on sait
déjà sur ces contrées; recueillir et mettre en ordre les matériaux
de leur statistique ; faire connaître leurs productions, les mœurs et
les usages des habitans , indiquer leurs besoins, etc. ; former des
collections de leurs livres et manuscrits, et de toutes les parties de
leur histoire naturelle, et des produits de l'industrie locale.
II. Répandre , mais avec économie , dans tous les ports qu'on
visitera, des échantillons des produits et des fabriques européen-
nes (étoffes de laine, de soie et de coton, ((uincailleries, verre-
ries et poteries, etc. ), afin de consulter le goût des acheteurs, de
prendie le modèle des formes qu'ils préfèrent, de convenir des
prix, en un mot, de préparer les voies d'un commerce régulier, et
sur lequel on puisse fonder des spéculations, comme entre les peu-
ples civilisés.
III. Introduire, autant qu'il sera possible, en même teras que
les marchandises européennes, quelques notions des arts et des
usages de notre civilisation, des instrumens que les arts naissans
puissent employer, quelques pratiques d'agriculture, d'économie
domestique; des graines, des plantes, des animaux, des matières
sur lesquelles les nouveaux ouvriers puissent faire leur apprentis-
sage : essayer d'établir des écoles pour étendre et perpétuer les
bienfaits de l'instruction.
IV. Emmener de tous les pays que l'on visitera un ou deux en-
fans de 12 à 16 ans, avec le consentement de ceux-ci , assez âgés
pour conserverie souvenir de leur pays, de leurs usages, de leiu*
langue, etc., et assez jeunes pour s'habituer à de nouvelles contrées,
à un nouveau langage, à de nouvelles mœurs : afin de les pla-
cer dans quelqu'une des principales écoles de l'Europe ; et lorsque
leur éducation sera terminée, de leur procurer les moyens de re-
tourner dans leur patrie, où ils pourront répandre les connais-
sances qu'ils auront acquises, avec bien plus de facilité et de succès
que ne le feraient des missionnaires étrangers.
Cette esquisse générale de mon Plan sera peut-être insuffisante
pour quelques lecteurs; je vais donc entrer dans quelques détails,
en m'adressant successivement aux classes parmi lesquelles je puis
8o2
espérer de trouver des souscripteur?, qni pourront offrir à mon
cnireprisc l'appui de leur autorité et de la considération qui les
environne. En exposantles avantages qui résulteront pour chaque
classe de l'exécution de mon projet, c'est au nom de leurs propres
intérêts que je sollicite leur approbation.
I. Les princes, les grands, tous ceux que la puissance ou de
grandes richesses placent à la tête des nations , seront de plus en
plus assurés de se maintenir dans le haut rang qu'ils occupent, à
mesure qu'ils répandront parmi les peuples plus de connaissances
et des moyens de prospérité. Ainsi mon Projet leur offre une oc-
casion d'exercer la plus noble de leurs prérogatives, celle d'être
les bienfaiteurs des hommes soumis à leur influence ou à leur
pouvoir.
II. Le clergé, la noblesse, les hommes livrés à la culture des di-
verses branches des connaissances humaines, ceux qui exercent
des professions libérales, les personnes étrangères au commerce se
plairont à seconder les efforts que l'on fait pour bannir de toute la
leire l'ignorance, l'idolâtrie, l'esclavage; pour perfectionner la
morale des peuples, cette source féconde des plus grands biens
dont l'humanité puisse jouir.
ITI. Les banquiers, les capitalistes, les propriétaires, les posses-
seurs de fonds, de quelque nature qu'ils soient, sentiront qu'en
améliorant la condition des peuples placés à une grande distance,
on ouvre au commerce de nouveaux marchés, on multiplie les
canaux pour l'écoulement des pioduits du sol et des fabriques,
on donne plus de valeur aux capitaux, en leur procurant de nou-
veaux emplois ; on accroît ainsi toutes les sortes de richesses.
IV. Les commerçans verront avec satisfaction qu'on leur pré-
pare des relations plus étendues, plus diversifiées, et, par consé-
quent, de nouveaux moyens d'échapper aux chances défavorables,
ou de les compenser par d'autres profits; qu'ils seront désormais
plus assurés du succès de lems opérations dans les mers dont les
côtes seront mieux reconnues, où ils n'auront plus à redouter les
erreurs des cartes, où la navigation ne sera plus exposée aux dan-
gers qui la menacent encore.
V. Les fabricans pourront espérer que celte nouvelle explora-
tion du monde commercial entretiendra l'activité de leurs manu-
factures, en mettant la consomniatiou au niveau de l'énorme puis-
sance de production dont les machines sont pourvues, et qui
menace tous les travaux industriels de la plus désolante suspension.
YI. Les propriétaires de vaisseaux ne peuvent demeurer indiflë-
rens à une entreprise qui semble faite exprès pour eux. Une pro-
digieuse concurrence atellement diminué leursbénéfices, qu'ils ont
le plus urgent besoin de s'étendre hors des mers sillonnées dans
toutes les directions par la foule des navigateurs, de chercher des
paiages moins fréquentés, où la science et l'habileté du marin
soient encore nécessaires , et dont l'exploitation leur appartienne
à ce titie, au moins pendant quebjue tems.
8o3
VIL Je ne puis oiihlicr de ni'adrcsser aux datncs, daus tous les
pays ovi la civilisation les a élevées au larijj; qui leur appailieul.
Mon entreprise tend à préparer l'alTranchissement de leur sexe
dans les contrées orientales, où il est traité avec une barbarie si
révoltante. Si l'ascendant de peuples plus éclairés et de mœurs
plus sociales ne va pas au secours des feuunes, dans cette partie
du monde, leur esclavage et leur affreuse dégradation ne fiiu"ront
peut-être jamais. Si , au contraire, on peut y introduire quelque
cliangemeut en faveur de l'humanité, celte amélioiation ne man-
quera point d'en amener d'autres^ et la route vers le bien ne sera
plus déserte. Les hommes, pour leur propre félicité, commence-
ront à s'occuper de celle des femmes ; ils voudront avoir des
compagnes, et les mettre à leur niveau; les facultés intellectuelles
des deux sexes seront cultivées avec le même soin, les occupations
propres à chacun également honorées; les mères ne se borneront
plus à être les nourrices de leurs enfans; elles voudront, elles
pourront se charger de les élever; elles seront à leur place, et
l'humanité ne sera plus outragée dans sa plus belle moitié.
VIII. Enfin, je m'adresse à toute la république des lettres, et
principalement à ceux qui la gouvernent et qui président à ses
destinées. Ils ont entre les mains l'immense levier de l'opinion pu-
blique, dont la presse transmet l'action dans tout l'univers : la
puissance de cette action s'accroît et devient plus salutaire à me-
sure que nos connaissances s'étendent et se perfectionnent.
Plusieurs sociétés publiques se sont établies à Paris, dans un
esprit analogue à celui de l'association que je propose, pour encou-
rageràla fois les découvertes géographiques, et hâter, danscertaines
limites, les progrès de la moraleet de la philanthropie. Sur les listes de
leurs membres figurent les noms les plus respectables de la France.
Nous avons aussi en Angle terre une association pour la découver te de
l'intérieur de l'Afrique, et une autre pour améliorer les sort des
habitans de cette partie du monde. Chez nous, aussi bien qu'en
France, l'élite de la nation s'empresse de prendre part à ces œu-
vres philanthropiques.
Cependant mon projet ne peut être exécuté que très-difficile-
ment par voie d'association : d'abord les souscriptions, annuelles
de quatre ou cinq cents membres ne fourniront certainement pas
les fonds qu'exige une entreprise où nul bénéfice ne couvre une
partie des frais; en second lieu, les délibérations d'une société sont
lentes ; la diversité des opinions, les causes qui détournent l'attcn-
lion exercent une grande influence sur leurs nombreux conseils,
et, dans l'entreprise dont il s'agit, il faut absolument une marche
rapide, décidée, des mesures aussi promptes qu'énergiques : les
sociétés ne se meuvent point elles-mêmes, et n'impriment point le
mouvement avec cette force et cette vitesse.
Si cette difficulté peut être vaincue, l'expédition n'en éprouvera
pas d'autres. Lorsque l'on aura procuré au vaisseau tout ce qui lui
est nécessaire pom' s'éloigner de l'Europe, et, qu'approvisionné
8o4
comme je le suppose, il aura pris le large, qu'on n'ait plus d*in-
qui('ludes relativement à ses besoins ultérieurs : on y pourvoira par
!e commerce, durant tout le voyage. Qu'on se rappelle que le di-
recteur de l'entreprise y attacliera son honneur et sa gloire; qu'il
sera secondé par des savans qui l'accompagneront, par des officiers
choisis en considération de leurs connaissances variées, de leur ha-
bileté et de leur prudence, de la promptitude et de la justesse de
leur coup d'œil, de leur fermeté dans l'exécution.
Il faut bien que je parle de moi-même, que je produise mes
titres à h\ direction d'une telle entreprise. A peine sorti du berceau,
le goût des expéditions lointaines, l'ambition de me signaler par
quelques découvertes, furent mes passions dominantes. iMarin dès
l'âge de neuf ans, je n'avais pas atteint ma vingt-unième année,
lorsque je fus chargé d'un commandement; j'ai conduit des vais-
seaux dans toutes les parties du monde; mes courses par mer m'ont
fait connaître les deux Amériques, la 31éditerranée, la Turquie, la
Mer Rouge et le golfe Persique, les Indes orientales, y compris
Bombay, Ceylan, Madras et le Bengale. Sur terre, j'ai parcouru
''i-gjpte, la Nubie, l'Arabie, la Palestine, la Syrie, la Mésopotamie,
la contrée où fut Babylone, l'ancienne Médie, la Perse. Dans ces
pays divers, j'étais vêtu comme les habitans, je vivais à leur ma-
nière, j'apprenais leur langue, et je parvenais ainsi, non-seulement
à passer partout en sûreté, mais à obtenir des égards, de la consi-
dération. Je suis dans ma quarante-quatrième année; j'ai une forte
coiislitulion, de la santé, de la vigueur, la constance et l'énergie
qui font lutter contre les obstacles, envisager les périls avec calme,
afin de les éloigner; je ne manque point d'expérience pour aider
mon jugement, et non pour refioidir mon zèle. J'ai publié des ou-
vrages et prononcé plusieurs discours, en différentes occasions;
mes lecteurs et mes auditeurs (il y en a peut-être deux cent mille en
Angleterre) peuvent me juger en connaissance de cause, et dire si
je suis en état de recueillir des informations, et de les communi-
quer, soit verbalement, soit par écrit.
Voici donc ce que je demande pour l'entreprise qu'on me con-
fiera : Un vaisseau le mieux équijjé que les fonds réunis pourront
le permettre, et pourvu de ce qu'il lui faut pour se procurer, par
voie d'échange, ce dont il aura besoin par la suite. Tous ces objets
seront des inslrumens entre mes mains, pour l'exécution des tra-
vaux dont je serai chargé. Au retour de la circonnavigation du
globe, après avoir atteint le but de l'entreprise, autant que les cir-
constances l'aurout peruiis, pour m'acquitter envers les hommes
honorables qui m'auront mis en état de léaliser ce projet, je m'en-
gage à publier une narration fidèle et authentique de tout le voyage,
depuis le départ jusqu'au retour. Ce monument, dédié aux sou-
scripteurs, attestera ce qu'ils auronr fait pour leur pairie et pour
rhumanité, et perpétuera la reconnaissance qui leur est due.
Taris, le i" oclob.c 1S2S. j, s. BUCKINGHAM.
Bue de Ri\oli ii" 28.
8o5
Dèiibèraùons d'une ylssemblcc publ'ujiic au Théâtre de l'Insti-
tution Royale, à Londres.
Dans une nombreuse asseml)Iée, c|iii eut lien le jeudi 22 juil-
let j83o, à J'InstiUilion Koyale de la Grande-Bretagne. S. A. II. le
Duc DE SrssEx, piésidcnt de la Société pour l'encouragement des
arts, des manulaclures et du commerce, occupant le fauteuil, les
décisions suivantes furent adoptées à l'unanimité :
Sur la motion de Sa Grâce le Dic de Sommerset, président de
rinstilution royale, appuyée par Lord John Uussell, membre <lu
parlement, vice-président de la Société pour la propagation des
connaissances utiles :
1° Il a été décidé que le plan d'après lequel M. Buckingham
propose de diriger un voyage autour du globe, dans l'intention de
faire des découvertes bydrographiques, de favoriser les progrés
de la civilisation pratique, et de donner des développemens nou-
veaux à l'activité commerciale, parait à cette assemiblée devoir
produire de grands avantages pour le pays, et amener des résul-
tats généraux fort u-tiles; il lui semble donc avoir droit aux encoura-
gemens des sujets de S. M. dans tous les rangs et dans toutes les
classes.
Sur la motion de l'amiral Sir Sidney-Smito , appuyée par Sir
Alexakder Johnston, ex-président de la cour suprême de Cey-
lan, et vice-président de la Société asiatique :
2° Que l'expérience nautique, les habitudes actives et les con-
naissances variées dont 31. Buckingham a fait preuve dans ses
ouvrageset dans ses discours relativement aux contrées de l'Orient,
et de plus le zèle persévérant qu'il a manifesté dans ses efforts
pour exciter la sympathie des Européens en faveur de leurs frères
de l'Asie, sont, dans l'opinion de cette assemblée, des qualités
qui le rendent particulièrement propre au commandement et à la
complète exécution de cette entreprise.
Sur la motion de Lord Durham, appuyée par le Révérend Ar-
thur S. AVade, d. d. F. s. A.:
3° Que les membres de cette assemblée , après avoir réuni,
avec une vive satisfaction, leurs contributions pour assurer
les covimencemcns de celte nouvelle et intéressante entreprise y
croient pouvoir inviter avec instance tous les amis de la propaga-
tion des connaissances utiles, du perfectionnement moral, et de
l'extension des rapports commerciaux , à vouloir bien coopérer,
par leurs efl'orts et leurs secours, à V accomplissement ùe ce grand
projet.
Sur la motion du général Sir Samuel Be^tham, appuyée parle
colonel Leicester Staniiope :
4° Que les personnes dont les noms suivent, choisies parmi le*
premiers souscripteurs, dont l'adhésion en faveur du projeta
devancé toute annonce publique, et comprenant des membres de-
diverses professions, sont engagés à choisir entre elles un comité
8o6
cciilralfiiii recherchera les mesures les plus propres à faire par-
venir au Lut que l'on se propose; savoir :
fA9i:llc royale ,
S. A. R. 1p duc de Siissex.
S. A. R. If duo de Cambridge.
S. A. R. le duc de Glouccster.
S. A. R. le prii'.ce Léopold.
PAIRS d'aNGLETERRE ^
S. G. le duc de Soinmerset.
S. G. le duc de Devonshiie.
S. (i. le duc de Rcdfoid.
S. G. le duc de Porlland.
S. G. le duc de Leinsler.
Le marquis d'AngIcsev.
Le marquis de Ijansdowne.
Le marquis de llastings.
Le marquis de Sligo.
Le comte Speucei-.
Le comle Ferrers.
Le vicomte Torrington,
Le vicomte JJcresl'urd.
L'évêque de IVorvvich.
Lord Sondes.
Lord Holland.
Loi'd Ellenborougli.
Lord Durliam.
Lord Tankerville.
PARLEMENT,
Loid vicomte INIilton.
Lord vicomte Kl)rington.
Lord vicomte Morpeth.
Marquis de Tavislock.
Le trèslioii. lord F. Leveson-Govver.
Le très-lion, lord Augent.
Lord John Russell.
Le trés-hon. William Huskisson.
Le très-lion. Cliailes Grant.
Le très-lion, sir John Sinclair.
L'Iion. George Agar Lllis.
L'iion. George Fonsonby.
Le général Robert Grosvenor.
Sir Francis Rurdett.
Sir James Scarlctt.
Henry Rrougliam.
John Cam Hohhouse.
Thomas William Ccike.
Charles Raiiiig Wall.
W. W. Whilmon'.
Edward Wynn Rendarves.
John Maxwell.
Josiah John Guest.
William Caveudish.
Jan)es Alexander.
Robert Cutlar Fergussoa.
John Marshall.
Daniel Sykes.
Robert Olway-Cave.
Edward Davies Davcnport.
Hrnry llopo.
John Wilks.
Richard Jenkins.
George Smith.
William Evans.
MARINE ROTALE .
L'amiral sir Sidnev Smilh.
Le capitaine Peler Ileywood.
Le capitaine F. Marryatt.
Le cai)itaiiie Alex. Me. Konochie.
Le capitaine Glasscock.
Le ca]>ilaine James Horsburgh.
Le capitaine William Maxfield,
Le lieutenant Raymond Evans.
Le général sir John Doyle.
Le général sir Samuel Rentham.
Le col. George Fitz-Clareuce, adj.-gén.
Le colonel C. J. Doyle.
Le colonel Lelcester-Stanhope.
Le colonel T. Perronet Thompson.
Le capitaine de génie Alex. Robe.
Le capitaine T. F. Irvine.
Le lieutenant James Grant.
HOMMES DE LOIj
Sir Alexander Johnstone, juge.
J. M. Fonhlanque, juge.
Sir Peter Laurie, alderman.
Malhew Davenport Hill, avocat.
A.-V. Kiiwan, avocat.'
M^illi.Tm Vizard, avoué.
James Anderton, avoué.
A. L. Sarel, avoué.
Ruiy Hutchinson, avoué.
CLERGÉ J
Le lév. archidiacre Wrangham.
Le rév. Arthur Wade.
Le rév. Dionysins Lardner.
Le rév. John Young.
Le rév. J. A. Tours.
DOCTEURS MÉDECINI^y
George Rirkbeck.
Soulhwood Smith.
W. Rabington.
R. G. Rabington.
Edward Harrison.
SA VANS ET HOMMES DE LETTRES |
Ralph Watson.
John Crawfurd.
John Ilaycs.
James l'ntiiam.
Robert Owen.
Rowland llill.
Edwin Ilill.
Thomas Roscoe.
Henry Lylton Rulwer.
Edmund Ilalsewell.
John Towill Rutt.
W aller Weldon.
NEGCCIANS .
William Tilo. P. llcallcy.
'riioiiia>i Piinp;le.
William W illx-rlorcc. '
Thomas Claiksoii. Laurence Matsliall.
Apsiev Pcllatt.
BANQUIERS, j3,j„.; llutcl.inson.
MM. Coulis et Co. J. M. raisons.
MM. Siiiitli , Payne et Sniillis. Edward Fletcber.
MiM. Kansom et Comp. Heniv Porcher.
MM. Miirland et Comp. Charles Robertson.
Hemy Diummoiid. Thomas Paris,
Sir Geoiife Duckett. (}. jMonis.m.
Thomas^HalIilax. W. Kilnei-.
John Labouclieie. William Millar Chrisly.
Joha Williams. Robert Lucas Chance.
Apres la formation d'un comité central, clioisi parmi le? picmier.s
sou*cripteiir.s de Londriis (i), comprenant toutes les personnes dé-
signées ci-dessus, il a été encore résolu :
1° Que les souscripteurs, dans les différentes parties de la
Grande-Bretagne , seraient engagés à former de semblables comi-
tés, pour poursuivre le même objet dans leurs territoiies respec-
tifs, et pour communiquer les résultats de leurs efforts au comité
central de Londres ;
2° Que les banquiers étaient généralement invités à vouloir
bien recevoir à leurs caisses le montant des souscriptions; puis à
le transmettre ultérieurement au comité, qui se chargerait de les
conserver pour en faire l'application exclusive aux objets de l'expé-
dition ; et qu'ils étaient également invités à seconder le succès
de l'entreprise ;
5° Que les directeurs de la presse périodique seraient instamment
priés de donner la plus grande publicité aux traits caractéristiques
du vovage proposé, alin que toutes les classes de lecteurs pussent
prendre une connaissance prompte et exacte de la nature et de
l'objet de l'entreprise projetée.
Lord Durham demanda aussitôt que des remercîmens fussent
adressés à S. A. R. le Duc de Susses pour l'intérêt qu'il avait mis
à l'expédition proposée et la manière dont il avait présidé l'as-
semblée. Cette motion, étant appuyée par M. Buckingham, l'au-
teur et le directeur présumé de l'entreprise, fut votée par acclama-
tion, et l'assemblée entière se leva au milieu d'unanimes applau-
dissemens.
S. A. R. le Duc de Sussex exprima sa reconnaissance de l'hon-
neur qui lui était fait , et déclara que, dans toute sa vie, il n'avait
présidé aucune assemblée avec autant de satisfaction, et qu'il n'avait
étendu son patronage à aucune entreprise qui lui parût mieux cal-
culée pour produite des résultats plus avantageux dans des pays
éloignés, et devoir réfléchir plus de gloire sur ceux qui la favorisaient.
La séance fut alors levée.
(l) L'n comité âc dames sera forme', d'un autre côte, pour encourager et faciliter les
souscriptions el l'appui de leur sexe : en Angleteire, à la tête d'une longue liste de dames,
déjà inscrites comme souscripteurs, se trouvent les noms de S. A. R. la duchesse de Kent
et de lady Morgan.
8o8
Voici la lislc des villes en Angleterre où l'on a déjà o
obtenu des souscriptions : '
Population. Ville,. Populalio
nitc.
Londres . .
Duhlin . . .
Edimbourg
ttlaspo». . .
IMaiiclitslcr.
I.iverpool. .
Uristnl . . .
lîiriningliam
I-fcds. . . .
Shdficid. . .
Population, yillei.
■ l,5oo,noo liullon
300,000 .Norwich
145,000
16.
• ,00(
l-ÎOjOOO
100.000
6 fi, 000
64,000
6(;,ooo \Vorc
Xotliiigharn
iXcHcasIle. .
Dundee, . .
(îrctiiock. ,
Coventrv. .
Alierde.-n. .
Wolvrrl
60,000
40,000
JC.oon
5o,ooo
'l'ton 19,
1,000
19,00c
lS,ooi
fille,.
Derby. . . .
Sunderlaiid.
Chclienhaui.
Whilbj. . .
Boston . . .
Ilereford. .
Kendal. . .
lieverlev . .
Bcdford. . .
l'almouth .
iS.ooo
14.Û00
21,000
11,000
10,000
9,000
8,o>)o
6,000
fille,.
Darliiiptou .
Cljeinïslbrd
Monnioulh.
Al)n-gavenu;
VLW|jort. . .
Monmoulh .
llanlej. ..
Iruro. . . .
Xi
5,000 (Cowfs,
uvert et
Population.
5,000
5,000
4<5oo
3,000
3,000
3,000
3,000
3,000
3,5oo
5,080
JCÎ '°"^''"'1^"^!"«', commencées dans les villes ci -dessus dési-
fentcs sont continuées avec zèle et activité, sous la direction de
T> en :: r;''t ' r\ '^^*' ^^ ^' '^' ^^^-^"^^ ^"'^ ^^^ exemple, et "eu
dot e n,n ' ^ '■' '' '"^ ^^--^^^^'i^^ de cette expédition, nul
se, L' '' quelques mois die ne soit prête à paHir et à réali-
mnfu "T^rr""-,^"'. ' "" "'"'^ *' '•''■""^•' ''^'"^ •''■"l'^'rêt de l'hu-
manité et de la civilisation universelle.
exmVIÎ^inn '^'' •'■''' "'^'■"■'^^'^'••«'^ PO'"- l'équipement complet de cette
expcdition, qui con.sistera en un on plusieurs vaisseaux, suivant
t^ai^rT 'T'''^''' '^^ ^^"^'^ '-^f-^ p-"- '- --erï r
•eru li "; ^"' ^""'T" ^ ''"'^^' ^^P'^^dant, si l'on parvenait L
é i lël^^ P'f '"'■''' ^^'^^ «Pé'-^'tions en deviendraient
évidemment et p us étendues et plus cflicaces. Cette valeur, consi-
itn ct.r/""'" '";'/"■;'! '''''' ^"^'''''-^ P''-^q- insignifia'nte" i
ainsi d''' ^'"^"^/'«'^«'fe 1- P'oduit d'une souscription, pour
nomh e V ""'^■'^'■^'"«- C'e^t pour cela qu'il est à désirer que le
«0^11?. t P^^'"f«""^\q"' y prendront part soit aussi gv^nd que
ne n.« 1' • '^"'•'' contingent de chacun soit assez modfque pour
canîta i Îë-TT'"'!"'''''' «^^"'.- ^'' P'i"ceset les nobles, les riches
cap tal.ste. et les banquiers, les dames d'un haut rang ou d'une
grande lorlune peuvent céder à leurs sentimeus de bienveillance
"uati^ de! "r ' 7' ''''r ''■' — -P-PO.tionnée:!; lëu
situation élevée dans le monde, et à leur inclination ; tandis que
ceux qui ne pourront apporter à la masse qu'une légère contribua
eZnnse -'ir" ""^'\V 't"" '''''' "^«^^'"^' '^ '^'^^ S-'--"^«
ron T, ,.!; ^ ' '-"'''' ^'«'•'-'"^J^^-^' <omn.e les plus rkhes, se-
que s^ion r^iir """T^"^" reconnaissance. Quelque considérables
ment In '""""''^'f. ^^«"""^'^ ^^'^^'^ réunies, elles seront entiére-
mn" nu h .'"'i '/' ^Y'^'' exclusif qu'on se propose. De cette sorte,
l-e lapait de chacun individuellement puisse être bien mi-
c ot^s c'?;" "" " 'T'' P^'"^'^"'--' d'entreprendre de grandes
du .lis;'..! ."'''''•!•'"' ^? ^;''^'*'''^P'"-^ fo'-t. eeluiqui retientl'ancre
du .ai.s.seau, au mihcu de la tempête, est composé des fibres les
r u^imnces et les plus Hubles; et que l'Univcrs,%i vaste, si infini
?ès At o'r \T^^'''" """'"' ''''' ^'^'S"-^ P^"'- ^'^'^'-^PPC'r aux in-
vestigations de 1 homme.
nP.^sim!r"' •'' '^"'', '"' """"^ ^* '^ contribution de toutes les
pe onne.. qui prendront rang parmi les souscripteurs seront rap-
pelé dans une liste alphabétique, et rendus pul^lics d'abord avant
e commencement du yojage, puis une seconde lois lorsqu'il sera ter-
quels individus appartient la gloire d'avoir secondé cette entreprise
raris. (o irr nr^i^U .0-0 *
Paris, le 1" octobre
Rue de Rifoli u" 25.
l82vS.
J. S. BUCKINGHAM^
II
8o9
FONDS AUXILIAIRES.
Trailem
. S(
3uscr.
. 75 1.
st.
75
• 75
TJ
. 60
68
. 5o
5o
; 4o
4..
iv/rt/ des Traitcniens (les Officiers oit Eiuplnyês marilhnes , et des
Artistes oiiSaians, avec le prix du passat^c pour les diverses sortes
de passa!j;ers.
Les deniaiicles d'emplois par des personnes qui désirent faire
partie de cette expédition sont déjà si nombreuse.'; , et continuent à
s'accroître si rapidement, que l'on a jugé nécessaire de publier
l'état suivant des traitemens annuels, en sus des rations ordinaires
de vivres accordées, dans la marine royale, aux divers emplois in-
diqués ; et de régler en outre que, indépendamment des qualités
et (.ertificats requis, ( haquc postulant devra procurer le nombre
de souscriptions indiqué en regard de l'emploi qu'il désire occu-
per; le montant des souscrip4^ions étant laissé à la convenance des
souscripteurs.
EMPLOIS MARITIMES :
Trailem. Souscr.
Premier Capitaine . . . 200 1. st. 200 Commis aux Vivres . ,
Second Capitaine . . . ij5 ijS Directeur des Etudes .
Premier Lieutenant . . i5o i5o Premier Contre-Maître
Second Lieutenant . . 125 i25 Second Contre-Maître
Troisième Lieutenant . 100 100 Troisième Contre-Maître 4o
Maître d'Equipage . . jri y5 Aspirans jo
Médecin j5 jS Aides-Chirurgien . . . . 5o 5o
Chiruigien en chef . . 70 y5 Commis 20 20
EMPLOIS SCIENTIFIQUES :
Astronome 100 1. st. 100 Chymiste 100 1. st. 100
ingénieur hydrographe 100 joo Botaniste 100 100
Zoologiste 100 100 Artistes . 100 joo
Minéralogiste loo 100 Bibliothécaire 100 100
Afin de conserver la discipline et l'ensemble si nécessaires dans
les évolutions navales, il est à désirer que tous les matelots soient
de la même nation et parlent la même langue, l'anglais par exem-
ple; mais les officiers de marine et les savans peuvent être de
tous les pays qui auront fourni des souscriptions pour les frais de
l'expédition. Les noms et les travaux de chacun d'eux seront rela-
tés avec soin dans l'histoire du voyage : de manière que chacun en
retire la portion d'honneur qui lui sera réellement due.
Des aides surnuméraires de marine et de sciences seront reçus à
bord comme volontaires, à condition qu'ils procureront la moitié
du nombre des souscripteurs mis en regard du rang pour lequel
ils seront qualifiés, et qu'ils désireront occuper. Ces surnuméraires
ne recevront que les vivres, de la même qualité que les autres of-
ficiers ou savans, et feront le service sans recevoir de traitement,
jusqu'à ce qu'une vacance ait lieu dans la classe pour laquelle ils
seront inscrits; et lorsqu'une vacance aura Heu, ils auro/it droit
au traitement et aux rations de cet emploi , sans être tenus de rien
débourser.
L'avancement dans chaque classe sera invariablement réglé par
le seul rang d'ancienneté, toutes les fois que le plus ancien pos-
8io
sédera les taîens requis pour remplir convenablement Temploi va-
cant, soit que la vacance ait lieu par la mort ou par rétablissement
du précédent titulaire dans quelques-uns des lieux visités pendant
le voyage : le rang d'ancienneté sera réglé par la date de l'inscrip-
tion comme surnuméraire, dans chaque classe.
On compte néanmoins que les personnes qui s'embarqueront en
qualité de volontaires, avec l'expectative des em- lois qui pour-
ront vaquer, feront leur service comme aides des officiers sous les
ordres desquels ils seront placés, et qu'ils se conformeront à tou«;
égards à la discipline et aux réglemens qui seront observés par loiis
les autres membres de l'expédition, dont la sûreté et le succès dé-
pendront en grande partie de l'unité du dessein et de l'ensemble
d'exécution.
La raison pour laquelle les savans ontdes appointemens inférieurs
àceuxdespi'incipaux (jfficiers maritimes est facile à comprendre, si
l'on considère que le service de ceux-ci exige en tout tems l'em-
ploi d'une grande vigilance, de l'activité, de la fatigue et de l'in-
trépidité; tandis ([ue le service des premiers sera des plus agréa-
bles quand le vaisseau est au port, consistant alors principalement
en excursions de recherches ou de plaisirs; et comparativement
bien facile pendant tout le tems que le vaisseau tiendra la mer,
n'ayant alors à s'occuper que de tenir leur journal, donner quel-
ques séances d'un cours s\ir leur science respective, pour servir
d'explication à leurs dessins et collections ; mais n'ayant point de
devoir rigoureux à remplir, point de quart à faire la nuit, objets
qui exigent tous les soins et la présence continuelle des officiers et
des marins employés sur le vaisseau.
Il doit être bien entendu que les travaux , les produits et col-
lections de toutes les personnes jouissant d'appoinleniens et rece-
vant les vivres comme employés de l'expédition , appartiendront
exclusivement au commandant, qui fera tous les frais des traite-
mens et des approvisionnemens. Mais, aûn de satisfaire au désir
d'hommes riches, y coifipris leurs épouses et leurs enfans, de sa-
vans , d'étudians qui veulent compléter leur éducation par des
voyages, ou d'autres personnes qui voudraient accompagner l'ex-
pédition à leur frais et pour leur propre conq)te, de sorte qu'elles
fussent entièrement maîtresses de leiu- tLins, et conservassent
la propriété exclusive de leurs travaux et des profits de leurs avan-
ces, on leur fournira les vivres pendant le voyage à la table du
commandant, et des chambres particulières pour leur usage ex-
clusif, conformémentau tarif annuel suivant :
Chambras de i" classe Soo liv. slerl. Cliambres de 4" t-'l^sse 5oo;
Cliambres de a' classe 70 j ; Chambres de S*" classe 4oo;
Chambres de 5« classe 600; Chambres de 5' classe 3oo.
Quantaux passagers du salon des officiers, de celui des officiers
mariniers et sous-officiers, ou du gaillard d'avant ou place des ma-
telots, parmi lesquels se troineront des personnes respectables ,
telles que des missionnaires, des émigrans, des colons, des artisans,
des marchands, des instituteurs et autres personnes qui accompa-
8ii
gneronl l'expédition, dans l'intention de s'élahlir dans quelqu'un
des pa3's que l'on visitera : — ils auront des vivres cl le loge-
ment, comme les officiers et les marins des trois divisions susdi-
tes, an prix suivant, par mois :
Salon des OfTiciers i5 1iv. sterl.
Salon des OfTicicrs Maiinicis ... lo
Gaillard d'avant 5
Comme la totalité des sommes produites parla souscription gé-
nérale doit être employée à la construction, au gréement et à l'é-
quipement du vaisseau, aussi complet qu'il sera possible, — le mon-
tant des sommes produites par la répartition des divers emplois,
ainsi que celles provenant du prixde passiige îles diverses clauses de
passagers, seront mis à part comme fonds auxiliaires, dont l'em-
ploi exclusif sera de payer les traitemens de l'équipage, de fournir
les provisions de vivres, et de défrayer les autres dépenses cou-
rantes qui auront Heu pendant la durée du voyage , et avant
la réalisation des profits que l'on attend du frélage et des opéra-
tions de commerce.
Avant qu'aucun des postulans d'un emploi rétribué puisse être'
reçu comme candidat, il faut qu'il ait obtenu le nombre requis
de souscriptions, et queleur montant soit payé àl'nn des banquiers
de l'expédition ; à la suite de quoi, les trois considérations d'après
lesquelles les divers candidats pour un uiêmeemploi seront jugés,
et leur nomination décidée, sont :
1° Le talent supérieur et spécial ;
2" La somme pour laquelle il aura contribué, tant par lui-même que par
ses amis ;
5» L'antériorité de la date à Iaquell(> il aura obtenu le nombre requis de
souscripteurs.
Quant aux particnliei^s et aux familles qui s'emljarqueronl
comme passagers seulement, la priorité de leur inscription sera le
seul motif de la préférence qu'ils obtiendront; et le choix des
chambres pour chaque classe sera aux plus anciens inscrits.
Tous lesarrangemens et traités relatifs à l'emploi des fonds pour
la construction et l'équipement du vaisseau, jusqu'au moment de
son départ d'Europe, seront faits par ordre du comité. De
même, tout ce qui concerne la conduite du voyage, après cette
époque, par conséquent le choix et l'engagement des officiers, des
savans et de l'équipage, se feront parles ordres et sous la respon-
sabilité de M. Buckingham lui-même ; c'est, par conséquent, à lui
et non au comité que toutes les propositions et demandes doivent
être adressées, franches de port.
Les lettres adressées à M. Buckingliam peuvent être confiées aux soins de
MM. Lafitte et compagnie, banquiers de Paris, pour la France; et à
MM. Coutls et compagnie, banquiers de Londres, pour i'A-ugleterre^
8l2
EXTRAITS RELATIFS AU VOYAGE DE M. HLCKIXGHAM.
Résolution rfd l'Association des Indes Orientales de Liverpoul. Présidence de M James Crapper, Èr.
Il a élô résolu, — Qa^ le coni:tû, pén»^Irè du sf-rvîce rcadii àlii question, des ïndes par J. S. Buckin
ghani , Éc. par ses lectures, taat à Liveipool qu'en d'autres lieux, donnant ainsi Timpulsion à ce sujet
dans uu moment des plus irnporlans. dcmaiidc l.i permission de lui présenter ses remercimens sincère»
pour le secours qu'il lui a pièlé ; et de vouscrJre pour la oOiUlUC de 20 guinées pour son voyage projett-.
avec des soubaîls sincères qu'il réussisse.
SuUe du comité t a Lverpool, R- MOORSOM, secrétaire pro. temp.
1^ 21 \uillet i85o.
LETTRE DE M. ERODCHAM,
Exlcait d^ane lettre adressée par A/. Jîenrj Broug!tam , Éc. président de la Société pour la propagation des
connaissances utiles^ et député du comté d'York,' à M. Buckingham, le 5 juin i85o. '
« Je n'ai pas depuis longtemps vu de projet qui nie plaise autant que celui que tous m'avez commun! -
que hier, et auqufl |"ui donné toute mon attention. Je pensais depuis long-temps à un vuya^c de décou-
vertes, ou plutôt à un voya;ïe ayant pour but d'oliteiiir »;t de communiquer des renseignemuns utiles au
moyen d'une a'isorialion. Mais votre projet, qui combine l'objet commercial avec l'autre , en atteii^nnnl le
but sans l'indécision (jui s'attache aux décisions d'une société, et qui entravent toujours l'exécution, me
paraît infiniment meilleur sous tous les rapports, ei je souhaite rordialcment qu'il réussisse. Je desîrc aussi
contribuera son exécution par tous les moyeus qui seront en mou pouvoir. 1
LETTRE DU COMTE DE LABOBDE.
Extrait d^une lettre adressée par le comte Alexandre de Laborde, présîden t de la Société pour la propagation de
la cirilisalion. membre de ia Chamhre des Députés de la Finance, préfet de la Seine, etc., etc., à M. Buckin-
ghmn, à Paris, le \^ juillet iSôo.
« A l'ouverture des chambres, qui amène dan^ la capitale les principales notabilités du pays, je pour-
rai faire connaître \oire utile entreprise, et faire sentir combirm il serait convenable et glorieux à la
France de la seconder. En alteiidant, ïeuillez nie compter au nombre de vos souscripteurs. Je désirerais \1
veulent, monsieur, qu'il vous fût possible de faire un petit voyiij;*' à Paris : Je crois que cette course se-
rait très-util)! à \03 projets ; et, dans tous les cai, je serais fort heureux de pouvoir contribuer à vous ren-
dre agréable le séjour de la capitale, a
Inscription d*un volume relatif ïi la Terre-Sainte , présenté par l'amiral sir Sidney-Smitk à 3/. Buckingham ,
après avoir entendu son discours public sur les contrées de l'Orient.
« De U part de sir Sidney-Smilli . coiiimc témoignage de sa gratitude pour le vifplaisir que lui a fait
éprouver la description lîdèle et animée de la Palestine par M. Buckingham, et de soa admiration du
xèlc avec lequel il plaide en f>ivcur de ramèlîorution générale des contrées de l'Orient. •
Copie d'une lettre adressée par lord Tankerrîlle à l'honorable colonel Leicester Stanliope, du château d» Chil
lingham , dans le ^iorthumberland» le lo Si^ptemhre 18Ô0.
« Votre lettre que j'ai reçue ce malin m'a rappelé ce que j'ai toujours eu l'intçntion de faire, de sou-
scrire pour l'entreprise de M. Buckingham. J'ai assisté l'année dernière à quelques-unes de ses séances,
et je le crois particulièrement propre à conduire une entreprise aussi grande et aussi utile. »
Résolulion du Comité de Londres relativement au paiement des souscriptions pour le voyage de M. Buckingham
. autour du globe.
Le Comité, tenu p;ir ordre de l'Assemblée pénérale, à rinstitution royale, le sa juillet'iSôo, sous la prési*
denc** de S. A. R !<■ duc de Susscx, a résolu à l'unanimité :
!• t^ue l'étendue du patronage et de Tappuî déjà donnés à cette expédition garantissent que son objet
sera définitivement rempli ;
a* QuVn conséquence de la résolution de l'assemblée générale, qui autorise MM. Smîth, Piiyue et
Smithr, MM. Coutls et compagnie, et MM. Ransom et compagnie , à recevoir des souscriptions pour cet
objet, sous le contrôle du romitt: on fait savoir aux souscripteurs en général que leui"s sousciiplion? peu-
vent actuellement être payées pour le compte du comité du voyage de M. Buckingham.
( Signé ;
LEICESTER STANHOPE, secrétaire honoraire.
A la salle du Comité^ Charing Cross,
Londres, le 5 août l85o-
TYPOGBAPIMF. DK .M aRCELI.IN-LEGRAND, l'LASSAN ETCOMP.
IMPBIMERlE DE PLASSAN ET COMP.;
TABLE
ANALÏTIQUE ET ALPHABÉTIQUE
DES MATIÈRES
DU QUARANTE -SEPTIÈME VOLUME
DE LA REVUE ÏINCYCLOPÉDIQUE.
Juillet, Aoct, Septembre i85o (*).
On a réuni aux quatre mots indicatifs des quatre gbandes divisions de
'ce Recueil ;
I. MÉMOIRES, NOTICES ET MÉLANGES;
II. ANALYSES ET EXTRAITS D'OUVRAGES CHOISIS;
III. RULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE;
IV. NOUVELLES SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES;
le détail et le renvoi des articles qui s'y rapportent ; puis on a caractérisé
«es articles, à la suite du nom de leurs auteurs, par l'une des quatre
■abréviations ci-après : M. (mémoires et notices) ; A. (analyses) ; B. (bul-
letin bibliographique); N. (nouvelles scientifiques ex littéraires.) La
désignation C. après les noms propres indique les collaborateurs de la
Revue, lorsqu'il s'agit des articles qu'ils ont fournis.
Au lieu de cornprendre sous la dénomination générale sciences et arts
(comme dans nos quatre tables des matières de l'année 1S19) l'indication
des différentes sciences dont traite ce volume, on a cru devoir, pour rendre
les recherches plus faciles, et pour mieux caractériser le but philosophique
delà Revue Encyclopédique, ouvrir un compta particulier et spécial, en
lettres eapiiaks, non-seulement à chacune des branches des connaissances
humaines : abricultcre , anatomie, etc. ; à chacun des élémens essentiels
de la civihsation et des moyens principaux de communication entie les
hommes: académies et sociétés savantes, dictionnaires, enseignement
mutuel, instruction publique, journaux, théâtres, etc. ; mais encore à
chacun des pays dont il est fait mention dans ce Recueil ; de manière
qu'on puisse rapprocher et comparer tour à tour, soit l'clat des sciences et
des élémens de la civilisation dans chaque pays, soit les nations elles-mêmes!,
sous les différens rapports sous lesquels on a eu occasion de les considérer.
A la jeune Fn-mce, ode, par Victor
Hugo, 744.
Abel, ou les Trois-Frères, par Ch.
Pougens, 5i 1.
(*) On souscrit pour ce Recueil scientifique et Littéraire , dont il parait un
cahier de quatorze feuiU es d'impression tous les mois, au Bureau centiial d'abcîn-
NEMENX , rue de l'Ode'on , n* 18; chez Arthus Bertuand , rue Haute-
feuillo , n» 28 . et chez Renouard., rue de Tournon , n" 6. Prix de la souscrip-
■tion : à Paris, ^6 fr pour un an; dans les departeniens , 53 IV. ; 60 fr. dans
4' Etranger.
T. XLVII. 53
yÇ)ii TABLE A
Abel, de Chrisliani.i. L'Académie
des Sciences de Paris lui décerne
le grand piix de nialliématiques,
242.
Aheii Ilunieya, ou les Arabes sous
Pliilipjie II, mélodiaiiie de M.
Martinez de la l{<isa , 25o.
Académies, f'oy. Sucii'tks savantes,
Adricn-Lafasge (J). C— B., ^ji-
Aérolillies d:i Tenessée et de la
Géorgie, 480.
AÉROSTATigi'E, ij6, 781.
Afrique, 422.
Ac.RICULTtJBK, 212, 4^8, i/6, "05.
Albrechtsbeiger (G.), f^oy. Mélbo-
de d'iiainionic.
Aldini. L'Académie des Sciences
de Paris lui décerne un prix de
huit mille francs, 243.
AtCKBnK (Élémens d'), etc., par
Reynaud, iSi.
Aloeb, 455, 548.
Allemacre, i56, 7-7>7> , 4'5, 492,
558, 6c)\, 770.
Allen (Z.). Tlic Science of Mccha-
nics, SScj.
AUerveireldt (J.). Foy. Grolte de
Ilan.
Allix (Gén.). Foy. BatailledcParis.
Alvaies d'Andiada. L'Abeille por-
tugaise, ou Recueil de connais-
sances agréables, 216.
Aniar. Foy. Térence.
Améhiqle cejiTBale, 754.
MÉllIDION Ar,E, 142.
— SKPTE.\TRIO.\ ALK , 137, 21S, Ô89,
' 480, 67;^.
Araoros. Foy. Éducation pliysiqne.
ANALYSES (II.) d'ouvraycs alle-
mands : Leçons sur la connais-
sance des prisons, |iar I\. II. Ju-
lius. Troisiémearlicle (//. 6'.), 55,
— (Touvrages anf^lais : Abrégé du
cours d'instruction chimique fait
à la faculté de médecine de l'u-
niversité <le Pensylvanie, par le
docteur llare [l'\rry), 6j8. — His-
toire d'Angletene, par J. Lin-
gard, traduite en français, par
Houjoux (P. À. Du fan), 644.
NALYTiyVE
Analyses d'ouvrages français :
Voyage de la corvette l'yisirolahc,
exécuté pendant les années 1826-
1827, sous le commandement de
M. J. D. d'Urville [Isidore Le-
brun)., 45. — Moiuunens arabes,
persans et Turcs, considérés et
déciits par Reinaud [Amaury-
Diwal), 92, 554. — Harmonies
poétiques et religieuses, par A,
de Lamartine (//. Patin), 12S. —
Second recueil de tableaux, pu-
bliés |)ar la commission générale
de statistique des Pays-Bas (A.
Çiietelei), .128. — Histoire de la
civilisation en France, par Gui-
zot [Albert Diiiens), 536. — Des
sciences occultes, ou Essai sur la
magie, les prodiges et les mira-
cles, par EusèbeSalverle [L. Am.
5',../), G2,"). — Essai sur l'histoire
de la lillératnre néerlandaise,
par J. de S'Gravenweert [Mar-
ron), (t56.
— d'ouvrages ^TCCi- ; L'Illaded'Ho-
mèi e, traduction nouvelle en vers
français, j)ar A. Bignan [Servan
de Siigny), 119. — Comédies
d'7Vristo[)Iiane, trad. en français,
par Artaud (//. Poirson) , 570.
— d'ouvrages italiens : Onze bro-
chures sur la réforme de la cons-
titutions du Tessin [C. Monnard),
104.
Anatomie, "oi .
Ancehjt. Foy. Henriette.
Andisson. Foy. Congréganiste.
André le chansonnier, drame, par
Ton tan et Desnoyers, 5i5.
Andrieux. Foy. Junius Brutus.
Apior.ETEBBE. Foy. Ghande-Bheta-
GSE.
Anicet. Foy. Barricades.
Anin)auxa|)privoisés. rby. Chassay.
Anti-Draco : or Ucasons for aboli-
.iliing lliepiinislinteiit ofdeallt, etc.
3 98.
AnTiLf.Es, 481.
Antiquité grecque (Connaissance
de l'j SOUK le rapjiort du gouver-
DES MAÏlEllE^.
790
ncmenl, par Wilchelin Wachs-
iiiiilb, 4^0.
Antiquités. Voy. AncHiicrLOciK.
— de Sayii, recueillies en i684, par
J. P. de ReilTeiiherfî, i5y.
— découverles en Suisse, 770.
Applicalion des globes à la Trigri-
noiiiétrie spliérique, etc., par J.
Juiup, i8i.
A-pi opos sur les événeraens de juil-
let, par Masson, 5i5.
Arago (Elienne). Les 27, 28 et 29
juillet, 5i5.
Archéoi.ogik, 92, iSy, 554, 42"?
5u8, 770.
AECHiTKCTi'BEde ^ itruvc, suivie des
exercices de.lean Poleni, et com-
mentée par Simon Stralico, 425.*
Arcs (Desciiption d'un nouveau
système d') pour les grandes
charpentes, par A. R. Emy, 714.
Aristophane (Fragmens d'), publiés
[)ar Dindorf, 696.
Arnould ( INicolas-François), Voy.
INécbologie.
Art MiLiTAiHE, 2i5, 709, 717.
Artaud. Voy. Comédies d'Aristo-
phane.
Arthur. Voy. Leçon de dessin.
Arts indistriels, i58, 716.
Arts (des), qui travaillt.at à la for-
mation de nos habitudes morales,
1 1, 207.
Asie. 219, 487, 7C0.
Astronomie, 242. 244"
A Thymo (Pétri) Hisloria Braban-
tim diplomalica, edidit F. A.Relf-
finberg, 170.
Jtnncrie (/. F. d'). De Zecbad in-
rigling te Scbeveningen, 427.
Australasie, 755.
— (L'Ami de 1'), ou Plan pour ex-
plorer l'intérieur de la Nouvelle-
Galle méridionale, 6S2.
Autriche, 54o.
Auzoux. Modèles anatomiques en
pâte de carton, 5oi.
Avenir (L'), M. 52j.
B.
Babbage's Uejle.vions on the décline
of Science in England, i45.
Bablnet. L'Académie des Sciences
de Paris lui décerne une médaille
d'or, 242.
Bailly 'A.). Histoire linancière de
la France, 19a.
Bains (Les) de mer à Scheveningen,
etc., par J. F. d'Aumerie, 427.
Balance politiqueduglobe, en 1828,
par Adrien Baibi, traduite en
russe par F/merling, 691.
Balbi. Voy, Larenaudiére.
— f^oy. Balance.
Banquet mensuel de la Revue Eacy-
clopédique, 5 16.
Barbier (J. B. G.). Voy. Matière
médicale.
Barginet (A.). Voy. Grenadier.
Barricade (La), à propos vaudeville,
]iar Benjamin et Anicel, 5iG.
Barthélémy. Voy. Insurrection.
Bataille de Paris, en juillet iS3u,
par le général Allix, 755.
Bayard. La Foire aux places, ^91,
Beaux-Arts, 209, 222, 1\^'à5 , 472,
Bédouins. Voy. Burckardt.
Becdier {Mrs C. E.). Suggestions
respecting improvemenls in éduca-
tion, 674.
Belles- Lettres. Voy. Littéhatubb.
Belloc (M-^e L. Sw.), C.-B. 4o4,
CS9, et lesarticlessignés L.Sw.B.
Benjamin. Voy. 15arricade.
— Voy. Jeffries.
Benoît (P. M. N.). Voy. Guide du
Meunier.
Berr (Michel). Voy. Passé.
Be/zélius. Lettre à M. Dulong sur
quelques résultats curieux obte-
nus au sujet d'un acide végétal
qui se trouve dans le tartre de
vin, 5o2.
Beucbot. Œuvres de Voltaire, !\C>i .
Bible de Veiice, publiée par Diauh.
724.
8ÔÔ TABLE AI
Bibliographie, 15^, 38g, 4265 Gjô.
IJibliothèque latine-française : Col-
lection des classiques latins, avec
la traduction en regard, publiée
par G. L. F. Panekoueke, 740,
742.
— de famille, 5g5.
Bichcno (J. E.). Jrcland and lis
economy, etc., i48.
Bigelow's Eléments of technotofp/ ,
i38.
Bignan (A.). ^'oy.llliade d'Homère.
Bildcr fur die J ii^rcnd, Itcraiisgcgc-
bcn von Ernest von Hettwald, ^nj.
Biographie, i45, Sgi, SgS, 3gg,
7Ô8, 740.
Blasis. Voy. Danse.
Boigne (^Général, comte de). Vo\'.
ISÉCBOI.Or.IB.
Boisjoslin (V. de). Voy. Notices his-
toriques.
Bonnetier, Voy. Manuel.
Bon sens (Le) national, par Marc-
Antoine Jullien, ig8.
Bory de Saint-Vincent, C.-B. 753.
Boucher de Perthes. Voj. Eonian-
ces.
Bourbonne (Notice sur) et ses eaux
thermales, par F. Lemolt, 44o''
Bourdon (Isidore). Voy. Ph3-siolo-
gie comparée.
Bourgeois (Le) de la rne Saïnt-De-
Deois, comédie mêlée de chants,
par Brazier, Villeneuve et Emile,
79'-
Boufron-Gharlard. Voy. Robiquet.
Braitliwaith. Vo\\ Pompe à incen-
die.
Bravi (Giuseppe). Tcoria c Pratica
del Probab'de, etc. 161.
— Raglonmuenlo critico stilla Tcoria
del p rohabilc, 1 6 1 .
Brazier. Voy. Bourgeois.
— Voy. Marchand de bœufs.
Brebisson (Alph. de). Voy. Falaise.
Breschet. Nlrmoire relatif à l'orga-
ne de l'audition de quelques pois-
sons, 780.
Brevets d'invention. Voy. Viga-
rosv.
ALYTIQrr.
Brienon (Louis de). Voy. Imn
jours.
Brodzinski (Gasimir). Poésies y
4i5.
Brown's IVarralivc ofllic Anti-maso-
niè cjccitcnwnl in the Western part
oftiic sintc ofNeiv-Vork, 676.
Bryan's Thoiights on éducation in ils
connexion witli morals, 675.
Buckingham. Voyage autour du
monde, 7S6.
BcLLETi.N BIBLIOGRAPHIQUE (III) : Al-
lemagne, i56,4ï5,6g4. — États-
Unis , 107 , 58g , 675. — France ,
172, 450, 715. — Grande-Breta-
gne, 143, 3g2, 6yy. — Grèce,
70g, — Guatemala, 142. — Ita-
lie, 161, 422, 704. — Pays-Bas,
167,427, 710. — Pologne, i54,
4i2. — Russie, i5o,4o7, 68g. —
Suisse, 421, ôgg.
Burchardt (John). iKolli on the Bé-
douins and TVahabys, i46.
Byron (Lord). Commérages littéraL-
res au sujet de ses Mémoires, aa 1 .
C.
Calendrier russe. Réclamation y
relative , 49' •
Campe (J.-H.). Œuvres. Nouvelle
édition publiée par A ieweg, 770.
Canada , 48o.
Canaux (Construction de trois nou-
veaux) en Russie, 760.
Carmouche. Voy. Marchand de
bœufs.
Carte lopographique du cours du
Rhin, 4i8.
— de l'Afrique septentrionale, par
Jérôme Segato, 42a.
Cartes géographiques (Manuel élé-
mentaire pour la construction et
le dessin des), par A. M. Perrot,
7.8.
Censure (Abolition de la) de la
presse, à Malacca, 21g.
Chabrier (De). Mémoire relatif au
moyen de voyager
DES MATIÈRES
dans l'air
80 1
Charbon (Mémoire sur le); son em-
ploi dans l'assainisseiucnt des
eaux, etc., par A. Chevallier,
Charmoy (F.-B. ). Voj. Observa-
tions.
Charpente (Nouveau système de).
Voy. Aies.
Charte (De la) d'un peuple libre,
par A. D. Vergnaud, 459.
Chassay. Notice sur quelques ani-
maux élevés et apprivoisés, 172.
Chateaubriand. Œuvres complè-
tes, 745.
Chateauneuf ( A. ). î^oy. Philippe
I".
Chazet. L'Académie française cou-
ronne son traité sur tes abus , les
lois et les mœurs, 607.
Chemins de fer construits en Autri-
che, 770.
Chevallier et Payen. Moyens à
mettre en usage pour prévenir
les faux en écriture, 241.
Chevreul (E.). Foy. Chimie.
Chevallier (A.). Foy. Charbon.
Cbimie, 212, 5o2, 5o5, 714. 7S0.
— (Cours de) générale, par Lau-
gier, 173.
— (Cours de), par Gay-Lussac,
174.
— (Leçons de) appliquée à la tein-
ture, par E. Chevreul, 175.
— (Cours de) élémentaire et indus-
trielle, par Payen, 176.
— ("Abrégé du cours de), fait à
l'Université de Pensilvanie, par
le docteur Hare, A., 618.
Chiite, 220.
CHiaoBGiE. Foy. Scieivces médica-
les.
Chodzko ( Alexandre ). Poésies ,
4l2.
Chobographie, 474-
Choron. Foy. Méthode d'harmo-
nie.
Cinq-Novembre (Le), ou la Con-
spiration des poudres, pièce his-
torigue attribuée à Shakspearc ,
688.
Classe laborieuse (Moyens d'amé-
liorer l'état moral et physique de
la), par Uoniy M'Cormac, 147.
Classiques latins. Foy, Bibliothè-
que.
Claudon. Foy. Oui et Non.
Cloudesley , par William Godwin ,
traduit en françab par Jean Co-
hen, 208.
Code de Commerce français adopté
en Grèce, 777.
Cohen (Jean), Foy. Cloudesley.
Comberousse (Hyacinthe de). Foy.
Victoire.
Comédies d'Aristophane, traduites
du grec par Artaud, A., 370.
CojiMERCE, 426, 45 1, 477'
— (Tableau du) de i'ile de Cuba,
481.
— ( Tableau historique du ) , des
arts mécaniques, etc., par Gus-
tave de Gulich, 4i5.
Compagnie générale du Levant.
Foy. Projet.
Comte (Charles), C.-M, , 55o.
Coiigréganiste ( Le ) ou les trois
Educations, comédie-vaudeville,
par Villeneuve et Andisson, 790.
Considérations on the propriety and
necessity ofanncxing the province
ofTcxustottie UniledStales, etc.,
i4o.
Contes. Foy. Romans.
Contre-Lettre (La), vaudeville, par
Paulin et Edouard, 5 16.
Courbebaisse. Mémoire relatif à un
veau bicéphale, 5o3.
Corinne, drame en vers, 788.
Coste (L. M. P.). Foy. Roues hy-
drauliques.
Cour (Ija) de Marie de Médicis.
Mémoire d'un cadet de Gasco-
gne, 748.
Cours d'histoire des Sciences natu-
relles, par Cuvier, M., 5.
Cuba, 48i.
Culmann (F. J.). Fof. Métallurgie
du fer.
802
TABLE ANALYTIQIE
CoLTB. VcTj. Sciences heucieobes.
Ciivier. ^oy. le mot Cours.
— Mémoire sur des ossemens qui
paraissent appartenir à un oiseau
dont l'esptcc est délruilc, 340.
— Kov. Discours.
D.
Dandolo(T.) . Sa^gio di Leticre sulla
Suizzera, l^iù,
— La Suizzera, etc., 4^3.
Daskmark, 540.
Danse (Manuel complet de la), par
iJlasis, traduit de l'anglais par
Paul A ergnaud, 474-
Darragon. l'oy. Inslitutioii auxi-
liaire.
Davesne. Koy. Leron de dessin.
DécouviMte d'une île liabitée par
le navitcur russe Klu'omtchénko,
765.
De Gérando. T oy. Rapport.
Delavigne (Casimir). Une semaine
de Paris, nie.ssénienne, 744-
Deshaies. Mémoire relatif à l'ana-
lyse du genre hélix putris, 5o4.
D'Esmond ( L. A. ). L'esprit de
l'homme de guerre, ou Essai sur
l'ait militaire, 717.
Desnoyers, ^oy. André.
— Foy. France.
Desvergers. Foy. Petite Prude.
Deux fous (Les), histoire du tems
de François i", par P. L. Jacob,
Dictionnaire tnpographiquc, histo-
rique et statistique de la Sarlhe,
l)ar J. R. Pcsche, 445.
Dindorf. Arislophanli Fragmenta ,
6<j6.
Discours prononcé par le comte
Mostowsky , à Touverture de la
di«'-te de PoKigne, iSJ.
— sur cette question : Quelle a été
l'inlluenre du gouvernement re-
piesentatir en France sur notre
littérature" et no* mœurs , [)ar
Edouard Ternaux, 196.
Discours prononcés on public en
différentes occasions, par J. D.
CJodman, 5c)o.
— prononcé par le procureur-géné-
ral Moiroud, à Pondichéry , etc.,
45!i.
— sur les révolutions de la surface
du gli;bc , etc. , j'ar le baron Cu-
vier, 715.
Dix jours après, ou le Gentilhomme
de la Chambre, vaudeville, par
Sauvage et Georges, .5i!i.
Domaines (Des) et de l'état consti-
tutionnel de la Lorraine , par
Noël, ig."!.
Dorvo. T^oy. Envieux.
Dovalle. Vow. Sylphe.
Drach. Foy. Rible.
Droit. Voy. JoBisPEUDencB.
RATL'RKL, 499'
— pÉi>Ai., 24, 276, SgS.
PIELIC, 195.
Drouineau (Gustave). Le Soleil de
la Liberté, 745.
P'oy. Françoise do Rimini.
Duhrnnf'aut, C-B., 176.
— L'Agriculteur - Manufacturier,
212.
DLicange (Victor). Foy. Jésuite.
Duchesne. Fbv. Peinture.
Dufau (P. A)"C.-A., 644.
Dulour (Léon). L'Académie des
sciences de Paris lui décerne le
prix de physiologie expérimen-
tale , i^ù.
Dugès. Observations nouvelles sur
les planaires, 241.
Dumersan, C.-B., 511.
— et Dupin. M. de la Jobardière,
va\ideville, 5i.5.
Voltaire chez les capucins,
791.
Diinoyer (Charles), C.-M., 237.
Dupin. l'oy. Dumersan.
Dupourquet. Note concernant un
enfant double, du genre icliia-
dclj)hp, né à Salies, 258.
Diipiiis-Delcourt. Essai sur la navi-
gation dans l'air, 176.
Dujiuvtrcn présente à l'Académie
des sc'cnces de Paiis un riilanf,
par lui guéri, qui avait perdu la
majeure partie de sa figure , 208.
Durivau. Instruction pratique et
théoiique, ou Guide des niaittes
pour la lecture élémenta<re, etc.,
447.
Duteus (Albert), C.-A., 356.
Duval (Amaury), de l'Institut, C-
A,, ij2, 554.
Duvcrt. Les 2-, 28 et 9.9 juillet,
5i5.
— Foy. Petite Prude.
Eadx thermales, 44o
École cantounale de Troguen, chef-
lieu d'Appenzell, 497-
— militaire d'Ej^ine. Règlement
sur son organisation, 709.
— normale de Nauplie, 776.
Economie dombstique, 705.
— POLITIQUE, 148, 195, 45o, 45i.
prBLIQUK ,701.
HtBALE, 428, ^~6, 7o5, 776. 7S0.
Ecosse, foy. GnAXDE-BaETACAE.
Edmond , roman polonais , par
Etienne Wit>\icki, 4'4'
Edouard, foy. Contre-Lettre.
— f^oy. Jésuite.
Édccatiok , 190, 419» 702, 704 )
— (Mémoire sur 1'), par J. Del ^ .,
142.
— (Vues relatives au perfectionne-
ment de T), par Catherine E.
Beecher, 674.
— (Pensées sur 1') dans ses rap-
ports avec la morale, poème, par
Daniel Rryan, 675.
— physique (Manuel d'), gymnas-
tique et morale, par le colonel
Amoros, ijj.
— des femmes, /i'ov. ISiederer
(M-»).
Egypte (L'ancienne). Foy. Sethos.
DF.S MATIÈRES. QqS
Eincriing. l'ny. Balance poliliquc.
Emile, foy Bourgeois.
Emy (A. B.). Foy. Arcs.
Encvclopéuie américaine, publiée
par F. Lieber, 157.
El\SBir,>EMK.\'T Ml'TlEL, 776.
— pBiMAiBB (État de l') en Grèce,
23().
Entomolooie, 689, 783.
Entrée (L') en vacances, comédie
en prose, par Paulin, 5i3.
Envieux (L'), comédie en vers, par
Dorvo, 249.
Epagny (D'). Les hommes du len-
demain, 790.
Epître à la société d'agriculture ,
sciences et arts du département
de la Doidogne , par de Gageac ,
207.
Esclavage (Abolition de l') dansla
ïille et le territoire de Malacca,
21 y.
— (De l'abolition graduelle de 1')
dans les Colonies européennes ,
M., 579. _
Espagme, 539.
Essais entomologiques, publiés par
A. D. Hunimei, 6Sq.
Établissemens prolesfans pour l'é-
ducation d'enfans pauvres , au
IXeuhof, près Strasbourg, 190.
Etats-Ums, 2^, 137, 218, 389, 480,
673.
ETH>ocaAPHiE, 146.
Eupolis. foy. Runkel.
Evans ( Oliver ). foy. Guide du
meunier.
Evènemens de Paiis des 26, 27, 2S
et 29 juillet iSôo, 4^6.
(Causes et conséquences des),
par J. Fièvée, 45(>.
Expédition scientifique à l'Aiarat,
par Pariot fils, 223.
Exposition à Londres des poi traits
peints par feu sii' Thomas La-
wrence, 222.
8o4
Fables de La FontairK-, publiées à
Bruxelles, par Eug. A crboecklK)-
ven, jio*
Falaise (Statistiqne de i'arrondisse-
uient de), par Fréd. Galeron, A.
de Brebisson, etc., 722.
— (Histoire et description de) , par
Fréd. Galeron, -22.
Falconelti. Foy. Irène Delfino.
Fa7nily Library N" XIT''. Livcs of
Drllish pliysicians, c>()5.
Fée (A. L. A.). Foy. Système de la
nature.
Feissat aîné, f^cy, Toulouzan.
Felton (S.). On ihc portraits ofcn-
gtisli aulhora nf gardcning, i45.
Femme (La) du sous-préfet, vau-
deville, par Moreau et Sewrin,
5i5.
Ferblantier. Voy. Manuel.
Ferme modèle établie à Tyrinthe,
entre IS'auplie et Argos, "6.
Fenier. J'^oy. Télégraphe.
Ferry, C.-Â., 61S. — B. i64, 691.
Férussac (Baron de). Bulletiu des
sciences géographiques, 751.
Fiévée (J.). Toy. Evèneuieus de
Paris.
FlICANCKS, 192.
Foire (La) aux Places, vaudeville,
par Bayard, 791.
Fondation de deux nouvelles villes
sur les bords d«; la rivière du Cy-
gne, en Au,-.tralasie , 70.5.
Fontan. Foy. Jeanne la Folle.
— Voy. André.
Fonlaneilles. \ote sur deux larves
d'insectes rendues par une per-
sonne qui avait fait usage des
pilules écossaises, 5oj.
Fbawcb, 172, 2Ô8, 356, 4^0, 442,
5oo, 626, 715, 779.
— (La) au XV siècle, mélodrame,
par Charles Desnoyers, 5i6.
Franclieu. Voy. Pétitions.
ALYTIQrE
Fhascs-maçows, 676.
Francœur, C.-B., 176, 184, 716.
Françoise de Rimini , drame en
vers , par Gustave Drouineau ,
462.
Franklin (Benjamin). Voy. Science.
Franscini (Stefano). Voy. Luvini-
Perseghini.
— Vo\\ Zscbocke.
Fraunhofer (Joseph). Voy. Nécbo-
L(JCIE.
Fr'icnd (The) of Australla , 682.
Gabriel. Voy. Trois jours.
Galeron (Fréd.). Voy. Falaise.
Gageac. f'oy. Epître.
Galli's Prospectai of a plan ofphilo-
sophy, 677.
Gambarf, de Marseille. L'Acadé-
mie des sciences de Paris lui dé-
cerne une médaille d'or, 242.
Gambey. L'Académie des sciences
de Paris lui décerne une médaille
d'or, 242.
Garnier (Adolphe), C.-B.. 729.
Gaury. Voy. Percheron.
Gaiittier d''Arc (E.). Voy. Histoire
des conquêtes des NorHiands.
Gay-Lussac. Cours de Chimie, 174.
Geoffroy Saint-Hilaire, de l'insti-
tut, C.-B., 175.
GÉOr.HAPHIE, 146,253, 422, 44^5
48-, 718, 751.
— (Traité élénientaiie de), etc. ,
par Larenaudiére, 186.
Géométrie (Élémens de), etc., par
T. Walker, i5S.
Georges. J^oy. Dix jours après.
Godman (John D.J. Adresses delivc-
red on varions public occasions,
590.
Godwin (William). Voy. Cloudes-
ley.
Golbéry, C.-B., 159, i6i,4i9>42i)
697,745.
Gondinct (Ad.), C.-M., 5.
londrel ( Loiiis-François ). Rél'ii-
lalion tlii rapport de M. Lisfranc
à l'Académie ioy;i!e de Méde-
cine, 178.
Cordon ( Prycc Lochart ). Persona/
Meinoiis, or licminiscenccs ofmcn
and manncrs, etc., 4oo.
(il aiii maire de la langue luongole,
765.
GrA.NDK-BbKTAGKB , 145 1 221, 092,
488,547,644,6-7,761.
Ghkcb, 206, 709, 776.
Grenadier (Le) de l'île d'Elbe, etc.,
par A. Barginet, 47'J»
(îrotte de Ilan (Description pitto-
resque de la) sur Lesse, par J.
Alleweireldt, 167.
GcATEMAn, 142,754.
Gueldre, Voy. Mémoires.
Guide du meunier et du construc-
teur de moulins , par Oliver
Evans, traduit en français par
P, M. N. Benoît, i85.
Guillaume Tell , tragédie de feu
Pichat, 249.
GuUchÇil. von). Gesclilcldidic Dar-
sfcllunî; des Handcls, 4i5.
Guizot. Histoire de la Civilisatiuu
en France, A. 536.
Gymnastique, 4^75 754-
H.
Hammer (De). Voy. Réponse.
Ilarc's Compendiiim of thc course of
cliemical instruction, A. 618.
Harmonies poétiques et religieuses,
par Alphonse de Lamartine, A.
1 28.
Hassler (F. R.). Foy. Tables loga-
rithmiques.
Henriette, ou deux ans après, mé-
lodrame, par Ancelot, 791.
Héreau (Fdme), C.-B. i54, et les
articles signes b. h.
HisTOiBE, i58, 171,400,445,456,
755.
— 'd'Angleterre, par Lingard, tra- I
OE? MATlÈriEï:. 8o5
diiite en français t)ai Roui uix, A.
644.
Histoire de Ficdcric-le-Grand, par
Camille Paganel, 732.
— de la Nation suisse, par H.
Zschokke, en italien et en fran-
çais, 421 .
— des conquêtes des Normands,
en Italie, en Sicile et en Grèce,
par E. Gautier d'Arc, 752.
— du Brabant, par Pierre A. Thy-
mo, publiée par F. A. Reillén-
berg, 170.
— de l'Ordre de la Toison-d'Or ,
tirée des archives de cet ordre,
par F. A. Reiffenberg. 171.
— de la civilisation en France, par
Guizot, A. 356.
— financière de la Franco, etc.,
par A. Bailly, 192.
— résumée de la guerre d'Al-
ger, etc. 455.
— de la littérature néerlandaise, par
J. de S'Gravenweert, A. 656.
— des litléi atures, par L. Wachler,
695.
.\ATCRELLB, I72, 258,478, 5o3,
Soi, 7'"'' 77-^-
— de la peinture en Italie, etc., pai'
Lanzi, traduite en allemand par
Wagner, 697.
Historiens (Collection des) de By-
zance ; uo'ivelle édition publiée
par Aiebuhr, i58.
Hollmid (J.). Mcmoirs of the lifc
and minisiry ofthe rev. John Sum-
mer fie Id, 591.
Homme (L') représenté dans les di-
vers degrés de ses dévelnppemens
physiques, moraux et intellectuels,
par J. G. G. Joerg, 694.
— de guerre, f^oy. D'Esmond.
Hommes (Les) du lendemain, co-
médie en vers, pai d'EpagTiy,790.
Honoré. Voy. Te Deum.
HORTICULTLRE, l45, 45o.
Houwald (Ernest de). Tableaux
pour la jeunesse, 419.
Hugo (Victor). A la jeune France,
ode, 744-
54
.Sn()
TABLE ANAI.YTIOir.
llunibuldt .Alexandre de). Séance
extraordinaire tenne en son hon-
neur par l'Académie inijiériale
des Sciences de Sainl-Péters-
bijiirg, 407-
Humniel (Arvid-David). foy. Es-
sais cntomologiques.
IIiiol. J'oy. Larenaudièi c.
IIvDnACLiQL'ii, 182, 240.
IcHTVoi.oniE, 780.
Iliade (L') d'Homère, traduction
nouvelle en vers français , par
A. liignan, A. , 1 19.
Imporlation (Aperçu de 1') el de
l'Exportation de la France de-
puis ijif) jusqu'en iiS2"),pag. 417.
lni]iriii!!'rif ( Iniporlalion de l'j
dans les îles du (jiand-Océan ,
756.
Inde (Tableau géographique, his-
torique et descriptil'de I') , i46.
— (Souvenirs de 1') , G84.
Ikdlstrie, 9.4^» 477-
Industrie (Progrés de 1') en Au-
triche, 770.
Inondations (Détails sur les) qui
eurent lieu au mois d'août 1829
dans la province de Moray, par
Thiinias Lauder, 3t)2.
Institution auxiliaire de l'Jbcole de
Droit deParisjdirigéeparM. Dar-
ragon, 24-5.
I>STBrCTIO> ÉLÉME.^TAlnE, 447-
POPtLAIRE, 449^ 7f)2, 7o3.
PRIMAIRE, ?.56, JÔI.
— piBLiQLK. yoy. Écoles, Ukiveb-
siTÉs, etc.
En Géorgie, 760.
— En Russie, 764. ^
— du Peuple français, 449-
Insurrecli(a) (L'), poème dédié
aux Parisiens, par Barthélémy
et Méry, ?.i)4.
Inventions, 195, 509, 761, 783,
Irène Delphino , chronique véni-
tienne, par Falconetti, traduite
en français, 20S.
Irlande. J'oy. Graxde-Bbetagnb.
— ( De 1' ), et de son économie
inférieure, etc., par J. E. Bi-
cheno , i.j8.
Islamisme, 92, .354.
Italie, 161, 23G, ^'>.7., 542, 704.
Itinéraire descriptif de la France,
etc., par ^'aysse de ^ illicrs, 445.
Ivrogne (I/), drame mêlé de cou-
plets, par Sauvage, 5i5.
Jacob (P. r.). Voy. Deux Fous.
Jacobi, de Kœnisgsbcrg. L'Acadé-
mie des Sciences de Paris lui
décerne le grand prix de mathé-
matiques, 242.
Jardinage. T'oy. HoRTiCDi.TinK.
Jaiicli ( Giov. ). Lcllcra sut modo di
elcf,'gcre i tncmbri de/ gran Consi-
g lia, io5.
Jeanne la Folle, ou .la Bretagne au
XIII'' siècle, drame historique et
envers, par Foutan, 5i5,
Jeffiies, ou le G j and- Juge, mé-
lodrame, par Benjamin, 25 1.
Jésuite (Le) retourné, ou la De-
mande en mariage, vaudeville,
]iar Edouard, 791,
— (Le), mélodrame, jiar Victor
Ducange, 791'
John Bull, imitation d'une pièce
anglaise, par Théodore, 5 16.
Jokeis (Les) anglais, ou les Courses
d'Eps')m, vaudeville, 25o,
Jomard. Voy. Réclamation.
Jurg (J. Clir. G.) Der Mcnsch ,
II. s. IV., 694.
JoLRPiAix ET Recueils PbHioDiQLKs.
— publiés en ÂUcmagne : Kri-
ti.sclie Zciischr'i fl , à Heidelberg,
169.
— publiés en Angletenx : le Re-
présentant des Peuples, Journal
hebdoniadaiie iVanrais , à Lon-
dres, io.\.
- publiés^on Canada : la Biblio-
tlièqne '■canadienne , à Mont-
Hi'ul , ^'So. — La Minerve , à
Mont-Réal, 48i.
- publiés en France : Recueil
agronomique , à Monlauban ,
212. — L'Agriciilieur-IManufac-
lurier, à Paris, 212. — Journal
des Sciences militaires des ar-
mées |de terre ctj de nier, à Pa-
lis, 21 5. — Jdurnal du Comité
agricole du déjiarlement de la
Marne, 212. — L'Abeille, ou
Recueil de connaissances agréa-
bles (en portugais), à Taris, 216.
— Annales provençales d'agri-
culture pratique et d'économie
rurale, à Marseille, 47'^- — Ke-
cueil industriel, manulaclurier,
agricole et commercial, à Paris,
4-7. — Bulletin des Sciences
géographiques, à Paris, y5i. —
Le Frap.c Parleur de Vauclusc ,
762.
-publiés en Géorgie : La Gazette
de Tiflis, en trois langues : russe,
géorgienne et persane, ^Sj, 760,
- publiés en Grève : L'Aurore
( Hw; ). Ce journal vient d'être
supprimé, 777.
- publiés en Italie : Annal'i uni-
vcr sali dis talislica, à Milan, i65,
-oS. — Giornalc arcadico , "à
Rome, 16G. — Fuglio commer-
ciale italiano; — L'EcIcclico; —
Bibliographia ilaliana, à Parme,
426. — Annali universalidi Agri-
coUura , à Milan, 700. — Efyc-
meridi di Mcdicina omeopal ica, à
Naplcs , 706. — Jntotogia , à
Florence, 70C. ;— // Nuovo Rico-
gUlore, à Milan, 708
- publiés dans les Pays-Bas : Jour-
nal d'Agriculli:re , d'Economie
rurale et d«s Manulaclures, à
Bruxelles , 428. — Correspon-
dance n)albémaliquc e! pliysi-
DES MATIÈRES. 807
que, a Bruxelles, 45o. — La Re-
vue des Revues, à Bruxelles, 71 1.
— publiés en Russie, en langue
l'ianraise, au nombre de 8, dent
4 à Pétersbonrg, 1 à Moscou et
5 h Odessa, 767.
— publiés en Suisse : Zciisclirift
fur yolksschullchrcr, à Bàle, 703.
— Journal d'Education, à Yver-
dun, 704.
Julitis ( N. H.). Voricsungen ûber
die Gefiingïiisskunde, A. , 55.
Jullien (^larc-Antoine) , fuiidateur-
direcleur de la Revue Encyclo-
pédique , C.-M. , 320 , et les ar-
ticles signés M. A. J.
— Le Bon Sens national, 198.
Jump (J.). Application des Globes
à la Trigonométrie sphérique ,
etc. ,181.
Junius Brutus , tragédie par An-
drieux, 7S8.
JuiiispRi!DE.>cE, iSg, i6c), 1^5. Voyez
aussi Législation.
Karslen (C. J. B.). Voy. Métallur-
gie du 1er.
Khromtchénko. Voy. Découverte,
Kresz. Vo\. Pêcheur.
L.
Lair (P. J. G.) Voy. Nkckolooie.
Lamartine (Alphonse de). Voy.
Harmonies poétiques.
Laml'ranchi ( Louis - Reinier ).
Voyage à Paris , 199.
Lanzi. Gescliiclilcdcr Malerci in lia-
lien iibersetzt von TVagnér , C97.
Larenaudit're , Caibi et Iluot :
Traité élémentaire de Géogra-
phie, ou Abrégé du précis de l-i
5;éographic universelle de Malte-
Brun, 186.
Hu8 TAbLE AXA
Laiider's Account uflhc grcat floods
of Augusi, 392.
Laugicr. Cours de Chimie géné-
rale, ,1/5.
Lavy. Etat général des végétaux
originaiies, etc. , 45o.
Lawrence (Thomas) , peintre an-
glais. J'oy. Exposition.
Leblanc. Vo\, Manuel du Bonue-
tier.
Le Brun (Isidore) , C.-A. , 43. —
B., 429, 724, 740. — N., 519,
793-
— Voy. Manuel du Ferblantier.
Leeanu. Mémoire sui- la matièie
colorante du sang ou iiémalo-
sine, 780.
Le Chevalier. Note sur la caléfac-
tion de l'eau dans des vases por
tés au rouge, 5oJ.
Leçon (La) de dessin, comédie,
par Davesne et Arthur, 201.
Lecture élémentaire. Joy. Duii-
vau.
Législation, 24, 159, 276, ^98,
777-
Lemercier (jNe[>.). Le Triomplie
national, 5o8, ji^.
— à ses Concitoyens, sur la grande
semaine, 7.17.
I^emoit (F.). Foy. Bourbonne.
Les 27, 28 et 29 Juillet, vaudeville,
par Aragu et Duveil, 5i5.
Lettre de TutundjuOglu. l'oy. Ré-
ponse.
— T'^y. Observations.
Libri (Guillaume). J'oy. Mathéma-
tiques.
Licbcr (Francii). EncyclopcilùiAnie-
7'icana. lôj.
Lingiird's History ofEngland from
tlie /irsl invasions oflhe Eomans ,
A.,644._
Linnœi ( Caroli ) , siieci , Systcma
N-durœ, 478,
I.ishanc. /'ov. Goudret.
LirllOTBITIK, Soi.
LiTTÉRATUKK aucicnue ■ classique ,
119. 370. ^96, 697, 74.), 74-i; —
anglaise, i()4, ao8,4o7., 4/1 •
I.YHQliE
688; — des Élats-Uiiis, 673; —
française, 119, 128,201,202,
2o4 , 207, 249, 25o,320, 46I5
462 , 464 , 467, 470, 471, 5oj,
5i5, 5i4, 5i5, 5i6, 710, 745,
744 , 745 , 74H , 779 , 788 , 790 ,
791 ; — italienne, 166, 208, 4^6,
706, 706, 708; — néerlandaise ,
656 , 711, — orientale, i5o; —
polonaise, 4i2 , 4'5, 4i4j —
portugaise , 2 1 6 ; — russe , 4 1 2.
Lilcs ofrcmarhabic Youllis of bolh
sexes, 599.,
Livingston (Edouard). Voy. Peine
de mort.
Lomonossov. Foy. Monument.
Loi raine. Voy. Domaines.
Lucas (Charles). L'Académie fian-
çaise couronne son syslcmc péni-
ietitiaire en Europe et aux Elals-
l'nts, 5()6.
Lucenay (J. de), C. — B.,4i8,
420. — N. , 770.
Luvhù - Perscgliini e Franscliini.
lUpoala ail' opuscolodclaig. Land.
Ouadri , I 04.
— Colpo d'occliio, etc., io5.
M.
Machines (La Science des) , etc. ,
par Zachariah Allen, 089.
M'Cormac (Henry ). On tlie Lest
nicans of impnning llic moral
and pliysical condition of titc
worhing classes, \.\j.
Malacca, 219.
Malte-Brun. Voy. Larenaudière.
Manuei, du Feiblantieret du Lam-
piste, par Le Brun, 716.
— du Bonnetier et du Fabricant de
bas, ])arV. Leblanc et Préaux-
Callot,7i6. .
Manufacturks, 428.
Marchand (Le) de Bœufs, vaude-
ville, par Brazier (4 Carmouche,
79' ■
DES MATIERES.
Mari (Le) de ma Ffinmc, comédie
en versj par Kosrt, .149.
Marine anglaise (État de la) , 489.
Marron, C. — A., 656.
Marlinez de la Rosa. Voy. Aben-
llumeya.
Massalski (Joseph). Poésies, ^12.
Massias (Barcin). Voy. Questions.
Masson. Foy. Trois jours.
— Voy. A propos.
Mathématiques, iô8, 161, 181,
1S2 , 258 , 209, 242 •, 243, 43o ,
5oi, 675, 714.
—^ (Mémoires do) et de physique,
{)ar Guillaume Libri, 704.
Matière médicale (Traité élémen-
taire de), par J. B. G. Barbier,
405.
Mauvais Garçons (Les) , par Al-
j)honse Royer, 467.
M. de la Jobardière, ou la Révo-
lution impromptu , vaudeville ,
par Dumersan et Dupin, 5i 5.
Mécaniql'e, 1S2 , 212,242, 244»
589.
Médaille du général Lafayelte ,
destinée À servir à l'histoire de
la révolution de Paris, 792.
Mkdbci>k. Voy. Sciences médi-
cales.
Mélanges, ou Suite des promena-
des d'un solitaire, par Chailes
d'Outiepont, 464-
Mémoires, kotices, letthes et sié-
LASGES (1.) : Cours d'histoire des
sciences naturelles, par M. Cu-
vier ( Gondinet ) , 5. — Opinion
de M. Edounrd Livingston sur
la peine de mort , 24, 276. —
Des arts qui travaillent à la for-
mation de nc:s habitudes mo-
rales (Ch.Dunoyer), 267. — No-
tice nécrologique sur M. Jean
Schv.eighaeuser, de Strasbourg
(J. H. Schnilzler) , 297. — Sou-
venirs politiques : La révolu
tion et l'empire (M. A. JuUien),
520. — L'Avenir ( J. C. L. de
Sismondi ; , îaô. — De la Mé-
thode d'observation , appliquée
809
aux sciences morales et politi-
ques (T/idr/c; Comte), 55o. — De
l'abolition graduelle de l'escla-
vage (P. J. D.). 2"^ article, 579.
— ET Rappokts du sociétés savan-
tes en France, 47^, 74<)-
— de l'Académie impériale des
Sciences de Saint-Pétersbourg,
— présentés à celte Académie par
divers savans, 4ii.
— sur l'histoire de la Gueldie, etc. ,
par J. A. ?^ybofr, 171.
— sur la Vie et le Ministère du ré-
vérend John Summerfield , par
J. Hollaud, 091.
— personnels, ou Réminiscences
des hommes et des mœurs en
Angleterre , etc. , par Piyce
Lockart Gordon, 4oo.
Memorla sohre la Edttcacion, 142.
Mère (La) de Famille, par 'Titus
Tobler, 702.
Méiy. Voy. Insurrection.
Mesures prises à Londres pour le
soulagement des ouviiers, 4^9.
MÉTALLrRGIE, 779.
— ()uFer(Manueldela),parC. J. B.
Karsten , traduit de l'allemand,
par F. J. Culmann, 44i'
■Méthode (De la) d'observation,
appliquée aux sciences morales
et politiques, M. , 55o.
Méthodes d'harmonie et de com-
position, par Georges Albrechts-
berger, tiaduite de l'allemand
par Choron, 472-
Miehclot (A.),C.--N., 244, 5o5,
7S5.
Mittertîiaïer et Zachariae. Recueil
ciitique de jurisjjiudence et de
législation étrangères, 159.
Moiroud. Voy. Discours.
Moléon ( J. G. V. de). Recueil in-
dustriel,,etc. , 4/7-
Monnaie (Établissement d'une) a
Egine, 777.
Monuard (C.), C.-A. 104.
— B. 4?i: 42^1 702, 7o4- — ^. 499s
8 10 TABLE AN
Moniiard. Voy. Zscliokke.
iMontabeit (P. de), t'^oy. Peinliir<\
Monii (BaltislaJ. Peiisicri , etc. ,
Muntlosier (C. de). Voy. Mys-
tères.
Moiiumens arabes, persans et turcs
du cabinet du duc de lilacas, etc.,
par Reinaiid, A., 92, 7)5^.
Monument en bronze, érigé à Lo-
nionossov, poète russe, -^66.
IMoRALR, 399.
Moreau de Jonnès(A.), C. — PJ.,
4«7-
Moreau et Sewrin. La Femme du
Sous-Préfet, 5i5.
Morogues (lî.de). ^oy. Productions
nationales.
Mostowski (Comte). ^'oy. Discours.
]Musée cosmopolite de Paris, 792.
MUSIQCE, 4/2.
Mystères (Des) de la vie humaine,
par le comte de Monllosier, 726.
Naples, .544 •
Navigation à vapeur. (Mémoire sur
la), par Séguin aîné, 44'-
— dans l'air, ^oy. Du])ui8 Delcourt.
•Nkckolooie. Le général comte de
Boigne, à Cliambérv,25i. — IVioo-
las-Krançois Arnoiild, auteur dra-
nialrque, à Paris, ^i^~^>. — Jean
Seinveighacusur , , jjrol'esscur à
l'université de Sttasbouig, 297.
— Pierre-Jacques Gabriel Lair,
inspecteur général ' des con-
structions navales à Brest, 5i8.
— Comte Louis Philippe Sé-
giir , membre de l'Académie
fiançaise , 519. — James lientiel,
major anglais, à Londres, jj7>.
— Jose])h Fraunlw fer , opticien,
à Munich, ~ij\.
iSicbulir. Corpus Hhlorite Byzanli-
tue, i5S.
î\ie<lercr (M""' Rosellc ] . \ ues sur
ALYTIQVE
le but et la nature de l'éduca-
tion des lémmes, G99.
Nobles et Bourgeois , ou la justice
des partis, dïame, 790.
Noël. Foy. Domaines.
]\(jrmaiiby ( Lord ). Foy. Oui et
Non.
Norvins (De). L'Académie fran-
çaise couronne son poème de
l'Immortalité de l'âme, 5o6.
Notice nécrologique sur Jean
Scbweighaeuser, de Strasbourg.
M., 297.
Notices historiques sur S. A. R.
Louis- Pliilipiie d'Orléans, roi
des Français, parV. de lioisjos-
lin, y^o.
Nouvelles scientifiques et litté-
nAiREs(lV,). Allemagne, 253,
492, 770. — Antilles, 4^'- —
Asie, 219,487, 760. — Austra-
lie, 755. — Chine, 220. — Etats-
Unis, 218, 4S0. — France, 258,
5oo , 779. — Grande - Bretagne ,
221, 488, 761. — Grèce, 236,
776. — Guatemala, 754. — Ita-
lie, 236. — Malacca , 219. — Pa-
ris, 258, 5oo, 780. -=-Pays-Has,
499 , 778. — Polynésie , 756. —
Russie, 225, 490, 762. — Russi»;
asiatique, 487, 760. — Suède,
228. — Suisse, 497, 770-
NLMis.MATHjtjE moderne, 792.
NyhofJ' (Is. yin.). Gcdcnkwaardig-
licden, etc. ,171.
Observations sur la lettre de ïu-
lundju-Oglu à M. Tbaddée
Bulgarin , par F. B. Cliarmoy,
. i5o.
ŒîuvHES de V'oUaiie , publiées par
Beucbol, 461 .
— de Caippe, 770.
— COMPLÛTES de Chateaubriand ,
745.
Ordres loligicux (Fixlitulion des)
dans l'Eiat de Guatemala, j5'[.
Oh.mthologik, 7^5.
Oi |>hanotiophc d'Egine, 776.
OaVCTOGRAPHlE, s/fO.
Oui et ISOn, roman du joui-, |)ar
lord IN'ormanhy , traduit, en
français par Claudon et Paquis,
47»-
Ouizille (C. V,). Foy. Quintilien.
Outieponl (Charles d'). Foy. Mé-
langes.
Oivcn's Lectures on an entirc new
staic ofsoc'tety, &~<j.
Ozanani. Observations sur îa trans-
formation du virus variolique en
virus vaccin, 5oo.
Pa^ancl (Camille). Histoire de
Frédéric-le-Grand}, jSa,
Panckouke (C. L. F.'). Foy. Biblio-
thèque latine-française.
Paquis. Voy. Oui et JXon.
Paris, 198, 258, 5oo, 780.
Perrot Gis. Foy. Expédition.
Passé (Da) , du Présent et l'Ave-
nir, par Miciiel lierr, -37.
Patin (H.), C. — A. 12S.
Paul Cil fjord, by ihe author ofPel-
ham, 4o2.
Paulin. Foy. Entrée en vacances.
— Foy. Contre-Lettre,
PacVBES, 72f).
Payen. Cours de chimie élémen-
taire et industrielle , 176.
— Foy. Chevallier.
Pays-Bas, 167, 170, 4^7) 499? ^57,
710, 778.
Pêcheur (Le) français, etc., par
Kresz, 184.
Pf.ijvk de mort ;Opinion de Living-
ston sur la), M. 24, 276.
(Raisons d'abolir la) pour
crime de faux, ^98.
Foy, Questions.
Pkistube, 222,697,792.
— (Traité complet de la), par P.
de Montabert, 209.
DE» MATIÈRES. 81I
Peiktl'rk (Musée de) et de sculptu-
re, etc., par Réveil et Duchesnc,
210.
Pentland. Mémoire de géographie
mathématique, 2^9.
Percheron et (Jaury. Monographie
des insectes luélitropliiles, 785.
Perrelet. l'Académie, des Sciences
de Paris lui décerne une mé-
daille d'or, 24?-.
Perrot (A. M.). Foy. Cartes géo-
graphiques.
Pesche (J. R.). Foy. Dictionnaire
topographique.
Petite (La) Prude, vaudeville, par
Duvert , Desvergers et Varin ,
25o.
Pétitions (Deux) à M M. de la cham-
bre des députés, par de Fran-
clieu, 460.
Pétrarque (Poésies de) , publiées
])ar Angelo Sicca, 705.
Phahmacie, Foy, Sciences médi-
cales.
Phékomènes, 092, 4S0.
Phérécrate. Foy. Runkel.
Philippe I^'', roi des Français; pré-
cis historique, par A. Château-
neuf, 708.
Foy. Psotices historiques.
Philippe, ou la Guérison militaire,
792-
Philologie, 119, ^70, 69G, 697,
74'>,742.
Philosophie, i45, 147? 267, 525,
55o, 579, 620, 679, 726.
— (Prospectus d'un plan de), con-
traire à tous les systèmes [moder-
nes, par Florent Galli, 677. , .Tj
Physiologie, i5G, 245, 694.
— comparée (Principe de)', etc.,
par Isidore'Bourdon, 432.
— végétale, 5o3, 784.
Physique, 212, /^ôo, yoff. '
Pichat. Foy. G'iiillaume-rell.
P ici lire nf India , etc., i46. "
Pioda (G. B . ). Osscrvazioni in-
iorno alla Riforma dclla consti-
iuzione, 104.
Piroux. Le Vocabulaire des sourds-
8l2
TABLE ANALYTIQUE
Muets. Partie icouogiapliiijue ,
191.
Poésie, 119, 128,202,204,2(17,
020, 4 12, 4 '5, 4 lis 507,675,705,
710, 74^5,744, 745.
DBAMATIQIE, l64, 201, 249, '5o,
462, 5 1 5, 5i4» 5i5, 5 16, 688,
788,790,791.
Poezyo Alexandra Cliodzld, 4i2.
— Jozcfa Massabzici^o, 4 12.
— Knzimicrza Brodzinshicgo , 4>5.
— bihliync S le fana Pf^clwickicgo ,
4.4. .
— siclskie, 4 I 4-
Poirsoii (A.), C— A., 370.
BOLEMIQL'E, l5o, 178.
Poleni (Jean), f^oy. Architecture
de Vilruvc.
PoLiTiQi'K, io4, i4o» i54, 196, 198,
404,45^,456, 4 'S, 459 , 460, 525,
682 , 707, 7.52.
Pologne, i54, 4 '2.
Poltoratzky (Serge) , tic Moscou,
C — B.,411,694. — N., 488,
491,765.
POLYJVÉSIE, 756.
Pompe à incendie mue par la va-
peur, derinveiilion de M. Braith-
waith, 761.
Ponts et Chaussées, 770,
Population (Accroissement de la)
à Ilochester, État de ]\cw-York,
480,
— des principales villes des Pays-
Bas, 778.
Portraits ( Sur les ) des auteurs
d'horticulture anglais , etc. , par
S. Fellon, i45.
Pougens (Charles). P^oy. Abcl.
Préaux -Caltot. ^oy. Manuel du
Bonnetier.
Presse périodique, /^oy. Journaux.
Priso.-vs ( Leçons sur la connais-
S2nceLdes) , etc. , par N. H. Ju-
lius. A., 55.
— ( Discipline des ) en Chine ,
220.
Prix décernés par l'Académie des
Sciences de l'aiis, 242; — par
l'Académie fran^îiise , 5o.ï ; —
par l'Académie des jeux floraux
(le Toulouse, 779.
— PROPOSÉS par l'Académie des
Sciences de Paris, 243; — par
l'Académie royale des Sciences
de Berlin, 49'> ; — par l'Institut
royal des Pays-Bas , 499 ' — P^i"
rAcadéiuie française, 507; —
par la Société pour l'Enseigne-
ment élémentaire de Paris, 5i 1 ;
— par la Société d'Agriculture ,
Sciences , Arts < t Belles-Lettre»
d(î Troyes, 750 ; — par la Société
d'Émulation du déparlement du
Jura , 751 ; — par l'Académie
royale des Sciences de Toulouse,
779; — parl'Académie des Jeux
floraux de Toulouse, 779 ; — par
la Société royale d'Agriculture
du département de la Haute-
Garonne, 780.
Proliabilités (Théoiie et pratique
du calcul des ) , par Joseph
Bravi, i6i.
— (Dissertation critique sur la
théorie des ) , par le même, 161 .
Production nationale (De la), con-
sidérée comme base du com-
merce , etc. , par le baron de
Morognes, 45 1.
Progrès des moyens de communi-
cation dans les États-Unis, 218.
Projet d'une association indus-
trielle sons le nom de Compa-
gnie générale du Levant, 246.
Prisse, 233, 492, 538, 752.
Pu VIS. L'Académie des Sciences de
Paris lui décerne le prix de sta-
tistique, 243.
Quadri ( G. B, ). Osscrvazioni
dcir aiitorc di un progctio di
Adrlzzo da fars' dclle commtini ,
iu4.
Questions surla révolution de i83o,
par le baron Massias, 458.
DES
Questions sui la Peine de mort, par
le même, •j'hx.
Quetelet ( A. ) , C. — A. , 3a8. —
B., 169.
— Mémoire concernant les degrés
successifs des forces qu'une ai-
guille d'acier reçoit pendant les
frictions qui servent à l'aiman-
ter, 209.
— Correspondance mathématique
el plijsique, l\ho.
Quintilien. Institution oratoire ,
traduite en français, par C. V.
Ouiziile, -40.
R.
Rapport fait au nom du Bureau de
charité du ii^ airondissement
de la ville de Paris, par De Gé-
rando, 729. ■
Reali (Giov.). Ceimi opologctlcl,
etc. , io4.
Eecherches microscopiques sur la
génération des monades , par
C. Aug. Sigm. Scliultze, iJ6.
Réclamations de M. Chauvet au
sujet des hauteurs respectives de
Temboctou et du lac Tchad ,
.5i2 ; — de M. Jomard, à propos
d'une assertion du Globe, 7S6.
RjiClIElLS PÉBIODIQEES. V Oy . JoiR-
NAUX.
Réflexions sur le déclin des scien-
ces en Angleterre , etc. , par
Charles Babbage, i43.
ReifTenberg (Jean-Philippe) , Anii-
quiiatcs Saynonses, 169.
Reiffenbcrg (F. A.), C— B., iSq,
170.
— Voy. Histoire du Brabant.
Histoire de l'Ordre de la
Toison d'Or.
Reinaud. Voy. Monumens arabes.
Religion. Voy. Sciences reli-
GlEtJSKS.
Rennel (James). Voy. Nécrologie.
Réponse à la lettre de Tutundju-
Oglou, par M. deHainmer, i5o.
MATIERES. Sl3
Réveil. Voy. Peinture.
Révolution de Paris des 27, 28 et
29 Juillet iiSlîo. Éciits divers
y relatifs, lyS, ao4 , 231,4^6,
458, 4SS, 507, 5i5, 5i4, 5i5,
5 16, 755, 707, 708, 740, 744,
-45, 788, 791. 792.
Reynaud. Elémens d'Algèbre, etc.,
iSi.
Richesse ( De la ) , ou Essais de
Ploutonomie,parRoberl-Guvard,
45o.
Robert-Guyard. Voy. Richesse,
Robiquet et Boutron -Cbarlard ,
Mémoire relatif aux amandes
amèies et à l'huile volatile qu'el-
les fournissent, 5o5.
Romances, ballades et légendes,
par Boucher de Perlhes, 74^.
Romans, 208, 4o2, 4i4? 4^7, 4/0,
471, 74s.
Rosier. Le Mari de ma Feir. me,
comédie, 249.
Roues hydrauliques ( Traité d(!s)
et des Boues à vent , etc. , jîar
L. M. P. Cosle, 182.
Royer (Alphonse). Voy. Mauvais
Garçons.
liunhcl. Pherecratcs et EupolUl'is
Fragmenta, 697.
RcssiK, i5o, 220, 407, ^'jOy .')4o ,
689, 76a.
ASIATIQUE, 484, 760.
Salverte (Euséhe). Voy. Sciences
occultes.
Sat. Bap])ort sur une opération d«'
lithotritie , que ce médecin a
pratiquée avec le plus grand suc-
cès, Soi .
Sauvage. Voy. Dix jours ap;c-^.
— Voy. Ivrogne.
Say ( J. B. ). L'Académie fran-
çaise cnnronne son Cours com-
plet d' Économie politii/iie, 5o6.
i Schnitzler (J. H.), C. — M., 297.
55
8l4 TABLE A
Scluiltz. Ohservfl lions d'anatomie
et de physiologie végétale , 784.
Schullzc [C. A. S.). Mikroskopiselie
Lntersiichiingen, i56.
Schweigliaeuser (Jean). Foy. No-
tice nécrologique.
Science (La) du bonhomme Ri-
chai d , par Benjamin Franklin ,
449-
Sciences médicales, 178, 258, i55,
706.
ilOBAI.KS KT POLITIQOKS , 55, I9O,
556, 44"» 625, -a4.
RATUKKLI.ES KT PHYSIQIES, 5, ^Ô,
172, 242, a45 , 528, 390, 618,
715.
- occultes (Des) , ou Essai snr la
Magie , les Prodiges et les Mi-
racles, par Eusèbe Salverte, A. ,
623.
RELIGIEUSES, 724'
Scribe, f^oy. Une Faute.
Sculpture, 210, 766.
Segato (Jérôme). Carte de l'Afri-
que septentrionale, 422.
Séguin aîné. f'oy. iSavigalion à la
vapeur.
Ségur (Comte Louis-Philippe), ^oy.
Nécrologie.
Servan de Sugny, C. — A., 119.
Sethos , ou_ Une journée de l'an-
cienne Egypte, poème drama-
tique, 201.
Sewrin. f^oy. Morcau.
S'Grav<;i!\vcert (J . de). Essai sur
l'Histoire de la Littérature néer-
landaise, A., 656.
Shnhspeare ( TVitllam ). Tlic fifth
Novcmbcr , or tlic Gunpowder
Plot, 688.
- (Théâtre de), traduit en ita-
lien par Virginius Soncini , 164.
Sicca (Angclo). liane de Petrarca,
-oS.
Simonnin. Foy. Te Deum.
Sismondi ;,J. C. L. de) , C. — M. ,
52 5.
Six feuillets de mes Tablettes, par
Eiig. de Villeneuve, 710.
Société (Levons sur un état de) lout-
NALYTIQLE
à-fait nouveau , etc.. par Robert
Owen, 679.
Sociétés savantes et d'utilité pu-
blique,
— dans V Amérique septentrionale :
Société de littérature et d'his-
toire de Québec, 480.
— en Btissic : Académie impériale
des Sciences de Saint-Péters-
bourg, 407, iio, 4i II 490-
— en Allemagne : Société de Géo-
graphie de Berlin , 255. — Aca-
démie "^royale des Sciences de
Berlin, i(j6.
— en Italie : Académie des Scien-
ces de Turin, 256.
— dans les Pays - Bas : ' Institut
royal dfs Pays-Bas, 499-
— en France [ Dans les départe-
mens ) : Société d'Agriculture,
Sciences et Arts de Périgueiix ,
207. — Société des Sciences ,
.\gricultuie et Belles-Lettres de
Montauban, 212. — Société li-
bre d'émulation de Rouen, 475.
— Société d'Agriculture, Scien-
ces, Arts et Belles-Lettres du dé-
partement^ de l'Aube, 7/(9. —
Société d'Émulation du départe-
ment du Jura, 750. — Académie
ro}"ale des Sciences de Toulouse,
779. — Académie des Jeux flo-
raux de Toulouse , 779. — So-
ciété royale d'Agriculture de la
Haute-Gaionne, 780.
— (à Paris) : Institut. Académie
des Sciences, 258 , 5oo , 780. —
Académie française, 5o5. — So-
ciété phllotecbnique , 244- —
Société royale des Antiquaires
de France, 5o8. — Société pour
l'Enseignement élémentaire,5ii.
— Société des Etablissemeiis
cliajitables, 729. — Société pour
l'encouragement de rinslructidii
primaire parmi les Protestans de
I France, 751.
Soleil (Le) de la Liberté , par Gus-
I tave Drouinean, 745.
DES M.
Sonciiii ( \ irginiiis). l'oy. Shakes-
peare.
Soulèvement aiMiiuaroiiiiique (Dé-
tails sur le) , dans la partie orci-
dentale de l'État de Nen-York ,
par Henry Brown, 676.
SOCBDS-SUIETS, igi.
Souscription ouverte en Angle-
terre en faveur des blessés à Pa-
ris pendant les journées des 27,
28 et 21) juillel, 221.
Souvenirs mililaircs : Extraits d'un
journal tenu ])eudant quarante
années de service dans les Indes-
Orientales , par James Walsh ,
684. .
— politiques. La Révolution et
l'Empire, par M. A. JuUien,
M. , 020.
Statistique, i65, 218, 243, 244,
4»-' 445,480, 481, 487, 489,
691, 705, 722, 778.
— du royaume des Pays-Bas. f^oy.
Tableaux.
— morale (Documens relatifs à la)
de la monarchie prussienne ,
2^5, 492.
Stratico (Simon ). Foy. Architec-
ture de Vitruve.
Sturni (Ch. ). Résumé d'une nou-
velle Théorie relative à une
classe de fonctions transcen-
dantes, 258.
Suède, 228, 54o.
Suisse, 104, 421, 497» ^99' 77^-
— (Essai de lettres sur la) , par T.
Dandolo, 425.
— (La) considérée dans ses beau-
tés pittoresques , etc. , par le
même, 425.
Summerfield (John). Foy. Hol-
land.
Sylphe (Le) , Poésies de feu Do-
valle, 202.
Sympathie de l'Angleterre pour la
dernière révolution eu France ,
488.
Système de la nature, par Charles
Linné, publié par A. L. A. Fée,
i7S.
8i5
T.
Tableaux (Second recueil de) pu-
bliés par la commission {réné-
lale de statistique , A., 528.
Tables logarithmiques et trigoiio-
métriques à sejit décimales eu
petit foimat, par F. R. Hassler,
672.
Techi\ologik. Foy. Arts ijiuus-
TRIELS.
— (Eléméns de) , etc. , par Jacob
Jiigclovv, i58.
Te Deuni ( Le ) et le Tocsin , ta-
bleau patiii)lique mêle de cou-
plets, (lar Honoré et Simounin,
Télégraphe pcrlectionné , de jour
et de nuit , à l'usage du public,
inventé par Ferrier, 785.
Téience. Comédies , traduction
française, revue par Amar, 742.
Ternaux (Edouard). Poy. Discours.
Tcssin ( Canton dn ). Onze brt -
chures italiennes relatives à la
réforme de sa Constitution, A. ,
io4.
Texas (Province de). Sui- la con-
venance etla nécessité de la
réunir aux Etats-Unis, i4o.
Théâtres de Paris, 249, 5 12, 7S8.
Théodore. Foy, John Bull.
Théologie. Foy. Sciences rei.î-
G iecses.
Thilorier. L'Académie des Scien-
ces de Paiis lui décerne le prix
de inécanique, 242,.
Toblcr's Haiismitltcr, 702.
Topographie, 1(17, 4'S, 425, 44^,
722.
Topograpliisclic Carte des Hlicins-
tronis, 4 '8.
Toulouzan et Feissat aîné. Annales
provençales d'agriculture, etc.,
4/6.
Traductions :
— en alleynand : de l'ifalieii, 697.
— en français : del'allcmandj/iai,
8i6
472; — de langlais, 182, 208,
47» > 474,644; du grec, 119,
570; — de l'italien , 208 ; — du
latin, 74o, -42 ; — en russe : du
fiançais', 691 ; — en italien : de
l'allemand, 421 ; — de l'anglais,
.6i.
'Iraite des Xoias. Foy. Esclavage.
Travaux publics exécutés en Suède
par l'armée, 228.
Triomphe ^Le) national, ode aux
citoyens de Paris, par X. Le-
meicier, 745.
Thois joiBS en une beure, à propos
patriotique, par Gabriel et Mas-
son, 5i4.
— (Les) , par Théodore Villenave,
,-45.
— esquisse en vers, par Louis de
Biienon, 745.
— d'un grand peuple, drame en
prose, 78S.
Typoghaphie, 706.
Une Faute, drame, par Scribe,
5i5.
Une Semaine de Paris, messé-
nicnne, par Casimir Delavigne ,
.74i.
Umtbrsitbs.
— de New- York. 218; — de Pé-
tersbourg, 760; — de Moscou ,
765.
Urville (Capitaine J. Dumont d' ).
Vo\. Voyage.
V.
\ ACCINK, JIIO.
Varin. l'a}: Petite Prude.
A aysse de A illiers. f^oy. Itinéraire
descriplir.
A égélaux originaires. Vov. Lavy.
A crbivckhoveii iKutrène). P'ov. Fa-
bles de La Fontaine.
TABLE ANALYTIQUE
Vergnaud (A. li.). /'oi . Charte.
— (Paul). Foy. Daii>c.
Victoire (La) du Peuple, natio-
nale, par Hyacinthe de Combe-
rousse, 745.
Aies des Siédecins anglais, SgS.
— de jeunes gens remarquable*
des deux sexes, 599.
Vie^Teg. T^oy. Campe.
Vigarosy ( A. B. ). Considérations
sur cette question : Contiuuera-
t-on de délivrer des brevets pour
les inventions industrielles, etc.,
J95.
A illenave (Théodore). Foy. Trois
Jours.
Villeneuve. Foy. Congréganiste.
— Fo^'. Bourgeois.
Villeneuve (Eug. de). Foy. Six
Feuillets.
Virey, C. — B. , 455.
Filruvii PolUonis Architeetura, 4^5.
Vocabulaire des Sourds- Muets.
Foy. Piroux.
Voizou. Inventeur d'une machine
pour résoudre sans calcul tous
les problèmes de trigonométrie
sphérique, 5o2.
A oltaire chez les Capucins , comé-
die-anecdote , mêlée de cou-
plets , par Dumersan et Dupin,
79'-
— Foy. Beuchot.
VovACB autour du monde , projeté
par Ruckingbani, 7S6.
— de la corvette l'Aotrolabe, exé-
cuté sous le commandement du
capitaine J. Dumont d'Urville.
A. , 43.
— aux colonies américaines russes,
763.
— à l'Ararat, par Parrot fils, 2a3.
— à Paris, ou Esquisses des hom-
mes et dos choses dans cette ca-
pitale, par Louis Reinier Lan-
franchi, 199.
\ ovAGEs ( Histoire générale des ),
etc., par C. A. Walknaer, 771.
DES MATIERES.
817
w.
TVachkr (L.). Lelirhuch der LUe-
ratur gcsclùclite, 695.
TVachamulh (ff'.). Hcllenisclic Al-
tcrlhumshunde, 420.
Wagner. Voy. Lanzi.
Walkenacr (C. A.). Toy. Voyages.
TValkcr's Eléments of Geometry ,
TT'arnkœnig ( Lcop. Aug. ). Doc-
trinajurls phllosopltica aphorlsmis
dlstincta, etc., 169.
Wéchabites. Voy. Burckardt.
TFelsh's Military Rcminiscences ,
684.
Witwicki (Etienne). Poésies bi-
bliques, 4'4'
— Poésies champêtres, 4'4'
— Edmond, roman, 4i4-
Yénisséisk, en Sibérie. Position
géographique et population de
cette ville, 487.
Zachariae. Voy. Mittermaïer.
Zschokke ( H. ). Histoire de la na-
tion suisse, traduite de l'alle-
mand en français, parCh. Mon-
nard, l^ix.
— même ouvrage traduit en ita-
lien , par Stefano Franscini ,
42».
FIN DE LA TABLB DU TOME XLVIII.
ERRATA DU TOME XLVII.
Cahier de Juillet. Page 197, lig. 7, qui a, lisez : qui est.
p. 25 1, lig. 21 de la NécaoLOGiE : de la gloire et de ta fortune, lisez : de
gloire et de fortune ;
Cahier «f Aolt. Page 428, lig. 27, d'avoir exploité, ajoutez : la pre-
mière ; 1. 42, nos espèces, lisez : nos races ; p. 429, 1. 25, ajoutez : vn asso-
lement raisonné ; p. 519, I. i,on peut, lisez : on put.
Cahier de Septembre. Pag. 720, lig. 29, géographique, lisez : graphi-
que ; p. 722, 1. 21, lisez : trop versés; p. -23, 1. 18, a fait imprimer, lisez :
a publié; p. 709, 1. 5i, transportés, lisez : transportées.
'3i9i5 4
n
AP Revue encyclopédique
20
R53
t. 47
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
m'
m
MÊê