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Full text of "Revue encyclopédique : liberté, égalité, association"

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University  of  Ottawa 


I 


littp://www.arcliive.org/details/revueencyclopd47jull 


REVLE 
ENCYCLOPÉDIQUE. 


JULi.il970      ))  ^S3 


lYrofjnvrHiT'  de  makcellin-legrand,  plassa?»*  etC'% 

BCK  IM)  PETIT-VACCIRARP  ,  R"    lÔ. 


PAlllS.  — IMPRIMERIE  DE  PLASSAN  ET  C's 

Ul  E   DE  VAlOinARU,  n"    l5. 


REVUE 

ENCYCLOPÉDIQUE, 

ou 

ANALYSE  RAISONNÉE 

DES  PRODUCTIONS  LES  PLLS  REMARQUABLES 

DANS   LES  SCIENCES,   LES   AKTS   ISDISTRIELS,   LA  LITTERATIKE 
ET   LES  BEAUX-ARTS  ; 

PAR   UNE    RÉUMON 
DE    MEMBRES   DE   L'INSTITUT. 

ET  d'aVTRES  hommes  DE  LETTRES. 


TOME   XLVII. 


PARIS. 

AU  BUREAU  CENTRAL  DE  LA  REVUE  ENCYCLOPÉDIQUE, 
ET     CHEZ    SÉDILLOT,     LIBRAIRE,    RUE    DE     l'odÉOA  ,     N°     5o» 


JUILLET-SEPTEMBRE     1 83o. 


w 


">  n 


u  ïoiilfs  los  sciences  sont  los  rameaux  d'une  même  lige.» 

Bacon. 

o  L'art  n'est  autre  chose  que  le  contrôle  et  le  registre  des  meilleures  pro- 
ductions... A  contrôler  les  productions  (et  les  actions)  d'un  chacun,  il 
(j'engendre  envie  des  bonnes  et  mépris  des  mauvaises.  » 

MOHTAIGNE. 

<■  Les  belles-lettres  et  les  sciences,  bien  étudiées  et  bien  comprises,  sont 
des  instrumens  universcL»  de  raison,  de  vertu,  de  bonheur.  » 


BEVUE 

ENCYCLOPÉDIQUE, 

AiNALYSES  ET  AiNNONCES  RAlSOlMNÉES 

DES    PaODUCTIOlNS    LES    PLliS    EEUARQUABLKa 

DANS  LA  LITTÉRATURE,  LES  SCIENCES  ET  LES  ARTS. 

I.  MÉMOmES,  NOTICES, 

LETTRES  ET  MÉLANGES. 


COURS  D'HISTOIRE  DES  SCIENCES  NATURELLES , 
PAR  M.  CUVIER. 

N.  B.  Nous  nous  proposons  de  rendre  compte  du  Cours 
sur  l'Histoire  des  Sciences  naturelles  que  professe  M.  Cuvier  an 
collège  de  France,  en  insistant  principalement  sur  les  géné- 
ralités, et  réduisant  beaucoup  les  détails  historiques, 'scienti- 
fiques ou  biographiques  qui  nous  entraîneraient  trop  loin.  Si 
quelque  erreur  se  glisse  dans  ces  articles,  le  lecteur  devra 
s'en  piendre  à  nous  ,  et  non  au  savant  illustre'  dont  'nous 
cherchons  à  rendic  les  idées.  Cependant,  après  avoir  suivi 


<;  COLUS  D'HISTOIRE 

ses  leiuns  avec  l'attention  la  plus  soutenue,  non*  a\ons  pris 
de  telles  précautions  que  ces  erreurs  ne  pourront  être  que 
très-rares.  Mais,  avec  l'exactitude  des  faits,  des  dates  et  des 
noms  propres,  nous  ne  saurions  offrir,  dans  le  cadre  étroit 
(l'une  analyse  trop  resserrée,  l'image  de  cette  clocution  si 
claire  et  si  abondante  où  tous  les  fruits  du  travail,  du  génie 
ot  d'une  immense  lecture  viennent  se  coordonner  et  se  fon- 
dre sous  les  apparences  d'une  conversation  élégante  et  né- 
gligée. Dans  un  tems  où  les  promesses  trompeuses  d'une  mé- 
taphysique incertaine  exercent  encore  quelque  influence  svir 
l'esprit  des  jeunes  gens,  il  est  inutile  de  faire  ressortir  l'im- 
porlauce  et  rulilité  d'un  cours  véritablement  sérieux  et  in- 
structif, dans  lequel  se  trouvent  développés,  à  la  fois,  l'ori- 
gine, les  progrès,  la  philosophie  de  chaque  branche  des  con- 
naissances naturelles,  le;  rapports  nombreux  qui  les  unissent 
en  faisceau,  leurs  intimes  relations  avec  les  révolutions  po- 
litiques et  les  modifications  sociales.  Nous  entrons  donc 
inuiiédiatemenl  en  matière,  en  lâchant  de  faire  parler  M.  Cu- 
^  icr  lui-même. 

PREMIER     ARTICLE. 

lIlSTOlBE  DES  SCIENCES  NATIREI.LES  CHEZ  LES   PEl  PLES   aNTÉRIEI  Rs 

Aix  Grecs. 

L'clude  de  riiiîloirt  des  sciences  naturelles  est  indispensable 
à  tous  ceux  qui  les  cultivent  :  elles  reposent  sur  des  faits  con- 
states par  notre  propre  expérience  ou  par  le  témoignage  d'au- 
tiui  ;  et  ce  témoignage  ne  peut  être  apprécié  lui-même  si  l'on 
ne  connaît  le  témoin  et  les  circonstances  où  il  a  vécu ,  les 
aiuycns  qu'il  avait  en  lui  et  hors  de  lui  de  connaître  la  vérité  : 
leur  uiarche  est  progressive  ;  et,  faute  d'avoir  fait  cette  étude. 
1  eux  qui  veulent  lifiter  leurs  progrès  s'exposent,  après  de  longs 
ell'orls,  a  découvrir  des  choses  déjà  trouvées,  à  relever  des 
erreurs  déjà  réfutées  :  d'ailleurs,  la  connaissance  des  idées  de 
nos  prédécesseurs  peut  devenir  pour  nous  une  source  féconde 
de  nouvelles  découvertes.  Cette  élude  nous  offre  encore  une 


DKS  SCIENCES  INATUllELLliS.  7 

nlilité  d'tiu  ordre  plus  élevé,  en  démonlraiil  la  vanité  des 
nombreux  systèmes  qu'on  voit  se  succéder  et  se  détruire  sur 
les  objets  inaccessibles  à  l'esprit  humain.  Les  faits  bien  déter- 
mines demeurent  seids  immortels  avec  les  noms  de  ceux  qui 
les  ont  dévoilés  :  un  des  besoins  de  notre  âge  est  de  fixer  leur 
importance  et  leur  durée. 

C'est  par  l'observation  de  la  nature  que  les  liommes  ont  été 
conduits  aux  découvertes  qui,  fournissant  tout  le  matériel  de 
la  société,  ont  favorisé  son  développement.  La  société  n'est 
autre  chose  qu'un  combat  contre  la  nature;  or,  la  nature  ne 
se  combat  que  par  elle-même  ;  chaque  progrés  des  sciences 
avance  donc  la  société,  et  l'histoire  de  leur  développement  et 
de  leur  influence  serait  l'histoire  môme  de  la  civilisation. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  ce  qui  est  vulgaire  aujourd'hui  a 
fait  partie  de  la  science  même,  dans  Torigine;  et  nos  premiers 
moyens  d'existence  ont  été  d'abord  les  fruits  du  génie  de  nos 
ancêtres.  La  Providence  avait,  sans  doute,  destiné  l'homme  à 
re  comble  de  jouissances  physiques  et  spirituelles  auxquelles 
une  partie  de  l'espèce  est  parvenue  ;  mais  elle  avait  résolu  de 
les  lui  faireacheter  par  letems  et  le  travail.  Jeté  nu  et  sans  armes 
à  la  surface  de  la  terre,  il  serait  resté  le  plus  faible  des  animaux, 
s'il  n'avait  été  doué  de  trois  instincts  puissans  :  la  sociabilité,  le 
langcige,  l'abstraction. 

Si  l'on  cherche  à  établir  l'ordre  de  succession  des  décou- 
vertes capitales  dans  les  sciences  naturelles,  on  voit  l'homme  re- 
connaître d'abord  que  l'air  n'est  pas  conducteur  du  calorique, 
et  ressentir  le  besoin  des  vêtemens  et  des  malsons  :  ce  qui  le  con- 
duisit aux  premières  notions  d'architecture  et  de  mécanique.  Il 
s'aperçut  ensuite  que  l'oxygène,  en  se  combinant,  abandonnait 
son  calorique,  et  il  chercha  le  feu,  ([u'il  appliqua  à  la  cuisine  et 
auxpremiers  artschimiques.  En  remarquant  que  iefeu  liquéfiait 
certaines  substances  susceptibles  de  se  fondre  et  de  se  forger, 
les  viétaux,  il  eut  l'idée  des  armes  et  de  leur  emploi  à  la  chasse. 
En  reconnaissant  que  l'eau  portait  descorpspluslégers,  il  con- 
çut la  navigation  appliquée  à  la  pêche.  Certains  animaux  pou- 
vaient se  soumettre  et  se  multiplier  :  de  cette  observation  naquit 


8  GODIiS  D'HISTOIRE 

l'arl  pastoral  el  lus  voyages.  Ccrlaincs  }>I<intes  pouvaient  se 
iiiulliplicrclsepcHectionner  :  i\G\i\  l'agriculture.  Les  diflcrens 
climatsproduisaient  des  substances  diverses  el  réciproquement 
utiles  :  ce  fut,  dans  son  esprit,  le  premier  germe  du  commerce 
entre  les  nations.  La  marche  des  saisons  se  montrait  régulière- 
ment soiuTiise  aux  mouveniens  des  astres,  et  il  étudia  Gastro- 
nomie, qui  lui  fit  inventer  le  calendrier.  Des  rapports  existaient 
entre  la  position  des  astres  el  la  sienne  propre  sur  terre  ou  sur 
mer,  et  il  s'attacha  à  la  navigation  astronomique,  d'où  dépend 
la  géographie.  Par  l'élude  des  propriétés  de  l'aimant,  il  retrouva 
cette  même  position  sans  le  secours  des  astres  :  dès  lors  il  put 
tracer  le  chemin  des  Deux-Mondes.  Par  la  fabrication  de  la 
poudre  à  canon,  l'empire  fut  enlevé  à  la  force  parmi  les  indi- 
vidus comme  à  l'égard  des  nations.  Il  créa  l'imprimerie ,  qui 
assure  une  durée  éternelle  à  toutes  ses  autres  découvertes. 
Knlui,  il  a  construit  les  machines  à  vapeur  ;  el  Ihomme  possède 
désormais  une  force  sans  liiiiiles. 

A  ces  découvertes  se  rattachent  des  développemens  corres- 
ponduns  dans  l'élal  social.  Les  premiers  honiines,  ne  se  sou- 
WR'llaiil  (ju'à  l'anioui'  ou  à  la  force,  se  divisèrent  entre  eux  : 
la  force  décidait  de  tout.  En  se  créant  dos  demeures,  des  vête- 
lueus,  des  armes,  ils  conuiiencèrent  à  prendre  l'idée  de  la 
propriété  apj)liquéc  aux  produits  de  leur  industrie  :  l'industrie 
contrebalança  la  force.  En  l'ormant  des  troupeaux,  ils  prirent 
l'idée  d'une  propriété  sur  des  choses  qu'ils  n'avaient  point  pro- 
duites :  aussitôt  parurent  l'inégalité  des  richesses  et  celle  des 
(omlilions  indépendantes  de  b  force  :  les  prisonniers  ne  se  man- 
gèrent plus;  on  en  fil  des  esclaves  pour  les  utiliser.  En  s'exerçant 
à  la  culture  de  la  terre,  les  hommes  apprirent  à  connaître  la 
propriété  territoriale  :  l'inégalité  put  alors  devenir  extrême  ;  in- 
dépendamment des  esclaves,  les  hommes  libres  sans  propriété 
travaillèrent  pour  les  autres.  Le  commerce  fit  apprécier  l'im- 
l)orlancc  de  la  propriété  mobiliaire,  affaiblit  les  effets  de  l'ex- 
trême inégalilé,  cl  l'invention  de  la  ùoussole  ncvvnl  pvoiWglexi- 
.^emenl  la  puissance  du  commerce.  La  poudre  d  canon,  mettant 
le  pouroir  entre  le^  mains  du  gouvernement,  rendit  lou>  les 


DKS  SCIliINCl'S  NATLIlELLlvv  9 

hoiimics  égaux  dcvanl  la  loi.  L'imprimerie ,  einpêchaiil  la 
durée  do  l'erreur,  obligea  les  gouverneiTiens  eux-mêmes  à 
lemplix"  leur  missTon  ,  qui  est  le  mainlien  de  la  justice. 
Tels  sont  les  bienfaits  successifs  qui  dérivent  de  l'observa- 
lion  de  la  nature  scientifique.  Mais  leur  développement  n'a  pas 
été  spontané  :  il  a  fallu  pour  le  déterminer  Pimpulsion  d'hom- 
mes de  génie,  d'esprits  spéculatifs,  qui,  tiraiU  parti  des  décou- 
vertes duos  au  hasard,  ont  su  les  coordonner  et  les  appliquer. 
L'histoire  des  sciences  offre  trofs  époques  principales  :  l'é- 
poque religieuse,  l'époque  philosophique  et  celle  qui  a  pour 
caractère  principal  la  division  du  travail  dans  l'étude  de  la 
nature. 

Dans  l'origine,  il  a  fallu  parler  aux  liomiucs  au  nom  de  la 
divinité  :  la  science  et  la  religion  étaient  confondues  :  aussi  les 
peuples  ont-ils  mis  au  rang  des  dieux  leurs  premiers  instruc- 
teurs, Minerve,  Neptune,  Cérès,  Triptolènie,  Hermès  et  les 
dieux  de  l'Egypte,  Brama,  Fo ,  Mancocapac.  Aujourd'hui 
même  ce  ne  sont  guère  que  des  missionnaires  religieux  qui 
parviennent  à  éclairer  les  sauvages.  Mais  la  conduite  de  ces 
précepteurs  des  nations  n'a  pas  été  partout  la  même.  Dans 
certains  pays,  les  savans  ont  conservé  à  leur  doctrine  le  carac- 
tère religieux  :  la  science  a  été  censée  révélée,  et,  par  suite,  elle 
est  restée  stationnaire.  Ils  ont  établi  des  castes  héréditaires;  cl, 
pour  conserver  le  privilège  de  la  science ,  ils  l'ont  présentée 
aux  peuples  voilée  d'emblèmes  :  sous  la  forme  de  divinités  fac- 
tices, comme  dans  l'Inde;  avec  des  figures  et  des  hiérogly- 
phes, comme  dans  i'Égypte.  Cependant  l'esprit  de  caste  aurait 
arrêté  ses  progrès,  et  maintenu  le  genre  humain  dans  une  éter- 
nelle enfance,  si  des  circonst.inces  heureuses  ne  l'avaient 
transportée  hors  des  temples.  Les  Hébreux  et  les  Grecs,  for- 
més par  les  colonies  égyptiennes,  furent  les  premiers  qui  étu- 
iièrent  les  sciences  pour  elles-mêmes  ,  débarrassées  de's  allé- 
gories qui  les  masquaient  encore.  Moïse  enseigna  une  doctrine 
pure,  et  défendit  les  images  :  malheuieusement  il  parlait  à  une 
nation  trop  faible,  où  le  sacerdoce  était  encore  héréditaire;  cl 
colle  nouvelle  influence  ne  put  se  nianifeslcr  avec  force  que  par 


lo  COURS  D'HISTOIRE 

le  christianisme,  la  seule  relijjion  au  sein  de  laquelle  les  scien- 
res  soient  cultivées  de  nos  jours.  Les  Grecs  ne  reçurent  d'E- 
gypte et  de  Phénicie  que  des  rites  symboliques  sans  explica- 
tions; et  les  connaissances  qu'ils  allèrent  chercher  pins  tard 
en  Égvplc  cl  aux  Indes  en  revinrent  suus  la  seconde  forme, 
c'est-à-dire,  sous  la  forme  philosophique. 

L'époque  philosophique  commence  donc  aux  premiers  .*;»- 
ges  de  la  Grèce,  qui  firent  ces  voyages,  environ  mille  ans  après 
l'élahlissenient  des  colonies  égyptiennes.  Il  n'y  avait  pas  alors 
de  sciences  proprement  dites  :  toutes  les  connaissances  hu- 
maines, dont  l'ensemble  fut  désigné  plus  tard  sous  le  nom 
de  philosophie,  séparées  de  la  religion,  se  cultivaient  à  la  fois 
par  les  mêmes  hommes,  qui  les  communiquaient  sans  réserve 
au  vulgaire. 

Dans  les  sciences,  comme  dans  rindiistrie.  la  division  du 
travail  est  la  condition  des  progrès.  La  troisième  époque  oi'i 
celte  division  fut  bien  marquée  aurait  daté  d'Aristote  ,  si  ses 
•iisciples  avaient  pu  suivre  la  marche  qu'il  leur  avait  tra- 
cée; car  ce  grand  homme  classa  les  sciences  avec  une  supé- 
riorité de  vues  admirable.  Mais,  après  lui,  la  secte  des péripaté- 
ticiens,  (pi'il  avait  fondée,  tomba  dans  le  mépris,  et  la  confusion 
renaquit  dans  les  sciences.  La  médecine  resta  seule  séparée  en 
sa  qualité  d'art  pratique.  Cette  troisième  époque  ne  doit  donc 
être  comptée  réellement  qu'à  partir  de  la  renaissance  des  let- 
tres au  xvi"  siècle.  Alors  chaque  ordre  d'idées  se  détacha  et 
fornia  une  science  spéciale  sous  la  direction  générale  de  la 
phnosophic,  restée  ainsi  la  science  des  sciences,  parce  qu'elle 
esl  celle  de  l'instrument  général  des  connaissances  de  l'esprit 
humain.  Les  sciences  ne  comptent  donc  en  réalité  que  trois 
siècles  d'eflbrts  constans  et  de  travaux  méthodiques.  Quelles 
espérances  ne  doivent  pas  faire  concevoir  leurs  progrès  mer- 
^eillcux  dans  un  si  court  intervalle!  quel  avenir  leur  développe- 
ment ne  promel-il  pasàl'espècc  humaine!  qui  oserait  assigner 
des  limites  à  leur  essor! 

L'origine  des  sciences  doit  être  comptée  du  jour  même  de 
l'apparition  de  l'homme  à  la  surface  de  la  terre  ;  cl  laconsidé- 


DKS  SCIENCKS  N ATlilKLLKS.  ,i 

laliori  siaiuitanée  des  phénomèucs  naturels,  dos  moiiunicns 
historiques,  des  traditions  religieuses,  malgré  le  peu  de  don- 
nées que  l'on  a  pour  résoudre  cette  question  ,  permet  d'en 
déterminer  l'époque  d'une  manière  satisfaisante. 

Tous  les  peuples  se  vantent  d'une  haute  antiquité  :  des  mil- 
liers de  siècles  ne  coûtent  rien  à  ceux  qui  ne  suivent  pas  la 
Bible.  Mais,  si  l'on  se  borne  aux  histoires  sérieuses,  aucune 
d'elles  ne  remonte  à  plus  de  5,ooo  ans  avant  notre  âge;  et  dans 
toutes  se  trouve  conservé  le  souvenir  d'une  grande  catastro- 
phe, qui,  changeant  la  surface  de  la  terre,  anéantit  la  pres- 
que totalité  de  l'espèce  humaine.  L'étude  du  globe  nous  ap- 
prend aussi  que,  des  diverses  révolutions  qui  l'ont  agité,  la 
dernière  correspond  sensiblement  à  l'époque  assignée  au 
déluge. 

Parmi  les  considérations  géologiques  qui  permettent  d'as- 
seoir une  opinion  sur  la  date  de  cette  immense  révolution  ter- 
restre, on  doit  compter  surtout  les  dunes  qui  s'élèvent  au 
bord  de  la  mer,  les  atterrissemens  qui  s'accumulent  à  l'em- 
bouchure des  fleuA'es,  les  talus  qui  se  forment  au  pied  des 
montagnes,  car  ces  phénomènes  ont  dû  commencer  inniiédia- 
tement  après  le  dernier  bouleversement  du  globe,  et  se  conti- 
nuer dans  une  succession  régulière.  Or,  l'observation,  nous 
apprenant  à  calculer  leur  augmentation  annuelle,  démontre 
qu'ils  ne  peuvent  compter  que  5  ou  6,000  ans  au  plus.  En 
outre,  les  ossemens  et  autres  débris  organisés  qu'on  rencontre 
sous  les  couches  marines  sont  dans  un  état  de  fraîcheur  qui 
prouve  leur  peu  d'ancienneté.  Les  circonstances  naturelles, 
susceptibles  d'appréciatiou,  s'accordent  donc  pour  confirmer 
l'exactitude  des  traditions  hum  unes  qui  oflVent  elles-mêmes 
une  éloiuiante  conformité. 

Toutes  les  annales  des  peuples  anciens  pailent  de  cette  cata- 
strophe, et  la  fixent  à  des  époques  très-rapprochées  les  unes 
des  autres.  Le  texte  hébreu  de  la  Genèse  place  le  déluge  à 
l'an  2549  avant  Jésus-Christ;  celui  des  Septante,  à  l'an  552o; 
«eluides  Samaritains,  à  l'an  5o44-  Les  Grecs,  selon  Varron  et 
Ccnsorinus.  portent  l'année  de  leur  déluge  en  2076:  selon 


,3  COURS  D'HISTOIRE 

Acuiilaiis  cl  Eusèbe,  en  1796.  Les  Indiens,  d'uprès  Caliyoug, 
f(jiit  commencer  le  quatrième  âge  du  monde,  l'âge  de  la  terre, 
relui  où  nous  vivons,  à  l'an  3  102;  chez  les  Chinois,  Contu- 
cius  représente  le  premier  roi,  Yao,  faisant  couler,  en  2584, 
les  eaux  de  l'Océan,  élevées  jusqu'au  sommet  des  mon- 
tagnes. iSinns,  d'après  Ctésias,  fonda  l'empire  de  Bahy- 
lone,  en  2548  ;  et,  selon  Hérodote,  en  j25o.  Les  rois  de  Tha- 
gada,  fds  du  soleil,  et  les  premiers  humains,  commencèrent 
à  régner  en  2200.  Ainsi  toutes  les  histoires  s'accordent  à  rap- 
porter la  fondation  des  grands  empires  à  2000  ou  2  5oo  ans 
avant  l'eie  chrétienne  :  cependant,  les  hommes  ne  peuvent 
avoir  commencé  à  tenir  des  registres  réguliers,  à  établir  des 
systèmes  scientifiques  positifs,  que  long-tems  après  cette 
époque. 

La  plus  ancienne  de  toutes  les  sciences  est  l'astronomie,  dont 
les  premières  observations  paraissent  avoir  été  faites  en  même 
lenis  par  plusieurs  pcujdes.  La  première  éclipse  observée  à  la 
Chine  date  de  776;  à  lîabylont-,  la  première  des  Chaldéens  qui 
semble  authentique  est  de  747?  sous  l'ère  de  Nabouassar.  Les 
zodiaques,  tracés  sur  les  murs  de  ccrtnins  temples  en  Egypte 
ont  fait  penser  que  l'astronomie  y  était  cultivée  depuis  un  tems 
plus  reculé;  mais  .>!.  Champollion  a  reconnu  leur  date  précise  : 
.:elui  de  Dendeiah  fut  construit  sous  ÎNéron,  un  autre  sous 
Domitien  ,  etc. 

On  a  prétendu,  il  est  vrai ,  que  des  observations  remontant 
à  l'an  19015  avaient  été  envoyées  à  Aristote  par  Callisthènes, 
lorsque  ce  philosophe  se  trouvait  à  Babylone,  à  la  suite  d'A- 
lexandre ;  mais  Aristote  n'en  parle  pas  ;  et  ce  fait  n'est  rapporté 
que  par  Simplicius,  écrivain  grec  du  Bas-Empire,  qui  vivait 
Goo  ans  après  J-C.  :  Ptolomée  lui-même  n'avait  aucune  con- 
naissance de  CCS  observations.  Le  calendrier  attaché  aux  Védas 
des  Indiens  paraît  dater  de  i5oo  ans  avant  J.-C;  mais  on 
doute  aussi  de  son  authenticité. 

Tout  annonce  donc  que  la  société  humaine  n'a  pris  assez 
de  consistance  pour  conserver  des  Mémoires  et  pour  donner  une 
forme  un  peu  régulière  ;i  «e«  connaissances  que  dans  le  vin' 


DES  SCIENCES  NATURELLES.        iS 

siècle  avant  J.-C;  bien  que  les  docuinens  restés  derantifjiiiic 
I10MS  portent  ;\  penser  <[iic ,  tics  i5oo  ans  avant  l'ère  diré- 
lionne,  (jualre  grands  peuples  subsistaient  eu  corps  de  nations  : 
les  Chinois ,  les  Indiens,  les  Babyloniens  et  les  Egyptiens. 

Les  Chinois  ont  toujours  vécu  séparés  du  reste  du  monde, 
et  leurs  progrès  dans  les  sciences  n'ont  jamais  eu  d'influence 
sur  la  civilisation  universelle  Quant  aux  trois  autres  nations 
primitives,  il  existe  une  si  grande  ressemblance  entre  leurs 
emblèmes  religieux,  leur  constitution  sociale  et  la  fornie  même 
de  leurs  monumens,  qu'on  ne  peut  s'empêcher  de  leur  recon- 
naître une  origine  commune. 

Leur  système  de  religion  représente  la  même  philosophie 
avec  des  légendes  fort  semblables.  Chez  toutes,  les  emblèmes 
sont  des  divinités,  Athor,  Astarté,  Vénus,  Bavhané,  Brama. 
Phta,  Vulcain ,  Rhama ,  Bacchus,  Osiris,  Chrishna,  Horus. 
Apollon.  Leur  doctrine  est  une  espèce  de  panthéisme  :  partout 
règne  la  métempsycose.  Le  sujet  de  la  métaphysique  est 
le  même  pour  toutes  les  nations  :  on  conçoit  donc  à  la  rigueur 
qu'elles  puissent  arriver  à  la  fois  à  une  même  philosophie  re- 
ligieuse, revêtue  d'emblèmes  à  peu  près  semblables  emprun- 
tés des  objets  naturels  les  plus  Hmiiliers;  mais  l'identité  de  la 
constitution  politique  ne  peut  provenir  évidemment  que  d'imc 
communication  entre  ces  peuples. 

L'organisation  sociale  dans  l'Inde  est  restée  telle  qu'elle  était 
du  tems  d'Alexandre.  On  y  observe  quatre  castes  principales: 
les  prêtres  ou  bramines,  dépositaires  de  la  religion  et  des  scien- 
ces, jouissant  seuls  du  privilège  de  lire  les  védas,  et  de  les  ex- 
pliquer; les  kchatrias  ou  guerriers,  autrefois  chargés  de  la  dé- 
fense du  pays,  dont  le  privilège  est  d'entendre  lire  les  livres 
sacrés;  et  deux  autres  classes,  qui  ne  doivent  apprendre  que 
dans  les  pouranas,  les  marchands  ou  vaisia,  et  les  artisans  ou 
joudres,  subdivisées  elles-mêmes  en  autant  de  castes  hérédi- 
taires qu'il  y  a  deprofessions  diverses.  Une  pareille  division  eu 
castes  héréditaires,  sous  le  gouvernement  des  prêtres,  n'a  jamais 
eu  lieu  à  la  Chine  ;  mais  celte  constitution  singulière,  évidem- 
ment produite  sous  l'empire  de  circonstances   aociden telles, 


i4  COURS  D'HISTOIRE 

se  retrouve  exactement  dans  rniitique  Éj^^yple  :  une  coïnei- 

ilence  aussi  extraordinaire  ne  saurait  être  imputée  au  hasard. 

Les nionumens,  dont  les  formes  doivent  être  plus  arbitraires 
de  leur  nature,  offrent,  chez  ces  peuple?,  une  ressemblance  plus 
l'-lonnantc  encore  :  ce  sont  des  pyramides,  des  grottes,  des 
temples  souterrains;  et  cependant  les  matériaux  n'étaient  pas 
les  mêmes  :  dans  l'xXssyrie,  la  brique  seule  était  en  usage, 
tandis  qu'aux  constructions  de  l'Inde  et  de  l'Egypte  on  em- 
ployait la  siénite  ou  le  granit. 

Une  grande  analogie  se  montre  aussi  dans  leur  position  géo- 
graphique, qui  dut  être  pour  ces  peuples  une  cause  puissante 
de  prospérité.  Tous  les  trois  s'établirent  dans  le  voisinage  de 
grands  lleuves,  dans  des  pays  fertiles,  plats,  percés  de  canaux 
et  d'une  culture  aisée.  Les  Indiens  forment  leur  empire  sur 
les  rives  du  Gange,  en  envoyant  quelques  colonies  aux  bords 
de  l'Indus;  les  Babyloniens,  dans  le  Delta  de  l'Euphrate  ;  les 
Egyptiens,  le  long  du  Nil;  et  tous  sont  placés  sur  la  route 
d'un  grand  commerce,  protégé  par  la  religion,  puisque  leurs 
édifices  sacrés  servaient  d'entrepôt  aux  marchandises.  Au  mi- 
lieu de  tant  de  circonstances  favorables,  pourquoi  les  sciences 
ne  s'y  sont-elles  pas  élevées  à  un  haut  degré  de  perfection? 
Quelles  furent  les  causes  extérieures  de  leur  rétrogradation? 

Tous  ces  peuples  primitifs  occupaient  un  sol  fertile,  qu'en- 
touraient des  plaines  sablonneuses  ou  élevées,  peu  suscepti- 
bles de  culture,  et  habitées  par  des  nomades,  naturellement 
actifs,  sobres,  courageux,  portés  à  lajconquêtc.  Dans  les  tems 
reculés,  l'histoire  nous  montre  les  nations  civilisées  luttant 
sans  cesse  contre  les  hordes  nomades,  et  souvent  subjuguées 
par  ces  voisins  dangereux  :  la  Chine  a  été  conquise  dix  fois 
par  les  Tartares  ;  l'Inde ,  trois  fois  depuis  que  nous  connais- 
sons son  histoire,  par  les  Mongols,  les  Turcs  et  les  Persans  ; 
la  Perse  ellf-même  passa  sous  le  joug  des  Turcs  et  des  Arabes  : 
dés  le  commencement  de  l'histoire,  on  Voit  les  désastres  des 
Assyriens  et  des  Chaldéens  :  Samarie  est  détruite  en  720  par  Sal- 
manazar;  Jérusalem  ,  en  587,  par  Nabuchodonosor  ;  T3T,  par 
Ifimême;  Rabylone,  parCyrus,  etc.  :  l'Egypte  fut  occupée,  de- 


DKS  SCIl'lNCES  NATURELLES.  \-j 

pui:»  jG5o  jusqu'à  i^oo  avant  J.-C,  par  les  nomades  arabes, 
sous  le  nom  d'hicsos ,  qui  di-lruisirent  l'oidre  des  prêtres,  et 
.inêtèrenl  l'essor  des  connaissances  humaines;  en  784,  elle 
l'ut  soumise  par  Sabaccon,  l'Lthiopien;  en  54i.  parCambyse; 
plus  tard,  par  les  Sarrasins,  et  enfin  par  les  Turcs.  Ce  ne  fut 
donc  que  parleur  transmission  des  Egyptiens  aux  Grecs,  et  de 
ceux-ci  aux  peuples  occidentaux,  que  les  sciences,  à  l'abri  de 
ces  commotions  politiques,  purent  se  développer  d'une  ma- 
nière continue. 

Tout  se  réunit  pour  nous  faire  penser  que  l'Inde  a  été  leur 
berceau,  et  qu'il  faut  y  chercher  les  premières  annales  du 
monde.  Contenant  les  plus  hautes  plaines  de  la  terre,  celles 
qui  avoisinent  les  chaînes  du  Thibet  et  de  l'Himalaya,  seule, 
elle  a  pu  offrir  un  abri  aux  hommes  échappés  du  déluge,  ou  der- 
nier cataclysme  de  notre  globe  :  la  Babylonie  ne  présentait  alors 
qu'un  marécage;  et,  par  le  nombre  des  couches  annuelles  du 
Nil,  superposées  sans  se  confondre,  on  peut  reconnaître  que, 
2000  ans  avant  J.-C,  toute  la  Basse -Egypte  n'existait  pas 
encore  :  du  tems  de  Mènes,  en  2200  avant  notre  ère,  le  Delta 
n'était  qu'un  marais. 

Une  tradition,  que  l'on  ne  semble  pas  avoir  prise  en  considé- 
ration jusqu'à  présent,  tend  encore  à  prouver  l'antériorité  des 
Indiens  sur  les  autres  peuples  de  l'antiquité.  Dans  des  trag- 
mens  conservés  des  ouvrages  de  Manéthon,  on  voit  que,  vers 
161 5,  sous  le  règne  d'Aménophis,  roi  de  la  seizième  dynastie, 
une  colonie  indienne  s'établit  dans  l'Ethiopie  ou  Haute-Nubie  : 
or,  Diodore  de  Sicile  et  les  autres  auteurs  qui  ont  écrit  sur 
l'Egypte  font  venir  sa  religion  de  l'Ethiopie.  On  sait  d'ail- 
leurs que  Thèbes  n'était  qu'une  colonie  de  Méroë,  du  moins 
pour  ses  castes  supérieures,  car  les  classes  inférieures  parais- 
sent avoir  été  d'une  autre  race.  La  civilisation,  dont  le  foj^er 
primitif  était  dans  l'Inde,  passa  donc  de  là  dans  la  Nubre,  et 
de  la  Nubie  dans  l'Egypte;  et  l'on  peut  conjecturer  encore  que 
lie  l'Egypte  elle  gagna  Bab}  loue,  en  se  fondant  sur  les  récits  de 
Diodore.  qui  prétend  que  les  Chakléens,  c'est-à-dire  la  caste 


1(3  COURS  D'HISTOIllE 

sacrée  dans  la  Babyloriie,  irétaienl  d'abord  «(irune  colonie  des 
j)rOlres  égyptiens. 

Pour  établir  la  marche  des  sciences  parmi  les  Indiens,  ses 
premiers  fondateurs,  on  ne  peut  tircraucun  sccoursdes  ouvra- 
ges qui  nous  en  restent  :  ils  n'ont  rien  publié  sur  l'histoire  de 
leur  pays, bienqu'ilsaient  beaucoup  écrit  et  depuis  très-loug- 
tems.  Les  premières  notions  que  les  Grecs  en  prirent,  lors  des 
conquêtes  d'Alexandre,  étaient  passagères  et  superficielles; 
celles  des  Ptolomées  et  des  Romains  ne  se  fondaient  que  sur 
des  traditions  de  uiarchands.  Les  Indiens  condamnent  l'étude 
de  l'histoire  :  ils  méprisent  le  tems  présent,  et  se  moquent  même 
des  Européens.  On  ne  peut  donc  puiser  quelques  renseigne- 
mcns  à  cet  égard  que  dans  leurs  autres  livres  ou  dans  leurs 
monumens. 

Les  monumens  de  l'Inde  sont  postérieurs  à  Alexandre  et  aux 
Ptolomées,  puisque, malgré  leuj's proportions  gigantesques,  les 
écrivains  grecs  n'en  ont  jamais  parlé  ;  et  les  endilèmes  qui  leur 
servent  d'ornement  se  rapportent  tous  au  culte  actuel,  déve- 
loppé dans  des  traités  plus  récens  que  les  vâdas  :  ces  édifices 
religieux  n'existaient  donc  pas  au  tems  où  les  védas  furent 
composés.  Ils  n'ont  d'inscriptions  à  dates  conn.ues  que  d'un 
siècle  avant  .J.-C.  :  Stobée,  qui  vivait  au  ii' siècle,  sous  Hé- 
liogabale,  est  le  premier  qui  en  fasse  mention. 

Les  védas  et  les  pouranas,  dont  l'ensemble  forme  les  livres 
sacrés  des  Indiens;  les  upavédas  ,  recueils  de  traités  de  mé- 
decine, de  musique,  de  danse,  sur  la  guerre,  l'architecture 
et  soixante  autres  arts;  les  anciens  poèmes  de  ce  peuple  ,  où 
la  philosophie  générale  se  mêle  à  la  mythologie,  et  qui  font 
aussi  partie  de  sa  littérature  sacrée,  sont  tous  écrits  en  sans- 
«ril,  langue  des  premiers  Indiens,  langue  la  plus  régulière  de 
(ouïes,  (\u\  n'est  parlée  aujourd'hui  nulle  part,  et  de  laquelle 
paraissent  dériver,  puisque  leurs  racines  y  sont  comprises,  le 
grec,  le  latin,  l'alleinand,  l'csclavon,  et  les  langues  qui  en  dé- 
pendent. C'est  donc  encore  dans  l'Inde  qu'il  faut  aller  cher- 
cher l'origine  du  langage, de  cet  instrument  primitif  des  sciences. 


On  a  pu  ralculer  le  tems  o\)  les  védas  furent  composés,  à 
Vn'n]o  iVuii  calendrier  ajouté  à  l'un  d'eux,  le  Jasus  véda  :  d'a- 
près les  lois  connues  de  l'astronomie,  il  doit  être  de  i  58o  avant 
J.-C.  Les  lois  de  Menou  sont  de  1280. 

Les  védas,  dont  la  métaphysique  offre  une  espèce  de  pan- 
théisme, sont  leurs  plus  anciens  livres,  cités  dans  tous  les  au- 
tres. Il  n'y  est  question  ni  deCrishna,  qui,  selon  Johnes,  date 
de  1200  avant  notre  ère,  ni  de  Uhama  ,  postérieur  d'un  siècle. 
Leur  contenu  est  l'adoration  d'une  divinité  unique  qui  se  ma- 
nifeste dans  les  phénomènes  de  la  nature  :  les  êtres  sortent 
tous  de  l'infini  pour  y  rentrer;  le  leu,  l'air  et  le  soleil  formeni 
la  trinité  divine.  La  mythologie  des  Indiens  ,  recueil  de  fables 
sur  lesquelles  repose  aujourd'hui  la  religion  populaire ,  n'es; 
venue  que  long-tems  après. 

Bailly  a  soutenu,  dans  le  dernier  siècle,  que  les  Indicii-- 
avaient  possédé  jadis  une  astronomie  plus  avancée  que  cello 
même  de  nos  jours;  mais,  en  consultant  les  données  astrono- 
miques renfermées  dans  leurs  propres  ouvrages,  on  recon- 
naît facilement  que  leurs  formules  étaient  erronées  ,  et  qu'ils 
n'avaient  pas  même  de  géométrie  méthodique.  31.  Delamhre  a 
réfuté  complètement  l'opinion  de  Bailly  :  il  a  prouvé  que  l'on 
ne  trouvait  pas  chez  eux  le  moindre  vestige  d'observations 
dans  les  tems  anciens.  Les  philosoplies  grecs,  qui  ne  rappor- 
tèrent de  leurs  vo3'ages  aux  Indes  que  des  notions  d'une  as- 
ironomie  dans  l'enfance ,  ont  toujours  cité  les  astronomes 
«haldéens,  et  jamais  les  Indiens.  Bentley  (de  l'Aôadémie  de 
Calcutta)  pense  même  que  l'astronomie  indienne  n'a  dû  com- 
mencer qu'en  027  avant  J.-G.  Cependant,  on  croit  que  l'arilh- 
niéliquc  actuelle  vient  d'eux  :  peut-être  la  devons-nous  aux 
\rabes. 

En  général,  h  s  Bramines,  même  de  nos  jours,  n'appellent 
savans  que  les  grammairiens,  les  métaphysiciens  et  les  théo- 
logiens. L'astronomie  leur  paraît  traiter  d'objets  très-maté- 
riels :  à  plus  forte  raison,  l'histoire  naturelle  proprement  dite, 
î^uralgèbre  va  jusqu'au  deuxième  degré,  leur  géométrie  jus- 
T.  xi.vji.  jniLRï  I  h5o.  2 


iS  COURS  D'IIISTUIKL 

«|u';iii   (an»'    ;!»'  l'hypolhénuse  et  aux  triang;le>  semblable»  : 

on  ne  les   v  cioit  arrivé»;  qu'au  xi'  siècle. 

Les  connaissances  des  Indiens  en  histoire  naturelle  devaient 
se  borner,  vers  le  lenis  où  l'une  de  leurs  colonies  civilisa  l'É- 
gyple.  à  des  notions  sin-  les  produits  du  règne  végétal  de  leur 
pays.  L'horreur  que  la  rcligio?i  inspirait  pour  le  cuir,  pour 
les  cadavres  et  pour  le  meurtre  des  animaux,  s'opposait  à  tout 
progrès  sensible  en  zoologie.  Dans  leurs  anciens  poèmes  ,  il 
est  souvent  parlé  de  l'or,  mais  pas  encore  des  perles  :  ils  con-- 
naissaient  l'ivoire,  et  savaient  le  travailler  ;  ils  fabriquaient  des 
tissus,  employaient  la  teinture,  faisaient  un  grand  commerce 
d'épices,  de  poivres,  de  parfums,  sous  la  direction  des  prêtres, 
qui  avaient  institué,  ;i  cet  cflet.  des  caravanes.  de<  pèlerinages 
et  des  fêtes. 

Les  colonies  indieinies  ne  purent  donc  porter  en  Egypte 
que  leiu'  constitution  sociale,  les  formes  de  leurs  monumens 
d'architectvne,  la  connaissance  des  productions  végétales  de 
leur  patrie,  et  des  habitudes  relatives  à  la  vie  domestique  : 
sans  pouvoir  fixer  l'epoijuc  de  ces  émigrations,  on  recon- 
naît que  la  dernière  ne  remonte  pas  à  plus  de  2000  ans 
avant  .).-C. 

Sur  les  bords  du  Nil.  les  sciences  diuent  se  développer  avec 
lapidité,  favorisées  par  plusieurs  circouslances  locales.  L'E- 
gvpte  possède  le  sol  le  plus  fertile;  à  peine  r.-t  on  besoin  d'y 
remuer  la  terre  pour  eu  obtenir  d'abondantes  récoltes  :  elle  est 
difficile  à  envahir,  et  propre  à  être  réunie  sous  une  même  do- 
mination. Forcés  par  les  inondations  de  rester  des  mois  entiers 
dans  les  villes,  ses  habitans  durent  naturellement  s'adonner 
aux  exercices  de  l'esprit,  qu'excitaient  encore  les  nécessités  de 
leur  situation  singulière.  Pour  retrouver  les  limites  des  pro- 
priétés après  la  retraite  du  fleuve,  il  fallut  chercher  les  pro- 
cédés de  l'arpentage  et  les  règles  de  la  géométrie  élémen- 
taire ;  pour  prévoir  ses  dèbordemens  réguliers,  il  fallut  se 
livrera  l'étude  des  mouvemens  célestes,  que  favorisait  un  ciel 
toujours  serein  ;  pour  faciliter  l'écoulement  des  eaux,  il  fallut 
f(Mi«truirc  de-  cauMiix.  ri  cuilivcr  l'ai  I  li\  driiidi«|iio    lliches  en 


DES  SCIENCES  NATURELLES.        19 

<ai rières  de  grès  el  de  granit,  matériaux  durables  qu'ils  pou- 
vaient transporter  facilement  sur  le  Nil,  ils  furent  portés  à 
l'architecture  et  aux  arts  du  dessin  qui  en  dépendent;  posses- 
seurs de  mines  nombreuses,  ils  étudièrent  la  minéralof^ic,  et, 
par  suite ,  la  chimie ,  qui  en  est  inséparable.  La  pratique 
des  embaumemens  leur  fournit  des  notions  exactes  en  anato- 
mie.  Au  culte  qu'ils  avaient  reçu  des  Indiens  ils  ajoutèrent 
l'adoration  de  certains  animaux;  ce  qui  les  conduisit  à  en  ob- 
server les  mœurs  et  à  en  dessiner  les  figures  dans  leurs  édifices 
«acres  :  leur  religion,  formée  probablement  d'un  mélange  des 
rites  de  l'Inde  avec  le  fétichisme,  qui  dut  être  le  premier  culte 
des  Ethiopiens,  comme  il  l'est  en  général  de  tous  les  peuples 
de  race  nègre,  n'était  donc  point  un  obstacle  aux  études  de 
l'histoire  naturelle  :  au  contraire,  elle  semblait  les  favoriser. 

Malheureusement,  il  ne  reste  aucun  ouvrage  écrit  de  ce 
peuple;  nous  avons  seulement  un  catalogue  des  livres  sacrés 
d'Hermès,  conservé  par  Clément  d'Alexandrie.  Ces  livres 
étaient  en  Egypte  l'objet  d'une  grande  vénération  ;  ils  trai- 
taient des  rites  ,  des  lois ,  de  l'astronomie  ,  de  la  géographie , 
des  hiéroglyphes,  de  philosophie,  de  médecine  et  d'autres  su- 
jets; mais  aiicun  n'était  consacré  à  l'histoire  :  Jamblique  dit 
qu'il  y  en  avait  36,52 1.  Dès  le  tems  de  Calien,  la  plupart  de 
ceux  qui  portaient  ce  nom  étaient  déjà  très- suspects  ;  ceux 
d'aujourd'hui  sont  apocryphes. 

A  défaut  d'annales  de  l'Egypte,  nous  avons,  dans  Eusèbe  et 
dans  quelques  autres  écrivains  ,  plusieurs  listes  de  ses  rois  ; 
mais  il  y  règne  une  grande  confusion,  qui  provient  vraisembla- 
blement de  la  division  du  pays  en  États  indépendans,  dont  les 
souverains  sont  présentés  sans  date  sur  une  ligne  continue, 
comme  s'ils  s'étaient  succédé  sur  le  même  trône. 

Les  probabilités  sont  que  l'Inde  a  devancé  les  autres  peu- 
plés dans  la  carrière  de  la  ci*'ilisation.  Mais,  si,  à  une  époque 
reculée,  16  ou  1  700  ans  avant  notre  ère  ,  elle  a  pu  influer  sur 
l'Egypte,  ses  communications  scientifiques  se  sont  bornées  à 
des  idées  métaphysiques  ou  religieuses,  et  aux  premiers  élé- 
meus  des  mathématiques.  Les  propres  ouvrages  des  Indiens, 


..o  COl'IîS  JVHISTOTIU': 

poslérieiirs  à  ces  coiiumiiiicilioits,  l'urrnl  coiiipiisés  i\nn>  do 
Icnis  moins  i-eculés  que  les  livres  sacrés  des  K^ypliens,  qui 
paraissent  d'ailleurs  n'avoir  contenu  rien  d'intéressant  pour  les 
«sciences.  Les  nivslères  que  l'on  croyait  écrits  sur  les  monu- 
n^iens  se  réduisent  de  leur  côté  à  des  litanies  et  à  des  descrip- 
tions adulatoires.  Ces  édifices  n'offrent  probablement  que  des 
représentation.*  mythoIog;iques,  comme  ils  représentent  les 
exploits  de  ilhama  dans  l'Inde,  et  ceux  d'Hercule  ou  d'Âchillc 
dans  la  Grèce  :  Gatterer  prélend  même  que  Menés,  Osyman- 
dias,  iVIœris,  Sésostris  et  llhamsimités  n'ont  existé  que  dans 
l'imagination  des  cicérone  qui  expliquaient  les  pyramides  ;  on 
ne  trouve,  en  effet,  aucune  trace  des  exploits  de  Sésostris 
chez  les  historiens  des  autres  nations. 

Il  est  donc  permis  de  penser  que  l'Egypte  n'a  pris  de  l'u- 
nité et  de  la  consistance  qu'après  l'expulsion  des  pasteurs , 
alors  que  toutes  ses  petites  souverainetés  furent  réunies  sous 
un  même  sceptre.  Seulement,  à  pailii-  de  cette  époque,  elle 
fut  assez  puissante  pour  entreprendre  de  grands  travaux. 
M.  Champollion,  en  lisant  les  noms  des  souA^erains,  éciils  sur 
les  monumcns  en  caractères  hiéroglyphiques,  a  reconnu 
qu'aucun  d'eux  n'était  antérieur  aux  xviT  et  xvin'  dynasties, 
c'est-à-dire,  ;i  celles  (fui  expulsèrent  les  nomades  :  peut-être 
même  les  édifices  élevés  eu  l'honneur  de  ces  princes  n'ont-ils 
été  bâtis  qu'après  leur  mort,  comme  on  en  érige  aujourd'hui 
parmi  nous  à  Henri  IV  et  à  saint  Louis. 

Les  pyramides  ,  monumcns  de  reulance  de  l'art,  ne  fu- 
rent construites,  suivant  Manéthon, qu'après  le  règne  de  Sésos- 
tris, le  vainqueur  des  pasteurs  :  elles  sont  donc  postérieures 
aux  premières  émigrations  de  l'Egypte,  celles  de  Cécrops , 
III  1556  avant  J.-(]. ,  de  iMoïse,  en  1/191,  de  Danaiis,  en  i4B5. 
La  Bible  n'en  fait  aucune  mention,  et  les  Hébreux  ne  les  imi- 
tèrent pas  :  la  même  observation  peut  se  faire  à  l'égard  des 
colonies  qui  se  dirigèrent  vers  la  Grèce.  On  croit  que  les  py- 
ramifles  furent  fondées  en  1100,  un  peu  avant  David  et  la 
guerre  de  Troie.  Les  autres  édifices  leur  sont  postérieurs  :  on 
doit  porter  leur  date  au  lems  ou   l'Kgypte  llorissail   le   plus. 


DtS    ïsClL.NChS    NAiU.xiLLES.  ui 

depui.-  I  lou  ju;<[u\i  Tan  55o  aM^nt  J.-C.  i  époque  de  l'in^a- 
sion  lie  Cauibv?e .  qui  mit  un  ternie  à  sa  projpn-ité.  Leur 
nombre,  leur  beauté .  leur  grandeur,  n'ont  rien  d'étonnant 
sous  un  fiel  où  les  matériaux  se  conservent  inaltérables,  et 
dans  un  pays  au  sein  duquel  avaient  dû  s'accumuler  d'iiu- 
uienses  richesses,  par  suite  de  la  fertilité  du  sol  et  de  sa  po- 
sition géographique,  ([ui  le  rendait  nKiiln:'  ilu  iomnieroe  de 
r  Afrique  et  de  llnde. 

Fermée  aux  étrangers  pendant  sa  prospérité,  TEgypte  leur 
ouvrit  ses  ports  pour  la  p:emiere  fois,  vers  l'an  6ûo.  sou> 
Psamméticus,  qui.  pour  apaiser  des  troubles  civils,  se  vit 
force  d'appeler  des  troupes  grecques  auxiliaires.  Ses  prêtres 
purent  alors  communiquer  leurs  connaissances  à.Thalés,à 
l'ythagore .  et  successivement  aux  autres  philosophes  grecs 
qui  vinrent  s'instruire  dans  ses  temples.  ïhnlés  y  vint  en  55o. 
Peu  après,  en  54',  Cambyse  conquit  l'Egypte  :  mais  cet  évé- 
nement n'empêcha  pas  les  Grecs  de  s'y  rendre  encore.  Pjtha- 
gore  vers  5oo.  Hérodote  en  -po.  Platon  en  400.  Eudoxe 
on  070. 

Ainsi,  les  travaux  vraiment  scientitiques  des  Egyptiens  com- 
mencent environ  1200  ans  avant  J.-C.  ;  ils  se  ralentissent  lor» 
des  troubles  civils,  vers  700,  et  cessent  presque  entièrement 
à  la  conquête  de  Camliyse,  en  541.  ou  548,  selon  d'autres  :  ou 
les  voit  enfin  appréciés  et  réduits  à  leur  juste  valeur,  en  064, 
par  les  Grecs  d'Alexandre,  qui  transportèrent  sur  les  bords  du 
Ml  les  sciences,  telles  que,  depuis  Thaïes,  en  200  ans,  ils  les 
avaient  développées.  Bien  que  cette  période  de  sept  à  huit  siè- 
cles ait  été  plus  que  -ullisaute  pour  conduire  à  de  nombreuses 
découvertes  ,  l'esprit  liuniain  ne  tit  pas  en  Egypte  de  grands 
progrès  pendant  ce  long  intervalle  :  la  période  grecque,  à 
partir  de  Thalé?.  et  même  en  y  comprenant  l'ecole  d'Alexan- 
drie, ne  fut  guère  que  de  mille  ans;  celle  des  modernes  n'en 
compte  pas  encore  cinq  cents. 

On  peut  juger  des  connaissances  des  Egyptiens  par  cel!e> 
des  émigrans.  Les  premiers,  dans  les  xv''  et  xvi'  siècles 
avant  T.- C.    flécinps.   Dencalion  .    Moïse.    Danaiis  .   n'a- 


214  COURS   D'HlSTOIRli 

vai(  lit  que  l'amice  lunaire  de  555  jours,  avec  des  intercalla- 
tioiib.  Environ  mille  ans  après.  Thaïes  n'en  rapporta  que  l'an- 
née de  365  joins;  on  dit  même  qu'il  leur  montra  la  manière 
de  mesurer  par  l'ombre  la  Jiauteur  des  pyramides  :  Pythagore 
y  apprit  l'arithmétique,  mais  non  son  théorème  du  carré  de 
rhy[iolhénuse  :  Hérodote  y  trouva  encore  l'année  de  3G5  jours: 
Eudoxe  y  vit  une  sphère  grossière  ;  et ,  de  son  tems,  on  y  avait 
adopté  l'année  de  565  jours  un  quart.  Mais  que  savaient  d'ail- 
leurs les  Égyptiens?  qu'ont-ils  pu  enseigner  aux  philosophes 
grecs  ? 

Ils  cultivaient  l'hydraulique,  cai'  ils  avaient  creusé  des  ca- 
naux; In  mécanique,  qui  leiu"  fit  transporter  et  élever  des 
masses  énormes  à  une  grande  hauteur;  la  stéréotomie,  au 
moyen  de  laquelle  ils  taillaient  des  pierres  sous  des  formes  ré- 
gulières ;  i'artde  l'arpentage,  qui  servait  à  diviser  et  à  retrouver 
les  propriétés.  Ils  s'adonnaient  à  l'étude  de  l'astronomie  , 
((u'ils  portèrent  assez  loin  pour  trouver  l'année  de  565  jours 
et  un  quart,  très-approchée  de  la  véritable,  et  pour  orienter 
leurs  pyramides;  mais  il  n'est  pas  prouvé  qu'ils  soient  les  auteurs 
des  constellations,  lui  physi(jue  générale,  ils  paraissent  n'a- 
voir eu  que  des  idées  vagues  et  fausses,  puisqu'ils  regardaient 
le  feu  comme  un  animal  dévorant.  En  géologie,  ils  avaient 
observé  les  lois  des  atlerrissemens  du  Nil,  qui  leur  permet- 
taient d'expliquer,  comme  nous,  la  fru'mation  du  Delta  ;  mais 
ils  faisaient  tout  dériver  de  l'eau.  Ils  connaissaient  les  pro- 
priétés les  plus  usuelles  des  minéraux  ,  si  abondans  dans  leur 
pays,  savaient  travailler  les  pierres  fines,  les  porphyres ,  le 
granit,  le  grès,  l'or,  l'argent,  etc. ,  sans  doute  an  moyen  d'in- 
strumens  iranchans,  donnés  par  la  trempe  dos  métaux;  ils  fa- 
briquaient nos  émaux,  nos  porcelaines,  des  verres  Cfdorés  de 
toute  espèce,  l'omposaient  les  couleurs  les  plus  brillantes  et 
les  plus  -solides  ;  enfin  ,  pour  les  procédés  des  arts  chimiques, 
ils  étaient  lKau(f)up  plus  avancés  que  ne  le  furent  jamais  les 
Grecs  et  les  llomains.  leurs  successeurs.  En  zoologie,  l'étude 
des  mœurs  et  des  formes  des  animaux  était  favorisée  par  la 
religion  .    et  les  dessins    de    plus  de  cinquante  il'entre   eux 


DES  SCIENCES  NiVlLUELLES.  ^'5 

tix'S-reconnaissables   se  retrouvent  encore   dans  leurs   Umu- 
ples.  Ils  avaient  aussi  des  notions  d'analoiriie. 

En  se  livrant  avec  persévérance  à  robser\ation  des  faits,  les 
Egyptiens  durent  être  conduits  à  chercher  les  théories  géné- 
rales qui  expriment  leurs  rapports  :  peut-être  ont-elles  été 
perdues  par  suite  de  l'oppression  de  la  caste  sacerdotale, 
après  la  conquête  de  Cambyse;  mais  toutes  ces  théories ,  liées 
a  leur  mythologie,  entravées  par  des  lois  de  castes,  cachées 
sous  des  formes  mystiques,  n'offraient  rien  de  solide,  hors  do 
la  pratique  des  arts;  et  toutefois,  un  Crotoniate  fut  meilleur 
chirurgien  pour  Darius  que  tons  les  Egyptiens, 

On  a  peu  de  notions  sur  les  connaissances  des  peuples  voisins 
de  l'Egypte  à  ces  époques  reculées.  Les  Chaldéens  avaient  un 
observatoire  sur  le  temple  de  Bélus  :  ils  fn^nt  des  obseivations 
grossières  d'éclipsés  de  lune,  conçurent  quelques  idées  de  l'as- 
tronomie sphérique,  et  connurent  l'année  solaire  de  565  jours 
5o'  28".  Les  Phéniciens  étaient  très  -  industrieux ,  faisaieni 
un  grand  commerce,  et  fabriquaient  le  verre,  la  pourpre, 
le  ged,  etc.  ;  mais,  à  en  juger  par  Sanclioniaton.  leurs  théories 
cosmogoniques  étaient  encore  plu-  ridicule>  ou  plus  déguisées 
que  celles  des  autres  nations. 

Les  chefs  des  colonies  égyptiennes  ne  possédaient,  avec  les 
procédés  pratiques,  qu'une  partie  des  connaissances  dont  le 
dépôt  était  conservé  dans  la  caste  sacerdotale  :  élevé  dans  le." 
temples,  Moïse  seul  était  initié  aux  doctrines  philo>o})hiques 
des  prêtres.  A  la  prendre  pour  humaine,  sa  cosmogonie  est 
étonnante;  et  ses  livres  prouvent  qu'il  avait  des  idées  exactes 
sur  plusieurs  points  de  la  plus  haute  philosophie.  L'ordre  qu'il 
assngne  aux  diverses  époques  de  la  création  s'accorde  parfaite- 
ment avec  celui  qu'on  déduirait  des  considérations  pin-emenl 
géologiques.  C'est  ainsi  que  la  Genèse  nous  montre  la  terre 
et  le  ciel  formes  d'abord  et  animés  de  la  lumière ,  puis  les 
])oissons,  ensuite  les  plantes,  après  lesquelles  viennent  les 
animaux  terrestres,  et  enfin  l'honnue,  le  dernier  des  être- 
créés.  Cette  succession  est  exactement  la  même  qii'adntet  hi 
géologie.   Dans  les  terrain,-  situés  aux  plus  grandes  pinibn- 


34  coins  D'HlSTOIUt;  DKS  SClOCliS  natlu. 
(.leurs,  et  par  conséquent  antérieurs  aux  couches  superposées- 
on  ne  voit  aucune  trace  d'êtres  organisés;  la  terre  était  donc 
;ifors  sans  habitans  :  en  s'élevant  aux  couches  superficielles. 
!cs  coquilles  et  les  débris  de  poissons  se  montrent  d'abord,  et 
successivement  les  restes  des  grands  reptiles  et  les  os  des  qua- 
drupèdes; les  ossemens  humains  ne  se  trouvent  que  dans  les- 
icrrains  meubles,  tels  que  les  cavernes  et  les  fentes  de  rochers  : 
l'homme  est  donc,  de  tous  les  êtres  organisés,  le  dernier  qui  ait 
apparu  à  la  surface  de  la  terre. 

La  Bible  parle  de  l'olivier,  du  safran,  du  papyrus,  du  nard» 
de  l'orge,  du  blé,  du  figuier,  du  sycomore,  de  plusieurs  par- 
l'imis  :  pour  les  plantes  qui  y  sont  mentionnées,  on  peut  voir  la 
Flore  biblique  dans  Sprengel  ;  en  ce  qui  concerne  les  animaux-. 
\\  faut  consulter  l'Hiérozoicum  de  Bochard. 

ÀfL    GONDINET. 

G  P I  iM  O  iN    de   M .    Edouard  L  i  v  i  n  g  s  t  o  ^ 

Si;U  LA  PKliNE  DE  MORT. 
Extrait    du    Rapport    .servant    u'introdi/Ctiou    au    sistem^ 

DE  LOI  PÉNALE   PRÉpAKÉ   POUR   l'EtAT  DE   LA  LoiUSIAîSE   (l). 

En  entrant  en  matière,  nous  sommes  arrêtés  par  la  difficulté 
de  découvrir  la  vraie  théorie  de  la  loi  pénale.  Il  faut  que  la 


(i)  Nous  devons  la  communication  de  cet  Extrait  h  M.  Taillandikr, 
notre  collaborateur,  qui  le  premier  a  ]>ublié  en  Europe  le  résultat  des 
travaux  de  M.  LIV1^GST0N  sur  la  lé-^islalion  criminelle.  La  haute  répu- 
tation que  ce  législateur  de  la  Louisiane  s'est  acquise,  la  force  des  argu- 
mens  qu'il  a  employés  pour  Cûmhallre  la  ])eine  de  mort,  qu'il  répudie  d< 
son  Gode,  ne  nous  (ont  pas  hésiter  à  insérer  cet  Extrait,  dans  lequel  l'il- 
tiislre  ;Hileur  s'est  de  nouveau  élevé  contre  ce  terrible  châtiment.  On  rc- 


OPIINION  DL  M.  LIVINGSTO.N  SLU  LAPEINE,  etc.   -aj 

philosophie  nous  hi  iévèl<!  ;  car  (.'elle  ihéorio  dciive  de  pro- 
fondes lecheiches  sur  les  facultés  de  l'esprit  humain^  et  sur 
leur  action  habituelle;  et  il  appartient  à  une  législation  sage 
de  l'adapter  à  l'usage  des  sociétés.  A  aucune  autre  époque,  la 
science  de  la  jurisprudence,  et  particulièrement  de  la  juris- 
prudence pénale  n'a  autant  qu'aujourd'hui  attiré  l'attention. 
A  aucune  autre  époque,  ses  progrès  de  la  vérité  théorique  ù 
l'utilité  pratique  n'ont  été  plus  apparens,  ou  n'ont  produit  de 
plus  importans,  de  plus  heureux  résultats.  Des  hommes  éru- 
dits  et  sages  consacrent  à  ce  sujet  leur  tems  et  leurs  talens  ; 
et,  dans  le  conflit  intellectuel  qu'a  produit  cette  discussion  in- 
téressante, il  est  bien  satisfaisant  de  remarquer  que  les  prin- 
cipes que  TOUS  ayez  sanctionnés  ont  été  confirmés  par  les  plus 
honorables  opinions,  et  soutenus  parles  raisons  les  plus  con- 
tluantes.  Ceux-mêines  qui  diffèrent  sur  d'autres  points  s'ac- 
cordent à  approuver  les  doctrines  générales  d'après  lesquelles 
vous  avez  voulu  que  votre  Code  fût  préparé,  quoiqu'ils  n'en 
déduisent  par  les  mêmes  conclusions,  et  qu'ils  n'aient  pas  puisé 
leurs  autorités  daiis  les  mêmes  sources. 

Ainsi,  tandis  que  tous  confessent  que  le  véritable  but  de  la 
jurisprudence  criminelle  est  la  prévention  des  crimes,  et  que 
la  doctrine  des  lois  vindicatives  est  absuide  et  injuste  au  plus 
haut  degré,  les  uns  soutiennent  que  les  crimes  ne  doivent 
être  réprimés  que  par  le  seul  exemple  des  punitions  ;  les 
autres,  que  la  réforme  est  le  seul  objet  légitime  que  l'on  doive 
se  proposer.  Quelques-uns  font  dériver  le  droit  de  punir  d'un 
contrat  tacite  entre  la  société  et  ses  membres;  d'autres,  du 
seul  principe   d'utilité   générale  ;  d'autres  enfin   n'admettent 

marquera  quelques  locutions  vicieuses  dans  le  slyle;  mais  nous  cioyoïis 
devoir  les  conserver,  parce  qu'elles  feront  connaître  à  nos  lecteurs  l'état 
de  la  langue  française  à  la  Louisiane.  Le  Rappoit  d'où  ce  passage  est  ex- 
trait a  été,  comme  tous  les  actes  législatifs  de  cette  contrée,  publié  en 
anglais  et  en  français.  Ce  n'est  donc  pas  une  traduction  que  nous  pré- 
sentons ici;  et,  à  ce  titre,  nous  n'avons  pas  cru  qu'il  nous  fût  permis  dt 
vien  changer  à  un  dooimcnt  oflîciel. 

'  l\uic  (fil  licddclciir. 


26  OPhN^ON   DE   M.   LIVINGSTON 

d'autre  origine  à  ce  droit  qu'une  justice  abstraite.  Chacune 
de  ces  opinions  a  ses  sectateurs.  Pour  nous,  sans  nous  en- 
foncer dans  les  abstractions  de  leurs  raisonnemens,  conten- 
tons-nous de  f-e  rt'sullat  important,  que,  soit  que  le  droit  de 
punir  soit  fondé  sur  (Contrat,  utilité  ou  justice,  soit  que  l'objet 
doive  être  la  punition  ou  la  réforme;  quelle  que  soit  la  vraie 
doctrine  sur  ces  points,  nous  avons  la  satisfaction  de  savoir 
(juc,  par  un  bonheur  particulier,  si  l'une  de  ces  théories  est 
bonne,  les  résultats  pratiques  q»ie  nous  avons  déduits  de 
notre  raisonnement  ne  peuvent  être  mauvais  ;  car  toutes  les 
dispositions  de  notre  système  coïncident  avec  la  justice  abs- 
traite, avec  l'utilité  générale,  et  avec  les  clauses  admissibles 
de  tout  contrat  originel  supposable  ;  et  que  ce  soit  la  réforme 
ou  la  punition  qui  soient  le  vrai  moyen  de  prévenir  les 
crimes,  notre  plan  de  discipline  des  prison»;  remplira  cet 
objet;  car  il  embrasse  l'une  et  l'autre. 

Si,  sur  un  examen  (litiqne  du  système  (\u'\  vous  est  pro- 
pose, on  trouvait  extraordinaire  qu'il  s'adapte  si  bien  à  des 
principes  qui  sont  considérés  comme  opposés  les  uns  aux 
autres,  ce  sera  cerlainemont  un  grand  pas  vers  la  conclusion 
il  tirer,  que  la  dispute  théorique  porle  plus  s(U", les  mots  que 
<ur  aucune  dinVrence  réelle  dans  la  cho-^e.  Par  exemple,  si  le 
prétendu  conlrat  social  a  jamais  existé,  il  n'apu  être  fondé  que 
sur  la  conservation  des  droits  naturels  de  ses  membres  ;  ce 
(|ui  lui  donne  les  mêmes  effets  (pie  produit  la  théorie  qui 
adopte  la  justice  abstraite  pour  base  du  droit  de  punir  ;  car 
l'une  et  l'autre  ont  le  même  but.  d'assurer  à  chacun  son  droit; 
et  si  l'utilité  générale,  qui  est  la  troisième  source  d'où  l'on 
fait  découler  ce  droit  de  punir,  est  si  intimement  liée  avec  la 
justice  qu'en  jurisprudence  criminelle  elles  soient  insépara- 
bles, il  s'ensuit  que  tout  système  fondé  sur  un  de  ces  princi- 
pes doit  être  appuyé  par  les  autres. 

De  même  pour  ce  qui  est  relatif  au  butconuuun  de  tous,  la 
prévention  du  crime,  si  la  punition  la  plus  edicace  est  celle 
qui  prixliiil  la  rcrormc  ;  toutes  ces  théories  sont  d'accord  dans 
la  prali(pie.  quelle  (pie  soit  d'ailleurs  la  dift'érence  de  leurs 
raisonueint  ii>. 


SI  il  LA   PEIXE  I)K   MORT.  27 

On  a  cru  eu  conséquence  qu'il  était  p!u>  couxcnablc  de 
s'abstenir  de  paraître  dans  la  lice  de  la  controverse  avec  les 
disputans,  ainsi  que  d'adopter  implicitement  les  dogmes  d'au- 
«une  de  ces  écoles,  mais  de  se  contenter  de  réunir,  s'il  était 
possible,  le  suffrage  de  toutes  dans  les  résultats  pratiques 
(|ue  nous  établirons.  Il  y  a  cependant  un  de  ces  résultats  qui, 
(juoique  déduit  clairement  des  premiers  principes  admis  par 
tous,  n'est  pas  encore  généralement  mis  en  pratique.  Ce  trait 
qui  distingue  si  honorablement  des  lois  actuelles  de  toutes  les 
autres  nations  le  plan  que  vos  prédécesseurs  ont  unanime- 
ment approuvé  ;  ce  trait  qui  a  excité  l'attention  du  monde  ci- 
vilisé, et  qui  semble  l'avoir  fixée  sur  cet  objet  principal,  est 
(comme  vous  devez  l'avoir  pressenti)  Vabolition  de  la  peine  de 
mort.  Itarement  aucune  doctrine  a  fait  d'aussi  rapides  pro- 
grès dans  l'opinion  publique.  Quoique  combattue  par  les  pré- 
jugés invétérés,  par  la  longue  routine,  {)ar  les  opinions  reli- 
gieuses erronées  et  par  l'appréhension  générale  et  indéfinie 
des  innovations,  le  nombre  de  ses  prosélytes  s'accroît  néan- 
moins chaque  jour  davantage;  l'exemple  de  notre  État  est  par- 
tout cité  :  les  mesures  futures  de  son  assemblée  générale  sont 
attendues  avec  le  plus  vif  intérêt,  et  la  civilisation  européenne 
avec  une  confiance  mêlée  d'anxiété  attend  de  vous  l'abolition 
d'une  peine  qui  répugne  à  notre  nature.  Un  citoyen  éclairé  de 
Genève  (1)  a  publié  l'annonce  d'un   prix  qu'il   propose  pour 


(1)  M.  Sellon,  membre  du  Conseil  Souverain  de  Genève,  proposa  au 
Conseil,  dés  l'année  1816,  d'abolir  la  peine  de  mort;  et  ce  fut  en  1826 
qu'il  proposa  le  prix  mentionné  dans  le  texte.  Dans  l'annonce,  après 
avoir  cité  les  opinions  de  Beccarla  et  de  Bcnlham,  il  ajouta  :  <■  Je  teimine 
ces  observations  en  produisant  le  document  le  plus  récent  et  le  plus  con- 
(luant  en  faveur  de  ma  proposition;  c'est  l'assentiment  de  l'assemblée 
générale  de  la  Louisiane  aux  principes  tracés  par  M.  Livingston  dan;- 
son  Rapport.  Mes  concitoyens  y  verront  une  république  adoptant  des 
dispositions  dont  la  principale  est  la  suppression  absolue  de  In  peine  de 
mort.  »  Il  donne  ensuite  une  copie  de  noire  loi  de  1820,  du  cerlifical 
de  ma  commission,  de  toute  la  partie  du  Rapport  qui  est  relative  à  !;• 
peine  de    mort,  et   de  ]«   lésoliitiMn  qui  iippi'ou\a  le  Rapport.  Dans  une 


■>\]  OPINION   I)K  M.   LlVlMiSTON 

le  nicilliur  essai  sur  cesujcl,  et  il  y  a  iiiliou'iiil.  cuiiimc  lexte, 
la  copie  des  argnmensqui  ont  reçu  l'approbation  de  cet  État. 
Vne  Société  a  suivi  cet  exempte  à  Paris.  Les  nombreux  pa- 
piers périodiques  de  France,  d'Angleterre,  d'Allemagne  et  de 
Hollande,  sont  remplis  de  dissertations,  la  plupart  fortement 
approbatives  de  l'abolition;  mais,  autant  que  j'ai  pu  le  voir, 
aucun,  même  de  ceux  qui  doutent  du  succès,  n'a  combattu 
l'expérience  comme  dangereuse. 

Si  ce  principe  est  maintenu  dan-;  notre  Code,  sa  date  sera 
celle  du  vote  d'approbation,  et  nous  assure  parmi  les  nations 
nn  nom  auquel  de   plusieurs  siècles  nous  n'aurions  pu  pré- 

iiule  sur  la  loi,  il  dit  :  <•  !\'ayant  d'autre  but  dans  cet  écrit  que  de  con- 
vaincre mes  concitoyens  que  l'abolition  de  la  peine  de  mort  serait  une 
mesure  aussi  utile  qu'honorable  pour  ma  patrie,  j'ai  cru  ne  pouvoir 
mieux  l'atteindre  qu'en  leur  donnant  connaissance  du  Rapport  fait  par 
M.  Liviugslon  à  l'assemblée  générale  de  la  Louisiane.  La  Louisiane  est 
une  république;  elle  est  partie  constituante  d'une  illustre  union,  comme 
nous  faisons  partie  de  la  confédctation  suisse;  et  la  constitution  des 
Klals-Unis,  comme  notre  acte  fédéral,  permet  à  ses  membres  de  se 
donner  les  meilleures  lois,  encore  qu'elles  dill'èrent  de  celles  des  autres 
litals.  .Nous  sommes  redevables  à  M.  Taillandikr  de  la  traducti(jn  de  ce 
Ra[(port,  etc.,  et  il  termineson  programme  en  citant  rexem|)lcdes  nations 
modernes  chez  lesquelles  la  suppression  de  la  peine  de  mort  a  été  effec- 
tuée :  i"  la  Russie,  sons  Elisabeth;  2»  la  Toscane,  sous  Léopold  ;  5"  la 
Loui.'ùane,  en  Amérique,  qui,  sur  le  rapport  de  M.  Livingston,  et  par 
une  résolution  solennelle  de  l'assemblée  souveraine,  a  décrété  la  sup- 
pression absolue  de  cette  punition.  Ce  Rapport,  dans  lequel  l'auteur, 
comme  on  le  verra,  a  rassemblé  toute  l'expérience  des  tems  passés  et 
présens,  me  paraît  être  un  document  du  plus  grand  intérêt  pour  Ge- 
nève, dont  la  position,  la  population  et  la  constitution,  ont  un  grand  rap- 
port avec  celles  de  la  Louisiane,  qui,  comme  Genève,  membre  d'une  fé- 
dération ,  s'est  donné  de  bannes  lois,  sans  tonsuller  ses  voisins  à  cet 
égard,  leur  offrant  un  noble  et  sage  exemple  à  suivre,  sans  craindre 
qu'une  législation  douce  attirât  les  criminels.  Il  faut  espéier  que  nous 
suivrons  cet  exemple;  ■>  et  il  ajoute:  «  11  est  aisé  d'en  faire  l'essai;  le 
monde  entier  l'ajjprouvera  ;  la  gloire  en  rejaillira  sur  toute  la  nation,  et 
l'histoire  ne  peut  manquer  de  mentionner  honorablement  le  peuple  qui 
le  piemicr  renoncera  à  une  pratique  qui  n'est  jilu?  requise  par  la  nécej- 
silé,  qui  seule  pouvait  lui  servii  d'e.xcusc.  » 

'  \otc  Hc  M.  Livini^flon.  ; 


s  L  K   LA   l>  !  :  !  N  V.   DEMO  ilT .  uï) 

irriilic  });ir  iiolro  j)Oj)iihi[ioii  on  noire  l'oiCi;  lelalive,  et  unr 
ilistintiion  plus  honorable  que  celle  que  donnent  les  ricluîsscs, 
la  puissance  ou  les  progrès  dans  toute  autre  science. 

Ce  n'e-^t  pas  aux  hommes  éclairés  auxquels  je  m'ailrt'sjc 
que  j'ai  besoin  de  taire  observer  combien  cette  distinction  ob- 
tenue par  un  pays  rejaillit  sur  ses  citoyens,  ni  à  quel  point, 
en  exaltant  l'honneur  de  la  nation,  ils  augmentent  le  bonheur 
des  individus  qui  la  composent.  C'est  la  terme  persuasion  oii 
je  suis  que  l'un  et  l'autre  s'accroîtront  à  un  degré  incalcu- 
lable par  la  mesure  en  question,  qui  m'induit  à  la  repré- 
senter encore  à  la  considération  de  la  législature,  et  à  y  ajou- 
ter quelques  réflexions  aux  argumens  qui  furent  dans  une 
occasion  précédente  considérés  comme  concluans.  A  cette 
époque  (i),  j'exprimai  l'opinion  que  le  droit  de  punir  de  mori 
pouvait  être  établi  dans  des  cas  où  l'importance  de  l'objet  à  ob- 
tenir, et  la  nécessité  d'infliger  cette  peine  pour  y  parvenir, 
étaient  l'une  etFautresuflisamment  démontrées;  mais  je  niais 
l'existence  de  celte  nécessité.  En  revoyant  cette  partie  du 
rapport,  j'ai  pensé  qu'elle  avait  besoin  de  quelque  éclaircis- 
sement. 

L'existence  est  le  premier  don  que  l'homme  reçut  du  Créa- 
leur  :  existence  accompagnée  non-seulement  de  l'instinct  né- 
cessaire à  sa  conservation  et  à  la  propagation  de  l'espèce  , 
mais  d'une  disposition  sociale  (et  non  purement  aggrégative) 
qui  opéra  si  soudainement,  qu'à  moins  de  remonter  en  idée 
justju'au  premier  homme,  il  n'est  guère  possible  d'iaiaginer, 
et  moins  encore  d'indiquer,  un  état  autre  que  celui  de  so- 
ciété. Cet  état  de  société  a  été  rencontré  partout  où  l'on  a 
trouvé  des  hommes,  et  doit  avoir  existé  aussitôt  que  l'espèce  a 
été  assez  nombreuse  pourTeffecl  uer.  Ainsi,  l'homme  étant  créé 
pour  la  société,  le  Créateur  de  l'homme  a  voulu  sa  conserva- 
tion; et,  comme  il  agit  par  des  lois  générales,  et  non  parik-^s  in- 
terventions spéciales  (exceptédans  les  cas  que  la  religion  îiou^ 

(i^^  RappnrI  fait  à  l'axsemhlcc  v;cnè)\tlc  de  la  ï.oiilxiane,  1S25,  11.  -  -71. 


5o  OPINION    DK   M.    LIM.NGSTOiN 

(irdoniie  de  croire),  toutesoeiété  primitive  a  élé  investie,  ainsi 
([ue  chacun  de  ses  membres,  de  certains  droits  naturels  et  de 
certains  devoirs  correspondans,  antérieurs  en  date,  et  supé- 
rieurs en  autorité  ;'i  tons  ceux  qui  peuvent  résulter  d'aucun 
consentement  mutuel.  Le  premier  de  ces  droits,  peut-être  le 
seul  incontestable,  est  pour  l'individu  aussi-bien  que  pour  la 
société  le  droit  de  conserver  l'existence  qu'ils  ont  reçue  de  la 
toute-puissance  divine  qui  créa  l'homme  pour  l'état  social  ; 
et  le  devoir  correspondant  et  mutuel  de  l'iiomme  et  de  la  so- 
ciété est  de  défendre  ce  droit.  iMais,  lorsque  le  droit  est 
donné,  les  moyens  de  le  maintenir  doivent,  dans  la  loi  natu- 
relle comme  dans  la  loi  positive,  avoir  également  été  donnés. 
.Si  donc  les  individus  et  la  société  ont  le  droit  de  conserver 
leur  existence  respective,  et  sont  réciproquement  tenus  de  la 
défendre  lorsqu'elle  est  attaquée,  il  s'ensuit  que,  si  l'une  ou 
l'autre  est  menacée  de  destruction,  et  que  pour  l'éviter  il  soit 
nécessaii-e  d'ôter  la  vie  à  l'assaillant,  le  droit,  je  dis  plus,  le 
devoir  de  l'ôter  existe  :  l'impulsion  irrésistihie  de  la  nature 
indique  le  droit  qu'elle  a  conféré;  et  sa  première  loi  est  que 
la  vie  peut  être  «îtée  dans  la  défense  personnelle.  L'agresseur, 
il  est  vrai ,  a  le  même  droit  d'exister;  mais,  si  ce  droit  res- 
tait sacré  lorsqu'il  tente  de  l'ôter  à  lui  autre,  il  existerait  en 
mêmetems  deux  droits  égaux  et  opposés;  ce  qui  est  une  con- 
tradiction dans  les  termes.  En  conséquence  le  droit  dont  je 
parle  est  prouvé;  mais,  par  rapport  ;\  l'individu  comme  à  la 
société,  ce  droit  est  strictement  défensif  :  il  ne  peut  être  exercé 
que  pendant  la  durée  du  danger;  j'entends  pendant  letemsoù 
la  question  est  :  Lequel  des  deux  existera  de  l'agresseur  ou 
de  la  partie  attaquée,  soit  individu  ou  société?  Avant  ou  après 
ce  moment  critique,  ce  n'est  plus  défense  personnelle;  leur 
droit  respectif  de  jouir  de  l'existence  est  alors  co -existant  et 
égal,  mais  non  opposé,  et  il  serait  injuste  à  l'im  d'en  dépouil- 
ler l'autre. 

Ainsi  jecrois  avoir  prouvé  ce  que  j'avais  avancé,  que  le  droit 
d'infliger  la  mort  existe,  mais  seulement  dans  la  défense  per- 


SIK   LA    FKINK   DK  MORT.  .>i 

sonnelle  de  Piiulividii  on  de  la  société  (i),  et  (|ii'il  est  confiné 
niix  cas  où  il  n'y  a  pas  d'autre  allcrnative  pour  détourner 
limmineiice  de  la  destruction. 

Afin  de  juger  s'il  y  a  nécessité  de  mettre  en  action  ce  droit 
abstrait,  il  faut  se  rappeler  le  devoir  imposé  à  la  société  de  pro- 
téger ses  membre."»;  devoir  qui,  si  nous  avons  bien  raisonné, 
dérive  de  la  nature  sociale  de  l'homme,  indépendamment  de 
tout  contrat  implicatif.  Tant  qu'on  peut  imaginer  la  société 
dans  un  tel  état  d'enfance  et  d'imperfection  qu'elle  ne  puisse 
remplir  ce  devoir  de  protection  sans  ôter  la  vie  à  l'agresseur, 
nous  devons  lui  accorder  ce  droit;  mais  existe-il  un  pareil 
état  de  société?  certainement  non  .  dans  le  monde  civilisé;  et 
nos  lois  sont  faites  pour  des  hommes  civilisés.  L'emprisonne- 
ment est  une  alternative  facile  et  efficace  ;  aiasi  dans  la  société 
civilisée,  et  dans  le  cours  ordinaire  des  choses,  nous  ne  sau- 
rions admettre  la  nécessité,  ni  conséquemment  la  légitimité  de 
l'exercice  de  ce  droit  ;  et  même  parmi  les  hordes  les  plus  sau- 
vage*, où  les  moyens  de  détention  peuvent  manquer,  le  ban- 
nissement peut,  dans  beaucoup  de  cas,  dispenser  de  la  néces- 
sité d'infliger  la  mort.  Il  n'est  pas  douteux  qu'une  imagination 
active  ne  put  inventer  des  cas  ou  des  situations  dans  lesquels 
cette  nécessité  existerait  peut-être  :  mais  de  pareils  cas,  s'il 
en  est  (ce  qui  est  suffisamment  probable  pour  justifier  une 
exception  dans  la  loi),  doivent  être  présentés  comme  cas  d'ex- 
ception ,  et  dès  lors  ne  feraient  que  confirmer  la  règle;  mais, 
par  un  travers  de  raisonnement  de  la  part  de  ceux  qui  ap- 
puient cette  espèce  de  punition  ,  ils  mettent  l'exception  à  la 
place  de  la  règle,  et  une  exception  ,  qui  pis  est ,  dont  la  pos- 
sibilité d'existence  est  douteuse. 

Observez  que  j'ai  cité  le  cas  de  la  préservation  de  la  vie 
comme  le  seul  dans  lequel  même  la  nécessité  puisse  autori- 
ser à  ôter  la  vie  ;  et  cela  ,  par  la  raison  bien  simple  que  c'est 
le  seul  cas  où  ces  deux  droits  naturels  et  d'égale  importance 

(i)  Ceci  explique  cette  partie  du  premier  Rapport  qui  est  relative  a 
la  comparaison  du  mal  de  l'offense  et  de  la  punition. 

(  IW^ie  de  M.  Lirinaslotu  ) 


Tri  0riM()>    bi:  M.  LlM>(;SÏON 

piiissenl  être  balancés,  et  oi\  la  balance  doive  pencher  en  la- 
voiir  (le  celui  ([ui  s'oppose  à  la  ilestruclion  contre  celui  qui 
lilche  de  Topérer.  Le  seul  vrai  fondement  du  droit  d'infliger 
la  mort  est  la  préservation  de  la  vie.  Ce  don  de  notre  Créa- 
teur semble,  par  le  dés^ir  universel  de  le  conserver,  qu'il  a  iu- 
lusé  dans  toutes  les  parties  de  la  création  animale,  être  le  seul 
fpril  n'ait  pas  eu  l'intention  de  laisser  à  notre  disposition. 
Mais  alors,  dira-t-on  ,  que  deviennent  nos  autres  droits?  La 
liberté  et  l'inviolabilité  personnelles,  la  propriété  privée,  doi- 
vent-elles être  abandonnées  à  la  merci  du  premier  usurpateur 
puissant?  Comment  les  défendre  .  si  vous  reslreiiçnez  le  droit 
d'ôter  la  vie  au  seul  cas  de  défense  contre  un  attentat  à  l'exis- 
tence? A  cela  on  répond  :  la  société  étant  un  état  naturel, 
ceux  qui  la  composent  ont  collectivement  des  droits  naturels. 
Le  premier  de  ces  droits  est  celui  de  maintenir  l'existence  so- 
ciale ;  ce  (jui  ne  peut  s'elVectucr  qu'en  maintenant  celle  des 
individus  qui  la  composent.  Elle  a  donc  des  devoirs  ainsi  que 
des  droits;  et  les  uns  et  les  autres  ont  été  sagement  rendus 
inséparables.  La  société  ne  saurait  exercer  ses  droits  de  pré- 
servation propre  d'elle-même  sans  en  même  tenis  remplir  ses 
ilevoirs  en  préservant  ses  membres.  Toutes  les  fois,  que  l'une 
des  choses  qui  sont  l'objet  de  l'association ,  telles  que  la  vie. 
la  liberté  ou  la  propriété,  sont  attaquées,  la  force  de  tout  le 
corps  social  doit  être  employée  pour  la  défendre.  Et  cette 
force  collective,  dans  le  cas  d'une  attaque  individuelle,  est 
généralement  suflisaute  pour  la  repousser,  sans  sacrifice 
d'existence;  mais,  dans  les  cas  extraordinaires,  où  la  force 
des  assaillans  est  telle  qu'ils  persévèrent  de  manière  à  com- 
[>romettrc  l'existence  sociale,  alors  la  loi  cie  la  défense  de  soi- 
même  devient  applicable. 

Mais  il  peut  survenir  des  circonstances  dans  lesquelles  les 
droits  individuels  se  trouvent  lésés  avant  que  la  force  com- 
nunie  ne  puisse  intervenir.  Dans  ces  cas,  comme  la  nature  ôv 
la  société  ne  prive  point  l'individu  de  ses  droits  personnels,  il 
peut  défendre  sa  personne  ou  sa  propriété  contre  toute  vio- 
lence illégale  avec  une  force  -uni-anic  pour  rcpous^icr  cell»' 


sur,   LA   l'I'JNE  DE   MOllT.  55 

de  l'assaillant.  Ceci  résulte  clairement  du  droit  de  propriété, 
de  quelque  source  qu'on  le  fasse  dériver,  et  de  l'inviolaljilite 
personnelle,  qui  est  (avec  quelques  restrictions  imposées  par 
la  nature  elle-même)  incontestablement  un  droit  naturel. 
Comme  le  tort  dont  il  est  menacé  peut  ne  pas  admettre  de 
compensation,  l'individu  peut,  pourleprévenir,  user  de  force; 
et  si  celle  employée  par  l'assaillant  met  en  danger  la  vie  de 
l'assailli  (i) ,  la  question  rentre  encore  dans  la  catégorie  de  la 
défense  personnelle,  et  le  même  raisonnement  employé  dans 
ladite  hypothèse  démontre  le  droit  d'ôter  la  vie  d;ins  le  der- 
nier cas.  Mais  lorsque  l'individu  attaqué  peut,  par  sa  seule 
force  physique  ou  avec  l'aide  de  la  société  à  laquelle  il  appar- 
tient, défendre  sa  personne  ou  sa  propriété;  lorsque  l'attaque 
n'est  pas  de  nature  à  compromettre  sa  propre  existence  dans 
la  défense;  s'il  ôte  la  vie  à  l'agresseur  en  pareille  circon- 
stance, il  l'ôte  sans  nécessité,  et  conséquemment  sans  droit. 
Voilà  toute  l'étendue  que  la  loi  naturelle  de  la  défense  per- 
sonnelle accorde  à  l'individu  pour  infliger  la  mort  à  autrui. 
Une  association  quelconque  d'individus  peut -elle  l'infliger 
pour  aucune  autre  cause,  et  dans  aucune  autre  circonstance  •' 
La  société  n'a  le  droit  de  défendre  qu'elle-même,  c'est-à-dire 
sa  propre  existence,  et  ce  que  les  individus  qui  la  composent 
ont  le  droit  de  défendre;  et  de  détruire  tout  individu,  ou  toute 
autre  société  qui  tenterait  de  la  détruire.  Mais  elle  n'a  ce 
droit  que  comme  les  individus,  pendant  la  durée  de  l'attaque, 
et  lorsqu'il  n'y  a  aucun  autre  moyen  de  la  repousser, 

C'est-là  le  seul  sens  que  j'attache  au  mot,  si  fréquemment 
employé,  si  abusivement  prodigué,  et  si  peu  entendu,  né- 
cessité ;  elle  existe  entre  nations,  durant  la  guerre;  entre  une 
nation  et  une  de  ses  parties  constituantes,  dans  les  cas  de  ré- 
bellion et  d'insurrection  ;  entre  des  individus,  durant  le  mô- 

(i)  La  seule  csistence  du  danger  ne  suffit  pas  pour  justifier  l'homi- 
cide; d'après  les  lois  anglaises  et  autres,  il  faut  que  le  danger  ne  laisse 
pas  d'autres  moyens  de  l'éviter.  {Note  de  M.  Livingsion.) 

T.   XLVII.   JUILLET   l85o.  5 


54  OPIMON   DE  M.   LIMNGSTON 

ment  d'un  attenlat  ;>  l'existence,  qui  ne  peut  pas  être  autre- 
ment préservée;  mais,  enln;  un  individu  et  la  société,  telle 
qu'elle  est  aujourd'hui  formée ,  elle  n'existe  jamais.  Je  con- 
clus donc  (bien  explicitement,  parce  que  je  désire  être  com- 
pris) que,  (pjoique  le  droit  de  punir  de  rnort  puisse,  sous  un 
rapport  abstrait,  exister  dans  certaines  sociétés,  et  dans  cer- 
taines circonstances  qui  peuvent  le  rendre  nécessaire  ,  néan- 
moins, dans  l'état  actuel  de  la  société,  ces  circonstances  ne 
peuvent  être  raisonnablement  même  supposées  advenir;  que 
dès  lors  il  n'existe  aucune  nécessité,  et  par  conséquent  au- 
cun droit  d'innig;er  la  mort  comme  punition. 

On  a  également  employé  des  raisonnemens  très-forts  pour 
réfuter  ceux  qui  fondent  le  droit  d'ôter  la  vie  pour  crimes  surun 
contrat  originel  fait  par  les  individus  lors  de  la  première  fonda- 
lion  des  sociétés  :  d'abord  ,  qu'un  tel  contrat  non-seulement 
n'est  pas  prouvé,  mais  ne  peut  même  guère  être  imaginé;  en- 
suite, qu'alors  même  qu'il  le  serait,  il  serait  confiné  au  seul  cas 
de  défense.  Les  parties,  dans  ce  contrat,  n'ont  pu  donner  à  la 
société  que  les  droits  qu'elles  avaient  individuellement  ;  leur 
seul  droit  sur  la  vie  d'autrui  était  celui  de  préserver  la  leur;  voilà 
le  droit  qu'elles  purent  donner  à  la  société,  etpasd'autre.  Ainsi, 
dans  cette  théorie  également,  ledroit  se  résout  en  celui  de  faire 
ce  qui  est  nécessaire  pour  sa  conservation;  la  grandequeslion  re- 
vient donc  encore  :  la  peine  de  mort  est-elle  nécessaire  dans  au- 
cime  société  civilisée  pour  préserver,  soit  la  vie  de  ses  mem- 
bjes  individuellement,  soit  leurs  droits  sociaux  collectivement  ? 
Si  elle  n'est  pas  nécessaire,  je  pense  avoir  prouvé  qu'elle  n'est 
pas  juste;  et,  si  elle  n'est  ni  juste  ni  nécessaire,  peut-elle  être 
utile?  Pour  qu'elle  lut  nécessaire,  il  faudrait  démontrer  que 
sans  elle  la  vie  des  citoyens  et  l'existence  de  la  société  ne 
sauraient  être  préservées.  Mais  ceci  peut-  il  être  soutenu  en 
face  de  tant  de  preuves  contraires?  L'Egypte,  pendant  vingt 
années  ,  sous  le  règne  de  Sabace  ;  Rome  ,  pendant  deux  cent 
cinquante  ans  ;  la  Toscane,  pendant  plus  de  vingt-cinq  ans;  la 
Russie,  pondaul  vingt-un  ans,  sous  Elisabeth,  démentiraient 
celte  assertion.  Il  y  a  plus  :  s'il  est  vrai,  comme  on  vous  le 


SUR  LA  PEINE  DE  MORT.  55 

ilil .  que  les  lois  pénales  espagnoles  aient  été  abrogées  par  la 
cession,  cet  État  lui-même  vous  offre  une  preuve  incontes- 
table que  celle  nécessité  n'existe  point.  Car,  si  ces  lois  n'exis- 
taient pas  en  force ,  il  est  évident  qu'il  n'y  en  avait  aucune 
qui  imposât  la  peine  de  mort,  depuis  l'époque  du  transfert 
(décembre  i8oj)  jusqu'au  5  mai  i8o5,  que  fut  passée  notre 
première  loi  pénale.  Eh  bien!  durant  cette  période,  où  les 
préjugés  nationaux  étaient  exaltés,  où  l'un  des  gouvcrnemens 
avait  abandonné,  et  l'autre  n'avait  pas  encore  établi  son  au- 
torité, je  crois  qu'on  ne  vit  pas  un  exemple  de  meurtre  ou  de 
tentative  de  troubler  l'ordre  de  la  société.  Ainsi  il  faut  qu'on 
renonce  à  l'un  ou  à  l'autre  argument;  ou  les  lois  espagnoles 
existaient,  ou  nous  étions  nous-mêmes  une  preuve  qu'une 
nation  peut  exister  en  paix  sans  la  peine  de  mort.  Des  socié- 
tés ont  donc  existé  sans  elle;  elle  n'était  donc  pas  nécessaire 
à  ces  sociétés.  Y  a-t-il  quelque  chose  dans  l'état  de  la  nôtre 
qui  rende  cette  punition  nécessaire?  Autant  que  j'ai  pu  l'ap- 
prendre, rien  de  pareil  n'a  été  même  suggéré.  Mais,  si  elle 
n'est  pas  de  nécessité  absolue,  ses  partisans  auront-ils  recours 
au  misérable  prétexte  qu'elle  est  convenable  ;  que  les  crimes 
auxquels  on  l'applique  diminuent  en  plus  grande  proportion 
que  ceux  auxquels  une  autre  peine  est  infligée  ;  mais  le  con- 
traire est  malheureusement  trop  vrai.  Le  meurtre  et  la  tenta- 
tive de  meurtre  ,  qui  sont  punis  de  la  peine  capitale,  se  sont 
multipliés,  dans  quelques  Etats  de  l'Union,  à  un  degré  qui  non- 
seulement  répand  une  alarme  générale,  mais  qui  imprime  au 
caractère  national  une  tache  qu'il  sera  très-difficile  d'effacer. 
Je  pourrais  là-dessus  m'en  remettre  aux  sentimens  des  mem- 
bres du  corps  auquel  je  m'adresse;  mais,  comme  le  lésullat 
est  susceptible  d'être  démontré  par  des  chiffres,  j'appelle  leur 
attention  sur  les  tables  annexées  à  ce  rapport,  dans  lesquelles 
ils  verront,  quelque  incomplètes  qu'elles  soient,  un  accrois- 
sement de  ces  crimes,  qui  démontre,  si  quelque  chose  peut  le 
démontrer,  l'inefficacité  des  moyens  adoptés,  et  si  obstiné- 
ment maintenus  pour  leur  répression.  Le  petit  nombre  d'exé- 
cutions, comparé  avec  les  faits  bien  authentiques  des  crimc'^  , 


36  OPINION   DK  M.   LIVINGSTON 

prouve  (lue  la  sévcrilé  de  la  punilioii  auj^iui-nle  les  chances 
d'acquit  ;  tandis  que  l'oisive  curiosité  qui  attire  la  foule  au 
spectacle  des  souiTrances  humaines,  dans  les  exécutions,  et 
l'insouciance  ii-réfléLhie  des  spectateurs,  prouvent  les  effets  per- 
nicieux d'un  tel  spectacle  sur  la  morale  et  la  sensibilité  juibli- 
qnes,  et  que  les  crimes  commis  pendant  l'exhibition  même  des 
exemples  destinés  à  les  prévenir,  démontrent  l'inefficacité  abso- 
lue du  prétendu  remède.  Il  est  un  cas  de  celte  nature  trop  frap- 
pant pour  être  passé  sous  silence.  En  1822,  un  individu  nommé 
Jean  I. cellier  fut  exécuté  à  Lancastre,  en  Pensylvanie,  pour 
un  meurtre  atroce.  L'exécution  attira,  comme  à  l'ordinaire, 
une  midtiludc  immense  d'assistans;  et  nous  pouvons  juger  de 
l'effet  salutaire  qu'elle  produisit  surles  spectateurs  parl'extrait 
suivant  d'une  gazette  imprimée  dans  le  voisinage  (1);  et  le.'^ 
faits  y  relatés  m'ont  été  depuis  confirmés  par  une  autorité  ir- 
récusable. 

«C'est  depuis  loiig-lems  un  point  de  controverse  (dit le  ju- 
dicieux éditeur)  si  les  exécutions  publiques,  par  l'air  de 
solennité  qu'on  leur  donne,  ne  sont  pas  pour  la  partie  vicieuse 
de  la  communauté  plutôt  un  stimulant  au  crime  qu'un  moyen 
d'en  détourner.  Ce  qui  vient  de  se  passer  à  Lancastre  indui- 
rait à  penser  que  le  spectacle  d'une  exécution  publique  pro- 
duit moins  de  réformes  que  d'inclinations  vers  le  crime. 
Pondant  qu'une  ancierme  offense  était  expiée,  plus  d'une 
douzaine  de  nouvelles  ont  été  commises,  et  quelques-unes 
d'une  nature  capitale.  \'ingt-huit  personnes  ont  été  empri- 
sonnées à  Lancastre,  vendredi  soir,  pour  différentes  offenses, 
telles  que  meurtres,  larcins,  etc.,  sans  compter  que  plusieurs 
messieurs  perdirent  leurs  portefeuilles;  mais  les  filous  se  sont 
évadés;  autrement,  la  prison  eût  déboi'dé. 

i)Dans  la  soirée,  un  nommé  Thomas  Barnc,  tisserand  em- 
|(kiyé  dans  la  manufacture  près  de  Lancastre,  se  retirant  chez 
lui,  l'ut  rencontré  par  un  certain  Jf'^Uson  avec  lequel  il  avait  eu 

(1)  Gaîctte 'k  \'orhfown. 


SUR  LA   FELNE  DE  MOUT.  57 

quelque  précédent  dc^mêlé  :  "W  ilson  tira  son  couteau  et  lui  en 
donna  plusieurs  coups  eii  divers  endroits;  quelques-unes  des 
blessures  sont  réputées  mortelles  ;  "Wilson  a  été  arrêté  et  em- 
prisonné ;  on  lui  a  mis  les  mêmes  fers  que  portait  Lechler,  et 
qui  n'avaient  pas  eu  le  tems  de  se  refroidir.  » 

Une  lettre  en  réponse  à  quelques  informations  que  j'avais 
demandées  à  ce  sujet  ajoute  à  ces  renseignemens  que  Wilson 
était  un  de  ceux  qui  avaient  (juitté  leur  résidence  exprès  pour 
venir  assister  à  l'exécution  de  Lechler;  et,  afin  de  ne  laisser 
aucun  doute  sur  l'exactitude  des  faits  relatés  dans  la  Gazette, 
que  ledit  "Wilson  a  été  depuis  convaincu  de  ce  meurtre. 

Je  prie  les  avocats  de  la  peine  de  mort  de  réfléchir  sur  cet 
exemple,  de  le  rapprocher  de  celui  que  j'ai  détaillé  dans  mon 
premier  rapport,  concernant  le  brocantage  des  faux  billets 
dans  la  même  chambre  où  gisait  le  cadavre  de  celui  qui  ve- 
nait d'être  exécuté  pour  le  même  crime  (1).  Je  les  prie  de 
réfléchir  sérieusement  sur  ces  cas,  sur  beaucoup  d'autres  de 
la  même  nature  dont  ils  ont  pu  avoir  connaissance,  et  de  dire 
s'ils  peuvent  penser  sincèrement  que  la  peine  de  mort  soit  une 
punition  efficace  pour  le  meuitre.  La  plus  intense,  la  plus 
mûre  réflexion  a  conduit  mon  esprit  à  conclure  que,  non-seu- 
lement cette  punition  n'a  aucun  effet  répressif,  mais  qu'au 
contraire  elle  incite  au  crime.  Comment?  c'est  ce  qui  n'est 


(1)  Le  fait  suivant,  que  je  trouve  rapporté  par  une  personne  dans  une 
assemblée  à  Southanipton,  eu  Angleterre,  comme  le  tenant  de  M.  Bux- 
TON,  est  encore  pins  étrange  :  «  Un  lilandais,  convaincu  d'émission  de 
faux  billets  de  banque,  fut  exécuté,  et  son  corps  fut  remis  à  sa  famille; 
tandis  que  sa  veuve  se  lamentait  sur  le  cadavre  de  son  mari,  un  jeune 
homme  se  présenta  pour  acheter  de  faux  billets.  Dés  qu'elle  sut  son  in- 
tention, oubliant  à  la  fois  sa  douleur  et  ce  qui  l'avait  causée,  elle  souleva 
le  cadavre,  et  tira  de  dessons  le  corps  de  son  mari  une  quantité  de  ces 
mêmes  papiers  dont  l'émission  lui  avait  coulé  la  vie,  A  ce  moment,  on 
donne  l'alarme,  en  annonçant  l'approche  de  la  police;  et  la  veuve,  ne 
sachant  où  cacher  ces  billets,  les  mit  dans  la  bouche  du  cadavre  ;  c'est  là 
qu'ils  furent  découverts  par  les  officiers  de  police.  » 

[Note  <k  M.  Ltvingflon.) 


58  OPINION  DE  M.  LIVINGSTON 

pas  facile  à  découvrir,  et  moins  encore  à  expliquer.  Mais  j'ar- 
gumente d'après  les  faits;  et,  quand  je  les  vois  généralement 
les  mêmes  après  chaque  événement  de  ce  genre,  je  dois  croire 
que  l'événement  est  la  cause  efliciente  qui  les  produit,  quoi- 
(|ue  je  ne  sois  pas  capable  de  suivre  et  de  découvrir  exacte- 
ment leur  connexion.  C'est  la  difficulté  qu'on  éprouve  prin- 
cipalement,  en  déduisant  des  effets  moraux  de  causes 
physiques,  ou  en  raisonnant  des  effets  des  causes  morales  sur 
les  actions  humaines.  L'influence  mutuelle  des  opérations 
réciproques  de  l'esprit  et  du  corps  sera  toujours  pour  nous  un 
mystère.  Quoique  nous  soyons  tous  les  jours  témoins  de  ces 
effets,  ils  ne  sont  jamais  plus  apparens,  ni  la  cause  plus  profon- 
dément cachée,  que  dans  cette  propeusion  de  l'esprit  à  imiter 
ce  qui  a  fait  une  forte  impression  sur  les  sens,  et  cela  fréquem- 
ment dans  des  cas  où  la  première  sensation  à  dû  produire  une 
iiiipression  pénible  de  crainte.  C'est  un  des  premiers  déve- 
loppemens  de  l'intelligence  dans  les  enfans.  D'autres  mobiles 
nous  font  surmonter  ce  sentiment  pénible  et  la  crainte  natu- 
relle de  la  mort.  Les  tortures  que  s'infligent  les  Fakirs  de 
l'Inde,  les  mortifications  et  les  rudes  pénitences  de  quelques 
oi'dres  monastiques  parmi  les  chrétiens,  le  bûcher  où  s'immo- 
lent les  veuves  du  Malabar,  peuvent  être  attribués  en  partie 
à  la  religion,  en  partie  à  l'amour  de  la  distinction  et  à  la  crainte 
du  blâme;  mais  aucun  de  ces  motifs,  iii  tous  réunis  (excepte 
dans  le  cas  Irès-ran;  d'un  héros  ou  d'un  saint),  ne  réussiraient 
à  ^iroduire  des  effets  aussi  extraordinaires  sans  cet  esprit 
d'imitation  dont  j'ai  parlé.  Le  législateur  doit  donc  remarquer 
celle  disposition,  ainsi  que  toutes  les  autres  propensions  de  lu 
nature  humaine,  et  bien  se  garder  d'cxécuU.'r,  dans  ses  puni- 
lions,  les  mêmes  actes  (ju'il  prétend  réprimer,  de  peur  d'eu 
faire  des  exemples  attrayans  plutôt  qu'elïrayans. 

l  ne  autre  raison,  peut-être,  de  l'inefficacité  de  celte  puni- 
lion,  raison  siir  laquelle  on  n'a  pas  assez  appuyé  dans  le  pre- 
mier lapport,  est  rincertiliide  de  son  inflietion,  rpii  réduit  la 
.  cl)anee  du  danger  à  moins  f|ifon  n'eu  court  volontairement 


SUR  LA  PEINE  DE  MOUT.  Sg 

dans  pliisicurà  des  états  de  la  vie.  Les  soldats  niaichciil  gàîment 
au  combat,  avec  la  certitude  que  nombre  d'entre  eux  y  péri- 
ront. Ceux  qui  commettent  un  crime  capital  y  procèdent 
toujours  avec  l'espoir  de  n'être  pas  découverts.  On  trouve  des 
hommes  qui  affrontent  la  mort,  sous  quelque  forme  qu'elle  se 
présente  (i),  dans  la  poursuite  de  leurs  dangereux  projets  ; 
qui,  pour  le  plus  léger  bénéfice,  se  lancent  dans  les  entreprises 
les  plus  périlleuses.  Tant  qu'il  y  a  une  chance  de  salut,  l'heu- 
reuse disposition  de  notre  nature  nous  fait  espérer  que  cette 
chance  nous  sera  favorable.  Nous  embrassons  avidement  la 
jouissance  certaine  que  nous  offrent  la  gloire,  le  profit,  ou 
même  l'agrément,  et  nous  comptons  échapper  au  danger  in- 
certain. Si  cette  vérité  est  admise  pour  le  cours  ordinaire  des 
affaires  delà  vie,  peut-on  la  repousser  pour  les  cas  des  crimes  ? 
La  grande  erreur  de  nos  lois  est  de  s'obstiner  à  ne  vouloir  pas 
considérer  leur  violateur  comme  mu  par  les  mêmes  mobiles, 


(i)  Le  grand  peintre  moderne  des  passions  et  des  caractères,  dans 
un  de  ses  plus  heureux  tableaux,  a  tracé  admirablement,  dans  le  per- 
sonnage fictif  d'un  féroce  boucanier,  ce  mépris  désespéré  du  danger  çt 
de  la  mort. 

Blasé  sur  les  périls,  sous  descieux  étrangers. 

Dans  toutes  leurs  terreurs  il  a  vu  les  dangers, 

A  soutenu  le  choc  des  élémens  en  guerre  ; 

Trombe,  ouragans,  tempête  et  tremblemens  de  terre. 

La  mort!  il  la  connaît  sous  ses  plus  noirs  aspects  : 

Dans  la  contagion,  ses  dévorans  progrès; 

Lente  dans  la  torture,  et  soudaine  à  la  bjèche  ; 

A  l'abordage,  il  sait  par  la  lance  ou  la  flèche. 

Ou  la  mine,  ou  le  plomb,  «es  différens  efTels. 

Elle  ne  l'émeut  point  ;  il  sait  toutes  ses  routes. 

Ses  formes,  ses  couleurs,  et  les  méprise  toutes. 

BuBTRAM  est  le  beau  idéal  d'un  pirate;  mais  nous  rcUrouvous  celte 
même  insouciance  de  la  mort,  à  un  moindre  degré  peut-être,  chez  d'au- 
tres flibustiers;  témoin  la  froide  observation  de  l'un  d'eux  à  ses  com- 
l)agnons  placés  sur  la  roue  avec  lui  :  Pourquoi  faiie  tant  de  bruit?  ne 
savicz-vous  pas  que,  dans  noire  profession,  nous  sommes,  plus  que  les 
autres,  sujets  à  cette  maladie?  {I\olc  de  M.  Livlngslon.) 


4o  O  PI  MON  DE  M.   UVINGSTON 

i^uidé  par  les  mêmes  motit:)  qui  t'ont  agir  les  autres  membres 
de  la  société,  à  rel'user  de  le  considérer  comme  un  homme. 
Elles  le  supposent  un  démon  ou  un  idiot;  et  leurs  dispositions 
sont,  en  conséquence,  la  plupart  calculées  pour  un  être  poussé 
par  une  perversité  trop  ennicinée  pour  être  corrigible,  ou  par 
une  folie  qui  le  rend  incapable  de  suivre  la  route  de  son  bon- 
heur, quand  elle  lui  est  indiquée.  Si,  au  contraire,  nous  dési- 
rions faire  nos  lois  pour  l'homme ,  tel  qu'il  est ,  penserions- 
nous  que  la  crainte  «le  la  mort  fût  un  frein  suffisant  pour 
contenir  celui  qui,  avant  le  crime,  a  pris  toutes  les  précautions 
que  la  prudence  peut  suggérer  pour  n'être  pas  découvert,  et 
qui,  après  sa  commission,  calcule  sur  l'incertitude  des  lois; 
lorsque  nous-mêmes  ne  sommes  pas  détournés  de  l'appât  du 
moindre  gain,  ou  même  d'une  jouissance  passagère,  par  la 
(  onsidération  du  même  danger?  Il  est  vrai  qu'on  pourrait  dire 
que  l'honnête  homme  s'expose  à  la  mort,  mais  non  pas  à  une 
mort  de  ce  genre ,  et  qu'il  n'est  plaisir  ni  profit  qui  pût  l'in- 
duire à  risquer  d'encourir  l'infamie,  quand  le  plus  grand  dan- 
ger d'une  mort  honorable  ne  l'effraie  point.  Tout  cela  est  très- 
vrai  et  donne  une  grande  force  à  l'argument;  ce  n'est  donc 
pas  la  mort  qu'on  craint,  mais  bien  l'ignominie;  et  si  c'est 
l'ignominie  qui  rend  la  mort  redoutable,  ne  peut-elle  pas  ren- 
<lre  la  vie  insupportable?  Si  l'on  ne  peut  endurer  le  tourment 
de  la  honte  pendant  le  court  intervalle  qui  sépare  la  con- 
damnation de  l'exécution,  comment  le  supportera-t-on  du- 
rant tout  le  covus  de  la  vie? 

Mais  le  meurtrier  n'a  point  de  honle!  Si  c'est  là  votre  argu- 
ment, il  n'a  donc,  dans  son  état  criminel,  rien  qui  lui  rende  la 
luort  plus  redoutable  qu'à  vous,  dans  votre  occupation  hon- 
nête, d'.jspirer  les  exhalaisons  pestilentielles  d'un  hôpital,  ou 
les  vapeurs  empois(»nné«-s  d'uu  laboratoire  de  mercure  ;  ou, 
(|uand  vous  la  bravez  héroïquement  face  à  face  sur  un  champ 
de  bataille  ou  sur  les  flots.  Alors  pourquoi  voulez-vous  qu'il 
^oit  arrêté  par  un  moindre  risque,  contre  lequel  il  s'est  précau- 
lionné,  lorsque  vous  ne  l'êtes  poinl  vous-même  par  celui  plus 


s  LU  LA   l'ElNE   DE   MOUT.  4i 

i;r;uul  que  vous  sarez  devoir  affronter?  Qu'il  n'éviide  pas  celle 
«luestion  celui  dont  le  devoir  est  de  prononcer  sur  cette  ini- 
portanle  mesure  ;  et  s'il  y  répond,  suivant  ce  que  lui  dicteront, 
je  pense,  la  raison  et  la  moindre  connaissance  du  cœur  hu- 
main, la  peine  de  mort  sera  reconnue  impuissante  pour  ilé- 
tourner  de  la  commission  du  seul  crime  auquel  on  croit  conve- 
nable de  l'appliquer. 

II  n'est  pas  un  point  de  la  thèse  sur  lequel  on  puisse  produire 
des  raisons  plus  convaincantes  ou  des  autorités  plus  persua- 
sives que  sur  celui-ci,  qui  s'est  nécessairement  présenté  plus 
d'une  fois  ;  car  il  se  rattache  à  tous  les  autres.  Depuis  la  mise 
en  exécution  des  premières  lois  écrites  dont  nous  parle  l'his- 
toire jusqu'à  nos  jours,  tous  ceux  qui  ont  pris  la  peine  de 
penser  ont  invariablement  observé  que  l'inexécution  des  lois 
pénales  a  toujours  exactement  suivi  la  proportion  de  leur  sé- 
vérité. Celles  de  Dracon  sont  devenues  proverbiales  par  leur 
cruauté,  qui,  d'après  l'opinion  générale,  causa  leur  abolition 
par  Solon.  Mais  le  lait  est  qu'elles  furent  abolies,  moins  par 
Solon  que  par  l'impossibilité  de  les  exécuter.  Alors  que  le  vol 
d'une  pomme  encourait  la  peine  de  mort,  quel  citoyen  se  fût 
porté  accusateur,  quel  témoin  eût  déposé,  quelle  assemblée  du 
peuple  eût  condamné,  quel  exécuteur  eût  voulu  présenter  la 
coupe  empoisonnée  ?  Aussi  nous  dit-on  expressément  que  ces 
lois  furent  abolies,  non  par  aucun  décret  formel,  mais  par  le 
consentement  tacite  des  Athéniens  (i).  Je  ne  cite  pas  sur  ce 
pointles  modernes  qui  ont  écrit  sur  les  lois  pénales,  parce  qu'il 
n'en  est  pas  un  qui  ne  se  soit  prononcé  en  faveur  de  l'opinion 
que  je  défends.  Et  cependant,  par  une  diversité  très -singu- 
lière, chacun  d'eux  a  un  crime  favorij  auquel  spécialement  il 
juge  cette  punition  inapplicable. 

Ceci  n'est  point  un  essai  pour  prouver  l'inutilité,  le  dangei-. 


(i)  Draconis  leges  quoniain  videbantur,  impendio  acerbiores ,  noii 
decieto  jussuque,  sed  tacito  illiteratoque  Alheniensuiii  coi;s'.nsii,  obiit- 
teiala-  sunt.  (  Ailu-Gbijlb,  L.  5.) 


4i  OPINION    DE  M.   UVINGSTON,  etc. 

et  (si  l'on  admet  l'un  et  l'antre)  le  crime  d'employer  la  peine 
de  mort.  Un  tel  ouvrage  exigerait  un  arrangement  méthodique 
et  une  recherche  des  premiers  principes  de  la  loi  pénale  :  ce 
qu'on  ne  peut  pas  attendre  d'un  simple  rapport  explicatif, 
dans  lequel  on  ne  lait  qu'indiquer,  sans  beaucoup  d'ordre  ni 
de  développement,  les  argumens  principaux,  laissant  aux  es- 
prits éclairés  auxquels  on  l'adresse  la  tâche  des  conséquences 
à  tirer  des  sujets  qu'on  présente  à  leur  considération.  Cela 
posé,  j'ajouterai  encore  quelques  réflexions  sur  cette  question 
si  intéressante  pour  nos  plus  louables  scnlimens. 

(  La  fin  au  prochain  CaJiier.  ) 


II,  ANALYSES  D'OUVRAGES. 


SCIENCES  PHYSIQUES  ET  NATURELLES. 

Voyage  de  la  corvette  V Astrolabe,  exécuté  par  ordre  du  Roi, 
pendant  les  années  i8îiG-i827-i828-i829,  sous  le  comman- 
dcinont  de  M.  J.  Dumont  (I'Urville,  capitaine  de  vaisseau, 
publié  par  ordonnance  de  Sa  Majesté.  —  Histoire  du 
Voyage  :  T.  I  (i). 

Le  président  des  États-Unis  disait,  à  la  fin  de  1826,  dans 
-on  Message  au  Congrès  :  «  Les  voyages  de  découvertes  illus- 
trent les  nations  qui  les  entreprennent,  en  même  tems  qu'ils 
reculent  les  limites  des  connaissances.  Nous  avons  recueilli 
le  fruit  des  grands  travaux  exécutés  par  la  France  et  par  l'An- 
gleterre :  il  est  tems  d'acquitter  la  dette  de  la  reconnaissance, 
en  contribuant  à  notre  tour  à  l'accroissement  du  trésor  com- 
mun. Il  ne  s'agit  point  d'expéditions  qui  puissent  être  onéreu- 
ses à  nos  finances  :  cent  voyages  autour  du  monde,  comme 
ceux  de  Cook  et  de  La  Peyrouse,  ne  coûteraient  pas  autant 
qu'une  seule  campagne  de  guerre.  Mais  une  autre  sorte  de 
dépense  doit  être  prise  en  considération  ;  c'est  celle  de  la  vie 
des  hommes  habiles  et  dévoués  qui  dirigent  ces  belles  entre- 
prises, et  qui  trop  souvent  y  succombent.  Quelles  compensa- 
tions pouvons-nous  offrir  à  leur  pays!  Il  n'en  est  qu'une  seule: 
conservons  avec  amour  la  mémoire  de  ces  hommes  si  utiles, 
et  marchons  sur  leurs  traces.  » 

(i)  Paris,  i85o;  im|)rimciic  de  Tastii.  Grand  in-8°  de  cxii-Szj  pages, 
avec  vignettes  et  filanclics.  Chaque  livraison  se  compose  d'un  demi-vo- 
lume de  plus  de  5o.i  paf^ps,  et  de  6  )>!aiiches,  et  coûte  i4  fi'. 


44  SCIKNCtS  PHYSIQUES. 

M.  J.  Q.  Adam?  est  descendu  du  laulcuil  de  la  présidence. 
L'I  nion  promène  les  étoiles  de  son  pavillon  sur  toutes  les 
mers  ,  mais  c'est  dans  l'intérêt  de  son  commerce,  dont  la  ma- 
rine se  compose  de  près  de  1,400,000  tonneaux;  et,  si  l'ex- 
portation des  pelleteries  de  JNootka  vers  la  Chine  se  trouve 
réduite  de  plus  de  moitié,  i5o  navires  américains  parcourent 
les  côtes  de  l'Australie  pour  exploiter  la  pêche  de  la  baleine. 
L'Angleterre,  occupée  à  jeter  une  partie  de  sa  puissance  sur 
les  principaux  points  de  l'Océanie,  semble  renoncer  aux  voya- 
î;es  de  découvertes,  excepté  vers  le  pôle  boréal  :  inconnu  jus- 
qu'à ce  siècle  dans  l'Océan  pacifique,  le  pavillon  de  la  Russie 
vient  de  s'y  montrer  plusieurs  fois.  La  France,  redevable  en 
partie  aux  sciences  de  ses  victoires,  aperçoit,  du  sein  des  dés- 
astres qui  ont  fondu  sur  elle,  ime  gloire  nouvelle  ù  conqué- 
rir par  des  circumnavigations  :  et  malgré  les  contributions  de 
la  Sainte-Alliance,  malgré  le  milliard  d'indemnité  accordé  par 
privilège  à  l'émigration,  trois  grands  voyages  sont  exécu- 
tés dans  le  cours  de  onze  années.  UUranie  s'est  perdue,  et  sur 
un  écueil  qui  peut-être  n'était  pas  inévitable;  mais  ses  tra- 
vaux ont  été  conservés  aux  sciences.  Plus  heureuse,  la  Co- 
quille, après  avoir  également  parcouru  près  de  25, 000  lieues, 
leur  a  rapporté  d'idiondantes  richesses.  Endn  VAslrolabe^  par 
ses  explorations,  ses  découvertes  et  ses  cuUections,  surpasse 
les -espérances  des  savans.  L'histoire  de  la  politique  n'est  pas 
impartiale,  car  elle  ne  se  préserve  pas  des  passions  des  partis: 
plus  modérée,  l'hisloirc  des  sciences  est  en  outre  reconnais- 
ï-ante.  La  première  dira  qu'en  1817  le  portefeuille  de  la  ma- 
rine était  confié  aux  mains  incapables  de  M.  Dubouchage;  la 
seconde  aime  à  rappeler  qu'il  prépara  le  voyage  de  M.  Frey- 
cinct.  La  réprobation  qui  pèse  sur  le  ministère  de  1823  sera 
partagée  par  la  postérité  ;  M.  de  Clermont  Tonnerre,  qui  fut 
l'un  des  principaux  membres  de  cette  administration,  présida 
au  départ  de  M.  Duperrey.  La  France  refuserait  un  bill  d'in- 
demnité à  M.  de  Chabrol,  qu'elle  n'oublierait  pas  que  ce  mi- 
nisti-e  accueillit  le  projet  de  l'expédition  de  M.  Dumont  d'Ur- 
ville:  et  son  successeur,  M.  Hvde  de  Neuville-  a  favorisé  la 


SCIENCES  PinSiQlJES.  45 

publicalion  du  voyage  de  V Astrolabe.  Ces  exemples  peuvent 
apprendre  encore  aux  ministres  qu'en  secondant  les  progrès 
des  sciences  et  des  lettres,  en  attachant  leurs  noms  à  des  en- 
treprises durables  et  véritablement  glorieuses,  ils  se  procurent 
des  consolations,  et  acquièrent  des  titres  à  l'estime  des  peuples. 

La  Revue  Encyclopédique ,  vaste  répertoire  de  matériaux 
choisis  pourl'histoire  philosophique  et  scientifique,  a  déjà  in- 
diqué les  travaux  et  les  résultats  de  l'expédition  de  V Astro- 
labe. Dix  mois  après  son  retour,  le  premier  volume  de  la  Re- 
lation historique  a  paru,  avec  plusieurs  livraisons  de  planches  : 
les  autres  parties  vont  être  publiées  avec  autant  d'activité, 
pourru  que  l'administration  ne  suscite  point  d'obstacles.  On  se 
souvient  que,  si  le  gouvernement  impérial  ordonna  en  1806 
l'impression  du  Voyage  aux  Terres  australes,  des  débats  entre 
deux  minisires  en  retardèrent  tellement  la  publicalion  que  le 
second  volume  ne  fut  achevé  qu'en  1816,  long-tems  après 
que  l'amirauté  anglaise  eut  fait  paraître  la  Relation  complète 
de  Flinders.  Il  faut  le  dire  aussi,  la  tribune  nationale  qui,  de- 
puis l'établissement  du  gouvernement  constitutionnel,  a  eu 
à  discuter  tant  et  de  si  énormes  budgets,  s'est  trop  peu  occu- 
pée des  expéditions  scientifiques  :  elle  en  eût  tiré  de  nouveaux 
moyens  pour  combattre  l'abus  des  sinécures,  toujours  habile 
à  se  couvrir  du  manteau  du  royalisme.  En  effet  la  Coquille, 
nommée  ensuite  V Astrolabe,  n'a  guère  plus  dépensé  que  si 
elle  eût  été  employée  pour  une  croisière;  ses  deux  voyages 
de  découvertes  ont  moins  coûté  qu'un  bal  de  la  ville  de  Paris. 

Ce  fut  le  25  avril  1826  que  M.  DiMOSTd'URViLLE  appareilla  de 
Toulon,  emportant  les  instructions  qu'il  s'était,  pour  ainsi  dire, 
tracées  à  lui-même,  principalement  d'après  la  circumnavi- 
gation qu'il  venait  d'exécuter,  en  qualité  de  commandant  en 
second  de  la  Coquille  (1).  L'Océanie  est  un  archipel  immense  ; 


(i)  M.  d'UHViLLB  se  livra,  autant  que  son  service  le  lui  permit,  à  la 
botanique  et  à  l'entomologie.  Les  rapports  de  l'Académie  des  sciences 
sur  le  voyage  de  la  Coquille  font  mention  de  son  herbier,  qui,  sur  près  de 
5,000  espèces,  en  a  procuré  au  Muséum  environ  4oo  nouvelles,  et  de  sa 


4(;  SCIENCES  PHYSIQIES. 

(le  1788a  1809,  des  navires  (lu  cominerce,  de  simples  balfiiicrs 
y  ont  découverl  environ  cinquante-neuf  îles,  groupes  d'il()ls, 
écueils  :  la  plupart  des  grandes  terres  de  TAuslralie  n'onlpas  été 
entièrement  re(.onn;ics  ni  ilécrites  ave(".  (>xacti(ude.  Combien 
d'études  il  reste  à  taire  sur  des  peuplades  qui  sont  encore  dans 
l'élat  de  nature,sur  d'autres  appelées  sauvages,  quoique  les  arts 
chez  elles  soient  plus  développés  que  dans  beaucoup  de  can- 
tons de  l'Europe  !  et  combien  d'observations  à  poursuivre,  de 
récoltes  à  faire  pour  la  zoologie;  coiîibien  d'expériences  et 
d'explorations  qui  doivent  enrichir  les  sciences  physiques,  et 
perfectionner  la  géographie!  il  eût  suffi  de  moindres  travaux 
poiu-  exciter  des  naturalistes  et  des  officiers,  qui  avaient  prispart 
aux  expéditions  précédentes,  à  s'exposer  encore  aux  vicissitu- 
des et  aux  dangers  qui  attendaient  V Astrolabe.  MM.  Quoi  et 
(iAYMARD  avaient  participé  au  voyage  de  YUranie ;  la  Coquille  . 
avait  eu  pour  officiers  M.  JACQriNOT  et  M.  Lottin,  qui  a  dressé 
avec  talent  une  grande  partie  de  ses  cartes. 

Des  vents  contraires  retinrent  V  Astrolabe  dans  la  Méditer- 
ranée; enfm,  le  trente-quatrième  jour  de  son  départ,  elle  put 
franchir  le  détroit  de  Gibraltar,  «où  deux  lieues  de  mer  séparent 
deux  continens,  et  semblent  être,  pour  l'intelligence  humaine, 
les  limites  de  la  mort  et  de  la  vie.  »  la  description  physique  des 
îles  Canaries  par  M.  de  Buch ,  ouvrage  classique  pour  la  géo- 
logie, serait  plus  connue  en  France,  qu'on  ne  lirait  pas  moins 
avec  intérêt  les  récils  de  l'excursion  au  pic  de  Ténériffe ,  par 
MM.  d'Urville,  Quoi  et  Gaymard  (1).  Par  un  arrangement 


collectiun  d'iiisecles,  dont  r')o  espaces  niaiiqiiaient  à  cet  iilablisscment, 
on  n'<îtaient  |)as  encore  d6critc«.  Dt-jà  le  Miisi;nm  avait  reçu  des  dons  non 
moins  prici(Uix  du  même  officier  qui  avait  accompagne  M.  le  capitaine 
Gaulliier  dans  la  Mer-Noire  et  la  MédiCerianée  ;  et  le  Musée  du  Louvre 
est  redeval)le  à   M.  d'Urville  de  la  découverte  de  la  A'énrs  de  Milo. 

(1)  M.  DK  LA  FoYii,  prori-.sse(U'  de  physique  à  la  Facultfi  des  sciences  de 
l'Académie  de  Caen,  vient  d(;  traduire  la  partie  la  |>liis  importante  de 
l'ouviape  de  M.  Lcopold  de  Buch,  membre  de  l'Académie  dos  sciences 
de  Berlin.  Cette  traduction  a  été  recueillie  dans  le  premier  volume  (se- 
conde série)  des  Mitiwlres  de  la  Sov'ièlc  Linnccnnc  de  l\orm(nidie.  In-V". 


SCIENCES  PIIYSIOIES.  4; 

([ni  est  presque  une  innovation,  quoiqu'il  soit  de  justice  rigou- 
reuse, l'histoire  de  ce  voyage,  écrite  par  le  Commandant, 
oflVe  en  appendices  divers  extraits  des  journaux  des  ofTiciers 
et  des  artistes  de  l'expédition.  Comme  pour  les  dangers  ([u'ils 
ont  surmontés  ensemble,  il  y  aura  entre  eux  communauté  dans 
le  succès  de  leurs  travaux.  Des  publications  partielles,  sous 
des  titres  divers,  compromettent  une  entreprise,  ou  du  moins 
provoquent  coutre  elle  la  critique  passionnée  ;  et  c'est  peu 
servir  les  sciences  que  de  disperser  ainsi,  dans  un  grand  nom- 
bre de  volumes,  les  observations  faites  simultanément  sur  les 
mêmes  objets  et  par  le  concours  des  mêmes  personnes.  Mais 
dos  relations  qui  paraissent  ensemble  se  complètent  les 
unes  par  les  autres,  et  les  dilï'érences  qui  peuvent  résulter  de 
la  manière  de  juger  des  choses,  des  fonctions  et  des  genres 
d'études,  attestent  la  véracité  et  l'indépendance  de  chacun  des 
collaborateurs. 

i<. h' Astrolabe  passera,  sans  s'arrêter,  de  Ténériffe  au  sud  du 
cap  de  Bonne-Espérance,  traversera  la  mer  des  Indes,  et  du 
détroit  de  Bass  ira  relûcher  dans  le  port  Dalrimple.  On  suppose 
que  trois  mois  et  dix  jours  suffiront  pour  cette  traversée.  » 
Ainsi  sa  marche  a  été  tracée  à  Paris;  et  le  cent-huitième  joui- 
la  corvette  jette  l'ancre  au  port  du  roi  Georges,  si  intéressant 
par  sa  position;  elle  trouve  à  ajouter  aux  descriptions  qu'en 
ont  faites  Vancouver,  Baudin  et  Flinders  :  sa  traversée  a  été 
d'environ  4,000  lieues,  sans  qu'elle  ait  rencontré  d'autre  terre 
que  les  rochers  inabordables  de  la  Trinité,  dont  elle  a  opéré  la 
reconnaissance  pour  suppléer  au  plan  qu'en  avait  levé  La  Pé- 
rouse.  Mais  déjà  que  de  coups  de  vent,  que  de  tempêtes  es- 
suyées! Pendant  près  de  cinquante  jours  la  mer  a  été  terrible  ; 
des  brumes  perfides  ont  failli  causer  la  ruine  de  la  corvette  :  les 
quatre-vingts  marins  de  V  Astrolabe  étaient  suspendus  sur  des 
abîmes;  les  officiers  faisaient  des  expériences  avec  le  thermo- 
métrographe  jusqu'à  5 20  brasses. 

Après  une  relâche  de  seize  jours  seulement ,  employés  aux 
observations  astronomiques,  à  des  herborisations  dans  des  fo- 
rêts magnifiques  où  errent  des  naturels,  de  tous  les  sauvages 


48  SCIENCES  PHYSIQUES. 

les  plus  misérables  el  les  muitis  farouches,  nos  navigateurs 
reprennent  la  haute  mer,  qui  a  peu  perdu  de  sa  furie.  Il  leur 
faut  jeter  la  moitié  des  boites  de  comestibles,  mal  arrangées 
d'après  les  procédés  d' Appert.  L'ancre  tombe  au  Port-AVeslern, 
où  aucune  expédition  scientifique  n'a  encore  mouillé;  et  cette 
pointe  australe  de  la  Nouvelle-Hollande  enrichit  de  maté- 
riaux précieux  et  inconnus  les  journaux  des  officiers,  les  cais- 
ses des  naturalistes  et  le  portefeuille  des  dessinateurs.  Les 
cartes  qu'ont  dressées  de  cette  côte  le  capitaine  Flinders  et 
M.  de  Freycinet  ne  s'accordent  point  :  M.  d'Urville  acquiert 
la  preuve  que  ces  erreurs  graves  ne  proviennent  pas  du  navi- 
gateur anglais.  Ensuite  la  baie  Jervis,  avec  sa  végétation  si 
vigoureuse  et  ses  habitans  qui  ont  quelque  idée  de  l'industrie, 
est  visitée  et  décrite  ;  et  le  2  décembre  V Astrolabe  se  trouve 
affourchée  à  Sydney-Cowe. 

Des  édifices  et  des  maisons  décorés  par  tous  les  arts,  descom- 
pagnies d'assurance,  une  chambre  de  commerce,  deux  ban- 
ques dont  le  dividende  s'élève  jusqu'à  40  p.  loo  de  leurs  ca- 
pitaux; des  routes  avec  des  relais,  un  service  journalier  de 
voitures  publiques,  des  champs,  des  fermes  habilement  ex- 
ploitées, une  navigation  très-active,  et  par  son  entremise  une 
contrebande  continuelle  ;  trois  gazettes  remplies  en  partie  d'an- 
nonces; une  salle  de  spectacle  dont  le  devis  s'élève  à  5,ooo 
liv.  sterl.;  des  bals  où  se  réunissent  plus  de200  personnes  d'é- 
lite, car  le  nombre  des  coteries  n'est  pas  moindre  que  celui 
des  sectes  religieuses;  tous  ces  établissemens  et  ces  usages 
feraient  croire  qu'on  lit  la  description  d'une  ville  de  la 
Grande-Bretagne;  et  la  plupart  des  chefs-lieux  de  nos 
départemens  envieraient  une  semblable  prospérité.  Elle 
appartient  à  une  ville  jetée  dans  un  autre  hémisphère,  sur  le 
bord  d'un  continent  désert  qui  embrasse  en  longueur  plus  de 
2,000  milles  géographiques,  et  dans  sa  largeur  1,800  milles, 
que  les  Néerlandais  ont  sans  droit  réel  appelé  la  Nouvelle-Hol- 
lande ;  car  il  est  douteux  que  la  découverte  leur  en  soit  due. 
Fondée  depuis  moins  d'un  demi-siècle,  Sydney  est  parvenue 
dans  cet  intervalle  de  lems  à  une  civilisation  inconnue  à  toute 


SCTKNCMS  PHÏSl(>lKS.  /{() 

i'antiquilf,  et  foiiil  <ri!ii  luvcdont  In  courniênic  île  LmiisXlV 
ti(;  prévit  pas  les  iMllincinens.  Le  Tibre  n^i  pas  encore  de  ba- 
U'aux  à  vapeur,  et  les  lUDiitajriies  Bleues  ne  recèlent  pas 
c^mme  les  \pennins  des  bandes  de  brigands."  Si  ces  pauvres 
sauvages  n'ont  pour  assurer  leur  salut  élernel  ni  rosaire,  ni 
absolution  ,  ils  ne  cachent  point  de  poignards  suus  leurs  peaux 
de  kangarons  ;  int)ilcn>jits ,  ils  ne  tiennent  à  la  main  qu'un 
cône  de  banksia  allumé,  soit  pour  se  réclianffer  en  le  prome- 
nant du  menton  an  bas  du  ventre,  soit  pour  se  frayer  des 
passages  dans  leurs  forêts.  Quel  contraste  présentent  ces 
hoiumesqui  forment  {)eut-êlre  une  race  distincte,  dont  l'inlelli- 
gence  ne  s'est  jamais  éveiilée  pour  anciine  industrie,  et  ces 
êtres  flétris  par  des  crimes  qui  provicnnentmoins  peut-être  de 
leur  perversité  que  de  la  fausse  direction  donnée  à  nos  insti- 
tutions sociales.  [Mais,  malgré  les  vices  que  l'on  retrouvechez 
la  plupart  des  convicts,  les  arts  et  le  travail  les  rendront  di- 
gnesdedevenirla  souche  d'une  nation  composée  de  laboureurs, 
de  manufacturiers,  de  magistrats,  et  aussi  de  lords  et  de  ladies  ; 
car  plutôt  que  d'abjurer  ses  {iréjugés,  rarlstocr;t,tie  d'Europe 
les  propage  jusque  dans  les  cases  de  la  N->uv<'lle-Galles. 

La  seconde  partie  du  premier  volume  de  V Astrolabe  con- 
tient (p.  21 5  à  528)  un  précis  de  l'histoire  de  cett«  colonie  et 
des  tribus  indigènes,  d'après  les  meilleures  relations  et  les  ga- 
zettes de  Sydney  :  résumé   intéressant   p^om-  notre  pajs,  qui 
s'occupe,  mais  seulement  en  théorie,  de  la  colonisation  des 
condamnés.  Ce  précis   renferme  aussi  des  tableaux  que   re- 
chercheront les  villes  et  les  États  qui  couvriront  un  jour  ce- 
-  vaste  continent  :  ils  posséderont  des  orl^infs  certaines  que  ni 
Rome,  ni  les  Gaules,  qu'auccndes  empires  modernes  n'ont  pu 
trouver  en  des  siècles  qu'ils  ont  tant  interrogés  sur  les  tems  pri- 
mitifs. La  première  expédition  anglaise,  eu  17S7,  transporta 
563  hommes  condamnés,  192  femmes,  et  seulement  Go  fonc- 
tionnaires et  gardiens  :  elle  employa  huit  mois  et  neuf  jours  à 
une  traversée  qui  à  présent  s'effectue  en  quatre  ou  cinq  mois. 
Toutes  les  espèces  d'animaux  apportées  d'Europe  produisirent 
_  d'abord  plus  de  mâles  que  de   femelles  :  la  premii'  le  récolte 
!  T.  xi.vii    jriLLF.T  iSrio.  4 


5o  SCIENCES  PHYSIQUES. 

ne  rendit  que  2i)o  boisseaux  de  blé  et  55  doige.  En  1796,  un 
iccensemcitt  donna  4.848  Européen»  :  88g  à  l'ile  Noriolk,  454 
dans  l'Hawkcsbury  ,  r)65  à  Parramatta  ,  et  2,219  à  Sydney, 
où  trois  écoles  réunissaient  plus  de  100  enfans.  La  poj)ulation, 
en  1S02,  s'éleva  à  10,195  individus,  dont  5,772  convicts, 
3, 170  émancipés  et2,oG5  enfans  nés  dans  ces  localités.  La  pre- 
mière galette  parut  le  0  mars  i8o3;  en  181  i,  on  commença 
à  publier  Talmanacb  de  AVi»-i5o«/A-//'a/e5,  qui ,  Lien  diffé- 
rent en  cela  de  la  plupart  de  nos  annuaires,  a  acquis  chaque 
année  un  intérêt  nouveau.  Plus  de  20,000  liabilans,  9,000 
acres  cultivées  en  blé,  200,000  brebis,  et  plus  de  5o,ooo  bêtes 
à  cornes;  tel  était  l'état  de  la  colonie  en  1820.  Mais  ce  ne  fut 
pas  sans  .soulever  une  forte  opposition  que  le  gouverneur, 
M.  Macquarie.  ronféra  a  des  émancipés  qiielqtie*  emplois  pu- 
blics. <'  Les  grandes  propriétés  et  la  majeure  partie  des  inté- 
rêts commerciaux,  dit  M.  d'L'rville,  se  trouvaient  concentrés 
entre  les  mains  d'un  petit  nombre  d'individus  qui  exerçaient 
aussi  des  fonctions  civiles  et  militaires,  ou  qui  les  avaient  pri- 
mitivement remplies.  Ils  ne  tardèrent  pas  à  former  une  sorte 
d'aristocratie  dont.les  efforts  tendirent  incessamment  à  enva- 
Itir  tout  le  pouvoir  et  à  dominer  la  colonie  entière.  Aux  yeux 
de  ces  colons,  toute  la  classe  des  cmancipistes  (les  convicts  qui 
recouvrent  leur  liberté  par  pardon,  ou  api  es  avoir  rempli  le 
tems  de  leur  condamnation),  ne  méritaient  aucune  considé- 
ration. » 

Lespallialifs  et  les  promesses  décevantes  encore  à  l'usage  de 
la  vieille  politique  des  gouverncmcns  européens  n'en  imposent 
plus  aux  peuples.  Le  parlement  anglais  rendit,  en  182J,  un  acte 
qui  ordonnait  pour  18^.7  l'établissement  d'un  conseil  législatif 
composé  au  plus  de  sept  membres,  d'une  cour  suprême  et  d'un 
tribunal,  {général  (/iiarter  sessions  of  peace.  Mais,  outre  que  des 
envois  trop  fréquens  de  convicts  compromettaient  la  sécurité 
pub'ique,  un  commissaire  extraordinaire  entravait  les  mesures 
conciliatrices  du  gouverneur;  et  la  métropole,  par  les  cliar- 
ges  qu'elle  imposait  au  commerce  et  à  l'industrie,  parais.sait 
tUc  jalouse  des  progrts  si  rapides  de  la  colonie,  et  déjà  redou- 


SCIENCES  PU\S1QUES.  5i 

ter  50U  aflVancliisseaieiit.  Aussi  des  h()niiu«>s  de  loi,  des  mé- 
decins, d'autres  liabilaus,  n'ont  ce>sé  dcxpiiiner,  dans  les 
']ourniiuxVy4ustraliaHe\.  le  Monitor,  les  plaintes  les  plus  éner- 
giques, surtout  contre  les  prétentions  dC'*  grands  propriétai- 
res. Dans  nos  colonies,  les  hommes  de  couleur,  qui  n'ont  mé- 
rité ni  subi  aucune  condamualion,  réclament  bien  moins  de 
droits  que  les  convicts  émancipisles  australiens  ne  jouissent 
de  privilèges;  quand  des  complots  ne  sont  pas  imputés  aux 
premiers,  les  tribunaux  condamnent  ou  bannissent  ceux  qui 
ont  reçu  de  simples  brochures  publiées  à  Paris;  même  le  mi- 
nistéreappréhendeque  les  mulâtres  ne  trouvent  des  défenseurs 
à  la  tribune  des  députés.  La  presse  périodique  n'est  aux  Etats- 
Unis  et  en  Angleterre  ni  plus  active,  ni  plus  véhémente  qu'à 
Sydney;  elle  y  emploie  tous  les  ton-,  toutes  les  formes  de 
style,  et  parfois  elle  devient  démagogique,  entraînée  qu'elle 
est  par  les  passions  d'une  opposition  qu'irritent  les  actes  et  les 
vices  d'une  administration  partiale,  cauteleuse,  qui  ne  sert 
pas  les  intérêts  de  tous. 

Ces  gazettes  fournissent,  au  moins  par  les  extraits  que 
M.  d'Urville  a  traduits,  des  notions  intéressantes  sur  l'émi- 
gration et  sur  le  régime  colonial.  La  INouvelle-Galles,  à  la  fin 
de  i8".i6,  contenait  200,000  bêtes  à  cornes,  5oo,ooo  brebis  et 
i5,ooo  chevaux;  plus  de  700,000  acres  étaient  occupées  par 
les  Anglais  :  le  gouvernement  louait  par  an  les  pâturages  20 
schellings  les  100  acres.  Cinq  villes  et  plusieurs  villages  ren- 
ferment une  population  de  plus  de  4-;000  individus  qui  con- 
somment annuellement  pour  la  valeur  de35o,oooliv.  sterl.  de 
produitsdesfaliriques  anglaises;  les  exportations  s'élèvent  déjà 
à  100,009  liv.  sterl.,  et  à  10,000  tonneaux;  enfin  le  revenu 
colonial  dépasse  5o,ooo  liv.  sterl.  Il  résulte  de  divers  tableaux 
que  de  1787  à  1821  cet  établissement  à  coûté  à  l'Angleterre 
5,5oi,023  liv.  sterl.,  qui  ont  servi  au  transport  et  à  renlretien 
de  55,  i55  personnes,  à  la  solde  du  service  de  terre  et  de  mer 
et  à  toutes  les  autres  dépenses  coloniales.  La  Grande-Breta- 
gne, en  gardant  dans  son  sein  ces  condamnés,  eut  payé  sur  les 
p<wlons,  dont  il  eût  fallu  accroître  le  nonibre  de  40,  environ 


52  SCIENCES  PHYSIQUES. 

7,214.4^^  'iv.  sterl.;  et  dans  des  mnisoiis  péniteriliaires  (ce 
qui  eût  lendii  nécessaire  l'élabliissement  de  4^  maisons  nou- 
velles) à  peu  près  16,509,861  liv.  sterl.  Je  regrette  que  l'es- 
pace me  manque  pour  comparer  avec  ces  lal)leauxles  dépenses 
d'établissemcul  et  les  rcvemis  des  deux  colonies  de  bienfai- 
sance que  je  \isitais  uaguèie  dans  les  Pays-Bas,  et  dont 
la  loudatioii  lait  tant  d'honneur  à  la  nation  et  an  gou- 
vernement belges.  Les  évaluations  des  papi(îrs  australiens 
et  anglais  paraissent  un  peu  exagérées;  mais  il  en  sort  nue  ré- 
l'utalion  complète  des  opinions  que  des  écrivains  distingués 
ont  publiées  en  France  poin*  déprécier  oti  contester  les  avan- 
tages de  la  colonisation  des  condamnés,  il  serait  plus  vrai  de 
dire  que  la  dernière  expédition  contre  l'Espagne  a  plus  coûté 
à  la  France  (|ue  rétablissement  du  qsialre  colonies  dans  l'Aus- 
tralie, qui  bientôt  stîraient  devenues  aussi  florissantes  qu«  la 
Nouvelle-Galles. 

Pendant  ia  comte  relâche  de  V Astrolabe  à  Sydney,  les  ha- 
hitans  soupçonnèrent  que  celte  corvette  venait  prendre  pos- 
session de  King-Georgcs-Sound,  de  Western-Port  ou  de  Jer- 
vis-Bay;  enfin  qu'elle  avait  pour  mission  de  choisir  un  lieu 
(Onvenalde  à  un  dépôt  de  forçats.  Certes,  les  relèvemens  que 
M.  le  capitaine  d'rrville  a  ojiérés  de  ces  trois  ports,  et  de  tant 
d'autres  contrées  de  l'Australie,  préserveraient  du  désappoin- 
tement que  causa  à  l'Angleterre  la  reconnaissante  inexacte  de 
Ilotany-Bay  par  le  célèbre  Cook.  Mais  c'était  attribuer' à  no- 
tre gouvernement  un  projet  conçu  seulement  par  des  philan- 
trop(s.  La  France  ne  peut  pas  espérer,  inéuie  povn-  aucune  de 
•^es  colonies  actuelles,  un  a  venir  aussi  prospère  que  le  prévoit, 
avec  assez  de  probabilités,  le  Monitor  australien  pour  Sydney 
en  l'an  1900. 11  ainionce,  pour  cette  époqut;,  l'arrivée  d'un  ba- 
teau à  vapeur  d'Angleterre,  après  une  traversée  de  4/  jours  par 
le  canal  Darien  ;  l'approche  d'un  corsaire  de  la  Nouvelle-Zé- 
lande ;  des  négociations  politiques  avec  l'Etat  de  Tasmanie;  puis 
le  départ  prochain  de  56  naviresen  charge  pour  l'Europe.  L'ex- 
portation delà  laine  «'élève  à  20  millionsde  livr,  ;  lecensde  1899 
a  donné  ab'^S'5'j.  liabilans  à  Svdncy  :  une  session    législative 


SCIK^i;KS  l'IliSIQDES.  55 

va  s'ouvrir;  i'i  celle  occasion  on  atlciid  une  iiouiinaliuii  de  ba- 
ronnets auslraliens,  etc.  Les  colonies  de  Taïti  et  de  l'ilc  iMer- 
ville  sont  dans  l'état  le  plus  florissant,  ainsi  que  Java,  heu- 
reuse depuis   l'expulsion  de   ses  niailres  d'Europe Sans 

contredit  le  lèveur  journulisle  de  Port  Jackson  est  plus  spiri- 
tuel que  son  confrère  de  Londres,  qui ,  critiquant  la  manie  des 
spéculations,  a  publié  la  lettre  suivante  qu'on  s'étonne  qu'une 
Berne  très-esliuiée  ait  lra!luite<'omnie  véritable.  «  On  vient  de 
taire  d'Anglelene  à  Sydney  un  envoi  de  deux  millions  de  do- 
ses de  sel  purgatif  d'iîpsoni,  (pumlité  suffisante  à  la  consom- 
mation de  la  colonie  pendant  5o  ans,  en  supposant  que  cha- 
que habitant  preinie  une  dose  par  semaine.  Les  Innnnies  et 
les  femmes  sont  la  marchandise  qui  y  ont  le  plus  de  deman- 
des :  ou  ne  refuse  pas  les  vieilles;  car,  même  à  Go  ans,  elles 
deviennent  mères  dans  la  Nouvelle-Galles.  » 

Bientôt  les  siences  morales  ne  trouveront  plus  pai  tout  le 
globe  un  des  principaux  sujets  de  leurs  études,  la  com- 
paraison de  la  civilisation  raûnée  et  de  l'état  de  nature 
avec  ses  misères  et  son  indépendance.  Les  castes  de  l'Hin- 
doust-an  n'ont  guère  plus  de  mépris  les  unes  pour  les  au- 
tres que  n'en  nourrissent  à  Sydney  les  légitimâtes,  pars  méri- 
nos ouémli^ranseivchisionisics^  contre  les  hnanc'ip'tstes  ou  illfgi li- 
mâtes, qui  se  subdivisent  eu  r«rrtc//'rf.v  titrés,  en  canaris,  etc.  Les 
tribus  de  la  Nouvelle-Hollande  avaient  aussi  leurs  litres  [bian- 
noi)  ;  mais  les  cicatrices  de  «es  chefs  désignaient  leur  autorité. 
L'aristocratie  curopé«Mine  ne  s'est  jamais  conlenlée  de  la  re- 
devance d'une  dent,  comme  la  tribu  Gouia-Gal,  qui  en  exige 
une  de  chacun  des  hommes  des  atilres  horties.  Cas  sauvages 
sont  aussi  maladroits  dans  leurs  rapines  que  les  convie  Is  dé- 
ploient d'habileté  à  dérober;  mais  les  naturels  metleut  plus 
d'adresse  dans  leurs  conil)als  simulés  et  d'ordre  dans  la  réu- 
nion de  leurs  tribus  que  les  (;«//rt;tA' anglais  ne  montrent  d'art  en 
boxant  et  de  sobriété  dans  les  tavernes.  Irlandais  et  indigène?. 
Ions  ont  conservé  des  croyances  superstitieuses.  On  raconte 
que  des  maleiots,  retenus  par  un  vent  contraire,  s'amusaient 
lanuit  à  l'aire  cuire  des  coquillages  :  uusauvagf^  leur  représenla 


54  SCIENCES  PHYSIQUES. 

qu'ils   eiijpêcliaient  ainsi  le  Aent  de  leur  devenir    favorable; 
mais  eux,  lui  attribuant  ce  retard  ,  ils  le  maltraitèrent. 

Un  grand  nombre  de  voyageurs  ont  visité  à  la  t'ois  trop  de 
terres  et  fait  sur  cliaciMif  un  trop  court  séjour  pour  approfon- 
dir l'état  do  rhaipie  peuplade  sauvage.  M.  Dumont  d'I  rvdk-, 
quoiqu'il  ait  résidé  plusieurs  fois  à  la  Nouvelle-Galles,  joint,  à 
ses  observations  propres,  des  renseignemens  que  lui  ont  C(;m- 
muniqués  des  colons  instruits  et  des  fonctionnaires  qui  ont  eu 
des  rapports  continuels  avec  les  indigènes;  en  outre,  des  ex- 
traits des  journauxde  M.  Qvoi,  naturaliste,  et  de  M.  de  Sainsom, 
qui  a  rapporté  tant  de  vues,  de  portraits,  de  dessins  également 
curieux  et  bien  exécutés.  Ce  premier  volume  est  une  belle  in- 
Iroduction  aux  travaux,  si  importans  pour  les  progrès  de» 
sciences,  qu'ont  opérés  les  navigateurs  de  V Aslrolabe. 

Isidore  Le  Brbh. 


^Tirr^irrrr 


SCIENCES  MORALES  ET  POLITIQUES. 


Yoblesi'nCen  iiBER  DIE  Gef.engniss-k.unde,  ctc.  —  Leçoss  sur 

LA   CONNAISSANCE  DES  PRISONS,   OU  SDR   LEUR  AMELIORATION,  SUR 
LA  RÉFORME  MORALE  DES  DETENDS,    DES  FORÇATS   LIBÉrÉs,    CtC.  ; 

faites  à  Berlin,  en  1827,  pav  N.  H.  Jilius,  docteur  en  mé- 
decine (1). 

troisième  et  DERNIER   ARTICLE. 

(Voy.  Bev.  Eue,  t.  xli,  pag.  407-427  ;  t.  xliv,  pag.  66-86). 

Nous  allons  continuer  ici,  sans  préambule,  l'analyse  de  cet 
ouvrage,  auquel  deux  articles  ont  été  déjà  consacrés  dans  la 
Revue  Encyclopédique. 

Septième   Leçon. 

Après  avoir  examiné  les  mesures  nécessaires  pour  assurer 
dans  les  maisons  de  détention  la  sécurité,  la  salubrité,  la  sur- 
veillance et  la  classification,  M.  Julius  s'occupe  de  deux  objets 
non  moins  imporlans  et  étroitement  unis,  savoir  :  Yorganisa- 
tion  du  travail  et  l'enseignement  religieuic  el  moral  des  prison- 
niers. Sans  le  travail,  l'enseignement  moral  et  religieux  le 
mieux  dirigé  et  le  mieux  appioprié  à  leurs  besoins  peut  ne 
laisser  dans  leur  esprit  qu'une  disposition  à  des  pratiques  as- 
cétiques, accompagnée  d'une  sensiltilité  factice  qui  n'inspire 
aucune  énergie  pour  résister  aux  suggestions   des  penchans 

!i)  Berlin,  i8î8;  librairie  de  Stulir.  1  vol.  in-S"  avec  planrhts, 


rwî  SCIENCES  SI0R\LE5 

i!iii>ilj!cs.  Sans  un  cn.-^cigiicnicnl  moral  et  religieux,  ic  ira- 
vail  peut  donner  aux  facultés  une  trempe  plus  vigoureuse, 
mrus  propre  seulement  à  rendre  le  malfaiteur  plu»*  redoiital)}e 
pour  le  repos  de  la  société;  car  cette  force  toute  animale  se 
développe  aux  dépens  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  élevé  dans  sa 
nature.  Le  travail  et  l'enseignement  doivent  donc  se  donner 
la  UKiin  pour  contribuer  à  la  régénération  morale  du  ciiminel. 
vérilalde  but  de  la  sentence  })rononcée  sur  lui. 

Si  l'oisiveté  est  la  mère  de  tous  les  vices,  on  peut  dire 
aussi  qu'elle  est  la  mère  d'une  foule  de  maladies,  observe 
avec  beaucoup  de  justesse  M.  Viller.mÉ  (i).  Ces  dangers  sont 
doublés  par  risoleUienl  ;  ils  sont  centuplés  pour  l'iioniiue 
auquel  le  passé  n'offre  que  des  remords,  le  présent  des  dou- 
leurs, l'avenir  des  craintes.  On  ne  saurait  donc  trop  blâmer 
l'essai  fait  en  Amérique  de  l'emprisonnement  solitaire,  sons 
travail,  connue  moyen  de  pimition  (2).  Le  régime  propre  à 
«létourner  de  l'imagination  du  détenu  toute  peusée  perni- 
cieuse est  un  travail  continu  pendant  toutes  les  heures  (pii 
ne  sont  pas  employées  i\u  repos,  à  l'instruction  ou  à  l'exer- 
cice en  plein  air.  (.") 

A  ce  prenu'er  avantage  du  travail  s'en  joignent  plusieurs 
autres  également  imporlans  :  le  détenu  perd  l'habitude  de  la 
paresse  et  contracte  celle  d'un  genre  de  vie  régulier.  Il  lui  est 
assuré,  à  l'époque  de  sa  libération,  des  moyens  d'existence 
par  l'exercice  d'une  profession  lucrative.  Lorscpi'au  contraire 
il    sort  de  prison   sans  autie  sa\oir-faire   que   celui  de  Iraus- 


(1)  Dicltomiuire  des  Sciences  médicales. 

(2)  ISi'nio  est  ex  impriidentibiis,  qui  relinqiii  .sibi  del>cat.  Tnnc  mala 
i-nnbilia  afjilanl,  tune  aut  aliis  aul  i|)sis  f'utiira  i)ericula  struunl.  Tune  cii- 
pidilalcs  iiii|)iubas  oïdinant,  Unie,  qiiidqiiid  aiil  mclu  aul  |juduic  cela* 
bal,  aniinu.s  i'X|iroinit  ,  lune  audaciarn  aciiil,  libidiiiciii  irritai,  iracun- 
diaiii  instigal.  Sénti/iic. 

(!î)  Le  iiiallaileur  en  prison  n'est  jilus  touriiieiilé,  soit  par  riiKjuiélude 
tl'èlre  découvert,  soit  par  telle  de  ne  pouvoir  fuurnii  aux  besoins  du  leu- 
(leiuain  .sans  coinineltre  quelque  nouveau  crime  :  on  doit  aussi  compter 
sur  celle  cerlitud<;  de  son  sort  pour  calmer  l'ajfilation  de  son  esprit. 


ET  POLITIQUES.  5; 

presser  les  loL^,  il  iic  t.iaic  pa^  à  épui-er  le,-?  Icj^^tres  ressources 
que  la  charité  a  pu  niellre  eiilie  ses  mains;  et  bieiuôt,  con- 
traint parle  besoin  à  rechercher  ses  anciens  complices,  il  ren- 
tre avec  eux  clans  la  carrière  dont  on  ne  l'a  éloigné  que  uio- 
mcntanément. 

Vn  dernier  avantage  enfin,  qui  ne  doit  nullement  être  né- 
gligé, c'est  le  produit  :  d'une  part,  il  sert  à  la  formation  du 
pécule  destiné  à  l'entretien  des  détenus  libérés  depuis  le  jour 
de  leur  délivrance  jusqu'à  celui  où  ils  trouvent  à  se  caser  de 
nouveau  dans  la  société;  de  l'autre,  il  en  résulte  pour  l'Etal 
une  économie  considérable.  Dans  beaucoup  de  prisons  de  la 
Grande-Bretagne,  de  l'Irlande  et  des  États-Unis,  cette  écono- 
mie s'est  élevée  jusqu'à  phis  de  la  moitié  des  dépenses  de 
rétablissement.  La  prison  de  l'Etat  de  Vermont,  en  Amérique, 
s'est  soutenue  pendant  cinq  années,  presque  uniquement  par 
des  ouvrages  de  tisserand. 

L'utilité  du  travail  étant  ainsi  constatée,  il  reste  cette  ques- 
tion à  examiner  :  quel  genre  de  travail  convient  le  mieux 
aux  établissemens  de  déteuiion?  M.  Julius  arrive  aux  résul- 
tats suivans : 

i".  Il  ne  faut  point  introduire  dans  la  même  prison  une 
trop  grande  diversité  d'occupalions.  Les  divisions  de  travail- 
leurs devenant  alors  plus  nombreuses,  on  ne  saurait  conser- 
ver im  égal  degré  de  surveillance  qu'en  multipliant  aussi  le 
nombre  des  gardiens  :  delà  un  contrôle  plus  difficile  à  exercer 
et  des  frais  plus  considérables. 

2°.  Il  est  important  de  choisir  pour  chaque  prisonnier  le 
genre  d'occupation  le  plus  propre  à  changer  totalement  sa 
manière  de  vivre  antérieure.  Que  le  faussaire,  que  l'escroc, 
habitués  à  mettre  en  jeu  les  subtilités  de  leur  esprit,  soient 
appliqués  à  un  travail  corporel,  fatigant,  et,  autant  que  possi- 
ble, en  plein  air;  que  le  vagabond,  le  voleur  de  grands  che- 
mins, soient  employés  dans  l'intérieur,  à  des  ouvrages  séden- 
taires, qui  exigent  toute  l'attention  de  leur  intelligence  moin- 
active,  tels  que  ceux  de  tailleur,   de  cordonnier,  de  tisseranfl. 

ù".  Il  est  également  imporlant.  dans    le  choix  d'une  occ  u- 


58  SCIENCES   MORALES 

pation  pour  le  prisonnier,  d'avoir  égard  à  cette  con.sidéraliiin. 
«avoir:  si  elle  couslitiiera  pour  lui  une  profession  qu'il  puisse 
exercer  ulile'.iient  après  l'expiration  de  sa  peine.  On  doit  gé- 
néralement donner  la  préférenceanx  métiers  sédentaires,  très- 
mullipliés  dans  la  société,  et  la  nécessité  seule  doit  l'aire  adop- 
ter des  industries  qui  ne  sont  guère  en  activité  que  dans  l'in- 
térieur des  prisons,  comme  l'épi iichement  des  étoupes,  du 
colon,  etc. 

4°.  Enfin  il  e^t  à  propos  de  consulter  encore,  pour  la  déter- 
mination des  travaux,  l'intérêt  direct  de  rétabli>sement  : 
Toutefois  cette  considération  doit  toujours  être  subordonnée 
à  celle  de  leur  influence  sur  la  réforme  morale  des  détenus. 

Suit  un  tal)lean  des  différens  genres  d'occupations  que  l'ex- 
périence a  démontré  pouvoir  être  introduites  dans  les  prisons, 
mais  que  sa  longueur  ne  nous  permet  pas  de  transcriie  ici. 

Un  principe  adopté  aujourd'hui  dans  toutes  les  maisons  de 
détention  bien  administrées  est  la  concession  au  prisonnier 
d'une  partie  du  revenu  de  son  travail  ;  ce  système  est  infini- 
ment ])référable  à  l'usage  américain  qui  consiste  à  lui  assi- 
gner une  lâche  journalière,  après  Taccomplissement  de  la- 
quelle il  lui  est  permis  de  travailler  pour  son  propre  compte  ; 
on  en  conçoit  aisément  les  nomlireux  inconvéniens.  IM.  Julius 
pense  qu'au  lieu  de  mettre  à  la  disposition  du  détenu  une 
portion  de  son  gain,  dont  il  fait  souvent  mauvais  emploi,  il 
serait  plus  convenable  d'en  porter  la  totalité  à  la  masse  qui 
lui  est  réservée  pour  l'époque  de  sa  libération  définitive.  La 
quotité  du  profit  accordé  aux  travailleurs  n'est  pas  la  même 
dans  les  diverses  prisons  anglaises  ;  elle  varie  de  la  moitié  au 
huitième.  L'auteur  propose  d'y  puiser  un  élément  de  plus 
pour  contribuer  à  la  réforme  morale  :  il  voudrait,  ce  qui  n'a 
été  jusqu'à  ce  jeur  établi  dans  aucune  maison  de  détention, 
que  cette  .(uotilé  allât  croissant  en  raison  des  progrès  du  pri- 
sonnier dans  la  bonu';  voie,  progrt'S  représentés  par  son  ad- 
mission successive  dans  les  trois  classes  dont  nous  avons  parlé 
(voy.  iR^r.  £nc.,  t.  xnv,  p.  85)  et  sur  lesquelles  nous  aurons 
occasion  de  revenir. 


ET  POLITIQUES.  5^ 

On  ne  peut  qu'approuver  les  efforts  faits  pour  déterminer 
à  un  travail  volontaire  les  simples  prévenus  que  l'on  ne  sau- 
rait y  contraindre  sans  injustice,  mais  une  part  de  profit  plus 
considérable  doit  alors  leur  être  attribuée.  En  cas  d'acquitte- 
ment, ce  profit  et  l'apprentissage  qu'ils  ont  fait  deviennent 
une  espèce  de  dédommagement  d'une  détention  souvent  fort 
longue,  au  défaut  de  celui  que,  peut-être,  les  lois  devraient 
leur  accorder  :  en  cas  de  condamnation,  ce  noviciat  n'est 
point  sans  fruit  pour  eux.  Quoiqu'il  arrive,  c'est  du  moins  une 
ressource  contre  l'ennui,  fléau  de  la  santé  et  delamoralité  (r). 

L'expérience  vient  confirmer  hautement  la  salutaire  in- 
fluence des  habitudes  de  travail  contractées  par  les  prisonniers. 
Le  comité  des  daines  de  la  prison  de  >iewgate  a  observé  que 
là  où  les  détenues  n'étaient  point  occupées,  leur  moral,  malgré 
tous  les  efforts  de  la  per-uasion,  ne  s'améliorait  pas  sensible- 
ment ;  que  l.i  où  elles  étaient  soumises  à  quelques  travaux,  on 
remarquait  aussi  chez  elles  quelque  amélioration  ;  que  là  enfin 
où  les  travaux  étaient  constans  et  régulièrement  établis,  on 
apercevait  une  amélioration  décisive.  —  Les  prisons  de  .Man- 
chester et  de  Glasgow  ont  donné  lieu  à  une  observation  ana- 
logue :  dans  la  première,  où  presque  tous  les  détenus  travail- 
laient.  il  ne  s'en  est  trouvé  qu'un  tiers  en  état  de  récidive, 
tandis  que  dans  la  seconde,  où  régnait  l'oisiveté,  on  en  a 
compté  le  double,  c'est-à-dire  les  deux  tiers  du  nombre  total. 

Le  travail,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  n'exercerait  cependant 
qu'une  action  passagère  sur  la  conduite  du  prisonnier  s'il  ne 
-"'y  joignait  l'apprentissage  d'un  métier,  en  un  mot  l'acquisi- 
tion d'un  moyen  d'existence  pour  las  enir.  De  concert  avec 
cette  éducation  professionnelle,   l'enseignement  des  connais- 


(i)  Pour  ecLapper  a  cet  eunui  mortel,  les  détenus,  dans  plusieurs  pri- 
sons anglaises,  ont  imaginé  une  sorte  de  Code  pénal  à  leur  usage  ;  li-s. 
nouveau  -venus,  ou  ceux  qui  semblent  cbcicher  à  s'isoler,  sont  traduits 
devant  un  d'entre  eux  chargé  par  les  autres  des  fonctions  de  juge  (c'est 
ordinairement  le  pins  criminel  de  tous),  et  les  prétendus  délinqnans  sont 
condamnés  à  ât»  amendes  dont  le  produit  est  consommé  on  orgie». 


6a  SCIENCES  MORALES 

sances  piiuiaires  doit  être  donné  à  (  eliii  qui  ne  les  possède  pa-.- 
par  un  maître  attaché  à  l'établissement.  Enfin  reducalioii 
morale,  destinée  à  couronner  l'œuvre  de  la  i-é l'orme,  doit  être 
confiée  au  directeiu-  spirituel  de  la  prison.  11  n'est  point  de 
plus  belles  fonctions;  e!U;s  exigent  l'emploi  de  tontes  les  fa- 
cultés de  l'esprit  et  du  cœur,  celui  de  tous  les  moniens;  non- 
seulement  l'homme  qui  en  est  revêtu  doit  sentir  tout  le  i>ien 
qu'il  peut  faiie,  il  doit  savoir  aussi  persuader  à  ceux  dont  la 
régénération  esl  commise  à  ses  soins  qu'il  est  capable  d»; 
l'accomplir.  La  fermeté,  quelquefois  même  la  contrainte,  sont 
nécessaires  avec  des  êtres  indociles  et  vicieux,  mais  souvent 
la  douceur  et  la  bienveillance  peuvent  beaucoup  plus  encore 
sur  les  âmes  les  plus  endurcies.  —  Les  devoii's  du  directeur 
spirituel  ne  se  bornent  point  aux  inst!  lutions  données  en  coui- 
mun  aux  détenus;  elles  n'en  forment  même  qu'une  partie  se- 
condaire :  il  doit  étudier  profondément  et  ia  vie  passée  et  le 
caractère  de  chacun  de  ses  disciples,  et  mériter  sa  confiance; 
ce  n'est  plus  alors  avec  le  ton  solennel  de  l'enseignetnent  qu'il 
doit  s'adresser  à  lui;  c'est  avec  la  chaleur  et  l'abandan  d'un 
ami,  mais  d'un  ami  supérieur  en  intelligence  et  en  pureté,  qu'il 
doit  chercher  à  devenir  le  confident  de  ses  peines  et  le  soutien 
de  ses  espérances.  11  ne  s'agit  point  d'une  adoption  d'un  jour 
et  restreinte  aux  uuirs  de  la  prison  :  les  conseils  et  les  bons 
offices  du  père  spirituel  doivent  être  prodigués  à  l'homme  dé- 
chu pendant  la  durée  de  son  épreuve,  soutenir  ses  premiers 
pas  chancelans  dans  la  société,  l'accompagner  dans  sa  cariière. 
future  et  s'étendre  à  sa  famille. 

Huitième  Leçon. 

Si  l'on  jette  un  coup  d'œil  sur  l'histoire  de  raichilecUire  de.-, 
prisons,  on  est  frappé  par  une  observation  générale  ;  c'est  que 
la  sûreté  fut  d'abord  la  s<'ule  condition  que  l'on  eût  en  vue  de 
remplir  :  il  ne  s'agissait  alojs  en  efl'et  que  i!e  débairasseï'  la 
société,  par  des  moyens  moins  inhumains  ([uc  ceux  dont  on 
avait  usé  jusque-là,  d'ini  honnne  (|ne  l'on  jugeait  dangereux 
pour  son  lepos    Ce  fut  seub ment  pendant  la  seconde  moitié 


i:t  politiques.  6i 

(lu  XV m*  siècle  que  l'on  s'occupa  d'assurer  la  saliibritr,  et  d'in- 
Iroduirn  l'usage  du  travail;  plus  tard  on  songea  à  établir  une 
classification  parmi  les  détenus,  et  dans  ces  derniers  tenis  enfin 
à  leur  donner  un  enseignement  moral  ci  religieux,  et  à  les  sou- 
iiietlrc  à  un  système  régulier  de  survcillavce  :  ces  perlcction- 
nemens  successifs  en  amenèrent  dans  l'art  des  constructions; 
le  dernier  particulièrement  exerça  à  cet  égard  une  influence 
dé('isive. 

Toutefois  les  progrès  de  l'achiteclure  des  prisons  ne  s'opé- 
raient qu'aveuglément  et  non  sans  de  fréquentes  rechutes  dans 
les  anciens  erremens,  faute  d'avoir  posé  les  bases  d'après  les- 
quelles ces  progrès  devaient  être  dirigés.  C'est  à  la  Société 
des  prisons  de  Londres  r]u'aj)partieiit  le  mérite  d'avoir  ras- 
semblé les  élémens  que  fournissaient  l'expérience  du  passé  et 
les  réflexions  du  présent,  et  d'avoir  enfin  indiqué  le  plan  radié 
comme  offrant,  pour  la  construction  des  établissemens  de  dé- 
tention, des  avantages  incontestables  sur  tous  les  autres. 

Le  pays  de  l'Europe  qui  paraît  avoir  donné,  le  premier, 
l'exemple  d'organiser  des  travaux  dans  les  prisons,  vraisem- 
blablement dan^  im  but  d'économie,  et  plus  tard  celui  de 
mettre  au  nombre  des  soins  importans  la  salubrité  et  l'ensei- 
gnement, n'est  point  l'Angleterre,  mais  la  Hollande,  qui  se 
trouvait  alors  à  la  tête  du  monde  commercial.  On  peut  legar- 
der  comme  un  progrès  mémorable  dans  l'architecture  des 
prisons  l'érection  de  celle  de  Gand  par  les  États  de  la  Flandre 
autrichienne.  Cet  établissement,  décrit  avec  détail  par  M.  de 
ViLAiNxm  (i),  etcitéparHoward  comme  un  modèle  à  imiter, 
n'a  été  que  très-récemment  augmenté  d'après  le  plan  primitif, 
circulaire,  mais  se  rapprochant  sous  quelque  rapport  du  sys- 
tème radié. 

Jusqu'à  cette  époque,  en  Angleterre  et  en  Hollande,  comme 
partout  ailleurs,  la  sûreté  étant  le  seul  but  recherché,  on  avait 

(i)  Mùmoire  suv  les  moyens  de  corriger  les  mulfidleurs  el  fainèatis  à  leur 
propre  ax-antage,  el  de  les  rendre  utiles  ô  l'Etat,  \ya\  le  vicnintp  de  'N'h.ain. 
CanH,  1—5. 


Ci  SCIENCES  MORALi:S 

cru  voir  dans  un  carré  fermé ,  contenant  une  cour  intérieure 
pour  les  détenus,  la  combinaison  la  plus  parfaite  qui!  fût  pos- 
sible de  réaliser.  Une  des  constructions  les  plus  modernes, 
exécutées  d'après  ce  principe,  est  la  gi-ande  prison  de  Newgate 
à  Londres,  dont  raflligeante  solidité  brave  jusqu'à  ce  jour  les 
efforts  d'iiniéiioration  tentés  par  les  pliilantropes  anglais. 

Les  espérances  les  plus  bardies  que  Howard  lui-mf'me  ex- 
primât dans  son  bel  ouvrage  ne  s'élevaient  pas  d'abord  au 
delà  du  carré  fermé,  ainsi  que  Taltéslc  le  plan  dressé  par  lui 
pour  une  prison  de  comté,  plan  qui  néanmoins  ofl're  un  germe 
très -vague  du  carré  ouvert,  en  usage  un  peu  plus  tard.  Les 
principaux  perfeclionneniens  exécutés  à  cette  époque  consis- 
tent dans  l'élablissenient  de  sallcsdi  verses  pour  le  jour  et  pour 
la  nuit,  de  cours  destinées  à  l'exercice  en  plein  air,  de  cba- 
pelles,  de  divi^ions  parliculièies  pour  les  malades,  et  dans  un 
commencement  de  classification. 

Ce  n'est  qu'en  i^^^S,  dans  la  prison  construite  à  Exeter,  que 
fut  accomplie  la  transformation  du  carré  fermé  en  carré  ou- 
vert. Grâce  à  ce  progrés,  non-seulement  les  cours  cessèrent 
d'être  entourées  de  bâlimens  élevés  qui  les  dérobaient  à  la 
salutaire  influence  du  vent  et  des  rayons  solaires,  mais  on  put 
encore  augmenterconsidérjblement  la  dimension  ctle  nombre 
de  ces  cours,  de  manière  à  permettre  une  classification  cora- 
plèle.  Londres  possède  un  modèle,  assex- remarquable  pour 
l'époque,  de  ce  genre  de  coiislriution,  dans  la  prison  de  Cold- 
ballificlds  :  cet  élablissemeut,  placé  autrefois  dans  une  position 
Irè^-saiiie  et  à  distance  des  liabilations,  se  trouve  aujourd'hui 
environné  par  la  ville  qui  ne  cesse  de  gagner  du  terrain. 

On  peut  considérer  comme  le  dernier  progrès  appartenant 
à  celle  période,  et  servant  de  transition  aux  progrès  ulléi  leurs, 
la  pensée  d'élever,  au  lieu  d'un  seul  édifice  pour  tons  les  dé- 
tenus, plusieurs  corps  de  logis  is^'lés  les  uns  des  autres ,  et 
affectés  ;iiix  différentes  classes,  mais  entourés  d'une  seule  mu- 
raille d'enceinte.  Dan*  la  pi  ison  érigée,  en  1 78S,  à  Sbrewsburj, 
on  avait  déjà  disposé  un  bâtiment  particulier  pour  les  femmes; 
mais,  bientôt  après,  l'architecte  Blaokburn  conçut  une  idée 


KT  POLITIQUKS.  65 

féconde  en  ré«ult.'it.s,  et  qu'il  mit  à  exéculion  dans  le  plan  de 
la  prison  de  Dorchester;  ce  fut  de  placer  la  maison  du  direc- 
tem-  au  centre,  puis  d'élever  quatre  autres  bâtimens.  séparés  du 
premier  et  situés  obliquement  à  ses  quatre  coins,  pour  les  dé- 
tenus :  ceiix-ci,  dans  les  huit  cours  destinées  à  leur  usage,  se 
trouvaient  ainsi  soumis  à  une  surveillance,  trés-incompléte 
encore  à  la  vérité,  de  la  part  des  personnes  placées  dans  l'édi- 
fice central. 

La  seconde  période  de  progrés  qui  se  remarque  dans  l'his- 
toire de  l'architecture  des  prisons  présente  beaucoup  d'hésita- 
tions, d'erreurs,  et  même  de  pas  rétrogrades;  elle  n'embrasse 
pas  moins  de  trente  années,  et  commence,  ainsi  que  nous  l'a- 
vons indiqué,  àla  promulgation,  en  17S5,  de  la  première  loi 
sur  les  maisons  pénitentiaires,  loi  qui  ne  fut  mise  en  pratique 
qu'en  1  791,  et  qui  provoqua  un  grand  nombre  de  pkns  divers 
pour  les  établissemens  de  détention.  Ces  plans,  dont  il  est 
inutile  de  parler  ici  avec  détail,  peuvent  être  rangés  en  deux 
cfasses,  .selon  lesprincipes  sur  lesquels  ils  reposent.  Une  même 
pensée  sert  de  base  à  tous,  celle  d'entourer  le  logement  du 
directeur  par  ceux  des  détenus,  et  de  ménager  entre  eux  des 
cours  dans  lesquelles  puisse  plonger  aisément  l'œil  placé  au 
centre.  Tel  est  le  but  que  les  uns  ont  voulu  atteindre  par  la 
forme  d'un  cercle  entier,  d'une  portion  de  cercle  ou  d'un  poly- 
gone, d'antres  par  celle  d'une  étoile. 

Outre  la  maison  de  travail  d'Edimbourg  (1),  dans  laquelle 
a  été  suivi,  mais  imparfaitement,  le  plan  panoptique  de  Ben- 
tham,  les  pilsons  suivantes  appartiennent  au  premier  de  ces 
modes  de  construction;  savoir  :  celles  de  Cliestcr,  de  Devize, 
de  Brixton  et  de  Kirkdale;  aucune  d'elles  cependani  ne  sau- 
rait être  comparée  à  l'immense  établissement  de  Milbank  à 
Londres. 

L'idée  de  Blackbui-n,  dont  nous  avons  parlé  tout  a  l'heure 
et  d'après  laquelle  furent  construites  les  prisons  de  Manchester 


(1)  Voir  une  description  de  cette  maison  dans  le  Journal  de  la  Socwlé  d» 
in  morale  cltréùcnne.  T.  xii,  p.  iî64  ;  février  i83>i. 


(x'i  SCIENCES  MORALES 

et  (rYpswich,  peut  être  n'ganlôe  coiume  ayant  inarqnr  le  pas- 
«;a"e  du  système  circulaiic ,  dominant,  pendant  la  seconde 
période,  au  système  radié,  adopté  de  préférence  dans  la  troi- 
sième. Quatre  corps  de  logis  affectés  aux  détenus,  placés  au- 
tour d'une  maisoii  octogone  lia!)itée  par  le  directeur,  dans  la 
disposition  des  ailes  d'un  moulin  à  l'égard  de  leur  axe,  el 
formant  tantôt  une  croix  de  saint  André ,  tantôt  une  croix 
grecque,  donnaient,  entre  leurs  intervalles,  huit  cours  acces- 
sibles au  renom (dlement  de  l'air,  à  la  surveillance  du  centre 
et  au  passage  inaperçu  des  gardiens  :  il  ne  mainpiait  plus  que 
d'établir  une  séparation  entre  les  ailes  et  l'édilice  du  milieu,  et 
de  pratiquer  des  fenêtres  pour  que  le  directeur  put,  du  même 
point,  étendre  sa  surveillance  jusqu'à  l'intérieur  des  bâtimens 
de  détention. 

Le  mérite  de  ce  perfectionnement  qui  forme  le  déi)ut  de  la 
troisième  période  appartient  à  l'architecte  George  Ainslie  ;  il 
se  trouve  indiqué  dans  ses  plans  présentés,  en  1819,  au  co- 
mité du  parlement  chargé  de  l'enquête  sur  les  prisons. 

Le  système  radié,  étant  ainsi  fondé  et  perfectionné,  inspira 
ime  multitude  de  projets  reposant  sur  le  même  principe,  et 
variant  par  le  nombre  des  ailes  et  par  leur  dimension,  selon 
Us  localités ,  la  quantité  des  détenus,  etc.  Tels  lurent  ceux 
d'après  lesquels  on  éleva  la  maison  de  correction  de  la  ville 
d'York  avec  trois  ailes,  celles  de  Rnutsford  et  de  Glasgow  avec 
quatre  ailes,  celles  de  Carlisle  el  de  Nen  caslle  avec  six  ailes,  en- 
lin  celle  de  l'État  de  Pensylvanic,  décrite  par  M.  Julîus,  qui 
doit  en  avoir  sept.  Parmi  les  plans  noadjriMix  qu'a  publiés  et 
proposés  la  Société  des  prisons  de  Londres,  il  en  est  dont  la 
simplicité  surpasse  <;elle  même  de  la  maison  pénitentiaire  de 
Genève ,  puisqu'ils  ne  se  composent  que  d'un  édifice  central 
attenant  à  deux  ailes  :  le  plus  compliqué  est  dû  à  M.  Ci'bitt, 
inventeur  du  moulin  de  discipline,  dont  nous  aurons  occasion 
de  parler  tout  à  l'heme  ;  il  veut  porter  jusqu'à  quatorze  le 
nombre  (les  ailes  :  M.  .Tulius  considère  celui  de  cinq  comme 
présentant  le  plus  d'avantages. 

Après  celte  revue  hi'^torique  des  progrès  introduits  succès- 


ET  POLITIQUES.  65 

tiivement  dans  l'architecture  des  établisseinens  de  détention, 
l'auteur,  pour  plus  de  clarté,  expose  avec  de  grands  détails  W 
projet  d'une  prison  pour  deux  cents  personnes  des  deux  sexes: 
ce  n'est  pas.  comme  il  prend  soin  de  le  dire,  un  modèle  dont 
il  propose  l'imitation,  mais  simplement  un  exemple  de  l'appli- 
cation du  système  radié  avec  ses  perfectionnemens.  L'espace 
*[n'occupe  cette  description  ne  nous  permet  pas  de  la  transcrire: 
elle  serait  d'ailleurs  de  peu  d'utilité  et  difficile  à  concevoir  en 
l'absence  des  plans  figuratifs  qui  l'accompagnent. 

Neuvième  Leçon. 

Cette  leçon  est  consacrée  à  la  description  de  plusieurs  pri- 
sons bâties,  soit  d'après  le  pian  circulaire  ou  polygone,  soit 
d'après  le  plan  radié,  puis  à  la  comparaison  de  ces  deux  modes 
de  construction,  comparaison  qui  lait  ressortir  l'incontestable 
supériorité  du  dernier. 

Quatre  grands  édifices  de  {"orme  circubiire  ou  polygone. 
savoir  :  la  priion  d'Edimljoar<i;,  la  maison  de  correction  de  Brix- 
toii ,  la  ynaison  de  confection  de  Kirkdale  et  la  prison  péniten- 
tiaire de  Milbank,  sont  dépeints  avec  le  plus  grand  soin  par 
M.  Julius,  qni  les  a  visités  lui-même,  ainsi  que  trois  autres 
construits  selon  le  système  étoile;  savoir  :  la  7nalson  de  cor- 
rection d'York,  la  prison  de  la  ville  de  Bristol,  la  maison  péni- 
fentiaire  de  Genève. 

Dans  une  construction  circulaire,  les  corps  de  logis  habités 
par  les  détenus  se  trouvent  nécessairement  à  une  distance 
beaucoup  plus  considérable  de  la  maison  centrale  occupée 
par  le  directeur  que  dans  une  construction  étoilée,  puisqu'ils 
en  sont  séparés  par  des  cours  :  il  devient  donc  impossible  aux 
employés  d'exercer  une  surveillance  exacte  et  invisible  dans 
les  ateliers,  les  salles  et  les  corridors,  où  ils  ne  peuvent  par- 
venir qu'en  traversant  cet  intervalle  sous  les  yeux  même  des 
prisonniers.  Un  autre  inconvénient  résulte  de  la  disposition 
<les  bâtimens  en  forme  de  cercle  ou  de  polygone  :  les  fenêtres, 
se  trouvant  placées  plus  ou  moins  obliquement  les  unes  à  l'é- 
gard des  autres,  pernitltent  des  communications  entre  les  dé- 

T.    XI.VII.    TVII.LF.T    l<S5o.  5 


G6  SCIENCES  MORALES 

tenus  appartenant  aux  difl'érentes  classes  ,  communication.'; 
(•jïalemenl  faciles,  dans  les  cours  que  de  simples  murailles  sé- 
parent; ces  cours,  d'ailleurs,  sont  entourées  de  hâtimens  ou 
(le  murs  élevés  qui  empêchent  d'y  établir  descourans  d'air,  et 
de  donner  accès  aux  rayons  du  soleil.  Enfin  l'expérience  a 
lait  reconnaître  que  les  corps  de  logis  de  la  détention,  situés 
entre  la  demeure  du  directeur  qu'ils  environnent  et  le  mur 
d'enceinte  extérieur,  forment  une  espèce  de  paravent,  derrière 
lequel  les  prisonniers  peuvent,  sans  crainte  d'être  aperçus, 
faire  des  préparatifs  d'évasion.  A  cette  comparaison  du  plan 
circulaire  avec  le  plan  étoile  nous  devons  ajouter ,  d'une  part, 
que  les  sons  se  transmettent  plus  aisément  des  extrémités  au 
centre  dans  un  édifice  de  cette  dernière  forme,  avantage  qui 
peut  être  augmenté  au  moyen  de  tubes  de  métal  passant  par 
les  corridors  et  venant  aboutir  dans  la  chambre  du  surveil- 
lant; de  l'autre  part,  que,  dans  les  prisons  circulaires,  les  dé- 
tenus trouvent  le  secret  de  communiquer  ensemble  par  des 
sons  légers  qui  se  propagent  le  long  des  murailles,  sans  pouvoir 
r^re  entendus  par  les  inspecteurs  logés  au  centre,  de  l'autre 
côté  des  cours. 

De  tout  ce  qui  précède  il  résulte  que  des  six  conditions  ré- 
putées nécessaires  à  un  établissement  de  détention  les  quatre 
premières,  savoir  :  la  sûreté,  la  salubrité,  la  surveillance  et  la 
classification,  se  trouvent  réalisées  d'une  manière  beaucoup 
plus  complète  par  le  plan  radié  que  par  le  plan  circulaire, 
également  moins  avantageux,  ainsi  que  nous  allons  le  voir,  à 
plusieurs  autres  égards. 

La  distribution  des  alimens,  celle  des  matériaux  destinés  au 
travail,  l'enlèvement  des  immondices,  etc.,  sont  rendus  singu- 
lièrement connnodes  par  la  proximité  où  les  ailes  se  trouvent 
du  bâtiment  central  ;  cette  proximité  lacilite  surtout  beaucoup 
l'accès  de  la  chapelle.  Enfin  le  plan  radié  présente,  de  plus,  la 
possibilité  d'augmenter  l'établissement  par  la  prolongation  des 
ailes;  ce  qui  devient  tout-à-fait  impossible  dans  un  cercle  ou  po- 
lygone feinié  :  chacune  de  ces  ailes  constitued'ailleurs  un  édi- 
fice à  pari  ;  dès  que  la  première  esl  bâtie,  elle  peiit  être  occu- 


ET  POLITIQUES  (y<^ 

pèe  par  des  prisonniers  que  Ton  emploie,  si  Ton   veut,   aux 
autres  constructions. 

Quelle  que  soit  néanmoins  la  supériorité  du  système  étoile 
sur  le  système  circulaire,  ce  dernier  est  préférable,  sans  con- 
tredit, à  celui  qui  semble  avoir  pris  faveur  aux  États-Unis,  et 
d'après  lequel  a  été  construite,  en  1820,  la  prison  d'Auburn, 
dans  l'État  de  Ne^v-York,  prison  déclarée  modèle  par  les  Amé- 
ricains. Cet  éditice  forme,  avec  les  murs  extérieurs  épais  de 
trois  pieds,  un  carré  long  de  deux  cent  six  pieds  et  large  de 
quarante-six.  Dans  ces  murs  sont  percées  trois  rangées  de  fe- 
nêtres garnies  de  vitres  et  d'un  fort  treillage  en  fer.  A  l'inté- 
rieur de  cette  espèce  de  boité  ou  de  vaste  hangar  couvert  d'un 
toit  se  trouve  le  bâtiment  de  la  détention,  élevé  de  cinq  étages; 
chacun  de  ceux-ci  consiste  en  deux  rangs  de  cellides.  séparés 
par  un  mur  mitoyen  ;  il  en  contient  cent  onze,  ce  qui  donne 
pour  l'établissement  entier  le  nombre  de  cinq  cent  cinquante- 
cinq.  Les  cellules  ont  leur  entrée  sur  la  cour  intérieure,  qui 
n'est  autre  chose  qu'im  intervalle  de  dix  pieds  entre  les  deux 
boîtes  concentriques  :  au  rez-de-chaussée  les  portes  donnent 
immédiatement  sur  cette  cour;  aux  étages  supérieurs  elles 
donnent  sur  des  galeries  de  bois  ouverfes,  larges  de  trois  pieds, 
qui  s'étendent  tout  autour  du  bâtiment  et  auxquelles  condui- 
sen  tdes  escaliers  placés  aux  quatre  angles.  Les  cellules  ,  dont 
les  cloisons  intermédiaires  ne  sont  épaisses  que  d'un  pied,  en 
ont  sept  de  longueur,  sept  de  hauteur  et  trois  et  demi  de  lar- 
geur :  la  partie  supérieure  de  leurs  portes  consiste  en  un  gril- 
lage de  fer,  par  lequel  l'air,  la  lumière  et  la  chaleur  pénètrent 
de  la  cour  intérieure,  garnie  de  cinq  petits  poêles,  de  six  plus 
grands    et    de  douze   petites  lampes.    Des  ventilateurs  sont 
adaptés  aux  cellules.  Dans  la  cour  se  promènent  deux  senti- 
nelles qui  peuvent  entendre   les  paroles  prononcées  à  voix 
basse  aux  étages  les  plus  élevés. 

Si  l'on  étudie  ce  plan  beaucoup  trop  vanté,  en  a3"ant  égard 
aux  six  conditions  dont  nous  avons  reconnu  la  nécessité,  on 
aperçoit  aussitôt  ses  vices  :  1°  en  ce  qui  concerne  la  sûreté,  les 
cloisons  qui  séparent  les  cellules  ne  semblent  point  devoir  em- 


lis  SCIKNCES  MOflALKS 

pedici'  loiite  rdiumiiiiiciilion  des  détenus  entie  eux.  2".  A  l'é- 
gard de  la  .salubrité,  les  iiicoiivéniciis  sont  plus  graves  encon;, 
les  cellules  ne  jouissant  que  de  cent  soixante-onze  pieds  et  demi 
cubes  d'air,  reçM,  pour  ainsi  dire,  de  la  seconde  main,  c'est-à- 
dire  transmis  par  nue  cour  qui  n'est  elle-même  en  communi- 
cation avec  le  dehois  que  par  des  croisées.  De  pareilles  cri- 
tiques peuvent  être  faites  contre  le  mode  de  distribution  de  la 
chaleur  et  de  la  lumière.  5°.  Quant  à  la  surveillance  invisible^ 
elle  n'a  lieu  dans  les  cellules  que  lorsqtie  les  gardiens  par- 
courent les  galeries  ;  elle  est  nulle  dans  les  ateliers,  dans  les 
réfectoires  et  dans  les  cours  servant  à  la  promenade.  4°-  Enfin 
on  doit  tenir  compte  des  inconveniens  qui  peuvent  résulter, 
soit  de  la  présence  simultanée  d'un  nombre  considérable  de 
détenus  dans  des  galeries  étroites,  lorsqu'ils  se  rendent  au  tra- 
vail, au  repas,  à  la  promenado,  ou  loisqû'ilsen  reviennent,  soit 
de  l'extrême  confiance  que  le  directeur,  privé  des  moyens  de 
surveillance  immédiate ,  dont  il  est  en  possession  Seins  quitter 
sa  demeure  dans  un  édifice  étoile,  est  obligé  de  témoigner  à 
ses  subordonnés  et  même  à  de  simples  sentinelles. 

Il  est  à  regretter  que  ce  byslème  imparfait  soit  en  assez 
grande  faveur  en  Amérique  pour  que  l'Ktat  de  New-York  eu 
ail  ordonné  l'applic-ation  darts  la  prison  de  Sing-Sing  sur  le 
Jleuve  lludson,  l'Elat  de  Massachusscls  dans  celle  de  Cbarles- 
town,  et  celui  de  ConnecliiutàW  eathcrsficld.  En  Pensylvanie, 
au  contraire,  ainsi  que  nous  l'aNOns  dit,  le  plan  radié  sert  de 
base  à  la  construction  du  nouveau  pénitentiaire  de  Philadel- 
phie. 

Avant  de  terminer,  nous  devons  dire  un  motencore  surl'cx- 
lérieur  convenable  à  une  prison.  D'après  le  principe  de  tout 
monument  d'architecture,  elle  doit  présenter  le  caractère  de  sa 
destination.  Forte,  sûre,  inébranlable,  elle  doit  encore,  selon 
Howard,  oflVir  quelque  chose  de  sévère,  de  sombre,  de  repous- 
sant. Il  ne  faut  pas  qu'une  idée  agréable  se  joigne  à  celle  d'une 
existence  assurée,  privilège  dont  jouit  le  détenu,  que  ne  pos- 
sède pas  aujourd'hui  le  pauvre  (moins  favorisé,  sous  ce  rap- 
port, que  le  serf  ou  l'esclave  lui-même),  et  qu'il  serait  alors 


1:T  polit i(^lKS.    .  fi,j 

Irop  M)inonl  tiMilé  île  lui  eiivior.  Les  suites  liiim;  lelie  dispn- 
silioii,  appuyée  par  l'appaience  extérieure  des  établissemens 
de  détention,  ne  seraient  point  sans  danger  pour  le  repos  de  la 

-ociéle. 

Dixième  Leçon. 

JuMprici  M.  Julius  a  pu  trouver  des  jal  'Us  dans  les  travaux 
antérieurs  au  sien  ;  mais,  arrivé  a  l.i  partie  la  plus  importante, 
à  celle  qui  constitue  essentiellement  la  science  des  prisons  y  c'est- 
à-dire  aux  moyens  de  réforme  morale,  ces  guides  l'aban- 
donnent. L'Angleterre  elle-même  ne  présente  que  quelques 
essais  isolés,  dépourvus  de  lien  systématique.  Nous  ne  saurions 
dire  que  M.  Julius  a  trouvé  ce  lien  ;  c'est  dans  une  sphère 
plus  élevée,  selon  nous,  qu'on  devra  le  chercher;  la  réforme 
des  prisons  n'est  qu'une  division  de  l'éducation  publique,  dont 
les  principes  fondamentaux  sont  loin  d'être  arrêtés,  et  ne  le 
seront,  sans  doute,  que  par  un  ordre  d'idées  totalement  étran- 
gères à  celles  qui  la  dirigent  aujourd'hui.  Alors,  sans  dôme, 
ces  idées  nouvelles  nécessiteront  un  bouleversement  complet 
de  l'édiûce  élevé  par  les  philantropes,  mais  leurs  veilles  n'au- 
ront point  été  inutiles,  et  l'ouvrage  que  nous  examinons,  dans 
cette  partie  comme  dans  les  précédentes,  fournira  des  maté- 
riaux précieux  pour  la  construction  de  l'édifice  à  venir. 

Les  procédés  de  réforme,  suivant  l'auteur,  doivent  varier 
selon  les  individus  sur  lesquels  ils  sont  appelés  à  exercer  leur 
influence,  et  par  conséquent  selon  la  nature  des  prisons  dans 
lesquelles  on  les  introduit. 

Revenant  sur  les  cinq  espèces  de  prisons  indiquées  dans  U!ie 
précédente  Leçon  (la  6""),  les  maisons  d'arrêt,  de  correction, 
de  réclusion  ou  prisons  proprement  dites  ,  institutions  péni- 
tentiaires et  établissemens  pour  les  travaux  forcés,  on  voit  que 
le  mécanisme  de  la  discipline  pénitentiaire  ne  serait  que  diffi- 
cilement applicable  dans  celles  de  la  première  et  de  la  dernière 
classe.  Nous  en  avons  dit  les  motifs  :  les  détenus  qu'elles  ren- 
ferment se  trouvent  placés  aux  deux  extrémités  de  l'échelle  ; 
les  uns  ne  •seraient   pas  soumis  assez  loug-tenis  au  joug  de 


;o  SCIENCES  MORALES 

réducation  pour  en  conserver  l'empreinte;  chez  les  aiitre.>^,  il 
V  a  peu  d'espoir  de  trouver  uno  persévérance  assez  longue 
pour  accomplir  leur  régénération. 

Paraii  les  mesures  disciplinaires  en  usage  dans  les  maisons 
de  détention,  les  unes  ont  plus  particulièrement  pour  objet 
d'influer  sur  le  physique,  les  autres  sur  le  moral.  Nous  nous 
occujierons  d'abord  des  premières,  autant  du  moins  qu'il  est 
possible  d  établir  une  ligne  de  démarcation  entre  elles  par  la 
nature  de  leur  action. 

La  règle  des  prisons  anglaises  admet  trois  moytns  princi- 
]taux,  savoir  ; 

Le  moulin  de  discipline, 

Le  silence, 

La  solitude. 

Le  moulin  de  discipline  a  été  le  sujet  de  critiques  qui  nous 
semblent  motivées.  Rien  ne  saurait  donner  une  idée  plus 
exacte  du  genre  de  fonctions  auquel  il  réduit  les  hommes  que 
ces  cages  tournantes  dans  lesquelles  on  enferme  les  écureuils. 
L'ouvrier-machine  n'y  fait  l'apprentissage  d'aucune  profes- 
sion utile,  il  est  rabaissé  plutôt  qu'élevé  à  ses  propres  yeux, 
enfin  il  est  privé  de  la  récompense  qui  doit  accompagner  un 
travail  quelconque,  la  satisfaction  du  succès.  Ces  raisons  sont 
suffisantes  pour  engager  à  ne  faire  usage  du  moulin  de  dis- 
cipline que  dans  les  cas  de  détentions  très-courtes  ,  pour  ap- 
provisionner la  maison  d'eau,  de  farine,  etc.,  et  particulière- 
ment comme  un  châtiment  applicable  dans  l'intérieur  des 
prisons. 

D'après  les  renseigneraens  donnés  par  l'inventeur  lui-même, 
M.  Cubitt,  le  moulin  à  pied  fut  introduit  pour  la  première  fois 
en  novembre  i  8iy  dans  la  prison  de  Bury  Saiqt-Edmond.  Une 
description  en  a  été  publiée  par  la  Société  des  prisons  de 
Londres  (i),  et  il  a  été  adopté  dans  un  nombre  considérable 


Cl)  Description  of  thc  trcad  ntill  for  tiic  cmployinenl  of  prisoners,  tra- 
duite en  français  sous  ce  titre  :  Description  d'un  moulin  de  discipline, 
Tl'ptlé  tiead  niill  ;  avec  plusieurs  planches.  Londres,  1S22. 


ET  rOLITIQLï^S.  71 

des  élablis.-emeiis  de  détention  de  la  GiiUHie-Bretagiie  (1),  ;i 
Hambourg.  "NYerden  et  Kronach  en  Allemagne,  eu  Hollande 
à  Leuwarden.  L'état  sanitaire  des  juisunniers  parait  11  avuir 
fait  qu'y  gagner. 

Si  l'on  veut  apprécier  l'efficacité  du  moulin  de  discipline. 
il  est  nécessairo  de  l'examiner  d'une  manière  tout-a-l'ai[  pra- 
tique, et  de  se  poser  les  trois  questions  suivantes  : 

1°.  Combien  d'individus  peut-il  employer  à  la  fois? 

2°.  Doit-on  relever  fréquemment  les  travailleurs? 

j°.  Quel  est  le  tems  le  plus  long  qu'un  homme  puisse  con- 
sacrer à  ce  travail,  sans  préjudice  pour  sa  santé,  soit  dans  un 
jour,  soit  pendant  la  durée  entière  de  sa  réclusion? 

Un  rapport  de  M.  Peel,  du  i5  avril  1824  i'^)^  répond  ainsi  a 
la  première  de  ces  questions  :  le  plus  grand  nombre  d'individus 
employés  à  une  seule  et  même  roue  est  cinquante-deux  (dans 
la  maison  de  correction  de  Swaffham);  le  moindre  nombre 
est  quatre  (à  Shepton-Mallet).  La  plupart  des  roues  occupent 
de  douze  à  dix-huit  personnes  :  terme  moyen,  d'après  le  ta- 
bleau des  moulins  de  discipline  en  exercice  en  Angleterre, 
i5  gy.  Plusieurs  roues  peuvent  être  adaptées  au  même  mou- 
lin (5).  La  petitesse  de  ces  roues  et  l'accroissement  de  leur 
nombre  facilitant  la  classitication  des  détenus,  celles  qui  n'exi- 
gent que  six,  douze,  ou  tout  au  plus  quinze  travailleurs,  pa- 
raissent devoir  être  préférées,  bien  que  demandant  une  aug- 
mentation de  frais. 

iVI.  Cubitt  lui-même  a  cherché  à  résoudre  les  deux  autres 
questions  en   dressant  des   tables  où  sont  mis  en  regard  le 

(1)  D'après  un  rappoit  du  miuislre  de  l'intérieur,  fait  à  la  Chambie 
des  communes  le  i5  février  1825,  des  monlins  dé  discipline  étaient  en 
activité  dans  cinquante-quatre  prisons  de  l'Angletene  et  du  pays  de 
Galles. 

(2)  Copies  ofpapers  showi?ig  ihe  résulta  of  in';uirlcs  ntailo  t>\  tlic  secre- 
liiry  of  slaic  for  tite  home  département,  as  lu  Ihe  effert  ofthe  trcadwhccl 
1)1  lUc  prisons. 

(3)  La  piisoii  de  Biixton  pussède  un  moulin  auquel  dix  lOiies  sjnt 
adaptées  :  r'esl  le  seul  exemple  d'un  aussi  grand  nombre. 


72  SCltlNCliS  MOUALES 

nombre  des  heures  de  travail  pendant  les  différentes  saison-; 
de  l'année,  celui  des  pas  nécessaires  pour  mettre  la  machine  en 
mouvement,  etc.  ;  mais  rien  ne  peut  être  absolu  dans  leur  so- 
lution, qui  demeure  toujours  dépendante  de  plusieurs  condi- 
tions, telles  que  (;elles-ci  : 

»".  La  durée  du  travail  forcé  auquel  on  veut  astreindie 
chaque  prisonnier.  — L'exercice  du  moulin  devant  être  consi- 
déré comme  une  punition,  il  faut  le  calculer  de  manière  à  ce 
rju'il  remplisse  cet  objet.  Le  détenu  qui  n'y  est  soumis  que 
pour  peu  de  jours  doit  et  peut  supporter  un  travail  plus  oné- 
reux que  celui  dont  la  peine  s'étend  à  plusieurs  semaines  ou 
4Xême  à  plusieiirs  mois. 

2°.  Le  nombre  des  heures  consacrées  chaque  jour  au  tra- 
vail. —  Celui  de  dix  est  généralement  adopté  en  Angleterre, 
et  ne  saurait  guère  être  dépassé  sans  iacouvénient.  On  regarde 
comme  très-convenable  la  division  dutems  en  trois  cinquièmes 
le  miitin  et  deux  dans  l'après-dinée ,  plus  l'intervalle  d-'une 
heure  pour  le  repas. 

5°.  Le  sexe  des  travailleurs.  —  Les  femmes  ne  sont  soumises 
à  l'exercice  du  moulin  de  discipline  que  daiis  les  prisons  de 
Dorchester,  .d'Exeter  et  de  Coldhathfields  à  Londres  (i)  :  le 
produit  de  leur  travail,  comparé  à  celui  du  travail  des  hom- 
mes, présente  environ  le  rappnrtde7à  lo.  Nous  pensons,  avec 
i\L  le  do(;teur  .Iidkis.  qu'un  paieil  genre  d'occupation,  fût-ce 
en  qualité  de  châtimeut,  ne  saurait  convenir  à  des  femmes. 

4".  La  quantité  de  matériaux  soumise  à  la  fois  à  l'action  du 
uicurui,  soit  qu'il  s'agisse  de  grains  à  aioudre  comme  en  An- 
gleterre, ou,  comme  à  Hainl>onrg,  de  draps  à  fouler.  —  Plus 
cette  quantité  est  considérable,  plus  la  roue  tourne  lentement; 
l'exercice  des  marclicurs  est  alors  moins  pénible  :  il  le  devient 
d'autant  plus,  au  contraire,  que  la  roue  tourne  plus  rapide- 
ment, ce  qui  a  lieu  lorsque  la  force  du  moulin  agit  sur  une  pe- 
tite quantité  de  matériaux. 


;i)  Les  niagistials  ont  aboli  ccl  usage  dans  la  i)ri.'iiiièi  c  d('  ces  villes. 


ET  l'OLlTlQliiS.  75 

5".  Le  diamètre  de  la  roue;  le  tems  nécess;iire  pour  sa  rola- 
lion  étant  en  raison  Inverse  de  sa  circonférence. 

6".  Le  nombre  des  marches  qui  forment  la  circonférence  de 
la  roue.  —  De  son  étendue  dépend,  il  est  vrai,  principalemeul 
la  facilité  de  son  exercice  ;  mais  les  degrés  peuvent  aussi  se 
trouver  trop  ou  trop  peu  rapprochés,  et  contribuer  à  rendre  cet 
exercice  beaucoup  plus  incommode.  * 

7".  Enfin,  le  nombre  des  marches  qui  doivent  être  franchies 
dans  un  tems  donné.  —  D'après  les  tableaux  dressés  en  An- 
gleterre, le  chiffre  moyen  est  48  par  minute;  combiné  avec  le 
terme  moyen  du  tems  consacré  au  travail  (  8  heures  ),  et  avec 
l'élévation  moyenne  des  degrés  (  8  pouces  4  vi  lignes  )  ,  il 
donne  la  hauteur  de  16,076  pieds  9  }  pouces  comme  celle 
que  le  marcheur  doit  franchir  en  mi  jour.  L'expérience  dé- 
montre que  cette  limite  ne  peut  être  dépassée  sans  inconvé- 
nient. 

Quant  à  l'emplacement  convenable  aux  moulins  de  disci- 
j)liue,  la  Société  des  prisons  de  Londres  veut  (ju'ils  soient 
construits  en  plein  air,  mais  sous  un  tcit  et  dans  le  voisinage 
des  salles  de  jour ,  afin  qu'en  cas  de  mauvais  tems  ou  dans  le 
moment  où  les  travailleurs  passent  d'un  exercice  très-actif  au 
repos,  ils  ne  soient  point  exposés  à  l'influence  du  froid.  Placés 
dans  des  lieux  fermés,  ils  offriraient  toutefois  l'avantage,  pen- 
dant les  courtes  journées  d'hiver,  de  pouvoir  être  mis  en  mou- 
vement t»  la  lumière  le  matin  et  le  soir. 

Il  est  aisé  sans  doute  de  prescrire  à  dos  hommes  rassemblés 
un  silence  absolu;  mais  un  tel  règlement  est  illusoire,  parce 
qu'il  .est  inhumain,  non  pour  des  chartreux  que  la  foi  soutient 
au  milieu  de  leurs  privations,  mais  pour  des  prisonniers  que 
révolte  la  contrainte.  Aussi  l'interdiction  de  la  parole  est-elle 
généralement  inobservée  par  le  surveillant  ou  transgressée  par 
les  détenus  au  moyen  du  langage  des  signes,  d'autant  plus  nui- 
sible qu'il  est  grossier  et  secret. 

L'homme  doit  entendre,  penser  et  parler,  ou  ne  faire  aucun 
pas  dans  les  voies  de  la  perfection  ;   il   ne  faut  pasi,    même 


-,  SCIENCES  MOKALES 

(Ml  priï<on,  qu'il  soit  privé  de  l'exercice  de  ces  facultés.  Mais  il 
ne  lui  suffit  point  de  parler  ou  d'écouter  par  ordre  ;  ce  dont  il 
a  besoin,  c'est  d'un  entretien  libre  où  l'âme  peut  s'épancher  et 
manifester  son  intérêt  pour  tout  ce  qui  la  frappe.  Toutefois  le 
*ilencc  est  une  régie  importante  dans  la  discipline  péniten- 
tiaire; il  doit  être  obligatoire  pour  la  classe  d'épreuve,  hormis 
aux  heures  de  l'enseignement.  Dans  la  deuxième  classe,  celle 
\\es  éprouvés,  la  conversation  doit  être  permise  à  titre  de  récom- 
pense ,  sauf  interdiction  de  toute  expression  malhonnête, 
cris  ou  chuchotcmens;  c'est  à  l'aumùnier,  pendant  les  heures 
consacrées  le  dimanche  soir  à  la  conversation ,  à  savoir  lui 
donner  un  cours  utile  et  intéressant.  Enfln ,  dans  la  classe 
de  préparation,  rien  ne  s'oppose  à  ce  que  les  détenus  puissent 
s'entretenir  librement,  mais  à  des  heures  déterminées,  et  en 
présence  d'auditeurs. 

Si  l'on  a  toujours  considéré  la  solitude  comme  un  des  plus 
nobles  moyens  de  perfectionnement  pour  l'homme,  c'est  que 
l'on  supposait  chez  ceux  qui  s'y  condamnaient  volontairement 
une  disposition  à  méditer  sur  les  sujets  les  plus  sacrés;  mais 
peut-elle  exercer  cette  influence  salutaire  sur  des  malfaiteurs 
chez  lesquels  on  doit  présumer  une  vocation  tout  opposée? 
^()n  sans  doute,  et  nous  nhé^itoiis  pas  à  considérer  l'empri- 
sonnement solitaire  prolongé  comme  l'état  le  plus  corrupteur, 
après  le  contact  avec  des  criminels  endurcis.  Cependant  ce 
moyen  peut  être  employé  avec  succès  comme  punition  ;  que 
le- coupable  soit  abandonné  seul  à  ses  remords  pendant  peu  de 
teins,  mais  qu'il  n'ait  pas  celui  de  se  familiariser  avec  cette 
situation,  et  d'occuper  son  reciieillement  à  ruminer  de  nou- 
veaux crimes.  M.  Julius,  d'accord  avec  nos  sentimens  à  cet 
égard,  ne  conseille  l'emprisonnement  solitaire  qu'envers  les 
individus  (]ui  n'ont  point  abjuré  toute  idée  religieuse,  ou  qui 
déjà  ont  fait  quelque  retour  sur  eux-mêmes.  Quant  aux  au- 
tres, il  veut  que  le  tems  de  leur  solitude  soit  rempli  par  un 
travail  assidu  et  fatigant ,  qui  ne  soit  interrompu  que  par  le 
repos  strictement  nécessaire  cl  par  renseignement  spiiitucl. 


i:t  politiques.  75 

Il  est  indispeDsable  d'éluùier  avec  soin  le  caractère  des  hommes 
auxquels  on  prétend  appliquer  cette  peine,  dont  l'eftet  varie 
étrangement.  M.  Buxton  rapporte  que  deux  paysans  de  la 
même  ferme  ayant  été  condamnés  à  l'emprisonnement  soli- 
taire, l'un,  sot  et  paresseux,  avait  passé  son  tems  à  dormir, 
tandis  que  l'autre,  vif  et  intelligent,  avait  failli  perdre  la  rai- 
son. Il  est  des  individus  pour  lesquels  ce  châtiment  est  une 
torture  intolérable,  et  l'on  en  a  vu  demander  la  mort  comme 
une  grâce.  —  lia  été  obseivé  en  général  que  la  solitude  pro- 
longée influait  sur  le  moral  d'une  manière  très -nuisible ,  à 
moins  qu'elle  ne  fût  accompagnée  d'un  travail  conliau,  tandis 
que  ce  moyen,  employé  avec  intelligence  et  ménagement,  de- 
venait un  puissant  auxiliaire  dans  l'œuvre  de  la  réforme. 

Il  est  presque  inutile  de  recommander  un  soin  tout  parti- 
culier à  l'égard  des  communications  avec  l'extérieur.  Pendant 
la  période  d'épreuve,  toute  visite  aux  détenus  doit  être  formel- 
lement interdite  :  ce  n'est  que  pendant  les  deux  périodes  sui- 
vantes qu'elles  peuvent  être  autorisées  peu  à  peu,  après  des 
informations  très-précises  sur  la  moralité  des  visiteurs  ,  et 
toujours  devant  témoins.  Ces  visites,  outre  l'impression  di- 
recte qu'elles  peuvent  exercer  sur  le  prisonnier,  ne  sont  pas 
sans  une  influence  préjudiciable  à  l'extérieur  même.  <>  Une 
prison  dont  les  portes  sont  ouvertes  à  des  curieux  oisifs,  dit 
l'auteur  anglais  d'un  excellent  article  sur  les  maisons  de  dé- 
tention (1),  perd  infailliblement  la  moite  de  la  terreur  qu'elle 
doit  inspirer  :  les  idées  tristes  qui  se  joignent  au  mol  de  prison, 
et  qui  contribuent  sans  doute  à  détourner  les  actes  criminels, 
se  trouvent  écartées  par  l'aspect  de  la  propreté,  de  l'ordre  et 
du  bien-être  apparent  qui  régnent  dans  ses  murs.  L'homme 
est  ordinairement  disposé  à  juger  d'après  ce  qui  frappe  ses  re- 
gards,, et  ce  que  les  visiteurs  ne  voient  pas,  c'est-à-dire  la 
solitude  et  les  dégoûts,  l'extrême  frugalité  et  le  travail  pénible 
auxquels  les  détenus  sont  assujettis,  tout  cela  ne  se  présente 
pas  à  leur  pensée;  ils  quittent  la  prison  convaincus  que  l'on 

fi)  Ouarlcrly  rcuicw.  T.  xxx,  p.  4i5. 


;(;  SCILNCKS  MOllALES 

exiigèie  les  maux  de  la  captivité,  et  si  celle  opieiion  n'influe 
pas  sur  leur  propre  conduite,  ils  ne  manquent  pas  du  moins 
(le  la  propager  au  dehors.  » 

L'enseignement  qui  a  pour  but  diiiculquer  au  détenu  des 
habitudes  de  travail,  d'ordre  et  d'écoaomie,  et  de  le  mettre, 
par  la  possession  d'une  industrie  lucrative,  à  l'abri  des  tenta- 
tions dont  il  sera  assailli  en  rentrant  dans  la  société,  et  rensei- 
gnement religieux  destiné  à  perrcclionner  son  moral,  sont, 
comme  on  le  voit,  trop  intimement  liés  pour  les  séparer  :  ils 
doivent  marcher  de  front.  Qu'à  l'apprentissage  d'un  métier  se 
joignent  l'instruction  élémentaire  de  la  lecture,  de  l'écriture, 
(lu  (liant,  le  catéchisme,  la  prière  solitaire  qui  n'est  entendue 
que  de  Dieu,  et  la  prière  en  comuum  qui  harmonise  les  âmes; 
qu'une  cérémonie  religieu>e  accompagne  l'entrée  en  prison 
et  la  délivrance  de  chaque  détenu,  c'est  la  première  et  la  der- 
nière pierre  du  monument  que  vous  entreprenez  d'élever  à 
Dieu  dans  son  cœur  :  ces  deux  époques  doivent  y  laisser  de 
profondes  impressions. 

La  division  des  prisonniers  en  trois  classes  n'est  en  usage  en 
Angleterre  que  dans  les  maisons  pénitentiaires  où  une  diffé- 
renc(;  de  costume  les  dislingue.  Cette  mesure  poiurait  être 
introduite  dans  les  prisons  ordinaires  sans  grande  dilTicullé. 
Pour  la  classe  d'épreuve  la  solitude  et  le  silence  sont  de  rigueur 
pendant  la  première  année  au  uxoins  ;  la  sévérité  de  ce  régle- 
uient  doit  être  fort  adoucie  pour  la  classe  éprouvée  ;  elle  doit 
l'être  beaucoup  plus  encore  pour  la  classe  de  préparation  chai. 
laquelle  le  travail  en  coumiun  doit  devenir  peu  à  peu  une  ha- 
bitude. La  promotion  d'une  classe  à  l'autre  ne  doit  pus  avoir 
lieu  sans  quelque  solennité;  qu'elle  soit  précédée  pour  celui 
qui  en  est  l'objet  de  quelques  jours  de  solitude  dans  une  salle 
dont  la  décoration  puisse  frapper  son  espiit,  et  que  cette  soli- 
tude ne  soit  iulerrompue  que  par  la  visite  de  l'aumijuier  et 
remplie  par  un  choix  de  lectures  convenables  à  sa  situation.  — 
La  durée  du  séjonr  des  prisonniers  dans  cha([ue  classe  doit  être 
(lélerminee  par  le  dircclenr,  l'instituteur  et  l'aumônier.  — 
Ceux  d'eniri'  le-  <léleiiM^  qui   se  di^liiimienl   par  leur  boiuu- 


1;T  POLlIlQUliS. 

( omliiilc  peuvent  être  eJevés  aux  tbiictioti-i  de  .soiis-iiis|>ei,;- 
leurs,  sans  pour  cela  cesser  d'être  soumis  aux  régleniens  i>éué- 
laiix  de  la  maison.  —  Enfin,  poiu-  exciter  l'émulation  ,  ,-Ics 
récompenses  peuvent  être  accorilécs  ,  telles  que  la  prolf)u^a- 
lion  des  momens  de  repos  ou  de  conversation,  des  emplois 
domesti(|ues  daiis  rétablissement,  l'exemption  des  châtimens 
corporels,  la  l'acidlé  d'être  appelés  en  témoignage,  etc.  Les 
moyens  de  punition  seraient  alors  la  privation  de  tous  ou  de 
«luelques-iins  de  ces  privilèges,  la  rétrogradation  vers  une 
classe  inférieure ,  et  pour  la  dernière  de  ces  classes  le  renvoi 
de  la  maison  aux  travaux  forcés.  —  Cette  organisation  étant 
fondée  dans  les  prisons  ordinaires,  le  nombre  des  institutions 
pénitentiaires  proprement  dites  pourrait  être  considérable- 
ment réduit  et  les  frais  qu'elles  occasionent  épargnés.  M.  .Tu- 
lius,  appliquant  ce  système  à  la  Prusse,  pense  qu'il  y  suffirait 
de  deux  pénitenciers  modifiés  selon  les  degrés  très-diffe!en> 
de  lumières  qui  séparent  la  partie  orientale  de  la  partie  occi- 
dentale. 

A  cette  leçon  sont  joints  les  réglemens  des  prisons  de  Mil- 
bank  et  de  Genève. 

Onzième  Leçon. 

L'arguraeut  le  plus  spécieux  que  fassent  valoir  les  adversai- 
res du  système  pénitentiaire,  c'est  le  mauvais  succès  des  éla- 
blissemens  de  ce  genre  dans  le  pays  où  il  a  été  primitivement 
introduit  et  perfectionné,  dans  les  Etats-Unis  d'Amérique. 
M.  Julius  a  regardé  comme  un  devoir  de  repousser  les  induc- 
tions que  l'on  pourrait  tirer  de  ce  fait  sans  en  avoir  apprécié 
les  causes. 

Ces  causes,  d'après  le  rapport  d'un  comilé  institué  à  Xcw- 
York  pour  eu  faire  la  recherche ,  sont  les  suivantes  : 

1°.  L'architecture  vicieuse  des  prisons.  —  Aucune  n'était  dis- 
tribuée de  manière  ;\  empêcher  la  communication  des  détenus 
entre  eux. 

2°.  Le  défaut  de  classification.  —  Celle  des  sexes  élait  la 
seule  en  usage.  L'objet  principal,  celui  qui  dominait  tous  les 
autres,  éliiil  de  rendre  le  travail  aussi  prorlnctif  qiic  po>;>iii)le. 


;8  SCIENCES  MORALES 

sans  songer,  aini^i  que  l'ol)>ervc  le  comité,  qu'un  tel  procédé 
(levait  mettre  au  néant  tont  le  S3^stème. 

5°,  Le  manque  d'espace.  —  Outre  l'impossibilité  d'établir, 
lors  même  qu'on  l'aurait  voulu,  aucune  classification,  ce  défaut 
entraînait  l'inconvénient  suivant  non  moins  grave  : 

4°.  L'usage  abusif  du  droit  de  grâce.  —  Ces  grâces  étaient 
a(;cordées  avec  autant  de  légèreté  qu'on  en  mettait  à  appuyer 
les  demandes;  et  cela  afin  de  ïaïce  place  à  de  nouveaux  pri- 
sonniers, qu'il  fallait  loger. 

5°.  l  ne  nourriture  trop  peu  abondante  sans  interdiction  des 
liqueurs  fermentées.  —  C'était  le  fruit  de  la  même  tendance 
l'uneste  qni  portait  à  tout  sacrifier  au  lucre  du  travail. 

G°.  L'absence  d'écoles  pour  les  jeunes  condamnés.  Partout, 
mais  surtout  dans  la  ville  populeuse  de  New- York,  s'offre  le 
tableau  déplorable  d'une  nombreuse  jeunesse  privée  d'in- 
struction ,  grandissant  d;ins  le  vice  et  destinée  au  crime. 

7°.  La  mutation  fréquente  des  fonctionnaires  publics  par 
suite  des  triompbes  et  des  chutes  successives  des  différens  par- 
tis politiques.  Ces  mutations  se  font  sentir  jusque  dans  l'ad- 
ministration des  prisons  (i)» 

Ces  causes  ont  eu  des  suites  sur  lesquelles  un  rapport  fait, 
en  1 820,  à  l'occasion  d'im  projet  d'institution  pénitentaire  pour 
les  jeunes  délinquans  s'exprime  de  la  manière  suivante  : 

«La  nature  démoralisante  de  quelques-uns  de  ces  établisse- 
mens  nommés  pénitentiaires  est  tellement  connue,  il  est  si  rare 
que  les  détenus  libérés  n'en  sortent  pas  plus  dégradés  et  plus 
corrompus  qu'ils  n'y  sont  entrés,  et  plus  experts  dans  les  pro- 
cédés du  vol,  que  ces  lieux  ont  mérité  le  surnom  d'écoles  du 

(1)  M.  Charles  Lucas  vient  de  publier  le  second  volume  de  son  ouvrage 
sur  le  Système  pénitentiaire  :  il  y  trace  avec  détail  l'historique  de  la  dé- 
cadence de  ce  système  aux  Ktats-Unis  (p.  5i  et  suivantes).  Nous  y  ren- 
voyons ceux  de  nos  lecteurs  qui  voudraient  en  avoir  une  plus  ample  con- 
naissance. —  A'oycz  aussi  :  J  bric f  étalement  of  Ihc  causes  wliich  hâve  led 
I0  ihc  abandonmcnl  of  thc  cctcliraied  System  of  pcnilentiary  discipline  in 
smne  provinces  of  thc  itnitcd  slates  of  America.  By  William  Roscoe.  Liver- 
pnni,  1857. 


ET  POLITIQUES.  -«. 

crime.  La  somme  des  maux  causas  à  notre  ville  et  à  notre  État 
}iar  les  défauts  du  régime  des  prisons  est  si  grande  que ,  de 
l'avis  de  bien  des  gens,  il  est  douteux  si  le  système  actuel, 
avec  son  attirail  dispendieux,  sa  douceur  et  sa  moralité  appa- 
rentes, n'est  pas ,  en  dernière  analyse ,  plus  nuisible  encoio 
à  l'ordre  public  que  le  simple  emprisonnement  d'autrefois, 
avec  ses  punitions  corporelles,  ses  fustigations  publiques,  ses 
piloris,  sa  marque  ,  etc.,  etc.  (i)-" 

Un  semblable  tableau  serait  bien  décourageant  pour  les  par- 
tisans du  système  pénitentiaire,  si  l'on  ne  pouvait  lui  oppo- 
ser les  expériences  faites  dans  plusieurs  prisons  d'Europe  ei 
dans  le  petit  nombre  de  celles  d'Amérique  qui  ne  se  sont  point 
trouvées  encombrées  :  ^es  auteurs  du  Rapport  auquel  nous 
avons  emprunté  l'énumé ration  des  causes  qui  ont  entraîné  sa 
décadence,  décadence  dont  ils  sont  loin  de  faire  un  mystère, 
terminent  leur  travail  par  ces  paroles  remarquables  : 

«Dans  l'espace  de  trente  années,  il  n'a  pas  été  signalé  un 
seul  fait ,  découvert  un  seul  vice  qui  fût  capable  de  nous  con- 
vaincre que  ce  système  n'est  pas  en  état  de  réaliser  tout  ce  qu'on 
a  pu  en  attendre  »  . 

Après  cette  digression  nécessaire,  M.  Julius  reprend  son 
exposition  en  traçant  les  devoirs  des  hommes  appelés  à  donner 
la  vie  au  système,  et  sans  lesquels  tous  les  avantages  d'une  si- 
tuation favorable,  d'une  construction  habile,  d'un  emplace- 
ment étendu,  etc.,  ne  serviraient  de  rien. 

"La  fonction  de  directeur  de  prison  gagne  journellement  en 
considération  publique  et  en  importance;  cela  est  juste  :  cette 
fonction  est  honorable,  difficile,  elle  entraîne  une  délicate  res- 
ponsabilité, et  suppose  une  confiance  toute  particulière  dans  la 
personne  que  l'on  en  investit.  L'accomplissement  ponctuel  et 
loyal  de  ses  devoirs  rend  un  directeur  de  prison  digne  de  l'es- 
time et  de  la  reconnaissance  générales.  La  sûreté  de  l'établisse- 

(i)  Report  of  a  commillee  appoinled  by  ilic  sociely  for  ihc  prciention  of 
pniiperlsm  in  ihc  cily  of  New- York,  on  thc  expedicncy  of  erecting  an  insti- 
Itiiimi  for  thc  reformalirn  ofjiireriilc  ddinqucnls.  ^tew-Yiiik,  iSaô. 


ment  qu'il  administre  est  son  premier  soin  ;  mais  il  n'est  pa? 
le  seul.  Ses  efforts  ont  aussi  un  objet  moral,  et  le  repos  de  la 
«ociétc  et  le  sort  de*  plus  malheureux  des  hommes  en  dépen- 
dent. Il  doit  savoir  régler  l'emploi  de  sou  autorité,  encoura- 
ger l'obéissance  et  prévenir  bien  plus  (|ue  réprimer  la  muti- 
nerie. Ses  ordres  doivent  «'jtre  précis,  son  humeur  égale  et  son 
,imour  de  Téquité  sensible  pour  tous  :  enfin  il  doit  apporter 
dans  l'exercice  de  sa  charge  non-seulement  fermeté  de  carac- 
tère et  droiture  de  Jugement,  mais  encore  une  âme  remplie 
de  sentimens  bieuveillans  et  religieux». 

Immédiatement  après  ce  ionctioimaire  supérieur  qui  doit 
embrasser  tous  les  besoins  de  rétablissement,  deux  autres 
trouvent  leur  place,  auxquels  est  confiée  immédiatement  la 
direction  morale  et  intellectuelle  des  prisonniers  ;  Vaumônier, 
c'est-à-dire  le  confident,  le  guide  de  leurs  consciences,  et  1'/»- 
stitateur,  dont  l'emploi  doit  être  également  revêtu  d'une  haute 
considération  ;  vient  ensuite  V instructeur  i\y\\  enseigne  aux  déte- 
nus la  profession  industrielle  qu'ils  doivent  exercer;  et  le  mé- 
decin, dont  le  docteur  Julius  indique  les  devoirs  en  homme  de 
l'art. 

Toutefois  cette  organisation  intérieure  de  la  prison  ne  lui 
paraît  pas  encore  suHisante  pour  remplir  complètement  son 
objet.  S'api)uyant  ^ur  l'opinion,  émise  il  y  a  plus  de  vingt'- 
cinq  ans,  par  un  homme  d'Etat  éclairé,  feu  M.  d'Armm.  minis- 
tre de  la  justice  en  Prusse  (i),  il  croit  nécessaire  d'établir  entre 
les  autorités  supériemes  qui  ne  peuvent,  sans  inconvénient,  des- 
cendre à  une  surveillance  a  l'égard  de  chaque  fonctionnaire, 
et  les  administrations  particulières  des  prisons,  des  conseils 
chargés  d'assister  les  directeurs  dans  leur  gestion,  et  composés, 
dans  chaque  localité,  outre  le  justicier,  raunujniei- et  le  mé- 


(i)  Briiclisliiclie  iibir  F erbrecltcn  iind  Stvufcn,  etc.  —  Fragmens  sur  les 
délits  cl  les  peines ,  ou  pensées  sur  l'accroisseinent  remaïqué  dans  les 
États  prussiens  du  nombre  des  crimes  contre  la  propriété;  avec  des  pro- 
positions sur  les  moyens  d'y  remédier  par  une  bonne  organisation  des 
]>rison$.  Fianci'iirl,  180."^. 


KT  l'OLIilQUES.  8i 

(Iccin  de  la  maison,  de  plusieurs  des  citoyens  les  plus  nota- 
bles qui  accepteraient  sans  doute  volontiers  ces  commissions 
purement  honorifiques.  La  sollicilude  publique  sciait  ainsi  at- 
tirée sur  les  établissemens  de  détention,  et  travaillerait  à  leur 
perfectionnement.  M.  Julius  observe  que  des  eflforlstrop  sou- 
vent méconnus,  surtout  à  l'époque  où  écrivait  M.  d'Arnim, 
avaient  depuis  long-tems  créé  dans  un  but  religieux  des  in- 
stitutions analogues  à  celles  qui  sont  ici  conçues  d'après  un 
point  de  vue  politique.  Sans  parler  des  traces  laissées  par  les 
empereurs  romains  dès  les  premiers  siècles  du  christinanisme, 
on  ne  peut  s'empêcher  de  citer  les  nondireuses  confréries  qui 
de  Rome  se  répandirent  dans  l'Italie  et  dans  tout  le  monde 
chrétien,  et  particulièrement  celle  de  la  Miséricorde,  qui  avait 
dans  beaucoup  de  villes  des  confréries  affiliées  des  deux  sexes, 
et  dont  les  réglemens  furent  renouvelés  en  1831  (1).  Ces  as- 
sociations ne  se  bornent  pas  à  porter  des  consolations  aux  con- 
damnés à  mort  ;  elles  s'occupent  aussi  de  l'enseignement  reli- 
gieux des  prisouniçis,  et  de  leur  distribuer  du  travail ,  des 
vêtemens  et  de  la  nourriture. 

Ce  qu'avait  fait  le  sentiment  religieux,  la  philantropie  a  de 
nos  jours  essayé  de  le  reproduire;  elle  a  voulu  intéiesser  les 
efforts  individuels  à  l'amélioration  du  sort  des  détenus  et  à 
leur  réforme  morale.  Dans  toute  l'Europe,  mais  particulière- 
ment en  Angleterre,  les  Sociétés  pour  la  visite  des  prisons  se  sont 
multipliées.  Parmi  ces  associations,  il  est  impossible  de  ne  pas 
mettre  en  première  ligne  la  Société  pour  la  réforme  des  femmes  dé- 
tenues, et  le  nom  de  sa  fondatrice,  M"'  Elisabeth  Fry,  de  cette 
femme  chez  laquelle  la  douceur  et  la  fermeté,  le  dévouement 
et  l'élévation  d'âme  forment  un  ensemble  harmonique  si  digne 
de  respect  et  d'admiration.  Nous  nous  faisons  inie  véritable 
violence  poui-  ne  pas  reproduire  dans  son  entier  l'histoire  de 


(1)  CelU;  conlVéïie,  citée  comme   modèle  à  imiter  dans  les  écrits  de 
Scaiiaioli  (De  f'isilaliouc  Carccraforum)  et  de  Mnratori  (  Dcl/a  CavUà  cris 
Liana)  fut  rencontrée  par  HoAvaid  dans  la  plupart  <Jes  villes  d'Italie  et 
lie  Portugal. 

T.    XÎ.VIl      ,T1  ILLKT    !  87)0  b 


8a  SCIENCES  MORALES 

ses  étonnans  succès;  et  c'est  à  regret  que  nous  nous  bornons 
à  recomn^iiKÎer  à  nos  lecteurs  ce  chapitre  de  M.  Julins  comme 
l'un  des  plus  intéressans  de  son  ouvrage.  Nous  y  joindrons 
l'indication  d'un  petit  volume  composé  par  le  même  auteur 
dans  l'espoir,  réalisé  peu  de  tems  après,  de  provoquer  la  créa- 
tion d'un  comité  de  dames  à  Berlin  pour  la  visite  des  pri- 
sons (i)  ;  ainsi  que  celle  d'un  éciit  de  M""^  Fry  elle-niênie  : 
Observations  sur  la  visite,  la  surveillance  et  la  dincction  des  fem- 
mes détenues.  (Londres  1827.} 

Toutefois,  en  rendant  ici  un  hommage  mérité  aux  assem- 
hlée^  charitables  dont  il  s'agit,  nous  sommes  loin  de  nous  exa- 
gérer IVllicacité  de  tentatives  isolées,  divergentes  souvent 
dans  leur  tendance,  et  qui  ne  sont  à  la  réforme  des  prisons 
que  ce  (ju'est  l'aumône  pour  la  mendicité,  un  palliatif  momen- 
tané. Quelques  heureux  résultats,  obtenus  par  de  si  faibles 
moyens,  font  seulement  pressentir  ceux  qui  naîtraient  d'une 
organisation  profonde  et  générale;  le  cœur  humain  a  tant  de 
ressources  pour  retrouver  la  bonne  route,  lors  même  qu'il 
s'en  est  le  plus  écarté  !  que  ne  pourrait-on  donc  pas  attendre 
«l'un  système  de  traitement  moral  embrassant  à  la  fois  toutes 
les  prisons,  et  dans  les  prisons  toute  l'existence  des  détenus? 
l'^t  pourtant  ce  serait  peu  encore.  Une  partie  de  la  société  est 
malade;  il  faut  s'efforcer  de  la  guérir  sans  doute,  mais  il  faut 
surtout  chercher  les  causes  du  mal  au  sein  de  la  société  elle- 
même,  et  savoir  y  porter  le  remède.  Or  une  pareille  lâche  ap- 
l>artiènl  aux  chefs  de  cette  Société,  car  eux  seuls  peuvent  Tac- 
fomplir  :  il  a  fallu  toute  leur  négligence  à  le  faire  pour  légitimer 
l'usurpation  tentée  par  les  associations  philantropiques,  bien 
que  cette  usurpation  manifeste  plutôt  un  besoin  qu'elle  ne  le 
satisfait.  Mais  j'ai  parlé  à  tort  de  négligence  ;  c'est  impuissance 

(1)  Voir  rlaiis  !es  Archives  phllanlropu/iics,  journal  publié  par  la  So- 
ciale de  la  murale  chrétienne  (t.  i,  p.  29  et  i5i  ;  mars  et  mai  i>cto)  quel- 
ques détails  sur  la  société  des  prisons  de  Berlin,  et  pailiculiéienient  sur 
le  comité  des  dan)es.  —  Le  livre  de  M.  Julius  doiil  il  est  question  ici  a 
pour  litre  :  Die  ivcllfllclie  Fiirsorgc,  etc.  {Soins  ftes  femmes  pour  les  di-te- 
nuts  cl  les  malades  île  leur  sc.r.c.  ) 


i;r  POL!  MOUES.  S7> 

qu'il  falhiit  uire.  Lors<[n'aniveiit  les  époqiMis  de  rciiovation. 
(.eux  qui  représentent  les  anciennes  idées  bt»nl  naturellenienl 
les  derniers  à  accepter  les  idées  nouvelles  :  ù  ces  époques,  on 
voit  grandir  peu  à.  peu  en  dehors  du  pouvoir- la  philosophie, 
disons  mieux  la  religion  de  l'avenir,  jusqu'au  jour  où  de  l'as- 
gentiment  universel  elle  se  înel  à  la  lête  de  la  société. 

Douzième  et  dernière  Leçon. 

M.  Le  docteur  Julius,  dans  ses  onze  leçons  précédentes, 
avait  tracé  l'histoire  des  prisons  envisagées  sous  le  rapport  de 
leur  perfectionnement  successif,  auquel  l'Angleterre  a  eu  la 
plus  grande  part  ;  il  avait  indiqué  les  changemens  apportés 
dans  leur  architecture,  dans  leur  organisation,  dans  leur  dis- 
cipline; il  avait  exposé  les  principes  qui,  selon  lui,  doivent 
présider  à  la  réforme  morale  des  détenus;  il  avait  fait  con- 
naître les  avantages  du  système  pénitentiaire  et  tes  efforts  es- 
timables de  quelques  réunions  hienfiiisantes  ;  cependant  son 
entreprise  n'était  point  achevée  à  ses  yeux;  il  n'avait  accom- 
pagné le  prisonnier  que  jusqu'au  moment  de  sa  délivrance, 
comme  si  la  sollicitude  de  la  société  devait  expirer  pour  lui 
avec  son  châtiment.  Il  restait  donc  à  parler  des  mesures  pro- 
pres ù  prolonger  l'influence  de  l'éducation  pénileuliaire. 

Avant  que  le  philantropc  Beccaria  eût  prêté  des  expres- 
sions à  l'opinion  publique  contre  la  législation  pénale  de  son 
tems,  dès  le  milieu  du  xviii'  siècle,  le  célèbre  romancier  an- 
l^lais  Fielding,  qui  occupait  alors  des  fonctions  imj)ortantes 
dans  la  police  de  Londres,  avait  observé  dans  un  fort  bon  écrit 
fur  l'accroissement  du  nombre  des  voleurs  (i),  que  trois  mois 
après  l'exécution  d'un  coupable,  c'est-à-dire,  à  l'époque  des 
assises  suivantes,  ceux  de  ses  complices  qui  n'avaient  point 
partagé  sa  condanmation  se  trouvaient  ordinairement  à  leur 
tour  chefs  de  nouvelles  bandes.  L'expérience  avait  égale- 
ment démontré  en  France  que  sur  dix  forçats  libérés  après 

fi)  Henry  ¥\klï)\^c.    On  tlie  Inaecine  nfHohhcrs,  etc.  Londiin,  ijiSf 


84  SCIENCKS  MORALES 

expiration  de  leur  peine,  il  n'y  en  avait  pas  trois  qui  ne  mé- 
ritassent d'être  condamnés  à  perpétuité  (i).  On  avait  vu  en 
Angleterre  des  malheureux,  sortis  de  la  prison  sans  aucune  res- 
source, pour  ne  pas  succomber  de  nouveau  à  des  tentations  cri- 
minelles avoir  recours  à  l'horrible  préservatif  du  suicide  (2). 

Et  cependant,  il  s'écoula  bien  "fin  tems  avant  que  l'on  son- 
geât à  l'onder  des  établissemens  pour  recueillirces  infortvmés  ; 
il  s'en  écoula  bien  plus  encore  avant  que  les  associations  qui 
avaient  ouvert  ces  asiles  donnassent  la  main  à  celles  qui  s'oc- 
cupaient de  la  réforme  dans  l'intérieur  des  prisons,  afin  de 
faire  succéder  immédiatement  à  leurs  en^eignemens  une  tu- 
telle appropriée  aux  forces  des  disciples,  et  de  les  préparer  peu 
à  peu  à  marcher  d'un  pas  assuré  dans  la  société  :  car  il  est 
nécessaire,  pour  que  de  tels  soins  ne  demeurent  point  inutiles, 
(le  connaître  parfaitement  ceux  qui  en  sont  l'objet,  leurs  anté- 
cédens,  les  dispositions  de  leurs  âmes  pendant  les  différentes 
périodes  de  la  captivité  et  surtout  aux  approches  de  son  terme. 
L'influence  de  la  pensée  d'une  délivrance  prochaine  est  si 
glande  sur  l'esprit  des  détenus  que  l'on  en  a  vu,  dans  l'excès 
de  leur  joie  et  de  leur  impatience,  tomber  malades  et  mourir. 

Puisque  la  seule  attente  de  ce  moment  peut  jeter  dans  un  pa- 
reil délire  l'âme  d'un  homme  encore  enfermé  sousles  verroux 
d'un  cachot,  quel  sera  donc  le  torrent  de  sensations  qui  l'assié- 
gera lorsrpie  toutes  ces  entraves  viendront  à  se  briser?  Ce  qui 
avait  occupéson  imagination  comme  un  avenirloiutaind'abord, 
mais  se  rapprochant  deplusen plus,  pendant  son  travail  du  jour, 
prntlant  ses  rêves  de  la  nuTl ,  l'heure  de  la  liberté  a  sonné  : 
cette  heure  solennelh;  a  été  préparée  pour  lui  par  les  conso- 
lations de  la  religion  ;  des  exhortations  touchantes  ont  atten- 
dri son  cœur,  tumultueusement  agité,  et  l'ont  ouvert  à  l'affec- 
tion de  ses  semblables  :  il  entre  ainsi  dans  le  monde;  et  les 


(1)  Dictionnaire  des  Sciences  médicales.  T.  xr,v,  p.  aâp. 

(2)  yi  sermon,  prcoched  in  saint  Pcter's  citurcb,  Dublin,  on  siinday,  Ja- 
ntiar^'  4  '''  1824,  by  tlie  Bcv.  Charles  IJardin.  in  aid  nf  Ihc  sheltcr  for  fe- 
iiiaLs  dischnrgcd  from  prison. 


1-T  POLITIQUES.  85 

hoinnies  que  dans  son  ivresse  il  voudrait  embrasser,  avec  les- 
quels il  voudrait  sentir,  se  réjouir  et  s'affliger,  près  desquels 
il  voudrait  s'établir  pour  consacrer  sa  vie  future  à  une  loyale 
industrie,  commentées  bommes  l'acciieillent-ils  ?  les  meil- 
leurs d'entre  eux  s'éloignent  avec  embarras,  avec  répugnance 
de  celui  qui  porte  le  signe  du  désbonneur  sur  sa  cbair,  sur 
ses  vêtemens,  sur  son  passeport  :  des  mécbans  le  dépouillent 
peut-être  eu  quelques  jours  du  petit  trésor  acquis  par  un  tra- 
vail de  plusieurs  années,  et  que  ce  travail  lui  fait  estimer  ou- 
tre mesure,  pour  le  repousser  ensuite  avec  mépiis.  Il  reste 
isolé,  p'Crsonne  ne  lui  tend  la  main ,  bormis  les  anciens  com- 
plices de  ses  fautes  :  ceux-là  le  reçoivent  avec  amitié,  ils  en- 
veniment son  ressentiment  contre  la  société,  qui  le  repousse 
comme  s'il  était  encore  un  des  leurs;  au  lieu  de  la  misère  et 
des  privations  qui  l'attendent,  ils  lui  promettent  des  jouissan- 
ces étourdissaïites;  il  ne  tarde  point  à  retomber  dans  les  liens 
de  la  dépravation  et  du  crime,  qui  s'emparent  de  tout  son 
être  par  des  nœuds  désormais  indissolubles. 

Ils  ont  donc  bien  mérité  de  l'humanité  ceux  qui  les  pre- 
miers conçurent  et  exécutèrent  le  projet  de  créer  un  établis- 
sement pour  servir  de  transition  entre  la  vie  des  prisons  et  le 
retour  dans  la  société. 

C'est  à  la  ville  de  Lyon,  selon  toute  apparence,  que  cet 
honneur  doit  être  attribué.  La  fondation  des  sœurs  de  Saint- 
Joseph,  qui,  non  contentes  de  faire  le  service  dans  la  prison 
des  femmes,  ont  érigé  une  maison  où  celles-ci,  à  l'époque  de 
leur  libération,  sont  instruites  dans  des  travaux  de  leur  sexe, 
pour  être  ensuite  placées  au  dehors,  est  antérieure  aux  insti- 
tutions anglaises  du  même  genre. 

Les  deux  maisons  de  refuge  affectées  aux  différens  sexes  (i), 
qui  existent  à  Londres,  et  auxquelles  par  une  exception  toute 
spéciale  le  parlement  accorde  une  subvention  de  5,ooo  liv. 
sterling,  ont  été  fondées  par  une  Société  qui  se  rassembla  en 
i8o5  :  elles  sont  ouvertes  à  sept  classes  de  malheureux. 

(i)  Refuge  fortlic  maie  tiestilule.  Uc/agc  for  (lie  fenialo  dcsliUile. 


86  SCIENCES   M  011 A  LES 

r.  Les  condamné!^  à  mort  graciés  ;  ■ — 2'.  Ceux  en  laveur  de 
qui  les  juges  ont  suspendu  l'exécution  de  la  sentence;  — 
3°.  Les  détenus  qui,  ;ipiès  l'expiration  de  leur  peine,  ne  peuvent 
réussir  à  se  placer;  —  4°-  Ceux  qui ,  sortant  des  pontons,  se 
tioiivent  dans  le  même  cas;—  5".  Les  prévenus  acquittés;  — 
6'.  Ceuiqueles  juges  recommandent  à  l'établissement  au  lieu 
de  les  envoyer  en  prison  ;  —  7".  Des  jeunes  gens  qu'une  con- 
duite irréguliére  a  perdu  de  réputation,  et  qui,  sans  être  pour- 
suivis juridiquement,  se  voient  repoussés  de  la  société. 

Chacun  de  ces  deux  établissemens,  qui  peuvent  contenir 
ensemble  environ  deux  cents  prisonniers,  est  partagé  en  deux 
divisions,  l'une  temporaire,  l'autre  permanente.  I>e  refuge 
temporaire  est  le  premier  séjour  de  tons  les  individus  qu'ad- 
met la  société:  il  est  le  seul  pour  ceux  qu'elle  espère  récon- 
cilier avec  leurs  familles,  ou  encore  pour  ceux  qui  y  sont  pla- 
cés par  des  associations  charitables,  moyennant  une  légère 
rétribution  (7  schellings  par  semaine).  Ils  y  sont  tenus  à  l'a- 
bri des  mauvais  conseils  et  des  mauvais  exemples,  accoutu- 
més à  l'ordre  et  au  travail  :  ceux  qui  manquent  de  vêtemens  ou 
d'outils  en  sont  pourvus. 

Quant  aux  imlividus  dont  la  Société  prend  à  ses  frais  l'en- 
tretien, après  que  leur  caractère  a  été  suffisamment  étudié , 
ou  les  fait  passer  de  la  division  temporaire  à  la  division  per- 
manente. Dans  l'une  comme  dans  l'autre  l'enseignement  com- 
prend les  préceptes  religieux  et  moraux,  la  lecture  et  l'écri- 
ture, et  diverses  professions  indiistrielles.  (Celles-ci,  dans  la 
maison  des  hommes,  sont  celles  de  cordier,  tailleur,  cordon- 
nier et  relieur;  on  y  fait  aussi  tailler  des  allumettes,  éplucher 
du  lin  et  du  chanvre.  Les  femmes  sont  occupées  à  des  ouvra- 
ges domestiques  et  au  blanchissage  soit  pour  des  i-articuliers, 
soit  pour  plusieurs  établissemens  d'orphelins.  Les  récompen- 
ses en  u>age  consistent  ii  être  nommé  sous  -  surveillant  d'ime 
escouade  de  dix  personnes:  à  changer  un  travail  peu  lucratif 
contre  nu  autre  qui  l'est  davantage,  enfin  à  voir  porter  à  sa 
masse  un  sixième  du  produit.  S'il  faut  punir,  on  fait  asseoir 
le   délinquant  i'i   une  tnblc   {>nrticulière   dan-*  le  réfectoire  ef 


K'i   POLITIQUES.  87 

cr.ins  l'église,  ou  son  nom  et  sa  faute  sont  inscrils  -ni-  un  ta- 
bleau exposépubliqucnienl;  les  cas  plus  giavesentraînent  l'eni- 
prisotinement  solitaire  au  pain  et  à  l'eau;  les  cliàtinieus  cor- 
porels sont  absolument  interdits. 

Le  tems  du  séjour  dans  la  classe  permanente  est  fixé  à  deux 
années;  les  fdles  sont  ensuite  placées  comme  domestiques,  et 
les  garçons  chez  des  maîtres  ouvriers.  Mais  la  Société  ne  les  perd 
pas  de  vue  dans  cette  nouvelle  condition;  elle  vient  à  leur 
secours,  s'ils  se  trouvent  dans  le  besoin  sans  qu'il  y  ait  de  leur 
faute. 

Les  faits  suivans  sont  la  meilleure  preuve  des  résultats  sa- 
lutaires de  cette  -prolongation  de  tutelle.  Trois  condamnés  à 
mort  graciés,  après  avoir  fait  un  séjour  dans  la  maison  de  re- 
fuge, exerçaient  à  Londres  un  métier  honnête  et  productif; 
mais  sur  la  nouvelle  ([ue  des  emplois  de  sous-surveillans  s'y 
trouvaient  vacans,  ils  vinrent  se  présenter,  demandèrent  avec 
instance  que  ces  emplois  leur  fussent  confiés,  et  ils  les  occupent 
encore  aujourd'hui.  —  Chaque  année  un  repas  est  donné  dans 
la  division  des  femmes  à  toutes  celles  qui  en  font  partie;  les 
anciennes  pensionnaires  viennent  aussi  y  prendre  part.  En 
1822  ,  trente-six  d'entre  elles  y  assistèrent;  elles  déclarèrent 
hautement  devoir  leur  bonne  conduite  et  leur  bien-être  ac- 
tuel au  séjour  qu'elles  avaient  fait  dans  la  maison  ,  et  s'impo- 
sèrent en  sa  faveur  une  contribution  qui  monta  à  10  livres 
sterling  5  schellings.  L'année  suivante  la  même  collecte  fut 
renouvelée,  et  offrit  1 1  liv.  sterl.  6  schellings. 

Ces  deux  établissemens,  depuis  i8o5,  époque  de  leur  fon- 
dation,  jusqu'au  1"  janviei'  1826,  c'est-à-dire  pendant  une 
période  de  vingt  ans,  ont  reçu  dans  leurs  nmrs  2,974  person- 
nes, savoir:  1,021  hommes  et  1, 655  femmes, qui  vraisembla- 
blement sans  leurs  secours  auraient  été  perdus  à  jamaii  : 

Nous  ne  saurions  faire  ici  l'énuméralioud'uneassez  grande 
quantité  de  fondations  analogues,  telles  que  V Asile  de  fVest- 
minster,  V Asile  deSurrey,  la  Maison  de  refuge  de  Dublin,  etc. 
Toutes  ont  confirmé,  ce  que  d'ailleurs  on  pouvait  prévoir,  que 
pour  obtenir  des  succès  réels  ce  n'est  pas  aux  criminels  âgés 


«y  SCIENCES  MORALES 

et  emlunis  qu'il  l'aut  s'adresser,  mais  aux  jeunes  gens,  plus 
souvent  comiables  par  légèreté  que  par  corruption.  Aiuisi  les 
institutions  anglaises  en  laveur  dei^  libérés  se  sont-elles  géné- 
ralement transfoimées  en  institutions  pour  les  jeunes  délin- 
qivans. 

A  ces  dernières  se  rattachent  naturellement  celles  on  l'on 
recueille  lesenfans.  Si  leurs  Ames  encore  tendres  sont  plus  ai- 
sées à  façonner,  l'œuvre  dont  ils  sont  l'objet  est  aussi  d'autant 
plusimportan  te  qu'ils  ont  devanteux  une  carrière  longueà  par- 
courir, dont  les  preujiers  pas  sont  décisifs.  Dès  l'année  1788, 
se  forma  à  Londres  par  les  soins  du  philantrope  Robert 
Young  une  association  en  faveur  des  enfans  malfaiteurs  ou 
lîls  de  malfaiteurs  :  l'établissement  créé  par  cette  association 
(TJie  plùlaniropic  Society  for  the  prévention  of  crimes  by  the 
addmission  of  tlic  offspring  of  convicts  and  for  the  reformalion 
of  criminal  poor  c/iildrcn)  renferme  aujourd'hui  200  enfans 
des  deux  sexes,  divisés  en  trois  classes. —  La  première,  com- 
posée des  enfans  malfaiteurs,  est  placée  dans  le  bâtiment 
nommé  la  Reforme  :  là,  sons  la  direction  d'un  ecclésiastique, 
ils  reçoivent  un  enseignement  moral  et  intellectuel;  et,  de 
pins,  ils  apprennent  à  raccommoder  des  vêtemens  et  des  chaus- 
sures. De  cette  classe,  où  leurs  parens  ne  peuvent  les  visiter 
qu'une  fois  en  trois  niois,  ils  ne  passent  dans  la  seconde  que 
lors(|u'on  les  juge  sufllsamment  corrigés.  —  La  seconde  classe. 
In  Manufacture,  reçoit,  outre  les  enfans  dont  nous  venons  de 
parler,  ceux  de  pères  criminels,  pour  lesquels  on  redoute  l'in- 
fluence du  mauvais  exemple  ou  de  l'abanden.  Ils  sont  occu- 
pés dans  des  ateliers  à  difl'érens  métiers  enseignés  par  des  maî- 
tres- —  La  même  subdivision  n'.ijant  pu  être  établie  dans  la 
troisième  classe,  celle  des  fdles,  on  n'y  admet  que  des  enfans 
non  coupables  de  parens  condamnés,  ou  quelquefois  aussi  de 
très-jeunes  fdlesqui  n'ont  à  se  reprocher  qu'une  faute  légère. 
Elles  sont  instruites  dans  les  travaux  de  leur  sexe  et  placées 
souvent  comme  domestiques. 

Des  établissemens  du  même  genre  existent  ilans  plusieurs 
parties  de  l'Angleterre  et  de  l'Irlande,  en  Amérique,  à  Part^ 


ET  POLITIQUES.  85) 

(Maison  de  refuge  pour  les  jeunes  prisonniers),  à  Suashourg-, 
Berlin,  Kœnigsberg,  Weimar,  Posen,  etc. 

En  nous  occupant  successivement  des  institutions  fondées 
on  laveur  des  jeunes  délinquans,  puis  des  enfans  malfaiteurs 
ou  nés  de  malfaiteurs,  nous  sommes  arrivés  à  toucher  au 
plus  grave  sujet  qui  puisse  réclamer  les  méditations  des  amis 
de  l'humanité,  savoir  :  les  mesures  propres  à  prévenir  les  dés- 
ordres auxquels  la  prison  sert  de  répression.  C'est  ici  surtout 
que  se  trahit  l'impuissance  de  la  prévoyance  individuelle; 
c'esl  ici  que  les  esprits  les  plus  prévenus  ne  peuvent  s'empè- 
eher  die  reconnaître  l'immense  lacune,  tranchons  le  mot,  la 
complète  nullité  de  l'éducation  sociale  actuelle ,  comparée 
même  à  celle  des  siècles  grossiers  où  la  prédication,  la 
confession,  où  toutes  les  institutions  du  catholicisme  dans 
.sa  vigueur,  formaient  un  ensemble  systématique  d'éduca- 
tion adapté  à  l'état  des  mœurs.  Mais,  si  nous  entrions  dans 
celte  voie,  il  ne  s'agirait  de  rien  moins  que  de  faire  sentir 
combien  l'éducation  que  reçoivent  aujourd'hui  les  hommes 
les  approprie  mal  au  rûle  qu'ils  sont  appelés  à  jouer  dans  la 
société,  combien  d'erreurs  et  de  déceptions  elle  leur  prépare, 
et  de  montrer  qu'un  nouveau  système  d'éducation  ne  peut 
s'élever  que  d'un  corps  de  doctrines  homogènes  comme 
l'étaient  celles  dont  nous  voyons  finir  le  règne.  Nous  nous 
contenterons  donc  de  suivre  M.  Julius  dans  l'indication  de 
quelques  établissemens  liés  immédiatement  aux  maisons  de 
détention ,  puisqu'ils  sont  destinés  à  combattre  les  causes  qui 
contribuent  incessamment  à  les  peupler. 

Selon  lui,  ces  causes  qui  fiappent  tous  les  esprits  sont  de 
trois  sortes  :  l'immoralité,  l'ignorance  et  l'irréligion,  monstre 
à  triple  tête,  qui  n'habite  point  l'enfer  des  prisons  pour  en  dé- 
tendre l'entrée,  mais  pour  y  précipiter  chaque  jour  de  nou- 
velles victimes. 

L'immoralité  et  les  passions  qu'elle  met  en  jeu  se  manifes- 
tent plus  particulièrement  che?.  les  hommes  par  des  actes  de 
violence  que  le  sentiment  de  la  disproportion  illégitime  des 
fortunes  dirige  surtout  aujourd'hui   contre  le  droit  de  pro- 


90  SCIENCES  MORALES 

priété;  chez  les  fenunes,  c'est priticipalementpar  le  liberlinaj^e. 
■ —  Les  moyens  prôveiilifs  employés  contre  la  première  es- 
pèce de  désordres  -ont  les  institutions  dont  nons  avon«-  paiié 
ponr  la  refoimc  de^  jennes  malfnilenrs,  la  destruction  dt-^  dé- 
pôts de  reLèlenicnt ,  l'abolition  ûc^  luleries  et  jeux  de  hasard, 
la  répression  du  vagabondage  et  de  la  mendicité,  la  punition 
des  cruautés  exercées  envers  les  animaux,  etc. — Les  fonda- 
lions  de  Sainte-Madeleine  ont  pour  objet  de  s'opposer  aux 
dérèglemens  des  l'euîmes.  La  plus  ancienne  maison  de  ce 
genre  est  VHôpital  de  la  Madeleine  ,  érigé  à  Londres  en  i  ^58. 
Les  fdles  repenties,  après  un  noviciat  qui  dure  deux  mois  et 
qui  s'écoule  dan-  l.i  solitude,  passent  successivement  par  une 
classe  d'épreuve,  puis  par  une  classe  éprouvée  ;  pendant  ce  lems. 
elles  reçoivent  une  instruction  morale,  et  font  l'apprentissage 
d'une  profession;  le  produit  de  leur  travail  est  accumulé  dans 
leur  intérêt;  et,  à  leur  sortie  de  l'établis-enient,  elles  sont  pla- 
cées par  les  soins  des  administrateurs.  Depuis  le  lo  juil- 
let i^ôS,  époque  de  la  fondation,  jusqu'au  5i  décembre  1826. 
on  y  avait  entretenu  5,585  personnes,  dont  le  sort  se  trouvait 
fixé  de  la  manière  suivante  : 

Placées  ou  réconciliées  avec  leurs  familles.   .    .   .  0,624 

Aliénées  ou  atteintes  de  maux  incurables io4 

Mortes. 98 

Sorties  volontairement 8^8 

Renvoyées  pour  cause  de  mauvaise  conduite.   .   .  ôgS 

Échappées  de  la  maison 2 

Habitant  aujourd'hui  l'établissement 80 

r).5S5. 

Londres  possède  encore  une  institution  analogue,  fondée 
en  1807  ( '^'^  London  fcmale  peniteniiar^-).  Il  en  existe  une  à 
Edimbourg,  une  à  Bath,  cinq  à  Dublin,  dont  la  plus  ancienne 
est  de  1766.  Il  >e  trouve  .1  Hand)ourg  un  établL-semeut  de 
Madeleines .  et  .1  Pari-j  une  Maison  de  Refuge,  dite  dn  Bot» 
rnsieur. 


ET  POLITIQUES.  gr 

Les  fondations  tlonl  nous  venons  de  parler  onl  principale- 
ment pour  objet  d'oflVir  nn  asile  aux  filles  qui  se  présetitent 
fatiguées  du  vice .  et  disposées  à  rentrer  dans  le  chemin  de  la 
vertu.  Une  association  ([ue  nous  devons  citer  fait  plus  encore; 
elle  va  les  chercher  jusciiie  dans  les  repaires  où  se  cache  lein- 
infamie.  Les  membres  de  la  Sociêfé  pour  la  Consenatinn  de  la 
Morale  publique  (the  Guardian  Society  and  asyluni  for  the 
préservation  of  public  morals  )  non-seulement  ont  ouvert  une 
maison  pour  y  lecevoir  ces  malheureuses  ,  mais  ils  onfélé  les 
rechercher  dans  la  grande  maison  de  travail  de  Londres  (city 
Bridewell)  ;  ils  ont  pénétré  dans  les  demeures  des  ignobles 
créatures  qui  exploitaient  leur  misère  et  leur  déshonneur; 
quelquefois  ils  ont  poursuivi  celles-ci  devant  les  tribunaux; 
et,  avec  le  secours  des  lois,  ils  onl  eu  la  satisfaction  de  parve- 
nir à  leur  arracher  leur  proie. 

Nous  ne  nous  étendrons  pas  sur  les  associations  dont  le  but 
est  de  dissiper  l'ignorance  populaire  :  elles  sont  aujourd'hui 
extrêmement  multipliées,  et  particulièrement  dans  notre  pays  : 
il  en  e.st  pour  propager  l'enseignement  élémentaire,  les  con- 
Baissances  usuelles  [ihe  Socieîy  for  the  diffusion  of  useful 
knowledge)  les  professions  mécaniques  [mecanics  institutions) 
des  Bibliothèques  ambulantes  [Itiitrrant  Parisli  libraries,  etc. 

Quant  aux  associations  contre  l'irréligion,  nous  nous  bor- 
nerons à  citer  les  Sociétés  bibliques  et  celles  des  missions,  qui, 
par  l'abondance  de  leurs  revenus  et  l'étendue  de  leur  sphère 
d'activité,  comparées  à  toutes  ks  autres,  attestent  la  puissance 
supérieure  du  sentiment  religieux;  mais  n'attestent-elles  pas 
mieux  encore ,  pour  les  hommes  dont  le  regard  sait  se  porter 
vers  l'avenir,  tous  les  prodiges  que  ce  sentiment  pourra  opé- 
rer, lorsque,  dépouillant  des  formes  arriérées,  il  ne  se  présen- 
tera plus  devant  la  raison  que  pour  puiser  en  elle  de  nouveaux 
élémens  de  grandeur? 

Nous  voici  parvenus  au  terme  de  la  tâche  que  nous  avion? 
entreprise,  celle  de  faire  connaître,  au  moins  dans  ses  parties 
essentielles,  le  beau  travail  de  M.  Julius.  Ainsi  qu'on  a  pu  le 


j)j  SCIENCES  MORALES 

voir  dans  le  cours  de  cette  analyse,  nous  ne  partageons  pas 
toujours  la  confiance  de  l'auteur  dans  des^  rélormes  particu- 
lières aux  établissemens  de  détention;  les  réformes,  selon 
MOUS,  pour  être  efficaces  aujourd'hui,  doivent  porter  sur  les 
relations  sociales  elles-niênics.  Mais  nous  croyons  avoir  ap- 
précié comme  il  le  mérite  un  tableau  historique  plein  d'inté- 
rêt, des  recherches  statistiques  consciencieuses  et  soignées, 
des  vues  intelligentes  et  généreuses;  nous  croyons  en  un  mot 
avoir  justifié  le  désir  que  nous  exprimons  en  terminant,  que 
cet  ouvrage  soit  mis  en  entier  à  la  portée  des  lecteurs  fran- 
çais par  une  bonne  traduction. 

H,C. 


WVWVWVWVWM 


MoNtMRNS  ARABES,  PERSANS  ET  TURCS  (lu  Cabinet  de  M.  le  duc 
DE  Bi.ACAs,  et  d'autres  cabinets^  considérés  et  décrits  d'après 
leurs  rapports  avec  les  croyances ,  les  mœurs  et  C histoire  des 
nations  musulmanes  ;  par  M.  Keinacd,  employé  au  Cabinet 
des  manuscrits  orientaux  de  la  Bibliothct/ue  du  Roi,  mem- 
bre de  la  Société  asiatique  de  Paris,  etc.  (i). 

«Cet  ouvrage  n'est  pas  de  nature  à  satisfaire  seulement  les 
savans  et  les  personnes  qui,  par  étal  ou  par  goût,  sont  vouées 
aux  études  orientales;  nous  espérons  qu'il  conviendra  égale- 
mcJit  aux  amateurs,  aux  curieux,  à  tous  ceux  qui  ont  appli- 
qué leur  esprit  à  l'histoire  des  croyances,  des  mœurs  et  des 
usages  des  divers  peuples  de  la  terre.  » 

C'est  par  cette  phrase  (jue  l'auteur  termine  V Introduction 
ou  Préface,  dans  laquelle  il  s'est  elTorcé  de  donner  une  idée 
de  son  travail;  et  je  m'empresse  de  déclarer  qu'en  effet  il  est 
peu   d'ouvrages    oTi   l'on   puisse,   recueillir    des    notions  plus 

(i)  Paris,  1S29;  Dondcy-Diipré.  2  vol.  in-S",  imprimés,  par  autorisa- 
tion du  Roi,  à  l'iiDprimL'i  ie  n.yalc;  |)rix,  18  fr.,  [)a]>ier  f>rdinaire;  et 
5o  fV.,  papier  vélin. 


ET  POLITIQUES.  95 

exactes  sur  les  anliriiiilés.  l'hi.'^toire,  les  opinions  loligioiises  et 
même  politiques  des  musulmans.  Pour  une  pareille  publica- 
tion, les  circonstances  paraissent  favorables  :  nous  touchons 
à  une  époque  où  des  irftérêts  de  plus  d'un  genre,  des  rela- 
liont=;  multipliées,  nous  feront  un  devoir  de  mieux  connaître 
les  peuples  soumis  à  l'islamisme.  Les  portes  de  l'Orient  sont 
ouvertes  ;  et  désormais,  les  communications,  il  faut  le  croirr 
du  moins,  deviendront  plus  faciles  et  plus  fréquentes  entre 
les  peuples  de  l'Europe  et  ceux  de  l'Afrique  et  de  l'Asie. 

L'ouvrage  avait  paru,  l'année  dernière,  sous  un  titre  q-ii 
n'annonçait  qu'une  simple  description  des  monumens  musul- 
mans que  renferme  la  collectioa  de  M.  le  duc  de  Blacas. 
L'auteur  vient  de  réformer  ce  titre;  et  celui  qu'il  y  a  substi- 
tué indique  mieux  ce  que  contient  le  livre  :  on  en  jugera  par 
l'aperçu  que  je  vais  présenter  de  toutes  les  matières  qui 
entrent  dans  sa  composition. 

Expliquons  d'abord  ce  que  l'auteur  a  entendu  par  ce  mot 
MOXfMExs.  Ce  ne  sont  ni  des  palais,  ni  des  mosquées,  ni  des 
tombeaux,  qu'il  explore  et  décrit;  mais  des  objets  de  petite 
dimension,  de  simples  meubles  qu'un  amateur  éclairé  a 
réunis,  non  sans  de  grandes  dépenses,  aux  collections  variées 
de  son  riche  et  précieux  cabinet.  Ces  petits  objets  méritent 
de  fixer  l'attention  des  érudils,  autant  et  peut-être  plus  que 
de  massifs  et  intransportables  édifices  :  les  inscriptions  dont 
ils  sont  couverts  fournissent  d'importantes  notions  sur  les 
moeurs  et  les  usages  de  l'Orient. 

Le  premier  volume  est  divisé  en  deux  parties  :  l'une  con- 
tient un  Traité  des  pierres  gravées  musulmanes.  On  y  voit  par 
quels  motifs  les  Musulmans  préfèrent,  pour  la  fabrication  de 
leurs  cachets,  les  pierres  fines  aux  métaux.  L'or,  dans  leur 
opinion,  annonce  le  luxe  que  proscrivait  Mahomet,  et  le  fer 
est  pour  eux,  on  ne  sait  pourquoi,  une  source  d'impureté  et 
de  souillures  ;  ce  qui  ne  les  empêche  point  d'aimer  beaucoup 
l'ormonnoyé,  et  d'employer  le  fer  en  armures  et  en  ustensi- 
les de  toute  espèce.  Quant  aux  pierres  fines,  ils  attribuent  à 
quelques-unes  d'étranges  vertus.  Le  rubis,  par  exemple,  for- 


.j4  SCIENCES  MORALES 

tifie  le  cœur,  gaiarilit  de  la  pesle  et  de  la  foudre;  l'éméraude 
passe  pour  un  excellent  spécifique  coutre  les  piqûres  des 
vipères  ;  le  diamant  guérit  de  la  colique,  etc.,  etc.  Ces  ridi- 
cules opinions,  ces  préjugés  sont  répandus  chez  tous  les  peu- 
ples de  l'Orient;  et  c'est  une  preuve,  entre  mille  autres,  de 
leur  ijjnorance  prolônde. 

On  ne  voit  point  ordinairement  sur  les  pierres  gravées  mu- 
sulmanes de  figures  humaines,  ni  même  de  figures  d'ani- 
maux. Mahomet,  à  l'exemple  du  législateur  des  Hébreux,  a 
proscrit  les  représentations  figurées  de  tout  ce  qui  respire,  de 
tout  ce  qui  a  une  âme.  Mais  les  artistes  musulmans  trouvent 
moyen  de  montrer  leur  talent  dans  les  ornemens  dont  ils  en- 
tourent les  inscriptions,  dans  les  enjolivemens,  quelquefois 
bizarres,  q\i'ils  adaptent  aux  lettres  de  l'écriture  arabe.  D'ail- 
leurs, ils  réussissent  très-bien  à  représenter  les  plantes  et  les 
fleurs,  qui,  pour  les  orientaux,  sont,  comme  on  sait,  un  lan- 
gage aussi  expressif  qu'agréable. 

La  seconde  partie  du  premier  volume  contient  d'excellentes 
notices  sur  les  personnages  dont  les  noms  Sf  trouvent  le  plus 
fré(|uemment  dans  les  inscriptions  arabes,  persannes  et  tur- 
ques. Des  motifs  qu'il  ne  fait  point  connaître  auront  sans 
doute  porlé  M.  îleiuatid  à  placer  ces  Notices  avant  l'explica- 
tion des  ins(  riptions,  qu'il  ne  donne  que  dans  la  troisième  par- 
tie de  son  ouvrage.  Je  suivrai  dans  cet  article  un  ordre  qui 
me  parait  plus  naturel,  et  m'occuperai  des  inscriptions  avant 
de  parler  des  personnages  qui  y  sont  mentionnés. 

L'usage  des  sceaux,  des  cachets,  des  anneaux  ,  des  boucles- 
d'oreille,  est  de  la  plus  haute  antiquité  en  Orient.  Combien  ne 
trouve-t-on  pas  de  ces  objt!ts  dans  les  hypogées  de  l'Egypte 
et  sur  les  momies  même.  Le  plus  ancien  de?  livres  que  ren- 
ferme la  Bible  oiVrc  une  preuve  que,  dés  le  tems  des  patriar- 
ches, l'an^ieau  était  le  signe  du  pouvoir  souverain.  Quand 
Pharaon  transmet  à  l'Hélueu  fils  de  Jacob  ime  grande  par- 
tie de  sa  puissance,  il  lui  met  au  doigt  son  anneau  (i).  Au- 

(i)  TulUquc  itiinuliiDi  de  munu  siiâ,  et  dcdit  in  matin  ejits.  Geii.  xli,  /^t. 


Eï  POLITIQUES.  95 

jourd'hui  encore  les  Miisiilnian.s  n'apposent  point  aussi  fré- 
quemment que  nous  le  faisons  leurs  signatures  au  bas  des 
actes  les  plus  importans,  ni  même  de  leurs  lettres  particuliè- 
res :  l'empreinte  de  leur  cachet  équivaut  ù  une  signature,  que 
souvent  ils  ne  saunient  pas  tracer. 

Au  lieu  de  figures  d'êtres  animés  et  d'armoiries,  les  sceaux 
ou  cachets,  et  en  général  toutes  les  pierres  gravées  en 
Orient,  portent  des  inscriptions  tirées  pour  la  plupart  du  Co- 
ran, et  quelquefois  aussi  de  tel  ou  tel  poète  célèbre.  C'est, 
comme  je  l'ai  dit,  à  l'explication  de  ces  légendes  que  M.  Uei- 
naud  consacre  la  troisième  partie  de  son  ouvrage,  c'est-à- 
dire  tout  le  second  volume.  Savant  orientaliste,  il  a  pu  en 
donner  non-seulement  le  texte  exact,  mais  la  traduction;  at- 
taché à  la  bibIiolhè(|ue  ,  dans  le  département  des  ma- 
nuscrits orientaux  (et  il  s'occupe  en  ce  moment  à  les  classer 
et  les  cataloguer) ,  il  lui  a  été  plus  facile  de  retrouver  et  d'in- 
diquer 1(^5  sources  de  ces  divers  passages  ou  fragmens  d'écrits 
qui  sont  tantôt  en  vers,  tantôt  en  prose;  et ,  comme  ils  font 
le  plus  souvent  allusion  à  quelque  dogme  religieux,  ou  ii  quel- 
que usage  que  l'auteur  ne  néglige  jamais  de  faire  connaître, 
il  en  résulte  quecettepurtie  de  l'ouvrage,  où  l'érudition  était  si 
nécessaire,  n'en  est  pas  moins  intéressante  sous  les  rapports 
historiques,  politiques  et  moraux. 

Les  Musulmans  ne  pouvant,  sans  enfreindre  la  loi ,  obéir  à 
ce  penchant  si  naturel  à  l'homme  qui  le  porte  à  retracer  sur 
quelque  matière  solide  et  durable  les  scènes  fugitives  de  la 
vie.  les  rêves  même  qui  remplissent  son  imagination;  ne  pou- 
vant même  exprimer,  par  des  figures  emblématiques,  les  pen- 
sées qui  les  occupent  le  plus  vivement,  il  a  bien  fallu  que, 
pour  manifester  leurs  pensées  les  plus  intimes,  leurs  senti- 
mens,  leurs  passions,  ils  eussent  recours  à  l'éciiture,  quelque 
froid  et  imparfait  qu'a  dû  paraître  à  des  hommes  aidens,  natu- 
rellement poètes,  ce  mode  de  communication  avec  leurs  sem- 
blables. Ils  en  ont  usé  et  même  abusé  peut-être  :  des  inscrip- 
lions  couvrent  les  murs  de  leurs  mosquées,  tant  à  l'extérieiu' 
que  dans  l'intérieur,  aii.si  que  les  murs  des  monumens  publics, 


(jG  SCIENCES  MORALES 

«les  palais.  Elles  sont  célèbres,  ou  du  moins  bien  connues,  celles 
qu'on  lit  flans  les  uiagniiHjues  salles,  dans  les  bains,  sur  les  fon- 
taines de  ce  vieux  et  superbe  Alhamhra,  édifice  inimitable,  té- 
moignage éternel  du  génie  des  Maures.  Au  milieu  des  fleurons 
el  d'une  multitude  d'ornemens  variés  et  du  goût  le  plus  délicat, 
on  y  voit  tracées  des  inscriptions  ou  gracieuses  ou  morales  ; 
mais  aucune  ne  l'est  plus  souvent  que  celle-ci  :  «  Dieu  est  grand; 
• — il  n'y  a  de  Dieu  que  Dieu.»  On  sait  que  tout  bon  Musulman 
doit  l'avoir  sans  cesse  à  la  bouche.  Telles  étaient  aussi  les  in- 
scriptions que  nos  savans  de  l'expédition  d'Egypte  ont  vues  sur 
les  monumens  construits  depuis  l'IIégire;  inscriptions  dont  l'un 
d'eux  (M.  Marcel)  a  donné  l'explication  dans  plusieurs  Mé- 
moires (i). 

Quoique  les  monumens  décrits  par  M.  Reinaud  soient  d'un 
tout  autre  genre,  les  inscriptions  qu'il  explique  ont  une  grande 
analogie  avec  celles  qui  couvrent  les  édifices  et  les  grands  mo- 
numens. Dans  les  unes,  comme  dans  les  autres,  dominent  un 
sentiment  religieux  et  souvent  même  un  ton  de  mysticité 
qu'approuveraient  sans  doute  nos  dévots  chrétiens  les  plus 
austères.  Les  plus  remarquables,  celles  qui  plairont  aux  hom- 
mes modérés  et  sages,  quels  que  soient  leur  culte,  leur  secte, 
sont  tirées  du  Coran  ;  celle-ci ,  par  exemple  :  «  Dieu  est  le  seul 
Dieu,  le  Dieu  vivant  et  éternel.  Le  sommeil  n'approche  point 
de  lui.  A  lui  appartient  ce  qui  est  au  ciel  et  sur  la  terre.  Qui 
pourrait  intercéder  auprès  de  lui  sans  sa  volonté?  Il  sait  ce 
qui  était  avant  le  monde ,  et  ce  qui  sera  après.  Nul  ne  possède 
de -la  science  que  ce  qu'il  veut  bie/i  accorder.  Son  trône  em- 
brasse le  ciel  et  la  terre;  et  il  les  conserve  l'un  et  l'autre  sans 
efforts.  Lui  seul  est  grand  et  sublime.» 

Le  Coran  contient  vingt  autres  définitions  de  Dieu,  plus 
magnifiques,  plus  poétiques  :  on  les  retrouve  en  grande  par- 
lie  dans  les  inscriptions  des  pierres  gravées;  et  c'est  là  que  l'on 
peut  se  convaincre  de  l'esprit  religieux  (jui  anime  tous  les  Mu- 
sulmans. Mais  dans  quelques-unes  se  montrent  aussi  leur  fa- 


(')   ^oy.    Pala'Ographic  nrnl/i,  par  J.  >1.   Marcel;    Paris,    1828.    1   vol, 
in -loi. 


ET  POLITIQUKS.  tj^ 

natlsme,  leur  haine  invétérée  coiilre  les  peuples  cpii  ont  une 
autre  cnnancc  ,  un  autre  culte. 

Les  maximes  morales  sont  dans  TOiicnt  ce  qu'elles  doivent 
être  chez  tous  les  peuples  civilisés.  La  morale  est  partout  la 
même.  Fuir  les  vices  qui  portent  atteinte  à  la  société;  aider, 
secourir  ses  semblables  :  tels  sont  les  préceptes  qu'on  lit  à 
chaque  page  du  Coran,  et  que  l'on  retrouve  sans  cesse  dans 
les  inscriptions  musulmanes. 

C'est  encore  le  Coran  qui  fournit  les  inscriptions  que  gra- 
vent les  Musulmans  sur  leurs  armes,  sur  leurs  vases,  leurs 
meubles  de  toute  espèce.  Sur  tel  sabre  on  lit  ce  passage  :  «  Le 
secours  vient  de  Dieu,  et  la  victoire  est  proche;  annonce  cette 
bonne  nouvelle  aux  croyans  ;  »  sur  un  poignard  :  «  Que  Dieu 
nous  soit  en  aide;  »  sur  des  étendards,  cet  autre  passage  du 
même  livre  sacré  :  «  Assurément  nous  t'avons  accordé  une 
victoire  illustre  ;  Dieu  t'a  pardonné  tes  péchés  passés  et  futurs, 
afin  d'accomplir  sa  tâche  sur  toi,  de  te  diriger  dans  la  voie 
droite  et  de  t'aider  d'un  puissant  secours.  »  Ces  paroles  sont 
celles  que  Mahomet  prononça,  lorsqu'il  entra  triomphant  h  la 
Mecque.  De  semblables  légendes,  que  l'on  retrouve  partout, 
annoncent  une  foi  vive  et  constante;  et  telle  est  celle  de  tous 
les  sectateurs  de  l'Lslamisme. 

La  superstition  est  la  compagne  inséparable  de  l'excessive 
piété.  Les  Musulmans  doivent  croire  et  croient  fermement  à 
la  magie,  à  l'astrologie  ,  à  l'art  de  la  divination  par  divers  pro- 
cédés mystérieux.  L'Orient,  au  reste,  a  toujours  été  le  ber- 
ceau des  plus  absurdes  croyances  :  c'est  de  là  qu'elles  sont  soi*- 
ties  pour  envahir  le  monde;  rien  d'étonnant,  si  c'est  encore 
là  que  prospèrent  sans  contrariété,  sans  obstacle,  toutes  les 
fables,  les  superstitions,  qui  ont  si  long-tems  contribué  à  l'a- 
brutissement de  notre  Europe  ;  dont  nous  ne  commençons  que 
d'hier  à  nous  délivrer,  et  difficilement  encore;  qui  peuvent  re- 
paraître parmi  nous,  pour  peu  que  l'ignorance  se  perpétue,  se 
propage,  pour  peu  que  l'on  continue  de  proscrire  l'esprit 
d'examen,  ou  pour  mieux  dire,  la  philosophie. 

Parmi  tous  les  instrumens  de  magie,  les  plaques  talismani - 

T.    XÏ.VII.    JUILLET    l83o.  7 


98  SCIENCES  x^lOIl\LES 

que*,  les  vases,  les  coupes,  les  miroirs  dont  M.  Reinaud 
donne,  dans  son  livre,  la  description,  l'explication  et  souvent 
la  gravure ,  il  est  un  objet  qui,  plus  que  les  aulres,  m'a  paru 
mériter  l'attention  :  c'est  une  coupe  en  métal,  d'une  assez 
grande  dimension,  et  qui  occupe  les  planches "v  et  vi.  On  sait 
que  les  coupes,  dès  les  lenis  les  plus  anciens,  étaient  un 
ustensile  indi^pensable  pour  quiconque  faisait  métier  de  pré- 
dire l'avenir.  11  paraît  même,  d'après  la  Bible,  que  le  patriar- 
che Joseph  employait,  ou  du  moins  feignait  d'employer  une 
coupe  d'argent  pour  interpréter  les  songes  du  Pharaon  d'E- 
gypte, et  pour  toutes  ses  autres  prédictions.  C'est  du  moins 
ce  que  fait  entendre  très-clairement  un  passage  de  la  Ge- 
nèse (i).  La  coupe  que  décrit  M.  Reinaud  était  certainement 
employée  à  un  usage  analogue.  C'est  un  talisman  qui  doit 
préserver  le  possesseur,  moyennant  quelques  cérémonies  qui 
ne  sont  pas  indiquées,  de  plusieurs  accidens  ou  maladies  dont 
on  voit  l'énimiération  inscrite  en  arabe  sur  les  bords.  Voici 
l'inscription  :  «  Ce.lalisman  béni ,  digne  de  figurer  parmi  les 
trésors  des  rois,  sert  contre  toutes  les  espèces  de  poison;  il 
réunit  une  foule  d'avantages  constatés  par  l'expérience.  On 
l'emploie  utilement  contre  les  piqûres  des  serpens  et  des  scor- 
pions, contre  la  morsure  des  chiens  enragés,  contre  la  fièvre, 
les  douleurs  de  l'enfanlenient,  le  mauvais  lait  des  nourrices, 
les  douleurs  d'entrailles,  les  coliques,  la  migraine,  les  bles- 
sures, les  sortilèges  et  la  dyssenterie.  »  L  intérieur  de  la  coupe 
est  entièrement  rempli  d'inscriptions  tirées  du  Coran,  et  con- 
tenues dans  des  espèces  d'écussons,  qui  rappellent  un  peu  les 
Cartouches  des  hiéroglyphes  égyptiens.  Plusieurs  de  ces  écus- 
sons  renferment,  ou  du  moins  paraissent  renfermer  aussi  quel- 
ques informes  représentations  d'êtres  animés.  Ainsi  les  artis- 
tes musulmans  contreviennent  quelquefois  à  la  loi  de  proscrip- 
tion lancée  par  le  prophète  contre  les  représentations  de  cette 
espèce. 


(i)  Chap.  XLiv,  V.  5.  —  La  coupe  que  Joseph  fit  mettre  dans  !e  sac  de 
l.lé  de  Benjamin,  son  frère,  était  la  coupe  qui  lui  servait  dans  ses  pro- 
pliùlirs. 


i:i    FOLITIQLES.  yy 

■On  voit  aussi  de»  figures  d'êlres  auimés  sur  uu  miroir  hicn 
plus  curieux  encore  que  cette  coupe ,  et  qui  tenait  de  même 
aux  sciences  occultes  en  si  grand  crédit  chez  les  orientaux. 
M.  Reinaud  croit  que  ce  miroir  a  été  fabriqué  vers  la  fin 
du  xm"  siècle  de  notre  ère.  La  surface  ne  porte  aucune  in- 
scription; il  n'en  est  pas  de  même  du  côté  opposé  :  sur  une 
bande  qui  en  fait  le  tour,  on  lit  d'abord  ces  mots  :  «par  le 
grand  nom  de  Dieu...  talisman,  »  Au  milieu  est  une  espèce  de 
chat-huant,  les  ailes  déployées;  autour,  dans  des  bandes  pla- 
cées l'une  au-dessus  de  l'autre,  sont  les  figures  des  planètes 
et  des  signes  du  zodiaque  «Les  planètes  sont  représentées 
deux  fois  :  la  première  fois,  elles  sont  sous  la  forme  de  sim- 
ples bustes  et  privées  de  leurs  attributs;  la  seconde,  elles  sont 
groupées  avec  les  signes  du  zodiaque;  ce  qui  donne  à  ces  der- 
niers un  caractère  astrologique.»  Ainsi  parle  M.  Reinaud;  et 
il  s'efforce  ensuite  de  rendre  raison  des  modifications  appor- 
tées par  les  Musulmans  aux  figures  ordinaires  du  zodiaque. 
Celte  partie  de  son  ouvrage  a  dû  lui  coûter  beaucoup  de  re- 
cherches et  d'études.  Le  monument  méritait  l'intérêt  d'un 
auteur  qui  s'est  fait  un  devoir  de  tout  expliquer.  Ce  ne  pour- 
rait être  que  dans  une  dissertation,  qui  serait  ici  déplacée, 
qu'il  conviendrait  d'examiner  si  les  opinions  qu'il  émet  sont 
incontestables  :  aussi  ne  veux-jeconsidéror  ce  miroir  que  sous  le 
rapport  de  l'art  ;  et  j'observerai  que  l'on  ne  saurait  imaginer 
rien  dfe  plus  grossièrement  dessiné  que  les  figures  du  zodiaque  ; 
qu'elles  sont  une  preuve  sans  réplique  de  l'inexpérience  des 
artistes  musulmans  dans  la  représentation  des  êtres  animés. 
Mais  il  faut  répéter  que,  dans  les  figures  des  plantes,  dans 
ces  ornevfflens  bizarres  que  l'on  quaViùe  xVarahesrfues,  ils  ne  se 
montrent  pas  sans  génie,  ni  sans  goût. 

Il  me  tardait  d'arriver  ù  la  partie  de  l'ouvrage  où  l'auteur, 
par  d'excellentes  Notices  puisées  dans  une  foule  de  manu- 
scrits orientaux,  nous  fait  connaître  l'opinion  des  Musulmans 
sur  im  grand  nombre  de  personnages  dont  l'histoire  et  les  reli- 
gions les  plus  répandues  dans  le  monde  ont  consacré  les  noms. 


,u..  SCIKNCF.S  MORALES 

(>'('-lail  un  .ippemJicc  ni-cossaire  an  tablonii  de  la  rroyance  re- 
li"-ieuscdes>  peuples  qui  professent  l'islamisme.  11  a  divisé  celle 
pallie  de  son  travail  en  trois  sériions  :  dans  deux  sections,  il 
passe  en  revue  les  personnages,  dont  les  uns  ont  précédé  el 
les  autres  suivi  Malioniel.  Dans  la  seconde  section,  Mahomet 
comparaît  seul  ;  elle  est  entièrement  remplie  par  l'histoire  du 
prophète  législateur. 

Les  Musulmans  ont  ajouté  bien  des  fables  aux  évènemens 
(le  la  vie  des  personnages  qui  figurent  dans  notre  Bible.  Il  y 
a  plus  :  ils  .Mil  placé  au  nombre  de  ces  personnages  des  hom- 
mes que  la  Bible  ne  mentionne  nullement  ;  ils  lenr  attribuent 
des  aventures,  quelquefois  très-singulières,  et  qu'ignorent  en- 
tièrement les  juifs  et  les  chrétiens.  Mais  il  fallait  bien  que  ces 
aventures  fussent  universellement  connues  au  tems  de  Ma- 
homet, puisqu'il  y  fait  allusion  dans  son  Coran.  Le  Talmud 
et  les  livres  des  Rabbins,  les  évangiles,  tant  vrais  que  faux,  qui 
circulaient  alors  dans  tout  l'Orient,  furent  sans  doute  les  sources 
de  toutes  les  opinions  singulières  qu'avaient  adoptées  les  peu- 
ples sur  les  patriarches  hébreux,  sur  Jésus,  ]\larie,  sur  les  apô- 
tres. Mahomet  n'avait  aucun  intérêt  à  détruire  ces  opinioîis; 
il  les  présentait ,  au  contraire,  comme  des  autorités  respecta- 
bles, lorsqu'elles  pouvaient  étaycr  le  nouveau  système  reli- 
gieux qu'il  voulait  imposer  à  sa  patrie.  Les  commentateurs  d& 
son  livre  sont  venus  ensuite,  qui  ont  corroboré,  par  des  fables 
encore  plus  bizarres,  celles  (pi'd  n'avait  que  légèrement  indi- 
quées. II  en  est  résulté  un  amas  de  légendes,  toutes  plus 
déraisonnables  les  unes  que  les  autres,  et  qui  rappellent  ces 
contes  des  Mille  et  une  ISuits,  où  se  manifeste  à  un  si  haut  de- 
gré la  vive  et  brillante  imagination  des  Arabes.  Citons  seule- 
ment quelques  exemples,  parmi  un  bien  plus  grand  nombre. 
Adam  est  pour  les  musulmans,  comme  pour  les  juifs  et  les 
chrétiens,  le  premier  homn)e,  le  père  du  genre  humain  ;  mais 
ils  ne  croient  pas  qu'après  avoir  été  chassé  du  Paradis  leiies- 
tre  il  eût  du  moins,  pour  se  consoler  un  peu  dans  un  si  grand 
malheur,  Eve,  sa  femme.  L'ange  du  Seigneur  le  jeta  dans  l'ilo 
de  Cevian,  et  Eve  fut  reléguée  sur  les  côtes  de  la  Mer-Uou£«'. 


T'T  l'OLIJlQLES.  10» 

Ce  lie  lui  que  (ieiix  cenls  ;ms  après  que  Dieu,  loiiclic  do  Itiir^ 
larmes,  consentit  à  les  réunir  dans  les  environs  de  la  Mecque. 
II  s'ensuivrait  de  là  que  ce  pays  si  révéré,  parce  qu'il  possède 
la  maison  sacrée,  la  fameuse  Caaba,  doit  l'être  encore, 
comme  le  berceau  du  genre  humain.  Au  reste,  ce  que  les 
chrétiens  ignorent,  Adam  était  un  prophète  ;  il  avait  sur  le 
front  le  rayon  lumineux  qui  depuis  brilla  sur  le  front  de 
Moïse. 

Après  Noc,  dont  ils  n'ont  pas  trop  défiguré  l'histoire,  les 
musulmans  citent  deux  prophètes  dont  il  n'est  point  parlé 
dans  la  Bible.  Ce  sont  Houd  et  Saleh.  Le  premier  alla  prêcher 
la  foi  à  des  Arabes,  géans  s'il  en  fut  jamais;  car  les  plus 
petits  avaient  soixapte  coudées;  mais  ils  ne  voulurent  point 
croire  au  Dieu  unique  qu'il  était  venu  leur  aiuioncer.  Saleh, 
l'autre  prophète,  alla,  dans  une  vallée  de  l'Arabie,  prêcher 
aussi  le  vrai  Dieu  à  une  autre  tribu  de  méchans  Arabes  qui 
se  moquèrent  de  lui.  En  vain,-  poiu-  les  convaincre  par  un 
miracle,  fit-il  sortir  des  flancs  d'une  montagne  une  chamelle 
prête  à  mettre  bas:  ils  tuèrent  la  chamelle  et  son  petit.  Il  est 
souvent  fait  mention  de  cet  événement  dans  les  écrits  des 
Orientaux,  qui,  lorsqu'ils  passent  près  de  la  montagne  où 
:?'opcra  le  prodige,  croient  encore  entendre  les  cris  du  cha- 
melon. 

iMais  le  patriarche  sur  la  vie  duquel  ils  semblent  avoir  pris 
plaisir  à  entasser  le  plus- de  fables,  c'est  Abraham,  qu'ils 
nomment  Ibrahim,  et  qui  est  chez  eux  en  grande  vénération. 
Certes,  dans  la  Bible,  l'hisloire  d'Abraham  est  fort  extraordi- 
naire; mais  c'est  bien  autre  chose  dans  le  Coran  et  dans  les 
commentaires  de  ce  livre.  A  l'âge  de  quinzemois,  Abrahamétait 
grand  comme  un  jeune  homme  de  quinze  ans  ;  et  il  pouvait 
se  nourrir  à  peu  de  frais;  car  il  n'avait  qu'à  sucer  ses  doigts. 
De  l'un,  il  tirait  un  lait  exquis  ;  de  l'autre,  le  plus  doux  miel. 
Plus  âgé,  il  alla  prêcher  les  habitans  de  lîabylone;  mais 
Nemrod,  leur  roi,  le  fit  jeter  dans  un  bûcher,  qui,  si  l'on  en 
croit  quelques  auteurs,  se  changea  en  un  parterre  de  roses. 
Mahomet  raconte  bien  le  miracde,  mais  sans  y  joindre  la  der- 
nière circonstance.  Voici  ce  qu'on  lit  dan- le  Cori'.o  :   <'Pour- 


n-2  SCIENCES  MOUALES 

«iioi  adorez-vous,  di.>;ait  Abialiam  aux  idolâtres,  des  simu- 
lacres impuissans  dont  vous  ne  pouvez  attendre  ni  bien,  ni 
mal?  Malheur  à  vous  et  aux  objets  de  votre  culte  !  N'ouvrî- 
rez-vous  point  les  yeux?  —  Bridez  l'impie,  s'écrièrent  les  ido- 
lâtres, et  défendez  vos  dieux.  — Nous  commandâmes  au  l'eu 
(c'est  Dieu  qui  parle)  de  perdre  sa  chaleur,  et  au  salut  de  des- 
cendre sur  Abraham  (i).  » 

Combien,  au  reste,  la  mémoire  d'Abraham  ne  doit-elle  pas 
être  eu  vénération  chez  les  musulmans.  Ils  croient  qu'il  a 
construit  de  ses  propres  mains  la  Caaba  (la  célèbre  maison 
sacrée  à  la  Mecque,  vers  laquelle  ils  se  tournent  dans  toutes 
leurs  prières),  et  que  son  fils  Ismaël  lui  apportait  les  niaté- 
jiaux,  à  mesure  que  s'élevaient  les  murs.  Aussi,  très-anté- 
rieurement au  tems  de  Mahomet,  les'Arabcs  faisaient  le  pèle- 
rinage de  la  31ecquc.  Ils  venaient  y  vénérer  la  mémoire 
d'Abraham  et  d'Ismaël.  «Ce  n'était  d'abord  qu'un  usage,  dit 
Savary  ;  ^Mahomet  le  consacra  par  des  cérémonies  religieuses, 
et  leur  en  fit  un  précepte  (2).  » 

Quant  à  un  autre  patriarche  non  moins  célèbre,  Joseph,  ou, 
comme  prononce  les  musulmans,  Jousfouf,  ils  ont  aussi  em- 
belli son  histoire,  déjà  si  intéressante  dans  la  Bible,  de  plu- 
sieurs traits  romanesques.  Suivant  eux,  Joseph  était  si  beau 
qu'aucime  femme  ne  pouvait  le  voir  sans  l'aimer;  ce  qui 
excuse  Textrême  passion  que  conçut  pour  lui  la  femme  de 
Putiphar,  dont  la  Bible  ne  donnait  point  le  nom,  mais  qu'eux 
ils  appellent  Zolclklia.  Comme  on  parlait  mal  d'elle  en  Egypte, 
et  que  les  femmes  du  pays  la  désapprouvaient  surtout  d'avoir 
donné  son  cœur  à  un  esclave,  elle  en  invita  quelques-unes  à 
venir  manger  chez  elle  des  grenades.  Toutes  ces  fenimes 
étaient  à  table  quand  .loseph  parut,  et  elles  furent  si  éblouies 
de  sa  beauté  que,  sans  songer  à  ce  qu'elles  faisaient,  elles  se 
coupèrent  les  doigts  au  lieu  des  grenades.  Celte  aventure  se 
trouve  représentée  dans  un  très-beau  manuscrit  persan  de  la 
Bibliothèque  du  Roi. 

^1)  Le  Coran.  Siirale,  xxi,  vers.  68  cl  siiiv. 
[y]  !.c  Cnrrin,  T.  11,  ['.  91   (à  !;<  p.olc). 


Eï  POLITIQUES.  io5 

Au  reste,  il  l'aut  bien  que  l'opinion  de  la  merveilleuse 
beauté  de  Joseph  ait  été  répandue,  au  moyen  âge,  ailleurs  que 
dans  l'Orient;  car  un  poète  du  xii' siècle,  Pierre  de  Riga, 
chanoine  de  Reims,  dans  un  poème  latin,  intitulé  :  Aurora, 
trace  de  l'amant  de  Zoleïkha  le  portrait  le  plus  séduisant. 
Il  nous  apprend  même  une  chose  fort  extraordinaire  :  c'est  que 
non-seulement  la  femme  de  Putiphar,  mais  que  Putiphar  lui- 
même,  bridait  d'amour  pour  Joseph.  Et  le  poète  semble  ex- 
cuser un  peu  le  mari  de  ce  goût  dépravé,  en  considérant 
que,  même  au  tems  où  il  écrit,  les  princes  de  la  terre  étaient 
tous  atteints  du  même  vice,  qu'il  s'efforce  de  flétrir  par  l'épi- 
thète  de  siilphareum.  Comme  le  poème  de  Riga  est  peu  connu, 
puisqu'il  n'a  jamais  été  imprimé,  je  citerai  les  vers  dans  les- 
quels il  décrit  la  beauté  de  Joseph  et  la  passion  de  Putiphar, 
qu'à  l'exemple  des  musulmans,  il  nous  donne  pour  un  des 
principaux  ministres  de  Pharaon. 

Sulptiineo  vitio  qui  diciiur  esse  nutatus 

Putiphar  iste  fuit  captus  amore  Josepli. 
Nam  qui  scit  quos  non  laqueo  prœdetur  anioi  i» 

Os  in  quo  certant  lilia  mista  rosis! 
Magnus  Iiabebatur  antistcs  régis  :  eoquc 

Putiphar  à  vitio  non  alienus  erat. 
Nunc  etiain  taies  absorbet,  eôqnc  iaboranl 

Qui  mundi  regimen  et  loca  summa  tenant  (i). 

Dans  quelques  endroits  de  ce  poème  de  V Aurora,  qui  n'a 
pas  moins  de  i5,ooo  vers,  j'ai  trouvé  une  assez  grande  con- 
formité entre  les  faits  racontés  par  le  poète  et  ceux  que  les 
musulmans  ont  consignés  dans  leurs  livres  ascétiques.  D'ort  il 
résulterait  que  les  aventures  qu'ils  prêtent  à  certains  person- 
nages de  nos  livres  saints  n'ont  été  regardées  par  nous  coinme 
des  fables  qu'assez  tard,  e4:  presque  de  nos  jours. 

Amaury  Dijval, 
De  l'Académie  des  Inscriptions  et  Bellcs-Leltres. 
(La  suite  au  Cahier  prochain.) 


l\)  Voy.  le  poème  do  V  Aurora,  dans  le  nianusciit  S097  de  la  Biblie- 
tlirqur. 


io4  SCIE-NCES  MOKALL.S^ 

SUISSE. 

Canton  du  Tessin  (i). 

I.  DeLLA    lllFORMA    DELLA    COSTITIZIONE    TICl>'E<E.   De  la  Hc- 

forme  de  la  Constitution  du  Tessin  (2). 

II.  L'OpCSCOLO  DELLA  RiFORMA  DELLA  COSTIXrZIONE  TICINESE 
DIFESO  DAL  SUO   ATTORE  {5). 

III.  AttI  E  Ri.SOLCZIOSI  DELLA  SESSIONE  STB A0RDI5AR1 A  DEL 
GRAS  COKSIGLIO  /DEL  CaSTONE  TiCISO  DEL  6  MARZO  I  83o  ,  E 
SlJCCESSlVI   (4). 

IV.  G.  B.   Qtjadri  ,    Landamaiw  Reg^ente,  Alccne  Osserva- 

ZIOM   DELL'  ATTORE  D1  V5  PROGETTO  DI  AdRIZZO  DA  FARSI  DELLE 
COMCNI. 

V.  Giac.    Lr'vi>i-PER!5EGHi>i   E   Stefano   Fraxscini.   Risposta 

ALl'  OPCSCOLO  DEL  SIC.  Lnnd.  QrADRI. 

VI.  Ciov.  Reali  ,  Ce>m  apologetici  sopra  i  rove  punti  es.sex- 

ZIALI  d'iNA  RiFORMA   CO^TITl  ZlONALE    CHE    FUVOXO   SÏAMPATI  E 
DIVAMATI. 

MI.  Battisia  Moxti  Pensieri  intorno  al  migliorake  la  costi- 

TTJZIOÎTE    DEL    CANTONE   TiCINO.    LeTTERA    C05CER>'ESTE    I    SlOï 

Pensieri. 
viii.  g.  b.  ploda,  osservazioni  intor>0  alla  riforma  dkli.a 

COSTITl  ZJO>E. 


(i)  La  Revue  Encyclopédique,  recueil  centra!  de  la  civilisalion,  enre- 
gistre tout  ce  qui  atteste  les  progrès  des  peuples  en  tout  genre.  L'heu- 
reuse rélbrme  constitutionnelle,  qui  vient  de  s'opérer  dans  un  des  canton> 
de  la  Suisse,  est  un  de  ces  événemens  qui  appartiennent  à  l'histoire  du 
perfectionnement  social,  et  qu'il  était  de  notre  devoir  de  signaler. 

M.  A.  J. 

(î)  Zurich,  1S29  ;  Orell  et  Fussli.  In-S"  de  69  pages. 

(3)  Zurich,  i85o;  Orcil  et  Fussli.  In  8°  de  xvi-67  pages. 

^4)  Lugano,  i83o;  Franc.  Veladini.  In-S^de  117  pages. 


ET  l'Ol.lTlQLEij.  io5 

IX.  Ciov.  Jav'Ch,  Lettera  svl  modu  di  elecceue  i  membhi  del 

GRAK  CONSIGLIO. 

X.  Giac.  Ang.  Land.  lleggente.  Discorso  pronunciato  all'  es- 

TRATA     DELLA    SESSIONE     ORDINARIA     DEL     CRAN    CoNSlCLK),     il 

giorno  7  giiigno  i8?)0. 
\I.  Giac.  Lcvim-Perseghixi,  Colpo  d'occhio  al  paragrapho 

7°  DEL  DeCRETO   GOTERNATIVO    l8  GIDGXO,    elc,   CtC. 

Une  rÉformc  radicale  vient  de  s'opérer  dans  l'organisation 
2)olitique  du  canton  du  Tessin;  nous  aurions  dit  une  révolu^ 
tion,  si  ce  mot  ne  réveillait  pas  dans  la  plupart  des  esprits 
l'idée  de  la  violence  et  des  troubles.  Or,  le  renversement, 
moins  des  hommes  en  place  que  des  institutions  vicieuses  qui 
pesaient  sur  le  Tessin,  n'est  pas  l'ouvrage  d'un  soulèvement 
ou  d'attaques  violentes,  mais  de  l'opinion  publique,  de  la  pu- 
blicité ,  du  réveil  de  tout  un  peuple,  de  l'opportunité,  de  la 
sagesse  administrative,  de  la  raison  qui  a  présidé  aux  débats 
législatifs,  enfin  de  quelques  actes  arbitraires  qui  ont  hûté  et 
facilité  la  réforme. 

Pour  éclairer  la  matière  dont  nous  devons  entretenir  nos 
lecteurs,  jetons  historiquement  un  coup  d'œil  sur  les  phases 
de  l'état  politique  du  canton  du  Tessin.  Les  provinces  italien- 
nes qui  forment  aujourd'hui  cet  Etat,  après  avoir  passé  sous 
la  domination  de  plusieurs  maîtres,  simultanés  ou  successifs, 
et  avoir  été  tour  à  tour  le  théâtre  de  la  valeur  des  Suisses  et 
l'objet  de  leurs  conquêtes,  furent  enfin  incorporées  à  la  confé- 
dération helvétique,  au  commencement  du  xvi""  siècle,  comme 
pays  sujet  d'une  république  orgueilleuse  de  sa  liberté ,  mais 
qui  ne  comprenait  pas  encore  toute  la  portée  de  la  liberté. 
Devenu  suisse  en  sous-ordre  ,  ce  pays  ne  fut  plus  guère  connu 
que  sous  le  nom  de  Bailliages  italiens . Ww'ii  baillis  y  exerçaient 
les  droits  de  républiques  despotes  :  une  partie  du  pays  appar- 
tenait à  douze  cantons;  ùue  autre  partie,  aux  trois  cantons 
primitifs;  Uri  seul  possédait  en  propre  la  Léventine  :  la  for- 
mule du  serment  prêté  par  celte  vallée  à  ses  notiveaux  mai- 


u.tJ  SCIENCI'S  MORALES 

1res,  en  1466,  et  conservée  clans  le  livre  des  statuts  de  la 
Léventine ,  donne  une  idée  des  relations  des  pays  sujets  avec 
leurs  souverains  suisses;  la  Léventine  jurait,  entre  autres,  «de 
prêter  obéissance,  sans  la  moindre  contradiction,  en  tout  ce 
que  le  pays  d'Uri  entreprendrait  à  l'égard  de  ladite  vallée  Lé- 
vciiline».  Néanmoins,  quelques  droits  politiques,  quelques 
franchises,  avaient  été  conservés  à  la  Suisse  italienne  ;  ces  pro- 
vinces sujettes  avaient  une  part  dans  l'administration  judiciaire 
en  matière  civile,  et,  dans  des  Assemblées  générales,  elles 
nommaient  leurs  magistrats  et  leurs  autres  fonctionnaires  pu- 
blics. Mais,  malheur  à  elles,  si  elles  venaient  à  fournir  quel- 
qjie  prétexte  de  les  dépouiller  de  ces  prérogatives!  Des  maî- 
tres, jaloux  de  toute  liberté  qui  n'était  pas  la  leur  propre,  sai- 
sissaient avidement  cette  occassion  de  resserrer  les  chaînes  de 
leurs  sujets.  Telle  lut  la  conduite  d'Uri,  lors  de  la  révolte  de 
la  Léventine,  en  1^55.  La  longue  possession  et  l'habitude 
étendirent  les  prérogatives  de  la  domination,  et  rendirent  la 
sujétion  plus  molle  et  plus  lâche.  Vn  système  de  gouvernement 
favorable  à  l'avidité  administrative  plongea  peu  à  peu  le  pays 
dans  la  coriuption.  Héritiers  d'a])us  dont  plusieurs  avaient 
leur  source  dans  la  religion  mal  entendue,  les  huit  baillis  en 
créèrent  de  nouveaux.  La  Suisse  italienne  payait  peu  d'im- 
pôts, et  le  revenu  légal  des  baillis  était  plus  que  modique; 
mais  ils  achetaient  à  un  grand  prix  leur  emploi,  que  les  can- 
tons mettaient  en  quelque  sorte  à  l'enchère ,  et  ils  ne  rece- 
vaient cet  emploi  que  pour  deux  ans.  Ils  mettaient  ce  tems  si 
conrt  à  profil  ^jour  se  rembourser  d'abord  de  leurs  avances; 
puis,  pour  s'enrichir.  Outre  les  baillis,  le  collège  des  douze 
députés  des  cantons  formait,  sous  le  nom  de  syndicat^  un  tri- 
bunal d'appel  et  de  patronage;  la  justice  et  la  protection  pa- 
ternelle devinrent  deux  branches  de  commerce  lucratives  qu'on 
exploita  sans  miséricorde.  Une  lettre  écrite  par  nu  membre  du 
syndicat,  et  dont  je  garantis  l'authenticité,  renferme  sur  l'ad- 
iiiinistialion  des  bailliages  italiens  des  faits  extrêmement  cu- 
rieux, qui  paraissent  ici  pour  la  première  fois  au  grand  jour 
de  la  publicité. 


I:T  POLiTIQLKS.  luj 

«  Imaginez  iiuc  délestahle  adiuini.^lralion,  et  vous  iic  serez 
j)as  t'DCOie  à  la  hauteur  do  celle  des  douze  cantons  (Appenzell 
n'en  était  pas). 

»  Il  y  avait  appel  du  bailli  au  syndical  et  du  syndicat  aux 
douze  cantons.  Vous  jugez  bien  de  l'impossibilité  de  plaidoi- 
devant  douze  cantons,  dont  sept  ou  huit  au  moins  trafiquaient 
de  leurs  suffrages, 

». M  on  prédécesseur  au  syndicat,  ?J.  X,  avait  poursuivi  le 
député  d'un  canton  aristocratique  catholique,  pour  avoir 
vendu  sa  Toix  comme  juge.  Le  député,  pour  étouffer  l'affaire, 
signa  que  lui,  conseiller  à  Lucerne,  reconnaissait  avoir  vendu 
sa  voixdans  le  procèsde***.  M.  X  se  contenta  de  cet  aveu,  et 
nie  remit  la  déclaration  faite  en  due  forme,  d'avoir,  contre 
son  serment  et  contre  les  lois,  accepte  telle  somme  pour  con- 
damner telle  partie. 

»Dans  nos  séances  de  la  diète  ,  j'étais  assis  au-dessus  du  dé- 
puté prévaricateur.  Me  doutant  un  jour  qu'il  avait  pris  de 
l'argent  dans  un  procès,  que  nous  avions  à  juger,  je  tirai  sa 
déclaration  de  mon  portefeuille ,  et,  la  plaçant  près  de  lui,  je 
frappai  de  la  main  sur  la  table  en  le  regardant,  pour  la  lui  faire 
rL-marquer.  Le  député  coupable  sortit,  et  quitta  la  diète  et  le 
Tessin,  Sa  place  resta  vacante,  sans  qu'aucun  député  en  fît  la 
remarque  ;  tant  ils  étaient  complices  ou  fauteurs  du  coupable. 
Voilà  son  fauteuil  vacant. 

«Quelques  jours  après  ,  on  installa  avec  beaucoup  de  céré- 
monie un  nouveau  bailli  en  présence  de  nombreux  specta- 
teurs. On  lut  un  grand  nombre  de  lois  contre  la  corruption 
des  juges  et  la  vénalité  des  magistrats.  Le  nouveau  bailli  jura 
qu'il  avait  été  élu  dans  son  canton  sans  avoir  acheté  les  suf- 
irages.  Mon  nouveau  voisin,  se  penchant  sur  le  fauteuil  vide, 
me  dit  en  riant  :  Cela  Lai  plaît  à  dire;  sa  place  lui  a  coûtée  je 
ci-ois ,  G,ooo  beaux  florins.  Je  lui  fis  signe  de  se  taire  ;  ilcrut 
que  je  n'avais  pas  compris,  et  répéta  en  jurant  et  à  haute  voix 
(]ue  celui  qui  jurait  là  avait  payé  cette  charge  de  6,000  florins, 
et  il  le  dit  en  présence  du  peuple,  qui  avait  entendu  le  faux  ser- 
ment du  bailli.  Mais  personne  ne  parut  surpris  de  tant  d'im- 
pudence. 


loS  SCIENCES  MORALES 

»  Un  jour  un  autre  de  mes  collègues,  liomuic  assez  aimable, 
me  dit  :  «  Vous  ne  prenez  jamais  votre  part  de  l'argent  que 
les  i)laideurs  nous  donnent.  Vous  nous  laites  grand  plaisir,  car 
ce  que  vous  ne  prenez  pas  nous  revient,  nous  nous  moquons 
de  vous.  Un  plaideur  met  toujours  de  côté  une  somme  pour 
acheter  les  suffrages;  et  ce  que  vous  refusez  nous  revient  à 
nous.  Vous  voyez  que  votre  vertu  est  bien  inutile.  »  Je  me  di- 
sais à  moi-même  :  si  je  reste  long-tems  dans  ce  pays,  je  suis 
sûr  que  je  finirai  par  être  un  malhonnête  homme. 

»  Dans  les  procès  ciiminels,  on  payait  en  raison  de  la  gra- 
vité du  crime.  Tous  les  assassinats  restaient  impunis.  Le  cou- 
pable sortait  du  canton,  et  puis  marchandait  sa  grâce  auprès 
des  juges. 

»>  t/insolcnce  des  juges  était  égale  à  leur  cupidité.  La  pre- 
mière inrormalion  que  je  reçus  dans  ma  chambre  était  celle 
d'une  mère  et  de  deux  de  ses  filles  assez  jolies.  Quand  la  mère 
allait  commencer  son  information,  les  trois  dames  se  mirent 
à  genoux  devant  moi.  Je  leur  dis  à  l'instant  de  se  lever,  et  les 
grondai  d'une  telle  profanation.  L'information  finie,  je  me  dis  : 
Puisyu'cllcs  se  sont  mises  à  mes  genoux,  il  faut  que  d'autres 
députés  permettent  cet  usage.  J'allai  aussitôt  dans,  la  chambre 
d'un  autre  député,  et  je  vis  le  député  assis  et  les  trois  dames 
élaldies  à  genoux  devant  lui. 

»I1  n'y  avait  presque  jamais  de  procès  criminel  sans  tor- 
ture. Un  bailli  zuricois  m'a  raconté  ce  fait ,  qui  s'était  passé 
dans  un  bailliage  voisin  du  sien  (de  Val  IMaggia).  Deux  hom- 
ïiics  avaient  couché  dans  la  même  chambre.  Le  lendemain, 
l'ini  d'eux  alla  accuser  l'autre  de  lui  avoir  volé  un  louis.  Le 
voleur  avoua  aussitôt  et  rendit  le  louis.  Les  juges  de  sang 
(Blutrichtor)  se  dirent  dans  leur  sagesse  :  Cet  homme  a  volé 
un  louis  ;  il  pourrait  bien  avoir  quelque  part  volé  autre  chose. 
Ib  te  mircnl  à  la  torture  pour  lui  faire  faire  ses  confessions. 

»  Quand  j'arrivai  à  Lugano  ,  un  jeune  homme  était  détenu 
dans  les  prisons.  Il  avait  été  torturé  ,  puis  déclaré  innocent. 
Le  bailli  continuait  à  le  tenir  en  prison,  où  il  couchait  sur  la     i 
pierre,   sans  paille  ni   lit.   IN ous  le  finies  relâcher;  il  vint  me 


i;r  l'oij  i'[OL[-:s.  nx, 

voir;  il  éUiil  si  laihle  qu'il  tu;  poiiv;iit  pas  Iciiir  une  prise  de 
tabac  entre  ilcux  doigts  ;  on  lui  versait  le  tabac  sur  la  main 
pour  le  prendre. 

»Bien  antérieurement,  un  bailli  avart  fait  verser  du  ploiuh 
fondu  sur  la  tête  d'une  vieille  femme,  pour  lui  faire  avouer  ou 
elle  avait  mis  son  argent. 

»  vV  Val  Maggia,  la  chambre  où  l'on  torturait  était  vis-à-vi-: 
de  la  chambre  à  coucher  des  dames  du  château  (i). 

'>  Les  procès  duraient  tant  que  les  parties  avaient  de  l'argent 
pour  payer  les  avocats  et  les  juges.  Le  procès  de  la  commune 
d'Anscrnone  concernait,  dans  l'origine,  une  valeur  de  5  li- 
vres. Quelques  années  plus  tard,  il  avait  déjà  coûté  120  ou 
20  mille  livres,  et  n'était  pas  fini.  (Je  crois  120  mille,  mais 
mettons  20  mille,  ce  sera  déjà  assez.)  Les  habitans  de  cette 
vallée,  divisés  en  deux  partis,  se  fusillaient,  et  personne  n'y 
allait  qu'armé.  On  avait  plusieurs  fois  tiré  sur  le  curé. 

"Locarno  était  une  ville  de  2,000  âmes.  II  y  avait  oa  avo- 
cats et  procureurs.  La  seule  marchandise,  dans  ce  pauvre 
pays,  c'était  la  justice. 

«Tous  les  revenus  de  l'hôpital  de  Locarno  étaient  partagés 
entre  les  syndicateurs. 

«Dans  les  petits  cantons,  les  bailliages  se  donnaient  au  plus 
olYrant.  Cela  faisait  2,  5  ou  4  francs  par  membre  de  la  Landsi^e- 
meind  (2).  Le  bailli  payait  à  son  souverain  deux  ou  trois  fois 
plus  que  les  revenus  légitimes  du  bailliage  :  ainsi  toute  la 
communauté  était  complice. 

«Entre  nous  autres  députés,  on  parlait  franchement.  Ces 
messieurs  me  disaient  :  «■  Nous  ne  levons  pas  d'impôt;  le  pays 
ne  nous  rend  rien  que  de  cette  seule  manière;  il  paie  moins 
qu'aucun  pays  de  l'Europe.  Nous  convenons  que  cette  taxe 


(1)  Lorsque  le  célèbre  Jean  de  Mtiller  visita  le  château  de  Gruytre, 
dans  le  caaton  de  Fribourç,  il  trouva  le  cabinet  de  madame  la  baillive  à 
côté  de  la  chambie  où  l'on  donnait  la  question.  Les  bois  qui  servaient  à 
la  torture  étaient  comme  vernissés  parle{;rand  nsa^e  :  c'était  en  i-5o. 

(2)  Assemblée  générale  du  peuple. 


iio  SCIKNCES  MORALES 

n'cât  pas  morale  ;  ruais  enfin  il  paie  moins  qu'aucun  pays  ci- 

rilisé.  » —  Avec  une  bonne  administration,  il  aurait  rendu  le 

centuple  sans  s'appauvrir,  et  sans  effort ,  tandis  que  le  denier 

enlevé   injustement  ruinait  tous  les  habitans  moralement  et 

économiquement. 

»  Le  pa3"s  était  obligé  de  loger  et  meubler  les  baillis.  Un 
bailli,  à  qui  le  pa^'S  n'avait  pas  fait  le  présent  qn'il  voulait, 
cassa,  brisa  tous  les  meubles  de  son  château,  la  veille  de  son 
départ. 

«Le  régime  a  duré  jusqu'en  1798.  Et  qu'on  nous  parle  en- 
core des  vertus  républicaines!  On  a  bien  raison  de  trembler 
en  Suisse  à  l'idée  de  la  lilîerté  de  la  presse,  n 

La  servitude  et  la  corruption  développés  par  le  tems  lais- 
sent des  traces  durables  .  même  sous  un  régime  de  régénéra- 
tion ;  l'ignorance  générale  dont  elles  se  font  un  auxiliaire,  la 
puissance  de  Phabitude,  la  douceur  des  prérogatives,  la  hié- 
rarchie de  la  corruption  organisée,  les  traditions  de  la  servilité 
ralentissent  les  progrès  de  la  guérisonet  s'opposent  long-tems 
à  l'extirpation  du  mal.  Seize  années  de  liberté,  depuis  1798 
jusqu'en  181/},  ont  été  une  période  insuffisante  pour  cicatriser 
les  vieilles  plaies  de  l'État;  il  restait  encore  et  des  habitudes, 
et  des  traditions,  et  des  hommes  du  précédent  régime.  Aussi, 
lorsqu'après  un  intervalle  de  fluctuation  et  après  le  règne  de 
l'Acte  de  médiation,  arriva  la  contre-révolution  de  i8i4j  elle 
trouva  des  aides  bénévoles  dans  ces  hommes,  dans  ces  tradi- 
tions et  dans  ces  habitudes  ;  le  revirement  du  vaisseau  de  l'E- 
i-al  fut  une  opération  aussi  facile  qu'elle  devint  funeste.  A  rai- 
son de  la  durée  et  du  degré  de  la  servitude  antérieure,  à  raison 
de  la  profondeur  de  l'ignorance  du  peuple  et  du  manque  de 
bonnes  institutions,  le  régime  aristocratique  pesa  dès  lors  sur 
le  canton  du  Tessin ,  d'un  poids  plus  lourd  que  sur  aucun 
des  autres  cantons  nouveaux.  Les  faits  que  nous  niions  rap- 
porter expliquent  ce  phénomène. 

Le  Grand-Conseil  ou  Corps-Législalif  fut  réduit  à  76  mem- 
bres pour  une  population  de  99,600  âmes,  proportion  la  plus 
faible  de  tous  les  cantons  où  la  représentation  est  en  partie  di- 


ET    POLITIQUES.  ,  , , 

recle  et'Cn  partie  indirecte  (i).  La  majorité  absolue  était  deoq, 
à  supposer  le  Grand-Conseil  assemblé  au  complet,  ce  qui  n'ar- 
rive presque  jamais.  Le  Conseil -d'État  ou  pouvoir  exécutif, 
composé  de  ii  membres,  en  faisait  partie.  Dans  les  affaires 
qui  intéressaient  ses  prérogatives,  on  peut  croire  qu'il  était 
unanime  ;  il  n'avait  donc  besoin  que  de  s'assurer  une  vingtaine 
de  suffrages  pour  transformer  ses  désirs  en  lois  et  en  décrets. 
Or,  ce  nombre  de  suffrages  lui  était  acquis  par  l'influence  qu'il 
exerçait  sur  les  élections  indirectes  ,  par  la  dépendance  des 
agens  révocables,  membres  du  Grand-Conseil,  et  par  les  re- 
lations de  parenté;  car,  depuis  i8i4?  la  composition  des  con- 
seils législatifs  des  nouveaux  cantons  a  fréquemment  rendu 
hommage  à  la  sainteté  des  liens  du  sang.  Dans  le  Tessin. 
comme  ailleurs,  les  abus  des  nominations  indirectes  avaient 
révolté  les  esprits  bien  pensans.  II  en  était  de  même  de  la  trop 
longue  durée  des  fonctions  des  membres  des  pouvoirs  législa- 
tif et  exécutif,  et  de  leur  rééîigibilité  continuelle. 


(i)  Voici  Je  Tableau  du  rapport  numérique  de  la  repri'senlation  à  la 
population  dansjcs  cantons  représentatifs.  Nous  le  tirons  de  la  brocliurc 
Délia  Riforma  (n°  i). 


Ga>to.\s. 


Berne 

Genève 

Zuricli 

Vaud 

Argovie 

Saint-Gall 

Bàle 

Fribourg 

Soleure 

Lucerne 

Thurgovie. . .  I 
Tessin 

ToTAr, 


I\  ombre 
des  membres  du 
Grand-Conseil. 


'99 

2  12 

iSo 
i5o 
i5o 
i5o 
i44 

101 
100 
100 

76 

1  ,qTO 


Population 

Un  membre 

par 

approximative. 

âme. 

55o,ooo 

1,170 

02,000 

182 

218,000 

1,028 

170,000 

944 

1 56,000 

1,000 

i44îOoo 

96» 

54,000 

56o 

8^,000 

585 

53,000 

5  25 

116,000 

1,160 

S  1,000 

Sic 

ç,9,5oo 

1,^09 

i,;j79,ooo 


S06 


,iu  SCIENCES  MORALES 

L'ailminislratioii  judiciaire  a  donné  lieu  à  des  plaintes  géné- 
rales et  souvent  répétées.  Quoique  le  canton  du  Tcssin  ait  été 
un  des  pr<;miers  à  posséder  un  Code  de  procédure  criminelle 
et  correctionnelle  et  un  Code  pénal,  ce  bienfait  se  trouvait 
neutralisé  par  l'ignorance  de  beaucoup  de  juges  de  paix,  et 
même  de  juges  de  piemièr-t;  inîtance,  triste  résultat  de  l'ab- 
sence de  conditions  sufîisantes  d'éligibilité  et  du  manque 
d'une  instruction  publique  au  moins  passable.  L'impunité 
criante  des  contraventions ,  les  longueurs  interminables  des 
procès  criminels,  les  tribunaux  extraordinaires  créés  dans  des 
cas  graves,  comme  dans  la  fameuse  tentative  d'empoisonne- 
ment, l'intervention  du  pouvoir  exécutif  dans  les  affaires  ju- 
diciaires ,  voilà  certes  des  griefs  suffîsans  contre  l'ordre  de 
cboses  établi  depuis  i8i4-  Et  que  peut  être  la  sûreté  indivi- 
duelle dans  un  pays  où  nous  venons  d'apprendre,  par  un  dis- 
cours prononcé  dans  le  Grand-Conseil,  qu'un  prévenu  gémit 
depuis  quatre  ans  dans  les  prisons  sans  avoir  encore  été  jugé? 

L'instruction  primaire  misérable,  l'instruction  moyenne 
insuffisante,  l'instruction  supérieure  nulle,  demandaient  la  ré- 
forme d'une  organisation  politique  incompatible  avec  les  lu- 
mières. 

La  presse  était  livrée  à  l'arbitraire,  c'est  dire  qu'il  n'y  avait 
point  de  liberté  de  la  presse,  point  de  publicité  ;  la  liberté  d'as- 
sociation n'exislait  pas  même  pour  des  travaux  pbilantropi- 
qucs  dont  l'objet  était  déternn'né  et  connu.  Le  Conseil-d'Ktat 
avait  défendu,  il  y  a  peu  de  tems,  les  réunions  d'une  Société 
d'utilité  publique  affiliée  à  la  Société  suisse  de  ce  nom,  la- 
quelle compte  dans  les  divers  cantons  plus  de  5oo  membres, 
et  s'occupe  de  l'éducation,  de  l'industrie  et  des  pauvres.  — 
Deux  gazettes  se  publiaient  dans  ce  canton  :  //  Carrière  suiz- 
zero  et  la  Gazelta  ticiiiese,  l'une  et  l'autre  presque  silencieuses 
sur  les  afïaires  intérieures;  car  toi  était  le  bon  plaisir  du  gou- 
vernement. 

Nous  ne  rapporterions  rien  fie  ce  que  nous  avons  lu  et  en- 
tendu sur  quel(|ues  parties  de  l'exploilation  financière  du  can- 
Jon,  parrrque  ce  sont  (le>  cboses  à  ne  croire  et  surtout  ;i  ne  dire 


KT  POLITIQUES.  1 15 

que  les  piruves  à  la  main,  si  nous  ne  pouvions  pas  citer  un 
écrit  signé,  c'est  une  brochure  de  M.  l'avocat  :  Ldvini-Pebse- 
GHiNi  (n*  11),  datée  du  27  juin;  nous  copions  ses  propres 
paroles  :  «  Le  nom  lessinois  doit  l'opprobre  auquel  il  est  con- 
damué  à  des  actes  réitérés  d'extorsion,  ù  la  vente  ouverte  de 
toutes  les  charges,  à  la  démoralisation  publiquement  protégée, 
à  l'oubli  des  besoins  du  peuple,  à  des  lois  rendues  bien  plutôt 
en  faveur  des  intérêts  particuliers  que  des  intérêts  publics,  à 
des  monopoles  honteusement  adjugés,  ù  la  dilapidation  des 
linances,  enfin  au  régime  entièrement  despotique  établi  dans 
un  pays  destiné  à  jouir  du  plus  beau  don  du  ciel,  de  la  li- 
berté. » 

La  situation  politique  du  canton  du  Tessin,  sous  les  prin- 
cipaux rapports,  se  résume  donc  depuis  1814  dans  ces  mots  : 
,yystcine  d' asservissement  et  de  servilité  au  profit  de  quelques 
hommes  habiles. 

Il  nous  reste  à  exposer  les  évènemens  qui  ont  amené  la 
ruine  de  cet  état  de  choses  et  les  bases  du  système  qui  lui  a 
succédé. 

Dans  la  session  législative  ordinaire  de  l'année  1829,  un  ho- 
norable député  direct,  M.  Jean- Baptiste  Maggi,  fit  une  motion 
pour  obtenir  un  changement  ilans  le  système  des  élections;  elle 
fut  repoussée  comme  subversive  de  la  constitution  ;  un  Te  Deum 
soleonisa  le  triomphe  du  statu  quo.  Au  commencement  de  la 
présente  année  se  trouva  tout  à  coup  répandue  dans  tout  le  can- 
ton labrochure  Délia  Ri  forma  dont  nousavonsplacéletitresous 
le  n"  1.  Exposer  les  vices  de  la  constitution  et  les  réformes 
à  faire  fut  le  double  but  de  l'auteur  anonyme.  Ses  assertions 
étaient  si  bien  fondées,  qu'à  quelques  détails  d'opinion  près 
chacun  y  reconnut  ou  y  découvrit  la  vérité.  Rarement  peut-être 
un  écrit  a  plus  contribué  à  donnera  l'opinion  de  la  consistance. 
— Dans  ces  entrefaites,  s'appuyant  sur  cette  opinion  qui  avait 
rejeté  ses  langes,  un  journal  national  s'était  établi,  VOs- 
servalore  del  Ceresio,  rédigé  par  trois  citoyens  d'un  couragt 
civique  digne  de  leurs  lumières,  M.  Stefano  Franscini,  auteur 
d'une  Statistica  délia  Suizzera,  dont  nous  avons  rendu  compte 

T.    XLVIl.    JUILLET    iSTlO.  S 


ii4  SCIENCES  MORALES 

tinnsia  licr^iie  Encyclopédique  {y oy .  t.  xl.  p.  4^9)?  et  deuxaro- 
r-ats,  M.  LiîViNi  Pebseghiki,  et  IM.  Péri.  La  surveillance  de  la 
j)ublicité  dérange  les  habitudes  de  l'arbitraire.  Une  minorité  du 
Conseil-d'État,  se  trouvant  un  jour  de  séance  peu  nombreuse 
(21  avril),  forme  la  majorité,  hasarde  un  coup  d'État;  elle 
supprime  VOsserratore,  et  livre  les  éditeurs  aux  tribunaux, 
sans  préjudice  des  mesures  surrérogatoires  que  laisse  entrevoir 
la  peur  administrative.  Des  bruits  de  sédition,  de  visites  domi- 
ciliaires sont  répandus.  L'autorité  prend  en  tremblant  une 
altitude  menaçante;  elle  réussit  bien  à  inquiéter  le  peuple, 
mais  non  à  le  soulever. 

Parvenu  au  faîte  de  l'arbitraire  qui  gouverne  depuis  long- 
tems  le  Tessin,  le  pouvoir  exécutif  en  va  descendre  rapide- 
ment. La  lutte  venait  d'être  transportée  sur  le  terrain  de  la 
publicité.  Le  6  mars,  A  l'ouverture  d'une  session  extraordi- 
naire du  Grand-Conseil,  M.  QuADRi,  landammann  en  charge, 
avait  prononcé  un  long  discours  qui  n'était  guère  qu'une  ten- 
tative de  réfutation  de  la  brochure  Délia  Riforma.  Ce  discours 
fut  publié  olTiciellcment  avec  deux  pièces  envoyées  sous  le 
titre  de  Alti  e Resoluzioni^  etc.  (n'-^).  Quelque  tems  après  pa- 
rut la  réplique  du  premier  auteur  (n°  a).  Dans  cette  même  ses- 
sion législative  du  mois  de  mars,  le  Conseil-d'État,  en  vertu 
de  son  autorisation,  avait  fait  une  proposition  relative  à  des 
changemens  à  la  constitution;  sentant  bien  que  le  statu  quo 
n'était  plus  une  position  tenable,  il  joua  d'adresse  et  proposa 
siir  le  mode  de  révision  de  la  constitution  une  loi  destinée  à 
tromper  les  espérances  des  partisans  des  libertés  publiques. 
Mais  devant  la  finesse  de  l'opinion  les  finesses  du  pouvoir 
échouent,  ou  si  elles  réussissent  ce  n'est  qu'en  se  faisant  mé- 
priser. La  première  de  ces  alternatives  fut  le  partage  des  co- 
ryphées tessinois. 

Le  I"  mai,  l'Assemblée  communale  de  Lugano  se  réunit 
constitulionucllement  pour  élire  un  nouveau  syndic  ei  une 
partie  des  autres  officiers  municipaux,  he  nouveau  syndic, 
M,  LrviNi,  adressa  à  l'Assemblée  un  discours  de  remercî- 
ment  dans  lequel  il  parla  éloqiiemment  des  besoins  de  la  pa- 
teic.  Ce  fnl  une  étincelle  électrique.  L'Assemblée  répondit  par 


ET  POLITIQUES.  uf) 

vies  acclanialinn.'i.  Le  ili«coiirs  l'ut  imprime;  plus  de  mille 
exemplaires  s'en  répandirent  en  peu  d'heures;  un  second  li-r 
rage  s'en  fit  sur-le-champ.  De  proche  en  proche  toutes  les 
Assemblées  communales  exprimèrent  les  mêmes  besoins  et 
les  mêmes  vœux.  Trois  jours  apiès  la  pacifique  explosion  de 
Lugano,  qui  donna  le  signal  de  l'émancipation  de  l'opinion 
nationale,  la  majorité  du  Conseil-d'État ,  impatiente  de  la  tu- 
telle sous  laquelle  la  tenait  une  de  ces  supériorités  qu'on  rencon- 
tre dans  toutes  les  républiques  où  il  y  a  des  élémens  aristo- 
cratiques à  exploiter,  se  déclara  aussi  émancipée.  Des  mesures 
vives  lui  furent  proposées;  elle  les  rejeta.  Vers  le  milieu  du 
mois  de  mai  une  demi-feuille  d'impression,  répandue  avec  et 
sans  les  journaux,  indiqua  neuf  points  essentiels  et  indispensa- 
bles pour  une  bonne  réforme  de  la  constitution.  Les  neuf  points, 
tous  adoptés  depuis,  furent  en  quelque  sorte  le  centre  autour 
duquel  tourna  une  discussion  animée,  soutenue  dans  les  jour- 
naux et  par  des  brochures  ,  dont  nous  avons  cité  les  principa- 
les sous  les  n*  4-9- 

Enfin  la  session  ordinaire  du  grand  Conseil  s'ouvrit  le 
7  juin,  sous  la  présidence  de  M.  le  landamraann  en  charge 
LoTTi.  Digne  de  la  circonstance,  le  discours  d'ouverture  de  ce 
magistrat  respira  le  patriotisme  le  plus  pur,  et  fut  accueilli 
avec  enthousiasme  :  l'impression  en  fut  ordonnée  (n"  lo). 
Rompant  avec  le  passé,  sans  astuce  et,  à  ce  qu'il  semble, 
sans  regret,  le  pouvoir  exécutif  se  place  en  tête  du  mouve- 
ment général  ;  il  use  de  son  initiative  pour  présenter  un  projet 
de  constitution  dont  les  bases  sont  plus  libérales  que  celles 
d'aucune  autre  constitution  des  cantons  confédérés.  Modifié, 
par  une  commission  d'examen,  puis  discuté  dans  huit  séances 
législatives,  ce  projet  est  enfin  provisoirement  adopté  avec  de 
nouveaux  amendemens  parle  Grand-Conseil,  en  attendant 
que  les  Assemblées  primaires  le  sanctionnent. 

Les  principaux  points  de  la  nouvelle  constitution,  rapportés 
sans  commentaire  etisans  développement,  feront  connaître  à 
fond  l'esprit  de  la  réforme  qui  vient  de  s'opérer. 

ï^nreprésenltition  nationale  sera  portée  de  76, membres  à  1  )  'î, 


jiC  SCIENCES  MORALES 

tous  élii's  ilirectenicnt  par  h;  peuple  pour  quatre  ans  seulement. 
Les  membres  ihi  Grand-Conseil  ne  peuvent  remplir  aucune 
charge  salariée  quelconque  qui  les  mettrait  dans  la  dépen- 
dance du  pouvoir  exécutif;  les  offices  municipaux  sont  seuls 
exceptés.  Les  séances  sont  publiques. 

La  division  des  pouvoirs  sera  plus  complète  que  dans  aucun 
autre  canton;  les  membres  du  Conseil-d'État ,  réduits  de  1 1 
à  9 ,  ne  seront  plus  membres  du  Grand-Conseil  ;  mais  le  Con- 
seil-d'État assistera  en  corps  ou  par  commission  aux  débats 
législatifs,  excepté  quand  il  s'agira  de  l'examen  de  sa  gestion 
et  de  ses  comptes;  il  lie  sera  jamais  présent  à  la  votalion.  Les 
Conseillers-d'État  nommés  pour  quatre  ans  ne  sont  immédia- 
tement rééligibles  qu'une  fois,  au  bout  de  huit  ans  de  fonc- 
tions ils  ne  sont  rééligibles  qu'après  un  intervalle  de  deux 
ans. 

Le  président  du.  Grand-Conseil  ne  sera  plus  pris  dans  le  Con- 
seil-d'État, mais  dans  le  Grand-('onseil  lui-même,  et  ce  titre 
(Id  président  sera  substitué  à  celui  de  landammann. 

Les  meml)res  du  tribunal  d'appel  seront  pris  en  dehors  du 
Grand-Conseil. 

Les  membres  des  Iriliunaïur  de  première  instance  seront 
choisis  sur  une  présentation  triple  faite  par  les  cercles  ou  As- 
semblées primaires. 

Les  cercles  nomment  leur  ju^e  de  paix,  l'assesseur  et  le 
suppléant. 

La  constitution  garantit  la  Hhcriii  de  la  presse,  le  droit  de 
péCition,  la  sûr eU  personnelle .  iNul  ne  peut  être  arrêté  ni  mis 
en  cause  qu'en  vertu  d'une  loi  ;  nul  ne  peut  être  distrait  de 
son  juge  naturel  ni  détenu  au  delà  de  vingt-quatre  heures  sans 
être  renvoyé  par  devant  U\  juge  compétent. 

Tous  \xi^  jeux  publics  de  hasard,  y  compris  les  loteries,  sont 
prohibés.  Les  concessions  temporaires  déjà  accordées  ne  pour- 
ront pas  être  proiogées. 

Aucune  loi  d'mi/w7,  ou  pour  l'augmentation  d'un  impôt,  ne 
peut  cire  sanctionnée  sans  le  concours  des  deux  tiers  des  mem- 
bre? du  Grand-Conseil. 


ET  POLITIQLES.  117 

La  constitution  ne  pourra  être  modifiée  à  l'avenir  qu'après 
un  laps  de  douze  ans,  et  toujours  sous  réserve  de  la  ratifica- 
tion par  la  majorité  absolue  des  cercles.  La  sanction  des  cer- 
cles est  aussi  exigée  pour  le  changement  actuel. 

Entre  les  dispositions  transitoires  nous  lisons  que  la  loi  pour- 
voira avec  sollicitude  à  l'instruction  publique. 

Un  phénomène  remarquable  de  loyauté  et  de  désintéresse- 
ment dans  l'œuvre  de  la  réforme,  c'est  que  le  Grand-Con- 
seil a  prononcé  le  renouvellement  intégral  de  ses  membres. 

Fondée  sur  ces  bases  et  sur  les  vœux  du  peuple  clairement 
exprimés  dans  des  adresses,  la  nouvelle  constitution  vient 
d'être  sanctionnée  par  les  Assemblées  primaires,  le  4  de  juillet. 
Des  38  cercles  dont  se  compose  le  canton ,  5^  l'ont  acceptée 
à  l'unanimité  des  suffrages;  le  '0%',  sous  l'influence  d'une 
puissance  expirante,  a  mis  des  conditions  à  son  vote  alfirma- 
til'.  Cette  dissonnance  de  commande  s'est  effacée  au  milieu  des 
jubilations  universelles,  du  son  des  cloches  et  de  toute  l'ex- 
plosion d'une  joie  bruyante,  sans  tumulte  et  sans  désordre. 

Notre  but  dans  cet  article  a  été  uniquement  de  présenter 
une  exposition  historique,  et  d'expliquer  des  faits  par  des  faits. 
Nous  ne  nous  engagerons  pas  dans  une  discussion  critique. 
Déjà  des  publicistes  suisses  de  couleurs  fort  diverses,  et  des  ci- 
toyens dont  les  lumières  politiques  méritent  la  plus  grande 
confiance,  ont  blâmé  quelques  dispositions  de  la  réforme  qu'ils 
trouvent  trop  radicale  :  telle  que  la  nomination  des  juges  de 
paix  par  leurs  cercles  respectifs,  et  le  principe  que  toute  la  ma- 
gistrature supérieure  et  à  peu  près  tous  les  fonctionnaires  pu- 
blics seront  exclus  du  corps  législatif.  Ils  croient  que  le  Grand- 
Conseil  sera  privé  de  cette  façon  du  concours  des  hommes  les 
plus  éclairés. 

Nous  n'examinerons  point  la  validité  de  l'objection;  mais 
l'équité  exige,  ce  nous  semble,  que  l'on  considère  la  nou- 
'velle  constitution  moins  peut-être  dans  ses  rapports  avec  l'état 
présent  du  Tessin,  qu'avec  l'état  plus  brillant  et  plus  prospère 
dans  lequel  elle  mettra  ce  canton.  L'équité  exige  encore  qu'on 
ne  sépare  pas  de  l'ensemble  de  la  réforme  le  développement 


ii8  SCIENCES  MORALES  ET  POLITIQUES. 

rapide  que  ra  prendre  l'instruction  publique,  dans  une  con- 
trée où  un  climat  plus  méridional  produit  une  plus  grande  ac- 
livité  d'esprit,  et  où  le  soleil  de  la  liberté,  dissipant  enûii  les 
nuages  qui  le  couvraient,  allumeia  dans  toutes  les  âmes  le  zèle 
du  patriotisme.  Dans  quelques  années  la  masse  des  citoyens  se 
sera  placée  d'elle-môme  à  la  hauteur  de  ses  devoirs  civi(|ues, 
et  la  masse  des  représentans  et  des  employés  à  la  hauteur  de 
leurs  fonctions.  La  constitution  nouvelle  a  une  double  tâche, 
rompre  avec  le  passé  et  former  l'avenir;  rendre  le  peuple  li- 
bre d'abord,  puis  digne  de  sa  liberté;  c'est  une  œuvre  d'éman- 
cipation qu'elle  a  faite  et  une  oeuvre  de  régénération  qu'elle 
doit  faire  encore.  La  plus  grande  partie  de  l'Europe  méridio- 
nale touiue  dans  un  cercle  vicieux  :  son  émancipation  n'est 
possible  qu'à  l'aide  de  l'instruction ,  et  son  instruction  n'est 
possible  qu'à  la  suite  de  l'émancipation.  Dans  les  pays  affran- 
chis, au  contraire,  et  sans  doute  on  va  le  voir  en  particulier 
dans  le  canton  du  Tessin ,  la  liberté  fait  prendre  l'essor  à 
l'instruction  publique,  et  l'instruction  publique  protège,  épure, 
agrandit  la  liberté. 

Heureuse  la  nation  îessinoise  si  elle  féconde,  si  elle  met  eu 
iiarmouie  tous  les  élémens  de  prospérité  qui  lui  sont  départis; 
si  elle  comprend  toute  la  beauté  du  rôle  dont  elle  vient  de  se 
charger!  Sur  un  des  théâtres  les  plus  brillans  de  la  nature,  où 
le  grandiose  des  Alpes  se  marie  avec  des  formes  plus  douces, 
où  la  neige  éleinelle  s'unit  à  la  suavité  de  l'air  du  midi;  où  de 
riches  eaux  feililisent  le  sol  et  secondent  l'industrie;  où  des 
vallées  alpestres  aboutissent  à  des  li^fcs  aux  rives  gracieuses, 
et  où  des  noms  harmonieux  rapellent  des  souvenirs  de  gloire  ; 
là  les  Tessinois,  doués  d'une  heureuse  et  vive  intelligence, 
parlant  l'une  des  plus  belhfs  langues  du  monde,  étendant  leurs 
idées  par  l'étiule,  présenteront,  s'ils  le  veulent,  aux  yeux  de 
la  confédération  suisse  et  de  l'Europe  le  spectacle  des  progrès 
que  la  liberté  fait  faire,  de  la  sagesse  qu'elle  inspire  et  de  la 
dignité  qu'elle  donne  même  à  une  petite  peuplade  subitement 
éniaruipér  par  un  eflort  d'énergi(|ue  volonté. 

C.    MO-N.iARD 


LITTERATURE. 


L'Iliade  d'Homère;  traduction  nouvelle  en  vers  français,  pré- 
cédée (T  un  Essai  sur  Cépopée  homérique,  par  A.  Big:^a>'  (i). 


Notre  époque,  féconde  en  préoccupations  politiques,  est 
peu  favorable  aux  travaux  littéraires  ^  et  surtout  aux  études 
sur  l'antiquité.  Une  mince  brochure,  relative  aux  affaires  du 
jour,  a  mille  fois  plus  d'importance  aux  yeux  du  public  et 
plus  de  chances  de  succès  que  des  recherches  laborieuses  ou 
des  ouvrages  purement  scientifiques.  L'illustre  auteur  d'Âna- 
charsis ,  après  avoir  terminé ,  au  bout  de  trente  années ,  ce 
grand  et  impérissable  monument,  hésita,  avant  de  le  livrer  au 
public,  parce  qu'on  était  à  l'aurore  de  la  révolution,  et  qu'il 
craignait  de  passer  inaperçu  au  milieu  des  grands  évènemens 
qui  se  préparaient.  Il  se  décida  enfin  à  cette  épreuve  qu'il 
regardait  comme  si  périlleuse  pour  lui,  et  le  succès  démentit 
heureusement  ses  tristes  prévisions.  Mais,  en  serait-il  de  même 
aujourd'hui,  et  le  savant  Barthélémy  pourrait-il  attirer  l'at- 
tention publique  absorbée  par  des  circonstances  si  graves?  il 
est  permis  d'en  douter.  A  l'époque  où  parut  Anacliarsls ,  il 
restait  encore  dans  la  nation  de  vieilles  habitudes  littéraires, 
si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi;  l'influence  que  la  littérature 
avait  acquise  par  les  ouvrages  de  Voltaire,  de  Rousseau,  de 
Buffon,  de  Montesquieu  et  d'autres  écrivains  célèbres,   dut 


(i)  Paris,   i85o;  lielin  et  Maudaid,  rue  Saint- Aadré-dcs-Ai la,  u'  55 
2  vol.  in-S"  ;  prix,  i5  ïr. 


I2U  LITTKRATLRE. 

résister  ([iielque  lenis  à  l'invasion  de  la  politique  et  à  la  ten- 
dance nouvelle  des  esprits.  Mais,  aujourd'luii  que  la  France 
s'émeut  encore  après  quarante  ans  sur  ses  intérêts  les  plus 
chers,  il  faut  du  courage  pour  affronter  l'indifférence  géné- 
rale, en  lui  offrant  des  travaux  qui  ne  portent  point  la  date  de 
notre  époque,  c'est-à-dire,  le  cachet  de  tel  ou  tel  parti.  Ce  cou- 
rage, ou  plutôt  cette  noble  confiance  du  talent,  n'est  pas  aussi 
rare  qu'on  pourrait  le  supposer,  si  l'on  n'était  point  au  courant 
des  publications  nouvelles.  Sans  parler  de  la  belle  édition  de 
Cicéron  par  le  docte  et  consciencieux  M.  Victor  Leclerc,  de 
l'élégante  version  des  Métamorphoses  d'Ovide  par  M.  y  illenave, 
de  la  traduction  en  vers  de  Lucrèce  par  M.  de  Ponger^'ille, 
ouvrages  déjà  connus  et  appréciés,  ne  doit-on  pas  citer  en 
première  ligne  la  collection  des  classiques  latins  de  M.  Panc- 
koucke,  dont  plu?itur.-  parties  méritent  tant  d'éloges,  la  tra- 
duction en  prose  (PHomère  et  les  savantes  remarques  de 
M.  Dugas-Montbel,  et  ces  Études  sur  Virgile  que  M.  Tissot 
présente  à  ses  anciens  auditeurs  du  Collège  de  France  comme 
un  dédommagement  de  «es  brillantes  leçons? 

M.  Bignan,  déjà  très-avantageusement  connu  dans  la  répu- 
blique des  lettres,  vient  aujourd'hui  augmenter  le  nombre  de 
ces  littérateurs  courageux  qui  semblent  se  dire  comme  les 
anciens  chevaliers  :  Fais  ce  que  dois,  advienne  que  pourra.  Sans 
examiner  si  notre  baromètre  est  à  la  littérature  ou  à  la  poU- 
tique ,  il  se  présente,  son  Iliade  à  la  main ,  c'est-à-dire,  avec 
le  fruit  de  dix  années  de  veilles  soutenues,  et  il  réclame  de  la 
critique  un  examen  séiieux,  un  jugement  impartial.  Le  nom  de 
M.  Bignan  et  l'importance  d'un  travail ,  ti-l  qu'une  traduction 
romplèteeu  vers  de  rijiade,  commandent  suffisamment  l'atten- 
tion, je  ne  dis  pas  du  public  en  général  (le  public  a  bien  d'autres 
affaires  aujourd'hui  ),  mais  des  hommes  de  lettres,  des  hellé- 
nistes, de  tous  ceux  qui  sont  restés  fidèles  au  culte  d'Homère 
i-t  de  Sophocle  dont  l'école  a  donné  à  la  France  ses  plus  illus- 
tres écrivains.  Nous  allons,  en  conséquence,  nous  occuper  de 
l'ouvrage  de  M.  Bignan,  et  essayer  de  lui  rendre  la  justice  qu'il 
mérite.    Nou?  laisserons  de  côté  la  queslion  de  savoir  si  l'on 


LITTÉKATUIU:.  jii 

doit  traduire  les  poètes  en  vers  ou  en  prose,  question  souvent 
traitée  et  diversement  résolue ,  comme  on  le  pense  bien,  par 
les  traducteurs  en  vers  et  par  les  traducteurs  en  prose.  Il  nous 
semble  d'abord  que  la  poésie  peut  seule  traduire  la  poésie,  et 
c'était  l'opinion  de  Voltaire.  Mais  il  ne  s'agit  point  ici,  selon 
nous,  d'une  question  de  prééminence  ;  et  les  versions,  soit  en 
vers,  soit  en  prose,  ont  chacune  un  mérite  particulier,  quoique 
à  un  degré  différent.  Voulez-vous  lire  un  grand  poète  de  l'an- 
tiquité dans  une  version  qui  le  fasse  revivre  avec  son  harmo- 
nie ,  son  langage  périodique  et  nombreux ,  .choisissez  une 
version  faite  par  un  poète  habile.  Tenez-vous  ,  au  contraire, 
au  sens  littéral  des  mots:  prétendez-vous  connaître  surtout 
la  marche ,  les  tours  de  l'original ,  recourez  à  une  traduction 
en  prose,  la  plus  fidèle  que  vous  pourrez  trouver,  à  une  tra- 
duction interlinéaire  même,  comme  M.  Frémont  ou  M.  Vidal 
en  faisaient  jadis,  et  vous  aurez  le  sens  précis  de  chaque  mot 
sans  être  obligé  de  feuilleter  votre  Dictionnaire.  Ainsi  la  pre- 
mière des  deux  versions  pourra  plaire  au  lecteur  instruit  ;  mais 
la  seconde  instruira  mieux  celui  à  qui  les  auteurs  anciens  ne 
sont  point  familiers. 

II  semble  que  de  tout  tems  le.public  a  parfaitement  compris 
cette  distinction  :  car,  de  tout  tems,  il  a  accueilli  par  ses  suf- 
frages les  traductions  en  vers  ou  en  prose  qui  avaient  un  mé- 
rite réel.  Il  faut  abandonner  cette  question  de  prééminence 
aux  docteurs  qui  imaginent  de  si  belles  choses  depuis  quel- 
ques années,  et  qui  sont  venus  bien  à  propos  pour  nous  cor- 
riger des  erreurs  que  nos  pères  nous  avaient  léguées.  Ce  sont 
ces  mêmes  docteurs  qui,  souffrant  avec  peine  les  traductions, 
de  quelque  nature  qu'elles  soient,  ont  cependant  établi  un  art 
poétique  nouveau  pour  ce  genre  de  travail.  On  a  proscrit  en 
masse  toutes  les  versions  de  la  littérature  classique,  et  entre 
autres  celle  des  Géorgiques,  par  Delille ,  parce  qu'elles  n'é- 
taient pas  faites  dans  un  système  de  fidélité  scrupuleuse.  Il 
faut  non-seulement  qu'un  traducteur  en  vers  exprime  le  sens 
(le  l'original,  mais  encore  qu'il  le  suive  pas  à  pas,  mot  à  mot, 
^ans  rien  ajouter  ni  rien  retrancher.  Il  esl  impossible  de  rcpro- 


122  LITTÉRATURE. 

diiire  ainsi  les  lormes  brillantes ,  ia  mélodie  enchauteresse  de 
l'urigioal;  mai»  peu  importe  :  la  poétique  nouvelle  n'a  pas  be- 
soin de  tous  ces  vains  ornemens  que  la  littérature  classique  re- 
cherchait avec  tant  de  soin.  L'essentiel,  dans  une  traduction 
en  vers,  c'est  de  rendre  les  mots  de  l'auteur,  et  de  ne  pas  adop- 
U'.v  la  méthode  de  ce  Delille  ,  qui  a  si  étrangement  défiguré  le 
poème  de  >  irgile. 

Tels  sont  les  paradoxes  qu'on  entend  répéter  tous  les  jours, 
et  qui  décèlent  la  plus  complète  ignorance  dans  ceux  qui  les 
professent.  Certainement,  il  est  nécessaire  qu'un  interprète  soit 
exact  et  fidèle  :  car  sa  mission  est  de  reproduire  les  idées  d'au- 
irui;  mais  cette  fidélité  doit-elle  s'attacher  minutieusement  à 
exprimer  les  mots  de  l'original,  et  ne  suffit-il  pas  que  la  pen- 
sée soit  rendue?  N'est-il  pas  évident,  pour  tout  homme  qui 
connaît  un  peu  les  langues  anciennes  et  la  langue  française, 
que  ce  mot-ù-mot,  cette  exactitude  puérile  ne  sera  réellement 
qu'un  contre-sens  perpétuel,  puisque  avec  ce  système  on  rem- 
placera l'élégance  par  hi  sécheresse  et  la  raideur,  le  coloris 
par  un  style  terne  et  rampant,  la  mélodie  par  des  sons  âpres 
et  rocailleux?  Si  nous  voulions  en  citer  des  exemples ,  nous 
n'aurions  que  l'embarras  du.  choix.  Les  langues  anglaise  et  al- 
lemande sont  très-riches  et  très-abondantes;  elles  se  prêtent 
souvent  d'une  manière  admirable  à  la  reproduction  des  formes 
antiques,  comme  un  vêtement  souple  se  plie  sans  eflort  à  tou- 
tes les  formes  du  corps  qu'il  doit  couvrir.  Hé  bien  ,  malgré 
cet  avantage,  Pope,  dans  sa  belle  version  de  l'IUade,  ne  s'est 
point  astreint  à  une  fidélité  scrupuleuse  et  scholastique  :  Dry- 
den  s'est  donné  les  mêmes  libertés  dans  sa  version  de  Virgile; 
et  cependant,  jamais  on  ne  s'est  avisé  d'en  faire  un  reproche 
à  ces  deux  grands  poètes.  Chez  les  Allemands,  Voss  a  été  sé- 
duit par  les  facilités  que  sa  langue  lui  offrait  ;  il  a  cherché  à 
être  littéral,  et  les  doctes  critiques  de  sa  nation  n'ont  pas  man- 
qué d'observer  qu'un  système  de  fidélité  minutieuse  avait 
donné  à  ses  traductions  un  air  de  contrainte  et  de  raideur  qui 
les  déparait  quelquefois.  Si  le  soin  d'une  exactitude  scrupu- 
leuse a  entraîné  Voss  dans  des  fautes  graves,  combien  ces 


LITTERATURE.  ia3 

failles  seront  plus  tïcqtieiites  pour  celui  qui  préteiulra  traduire 
ainsi  en  vers  français,  c'est-à-dire  dans  une  langue  si  pauvre, 
lorsqu'on  la  compare  aux  idiomes  de  l'antiquité!  Il  est  inutile 
d'ajouter  qu'on  ne  doit  pas  outrer  ce  système  d'une  liberté 
raisonnable;  une  traduction  n'est  pas  une  imitation,  et  celui 
qui  dépasse  trop  les  limites  que  son  devoir  de  traducteur  lui 
prescrit  mérite  la  sévérité  de  la  critique  ,  comme  celui  qui , 
sous  prétexte  d'être  plus  fidèle,  devient  lourd  et  traînant. 
Heureusement,  les  traducteurs  ont  désormais  une  boussole 
pour  se  diriger  sur  une  mer  si  féccmde  en  naulVages  ;  l'immor- 
telle version  des  Géorgiques  est  un  modèle  qui  a  fixé  d'une 
manière  irrévocable  les  conditions  du  succès  dans  cette  car- 
rière difficile."  M.  lîignan  ne  paraît  point  partager  celte  opi- 
nion; il  semble  au  contraire  adopter  le  système  nouveau  qui 
s'est  établi  dans  l'art  de  traduire,  ainsi  qu'il  s'exprime  lui-même 
dans  son  avant  -  propos  :  «  La  plupart  des  versions  des  trois 
derniers  siècles,  dit-il,  justement  surnommées  de  ùellcs  infi- 
dèles ,  altéraient  la  physionomie  des  auteurs  anciens,  en  les 
couvrant  d'une  enluminure  moderne  :  celles  d'aujourd'hui,  en 
serrant  de  plus  près  le  texte  de  leurs  modèles,  nous  ont  ré- 
vélé une  foule  de  beautés  jusqu'à  présent  inaperçues.  »0n 
peut  remarquer  ici  que  M.  Bignan  applique  indistinctement  à 
toutes  les  traductions  anciennes  ce  qui  n'avait  été  dit  que  des 
seules  traductions  de  Perrot  d'Ablancourt,  qui  effectivement 
portait  la  liberté  jusqu'à  la  licence  ,  et  dont  les  versions  très- 
infidèles  n'étaient  pas  toujours  belles ,  comme  il  est  facile  de 
s'en  convaincre  par  la  simple  lecture.  Quant  aux  travaux 
d'Amyot,  de  Lemaistre  de  Sacy,  deGuéroult  (traducteur  des 
morceaux  choisis  de  Pline),  de  Jacques  Deiille ,  ils  ont  réuni 
les  suffrages  des  juges  les  plus  sévères;  et  nous  sommes  loin 
de  penser  que  les  traductions  modernes  nous  aient  révélé  des 
beautés  inaperçues,  en  serrant  de  plus  près  le  texte.  M.  Bignan 
aurait  bien  dû  citer  ces  versions  nouvelles,  et  nous  épargner 
la  peine  de  les  chercher.  Il  assure  plus  loin  qu'il  a  été  aussi 
fidèle  qu'il  lui  a  été  possible,  et  qu'il  a  préféré  le  système  de 
Cowper  et  de  Monti  à  telui  de  Pope  et  de  Cesarolti.  M.  Bi- 


124  LITTERATURE. 

gnan  a  couimis  ici  une  eirciir  (ju'il  importe  de  signaler.  :Moiiti 
ne  peut  être  cité  comme  un  modèle  de  fidélité;  très-grand 
poète  d'ailleurs,  il  ignorait  complètement  le  grec,  et  il  avouait 
avec  franchise  qu'il  n'avait  traduit  VlUade  que  d'après  une 
version  latine,  et  ses  nombreuses  infidélités  le  prouvent.  Une 
traduction  en  vers  italiens,  réellement  très- fidèle,  est  celle 
d'Hippolyte  Pindemonte  ;  mais,  comme  elle  est  souvent  froide 
ou  sans  couleur,  elle  est  beaucoup  moins  connue  et  moins 
estimée  que  celle  de  Monti.  L'avant-propos  de  M.  Bignan 
pourrait  donner  lieu  à  plusieurs  observations  semblables; 
mais  elles  nous  conduiraient  trop  loin.  Il  nous  suffira  de  dé- 
clarer qu'en  général  cet  avant-propos,  ou  Essai  sur  l'Epopée 
homérique,  nous  paraît  également  bien  pensé  et  bien  écrit; 
nous  voudrions  cependant  en  faire  disparaître  quelques  ex- 
pressions ,  telles  que  celles -(i  :  Ils  ne  voyaient  point  de  par- 
tout. —  Dans  le  cycle  de  ses  anciennes  traditions  —  une  antithèse 
perpétuelle  de  bien  et  de  mal.  —  Une  fidélité  inter linéaire.  — Tout 
concourait  d  poétiser  leurs  ouvrages.  —  Le  peu  de  succès  attri- 
BUABLE  d  l'in/luence  des  tems ;  et,  enfin,  les  répétitions  trop 
fréquentes  de  certains  mots  bizarres,  tels  que  ceux  de  discré- 
pances,  astrolâtrie,  élément  pélasgique,  anthropomorphisme ^  im- 
portation niylhriaque,  doctrine  orphique,  //ieortiac/î<V,  et  quelques 
autres  (pii  ne  sont  ni  plus  harmonieux,  ni  plus  intelligibles 
pour  la  plupart  dos  lecteurs. 

Il  nous  reste  maintenant  à  examiner  la  traduction  même 
do  l'Iliade,  et  à  signaler  les  parties  brillantes  et  les  côtés  dé- 
fectifeux  de  cet  immense  travail.  M.  Bignan  ,  jeune  encore, 
aura  tout  le  tems  nécessaire  pour  profiter  des  conseils  de  la 
critique,  pour  revoir  lui-même  son  ouvrage  d'un  œil  sévère, 
et  lui  donner  ainsi  ce  degré  de  perfection  qu'on  ne  saurait 
atteindre  dans  une  première  édition.  Delille  avait  débuté 
d'une  manière  éclatante  par  ses  Géorgiques;  et  cependant  il 
ne  s'endormit  point  comme  on  dit  sur  ses  lauriers  ;  il  s'oc- 
cupa sans  cesse  de  corriger  sa  traduction  ,  et  parvint  ainsi  à 
faire  d'im  ouvrage  déjà  remarquable  im  véritable  chef-d'teu- 
wv  :  il   savait  (pic  le   travail   ost  une   dixième   Muse,  et  qu'il 


LTTTIÎRATIRE.  laS 

peut  ?eul  donner  aux  productions  du  talent  celte  maturité  qui 
les  fait  vivre.  M.  Bignan,  qui  est  entré  dans  la  même  car- 
rière, est  digne  de  suivre  en  tout  l'exemple  de  cet  illustre  maî- 
tre. Ainsi,  dans  nne  prochaine  édition,  il  cherchera  à  donner 
quelquefois  à  son  vers  plus  de  souplesse  et  de  mouvement; 
il  s'affranchira  davantage  des  chaînes  dont  il  s'est  volontaire- 
ment chargé;  et,  devenu  plus  libre,  il  marchera  avec  plus 
d'aisance  et  de  naturel.  En  un  mot  il  fera  ses  efforts  pour  être 
toujours  lui -même,  c'est-à-dire  pur,  coulant,  harmonieux. 
Son  Iliade  mérite  déjà  beaucoup  d'estime  ;  c'est  une  œuvre 
de  conscienoe  et  de  probité  littéraire,  qui  honore  singulièrement 
l'auteur,  surtout  à  l'époque  où  nous  nous  trouvons.  M.  Bi- 
gnan a  su  se  préserver  de  ce  style  à  la  mode,  renouvelé  de 
Ronsard  et  de  Jodelle  ;  sa  phrase  est  presque  toujours  cor- 
recte, sans  recherche  et  sans  afféterie.  J'ouvre  le  livre  au  ha- 
sard ,  et  je  tombe  sur  le  passage  où  le  poète  raconte  la  dou- 
leur d'Achille  après  l'enlèvement  de  Brîséis  ;  écoutons  M.  Bi- 
gnan. 

Loin  de  ses  compagnons,  le  héios,  l'œil  £n  pleurs,' 
Près  des  flots  blanchissans  court  porter  ses  douleurs  ; 
Puis,  étendant  les  mains,  il  s'assied,  et  sa  vue 
De  l'immense  Océan  mesure  l'étendue  : 

«O  ma  mère!  dit-il,  de  mes  rapides  jours 
Puisqu'un  destin  jaloux  précipite  le  cours. 
Le  maître  du  tonnerre,  illustrant  ma  mémoire, 
Aurait  dû  m'accorder  au  moins  un  peu  de  gloire. 
Hélas!  il  m'abandonne;  Atride  avec  mépris, 
Pour  flétrir  mes  exploits,  m'en  arrache  le  prix.  » 

Il  parlait  en  pleurant;  dans  la  grotte  profonde, 
Thétis,  qui  reposait  près  du  vieux  roi  de  l'onde. 
Entend  sa  voix,  se  lève,  et  paraît  sur  les  mers, 
'        Semblable  à  la  vapeur  qui  monte  dans  les  airs. 
Près  d'Achille  plaintif,  inquiète,  elle  vole. 
Le  flatte  avec  la  main,  de  la  voix  le  console  : 

«Mon  fils,  pourquoi  ces  pleurs?  Quel  mal  peut  l'alTliger? 
Ne  me  le  cache  pas;  je  veux  le  partager.  » 
Achille  a  soupiré  :  "  Faut-il  donc,  ô  ma  mère. 
Rappeler  le  sujet  de  ma  douleur  amèreî  etc. 


126  LITTERATUl\i:. 

Ca'  moment  est  d'autant  plus  renia i-qnablc  que  cette  fois 
la  /klélité  n'a  pas  nui  à  l'élégance,  et  l'on  pourrait  facilement 
citer  de  nombreux  passages  où  le  traducteur  n'a  pas  été 
moins  heureux.  Ouant  à  celui  que  nous  venons  de  transcrire, 
le  lecteur  a  dû  remarquer  que  Virgile  en  avait  fait  une  imita- 
tion, au  quatrième  livre  des  Géorgiques,  dans  l'épisode  d'A- 
ristée  qui  va  se  plaindre  à  l'Océan  de  la  perte  de  ses  abeilles. 
La  version  de  M.  Bignan  peut  sans  désavantage  soutenir  ici  la 
comparaison  avec  le  passage  de  Virgile  traduit  par  Jacques 
Delille.  Nous  étions  tentés  de  faire  ce  rapprochement,  mais 
les  limites  assignées  ù  cet  article  ne  nous  le  permettent  point. 
Nous  sommes  forcé  par  la  même  raison  de  passer  sous  silence 
le  morceau  d'Homère  que  Racine  a  imité  dans  son  Tphigénie, 
lorsque  Achille  rappelle  qu'il  n'a  aucun  grief  contre  les 
Trojens  : 

Et  que  m'a  fait  à  moi  cette  Troie  où  je  cours  ? 

M.  Bignan  nous  paraît  avoir  lutté  heureusement  contre 
Homère  et  Racine.  Le  passage  suivant,  tiré  du  second  chant, 
est  également  d'un  tour  facile  et  poétique  : 

Le  fantôme  s'échappe  ;  Agamemno»)  se  livre 
Au  séduisant  espoir  dont  le  cliarmc  l'enivre  : 
Crédule,  il  se  flattait  que,  dans  ce  même  jour, 
La  cité  de  Pria  m  périrait  sans  retour; 
Car  h  ses  yeux  trompés  un  voile  impénétrable 
Cachait  de  Jupiter  l'arrêt  inexorable, 
-    Et  ce  Dieu  préparait  aux  deux  peuples  rivaux 
Des  combats,  des  périls  et  des  malheurs  nouveaux. 

Tandis  qu'Agamcmnon  se  réveille  et  s'étonne, 
A  son  oreille  encor  la  voix  des  cieiix  résonne; 
Seul,  debout,  sur  sa  couche  il  se  dresse;  le  lin 
L'enveloppe  aussitôt  du  tissu  le  plus  fin;. 
Tout  son  corps,  revêtu  de  la  simple  tunique, 
S'entour»;  des  longs  plis  du  manteau  magnifique; 
Les  riches  brodequins  à  son  pied  diligent 
S'enlacent;  sur  son  dos  brille  im  glaive  d'argent. 
En  marchant  vers  la  flotte,  il  balance  la  masse 
Du  sceptre  incorruptible,  attribut  de  sa  race. 


LTTTERATUUK.  lu; 

Nous  ne  pouvons  résister  an  plaisir  rie  t  iter  encore  un 
morceau  que  Virgile  a  imité  clans  le  deuxième  chant  de  l'É- 
néide,  par  l'épisode  de  Laocoon  : 

Baipné  d'une  onde  fraîche  et  pure, 

Sur  nous  un  beau  platane  étendait  sa  verdure, 
Quand  soudain,  ô  prodige!  un  dragon  monstrueux, 
Echappé  de  l'autel  en  replis  tortueux, 
Dressant  son  dos  rougeâtre  et  sa  sanglante  crèle, 
S'élance,  et  du  platane  escalade  !«•  faîte. 
Dans  le  feuillage  épais,  huit  passeraux  couciiés 
Sous  l'aile  matornelle  y  reposaient  cachés  ; 
Malgré  leurs  cris  plaintifs,  le  dragon  les  dévore; 
Autour  du  nid  désert,  leur  mère  vole  encore; 
Elle  gémit;  le  monstre,  en  cercle  replié. 
L'enlève  et  dans  son  sein  l'engloutit  sans  pitié  ; 
Mais  Jupiter  commande,  et  l'énorme  reptile, 
En  pierre  transformé,  se  durcit  immobile,  etc. 

M.  Bignan,  comme  on  le  voit,  sait  manier  l'instrument 
j>oétique.  Les  fautes  qu'il  serait  facile  de  signaler  appartien- 
nent plutôt  à  son  système  qu'à  son  talent;  ce  talent  que  le 
public  estime  et  apprécie  depuis  long-tems,  vient  d'augmenter 
ses  titres  déjà  si  nombreux.  Il  ne  reste  plus  à  l'auteur  qu'à 
soumettre  son  travail  à  une  révision  sévère ,  telle  que  son 
goût  éclairé  la  lui  prescrira,  pour  rendre  son  ouvrage  irré- 
prochable, et  effacer  entièrement  ses  devanciers.  Nous  regret- 
tons de  n'avoir  pu  mettre  son  travail  en  parallèle  avec  celui 
de  Rochefort ,  d'Aignan,  et  même  aTCC  les  traductions  étran- 
gères. Nous  terminerons  ici  ce  faible  examen  de  l'Iliade  de 
M.  Bignan  ,  bien  persuadé  que  les  amateurs  des  lettres  anti- 
ques s'empresseront  de  connaître  par  eux-mêines  une  traduc- 
tion digne  sous  tous  les  rapports  de  l'intérêt  public. 

Servan  de  SrGNY. 


28  LUT KK M  LUE. 


Harmonies  poktique?   et  religiev?es  ,  par  Alphonse  de 
Lamartine  (i). 

Est-il  vrai,  comme  noas  le  répétons  sans  cesse,  que  le  siè- 
cle ne  soit  point  poétique?  Les  grands  poètes  lui  manquent-ils 
donc?  Ou,  s'il  s'en  fait  entendre,  leur  refuse-t-il  audience? 
Ni  l'un  ni  l'autre  assurément,  et  je  n'en  veux  d'autres  preu- 
ves que  l'admirable  talent,  les  éclataus  succès  de  M.  de  La- 
martine. 

Sans  doute,  la  préoccupation  toute  présente  des  intérêts  de 
l'orde  social  nous  a  rendus  assez  indifférens  à  ce  qui  a  été  jadis 
la  grande  affaire  d':1ges  plus  frivoles  ou  moins  libres.  Nous  ne 
sommes  plus  à  l'époque  où  l'art  et  niGuie  le  métier  suffisaient 
au  plaisir,  à  la  gloire  littéraires.  Pleurons,  si  on  le  veut,  le 
charme  détruit,  les  honneurs  perdus  de  la  versification;  mais 
ne  nous  attendrissons  pas  hors  de  propos  sur  la  poésie,  qui  ne 
peut  passer,  ni  périr,  sur  la  poésie  vivace  comme  le  cœur  hu- 
main par  qui  et  pour  qui  elle  est  faite. 

Oui,  je  n'en  puis  douter,  ces  passions,  ces  sentimens,  ces 
instincts  que  notre  sein  recèle,  et  qui  sont  l'homme  même, 
trouveront  dans  tous  les  tems  quelques  éloquens  interprètes 
et  des  milliers  d'auditeurs  attentifs;  dans  notre  tems  surtout, 
si  bien  préparé  à  ces  hautes  inspirations  du  génie,  à  ces  no- 
bles plaisirs  de  l'esprit,  par  le  spectacle  des  révolutions  et  la 
gravité  des  mœurs  publiques. 

Il  y  a  dix  ans  qu'une  voix  solitaire ,  inconnue ,  s'éleva  tout 
à  coup.  Elle  chantait  les  ennuis  secrets  de  l'âme,  désabusée  des 
biens  périssables  d'ici  bas,  et  aspirant  à  une  plus  pure,  à  une 
plus  durable  félicité  ;  la  curiosité  inquiète  qui  la  pousse  à  péné- 


(i)  Paris,  i85o;  Cti,  Gosselin.  2  vol.  in-S"  de  342-556  pages,  ornés  de 
vignettes  gravées  sur  bois  par  Pond,  d'après  les  dessins  d'Alfred  cl 
Tony  Johannot  :  prix,  16  fi. 


LtTTERATURE. 


129 


ïrer  l'énigme  de  sa  nature  et  de  sa  destinée  ;  ses  dégoûts,  ses 
désirs,  ses  doutes,  ses  pressentiniens,  ses  visions;  cette  Aoix 
avait  des  accens  pleins  de  mélancolie  et  d'enthousiasme  ;  elle 
élak  mélodieuse  et  forte  ;  elle  troubla ,  elle  ravit  ;  chacun  se 
tut  pour  l'écouter.  Et  cependant,  de  grands  talens  appelaient 
aux  tableaux  animés  du  drame  les  imaginations,  ou,  dans  des 
chants  passionnés,  les  entretenaient  des  triomphes  et  des  mal- 
heurs, des  affections  et  des  haines  de  la  patrie  :  de  la  tribune, 
lin-ée  à  d'orageux  débats,  s'échappaient  d'électriques  paroles 
qui  remuaient  la  France  entière  :  cette  littérature  active  ne  pmt 
prévaloir  sur  une  poésie  rêveuse  et  méditative,  qui.  se  sépa- 
rant du  monde,  demandait  ses  inspirations  et  ses  succès  à  ce 
qu'il  y  a  en  nous  de  plus  secret  et  de  plus  intime,  mais  peut- 
être  aussi  de  plus  puissant,  le  sentiment  religieux. 

Cette  source  féconde  qui,  pendant  un  siècle  de  scepticisme 
et  d'indifférence,  s'était  amassée  au  sein  de  notre  état  social, 
n'a  pas  été  épuisée  par  ce  qu'en  a  fait  jaillir  le  génie  de  deux 
hommes,  auxquels  on  peut,  à  égal  titre,  malgré  la  diversité 
de  leurs  vocations  littéraires,  décerner  le  grand  nom  de  poè- 
tes, Chateaubriand  et  Lamartine  ;  qu'écartant  la  foule  indis- 
crète qui  à  leur  suite  s'est  précipitée  autour  du  rocher,  mais 
pour  qui  le  rocher  est  resté  aride,  ils  y  frappent  encore,  et  il 
en  coulera  de  nouveaux  torrens  de  sentiment  et  d'harmonie. 

Mon  âme  est  un  torrent  qui  descend  des  montagnes 

Et  qui  roule  sans  Cn  ses  vagues  sans  repos 

A  travers  les  vallons,  les  plaines,  les  campagnes 

Où  leur  pente  entraîne  ses  flots  ; 
Il  fuit  quand  le  jour  meurt,  il  fuit  quand  naît  l'Aurore; 
La  nuit  revient,  il  fuit  ;  le  jour,  il  fuit  encoie; 
Rien  ne  peut  ni  tarir,  ni  suspendre  son  cours, 
Jusqu'à  ce  qu'à  la  mer,  où  ses  ondes  sont  nées, 
Il  rende  en  murmurant  ses  vagues  déchaînées, 
Et  se  repose  enfin,  en  elle,  et  pour  toujours.  (T.  11,  p.  12.) 

Ces  vers  de  l'auteur  des  Harmonies  poétiques  et  religieuses 
expriment,  par  une  espèce  de  symbole  ,  ce  qui  frappe  d'abord 
dans  M.  de  Lamartine  ,  ce  dont  sa  récente  publication  offre  un 

T.   XLVII.   JCIJuLET  l85o.  9 


i3o  LITTÉRVTLRK. 

bien  frappant  témoignage,  Tintarissable  abondance  qui ,  sous 
des  formes  toujours  nouvelles,  reproduit  un  sujet  toujours  le 
même.  La  mer  où  se  précipite  et  s'abyme  le  génie  du  poète, 
c'est  l'infini,  l'éternc.I ,  l'invisible  vers  lequel  l'emporte  in- 
cessamment un  irrésistible  instinct;  les  talions,  les  plaines,  les 
campagnes  qu'il  traverse  dans  son  cours,  ce  sont  les  images  de 
la  nature  sensible,  qui  lui  viennent  de  toutes  parts,  mais  où  il 
ne  peut.'Jf  reposer  ;  son  mouvement,  son  harmonie  sont  peints 
aussi  par  cette  onde  déckaliwe  qui  fait  en  murmurant  ;  et,  si 
dans  une  strophe  si  habilement  suspendue,  si  facilement  pro- 
longée, se  rencontrent  par  aventure  quelque  dureté  ,  quelque 
répétition,  quelque  redondance,  ces  défauts  de  la  négligence, 
les  seuls  qu'on  y  aperçoive  ,  comme  dans  le  ;esle  du  recueil , 
achèveront  pour  nous  la  similitude,  en  nous  montrant  le  tor- 
rent qui  mêle  au  bruit  majestueux  de  son  onde,  aux  plaintes 
mélodieuses  de  ses  rivages,  le  retentissement  des  cailloux 
broyés  sur  un  lit  inégal ,  ou  qui  s'épanche  et  se  répand  capri- 
cieusement hors  de  ses  limites. 

M.  de  Lamartine  ne  revoit  pas,  ne  corrige  pas  ses  vers;  il 
aime  mieux  en  faire  de  nouveaux.  Il  faut  tout  ensemble  nous 
en  applaudir,  et  nous  en  plaindre.  Nous  y  gagnons  nombre  de 
pièces  charmantes,  produites  avec  la  facilité,  avec  l'aisance  de 
l'improvisation  ;  nous  y  perdons  la  pureté  qu'un  peu  de  travail 
eut  pu  ajouter  à  quelques  morceauxd'élile.  Est-il  vrai,  comme 
paraît  le  croire  l'auteur  des  Harmonies,  que  la  correction  et 
l'inspiration  s'c.rcluent  [Atert.  p.  lo)?  Il  y  a  dans  son  livre 
bien  des  pages  qui  paraissent  prouver  le  contraire  par  une  per- 
fection trop  exquise  pour  n'avoir  coûté  aucun  effort.  Le  sta- 
tuaire, quand  il  a  imprimé  au  marbre  sa  pensée,  le  façonne 
encore  et  le  polit  avec  un  soin  curieux.  Le  poète  peut  bien 
aussi  repasser  sur  son  œuvre,  et,  sans  la  refroidir,  lui  donner 
ce  fini  qui  doit  toujours  manquer  au  premier  jet,  ou  qui  at- 
testerait une  merveilleuse  organisation.  Ce  que  M.  de  Lamar- 
tine ,  je  le  soupçonne  du  moins,  a  pris  quelquefois  la  peine  de 
faire,  pourquoi  ne  sel'imposerait-il  pas  toujours?  Effacer  cer- 
taines répétitions,  certaines  consonnances ,  abréger  quelques 


UTTÉKATUni!].  ,31 

dévcloppemens,  éla^^uer  quelques  images,  éclaircir  telle  idée, 
telle  expression,  voilà  tout  ce  que  lui  demanderait  la  critique  la 
plus  exigeante.  Sa  poésie  n'en  deviendrait  pas  plus  belle  assuré- 
ment, mais  plus  irréprochable;  le  charme  n'en  serait  mêlé 
d'aucun  trouble. 

J'insiste  sur  ces  imperfections  d'un  rare  talent,  avec  d'au- 
tant moins  de  scrupule,  quo  lui-même  les  avoue,  et  qu'à  mon 
grand  regret  il  y  consent.  Du  reste,  il  ne  les  érige  pas  en  beau- 
tés, et  ne  réclame  pas  pour  elles  l'admiration,  comme  il  ar- 
rive quelquefois  dans  ce  tems-ci.  Il  est  encore  plus  éloigné  de 
les  rechercher  par  esprit  de  système.  M.  de  Lamartine  ne  s'est 
pas,  je  pense,  beaucoup  occupé  d'innover  dans  le  rhythme,  dans 
l'expression.  Il  ne  versifie  pas,  il  n'écrit  pas,  à  ce  qu'il  semble, 
autrement  qu'on  ne  fesait  dans  les  deux  derniers  siècles.  Et 
cependant,  par  la  vertu  d'une  inspiration  personnelle  des  plus 
heureuses,  tout  chez  lui  paraît  nouveau,  non-seulement  les 
sentimens  et  les  idées,  mais  le  mètre,  mais  la  strophe,  mais 
le  tour.  Cette  manière  facile  et  naturelle  de  rajeunir  l'art  des 
vers  et  du  style  pourra  bien  décréditer  un  peu  les  opérateurs 
violens  qui  l'essayent  à  la  façon  des  fdles  de  Pelias. 

Il  est  difficile  d'analyser  un  recueil  de  pièces  détachées.  Les 
Harmonies,  cependant,  comme  \e?:  Méditations,  se  rapportent 
plus  ou  moins  à  une  même  pensée,  à  un  sujet  unique  que 
nous  avons  déjà  indiqués;  c'est  toujours  l'expression  du  sen- 
timent religieux.  La  nature  avec  ses  touchans,  ses  sublimes 
spectacles,  le  monde  avec  ses  illusions  et  ses  mécomptes,  ses 
joies  et  ses  douleurs,  voilà  le  point  de  départ  de  ce  rêveur 
inspiré;  la  vie  à  venir  et  Dieg,  voilà  le  terme  de  son  essor  : 
cette  poésie  est  comme  suspendue  entre  la  terre  et  le  ciel  ;  les 
affections  humaines  et  l'amour  mystique  sont  les  pôles  oppo- 
sés entre  lesquels  elle  semble  graviter.  Seulement  les  Médita- 
tions étaient  un  peu  plus  de  ce  monde  :  les  Harmonies  sont 
plus  voisines  de  l'antre. 

Don  sacré  du  Dieu  qui  m'enflamme, 
Harpe  qui  fais  trembler  mes  doigls, 
Sois  toujours  le  cii  de  mon  âme, 
A  Dieu  seul  rappnite  ma  voix; 


,52  LITTÉRATIRE.       . 

Je  frémis  d'amour  et  de  crainte 
Quand,  pour  toucher  ta  corde  sainte. 
Son  esprit  daigna  me  choisir! 
Mol,  devant  lui  moius  que  poussière. 
Moi  dont  ju.*qu'alors  l'âme  entière 
IVétait  que  silence  et  désir  1 

Hélas  I  et  j'en  rougis  encore, 
ln<^rat  au  plus  beau  de  ses  dons. 
Harpe,  que  l'ange  même  adore. 
Je  profanai  tes  premiers  sons; 
Je  fis  ce  que  ferait  l'impie, 
Si  SCS  mains,  sur  l'autel  de  vie^ 
Abusaient  des  vases  divins. 
Et  s'il  couronnait  le  calice. 
Le  calice  du  sacrifice. 
Avec  les  roses  des  festins  1 

Mais  j'en  jure  par  cette  honte 

Dont  I  ougit  mon  front  confondu. 

Et  par  cet  hymne  qui  remonte  : 

Au  ciel  dont  il  est  descendu  1 

J'en  jure  par  ce  nom  sublime 

Qui  ferme  et  qui  rouvre  l'abime, 

Par  l'œil  qui  lit  au  fond  des  cœurs. 

Par  ce  feu  sacré  qui  m'embrase. 

Et  par  ces  transports  de  l'extase 

Qui  trempent  tes  cordes  de  pleurs! 

De  tes  accens  roortels  j'ai  perdu  la  mémoire, 
>'ous  ne  chanterons  plus  qu'une  éternelle  gloire, 
Au  seul  digne,  au  seul  saint,  au  seul  grand,  au  seul  bon  ; 
Mes  jours  ne  seront  plus  qu'un  éternel  délire, 
Mon  àme  qu'un  cantique,  et  mon  cœur  qu'une  lyre, 
Et  chaque  souflle  enfin  que  j'esbale  ou  j'aspire, 
Un  accord  à  ton  nom  1  (T.  i,  p.  22.) 

Le  poète,  et  nous  autres  mortels  ne  nous  en  pkiindrons 
point,  n'a  pas  tellement  quitté  la  terre  qu'il  ne  s'en  souvienne 
et  ne  la  regarde  encore.  Cette  passion  si  pure  et  si  tendre, 
qui  s'exhalait  dans  les  Méditations,  se  fait  entendre,  par  inter- 
valle, dan?  les  Harmonies^  et  en  tempère  la  gravité  mystique 


LITTÉRArURE.  i3ô 

par  quelques  accens  plus  humains.  Ce  sont  les  séduclions  cit 
la  gloire,  les  plaisirs  de  l'étude,  la  contemplation  de  la  na- 
ture, les  douceurs  de  l'amitié,  l'amour  de  la  beauté  naïve  et 
ingénue,  et  même  il  faut  qu'une  analyse  soit  complète,  le 
i^     passager  enivrement  d'une  affection  moins  pure. 

Je  vois  passer,  je  vois  sourire 
La  femme  aux  perfides  appas, 
Qui  m'enivra  d'un  long  délire, 
Dont  mes  lùvres  baisaient  les  pas  1 
Ses  blonds  cheveux  flottent  encore, 
Les  fraîclies  couleurs  de  l'Aurore 
Teignent  toujours  son  front  charmant. 
Et  dans  l'azur  de  sa  paupière 
Brille  encore  assez  de  lumière 
Pour  fasciner  l'œil  d'un  amant! 

La  foule  qui  s'ouvre  à  mesure 

La  flatte  encor  d'un  long  coup  d'oeil , 

Et  la  p>3ursuit  d'un  doux  murmure 

Dont  s'enivre  son  jeune  orgueil; 

Et  moi!  je  souris  et  je  passe  : 

Sans  eflbrt  de  mon  cœur  j'cflace 

Ce  songe  de  félicité, 

Et  je  dis,  la  pitié  dans  l'âme  : 

Amour!  se  peut-il  que  ta  flamme 

Meure  encore  avant  la  beauté?  (T.  n,  p.  124.) 

Nous  voilà  jetés  bien  loin  des  hauteurs  où  habite  de  préfé- 
rence la  pensée  de  M.  de  Lamartine.  Mais,  vers  quelque  sou- 
venir profane  que  l'ait  portée  l'inclination  ou  le  caprice,  elle 
y  remonte  toujours  sans  effort,  et  là  se  perd  dans  la  contem- 
plation de  ce  qui  n'a  point  de  forme,  et  qu'elle  se  fatigue 
pourtant  à  revêtir  d'une  apparence  sensible,  appelant  à  son 
aide  toutes  les  images  qu'elle  a  rapportées  de  la  scène  visible 
du  monde.  J'ai  souvent  entendu  taxer  cette  poésie  d'indéci- 
sion et  de  vague.  C'est  la  condition  du  sujet,  mystérieux, 
obscur,  comme  l'infini,  qui  est  bien  une  conception  de  notre 
esprit,  mais  non  pas  une  idée  claire.  Loin  d'adresser  à  ce 
sujet  aucun  reproche  à  M.  de  Lamartine,  j'admire  vivement. 


,54  '      LITTÉRATURE. 

au  contraire,  la  richesse  inépuisable,  l'éclat  éblouissant, 
le  sens  frappant  des  ûgures  par  lesquelles  il  traduit,  autant 
qu'il  est  possible,  l'instinct  religieux  de  l'âme  et  son  insaisis- 
sable objet. 

Ah  !  si  j'avais  des  paroles , 
Des  images,  des  symboles 
Pour  peindre  ce  que  je  sens  ! 
Si  ma  langue  embarrassée 
Pour  révéler  ma  pensée 
Pouvait  créer  des  accens! 


Quelque  chose  en  moi  soupire  , 
Aussi  doux  que  le  zéphire 
Que  la  nuit  laisse  exhaler. 
Aussi  sublime  que  l'onde, 
Ou  que  la  l'oudre  qui  gronde  ; 
Et  mon  cœur  ne  peut  parler  ! 

Océan,  qui  sur  tes  rives 

Épands  tes  vagues  plaintives. 

Rameaux  murmurant  des  bois. 

Foudre  dont  la  nue  est  pleine. 

Rameaux  à  la  molle  haleine, 

Ah!  si  j'avais  voire  voix!  (ï.  i,  p.  555.) 

Ces  passages  que  je  transcris  sans  choix,  à  l'ouverture  dir 
livre,  ne  sont  certainement  pas  les  plus  sailians  qu'il  renferme; 
iTiais  ils  en  offrent  comme  une  poétique  table  des  matières,  il? 
font  comprendre  et  l'intention  générale  et  la  manière  habi- 
tuelle de  l'auteur.  Partout  vous  trouvez  chez  M.  de  Lamartine 
cette  même  confusion  de  la  nature  et  du  monde  invisible,  se 
servant  l'un  à  l'autre  d'explication  ou  d'emblème.  Ainsi,  chez 
lui  la  pensée  prend  toujours  un  corps,  une  figure,  et  la  ma- 
tière, à  son  tour,  une  âme  et  une  voix.  Il  est  émiiienmient  des- 
criptif, mais  tout  autrement  que  l'ont  été  Delille  et  sou  école  ; 
car  il  ne  décrit  pas  pour  décrire,  mais  pour  produire,  au  de- 
hors, et  .sous  des  traits  palpables,  l'émotion,  l'idée  dont  il  est 
plein.  Nul  poète  n'a  répandu  dans  ses  tableaux  plus  de  trait? 


LIirÉRATURE.  *  i35 

empruntés  aux  beautés  naturelles,  n'a  broyé  sur  sa  palette  de 
plus  riantes,  de  plus  éclatantes  couleurs;  mais  nul  aussi  n'en 
a  composé  un  plus  grand  nombre  d'ingénieuses  similitudes, 
de  symboles  Irappans.  Que  dire  de  l'aisance,  de  l'harmonie 
singulière  avec  lesquelles  se  développent  les  rhythmes  nom- 
breux oii  il  renferme  ces  trésors  d'imagination  et  de  senti- 
ment ?  Rien  n'égale  l'impression  que  laissent  dans  l'oreille  et 
dans  l'âme  quelques-uns  de  ces  vers. 

Cette  impression  ne risque-t-elVe  pas  de  fatiguer  parla  ré- 
pétition? Quelques-uns  le  disent,  et  sans  doute  l'éprouvent  : 
pour  mon  compte,  et  je  m'en  félicite,  je  suis  encore  loin 
d'être  blasé  là-dessus.  On  abuse  trop  contre  les  génies  féconds 
du  reproche  de  monotonie.  Sans  doute,  ils  se  ressemblent  à 
eux-mêmes  par  le  continuel  retour  de  ce  qu'ils  ont  la  vocation 
d'exprimer,  par  l'emploi  fréquent  des  procédés  qui  leur  ap- 
partiennent et  fo'it  leur  originalité.  Mais,  dans  ce  cercle,  li- 
mité comme  tout  ce  qui  est  de  ce  monde,  quelle  fécondité 
d'invention  ils  déploient!  Ainsi  que  la  nature,  leur  modèle, 
ils  recommencent,  mais  sans  se  copier;  ils  sont  toujours  les 
mrêmes,  et  toujours  nouveaux.  Sans  remonter  bien  haut,  ceux 
qui  de  nos  jours  ont  le  plus  long-tems  occupé  le  public  de 
leurs  productions,  WalterScoU,  Byron,  Scribe,  Rossini  ont 
souvent  été  jugés  monotones,  lorsqu'on  eût  dû  être  frappé 
avant  tout  de  leur  inépuisable  variété.  Je  me  trompe  fort  si 
ce  n'est  pas  de  la  même  façon  que  M.  de  Lamartine  est  mo- 
notone. 

Mais,  qu'on  ne  lise  pas  de  suite,  comme  un  livre  ordinaire, 
ses  Méditations,  ses  H arnionies .  Nulle  poésie,  si  elle  n'est  sou- 
tenue par  la  continuité  d'un  récit,  par  le  mouvement  d'un 
drame,  ne  résiste  à  cette  épreuve.  Lisez  ces  élégies,  ces  odes, 
comme  elles  ont  été  écrites,  une  à  une,  par  intervalles,  dans 
ces  heures  que  la  fatigue  de  la  vie  active  prépare  et  laissre  à  la 
rêverie.  Rêver,  c'est  de  tous  les  états  de  iTmie  le  plus  passa- 
ger ;  ne  le  prolongez  pas  au-delà  de  sa  mesure  ;  vous  arriveriez 
à  l'ennui,  et  par  votre  faute. 

Encore  une  apologie  ;   ce  sera  la  dernière.   Beaucoup   de 


i36  LITTÉRATUKE. 

personnes,  ne  regardant  qu'au  peu  d'étendue  des  poésies  de 
M.  de  Lamartine,  n'y  voient  que  des  essais  par  lesquels  il  se 
prépare  à  quelque  œuvre  de  plus  longue  haleine  ;  ils  l'admi- 
rent conditionnellenient,  dans  l'espérance  et  dans  l'attente  de 
ce  qu'il  promet.  J'ignore  ce  qui  est  réservé  à  l'avenir  de  M.  -de 
Lamartine.  Il  est  toujours  téméraire  de  restreindre  ou  d'éten- 
dre d'avance  la  carrière  du  talent.  Mais,  quand  les  Médilatiom 
et  les  Harynonies  devraient  être  ses  seules  productions,  quand 
il  n'y  devrait  ajouter  que  des  compositions  du  même  genre, 
la  gloire  d'avoir  renouvelé  avec  tant  d'éclat  dans  notre  litté- 
rature, par  l'inspiration  religieuse,  la  poésie  élégiaque  et  la 
poésie  lyrique,  suffirait  certainement  à  son  nom,  et  déviait 
lui  mériter  une  place  parmi  les  plus  illustres. 

H.  Pati». 


vk\\>  vvA  www  www  \ 


III.   BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUIi 

LIVRES  ÉTRANGERS  (i). 


AMERIQUE  SEPTENTRIONALE. 

ÉTATS-UNIS. 

1.  —  *  Encyclopœdia  Americana.  — Encyclopédie  aniéri- 
caine  publiée  par  F?'«na,<  LiEBER,  aidé  de  E.  Wiggles'oorth. 
Philadelphie,  i85o;  Carey  et  Lea.  In-S"  de  616  pages  impri- 
mées sur  deux  colonnes. 

Ce  premier  volume  est  le  commencement  d'une  entreprise 
aussi  importante  que  recommandable,  et  qui,  si  elle  est  me- 
née jusqu'au  bout  avec  le  talent  et  la  conscience  qui  président 
au  début,  fera  honneur  à  la  littérature  d'Amérique,  et  com- 
blera un  vide  qui  s'y  fesait  sentir.  Conçue  sur  le  plan  du  Dic- 
tionnaire allemand  {C  onversations  Lexicon)  ^  ceXie  Encyclopédie 
embrasse  toutes  les  découvertes  les  plus  récentes  de  l'Europe, 
ainsi  qu'une  grande  quantité  d'articles  originaux  sur  l'Améri- 
que, et  de  notions  biographiques  d'un  haut  intérêt.  Une  circon- 
stance assez  curieuse  c'est  que  l'éditeur,  jaloux  de  réserver  de 
la  place  à  des  sujets  plus  importans,  et  se  mettant  au  point 
de  vue  d'une  nation  jeune  et  libre  comme  celle  des  États- 
Unis,  a  omis  tout  ce  qui  regardait  la  science  du  blazon  et  des 
armoiries.  Nous  signalons  ce  fait  comme  caractéristique,  ie 
volume  s'étend  depuis  la  lettre  A  jusqu'au  mot  bataille.  Les 
renseignemens  donnés  sur  chaque  chose  sont  exacts,  clairs 
etconcissans  sécheresse.  Les  parties  géologique  et  biographi- 
que promettent  des  choses  neuves,  et  les  spécimens  donnés 
sont  de  nature  à  faire  bien  augurer  de  ce  qui   doit  suivre. 

L.  S.  B. 

(1)  Nous  indiquous  par  un  astérisque  (') ,  placé  à  côté  du  titre  de 
chaque  ouvrage ,  ceux  des  livres  étrangers  ou  fi  ançais  qui  paraissent 
dignes  d'une  attention  particulière,  et  nous  en  rendrcins  quelquefois 
compte  «lans  la  section  «les  yJna/yscs. 


i58  ÉTATS-UNIS. 

2.  —  Eléments  ofgeometry,  ivitli  pnulical  applications,  elc. 
—  Éléniens  de  géométrie,  avec  des  applications  à  la  pratique, 
à  l'usage  des  écoles;  par  T.  Walker.  Seconde  édition.  Boston, 
i85o.  In-i'i  de  io4  pages. 

L'ouvrage  de  M.  SValker  ne  nous  est  connu  que  par  un  ar- 
ticle du  67""  numéro  de  la  Revue  nord-américaine  (the  north- 
american  Review)  ;  l'auteur  de  l'article,  qui  commence  par  je- 
ter un  coup  d'œil  rapide  sur  l'histoire  de  la  géométrie  et  sur  les 
ouvrages  élémentaires  les  plus  estimés  pour  l'enseignement 
de  cette  science,  arrive  au  petit  volume  du  professeur  de 
Northampton,  et  lui  donne  des  éloges  qui  paraissent  fmpar- 
tiaux  et  mérités.  II  ne  serait  pas  inutile  de  faire  en  Europe  la 
comparaison  de  ce  petit  livre  avec  les  nombreux  traités  dont 
on  embarrasse  l'enseignement,  surtout  en  France,  et  dont  au- 
cun ne  manque  de  prôneurs.  Si  ce  traité  de  io4  pages  in- 12 
vaut  mieux  pour  l'instruction  commune  que  ceux  que  nous 
possédons,  pourquoi  ne  l'adopterions-nous  pas?  L'intérêt  des 
étudians ,  avant  tout,  car  c'est  Tintérêt  delà  société.  Si  après 
avoir  comparé  les  Etats-Unis  à  la  France,  par  rapport  ù  l'en- 
seignement de  la  géométrie  élémentaire,  nous  pensons  que 
notre  situation  actuelle  est  assez  satisfaisante  pour  que  nous 
ne  cbercbions  pas  à  la  changer,  nous  inviterons  les  Anglais  à 
s'emparer  du  livre  de  M.  \N  alker,  à  moins  que  son  origine  ne 
leur  porte  ombrage.  Il  semble  que  la  Grande-Bretagne  se  con- 
damne à  manquer  éternellement  de  bons  élémens  de  géomé- 
trie ;  comment  peul-ellt!  s'obstiner  à  mettre  Euclidc  entre  les 
mains  des  étudians?  Si  jamais  méthode  fut  contraire  à  la 
marche  naturelle  de  l'esprit  humain,  fatigante,  asso7nniante , 
c'est  bien  celle  de  cet  ancien  géomètre.  On  ne  peut  douter  que 
l'obstination  de  la  routine  cpii  a  conservé  son  ouvrage  dans  les 
écoles  de  FAnglelerrc  ne  soit  une  cause  de  l'aflaiblissement  de 
l'instruction  mathématique  dans  la  patrie  de  >»ewton. 

5.  —  Eléments  of  lecUnology ,  etc.  —  Elémens  de  techno- 
logie, tirés  principalement  du  Cours  d'' Application  des  Sciences 
aux  Arts  fait  à  Cambridge,  et  publiés  pour  l'usage  des  écoles 
et  des  étudians;  par  Jacob  Bigelow  ,  D.  SI.,  professeur  de 
matière  médicale,  membre  àeV  Académie  américaine  des  Scien- 
ces et  des  Arts,  etc.  Boston,  1829.  In-8"  de  5o7  pages. 

Jusqu'à  présent,  le  mot  technologie  n'a  pas  été  défini  avec 
précision  et  clarté.  Il  doit  signifier  autre  chose  que  l'applica- 
tion des  sciences  aux  arts  mécaniques;  autre  chose  aussi  que 
la  description  de  ces  arts,  de  leurs  procédés  et  de  leurs  inslru- 
mens.  Ces  descriptions  seraient  de  volumineuses  monogra- 
phies dont  la  collection  composerait  la  Bibliothèque  des  Arts 


lÏTAïS-U-MS.  iSg 

et  Métiers;  on  en  tirerait  des  matériaux  pour  une  lechnolugie 
qui  resterait  ù  faire,  en  généralisant  sous  quelque  point  de 
vue  particulier  ces  notions  dÎAerses  et  isolées,  en  rassemblant 
les  idées  communes  à  toutes  les  monographies,  en  formant 
des  groupes  des  objets  analogues  qu'elles  présentent,  et  eu 
procédant  envers  les  êtres  industriels  ;'i  peu  près  comme  le 
naturaliste  envers  les  animaux,  les  plantes  et  les  minéraux 
qu'il  classe  d'après  la  méthode  qui  lui  paraît  la  plus  naturelle 
et  la  plus  commode  pour  l'étude.  Comme  la  technologie  est 
encore  à  naître,  si  elle  suit  dès  sa  naissance  la  direction  que 
l'histoire  naturelle  lui  a  tracée,  direction  qui  est  peut-être  la 
meilleure  et  peut-être  la  seule  qu'elle  puisse  prendre,  elle 
éprouvera  le  sort  de  l'histoire  naturelle,  commencera  par  des 
méthodes  imparfaites  et  qu'il  faudra  quitter;  les  technologues 
ne  seront  pas  plus  d'accord  entre  eux,  que  les  naturalistes  ne 
l'ont  été  et  ne  le  sont  encore  aujourd'hui.  Comme  ils  seront 
venus  les  derniers,  ils  ne  seront  probablement  pas  les  pre- 
miers à  se  réunir  à  une  doctrine  commune;  et  par  consé- 
quent, la  science  viendra  très-tard,  et  ses  élémens  plus  tard 
encore.  On  ne  peut  contester  à  la  technologie  le  titre  de  science, 
puisqu'elle  doit  être  un  ensemble,  un  système  de  connaissan- 
ces généralisées.  Elle  peut  donc  avoir  ses  élémens,  comme 
toutes  les  sciences,  au  lieu  qu'un  art  est  un  assemblage  de  con- 
naissances particulières,  toutes  nécessaires  à  la  production  du 
résultat,  qui  ne  forment  pas  un  système,  qui  ne  dérivent  point 
de  principes  communs,  et  qui ,  par  conséquent ,  ne  sont  point 
susceptibles  d'être  exposées  dans  des  Traités  élémentaires. 

Ce  préambule  devait  être  long,  parce  que  nous  sommesv 
dans  la  nécessité  de  déclarer  que  le  bon  et  intéressant  ou- 
vrage de  M.  Bigelow  ne  contient  pas  les  élémens  de  la  tech- 
nologie. C'est  une  dissertation  très-bien  faite  sur  plusieurs 
arts,  sur  leurs  ressources,  leurs  procédés,  les  secours  qu'ils 
ont  reçus  des  sciences;  des  descriptions  succinctes  et  claires 
d'une  multitude  d'opérations  curieuses;  des  observations  sur 
les  beaux- arts  dans  lesquelles  on  reconnaît  une  intelligence 
capable  de  les  sentir,  de  les  analyser,  de  les  juger.  Le  livre  de 
M.  Bigelow  offre  à  l'homme  du  monde  une  lecture  aussi 
agréable  qu'utile;  il  peut  même  contribuer  aux  progrès  de 
l'étude  des  arts  mécaniques  et  autres,  tant  par  la  justesse  de 
ses  vues,  la  curiosité  qu'il  excite  et  le  goût  qu'il  fait  naître, 
que  par  des  préceptes  et  des  conseils  dont  il  est  à  désirer  que 
l'on  profite  partout;  mais  il  faudrait  changer  le  titre,  car  les 
élémens  de  la  technologie  ne  sont  certainement  point  dans  cet 
ouvrage.  F. 


,4o  ÉTATS-UINIS. 

/j.  —  Considérations  on  the  propriety  and  necessity  of  an- 
nexing  the  province  of  Texas  io  the  United-States,  elc. —  Consi- 
dérations sur  la  convenance  et  la  nécessité  de  réunir  la  province 
de  Texas  aux  Elats-Lnis  ;  par  un  Officier  de  V armée  de  la  révo- 
lution. ]Nevv-York.,  1829;  Hopkins  père  et  fils. 

Cet  écrit  n'att<;int  pas  tout-ù-fait  son  but,  l'auteur  pouvait 
se  dispenser  de  prouver  que  la  province  de  Texas  est  à  la  con- 
venance des  États-Unis,  puisqu'elle  est,  en  partie,  dans  le 
bassin  du  Mississipi,  et  que,  par  conséquent,  les  deux  répu- 
bliques limitroplies  ne  peuvent  plus  avoir  de  frontières  natu- 
relles que  sur  la  ligne  de  partage  des  eaux  ;  quant  à  la  nécessité 
de  la  réunion  dont  il  parle,  on  ne  la  sent  point  dans  les  Etals- 
Unis,  où  tant  de  moyens  de  force,  tant  de  garanties  d'in- 
dépendance sont  maintenant  accumulées  ;  ce  ne  serait  donc 
que  pour  la  province  de  Texas  seulement  que  cette  réunion 
pourrait  avoir  de  très-grands  avantages,  quoiqu'on  ne  puisse 
regarder  comme  nécessaire  la  réunion  des  désorts  à  la  confé- 
dération  des  Etats-Unis.  L'étendue  territoriale  de  l'Etat,  l'un 
de  ceux  qui  forment  aujourd'hui  la  république  mexicaine  , 
équivaut  au  moins  aux  deux  tiers  de  la  France,  et  la  popula- 
tion n'y  excède  pas  ,  dit-on  ,  douze  mille  habitans!  les  glaces 
de  la  Laponie  en  comptent,  à  proportion,  plus  que  le  dou- 
ble. II  ne  peut  donc  être  vrai ,  n'en  déplaise  à  l'officier  amé- 
ricain, que  les  Etats-Unis  ne  puissent  se  passer  de  cet  accrois- 
sement d'étendue.  Mais,  comme  pays  propre  à  la  fondation 
de  nouvelles  colonies,  le  Texas  mérite  la  plus  sérieuse  atten- 
tion; considérons  le  sous  (;e  point  de  vue. 

L'art  social  n'a  pas  moins  besoin  d'expériences  nouvelles 
que  la  médecine,  l'art  de  la  guerre,  les  diverses  applications 
des  connaissances  humaines.  Point  de  perfectioimemens  de 
quelque  importance  sans  découvertes;  et,  dans  les  sciences 
expérimentales  et  les  arts,  c'est  ordinairement  par  des  essais 
que  l'on  force  la  nature  à  révéler  qiiel(jues-vuis  de  ses  mys- 
tères, quelques  vérités  fécondes  qui  l'ont  une  révolution  com- 
plète dans  la  scieu'e  ou  l'art  qu'elles  viennent  éclairer  d'une 
lumière  subite.  Lorsqu'un  hasar  1  heureux  fait  apercevoir  une 
de  ces  vérités  sans  qu'on  ait  nîême  pris  la  peine  de  sovdever 
le  voile  qui  la  couvrait,  on  n'est  point  dispensé  de  la  sou- 
mettre à  des  épreuves  assez  nombreuses  et  assez  diverses  pour 
que  son  autorité  soit  reconnue  sans  contestation.  Laissons 
donc  le  diamp  libre  aux  expériences  de  toutes  sortes ,  et  en 
politique  ,  une  colonie  nouvelle  est  certainement  le  moyen  le 
plus  commode  et  le  plus  sûr  do  vérifier  ce  que  nous  croyons 
savoir  :  l'homogénéité  des  élcmens  qu'on  y  rassemble  simplifie 


ÉTATS-UNIS.  i4i 

toutes  les  questions  .  ef  laisse  démêler  plus  nicilement  les  cau- 
«îes  et  les  effets  :  peut-être  même  ne  saurons-nous  jamais  bien 
que  ce  que  nous  aurons  appris  par  cette  voie  qui  est  réelle- 
ment celle  de  l'analyse. 

Ajoutons  encore,  en  faveur  de  ce  mode  d'épreuves  politi- 
ques, une  observation  dont  on  ne  contestera  point  la  justesse, 
c'est  qu'elles  ne  font  que  des  victimes  volontaires,  en  cas  de 
non  succès.  Le  médecin  essaie  sans  scrupule  ses  remèdes 
nouveaux  sur  les  malbeureux  qui  implorent  les  secours  de 
son  art  ;  certains  gouvernemens  traitent  aussi  lestement  les  na- 
tions sur  lesquelles  ils  exercent  leur  plein  pouvoir  :  dans  une 
colonie  nouvelle,  on  va  droit  au  bien  commim,  on  s'entre- 
aide  pour  atteindre  ce  but;  la  société  naissante  offre  l'image 
de  ce  qu'elle  serait,  si  en  grandissant  et  acquérant  des  forces, 
elle  conservait  sa  raison  et  ses  vertus.  Réunissez  sur  un  sol 
tout  neuf  et  fertile  des  hommes  qui  soient  bons,  sains,  labo- 
rieux; vous  aurez  fait  des  heureux.  D'ailleurs,  il  est  des  hu- 
meurs inquiètes,  indociles,  avides  de  nouveautés,  des  carac- 
tères qui  ne  peuvent  s'habituer  à  nos  mœurs,  à  nos  vieilles 
institutions  ;  il  convient  de  leur  laisser  au  moins  une  voie  pour 
nous  échapper,  un  lieu  d'asile  sur  la  terre  où  ils  puissent  vi- 
vre à  leur  manière  ;  qu'ils  aillent  au  Texas  ,  qu'ils  s'enfoncent 
dans  les  solitudes  où  l'homme  n'a  pas  encore  pénétré;  la 
vieille  Europe  ne  les  poursuivra  pas  dans  cette  retraite;  ils  y 
seront  même  en  sûreté  contre  la  jeune  Amérique,  s'ils  ont 
une  insurmontable  aversion  pour  tout  ce  qui  leur  rappellerait 
nos  formes  sociales. 

Aucun  lieu  sur  la  terre  ne  convient  mieux  que  cette  pro- 
vince mexicaine  pour  y  établir  une  grande  et  belle  colonie, 
et  faire  l'essai  des  théories  morales  et  politiques  dont  quelques 
hons  esprits  douteraient  encore.  Point  de  voisins  incommo- 
des ;  plus  de  garanties  contre  les  dangers  d'une  invasion  qu'on 
n'en  aurait  au  milieu  de  l'océan;  cent  lieues  de  côtes,  des 
baies,  des  ports,  les  embouchures  de  plusieurs  rivières  na- 
vigables, dont  l'une  a  plus  de  deu^x  cents  cinquante  lieues  de 
cours;  un  sol  fertile,  un  climat  plus  salubre  qu'on  ne  l'aurait 
espéré,  point  de  marais  pestilentiels,  une  chaleur  constante  et 
modérée  près  de  la  mer,  des  froids  sévères  dans  les  monta- 
gnes, et  entre  ces  deux  extrêmes  ,  tous  les  degrés  des  tempé- 
ratures intermédiaires.  Aucune  contrée  ne  semble  plus  con- 
venable pour  la  culture  de  la  vigne,  car  elle  y  croit  partout 
spontanément,  s'élève  à  une  hauteur  extraordinaire,  sur  un 
tronc  dont  la  grosseur  est  im  phénomène  que  les  Européens 
ne  voyent  que  dans  ce  pavs  et  dans  les  montagnes  de  l'Tude. 


i42       KTATS-DMS.— AMERIQUE  MÉUIDIOî^ ALE. 

Enin;  27"  et  55°  dt;  lalilude  nord,  ce  pays  sillonné  par  de 
nombreuses  rivières,  où  des  montagnes  s'élèvent  jusqu'à  la 
région  des  glaces  éternelles,  ne  méritait  pas  l'abandon  auquel 
on  l'a  condamné  jusqu'ici,  mais  dont  il  sera  bien  dédommagé, 
s'il  a  été  réservé  pour  des  colonies  dont  les  progrès  de  la  mo- 
rale et  de  la  civilisation  soient  le  but.  Malheureusement,  l'es- 
prit de  spéculation  s'empare  de  ces  ressources  qu'il  eût  fallu 
consacrer  à  un  plus  noble  usage;  il  a  jeté  les  j'eux  sur  le 
Texas,  et  probablement,  il  a  déjà  formé  ses  projets  d'enva'- 
hissement.  On  ne  connaît  pas  bien,  en  Europe,  la  nature, 
l'organisation  et  le  but  de  la  colonie  fondée  dans  ce  pays  par 
M.  Aiutin,  citoyen  des  Etats-Unis  ,  et  qui  est  aujourd'hui 
entre  les  mains  de  son  fils,  M.  le  colonel  Austin;  il  est  bien 
à  désirer  que  nous  ayons  enfin  une  description  exacte  et  com- 
plète de  cette  contrée  intéressante  sous  tant  d'aspects  divers  et 
d'une  haute  importance  :  mais  cette  instruction  ne  nous  sera 
donnée  qu'à  la  suite  d'un  voyage  de  reconnaissance,  et  nous 
le  disons  sans  hésiter,  c'est  à  un  Français  que  des  recherches 
de  cette  nature  devraient  être  confiées.  La  France  est  aujour-. 
d'hui  très-bien  pourvue  d'hommes  qui  possèdent  l'assorti- 
ment de  connaissances  qu'exige  un  voyage  de  découvertes  ; 
et  de  plus  nous  avons  acquis,  au  milieu  de  nos  agitations  po- 
litiques, une  habitude  d'observer  que  nous  ne  perdrons  point, 
si  nous  sommes  assez  courageux  pour  défendre  nos  institu- 
tions contre  tous  les  ennemis  ligués  pour  les  détruire. 

Y. 

AMÉRIQUE  MÉRIDIONALE. 

5.  — Meinoria  sobre  laEducacion,  etc.  —  Mémoire  sur  l'É- 
ducation,  par  J.  Del  V.  —  Guatemala,  1829;  imprimerie  de 
l'Union.  In-8'  de  49  pages. 

L'auteur  de  ce  Mémoire,  M.  José  Del  Vallé,  est  membre 
de  la  Société  établie  à  Paris  pour  l'amélioration  de  l'enseigne- 
ment élémentaire,  et  s'acquitte  envers  elle,  en  lui  communi- 
quant ses  idées  sur  l'éducation,  telles  qu'il  les  a  modifiées 
pour  les  rendre  applicables  à  sa  patrie.  Son  Mémoire  est  un 
extrait  d'im  ouvrage  assez  considérable,  composé  d'abord 
dans  la  prison  où  M.  Del  Vallé  fut  enfermé  par  ordre  de 
Vempercur  Iturhide;  puis,  au  milieu  des  travaux  et  des  sou- 
cis des  hautes  fonctions  dont  il  fut  chargé  ,  et  des  horreurs 
d'une  guerre  civile  dont  le  premier  effet  fut  de  suspendre  la 
liberté  de  la  presse.  Ainsi,  quand  même  on  remarquerait  quel- 
que défaut  d'ensemble  dans  l'exposilion  des  idées  et  des  faits. 


AMÉKIQIE  MKIllU.  -     GIIA^N  Dfcl-liUETAGNK.       i^o 

il  serait  éqiiilahle  tic  l'altribuei-  à  la  situation  pénible  et  con- 
trainte de  ['écrivain  :  mais  on  ne  sera  pas  clans  le  cas  d'user 
envers  lui  de  cette  sorte  d'indidgence.  On  trouvera  dans  son 
Mémoire  quelques  dures  vérités,  telles  que  celles-ci  :  Les  plus 
grands  maux  que  lliumunlté  ait  soufferts  ont  été  causés  par  de 
mauvaises  lois  ;  ses  plus  grands  ennemis  ne  lui  auraient  pas  été 
plus  funestes  que  ses  législateurs.  L'idée  si  juste  et  si  impor- 
tante d'une  école  d' instituteurs  est  reproduite  ici,  d'après  l'ex- 
périence de  notre  ancienne  école  normale,  monument  tout-à- 
fait  effiicé  en  France,  mais  dont  le  souvenir  sera  conservé  par 
les  peuples  plus  éclairés  sur  leurs  véritables  intérêts.  M.  Del 
Vallé  passe  successivement  en  revue  les  divers  degrés  d'en- 
seignement dont  sa  patrie  aura  besoin,  depuis  les  écoles  élé- 
mentaires jusqu'aux  Sociétés  savantes;  et,  pour  que  rien  ne 
manque  à  l'édifice  dont  il  propose  l'éiection,  il  le  termine  par 
une  Académie  d' éducation.  Les  enseignemens  spéciaux  n'en- 
traient point  essentiellement  dans  son  plan  ,  quoiqu'un  État 
bien  organisé  ne  puisse  s'en  passer,  et  qu'ils  doivent  être  coor- 
donnés avec  l'éducation  nationale.  Cette  coordination  est  sans 
doute  établie  dans  l'ouvrage  dont  ce  Mémoire  est  un  extrait, 
et  dont  nous  attendrons  la  publication  avec  une  impatience 
d'autant  plus  vive,  qu'une  impression  de  cette  importance  at- 
testera le  retour  de  la  paix  et  du  bon  ordre  dans  cette  partie 
de  l'Amérique.  Y. 

EUROPE. 

GRANDE-BRETAGNE, 

6.  — *  Rep exions  on  the  décline  of  Science  in  England,  and  on 
some  of  ils  causes.  — Réflexions  sur  le  déclin  de  la  science  en 
Angleterre,  et  sur  quelques-unes  de  ses  causes,  par  Charles 
Babbage,  professeur  de  mathématiques  à  l'Université  de  Cam- 
bridge, et  membre  de  plusieurs  Académies.  Londres,  i85o; 
Fellowes  et  Booth.  In-8". 

Tandis  que  les  sciences  ont  produit  en  France  tant  de  théo- 
ries ingénieuses,  tant  d'importantes  découvertes,  restées 
long-tems,  à  la  vérité  sans  application,  par  suite  de  l'iner- 
tie de  nos  classes  ouvrières,  elles  sont  devenues  pour  ainsi 
dire  toutes  pratiques  dans  la  Giande-Bretagne,  où  les  con- 
naissances des  praticiens  sont  proportionnellement  beaucoup 
plus  étendues  que  celles  des  savans,  ou  de  ceux  qui  préten- 
dent à  ce  titre.  Il  résulte  de  là  que  les  sciences  mécaniques 
ont  pris  un  grand  développement,   et  que  toutes  celles  qui 


i44  LIVRES  ETRANGERS. 

reposent  S(ir  l'observation  ,  et  qui  exigent  des  études  longues 
et  al)straites,  sont  demeurées  stationnaires.  C'est  cet  état  de 
choses  qui  a  frappé  M.  Babbage  ;  il  l'attriljue  à  l'absence  d'un 
plan  raliounel  d'éducation  scienlifique,  au  manque  d'encou- 
ragemens  nationaux  offerts  aux  hommes  distingués,  enfin, 
à  l'inQuencc  dangere\ise  d'une  société  fondée  dans  le  prin- 
cipe pour  étendre  et  seconder  les  progrès  des  lumières.  En 
«fft't,  les  sciences  sont  peu  ou  point  enseignées  dans  les  Uni- 
versités anglaises  :  ni  concours,  ni  examens,  ne  viennent  sti- 
muler les  élèves,  et  les  forcer  à  faire  preuve  de  savoir.  L'en- 
^eignement ,  quand  il  y  en  a ,  se  borne  à  des  notions  vagues 
■et  générales,  doiniées  par  un  professeur,  sans  démonstrations, 
m  expéiiences.  Pour  se  dévouer  à  des  recherches  savantes,  il 
faut  en  Angleterre  l'indépendance  de  fortune,  car  aux  études  de 
ve  genre  ne  se  rattachent  ni  emplois  lucratifs,  ni  postes  honora- 
bles; les  étudians  qui  entrent  avec  ardeur  dans  la  carrière  du 
savoir  en  sent  bien  vile  détournés  par  l'obligation  de  se  créer 
un  état,  et  un  avenir  :  reste  une  classe  d'amateurs  riches,  jaloux 
de  rattacher  leurs  noms  à  quelque  établissement  d'utilité  publi- 
<|ue ,  mais  c'est  à  prix  d'argent  qu'ils  se  font  une  réputation  de 
savatis  :  ainsi  ou  n'apprendra  pas  sans  surprise  qu'il  en  coûte 
cinquante  livres  stei'iing  pour  se  faire  nommer  membre  de  la 
Societt;  Kovale;  les  hommes  du  plus  grand  mérite  ne  peuvent 
s'exempter  de  payer  cette  somme,  tandis  que  la  facilité  avec 
laquelle  on  admet  ceux  qui  n'ont  d'autres  droits  que  leur  for- 
tune a  augmenté  le  nombre  des  membres  dans  uwe  propor- 
tion déraisonnable  :  et  a,  par  cela  même,  diminué  l'impor- 
tance du  titre.  Le  président  et  les  secrétaires  sont  nommés  par 
coterie,  et  sans  égard  au  mérite  réel.  Le  conseil  est  au  choix 
du  président  cl  ne  relève  que  de  lui.  Les  rapports  de  la  so- 
citHé  sont  mal  tenus,  et  parfois  falsifies;  les  correspondans 
font  peu  de  communications,  ou  figurent  sur  la  liste  pour 
leurs  titres  de  lord  ou  de  duc;  bref,  tout  tend  à  amener  le  ra- 
pide déclin  d'une  fondation,  détournée  de  son  véritable  but. 
M.  Babbage  cite  plusieurs  faits  à  l'appui  de  ses  assertions. 
Les  observations  faites  à  l'observatoire  de  Greenwich,  et  pu- 
bliées aux  frais  du  gouvernement,  avec  le  plus  grand  luxe, 
ont  été  trouvées  flans  une  bouti(|ue  de  Thames-Street  où  on 
le.s  revendait  à  la  livre  pour  en  faire  du  carton  de  Bristol.  Il 
parait  qu'un  des  memlnes  du  conseil,  chargé  de  ce  dépôt,  avait 
imaginé  d'en  tirer  ainsi  parti.  In  autre  inconvénient  beaucoup 
plus  grave,  résultat  de  la  négligence  des  étudis  mathémati- 
ques, est  signalé  par  M.  Babbage  :  «Le  gouvernement  dé- 
couvrit, il  y  a  peu  de  tems,  que  les  termes  d'après  lesquels  il 


c  a  A  N  DK-  li il  r;r  a  c.  n  v .  1 4  5 

payait  les  annuités  étaient  inexacts,  (;t  de  nouvelles  table* 
durent  faites  par  ordre  du  parlement.  Il  fnt  constaté  à  la  même 
épo([ue,  que  les  fausses  tables  avaient  occasioné  an  pays  une 
perte  de  deux  ou  trois  millions  de  livres  sterling.  On  savait  de- 
puis long-lems  qu'il  existait  nombre  d'erreurs  dans  le  règle- 
ment de  ces  comptes,  mais  le  gouvernement  en  fr.t  le  dernier 
informé.  Moitié  de  l'intérêt  de  moitié  de  cette  somme,  judi- 
cieusement appliquée  à  l'encouragement  des  études  mathé- 
ijiatiques,  eût  empêché  que  de  pareilles  erreurs  ne  se  renou- 
vellassent  jamais.  ;> 

On  voit  que  dans  son  otnrage  M.  Rabbage  aborde  et  ap- 
profondit d'importans  sujets,  et  de  hautes  questions  :  il  ne  re- 
cule devant  aucun  abus;  il  les  démasque  tous,  et  en  appelle 
arec  intrépidité  et  bonne  foi  au  sens  de  la  nation  pour  les  faire 
disparaître.  L'intérêt  de  la  science  l'anime  seul,  et  son  tra- 
vail, aidé  de  l'autorité  d'un  nom  qui  déjà  se  rattache  à  d'im- 
portantes découvertes,  ne  peut  manquer  d'amener  sur  plu- 
sieurs points  de  grandes  améliorations.  L.  Sw.-B. 

7.  —On  the  portraits  of  englbh  nuilwrs  of  gardeaing,  etc. 
—  Sur  les  portraits  des  auteurs  d'horticulture  anglais,  avec 
des  Notices  biographiques ,  par  S.  Felton;  Seconde  édition 
considérablement  augmentée.  Londres,  i8jo;  EfTmgham 
Wilson,  royal  exchange.  In-S"  de  •20.1  pages. 

Quoique  l'ouvrage  de  M.  Felton  soit  réellement  une  bio- 
graphie, l'auteur  a  su  lui  donner  un  iu'iérêt  dramatique,  une 
vivacité  de  coloris  qui  anime  ses  peintures,  fait  mouvoir  ses 
personnages,  au  lieu  de  !es  représenter  dans  l'attitude  d'hom- 
mes qui  se  laissent  peindra.  Quoiqu'il  ait  consacré  son  travail 
aux  écrivains  anglais  qui  ont  contribué  par  leurs  ouvrages  à  la 
propagation  des  connaissances  d'horticulture,  il  n'a  pas  tout- 
à-fait  oublié  les  auteurs  français;  et,  lorsqu'il  parle  de  quel- 
ques-uns de  nos  jardiniers,  c'est  avec  une  scrupuleuse  impar- 
tialité, en  digne  citoyen  de  la  république  des  lettres.  Nous  ne 
pouvons  cependant  nous  dispenser  de  faire  un  reproche  à  son 
livre  ;  les  citations  textuelles  d'auteurs  français  y  sont  criblées 
de  fautes  d'impression  ;  et  en  général,  lorsque  les  presses  an- 
glaises reproduisent  quelques  lignes  de  français,  il  est  rare 
qu'elles  ne  les  traitent  point  hostilement.  Si  nous  nous  per- 
mettons le  même  procédé  envers  les  auteurs  anglais,  lorsque 
nous  les  citons  textuellemeut,  ne  pouvons-nous  pas  alléguer 
le  droit  de  représailles.  Dans  les  livres  d'agrément,  et  celui-ci 
en  est  un,  la  correction  typographique  est  plus  nécessaire  que 
dans  tout  autre  écrit;  une  faute  d'impression  y  cause  une  sen- 
.tation  désagréable,  c'est  une  tache  sur  une  parure  élégante, 
r,  xrvii.  jviM.KT  i8"o.  jo 


i46  LIVKKS  lhT,AN(;i<:ilS. 

un  délaut  dans  une  fleur.  La  Fontaine  conseillait  de  corriger  à 
la  main  les  fautes  d'impression  que  l'on  trouverait  dans  ses 
poésies,  ce  ([ui  prouve  qu'il  était  un  lecteur  délicat,  et  il  faut 
rC'lre  pour  apprécier  les  ouvrages  de  goût.  Y. 

8.  —  Picture  of  India  :  gtograp/iicat .  fiiatorical  aiul  des- 
criptive. —  Tableau  géographique,  historique  et  descriptif  de 
rinde.  Londres,  i8jo  ;  "NVittaker  et  C"".  2  vol.  ia-12. 

Ces  doux  volumes  répondent,  par  leur  élégance  typogra- 
phique, aux  idées  de  magnificence  qui  s'associent  dans  notre 
esprit  avec  le  nom  de  VInde  ;  tout  ce  qui  nous  intéresse  dans 
ee  pays  y  est  indiqué  légèrement,  mais  d'une  manière  inté- 
ressante La  partie  géograp]ii(|ue  est  traitée  avec  intelligence 
vX  savoir,  et  l'ouvrage  contient  plusieurs  détails  amusans  sur 
l'histoire  naturelle  de  cette  contrée.  La  description  du  gros- 
bec  indien  [loa-ca  phiUppina),  et  de  ses  précautions  pour  ga- 
rantii'  son  nid  de  l'atteinte  des  serpens  et  de  ses  autres  enne- 
mis ailés,  est  des  plus  curieuses,  (^et  oiseau  suspend  sa  petite 
habitation,  faite  en  forme  de  panier,  avec  des  herbes  habile- 
ment nattées,  au  bout  d'une  corde  composée  des  mêmes  ma- 
tériaux. Le  nid  est  divisé  en  trois apparleniens.  Lemàle  se  tient 
dans  le  premier,  gardien  de  la  femelle  et  des  petits  qui  occu- 
pent les  deux  autres;  une  provision  île  vers  luisans  conservés 
.sur  im  petit  tas  île  terre  humide,  pourla  nourriturede  la  famille, 
a  fait  dire  que  le  mTde,  pour  plus  de  sûreté,  éclairait  son  ap- 
partenïcnt.  On  lira  aus^^i  a>ec  plaisir  dans  ce  volimie  la  des- 
cription de  l'état  des  arts  et  de  l'industrie  parmi  les  Indous, 
faite  avec  beauf  oup  de  vivacité  et  de  couleiu',  et,  à  ce  qu'il 
nous  a  semblé,  avec  justesse  et  impartialité. 

g.  —  *  Notes  on  ilie  Bédouins  and  IValiabys.  —  ISotes  sur 
lesliédouinset  lesWéchabites,  recueilliespar  t/o/(nBcRCKiRDT, 
pendant  ses  voyages  en  Orient.  Londres,  i85o;  Colburn. 
In -4". 

Ce  dernier  volume  desintéressans  voyages  de  Burckardt,  pu- 
blié après  sa  mort,  est  un  peu  afïiiire  de  spécidation.  La  division 
de  l'ouvrage,  en  partie  descriptive  et  partie  historique.,  a  l'incon- 
vénient de  donner  les  mêmes  faits  par  duplicata;  iNéanmoius 
l'auteur  des  notes  a  vécu  si  long-teins  parmi  les  Arabes,  leurs 
mœuis  Ini"  étaient  devenues  si  familières,  que  ses  moindres 
observations,  les  nioindres  traces  de  ses  souvenirs  sont  en- 
core de  précieux  dncumens.  Burckardt  est  le  voyageur  qui  a 
le  mieux  connu  et  le  mieux  fait  connaître  les  Arabes.  Leurs 
vertus  hospitalières  ressorlent  avec  éclat  dans  tous  ses  récits: 
nous  remarquerons  surtout  ce  qu'il  dit  du  harainy,  ou  prison- 
nier mis  à  lancon.  Il  est   traité  tour  à   foui'  avec   barbarie  et 


GRANDK-miDTAGiNE.  i4;, 

humanité,  en  ennemi  eten  fils.  Dès  qu'il  peut  toucher  le  mai- 
?ie,  quelqu'un  ou  quelque  chose  qui  lui  appnrlicnne,  en  s'é- 
t  riant  :  Anudaklteilak^  «  je  suis  ton  protégé,  "il  n'est  plus  ex- 
posé à  aucun  mauvais  traitement.  Si  un  entant  lui  donne  un 
morceau  de  pain  ,  il  a  droit  de  réclamer  le  privilège  d'avoir 
mangé  avec  un  libérateur,  et  on  le  remet  aussitôt  en  liberté. 
La  pitié  des  chefs  des  tribus  voisines  peut  sur-le-champ  laire 
tomber  ses  fers.  L«  dévoûment  d'un  de  ses  proches  (souvent 
sa  mère  ou  sa  sœur),  si  elle  parvient  à  s'introduire  dans  le 
camp  des  Arabes,  assure  sa  délivrance.  C'est  ordinairement 
sous  le  costume  de  mendiante  que  se  présente  la  parente  du 
Imramy.  Lue  fois  qu'elle  sait  dans  quelle  tente  est  le  prison- 
nier, elle  s'y  glisse  la  nuit,  tenant  à  la  main  un  peloEon  de 
fil  ;  elle  tâche  de  lui  en  mettre  un  bout  dans  la  bouche,  ou  de 
le  lui  attacher  ù  la  jambe,  afin  qu'il  sache  que  quelqu'un  des 
siens  est  venu  à  son  aide.  La  femme  se  retire  ensuite,  dérou- 
lant le  fil  à  uiesiu'e,  jusqu'à  ce  qu'elje  atteigne  (me  tente  voi- 
sine. Là,  elle  réveille  l'Arabe  endormi  et  lui  posant  le  peloton 
sur  la  poitrine,  elle  lui  dit  :  «  Regarde  moi  !  par  ton  amour  pour 
Dieu  et  pourtoimême,  jemetsceci  sous  ta  protection!  »  Aussilcjt 
(|ue  l'Arabe  comprend  le  sujet  de  cette  visite  nocturne,  il  se  lè- 
ve, et,  suivant  le  fil  qu'il  lient,  il  marche  droit  à  la  tente  qui  ren- 
ferme le  liaramy,  et  somme  le  maître  de  relâcher  son  captif, 
déclarant  que  c'est  son  dahheil  ou  protégé.  Il  n'y  a  pas  d'exem- 
ple qu'une  pareille  demande  soit  jamais  refusée.  On  délie  le 
prisonnier,  on  le  régale  comme  un  hijte  bien  venu,  et  ou  le 
renvoie  libre.  Ce  fait,  tout  romanesque  qu'il  puisse  sembler, 
n'est  point  une  fiction  :  le  voyageur  l'a  vu  se  renouveler  plu- 
sieurs fois  pendant  son  séjour  chez  les  Arabes;  et  ce  n'est  pas 
le  côté  le  moins  frappant  de  cette  vie  nomade  et  aventureuse, 
([ue  le  respect  de  coutumes  humaines,  garanties  seulement 
parla  bonne  foi  de  tous.  Il  y  a  quelque  chose  de  touchant  dans 
cette  civilisation  organisée  d'un  commun  accord,  et  sans  son 
cortège  obligé  de  lois  et  de  châtimens.  La  pitié  et  la  sympa- 
thie ont  là  un  code  convenu,  régulier,  et  dont  le  plus  sau- 
vage Bédouin  n'oserait  s'écarter.  L  ne  histoire  de  la  secte  san- 
guinaire des  AYéchabites  termine  le  volume,  et  n'en  est  pas  la 
partie  la  moins  curieuse.  L.  Sw.-B. 

10.  — *On  ihe  best  means  cf  improving  ilie  moral  and pliysi- 
<:al  condition  ofihe  working  dusses,  etc.' — Des  meilleurs  moyens 
d'améliorer  l'état  moral  et  ])hysique  des  classes  lal)orieuses  ; 
-discours  prononcé  à  la  première  assemblée  scientifique  men- 
suelle de  Ylnsdtul  de  mécanique  de  Belfast  ;  par  Htnry  iM'CoR- 
MAC,  D.  M.  Londres,  i85o;  Longman.  In-8"  de  24  pages;  prix, 
un  shilling:. 


,4«  LIVRES  KTUA.NGKRS. 

i\l.  le  (locknir  M'C^oiniac  avait  à  leiiiplir  iino  t^u-lie  devenue 
Jafile  à  quelques  égaids,  diiricilc  suvis  un  autre  point  de  vue  ; 
il  fallait  faire  sentir  de  plus  en  plus  les  avantages  de  la  pro- 
pagation des  connaissances  et  de  l'esprit  d'association,  et,  par 
conséquent,  ajouter  de  nouveaux  motifs  à  tous  ceux  qui  ont 
été  exposés  plusieurs  fois.  Il  les  a  trouvés  dans  les  circon- 
stances particulières  où  l'Irlande  est  placée  aujourd'hui.  On  a 
peut-être  à  lui  reprocher  une  erreur  hien  excusable  :  il  pense 
que  tout  homme  est  capable  d'instruction,  et  que,  de  quel- 
ques mauvaises  qualités  que  la  nature  l'ait  doué,  l'éducation 
peut  le  rendre  meilleur.  Quoique  cette  {U'oposition  soit  vraie 
pour  les  masses,  elle  ne  l'est  point  pour  q-ielques  individus  ; 
i!  en  est  quelques-uns  que  l'instruction  rend  plus  redouta- 
bles, qu'elle  arme  d'in>trumens  de  crimes,  instrumens  plu» 
dangereux  (|ue  ne  peut  l'être  la  brute  nature,  dans  toute  sa 
perversité.  Mais  cette  opinion  de  iM.  M'dormac,  qui  est  celle 
de  plusieurs  philosophes  des  plus  distingués,  n'influe  point 
sur  l'ensemble  de  ses  vues  de  bienfaisance  éclairée,  active, 
cfïicace,  s'attachant  à  détourner  la  source  du  mal,  au  lieu  de 
se  borner  à  des  palliatifs.  Tout  ce  qu'il  dit  peut  être  pratiqué 
partout,  aussi-bien  qu'en  Irlande.  Y. 

1  1.  —  Ireland  and  ils  cconomy  ;  being  tlie  rcsalt  of  observa- 
tions mode  in  a  tour  tlirougli  ihe  country,  in  the  autanin  ofi^iç). 
—  De  l'Irlande,  et  de  son  économie  intérieure  ;  résultat  d'ob- 
servations laites  dans  ce  pays  pendant  l'automne  de  iS-jt); 
par  J.  E.  BiCHENo.  Esq.  Londres,  i85o  ;  Murray.  In-8°. 

C'est  lorsque  la  grande  mesure  de  l'émancipation  avait  déjà 
apporté  quelque  soulagement  aux  maux  de  l'Irlande,  que 
M.  Ri(  heno  a  parcouru  ce  malheureux  pays.  Dans  des  vues 
toutes  philanlropiques,  il  a  cherc^hé  à  déconviir  la  cause  des 
souflVances  dont  il  était  témoin.  Une  population  qui  s'accroît 
à  mesure  (pie  les  moyens  de  la  faire  vivre  diminuent,  c'est  là 
le  fait  malheureux  qui  donne  un  démenti  à  tous  les  raisonne- 
mens  des  philosophes  et  des  économistes,  et  qui  déjoue  tous 
leurs  plans  d'amélioiation.  Le  voyageur  anglais,  imbu,  sans 
s'en  douter  lui  même,  des  préjugés  aristocratiques  que  dans 
sa  patrie  on  suce  avec  le  lait,  regrette  l'organisation  des  clans^ 
qui  parquait  une  masse  d'hommes  au  profit  d'un  seul,  et  at- 
tribue les  malheurs  de  l'Irlande  à  l'abandon  d'un  système,  qui, 
selon  lui,  unissait  le  propriétaire  au  prolétaire  par  des  liens 
d'affection  et  de  patronage.  Il  dit  avec  raison,  que  les  dissen- 
sions et  les  troubles  ne  viennent  point  des  oppositions  reli- 
gieuses, que  celles-ci  sont  un  phénomène,  un  effet,  non  une 
cause.   Tous  ie'^   riches  sont  pintf<tans,  fous  les  pauvres,  ca- 


tholiqucâ,  cl  l'ôlul  de  guerre  entre  ces  deux  classes  ne  \  ieiit 
pas  do  la  différence  de  sectes;  c'est  bien  plutôt  leur  haine 
mutuelle  qui  les  a  rangées  dans  deux  camps  opposés.  Cette 
vue  de  i\I.  Biclieno  est  ibrt  juste;  mais  il  est  étonnant  qu'il  ne 
donne  pas  sur-le-chainp  l'explication  de  cetétat  de  choses,  et 
qu'il  aille  la  chercher  dans  l'abandon  d'un  vieux  système  que 
le  {;enre  humain  grandissant  a  dû  briser,  comme  l'enlant  brise 
ses  lisières,  quand  ses  mem])res  sont  assez  forts  pour  le  por- 
ter. La  cause  de  la  haine  entre  les  pauvres  et  les  riches,  en 
Irlande  comme  ailletns,  est  facile  à  troiiver  :  elle  naît  de  ce 
que  les  uns  ont  tout;  les  autres,  rien. 

M.  Bicheno  se  range  parmi  ces  admirateurs  du  passé,  qui, 
tournant  incessamment  dans  un  cercle  vicieux,  attribuent 
les  maux  de  l'humanité  aux  nouvelles  doctrines,  et,  en  expli- 
(juant  deux  effets  l'un  par  l'autre,  prétendent  remonter  aux 
causes.  Le  voyageur  peut  regretter,  mais  il  ne  rappellera  pas 
ces  tems  où  «  les  rentes,  que  l'on  a  refusées  depuis  aux  land- 
lords  républicains,  étaient  volontairement  payées  à  des  chefs 
despoti(iues;  où  des  contrats  passés  en  rompant  une  baguette 
ou  une  paille  étaient  plus  ojjligatoires  que  ceux  qui  sont  enre- 
gistrés aujourd'hui  sur  le  parchemin,  et  dont  le  peuple  se  rit, 
ne  se  regardant  pas  comme  lié  parce  qu'il  y  a  du  noir  sur  du 
blanc,  des  lettres  tracées  sur  uuepeaude  monto».  »  Chaque  âge 
de  la  société  a  ses  vertus;  les  besoins  et  les  maux  se  sont  accrus 
avec  les  lumières,  non  comme  conséquences  les  uns  des  au- 
tres, mais  tous  naissant  de  l'expérience,  de  la  vie,  des  lois  de 
noire  organisation;  car  la  société,  établie  sur  le  modèle  de 
l'homme,  grandit  comme  lui,  et  ses  exigences  ,  ses  défiances 
grandissent  avec  elle. 

Les  regrets  de  ces  tems  d'enlance  appartiennent  aux  poètes  : 
à  eux,  le  champ  des  souvenirs  et  celui  de  l'espérance,  ces  deux 
paradis  sans  bornes,  entre  lesquels  marche  la  vie  positive  :  le 
moraliste,  l'observateur  qui  recueille  des  matériaux  pour  la 
législation  et  pour  le  gouvernement  des  peuples,  a  une  autre 
tâche  :  il  faut  qu'il  mette  le  doigt  sur  la  plaie  et  lui  donne  son 
véritable  nom,  car  c'est  presque  toujours  indiquer  le  moyen 
de  la  guérir.  La  division  des  propriétés  est  l'unique,  mai^  diï- 
ficile  remède,  à  la  situation  de  l'Irlande,  si  critique,  que  ce 
n'est  pas  de  sa  durée  que  le  ministère  s'inquiète,  puisqu'elle 
est  impossible ,  mais  bien  de  la  manière  dont  le  pays  peut 
trancher  la  question,  si  l'autorité  ne  la  résout.  C'est  à  lui, 
c'est  au  gouvernement,  de  trouver  les  moyens  d'amener  pro- 
gressivement, légalement,  une  répartition  que,  tôt  ou  tard, 
une  révolution  effectuera  :  une  Révolution,  c'est-à-dire,  une 


,5c>  LIVRES  KTRANGEPxS. 

(le  ce»  violentes  iiijuslico.'^  qui,  de  teins  ;'i  autres»  viennciti 
tout  à  coap  compenser  en  un  moment  des  siècles  d'oppres- 
sion, et  redresser  par  une  terrible  secousse  Ui  balance  sociale. 

L.  Sw.-li. 
RUSSIE. 

13,  —  Réponse  à  la  Lettre  de  Tutunc/Ju-Oglou ,  par  M.  de 

Hammer. 

i3. —  Observations  sur  fa  Lettre  de  Tiitandju-Oglou-Moiis- 
tafa-Jga,  véritable  philosophe  turk,  à  M.  Thaddée  Balgarin^ 
rédacteur  de  VJbciUe  du  Nord,  etc.,  par  F.-B.  Charmoy.  In-8" 
de4op.  Saint-Pétersbourg,  1828;  imp.  de  C.  Hintze. 

Nous  voici  engagé  dans  une  discussion,  sans  doute  un  peu 
longue,  au  sujet  de  deux  ou  trois  brochures,  dont  le  l)ut  est 
peut-être  un  peu  trop  spécial  pour  un  recueil  qui  ne  peut  et 
ne  doit  s'attacher  qu'à  présenter  à  ses  lecteurs  l'analyse  som- 
maire, et  pour  ainsi  dire  l'essence  des  faits  les  plus  généraux 
ou  des  productions  capitales  de  la  science  ;  mais  nous  croyons 
avoir  prouvé  qu'il  s'agissait  de  quelque  chose  de  plus  ici  que 
d'une  simple  discussion  littéraire  entre  deux  Orientalisle>;.  .-i- 
non  également  célèbres,  du  moins  également  recommanda- 
bles  ;  et  d'ailleurs,  il  serait  injuste  de  reluser  à  la  défense  la 
place  que  nous  avons  accordée  à  l'attaque.  Écoutons  donc  un- 
instant  M.  de  Hanmier  et  celui  qui  s'est  constitué  son  défen- 
seur oilicieux,  sans  doute  par  estime  pour  ce  savant  pro- 
fesseur et  par  con\iction  pour  sor\  b(ui  droit. 

Dans  sa  Réponse  ^  insérée  dans  le  cahier  de  juillet  1828  du 
Nouveau  Journal  asiatique  (p.  5o  à  7«),  31.  de  Hammer 
essaie  d'abord  d'intéresser  à  sa  propre  cause  l'honneur  de 
la  Société  asiatique  de  Paris,  qui  l'a  nonnné  le  premier  de  ses 
associés  étrangers,  cl  dont  le  jugement,  dit-il,  est  compromis 
par  Vindigne  attaque  de  M.  Senkovsky,  et  par  le  ton  et  l'objet 
de  sa  criti(|uc.  Nous  ne  voyons  pas  tout-à-fait  la  conséquence 
d(î  ce  raisonnement;  nous  ne  croyons  point  qu'aucune  so- 
ciété du  monde  ])uisse  être  compromise  eu  rie-n.  parce  que  les 
écrits  d"un  de  ses  membres  on  d'un  de  se-^  associés  auront  été 
Fobjet  d'ime  critique  plus  ou  moins  sévère,  plus  ou  moins 
fondée,  de  la  part  d'un  autre  savant  étranger  à  la  société,  ou 
même  faisant  partie  de  la  société  ;  à  moins  de  déclarer  que 
cette  société  et  tous  ses  membres  ou  adhérens  sont  infailli- 
bles :  prétention  que  nul  homme  ou  même  nul  corps  n'est  en 
droit  (l'aflichor  à  l'égard  de  tons  les  autres,  et  dont  le  ridicide 
ferait  aujourd'hui  ju^tii  e. 

(^)uoi  qu'il  en  soit.  M.  de.  Hammer  ne  répondra  {)as ,  dit-il  , 


kussil;.  ir>i 

par  des  injmo!^,  aux  injures  de  M,  Sciikovsky;  ii  veni,  suivant 
l'expression  de  !'(dyl)e  ,  (jue  sa  défense  soit  uon-sciilemenl  une 
lutte,  mais  encore  une  ccoie.  Mous  ne  pouvons  en  eela  qu'ap- 
prouver i>l.  de  Hatnnier,  (pioi((uc  nous  devions  à  la  vérité  de 
déclarer  que  nous  avons  trouvé  bien  des  malices,  l)icn  des  mé- 
chancetés dans  la  lettre  de  M.  Senkovsky,  mais  rien  qui  ne 
nous  paraisse  être  de  bonne  guerre,  et  surtout  rien  qui  ressendde 
le  moins  du  monde  à  des  injures.  Après  un  préambule,  où  h» 
modestie  de  notre  célèbre  orientaliste  M.  Silvestre  de  Sacy 
reçoit  un  éloge  que  tous  ses  confrères  déviaient  bien  tâcher 
de  mériter  comme  lui,  M.  de  Hammer  entre  en  matière,  et 
passe  franchement  condamnation  sur  les  fautes  et  les  erreurs  de 
sa  traduction.  Il  avoue  qu'il  a  eu  tort  «de  traduire  les  mois 
ichtlar  et  mounfesi/ian  comme  s'ils  étaient  des  noms  propres»  ; 
qu'il  n»  mis  par  mégarde  dans  cette  traduction,  le  côté  droit 
pour  le  côté  gauche^  et  ceuw-ci  pour  ceux-ld  )i  ;  il  avoue  qu'il 
aurait  du  «lire  herke ,  au  lieu  de  birke»,  et  qu'il  a  eu  >'  tort  de 
prendre  les  mots  {/aki-ol-djaji,  haki-el-djuyi ,  ou  hakil-djayi 
pour  le  litre  d'un  ouvrage».  Enfin  il  reconnaît  que  «  la  leçon 
de  djebal  (  montagnes  )  vaut  mieux  que  celle  de  djcîîial  (cha- 
meaux )  ».  —  «Voilà,  dit-il,  pour  les  fautes  d'inadvertance; 
pour  les  autres  qui  ont  été  relevées  par  M.  Senkovsky,  elles 
sont  autant  de  fictions  de  sa  création.  »  Si  la  leçon  de  Kdrran 
vaut  mieux  que  celle  de Kazirau {\olor,  dealba  tor) , qu'il  a  rendue 
par  foulon ,  il  n'est  pas  vrai  ,  ajoute-l-il,  que  ce  mot  signifie 
une  blanchisseuse,  comme  le  veut  M.  Senkovsky,  ce  qui  don- 
nerait lieu  de  croire  que  ce  sont  les  femmes  qui  blanchissent 
en  Perse  ,  tandis  que  ce  sont  les  hommes.  Si  la  leçon  de 
Gliouniran  vaut  mieux  que  celle  à''Oamran^  il  n'en  a  pas  moins 
eu  raison  de  traduire  celle-ci  (qui  est  celle  que  poile  son  ma- 
nuscrit) par  le  mot  de  culture,  qui  est  celle  que  lui  donne  Ihn- 
Klialdoun  et  le  dictionnaire  arabe-turc  (.VJkhiéri,  qui  a  paru 
il  y  a  deux  ans  à  Constantinople.  Il  soutient  que  le  mol  per- 
san kundus  est  le  nom  d'une  lierhe  vénéneuse ^  et  non  celui  du 
castor,  comme  le  veut  iM.  Senkovsky,  qui  a  confondu  ce  mot, 
dit-il,  avec  celui  de  koundliouz. 

Nous  ne  suivrons  pas  plus  loin  le  célèbre  orientajiste  de 
Vienne  sur  le  terrain  glissant  de  cette  discussion,  où  il  semble 
reprendre  quelquefois  l'avantage  contre  son  adversaire,  qu'il 
taxe  à  son  tour,  en  propres  termes,  d'ignorance  et  de  présomp- 
tion, et  qu'il  accuse  d'user  souvent  à  son  égard  «  d'un  procédé 
qui  ne  peut  réussir  qu'auprès  des  personnes  qui  n'entendent 
rien  aux  textes  orientaux»  ;  c'est  de  paiaitre  corriger  ses  tra- 
ductions «par  une  nouvelle   interprétation,  qui  est  en  réalité 


i53  LlVilliS  lïrilANGEilS. 

moins  jlI^te  el  niojiis  fidèle  à  la  lettre  dti  texte.  »  Nous  ne  som- 
iiies  point  juge  compétent  dans  ces  matières,  comme  nous  l'a- 
vons déjà  déclaré,  et  nou>  aAonshâle  d'anivei  au  point  le  plus 
important  de  cette  discussion,  qui  est  relatif  au  sujet  même 
de  l'ouvrage  de  M.  de  Hammer,  critiqué  par  M.  Senkovsky, 
c'est-à-dire  aux  origines  russes.  «Il  en  sera,  dit-il,  comme 
l'entend  M.  Senkovsky,  je  ne  serai,  comme  il  lui  convient  de 
le  dire,  et  si  l'on  peut  le  croire,  qu'un //"«/îc  ignorant,  un  c/iar- 
Uitan{\),  en  histoire  et  en  géographie;  je  lui  abandonne  tous 
mes  ouvrages,  car  il  paraît  que  c'est  leur  quantité  qui  l'irrite... 
mais  je  ne  puis  désavouer  ce  que  j'ai  dit  sur  les  Sacœ,  les  mots 
Czar,  Ras,  Corsarcs  et  sur  la  patrie  originaire  des  Germains.  » 
Ici  l'auteur  s'attache  à  prouver  les  cinq  propositions  suivantes, 
savoir:  i"  que  «les  Sâxat  des  Grecs /;flram^//<  être  les  Slaves»; 
2°  que«  le  nom  de  Czar  est  nu  nom  asiatique»;  5°  que«  les 
Corsans  du  Chahnamé  sont  les  Xwcoaoot  des  géographes 
grecs  )  ;  4°  qne«  les  Assliahi-Ras  du  Coran,  placés  par  quel- 
ques commentateurs  sur  les  bords  de  l'Araxe,  ionX.  probable- 
ment les  P&K  de  l'Écriture,  c'est-à-dire  les  Russes  d'Asie  y 
que  les  historiens  orientaux  classent  parmi  les  Turcs  »  ;  5°  en- 
lin  (et  cette  dernière  proposition  n'est  plus  relative  aux  Rus- 
ses, mais  aux  Germaitis),  que  «la  patrie  originaire  des  Ger- 
mains et  des  Teutons  est  au  delà  de  l'Oxus,  la  lioukharie» 
(quoique,  ajoute  M.  de  Hammer  lui-même,  la  «  leçon  du  ma- 
nuscrit de  Mirkhond  qui  porte  Germania  pour  Djôrdjania  soit 
fausse»,  ce  qu'avait  observé  son  critique). 

II  faut  lire  dans  la  Défense  même  de  l'auteur  toutes  les  rai- 
sons qu'il  cherche  pour  appuyer  son  opinion,  et  les  compa- 
rer ensuite  avec  celles  que  donne  M.  Senkovsky  pour  corro- 
borer ia  sienne,  (jui  lui  est  toute  contraire,  et  pour  la(((ielle 
noué  avons  déjà  dit  que  nous  penchions.  Mais  cette  opinion 
ne  reçoit  point  de  valeur  de  la  nôtre,  que  nous  devrions  ap- 
puyer à  notre  tour  sur  des  preuves.  Ce  n'est  pas  ce  que  l'on 
peut  faire  en  quelques  mot^.  Nous  le  tenterons  peut-être  un 
jour;  mais  dans  un  travail  spécial,  pour  lequel  nous  n'avons 
encore  qu'une  bien  faible  partie  des  matériaux,  et  surtout  des 
connaissances  que  nous  sentons  être  nécessaires.  Nous  ne 
voudrions  pas  imiter  en  cela  l'exemple  de  savans  célèbres  qui 
se  sont  présentés  (pielquefois  dans  l'arène,  armés  un  peu  trop 
à  la  légère,  et  qui  ont  donné  des  conjectures  ha.sardées  pour 
des  faits,  qimique  nous  ne  puissions  prêter  à  nos  erreurs  l'au- 

(0  Remarquons,  en  passant,  que  ces  mots  ne  se  liouvenl  nulle  pai  ï 
lexluellcnicnt  dans  la  leltte  île  M.  Stnkuvsky. 


ilLSSlK.  1-55 

turilé  il'uii  nom  qui  les  rendît  I)ieii  dangereuses,  et  que  pat 
cela  même  sans  doute  nous  fussions  plus  excusables.  Les  sa- 
vans,  et  en  général  tous  ceux  qui  écrivent  sur  une  matière 
quelconque  ,  devraient  s'appliquer  avant  tout  à  augmenter  la 
somme  des  vérités  connues.  Ce  n'est  pas  la  peine  de  s'élever 
au-dessus  du  vulgaire  et  de  monter  ù  la  tribune,  si  l'on  ne  fait 
(jii'embrouillcr  la  (jucstion  et  épaissir  davantage  le  voile  de 
l'erreur  ou  du  doute.  C'est  là  le  point  moral  de  la  discussion, 
e'cst  là  où  nous  voulions  en  venir;  et  tout  notre  désir  serait 
de  voir  les  savans  se  rendre  un  peu  plus  respectables  en  se 
respectant  un  peu  plus  eux-mêmes  dans  les  querelles  que 
peut  leur  susciter  l'amour-propre. 

Il  nous  reste  bien  peu  de  place  pour  parler  des  Obsenations 
de  notre  compatriote  M.  Cbarmoy,  qui,  on  ne  sait  trop  pour- 
quoi, est  venu  se  mêlera  celte  discussion.  Ma  raison,  dit-il, 
se  refuse  à  attribuer,  comaie  M.  de  Hammer,  un  semblable 
libelle  à  un  homme  aussi  distingué  que  M.  le  professeur  Sen- 
kovsky.  ))I1  entreprend  donc  de  lui  répondre,  et  il  essaie  de  le 
faire  sur  le  même  ton  qui  règne  dans  la  lettre  de  son  adver- 
saire, ou  plutôt  de  celui  de  iM.  de  Hammer;  mais,  si  la  plai- 
santerie est  une  arme  que  l'on  se  plait  généralement  à  voir 
manier  par  les  Français,  et  dans  laquelle  on  avoue  assez 
volontiers  la  supériorité  de  notre  nation  ,  il  faut  bien  recon- 
naître qu'en  cette  occasion  notre  compatriote  a  été  vaincu 
par  un  étranger,  qu'il  est  resté  bien  loin  de  la  finesse,  de  l'i- 
ronie, et  surtout  des  convenances,  et  des  formes  du  style  em- 
ployé par  l'agresseur;  nous  dirons  même  que  sa  brochure, 
écrite  en  français,  mais  très-peu  soignée  sous  le  rapport  ty- 
pographique ,  semblerait  bien  plutôt  traduite  péniblement 
d'une  langue  étrangère  que  celle  de  31.  Senkovsky,  qui  a  été 
écrite  originairement  en  russe. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  clair  dans  la  brochure  de  M.  Cbarmoy, 
c'est  qu'il  a  voulu,  sous  le  prétexte  de  défendre  M.  de  Ham- 
mer contre  les  attaques  de  M.  de  Senkovsky,  montrer  que  ses 
connaissances  sont  supérieures  à  celles  de  ces  deux  savans  ;  ce 
que  nous  souhaiterions  de  tout  notre  lœur,  ne  fût-ce  que  par 
esprit  national.  En  effet,  il  accuse  le  célèbre  orientaliste  de 
Vienne  (p.  4)  de  travailler  «  parfois  avec  trop  de  légèreté». 
Il  ne  s'est,  dit-il  (p.  b) ,  immiscé  dans  cette  discussion,  que 
parce  que  M.  de  Hammer»  s'est  laissé  intimider  par  le  ton 
tranchant  du  quolibet  dirigé  contre  lui  »,  et  qu'il  s'est  borné 
"ft  chanter  la  palinudien ,  au  lieu  de  relever  les  fautes  gros- 
sières cJoiU  fourrn-.'if;  1'!);!"»  i  ti;;c  de  sou  adversaire.  Il  oppose 
(p.  9  à  12)  sa  propie  Aersion  de  quelques  passages  a  la  tra- 
duction de  M,  Senkovsky,  et  prétend  prouver  par-là  que  ce 


i54  LIVRES  ÉTRANGERS. 

«mordant  censeur  les  a  tout  aussi  mal  entendus  que  le  savant 
qu'il  a  critique».  Étrange  manière,  on  Tavonera,  de  défendre 
M.  de  Hainmcr! 

Mais,  ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux  dans  cette  prétendue  dé- 
fense, c'est  (|ue  le  fumeux  Djebal ,  sur  lequel  M.  de  Hammei- 
hii-mrme  a  passé  condamnation  de  si  bonne  grâce,  no  «loit 
plus  être  remplacé,  selon  M.  Cliarmoy,  par  celui  de  Djcmal 
(ou  Djimâl)  qu'a  proposé  31.  Senkovsky  ;  mais  qu'il  faut  lire, 
à  la  place  de  ces  deux  mots,  celui  de  chutarlia,  que  l'on  trouve, 
dit-il,  dans  le  texte  persan,  donné  par  M.  de  Hammer  lui- 
même  à  la  suite  de  son  ouvrage.  C'est  ce  qu'on  appelle  faiie 
d'une  pierre  deux  coups  ;  c'est  tuer  à  la  fois  (toujours  dans  la 
suppositioncpie  notre  compatrioteait  raison)  et  M.  Senkovsky. 
contre  lequel  il  dirige  sa  réfutation  ,  et  M.  de  Hammer,  (pi'il 
préteiul  défendre,  (kda  nous  rappelle  enfin  la  fable  de  VOitrs 
émoucheur  (i) ,  et  ce  vers  de  notre  bon  et  inimitable  La  Fon- 
taine : 

Mieux  vaudrait  un  sagf;  ennemi, 
qu'on  pourrait  appliquer  à  de  plus  grandes  erreurs. 

Edme  HÉREAu. 
POLOGISE. 

14.  — *  Discours  pi'ononeé par  M.  le  comte 'Slos'vty^sH.i  ^  séna- 
teur palatin,,  ministre  de  l'intérieur  et  de  la  police  du  royaume 
de  Pologne ,  èi  l'oueerlure  de  la  diète,  le  28  mai  i83o.  Varsovie, 
18Ô0  ;  imprimerie  de  Clucksberg.  In-8"  de  59  pages. 

Les  ministères  ne  sont  pas  aussi  mobiles  en  Pologne  qu'en 
France  :  nous  avoiîs  sous  les  yeux  les  discours  prononcés  de- 
puis i5  ans  parle  même  ministre,  à  l'ouverture  de  chaque 
diète.  Cette  stabilité  est  un  bien  ou  un  mal ,  suivant  l'usage 
que  font  du  pouvoir  ceux  qui  en  sont  dépositaires  Mallieu- 
leusement,  le  bien  ne  peut  être  opéré  (jue  lentement,  au  lieu 
que  le  mal  j>cut  tond^er  comme  une  bombe  qui  écrase  par  sa 
chute,  et  répand  au  loin  ses  éclats  meurtriers.  >(»us  nous  plai- 
gnons avec  raison  de  l'état  actuel  de  la  France;  nous  sentons 
péniblement  toute  l'étendue  de  nos  besoins,  le  poids  énoime 
du  fardeau  qui  nous  accable;  nous  connaissons  les  moyens  de 
soulagement  et  les  obstacles  qui  s'opposent  à  leur  adoption  : 
la  Pologne  est-cl'e  mieux  (jue  nous?  Examinons. 

l'our  une  population  (pii  n'est  guère  «pie  le  sixième  de 
C(!lle  de  la  l'ranc»; ,  on  conipte  i/|,i4'i  causes  criminelles;  ce 
serait,  à  proportion,  au  moins  85, 000  pour  la  France;  il  y  en 

'1)  L'()u)'s  cl  C  A  mal  un-  tics  jardin  r.,  liv,  viii.  fal).  x,  édit.  parisienne. 


iH)L()(;:>E.  ,5S 

s  moiii.s  che/-  nous.  Mais  il  paraît  que  les  écoles  supérieures 
soûl  plus  fréquentées  en  Polop^ne  quen  France.  Quant  ;'i  l'in- 
struction primaire,  ce  discours  ne  donne  pas  la  mesure  des 
progrès  qu'elle  i\  pu  faire  en  Poioiiue  ;  M.  le  ministre  de  l'in- 
térieur annonce  que  le  nombre  des  éludians  s'est  accru,  quoi- 
que celui  des  écoles  ait  été  diminué.  Les  maximes  qui  diri- 
gent le  gouvernement  polonais,  relativemcut  à  la  propagation 
des  connaissances,  doivent  être  remarcjuées  par  les  philan- 
tropes;  nous  les  livrons  à  leurs  méditations.  Les  voici  telles 
que  M.  le  comte  Mostowski  les  expose  :  »  Aucune  société  dont 
ïes  membres  n'auront  point  appris  à  discerner  le  bien  et  le 
mal,  le  vice  et  la  vertu  ;  auxquels  on  n'amait  pas,  à  cet  effet, 
ainsi  que  pour  la  direction  de  leur  avenir,  enseigné  les  pre- 
miers élémens  de  toute  instruction  sociale,  à  lire,  à  éciire,  à 
compter,  et  ce  qui  est  strictement  nécessaire  à  la  profession 
qu'ils  exercent,  ne  saurait  être  mure  pour  chérir  et  maintenir 
un  état  de  choses  hors  de  leur  portée.  Et,  s'il  est  peut-être 
vrai  que  l'extension  irrégulière  des  connaissances,  en  aug- 
mentant la  sûreté  des  personnes,  tend  à  diminuer  celle  des 
propriétés,  par  les  nouveaux  désirs  qu'elle  excite,  le  moyeu  le 
plus  simple  d'écarter  l'appât  des  jouissances  illicites  se  trou- 
verait eu  facilitant  surtout  pour  chaque  état  l'instruction  li- 
mitée qui  lui  convient,  et  qui  attachera  davantage.  »  Cette 
doctrine  poussée  trop  loin  ne  serait  point  sans  danger  :  elle 
tendrait  ;"t  faire  penser  que  l'effet  de  l'instruction  pourrait  être 
d'engager  les  assassins  à  se  contenter  d'être  voleurs,  ce  qui 
serait  une  amélioration  ;  mais  que.  d'un  autre  côté  ,  l'accrois- 
sement illimité  de  l'instruction  multiplierait  les  vols  ,  ce  qui 
serait  aussi  un  grave  inconvénient.  Quant  à  V instruction  limi- 
tée qui  convient  d  chaque  profession,  il  est  fort  à  craindre  que  les 
distributeurs  ne  se  trompent  sur  une  dose  aussi  précise,  qu'ils 
n'aiment  mieux  être  avares  ([ue  prodigues,  et  que,  pour  éviter 
plus  sûrement  la  multiplication  des  vols,  ils  ne  laissent  faire 
quelques  ]>as  rétrogrades  vers  l'assassinat.  Mais  continuons 
notre  examen. 

En  raison  de  la  population,  le  clergé  polonais  n'est  pas  la 
moitié  de  celui  de  France  .  et  proi)al)lement  il  n'est  pas  traité 
plus  magniîiqueuK'ut  :  c'est  un  bien.  Dans  l'espace  de  cinq  ans, 
267  fonctionnaires ,  prévenus  de  concussion  ou  (Calnis  de  pouvoir^ 
ont  été  poursuivis  criminellement  :  justice  a  été  faite,  c'est  en- 
core un  bien  ;  mais  le  nombre  des  prévaricateurs  est  très- 
grand,  ce  qui  décèle  quelque  vice  dans  les  lois  ou  dans  les 
mœurs;  voila  un  mal.  Xous  ne  manquons  pas  non  plus  de 
fonctionnaires  prévaricateurs;  mais  bien  peu  sont  poursuivis 


i.">(i  LIVRES  Jh'ilA.NCiJlS. 

criiuiiieilfcinent.  Les  levées  de  reciues  oui  été  moindres  en  Po- 
lojrne  qu'en  France.  En  Pologne,  les  routes  s'aniélioraienl , 
landis  que  les  nôtres  se  dégradaient  de  plus  en  plus.  Les  amé- 
liorations sont  rapides,  dans  un  pays  où  l'on  avait  tant  à  répa- 
rer ;  chez  nous,  où  il  ne  s'agissait  que  de  conserver,  on  n'a 
rien  acquis;  et  sans  les  eflbrts  constans  des  amis  de  la  patrie, 
les  })ertes  eussent  été  nombreuses,  et  peut-être  irréparables. 
Que  les  Polonais  soutiennent  leur  courage,  qu'ils  ne  cessent 
jamais  d'espérer,  et  qu'ils  s'attachent  à  resserrer  le  faisceau 
national  :  pour  eux  l'avenir  n'est  pas,  comme  pour  nous,  me- 
naçant et  chargé  d'orages.  Tout  l)ien  considéié,  rlans  les  cir- 
constances actuelles,  ils  ont  à  se  féliciter  d'un  étal  de  choses 
qui  ouvre  la  voie  à  de  nombreuses  améliorations.  Tous  les 
vœux  des  amis  de  l'humanité  accompagnent  et  encouragent  la 
nolile  nation  polonaise  dans  sa  tendance  progressive;  et  le  mi- 
iiislre  qui  veut  la  favoiiser,  et  qui  remplit  ainsi  les  intentions 
(le  son  jeune  souverain,  mérite  aussi  des  éloges.  N. 

ALLEMAGNE. 

i5. — MikroskoiHsc/te  Linlersiicliungenji.  s.  w.  —  Recherches 
microscopiques  sur  la  découveite  laite  par  M.  Robert  Brocvn 
de  particules  vivantes,  indestructibles  même  dans  le  feu.  se 
trouvant  dans  tous  les  corps,  et  sur  la  génération  des  Monades  ; 
par  le  docteur  C.  Jug.  Sigm.  Schiltze.  Carlsruhe  et  Fri- 
bourg,  1828.  In-4''- 

Depiiis  le  commencement  des  recherches  scientifiques,  un 
des  buts  principaux  de  la  physiologie  a  été,  d'un  côté,  de 
])oi:rsuivre  le  gci-me  de  la  vie  jusque  dans  ses  premiers  mou- 
vemens;  de  l'autre,  de  découviir  les  phénomènes  qui  signa- 
lent,-le  passage  de  la  vie  à  la  mort.  Le  microscope  a  servi 
inaintes  fois  à  l'examen  de  ces  problèmes  encore  insolubles,  et 
il  a  ramené  les  philosophes  à  ces  idées  de  molécules  et  d'a- 
tomes qu'avaient  déjà  professées  Empédocle  et  Démocrite.On 
a  vu  là,  comme  vm  beaucoup  d'autres  points,  un  obscur  ius- 
tiiicl  de  ces  antiques  génies  devancer  les  démonstr.itions  de  la 
science. 

M.  llobevi  lÎRovvN,  (pii  se  li\re  aux  recherches  microscopi- 
ques, annonce,  dans  \\n  Mémoire  (pii  a  paru  à  Londres  en 
1829,  et  dont  la  Revue  Encjcloijàlique  a  rendu  compte  (  voy. 
l.  xLiv,  p.  124),  que  tous  les  corps  organiques  et  inorganiques 
'ontininent  des  particules  animées,  pourvues  Wan  mouvement 
propre^  qui  sont  dans  tous  les  corps  de  la  même  forme  et  de  la 
même  grandeur  y  et  qui  ont  le  même  mouvement. 


Ct'llc  <nirslion  a  (lt;)i'i  ctr  sonniisc  an  jiigoment  de  l'Aindé- 
inic  ik's  sciences.  M.  Ad.  Brongmart  avait  présenté  un  Mé- 
nioiie  flans  lequel  il  avançait  que  c'est  un  caractère  commun 
aux  corpuscules  reproducteurs  de  tous  les  êtres  organises  de  jouir 
d^une  vie  propre  qui  se  manifeste  par  des  muuvemcns  sponiuîirs. 
M.  BroT^n  étendait  letle  proposition  à  tous  les  corps  de  la  na- 
ture. L'Académie,  appelée  trois  l'ois  à  prononcer  son  avis  dans 
ces  difficiles  questions,  élève  dans  son  premier  rapport  la  dé- 
couverte de  M.  Brongniart  jusqu'aux  nues,  admet  le  doute 
dans  le  second,  et  dans  le  troisième  déclare  que  les  travaux  de 
M.  Robert  Brown  fomnissent  de  Ibrtes  présomptions  contre 
l'hypothèse  du  naturaliste  français. 

Ce  sont  ces  travaux  de  M.  Brown  que  t>l.  Schultze  a  soumis 
à  un  nouvel  examen  ;  et  il  est  arrivé  à  des  résultats  tout  diffé- 
rens: 

1°.  Le  mouvement  des  molécules  n'est  point  un  mouvement 
spontané;  il  est  dû  à  l'évaporation  du  li(|uidc,  à  l'imbibition 
ou  à  la  dissolution  des  particules.  Si  on  les  place  dans  un  li- 
quide qui  s'évapore  dillicilement ,  l'huile  par  exemple,  le 
mouvement  cesse;  il  l'accélère  beaucoup  dans  l'alcool  et  l'é- 
ther.  En  étudiaut  avec  attention  ces  mouvemens,  M.  Schultze 
est  parvenu  à  en  distinguer  trois  espèces  qu'il  rapporte  à  trois 
causes  difterentes  :  le  premier,  d'ascension  et  de  descente,  est 
produit  par  l'évaporation  du  liquide;  le  second,  d'oscillation, 
semblable  à  la  supination  et  à  la  pronation  de  la  main,  est  du 
à  l'imbilùiioii  successive  des  particules;  le  troisième,  d'e  rota- 
lion,  à  leur  dissolution  dans  la  liqueur. 

•2".  M.  Robert  Brown  a  avancé  que  ces  mêmes  particules 
qu'il  a  aperçues  dans  le  pollen  des  plantes  se  retrouvent 
comme  molécules  élémentaires  dans  tous  les  organes  des  ani- 
maux et  des  végétaux  ,  et  sont  les  mêmes  que  celles  qu'ont 
décrites  BufFon,  Needham,  \Vrisl;erg,  Midleret  MilneEdwards. 
M.  Schultze  nie  1 1  vérité  de  celte  proposition  pour  les  parti- 
cules organiques.  Elles  ditïèrent  de  formes  et  de  grandeurs 
suivant  les  animaux  et  suivant  les  organes.  Et  le  raisonnement 
est  ici  d'accord  avec  les  faits;  car  quelle  explication  des  diffé- 
rens  phénomènes  vitaux  pourrions-nous  espérer  d'atteindre, 
si  ces  opinions  d'une  similitude  complète  entre  toutes  les 
parties  élémentaires  des  corps  organisés  étaient  confirmée^ 
par  l'observation  ?  Quant  à  la  texture  des  corps  inorganiques, 
où  M.  RobertBrown  prétendavoir trouvélesmolécnlesconime 
parties  élémentaires,  il  semble  à  iM.  Schultze  qu'elles  sont  un 
produit  de  l'art ,  et  qu'on  peut  leur  donner  le  degré  de  gros- 
seur qn'itn  \en!  par  la  poix  ('ri-^alion. 


,58  LIVUES  KTRANGl-US. 

Tels  sont  les  résultats  auxquels  est  arrivé  M.  Srhultze  par 
«Il  grand  nombre  d'observations  attentives  et  ingénienses.  Il 
esl  impossible  de  méconnaître  la  valeur  de  ses  objections;  et 
on  en  sentira  encore  davantage  la  force  si  l'on  se  rappelle  qu'un 
observateur  plein  de  sagacité,  M.  Raspail,  a  déjà  attaqué,  et 
presque  par  les  mêmes  motifs,  le  Mémoire  publié  par 
IM.  Adolpbc  Brongniart  sur  les  particules  du  pollen.  Il  est 
évident  que,  ([utd  (|ue  soit  le  pouvoir  de  nos  verres  grossis- 
sans,  nous  sommes  encore  loin  d'avoir  atteint  les  limites  où 
la  nature  commence  ses  opérations.  E.  L. 

i6.  —  *  Corpus  [lislonœ  Byzaniinœ. —  Collection  des  His- 
toriens de  B3'zance  :  Nouvelle  édition  publiée  par  les  soins  de 
M.  NiEBVHR.  Bonn,  isôo.  In-S". 

Cette  belle  entreprise  marche  d'un  pas  rapide  ;  déjà  elle 
nous  a  donné  Jgatliias,  Niccphore,  Constanlin  Porpliirogtnete, 
XeSjiicellc,  etc.,  etc.  :  aujourd'hui  MM.  BerkercI  îSiebihr  pu- 
blient plusieurs  nouveaux  écrivains  :  ce  ^ont  Dexippe,  Eunapc, 
Petrus  Fatr'icius,  Priscu.t ,  Malchus.  Mrnandre .  Olympio- 
tlore,  NonnosuSy  Candide  et  Tliéopliane;  enfin  le  volume  est  ter- 
miné par  les  })anégyriquos  de  Procopc  et  de  Priscien.  Nous 
<,'mpruntons  à  la  prél'ace  quelques  renseignemens  sur  ces  di- 
vers historiens.  Dexippe,  Athénien,  fut  honoré  de  la  dignité 
d'archonte  éponyme  et  fui  agonothèle  aux  panathénées;  il  se 
distingua  à  la  fois  comme  oratiiur  et  comme  historien,  aussi 
lui  érigea-t-on  une  statue.  La  gloire  militaire  embellit  aussi 
>a  carrière,  car  il  défit  les  Hernies  qui  s'étaient  jetés  sur 
Vlhènes,  et  leiu-  tua  5,ooo  honmies.  Dexippe  vécut  jusqu'au 
régne  de  Probus.  Les  fragmeus  qu'on  nous  donne  de  lui  sont 
relatifs  à  la  guerre  des  Scythes  et  aux  afïaircs  de  Macédoine  : 
Photius  vante  beaucoup  son  style.  —  Eunape  naquit  à  Sardes 
en  .5'i7,  et  continua  l'histoire  de  Dexippe:  il  paraît  d'après 
Photius  qu'il  la  poussa  jusqu'en  4o4,  année  de  l'exil  de  saint 
Jérôme.  Eunape  professait  une  haîne  aveugle  pour  les  chré- 
tiens. On  a  joint  à  ces  historiens,  ainsi  qu'à  Ménandre,  des 
fragmens  découverts  au  \atican  par  l'abbé  Mai.  — Petrus, 
né  à  Thessalonique,  se  distingua  à  Conslantinople  dans  l'art 
de  la  parole.  .Juslinien  le  chargea  de  plusieurs  missions  im- 
portantes; dans  l'une  d'elle,  il  tondja  au  pouvoir  du  roi  des 
(îdths,  à  llaveune,  et  demeura  trois  ans  cajitif  ;  après  avoir 
conclu  plusieurs  traités  avec  les  Perses,  il  termina  sa  longue 
et  brillanle  caiiière,  laissant  un  fils  qui  suivit  ses  traces.  Pe- 
trus é(  ii\  il  l'histoire,  mais  il  serait  (liiruilc  de  dire  où  il  com- 
mença, on  ))résume  qu'il  s'ariêta  où  commence  Eunape. — 
Priscusde  Thrace  a  écrit  huit  livres  sur  Attila.  On  ne  sait  pas 


ALLEMAGNE.  i5g 

non  pins  quel  l'ut  Icrommencement  de  son  hisloire  :  scnlement 
on  remarque  qu'on  ne  la  cile  pour  aucunévèneineut  anléricurà 
455;  on  a  des  raison  s  de  croire  enlin  qu'elle  Unissait  à  474- '"'"«6 
où  commence  celle  de  Malchus.  Celm-ci ,  né  à  Philadelphie  en 
Palestine,  faisait  à  Constanliuople  le  métier  de  sophiste  ;  il 
continua  Priscns  jusqu'à  l'an  4^0,  époque  de  la  mort  de  l'em- 
pereur Léon.  Son  ouvrage  contient  sept  livres  et  embrasse 
sept  ans.  Quant  à  Ménanilre,  il  continua  l'histoire  d'Agathias, 
depuis  l'invasion  des  Huns  repoussés  par  Bélisaire  en  558, 
jusqu'à  la  fin  de  Tibère  en  582.  On  ne  sait  d'Olympiodore, 
<lc  Candide,  de  Nonnosus  et  de  ïhéophane  que  le  peu  que 
nous  eu  apprend  Pholius.  AI.  Classex  a  revu  la  traduction  la- 
tine. Il  y  a  dans  cette  édition  une  multitude  de  corrections  et 
d'ingénieuses  conjectures,  les  unes  de  M.  ]Siebuhr,  les  autres 
de  M.  lîekker  :  on  les  distingue  par  les  initiales  dont  elle  sont 
signées-  P.  de  Golbéry. 

ij.  —  Antiquitates  Saynenses^  etc.  —  xViitiquités  de  Sayn 
recueillies  en  1684  par  Jean-PliUippe  de  IIeifieïnberg  et  pu- 
bliées pour  la  première  fuis  sur  les  manuscrits  originaux.  Aix- 
la-Chapelle  et  Leipzig,  i85o  ;  J.  A.  Mayer.  In-8°,  avec  figures. 

Quoiqu'écrit  à  la  fin  du  wii*"  siècle,  et  publié  seulement 
au  commencement  du  xviv"  siècle,  cet  ouvrage  était  loin  d'ê- 
tre ignoré.  Plusieurs  savans  y  ont  reconru  avec  fruit  et  se  sont 
appuyé  de  son  autorité,  entre  autres  le  célèbre  Hontheim  qui 
songeait  à  en  faire  cadeau  au  public  ainsi  que  desiYote  et  Ad- 
dltiones  in  Annales  Browerinnos  Trevirenses  du  même  auteur. 
Les  Anliquilés  de  Sayii  sont  divisées  en  quatre  parties.  Dans  la 
première,  il  est  traité  de  la  ville  de  Sayn,  de  son  château  et  de 
ses  dépendances  ;  dans  le  second,  de  Cunostein-Engers  qui 
est  dans  le  voisinage,  lieu  où  J.  P.  de  ReLiTenberg  reconnut 
les  débris  du  pont  jeté  sur  le  Rhin  par  César  et  dont  celui-ci 
fait  mention  dans  le  vi""  livre  de  la  Guerre  des  Gaules.  La  troi- 
sième partie  est  consacrée  à  des  recherches  sur  Begiodulum, 
non  pas  celui  dont  parle  Tacite  {Hisl.,  Iib.i\),  mais  le  Regio- 
duluin  d'Ammien  Marcelin.  Enfin  dans  la  quatrième  est  dé- 
crite la  paroisse  de  Heiuibach.  Les  differens  chapitres  ou  Mé- 
moires sont  précédés  d'une  préface  et  accompagnés  de  notes 
par  M.  ExGELMANN,  conseiller  à  Arensberg,  lequel  n'a  pas 
jugé  à  propos  de  se  nommer.  de  Reiffenbebg. 

Ouvrages  Périodiques. 

i&.  —* Kritisc/ie  Zeitschrift. —  llecueilciitique  de  jurispru- 
dence et  de  législation  étrangères,   publié  par  MM.  Mitter- 


;,fio  LIVRES  ïiTHANGKFlS. 

MAiER  ol  ZACiiAui.t.  T.   II  :  caliicrs  u  et  m.  Heidelherg,  iSôo. 

In -8". 

Deux  article?  iinportaiis  pour  la  Suisse  ouvrent  ce  nouveau 
volume.  Dans  le  premier,  M.  Mittermaier  examine  le  nou- 
veau projet  de  Code  pénal  du  canton  de  Genève  ;  dans  l'autre, 
M.  Frey,  docteur  hfdois,  entretient  ses  lecteurs  des  Codes 
d'Uri  et  d'Appenzell.  Attachons-nous  d'abord  aux  lois  qu'on 
prépare  pour  l'heureuse  cité  qui ,  française  au  tems  de  notre 
gloire,  jouit  aujourd'hui  d'une  liberté  et  d'une  prospérité 
dignes  d'envie.  Genève  jusqu'à  ce  jour  était  encore  régie  par 
notre  Code  pénal  :  cependant  il  y  avait  été  fait  des changemens 
dictés  par  l'humanité  et  par  la  raison.  Il  est  peu  de  pays  qui 
puissent  se  glorifier  d'autant  de  lumières  :  de  savans  juriscon- 
sultes, des  historiens  célèbres  répandent  sur  leur  belle  patrie 
l'éclat  de  leur  réputation,  et  c'est  de  Genève  que  s'est  élevée 
récemment  la  philantropique  discussion  d'une  des  questions 
les  plus  graves,  de  celle  de  l'abolition  de  la  peine  de  mort.  Le 
projet  dvint  il  s'agit  aujotu-d'hui  est  le  dernier  travail  du  cé- 
lèbre traducteur  d(!  lienthanr.  Il  ne  s'agit  de  rien  moins  que  de 
mettre  en  pratiqvie  les  idées  du  philosophe  anglais.  Mais 
M.  IMittermaïer,  tout  en  reconnaissant  le  mérite  du  travail  de 
M.  Dumont,  pense  que  son  adoption  n'aurait  pas  pour  Genève 
de  résultats  heureux.  Passons  sur  la  nomenclature  des  crimes 
et  la  liste  des  peines.  M.  Mitlermaïer  n'approuve  pas  les  dé- 
finitions qui  souvent  ne  servent  qu'à  entraver  l'usage  qu'on 
voudrait  faire  des  lois,  et  (|ui  ressortent  bien  mieux  du  bon 
sens  et  du  discours  ordinaire,  que  de  phrases  trop  souvent  dé- 
fectueuses et  presque  toujours  incomplètes.  Il  critique  plu- 
sieurs de  ces  définitions,  dont  il  fait  sentir  le  vague  et  l'insuf- 
fisance. Il  blâme  bien  plus  encore  les  explications  que  l'on  a 
cru-  devoir  doimer  sous  le  titre  ({''Expositions.  La  peine  de 
mort  est  conservée  dans  le  projet,  mais  sous  la  réserve  de  ce 
(jue  le  Grand-Conseil  eu  ama  ilécidé  :  du  lesle,  elle  n'est  des- 
tinée qu'à  l'assassinat,  à  l'incendie  au  premier  chef,  à  la 
révolte,  à  la  trahison.  iM.  Mittermaïcr  réprouve  le  luxe  des 
amendes,  qui  sont  fort  chères  et  prodiguées  avec  une  désespé- 
rante profusion.  —  Jusqu'à  ce  jour  on  a  peu  fait  pour  la  jiuis- 
prudence  suisse  :  aussi  la  publicjition  des  ordonnances  el  des 
>laluts  d'Lri  et  d'Appenzell  est-elle  un  bienfait  qui  portera 
bientôt  ses  fruits.  Tout  cela  est  écrit  sans  ordre,  sans  suite,  en 
langage  vulgaire,  et  quelquefois  même  en  rimes.  On  doit  à 
M.  le  docteur  Frey  un  morceau  iort  curieux  sin-  ces  statuts, 
qui  renferment  f\es  dispositions  fort  originales.  Nous  signale- 
rons,  quant  à  présent  et  sans  ces  analyses,  deux  iriorceaux 


ALLF-MAGNE.        ITALIK.  i6i 

d'une  grande  importance  pour  le  droit  français  :  l'un,  sur  les 
nullités  en  matière  de  procédure,  par  M.  Uauter,  de  Strasbourg; 
l'autre,  du  savant  avocat  Fcklix  ;  ce  dernier  a  pour  objet 
la  séparation  des  l'onctions  d'avocat  et  d'avoué.  Eufln  nous 
indiquerons  comme  fort  intéressant  un  apen  u  sur  des  col- 
lections de  droit  d'Arménie  et  de  Géorgie,  nous  réservant 
de  parler  avec  plus  de  détail  d'articles  d'un  intérêt  plus 
général,  tels  que  celui  de  31.  Mitlermaïcr  sur  la  marche  et  les 
progrès  de  la  législation  criminelle  en  général. 

P.   DE  GOLBÉRY. 

ITALIE. 

19 — ■*Teoria  c  Pratica  dcl  Prohabile,  dcW  abate  Giiiseppe 
Bravi,  etc.  —  Théorie  et  Pratique  du  Calcul  des  Probabilités, 
par  l'abbé  Joseph  Bravi.  Milan,  1828;  imprimerie  de  Félix 
llusconi.  Grand  in-8"  de  235  pag.  ;  prix,  3,  48  lires  italiennes. 

20.  —  Ra^ionamcuto  critico  sulla  Teoria  dcl  Prohabile  delL* 
abate  Giuseppe  Bravi,  etc.  —  Dissertation  critique  sur  la  Théo- 
rie des  Probabilités  de  Vahhk  Joseph  Bravi.  Bergame  ,  1829; 
imprimerie  de  Ma^zaluni.  Grand  in-8"  de  1  53  pages;  prix, 
2,  5o  lires  d'Autriche. 

Le  second  de  ces  deux  écrits  est  du  même  auteur  que  le 
premier.  M.  l'abbé  Bravi  répond  à  une  critique  de  son  ouvrage, 
insérée  dans  le  lecueil  périodique  publié  à  Wodèue  sous  ce 
titre  :  Mcinorie  di  Morale  e  di  Leileraiura.  Le  critique,  animé 
d'un  zèle  dont  la  religion  pouvait  se  passer,  et  que  la  morale 
ne  réclamait  pas  davantage ,  n'a  pas  attendu  l'approche  du 
danger  pour  jeter  un  cri  d'alarme;  il  .1  deviné  les  projets  de 
l'ennemi,  observé  sa  marche,  et,  allant  à  sa  rencontre,  il  atta- 
que impétueusement  l'avant -gardé  qu'il  croit  apercevoir. 
L'auteur  de  la  Théorie  du  Probable,  étonné  de  se  voir  assailli 
si  brusquement  comme  ennemi  de  la  religion,  se  fâche,  et 
riposte  avec  vigueur.  Cette  escarmouche  n'aura  pas  de  suite; 
le  combat  doit  cesser  dès  qu'on  se  sera  reconnu  de  part  et 
d'autre.  Nous  n'avons  donc  à  nous  occuper  que  du  livre  qui 
a  été  l'occasion  de  ces  débats  inutiles. 

L'exposition  de  la  Théorie  est  divisée  en  neuf  chapitres,  et 
les  applications  en  comprennent  six.  Le  premier  chapitre  peut 
être  considéré  comme  une  introduction  ;  l'auteur  y  expose  en 
peu  de  mots  l'histoire  des  travaux  des  géomètres  sur  le  calcul 
des  probabilités,  et  partant  des  notions  générales  de  sensatiois, 
(Vidées,  de  principes,  il  indique  ce  qui  a  pu  jeter  quelques  philo- 
>ophes  pleins  de  droiture  et  de  discernement  hor-  de?  voies 

T.    XtVIT.    .iriLTET    I  83o.  11 


ifîi  LIMIKS  KTlLUNCiEilS. 

qui  lui  paraisi-cnt  seules  dirigéesAers  la  vérilé.  Dès  ce  début, 

quelques  leeteiirs  prendront  peut-être  un  peu  d'(>mbrage ,  el 
observeront  de  plus  près  les  raisonnemeus  de  l'auteur; 
M.  l'ahbè  liravi  n'y  perdra  rien.  Quand  ntême  on  s'ècarlerail 
de  tenis  en  ten.s  de  sou  avis,  re  qui  est  inévitable,  on  recon- 
n.'.ît  si  l)ien  en  lui  l'amour  sineère  du  vrai  et  le  désir  de  pro- 
pager le'^  conuaissaiices  utiles,  qu'on  le  suit  avec  intérêt, 
qnebjue  route  (|u'il  suive.  Son  introduction  mériterait  d'être 
citée  presque  en  totalité,  tant  j)our  la  justesse  des  pensées 
(|ue  pour  celle  des  expressions  ;  nous  nous  bornerons  par  né- 
cessité à  traduire  le  dernier  alinéa,  où  l'auteur  indique  plus 
spécialeuienl  son  but  et  l'oidre  qu'il  suivra. 

«J'ai  profité,  pour  la  composition  de  mon  ouviage,  des 
lumières  qu'ont  répandues  les  écrits  des  géomètres  dont  je 
viens  de  parler  :  j'ai  surfont  mis  à  contribution  Bernoutli, 
Conr/orcct  et  l.aplace.  Mais,  quel  qu'ait  été  le  génie  de  ces 
bommes  illustres,  quel  que  soit  le  mérite  des  ouvrages  qu'ils 
nous  ont  laissés,  il  me  semble  qu'on  peut  faire  disparaître  des 
c<tmplicati(»ns  inutiles  et  des  obscurités  qu'ils  y  ont  laissées, 
(orrigcr  certaines  erreiu's  qu'ils  n'ont  point  aperçues,  restituer 
à  la  science  des  princi|)es  (|u'ils  ont  omis.  Je  me  suis  donc 
atlacbé  à  simplifier,  ;i  établir  entre  toutes  les  parties  les  liai- 
sons nécessaires,  à  lemplir  des  vides,  et  ce  travail  amenait 
quelques  cliangemeiis.  Je  devais  aussi,  pour  rendre  la  science 
facile  el  ai'cessible  à  tons,  éviter  les  longs  calculs  dont  les 
f;éonièlres  ont  rempli  leurs  ouvrages,  déduire  des  notions  les 
[>lus  communes  les  principes  fondamentaux,  el  traiter  le  tout 
par  une  métbode  uniforme  :  le  public  jugera  si  j'ai  réellement 
fait  ce  que  j'avais  projeté.  Jusqu'à  présent  aucun  ouvrage 
italien  n'avait  traité  d'u9.e  manière  scientifique  l'importante 
question  des  probabilités;  celui-ci  contient  déjà  beaucoup  de 
véiités  utiles,  et  déterminera  sans  doute  quelque  penseur  plu» 
profond  à  perfectionner  ce  que  je  n'ai  qn'ébaucbé.  » 

Le  second  cbapitrc  appartient  à  la  métaphysique;  l'auteur 
V  traite  de  la  certiludc  considérée  en  elle-même  nul  mit  qu'il  nous 
est  possible  de  lu  connaître.  Ici  la  mélapbysique  ne  manque  point 
d'amener  son  immense  cortège  de  nuages,  et  d'en  couvrir  les 
notions  les  j»lus  claires  ;  l'idée  iW  certitude  ieva\i  de  ce  nombre  >i 
l'on  pouvait  s'abstenir  de  cbercber  à  l'éclaircir  encore,  si  on 
remployait  partout  avec  confiance  au  lieu  de  scruter  péni- 
blement ce  qu'elle  peut  être.  Nous  comprenons  à  merveille  ce 
f\\\e,  c'est  qu'/:,'//(')Tr.  et  les  explications  qu'on  en  donnerait  ne 
nous  apprendraient  rien  de  plus;  nous  sa  vous  tout  aussi-bien 
ce  que  c'est  que  le  doute  ;  nous  n'ignorons  point  qu'il  diminue 


ITAUK.  i(r. 

;i  mesure  que  nous  acquérons  des  connaissances  lelatives  à 
l'objet  (le  noire  incrédulité,  et  que,  lor>(|u'il  est  enticren:ent 
dissipé,  la  certitude  le  remplace  ;  en  un  mot,  que,  par  rapport 
à  notis,  la  certitude  est  la  conviction  intime,  cl  ne  peut  être  autre 
chose.  Si  de  ce  qui  se  rapporte  à  notre  intelligence  nous  pas- 
sons aux  ol)jets  dont  elle  s'occupe,  il  nous  faudra  d'autres 
mots,  car  nous  aurons  de  nouvelles  idées;  et  si,  à  raison  de 
quelque  analogie  partielle  entre  l'une  de  ces  idées  et  quelque 
autre  appartenant  à  un  ordre  de  conceptions  diffère nteîî,  nous 
nousdésignons  l'une  et  l'autre  par  le  même  mot,  l'expression 
Jiianquera  d'exactitude,  et  le  raisonnement  où  ce  mot  sera  em- 
ployé se  ressentira  de  cette  incorrection.  Si  le  mot  cfr/i^«f/c  dési- 
gne l'étal  de  l'esprit  qui  ne  doute  point,  et  ne  peut  douter,  parce 
qu'il  apei'coit  clairement  la  totalité  de  l'objet  dont  il  s'occupe,  il 
ne  devrait  pas  être  permis  de  dire  ]a  certitude  fi' tin  fait.  Dansée 
cas,  puisqu'il  s'agit  des  choses,  le  mot  réalité  n'est -il  pas  le  plus 
convenable,  le  mot  propre?  M.  l'abbé  Bravi  n'a  pu  échapper 
entièrement  à  l'obscurité  d'une  discussion  métaph  vsique.  quoi- 
que son  raisonnement  y  soit  d'une  sagesse  lemarquable,  et 
qu'il  fasse  très-bien  connaître  les  causes  de  l'incertitude  qui 
s'attache  à  tous  les  résultais  de  notre  intelligence,  même  en 
mathématiques.  11  démontre  ave(  une  telle  évidence  la  néces- 
sité d'évaluer  le  degré  de  probabilité  de  chacune  de  ces  opé- 
rations qu'après  avoir  lu  ce  chapitre  on  est  persuadé  que  la 
partie  la  plus  précieuse  de  l'art  du  raisonnement  est  celle  qui 
établit  les  méthodes  et  dirige  les  applications  du  calcul  ne? 
proba!  ilités. 

Dans  les  chapitres  suivans  l'auteur  discute  successivement 
îes  notions  de  probabilité  simple,  de  prcbabiliié  composée,  et  il 
passe  en  revue  les  causes  diverses  qui  font  varier  celles-ci, 
quant  à  la  valeur  que  nous  leur  attribuons.  Il  traite  ensuite  de 
la  combinaison  des  différentes  soiles  de  probabilités  plus  ou 
moins  complexes,  plus  ou  moins  appréciables.  L'usage  du 
calcul  lui  devient  indispensable;  mais  il  le  réduit  à  des  opéra- 
tions d'arithmétique  très-faciles,  et  supplée  par  le  raisonne- 
ment à  ce  que  les  signes  algébriques  eussent  représenté.  Dans 
le  troisième  chapitre,  au  sujet  de  la  probabilité  simple,  une 
question  de  mots  ne  semble  pas  déplacée,  et  peut  répandre  sur 
les  choses  mêmes  quelques  lumières  dont  la  scieuf  e  profite- 
rait. L'auteur,  d'accord  sur  ce  point  avec  tous  les  j^èomèties, 
établit  cette  loi  générale  :  «  Dans  nue  série  d'évèneniens  éga- 
lement probables,  le  degré  de  leur  probabilité  relative  est  ex- 
primé par  une  fraction  numéri((ue  dont  le  numérateur  est 
l'unité,  el  dont  le  dénonriiialeur  est  le  nombre  total  de  ces 


i64  LIMIES  ÉTHA.NGlKS. 

évènemens.  »  N'est-ce  pas  une  rèsle  de  calcul  que  l'on  transforme 
ici  en  loi?  Les  lois  tiennent  essentiellement  à  la  nature  des 
choses;  dans  le  cas  dont  il  s'agit,  ce  n'est  plus  sur  les  choses 
que  porte  notre  jugement,  mais  sur  la  connaissance  que  nous 
en  avons.  Nous  regardons  comme  également  probables  des 
évènemens  dont  l'éventualité  nous  est  inconnue  au  même 
degré,  mais  qui  ne  sont  point  également  possibles,  ni  même 
placés  (Ions  des  circonstances  également  favorables.  Ainsi,  par 
excmble ,  les  numéros  d'une  loterie  occupent  dans  la  roue, 
avant  le  tirage,  une  place  déteiTninée  :  voilà  pour  ce  tirage  un 
premier  fait  :  quelques-uns  de  ces  numéros  sont  en  avant, 
d'autres  en  arriére  ou  dans  l'intervalle;  le  mouvement  de  ro- 
tation de  la  rnue  et  la  pesanteur  les  affecteront  d'après  cette 
position  initiale,  et  il  est  évident  que  leur  place,  après  le  mou- 
vement et  au  moment  du  tirage  ,  dépend  de  celle  où  ils  se 
trouvaient  d'abord.  Ils  ne  sont  donc  pas  tous  également  à  la 
portée  de  la  main  du  tireur,  leur  sortie  n'était  pas  également 
probable.  Le  calcul  n'est  donc  fondé  que  sur  une  hypothèse 
représentant,  non  pas  l'état  des  choses  telles  qu'elles  sont,  mais 
notre  ignorance  de  ces  premières  données  :  ce  n'est  donc  pas 
une  loi  que  l'on  a  introduite  dans  l'évaluation  des  chances 
de  la  probabilité.  A  la  rigueur  il  n'y  a  peut-être  point  d'évè- 
nemens  également  probables;  on  serait  tenté  de  l'affirmer  si 
l'accusation  de  fatalisme  ne  menaçait  pas  le  téméraire  qui  ose- 
rait avancer  cette  scandaleuse  proposition  ;  mais  ce  dont  on  ne 
peut  douter,  c'est  que  les  cas  d'éventualité  réellement  égale 
pour  un  grand  nombre  de  chances  sont  extrêmement  rares, 
et  que  par  conséquent  le  calcul  fondé  sur  cette  égalité  doit  être 
fort  souvent  en  défaut. 

Cet  ouvrage  niériterail  une  analyse  approfondie.  Le  peu  que 
nous  en  avons  dit  d'après  une  lectiue  trop  rapide  nous  a  con- 
vaincu de  son  utilité,  et  ce  que  nous  avons  pu  relire  est  pré- 
cisément ce  qui  nous  a  le  plus  sdisfail.  Cet  ouvrage  est 
très-propre  à  provoquer  des  méditations  sans  fatigue,  et  fruc- 
tueuses :  on  ne  sera  pas  moins  content  des  applications  que  de 
la  théorie.  Il  est  bien  à  désirer  que  nos  professeurs  de  philoso- 
phie sachent  profiter  de  l'excellent  travail  de  M.  l'abbé  Bravi. 

Ferry. 
21.  —  *  Tealro  di  Shakespeare,  volgarizato ,  etc.  —  Théâtre 
de  Shakespeare,  traduit  en  italien  par  Firginias  Soncini,  avec 
des  notes  explicatives.  i\Iihin,  i85o;  Ranieri  Fanfani. 

Notre  Relue  a  déjà  en  l'occasion  de  témoigner  l'estime 
<|u'elle  fait  des  talens  de  M.  V.  Soncini  lorsqu'il  publia  son 
Histoire  de  la  Suède.  Aujourd'hui  c'e^t  aM-r  encore  plus  de. «-a' 


ITALIE.  i65 

ùsJaction  que  nous  applaudissons  aux  travaux  littciaiics  de 
cet  écrivain.  Ses  traductions  des  deux  tragédies  d'Othello  et  de 
Macbeth,  qui  seules  jusqu'ici  ontparu,  nous  semblent  lui  pro- 
mettre un  véritable  succès.  Il  a  compris  son  auteur,  il  l'a  tra- 
duit fidèlement  dan?  un  langage  pur,  facile  et  qu'il  a  su  ani- 
mer de  différentes  couleurs,  selon  les  différentes  pensées  qu'il 
avait  à  rendre.  Peut-être  pourrait-on  accuser  M.  Soncini  de 
se  servir  quelquefois  d'inversions  et  de  phrases  qui  s'éloignent 
autant  de  la  simplicité  que  de  la  hardiesse  du  style  de  Sha- 
kespeare; mais  en  généial  il  sait  très-bien  rendre  les  expres- 
sions anglaises  par  leur  analogues  italiens,  et  nous  osons  dire 
qu'il  est  souvent  parvenu  à  reproduire  sur  ses  lecteurs  les  im- 
pressions que  le  texte  original  produit  sur  les  lecteurs  an- 
glais, de  même  que  nous  ne  croyons  pas  nous  contredire  en 
ajoutant  que,  dans  certains  passages,  M.  Soncini  est  plus 
simple  et  plus  touchant  que  l'original. 

Dans  les  notes  qui  accompagnent  cette  traduction  ,  il  y  a 
tant  de  grâce,  de  bon  sens  et  de  profondeur,  qu'elles  seules 
suffiraient  pour  nous  rassurer  sur  la  capacité  du  traducteur  à 
remplir  la  tâche  qu'il  s'est  imposée. 

Nous  avons  le  plaisir  d'annoncer  que  M.  Soncini  va  sous 
peu  livrer  au  public  la  traduction  de  quatre  autres  tragédies, 
et  nous  avons  toute  raison  d'espérer  qu'il  complétera  ce  beau 
et  très-utile  travail.  Jusquïci  les  Italiens  n'avaient  pu  lire  dans 
leur  langue  que  quelques-unes  des  pièces  de  l'Kïchyle  anglais, 
traduites  en  vers  par  M.  Leoni  ;  et  encoie  cette  traduction  s'é- 
carte tellement  de  l'original ,  qu'on  devrait  plutôt  l'appeler 
une  imitation. 

M.  Soncini  est  aussi  l'auteur  d'une  traduction  des  comé- 
dies de  Molière,  qu'on  nous  dit  être  excellente  :  mais  nous 
ue  l'avons  point  encore  lue,  et  nous  attendrons  en  consé- 
quence pour  en  entretenir  nos  lecteurs.  l). 

Ouvrages  périodiques. 

22.  —  *  Annali universali  di  siatistica,  etc.  —  Annales  uni- 
verselles de  statistique,  d'économie  publique,  d'histoire ,  des 
voyages  et  du  commerce.  23'  volume.  Milan,  i85o;  on  s'a- 
bonne chez  les  éditeurs,  quartier  del  Agnello,  n"  965.  Le  prix 
de  la  souscription  est  de  20  tires  par  an,  et  24  lires  par  la 
poste. 

Nous  revenons  toujours  volontiers  à  ces  Annales,  parce 
qu'elles  abondent  en  matériaux  qui  nous  conviennent.  .^'"^ 
d'une  fois  peut-être  il  nous  est  arrivé  de  faire  usage  a  n 


Plus 
otre 


loO  LlVUi:S  ÉTUANGEl'wS. 

iiKii  de  (luruK-t'S  (jne  noire  immoirc  nous  rappelait  alors,  et 
que  le  Reueil  milnnais  nous  avait  fournie*.  Si  nous  sommes 
quelque  jour  dans  la  nécessité  d'opposer  une  nouvelle  résis- 
tance à  l'accumulation  des  propriétés  territoriales  entre  les 
mains  d'un  petit  nomhie  de  possesseurs,  nous  emprunterons 
certainement  des  laits  et  des  raisonnemens  à  deux  articles  in- 
sérés dans  le  cahier  de  mars  de  cette  année  ;  l'un  est  un  Mé- 
moire de  >1.  le  docteur  Vanni,  lu  à  la  Société  des Géorgoplii- 
les,  le  5  mai  1829,  et  l'autre  est  l'analyse  d'im  ouvrage  de 
M.  l'avocat  FoGGi,  intitulé  :  Essai  d'un  traité  théorico -prati- 
que sur  le  système  de  la  distribution  des  propriétés,  suivant  les 
lois  et  fa  jurisprudence  de  Toscane.  L'auteur  de  cette  analyse, 
JM.  >A>N!M,  expose  avec  clarté  les  principes  d'économie  pu- 
hlifpiequi  résolvent  toutes  les  questions  relatives  à  cet  objet, 
et  dont  le  légishiteur  ne  devrait  jamais  s'écarter.  On  a  fait 
pourtant  chez  nous,  on  y  renonvel'era  peut-être  des  tentati- 
ves pcuir  imprimer  à  nos  lois  imc  direction  contraire  à  ces 
princij)cs.  Et  remarquons  que  ces  Annales  sont  publiées  en 
Italie,  dans  un  pays  où  le  gouvernement  représentatif  estabo- 
li  :  heureusement  les  principes  de  toute  bonne  administration 
n'y  sont  pas  méconnus,  et  il  est  permis  de  les  proclamer  dans 
les  livres,  et  même  dans  les  écoles  publiques. 

'lo. — *  Giornale  arcadico,  etc. — Journal  orradien  des  scien- 
ces, dos  lettres etdes  arts.  Rome,  i83o;  Archini,  libraire,  rue 
du  Cours  (via  del  Corso),  n°  249.  Journal  mensuel  de  8  feuil- 
les au  moins  par  cahier  :  format  in  8";  prix  de  l'abonnement, 
5  cens  romains  par  an. 

Ce  journal,  commencé  vers  la  fin  du  xviir  siècle,  a  été  con- 
temporain de  grands  bouleversemens  politiques,  au  lieu 
même  de  sa  naissance,  et  il  est  encore  debout  :  la  raison  hu- 
maine et  tout  ce  qu'elle  produit,  les  sciences,  les  lettres  et  les 
arts  échapperont  désormais  aux  causes  de  destruction  qui  les 
atteignirent  autrefois,  et  peut-être  à  plus  d'une  époque;  les 
journaux  rpii  secondent  les  développemens  intellectuels  et  la 
propiigation  des  connaissances  participeront  à  cette  immor- 
talité; ils  l'auront  méritée.  Le  seul  caliier  de  ce  journal  que 
nous  ayons  rrcii  cette  année  est  du  mois  de  janvier,  et  tout 
annonce  que  les  lecteinvs  en  seront  aussi  satisfaits  en  i85o  qu'ils 
l'ontété  jusqu'à  présent.  Dans  la  section  consacrée  aux  scien- 
ces, nous  voyons  que  l'Tlalie  a  les  yeux  ouverts  sur  les  tra- 
vaux de  nos  savans.  et  qu'elle  s'empresse  d'en  piofiter.  Nos 
ouvrages  périodiques  avertissent  de  l'apparition  des  écrits 
dignes  d'estime;  on  veut  les  juger  par  soi-même;  et,  s'ils  ré- 
pondent à  ce  que  ranuoncc   promettait  .  on  les  traduit  :  c'est 


ITALIl-;.  —  F  V^S-BAS  167 

ainsi  que  la  géométrie  de  .M.  (Iliarles  Diipiii  va  servira  l'iii- 
•tructioii  de  la  jeunesse  ilalieniie.  En  litlérature,  il  faulavouei 
que  l'Italie  semble  nous  livrer  .1  uous-mèmic,  et  attendre  pai- 
siblement que  les  accès  de  délire  de  quelques-uns  de  nos  plus 
fougueux  novateurs  soient  passés  :  on  ne  parle  point  de  nou>; 
mais  les  auteurs  italiens  sufTisent  pour  alimenter  les  journaux 
de  cette  contjée, et  occu])er  le  loisir  des  lecteurs.  31ais,  afin  de 
satisfaire  en  même  tems  le  goût  de  la  variété,  les  rédacteurs  y 
ont  entremêlé  quelques  écliantillons  de  prose  et  de  poésie 
chinoises,  pièces  qui  n'ont  guère  d'autre  mérite  (|ue  Vctran- 
geté  :  mais  elles  viennent  de  loin;  voilà  ce  qu'il  faut  à  une 
classe  de  curieu.v.  Si  nous  nous  en  rapportons  à  une  Notice  de 
M.  Odescalchi  sur  un  tableau  de  iM.  le  professeur  Agricole, 
de  l'Académie  de  Saint-Luc,  le  romantisme  n'a  pas  plus  en- 
Aahi  la  peinture  italienne  que  la  litlér.ilure  du  mêiiie  pays; 
Ce  journal  n'est  pas  le  seul  (|ui  fasse  prendre  une  opinion  fa- 
vorable de  la  situation  de  la  république  des  lettres  dans  ce  pays 
où  elle  parut  autrefois  avec  tant  d'éclat,  et  qui  est  encore  une 
d^ses  contrées  de  prédilection.  Ln  pays  où  les  Inuis  ouvrages 
périodiques  se  .'ouliennent  et  se  multiplient  occupe  cerlaine- 
mejil  un  rang  distingué  dans  la  statistique  intellectuelle. 

N. 

PAYS-BAS, 

u4-  —  Description  piltoiesque  de  (a  grotlede  Hun  Aiir  Le^nc, 
par  J.  Alle«eireldt,  docteur  en  médecine.  Bruxelles,  1829; 
lith.  de  Vanl)urggralï.  In-fol. ,  orné  de  27  gravures. 

La  grotte  de  Han.  qui  prend  son  nom  d'un  petit  village  si- 
tué dans  les  Ardennes,  à  peu  de  distance  de  fiochefort  et  de 
Saint-Hubert,  n'a  guère  commencé  à  être  connue  que  depuis 
une  dixaine  d'années,  époque  à  laquelle  on  parvint  à  suivre 
toutes  ses  sinuosités  à  travers  la  montagne  dans  laquelle  elle 
se  trouve.  Mercator,  dans  le  1"  volume  de  sa  Géographie,  édi- 
tion de  1608,  a  représenté,  sur  sa  carte  du  Luxembourg,  l'in- 
terruption de  la  Lesse,  petite  rivière  qui  .se  jette  dans  la  grotte  ; 
mais  dans  le  texte  il  ne  dit  rien  des  particnlarilr's  qu'elle  pré- 
sente. On  pouvait  pénétrer  depuis  long-tems  dans  la  montagne, 
lorsque  quelques  personnes  dans  ces  derniers  tems  parvinreiit 
;\  trouver  des  passages  f[u'on  ne  connaissait  pas  encore,  et  s'a- 
perçurent qu'on  pouvait,  en  les  suivant,  traverser  la  montagne 
de  part  en  part.  M.  le  comte  de  Robiano,  dans  un  des  jour- 
naux de  Bruxelles,  appela  le  preuiier  l'attention  du  public  sur 
la  iirotle  de   Han.   L'.VcaJémic  di-  Bruxelles,  vers  la  même 


itîK  LIVRES  ETUAiNGEKS. 

èpu(|iie,  liésigaa  deux  de  se»  uienibies,  M.  Kicku  et  moi,  pour 
aller  sur  les  lieux  prendre  connaissance  de  l'état  des  choses, 
et  lui  présenter  à  ce  sujet  un  rapport  qu'elle  fit  insérer  en  1822, 
dans  le  2'  volume  de  ses  Nouveaux  Mémoires  (1). 

Il  paraît  que  la  Lesse  tournait  autrefois  autour  de  la  mon- 
tagne de  Han;  mais  que  cette  petite  rivière,  dont  les  eaux  à 
certaines  époques  prennent  un  volume  considérable,  finit  par 
se  frayer  un  passage  dans  la  roche  calcaire  et  aniplia  considé- 
rablement les  cavités  qui  pouvaient  s'y  trouver  déjà.  Partout 
on  trouve  des  traces  de  son  action  long-tems  continuée,  et  des 
éboulemens  nombreux  qui  semblent  avoir  eu  lieu  dans  des 
tems  plus  ou  moins  reculés.  La  Lesse ,  dont  les  eaux  coulent 
avec  rapidité  sur  un  lit  de  rochers,  vient  se  jeter  en  bouillon- 
nant dans  un  gouffre  profond,  situé  vers  la  partie  méridionale 
de  la  montagne.  Ses  eaux,  dont  il  est  impossible  de  suivre  le 
cours,  paraissent  pénétrer  dans  l'intérieur  de  la  grotte  parles 
nombreuses  fissures  que  leur  présente  la  roche  calcaire.  On  les 
revoit  plus  loin  dans  la  montagne  d'où  elles  sortent  en  for- 
mant une  rivière  de  près  de  '.io  mètres  de  largeur.  La  galerie 
lie  sortie,  dont  la  voûte  est  formée  par  un  plan  immense  de 
lochers.  présente  le  coup  d'œil  le  plus  imposant.  C'est  par-là 
qu'on  entre  ordinairement  dans  la  montagne,  au  moyen  d'une 
barque  qui  pénètre  a?-sez  loin  dan»  son  intérieiw.  Dans  la  der- 
nière partie  de  la  grotte,  dont  l'étendue  entière  est  de  plus  de 
1 .  100  mètres,  on  suit  l'ancien  lit  de  la  Lesse,  et  l'on  peut  sor- 
tir {)ar  plusieurs  fissures  qui  viennent  aboutir  à  une  vaste  ca- 
vité par  où  la  Lesse  entrait  autrefois.  Quand,  pendant  l'hiver, 
celte  rivière  se  gouile  et  que  la  grotte  du  gouffre  ne  suffit  plus 
pour  donner  passage  à  ses  eaux,  elle  vient  encore  se  jeter  dans 
la  montagne  par  cette  même  cavité,  et  souvent  le  surplus  de 
ses  eaux  rentre  dans  l'ancien  lit  autour  de  la  montagne. 

La  grotte  de  Han  renferme  des  stalactites  et  des  stalag- 
mites d'une  grande  beauté.  Quelques  salles  de  son  intérieur 
ont  jus(ju'à  5o  et  même  70  mètres  île  largeiu'.  Je  me  rappelle 
que,  lor'i  de  la  dernière  visite  que  j'y  fis.  nous  restâmes  égarés 
pendant  (pielque  tems  au  milieu  des  débris  de  rochers  déta- 
chés par  les  éboulemens  qui  ont  eu  lieu  dans  la  plus  grande 
salle  ;  quoique  nous  fussions  une  dixaine  de  personnes ,  armées 
de  fiambeaux,  riou.s  ne  parvenions  à  éclairer  cette  vaste  cavité 


(1)  Cet  écrit  a  été  rcinipiimé  en  iSaJ,  sous  ce  titie  ;  Relation  d'un 
voyaf^c  fait  n  Li  giotic  de  Han  au  innis  d'août  1S32  ;  par  AIM.  KicK.t  et 
Q«:KTEtEï,  av<;c  des  Notices  sur  plusieurs  autres  gioUt-s  du  pays;  a\rc  uti 
plan  «t  \  planches.  1  vol.  iu-S",  chez  Deiiiat.  Bruxelli;s. 


PAYS-BAS.  16^ 

que  par  partie»,  et  nous  eûmes  de  la  peLie  à  rentier  dans  les 
chemins  connus,  malgré  deux  à  trois  conducteurs  qui  étaient 
avec  nous.  Je  trouvai  alors  une  galerie  nouvelle  que  j'ai  figu- 
rée sur  la  carte  générale  que  j'ai  donnée  de  la  grotte.  Lorsque 
je  visitai  ces  cavités  en  1823,  plusieurs  passages  étaient  très- 
difficiles:  vers  le  milieu  de  la  grotte,  on  devait  même  traver- 
ser un  bras  de  la  Lesse.  dont  la  profondeur,  dans  les  circon- 
stances les  plus  favorables,  était  au  moins  de  deux  pieds.  A 
cause  de  tous  ces  obstacles,  il  ne  fallait  pas  moins  de  trois 
heures  pour  parcourir  les  sinuosités  de  la  grotte;  aujourd'hui 
les  curieux  trouvent  des  chemins  plus  praticables  et  moins 
dangereux. 

L'auteur  de  l'ouvrage  que  nous  annonçons  a  eu  pour  but 
de  présenter  une  description  pittoresque  de  la  grotte  de  Han, 
mais  on  peut  craindre  que  les  détails  minutieux  dans  lesquels 
il  est  entré  pour  donner  les  dimensions  des  moindres  Irag- 
mens  de  rocher  ne  parlent  pas  à  l'imagination  du  lecteur,  sur- 
tout si  l'on  considère  que  le  moindre  éboulement  suffit  pour 
changer  les  mesures  qu'il  donne  avec  tant  de  soin.  C'est  un 
écueil  que  nous  avons  senti  nous-même.  et  peut-être  ne  som- 
mes-nous pas  parvenus  à  l'éviter  dans  la  partie  descriptive  de 
1  intérieur  de  la  grotte.  L'auteur  j''  a  consacré  tout  lin  volume 
in-folio,  car  c'est  de  cet  objet  spécial  qu'il  s'est  occupé.  Du 
reste,  si  les  détails  dans  lesquels  il  est  entré  peuvent  paraître 
trop  minutieux,  son  travail  sous  ce  rapport  même  peut  avoir 
un  avantage,  c'est  de  faire  constater  par  la  suite  les  change- 
mens  qui  pourraient  provenir  par  de  nouveaux  éboulemens 
ou  par  l'action  des  eaux.  jNous  avons  regretté  que  la  plupart 
des  planches  ne  donnent  qu'une  idée  très-imparfaite  des  ob- 
jets qu'elles  représentent;  quant  à  l'exécution  typographique, 
elle  ne  laisse  rien  à  désirer.  A.  Quetelet. 

25.  — Leop.  Atjg.  "NYakskotnig Doitrina  jiiris  phlloso- 

pliica  aphorismis  distincta ,  in  usum  scholarum.  Louvain,  i83o; 
.Michel.  In-8°. 

La  jurisprudence  traitée  scientifiquement  peut  être  consi- 
dérée sous  les  points  de  vue  historique,  didactique,  exégétique 
et  philosophifjue.  Sans  le  dernier,  les  trois  autres  manquent 
de  clarté.  Il  faut  que  la  philosophie  fasse  reconnaître  son  em- 
pire dans  l'étude  du  droit,  comme  ailleurs  :  elle  seule  peut 
fournir  la  solution  de  ces  importantes  questions  :  d'où  dérive 
tonte  notion  du  dioit?  Quelles  sont  les  causes  premières  du 
droit  universel?  quelle  e?t  la  (in  suprême  du  droit?  Elle  seule 
[>eut  nous  appiendrc  si  le  droit  est  l'œuvre  de  la  nature,  du 
hasarfl  ou  de  la  volonté  des  gouvernans  ;  elle  seule  est  capable 


i;»)  MVUES  JiTUANGEUS. 

lie  MOUS  révéler  l'orij^iiie  véritable  des  idées  (.la  juste  et  de  Vin- 
jtiste,  sans  lesquelles  nous  ne  saurif)iis  prononcer  avec  com- 
pétente sur  les  lois  qui  régissent  les  peuples,  ni  sur  les  in- 
^tilulions  publiques  et  privées  de  la  cité.  Ces  recherches 
constituent  la  philosophie  du  droit  que  >1.  AVarnkœnig  res- 
serre dans  un  court,  substantiel  et  lumineux  abrégé.  Il  cona- 
mence  par  exposer  les  opinions  les  plus  célèbres  professées 
sur  la  inatiéie  qu'il  traite,  et  part  de  Grotius  et  de  Puffen- 
dorffpour  arriver  jusqu'à  nos  jours.  La  méthoile  qu'il  adopte 
lui  est  particulière,  et  annonce  un  esprit  aussi  juste  que  vi- 
goureux. 11  s'aide  d'abord  de  l'histoire  et  de  l'expérience  , 
puis  denîande  des  lumières  à  la  science  de  l'homme,  tant  phy- 
sique qu'intellectuel  et  moral.  Sous  ce  rapport,  ses  principes 
sont  anllii-opologiques  ou  déduits  de  la  psychologie  empirique  ; 
en  second  lieu,  rationels,  c'est-à-dire  empruntés  aux  lois  de  la 
raison,  (les  derniers  se  subdivisent  en  logiques,  en  tant  que  les 
règles  du  raisonnement  servent  à  les  découvrir;  en  métaphy- 
siques, que  les  lois  de  la  cognition  établissent;  euOn  en  cthi- 
qaes  ou  moraux,  qui  décordent  des  lois  de  la  volonté.  Il  faut 
\oir  dar^  le  livre  même  l'usage  heureux  que  fait  l'auteur  de 
rinslrunieul  qu'il  s'est  ingénieusement  fabriqué.  Arrivé  à  la 
dernière  page,  on  resse-it  celte  satisfaction  ([u'éprouve  celui 
qui  est  parvenu  sans  fatigue  au  terme  d'un  long  vfiyage,  et 
qui,  grâce  à  son  guide,  n'a  rien  oublié  de  ce  qu'il  a  trouvé  sur 
sa  route.  L'écrit  de  M.  >Varnkœnig  est  dans  la  forme  classi- 
que,  eu  latin,  par  paragraphes ,  avec  la  citation  de  toutes  les 
sources  que  l'on  peut  consulter.  Mais  ce  professem-  a  pris  ren- 
gagement de  revenir  sur  son  travail,  et  de  le  reprendre  eu 
grand  pour  des  lecteurs  plus  exercés.  Les  amis  de  la  science 
ne  le  tiendront  pas  quitte  de  sti  proùiesse.        de  Ueiffenberg. 

26.  — *  Petiù  a  Thymo  Historia  liralntntiœ  iHplojiiatica,  Regiis 
auspiciis  ediJitV.  A.  Ab  IIeiffekburg.Toui.  I  ".  lîiuxelles,  1800; 
imprim.  normale.  lu-S"  avec  lig. 

Nous  avons  déjà  annoncé  que  le  roi  des  Pays-Bas  avait  or- 
donné la  publication  des  monumeus  iiutlits  de  l'histoire  de 
son  royaume.  L(!  volume  que  nous  signalons  est  le  premier  de 
cette  importante  collection.  Le  méiite  iVJ  Thymo  a  été  juste- 
ment appré(  ié  par  M.  de  iSelis  dans  son  Proilromus.  Cet  écri- 
vain né  uunoins  ,  dans  le  commencement  de  sa  compilation, 
olfre  peu  d'intérêt;  en  effet,  suivant  la  coutume  des  chroni- 
queurs ,  il  y  a  rassemblé  un  grand  nombr*;  de  fables;  il  dé- 
bute même  parla  donation  de  Constantin.  >L»is,  plus  il  avance, 
plus  il  devient  précieux  par  le  grand  uombie  de  documens 
originaux  qu'il  conserve.  L'éditeur  a  enrichi  ce   tome  d'une 


PAYS-llAS.  i;i 

prèrace  t'l<'{i;aiitt',  tic  léiiioijjnage.s  iioiuhrcMX  ,  iiinsi  que  de 
iTUScigneiiiens  sur  railleur,  d'une  talile  chronologi(|ue,  d'un 
(.omiTionlaire  et  d'appendices.  Un  beau  portrait  de  Charle- 
ujagne  a  été  co])ié  sur  la  peinture  connue  qu'on  voit  dans  l'é- 
glise du  sacre,  à  Aix-la-Chapelle. 

37.  —  *  Geden kwaardi ghcilcn,  etc.  —  i^lémoires  sur  l'histoire 
delaGueldre,appuyésde  pièces  oiiginales,  par/5,  yen.  ^YHOFF. 
I"  partie,  Arnhem,  i85o;  Faul  Nyhoft".  Gros  in -4",  avec 
figines. 

Ce  volume  présente  un  tableau  Irés-curieux  et  Irés-intéres- 
sant  de  laGueldre  pendant  la  première  moitié  du  xiv""  siècle. 
Les  révolutions  du  sol,  la  population  ,  l'état  de  l'agriculture, 
du  commerce,  des  sciences  et  des  lettres,  la  politique  exté- 
rieure cl  intérieure,  voilà  les  objets  dont  s'occupe  principale- 
ment M.  INyhoff,  et  sur  lesquels  il  donne  une  multitude  de  dé- 
tails entièrement  neufs  et  extraits  de  documens  authentiques. 
Ces  documens  sont  mis  sous  les  yeux  du  public.  Dans  le  pre- 
mier volume,  il  y  en  a  404?  piesque  tous  transcrits  en  entier. 
Le  plus  ancien  est  de  l'atniée  1286  :  le  plus  récent  appartient 
à  l'année  i543.  Les  pla nches présentent  des /'«.-«/m/Ze de  sceaux 
et  d'écritures. 

28.  — *  Histoire  de  r  Ordre  de  lu  Toison -d'Or,  depuis  son 
origine  jusqu'à  la  cessation  des  chapitres  généraux ,  tirée  des  ar- 
chives de  cet  ordre  et  des  ouvrages  gui  en  ont  traité,  par  le  baron  dk 
Reiffenberg.  Bruxelles,  i83o;  imprimerie  normale.  Grand 
in-4"  d'environ  700  pages,  avec  dix  planches;  prix,  84  fr. 
65  cent. 

Celouvrage  entièrement  neufest  dédié  au  prince  d'Orange, 
au  nom  duquel,  comme  le  dit  jusiement  l'auteur,  se  rattache, 
tout  (  e  qui  est  noble,  grand,  chevaleresque.  Dans  une  longue 
introduction,  M.  de  lleilleidjerg  raconta  l'origine  de  la  Toi- 
son-d'Or,  en  analyse  les  privilèges  et  les  statuts,  en  fait  con- 
naître l'esprit  et  les  rappoits  politiques,  puis  examine  à  quelle 
puissance  en  appartient  vérilablement  la  grande  -  maîtrise. 
Cette  discussion  très-approfondie  est  présentée  avec  une  cir- 
conspection toute  diplomatique,  bien  qu'elle  mette  la  vérité 
dans  son  jour.  L'histoire  de  l'Ordre,  qui  vient  ensuite,  est  un 
extrait  des  protocoles  mêmes,  tenus  par  les  greffiers  de  la  Toi- 
son-d'Or,  avec  des  notes  historiques,  généalogiques,  héraldi- 
ques et  littéraires,  et  des  appendices  tirés  soit  de  manuscrit? 
précieux,  soit  d'ouvrages  imprimés  peu  comnuins.  Voici  un 
fait,  entre  mille  autres,  (pii  donnera  une  iilée  ties  renseigue- 
mens  précieux  (pie  contient  ce  bel  ouvrage.  Les  chevaliers  de 
l'Ordre  exerçaient  autrefois  le?  uns  sur  les  autres  une  censure 


,;2     LIVRES  ÉTRANGERS.  —  LIVRES  FRANÇAIS. 

morale,  dont  la  hardiesse  étonnerait  de  nos  jours,  quoique 
nous  commencions  à  devenir  difficiles  en  fait  d'audace.  Le 
terrible  Charles  de  Bourgogne,  surnommé  le  Téméraire ,  n'en 
était  pas  plus  exempt  qu'un  autre  ;  et ,  en  1468,  il  s'attira,  de 
la  part  de  ses  confrères  et  cotripaignona,  la  réprimande  suivante  : 
«Que  mondit  seigneur,  sauf  sa  bénigne  correction  et  révé- 
rence, parle  parfois  un  peu  aigrement  à  ses  serviteurs,  et  se 
trouble  aucunes  fois  en  parlant  des  princes.  —  Qu'il  prend 
trop  grande  peine,  dont  fait  à  douter  qu'il  en  pût  pis  valoir  en 
ses  anciens  jours.  —  Que,  quand  il  fait  ses  armées,  lui  plût 
tellement  dresser  son  fait,  que  ses  sujets  ne  fussent  plus  ainsi 
travaillés  ni  foulés,  comme  ils  ont  été  par  ci-devant.  —  Qu'il 
veuille  estre  bénigne  et  attempré  ,  et  tenir  ses  pays  en  bonne 
justice.  — Que  les  choses  qu'il  accorde  et  dit,  lui  plaise  entre- 
tenir et  être  véritable  en  ses  paroles.  —  Que  le  plus  tard  qu'il 
pourra  il  veuille  mettre  son  peuple  en  guerre,  et  qu'il  ne  le 
veuille  faire  sans  bon  et  mûr  conseil.  »  Nous  le  demandons, 
jamais  Chambre  de  députés,  jamais  parlement  tinrent -ils 
un  langage  plus  ferme,  et  de  pareilles  semonces  ne  font-elles 
point  prdir  ces  adresses  contre  lesquelles  se  gendarment  si  fort 
certains  ministres  qui  voudraient  nous  ramener  aux  traditions 
du  passé  dont  ils  ignorent,  comme  on  voit,  la  valeur  ?  —  L'his- 
toire <le  la  Toison -d'Or  jette  un  nouveau  jour  sur  les  régnes 
de  Philippe-le-Beau  et  de  Charles-Quint,  ainsi  que  sur  le  pro- 
cès des  comtes  d'tguiont  et  de  H  ornes.  — Les  planches  sont 
copiéesfraprès  d'anciennes  miniatures  ,  et  off'rent  desportraits, 
des  blasons  et  des  costumes.  P. 

LIVRES  FRANÇAIS. 

Sciences  physiques  et  naturelles. 

29.  —  Notice  sur  quelques  animaux  élevés  et  apprivoisés  ;  par 
M.  Chassay  ,  lieutenant-colonel  en  retraite.  Bayeux,  i85o; 
Groult.  In-8"  de  25  pages;  ne  se  vend  pas. 

M.  le  lieutenant-colonel  Chassay  a  pris  plaisir  à  apprivoiser 
des  épervier,  araignée,  cochon^  crapaud,  loup  et  coq  :  cet  ordre 
est  chronologique.  Ce  qu'il  a  fait  et  comment  il  a  fait,  l'auteur 
l'expose  avec  une  crudité  et  une  simplicité  de  langage  qui  font 
image,  et  qui  le  montrent  dans  un  état  voisin  de  l'extase,  plus 
occupé  de  ses  élèves  que  de  son  lecteur.  Le  loup,  auquel  il 
a  donné  ses  soins,  et  qui  a  vécu  de  1814a  1828  à  la  ménagerie 
du  jardin  du  Roi.  excita  un  certain  intérêt. 

M.    Chassay   parait   persuade   que   la  nature  l'avait  doué 


SCIKNCES  PHYSIQUES.  175 

de  facilités  ad  hoc  ;  il  parle  de  son  point  de  mire  juste  et  de 
ion  tact  tout  particulier  pour  l'éducation  des  animaux. 
Aux  questions  comment  il  s'y  prend ,  il  répond  :  «  Je 
regarde  d'abord  l'animal  avec  des  yeux  où  il  distingue  enfin  un 
vif  sentiment  de  bienveillance  pour  lui;  j'étudie  ses  besoins, 
ses  moindres  désirs;  j'y  pourvoie.  Est-il  un  être  au  monde 
qui  i*ésiste  à  des  caresses,  à  de  tendres  soins  dont  il  est  l'ob- 
jet ?  »  Tel  est  le  précis  de  ses  réponses.  Son  secret,  c'est  d'aimer 
pour  être  ainié  à  son  tour. 

M.  Chassay  conclut  de  ses  expériences  qu'il  est  ainsi  pos- 
sible de  changer  le  naturel  des  animaux.  Cependant,  si  leurs 
habitudes  d'aujourd'hui  n'étaient  que  le  résultat  d'une  con- 
trainte qui  les  aurait  anciennement  modifiées,  si  elles  ne  for- 
maient que  des  habitudes  viciées  par  l'intervention  et  la 
multiplication  d'une  espèce  qui  combat  avec  la  toute-puissance 
de  son  état  social  pour  fasciner  et  asservir  tout  ce  qui  existe 
autour  d'elle,  les  expériences  de  M.  Chossay  ne  prouveraient 
que  le^fait  d'un  retour  à  l'ancien  ordre  de  choses. 

Geoffboy-Saint-Hilaire. 
5o.  —  *  Cours  de  Chimie  générale,  par  M.  Lai  gier,  profes- 
seur de  chimie  au  Jardin  du  Roi.  l'aris ,  1829;   Pichon  et  Di- 
dier. 5  vol.  in-S"  avec  un  atlas;  prix,  24  fr. 

Nulle  science  ne  fait  des  progrés  plus  rapides  que  la  chimie; 
nulle  science  n'est  en  même  tems  l'objet  d'un  culte  plus  gé- 
néral. Le  merveilleux  de  ses  expériences  captive  d'abord  l'at- 
tention des  hommes,  qui  plus  tard  sentent  le  besoin  de  s'initier 
à  ses  théories.  Il  n'est  guère  de  carrière  en  effet  où  la  chimie 
ne  donne  lieu  à  quelques  apj)lications  utiles  :  toutes  les  profes- 
sions industrielles  exploitent  ses  ressources;  lu  médecine  et  la 
pharmacie  lui  empruntent  la  préparation  de  leurs  médica- 
mens  ;  l'agriculture  y  trouve  l'explication  de  quelques-uns  de 
ses  mystères;  et  l'homme  du  monde  lui-même  ne  peut  se  dis- 
penser de  rendre  raison  par  des  explications  chimiques  d'une 
foule  de  phénomènes  qui  se  passent  tous  les  jours  si>us  nos 
yeux. 

On  peut  trouver  la  mesure  de  ce  besoin  général  de  connais- 
sances chimiques  dans  l'avidité  avec  laquelle  sont  suivis  tous 
les  cours  où  l'on  s'occupe  de  cette  science.  A  Paris,  le  vaste 
amphithéâtre  de  la  Sorbonne,  celui  du  collège  de  France  et 
celui  du  Jardin  du  Roi  sulBsent  à  peine  pour  recevoir  toute 
une  jeunesse  avide  d'instruction.  En  province,  des  chaires  de 
chimie  sont  établies  ou  s'établissent  sur  tous  les  points,et  partout 
ces  cours  sont  suivis  ave(  passion.  Les  publications  sur  celte 
scienip  ont  du  se  ressentir  de  cet  élan  ;  aussi  depuis  quelque 


i;/4  LIMUiS  FUANÇAIS. 

icnis  voyons-lions  pulluler  les  liaités  de  chimie  élémeiitaiir. 
ou  appliquée  ;  on  pourrait  en  effet  en  citer  au  moins  vingt  qui 
ont  été  publiés  en  France  «irpuis  cinq  ans. 

Toutes  ces  publications  sur  un  même  sujet  prouvent,  n'en 
floiitons  pas,  ini  grand  besoin  d'une  science,  dont  les  élément* 
leront  sans  doute  bientôt  partie  de  l'enseignement  élémen- 
taire. 

L'ouvrage  de  iM.  Laugier  est  la  rédaction  du  cours  professé 
par  ce  savant  distingué  au  .lardin  des  plantes.  Ce  cours  qui  ne 
comprend  que  cinquaUc-Irois  leçons,  faites  du  mois  de  mai 
au  mois  d'août,  doit  présenter  un  système  complet  de  connais- 
sances chimiques  à  Tusage  des  nombreux  élèves  en  pharma- 
cie et  en  médecine,  qui  suivenllescours  d'été  du  Jardin  des  plan- 
tes. Les  connaissances  étendues  de  M.Laugier,  ses  travaux  nom- 
breux et  sa  longue  expérience  de  la  science  rendent  son  cours 
extrêmenunt  instructif,  et  les  hommes  qui  peuvent  y  assister, 
de  même  que  ceux  que  leur  éloignement  de  Paris  prive  de  cet 
avantage,  pouiront  se  proctirer  son  ouvrage,  qui  est  conçu 
avec  méthode,  écrit  avec  clarté,  et  qui  est  mis  ainsi  même  à  la 
portée  des  personnes  qui  ne  veulent  pas  faire  de  la  chimie  une 
étude  approf<mdie. 

Le  professeur  exanu'ne  d'abord  les  corps  simples  non  métal- 
liques, les  oxides  et  les  acides  auxquels  ils  servent  de  radi- 
caux. Les  métaux  divisés  en  six  sections  se  présentent  ensuite 
avec  leurs  oxides;  puis  vient  l'étude  générale  et  spéciale  des 
sels.  L'ouvrage  est  terminé  par  l'étude  des  deux  chimies  orga- 
niq'.ies.  F>n  général  >l.  Laugicr  a  pris  pour  base  de  son  cours 
celui  de  M.  Thénard. 

5i.  —  *  Cours  de  cfiimie,  par  M.  Gay-Lussac  :  comprenant 
l'histoire  des  sels,  la  chimie  végétale  et  animale;  cours  fait  à 
la  Faculté  des  sciences.  Paris,  1828;  Pichon  cl  Didier.  2  vol. 
in-8"  ;  [)rix,  1  8  fr. 

Les  cours  de  la  Sorbonne  sont  partagés  en  deux  parties  qui 
sont  confiées  chacune  à  des  professeurs  diiVérens.  C'est  ainsi 
<\ne  le  cours  de  chimie  a  été  long  -  tems  partagé  entre 
MM.  T/a7(a?Y/et/)»/<;n^',etlecoursdephvsiqne entre  MM.  Cay- 
Lussac  et  Poaitlet.  Des  arrangement  de  famille  (»nt  provoqué 
un  échange  de  tiavaux  entre  >!  M.  (îay -Lussac  et  Dnlong. 
Cette  circonstanc»',  qui  a  privé  l'auflitnire  de  la  Sorbonne  des 
savantes  leçons  de  l'in»  de  nos  plus  inlatigables  chimistes,  a 
fait  connaître  au  moins  en  »  onipensation  la  manière  dont  un 
de  ses  dignes  émules  envisage  la  science. 

Jusque-là  le  public  n'avait  reçu  de  M.  Gay-Lussac  que  d'ex- 
cellentes et  instructives  leçons  de  physique  et  l'on  devait  dé- 
sirer ardemmeni  d'enlendre  parler  sur  la  chimie  l'illustre  au- 


sciJiîNCiKS  rii\siQui:s.  ,;:> 

leur  de,  taiil  de  travaux  et  d'iinportiuites  déco  ii\  cites  ([iii  ouf 
«Miiiclii  celle  branche  de  nos  connaissances. 

M.  Gay-Liissac  o  dans  cet  enseignement  sonterui  dij^ne- 
ineiil  sa  réputation  comme  savant  et  comme  prolossenr,  et 
il  a  su,  chose  assez  difTicile  ,  con-ervcr  un  auditoire  assez 
nombreux  justju'à  la  fin  de  ses  leçons.  L'ordre  du  cours  lui 
léj^iiait  une  des  parties  les  plus  arides  de  la  science,  celle  qui, 
vivant  moins  d'expériences  anuisautes.  parle  plus  à  l'intelli- 
j!;ence  qu'aux  yeux.  Cette  partie  embrasse  les  sels  et  la  chimie 
organique  :  elle  comprend  trente-trois  leçons,  cpii  ne  suffisent 
pas  au  cadre  d'une  science  qui  s'agrandit  chaque  jour.  Aussi 
toutes  les  leçons  sont-elles  bien  substantielles  et  fort  nourries. 
Nous  émettons  ici  un  regret,  c'est  de  voir  resserrer  autant  un 
enseignement  dont  le  public  et  les  professeurs  sentent  si  pé- 
niblement l'insuffisance.  ■ 

On  a  eu  l'heureuse  idée  de  sténographier  et  de  publier  les 
leçons  de  M,  Gay-Lussac,  et  c'est  cette  publication  que  nous 
annonçons.  Elle  est  une  expression  assez  fidèle  des  leçons  du 
savant  professeur,  quoiqu'elle  n'ait  pas  été  retouchée  par 
lui,  et  nous  croyons  qu'elle  sera  de  la  plus  grinde  utilité  à 
tous  les  amis  de  la  science  et  de  l'enseignement.  Elle  sera  sur- 
tout utile  à  la  classe  nombreuse  d'éludians  qui  suivent  les 
cours  de  la  Sorbonne,  et  qui,  souvent  étrangers  à  la  science,  sui- 
vent avec  peine  les  savantes  leçons  du  professeiu*.  Ils  tronvt!- 
ront  ici  un  guide  qui  les  préviendra  des  matières  traitées  da:is 
chaque  leçon,  et  qui  leur  permettra  par  là  même  de  se  pré- 
parera la  recevoir,  et  de  la  méditer  encore  après  l'avoir  reçue. 

52.  — *  Leçons  de  chimie  appliquée  à  la  teinture,  par  M.  E. 
Chevreit, ,  membre  de  l'Institut.  T.  I"  :  leçons  iG*"  —  T>o'. 
Paris,  1 83o  ;  Pichon  et  Didier.  Le  cours  complet  sera  composé 
de  l\  vol.  in-8"  fermant  en  tout  environ  5,5oo  pages,  et  com- 
prenant 60  leçons  dont  le  prix  est  de  45  fr. 

En  annonçant  le  1"  volume  de  cet  ouvrage  (voy.  Rer. 
Enc. ,  t.  xLii,  p.  4^6),  nous  avons  présenté  des  oliservations 
générales  sur  le  plan  de  iM.  Chcvreul  cl  sur  le  mérite  et  l'uti- 
lité de  son  livre.  Le  volume  que  nous  annonçons  aujourd'hui , 
digne  en  tout  de  la  grande  réputation  de  l'auteur,  n'appelle 
notre  attention  que  sur  ses  détails.  11  comprend  coMime  le 
premier  quinze  leçons. 

11  termine  l'étude  des  métaux,  puis  il  s'occupe,  avec  tous 
les  développemens  désirables  des  acides  et  des  bases  organi- 
«pies  pour  traiter  immédiatement,  d'une  matière  plus  générale 
et  plus  complète,  la  classe  si  importante  des  sels.  Cet  ordre 
«st  une  innovation  heureuse  qui  a  permis  à  M.  ChevrenI  de 
grouper  l'élude  des  sels  sans  distinction  de  règne,  et  qui  per- 


176  LIVRES  FRANÇAIS. 

met  ainsi  de  donner  aux  principes  plus  de  généralité.  Jusqu';» 
présent  les  auteurs  qui  ont  traité  la  chimie  d'une  manière  élé- 
mentaire n'ont  présenté  les  propriétés  générales  des  sels  qu'a- 
près avoir  adcjpté  une  classification  par  genres,  établis  ou  d'a- 
près la  nature  de  la  base  ou  d'après  la  nature  de  l'acide.  Ces 
deux  modes  d'établir  les  genres  conduisent  l'un  et  l'autre  à 
ces  généralités  qu'il  est  important  de  faire  connaître,  et 
M.  Chevreul  montre  les  sels  sous  ces  deux  faces  principales. 

Ayant  à  traiter  dans  ce  volume  la  chimie  organique  dont  il 
s'est  occupé  avec  tant  de  persévérance  et  de  succès,  M.  Che- 
vreul a  résumé  tout  ce  qui  a  été  publié  d'intéressant  sur  cette 
matière,  et  ses  travaux  sur  les  corps  gras,  sur  le  bleu  de 
Prusse,  sur  les  matières  colorantes  y  occupent  une  large 
place.  On  lira  surtout  avec  intéiêt  l'article  indigo,  qui,  envi- 
sagé dans  ses  propriétés  chimiques,  dans  ses  préparations,  ses 
qualités  commerciales  et  ses  emplois  industriels,  est  le  travail 
le  plus  complet  qui  ait  été  publié  sur  cette  matière. 

En  résumé  l'ouvrage  de  M.  Chevreul  est  remarquable  par 
les  vues  philosophiques  qu'il  a  su  répandre  sur  la  science,  et 
par  la  clarté  et  la  simplicité  qui  régnent  dans  ses  explications. 
Ces  qualités  rendent  son  livre  digne  tout  à  la  fois  des  médi- 
tations du  savant  et  de  l'élève.  Disbr^nfaut. 

35.  —  *  Cours  de  Chhnie  élémentaire  et  industrielle,  destiné 
aux  gens  du  monde;  par  iM.  Paten,  manufacturier-chimiste. 
Paris,  i85o  ;  Tliomine,  rue  de  La  Harpe,  n"  88.  Cet  ouvrage 
parait  par  livraisons  de  deux  feuilles  chacune  ;  prix  de  la  li- 
vraison. 60  cent. 

La  Société  des  méthodes  d'enseignement  ayant  désiré  qu'il 
fût  fait  un  cours 'public  et  gratuit  dans  lequel  les  principes  de 
la  chimie  et  leurs  applications  à  l'industrie  seraient  mis  à  la 
portée  de  toutes  les  classes  d'auditeurs,  M.  Payen  a  consenti 
à  remplir  cette  tâche.  Ce  cours  se  fait  dans  le  local  de  la  So- 
ciété, rue  Taranne,  n"  12;  les  leçons  sont  sténographiées  et 
imprimées.  Les  trois  premières  leçons  sont  actuellement  pu- 
bliées; elles  sont  dignes  du  savant  désintéressé  qui  saci  ifie  si 
généreusement  son  tems  et  ses  peines  à  une  branche  utile 
d'enseignement.  Les  six  feuilles  qui  sont  en  vente  ne  renfer- 
ment encore  que  l'énoncé  des  propositions  de  physique  les 
plus  nécessaires  à  l'étude  de  la  chimie.  Les  livraisons  paraî- 
tront successivement  à  mesuic  que  l'auteur  continuera  ses 
leçons.  Francckbr.    . 

54.  —  Esfai  sur  la  Narigation  dans  l'air.  Note  présentée  à 
l'Académie  royale  des  Sciences,  dans  la  séance  du  21  dé- 
cembre 1829,  par  Dupiis-DEr.r.O!  i\T.  Paris,  i85o;  Delaunay. 
(irand  in-8"  de  7>6  pages. 


SC!Jîn:CES  PIiYSlQUK5.  ,^y 

L'art  de  voyager  dans  les  airs  occupe  on  ce  moment  niicl- 
qiies  espiils  dans  les  deux  mondes  ;  en  Amérique,  M.  Genêt 
et  ses  coopéraleiu-s,  et  en  Lnrope,  trois  rivaux,  MM.  Dui'îiis- 
Delooi'RT,  Chabbier  et  Vallot.  M.  Genêt  a  londé  ses  pioiels 
sur  quelques  propiiélés  qu'il  attribue  aux  fluides  élastiques; 
s'il  échoue,  ce  ne  sera  pas  à  ses  hypothèses  qu'il  inq)ulcra  le 
i!on  succès.  Ici,  lescoricurrens  en  aéroslalion  parais^^ent  piiwns 
de  confiiuve;  car  ils  s'empressent  de  l'aire  constater  l'époqne 
précise  de  leurs  découverles.  Nous  n  avons  aucune  connais- 
sauce  de  celle  de  M. ballot,  ingénieur-riiécanicien  :  nous  man- 
quons aussi  de  tonte  notion  sur  la  machine  de  M.  Chahrier 
trés-diacrcntc,  dit  M.  Dupuis-DcIcourI,  des  applications  que 
le  même  savant  a  voulu  laire  de  ses  idées  sur  le  vol  des  oi- 
seaux. Tout  ce  que  nous  savons,  c'est  qu'il  y  a  quelque  res- 
sendjîance  enlie  les  v>ies  aérostatiques  de  31M.  Dupuis-Dcl- 
court  et  Chal)rier;  qu'il  y  en  a  de  même  entre  les  mécanismes 
de  MM.  Chahrier  et  Valh)t;  mais  peut-être  n'y  a-l-ij  rien  de 
commun  entre  le  pr(  mier  et  le  troisième  de  ces  invenletu's. 

«M  on  intention  était  de  présetiier  à  l'Académie,  sur  mes  moyens 
de  voyager  dans  l'air,  un  Mémoire  détaillé  et  digne  de  iixer 
son  attention  :  il  n'est  point  terminé.  J'aurais  attendu  encore 
si ,  dans  le  tra\ail  que  vi.  nt  de  soumettre  à  l'Académie  sur  le 
même  objet,  M.  Chahrier,  il  ne  se  ti'ouvait  des  points  de  rea- 
senihlance  qui  m'o!)ligent  à  prendre  date,  pour  évitera  l'ave- 
nir toute  réclam;ition,  ou  toutes  fausses  interpiétalions.  » 

M.  Dupuis-DelccHU't  donne  une  ic/ce  de  son  aérostat  iliri- 
geable  :  plus  d'un  lecteur  ne  trouvera  pas  dans  son  ima"ina- 
lion  les  moyens  de  suppléer  à  ce  que  sa  description  ne  l'aft  pas 
assez  connaître.  L'autejir  ajoute  ensuite  :(tOn  trouve  facile- 
ment, au  moyen  de  quelques  opérations  simples  et  claiies,  le 
calcul  relatifdes  dimensions,  des  pes mleurs,  forces  et  résistan- 
ces nécessaires  à  une  semblable  machine,  non  pour  marcher 
contre  un  vent  violent,  ni  pour  lutter  contre  une  atmnsj.hère 
en  lurie,  mais  pour  avancer  par  un  lems  calme,  dévier  par  un 
vent  faible,  et  vaincre  les  oscilialious ,  s'il  y  en  avait,  les  frot- 
temens,  la  force  dlnerlie,  celle  (légère)  d'ascension  qui  rom- 
prait l'équilibre,  et  tenterait  de  faire  élever  la  machine^  tout 
ce  dont  enfin  on  n'aurait  pu  faire  état.  «Si  l'auteur  possède  ef- 
fectivement une  méthode  simple  et  claire  d'appliquer  le  c;!Îcul 
à  sa  machine,  et  de  résoudre  toutes  les  questions  relatives  à  sa 
construction  et  à  son  mouvement,  il  devrait  en  enrichir  les 
sciences  mathéniatiques  ;  une  acquisition  aussi  précieuse  ne 
serait  pas  moins  estimée  que  l'art  de  diriger  les  aérostats. 
L'auteur  continue  ainsi  :«  Une  fois  le  mouvement  en  if^ne 
T.  xr.vn.  Jf.a.i.EJ  iH.'o. 


.-8  UVftKS  FRANÇAIS. 

(Iroilc  coinmeiicé,  il  faut  complei' que  l'aérostat  trouvornit  eu 
lui-même  une  nouvelle  puissance  dans  sa  lorce  d'impul-iou. 
LU  corps  long  el  étroit,  tel  que  serait  celui  de  cette  machine, 
devra  trouver,  dans  les  tVottemens  et  la  résistance  même  de 
lair  contre  ses  parois,  un  auxiliaire  propre  à  le  maintenir  dans 
sa  situation,  et  à  lui  continuer  son  mouvement.»  Il  est  bien 
probable  que,  si  des  géomètres  ont  lu  cette  brochure  jusque- 
là,  ils  n'iront  pas  plus  loin.  Si  M.  Dupuis-Delcourt  est  intime- 
ment convaincu  de  la  justesse  de  ses  idées,  s'il  est  certain  de 
réussir,  qu'il  s'arrange  pour  se  passer  de  l'Académie,  car  il 
n'aura  pas  l'approbation  de  ce  corps  savant. 

On  trouve  dans  cette  brochure  une  liste  des  personnes  qui 
se  sont  élevées  dans  l'air  au  moyen  des  ballons.  Il  y  a  quel- 
ques omissions,  telles  ((uc  celles  de  Guyton  -  Moiteau,  de 
M.  Coulclle,  etc.  ;  il  n'est  point  question  delà  compagnie  d'aé- 
losliers  qui  accompagna  les  armées  françaises  pendant  quel- 
ques années. 

Le  perfectiounenient  des  aérostats  exige  plus  que  de  l'ima- 
gination, plus  que  le  génie  des  inventions  mécaniques  :  on  n'y 
réussira  point  sans  de  profondes  connaissances  mathémati- 
ques el  sans  l'habitude  d'en  faire  l'application  à  la  physique  el 
aux  machines.  Nous  sommes  loin  néanmoins  de  vouloir  dé- 
courager M.  Dupuis-Delcourt,  qui,  jeune  encore,  mérite  des 
éloges  pour  le  zèle  et  la  persévérance  avec  lesquels  il  a  con- 
stamment dirigé  sa  pensée  et  les  nombreuses  expériences  qu'il 
a  faites  vers  un  but  noble  et  utile  :  cebii  de  perfectionner  un 
art  encore  an  berceau,  el  d'ouvrir  à  l'homme  des  roules  nou- 
velles el  des  moyens  de  faire  de  nouvelles  conrpiêtes  sur  la 
nature. 

55.  —  Réfutation  du  Rapport  de  M.  Lisfranc  à  r Atadémie 
royale  de  mcdecir.e,  en  date  du  5  mai  i85o,  par  Loiù-i  François 
GoNDRET,  docteur  médecin  honoraire  des  dispensaires  de  la 
Société  philantropique,  médecin  consultant  de  Vlnsiiiuiion  des 
jeunes  aveugli s,  meiuhre  de  plusieurs  Sociétés  savantes;  au- 
teur 1"  d'un  Mémoire  sur  Cemploi  du  feu  en  médecine  et  de  In 
pommade  ammoniacal';  ;  2"  d'un  Mémoire  concernant  les  effets  de 
la  pression  atmosphérique  sur  C homme,  el  de  l'action  de  la  ven- 
touse dans  dijferens  ordres  de  maladies;  5°  d'un  Mémoire  sur  la 
cataracte,  el  d'autres  opuscules.  Paris,  i85o;  imprimerie  de 
Riguoux.  In-8^  de  5^  pages. 

Par  des  motifs  Ires-honorables  el  liès-philantropiques,  ex- 
posé>  dans  la  préfare  decet  écrit,  >J.  le  docteur  Gondret  avait 
demandé  au  ministre  de  l'Intérieur  «pi'une  salle,  dans  l'un  des 
hôpitiiix  (If  Paii*.  fût  consacrée  à  l'applicaliou  de  sa  méthode 


SCIENCES  l'IlYSIQLKS.  179 

«onlre  les  anectioris  ociilaiies.  L'  Vcailômiedf  niiMlecine,  con- 
sullée  siif  c«'lle  ileniaiide,  chargea  MM.  (icran/in,  lircamier^ 
MaijoUn,  PioiTY',  Hou.v,  Emery  et  Lis  franc  de  lui  faire  un 
rapport  sur  cet  objet,  et  la  Commission  choisit  M.  Lisi'ranc 
pour  être  sou  organe.  Le  rapport  est  très-succinct,  beaucoup 
trop  peut-être;  les  tribunaux  daignent  quelquefois  expliquer 
plus  longuement  les  motifs  de  leujs  arrêts.  Ce  que  nous  allons 
citer  est  à  peu  près  le  tiers  de  l'arrêt  prononcé  par  l'Acadé- 
£nie  de  médecine  contre   la  demande  de  M.  Goudret. 

«  M.  le  docteur  Gondret  prétend  que  ce  qu'il  nomme  sa 
nouvelle  méthode  est  inoparfaitement  imité  dans  les  hôpitaux. 
Pour  répondre  à  cette  allégation,  il  suffira  de  dire  que  tout 
le  monde  a  pu  lire  les  Mémoires  de  notre  auteur,  que  les 
moyens  qui  y  sont  indiqués  sant  du  ressort  de  la  chirurgie 
dont  l'exercice  est  confié  sans  le  moindre  inconvénient  à 
nos  élèves  les  moins  forts. 

«Votre  Commission  conclut  unanime7nent  que.  la  méthode 
de  M.  Gondret  n'est  pas  nouvelle,  qu'elle  peut  être  dange- 
reuse dans  certains  cas,  que  cette  méthode  ne  doit  pas  être 
exclusivement  employée,  qu'elle  est  d'une  application  très- 
simple  et  très-facile,  et  à  la  portée  de  tout  le  monde,  et  qu'en- 
fin il  n'y  a  pas  lieu  à  accorder  au  docteur  Gondret  une  salle 
dans  les  hôpitaux  de  Paris.  » 

M.  Gondret  ne  se  résigné  point  à  subir  toutes  les  consé- 
quences de  celte  condamnation  ;  il  en  appelle  au  jugement 
du  public,  et  revendique  la  part  d'estime  et  de  confiance  que 
la  décision  académique  pourrait  lui  faire  perdre.  Il  s'agit  donc, 
pour  ceux  qui  sont  étrangers  aux  sciences  médicales,  de  mul- 
tiplier les  faits  authentiques,  et,  pour  les  médecins,  d'appro- 
fondir la  discussion,  et  d'examiner  si  la  Commission  acadé- 
jiiique  ne  s'est  point  trompée  dans  son  jugement.  Il  paraît, 
d'après  la  préface  de  cet  écrit,  que  l'Académie  de  médecine 
n'a  pas  encore  adopté  les  conclusions  de  sa  Commission,  et 
que  la  cause  n'est  pas  jugée.  Puisque  le  plaidoyer  peut  être 
continué,  revenons  au  rapport  de  M.  Lisfranc.  11  faut  avouer 
que  ce  docteur  expédie  lestement  urnîqu-estion  grave  :  il  sem- 
ble même  qu'on  aperçoit  dans  ces  décisions  brusquées  l'habi- 
tude de  prononcer,  d'après  un  simple  et  rapide  coup  d'œil, 
sur  la  vie  d'un  pauvre  malade.  On  serait  autorisé  à  conclure 
que  les  droits  de  l'iiumanité  sont  peu  respectés  dans  quelques 
hôpitaux  de  Paris,  peu  connus  de  quelques-uns  des  médecins 
attachés  à  ces  établissemens.  Les  malades  y  seraient  donc  li- 
vrés à  l'apprentissage  des  élèves,  comme  l'argile  et  le  plâtre 
aux  jeunes  artistes  qui  aspirent  à  exercer  leur  ciseau  sur  des 


i8o  LIVRES   FRANÇAIS. 

matit'res  précieuses.  Que  ces  médecins  y  prennent  garde;  ils 
n'échiipperont  pas  loiiioiirs  aux  rognrds  scrnlatcurs  de  qnel- 
qn(!s  sincères  el  judicioiix  amis  de  i'iiiinianilé  ;  on  leur  rap- 
pellera {[ue  le  àoitcnr  Sto}-r/i ,  avant  de  l'aire  aucun  u<age  de 
l'extrait  de  «iguë,  en  fit  sur  lui-même  im  essai  prolongé,  et 
ne  se- permit  aucune  exj)érience  sur  les  hammes  cotifiés  à  ses 
soins  dans  les  hôpitaux  de  \ienî!e.  Ou  (lualifiera  comme  il 
doit  l'être  ce  mépris  pour  l'honmie  accablé  de  soufl'rances  et 
de  mistre,cc  révoltant  abus  de  confiance,  qui  ne  craint  point 
d'expo'^er  à  une  mort  certaine  le  malheureux  qui  est  venu 
cher(  lier  un  remède  ou  un  soulagement  aux  maux  qu'il  en- 
dure. Les  noms  seront  placés  à  côté  des  épithètes  méritées  ; 
il  est  tems  de  l'aire  une  justice  complète. 

M.  Gondret  remarque  que  trois  des  membres  de  la  Com- 
misî-ion  n'ont  pas  signé  le  rapport,  et  que  les  conclusions 
n'ont  peut-être  pas  été  adoptées  aiis-i  iinanimemeitt  que  le 
rappoileur  l'a  di't.  De  plus,  une  di-cussion  assez  vive  s'est 
élevée  dans  l'Académie  à  la  séance  où  cerap|)urt  lui  l'ut  com- 
muniqué. M.  Gondret  produit  quelques  extraits  d'aniiens  rap- 
ports de  M.  Lisl'ranc  qui  lui  sont  plus  favorables;  mais,  si 
linflucuce  de  (pielques  vues  étrangères  à  la  sc'ence  ne  se  ma- 
nifestait point  dans  cette  afPaiie,  on  justifierait  aisément 
M.  Lisl'ranc  decesvariations,  qui  [)euvent  êlre  le  résultat  d'ob- 
servations nouvelles,  de  connaissances  plus  mûres  et  plus 
complètes;  mais  ce  docteur  ne  peut  être  excusé,  ni  aux  yeux 
des  médecins,  ni  à  ceux  du  public,  d'avoir  fait  un  rapport  où 
les  convenances  les  plus  ordinaiies  sont  aussi  mal  obser- 
Tées. 

Nous  n'examinerons  point  en  délai!  la  réplique  de  !M.  Gon- 
dret elle  nous  mènerait  trop  loin,  ou  bien  notre  examen 
serîiit  i>i.-un[isarit.  et  u'é(  lairerait  jias  a-sez  les  lecteurs.  Nous 
nous  bornerons  donc  à  des  ol)servali()us  générales  sur  la  na- 
ture de  la  reititude  en  médecine,  sur  le  iiomi)re  et  le  degré 
d'aullienlicité  i\c.>  fails  qui  peuvent  la  fonder.  Ou  ne  peut  dis- 
convenir ((lie  les  données  sur  lesquelles  ce  grand  art  doit  opé- 
rer sont  tellement  variables,  que  ses  résultats  sont  nudns  as- 
surés (lue  ceux  des  autres  applications  des  silencesàdes  êtres 
matériels.  Il  fut  moins  dillit  ile  de  découvrir  le  système  du 
monde  que  de  fonder  une  théorie  médicale  (pii  soit  autre  chose 
qu'une  hypothèse,  Le  calcul  des  probabilités  appliqué  à  la 
médei  ine  doit  tenir  compte  decetle  extrême couiplicalion  des 
causes,  des  données  et  des  questions;  ce  qui  suffirait  pour 
établir  un  luit  historique  ordinaire  laisserait  encore  beaucoup 
H'iiircrtilud«   relativement  à  un  fait  médical.    Il   n'a  pas  dé- 


SCIEiNCES   FHÏSÎQIJI^S.  i8i 

pendu  de  M.  Gnn.lrct  de  citor  anlaiit  de  faits  qu'il  le  fandruit 
pour  conslater  les  ofTcts  de  sa  méthode;  il  n'avait  ni  le  tems, 
ni  les  Mialériaux  nécessaires  pour  éL'iire  de  gros  volumes: on 
pourra  donc  n'être  pas  encor,^  convaincvi  ni  par  ses  écrits  anté- 
rieurs, ni  par  celui-ci;  mais,  à  coup  sûr,  on  prendra  une  ircs- 
honnè  opinion  de  l'écrivraiu  et  de  sa  manière  de  raisonner 
en  médecine.  N. 

56.  — Elémens  d'Algchre  à  l'usage  des  élèves  qui  se  desti- 
nent à  l'Ecole  Polyleclniique,  à  la  Marine,  à  l'Ecole  militaire 
de  Saint-Cyr  et  à  rÉcole  forestière  ,  par  le  Ijaron  RtysAXiD, 
examinateur  pour  l'admission  à  ces  Ecoles,  etc.  Paris,  i83o; 
Bachelier.  In-8°  de  600  pages;  prix,  G  fr. 

Dans  cette  nouvelle  édition,  M.  lleynaud  divise  l'algèbre  en 
deux  sections  :  lapiemiére  comprend  les  matières  exigées  pour 
l'admission  directe  à  l'École  de  marine  de  Brest,  et  démon-  . 
trées  dans  les  Ecoles  forestières  et  de  Saint-Cyr;  la  seconde 
section  complète  les  connaissances  nécessaires  pour  l'admis- 
sion à  l'École  Polytechnicjue ,  et  comprend  les  parties  de  la 
haute  algèbre  qu'on  voit  dans  celte  dernière  École.  L'auteur 
s'attache  particulièrement  aux  dillicuîlés  qui  peuvent  arrêter 
les  élèves  aux  exair.eus  publics.  Il  y  donne  nn  procédé  pour 
ramener  les  fonctions  matérielles  à  des  formes  plus  élémen- 
taires; il  présente  d'une  manière  plus  simple  que  dans  les 
éditions  précédentes  les  démonsli'alionsrelalivesà  la  détermi- 
na lion  des  limites  des  racine>  et  à  la  règle  des  .-i^nes de  Descartes. 
On  y  voit  encore  des  observations  nouvelles  sur  la  théorie^  des 
racines  réciproques,  sur  celle  des  radicaux  réels  et  imagitiaires 
de  tous  les  degrés,  elc.  (^et  ouvrage  esTprincipalemeut  destiné 
aux  professeurs  des  Collèges  royaux  et  aux  élèves  qui  se  des- 
tinent aux  diverses  écoles  militaires.  Ad.  G. 

37.  ■ — -  yjpplicnlion  des  Globes  à  la  Trigojiométrie  spliiiique  et 
adioers  calculs  d'astronomie  et  de  gcngraphie ,  pour  servir  d'ap- 
pendice à  l'ouvrage  de  M.  F.  Delamaeche,  géographe;  par 
John  JuMp,  inventeur  d'un  instrument  qui  représente  les  cer- 
cles verticaux  de  la  .sphère,  approuvé  par  la  Société  de  géo- 
graphie. Paris,  1829;  F.  Delamarche  ;  FayoUe.  In-S"  de 
1  04  pages;  prix,  2  fr. 

Lorsqu'on  n'a  pas  besoin  d'une  grande  précision  de  calcul, 
on  peut  résoudre  sur  un  globe  tous  les  problèmes  de  trigono- 
métrie sphéiique,  au  moyen  de  cercles  mobiles,  propres  à 
mettre  en  pla'-e  les  données  de  la  question  :  c'est  ce  que 
M.  Jump  expose  dans  cet  ouvrage.  Les  méthodes  graphiques, 
fournies  par  la  géométiie  descriptive,  vont  plus  près  du  but, 
et  entre  des  maine  exercées,  poussent  l'approximation  asses- 


ï83  LIVRES  FRANÇAIS, 

loin.  £n6n,  pour  les  besoins  de  l'astronomie  et  de  ses  appKca- 
tiens,  rien  ne  peut  suppléer  au  degré  d'exactitude  que  Vow 
obtient  par  les  méthodes  connues.  L'usage  du  globe  et  des  so- 
lutions qu'on  peut  obtenir  par  les  procédés  de  M.  Jump  est 
certainement  utile  aux  commencans  ;  il  les  accoutume  à  se  re- 
présenter, soit  sur  la  terre,  soit  dans  les  espaces  célestes,  les 
opérations  des  géographes  et  des  astronomes,  et  les  met  en 
état  de  se  passer  de  ce  mécanisme  j>our  des  études  plus  éle:- 
vées.  L'introduction  de  ce  petit  ouvrage  dans  l'enseignement 
peut  donc  rendre  un  service  réel ,  soit  à  la  jeunesse  qui  ne  se 
destine  point  à  la  carrière  des  sciences,  mais  qui  veut  au  moins- 
n'y  être  pas  étrangère,  soit  à  celle  qui  voudra  la  parcourir 
dans  toute  son  étendue.  \. 

58.  — *Trailé  des  Roues  hydrauliques  et  des  Roues  d  vent,  à 
la  portée  des  personnes  qui  connaissent  les  premiers  élé- 
meus  des  mathématiques;  par  L.  M.  P.  Coste,  capitaine 
d'artillerie ,  et  ancien  élève  de  l'Éctde  Polytechnique.  Pa- 
ris, i83o;  Anselin,  rue  Dauphiue,  n°  9.  In-S""  de  160  pages; 
prix,  3  fr.  5o  c. 

La  théorie  de  l'action  des  cour*  d'eau  sur  les  roues  hydrau- 
liques laisse  beaucoup  à  désirer  ;  non-seulemt;nt  cette  tliéorie 
n'est  pas  d'accord  sur  tous  les  points  avec  l'expérience,  mais 
il  est  souvent  dilTicile  de  savoir  si,  dans  des  conditions  don- 
nées, il  faut  préférer  une  roue  à  aubes  eu  dessous,  ou  de 
côté,  à  une  roue  en  dessus.  La  doctrine  des  aubes^ courbes,  si- 
judicieusement  établie  par  les  travaux  de  M.  Poncelel,  est 
aussi  de  nature  à  présenter  des  difficultés  dans  l'application'  à 
la  pratique,  selon  que  la  chute  offre  telle  vitesse,  ou  telle 
masse  d'eau.  Les  fabricans  de  ces  appareils  sont  encore  incer- 
tains du  degré  de  vitesse  qu'il  faut  donner  au  mouvement  de 
rotation  de  la  roue  en  dessous,  par  rapport  à  celle  de  la  chute- 
La  disposition  des  moulins  à  vent  est  sujette  à  des  diincultés 
de  même  nature.  M.  Coste  s'est  proposé  de  donner  une  ana- 
lyse complète  de  ces  théories;  ce  n'est  pas  un  ouvrage  de 
pratique  qu'il  présente,  mais  il  veut  mettre  d'accord  la  théo- 
rie avec  l'expérience.  On  lira  avec  intérêt  cet  utile  ouvrage, 
où  toutes  les  parties  sont  liées  ensemble  par  des  principes 
communs  et  certains,  quoique  sur  plusieurs  points  l'auteur 
n'adopte  pas  les  opiuions  reçues.  C'est  l'œuvre  d'un  homme 
habile  et  exercé;  la  lecture  doit  en  être  recommandée  à  toutes 
les  personnes  versées  dans  la  science  des  mécaniques. 

09.  —  Guide  du  Mfiunicr  et  du  Constructeur  de  moulins  ,  par 
Oliver  lîvANs,  avec  des  additions  et  des  corrections  du  profes- 
seur (le  mécanique  à  l'Institut  de  Franklin,  en  Pensylvauie, 


SCIE.NCKS   l'insiOLKS.  i85 

el  la  dcstiipliuii  d'un  uiouliii  en  gros  ixiilecliuiiiic  )>iir  C.  cl 
O.  KvANS,  ingén;eui>;  tiiuluil  Mir  la  5"  édition  américaine, 
augmenté  de  notes,  et  de  la  description  des  moulins  de 
iM.  Benoist,  à  Saint-Denis;  par  P.  i\l.  !N.  BkiNoît,  ingénieur 
civil,  ancien  élève  de  l'Ecole  Polytechnique,  membre  de  plu- 
sieurs Sociétés  savantes,  etc.  Paris,  i85o;  Malher  et  conip', 
passage  Dauphine.  2  vol.  in-8° contenant  616p.  et  17  planches 
gravées  ;  prix,  5  IV. 

Lorsq.u'on  rétlechit  à  la  variété  des  connaissances  qui  ser- 
vent de  base  à  l'art  de  la  meunerie,  on  est  étonné  de  voir  com- 
bien l'expérience  peut  tenir  lieu  d'instruction;  car  on  doit 
avouer  que  la  plupart  des  meuniers  sont  dépourvus  des  études 
théoriques  les  plus  nécessaires  à  leur  profession.  Tl  n'en  est 
pas  moins  certain  que  les  perlectioimemens  que  cet  art  a  reçus 
de  nos  jours  n'ont  pu  être  laits  que  par  des  hommes  remar- 
quables par  leurs  lumières,  et  dont  on  doit  écouter  les  conseils 
lorsqu'on  veut  livrer  à  la  consommationles  farines  lesplusbelles 
avec  peu  de  frais  et  de  déchets.  L'appréciation  de  la  force  mo- 
Irice  du  vent  ou  d'un  cours  d'eau,  l'emploi  de  la  puissance  de  la 
vapeur,  la  manière  de  gouverner  ces  actions  avec  adresse  et 
économie,  le  choix  des  engrenages,  l'art  de  diminuer  les  iVotte- 
mens  et  de  tirer  partie  de  la  force  centrifuge  des  meules  tour- 
nantes sont  des  choses  qu'on  ne  peut  savoir  sans  une  étude 
particulière;  ici  la  théoiie  est  aussi  indispensable  que  la  pra- 
tique. 

L'ouvrage  d'Olivei'  Evans  mérite  d'être  médité  pai'  toutes 
les  personnes  que  ce  sujet  intéresse,  parce  qu'il  Ta  embrassé 
ilans  toute  son  étendue.  Cet  habile  mécanicien,  connu  par  le 
parti  (ju'il  a  su  tirer  de  la  vapeur  à  haute  pression,  et  par  l'ou- 
viage  qu'il  a  puî)lié  sur  cette  matière,  joint  des  connaissances 
expérimentales  à  celles  que  l'étude  de  la  théorie  lui  a  permis 
d'acquérir.  11  passe  en  revue  toute*  les  parties  de  la  meunerie. 
Après  avoir  exposé  les  p''incipes  de  mécanique  nécessaires  à 
cet  art,  et  analysé  les  machines  simples  et  leurs  combinaisons, 
tant  en  repos  qu'en  mouvement ,  les  faits  d'expérience  qui 
modifient  la  théorie,  et  particulièrement  ceux  qu'on  doit  à 
Smeaton  sur  la  force  du  vent  et  celle  de  l'eau,  l'auteur  indique 
les  règles  propres  à  la  construction  des  roues  hydrauliques  et 
des  ailes  de  moulin  à  vent.  Des  tables  clairement  disposées 
>onl  propres  à  guider  le  constructeur  dans  le  choix  des  moyens 
pour  tirer  parti  des  cours  rfeau  lors  de  rétablissement  des 
roues.  Les  in>trucnons  de  TIt.  EHicot ,  de  ff^.  Frencfi ,  cout- 
slrinteurs  de  moulins,  et  de  Th.  Joties.  jettent  sur  ce  sujet  la 
clarté  désirable.  On  trouve  dans  ^ouvra^''  tous  les  détails  con- 


i84  LÏVilES  PilÀNÇAIS. 

ecrnant  le  rabillaj![c  des  niciilcs,  la  dishihuiion  des  édifices  de 
moudire,  de  scierie,  etc.,  les  larares,  Ijliilloirs,  etc. 

Mais  ce  qui  donne  à  ce  traité  nn  grand  iulérêt,  c'est  la 
parlio  que  ie  traducteur,  RI.  Benoît,  y  ^  ajout*  c,  tant  pour 
relever  quelques  erreurs  tliéoriques  de  l'auteur  que  pour  dé- 
veiopjicr  les  principes  mécaniques  de  l'ari  de  la  meunerie,  et 
en  montrer  les  applications.  Cette  composition  sera  consul- 
tée avec  iViiit  par  les  personnes  éclairées  qui  veulent  établir 
des  moulins,  ou  tirer  nn  meilleur  parti  de  la  force  motrice 
dont  elles  (iisposent.  Le  sujet  y  est  traité  avec  suin ,  clarté 
et  exactiluùe.  On  voit  que  l'aiiteur  est  exercé  à  la  pralique 
des  appareils,  et  qu'il  a  bien  étudié  son  sujet  pour  en  apprécier 
les  di(Ii;ullés  et  les  surmouler.  On  trouvera  cuÇ\n  nue  descrip- 
tion détisilire  dos  beaux  moulins  de  M  lîeuoist  à  Saint-Dcuis; 
on  peut  rej^arder  cet  établissement  comme  un  mod-  le  que  doi- 
vent se  proposer  de  suivre  toutes  les  pcisonnes  qui  font  de  la 
moulure  l'olijet  spécial  de  leurs  travaux. 

Je  me  peraictlrai  une  observation  relativement  à  la  traduc- 
tion de  l'ouvraj-e  d'O.  Evans.  On  ne  conçoit  pas  ce  qui  a  pvi 
déterniiner  iM.  Benoît  à  conserver  les  mesures  anglaises,  tota- 
lement inusitées  parmi  nous,  et  qiii  ne  sont  pas  dignes  d'un 
autre  sort-  Si  c'est  pour  s'épargner  la  pe'nc  de  traduiie  en 
mètres,  kilogrammes,  etc.  les  nombres  de  Tauteur,  M.  Benoît 
est  inexcusable.  Outre  qu'on  trouve  faligansde  rencontrer  par- 
tout les  termes  fvcl^  yard,  jwinvi,  f^al/on,  ctilwc.h.  qui  ne  repré- 
sentent rien  à  notre  esprit,  ce  n'est  pas  traduire  un  livre  que 
d'y  conserver  les  imités  métriques  étrangères,  et  il  est  peut- 
être  ]>lus  lacile  au  lecteur  (h;  metire  du  frnncais  sous  cbaquc 
mot  anglais  du  texte  (p?e  de  convertir  les  mesures  en  mètres, 
kilograuui.es  et  litres.  Il  m'a  aussi  paru  que  M.  Benoît  forçait 
r.n  peu  <  e  qu'on  appelle  la  force  d'un  cheval,  en  style  de  fabri- 
cant de  macliiu(!  à  vapeur,  puisfju'on  ne  l'évalue  com.muné- 
menî  (pi'à  70  kilogrammes  élivés  à  i  mètre  par  seconde.  Watt 
la  siip[)orait  de  7/1  kilogiammes  :  M.  Benoît  la  fait  de  80, 

Fr  AN  COEUR. 

l\n. —  Le  Vêclieur  frnurnis ,  Traité  de  la  pêche  à  la  ligne  en 
eau  douce,  contenant  l'histoire  naturelle  des  poissons,  la  pê- 
che particulière  à  chacun  d'eux,  etc.,  etc.  ;  par  Rrf.sz  aî'ié. 
Biii.ricmcraitiim.  Taris,  i8r)o;  Audot.  ln-12  de  iv  et  4i5  pages 
avec  ao  phuvhes;  prix,  ,5  fr. 

Pendant  les  jours  de  la  révolulio:i,  la  pêche,  autrefois  pro- 
hibée, fut  periuie  à  tout  le  monde;  mais  ce  tems  de  fran- 
«•liise  dura  peu  .  l'an  X  y  mil  fui.  Le  privilège  de  pêchei'  pou- 
vali  être  vendu  et  rapporter  quchpif  chose  au  trésor;  on  en 


SCIRNCE5  PllYSÎQIJBS.  i85 

d/ipouilla  la  masse  et  on  le  vendit  à  quelques-uns.  Depuis,  on 
a  siRccssivement  ajoulé  aux  restrictions  apportées  à  ce  droit 
con»mun.  Le  fisc  y  trouva  iin  autre  avantage  :  les  restrictions 
anienèieiit  lesoonliaventions  et  les  coniravenlions  des  procès, 
de»  amendes  :  le  tiud)re  et  l'eniegislrement  y  j;agnèrent,  de 
pauvres  gens  lurent  ruinés,  et  le  public  perdit  un  plaisir.  On 
créa  des  garde5-]>t'c!ie ,  et  l'arniée  des  salariés  Ait  auguîen- 
tée  de  quelques  nullii  rs  d'iudivi  ius ,  chose  qi.i  n'était  pas  non 
p  us  à  dédaigner  :  ùe>  fonctionnaires  à  5oo,  à  200  Cr.  et  même 
à  plus  bas  piix!  c'est  avoir  des  gens  à  soi  au  meilleur  marché 
possible.  Le  motif  sur  lequel  on  s'appuya  pour  justifier  cet 
envahissement  du  pouvoir  fut  la  con>ervation  de  l'empois- 
sonnementdes  rivières;  mais  ce  molifétailpeu  l'ondé  puisqu'on 
permettait  la  même  dévastiilion  moyennant  finance,  et  que 
d'ailleurs  le  moyen  le  plus  eïïîcace  de  s'opposer  au  dommage 
consistait  à  restreindre  la  p«>he  au  Olet,  qui  est  la  seule  vrai- 
ment deslruclive.  On  négligea  ce  seul  moyen  :  les  fermiers 
eurent  des  gardes  à  eux.  et  ne  furent  pas  surveillés  {tar  les 
gardes  de  l'administration  ;  la  déviistation  fut  plus  grande  ciue 
jamais,  et  est  devenue  telle  qu'il  faut  être  passé  jnaître  rusé 
pêcheur  pour  atlraper  maintenant  un  poissori  passable,  dans 
une  rivière  aifemiée  à  cjjaque  bail  pour  un  prix  inférieur  à 
celui  du  bail  précédent.  La  pêche  à  la  ligne  était  inoffen- 
sive ;  cependant  on  ne  put  se  résdiidre  à  laisser  prendre  gratis 
aux  amateurs  cet  innocent  plaisir,  et  le  pêcheur  que  vous 
voyez  au  bord  de  l'eau  a  payé  9  à  10  fr.  par  an  la  tranquillité 
dont  il  jouit  ;  ou  bien  c'est  un  fraudeur  qui  redoute  la  pré- 
sence du  garde.  La  latitude  laissée  à  la  pêche  licite  est  telle- 
ment resireinte  qu'il  est  presque  impossible  de  n'être  point  en 
contravention.  C'est  ainsi  que  petit  à  petit  tout  ce  qu'il  y  avait 
d'onéreux  et  de  vexdtoire  dans  les  anciennes  ordonnances  a 
été  remis  en  vigueur;  mais  laissons  ce  sujet,  sur  lequel  il  y 
aurait  trop  à  dire,  et  revenons  au  livre  de  M.  Kp.esz  aiué. 

C'est  avec  regret  que  nous  avons  vu  disparaîtie  dans  cette 
deuxième  édition  tout  ce  qui  avait  trait  aux  grandes  pêches  dont 
s'occupent  les  pêclieiu'sde  prol'es-^ion  ;  c'était  bien  assurément 
la  pallie  la  plus  rcniarquablede  l'ouvrage.  Dans  la  seconde  édi- 
tion, l'auteur  ^'occupe  setdementde  la  pêche  à  la  ligne  :  nous 
regrettons  aus.^i  ces  giavures  dans  lesquelles  le  pêcheur  était 
rej)ré.enté  en  action  sur  les  bords  rocailltMix  où  la  pêche  est 
le  plus  fru(  tueuse  ;  M.  Rieszlesa  reuqjlacécs  par  son  portrait. 
Quoi  qu'il  en  soit,  cette  seconde  édition  contient  en  échange 
de  ce  qui  a  été  supprimé  de  la  première  quelques  préceptes 
dont  les  pêcheurs  pourront  faire  leur  profit,  notamment  «ur 


iSO  LIVUES  FRANÇAIS. 

la  pêuhe  aux  pelotes,  qui  est  celle  {|ue  l'auteur  parait  le  mieux 

eiilendre.  OE. 

41. — *Traitc  clcmenlaire  deGéograp/ne,  contenant  unahréi^é 
méthodique  du  Précis  de  la  géographie  universelle  de  Malle- 
Brun,  terminé  d'après  le  plan  et  les  matériaux  de  ce  célèbre 
géographe,  par  ses  collaborateurs,  MiM.  Larenai  dière.  Balbi 
et  Hi'OT,  contenant  V Histoire  de  la  Géographie,  tes  Principes  ft 
la  Description  générale  de  l'Europe.  Paris,  i85o;  Aimé-Andié. 
quai  Malaquais,  n"  i5.  In-8°  de  xvj  et  989  pages.  11  y  aura 
deux  vol. ,  avec  un  atlas  composé  de  12  cartes,  dessinées  pai- 
M.  Poirsoîi,  et  de  tableaux  stalisliques  et  autres;  prix,  17  fr. 

Il  est  bien  plus  dillicile  qu'on  ne  le  croit  communément  tle 
composer  un  bon  traité  élémentaire  sur  (pielque  branche  que 
ce  soit  des  connaissances  humaines.  Sans  parler  du  peu  d'a- 
vantages qu'un  travail  de  ce  genre  peut  otïrir  à  son  auteur, 
soit  pour  sa  lortiine,  soit  sous  le  rapport  de  la  célébrité,  il 
exige  un  assez  grand  nombre  de  conditions  qu'il  est  rare  de 
trouver  réunies  :  une  connaissance  complète  et  approfondie 
de  la  science  sur  laquelle  on  veut  écrire;  un  esprit  juste  et 
méthodique,  possé'Iant  l'art  peu  commun  de  rendre  claire- 
ment les  choses  les  plus  difficiles,  et  de  marcher  sans  cesse,  et 
par  degrés,  du  simple  au  composé  ;  im  choix  judicieux  de  ma- 
tériaux recueillis  à  l'aide  de  longues  recherches  ,  non-seule- 
ment parmi  nous,  mais  encore  chez  les  étrangers,  qui  se  sont 
occupés  avec  succès  de  la  même  matière;  enfin,  une  expé- 
rience suffisante  des  diverses  méthodes  d'enseignement  qui  y 
ont  été  applicpiécs  jusqu'ici. 

Ce  sont  peut-être  ces  difficultés,  et  d'autres  encore  plu> 
spécialement  attachées  à  l'étude  de  la  géographie,  qui  nous 
ont  empêché  jusqu'ici  d'avoir  un  bon  traité  élémentaire  sur 
cette  science,  si  utile  et  si  agréable  en  elle-même,  et  à  laquelle 
d'importantes  découvertes  ont  donné,  tout  récemment ,  im 
nouveau  degré  d'intérêt.  11  est  bien  digne  de  remarque,  en 
effet  ,  que  nous  possédions  en  France  tant  d'hal)iles  et  labo- 
rieux géographes,  dont  les  travaux  sont  justement  appréciés 
de  l'Europe  savante,  et  que  pas  un  d'eux  ne  paraisse  avoir 
songé  à  nous  donner  un  traité  élémentaire  en  harmonie  avec 
l'état  actuel  de  la  science.  On  peut  s'étonner  encore  que  la 
Société  de  géographie,  (pii  décerne  chaque  année  plusieurs 
prix  pour  des  ouvrages  relatifs  aux  objets  piincipaux  de  se> 
éludes,  n'ail  jamiiis  mis  au  concours  la  composition  d'un  sem- 
Itlable  triiilé.  Il  r-l  péiiilile  d'avouer  que,  jusqu'aux  lems  ac- 
tuels, renscigneuieul  de  la  i^éngrapliie  dans  nos  écoles  ne  s'est 
l'ait   qu'au  moyen  de  Iraduclifuis  d'ouvrages  auglai»-  et  aile- 


SCIENCES  PHYSIQUES.  187 

mands,  dont  notre  indigence  a  lait  exagérer  le  mérite,  et  qui, 
grâce  à  elle,  ont  obtenu  depuis  trente  ans  de  nombreuses 
réimpressions. 

Les  personnes  du  monde,  (jui,  après  des  études  superficielles, 
veulent  s'occuper  plus  sérieusement  de  cette  science  ({u'on  ne 
peut  le  faire  dans  les  collèges,  pouvaient  du  moins,  depuis 
peu  d'années  seulement,  consulter  avec  tVuit  le  beau  travail 
de  Malte-Brun,  véritable  traité  de  géographie  univeiselle , 
qui,  sans  doute,  eût  encore  mieux  justifié  son  titre,  s'il  eût  été 
possible  à  l'auteur  de  le  publier  en  entier  avant  sa  mort.  On 
se  rappelle  avec  quel  empressement  le  public  accueillit  , 
en  1809,  le  projet  et  le  premier  volume  de  ce  gr.md  ouvrage. 
D'après  la  pensée  féconde  de  l'auteur,  toutes  les  sciences  de- 
vaient fournir  des  matériaux  à  son  vaste  édifice,  et,  pour  la 
première  fois,  la  description  de  la  terre  allait  se  montier  com- 
plète et  universelle  comme  son  objet.  Mais  c'est  le  sort  des 
livres  de  ce  genre  de  vieillir  en  peu  d'années;  la  géographie 
proprement  dite,  les  sciences  qui  s'y  rattachent ,  et  surtout 
les  divisions  politiques  qui  en  forment  un  important  acces- 
soire, ont  éprouvé  depuis  vingt  ans  de  nombreuses  modifi- 
cations. Ce  grand  ouvrage,  malgré  l'immense  ériulilion  de 
Malte-Brun,  malgré  les  talens  et  le  zèle  si  estimable  de  ses 
continuateurs,  deineiu-e  donc  encore  incomplet,  et  ne  satis- 
fait plus  qu'imparfaitement  aiix  besoins  de  la  science.  Son 
étendue  et  le  prix  élevé  qui  en  résulte  le  mettaient  en  même 
tems  hors  de  la  portée  d'un  grand  nombre  de  lecteurs. 

Rien  ne  pouvait  donc  être  plus  agré.ible  aux  personnes  qui 
s'occupent  spécialement  de  cette  étude  ,  et  même  à  tous  les 
homiries  instruits,  que  la  publication  d'un  nouveau  traité, 
extrait  du  précédent,  enrichi  de  tout  ce  que  celui-ci  présen- 
tait de  neuf  et  d'essentiel,  dégagé  seulement  des  considéra- 
tions trop  scientifiques  et  inutiles  au  commun  des  lecteurs.  Ce 
travail  a  été  fait  avec  un  soin  et  un  talent  (pie  nous  ne  pou- 
vons trop  louer,  par  MM.  Larcnaudière,  Balbi  et  Huot,  colla- 
borateurs et  disciples  de  Malte-Brun,  et  dont  les  noms  seuls 
offrent  la  plus  honorable  garantie.  Analyser  un  pareil  ou- 
vrage, qui,  nous  l'espérons,  remplira  complètement  les  espé- 
rances qu'il  a  tléjà  fait  concevoir,  c'est  en  faire  l'éloge  le  plus 
entier  et  le  moins  suspect,  >ous  allons  donc  indiquer  sommai- 
rement le  plan  véritablement  neuf  de  ce  nouveau  Traite  élé- 
mentaire. 

Ce  plan  se  trouve  exposé  par  Malte -Briui  lui-même  dans 
un  fragment  que  les  nouveaux  auteurs  ont  placé  en  tête  de 
leur  préfiic<'.  On  y  voit  dominer  cette  idée,  <|ui  paraîtra  ui\ 


.38  LIVRES  FRANÇAIS. 

peu  fcti'iingc  à  plus  d'un  lecteur,  qu'un  «trailé  de  g^éographic 
ne  doit  pas  oïlVir  la  description  détaillce  des  diverses  parties  du 
monde;  ce  serait  comnie  si  l'on  voulait  faire  entrer  un  dic- 
tionnaire dans  une  giamniaiie.  »  L'auteur  du  Précis  pensait 
donc  qu'on  devait  se  borner,  dans  un  tel  ouvrage,  aux  ])rin- 
cipes  généraux,  et  ce  n'est  que  par  une  sorte  de  concession  à 
l'usage  él:ii)li ,  qu'il  se  proposait  de  descendre  à  ces  descrip- 
tions (|u'oflVent  les  traités  ordinaires.  Nous  voyons  avec  plaisir 
que  les  auteurs  de  l'Abrégé  n'ont  pas  suivi  rigoureusement  le 
systèuje  de  Malte-lirun,  (|ui,  s'il  nous  est  permis  d'exprim.er 
ici  notre  opinion  personnelle,  nous  semblerait  détourner  la 
géographie  de  son  but  principal,  \adesiri/)tion  de  (a  terre,  comme 
l'indique  sou  nom  même.  Toulerois  nous  serions  tentés  de  leur 
dire  qu'ils  ne  se  sont  pas  encore  assez  rapprochés,  en  cela,  des 
usages  reçus.  Nous  aurions  voulu  voir,  par  exemple,  dans  la 
description  des  contrées  de  l'Europe,  l'indication  détaillée  du 
cours  des  grands  fleuves  qui  la  traversent,  et  ce  n'est  pas  as- 
sez pour  iaiie  connaître  celui  du  Danube,  que  dédire  «qu'il 
divise  le  sol  de  la  Bavière  en  deux  grandes  lormalions  géolo- 
giques. »0ù  trouvera-t  on,  si  ce  n'est  dans  un  traité  élémen- 
taire de  géographie,  la  désignation  des  sources  et  des  embou- 
chures de  CCS  fleuves  et  des  accidens  de  leurs  cours  ?  Il  semble 
que  le  Uhin,  le  Volga,  l'KlJie,  le  llhone,  etc.  ,  méritaient  bien 
quelque  chose  de  plus  qu'une  simple  mention.  Par  un  motif 
semblai)le,  nous  n'aurions  pas  été  fâchés  de  voir  indiquer 
avec  plus  de  précision  les  limites  politiques  de  départemens 
et  de  provinces,  souvent  à  peine  nommées  dans  ce  Tiailé, 
peu  agréables  il  est  vrai  à  étudier,  mais  qu'il  faiit  pouitant 
savoir,  et  qu'on  ne  devrait  pas  être  obligé  d'aller  chercher 
ailleurs. 

A  la  suite  d'un  Précis,  très-bien  fait  et  très-substantiel,  de 
l'histoire  de  la  géogra])hie  depuis  les  premiers  tems  histori- 
ques jusqu'à  nos  jours,  se  trouve  placée  l'exposition  des  prin- 
cipes généraux,  comprenant  les  bases  astronomi(|ues,  malhé- 
iTiatiijues  et  géologiques  de  la  science.  D'importantes  notions 
sur  l'eau,  qui  couvre  une  partie  de  la  surface  du  globe,  sur 
l'air,  qui  l'enveloppe  de  toutes  parts,  sur  la  cause  et  la  nature 
des  vents,  sur  les  températures  locales  et  les  climats  physi- 
ques, sur  les  révolutions  arrivées  à  la  surface  du  globe,  sur  la 
disti  ihulion  des  animaux  et  des  végétaux  qui  l'habitent,  toutes 
choses  aussi  intéressantes  qu'étrangères  jusqu'ici  à  la  plupart 
de  nos  traités  de  géographie,  présentent  tout  ce  qu'on  peut 
désirer  de  savoir  à  cet  égard.  Viennent  ensuite  les  diverses 
rlai'siriciUion?  de  la  race  humaine,  ce  qui  regarde  les  langues, 


5CIENCES  PHYSIQUES,  189 

les  religions,  les  divers  modes  de  goiivornemeuf.  Ici  se  ter- 
mine la  première  partie,  qui  occupe  à  peu  près  la  moitié  du 
volume. 

La  seconde  division ,  nommée  descriptive,  et  qui  roristilue 
la  partie  géographique  propromi'Ut  dite,  commente  par  des 
notions  génér.des  sur  l'Euiope,  ses  dinieiisions,  ses  mers,  ses 
montagnes,  ses  lleuves,  ses  diverses  productions  ;  enfin  sur  l'im- 
portance, la  force  et  la  richesse  de  clia'jun  des  États  cjui  la  compo- 
sent. Là  se  trouvent  encore  de  précieux  dociunen-*  stati>tique3 
qu'on  cliercherait  vainement  ailleuis.  Ensuite  vieiment  les 
desciipli«ms  de  chafjue  contrée  en  parliculiei-,  en  commen- 
çant par  la  France.  On  a  adopté  ici  une  marche,  déjà  suivie 
dans  le  Précis  universel,  et  qui,  nioins  monotone  sans  doute 
et  moins  pénible  pour  l'étude  que  Pancienne,  nous  paraît  aussi 
moins  méthodique  et  moins  rationnelle.  Les  divisions  par  pro- 
vinces et  par  dé[)artemens  ne  sf)nt  plus  rappelées  q-ie  dans 
des  tableaux  répétés  à  la  fia  de  l'article;  la  surface  du  royaume 
est  ('écrite  par  bassins,  et  comme  pourrait  le  voir  un  voyageur 
instruit  qui  la  jiarcou irait  successivement,  du  Nord  au  Midi, 
en  s'écartaot  au  besoin  à  l'est  et  à  l'ouest,  et  sans  s'inquiéter 
aucunement  de  sa  division  administrative.  Cette  classification 
par  bassins,  en  suivant  les  lignes  de  partage  des  eaux  n'est 
pas,  comme  on  sait,  une  idée  nouvelle  :  elle  offre  beaucoup 
d'avanlages  pour  l'étutle  de  la  géographie  physique  ;  mais  nous 
le  répétons,  l'étude  des  divisions  politiques  et  administratives 
est  aussi  d'une  grande  importance,  surtout  à  l'époque  actuelle; 
et  l'on  ne  peut  nier  que  le  nouveau  Traité,  d'ailleurs  si  com- 
plet, ne  laisse  quelque  chose  à  désirer  sous  ce  rapport. 

Les  autres  contrées  de  l'Europe  sont  décriles  d'après  le 
même  système;  d'abord  la  Suisse  et  l'Italie  :  puis  l'Allemagne 
et  les  autres  contrées  du  Nord;  la  Turquie  d'Europe  et  la 
Grèce  (indiquée  ici,  peut-être  pour  la  première  fois,  comme 
nn  Elat  indépendant);  l'Espagne  et  le  Portugal;  enfin,  les 
Iles  Britanniques.  Pour  chacun  de  ces  Etats,  les  auteurs  ont 
donné  des  détails  statistiques  d'une  haute  importance,  qu'on 
n'avait  consignés  jusqu'ici  dans  aucun  ouvrage  de  ce  genre,  et 
qui  sont  dus,  ?ans  doute,  aux  savantes  et  consciencieuses  re- 
cherches de  M.  Raibi,  l'un  des  collaborateurs.  Nous  y  aurions 
seulement  désiré  quelques  piiges  de  plus,  sur  l'industrie  ma- 
nu facturicre,  surtout  pour  les  Etats  dont  elle  forme  la  princi- 
pale richesse;  et  sous  ce  rapport,  sans  doute,  la  France  et 
l'Angleterre  méritaient  bien  quelques  détails,  que  le  plan  de 
cet  ouvrage  semblait  d'ailleurs  comporter. 

L'Atlas,  dont  nous  avons  encore  à  parler,  contient  seule- 


igo  LIVRES  FRANÇAIS. 

uieiil  douze  carie?,  exécutées  avec  un  soui  et  une  délicatesse 
(le  Inuin  remarquables,  et  dont  l'exactitude  ne  peut  être  mise 
en  doute,  puisqu'elles  sont  l'ouvrage  de  M.  Poirson.  dont  le 
talent  est  si  bien  connu,  et  à  qui  l'on  doit  le  superbe  globe 
manuscrit  qui  orne  le  milieu  de  la  galerie  d'Apollon,  au 
Louvre.  Ces  cartes  sont  précédt-cs  de  plusieurs  tables  in- 
diquant la  position  des  capitales  des  cinq  parties  du  monde 
par  rapport  au  méridien  de  Paris,  ainsi  que  la  valeur  compa- 
rative de  leurs  poids  et  mesures  et  de  lexirs  monnaies,  rappor- 
tés aux  nôtres.  Y.  L. 

Sciences  religieuses,  morales,  politiques  et  historiques. 

42.  —  Elablisscment  protestant  pour  l' éducation  d'enfans 
pauvres,  au  Neuhof,  prés  Strasbourg.  Strasbourg,  1829;  im- 
primerie de  M""  veuve  Silberman.  In-S"  de  iG  pages. 

En  lisant  cet  écrit  on  prend  un  vif  intérêt  à  l'établissement 
de  Neuhof  et  à  ceux  qui  le  dirigent  :  M.  Rrafft,  supérieur  du 
pensionnat  théologique  attaché  au  séminaire  protestant,  etc., 
est  président  du  Conseil  d'administration  et  rédacteur  de  cette 
notice,  cjui,  dans  l'espace  resserré  de  16  pages,  contient  la 
biograpliie  du  fondateur  principal,  l'histoire  et  Torganisation 
de  l'établissement,  la  distribution  des  heure»  du  travail,  soit  à 
l'étude,  soit  au  ménage  et  à  la  comptabilité,  les  noms  des  bien- 
faiteurs et  la  note  de  leurs  dons.  Arrêtons- nous  un  moment 
à  la  biographie  par  laquelle  M.  Kraflt  a  débuté,  car  le  vertueux 
^^  lUTz,  mode]  accompli  du  chrétien,  est  un  de  ces  hommes 
qui  font  honneur  à  l'iiumanité,  et  dont  la  vie  fait  connaître 
tous  les  biens  que  le  christianisme  répandrait  sur  la  terre  s'il 
était  mieux  connu  et  si  ses  maximes  étaient  mieux  suivies. 

W  urtz  naquit  dans  la  pauvreté,  supporta  dés  l'enfance  des 
infortunes  dont  la  religion  le  consola,  ne  perdit  pas  de  vue  un 
seul  instant  le  but  du  voyage  que  le  chrétien  fait  sur  la  terre, 
et  la  route  par  laquelle  il  peut  l'atteindre.  Le  peu  de  biens  qu'il 
avait  acquis  par  son  travail,  ses  soins  durant  les  dernières  an- 
nées de  sa  vie,  tout  a  été  consacré  à  l'établissement  de  Neuhof. 
Ln  simple  monument  y  conservera  son  souvenir;  sur  l'une 
des  faces  on  lit  cette  inscription  :  «  Philippe-Jacques  "VN'urtz, 
fondateur  principal  de  l'établissement  pour  l'éducation  d'en- 
fans pauvres  an  Neuliof,  né  le  19  octobre  1745.  décédé  le  23 
juin  1828.  »  Sur  une  autre  face  :  Paroles  dv  défwt  en  i825. 
«  Ce  bien  terrestre  n'est  point  ma  propriété;  c'est  un  talent 
que  m'a  prête  le  Seigneur,  et  je  dois  le  lui  rendre  avec  usure; 
je  le  lui  rendrai  en  le  transmettant  à  ces  plus  petits  de  mes 


SCIENCES  MORALES.  ij,i 

rr<'MC5.))Troisièn)o  lace  :  Paroles  du  Scignf.i:u.  «O  bon  et  fidèle 
serviteur,  lu  as  (;té  fulèlr  en  peu  de  choses;  je  Tri  a  1)1  irai  sur 
beaucoup;  entre  dans  la  joio  de  ton  seifi,ncur. ->  Quatrième 
l'ai'e  :  Sentiment  des  enfans.  u  Dieu  !  tu  as  délivré  mon  âme  de- 
la  mort;  tu  as  gardé  mes  pieds  de  broncher,  aiîn  que  je  mar- 
che devant  Dieu  en  la  lumière  des  vivans  (  ps.  56,  v.  i4)-'' 

Pour  avoir  une  juste  idée  de  la  vie  toute  chrétienne  de 
\N  urtz,  il  faut  liie  cette  notice  tout  entière,  et  remarquer  que 
cet  homme  d'une  véritable  piété  a  traversé  toute  la  révolu- 
tion, subi  ses  calamités,  supporté  ses  orages,  sans  que  la  tran- 
(juillité  de  son  âme  en  ait  été  troublée. 

Au  Neuhof,  outre  l'instriution  religieuse  que  reçoivent  les 
enfans,  on  leur  fait  apprendre  le  français  et  l'allemand;  la 
calligraphie,  le  dessin  linéaire,  la  géographie,  le  calcul,  etc., 
sont  aussi  l'objet  de  leçons  assez  fréquentes  pour  que  les  jeunes 
élèves  en  tirent  un  profit  réel.  Le  ménage  et  les  travaux  cham- 
pêtres sont  faits  par  les  enfans,  sansleconcours  de  domestiques 
ni  de  journaliers.  3Ialheureusement,  quoique  le  zèle  des 
bienfaiteurs  se  soutienne,  il  éprouve  des  variations  qu'il  serait 
îm[)ortant  d'éviter  :  nous  lisons  dans  cette  brochure,  au  sujet 
d'un  envoi  de  pommes  de  terre  et  d'autres  denrées,  fait  par  la 
commune  de  Lampertlieim  :  «  Ce  dernier  secours  nous  arriva  à 
une  époque  oCi  notre  provision  était  épuisée,  une  avance  de 
quatre  sacs  consommée,  et  où  notre  pusillanimité  était  sur  le 
point  de  se  deuiander  :  que  mangeront  nos  enfans?»  Les  do- 
tations foites  aux  établissemens  tels  que  celui-ci  sont  aussi 
l'un  des  moyens  par  lesquels  la  Providence  pourvoit  à  leur 
conservation  :  il  serait  bien  à  désirer  que  les  largesses  prodi- 
guées aux  couvens  reçussent  cette  destination.  La  bienfaisance 
appliquée  à  l'éducation  des  enfans  pauvres  ne  fiit  sans  doute 
aucune  distinction  entre  les  diverses  communions  chrétiennes; 
l'Institut  du  Neuhof  iie  peut  encore  se  passer  d'offrandes  an- 
nuelles. Les  clirétiens  disposés  à  venir  à  son  secours  voudront 
bien  adresser  leurs  dons  soit  à  M.  Rrafft,  soit  à  l'un  des  mem- 
bres du  Conseil  d'administration,  qui  sont  ÎMiM.  le  professeur 
HERREN^CH^EIDER,  LvNG,  marchand  de  soieries,  Doldé,  pro- 
priétaire, HiCKEL,  notaire  royal.  On  peut  aussi  adresser  à 
MM.  LEGRANDpère  et  fils,  membres  correspondans,  à  Fouday, 
au  Ban 'de  la  Hoche.  Y. 

43-  —  I-'^  /■'  ocabiilaire  des  Sourds-Muets  [^partie  iconographi- 
que^ ;  première  livraison,  contenant  cinq  cents  noms  appella- 
tifs  de  la  langue  usuelle,  interprétés  par  un  paieil  nomlire  de 
figures  correspondantes;  par  M.  Pirocx,  directeur  de  l'Insti- 
tut des  sourfis-muets  de    Nancy,   membre   de  plusieurs  So- 


)fj2  L1V11E5   FRANÇAIS. 

ciélcs  savante?.  Nancy,  i85o;  à  réluMissemenl  des  .^ovircls'- 
miietset  chez  L.  Vincenot  et  Viilart,  au  Casino.  In-S";  prix  de 
chaque  livraison,  2  fr.  ôo  c,  5  IV.  pour  les  uon-soiiscriplours; 
les  autres  livraisons  paraîtront  de  six  en  six  nioTs. 

Un  tiavail  du  i;;enre  de  ciiui  dont  nous  venons  de  tracer  le 
titre  avait  été  rcconini/uidé  par  M.  de  Gicrakdo  dans  so!i  esti- 
mahlo  ouvrage  sur  ruistriiclion  des  sourds-mucis  ;  iM.  l'iroux 
était  liion  digne  de  s'a»so(  ier  au  vœu  de  Ihonorahle  philan- 
trope  en  l'accomplissant.  Son  ouvrage,  qui  se  composera  de 
cin(|  livraisons,  est  divisé  en  pai  tie  iconf)i;rapln((iie  et  en  partie 
le\irologi([ne ,  c'est-à-dire  qu'il  réunit  (]c^  fignies  et  des  ap- 
pellations correspondantes;  on  conçoit  tous  les  avantages  de 
cette  méthode  pour  parler  à  la  l'ois  aux  yeux  et  à  l'intelligence. 
L'auteur,  pour  exciler  plus  encore  le  tiavail  des  élèves,  a  eu 
le  soin  de  ])lacer  les  figures  au  verso  du  feuillet  sur  lequel  les 
noms  sont  inst  rits.  Nous  ne  ])Ouvons  qu'enc(un'ager  l'auteur 
dans  son  utile  cntrepiise,  «pu  a  déjà  obtenu  les  sullVages  des 
directeurs  d'élaMissemens  royaux  ,  parmi  le.-(|ucls  H.  l*ironx 
figure  lui-mênu"  si  lionorablenieut.  L'instruction  d'une  classe 
d'êtres  mallieuieux,  dont  près  de  moitié  en  Fran:;e,  environ 
8,000  individus ,  n'en  peuvent  recevoir  anciuie ,  en  devien- 
dra plus  r>imple  et  plus  facile.  L'auteur  aura  donc  rendu  par 
là  un  service  important  à  la  société.  D 

44-  —  *  Histoire  fiitanciire  de  la  France  depuis  f  origine  de  la 
monarchie  jusqu'à  la  fin  de  178G,  avec  un  Tahhari  ï,cnéral  des 
anciennes  impositioiia  et  l'.n  Etat  des  recettes  et  îles  dcpmses  du 
Trésor  royal  à  la  même  épo(iue  ;  par  M.  A.  Bailly  ,  inspec- 
tein--général  des  liiianccs.  Paris,  i85o;  Moutardier,  rue  Gît- 
le-Ca;ur,  n"  l\.  2  vol.  in-8°  ensemble  de  xxxvi  et  954  pag-; 
prix,  i5  fr. 

L'année  dernière,  M.  Jacques  Bresson  publia  sous  ce  même 
litre  un  ouvrage  dont  il  a  été  rendu  compte  dans  la  Jîcvue 
Encyclopédique  (t.  XLi  ,  p.  O78),  et  qui  n'étaii,  à  propre- 
ment parler,  qu'un  exposé  de  la  \ie  des  surintendans  et  des 
ministres  des  finances  depuis  i5oi  jiisq  l'en  i85o;  M.  Cresson 
n'avait  point  traité  son  sujet  comme  on  auiait  pu  l'atlendre 
de  sou  talent,  et  le  travail  était  à  ref lire  ;  11L  lîailly  est  entré 
dans  la  carrière,  et  son  livre  est  en  quelque  sorte  la  contre- 
partie de  celui  de  M.  Bresson.  Laissant  de  côté  les  noms  et  les 
personnes,  il  s'attache  aux  faits  et  passe  en  revue  l'étal  des 
îinances  sous  lu  domination  romaine  et  sous  les  trois  pre- 
mières races.  On  voit  qu'il  s'est  beaucoup  aidé  de  l'ouvrage 
d'Arnould,  publié  en  1806;  ses  recherches  l'ont  complété  : 
mai"»  i!  ef<\  à  regretter  qu'il  n'aitpas  su  mieux  résumer  le»  faits 


SCIExNCES  MORALES.  ujS 

et  qu'il  n'ait  pas  t'ait  icssorlir  avec  plus  de  force  et  de  clarté  les 
différences  notables  qui  se  font  remarquer  dans  les  diverses 
phases  de  notre  histoire  ;  son  livre  renferme  heauconp  de 
chos(!s,  beaucoup  de  documens  à  consulter,  de  matériaux  im- 
portaiis;  ils  seront  utiles  à  celui  qui  saura  nous  donner  enfin 
un  tableau  complet  et  précis,  ajipuyé  sur  des  chiffres,  de  l'his- 
toire de  nos  finances  depuis  l'origiiie  de  la  monarchie  jusqu'à 
nos  jours.  w. 

45.  —  Des  Domaines  et  de  l'rtat  constitutionnel  de  la  Lor- 
raine, par  M.  NoEL ,  notaire  et  ancien  avocat.  Nancy,  i83o. 
In-8°  de  l'io  pages. 

L'administration  des  domaines  voulant  faire  entrer  le  gou- 
vernement en  possession  de  ceux  qu'on  appelle  aiiénés  ou 
engagés,  cette  grande  question  a  produit  phisieurs  écrits  in- 
léres^ans  sous  le  rapport  de  l'histoire  et  du  droit  public,  au 
moyen  âge.  Parmi  eux,  nous  avons  remarqué  le  Mémoire 
publié  par  M.  Noël,  de  Nancy.  L'auteur,  qui  a  réuni  un  grand 
nombre  de  livres  et  de  manuscrits  curieux  sur  la  Lorraine, 
examine  la  nature  de  ce  duché  et  la  puissance  donnée  aux 
ducs  lors  de  l'investiture,  essentiellement  en  ce  qui  regarde  le 
domaine.  «Les  Francs,  dit-il,  lorsqu'ils  s'emparèrent  des 
Gaules,  ne  possédaient  rien  du  sol;  la  conquête  n'était  pas  la 
propriété  du  chef,  mais  celle  de  tous  les  vainqueurs.  Le  chef 
n'était  point  maitro ,  mais  seulement  administrateur  du  bien 
commun;  sous  ce  rapport,  il  ne  pouvait  l'aliéner  seul....  De- 
puis i5i4>  à  peu  près  dans  le  tems  où  les  états-généraux  ou 
nationaux  ont  été  assemblés  pour  la  première  fois,  il  fut  publié 
des  ordonnances  qui  déoJaraient  les  domaines  inaliéliables,  et 
révoquaient  les  aliénations  faites  même  par  saint  Louis  depuis 
1226 »  Eu  Allemagne,  dont  la  Lorraine  faisait  partie,  de- 
puis le  traité  de  Bonn  en  C)2i  ,  l'empereur  était  électif 

Toutes  les  capitulations  successives  n'avaient  pour  objet  que 
de  diminuer  ses  pouvoirs ,  en  augmentant  celui  des  princes 
qui,  par  le  fait,  ont  pu  disposer  de  leurs  domaines,  en  toute 
propriété,  à  moins  qu'ils  n'en  fussent  empêchés  par  leurs  États 

particuliers,  tandis  que  l'empereur  ne  le  pouvait  nullement 

En  résumé,  en  France  tout  domaine  de  l'Etat  était  inalié- 
uable  ;  en  Allemagne,  le  seul  domaine  mis  en  réserve  pour 
les  charges  de  la  couronne  élait  inaliénable,  comme  une  pro- 
priété commune.  Le  surplus  des  domaines  était  aliénable . 
sans  recours  ni  restitution,  comme  étant  bien  particulier  ou 

privé <c  En  1048,  lors  de  l'établissement  de  l'hérédité  du 

duché  de  Lorraine  dans  la  maison  de  Gérard  d'Alsace ,  la 
province  avait  une  organisation  modelée  îur  celle  de  l'empire. 

î.   XtVlI.   JCILLEl   iH7to.  i5 


i«j4  LIVRFS  FilANÇUS. 

Les  rlirvalicrs  jugeaient  leiiis  propres  causes  el  celles  (le.-< 
particuliers;  les  États,  composés  des  chevaliers,  des  prélats, 
des  l)t)urgeois,  des  vilains,  avaient  le  droit  de  reconnaître  le 
duc,  de  décider  de  tontes  les  affaires,  lois,  aides,  contril)utions 
relatives  au  duché Charles  III  pnhlia  des  ordonnances  do- 
maniales pour  le  duché  de  Bar,  les  21  juin  j56o  el  27  juin 
i56i.  Les  Etats,  composés  des  prélats,  ilea  chevaliers  et  des 
bourgeois,  résolurent  de  lui  rel'user  ses  aides,  de  ne  lui  rien 
payer;  les  aides  représentaient  alors  le  budget  d'aujour- 
d'hui (i)....  Sous  (thalles  ]'*,  la  Lorraine  ayant  été  envahie 
par  la  France,  les  lois  fuient  méconnues —  Louis  \III  éta- 
blit un  conseil  souverain  à  Nancy Les  liibunanx  subsistans 

n'exerçaient  qu'en  vertu  de  commissions  données  par  le  roi 
de  France  ;  les  Lorrains  ne  vonliuent  pas  se  l'aire  juger  pai' 

eux Ils  se  transportèrent  partout  où  leur  Cour  souveraine 

de  Saint-31ihiel  rendit  ses  arrêts,  à  Luxembourg,  à  Siritz,  à 
Vesoul » 

La  coutume  de  Lorraine,  homologuée  par  Charles  III, 
porte  :  Quiconque,  sans  interruption,  a  possédé  de  bonne  foi 
héritage,  soit  de  fief,  franc  alleu  ou  roture,  par  l'espace  de  5o 
ans,  il  a  acquis  la  propriété  et  seigneurie  dudit  héritage... 
avec  titre  ou  sans  litre,  entre  al)sens  ou  présens,  contre  le  prince 
r)u  le  vassal 

Léopold,  en  J722,  imposa  une  contribution  assez  forte  aux 
détenteurs  des  domaines  aliénés.  Il  n'en  avait  pas  le  droit,  et 
c'est  avec  peine  que  l'on  (.critique  les  actes  d'im  prince  qui  a 
acquis  à  tant  de  titres  le  respect  et  l'amom-  âvs  Lorrains.  » 
François  111  alla  plus  loin  ;  il  soutint  que  «  les  domaines  de  la 
couronne  sont  inaliénables  et  toujours  reversildes  suivant  le 
bon  plaisir  des  donateurs —  Il  annula  toutes  les  aliénations 
faites  depuis  1697,  et  exig<'a  que  les  acquéreurs  antérieurs 
payassent  la  contribution  imposée  par  Léopold — »  Celte 
ordonnance  fait  exception  aux  règles  générales  du  droit, 
comme  à  l'équité  et  à  la  justice  ;  elle  ne  peut  pas  être  suscep- 
tible d'extension  par  interprétation  ;  loin  de  là,  on  doit  lui 
appliquer  toutes  les  restrictions  qu'il  est  possible  de  lui  faire 
subir.  La  première  est,  san<  doute,  d'effacer  l'effet  rétrctactif; 

la  loi  di-posc  seulement  pour  l'avenir «  Sous  le  règne  de 

François  111  s'est  éteinte  la  puissance  des  ducs  en  Lorraine. 


(1)  Les  iilliasdecc  lems-là  nr  jolaienl-iis  pas  les  ii.iiils  ciis  de  et:  qu'un 
reftisail'  le  budget  à  un  prince  trompé  ]>arses  ministres  ? 

(  Noie  (lu  rcrliicleiir.  ) 


SCIENCES  MORALES.  195 

StJiiiislas  ne  fui  qiu-  duc  bénéficiaire  ou  usulVuilier  ;  c'est 
pourquoi  il  ne  disposa  eu  rien  du  domaine  ,  lo'ites  les  aliéna- 
lions  en  furenl  adjugées  par  suite  des  ordonnances  du  roi  de 
France,  promulguées  par  Stanislas  lui-même.  »  On  lira  avec 
plaisir  le  discours  que  JM.  de  ^  ence  prononça  lorsque  ce  prince 
vinl  prendre  possession  de  la  Lorraine:  «Sire,  la  fortune, 
lassée  de  vous  accabler,  vient  enfin  de  se  fixer  sur  vous;  il 
étaittems que  l'ami  de  Charles  XII  et  le  beau-père  de  Louis  XV 
cessât  de  donner  à  l'Univers  le  spectacle  affligeant  de  l'incon- 
stance des  choses  humaines.  V.  M.  va  régner,  et  sur  qui?  Ah  ! 
Sire,  jugez  par  nos  larmes  de  ce  que  nous  perdons  et  de  ce 
que  nous  allendons  de  vous.  Si  la  renommée  de  vos  vertus 
ne  vous  avait  devancé,  nous  oserions  vous  citer  Léopold , 
d'éternelle  mémoire,  et  son  fils  que  nous  n'avons  qu'entrevu; 
nous  supplierions  V.  M.  d'imiter  ces  princes.  Mais  il  ne  faut 
point  d'exemple  à  un  héros  ,  son  cœur  lui  dicte  ses  devoirs  ; 
écoutez  le  vôtre,  Sire,  et  nous  serons  heureux.  » 

«  Stanislas  a  surpassé  l'attente  des  Lorrains. 

»  Leur  courage,  leur  fidélité,  leur  patriotisme  sont  encore 
indigènes  dans  cet  ancien  État.  Au  milieu  des  troubles  de  la 
révolution,  la  Lorraine  est  la  province  qui  a  donné  le  moins 
d'hommes  variables  en  opinion  politique  ;  poiu'  preuve,  nous 
pouvons  citer  le  général  comte  Drouot;  il  a  hérité  des  vertus 
de  nos  aïeux,  et  certes  il  n'est  pas  le  seul  ;  mais  c'est  un  bel 
exemple  à  citer.  « 

L'amitié  a  copié  ces  dernières  lignes  avec  bien  du  plaisir. 

L*. 

46.  —  Considérations  et  opinions  sur  cette  question:  «Con- 
tinuera-t-oti  de  délivrer,  pour  les  inventions  industrielles , 
tie  titres  qui,  sous  la  dénomination  de  brevets,  conféreront  le 
droit  privatif  d'exploiter  ces  inventions  pendant  un  tems  dé- 
terminé?» Par  A.  B.  Vigarosy.  Castelnaudary,  1829;  impri- 
merie de  G.  P.  Labadie.  In-S°  de  66  pages. 

Cet  écrit  est  du  nombre  de  ceux  que  provoqua  le  ministre 
du  commerce  durant  la  courte  existence  de  son  ministère. 
C'était  alors  l'usage  d'interroger  l'opinion  publique,  les  hom- 
mes éclairés .  et  d'écouter  les  réponses;  on  ne  croyait  pas  à 
\a.certaine  science.  Sur  les  vingt-sept  questions  que  M.  de  Saint- 
Cricq  avait  proposées,  M.  Yigarosy  n'a  traité  que  la  première, 
paice  que  si  la  solution  qu'il  propose  était  admise,  i!  serait 
iiiutilc  de  s'occuper  des  autres;  il  ne  croit  point  à  l'utilité  des 
brevets  d'inventions,  et  par  conséquent  il  les  repousse  comme 
une  grave  erreiu-  en  économie  publique,  un  obstacle  au  déve- 
loppement de  l'industrie.  Mais  ce  qu'il  voudrait  mettre  à  leur 


uf)  LIVRES  FRANÇAIS. 

place  ne  nous  éloigner;iit-il  pas  aussi  du  but?  Ferions-nous 
autre  cliose  que  changer  d'erreur,  si  nous  étal)Iissions  un  Ordre 
du  Mérite  pour  récompenser  et  encourager  les  inventions  nouvel- 
les? La  pauvre  hunianilé  serait-elle  condanniée  à  ne  jamais 
revenir  au  simple  bon  sens;  et  faut-il  que^  sous  une  forme  ou 
sous  une  aulie,  elle  tienne  une  marotte  à  la  main?  Si  l'on 
continue  en  France  la  multiplication  des  Ordres,  des  déco- 
rations et  des  autres  prétendues  récompenses  du  mcme  genre, 
leur  nomenclature  ne  sera  pas  moins  bizarre  que  le  blason, 
et  CCS  deux  sortes  d'instrumens  ilils  sociaux  seront  très-juste- 
ment assimilés,  quant  au  degré  d'utilité  et  le  mérite  de  l'in- 
vention. 

La  dissertation  sur  l'industrie  est  suivie  d'une  ode  sur  le 
même  sujet.  iM.  Vigarosy  fait  très-bien  les  vers,  mais  le  sujet 
qu'il  a  choisi  n'a  pas  assez  échauffé,  enflammé  sou  imagina- 
tion; ses  pensées  sont  trop  exactement  vraies  poiu'  atteindre 
jusqu'à  la  poésie  de  l'ode.  Avec  le  lilre  et  sous  la  foime  cVE- 
pitre,  cette  pièce  de  vers  plairait  davantage,  et  serait  sans 
reproches.  !M.  Vigarosy  a  le  talent  d'écrire,  une  bonne  mé- 
thode d'exposition  et  de  discussion;  quoi  qu'il  ait  fait,  celte 
fois,  \m  emploi  malheureux  de  cette  faculté  précieuse,  il  ne 
renoncera  pas  à  la  carrière,  et  ceux  qui  approuveront  le  moins 
cette  brochure  ne  seront  pas  les  derniers  à  désirer  qu'il  pi  cnne 
une  éclatante  revanche  :  il  le  peut  ;  nous  le  lui  demandons.  N. 

47.  ■ —  *  Disco(u's  sur  cette  question  :  «  Quelle  a  été  l'in- 
fluence du  gouvernement  représentatif  depuis  quinze  an- 
nées en  France  sur  noire  littérature  et  nos  mœurs?  »  par 
M.  Edouard  Ternatjx,  avec  cette  épigraphe  :  «  L'esprit  du 
siècle  a  pénétré  de  toutes  parts.  Il  est  entré  dans  les  têtes  et 
même  dans  les  cœurs  de  ceux  qui  s'en  croient  le  moins  enta- 
chés. »  Chateaubriand.  Paris,  1  83o  ;  Éverat,  imprimeur,  rue 
du  Cadran,  n"  16.  In-8°  de  k)  pages. 

Ce  discours,  qui  e.^t  publié  à  part,  après  avoir  été  inséré 
dans  l'un  des  derniers  numéros  de  la  Revue  de  Paris  (recueil 
très-intéressant  par  le  choix  et  la  variété  des  matériaux  qu'il 
renferme,  mais-qui  est  un  Magasin  littéraire  et  non  pas  une 
Jievue),  fournit  une  preuve  nouvelle  de  cette  tendance  salu- 
taire vers  les  aniéliorations  et  de  cette  appréciation  éclairée 
des  bienfaits  de  notre  réf^énéralion  polilicpie,  qui  distinguent 
la  plus  grande  et  la  meilleiue  partie  de  la  nouvelle  généra- 
tion. IM.  Ed.  Ternaux,  qui  porte  et  qui  soutient  digiicmenl 
un  nom  très-honoiable,  a  développé  avec  consciei'ice  et  avec 
talent,  en  traitant  la  question  proposée,  poiu*  laquelle  il  a  ob- 
tenu le  second  prix,  les  avantages  que  la  France  et  l'Europe. 


SCIENCES  MORALES.  rg; 

la  tivilisalion  et  l'humanité  doivent  à  notre  lévolution,  si 
atrocement  calomniée  par  ceux  qui  affectent  de  n'y  voir  que 
les  déplorables  excès,  également  commis  par  tous  les  partis, 
dans  les  jours  de  leurs  sanglantes  luttes,  et  qui  sont  asseï 
aveugles  pour  méconnaître  l'accroissement  de  population,  de 
richesse,  de  liberlé,  d'industrie,  de  bien-être,  de  moralité 
même  (car  toutes  ces  choses  se  tiennent  étroitement),  qui  a 
résulté  de  l'ordre  constitutionnel,  substitué  à  l'arbitraire  de 
l'ancien  régime.  Le  jeune  écrivain  esquisse  rapidement  quel- 
ques traits  de  «  ce  drame  immense  qui  s'ouvre  et  se  ferme  au 
bruit  du  canon,  sous  les  créneaux  de  la  Bastille  et  dans  les 
plaines  de  Waterloo.  —  Tout  a  eu  son  tems  et  sa  part  :  l'élo- 
quence, ses  éclats  et  ses  foudres;  la  liberté,  ses  jours  de  fête 
et  de  brillantes  illusions  ;  la  licence,  ses  saturnales;  le  crime, 
ses  orgies;  la  victoire,  ses  glorieux  prestiges;  le  despotisme, 
sa  grandeur  et  son  châtiment.  »I1  montre  «  qu'il  n'y  a  plus  de 
place  pour  une  littérature  de  luxe  et  de  parade,  pour  le  clin- 
quant de  l'ancienne  société,  au  milieu  des  grandes  réalités  de 
réforme  et  d'intérêt  public  qui  passionnent  tous  les  esprits.  » 
Il  rappelle  que,  «  si  la  révolution,  comme  Saturne,  avait  dé- 
voré ses  enfans,  comme  Saturne  aussi  elle  fut  détrônée  par 
son  fils,  qui  ne  se  souciait  guère  des  rigides  vertus  républi- 
caines, »  ou  plutôt  qui  les  a  étouffées  et  proscrites,  pour  réta- 
blir, à  son  profit,  comme  il  le  croyait,  l'ancienne  corruption, 
les  préjugés,  les  habitudes  et  les  mœurs  monarchiques. 

Il  insiste  sur  cette  vérité,  que  «  le  gouvernement  représen- 
tatif, qui  n'est  qu'un  gouvernement  de  discussion  et  de  libre 
examen,  ne  doit  pas  et  ne  peut  pas  avoir  de  ressorts  cachés; 
tout  y  brille  au  grand  jour.  On  lui  demande  compte,  non- 
seulement  de  ses  résultats,  mais  aussi  de  ses  moyens....  C'est 
le  gouvernement  public,  chacun  peut  y  ujettre  la  main —  La 
littérature,  les  arts,  les  sciences,  tout  enfin  ne  deviait-il  pas 
être  soumis  à  ce  régime  de  controverse  et  d'examen  ?  » 

M.  Éd.  Ternaux  est  conduit  à  signaler  deux  grands  traits 
distinctifs  de  notre  littérature  contemporaine  :  un  retour  vers 
le  moyen  âge,  considéré  comme  l'âge  héroïque  des  tems  mo- 
dernes; une  vive  et  franche  sympathie  pour  les  idées  reli- 
gieuses. 

Sans  vouloir  décourager  ceux  qui  cliercbent  à  ouvrir  en 
littérature  des  routes  nouvelles,  il  blâme  la  violence  effrénée, 
les  prétentions  absurdes  et  les  écarts  de  quelques  novateurs 
imprudens  et  fougueux  qui  déclarent  ime  guerre  à  mort  aux 
anciens  principes,  et  il  termine  en  exprimant  cette  consolante 
espérance,  que  «  la  raison,  dans  les  lettres  comme  dan?  la  p(i- 


,98  LIVRES  FUÂNÇATS. 

Ktif|iie,  relèvera  la  tr*le.  cl  reprendra  son  empire  :  la  réformr 

fera  justice  de?  excès  commis  en  son  nom.  »  M.  A.  .). 

48. — *  Le  Bon  Sens  national,  par  Marc-Antoine  Jvllie>  de 
Pario  ;  avec  cette  epij:raphe  :  «  Ce  n'est  point  ici  la  pensée 
d'un  seul  homme,  ni  une  opinion  isolée  ;  c'est  l'écho  des  sen- 
timens,  des  vœn.v,  des  discours  de  presque  tous  les  Jionmies 
d'action,  de  cœur,  d'énergie,  qui  ont  combattu  et  vaincu,  et 
des  hommes  de  '^en-,  de  réflexion,  d'expérience,  qui  \eulent 
que  la  victoire  du  peuple  pi  ofite  ;'i  la  France  et  au  monde.  '■  — 
Paris,  6  août  i85o;  Sédillot.  rue  del'Odéon,  n°3o;  prix,  jjc. 
Se  vend  au  profit  des  martyrs  de  la  libellé  et  de  leurs  fa- 
milles. 

Le  retard  qu'a  éprouvé  Fa  publication  de  notre  cahier  nous 
permet  d'annoncer  cette  brochure  improvisée,  écrite  le  5  août, 
puhtiécled,  et  qui  retrace  rapidement  les  évènemens  héroïques 
de  la  Semaine  dit  Peuple^  et  pose  avec  netteté  et  précision  la 
question  politique  du  moment.  Il  non*  suffît  d'en  citer  quel- 
ques passages  :  «  Le  général  La  Fayette  et  le  duc  d'Orléans, 
tous  deux  dignes  de  la  cause  populaire,  raUient  aujoiud'hui 
tous  les  esprits,  toutes  les  affections,  toutes  les  opinions:  ils 
représentent  les  deux  grandes  idées  de  liberté  et  d'ordre,  élé- 
mens  nécessaires  de  la  société  qui  vient  d'être  ébranlée  dans 
ses  racines  :  I'umon  est  le  seul  moyen  de  conserver  les  biens 
qui  nous  sont  acquis. — Le  nom  seul  de  rcpnhUqae  porterait 
l'effroi  dans  beaucoup  d'esprits  pusillanimes,  ou  piévenus,  ou 
même  très- éclairés,  tant  en  France  qu'en  Euroj.e.  Ainsi,  point 
de  république.  La  monarchie  représenlalive ,  si  elle  est  bien 
combinée,  fondue  en  bronze  et  non  moulée  en  plâtre^  peut  nous 
donner  toute  la  portion  de  liberté  que  désirent  les  patriotes 
les  plus  exigcans.  Nous  devenons  le  modèle  des  peuples,  sans 
être  la  terreur  des  rois.  —  ÎMais  la  nomination  d'un  roi  doit 
être  précédée  par  une  déclaration  ou  bill  des  droits,  qui  sera 
comme  la  base  première  de  la  grande  Charte  nationale,  dont 
la  rédaction  définitive  ne  saurait  être  l'ouvrage,  ni  d'un  seul 
jour,  ni  d'une  (dianibie  qui  n'a  point  un  mandai  spécial  pour 
une  tâche  aussi  importante.  — C'est  la  cause  fie  l'ordre  et  des 
lois,  de  la  paix  européenne,  de  la  liberté  du  monde  entier  et 
de  la  civilisation,  qui  a  triomphé  dans  ces  derniers  jours,  à  Pa- 
ris. Gardon-i-iious  de  la  compromettre.  Ce  triomphe,  loin 
d'effrayer  les  monarques,  si  notre  conduite  est  sage  el  modé- 
rée, peut  garantir  leurs  Fiais  de  commotions  populaiies  et  de 
révolutions  sanglantes,  pourvu  qu'ils  sachent  comprendre 
cette  grande  lcç(ui.  »  >'. 

'\Ç\.  —  Voyage  à  Paris,  ou  Esquisses  des  liouiiues  et  des  choses 


SCIKNÇIÎS  MOIÎALKS.  îqç, 

dans  celle  cointale ;  par  le  marquis  Louis  Rentier  Lanfkanchi. 
Paris,  i83();  V'  Ltpolil,  nie  ilc  Soibonnc,  n"  ç).  In-8": 
prix,  6  fr. 

Voiei  un  livre  fort  aimi.sant,  et  (|iii  tient  Ix'aiicouji  plus  (pie 
^Oll  titre  ne  promet;  singularité  littéraire  assez  remar(pial)le 
pour  être  d'abord  signalée  à  nos  lecteurs.  Nous  en  ferons  com- 
pliment à  l'antciir,  quel  qu'il  soit;  car,  s'il  faut  tout  dire, 
l'existence  de  M.  le  marquis  Lanl'ranchi  n>)us  a  paru  singuliè- 
rement problématique;  et  par  plus  d'un  motif ,  nous  sommes 
tentés  de  le  regarder  comme  ap})arlenant  à  cetle  famille  nom- 
breuse qui  a  produit  dans  ces  derniers  tems  Joseph  Delorme, 
feu  M""  de  Cliamilly,  et  bien  d'autres.  Ce  n'est  pas  que,  dans 
une  de  ces  lettres,  nous  ne  tiouvions  des  regrets  fort  touclian.s 
de  l'auteur  sur  l'esclavage  de  l'Italie,  une  belle  phrase  sur  le 
Campo-Santo  de  Pise,  sa  patrie,  et  sur  cette  lour penchée ,  si 
connue  des  voyageurs.  Mais,  dans  mille  autres  passages,  nous 
croyons  reconnaître  un  Parisien  spirituel  et  malin,  qui  ne  s'est 
fait  aucun  scrupub^  de  s'égayer  aux  dépens  de  ses  compa- 
triotes, sousun  masque  italien.  Une  seule  chose  nous  ferait  hési- 
ter dans  cette  opinion  :  c'est  l'éloge  singulier  que  fait  le  voya- 
geur de  la  commission  de  censure  dramatique,  devenue  ,  à  ce 
()u'il  assure,  «un  tribunal  vraiment  littéraire,  où  des  honnnes  de 
goût  aident  l'auteur  à  corriger  ses  inadvertances.  "Ou  bien  ce 
n'est  pas  un  Français  qui  a  écrit  ces  lignes,  ou  il  n'aura  voulu 
qu'ajouter  une  épigramme  de  plus  à  toutes  celles  que  renfer- 
mait déjà  cette  piquante  revue  de  la  capitale.  Nous  abandon- 
nerons ce  problème  à  la  sagacité  du  lecteur,  nous  bornant  à 
donner  un  aperçu  de  ce  livre,  écrit  avec  grâce  et  élégance, 
plein  d'observations  ingénieuses,  de  critiques  presque  tou- 
jours fondées  et  exprimées  avec  une  urbanité  toute  nationale. 
Dans  cette  nombreuse  galerie,  un  seul  portrait  nous  a  semblé 
Iracé  avec  des  couleurs  et  une  intention  tout-à-lait  différentes  : 
c'est  celui  d'un  ministre  qui,  dans  ces  derniers  tems,  a  fait 
admh'ei"  à  la  tribune  un  des  plus  beaux  talens  oratoires  dont  la 
France  puisse  aujourd'hui  s'honorer.  Le  voyageur  étranger 
en  |;arle  à  plusieurs  reprises,  avec  un  dédain  qiie  nous  ne  vou- 
lons pas  qualifier.  L'amertume  de  ses  sarcasmes  contraste 
étrangement  avec  le  ton  général  du  livre,  et  l'on  serait  tenté 
de  croire  que  des  motifs  particuliers,  une  cause  toute  person- 
nelle, ont  conduit  ici  le  crayon  de  l'observateui'. 

Cet  ouvrage,  sous  la  forme  de  lettres,  comme  on  l'a  déjà 
vu,  est  adressé  à  un  ami,  et  contient  les  remarques  de  l'auteur 
sur  tout  ce  que  Paris  peut  offrir  d'intéressant  à  l'avide  curio- 
silé  d'un  étranger.  Il  ne  s'y  est  assujetti  à  auruii  plan,  e?  pass<', 


200  LIVRES  FRArs^ÇAIS. 

«suivant  son  Ciipricc  et  sans  nulle  transition  ,  d'un  sujet  à  l'au- 
tre. Ainsi,  apn.'S  un  aperçu  général  de  cetle  grande  cité,  de  sa 
population,  ou  plutôt  des  populations  si  distinctes  qu'offrent 
ses  dilTérens  quartiers,  vient  un  chapitre  sur  le  Théâtre-Fran- 
çais, où  chaque  acteur  a  son  article  à  part,  tracé  avec  une 
malice  qui  u'cxdut  pas  la  vérité.  Le  talent  de  Talma  et  ses 
différentes  phases,  si  l'un  peut  ainsi  parler,  sont  caractérisés 
ailleurs  avec  infiniment  de  sagncité.  Les  entrepreneurs  de  suc- 
rés à  juste  prix  ne  sont  pas  oubliés;  et  c'est  ici  un  de  ces  nom- 
breux passages  qu'une  main  étrangère  n'aurait  ccrtainenient 
pu  tracer  d'une  manière  si  sûre,  ni  si  exacte.  Plus  loin,  dans 
une  soiiée  chez  .Al.  de  Jouy,  vous  voyez  défiler  devant  vous 
la  plupart  de  nos  célébrités  littéraires  La  politique  a  «a  place, 
comme  on  le  pense  bien,  dans  cette  revue  parisienne;  et  ce 
qu'il  va  de  singulier,  c'est  qu'au  commencement  du  livre  or» 
parle  du  ministère  Villèle  comme  encore  existant,  et  que,  dans 
les  lettres  suivantes,  on  voit  successivement  apparaître  ceux 
dont  ont  fait  partie  MM.  de  Marlignac  et  de  Bourmont.  Nous 
passons  ailleurs  dans  la  galerie  du  Luxembourg,  à  laquelle 
l'auteur  a  consacré  deux  chapitres,  où  les  beaux  ouvi*hges  de 
nos  peintres  vivans,  ceux  qui  l'ont  la  véritable  gloire  de  l'école 
moderne,  sont  appréciés  avec  le  goût  et  l'enthousiasme  d'un 
sincère  ami  des  arts. 

Au  milieu  de  ce  désordre  apparent,  qui  donne  à  l'ouvrage 
fe  genre  de  mérite  que  la  foule  des  lecteurs  apprécie  le  mieux, 
celui  delà  variété,  se  trouvent  îetés,  comme  par  hasird,  un 
chapitre  très-remarquable  sur  le  goût  dans  les  arts  en  France, 
et  un  épisode  romantique,  dont  l'auteur  aurait  pu  nous  faire 
grâce,  sorte  de  concession  faite  à  un  genre  qu'il  a  si  bien  et  si 
heureusement  combattu  ailleurs. 

Nous  avons  fait  connaître  le  goût  de  notre  voyageur  pour 
les  portraits;  mais  il  s'en  faut  bien  que  nous  ayions  iudiqué 
tous  ceux  qu'il  s'amuse  à  tracer  dans  ses  lettres.  Celui  de  Na- 
poléon,  qu'il  ne  pouvait  oublier,  est  dessiné  avec  un  talent 
tout  particulier;  (eux  de  MM.  Chateaubriand,  Lafayelte, 
ne  sont  pas  mt.ins  dignes  d'atteulion.  Il  en  est  eucore  un  au- 
tre, auquel  l'auteur  a  donné  tous  ses  soins;  il  le  trace  avec 
enlhousia.^me  ;  il  en  soigne  les  moindres  accessoires  :  on  dirait 
qu'il  a  voulu  en  faire  son  chef-d'œuvre.  Peul-êlre  le pidilic dé- 
sintéressé le  trouvcra-t-il  un  peu  flatté:  mais  sûrement  la 
Nouvelle  Corinne,  la  Sœur  virante  l'/es  Anges  de  Sainie-Genevière 
et  ses  nond)reux  admirateurs  ne  s'en  plaindront  pas. 

Il  est  bien  difficile,  dans  un  tableau  si  vaste  cl  qui  comprend 


SC1E>CES  MOSIAÎ.ES.  -LITTÉRATURE.  soi 
tant  do  siijols  ilifférens,  ilo  ne  pas  laisser  échapper  quelques 
erreurs,  quelques  jngetneiis  incomplets.  Aussi,  nous  permet- 
trons-nous  à  peine  de  l'aire  remarquer  à  i\J.  le  marquis  Lan- 
iranclii,  ou  à  son  spirituel  interprèle,  qu'on  ne  plaide  pas  dans 
la  salle  des  Pas-Perdus;  que  M"'  Elisa  Mercœur  n'est  pas  en- 
core tout-à-fait  regardée  comme  une  grande  pocte^  et  que  M.  de 
Lamarline  a  même  formellement  désavoué  le  mot  flatteur 
qu'on  lui  prêtait  à  ce  sujet.  Nous  pouriions  ajouter  encore 
que  l'auteur,  quel  qu'il  soit,  se  trompe  cotnpiétement,  en 
affirmant  que  M.  de  .Tony  n'a  peint,  dans  ses  Ermites,  que  les 
mœurs  de  la  classe  élevée;  tous  ceux  qui  connaissent  ces 
cliarmans  ouvrages,  où  un  si  rare  talent  d'observateur  s'unit 
à  un  talent  non  moins  rare  d'écrivain,  peuvent  se  rappeler 
que  les  tableaux  les  plus  piquans  sont  pris,  au  contraire,  dans 
les  derniers  rangs  de  la  société;  il  suffirait  de  citer  pour 
preuves  V Ecrivain  public,  la  Vente  après  décès,  la  Maison  de 
la  rue  des  Arcis,  la  Journée  d'un  Fiacre,  le  Curé  Touchard,  etc. 

Y.  Z. 

Liitérature. 

.5o.  —  Sctiios,  ou  une  Joiu'née  de  l'ancienne  Egypte,  poème 
dramatique  en  cinq  parties.  Paris,  i85o;  Kilian.  In-S"  de 
xxxviii  et  71  pages;  prix,  2  fr. 

L'auteur  de  ce  poème  rend  compte  à  ses  lecteurs,  dans  une 
préface  spirituelle,  d'une  lecture  qu'il  fil  de  son  drame,  vers 
le  milieu  de  la  durée  de  l'empire.  Les  opinions  ultra-classiques 
du  tems,  qu'il  caractérise  d'une  manière  piquante,  contras- 
tent singnlièienient  avec  celles  du  nôtre.  Condamné  par  ce 
rigorisme  littéraire,  l'auteur  n'en  juge  pas  avec  moins  d'im- 
partialité l'esprit  de  licence  qui  lui  a  succédé.  Dans  toutes  les 
réflexions  que  lui  suggèrent  les  tentatives  des  novateurs  ac- 
tuels, il  fait  preuve  de  beaucoup  d'inslructioa  et  de  goût. 
IS'ous  regrettons  de  ne  pouvoir  parler  aussi  favorablement  de 
son  drame  que  de  sa  préface.  Le  style,  généralement  faible 
et  languissant,  mais  pur,  naturel,  parsemé  de  beaux  vers  et 
)nême  de  beaux  passages,  est  encore  la  partie  la  plus  récom- 
mandable  de  ce  drame.  L'action,  obscure  et  compliquée,  n'est 
point  disposée  d'une  manière  théâtrale.  L'intérêt  est  presque 
nul;  les  détails  de  mœurs,  siu'tout  dans  les  trois  premières 
parties,  éloufTent,  pour  ainsi  dire,  le  sujet.  Faire  de  la  pein- 
ture des  mœurs  historiques  l'objet  principal  du  drame  est 
une  idée  malheureuse  et  jusqu'ici  inféconde.  Tous  ceux  qui 
rnt  tenté  consciencieusement  cette  entreprise  y  ont  échoué. 


202  LIVUES  FRANÇAIS. 

Si  quelques-uns  des  adeptes  de  l'école  prétendue  historique 
ont  obtenu  des  succès,  c'est  pour  avoir  dédaigné  ses  pré- 
ceptes, non  pour  les  avoir  suivis.  Ch. 

5i.  — *  Le  Sylphe,  Poésies  de  feu  Dovalle-  précédées  d'inic 
?<olice  par  >I.  Loi  vet,  et  d'une  préiace  par  Âl.  f^ictortiiGo. 
Paris,  i83o;  Ladvocat.  Grand  in-8";  prix,  9  fr. 

«  Ce  manuscrit  du  poète  tué  à  vingt  ans  réveille  de  si  dou- 
loureux souvenirs!  Tant  d'émotions  se  soulèvent  en  foule  sous 
chacune  de  ces  pages  inachevées!  On  est  saisi  d'une  si  pro- 
fonde pitié  au  milieu  de  ces  odes,  de  ces  ballades  orphelines  !.. 
Quelle  critique  faire  après  une  si  poignante  lecture  !  «Ces 
paroles  empruntées  à  la  lettre  de  >1.  f^.  Hugo  auxéditeurs  d<; 
iM.  Doraile  expliquent  assez  pourquoi  nous  arrivons  si  tard  à 
parler  de  ce  lirre.  Maintenant  nous  sommes  heureux  de  dire 
que  l'œuvre  n'a  lien  perdu  à  nos  yeux  du  touchant- intérêt 
qu'elle  semblait  empruntera  celte  mort  si  triste  et  si  préma- 
turée du  poète.  Jusqu'ici  notre  critique  s'était  adressée  à  de 
vieilles  renommées,  devant  le.-quelles  nos  opinions  étaient  mê- 
lées de  réserves,  où  à  de  jeunes  athlètes,  que  nousaimions  à 
suivre  dans  le  développement  progressif  de  leur  talent.  Ici, 
rien  de  semblable;  c'est  un  poète  de  vingt  ans  qu'il  faut  juger 
comme  une  vieille  renommée:  t'est  un  hynme  de  jeunesse 
que  l'âge  mùr  n'achèvera  pas.  Toute  la  vie,  tout  le  talent, 
toute  la  destinée  du  poète  est  dans  ce  livre  de  200  pages,  dont 
lu  uiort  a  laissé  la  dernière  inachevée. 

Cette  vie,  ce  talent,  cette  destinée,  le  secret  en  est  tout  en- 
trer dans  le  morceau  q-ii  ouvre  le  recueil,  et  dont  le  titre, 
par  une  heuren-e  pensée  des  éditeurs,  est  en  même  tems  ce- 
lui du  livre,  le  Sylphe. 

Le   Syiphb. 

L'aile  lornic  et  (ie  rosée  Imuiide, 
Syl|)lie  inconnu,  paiini  les  Ileiiis  couché. 
Sdiis  une  feuille,  invisible  cl  tiuiide, 
J'aime  à  rester  caclié. 

Le  vent  du  soir  me  b«Tce  dans  les  roses; 
Mais,  quand  la  nuit  abandonne  les  cieux, 
'     Au  jour  aident  mes  paiipièies  sont  closes  ; 
Le  joui-  blesse  mes  yeux. 

I';iuxif  lutin,  papillon  épliénière, 
Ma  vil-,  a  moi,  c'est  mon  obscurité  i 
Moi,  bien  snuvenl  je  dis  :  c'est  le  mvsière 
Qui  l'ail  la  volupté. 


LITTÉRATURE.  2o5 

Et  je  m'endors  dans  les  i)alais  magiques 
Que  ma  bagiiellc  élève  au  fond  des  bois, 
El  dans  l'azur  des  pî'des  véroniques 
Je  laisse  errer  mes  doigts. 

Quand  tout  à  coup  l'éclatante  fanfare 
A  mon  or«-ille  annonce  le  chasseur. 
Dans  les  rameaux  mon  faible  vol  s'égare. 
Et  je  tremble  de  peur. 

Mais  si  parfois,  jeune,  rêveuse  et  belle, 
Vient  une  femme,  à  l'heure  où  le  jour  fuit. 
Avec  la  brise,  amoureux,  autour  d'elle, 
Je  voltige  sans  bruit. 

J'aime  à  glisser  aux  rayons  d'une  étoile. 
Entre  les  cils  qui  boident  ses  doux  yeux  ; 
J'aime  à  jouer  dans  les  plis  de  son  voile 
Et  dans  ses  longs  cheveux. 

Sur  son  beau  sein  quand  son  bouquet  s'effeuille. 
Quand  à  la  tige  elle  arrache  un  bouton. 
J'aime  surtout  à  voler  une  feuille 
Pour  y  tracer  mon  nom... 

Ohl  respectez  mes  jeux  et  ma  faiblesse, 
Vous  qui  savez  le  secret  de  mon  cœur! 
Oh!  laissez  moi  pour  unique  richesse 
De  l'eau  dans  une  fleur. 

L'air  frais  du  soir  ;  au  bois,  une  huuible  couche, 
Un  arbre  vert  pour  nie  garder  du  jour... 
Le  Sylphe  après  ne  voudra  qu'une  bouche 
Pour  y  mourir  d'amour. 

Le  poète  est  là  tout  entier  avec  .-^a  pensée  charte,  sa  lan- 
gue haimonieuse,  son  alluie  molle  et  abandonnée ;«  rien  de 
sombre,  rien  d'amer,  dit  encore  le  poète  que  nous  citions  en 
commençant:  rien  de  fatal,  l  ne  poésie  toute  jeune,  enfantine 
parfois;  la  joie,  la  volupté,  l'amour;  la  lema)e  surtout,  la 
femme  divinisée  ;  et  puis,  partout  des  fleurs,  des  fêtes,  le  prin- 
tems,  le  matin,  la  jeunesse;  voilà  ce  qu'on  trouve  dans  ce 
portefeuille  d'élégies  déchirées  par  une  balle  de  pistolet;  ou, 
si  quelquefois  cette  douce  muse  se  \oiIc  de  mélancolie,  c'est 
comme  dans  le  Premier  chagrin.  \v.\  accent  confus,  indistinct, 
presque  inarticulé,  à  peine  un  r-oupir  dans  les  feuilles  de  l'ar- 
bre, etc.  »  Une  pièce  surtout  nous  a  paru  marquée  de  ce  ca- 
ractère ineffable,  celle  qui  a  pour  titre  :  Le  Conroi  d'un  jeune 
enfant.  Partout  ailleurs,  M.  Dovalle  se  laisse  aller  à  une  poé- 
sie plus  en  sympathie  avec  la  fraîcheur  de  son  lalenl;  la  Cam- 
pagne après  une  pluie  fraragc.  la  Clia^sr  invisible  .  la  Jeune  fille. 


ao'i  LIVRES  FRANÇAIS. 

5ont  de  charmantes  composition?  où  la  négligence  est  encore 
(le  la  grâce  :  ailleurs,  elle  est  quelquefois  de  la  faiblesse.  Un 
autre  reproche  que  nous  ferions  à  ce  livre,  si  nos  reproches 
pouvaient  encore  être  des  conseils  pour  l'auteur,  c'est  l'ab- 
sence du  rhylhme  dans  la  phrase  poétique  ;  il  va  harmonie  et 
donceur  dans  chaque  vers  isolé,  dans  chaque  hémistiche  pris 
à  part,  dans  chaque  mot  ;,  mais'nulle  mélodie  dans  le  mouve- 
ment de  la  stance,  nul  art  dans  le  choix  de  la  strophe.  Il  sem- 
ble que,  dans  sa  douce  insouciance,  le  poète  laisse  prendre  à 
sa  rêverie  la  première  forme  qui  vient  à  elle  :  de  lu  peut-être 
aussi  cette  incertitude  qui  se  trahit  çà  et  là  dans  la  marche  de 
certaines  composition*.  Nous  citerons  encore,  en  finissant, 
M.  Victor  Hugo;  après  avoir  parlé  de  la  préoccupation  aus- 
tère que  les  révolutions  politiques  ont  laissée  de  nos  jours 
dans  les  âmes,  il  ajoute,  en  revenant  à  M.  Dovalle  :  «  ïleureux 
pour  lui-même  le  poète  qui,  né  avec  le  goût  des  choses  fraî- 
ches et  douces,  aura  su  isoler  son  âme  de  toutes  ces  impres- 
sions douloureuses;  et,  dans  cette  atmosphère  sombre  qui 
rougit  l'horizon  long-tems  encore  après  une  révolution,  aura 
conservé,  rayonnant  et  pur,  son  petit  monde  de  fleurs,  de  ro- 
sée et  de  soleil!  »  A.  de  L. 

52.  — *  L'Insurrection,  poème  dédié  aux  Parisiens,  par 
MM.  Barthélémy  et  Mért.  l'aris,  i85o;  A. -.1.  Denain,  rue 
Vivienne,  n"  16.  In-8°  de  55  pages;  prix.  2  fr.  5o  c. 

Nos  poètes  nationaux  ne  pouvaient  rester  muets  devant  les 
admirables  évènetnens  qui  ont  rendu  à  la  France  sa  gloire  et 
sa  liberté  :  déjà  Casimir  Delavigne  a  célébré,  dans  la  Marche 
parisienne,  les  héroïques  exploits  des  enfans  de  Paris;  bientôt 
sans  doute,  Eérangcr  chantera  la  résurrection  i\vL  Vieux  Dra- 
peau ;  et  voici  Barthélémy  et  Mér}-,  ces  audacieux  adversaires 
du  jésuitisme  et  de  l'arbitiaii'e  ministériels,  qui,  déposant  leurs 
armes  citoyennes,  retracent  en  beaux  vers  l'histoire  de  notre 
glorieuse  insurrection,  c  Témoins  de  tant  de  merveilles,  di- 
sent-ils dans  la  préiace,  nous  avons  écrit  ce  poème  sous  leur 
inspiration;  la  poésie  est  bien  froide  après  un  drame  si  vi- 
vant, et  les  émotions  sont  encore  trop  ferventes,  poin-  qu'on 
puisse  donner  à  unp.  œuvre  de  littérature  ces  soins  minutieux, 
enfans  des  calmes  loisirs.  N'importe  ;  nous  nous  sommes  hâ- 
tés de  payer  notre  dette  à  la  circonstance,  nous  qui  avons  si 
souvent  chanté  le  drapeau  tricolore  devant  Villèle  et  Polignac. 
D'ailleurs,  nous  osons  dire  à  la  critique  qu'un  bon  nombre  de 
ces  vers  n'onf  pas  été  composés  dans  le  silence  du  cabinet,  et 
que  nous  avions  cessé  d'être  poètes  pour  nous  faire  citoyens  » 
Au<;si  n'irnns-noiis  pa^  rocher' her  dans  leur  poème  par  quel* 


LITTÉRATURE.  ao5 

défauts  pèchent  la  conception  de  l'ensemble  et  l'agencement 
des  détails  ;  nous  ne  diions  pas  quelles  lignes  auraient  pu  être 
retranchées  sans  nuire  à  l'effet  poétique,  ni  quelles  expres- 
sions choquent  l'oreille  et  la  raison  par  leiu-  obscurité  et  leur 
maladroite  nouveauté.  Mais  nous  applaudirons  aux  patrioti- 
ques intentions  des  jeimes  auteurs,  et  nous  admirerons,  avec 
tous  les  amis  de  la  belle  poésie  et  des  nobles  scntimeus,  la  ri- 
chesse et  l'harmonie  de  leur  langage,  ia  verve  et  l'éclat  de 
leurs  pensées. 

Comme  nous  l'avons  dit  déjà,  Barthélémy  et  Méry  se  sont 
bornés  à  faire  l'histoire  poétique  de  l'insurrection  de  juillet. 
Et  d'abord,  ils  racontent  les  discours  mensongers  des  conseil- 
lers du  trône  : 


Yoici  ce  que  disaient  îes  courtisans  prophètes  : 
Voyez-là  cette  ville  idolâtre  des  fètcs  ! 
Comme  aux  jours  dccrépils  de  l'empire  romain, 
Dans  l'ivresse  dn  cirqr.e  où  son  peuple  se  plonge, 
Chaque  soir  de  la  vie,  il  s'endort,  sans  qu'il  songe 
A  ses  maîtres  du  lendemain. 


En  ses  faubourgs  de  fange, 

Que  fait  la  plèbe  vile?  Elle  boit,  elle  mange, 
Elle  exhale  sa  joie  en  de  cyniques  chants; 
Ignobles  journaliers,  grotesques  politiques, 
On  les  verrait  encor  trembler  dans  leurs  boutiques 
Devant  le  prévôt  des  marchands. 

Ils  ne  sont  plus  ces  jours  où  la  voix  de  Camille 
Convoquait  la  révolte  au  pied  de  la  Bastille; 
La  rouille  a  dévoré  la  pique  des  faubourgs. 
Tout  ce  peuple  abiuti  doit  d'un  pénible  somme, 
Et  Santerre  aujourd'hui,  sans  éveiller  un  homme. 
Passerait  avec  ses  tambours. 


Osons  tout,  oublions  leurs  vieux  anniversaires, 
Déployons  sans  effioi  des  rigueurs  nécessaiies  ; 
Le  trône  de  Saint  Cloud  est  bàli  sur  le  roc  ; 
D'un  brumaire  royal  faisons  naître  l'auroie  : 
Si  Paris  se  levait,  il  tomberait  encore 
Devant  le  canon  de  Sainl-Iloch. 


Eh  bien  1  ils  ont  osé...  Quand  la  lave  voisine 
S'apprête  à  secouer  Agrigente  et  Messine, 
D'abord  la  grande  mer,  par  élans  convulsifs, 
Pousse  des  flots  huileux  sur  l'algue  des  récif», 


2oG'  LlVRIiS  FRANÇAIS. 

De  bleuiUres  va[)euis  s't;cliap|>eiit  du  c-ratère  , 
lit  la  voix  d'un  volcan  grontU;  au  loin  sous  la  terre. 
Tel  bouillonnait  Paiis  :  les  travaux  et  les  jeux 
S'anêtent  tout  à  coup  sur  un  soi  orageux; 
Un  penj^lc  entier,  sorti  des  foyeis  domestiques, 
Ond'jle  en  niu;-inurant  sur  les  places  publique», 
El  partout,  sur  les  murs  du  splendide  bazar, 
De  propliétiques  mots  menacent  Balthazar. 


La  mort  nous  enveloppe,  entendez-vous  nos  cris? 
Au  secours!  au  secours!  défenseurs  de  Paris! 
Venez  prendre  une  part  à  nos  combats  éi)iqnes. 
Vous  qui  sortiez  jadis  avec  cent  mille  piques, 
Hedoutablcs  faubourgs  Saint-.Vntoine  et  Marceau, 
Du  vieil  llùtel-de  Ville  envahissez  l'arceau; 
Saluez  en  passant  l'ombre  de  la  Uastille, 
Le  canon  du  dix  août  va  tonner  à  la  grille; 
Repienez  les  marteaux  qui  brisent  sur  les  gonds 
Les  lourds  battans  de  bronze  oii  veillent  les  dragons. 
Et  vous  qui  prolongez  vos  ligues  parallèles, 
Saint-Denis,  Saint-Martin,  grandijs  cités  jumelles, 
Venez,  armez  vos  bias  du  fei'  des  atelier». 
Tondiez  du  l'antlié(jn,  généieux  écoliers, 
Quittez  vos  bancs;  payez  par  votre  jeune  audace 
La  grande  insciiption  qu'aucun  maître  n'eH'ace  ; 
Montrez-vous  les  premiers,  au  front  des  couibattan.s, 
Enfans  de  Gnttemberg  opprimés  si  long-tems  ! 
Gloiie  a  vous,  jeunes  gens  de  plaisiis  et  de  fêtes! 
Quels  bravos  sont  s.^rlis  de  nos  cœurs  de  poètes. 
Quand  vous  avez  paru  dans  le  poudieiix  cbeniin. 
Sous  les  babits  du  luxe,  un  fusil  à  la  main  ! 
Et  vous  dont  les  accens  éleclrisent  une  ànie. 
Un  rôle  vous  est  dn  dans  ce  merveilleux  drame, 
Artistes  citoyens!  amoncelez  ici 
Les  sabres  de  Coriulhe  et  ceux  do  Porlici  ; 
Kouilliz,  ]iour  soutenir  notre  lutte  civile,' 
Tout,  jusqu'à  r.usenal  du  joyeux  Vaudeville. 
Paris  se  lève  en  bloc!  au  sigtial  assassin. 
Tout  bouline  dans  son  cœur  seiil  vibter  ain  tocsin. 
Éternelle  infamie  au  l.îcbe  qui  s'absente  ! 

Siiiveiil  la  peinture  de  la  nuit  du  2S  aii  29,  cl  de  la  journée 
qui  suivit,  la  prise  du  Louvre  et  des  Tuileries,  et  la  venue  i\n 
roi  nouveau,  proclamé  par  le  peuple;  puis,  un  hymne  inti- 
tulé :  La  Tricolore,  dont  nous  citerons  seulement  quelques 
strophes  : 

\  oila  le  drajieari  iricoioie. 
Glorieux  enfans  de  Paris! 
Vos  bras  l'ont  reconquis  encore. 
Nous  le  saluons  de  nos  cris  ; 


LITTEHATIUK. 

L'Eiiiopc  liciiil)l«',  (]iianil  il  hiillc 
Sur  !(•  l'ioiil  (\i'  mis  ji'imes  riiiigs, 
C'est  la  méduse  des  tyians, 
Ces!  !e  (Irapcan  de  la  Hastillc  : 
Plaise  sia-  nos  soldats,  astre  de  liberté, 
Honneui-  au  l'ran.i  Paris  qui  t'a  ressuscité 


Ton  triomphe,  nouvelle  Spaite, 
Sur  ton  sol  restera  gravé  ; 
Chaque  letLri-  de  notre  chai  te 
Est  éciife  sur  un  pavé  : 
Si,  troublant  cette  grande  f'ète, 
L'Europe  nous  jetait  un  roi, 
Avec  les  tables  de  la  loi 
Que  le  peuple  écrase  sa  tête. 


De  notre  gloiie  vieil  emblème. 
Sur  la  colonne  il  s'est  placé. 
Et  des  Bourbons  le  drapeau  blême 
Comme  un  spectre  s'est  effacé. 
Les  héros  ciselés  d'Arcole, 
La  garde  gravée  au  buiin, 
Suivent  la  spirale  d'airain 
Pour  le  revoir  sur  la  coupole. 


Que  notie  licite  ramenée, 
JVoyant  le  signe  des  trois  fleurs, 
Sur  la  mer  méditerranée 
Se  pavoise  des  trois  couleurs  ; 
Que  les  peuples  semés  sur  l'onde, 
Nos  frères  de  tous  les  climats. 
En  les  saluant  sur  nos  niàts. 
Chantent  la  liberté  du  monde. 
Plane  sur  nos  soldais,  astie  de  liberté. 
Honneur  au  grand  Paris  qui  t'a  ressuscité. 


I. 


55. — Epître  à  la  Société  d'agricuUure,  sciences,  et  arts  du 
département  de  la  Dordogne;  par  31.  de  Gageac,  membre  cor- 
respondant, avec  cette  épigraphe  :  Celebrare  domestica  fucta. 
Périgiieiix-,  i85o  ;  F.  Dupont.  In-8"  de  92  pages. 

La  cenlralisalion  n'a  pas  réuni  à  Paris  tons  les  talens  de 
notre  époque.  Je  n'en  veux  pour  témoin  que  l'Épitre  adressée 
par  M.  de  Gageac  ù  l'Académie  de  Périgneux.  C'est  un  re- 
mercîment  (jui  lompt  avec  giâce  la  tiiste  monotonie  à  laquelle 
nous  ont  accoutumés  nos  réceptions  académiques.  L'auteur  a 
eu  le  bon  esprit  de  cacher  l'éloge  de  ses  confrères  dans  des 
allusion;;    (pii,    sans    être    moins   flatteuses,  n'exposent  pas  le 


2o8  LiVUES  FRANÇAIS. 

panégyriste  ù  des  questions  indiscrètes  sur  la  légitimité  des 
renommées  locales  qu'il  célèbre.  Mais,  lorsqu'il  demande  à 
l'histoire  les  grands  imms  que  revendique  sa  terre  natale,  il 
rappelle  avec  honlieur  Bertrand  de  Born,  Monlaiiiuc,  Fénelon. 
Les  lieux  célèbres  par  des  actions  d'éclat,  qui  s'offrent  à  nous, 
dans  le  Pcrigord,  ne  doivent  pas  moins  au  poète  qui  achève 
de  nous  les  l'aire  connaître  dans  les  notes  qui  accompagnent 
son  Épître.  Ces  notes  pleines  d'intérêt  ne  sont  pas  seulement 
une  preuve  de  l'érudition  patriotique  de  l'auteur,  mais  un 
nouveau  témriignage  des  rich<..-scs  prcsqife  ignorées  (|ue  ren- 
ferment nos  provinces.  En  attendant,  voici  les  vers  du  poète. 
Au  milieu  de  iénuuiération  de  ses  souvenirs  hislori{[ues,  un 
confrère  de  la  section  d'agriculture  l'interrompt  pour  lui  dire  : 

Et  que  fait,  s'il  vous  |.'ijît,  à  la  race  bovine. 
Qu'on  ail  leniis  en  selle  un  nioiiaïque  à  Hoiivinc? 
Que  nos  murs  aient  reçu  le  vainqueur  de  Coulras, 
Que  m'importe?  mes  bœufs  en  seront-ils  plus  gras? 
Monsieur  de  IJorn  et  tous  les  exploits  de  nos  pères 
Me  donnent-ils  un  bon  système  de  jnchères? 
Que  les  cbamps  qu'un  bon  acte  a  transmis  en  mes  main» 
Aient  fleuri  grecs,  chinois,  ostrogotlis  ou  romains. 
Que  m'importe?  Je  sais,  de  principe  immuable. 
Qu'ils  sont  miens;  que  de  plus  je  suis  contribuable; 
Et  que  les  plus  beaux  vers,  n'en  déplaise  à  l'auteur. 
Ne  sont  pas  pour  comptant  pris  par  le  percepteur. 

Ces  vers  ingénieux  nous  apprennent  que  tous  nos  poètes 
n'ont  pas  suivi  le  conseil  de  Voltaire  :  ils  riment  eu  province, 
et  même  s'v  font  imprimer  sur  beau  papier,  avec  de  beaux 
caractères.  A.  D.  L. 

54. — Irène  De/fino,  chronique  vénitienne,  par  Falconetti  ; 
traduite  d<;  l'italien.  Paris  ih5o;  Sédillot,  i  ue  de  l'Odéon, 
n"  r>o.  4  \  t»l-  iii-12  ;  prix,  12  fr. 

M.  Falconetti  débute  avec  succès,  et  nous  ne  doutons  pas 
que  les  lomans  de  cet  émule  de  3ianzoni  ne  soient  accueillis 
aussi  favorablement  en  France  qi'en  Italie.  La  chronique  d'/- 
réiic  Del/ino  a  été  traduite  par  un  écrivain  habile,  M.  César 
RossETTi;  et,  si  l'on  trouve  dans  cet  ouvrage  quelque  froideur, 
ce  défaut  est  compensé  par  le  mérite  du  style,  dont  la  couleur 
et  le  mouvement  ont  été  bien  rendus  par  le  traducteur. 

55. —  Cloudcsley  y  par  JVdliam  Godwin,  auteur  de  Caleh 
IViiliams;  traduit  de  l'anglais  \\;\v  Jean  Cohe.x.  Paris,  i85o; 
Foiunier  jetine,  rue  de  Seine,  n°  14.  4  ^^'-  in- 12  formant 
ensemble  900  pages;  prix,   12  fr. 

>1.  Godwin  jouit  depuis  long-teni«  d'une  réputation  méri- 


LITTÉRATURE.  —BEAUX-ARTS.  109 

tee,  qu'il  doit  surtout  au  roman  de  Calcb  Williams  qui  a 
servi  de  texte  à  ce  drame  de  Falkland,  où  Talma  mettait  en 
saillie,  avec  tant  d'art  et  de  génie,  tous  ces  tourniens  du  re- 
mords développés  avec  uue  sagacité  si  ieuiarqual)le  par  1« 
romancier  anglais.  Comme  l'a  dit  un  de  nos  collaboraieurs, 
M.  Godwin  «excelle  à  décrire  une  passion;  il  la  prend  à  l'oii- 
gine,  remonte  à  ses  causes  secrètes;  c'est  d'abord  un  atome 
qui  s'agite  pour  vivre;  puis,  à  peine  visible,  il  grossit  rapi- 
dement, absorde  les  peas';es,  les  désirs,  se  précipite  au  but 
à  travers  mille  obstacles,  l'atteint  alors  que  dans  l'âme  il 
n'y  a  plus  puissance  de  jouir  ;  nous  assistons  ensuite  au  désen- 
chantement, au  dégoût  de  ces  biens  si  ardemment  souhaités, 
si  chèrement  payés  :  la  peinture  des  nuances  et  des  progrès 
des  sentimens  constitue  le  principal  mérite  de  ses  ouvrages.  >» 
(^loudesley  a  sous  ce  rapport  beaucoup  de  ressemblance  avec 
le  chef-d'œuvre  de  Godnin  ;  toutefois  l'intérêt  et  la  curiosité 
n'y  sont  pas  aussi-bien  soutenus  que  dans  Caleb  M  illiams. 
Nous  renvoyons  d'ailleurs,  pour  uue  analyse  plus  détaillée  et 
pour  un  jugement  plus  complet,  à  l'article  que  nous  avons 
consacré  à  ce  romun  lors  de  sa  première  publication  à  Lon- 
dres (voy.  Rev.  Eric,  t.  xlvi,  p.  i58).  Du  reste,  c'est  un 
ouvrage  intéressant  et  dont  la  traduction  mérite  d'être  favo- 
rablement accueillie. 

Beaux- Arts. 

56.  — *  Traité  complet  de  la  Peinture,  par  M.  P***  de  Mo?r- 
TABERT.  Paris,  1829;  Bossange  père.  9  vol.  in-S",  avec  un 
atlas  in-4°,  renfermant  110  planches;  prix,  92  fr. 

Cet  important  ouvrage  est  réellement  un  Traité  complet, 
ainsi  que  l'annonce  son  titre.  L'auteur  y  a  considéré  l'art  de 
la  peinture  sous  tous  ses  rapports  et  dans  toutes  ses  branches. 
Histoire  générale  de  cet  art,  chez  les  anciens,  dans  le  moyen 
âge,  et  chez  les  modernes  ;  histoire -chronologique  des  artistes  ; 
catalogue  des  ouvrages  écrits  sur  le  même  sujet  à  toutes  les 
époques;  idées  sur  la  théurie  de  l'art,  sur  la  beauté;  principes 
d'anatomie  à  l'usage  des  peintres;  géométrie  pratique;  per- 
spective; procédés  de  la  peinture  proprement  dite  ;  art  du  co- 
loris; encaustique;  art  de  réparer  et  de  nettoyer  les  tableaux  : 
tel  est  le  vaste  champ  que  s'est  tracé  M.  de  Montabert.  11  n'a 
rien  oublié  de  ce  qui  lui  a  paru  propre  à  instruire  ou  à  inté- 
resser les  artistes  et  les  amateurs.  Son  ouvrage  offre  un  en- 
semble de  faits,  de  vues  et  de  raisonnemens,  que  personne 
n'avait  eu  jusqu'à  présent  le  courage  et  le  tnknt  de  réunir  en 
T    xi.vii.  .11  iii.vT  i85h.  14 


jio  LIVRES  FRANÇAIS. 

un  seul  corps.  Un  si  vaste  tableau  ne  saurait  être  analysé  dans 
quelques  lignes.  Il  suffira  aujourd'hui  de  cette  première  an- 
nonce; nous  nous  livrerons  à  un  examen  plus  attentif,  dans 
l'un  de  nos  prochains  cahiers. 

5y  — *  M ufce  de  peinture  et  de  sculpture,  ou  Recueil  des 
principaux  tal)U'aux,  >talues  et  bas-reliefs  des  collections  pu- 
bliques (ît  particulières  de  l'Europe;  dessiné  et  gravé  à  l'eau 
forte  par  Réveil,  avec  de-?  Notices  descriptives,  rritii/nes  et  his- 
toriques, par  DuciiESNE  aine,  gi^ livraison.  Paris,  )83o:  Audot, 
rue  des  Maçons-Sorbonne,  n"  1 1.  Prix,  i  fr.  chaque  livraison, 
composée  de  6  planches  gravées  et  de  12  pages  de  texte. 

Depuis  que  nous  avons  annoncé  cette  intéressante  collec- 
tion (voy.  lier.  Enc. ,  t.  xxxviii;  mai  1828,  p.  /196,  et 
t.  XLiv,  octobre  1829,  p.  201),  elle  est  parvenue  à  .sa 
Qi*"  livraison.  Le  même  soin  a  présidé  au  choix  des  tableaux, 
à  l'exécution  des  gravures  et  à  la  rédaction  i]es  notices.  Le 
procédé  de  la  gravure  sur  aciei'donne  beaucoup  plu>!  de  finesse 
aux  planches,  et  par  ce  moyen  toutes  les  épieuves  sont  éga- 
lement belles.  Nous  n'insisterons  pas  .sur  l'agrément  et  l'utilité 
d'une  enlrcprise  qui  jouit  d'un  succès  éprouvé,  cej)endant  nous 
citerons  les  articles  qui  nous  semblent  mériter  luie  mention 
particulière. 

Le  quatrième  volume  contient ,  par  exemple,  toute  l'his- 
toire de  Marie  de  Médicis.  peinte  [>iiv  Ruhens  dans  l'ancienne 
galerie  du  Luxemboiug;  le*  tableaux  du  Con>eil-d'Etat  qui 
n'avaient  pas  encore  été  gravés,  et  parmi  le.-quels  on  remar- 
que la  mort  de  Duranti,  par  De/aroc/ic;  la  mort  de  Brisson,  par 
(Sdsfies;  Mole  insulté  par  le  peuple,  et  l'arre-tatiMU  du 
parlement,  par  Thomas;  enfin  Mazaiin  préscnfam  Colbert  à 
Louis  XIV,  par  Schnetz.  Ce  volume  renferme  encore  des 
talrleaux  peints  par  MuriUo^  et  lires  de  la  galeiicdu  maréchal 
Souit,  duc  de  Dalmalie.  Ce  n'est  pas  sans  intérêt  non  plus 
que  les  souscripteurs  éloignés  de  la  <  apilale  y  trouveront  !a 
réuniondesstiituesnouN  t  llemcnt  plat  ées  >ur  lepo     .i-OuisXVI. 

Parmi  les  sujels  intére^sans  contenus  dans  !e  5*  volume,  on 
doit  rcmarcjner  les  sacrcmens  du  /^of*.?"!//!,  comp"sili'>ns  subli- 
mes qui  sont  rendues  avec  une  perfection  remarquable  et  à 
la(|uelle  ne  sont  pas  toujours  ariivées  des  gravures  d'une  plus 
grande  dimension  :  les  notices  qui  les  accompagnent  sont  pi- 
quantes j)ar  les  recherches  dont  l'auteur  les  a  remplies,  et  dans 
lesquelles  il  rapporte  souvent  l'opinion  de  Poussin  lui-même 
sur  ses  tableaux. 

Le  mélange  des  ouvrages  des  grands  maîtres  de  toutes  les 
école?   apporte  dans  ce  recueil  beaucoup  de  variété.   Auprès 


BKAtX-AKTS.  su 

des  Raphaël,  des  Ronibramlt,  des  Téniers,  de^»  \an  D^ck,  so 
trouvent  de  belles  et  imporlantes  productions  de  l'art  nrjo- 
derne.  On  ne  peut  voir  sans  surprise  le  tableau  du  sarre  par 
Gérard,  qui  tenait  une  si  giande  place  au  salon,  réduit  à  une 
proportion  de  cinq  pouces  sur  trois,  et  rendu  avec  une  exac- 
titude et  une  finesse  qui  ne  laissent  rien  à  dé>irei-.  Le  niêuie 
mérite  se  retrouve  dyus  les  immenses  compositions  des  batail- 
les d'Alexandre  par  Le  Brun. 

Parmi  les  tableaux  modernes  intéressans,  dont  cbacun 
aimera  à  retrouver  le  souvenir,  sont  la  Plièdre  de  Giu'rin,  le 
Ma  ri  us  de  Drouais ,  le  serment  des  Horaces  par  Darid ,  la  fa- 
mille malheureuse  par  Prudlion,  le  jugement  de  loid  Jlussel 
par  Hayter,  l'Hippocrate  de  Girodet,  le  iMazeppa  d'Horace 
Verne.t. 

Nous  bornerons  là  nos  citations  de  tableaux.  Dans  chaque 
livraison  ime  planche  est  consacrée  à  la  .-cidpture,  et  repré- 
sente des  chefs-d'œuvre  dont  quelques-uns  n'ornent  plus  notre 
Muiée.  Quant  au  texte,  les  notices  sont  en  gérerai  concises  et 
substantielles.  L'auteur,  en  décrivant  les  tableaux,  donne  avec 
soin  rhisturique  du  sujet,  et  y  joint  des  ol)servaîions  sur  l'art, 
le  style  et  la  composition,  qui  annoncent  en  lui  beaucoup  de 
connaissances  positives. 

11  en  est  de  même  de  ses  Notices  historiques  :  chaque  vo- 
lume en  contient  trois,  avec  des  portraits.  L'auteur  y  fait 
Iden  connaître  le  talent  de  l'artiste  et  le  caractère  de  l'homme  : 
il  résume  les  jugeaiens  qui  ont  été  portés  sur  les  peintres  et 
les  sculpteurs  célèbres  dont  il  donne  la  vie,  et  il  y  joint  la  liste 
<le  leurs  meilleures  compositions. 

On  trouve  dans  celle  collection,  outre  les  tableaux  impor- 
<ans  du  Musie  royal  de  France,  les  principaux  tableaux  des 
Musées  de  Dresde,  de  Munich,  de  Vienne,  de  Florence,  de 
Pétersbourg,  et  des  belles  collections  de  Stailbrd  et  d'Auger- 
slein,  en  Angleterre. 

11  n'est  pas  inutile  de  rappeler  que  le  prix  modique  de  cha- 
que livraison,  qui.n'est  que  d'un  franc,  permet  à  toutes  les  for- 
tunes de  se  procurer  cet  ouvrage,  qui  fera  véritablement  un 
Musée  européen  de  peinture  et  de  sculpture,  utile  surtout  à 
<;eux,  qtn  n'ayant  pas  fait  des  arts  une  élude  approfondie,  en 
ont  cependant  le  goût.  Le  texte  français  est  accompagné  d'une 
traduction  anglaise;  des  tables  complètent  chaque  volume  : 
enfin  l'ouvrage  est  failen  conscience,  et  offre  autant  d'ajré- 
jnent  que  d'utilité.  ^)ryE?SA^. 


JI2  LIVRES  FRANÇAIS 

Ou  vraies  perindiq  ii  rs . 

38.  —  Raiieil  agronomique  publié  par  les  soins  de  In  Société 
des  sciences^  agriculture  et  helles-lcttres  du  département  de 
Tarn-et-Garonne.  Journal  mensuol.  IMontanhan,  i83o;  im- 
primerie de  Lapie-Foiilanel.  Chaque  cahier  est  d'environ 
3  reuille?,  et  suivi  de  planches,  si  le  ^ujet  l'exige;  prix  de 
Tabonnemenl,  5  francs  par  an,  franc  de  port. 

59.  —  Journal  du  Comice  agricole  du  département  de  la 
Marne.  Châlons,  i83o;  imprimerie  de  Boniez-Lambert.  In-S" 
de  2Z1  pages  par  cahier.  Publication  mensuelle;  prix  de  l'abon- 
nement, G  bancs  par  an,  Iranc  de  port. 

La  Société  des  sciences  et  d'agriculture  de  Montaubon  est  peut- 
être  la  première  qiu  ait  donné  l'exemple  de  ces  publications 
qui  contribuent  souvent,  plus  que  de  gros  volumes,  à  la  pro- 
pagation des  connaissances  usuelles.  Elles  sont  à  la  portée  de 
tous  les  cullivateuis,  et  par  la  modicité  du  prix,  et  par  les 
matières  qu'elles  traitent.  Comme  les  rédacteurs  ont  à  leur 
disposition  tout  ce  que  leur  apporte  la  presse  périodique,  et, 
de  plus,  les  bons  ouvrages  d'agricidture,  chaque  livraison  est 
remplie  de  notices  d'une  utilité  reconnue,  et  (pii  viennent 
toujours  à  propos.  Il  semble  que  le  Recueil  de  Tarn-el-Ga- 
ronne  embrasse  plus  d'objets,  afm  d'être  au  niveau  des  be- 
soins de  la  culture  méridionale;  le  Journal  du  Comice  agri- 
cole de  la  Marne  se  restreint  à  l'agriculture  du  nord.  Nous 
n'entrerons  point  dans  le  détail  de  ce  qu'ils  contiennent.  Les 
soins  que  d'habiles  rédacteurs  donnent  à  chaque  livraison  et 
le  l)ut  (ju'jls  se  proposent  garantissent  assez  l'utilité  de  ces 
publications,  qui  ne  sauraient  trop  se  multiplier  dans  nos  dé~ 
parlemens.  N. 

Go.  — *  V /^gricuUeur-manufaclurier,  Jourjial  de  Mécanique, 
de  Physique  et  de  Ctùmie  appliquées  à  l'agriculture  et  aux  Arts  qui 
s'y  rattachent ,  tels  que  :  les  sucreries  de  betteraves  et  de  can- 
nes ,  les  amidonneiies,  les  féciileries,  les  brasseries,  les  dis- 
tilleries, la  meuneiie  ,  la  fabrication  des  sirops  de  fécule  et  de 
raisins,  d(s  vins,  des  cidres,  des  poirés,  des  vinaigres,  des 
liuiles,  des  beun-es,  des  fromages,  de  l'indigo,  des  cafés  in- 
digènes, le  travail  des  lins,  des  chanvres,  le  raffinage,  etc.; 
par  M.  DvBRi  NTAVT.  Paris,  i85o;  l'auteur,  lue  Pavée, 
n°  2^1,  au  IMarais,  et  Bachelier,  quai  des  Auguslins.  Le  journal 
paraît  par  cahieis  mensuels  de  3  à  4  feuilles  et  un  ou  deux 
planches  ;  prix ,  3o  fr.  par  an  pour  Paris  ;  Sa  pour  les  départe- 
mens;  et  35  pour  l'Etranger. 


OUVRAGES    PElUODIOliKS.  «i5 

Il  existe  un  grand  nombre  de  recueils  destinés  a  enicgislrei- 
les  progrès  de  l'industrie  eu  général,  mais  il  n'eu  est  aucun 
dont  les  rédacteurs  aient  tracé  à  leur  cadre  des  limites  qu'ils 
se  soient  interdit  de  dépasser.  II  en  résidte  que  ces  recueils,  ea 
s'adressant  à  toutes  les  industries,  sont  rarement  d'une  utilité 
bien  grande  poiu' la  généralité  de  leurs  lecteurs,  et  qu'ils  ne  ren- 
dent à  chaque  prol'essiun  en  [)arti(ulier  que  des  services  peu 
imporlans,  par  des  documens  publiés  de  loin  en  loin  sur  des 
objets  qui  s'y  rattachent.  C'est  à  cette  cause,  il  n'en  faut  pas 
douter,  que  tient,  en  France,  le  peu  de  succès  de  ces  jour- 
naux qui  semblent  s'adresser  plutôt  aux  hommes  qui  s'occu- 
pent de  spéculations  scientifiques  qu'aux  praticiens  qui,  le 
plus  souvent,  ignorent  jusqu'à  leur  existence. 

Cependant  nous  sommes  dans  le  tems  des  spécialités.  Cha- 
que classe,  soit  qu'elle  commence  à  être  passablement  pourvue 
des  principes  scientifiques  sur  lesquels  repose  l'art  qui  l'oc- 
cupe,  soit  qu'il  ne  lui  reste  pas  de  tems  pour  les  embrasser 
dans  toute  leur  étendue,  veut  que  toutes  les  pages  du  livre 
qu'on  lui  propose  se  rattachent  à  cet  art;  directement  on  in- 
directement, ce  que  chacun  recherche,  ce  sont  des  applica- 
tions, des  laits  relatifs  à  sa  profession  et  le  compte  fidèlement 
rendu  d'expériences  tentées  et  susceptibles  d'être  facilement 
répétées. 

Aucune  cLisse  peut-être  ne  sent  ce  besoin  d'une  manière 
aussi  vive  que  les  agriculteurs.  Depuis  que  les  saines  doctrines 
d'économie  ont  pénétré  parmi  eux,  les  agriculteurs,  éclairés 
par  l'habitude  de  l'observation  ,  setitent  que  leur  tâche  est  loin 
d'être  terminée  avec  la  rentrée  des  récoltes,  qu'ils  doivent 
rechercher  les  moyens  d'utiliser  les  hommes  et  les  animaux  de 
leur  exploitation  aux  époques  où  les  travaux  des  champs  sont 
interrompus;  qu'il  leur  importe  de  savoir  tirer  parti  d'un 
grand  nombre  d'objets  qu'ils  laissent  détéiiorer  parce  ({u'ils 
ignorent  les  procédés  qui  les  rendraient  propres  à  l;i  consom-" 
jnation  ;  pénétrés  de  plus  en  plus  des  paroles  de  iM  .Say,  que 
M.  Dubrunfaut  a  prises  pour  épigraphe,  ils  savent  que  l'hom- 
me qui  se  borne  à  récolter  des  mains  de  la  nature  n'est  pas 
agriculteur,  et  songent  aux  moyens  de  Hibriquer  eux-mêmes 
les  produits  dont  jusqu'à  présent  ils  ont  livré  au  commerce 
les  matières  brutes.  En  un  mot,  ils  comprennent  que  l'agricul- 
teur intelligent  et  laborieux  doit  être  en  même  tems  sucrier, 
bouilleur,  féculiste,  etc.,  et  que  ces  diverses  branches  d'in- 
dustrie elles-mêmes  n'acquièrent  toute  leur  prospérité  qu'au- 
tant qu'elles  sont  intimement  liées  à  \n  ridluie  des  teries  et 
à  renaraisjemenl  de*  bestiaux. 


2  1 4'  LIVRES  FRANÇAIS. 

Mais  lin  gr.inrl  oljstacle  s'opposait  an  dévrloppcment  du  ces 
i:i(lustiios  agricoles,  source  de  richesses  pour  les  hommes  la- 
borieux répandus  sur  le  sol  de  la  France;  une  instruction  gé- 
nérale ne  sulTil  pas  pour  la  pratique  de  ces  arts  divers,  et  il 
n'existait  aucun  recueil  qui  pot  leurapporter  des  conseils  sages 
et  des  données  précises,  tant  sur  les  dépenses  premières  que 
sur  remploi  des  appareils  et  les  fabrications.  Pour  ceux  mê- 
mes qui  nul  lait  une  étude  spéciale  des  traités  ex-professo  pu- 
bliés siu-  ces  divers  arts,  parmi  lesquels  se  placent  en  pf^mière 
ligne  les  ouvrages  de  M.  Duhriuifaut,  lui-même,  il  manquait 
encore  un  ouvrage  périoiitfjne  spécial  destiné  à  leur  l'aire 
connaître  les  changemens,  les  perlectionnemens  apportés  dans 
la  construction  des  appareils  et  les  méthodes  nouvelles  de 
fabiicalion.  Privé  de  ces  renscignemcns,  le  propriétaire-ma- 
nufacturier risquait,  en  continuant  sur  les  mêmes  erremens, 
de  tomber  dans  la  routine  et  d'être  bientôt  incapable  de  sou- 
tenir la  con(  urrence  avec  ses  voi.^ins  mieux  informés  ou  aidés 
des  conseils  d'un  praticien  éclairé  par  la  science. 

II  appartenait  à  M.  Dnbrunfanl  de  porter  remède  à  cet  état 
de  choses;  livré  par  goût  aux  applications  des  sciences  à  l'a- 
griculture, ce  jeune  savant  a  puissamment  contribué,  par  ses 
ouvrages  et  ses  iMémoires,  par  ses  leçons  et  ses  infatigables 
travaux,  au  perfectionnemenldes  arts  agricoles  en  France,  de 
la  distillation,  et  surtout  de  la  fabrication  du  sucre  de  bette- 
raves, industiie  avec  laquelle  son  nom  est  désormais  identifié, 
et  dont  il  se  propose  de  constater  régulièrement  les  progrès 
dans  son  journal. 

Ce  recueil  e.<t,  pour'  ainsi  dire,  le  complément  de  ses  le- 
çons. Chacune  de  ses  pages  consacre  un  fait,  une  expérience 
répétée  d'ai)ord  dans  le  laboratoire,  sous  le  point  de  vue 
scientifique;  puis,  dans  l'atelier,  sous  le  point  de  vue  indus- 
triel et  é:  onomique.  Les  appareils  qu'il  décrit,  s'il  les  recom- 
mande, c'est  qu'ils  ont  fonctionné  dans  son  atelier,  qu'ils  ont 
été  (construits  chez  lui  sous  ses  yeux,  qu'il  a  pii  ainsi  appré- 
cier leur  économie,  et  qu'enfin  il  les  a  placés  dans  les  nom- 
breuses usines  qu'il  a  montées  ou  fait  monte,-,  soit  en  France, 
soit  en  Belgique,  en  Pologne,  en  Russie  et  en  Suède. 

Déjà  doux  cahiers  de  ce  recueil  ont  été  publiés;  le  premier 
contient,  entre  autres  articles,  la  description  avec  le  dessin  de 
la  presse  hydraidique  horizontale  de  Bramah  pour  les  graines 
oléagineuses;  un  article  sur  les  progrès  de  la  fabrication  du 
sucre  de  belleraves  pendant  1829;  un  moyen  de  distinguer 
le>  sucres  bruts  de  la  canne  et  de  la  betterave:  un  plantoir  à 
brtieraves.  etc. 


OUVilACiES   l'ÉUlODIQLES.  4i5 

Le  a*  numéro,  mai  i83o,  contient  des  questions  de  droit  sur 

l'agriculture  manulacturière,  un  article  sur  la  défécation  du  jus 

de  betteraves  ;  la  description  d'un  laveur  continu  ;  une  note 

sur  le  sucre  de  fécule;  un  article  sur  la  culture  des  lins,  etc. 

Les  planches  dont  chacpie  cahier  est  accompagné  sont  dues 
à  M.  Le  Blanc;  c'est  assez  dire  qu'elles  sont  exécutées  avec 
soin,  et  qu'on  peut  compter  sur  l'exactitude  de  leur  échelle. 

Si  M.  Dubrunfaut  tient  la  promesse  dont  les  deux  premiers 
cahiers  ont  été  un  commencement  d'exécution,  nous  ne  dou- 
tons pas  que  son  journal  tout  spécial  ne  soit  apprécié  par  les 
agriculteurs,  et  surtout  par  les  fabricans  et  les  raffîneurs  de 
sucre,  pour  lesquels  il  finira  par  former  un  corpsde  doctrines, 
et  qu'il  tiendra  ainsi  au  courant  de  toutes  les  améliorations 
sur  lesquelles  ils  étaient  obligés  d'aller  chercher  des  renseigne- 
mens  épars  dans  un  grand  nombre  de  recueils  divers.  H.  D. 
61.  — *  Journal  (mensuel)  des  Sciences  mililaires  des  armées 
déterre  et  de  mer,  etc..  Paris,  juillet  i83o.  J.  Corréard 
jeune,  éditeur,  rue  Richer,  passage  Saulnier,  n°  i3.  In-8° 
de  176  pages.  Prix  de  l'abonnement. 

Au  milieu  du  mouvement  général  imprimé  aux  connais- 
sances humaines  en  Eiu-ope  depuis  deux  ou  trois  siècles,  la 
science  des  armes,  dont  les  peuples  n'ont  malheureusement 
que  trop  besoin,  ne  pouvait  rester  stationnaire.  Aussi  a-t-elle 
éprouvé,  pendant  cet  intervalle,  d'importantes  modificatio.ns, 
dont  elle  est  surtout  redevable  à  la  découverte  de  la  poudre: 
plans  de  campagne,  tactique,  stratégie,  attaque  et  défense  des 
places,  etc.  il  a  fallu  tout  changer  ;  tant  nos  projectiles  l'em- 
portent sur  ceux  que  les  anciens  lançaient  avec  les  arcs,  les 
balistes  et  les  catapultes!  L'histoire  de  tous  ces  changeinens 
présente  beaucoup  d'intérêt,  et  la  création  d'un  journal  des 
sciences  militaiies  fut  certainement  une  heureuse  idée,  comme 
l'attestent  le  succès  de  cinq  années  obtenu  par  celui  dont 
M.  Corréard  est  l'éditeur.  Le  cahier  de  juillet  que  nous  avons 
sous  les  yeux  contient  :  1"  le  commencement  d'un  Mémoire 
sur  différentes  parties  du  service  de  l'artillerie,  il  paraît  que  ce 
travail  a  été  rédigé,  en  1793,  par  M31.  Docai  et  Lariboissière, 
après  la  reddition  de  Mayence.  On  y  propo-rC  dans  le  matériel 
plusieurs  améliorations  dont  l'expérience  avait  prouvé  la  né- 
cessité, et  qui  ont  eu  lieu  en  partie,  depuis  cette  époque. 
2°  4°"^  Article  sur  la  Rectification  du  matériel  de  l'artillerie.,  par 
>I.  le  baron  Mallet  de  Trumilly,  lieutenant  colonel  en  re- 
traite. L'écrivain  s'y  occupe  spécialement  du  tir  du  mortier  à 
pivot  et  à  aiguille,  dit  tir  par  comparaison.  Les  hommes  de 
l'art  doivent  se/souvenir  que   M.    Wallet  est  inventeur  d'utr 


ii6  LIVRES  FRANÇAIS, 

mortier  avec  appareil  à  aiguille,  truiie  siipériorité  reconnue 
pour  la  justesse  et  la  promptitude  du  tir;  il  en  expose  de  nou- 
veau la  théorie,  pour  en  l'aire  mieux  ressnitir  les  avantages. 
Ce  mortier  a  servi  onze  an'*  au  polygone  de  Vincennes  :  il  en  a 
été  retiré,  en  1829,  on  ne  sait  trop  pourquoi,  et  va  n'est  pas  la 
seule  injustice  dont  rinventeur  ait  ou  à  se  plaindre  ;  tant  il  est 
di(ïi(ilc,  mêmeau  vrainiérite,  de  lutter  contre  de  jalouses  riva- 
lités !  ô"  Obseï  valions  sitr  l' A dmimstralion  mililaire  :  on  trouve 
dans  cet  article  d'excellentes  vues  sur  les  allril)utions  des  fonc- 
tionnaires de  l'armée.  4°  Tubteaudes  forces  navales  des  puissances 
marilhnes  de  CEiirope.  Il  résulte  de  ce  tableau  que  l'Angle- 
terre pos.-'ède  encore  aujourd'hui  i5i  vaisseaux  de  ligne, 
1^9  frégates,  55G  corvettes,  hricks.  etc..  ;  en  tout,  ()i5  bâ- 
timent de  guerre,  nombre  r[ui  snr|'asse  de  moitié  celui  des 
vaisseaux  que  la  France,  la  Russie  ,  la  Hollande,  l'Espagne  et 
le  Portugal  peuvent  opposer  ensemble  à  la  dominatrice  des 
mers.  On  prétend  qu'en  1814  '^i  Grande- Bretagne  avait 
en  activité  1,026  bâtimens,  dont  27G  vaisseaux  de  ligne  et 
26.3  frégates,  le  tout  monté  par  100,000  matelots,  et  plus  de 
56,000  hommes  de  troupesde  marine.  Kn  1819.  on  ne  comp- 
tait plus  que  20,000  matelots  sur  h'S  flottes  anglaises;  on  a 
calculé  aussi  que,  depuis  1688  fus(pi'en  181  5,  c'est-à-dire 
dans  un  espace  de  127  ans,  les  Anglais  avaient  eu  65  an- 
nées de  guerre  i\\\\  leur  ont  coûté  2,024,000,000  de  livres 
sterlings ,  ou  56,6no,ooo,ooo  de  francs.  Faut -il  s'étonner, 
d'après  cela,  que  la  délie  nationale,  en  Angleterre,  s'élève 
à  28,000,000,000  de  francs! 

Nous  ne  dirons  rien  de  l'article  sur  l'expédition  d'Alger, 
qui  termine  cette  livraison,  parce  qu'il  n'est  qu'un  siu)ple 
extrait  des  nouvelles  transmises  par  le  Moniteur. 

Livrer  en  langues  étrangères  ^  imprimés  en  France. 

62. — *  A  Abelha,  etc.  —  CAheitlc  (portugaise),  ou  Recueil 
de  connaissantes  agréables,  instructives,  nécessaires  on  utiles 
à  toutes  l'^s  classes  de  la  société,  extraites  des  journaux  scien- 
tilniucs  et  littéraires  de  toute  l'fkirope,  et  des  ouvrages  des 
meilleurs  vv\i\a\n%  :  J ournal  portugais ,  rédigé  et  publié  tous 
les  mois  à  Paris,  par  François  Ladislos  Alvahes  d'Andhada, 
bachelier-és-lcltres  de  l'Académie  de  Paris,  de  l'Académie 
royale  des  sciences,  belles-lettres  et  arts  d'Orléans,  membre 
de  la  Société  française  statistique  universelle,  etc.  —  On 
s'abonne  à  ce  nouveau  recueil,  à  Paris,  chez  le  rédacteur, 
vi\e  de  l'Arcade,   n"  36.  —  à  Lisbonne,    chez  Georges  Rey, 


LIVRLS  UN   LANGUES  ÉTUANGKUKS.  217 

rue  des  Martyrs,  et  chez  M.  Pierre-Nicolas  Brelaz,  négociant. 
—  à  Uio-.Taneiro,  chez  M.  Laemmert,  iil)rairc  ;  prix  pour 
l'année,  3o  fr.  pour  hi  France;  20  schellin^s  pour  l'Angle- 
terre; 4f^<>o  reis,  pour  le  Portugal  et  le  Brésil.  Ou  peut  aussi 
se  procurer  les  cahiers  séparés,  au  prix  de  4^Q  i'^''"  chacun. 
1"  cahier.  Paris,  juin,  i85o.  In-8"  de  60  pages,  avec  une  li- 
thographie. 

Le  rédacteur  de  ce  nouveau  journal  se  propose  encore  plus 
que  de  répandre  les  connaissances  usuelles  dans  tous  les  lieux 
occupés  par  la  uan'on  portugaise;  il  élahlit  avec  ces  contrées 
une  correspondance  pour  l'envoi  de  livres,  d'instrumeus  pour 
les  sciences,  les  arts  et  l'agricidture  dont  le  journal  aura  rendu 
compte  avec  éloge.  M.  d'Andrada  avait  sous  les  j^eux  un  grand 
nombre  .de  modèles  de  publications  analogues  à  la   sienne; 
mais  il  les  généralise,  il  renferme  dans  son  cadre  tout  ce  qui 
mé'/ite  le   nom  de  connaissance,  et  par  conséquent  il  établit 
une  sorte  de  Revue  Enryclopcdu/ue  portugaise.  La  presse  pério- 
dique ne  lui  fournit  (|u'une   partie  des  matériaux   qu'il  met 
en  œuvre;  il  en  prend  partout  où  il  en  trouve   à  sa  conve- 
nance, saur  tenir  compte  d'autre  chose  que  de  l'utilité  des  no- 
tices dont  il  fait  provision   poiu'  ses  compatriotes.   L'entre- 
prise   de   M.     d';\ndrada    est    généreuse;    elle    peut  devenir 
grande  et  belle,  si  elle  est  secondée.  Placé  ici.  hors  des  pas- 
sions politiques  dont  sa  patrie  ressent  encore  les  atteintes  ,  il 
ne  voit  que  le  bien  qu'il  serait  si  facile  d'opérer  partout  où 
la  nation  portugaise   s'est  établie;  et  parmi  ces  biens  il    ne 
pense  pas  qu'il  faille  prononcer  aucune  exception.  Tous  les 
arts  y  sont  compris,  n)ême  le  plus  mobile,  le  plus  capricieux 
de  tous,  celui  de  la  marchande  de  modes.  Le  prospectus  an- 
nexé au  premier  cahier  est  un   des  bons  articles  qu'il  ren- 
ferme; les  lecteurs  y  trouveront  des  observations  très-judi- 
cieuses sur  l'iufliience  des  lumières  et  de  l'habitude  du  travail, 
sur  l'état  intellectuel  de  l'Europe  ,  et  sur  les  moj'ens  de  l'a- 
méliorer de  plus  en  plus.  N. 


IV.   iNOLVELLES  SCIENTIFIQUES 
ET    LITTÉRAIRES. 


AMÉRIQUE  SEPTENTRIONALE. 
ÉTATS-UNIS. 


Progrès  des  moyens  de  communication.  —  Le  tableau  »ui- 
rant  fera  mieux  apprécier  que  tous  les  discours  cette  pro- 
gression rapide  de  tous  les  éléniens  de  la  civilisation,  qui,  en 
si  peu  d'années,  a  élevé  l'Amérique  du  Nord  au  niveau  de» 
contrées  les  plus  prospères  de  la  vieille  Europe. 

Il  y  avait,         Bureaux  de  poste,  Revenu, 


En  1790. 

-5 

37,935  dollars. 

—  1795. 

455 

160,620 

—  1800. 

8c.3 

280,804 

—  i8o5. 

1,558 

421,375 

—  iSio. 

2,3oo 

55 1,684 

—  i8i5. 

3,006 

1,043,065 

—  i8îo. 

4,5oo 

1,11 1,927 

—  1825. 

5,667 

1 ,3o6,525 

—  1S29. 

8,004 

1,707,418 

Milles  Salaires  déteruiinéii 

Il  V  avait,    de  chemins  de  poste,      Clercs,  par  la  loi, 

En  1790. 

—  1798- 

—  1800. 

—  i8o5. 

—  1810. 

—  i8i5. 

—  1820. 

—  1825. 

—  1829. 

jNew- York..  —  Nouvelle  Université.  —  Il  est  fortement  ques- 
tion de  fonder  i;  i  nu  établissement  d'e  lucation  sur  le  plan  du 


1,875 

, 

, 

15,207 

4 

2,000  dollars. 

20,817 

7 

4,25o 

31,076 

9 

9,i5o 

36,4o6 

12 

i2,55o 

43,748 

i5 

i6,58o 

72'49a 

21 

22,700 

94,o52 

27 

28,3oo 

11 5,000 

38 

39,700 

ÉTATS-IMS.    -  ASIK.  sig 

collège  de  Londres,  qui  prospèic.  en  dépit  de  ses  nombreux 
détracteurs.  La  ville  (le  New- York  veut  faire  un  appel  auxsa- 
vau5  les  plus  distingués  des  États-Unis,  et  compte  beaucoup 
sur  leur  coopération  pour  réaliser  ce  projet. 

ASIE. 

Malacca.  —  ÀboUiion  de  l'Esclavage.  —  Une  première  as- 
semblée des  liabitans  s'est  tenue  le  18  novembre  dans  le  but 
de  prendre  en  considération  le  mode  le  plus  convenable  pour 
abolir  l'esclavage  dans  cet  établissement.  Il  a  été  arrêté  (jue, 
tous  les  travaux  domestiques  étant  exécutés  par  les  esclaves, 
et  ies  «aturels  ayant  depuis  long  tems  contracté  l'haljitude 
d'être  ainsi  servis,  il  était  impossible  d'effectuer  un  aflVanchis- 
sement  immédiat.  Toutes  les  classes  d'babilans,  ayant  intérêt 
et  droit  à  peser  la  ([uestion,  et  à  la  résoudre  en  conciliant  leurs 
intérêts  particuliers  avec  la  justice  générale,  ont  été  invitées 
à  envoyer  une  députation  à  une  seconde  réunion  qui  a  eu  lieu 
le  28  novembre,  et  à  laquelle  se  sont  en  effet  rendus  cinq  dépu- 
tés de  la  j)art  des  Portugais,  cinq  envoyés  parles  Cbinois,  cinq 
par  les  Malais,  cinq  par  les  Cboolcas.  Après  une  discussion 
calme  et  éclairée,  on  a  fixé  l'époque  de  l'émancipation  des  es- 
claves à  douze  ans,  à  dater  du  jour  de  la  décision.  Les  liabitans 
ont  ensuite  adressé  un  rapport  et  une  lettre  de  remercimens  au 
gouverneur,  qui  a  hâté  cette  résolution  de  tous  ses  vœux  et 
de  tous  ses  efforts  :  et  Ton  a  inscrit  solennellement  sur  les  re- 
gistres que  l'esclavage  ne  serait  plus  autori-é  ni  reconnu  dans 
la  ville  et  le  territoire  de  ÎMalacca,  après  le  3i  décembre  1841. 
—  Nouveaux  réglemens  pour  la  presse.  —  La  censure 
de  la  presse  vient  d'être  abolie  ici';  on  y  a  substitué  des  régle- 
mens qui  interdisent  aux  éditeurs  de  journaux  :  «rToute  ani- 
madversion  contre  les  mesures  et  les  actes  de  l'honorable  cour 
desdirecteiu's,  ou  autrcsautorités  publiques  anglaises  chargées 
du  gf)uvernement  de  l'Inde;  toute  enquête  sur  les  transactions 
jtolitiques  de  l'admistration  locale,  ou  remarques  offensan- 
tes sur  la  conduite  publique  des  membres  du  Conseil,  juges 
de  la  cour  suprême,  etc.,  etc. 

2°.  Toute  discussion  qui  pourrait  faire  craindre  aux  na- 
turels que  t'influence  anglaise  s'exerçât  sur  leurs  opinions  ou 
leurs  observances  religieuses.  Toute  controverse  sur  des  sujets 
religieux  est  également  défendue. 

5".  La  réiiripression  des  passages  des  journaux  anglais  qui 
Iraiteraient  de  ces  sortes  de  sujets,  et  pourraient  tendre  à 
aiTaiblir  la  pin'ssnnce  brifanniqi'e  dans  l'Inde. 


■2-20  ^SIE. 

4".  Eafm  les  scandales  parliculieii  et  les  remarquée  per- 
suiirielles  sur  lés  indiviclus.  qui  pounaient  exciter  dos  troubles 
et  des  dissensions  dans  la  société.  » 

Certes  il  v  a  loin  de  pareilles  mesures  à  la  liberté  de  la 
presse  :  cependant,  comparées  au  régime  de  l.i  censure,  ce 
sont  autant  d'améliorations.  Malheureusement  la  rédaction 
des  réglemens  laisse  un  champ  bien  vaste  aux  interprétations, 
et  on  ne  pourra  guère  savoir  si  l'on  a  gagné  ou  perdu  à  ce 
changement  de  système  qu'après  une  ou  deux  applications 
de  la  loi.  Mous  regrettons  que  le  journal  de  l'Inde  n'ait  pas 
joint  aux  réglemens  le  tableau  des  peines  qu'encourront  ceux 
qui  les  auront  violés. 

Chine. — ■  Discipline  des  prisons.  —  Sollicitude  du  dernier  empe- 
reur sur  ce  sujet. — Eœlrnitdu  registre  deCanton. — Sa  M.  impé- 
riale qui,  depuis  quelque  tems,  s'occupe  deliie  et  de  commenter 
les  ordres  donnés  par  léu  son  père,  en  a  dernièrement  trouvé  un 
relatif  aux  prisons  de  Canton.  C'était  lors  de  la  dixième  année 
du  règne  de  l'empereur.  Outre  les  prirons  du  gouvernement 
appartenant  aux  districts  de  Canton  et  de  AVhampoa,  il  y  avait 
des  lieux  de  réidusion  où  les  olFiciers  de  police  enfermaient 
toute  personne  arrêtée  pour  de  légères  offenses,  accusées  de 
crimes  non  prouvés,  ou  appelés  à  témoigner  devimt  la  loi. 
Ces  maisons  étaient  si  mal  saines  et  si  mal  tenues  que  plusieurs 
des  gens  arrêtés  y  moururent  souvent;  on  les  y  retenait  indé- 
finiment. Il  n'y  en  avait  pas  moins  de  cinquante-trois  dans 
le  seul  distinct  de  \  an-Haè,  et  onze  dans  celui  de  Swang-Yer. 
Lorsque  les  détenus  ne  pouvaient  ou  ne  voulaient  pas  payer 
certaines  sommes,  exactions  des  gens  de  police,  ils  étaient 
maltraités,  affamés,  au  point  que,  d'après  les  notes  même 
de  l'empereur,  quelques-uns  expiièrent  de  faim.  Il  compare 
ces  prisons  aux  plus  noires  profondeurs  de  l'enfer.  Il  y  on  avait 
encore  d'autres,  réservées  pour  les  femmes,  mais,  où  bien  loin 
d"être  protégées,  les  malheureuses  se  trouvaient  exposées  a 
toutes  sortes  de  violences  et  de  brutalités  de  la  paît  de  leurs 
gardiens,  c|ui  les  forçaient  de  se  livrer  à  la  prostitution  pour 
leur  arraclier  ensuite  l'argent  qu'elles  en  retiraient.  D'après 
cet  exposé,  laissé  par  le  défunt  empereur,  Sa  iMajesté  actuelle, 
craignant  que  d'aussi  odieux  abus  ne  se  perpétuent  encore 
dans  qi-clques  parties  de  l'empire,  a  donné  ordre  à  tous  les 
gouverneurs  de  province  de  s'enquérir  de  l'état  des  prison» 
et  de  la  conduite  des  magistrats  auxquels  ces  établissemen» 
sont  confiés,  et  enfin  d'interdiie  toute  réclusion  parliculièrc. 
il  y  a  environ  six  ans  que  cent  (renie  personnes  mouriu'ent  en 
[Miîon.  a  Canton  .  pendant  un  des  mui5  d'hiver.  ],.  S.  B. 


CRANDE-BUETAf.NF.  aai 

EUROPE. 
GRANDE-BRETAGNE. 

Souscription  en  faveur  des  blesses  pendant  les  journées  des 
27,  28  et  29  juillet.  —  Rien  sans  doute  ne  peut  mieux  faire 
conipren(Ir(,'  les  progrès  de  let  esprit  tie  Iraternité  universelle 
entre  les  hommes  aux  dépens  de  l'esprit  de  nationalité  fjui  lui 
est  tiop  souvent  contraire,  que  ce  qui  vient  de  se  passeren  An- 
gleterre à  la  nouvelle  de  notre  glorieux  alTranchissement.  Un 
enthousiasme  général  s'est  subitement  manifesté  parmi  toutes 
les  classes  de  la  population  et  les  feuilles  publiques  de  pres- 
que toutes  les  nuances  d'opinions  se  sont  réunies  pour  accor- 
der à  notre  nation,  et  notamment  aux  braves  habitans  de  l'a- 
ris,  les  témoignages  les  plus  éclatans  d'admiration.  La  mani- 
festation de  ces  généreux  sentimens  n'a  pas  été  stérile;  des 
souscriptions  ont  été  ouvertes  partout  en  faveur  des  blessés  et 
des  familles  qui  ont  été  frappées  dans  quelqu'un  de  leurs 
membres,  pendant  ces  mémorables  journées.  Un  des  meilleurs 
recueils  périodiques  de  l'Angleterre  {IV esiininster  Reeiew) 
a  répandu  une  adresse  par  laquelle  tous  les  citoyens  sont  in- 
vités à  contribuer  à  cette  noble  offrande,  les  riches  pour  les 
sommes  dont  ils  voudront  disposer,  et  les  hommes  des  classes 
laborieuses,  en  bornant  leiw  don  à  un  sou.  Les  éditeurs  prient 
les  agens  de  la  Revue,  dans  toute  l'Angleterre,  à  ouvrir  par- 
tout des  listes  de  souscription;  ils  annoncent  que  les  sommes 
seront  adressées  à  Paris  au  général  Lafayette  ;  les  éditeurs  ont 
déjà  souscritpour  10  liv.  sterl.  10  schel.  ;  le  colonel  Thomson, 
pour  trois  mois  de  sa  demi-solde  ou  5o  liv.  sterl.  12  schel.; 
ftl.  Hume,  pour  5  liv.  5  schel.  ;  M.  Taylor  pouro  liv,  sterl.,  etc. 
N'ous  reviendrons  sur  des  actes  de  générosité  bien  faits  pour 
cimenter  l'union  entre  deux  peuples  qui  tiennent  le  premier 
rang  dans  la  grande  famille  humaine  et  que  tout  doit  porter 
désormais  à  s'estimer.  D. 

Mémoires  de  Lord  Byron.  —  Commérages  littéraires.  —  Les 
clameurs  pour  et  contre  lady  Byron  continuent  et  donnent 
lieu  à  une  guerre  de  plume  assez  vive.  Après  s'être  abstenu 
de  prendre  parti,  lorsque  parut  la  réclamation  de  cette  dame 
contre  l'ouvrage  de  M.  3Joore,  les  journaux  se  déclarent  en- 
fin pour  le  bon  droit,  et  demandent  que  les  griefs  soient  net- 
tement articulés.  Le  Monihly  Magazine  se  montre  un  des  plus 
virulens  :  il  rappelle  à  lady  B;yron  que  l'austérité  de  morale 
et  de  principes  dont  elle  fait  tant  de  bruit  aurait  du  lui  ren- 


3  3-2  EUIIOPF. 

dre  plus  présenter  les  paroles  de  la  Bible,  qui  dit  :  «Tu  laisseras 
ton  père  et  ta  mère  pour  suivre  ton  mari  :  »et  celles  du  Ri- 
tuel, que  les  époux  se  prennent  et  s'acceptent  mutuellement 
«  pour  les  meilleurs  tems  et  les  plus  mauvais  jours,  for  bettér 
for  worse ,  jusqu'à  ce  que  la  mort  les  sépare.  "Il  termine 
ainsi  un  article  très-amer.  «  S'il  n'est  pas  rare  que  des  que- 
relles soudaine*,  et  même  des  séparations  aient  lieu  entre 
gens  mariés,  où  est  la  preuve  d'aucune  ientative  de  retour 
de  la  part  de  celte  femme?  d'aucun  efl\>rt  pour  adoucir 
le  caractère  dont  elle  connaissait  l'iriitabililé  avant  son 
mariage?  A-t-elle  ,  après  la  mort  de  son  mari,  témoigné 
douleur  ou  repentir.  Non;  elle  n'a  pas  mêi.'.e  observé  les 
moindres  convenances;  ni  sa  voiture,  ni  celle  de  sa  fa- 
mille n'a  suivi  le  convoi  :  nul  envoyé  ne  représentait  elle 
ou  sa  fille  aux  funérailles.  Quels  honneurs  a  t-elle  rendus  à 
la  tombe  de  celui  dont  la  gloire  la  distingue  seule  de  la  po- 
pulace titrée?  Encore  pouvait-on  croire  qu'absorbée  par  sa 
huinc  ,  elle  nourrissait  dans  le  silence  ses  vieux  ressentimens; 
mais  voilà  qu'au  bout  de  six  ans,  elle  sort  de  son  repos  pour 
réveiller  dïnsidieuses  calomnies,  poiu-  déverser  le  blâme  et 
jusqu'au  déshonneur  sur  la  mémoire  du  père  de  .sa  fdle,  d'un 
poète,  digne  par  son  génie  et  par  sa  mort  des  respects  de  son 
pays  et  de  la  postérité  :  et  le  prétexte  de  tout  ce  scandale, 
c'est  la  justification  d'une  laJylNoël  Milbanke,  d'un  sir  italph, 
personnages  insignifians,  dont  personne  n'efit  soupcf>nné  l'exis- 
tence, si,  dans  un  jour  de  malheur,  lord  Byron  ne  les  eût  at- 
tachés à  son  sort.  » 

De  nouvelles  brochures  vont  aussi  compliquer  la  querelle, 
que  sans  doute  elles  envenimeront  :  on  en  annonce  deux; 
Tune  a  pour  ùivfi  :  ScpAration  de  Byron^  ou  Lord  B)ron  justi- 
fiés des  allégations  de  Tliomas  Campbell;  la  seconde  est  une 
réimpression  de  la  Lettre  de  Lady  Byron  d  Tliornas  Moore, 
suivie  de  quelques  observations,  et  conmientaires. 

Beaux-Arts.  —  Galerie  de  portraits  de  feu  sir  Tliomas  hk~ 
^vBE^CE.  —  Celte  exposition,  la  plus  complète  qui  ait  jamais 
eu  lieu  des  ouvrages  du  dernier  président  de  l'Académie  de 
peinture,  continue  à  attirer  la  foule  à  la  galerie  britannique, 
dans  Pall-Mall.  Le  nombre  des  amateurs  payans  a  dépassé 
tous  les  jours  quinze  cents,  et  s'est  parfois  élevé  à  deux  mille. 
Il  est  vrai  qu'outre  son  mérite  conmie  art  cette  collection  a 
l'avantage  d'être  historique,  et  comprend  presque  tous  les 
grands  personnages  qui  ont  figuré  de  nos  jours  dans  les  An- 
nales de  l'Europe  :  aussi  les  contrastes  y  sont-ils  frappans  et 
Ji'iombieux.  A  côte  de  la  physionomie  fine,  non?  dirion»  pre;*- 


GRANDE-BRETAGNi:.  -  ilUSSIE.  aa5 

que  astucieuse,  du  diplomate  autricliien,  le  prince  de  Mctter- 
nicli,  on  voit  la  figure  rude  et  lulléc  du  vétéran  Bkicher. 
Après  le  duc  de  "NVeiliti^^on,  vient  Plaloir,  l'iietnian  des  Co- 
saques ;  puis,  Capo-d'Istiia ,  le  comte  Nesseliode  ,  le  défunt 
marquis  de  Lùiidondeny,  etc.,  etc.  Les  portraits  de  femmes 
sont  peut-être  les  plus  étonuans  comme  tableaux  :  remarqua- 
bles de  composition  et  de  couleur,  ils  ont  un  éclat  et  une  vie 
extraordinaires.  L.  B. 

RUSSIE. 

Expédition  scientifique  à  CArarat^  par  M.  Parrot  fils  (i). 
—  «  Dès  que  l'Ararat  eut  été  conquis  par  les  armées  russe,  le 
professeur  Parrot ,  de  Dorpat ,  forma  le  projet  de  faire  à  ses 
propres  frais  une  visite  à  celte  montagne,  célèbre  dans  la  plus 
haute  antiquité,  et  consacrée  par  nos  livies  saints  comme  le 
second  berceau  de  l'humaiiilé.  C'est  au  milieu  de  mars  1829 
qu'eut  lieu  son  dcpait.  Apics  s'être  muni  des  meilleurs  in- 
strumens  d'observation  et  de  tous  les  autres  objets  nécessaires, 
51.  Parrot  se  choisit  parmi  les  élèves  de  l'Université  de  Dor- 
pat quatre  compagnons  de  vojage;  MM.  Féodoro/f,  Sc/ile- 
man,  Ilahn  et  Be/tagel,  pour  l'astronomie,  la  zoologie,  la  bo- 
tanique et  la  géognosie.  1/empereur  ajouta  de  son  chef  un 
courrier,  homme  sûr,  destiné  à  liâter  les  expéditions  sur  la 
toute,  et  à  épargner  aux  voyageurs  bien  des  détails  fatigans, 
et  chargea  le  comte  Paskeaulch  d' Eriian  de  pourvoira  la  sû- 
reté des  voyageurs,  ce  qu'il  fit,  pendant  une  campagne  aussi 
difficile  que  glorieuse,  avec  un  zèle  et  des  soins  inspirés  par 
l'amour  des  sciences  qui  caractérise  cet  illustre  général. 
Laissons  parler  le  voyageur  lui-même  dans  les  lettres  adresr- 
sées  a  ^n  père.  — «  Musdok,  le  28  mai  iS'iC).  Me  voilà  sur  le 
point  de  traverser  les  colosses  du  Caucase,  mes  anciennes 
connaissances.  De  Tcherkask  ,  le  voyage  se  diiigea  au  travers 
de  la  steppe  des  calmouks,  de  village  en  village,  nivelant  conti- 
nuellement avec  le  baromètre,  et  suivant  les  piquets  de  ko- 
saks  jusqu'au  bout  du  grand  marais  que  forme  le  Manittch, 
et  où  il  se  trouve  nombre  de  lacs  salans.  J'ai  vu  1 1  plupart  de 
ces  marais,  dans  lesquels  la  cristallisation  ne  s'oj)ère  qu'au 
fort  de  l'été,  et  quelquef  as  pas  du  tout ,  quand  la  saison  a  été 
pluvieuse.  Dans  plusieurs  d'entre  eux,  l'eau  n'a  qu'un  pied 
de    profondeur   lors    de  la   cristallisation,    et  la    croûte   de 

(i)  Les  extraits  siiivans  sont  empruntés  à  une  Notice  manuscrite  rom- 
mnniquée  à  V .■icadémie  dêf  xrlenrcf  rie  PariF. 


) 
■224  Et'ROPK. 

«el  un  pouce  d'épaisseur.  —  Ttfli.s.  le'  26  juin.  Je  suis  ici  de- 
puis trois  semaines,  après  avoir  opéré  un  nivellement  de  Mos- 
(lok  ,  par  Wladikat'kas,  Vroâheck,  au  travers  de  la  chaîne  du 
Caucase.  .M.  le  général  Renenkampff,  qui  accompagne  le 
prince  de  Perse  dans  son  voyage  à  Pétersbourg,  nous  in- 
struisit que  déjà  la  peste  ravage  Erivan  et  la  contrée  voi- 
sine ;  circonstance  qui  m'a  arrêté  à  Tiflis  jusqu'à  présent.  J'ai 
emplojé  mon  séjour  ici  à  des  opérations  très -soignées  et 
souvent  réj)élées  sur  le  pendule  constant  et  les  aiguilles  ai- 
mantées, pour  lesquelles  je  me  suis  établi  ici  une  espèce 
d'ob?ervaloire,  où  j'ai  continué,  comme  à  Dorpat,  les  obser- 
vations du  pendule  pendant  quatre  fois  vingt-cpsatre  heures. 
M.  Féodoroff  me  fournissait  les  tems  exacts  pour  l'obser- 
vation des  hauteurs  du  soleil  et  de  quelques  étoiles.  Je  n'ai 
pas  encore  calculé  les  observations  du  pendule,  mais  l'influence 
de  la  diminution  de  la  pesanteur  saute  aux  veux.  —  Tiflis.  18 
jaillit.  L'intensité  du  magnétisme  est  ici  (d'après  un  calcul 
approximatif),  0,955  de  Dorpat;  l'incljnaison  moyenne  55* 
55'  ;  la  déclinaison  inunédiatement  observée  5°  01'  à  l'ouest. 
Ces  dernières  observations  ont  été  faites  avec  deux  grandes 
aiguilles,  l'une  parallélippédique  et  pesante,  l'autre  très-lé- 
gère et  en  forme  de  lance.  Les  résultats  ont  été  les  mêmes. 
J'étais  décidé  à  partir  pour  l'Ararat,  sans  me  soucier  plus  long- 
terus  de  la  peste,  qui  diminue  déjà,  d'autant  plus  que  je  me 
suis  muni  de  chlorure  de  chaux,  et  que  je  ne  négligerai  pas  l'u- 
sage du  vinaigre  en  cas  de  danger.  .Mais  toutes  les  personnes 
de  ma  connaissance  ne  veulent  pas  me  laisser  partir,  parce 
que  le  voyage  dans  ces  plaines  humides,  pendant  l'excessive 
chi'leur,  cause  des  fièvres  dangeieuses  et  des  dyssenteries. 
Pour  passer  cette  saison  malsaine  avec  avantage,  je  vais  me 
jeter  dans  le  pays  montiieux  de  la  Cachétie  ,  encore  lout-à- 
fait  inconnu. —  Tiflis,  00  août.  Les  vallées  et  les  montagnes 
de  la  Cachétie  sont  encore  tellement  en  proie  au  brigandage 
des  Lesghis,  qu'on  ne  peut  s'écarter  d'une  verste  de  la  ligne 
des  villages  ([ui  bordent  celte  partie  du  Caucase.  La  seide  ex- 
cursion un  peu  considérablii  qui  nous  fut  possible  fut  dirigée 
sur  la  plus  haute  montagne  de  ces  contrées,  dont  nous  attei- 
gnimes  le  somm.et.  élevé  d'environ  1666  t.  au-dessus  du  ni- 
veau de  la  mer,  et  cela  ne  fut  possible  qu'en  nous  faisant 
escortei'  par  120  hommes  d'infanterie,  commandés  par  un 
capitaine,  et  *ioo  gergious  d'élite,  bien  armés,  et  commandé 
par  un  des  principaux  princes  de  la  Cachétie.  J'ai  déjà  pii 
faire  là  quelques  observations  relatives  à  la  ligne  des  neiges 
peimanentes.  et  non*  avon>  nivelé  tout  ce  terrain  .   jusqu'à  Ti- 


RUSSIE.  aa5 

flis,  pondant  l'allce  et  le  retour.  Dans  deux  ou  trois  jours,  nous 
nous  mettrons  en  marche  avec  les  meilleures  espérances.  Lu 
saistin  des  grandes  chaleurs  est  passée,  la  peste  diminue  de 
plus  en  plus  à  trivau  et  dans  le>  environs.  l'Ile  n'a  point 
atteint  le  beau  monastère  dÉrivas  d'Etschniiazin,  qui  nous  ser- 
vira de  slalioii  pendant  tout  le  tems  que  nous  vouerons  à  1"  Ara- 
rat,  et  de  centie  de  réunion  après  nous  être  dispersés  dans  les 
environs.  —  Couvent  Saint-Gré^or,  sur  le  pem liant  inférieur  <ie 
l'Jrarat,  •2.[\  septembre  18^9.—  ISous  partîmes  le  i"seplembre 
deTiflis;  nous  arriv;1mcs,  toujours  en  nivelant  noire  route,  au 
monastère  d'iitschmiazin,  le  8  de  ce  mois.  Le  lendemain,  trois 
archevêques  et  plusieurs  archimandiites  nous  lionorèrent 
d'une  visite;  et  ensuite  le  patriarche,  vieiLard  de  90  ans, 
reçut  la  nôtre,  entouré  de  sori  haut  clergé,  avec  beaucoup  de 
dignité  et  de  bonté.  Un  jeune  diacie,  nommé  Abojan,  qui 
nons  servait  d'interprète  à  cette  cérémonie,  demanda  et  ob- 
tint, à  ma  prière,  la  permission  de  nous  accompagner  à  l'A- 
rarat.  >ous  parlimes  le  10,  traversâmes  l'Araxe  ,  cauchûmes 
la  nuit  eu  plein  air  et  arrivâmes  le  1 1  au  soir  ici.  Nous  ne  trou- 
vâmes dans  ce  couvent  délabré  et  solitaire  qu'un  archiman- 
drite de  70  ans,  qui  n'a  jamais  quitté  cette  solitude,  où  il 
souffre,  avec  une  résignation  vraiment  chrétienne,  les  mau- 
vais trailemens  des  Persans.  Ce  couvent  est  A  quatie  verstes 
du  village  d'Argure,  nom  qui  signifie  plantation  de  larigne,  et 
doit  rappeler  que  c'est  là  que  Moé  a  plante  les  premiers  ceps. 
Notre  tnanière  de  \ivre  est  tout-à-fait  militaire.  Outre  les  trois 
kosaks  qui  nous  ont  escortés  depuis  ïiflis,  j'en  ai  lait  venir  en- 
core quatre  d'Lrivan  et  quatre  soldats  d'infanteiie.  Ma  tente 
est  an  milieu  de  la  c(un-,  gardée  par  une  sentinelle  :  elle  con- 
tient les  instruoiens,  et  me  sert  de  chambre  à  coucher.  Mes 
caniara  les  logent  daiis  une  grande  salle  du  cloître.  A  notre 
première  tentative  d'ascension  de  l'Ararat,  faite  à  l'est  de  la 
montagne,  nous  ariivâmes  à  2, itiô  toises  au-dessus  du  niveau 
de  l'océan.  Mais,  parvenus  à  cette  hauteur,  ijous  vîmes  évidem- 
ment qu'il  serait  impossible  d'atteindre  le  sommet  de  ce  côté,  à 
raison  delà  laideur  de  la  pente  des  surfaces  de  glace  que  nous 
aviunsàparcourir.  Jesuivisen  conséquence, quelquesjouisplus 
tard  le  conseil  d'un  paysan  du  village,  de  faire  un  essai  du 
côté  nord-ouest,  accompagné  de  MM.  Beh;igel,  Schlieman,  le 
brave  diacre  Abojan,  deux  soldats  d'infanterie,  un  kosack,  et 
cinq  habitans  du  village.  Nous  atteignîmes  le  premier  jour  la 
limite  des  neiges  permanentes,  où  nous  passâmes  la  nuit  au- 
près d'un  feu  de  bivouac.  Nous  partîmes  au  point  du  jour 
pour  le  sommet,  espérant  l'atteindre  vers  midi;  mais,  à  cette 

T.    XLVII.     jriLLET     I  >S5i>.  l5 


2-26  EUROPE. 

heure,  nous  n'avion*  atteints  que  la  hauteur  /Je  2.600  loi-ses- 
c'e.-it-à-diie  fait  un  chemin  d'environ  5oo  toises  perpendicu- 
laire; et,  comme  il  me  paraissait  que  nous  avions  encore  une 
hauteur  de  plus  de  5oo  toises  à  gravir  par  une  marche  tou- 
jours ralentie  ,  et  voyant  des  nuages  <t  des  brumes  s'avancer 
ver?  la  montagne,  et  qui,  vers  le  soir,  la  couvrirent  de  neige, 
je  me  trouvai  Ir-rcé  de  redescendre,  après  avoir  planté  au  point 
le  plus  élevé  (jue  j'eusse  atteint,  une  grande  croix  de  bois,  dé- 
passant de  10  pieds  le  niveau  de  la  glace,  et  sur  laquelle  j'a- 
vais cloué  une  plaque  deploml),  sur  laquelle  était  rinscriplion 
suivante  :  A /cc.'«'-J,  Pauli  filio  ,  toiins  RnihenicE  aulocratore  ju- 
hente,  Itoc  asylum  sacro-sanctum  armaia  manu  tindicarit ,  fïdei 
Ckri^lianœ ,  Jo/tannes  Fridirici  filiii.s  PaskeijoUfch  ah  Eriœan, 
nnnoDomint  M  / 'CCCXXIX..\\iiut\o  tlépart.  l'anhimandrite 
bénit  solennellement  cette  croix  et  les  voyagcuis.  L'Aiarat  est 
une  masse  inmiense  de  laves.  Depuis  5o  Averstes  aux  environs, 
jusqu'aux  neiges  permanentes,  nous  n'avons  vu,  dans  toutes 
nos  excursions  et  nos  deux  asiensions,  rien  que  des  laves. 
Mous  n'avons  piis  trouvé  de  cratère  de  l'orme  ordinaire,  si  l'on 
ne  prend  pas  pour  tel  une  énorme  crevasse  au  côté  nord- 
ouest.  L'Ârarat  entier  n'otiVe  aucun  arbre  ;  qjielques  noyers  et 
autres  arbres  fruitiers  plantés  autour  de  ce  couvent  sont  des 
liroussailles  qui  méritent  à  peine  le  nom  de  buissons.  Les  ar- 
mées de  serpens  et  d'animaux  carnassiers  dont  on  nous  me- 
naçait ont  disparu,  au  moins  devant  nous;  les  Rourdes  n'in- 
quiètent plus  ce  côté  de  l'Ararat  ,  et  la  peste  est  entièrement 
étouffée.  Les  excursions  zoologiqnes  et  géognosliqiies  se  con- 
tinuent, et  M.  Hahu  cherche  avec  un  soin  scrupuleux  ce  (jui 
se  trouve  encore  de  piaules  reconnaissables  enfoîiies  dans 
i'iierbe  sèche,  tandis  (pie  .M.  Féodorofl'  ne  (juilte  pas  un  moment 
ses  observations. 

Couvent  Saiiit-Grcgor,  'iS  septanhre  —  Je  me  hnte  d'C  l'an- 
noncer que  l'ascension  complète  de  l'Ararat  m'a  réussi.  C'é- 
tait la  troisième  tentative  cpic  j'entrepris  le  a.^  de  ce  mois; 
j'étais  accompagné  du  robuste  et  intrépide  Abojan,  de  cinq 
paysans  et  de  deux  soldats  russes.  Nous  arrivâmes  le  27,  à 
trois  lieures  après  midi,  à  la  cime.  Les  diflicnltés  étaient  nom- 
breuses, et  je  dois  beaucoup,  peut-être  le  succès  entier,  à  l'ar- 
deur des  deux  soldats  et  d'un  des  cinq  paysans,  les  quatre 
autres  n'ayant  pu  nous  suivre.  Dès  le  premier  pas  que  nous 
fîmes  sur  la  neige  glacée,  juscpian  sommet,  nous  avons  dû 
nous  former,  pas  par  pas,  à  la  hache  des  marches  pour  y  as- 
seoir le  pied,  ie.-quelles  nous  forent  bien  pins  nécessaires  pour 
Ja  descente  que  pour  la  montée;  car  le  coup  d'œil,  plongeant 
de  celte  hauteur  sur  c(;s  surfaces  immenses  et  escarpées  de 


RLSSIK.  aay 

giaces  luisantes,  eiitrcc.oup  ■es  de.  précipict;^  pioi'oiids  et  ol)-- 
scurs,  a  réellement  quelque  chose  d'imposant,  même  pour  ce- 
lui qui  est  aj;uerri  àces  entreprises.  Celte  lois-ci,  comme  à  la 
seconde  tentative,  le  tems  nous  favorisa  complètemeiit;  nous 
avons  passé  la  nuit  au  milieu  de  ces  frimats,  dans  une  at- 
mosphère si  tranquille  et  si  sereine  ,  que  je  sentais  à  peine  le 
froid,  qui,  d'ailleuis,  est  extrêmement  sensible  à  de  si  grandes 
hauteurs.  La  hme  même  prit  soin  de  guider  nos  pas  incer- 
tains sur  le  cône  de  glace  ,  I()rs(iu'après  le  coucher  du  soleil , 
je  me  trouvais  encore  bien  au-dessus  de  la  région  des  neiges 
permanentes.  Le  baromètre  était  au  sommet  à  180.7'",  'i  ^"^ 
température  de  —  5",  5.  c.  ;  ce  qui  donne  environ  2,700 1.  pour 
la  liautenr  au-dessus  du  niveau  de  l'océan.  La  hauteur  de  la 
ligne  des  neiges  éternelles  est  d'environ  2,000  t.,  hauteur  ex- 
traordinaire pour  cetle  latitude  de  59", 45'?  selon  les  cartes, 
ce  qu'on  doit  attribuer,  vrai>em!dablement,  à  ce  que  l'Ararat 
est  une  montagne  tout-à-fait  isolée,  dont  le  climat  n'est  pas 
lefroidi  par  d'autres  montagnes  voisines  qui  déi)assent  cette 
ligne  (1). 

L'Ararat  n'offre  de  tous  côtés,  depuis  la  ligne  des  neiges 
jusqu'à  une  distance  de  5o  weistes,  ou  environ  12  lieues  de 
Fi'ance,  absolument  rien  que  des  laves,  mên»e  sans  autres 
produclious  volcaniques,  de  sorte  qu'on  doit  le  regarder 
comme  un  des  plus  grands  volcans,  et  comme  ayant  cela  de 
parti-,  ulier,  (ju'il  se  trouve  à  la  même  distance  de  80  lieues  de 
la  mer  Noire  et  de  la  mer  Caspienne,  et  doit  par  conséquent 
être  envisagé  comme  un  volcan  méditerrané.  On  est  étonné 
<le  voir  d'immenses  rochers  de  laves  s'élever  au-dessus  du 
reste  comme  des  masses  fondues,  qui  viennent  de  se  figer  en 
l'ai;'.  J'ai  élevé  sur  ce  sommet  une  crois  de  cinq  pieds  de  hau- 
teur au-dessus  de  la  glace,  comme  un  signal  de  la  religion 
chrétienne  qui  domine,  et  éclairera  bieut<"jt  ces  contrées.  Je 
ferai  les  expériences  du  pendide  aux  environs  du  couvent  où 
nous  sommes,  mais  en  plein  air;  le  couvent  ne  nous  offre, 
dans  son  intérieur,  aucune  base  assez  solide.  J'ai  déjà  fait 
plusieuis  expérientes  magiiéliques;  mais  je  les  multiplierai 

(1)  Au  Casbeck  (45*  degré  de  latit.)  elle  ne.  monle  qu'à  1C47  l.  Selon 
la  loi  descaiiés  des  cosi.iiis  des  latitudes,  la  ligne  des  neiges  de  l'Ararat 
ne  devrait  s'élever  qu'à  1822  1^  ,  et  par  conséquent  de  làS  t.  de 
moins  que  la  véritable.  M.  t^arrot  se  trouvant  à  l'Ararat  dix-sept  joiu's 
plus  lard  qu'au  Casbe.k  (qui  s'é!oig!ie  de  tr  .is  deg:é=  un  q  ia:lde  iatilude 
de  i'Aruiat),  ii  di  it  avuir  été  .sur  le  .souiinet  des  diniv  njjntai^'-cs  piécisé- 
Bienl  dans  la  même  saison  relative;  c'est  ce  qui  doit  faire  [.leférer  il 
toute  autre  l'observation  faite  au  Casbeck. 


■i-iH  ELIIOFF. 

et  les  répéterai,  pour  leur  donner  le  plus  haut  degré  d'exac- 
titude. Nous  séjournerons  ici  encore  trois  ou  quatre  se- 
maines. 

Ti/lis.  \"  décembre  1829.  — Demain  j'expédie  trois  de  uies 
camarades  pour  le  retour,  avec  les  iiistrumens  et  les  coUec- 
lions.  escortés  du  fuiéle  courrier.  M.  Behagel  et  moi  ferons 
encore  pin-rieurs  nivellemeiis  haromélriques.  Le  premier  sera 
H'ici  directement  à  Reduute-Knlé,  sur  la  mer  Noire,  pour  ré- 
duire tout  d'un  coup  nos  hauteurs  mesurées  au  niveau  de 
celte  mer,  sans  l'intermédiaire  de  la  mer  Caspienne.  De  Re- 
doute-Ralé,  je  retournerai  à  Tiflis,  pour  niveler  sa  distance 
jusqu'à  Bakou.  De  celte  ville,  nous  passerons  à  Astrakan,  et 
essaierons  de  percer  depuis  l'embouchure  de  la  Rouma  jus- 
qu'aux sources  du  Manillscli ,  autant  que  l'hiver,  qui  n'offre 
point  de  fourrages  ù  la  cavalerie  d'escorte  ,  le  permettra.  En- 
fin, je  m'efforcerai  de  gagner  le  tems  de  niveler  les  rives  du 
Volga  jusqu'il  Zarizin. 

SUÈDE. 

Travaux  publics  e.récuiès  en  Siii-ie  par  t' armée.  —  M.  Théo- 
dore Olivier,  l'un  des  fondateurs  de  VEcole  des  J ris  et  Ma- 
nn factures .  à  Paris,  et  l'un  des  professeurs  de  ce  précieux 
établissement,  a  fait  un  a*sez  long  séjour  en  Suède,  où  il  a 
visité,  en  i825,  les  travaux  de  la  forteresse  de  Vauas,  sur  le 
lac  "VN'etern  ;  il  a  inséré,  dans  les  Annales  de  rindustrie  fran- 
çaise et  étningère.,  une  notice  très-instiuctive  siu*  ces  travaux. 
Nous  croyons  devoir  transcrire  en  entier  les  réflexions  par 
lesquelles  il  débute,  et  les  faire  suivre  des  observations  qu'elles 
provoquenl,  aîjn  d'examiner  ce  qu'il  est  convenable  d'établir 
en  Fiauce,  avant  de  nous  occuper  de  ce  qui  se  passe  eu 
Stiède. 

«Dans  ce  moment,  l'industrie  fraî?.caise  jette,  non  sans  mo- 
tif, un  œil  inquiet  sur  les  coumiuuications  intérieures  du  pavs. 
De  tous  côtés  l'on  voit  apparaître  des  Mémoires  sur  l'état  de 
r.os  routes  et  de  nos  canaux;  plusieurs  ingénieurs  ont  publié 
leurs  olis^v.'rvations  sur  ce  sujet  important,  et  proposé  les 
moyens  cpTils  croyaient  les  plus  projires  à  empêcher  les  maux 
qui  ncuis  menai  enl.  >iolre  but  n'est  point  de  discuter  les  pro- 
jets proposés,  ni  d'en  exanjiner  la  valeur  réelle.  Au  reste, 
nous  ferons  observer  que,  iléjà  plusieurs  f<jis.  on  a  parlé 
dans  ces  derniers  tems  de  soldats  utiles  à  la  patrie  en  tems  de 
paix,  d'armée  employée  aux  grands  travaux  publics  ;  que  l'on 
ie*t  même  souvenu  que  les  légion''  romaines,  après  avoir  ron- 


SUEDE. 


229 


quis  un  pays,  y  étaient  employée:*,  pendant  les  loisirs  de  la 
paix  et  pour  consolider  la  conquête,  à  construire  des  route» 
militaires,  des  aqueducs,  etc.  Nous  avons  donc  pensé  qu'il 
serait  opportun  de  pul)lier  des  documens  aulhenli([ues  sur 
l'cuiiiloi  de  l'armée  suédoise  dans  les  travaux  publics.  Et 
d'ailleurs,  qui  ij^nore  que  l;i  grande  route  du  Simitlon  a  été 
exécutée  par  l'armée  française?  (|ue  des  bornes  niilliaircs  at- 
testeront il  la  postérité  que  U'.\  régiment  construisit,  en  telle 
année  ,  telle  partie  de  cette  route  mémorable  qui  a  aplani  les 
Alpes? 

«Que  de  travaux,  de  ports,  de  forteresses,  de  canairx,  de 
routes,  n'ont  pas  été  exécutés  ])ar  notre  grande  ar-mée: 
presque  tous  ces  travaux  furent  exécutés,  il  est  vrai,  sur  les 
terres  conquises;  létranger  en  jorrit  seul  maintenant,  et  sans 
doute  av»K-  dédain  ;  rierr  n'est  resté  à  notre  patrie.  Dès  lors  nos 
soldats  pourr-aienl-ils  ne  pas  employer  avec  plaisir  leurs  bi'as 
à  élever  sur  le  sol  de  la  patrie  des  monumens  utiles  que  tous 
les  Français  pourraient  coutenrpler ?» 

Arrêtons-nous  ici.  Quand  cessera-t-on  d'attribuer  aux  lé- 
gions romaines  les  constructions  qrr'elles  fiieiit  exécuter  par 
les  malheur-eux  habilans  des  pays  conqiris?  S'il  peut  être  utile 
de  conserver  sur  le  territoire  français  ces  traces  de  notre  an- 
cienne servitude,  c'est  apparemment  afin  qrre  nos  descendans 
connaissent  d'autant  mieux  le  hairl  prix  de  lindépendance  na- 
tionale, et  repoussent  avec  plus  d'iiorreur  l'idée  de  se  sou- 
mettre à  une  domination  étrangère  qui  les  gorrvernerait  mili- 
tairement, et  emploierait  leurs  bi  as  à  fair'c  des  roules  pour  ses 
soldats,  ties  aqirédrrcs  pour  ses  naumacbics,  etc.  Certes,  ce 
n'est  pas  en  cela  qu'il  iiorrs  convient  d'iriiiter  les  Romains. 
Mais,  sans  chercher  des  exemples  air  dehors  ou  dans  Je  passé, 
ne  pouvorrs-nous  contracter  l'habitude  de  faii'e  dériver  rros 
lois  et  nos  institutions  du  petit  nombre  de  principes  qui  for- 
ment à  peir  près  toirte  la  politique  des  nations?  Tant  que 
nous  n'aurons  qrre  des  lois  mal  r-aisonnées,  contr-aires  à  des 
vérités  irrcouirsiablès  et  fondamentales,  et  que  ces  mauvaises 
lois  ne  seront  pas  mieux  appliquées  qu'elles  n'ont  été  conçues, 
le  malaise  social  sera  la  conséquence  inévitable  d'uri  pareil 
état  de  choses.  Voyons  donc  quels  sont  les  principe:;  dont  on 
ne  peut  s'écarter  impunément,  lors([u'il  s'agit  de  l'organisa- 
tion d'une  armée  nationale. 

On  admet  en  France  deux  modes  de  recrutement  pour 
les  armées  :  les  engagernens  volontaires  sont  le  premier  mode, 
relni  dont  on  <*p  contenterait,  s'il  pouvait  sullir'e;  les  contin- 


25o  El  UOPE. 

gens  fourni*  par  les  (lep;iileniens,  quoiqu'ils  soient  la  piîncf-- 
pale  ressource  de  (onles  les  armes  el  la  pépinière  des  meil- 
leurs soldats,  n'obtiendraient  point  la  préférence,  si  l'or* 
trouvait  qnelqtie  mn\'cn  de  s'en  passer.  Il  semble  niTme  que 
les  doctrines  le  plus  généralement  professées  aujourd'juii  ten- 
dent a  ne  compo>Lr  les  armées  que  de  soldats  mercenaires ,  et 
font  peu  de  cas  des  hommes  que  les  lors  appellent  sous  les 
drapeaux,  liommes  qui,  dans  certains  cas.  pourraient  se  sou- 
venir qu'ils  ont  une  pairie  à  servir  et  à  défendre.  Jus(|u'à  pré- 
sent ou  n'a  point  senti  les  inconvéniens  de  ce  double  mode 
de  formation  des  corps  militaires,  dont  la  force  dépend  en 
grande  partie  de  leur  homogénéité  :  les  enrôlés  volontaires 
sont  en  trop  petit  nombre  pour  ne  point  disparaître,  a,hsorbés 
par  la  masse  des  soldats  appelés  en  exécution  des  lois.  Si,  par 
la  suite,  ces  deux  élémens  de  nos  armées  se  rapprochaient  de 
l'égalité  numérique,  on  se  déterminerait  probablement  à  les 
séparer,  et  à  former  de  chacun  des  corps  di.-tincts  entre  les- 
rpjels  ou  pourrait  susciter  une  louable  émulation,  au  lieu  de 
les  contraindre  à  supporter  paisiblejnent  une  association  cpie 
leur  origine  repousse.  En  attendant,  comme  nos  armées  sont 
prest|ne  entièrement  composées  de  soldats  réunis  sous  les 
drapeaux  en  exécution  des  lois,  c'est  pour  ceux-là  qu'il  s'agit 
de  résoudra,  la  quesliou  de  l'emploi  des  troupes  dans  les  tra- 
vaux publics. 

L'iuipôt  du  service  militaire  est,  sans  contredit,  le  plus 
onéreux  de  ceux  qui  pèsent  sur  les  contribuables  :  ajoutons 
qu'il  est  aussi  le  plus  inégalement  réparti.  Les  autres  taxes 
n'affectent  que  les  revenus,  et  pès»  nt  ''quitablement  sur  toutes 
les  fortunes  :  celle-ci  di-^pose  des  plus  belles  années,  del'.ive- 
nir,-d'im  petit  nombre  de  jeunes  gens  désignés  par  le  sort  pour 
acquitter  seuls  toute  la  conliibution,  tandis  que  tout  le  reste 
de  la  génération  virile  en  est  complètement  affranchi  ;  une  ré- 
partition aussi  vicieuse,  aussi  évidemment  contraire  à  toutes 
les  notions  de  justice  et  de  bon  gouvernement  ne  peut  être 
excusée  <iue  par  une  rigoureuse  nécessité,  par  l'impossibilité 
d'a"ir  auliemeiit.  One  doit  faire  le  b-rislateur  dans  ces  cas  où 
il  est  forcé  de  céder  à  un  pouvoir  au-dessus  i!es  principes  de 
morale  et  de  justice?  Alléger  autant  qu'il  est  possible  le  far- 
deau qu'il  ne  peut  faire  peser  que  sur  un  petit  nombre,  ne 
rien  exiger  au  delà  de  ce  qui  est  néce.'saire,  ne  pas  imposer 
d'autres  devoirs  que  le  noble  emploi  des  aimes  et  du  courage 
pour  la  défense  de  la  patrie.  S'il  reste  du  tems  au  soldat,  après 
l'accomplissement  de  ses  devoirs  militaires,  c'est  une  propriété 
qu'il  n'a  point  aliénée,  dont  aucinic  loi  n'a  disposé,  el  gu'on 


ne  peiil  lui  ravir  sans  la  plus  révoltante  injn-lice.  Un  teins 
viendra  peut-être  où  l'on  fera  mieux  (jue  ile  ne  pas  ag-;j;raver 
le  sort  (lu  soldat,  en  le  privant  du  tenis  (|u'il  pourrait  consa- 
crer à  se  préparer  im  avenir  lorsqu'il  rentrera  dans  ses  fovers; 
on  sentira  que  les  nations  n'aïupiiltent  point  lenrs  dettes  en- 
vers leurs  dél'enseurs,  en  leur  l'onrnissant  la  subsistance,  et 
rien  de  plus.  Si  l'on  médite  sur  la  meilleure  organisation  de  la 
force  publique,  on  sera  conduit  à  des  vérités  encore  inaper- 
çues, ou  tout-à-tait  hors  d'usage,  combattues  par  des  préjugés 
plus  puissans  que  la  raison  :  peu  à  peu  ces  vérités  seront  pro- 
clamées par  des  voix  élocjuentes  dans  l'enceinte  législative; 
reçues  avec  empressement  par  la  raison  publique,  elles  feront 
bientôt  partie  des  doctrines  professées  par  toutes  les  nations 
éclairées;  et  tôt  ou  tard  il  faudra  bien  que  les  gouvernemens 
s'y  conforment.  Si  nous  arrivons  un  jour  à  ce  degré  de  perfec- 
tionnement, il  ne  sera  plus  question  d'enjj)!oyer  l'armée  aux 
travaux  publics.  Et  même,  dans  l'état  actuel  de  nos  connais- 
sances, de  nos  opinions  et  de  nos  lois,  les  maximes  fondamen- 
tales de  l'organisation  dont  il  s'agit  sont  j)ressenties  par  'tous 
les  esprits  droits  et  toutes  les  intentions  patrioti(|ues,  en  dépit 
des  eiforts  que  font  encore  les  préjugés  pour  diriger  en  seiis 
contraire  les  opinions  et  les  actes  du  gouvernement.  C'est  à 
cette  cause  qu'il  faut  attriljuer  l'aifaiblissement  de  l'esprit  mi- 
litaire en  France.  Vous  faites  tout  ce  cp.ie  vous  pouvez  pour 
dépouiller  de  sa  dignité  le  titre  de  soldat  français;  et  vous 
vous  étonnez  qu'on  ne  veuille  plus  rester  sous  les  drapeaux  ! 

Encore  une  observation  sur  l'emploi  du  l'ai  mée  aux  travaux 
publics,  et  celle-ci  est  sévère;  vous  parlez  de  l'aire  creuser 
des  canaux,  des  ports,  etc.,  par  nos  soldats.  Si  les  bagnes  vous 
fournissaient  un  assez  grand  nombre  de  travailleurs,  vous  leur 
donneriez  la  préférence;  ainsi,  vous  suppléez  par  des  soldats 
aux  galériens  dont  vous  manquez!  Certainement,  M.  Olivier 
n'a  pas  aperçu  toutes  les  couî^équences  de  la  proposition  qu'il 
a  faite,  quoique  l'exemple  de  la  Suède  ait  pu  l'induire  en  er- 
reur. Qu'il  fasse  attention  à  la  différence  essentielle  entre  la 
constitution  militaire  de  la  France  et  celle  de  la  Suède,  et  il 
sera  pleinement  convaincu  de  la  nécessité  de  renoncer  à  faire 
chez  nous  ce  qui  réussit  au  delà  de  la  Baltique.  C'est  à  sa  ISole 
que  nous  empruntons  les  détails  snivans  : 

')  L'armée  suédoise  est  divisée  en  deux  parties  très-distinc- 
tes :  l'une  est  permanente,  elle  se  compose  d'hommes  qui  sont 
soldats  pendant  toute  leur  vie,  et  prend  le  nom  d'armée  m(i<;/ia; 
l'autre  se  compose  d'hommes  enrôlés  pour  un  tems,  et  prend 
Je  nom  d'armée  tarvat.  Les  deux  régimensdes  gardes  à  pied, 


a."3u  LUKOPE. 

le  régiriiciit  des  ganles  a  cheval ,  les  truis  régimen»  d'artillerfe- 
el  le  réj^inient  des  hussards  du  prince  royal  composent  Impar- 
tie variât  de  Tarmée  suédoise.  Il  y  a  environ  5'i.ooo  hommes 
d'infanterie  intUlia;  et  c'est  cette  Infanterie  seule  qui  est  appelée  à 
coopérer  à  l'errcution  des  grands  travati.r  d'ntHilé  puliliqae. 

»  Chaque  année,  on  désij;ne  les  ré;;inicns  qui  doivent  en- 
voyer des  Jioniuies  aux  travaux  pnbli(  s.  Les  régimens désignés 
envoient  cliacnn  à  peu  prés  le  même  nombre  d'iiommes,  et 
chaque  régiment,  à  tour  île  rôle,  fournit  son  contingent.  Les 
troujies  se  rendent  à  leur  destination  en  armes,  el  le  sac  sur 
ledos,  n'emportant  que  les  efl'cts  de  petit  é(juipement  militaire; 
pendant  tout  le  tems  quelles  sont  sur  les  travaux,  elles  sont 
exercées  au  maniement  des  armes  et  aux  évolutions  militaires 
le  dimanche,  dans  laprés-uinée. 

»  Le  nombre  des  oITiciers,  chargés  du  commandement  des 
troupes  envoyées  sur  les  travaux,  est  ordinairement  la  moitié 
de  celui  établi  par  l'organisât  ion  milita  ire.  Cependant,  suivant  les 
localités  et  le  genre  du  travail  a  exécuter,  ce  nombre  varie; 
il  est  réglé  par  des  ordres  particuliers  envoyés  aux  régimeii» 
au  moment  du  départ  des  troupes. 

»En  tout  ce  qui  regarde  la  discipline,  les  soldats  obéissent  à 
le;irs  ofTuiers.  C'est  par  eux  (ju'iis  sont  conduits  et  ramenés 
du  travail;  pendant  le  travail,  les  ofïïciers  surveillent  les 
soldats,  pour  s'assiuer,  soit  qu'ils  exécutent  avec  obéissance 
et  activité  les  tra^  aux  dont  ils  sont  chargés  ,  soit  qu'ils  n'entre- 
prennent pas  ou  que  les  ingénieurs  n'exigent  pas  d'eux  des 
travaux  au-dessus  de  leurs  forces,  et  qui  pouriaient  compro- 
mettre leur  santé.  Du  reste,  penrlant  les  heures  de  travail , 
les  soldats  sont  entièrement  sous  les  ordres  des  ingénieurs,  et 
dirigés  par  eux  seuls.  Les  heures  de  travail  et  de  repos  sont 
indiquées  militairement. 

))  L'organisation  de  l'armée  indelta  est  due  à  Charles  XI,  qui 
fut  un  roi  habile  et  un  bon  atlministrateur.  Dans  chaque  pro- 
vince, ily  a  un  ou  deux  régimons  cantonnés  a  perpétuité.  Cha- 
que ollicier  a  sa  métairie  [hostcl)  qu'il  fait  valoir,  et  dont  le 
revenu  forme  la  solde  de  son  grade.  Cha<|ue  soldat  a  une 
chaumière,  et  un  coin  déterre  (torp)  assez  grand  pour  qu'il 
puisse  suflire  à  ses  besoins.  Il  reçoit  du  goiivornement  l'équi- 
pement militaire.  Une  conipagnie  est  cantonnée,  soldats  et 
officiers,  autour  d'un  village.  Tous  les  dimanches  la  compa- 
gnie se  met  sous  les  armes,  et  manœuvre. 

«Chaque  année,  pendant  trois  semaines,  le  régiment  se 
rend  au  champ  de  manœuvie,  et  campe.  Quelquefois,  deux. 
«MI  Un  plus  grand  iionibre  de  rétiniens  se  réunissent  pour  exé- 


SI  KDE.  —  ALLKM AGM: .  233. 

fiitcr  lie  grandes  inaiiœuvies-  Pendant  tout  le  tcms  que  les 
soldats  passent  sous  la  tonte,  ils  reçoivent  du  gouvernement  les 
vivres  de  campagne.  Par  la  même  raison,  pendant  le  teuis  que 
les  soldats  sont  occupés  aux  travaux  publics,  ils  leçoiveut, 
comme  en  tems  de  guerre,  les  rations  de  vivres.  Mais,  pres- 
que toujours,  le  soldat  appelé  aux  travaux  publics  reçoit 
ses  rations  en  argent,  parce  que  les  localités  permettent  rare- 
ment d'établir  des  ma;;asins  provisoires. 

«C'est  le  roi  qui  ii'g'.e,  suivant  les  lieux  où  s'exécutent  les 
travaux,  l'indemnité  ou  solde  [briing^  que  chaque  soldat 
doit  recevoir  par  jour.  Cette  solde  varie,  parce  que,  pour  l'é- 
tablir, on  consulte  les  matricules  des  prix  des  denrées  dans 
l'endroit  où  le  soldat  doit  séjourner. 

«Chaque  soldat  peut,  après  avoir  terminé  le  travail  exigé, 
el  fourni  s»  journée,  prendre  à  son  compte  un  supplément  de 
travail  pour  lequel  il  fait  prix  de  gré  à  gré  avec  ringénieur. 
La  solde  de  ce  travail  se  nomme  ofvir  beting,  et  forme  ses  bé- 
néfices. ■) 

Les  détails  exposés  dans  le  reste  de  la  note  font  sentir  le  hesoin 
de  mieux  connaître  tout  ce  qui  concerne  l'iulanterie  indtUa  de 
l'armée  suédoise;  mais  il  est  assez,  évident  que  la  France  ne 
peut  adopter  aucune  institution  militaire  qui  soit  analogue  à 
celle  de  cette  infanterie,  et  que,  si  nous  prenions  la  Suède 
pour  modèle,  ce  serait  pour  imiter  l'organisation  et  l'emploi 
de  son- armée  varvat ,  qui  n'est  point  chargée  de  travaux  pu- 
blics. 


ALLEMAGNE. 


Beblin.  — Société  de  géographie.  —  Cette  Société  a  tenu  sa 
dernière  séance  le  6  juin.  Le  célèJjre  géographe  C/i.  Ritter 
y  a  !u  des  notices  sur  la  race  des  nègres  qui  habitaient  autre- 
fois dans  les  montagnes  de  l'Himalaya,  et  sur  les  masses  de 
fer  météorique  trouvées  dans  TLide  et  en  Arabie.  Il  a  égale- 
ment présenté  une  copie  de  la  carte  du  géographe  arabe 
lin  al  Wardi,  d'après  le  dessin  de  M.  Jobannsen. 


20-4 


El  ROPE. 


DOCUMEXS  RELATIFS  A  LA  STATISTIQUE  MOUALE  DE  L.t 
MONARCHIE  PRUSSIENNE. 

(Voy.  t.  XLvi,  p.  494  et  P-  79i') 
10.   Crimes  et  Délits. 

a.  Tableau  dos  crimes  et  ilèlils  eotn  mis  dans  la  monarchie  prussienne  en  iSij, 
distin"ucs  en  crimes  el  délits  cominis 


Pbovircks. 


ISrandeboiiig 

Poniéraiiic 

Prusse 

Posea 

Silésic 

Saxe 

Westplialic 

Provinces  rliéiianes. 

Les    anciennes    pro- 
vinces sans  les  pio- 
,  vinces  du  Itliin.  .  . 

ToTAr,  de  toiile  la 
nionaichic  prus- 
sienne   


Contre 

les  personnes. 

— i-i^' 

— . 

-. 

en  général 

sur 

cent 

l(j6 

16 

45 

10 

1  10 

10 

65 

'7 

'ji.> 

12 

lôo 

6 

60 

4 

lin 

j> 

827 

9 

0'->7 

8 

Contre 
les  propiiétés. 


1,030 

''99 
1,045 

5oi) 
ivi74 

2,1..J 
1,.)42 

5,5o7 


8,o4t> 


84 
9^ 

85 

88 
94 

97 


ToTj 


'>2J9 

444 

i,i55 
565 

iv-97 
2,267 
i,6o'i 
5,4.7 


8,870 


1j.  Tableau  des  crimes  el  délits  commis  dans  les  anciennes  provinces  de  lu 
monarchie  prussienne  pendant  l'année  1S26,  ovce  l'indication  de  leur  pro- 
portion relulivemcnt  au.v  personnes  et  au.v  propriétés,  et  de  leur  rapport  à 
la  population  existante  dans  la  même  année. 


aovi.\CKS. 


Hrandebourg, 
Poméranie .  . 
Prusse.  ..... 

Posen 

Silésie 

Saxe 

Wcst^IiaHe.  . 


Toi 


Population 
en   1S26. 


1,52.5,000 
862,000 

2,05o,0()0 

I  ,i't)7,oo(i 

2,522,(100 

1 ,578,001 
1 ,200,0111 


10,584,000 


Crimes 

— 

-^---  _-= 

-^^^ 

ronirr 

lis  |itr- 

!.■>  pro 

..  '   ■  -1 

.o„nis. 

piiélis. 

^ 

888 

2,69g 

5,587 

284 

62C 

C)10 

1,272 

"^97'' 

5,24  s 

7'^- 

I,25c) 

''97^ 

1 ,780 

5,280 

5,.65 

1  ,Gio 

2.579 

4,189 

676 

1,520 

2,190 

7,246 

1 5,9-4 

25,170 

des  orinn-s  et  dôliti» 

entre  eux  :  sur 
100  crimes  el  dtliis 


les  pe: 

sonne 


2  5 


^7 
55 
58 


roulrc 
les  pro- 


7G 
-5 

63 
65 
61 
69 


'^9 


hahil. 
425 

087 
540 

458 
029 

■'47 


448 


ALLEMAGNE.  a35 

c.  Tableau  général  offrant  le  nombre  des  personnes  condamnées  à  mort  dans 
toute  ta  monarchie  prussienne,  depuis  iSiS^HSc/u'cn  iBij  inclusixement, 
en  (tislin-^uant  les  sentences  r/iii  furent  confirmées  de  celles  oh  la  peine  de 
mort  a  été  comniuùc. 

1"  Par  PuoviiNCns. 

De  )8iS  à    1827  inclusivement. 


Brandeb. 

Pomérai 

ie.! 

Prusse. 

Pose». 

Sllésie. 

Saxe. 

WesIpliMic' 

Prû>.  rhén. 

^ 

i 

1 

1 

1 

S 

c 

n 
0 
H 

c 
o 

II 

Jjl 

1 

w 

% 

1 

§ 

n 
H 

Û 

Û 

1 

"tï 

l 

i: 

J 

0 
0 

0 

— 

— 

— 

i 
1 

— 

! 

1 

- 

— 

— 

- 

— 

- 

— 

~ 

— 

- 

- 

— 

ïS 

•  4 

3a 

6 

' 

1 

5 

L 

u8 

i5  5:- 

9 

8 

'7 

1 5 

1 2 

27 

7 

7 

»4 

4 

f) 

11 

10 

60 

70 

î°     TuTAL    GÉNÉRAL, 

Avec  la  distinction  du  sexe  des  condamnés 


Sentences  cor.fi 

iméi's. 

Coniimiée 

■^. 

Total. 

w 

1       .. 

!n 

1       " 

E 

= 

.- 

s 

5 

= 

c 

rt 

c 

s 

0 

S 

S 

C 

^ 

— 

3 

c 

H 

0 

H 

^ 

i; 

H 

cd 

b 

— 

^ 

77 

10 

87 

87 

56 

1  25 

164 

4(i 

aie 

5"   Résumé  général  avec  le   rapport  des  exécutés   et  des  graciés  a  la 

POPtLATlQ.N. 


De  1818  à  1827. 


Dans  les  anciennes  provinces. 
Dans  les  provinces  rhénanes. 
DaiiiS  toute  la  monarchie 


124,096  i52,625 
2^7,100  Ô9,îi- 
i55,4i4     ;,-''578o 

(  La  s  aile  au  Cahier  prochain  ) 


Nombre  d'hahilans 
pour  une  condamnation 

•oiifirmée.  comnînèf.   en  générai 


68,688 
53,871 
56, 100 


a:î6  KIROPE. 

ITALIE. 

Ti'RiN.  —  Académie  des  sciences:  Section  des  sciences  morales, 
historiques  et  philologiques. — L'Académie  propose,  pour  sujet 
(Je  priv,  un  travail  sur  les  Institutions  municipales  en  Italie^ 
depuis  la  chute  de  l'empire  d'Occident,  en  ^çG,^  jusquà\a.  fin 
de  la  doniinatson  de  la  maison  de  Souabe  (Ho]ien.->tau(en),  en 
1224-  Ou  demande  i  "  des  détails  sur  l'état  des  dernièies  ins- 
titutions municipales  romaines,  et  sur  les  chanp;eniens  qu'y 
firent  tour  à  tour  les  Goths,  les  Grecs,  les  Lombards,  etc., 
pendant  que  l'Italie  était  une  proie  que  se  di-puiaicnt  des 
princes  italiens,  français,  allemands,  et  enfin  sous  les  empe- 
leiM's  et  rois  des  maisons  de  Frauconie  et  de  Souabe;  2°  une 
analyse  des  historiens  qui  ont  parlé  de  la  destruction,  soit 
entière,  soit  partielle,  de  ces  institutions  romaines;  on  indique 
spécialement  Si^onio,  Funiagalli,  Lupi,  Sismondi,  Muratori, 
Savigny,  Lro.  Pagnoncelli  Les  Mémoires,  écrits  en  italien, 
latin  ou  i'ranrais,  devront  être  rcmi^  avant  la  fin  d'octo- 
bre 1802.  Le  prix  est  une  médaille  d'ordela  valeur  de6oo  lires. 

GRÈCE. 

Etat  de  renseignement  primaire  en  Grèce.  —  Nous  avons  plu- 
sieurs fois  entretenu  nos  lecteurs  de  cet  objet  important  pour 
un  pays  où  tout  est  à  créer,  les  hommes  et  les  choses.  La 
publication  d'un  document  oiriciel  nous  fournit  l'occasion 
d'y  revenir,  et  nous  la  saisissons  volontiers.  La  génération 
grecque  actuelle,  habituée  à  la  guerre,  est  peut-être  inhabile 
à  seconder  l'établissement  de  l'ordre  et  à  goûter  le  calme  de 
la  paix  :  il  s'agit  il'en  former  une  autre  plus  en  harmonie  avec 
l'avenir  probable  de  la  Grèce.  Il  faut,  eu  un  mot,  faire  l'édu- 
cation d'iMi  j)eiiple.  Parmi  ceux  qui  s'y  emploient  avec  ardeur, 
nous  remarquons,  non  sans  une  vive  satisfaction,  un  de  nos 
compatriotes,  .M.  Dulrdnc,  dont  nous  avons  plusieurs  f'MS  si- 
gnalé les  utiles  travaux  et  le  zèle  pour  la  régénération  de  la 
Grèce.  C'est  à  lui,  en  grande  partie,  qu'est  dû  l'état  satisfai- 
sant de  riiisiruclion  pui)lique  tel  qu'il  est  exposé  dans  le  rap- 
port suivant  fait  au  président  par  le  secrétaired'Etat,  Chryso- 
gclos.  Cette  pièce  est  datée  du  26  février  (10  mars)  i85o. 

RiPPOBT. —  «  En  exécution  des  ordres  de  V.  Exe,  le  se- 
crétaire pour  les  affaires  ecclésiastiques  et  pour  l'instruction 
publi(|ue  a  l'honneur  démettre  sous  vos  yeux,  M.  le  président. 
l's  nnseignemens   qu'il  a  recueillis  ju-^qu'à  ce  jour  relative- 


•     CRÉCF.  àSy 

ment  aux  écoles  de  langue  grecque  et  à  celles  d'enseignement 
mutuel  qui  se  trouvent  établies  dans  l'Etat. 

»  Ces  renseigneuiens,  d'une  part  puisés  dans  les  rapports 
que  les  couunissaires  exlraordinairos  et  les  gouverneurs  pro- 
visoires ont  faits  au  gouvernement,  en  se  conformant  à  la 
circulaire  qu'il  leur  avait  été  adressée,  en  date  du  5  octobre 
dernier,  et  d'un  autre  côté  confrontés  aAcc  les  catalogues  des 
maîtres  et  a\ec  les  indications  données  par  des  particuliers  ù 
portée  de  connaître  la  situation  de  ces  établissemens,  ont  été 
consignés  dans  un  registre  ad  Itoc.  Ce  registre  contient  le  ca- 
talogue des  écoles  de  langue  grecque  et  de  relies  d'enseigne- 
ment mutuel,  le  nom  des  m-.ulres  de  chacuive  d'elles,  riudi-r 
cation  du  traitement  de  ceux-ci,  les  fonds  accordés  par  le 
gouvernement  pour  la  fondation  et  l'entretien  de  ces  établis- 
semens, enfin  les  contributions  payées  par  des  particuliers. 

»  D'après  le  tableau  sommaire  que  j'ai  l'honneur  de  trans- 
mettre à  V.  Exe,  elle  verra  qu'il  se  trouve  établi  :  i"  dans  le 
Péloponèse,  dix-huit  écoles  pour  la  langue  grecque,  conte- 
nant        6f)4  élèves. 

Vingt-cinq  écoles  d'enseignement  mutuel,  con- 
tenant   1,768 

f)ans  les  îles  de  l'Archipel,  y  compris  l'Orpha- 
notrophe  et  l'école  centrale,  trente-une  écoles 

pour  la  langue  grecque lîji'i 

Trente-sept  d'enseignement  mutuel 5,G5o 

Total,  cent  onze  écoles,  renfermant  .  -.   .    7,824  élèves. 

Quand  à  la  Grèce  continentale,  le  lieutenant  plénipoteu- 
fiaire  vient  de  fonder  à  Lépante  une  école  pour  la  langue 
grecque,  et  rédifice  qui  se  construit  pour  le  même  objet  à 
Missoionghi,  aux  frais  du  gouvernement,  va  bientôt  être 
achevé.  Ainsi  V.  Exe.  se  convaincra  que  les  Grecs,  à  peine 
rentrés,  depuis  son  arrivée,  dans  leurs  habitations,  s'empres- 
sent parlou-t  avec  une  égale  ardeur  à  concourir  de  tous  leurs 
moyens  à  la  fondation  des  écoles. 

»  Les  re-sotirces  que  la  sollicitude  de  V.  Exe.  a  procuiées 
à  ces  établissemens,  les  mesures  qu'elle  a  bien  voulu  aJopter 
pour  les  assujettir  à  des  régies  uniformes,  la  fondation  d'ime 
école  centrale  où  viennent  déjà  se  former  les  instituteurs  qui 
doivent  les  diriger,  le  zèle  enfin  que  des  citoyens  hellènes, 
domiciliés  en  Grèce,  ou  dans  l'étranger,  mettent  à  encoura- 
ger l'instruction,  garantissent  à  la  nation  des  progrès  rapides 
vers  les  lumières,  qui  constituent  le  principe  vital  do  toute 
société.  I- 


■25K  FKANCK. 

FRANCE. 
PARIS. 

Institut.  —  Académie  des  Sciences.  —  Jcillet  i85o.  — 
M.  Caichy  l'iiit  un  rapport  sur  un  iMénioiie  de  W.  Ch. 
Stbum,  intitulé  :  licyumc  d'une  nouvelle  Théorie  relative  à  une 
clause  de  (onctions  Iranfcendanles ;  nous  en  donnons  les  conclu- 
sions. «  M.  Sturni  s'est  conteiité  !e  plus  souvent  d'énoncer  les 
propositions  auxquelles  il  est  parvenu.  Ayant  vérifié  un  grand 
nombre  de  ces  propositions,  nous  les  avons  trouvées  parfaite- 
iTient  exactes,  et  nous  pensons  que  le  nouveau  Mémoire  de 
ftl.  Sturm  est  très-digne  de  l'approbation  qui  a  été  accordée 
aux  autres  ouvrages  de  ce  jeune  savant.  En  conséquence 
nous  proposons  à  l'Académie  d'insérer  ce  Mémoire  «lans  le 
recueil  des  savans  étrangers.  «  (  Approuvé.  )  —  31.  CauCiit 
présente  un  nouveau  Mémoire  sur  la  détermination  des  racines 
primitives.  Il  annonce  qu'il  se  proposait  de  revoir  ce  Mémoire 
rédigé,  il  y  a  plusietu-s  mois.  Maisuu  journal  scientifique  ayant 
annoncé  que  d'autres  personnes  s'occupent  du  même  sujet, 
il  se  borne  à  présenter  la  rédaction  primitive  ;  sur  sa  de- 
mande, ce  iMémoire  sera  paraphé  par  un  des  secrétaires.  — 
MM.  Geoffroy-Sainl -H ilaire  et  Serres  font  im  rapport  sur  une 
noti'  de  M.  le  D'  Dii'oirqiet,  conceinant  un  enfant  double,  du 
gc\irG  iscliiadclp/ic,  né  à  Salies  (Basses-Pyrénées),  dans  les  der- 
niers jours  de  mars.  Cemonstre  présente  l'idée  de  deux  enfans 
réunis  et  collés  sur  une-  ligne  circulaire  qui  partirait  du  bour- 
relet des  anus  et  passerait  sur  les  pubis,  de  telle  manière  que 
la  peau  des  deux  ventres,  en  s'agglulinanl ,  a  caché  les  or- 
ganes sexuels,  et  que  les  deux  enlans  ne  semblent  avoir 
qu'un  abflomcn  commun  et  n'ont  qu'un  seul  cordon  ondji- 
lical. 

—  Séance  du  l'j,  juillet  iS5o.  —M.  Guiltaume  Libri  présente 
une  note  contenant  une  formule  qui  domic  en  nombres,  diiec- 
leiiieiit  ou  d'une  manière  générale,  Ic-^  racines  primitives  d'un 
nomi)re  premier  quel(on;|ue.  (MM.  Poisson,  Caiicliy,  commis- 
saires. )  — L'Académie  procède  au  scrutin  pour  la  nomination 
d'im  candidat  à  la  cluiiietle  l'Ecole  de  pharmacie;  sur.jj  vo- 
tans,  M.  Soubeiran  obtient  26  voix,  M.  ('aventou  1  i  ;  la  nomi- 
nation de  W .  Soulieiran  sera  adressée  au  ministre.  M.  Chevallier 
avait  renoncé  à  la  candidature.  —  M.  Di'puvtren  pi'éseule  à 
l'Académie  un  enfant  âgé  de  10  à  12  ans,  lequel,  par  suite 
d'une  inflaumiation   gangreneuse    à   la   face,   avait  perdu   la 


PAJIIS.  aT.9 

rommissure  des  lèvres,  une  partie  de  la  lèvre  supérieure,  la 
totalité  de  la  joue  et  la  majeure  partie  de  l'os  maxillaire  infé- 
rieur du  côté  droit.  Ces  pertes  de  substances  étaient  accom- 
pagnées d'un  écoulement  involontaiie  de  la  salive  et  des 
alimens,  d'impossibilité  de  former  aucun  son  articulé  et  d'un 
déplacement  de  la  langue  qui  pendait  jusque  sur  la  partie 
moyenne  du  cou  sans  jamais  pouvoir  être  ramenée  dans  la 
bouche.  Ces  difl'ormités  et-ces  incommodités  avaient  fait  ex- 
clure le  malheureux  enfant  de  toute  réunion  publique;  son 
existence  semblait  être  arrivée  au  dernier  terme;  il  fallait 
venir  à  son  secours,  sous  peine  de  le  voir  périr  d'inanition. 
Après  de  mûres  réflexions,  M.  Dupujtren  s'arrêta  à  l'idée  de 
faire  un  emprunt  à  la  peau  du  cou,  pour  réparer  la  perte  de 
substance  et  corriger  la  difformité  <Ie  la  face.  Api'ès  trois  opé- 
rations successives,  rendues  nécessaires  par  des  accidens  iiidé- 
pendans  de  la  méthode  employée,  l'enfant  a  été  guéri  de  tout 
écoulement  involontaire  de  la  salive,  des  alimens,  de  toute 
difformité  produite  soit  par  la  chute  de  la  langue  sur  le  cou, 
Sf)it  par  la  destruction  delà  joue,  et  quoi([u'assurément  la  face 
ne  soit  pas  des  plus  régulières,  elle  n'offre  rien  de  repoussant. 
—  iM.  Arago  met  sous  les  yeux  de  l'Académie  un  Mémoire 
de  grogrtip/iie  nudhernotu/ue  de  J/.  Pentland,  contenant  les  lon- 
gitudes et  les  latitudes  des  points  les  plus  remarquables  de  la 
partie  du  Haut-Pérou,  qui  maintenant  porte  le  nom  deliolioia. 
Ces  déterminations  ont  été  obtenues,  en  182(1  et  1827,  pen- 
dant un  voyage  que  M.  Peutland  a  fait  en  Amérique  par  les 
ordres  du  gouvernement  anglais.  Les  instruniens  dont  il  était 
muni  sont  :  un  excellent  sextant  de  Troughton  ;  un  sextant  à 
tabatière;  un  cercle  à  réflexion;  un  horizon  artificiel  à  mer- 
cure; deux  chronomètres  de  poche  d'Arnold  et  iloskeil,  et 
une  collection  complète  de  baromètres,  thermomètres  et  hy- 
gromètres. Les  latitudes  ent  été  déterminées  par  des  hauteui's 
circumméridiennes  des  étoiles  situées  au  nord-est  et  au  sud 
du  zénith  ;  les  longitudes  de*  prii^ipaux  points  se  fondent 
sur  de  nombreuses  observations  des  distances  de  la  lune  aux 
étoiles.  Il  résulte  du  travail  de  .AL  Pentland  ([ue  les  cartes  de 
l'intérieur  du  Pérou  doivent  être  complètement  refondues. — 
M.  Arago  met  sous  les  yeux  de  l'Académre  l'extrait  d'un  tra- 
vail que  >L  Qi  ÉTELET,  directeur  de  l'Observatoire  de  Bruxelles, 
lui  a  remis,  et  qui  concerne  les  degrés  successifs  de  force  qi.i'ane 
aiguille  d'acier  reçoit  pendant  les  frictions  mu.tiples  qui  servent 
à  l'aimanter.  L'auteur  a  trouvé  que  toutes  ces  forces  sont  re- 
présentées par  une  formule  exponentielle  contenant  trois 
constantes,  en  sorte  que,  si  l'on  a  ol.servé  riiileii?ité  du  ma- 


a4o  IHANCK 

gnétisuie  de  l'aiguille,  après  une.  deux  et  trois  frictions,  par 
exemple,  on  peut  cnlcnler  ce  qu'elle  sera  après  quatre,  cinq, 
dix,  vingt,  etc.  En  étudiant  ensuite  la  manière  «lont  le  ma- 
gnétisme d'une  aiguille  se  renverse  quand  on  le  frotte  en  sens 
contraire  avec  les  mêmes  barreaux  qui  d'abord  avaient  serri 
a  l'aimauter,  M.  Quételet  a  rccoun'i  fjue  la  charge  madimum 
■devenait  de  plu;  eu  plus  faible  à  mesure  que  le?  renversemens 
semullipliaiciil.  Ainsi,  après  rainiiMilalion  primitive,  Taiguille 
oscillait  plus  vite  qu'à  la  suite  du  premier  renversement  ;  mais 
cette  dernière  l'orce  à  son  tour  surpassait  celle  dont  l'aiguille 
•était  douée,  quand,  de  nouvelles  frictions  ayant  encore  ren- 
versé les  pôles,  elle  se  trouvait  revenue,  du  moins  pour  le  ^ens 
<le  l'aimantation,  à  l'élat  initial,  et  ainsi  de  suite.  Au  reste,  ces 
diflereuces  aiiaieut  continuellement  en  s'aiTaiblissant,  et,  sui- 
vant toute  apparence,  elles  auraient  fini  par  devenir  insensibles. 
—  >1.  Arago  communique  une  lettre  dans  laquelle  M.  Dac- 
Bi'issoN ,  correspondant  de  l'Académie,  rend  compte  d'expé- 
riences qu'il  a  faites  à  Toulouse  avec  M.  Castel  pour  résoudre 
ces  trois  questions  d'Iiydr au U que  :  i" .  Sous  de  petites  charges  .  le 
coë/ficientdc  ta  contraction  de  laveine  fluide  au^mente-t-il  lorsque 
la  charge  diminue,  comme  on  le  supposait  déjà?  La  répt)nse  est 
aflirmative.  2°.  Le  coL/ficient  propre  aux  orifices  rectangulaires 
allongés  esl-il  len}ême  que  celui  des  orifices  circulaires  ou  carrés, 
ainsi  qu'on  l'admet  généralcmmt?  L'expérience  a  répondu  né- 
gativement. 5°.  La  dépense  par  un  orifice  est-elfe  affaiblie  si, 
dans  le  voisinage  du  premier,  il  en  existe  d'autres  au  irav:rs  des- 
quels le  liquide  puisse  aussi  couler?  Pour  de  petites  charges, 
cette  influence  que  divers  orifices  voisins  pourraient  exercer 
les  um'  sus  les  autres  n'a  pas  lieu.  Si  les  expériences  de  ce 
genre  faites  sur  les  empèlem'ens  des  portes  d'é<  luse  du  canal  du 
infdi  sont  exactes,  on  a  eu  tout  au  moins  tort  d'en  généraliser 
les  résultats.  —  M.  Cacchy  lit  un  Mémoire  sur  la  théorie  des 
nombres.  —  M.  Crvien  lit  un  jSlànoire  sur  quelques  ossemens 
qui  paraissent  appartenir  d  un  oiseau  dont  l'espèce  a  été  détruite 
seulement  depuis  deu.r  sicrles.  Cet  Oiseau  habitait  l'île  Maurice 
à  l'époque  -où  les  Européens  s'y  sont  établis.  M.  Cu\ier  trouve 
ijue  ses  restes  donnent  des  preuves  suflisantes  que  cet  oiseau 
-.nppartenait  à  Tordre  des  gillinacées.  Oes  restes  ne  ^ont  point 
pétrifiés,  mais  seulement  recouverts  d'ime  légère  incrustation 
-calcaire.  Leur  décomposition  n'est  pas  grande,  en  sorte  qu'on 
peiU  les  considérer  comme  avant  été  deposé>  à  l'époque  géo- 
logi(|ue  actuelle.  —  M.  de  Bï.ainville  fait  l'observation  que, 
^lepnis  plusieurs  années,  il  s'est  occupé  d'un  travail  sur  le 
J)ni)o.  pour  lequel  il  a  fait  l'aire  trois  plauches.  qu'il  met  .*ous 


TAIUS.  2^, 

1.ÎP  yeux  de  rAcadéniie.  Ile.st  «rrivé  à  ce  leMiltat  (|iio,  suivant 
lui,  c'était  un  vautour  et  non  un  gallinaeé.  ni  un  manchot 
comme  l'ont  voulu  quelques  auteurs.  H  se  prop')se  de  lire  son 
IMenioire  dans  la  séance  prochaine.  —  :\I.  Geoffroy-S  uxt- 
HiLAiRE  présente  aussi  quelques  oliservations  au  sujet  du  Dodo 
La  disparition  complète  de  cet  oiseau  lui  rappelle  qu'on  trouve 
aujourd'hui  des  momies  entières  de  crocodiles  qui  ne  res- 
semblent pas  à  ceux  qui  peuplent  actuellement  le  Nil 

—  Séance  du  19  juillef.  —  M.  Peltier  annonce  avoir 
applique  le  galvanomètre  à  la  mesure  du  produit  des  piles 
sèches,  et  que  les  piles  de  20  à  3o  couples  lui  ont  donné  le 
ma.rawnn  de  déviation  de  i5  à  24  dci^^rés;  qu'à  200  couples 
Il  y  a  a  peine  de  /i  ou  4  degrés;  que  de  600  à  mille  il  n'y  a 
de  sensibmte  que  par  intermittence.  En  réunissant  au  con- 
traire les  pôles  de  même  nom,  il  a  rougi  la  teinture  du  tour- 
nesol avec  00  piles  de  5o  élémens,  et  réduit  du  nitrate  de 
cuivre.  Le  galvanomètre  augmente  de  déviation  dans  le  rap- 
port du  nombre  de  piles.  Avec  une  pile  de  4.,  élémens  de  six 
pouces  eu  carre,  il  a  rougi  en  trois  heures  la  teinture  de  tour- 
nesol, et  le  galvanomètre  marquait  80  degrés.  —  MM.  Che- 
vallier et  Payes  adressent  de  nouvelles  observaticus  sur  les 
moyens  à  mettre  en  usage  pour  prévenir  les  faux  en  écriture.  Ils 
proposent  d'introduire  dans  la  pâle  du  papier  destiné  à  porter 
le  timbre  une  substance  colorante  qui  puisse  rési.>ter  à  l'ac- 
tion de  l'air,  de  l'humidité  et  des  autres  causes  qui  agissent 
sans  le  concours  de  l'homme  sur  le  papier  ordinaire,  mais  qui 
serait  susceptible  de  se  décolorer  lorsqu'on  altérerait  le  pa- 
pier pour  couimetire  un  faux.  (Renvoyé  à  la  commission  déjà 
nommée.)— Sur  la  demande  du  ministre  de  l'instruction  pu- 
blique, la  section  de  physique  est  chargée  de  fournir  des  expli- 
«ations  sur  certains  points  de  son  instruction  sur  les  paraton- 
nerres, et  notamment  snr  la  distance  à  laquelle  ils  doivent  être 
placés  les  uns  des  autres.  — M.  le  docteur  Foxtaneilles  adresse 
deux  insectes  rendus  par  une  de  ses  malades  à  la  suite  de  pilu'es 
purgatives.  «Ayant  observé  ces  <leux  insectes  au  microscope, 
dit  ce  médecin  dans  sa  lettre,  il  m'a  paru  leur  reconnaître  les 
caractères  d'une  espèce  de  chenille  arrivée  au  commencement 
de  sa  métamorphose  en  chrysalide  ;  ils  ont  ù  peu  près  un  pouce 
de  longueur.  Leur  peau  e^t  assez  dure  et  luisante,  le  museau 
est  rond  et  ressemble  à  celui  du  ver  à  soie.  Je  crois  avoir 
distingue  six  rangs  de  |.attes  inférieures.  »  f  M.  Z>/»nm7,  com- 
missaire.)—MM.  CrviER  et  de  Blainville  font  un  rapport  sur 
le  Mémoire  de  M.  Dtjgès,  contenant  quelques  observations 
nouvelles  sur  les  planaires  et   genres  voisins.  Ce   travail,  qui 

T.    XLVIl.   JUILLET   1  83o.  10 


offre  beaucoup  d'intérèl,  sera  imprimé  dans  le  Recueil  des  sa- 
vans  étrangers.  —  M.  CAtciiY  présente  un  Mémoire  sur  la  dis- 
persion de  la  lumière. 

—  Séance  publique  du  2G  juillet.  —  Prix  décernés.  —  1".  Le 
grand  prix  de  mattiématiques,  consistant  en  une  médaille  d'or 
de  trois  mille  francs^  que  l'Académie  avait  proposé  pour  celui 
des  ouvrages,  ou  manuscrits  ou  imprimés,   qui    présenterait 
l'application  la  plus  importante  des  théories  mathématiques , 
soit  à  la  physique  générale,  soit  à  l'astronomie,  ou  qui  con- 
tiendrait une  découverte  analytique  très -remarquai)le,  a  été 
partagé  entre  la  famille  de  feu  de  M.  Abel,  de  Christiania,  et 
M.  JACOBr,  professeur  de   mathématiques    à  Kœnigsberg.  — 
2".  Le  sujet  du  grand  prix  des  sciences  naturelles  était  une  des- 
cription anatomiquc  des  nerfs  des  poissons;  l'Académie   n'a 
icçu  qu'un  seul  Mémoire  rédigé  en  latin,  et  accompagné  de 
dessins  du  fini  le  plus  précieux,  qui  représentent  la  distribu- 
tion des  nerfs  dans  le  sandre  (  perça  lucioperca  )  ,    le  brochet 
[eson    lucius  )  ,    et  la    lamproie    [  petromy^on  inarinus.  )    Ce 
Mémoire  contient  des  observations  excellentes  et  une  histoire 
presque  aussi  complète  qu'il  était  possible  de  l'attendre  des 
nerfs  des   dAix   premières   espèces;  mais   cette   histoire  est 
beaucoup  moins  parfaite  pour  la  troisième  espèce,  ainsi  que  le 
rédacteur  lui-même  le  reconnaît.  Néanirioins  l'Académie,  dans 
la  vue  de  contribuer  au  perfectionnement  de  ce  travail  et  à  sa 
publication,  lui  accorde,  à  titre  d'encouragement,  la  somme 
entière  de  quatre  mille  francs,  consacrée  au  prix  proposé.  — 
5°.    Prix  d'astronomie.   L'Académie    décerne   cette    année  la 
médaille  fondée  par  iM.  Dcîalande,  à  M.  Gambart,  directeur 
de  l'Observatoire  de  Marseille,  quia  aperçu  le  premier  la  nou- 
velle comète  de  i85o,  l'a  observée  avec  le  plus  grand  soin,  et 
a  déterminé  les  èlémens  ])araboliques  de  son  orbite.  Elle  a  dé- 
cerné fleux  autres  médailles;  l'une  à  >L  Gambey,  à  qui  l'Ob- 
servatoire de   Paris  est  redevable  d'une  magiiifique  lunette 
méiidienne,  et  d'un  cercleéqualorial  très  ingénieux;  l'autre,  à 
M.  PEr.RELET,  inventeur  d'un  comj)teur  à  détente,  à  l'aide  du- 
quel un  observateur  inexpérimenté  peut   déterminer  les  ins- 
tans  des  passages  d'une  étoile  sons  diflférens  fils  de  la  lunette 
méridienne,  avec  la  précision  d'un  dixième  de  seconde  de 
tems.   ■ —  4"'  Pi't^x  de  mécanique  de  M.  de  Moutyon.  L'Acadé- 
mie a  partagé  le  prix;  elle  a  accordé  une  médaille  de  700  fr. 
h    M.    Tflir.oRiER,    pour  les  perfecfionnemens  remarquables 
qu'il  a  apportés  dans  sa  machine  à  comprimer  les  gaz;  et  une 
seconde  médaille  de  5oo  fr.  ,  à  M.    Babiket,  professeur  de 
phv^iqiip.  auteur  d'un  perfcclionucniont  divs  machinps.pncu- 


PARIS.  2:\^ 

viatiques. — 5".  Le  prix  de  pliyi^lolo^ie  e,ipéritnfnîa(e  de  M.  de 
Montyon  est  décerné  à  roiiviaj:,e  de  AJ.  Lkon  Dufour,  iiililidé  : 
K Rccliercliis  undli'ini'.jiiis  el.i liysiiiU)^l(jins  sur  Ir.s  hcmiptèrcs , 
acrinnpiii!;iires  de  cmisiiiéi  atloiis  rcitlins  à  l'histoire  naluriile  et 
d  la  (tussi/iaiti'iii  de  ce.t  iiisfrlcs ,  arrc  alla^.  »  L'Ara  ■léitiio  ac- 
corde une  mention  Iionoiable  à  l'ooMage  de  >i.  i'OCi.cviD, 
inlJlulé  :  Lum  de  ror^'Hiimie  civnnt,  on  a'^pliration  dt!s  lois 
phv?ico-cliiiui(|ues  à  la  pliysioioyic.  — G".  Le  prix  de  31.  de 
Moiiljon  en  laveur  de  celui  uui  ania  déconveit  les  moyens  de 
rendre  nn  ait  on  nn  i::éliei*  moins  insa!id)!e  est  accoi'vlé  à 
M.  le  clievalicr  Ai.di.\j.  à  t|ui  Ton  doil  Curl  de  préserver  les  pnn- 
piers  de  l'action  de  la  /hiiiiiiie  dans  les  iinciidies;  l'Académie, 
prenant  en  con-i  iéralion  le  dévoùment  de  M.  Aldiin  et  les 
dépen-es  considéraijies  qn'il  a  l'ailes,  Ini  accorde  la  somme  de 
liait  titiile  francs. — j'.  Le  prix  île  stalistiqite,  fondé  par  M.  de 
Montyon,  et  corjsislant  en  nne  mi  daille  d'or  de  la  valeur  de 
57)0  fi .,  a  été  décerné  à  M.  A.  Pcvis,  ancien  olFrier  d'arlille- 
rie,  anlenr  de  ronvra|!>e  intitulé  :  ISolice  slidisticjiit'  sur  le  dé- 
partement de  C  Ain, 

Prix  proposé-.  — 1°.  Grand  prix  de  malhémaliqurs.  Une  mé- 
daille d'or  de  5,ooo  i'r.  sera  décernée  à  l'auteur  du  meilleur 
Mémoire  sur  l'expl  irai  ion  du  phcnonicne  de  la  grêle.  Ce  que 
l'Acailémie  demande,  c'est  une  théorie  appuyée  sur  des  ex- 
périences positives,  sur  des  observations  variées,  faites,  s'il 
est  possibic,  dans  les  régions  mrme  on  ii;iît  la  grêle. —  2".  Pa- 
reille médaille  sera  accordée  au  meilleur  travail  sur  le  sujet 
suivant  :k  Exaun'ner  dans  ses  détails  le  phénomène  de  la  ré- 
sistance des  fluides,  en  délerniinanl  avec  soin,  par  des  expé- 
riences exactes,  les  pressions  que  supporlent  séparément  im 
grand  nouihie  de  points  conNCuahlcment  choi.-is  sur  les  par- 
ties antérieures,  latérales  et  po.»lérieui  es  d'un  corps,  lorsqu'il 
est  exposé  au  choc  de  ce  fluide  en  mou\emenl,  et  lorsqu'il  se 
meut  dans  le  même  fluide  en  repos;  mesurer  la  \ilesse  de 
l'eau  en  divers  ]ioints  des  filets  qui  avoisinent  le  corps;  con- 
struire sur  les  données  de  l'observation  les  courbes  que  for- 
ment ces  filets;  déterminer  le  point  où  connnence  leur  dévia- 
tion en  avant  du  corps;  enfin  établir,  s'il  est  possible,  sur  les 
résultats  de  ces  expériences  des  foriuules  empiriques,  que 
Ton  comparera  ensuite  avec  l'ensemble  des  expériences  fai- 
tes antérieurement  sur  le  même  sujet.  »  (1"  mars  i852.)  — 
5°.  Grand  prix  des  sciences  nalnrellrs.  L'Académie  propose 
4,000  fr.  à  l'auteur  du  meilleur  Mémoire  sur  le  sujet  sui- 
vant :«  Faire  connaître,  par  des  recherches  an  itoinirpies, 
et  à  l'aide  de  figures  exactes,  l'ordre  dans  lequel  s'opère  le  dé- 


.44  FilANCK. 

veloppement  des  vaisseaux,  ainsi  que  les  pn.uipanx  rhan{re- 
mcns  q, réprouvent  en  général  les  organes  destines  a  \\  cu- 
cnlation  du  <ang  chez  les  animaux  vertébrés,  avant  et  après 
leur  naissance,    et  dans  les  diverses  époques  de    leur  vie    « 
r  i"iinvier  i85i  J  — 4°-  Pri^  fondé  par  M.  Allmmhtrt.  L'Acadé- 
mie propose  un  prix  de  i,5oo  IV.  au  meilleur  Mémoire  ...r  la 
question  suivante  :  «  Déterminera  l'aide  d'observations,  et  dé- 
montrer   par   des    préparations   anatomiques  et   d -s   dessm* 
exacts  les  modifu-ations  <pie  présentent  dans  leur  squelette  et 
dans  leur*  muscles  les  reptiles  batraciens .   tels  «lue  les  gre- 
-.jouilles  et  les  salamandres,  en  passant  de  l'elat  de  larve  a  ce- 
lui d'animal  parlait.  -.  fi"  avril  iS3i.)-  5".  L,  prix  ,1  astro- 
nomie fondé  par  M.  de  Laia^de,  et  consistant  en  une  medadle 
d'or  de  G55  fr.,  sera  décerné  en  juin  iH3i.  —  6».  Le  prix  de 
phyHologie  exprrimeniale   fondé  par  >l.  de    Monty.m  sera   de 
8q5  fr.,  et  décerné  à  la  même  époque.  —  7".  Le  prix  de  mé- 
canique àe  M.  de  Montyon  sera  pour  i85i  une  n.édadle  d  or 
de  5oo  fr.  —  8».  Prix  divers  du  legs  Montyon.  Des  prix  seront 
décernés  aux  auteurs  des  ouvrages  ou  des  découvertes  qui  se- 
ront jugés  les  plus  utiles  à  l'art  de  guérir,  et  à  ceux  qui  au- 
ront trouvé  les  moyens  de  rendre  un  art  ou  un  métier  moins 
insalubre.  —  9".  Un  prix  de  cinf/  vulle  francs,  provenant  du 
legs  Montyon,  sera  décerné  au  meilleur  Mémoire  sur  cette 
question  :  «  Déterminer  quelles  sont  les  altérations  physiques 
et  chimiques  des  organes  et  des  lluides  dans  les  maladies  dé- 
signées sous  le  nom  de  fièvres  continues  ?  quels  sont  les  rap- 
ports qui  existent  entre  les  symptômes  de  ces  maladies  et  les 
altérations  observées?  insister  sur  les  vues  de  thérapeutique 
qui    se  déduisent  de  ces  rapports.  »—  10°.  Ln  autre  prix  de 
siar  mille  francs  pour  cette  (piestion  </e  rA/V'/rg/c.  <'  Détermi- 
ner  par  une  série  de   faits  et   d'observations    authentiques 
quels  sont  les  avantages  et  les  inconvéniens  des  moyens  mé- 
caniques et  gymnastiques  appliqués  à  la  cure  des  difformités 
du  système  o'sseux.  »—  11".  Le  prix  de  statistique  fondé  par 
M.  de  Montyon  consiste  en  une  médaille  de  55o  fr.  —  Après 
la  proclamation  des  prix,  M.  Cuviep.  lit  l'éloge  de  Humphrey 
Davy;  M.  Abago,  celui  de  Fresnel.  La  longueur  de  la  séance 
n'a  pas  permis  à  M.  CrviER  de  lire  l'éloge  de  Vauquelin. 

A.  1M1CHEI.OT. 


Suciéiéphiiotecliuique.  —  Séance  publique  du  25  mai  1  83o,  sous 
la  présidence  de  M.  de  Po>gervii.le.  —  M.  ThiessÉ,  secrétaire- 
perpétuel,  dans  un  élégant  discours  d'ouverture,  a  passé  rapide- 


1»AK1S.  2,5 

meiil  t!i>  ie\  m;  If- traviiii.v,  les  pertes,  les  i>!.(|iii>i(iinis  tic  laSo- 
<;ic'té  |)euiiinit  le  seiiiestie  écoulé  depuis  lu  séance  précédente. 
Ce  morceau,  aussi  bien  écrit  quel)ien  composé,  excnjpt  de  lon- 
gueurs, plein  de  goùl  et  de  convenance,  a  été  fréipjeniinent 
applaudi.  On  a  surtout  dislinj;iié  riionimage  louchant  rendu 
par  l'orateur  au  respectable  Gohier,  (ju'une  maladie,  devenue 
bientôt  après  mortelle,  retenait  éloigné  de  la  séance  ;  une  No- 
lice  également  loiiclianle  sur  un  autre  membre  de  la  Société, 
M.  Levava.Kseur,  mort  victime  de  son  zèle  à  secourir  les  mal- 
heureux pendant^  les  rigueurs  du  dernier  hiver;  et  surtout  le 
passage  où,  rappelant  l'élection  de  son  conlrèrc.  M.  de  Pon- 
f^ervitle,  à  l'Académie  IVançaise,  M.  Thiessé  a  su  associer  au 
juste  tribut  d'éloges  que  mcrilail  le  traducteur  de  Lucièce  et 
il'Uvide  une  loyale  appréciation  du  talent  et  des  litres  de  ses 
concurrens. 

Après  le  disours  du  secrétaire-perpétuel,  on  a  entendu 
avec  plaisir  deux  jolis  apologues  de  M.  Michaiix  [C/ovif:);  un 
J'ragment  des  excellentes  études  de  M.  Tissot  sur  Airgile  ;  iir!e 
épître  agréable  et  fortagréablemeul  lue  de  M.  I'ebvÉ,  auquel  ou 
pourrait  seulement  repro(;her  de  nepoint  assez  varier  le  choix 
de  ses  sujets;  un  morceau  plein  d'intérêt,  (aisant  partie  de 
l'hittoire  du  (Îrand-Frédéric,  par  M.  CainUle  Paganel  ;  trois 
fables  de  M.  le  baron  de  Ladoucetie.  Un  heureux  mélange  de 
sentimeut  et  de  gaîté,  un  débit  vrai,  expressii'et  spirituel  ont 
l'ait  vivement  applaudir  \cconie  populaire  par  lequel  M.  Boiilly 
a  terminé  la  partie  lilléiaire  de  la  séance  :  un  concert  où  «e 
sont  fait  enlendre  plusieurs  artistes  distingués,  AIM.  L'aiidioi, 
Romagnési,  Tilmant,  MM""^''  Romagiicxi,  Tttede  el  Baïu/iot ,  n 
complété  la  satisfaction  du  nombreux  auditoire  (pie  la  chaleur 
déjà  vive  de  la  saison  n'avait  pas  empêche  de  se  réuuir  dans 
l'enceinte  de  la  salle  Saint-.lean. 

Institution  aujiliairc  de  fEeole  de  Droit  pour  tes  ctudians 
mdionaitx  et  étrangers,  située  lue  des  Francs-Bourgeois,  n"  8, 
tlirij;ée  par  M.  Darragon.  —  IVons  avons  d«'jà  parlé  de  celte 
Institution;  nous  avons  montré  combien  elle  offrait  de  sécu- 
rité aux  parens  qui  craignent  de  voir  leurs  fils  abandonnés  à 
erix-mêmes  dans  une  ville  comme  Paris,  et  que  celte  crainte 
empêche  souvent  de  donner  à  leur-éducation  toute  l*exten- 
sion  qu'ils  désirent.  L'accroissement  rapide  de  la  maison  de 
M.  Darragon  a  prouvé  cpie  le  public  avait  jugé  comme  nous 
de  cette  maison,  et  aujourd'hui  il  n'est  plus  aucunement  né- 
cessaire d'en  faiie  l'éloge. 

Bornons-nous  à  signaler,  parmi  les  nouveaux  avantages  que 
M.  Darraecn   a  réunis  cbci   lui,  rétablissement  d'ini  coins 


u4o  FRANCE. 

d'éloquftife  jiidiciiiiie  el  d'un  antre  de  déclainntioii,  qui,  avec 
les  cours  de  droit  et  de  sciences  qui  s'y  font  depuis  deux  ans, 
assurent  aux  jeunes  avocats  une  insliuction  solide  et  distin- 
ffuée. 


Projet  il' une  yJ ■••soriatlon  iminslrie/le  sons  le  vont  de  Com- 
pognir  ^rtici  nie  du  l.eitDit.  —  Tel  est  le  tiire  d'un  écrit  très-re- 
marqtiaMc,  répauflu  dans  !e  nwuidi'  spiMidaleiir  par  un  lionime 
qui  parle  de  ce  qu'il  a\n,  soljineuseiiient  dhservéi  connu  par 
les  voies  les  pjtis  sûrt.-s  (\\\\  jinissenl  mener  à  la  connaissance 
statistique  des  crmtrces  dont  il  pai!e  ;  il  siiflit  de  nommer 
M.  Delaborde.  dépité  de  la  Stiue,  pour  exciter  la  curiosité, 
et  fixer  l'attention.  Il  ne  s'agit  point  d'exp.loiter  la  nouvelle 
conquête  de  la  Fiance  avant  de  i'avoir  consolidée,  et  de  s'être 
assuré  qtie  le  sang-  et  les  trésors  français  n'auront  pas  été  pro- 
digués au  profit  d'un  peuple  ii\al  :  le  plan  de  M.  Delaborde 
est  indé|'endant  de  l'aiVaire  d'Alger,  et  tient  à  des  considéra- 
tions plus  va-les;  laissons-le  s'expliqiicr  lui-même. 

u  Une  révolution  enlièrement  à  l'avantage  de  l'industrie, 
du  travail  et  de  la  civilisation,  s'est  opérée  simultanément  dans 
le  Levant.  L'empire  turc  s'est  tourné  tout  à  coup  vers  les  in- 
stitutions et  les  arts  de  lEurope;  il  ne  peut  plus  l'etomheidaos 
la  barbarie.  Vue  dos  ])liis  intéressantes  pailies  de  ce  paj's,  la 
Grèce  et  ses  des,  ]M'ései.le  déjà  dans  les  relalions  qu'on  peut 
former  avec  elle  toute  la  garantie  d'un  ordre  de  choses  régu- 
lier et  légilime  L'K;rvple,  d'un  autre  côté .  gouvernée  par 
un  clief  Iiabile  et  fidèle  à  ses  eniagemens,  donne  d'immenses 
jîroduils,  et  des  moyens  d'écliange  avec  les  olijets  manufacturés 
de  l'Europe.  Enfin  le  siilîan  actuel,  interrompu  un  moment 
dans  ces  iiiiies  innovations,  a  su  rési-ler  à  la  fois  aux  succès 
d'une  campagne  et  aux  revers  d'une  autre  ,  sans  dévier  de 
cette  mfMiie  lÎL'ne  d'inuova lions  qu'il  s'était  tracée,  et  qu'il  est 
déterminé  à  suivre.  Les  inlerprèles  de  la  loi,  le  corps  des  ulé- 
mas, les  gian;!s  de  l' Etat,  ont  décidé  que  rien  dans  le  ('nian  ne 
s'op]>osail  formellement  à  ces  cbangemens,  el  qu'il  fallait  que 
l'empiie  olloman  sortit  enfin  Avs  liens  où  les  piégugés  ra- 
valent Irop  long-lems  retenu.  La  Médileriaiiée  présente  donc 
en  ce  moment  le  ebamp  le  plus  vaste,  le  plus  neuf  pour  toute 
entiepiisc  coumieiciale  et  iodiisliielle,  agrandi  encore  par 
l'ouverture  (\\\  Bosphore  et  l'eiitiéc  libre  «les  produits  de  la 
mer  Noire  et  des  nouveaux  établissemens  russes  sur  la  côte 
de  l'Asie.  » 

Eu  continuant  cet  evjfi>é.  dan-  ie(]iie!  on  ne  trouvera  riea 


PARIS.  î4- 

d'exageie,  rien  (|iii  s'adresse  à  l'imagiiKiliuii  jduldt  (inaii  lai- 
soiuienient ,  M.  Uelaborde  arrive  à  son  projet,  dont  le  carac- 
tère mérite  l'attention  de  ceux  mêmes  qui  ne  sont  point  appe- 
lés à  y  prendre  part,  mais  qui  s'intéressent  à  tout  ce  qui  peut 
contribuer  au  bien  de  l'Iiumanité.  Il  s'agit  d'une  entreprise  à 
laquelle  des  maisons  respectables  de  France,  d'Angleleirc  et 
de  Hollande,  sont  invitées  à  concourir.  L'avantage  des  spécu- 
lateurs n'est  pas  ici,  connue  au  jeu  de  l'agiotage,  une  perle 
équivalente  pour  ceux  avec  lesquels  ils  ont  traité  ;  c'est  un 
échange  de  bénéfices  également  profitables.  M.  Delaborde 
avertit  que  l'exposé  qu'il  va  l'aire  n'est  qu'un  extrait  d'un  plus 
grand  travail,  dont  il  donnera  le  développement,  si  le  prin^ 
cipe  est  une  fois  adopté. 

Quant  a  la  nature  des  opérations  de  la  Compagnie  générale 
du  Levant,  elle  se  bornerait  à  l'cxploilalion  du  commerce  de  la 
Aiéditerranée.  Elle  établirait  des  comptoirs  servant  au  dépôt 
et  à  réchange  des  produits  naturels  au  manufacturés  ;  elle 
lerait  fabriquer  dans  le  goût  même  des  pays  où  ces  produits 
seraient  débités;  le  lieu  île  fabrication  lui  serait  indifférent,, 
pourvu  qu'elle  pût  livrer  à  bon  compte,  et  y  trouver  de  l'a- 
vantage. «Ainsi  elle  débiterait  les  planches  de  l'Istrie  et  de 
1  Albanie,  la  clouterie  de  la  Carinlhie,  les  fouriures  de  Polo- 
gne, les  velours  d'Italie,  si  elle  pouvait  se  les  procurer  facile- 
ment, comme  les  toiles  de  Rouen,  les  draps  de  Carcassonne, 
la  qiîiiicaillerie  anglaise,  etc.,  différente  en  cela  de  l'ancienne 
Compagnie  du  I.,evant,  qui  n'a  pas  pu  réussir,  par  les  entra- 
ves que  lui  opposaient  ses  statuts.  «Cette  ancienne  Compa- 
gnie anglaise  n'échangeait  que  les  produits  des  fabriques  de 
la  Grande-Bretagne,  qui  convenaient  rarement  aux  peuples 
chez  lesquels  on  les  transportait.  Il  est  probable  cependant 
qu'elle  ne  poussait  pas  l'ignoiance  on  l'étourderie  aussi  loin 
que  ces  maisons  de  connnerce  qui  ont  expédié,  comme  M.  De- 
laborde le  rapporte,  des  fourrures  et  des  patins  à  BuénosT 
Ayres,  où  il  ne  gèle  jamais,  et  dans  le  Levant,  des  plumes,  du 
papier  à  lettres,  des  pains  ù  cacheter,  etc. 

Les  opérations  do  la  Compagnie  seraient  divisées  ainsi  qu'il 
suit  :  la  Grèce,  VEgypte  et  la  Syrie,  Constantinople  et  la  mer 
Noire  ;  V Asie-Mineure  serait  comprise  dans  cette  troisième 
division.  ÎNons  regrettons  de  ne  pouvoir  transcrire  les  impor- 
tantes observations  de  M.  Delaborde  sur  chacune  de  ce?  con- 
trées, en  les  envisageant  sous  le  point  de  vue  commercial; 
il  serait  inutile  d'en  rien  détacher,  car  c'est  l'ensemble  qu'il 
faut  voir.  M.  Delaborde  le  présente  à  la  suite  des  détails,  et, 
portant  encore  ses  regards  sur  l'état  actuel  de  ces  contréçï^j  il 


a48  FlîANCK. 

prévoit  que  la  Conipiigiiie  tl<)iit  il  propust;  la  t'urinalijii  potrr- 
lait  bien  compter  pai'ini  ^es  actionnaires  le  vici;-roi  d'Kiivpte 
et  les  principaux  sarals  de  Constantiiiople. 

Vient  ensuite  un  projet  de  statuts  prorisoircs  de  la  (Jonipii- 
gnie  générale  du  Loanl.  On  y  remarque  que  le  domicile  so- 
cial e?t  lixé  à  Paris,  et  qu'ime  succursale  sera  éiaUlie  à  Mar- 
seille :  le  premier  (ilre  régie  ce  qui  couc«'rne  le  fonds  social 
et  les  droits  des  aotiounaires  ;  le  second  a  pour  objet  l'orga- 
nisation de  la  société,  ses  assemblées  générales,  ses  conseils,^ 
}'inlérêt,  le  dividende  et  la  réserve,  la  direction  des  alïaires, 
la  caisse  principale  et  le  cautionnemenl  ;  le  troisième  titre 
règle  la  liquidation  et  l'arbitrage,  en  cas  de  dissolution  de  la 
société;  enfin  le  quatrième  titre  pourvoit  aux  modificalions 
des  statuts  et  aux  publications. 

Parmi  les  projets  que  les  circonstances  actuelles  ont  l'ait 
concevoir,  aucun  ne  se  présente  avec  autant  de  moyens  d'en- 
traînement que  celui-ci.  La  raison  commence  par  le  discuter, 
et  l'approuve;  l'imagination  vient  ensuite  la  revêtir  de  ses 
charmes.  En  pailaut  des  associations  et  des  illusions  qui  peu- 
vent les  séduire  et  les  égarer,  M.  Delaborde  s'exprime  anisf  : 
«doit-on  ne  pen-er  qu'aux  pertes  éprouvées  par  le  principe 
d'ass0(  iation ,  et  oublier  les  immenses  richesses  que  le  monde 
fui  doit,  depuis  ses  ()remiers  développtmens?  TS'i-n  cit^Mis 
pour  exemple  que  cette  Compagnie,  qui  (Commença  ses  tra- 
vaux avec  trois  millions  de  capitaux  el  deux  vaisseaux,  et  qui 
possède  aujouid'hui  cin(|iiautc  millions  de  sujets  tributaires, 
une  armée  de  deux  cent  mille  honmies  à  solde,  et  la  plus 
singulière  existence  où  ait  pu  ])arvenir  le  génie  industriel. 
Sans  dofrte,  c'e.»t  plus  à  son  influence  politique  dans  les  pays 
qu'elle  exploitait  qu'à  ses  opérations  commerciales  qu'elle  a 
dfl  sa  puissance,  et  nous  nous  sommes  interdit  absoliniient  ce 
dangereux  moyen  d'aciion  ,  cet  abus  de  l'hospitalité.  Mais, 
sans  spéculer  sur  les  passions  des  honmies  et  la  discorde  des 
peuples,  n'est-il  pas  permis,  louable  même,  de  mettre  à 
profit  leur  reconnaissaucîc ,  de  leur  créer  des  besoins  pour  les 
encomager  au  travail,  de  leur  enseigner  des  jouissances  pour 
avoir  l'occasion  de  lis  satisfaire,  enfin  de  s'enrichir  eu  les 
rendant  heuieux?»  L'homme  (]ui  a  conçu  ce  projet  est  bien 
digne  de  tiou\er  d'autres  hommes  (|ui  le  compreiuieul  et  le 
second»  ut.  «Que  faudrait-il  pour  que  ce!  utile  pr(»jet  réussît? 
La  participation  seule  ou  collective  d<!  (pielques  uiaisous  res- 
pectables de  France,  d'Angleterre  ou  île  Hollande,  de  ce>i 
maisons  qui  as^iueiil  le  stucès  de  toute  afTain*  par  la  seule 
raison  «|u'elles  rapprou\enl,  et  dont  les  noms  placés  ea  tête 


PAJUS.  .,4.j 

d'un  projet  veulciil  dire  :  ron/iancc ,  suciés ,  vit  liesse.  C'est  ù 
ces  maisons  que  nous  proposons  celte  grande,  cctle  nouvelle 
entreprise  qne  nous  regardons  coaime  une  des  plus  proîilablcs 
et  des  moins  hasardeuses  qu'on  puisse  iiîiaginer  en  laveur  de 
l'industrie  et  de  l'humanité.  !V. 


Chronique  des  théâtres  pendant  le  mois  de  Juillet  iS^o.  — 
Neuf  pièces  nouvelles  seulement  ont  élé  représentées,  pen- 
dant ce  mois,  sur  les  diftërens  théâtres  de  Paris.  — ■  Au 
Théâtre-Français  on  a  ressuscité  VEniieua-,  comédie  en  cinq 
actes  et  en  vers,  de  M.  Dorvo  (6  juillet) ,  et  qu'un  arrêt  du 
tribunal  du  commerce  a  mis  les  comédiens  dans  l'obligation 
de  représenter  ;  on  sait  que  cet  ouvrageavait  paru  sur  l'Odéon, 
alors  la  Comédie  Française,  le  soir  même  où  ce  théâtre  fut 
consumé  par  un  premier  incendie.  On  a  remarqué  dans  VEn- 
tieux  quelques  vers  bien  fait:*,  mais  la  fable  a  laru  nulle  et 
comnmne,  et  les  caractères  faibles  et  froids. 

A  TOdÉon,  le  Mari  de  ma  Femme,  comédie  en  5  actes  et  en 
A  ers,  par  M.  Rosier,  a  obtenu  des  applaudissemens  nombreux 
et  mérités  (  i4  juillet).  Tl  n'y  a  toutefois,  flans  cet  ouvrage, 
rien  de  bien  neuf  ni  de  bien  vraisemblable  .  ni  même  une 
peinture  de  mœurs  bien  décidée;  mais  il  y  a  beaucoup  de 
gaité,  et,  dans  unecouiédie,  la  gaîté  tient  lieu  de  bien  d'autres 
qualités  ;  seulement  la  plaisanterie  est  ici  trop  prolongée,  parce 
que  les  peisonnages  sont  toujours  dans  la  même  situation, 
qu'un  mot  peut  la  faire  cesser,  et  qu'on  s'impatiente  contre 
l'auteur  de  ne  pas  dire  ce  mot  lorsque  le  badinage  s'épuise  et 
que  l'on  sent  la  curiosité  moins  vivement  piquée;  mais  un 
style  spirituel  et  des  vers  piquans  ont  soutenu  l'attention  jus- 
qu'à la  ("m.  —  Une  œuvre  plus  importante  est  le  Guillaume 
Te//,  tragédie  en  5  actes,  de  feu  I'ichat,  jeprésenté  le  22  juillet. 
Turnus  et  Léonidas  avaient  déjà  fait  connaître  le  nom  de 
Pichat.  Presque  tout  est  imitation  dans  Guillaume  Tell,  mais 
de  cette  imitation  qui  est  encore  œuvre  de  poète,  et  où  l'ori- 
ginalité se  montre  sans  cesse  dans  la  pensée  et  surtout  dans 
l'expression.  Le  fond  de  l'ouvrage  appartient  évidemment  à 
Schiller  :  l'exécution  pleine  de  goût  et  la  couleur  brillante 
appartiennent  au  poète  françai-^.  Ilésolu  de  ne  point  altérer  la 
simplicité  de  ce  grand  sujet,  obligé  de  se  p(;iver  d'une  foule  de 
détails  qui  plaisent  aux  Allemands,  mais  (pii,  chez  nous,  plus 
pressés  d'arriver  à  l'événement,  font  languir  un  drame  ;  forcé 
enfin  de  leirancher  ce  einquième  acte  de  Schiller,  que  ses 
compatriotes  suppriment  eux-mêmes  à  la  repiésentation ,    le 


200  FilANCi:. 

poète  français  a  disposé  avec  beaucoup  d'art  son  sujet  ainsi 
dépouillé  de  ressources  assez  abondantes.  Le  succès  a  été 
brillant,  et  doit  aujourd'hui  un  nouvel  éclat  aux  circonstances 
qui  donnent  pour  les  Français  une  valeur  nouvelle  aux  idées 
de  patrie  et  de  liberté. 

Au  Vaudevili.i:,  ie  Voyage  par  désespoir,  vaudeville  en  4  t^" 
bleaux  (  5  juillet) .  n'a  Diit  qu'une  courte  et  malheureuse  ap- 
parition ;  puis  la  Petite  Prude,  vaudeville  en  i  acte,  de 
3liM.  Di'VERT,  Desveugers  et  Vari?;  (  12  juillet),  a  été  plus 
favorablenicnt  accueillie,  f^râce  à  quelques  détails  plaisans  , 
brodés  sur  un  fond  tant  soit  peu  usé,  et  grâce  à  une  critique 
assez  ingénieuse  de  l'éducation  mystique  qivi  commençait  à 
redevenir  à  la  mode  chez  nous.  — Aux  Variétés,  les  Jockeis 
anglais,  ou  \es  Courses  d^Epsom  ,  tableau-vaudeville  en  1  acte, 
ont  éprouvé  une  vive  opposition. 

Au  théâtre  de  la  Porte-.Saint-Marti>' ,  yibcn-Unmeya,  ou 
les  Arabes  sons  Philippe  II,  mélodrame  de  M.  Mabti>ez  de  la 
llosA  ,  avec  de  la  musique  composée  par  M.  Gomis  (  18  juillet  . 
Lu  vif  intérêt  s'attachait  à  cet  ouvrage  d'un  des  hommes  les 
plus  honorables  de  notre  époque.  Chacun  sait  la  noble  part 
(jiie  M.  Marliuez  de  la  Rosa  a  prise  aux  évènemens  politiques 
qui  ont  un  instant  replacé  l'Espagne  au  rang  qu'elle  doit  oc- 
cuper parmi  les  nations  européennes;  mais  peu  de  personnes, 
en  France  du  moins,  savaient  que,  dans  le  cours  de  sa  vie  si 
pi.»  e  et  si  pleine,  le  généreux  patriote  avait  eu  le  tems  de 
conquérir  une  autre  gloire.  Ses  tragédies,  dont  la  Revue 
Encyclopédique  a  eu  l'occasion  d'entretenir  ses  lecteurs  (voy. 
t.  xLiii ,  p.  744)»  O'it  eu  le  plus  grand  succès  en  Espagne. 
Par  une  audace  rare  et  presque  poétique,  il  a  a^ouIu  réus^- 
sir  encore  sur  un  théâtre  étranger,  sur  le  nôtre,  le  plus 
glissant  de  tous  peut-être;  laissant  là  le  souvenir  de  ses 
études,  son  art,  son  goût,  sa  langue,  il  a  voulu  penser  et 
écrire,  selon  un  art  différent,  et  pour  d'autres  goûts,  dans  une 
langue  cpii  n'est  |^as  la  sienne,  émouvoir  le  pidilic  le  plus 
blasé,  le  plus  didicilc.  devant  lequel  échouent  nos  plus  ha- 
biles auteurs.  Quelle  tâche  !  le  ])oète  ne  s'en  est  pas  effrayé.  Le 
sujet  de  son  drame  est  vaste  et  élevé,  et  d'unanimes  applau- 
dissemens  ont  accueilli  plusieurs  scènes  fort  belles  et  artiste- 
ment  dessinées,  q:ielqiies  sil nations  fortes  et  une  foule  de  no- 
bles sentimens  exprimés  en  style  élevé  et  sonore;  toutefois, 
on  sent  trop  parfois  que  l'auleur  se  sert  d'un  style  appris,  et 
appris  dan-*  des  livres  français  devenus  communs.  Malgré 
cette  in)perfection.  son  drame  est  une  belle  pensée,  et  on  doit 
\v  IVliciu-r  d'au   succès  aussi   honorable.  —  A  i.'Ambigu  Co- 


PAïus.  -     >"KcnoL()(;ii:.  aat 

MiQiii,  la  Leçon  de  dessin,  comédie  en  i  aclo,  par  MiM.  Davesne 
et  Ar.Tiup.  (S  jtiillcl),  et  à  la  G.aîtÉ,  Je/fries,  on  le  Grand-Juge, 
rnélodranie  ci  3  actes,  par  31,  Beîsjamin,  ne  peuvent  comp- 
ter sur  une  bien  longue  evislcnce. 

NÉCnOLOGIE. 

Savoie.  —  Le  général  comte  de  Boigne,  dont  plusienrs 
biographies  (tnt  parlé  avec  inexactitude,  vient  de  mourir  à 
Chamix  ry,  le  21  juin  i85o,  universellement  et  certes  bien 
justement  regretté  de  ses  compatriotes.  Le  nom  de  cet  homme 
remarquabh;,  la  glorieuse  carrière  militaire  qu'il  a  parcourue 
dans  l'Inde,  les  grandes  richesses  qu'il  a  acquises  par  de  no- 
bles travaux,  et  l'admirable  usage  qu'il  a  fait  d'une  partie  de 
sa  fortune, méritent  que  nous  entrions  iii  dans  quelques  dé- 
tails qui  se  rattachent  également  à  l'histoire  générale  de 
l'Inde. 

M.  de  Boigne  naquit  à  Chambéry,  le  8  mars  i^Si.  Il  (piitta 
son  pays  à  i;-  ans,  pour  entrer  au  service  de  France,  où  il 
resta  pendant  5  ans  ;  il  se  rendit  alors  à  Paros,  et  entra  comme 
capitaine  dans  un  régiment  grec,  au  service  de  l'impératrice 
Catheiine.  Fait  pi  isonnier  au  siège  de  Ténedos,  il  ne  devint 
libre  qu'à  la  paix;  il  quitta  dès  lors  le  service  de  Russie,  où  il 
ne  pouvait  plus  espérer  d'avancement,  et  prit  la  résolution 
d'aller  chercher  dans  l'Inde  un  sort  plus  conforme  à  ses  dé- 
sirs. Fortement  pénétré  de  ce  dessein,  il  se  livra  à  son  étoile, 
qui,  à  travers  mille  dangers,  le  conduisit  enfin  à  l'un  des  plus 
hauts  degrés  de  la  gloire  et  de  la  fortune. 

Arrivé  à  Madras  au  commencement  de  1778,  il  entra  dans 
un  bataillon  de  Cypayes,  au  service  de  Ja  ConipagniedcsTndes, 
et  fit  peu  après  la  campagne  contre  Hyder  Ali.  Craignant  que 
sa  qualité  d'étranger  ne  nuisît  à  son  avancement,  il  quitta  ce 
service  au  l>out  de  4  ans,  et  se  rendit  dans  le  nord  de  l'Inde,  où, 
après  avoii'  denieuiè  quelque  tems  dans  l'inaction  ,  il  adressa 
ses  offres  de  ser\ice  au  ra'ah  de  Jypore,  «pii  les  accepta. 
En  1784,  il  entra  au  service  du  célèbre  piince  mahratle  iMaha- 
dagy-Scindia,  avec  2  bataillons  qu'il  avait  levés  et  disciplinés 
à  l'européenne.  L'année  suivante,  ce  prince  passa  le  Chum- 
bnll,  et  vint  mettre  fin  aux  querelles  des  factieux  qui  tour  à 
tour  s'emparaient  du  pouvoir  à  la  cour  de  Delhi  :  bientôt 
après,  une  ])artie  des  >Jongols,  se  joignant  aux  Rajepoutes, 
attaquèient  Scindia,  et  le  re|ioussèrentau  delà  du  (Ihuinbull; 
les  deux  bataillons  du  général  de  Boigne  soutinrent  seuls  la  re- 
traite. Le  priii'^c  mahrntte  reprit  l'affensive  en  1788.  et.  après 


25a  NECROLOGIE. 

un  premier  combat,  où  il  lut  repuus.»e,  il  remporta,  le  18  junv,. 
devant  Agra,  une  victoire  décir^ive  ;  dans  i  es  deux  affaires,  le 
général  savoisien  se  fil  distinguer  d'une  main'ère  toute  parti- 
culière par  son  thef,  qui  le  récompensa  noblement.  Ils  se 
quittèrent  en  conservant  une  liante  estime  l'un  pour  l'autre. 
M.  de  Boigne  se  leiidit  à  Luckoow,  où  il  s'occupa  d'opéra- 
tions conmierciales.  justju'eii  1790,  époque  où  il  l'ut  rapj.elé 
par  Scindia,  qui  lui  ordonna  de  former  une  brigade  de 
: 2,000  hommes.  Le  général,  par  un  souvenir  bien  touchant 
de  patiiotisme,  la  réunit  sous  un  drapeau  portant  la  croix 
blandie  de  Savoie.  A  la  tête  de  cette  armée,  il  marcha  à  la 
rencontre  des  Mongols  et  des  Rajepoutes,  réunis  au  nondire 
de  60,000,  sous  les  ordres  du  fameux  Tsmai'd  I3og.  11  les  bat- 
tit le  22  juin  à  Patan,  poursuivit  les  Rajepoutes,  qu'il  attei- 
gnit à  AJirtah,  et  détrui-^it  lein-  armée.  Ces  victoiies  rendirent 
à  Scindia  toute  sa  puissance,  et  valurent  à  M.  de  Boigne  la 
confiance  illimitée  de  ce  prince,  qui  lui  donna  ordre  de  lever 
deux  nouvelles  brigades,  chacune  de  10.000  hommes,  le  com- 
bla de  récompenses  et  d'honneurs,  et  lui  assigna  une  part 
considérable  des  contributions  levées  sur  les  Rajepontes. 

Il  fut  peu  après,  en  outrr,  nommé  chef  de  62  districts,  dont 
les  revenus,  s'élevant  à  22  lack  de  roupies  (5,5oo,ooo  fr.j 
par  an,  lui  furent  assignés  pour  l'entretien  de  ses  tioupes. 
M.  de  Boigne,  indépendamment  ile  son  traitement  <le  général, 
fixé  à  1 5,000  fr.  par  nuii-,  et  de  la  propriété  d'un  corps  de 
cavalerie  d'tlile,  préh'vait  encore  2  p.  100  sur  les  revenus 
des  Sa  di.-tricts  qu'il  administrait.  On  comprend  par  ces  faits 
comment  sa  forlime  a  pu  parvenir  au  point  où  elle  s'est  éle- 
vée. 

En  1792,  Scindia  eut  affaire  avec  un  rival  de  sa  nation, 
Holkrur,  autre  prince  mahratle.  Le  général  de  Boigne  fut  en- 
voyé contre  lui,  et  le  défit  à  la  bataille  de  Lukhairie.  A  la  même 
époque,  il  marcha  contre  le  ra');>h  de  .lypore,  qui  se  soumit  en 
lui  payant  une  contribution  de  20,000,000  de  fr.  (1) 

Lu  1795,  la  guerre  éclata  entre  les  Mahratles  et  îSizam-Aly. 
prince  d'ilyderabad,  le  général  de  Boigne  réimit  à  l'armée 
mahratte  une  de  ces  brigades  qui  remporta  la  grande  vic- 
toire de  Kurdia. 

A  la  lin  de  celte  même  année;,  la  santé  gravement  altérée 
de  M.  de  Boigne  l'avait  déterminé  à   solliciter  de  son  prince 


(1)  La  li:mqiiillit<'- ,  aciiolcr  au  prix  de  t.TiU  de  victuircs,  permit  à 
M.  de  B(  if^ne  d'.Tclievei  l'iM^aiiisatiun  de  son  amie»;,  d»;  créer  des  fabri- 
ques d'ai  uic.s,  et  d'établir  des  fonderies  de  canons  à  Horel  et  à  Paliiel. 


NECROLOGIE.  257> 

la  poiiiiission  de  5e  rotirer;  et  ce  ne  lui  pas  sans  difTicullé 
qu'il  obtint,  en  179O.  celle  de  qnitler  l'Inde,  qne  lui  accorda 
enfuj  Dolat-Uao-Sc'india.  petit-  neveu  et  .successeur  de  Maha- 
dajry-Scindia,  depuis  la  mort  de  ce  dernier,  1(^    12  février 

>r94- 

M.  de  Boigne  avait  fait  passer  sa  fortune  en  Angleterre;  M 
y  arriva  lui-même  en  janvier  1797.  L'année  suivante,  il  pen- 
sait à  revoir  le  théâtre  de  sa  gloire;  Dolat-Rao-Scindia.  en 
ayant  eu  connaissance,  lui  écrivit  en  iyfyi)une  lettre  pre-sante 
pour  hâter  son  retour;  mais  les  évènemens  en  ordonnèrent 
autrement;  !e  gouvernement  de  Napoléon,  qui  était  à  son  au- 
rore, assura  !a  traurpuilité  du  pay-  nalal  de  M.  de  îioigne,  qui 
revint  s'j-  fixer  pour  toujours;  Chambéry  dès  lors  fut  sa  rési- 
dence, et,  jusqu'à  sa  mort,  il  y  a  semé  les  bienfaits  à  pleines 
mains.  Qu'il  nous  suffise  d'énumérer  simplement  les  œuvres 
publiques  de  bienfaisance  qui  lui  sont  dues  et  auxquelles  il  a 
consacré  un  capital  d'environ  5,5no,f)oo  fr. 

Agrandissement  de  l'Hùtel-Dieu  de  Chambéry.  — Fondation 
et  dotation  du  bel  hospice  de  Saint-Benoit  pour  les  vieillards 
des  deux  sexes.  —  Fondation  et  dotation  d'un  dépôt  de  men- 
dicité. —  Fondation  et  dotation  d'un  hospice  pour  les  aliénés. 
—  Fondation  de  lits  pour  les  malades  non  reçus  dans  les  autres 
hôpitaux.  —  Idem  pour  les  pauvres  voyageurs  de  quelque 
nation  et  religion  qu'ils  soient.  —  Rente  annuelle  pour  fouinir 
toutes  les  semaines  aux  pauvres  piisonniers  ime  chemise 
blanche  et  ime  distribution  de  pain  et  d'argent. —  Fonds  pour 
établir  les  jésuites  au  collège  royal  de  Chambéry.  —  Grande 
et  nouvelle  rue  à  portiques  qui  traverse  la  ville  entière.  — 
Construction  de  l'église  dcsCapucines  de  Chambéry. — Fonds 
pour  une  façade  à  l'Hôtel-de-Ville  de  Chambéry.  —  60,000 
fr.  pour  réparer  le  théâtre.  —  Picnte  annuelle  en  faveur  de  la 
Société  royaleacadémique  de  Savoie. — Dotation  de  la  compa- 
gnie des  chevaliers-tireurs  de  Chambéry.  —  Dotation  de  celle 
des  pompiers. 

Des  sommes  considérables  sont  encore  laissées  et  consacrées 
dans  son  testament  à  des  œuvres  et  des  établissemens  de  bien- 
faisance. 

L'accusation,  que  les  journaux  français  ont  renouvelée  il  y 
a  quelque  tems  et  qu'on  lui  avait  faite,  d'avoir  livré  Tippoo 
Sa'ib,est  donc  de  toute  fausseté  .  puisque  jamais  il  n'a  été  sous 
les  ordres  dt;  ce  souverain,  (jui  n'a  succombé  dans  sa  capitale 
qu'en  1799,  trois   ans  après  le  refour  du  général  en  Europe. 

France. — Arxould  (^l^ icolas-Franfois),  néà  Auteuil,le24oc- 


2  54  NLCftOLOGir. 

tobrc  ijfp»  mort  à  Paris,  le  24  avril  i83o,  est  auteur,  pour  sa 
part,  de  trois  opéras  reçus  à  l'Académie  royale  de  musique, 
Pjgmalion.  Erostrate,  Aiala.  Ces  ouvrajj;es,  dont  le  premier 
tut  mis  en  répétition  il  y  a  quelques  années,  paraîtront  sans 
doute  un  jour  sur  la  scène,  et  iis  y  témoijïueront  d'un  talent 
facile,  élégant,  gracieux,  qui  eût  pu  s'élever  à  des  composi- 
tions d'un  autre  ordre,  et  auquel  ont  man(|ué  la  confiam  e  et 
le  tems.  Les  lettres  n'ont  été  pour  M.  Arnuuldquelc  délasse- 
ment des  affaires,  la  distraction  des  jours  de  loisir,  la  conso- 
lation des  souffrances  qui  ont  prématiux^mcnt  intei  rompu  une 
vie  paisible  et  fortunée.  Il  est  ])crmis  d'espérer  qu'elles  ajuu- 
terout  plus  tard  qMel(|ue  lustre  à  sa  mémoire,  (lu'clles  appor- 
teront quelque  a  loucissement  aux  vifs  et  justes  regrets  de  sa 
famille  et  de  ses  amis. 


'l'AIILI'    DES  AliTJGLES 

CONTENUS 

DANS  LE  CAHIER  DE  JUILLET  i83o. 


\.  MÉMOIRES,  NOTICES  ET  MÉf  AîNGES. 

Pages. 

I.  Cours  d'Histoire  dos  sciences  naturelles,  par  M.  Cuvier; 
1"'  article  ;  Histoire  des  sciences  naturelles  chez  les 
peuples  antérieurs  aux  Grecs Adolphe  Gondinet.        5 

a.    Opinion  sur  la  peine  de  mort Livingsfon.      24 

II.  ANALYSES  D'OUVRAGES. 

7>.  Voyage  de  la  corvette  V Astrolabe,  exécuté  pendant  les  an- 
nées 1826-1827,  sous  le  commandement  de  M.  J.  D.  d'Ui- 
villc Isidore  Lebrun.      4<5 

l\.   Leçons  sur  la  connaissance  des  prisons,  par  N.  H.  Julius 

(ouvrage  allemand)  ;  troisième  et  dernier  article.   .   H.  C.      55 

5.  Monumens  arabes,  persans  et  turcs,  considérés  et  décrits 
par  M    Reinaud Amaury-Duval,  de  rinstitul.      92 

6.  De  la  réforme  delà  constitution  du  Tessin;  (onze  brochures 
italiennes) G.  Moiinard.    io4 

7.  L  Iliade  d  Homère,  traduction  nouvelle  en  vers  français,  par 

A.  Bignan Servan  de  Siigny.    iiq 

8.  Harmonies  poétiques  et  religieuses,  par  A.  de  Lamartine. 
H.  Patin.    128 

111.  BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE. 

Annonces  de  62  ouvrages,  français  el  étranger  s. 

Amérique  septentiuo^ale.  —  Etats-Unis,  4 iSy 

Amérique  ceistrale,   1 142 

Europe.  ■ — Grande-Bretagne,  6 i45 

—  lUissie ,  2 '  ,  i5o 

—  Pologne,  1 i54 

—  Allemagne,  4»  dont  1  ouvrage  périodique i56 

—  jf fa /(>,  5,  dont  2  ouvrages  périodiques i6i 

■ —  Pays-Bas,  5 .    .    .    ., 167 

]''RANtE,  54,  sSiXdiv  •.Sciences  physiques  et  naturelles,  lô 172 

—  Sciences  religieuses,  viorales  ,  politiques  et  historiques,  ^    .  .    .  190 

—  Ldlléralure.  6   .- 301 


u56  TABLE    l)r>    AIITICLFS. 

—  Beuiix-arix  ,2 209 

—  Ouvrages  périuditiues ,  t\.     .    .   .   '. ai  2 

—  Livres  en  langues  étrangères  ^  imprimés  en  France ,  i    .    .    .    .    2i(> 

IV.  NOUVELLES  SCIENTIFIQUES  ET  LITTÉRAIRES. 

AMÉniQrE   sErTENTRiONAi.E.  —  Etols-  Unis  :  Progrès  des  ino^eiis 

de  communication.  — A eiP-Forfc  ;  ISouvcl le  université  .    .    iiS 

Asie.  —  Malacca  ;  Abolition  de  lesclavage  ;  Nouveaux  régle- 
mens  sur  la  presse.  • — -  Chine  :  Discipline  des  prisons  ;  Solli- 
citude du  dernier  empereur  sur  ce  sujet;  Kxtrail  du  re- 
gistre de  Canton 219 

EUROPE. 

Gbande-Bretagxe.  —  Souscription  en  faveur  des  blessés  pendant 
les  journées  des  27,  28  et  29  juillet.  —  Mémoires  de  lord 
lîjron  :  Commérages  littéraires.  —  Beaux-arts  :  Galerie  de 

portraits  de  feu  sir  Thomas  Lawrence 221 

RissjE.  -^  expédition  scientifique  à  l'Ararat,  par  M.  Dorpat  fils.   223 

Suède.  — Travaux  publics  exécutes  par  larmée 228 

Allemagne.  —  Berlin  :  Société  de  géographie.  —  Suite  des  do- 
cumens  relatifs  a    ta  statistique  morale  de  la  monarchie 

prussienne 233 

Italie.  —  Tajvn  .- Académie  des  sciences  :  Prix  proposé  .    .   .    .   2  36 

,<ÎKÈcE.   —  État  de  renseignement  primaire Ibid. 

France.  — Paris.  —  Institut:  Académie  des  sciences  :  Séances 
du  mois  de  juillet  i85o. — -Société  philotechnique  :  insti- 
tution auxiliaire  de  l'Ecole  de  Droit.  —  Projet  d'une  asso- 
ciation industrielle  sous  le  nom  de  Compagnie  générale  du 
Levant.  —  Chronique  des  théâtres  pendant  le  mois  de  juil- 
let i85o 258 

Nécrologie. 

Savoie  :  Conile  de  Boigne.  —   France  :  Nicolas-François  Ar- 
nould -i.")! 


Il  E  V  y  K 
i;iNCYCLoriir)iQijE. 

ANALYSES  ET  ANNONCES  RAISONNÉES 

DES    PRODUCTIONS    LES    PLUS    P.EM ARQUABLES 

DANS  LA  LITTÉRATURE,  LES  SCIENCES  ET  LES  ARTS. 


I.  MEMOIRES,  NOTICES, 

LETTRES  ET  MÉLANGES, 


DES  ARTS  QUI  TRAVAILLENT  A  LA  FORMATION 
DE  NOS  HABITUDES  MORALES. 

(Voy.  Rev,  Enc,  t.  Xxxtiii,  p.  58o,  un  Mémoire  intitulé  :  Des  arts  qui 
ont  pour  objet  la  culture  et  le  perfectionnement  de  noire  nature  physique  ; 
et  t.  XLi,  p.  5o5,  un  second  Mémoire,  sous  ce  titre  :  Des  arts  qui  s'occu- 
pent de  l'éducation  de  nos  facultés  intellectuelles.  ) 

Trois  condilions  sont  nécessaires  pour  que  l'homme  se  dé- 
termine et  pour  qu'il  ne  prenne  que  de  bonnes  détermina- 
tions. Il  lui  faut  quelque  chose  qui  le  pousse  :  des  besoins, 
des  instincts,  des  sentimens,  une  imagination.  Il  lui  faut 
quelque  chose  qui  l'éclairé  et  le  dirige  :  de  l'intelligence,  de 
la  raison.  Enfin,  il  a  besoin  d'une  force  intérieure  qui  le  rende 
T.  xi.vii.  AOUT  i85o.  17 


258  DE  LA   FOR^IATION 

capable  de  soumettre  l'instinct  à  l'intelligence,  les  facultés 
impulsives  aux  faculté'*  directrices,  les  déterminations  irré- 
flécliîos  aux  conseils  de  la  réflexion. 

Sans  imagination  et  sans  passions,  l'homme  n'agirait  pas. 
Sans  intejlijrence  et  sans  raison,  il  serait  fort  exposé  à  mal 
agir.  Sans  le  pouvoir  de  soumettre  la  passion  à  la  raison,  à 
quoi  la  raison  lui  servirait-elle?  Mieux  lui  vaudrait,  comme 
les  brutes,  avoir  été  réduit  aux  simples  impulsions  de  l'in- 
tinct,  que  d'avoir  reçu  la  rai-^on  sans  le  pouvoir  de  marcher  à 
«a  lumière.  La  raison,  sans  le  pouvoir  de  la  suivre,  ne  serait 
bonne  qu'à  empoisonner  sa  vie  et  ù  la  remplir  de  rem.ords 
inutiles. 

Ces  trois  ordres  de  facultés,  le  sentiment,  l'intelligence,  la 
vertu  ne  se  développent  pfts  en  même  tems.  L'homme  ne  suit 
d'abord  que  son  imagination  et  ses  passions,  et  ses  premières 
déterminations  sont  tout  instinctives.  Plus  tard,  son  intelli- 
gence se  forme  ;  mais  l'habitude  et  l'entraînement  continuent 
à  le  diriger  dans  le  sens  de  ses  premières  impulsions  ;  il  per- 
siste à  faire  mal  long-tems  après  avoir  reconnu  qu'il  pourrait 
faire  mieux.  Enfin,  mais  très  à  la  longue,  il  apprend  à  mettre 
quelque  accord  entre  ses  actions  et  ses  lumières,  entre  les 
mouvemens  de  la  passion  et  \e%  directions  de  l'entendement. 

Je  dois  ajouter  que  le  développement  de  son  activité  suit  la 
même  marche  dans  quelque  direction  qu'on  l'observe;  c'est- 
à-dire  que,  dans  ses  travaux  comme  dans  sa  conduite,  dans 
son  action  sur  les  choses  conmie  dans  ses  rapports  avec  lui- 
même  ou  avec  ses  semblables,  il  commence  toujours  par  agir 
instinctivement;  qu'ensuite  l'expérience  l'avertit,  l'observa- 
tion l'éclairc  ;  qu'enfin  il  apprend  à  agir  conséquemment  à  ce 
qu'il  sait,  et  qu'il  se  laisse  moins  aveuglément  conduire  par 
ce  qu'il  sent,  qu'il  met  moins  d'entraînement  et  plus  de  ré- 
flexions dans  ses  actes. 

IMaiutenant,  quelles  sont  les  directions  où  son  activité  peut 
devei'ir  morale,  et  quand  peut-on  dire  qu'elle  le  devient? 

L'adjectif  mora/,  morale,  dérive  évidemment  du  latin  mos, 
Monis,  MORES,  MORALis.  Il  semble  donc,  à  prendre  ce  mot  par 
son  étymologie,  qu'on  devrait  l'appliquer  à  toute  manière 


UE  xNOS  HABITUDES  MORALES.  aSg 

d'agir  qui  est  passée  en  usage,  en  pratique,  en  habitude,  et 
qu'on  devrait  dire  d'une  action  qu'elle  est  morale  par  cela 
seul  qu'elle  est  accoutumée,  par  cela  seul  qu'elle  est  dans  les 
habitudes  de  l'individu  ou  du  peuple  qui  la  fait. 

Cependant  il  n'en  est  point  a^nsi  :  d'abord  on  ne  qualifie 
de  morales,  alors  même  qu'elles  seraient  habituelles  et  régu- 
lières, aucune  des  actions  qui  se  rapportent  au  travail;  on  ré- 
serve cette  qualitication  à  celles  qui  sont  relatives  à  la  con- 
duite; on  distingue  les  mœurs  d'un  peuple  de  ses  travaux, 
son  savoir  vivre  de  son  savoir  faire.  Ensuite,  encore  bien 
qu'on  donne  le  nom  de  mœurs  aux  habitudes  telles  quelles 
qui  nous  dirigent  dans  la  conduite  de  la  vie,  on  ne  dit  pas 
toujours  de  ces  habitudes  qu'elles  sont  morales.  On  ne  donne 
le  nom  de  morales  aux  habitudes  qui  nous  gouvernent  que 
lorsqu'elles  sont  dignes  de  nous  gouverner,  de  nous  servir  de 
règle,  lorsqu'elles  méritent  de  former  nos  mœurs.  On  recon- 
naît universellement  qu'il  y  a  des  mœurs  ou  des  habitudes 
morales  et  des  mœurs  ou  des  habitudes  immorales. 

Ainsi,  tant  que  notre  activité  ne  renferme  pour  ainsi  dire 
que  du  travail,  tant  qu'elle  ne  se  compose  que  d'industrie, 
d'adresse,  de  dextérité,  d'intelligence,  elle  ne  saurait  être  ni 
morale  ni  immorale.  i)ue  nos  travaux  soient  habituels  ou  in- 
solites, dominés  par  la  routine  ou  livrés  à  l'esprit  d'innova- 
tion, ils  sont  également  destitués  de  moralité.  On  pourra  dire 
d'un  ouvrier  ingénieux  qu'il  est  habile,  on  ne  dira  pas  qu'il 
est  moral;  on  dira  d'un  homme,  non  qu'il  travaille  morale- 
ment, mais  qu'il  se  conduit  d'une  manière  morale.  Encore 
un  coup,  cette  qualification  n'e«t  applicable  qu'à  celles  de  nos 
actions  qui  se  rapportent  à  la  conduite  de  la  vie. 

Ensuite,  pour  ce  qui  est  de  la  conduite,  il  y  a  à  dire  qu'elle 
n'est  point  morale  tant  que  les  déterminations  de  l'homme 
sont  purement  instinctives,  tant  qu'il  ne  fait  qu'obéir  aux  im- 
pulsions du  besoin,  de  la  passion,  du  sentiment.  On  sait  assez- 
en  effet  que  les  meilleurs  senlimens  peuvent  l'entraîner  à  mal 
faire.  Il  est  possible  que  l'amour,  l'amitié,  li  tendresse  pater- 
nelle le  portent  à  de  mauvaise^  actions.   \  plu-  fnrto  rai«on  îot 


26o  DE  LA   FORMATION 

sentimcns  qui  se  prennent  ordinairement  en  mauvaise  par(, 
l'amonr-propre,  la  haine,  la  colère,  l'orgueil,  l'avariée,  qui, 
bien  dirigés  cependant,  sont  susceptibles  de  produire  d'heureux 
eflels,  peuvent-ils,  s'ils  sont  laissés  à  leur  propre  impulsion^ 
le  pousser  à  des  actes  coupables.  En  général,  nos  afl'ections, 
qui  sont  presque  toutes  bonnes  et  dignes  d'être  entretenues 
comme  stimulans,  comme  forces  motrices,  ne  valent  rien 
comme  régulateurs;  et  une  conduite  (|ui  n'est  dirigée  que 
parle  sentiment  est  si  loin  de  pouvoir  être  qualifiée  de  morale, 
qu'il  n'est  pas  un  de  nos  sentimens,  même  dans  le  nombre  des 
plus  purs  et  des  plus  sympathiques,  qui  n'ait  indispensable- 
ment  besoin  dCtie  réglé. 

De  plus,  la  conduite  de  l'homme  ne  devient  pas  morale 
par  cela  seul  que  le  sentiment  est  éclairé  chez  lui  par  l'intel- 
ligence. Il  faut  sans  doute,  pour  qu'il  soit  capable  de  faire  le 
bien,  qu'il  apprenne  d'abord  à  le  connaître  ;  mais  de  ce  qu'il 
apprend  à  le  connaître,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  devient  capa- 
ble de  le  pratiquer.  On  aurait  beau  démontrer  à  un  homme 
que  la  vertu  consiste  à  agir  d'une  certaine  façon,  si  l'on  se 
bornait  à  lui  dire  ce  qu'il  faut  faire,  il  serait  assez  douteux 
qu'il  le  fil;  il  se  pourrait  très-fort  qu'éclairé  sur  le  bien,  il 
continuât  à  faire  le  mal.  Telle  est  en  cflét  la  disposition  de  \n 
plupart  des  hommes  : 

Video  mcliora  probofjiie,  détériora  scqtior. 

On  sait  combien  il  peut  y  avoir  loin  d'un  homme  ioslruil 
à  un  homme  vertueux,  d'un  homme  éclaire  sur  la  morale  à 
un  homme  moral,  et  combien  il  nous  reste  à  faire  encore  pour 
devenir  d'homiêtes  gens  après  que  nous  avons  le  mieux 
compris  en  quoi  l'honnêteté  consiste. 

Notre  conduite  n'est  donc  pas  morale  tant  que  nous  vivons 
sous  l'empire  du  sentiment,  car  il  peut  arriver  à  tout  moment 
que  nos  sonlimeus  nous  égarent  ;  et  elle  ne  le  devient  pas  par 
cela  seul  que  nous  éclairons  notre  esprit,  car  les  lumières  de 
l'esprit  n'excitent  pas  nécessairement  les  facultés  du  cœur,  et 


Dt   NOS  HABITUDES  MOrxALES.  abi 

ia  connaissance  du  bien  ne  donne  pas  toujours  la  force  de  le 
faire.  Nous  ne  devenons  des  homnaes  moraux  que  lorsque 
nous  accoutumons  nos  affections  et  nos  arts  à  se  régler  sur  la 
lumière  de  la  raison.  C'est  un  travail  tout-à-Hiit  à  part;  tra- 
vail différent  de  celui  qui  a  pour  objet  d'éveiller  notre  sensibi- 
lité, et  de  celui  qui  tend  à  perfectionner  notre  intelligence;  car 
l'artiste  a  beau  nous  émouvoir,  il  ne  nous  apprend  pas  à  con- 
naître le  bien;  et  le  savant  a  beau  nous  éclairer,  il  ne  nous  ac- 
coutume pas  à  le  faire.  Il  faut  de  nécessité  que,  dans  le  lems 
où  l'art  nous  émeut  et  où  la  science  nous  éclaire,  un  travail 
d'une  autre  espèce  nous  appfenne  à  soumettre  les  passions  aux 
avertissemens  de  la  raison. 

Or,  tel  est  proprement,  ou  tel  du  moins  devrait  être  l'ubjcl 
de  l'art  ou  des  arts  qui  se  proposent  ou  qui  paraissent  se  pro- 
poser de  nous  fiiire  contracter  de  bonnes  habitudes  morales. 
Le  moraliste  pratique  a  sûrement  grand  besoin  que  l'artiste 
entretienne  notre  sensibilité  et  que  le  savant  perfectionne  no- 
tre intelligence;  car  la  vertu  ne  se  compose  que  de  sentimeat 
et  de  raison;  mais  sa  tâche  à  lui,  foncièrement  distincte  de 
celle  de  l'un  et  de  l'autre,  consiste  surtout  à  accoutumer  nos 
facultés  affectives  à  agir  conséqueniment  à  ce  qu'enseignent 
nos  facultés  intellectuelles;  elle  consiste  à  nous  faire  con- 
tracter, par  de  certains  exercices,  l'habitude  de  nous  bien  dé- 
terminer, comme  celle  de  l'artiste  et  du  savant  consiste  à  nous 
habituer,  aussi  par  l'exercice,  à  sentir  délicatement  et  À  pen- 
ser d'une  manière  juste. 

On  peut  distinguer  dans  la  société  plusieurs  classes  de  per- 
sonnes et  de  professions  qui  travaillent  ou  qui  sont  censées 
travailler  à  la  furmatioji  des  mœurs.  Tel  est  ou  tel  devrait  être 
l'un  des  principaux  objets  de  l'éducation  domestique  et  de 
celle  des  écoles.  Telle  est  aussi  la  ijn  principale  que  devraient 
se  proposer  les  hommes  qui  enseignent  ou  qui  prétendent  en- 
seigner les  choses  de  l'autre  vie,  les  hommes  qui  dans  toutes 
les  religions  se  livrent  à  l'exercice  du  sacerdoce.  Enl'm  le 
gouvernement  n'a  pas  de  devoir  plus  essentiel,  de  tâche  plus 


»63  DE  LA  10RMAfiOî?f 

i'oiicîanienlale,  et  si  l'objot  inunédial  de  «on  intervenlion  est  de 
vider  les  procès,  d'apaisci-  les  querelles,  d'arrêter  ou  de  ré- 
parer les  désordres,  son  but  final  et  véritable  est  de  prévenir 
tous  ces  maux  en  s'efforcant  de  corriger  les  habitudes  vicieu- 
ses qui  les  engendrent.  Au  reste,  quoique  l'instituteur,  le  prê- 
tre, le  magistrat  s'occupent  également  de  nous  faire  ^contrac- 
ter de  bonnes  habitudes,  ils  y  travaillent  par  des  moyens  assez 
différcns  et  chacun  de  leur  côté  d'une  manière  assez  importante 
pour  que  la  profession  que  chacun  d'eux  exerce  mérite  d'être 
considérée  séparément.  Il  ne  sera  question,  dans  cet  article,  que 
de  celle  de  ces  professions  qui  est  exercée  par  l'instituteur^ 
et  encore  ne  sera-t-elle  envisagée  ici  que  dans  ce  qu'elle  a 
de  relatif  avec  la  formation  des  habitudes  morales. 

La  première  et  pour  ainsi  dire  la  seule  chose  qui  frappe 
aujourd'hui  lorsque  l'on  considère  l'éducation  domestique  et 
surtout  celle  des  écoles  dans  leur  rapport  avec  la  formalion  des 
mœurs,  c'est  leur  insuffisance,  je  dirai  presque  leur  nullité  re- 
lativement à  cet  objet. 

Je  ne  parle  pas  de  l'enseignement  spéculatif  et  purement 
intellectuel  de  la  morale.  Je  ne  dis  pas  que  l'éducation  néglige 
absolument  de  nous  instruire  de  ce  qu'il  faut  faire,  de  ce  que 
nous  devons  éviter.  Il  n'est  pas  douteux  qu'on  ne  charge  notre 
mémoire  des  noms  de  beaucoup  de  vertus  et  de  vices;  qu'on 
ne  nous  dise  quelque  chose  des  maux  que  le  vice  engendre,  des 
biens  que  produit  la  vertu,  des  motifs  que  nous  avons  pour 
nous  abstenir  de  l'un  et  pour  pratiquer  l'autre.  Cet  enseigne- 
ment sans  doute  est  extrêmement  imparfait.  Il  y  a  bien  des 
actions  recommandées  comme  bonnes  qui  sont  indifférentes 
ou  mauvaises:  il  y  a  bien  des  motifs  assignés  aux  bonnes  ac- 
tions qui  «ont  insuflisans  ou  vicieux;  mais  enfin  cet  enseigne- 
ment existe,  et,  bien  ou  mal,  on  exerce  notre  esprit  sur  la 
morale  comme  on  l'exerce  sur  une  multitude  de  sujets.  Mais 
on  n'exerce  Ki-dessus  que  notre  esprit.  C'est,  si  l'on  veut,  une 
partie  de  l'éducation  de  rintelligc^nce,  c'est  une  branche  du 
cours  de  philosophie;  mais  ce  n'est  que  cela;  les  faf ons  que 


DE  iNOS  H  A  BU  L  Ut  S  MORALES.  u«5 

reçoit  il  cet  cgaid  notre  entendement  ne  s'étendent  pas  jusqu'à 
notre  volonté  ;  on  ne  nous  exerce  pas  à  pratiquer  le  bien  qu'on 
nous  apprend  à  comprendre  :  ce  que  l'éducation  néglige,  en 
un  mot,  c'est  la  formation  du  caractère  et  des  mœurs. 

Cette  négligence  est  telle  qu'il  est  difficile  de  ne  pas  la  voir; 
mais  elle  devient  particulièrement  frappante  quand  on  consi- 
dère les  soins  que  reçoivent  d'ailleurs  nos  autres  facultés. 
Combien  n'y  a-t-il  pas  d'arts  occupés  à  entretenir  et  à  perfec- 
tionner nos  forces  physiques  ,  affectives  ,  intellectuelles  ? 
Quelle  variété  d'exercices  notamment  ne  fait-on  pas  faire  à 
notre  esprit  ?  Quel  tems  ne  donne-t-on  pas  à  sa  culture?  On 
exerce  douze  et  quatorze  heures  par  jour  l'intelligence  d'un 
adolescent  :  on  lui  fait  faire  des  cours  de  grec,  de  latin,  d'élo- 
quence, de  logique,  de  calcul,  de  physique,  de  chimie,  etc.,  etc. 
Mais,  pendant  qu'on  use  les  jours  entiers  A  exercer  son  intel- 
ligence, on  emploie  à  peine  des  momens  à  faire  l'éducation  de 
sa  volonté  ;  pendant  qu'on  travaille  à  graver  dans  son  enten- 
dement toutes  sortes  de  connaissances,  ù  peine  peut-on  dire 
qu'on  forme  son  cœur  à  la  pratique  de  quelque  vertu.  L'édu- 
cation des  écoles  nous  apprend  peut-être  à  disserter  sur  les 
préceptes  de  la  morale;  mais  on  conviendra  qu'elle  ne  nous 
instruit  guère  à  les  observer.  Nous  apprenons  à  disputer,  non 
à  vivre  :  non  vitœ,  sed  schofœ  discimus.  Pour  apprendre  à  vivre, 
nous  attendons,  comme  dit  Montaigne,  que  la  vie  soit  passée. 
Comme  du  tems  du  philosophe  périgourdin,  «  le  soing  et  la 
despense  de  nos  pères  ne  visent  qu'à  nous  meubler  la  teste  de 
science,  et  pour  ce  qui  est  de  la  vertu,  peu  de  nouvelles.  Criez 
d'un  passant  :  ô  le  savant  homme!  et  d'im  autre  :  ô  le  bon 
homme!  notre  peuple  ne  manquera  pas  de  tourner  ses  yeux 
et  son  esprit  vers  le  premier  (i).  »  Diogène  pourrait  encore  se 
moquer  des  musiciens  qui  savent  accorder  leurs  flûtes  et  qui  ne 
savent  pas  accorder  leurs  mœurs,  des  orateurs  qui  s'escriment 
à  disputer  sur  la  justice,  et  qui  sont  incapables  de  la  prati- 
quer (2) .  Nos  vertus,  pour  la  plupart,  sont  écrites  et  consignées 

i)  Essais,  1.  I,  ch.  34  :  '/«  Pédnnlismt . 
1)  Ibid. 


364  l>^   I  A   FOUMATION 

dans  nos  livres  de  morale,  et  c'est  là  qu'au  besoiu  nous  tdlon» 
les  puiser  :  «  Me  veulx-ie  armer  contre  la  crainte  de  la  mort? 
c'est  aux  despens  de  Seneca.  Veulx-ie  tirer  de  la  consolation 
pour  moy  ou  pour  un  aultre?  je  l'emprunte  de  Cicero.  le 
l'eusse  prinsse  en  moy-mesme  si  l'on  m'y  eust  exercé  « ,  ob- 
serve Montaigne  (i). 

Il  est  vrai  pourtant  qu'on  ne  peut  pas  faire  l'éducation  de 
notre  esprit  ou  de  nos  membres  sans  le  concours  de  notre  vo- 
loaté,  et  par  conséquent  sans  accoutumer  cette  faculté  ;'t  vou- 
loir ce  que  d'autres  doivent  faire,  sans  travailler  plus  oir  moins 
à  son  éducation.  Par  cela  seul  que  notre  éducation,  telle 
qu'elle  est  faite,  nous  astreint  à  un  certain  travail,  elle  nous 
inculque  nécessairement  de  certaines  vertus.  Tout  travail  exige 
que  nous  prenions  un  certain  empire  sur  nous-mêmes  ;  tout 
travail  nous  exerce  plus  ou  moins  à  la  patience  ;  tout  travail 
nous  fait  contracter  l'habitude  de  l'activité,  de  l'application, 
d'un  certain  ordre,  etc.  D'ailleurs  l'éducation  ne  peut  pas  dé- 
velopper nos  facultés  affectives  et  intellectuelles  sans  agir  indi- 
rectement sur  notre  volonté;  elle  ne  peut  pas  réveiller  en  nous 
de  bons  sentimens  sans  nous  exciter  à  faire  le  bien  ;  elle  nous 
porte,  jusqu'à  un  certain  point,  à  le  pratiquer,  par  cela  seul 
qu'elle  nous  le  fait  connaître,  et  qu'elle  nous  en  montre  les 
avantages. 

Je  conviens  de  plus  qu'on  ne  s'en  tient  pas  absolument  à 
nous  dire  ce  (ju'il  faut  faire  :  on  nous  stimule  aussi  à  l'exécuter 
par  un  usage  plus  ou  moins  judicieux  de  rapprobalion  et  du 
bUane,  des  peines  et  des  récompenses.  Le  seul  fait  de  la  vie 
en  commun  a  ,  jusiprà  un  certain  point,  pour  les  élèves  d'une 
école,  l'eftét  de  réformer  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  violent  et 
d'injuste  dans  leurs  volontés  :  chacun  des  élèves  est  plus  ou 
moins  contenu  par  tous  les  autres,  et  obligé  de  i"éprimcr  ses 
mauvaises  dispositions. 

L'éducation  a  donc  plus  ou  moins  pour  résultat  de  rendre 
nos  habitudes  morales,  (juoiqu'clle  ne  vise  pas  directement  à 

(i)  Essais,  t/i,  cil.  .i\  :  (tu  Pcdantimw. 


DE  NOS  HABITUDES  MORALES.  -^m 

ce  but.  y)ah  ce  que  je  lui  reproche,  c'est  précisément  de  ne 
pas  se  faire  un  objet  spécial  de  la  formation  de  nos  habitudes; 
de  ne  pas  soumettre  la  volonté,  conïme  l'intelligence,  à  des 
exercices  régulieis  ;  de  ne  pas  réduire  la  vertu  en  art  comme  la 
science,  quoique  l'on  sache  très-bien  que,  si  la  science  a  be- 
soin de  s'apprendre,  il  est  encore  plus  indispensable  de  faire 
l'apprentissage  de  la  vertu. 

Cette  absence,  dans  l'éducation,  d'exercices  propres  à  for- 
mer les  mœurs  est  devenue  particulièrement  sensible  depuis 
que  les  idées  religieuses  ont  perdu  une  si  grande  partie  de  leur 
ancienne  influence.  Sous  l'empire  de  ces  idées,  on  voyait  quel- 
que chose  d'analogue  à  ce  que  je  demande.  Il  se  mêlait  à  l'ob- 
servation des  devoirs  purement  religieux  de  certaines  pratiques 
qui  pouvaient  être  considérées  comme  des  exercices  destinés 
à  corriger  les  mauvais  penchans  et  à  faire  contracter  de  bon- 
nes habitudes.  La  prière ,  l'obligation  de  se  recueillir  et  de  se 
mettre  fréquemment  en  présence  de  Dieu,  les  bonnes  résolu- 
tions du  matin,  l'examen  de  conscience  du  soir,  la  confession 
de  ses  fautes  à  un  directeur  spirituel,  que  l'on  consultait  sur 
les  moyens  de  corriger  ses  imperfections  morales  ,  avaient  in- 
contestablement cet  objet.  Je  n'examine  point  ici  la  valeur  de 
ces  pratiques.  Je  dis  seulement  (ju'elles  avaient  pour  but  la 
correction  des  mœurs,  et  qu'en  général,  sous  l'empire  des 
idées  religieuses,  apprendre  à  vivre  était  l'objet  d'un  travail 
formel,  d'une  étude  expresse  et  positive.  Mais,  à  mesure  que 
ces  idées  se  sont  affaiblies,  les  exercices  dont  je  parle  ont  été 
négligés;  peu  à  peu  on  ne  s'y  est  plus  livré  que  pour  la  forme, 
on  en  a  oublié  le  véritable  sens;  ce  qui  en  reste  n'est  guère, 
dans  beaucoup  d'écoles,  qu'un  objet  d'indifférence,  de  déri- 
sion ou  d'hypocrisie,  plus  propre  à  démoraliser  la  jeunesse 
qu'à  lui  inspirer  des  seutimens  vertueux.  En  général  on  a  re- 
noncé à  ce  mo^^'u:  vu  l'abandounant ,  on  ne  l'a  pas  remplacé 
par  d'autres;  et  maintenant,  dans  l'éducation  ,  la  seule  chose 
qui  frappe,  relativement  aux  mœurs,  c'est,  comme  je  le  dis, 
l'absence  à  jxeu  près  complète  de  pratiques  propres  à  les 
former. 


266  DE  LA  l'OilMATlON 

Il  y  a  plus  :  c'est  qu'on  pariùt  regarder  de  telles  pratiques 
comme  inutiles.  La  seule  chose  aujourd'hui  qu'on  trouve  im- 
portante, c'est  d'éclaiier,  c'est  d'exercer  toujours  davantage 
l'entendement.  C'est  de  là  qu'on  paraît  tout  attendre.  On  a 
l'air  de  croire  que  le  travail  l'ait  sur  l'esprit  suffit  pour  redres- 
ser les  défauts  du  caractère,  et  que  la  diffusion  des  lumières 
doit  entraîner  nécessairement  la  réforme  des  mœurs.  Ces  idées 
sont  lellcu)ent  établies  que  la  seule  chose,  par  exemple,  qu'on 
semble  demander  pour  l'amélioration  des  classes  inférieures 
de  la  société,  c'est  la  propagation  de  l'enseignement  pri- 
maire. On  suppose  que  ces  classes  deviendront  plus  morales 
par  cela  seul  qu'elles  auront  un  commencement  d'instruction; 
on  pose  en  lait  qu'il  y  a  d'autant  moins  de  délinquans  dans 
une  certaine  population  qu'il  y  a  plus  de  gens  sachant  lire  et 
écrire  (i).  Le  fait  peut  être  vrai  ;  mais  il  n'est  pas  rapporté  à 
ses  véritables  causes,  ou  du  moins  à  toutes  ses  causes.  Il  y  a 
plusieurs  bonnes  raisons  pour  qu'il  se  commette  moins  de 
délits  là  où  il  se  trouve  plus  de  gens  sachant  lire  et  écrire.  Le 
fait  d'une  popidalion  plus  instruite  suppose  une  population 
plus  aisée,  moins  exposée  aux  séductions  du  besoin  et  de  la 
misère,  appartenant  à  des  familles  mieux  réglées,  au  sein  des- 
quelles elle  a  trouvé  de  mei  leurs  exemples;  pour  que  celte 
population  apprit  à  lire  il  a  fallu  qu'elle  passât  quelque  tems 
dans  des  écoles,  où  elle  a  été  surveilée,  tenue,  obligée  de  se 
plier  à  de  certaines  habitudes  d'ordre  et  de  discipline;  le  talent 
qu'elle  a  acquis  lui  permet  d'ouvrir  des  ouvrages  où  elle  peut 
puiser  quelques  bonnes  inspirations,  etc.  Il  n'est  donc  pas 
étonnant  (|u'(lle  soit  moins  portée  au  mal,  et  (|u'elle  fasse  moins 
de  fautes  ;  mais  ce  n'est  pas  précisément,  ou  du  moins  unique- 
ment à  cause  du  peu  d'instruction  littéraire  qu'elle  a  acquis. 


(i)  C  l'st  une  proposition  que  ])liisieuis  auteurs  de  statistique  ont  déjà 
avancée,  et  qui  résulte,  suivant  eux,  de  la  couipaiaison  du  nombre  des 
^'ens  sachant  iiie  et  écrire  à  celui  des  gens  qui  ne  savent  ni  l'un  ni  l'au- 
'le,  dan»  la  masse  de  ceux  qui  sont  Iradiiils  annuellement,  {)our  crimo« 
<Mi  (lelils,  devant  les  Iribiuianx. 


DE  .NOS  HAUITUDl-S  MORALKS.  y.G; 

Il  n'3"  a  pas  de  liaison  rigoureusement  nécessaire  entre  le  tJiIent 
(le  lire  et  la  vertu  de  se  bien  conduire,  ni  même  en  gcnéral 
entre  le  lalonl  et  la  vertu.  Pour  faire  le  bien,  il  fiait  sûrement 
le  connaître;  mais  de  la  connaissance  à  la  pratique  on  sait  la 
dislance  qu'il  y  a.  Pratiquer  le  bien  qu'on  connaît  est  un  mé- 
rite tout  différent  de  celui  de  le  connaître,  et  qui  ne  s'acquiert 
pas  par  les  mêmes  moyens.  On  peut  faire  de  nous  des  savans 
sans  être  assuré  d'en  faire  des  lionimes  moralement  recom- 
mandables,  et  l'on  sait  que  les  plus  grands  casuistes  ne  sont 
pas  toujours  les  plus  gens  de  bien. 

Il  y  a  donc  quelque  chose  d'extrêmement  erroné  dans  cette 
disposition  d'esprit  qui  nous  porte  aujourd'hui  à  attendic  le 
perfectionnement  des  mœurs  dé  la  seule  culture  des  inlelli- 
gences,  et  qui  nous  fait  négliger  comme  inutile,  dans  l'édu- 
cation, tout  travail,  tout  exercice  (jui  aurait  directement  pour 
objet  de  les  former. 

Au  reste,  de  ce  qu'il  n'y  a  rien  d'arrangé  pour  cet  objet, 
dans  les  écoles,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  n'y  pourrait  rien  avoir; 
de  ce  que  l'art  de  former  les  habitudes  n'existe  pour  ainsi  dire 
point,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  est  impossible.  La  vertu  se  peut 
enseigner  et  apprendre  comme  les  autres  choses  de  la  vie. 
Quoi  donc,  dit  Plutarque,  les  hommes  peuvent  se  former  à 
tout,  et  ou  ne  pourrait  les  plier  à  l'art  de  bien  vivre!  «Les  hom- 
mes apprennent  à  chanter,  à  danser,  à  lire,  à  écrire,  à  se  vêtir, 
à  labourer  la  terre,  à  dompter  les  chevaux  ;  ils  ne  sont  capables 
de  bien  faire  ces  choses  qu'après  les  avoir  apprises,  et  celle 
pour  laquelle  toutes  les  autres  s'apprennent ,  la  bonne  vie,  la 
sagesse  pratique  dépendrait  uniquement  du  hasard,  et  serait 
la  seule  qui  ne  se  pourrait  enseigner  ni  apprendre  (i)  !  »  Mon- 
taigne observe,  d'après  Xénophon,  que  les  Perses  eiîsei- 
gnaient  la  vertu  à  leurs  enfans,  comme  les  autres  nations  fai- 
saient les  lettres.  Rousseau  est  d'avis  qu'il  n'est  pas  de  vertu 
dont  on  ne  puisse  faire  l'apprentissage,  et  il  observe  que  la 
constance,  la  fermeté  et  les  autres  vertus  sont  des  apprentis- 

'i)  Œuvreu  moi".,  chap.  t?  :  Que  In  vertu  .<e  peut  cnffii;nci-  et  tiiprenrlrf 


268  DE  LA   FORlUATIOiN 

sages  (le  l'enfance.  Cet  apprentissage  sans  doute  n'est  pas  uise: 
mais  il  est  possible.  Tout  le  monde  n'y  apporte  pas  les  mêmes 
dispositions  :  on  est  plus  ou  moins  apte  à  la  vertu  comme  à 
la  science;  on  est  plus  ou  moins  porlé  à  la  pratique  de  telle 
vertu  comme  à  l'étude  de  telle  science;  mais  il  n'est  pas  de 
vertu  à  laquelle  on  ne  puisse  plus  ou  moins  former  notre  vo- 
lonté, comme  il  n'est  pas  de  notions  avec  lesquelles  on  ne 
puisse  plus  ou  moins  familiariser  notre  intelligence. 

Et  non-seulement  la  vertu  se  peut  apprendre,  mais  ou  sait 
quel  est,  en  général,  le  moyen  par  lequel  on  y  peut  réussir. 
Ce  moyen  est  l'exercice.  «  Vouldrais-ie,  demande  Montaigne  , 
(juc  le  Palluel  ou  Pompée,  ces  beaux  danseurs  de  mon  temps, 
nous  apprinssent  les  caprioles  à  les  voir  faire  seulement,  et 
sans  bouger  de  nos  places  (i)  ?))Eh  bien,  si  nous  ne  pouvons 
apprendre  les  cabrioles  seulement  à  les  voir  faire,  nous  ne 
pouvons  pas  davantage  nous  former  à  la  vertu  en  la  voyant 
seulement  pratiquer.  La.puissance  de  vaincre  nos  désirs,  ob- 
serve Locke,  s'acquiert  et  se  perfectionne  par  la  coutume,  à 
qui  tout  devient  facile  et  familier.  Il  ne  faut  pas,  ajoute  le 
même  écrivain,  instruire  les  enfans  par  de  simples  règles  qui 
leur  écliappent  continuellement  de  la  mémoire  ;  mais  ce  qu'on 
juge  nécessaire  qu'ils  fassent,  il  faut  le  leur  faire  pratiquer 
aussi  souvent  que  l'occasion  s'en  présente,  et  s'il  est  possible, 
en  faisant  naître  les  occasions.  Cela  produit  des, habitudes  qui, 
une  fois  établies,  agissent  d'elles-mêmes  et  sans  le  secours  de 
la  mémoire  (2). 

A  la  vérité,  les  philosophes  qui  reconnaissent  le  mieux 
qu'on  ne  peut  former  la  volonté,  de  même  que  l'intelligence, 
qu'en  l'exerçant,  qu'en  la  faisant  agir,  sont  assez  endjarrassés. 
de  dire  par  quels  exercices  on  réussit  le  mieux  à  la  dresser; 
comment,  par  exemple,  on  parvient  à  faire  l'éducation  du 
courage,  de  la  patience,  de  la  sobriété,  de  la  justice,  etc.  ;  et 
néanmoins  il  n'est  pas  douteux  qu'il  n'y  ait  des  méthodes  pour 

(i)  Essais,  l.  I,  cliap.  a5  :  De  l'instilulion  i/cs  ciifatis. 
(2)  Educalwn  des  cnj'ans,  §  09,  67  ol  (JS. 


DE  NOS  HABITUDES  MORALES.  569 

régler  la  volonté  et  des  procédés  pour  former  les  habitudes.  Il 
est  des  hommes  qui  s'entciulcnt  particulièrement  à  faire  l'é- 
ducation du  caractcre,  coainie  il  y  en  a  qui  sont  parliculière- 
nient  propres  à  faire  l'édiicalion  de  l'esprit.  II  pourrait  y  avoir 
des  établissemens  pour  la  première  de  ces  éducations,  tout 
aussi-bien  qu'il  y  en  a  pour  la  seconde  ;  ou  bien  les  établisse- 
mens montés  pour  faire  l'éducation  de  nos  facultés  intellec- 
tuelles pourraient  être  ordonnés,  très-probablement,  de  ma- 
nière à  servir  aussi  à  faire  l'éducation  de  nos  facultés  morales. 
Qu'est-ce  qui  empêcherait  que,  dans  une  école  bien  organi- 
sée, on  ne  fît  des  cours  de  vertu  comme  des  cours  de  science, 
des  cours  de  gymnastique  morale  connue  des  cours  de  gym- 
nastique intellectuelle  ou  corporelle  ?  On  voit  dans  les  .Mé- 
moires de  Benjamin  Franklin,  qu'à  l'époque  de  sa  vie  où  il 
forma,  comme  il  s'exprime  lui-même,  le  hardi  et  difjici le  pro- 
jet de  parvenir  à  la  perfection  morale,  il  sut  s'arranger  de  ma- 
nière à  allier  à  ses  travaux  et  à  ses  études  un  cours  pratique 
des  principales  vertus  auxquelles  il  sentait  le  besoin  de  se  for- 
mer. Rien  de  plus  simple  et  de  plus  ingénieux  tout  ensemble 
que  le  moyen  dont  il  s'avisa.  Il  avait  tracé  sur  une  tablette 
d'ivoire,  qu'il  portait  toujours  avec  lui,  un  certain  nombre  de 
colonnes  transversales,  en  marge  desquelles  était  inscrit  le 
nom  des  vertus  qu'il  désirait  particulièrement  acquérir.  Ces 
colonnes  étaient  croisées  par  sept  colonnes  perpendiculaires, 
portant  en  tête  les  jours  de  la  semaine.  C'est  sur  ce  tableau 
que  s'opérait  son  travail.  Il  donnait,  pendant  une  semaine  en- 
tière, une  attention  rigoureuse  à  chacune  des  vertus  inscrites 
en  marge  du  tableau ,  abandonnant  les  autres  à  leur  chance 
ordinaire,  et  ayant  soin,  chaque  soir,  de  marquer  les  fautes 
du  jour.  La  semaine  d'ensinte,  il  étendait  son  attention  à  la 
vertu  placée  dans  la  seconde  colonne  transversale,  puis  à  la 
vertu  placée  dans  la  troisième,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  la  fin 
du  tableau.  Il  faisait  un  cours  complet  en  treize  semaines,  et 
quatre  cours  en  une  année.  A  mesure  qu'il  persévérait  dans 
ces  utiles  exercices,  il  avait  la  satisfaction  de  voir  les  marques 
de  ses  fautes  devenir  moins  nombreuses,  et  sa  vertu  faire  des 


2-0  DK  LA  l'OiliMATION 

progrcs  (i).  Qu'esl-cc  qui  cmpêcheiail  qu'on  n'usilt  de  sem- 
blables procédés  dans  les  écoles?  qu'on  ne  traçât  pour  chaque 
classe,  suivant  l'âge  des  élèves,  un  tableau  des  bonnes  habi- 
tudes auxquelles  on  voudrait  les  Ibrnier?  Que  ces  vertus  de- 
vinssent chacune  à  leur  tour,  et  pendant  un  certain  tems  , 
l'objet  d'exercices  communs  à  tous  les  enfans  d'une  même 
classe  ?  qu'on  intéressât  leur  énxulation  à  les  pratiquer?  qu'on 
notât  les  atteintes  qu'y  porterait  ostensiblement  chaque  élève? 
qu'on  les  accoutumât  à  faire  eux-mêmes,  chaque  soir  ,  l'exa- 
men de  leur  jeune  conscience,  et  à  se  rappeler  les  manque- 
mcns  du  jour?  L'efficacité  de  ces  pratiques  pourrait  être  ac- 
crue par  un  usage  éclairé  de  tous  les  stimulans  propres  à  taire 
agir  la  volonté  dans  le  sens  des  déterminations  qu'on  voudrait 
lui  faire  prendre  :  par  la  douceur,  parle  bon  exemple,  par  des 
appels  aux  bons  sintimens  des  élèves,  par  une  action  judi- 
cieuse exercée  sur  leur  raison,  en  leur  exposant  avec  simpli- 
cité et  fidélilé  les  conséquences  des  bonnes  et  des  mauvaises 
habitudes,  en  leur  enseignant  conmient  les  habitudes  s'ac- 
quièrent et  se  perdent,  comir.ent  une  première  action  ou  une 
première  abstinence  en  rendent  plus  facile  une  seconde,  com- 
ment on  peut  s'accoutumer  par  degrés  aux  actes  et  aux  priva- 
tions qui  paraissaient  d'abord  les  plus  pénibles;  que  sais-je  ? 
on  sent  aisément  qu'un  art  aussi  difficile  que  celui  du  mora- 
liste pratique  ne  se  peut  pas  improviser,  qu'il  est  difficile  de 
dire  ce  qu'il  y  a  à  faire;  mais  il  y  a  très-assurément  quelque 
chose  à  faire. 

Si  donc,  dans  la  plupart  des  maisons  d'éducation,  on  dé- 
pense peu  du  tems  et  l'on  déploie  peu  d'art  à  former  les  ha- 
bitudes morales,  convenons  que  ce  n'est  pas  la  faute  des 
choses,  mais  celle  des  instituteurs.  Il  est  indubitable  qu'on 
pourrait  approprier  les  écoles  â  l'éducation  de  la  volonté 
comme  à  celle  de  l'intelligence,  s'y  former  à  l'art  de'bien  vivre 
comme  à  l'art  de  bien  penser,  y  apprendre  l'ordre  ,  la  justice, 

(i)  Voy.  «I  /^(c  ef  tes  OEuvres  ponthumen ,  trachiiff*  de  l'anglais  par 
il»»iéi»,  t.  Il,  p.  r>SS  yJ  suiv.  l'ai^,  .in  ru 


DE  NOS  HABITUDI-S  MORALES.  271 

la  sincérité,  tout  comme  le  calcul,  la  grammaire,  la  rhéto- 
rique, et  y  l'aire  autant  de  progrès  dans  la  morale  en  action 
que  dans  la  morale  en  théorie. 

S'il  e?t  certain  qu'on  pourrait  réduire  la  vertu  en  art,  il  ne 
l'est  pas  moins  que  cet  art  serait  de  nature  à  exercer  sur  la 
société  la  plus  grande  et  la  plus  salutaire  influence. 

On  sait  quel  rôle  les  bonnes  habitudes  personnelles  et  la 
bonne  morale  de  relation  jouent  dans  l'économie  sociale.  On 
n'ignore  pas  que,  de  tous  les  élémens  dont  se  compose  la  puis- 
sance du  travail,  les  vertus  privées  et  civiles  sont  un  des  plus 
indispensables.  Je  n'ai  donc  pas  besoin  de  dire  quelle  est, 
pour  tous  les  arts,  l'importance  de  celui  ou  de  ceux  qui  tra- 
vaillent directement  à  produire  la  vertu  ;  te  qu'ils  peuvent 
donner  de  valeur  aux  hommes,  et  ce  qu'ils  leur  procurent,  pour 
tout  ce  qu'ils  ont  à  l'aire,  de  puissance  et  de  facilité  d'ai^tion. 
C'est  une  vérité  qui  peut  se  passer  de  développement  et  de 
preuves. 

Mais  les  arts  qui  s'occupent  de  la  formation  de  nos  habi- 
tudes morales  ne  sont  pas  imporfans  seulement  en  ce  sens 
qu'ils  rendent  tous  les  autres  plus  fa(  iles,  et  qu'ils  leur  four- 
nissent un  des  ingrédiens  les  plus  essentiels  de  leur  liberté;  ils 
ont  une  utilité  plus  immédiate.  Comme  tous  ceux  qui  s'exer- 
cent sur  l'honmie,  ils  ont  l'avantage  de  travailler  directement 
à  sa  culture,  et  peut-être  sont-ils,  de  tous  ceux  à  l'action 
desquels  il  se  prête,  ceux  qui  contribuent  les  plus  à  son  per- 
fectionnement. 

11  est  sûrement  d'un  grand  intérêt  pour  l'homme  qu'il  y  ait 
des  arts  qui  s'occupent  de  l'amélioration  de  sa  nature  physi- 
que, que  d'autres  travaillent  à  l'entretien  de  son  imagination 
et  de  ses  affections,  que  d'autres  s'appliquent  au  développement 
de  ses  facultés  intellectuelles;  mais  s'il  lui  importe  de  devenir 
beau,  sensible,  intelligent,  nul  doute  qu'il  ne  soit  pour  lui 
d'une  plus  haute  importance  encore  de  devenir  vertueux,  et 
les  arts  qui  lui  apprennent  à  soumettre  son  imagination  et  ses 
sentimensà  la  direction  de  son  intelligence  sont,  sans  contre- 


3^3  DE  LA  FOllMATION 

dit,  (le  tous  ceux  qui  s'occupent  de  sa  culture,  ceuxqui  tra- 
vaillent le  plus  eiïica'jcment  à  sa  diguilc  et  à  son  bonheur. 

La  vertu,  cette  force  intérieure  qui,  sans  étouffer  aucune 
de  nos  affections  naturelles,  nous  rend  capables  de  les 
contenir  toutes  dans  les  bornes  que  leur  trace  une  raison 
éclairée,  la  vertu  est  de  nos  facultés  la  plus  noble  et  la  plus 
précieuse.  Sans  elle  il  n'y  a  que  désordre  ou  faiblesse  dans 
nos  actions  ;  elle  seule  a  le  pouvoir  d'empêcher  que  la  raison 
ne  soit  un  piésent  stérile,  et  les  passions  un  présent  funeste. 
Elle  Ole  aux  passions  leur  venin  et  à  la  raison  son  impuissance; 
elle  fait  servir  le  sentiment  à  animer,  à  échauffer  la  raison  ,  et 
la  raison  à  éclairer,  à  diriger  le  sentiment.  Elle  corrige  ainsi 
ces  deux  ordres  de  facultés  l'un  par  l'autre,  et  elle  les  perfec- 
tionne également  tous  les  deux. 

Les  passions,  contre  lesquelles  on  a  tant  déclamé,  peuvent 
toutes  contribuer  à  la  perfection  de  notre  Être,  même  celles 
dont  le  nom  se  prend  en  mauvaise  part  et  que  l'on  qualiûc 
ordinairement  de  malfaisantes  :  la  haine  devient  un  bon  sen- 
timent lorsqu'elle  n'est  dirigée  que  contre  le  vice;  il  est  beau 
pour  un  prince  de  se  montrer  avare  du  sang  et  de  l'argent  de 
ses  sujets;  Vorgueil  peut  nous  préserver  de  beaucoup  de  bas- 
sesses; il  y  a  des  vanités  bien  placées,  etc.,  etc.  Mais,  d'un 
autre  côté,  toutes  les  passions  peuvent  nous  avilir  et  nous 
rcndie  misérables;  toutes,  même  les  plus  bienfaisantes,  peu- 
vent avoir  de  funestes  effets  :  quels  désordres  abominables  n'a 
pas  produit  l'exaltation  et  la  mauvaise  direction  du  sentiment 
religieux  ?  Combien  une  charilé  mal  entendue  ne  peut-elle  pas 
développer  de  misères  et  de  vices  ?  Que  de  fureurs  et  de  cri- 
mes n'a  pas  engendré  l'amour,  la  plus  tendre  pourtant  et  la 
plus  bienveillante  des  passions?  Toutes  nos  affections  sont 
donc  alternativement  bonnes  ou  mauvaises,  salutaires  ou 
désastreuses,  suivant  la  dirt;ction  que  nous  leur  donnons.  Eh 
bien!  c'est  un  effet  de  la  vertu,  et  des  arts  qui  la  font  naître, 
de  leur  ôter,  en  les  renfermant  dans  de  justes  bornes,  ce 
qu'elles  ont  de  malfaisant.  Le  propre  de  ces  arts  est  de  mo- 
difier nos  penchans  de  telle  sorte  qu'ils  nous  portent  toujours 


DE  NOS  HABITUDES  MOUALES.  275 

à  agir  de  la  manière  la  plus  conforme  à  notre  vrai  bien. 
S'ils  agissent  utilement  î^nr  les  passion?,  ils  n'exercent  pas 
sur  la  raison  une  intlucnce  moins  salutaire.  J'ai  déjà  obsené 
qu'il  est  possible  d'être  tort  éclairé  sur  la  morale  sans  être  pour 
cela  un  homme  plus  moral.  Postquamdocti  prodierant  boni  de- 
suiit,  a  dit  un  ancien  moraliste  ;  depuis  qu'il  y  a  tant  de  sa- 
vaas  on  ne  voit  plus  de  gens  de  bien.  Ce  n'est  pourtant  pas 
que  la  science  soit  un  obstacle  à  la  sagesse;  et  Sénèque  a  sû- 
rement grand  tort  de  présenter  les  lumières  comme  ennemies 
de  la  vertu,  puisque  nos  meilleurs  senti^aens  ont  besoin  d'être 
éclairés  pour  ne  pas  nous  induire  à  mal  faire.  Mais,  si  la 
science  n'est  pas  contraire  à  la  vertu  ,  il  faut  convenir  qu'elle 
ne  suffît  pas  pour  la  produire.  On  sait  combien  il  est  commun 
de  voir  des  hommes  instruits  qui  manquent  de  jnœurs.  des 
hommes  très-chastes  dans  leurs  discours  et  très-déréglés  dans 
leurs  liabitudes,  des  hommes  très-libéraux  en  théorie  et  très- 
injustes  et  très-despotes  dans  la  conduite.  Il  se  peut  même 
que  ce  contraste  d'une  raison  très-peil'ectionnée  et  de  moeurs 
encore  imparfaites  soit  d'autant  plus  sensible  chez  un  peuple 
qu'il  a  plus  cultivé  sa  raison,  si,  à  mesure  qu'il  a  donne  plus 
de  tems  et  de  soin  à  la  culture  de  sa  raison,  il  a  négligé  da- 
vantage celle  de  ses  habitudes.  C'est  peut-être  ce  que  nous 
avons  fait  :  il  semble  qu'on  ne  s'est  jamais  moins  appliqué  à 
la  formation  des  moeurs  que  depuis  qu'on  s'occupe  avec  plus 
<l'ardeur  de  la  formation  des  intelligences.  De  là  sans  doute 
cette  imperfection  de  nos  habitudes  à  côté  des  progrès  de  notre 
entendement,  qui  fait  croire  à  tant  de  gens  que  les  progrès 
de  l'entendement  nuisent  à  ceux  des  bonnes  habitudes  idée 
bien  déraisonnable  sans  doute,  mais  qui  est  pourtant  assez 
naturelle,  et  qu'il  est  réservé  aux  arts  dont  je  m'occupe 
en  ce  moment  de  faire  cesser.  C'est  à  ces  arts  qu'il  appartient 
de  lever  la  contradiction  qu'on  croit  apercevoir  entre  les 
mœurs  et  les  lumières,  et,  en  mettant  autant  de  soin  à  plier 
la  volonté  aux  directions  de  l'intelligence,  que  d'autres  arts 
en  mettent  à  développer  l'intelligence  elle-même,  de  faire  ces- 
ser ce  scandale  d'une  raison  très-exercée  qui  est  sans  pouvoir 
T.   XLVII.   AOIT  i85o.  iS 


o;4  DE  LA  FORMATTON 

sur  lu  ooiidiiilL';  de  donner  à  la  raison,  en  lui  faisant  acqué- 
rir la  force  de  vouloir,  ce  qu'elle  a  la  capacité  de  comprendre, 
une  façon  qui  est  le  complément  de  sa  culture  et  sans  laquelle 
ce  qu'elle  a  appris  ne  peut  lui  servir  à  rien,  si  ce  n'est  à  lui 
mieux  faire  sentir  sa  faiblesse  et  la  dépendance  humiliante  où 
rite  est  naturellement  des  passions. 

Non-seuîement  les  arts  qui  travaillent  à  mettre  nos  penchans 
d'accord  avec  nos  lumières  nous  tirent  d'un  état  fort  humi- 
liant, mais  ils  nous  délivrent  d'un  état  excessivement  pénible. 
Quoi  de  plus  pénible,  en  effet,  que  le  combat  que  se  livrent, 
au  dedans  de  uous,  la  raison  et  les  passions?  que  cet  état  où 
notre  moi ,  selon  la  remarque  de  BnlTon  ,  se  trouve  comme 
partajjé  en  deux  personnes,  dont  l'une,  la  faculté  raisonnal)!e, 
blâme  T;e  que  fait  la  seconde  ,  sans  être  assez  forte  pour  s'y 
opposer,  et  dont  l'autre,  la  faculté  passioiméc,  fait  ce  que  blâme 
la  preim'ère,  sans  pouvoir  se  dérober  au  jugement  que  celle-ci 
porte  de  sa  conduite  et  qui  empoisonne  tous  ses  plaisirs?  Quoi 
de  plus  misérable  qu'un  homme  éclairé  qui  manque  d'empire 
sur  lui-même?  qu'un  homme  dont  l'esprit  exercé  démêle  tout 
ce  qu'il  y  a  de  blâmable  dans  uiie  mauvaise  action,  et  que  ses 
penchans  entraînent  sans  cesse  à  faire  ce  que  son  esprit  ré- 
prouve? Mieux  vaudrait,  ce  semble,  manquer  tout-à-fait  de 
sentiment  ou  de  raison,  que  d'être  ainsi  tiré  en  sens  contraire 
par  des  facultés  opposées.  Mais  ce  qui  vaut  encore  mieux  que 
d'être  sans  passion  ou  sar.s  raison,  c'est  de  posséder  à  la  fois 
des  facultés  alïectives  et  des  facultés  raisonnables,  lorsqu'une 
bonne  éducation  morale  nous  a  fait  acquérir  la  force  néces^ 
saire  pour  soumettre  le.--  premières  de  ces  facultés  à  la  direc- 
tion des  secondes. 

Les  arts  qui  nous  donnent  ce  pouvoir,  les  arts  qui  dévelop- 
pent en  nous  cette  classe  de  facultés  qu'on  appelle  des  vertus, 
des  habitudes  morales,  sont  indubitablement  ceux  qin*  nous 
procurent  les  plaisirs  les  plus  parfaits.  Il  manque  quelque 
chose  à  tous  les  autres  :  les  plaisirs  des  sens  sont  j;rossiers  et 
fugitifs;  ceux  de  la  passion,  remplis  de  trouble  ;  ceux  de  l'in- 
telligence, mêlés  de  sécheresse  :  les  plaisirs  de  la  vertu  sont  les 


DE  NOS  ÎIABIIUDES  MORALES.  275 

;^ohL^  auxquels  il  ue  manque  rien.  Ceux-ci,  sans  exclure  les 
autres,  excluent  tout  va  qui  les  corrompt;  ils  se  composent 
surtout  de  cette  sécurité,  de  ce  calme,  de  cette  satisfaction 
élevée  que  nous  procure  l'empire  de  nous-mêmes  et  l'habitude 
de  ne  céder  à  nos  affections  que  conformément  aux  régies 
d'une  intelligence  éclairée. 

Ainsi  l'art  du  moraliste-pratique  n'a  pas  seulement  pour 
effet  de  créer  un  ordre  de  moyens  indispensables  à  la  liberté 
de  tous  les  autres;  il  nous  donne  encore  la  plus  importante 
des  éducations.  Pendant  que  d'autres  perfectionnent  nos  or- 
ganes, cultivent  notre  imagination  et  nos  affections,  dévelop- 
pent notre  intelligence,  celui-ci  achève  l'œuvre  si  difficile  de 
notre  éducation  en  nous  apprenant  à  soumettre  les  facultés 
qui  nous  émeuvent  aux  facultés  qui  nous  éclairent,  et  en  nous 
portant  à  faire  des  unes  et  des  autres  un  usage  judicieux  et 
modéré.  Par  là  il  les  conserve  toutes;  par  là  il  rend  plus  vifs 
les  plaisirs  variés  qu'elks  nous  procurent;  enfin  il  nous  fait 
trouver  dans  cet  empire  qu'il  nous  instruit  à  exercer  sur  les 
imes  et  sur  les  autres  un  plaisir  supérieur  à  tous  ceux  qu'elles 
peuvent  nous  donner. 

Non -seulement  donc  il  est  possible  de  réduire  en  art  l'ap- 
prentissage de  la  vertu,  mais  cet  art,  comme  je  l'ai  dit,  serait 
de  nature  à  exercer  sur  la  société  la  plus  grande  et  la  plus 
utile  des  influences  (1). 


(1)  Il  va  sans  dire  pourtant  que,  pour  que  l'art  moral  pût  produire  de 
tels  effets,  il  ne  faudrait  pas  que  les  hommes  se  trouvassent  dans  quel- 
qu'une de  ces  situations  violentes  dont  l'insurmontable  effet  est  de  les 
rendre  vicieux  et  médians.  Telle  est,  par  exemple,  la  rigueur  de  la  con- 
dition à  laqiielle  l'aristocratie  territoriale  de  l'Angleterre  paraît  avoir  ré- 
duit, dans  la  plupart  des  comtes,  la  population  agricole  de  ce  pays,  en  la 
dépouillant  do  toute  participation  à  la  propriété  foncière,  que,  de  l'aveu 
des  écrivains  anglais  les  plus  judicieux,  même  dans  le  nombre  de  ceux 
qui  appartiennent  au  parti  tory,  il  n'est  pas  d'art  qui  pût  donner  à  cette 
population  une  honnêteté,  une  moralité,  incompatibles  avec  la  situation 
déplorable  à  laquelle  on  l'a  réduile.  «  Des  efforts  nombreux  ont  été  ten- 
tés, observe  sir  Walter-Scott,  pour  améliorer  les  mœurs  corrompues  du 


•ijG     DE  LA  FOUiVIAT.  DE  NOS  HABIT.  MORALES. 

Il  sérail  aisé  de  monlrcr,  en  troisième  lieu,  que  cet  art, 
comme  tous  les  autres,  se  prêterait  à  l'application  des  divers 
moyens  généraux  sur  lesquels  se  fonde  la  puissance  du  tra- 
vail; mais  ceci  nous  mènerait  trop  loin. 

Ch.  Dl'NOTER. 


Vfcv  w*  wvvwv  WV  W  W  W  \V 


OPINION    de  M.    Edouard  Li  vin  os  ton 

SUR  LA  PEINE  DE  MORT. 
Extrait    du     Rapport    servant    d'introduction     au    système 

OE   LOI  PÉNALE    PRÉPARÉ   POUR  l'EtAT  DE   LA  LOUISIANE   (l). 
SECOND  ARTICLE. 

(Voy.  ci-dessus,  pag.  24- ) 

Toutes  les  nations  même  les  mieux  organisées  sont  sujettes 
à  des  troubles  politiques,  durant   lesquels  les  passions  vio- 

peuple  des  campagnes.  On  a  fait  des  frais  énormes  pour  le  mettre  à 
môme  de  participer  aux  bienfaits  de  l'éducation,  dans  l'espérance  qu'en 
l'éclairant  sur  ses  devoirs  on  le  rendrait  plus  honnête.  On  a  construit 
partout  des  prisons,  des  maisons  de  correction,  des  pénitentiaires;  on  a 
formé  des  associations  pour  poursuivie  les  voleurs,  les  braconniers,  ou, 
ce  qui  revient  au  même,  jiour  transférer  plus  sûrement  les  liabilansdes 
campagnes  de  leurs  chaumièies  dans  les  maisons  de  force.  D'autres  asso- 
ciations se  sont  formées  pour  les  catéchiser  quand  ils  sont  détenus.  Mais 
tous  ces  eilbrts  étaient  en  ])ure  perte.  C'était  vouloir  nettoyer  le  ruisseau 
sans  épurer  la  source.  Un  bon  Code  criminel,  une  police  bien  organisée, 
pe  ivent  rendre  la  découverte  du  crime  plus  certaine  et  sa  punition  plus 
.prompte.  Mais  cbs  moyens  répressifs  ne  diminueront  que  bien  faible- 
ment cette  multitude  que  la  misère  et  le  désespoir  poussent  avec  une 
puissance  irrésistible  vers  les  portes  de  nos  geôles  et  de  nos  péniten- 
tiaires. 0  fVoy.  dans  la  Hcviie  Brit.,  n"  58,  p.  219  et  220,  un  article  de 
Walter-Scott  sur  la  situation  du  peuple  des  campagnes  en  Angleterre, 
traduit  de  la  licvuc  Trimestrielle  (Quartcrly  flewicw). 

(1)  Nous  nous  ap]ilaudissons  d'autant   plus  d'avoir  iuséié  dans  notre 


OPINIOÎN  DE  M.  LIVINGSTON  SUR  LA  PEINE,  etc.  277 
lentes  qui  so  (Jéchîiiiieut  profitent  de  tous  les  prétextes  pour 
autoriser  leurs  excès  ;  et  les  partis,  mutuellement  enflammés  de 
la  rage  des  discordes  civiles,  s'accusent  réciproquement  des 
intentions  les  plus  noires,  des  crimes  les  plus  atroces;  mais, 
dans  les  conflits  même  les  plus  acharnés  des  fureurs  intes- 
tines, il  est  rare  que  l'on  tente  la  destruction  du  parti  ennemi, 
ou  d'un  chef  dangereux,  sans  leur  imputer  quelque  crime.  On 
ne  fait  pas  de  nouvelles  lois  dans  ces  occasions  ;  mais  on  tord 
et  on  pervertit  les  lois  existantes;  on  n'invente  pas  de  nou- 
velles peines;  mais  celles  déjà  établies  sont  rigoureusement 
appliquées  à  l'innoeenl:.  C'est  ce  qui  arrive  d'ordinaire  dans 
toutes  les  commotions  intestines,  et  même  après  qu'elles  ont 
pris  la  forme  de  la  guerre  civile  accompagnée  de  toutes  ses 
horreurs.  Ceux  qui  n'ont  pas  péri  dans  les  combats  sont 
soumis  à  une  espèce  de  jugement  avant  d'être  sacrifiés.  Le 
meurtre  revêt  dans  ces  occasions  l'hermine  immaculée  de  la 
justice,  se  couvre  de  sa  robe,  monte  sur  son  siège  sacré,  em- 
prunte son  saint  langage,  adopte  ses  formes,  qualifie  son 
iniqu«  sentence  de  jugement  légal;  et  même,  à  l'instant  où 
son  bras  sanglant  se  lève  pour  l'exécution ,  il  est  armé  du 
même  glaive,  et  n'inflige  à  la  victime  innocente  d'autre  puni- 
tion que  celle  que  les  lois  préexistantes  avaient  établie  pour 
le  criminel. 


Recueil  l'opinion  de  M  Edouard  Livi.-sgstos  sur  la  peine  de  mort,  que 
ceUe  opinion  a  ('•lé  invoquée  par  le  général  Lapayette  dans  la  discussion 
ouTerte  à  la  Chambre  des  députés,  le  17  août,  sur  la  proposition  de 
M.  Fictor  DE  Tracï  ,  relative  à  l'abolition  delà  peine  capitale.  Aucun 
témoignage  ne  pouvait,  être  d'un  phi.s  grand  poids  que  celui  de  l'illustre 
philantrope  dont  la  vie  entière  a  été  un  combat  pour  la  liberté  el  pour 
les  idées  généreuses.  La  proposition  de  l'honoi-able  M.  de  Tracy  a  été 
prise  en  considération  par  la  Cbauibre;  la  discussion  ultérieure  qui  en 
résultera  ne  pourra,  nous  en  sommes  certains,  que  gagner  beaucoup,  si 
ceux  de  MM,  les  députés  qui  se  proposent  d'y  prendre  part  veuleat  bien 
se  pénétrei-  des  argumens  pleins  de  force  et  de  nouveauté  énoncés  dans 
l'opinion  de  M.  Livingston.  Ils  i)Ourront  aussi  consulter  avec  fruit  une 
dissertation  de  M.  IIkiberc  sut  le  même  sujet,  insérée  dans  la  Revue  En- 
cyclopédique (t.  X,  p.,55i  el  660).  (JVofc  du  Rédacteur.] 


\ 


278  OPINION  DE  M.  LIVINGSTON 

Cela  est  inévitable  et  de  nécessité  couranle  dans  les  cas  de 
discordes  civiles.  Quels  que  soient  les  projets  de  chefs  sans- 
principes,  le  peuple,  qui  fait  leur  force  et  compose  leur  parti, 
doit  être  induit  à  croire  que  ceux  qu'il  soutient  sont  eux- 
mêmes  les  soutiens  des  lois.  Aussi  ne  souffrirait-il  aucun  mé- 
pris ouvert,  aucun  oubli  matériel  des  formes  établies,  lors- 
même  que  les  élémens  essentiels  de  la  justice  sont  violés  sans 
scrupule.  Les  formes  parlent  au  sens,  la  justice  substantielle 
ne  parle  qu'à  lenlendement.  Ce  dernier  peut  être  perverti  par 
les  passions,  ou  déçu  par  la  fausseté  des  faits  ou  les  sophismes 
du  raisonnement,  tandis  qu'il  ne  faut  que  des  yeux  et  des 
oreilles  pour  observer  une  violation  de  forme.  Dans  ]cî^  cir- 
constances que  j'ai  supposées  (et  qui  peuvent  affliger  notre 
pays  comme  les  autres),  il  est  très-important  qu'il  n'existe  pas 
de  ces  punitions  qui  puissent  servir  à  la  destruction  de  nos 
meilleurs  citoyens;  ce  sont  ceux-là  qui  gênent  tous  les  par- 
tis, ne  partageant  la  violence  d'aucun  ;  ils  sont  par  cela  mOme 
suspectsà  tous,  et  deviennent  leurs  premières  victimes;  jamais 
tempête  révolutionnaire  ou  factieuse  n'a  désolé  un  pays  sans 
avoir  causé  la  perte  d'hommes  regrettés  même  par  leurs  fré- 
nétiques bourreaux  quand  le  calme  de  la  paix  les  a.  rendus  à 
leur  sens.  Prenez  donc  garde  d'aiguiser  la  hache  et  les  autres 
instrumens  de  mort  pour  en  armer  la  main  violente  des  partis. 
Prenez  garde  d'accoutumer  le  peuple  tellemenWk-leur  usage, 
que,  lorsque  son  jugement  sera  égaré  au  point  de  lui  faire 
croire  l'innocent  coupable,  il  ne  contemple  froidement  et  sans 
la  moindre  émotion  les  dernières  agonies  d'un  homme  dont 
ensuite  il  sentira  la  perte  comme  une  calamité  publique,  et 
dont  il  déplorera  la  mort  comme  une  tache  nationale;  j'ap- 
puie sur  cette  considération  parce  que  je  sens  profondément 
son  importance. 

L'histoire  nous  présente  le  miroir  magiijue  dans  lequel  la 
vue  du  passé  nous  laisse  discerner  en  perspective  les  évène- 
mens  futurs.  Il  n'y  a  que  la  folie  qui  n'y  regarde  point;  il  n'y 
a  que  la  perversité  qui  ne  profite  pas  de  ses  leçons.  Si  la  ci- 
guë n'avait  point  été  broyée  pour  les  coupables  dans  Athènes, 


SIR  LA  PEINE  DE  MORT.  279 

Socrale  eùl-il  vidé  la  fatale  coupe?  Si  le  peiipU!  iiVùt  pas  «'té 
l'amiliarisé  avec  les  scènes  d'hoiuiiide  judiciaire,  la  France 
et  l'Anglelei  re  se  seraient-elles  souillées  des  meurtres  inutiles 
de  Louis  ou  de  Charles?  Si  la  peine  de  mort  n'avait  pas  été 
sanctionnée  par  les  lois  ordinaires  de  ces  royaumes,  Tun 
eût-il  été  inondé  dans  sa  révolution  du  sang  de  l'innocence, 
du  mérite,  du  patriotisme  et  de  la  science  ?  l'autre  eût-il  dans 
ses  dissensions  civiles  immolé  sur  les  échafauds  ce  qu'il  y 
avait  de  plus  noble  et  de  plus  pur?  L'un,  dans  ses  boucheiies 
journalières  de  tout  ce  qui  était  grand  et  respectable ,  eùt-il 
livré  au  fer  de  la  guillotine  son  aimable  reine  si  indignement 
calomniée,  le  vertueux  Malesherbes,  l'érudit  Condorcet,  la 
lleligion  personnifiée  dans  les  pieux  ministres  de  ses  autels,  le 
courage  et  l'honneur  dans  la  foule  chevaleresque  d'une  no- 
blesse magnanime,  la  science  et  les  arts  dans  leur  digne  repré- 
sentant Lavoisier?  L'autre  eût-il  fait  tomber  sous  la  hache 
des  bourreaux  les  Rcssel,  les  Sydney  et  celte  longue  série  de 
victimes  des  partis  et  de  la  tyrannie?  Les  feux  de  Smithfiekl 
n'eussent  jamais  été  allumés,  et  après  des  siècles  écoulés  nous 
ne  frémirions  pas  encore  au  seul  nom  de  la  Saint-Rarthélemy, 
si  la  loi  ecclésiastique  n'eût  usurpé  les  attributs  de  la  vengeance 
divine  ;  et,  par  la  doctrine  absurde  et  non  moins  sacrilège  que 
les  offenses  contre  la  Divinité  devaient  être  expiées  par  la 
mort,  n'avait  fourni  un  prétexte  à  ces  atrocités.  Jamais  l'au- 
guste et  mystérieuse  scène  de  l'agonie  au  mont  Calvaire  n'au- 
rait eu  lieu  si,  par  la  vue  jomnalière  de  la  croix,  comme 
instrument  de  justice,  les  Juifs  n'eussent  été  préparés  à  eu 
faire  celui  de  leur  rage  sacrilège.  31ais  l'on  ne  finirait  jamais  si 
l'on  voulait  citer  la  multitude  d'exemples  qui  se  pressent  dans 
la  mémoire,  et  qui  prouvent  à  quel  point  l'exercice  de  ce  pou- 
voir par  la  loi  en  a  porté  le  redoutable  abus  sous  l'apparence 
de  la  justice.  Chaque  nation  a  répandu  des  larmes  sur-la  tom!»c 
de  patriotes,  de  héros,  de  martyrs  immolés  dans  ses  morne u- 
de  frénésie,  et  chnque  ^ige  a  eu  ses  annales  sanglantes. 

Mais,  sans  recourir  aux  époques  de  troubles  et  de  dissen- 
sions pour  faire  re.-sorlii   le  danger  de  ces  exemples,  ne  lu 


28o  OPINION   D£  M.  LIVLNGSTON 

considérons  encore  une  l'ois  que  sous  le  point  de  vue  sous  le- 
quel je  l'ai  déjà  présenté,  et  sous  lequel  je  dois  le  présenter 
encore  subséquemment,  c'est-à-dire  dans  le  cours  paisible  et 
régulier  de  la  pratique  ordinaire  lorsque  l'inflietion  de  cette 
punition,  irrémédi;i])le  de  sa  nature,  est,  par  méprise,  par  des 
préventions  populaires,  par  des  témoignages  faux  ou  erronés, 
dirigée  sur  la  tête  de  l'innocent,  cas  beaucoup  moins  rares 
qu'on  ne  l'imagine.  Mon  intention  n'est  point  d'entrer  dans  le 
détail  de  ceux  que  j'ai  lecueillis  moi-même,  et  ils  sont  en 
assez  grand  nombre,  quoique  sans  contredit  en  bien  petite 
quantité,  comparés  à  la  masse  des  cas  dont  je  n'ai  pas  eu  con- 
naissance. L'auteur  d'un  ouvrage  de  jyande  autorité  sur  les 
Preuves  a  rassemblé  plusieurs  de  ces  cas  bien  authenti- 
ques (i).  Les  gazettes  de  France,  dans  un  court  espace  d'une 
année,  m'ont  fourni  sept  cas  dans  lesquels  des  personnes  con- 
damnées à  mort  par  des  Cours  d'assises  ont  été  acquittées  par 
jugement  de  tribunaux  supérieurs  qui  ont  cassé  les  sen- 
tences (2).  De  pareils  cas  ne  sont  pas  rares  dans  les  autres 
Etats  de  l'Union.  Chez  nous,  l'organisation  de  nos  Cours  pré- 
vient toute  correction  d'erreur,  de  droit  ou  de  fait,  par  urt 
tribunal  supérieur;  mais  il  est  même  étonnant  qu'en  quelque 
part  que  ce  soit  on  puisse  parvenir  à  découvrir  quelques  cas 
de  ces  fatales  méprises.  Les  infortunés  qui  en  sont  victimes 
sont  pour  la  plupart  sans  appui.  Leur  conduite  a  générale- 
ment dû  être  vicieuse,  sans  quoi  le  soupçon  ne  se  serait  pas 
attaché  à  eux  ;  et  souvent  des  gens  de  bien  croient  qu'il  est 
inconvenant  de  témoigner  de  l'intérêt  pour  de  pareils  êtres, 
ou  d'entrer  dans  un  examen  minutieux  des  circonstances  de 
leur  cas.  Ils  sont  abandonnés  par  leurs  connaissances  s'ils  en 

(1)  Pliilips,  SOI- les  Preuves.  Appeiidix. 

(2)  i\'est-c«;  pas  là  une  leçon  l'iappante  qui  nous  déniontic  la  nt'cessité 
de  pourvoir  aux  moyens  de  corriger  les  erreurs,  au  criminel  ainsi  qu'au 
civil;  de  proléger  la  vie  et  la  liberté  aussi-bien  que  la  propriété.  L'im- 
portance du  sujet  m'excusera  peut-être  si  je  nie  réCi-re  encore  une  fois 
au  projet  de  loi  qui  a>ail  été  [nésenlé  .'i  l'assemblée  générale  ]>ar  le  ra]i- 
poiteur.  [iVole  ilc  M.  lAvingston.] 


SUK  LA  PKI  NE  DE  MORT.  aS» 

ont;  quant  à  des  auiis,  les  nuilheureux  n'en  ont  point  ;  ils  sont 
condamnés,  exécutés,  oubliés,  et  peu  de  jours  après  on  dirait 
que  la  même  terre  qui  a  recouvert  leur  corps  a  absorbé  leur 
mémoire,  et  tout  doute  sur  leur  culpabilité  ou  leur  innocence  ; 
il  est  donc  raisonnable  de  supposer  qu'il  existe  une  bien  })lus 
grande  quantité  de  ces  cas  qu'il  n'en  a  pu  être  mis  au  jour  (  i). 


(i)  Qu'il  me  soit  permis  de  dortner  la  substance  de  l'argument  contre 
la  peine  capitale  dans  les  propres  termes  d'un  homme  auquel  la  science 
de  la  législation  est  redevable  de  l'attention  marquée  que  l'on  donne  à 
ses  vrais  principes,  et  auquel  on  eût  érigé  des  statues  si  les  bienfaiteurs 
du  genre  humain  étaient  aussi  honorés  que  les  oppresseurs  des  nations. 
«  La  même  objection  (dit-il)  peut  être  élevée  contre  toutes  les  peines 
aOiictives  ;  savoir  qu'elles  sont  iiréniédiables  :  mais  elles  sont  susceptibles 
de  compensation,  il  n'y  a  que  la  mort  seule  qui  n'admette  aucun  dé- 
dommagement. Quel  est  l'homme  si  peu  versé  dans  la  procédure  crimi- 
nelle qui  n'éprouve  pas  une  espèce  de  terreur  quand  il  considère  à 
quelles  légères  circonstances  tient  la  vie  d'un  homme  accusé  de  crime 
capital,  et  qui  ne  se  rappelle  des  cas  où  des  individus  n'ont  dû  leur  vie 
qu'à  quelque  circonstance  extraordinaire,  survenue  accidentellement  au 
moment  critique  du  danger?  Les  chances  de  danger  sont  sans  doute  dif- 
férentes, suivant  les  dilférens  systèmes  de  procédure;  mais  est-il  quelque 
forme  judiciaire  qui  mette  parfaitement  à  l'abri  des  pièges  de  la  fausseté 
et  des  illusions  de  l'erreur?  Non,  une  sécurité  absolue  est  un  point  de 
perfection  dont  on  peut  approcher  plus  qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'à  présent, 
sans  pour  cela  l'atteindre;  car  les  témoins  peuvent  tromper  ou  être 
trompés;  le  nombre  de  ceux  qui  s'accordent  sur  le  même  fait  n'est  pas 
une  sûre  garantie;  cl,  quant  aux  preuves  déduites  des  faits  circonstan- 
tiels,  des  circonstances  les  plus  concluantes  en  apparence,  de  celles  qui 
semblent  ne  pouvoir  s'expliquer  que  par  la  supposition  de  la  culpabi- 
lité, celles-là  même  peuvent  être  le  résultat  du  hasard  ou  de  moyens 
concertés  d'avance  et  préparés  par  des  personnes  intéressées.  La  seule 
preuve  qui  paraîtrait  porter  une  co.  viclion  complète,  le  libre  aveu  de 
l'accusé,  outre  qu'elle  est  très-rare,  ne  donne  pas  toujours  une  certitude 
absolue,  puisqu'on  a  vu,  comme  dans  des  cas  de  sorcellerie,  des  j^ens 
s'avouer  coupables  de  crimes  dont  la  commission  était  impossible.  Ceci 
ne  sont  point  des  alarmes  imaginaires,  puisées  dans  de  simples  possi- 
bilités; il  n'existe  pas  de  registre  criminel  qui  n'offre  des  exemples  de 
ces  fatales  méprises,  el  ceux  qu'un  concours  singulier  d'évènemens  a 
fait  connaître  nous  autorisent  à  croire  que  beaucoup  d'innocentes  vic- 
times sont  restées  inconnues.  Il  est  même  à  observer  que  ce  sont  les  cas 


282  OPINION  DE  M.  LIMNGSTON 

Voudriez-voiis  maintenir  nne  punitinnqui,  clans  le  cof.iv. 
ordinaire  des  évènemons,  doit  (juelqiieiois  être  inémédiable- 
ment  infligée  à  l'innocent,  quand  même  elle  serait  un  frein 
eflicace  pour  le  coupable  ?  mais  il  s'en  laut  bien  que  ce  soit  le 
cas.  Par  cela  môme  que  dans  certains  cas  vous  ne  pouvez  em- 
pêcher que  celte  [leine  ne  tombe  sur  l'innocent,  elle  doit,  vu 
l'imperfection  de  tout  témoignage,  favoriser  l'évasion  du 
coupable,  et  la  maxime  si  souvent  citée  dans  Qes  occasions  (i) 
ne  cessera  d'être  pervertie,  pour  f:\ciliter  le  compromis  entre 
la  conscience  du  juré  et  la  sévérité  de  la  loi,  que  lorsque  vous 
n'admettrez  de  punitions  que  celles  susceptibles  de  révocation 
et  de  réhabilitation  dans  les  cas  où  elles  seraient  reconnues 
avoir  été  injustement  infligées. 

11  serait  facile  de  présenter  d'autres  argumens  non  moins 
forts,  d'autres  autorités  non  moins  respectables  pour  démon- 
trer les  mauvais  effets  de  cette  espèce  de  punition;  mais  la  quan- 
tité d'objets  divers  dont  il'me  reste  à  parler  dans  ce  rapport 
me  contraint  de  me  borner  à  demander  quel  bien  on  peut  at- 
tendre, ou  quel  avantage  actuel  on  retire  de  la  conservation 
de  ce  genre  de  punition.  Notre  législation  l'abandonna  d'abord 
sans  débat  dans  tous  les  cas,  excepté  ceux  de  meurtre,  de  ten- 
tative de  meurtre,  de  viol  et  d'insurrection  d'esclaves;  ensuite 
elle  rétendit  à   une  espèce  particulière  d'effraction  avec  cir- 

dans  lesquels  on  emploie  le  plus  le  mot  de  pieuve,  où  les  lémoigiiages 
sont  le  plus  doiilciix,  lorsque  le  crime  imputé  est  un  de  ceux  qui  exci- 
tent kl  plus  i'iirte  aiilipatliie  ou  qui  exaltent  l'esprit  de  parti,  les  témoins, 
sans  s'en  douter,  deviennent  accusateurs,  ils  ne  sont  que  les  échos  de  la 
clameui' publique,  la  i'ermentation  s'accroît  par  sa  propre  action;  et  il 
n'est  plus  })ermis  de  douter  que  ce  l'ut  une  fiénésie  de  ce  genre  qui  d'a- 
bord s'empara  du  peuple  et  se  communiqua  ensuite  aux  juges  dans  la 
malheureuse  all'aire  de  Calas.  »  {Tlicoric  des  peines  et  des  recompenses, 
par  lÎKMUAM.)  (IVote  de  M.  Livingslon.  ) 

(i)  Qu'il  vaut  mieux  laisser  échapper  dix  coupables  que  de  punir  un 
innocent  est  une  maxim<:  invariablement  recommandée  au  jury  dans, 
tous  les  cas  ca|)ilaux  qui  dépendent  des  preuves  circonstantielles,  et  qui 
ue  manquent  jamais  leur  eflel  quand  il  n'y  a  ])as  de  causes  irritantes. 

(  ^ole  de  M.  Livin^ston.  ) 


SUR  LA   ['El  NE  DE  MORT.  283 

fonstances  aggravantes  (i).  Maintenant  comme  ces  cas  sont 
les  seuls  pour  lesquels  on  l'a  réservé,  comme  cette  piinitioa 
a  été  abandonnée  pour  tous  les  autres,  une  question  sé- 
rieuse se  présente  d'elle-même  :  pourquoi  l'a-t-on  mainte- 
nue dans  ces  cas?  pourquoi  y  a-t-on  renoncé  dans  les  au- 
tres? Il  faut  que  son  inefficacité,  ou  quelques  autres  des  défauts 
qu'on  lui  objecte  aient  été  bien  manifestés  dans  les  cas  nom- 
breux où  elle  a  été  supprimée,  salis  quoi  on  l'eût  certaine- 
ment conservée  ou  rétablie.  Prenant  pour  base  de  notre  argu- 
ment cette  inefficacité  reconnue  dans  un  grand  nombre  de 
cas,  examinons  s'il  y  a  quelque  raison  qui  rend  plus  appro- 
priée aux  otlenses  ci-dessus  énumérées  la  peine  qu'on  a  jugé 
injuste  et  inconvenable  d'appliquer  aux  autres.  Il  y  a  trois 
manières  de  découvrir  la  vérité  sur  ce  point  :  en  raisonnant ^ 
d'après  les  effets  généraux  des  motifs  particuliers,  sur  les  ac- 
tions humaines  par  l'analogie  ;  en  jugeant,  d'qprès  les  lésultats 
dans  un  cas,  des  résultats  probables  dans  un  autre  ;  enfin  par 
l'expérience  des  effets  dans  un  cas  donné.  Le  raisonnement 
général  sur  la  justice  et  l'efficacité  de  cette  punition  ne  sera 
pas  répété  ici  ;  mais  on  s'y  référé  comme  étant  concluant  pour 

(i)  Par  la  troisième  section  de  l'acle  <lii  20  mars  181S,  entrer  avec 
effraction  dans  une  maison  de  résidence,  pendant  la  nuit,  dans  l'inten- 
tion de  dérober,  etc.  La  loi  de  i8o5  avait  déjà  pourvu  à  la  punition  de  ce 
crime.  La  peine  de  mort  a  été  ajoutée  d:ins  le  cas  où  quelqu'un  se  trou- 
verait légitimement  dans  la  maison,  et  où  l'oflenseur  serait  armé  d'un- 
instrament  dangereux,  ou  s'armerait  dans  la  maison,  ou  ferait  une  atta- 
qué sur  la  personne  qui  serait  légitimement  dans  la  maison.  Si  l'occu- 
pant de  la  maison  n'y  était  pas  légitimement,  l'offenseur  évite  la  mort. 
De  quelle  circonstance  fait-on  dépendre  la  vie  d'un  homme!  Si  l'occu- 
pant a  un  bail  en  règle,  le  voleur  est  pendu,  sinon  il  échappe  à  la  mort  î 
en  outre,  si  le  voleur  ne  rencontre  personne  dans  la  maison,  et  vole 
dix  mille  piastres,  il  en  est  quitte  pour  la  piison  ;  mais,  s'il  aperçoit  un 
domestique,  et  le  menace  du  bâton,  il  est  pendu,  quoi-qu'il  n'ait  rien 
dérobé.  S^il  y  pénètre  sans  armes,  et  qu'il  enlève  tout  ce  qu'il  y  a  dans 
la  maison,  il  n'est  qu'emi)risou!îé  ;  s'il  y  trouve  un  fusil  de  chasse,  qu'il 
s'en  empare  et  l'emporte,  il  est  pendu.  A  oilà  un  échanlillon  de  ces  lois 
qu'on  ne  peut  tenter  d'aiiicnder  sans  la  plus  audacieuse  présomption. 

[Note  de  M.  Lirlniision.) 


284  OPINION  DE  M.   LIVINGSTON 

toutes  les  offenses,  et  n'admettant  aucune  exception  »  ni  poui'  l( 
meiu'tre,  ni  pour  les  trois  autres  cas  où  nos  lois  l'infligent.  Si 
nous  raisonnons  par  analogie,  nous  dirons  que  le  seul  argu- 
ment qui  ait  jamais  été  employé  en  faveur  de  la  peine  de 
mort  est  que  l'exemple  imposant  qu'elle  offre  doit  détourner 
de  la  commission  de  l'offense;  mais  en  y  renonçant  dans  tous 
les  cas,  hors  trois,  vous  avez  reconnu  son  inefficacité.  L'ana- 
logie nous  conduit  donc  à  la  conclusion,  que  si  elle  est  sans 
effet  dans  le  plus  grand  nombre  de  cas,  elle  sera  de  même  dans 
les  autres.  Mais  il  est  reconnu  que  ni  analogie,  ni  aucun 
autre  mode  de  raisonnement,  ni  aucune  théorie,  quelque  plau- 
sible qu'elle  soit,  ne  peut  prévaloir  contre  l'expérience.  Eh 
bien  !  vous  l'avez  faite  ,  vous  avez  essayé  ce  remède,  et  vous 
l'avez  troîivé  inefficace.  Les  crimes  auxquels  vous  l'avez  ap- 
pliquée ont-ils  diminué  en  nombre,  décru  en  atrocité?  S'il  en 
est  ainsi ,  il  serait  imprudent  de  faire  aucun  changement  quand 
même  vous  auriez  la  certitude  que  le  nouveau  système  ne  se- 
rait pas  moins  efficace.  Examinons  donc  cette  expérience. 
Pendant  les  trois  premières  années  après  le  transfert  de  la 
province,  il  n'y  eut  pas  une  seule  exécution,  ou  condamna- 
tion pour  aucun  de  ces  crimes  énumérés.  Cependant  dans  le 
cours  des  six  premières  années  quatre  individus  résidant  dans 
les  limites  de  cet  lUat  firent  une  attaque  sur  quelques  habilaus, 
ils  furent  livrés  par  leur  tribu,  ou  arrêtés  et  condamnés,  et 
deux  d'entre  eux  furent  exécutés,  comme  pour  meurtre.  Lu 
nègre  fut  en  outre  condamné  et  exécuté  pour  insurrection. 
Dans  les  six  années  qui  suivirent,  il  y  eut  dix  condamnations; 
dans  les  quatre  subséquentes,  jusqu'en  janvier  1822,  il  y  en 
eut  quatorze.  De  manière  (jue  nous  trouvons  que  le  nombre 
de  condamnations  pour  les  crimes  sus-d'ésignés  a  presque  dou- 
blé, tous  les  six  ans,  en  dépit  du  remède  héroïque.  Mais  la  po- 
pidation  de  l'Etat  ne  se  douMe  que  tous  les  vingt  ans;  la  pro- 
giession  des  crimes  est  doue  à  celle  de  la  population  comme 
trois  est  à  un.  Et  n'oublions  pas,  en  faisant  ce  calcul,  le  fait  im- 
poilant  et  alarma  ni  des  cas  nombreux  d'homicides,  ou  tentativcti 
d'homicides  <pii  sont  i.n'omcnt  poursuivis,  et  plus  raiemeut 


SUR  LA  PEINK  DE  MORT.  285 

encore  punis.  Je  parle  de  cette  classe  d'offenses  qui  prennent 
leur  source  dans  un  Taux  point  d'honneur,  et  qui  enihiassent 
non-seulement  les  nombreux  sacrifices  d'existences  faits  à 
l'opinion  publique  dans  les  duels,  mais  encore  les  cas  moins 
excusables  et  plus  multipliés  de  blessures,  de  mutilation  et  de 
mort  infligés  en  expiation  de  la  moindre  injure  laite  à  la  di- 
gnité personnelle.  Depuis  la  création  du  statut  contre  l'assas- 
sinat je  ne  trouve  jusqu'à  l'année  1822  que  trois  condamna- 
tions, et  une  seule  pour  viol  pendant  le  même  intervalle  ;  et  ce 
qui  est  assez  remarquable  pas  un  seul  cas  d'effraction  [Burglaiy) 
depuis  i8o5à  1829;  dans  cette  dernière  année  et  la  suivante  il  y 
en  eut  deux  cas  précisément  deux  ans  après  que  la  peine  capitale 
eut  été  appliquée  à  ce  crime.  Quelle  conclusion  devons-nous 
tirer  de  ces  faits?  D'abord,  pour  ce  qui  concerne  le  vol  avec 
effraction ,  un  des  crimes  auxquels  la  peine  de  mort  est  atta- 
chée ,  une  expérience  de  quinze  années  (durant  lesquelles  il  n'y 
a  pas  eu  un  seul  exemple  de  condamnation,  et,  autant  qu'on  a 
pu  s'en  assurer,  pas  même  une  accusation  sous  l'empire  de  la 
loi  qui  n'infligeait  pour  cette  offense  que  l'emprisonnement  ) 
doit  nous  avoir  convaincus  qu'une  punition  plus  sévère  était 
inutile;  tandis  que  les  deux  cas  qui  se  sont  présentés,  dans  les 
deux  premières  années  de  l'application  de  la  peine  de  mort  à 
cette  offense,  sont  une  preuve  manifeste  que  la  peine  de  U70rt 
n'est  point  un  remède  efficace  à  ce  mal  :  quant  au  viol,  que  la 
rareté  de  sa  commission  doit  être  attribuée  bien  plus  aux 
mœurs  du  siècle  qu'à  la  crainte  de  la  punition  qui  y  est  atta- 
chée; car  si  ce  frein  était  efficace  pour  ce  cas,  il  devrait  l'être 
encore  plus  pour  le  meurtre,  offense  à  laquelle  le  criminel 
n'est  pas,  comme  dans  les  autres  cas,  poussé  par  le  plus  impé- 
rieux des  appétits  sensuels. 

D'ailleurs  ce  n'est  pas  là  le  rempart  derrière  lequel  se  retran- 
chent les  avocats  de  la  peine  de  mort.  Forcés  sur  tous  les  au- 
tres points,  ils  la  défendent  comme  spécialement  convenable 
pour  les  cas  de  meurtre.  L'abandon  graduel  qu'on  a  fait  de  ce 
remède  pour  les  autres  offenses  est  une  preuve  de  la  mar- 
che progressive  des  vrais  principes,  et  la  ténacité  avec  laquelle 


286  OPINION  DE  M.  LIMNGSTON 

on  s'obstine  à  le  conserver  dans  ces  cas  prouve  la  force  des 
impressions  premières  et  des  préjugés  invétérés  sur  les  es- 
prits les  plus  sains  d'ailleurs.  Il  faut  néanmoins  que  ce  préjugé 
cède  tôt  ou  tard  à  l'évidence  des  résultats  pratiques  qui  ont 
accompagné  constamment  l'application  de  ce  remède,  résultats 
qui  démontrent  que  l'exhibition  publique  de  l'homicide  ordon- 
née par  la  voix  sacrée  de  la  loi,  loin  de  réprimer  ce  crime, 
l'encourage  au  contraire  dans  les  querelles  privées.  Les  parti- 
sans de  cette  punition  s'étaient  communément  du  principe 
d'une  juste  repiésaille,  vindictive  justice  (i),  et  ne  peuvent 
dans  le  fait  en  invoquer  aucune  autre.  Celui  qui  donne  la 
mort  mérite  la  mort.  L'homme  qui  immole  son  sembla- 
ble doit  être  immolé  par  ses  semblables!  sang  pour  sang! 
voilà  les  exclamations  que  l'on  substitue  aux  argumens.  De 
tels  sentimens,  combinés  avec  le  spectacle  des  vengeances  lé- 
gales qu'ils  autorisent,  ne  sauraient  produire  qu'im  seul  effet, 
celui  de  détruire  en  grande  partie  la  répugnance  et  l'horreur 
de  répandre  le  sang  humain,  par  l'habitude  d'en  voir  faire  un 
devoir  public;  d'en  voir  sanctifier  les  motifs  qui  ne  trouvent 
que  trop  facile;  justification  dans  l'esprit  d'im  individu  irrité, 
qui  exagère  l'injure  qu'il  a  reçue,  oublie  la  provocation  qui  la 
lui  a  attirée,  et  se  croit  excusable  de  faire,  pour  assouvir  ses 
passions,  ce  que  fait  la  justice  publique,  par  le  même  motif, 
celui  de  la  vengeance.  La  sensation  d'horreur  que  nous  fait 
éprouver  la  vue  d'un  être  humain  souffrant  une  mort  violente, 

(i)  Je  conveisais  un  jour  avec  un  magistrat  d'un  rang  supérieur, 
honiuic  distingué  par  ses  talens  et  sa  libéralité,  il  était  question  de  l'abo- 
lition de  la  peine  de  mort;  il  approuvait  celte  mesure  pour  tous  les  cas 
hors  celui  de  meurtre,  à  cause  de  la  difficulté  de  garder  le  coupable,  et 
de  la  sévérité  de  l'emprisonnement  solitaire  qu'on  proposait  de  substi- 
tuer à  la  peine  capitale  ;  mais  lorsque  ces  deux  objections  eurent  été 
combattues  et  levées  à  sa  satisfaction,  à  ce  qui  me  parut,  il  répliqua  par 
une  de  ces  exclamations  citées  dans  le  texte,  et  ajouta  avec  fiancliise  : 
«  Il  faut  que  je  confesse  qu'il  se  mêle  un  petit  sentiment  de  vengeance 
dans  mon  opinion  sur  cette  matière.»  Si  tons  les  raisonneurs  étaient  d'aussi 
bonne  loi,  il  y  aurait  moins  de  difficultés  à  établir  les  saines  doctrines. 

{Nn/c  de  M.  Livingston.) 


SLR  LA  PKLNE  DE  MOUT.  287 

s'acrroilrait  cerlainenient  encore,  si  le  bras  do  la  justice  n'é- 
tait jamais  employé  a  cette  œuvre  sacrilège;  et  la  veoji^eance 
particulière  pourrait  être  réprimée  par  les  lois  (juand  elles  ne 
l'encourageraient  plus  par  leur  exemple. 

Mais,  quoique  ce  sentiment  vindicatif  se  décèle  dans  la  cha- 
leur de  la  conversation,  on  se  garde  bien  de  le  mettre  en  avant 
dans  aucune  discussion  sérieuse  :  il  est  trop  universellement 
réprouvé.  Que  dit-on  alors?  Que  celte  peine  est  proportionnée 
au  crime,  qne  le  meurtre  étant  le  plus  grand  des  crimes,  la 
mort,  la  plus  grande  des  punitions,  doit  lui  être  appliquée.  Mais 
pourquoi  doit-elle  lui  être  appliquée?  Proportionner  la  puni- 
tion à  l'offense  ne  signifie  pas  l'aire  soufiVir  au  coupable  la 
même  quantité  de  mal  qu^il  a  infligé  par  son  crime;  ce  serait 
à  la  fois  impossible  et  injuste.  Cela  signifie  que  la  punition 
doit  être  telle  qu'elle  détourne  de  la  commission  du  crime  ,  et 
rien  de  plus;  si  donc  la  peine  de  mort  ne  produit  pas  ce  résul- 
tat, pourquoi  doit-elle  être  appliquée?  Or,  les  raisonnemenset 
les  faits  prouvent  qu'elle  ne  le  produit  pas.  Pourquoi  donc 
continuez-vous  à  l'appliquer?  Pressé  par  ces  questions,  on  re- 
court à  l'éternelle  réponse  :  «  Le  meurtre  mérite  la  mort»;  il 
n'y  a  pas  de  raisonnement  qui  puisse  les  faire  sortir  de  ce  cer- 
cle. Quelquefois ,  il  est  vrai,  ils  nous  demandent  :  mais  êtes- 
vous  bien  sûrs  que,  si  nous  renonçons  à  cette  punition,  celle 
que  vous  voulez  y  substituer  sera  efïicace?  Si  vous  entendez 
efficace  au  point  de  déraciner  le  crime,  je  répondrai  non. 
Mais  je  suis  aussi  sûr  qu'on  peut  l'être  par  l'expérience,  par 
l'analogie  et  par  le  raisonnement  réunis,  que  ce  moyen  sera  plus 
efficace  que  le  vôtre.  Que  pouvons-nous  craindre?  Pourquoi 
hésisler?  Vous  savez  et  ne  pouvez  nier  que  la  crainte  de  l'é- 
chafaiid  ne  réprime  pas  le  meurtre.  Nous  avons  vu  un  meur- 
tre délibéré ,  commis  dans  la  foule  même  qui  assistait  au 
spectacle  de  la  mort  d'un  meurtrier:  parlerons-nous  encore  de 
l'inefficacité  de  l'exemple?  Au  mépris  de  votre  peine  capitale, 
l'homicide  se  promène  en  paix,  et  lève  en  plein  midi  sa  main 
ensanglantée,  au  milieu  même  de  la  foule  qui  se  presse  dans 
vos  rues  populeuses.  S'il  est  arrêté  dans  sa  carrière,  il  se  cou- 


288  OPINION  DE  M.   LIVINGSTON 

vre  de  l'exemple  de  vos  lois  ;  et  dans  leur  sévérité  même  trouve 
un  abri  contre  la  punition  méritée.  Essayez  l'effet  des  peines 
plus  douces,  elles  ont  réussi,  vos  propres  statuts  et  ceux  de 
tous  les  État?  de  l'Union  prouvent  qu'elles  ont  réussi  pour 
d'autres  offenses  ;  faites  cette  grande  épreuve  pour  celle-ci, 
soyez  conséquens,  rétablissez  la  peine  capitale  pour  les  autres 
crimes;  ou  abrogez-la  pour  celui-ci.  Ne  craignez  point  qu'at- 
tirés par  la  lénilé  de  votre  Code  pénal,  les  meurtriers  af- 
fluent desi»utres  parties  du  globe,  et  viennent  établir  ici  le 
Théâtre  de  leurs  exploits.  Nous  avons  à  cet  égard  un  exemple 
bien  frappant.  Nous  avons  vu  qu'en  Toscane,  ni  le  meurtre,  ni 
aucun  autre  crime,  n'avait  été  puni  de  mort,  durant  une  pé- 
riode de  vingt  années,  pendant  laquelle,  comme  l'attestent  non- 
setiment  les  déclarations  officielles  du  souverain,  que  tous  les 
crimes  avaient  diminué,  et  que  ceux  d'un  caratère  atroce  étaient 
devenus  extrêmement  rares,  mais  encore  le  vénérable  Fran- 
klin,  dont  l'autorité  vient  à  l'appui  de  ces  faits  concluans.  Il 
nous  dit  qu'en  Toscane,  oOi  le  meutre  n'était  pas  puni  de  mort, 
il  ne  s'en  était  commis  que  cinq  en  vingt  ans,  tandis  qu'à  Rome, 
où  kl  peine  capilale  était  infligée  à  ce  crime  avec  beaucoup 
de  pompe  et  une  grande  parade,  soixante  meurtres  avaient  eu 
lieu ,  dans  le  court  espace  de  trois  mois ,  dans  la  ville  et  seS' 
environs  (i).  Il  est  remarquable  (ajoute-il)  que  les  mœurs, 


'i)  Si  jamais  pliilnsojiliie  a  mérité  les  épilhètes  d'ntile  et  de  pratique, 
c'est  -celle  du  docteur  Franklin.  Ses  opinions  doivent  être  appréciées 
non-seulement  à  cause  du  caractère  du  personnage,  mais  encore  à  cause 
des  ryisonnemens  simples  et  clairs  dont  il  les  élaie.  Que  dit  ce  témoin  vé- 
nérable et  irrécusable  dans  la  cause  de  l'Iiumanité  que  nous  défendons? 
«  Je  soujtçoiine  que  l'obstination  de  certains  esprits,  d'ailleurs  éclairés  en 
matière  de  peines  capitales,  à  conserver  la  punition  de  mort  dans  les  cas 
de  meurtre,  provient  d'une  fausse  interprétation  d'un  passage  de  l' An- 
cien-Testament, conçu  en  ces  termes  :  Celui  qui  verse  le  sanTg  de 
l'fiumme  aura  son  sang  versé  par  l'homme.  On  a  supposé  que  cela  si- 
gnifiait que  le  sang  ne  pouvait  être  expié  que  par  le  sang.  Mais  je  penche 
à  croire,  avec  un  commentateur  moderne  de  ce  texte  de  l'Écriture,  que 
c'est  plutùl  une  prédiction  qu'une  loi.  Le  sens  en  est  simplement  que  la 
A)lie  et  la  dépravation  de  l'homme  sont  telles  que,  dans  tous  les  lems,  le 


SUR  LA   PELM']  DE  MOilT.  2R9 

tes  principes  cl  la  religion  tics  lial)ilans  de  la  Toscane  et  de  ceux 
de  Konic  sont  exactement  les  mêmes.  La  seule  abolition  de  la 


meurtre,  ainsi  les  lois  qui  infligent  la  mort  pour  le  mcuitre  sont , 
dans  mon  opinion,  aussi  anticlirétiennes  que  celles  qui  justifient  ou  tolè- 
rent la  vengeance  :  car  l'obligation  religieuse  d'encourager  le  repentir,' 
de  pardonner  les  offenses,  et  de  remplir  les  devoirs  d'une  bienveillance 
luiiverselle,  ne  concerne  pas  moins  les  Etats  que  les  individus. 

»  Le  droit  de  disposer  de  la  vie  humaine  n'appartient  qu'à  celui  là  seul 
qui  l'a  donnée.  Les  lois  humaines  qui  transfèrent  cette  prérogative  en 
d'autres  mains  sont  donc  en  rébellion  contre  le  créateur  de  l'homme.  Si 
la  société  peut  être  garantie  de  violence  par  la  réclusion  du  meurtrier,  le 
but  de  la  répression  est  rempli.  Il  peut  s'amender  dans  la  solitude,  ou  si 
la  réforme  est  im|>raticable,  il  peut  être  détenu  pour  un  terme  probable- 
ment égal  à  celui  de  sa  vie. 

>i  II  fut  un  tems  où  la  punition  des  prisonniers  de  guerpe  était  la  ser- 
vitude nu  la  mort,  et  où  la  destruction  indistincte  des  paisibles  cultiva- 
teurs, des  femmes  et  des  enfans,  était  jugée  nécessaire  au  succès  de  la 
guerre  et  à  la  sûreté  des  Etats.  L'expérience  nous  a  désabusés,  et  à  me- 
sure que  l'humanité  a  triomphé  des  principes  d'une  fausse  politique,  les 
guerres  ont  été  moins  fréquentes  et  moins  cruelles,  et  les  nations  ont  joui 
de  plus  longs  intervalles  de  tranquillité  intérieure.  Les  vertus  sont  toutes 
des  anneaux  de  la  même  chaîne,  ce  qui  est  humain  est  sage,  ce  qui  est 
sage  est  juste  ;  et  tout  ce  qui  est  humain,  juste  et  sage,  sera  reconnu  être 
le  véritable  intérêt  des  Etats,  soit  que  des  criminels  ou  des  ennemis 
étrangers  soient  l'objet  de  leur  législation. 

»  On  peut  dire,  pour  l'honneur  de  l'humanité,  que  dans  tous  les  pays 
et  dans  tous  les  âges  on  a  vu  des  hommes  chez  Jesquels  la  droiture  natu- 
relle triomphait  des  coutumes  et  des  lois.  Comment  expliquer  autrement 
l'abandon  des  uiaisons  situées  près  des  place»  d'exécution.  Pourquoi 
verrions-nous  fermer  des  portes  et  des  fenêtres  à  l'heure  des  exécutions, 
pourquoi  entendrions-nous  parler  de  secours  secrèlem'<:nt  fournis  aux 
criminels  pour  adoucir  ou  éluder  la  sévéïilé  de  leurs  punitions?  D'où 
viendrait  l'horreur  qu'inspire  généralement  l'exécuteur  des  hautes-œu- 
vres? Ces  effets  décèlent  les  combats  internes  de  la  raison,  ou  plutôt 
l'agence  secrète  de  la  divinité  même  parlant  au  cœur  humain,  et  se 
soulevant  contre  la  folie  et  la  cruauté  des  punitions  publiques.  , 

,»  Je  terminerai  ces  réflexions  en  observant  que  c'est  la  même  fausse 
religion,  la  même  philosophie  erronée  qui,  dans  le  tems,  allumèrent  le 
feu  du  fanatisme  sur  l'autel  delà  persécution,  et  qui  condamnent  aujour- 
d'hui les  criminels  à  l'ignominie  publique  et  à  la  mort.  Mais  à  mesure 
qu'une  saine 'philosophie  et  la  charité  chrétienne  dévelopi^eiont  leurs 
T.    XLVIX.    AOIT   187)0  19 


a()0  OPINIOIN  DE  M.  LIVINGSTON 

peine  de  mort  a  produit  cette  difTérence  dans  le  caractère  n>o- 
ral  de  ces  deux  nations.  Il  paraîtrait  d'après  cela  cjue  les  meur- 
triers de  Toscaue  auraient  été  attirés,  par  la  sévérité  des  pu- 
nitions, dans  le  voisinage  de  Rome,  plutôt  que  ceux  de  Rome 
ne  l'étaient  en  Toscane  par  la  lénité  des  lois.  Nous  n'avons 
donc  rien  à  appréliender  de  cette  mesure,  et,  si  d'ailleurs  quel- 
que mauvais  eirct  pouvait  résulter  de  cette  épreuve,  il  n'est 
(]ue  trop  facile  de  revenir  au  système  d'extermination. 

lin  argument  sur  lequel  j'ai  insisté  dans  mon  premier  rap- 
port et  qui  a  trait  au  caractère  de  férocité  imprimé  an  peu- 
ple par  celle  punition,  vient  d'être  développé  d'une  manière 
si  frappante  par  un  événement  snhséquemmenl  arrivé  dans  la 
Pensylvanie,  que  je  ne  puis  le  passer  sous  silence.  Après  que 
l'exéculiou  de  Lechler  eut  assouvi  la  curiosité  des  habitans 
des  environs  de  New-York  et  de  Lancastre,  et  eut  produit  ses 
résultats  d'homicides  et  autres  crimes,  un  malheureux  fut  con- 
damné à  la  même  peine  de  mort,  pour  une  offense  du  même 
genre,  dans  une  autre  partie  de  l'État  oi"i  le  peuple  n'avait 
pas  encore  joui  de  ce  spectacle  ;  une  foide  immense  se  ras- 
sembla, la  viclime  fut  amenée,  tous  les  yeux  de  la  masse  vi- 
vante (jui  environnait  le  gibet  étaient  fixés  sur  cet  infortuné, 
et  brillaient  du  désir  de  voir  le  moment  où  il  serait  lancé 
dans  l'éternilé.  Il  y  eut  du  délai  ;  ils  devinrent  impatiens  :  ce 
délai  se  prolongea,  ils  s'exaspérèrent,  poussèrent  des  cris  sem- 
blables à  cv.ux  (juc  fait  entendre  le  parterre  quand  au  théâtre 
il  provoque  la  levée  du  rideau  trop  tardive  à  son  gré.  Avides 
du  plaisir  qu'ils  attendaient  du  spectacle  de  l'agonie  de  leur 


vrais  |iiiiicij)es,  elles  s'accordfront  à  tlniiiriT  les  flauuncs  el  i\  bannir  les 
supplices.  Si  ces  p:incipes  cuniiniient  de  lépandie  leur  iiiiluenee  -iiir  le 
goiiverneinciif,  comme  ils  le  fimt  depuis  quelque  tems,  je  me  jilais  à  es- 
pérer que  le  moment  n'est  pas  bi^m  éloigné  où  les  échalaiids,  les  piloris, 
les  Fers,  les  carcans,  les  roiics  (instrumens  habituels  des  jiuiiilioiis  publi- 
ques) seront  relégués  dans  riiisloire-avec  les  chevalels,  les  tenailles,  etc., 
comme  nionuineiis  de  la  barbarie  des  siècles  el  des  États,  el  comme  une 
preuve  allligeanle  de  la  lenlern-  des  progrés  de  la  raison  el  de  la  leligion 
dans  l'espiit  humain,  n',  licflc-fiotis  sur  les  piinilums  publiques.) 


à 


StK  LA  PlilNt:  DE  MOUT.  291 

semblable,  leurs  claïuonrs  devini-ont  celles  de  cannibales. 
Mais  lorsqu'on  leur  annonça  qu'un  sursis  les  privail  de  la 
jouissance  de  contempler  ses  dernières  anfî;oisses,  leur  fureui- 
ne  connut  plus  de  bornes,  et  ce  ne  fut  qu'avec  diiricullé  que 
le  pauvre  maniaque  (car  on  découvrit  qu'il  était  insensé)  put 
Cire  dérobé  par  tes  ofllciers  de  justice,  au  sort  que  semblaient 
lui  préparer  les  plus  déterminés  (1).  Ceci  n'est  point  un 
tableau  surchargé  ;  plus  d'une  l'ois  ce  sentiment  barbare  s'est 
nianilésté  dans  diverses  parties  de  l'Union;  et  il  sera  toujours 
excité  parles  exécutions  publiques,  à  moins  qu'il  ne  soit  rem- 
placé par  hi  sentiment  non  moins  dangereux  d'admiration  et 
d'intérêt  pour  le  patient.  Lequel  des  deux  prévaudra  ?  c'est 
ce  qui  dépend  des  circonstances  que  ni  le  législateur,  ni  le 
juge  ne  sauraient  prévoir  ni  détourner.  Mais  l'un  et  l'autre 
de  ces  sentimens  détruisent  entièrement  le  bon  efief  qu'on  es- 
père obtenir  des  punitions  publiques. 

Je  ne  puis  ni  ne  dois  abandonner  ce  sujet  sans  représenter 
encore  aux  plus  sérieuses  méditations  de  la  législature  un  ar- 
gument dont  l'importance  s'accroît  dans  mon  esprit  chaque 
fois  qu'il  le  considère  de  nouveau,  et  que  la  voix  de  la  cons- 
cience, si  nous  l'écoutons,  nous  dit  être  concluant  :  c'est  la  na- 
tm-e  irrémédiable  de  cette  punition.  Jusqu'à  ce  que  les  hom- 
jTies  aient  acquis  de  nouvelles  facultés  qui  les  mettent  à  mC'mc 
de  discerner  l'innocence  de  la  culpabilité  sans  le  secours  de 
témoins  faillibles  et  corruptibles,  nous  courons  le  risque  d»- 
condamner  l'innocent.  Si  cette  conséquence  était  aussi  pro- 
fondément sentie  qu'elle  devrait  l'être,  se  trouverait-il  un  seul 
partisan  qui  oserait  étaycr  cette  punition  qui  .  infligé»;  en  pa- 

())  Cotte  sctne  scandaleuse  eiU  lieu  à  Orwighbourg  ;  le  inallieiii  eux 
insensé  qui  faillit  être  sacrifié  s'appelait  Zienerman.  Je  tiens  ces  detai's 
fl'iine  personne  de  la  plus  haute  respectabilité  en  Pensylvanie,  q^iajoule 
au  narré  de  ce  l'ait  :  Les  exécuiir.ns,  dans  cet  Etat,  soat  des  scènes  de 
désoidie  et  de  toutes  sortes  d'iniquités;  vingt,  trente,  quarante  mille 
persoimes  se  rassemblenl  en  cette  occasion.  Dans  les  campagnes  deux, 
trois  jours  se  passent  en  i  éjouissances  qui  rappellent  les  foires  d'atiln  - 
t<iis.  {Noie  (le  M.  Liringslo».) 


<j2  OPINION   DE  M.  MVINGSTON 

icil  cas,  a  pour  la  malhourt'iise  iiiiioceiicc;  lous  les  caractères 
(In  meurtre  le  plus  atroce.  Ses  effets  surpassent  en  borharie 
l'acte  du  plus  infâme  assassin.  Celui-ci  poignarde,  frappe  ou 
empoisonne,  et  la  A'ictime  expire  d'un  coup  imprévu,  sans 
êtie  donnée  en  spectacle  à  la  curiosité  pulilique,  sans  laisser  à 
ses  meilleurs  amis  des  doutes  sur  son  innocence,  sans  se  voir 
abandonnée  d'eux,  dans  la  conviction  de  sa  culpabilité;  elle 
meurt,  et  sa  mort  est  un  de  ces  accidens  inévitables  auxquels 
sont  soumis  tous  les  mortels.  Sa  famille  est  affligée,  mais  non 
deslionorée  ;  sa  mort  est  déplorée  par  ses  amis  et  bonorée  par 
son  pays  s'il  en  a  bien  mérité  durant  sa  vie.  Mais  l'bomicide 
juridique,  le  meurtie  de  l'innocent ,  avec  les  formes  sacrées 
delaloi,n'a  point  ces  circonstances  adoupissantes.  L  i  la  mort, 
lente  dans  son  approcbe,  indécise  dans  ses  coups,  fait  éprou- 
ver à  sa  victime,  non-seulerrient  ces  angoisses  de  l'âme  qui 
naissent  du  conflit  de  la  crainte  et  de  l'espérance,  en  atten- 
dant sa  condamnation;  mais  après....,  dans  l'isolement  d'un 
cacbot,  elle  est  en  proie  ,  durant  cliacune  des  minutes  de  vie 
que  lui  laisse  la  cruelle  douceur  des  lois,  à  toutes  ces  antici- 
pations décourageantes,  cent  fois  pires  que  la  mort.  Le  sen- 
timent intime  de  l'innocence,  qui  nous  soutient  dans  les 
autres  adveisités,  se  convertit  pour  lui  en  une  source  d'a- 
mertume et  de  désespoir  quand  il  reconnaît  que  ce  n'est  pas 
une  protection  contre  l'infamie  et  la  mort;  et  lorsque  les 
liens  qui  l'altacliaient  à  sa  patrie,  à  sa  fanulle  ,  à  ses  amis, 
vont  à  jamais  être  brisés  ,  aucune  réflexion  consolante  ne 
vient  adoucir  l'horreur  de  ce  der:iier  muincut  :  il  bisse  à  ses 
eid'ans  une  infîmiie  non  méritée,  à  ses  autres  parens,  un  nom 
flétri  dans  la  société,  et  courbe  vers  le  tombeau  les  têtes  blan- 
chies des  auteurs  de  ses  jours.  En  sortant  de  son  cachot,  il 
voit  la  foule  assemblée  pourcontempler  ses  dcrnièresagonies; 
ilinonie  au  fatal  polea\i ,  et  une  vie  innocente  est  terminée 
par  une  niort  desbonoranie.  Ce  n'est  pas  nu  tableau  d'ima- 
gination :  plût  ;i  Dieu  le  fût-il!  Plût  à  Dieu,  si  la  mort  doit 
être  infligée,  qu'on  pût  découvrir  des  moyens  certains  pour 
ne  la  faire  tomber  que  sur  des  (êtes  coupables!  Mais  ces  faits 


SI  II  LA   PîiNE  DE  MOUT.  aj;.". 

sonl  arrivéî^  ;  ces  nieinlres  légfiux  ont  été  foiiunis.  Kl  quels 
rurenl  les  premiers  ailleurs  c!c  ces  crimes  ?  Qui  a  autorisé  une 
jMHiition  qui  n'admet  aucune  rémission  pour  l'innocence? 
«Qui  a  serré  le  nœud  fatal  ?  Qui  u  fait  tomber  la  hache  sur  une 
iiioffensive  créatin'c?  Ce  n'est  pas  le  bourreau,  vil  instrument 
salarié  pour  accomplir  l'œuvre  de  mort.  Ce  n"est  pas  le  jury 
qui  condamne,  ni  le  juge  qui  prononce  la  sentence,  ni  la  loi 
qui  sanctionne  ces  erreurs,  mais  bien  les  législateurs  qui  ti- 
rent la  loi,  ceux  qui,  ayant  le  pouvoir  de  la  rappeler,  la  lais- 
sent exister.  Voilà  les  personnes  qui  sont  responsables  à  leur 
patrie,  à  leurs  consciences  et  à  leur  Dieu.  Non-seulement  ces 
horreurs  ont  eu  lieu  ,  mais  elles  seront  renouvelées;  les  mê- 
mes causes  produiront  les  mêmes  elTets  :  l'innocenl  a  élé  sa- 
crifié pour  le  coupable  ,  il  le  sera  encore.  Nous  le  savons, 
cette  affreuse  vérité  fatigue  nos  regards.  Nous  ne  pouvons  ni 
la  méconnaître,  ni  l'éviter.  Un  mot  suffirait  pour  sauver  l'in- 
nocent et  assurer  la  punilion  du  coupable,  et  nous  pourrions 
hésiter  à  le  prononcei!  Nous  contenterons- nous  de  notre 
exemption  imaginaire  de  pareils  accideus,  et  fermerons-nous 
l'oreille  aux  cris  de  la  justice  et  de  l'humanité  !  «  La  sensi])i- 
lilé,  pour  me  servir  de  l'expression  d'Eden  (i),  s'endormira- 
t-elle  au  sein  des  jouissances,  sans  se  réveiller  à  la  voix  de 
l'infortune?  »  Je  m'appesantis  sur  ce  point,  parce  que  j'ai  vu 
plus  d'une  condamnation  sur  de  fausses  interprétations  de  la 
loi,  sur  la  foi  de  témoins  déçus  ou  parjures,  condamnations 
qui  eussent  été  révoquées  avant  ce  jour,  si  les  malheureuses 
victimes  n'étaient  hors  de  la  iK)rtée  des  réparations  hu- 
maines. .J'ai  vu,  dans  le  sombre  silence  des  cachots,  l'expres- 
sion muette  de  l'indignation  profondément  concentrée,  luttant 
contre  la  douleur.  J'ai  entendu  des  attestations  solennelles  , 
d'innocence  faites  d'un  ton  que  l'artifice  ne  saurait  imiter. 
J'ai  écouté  avec  un  étonnement  mêlé  d'effroi  les  adjurations 
d'une  de  ces  victimes,  dont  les  accens,  d'une  énergie  plus 
{{u'humainc ,   sommaient  son  perfide  acusateur  et   son  juge 

f  : 

(i)  Principes  de  la  lui  pénaU  . 


294  OPIMON   DE   M.   LlVlNGSTON 

abusé  à  comparaître  avec  lui  devant  le  trône  de  Dieu  ;  cet 
appel  au  grand  tribunal,  (|ui  n'erre  jamais,  et  devant  lequel 
l'appelant  allait  paraître  dans  quelques  heures,  était  t'ait  pour 
exciter  la  présomption  de  son  innocence  :  cette  présomption 
lut  changée  en  certitude;  le  parjure  du  témoin  fut  décou- 
vert, et  le  monstre  échappa  par  la  fuite  à  l'infamie  qui  l'atten- 
dait, ^lais  il  était  trop  tard  pour  réparer  le  mal.  et  cette  décou- 
vei'te  n'eut  d'autre  conséqiiejWM'  que  d'ajouter  à  la  quantité 
de  cas  pareils  un  exemple  de  plus  du  danger,  je  tlirai  de  l'im- 
piété de  s'arroger  cet  attribut  de  la  puissance  divine,  sans  être 
doué  de  l'infaillibilité  qui  peut  seule  en  diriger  l'exercice» 
Cette  seule  objection  .  lors  même  que  toutes  les  autres  rai- 
sons pressantes  qui  s'élèvent  contre  la  peine  de  mort  n'exis-- 
teraient  pas,  cette  considération  seule  suffirait  pour  me  faire 
accueillir  avec  transport  le  décret  d'abolition  de  la  punition 
lapitale,  comme  un  événement  si  honoiable  pour  ma  patrie. 
-i  consolant  pour  l'humanité,  qu'il  ne  serait  pas  trop  chère- 
ment acheté  au  j)rix  d'une  vie  entière  de  travail. 

.Te  ne  puis  abandonner  ce  sujet  sans  soumettre  préalable- 
juentà  l'assemblée  générale  l'opinion  d'iui  liomme  dont  l'an- 
lorité  justifierait  des  épreuves  bien  plus  hasardeuses  que 
celle  qu'on  propose,  et  dont  les  argumens  sont  aussi  con- 
vaincans  que  le  nom  est  respectable;  ce  ne  sont  pas  ici  les 
opinions  d'un  individu  que  le  jargon  moderne  qui  couvre  l'i- 
i-'iiorance  du  siècle  puisse  qualifier  de  théoricien,  mais  celles 
d'iMipersunnage  dqnt  l'existence  entière  fut  dévouée  à  l'exer- 
cice des  fonctions  utiles  et  honorables  de  la  plus  haute  ma- 
gistrature, dont  le  nom  n'est  jamais  prononcé  qu'avec  révé- 
rence, et  dont  la  doctrine  est  citée  comme  autorité,  toutes  les 
lois  que  les  vrais  principes  des  connaissanc'es  légales  sont  mis 
en  question  ;  écoutons  le  vénérable  d'Aguesseau. 

«Qui  croirait  qu'une  première  impression  décide  quelque- 
fois la  question  de  vie  ou  de  mort?  Une  réunion  fatale  de 
eirconstances  qui  semblent  avoir  été  expressément  rassemblées 
par  le  sort  pour  cousoMuner  la  ruine  d'un  infortiuié.  une  foule 
de  témoius  muets,  par  cela  même  plus  dangel'eu.\^  déposent 


StU  LA  PEIM":  DE  MOKr.  2y5 

t'ontit;  rinnoccnce  ;  elles  iiilluencent  le  juge;  ï^on  uiuiguatioii 
s'allume;  son  zèle  même  coutribue  à  le  séduire.  Convertis- 
sant son  caraetère  de  juge  en  celui  d'accusateur,  il  ne  consi- 
'dère  que  ce  qui  tend  à  prouver  la  culpabilité;  et  il  sacrifie  à 
ses  propres  raisonnemens  l'iiomme  qu'il  eût  sauvé  s'il  u'eùt 
fait  attention  qu'aux  preuves  de  la  loi.  Un  événement  imprévu 
démontre  quelquefois  que  l'innocence  a  succombé  sous  le 
poids  de  conjectures,  et  révèle  la  fausseté  (ies  conclusions  que 
Le  juge  avait  tirées  des  circonstances.  La  vérité  lève  le  voile, 
dont  la  probabilité  l'avait  enveloppée  ;  mais  elle  se  montre 
trop  tard ,  le  sang  de  l'innocent  crie  hautement  vengeance 
contre  les  préventions  de  son  juge,  et  le  magistrat  passe  le 
reste  de  sa  vie  à  déplorer  un  malheur  que  tout  son  repentir  ne 
saurait  réparer  (i).  » 

On  a  quelquefois  reproché  aux  partisans  de  cette  réforme 
la  chaleur  avec  laquelle  ils  y  travaillent,  comme  procédant 
d'une  crainte  puérile  qui  exagère  l'appréhension  d'une  chose 
que  nul  ne  peut  éviter.  On  se  trompe  ;  nos  raisonnemens  n'exa- 
gèrent point  le  prix  de  la  vie.  Il  est  des  occasions  où  l'on  doit 
en  risquer  la  perte;  où  la  certitude  de  la  mort  doit  être  envi- 
sagée avec  calme  et  fermeté.  Ces  occasions  s'offrent  au  patrio- 
tisme, dans  la  défense  de  la  patrie  et  de  ses  droits;  à  la  bien- 
veillance, dans  le  salut  de  sou  semblable  en  péril;  à  la  reli- 
gion, dans  la  persécution  qui  présente  aux  fidèles  la  couronne 
du  martyr;  et  ce  serait  une  grande  erreur  que  de  s'imaginer 
que  ceux  qui  proposent  l'abolition  de  la  peine  de  mort  redou- 
tent, plus  que  ceux  qui  veulent  la  maintenir,  cet  accident  inévi- 
table de  notre  nature,  ou  cette  conséquence  possible-  de  nos 
devoirs.  Celui  qui  sauvait  la  vie  d'un  citoyen  romain  obtenait 
une  récompense  plus  honorable  que  le  soldat  qui  aventurait 
la  sienne,  en  montant  le  premier  à  la  brèche.  Le  chêne  était 
préféré  au  laurier,  et  la  couronne  civique  à  la  couronne  mu- 
rale. Dans  le.;  beaux  jours  de  la  république,  les  Romains  avaient 


(i)  D'Aguesseat,  iG"-  nit.'itiirialc. 


29«  OPINIOIN   DE  M.   UVTNGSTON,  etc. 

aboli  cette  punition.  Loin  (s'écrie  leur  grand  orateur,  s'ef- 
forçant,  dans  un  âge  corrompu,  de  réveiller  les  anciens  senti- 
mens  à  ce  sujet  )  loin  de  nous  la  punition  de  mort,  ses  ministres» 
ses  instruniens!  Écartez-les,  non-seulement  de  nos  corps,  mais 
de  nos  yeux,  de  nos  oreilles,  de  notre  pensée  !  Car  non-seule- 
ment l'exécution,  mais  l'appréhension,  l'existence,  la  mention 
même  de  ces  choses,  est  indigne  d'un  homme  libre  et  d'un 
citoyen  romain.  Les  Romains  n'étaient  pourtant  pas  remar- 
quables par  leur  crainte  pusillanime  de  la  mort.  A  l'époque 
dont  je  parle,  ils  n'avaient  pas  besoin  du  stimulant  de  la  peine 
capitale  pour  les  exciter  à  s'immoler  pour  la  patrie.  On 
pourrait,  au  contraire,  arguer  avec  plausibilité,  que  la  dispo- 
sition servile  qui  dégrada  les  derniers  tems  de  la  république 
fut,  en  quelque  sorte,  due  au  changement  qui  fit  du  sacrifice 
de  la  vie  l'expiation  du  crime,  au  lieu  de  la  preuve  et  de  la 
consommation  du  dévoûment  patriotique. 

Convaincu  d'être  tombé  dans  beaucoup  de  répétitions,  et 
certain  d'avoir  affaibli,  en  les  reproduisant,  des  argumens 
mieux  développés  par  d'autres,  je  crains  néanmoins  encore 
d'avoir  omis  quelque  chose  qui  eût  pu  peut-être  porter  la 
conviction  dans  l'âme  de  ceux  auxquels  ce  rapport,  s'adresse. 
La  ferme  et  religieuse  persuasion  où  je  suis  de  la  vérité  de  la 
doctrine  que  j'avance,  contrariée  par  le  sentiment  intime  de 
mon  incapacité  de  la  communiquer  aux  autres,  doit  avoir 
répandu  de  l'obscurité  là  où  les  intérêts  de  l'humanité  eussent 
■  exigé  de  la  clarté,  et  semé  de  la  confusion  dans  un  travail  où 
le  plus  grand  ordre  était  requis.  Mais  la  vérité  se  fera  jour  ;\ 
travers  ces  obstacles.  Du  sein  des  nuages  dont  s'enveloppe 
l'imperfection  humaine,  sa  voix  se  fera  entendre,  comme  celle 
du  Toul-Puissant,  du  sommet  de  la  montagne,  répétant  aux 
nations  ainsi  qu'aux  individus  le  grand  commandement  :  «  Ta 
ne  tueras  point.  » 


NOTICE   NÉCROLOGIQUE.  ^ij-; 

[NOTICE  iNÉCROLOGlOUE 


SUR 


M.   Jean  SCHWEÏGHAELSER,  de  Strasbovrc. 

Au  commencement  de  ce  siècle,  l'ancienne  université  de 
Strasbourg,  célèbre  suitout  parles  bonimes  éminens  qui  s'y 
succédèrent  dans  la  chaire  de  droit  public  et  d'histoire,  était 
illustrée  par  trois  philologues,  tels  qu'on  les  rencontre  ra- 
rement à  la  fois  et  dans  la  même  ville.  La  Hollande  avait  bien 
vu  se  perpétuer  chez  elle  la  série  des  savans  interprètes  de  l'an- 
tiquité :  lluhnken  avait  pris  la  place  d'Hemsterhuis,  Valcke- 
naer  et  AVittenbach  les  suivirent  à  peu  de  distance;  mais  ja- 
mais on  n'y  avait  vu ,  au  même  endroit,  une  réunion  de  savans 
presque  du  même  iige  et  de  la  même  célébrité,  comme  Stras- 
bourg l'offrait  à  cette  époque.  Brusck.,  ScHWEiGHAEtisER  et 
Oberlin  y  formaient  alors  un  triumvirat  utile  et  paisible,  qui , 
loin  de  proscrire,  attirait  au  contraire  de  toutes  parts  les  hom- 
mes studieux,  ceux  surtout  que  la  gravité  des  lettres  antiques 
avqit  su  captiver.  Aussi  ne  fut-il  point  éphémère  comme  l'é- 
taient jadis  ceux  que  l'intérêt  et  la  soif  de  dominer  avaient  ap- 
pelés à  l'existence  :  l'ambition,  la  jalousie  ne  rompirent  pas 
les  liens  qui  attachaient  entre  eux  ces  hommes  que  l'ardeur  de 
la  science  avait  unis,  et  que  leur  ville  natale  confondait  dans 
une  même  estime. 

L'éditeur  de  Sophocle  et  d'Aristophane,  Brunck,  le  plus  âgé 
des  trois,  fut  aussi  le  premier  à  payer  le  tribut  à  la  nature; 
arrivée  au  milieu  de  grands  évènemens  politiques  ,  sa  moit  no 
fit  pas  autant  de  sensation  qu'on  aurait  dû  s'y  attendre  après 
une  vie  si  utile  à  la  science ,  illustrée  par  des  travaux  si  im- 
portans.  Trois  ans  après  ,  Olierlin  suivit  au  tombeau  celui  mu 
tes  traces  duquel  il  avait  marché  :  le  deuil  fut  alor^  d'autant 


'2(jS  NOTICE  NÉCUOLOCIQLE 

j)lusgéiit:ral  que  raclivilé  de  ce  savant  infatigable,  qui  se  mul- 
tipliait pour  sullirc  à  tout,  avait  été  plus  grande,  qu'elle  s'é- 
tait étendue  à  toutes  les  branches  de  la  vie  littéraire  et  scien- 
tifique de  sa  ville  natale  ,  cl  qu'il  ne  restait  plus  de  cette  école 
féconde  en  savans ,- que  celui  (jui  remplit  alors  un  triste  de- 
\  oir,  en  consacrant  la  aiéuioire  de  son  collègue  par  un  discours 
digne,  par  son  éloquence  et  la  pureté  de  la  diction  latine,  de  sur- 
vivre à  toutes  ces  compositions  académiques  dont  les  rentrées, 
les  promotions  et  tous  les  évènemens  quelconques  offraient 
alors  d'éternelles  occasions.  11  est  vrai  qu'à  lui  seul  Schweig- 
haeuser  pouvait  suffire  à  la  gloire  d'une  l  niversité,  comme  au 
sacertloce  des  Muses  antiques  :  mais  à  la  mort  d'Oberlin,  en 
1806,  il  avait  atteint  sa  soixante- quatrième  année;  son  tour 
semblait  prêt  à  venir  aussi,  et  personne  n'était  là  pour  re- 
cueillir un  si  bel  héritage. 

Cependant,  malgré  les  vicissitudes  du  sort,  malgré  les  fati- 
gues d'Une  vie  presque  accablée  de  travaux ,  la  carrière  de  ce 
savant  se  prolongea  bien  au-delà  des  limites  communes,  et 
enrichit  la  science  de  trésors  nouveaux  qu'on  n'aurait  osé  se 
promettre  de  la  plume  débile  d'un  septuagénaire;  à  quatre- 
vingts  ans  même  sa  tfiche  n'était  pas  accomplie,  et  ce  n'est  qu'a- 
près avoir  mis  la  dernièie  main  au  monument  qu'il  éiigeait  au 
père  de  l'iiistoire,  que  le  digne  vieillard  posa  enfin  la  plume 
et  se  reposa  de  ses  travaux.  Ses  facultés  n'éprouvèrent 
pas  la  moindre  altération ,  et  nous  étions  à  la  fois  heu- 
reux et  étonnés  de  l'espoir  que  nous  avions  de  le  conserver 
encore  des  années,  (juand  il  nous  fut  enlevé  subitement  par 
une  mort  qui,  long-lems  pressentie  et  ariivée  au  dernier  terme 
de  la  vie  humaine,  nous  paraissait  pourtant  inopinée. 

Jean  Schweighaeuser,  fils  d'im  pasteur  et  chanoine  au  tem- 
ple protestant  de  Saint-Thomas,  naquit  à  Strasbourg  le  26 
juin  i^/j'-i.  A  peine  âgé  de  cinq  ans,  il  entra  au  gymnase  de 
cette  ville,  étal)lissement  anli«pic,  fondé  au  tems  de  la  réforme 
religieuse  sur  le  plan  du  savant  Sturm  ;  et,  après  avoir  passé 
huit  ans  à  cette  école,  où  plus  d'un  prix  fut  décerné  à  ses  pro- 
grès, il  fit  inscrire  son  nom  sur  ia  liste  des  étudians  de  l'I'ni- 


Slll  SCinVEIGHAElJSEfi.  290 

veisilé.  Là  Raitj;-  cl  Loieiiz  dov  iniciil  se.'^  iiiaîtrc>  pu'iilc  f^iccet 
le  laliii  ;  il  ctiulia  l'hisloiro  sons  Sthoepflin, auquel  sou  immense 
savoir  a  obtenu  la  charge  d'historiographe  du  roi  ;  d'autres  sa- 
vans  l'initièrent  aux  profondeurs  de  la  philosophie  ou  lui  en- 
seignèrent les  Uiathémaliques,  la  physique,  la  chimie.  Destiné 
au  ministère  du  culte,  il  s'appliqua  ensuite  à  l'étude  de  la 
théologie,  ainsi  qu'à  celle  des  langues  hébraïque,  syriaque  et 
arabe,  dont  la  connaissance  est  considérée,  parmi  les  protes- 
taus,  comme  une  hase  indispensal)le  de  la  première.  Le  dogme 
et  l'histoire  ecclésiastique  l'occupèrent  après  :  son  génie  vaste 
et  multiple  n'avait  aucune  peine  à  embrasser  à  la  fois  tant  de 
branches  du  savoir,  et  il  ne  crut  pas  nuire  à  ses  succès  en  y 
joignant  encore  la  botanique,  l'histoire  naturelle  et  l'anato- 
mie,  bien  qu'elles  semblassent  le  détourner  du  but  que  déjà 
il  s'était  propo.'-é.  Mais  séduit  par  la  réputation  des  Spielmann, 
des  Herrmann,  il  ne  voulut  point  rester  étranger  à  des  cours 
fréquentés  par  une  foule  de  jeunes  gens  de  tous  les  pays,  que 
la  célébiité  des  professeurs  attirait.  Heuss  et  Frid,  ses  maîtres 
de  philosophie,  nejouissaient  pas  de  la  même  réputation;  mais 
leur  élève  ayant  une  prédilection  marquée  pour  celte  science,  il 
aimait  à  se  fortifler,  par  leur  commerce ,  dans  l'étude  analy- 
tique de  nos  facultés,  ainsi  que  des  règles  imposées  à  leur  exer- 
cice. Toutes  ces  parties  embrassées  à  la  fois  avaient  dû  consu- 
mer plus  d'années  qu'on  n'en  accorde  ordinairement  aux  cours 
imiversitaires  :  au  lieu  des  trois  ou  quatre  ans  qui  aujourd'hui 
paraissent  si  longs  à  l'impatience  de  la  jeunesse,  il  passa  dix 
ans  sur  les  bancs  de  l'école,  retenu  d'ailleurs  dans  sa  ville  na- 
tale par  les  devoirs  que  lui  imposaient  l'âge  avancé  de  son  père, 
et  la  piété  avec  laquelle  il  les  remplissait.  Décidé  enfin  à  faire 
l'essai  de  ses  talens,  il  soutint,  eu  1767,  sous  la  présidence 
du  vénérable  Reuchlin,  une  thèse  sur  l'ordre  moral  qui  règne 
dans  le  monde  ,  imprimée  sous  le  titre  de  Sjslenia  morale  fiu- 
Jus  universi.  Cette  dissertation,  que  le  répondant  avait  bji-même 
rédii^ée,  méthodique  et  cliire  aus^i-bien  qu'écrite  avec  lu^ 
grand  usage  de  la  langue  latine,  annonçait  dans  son  auteur 
un*'  lête  forte  et  bien  luganisée,   repoussant   de   vaincs  théo- 


5oo  NOTICE  NÉCROLOGIQUE 

ries,  une  profondeur  inlelligible  aux  seuls  aileples,  mais  creu- 
sant la  nialièie  avec  une  rare  pénélralion. 

Le  vieux  pasteur  n'avait  pu  être  témoin  de  ce  premier 
triomphe  de  son  fils,  il  était  mort  avant  la  solennité  qui  a 
marqué  si  honorablement  les  premiers  pas  de  ce  dernier  dans 
la  carrière  des  sciences.  Dégagé  alors  du  lien  qui  l'avait  retenu, 
Scinveighaenser  quitta  Strasbourg  avec  la  résolution  de  n'y  re- 
tourner qu'après  avoir  l'ait,  dans  les  pays  étrangers,  une  am- 
ple provision  d'expérience  et  de  lumières.  La  capitale  l'attira 
naturellement  en  premier  lieu  :  il  y  vola  avec  l'ardeur  de  la 
jcimesse  et  cette  soif  de  la  science  qu'une  vie  si  longue  n'a  pu 
entièrement  satisfaire.  Les  trésors  entassés  pour  la  science, 
et  le  commerce  des  savans  l'attirèrent  tour  à  tour;  s'étant 
surtout  attaché  au  célèbre  de  Guignes,  il  fit,  sous  sa  direction, 
de  gratuls  progrès  dans  la  connaissance  du  syriaque  et  de  l'a- 
rabe. Puis  il  alla  en  Allemagne  pour  étudier  encore  les  langues 
orientales  :  à  Gœttingue  il  fréquenta  avec  la  plus  louable  persé- 
vérance les  cours  de  ^Valch,  de  Miller,  d'Acheuvall,  deHeyne, 
de  Feder,  de  Diez  et  de  Less,  et  plusieurs  de  ces  hommes  distin- 
gués accordèrent  leur  amitié  au  jeune  homme  studieux  qui  at- 
tachait un  si  haut  prix  à  leurs  leçons  et  à  leur  estime.. De  Gœttin- 
gue, il  alla  à  Halle,  et  de  là  à  Leipzig  où  il  se  fit  aimer  de  Reiske 
(jui  l'iiiilia  ,  lui  et  son  ami  Schnurrer,  depuis  professeur  à  Tu- 
bingue,  dans  la  connaissance  plus  intime  non-seuletueut  de 
l'arabe,  mais  encore  de  la  langue  grecque  et  de  ses  grands 
auteurs  tragiques.  Le  tems  passé  près  de  ce  savant,  si  original 
à  la  fois  et  si  érudit,  fut  précieux  pour  lui;  et  ce  qui  stimula- 
encore  son  zèle,  c'est  qu'il  eut  pour  condisciple  la  fenuncde  son 
maître,  versée  dans  la  littérature  ancienne,  et  dont  les  progrès 
pouvaient  bien  exciter  son  émulation.  L'Allemagne  abonde  en 
foyers  de  sciences  et  de  lumières  :  de  Leipzig,  Schvreighaeuser 
passa  à  Dresde  et  puis  à  Berlin,  où  il  fit  la  coilnai.ssancc  des 
Sulzer,  des  Lamberi,  des  Mérian,  des  Mendelsohn,  des  Spal- 
ding,  des  liusching  et  d'autres  houmies  placés  alors  sur  les 
sommités  de  la  carrière  des  lettres.  Leur  accueil  plein  de  bien- 
\  eillancc  lui  fil  legrclter  la  hâte  avec  laquelle  il  fut  obligé  de  con- 


SUR  SCmYKÏGHAKUSlîU.  Soi 

limier  son  voyage.  Basedow  élait  aussi  alors  à  Berlin  :  notre 
jeune  éliidiant  ne  négligea  pas  l'occasion  de  voiriniphilosnplu; 
déjà  connu  alors,  et  que  ses  efforts  pour  améliorer  les  nnétliodes 
d'enseignement  deyaient  rendre  célèbre.  Depuis  long-tems 
l'Angleterre  appelait  notre  voyageur  :  il  se  rendit,  par  Bruns- 
wick et  "\\oirenhuttcl,  à  Hambourg,  où,  avant  de  s'embarquer, 
il  eut  l'avantage  de  voir  le  grand  Lcssing  dont  les  lauriers  em- 
bellissaient la  retraite.  A  Londres,  Askew  et  Turton  accueil- 
lirent avec  empressement  notre  philologue  :  le  premier  le  fit 
même  assister  aux  séîuices  de  la  société  royale  où  il  se  félicita 
d'approcher  des  érudils  célèbres  avec  lesquels  il  resta  ensuite 
en  relation;  il  travailla  aussi  au  Musée  britannique,  fré([uenta 
la  bibliothèque  royale,  etTÎsita  les  librairies  qui  avaientalorsle 
plus  de  renommée.  Sa  connaissance  de  l'anglais  lui  fut  d'un 
grand  secours,  et  la  facilité  avec  laquelle  il  s'énonçait  en  latin 
lui  offrit  un  moyen  subsidiaire  auprès  des  savans  qui  ne  par- 
laient ni  le  français,  ni  l'allemand.  A  Oxford,  ilpassaune  grande 
partie  de  son  tems  à  la  bibliothèque  Bodieïenne,  en  consuma 
le  reste  avec  Kennicott,  Swinton ,  Hunt  et  AVhite,  et  se  lia 
particulièrement  avec  ce  dernier.  Si  près  de  la  résidence  de 
l'évêque  Lowth  dont  il  avait  soigneusement  étudié  les  ouvra- 
ges, il  ne  put  résister  au  désir  de  présenter  ses  hommages  à 
cet  homme  éminent;  il  en  fut  reçu  avec  une  hospitalité  par- 
faite, relevée  par  la  simplicité  des  manières  de  ce  prélat. 

Plus  de  deux  ans  s'étant  déjà  écoulés  depuis  son  départ  de 
Strasbourg,  et  les  dépenses  inséparables  d'une  vie  passée  ainsi 
en  voyages  menaçant  d'épuiser  ses  ressources,  Schweighaeuser 
songea  enfin  ù  retourner  chez  lui,  heureux  de  trouver  sur  sa 
route  de  nouveaux  objets  dignes  de  tout  son  intérêt,  et  l'oc- 
casion de  faire  d'autres  connaissances  non  moins  utiles  à  son 
avenir.  Ayant  choisi  la  route  de  la  Hollande  et  des  Pays-Bas,  il 
visita  Piotterdam,  La  Haye,  Amsterdam,  Ltrecht  et  Leyden,  et 
vit  dans  cette  dernière  ville,  siège  illustre  de  l'érudition  classi- 
que, le  célèbre  Ruhnkenius  dont  les  commentaires  sont  des 
modèles  de  critique  comme  son  éloge  d'Hemsterhuis  est  un 
chef-d'œuvre  d'éloquence.  Il  arriva  enfin  par  Buxelleset  Metz, 


5o2  NOTICE  NÉCUOLOGIQLI-: 

à  Stnisbourg,  vers  la  fin  ilc  i^Oq;  ses  anciens  maîtres  le  re- 
virent avec  joie,  et  Brunck,  alors  dans  toute  la  force  de  son 
talent,  le  reçut  dans  son  intimité. 

Schweigliaenser  avaiteuà  peine  le  tems  de  repasser  dans  son 
esprit  et  de  mettre  en  ordre  tous  les  trésors  dont  son  voyage  l'a- 
vaitenrichi.  II  commençait  seulement  à  tirer  parti  de  la  connais- 
sance de  rhe])rcu  et  de  l'arabe  que  ce  même  voyage  lui  avait  pro- 
curée, quand  la  chaire  de  logique  et  de  métaphysique,  deve- 
nue vacante,  éveilla  son  ambition  en  même  tems  qu'elle  rani- 
mait son  ancienne  prédilection  pour  la  philosophie.  Il  l'obtint 
en  effet  en  i  770,  comme  professeur-adjoint,  et  consacra  le  pre- 
mier pas  fuit  dans  la  carrière  des  horineurs  académiques,  par 
une  dissertation  inaugurale  sur  cette  question  :  quelle  est  la 
connaissance  de  l'homme  qui  a  le  plus  de  certitude  pour  lui, 
de  celle  des  choses  corporelles,  ou  bien  de  celle  qu'il  a  de  sa 
propre  essence?  Dans  une  déduction  rapide,  mais  concluante, 
Fauteur  fait  voir  que  toute  la  connaissance  que  nous  avons  des 
choses  extérieures  se  réduit  à  des  accidens,  à  celles  de  leurs 
qualités  qui  tombent  sous  les  sens,  mais  que  c'est  par  l'étude 
de  nous-même  que  nous  acquérons  l'idée  de  substance  que 
rien  au  dehors  ne  saurait  nous  donner.  Cette  dissertation, 
comme  la  précédente,  prouva  dans  son  auteur  une  rare  apti- 
tude pour  l'analyse  et  une  clarté  parfaite  dans  les  idées  ;  il  faut 
dire  la  même  chose  de  celles  qu'il  rédigea  successivement  pour 
les  jeunes  aspirans  aux  degrés  académiques,  appelés  à  les 
soutenir  comme  thèse»  sous  sa  présidence.  De  ce  nombre  sont 
le  traité  de  .sensu  morali ,  les  sentences  philosophiques  et  la 
théologie,  ainsi  que  la  morale  de  Socrate,  qui  sont  de  l'an- 
née 1780. 

Jusqu'en  1777,  Schweighaeuser  avait  alternativement  en- 
seigné la  logique  et  la  métaphysique  :  la  mort  de  Scherer  lui 
en  ouvrit  à  cette  époque  la  chaire  dont  il  n'était  encore  qu'ad- 
joint; mais  sou  collègue  Muller  étant  mort  immédiatement 
après,  il  obtint  la  chaire  des  langues  grecques  et  orientales, 
qu'il  occupa  jusqu'à  la  fin  de  ses  joints,  et  pour  laquelle  il 
avait  trouvé  dans  In  personne  du  célèbre  Obcrlin  un  compé- 


SUR  SCHWIÏIGHAEIjSKU.  5o:> 

titciir  redoutable.  Au  moment  d'entrer  eu  fonctions,  il  invita 
le  pid)rK'.  à  celte  solennité,  suivant  l'usage,  par  un  programme 
où  il  rend  compte  des  principaux  évènemens  de  sa  vie,  avec 
une  candeur  et  une  modestie  dignes  d'éloge.  Ce  lut  le  i4  no- 
vembre 1778  qu'il  fut  installé.  Il  revint  alors  à  l'étude  des 
langues,  avec  cette  ardeur  et  celte  peisistance  qui  sont  les 
plus  sûrs  garans  du  succès,  sans  toutelois  négliger  la  philoso- 
pbie,  à  laquelle  ses  thèses,  rédigées  pour  des  élèves  appelés  à 
les  soutenir,  eurent  toujours  trait,  comme  il  a  été  dit  plus 
haut.  En  même  tems,  il  ne  dédaigna  pas  des  études  plus  mo- 
destes :  il  donnait  en  particulier  des  leçons  d'anglais,  et  ar- 
rangea, dans  desmomensde  loisir,  une  petite  Encyclopédie  de 
la  jeunesse,  intitulée  :  Teulsclies  Lesebuch ,  où  il  fit  entrer  un 
chapitre  sur  la  nature  de  l'homme  tout  entier  de  sa  main,  et 
composé  avec  le  plus  grand  soin.  Il  parait  avoir  attaché  beau- 
coup d'importance  à  ce  morceau,  puisque,  l'ayant  traduit 
en  latin,  il  l'inséra  plus  tard  dans  le  pi-emier  volume  de  ses 
opuscules,  en  forme  d'appendice. 

Jusque-là  l'activité  littéraire  de  Schweighaeuser  se  réduisait 
à  des  compositions  de  peu  d'étendue  :  nous  allons  le  voir  se 
lancer  dans  la  carrière  qu'il  a  depuis  parcourue  avec  tant  de 
gloire.  Quand  il  en  eut  fait  l'apprentissage  sous  Brunck,  qu'il 
aida  dans  son  édition  d'un  choix  de  tragédies  grecques,  ce  cé- 
lèbre savant  le  mit  eu  relation  avec  l'anglais  Musgrave,  qui, 
désirant  connaître  les  leçons  cl  les  variantes  d'un  manuscrit 
d'Appien ,  conservé  à  la  bibliothèque  d'Augsbourg,  s'était 
adressé  à  Krunck  pour  en  obtenir  la  communication.  Ce- 
lui-ci chargea  notre  jeune  philologue  de  collationner  ce  ma- 
nuscril  fort  important  avec  les  éditions  imprimées;  et  c'esl 
pendant  ce  travail  que  Schweighaeuser  se  convainquit  à  quel 
point  le  texte  de  l'historien  des  guerres  civiles  et  de  Mithridate 
était  altéré,  de  combien  d'améliorations  il  était  susceptible. 

Plein  d'empressement,  il  fit  part  de  ses  découvertes  au  sa- 
vant anglais,  de  manière  à  lui  donner  une  haute  idée  des 
moyens  de  son  correspondant  ;  il  rédigea  presque  immédiate- 
ment plusieurs  dissertations,  non-seulement  sur  le  texte  de 


5o4  NOTIClî  NKCHOLOGIQUE 

l'histoire  d'Appien,  mais  encore  sur  la  personne  el  la  vie  de 
cet  auteur,  ainsi  que  sur  le  degré  de  coufiance  auquel  il  peut 
prétendre.  Dans  ces  opuscules,  écrits  toujours  avec  la  même 
élégance  du  style  latin,  il  hasarda  plusieurs  conjectures  criti- 
<[ues,  avec  une  prévision  si  heureuse,  que  l'examen  des  ma- 
nuscrits les  confirma  pour  la  plupart.  Musgrave,  distrait  par 
d'autres  occupations,  et  forcé  par  son  état  physique  de  s'ahste- 
nirdu  travail,  l'engagea  alors  à  se  chargerai ui-même  de  la  tâch€ 
que  ses  recherches  avaient  déjà  facilitée,  lui  promettant  son 
appui  et  ses  conseils.  L'entreprise  n'était  pas  facile  :  depuis 
cent  ans  personne  n'avait  songé  à  piu-ger  le  texte  d'Appien  des 
altérations  de  toute  espèce  que  les  copistes  lui  avalent  fait  su- 
bir, et  cet  auteur  était  tombé  dans  une  déconsidération  que  rien 
ne  justifiait.  Quant  aux  deux  premières  éditions,  elles  étaient 
aussi  incorrectes  que  défectueuses;  Toll ,  qui  dans  une  troi- 
sième, avait  bien  essayé  quelques  améliorations,  poussa  l'incu- 
rie jusqu'à  réimprimer  les  fragmens  de  l'histoire  illyrienne 
donnés  par  Charles  et  par  Henri  Etienne  ,  bien  que  depuis,  et 
<-o  ans  avant  Toll ,  Hoeschel  eut  mis  au  jour  ce  livre  tout  en- 
tier. Une  nouvelle  ère  commença  pour  l'historien  grec  avec 
la  nouvelle  édition  que  Sch-vvcighaeuser  en  publia  en  1785  : 
en  prouvant  que  l'histoire  des  Parthes,  à  laquelle  surtout  Ap- 
pien  devait  sa  mauvaise  réputation,  n'était  aucunement  son  ou- 
vrage, il  lev(;ngea  desattaques  porléescontrehii,  et  il  débarrassa 
le  reste  de  ses  compositions  d'une  foule  de  leçons  inadmissi- 
bles. De  plus,  il  lui  restitua  l'histoire  illyrienne  dans  son  inté- 
grité', combla  les  lacunes  qui  jusque-là  avaient  interrompu  le 
récit  des  guerres  puniques ,  recueillit  dans  Photius  et  dans 
Suidas  de  nouveaux  fragmens  qu'il  renvoya  à  l'endroit  d'où  ils 
étaient  détachés,  et  rangea  tous  les  livres  dans  leur  ordre  natu- 
rel que  les  autres  éditeurs  avaient  interverti.  Au  texte  reconstruit 
ainsi  à  l'aide  de  matériauxlrès-nombreux,  comme  d'une  criti- 
que conjecturale  le  plus  souvent  heureuse,  il  joignit  des  notes 
détaillées  justificatives  du  texte,  des  tables  alphabétiques,  un 
vocabulaire  des  principales  locutions  d'Appien,  et  refondit 
entièrement  les  anci»'nt>es   traductions  latines  faites  sur  des 


SIU  SCIIV.  EIGBAEUSEU.  3o5 

•«rîginaux  encore  encombrés  d'erreurs.  Ce  savant  travail,  pii- 
î)lié  il  Loipzi{j^,  en  dix  tomes  ou  trois  volumes  in-8°,  ne  l'onda 
pas  seulement  la  réputation  de  son  auteur,  mais  le  plana  de 
prime-abord  au  premier  rang  des  critiques  et  des  hellénistes. 

Grand  ami  du  travail  et  incapable  de  s'arrêter  dans  la  route 
tiù  son  premier  pas  était  un  succès,  Schweighaeuser  n'inter- 
rompit un  moment  ces  recherches  que  pour  se  livrer  à  d'au- 
-tres  non  moins  pénibles.  Après  avoir  fait  paraître,  en  1789, 
une  série  d'observ-ations  grammaticales  et  critiques  sur  le  Lexi- 
tpie  de  Suidas,  monument  précieux  par  les  restes  d'ouvrages 
qu'il  a  sauvés,  mais  qui  ne  nous  est  parvenu  que  surchargé 
d'altérations,  il  commença  l'édition  de  Poljdje,  peut-être  son 
ouvrage  le  plus  important,  celui  qui  rendit  le  témoignage  le 
plus  éclatant  de  sa  perspicacité  critique,  de  son  grand  usage 
des  manuscrits,  et  de  sa  facilité  àpénétrerdans  l'esprit  et  le  style 
<l'un  auteur.  Le  premier  volume  parut  la  même  année,  encore 
à  Leipzig,  où  le  libraire  Weidmanti  s'empressa  d'accueillir  et 
4.1e  provoquer  les  nouvelles  entreprises  d'un  liomme  dont  le 
iiom  commençait  à  devenir  européen. 

On  sait  qu'il  ne  reste  des  œuvres  de  l'Achéen,  ami  des  Sci- 
pions,  que  les  cinq  premiers  livres  en  entier,  puis  des  extraits 
des  douze  ou  ti-eizesuivans,  faits  anciennement  par  un  abrévia- 
teur,  enfîu  quelques  fragmens  conservés  dans  les  recueils  intitu- 
lés :  De  Lfgationibus  et  De  Firtutibus  et  Vitiis.  A  ces  précieuses 
reliques  l'éditeur  en  ajouta  d'autres  recueillies  dans  Suidas  et 
dans  Etienne  de  Byzance,  et,  le  premier,  il  s'appliqua  à  reconnaî- 
-tre  l'ordre  suivant  lequel  tous  cesfragmens  étaient  disposés  dans 
les  trente-cinq  Hvres  perdus,  pour  l*s  rétablir  à  Icur^éritable 
place.  On  sent  de  quelles  difficultés  une  semblable  entreprise 
Vitait accompagnée,  mais  elles  furent  surmontées  avec  tant  de 
bonheur  qu'un  petit  nombre  de  fragmens  seulement,  trop  courts 
pour  offrir  des  moyens  de  classification,  durent  être  rejetés  à  la 
fm  de  l'ouvrage.  Après  cette  opération,  il  s'appliqua  ti  corriger 
ie  texte  vulgaire  à  l'aide  de  manviscrits  jusque-là  négligés  ,  et 
des  nombreuses  variantesentassées  plutôt  qu'exploitées  par  Ca- 
T.  XJ.VH.  Aoi'T  iSrîo.  20 


5o6  NOTICE  MiCROLOGIQLE 

sauboii.  Des  notes  critiques  peu  étendues  furent  placées  sons 
le  texte,  un  commentaiie  plus  détailh-  suivit  dans  des  volu- 
mes à  part;  la  traduction  élégante  mais  souvent  inexacte  de 
Casaubon  fut  refondue,  les  laJ)les  des  matières  augmentées, 
et  cette  édition  fut  encore  enrichie  d'un  glossaire  Irès-remar- 
quable  dans  lequel  sont  discutées  les  particularités  du  style  de 
Polybc. 

Malheureusement  ce  travail  important  ne  put  pas  s'accom- 
plir sans  interruption  :  tombé  dans  des  tems  de  désastreuse 
mémoire,  il  ne  défendit  pas  son  auteur  contre  les  tribulations 
auxquelles  tant  d'hommes  de  bien  se  trouvaient  alors  exposés. 
Schweighaeuscr,  sage  et  ferme  dans  ses  principes,  avait  donné 
peu  de  gages  de  civisme  ;  on  l'accusait  d'être  le  confident  de 
l'infortuné  Dietrich,  premier  maire  de  Slrasboiwg,  de  tenir 
chez  lui  des  conciliabules  noctm-ncs,  d'intriguer  contre  le  triom- 
phe de  l'égalité  républicaine.  Ayant  d"aiileurs  actepté  quelques 
fonctions  publiques,  il  y  avait  déployé  la  franchise  et  l'éner- 
gie de  caractère  qui  lui  étaient  propres  :  c'était  plus  qu'il  n'en 
fallait  pour  aller  gros.-ir  le  nombre  des  suspects  que  nos  Ja- 
cobins entassaient  au  séminaire  éjii^copal.  Après  y  avoir  passé 
vingt  jours,  cette  prison  ne  s'ouvrit  pour  lui  qii'à  condition 
que  dans  les  vingt-quatre  heure»  il  (juittât  !a  ville  pour  s'éloi- 
gner des  frontières  d'au  moins  vingt  lieues.  Baccarat,  hum- 
ble village  du  département  delà  .Me  urîl'.e,  lui  offrit  alors  un  asile. 
où  il  resta  plus  d'un  an  avec  une  partie  de  sa  famille.  Mais  là 
mf-uie  il  ne  put  continuer  tranquillement  ses  paisibles  tra- 
vaux. La  lampe  nocturne  du  savant,  ses  veilles  prolongées 
souvent  jusqu'à  l'aube  du  jour,  paraissaient  suspectes:  quel 
motif  pouvaient-elles  avoir  si  non  des  trames  aristocratiques 
et  de  sourdes  menées?  Des  hommes  incessamment  acharnés 
aux  intérêts  matériels  de  leur  cupiilité  ou  de  leur  ambitioi\ 
pouvaient-ils  comprendre  une  activité  produite  par  la  seule 
ardeur  de  s'instruire  et  d'étendre  aussi  les  bornes  de  la  science? 
Toutefois  les  dénonciations  restèrent  sans  effet,  on  en  comprit 
l'absurdité  ;  on  s'assura  qu'il  était  possible  de  travailler  la  nuit 


SLil  SCll^VI-IGIlAELSEU.  So; 

sîiiis  conspirer;  cl  d'aillciii  s  consacrer  ses  veilles  au  républicain 
ami  (le  ces  Scipions  dont  on  inv(K[iKiit  les  souvenirs,  n'était-ce 
pas  lin  litre  d'eslime  aux  yeux  des  puissans  du  jour? 

L'édition  de  Polybc  lut  donc  achevée;  le  neuvième  volume 
parut  en  i  jc)5  ;  aujourd'hui  elle  est  épuisée.  Tous  les  houuiics 
capables  d'aprécier  un  travail  de  celte  nature  furent  unanimes 
dans  le  jugement  favorable  qu'ils  (;n  poriaicnt.  Délivré  de  sou 
exil,  Sdnveighaeuser  retourna  alors  à  Strasbourg,  où  les  étu- 
des commencèrent  à  se  relever, 

L'Ecoie  centrale  du  déparlement  du  Bas-Rhin  venait  d'èti-e 
ouverte  :  Schweighaeuser,  ayant  été  nommé  professeur  de  litté- 
rature ancienne,  y  fit  des  cours  de  lang;:e  grecque  et  d'arabe.  La 
mélhode  avec;  laquelle  il  procédait,  sa  marche  analytiqne,  la 
clartéqu'ilsavait  tonjours  répandre  sur  ies  objets  traités  par  lui, 
la  condescendance  avec  laquelle  il  se  mit  à  la  portée  de  ses  au- 
diteurs, la  plupart  faibles  encore,  donnèrent  à  son  enseigne- 
ment un  haut  degré  d'utilité;  il  s'y  livra  avec  un  véritable 
plaisir  :  propager  la  science,  inslruiie  la  jeunesse,  faire  ger- 
mer dans  son  espiit  une  science  réelle,  et  y  éveiller  le  goût  des 
études  graves  et  solides,  c'était  pour  lui  une  passion,  la  seule 
peut-être  qu'il  connût-  Il  prêchait  d'exemple  à  ses  auditeurs 
la  modestie  et  la  circonspection ,  leur  rappelait  sans  cesse  la 
nécessité  de  se  rendre  un  compte  exact  de  tout  ce  qui  s'offrait 
à  leurs  méditations,  et  lem*  faisait  comprendre  que  jamais  ils 
ne  sauraient  réellement  que  ce  qu'ils  auraient  saisi  avec  luci- 
dité et  classé  avec  mélhod-e.  Plus  tard,  quand  V Académie  pro- 
testante de  Strasbourg  prit  la  place  de  l'ancienne  Lnivei'sité  de 
cette  ville,  il  fut  aussi  rétabli  dans  la  chaire  où  il  avait  déjà 
rendu  de  si  grands  services,  et  où  il  conlinua  d'ensrigner, 
même  quand  cet  antique  établissement  eut  été  réduit  aux  bor- 
nes étroites  d'un  séminaire,  à  la  suite  du  système  de  centrali- 
sation et  d'unifoiuiité  alors  généralement  suivi.  A  peine  l'In- 
stitut de  France  fut-il  organisé,  que  Schweighaeuser,  nommé 
correspondant  de  la  5^  classe,  y  fut  compris  :  sa  réputation 
'^'était  déjà  fait  jour  au  travers  des  intérêts  politiques  et  des    ^ 


r,M8  NOTICE  NÉCROLOGIQUE 

pùparatifs  militaires  qui  absorbaient  alors  rattention  publi- 
que. Dans  la  suite,  quand  les  classes  furent  remplacées  parles 
quatre  Académies,  il  fut  nommé  académicien  libre  de  celle 
des  Inscriptions  et  Belles-Lettres. 

Ces  succès,  loin  de  rallentir  le  ztde  de  notre  pbilologue, 
l'excitèrent  à  de  nouveaux  efforts  que  l'état  de  sa  fortune 
rendait  d'ailleurs  nécessaires.  L'exil  de  1794,  fatal  à  sa  bi- 
bliothèque, avait  aussi  porté  un  coup  sensible  à  ses  affaires  do- 
mestiques jusque-là  florissantes  :  pour  subvenir  à  toutes  les 
dépenses  dont  sa  position  lui  faisait  une  loi,  et  entretenir  ho- 
norablement sa  nombreuse  famille,  dont  l'aîné  commençait 
dès-lors  à  marcher  sur  les  traces  glorieuses  de  son  père,  il 
fallut  redoubler  d'activité.  Heureusement  qu'en  servant  la 
s-ience,  la  lil)rairie  de  Leipzig  avait  bien  fait  ses  propres  af- 
faires :  \N'eidmann  demanda  donc  à  publier  de  nouvelles  édi- 
tions de  classiques  retouchés  par  une  main  si  haljile  et  si  exer- 
cée. Schweighaeuser,  que  l'amour  de  la  philosophie  n'avait 
jamais  quitté,  choisit  les  raonumens  de  celle  d'Épictète  ,  con- 
servés par  Arrien  et  par  Simplicius,  et  les  publia ,  à  la  fin  du 
dernier  siècle,  en  six  tomes,  ou  cinq  volumes  in-8°.  Cette  édi- 
tion eut  pour  avant-coureur  celle  du  Manuel  d'Kpictète,  avec 
la  Table  de  Cébès,  deux  précieux  opuscules  qu'il  affection- 
nait, et  qu'il  ne  croyait  pouvoir  assez  recommander  à  l'atten- 
tion des  jeunes  disciples  des  philosophes.Villebrune  s'en  était 
occupé  tout  récemment  ;  mais,  loin  d'en  améliorer  le  texte,  il 
y  ataitporté  la  confusion.  Le  Manuel  devait  aussi  entrer  dans 
rédition  complète  des  Epicteleœ  philosophiœ  M 0 nnmenta  :imis 
Schweighaeuser  était  bien  aise  d^exposer,  avec  des  détails 
que  ce  grand  ouvrage  ne  comportait  pas,  les  principes  qu'd 
avait  suivis  pour  la  reconstruction  du  texle,  et  de  donner  une 
revue  complète  des  ressources  qu'offraient  les  manuscrits 
existans.  L'édition  anglaise  d'Lplon  forme  la  base  du  grand 
travail  ;  mais  cet  éditeur  n'avait  eu  sous  les  yeux  que  des  ex- 
traits très-imparfaits  de  plusieurs  manuscrits  de  Paris,  dont 
.on  successeur  a  pu  noter  toHtes  les  leçons  importantes.  Moms 
liu.ide  qu'T  pton.  il  a  fait  putrer  dans  le  texte  un  grand  nombre 


Sin  SCHAVEIGIIAEUSER.  .xuj 

de  variantes  (jiie  celui-ci  .s'élail  conlonté  de  mettre  en  relief; 
il  y  eu  ajouta  d'autres  qui  avaient  échappé  à  Uptoii ,  et  ipi'il 
dut  ou  à  ses  manuscrits,  ou  à  la  révision  de  toutes  les  éditions 
anciennes  d'Épictète  qu'il  entreprit,  à  l'exception  seulement 
de  celle  de  Salaniauque.  (^omme  pour  Polybe,  il  recueillit  un 
grand  nundire  de  l'ragmens  que  ses  devanciers  n'avaient  pas 
reconnus,  refondit  les  tables  des  matières,  et  enrichit  Vindea; 
grœcitat  is  d\iue  foule  delocutions  nouvelles. 

A  peine  la  philosophie  d'Épictète  fut-elle  ainsi  rendue  acces- 
sible aux  investigateurs  des  doctrines  antiques,  que  son  res- 
taurateur, de  plus  en  plus  sollicité  par  les  libraires  comme  par 
son  zèle,  se  mit  à  un  ouvrage  bien  différent,  et  dont  la  facé- 
tieuse gaîté  effaçait  bien  vile  les  rides  qiie  les  leçons  sévères 
del'élèvedu  Portique  avaient  gravées  sur  le  front  de  son  inter- 
prète. La  Société  typographique  de  Deux-Ponts,  dont  tant  de 
bonnes  éditions  de  classiques  attestent  l'activité  éclairée,  dé- 
sirait donner  une  édition  nouvelle  du  Banquet  d'Athénée, 
espèce  d'encyclopédie  à  laquelle  nous  devons  des  lumières  de 
toute  nature  sur  la  vie  des  anciens,  leurs  arts,  leurs  idées,  et 
sur  un  grand  nombre  de  particularités  de  la  langue  grecque. 
L'entreprise  était  difficile,  car  elle  exigeait  dans  celui  qui  s'en 
chargeait  une  mulli})Iicité  de  coimaissances  qu'on  trouve  ra- 
rement réunies  dans  le  même  hi^mme;  mais  elle  promettait  de 
grands  résultats.  On  s'adressa  à  Schvveighaeuser,  qui  d'abord 
voulut  s'en  excuser  ;  cependant,  des  sollicitations  réitérées  lui 
firent  accepter  ensuite  la  proposition,  bien  que,  de  son  propre 
aveu,  il  n'eût  jamais  lu  jusqu'alors  cet  auteur  d'un  bout  à  l'autre. 
Ici,  qu'on  ne  se  presse  pas  de  l'accuser  de  présomption  :  un 
commentaire  explicatif  de  toutes  les  choses  renfermées  dans 
les  Deipnosophistes  n'entrait  pas  dans  son  plan  ;  il  avoue  lui- 
même,  avec  la  plus  grande  ingénuité,  que  ses  connaissances 
n'y  auraient  pas  suffi,  que  plusieurs  de  ces  matières  lui  étaient 
entièrement  incomiues,  et  que,  s'il  est  des  hommes  qui  em- 
brassent à  la  fois  les  parties  les  plus  diverses,  son  genre  d'oc- 
rupations  ne  lui  avait  pas  permis  de  se  placer  de  leur  nombre. 
Il  faut  le  dire  e^i  celte  occasion,  Schvveighaeuser  poussait  bi« 


5io  NOTICE  NÉCilOLOr.IOUE 

loin  la  modestie  dans  les  jiit^emens  qu'il  portait  sur  lui-même  ;: 
loiu  de  se  ménager,  il  avouait  avec  frautliise  ce  que  «ou  tra- 
vail lui  semblait  laisser  à  désirer;  là  où  des  hommes  plus  su- 
perficiels avançaient  sans  encombre,  lui  se  trouvait  arrêté  à 
chaque  pas;  et  plus  d'une  fois  il  dit  ces  paroles  :  qu'il  n'était 
pas  aussi  heureux  que  ces  jeunes  philologues,  souvent  ses 
élèves,  qui  comprenaient  sans  diflicullé  des  passages  dont  l'in- 
telligence, très-voilée  à  son  avis,  lui  avait  coûté  des  semaines 
d'études.  Ce  langage  honorait  son  caractère  en  même  tems 
qu'il  pouvait  confondre  la  médiocrité.  D'un  autre  côté,  tou- 
jours prêt  à  recevoir  des  lumières  de  quelque  part  qu'elles  lui 
vinssent,  Schweighaeuser  aimait  à  rendre  justice  aux  autres, 
très-différent  en  cela  de  ces  demi-savans  qui  croient  se  gran- 
dir eux-mêmes  de  tout  le  mérite  qu'ils  refusent  à  leurs  rivaux. 

Schvï'eighaeuser  sentait  donc  bien  toute  l'importance  du  tra- 
vail dont  il  se  laissait  charger,  mais  il  comptait  sur  l'assistance 
de  se?  amis,  de  Brunck,  de  Herniann  le  naturaliste,  et  surtout 
d'un  savant  dont  il  n'a  pas  cru  pouvoir  révéler  le  nom.  Mal- 
heureusement ces  espérances  furent  déçues. 

Ayant  découvert  un  manuscrit  de  Venise  qui  avait  appar- 
f.enu  autrefois  au  cardinal  Bessarion,  et  que  sa  perspicacité 
lui  fit  reconnaître  pour  celui  ilont  tous  ceux  qu'on  connaissait 
entièrement  étaient  copiés,  il  put  rétablir  le  texte  d'Athénée 
là  oi'i  les  copistes  l'avaient  altéré,  et,  à  l'aiJe  d'un  autre  ma- 
nuscrit renfermant  l'épilome  et  l'abrégé  du  Ban(|uet  fait  très- 
anciennement,  et  dont  le  scholiaste  Eusthathe  s'était  déjà 
servi  ^  il  remplit  les  grandes  lacunes  qui  étaient  lestées  dans 
les  éditions.  De  plus,  il  lira  parti  des  observations  publiées 
sur  Athénée  par  Hugo  Grotius,  Saumaise,  l\t'incsius,  Valcke- 
naer,  Toup,  Rubukenius  et  Lefèvre  de  Villebrune,  postérieu- 
rement à  l'apparition  du  savant  rommentaire  de  Casaubon , 
et  y  ajouta  le  r<-sultat  de  ses  propres  lectures.  Sa  préface,  lon- 
gue de  cent  vi.'igt  pages,  est  un  ch(;f-d'œuvre  de  stylo,  comme 
elle  est  un  modèle  de  discussion,  de  criii{[ue  et  de  modestie. 
Toute  cette  belle  édition,  imprimée  de  1801  à  1807,  foruie 
14  volumes  in-8°  ;  elle  est  un  des  plus  beaux  litres  de  gloire 
pour  son  auh'ur. 


Slil  SCHAVElGHAhUSEU.  3ii 

En  i8()0,  Oborliii  fut  enlevé  à  T Académie  de  Striishoiirg-, 
dont  il  était  un  des  orneniens  :  notre  philologue  fui  chargé 
d'en  faire,  suivant  l'usaije  anciennement  établi,  l'éloge  public  en 
langue  latine.  Rien  de  plu.s  intéressant  que  ce  discours  par 
lequel  il  rendit  aux  mérites  de  son  rival  le  plus  juste  hom- 
mage; la  finesse  des  observations  s'y  allie  à  la  plus  grande 
simplicité  de  l'expression,  et  le  style  latin,  digne  des  grands 
maîtres  à  l'école  desquels  Schweighaeuscr  s'était  formé,  ne 
peut  être  comparé,  dans  les  tems  modernes,  qu'aux  écrits 
immortels  des  grands  philologues  de  Leyden  et  d'Amsterdam, 
on,  en  remontant  plus  haut,  qu'à  la  latinité  élégante  et  châtiée 
de  M  uret.  La  même  année,  Schweighaeuscr  publia  la  collection 
des  opuscules  critiques  et  philosophiques  dont  il  a  déjà  été  ques- 
tion. L'homme  vieilli  dans  les  travaux  n'avait  pas  à  rougir  de  ses 
essais  de  sa  jeunesse  :  les  OpusculaacaJemica,  justement  estimés 
de  ceux  ({ui  préfèrent  le  positif  dans  les  théories  à  de  vagues 
et  excentriques  spéculations,  fournirent  une  nouvelle  preuve 
de  la  netteté  qui  des  idées  était  passée  dans  le  langage  de  leur 
auteur,  en  même  tems  qu'ils  déposèrent  en  faveur  de  ses  se  nti- 
mens  chrétiens  et  de  son  attachement  aux  vérités  religieuses. 
Entre  les  mains  de  la  jeunesse,  ce  livre,  trop  peu  répandu, 
serait  de  la  plus  haute  utilité,  en  ce  qu'il  fixerait  irrévocable- 
ment ses  idées  sur  des  matières  qui ,  éclaircies  depuis  long- 
tems,  ne  peuvent  que  perdre  à  la  manière  nouvelle  dont  on 
s'évertue  à  les  produire.  Aussi,  son  auteur  s'en  était-il  promis 
de  grands  résultats  :  car,  par  une  bizarrerie  dont  les  exemples 
sont  fréquens,  il  attachait  bien  plus  d'importance  à  ces  discus- 
sions philosophiques  dont  sa  vocation  l'avait  rappelé,  qu'à  ces 
travaux  précieux  auxquels  il  devait  le  grand  nom  qu'il  avait 
obtenu  dans  la  république  des  lettres;  pleine  d'un  réserve  mo- 
deste quand  il  tient  l'arme  de  la  critique,  il  devient  tranchant 
<"n  discutant  les  systèmes  des  philosophes.  Il  assure  avoirpres- 
senti  les  idées  auxquelles  Rant  a  donné  ensuite  tant  de  relief, 
il  se  flatte  même  (|u'en  les  produisant  il  a  évité  les  erreurs 
contre  lesquelles  ce  grand  penseur  et  ses  disciples  n'ont  pu  se 
prémunir.  Cependan!   il  ajoute,  et  ce  passage  mérite  d'être 


3i2  NOTICE  NÉCROLOGIQUE 

pris  en  considération  :  «Ce  n'est  p;is  que  je  veuille  faire  ce/- 
tendre  que  j'aie  découvert  alors  des  choses  toutes  nouvelles  ; 
au  contraire,  plus,  dans  la  psychologie  et  la  morale,  une  dé- 
couverte paraît  nouvelle  et  inouïe,  plus  elle  s'éloigne  des  idées 
ordinaires  des  hommes  (de  ceux  bien  entendu  qui .  ayant  ré- 
fléchi sur  leur  nature,  savent  se  rendre  compte  des  notions  dont 
ils  ont  conscience),  et  plus  aussi  elle  doit  inspirer  de  doutes  sur  sa 
vérité  et  son  utilité.  Aussi  ne  voit-on^  pas  sans  élonnement  que 
les  homaics  qui  ne  trouvenl  la  philosophie  que  dans  ta  pré- 
tention de  s'élever  au  delà  de  l'intelligence  ordinaire  des  hom- 
mes, par  un  essor  qui  les  porte  dans  je  ne  sais  quelles  régions 
supérieures,  qui  se  félicitent  d'y  reconnaître  la  V(  rilé  tout 
entière  à  l'aide  d'une  intuition  parfaite  de  la  nature  des  cho- 
ses dans  ce  qu'elle  a  de  plus  mystérieux,  que  ceux-ci,  disons- 
r>ous,  ne  s'aperçoivent  pas,  malgré  toute  leur  perspicacité , 
que  ce  qu'ils  ont  apporté  de  ces  hauteurs,  que  ce  que  tant 
d'efforts  leur  ont  acquis,  n'est  autre  chose  que  les  rêves  et  les- 
brouillards  d'une  imagination  en  délire,  des  disputes  de  mots 
artificiellement  arrangés  et  ronflant  à  l'oreille ,  mais  incapa- 
bles de  fournir  à  l'esprit  aucune  notion  positive,  aucune  idée 
lucide  ;  que,  dans  le  cas  même  le  plus  favorable,  ils  n'ont 
trouvé  que  ce  que  le  bon  sens  lui  seul  révèle  à  tout  homme 
.nttenlif  à  lui-même,  révélations  qui  sans  doute  ont  leur  uti- 
lité quand  elles  sont  rendues  sans  affectation  dans  un  langage 
clair  et  intelligible,  mais  qui,  enveloppées  ainsi  d'obscurités 
factices,  présentent  les  plus  grandes  difficultés  ,  sans  procurer 
aucune  utilité  réelle.  »  Aux  dissertations  philosophiques  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut  et  auxquelles  l'auteur  fit  des  re- 
tranchemens,  des  additions,  des  changemens  de  toute  espèce, 
sont  jointes,  dans  un  second  volume,  les  recherches  érudites 
sur  Appien  et  sur  Suidas.  Enfin  ,  la  même  année  1806  vit  en- 
core paraître  la  petite  édition  de  Cébès,  enrichie  de  nouvelles 
variantes  :  imprimée  à  Strasbourg,  elle  fut  destinée  aux  élè- 
ves du  gymnase  de  cette  yille,  comme  l'édition  abrégée  du 
Manuel  d'Epictète,  publiée  à  Leipzig,  avait  été  faite  aupara- 
vant à  l'usage  de  la  jeunesse  des  écoles  allemandes. 


SLK  SCHMEIGIIAELSEU.  3iJï 

Une  ([uarantaiiie  de  voiumes,  fruits  de  la  plus  rare  assiduité, 
étaient  ainsi,  entre  les  mains  des  savans,  les  preuves  iiiclra^ra- 
bles  du  talent  et  de  l'érudition  de  notre  philologue  :  peu  de 
tenis  avait  suffi  pour  les  préparer  et  les  mener  à  maturité,  et 
potwtant  rien  dans  leur  contenu  si  grave,  si  difficile,  ne  se 
ressentait  de  la  précipitation.  On  a  de  la  peine  à  comprendre 
comment  il  a  pu  trouver  le  tems  nécessaire  à  de  si  grands  tra- 
vaux, surtout  quand  on  songe  que  les  cours  publics  qu'il  fai- 
sait et  auxquels  il  se  préparait  soigneusement ,  que  la  bil)lio- 
ihèque  de  la  ville  dont  il  était  conservateur,  et  qu'à  1  exemple 
d'Oberlin,  son  devancier,  il  avait  entrepris  de  mettre  en  ordre, 
que  d'autres  soins,  au  nombre  desquels  il  faut  compter  surtout 
une  correspondance  très-étendue,  réclamaient  aussi  une 
grande  partie  de  sa  journée.  Mais  l'ardeur  au  travail  et  la  per- 
sévérance viennent  à  bout  de  toutes  choses;  et  pour  que  la 
vie  suffise  à  toutes  sortes  d'occupations,  il  n'y  a  qu'à  la  bien 
distribuerd'abord  et  l'épuiser  ensuite.  Même  dans  sa  vieillesse, 
Schweighaeuser  se  couchait  rarement  avant  minuit,  et  pous- 
sait assez  souvent  son  travail  jusque  vers  la  pointe  du  jour;  il 
se  levait  matin,  et  évitait  ce  qui  pouvait  le  distraire  sans  uti- 
lité de  son  travail.  Lorsqu'il  ressentait  de  la  fatigue  ,  il  quittait 
ses  livres  pour  respirer  librement  au  sein  de  la  belle  nature  : 
ami  de  la  vie  champêtre  et  piéton  infatigable  ,  il  couiait  alors 
dans  les  montagnes,  le  plus  souvent  accompagné  de  sa  famille. 
et  en  revenait  avec  de  nouvelles  forces. 

Depuis  long-lemsSchweighaeuseravait  vu  avec  regret  qu'au- 
cun savant  ne  s'était  occupé,  dans  les  tems  modernes,  à  don- 
ner une  édition  séparée  et  facile  à  l'usage,  des  épitres  si  inté- 
ressantes adressées  par  Sénèque  le  philosophe  à  son  ami 
Lucilius;  lorque  Matthise,  à  Francfort ,  entreprit  de  combler 
cette  lacune,  il  sempressa  de  lui  communiquer,  sur  sa  de- 
mande ,  les  variantes  extraites  des  manuscrits  de  ces  épîtres 
conservés  à  la  bibliothèque  de  Strasbourg.  31atthiœ,  s'étanl 
bientôt  aperçu  que  de  si  riches  matériaux  devaient  servir  à  la 
réforme  complète  du  texte  latin  dont  ses  loisirs  ne  lui  per- 
mettaient pas  de  s'occuper,  engagea  son  cf»rrcspondant  d'à- 


3i4  NOTICE  NÉCROLOGIQLE 

border  lui-même  une  t;a'he  pour  laquelle  il  ne  se  senlail  pa> 
assez  lie  courage.  Scliweighaeuser  y  lut  bientôt  décidé  :  l'é- 
dition assez  médiocre  que  iluhkapf  donnait  alors  des  œuvres 
complètes  du  maître  de  Néron  lui  démontra  la  nécessité  d'ap- 
peler  ratlcntion  il':s  savans  sur  les  nouveaux  secours  que  la 
critique  était  en  état  de  fournir  pour  l'amélioration  de  leur 
texte,  même  après  les  efforts  d'Érasme,  de  Muret,  de  Juste 
Lipse  et  de  J.  Fr.  Gronovius.  Quelque  mesuré  que  fût  le  ju- 
gement du  nouvel  éditeur  sur  le  travail  dé  Uubkopf,  celui-ci 
ne  le  lui  pardonna  point ,  mais  s'en  vengea  d'une  manière  peu 
honorable  aussitôt  qu'il  en  trouva  l'occasitui.  Les  épîtres  mo- 
rales parurent,  en  1809,  par  les  soins  de  la  société  de  Deux- 
Ponts,  en  deux  volumes  :  indépendamment  d'un  texte  purgé 
de  fausses  leçons,  elle  offrait  les  variantes  de  trois  manuscrits 
nouveaux  dont  l'un,  écrit  au  ix"  siècle,  est  d'un  grand  prix. 
A  l'organisation  de  l'université  de  France,  Schweighaeuscr 
fut  nommé  piofesseur  de  littérature  grecque  à  la  nouvelle 
académie  royale  de  Strasbourg:  il  devint  en  mTme  tems  doyen 
delà  Faculté  des  lettres,  et  ce  litre  lui  fut  doublement  acquis, 
et  par  ses  cheveux  blancs,  et  par  l'immense  savoir  qui  le  dis- 
tinguait. Sa  position  était  alors  des  plu.-  agréables  :  estimé  de 
tous  ses  collègues,  souvent  heureux  de  s'éclairer  de  sons  avoir 
ou  de  son  expérience,  révéré  (les  élèves  nombreux  qn'il  for- 
uiait  à  rinlelligence  des  grands  auteurs  classiques,  illustre 
dans  la  république  des  lettres,  il  jouissait  encore  de  cette  ai- 
sance que  le  savant  ne  trouve  pas  toujours,  bien  qu'elle  soit  si 
nécessaire  au  succès  de  ses  travaux.  Son  fils  aîné,  qu'i:  se  féli- 
citait d'avoir  pour  collaborateur  dans  l'enseignement  comme 
dans  le  travail  des  manuscrits,  lui  promettait  un  digne  suc- 
cesseur ;  le  second  fils  et  -es  deux  sœurs  rivalisaient  de  soins 
et  de  tendresse  pour  charmer  toiu*  à  tour  les  vieux  jours  de 
leur  père.  L'une  de  ces  dernières,  son  inséparable  compagne, 
guidait  ses  pas  d.'ms  .ses  excursions  champêtres  ou  venait  au 
secours  de  la  faiblesse  de  sa  vue  en  lui  faisant  la  lecture;  l'au- 
tre réchauffait  son  âme  par  les  vers  souvent  gracieux  qu'elle 
composait.  Il  passait  l'été,  soit  dans  les  Vosges,  soit  aux  eaux 


SDR  SCH>VEIGHAEUSE1V.  ")i5 

tfc  Bade,  cliariiiaiit  séjour  où  il  clait  sûr  de  rcncoiilrer  d'an- 
ciennes connaissances,  ou  des  hommes  empressés  de  lui  (offrir 
leurs  hommages,  et  de  jouir  de  son  intéressant  commcMw  e.  Sa 
vie  s'écoulait  ainsi  paisii)lenîpnt  entre  le  travail  et  les  délasse- 
mens. 

Nous  voici  arrivés  à  son  dernier  ouvnige,  à  celui  qui ,  après 
l'avoir  occupé  dix  ans,  marqua  le  dernier  terme  de  sa  glorieuse 
carrière.  Il  s'agissait  de  rétablir  le  texte  précieux  du  père  de 
l'histoire  ,  et  d'en  donner  une  édition  plus  commode  que  l'in- 
folio  de  Wesseling.  Schweighaeuser,  toujours  prêt  à  honorer 
le  mérite,  était  loin  de  contester  celui  de  l'édition  hollandaise, 
mais  il  lui  reprochait  une  timidité  poussée  trop  loin.  Non-seu- 
lement Wesseling  n'avait  pas  tiré  tout  le  parti  possible  de 
ses  trois  manuscrits  de  Paris,  mais,  alors  même  qu'ils  lui  avaient 
fourni  les  véritables  leçons,  il  n'avait  osé  éliminer  les  ancien- 
nes pour  leur  substituer  ces  dernières,  et,  surtout,  il  avait  eu 
scrupule  de  corriger  le  texte,  bien  qu'évidemment  altéré,  sur 
de  simples  conjectures,  quelque  spécieuses  qu'elles  lui  parus- 
sent à  lui-même.  Avec  les  amtériaux  entassés  par  lui ,  lleiz  et 
Schaefer,  critiques  du  premier  ordre,  avaient  fait  à  ce  texte 
des  changemens  notables,  et  Borheck  même,  avec  des  moyens 
plus  faibles,  y  avait  puisé  la  matière  de  toutes  sortes  d'amé- 
liorations. Il  importait  de  fixer  enfin,  par  une  critique  sévère 
et  savante,  ce  texte  si  précieux  à  l'histoire  :  Schweighaeuscr 
entreprit  cette  tâche;  son  édition  parut,  en  1816,  en  six  vo- 
lumes in-8°,  partagés  chacun  en  deux  tomes.  Revu  sur  de 
nouveaux  manuscrits  aussi-bien  que  sur  ceux  que  W  esseling 
avait  déjà  employés,  l'original  grec  fut  accompagné  d'une  vci- 
sion  latine  dont  celle  de  Laurentins  Yalla ,  .corrigée  déjà  par 
plusieurs  éditeurs,  forme  la  base,  mais  qui,  relailc  par  Sch^vcig- 
haeuser,  devint  un  véritable  chef-d'œuvre,  non-seulement  pisr 
l'èlégancie  du  style,  mais  surtout  par  la  souplesse  et  i'exdcli- 
tude  avec  lesquelles  elle  i-eud  toules  les  nuances,  tous  les  ac- 
cidens  de  langage,  si  l'on  peut  s'expiimer  ainsi ,  de  l'original 
dont  on  retrouve  partout  l'admirable  !;aïvcté.  Toutes  les  no- 
ies de  Wesseling  et  de  Vab  kenarr  furent  maintenues,  celles  de 


ôiG  NOTICE  NÉCROLOGIQUE 

Gronovius,  moins  utiles,  ne  furent  conservées  que  par  ex- 
traj»*s,  mais  le  nouvel  éùiteur  y  joignit  les  siennes  plutôt  criti- 
ques qu'explicatives. 

Nous  n'entrerons  point  ici  dans  la  discussion  qui  s'éleva  en- 
lie  llulikopl"  cl  l'cditeiir,  sur  le  système  suivi  par  ce  dernier  à 
l'égard  du  dialecte  ionique  dont  Hérodote  s'est  servi,  et  que 
des  copistes  sans  mission  ont  successivement  elTacé.  En  sou- 
tenant que  son  auteur,  pas  plus  qu'Honi'^re,  ne  s'était  astreint 
rigoureusemcMit  aux  formes  usitées  dans  son  pays,  mais  que 
l'usage  universel  d'un  mol  le  lui  avait  quelquefois  fait  adop- 
ter, quand  bien  même  il  appartenait  à  un  autre  dialecte,, 
Schweighaeuser  avait  pour  lui  l'autorité  de  Scliaefer,  et  Ruh- 
kopf  n'a  pas  prouvé  le  contraire.  L'accueil  favorable  que 
trouva  celte  édition,  (jui  fut  même  contrefaite  en  Angleterre, 
le  vengea  de  ces  reproches  dictés  par  la  susceptibilité  blessée; 
d'autres  critiques  restèrent  sans  objet  quand  leLexicon  Hero- 
doieum  fut  publié.  Ce  glossaire  très -étendu  qui  parut  en 
1824,  en  deux  volumes  iu-8",  fut  le  dernier  ouvrage  du  vieil- 
lard déjà  plus  qu'octogénaire,  qui,  pour  compléter  la  liste  de 
ses  travaux,  avait  encore  mis  au  jour,  en  1814,  un  petit  vo- 
lume de  morceaux  choisis  d'Appien  et  du  conimentaire  de 
Simplicius,  accompagnés  d'une  traduction  latine  et  arrangés 
à  l'usage  des  écoles.  Le  Lexicon  Hcrodolnwi,  orné  du  por- 
trait très-ressemblant  de  l'auteur,  se  rattache  à  toutes  les  édi- 
tions des  Muscs  dont  il  forme  un  complément  précieux,  fruit 
d'une  sagacité  et  d'une  application  qu'on  n'était  pas  en  droit 
d'attendre  d'un  vieillard  de  8j  ans,  dont  la  vue,  faible  même 
dans  sa  jeunesse,  était  alors  enliènmient  obscurcie.  Non  con- 
tent d'y  inscrire  toutes  ces  locutions  familières  ou  particu- 
lières à  Hérodote,  il  y  rend  aussi  compte  de  l'ensemble  de  son 
style,  y  discute  un  grand  nombre  de  passages  de  son  histoire, 
tant  sous  le  rapport  du  langage  que  sous  celui  des  choses, 
complète  ainsi  son  commentaire,  et  corrige  en  bien  des  eu- 
droits  ou  le  texte  qu'il  avait  adopté  ou  la  version  qu'il  en  avait 
faite. 

De  même  (jue  le  roi,  à  l'occasion  de  la  naissance  du  duc  de 


Sim  SCIÏWEKillAKliSEIl.  517 

Bordeaux,  avait  voulu  recoimnîtro  le  rare  mérite  de  Sclnvei- 
ghaeuser,en  lui  cou  fora  lit  l'ordr^dela  Légion-d'lIonneur,elque 
rAcadémie  lui  avait   plusieurs  fois  prouvé  son  estime  en  le 
recevant  dans  son  sein,  soitcomme  correspondant,  soit  comme 
académicien  libre,  de  même  aussi  la  Société  royale  des  lettres 
de  Londres  désira  oflVir  à  une  vie  si  laborieuse  un  hommaj^e 
public.  Elle  lui  décerna,  en  1826,  troisième  année  de  son  exis- 
tence, une  magnifique  médaille  d'or  ornée  du  buste  du  roi,  et 
poitant  cette  inscription  :  Joanni  Schweigliaeuser  critico  grœco 
erndilissimo.  Cette  médaille  vient  d'être  déposée  par  la  i'amille 
à  la  Bibliothèque  publique  deStrasbourg.  Quatre  ans  avant,  un 
hommage  d'un  autre  genre,  bien  doux  au  cœur  de  celui  qui 
en  fut  l'objet,  avait  été  adressé  au  Nestor  des  savans.  Sa  fa- 
mille et  ses  collègues  s'étant  réunis  pour  célébrer  le  80"  anni- 
versaire de  sa   naissance,  les  étudians  voulurent   y  prendre 
part.  Le  banquet  avait  duré  plusieurs  heures  quand,   à  l'ap- 
proche de  la  nuit,  ils  arrivèrent  silencieusement  dans  lacour 
de  l'habitation  de  leur  professeur  :  suivant  un   usage  encore 
observé  dans  les  universités  allemandes,  ils  entonnèrent  tout 
à  coup,  à  la  lueur  de  leurs  flambeaux,  le  Vivat  acculemia,  vivant 
professores,  et  chantèrent  ensuite,  avec  accompagnement  d'in- 
strumens,  des  couplets  que  l'un  d'eux  avait  composés  pour 
cette  occasion.  Bientôt  le  vieillard  est  au  milieu  d'eus  :  il  les 
remercie  d'une  manière  touchante  de  cette  preuve_de  leur  af- 
fection.  Alors   deux  de    ses   élèves  s'avancent  vers    lui,  lui 
adressent  quelques  paroles  de  gratitude  au  nom  de  leurs  cama- 
rades, et,  après  lui  avoir  présenté  quelques  exemplaires  des 
couplets  chantés  par  ceux-ci,  ils  posèrent,  aux  acclamations 
unanimes  de   l'assemblée,  une  couronne   de  lauriers   sur  le 
front  vénérable  de  leur  professeur.  Son  émotion  était  visible  : 
à  peine  put-il  articuler  quelques  mots,  et  la  confusion  où  le 
mettait  l'emblème  placé  sur  ses  cheveuxblancs,  ajoutait  encore 
à  la  vénération  des  assistans.  Le  banquet  continua  alors  jus- 
que bien  avant  dans  la  nuit,  et  les  jeunes  gens,  invités  à  y 
prendre  part,  y  portèrent  leur  gaîté. 

>lalgré  son  âge,  Schweigliaeuser  n'avait  pas  discontinué 


5i8  >OTICt:  NÉCROLOGIQUE 

encore  son  cours  de  littérature  grecque  :  seulenieiit ,  il  ne  le 
l";ii<ait  plus  qu'en  hiver,  et  ne  paraissait  plus  aux  examens.  La 
vigueur  de  son  esprit  était  toujours  la  même,  comme  la  clarté 
de  ses  idées.  11  aimait  à  s'entourer  de  jeunes  gens,  à  leur  offrir 
d'utilesdireclions,  et  à  stimuler  leur  zèle.  S'intéressaiità  tout,  il 
les  interrogeait  sur  leurs  études,  les  cours  suivis  par  eux,  leurs 
projets,  leurs  plaisirs;  rien  ne  lui  restait  étranger,  il  prenait  une 
partégalei'i  loutcequise  passaitautourde  lui.  Cependant, deux 
ansaprès  cet  anniversaire,  il  demanda  enfin  sa  retraite,  et  dès- 
lors  il  n'agit  plus  sur  la  jennessequepar  ses  conveisations,  par 
l'intimité  à  laquelle  il  admit  plusieurs  de  ses  anciens  élèves.  La 
campagne  l'attirait  constanmient  ;  il  y  passa  l'été,  les  dernières 
années  de  .sa  vie,  entouré  de  ses  enfans  et  de  ses  petits-fils, 
dont  les  naïfs  disi.'ours  charmaient  son  désœuvrement.  Son 
tcms  était  partagé  entre  la  lectiu'e,  la  promenade  et  le  repos: 
on  lui  lisait,  à  des  heures  réglées,  les  journaux,  des  recueils 
scientifiques  et  des  livres  de  piété.  Car  ScIiAveighaeuser  aimait 
la  religion,  et  sur  son  lit  de  mort  des  cantiques  spirituels  qu'il 
rappelait  à  sa  mémoire,  à  mesure  ipi'on  lui  en  lisait  quelque 
partie,  remplirent  agréal)lement  ses  derniers  momens.  Peu  de 
jours  avant  sa  fin,  il  discuta  avec  un  vif  intérêt  le  plan  adopté 
par  les  nouveaux  éditeurs  du  Trésor  de  la  langue  grecque 
d'Henri  Ltienne,  et  (ju'un  de  ses  anciens  élèves,  celui  (pii  trace 
ces  lignes,  lui  exposait  :  il  y  songea  pendant  sa  maladie,  et 
aurait  voulu  donner  quelques  directions  aux  jeunes  savans 
chargés  de  cette  immense  entreprise.  C'est  ainsi  que,  jusqu'à 
son  dernier  soupir,  sa  vie  était  consacrée  à  la  science. 

Les  rigueurs  inouïes  de  cet  hiver,  auxquelles  tant  de  per- 
sonnes n'ont  pu  résister,  exercèrent  aussi  leur  action  malfai- 
sante sur  le  vieillard.  Après  une  promenade  qu'il  faisait  habi- 
tuellement ilans  l'intérieur  de  sa  maison,  il  se  sentit  affecté  :  la 
lièvre  le  prit,  et,  après  avoir  fait  espérer  un  moment  que  son 
excellente  constitution  en  triompherait  encore,  il  y  succomba, 
le  19  janvier  i85o,  à  deux  heures  du  matin,  âgé  de  87  ans  et 
7  mois.  Sa  perle  fut  vivement  ressentie  :  elle  est  irréparable 
sons  tous  les  rapports,  et  prive  Strasbourg  d'une  de  ses  plus 


SLll  SCinvni'TGHAELSER.  5 19 

gi-amlcs  illustrations.  Le  séminaire  protestant,  l'Académie 
royale,  les  autorités  de  la  ville  voulurent  rendre  au  vénérable 
défunt  les  derniers  lionnenrs  :  sa  volonté  expresse  s'y  oppo- 
sait, et  ce  fut  à  regret  que  M.  le  recteur  de  l'Académie  céda  à 
une  dispositioa  écrite  de  la  main  de  Sclivveighaeuser  quelques 
années  avant  sa  mort.  Peu  d'amis  et  ses  plus  proches  parens 
devaient  l'accompagner  au  champ  du  repos  :  point  de  faste, 
point  d'apparat.  Son  collègue  et  ancien  commensal,  M.  Dah- 
1er.  docleur  en  théologie,  devait  prononcer  quelques  paroles 
de  consolation  avant  que  le  cercueil  ne  fût  enlevé  ;  il  le  char- 
geait d'annoncer  à  ses  amis  qu'il  était  mort  reconnaissant  eu- 
vers  Dieu  de  toutes  se.s  bontés,  coniiaiit  en  la  promesse  qu'il 
avait  donnée  aux  hommes  par  l'organe  du  Sauveur,  et  sur  de 
l'inmiortalité  de  S'sn  âme  ;  il  le  priait  encore  d'assurer  ses  amis 
qu'il  avait  gardé  jusqu'au  dernier  moment  le  souvenir  de  leur 
amitié.  Tout  se  passa  ainsi  :  mais  le  laurier  placé  sur  le  cer- 
cueil,  et  que  la  tombe  reçut  dans  son  sein,  n'apprit  que  trop 
tôt  à  toute  la  ville  qu'un  de  ses  plus  illustres  citoyens  lui  était 
enlevé. 

Schweighaeuser,  d'un  caractère  mâle  et  ferme,  était  pour- 
tant aussi  indulgent  et  bon;  son  commerce  était- facile,  ses 
manières  cordial&s.  Une  probité  rigoureuse  le  dirigeait  dans 
toutes  ses  actions,  et  la  foi  le  soutenait  au  milieu  des  vicissi- 
tudes du  sort.  Consciencieux  dans  tous  ses  travaux,  il  ne  put 
jamais  se  îratisfaire  lui-même  :  aussi  rien  n'égala  sa  modestie. 
Il  porta  toujour.^  dans  l'accomplissement  de  ses  moindres  de- 
voirs du  zèle,  de  l'empressement,  la  croyance  de  se  rendre 
utile  en  les  pratiquant.  Il  fut  un  homme  estimable  aussi-bien 
qu'un  savant  consommé. 

Marié  dès  1770,  et  veuf  depuis  un  grand  nombre  d'années, 
il  laisse  deux  fils  et  autant  de  filles  :  l'aîné  est  le  digne  héritier 
de  son  nom;  puisse  sa  santé  chancelante  se  raffermir,  p-uisse- 
t-il  contribuer  encore  de  sa  part  à  perpétuer  parmi  nous  les 
honorables  traditions  qu'y  ont  laissées  les  Brunck.  les  Oberlin 
et  les  Schvveighaeuser,  et  que  nu!  autre  ici  ne  semble  vouloir 
recueillir  ! 

J.    H,    SCRXITZI.ER. 


oao  SOLVENIUS 

SOUVEMRS  POLITIQUES. 
LA    R  ÉVOLUTION    ET    L'EMPIRE. 

Mars   i83o. 


Dans  CCS  jours  incertains  où  la  paisible  enfance 
Fait  place  à  la  jeunesse,  dû  d'une  autre  existence 
Va  commencer  le  cours:  où  s'enivran.t  d'espoir. 
Dans  un  long  avenir,  l'âme  croit  entrevoir 
Tous  les  biens  à  la  fois  que  peut  donner  la  vie, 
L'amour  et  ses  transports,  les  élans  du  génie, 
La  gloire  et  ses  lauriers,  l'immense  volupté 
Que  promettent  l'hymen  et  la  }>aternité  ; 
Quand  de  l'illusion  le  séduisant  prestige 
Dans  un  monde  nouveau,  de  prodige  en  prodige 
Nous  conduit,  nous  entraîne,  et  fait  briller  encor 
A  nos  yeux  fascinés  un  nouvel  âge  d'or; 
Déchirant  souvenir  i  déception  étrange  ! 
De  raison,  de  folie  incroyable  mélange  ! 
Dans  cet  âge  d'espoir,  d'illusion,  d'erreur. 
Pour  la  France,  pour  moi,  j'osai  croire  au  bonheur. 
Je  crus  que  la  vertu,  l'amour  de  la  patrie, 
Et  des  ccvurs  généreux  la  uoble  sympathie, 
Pour  le  bonheur  public  saintement  conjurés, 
A.  l'estiuie,  à  la  gloire,  étaient  des  droits  sacrés. 
De  cet  espoir  trompeur  combien  je  fus  victime! 
Pour  la  France,  pour  moi  se  creusait  un  abîme; 
Et  mou  imprévoyance  et  ma  sécurité 
Marchaient  vers  l'avenir  d'un  pas  précipité. 
J'aimais  à  contempler  l'horizon  politique 
Qui  s'ouvrait  devant  moi  :  son  éclat  prophétique 
M'olfiait,  riche  de  gloire  et  de  félicité. 
Puissante  par  les  lois  et  par  la  liberté, 
La  France,  de  la  paix  gardienne  fidèle, 
Seivant  aux  nations  d'aibitre  et  de  modèle. 

Mais,  bientôt,  des  partis  l'implacable  fureur 
Fit  régner  en  tous  lieux  la  haine,  la  terreur, 
Les  soupçons  ombrageux,  les  noirs  complots,  l'envie 
De  fiel  et  de  puison  incessamment  nourrie; 


POLITIQUES. 

La  vengeance  pailonl  dressait  des  éclial'auds  : 
Les  nieilleurs  citoyens,  sniis  le  fer  des  bourreaux, 
Victimes  des  excès  d'un  fanatisme  impie, 
Succombaient,  immolés  an  nom  de  la  patrie  (i), 

La  pallie,  en  ces  jours  d'orage  et  de  danger, 
Pai'  d'indignes  Français  vendue  à  l'étranger. 
Pour  échapper  au  joug  du  plus  dur  esclavage. 
De  ses  Gis  bien-aimés  implora  le  courage. 
A  cet  appel  soudain  chacun  a  répondu, 
Et  dans  le  monde  entier  un  bruit  s'est  répandu  : 
«  Des  rois  Eiu-opéens  les  bandes  meurtrières 
De  la  Fâ'ance  envahie  ont  franchi  les  banières. 
Mais  la  France  est  debout,  elle  défend  ses  droits. 
Et  voit  avec  mépris  les  vains  complots  des  rois.  » 

Tes  braves  défenseurs,  guidés  par  la  victoire. 
D'un  vaste  bonclier  couvrant  ton  territoire, 
O  France!  ont  repoussé  les  farouches  soldats, 
Serviles  instrumens  de  quelques  potentats, 
Dont  l'insolent  orgueil  se  promettait  d'avance 
D'anéantir  tes  droits  et  ton  indépendance. 
La  voix  des  nations  célèbre  tes  succès; 
Tous  les  cœurs  généreux  sont  devenus  français. 
La  cause  de  la  France,  où  leur  espoir  se  fonde. 
Doit  faire  triompher  la  liberté  du  monde  (2). 
Mais  cette  liberté,  ses  immenses  bienfaits. 
Par  la  guerre  étouffés,  ont  besoin  de  la  paix. 

J'ai  vu  sur  L'horizon,  après  un  long  oiage. 
D'un  ciel  pur  et  serein  le  consolant  présage 
Dans  l'écharpe  d'Iris  apparaître  à  nos  yeux. 
Tel,  pour  nous,  de  la  paix  le  retour  précieux, 
Unissant  désormais,  par  une  immense  chaîne, 
Tous  les  membres  épars  de  la  famille  humaine. 
Après  des  jours  de  sang,  de  guerre,  de  terreur, 
Promet  un  avenir  de  calme  et  de  bonheur. 

Oh!  comme  avec  transport,  au  sein  de  la  souffrance. 
L'imagination  embrasse  l'espérance! 
Comme  un  faible  mortel,  entraîné  par  les  eaux, 
S'attache  fortement  aux  plus  frêles  roseaux! 


(1)  En  1793  et  1794. 

{2)  En  1795  et  1796,  jusqu'en  i8o3, 

T.   XLVII.   AOT'T   l83o. 


SOUVFNIIIS 

Ainsi,  la  France,  à  peine  écliappce  aux  teinpèlrs, 
Tout  entière  aux  plaisirs,  au  tourbillon  des  fêles, 
Confie  imprudemment  sa  gloire  et  ses  destin» 
Au  guerrier  revenu  des  rivages  lointains. 
Sorti  (les  rangs  obscurs  de  la  nouvelle  armée, 
Qui  vil  en  quelques  mois  grandir  sa  renommée  ; 
Dont  l'Europe  admira  les  rapides  exploits; 
Qui  porta  la  terreur  dans  les  palais  des  rois  ; 
Grava  sur  ses  drapeaux  :  liberté,  tolérance; 
Promit  aux  nations  la  paix,  l'indépendance; 
Délivia  l'Italie,  et  lui  donna  des  fers; 
En  Egyjitc  éprouva  des  succès,  des  revers, 
Va  vainqueur  des  partis  qui  divisaient  la  France, 
Sur  les  débris  des  lois  établit  sa  juiissance  (i). 

Tels  étaient  le  désir,  le  besoin  du  lepos. 
Qu'un  bommage  unanime  accueillit  le  héros 
Dont  le  complot  heureux  et  l'audace  impunie 
Le  firent  proclamer  sauveur  de  la  patiic. 

Et  moi  qui,  dans  les  jours  de  l'affreuse  terreur, 
D'un  tyran  sanguinaire  affrontant  la  fureur, 
Aux  bourreaux  de  Carrier  n'échappai  qu'avec  peine  ; 
Moi,  long-tems  pomsuivi  par  l'implacable  haine 
Des  mêmes  proconsuls,  teints  du  sang  des  Français, 
Dont  j'avais  combattu  les  coupables  excésj 
Sous  un  maître  nouveau,  d'une  âme  indépendanlç 
J'opposai  l'énergie,  hélas!  trop  impuissante 
Aux  plans  ambitieux,  inspirés  par  l'orgueil, 
Qui  de  la  liberté  préparaient  le  cercueil. 

Ma  franchise  déplut.  De  mon  humeur  sincère 
La  disgrâce,  l'exil  devinrent  le  salaire. 
Les  rois  bien  rarement  aiment  la  vérité; 
J'osai  la  faire  entendre,  et  fus  persécuté. 

Tel,  au  milieu  des  flots,  et  bravant  leur  colère, 
Dominateur  superbe,  un  rocher  solitaire, 
Elevant  dans  les  airs  son  sommet  orgueilleux. 
Dans  un  vague  lointain  s'unit  avec  les  cieux  : 
Tel,  de  Napoléon  le  colosse  héroïque. 
Heureux  usurpateur  du  pouvoir  jxilitique. 


(i)  En  1800. 


POLITIQLES.  3a3 

T)es  droits  sacrés  du  peuple  et  de  !a  libellé, 
Et  <Ies  droits  qû'afFectait  l'antique  royauté, 
Chéri  de  lu  victoire,  idolâtré  des  braves, 
Appesantit  son  joug  sur  les  peuples  esclaves, 
Et  de  l'obéissance  imposant  le  devoir, 
Fait  respecter  au  loin  son  suprême  pouvoir. 

A  la  fois  héritier  et  du  peuple  et  du  trône. 
Fier  de  porter  le  poids  d'une  double  couronne. 
Monarque  d'Italie,  Empereur  des  Français, 
Napoléon  vainqueur  parut  vouloir  la  paix. 
Mais  l'Europe,  à  regret  à  ses  lois  asservie. 
D'un  bras  libérateur,  contre  sa  tyrannie 
Implorait  le  secours  ;  et  les  rois  alliés. 
Par  l'aigle  impérial  long-t«ms  humiliés, 
D'un  prétexte  pompeux  colorant  leur  vengeance, 
Pioclanièrent  les  mots  d'honneur,  d'indépendance, 
Abjurèrent  leurs  droits  de  maîtres  absolus. 
Et  flrent  un  apjjcl  aux  civiques  vertus  (i). 

Chez  les  peuples  Germains,  une  ardente  jeunesse 
Qu'exaltait  de  ses  rois  la  trompeuse  promesse. 
Croyant  combattre  aussi  pour  la  cause  des  lois, 
Reproduit  des  Français  les  immortels  exploits. 

Dans  des  jours  ])lus  heureux  (2),  l'amour  de  la  patrie, 
Exerçant  sur  nos  cœurs  sa  puissante  magie. 
Nous  fit  vaincie  l'Europe  et  les  rois  conjurés: 
La  Liberté  guidait  fios  bataillons  sacrés. 
Et  des  peuples  vaincus  le  penchant  sympathique 
Formait  des  vreux  secrets  pour  notre  république. 

Combien  tout  est  changé  !  les  peuples  aujourd'hui  (5), 
Dans  leurs  propres  foyers,  sur  leur  sol  envahi, 
Repoussent  des  F'rançais  les  phalanges  guerrières 
Qui  d'un  roi  conquérant  ont  suivi  les  bannières. 
La  victoire  naguère  accompagnait  nos  pas  : 
Les  lauriers  nous  cachaient  les  horreurs  du  trépas. 
La  Liberté  pour  nous  a  cessé  de  combattie  ; 
Et  de  la  Liberté,  que  le  monde  idolâtre, 


(i)  En  iSiô  et  1814. 

(_2)  En  1795  jusqu'en  i8o5. 

(3)  En  iSi3. 


324  SOUVENIRS 

Le  nom  seul  prononce,  dans  les  rangs  ennemis. 
Enfante  des  guerriers,  vengeurs  de  leurs  pays  (i). 

Toi  qui  naguère  vis  notre  invincible  armée, 
Jeune  par  la  valeur,  vieille  de  renominée. 
Que  précédait  la  gloire  et  suivait  la  terreur; 
O  Rhin!  quand  sur  tes  bords,  avec  son  empereur. 
Elle  apparut  soudain,  comme  un  grand  météore; 
Lorsque  tu  vis  llotter  son  drapeau  tricolore. 
Espoir  des  nations,  gage  de  liberté; 
Quand  tous,  ivres  d'espoir,  d'un  pas  précipité. 
Nos  généreux  soldats,  sur  le  sol  germanique 
S'avançaient  en  vainqueurs,  quelle  voix  piophétiqiic 
Eût  osé  proclamer  les  l'.ibuleux  revers 
Qui  devaient  avant  peu  mettre  la  France  aux  (ers? 

La  France  a  méconnu  ses  grandes  destinéi-s, 
Au  caprice  d'un  maître,  hélas  1  abandonnées. 
Les  peuples  opprimés  réclamaient  son  appui; 
D'un  avenir  meilleur  l'espérance  avait  lui. 
Sur  les  rives  du  Pô,  de  l'Adige,  du  Tibre, 
Un  sentiment  profond,  le  besoin  d'être  libre 
Exaltait  les  espiits,  fermentait  dans  les  cœurs, 
Kous  avait  fait  bénir  comme  libérateurs  (2). 

Ton  espoir  fut  trahi,  malheureuse  Italie! 
Par  des  tyians  nouveaux  démembrée,  asservie. 
Tu  dus  subir  eucor  le  joug  de  l'étranger. 
Sans  pouvoir  t'aU'ianchir,  sans  pouvoir  te  venger. 
A  ces  jours  de  bonheur  dont  tu  crus  voir  l'aurore, 
Un  servage  nouveau  vint  succéder  encore. 
Et  ton  sang  généreux,  versé  dans  les  combats. 
Fut  en  vain  prodigué  pour  des  maîtres  ingrats. 

Aux  champs  de  Maiengo,  le  moderne  Alexandre 
Fut  sourd  à  fa  piiére.  Il  refusa  d'entendre 
Une  voix  prophétique,  un  cri  de  vérité  : 
«  Général,  l'Italie  attend  sa  liberté. 
Ce  jour  seul  t'app.irtient.  Le  beau  nom  d'Italique 
Est  à  toi,  si  tu  veux.  Mais  l'aigle  Germanique, 


(1)  En  i8ir>  et  iSi^. 

(2)  En  179^  jusqu'en  i8o5. 


POLITIQUES. 

Demain,  si  lu  ne  sais  profiler  du  succès, 
Utîssaissiia  sa  pruie,  anacliée  aux  Fiançais  (i).  » 
Et  toi,  Pologne  aussi,  noble  terre  des  braves. 
Tu  voulais  que  tes  Cls  ne  lussent  plus  esclaves; 
Tn  voulais  reparaître  au  rang  des  natioiis  ; 
Abjurant  l'anaicbie  et  les  dissentions 
Qui  de  nos  jours  encore  ont  causé  ta  ruine, 
ïu  voulais  rappeler  ton  illustre  origine  , 
Réparer  tes  malheurs,  accomplir  tes  destins; 
Si  ton  sang  le  plus  pur,  eu  des  climats  lointains. 
Sous  des  chefs  étrangers,  a  coulé  pour  la  France, 
C'était  pour  leur  patrie  et  pour  sa  délivrance 
Que  tes  pieux  enfans,  dans  plus  de  cent  combats, 
Prodigi'.es  de  leur  sang,  bravèrent  le  trépas. 
Ce  sang,  germe  lecond,  immortelle  semence. 
Est  le  gage  sacré  de  ton  indépendance. 
La  France  est  débitrice  aux  fils  de  Kosciuzko 
Des  exploits  immortels  qu'a  célébrés  Chodzko(2). 


(i)  Voyez,  dans  le  Uecudl  des  pièces  of^uiellcs  dcxllnces  A  détromper  lis 
Français  sur  les  éiéneniens  qui  se  sont  pcssis  depuis  quelques  années,  1.  ix  , 
Paris,  18 1 5,  un  Mémoire  sur  l'organisation  fédcralive  et  indépendante  de 
l'Italie,  remis  au  premier  consul  Bo.napahte,  le  21  messidor  an  8  (10  juil- 
let iSoo),  après  la  bataille  de  Marengo.  On  y  lit  ces  passages  remarqua 
blés  :  0  Le  grand  intérêt  général  de  l'Italie,  le  besoin  impérieux  pour 
elle  de  sortir  d'une  position  toujours  dépendante  et  précaire,  est  de  de- 
venir, comme  je  l'ai  dit,  une  lig.;e  de  neutralité  assez  forte  pour  servir  de 
rempart  entre  la  France  et  l'Autriche,  et  pour  n'être  plus  une  arène  tou- 
jours ouverte  à  ces  deux  puissances Il  s'agirait  d'établir  un  pacte  fé- 

dératif  et  une  ligue  défensive  entre  les  États  d'Italie,  qui,  en  conservant 
à  chacun  d'eux  les  avantages  d'une  administration  locale  dans  un  terri- 
toire peu  étendu,  ajouterait  à  et;  bien  précieux  l'avantage  non  moins 
nécessaire  de  la  force  d'un  grand  tout;  le  système  fédéralif  étant  suffi- 
sant pour  la  garantie  d'un  empire  contre  les  invasions  étrangères,  et 
n'exposant  point  les  peuples  voisins  à  des  guerres  offensives,  ni  à  des  pro- 
jets hostiles  ou  envahisseurs —  Il  ne  faut  qu'oSKR  et  vocloib.  Aujour- 
d'hui, voiis  pouvez  tout  pour  le  bien  de  votre  pays  ;  demain,  si  l'occasion 
s'est  échappée,  vous  serez  peut-être  forcé  de  plier  sous  le  joug  impéiieux 
des  circonstances  et  de  la  nécessité.  » 

(2)  M.  Chodzko  {Léonard},  jeune  Polonais,  auteur  d'une  Histoire  des 
Campagnes  des  Légions  polonaises  en  Italie,  non  moins  distingué  par  son 


3-26  SOI  VENTRS 

Oui,  braves  Pulonais ,  les  nobles  funérailles 
De  vos  pères  tombés  sur  nos  champs  de  bataillcï 
Vous  ont  acquis  des  droits,  dans  la  postérité, 
A  notre  sang  versé  pour  votre  liberté. 

Oh  1  si  Napoléon  avait  voulu  comprendre 
Les  intérêts  sacrés  qu'il  aurait  du  défendre; 
Si  son  puissant  génie,  inspiré  par  le  cœur, 
De  son  siècle  avait  su  mesurer  la  hauteur  ; 
Si  de  l'anibilion,  de  l'orgueil  en  délire 
Le  fatal  a-cendant  n'eût  plané  sur  l'empire  ; 
D'un  peuple  généreux  si  respectant  les  droits, 
Lui-même  eût  tempéré  son  pouvoir  [>ar  les  lois; 
Organe  impartial  de  la  raison  publique. 
S'il  eût  sur  la  vertu  fondé  sa  politique. 
Et  consacré  sa  force  et  son  activité 
Au  bonheur  de  la  France  et  de  l'humanilé; 
D'un  nouveau  Washington  la  suprême  influence 
Pour  un  long  avenir,  dans  une  sphère  immense. 
Sur  l'Europe  et  le  monde,  exauçant  leurs  souhaits, 
Eût  versé  deux  grands  biens,  la  liberté,  la  paix  ; 
Et  de  Napoléon  l'ini mortelle  mémoire 
Eût,  bienfaisante  et  pure,  apparu  dans  l'histoire. 
Mais  lui-même,  inGdèle  à  ses  brillans  destins, 
Enivré  par  sa  gloire,  ébranla  de  ses  mains 
De  sa  fausse  grandeur  le  fragile  éiiifice. 
Et  devint  l'iustiumeut  de  son  propre  supplice. 
Vous,  de  la  vérité  qui  craignez  le  flambeau, 
Sur  vos  devoirs,  ù  Rois,  consultez  son  tombeau. 

Dix  lustres  écoulés  nous  offrent  l'hécatombe 

De  nos  contemporains  qu'a  dévorés  la  tombe, 
Sur  les  champs  de  l'honneur,  ou  sur  les  échafauds. 
-Dans  les  cachots  obscurs,  dans  l'abîme  des  flots. 
Du  vaisseau  Le  Vengeur,  volontaire  victime. 
L'univers  admira  le  dévouement  sublime  ; 
Et  l'Europe  et  l'Afrique  ont  vu,  dans  les  combats. 
Mortellement  blessés,  nos  généreux  soldats 


patriotisme  et  ses  talens,  comme  écrivain,  que  par  le  courage  dont  il  a 
donné  des  preuves  à  Paris,  dans  les  mémorables  journées  des  77,  28  et 
3Ç)  juillet. 


POLITIQUES.  527 

D'un  K'gard  expirant  sourire  à  la  victoire. 
S'applaudir  d'au  tiépas  couronné  pai-  la  gloire, 
Et  leur  dernier  soupir,  à  loui'  postérité, 
Pour  prix  de  tout  leur  sang,  léguer  la  liberté. 
Vous  saurez  féconder  cet  auguste  héiitage, 
Vous  tous,  jeunes  Français,  dont  le  mâle  courage. 
Dont  la  civique  ardeur,  les  travaux,  les  vertus 
Relèvent,  de  nos  jours,  les  esprits  abattus. 
De  vos  nouveaux  destins,  glorieux  et  prospires, 
La  conquête  appartient  aux  efforts  de  vos  pères. 
Jaloux  de  conserver  ce  qu'ils  vous  ont  acquis, 
Héritiers  de  leurs  noms,  soyez  leurs  dignes  fils; 
Lisez  sur  leurs  tombeaux  :  la  France  rekaissawtb 

Aux   GRAA'DS    HOMMES   FUTURS  SERA    RECONNAISSANTE  (l), 

M.    A.   JtLLiEjî,   de  Paris. 


(i)  Cette  invocation  prophétique  à  la  jeunesse,  et  ce  pressentiment 
consolateur  du  courage  et  de  l'héroïsme  qui  devaient  affranchir  la  France, 
ont  précédé,  de  quatre  mois  seulement,  l'époque  de  sa  délivrance  su- 
bite et  miraculeuse. 

L'auteur  avait  peint,  dans  ces  deux  vers,  le  malaise  et  l'état  de  mé- 
contentement, de  défiance  et  d'antipathie  mutuelles  d'un  peiii)le  hu- 
milié, opprimé,  dépouillé  de  tous  ses  droits,  et  d'un  roi  qui,  ne  sachant 
point  comprendre  ce  peuple,  le  calomniait  pour  se  justifier  à  lui-même 
les  crimes  de  son  gouvernement  : 

Et  le  Peuple,  et  le  Roi,  l'un  de  l'autre  honteux, 

De  leurs  malheurs  communs  s'accusent  tous  les  deux. 

Les  quatre  vers  sqivans  furent  improvisés  par  l'auteur,  le  lundi  26  juil- 
let i83o,  après  la  lecture  du  Moniteur  qui  contenait  les  trois  ordon- 
nances contre-révolutionnaires  : 

La  Charte,  des  Français  commune  garantie, 
Servait  .i  réunù'  le  trône  et  la  patrie. 
Elle  n'existe  plus.  La  patrie  est  en  deuil, 
Et  du  tiùne  déjà  s'enti'oiivre  le  cercueil. 


II.  ANALYSES  D'OUVRAGES. 


SCIliMCES  PHYSIQUES  ET  NATURELLES. 

Second  rectjeil  de  tableaux  publiés  pap.  la  Commission 
géxébale  de  statistique  (l). 

Nous  nous  étions  proposé,  dans  notre  second  article  sur 
la  statistique  du  royaume  des  Pays-Bas  (2),  d'attendre  lesré- 
sullats'du  dénombrement  dont  on  s'occupe  aujourd'hui,  pour 
entretenir  encore  nos  lecteurs  de  ce  qui  concerne  la  popula- 
tion ;  mais  les  nouveaux  tableaux  que  la  Commission  de  sta- 
tistique vient  de  faire  paraître  donnent  lieu  à  quelques  remar- 
ques qui^ne  seront  peut-être  pas  sans  intérêt.  Le  premier 
recueil  contenait  ce  qui  se  rapporte  aux  naissances,  aux  décès 
et  aux  mariages,  pour  la  période  décennale  de  181 5  à  1824, 
c'est-à-dire,  celle  qui  a  suivi  la  bataille  de  "VN'aterloo  et  l'éta- 
blissement de  la  monarchie  actuelle  ;  le  recueil  qui  vient 
de  paraître  contient  les  mêmes  documens  pour  la  période  dé- 
cennale de  1804  à  18 13,  qui  a  précédé  notre  séparation  de  la 
France.  On  sent  que  les  conséquences  qu'on  peut  en  déduire 
méritent  quelque  attention,  quoique  malheureusement  la 
population  ,  à  notre  avis,  n'ait  guère  été  mieux  connue  pour 
une  période  que  pour  l'autre.  Tout  ce  qu'on  peut  admettre 
comme  étant  du  moins  très-probable  ,  d'après  les  recense- 
mens  particuliers  qui  ont  eu  lieu  ,  c'est  que  la  population  était 
généralement     croissante     dans    les    différentes    parties    du 

(i)  Bruxelles,  iSôo;  VVi  is>t;nbiuch.  lii-S". 

(2)  Voyez  Uevuc  Htuyclo/iidiquc,  t.  xi.vi,  calikr  d'aviil  i.S5;p,  |p.  28. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  5j.> 

royauiue .  excepté  peut-être  dans  les  provinces  des  deux 
Hollandes,  d'Anvers. de  la  Zélande  et  surtout  dans  les  villes  qui 
en  l'ont  partie. 

Lçs  pertes  de  population  que  ces  provinces  ont  faites,  sous 
le  gouvernement  précédent,  peuvent  provenir  de  la  gène 
qu'ont  éprouvée  les  relations  commerciales  pendant  les  guerres 
qui  ont  eu  lieu  et  qui  ont  î'ernié  pendant  long-tems  la  mer  à 
tous  les  vaisseaux;  car,  depuis  le  rétablissement  de  la  paix,  la 
population  est  redevenue  croissante,  quoique  d'une  manière 
moins  prononcée  pour  la  Hollande  septentrionale.  Nous  ne 
prétendons  certainement  pas  qu'un  accroissement  de  popula- 
tion soit  un  signe  infaillible,  et  bien  moins  encore  une  cause 
directe  de  prospérité  ;  l'exemple  de  l'Irlande  nous  prouve  as- 
sez le  contraire,  et  nous  montre  qu'un  pays  [>eul  être  mal- 
heureux tout  envoyant  croître  sa  population. 

On  pourrait  s'exposer  à  des  erreurs  plus  graves  encore,  en 
ne  tenant  compte  que  du  nombre  des  naissances  qui  ont  eu" 
lieu  dans  un  pays.  Car,  s'il  est  vrai  que  le  découragement 
porte  quelquefois  les  malheureux  à  multiplier  de  plus  en  plus 
comme  en  Irlande,  et  qu'une  dégradation  morale  soit  un  très- 
grand  stimulant  pour  les  mariages  précoces  (i),  il  peut  arri- 
ver encore  que  la  mortalité  n'en  fasse  que  d'autant  plus  res- 
sentir ses  ravages;  et  l'un  des  plus  grands  fléaux  pour  un 
peuple  serait  de  voir  ses  générations  se  renouveler  avec  une 
rapidité  qui  ne  lui  permettrait  pas  de  conserver  les  hommes 
utiles.  Comme  je  rai  déjà  fait  observer  ailleurs  (2),  les  ma- 
riages sont  plus  nombreux  dans  notre  pays  que  chez  nos  voi- 
sins, et  ils  sont  en  même  tems  plus  productifs  :  mais  les  dé- 
cès, qui  sont  à  peu  près  en  même  nombre  qu'en  France,  sur- 
passent de  beaucoup  ceux  de  la  Grande-Bretagne  ;  la  dispro- 
portion est  considérable;  elle  est  environ  dans  le  rapport  de 
trois  à   deux.    Ainsi  la  Grande-Bretagne  produit  moins  que 


(1)  Voyez  un  article  de  M.  d'Iterxois  iriséré  d.itis  la  Bibliolltcquc  uni- 
vcrsetle  de  Genève,  mars  iSôo  (voy.  Rcv.  Enc,  t.  xi.vi,  p.  45oj. 
^2)  pcclierchcs  slalhliques  snr  le  royaume  des  Pays-Bas,  p.  9. 


53o  SCIENCES  PHYSIQUES. 

noire  pays,  mais  les  fruits  sdiit  plus  durables  ;  elle  doune  K 
jour  à  moins  de  citoyens,  mais  elle  les  conserve  mieux.  Si 
l'on  peut  s'en  rapporter  à  l'estimation  actuelle  de  notre  popu- 
lation, la  Zélande  serait,  de  toutes  nos  provinces,  celle  qui,  tou- 
tes choseségales,  produiiait  le  plus  de  naissances;  mais  on  se 
tromperait  sans  dîjute,  en  la  regardant  par  ct-la  mT-me  comme 
donnant  le  plus  de  signes  de  prospérité,  puisqu'elle  est  en 
même  tems  la  province  qui  produit  le  plus  de  décès. 

On  a  souvent  cherché  à  estimer  lu  prospérité  d'un  peuple, 
et  à  cet  effet  on  a  fait  usage  des  mouvemens  de  la  population. 
La  possibilité  de  parvenir  à  des  résultats  satisfaisans,  en  suivant 
une  paieille  route,  mérite  sans  doute  d'être  examinée  d'une 
manière  approfondie.  C'est  une  question  qui  nous  a  toujom-s 
paru  d'un  haut  intérêt  ;  mais,  nous  devons  l'avouer,  les  don- 
nées seules  de  la  population  ne  nous  paraissent  pas  suffisantes 
pour  la  résoudre.  Les  influences  locales,  le  climat,  les  habitu- 
des, etc.  sont  des  élémens  que  Ton  ne  peut  guère  négliger  en 
comparant  un  peuple  à  im  autre  :  peut-être  le  ferait-on  avec 
moins  de  danger  en  comparant  un  peuple  à  lui-même  pour 
difl'érentes  époques,  pendant  lesquelles  ces  élémens  n'ont  pas 
éprouvé  de  variations  sensibles.  Mais,  comme  nous  l'avons  déjà 
dit,  le  chiffre  seul  des  naissances  nous  parait  absolument  insulfi- 
sant.  iSous  aurions  plus  de  confiance  dans  le  chiffre  des  décès, 
surtout  s'il  ne  s'agit  (pie  d'établir  une  mesure  à  laquelle  on 
puisse  s'assurer  si  une  population  a  atteint  ou  dépassé  les  limites 
qu'elle  ne  saurait  franchir  sans  se  condannier  au /JrtM/;t'rtA7/je. 
M.  d'Ivernois  a  fort  bien  montré,  dans  un  des  derniers  cahiers 
de  la  Bibliothèque  universelle,  l'utilité  dont  il  peut  être  sous  ce 
rapport,  et  l'on  doit  désirer  vivement  la  publication  de  l'ou- 
vrage (pi'il  aiuutuce  sous  ce  titre  :  De  ta  Morlalilè  moyenne,  cn- 
visa(^ée  comme  Mesure  de  r aisance  et  de  la  ciciUsation  des  peu- 
ples. Cette  mesure  universelle,  dit  l'auteur,  je  nie  flatte  de  l'a- 
voir trouvée  dans  1(!  rJii/j'rc  mortuaire  des  peuples,  par  où  j'en- 
tends celui  (pii  in(li(]ue  si  la  proportion  des  décès  annuels, 
comparés  au  iiombr»;  lutal  des  vivans,  augmente  ou  diminue. 
Non.'' avons  prul-ctic  t<irl  de  préjuger  des  résultats;  mais,  si 
nous  observons  (pic  ictlc  nie-iire  ne  clian;;!'  pas  dès  (pie  le  te- 


SCIIÎNCKS  PHYSIQIJKS.  35 r 

{al   (les  vivaiis  reste  le  même,  ainsi  que  celui   de*  décès,  on 
peut  avoir  quelques  craintes  sur  sa  précision.  Une  popiilatinii. 
en  effel ,  peut  rester  numériquement  la  même  dv  dinércnles 
manières,  et  présenter  un  nombre   d'honnnes  utiles  phi  s  ou 
moins  grand,  sans  que  l'on  puisse  dire  pour  cela  que  son  ai- 
sance demeure  aussi  la  même.  Par  là  on  estimerait  en  quel- 
que sorte  un  entant  à    l'égal  d'un    homme   utile.    Pour  n'en 
prendre  qu'un  seul  exemple,  si,  par  une  cause  quelconque,  la 
mortalité  dans  un  pays  florissant  s'attachait  à   frapper  plus 
particulièrement  les  hommes  utiles   en  épargnant  les  enfa/is, 
le  nombre  des  décès  et  celui  des  naissances  demeurant  d'ail- 
leurs le  même,  il  arriverait  infailliblement  que  cette  {)opula- 
(ion,  après  quelques  années,  aurait  perdu  beaucoup  d'élémcns 
de  prospérité;  et  cependant,  la  perte  qu'elle  aurait  éprouvée 
n'aurait  été  nullement  accusée  par  la  mesure  employée.  Le 
chitfre  mortuaire  serait  resté  le  même,  et  un  nombre  considé- 
rable d'hommes  utiles,  qui  produisaient  pour  leurs  semblables , 
auraient  été  remplacés  par  des  enfansqui  seraient  venus  pren- 
dre part  à  la  consommation  et  auraient  causé  ainsi  un  véritable 
appauvrissement.  Une  population  peut  donc  rester  intactedans 
certains  cas  et  même  augmenter,  le  nombre  des  décès  de- 
meurant le  même,  sans  qu'on   puisse   inférer  de  là  que  son 
état  de  prospérité  ou  d'aisance  demeure  également  le  même. 
On  ne  saui'ait  nier,  certainement,  qu'il  n'existe  des  relations 
très-étroites  entre  le  bonheur  d'un  peuple  et  les  mouvemens 
de  sa  population;  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  le  tout  est  de 
savoir  comment  les  exprimer.  11  nous  semble,  à  cet  égard, 
qu'il  y  a  une  distinction  importante  à  établir  :  on  peut ,  en 
etïet,  envisager  la  question  sous  un  double  point  de  vue.  On 
peut   se   proposer,  en   s'occupant  d'un   peuple,  d'examiner 
quelles  sont  les  années  désastreuses,  celles  pendant  lesquelles 
il  a  plus  ou  moins  souffert;  ou  bien  on  peut  rechercher  d'une 
manière  absolue  quel  est  le  nombre  d'hommes  utiles  dont  il 
peut  disposer,  en  un  mot,  quelle  est  sa  force  ,    qui  est  aussi 
l'un  des  principaux  éléniens  de  sa  prospérité.  Dans  le  premier 
cas,  le  chiffre  des  décès  pourra  presque  toujoius  être  employé 
t\  ce  beaucoup  de  succès  ;   cai   une  année  désastreuse  est  gé- 


55a  SCIENCES  PHYSIQLES. 

néralemenl  accompagnée  et  suivie  de  privalioiis  de  toutes  es- 
pèces, même  chez  les  peuples  les  plus  favorisés,  et  les  priva- 
lions  sont  mortelles  pour  l'espèce  humaine.  Ainsi,  quand  on  ne 
saurait  pas  que  l'année  1817  a  été  une  année  de  disette  pour  le 
royaume  des  Pays-Bas,  on  le  verrait  sans  peine  pal*  le  nombre 
des  décès  qui  a  été  plus  grand  que  pour  les  années  qui  précè- 
dent ou  qui  suivent.  Celte  mortalité  plus  grande  s'est  fait  res- 
sentir aussi  dans  les  dépôts  de  mendicité  où  elle  a  presque  été 
double  de  ce  qu'elle  était  précédemment,  el  même  jusque 
dans  les  hospices  des  Enfans  trouvés,  comme  dans  le  tems  j'en 
ai  fait  la  remarque  dans  mes  Recherches  sur  la  Population,  etc. 
Quant  à  la  seconde  manière  d'envisager  la  question,  j'ai 
déjà  cherché  à  faire  comprendre  pourquoi  le  chilfre  seul  des 
décès  ne  me  paraît  pas  suffisant.  Il  ne  sulfit  pas,  en  effet,  de 
savoir  combien  de  décès  donne  une  population,  il  faudrait  sa- 
voir encore  à  quel  âge  ces  décès  ont  lieu.  Quelques  écri- 
vains ont  employé  dans  des  estimations  semblables,  les  uns, 
la  durée  de  la  vie  moyenne,  les  autres,  la  durée  de  la  vie 
probable  ,  et  ils  ont  cherché  à  établir  leur  appréciation 
d'après  les  changemens  que  subissait  l'une  ou  l'autre  de 
ces  valeurs.  Mais  ici  se  présente  un  inconvénient  à  peu  près 
semblable  à  celui  que  j'ai  signalé  d'abord  :  c'est  que  la  durée 
de  la  vie  probable  et  de  la  vie  moyenne  peut  avoir  la  même 
valeur  de  diilérenlcs  manières.  Cet  inconvénient  se  fait  sur- 
tout sentir  quand  on  emploie  le  nombre  qui  exprime  la  vie 
probable,  puisqu'on  ne  considère,  dans  le  fait,  que  l'époque  à 
laquelle  un  certain  nombre  d'individus  de  même  âge  se  trouve 
réduit  de  moitié  ;  et  l'on  n'exprime  pas  si  ceux  quTsont  morts 
les  premiers  ont  pu  se  rendre  utiles  pendant  un  tems  plus  ou 
moins  long;  on  n'établit  également  rien  à  l'égard  de  ceux  qui 
survivent.  En  prenant  le  chiffre  qui  exprime  la  vie  moyenne  ou 
la  moyenne  des  âges  auxquels  sont  parvenus  un  certain  nom- 
bre d'individus  que  l'on  suppose  nés  en  même  tems,  on  donne 
aussi  même  valeur  à  une  année  de  la  vie  d'un  enfant  qui  vient 
de  naître  et  à  celle  de  la  vie  d'un  homme  dont  les  travaux  sont 
profitables  à  la  société. Ces  considéralionsdoiventmontrerassez 
combien  il  est  difficile  (roi)tenir  d.ui-:  do  pareilles  apprécia- 


SCIENCKS  PflYSJQlKS.  555 

lions  une  mesure  exacte  on   même  une  approximation  satis- 
faisante. 

Lorsqu'il  s'agit  d'estimer  les  forces  dont  un  État  peut  dis- 
poser, en  considérant,  bien  entendu,  le  problème  sous  un  point 
de  vue  purement  physique,  comme  on  l'a  fait,  il  me  semble 
que  le  chemin  le  plus  sur  serait  de  comparer  numériquement  les 
hommes  utiles  à  ceux  qui  ne  le  sont  pas.  Les  élémens  de  com- 
paraison devraient,  dans  ce  cas,  être  puisés  dans  les  tables  de 
mortalité;  et  il  faudrait  rechercher  combien,  sur  un  nombre 
donné  d'individus,  il  se  trouve  d'enfans  hors  d'état  de  se  rendre 
utiles,  et  combien  d'hommes  en  âge  de  contribuer  au  bien- 
être  général;  on  pourrait  partager  une  population  en  deux  par- 
ties, l'une  ayant  moins,  l'autre  ayant  plus  de  quinze  ans.  Je 
suppose  ainsi,  il  est  vrai,  que  l'homme  ne  peut  se  rendre  plus 
utile  à  trente  ou  quarante  ans  qu'à  seize  ou  quatre-vingt; 
mais  c'est  un  inconvénient  qu'on  trouve  aussi  dans  les  autres 
méthodes  d'appréciation,  et  qu'on  pourrait  faire  disparaître, 
d'ailleurs,  en  attribuant  plus  d'importance  à  certaines  années 
de  la  vie  qu'à  d'autres,  si  une  extrême  exactitude  ne  devenait 
illusoire  en  pareil  cas.  L'objection  la  plus  forte  serait ,  sans 
doute ,  qu'on  attribue  une  valeur  trop  grande  aux  années  de 
la  vieillesse;  mais  on  trouvera,  d'une  autre  part,  une  espèce 
de  compensation  dans  les  secours  qu'oflre  encore  son  expé- 
rience, et  dans  la  longue  série  de  services  qu'elle  a  pu  rendre. 
Nous  présentons  ces  observations  avec  les  doutes  qu'on  doit 
naturellement  éprouver  en  abordant  des  questions  aussi  déli- 
cates, et  l'on  peut  dire,  aussi  compliquées.  Tout  ce  qui  se  rap- 
porte au  mouvement  des  populations  mérite  le  plus  sérieux 
examen,  si  l'on  ne  veut  s'exposer  à  de  graves  erreurs.  Si  l'on 
nous  disait,  par  exemple,  qu'après  un  certain  nombre  d'an- 
nées, une  population  sei'a  plus  nombreuse,  si  elle  a  été  con- 
stamment stationnaire,  que  si  elle  a  été  alternativement  crois- 
sante et  décroissante,  quoique  le  rapport  de  l'accroissement 
ait  été  égal  à  celui  du  décroissement,  et  que  le  gain  d'une 
année  ne  compense  pas  la  perte  d'une  autre,   on  pourra,  au 
premier  abord .  regarder  cette  proposition  comme  très-pro- 
blématique ;  cependant  je  crois  l'avoir  mise  hors  de  doute. 


534  SCIENCES  PHYSlOllES. 

lie  mr-me  qu'imantre résultat  non  moins  curieux. (Voy.  Recher- 
ches slalistiques  sur  le  royaume  des  Pays-Bas.  )  Ces  sortes  île 
•(uestions  sont  surtout  du  domaine  des  mathématiques,  qui, 
dans  le  plus  grand  nombre  des  cas,  les  résolvent  sans  peine. 

Nous  finirons  par  citer  ici,  à  l'appui  de  ce  qui  a  été  dit  au 
commencement  de  cet  article,  des  documens  statistiques  pui- 
sés dans  les  tableaux  publiés  par  le  gouvernement.  Nousavons 
mis  en  regard  les  nombres  des  deux  périodes  décennales,  afin 
de  faciliter  les  rapprocbemens. 


«   oô 
■S    Q 


t^  C5  CiSO  00  ^5*  O    CTJLC    O  O  -J*t^  <X>    C^  C^  C^OO  u^ 
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C   «  '^c  t-c  co   C-.  OO   3~,oo  -ïj-v^  CT:  i^co    "   M   ::rnn  ~<i- 


to  -  -   «  n  o  c-.cc  ^*-   -   o  -00^1   -toto   « 
t»   -    1^00  ^  OO    -   -    t\  i^t-c  vo  -^  o  "^  Ç''^  '^  " 

r  tO  »0  lO  u-5  ce 


-  'O  o^ti';  o  'O  -^00  1^  t^  c"/sO  o  ixic  !0  00  to 
r^>o   i^vo  oo'O   cs-ïtoioio   -  Ci  ui  ce  ce  «   -   o 

ko  ao  >^  i';  ^*  C".-^  o  to  <o  O   o  r^  —  LO   -«   i^'  Cvo 
I  ^  -   i^io   I  ^'o  ^*-"~îtt'^-ïrt^ooio-.!}'toto      vo 


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SCIENCES  PHYSIOIES. 


iS5 


]\  AISSANCKS 

De  i8o4  à  i8i5. 

Dau^  les  villes.  Dans  les  canipag 

Janvier 68,255  i:>g,-Hj 

Février 65,4o4  1 55,454 

Mars 69,267  164, 85i 

Avril 64,089  142,5-2 

Mai 62,102  154,44*^ 

Juin 56,855  120,995 

Juillet "^JiiSi  i2'.,5i2 

Août 59,620  1 5 1,657 

Septembre 60,707  159,751 

Octobre 62,5oo  146,562 

Novembre 62,200  i4i,566 

Décembre 65, 120  148, 1S6 

Moyenne 62,770         142,182 


Décès 
De  i8i5  à  1824. 

Dans  les  >;iles.    Dans  le 


59,892 

116,129 

5i,254 

104,495 

54,277 

114,244 

5o, 146 

io5,So4 

48,911 

9^v«4 

45,104 

81,759 

45,212 

77,7^^ 

47,002 

78,802 

48,572 

82,585 

5 1,649 

89,514 

5i,ioi 

86,695 

55,65i 

98,705 

50,759 


95,981 


Ce  tableau  met  de  nouveau  en  évidence  la  remarque  que 
j'avais  faite  pour  le  royaume  des  Pays-Bas  relativement  aux 
époques  des  maxinia  et  des  niinima  pour  les  nombres  des 
naissances  et  des  décès  aux  difleientes  époques  de  l'année, 
remarque  qui  a  été  étendue  et  développée  par  M.  Villermé, 
avec  une  lucidité  et  un  ensemble  d'observations  qui  semblent 
ne  laisser  plus  rien  à  désirer. 

A.    QUETELET. 


SGlEiNCES  MORALES  ET  POLITIQUES. 


Histoire  de  la  civilisation  ex  France,  depuis  In  citule  de 
l'empire  romain  jusqu  en  1789;  par  M.  (irizoT,  professeur 
(1  tiistoirc  à  la  Faculté  des  lettres  de  Paris.  Première  Époque, 
jusqu'au  x'  siècle  (cours  de  1829.)  (0  — Deuxième  Époqle  : 
xr,  xii"  et  XIII'  siècles  (Cours  de  i85o.)  (2). 

On  n'a  pas  oublié  les  motifs  par  lesquels,  en  commençant, 
Tannée  dernière,  son  histoire  de  la  civilisation  moderne, 
M.  Guizot  a  exposé  qu'il  avait  été  déterminé  d'abord  à  étudier 
de  préférence  l'histoire  d'une  civilisation  spéciale,  puis  à  choi- 
sir celle  de  la  France  plutôt  que  celle  d'aucune  des  grandes 
nations  qui  nous  avoisinent  :  après  avoir  ainsi  bien  établi  la 
méthode  qu'il  avait  résolu  d'adopter,  le  professeur  devait  né- 
cessairement entrer  en  matière  par  un  tableau  de  l'état  dc 
l'administration  et  de  la  société  en  Gaule  pendant  les  derniers 
tems  de  la  domination  romaine.  Tel  a  été,  en  effet,  son  point 
de  départ,  et  ses  premiéies  leçons,  après  avoir  retracé  la  dé- 
cadence et  l'impuissance  de  la  société  civile  gauloise,  ainsi  que 
les  causes  de  cette  décadence,  nous  ont  bientôt  amenés  aux  v' 
et  VI'  siècles,  époque  de  l'invasion  du  peuple  germanique  sur 
le  sol  gallo-romain.  On  se  fait  en  général  une  idée  très-fausse 
de  l'invasion  des  Barbares,  de  l'étendue  et  de  la  rapidité  de  ses 


(1)  Paris,  1829;  Pichon  et  Didier.  5  vol.  in-S"  ;  prix,  27  fr.  (voy.  iîei'. 
Enc,  t.  xmi,  août  1829,  p.  TiTii  et  suiv.,  le  compte  rendu  de  cette  pre- 
mière partie,  par  M.  dk  Sismondi). 

(2)  Paris,  i85()  ;  les  nirmes,  2  vnl.  in-8"  ;  prix,  18  fr. 


SCIENCES  MORALES  ET  POLlTIQUIiS.         33; 

effets.  On  se  représenle  souvent  celle  invasion  comme  une  es- 
jîèce  (rirriiption  générale,  de  bouleversement  universel  ac- 
compli dans  un  tems  assez  limité;  mais  l'invasion  au  contraire, 
ou  plutôt  les  invasions  furent  des  évènemens  essentiellement 
partiels,  locaux,  momentanés  (i).  Ces  apparitions  des  bandes 
barbares,  courtes,  il  est  vrai,  et  bornées,  mais  souvent  renais- 
santes, partout  possibles,  toujours  imminentes,  n'amenèrent 
donc  qu'à  la  longue  l'occupation  complète  du  territoire  ;  et  de 
même  ce  fut  successivement,  lentement,  inégalement,  que 
s'accomplit  la  dissolution  respective  et  simultanée  de  la  so- 
ciété romaine  et  de  la  société  germaine  mises  ainsi,  par  l'in- 
vasion, en  présence  et  en  contact  l'une  avec  l'autre.  Mais  une 
société  ne  périt  que  parce  qu'une  autre  société  nouvelle  fer- 
mente et  se  forme  dans  son  sein  ;  et  ce  fut  en  effet  de  la  disso- 
hilion  de^deux  sociétés  romaine  et  germaine  que  se  formèrent 
les  élémens  du  nouvel  état  social,  manifesté  par  deux  symp- 
tômes, deux  faits  qui  commençaient  dès  lors  à  se  laisser  en- 
trevoir, d'abord  une  certaine  tendance  vers  le  développement 
de  la  royauté,  puis  la  naissance  de  l'aristocratie  territoriale. 
Chez  les  nations  germaniques,  la  royauté  avait  une  double 


(i)  Dans  son  Ilistotre  de j  Français  (l.  i,  p.  i28-i3i),M.  de  Sismokdi, 
s'appuyant  sur  l'autorité  de  saint  Augustin,  paraîtrait  incliner  vers  une 
opinion  contraire,  et  considérer  l'empire  romain  comme  ayant  été,  en 
quelque  sorte,  inondé  tout  à  coup  par  un  débordement  général  des  na- 
tions du  Nord  et  de  l'Orient  refoulées  elles-mêmes  sur  le  midi  de  l'Eu- 
rope par  l'invasion  des  Tarlares  et  des  peuples  asiatiques.  Mais  les  ternies 
généraux  employés  par  M.  de  Sismondi,  dans  le  passage  dont  il  s'agit, 
prouvent  clairement  que,  dans  cette  desciiption  de  l'invasion  de  l'empire 
romain,  il  n'a  entendu  considérer  ce  grand  événement  que  de  haut  et 
dans  son  ensemble,  et  ne  s'attacher  qu'à  son  aspect  le  plus  vaste,  en  né- 
gligeant les  points  de  vue  de  détail  :  d'où  il  suit  que  cette  contradiction 
apparente,  entre  M.  de  Sismondi  et  M.  Guizot,  disparaîtrait  en  l'exami- 
nant de  plus  près.  Quant  il  la  lettre  de  saint  Augustin  citée  par  M.  de 
Sismondi,  son  autorité  ne  nous  semble  pas  péremptoire,  car  elle  porte 
évidemment  l'empreinte  de  cette  exagération  emphatique  qui  se  re- 
trouve chez  tous  les  historiens,  et  surtout  chez  les  écrivains  religieux  de 
celte  époque,  et  même  jusqu'aux  xii«  et  xni*  siècles. 

T.   XI-VII,    VOI'T   l83o.  22 


338  SCIENCES  MORALES 

origine;  elle  était  militaire  et.  religieuse  ;  comme  militaire, 
elle  était  élective;  comme  religieuse,  elle  était  héréditaire  (i). 
En  passant  sur  le  sol  gallo-romain,  la  royauté  germanique  y 
trouva  d'autres  principes, d'autres  élémens,  qui  devaient  grave- 
ment modifier  son  caractère  ;  là  dominait  la  royauté  impériale 
romaine,  institution  essentiellement  symbolique,  et  sym- 
bole purement  politique.  A  côté  de  la  royauté  impériale  nais- 
sait la  royauté  chrétienne,  institution  symbolique  aussi,  mais 
symbole  purement  religieux.  Ainsi,  sous  un  double  point  de 
vue,  la  royauté  romaine  différait  essentiellement  de  la  royauté 
barbare  :  politique  ou  religieuse,  celle-ci  était  une  préroga- 
tive personnelle  ;  politique  ou  religieuse,  celle-là  était  un  pur 
symbole,  une  fiction  sociale. 

Tels  sont,  pour  ainsi  dire,  les  quatre  origines  de  la  royauté 
moderne,  les  quatre  principes  qui,  après  l'invasion,  travail- 
lèrent à  se  combiner  pour  l'enfanter.  Sous  la  première  l'ace, 
les  rois  francs  voulurent  rester  chefs  des  guerriers,  et  se  pré- 
valoir en  même  tems  de  leur  descendance  religieuse  et  bar- 
bare. Mais  ces  notions  étaient  trop  compliquées  pour  les  Bar- 
bares du  VI*  siècle  :  aussi  ne  réussirent-elles  point;  et,  lorsque 
la  royauté  reparut  avec  vigueur  dans  la  personne  des  Carlo- 
vingiens,  elle  avait  subi  une  grande  métamorphose;  la  royauté 
germanique  reparut  alors  avec  le  caractère  militaire  seul,  dans 
Pépin  de  Herstall  et  Charles  Martel.  Pépin-le-Brcf  s'empressa 
d'y  ajouter  le  caractère  religieux  chrétien;  Charlemagne  alla 
plus  loin  :  il  entreprit  de  redonner  à  la  royauté  franque  le 
caractère  de  la  royauté  impériale  romaine,  d'en  refaire  un 
symbole  politique,  de  reprendre  lui-même  ce  rang  de  repré- 
sentant unique  de  l'État  qu'occupaient  les  empereurs  ro^ 
mains. 

Un  tel  système  tendait  évidemment  à  affranchir  la  royauté 
de  toutes  les  relations  féodales,  à  la  rendre  partout  présente, 
partout  puissante;  il  tentait  ce  qui  ne  devait  s'accomplir  en- 

(i)  Voyez  les  Essais  sur  l'Histoire  de  France,  par  M.  (ii>izoT,  p.  394 
et  sniv. 


ET  POLITIQUES.  539 

tièrement  que  sous  les  règnes  de  Louis-le-Gros,  de  Louis-lc- 
Jeune  et  de  Philippe  Auguste.  Toutefois  la  tentative  réussit 
tant  que  Charlemagne  y  présida  ;  ses  successeurs  entreprirent 
de  la  continuer,  mais  ils  ne  surent  pas  y  parvenir.  D'un  autre 
côté,  le  lien  qn«  la  volonté  et  les  conquêtes  de  Charlemagne 
avaient  établi  entre  tant  de  nations  différentes,  l'unité  de  pa- 
trie et  de  pouvoir  étaient  fiictices,  et  ne  pouvaient  subsister; 
l'état  moral  et  l'état  social  des  peuples,  à  cette  époque,  répu- 
gnaient également  à  toute  association,  à  tout  gouvernemeni 
unique  et  étendu.  De  là,  la  dissolution  et  le  démembrement  de 
l'empire  de  Charlemagne,  auxquels  concourut,  en  outre,  l'u- 
sage suivi  jusqu'alors  de  partager  le  territoire  entre  les  Gis  du 
souverain;  delà,  aussi,  la  naissance  progressive  des  sociétés 
locales  qui,  lorsqu'elles  eurent  revêtu  une  forme  un  peu  régu- 
lière et  déterminée,  tant  bien  que  mal,  les  relations  hiérarchi- 
ques qui  les  unissaient  constituèrent  cette  sorte  de  confédéra- 
tion des  grands  possesseurs  de  fiefs,  cet  état  de  choses  enfin 
désigné  par  le  nom  de  régime  féodal.  C'est  vers  la  fin  du 
x''  siècle,  et  lorsque  la  race  des  Carlo vingiens  disparait,  que 
l'on  peut  regarder  cette  révolution  comme  consommée. 

C'est  aussi  à  cette  même  époque  que  commence,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  la  véritable  civilisation  française.  Toute 
unité  national-e  avait  pourtant  alors  disparu  ;  mais  alors  aussi 
se  développa  une  autre  unité  plus  profonde  et  plus  puissante, 
celle  qui  résulte  de  la  similitude  des  élémens  sociaux,  des 
mœurs,  des  idées,  des  sentimens  et  des  langues;  or,  au  com- 
mencement du  régime  féodal,  cette  unité  existait  à  un  degré 
incontestable,  et  se  développait  graduellement  en  présence 
même,  et  en  dépit  de  ce  démembrement  du  peuple  et  du  pou- 
voir en  une  multitude  de  petits  peuples  et  de  petits  souve- 
rains, de  cette -absence  de  toute  nation  générale,  de  tout  gou- 
verneme^it  central,  qui  sont  le  caractère  propre  de  la  féodalité. 

Peu  de  questions  historiques  ont  été  plus  longuement  et 
plus  vivement  débattues  que  celle  de  savoir  quand  et  comment 
a  commencé  le  régime  féodal  :  Chantereau-Lefèvre,  Salvaing. 
Brussel,  Boulainvilliers,  Mably,  Dubos,  Montesquieu,  s'en  font 


,-.',o  SCIENCES  MOllALLS 

chacun  une  idée  dilTérente,  parce  qu'ils  ont  presque  lou s  voulu 
trouver,  dans  son  bcrceati  même,  le  régime  féodal  tout  en- 
tier, tel  qu'ils  le  voyaient  à  l'époque  de  son  plein  développe- 
ment; mais  la  ftodalité,  comme  tous  les  antres  grands  faits 
sociaux,  n'est  point  apparue  complète  et  tout  à  coup;  elle  s'est 
formée  lentement,  successivement,  avant  d'arriver  à  consti- 
tuer un  ensemble  systématique;  il  y  a  donc,  pour  qui  veut 
étudier  sérieusement  cette  époque,  nécessité  absolue  de  tenir 
compte  exactement  des  caiisos  et  des  circonstances  qui  ont 
précédé  et  accompagné  l'origine  du  régime  féodal;  celte  his- 
toire de  sa  formation  progressive  peut  se  résumer  en  trois  faiis 
essentiels  que  l'on  doit  considérer  comme  les  élémens  consti- 
tutifs de  ce  régime. 

Le  premier  de  ces  trois  faits  principaux  est  la  nature  parti- 
culière de  la  propriété  territoriale  sous  les  deux  premières 
races;  en  d'autres  termes,  l'état  des  terres.  Aussitôt  après  l'é- 
tablissement des  nations  germaniques  sur  le  sol  gallo-romain, 
on  voit  apparaître  deux  sortes  de  propriétés  territoriales  :  les 
bénéfices  et  les  aleuic  (alodia).  Ce  dernier  terme  désignait  une 
terre  que  le  possesseur  ne  tenait  de  personne,  qui  ne  lui  im- 
posait envers  personne  aucune  obligation.  Les  bénéfices  au 
contraire  désignaient  une  terre  reçue  d'un  supérieur  à  titre 
de  récompense,  et  qui  obligeait  envers  lui  à  certaines  charges, 
à  certains  services.  C'est  à  tort  que  Montesquieu,  Robertsou 
et  Mably  pensent  que  les  bénéfices  furent  d'abord  complète- 
ment amovibles,  ensuite  temporaires,  puis  viagers,  et  enfin 
héréditaires.  Les  vraisemblances  morales  et  les  témoignages 
historiques  repoussent  également  ce  système.  La  propriété 
bénéficiaire  fut  bien,  il  est  vrai,  soumise  à  ces  quatre  condi- 
tions, mais  simultanément  et  non  successivement;  elle  pré- 
senta presque  toujours  à  la  fois  ces  divers  caractères,  et  ce  fut 
tantôt  l'un,  tantôt  l'autre,  qui  fut  le  fait  dominant.  Elle  n'a 
donc  point  passé  du  \'  au  ix'  siècle  successivement  et  régu- 
lièrement par  l'amovibilité  arbitraire,  la  concession  tempo- 
raire, la  concession  viagère  et  l'hérédité.  Ces  quatre  états  se 
rencontrent  à  tontes  les  époques  :  si  la  condition  viagère  fut 


ET  POLITIQLES.  54.1 

le  véritable  «^tal  piiuiitil',  le  caiactère  conimiin  de  ce  genre  île 
concessions,  l'état  héréditaire  fut  'ja  condition  normale  et  dé- 
finitive; et  au  ix*  siècle  cette  condition  avait,  à  peu  de  chose 
prèsy  entièrement  prévalu.  En  eftet,  la  propriété  alodiale  du 
v''  au  x*"  siècle,  sans  disparaître  complélcnient,  se  resserra  de 
plus  en  plus,  et  la  condition  bénéficiaire  héréditaire  deviiii  la 
condition  commune  de  la  propriété  territoriale. 

Le  second  fait  principal,  le  second  élément  constitutif  du 
régime  féodal,  est  la  fusion  de  la  souveraineté  et  de  la  pro- 
priété, c'est-à-dire  la  réunion  dans  la  même  main  de  la  pro- 
priété territoriale  et  du  pouvoir  législatif,  judiciaire,  adminis- 
tratif et  même  sacerdotal  :  dans  l'intérieur  de  ses  domaines,  et 
sur  les  individus  qui  les  habitaient,  le  possesseur  de  fiefs  exer- 
çait tous  les  pouvoirs  ;  dans  cette  sphère,  son  autorité  était 
absolue.  Plusieurs  publicistes  ont  pensé  que  la  fusion  de  la 
souveraineté  et  delà  propriété  était  née  uniquement  de  la  con- 
quête, n'avait  d'autre  origine  que  la  force  et  la  violence.  En 
fait,  comme  en  droit,  ils  se  trompent  :  la  fusion  de  la  souverai- 
neté et  de  la  propriété  n'a  pas  été  un  fait  si  simple,  si  pure- 
ment matériel,  si  brutal,  pour  ainsi  dire  ;  son  origine  est  plus 
complexe,  plus  lointaine,  que  le  simple  droit  de  conquête.  II 
faut  la  chercher  dans  les  deux  modes  d'organisation  sociale  de 
l'ancienne  Germanie  :  d'une  part,  la  tribu  ou  peuplade,  société 
sédentaire  formée  de  propriétaires  voisins,  vivant  du  produit 
de  leurs  champs  et  de  leurs  troupeaux;  d'autre  part,  la  bande 
guerrière,  société  errante,  formée  volontairement  et  tempo- 
rairement de  gueniers  réunis  autour  d'un  chef,  soit  pour 
quelque  expédition  particulière,  soit  pour  aller  chercher  for- 
tune au  loin ,  et  vivant  de  pillage.  L'ascendant  du  chef  sur  ses 
compagnons  formait  la  bande  et  la  retenait  autour  de  lui  ; 
elle  se  gouvernait  parla  délibération  commune;  l'indépen- 
dance personnelle  et  l'égalité  militairey  jouaient  un  grandrôle. 
Quant  ù  la  tribu  ou  peuplade,  son  élément  primitif  n'était  pas 
l'individu,  le  guerrier,  mais  la  famille,  le  chef  de  famille  ;  elle 
-e  cojnposait  des  familles,  des  chefs  de  familles,  propriétaires 
■'lablis  les  uns  près  de?  autres  :  pour  toutes  les  affaires  gêné- 


342  SCIENCES  310nALES 

raies  de  la  iribu  .  la  souveraineté  appartenait  à  l'assemblée  des 
chefs  de  famille  propriétaires  ;  pour  tout  ce  qui  se  passait  dans 
l'intérieur  de  chaque  domaine,  au  chef  de  famille  lui-même, 
sous  l'autorité  de  qui  vivaient  sa  famille  proprement  dite,  ses 
colons  et  ses  esclaves.  Lors  de  l'invasion,  ce  ne  fut  pas  la  tribu, 
mais  la  bande  germanique  qui  passa  sur  le  territoire  gallo- 
romain,  et  s'y  établit.  En  Allemagne,  c'est  la  tribu  agricole; 
chez  nous,  c'est  la  bande  guerrière  qu'on  aperçoit  au  berceau 
de  la  société,  et  qui  est  devenue  un  des  élémens  primitifs  de 
notre  civilisation.  Ces  nouveaux  conquérans  durent  naturel- 
lement vouloir  reproduire  les  institutions  de  leur  patrie  et 
prendre  pournwdèle  l'organisation  de  la  tribu  germaine  ;  mais 
le  changement  des  situations  et  des  circonstances  extérieures 
devait  introduire  et  introduisit  en  effet  dans  la  société  nou- 
velle de  graves  altérations,  dont  le  résultat  fut  que  la  souve- 
raineté domestique  de  l'ancienne  tribu  germaine,  lorsqu'elle 
fut  transplantée  en^  Gaule,  perdit  son  caractère  de  famille,  de 
régime  patriarcal  ;  l'élément  qui  devint  dominant  fut  celui 
de  la  conquête,  de  la  force.  Ainsi  la  fusion  de  la  souveraineté 
et  de  la  propriété,  l'un  des  trois  grands  caractères  du  régime 
féodal  en  France,  ne  fut  pas  uniquement  le  fait  de  la  conquête, 
puisqu'un  lait  analogue  existait  dans  le  sein  de  la  tribu  ger- 
maine. Mais,  en  Germanie  cette  fusion  s'était  accomplie  sous 
l'influence  de  deux  principes,  qui  sont,  d'une  part,  l'esprit  de 
famille,  l'organisation  de  Clan  ;  d'autre  part,  la  conquête,  la 
force.  En  Gaule,  la  part  du  régime  patriarcal,  de  l'organisa- 
tion de  famille  et  de  Clan,  s'atténua  beaucoup;  celle  de  la 
conquête  et  de  la  force  devint  au  contraire  le  principe  très- 
dominant  de  la  fusion  de  la  souveraineté  et  de  la  propriété  : 
telle  fut  du  iv'  au  x"  siècle  la  transformation  de  ce  fait,  qui, 
venu  de  Germanie,  a  revêtu  sur  notre  sol  un  tout  autre  caractère. 
Quant  au  troisième  des  grands  faits  qui  constituent  le  ré- 
gime féodal ,  encore  bien  que,  dans  son  essence,  il  soit  en 
quelque  sorte  plutôt  négatif  que  positif,plut(jt  nominalqueréel, 
il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  l'on  doitleconsidérerà  juste  titre 
comme  un  des  principaux  caractères  de  la  féodalité;  ce  trni- 


liT  POLITIQIJES.  343 

sième  lait  est  l'ordre  des  rapports  des  possesseurs  de  fiefs  en- 
tre eux,  le  développement  progressif  de  l'organisation  qui  les 
unissait,  ou  plutôt  qui  était  censée  les  unir  ;  en  effet  cette  union, 
cette  organisation  était  bien  plutôt  un  principe  qu'un  fait  : 
sans  doute,  en  principe,  les  possesseurs  de  fiefs  étaient  liés  les 
uns  aux  autres,  et  leur  association  hiérarchique  semble  sa- 
vamment organisée;  en  fait,  cette  organisation  ne  fut  ni  réelle, 
ni  efficace.  Si  tel  a  été  son  état  dans  tout  le  cours  de  l'époque 
féodale,  à  plus  forte  raison  devait-il  en  être  ainsi  au  com- 
mencement de  cette  époque  vers  la  fin  du  x'  siècle.  Du  v*  au 
x'  siècle,  nul  principe  d'unité  sociale  et  politique  n'a  pu  conser- 
ver ou  acquérir  l'empire  ;  tous  ceux  qui  avaient  régné  aupa- 
ravant ont  été  vaincus,  abolis;  et  c'est  au-dessus  de  leurs 
ruines  que  paraissent  les  essais  grossiers  et  incomplets  de 
l'organisation  féodale.  Immédiatement  après  l'établissement 
territorial  des  Germains  dans  la  Gaule,  trois  principes  d'orga- 
nisation sociale,  trois  natures  d'institutions  coexistèrent  et  se 
trouvèrent  en  présence  ;  le  système  des  institutions  libres,  ce- 
lui des  institutions  aristocratiques  et  celui  des  institutions  mo- 
narchiques. Chacun  de  ces  trois  systèmes  avait  respective- 
ment une  double  source,  une  double  origine  dans  l'état  de 
choses  qui  existait,  d'une  part,  en  Germanie,  et  de  l'autre, 
en  Gaule,  avant  l'invasion  ;  mais  cette  parité  dans  leurs  élé- 
mens  constitutifs  ne  se  retrouvent  pas  dans  leur  destinée. 
Dans  ce  long  intervalle  compris  entre  l'invasion  des  Barbares 
et  l'avènement  de  Hugues  Capet,  tous  les  principes  du  sys- 
tème des  institutions  libres  allèrent  s'énervant  de  plus  en  plus; 
tous  ses  moyens  d'action  furent  brisés.  Tel  fut  aussi  le  sort 
des  institutions  monarchiques  ;  le  caractère  religieux  de  l'an- 
cienne royauté  germaine  avait  disparu,  ainsi  que  son  carac- 
tère militaire  primitif;  le  caractère  politique  de  la  royauté 
impériale  des  Romains  était  incompatible  avec  la  société 
nouvelle;  le  caractère  religieux  chrétien  conservait  seul  quel- 
que empire,  mais  un  empire  f;iible  et  rare;  toutes  les  bases 
du  système  des  institutions  monarchiques  étaient  ébranlées  ; 
tous  ses  principes  vitaux  avaient  perdu  leur  énergie. 


544  SCIENCES  .MORALES 

Il  en  était  tout  luitrement  du  système  des  institutions  aris- 
tocratiques; au  lieu  de  décliner,  celui-ci  avait  été  en  progrès. 
Les  élémens,  soit  germains,  soit  romains,  qui  le  constituaient, 
s'étaient  tous  affermis,  développés  :  la  souveraineté  domes- 
tique du  chef  de  famille  propriétaire  Gei'main,  transplantée  en 
Gaule,  y  était  devenue  plus  complète  et  plus  absolue,  le  pa- 
tronage du  chef  de  bande  sur  ses  compagnons,  tout  en  chan- 
geant de  forme,  s'était  accru  et  fortiGé;  de  telle  sorte  que,  tan- 
dis que  les  deux  premiers  systèmes  ont  été  déclinant,  le  système 
des  institutions  aristocratiques  a  vu  au  contraire  ses  bases 
s'affermir,  ses  principes  jirendre  plus  de  vigueur;  il  n'a  point 
acquis,  il  n'a  point  donné  à  la  société  en  général  une  forme 
régulière,  de  l'unité,  de  l'ensemble  ;  il  n'y  atteignit  même  ja- 
mais :  mais  il  n'en  est  pas  moins  évident  que  seul  il  finit  par 
prévaloir^  par  être  le  fait  dominant  de  l'époque  qui  nous  oc- 
cupe. 

Tels  furent  les  faits  matériels  et  moraux  sous  l'empire  des- 
quels fut  préparée  et  se  constitua  progressivement  du  y'  au 
X'  siècle  la  société  féodale  :  nous  avons  dû  nous  borner  à  pré- 
senter dans  son  ensemble,  et  sous  son  aspect  le  plus  général, 
l'histoire  de  sa  formation  graduelle  ;  les  bornes  de  cet  article 
ne  nous  permettent  pas  de  suivre  M.  Guizot  dans  les  détails 
remplis  d'intérêt  et  empreints  d'une  véritable  érudition  qui 
sont  le  fruit  de  ses  recherches  et  viennent  à  l'appui  de  ses  vues 
et  de  ses  doctrines.  le  même  motif  nous  oblige  de  passer  ra- 
pidement sur  les  dévoloppemens  auxquels,  après  avoir  ainsi 
examiné  les  origines  de  la  société  féodale,  il  se  livre  pour  étu- 
dier cette  société  en  elle-même  pendant  l'époque  qui  lui  ap- 
partient en  propre.  Rien  de  plus  curieux,  de  plus  instructif, 
que  le  tableau  qu'il  trace  de  lu  vie  que  menaient  en  général  les 
possesseurs  de  fiefs  au  sein  de  leurs  châteaux,  et  que  les  con- 
sidérations par  lesquelles  il  est  conduit  à  établir  que  la  vie  de 
château  et  la  situation  des  possesseurs  de  fiefs  ont  contribué 
notablement  aux  progrès  de  l'esprit  de  famille,  et  surtout  de 
l'influence  et  de  la  condition  des  femmes.  A  l'époque  oi'i  la 
féodalité  atteint  son  complet  développement,  c'esl-à-dire  vers 


KT  POLITIQUES.  345 

te  milieu  du  m"'  siècle,  nous  voyons,  pour  faire  diversion  à 
leur  isolement  et  à  leur  oisiveté  ,  les  seigneur»  féodaux  rassem- 
bler autour  d'eux  dé  nombreux  officiers,  un  cortège  considé- 
rable, une  petite  cour.  En  même  tems,  du  sein  de  ces  modifi- 
cations apportées  parle  tems  et  les  circonstances  aux  anciennes 
moeurs  germaniques  surgit  un  fait  qui  mérite  d'autant  plus  l'at- 
tention que  son  origine  et  sa  nature  ont  été  presque  toujours 
et  sont  encoie  souvent  inexactement  appréciées  :  ce  fiiit  est  la 
cheyalerie. 

On  a  représenté  la  chevalerie  comme  une  grande  institution 
formée,  au  xi"  siècle,  dans  le  dessein  moral  de  iultei-  contre 
le  déplorable  état  de  la  société,  de  protéger  les  faibles  contre 
les  forts,  de  vouer  une  certaine  classe  d'hommes  au  redres- 
sement des  torts  et  des  injustices;  31.  de  Sismondi  lui-même 
n'a  pas  su  se  défendre  de  l'influence  si  générale  de  cette  idée  (i). 
Il  n'en  fut  point  ainsi  :  la  chevalerie  n'a  point  été,  à  l'époque 
dont  nous  parlons,  une  institution  amenée  par  une  nécessité 
spéciale  et  combinée  daas  le  dessein  d'y  pourvoir.  Elle  s'est 
formée  d'une  manière  beaucoup  plus  simple,  plus  naturelle, 
plus  obscure  uiême  :  elle  a  été  le  développement  progressif  de 
faits  anciens,  le  produit  des  mœurs  germaniques  et  des  relations 
féodales;  elle  est  née  dans  l'intérieur  des  châteaux  sans  autre 
intention  que  de  déclarer  l'admission  des  jeunes  hommes,  soit 
fils  du  suzerain,  soit  fils  du  vassal,  au  rang  cl  à  lavie  des  guerriers, 
et  de  fortifier  ainsi ,  par  un  acte  solennel,  le  lien  qui  unissait  le 
vassal  à  son  seigneur,  qurl'armait  chevalier  :  c'estce  que  prouve 
évidemment  l'histoire  du  mot  même  qui  désignait  le  chevalier, 
du  mot  »h7ê.s,  employé  constamment ,  jusqu'au  xiii^  siècle, 
comme  synonyme  de  vassal.  A  mesure  que  la  chevalerie 
se  développa  ,  ce  fait  tomba  sous  l'empire  de,  deux  in- 
fluences qui  ne  tardèrent  pas  à  lui  imprimer  un  autre  ca- 
ractère :  la  religion  et  l'imagination,  ri?!glise  et  la  poésie 
s'emparèrent  de  la  chevalerie,  et  s'en  firent  un  puissant  moyen 
de  répondre  aux  besoins  moraux  qu'elles  avaient  mission  de 
satisfaire:  si,  d'une  part,  on  ne  peut  contester  que  la  chevalerie 

(i"';  Histoire  c/cs  Français,  t.  iv,  199-201, 


346  SCIliNCES  MORALES 

a  joué  un  rôle  assez  long  et  assez  important  dans  le  dévelop- 
pement moral  de  la  France  ;  on  peut  aussi  d'un  autre  côté  affir- 
mer que,  dans  le  développement  social,  elle  a  tenu  peu  de 
place  et  possédé  peu  de  consistance  :  aussi  ne  dura-t-elle  pas 
long-tems.  Dès  le  xiv^  siècle,  la  chevalerie  proprement  dite 
était  en  pleine  décadence;  ce  n'est  pourtant  pas  qu'elle  eût 
entièrement  péri  :  elle  avait  enfanté  les  Ordres  religieux  mili- 
taires, les  templiers,  les  chevaliers  de  Jérusalem,  les  cheva- 
liers teutoniques  ;  elle  commençait  à  enfanter  les  Ordres  de 
cour,  les  cordons,  les  chevaliers  de  rang  et  de  parade;  elle 
devait  figurer  encore  long-tems  dans  la  vie  et  le  langage  de  la 
société  française;  mais  la  chevalerie  originaire,  la  vraie  che- 
valerie féodale  avait  dépéri  comme  la  féodalité  elle-même. 

Malgré  les  graves  obstacles  qu'opposait  au  développement 
de  la  civilisation  le  genre  de  vie  des  maîtres  du  sol,  il  est  évi- 
dent toutefois  qu'il  y  avait  eu  des  améliorations  réelles,  et  que 
les  classes  supérieures  de  la  société  gallo-franque  n'étaient 
point  restées  stationnaires  ;  il  n'en  fut  pas  de  même  au  sein  de 
la  population  agricole  :  elle  demeura  pendant  long-tems  beau- 
coup plus  immobile,  beaucoup  plus  étrangère  à  tout  mouve- 
ment social;  rien  là  que  de  fort  naturel;  le  progrès  de  la  ci- 
vilisation veut  de  la  paix  et  de  la  liberté;  et  ces  deux  élémens 
manquaient  entièrement  à  la  population  agricole  ,  exposée 
sans  protection  à  tous  les  périls  et  complètement  dépourvue 
de  paix  et  de  sécurité.  Son  état  déplorable j  sa  servitude,  sa 
misère,  ne  datent  pas  seulement  de  l'invasion  des  barbares, 
comme  on  le  pense  généralement  ;  ses  vices  et  son  immobilité 
remontent  plus  haut  que  la  conquête  germanique;  et  c'est 
dans  la  condition  des  habitans  des  campagnes  sous  la  domi- 
nation romaine  qu'il  faut  en  chercher  les  véritables  causes, 
ainsi  que  le  prouvent  les  détails  infiniment  curieux  dans  les- 
quels est  entré  M.  Guizot  sur  l'origine  et  sur  la  condition  des 
colons  dans  la  Gaule  avant  la  conquête  des  Romains  et  sous 
leur  administration ,  sur  les  obligations  de  cette  classe  envers 
les  maîtres  du  sol,  et  sur  les  modifications  apportées  à  sa  con- 
dition par  l'invasion  des  Barbares.  Ces  changemens,  d'abord 


T-T  POLITIQUES.  547 

presque  nuls,  durent  à  la  longue  aggraver  la  sitnation  des 
colons,  surtout  sous  le  rapport  politique  Toutefois ,  malgré 
l'oppression  féodale,  la  condition  de  ces  mêmes  colons,  dési- 
gnés plus  tard  sous  le  nom  de  villains  (villani),  finit  par  acqué- 
rir quelque  fixité.  Du  v^  au  x*  siècle,  on  la  voit  constamment  dé- 
choir ;  mais,  à  partir  du  x"  siècle,  le  progrès  commence,"  progrès 
partiel,  assez  long-tems  insensible,  mais  que  cependant  on 
ne  saurait  méconnaître,  et  qui  amena  plus  tard  la  fameuse 
ordonnance  de  Louis  X  sur  l'affranchissement  des  serfs.  Il  est 
vrai  que  ce  n'était  pas  dans  des  vues  désintéressées  et  pure- 
ment morales  que  Louis-le-Hutin  proclamait  le  principe  de 
ces  affranchissemens  ;  il  n'entendait  point  donner  la  franchise 
aux  colons  ;  il  la  leur  vendait  à  de  bonnes  et  convenables  con- 
ditions; mais  il  n'en  est  pas  moins  certain,  en  principe  ,  que  le 
roi  croyait  devoir  la  leur  vendre,  et  qu'ils  étaient  capables  de 
l'acheter;  c'était  là,  à  coup  sûr,  entre  le  xi*  et  le  xiv*^  siècle, 
une  notable  différence  et  un  immense  progrès. 

Après  avoir  ainsi  étudié  la  société  féodale  dans  son  élément 
simple  et  primitif,  le  savant  professexir  arrive  à  l'examiner  dans 
son  organisation  hiérarchique  et  dans  son  ensemble  :  cet  exa- 
men, par  la  prodigieuse  complication  des  faits  sur  lesquels  il 
porte,  présentait  de  grandes  difficultés  qui  n'ont  été,  du  reste, 
pour  M.  Guizot,  qu'une  nouvelle  occasion  de  faire  remarquer 
cette  sagacité,  cette  clarté  de  vues  et  cette  parfaite  intelligence 
des  matières  historiques,  qui  sont  le  caractère  particulier  de 
son  talent.  Les  relations  féodales  et  leur  origine,  les  rapports 
des  possesseurs  de  fiefs  entre  eux,  la  complexité  delà  situation 
de  ces  derniers,  qui  souvent  étaient  à  la  fois  suzerains  et  vas- 
saux, leurs  relations  et  obligations  mutuelles,  tant  morales 
que  matérielles,  les  droits  et  les  devoirs  réciproques  des 
suzerains  sur  les  vassaux,  et  de  ceux-ci  envers  leurs  suze- 
rains; puis  les  rapports  des  vassaux  entre  eux,  rapports  qui 
n'existaient  guère  que  par  l'intermédiaire  du  suzerain  :  tels 
sont  les  premiers  faits  dont  l'analyse  nous  conduit,  par  un  en- 
chaînement naturel,  à  la  recherche  de  ce  qu'étaient  le  système 
des  garanties  politiques,  l'organisation  judiciaire,  et  le  mode  de 
procédure  suivi  dans  les  contestations  respectives,  soit  entre 


348  SCIENCES  MORALES 

!>uzerains,  ?oit  entre  vassaux,  soit  enlre  chacune  de  ces  deux 
classes.  Il  est  superflu  d'ajouler  que  ces  garanties  étaient  à 
peu  près  nulles  ;  encore  bien  que  le  principe  du  jugement  par 
les  pairs  esflstât  dans  la  société  féodale,  et  se  soit  même  per- 
pétué lorsqu'il  y  eut,  sous  le  nom  de  baillis,  une  classe 
d'hommes  spécialement  investis  des  fonctions  de  juges,  rien 
n'était  pkis  irrégulier  que  les  cours  féodales  ;  l'arbitraire  régnait 
dans  leur  composition,  et  par  conséquent  dans  leurs  décisions  : 
et  comme  il  n'existait  pas  de  force  publique  chargée  de  faire 
exécuter  les  jugemens;  il  n'y  avait  dès  lors,  pour  l'accomplis- 
sement de  la  justice,  d'autre  voie  que  le  recours  à  la  force  :  de 
là  les  combats  judiciaires  et  les  guerres  privées.  Faute  d'insti- 
tutions capables  de  protéger  ses  droits,  l'individu  se  faisait 
justice  lui-même.  Il  y  avait,  si  l'on  veut,  goût,  penchant,  pas- 
sion pour  cette  façon  d'agir  qui  était  si  bien  d'accord  avec  l'état 
des  mœurs  à  celte  époque  ;  il  y  avait,  de  plus,  nécessité.  Aussi 
la  guerre  privée  et  le  combat  judiciaire  devinrent-ils  de  véri- 
tables institutions,  réglées  selon  des  principes  fixes  et  avec  des 
formes  minutieusement  convenues.  On  trouve  dans  les  mo- 
numens  féodaux  beaucoup  plus  de  détails,  de  précautions,  de 
prescriptions  sur  les  duels  judiciaires  et  les  guerres  privées 
que  sur  les  procès  proprement  dits  et  les  poursuites  juridiques. 
Il  n'y  avait  donc  point  d'institutions  générales,  fixes  et  bien 
établies,  ayant  mission  de  régir  la  société  féodale  dans  son 
ensemble.  A  la  vérité,  à  défaut  d'institutions  réelles,  certaines 
garanties  morales,  certains  principes  de  droit  et  de  liberté 
prési<Iaient  à  l'association  des  {possesseurs  de  fiefs.  Mais  ces 
garanties,  d'ailleurs  fréquemment  violées,  avaient  toutes  pour 
but  de  protéger  exclusivement  la  liberté  personnelle,  l'indé- 
pendance de  l'individu  contre  toute  force  extérieure;  il  n'y 
avait  alors,  dit  M.  Guizot,  ni  sujets,  ni  citoyens;  la  société 
proprement  dite  ,  c'est-à-dire  la  mise  en  commun  d'une  cer- 
taine poi  tion  de  la  vie,  de  la  destinée,  de  l'activité  des  indivi- 
dus, était  Irès-faible  et  très-bornée;  la  portion  d'existence,  au 
contraire,  qui  demeure  distincte,  isolée,  c'est-à-dire  l'indé- 
pendance  individuelle,  était  très-grande   :   l'infériorité  de 


ET  POLITIQUES.  549 

l'éléincnl  social  à  l'élément  individuel,  c'esl  là  le  caractère 
propre  et  dominant  de  la  féodalité.  Il  n'en  pouvait  être, au- 
trement :  la  féodalité  a  été  un  premier  pas  hors  de  la  barbarie, 
le  passage  de  la  barbarie  à  la  civilisation.  Or,  le  grand  fait  de  la 
société  barbare,  c'est  l'indépendance  de  l'individu,  la  prédo- 
minance de  l'individualité.  Ce  fait  fut  combattu  et  limité  par 
l'établissement  du  régime  féodal;  cependant  l'indépendance 
individuelle  demeura  encore  le  principal  caractère  du  nouvel 
état  social  ;  ses  principes  la  consacraient,  ses  garanties  eurent 
surtout  pour  objet  de  la  maintenir.  Evidemment,  dans  le  ré- 
gime féodal  et  parmi  les  possesseurs  de  liefs,  cette  indépendance 
était  excessive,  et  s'opposait  à  la  formation,  au  progrès  véri- 
table de  la  société.  Aussi,  indépendamment  de  toute  cause 
étrangère,  par  sa  seule  nature,  par  sa  tendance  propre,  la  so- 
ciété féodale  était-elle  toujours  en  question,  toujours  sur  le 
point  de  se  dissoudre  ;  incapable,  du  moins,  de  subsister  régu- 
lièrement et  de  se  développer  sans  se  dénaturer.  Ce  qui  le 
prouve  ,  c'est  la  prodigieuse  inégalité  qui  s'introduisit  très- 
vite  dans  la  répartition  de  la  propriété  territoriale  :  dans  l'ori- 
gine, la  multiplication  des  fiefs  avait  été  très-rapide,  et  la 
pratique  de  la  soiîs-inféodation  avait  donné  naissance  à  une 
multitude  de  petits  fiefs.  Dès  le  milieu  du  xi°  siècle  commence 
le  phénomène  contraire  :  le  nombre  des  petits  fiefs,  des  petits 
seigneurs,  diminue;  les  fiefs  déjà  grands  s'agrandissent,  et 
presque  toujours  par  la  force,  aux  dépens  de  leurs  voisins. 
Ainsi,  par  cela  seul  que  le  lien  social  manquait  à  la  féodabté, 
les  libertés  féodales  périssaient  rapidement  ;  les  excès  de  l'in- 
dépendance individuelle  compromettaient  perpétuellement  la 
société  :  aussi  chercha-t-elle  dans  des  principes  contraires, 
dans  d'autres  institutions,  les  moyens  dont  elle  avait  besoin 
pour  devenir  permanente,  régulière,  progressive.  La  tendance 
vers  la  centralisation,  vers  la  formation  d'un  pouvoir  supérieur 
aux  pouvoirs  locaux,  ne  tarda  pas  à  se  manifester,  et  le  résul- 
tat définitif  de  cette  tendance  fut  l'intervention  sur  tous  les 
points  du  territoire  de  la  royauté  générale,  de  cette  royauté  qui 
devint  la  royauté  française. 


55o  .  SCIENCES  MORALES 

Nous  avons  dit ,  au  commencement  de  cet  article ,  quels 
furent  les  origines  diverses  et  les  caractères  successifs  de  la 
royauté  sous  les  deux  premières  races  ;  on  n'a  point  oublié 
que,  sous  les  derniers  Carlovingiens,  et  après  le  démembre- 
ment de  l'empire,  le  caractère  de  la  royauté  impériale  romaine, 
que  Cbarlema-nc  avait  réussi  à  faire  prévaloir,  s'était  smgu- 
lièrement  affaibli,  et  avait  fini  par  succomber,  eu  fait,  devant 
les  progrès  toujours  croissans  de  l'association  féodale ,  et  de 
l'indépendance  à  laquelle  étaient  parvenus  les  grands  posses- 
seurs  de  liefs.  Cette  révolution  eut  son  représentant  dans  la 
personne  de  Hugues  Capet  dont  l'avènement  ne  fut,  à  vrai 
dire  que  le  triomphe  de  la  féodalité  sur  l'ancienne  royauté  un- 
périale.  Toutefois ,  ce  ne  fut  pas  sans  avoir  à  lutter  contre 
d'assez  graves  obstacles  que  Hugues  Capet  parvint  à  affermir 
la  couronne  sur  sa  tête;  un  principe,  qui  déjà  avait  paru  sous 
les  régnes  précédeus,  se  produisit  alors  avec  plus  de  force;  ce 
princrpe  était  celui  de  la  légitimité  :  on  s'était  habitué  à  consi- 
dérer les  descendans  de  Charlemagne  comme  ayant  des  droits 
au  trône,  et  le  chef  de  la  troisième  race,  pour  consolider  sou 
pouvoir,  dut  chercher  un  moyen  de  combattre  l'inûuence  de 
cette  idée.  Dans  ce  but,  Hugues  Capet  plaça  la  royauté  nou- 
velle sous  l'égide  des  idées  chrétiennes,  et  eut  soin  de  se  don- 
ner constamment  pour  le  bras  droit  de  l'Église.  Sous  son 
rè'^ne,ce  fait  prit  une  extension  très-remarquable,  qu'il  con- 
serva,' du  moins  en  grande  partie,  sous  ceux  de  ses  trois  pre- 
miers successeurs.  Mais  c'est  seulement  après  Philippe  I"  et  à 
l'avènement  de  Louis -le -Gros  que  commence  la  royauté 
féodale  proprement  dite  et  qu'elle  revêt  son  véritable  carac- 
tère. Il  est  même  plus  vrai  d'avancer  que  cette  révolution  est 
antérieure  à  l'avènement  de  Louis-le-Gros  et  remonte  jusqu'au 
tems  où  il  n'était  encore  que  prince  royal;  c'est  alors  en  effet 
que  nous  voyons  commencer  ces  expéditions  militaires,  dont 
Suger  nous  a  conservé  le  récit,  et  qu'entreprenait  la  royauté, 
tantôt  sur  un  point,  tantôt  sur  un  autre,  et  même  à  des  dis- 
tances considérables ,  pour  l'exercice  du  droit  qu'elle  s'attri- 
buait de  rétablir  l'ordre  et  la  paix  entre  les  suzerains,  et  de 


ET  POLITIQUES.  35 1 

punir  la  désobéissance  des  sujets;  droit  qui  n'a  plus  rien  de 
féodal,  et  qui  place  le  pouvoir  royal  bien  au-dessus  de  celui  des 
grands  leu'dataires,  dont  jusqu'alors  le  roi  n'avait  été,  à  bien  peu 
de  chose  près,  que  l'égal. 

Ainsi  s'accomplissait  ce  grand  changement  qui  nous  montre 
la  royauté  s'établissant  comme  un  pouvoir  d'ordre  et  de  paix 
au  milieu  du  désordre  et  de  l'anarchie,  comme  un  pouvoir 
unique  et  central  au  milieu  des  suzerainetés  locales  ;  carac- 
tère tout  nouveau  qu'elle  reçut  de  Louis-le-Gros  et  qui  fut 
tellement  celui  du  gouvernement  de  ce  prince  que,  sous  le 
règne  de  Louis-!e-Jeune ,  son  fils,  il  se  conserva  entre  les 
mains  de  Suger,  malgré  l'incapacité  et  l'absence  même  du  roi, 
que  la  croisade  éloigna  long-tems  de  ses  Etats.  Cette  tendance 
à  l'unité,  cette  supériorité,  cette  iufluence  que  gagnait  rapi- 
dement le  pouvoir  royal,  renfermait  évidemment  un  principe 
de  force  ;  mais,  si  l'on  examine  les  faits,  oa  reconnaît  que  la 
puissance  réelle  du  roi  de  France  était  encore  très-faible,  soit 
par  rapport  au  territoire,  soit  par  rapport  à  la  juridiction.  A 
la  vérité,  sous  Louis  VU,  le  territoire  recul  un  vaste  accrois- 
sement par  le  mariage  de  ce  prince  avec  Eléonore  d'Aquitaine, 
mais  on  sait  aussi  que  cet  accroissement  ne  fut  que  tempo- 
raire, et  que ,  par  la  dissolution  de  ce  même  mariage,  le 
royaume  de  France  se  trouva  à  peu  près  réduit  à  ce  qti'irétait 
sous  Louis-le-Gros  :  tel  était,  sous  un  double  point  de  vue, 
l'état  de  la  royauté  à  l'avènement  de  Philippe-Auguste;  d'a- 
bord son  pouvoir  fut  et  devait  être  effectivement  faible  et 
borné;  mais  bientôt  il  se  dévoua  à  l'accomplissement  de  sa 
mission,  et  consacra  plus  des  deux  tiers  de  son  règne  à  recon- 
stituer le  territoire  français,  à  mètre  la  royauté  de  fait  au  ni- 
veau de  la  royauté  de  droit.  La  tâche  était  difficile  ;  car  ses 
ressources  étaient  fort  limitées,  et  il  avait  à  lutter  contre  des 
rivaux  et  des  voisins  plus  puissans  que  lui  :  son  adversaire  le 
plus  redoutable  était  le  roi  d'Angleterre,  qui,  sauf  la  Bretagne, 
possédait  presque  toutes  les  provinces  occidentales  de  la 
France,  Ce  fut  contre  lui  que  durent  naturellement  se  diriger 
les  principaux  efforts  de  Philippe  ;  mais  c'est  seulement  après 


352  SCIENCES  MORALES 

la  mort  de  Henri  II  qu'il  commença  à  gagner  du  terrain  sur 
RicharJ-Cœur-de-Lion  et  Jean -sans-Terre,  ses  deux  fils.  Les 
vices  et  le  caractère  aventureux  de  Richard  donnèrent  sur  lui 
un  grand  avantage  à  Pliiiippe,  patient,  persévérant,  et  qui  ne 
donnait  rien  au  hasard;  puis,  lorsque  Jean-sans-Terre,  véri- 
table valet  de  comédie  sur  le  trône,  eut  succédé  à  son  frère, 
Philippe,  profitant,  avec  constance  et  habileté,  de  la  faiblesse 
et  de  la  pusillanimité  de  son  rival,  l'eut  bientôt  dépouillé  de 
tout  ce  qu'il  possédait  en  France ,  sauf  la  province  d'Aqui- 
taine, et  se  hâta  de  faire  légitimer  ses  conquêtes  par  une  assem- 
blée de  barons  on  pairs  du  royaume,  qu'il  avait  convoquée 
pour  juger  et  condamner  le  roi  Jean  comme  assassin  de  son 
neveu  Arthur  de  Bretagne  (i). 

En  1217,  sur  67  prévotés  dont  se  composait  le  royaume, 
32  avaient  été  acquises  par  Philippe- Auguste,  qui  dès  lors  se 
trouva  maîlre  d'un  territoire  beaucoup  plus  considérable  qu'au- 
cun de  ses  prédécesseurs  :  après  avoir  agrandi  et  consolidé  sa 
puissance  matérielle,  Philippe  s'appliqua  à  développer  le  ca- 
ractère d'unité  et  de  supériorité  que  le  pouvoir  royal  avait  reçu 
et  conservé  sous  les  deux  règnes  précédens  :  il  essaya  de  con- 
stituer des  Assemblées  fréquentes  de  barons,  mais  sans  obtenir 
de  ce  moyen  de  gouvernement  tout  le  succès  qu'il  en  atten- 
dait; ses  travaux  législatifs  sont  attestés  par  Sa  actes  portant 
la  date  de  son  règne,  et  qui  se  trouvent  dans  le  recueil  des 
ordonnances  des  rois  de  France  ;  il  faut  y  ajouter  encore  le 
testament  politique  qu'il  fit  rédiger  en  partant  pour  la  Terre- 
Sainte  ,  et  dans  lequel  on  remarque  un  soin  de  gouvernement 
tout-à-fait  inconnu  jusqu'alors.  Un  autre  fait  non  moins  digne 
d'altenticn  du  règne  de  Philippe -Auguste  est  la  résistance 
que  la  royauté  commença  alors  à  opposer,  soit  au  clergé  in- 
térieur, soit  à  la  papauté,  ainsi  que  l'habileté  avec  laquelle  le 
roi  sut  se  servir,  dans  cette  lutte  contre  l'Eglise ,  de  l'aide  de 
ses  grands  vassaux.  Enfin  tout  le  monde  sait  que  la  protection 
accordée  par  Philippe  aux  écoles,  qui  déjà  attiraient  les  étu- 

(i)  Voyez  M.  de  Sismondi,  Tlistolre  des  Françaix,  t.  vi,  p.  2^4  et  suiv. 


ET  POLITIQUES.  353 

■tfians  étrangers,  porta  spécialement  sur  l'université  de  Paris, 
•qui  lui  dut  ses  premiers  privilèges  ;  ce  fut  aussi  sous  son  règne 
<(tie  s'exécutèrent  les  premiers  travaux  publics  pour  reuibel- 
lissement  et  l'assainissement  de  la  capitale,  et  que  fiuent  dé- 
posées dans  \in  lieu  déterminé  les  chartes  et  archives  du 
royaume,  qui  jusqu'alors  étaient  transportées  à  la  suite  des 
rois  dans  leurs  diverses  expéditions. 

Tel  est  l'exposé  sommaire  des  moyens  par  lesquels  Philippe- 
Auguste  sut,  en  suivant  la  voie  que  lui  avait  ouverte  son 
^lïcul  Louis-le-Gios,  étendre  et  maintenir  le  nouveau  carac- 
lère  avec  lequel  la  royauté  lui  avait  été  transmise.  Alors  se 
trouva  accomplie, au  commencement  du  i3'  siècle, cette  grande 
révolution  dont  le  résultat  devait  être  de  faire  surgir  la  mo- 
narchie féodale  proprement  dite  du  sein  de  l'associatiou  aris- 
tocratique des  possesseurs  de  fiefs,  dont  l'origine  remonte, 
ainsi  que  nous  l'avons  vu,  jusqu'à  la  conquête  germanique; 
c"'est  à  cette  époque  que  s'arrête  la  première  partie  du  cours 
dont  nous  avons  entrepris  l'analyse,  et  dans  laquelle  M.  Gui- 
zot  a  jeté  sur  la  première  période  féodale  une  lumière  d'au- 
tant plus  vive  que  ces  tems  de  notre  histoire  sont  en  général 
plus  imparfaitement  connus;  dire  que,  dans  les  leçons  qui 
vont  suivre  ,  le  savant  professeur  continuera  l'examen  du  rôle 
que  fut  appelée  à  jouer  la  royauté  sous  Philippe- Auguste  et 
ses  successeurs  jusqu'à  Philippe  de  Valois,  et  qu'il  nous  fera 
assister  aux  commencemens  de  cette  lutte  si  énergique  et  tant 
de  fois  renouvelée  que  soutinrent  contre  le  pouvoir  royal  et 
contre  les  suzerains  féodaux  les  communes  du  moyen  âge, 
c'est  proclamer  d'avance  le  haut  intérêt  historique  que  pré- 
sentera la  dernière  partie  du  cours  de  cette  année. 

Albert  Dutens. 


■S.  XLVIK   AOUT   l85o. 


rr)4  sciKNCKS  morales 

MoMiMRNS  AUABts,  i'ER?ASs  ET  Ti BCs  clu  Cabinet  de  M.  le  duc 
bi;  Br.ACAs,  et  d'autres  cabinets,  considérés  et  décrits  d'après 
leurs  rapports  avec  les  croyances,  les  mœurs  et  l'histoire  des 
nations  musulmanes  ;  par  M.  REl^AlID,  employé  an  Cabinet 
des  manuscrits  orientaux  de  la  Bibliothèque  du  Roi^  mem- 
bre de  la  Société  asiatique  de  Paris^  etc.  (i). 

StCOND    ARTICI-K. 

(>'oy.  ci-dessus ,  p.  92.) 

3e  reprends  l'examen  des  notices  de  M.  Reinaud  sur  les 
personnages  célèbres  mentionnés  d.ms  l'AIroran,  comme 
dans  la  Bible  et  les  Evangiles. 

Moise  ne  pouvait  Olre  oublié  par  Mahomet  :  c'était,  comme 
lui,  \n\  prophète  et  un  législateur.  Aussi  le  cite-t-il  avec  hon- 
neur dans  plusieurs  sourates  (chapitres);  et  les  orientaux  ont 
encore  ajouté  aux  prodiges  qu'opérait  sa  baguette.  Par  exem- 
ple, dormait-il  :  sa  baguette,  sous  la  forme  d'un  serpent,  veil- 
lait sur  lui,  et  le  défendait  de  ses  confrères  les  autres  magi- 
ciens, qui  ne  voyaient  pas  sans  envie,  comme  on  peut  le 
croire,  qu'il  avait  une  bien  plus  grande  puissance  magique. 

David  n'a  pas  moins  de  célébrité  chez  les  musulmans  que 
chez  nous  :  ils  se  fout  une  si  haute  idée  de  ses  talei>s  dans  la 
niu>i(pie,  qu'ù  les  en  croire,  sa  voix  enchantait  les  oiseaux, 
arnollissail  le  fer  et  aplanissait  les  montagnes  (2). 

Mais  le  personnage  qu'ils  semblent  mettre  au-dessus  de 
tous  les  autres,  c'est  Salomon,  qu'ils  font  régner  sur  l'Orient 
et  sur  l'Occident.  Il  n'y  a  point  de  merveilles  qu'ils  ne  lui  attri- 
buent. Non -seulement  les  hommes,  mais  les  animaux  lui 
étaient  soumis  :  il  commandait  même  aux  élémens.  Avait-il 

(1)  l'aris,  iSay;  Dondey-Dupré.  2  vol.  in-S",  imprimés,  pai- aiiloiisa- 
tion  du  Ri)i,  à  l'imprimerie  royale;  prix,  18  fr.,  papier  ordinaire;  et 
3o  fr. ,  papier  vélin. 

(2)  Le  Coran.  Sourate  xxxiv,  vers.  10. 


ET  POLITÎQIjI-S.  j55 

lin  voyage  à  Caire  ,  il  montait  sur  un  vent,  et  arrivait  presque 
au.s.-itcJI  ilansles  régions  les  plus  éloignées.  Il  savait  la  langue 
des  oiseaux,  «t  même  celle  des  insectes.  L'Alcoran  n'a  pas 
dédaigné  de  rapporter  les  entretiens  qu'il  eut  avec  une  fou;- 
mi.  Grâce  à  un  anneau  qu'il  portait,  il  avait  aussi  à  ses  or- 
dres des  génies  :  c'est  par  leurs  mains  qu'il  éleva  sans  peine 
le  palais  de  la  reine  de  Saba,  et  tous  les  autres  monumens 
qui  ont  illustré  son  régne.  Il  n'est  pas  étonnant,  au  reste, 
qu'il  ait  passé  dans  l'Oiient  pour  le  chef  des  magiciens;  car 
on  lui  a  long-teins  altribié  plusieurs  livres  de  sortilèges  qui 
circulaient  dans  tous  ces  pays,  et  dont  fait  mention  l'historien 
Josèphe.  Mais  Mahomet  assure  que  ces  livres  étaient  l'ou- 
vrage de  certains  démons  qui  avaient  pris  le  nom  du  plus  sage 
des  rois  (i). 

Laissons  de  côté  nombre  d'autres  personnages  renommés 
sur  lesquels  M.  Keinaud  nous  donne,  d'après  les  orientaux, 
de  curieuses  notices.  Tels  sont  :  Le  fabuliste  Loknian  (2),  qu'ils 
croient  neveu  de  Job  ;  un  certain  Kheder,  que  plusieurs  con- 
fondent avec  le  prophète  Elle;  Jonas,  dont  ils  racontent,  à 
peu  près  comme  nos  livres  saints,  le  long  séjour  dans  le  corps 
de  la  baleiue  ;  Àlexandre-le-Grand,  que  Mahomet  a  désigné 
par  l'homme  â  deux  cornes;  un  Zaclmrie,  qu'ils  confondent 
avec  le  prophète  de  ce  nom,  tout  en  lui  donnant  pour  fils 
saint  Jean-Baptiste;  d'autres  encore,  qu'il  serait  trop  long  de 
citer.  Ce  qui  me  paraît  devoir  nous  intéresser  davantage, 
c'est  l'opinion  qu'ils  ont  (\e  Jésus-Christ,  et  de  sa  mère,  Marie. 

Et  d'abord,  déclarons  hautement  que  le  fondateur  du  chris- 
tianisme est  pour  eux  un  objet  de  vénération.  Ils  lui  attri- 
buent même  quelques  miracles,  un  peu  ridicules,  il  est  vrai, 
que  sans  doute  ils  trouvèrent  rapportés  dans  l'un  ou  l'autre  de 
ces  nombreux  Évangiles  auxquels  on  ajoutait  encore   foi  du 

(1)  Sourate  ii,  vers.  96. 

(2)  Nous  avons  une  traduction  de  ses  fables,  avec  une  iNotice  sur  sa 
vie,  par  M.  Marcel,  ancien  directeur  de  l'iiuprimerie  du  Caire.  Parisj 
)8o3;  1  vol.  in-i  2. 


356  SCIENCES  MORALES 

tcms  de  Mahomet.  C'est  le  prophète  hii-mêmc  qui  relate 
une  partie  de  ces  miracles  dans  quelques  versets  du  Corau 
que  je  consignerai  ici  : 
-  «  Un  jour.  Dieu  rassemblera  les  prophètes,  et  leur  deman- 
dera ce  que  les  peuples  ont  répondu  à  leurs  exhortations... 
Dieu  dira  à  Jésus,  lils  de  Marie  :  Souviens-toi  des  grâces  que 
j'ai  répandues  sur  toi,  et  sur  celle  qui  t'a  enfanté.  Je  t'ai  for- 
tifié par  l'esprit  de  sainteté,  afin  que  tu  instruisisses  les 
hommes,  depuis  ton  berceau  jusqu'à  la  vieillesse.  Je  t'ai  en- 
seigné l'Écriture,  la  sagesse,  le  Pentateuque,  l'Évangile.  Tu 
formas  de  boue  la  figure  d'un  oiseau,  et  ton  soufile  l'anima 
par  ma  permission.  Tu  guéris  im  aveugle  de  naissance  et  un 
lépreux,  par  ma  volonté.  Tu  fis  sortir  les  morts  de  leurs  tom- 
beaux. Je  détournai  de  toi  les  mains  des  juifs(i)  ;  au  miiieu 
des  miracles  que  tu  fis  éclater  à  leurs  yeux,  obstinés 
dans  leur  incrédulité,  ils  s'écriaient  :  Tout  cela  n'est  que 
prestige. 

»  J'inspirai  aux  apôtres  de  croire  en  moi,  et  en  Jésus,  mon 
envoyé,  et  ils  dirent  :  Nous  croyons;  rends  témoignage  de 
notre  foi. 

»  O  Jésus,  fils  de  Marie,  dirent  les  apôtres,  ton  Dieu  peut- 
il  nous  faire  descendre  des  cieux  une  table  préparée?  Crai- 
gnez le  seigneur,  répondit  Jésus,  si  vous  êtes  fidèles. 

»  Nous  désirons,  ajoutèrent-ils.  nous  y  asseoir  et  y  man- 
ger; alors  nos  cœurs  seront  tranquilles.  JNous  saurons  que  lu 
nous  as  prêché  la  vérité,  et  nous  rendrons  témoignage. 

»  Jésus,  fils  de  Marie,  adressa  au  ciel  cette  prière  :  Sei- 
gneur, fais-nous  descendre  une  table  du  ciel.  Qu'elle  soit  une 
fête  pour  le  premier  et  le  dernier  d'entre  nous,  et  im  signe  de 
ta  puissance.  Nourris-nous;  tu  es  le  plus  libéral  des  dispen- 
sateurs. ') 

(i)  Les  inusiilnians  nient  la  passion  el  la  mort  de  Jésiis-Chrisl.  L'AI- 
coran  s'est  expiimé  ainsi  à  ce  sujet  :  «  Les  juifs  croient  avoir  mis  à  mort 
le  Messie,  envoyé  de  Dieu  :  ce  n'est  pas  lui  qu'ils  ont  fait  mourir;  c'est 
quelqu'un  qui  lui  lessemblait.  » 

I.c  Coran.  Souiate  iv,  vers.  i56  el  suiv. 


ET    POLITIQUES.  357 

«  Le  Seigneur  exauça  sa  demande,  et  dit  :  Celui  qui,  après 
cette  merveille,  sera  incrédule,  subira  le  supplice  le  plus  ter- 
rible qu'éprouvera  jamais  aucune  créature,  (i)  » 

Mahomet  parle  aussi  de  la  mère  de  Jésus  comme  d'une 
mortelle  privilégiée;  il  se  fait  dire  par  Dieu  même  : 

«Célèbre  Marie  dans  le  Coran;  célèbre  le  jour  où  elle  s'é- 
loigna de  sa  famille  du  côté  de  l'Orient.  —  Elle  prit  en  secret 
un  voile  pour  se  couvrir,  et  nous  lui  envoyâmes  Gabriel, 
notre  Esprit,  sous  la  forme  humaine. 

»  Elle  conçut,  et  elle  se  retira  dans  un  lieu  écarté.  Les 
douleurs  de  l'enfantement  la  surprirent  près  d'un  palmier,  et 
elle  s'écria  :  Plût  à  Dieu  que  je  fusse  morte  avant  ma  concep- 
tion !  — Ne  t'afflige  point,  lui  cria  l'ange;  Dieu  a  lait  couler 
près  de  toi  un  ruisseau.  Ebranle  le  palmier,  et  tu  verras 
tomber  des  dattes  mûres. 

0  Elle  retourna  vers  sa  famille,  portant  son  fils  dans  ses 
bras.  —  Marie,  lui  dit-on,  il  vous  est  arrivé  une  étrange 
aventure Pour  toute  réponse,  elle  leur  fit  signe  d'interro- 
ger son  fils.  Nous  adresserons-nous,  lui  dît-on,  à  un  enfant 
au  berceau?  —  «Je  suis  le  serviteur  de  Dieu,  répondit  l'enfant. 
Il  m'a  donné  l'Evangile,  et  m'a  établi  prophète....  (2)» 

Voilà  encore  un  miracle  que  les  chrétiens  ne  liseut  dans 
aucun  de  leurs  Évangiles. 

Mais,  si  Mahomet  plaçait  Jésus  au  rang  des  prophètes,  il 
s'en  fallait  bien  qu'il  reconnût  en  lui  une  nature  divine. 

«Ils  disent  que  Dieu  a  un  fils,  s'écrie-t-il,  daus  la  même 
sourate,  en  parlant  des  chrétiens,  et  ils  profèrent  un  blas- 
phème. Peu  s'en  faut  «jue  les  cieux  ne  se  fendent  à  ces  mots, 
et  que  les  montagnes  brisées  ne  s'écroulent  (3)  !  » 

(]e  n'est  pas   avec  moins  d'indignation  qu'il  déclame  sou- 


(1)  Le  Coran.  Sourate  v. 

(2)  A.c  Coran.  Soiirale  xix. 
(S)  Ibid.,  In  fine. 


j58  SC1E>XES  MORVLES 

vent  contre  les  juifs.  Il  les  accuse  d'avoir  altéré  le  Pentateu- 
que,  d'avoir  persécuté  les  prophètes,  etc.  ;  mais  le  vrai  molit' 
de  sa  colère  était  que  les  juifs  de  son  tems  refusaient  obstiné- 
ment de  voir  en  lui  un  envoyé  de  Dieu. 

La  vie  de  ce  législateur  des  musulmans,  qui  fonda  par  la 
parole  et  par  le  glaive,  sur  les  ruines  de  vingt  cultes  divers, 
une  religion  grave,  austère  même,  dans  laquelle  on  ne  peut 
trouver  qu'un  seul  dogme,  l'unité  de  Dieu;  une  religion  rai- 
sonnable dans  son  essence,  et  que  l'on  pourrait  praliq-ier  san- 
prêtres  et  même  sans  temples;  une  religion  qui  domine  au- 
jourd'hui danspresque  toutes  les  contrées  de  l'Orient,  et  qui, 
sans  la  victoire  de  Charles-Martel,  près  de  Poitiers,  serait 
peut-être  celle  de  l'Kurope,  celle  du  monde  entier  :  une  telle 
vie,  dis-je,  devait  sans  doute  tenir  une  place  importante  dans 
l'ouvrage  de  "SI.  Reinaud.  Aussi,  elle  y  remplit  phis  de  cent 
pages  du  premier  volume. 

Nous  avions  déjà  plusieurs  vies  de  Mahomet,  L'Arabe 
Abulfeda,  au  commencement  du  xiv*"  siècle,  en  avait  com- 
posé une,  d'après  les  traditions  qui  s'étaient  conservées  dans 
l'Orient;  traditions  où  quelques  vérités  se  trouvaient  mêlées 
à  un  grand  nombre  de  fables.  Il  avait  aussi  puisé  dans  la  chro- 
nique arabe  de  Thabari,  qui  écrivait  au  x'  siècle,  c'est-à-dire, 
aune  é].o(|ue  bien  plus  voisine  de  celle  où  florissait  Mahomet; 
et  ce  IV. t  là  sans  doute  qu'il  dut  trouver  les  renseignemens 
les  plus  authentiques,  Jean  Gaguier,  Français  réfugié  en  An- 
gleterre, donna,  à  Londres,  en  1723,  une  traduction  latine  el 
le  texte  arabe  de  cette  vie  de  .ALahomel.  File  fut  publiée, 
quelques  années  après,  à  Amsterdam,  traduite  en  français. 
C'est  avec  ces  matériaux,  et  en  mettant  de  plus  à  contribu- 
tion quelques  auteurs  orientaux,  que  le  voyageur  Savaryécri- 
\it,  vers  la  fin  du  dernier  siècle,  une  vie  de  Mahomet,  qui 
remplit  le  premier  volume  picsque  entier  de  sa  traduction 
du  Coran. 

M,  Ueinaud,  venu  après  cet  auteur,  raconte  les  mêmes  évè- 
nemens;  ce  qui  nécessairement  devait  être;  mais  il  y  ajoute 


ET   l'ULlTlQl  ES.  .'ôj) 

quelques parlitulaiités  qu'il  a  puisées  dans  des  luanuscrils  pro- 
bablement inconnus  à  Savary.  Ces  additions  ont  de  l'impor- 
tance :  c'est  ce  que  reconnaît  du  moins  un  de  nos  orientalistes 
les  plus  célèbres  (i),  bien  plus  capable  que  je  ne  puis  l'être 
de  juger  du  mérite  de  ce  travail.  Il  y  a ,  entre  ces  deux  der- 
nières vies  de  Mabomet,  rédigées  l'une  et  l'autre  par  des  bom- 
mes  de  mérite,  une  différence  qu'il  u'est  pas  inutile  peut- 
être  de  remarquer  :  c'est  que  dans  l'une  (celle  de  M.  Reinaud) 
Mahomet  n'est  le  plus  souvent  représenté  que  comme  un  en- 
thousiaste ,  un  fourbe,  un  ambitieux;  que  ses  faiblesses  et  ses 
erreurs  y  sont  minutieusement  retracées;  tandis  que  Sayary 
le  peint  sous  de  tout  autres  couleurs.  S'il  faut  en  croire  ce  der- 
nier, Mahomet  était  un  homme  d'un  génie  éminent,  qui  con- 
naissait parfaitement  le  caractère  de  ses  couîeiiiporaius ,  le 
secret  d'exciter  leurs  passions.  Ecoulons-le,  lorsque,  ré.SM- 
mant  la  vie  de  son  héros,  il  semble  prononcer  lui-même  le 
jugement  que  l'on  en  doit  porter.  »  Mahomet  fut  un  de  ces  hom- 
mes extraordinaires  qui,  nés  avec  des  talens  supérieur?,  pa- 
raissent de  loin  eu  loin  sur  la  scène  du  monde  pour  en  changer 
la  face,  et  pour  enchaîner  les  mortels  à  leur  char.  Lorsque  l'on 
considère  le  point  d'où  il  est  parti,  le  faîte  de  la  grandeur  où 
il  est  parvenu ,  on  est  étonné  de  ce  que  peut  le  génie  humain 
favorisé  des  circonstances.  Né  idolâtre,  il  s'élève  à  la  connais- 
sance d'un  Dieu  unique,  et,  déchirant  le  voile  du  paganisme, 
il  songe  à  donner  un  culte  à  ses  semblables.  L'adversité  qu'il 
éprouve  en  naissant  ne  sert  qu.'à  affermir  une  âme  faite  pour 
braver  tous  les  revers.  Instruit  par  ses  voyages,  il  avait  vu  les 
Grecs,  divisés  dans  leur  croyance,  se  charger  d'anathèmes  ;  les 
Hébreux,  l'horreur  des  nations,  défendre  avec  opiniâtreté  la 
loi  de  Moïse  ;  les  diverses  tribus  arabes  plongées  dans  les  ténè- 
bres de  l'idolâtrie.  Frappé  de  ce  tableau ,  il  se  i-etire  dans  la 
solitude,  et  médite,  pendant  quinze  années,  un  système  de 
religion  qui  pût  réunir  sous  un  même  joug  le  chrétien,  le 
juif  et  l'idolâtre.  Ce  plan  était  vaste,  mais  impossible  dan? 

^i)  y].  SvrvKSTHF  DK  StcY,  flais  !«•  Journal  (hs  Sarai^x,  mars  iSv<). 


ôGo  SCÏEISCES  MORALES 

l'exécution.  Il  crut  en  assurer  le  succès,  en  établissant  un 
dogme  simple,  qui,  n'offrant  à  la  raison  rien  qu'elle  ne  puisse 
conuevoir,  lui  parût  propre  à  tous  les  peuples  de  la  terre  :  ce 
fut  la  croyance  d'un  Dieu  unique,  vengeur  du  crime  et  rému- 
nérateur de  la  vertu.  Mais,  comme  il  lui  Fallait,  pour  faire  adop- 
ter sa  doctrine,  se  dire  autorisé  du  ciel,  il  ajouta  l'obligation 
de  le  regarder  comme  le  ministre  du  Dieu  qu'il  prêchait.  Cette 
base  posée,  il  prit  de  la  morale  du  christianisme  et  du  ju- 
daïsme ce  qui  lui  semblait  le  plus  convenable  aux  peuples 
des  pays  chauds.  Les  Arabes  ne  furent  point  oubliés  dans  son 
plan  :  c'était  principalement  poiu*  eux  qu'il  travaillait.  Il  leur 
rappela  la  mémoire  toujours  chère  d'Abraham  et  d'Ismaël,  et 
leur  fit  envisager  l'islamisme  comme  la  religion  de  ces  deux 
patriarches  (i).  » 

C'est  un  drame  plein  d'intérêt  que  la  vie  du  fondateur  de 
l'islamisme,  quoiqu'elle  n'offre  rien  de  miraculeux,  d'incroya- 
ble. Six  siècles  auparavant,  on  avait  vu  un  autre  fondateur  de 
religion,  né  dans  les  derniers  rangs  de  la  société,  parcourir 
les  villes  et  les  campagnes  de  sa  patrie,  se  proclamant  le  fils 
de  Dieu,  prêchant  à  des  hommes  corrompus  «ne  morale  pure, 
déclamant  contre  les  riches,  établissant  en  principe  régalité 
des  hommes  au  n)ilieu  d'une  nation  composée  de  maîtres  et 
d'esclaves  :  pour  appuyer  sa  mission,  ses  doctrines,  il  opère 
les  plus  éclatans  miracles;  et  pointant  il  ne  séduit  que  peu 
d'esprits,  ne  réunit  que  peu  de  partisans,  est  toujours  per- 
sécuté, pendant  le  peu  d'années  qu'il  lui  était  donné  de  rester 
sui-  la  terre,  et  périt  enfin  du  dernier  supplice,  dans  la  ville 
mêine  où,  quclqyes  jours  auparavant,  il  avait  été  accueilli 
avec  honneur.  Quoi  !  un  houiiue  qui  ressuscite  des  morts,  gué- 
)it  des  aveugles  et  des  boiteux,  nourrit  avec  cinq  pains  et  deux 
poissons  cinq  mille  hommes  accourus  pour  entendre  si  parole, 
change  l'eau  en  vin  ,  etc.,  etc.,  ne  peut  persuader  qu'il  est  l'en- 
voyé de  Dieu!  Là,  tout  étonne,  confond  la  raison  :  l'incré- 
dulité des  juifs, non  moins  que  les  miracles  du  Christ. 

(i)  Le  Coran.  T.  i,  j).  2^0. 


ET  POLITIQUES.  36 1 

Dans  la  vie  de  Mahomet,  au  contraire,  rien  (pie  de  natu- 
rel, que  de  conforme  aux  règles  ordinaires  qui  enchaînent  les 
évènemens  à  leurs  causes.  Né  pauvre  ,  mais  au  sein  d'une  fa- 
mille A'énérée  dans  sa  tribu,  parce  qu'on  en  faisait  remonter 
l'origine  jusqu'à  Abialiam,  il  épouse  une  riche  veuve;  ce  qui 
lui  donne  pouvoir  et  considération  dans  la  IMecque,  sa  ville 
natale.  Aussi  ose-t-il  y  abjurer  les  dieux  que,  pendant  qua- 
rante ans,  il  avait  adorés.  Il  devait  nécessairement  en  résulter 
pour  lui  des  persécutions;  il  s'y  soustrait  en  fuyant  à  Médine, 
ville  rivale  de  la  Mecque.  Là,  grâce  à  son  éloquence,  et 
peut-être  à  sa  richesse,  il  réussit  à  se  donner  un  assez  grand 
nombre  de  sectateurs,  à  la  tête  desquels  il  marche  sur  la  ftlec- 
que,  autant  pour  la  punir  de  ses  dédains  que  pour  y  établir 
sa  nouvelle  religion.  Il  y  entre  en  triomphant,  après  avoir 
battu,  dispersé  ses  adversaires;  et  son  premier  soin  est  de 
renverser  les  56o  idoles  dont  l'ancien  temple  de  la  Mecque 
était  entouré. 

Je  m'arrêterai  ici  un  moment  pour  exprimer  un  regret  :  c'est 
que  M.  Reinaud,  en  décrivantfortbien  celte  grande  époque  de 
la  vie  de  Mahomet,  ne  soit  pas  entré  dans  déplus  grands  détails 
sur  les  attributs  de  ces  36o  idoles,  et  sur  les  divers  cultes  aux- 
quels elles  appartenaient.  Cette  petite  excursion  dans  un  sujet 
qu'à  la  vérité  il  ne  s'était  pas  chargé  de  traiter,  cette  digres- 
sion, si  Ion  veut,  nous  aurait  mieux  fait  connaître  le  genre 
et  la  multitude  des  religions,  qui,  au  vu"  siècle  de  notre  ère, 
s'étaient  répandues  en  Orient.  Mais,  je  le  crois,  les  matériaux 
lui  manquaient;  et  peut-être  neparviendra-t-on  jamais  à  réunir 
sur  ce  sujet  des  notions  bien  exactes.  Et  pourtant  un  savant 
orientaliste  qui  a  rendu  compte,  dans  un  jouiiial  allemand, 
de  l'ouvrage  de  31.  Reinaud,  raconte  la  destruction  des  idoles 
de  la  Mecque  avec  quelques  détails  qui  ne  sont  point  à  dédai- 
gner, et  que  je  crois  devoir  répéter  ici. 

«  La  Caaba,  dit  M.  Neumann  (i)  ,  était  alors  entourée  de 
56o  idoles,  consacrées  chacune  à  un  jour  particulier  de  l'année 

(i)  Dans  le  Knnsi-Blult,  journal  piiblit'  à  Stiittgail  :  n"  '\.  jaiiv.  iSzy. 


562  SCIENCES  .MORALES 

lunaire  des  Arabes;  elles  étaient  faites  de  bois,  de  pierre,  d( 
verre  et  de  bronze;  les  unes  avaient  des  ligures  huBiaines  ; 
d'autres,  des  figures  arigéliques;  d'autres  encore  étaient  des 
masses  informes.  La  plus  grande  de  ces  idoles  s'ippelait  Habol, 
et  venait  de  la  Syrie,  où,  suivant  la  tradition,  elle  était  tombée 
du  ciel,  et  était  adorée  comme  le  dieu  de  la  pluie  {Jupiter 
Pluvius).  Sa  figure  étaitcelle  d'un  vénérable  vieiîlaid  à  longue 
barbe;  sa  main  droite  était  d'or.  Mahomet  s'approcha  de  ces 
prétendues  divinités,  les  toucha  d'une  baguette,  cl  dit  :  «  La 
vérité  s'est  montrée  pour  que  le  mensonge  di<sparaissç  »  ;  et 
en  même  teras  ces  idoles  furent  mises  en  pièces  par  des  secta- 
teurs. Peu  avant  Mahomet,  le  judaïsme  avait  fait  de  grands  pro- 
grès en  Arabie  :  des  tribus  entières,  telles  que  celles  despuissans 
chaibar,  avaient  end)rassé  la  doctrine  de  Moïse;  et  de  là  viiil 
sans  doute  que  dans  la  Caaba  se  trouvaient  les  statues  iVAhru 
ham  et  iVIsmaël.  Ces  ancêtres  de  toute  la  nation  arabe  ne 
furent  [las  épargnés  nou  plus;  letn-s  stntues  furent  également 
brisées.  Après  cette  action,  qui  fut  regardée  avec  eflVoi  par  une 
grande  partie  du  peiqile  idolâtre,  Maliouiet  assend)la  tous  ses 
sectateurs,  et  dit  :  «  Il  n'y  a  point  d'autre  Dieu  que  le  Dieu 
qui  a  rempli  toutes  les  promesses  qu'il  avait  faites  à  son  ser- 
viteur, et  qui  a  mis  ses  ennemis  en  fuite.  Désormais  vous 
n'adoicrez  plus  vos  pères  Abraham  et  Ismaël  ;  ils  étaienl 
hommes  comme  vous.  »  Mahomet  voulait  empêcher  (|iie  la 
religion  du  Dieu  unique  et  éternel  ne  dégénérât  avec  le  teuis 
en  un. culte  d'idoles  et  d'images,  et  il  défendit  à  cet  effet  toute 
représentation  matérielle  de  la  Divinité.  La  peinture  et  la 
sculpture  lui  étaient  égalemeut  odieuses.  En  cela  il  se  confor- 
mait enlièremeut  aux  irlées  des  Juifs.  '> 

Le  succès  enhardit  :  Mahomet  tenta  bien  lot  de  plus  grandes 
entreprises.  Cène  fut  plus  sur  la  Mecque,  sur  l'Arabie  seule, 
(pi'il  voulut  dominer;  il  crut  pouvoir  étendre  sa  domination, 
avec  le  nouveau  culte,  siu-  des  contrées  que  les  Juifs,  les  Grecs, 
soumis  aux  lloinaius  dégénérés,  n'étaient  plus  eu  éteit  de  dé- 
fendre. Le  désir  du  pillage,  autant  qu»;  le  fanatisme  religicftx 
que  Mahomet  savait  si  bien  inspiver,  avait  réuni  sous  ses  dra- 


liT  POLlTiQlES.  Tikiô 

peaux  des  lioiipes  nombreuses.  Partout  oi\  elles  se  présen- 
taient, il  fallait  croire  au  Dieu  de  Mahomet  ol  payer  tribut. 
Voilà  ce  qui  explique  la  rapide  propagation  de  IMsIaniisme. 

Pour  faire  croire  à  sa  mission  de  prophète,  de  réformateur, 
il  n'eut  pas  besoin  de  recourir  à  des  miracles.  Lorsqu'il  coni- 
luença  à  prêcher  sa  doctrine,  on  lui  demanda  bien  qu'à  l'exemple 
du  fondateur  du  christiauismc  il  prouvât  par  quehpies  miracles 
(|u'il  était  véritablement  l'envoyé  de  Dieu;  mais  il  répondait  qu'il 
était  venu  non  pour  faire  des  miracles  auxquels  le  plus  sou- 
vent on  n'ajoute  pas  foi,  mais  pour  annoncer  la  parole  divine. 
Quand  il  eut  long-tems  répété  qu'il  était  le  favori  de  Dieu, 
mais  surtout  après  vingt  victoires  éclatantes,  on  ne  se  permit 
plus  d'en  douter;  et  lui-même  peut-être  a  bien  pu  le  croire. 
De  grands  désastres  lui  auraient  sans  doute  ôté  cette  orgueil- 
leuse opinion  ;  mais,  plus  heureux  qu'un  aulic  conquérant  de 
nos  jours,  qui  ne  fut  ni  moins  ambitieux,  ni  moins  confiant  en 
sa  fortune,  il  n'éprouva  jamais  d'irrémédiable  calamité;  et, 
s'il  mourut  empoisonné,  ce  fut  le  tardif  elTet  de  la  vengeance 
d'une  femme. 

C'est  une  chose  remarquable  que  es  fondateurs  des  deux 
religions  qui  se  partagent  le  monde  presque  entier  n'ont  rien 
écrit  de  leurs  dogmes  ni  de  leurs  préceptes.  Si  les  évangélistes 
n'eussent  pas  raconté  dans  leurs  écrits  ce  qu'ils  avaient  vu  ou 
entendu  dire,  nous  ne  saurions  rien  de  certain  sur  l'Etre  divin 
qui  était  venu  laver  le  genre  humain  de  la  tache  originelle  : 
peut-être  même  ignorerait-on  que  Jésus  a  existé  ;  car  il  n'a 
laissé  aucune  trace,  aucun  document  autographe  de  son  pas- 
sage sur  la  terre.  Et  quant  à  Mahomet ,  il  n'écrivit  rien  non 
plus,  car  il  ne  savait  pas  écrire  :  il  dictait  ce  que  Dieu  lui  inspi- 
rait par  l'entremise  de  l'ange  Gabriel,  et  ses  paroles  recueil- 
lies sur  des  morceaux  de  parchemin  étaient  déposées  pêle-mêle 
dans  un  coffre,  que  l'on  n'ouvrit  qu'après  sa  mort.  Ce  fut  son 
oncle  Abubeckre  que  l'on  chargea  de  former  de  tous  ces  frag- 
mens  des  discours  de  Mahomet  ce  fameux  Coras  (  le  lirre  par 
excellence;,  qui  est  le  (]ode  religieux  et  civil  de  la  moitié  du 
moude.  ïlestpo^sible  qu'Abid3e(  kre  n'eu  aii  rien  rctraiiclic,  n  y 


564  SCIENCES  MORALES 

ait  rien  ajouté;  et  dans  cette  hypothèse  nous  aurions  l'ouvrage 
même  de  Mahomet,  quoiqu'il  ne  soit  pas  de  sa  main.  Cepen- 
dant, n'en  doutons  pas,  s'il  en  eût  coordonné  les  parties,  qu'il 
l'eût  enfin  rédigé  lui-même,  il  y  eût  mis  un  meilleur  ordre,  il 
en  eût  retranché  les  contradictions,  les  obscurités,  et  de  fati- 
gantes répétitions.  Ce  livre,  si  imparfait  aux  veux  des  Euro- 
péens, passe  dans  tout  l'Orient  pour  un  chef-d'œuvre  de  style  ; 
ce  qui  prouve  du  moins  que  Mahomet  était  naturellement  élo- 
quent, ou  qu'il  a  toujours  eu  d'habiles  secrétaires. 

Le  Coran,  comme  je  l'ai  dit  précédeinnient,  ne  contient 
qu'un  seul  dogme,  l'unité  de  Dieu.  La  religion  de  Mahomet  ne 
serait  donc  que  le  déisme  pur,  si  l'on  n'eût  tiré  d'un  principe 
unique  de  singuliers  et  souvent  d'absurdes  corollaires.  Maho- 
met lui-même  avait  senti  qu'une  religion  dén\iée  d'institutions 
de  toute  espèce,  qui  n'eût  consisté  que  dans  l'adoration  de 
l'Etre-Suprême ,  ne  pourrait  facilement  s'introduire  chez  les 
peuples  de  son  tems,  livrés  à  des  superstitions  sans  nombre, 
plies  sous  le  joug  d'usages,  de  préjugés  devenus  pour  eux  des 
habitudes,  des  besoins.  N'a-t-on  pas  remarqué  que,  chez  les 
chrétiens,  les  apôtres,  ou  du  moins  ceux  qui  les  ont  immédia- 
tement suivis  et  que  l'on  doit  regarder  comme  les  vrais  pro- 
pagateurs du  christianisme,  les  Pères  de  l'Eglise,  comme  on  les 
nomme,  avaient  été  obligés  de  conserver,  eux  aussi,  certaines 
institutions  et  cérémonies  païennes  :  telles,  par  exemple,  les 
ablutions  par  l'eau  bénite  à  la  porte  des  temples;  les  statues, 
les  décorations  fastueuses  dans  les  temples  mêmes  ;  les  pro- 
cessions solennelles,  etc.  :  telles  encore  les  prières  chantées 
avec  accompagnement  d'insfrumens  de  musique,  et  même 
les  jeux  di!  cirque,  ainsi  que  toutes  ces  cérémonies  burlesques 
qui,  peniJant  toute  la  durée  du  mo^'en  âge,  otaient  au  culte 
chrétien  sa  pureté  et  sa  décence? 

Par  cette  raison  qu'une  religion  trop  simple,  sansespérances 
ou  sans  menaces  pour  une  existence  à  venir,  n'eût  pu  être 
appréciée  par  des-peuples  amis  du  merveilleux,  d'une  imagi- 
nation vive  et  brillante  ,  mais  ignorans  et  élevés  dans  l'oubli 
«ic  tout  ce  qui  est  iriorale.  humanité,   justice.  Mahomet  cou- 


ET  POLIÏIQUES.  365 

sei'A'a  plusieurs  usages  admis  de  toule  ancienneté,  sans  que 
l'on  puisse  en  concevoir  l'ntililé  :  la  circoncision,  par  exem- 
ple, qui,  surtout  chez  les  Juifs,  était  une  Irés-ancienuc  {)rescrip- 
tion,  à  laquelle  on  obéissait,  même  au  tems  d'Abraham  et  de 
Jacob  (i).  Mais  il  faut  dire  que  Mahomet  n'ordonna  point 
strictement  cette  cruelle  et  ridicule  opération.  Il  n'adopta 
point  non  plus  sans  restriction  la  polygamie.  De  son  tems,  les 
Arabes,  et  en  général  tous  les  peuples  du  Midi,  pouvaient 
prendre  autant  de  fenmies  qu'il  leur  plaisait  d'en  avoir;  il 
borna  à  quatre  (et  ce  nombre  est  bien  sulïisant  sans  doute) 
le  nombre  des  femmes  que  peut  épouser  un  musulman  ;  mais, 
en  revanche,  il  permit  les  concubines  en  nombre  illimité. 

C'est  une  erreur  trop  répétée,  qu'il  ne  reconnaît  point  aux 
femmes  d'âmes  de  même  nature  que  celles  des  hommes ,  et 
qu'il  les  exclut  de  son  paradis.  Loin  de  là  ;  on  trouve,  dans  le 
Coran  même,  le  texte  du  serment  qu'elles  doivent  prononcer 
en  embrassant  l'islamisme;  et,  certes,  il  n'a  pas  oublié  leurs 
intérêts  dans  ce  monde,  puisqu'il  prescrit,  en  maint  endroit, 
de  leur  restituer,  en  cas  de  divorce,  tout  ce  qu'elles  ont  ap- 
porté, et  même  plus  qu'elles  n'ont  apporté  ;\  leurs  maris. 

Il  ne  prohibe  point  d'une  manière  positive  le  vin  et  les  jeux 
de  hasard  ;  il  conseille  seulement  de  s'en  abstenir.  «O  croyans, 
dit-il,  le  vin,  les  jeux  de  hasard,  les  statues  et  le  sort  des  flè- 
ches (2)  sont  une  abomination  inventée  par  Satan  :  abstenez- 
vous-en,  de  peur  que  vous  ne  deveniez  pervers.  —  Le  démon 
se  servirait  du  vin  et  du  jeu  pour  allumer  parmi  vous  le  feu 
des  dissensions,  etYOus  détourner  du  souvenir  de  Dieu  et  de 
la  piière.  Youdriez-vous  devenir  prévaricateurs?  Obéissez  à 
Dieu,  à  son  apôtre,  et  craignez  (5).  » 

C'est  de  ce  style  qu'il  recommande  le  jeûne  du  Ramazan  (le 
jeûne  du  mois  où  le  Coran  lui  fut  apporté  par  Gabriel;  ;  l'usage 

(1)  Voyez  Genèse,  chap.  xxxiv,  vers.  i4i  i5  et  suiv. 

(2)  C'était  une  espèce  de  diçination  par  des  flèches,  en  usage  avant 
Mahomet. 

(3)  Le  Coran.  Sourate  x. 


5G0  SCIENCES  MORALES 

des  viandes  de  tout  teins  réputées  immondes  cliez  les  Arabes  ; 
les  fréquentes  ablutions  ;  les  prières  que  doivent  faire  les  mu- 
suhiians,  le  visage  touiné  vers  la  Caaba,  etc.  ,  etc.  Quel  parti 
n'ont-ils  pas  su  tirer  de  ces  prescriptions,  les  hommes  intéres- 
sés à  exploiter  la  crédulité  de  leurs  compatriotes  ;  ces  ulémas, 
ces  imans,  dont  le  métier  est  de  mettre  à  profit  les  erreurs  et 
les  superstitions  ! 

Le  Coran,  comme  la  Bible,  comme  l'Evangile,  a  été  expli- 
qué, commenté  par  des  centaines  de  docteurs,  de  théologiens, 
qui  y  ont  trouvé  tout  ce  qu'il. était  de  leur  avantage  de  faire 
croire,  d'instituer  ;  et  ces  explications  et  ces  commentaires  ont 
produit  diftérentes  sectes,  qui  toutes  s'abhorrent  entre  elles. 
qui  ne  s'unissent  que  dans  leur  haine  contre  les  juifs  et  les 
chrétiens. 

Quand  on  lit  le  Catécinsme  des  musulmans,  on  a  peine  à 
s'expliquer  qu'un  culte  qui  exige  tant  de  pratiques  austères 
ait  pu  jamais  être  adopté  par  des  nations  naturellement  indo- 
lentes, et  qui  ne  connaissent  d'autres  plaisirs  que  les  plaisirs 
des  sens.  Nous  avons  une  traduction  fiançaise  de  l'un  de  ces 
catéchismes,  très-estimé  surtout  en  Turquie  (i).  On  le  croi- 
rait soiti  du  cerveau  de  f(uel(pie  moine  du  xii*^  siècle  ;  tant  il 
contient  d'idées  mystiques  ;  tant  il  recoiumandc  de  piatiques 
minutieuses  et  puériles.  C'est  là  qu'après  la  définition  des  prin- 
cipaux dogmes  (et  ce  sont  les  mêmes  à  peu  près  que  ceux  de 
toutes  les  religions  dans  lesquelles  le  polythéisme  est  proscrit), 
on  voit  quelles  sont,  dans  la  reli-gion  musulmane  ,  les  obliga- 
tions et  les  prohibi'ions.  On  y  distingue  très-subtilement  les 
ariiclcs  d^obligatio?!  divine  et  ceux  û' obligation  canonique  ;  les 
pratiq'jes  nécessaires  de  celles  qui  sont  suicrogatoires ,  etc.  En 
vérité,  la  Sorbonne  en  corps  n'aurait  pu  mieux  faire.  On  y  dé- 
finit les  vertus  dont,  comme  dit  le  docteur  musidman,  on  doit 
s'appliquer  à  orner  son  cœur.  Ce  sont  :  La  patience,  la  confir.nce 
en  Dieu,  la  sincérité,  l'humilité,  la  piété;  les  vices  sont  :  Les 

(i)  Exposition  (II-  lu  foi  mitsiitmane,   traduite  du  turc  avec  des  notes, 
par  M.  Gahcin  de  Tassi.  i'inis,   1822,  Ir;-8". 


I:T  POLIilOllES.  -fi^ 

jugeriicns  léiiUTaires,  l'iiypocrisie,  l'envie,  l'orgueil,  l'anioiii- 
(lu  monde,  les  passions  qui  portent  à  aimer  avec  exagération 
les  bons  mets,  les  femmes,  etc.  Pour  plus  de  clarté,  l'auteur 
du  catéchisme  énumère,  dans  un  chapitre  spécial,  tous  les  pé- 
chés que  l'on  peut  commettre  par  les  différens  membres  du 
corps  :  par  Voreille,  par  exemple?  Il  ne  faut  écouter  ni  mu- 
sique, ni  médisances,  ni  discours  obscènes;  par  les  yeux"?  «Il 
est  défendu  à  tout  fidèle,  de  quelque  sexe  qu'il  soit,  de  regar- 
der du  nombril  aux  genoux,  les  liommes  ;  à  la  femme,  de  re- 
garder du  nombril  auxgenoux,  une  personne  de  son  sexe  (i).  » 
—  On  me  dispensera,  j'espère,  de  détailler  les  péchés  que, 
suivant  notre  docteur,  on  peut  commettre  par  tous  les  autres 
membres. 

Pour  que  les  crimes  fussent  punis  ,  et  les  actions  vertueuses 
récompensées,  il  fallait  bien  que  Mahomet  promît  aux  croyans 
un  enfer  et  un  paradis.  Son  enfer  est  à  peu  près  celui  des  chré- 
tiens ;  mais  il  n'en  a  pas  fait  les  peines  éternelles  :  quant  à  son 
paradis ,  il  comprend  bien  dans  le  bonheur  dont  jouiront  les 
justes  la  contemplation  de  Dieu  ;  mais  il  leur  promet  aussi 
quelques  autres  plaisirs  accessoires  dont  les  apôtres  du  Christ 
n'ont  pas  cru  devoir  nous  offrir  l'espérance.  Écoutons-le  lui- 
même;  il  est  vraiment  poète  d-ans  la  description  qu'il  fait  de 
son  paradis. 

«Les  élus  seront  les  plus  près  de  l'Eternel;  —  Ils  habite- 
ront le  jardin  des  délices.  — Un  grand  nombre  des  anciens  et 
quelques  modernes  seront  ces  hôtes  heureux,  — Ils  reposeront 
sur  des  lits  enrichis  d'or  et  de  pierres  précieuses';  ils  se  regarde- 
ront avec  bienveillance  ;  ils  seront  servis  par  des  enfans  doués 
d'une  éternelle  jeunesse,  qui  leur  présenteront  du  vin  exquis 
dans  des  coupes  de  différentes  formes.  Sa  vapeur  ne  leur  mon- 
tera point  à  la  tête,  et  n'obscurcira  point  leur  raison.  Ils  au- 
ront à  souhait  les  fruits  qu'ils  désireront,  et  la  chair  des  oi- 
seaux les  plus  rares.  — Près  d'eux  seront  les  houris  aiix  yeux 


(i)  Exposition  de  la  fui  musulmane,  traduite  du  turc  avec  des  notes, 
par  M.  Gabcim  de  Ta-si.  Pai  is,  182Z.  p.  ôj. 


368  SCIENCES  MORALES 

noirs  :  la  blancheur  de  leur  teint  égale  l'éclat  des  perles.  Leurs 
faveurs  seront  le  prix  de  la  vertu  —  Les  discours  frivoles  se- 
ront bannis  de  ce  séjour;  le  cœur  n'y  sera  point  porté  au  mal; 
on  n'y  entendra  qiie  le  doux  nom  de  paix  (i).  » 

Voilà  comme  il  fallait  pailer  à  des  hommes  tout  sensuels, 
d'une  imagination  ardente  et  voluptueuse.  Mais,  par  cela 
même,  par  une  conséquence  de  ces  qualités,  ou,  si  l'on  veut, 
de  ces  défauts,  ils  étaient  continuellement  entraînés  vers  l'ido- 
lâtrie. Dans  les  statues,  ils  vo^-aient  des  êtres  surnaturels  tou- 
jours prêts  à  écouter  leurs  yœnx,  à  satisfaire  leurs  désirs  sans 
cesse  renaissans.  Que  d'efforts  il  fallut  à  Mahomet  pour  déra- 
ciner une  si  douce  erreur  dans  sa  superstitieuse  nation.  Moïse 
avait  dit  en  vingt  endroits  aux  Hébreux  :  «Vous  ne  fabriqiieiez 
point  des  images  de  bêtes  terrestres,  ni  aquatiques;  y.el  il  en 
donnait  aussitôt  le  motif  :  Ne  forte  deccpti  faciaiis  vobis  sculp- 

tam  similitudlnem  aiif  imaginem  maxciiU  et  femince Nefortè^ 

eleratis  acl  cœLum  oculis ,  vidcas  solem  et  lunam,  et  oninia  astra 
cœli  ;  et  errore  deceptas  adores  ea  et  colas  quœ  creavit  dominus 
tuas  in  ndnisleriam  cunctii  gentibus  quœ  sub  cœlo  sunt  (2). 

Ce  fut^ar  ces  mêmes  raisons  que  Mahomet,  adoptant  dans 
toute  son  étendue  le  précepte  de  Moïse,  ne  cessa  de  lancer  les 
foudres  de  son  élo(iuence  contre  les  statues,  les  images  quel- 
conques d'objets  animés.  Sans  la  rigoureuse  défense  qu'il  fit 
aux  croyaus  de  fabriquer  de  telles  images,  avec  quelle  ardeur, 
et  probablement  avec  quel  talent,  la  nation  éminemment  poé- 
tique à  la(|uelle  il  appartenait  n'aurait-elle  pas  représenté  sur 
le  marbre  on  sur  la  toile  toutes  ces  fables  ingénieuses  et  si  va- 
riées ,  ces  contes  merveilleux  qu'elle  invente  avec  tant  de  faci- 
lité. LesOrientaux  ne  s'expriment  que  par  figures,  queparmé- 
taphores,  ne  raisonnent  que  par  paraboles;  ils  auraient  peint 
ou  sculpté  les  sujets  de  leurs  discours,  et  tout  ce  qu'ils  auraient 
voulu  confier  à  la  mémoire  de  leurs  contemporains,  ou  faire 
passera  la  postérité.  Ainsi  firent  les  anciens  Égyptiens  et  les 

(i)  Le  Coran.  Sourate  i,vi. 

(2)  ZJeutcr.,  cap.  iv,  vers.  16,  17,  18,  ig. 


ET  rOUTIQLES.  56<y 

t^rccs;  l'Arabie  aurait  eu  aussi  ses  artistes  célèl)res,  et  peut- 
f lie  en  plus  grand  nombre  que  n'en  compte  aujourd'hui  l'Jùi- 
rope,  parce  que  l'Europe  est  plus  raisonneuse,  plus  positive, 
moins  poétique.  L'investigateur  des  monumens  orientaux  au- 
rait eu  une  tâche  plus  agréable  à  remplir,  plus  facile  que  celle 
d'expliquer  de  monotones  inscriptions  :  ses  recherches  au- 
raient eu  pour  objet  de  véritables  monumens  de  l'art,  des  ta- 
bleaux, des  bas-reliefs,  etc. 

Mais  les  inscriptions,  je  me  plais  à  le  répéter,  sont,  sous 
d'autres  rapports  que  ceux  de  l'art,  d'un  très-grand  intérêt  :  ce 
qui  le  prouverait,  c'est  le  grand  nombre  des  observations 
qu'elles  m'ont  suggérées  dans  cet  article.  Peut-être  aussi  les 
ai-je  trop  multipliées  :  c'est  un  tort  dont  je  prie  le  lecteur  de 
m'absoudre. 

Il  reste  un  autre  travail  à  entreprendre,  et  que  j'imposerais 
volontiers  au  savant  orientaliste  dont  l'ouvrage  vient  de  m'oc- 
cuper  si  long-tems  :  ce  serait  de  nous  donner  aussi  la  des- 
cription et  l'explication  des  monumens  arabes  antérieurs  à 
l'ère  de  Mahomet.  Sans  doute  il  existe,  et  en  assez  grand  nom- 
bre, de  ces  monumens,  puisque,  dans  un  Mémoire  qui  fait 
partie  du  grand  ouvrage  sur  l'Egypte,  je  trouve  un  paragraphe 
qui  a  pour  titre  :  Des  Caractères  employés  par  les  Arabes  dans 
teurs  inscriptions,  avant  fliégyre^i).  Il  y  a,  si  je  ne  me  trompe, 
de  pénibles  recherches  à  faire  à  ce  sujet;  car  la  langue  et  l'é- 
criture arabe  ont  subi,  si  j'en  crois  le  Mémoire  que  j'ai  cité,  un 
changement  presque  total,  au  tems  de  Mahomet;  mais  toute 
découverte  en  ce  genre  serait  accueillie  avec  empressement 
par  les  érudits.  — M.  Reinaud  a  prouvé  que  les  difficultés  ne 
sauraient  l'arrêter  ;  l'ouvrage  que  je  lui  propose  est  le  préli- 
minaire indispensable  de  celui  qu'il  a  publié, 

Amaury  Du  val  , 
De  l' Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres. 


(i)  Voyez,   dans   le  grand  ouvrage  sur  l'Egypte,    les    Mémoires   de 
M.  Marcel. 

T.  XLVIII.   AOVï   l83o.  34 


LITTERATURE. 


Comédies  d'Aristophane,  traduites  fin  grec  par  M.  Artai:»- 
proEesseur  au  collège  de  Louis-Io-Grand  (i). 

Il  est  impossible  de  juger  sérieusement  le  théâtre  d'Aristo- 
phane, ou  même  de  comprendre  ce  que  sont  ses  pièces,  si 
l'on  ne  possède  des  notions  exactes  sur  l'état  politique  et  mo- 
ral du  peuple  pour  qui  elles  furent  composées ,  et  si  l'on  ne 
se  reporte  à  l'époque  où  elles  furent  représentées.  Toutes  ces 
connaissances  ont  manqué  à  Voltaire;  et,  quand  il  a  prononcé 
qu'Aristophane  n'était  ni  fioète,  ni  comique,  il  a  fait  plus  de 
tort  à  son  propre  jugement  qu'à  celui  qu'il  censurait  avec  tant 
de  légèreté.  Molière  a  déjà  besoin  de  commentaire,  au  moins 
pour  être  entièrement  compris;  et  si,  d'ici  à  deux  mille  deux 
cents  ans,  des  étrangers  se  mêlent  de  l'apprécier,  ils  feront 
sagement  d'étudier  d'abord  le  siècle  de  Louis  XIV,  pour  échap- 
per au  danger  des  décisions  aventurées  et  des  critiques  sans 
fondement. 

Parmi  nos  lecteurs,  il  en  est  plus  d'un  sans  doute  qui,  à 
Athènes  comme  à  Paris,  se  trouve  en  pays  de  connaissance. 
Four  ceux  auxquels  l'anliquKé  est  moins  familière,  nous  es- 
quisserons le  tableau  de  la  république  et  de  la  société  Athé- 
niennes, à  l'époque  de  Périclès,  de  telle  sorte  qu'en  s'y  trans- 
portant ils  cessent  d'y  être  étrangers.  Cet  essai  leur  foiu-nira 
peut-être  le  moyen,  de  s'aboucher  avec  Aristophane,  de  com- 
prendre son  langage,  d'entrer  dans  ses  idées,  de  saisir  les  rap- 

(i)  Paris,  1829  et  i85o;  Ain)é  André.  6  vol.  grand  in-ôa  ;  prix,  21  fr. 


LITTERAÏUIIK  3;  i 

ports  qui  ont  existé  entre  ses  combinaisons  dramatiques  et  les 
ciironslaiiccs  sous  l'intliience  desquelles  il  écrivait. 

Tout  en  investissant  le  peuple  de  la  souveraineté,  Solon 
avait  donné  de  puissans  contrepoids  à  la  démocratie.  Ces  con- 
trepoids avaient  été  emportés  par  Clisthènes,  Aristide  et  sur- 
tout Périclès.  Au  tems  de  la  guerre  du  Péloponèse,  les  projets 
de  lois,  sur  lesquels  le  peuple  votait,  avaient  cessé  d'être  exa- 
minés et  discutés  préalablement  par  le  sénat.  La  paix,  la  guerre, 
les  alliances,  les  impôts,  la  législation,  tout  était  du  ressort 
du  peuple  :  il  prononçait  sur  tout,  sans  préparation  et  sans 
autres  conseils  que  ceux  de  ses  orateurs,  dont  on  n'exigeait 
plus  aucune  garantie  de  talent  et  de  probité  politique.  Quand 
l'ignorance,  le  caprice,  ou  la  corruption  de  la  multitude,  com- 
promettaient les  grands  intérêts  de  l'État,  ses  folies  ne  pou- 
vaient plus  être  corrigées,  depuis  qu'on  avait  affranchi  ses 
arrêts  de  la  sanction  des  archontes,  de  la  révision  et  de  la  cas- 
sation de  l'aréopage.  Lorsqu'elle  empiétait  sur  les  droits  de 
ses  magistrats  ou  des  corps  étalilis  par  ia  constitution,  l'aréo- 
page se  trouvait  encore  hors  d'état  de  la  refouler  dans  ses  limi- 
tes, parce  qu'il  avait  perdu  lui-même  cette  haute  surveillance , 
indépendante  de  son  pouvoir  judiciaire,  et  correspondante  à 
l'autorité  des  éphores  de  Sparte  et  des  censeurs  de  Rome.  Ces 
funestes  innovations  étaient  dues  à  Périclès,  qui,  en  avilissant 
le  sénat  et  l'aréopage,  en  leur  ôtant  leurs  attributions  primi- 
tives, avait  arraché  les  deux  ancres  sur  lesquelles  Solon  avait 
arrêté  le  vaisseau  de  l'Etat.  Du  vivant  de  Périclès,  on  n'avait 
pas  éprouvé  les  effets  de  l'extension  extravagante  donnée  par 
lui  au  piincipe  démocratique,  parce  qu'il  avait  hérité  de  toute 
l'influence  qu'il  enlevait  aux  deux  premiers  corps  de  l'État; 
parce  qu'il  avait  concentré  entre  ses  mains  les  élémens  mo- 
narchiques déposés  au  sein  de  la  république  par  le  législa- 
teur; parce  qu'il  avait  usé  de  sa  royauté  viagère  pour  dominer 
et  conduire  un  peuple,  souverain  de  nom  et  de  droit,  mais,  par 
le  fait,  sujet  de  son  génie;  parce  qu'il  l'avait  sauvé  de  son  inca- 
pacité ,  de  sa  pétulance,  de  son  aunbition. 

Mais,  à  la  mort  de  Péri?lès,  dont  les  beaux-art?,  protégés  par 


.-.72  LITTÉIIATURK.  / 

lui,  ont  prolégt*  ù  leur  loiir  la  iii('nioire,en  couvrant  d'iin  voile 
brillant  les  fautes  de  l'homme  d'État,  les  choses  reprirent  leur 
cours  naturel,  et  ce  cours  fut  déplorable.  Les  corps  politiques 
ne  purent  re^sal>ir  leurs  anciennes  prérogatives ,  le  peuple 
garda  ses  usurpations,  et  il  posséda  tout  ensemble,  dans  le 
pouvoir  législatif,  l'examen  préalaJde ,  le  vole  inmiédiat  et  la 
sanction. 

La  prospérité  de  la  république  était  déjà  inconciliable  avec 
cette  intempérance  de  pouvoir  législatif  accordée  au  peuple. 
Toutefois  ce  n'était  là  que  le  premier  des  empiéfemens  po- 
pulaires, et  la  liste  en  est  si  longue  qu'il  faut  se  borner  à  rap- 
peler les  ])rin«Mpaux.  Aux  termes  de  la  constitution  de  Solon, 
les  magistrats  devaient  être  choisis  exclusivement  dans  les  trois 
premières  classes;  l'autorité  résultant  de  ces  magistratures 
-devait  appartenir  seulement  à  ceux  qui,  par  leur  fortune,  of- 
fraient des  garanties  suffisantes  à  la  chose  pu!)lique.  Dans  les 
assen>l)lées  où  ils  étaient  élus,  comme  dans  celles  où  l'on  dé- 
libérait sur  les  lois,  les  citoyens  âgés  de  plus  de  cinquante  ans 
votaient  les  premiers  :  chacun  sent  la  sagesse  d'une  pareille 
disposition;  en  effet,  comme  le  remarque  Montesquieu,  si  les 
conseillers  sont  utiles  aux  rois,  ils  !«ont  indispensables  au  peu- 
ple. Enfin  les  hommes  entachés  d'infamie  étaient,  dans  le 
principe,  suspendus  du  droit  d'élection  et  de  suffrage. 

Après  Périclès,  et  au  tems  d'Aristophane,  les  changemens 
introduits  successivement  dans  la  constitution  avaient  ren- 
versé toutes  les  barrières  opposées  à  la  domination,  disons 
mieux,  au  despotisme  de  la  populace.  Aussi  quelles  erreurs, 
quelles  folies,  dans  Kîclioix,  (Unis  la  destitution  des  magistrats 
et  des  généraux!  Le  marchand  de  lanternes  Hyperbolus,  le 
corroyeur  Cléon,  obtiennent  la  conduite  des  affaires  et  des  ar- 
mées. C'est  peu  qu'ils  ililapident  le  trésor,  qu'ils  détournent  à 
leur  profit  les  sommes  destinées  à  la  solde  et  à  l'eatretien  de.s 
troupes  :  Cléon  mène  les  soldats  d'Athènes  à  une  mort  certaine 
sous  les  murs  d'Amphipolis,  et  perd  en  un  jour  la  supériorité 
qu'Athènes  avait  péniblement  conquise  par  cinq  ans  de  victoi- 
!■<'&.  Alcibiade  est  seul  capable  d'assurer  le  succès  de  l'expédi- 


LlTTEllATURE.  5*5 

tîoii  (le  Sicile  :  Akibiatle  est  dépouillé  du  commandoment,  et 
la  Ibiluiie  d'Alhènes  va  taire  naufiafïe  dans  le  jxni  de  Syra- 
cuse. Plus  tard,  lorsqu'il  ne  s'agit  plus  pour  Athènes  de  la  su- 
prématie, mais  de  l'existence  même,  on  replace  AlcJbiadc  à  la 
tête  des  troupes.  Engage  des  services  qu'il  peut  rendre,  il 
donne  les  victoires  d'Abydos  et  de  Cyzique.  Ce?  victoires  ne 
peuvent  lui  sauver  une  seconde  destitution;  celle  des  x\)ginu- 
ses  ne  peut  garantir  ses  successeurs  d'une  plus  cruelle  dis-- 
grâce.  Le  peuple  livre  la  dernière  armée  et  la  dernière  flotte 
de  la  patrie  à  des  généraux  dont  les  uns  sont  à  peine  dignes 
de  figurer  dans  les  derniers  rangs,  dont  les  autres,  tels  qu'A- 
dimante,  sont  payés  par  Lacédémone  pour  trahir  leurs  conci- 
toyens. La  défaite  d'OEgos-Potamos  livre  Athènes  à  la  tyrannie 
des  Trente  et  au  joug  de  l'étranger.  Tels  étaient  les  incroyables 
désordres,  les  déplorables  résultats,  pour  lesquels  les  bons  ci- 
toyens n'avaient  pas  assez  d'indignation  et  de  douleur. 

iMais  ne  pouvaient-ils  donc,  au  lieu  de  se  lamenter  inuti- 
lement, opposer  une  salutaire  résistance  aux  bacchanales  po- 
litiques de  la  multitude?  Nullement.  Outre  que  le  peuple  avait 
pour  lui  le  texte  des  lois  rendues  dans  les  dernières  années,  et 
une  absurde  légalité,  il  tenait  entre  ses  mains  une  arme  ca- 
pable de  vaincre  toutes  les  oppositions  de  l'aristocratie,  tous 
les  efforts  du  patriotisme.  Investi  du  droit  de  juger,  il  appe- 
lait incessamment  la  puissance  judiciaire  au  secours  de  la 
puissance  législative  et  de  la  faculté  de  nommer  les  magistrats  : 
iHiannissait  par  l'ostracisme  ,  ruinait  par  les  sentences  qu'il 
rendait  dans  les  tribunaux  quiconque  contrariait  ses  caprices 
sur  la  place  publique.  Il  était  trop  dangereux  de  chercher  à  le 
sauver  malgré  lui,  pour  qu'on  s'y  aventurât. 

Aristote  (i)  reprochait  à  Solon  d'avoir  accordé  au  peuple 
une  influence  décisive  dans  les  aiTaires,  en  lui  attribuant  cette 
puissance  judiciaire ,  conjointement  avec  la  puissance  légis- 
lative. Solon  avait  essayé  au  moins  de  modéier  des  conces- 
sions, arrachées  peut-être  parles  circonstances.  Il  avait  ordonné 

(i)  De  Rcpnbl'uù,  lib.  u,  cap.  12. 


274  LITTERATURE. 

que,  chaque  année,  tous  les  citoyens  justifieraient  devant  les 
magistrats  de  leurs  moyens  d'existence;  il  avait,  en  outre,  flétri 
l'oisiveté  par  l'infamie.  Pressé  par  la  nécessité  de  satisfaire  à 
ces  lois,  par  la  nécessité  plus  impérieuse  encore  de  fournir  à 
ses  besoins  et  à  ceux  de  sa  l'amille,  le  citoyen  obscur  manquait 
ordinairement  du  tcms  et  de  la  volonté  nécessaires  pour  exer- 
cer ses  droits  politiques.  Il  faisait  des  tuniques  et  des  manteaux, 
au  lieu  de  faire  des  décrets  ;  il  trouvait  des  prétextes  pour 
échapper  à  la  nécessité  de  juger  des  causes  civiles  et  crimi- 
nelles qui  ne  l'intéressaient  guère,  d'après  des  lois  qu'il  con- 
naissait encore  moins.  Mais  quand  Périclès  eut  accordé  deux 
oboles,  et  Cléon  trois,  à  chaque  homme  du  peuple,  pour  cha- 
cune des  fois  qu'il  se  rendrait  à  l'assemblée,  ou  qu'il  siégerait 
dans  les  tribunaux;  quand  cette  rétribution  (i),  suflîsante  à  ses 
besoins  journaliers,  devint  un  appât  offert  à  sa  paresse,  pour 
satisfaire  sa  vanité,  alors  il  ne  quitta  plus  la  place  publique  et 
les  Cours  de  justice.  Dès  lors  tous  les  maux  écartés  par  la  pru- 
dence de  Solon  fondirent  sur  la  république,  et  le  désordre  fit 
(lection  de  domicile  perpétuel  à  Athènes.  Il  mena  si  bien  sa 
constitution  que  le  moindre;  choc  devait  renverser  la  frêle  ré- 
publique. Dans  cet  état  de  choses,  le  service  le  plus  grand  à 
lui  rendre  était  d'éloigner  d'elle  toute  commotion  violente,  et 
de  la  dissuader  surtout  de  la  guerre  qu'elle  conduirait,  nous 
l'avons  vu  ,  en  dépit  du  bon  sens. 

Après  nous  être  rendu  compte  de  la  situation  politique 
d'Athènes,  au  tems  de  la  guerre  du  Péloponèse,  éludions  un 
peu  le  caractère  et  les  habitudes  des  Athéniens  sur  lesquels 
ou  s'est  fait  d'aussi  étranges  illusions  que  sur  leur  gou\*er- 
iiement.  «  Que  les  Athéniens  étaient  un  peuple  aimable,  » 
dit  Voltaire.  Voyons  quel  était  le  genre  de  son  amabilité,  au 

(i)  2  oboles,  6  sous  ;  3  oboles,  9  sous.  Les  déniées  de  pieiiùère  néces- 
sité étaient  à  vil  prix,  el  l'argent  encore  rare,  comparutivemenl  à  nos 
tems  modernes.  Les  3  et  même  les  a  oboles  suffisaient  à  la  nourriture 
journalière  d'un  citoyen,  comme  le  reconnaît  M.  Iîoeckh,  dans  son  Eco- 
nomie pn/it!qiie  ctos  Jlhénians.  {\o\.  Rer.  Enc,  t.  xliii,  Septembre  1829, 
pag.  618.) 


LITTÉIIATUKE.  3;5 

rapport  de  trois  contemporains,  deux  sciieux  et  un  plaisant, 
les  historiens  Thucydide  et  Xénophon,  le  peintre  de  mœurs 
privées  et  publique?  Aristophane.  Le  peuple  d'Athènes  aime 
la  bonne  chère  et  d'autres  plaisirs,  les  uns  conformes,  les  au- 
tres contraires  à  la  nature,  que  ses  poètes  comiques  appellent 
sans  scrupule  par  leurs  noms.  En  se  promenant  dans  les  rues 
de  sa  ville,  il  aime  à  satisfaire  le  sentiment  du  beau,  très-vif 
chez  lui ,  par  la  vue  des  chefs-d'œuvre  de  l'architecture,  de  la 
sculpture,  de  la  peinture.  Lorsque  les  évènemens  politiques 
laissent  quelque  relâche  à  sa  terreur,  à  sa  pitié,  à  son  admira- 
tion, à  son  humeur  satirique,  il  se  plaît  encore  à  réveiller  tous 
ces  sentimens  par  les  drames  tragiques  et  comiques.  A  cette 
ardeur  pour  toutes  les  jouissances  matérielles  et  intellectuelles 
il  joint,  non  pas  seulement  quelques  grains,  mais  une  forte 
dose  de  noble  ambition;  et  ses  désirs  ne  vont  à  rien  moins 
qu'à  dominer  îa  Grèce  entière  d'Europe  et  d'Asie.  Voici  qui 
commence  à  changer;  car  la  fureur  de  la  domination  entraîne 
l'effusion  du  sang.  Cependant  Alcibiade ,  qui  est  la  personni- 
fication même  (les  Athéniens,  to\it  en  guerroyant,  n'en  de- 
meure pas  moins  un  homme  aimable,  et  Voltaire  jusqu'ici  a 
raison.  Mais  on  juge  bien  mal  un  individu  ou  une  nation  sur 
une  heiu'e  de  conversation  et  d'examen  :  il  faut  demeurer  plus 
long-tems  avec  lui,  il  faut  le  voir  dans  les  diverses  habitudes 
de  sa  vie  pour  prendre  une  juste  idée  de  son  caractère. 

Le  peuple  athénien  a  des  goûts  bien  prononcés  de  luxe  et 
de  dépense,  et  il  est  possédé  d'une  égale  passion  pour  la  pa- 
resse. Il  répugne  désormais  à  se  livrer  à  l'agriculture  et  au 
commerce  qui  pourraient  fournir  à  ses  nécessités  :  l'une  est 
trop  pénible  ,  l'autre  est  trop  chanceux ,  exposé  à  trop  de  dan- 
gers. Il  attend  que  les  gâteaux  tout  cuits,  les  poissons  tout  gril- 
lés, les  ragoûts  et  les  vins  délicieux,  viennent  se  placer  d'eux- 
mêmes  sur  sa  table  (i).  Notre  proverbe  moderne  :  «  Il  se  flatte 
que  les  perdrix  lui  tomberont  toutes  rôties  dons  la  bouche» 
semble  avoir  été  composé  après  coup  sur  ses  dispositions.  De 


'i)  Chevaliers,  t.  ii,  ji.   i  m-j  i- 


576  LITTÉRATURE. 

là,  comme  diraient  nos  économistes,  rupture  complète  de  l'é- 
quilibre entre  les  besoins  d'une  part,  l'industrie  et  les  produits 
de  l'autre.  Comment  fait  ce  bon  peuple  pour  le  rétablir?  Le 
moyen  est  merveilleux.  Outre  les  trois  oboles  qu'il  prend  pour 
son  droit  de  présence  aux  assemblées  et  aux  tribunaux,  il  s'al- 
loue un  salaire  pour  assister  au  théâtre,  et  se  fait  pa^er  pour 
s'amuser  :  de  plus,  il  reçoit  de  ses  flatteurs  des  pensions  sur  le 
trésor  public,  comme  les  courtisans  en  obtenaient  de  Lo.uis  XV 
et  de  ses  ministres;  en  sorte  que  cette  démocratie  présente 
tous  les  abus  d'vme  monarchie  dans  le  tems  de  son  plu.s  grand 
désordre.  Pour  ne  lion  distraire  au  profit  de  l'État  des  sommes 
qu'il  s'est  appropriées,  le  peuple  rejette  toutes  les  charges  sur 
les  riches  :  l'obligation  de  construire  et  d'équiper  les  flottes, 
les  frais  et  l'embarras  des  représentations  théâtrales,  ainsi  que 
des  fêtes  religieuses,  qui  sont  pour  lui  un  autre  spectacle.  Quand 
ses  ressources  se  trouvent  au-dessous  de  ses  dépenses  privées 
ou  publiques,  son  esprit  inventif  trouve  d'autres  expédiens. 
Il  intente  des  procès  aux  métèques^  c'est-à-dire  aux  étran- 
gers domiciliés  dans  ses  murs;  gagne  sa  cause  devant  des  juges 
tout  nationaux,  et  s'approprie  la  fortune  de  ces  barbares,  qui 
évidemment  ne  sont  bons  qu'à  servir  à  ses  menus  plaisirs  (i). 
Il  contraint  les  alliés  à  traverser  les  mers  pour  porter  leurs  pro- 
cès, et  venir  chercher  des  sentences  à  Athènes;  et  comnie  il 
n'y  arien  de  si  précieux  que  la  justice,  il  la  leur  vend  à  un  prix 
exorbitant  (2).  Mais  la  principale  branche  de  ses  revenus  con- 
siste dans  les  tributs  qu'il  exige  de  ces  mêmes  alliés  pour  les 
défendre  contre  les  Perses  qui,  depuis  cinquante  ans  bientôt, 
n'attaquent  plus  la  Grèce;  tributs  qu'il  élève  peu  à  peu  de 
2,600,000  fr.  à  la  somme  annuelle  de  7,i5o,ooo  fr.  Les  alliés 
s'oublient  au  point  de  trouver  mauvais  que  ceux  qu'ils  ont 
créés  leurs  chefs  deviennent  leurs  tyrans,  et  que  ceux  qu'ils 


(1)  Chevaliers,  t.  ti,  p.  /(S,  4y. 

(2)  Xé^opho.v,  (fc  licpiiblic.  Al\ien.,  ch.  5,  énumèr»;  lotîtes  les  enquête» 
ruineuses  auxquelles  sont  exposés  les  alliés,  par  suite  de  la  piiissarice  ju- 
diciaire que  les  Athéniens  se  sont  arrogée  sur  eux. 


LITTKllATURE.    '  377 

ont  tîlablis  pour  les  défendre  les  désolent  par  leurs  exactions. 
Tant  d'amlace  est  pioinptenient  et  justement  répiimée!  Avec 
les  lïiibitans  de  Samos,  on  se  borne  à  détruire  leurs  niuiuilles, 
à  prendre  leurs  vaisseaux,  à  les  cliargcr  d'impôts  plus  pesans 
et  à  emmener  leurs  principaux  citoyens  comme  ùtat',cs  à 
Athènes.  Mais,  comme  la  récidive  est  de  mauvais  exemple, 
on  confisque  le  teriitoire,  on  massacre  mille  des  notables  ha- 
bitans  de  Lesbos  révoltée;  à  Scione ,  on  tue  tous  les  mrdes  en 
âge  de  porter  les  armes;  on  vend  comme  esclaves  les  femmes 
et  les  enfans.  La  mansuétude  du  peuple  athénien  à  l'égard  de 
ses  alliés  est  égalée  par  son  respect  pour  le  droit  des  gens  et 
par  son  humanité  à  l'égard  des  nations  ennemies  :  ainsi  il 
envoie  au  supplice  les  ambassadeurs  de  Sparte  tombés  entre 
ses  mains;  ainsi,  avant  la  bataille  d'OEgos-Potamos,  le  dé- 
magogue Philoclès  propose,  et  toute  l'armée  confirme,  un  dé- 
cret aux  termes  du(juel  on  coupera  le  pouce  aux  prisonniers 
lacédémoniens.  Dans  ses  rapports  avec  ses  propres  conci- 
toyens, le  peuple  n'a  pas  fait  des  pas  moins  sensibles  vers  un 
meilleur  ordre  de  choses  auquel  l'appelle  la  perfectibilité  indé- 
finie de  la  nature  humaine.  Autrefois,  il  se  bornait  à  bannir 
pour  un  certain  nombre  d'années  les  grands  hommes  dont  les 
(alens  et  les  vertus  lui  portaient  ombrage,  et  l'ostracisme 
n'entraînait  pas  la  confiscation  des  biens  :  maintenant  il  con- 
damne à  mort,  il  dépouille  de  tous  ses  biens,  Alcibiade  con- 
vaincu d'avoir  mutilé  les  statues  de  Mercure,  auxquelles  il  n'a 
pas  louché  :  maintenant  il  prononce  la  peine  capitale  contre  ses 
généraux  vainqueurs  aux  Arginuses,  mais  coupables  de  n'avoir 
pas  été  plus  forts  que  la  tempête  et  de  ne  lui  avoir  pas  arraché 
les  corps  des  guerriers  morts  dans  l'action.  Ses  jeux  aussi  sont 
parfaitement  innocens  et  ses  plaisanteries  du  meilleur  goût. 
Par  exemple,  Cléon  accuse  ies  généraux  de  Sphactérie  de 
trahir  la  république  et  de  ne  pas  réduire  les  Lacédémoniens  à 
capituler,  par  mauvaise  volonté  toute  pure.  Le  peuple  trouve 
piquant  de  le  charger  lui-même  de  la  conduite  de  cette  entre- 
prise. Cléon,  avec  la  conscience  de  son  incapacité,  refus'e  le 
commandement;  le  peuple  le  lui  impose,  lui  l'ail  u\n:  1"!  de 


378  LlTTÉRATLIlli: 

l'acceplei-,  parce  qu'il  sera  singulièrement  divertissant  de  voir 
rentrer  î\  Athènes  ce  grand  hâbleur  vaiiKii  et  humilié.  Cette 
facétie,  selon  toute  apparence,  ne  coûtera  qu'une  armée  ;  on 
voit  bien  que  le  peuple  ne  la  paie  pas  ce  qu'elle  vaut.  Que  les 
Athéniens  étaient  un  peuple  aimable! 

Il  n'est  pas  un  seul  de  ces  monstrueux  abus  dans  la  consti- 
tution et  le  gouvernement;  pas  un  seul  de  ces  vices  de  cœur, 
de  ces  habitudes  honteuses,  de  ces  saillies  d'ambition,  de  ces 
excès  d'imprudence  ou  de  cruauté  qu'Aristophane  n'attaque, 
ne  poursuive  de  ses  continuels  et  sanglans  sarcasmes.  Le  ta- 
lent de  lobservaliou  et  de  longues  études  lui  ont  livré  la  na- 
ture sur  le  fait,  l'ont  conduit  ù  une  parfaite  connaissance  des 
passions,  de  la  vie  politique  et  privée  des  Athéniens.  Il  les 
peint  avec  une  fidélité  si  scrupuleuse,  avec  un  bonheur  de 
ressemblance  tel  que,  Dcnvs  tlemandant  à  Platon  des  rensei- 
gnemens  sur  le  gouvernement  d'Athènes,  le  philosophe  lui 
envoya  pour  tout  document  les  comédies  d'Aristophane. 

Tout  roi  aime  la  flatterie,  et  le  souverain  collectif  d'Athènes, 
!e  peuple,  s'en  montrait  aussi  avide  qu'aucun  souverain  indi- 
vidu :  c'est  ce  dont  on  trouve  des  preuves  innombrables  dans 
Aristophane.  Comment  doue  exph"quer  la  hardiesse  et  l'inqiu- 
nité  des  reproches  que  le  poète  lui  adresse  en  face?  Voici  le 
mot  de  cette  énigme  :  Aristophane  fut  courageux;  Aristo- 
phane sut  amuser  les  Athéniens,  et  quiconque  les  amusait  re- 
cevait pleine  licence  de  leur  tout  dire,  même  des  injures.  Les 
faits  se  pressent  à  l'appui  de  chacune  de  ces  assertions.  Dans 
\c^  -Babyloniens  s  Aristophane  a  déjà  lancé  ses  premiei's  traits 
l'ontre  ses  concitoyens.  Dans  les  Chevaliers,  il  revient  à  la 
charge  ,  et  s'en  prend  non-seulement  au  peuple,  mais  encore 
ù  Cléon,  le  plus  puissant  des  démagogues  depuis  la  mort  de 
Périclès;  et  c'est  une  guerre  à  mort  qu'il  déclare  à  ce  formi- 
dable adversaire;  car  il  le  traduit  en  personne  stir  la  s^cène,  le 
désigne  par  son  nom,  et  le  charge  des  imputations  les  plus 
odieuses.  Il  voit,  lui,  sans  sourciller  les  dangers  d(!  cette  double 
attaque,  mais  tout  tremble  autour  de  lui.  Il  ne  trouve  pas  lui 
acteur  poiu'  jouer  le  rôle  de  Cléon.  pas  im  r.uviirr  pour  fabri- 


LllTÉllATUriE.  ô;9 

quer  un  masque  qui  lui  ressemble  :  cliacuu  redoute  la  ven- 
j^eance  de  ce  nouveau  maître  du  peuple.  Arisloplmiie  monte 
alors  sur  le  théâtre,  joue  lui-même  le  rôle  abandonné  par  la 
crainte  publique,  et,  à  défaut  de  masque,  se  barbouille  le  vi- 
sage. Dans  les  Gnêpeu,  dans  la  Paix,  il  rappelle  avec  un  juste 
orgueil  l'intrépidité  de  cette  conduite.  «  Jamais,  dit-il,  eu  par- 
lant de  lui-même,  il  ne  s'attaqua  à  des  particuliers  obscurs,  ou 
à  des  femmes.  Il  s'arma  du  courage  d'Hercule  pour  affronter 
liés  monstres  terribles,  ?ans  être  rebuté  par  la  fétide  exhalai- 
son des  cuirs  ((Uéon  était  corroyeur).  Oui,  j'osai  le  premier 
assaillir  cette  bête  aux  dents  aiguës,  dont  le  regard  lançait  des 
feux  effrayans ,  dont  le  front  était  léché  à  l'envi  par  les  lan- 
gues perverses  de  cent  flatteurs.  L'aspect  de  ce  monstre  ne 
m'effraya  pas  :  je  marchai  contre  lui,  et  je  combattis  pour  vous 
et  pour  les  iles  (dont  Cléon  dévorait  les  revenu»)  ■' .  Ailleurs  , 
il  se  vante  d'avoir  le  premier  relevé  avec  franchise  les  vices 
des  Athéniens,  et  il  prétend  que  le  roi  de  Perse  trouve  leurs 
armes  plus  redoutables,  depuis  qu'il  leur  donne  des  fonseils. 

Mais  il  eût  péri  certainement,  s'il  n'avait  désarmé  la  haine 
par  le  rire^  s'il  n'avait  répandu  le  comique  à  pleines  mains  en 
même  tems  que  le  blâme  ;  si  les  Athéniens,  en  sortant  de  ses 
pièces,  ne  s'étaient  écriés  :  il  nous  censure  avec  amertume, 
mais  qu'il  est  amusant  !  Il  faut  savoir  ce  qui  amusait  les  Athé- 
niens, pour  connaître  quel  genre  de  comique  il  a  dû  adapter  à 
son  drame  essentiellement  politique,  et  pour  compléter  l'i- 
dée que  nous  devons  nous  former  de  son  théâtre.  Dans  de 
beaux  livres,  auxquels  on  nous  renvoie  sans  cesse  pour  étu- 
dier les  gouvernemens  et  les  mœurs  de  l'antiquité,  et  où  tout 
est  faux,  tout  de  convention,  on  nous  représente  les  Athéniens 
dans  les  objets  qui  tenaient  à  l'intérêt  public  comme  des  pa- 
triotes désintéressés  et  d'incorruptibles  législateurs;  et,  dans 
les  choses  d'esprit  et  d'imagination,  comme  des  arbitres  d'un 
goût  délicat,  d'un  jugement  exquis.  On  vante  à  tout  propos  le 
sel  attiquc,  le  tact  et  la  délicatesse  des  Athéniens.  Nous  savons 
déjà  à  quoi  nous  en  tenir  sur  le  premier  point  :  sur  le  second, 
nous  n'avons  pas  Uioins  ,i  reformer  dans  nos  piéjugé^.  pour 


58o  LITTliRATUKE. 

peu  que  nous  veuillons  arriver  à  la  vérité.  Les  Athéniens  en 
masse  étaient  peuple,  tout-à-fait  peuple,  clans  l'acception  la 
plus  stricte  et  la  moins  relevée  de  ce  mot.  Les  images  et  les 
mots  delà  plus  dégoûtante  obscénité  ;  l'expression  des  besoins 
les  plus  Immilians  pour  la  fierté  de  notre  nature  ;  les  injures 
des  halles;  les  plaisanteries  de  taverne  ;  les  débauches  de  l'es- 
prit faux  et  étroit,  telles  que  les  pointes,  les  jeux  de  mots,  les 
calembourgs,  faisaient  sans  aucun  doute  les  délices  du  grand 
nombre  des  spectateurs  athéniens.  Pour  les  mettre  en  belle 
humeur,  pour  les  disposera  recevoir,  sans  trop  regimber,  les 
graves  réprimandes  que  mérite  leur  conduite  politique,  Aris- 
tophane leur  prodigue  ces  amusem'ens  favoris  avec  une  faci- 
lité et  ime  abondance  qui  confondent.  L'Arétin,  Rabelais, 
Vadé  et  Brunet  ont  pu  s'insjiirer  également  par  la  lecture  de 
son  livre. 

La  première  londition  pour  que  les  Athéniens  prissent  du 
plaisir  à  une  représentation  théâtrale  était  donc  qu'ils  assis- 
tassent à  une  dionysiaque  ou  bacchanale  continuelle.  Leur  se- 
cond besoin  paraît  avoir  été  de  comprendre  vile  et  de  suivre 
sans  faliguc  l'intention  principale  de  l'auteur.  Aussi  Aristo- 
phane appelle-t-il  un  chat  un  chat,  et  Cléon  un  voleur,  un 
fourbe,  un  impudent  (i);  aussi,  dans  toutes  ses  comédies,  ne 
trouve-t-on  pas  une  seule  intrigue  fortement  nouée.,  et  dont 
les  fils  ne  puissent  être  saisis  par  l'intelligence  la  plus  vulgaire  : 
à  la  vérité,  il  emploie  fréquemment  l'allégorie  ;  mais  elle  est 
lelleinent  transparente  qu'il  faudrait  être  aveugle  pour  ne  pas 
apercevoir  la  réalité  derrière  son  voile.  Enfin  on  doit  se  rap- 
peler qu'à  Athènes  chaque  jour  et  chaque  quartier  n'avaient- 
pas,  comme  à  Paris,  leur  spectacle  particulier;  que  les  repré- 
sentations élaieul  rares;  que  les  Athéniens  voulaient  rassem- 
bler les  divers  genres  sur  la  même  scène,  réveiller  chez  eux  tou- 
tes les  émotions,  et  prendre  en  un  jour  du  plaisir  pour  six  mois. 

Aristophane  a  largement  satisfait  à  cette  foule  d'exigences: 
aussi   prenez  l'une  de  ses  pièces  au  hasard',  ou  analysez -les 


(i    Voycr,  dans  les  CUivallcrs,  les  srt-iies  f  nlrc  !»•  Lliarculier  cl  Cléon, 


LITTEIÎAÏURE.  .ISi 

successivement,  vous  ne  toniljcrcz  jamais  sur  une  seule  qui 
remplisse  ridée  que  vous  vous  formez  d'une  comédie.  Vous  y 
trouverez  sans  doute  un  certain  nombre  de  scènes  du  meilleui" 
comique;  mais  vous  y  rencontrerez,  à  côté,  des  scènes  d'o- 
péra, de  ballet,  de  parodie,  de  vaudeville  satirique,  de  tré- 
teaux en  plein  vent,  auxquelles  succèdent,  dans  la  parabase, 
des  élans  lyriques  et  dithyrambiques.  Chacun  de  ses  drames 
est  un  ambigu. 

Soumettons  à  celte  épreuve  la  pièce  qui  porte  pour  titre  : 
La  Paix,  et  qui  fut  jouée  la  dixième  année  de  la  guerre  du 
Péloponèse.  Depuis  que  les  Grecs  se  déchirent  entre  eux,  la 
paix  a  quitté  leur  terre  ;  elle  s'est  réfugiée  au  ciel.  Là  elle  a  été 
saisie  par  la  guerre,  qui  !'a  plongée  dans  une  caverne  profonde, 
dont  l'entrée  est  obstruée  |)ar  d'énormes  quartiers  de  rochers. 
Le  vigneron  Trygée  rassemble  des  citoyens  appartenant  aux 
diverses  classes  des  principales  républiques  de  la  Grèce,  pour 
déblayer  l'entrée  de  la  caverne,  délivrer  la  paix,  et  la  rame- 
ner au  milieu  d'eux:  selon  que  chacun  de  ces  peuples  est  plus 
ou  moins  désireux  de  la  paix,  il  se  met  avec  plus  ou  moins  de 
cœur  à  l'ouvi'age.  Ils  tirent  bien  ou  mal,  à  droite  ou  à  gau- 
che, d'après  les  dispositions  qui  les  animent.  Les  Mègariens, 
qui  ont  allumé  la  guerre  du  Péloponèse,  qui  meurent  de  faim 
et  qui  manquent  de  forces,  depuis  qu'Athènes  leur  a  fermé 
ses  marchés;  les  Athéniens,  qui  sont  tout  occupés  de  procès, 
ne  parviennent  même  pas  à  él)ranler  les  pierres.  Les  Béotiens 
font  en  apparence  de  grands  efforts,  mais  réellement  ne  tirent 
pas.  Les  Argiens  tirent  en  sens  contraire,  parce  qu'en  en- 
tretenant la  guerre  ils  espèrent  obtenir  tour  à  tour  des  sub- 
sides des  deux  partis.  EnOn  ou  renvoie  tous  ces  faux  travail- 
leurs ;  et  les  laboureurs  de  tous  les  partis  et  de  tous  les  peuples, 
qui  seuls  ont  un  véritable  intérêt  à  voir  cesser  les  hostilités, 
entreprennent  et  exécutent  promplement  la  délivrance  de  la 
paix.  Voilà  une  scène  vraiment  comique.  — ïrygée  part  de 
terre  monté  sur  un  énorme  escarbot,  entreprend  un  périlleux 
voyage  à  travers  les  airs,  et  parvient  à  la  demeure  des  dieux. 
Voilà  des  scènes  d'opéra ,  où  le  machiniste  doit  déployer  la 


382  LITTEUATLRE. 

puissance  de  son  art,  et  la  magnificence  des  décorations.  — 
Cléon  et  Brasidas,  qui  voulaient,  l'un  dans  l'intérêt  de  sa  ra- 
pacité, l'autre  dans  celui  de  sîi  gloice,  entretenir  les  inimitiés 
entre  Athènes  et  Sparte,  Cléon  et  Brasidas.  les  mortels  enne- 
mis de  la  paix,  viennent  de  succomber.  Dans  la  joie  que  leur 
cause  cette  nouvelle,  les  laboureurs  formant  le  chœur  exé- 
cutent (les  danses  à  diverses  reprises.  Voilà  le  ballet. 

Aristophane  transporte  incessamment  au  milieu  de  ses  jeux 
bouffons  les  vers  pathétiques,  les  grandes  tirades  d'Euripide  : 
incessamment  il  accuse  Sophocle  d'avarice,  Cratinus  d'ivro- 
gnerie, Morsimus  et  .Mélanipius  de  vices  plus  bas  encore, 
Xénoclès  et  son  fils  Carcinus  d'impuissance  comique.  Voilà  la 
parodie  et  la  revue  satirique.  —  Mais  bientôt  le  poète  quitte 
la  terre  et  la  fange  où  il  s'est  roulé  avec  ses  rivaux  ;  il  monte 
au  ciel,  prend  des  idées  et  un  langage  dignes  de  ces  hautes 
régions,  et,  par  la  sublimité  des  conceptions,  l'élévation  du 
style,  rivalise  avec  Homère. 

«  Merccre.  —  Tu  n'es  pas  encore  près  de  parvenir  jusqu'aux 
dieux.  Ils  sont  tous  partis  hier. 

Trvgée.  —  I^our  quel  lieu  de  la  terre? 

Mercure.  — De  la  terre,  dis-tu  ? 

Trtgée.   —  Où  sont-ils  enfin  ? 

Mercvrb.  —  Bien  loin;  dans  l'endroit  le  plus  reculé  des 
cieux. 

Tbïgée.  —  Pour  quelle  raison  sont-ils  p  irtis  ? 

Mercure.  Par  colère  contre  les  Grecs.  Aux  lieux  où  ils  ha- 
bitaient, ils  ont  logé  la  guerre  en  vous  livrant  à  sa  discrétion  : 
pour  eux,  ils  se  sont  en  allés  le  plus  loin  possible,  afin  de  n'être 
plus  témoins  de  vos  combats  et  de  ne  plus  entendre  vos 
supplications.  >> 

Par  ces  concessions  faites ,  par  ces  satisfactions  données  à 
tous  les  goûts,  à  toutes  les  fantaisies  des  Athéniens,  Aristo- 
phane s'était  acquis  le  droit  de  censurer  leurs  vices,  de  fla- 
geller leurs  désordres  .  d'immoler  les  ambitieux  qui  les 
perdaient ,  de  les  retenir  sur  le  penchant  de  l'abîme  où  ils  se 
précipilaient.  Ainsi  fait-il;  et,  si  ces  avis  avaient  été  écoutés. 


LUTEIIAÏURE.  387) 

les  Alliôniens  auraient  détourné  de  leurs  têtes  l'oi  âge  des  mal- 
heurs qui  fondit  sur  eux  durant  la  guerre  du  Péloponèse  ;  d'une 
main  courageuse,  ils  auraient  aussi  arraché  de  leur  sein  le  mal 
qui  rongeait  lentement  les  principes  de  leur  liberté  et  de  leur 
grandeur.  Ami  déclaré,  constant  auxiliaire  de  Nicias  et  de 
Démosthènes,  il  soutient  avec  eux  les  paities  aristocratifpiesdt! 
la  constitution  battues  en  brèche  et  tombant  de  toutes  parts  en 
ruines.  Il  vient  courageusement  dénoncer  au  peuple  lui-même 
les  abus  de  son  pouvoir,  les  excès  de  ses  nouvelles  attributions  : 
il  vient  réclamer,  pour  les  principaux  citoyens,  le  droit,  non 
de  décider  seuls,  c'est-à-dire  en  maîtres,  mais  celui  de  con- 
seiller et  de  diriger  le  peuple,  celui  de  remplir  les  charges, 
d'exercer  les  fonctions,  interdites  aux  pauvres  par  leur  incapa- 
cité, et  livrées  par  leur  ignorance  aux  flatteurs  et  aux  intrigans. 
La  démocratie  est  le  gouvernement  de  tous  les  citoyens  riches 
et  pauvres,  partagés  dans  la  distribution  des  pouvoirs,  seloi» 
leur  mérite,  leurs  lumières  et  leurs  richesses  ;  l'ochlocratie  est 
le  gouvernement  exclusif  de  la  populace  aveugle  et  passion- 
née. Où  trouver  une  satire  plus  virulente  de  ce  régime  absurde 
que  dans  les  pièces  d'Aristophane  ? 

Le  Charcctier.  —  Et  dis-moi,  comment  deviendrai-je  un 
personnage,  moi  simple  charcutier  ? 

DÉMOSTHÈNES.  —  C'cst  pour  Cela  que  tu  deviendras  grand , 
c'est-à-dire  parce  que  tu  es  un  vaurien,  un  effronté,  un  homme 
de  la  lie  du  peuple. 

Le  Chabcuxieb.  —  Je  ne  me  crois  pas  digne  de  ce  haut 
rang. 

DÉMOSTHÈNES.  —  Quoi  douc  !  d'où  vient  que  tu  ne  t'en  crois 
pas  digne  ?  On  dirait  que  tu  as  quelque  bon  sentiment.  Se- 
rais-tu donc  issu  d'une  honnête  famille  ? 

Le  Charcutier.  —  J'en  atteste  les  dieux,  j'appartiens  à  la 
canaille. 

Démosthènes.  — Mortel  fortuné!  les  heureuses  qualités  que 
tu  as  reçues  pour  les  affaires  publiques 

Le  Chaucutier.  —  Mais,  mon  cher,  je  n'ai  pas  la  moindre 
éducation,  si  ce  n'est  que  je  sais  lire,  et  encore  assez  mal. 


384  LTTTÉRATURE. 

*Dkmosthèkes.  —  Ceci  pourrait  te  faire  tort,  de  savoir  lin' 
niêinc  assez  mal.  Le  gouvernement  populaiie  n'appartient  pas 
aux  hommes  instruits  et  de  moeurs  irréprochables,  mais  aux 
ignorans  et  aux  infâme?.  Ne  dédaigne  donc  pas  ce  que  les  dieux 
t'annoncent  par  leiu's  oracles  (i). 

De  pareils  liommes  cesseraient  d'obtenir  les  premières  places 
de  la  judicature,  de  l'administration,  de  l'armée;  les  funestes 
décrets  avec  lesquels  on  joue  chaque  jour  la  prospérité  et  le 
salut  de  la  république  cesseraient  d'être  rendus,  au  moment 
où  les  uns  et  les  autres  manqueraient  de  l'appui  et  des  suf- 
frages de  la  multitude.  Et  la  populace  cesserait  d'apporter 
dans  le  Pnix  (2)  son  ignorance,  son  aveuglement,  sa  corrup- 
tion, dès  qu'elle  n'y  serait  plus  attirée  par  un  salaire.  En  effet, 
l'exercice  des  droits  purement  honorifiques,  la  perte  de  son 
tems  sans  profit,  ne  sont  nullement  de  son  goût  :  l'examen  et 
la  décision  d'affaires  auxquelles  elle  ne  comprend  rien  la  plu- 
part du  tems  l'ennuient  mortellement  :  avant  Périclès  ,  il  fal- 
lait recourir  à  la  violence  et  aux  amendes,  quand  on  voulait 
amener  sur  la  place  publique  un  nombre  de  citoyens  assez 
considérable  pour  que  les  lois  fussent  votées  légalement.  C'est 
ce  qu'Aristophane  c-omprcnd  très-bien  :  aussi  n'est-il  pas  une 
seule  de  ses  pièces  où  il  n'attaque,  à  diverses  repinses,  le  sa- 
laire accordé  au  peuple,  le  fatal  triobole.  Mais,  comme  il  sait 
en  mT-me  tems  que  l'intérêt  seul  a  l'oreille  d'une  nation  morte 
à  la  vertu  politique,  c'est  le  langage  de  l'intérêt  qu'il  lui  parle. 
Il  lui  conseille  de  prendre  pour  elle,  à  la  place  du  triobole,  les 
tributs  levés  sur  les  alliés,  tributs  que  les  démagogues  détour- 
nentàleurproût,  et  dont  le  produit  doit  fournir  abondamment 
à  ses  besoins,  sans  l'astreindre  à  remj)lir  les  devoirs  politiques 
qu'on  lui  impose  (5). 

Si  la  démagogie  et  l'intrigue  ont,  au  moyen  du  pouvoir  lé- 
gislatif, élevé  l'édifice  de  leur  puissance  sur  la  place  publique, 

(1)  Les  Chevaliers,  t.  11,  p.  54,  55. 

(2)  La  place  publique  d' Athènes.  \ 
(5)  Voyez  tes  Guêpes,  t.  m,  p.  70-75. 


LITTÉHATUUK.  Ô85 

«lies  ont  placé  les  deux  arcs-boiilans,  qui  leur  servent  d'ap- 
pui, dans  le  sénat  et  dans  les  tribunaux.  Le  sénat,  mainlenant 
dominé   par  les  démocrates  purs  qui  s'y  sont  introduits  en 
majorité,  le  sénat,  infidèle  à  l'esprit  et  au  but  de  son  institu- 
tion, conspire  à  la  ruine  commune  avec  la  populace  qu'il  était 
originairement  destiné  à  éclairer  et  à  retenir.  Ses  décrets,  exé- 
cutoires pendant  un  an,  sont  devenus  l'intermède  ou  le  pré- 
lude des  lois  les  plus  désastreuses.  De  plus,  il  accueille  toutes 
les  accusations  portées  contre  les  ennemis  de  l'anarchie  et  du 
désordre.  Pour  que  les  bons  citoyens  conservent  leur  vie,  leur 
patrie  et  leurs  biens,  il  faut  qu'ils  échappent  aux  at  lions  poli- 
tiques intentées  contre  enx  devant  le  sénat;  comme  aux  ac- 
tions civiles  qui  les  attendent  dans  les  tribunaux,  où  ils  re- 
trouvent encore  la  populace  toute  puissante  par  le  nombre. 
Aristophane  vient  se  placer  dans  leurs  rangs  découragés,  atta- 
quer leurs  ennemis,  battre  en  brèche  des  institutions  avilies  et 
pernicieuses,  avec  cette  machine  du  ridicule  et  de  l'ironie,  ir- 
résistible à  Athènes.  Dans  les  Chevaliers ,  il  montre  les  séna- 
teurs accueillant  les  imputations  les  plus  absurdes  et  les  plus 
calomnieuses,  prenant  d'abord  en  n\ain  la  cause  de  l'intrigant 
contre  celui  qui  le  démasque;  puis,   abandonnant  l'intrigant 
pour  son  adversaire,  dès  que  le  dernier  leur  a  enseigné  le 
moyen  de  se  procurer  une  grande  quantité  d'anchois,  au  prix 
d'une  obole  (i).  Dans  les  Guêpes,  ce  sont  les  attributions  judi- 
ciaires de  la  populace  que  le  poète  essaie  de  saper  par  leur 
base.  Il  emploie  d'abmd  le  ridicule  dont  il  couvre  la  manie  de 
juger  et  l'humeur  processive.  Il  réveille  ensuite  l'amour-pro- 
pre  et  l'amour  de  l'indépendance  chez  les  citoyens  pauvres,  en 
leur  montrant  qu'on  les  tient  captifs  à  la  chaîne  dans  le  chenil 
des  tribunaux,  pour  les  lâcher  ensuite  contre  ceux  des  alliés 
ou  des  Athéniens  qui  ont  encouru  la  disgrâce  des  ambitieux. 
Et  que  la  crainte  de  perdre  les  gratifications  qu'on  leur  fait  sur 
îe  trésor  ne  les  retienne  pas.  Encore  une  fois,  dès  qu'ils  au- 
ront brisé  le  joug  de  ceux  qui  se  sont  établis  leurs  maîtres,  ne 

(i)  Les  Chevalier  a,  t.  ii,  p.  71-7J. 

T.    XLVa.    AltVT    iSÔo,  ii5 


38G  LlTTEPiATlUE. 

letlevien'liuiit-ils  pas  souverains  dispensateurs  des  revenus  pu- 
blics? C'est  ainsi  que,  pour  ruiner  l'aulorité  de  la  populace, 
\ristophane  excite  et  flatte  les  passions  populaires  :  il  veul 
(jue  le  monstre  se  dévore  lui-mênne. 

On  a  dit  avec  raison  que  notre  révolution,  même  en  com- 
mençant, était  déjà  achevée,  parce  que  l'Assemblée  consti- 
tuante n'avait  tait  que  décréter  ce  que  l'immense  majorité  de 
la  nation  pensait  cl  voulait.  Il  est  évident  {[u"elle  n'aurait  ni 
voulu,  ni  pensé  de  la  sorte,  cent  ans  plus  tôt.  Ce  gra(ul  chan- 
gement avait  été  opéré  dans  les  idées  par  les  écrivains  du 
xviii'  siècle.  Si  leur  influence  est  incontestable,  celle  d'Aris- 
tophane ne  l'est  pas  moins  dans  un  événement  de  même  na- 
lure,  quoique  de  résultats  diamétralement  opposés  à  la  crise 
de  89.  II  y  avait  vingt  ans  qu'Aristophane,  presque  d'année  en 
année,  présentait  l'ochlocratie  sous  un  jour  ridicule  ou  odieux, 
loisque,  l'an  4'  •»  s'accomplit  à  Athènes  une  révolution,  dont 
les  résultais  naturels  devaient  être  de  détruire  la  souveraineté 
tvranniq'ic  fie  la  populace,  et  de  la  remplacer  parle  gouver- 
nement mêlé  de  démocratie  et  d'ari^tocratie  que  Solon  avait 
jadis  donné  à  ses  compatriotes.  Un  corps  de  400  membres  rem- 
plaça l'ancien  sénat,  et  mie  assemblée  de  5, 000  citoyens  fut 
substituée  aux  assemblées  du  peuple  :  la  basse  classe  fut  ex- 
clue des  aftaircs  par  une  loi,  conmie  elle  l'était  par  le  l'ail, 
avant  les  innovations  de  Fériclès  et  de  (>léon.  Mais,  au  lieu 
de  s'appliquer  à  consolider  la  révolution  par  sa  modération, 
l'aristocratie  u.-a  despotiquement  du  pouvoir  qu'elle  avait  re- 
couvré, et  le  perdit  au  bout  de  quatre  mois.  Atliènes  revint  à 
ses  anciennes  Ibrmes  politiques  et  à  ses  excès,  mais  non  pas 
impunément:  car  les  peuples,  comme  les  individus,  qui  ne 
savent  pas  se  corriger  à  tems,  courent  à  une  perte  inévitable  : 
tombée  successivement  au  pouvoir  des  Lacédémoniens,  des 
■Macédoniens,  des  Romains,  elle  vécut  sous  le  bon  plaisir  de 
l'étranger,  et  n'eut  plus  de  cette  liberté,  transformée  par  elle 
en  licence  et  en  anarchie,  que  ce  qu'on  daigna  lui  en  laisser. 
Elle  ne  pouvait  en  aucune  manière  échapper  à  la  domina- 
tion romaine  :  mais  ellt-  aiuail  é(  happé  au  joug  lacédémonien 


LlTTiîii.VrUlUî.  5^7 

el  à  la  siipvénuilre  macéclonieniie,  si  elle  n'eut  combiné  les 
vices  de  ses  institutions  avec  les  chances  toujours  si  périlleu- 
ses de  la  guerre.  Aristopliane  n'était  pas  prophète ,  et  il  ne 
soupçonna  certainement  pas  les  destinées  que  réservaient  à  sa 
patrie  deux  peuples  barbares,  alors  profondément  incon- 
nus. Mais  Aristophane  était  sage,  clairvoyant,  et  apercevait 
dans  leur  étendue  les  dangers  auxquels  s'exposait  sa  patrie 
dans  la  lutte  contre  Sparte  et  la  Grèce  presque  entière.  Des 
succès  passagers  ne  pnrent  faire  tourner  une  têle  aussi  forte, 
et  il  ne  perdit  pas  une  occasion  de  conseiller  la  })aix.  Dans 
celte  intention,  il  composa  trois  drames,  les  jdc/iarnUrui,  en 
426;  lu  Paix,  en  4^0  ;  LjsUtraie,  en  4*2  j  et  il  épuisa  les  rai- 
sonnemens  les  plus  capables  d'ébranier  ses  compatriotes,  pour 
les  porter  à  un  accommodement.  Lorsqu'on  rapproche  ces  trois 
pièces  des  évènemens  de  la  guerre,  on  Toit  que,  si  les  Albé- 
niens  eussent  suivi  ses  avis  à  la  première  époque,  ils  se  se- 
raient épargné  les  défaites  de  Délium  et  d'Amphipolis,  et  au- 
raient conclu  une  paix  beaucoup  plus  avantageuse  que  la  paix 
de  Nicias;  et  que  ,  s'ils  eussent  été  dociles  à  ses  conseils,  l'an 
4«2,  ils  auraient  échappé  à  la  défaite  d'yEgos  Potamos,  au 
ion."-  ue  Lacédémone  et  à  la  tyrannie  des  Trente,  dont  les 
proscriptions,  au  rapport  de  Xénophon,  enlevèrent  à  la  répu- 
blique plus  de  citoyens  que  tous  les  cornbats  de  la  guerre  du 
Péloponèse. 

Nous  nous  sommes  bornés  à  indiquer  les  traits  les  plus  ■^ail- 
lans  du  théâtre  d'Aristophane.  Ce  livre  est  une  mine  pres- 
qu'inépuisable  de  documens  sur  l'état  moral  et  politique  des 
Athéniens,  dans  une  période  de  55  années  (41*8-395).  Pour 
ne  citer  qu'un  seul  exemple  des  secours  qu'il  fouinit  à  l'éru- 
dition, tournée  vers  des  sujets  de  la  plus  haute  importance, 
nous  rappellerons  que  M.  Bœckhena  tiré  les  plus  nombreu  v 
et  les  plus  précieux  renseignemens  pour  sou  ouvrage  sur  1% - 
conomie  politique  des  Athéniens.  Il  n'est  pas  un  homme  in- 
struit qui  ne  soit  tenu  de  le  placer  dans  sa  bibliothèque,  et 
qui  ne  le  consulte  avec  autant  de  fruit  que  de  plaisir.  Préférera- 
t-il  la  traduction  de    M.    Artaud  à  celles  qui  ont  été  publiées 


588  LITTÉRATl'RE. 

jusqu'à  ce  jour?  C'est  ce  qui  n'est  pas  douteux,  selon  nous, 
dès  que  le  travail  de  notre  collègue  sera  connu  et  apprécié.  Il 
a  profité,  pour  l'intelligence  du  texte  hérissé  de  difficultés  de 
tout  genre  ,  des  savans  travaux  de  Brunck  et  de  M.  Boisso- 
nade;des  remarques  inédiles  de  M.  Dugas-iMontbel,  connu 
par  sa  traduction  d'Homère  ;  des  nombreux  éclaircissemens 
fournis  par  les  érudits  allemands  et  hollandais;  des  essais  de 
traductions,  soit  partielles,  soit  complètes,  de  M°"  Dacier,  de 
Boivin,  de  Poinsinot  de  Sivry,  et  de  Ch.  Brottier.  En  com- 
parant la  version  de  M.  Artaudavec  celle  de  M.  Dupuis,  la  plus 
récente  de  toutes,  et  insérée  dans  le  Théâtre  des  Grecs,  de 
M.  Raoul  Rochelte  ,  on  trouve  encore  des  différences  assez 
nombreuses  et  assez  importantes  pour  que  les  philologues,  ac- 
quéreurs de  ce  dernier  ouvrage,  puissent  avoir  la  curiosité  de 
comparer  les  deux  interprétations.  Dans  les  éloges  que  mérite 
M.  Artaud  pour  cet  important  travail,  nous  réserverons  à  son 
collaborateur,  M.  Destainville,  la  part  qui  lui  est  due  :  nous 
espérons  que  le  succès  mérité  de  cette  publication  les  paiera 
l'un  et  l'autre  des  soins  qu'elle  a  dû  leur  coûter. 

A.   POIRSON. 


»H*»«*W 


l-\\\VV\WVV\V\VV\V\  V\\V\V\XV  -\VVX\  VV\>.V%V\,%V%VV\\\\\VV\VV\V^V\X\XXV\\\^'VV%^%V\\W\V\\\W\V\V\*A\'%WV 

m.   BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE. 

LIVRES  ÉTRANGERS  (i). 


AMÉRIQUE  SEPTENTRIONALE. 
ÉTATS-UNIS. 


63.  — The  Science  ofMechanics,  etc. — La  science  des  machi- 
nes appliquée  au  perfectionnement  des  arts  utiles  en  Europe  et 
aux  Etats-Unis;  ouvrage  destiné  à  servir  de  manuel  des  mé- 
caniciens et  des  fabricans;  par  Zachariali  Allen.  Providence 
(Rhode-Island),  182g. 

L'ouvrage  de  M.  Allen  est  bien  court,  en  raison  du  nom- 
bre et  de  l'importance  des  sujets  qu'il  a  dû  traiter.  Des  notions 
générales  de  physique  et  mécanique;  la  théorie  de  la  pesan- 
teur appliquée  aux  machines  et  aux  matières  dont  elles  sont 
faites,  l'hydrodynamique  et  l'hydraulique,  les  roues  à  eau, 
les  moulins  à  vent,  la  théorie  du  frottement,  les  diverses 
communications  de  mouvemens,  les  moyens  de  les  établir  ou 
de  les  interrompre  momentanément,  etc.,  etc.  ;  tous  ces  ob- 
jets, dont  chacun  en  particulier  exige  d'assez  longs  développe- 
mens,  composent  encore  un  énorme  volume,  lorsqu'on  vient 
à  les  réunir,  et  ne  sont  plus  un  manuel.  Dans  les  écrits  sur  les 
arts,  le  laconisme  a  plus  d'inconvéniens  que  la  prolixité.  Nous 
le  disons  à  regret,  M.  Allen  n'a  pu  atteindre  le  but  qu'il  avait 
en  vue  :  il  se  proposait  de  contribuer  à  l'instruction  de  l'Eu- 
rope, mais  il  faudra  que  les  mémoires  de  nos  savans  aillent 
encore  en  Amérique,  et  qu'ils  y  hâtent  les  progrés  de  l'indus- 
trie, tandis  que  nous  recevrons  d'Amérique  des  exemples  du 


(1)  Nous  indiquous  par  un  astérisque  (*) ,  placé  à  côté  du  titre  de 
chaque  ouvrage ,  ceux  des  livres  étrangers  ou  français  qui  paraissent 
dignes  d'une  attention  particulière,  et  nous  en  rendrons  quelquefois 
compte  dans  la  section  des  Analyses. 


TyQiy  LIVRES   ETilANGEllS. 

1)011  iisaj^e  de  la  liberté,  des  encouragemens  à  porsisler  dans 
la  voie  des  perfeclionneniens  sot'iaux. 

64-  —  ■  y^ dresses  deliiercd  on  varions  pnhl'u-  orcasions,  etc.  — 
Discours  prononrés  en  public,  en  différentes  occasions,  par 
John  D.  Codma>  .  D'  M.  ,  ancien  professeur  d'histoire  natu- 
relle à  VlnstUat  de  Franklin  (Pensyh  anie),  professeur  d'ana- 
lomie  au  collège  de  médecine  de  Rntgers,  membre  de  plusieurs 
Sociétés  savantes,  etc.  :  avec  un  Appcmlice  o\\  l'auteur  expose 
en  {)eu  de  mots  les  peinicicux  effets  sur  la  respiration,  la  circu- 
lation et  la  digestion,  de  l'habitude  contractée  par  plusieurs 
femmes  de  serrer  leur  corps  en  se  laçant.  Philadelphie,  1829; 
(Jarey.  ln-8"  de  i()4  pages. 

Comme  Al.  Godmaii  sait  très-bien  observer  les  convenances, 
ses  discours  ne  sont  pas  longs,  et  ce  petit  volume  en  contient 
huit,  outre  phisieiu's  notes  que  l'auteur  y  a  jointes,  afin  d'en 
rendre  la  lecture  encore  plus  utile.  Quoique  les  sujets  traités 
par  le  professeur  soient  très-sérieux,  il  se  fit  écouter  sans 
«loute  avec  intérêt;  car  ici  même  on  preml  plaisir  à  le  lire. 
Mais  il  ne  dissimule  point  que  ses  discours  ont  été  revus  pour 
l'impression.  Sa  préface  est  empruntée  ù  Boileau,  et  transcrite 
telle  que  l'a  faite  no4re  illustre  poète  :  «  Parlons  maintenant 
de  mou  édition  nouvelle.  C'est  la  plus  correcte  qui  ait  encore 
paru  :  et  non-seulement  je  l'ai  revue  avec  beaucoup  de  soin, 
mais  j'y  ai  retouché  plusieurs  endroits  ;  car  je  ne  suis  point  de 
cesauteurs  fuyant  la  peine,  etc —  »  31.  Godman  n'est  pas  non 
plus  du  nom!)re  de  ces  auteurs  paresseux  qui,  sous  prétexte 
de  conserver  à  leurs  ouvrages  le  caractère  d'originalité,  y  lais- 
sent subsister  tout  ce  qui  fait  reconnaître  une  ébauche,  un 
travail  imparfait,  où  de  bonnes  pensées,  un  but  louable,  quel- 
ques traits  d'élotpieiu  e  n'empêchent  point  qu'on  ne  remarcpie 
de  trop  nombreuses  incorrections.  On  ne  saura  pas  mauvais 
gré  ù  M.  Godnian  du  soin  qu'il  a  pris  de  traiter  en  homme  de 
lettres  aussi-bien  qu'en  savant  des  sujets  tels  que  la  dissection 
des  morts,  l'étude  de  l'anatomie,  etc.  Quelques  autres  sujets 
n'excluaient  pas  quelques  ornemens  oratoires;  tels  sont  le 
dessin,  ses  usages  et  son  influence,  les  charmes  de  l'étude  de 
l'hiscoire  naturelle.  On  remanpiera  surtout  dans  ce  recueil  un 
discours  de  clôture  réservé  pour  la  fin,  comme  ou  s'y  attiMi- 
dait.  Mais  ce  (pii  devrait  être  répandu  parmi  nos  dames,  ce 
sont  les  observations  exposées  dans  raj)pcndice  sur  la  mode 
des  corsets,  où  elles  s'emprisoinuMit  en  se  faisant  lacer  bien 
serrées.  Cetabus,  (|ui  n'est  pas  moins  nuisible  aux  grâces  qu'à  la 
santé,  ne  devrait-il  pas  être  combattu  en  même  tems  par  les 
médecins  et  par  les  peintres'.^  et  ces  derniers,  comme  juges 


ÉTATS-UNIS.  591 

suprêmes  on  matière  de  l)C'auté,  et  par  conj^equcut  de  bon  goQi, 
i)'ainaieiit-ils  pa<  encore  plus  d'ascendant  qije  les  médecins, 
dont  les  ordonnances  sont  parfois  austères?  M.  Godnian  n'a 
pas  négligé  tio  réclamer  ans^i  eu  laveur  des  grâces  nn  peu  plus 
de  liberté  de  ces  tailles  emprisonnées  dans  un  corset,  un  peu 
de  souplesse  et  de  mobilité  :  mais  il  n'est  que  médecin,  et  le 
beau  sexe  ne  le  mettra  point  au  nombre  des  juges  compétens  : 
c'est  donc  aux  peintres  qu'il  iaut  s'adresser  pour  faire  diminuer 
au  moins  im  mal  si  préjudiciable,  et  de  deux  manières.  Il  pa- 
rait que  l'abus  des  corsets  est  poussé  en  Amérique  beaucoup 
plus  loin  qu'en  Europe;  un  journal  de  Baltimore  en  donne  la 
preu\e.  Une  négresse  arrivée  depuis  peu  dans  celte  ville  avait, 
apporté  les  modes  de  ^ew-York,  et  s'y  conformait  ponctuel- 
lement, même  dans  son  état  de  femme  de  chambre  :  pendant 
qu'elle  était  occupée  à  repasser  du  linge,  elle  tomba  morte. 
L'ouverture  du  cadavre  fit  voir  que  la  compression  du  lacet 
avait  déplacé  le  foie.  La  cause  immédiate  do  la  nient  avait  été 
la  ruptuie  d'un  vaisseau  près  du  cœur. 

65. ■ — *Memoirs  ofthe  Life  and  ininistry  oftiierev.  J afin  Sam- 
merfield,  etc.  —  Mémoires  sur  la  vie  cl  le  ministère  du  révé- 
rend/o/(«iS'M/y(  w<;r/?fW,  prédicateur  méthodiste  ;  par. I.  H  oll  and. 
New- York,  1859.  In-H", 

Celle  biographie  est  pleine  de  faits  Irès-intéressans  sous 
divers  aspects;    la  religion,  la  morale,  rhi>itoire  de  l'esprit 
humain  y  trouveront  des  observations  qui  ne  peuvent  être 
négligées,  et  qui  seront  appliquées  tôt  ou  tard  pour  le  bonheur 
de  riumianité  ;  en  voyant  que  les  vertus  évangéliques  appar- 
tiennent également  à  toutes  les  croyances  <hrétiennes  ,  que 
chaque  secte  peut  se  glorifier  d'un  certain  nombre  d'hommes 
qui  fuj-ent  les  disciples  du  Christ,  dans  l'acception  la  plus  juste 
de  ce  mot:,  on  pensera  que  les  points  de  doctrine  ijui  divisent 
ces  sectes  n'ont  aucune  influence  sur  l'esprit  rel'gieux,  et  ne 
devraient  point  être  un  obstacle  à  la  réunion  sincère  de  tous 
les  chrétiens,  au  rétablissement  de  VEglise  telle  qu'elle  fut 
dans  ses  plus  beaux  jours.  >i.  Summerfield  naquit  en  1798. 
et  mourut  en  1825.  Cette  vie  de  vingt-sept  ans-paraîtra  lon- 
gue, en  raison  des  évènemens  qui  la  remplissent.  A  l'âge  de 
onze  ans,  Summerfield  devient  maître  d'école  pour  aider  sa  fa- 
mille accablée  par  un  revers  de  fortune;  un  peu  plus  tard, 
l'enfant  devenu  jeune  homme  contracte  quelques-uns  des  vices 
de  son  âge,  mais  il  rentre  bientôt  dans  la  Ifonne  voie,  et  le 
jeune  libertin  de  seize  à  dix-sept  ans  devient  un  apôtre  à  vingt 
ans  ;  le  zèle  de  la  prédication  l'emporte  a'i  delà  de  ses  forces, 
et  prépare  sa  fin  prématurée;   on  le  vif  toujours  prê-'hont  'n 


'92  LIVllES  l'rniAiN'GEUS. 

Irlande,  en  Angleterre,  en  Amérique,  en  Fiance,  où  il  lit  un 
voyagepour  rétablir  sa  santé  délabrée,  enfin  en  Amériqnc,  où 
il  devait  trouver  le  seul  repos  qu'il  lui  lût  possible  de  goûter. 
Pendant  son  séjour  à  Paris  la  Société  biblique  tint  sa  séance 
annuelle;  le  pieux  missionnaire  fit  un  discours  pour  celte  so- 
lennité ;  M"*"  la  duchesse  de  Broglie  le  traduisit  en  français,  et 
M.  le  résident  des  Etats-Unis  le  prononça.  Mais  le  climat  du 
nord  de  la  France  ne  fut  rien  moins  que  favorable  à  sa  santé; 
ses  maux  physiques  augmentèrent,  tandis  que  l'activité  de  son 
âme  achevait  de  consommer  le  peu  de  forces  qui  lui  restaient. 
31  fallut  retourner  promptenieut  en  Amérique;  il  était  à  Bal- 
timore lorscju'il  apprit  que  son  père,  établi  à  New- York,  était 
atteint  d'une  maladie  grave  ;  quoique  très-souffrant  lui-même, 
il  ne  peid  j)as  un  monient,  va  prodiguer  à  son  père  les  soins 
les  plus  tendres  et  les  plus  assidus,  el  succombe  en  remplis- 
sant les  devoirs  de  la  piété  filiale.  Ses  vertus  furent  aimables 
comme  celles  de  notre  Fènelon  ,  comme  celles  d'un  sincère 
ami  des  lionmies;  sa  mémoire  était  extrêmement  ornée,  et  lui 
fournissait  des  citations  remarquables  par  leur  autorité  et  leur 
à-propos.  Il  aA  ait  cultivé  la  musique,  et  le  sentiment  du  beau, 
partie  essentielle  du  talent  oratoire,  était  si  développé  et  si  sûr 
dans  cet  homme  si  heureusement  organisé,  qu'il  eût  été  l'un 
ilespremiers  artistes  de  ce  siècle,  si  ses  hautes  facultés  n'avaient 
point  pris  une  autre  direction.  Remercions  31.  Hollaud  de  tous 
les  détails  iutéressans  qu'il  a  recueillis  sur  cette  vie  hien  digne 
d'être  connue  de  la  génération  actuelle  et  de  celles  qui  lui  suc- 
céderont. ]N. 

EUROPE. 

GRANDE-BRETACNE. 

()d.  — .'in  Account  ofilie  ^rcal  (loods  of  Àiiguat^  etc.,  etc. — 
Desciiplion  des  tiombes,  orages  et  inondations  (pii  eurent 
lieu  au  mois  d'août  1829  dans  la  province  de  Moray,  et  dans 
les  districts  avoisinans  ;  par  sir  77ir/H)rt5  D.  Lavder.  Londres, 
i83o;  Longnian.  Edimbourg,  Black.  ln-8°  de  l\7j\  pages; 
prix,  16  schellings. 

Voici  un  livie  qui,  contre  l'ordinaire,  tient  beaucoup  plus 
que  ne  promet  son  titre.  On  fî'attend  à  des  détails  de  gazettes, 
au  relevé  des  désastres  et  des  malheuis  causés  par  les  trom- 
bes et  les  ouragans  qui  éclatèrent  en  Ecosse  au  mois  d'août, 
et  l'on  est  agréablement  surpris  en  rencontrant  à  chaque  page 
des  détails  piltores(]ncs,  des  incidcns  dramatiques,  des   ré- 


GRANDE-IIRETAGNE.  3()3 

cils  pleins  d'inlerêt  et  de  naïveté,  car  ce  sont  les  témoins  de 
ces  eilVayantes  catastroplies,  qui  content  eux-mêmes,  et  dans 
leur  dialecte,  leurs  sensations,  leurs  terreurs  et  leur  salut  mi- 
raculeux :  l'auteur  n'a  fait  souvent  que  sténographier,  et, 
quand  il  parle  en  son  nom,  il  n'est  point  au-dessous  des  nar- 
rations vraies  et  animées  qu'il  a  recueillies. 

Ce  fut  vers  le  2  août  1829,  qu'après  un  été  d'une  séclie- 
resse  extraordinaire,  les  habitans  du  district  montagneux  de 
Moray  remarquèrent  d'inexplicables  variations  dans  la  tem- 
pérature. Des  averses  soudaines  tombèrent  sur  les  hauteurs, 
et  formèrent  des  trombes  d'eau  qui,  se  brisant  sur  les  cimes 
des  rochers,  inondèrent  le  pays,  grossirent  le  cours  des  ri- 
vières, et  firent  autant  de  fleuves  des  plus  petits  ruisseaux. 
Cependant  les  eaux  commençaient  à  s'écouler,  lorsqu'une  ef- 
frayante trombe  de  vapeur,  qui  avait  bala^'é  les  côtes  du 
Caithnesset  du  Sunderland,  attirée  par  les  hautes  montagnes 
du  comté  de  Moray,  se  dirigea  vers  ce  point,  environnée  de 
tonnerre  et  d'éclairs.  La  pluie  descendait  par  nappes  larges  et 
livides  d'un  vert  bronzé;  le  veut  soufllait  sans  relâche,  et  les 
torrens  entraînaient  dans  leur  passage,  les  pierres,  les  mai- 
sons, les  arbres  qui  cédaient  comme  autant  de  roseaux.  Us 
tombaient  un  à  un,  faisant  rejaillir  l'eau  à  une  hauteur 
considérable.  La  racine  apparaissait  tm  moment  à  la  surface, 
puis  tout  semblait  englouti:  mais  un  peu  plus  bas,  on  re- 
voyait le  tronc  mutilé  et  sans  branches  tournoyer  sur  l'abîme, 
et  emporté  par  le  com-ant,  fuir  avec  la  rapidité  d'une  flèche. 
«  Le  bruit  était  une  combinaison  distincte  de  deux  sortes  de 
sons  :  un  rugissement  effroyable  et  continu  causé  par  la  vio- 
lence des  eaux,  et  une  suite  de  décharges  d'artillerie,  qu'i- 
nu'taienten  tombant  et  en  roulant  les  pierres  énormes  et  les 
quartiers  de  roc  que  Tinondalion  chariait.  «Jamais  fléau  plus 
grandiose  ne  s'était  déchaîné  contre  ce  malheureux  pays  : 
aussi  les  pauvres  habitans  se  croyaient-ils  à  leur  dernier  jour, 
et  il  fallait  à  gens  plus  éclairés  de  la  force  d'âme  pour  ne  pas 
croire  à  un  déluge  universel.  Dans  cette  lutte  épouvantable, 
l'instabilité  de  toute  chose  humaine  était  effrayante.  La  main 
de  Dieu  était  à  l'œuvre,  et  d'un  mouvement  semblait  anéan- 
tir les  mondes.  Le  ncmibre  des  ponts  emportés,  des  routes 
détruites  passe  toute  croyance.  Les  rivières,  s'ouvrant  de  nou- 
veaux lits,  entraînaient  avec  elles  des  prairies  entières,  des 
champs  labourés,  des  portions  de  rives  et  les  maisons  qui  y 
étaient  bâties.  Dans  quelques  gorges,  l'inondation  monta  jus- 
qu'à quarante  et  cinquante  pieds.  Les  toits  des  édifices  se  cou- 
vraient non-seulement  d'hommes,  mais  de  lièvres,  dcbelettcs^ 


594  LIVRES  ETilANGliRS. 

«le  rais,  et  même  (?e  taupe?  qui  venaient  y  clieiLher  refuge. 
Des  meuniers,  surpris  par  les  eaux  au  milieu  de  la  nuit,  s'eu- 
l'uireut  à  grand'peine,  et  virent  s'engloutir  une  à  une  leurs 
propriétés.  Arrivés  à  80  ou  100  pieds  au-dessus  du  Findliorn, 
torrent  qui  causait  ce  ravage,  ils  se  regardèrent  comme  en  sû- 
reté ,  et  commençaient  à  s'y  établir,  lorscjue  le  27  survint  un 
nouveau  déluge  et  une  nouvelle  crue.  La  rivière  trouvant  la 
base  du  rocher  déjà  ébranlée,  l'attaqua,  la  mina,  et  en  déta- 
cha avec  un  bruit  effroyable  une  énorme  portion,  qui  ouvrit  ù 
dix  pas  de  la  cabane  des  rétiigiés  un  précipice  à  pic.  delaspect 
le  plus  sinistre.  Plus  loin  ,  sur  les  bords  de  la  même  rivière, 
était  une  petite  maison  habitée  par  une  vieille  femme  infirme 
et  sa  nièce.  La  première  succomba,  l'autre  fut  sauvée,  après 
dix-sept  heures  d'inexprimables  angoisses,  et  dont  le  récit  de 
cette  pauvre  fille  peut  seid  donner  une  idée,  John  Cly,   vieil- 
lard de  j5  ans,  s'était  viupoursuivi  d'une  façon  remarquable 
par  les  inondations.  Celle  de  1768  commença  sa  ruine,  com- 
plétée en  i;-85  parla  crue  qui  emporta  sa  maison  et  son  mou- 
lin. C'était   un  lioinme  d'un  caractère  singulièrement  indé- 
pendant et  philosophique.  Cinq  fois  il  avait  perdu  et  recréé 
sou  avoir.  Tl  résolut  de  se  mettre  de  nouveau  à  l'œuvre,  et  se 
rappelant  que.  sous  un  sol,  alors  couvert  de  quartiers  de  roc  et 
de  gravier,  il  existait,  en  17^)8,  un  sol  gras  ei  fertile,  il  entre- 
prit de  déblayer  environ  deux  acres,  au  grand  étonnement  de 
ses  voisins  qui  le  raillaient  de  ses  peines.  Il  fit  des  pierres  un 
rempart  autour  de  son  champ,  et  à  cinq  pieds  de  profondeur 
trouva  ce  qu'il  cherchait,  une  excellente  terre  végétale.  Il  l'en- 
semença, et  obtint  d'abondantes  récoltes.    Mais  ce  fruit  de 
tant  de  labeurs  et  de  persévérance  devait  encore  lui  être  en- 
levé ;  le  3  août,  sa  terre  fut  balayée  comme  les  autres,  mais  sa 
longanimité  lui  resta.   «Je  l'avais  prise  à  L'Awen^  disait-il,  en 
montrant  la  rivière,  que  UAwcnXvL  reprenne!  •>  Et,  comme  un 
de  ses  voisins  s'arrêiait  un  joui'  à  sa  porte  pour  lui  parler  de 
cette  perle,  John  Cly  coupa  coiut  aux  doléances  du  bavard, 
en  répliquant  :  «  Eh  bien,  si  j'ai  perdu  mon  clos,  j'ai  à  la  place 
un  joli  pclit  étang,  où  je  peux  pêcher,   sans  demander  per- 
mission à  personne.  «Il  s'était  b-lti  tme  maison  sur  le  roc,  à 
mi-côte  du  vallon,  et  au  mois  d'août,    lorsque  l'eau  faisait 
rage  et  battait  violeumient  la  porte  et  les  fenêtres,  sa  sœur, 
plus  âgée  que  lui,  s'effrayait  et  proposait  de  fuir.  «  De  quoi  as- 
tu  peur,  femme  !«lni  cria  iiiq)atiemuionl  John,  »n'avons-nous 
pas  tous  deux  pour  appui  le  roc  de  la  natire  ,  el  le   roc  des 
siècles!  »  faisant  ainsi  une  doidjlé  allusion  à  son  âge  et  à  l'É- 
ternité.  N*^  cioii-riit^nn  pa-  r.'^connaîlre  \,\   philo-ophiqui-  in- 


Gll  A  N  DE-IÎRET  AG  NE.  ô^fj 

soiuiance  et  la  RMiiioté  ilTune  ()iio  Walter  Sioll  -'csl  j»!u  à 
peindre  dans  le  niendianl  Ocliillrie  de  l'Antiquaire?  (]e  n'esl 
pas  les  seuls  traits  de  nature  qui,  dans  ce  livre,  rappellent  le 
talent  du  grand  romancier  écossais.  A  chaque  page  on  recon- 
naît ses  sites  favoris  et  les  mœurs  auxquels  il  nous  a  initiés: 
c'est  plaisir  de  voir  la  richesse  de  la  mine,  et  ce  qui  reste  en- 
core à  exploiter.  Ilien  de  plus  dramatique  que  l'histoire  du 
pauvreaubergiste  Cruickskanks,  qui,  après  une  joyeuse  jour- 
née de  chants  et  de  danses,  l'ut  entraîné  par  le  torrent  avec  le 
radeau  sur  lerjucl  il  se  trouvait,  et,  se  cramponnant  à  un  arbre, 
attendit  vainement  du  secours  pendant  plus  de  six  heures, 
poussant  par  intervalles  des  cris  de  détresse  et  de  longs  sifïle- 
niens.  11  serait  impossible  d'analyser  tous  les  passages  curieux 
et  intéressans  de  ce  volume ,  qui  est  à  la  fois  une  œuvre  litté- 
raire pleine  de  mérite,  et  qui  forme  les  annales  les  plus  variées 
du  comté  le  plus  pittoresque  peut-être  de  l'Ecosse.  Sir  Tho- 
mas Lauder  a  mêlé  aux  récits  des  désastres  récens,  les  sou- 
venirs historiques  du  pays,  les  superstitions,  les  légendes 
consacrées,  la  description  des  lieux,  etc.  Enfin,  pour  complé- 
ter son  travail,  il  y  a  joint  deux  cartes  indiquiint  le  cours  des 
rivières  qui  ont  joué  le  principal  rôle  dans  l'inondation;  et 
soixante-cinq  giavines  à  Teau  forte  représentant  <les  sites  de  la 
province,  ses habilans,  leursmaisons,  desruines, des  ponts,  etc. 

67.  — *  Family  Libî-ary.  IS"  xiv  :  Lives  of  Briihh  phjsicians. 
—  Bibliothèque  de  famille.  N°  \l\.  Yies  des  médecins  anglais. 
Londres,  i85o*.  Murray.  1  vol.  in- 12. 

La  collection  que  fait  paraître  M.  Murray,  sous  le  titre  général 
de  Bibliothèque  de  famille,  devient  de  jour  en  jour  plus  po- 
pulaire, et  justifie  pleinement  son  succès,  par  le  choix  des 
sujets,  les  noms  des  auteurs  et  la  foule  de  documens  curieux  , 
de  faits  ignorés,  de  remarques  neuves,  que  rassemblent  les 
volumes  déjà  pid^liés.  Ce  dernier  donne  les  vies  de  dix-huit 
praticiens  les  plus  célèbres  dans  l'art  de  guérir  :  écrites  d'un 
style  vif,  animé,  entremêlées  d'anecdotes  curieuses,  parfois 
plaisantes,  et  disposées  de  façon  à  former  un  historique  fidèle 
et  très-remarquable  des  progrès  de  la  médecine  en  Angleterre, 
depuis  le  comnicncement  du  xvi''  siècle  jusqu'à  nos  jours. 

Linacre  ,  fondateur  du  collège  royal  des  médecins  de  Lon- 
dres, arrive,  à  juste  titre,  le  premier.  Frappé  desinconvéniens 
qu'il  y  avait  à  laisser  plus  long-iems  la  médecine  aux  mains 
d'empiriques,  et  de  moines  ignorans  ,  il  sollicita  et  obtint  de 
Henri  Mil  la  permission  d'instituer  une  corporation  régulière 
de  médecins  qui  pouvait  seuls  délivrer  le  privilège  d'exer- 
cer ;'ï  Londres,  et  dans  un  circuit  de  sept  miÛo-;  aux  environs. 


396  LIVRES  J^TRANGERS. 

Après  lui,  vint  Gains,  médecin  de  la  Cour  sous  Edouard  VI, 
la  reine  Marie  et  la  reine  Elisabeth  ;  puis  Harvey,  dont  le  nom 
rappelle  de  gratids  services  rendus  à  l'art,  et  dont  la  théorie 
sur  la  circulation  du  sang  peut  rivaliser  avec  celle  de  Newton 
sur  la  lumière  et  la  gravitation.  Il  vint  au  monde  à  Folkstone, 
en  1578.  Sa  réputation  ,  commencée  de  bonne  heure  ,  lui  va- 
lut la  confiance  de  Jaques  I",  et  les  bonnes  grâces  de  Charles, 
qui  prenait  un  vif  intérêt  à  ses  recherches  anatomiques,  et  as- 
sistait régulièrement  à  ses  expériences.  Ce  fut  à  la  requête  du  roi 
que  Harvey  disséqua  Thomas  Parr,  mort  en  s 655,  à  l'âge  de 
cent  cin(iuanle-trois  ans.  Celait  un  pauvre  paysan,  qui  avait 
été  tiré  de  son  pays  natal,  le  Shropshire,  et  amené  à  la  (]our, 
comme  objet  de  curiosité,  par  Thomas,  comte  d'Arundel.  Il 
s'était  marié  pour  la  première  fois,  i\  88  ans;  à  102,  il  avait 
fait  amende  honorable,  dans  l'église,  pour  incontinence.  A 
120  ans,  il  avait  épousé  en  seconde  noces  une  veuve,  avec  la- 
quelle il  vécut  en  très-bonne  intelligence.  A  i3o,  il  était  en- 
core batteur  en  grange,  et  faisait  d'autres  travaux  pénibles 
pour  gagner  sa  vie.  Il  se  nourrissait  de  pain  noir,  fait  de  son  , 
de  fromage  rance  et  de  petit  lait  aigre  :  mais ,  lors  de  son 
séjour  chez  le  comte  d'Arundel,  il  prit  des  alimens  plus  sub- 
stantiels, but  du  vin ,  et  mourut  au  bout  de  peu  de  tems.  Har- 
vey, attribua  sa  mort  au  changement  de  régime ,  et  à  l'insa- 
lubrité de  l'atmosphère  de  Londres.  «Les  poumons  étaient 
adhérens  à  la  plèvre  du  côté  droit;  le  cœur  était  gros;  les  in- 
testins en  bon  état.  Les  cartilages  des  côtes,  au  lieu  d'être 
ossifiés,  comme  il  arrive  généralement  chez  les  personnes 
âgées,  étaient  souples  et  flexibles;  particularité  très-remar- 
quable dans  un  homme  qui  avait  vécu  plus  d'un  siècle  et  demi. 
La  cervelle  était  saine.  Il  avait  perdu  la  vue  vingt  ans  avant  sa 
mort,  mais  il  entendait  bien.  Sa  mémoire  était  mauvaise.» 
Le  manuscrit  original  du  cours  fait  par  Harvey  est ,  dit-on, 
conservé  au  Musée  britanique,  ainsi  que  quelques  prépara- 
tions curieuses  (malgré  leur  imperfection  comparée  aux  ingé- 
nieuses méthodes  employées  aujourd'hui)  qu'il  fit  lui-même 
à  Padoue,  ou  qu'il  se  procura  à  cette  célèbre  école,  et  qui  lui 
servirent  à  démontrer  ses  nouvelles  doctrines.  Il  était  violem- 
ment affligé  de  la  goutte;  sa  manière  de  se  tiaitcr  est  assez 
singulière  pour  trouver  place  ici  :  «Il  s'asseyait  les  jambes 
nues,  même  par  la  gelée,  au  grand  air,  sur  les  plombs  de 
Cockaine-lunise  (|u'il  habita  long-tems,  ou  jjien  se  mettait  les 
jambes  dans  un  sceau  d'eau,  jusqu'à  ce  qu'il  fût  presque  transi 
de  froid  :  il  regagnait  ensuite  son  poêle,  et  l'accès  était  passé. 
Pour  combattre  les  iusonmies  auxquels  il  était  fort  sujet,  il 


GRANDE-BRFrAGNE.  397 

usait  à  peu  près  du  même  moyen;  il  se  levait  et  se  promenait 
en  chemise  dans  sa  chambre,  jusqu'à  ce  que  le  froid  le  prît; 
quand  il  commençait  à  frissonner,  il  regajçnait  son  lit,  et  ne 
tardait  pas  à  s'endormir.  »  Nous  passons  à  la  hàle,  quoique  à 
regret,  la  vie  du  célèbre  Sydenham,  celle  do  l'original  et  bourru 
Radclifle  ,'qui  tenait  à  honneur  de  ne  pas  payer  ses  dettes.  Lu 
paveur,  après  plusieurs  longues  et  vaines  tentatives,  le  sur- 
prit un  jour  comme  il  descendait  de  voiture,  et  réclama  avec 
instance  le  prix  de  ses  journées.  «Comment,  drôle,  dit  le  doc- 
teur, tu  prétends  te  faire  payer  un  pareil  travail  !  tu  m'as  gâté 
mon  pavé,  et  tu  l'as  recouvert  de  terre  pour  cacher  ta  mau- 
vaise besogne.»  —  «M.  le  docteur,  répliqua  l'ouvrier,  je  ne  suis 
pas  le  seul  dont  la  terre  cache  les  sottises.  »  —  «  Ah!  ah  !  «reprit 
Radcliffe  ;  tu  fais  de  Tesprit,  en  ce  cas,  tu  dois  être  pauvre; 
entre.  »  Et  il  le  paya.  Il  perdit  sa  place  de  médecin  de  la  Cour 
pour  avoir  répondu  au  roi  Guillaume,  qui  lui  montrait  l'enflure 
de  ses  jambes,  et  lui  demandait  ce  qu'il  pensait  :  <■  Ma  foi,  je 
ne  voudrais  pas  pour  les  trois  royaumes  de  votre  Majesté  avoir 
ses  deux  jambes.  » 

Mead,  Huxham,  Hunter,  Baillie  mériteraient  chacun  une 
mention  particulière  ;  mais  il  ne  nous  reste  d'espace  que  pour 
parler  de  Jenner,  celui  de  tous  qui  a  le  plus  puissamment 
contribué  à  la  conservation  de  la  vie,  et  à  l'allégement  des 
souffrances  humaines.  De  toutes  les  versions  qui  ont  circulé 
sur  la  découverte  de  la  vaccine,  voici  la  plus  atithenlique  : 
.-«Comme  Jenner  étudiait  la  médecine  chez  un  professeur,  à 
Sudbury,  une  jeune  femme  de  la  campagne  se  présenta  pour 
le  consulter.  En  l'interrogeant  sur  ce  qu'elle  éprouvait,  il 
nomma  la  petite  vérole  :  elle  l'interrompit,  et  lui  dit  :«Je  ne 
puis  pas  l'attraper,  car  j'ai  eu  celte  des  vaches  (cow-pox).  » 
C'était  une  des  idées  populaires  de  ce  district;  mais  pour  la 
première  fois  elle  attira  l'attention  du  jeune  médecin,  qui  ne 
tarda  pas  à  s'assurer  par  lui-même  de  la  vérité  du  fait.  Dans 
une  note,  datée  de  1799,  il  écrit  :  «Je  ne  connais  aucun  au- 
teur ancien  qui  fasse  allusion  à  cette  maladie  des  vaches.  Ce- 
pendant, voici  \me  anecdote  qui  me  paraît  devoir  s'y  rappor- 
ter. Lorsque  Molly  Davis  (depuis  lady  Mary  Davis)  et  d'autres 
raillaient  la  duchesse  de  Cleveland,  leiu'  compagne,  de  ce 
qu'elle  aurait  bientôt  à  déplorer  la  perte  de  cette  beauté  qui 
faisait  tout  son  orgueil,  et  que  pouvait  détruire  d'un  moment 
à  l'autre  la  petite  vérole  qui  régnait  alors  à  Londres,  elle  ré- 
pondit qu'elle  n'avait  rien  à  craindre  de  semblable,  parce  qu'elle 
avait  eu  une  maladie  qui  l'empêcherait  de  jamais  altra}ior 
la  petite  vérole.  Cette  anecdote  m'a  été  communiquée  récem- 


nieiU  par  im  genlilhoDimc  de  ce  comté,  maia  il  n'a  pu  se  lap- 
peler  ni  me  citer  son  auteur.  »  Jenner  proclama  partout  sa  loi 
ilans  l'eflicacité  tle  la  vaccine,  mai.s  il  rencontra  d'abord  de  la 
froideur  et  de  l'opposition  dans  le  public.  Il  n'en  poursuivit 
pas  moins  sa  tâche,  animé  de  l'espoir  de  délivrer  la  pauvre 
liumanité  d'un  de  ses  plus  cruels  fléaux.  C'était  là  sa  seule 
ambition.  Lorsque  son  ami,  M.  Cline,  l'un  des  premiers  clu'- 
rurgieas  de  l'Angleterre,  l'engagea  à  venir  se  fixer  à  Londres, 
lui  prédisant  qu'il  se  l'erail  bientôt  un  revenu  de  dix  mille  livres 
sterling  par  an  ,  il  refusa,  préférant  à  la  fortune,  le  repos  et 
la  médiocrité.  «Si  j'étais  nécessaire  à  la  p.ropagation  de  la  vac- 
cine, écrivait-il,  j'y  sacrifierais  mes  goûts;  mais  il  est  évident 
qu'une  fois  connue  et  ado})tée  la  chose  fera  s^n  chemin  d'elle- 
niêine  ;  c'est  un  bon  gr?iin  semé,  qui  ne  peut  manquer  de 
tructifier,  d'autant  mieux  que  cette  découverte  est  de  celles 
que  tout  le  monde  peut  appliquer.  » 

ÎSous  bornerons  là  nos  extraits  de  ce  livre,  eu  le  recom- 
mandant comme  une  lecture  attachante,  instructive,  et  comme 
un  excellent  modèle  pour  créer  en  France  un  ouvrage  du 
même  genre,  qui  nous  semble  manquer,  et  qui  serait,  selon 
toute  apparence,  accueilli  a^ec  empressement.  On  pourrait 
même  en  agrandir  le  plan,  et  y  faire  figurer  ceux  des  méde- 
cins étrangers  dont  la  réputation  est  devenue  européenne. 

68. — Anii-Draco  :  or  reasons  for  a'ooLlsIdng  tUe paiùslimenL 
cf  f/eat/i,  etc.  — L'Anti-Dracon  :  ou  raisons  d'abolir  la  peine 
rapitale  pour  crime  de  faux;  par  m/î  ^roraf.  Londres,  i85o; 
['.idgway.  În-S"  de  l\q  pages. 

Il  arrive  à  certaines  époques  que  des  idées  long-tems  relé- 
guées dans  le  domaine  des  théories,  des  questions  souvent  agi- 
tées sans  être  résolues,  prennent  tout  à  coup  un  corps,  et 
deviennent  des  faits  de  la  veille  au  lendemain.  Il  nous  était 
lionne  de  voir  se  réaliser  aiusi,  comme  par  miracle,  nos  plus 
beaux  rêves  de  gloire  et  de  liberté;  d'élever  le  positif  au  ni- 
veau de  notre  imagination  ;  de  vouloir  noblement,  et  d'agir 
de  même.  C'est  peut-être  le  plus  haut  point  auquel  un  peu- 
ple puisse  atteindre  que  cet  accord  entre  ses  principes  et  ses 
actions.  Le  plus  dillicile  est  fait,  mais  le  triomphe  d'une  belle 
«anse  se  lie  à  une  foule  d'intérêts  sacrés;  toutes  les  pensées 
de  droiture,  de  justice,  se  pressent  à  l'envi  l'une  de  l'autre, 
et  réclament  une  place  dans  le  nouvel  ordre  de  choses  qui  Ie< 
appelle  et  ne  peut  exi>ter  que  par  elles.  Quand  la  société  se 
refond  et  se  purifie,  const.rvera-l-elle  son  droit  sanguinaire 
tic  vie  et  de  mort?  Vouera-t-elle  à  l'infamie  un  Jionime, 
Jiicurtrier  lé"al  et  soldé  des  deniers  de  l'Étal  '.'  assislcra-t-elle 


(i;iiAi>j  Dii-uivi;TA(;NE.  599 

likhcmeiit,  derrière  dos  Ijaïoniicltes,  a  cos  spectacles  de 
saiiiï?  Y  enverra-t-elle  Icspopnlalions  liéroïqncs,  qui,  au  mi- 
lied  (l'une  lutte  terrible,  animées  des  pins  vives  passions, 
n'ont  pas  un  moment  trahi  un  instinct  de  cruauté?  Non;  de 
même  que  la  torture  a  été  al)olic,  la  peine  capitale  doit  l'être; 
elle  est  hors  de  notre  tems,  hors  de  nos  mœurs.  Il  tiuil  la 
rejeter  dans  ce  passé  dont  un  abîme  nous  sépare.  C'est  un 
exemple  glorieux  à  donner  à  l'Europe;  le  seul  digne  de  ce  qui 
a  précédé.  Ce  n'est  pas  au  moment  où  cette  importante  dis- 
cussion va  s'ouvrir  à  la  Chambre,  que  nous  pouvons  entrer 
dans  des  raisonnemens,  et  développer  des  idées  qui  sont  dans 
tous  les  esprits,  et  trouveront  assez  d'interprètes.  D'ailleurs, 
aujourd'hui,  l'abolition  delà  peine  de  mort  est  une  réclama- 
tion d'inetinct  encore  plus  que  de  réflexion;  et  quaml  un  prin- 
cipe est  devenu  un  sentiment,  un  besoin  impérieux  de  l'âme, 
la  conviclion  est  au-dessus  de  la  logique. 

La  brochure  que  nous  annonçons  demande  l'abolition  de  la 
peine  de  mort  pour  un  cas  seidement,  mais  l'auteur  n'a  pu  se 
îenir  sur  le  terrain  qu'il  avait  choisi,  il  lui  a  fallu,  bon  gré 
mal  gré,  aborder  le  Tond  de  la  question,  et  donner  à  ses  argu- 
mtns  une  base  plus  large.  Du  reste,  son  travail  ne  pouvait 
venir  plus  à  propos. 

C9.  —  Lires  of  remarkable  joatlifi  of  boili  sexes.  —  Yies  des 
jeunes  gen.i  remarcjuables  des  deux  sexes.  — Londres,  i85o; 
Colburn.  '>.  vol.  in-8".  Il  n'a  encore  paru  qu'un  premier  vo- 
lume. 

C'est  une  grande  tâche  que  celle  d'écrire  pour  la  jeunesse, 
et  bien  peu  d'auteurs  comprennent  ce  qu'elle  a  de  grave  et 
d'imposant  :  bien  peu  sont  dignes  de  cette  haute  mission.  Il 
faut  à  la  fois  tant  de  prudence  et  de  sagesse,  tant  de  pureté, 
de  respect  pour  ces  cœurs  ardens  et  naïis,  poiu'  ces  âmes  neu- 
ves aux  voies  de  ce  monde,  qu'on  s'effraie  à  l'idée  de  trou- 
bler de  jeunes  consciences,  de  dissiper  la  crédulité  au  bien  si 
naturelle  à  cet  âge.  Le  grand  art  de  l'éducation  consiste  peut- 
être  à  prolonger  de  généieuses  illusions,  tout  en  développant 
les  facultés  ;  ne  pas  croire  au  mal  est  déjà  im  préservatif  con- 
tre la  contagion  de  l'exemple  ;  et  lorsqu'enfm  une  vérité  cruelle 
vous  atteint  et  vous  force  à  une  conviclion  pénible,  il  y  a  en- 
core un  refuge  dans  l'observation  qu'on  ne  saurait  trop  culù- 
ver,  parce  qu'elle  fait  presque  toujoi'.rs  découvrir  l'excuse  à 
c»Mé  de  la  î'aute.  L'homme  vaut  souvent  mieux  que  ses  actes: 
cette  vérité  devient  surluut  impoitante  quand  il  s'agit  déju- 
ger autrui;  et  loin  d'affaiblir  notre  penchant  à  1^  vertu,  elle  le 
seconde  en  nous  iiiontraut  que  les  plus  grands  ci-inies  peuvent 


4oo  LIVRES  ÉTRANGERS. 

Être  le  résultat  de  la  laiblesse,  et  que  notre  force  morale  doit 
être  exercée  à  tout  prix.  Selon  nous,  il  y  adanger  àanticiper  les 
années,  à  faire  sortir  les  enfansdu  cercle  habituel  de  leurs  idées, 
de  leurs  sensations,  à  développer  trop  tôt  leur  sensibilité,  leur 
ambition,  même  en  la  dirigeant  vers  un  but  louable.  Ne  pres- 
sez rien  :  la  nature  fait  tout  admirablement,  paice  qu'elle  fait 
tout  à  point.  Quand  l'heure  sera  venue,  jme  noble  action,  un 
mot  allumeront  plus  d'ardeur  dans  une  jeune  âme  que  toutes 
vos  précoces  leçons.  En  excitant  le  feu  trop  tôt,  vous  risquez 
d'épuiser  la  flamme.  La  vie  de  sir  Thomas  Lawrence^  en  ad- 
mettant, comme  le  conte  son  biogiaphe,  qu'il  fit  des  portraits 
au  crayon  à  cinq  ans,  et  des  ta])leaux  à  dix,  ne  créera  jamais 
un  artiste,  mais  pourra  faire  naître  dans  un  enfant  des  pré- 
tentions ritîicules,  et  entravera  son  éducation  par  l'obstacle  le 
plus  insurmontable  de  tous,  une  sotie  vanité. 

Un  des  graves  inconvéniens  de  ce  livre,  que  nous  annon- 
çons moins  pour  le  faire  connaître  que  pour  mettre  en  garde 
contre  lui,  est  l'esprit  d'aristocratie  qu'il  prône  et  soutient.  Il 
offre  pour  encouragement  au  génie  le  patronage  des  lords, 
ducs  et  pairs  d'Angleterre.  Avec  lui  le  talent  est  un  brevet  de 
courtisan.  On  se  croirait  aux  bons  tems  féodaux,  où  de  nobles 
et  puissans  seigneurs  entretenaient  et  nourrissaient  ménestrels 
et  poètes,  à  la  charge  de  chanter  leurs  exploits.  Dieu  merci, 
de  pareils  bienfaits  ne  sont  plus  de  saison,  et  le  nombre  de 
ceux  qui  les  eussent  acceptés  diminue  de  jour  en  jour.  Il  y  a 
un  autre  genre  d'énmlaliou  ,  une  autre  gloire  à  proposer  poiir 
but  de  nobles  efforts. 

En  général,  les  auteurs  sont  restés  bien  au-dessous  de  l'in- 
telligence de  leur  épo(jue,  bien  loin  de  ce  qu'il  y  avait  à  faire, 
et  leur  ouvrage  a  plutôt  le  caractère  d'une  compilation  ,  que 
d'une  production  mûrie  et  consciencieuse. 

70.  — Personal  Mcmoirs:  or  Réminiscences  of  MenandMan- 
ners.  — -Mémoires  personnels  :  ou  Réminiscences  des  hommes 
et  des  mœurs  en  Angleterre  et  à  l'étranger,  pendant  le  dernier 
demi-siècle  :  fragment  du  portefeuille  de  Prvce  Lockart  Gor- 
don. Londres,  1880;  Colburn.  2  vol.  in-S", 

Encore  un  de  ces  livres  comme  il  s'en  fabrique  tant  dans  la 
Grande-Bretagne.  Un  homme  a-t-il  griffonné  à  la  hâte  quelque? 
notes  sur  ses  voyages,  sur  les  jersonnages  qu'il  a  rencontrés 
dans  les  auberges  ou  les  salons,  il  assemble  tant  bien  que  mal 
(es  fragmens  décousus,  et  les  présente  an  public,  lui  laissant  le 
soin  de  séparer  la  paille  d'avec  le  grain.  Il  est  cependant  pres- 
que in)possible  qu'on  aie  vécu  cinquante  ou  soixante  ans  à  la 
surfiice  de  notre  globe,  san*  voir  et  sans  entendre  quelque 


GRAJN  DK-IilJETA(;NE.  40 1 

chose  d'inléressant,  surtout  si  l'on  a  mené  nue  vie  et-ianlc  et 
aventureuse  diuis  des  pays  divers,  et  au  milieu  de  peuples 
variés.  M.  Gordon  nous  transporte  de  Londres  à  >iaj)l{;s,  de 
Napies  à  (]ork,  puis  sur  le  continent,  ne  suivant  ifaulre  gjuide 
que  son  eaprice  ;  il  l'ait  défiler  devant  nous  mainte  et  mainte 
figure,  parfois  célèbre,  parfois  grotes(|ue,  rarement  nulle.  Ici, 
c'est  le  révérend  père  O'Leary,  qui  joua  un  si  grand  rôle  dans 
la  première  élection  d'O'Gounel  à  Clare.  Nous  retrouvons 
cette  vieille  connaissance  se  reposant  de  ses  patriotiques  la- 
heuis  dans  tme  délicieuse  retraite,  savourant  les  parfums  des 
{leurs  de  son  jardin,  les  livres  de  sa  bibliollièque,  tous  don- 
nés par  des  amis,  la  fraîcheur  de  son  verger,  et  V'omelettc 
soufflée  de  sa  gouvernante.  Il  y  a  clans  ce  tableau  d'intérieur 
un  calme,  et  pour  ainsi  dire  une  suavité  d'égoïsme  qui  font 
envie.  Plus  loin,  l'auteur  est  en  tiers  avec  Nelson  et  lady  Ha- 
milton  dont  il  tait  un  portrait  peu  flatté.  A  Gadix,  il  assiste,  chez 
l'ambassadeur,  ;i  un  bal  où  se  trouvait  Wellington.  L'anecdote 
vaut  la  peine  d'être  contée.  «Un  peu  avant  souper,  un  cour- 
rier arriva,  apportant  le  fameux  29"  bulletin  de  la  grande 
armée  française,  où  Napoléon  annonçait  l'incendie  de  Moscou. 
La  sensation  fnt  grande,  la  joie  universelle.  Wellington  partait 
le  lendemain  ;  au  moment  de  s'end)arquer,  et,  comme  il  était 
sur  la  rive  entouré  de  tout  l'état-major,  le  général  Gooke  lui 
présenta  un  officier  qui,  la  veille,  avait  trouvé  moyen  de 
faire  de  lui  une  miniature  assez  ressenddante,  qu'il  tenait  à 
honneur  de  lui  offrir.  >>  elliuglon  ouvrit  la  boête,  regarda  ra- 
pidement le  portrait,  complimenta  l'artiste,  et  après  avoir 
échangé  quelques  mots  avec  lui,  et  pris  note  de  ses  services  : 
"Je  ne  vous  oiddierai  pas,  »ajouta-l-il  ;  «et,  en  attendant,  «il 
lui  mit  un  papier  plié  dans  la  main  :  «Gardez  cela  en  souvenir 
de  moi  :  c'est  la  plus  grande  curiosité  que  j'aie  jamais  eue  en 
ma  possession,  oïl  remonta  à  cheval,  et  gagna  le  bateau.  La 
foule  entoura  le  jeune  homme  ;«G'est  une  compagnie,  criait 
l'un;  — ■  «non,  c'est  une  commission  d'officier  d'état-major, 
disait  un  antre.  —  «  Vous  figurez-vous,  reprit  le  militaire,  que 
lord  Wellington  porte  ainsi  d-ms  sa  poche  des  giades  et  des 
commissions  à  doimer  ?  Quoiqu'il  en  soil,  je  vais  satisfaire  votre 
curiosité  et  la  mienne.»  Et  déroulant  le  papier,  il  trouva  la 
dépêche  que  le  général  en  chef  avait  reçue  la  veille;  le  sq*"  bul- 
letin de  la  grande  armée!  »  Élaljli  avec  sa  famille  à  Bruxelles, 
lorsque  lord  Byron  et  Walter  Scott  visitèrent,  à  de  courts 
intervalles  l'un  de  l'autre,  le  fimeste  champ  de  Waterloo, 
M.  Gordon  eut  Ihonneur  d'être  le  Cicérone  des  deux  illustres 

T.    XLVII.    AOUT    l83o.  26 


/loa  LIVRES  ÉTRANGEIIS. 

\  (i\  :i{;cuis  ;  et  le  rt-cit  de  ces  excursions  mémorable!*  n'est  pas 
la  |)aiii(- 1.1  moins  inlrressante  de  son  join'nal. 

l'iis  dans  son  ensenil)le,  l'onvrage  n'esl  {j^nère  qu'un  recueil 
d'anecdotes  et  de  souvenirs  assez  confus,  où  se  trouvent  çà  el  là 
des  Plissages  amusans,  et  des  noms  auxquels  se  rattachent  tou- 
jours un  vif  intérêt,  et  qui  donnent  du  piquant  aux  moindres 
détails. 

7 1 . — *Paid  Clijford.  —  Paul  Clifford,  par  l'auteur  de  Pelhnin, 
t\vDeveve(i.v,  etc.  Londres,  i83o;  Colburn.  5  vol.in-i2. 

Les  brigands  de  haut  et  bas  étage,  depuis  le  sentimental 
lean  Sbogar  jusqu'au  rusé  Cartouche  et  à  l'audacieux  Man- 
drin, ont  (iguré  de  tant  de  façons  dans  les  romans  el  dans  les 
mélodrames,  que  la  matière  semblait  épuisée.  Pour  trouver 
du  nouveau  en  ce  genre,  il  fallait  faire  des  excursions  en  Corse, 
(■Il  (iré<e,  partout  où  des  mœurs  à  demi  sauvages,  les  lois  mal 
comprises  d'une  civilisation  toujours  repoussée,  la  fatigue 
d'une  oppression  ennemie,  ennoblissaient  la  lutte  et  lui  prê- 
taient un  (;aractère  chevaleresque.  De  tout  tems  la  sympathie 
générale  s'est  éveillée  pour  ces  hommes  aventureux,  ivres  de 
liberté  et  d'ambition,  cherchant  plus  encore  les  dangers  et  la 
guerre  que  les  richesses,  ne  possédant  rien  sous  le  soleil,  et 
risquant  sans  cesse  leur  vie  pour  des  biens  qu'ils  ne  peuvent  ni 
ne  savent  garder.  Ce  libre  exercice  des  passions,  ce  mépris  de 
tout  frein  ont  poiu'  beaucoup  de  natures  un  charme  tout  puis- 
sant, el  imposent  à  la  midliUide  un  respect  mêlé  de  crainte.  Les 
(irecsde  la  plaine  s(;  plaisaient  à  conter  el  à  grossir  les  exploits 
des  Klephles,  <(ui,  tous  les  quinze  jours,  descendaient  de  leiu's 
montagnes  pour  piller  indistinctement  le  Turc  el  le  Kaïa.  Pas 
une  chaumière  (uii  n'eût  nue  grossière  image  de  Kalzanlonis, 
(H»  de  quehpie  autre  capitaine  nonmoins  fameux.  C'était  l'efiVoi 
cl  la  gloire  ilu  pJivs  ;  et  quoique  les  petits  enfans  se  pressassent 
autour  de  leurs  mères,  dès  (|u'on  prononçait  ces  noms  redou- 
tés, ils  éc(tulaieut  avec  ravissement  et  savaient  par  cœur  les 
chansons  klephliques.  L'âme  humaine  est  ainsi  faite  :  l'objet 
de  ses  terreurs  lui  inspire  souvent  un  intérêt  profond  :  avide 
«le  mystère  et  de  poésie,  elle  se  prend  à  tout  ce  (|ui  lui  proniet 
de.s  sensations  vives,  des  émotions  nouvelles.  Mais  si  elle  ac- 
(U)ntpag'i<;  de  ses  vœux  cl  de  ses  espérances  l'homme  forcé  de 
(  (uiquérir  sa  part  de  liberté  les  armes  à  la  main,  quelle  sym- 
pathie peut  elle  avoir  avec  le  vulgaire  fdou  des  grandes  villes, 
avec  le  voleur  de  grands  chemins,  héros  du  bagne  et  de  liicê- 
Ire,  eondanuiés  à  expicir  ieiu-s  exploits  sur  l'échafaud?  Celte 
écume  d'une  société  corrompue  n'esl-clle  pas  trop  abje»  te 
pmir  qu'on  y  puisse  arrêter  ses  regards?  Sans  doute  sa  sm- 


GIIANDE-BRETAGNE.  4o5 

face  inspire  le  dégoût;  on  se  sent  d'abord  repi  ussé  par  des 
dehors  ignobles,  par  le  cynisme  effronté  du  vice;  mais  si, 
creiisanl  plus  avant,  on  remonte  à  la  source  du  mal,  si  l'on 
cherche  à  reconnaître  dans  cette  gangrène  morale  les  fautes 
de  législation  qui  l'ont  amenée,  si  enfin  l'on  y  retrouve  sous 
son  aspect  le  plus  hideux,  dans  sa  plus  dégoûtante  expression, 
le  système  corrupteur  qui  a  long-tems  régi  les  plus  hautes 
classes  de  la  société,  légitimé  les  plus  honteuses  turpitudes, 
alors  de  cette  étude  triste,  mais  utile,  ressortent  une  foule  de 
vérités.  C'est  le  point  de  vue  qu'a  choisi  l'auteur  de  Pelliam, 
celui  qu'il  affectionne,  et  d'où  il  lance  ses  plus  amers  sar- 
casmes contre  l'ordre  social,  tel  que  les  mauvaises  passions 
des  hommes  nous  l'ont  fait  :  mais  il  a  su  donner  à  sa  satire  tout 
l'intérêt  et  tout  le  mouvement  pittoresque  nécessaires  à  un  ro- 
man. Quiconque  n'y  cherchera  que  des  aventures  amusantes 
aura  amplement  de  quoi  se  satisfaire;  et  le  penseur,  le  philo- 
sophe, qui  veulent  plus  qu'une  lecture  amusante,  n'auront  pas 
perdu  leurtems  en  parcourant  ce  livre. 

Dans  un  cabaret  des  ruelles  de  Londres,  rendez-vous  habi- 
tuel de  la  lie  de  celte  capitale,  inie  femme  se  meurt,  par  une 
nuit  d'ouragan  et  de  pluie,  et  lègue  son  fils,  garçon  de  six  ou 
sept  ans,  à  la  maîtresse  de  la  taverne.  Cet  enfant,  qui  n'est 
autre  que  Paul  Clifford,  le  héros  du  drame,  cioît  en  l>eanté 
et  en  intelligence.  La  société  dans  laquelle  il  vit,  les  principes 
«lu'ilentendprofesser,  échauffent  sa  tète,  et  il  se  décide  à  tenter 
la  fortune.  Après  une  vive  querelle  avec  sa  vieille  protectrice, 
il  s'enfuit,  fier  de  n'avoir  désormais  recours  <{u'à  lui  seul  pour 
vivre  et  pour  conquérir  son  indépendance.  Là  commence  une 
série  d'épreuves  où  de  dupe  il  devient  fripon.  Arrêté  et  con- 
damné pour  un  vol  qu'il  n'a  point  fait,  il  retrouve  en  prison  de 
vieilles  connaissances,  qui  l'endoctrinent  et  achéveiit  sa  con- 
version. Dans  le  cours  de  ses  aventures  de  grande  route,  il  ren- 
contre une  jeune  fille  qu'il  avait  déjà  entrevue  au  spectacle.  Il 
en  devient  amoureux.  Les  moyens  qu'il  prend  pour  l'obte- 
nir en  mariage  sont  d'accord  avec  sa  profession  :  l'auteur  a  su 
se  défendre  de  faire  de  son  voleur  un  de  ces  amans  décoinai;és, 
repentans,  criminels  par  circonstance,  et  vertueux  par  «  Iiniv. 
dont  les  romans  sont  pleins  II  a  été  plus  vrai.  Paul  Clilïbid 
est  un  honime  énergique,  ambitieux,  qui,  trouvant  toutes  les 
avenues  fermées,  s'en  est  frayé  de  nouvelles  :  un  de  ces  liaidis 
maraudeurs,  qui,  selon  la  bizarre  image  d'un  auteiu-  auiilais, 
«  prtMiant  le  monde  pour  leur  huître,  l'ouvre  à  la  pointe  de 
lépée.  »  Il  légitimtî  et  justifie  la  part  qu'il  s'est  faite,  et 
considère  la  société  comme  plus  coupable  encMc  que   lui. 


4o4  LIVRES  ETRANGERS. 

Toute  sophijlique  que  soit  cctle  doctrine  .  il  e«t  facile  de  lui 
pitter  un  air  de  vérité,  et  c'est  à  quoi  M.  Buhver  réussit  trop 
parfois.  A  côté  de  ce  caractère  dont  la  vigueur  est  toute  en 
dehors,  il  en  est  un  autre  également  ardent,  mais  dont  l'éner- 
gie s'est  usée  à  une  lutte  d'hypocrisie  ;  à  force  de  scélératesse 
et  de  calcul,  il  s'est  fait  une  haute  réputation  de  talens,  et 
cumule  les  emplois  et  les  titres.  Ce  misérahle  intrigant  de 
salons  et  d'anlichamhres  est  certainement  plus  odieux  que  le 
brigand.  Et  cependant  tous  deux  valaient  mieux  que  leur  des- 
tinée. Le  but  de  l'auteur  a  été,  je  pense,  de  montrer  au  bas 
el  au  haut  de  l'échelle  la  corruption  qui  peut  naître  des  abus. 
S'il  a  quelquefoi-;  exagéré,  souvent  aussi  il  n'a  été  que  peintre 
fidèle.  Nous  ne  dirons  pas  quel  lien  réunit  ces  deux  person- 
nas:es,  et  donne  à  la  catastrophe  dernière  un  caractère  si 
terrible.  Il  faut  laisser  au  lecteur  toute  la  vivacité  de  ses  im- 
pressions. Ce  roman  ne  tardera  pas,  dit-on.  à  paraître  en  fran- 
çais. L.  Sw.  Belloc. 

Ouvrages  Périodiques. 

72.  — *  Le  Représentant  des  peuples^  hebdomadaire  de  la  po- 
litique et  de  la  littérature  étrangères,  i.ondres,  i85o  ;  A.  Hays, 
iG5,  Régent  Street  ;  RoUer  etCahlman,  21,  Soho-Square,  etc. 
I>e  prix  de  l'abonnement  est  de  12  schellings,  payables  à  la 
fin  du  trimestre;  un  schelling  par  numéro  de  56  pages  in-S". 

Ce  journal  s'empare  d'une  éminente  dignité,  et  s'impose 
les  devoirs  qui  y  sont  attachés.  S'il  ne  s'élève  point  jusqu'à  la 
hauteur  de  son  titre,  il  ne  sera  point  révoqué,  mais  délaissé, 
ce  qui  est  encore  plus  fâcheux.  Comme  nous  n'avons  pas  vu 
le  prospectus  de  ce  nouvel  ouvrage  péaiodiqne,  dont  l'appa- 
rition ne  remonte  qu'au  moi<  de  mars  de  cette  année,  nous 
ignorons  quel  sens  y  est  attaché  au  mot  représentant,  en  sorte 
que  nous  sommes  réduits  à  nous  en  tenir  au  sens  vulgaire. 
Rien  de  médiocre  ne  peut  être  toléré  dans  le  Représentant  des 
peuples  ;  il  faut  qu'une  forte  raison  s'y  exprime  avec  une  élo- 
fpience  soutenue,  que  tout  y  soit  grand ,  digne  des  regards  de 
toutes  les  nations.  La  politique  des  peuples,  c'est  celle  des 
Américains  affranchissant  le  Nouveau-Monde,  celle  des  Grecs 
périssant  pour  conquérir  leur  indépendance,  des  Etats-Unis 
récompensant  Lafayette,  des  Français  chassant  un  roi  parjure  : 
en  présence  de  ces  actes  véritablement  nationaux,  la  pensée 
ne  peut  plus  s'occuper  de  petites  choses;  on  risque  de  l'im- 
))urtuner.  même  en  l'entretenant  de  littératiu-e.  1/organe  des 
peuples,  l'interprète   de  leurs  vœux  doit  être  en  même  tems 


GRAîSDIi-IiRETAGNE.  4o5 

leur  guide  vers  le  but  commun  de  leurs  etïorts.  Qu'il  recueille 
les  vues  utiles  à  tous,  et  par  conséquent  généreuses;  ((u'il  in- 
dique les  institutions  qui  manquent  encore,  celles  qui  doivent 
être  perrectio<inées  ;  qu'il  combatte  les  erreurs  dont  l'in- 
fluence est  si  funeste  aux  lois,  aux  mœurs,  aux  gouvernemens; 
qu'il  avertisse  ceux  qui  s'égarent,  invite  ceux  qui  n'osent  en- 
core se  réunir  à  la  confédération  universelle,  et  qu'il  s'attache 
à  fortifier  de  plus  en  plus  cette  alliance  plus  sainte  que  celle 
de  certains  rois  contre  les  peuples  :  voilà  comment  il  justifiera 
son  titre,  et  s'acquittera  de   la  mission  dont   il  s'est  chargé. 

En  faisant  abstraction  de  son  titre  un  peu  trop  fastueux  pour 
im  journal,  on  lit  avec  intérêt  le  Représeniani  des  peuples.  INous, 
Français,  noire  avis  sera  peut-être  soupçonné  de  partialité,  eu 
faveur  d'un  écrit  périodique  publié  à  Londres  en  notre  lan- 
gu,e  ;  on  se  tromperait  sur  les  motifs  de  nos  éloges,  comme 
on  s'est  mépris  trop  souvent  sur  le  motif  de  nos  critiques  ; 
(juel  que  soitl'ouvrage  dont  nous  rendons  compte,  l'auteur  y  est 
complètement  oublié,  T7-05  Tyriusve  fuat.'^ou^  ne  craignons 
donc  point  de  dire  que  ce  journal  aura  l'approbation  des  An- 
glais raisorniables,  même  lorsqu'il  discute  les  questions  rela- 
tives à  l'Angleterre.  Quant  ;i  celles  de  la  France,  on  j)eutvoir 
par  les  numéros  du  mois  de  juillet  que  les  derniers  évènemcns 
y  sont  pressentis,  mais  que  la  i.ipidilé  de  leur  accomplisse- 
ment et  l'importance  du  résultat  n'ont  été  prévues  nulle  part, 
et  ne  pouvaient  l'être  ;  ce  phénomène  politique  était  en- 
core inconnu  dans  l'histoire,  et  l'étoiinemcnl  qu'il  a  excité 
durera  long-tems. 

On  s'attend  bien  que  la  littérature  tient  peu  de  place  dans 
ce  journal;  dans  huit  numéros  consécutifs  que  nous  avons 
parcourus,  nous  avons  vu  la  politique  envahir  toutes  les  pa- 
ges; et  nous  ne  l'avons  nullement  désapprouvé.  Les  joyeux 
passe -tems  viendront  plus  tard;  quant  à  présent,  soyons 
tout  entiers  aux  choses  sérieuses.  Si  la  politique  de  tous  les 
pays  est  aussi-bien  conçue  et  traitée  dans  ce  journal  que  celle 
delà  France  en  particulier,  les  rédacteurs  ont  atteint  leur  but, 
et  leur  entreprise  mérite  les  suffrages  et  les  encouragemens  de 
tous  les  amis  de  l'humanité.  Le  spectacle  qu'ils  nielteutsous 
les  yeux  des  nations  est  encore  douloureux  :  en  s'arrêtant  au 
•24  juillet,  nous  y  voyons  la  France  inquiète,  mais  coura- 
geuse, l'Espagne  et  le  Portugal  continuant  à  rétrograder,  l'I- 
talie n'avançant  point  dans  la  carrière  des  améliorations,  le 
sort  de  la  Grèce  encore  indécis,  notre  armée  d'Afrique  livrée 
aux  maladies  et  à  l'incapacilé  de  son  chef,  les  vertueux  exi- 
lée  des  Pays-Bas  sans  asyle  :^ur  le  continent  européen,  etc. 


4o6  LIVIŒS  ETUA.NGEUS. 

Le  nini.s  d'août  sera  moins  triste  ;  des  rayons  d'espoir  se  feront 
jonr  à  travers  les  sombres  nuages  dont  l'avenir  des  peuples 
est  encore  enveloppé. 

Nous  n'avons  parlé  que  du  but,  de  la  tendance,  de  l'esprit 
du  nouveau  journal  ;  nous  lui  devons,  et  surtout  nous  devons 
à  nos  lecteurs  de  faire  connaître  aussi  le  style  de  la  plupart  de 
ses  articles  ,  afin  (|u'il  soit  apprécié  sous  tous  les  aspects.  Nous 
ne  citerons  point  un  article  relatif  à  notre  pays;  tranquilles 
désormais  sur  notre  avenir,  c'est  des  autres  nations  que  nous 
devons  nous  occuper  :  choisissons  un  article  relatif  à  l'Italie. 

«  Le  moyen  principal  du  gouvernement  de  l'Autriche  en 
Italie,  c'est  rcspionnage.  Timet  limerites,  rnetus  in  auctorem  re- 
dit, a  (lit  Sénèquc,  en  parlant  du  tyran.  Cesmots  s'appliquent 
on  ne  peut  plus  justement  à  nos  gouvernons  ;  partout  où  il  est 
possible  que  quatre  personnes  se  réunissent,  on  est  sûr  de 
rencontrer  un  espion.  Ils  sont  sur  les  places  publiques,  dans 
les  promenades,  aux  théâtres,  dans  les  églises  mêmes.  Les  hô- 
tels, les  cafés,  les  cabinets  de  lecture  en  sont  infestés;  l'or- 
ganisation et  la  solde  de  cette  bande  dans  toutes  les  villes  sont 
telles  que  l'on  trouve  toujours  des  hommes  pour  en  faire  par- 
tie. Les  simples  agens  ont  deux  livres  d'Autriche  par  jour, 
les  inspecteurs  en  ont  quatre,  les  espions  nobles  en  ont  dix, 
et  les  agens  supérieurs  ont  à  peu  près  tout  ce  qu'ils  veulent. 

j)On  avoue  ici  l'existence  de  cette  police,  et  on  obtient  par 
cet  aveu  l'avantage  de  jeter  la  défiance  dans  toutes  les  rela- 
tions sociales ,  de  restreindre  les  conversations,  d'empêcher 
toute  réunion  d'Iionmie.  d'inquiéter  l'amitié  même.  Ainsi,  l'i- 
solement des  indi\idus  fait  la  force  du  gouvernement. 

»  Les  révolutions,  comme  on  l'a  ditavec  raison,  se  font  dans 
les  idées  avant  de  passer  dans  les  choses.  Le  grand  soin  de 
nos  gouverneurs  et  de  la  police  est  de  saisir  les  idées  à  leur 
passage,  et  d'en  empêcher  la  communication.  C'est  pour  cela 
que  les  honmies  les  plus  icmarqiiables  par  leui^  lumières, 
leurs  lalens  ou  letirs  vertus  sont  environnés  d'observateurs 
chargés  de  rendre  compte  des  visites  faites  ou  reçues,  et  même 
de  simpleshabiludes  de  famille;  d'un  autre  coté,  un  ordre  po- 
sitif, dont  l'exécutionestpublique,  faitouvrir  toutes  les  lettres. 
et  elles  sont  remises  dans  cet  état.  C'est  ainsi  que  la  crainte 
empêche  à  peu  près  toute  correspondance  avec  les  étrangers, 
la  personne  qui  reçoit  une  lettre  étant  considérée  comme 
aussi  coupable  que  celle  qui  l'écrit.  La  surveillance  de  la  po- 
lice s'étend  ])lus  spécialement  sur  les  établissomens  d'instruc- 
tion pulilique,  les  collèges  et  les  académies,  et  des  rapports 
très-circonstanciés  rendent  iouruellc'nent  compte  ili:.^  leçons 


(.llANDK-lillKTA(;NK  —  RlSSli:.  ',07 

(les  iiLÙln;--  et  de  la  conduite  des  clèvos  Au  imiiiidie  mot 
d'une  interprétation  hostile,  au  moindre  signe  d'iui  sentiment 
national,  le  cours  est  suspendu,  et  le  piofes-eur  deslilné. 
C'est  ce  qui  est  arrivé  à  un  profe>*seur  d'histoire  qui,  dans  sa 
chaire, avait  cité  ce  mot  connu  du  papeJules  11  :  Funrdel  l'ita- 

liu  i  l'avbari^  hors  de  l'Italie  les  Barbares «Tout  le 

reste  de  l'article  n'est  pas  moins  caractéristique,  ni  moins  iii- 
slructir.  F. 

RUSSIE. 

^3. —  *  Séance  extraordinaire  tenue  par  l' /icadcinic  impériale 
des  Sciences  de  Saint-Pélcrshourg ,  en  r honneur  de  M.  le  baron 
Alexandre  i)V.Wm\ho\.ï)T ,  le  i6novem!)re  1829.  Saint-Pél»  rs- 
i)Ourg,  1829;  imprimerie  de  l'Académie  des  Sciences.  I11-4" 
de  40  pages. 

Les  voyages  de  M.  de  Humbohit  t'ourniront  quelques-unes 
des  pi  us  belles  pages  de  l'histoire  de»  sciences.  Si  l'on  compare 
les  résultats  de  la  reconnaissance  qu'il  vient  de  faire  au  nord 
de  l'Asie  avec  ce  que  Pallas  nous  avait  appris  sur  les  iriêmes 
contrées,  on  sera  suijiiis  de  l'abondance  de  la  nouvelle  ré- 
colte. Cependant,  Pallas  a  écrit  tout  ce  (pi'il  avait  vu,  et  tout 
ce  qu'il  croyait ,  d'après  des  témoignages  dignes  de  foi  ;  sou 
voyage  dura  plusieurs  années,  et  il  eut  le  lem^^  d'observer  sous 
divers  aspects,  dans  plusieurs  saisons,  les  pays  rpi'il  traver- 
sait. Il  est  vrai  que  Pallas  était  jeune  encore,  qu'il  était  lïioins 
bien  secondé  que  31.  de  Hiunljoldt  ne  l'a  été,  et  qu'à  répo(|ue 
on  il  visita  la  Sibérie,  les  sciences  n'avaient  pas  fait  \v^  im- 
Di«;nses  progrés  qu'ini  demi  siècle  de  travaux  mieux  dirigés 
devait  amener.  M.  de  Humboldt  donne  une  idée  très-juste  de 
ces  progrès  :  citons  cette  partie  intéressante  du  discours  qu'il 
prononça  dans  cette  séance.  -  • 

«  Pendant  le  long  intervalle  qui  a  sépare  nies  deux  voyages, 
la  face  des  sciences  ])hysiqncs,  surtout  de  la  géoguosie,  de  la 
chimie,  de  la  théorie  électro-magnétiqne  a  considérablement 
changé.  De  nouveaux  appar«'ils,  j'oserai  presipie  dire,  de  nou- 
veaux organes  ont  été  créés  pous  mettre  l'homme  en  contact  plus 
immédiat  avec  les  forces  mystérieuses  (|ui  animent  l'œuvre 
(le  la  création,  et  dont  la  lutte  inégale,  le,>  pei  turbations  ap- 
parentes sont  soumises  à  des  lois  éternelles.  Si  les  vovageurs 
modernes  peuvent  somnettre  à  leurs  observations,  en  peu  de 
tenis  ,  un  plus  grand  espace  de  la  superficie  du  globe,  c'est  à 
la  précision  des  sciences  mathématiques  et  physiques,  au  per- 
fectionnement des  méthodes,  à  l'art  de  grouper  les  faits  et  de 


4o8  LIVllES  ÉTJIÀNGEKS. 

s'c)  ever  à  des  considérations  générales  qu'ils  doivent  les  avan- 
ta^  es  dont  ils  jouissent.  »  Le  voyageur  trace  ensuite  les  devoirs 
de  ceux  qui  vont,  comme  lui,  à  lu  découverte  des  faits  de  la 
nature,  devoirs  auxquels  ont  satisfait,  dit-il,  ceux  qui  l'ont 
précédé  dans  la  cairiére,  et  dont  l'exftnplc  a  souvent  ranimé 
son  ardeur  dans  les  momens  difficilrs.  Tel  est ,  ajoule-t-il  avec 
modestie,  (a  source  des  faibles  succès  d'un  dévoûnient  que  l'in- 
dulgence ir  C Acd'lnnie  a  daigné  agrandir  jwr  ses  suffrages. 

«Terminant  sous  d'heureux  auspices  uu  voyage  lointain  en- 
treprisparordre  d'un  monarque  magnanime, puissaniuicntaidé 
des  lumières  de  deux  ."-avans  dont  l'Europe  apprécie  les  tra- 
vaux, 31M.  Ehre>berg  et  IIose.  je  pourrais  me  borner  ici  à 
déposer  devant  vous  l'iiommage  de  ma  vive  et  respectueuse 
reconnaissance;  je  pourrais  solliciter  de  celui  (i)  qui,  très- 
jeune  encore,  avait  osé  pénétrer  dans  ces  mystères  antiques, 
sources  mémorables  de  la  civili-alion  politique  et  religieuse  de 
la  Grèce,  de  me  prêter  le  secours  de  l'art  de  bien  dire,  pour 
exprimer  plus  dignement  les  seulimens  qui  m'animent.  >lais 
je  le  sais,  messieurs,  le  charme  de  la  parole,  dût-il  même 
être  d'accord  avec  la  vivacité  du  sentiment,  ne  suffit  point 
dans  cette  enceinte. Vous  êles  chargés,  dans  ce  vaste  empire, 
de  la  grande  et  noble  mi.-sion  de  donner  une  impulsion  géné- 
rale à  la  cidlure  des  S(  icn(  es  et  des  lettre*;,  d'encourager  les  tra- 
vaux (pii  sont  en  harmonie  avec  l'étatactueKles  coimaissances 
humaines,  de  vivifier  et  d'agrandir  la  pensée  dans  le  domaine 
des  hantes  mathémati(|ncs,  de  la  physique  du  monde,  dans 
celui  de  l'histoire  des  |ienples  éclairée  par  les  monumens  des 
difïérens  Hges.  A  os  regards  se  portent  en  avant  sur  la  carrière 
qui  reste  à  parcourir,  et  le  tiibut  de  reconnaissance  que  je 
viens  vous  offrir,  le  seul  digne  de  votre  inslitulion,  est  l'en- 
gagement solennel  que  je  prends  de  rester  fidèle  à  la  culture 
des  sciences  jusqu'au  dernier  stade  d'une  carrière  déjà  avan- 
cée, d'explorer  sans  cesse  la  natuie,  cl  de  poursuivre  une 
route  tracée  par  vous  et  vos  illustres  devancier.-.  » 

jSous  regrettons  de  ne  pouvoir  transcrire  en  entier  l'énu- 
méralion  des  travaux  scientifiques  exécutés  depuis  quelques 
années  dans  la  Jlussie;  mais  il  ne  faut  rien  omettre  de  ces  nom- 
breuses et  importantes  notices,  non  plus  que  de  l'inilicalion 
des  lecheichis  idlérieures  à  faire  sur  le  territoire  de  la  llussie, 
dont  l'étendue .  dit  notre  voyageur,  dépasse  celle  de  la  partie 
visible  de  la  lune  ;  loiitcs  les  parties  des  sciences  physiques  ont 


[l'j  M.  OlvaBOf,  président  tic  l'Académie. 


KLSSli;.  409 

actnellenient  besoin  du  concours  des  sa  vans  russes,  afln  de 
compléter  et  de  coordonner  les  obseivations  laites  sur  les  au- 
tres parties  de  la  terre.  Ce  discouis  est  le  proi^ranime  i^énéral 
des  questions  à  ré-oudre,  l'exposition  des  méthodes  à  suivre, 
la  désignation  des  lieux  les  plus  propres  aux  observations  : 
partout  où  il  sera  lu  ,  les  savans  se  mettront  à  l'œuvre,  et  s'em- 
presseront de  contribuer  à  l'édifice  dont  M.  de  Humboldt  nous 
présente  le  magnifique  ensemble.  «C'est  aux  corps  scientifi- 
ques qui  se  renouvellent  et  se  rajeunissent  sans  cesse;  c'est  aux 
Académies,  aux  L'niversités,  aux  diverses  Sociétés  savantes  ré- 
pandues en  Europe,  dans  les  deux  Amériques,  à  l'extrémité 
méridionale  de  l'Afrique,  aux  grandes  Indes  et  dans  celte  Aus- 
tralasie  naguère  si  sauvage,  où  déjà  s'élève  un  temple  d'Ura- 
nie,  (|u'il  appartient  de  faire  observer  régulièrement,  mesurer, 
surveiller,  pour  ainsi  dire,  ce  qui  est  variable  dans  l'écono- 
mie de  la  nature.  L'illustre  auteur  de  la  Mécanique  céleste  a 
exprimé  souvent  verbalement  la  même  pensée  au  sein  de 
l'Institut,  où  j'ai  eu  le  bonbeur  de  siéger  avec  lui  pendant  dix- 
huit  ans.  »  iM.  de  Humboldt  a  toujours  soin  de  parler  des  au- 
tres savans,  et  le  moins  possible  de  lui-même  :  la  justice  et 
l'amitié  sont  deux  passions  auxquelles  il  s'abandonne  comme 
à  l'amour  des  sciences. 

Le  discours  du  président  de  l'Académie  est  parfaitement 
adapté  à  la  circonstance;  c'était  une  séance  extraordinaire  dont 
l'illustre  voyageur  devait  surtout  faire  les  frais,  comme  il  en 
était  l'occasion.  Nous  voudrions  aussi  pouvoir  transcrire  en 
entier  les  tiois  pages  où  M.  le  président  à  montré  jusqu'à  quel 
point  il  possède  Varl  de  bien  dire;  mais  il  faut  nous  borner  à 
la  péroraison. 

«Félicitons-nous,  messieurs,  du  concours  favorable  des 
évènemens  qui,  à  l'époque  la  plus  brillante  de  notre  histoire, 
a  amené  parmi  nous  l'homme  le  plus  digne  d'eu  apprécier  les 
avantages.  Qui,  mieux  que  lui,  pourrait  se  lendre  compte  de 
cet  accord  de  la  force  physique  et  de  la  force  murale  qui  consti- 
tue les  grands  États,  et  seul  les  consolide?  Que  les  scènes 
variées  qui  se  sont  oûertes  de  toutes  parts  à  ses  yeux  ne  s'ef- 
facent pas  de  sa  mémoire  :  qu'il  se  souvienne  lo:ig-tems  d'un 
pays  où  son  mérite  a  été  apprécié,  ses  talens  reconnus,  son 
caractère  estimé  à  leur  véritable  mesure  :  qu'il  dise  à  ses  com- 
patriotes, à  l'iiurope ,  qu'il  a  vu  la  Russie  s'avancant  dans  la 
carrière  qu'il  a  lui-même  illustrée.» 

Deux  Mémoires  furent  lus  à  la  même  séance,  l'un  par  M.  Hess, 
académicien  adjoint,  sur  la  géognosie  des  contrées  situées  au 
delà  du  lac  Baïkal,  l'autre  par   M.  Rcpfeb.  membie  de  l'A- 


4io  LIVIU'S  ÉTilANGERS. 

cadi'mie,  .'^ur  quelques  phénomènes  magnétiques.  Nous  aurons 
roccasion  d'en  parler  ailleurs.  F. 

^4  —  *  Mémoires  de  L' Académie  impériale  des  sciences  de 
Saini-Pétershourg  (en  lutin  cten  français).  Sixième  série,  com- 
mencée en  i83o.  Premiire  section  :  Sciences  tnathcmatiques, 
physiques  et  naturelles.  Tome  premier  :  i"  litraisoii  (il  y  en  aura 
sept).  Pétersbouig,  i85o;  imprimerie  de  l'Académie.  In-4" 
de  1 15  et  IX  pages,  avec  une  planche  ;  prix  des  sept  livraisons, 
i8  roubles  (environ  i8  Irancs.) 

■ — li)EM.  Deu.riénie  section  :  Sciences  politiques,  histoire, 
philologie.  Tome  premier  :  i'"  livraison  (il  y  en  auras/.r).  Saint- 
Pétersbourg,  i85o;  imprimerie  de  l'Acadéniie.  Iii-4"  de  88 
pages,  avec  une  planche;  prix  des  six  livraisons,  \'i  roubles 
(environ  la  francs). 

L'Académie  des  sciences  de  l'étersbuurg  a  publié,  tluraut 
\c  premier  siècle  de  son  existence,  ^5  volumes  de  ses  Mémof- 
res,  (|ui  ont  successivement  paru  en  cinq  séries,  et  sous  les  ti- 
tres suivans  :  1.  Commcntarii  Acadeniia;  impcrialis  scienliarum 
Petropolitanœ,  depuis  1726  jusqu'en  i747«  en  i4  vol.  in-4''  — 
i.N ovi  Commentarii ,  1747" '77^'  ^i  vol. — o.Acta,  1776-1783. 
12vol.  —  ^.  AotaActa,  i785-i8o5,  i5  vol. — Et  5,  Màiwires, 
1805-1826,  Il  vol.  Cette  dernière  série  a  été  plusieurs  fois 
annoncée  dans  la  Revue  Encyclopédique.  A  chacune  de  ces 
dillércntcs  époques  seraltaclie  quelque  souvenir  remarquable, 
tels  que.  en  1726.  la  Première  séance  publique  en  présence  de 
l'impéiatrice  (lalherine  1",  époque  de  Tinauguralion  de  l'Aca- 
démie: en  1747,  Ifs  lèglemensdounésàcelle  Société  par  Eli- 
sabeth, fille  de  Pierre  I";  en  1776,  la  célébration  solennelle 
du  jubile  semi-séculaire;  en  1783,  la  nomination  de  la  prin- 
cesse Dachkof,  directeur  de  l'Académie;  en  i8o5,  les  non 
veaux  réglemens  donnés  par  Alexandre  ;  enfin,  en  décembre 
1826,  la  célébration  de  la  fête  séculaire.  Pour  tacililer  le  débit 
de  ses  Mémoires,  et  en  accélérer  la  publication,  l'Académie 
vient  d'adopter  un  nouveau  mode  pour  la  rédaction  de  ce  re- 
cueil, qui  commence  actuellement  sa  sixième  5me,  divisée  en 
deux  sections,  comme  l'indique  le  titre  placé  en  tête  de  cet  ar- 
ticle. Les  travaux  de  cette  Société  seront  mis,  decetle  manière, 
à  la  disposition  de  tous  les  savans  avec  beaucoup  plus  de  ra- 
pidité et  de  régularité  qu'ils  ne  l'ont  été  jusqu'à  ce  moment, 
ce  qui  ne  peut  manquer  de  tourner  au  profil  des  sciences. 
Parmi  les  quatorze  Mémoires  du  plus  haut  intérêt  que  con- 
tiennent les  deux  prcmiér(;s  sections  (pie  nous  annonçons, 
il  s'en  trouve  f<W/  qui  ont  rapport  a  la  llussic.  et  cjui,  par  ce 
piotil,  fixeront  ratteiitiun  spéciale  des  lectems  étrangers;  ce 


RUSSIE.  411 

sont,  dans  la  section  des  sciences  mathémaliqiics,  les  Mé- 
moires :  Sur  les  Sels  communs  du  goucerncmctit  d' [rkoalzk  (en 
Sibérie),  par  M.  Hess;  Calcul  des  oppositions  de  J upiicr  et  de 
Saturne,  observées  à  Pctersbourg  en  1818,  par  Tarrhanof;  el 
dans  celle  des  sciences  politiques,  histoire  et  philologie,  les 
Recherches  de  M.  Herrmaî«?>,  sur  le  nombre  des  Suicides  et  des 
Homicides  commis  en  Russie  pendant  les  années  1S19  et  1S20; 
article  de  la  plus  haute  importance  ;  la  iNotice,  du  même  aca- 
démicien, sur  VÉtat  actuel  delà  Population  tatare  en  Tauride ; 
enfin,  celle  de  M.  Gr.efe  ,  eu  latin,  relative  à  une  ancienne 
1  nscription  grecque,  trouvée  dans  les  ruines  de  l^ ancienne  ville  de 
Sarai,  prés  de  Tzaritzine,  sur  le  Volga.  —  Un  des  plus  zélés  et 
des  plus  savans  collaborateurs  de  la  Revue  Encyclopédique, 
M.  Ferry,  qui  a  déjà  donné  un  article  étendu  sur  les  derniers 
volumes  de  la  cm(7«t(7«c5tT/c  de  ces  Mémoires  (voy.  Rer,  Enc, 
février  1829;  t.  xi.i ,  p.  545-3(i6)  consacrera  incessamment  à 
ceux  que  nous  annonçons  ici  une  analyse  détaillée,  que  ré- 
clame l'importance  des  objets  dont  l'Académie  de  Pélersbourg 
s'est  occupée. 

75.  —  *  Mémoires  présentés  d  CÀcadénïie  impériale  des  scien- 
ces de  Pétersbourg ,  par  divers  sava>s,  et  lus  dans  ses  assem- 
blées* Tome  premier,  i"  livraison  (il  y  en  aura  six  pour  chaque 
volume).  Pétersbourg,  i85o;  imprimerie  de  l'Académie. 
In-4°  de  95  pages,  avec  2  planches;  prix  des  6  livr.iisons, 
i5  roubles  (i5  francs.) 

Les  i\lémoiresdes5arfln5É/rang<??-5  se  publient  à  part,etsonl 
destinés  à  former  un  recueil  indépendant  de  celui  des  acadé- 
miciens, et  qui  paraîtra  de  la  même  manière  que  les  pré- 
cédens,  par  livraisons  de  10  à  i5  feuilles  in-4"  chacune,  el 
dont  six  formeiont  un  volume.  La  première  livraison,  que  nous 
annonçons,  contient  'i.v  31émoires,  dont  deucc  en  latin  de 
MM.  ScHULTEs  et  Degen,  cl  quatre  en  français,  de  MM.  De- 
GEN,  BazA-IKe,  Schvlten  et  Bartels.  —  La  septième  livraison 
de  la  section  des  sciences  mathémathiques  .  physiques  et  na- 
turelles, est  destinée  à  offrir  V histoire  de  l'Académie  et  les 
rapports  lus  dans  les  séances  et  dont  la  publication  aura  été 
arrêtée;  les  9  pages  qui  se  trouvent  annexées  à  la  première 
livraison  de  la  première  section  contiennent  le  Bulletin  des 
séances  de  l'Académie  depuis  le  yI- septembre  1829  jus(}u'an  7-^^ 
février  i85o.  Nous  profitons,  pour  notre  section  des  Nouvelles, 
de  ce  bullelin  qui  oflVe  beaucoup  d'intérêt. 

Serge  PoLTORATZKV.  de  Moscou. 


/,ia  LIVRES  ÉTRANGERS. 

^6.  —  Poezye  Alcxandra  Cliodzki.  —  Poésies  à' Alexandre 
(^iiODZKO.  Saint-Pélersboiiiir ,  1829.  In- 12. 

Un  des  anciens  étiidians  de  l'universilé  de  W  ilna ,  d'abord 
proscrit,  aujourd'hui  libre,  M.  Alexandre  Chodzko  s'est  livré  à 
Saint-Pétersbourg  à  l'élude  des  langues  orientales,  et  le  pre- 
mier fruit  qu'il  en  a  retiré  il  l'a  consacré  à  sa  patrie,  en  publiant 
le  recueil  de  poésies  dont  nous  parlons.  On  y  trouve  peu  de 
pièces  originales,  mais  en  revanche  nousy  voyons  un  recueil  des 
meilleurs  chansons  traduites  du  grec  moderne,  un  poème  en 
deux  chants  ou  ^a.sit'c/as  composé,  pour  la  plus  grande  partie, 
d'après  les  poètes  arabes  et  turcs,  et  intitulé  Derar;  eulin  des 
élégies,  des  ballade-  et  des  chansons  tantôt  de  l'auteur,  tan- 
tôt traduites  de  Fanglais,  de  l'allemand,  du  russe  et  du  morla- 
que.  Le  choix  de  ces  sources  nouvelles,  et  jusqu'ici  incoiniucs 
(lans  la  littérature  polonaise,  aurait  snfTi  pour  attirer  l'atten- 
tion du  public,  si  M.  Chodzko  n'avait  pas  encore  possédé  un 
véritable  talent  poéti<(iie.  Mais  ce  jeune  écrivain  réunit  un  goût 
exquis  et  le  mérite  d'une  versification  soignée  à  une  instruc- 
tion solide  et  variée.  En  pa^'ant  ici  un  juste  tribut  à  son  talent, 
nous  ne  sommes  que  les  interprètes  du  public  polonais  dont 
les  organes  légitimes,  les  journaux  qui  se  publient  à  Varsovie, 
ont  été  unanimes  pour  faire  l'éloge  de  ses  productions.  Enfin, 
la  route  sur  laquelle  il  marche  appartient  à  lui  seul,  car 
jusqu'à  présent,  outre  les  traductions  de  la  Bible, au  xvi' siè- 
cle,  tout  ce  qu'on  connaissait  en  Pologne  de  la  littérature 
orientale  ne  l'était  (pie  d'après  les  versions  des  autres  langues. 

M.  Kray,  imprimeur  de  Saint-Pétersbourg,  mérite  aussi  des 
éloges  pour  la  beauté  de  toutes  les  éditions  de  livres  polonais 
qu'il  publie  ;  mais  malheureusement  les  lilliographies  mons- 
trueuses qu'il  y  ajoute  souvent,  et  surtout  celle  qu'il  a  placée 
à  la  tête  du  recueil  de  M.  Chodzko,  ont  uii  double  désavantage  : 
d'abord,  parce  qu'elles  déparent  l'édition,  ensuite,  parce 
{[u'elles  déshonorent  les  artistes  de  la  capitale  de  la  Russie, 
où  cependant  la  célèbre  Académie  des  beaux-arts  compte  un 
grand  nombre  de  talens  distingués.  M.  P. 

POLOGNE. 

7^.  —  Poeiye  Jozefa  Massalskiego.  —  Poésies  de  Joseph 
Massalski.  Wilna,  1827-1828.  2  vol.  in-12. 

Le  premier  vt)lume  de  ce  recueil  contient  :  1°  les  fables; 
2°  les  contes  ;  5°  les  épîtres  ;  4°  poésies  diverses.  Dans  le  se- 
cond ,  il  y  a  des  fables  et  des  poésies  diverses.  Cet  auteur  se 
fait  remarquer  par  mi  mérite  particulier  :   c'est  la  facilité,  la 


POLOrxL>E.  4,5 

légèrelé.  lagaité  volage,  cl  par-dessus  loul  lasimplicilédii  style 
et  du  récit.  Dans  ce  genre  de  poésie,  M.  iMassalski  n'a  point  de 
concurrens  parmi  les  écrivains  actuels  de  la  Pologne  ;  seul ,  il 
rappelle  souvent  le  génie  du  grand  Rrasicki  ;  en  le  lisant  on 
est  en  même  tems  ému,  charmé  et  égayé.  Mais  l'auteu:- 
abandonne  quelquefois  la  route  qui  lui  est  si  naturelle  ;  il  tombe; 
dans  la  tristesse,  il  veut  être  grave  et  rêveur;  et  alors  il  nous 
semble  qu'il  jie  réussit  point.  Plusieurs  de  ses  fables  et  de  ses 
contes  portent  l'empreinte  de  la  véritable  poésie,  et  si  l'au- 
teur se  néglige  parfois  il  n'ôte  jamais  TiHusion  à  ses  lecteurs. 
Sans  doute  le  recueil  des  poésies  de  31.  Massaiski  n'est'qu'un 
échantillon  de  son  beau  talent,  et  ceux  qui  connaissent 
l'histoire  de  sa  vie  s'étonnent  qu'il  puisse  conserver  encore 
sa  verve  dans  la  position  triste  et  fâcheuse  à  laquelle  il  est 
réduit.  Cité  parmi  les  étudians  les  plus  distingués  de  l'uni- 
versité de  "Wilna,  M.  Massaiski  partagea  le  sort  de  tous  ses 
collègues  qui  se  faisaient  remarquer  parleurs  talens.  En  1825, 
Mickiewicz  fut  envoyé  en  Tartarie  ;  Thomas  Zan.  en  Sibérie; 
Jezoïrski,  à  Moscou  ;  Alexandre  Cliodzko,  à  Petersbourg;  So- 
holeitslà,  à  Arkhangel  et  plusieurs  autres  étudians  dans  diverses 
contiées  plus  ou  moins  éloignées  des  frontières  de  l'ancienne 
Pologne.  Quant  à  M.  Massaiski,  le  grand-duc  Constantin  lui 
réserva  un  sort  encore  plus  triste  ;  il  le  condamna  à  êtie  sim- 
ple soldat,  dans  un  des  régimens  moscovites,  avec  la  pension 
de  trois  centimes  par  jour.  Cependant  ce  jeune  homme,  au 
lieu  de  faire  partie  d'une  Société  patriotique,  comme  les  au- 
tres compagnons  de  son  infortune,  ne  subit  le  triste  sort  sous 
lequel  il  gémit  actuellement  que  pour  une  faute  très-légère 
et  entièrement  étrangère  à  la  politique  :  c'est  donc  au  milieu 
de  la  vie  étrange  à  laquelle  il  a  été  condamné,  qu'il  a  com- 
posé toutes  ses  poésies. 

78.  —  Poezye  Kazimierza  Brodzlnskics;o.  —  Poésies  de  Casi- 
mir Brodzinsri.  Deuxième  édition.  Varsovie,  1829;  2  vol. 
in- 12. 

M.  Brodzinski,  savant  professeur  de  littérature  polonaise  à 
l'université  de  Varsovie,  est  placé  aujouid'hui  au  premier 
rang  parmi  les  poètes  nationaux.  La  naïveté,  la  candeur  «t  la 
simplicité  sont  les  qualités  qui  distinguent  surtout  son  talent; 
et  l'amour  de  la  patrie  domine  dans  tous  les  écrits  qu'il  a  pu- 
bliés, tantôt  en  vers,  tantôt  en  prose.  Il  a  d'abord  consacré  sa 
lyre  à  la  gloire  des  guerriers  polonais,  et  se  fit  connaitre  par 
les  poèmes  intitulés  :  Le  Légionnaire  en  Italie,  le  Camp  de 
Raszyn  (  1809),  et  par  plusieurs  autres  ouvrages  du  môme 
genre;  s'es«ayant  ensuite   dans  la  poésie  villageoise,  il  sur- 


4i4  LIVRES  ÉTRANGERS. 

passa  tons  ses  devanciers,  snrtont  par  le  poème  auquel  il 
donna  le  titre  de  f^icslaw,  et  qui  est,  sans  contredit,  une 
des  productions  les  plus  remarquables  dans  ce  {jenre.  Plus 
lard,  il  voyag:ca  dans  les  États  slaves  de  l'Autriche,  y  étu- 
dia les  langues  de  la  Bohème,  de  la  Moravie,  de  l'Illjric  , 
de  la  Croatie,  de  l'Esclavonie ,  etc.,  et  publia  en  polonais  une 
traduction,  pleine  de  beautés  et  de  naïveté,  des  chansons  natio- 
nales de  ces  peuples.  Cependant  M.  Brodzinski  ne  cherche 
jamais  à  fasciner  l'esprit  de  ses  lecteurs;  sa  manière  est  celle 
qui  s'adresse  au  cœur  plutôt  qu'à  l'imagination;  elle  n'en  est 
pas  pour  cela  moins  pourvue  de  charuîcs  et  d'attraits.  Aussi, 
la  nouvelle  édition  de  ses  poésies ,  augmentée  de  plusieurs 
pièces  inédites,  a  obtenu  les  plus  grands  éloges,  et  toutes  les 
voix  se  sont  accordées  pour  lui  décerner  les  hommages  les 
plus  flatteurs. 

79.  — Pociye  bihliync  Stefana  JJ^itwickicgo.  —  Poésies  bi- 
bliques, par  Ê/iVnng  Witwicki.  Varsovie,   i83o.  1  vol.  in-i2. 

ho.  • —  Poczye  sieiside.  —  Poésies  champêtres,  par  le  même 
auteur.  Varsovie,  i85o.  1  vol.  in- 12. 

81. — Edmund.  — Edmond,  roman,  parle  même  auteur. 
Varsovie,  1829.  ivol.in-8°. 

M.  Etienne  "NVitwicki  débuta,  dans  la  carrière  littéraire,  par 
de^  poésies  délacliées,  qui  furent  insérées  dans  divers  journaux 
de  \arsovie,  depuis  1820  jusqu'en  1822.  Son  talent  plut  au 
public,  01  l'on  attendît  avoc  impatience  la  publication  du  re- 
cueil complet  de  ses  productions.  C'était  l'époque  où  la  poé- 
sie albiuiande  était  en  grande  faveur  auprès  des  Polonais,  par 
suite  de  la  publication  des  ouvrages  de  M.  Mickiéwicz.  le  plus 
•  listingué  des  écrivains  formés  par  l'étude  de  la  littérature  de 
rAlleuiagne  ;  M.  ANitwicki,  au  lieu  de  suivre  les  inspirations 
de  son  propre  génie,  s'essaya  à  imiter  ces  ballades  dont  le 
nom  même  ne  fut  jamais  connu  chez  le  peuple  polonais;  il  ne 
fut  pas  entièrement  heureux  dans  cette  maladroile  tentative. 
Ka  critique  releva  tous  les  défauts  qui  déparaient  son  recueil, 
mais  ne  négligea  point  de  proclamer  le  talent  bien  réel  de 
l'auteur  pour  d'autres  genres  de  poésie.  Quelques  années  s'é- 
taient ainsi  écoulées,  et  M.  Wilvvicki,  persuadé  enfin  de  l'im- 
possibilité de  suivre  une  vocation  (pii  n'était  point  la  sienne,  se 
li\ra  à  des  travaux  sérieux  dans  un  genre  nouveau,  dont  il  est 
le  créateur  en  Pobigne  :  c'est  la  poésie  bibli(pie.  Il  y  a  une 
(iiflérence  uolabb^  entre  ses  anciennes  b-dlades  et  le  recueil 
(|u'il  a  pid)lié  il  y  a  f|ii('lques  mois,  et  tout  à  l'avanlag-e  de  ce- 
lui-ci. On  y  remarque  deux  espèces  de  poésies  :  dans  les  unes 
le  poète  traduit  des  extraits  de  l'Ancien  Testament,  comme 


POLOGNE.  —ALLEMAGNE.  /jiS 

par  ('\emplo  Ruth,  Samson,  tiré  des  livres  îles  .Iiif>:es,  Saiil  ol 
Dariil,  (les  livres  des  llois,  etc.;  dans  les  autres,  il  domie  une 
nom  elle  lornie  aux  sujets  tirés  des  livres  des  Hébreux,  et  telle 
est  eutie  autre  Tohie^  scène  lyrique.  L'apparition  de  cet  ou- 
vrage excita  les  plus  vifs  éloges,  et  l'auteur  fut  ainsi  ample- 
ment dédommagé  du  peu  de  succès  de  ses  premiers  ouvrages. 
—  Le.>  anciens  Hébreux  sont,  il  est  vrai,  aussi  étrangeis  aux 
Polonais  que  les  Allemands  actuels  ;  mais  l'esprit  religieux  qui 
règne  dans  leurs  ouvrages  est  celui  sur  lequel  la  Pologne  chré- 
tienne s'est  formée.  Aucun  pays  ne  possède  d'aussi  belles  et 
d'aussi  nombreuses  traductions  de  la  Bible  auxvi^  siècle  que  la 
Pologne;  et  c'est  évidemment  la  langue  duxvi'  siècle  qui  sert 
de  modèle  aux  écrivains  actuels  de  ce  pays.  Ainsi,  M.  W'itwicki, 
en  puisant  dans  les  Bibles  de  ce  siècle  et  ses  sujets  et  les  beau- 
tés de  la  langue,  se  trouva  sur  le  terrain  national  qui  lui  con- 
vient le  mieux. 

A  peine  cet  ouvrage  eût-il  paru  ,  que  l'auteur  en  publia  un 
autre,  sous  le  titre  de  Poésies  champêtres.  Autant  on  remarque 
de  dignité  et  de  majesté  religieuses  dans  le  précédent,  autant 
on  est  charmé  dans  celles-ci  par  des  beautés  qu'on  ne  re- 
trouve que  dans  les  ouvrages  de  Brodzinski.  Tout  ce  que 
nous  avons  dit  des  mérites  de  ce  dernier  poète,  s'applique 
aussi  an  recueil  des  poésies  champêtres  de  M.  AVilwicki; 
mais  on  peut  apercevoir  facilement  entre  ces  deux  écrivains 
une  différence  réelle  :  le  premier  nous  retrace  le  tableau  des 
mœurs  de  tous  les  slaves  occidentaux  (Polonais,  IMoraves, 
Bohèmes,  Croates,  etc.)  ,  et  semble  s'attacher  à  faire  con- 
naître l'esprit  général  qui  les  rapproche;  taudis  que  son  émule 
se  renferme  dans  les  bornes  de  la  Pologne  ,  qu'il  veut  séparer 
des  autres  pays  slaves.  Ensuite,  M.  AVilwicki  a  consacré  son 
recueil  spécialement  à  ce  genre,  taudis  que  M.  Brodzinski  ne 
lui  a  donné  que  peu  de  place  dans  sou  recueil. 

Nous  ne  pouvonsque  léliciler  M.  \s  itwicki  d'avoirchoisi  une 
>i  belle  route,  d'avoir  cherché  la  .■^implicite  et  la  naïveté  dans 
deux  genres  de  poésie  populaire,  qui,  l'un  et  l'autre,  convien- 
nent surtout  aux  mœurs  et  aux  itiées  de  ses  compatriotes.  — 
Enfin,  quant  au  roman  intitulé  Edmund^  où  l'anfeura  voulu 
retracer  le  caractère  d'un  enthousiaste,  il  possède  tons  les 
méritée  du  style  et  de  la  diction:  mais  il  nous  semble  que 
le  choix  du  sujet  n'a  pas  été  très-heureux.  M.  P. 

ALLEMAGNE. 

8'2.  — *  Gesciiichtlic/u  Dorslellam;  des  îlandels,  etc.  — Ta- 


^iC-  LIVilES  ÉTRANGERS. 

blea\i  historique  dii  coniint'iie,  des  arts  niikaniques  et  de  l'a- 
gricnltiiie  des  princi|>aiix  Etats  commereans  de  notre  tems , 
Tpnv  Giistare  de  Gilicu  :  T.  T.  Jena,  i83o;  Fr(unnianii.  Grand 
in-S"  de  xii-48g  pages,  plus  9  feuilles  de  tabicanx. 

M.  deGuliel).  riehe  propriétaire  dans  le  royaume  de  Hano- 
vre, doué  d'un  esprit  juste  et  intelligent,  actif  et  pénétrant, 
dont  il  a  développé  les  dispositions  naturelles  et  les  facultés 
par  de  bonnes  études,  au  nioven  desquelles  il  a  acquis  des 
connaissances  aussi  étendues  (|ue  profondes  dans  l'histoire, 
les  sciences  naturelles  et  physiques,  l'agricullure,  le  comnaerce 
et  l'industrie,  coiitiuuclleuient  occupé  du  désir  d'être  utile  à 
son  pays,  consacre  son  tems,  ses  éludes  et  sa  fortune  à  des 
recherches  dans  l'intérêt  des  sciences  en  général,  et  spéciale- 
ment du  commerce,  de  l'industrie  et  de  l'agriculiure.  C'est 
ainsi  qu'au  milieu  de  ses  études,  attiré  de  plus  en  plus  vers 
ces  trois  derniers  objets,  il  conçut  le  projet  de  poursuivre , 
d'une  manière  plus  particulière  encore  et  plus  active,  les  re- 
cherches nécessaires  pour  en  acquérir  une  connaissance  aussi 
exacte  qu'approfondie,  et  pour  s'instruire  à  fond  de  leur  état 
actuel,  particulièrement  en  Allemagne  ;  et  enfin  de  communi 
quer  au  public  les  résultats  de  ces  recherches.  Telle  est  l'ori- 
gine de  l'ouvrage  important  dont  nous  venons  annoncer  le 
premier  volume.  Cet  ouvrage  est  dans  le  genre  de  celui  de 
31.  Alex.  MoREAV  de  Josnès  :  «  l.e  commerce  au  xi\' siècle,  etc.,» 
publié  en  1825.  Mais  le  travail  de  M.  de  (iulich  pré- 
sente un  plan  beaucoup  plus  étendu,  puisqu'il  place  le  com- 
mencement de  son  tableau  dans  les  teins  les  plus  reculés,  et 
qu'il  endirasse  dans  ce  même  plan,  outre  le  commerce,  les 
arts  industriels  ou  mécaniques  et  l'agricidture  d'une  manière 
pliis  particulière  que  M.  Moieau  de  Jonnès  qui  ne  les  traite 
que  comme  accessoires.  Nous  nous  abstiendrons  de  tout  juge- 
ment sur  le  contenu  de  ce  premier  volume  ;  nous  nous  con- 
tenterons de  dire  qu'habitant  le  même  pays  que  l'auteur,  nous 
avons  été  témoin  du  travail  et  de  la  peine  qu'il  s'est  donnés 
pour  recueillir  les  matériaux  nécessaires  à  la  construction  de 
son  grand  édifice  ;  de  l'activité  et  du  zèle  avec  lesquels  il  a  tra- 
vaillé à  rassembler  ces  matériaux  et  à  les  mettre  en  œuvre, 
fait  des  voyages  de  longue  haleine  dans  diverses  parties  de 
l'Allemagne,  en  Fi  ancc,  en  Angleterre,  dansles  Pays-li  is,  etc.; 
en  un  mot  qu'il  n'a  rien  épargné  pour  donner  à  son  ouvrage 
toute  l'importance,  l'exactitude  et  l'étendue  dont  son  sujet 
était  siisceplibJe. 

Ce  premier  volume  est  divisé  ainsi  qu'il  suit:  Après  l'intro- 
duction qui  lem  pli  142  pages,  et  donne  un  aperçu  de  l'ensemble. 


ALLEMAGNE.  4i; 

vient  rcxposition  historique  de  l'état  du  commerce,  de  l'in- 
dustrie et  de  l'agriculture  de  l'Angleterre,  divisée  en  neuf  pé- 
riodes. Vient  ensuite  une  exposition  semblable  pour  le  Portu- 
gal, puis  pour  l'Espagne.  Après  cela,  suivent  les  cliapitres 
consacrés  à  la  France,  aux  Pays-Bas,  à  la  Russie,  à  la  Pologne, 
à  la  Suède,  à  la  Norvège  et  au  Danemark.  Le  tout  est  accom- 
pagné d'un  grand  nombre  de  tableaux  explicatifs  et  compa- 
ratifs des  résultats  des  recherches  historiques  déduits  dans  le 
ccurs  de  l'ouvrage.  Nous  terminons  cette  annonce  par  la 
transcription  d'un  des  plus  petits  de  ces  tableaux  aGn  d'en 
donner  une  idée:  c'est  la  seule  citation  que,  par  rapport  ù 
l'espace,  nous  osions  nous  permettre.  Il  est  intitulé  : 

yi perçu  de  l'importation  et  de  l'exportation  de  la  France, 
depuis  Tannée  i'^  16  jusqu'à  l'aimée  iSaS. 


Terme 

JIOVES  A^■^L•EL  DAKS  LES  ANNÉES 

Impûhtatiox. 

Exportation. 

Fiaurs. 

Fr.^ncs. 

De 

1716 

à 

1720. 

92,091,000 

12  1,258,000 

— 

1720 

à 

1752. 

1 i5, 885, 000 

148,477,000 

— 

1-52 

à 

1755. 

120, 402,000 

164,596,000 

— 

1  j55 

à 

1759. 

167,655,000 

194,901,000 

— 

17^9 

à 

1-48. 

182,667,000 

248,529,000 

— 

1748 

à 

1755. 

275,551,000 

559,190,000 

— 

1755 

à 

1765. 

i/jv^-îooo 

249,044,000 

— 

1765 

à 

1776. 

555,076,000 

591,675,000 

— 

1776 

à 

1785. 

545,609,000 

557,815,000 

— 

17S5 

à 

1785. 

567,710,000 

495,947^000 

— 

17S5 

à 

1787. 

600,944,000 

525,557,000 

En 

1792. 

(les  a 

-signais.) 

919,455,000 

800,979,000 

— 

1790. 

(de  même.) 

004,859,000 

554,951,000 

— 

1800. 

ôi"-,  116,000 

271,575,000 

— 

1801. 

419,940,000 

5o5,4i5,ooo 

— 

iSio. 

556,000,000 

576,000,000 

— 

l8l2. 

257,000,000 

585,000,000 

— 

i8i5. 

198,416,000 

597,7o4,('00 

— 

1816. 

261,569,000 

465,2  2  1,000 

— 

1817. 

359,800,000 

594,787,000 

— 

1818. 

556,915,000 

449,206,000 

— 

18.9. 

509,223,000 

415,479,000 

— 

1820. 

565, 159,000 

454,918,000 

— 

1821. 

594,442,000 

404,764,000 

— 

1822. 

426,176,000 

385,168,000 

— 

1823. 

061,828,000 

390,754,000 

Ce  tableau  est  accompagné  de 
faut  nous  abstenir  de  traduire. 

T,    XLVII.   AOl'T   i83o. 


notes  explicatives,  mais  qu'il 
Ce  volume   est  terminé  par 


^,8  LIVRES  ÉTKA^GEilS. 

deux  lislcs  des  ouvraiic.s  dont  l'anleur  a  fait  usage;  l'une  lon- 
licnt  les  ouvrages  allèmand-s  l'autre  les  livres  français,  latins, 
anglais  etc.  ''•  »e  Lucenay. 

85. Topograpliisclic  Carte  des  Rlieimtromrs.  —  Carie  topo  - 

«rraphique  du  cours  du  Rhin  de  Huiiingue  à  Laulerbourg. 
Fribourg,  i85o;  Herder.   In-folio;  prix,  54  Oorins  (i-^o  fr. 

environ). 

Nous  avons  émis  notre  opinion  sur  cette  belle  entreprise 
(voy.  Rev.  Enc.  ,  t.  xlii  ,  p.  iSg),  qui  est,  comme  nous  l'a- 
vons annoncé,  le  résultat  du  travail  de  la  commission  des  li- 
mites, et  qui  présente  sur  l'échelle  ,„'—  tous  les  détails  que 
l'on  peut  désirer,  soit  dans  l'intérêt  de  la  stratégie ,  soit  dans 
celui  de  la  géographie,  soit  même  dans  celui  de  l'agriculture. 
Depuis  rimpression  de  notre  article,  M.  Herder  a  complète 
sa  collection ,  et  ses  dernières  cartes  sont  dignes  de  l'exécu- 
lion  des  premières;  jamais  la  lithographie  ne  produisit  rien 
de  plus  parfait.  Combien  il  serait  désirable  que  nous  eussions 
pour  toutes  nos  provinces  des  cartes  semblables  ;  mais  les  tra- 
vaux nécessaires  à  leur  exécution  exigent  d'immenses  dépen- 
ses ;  la  publication  elle-même  n'aurait  pu  avoir  lieu  sans  le 
secom-s  du  gouvernement.  Les  cartes  que  nous  avons  à  signa- 
ler à  l'attention  de  nos  lecteurs"  sont  celles  qui  portent  les 
numéros  i  à  g,  i3,  ^^  et  17.  Elles  sont  accompagnées  d'un 
superbe  titre  entouré  de  médaillons,  au  pied  de  ce  titre  est 
un  petit  monument  à  côté  duquel  sont  les  attributs  de  la 
science,  et  ov'i  l'on  voit,  sur  le  frontispice,  les  nonis  deMM.  de 
Berckhebn  et  Gailleviinot,  des  colonels  Tulla  et  Epailfy,  des 
capitaines  Sclieffel  et  Immelin,  qui  tous  ont  concouru  à  ce 
beau  travail  ;  les  premiers,  en  fixant  les  limites  des  deux  Etats  ; 
.'t  les  deux  derniers,  en  traçant  ces  cartes.  Les  douze  médail- 
lons représentent  Archimède  et  La  Condamine,  Kepler 
et  Tycho-Brahé,  Copernic  et  M.  Tulla,  Galilée  et  M.  de  la 
Lande,  enfin  ilcischell  et  Monge.  Le  tout  est  surmonté  d'une 
vue  de  Strasbourg,  prise  de  la  rive  droite  du  Rhin,  et  dominé 
par  les  armes  de  Bade.  Il  y  a  ,  en  général ,  beaucoup  de  goût 
et  d'élégance  dans  la  disposition  de  ce  titre.  Il  est  suivi  d'un 
second  qui  présente  le  sommaire  des  19  cartes  dont  se  coni- 
pose  l'atlas.  Les  détails  qui  suivent  le  cours  du  fleuve  s'é- 
tendent toujours  à  une  demi-lieue;  on  y  trouve  jusciu'aux 
croix  de  mission;  mais,  dans  les  fortifications  d'il  uningue  , 
on  ne  voit  rien  qui  annonce  qu'elles  sont  détruites;  on  a 
même  signalé  la  redoute  Abatlucci.  Au  reste,  toujours  même 
exactitude  à  inarcpicr  les  maisons  isolées,  les  rues  des  com- 


ALLEiMAGxNK.  419 

munes,  et  jusqu'aux  écluses  des  canaux.  Jerenjarque  avec  plai- 
sir, qu'auprès  de  Kembs,  la  Cambes  des  Romains,  on  n'a  pas 
oublié  les  vestiges  de  l'ancienne  voie,  et  je  regrette  qu'on  n'ait 
pas  indiqué  l'embianchenient  qui  partait  de  ce  lieu  et  tra- 
versait la  forêt  appelée  la  Hart,  se  dirigeant  sur  Mandeure. 
On  n'a  point  omis  toutefois  les  vestiges  de  la  rive  droite  qui 
communiquaient  à  ce  passage,  et  pour  lesqu'îls  nous  ren- 
voyons au  savant  ouvrage  de  M.  Leiclit/cn,  intitulé  :  La 
Souabe  sous  les  Romains.  Nous  avons  remarqué  sur  le  nu- 
méro 5  jusqu'à  la  forme  octogone  du  temple  d'Otlmarsheim. 

Pli.  DE  Golbéry. 

84- — * Dilder  fur  die  J agend,  etc.  — Tableaux  pour  la  Jeu- 
nesse, rédigés  et  publiés  par  Ernest  de  Houwald.  T.  i"'. 
Leipzig,  1829;  Goescheii.  ln-8"  de  m-252  pag.  avec  1 5  gra- 
vures ;  prix,  8  fr. 

M.  de  Houwald,  dont  le  nom  est  si  avantageusement  connu 
dan-i  le  monde  littéraire  comme  poète  tragique,  présente  ici 
à  la  jeunesse  des  matériaux  pour  son  instruction  et  son  amu- 
sement, après  avoir,  il  y  a  (|uelqiies  années,  comme  un  délas- 
sement d'ouvrages  plus  sérieux,  déjà  travaillé  pour  Penfance. 
^  oici  comment  cet  aimable  auteur  raconte,  dans  sa  préface, 
l'origine  de  l'ouvrage  dont  nousannoncons  le  premiervolume. 
Le  feu  libraire  Goeschen,  à  qui  la  littérature  allemande  doit 
d'importans  services  rendus,  possédait  un  grand  nombre  de 
planches  de  cuivre  gravées  par  les  meilleurs  artistes  de  l'Alle- 
magne, et  il  lui  en  avait  laissé  choisir  quelques-unes  pour  en- 
richir son  livre  destiné  à  l'enfance,  publié  en  1819.  -^l'HS 
l'intention  du  propriétaire  de  ces  planches  étant  que  les  autres 
fussent  aussi  publiées  pour  l'usage  de  la  jeunesse,  chacune 
d'elles,  accompagnée  d'une  description  convenable,  ayant 
pour  but  d'instruire  en  amusant,  M.  ile  Houwald  lui  promit  de 
se  charger  de  la  rédaction  du  texte  de  ces  tableaux;  et  c'est 
ainsi  qu'il  a  composé  lui-même,  ou  choisi  et  arrangé,  les  treize 
descriptions  contenues  dans  ce  premier  volume. 

Autant  qu'on  peut  en  juger  par  ce  premier  volume,  cet  ou- 
vrage doit  avoir  une  influence  avantageuse  sur  la  jeunesse  à 
laquelle  il  est  destiné,  tant  sous  le  rapport  moral  que  sous  celui 
de  l'esthétique  et  du  goût  ;  et,  nous  n'en  doutons  pas,  il  attein- 
dra son  but.  Les  gravures  que  contient  ce  voIuibc  sont  dues 
au  burin  de  graveurs  recoramandables,  les  Fleischniann,  A. 
JV.  Boelim.,  Jcs.  Siœber  el  C.  A.  Schmerti^ebiirt ;  et  plu>ieurs 
ont  été  faites  d'après  les  dessins  de  Ramberg.  Il  nous  suITira^ 
pour  appeler  l'atte.iticn  sur  cet  intéressant  petit  ouvrage,  dont 


420  LIVRES  ÉTRANGERS. 

nous  attendons  avec  empressement  le  second  volume,  de  citer 
quelques-uns  des  sujets  traités  dans  ces  gravures  :  ce  sont 
Picrre-le-Grand  et  Charles  \II.  avec  la  biographie  de  chacun 
de  ces  deux  gramls  hommes  ;  la  Villa  d'Horace  ;  celle  de  Mé- 
cènes; le  Vignoble  du  porte  Kœrner,  près  de  Dresde;  une 
Vue  de  Blaser  ilz  cl  du  pavillon  de  Gœthe  ,  prise  du  vignoble 
de  Kocrncr,  et  autres,  toutes  suivies  de  descriptions  char- 
mantes. J.  DE  LrCE>AY. 

85.  —  II illenisclic  AHerthamskiinde.  —  Connaissance  de 
l'Antiquité  grecque  sous  le  rapport  du  gouvernement,  par 
IVilhelm  "SV  icnsMXJTH,  prolesseur  à  ^Lniver^ité  de  Leipzig. 
T.  II.  Halle,  j8'i().  Li-8". 

Ce  second  voliune  est  consacré  à  l'économie  politique,  à 
la  législation  et  à  l'organisation  militaire.  L'auteur  a  toujours  le 
mérite  de  resserrer  beaucoup  de  choses  en  peu  de  mots  :  aussi 
ne  se  jette-t-il  pas  dans  les  divagations  auxquelles  auraient 
pu  l'entraîner  facilement  les  nombreux  écrits  déjà  publiés  sur 
ce  sujet.  Athènes  l'occupe  principalement,  et  c'est  sur  Athènes 
aussi  que  les  anciens  nous  ont  laissé  le  plus  de  détails;  on  ne 
pouvait  donc  manquer,  en  se  reportant  aux  sources,  en  fran- 
chissant, pour  ainsi  dire,  ce  monceau  de  dissertations  moder- 
nes, de  faire  jaillir  de  l'antiquité  quelques  étincelles  qui 
n'avaient  point  encore  briilé  aux  yeux  du  monde  savant,  et 
peu  de  personnes  étaient  aussi  capables  que  "SI.  AVachsmuth 
d'obtenir  ce  succès.  Il  examine  quelles  furent,  dans  les  tems 
héroïques,  avant  la  guerre  des  Perses,  après  cette  époque,  les 
institutions  judiciaires,  militaires  et  financières  de  la  Grèce. 
Il  y  a  une  belle  et  profonde  introduction  sur  l'organisation 
des  cités  grecques,  sur  leurs  divers  magistrats,  sur  les  pliyles, 
les  .phratries,  les  génos,  les  dômes.  Le  commerce  intérieur  et 
les  finances  occupent  la  première  section;  tout  ce  qui  se  rap- 
porte à  ces  objets  y  est  traité  :  poids,  mesures,  roules  de  com- 
merce, marchandises,  relations  d'Etat  à  Etat,  passent  successi- 
vement sous  les  yeux  du  lecteur.  La  section  du  droit  a  rapport 
aussi  à  la  police  administrative  :  elle  ne  se  borne  point  à  de 
simples  qut'sti)nsde  jurisprudence  ou  de  procédure,  elle  entre 
dans  les  détails  de  la  législation  pénah;.  Lacédémonc,  à  cet 
égard,  nous  a  légué  beaucoup  moins  de  souvenirs  qu'Athènes; 
de  là  la  nécessité  pour  M.  A\  achsnuilh,  de  se  renfermer  dans 
un  cadre  beaucoup  plus  étroit.  Enfin,  la  section  militaire  ex- 
pose avec  la  clarté  la  plus  salisfaisanle  ce  qui  a  rapport  à 
l'armure,  à  la  solde,  au  biUin,aux  signaux,  aux  manœuvres,  etc. 
Dans  un  prochain  vobune,  l'auteur  s'occupera  de  la  police,  des 
mœurs,  du  culte,  des  arts  et  des  sciences   Quatre  appendices 


ALLEMAGNE.  —  SUISSE.  4:11 

ajoulcnl  au  n»érile  de  ce  volume.  Le  pieiiiier  renferme  l'énu- 
mération  des  dèmes  de  l'Attique,  les  noms  des  d  émoi  es ,  et 
l'indicatiou  de  la  tribu  à  laquelle  appartenait  chaque  dême;  le 
second  a  pour  objet  les  écrivains  publics;  le  troisième  a  rap- 
port au  supplice,  usité  dans  les  tems  les  plus  anciens,  celui  qui 
consistait  à  lapider  les  coupables  ou  à  les  murer;  enfin,  le 
quatrième  donne  par  ordre  alphabétique  les  noms  des  écri- 
vains politiques  de  rantitjuilé  grecque.  P.  de  Golbéry. 

SUISSE. 

86.  — *  Islorla  délia  Suizzera,  etc.  —  Histoire  de  la  Suisse, 
écrite  pour  le  peuple  suisse,  par  Henri  Zschokke;  première 
traduction  italienne  faite  sur  la  seconde  édition  de  l'original 
allemand.  T.  i".  Lugano,  1829;  Ruggia  et  compagnie.  Tn-13 
de  xxiv-2i5  pages. 

Nous  n'avons  rien  à  dire  de  l'Histoire  de  la  Suisse  pai 
M.  Zschokke  ;  elle  est  connue  même  en  France.  Des  critiques 
français  l'ont  appréciée  avec  justice,  parce  qu'ils  en  ont  saisi  le 
véritable  point  de  vue  ;  ce  n'est  point  un  livre  pour  les  salons 
ni-pour  les  gens  de  lettres,  c'est  un  cours  de  patriotisme 
donné  à  la  masse  des  citoyens  dans  l'école  des  faits.  Nous  ne 
parlerons  donc  que  du  travail  du  traducteur  italien,  M.  Sie- 
fano  Fra>scini,  qui  avait  déjà  bien  mérité  de  la  patrie  par  sa 
Statisiicfi  délia  S  ulzzera ,  et  que  nous  avons  aujourd'hui  laper- 
mission  de  proclamer  comme  l'auteur  de  la  brochure  délia  lU- 
fontia  délia  ConstituzioncTicuiese,  levier  puissant  mis  en  jeu  pour 
la  régénération  du  Tessin.  {\oj.  ci-dessus,  p.  104.)  Son  style  lim- 
pide, élégant,  noble,  énergique,  brille  d'un  nouvel  éclat  dans  sa 
traduction,  sans  cesser  d'êlre  populaire.  Il  ne  s'est  pas  fait  l'es- 
clave de  son  auteur,  mais  l'homme  de  ses  lecteurs.  Ne  les  per- 
dant jamais  de  vue,  il  a  laissé  de  côté  quelques  idées  de  l'histo- 
rien original,  il  en  a  développé  quelques  autres;  il  a  évité,  autant 
que  la  clarté  le  permettait,  la  répétition  fréquente  de  ces  noms 
propres  germaniques  dont  les  oreilles  italiennes  s'effarou- 
chent; enfin,  il  a  supprimé  quelques  traits  qui  tombaient  sur 
le  catholicisme,  tout  en  rendant  hommage  à  l'impartialité  de 
M.  Zschokke  dans  l'histoire  de  la  Réformation.  Tel  est  le  sys- 
tème suivi  dans  cette  trcnluction,  dont  nous  espérqns  que  la 
fin  ne  se  fera  pas  trop  attendre.  L'Histoire  de  la  Suisse  est 
aujourd'hui  pour  les  Tessinois  une  étude  de  circonstance  et 
de  première  nécessité.  C.    Monnard. 

87.  — *  Histoire  de  la  Nation  suisse,  par  H.  ZscnoKKE  ;  tra- 
duite de  rallemand  par  Cli.  Monîvard.  ISourelle  édition,  rewe 


423  LIVRES  ÉTftAINGliRS. 

parle  traducteur.  Arau,  i85o;  Sauerlseuder.  lu- 12  de  479  p. 
La  première  édition  de  cette  traduction,  tirée  à  un  très- 
grand  nombre  d'exemplaires  ,  était  épuisée.  Des  demandes 
réitérées  de  cet  ouvrage,  devenu  populaire  dans  les  cantons  où 
l'on  parle  francaig,  ont  engagé  l'éditeur  à  en  faire  une  nouvelle 
édition  à  bas  prix,  et  dont  l'exécution  typographique  est  néan- 
moins soignée.  Le  traducteur  a  profité  de  l'occasion  pour 
perfectionner  son  travail  sous  le  rapport  du  fond  et  delà  forme. 
Nous  avons  comparé  les  deux  éditions  de  la  traduction;  la 
seconde  est  réellement  une  édition  corrigée,  et  même  avec 
soin.  Cependant  il  reste  au  lecteur  à  corriger  quelques  fautes 
typographiques,  entre  autres,  dans  les  chiffres.  **. 

ITALIE. 

88.  —  Carte  de  l' Afrique  septentrionale,  d'après  les  dernières 
découvertes  ;  par  Jérôme  Segxto.   Florence,  i83o. 

Nousautres  Français,  nous  devons  remercier  M.  Segato  du 
choix  qu'il  a  fait  de  notre  langue  pour  la  rédaction  de  cette 
carte  ;  mais  toutes  les  nations  applaudiront  au  résultat  du  tra- 
vail diflicile  qu'il  s'est  imposé ,  et  à  l'habileté  dont  il  a  fait 
preuve,  en  coordonnant  les  matériaux  incomplets,  pour  la  plu- 
part, que  les  voyages  en  Afrique  lui  ont  fournis.  Il  a  repré- 
senté tout  le  golfe  arabique,  ou  mer  Rouge,  presque  toute 
l'Arabie,  l'Egypte  et  l'Abyssinie,  tout  le  bassin  du  Nil,  le  Dar- 
four,  le  Soudan,  et  à  l'ouest,  Timbouctou  est  sur  les  limites 
de  sa  carte  qui  s'étend,  en  latitude,  depuis  4*  ^0'  jusqu'à  34% 
et,  en  longitude,  depuis  3°  vers  l'ouest,  jusqu'à  47  ?  i  l'^st  du 
méridien  de  Paris.  Aux  soins  et  aux  succès  du  géographe,  il 
faut  joindre  la  netteté  du  burin  qui  l'a  parfaitement  secondé. 
Celte  carte  suffirait  seule  pour  donner  une  haute  opinion  du 
perfectionnement  auquel  sont  parvenus  à  Florence  les  arts 
qui  contribuent  essentiellement  an  progrès  des  sciences. 
M.  Segato  a  eu  soin  de  tracer  sur  sa  carte  les  itinéraires  des 
voyageurs  qui  ont  parcoTirn  l'Afrique  depuis  une  trentaine 
d'années,  et  auxquels  on  est  redevable  des  découvertes  les 
plus  récentes.  La  route  de  chaque  voyageur  est  distinguée  par 
une  ponctuation  particulière.  Cette  carte  sera  donc  très-utile 
aux  lecteurs  des  voyages  en  Afrique;  c'est  un  tableau  synop- 
tique de  ces  difficiles  et  périlleuses  entreprises  qui  ont  déjà 
tant  fait  pour  la  géographie  ;  mais,  pour  achever  la  reconnais- 
sance de  cette  partie  dn  monde,  il  faudra  peut-être  encore 
pins  de  tcms,  de  travaux  et  de  pertes  douloureuses  que  n'en 
a  conté  l'acquisition  des  ctmnaissances  dont  cette  carte  pré- 
sente l'ensemble.  F. 


ITALIE.  ,25 

8().  —  Saggi"  ili  Letterc  sullci  Suiizfra.  -—  Essai  de  lellres 
ôiiila  Suisse  :  Le  canton  des  Grisons.  Milan,  i  S29  ;  A.  F.  Stella 
et  lils.  în-12  de  202  p. 

go.- — LaSuizzeraconsiclerofa.clv. — La  Suisse  cunsidéire  dans 
ses  beautés  pittoresque; ,  son  histoire  ,  ses  lois  et  ses  mœurs  : 
Lettres  de  Tullio  Dandolo.T.  i-iv.  aussi  sous  le  titre  de  Voyage 
dans  la  Suisse  occidentale.  Milan,  1829  et  i85o.  4  vol.  iu-12. 

Etranger  à  la  Suisse  par  sa  naissance,  mais  Suisse  par  le 
cœur,  M.  le  comte  Tullio  Dandolo  consacre  à  l'étudier,  à  la 
l'aire  aimer  une  partie  du  loisir  que  lui  donne  une  position 
indépendante.  Tout  n'est  pas  original  dans  ses  livres,  mais  à 
peu  près  tout  est  neuf  pour  l'Italie,  plus  insouciante  de  con- 
naître la  petite  république  qui  l'avoisine ,  que  ne  le  sont  l'An- 
gleterre, la  France  ,  l'Allemagne  et  même  quelques  pays  plus 
septentrionaux.  En  effet,  comme  l'auteur  le  rappelle  ,  hors  la 
statistique  de  Franscim,  il  n'y  avait  pas  un  livre  sur  la  Suisse 
écrit  par  un  italien  ;  encore  M.  Franscini  est-il  Suisse.  Cette 
lacune  sigulièreil  a  voulu  la  remplir,  et  ses  ouvrages  nous  pa- 
raissent éminemment  propres  à  communiquer  à  ses  concitoyens 
la  passion  de  la  Suisse,  dont  son  tlme  est  possédée;  sa  passion, 
c'est  le  mot  propre  ;  mais  elle  est  du  nombre  de  celles  qui 
éclairent  et  n'égarent  pas.  Il  ne  veut  dire  que  le  vrai ,  mais 
le  vrai  intéressant.  Observe-t-il  par  lui-même,  il  voit  bien; 
consulle-t-il ,  ce  sont  généralement  les  meilleures  autorités; 
en  cite-t-il  de  douteuses ,  il  les  met  au  prises  avec  les  criti- 
ques :  c'est  ainsi  que  l'enthousiasme  se  marie  avec  la  bonne 
loi. 

Ces  éloges  ne  sont  point  infirmés  par  quelques  légères  er- 
reurs de  détail,  par  quelques  omissions  là  où  l'auteur  a  sur- 
tout consulté  des  livres  un  peu  anciens.  Des  lacunes ,  dont 
nous  ne  citerons  que  quelques  exemples,  nous  ont  principale- 
ment frappés  dans  les  deux  chapitres  consacrés  aux  hommes 
qui  ont  illustré  le  nomVaudois,  ou  Lausanne  et  son  Académie, 
et  à  ceux  de  nos  compatriotes  qui  ont  vécu  de  nos  jours. 
Parmi  les  premiers  on  eût  désiré  voir  les  deux  frères  Alla- 
MAXD,  dont  l'un,  professeur  à  La  Haye .  a  fourni  à  Buffon  des 
articles  entiers,  et  l'autre  a  réfuté  avec  esprit,  dansrVAnti- 
Bernier  les  erreurs  irréligieuses  de  Voltaire;  B.  Phil.  Vicat, 
professeur  de  droit  vi  Lausanne,  à  qui  l'on  doit,  outre  plu- 
sieurs autres  écrits,  un  Vocahulariam  Juris  utriusquc,  houoié 
en  Italie  d'une  contrefaçon;  Ptdl.  Rod.  Vicat,  médecin,  au- 
teur de  divers  ouvrages  de  médecine  et  d'histoire  naturelle, 
entre  autres  de   la    Bibliothèque  médico-physique  du  Nord  et 


424  LIVRES  ÉTRANGERS. 

d'un  Wémoire  curieux  i^ur  la  P'ique  polonaise;  Alex.  Ces. 
CuAVANNEs,  professeur  de  théologie,  conuu  par  deux  pro- 
ductions fort  distinguées,  un  Essai  sur  l'Education  intellec- 
tuelle et  une  Anthropologie  abrogée.  Son  antropologie  déve- 
loppée, manuscrit  en  i5  vol.  in-S",  est  une  mine  de  savoir  et 
de  vues  profondes.  M.  Chavannes  savait  presque  toutes  les 
langues  de  l'Europe ,  et  c'était,  chez  lui ,  non  une  érudition 
morte ,  niais  un  trésor  à  l'usage  de  son  esprit  philosophique. 
Au  nombre  des  contemporains,  le  nom  du  général  Reykier 
aurait  dû  rappeler  à  M.  Dandolo  celui  de  son  frère  Louis  Rey- 
KiER,  attaché  comme  savant  à  l'expédition  d'Egypte,  intendant- 
général  des  posles  du  royaume  de  Naples  et  plus  tard  du  can- 
ton de  Vaud,  numismate  érudit,  et  auteur  d'une  série  de  vo- 
lumes sur  l'cconouiie  publique  et  rurale  des  peuples  anciens. 
A  côté  de  M.  Philippe  Bridel,  dont  le  Conseixateur  suisse  a 
fourni  à  l'auteur  de  précieux  matériaux,  viennent  se  ranger  ses 
deux  frères  défunts,  Louis  Bridel,  professeur  u  Lausanne,  et 
Saui.  £//5.f/e  Bridel,  également  connu  comme  poète  et  comme 
botaniste  (i).  —  Les  personnes  qui  ont  étudié  le  pays  regret- 
teront peut-être  de  ne  pas  trouver,  dans  les  monographies 
cantonales  de  M.  Dandolo,  la  description  de  quelques  sites  ori- 
ginaux et  caractéristiques,  bonne  fortune  pour  un  auteur, 
parce  que  les  voyageurs  écrivains  ne  les  ont  pas  exploités.  On 
pourrait  désirer  çà  et  là  quelques  renseignemens  plus  déve- 
loppés, par  cxem.ple,  dans  le  volimie  des  Grisons,  lorsqu'il  est 
question  des  routes  du  Splugen  et  du  Bernardin;  il  était  fa- 
cile d'en  trouver  d'exacts  et  d'intéressans  dans  le  texte  dont 
M.  le  docteur  Ebel  a  accompagné  le  Voyage  pittoresque  dans  le 
canton  des  Grisons,  par  J.  J.  Meyer  (Zurich,  1827.  1  vol. 
in-4"  oblong). 

Mais,  en  général,  le  choix  et  la  distribution  des  matières 
ainsi  que  le  bon  goùl  qui  a  présidé  à  la  composition  font  des 
ouvrages  de  M.  Dasdolo  une  lecture  agréable  et  instructive; 
la  nature,  les  mœurs,  les  institutions ,  les  bases  politiques, 
les  parties  saillantes  de  l'histoire,  les  traditions  conservées 
dans  la  mémoire  du  peuple,  en  un.mot,  la  partie  esthétique 
et  morale  dos  cantons  des  Grisons,  du  \  allais,  de  Vaud  et 
de  (ienève  voilà  l'objet  pour  lequel  l'auteur  demande  à  ses 
lecteurs  une  sympathie  qu'il  est   habile   à  faire   naître.    Ses 


(i)  Nous  avuns  donne  luu;  nulice  iiio^iaphiquc  Cl  Inbliogiapliique  sm 
ces  trois  IVèrcs  dans  la  liçvuc  Encyclopédique. 


ITALIE.  4a  5 

couleurs  ne  sont  pas  moins  variées  que  les  sujets,  et  il  change 
de  ton  avec  la  gracieuse  facilité  d'un  vrai  talent  d'observation 
et  de  peinture;  parfois  il  s'élève  jusqu'à  l'éloquence.  Ses  Tues 
philosophiques,  sans  être  toujonrs  profondes,  appartiennent 
toujours  à  une  âme  noble  et  chrétienne,  et  répandent  sur  ses 
tableaux  et  ses  réflexions  une  certaine  grâce  murale.  C'est  avec 
un  esprit  né  pour  la  philosophie  de  la  politique  qu'il  étudie, 
résume  et  juge  les  constitutions  des  cantons  et  leurs  rapports 
avec  les  mœurs  et  les  progrés  à  faire. 

Les  livres  de  31.  Da>dolo  sont  un  service  rendu  à  la  Suisse 
qu'ils  font  aimer  et  à  l'Italie  qu'ils  instruisent.  >'ous  souhaitons 
qu'il  entreprenne  un  travail  semblable  sur  les  autres  cantons, 
mais  surtout  qu'il  prenne  envers  lui-même  l'engagement 
de  tout  voir  par  ses  propres  yeux  :  les  pays  et  les  peuples  de- 
mandent à  être  étudiés  sur  place.  C.  3io>>ARD. 

gi . — *3L  Vitrtixli  PoUioiùs  Arcliitectura,  etc. — Architecture 
de  Vitruve,  dont  le  texte  a  été  revu  sur  les  manuscrits,  et  à 
laquelle  on  a  joint  les  Exercices  de  Jean  Poleki  ,  les  dernières 
notes  de  ce  savant,  et,  pour  la  première  fois,  différens  com- 
mentaires recueillis  par  Simon  Stra.tico.  T.  iv  :  i"  partie. 
Udine,  1829;  les  frères  Mattiuzi,  éditeurs.  Grand  in-4°  de  3o 
feuilles  de  texte,  et  jg  planches  gravées  sur  cuivre  ;  prix , 
34  lires.  Les  exemplaires  sur  papier  vélin  coûtent  le  double. 
(Voy.  ci-dessus,  t.  xxxix,  septembre  1828;  pag.  65o.  ) 

Cette  magnifique  édition  de  Vitruve  n'attend  plus  que  la 
seconde  partie  du  quatrième  volume,  qui  comprendra  les  deux 
derniers  livres  de  ce  célèbre  traité  d'architecture.  La  première 
partie  du  même  volume  renferme  le  neuvième  et  le  dixième 
livres,  dans  lesquels  l'architecte  romain  expose  des  connais- 
sances dont  les  artistes  d'aujourd'hui  ne  se  piquent  point; 
l'arpentage  leur  semble  au-dessous  de  leur  dignité,  et  ils  lais- 
sent la  gnomonique  aux  astronomes.  Ces  deux  applications 
des  sciences  mathématiques  sont  la  matière  du  neuvième  li- 
vre. Dans  le  suivant,  ce  sont  les  machines  que  l'auteur  décrit, 
et,  au  lieu  de  se  borner  à  celles  que  les  arts  de  la  construc- 
tion emploient,  il  parcourt  les  arsenaux  de  son  tems,  ensei- 
gne à  faire  des  balistes,  des  catapultes,  des  tortues;  les  arts  de 
la  paix  sont  aussi  l'objet  de  ses  soins,  et  les  divers  moteurs 
hydrauliques  connus  des  anciens  trouvent  place  dans  le  même 
livre.  Lorsque  cette  remarquable  édition  sera  terminée,  ce 
qui  ne  tardera  point,  nous  continuerons  l'analyse  que  nous  en 
avons  commencée,  (^'est  une  dette  que  nous  avons  contrac- 
tée envers  les  éditeurs  et  nos  lecteurs,  et  que  nous  nous  en^- 
presserons  d'acquitter.  Y. 


^■zG  LIVRES  ÉTRANGERS. 

Ouvrages  périodiques. 

(ja. — *  Foglio  commerciale  italiano  ;  —  i'Eclfclico  ; —  Hi- 
hliografia  italiana. —  Feuille  commerciale  d'Italie  ;  — l'Eclec- 
tique; —  Bibliographie  italienne,  ouvrage pério(li(|ue.  Parme. 
i85n. — Ce  titre  est  celui  d'un  journal  hebdomadaire,  publié  au 
cabinet  de  lecture  de  cette  ville.  Les  deux  premières  pages  sont 
consacrées  aux  aimonces  de  la  Feuille  commerciale  ;  la  troi- 
sième contient  un  choix  de  Notices  relatives  aux  sciences  et 
aux  lettres  ;  c'est  VÉclectique;  la  quatrième  est  le  Journal  de  la 
librairie  italienne. 

lue  publication  qui  embrasse  des  objets  aussi  divers  que 
ceux  de  cette /ew/Z/e  n'a  pas  besoin  d'être  quotidienne;, c'est 
bien  assez  qu'elle  paraisse  une  fois  par  semaine.  D'ailleurs, 
dans  un  pays  aussi  paisible  que  le  duché  de  Parme,  le  besoin 
d'informations  journalières  ne  peut  être  senti  que  d'un  très- 
petit  nombre.  Lnseul  cabinet  de  lecture  peut  suffire  aussi  dans 
une  ville  de  quarante  mille  habitans,  oTi  le  goût  delà  lecture 
n'est  pas  encore  très-commun.  A  mesure  que  le  nombre  des  lec- 
teurs augmentera  ,  ce  qui  arrivera  nécessairement  par  les  pro- 
grès des  sociétés  humaines,  un  seul  lieu  de  réunion  ne  pourra 
plus  les  contenir  ;  mais  il  importera,  dans  tous  les  tems,  que 
l'un  de  ces  établissemcns  soit  très- vaste,  que  ses  abonnés 
soient  en  très-grand  nombre,  afin  que  l'on  puisse  y  réunir  les 
productions  les  plus  intéressantes  de  la  presse  périodique,  et 
mettre  à  contribution  toute  la  république  des  lettres.  Ces  ren- 
dez-vous de  lectem-s  ne  doivent  pas  être  considérés  seule- 
ment par  rapport  à  la  propagation  des  connaissance^:  ils  ont 
encore  d'autres  avantages,  non  moins dignesd'attention.  Pre- 
mièrement, on  ne  peut  douter  que  l'homme  qui  consacre  son 
loisir  à  des  lectures  iaslruclivcs  ne  fasse  un  bon  usage  de  son 
tems  :  et  de  toutes  les  lectures  qui  ne  sont  point  une  étude  , 
qui,  loin  de  causer  aucune  fatigue,  sont  au  contraire  un  dé- 
lassement, am;une  n'est  plus  instructive  que  celle  des  jour- 
naux bien  faits  :  elle  fait  connaître  les  hommes  et  les  choses 
de  notre  tems;  elle  nous  fait  suivre  la  marche  de  notre  siècle, 
elle  nous  fait  participer  le  plus  tôt  possible  aux  améliorations 
amenées  par  le  tems,  et  fait  souvent  prévenir  les  maux  que 
ces  perfectionnemens  peu  vent  entraîner  ;  car  ce  sont  des  inno- 
vations <|ue  l'on  n'iibliout  point  sansquelque.sefforts,  et  même 
sans  quehpie  douleur.  Ceux  qui  refusent  de  se  livrer  à  ce 
mouvetrient  général,  et  prétendent  rester  immobiles  comme 
un  roc  au  milieu  (l'im  (leuve  rapide,  éprouvent  malgré  eux 
l'action  du  courant  ;  ils  décroissent  et  s'aflaiblisscntà  leur  insu^ 


ITALIE.  —  PAYS-IiAS.  427 

tnndis  que  l'impétuosité  de  l'onde  qui  les  luijie  \a  toujours 
en  augmentant,  et  finit  par  les  entraîner.  Telle  est  la  véritable, 
la  seule  cause  des  révolutions  dont  notre  âge  est  témoin,  y 
compris  celle  qui  vient  d'être  opérée  en  France.  Le  seul 
moyen  d'é\iter  ces  violentes  catastrophes  est  de  se  laisser  en- 
traîner paisiblement,  d'acepter  ce  que  le  tems  et  le  progrès 
des  connaissances  nous  apportent;  et  cette  sage  résignation 
ne  viendra  point ,  si  l'on  détourne  ses  regards  du  grand  spec- 
tacle de  la  marche  des  sciences,  des  arts,  des  opinions,  des 
peuples;  si  l'on  redoute  le  contact  des  êtres  divers  qui  se 
meuvent  dans  cette  foule,  souvent  avec  peu  d'ordre.  Qu'on 
lise  les  journaux,  qu'on  en  lise  beaucoup,  plutôt  dans  un  ca- 
binet de  lecture  que  chez  soi.  Dans  une  réunion  de  lecteurs, 
on  apprend  à  connaître  les  difterentes  classes  qui  les  compo- 
sent, à  les  juger  plus  favorablement;  on  s'en  rapproche,  à 
mesure  qu'on  les  estime  davantage,  et  ces  résultats  heureux 
sont  bien  plus  assurés  à  mesure  que  les  réunions  sont  plus 
nombreuses.  Ces  observations  sur  les  salles  de  lecture  nous" 
ont  entraînés  loin  de  la  Feuille  coynmerciale ,  rédigée  par 
M.  Pastobi.  Nous  ne  pouvons  juger  que  de  la  seconde  partie, 
l'Eclectique  :  ciA\e-Q\,  d'après  les  numéros  que  nous  avons 
sous  les  yeux,  est  faite  avec  beaucoup  de  soin  et  d'impartialité 
dans  les  jugemens;  les  auteurs  et  les  lecteurs  ont  lieu  d'en 
être  également  satisfaits.  Quant  aux  annonces  commerciales 
ou  bibliographiques,  on  ne  peut  douter  qu'elles  ne  soient 
exactes  :  mais,  pour  les  dernières,  nous  devons  ajouter  qu'el- 
les seront  d'autant  plus  nombreuses,  que  les  produits  des 
presses  italiennes  seront  d'autant  plus  conij)1élement  annon- 
cés au  monde  littéraire,  à  mesure  que  le  cabinet  de  lecture 
sera  mieux  fourni  de  journaux,  et  que,  par  conséquent,  il 
sera  plus  fréquenté,  et  comptera  plus  d'abonnés.  L'entreprise 
de  >1.  Pastori,  honorable  et  utile  pour  son  pays,  mérite  d'ê- 
tre encouragée  par  ses  compatriotes  et  par  les  étrangers  amis 
des  lettres  qui  voyagent  en  Italie.  N. 

PAYS-BAS. 

Ç)3.  —  De  Zeebad  inrigtine;  te  Scheveningerin,  etc.  —  Les 
bains  de  mer  à  Scheveningue,  et  la  saison  des  bains  de  1828, 
par  J.  F.  d'Atjmerie,  docteur  en  médecine,  attaché  à  l'établis- 
sement des  bains.  La  Haye,  1829.  In-8'  de  1  18  pages. 

Ce  n'est  que  depuis  peu  d'années  que  les  bains  de  mer  ont 
acquis  quelque  vogue  en  Hollande  ,  et  ce  n'est  que  depuis 
i828qu'existe  à  Scheveningue,  près  de  la  Haye,  cet  établisse- 
ment magnifique,  qui,  à  la  vérité,  peut  être  nommé  européen^ 


428  LIVRES  ÉTRANGERS. 

et  qui  rivalise  avec  les  élablissemens  de  cette  sorte  les  mieux 
organisés,  s'il  ne  les  surpasse. 

L'ouvrage  quenous  annonçons  contient  cesquatre  chapitres  : 
une  description  de  l'établissement,  un  aperçu  des  avantages 
qu'il  oflVe,  et  une  relation  de  l'analyse  chimique  de  l'eau  de 
merde  Scheveningue  pour  en  déterminer  les  vertus  médicales, 
des  observations  sur  la  saison  des  bains  de  1828,  etc.,  le  ré- 
cit de  quelques  guéiisons  remarqualjles  quiy  ont  eu  lieu;  en- 
fin, une  invitation  à  plusieurs  genres  de  malades  pour  venir 
essayer  la  guérison  de  leurs  maux  aux  bords  de  l'Océan,  à 
Scheveningue.  On  peut  attester  la  véracité  des  récits  que  cet 
ouvrage  contient,  et  le  grand  nombre  d'étrangers  qui  sont  ve- 
nus visiter  les  bains  de  Scheveningue,  en  1829,  offre  les  plus 
heureux  auguies  pour  la  prospérité  de  l'établissement.    X.  X. 

Outrages  périodiques. 

g/j..  — *  Journal  (T  Agriculture,  d'Econoinie  rurale  et  des  Ma- 
nufactures. Deuxième  série  :  t.  XI,  Bruxelles,  1800;  au  bureau, 
rue  des  Sablons,  n"  28;  Paris,  Raynal,  rue  Pavée-Saint-André, 
n"  10.  Un  vol.  in-8°  chaquemois;  prix,  18  fr.  par  an. 

tlne  colonie  de  laboureurs  belges  est  passée  par  Paris,  au 
commencement  de  juillet,  avec  un  convoi  de  chevaux  et  un 
chargement  d'iuslrumens  aratoires  d'origine  flamande.  M.  Van- 
Castell,  savant  agronome  et  propriétaire  dans  le  Berry,  pro- 
cure à  cette  province  une  importation,  dont  les  siècles  der- 
niers ont  fourni  des  exemples  assez  nombreux.  La  Belgique  a 
devancé  les  autres  nations  modernes  dans  l'agriculture ,  comme 
elle  a  la  gloiie  d'avoir  exploité  dans  le  nord  de  l'Europe  des 
genres  de  labrication  et  le  commerce  qui  firent,  au  moyen^ 
âge,  la  splendeur  de  Venise  et  de  Florence.  Les  Anglais  eux- 
mêmes  avouent  qu'ils  sont  redevables  de  leur  horticulture  à 
des  jardiniers  flamands;  ce  furent  des  tisserands  belges  et 
normands  qui,  au  xiv^  siècle,  portèrent  la  fabrication  de  la 
toile  dans  la  Grande-Bretagne.  Vers  i  55o,  un  courrier  fut  en- 
voyé de  Londres  à  Calais,  afin  de  s'y  procurer  un  flacon  d'huile 
pour  les  salades  de  S.  /!/.,  suivant  le  manuscrit  des  dépenses  par- 
ticulières de  Henri  VIIL  J'ai  déjà  dit  (voy.  Rev.  Enc,  t.  xxxvi, 
p.  ^72),  qu'il  y  a  moins  de  40  ans,  la  culture  du  colza  s'est 
répandue  de  la  Flandre  dans  le  Calvados  et  d'autres  départe- 
mens,  dont  elle  est  devenue  une  des  principales  richesses.  (Ce- 
pendant, im  très-petit  noud)re  d'agronomes  français  propagent 
les  espèces  supérieures  de  la  pomme  de  terre  de  la  Bolgiqiie  , 
s'occupent  d'améliorer  nos  espèces  bovines  et  chevalines  par 
celles  de  la  Hollande  et  de  la  Frise;  et  lorsque,  dans  les  Vayi- 


PAYS-BAS.  429 

Bas,  on  travaille  à  acclimater  la  vigne  et  le  mûrier,  nous  ne 
savons  pas  profiter  de  leurs  excellons  procédés  pour  la  cul- 
ture du  lin,  si  florissante  jadis,  tant  négligée  aujourd'hui  dans 
la  jNorniaudie,  la  Bretagne  et  l'Ile  de  France.  Malgré  les  gran- 
des améliorations  apportées  à  notre  agriculture,  que  de  pré- 
jugés elle  suit  encore,  que  de  méthodes  défectueuses  elle  ne 
cesse  de  pratiquer!  Le  département  de  la  Seine  compte  un 
grand  nombre  de  savans  agronomes:  et  néanmoins,  dès  les 
barrières  de  Paris,  vous  ne  voyez  que  champs  infestés  d'herbes 
parasites  qui  épuisent  pour  un  quart  et  plus  la  vigueur  de  la 
terre;  partout  une  perte  énorme  d'engrais,  par  l'emploi  vi- 
cieux qu'en  font  des  laboureurs,  laborieux,  mais  si  routiniers, 
qu'ils  ne  veulent  pas  profiter  des  exemples  de  nos  voisins, 
môme  quant  à  la  disposition  des  gerbes  et  au  tassement  des 
meules. 

Le  sol  de  la  France  ne  le  cède  aucunement  à  celui  de  la 
Belgique,  qui  naguère  encore  était  française;  et  la  totalité  de 
nos  riches  pâturages  dépasse  de  beaucoup  le  territoire  de  la 
Hollande,  qui  produit,  année  commune,  26,000,000  livres 
de  beurre,  et  5o, 000, 000  livres  de  fromage.  Les  cultivateurs 
belges  lisent  aussi  peu  que  les  nôtres,  et  ils  sont  plus  supersti- 
tieux; mais  ils  se  transmettent  d'excellentes  traditions,  qui 
m'ont  paru  se  réduire  à  ces  préceptes  :  Un  labour  profond  et 
égal,  des  façons  répétées  pour  rendre  la  terre  meuble  et  nette; 
emploi  d'engrais  liquides  et  partant  très-actifs;  semence  pu- 
rifiée et  de  choix;  sarclage  dès  les  premières  herbes.  Ajoutez 
des  instrumens  aratoires  perfectionnés,  la  division  des  pro- 
priétés; car,  malgré  les  déclamations  de  nos  utopistes  aristo- 
crates contre  le  morcellement  des  terres,  les  fermes  les  plus 
considérables  de  la  Belgique  ne  se  composent  que  de  3o  à 
55  bonniers  (hectares).  Dans  un  Etal  où  les  meilleures  mé- 
thodes sont  populaires,  l'agronomie  doit  recevoir  sans  cesse 
des  améliorations,  être  véritablement  une  science.  Ce  sont  ces 
perlectionnemens.  les  essais  heureux  et  les  observations  pra- 
tiques que  recueille,  depuis  quinze  années,  le  J oarnald'  Agri- 
culture des  Pays-Bas.  Il  continue,  dans  les  cahiers  du  premier 
semestre  de  i83o,  cet  enseignement  si  précieux  pour  la  pros- 
périté de  nos  cultures,  et  qui  leur  manque  trop  générale- 
ment. Des  fermes  expérimentales,  établies  dans  chacun  de  nos 
départemens,  y  amélioreraient  sans  doute  l'agriculture  ;  mais 
ils  se  procureraient  bien  plus  promptement  de  meilleurs  pro- 
cédés et  des  réformes,  si  les  riches  propriétaires  attiraient  dans 
leurs  exploitations  quelques  laboureurs  belges,  et  si  ces  agro- 
nomes consultaient  davantage  le  Journal  d'Economie  rurale, 
dont  la  réputation  est  européenne.  Isidore  Le  Bri-5, 


45o     LIVRES  ÉTRANGERS.  —  LIVRES  FRANÇAIS. 

()5.  — *  Correspondance  matliématlque  et  physique^  publiée 
par  A.  QuÉtelet,  dirocteur  de  l'observatoire  de  Bruxelles, 
membre  de  l'inslilut  des  Pays-Bas,  etc.  Bruxelles,  i85o.  In-8°, 
avec  des  planches.  Un  ^  olume  chaque  année,  par  livraisons 
d'environ  trois  feuilles.  Prix  de  l'abonnement,  ;:  florins  dans 
les  Pa3'S-Bas,  9  florius  à  l'étranger. 

Comme  nos  lectenrs  ont  en  plus  d'une  fois  l'occasion  de 
prendre  connaissance  des  travaux  de  M.  Ouételet,  nous  nous 
bornerons,  par  rapport  à  cette  correspondance,  à  publier  une 
bonne  nouvelle  pour  ses  abonnés.  L'auteur  a  parcouru  l'Al- 
lemagne; il  voyage  maintenant  en  Italie,  et  outre  l'ample 
provision  de  matériaux  qu'il  aura  faite  dans  ces  deux  fer- 
tiles provinces  de  la  république  des  lettres,  il  aura  fait  l'ac- 
quisition de  nouveaux  correpondans  qui  enrichiront  de  plus 
en  plus  son  intéressant  recueil.  On  sait  qu'il  ne  se  borne  point 
aux  mathéuiitiques  et  aux  sciences  physiques,  qu'il  y  réu- 
nit la  statistique,  et  surtout  les  parties  de  cette  science  mo- 
derne qui  tiennent  de  plus  près  à  la  morale,  et  supposent 
vme  profonde  étude  de  l'homme  considéré  en  lui-même  et 
dans  l'état  de  société.  Ou  trouvera,  dans  le  volume  de  celte 
année,  le  relevé  fies  crimes  et  dclits  commis  dans  les  provinces  (ta 
Brubanl  mrridiona/,  des  deux  Flandres,  du  Hainaut  et  d'Anvers, 
pendant  l'année  1 829,  continuation  des  travaux  analogues  que 
l'auteur  a  déjà  publiés  dans  ses  Reclierclies  statistiques  sur  le 
royaume  des  Pays-Bas.  Nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de 
citer  au  moins  la  fin  de  ce  nouveau  relevé ^  dont  il  faudrait 
peut-être  transcrire  tous  les  tableaux. 

"  Nous  rappellerons  encore  l'attention  sur  la  presque  iden- 
tité des  nombres  de  l'année  1829  avec  ceux  des  années  pré- 
cédentes :  nous  persistons  à  croire  que  cet  examen  est  digue 
d'occuper  les  méditations  des  philosophes  et  des  hommes  d'E- 
tat. Nous  l'avons  dit  ailleurs,  on  s'occujie  de  discuter  sur  les 
deniers  que  paie  une  nation  aux  caisses  de  l'Etat,  et  l'on  sem- 
ble à  peine  apercevoir  le  déplorable  impôt  qu'elle  paie,  avec 
une  régulai  ité  effrayante,  aux  prisons,  aux  fers,  à  l'échafaud. 
Voilà  SU)  tout  les  budgets  qu'il  faudrait  s'efforcerde  réduire.  » 

LIVRES  FRANÇAIS. 

Sciences  physiques  et  naturelles. 

96.  —  Etat  général  des  végétaux  originaires ,  ou  Moyen 
pour  juger,  même  de  son  cabinet,  de  la  salubrité  de  l'atmos- 
phère ,  de  la  fertilité  du  sol  et  de  la  propriété  des  habilans 


SCIENCES  PHYSIQUES.  43i 

iluns  toutes  les  localités  de  l'univers  ;  par  iM.  le  docteur  Layy, 
membre  de  la  Faculté  de  médecine  de  Turin,  médecin  ordi- 
naire de  la  maison  du  roi  de  .'"ardaigne.  Paris,  i85o;  J.  B. 
Baillière,  libraire  de  l'Académie  nationale  de  médecine.  In-8" 
de  4o2  pages  ;  prix,  7  fr.  5o  c. 

Les  lecteurs  trouveront  sans  doute  quelque  ctrangetc  duns 
le  titre  de  cet  ouvrage,  et  seront  curieux  de  connaitre  Tau- 
leur;  qu'ils  lisent,  à  la  page  67,  l'article  de  la  flore  d'Aosfe 
(patrie  de  31.  le  docteur  Lavy)  qui  est  suivi  d'une  notice  bio- 
graphique et  de  quelques  détails  sur  les  ouvrages  que  M.. le 
docteur  a  publiés  avant  celui-ci  :  ces  ouvrages  sont  1°  une 
Phillograp/iie  picmontaisc  ;  1°  une  Méthode  très- facile  pour  déve- 
lopper les  secrets  de  la  nature  dans  le  corps  humain,  par  l'explora- 
tiondupouls  ;  ù"  P  rcsai^cs  tirés  du  pouls,  d' après  l' école  phygmique  ; 
/j"  un  drame  intitulé  :  Epanchement  du  cœur  humain,  etc.  Ce 
drame,  imprimé  à  Paris  en  1827,  «  est,  dit  M.  Lavy,  l'histoire 
d'une  demoiselle  de  grande  distinction,  dont  il  avait  cultivé 
l'esprit  lorsqu'elle  sortait  à  peine  de  l'enfance,  à  laiiuelle  il 
donna  les  mêmes  soins  jusqu'à  ce  qu'elle  atteignît  l'âge  de 
raison,  et  qu'il  perdit  de  vue  pendant  dix  ans.  »  Cet  opuscule 
a  pour  but  d'avertir  (ju'il  n'est  pas  toujours  à  propos  le  dire  la 
vérité  et  de  donner  des  leçons  aux  maîtres  de  maison.  0  Le 
rôle  de  deux  statues  allégoriques  a  donné  beaucoup  d'intérêt 
à  cette  pièce.  » 

Comment  l'auteur  peut-il  atteindre  le  but  de  son  ouvrage, 
donner  le  moyen  de  juger,  de  son  cabinet,  de  l'air,  du  sol  et  des 
habitans  d'une  contrée?  Nous  ne  pouvons  mieux  répondre  à 
celte  question  qu'en  Iranscrivanl,  en  grande  partie,  l'instruction 
qu'il  donne  sous  le  titre  de  Procédé  pour  la  pratique  de  cet  ou- 
vrage. Les  lecteurs  doivent  être  prévenus  que  c'est  un  étranger 
qui  exprime  ses  idées  dans  une  langue  qu'il  n'a  pas  cultivée 
'omme  homme  de  lettres. 

«  Les  animaux  et  les  végétaux  vivent  ensemble  dans 

leurs  propres  et  naturelles  localités,  en  qualité  de  fidèles  et  in- 
-éparables  compatriotes,  el  cela  en  raison  des  qualités  de 
l'atmosphère  et  du  sol  qui  leur  est  homogène.  Cela  posé,  on 
peut  dire  que,  connaissant  les  plantes  originaires  de  telle  ou 
telle  autre  localité,  on  viendrait  facilement  à  connaître  aussi 
les  localités  du  sol  et  de  l'atmosphère  de  cette  même  localité, 
ainsi  que  le  caractère  de  ses  habitans.  Pour  ceteffet,  j'ai  disposé 
les  plantes  en  différentes  flores,  selon  leur  lieu  natal,  où  elles 
croissent  indifféremment, où  elles  aiment  un  sol  particulier;  et 
c'est  là  le  motif  pour  lequel  ce  lieu  est  déterminé  dans  quel- 
ques-unes.   Quant  au  caractère  national  des  habitans  ,  j'ai 


^j2  UVRRS  FRANÇAIS. 

transporté  à  cliaque  localité  l'opinion  même  qu'on  pourrait 
lire  dans  l'Enoyclopédie. 

»  Pour  avoir  ces  connaissances  relativement  ù  un  pays  quel- 
conque, il  est  nu  moyen  bien  simple  :  qu'on  se  procure  une 
poignée  du  foin  des  biens-fonds  qu'on  doit  acheter,  ou  de  la 
campagne  qu'on  doit  choisir  pour  un  séjour  salutaire,  ou  le 
domicile  tle  l'individu  à  examiner;  on  consultera  ensuite  une 
personne  de  l'art,  c'est-à-dire  un  botaniste,  afin  d'avoir  le 
nom  de  ces  plantes  originaires.  Cela  obtenu  ,  on  examinera, 
dans  lesdilïérentcs  dores,  où  se  trouve  leur  pluralité  ;  ainsi  l'on 
déterminera  si  elle  appartient  à  l'Afrique  plutôt  qu'à  l'Amé- 
rique, à  l'Europe  phuôt  qu'à  l'Asie,  etc.,  etc.  Lorsque  la  plu- 
ralité sera  plus  grande,  par  exemple,  en  Amérique,  on  en  fera 
de  même  pour  les  différentes  contrées  de  ces  mêmes  parties 
du  globe,  afin  de  parvenir  à  juger  ses  qualités  de  la  plus  petite 
localité ,  et  conséquemment  de  la  propriété  de  ses  habitans 
dont  il  est  à  remarquer,  dans  de  petites  contrées,  l'esprit 
bourgeois,  le  langage  patois,  le  traitement  avec  plus  ou  moins 
d'excès,  auxquels,  par  la  bonne  tranquillité,  on  doit  se  con- 
former, et  même  tolérer  en  vue  de  l'impossibilité  de  les  con- 
traindre. » 

On  voit  que  M.  le  docteur  Lavy  n'est  pas  toujours  intelli- 
gible pour  des  Français ,  et  qu'il  eût  mieux  fait  d'écrire  en 
italien.  Quant  au  fond  de  sa  doclrinft,  on  s'abstiendra  de  la 
juger  avant  de  l'avoir  comprise.  Qu'il  s'attende  à  rencontrer 
beaucoup  d'incrédules,  car  il  va  très-vite  dans  ses  jugemens,  et 
ses  nombreuses  erreurs  en  géographie  inspireront  inévitable- 
mentquehiue  méfiance.  Une  récapitalatio7i,'p\acce  à  la  dernière 
page  et  disposée  en  tableau  s3'noptique,  énonce,  avec  un  ex- 
trême laconisme,  des  jugemens  sur  vingt-cinq  contrées,  sans 
que  l'on  voie  quelles  relations  sont  établies  entre  les  habitans 
et  les  plantes  de  ees  lieux.  Quelques-uns  de  ces  jugemens 
achèvent  de  désappointer  les  lecteurs  :  les  îles  Caraïbes  sont 
distinguées  par  le  sang- froid  de  leias  habitans^  la  Corse  par  la 
richesse  de  ses  produits,  l'Egypte  par  ses  habitans  d  sciences  sa- 
vantes, la  Hollande  par  quelques  auteurs  de  poésie,  etc.  F. 

97.  — *  Principes  de  Physiologie  comparée,  ou  Histoire  des 
Phénomènes  de  ta  vie  dans  tous  les  êtres  qui  en  sont  doués,  depuis 
les  plantes  jusqu'aux  animaux  les  plus  complexes  ;  par  Isidore 
Bourdon,  de  l'Académie  de  médecine.  Paris,  i83o;  Gabon, 
.1.  li.  Baillière.  In-S"  de  Goo  pages:  prix,  7  fr.  5o  c. 

En  même  tcms  que  l'histoire  naturelle  s'enrichissait  par  la 
découverte  des  productions  de  toutes  les  parties  du  globe,  l'ana- 
tomie  comparée  des  animaux  et  des  diverses  classes  de  végétaux 


SCIENCES  PHYSIQUES.  455 

agrandissait  ses  vues  par  l'examen  de  laut  de  nouvelles  espè- 
<Ts ,  sons  de  nouveaux  rapports.  Après  l'étude  des  Ibrnies  et 
des  modifications  des  organismes,  il  devint  nécessaire  d'en  re- 
chercher les  ronctions  suivant  leurs  degrés  de  complication.  Il 
est  évident  que  la  seule  connaissance  de  physiologie  humaine, 
telle  que  les  anciens  et  les  modernes  nous  l'ont  transmise,  est 
aujourd'hui  imparl'aite ,  insuffisante,  jusque  dans  le  grand 
monument  élevé  par  Ha  lier,  comme  nous  l'avons  exposé  dans 
notre  ti'aité  de  la  Puissance  vitale. 

Une  nouvelle  carrière  a  été  ouverte  par  les  leçons  d'anatomie 
comparée  de  31.  Cuvier,  et  par  d'utiles  travaux  entrepris  simul- 
tanément, soit  en  Angleterre  ,  soit  en  Allemagne,  parmi  les- 
quels il  est  juste  de  citer  ceux  de  J.  Fréd.  Meckel,  Tiedemann, 
Bliimenbach,  Ilndolphi,  etc.,  comme  ceux  de  .MM.  Blainville, 
GeoCfroy-Saiiit-IIilaire ,  Duméril ,  Serres,  Flourens,  Des- 
moulins, etc.,  en  France.  On  doit  rappeler  aussi  les  noms  an- 
glais d'Éverard  Home,  de  Robert  Knox,  etc.,  et  des  célèbres 
botanistes  de  diverses  contrées  qui  rivalisent  noblement  avec 
ceux  dont  noire  patrie  se  glorifie. 

Tant  de  richesses  méritaient  d'être  coordonnées  ;  cependant, 
l'œuvre  ne  parait  pas  aisée.  On  n'est  nullement  d'accord  sur 
les  principes;  car,  au  milieu  de  tous  ces  matériaux  épars,  les 
lois  générales,  les  rapports  philoso}dii(|ues  sont  souvent  ce 
qu'il  y  a  de  plus  diilicile  à  élajjlir.  Il  Tant  enjbrasscr  de  haut 
l'ensemble  des  faits;  il  faut  porter  la  lumière  dans  le  chaos  : 
œuvre  du  génie  (jui  doit  suppléer  à  ce  qui  manque,  et: décou- 
vrir l'erreur.  Il  faut  enfin  s'élever  aux  vraies  sources  de  l'or- 
ganisation, aux  causes  primordiales  de  la  vie,  autant  qu'il  est 
possible  de  le  faire. 

On  ne  peut  raisonna!)lement  es()érer,  dans  l'état  actuel  des 
sciences  physiologiques,  cette  œuvre  parfaite,  irréprochable; 
mais  on  doit  applaudir  aux  efforts  de  quico^ique  tente  une  aussi 
noble  entreprise  ;  elle  exige  une  puissante  étendue  de  savoir  et 
de  capacité  intellectuelle  pour  enchaîner  les  faits  dans  un 
système  régulier.  Car  les  vrais  principes  de  la  science  nous 
semblent  loin  d'être  encore  dévoilés. 

M.  Isid.  Bourdon  a  su  rassembler,  et  souvent  avec  bonlieur, 
les  élémens  connus  de  toutes  les  notions  physiologiipics,  pui- 
sées dans  la  zoologie  et  la  botanique.  Dans  les  (piatre  livres 
qui  composent  son  premier  volume ,  l'auteur  traite  d'abord 
de  la  vie  chez  les  corps  organisés  et  des  lois  si.  i vaut  lesquelles 
elle  se  nianifeslc.  La  génération  ou  production  des  animaux 
et  des  végétaux  fait  le  sujet  du  second  livre.  On  lit,  dans  le 
troisième,  l'histoire  de  l'accroissement  des  corps  vi van-.  ;  c« 

T.  XLVIl.   iOTJT  i85o.  aS 


:^:)^  LIVRES  FRANÇAIS. 

qui  comi>rfiul  l'état  de  l'œuf,  la  vie  fetalc,  les  liéveloppe- 
niens  des  organes,  leur  niétaaiorphose,  le?  monstruosités  ou 
anomalies,  l'hermaphrodisme  (qui  serait  mieux  plaeé ,  selon 
nous,  dans  l'histoire  de  la  génération).  Enfin,  le  quatrième 
livre  renferme  l'histoire  de  la  nutrition  et  des  ulimens,  de 
leur  digestion,  de  l'absorption,  des  effets  de  l'abstinen- 
ce ,  etc.,  etc. 

L'autetn-,  dans  un  volume  suivant,  devra  compléter  toute 
la  série  des  fonctions  de  l'organisme  dont  l'histoire  reste  à 
traiter.  On  ne  peut  que  désirer  vivement  cette  suite,  impor- 
tante d'ailleurs,  pour  apprécier  l'ensendjle  de  ce  grand  travail. 
ÎSous  ne  croyons  donc  pas  qu'il  soit  juste  d'asseoir  un  juge- 
ment décisif  sur  un  ouvrage  encore  inachevé  qui  présente, 
au  milieu  de  quelques  imperfections,  de  très-utiles  dévelop- 
pcmens. 

M.  Isid.  Bourdon  a  beaucoup  desprit,  et  quelquefois  trop; 
il  joint,  à  une  facilité  merveilleuse  d'expres.-ion  ,  des  aperçus 
lins,  délicats,  qui  décèlent  une  grande  habileté  et  im  profond 
savoir.  Il  cite,  in  iilobo,  au  commencement  des  chapitres,  ses 
auteurs,  sans  indication;  puis,  il  travaille  à  «on  aise  sur 
leurs  recherches;  il  en  retrace  un  élégant  et  clair  résumé,  tou- 
jours avec  grâce  et  talent;  rarement  il  va  plus  loin.  Il  a  le  dé- 
faut de  rejeter  parfois,  comme  douteuses,  des  choses  très- 
cerlaines,  comme  l'existence  des  animalcules  iufusoires.  Nous 
pourrions  joindre  ici  notre  témoignage  à  celui  de  tant  d'ob- 
servateurs sévères  qui  les  ont  observés.  Nous  devrions  blâmer 
quelques  détails  peu  nécessaires  et  des  digressions;  mais  il 
serait  injuste  de  ne  pas  reconnaître  une  foule  de  choses  im- 
portantes, utile^;,  bien  exposées  et  signalées  à  l'allention  avec 
une  rare  lucidité. 

Ce  travail,  sans  faire  beaucoup  avancer  la  science,  en  ex- 
pose fort  bien  l'état  actuel;  il  est  très-approprié  à  des  élèves 
en  médecine  auxquels  il  importe  de  se  familiariser  avec  les 
connaissances  d'histoire  naturelle,  d'autant  plus  qu'elles  les 
mettront  en  garde  contre  cette  foule  de  théories  étroites,  ex- 
clusives, dont  l'ancienne  physiologie  est  encore  infectée,  même 
dans  les  traités  les  plus  récens  de  nos  écoles.  C'est  ici  le  trioni- 
plic  et  la  manifeste  utilité  du  nouvel  ouvrage  de  M.  Bourdon  , 
et  ce  qui  lui  assure  la  reconnaissance  de  tous  les  amis  de  la 
science.  Cependant,  nous  devons  signaler  aussi  des  défauts 
qu'il  eût  été  facile  d'écarter;  à  quoi  bon  réfuter  aujourd'hui 
les  erreurs  sur  la  prétendue  fécondation  de  certains  poissons 
qui  avalent  la  liqueur  que  jclle  le  mille,  et  sur  celle  des  pcr- 
firix,  au  inovf'ii  de  Tair,  ou  siiu<  le  veut  dw  mâle,  selon  les 


SCIENCES  PIIVSIQIES.  435 

anciens  ?  La  physiologie  végélalc  nous  semble  aussi  beaucoup 
moins  exactement  développée  rpie  celle  des  animaux:,  dans  le 
livre  de  M.  Isid.  Bourdon;  au  sujet  des  métamorphoses  des 
insectes,  l'auteur  n'a  pas  retracé  l'état  actuel  de  nos  connais- 
sances qui  fait  considérer  ces  prétendues  transformations, 
comme  un  vrai  accouchement  successif  par  le  dépouillement 
des  membranes  foetales  qui  forment  les  larves,  les  nymphes, 
avant  que  l'animal  apparaisse  parfait. 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  la  critique  de  détail  qu'il 
est  toujours  si  facile  de  multiplier,  quand  on  veut  chicaner 
les  meilleiu-es  productions.  Nous  engagerons  M.  Isid.  Bourdon 
à  faire  un  choix  sévère  des  faits  les  plus  élevés  de  la  science, 
en  s'attachant  moins  à  quelques  individualités.  L'enchaîne- 
ment méthodique  des  diverses  parties  de  la  science  aurait  peut- 
être  gagné  à  un  plan  autrement  combiné. 

En  résumé,  cet  ouvrage  se  classe  honorablement  dans  les 
sciences  physiologiques;  c'est  un  essai  hardi  et  heureux, 
comme  pierre  d'attente  d'une  œuvre  plus  haute;  car  on  n'at- 
teint que  par  échelon  le  faîte  des  vérités.  On  doit  donc  applau- 
dir aux  efforts  tentés  par  un  bon  esprit  occupé  à  défricher 
celte  roule  ascendonte  ,  pour  faire  entrer  dans  le  domaine 
public  tant  de  découvertes  précieuses  qui  restaient  enfouies  sous 
les  laborieuses  et  pénibles  recherches  des  expérimentateurs. 

J.    J.    ViREY,  D.   M. 

98. — *Traii(;  clnnentaire dc7n(diére médicale,  Y>i\r 3.  B.  G.  Bar- 
bier, médecin  en  chef  de  l'Hùtel-Dieu  d'Amiens,  professeur 
de  pathologie  et  de  clinique  internes,  etc. ,  membre  de  plu- 
sieurs Sociétés  savantes  françaises  et  étrangères.  Troisième 
édition.  Paris,  i83o;  Méquignon -Marvis ,  rue  du  Jardinet, 
n°  i3.  5  volumesin-8°de65oà  ^oopageschacun  ;  prix,  26  fr. 

M.  le  professeur  Barbier  vient  de  donner  au  public  une 
troisième  édition  de  son  Traité  de  matière  médicale  :  six  années 
s'étaient  à  peine  écoulées  depuis  la  seconde.  La  réputation  de 
l'auteur  et  le  mérite  bien  connu  de  l'ouvrage,  qui  est  entre  les 
mains  de  tous  les  médecins,  nous  dispensent  d'en  faire  l'éloge. 
M.  Barbier  n'a  pas  changé  sa  classiflcation  ;  celle  qu'il  a  adop- 
tée était  en  effet  la  meilleure  que  l'on  pût  suivre  dans  l'état 
actuel  de  la  science.  Ainsi,  on  retrouve  encore  dans  une  divi- 
sion spéciale  un  certain  nombre  de  médicamens'qui,  d'après 
son  opinion  ,  ne  pouvaient  entrer  convenablement  dans  au- 
cune des  classes  précédentes.  L'iode  et  ses  préparations  sont 
rangées  dans  cette  division  ;  c'est  un  des  articles  agrandis  et 
entièrement  neufs  que  l'on  distingue  dans  cette  édition  nou- 
velle. Si  M.  Barbier  n'a  point  parlé  du  chlore  comme  médica- 


430  LIVRES  HIANÇAIS. 

ment,  bien  qu'on  l'ait  diverses  l'ois  préconisé  dans  ces  der- 
nières années,  nous  sommes  loin  de  lui  en  fcure  un  reproche, 
nous  l'en  louons  au  contraire,  en  répétant  à  cette  occa^ion  ce 
(ju'il  a  dit  au  sujet  de  l'iode  :  «La  phtisie  n'a  pas  encore  son 
remède.  »>ous  pensons  que,  dans  les  essais  que  l'on  lait  de 
cette  substanc<^  contre  cette  maladie,  il  vaudrait  mieux  l'ad- 
miaislrer  en  pilides  ou  en  iriction?  à  l'aide  de  ses  composés, 
que  de  l'employer  en  vapeur  :  quelle  que  soit  la  peilection 
avec  laquelle  seront  construits  les  divers  appareils  dont  on 
puisse  faire  usage  pour  l'aspirer,  on  n'évitera  jamais  de  ren- 
contrer, dans  la  poitrine  même,  de  l'air  alm(v-;pliérique,  avec 
lequel  le  chlore  se  combinera  de  manière  à  former  le  gaz  le 
plus  irritant  (pie  l'on  puisse  insinuer  dans  les  bronches. 

M.  Barbier  a,  cette  fois,  placé  la  laitue  parmi  les  touiqiies; 
ou  s'étonnera  de  trouver  dans  cette  classe  de  remèdes  la  iliri- 
dace,  à  laquelle  on  a  fait  la  réputation  d'un  hypnotique  (qui 
provoque  le  sommeil)  ;  mais  nous  ne  doutons  pas  que  l'expé- 
rience <les  praticiens  ne  vienne  bientôt  à  l'appui  de  l'opinion 
de  M.  Barbier.  Il  conteste  à  la  iaitue  et  à  ses  extraits  la  vertu 
calmante.  ÎSous  avons  lieu  de  penser  que  cette  façon  de  voir 
est  extiêmement  juste  :  nous  avons  plusieurs  fois  employé  la 
thridace  à  la  dose  de  dix  grains  par  jour,  et,  bien  que  nous  eu 
eussions  continué  l'usage  pendant  des  semaines  entières,  ja- 
mais elle  n'a  produit  de  soulagement  aux  douleurs,  -amais 
elle  n'a  fait  naître  la  plus  légère  propension  au  sommeil. 

L'une  des  classes  de  médicameus  dont  ^L  le  professeur 
Barbier  ait  le  plus  avancé  l'étude  est  celle  des  narcoli(pies. 
On  trouvera,  aux  articles  opium,  (ligitnle,  Jiisqiiiame ,  bella- 
done^ etc. ,  fies  considérations  neuves  et  étendues  sous  le  rap- 
port des  effets  de  ces  renu'des  sur  nos  divers  systènies  d'or- 
ganes Ces  perfectionnemens  nous  [)araissent  liés  aux  progrès 
tout  récens  (]ue  la  science  doit  à  plusieurs  savaus  médecins,  et 
à  M.  liarbier  lui-mênie  dans  l'étude  des  affections  encéphali- 
ques et  nerveuses.  Lue  des  parties  les  plus  neuves  et  les  plus 
intéressantes  de  la  nouvelle  édition  !;st  celle  qui  se  rapporte 
aux  affections  des  nerfs  ganglionnaires. 

M.  liarbier  a  |  eu  de  confiance  dans  la  méthode  eudermique: 
il  la  trouve  aussi  incertaine  que  l'application  des  remèdes  sur 
l'épiderme.  Il  y  distingue  avec  raison  deux  sortes  d'effets, 
ceux  qiu"  dépendent  de  rimprcssion  du  remède  ^-ur  le  derme, 
et  ceux  qui  dépeiuh  ut  de  l'absorption  de  ses  molécules  :  il  a 
trouvé  que  l'une  et  l'autre  étaient  très-variables.  Pour  nous, 
en  reconnaissant  avec  lui  (pie  celle  manière  d'employer  les 
remèdes  est  tr('!S -infidèle,  nous  croyons  devoir  ajouter  qu'elle 


SCIENCES  PHYSIQUES.  457 

a  parfois  des  clVcts  tiès-proinplset  tri's-énorg;ique;>  :  nous  avons 
vu  (les  ni\iisées  cl  de  l'assotipisseineiU  suivre  (le  liès-piès  l'ap- 
plication eiulermifi^ue  de  ropiuni. 

Il  n'est  pas  de  nié'dicanient  non \  eau  sulTisamment  accré- 
diti;,  ni  d'application  nouvelle  des  anciens  remildes  dont 
iM.  Barbier  n'ait  tenu  compte;  et  souvent  il  les  a  soumis  à 
l'essai  de  sa  sévère  et  consciencieuse  expt;rienc(^  Ceux  f]ui 
compareront  comme  nous,  page  à  page,  l'é'dilion  actiudle 
avec  les  précédentes,  se  convaincront  aisément  du  soin  que 
l'auteur  a  pris  de  celle-ci,  et  jugeront  bienl("»t  qu'elle  a  dû  lui 
coûter  un  long  tiavail  :  il  n'est  pas  jusqu'à  l'expression  qu'il 
n'ait  maintes  ibis  modifiée. 

Déjà  on  remarquait,  dans  la  seconde  édition  de  ce  Traité, 
des  traces  de  la  nouvelle  doctrine  médicale  que  professe  l'au- 
teur; mais  on  ne  peut  parler  de  l'édition  actuelle,  sans  s'arrê- 
ter à  cette  doctrine  dont  elle  est  toute  imprégnée.  En  faisant , 
à  la  fin  de  chaque  classe  de  médicamens ,  l'applicnlion  géné- 
rale de  la  médication  qu'ils  produisent,  M.  Barbier  les  consi- 
dère agissant  sur  nos  divers  .systèmes  d'oiganes,  suivant  l'es- 
pèce de  lésion  dont  ils  sont  aflécles,  et  fait  voir  ce  qu'ils 
peuvent  procurer  de  bien  ou  de  mal,  selon  que  nos  tissus  sont 
atteints  d'(!ligotrophie ,  d'hypcitrophie,  de  malaxie,  de  sclé- 
riasie,  etc.  Le  premier  volume  de  l'ouvrage  que  nous  annon- 
çons contient  un  résumé  succinct  de  cette  doctrine,  que  l'au- 
teur, dans  son  amour  sincère  de  la  vérité  et  dans  son  zèle 
ardent  pour  le  bonheur  des  hommes,  se  félicite  de  professer 
et  de  suivre.  Si  la  médecine  des  lésions  n'a  pas  encore  été  ac- 
cueillie avec  toute  la  faveur  qu'elle  mérite,  c'est,  suivant  nous, 
parce  que  l'ouvrage  dans  lequel  IM.  Barbier  doit  l'exposer 
{^Précis  de  ISosologie  et  de  Thérapeutique^  n'est  pas  publié  tout 
entier.  On  a  besoin  de  développemcns  ultérieurs  pom-  eii  sai- 
sir l'ensemble  et  en  juger  les  rapports  :  nous  devons  espérer 
que  iM.  Barbier  ne  laissera  pas  le  public  dans  une  longue  at- 
tente. Sa  doctrine  n'est  point  de  théorie,  mais  de  piatique  : 
c'est  dans  ce  sens  qu'il  faut  juger  des  divisions  qu'il  a  étal)lies. 
Ce  ne  seia  probablement  pas  le  dernier  mot  tie  la  science; 
mais  c'en  est  du  moins  un  progrès  remarquable.      E\-P.  R. 

99.  — *  Manuel  d^Education  i)/i\si(jue ,' gyniiui.<ill([ue  et  mo- 
rale, par  le  colonel  Amoros,  chevaliei- de  la  Légion-d'Hon-_ 
neur,  directeur  du  Gymnase  noimal,  militaire  et  civil,  etc., 
Paris,  i85o;  Rorel.  3  vol.  in- 18  de  fioo  pages  chacun,  avec 
un  atlas  renfermant  u'i  grand  nombre  de  planches  pour  les 
machine-,  inslrnnicns  cf  figures  gymnastiqucs  ;  prix,  10  fr. 
5()  c. 


/|58  LIVRES  Fl\.iNÇAIS. 

Le  colonel  Amoros  est,  en  France,  l'Iionime  f|iii  a  le  miens 
compris  les  avantages  et  les  ressoinces  de  la  gynmasliciue;  et 
il  aura  la  gloire  d'avoir  fait  revivre,  et,  pour  ainsi  dire,  récréé 
nn  art,  dont  on  ne  peut  calculer  l'hcmeuse  induence  sur  l'a- 
venir des  peuples.  Rendre  les  hommes  meilleurs  et  plus  forts, 
Toilà  son  but,  et  il  l'atteint  par  les  moyens  les  plus  simples, 
les  plus  faciles,  qui,  loin  de  s'opposer  an  développement  de 
l'intelligence,  le  favorisent.  Il  suffit  de  visiter  le  bel  établisse- 
ment du  Gymnase  normal ,  militaire  et  civil,  pour  compren- 
dre et  apprécier  l'excellence  de  la  méthode  de  ce  célèbre  pro- 
fessenr.  Dans  notre  système  d'instrnction  publique ,  on  ne 
s'aperçoit  pas,  qu'en  ne  s'occupant  que  des  progrés  intellec- 
tuels, on  néglige  à  peu  près  complètement  les  facultés  mo- 
rales, et  que  la  perfection  des  autres  fonctions  organiques  est 
comptée  pour  rien.  Vi\  pareil  système  a  de  graves  défauts  ,  il 
n'atteint  pas  le  lésnllal  (|u"il  se  propose,  ne  cultive  pas  les 
qualités  qui  seules  peuvent  faire  le  bonheur  des  hommes,  et 
ne  produit  (ju'une  foule  d'êtres  chétifs  et  délicats  à  prédomi- 
nanc  e  nerveuse,  qui  sont  déjà  usés,  à  la  fin  de  leurs  éludes,  ou 
ne  portent  dans  le  monde  (pi'une  imagination  inquiète  et  ca- 
pricieuse, rim}>uissance  des  conceptions  fortes  et  de  la  persé- 
vérance nécessaire  pour  les  accomplir.  Beaucoup  d'autres,  qui 
se  seront  fait  la  réputation  de  paresseux  ou  d'incapables, 
sortent  du  collège  avec  une  instruction  peu  étendue,  une  pro- 
fonde aversion  pour  le  travail  et  un  caractère  vicieux,  parce 
qu'il  n'a  pas  été  diiigé.  Les  premiers  tems  de  leur  vie  n'au- 
ront été  qu'enmji  et  contrainte,  et  la  liberté,  objet  de  leurs 
désirs,  sera  bientôt  de  la  licence.  La  nouvelle  vie  qui  com- 
mence pour  la  France  commande  des  réformes  dans  l'instruc- 
tion publique  ;  mais  je  ne  m'attache  qu'aux  résultats  que  peut 
donner  la  gymnastique  introduite  dans  les  collèges.  Par  elle, 
la  santé  sera  fortifiée,  car  sa  première  condition  est  l'équi - 
libre  général,  et  l'exercice  le  rétablit,  en  enqiêcliant  les  con- 
gestions partielles  que  produit  l'activité  d'un  seul  organe. 
Toutes  les  puissances  musculaires  seront  mises  en  jeu,  et  les 
jeunes  gens  accpn'irront  par  une  foule  trtsxercices  ingénieux 
etamusans,  du  sang-froid,  un  coup-d'œil  juste,  l'habitude  de 
juger  les  résistances  ou  les  dangers,  et  les  moyens  de  les  sui- 
mouler;  les  ehauls,  dont  le  rilhme  guide  leurs  mouvemens, 
établiront  l'ordi  e  et  la  précision  ;  les  paroles  généreuses  qu'ils 
expriment  leur  inspireront  le  désir  d'imiter  les  nobles  actions 
qui  leur  sont  proposées  pour  modèles;  et  l'émulation  sera 
entretenue  par  de?  éloges  et  des  récompenses  justement  dis- 
tribués. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  45;) 

Lorsque  le  tems  de^  étiulcs  oalincs  et  profondes  sera  arrivé, 
elles  seront  à  leur  tour  regardées  comme  un  délassemetit  et 
im  repos,  et  l'altention  ne  sera  pas  continnellenient  distraite 
])ar  le  besoin  de  mouvement ,  qui  est  un  des  atlrilnils  de  l'en- 
fance. L'intelligence  profilera  de  la  vigueur  de  l'organisme, 
comme  le  prouve  l'exemple  des  Grecs,  qui  se  livraient  à  la 
gymnastique  avec  ardeur,  et  dont  le  génie  excitera  une  éter- 
nelle admiration. 

Les  moyens  de  la  gymnastique  sont  tellement  nombreux, 
ses  applications  si  diverses  selon  les  âges,  l'état  de  santé  et  la 
position  sociale,  que  M.  Âmoros  a  cru  devoir  établir  dans  celle 
science  quatre  divisions  principales  :  i"  la  gymnastique  civile 
et  industrielle  ;  a"  la  gymnastique  militaire,  terrestre  et  m.ari- 
time ;  3"  la  gymnastique  médicale;  4°  la  gymnastique  sccnique 
ou  funamhuUque.  —  Les  deux  premières  se  divisent  encore  en 
gymnastiques  élémentaires  et  en  gymnastiques  complètes,  et 
comprennent  aussi  une  des  parties  de  la  gymnastique  médi- 
cale qui  est  V hygiène.  La  troisième  se  divise  en  quatre  parties  : 
1°  la  gymnastique  hygiénique  ou  prophylactique,  pour  conserver 
une  santé  robuste  ;  2°  gymnastique  thérapeutique  pour  le  trai- 
tement des  maladies  ;  5"  gymnastique  analeptique,  ou  des  conva- 
lescens  ;  4°  gymnastique  orthopédique.  La  quatrième  division  ne 
pouvait  occuper  M.  Amoros,  puisque  le  i'unambulisme  com- 
mence où  le  noble  but  de  la  gymnastique,  qui  est  de  faire  du 
l)ien,  est  sacrifié  au  frivole  plaisir  d'amuircr  et  de  faire  des 
tours  de  force. 

Déjà  la  gymnastique  civile  a  été  adoptée  par  plusieurs  insti- 
tutions, et  le  ministère  de  la  guerre,  ayant  eu  connaissance  des 
résultats  avantageux  que  pouvait  produire  la  gymnastique  mili- 
taire, voulut  la  rendre  générale  dans  l'armée,  et  désigna  une 
commission  pour  lui  proposer  les  mesiues  que  l'on  devait 
prendre  à  cet  effet.  En  iSsç),  M.  Amoros  fut  nommé  inspecteur 
général  desgymnases  régimenlaires,  et  ses  leçons  ont  eu  tant  de 
succès,  que  Ion  avait  préparé  pour  l'expédition  d'Alger  un 
parc  gynuiastique ,  qui  aura  dû  servir  à  surmonter  une  foule 
d'obstacles  et  contribuer  à  nos  succès. 

Les  bôpilaux  militaires  ont  aussi  réclamé  la  fondation  de 
gymnases  médicaux,  et  une  mesure  aussi  utile  ne  peut  tarder 
à  être  adoptée. 

L'ouvrage  du  colonel  Amoros  est  le  plus  complet  que  l'on 
possède  sur  la  gymnastique  ;  il  expose  tous  les  exercices  ima- 
ginés par  ce  professeur,  et  l'ordre  dans  lequel  on  doit  les  cn- 
l  reprendre.  Des  exemples  bien  choisis  de  traits  de  courage  et 
de    dévoùmcnt  doivent   développer  mic  Hu.îbic  émnlalion  ?t 


44o  LIVRES  FRANÇAIS. 

inspirer  les  sentiineiis  les  plus  généreux.  Des  planches  hier? 
faites  l'acilitent  rinfeilii;en(;e  dn  texte,  et  i'I  n'y  a  pas  de  doute 
(|ue  cet  ouvrage,  eu  ajoutant  à  la  réputation  de  son  auteur,  ne 
serve  à  ré[)audre  le  goût  de  la  gymnastique,  dont  l'iniportauce 
ne  peut  plus  être  méconnue.  C.  S***. 

loo.  —  Notice  s(ir  Bourbontie  et  ses  eaux  thermales^  par 
F.  Lemolt.  Paris,  i85o;  Gabon. Tn-8°  de  5o  pages  ;  prix,  i  fr. 
et  1  fr.  a5  cent. ,  au  profit  des  malades  indigens  admis  à  l'u- 
sage des  eaux. 

Au  premier  rang  de  ces  pvécicuses sources  de  saiitéqxù  jouis- 
sent de  propriétés  mystérieuses  et  en  dehors  de  nos  moyens 
vulgaires  d'investigation,  se  placent  les  thermes  du  départe- 
ment de  la  Haute-Marne ,  coimus  sous  les  noms  de  liour- 
honîie- les- Bain:f.  Plusieurs  siècles  d'expérien(;es  continues 
leur  ont  valu  leur  brillante  réputation.  Eclairer  le  malade  sur 
la  pratique  de  ces  eaux,  faire  connaître  leurs  propriétés  ca- 
ractéristiques et  le  légime  pajliculier  de  leur  emploi,  popu- 
lariser les  résultats  d'une  pratique  journalière,  comme  méde- 
cin inspecteur  des  bains  civils,  aidera  l'avance  docteurs  et 
valétudinaires  de  toutes  les  notions  désirables  sur  la  situation 
du  pays  et  les  ressources  qu'il  oflVe  sous  le  rap[)ort  de  l'éco- 
nomie et  de  l'agrément ,  voilà  le  but  de  la  monographie  de 
M.  le  docteur  Lemolt.  —  Sa  INotice  est  divisée  en  sept  courts 
paragraphes.  Après  (luelqucs  observations  préliminaires  sur 
l'usage  iliii^  eaux  minérales  en  général,  l'auteur  résume  en 
peu  de  mots  la  stalisti({ue  de  JJourbonne.  Viennent  ensuite  la 
topographie  de  rétablissement  thermal,  des  indications  sur 
le  meilleur  mode  d'administration  des  eaux,  sur  les  maladies 
que  leur  usage  plus  ou  moins  soutenu  peut  combattre  avec 
avantage,  sur  les  soins  diététiques  qui  doivent  précéder,  pré- 
parer,-accompagner  et  suivre  le  traitement. 

Les  archéologues  et  les  étymologistes  n'ont  pas  manqué  de 
s'exercer  sur  le  nom  même  de  lîourboime,  qu'ils  déduisent 
en  droite  ligne  de  deux  radicaux  celti(|ues,  r<*t»et  ven  (chaude 
i'ontaine).  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  érudition,  Bourbonne 
possède  trois  sources  thermales,  dont  le  degré  de  chaleur 
varie  de  (\[\  à  Sa  degrés  de  lléaumur,  et  f|ni  donne  par  j<iur  de 
•j.[\  heures  S.n/p  i)ieds  cubes.  31  iM.  Bosc  et  Bt'zii,  de  Bour- 
bonne, 31 IM.  Jtlùnns,  Des  fosse  et  le  doctctn*  Ronrnirr  ^  de 
Besançon,  ont  soumis  à  l'analyse  chimi(]ue  même  quantité 
d'eau,  mais  sans  oblernr,  il  s'en  faut  de  beaucoup,  des  résul- 
tats identiques.  Parinliées  par  les  eaux  minérales  artificielles, 
dont  !M1\L  Duchanoy,  Tryairc  çXJ urine ^  dont  les  pharmaco- 
pées civile  et  militaire  ont  donné  la  recette,  les  eaux  therma- 


SCIENCES  PHYSIQUES.  44i 

les  naturelles  se  prennent  (Jeroiitinxiilé  par  ^.ai^ons  de  21  jours 
chacune,  qui  se  peuvent  réitérer  trois  et  quatre  l'ois,  à  huit  ou 
quinze  jours  d'inlervalle.  Contre-inditjuées,  dans  tous  les  cas 
d'inllanimation  aiguë,  elles  conviennent  aux  affections  essfcn- 
tielleuient  cliroiu(iues.  M.  Lemolt  énumère  24  grandes  lamil- 
les  de  maladies  dans  lesquelles  il  les  recommande;  s'il  arrive 
que  le  mal  résiste,  si  elles  ne  gucrissenl  ni  ne  soulagent,  loin 
de  tuer  infailliblement  ,  ainsi  que  le  prétend  le  plus  déraison- 
nable et  le  plus  ridicule  préjugé,  elles  restent  toujours  d'une 
complète  innocuité,  toutes  les  l'ois  que  le  tiaitement  aura  été 
convenablement  dirigé,  sagement  appliqué,  et  observé  avec 
une  scrupuleuse  exactitude. 

La  brochure  de  M.  Lemolt  est  un  service  rendu  à  toutes  les 
personiaes  que  leur  position  meta  même  d'avoir  recours  aux 
eaux  de  Bourbonne  ou  de  les  conseiller.  On  regrette,  en  la  li- 
sant, que  l'auteur  ait  cru  devoir  se  renfermer  dans  d'aussi 
étroites  limites.  Ses  5o  pages  ne  sont,  pour  ainsi  dire,  que  la 
table  des  matières  d'un  ouvrage  très-important  qui  manque 
jusqu'ici  à  la  science,  nous  voulons  parler  d'une  physiologie 
viéilicale  générale  des  eaux  minérales,  avec  des  applications  aux 
spécialités.  P.   L.   P. 

101. — *  Manuel  de  la  métallurgie  du  fer,  par  C.  J.  B.  Rars- 
ten;  traduit  de  l'allemand  par  V.  J.  Ctlmann.  Deuxième  édi- 
tion. T.  IL  Metz,  i85o;  M°"  Thiel,  éditeur.  In-8"  de  xxiv  et 
495  pages,  avec  9  planches;  prix,  7  fr. 

Le  second  volume  de  cet  important  ouvrage  renferme  la 
théorie  des  machines  soufflantes  et  !a  description  de  celles  qui 
sont  le  plus  connues  :  cette  partie,  qui  forme  la  troième  sec- 
tion, laisse  quelque  chose  à  tlésirer,  etnous  nous  proposons  de 
revenir  sur  ce  qui  la  concerne,  lors  de  l'annonce  du  5"  et  der- 
nier volume  qui  nous  fournira  l'occasion  de  jeter  un  coup 
d'œil  sur  l'ensemble  du  travail.  La  quatrième  section,  trè.s- 
remarquable  par  la  méthode,  la  clarté  et  l'enchainenient  des 
démonstrations  ,  est  consacrée  à  l'extraction  du  fer  crû,  au 
mode  de  construction  des  hauts-fourneaux  et  autres,  à  leur 
allure,  à  l'art  de  jeter  en  moule,  à  la  refonte  du  fer.  et  en  gé- 
néral à  tout  ce  c|ui  concerne  le  fer  non  encore  affiné.  Celte 
section,  qui  est  celle  qui  intéresse  davantage  les  producteurs 
du  fer,  est  parfaitement  bien  traitée  et  répond  à  la  haute  répu- 
tation de  l'ouvrage.  (Yoj.  l'annonce  du  1^' vol.,  Rev.  Eue, 
t.  XLv,  p.  685.)  OE. 

102.  *  Mémoire  sur  la  Navigation  d  vapeur,  lu  à  l'Institut,  le 
sGdécembre  182C),  par  M.  SÉGciNainé.  Paris,  1828;  Bachelier. 
In-4"  de  29  pages,  avec  une  plar.chc;  prix.  5  fr.- 


442  LIVRES   FRANÇAIS. 

M.  Séguin  a  divisé  son  Mémoire  en  trois  parties  :  dans  la 
première,  il  s'attache  ù  «  ramener  à  des  principes  simples  et 
faciles  à  saisir  les  circonstances  qui  accompagnent  la  trans- 
mission du  mouvement  développé  par  le  moteur,  soit  au  fluide 
qui  lui  sert  de  point  d'appui,  soit  au  mobile  qu'il  est  destiné  à 
mettre  en  mouvement.  »  Ses  recherches  sur  cet  objet  l'ont 
convaincu  que  la  forme  de  la  carène  d'un  bateau  exerce  une 
très-grande  iiiiluence  sur  la  vitesse  du  mouvement  qu'il  peut 
recevoir  d'une  force  donnée,  en  surmontant  la  résistance  de 
l'eau.  L'auteur  s'occupe,  dans  la  seconde  partie,  de  la  déter- 
mination de  la  forme  du  solide  de  la  moindre  résistance,  et  il 
trouve  que  cette  forme  approche  beaucoup  de  celle  d'un  pois- 
son; quelques  expériences  auxquelles  il  applique  le  calcul 
viennent  à  l'appui  de  cette  analogie.  La  troisième  partie  est 
consacrée  au  calcul  de  la  résistance  du  fluide,  soit  que  le  corps 
qui  l'éprouve  se  meuve  contre  le  fluide  en  repos,  soit  qu'il 
s'agisse  de  l'action  d'un  courant  plus  ou  moins  rapide  contre 
un  obstacle  immobile.  L'auteur  rassemble,  discute  et  applique 
les  méthodes  de  calcul  que  les  géomètres  ont  établies  jus- 
qu'ici: mais,  après  avoir  lu  et  médité  ce  Mémoire,  on  sent  que 
la  science  n'a  pas  encore  assez  fait  pour  résoudre  les  questions 
abordées  pai'  iM.  Ségiu'n,  et  que  les  expériences  tentées  jusqu'à 
présent  pour  déterminer  la  résistance  des  fluides  n'ont  pas 
encore  été  sufli-;amment  analysées,  ni  faites  assez  en  grand, 
pour  que  les  a])plications  en  soient  tout-à-fait  dignes  de  con- 
fiance. Le  tems  approche  sans  doute  où  notre  patrie,  remise 
eu  possession  de  tous  ses  moyens  de  prospérité  ,  pourra  faire 
au  monde  savant  et  industriel  le  beau  présent  d'une  suite  d'ex- 
périences concluantes  sur  cette  partie  essentielle  des  sciences 
mécaniques  :  on  aura  préparé  à  loisir  les  moyens  d'épreuve  ; 
les  bateaux  à  vapeur  en  feront  partie,  et  leur  construction  sera 
^oumise  alors  à  des  règles  sûres  et  d'une  facile  application.  Ce 
Mémoire  est  une  très-bonne  dissertation  sur  les  bateaux  à  va- 
jieur  ;  l'auteur  y  a  fait  usage  de  tout  ce  que  l'état  actuel  de  nos 
connaissances  en  hydrodynamique  pouvait  lui  fournir;  mais 
la  science  n'a  pas  encore  fait  assez  de  progrès  ;  et,  pour  les 
hâter  et  les  assurer,  il  faut  de  nouvelles  expériences  sur  la 
résistance  des  fluides;  il  les  faut  grandes,  nombreuses,  diver- 
sifiées, éclairées  par  une  analyse  exacte  de  toutes  les  causes 
qui  concourent  au  résultat.  Ajoutons  que  ces  expériences  se- 
lont  mieux  faites  en  France  que  {lartout  ailleurs;  c'est  chez 
nous  que  l'on  trouvera  le  plus  d'hommes  capal)les  de  les  di- 
liger.  et  la  plus  grande  sonunc  des  idées  (ju'clles  exigent.  F. 
io5.  — *îtiinrairc  ilcicriptlf  (le  la  France,  nu  G<'ogrnp/tic  coni- 


SCIKiNCKS  PHYSIQUES.  4/,.-, 

l>U:l»  de  ce  royaume  par  ordre  de  routes  ,  par  M.  Vatsse  du:  Vil- 
LiERS,  iiiicien  inspecteur  des  portes.  —  Route  de  Paris  à  Eouen, 
au  Havre,  Dieppe,  etc.  Paris,  i85o;  Jules  Renouard.  In-8°  de 
348  pages,  avec  carte  ;  prix,  5  fr. 

Nous  avons  déjà  rendu  compte  (t.  xlvi,  avril  i85o,  p.  iS'i  ), 
de  cette  utile  et  iujportante  collection,  avec  tous  les  éloges 
qu'elle  mérite.  Grâce  au  zèle  de  W.  A'aysse  de  Villiers,  la  France 
possédera  bientôt  une  description  complète  de  son  territoire  , 
par  ordre  de  routes,  qu'elle  pourra  opposer  avec  confiance  à 
ce  que  les  étrangers  peuvent  oflVir  de  plus  parfait  dans  ce  genre. 
Le  nouveau  volume  que  nous  annonçons,  rédigé  avec  le  même 
soin,  la  même  conscience  d'observation  que  les  piécédens, 
nous  a  paru  digne  des  mêmes  éloges,  et  recevra  certainement 
le  même  accueil  du  public.  Il  sera,  surtout,  bien  venu  des 
habitans  de  la  capitale,  qui,  malgré  le  peu  de  goût  qu'ils  mon- 
trent, en  général,  poiu-  les  voyages,  ont  tout  au  moins  exécuté 
ou  projeté,  une  fois  en  leur  vie,  celui  du  Havre  et  d<;  Dieppe. 
Nous  pouvons  leur  promettre,  dans  l'Itinéraire  que  publie 
anjourd'bui  M.  Vaysse,  le  meilleur,  le  plus  judicieux  cl  le  plus 
agréable  de  tous  les  guides. 

Il  nous  suffira,  pour  justifier  cette  opinion,  de  donner  ici  uu 
aperçu  de  ce  que  ce  volume  contient  d'intéressant.  L'aulern-  y 
décrit  d'abord  les  deux  routes  de  Paris  à  Rouen,  dites  d'cr/. 
hautet  d'en  bas  ;  l'une  par  Saint-Germain,  Mantes  et  Louviefs  ; 
l'autre  par  Saint-Denis,  Pontoisc  et  Magny.  La  première  offre 
successivement  à  l'observateur  le  beau  pont  et  le  château  de 
Neuilly,  les  jolis  coteaux  de  Marly  et  de  Luciennes;  Saint- 
Germain,  dont  le  château  bâti  par  cinq  rois  rappelle  Imt  de 
souvenirs;  celui  de  Maisons,  que  Voltaire  h:ibita  dans  sa  jeu- 
nesse ;  Poissy,  où  naquit  im  de  nos  plus  grands  rois,  et  où 
l'auteur  n'oublie  pas  la  célèbre  maison  centrale  de  détention  ; 
Mantes,  renommée  par  son  site  gracieux  ;  enfin,  Rosny,  séjour 
d'une  princesse  qui  va  expier  dans  l'exil  les  faut(;s  graves  de  sa 
famille,  et  déjà  célèbre  par  le  nom  de  Sully.  M.  Yaysse  s'est 
atttaché  à  décrire  avec  soin  ce  lieu  doublement  remarquable,  et 
les  détails  qu'il  donne  à  cette  occasion  sont  pleins  de  charme 
et  d'intéiêt.  Il  poursuit  sa  route  par  Gaillon,  dont  on  citait 
jadis  le  château,  bâti  en  1  5oo  par  le  cardinal  d'Amboise,  mo- 
nument précieux  des  premiers  lems  de  la  renaissance,  et  dont 
l'une  des  façades  figure  encore  aujoiud'hui  au  milieu  des  tristes 
débris  du  Musée  des  Pelits-Augustins.  Plus  loin,  s'oftVent  Lou- 
viers,  si  connu  par  ses  maiiui'actures,  et  Pont-de-l'Arche , 
d'où  l'on  découvre  les  restes  âyi  Prieure  des  deux  Amans.  Nous 
arrivons  enfin  à  Rouen,  dunl  la  descriplion  se  trouve  placée  à 


/,44  LIVRES  FRANÇAIS. 

la  suite  de  la  route  ci-après,  dite  d'en  haut,  plus  courte  d'en- 
viron trois  lieues  que  celle  dont  il  vient  d'être  fait  mention. 

Cette  seconde  route,  qui  est  aussi  beaucoup  moins  intéres- 
sante, se  dirige,  comme  il  a  été  dit,  par  Saint-Denis,  que 
31.  Vaysse  se  propose  de  décrire  plus  lard  ,  eu  même  tenis 
que  la  route  de  Paris  a  Londres,  par  linghien  et  la  belle  vallée 
de  Mi/ntmorcncy,  qu'il  tait  connaître  en  détail,  et  par  Pontoise 
et  -Maguy.  Plus  loin,  le  bourg  de  Saiut-Clair-sur-Epte  rap- 
pelle a  la  mémoire  toujours  présente  de  l'autein-  le  traité  cé- 
lèbre qui  y  fut  signé,  en  912,  entre  Charles-le-Simple  et  le 
cbef  des  Soruiands,  llollon,  par  suite  duquel  celui-ci  prit 
possession  de  la  belle  province  à  laquelle  ces  hommes  du  Nord 
ont  laissé  leur  nom. 

C'est  ici  f|ue  M.  Vaysse  a  placé  la  description  de  l'antique 
capitale  delà  Normandie,  et  il  y  a  mis,  suivant  sa  coutume, 
une  telle  exactitude,  que  l'éiranger  qui  parcourra  cette  grande 
ville,  le  livre  à  la  main  et  sans  demander  aucune  espèce  d'in- 
dication, pourra  être  assuré  de  n'avoir  rien  négligé  de  cu- 
rieux. C'est  une  épreuve  que  nous  avons  faite  nous-mêmes, 
pour  plusieurs  descriptions  semblables  du  même  ouvrage,  et 
toujours  avec  un  entier  succès. 

Nous  arrivons  maintenant  aux  deux  routes  de  Paris  au 
Havre,  toutes  deux  partant  de  Rouen,  l'une  d'en  bas,  par  Cau- 
debec,  et  l'autre  d'en  /laut,  par  Yvetot.  L'auteur  note,  en  pas- 
sant, les  ruines  des  célèbres  abbayes  de  Saiut-Genrges-de- 
Rocliervilk.  de  .lumièges  et  de  Sainl-Wandrille,  sur  lesquelles 
on  aurait  désiré  quelques  détails  de  plus;  il  n'oublie  pas,  en 
parlant  de  l'ancienne  Juliobona,  Liilebonne.  de  citer  les  dé- 
couvertes précieuses  d'antiquités  qui  y  ont  été  faites  dans  ces 
derniers  tems,  et  qui  se  renouvellent  encore  tous  les  jours.  Le 
nom  de  la  ville  d'Yvetot  lui  rappelle,  comme  on  le  devine, 
celte  singulière  royauté  qui  y  était  attachée  jadis,  dont  l'ori- 
gine n'est  pas  bien  clairement  établie,  et  dont  les  derniers  ti- 
tulaires ont  vécu  de  nos  jours. 

La  description  de  la  ville  du  Havre,  de  ses  bassins,  de  ses 
phares,  de  ses  principaux  édifices,  offre  le  même  intérêt,  la 
même  exactitude  que  celle  de  Rouen.  \  ers  la  fin  du  volume  , 
nous  trouvons  le  détail  des  routes  de  Paris  à  Honfleur.  qu'on 
pourrait  presque  regarder  encore  comme  deux  nouvelles  rou- 
tes du  Havre.  j)uis(|uc  cette  dernière  ville  n'est  séparée  de 
l'autre  que  par  un  bra'^  de  mer  que  l'on  franchit  souvent  en 
moins  d'une  heure.  L'une  de  ces  roules  passe  par  Rouen  et 
Pnnt-Audemer  :  l'aulr»;  par  Louviers  et  Elbeuf.  L'auteur  a  eu 
grandement  rai'nn  d»"  ne  }ta«  oublier,  eu  parlant  d'IIonflcur. 


SCIENCES   PHYSIQUES.  4^5^ 

la  délicieuse  silualion  tle  la  cliapclle  de  Notre-Dainc-dc-Grâce, 
qui,  avec  >cs  ex-udo ,  les  beaux  arbres  qui  l'eutourent  et  son 
magnifique  point  de  vue,  est  certainement  un  des  lieux  les 
plus  dignes,  dans  toute  celte  contrée,  de  l'admiration  des 
voyageurs. 

Ce  volume  se  termine  par  les  routes  de  Paris  à  Fécaïup,  et 
de  Saint-Valéry-en-Caux,  et  par  un  aperçu  de  celle  de  Dieppe, 
que  l'auteur  promet  de  donner  avec  pins  de  détail,  en  parhnit 
de  la  route  de  Paris  à  Loncl^'es.  Dans  la  description  du  château 
de  Eécamp,  M.  Vaysse  a  soin  de  raconter  l'audacieuse  entre- 
prise du  capitaine  Boisrosé  ,  qui  l'enleva  pendant  les  guerres 
de  la  Ligue,  aidé  seulement  d'un  petit  nombre  d'hommes  dé- 
terminés. L'auteur,  qui  rapporte  cr  trait  d'après  M.  >ioël,  à 
qui  l'on  doit  un  Essai  sur  le  département  de  la  Seine-Inle- 
rieure,  aurait  pu  prendre  lui-même  le  récit  original  dans  les 
Mémoires  de  Sully,  où  se  trouve  même  une  circonstance  pi- 
quante que  M.  Noël  parait  n'avoir  pas  citée.  Le  capitaine  Bois- 
rosé,  étant  venu  à  la  cour  solliciter  la  juste  récompense  de  son 
courage,  ne  put  parvenir  jusqu'au  roi.  Il  s'en  plaignait  hau- 
tement à  tout  le  monde,  et  ayant  un  jour  rencontré  Sully,  qu'il 
ne  connaissait  pas,  il  s'emporta  vivement,  tout  en  lui  contant 
sa  mésaventure,  contre  le  ministre  iavori,  qui,  disait-il,  ne  lais- 
sait faire  au  roi  que  ce  qu'il  voulait.  Sans  trop  s'arrêter  à  ce 
mode  un  peu  brusque  de  pétition,  Sully  s'empressa  de  recom- 
maiider  à  Henri  IV  la  belle  action  de  Boisrosé,  que  le  vain- 
queur de  Contras  et  de  Fontaine -Française  devait  apprécier 
mieux  que  personne;  et  Boisrosé,  nommé  gouvernein- d'une 
place  importante,  apprit,  avec  une  grande  surprise,  à  qui  il  en 
avait  robligalion. 

104. — *  Dictionnaire  topographique ,  liisiorique  et  statistique 
du  drpartement  de  (a  Sart/ie,  par  J.  1\.  Pesciie.  i5'  et  i/j."  livrai- 
sons. Paris,  i85o;  Bachelier,  qxiai  des  Angnstins;  et  Lance, 
rue  Croix-des-petits-Champs  ;  prix  de  la  livraison  ,  2  f.  5o  c. 

Nous  avons  déjà  lait  connaître  à  nos  lecteurs  (voy.  Rev. 
Enc,  tom.  XLvi,  avril  i85o,  pag.  187.  )  l'ulile  entreprise  de 
M.  Pesche,  qui  la  continue  sans  relâche  ,  av<;c  des  soins  et  une 
persévérance  très-dignes  d'éloges.  Malgré  tout  ce  qu'on  peut 
dire  sur  la  forme  de  dictionnaire  qu'il  a  cru  devoir  préférer, 
il  serait  certainement  bien  à  désirer  que  chacune  de  nos  an- 
ciennes provinces  possédât  un  répertoire  semblable  de  tous  les 
faits  qui  intéressent  ses  habilans.  Un  travail  de  ce  genre,  ré- 
sultat des  plus  pénibles  recherches,  conduit  rarement  à  la  cé- 
lébrité; mais  il  peut  rendre  de  nombreux  et  imporlans  servi- 
ces ;  il  répand  des  lumières  dans  le  pays  ;  il  met  en  rapport  les 


Vj«  livres  français. 

individus  d'une  même  conlrée,  souvent  étonnés  des  richesse 
locales  qu'ils  ne  croyiiient  pas  posséder;  il  mérite  enfin  au  ci- 
toyen qui  s'est  ainsi  dévoué  la  reconnaissance  et  l'estime  de 
ses  compatriotes.  Nous  aimons  à  croire  que ,  de  ce  côté  du 
moins,  rien  no  manquera  au  succès  de  M.  Pesche. 

Les  deux  nouvollos  livraisons  que  nous  annonçons  contien- 
nent la  suite  de  In  Biographie  dcpariemrntale,  cl  celle  de  l'excel- 
lent/^/•(W.s"/».v<o;(V///e  dont  l'auteur  a  cru  devoir  faire  piécéder  son 
dictionnaire.  La  première  de  ces  deux  sections  ii'oflVe  aucim 
article  digne  datlention  poiu-  les  lecteurs  étrangers  au  dépar- 
tement de  la  Sarthe.  Nous  nous  occuperons  donc  seulement 
ici  du  précis  historique,  en  indiquant,  parmi  les  évènemens 
remarquables  de  la  période  qu'il  embrasse,  ceux  qui  se  rap- 
portent spécialement  à  la  contrée  dont  il  s'agit. 

Cette  période  commence  à  la  Saint-Bartbelemi,  et  finit  au 
teuis  de  la  chouannerie,  dont  l'ancien  Maine  fut  particulière- 
ment le  théâtre.  L'auleur  fait  observer  que  le  trop  fameux  Pel- 
letier, curé  de  Saint-Jacques-la-Boucherie ,  de  Paris,  et  l'un 
des  plus  féroces  ligueurs,  était  né  au  Mans.  Le  maréchal  de 
Rois-Dauphin,  de  la  maison  de  Laval,  Beaumanoir  de  Lavar- 
din,  qui  avait  reçu  de  la  Ligue  le  même  titre,  confirmé  depuis 
par  Henri  \\  \  et  les  princes  fie  Lorraine,  seigneurs  de  Mayenne 
et  de  Sablé,  appartenaient  encore  à  la  même  province.  Plus 
loin,  on  lit  av<îc  inlérêl  la  circulaire  adressée  par  le  roi  de  Na- 
varre à  plusieurs  personnes  notables  du  royaume,  pour  les 
engager  à  assister  à  l'a-semblée  de  Mantes,  où  se  prépara  sou 
abjuration.  Cette  pièce,  qui  parait  n'avoir  pas  encore  été  pu- 
bliée, a  été  découverte  en  original,  par  l'auteur  lui-même, 
dans  les  archives  du  château  de  Boniiélable,  propriété  de 
MM. -de  Montmorency. 

Ce  fut  sous  le  règne  de  Henri  IV  que  s'établirent  au  Mans 
les  fabriques  de  cire  et  d'étamines,  devenues  depuis  si  célè- 
bres, à  peu  près  h  l'époque  où  le  voyageur  Pierre  Belon  en- 
richissait sa  patrie  d'une  foule  de  végétaux  peu  ou  point  con- 
nus jusqu'à  lui,  et  où  d'autres  hommes  distingués  honoraient 
encore  la  même  province.  Parmi  ceux  que  cite  M.  Pesche,  il 
ne  faut  pas  oid)lier  du  Boullay,  AmJjroise  Paré,  le  père  delà 
chirurgie  française;  Lacroix-du-Maine,  Garnier,  Ronsard  et 
le  célèbre  statuaire  Germain  Pilon  ,  dont  on  admire  encore  le 
ciseau,  dans  la  chapelle  si  curieuse  et  si  peu  connue  de  So- 
limes,  près  de  Sablé. 

Nous  passons  rapidement  sur  les  guerres  de  la  Fronde,  qui 
causèrent  de  grands  dommages  dans  le  Maine,  sur  la  révoca- 
tion de  l'édit  (le  Nantes  cl  snr  d'autres  évènemens  postérieurs, 


SCIENCES  PHYSIQUES.— SCIENCES  MORALES.  447 

qui  irollrent  pas,  clans  celte  province,  de  ciiconNÎanccs  pro- 
pres il  atlircr  noire  attention,  et  nous  nous  liàlnns  d'arriver  à 
une  époque  trop  mémorable,  qui  y  a  laissé  de  farauds  souve- 
nirs. Nous  voulons  parler  du  passage  de  l'armée  vendéenne  et 
de  celte  déroute  du  Mans,  si  sanglante,  et  d'ailleurs  si  dé- 
cisive, que  les  faibles  débris  qui  avaient  pu  écliapper  ne  tin- 
rent plus  désormais  contre  les  armes  républicaines,  et  dispa- 
rurent enfin  complètement  à  Savenay.  Quelques  communes 
de  l'ouest  de  la  Sarthe  s'étaient  déjà  soulevées  contre  la  Con- 
vention, mais  elles  furent  promptement  soumises.  Ce  fut  au 
mois  de  décembre  1790,  que  la  grande  armée  vendéenne, 
qui  venait  d'échouer  au  siège  de  Granville  ,  parût  sous  les 
murs  du  Mans.  C'est  surtout  dans  les  Mémoires  de  31'""  de  la 
llochejacquelcin  qu'il  faut  lire  le  récit  de  ce  mémorable  désas- 
tre. Ce  morceau,  que  M.  l'esche  cite  presqu'en  entier,  est  de 
l'intérêt  le  plus  dramatique,  cl  oflre  en  mêmetemsun  modèle 
pariait  de  narration  et  de  style. 

La  guerre  de  la  chouannerie  qui  désola  surtout,  comme  on 
sait,  les  déparlemens  de  la  Sarthe  et  de  la  31ayenne,  moins 
fertile  en  év»  nemens  et  surtout  moins  honorable  que  celle 
des  Vendéens,  ne  fut  pas  moins  funeste  au  pays.  On  lira  ce 
qu'en  raconteM.  Pesche,  avec  la  confiance  que  mérite  un 
homme  de  l)onne'foi,  écrivant  sur  les  lieux  mêmes,  et  d'a- 
près des  documens  irrécusables.  Eu  total,  ce  précis  historique 
est  composé  d'une  manière  très-satisfaisante  :  on  voit  que 
l'auteur  s'y  est  préparé  par  des  études  sérieuses,  et  les  lecteurs, 
même  étrangers  au  pa^s  poiu-  le([uel  il  a  travaillé,  le  liront 
avec  intérêt  et  souvent  avec  profit.  Y.  Z. 

Sciences  reiii^ieuses,  morales,  poUliques  et  historiques. 

io5.  ■ — *  Instruction  pratique  et  théorique,  ou  Guide  des 
Maitres  pour  la  lecture  élémentaire,  suivant  une  nouvelle  mé- 
thode de  décomposition  également  applicable  à  tous  les  modes 
d'enseignement;  par  M.  Dirivau.  Paris,  iS3o;  Arthus  Ber- 
trand. ln-H°  de  71  pages  et  g  tableaux;  prix,  5  fr.  5o  c. 

J'ai  déjà  annoncé  avec  éloges  dans  ce  recueil  plusieurs  mé- 
thodes de  lecture  :  je  vais  avoir  encore  à  louer  celle-ci;  ce- 
pendant les  pi'océdés  indiqués  sont  tous  diflérens,  quelquefois 
contraires  :  comment  se  fait-il  que  tous,  à  mon  avis,  soient 
bons  et  utiles  ?  Ces  jugements  n'impliquent-ils  pas  contradic- 
tion ? 

Il  est  facile  de  répondre  à  cette  objection  :  mru'ns  Féducation 
est  avancée,  plus  l'étude  est  pratique  :  les  théories  grairimati- 


448  LIVRES  FJIANÇAIS. 

cales  sont  très-étendues;  la  théorie  de  la  lecture  l'est  fort  pen. 
Presque  tout  le  travail  du  maître  et  de  l'élève  est  un  travail 
d'action,  une  pratique,  je  dirai  presque  une  routine.  Le  livre 
qui  n'expose,  la  plupart  du  tems,  qu'une  théorie  appuyée  de 
quelques  exemples,  considt  re  les  choses  à  apprendre  sous  un 
aspect  général,  et,  sous  quelque  point  de  vue  qu'on  les  examine, 
cha»]ue  théorie  fait  toujours  disparaître  quelques  difficultés, 
et  en  laisse  subsister  d'autres.  Ainsi  quelques  maîtres,  rebutés 
des  obstacles  qu'ils  rencontraient  dans  la  variété  des  combi- 
naisons de  Kos  lettres,  pour  exprimer  un  petit  nombre  de  sons, 
ont  imaginé  d'attribuer  toujours  le  même  son  au  même  signe, 
comme  le  voulait  la  Société  île  la  Réforme  orthographique  :  on 
a  ainsi  vu  diminuer  prodigieusement  les  difficultés  de  la  lec- 
ture :  mais  bientôt  se  sont  pressées  en  bien  plus  grand  nombre 
celles  de  l'orthographe.  Les  partisans  de  Vèpellation  se  vantent 
du  petit  nombre  de  leurs  signes;  les  partisans  de  la  lecture 
syUabujue  (i)  leur  opposent  une  multitude  de  leurs  combi- 
naisons; et  ces  combinaisons,  ils  les  prennent,  quant  à  eux, 
pour  des  signes  simples,  et  les  font  apprendre  par  cœur.  Ils 
prétendent  qu'il  y  a  un  avantage  dans  celte  méthode. 

Ce  que  l'on  peut  assurer,  c'est  que  ces  divers  pocédés.  plus 
ou  moins  satisfaisans  pour  la  raison,  doivent  dans  la  pratique 
leur  plus  grand  succès  à  l'assiduité,  à  la  patience  des  maîtres, 
au  travail  et  :'i  l'attention  des  écoliers  :  car,  comme  je  le  disais 
tout  à  l'heure,  l'enseignement  de  la  lecture  est  presque  tout 
pratique  :  et,  par  consétpicnt ,  l'exercice  y  produira  toujours 
plus  de  fruit  que  des  considérations  métaphysiques.  La  preuve 
en  est  au  reste  qu'on  a  fort  bien  et  fort  mal  appris  à  lire  par 
des  méthodes  semblables,  dill'érentes  ou  contraires.  On  voit 
par- là  comment,  sans  prendre  parti  ni  pour  ni  contre  l'épella- 
tion ,  j'ai  loué  des  ouvrages  tendant  au  même  but  par  une 
route  différente,  lorsque  j'y  ai  trouvé  ce  qui  dans  toutes  les  mé- 
thodes, doit  incontestablement  produire  un  grand  bien  pour  les 
élèves,  je  veux  dire  le  soin  de  graduer  les  diffcultés,  et  de  rendre 
sensibles,  par  tons  les  moyens,  4es  diflerences  qui  séparent  un 
objet  d'un  autre.  M.  Durivau  s'est  attaché  à  rendre  son  ou- 
vrage satisfaisant  sous  ce  double  rapport;  allant  toujours  du 
simple  au  composé  avec  une  rigueur  mathématique,  il  divise 
en  neuf  tableaux  l'art  de  syUaber,  d'où  doit  découler  immé- 


(i)  L'i^pcllali-in  con.sistc  à  îipprendie  Imiles  les  Iittres  une  à  une,  et  à 
déduire  le  saii  de  leurs  comljiuaisons  du  son  des  letlies  simples.  La  lec- 
ture svllabicjue  consisie,  au  rontiaire,  à  faire  lire  toutes  les  syllalies  ou 
une  bonne  partie  des  syllabes  comme  des  sons  simples. 


SCIEINCES  MOIIALES.  449 

diiiteiDent  l'art  de  lire.  Le  premier  contient  les  sigiîes  indé- 
composables, c'est-à-dire,  les  lettres  ou  réunions  de  lettres 
(par  exemple,  o,  an,  eau,  cli,  pli,  gn) ,  qui  forment  des  sons 
simples. 

Tous  ces  signes,  rangés  selon  un  ordre  qu'il  faut  étudier  dan? 
le  livre  même ,  reparaiss(;nt  un  peu  phts  loin  dans  un  ordre 
différent,  et  permettent  ainsi  de  faire  saisir  jusqu'aux  moin- 
dres traits  qui  les  distinguent. 

Plusieurs  exercices  divers  se  rattaclient  à  ce  même  tableau 
et  forment  ensemble  la  première  partie  de  celle  méthode  de 
lecture. 

La  seconde  partie  comprend  l'étude  des  élémens  décompo- 
sables,  c'est-à-dire,  des  syllabes  où  une  articulation  se  com- 
bine avec  les  voix  simples  (i)  énumérées  dans  le  premier  ta- 
bleau ;  et  ici  se  présentent  encore  plusieurs  divisions,  selon  que 
Tarliculation  est  initiale  ou  finale,  simple  ou  composée. 

Enfin,  dans  la  troisième  partie,  sont  des  piincipes  pour  pas- 
ser à  la  lecture  proprement  dite. 

Le  tout  se  termine  par  quelques  notes  où  M.  Durivau  dis- 
cute les  méthodes  proposées  avant  lui,  les  avantages  ou  les 
désavantages  qu'on  peut  y  rencontrer  :  il  établit,  avec  cette 
raison  supérieure  dont  il  a  fait  preuve  dans  l'examen  de  la 
méthode  de  M.  Jacotot  (voy.  Rev.  Eue,  t.  xliv,  p.  454),  lés 
raisons  qui  lui  font  préférer  telle  ou  toile  marche,  telle  ou 
telle  disposition.  C'est  là  surtout,  et  dans  le  discours  qu'il  a 
mis  en  tète  de  son  ouvrage,  que  Ton  peut  apprécier  l'in- 
fluence de  l'espiit  philosophique  sur  l'instruction  de  la  pre- 
mière enfance  :  aussi  je  regarde  cet  ouvrage,  quelque  court 
qu'il  suit,  et  peut-êUe  nsêaie  parce  qu'il  est  si  court,  comme 
l'un  des  meilleurs  giiides  que  l'on  puisse  recommander,  soit 
aux  maîtres,  soit  aux  moniteurs,  dans  les  écoles  d'enseigne- 
ment mutuel.  R,  J. 

106.  — *  Instruction  du  peuple  français;  /ivres  vendus  au  pria; 
coûtant.  —  La  Science  du  bonhomme  Richard,  par  Benjamin 
Franklin,  imprimeur,  précédée  d'une  Notice  sur  sa  vie,  cl 
suivie  de  V Histoire  du  sifflet.  Paris.  i83o;  imprimerie  de  Fir- 
min  Didot.  In- 16  de  34paêGs;  P'ix,  2  sous. 

Ces  publications  sont  faites  par  les  soins  d'une  Société  dont 


(1)  Les  voix  sont  les  so-is  produits  par  l'air  vocal  dans  le  gosier;  va 
les  représente  par  les  voyelles  ;  les  articulations  sont  les  modifications  r'u 
son  produites  par  les  mouveniens  de  la  langue,  des  lèvres,  des  dents,  etc. 
On  !*■•;  représente  par  les  consonnes. 

T.    XLVIl.    AOIT    !85o.  -iU 


45o  LIVRES  FHANÇAIS. 

M.  le  conilc  de  Lapteirie  est  président.  Le  bureau  est  établi 
rue  Saiiit-Bonoît,  ii"  7.  à  Paris. 

En  débutant  dans  la  nouvelle  carrièredc  pbilanlropie  qu'elle 
s'est  ouverte  ,  la  Société  qui  se  charge  de  publier  ces  petits 
écrits  ne  pouvait  mieux  faire  que  d'oftVir  d'abord  celui  qui 
doit  servir  de  modèle  a  tous  les  écrivains  qui  se  consacreront 
à  l'instruction  populaire.  La  uollce  sur  Franklin  est  elle-même 
une  excellente  instruction  :  les  hommes  laborieux  y  trouve- 
ront de  puissans  encouragemens,  des  consolations  pour  le 
présent,  des  espérances  pour  l'avenir.  Beaucoup  d'autres  no- 
tices biograpbi([ues  in^pireront  la  même  sorte  d'intérêt,  et 
olYrironl  aussi  de  très-bons  exemples. 

Le  titre  de  cette  collection  est-il  bien  convenable?  Nous 
sommes  tous  du  peuple  français,  quoique  nous  n'ayons  pas  be- 
soin de  ces  petits  livres  pour  achever  notre  éducation.  N'ou- 
blions pas  que  les  Romains  ont  consacré  l'expression  la  ma- 
jeslédu  peuple,  et  que  les  Anglais  l'ont  renouvelée;  ayons  soin 
nous-mêmes  de  ne  pas  faire  descendre  ce  mot  au-dessous  de 
sa  dignité.  N. 

107.  —  De  la  lUc/iesse,  ou  Essais  de  Ploutonoviic,  ouvrage 
dans  lequel  on  se  propose  de  rechercher  et  d'exposer  les  prin- 
cipes de  cette  sciince;  par  M.  Robert-Gutard.  1"  et  2'' livres. 
Paris,  1829;  Verdière.  In-8°  de  90  et  176  p.;  prix,  3  fr.  5o  c. 
Ces  deux  premières  parties  d'un  ouvrage  dont  nous  ne 
saurions  prévoir  la  portée  ni  les  dévoloppemens  ultérieurs  ne 
contiennent  encore  (|ue  des  définilions  générales  et  des  axio- 
mes qui  n'atteignent  point  les  questions  vraiment  pratiques  de 
la  science.  Le.  titre  adopté  par  l'auteur  annonce  d'abord  son 
goùl  pour  une  certaine  méthode  que  j'appellerais  volontiers 
grammaticale,  méthode  plus  jn-éoccupée  peut-être  des  mots 
que  des  choses,  et  qui,  tout  en  cherchant  à  expliquer  les  ter- 
mes ou  à  les  rendre  plus  précis,  risque  souvent  <le  perdre  de 
vue  les  vraies  difficultés  philosophiques,  pour  s'escrimer  en 
de  vaines  logomachies.  Nous  ne  discuterons  point  si  l'inven- 
tion du  mot  Ploutonomie  était  bien  nécessaire,  mais  nous 
voyons  qu'il  se  renconire  fort  peu  au  delà  du  titre  de  l'ou- 
vrage. La  préfaceest  courte,  comme  le  sont  en  général  les  cha- 
pitres, les  alinéas,  et  elle  ne  contient  guère  qu'un  pompeux 
éloge  de  Condiilac.  Chacune  des  idées  de  l'auteur,  souvent 
même  des  idées  incidentes,  est  indiquée  en  marge,  quelque 
brièvement  qu'elle  soit  exprimée  dans  le  texte;  de  sorte  que 
la  pensée  est  plutôt  disloquée  et  brisée  que  divisée  utilement 
pour  l'esprit  du  lecteur.  En  isolant  trop  les  détails,  on  fait 
disparaître  les  masses,  le  lien  général  et  le  but  d'un  ouvrage. 


SCIENCES  MORALES.  45 1 

Les  mots  richesse,  appropiiabililé,  utilisabililé, appropriation, 
utilisation,  coiisommalion,  usage,  service,  emploi,  jouissance, 
valeur,  sont  définis  minutieusement  dans  les  cinq  premiers 
chapitres.  Arrivé  à  la  valeur,  l'auteur  soutient  qu'elle  est 
toute  relative,  et  que,  n'étant  qu'une  idée,  elle  n'est  point  com- 
raensurable  d'une  manière  absolue.  Ensuite  il  oppose  rapi- 
dement ]et  définitions  des  divers  économistes  sur  la  richesse 
à  celle  qu'il  adopte  et  qu'il  emprunte  exclusivement  aux  deux 
notions  de  propriété  et  d'utilité.  Le  second  livre  traite,  d'une 
manière  non  moins  générale,  du  travail,  de  ses  causes,  des 
mobiles  qui  le  favorisent,  de  ses  instrumens,  de  ses  résultats, 
de  sa  division,  de  la  production  et  de  l'épargne.  Ces  matières 
dans  leur  application  peuvent  fournir  une  foule  de  problèmes 
des  plus  intéressans  pour  la  société;  mais  à  l'état  d'abstrac- 
tion où  l'auteur  se  plaît  à  le*  maintenir,  en  vertu  de  son  ex- 
trême confiance  daus  la  métaphysique  condillacienne,  nous 
craignons  qu'il  n'en  tire  aucun  résultat  bien  iratisfaisant,  ni 
par  sa  grandeur,  ni  par  son  utilité.  V. 

108.  —  *  De  la  Production  nationale  considérée  comme  base  du 
commerce ,  et  application  de  ce  principe  d  La  solution  de  la  ques- 
tion des  laines  ;  par  M.  le  baron  de  Morogues.  Paris,  1829  ; 
M""  Huzard;  Renard.  In-S";  prix,  2  fr.  5o  c. 

La  plupart  des  économistes  modernes  ont  admis  comme 
principe,  que  la  liberté  du  commerce  extérieur  ne  saurait  être 
trop  absolue,  et  que  les  douanes,  en  la  limitant,  sont  un  ob- 
stacle à  la  prospérité  des  peuples  civilisés  qui  les  conservent 
comme  moyen  de  protéger  les  producteurs  nationau"ï:.  M.  de 
Morogues  lui-même  avait,  en  1822,  admis  cette  opinion  dans 
son  Essai  sur  les  moyens  d'améliorer  f  agriculture  en  France. 
Ayant  depuis  approfondi  davantage  celte  question  impor- 
tante, il  a  modifié  ce  système;  aujourd'hui,  d'accord  avec 
MM.  Ferrier,  Daude,  Mathieu  de  Dombasle  et  d'autres  écono- 
mistes habiles,  il  abandonne  le  système  absolu  de  MM.  Say, 
Blanqui,  Charles  Dupin,  Mac-Culoch,  etc. ,  etc.  ,  pour  démon- 
trer que,  la  production  nationale  étant  la  seule  qui  puisse  ser- 
vir à  satisfaire  nos  besoins,  soit  en  étant  consommée  di-. 
rectement,  soit  en  étant  préalablement  échangée  contre  la 
production  étrangère,  le  premier  de  tous  les  moyens  de  nous 
pourvoir  est  de  produire  le  plus  possible;  en  sorte  que  tout 
ce  qui  peut  tendre  à  restreindre  la  production  intérieure  est 
dangereux  pour  le  pays.  Ces  deux  opinions  ne  diflerent  l'une 
de  l'autre  qu'en  apparence  :  car,  en  supposant  que  le  com- 
merce soit  absolument  libre,  il  laut  le  pourvoir,  le  plus  abon- 
damment que  l'on  pourra,  des  divers  objets  d'échange  dont 


453  LIVRES  FllANÇAlS. 

il  aura  besoin,  el  par  conséquent  accroître  la  production  pour 
qu'elle  suffise  à  toutes  les  demandes.  Or,  de  toutes  les  sources 
qui  peuvent  alimenter  le  commerce,  le  solest,  pour  la  Fiance, 
la  plus  abondante,  et  en  même  tems  celle  dont  la  surabon- 
dance est  le  moins  à  redouter.  Tout  nous  invite  donc  à  multi- 
plier autant  que  possible  nos  productions  agricoles,  de  quel- 
(jue  nature  (ju'elles  soient. 

Appli(ju;uit  (c  principe  à  la  solution  de  la  question  des  lai- 
nes, M.  de  Morogucs  démontre  que  nous  ne  pouvons  produire 
nos  laines  el  nos  troupeaux  en  France  à  aussi  bas  priK  (pie  les 
peuples  pa>teurs  qui  nourrissent  leurs  moutons  sans  frais,  sur 
de  vastes  pacages  incultes,  tandis  que  nous  sommes  con- 
traints de  les  élever  comme  instrumens  obligés  de  nos  exploi- 
tations rurales;  tellement  que,  plus  le  produit  particulier  de 
ces  instnmiens  sera  diminué,  plus  la  dépense  nécessaire  à  la 
production  de  nos  grains  sera  grande.  Il  faut  donc,  ou  que  le 
prix  de  nos  laines  se  soutienne,  ou  que  celui  de  nos  grains 
augmente,  pour  que  nos  cultivateurs  ne  soient  point  en  perte, 
et  puissent  continuer  à  approvisionner  nos  marchés.  Cette 
conclusion  semble  avoir  besoin  de  quelque  nouvel  appui,  de 
preuves  encore  plus  convaincantes  ;  elle  est  d'une  très-grande 
importance  ,  car  nous  ne  saurions  remplacer  nos  productions 
agricoles  acluellespar  d'autres  d'un  aussi  grand  intérêt,  et  qui 
occupent  un  aussi  grand  itombre  de  bras;  conditions  dont  les 
partisans  de  la  liberté  absolue  du  commerce  extérieur  recon- 
naissent la  nécessité. 

Il  nous  est  impossible,  dans  im  article  très-restreint,  de  dé- 
velopper toute  la  théorie  (pie  iM.  de  i\iorogues  a  corroborée 
par  de  nombreuses  recherches  et  par  des  calculs  qui  nous  ont 
semblé  d'un  grand  intérêt  pour  la  France.  La  Société  d'amé- 
lioration des  laines,  jngii  com{)étent  en  cette  matière,  les  a 
considérés  comme  résolvant  la  question  des  laines  d'une  ma- 
nière définitive,  ^'oici  comment  son  rapporteur  s'est  exprimé 
à  cet  égard,  page  5o  du  treizième  Bulletin.  Nous  adoptons  en- 
tièrement ses  conclusions  : 

«  M.  de  Morogues  vient  de  compléter  l'instruction  du 
grand  procès,  en  prouvant  qu'il  y  a  impossibilité  pour  la 
France  de  produire  des  laines  en  concurrence  avec  les  laines 
étrangères,  et  néanmoins  impossibilité  de  se  passer  de  trou- 
peaux sans  compromettre  sa  richesse  agricole,  et  sans  affecter 
sensiblement  la  production  des  céréale>  et  de  toutes  les  autres 
denrées  de  première  nécessité  et  de  grande  consommation. 
Nous  doutons  qu'on  réponde  ù  ces  argumens, 

)iCe  savant  agronome  a  donc  rendu  un  grand  service  à  la 


SCIENCES  MOIixVLES.  455 

France,  en  éclaircissant  complètement  une  question  ardue  et 
trop  long-tcms  controversée.  Son  livre  doit  être  consulté  par 
les  hommes  d'Etat  appelés  à  concourir  aux  mesures  de  pro- 
tection que  réchune  la  souftVance  de  l'ag^riculture;  nous  ne 
pouvons  que  recom.mander  sa  lecture  à  tous  les  amis  éclairés 
du  pays.  »  Z. 

log. — *  Discours  prononcé  par  le  procureur-général  Moinoco 
(  à  Pondichéry  )  ,  à  la  séance  d'installation  de  M.  DumÉlay, 
gouverneur  des  établissemcns  français  dans  l'Inde,  le  12  avril 
1829.  Paris,  i83o;  inifirimerie  de  Uignoux.  In-8"  de  21  p. 

IM.  iMoiroud  dédie  son  discours  à  la  magistrature  française 
et  à  ses  anciens  confrères  du  bareau  de  Paris.  »  Je  publie  au- 
joiudhui  le  discours,  à  la  suite  duquel  j'ai  été  forcé  de  me 
démettre  de  mes  fonctions  de  procureur-général  à  Pondichéry. 
Avant  peu,  je  rendrai  compte  de  l'état  de  la  colonie,  au  jour  de 

ma  démission En  quittant  le  sol  de  l'Inde,  j'annonçai  à 

M.  le  gouverneur  Dumélay  que  j'en  appellerais  à  l'opinion  de 
la  France;  qu'elle  juge  donc  entre  lui  et  moi.  » 

Le  capitaine  de  vaisseau  Dumélay,  nommé  gouverneur  de 
l'Inde,  par  ordonnance  du  23  mars  1828,  an  iva  à  Pondicliéry, 
le  1 1  avril  182g,  et  fut  installe  le  lendemain.  M.  Moiroud  l'a- 
vait connu  à  Paris  chez  des  amis  communs,  et  se  félicitait  d'un 
choix  qui  donnait  à  la  colonie  un  chef  pour  lequel  il  avait 
conçu  beaucoiq)  d'estime,  d'après  les  opinions  et  les  sentimens 
qu'il  lui  supposait.  «  Ce  fut  en  requérant  l'enregistrement  de 
sa  commission  que  je  prononçai  le  discours  qui  suit  :  deux 
heures  après  l'audience,  je  me  présentai  ;'i  l'hTitel  du  gouver- 
nement, à  la  tête  de  toute  la  magistrature  française  de  l'Inde, 
pour  y  saluer  le  gouverneur.  M.  le  capitaine  Dumélay  reçut 
les  magistrats  d'une  cour  souveraine,  à  peu  près  comme  des 
matelots  qui  auraient  manqué  à  l'ordre.  Son  alloctition,  en 
style  de  marin,  ne  fut,  d'un  bout  à  l'autre,  ([u'une  âpre  cen- 
sure de  la  profession  de  foi  que  je  venais  de  faire,  .le  ['écoutai 
avec  le  calme  que  m'imposait  la  toge  dont  j'étais  revêtu  ;  et  je 
me  bornai  à  dire  :  M.  le  gouverneur,  soyez  sûr  que  votre  mer- 
curiale 7ie  sera  pas  perdue.  Dix  minutes  après,  ma  démission 
était  dans  ses  mains.  » 

En  lisant  ce  discours  avec  la  plus  sciupuleuse  attention,  on 
n'y  découvrira  rien  dont  un  homme  de  sens  puisse  paraître 
offensé,  mais  au  contraire  beaucoup  de  choses  qu'un  fonc- 
tionnaire équital)le  el  bienveillant  eût  écoutées  avec  recon- 
naissance. La  misère  à  laquelle  le  système  d'impôts  réduit  le 
peuple  malabare  y  est  exposée  avec  courage  ;  l'orateur  dénonce 
l'atroce  maxime  exprimée  en  sa  présence,  en  plein  conseil  de 


454  LIVRES  FllANÇAIS. 

goiiverneniént.  qu't'/  faut  que  le  peuple  ait  faim,  pour  qu'on  aft 
muilleur  marche  de  ses  sueurs.  Les  manœuvres  des  jésuites 
dans  cette  contrée  lointaine  y  sont  mises  au  grand  jour;  des 
honmies  pervers  y  sont  flétris  comme  ils  l'ont  mérité,  etc. 
Comme  nous  sommes  réduits  à  citer  peu,  transcrivons  au 
moins  un  extrait  (|ui  donne  une  idée  juste  de  l'esprit  et  des 
intentions  qui  ont  d!(  té  ce  discours. 

«>  Parmi  les  grands  intérêts  qui  appelleront  votre  sollici- 
tude,  je  ne  chercherai  à  la  fixer  que  sur  un  seul,  parce 
qu'il  me  semble  dominer  tous  les  autres,  et  que  trop  peu  de 
Toix,  jusqu'ici,  se  sont  élevées  pour  sa  défense.  Vos  regards 
se  porlcroul  avec  bonté  sur  cette  population  indienne  ,  qui 
n'a  été  tant  calomniée  par  ses  oppresseurs  que  parce  que 
la  calomnie  donne  un  prétexte  à  l'oppression  ;  ils  ont  fait  des 
esclaves,  et  ils  leur  reprochent  les  vices  qu'engendre  la  ser- 
vitude !  Ils  les  ont  chargés  de  chaînes,  et  ils  leur  font  un  crime 
des  fers!  Qu'une  fois  au  moins  on  essaie  de  les  traiter  en 
hommes;  appelez-les  à  l'exercice  d'une  liberté  sage  et  modé- 
rée, et  vous  en  ferez  des  citoyens.  » 

M.  Dimiélai  est  un  exemple  de  j.lus  de  Tinfluence  corrup- 
trice du  pouvoir  absolu  ;  on  en  avait  déjà  plus  qu'il  n'en  faut 
pour  notre  instruction.  Lorsqu'on  reverra  la  législation  colo- 
niale, car  sans  doute  elle  suivra  les  progrès  de  nos  institutions, 
que  les  pensées  exprimées  si  noblement  dans  ce  discours  de- 
viennent celles  des  législateurs  !  Nous  ne  résisterons  point  au 
désir,  au  besoin  impérieux  de  faireencore  unecitation.  M.  iMoi- 
roud  adresse  la  parole  à  ses  amis  de  France,  à  ses  confrères 

du  barreau  de  Paris '«  Mes  amis,  si  le  ciel  m'accorde  de  vous 

revoir,  je  pourrai  recevoir  vos  embrassemens,  car  je  serai 
resté. digne  de  vous.  Quand  vos  courageux  accens  assurent  le 
triomphe  de  nos  libertés  et  l'affranchissement  de  la  Grèce,  les 
miens  v  répondront  en  disant  à  la  population  malabare  qui 
m'entoure  :  Indiens  des  étabiissemens  français^  vous  êtes  les  su- 
jets du  roi  de  France  ;  7)iais  vous  n'êtes  les  esclaves  de  personne. 
Obéissez  à  la  loi,  car  désormais  ce  n'est  plus  qu'à  elle  que  vous 
devez  obéir.  Si  jamais  des  préjugés  barbares,  si  d'odieux  usages 
tentaient  de  s'appesantir  sur  vous,  venez  vous  jeter  dans  les  bras 
de  la  magistrature  que  le  roi  vous  a  donnée  ;  tous  la  trouverez 
toujours  prête  à  combattre  pour  les  droits  éternels  de  la  justice  et 
de  l'humanité.  i>  En  prononçant  ces  paroles,  l'oiateur  voyait 
des  larmes  dans  les  yeux  de  la  population  malabare  dont  il  était 
environné.  Cette  vue  fit  sur  lui  une  impression  que  des  siècles 
n'efiaceraient  point,  comme  il  le  dit  dans  une  note  qu'il  ter- 
mine ainsi  :  «  Pauvres  Indiens  !  vous  que  j'ai  aimés  de  toute 
l'effusion  d'une  âme  ardente,   vous  qui  m'avez  donné  de  si 


SCIENCES  MORALES.  45') 

toucbans  témoignages  de  reconnaissanco,  je  ne  vous  abniiJon- 
nerai  pas;  et,  si  ma  voix  ne  parvient  pas  à  vous  ainitdier  à   • 
l'oppression,  elle  sera  du  moins  assez  forte  pour  flétrir  vos 
oppresseurs.  «  Y. 

1  10.  - — Histoire  résumée  de  la  guerre  cC Alger,  d'après  plu- 
sieurs témoins  oculaires,  avec  un  portrait  du  Dey.  Paris, 
i83o;  J.  Corréard  jeune,  rue  Rieher,  passage  Saulnier, 
n°  i3.  In-S"  de  36  pages;  prix,  i  Ir.  5o  c. 

Au  milieu  des  glorieux  évènemens  qui  ont  agité  la  France 
et  la  ville  de  Paris,  on  a  presque  oublié  Alger,  et  cette  loin- 
taine querelle,  et  notre  rapide  conquête.  C'est  que  nos  vrais 
ennemis  n'étaient  pas  en  Afrique,  et  que,  si  la  prise  d'Alger 
nous  promet  une  riche  colonie ,  la  victoire  du  29  juillet  nous 
donne  une  patrie  heureuse  et  libre.  Toutefois,  la  destruction 
de  ce  repaire  de  pirates  ajoute  un  laurier  de  plus  à  notre  cou- 
ronne militaire,  et  a  droit,  par  conséquent,  à  notre  admira- 
lion  et  à  notre  sympathie.  L'auteur  de  la  brochure  que  nous 
annonçons  a  eu  pour  objet  de  rappeler,  dans  un  court  ex- 
posé, les  causes  et  les  principaux  évènemens  de  la  guerre  :  il 
nomme  avec  une  attention  scrupuleuse  les  officiers  et  sol- 
dats qui  se  sont  distingués,  et  donne  une  petite  notice  biogra- 
phique sur  les  officiers-généraux  employés  dans  l'expédition. 
Néanmoins  nous  devons  dire  que  ces  pages  brèves  el  incom- 
plètes apprendront  peu  de  chose  à  ceux  qui  ont  suivi  dans  les 
journaux  le  récit  des  hostilités.  Elles  ne  contiennent  rien  de  par- 
ticulier sur  la  nature  du  climat ,  les  mœurs  des  habitans,  leurs 
dispositions  à  l'égard  de  l'armée  française,  et  ne  font  qu'ana- 
lyser les  bulletins  assez  mal  faits  insérés  au  Moniteur. 

La  partie  biographique  nous  a  paru  passablement  insigni- 
fiante. La  honteuse  désertion  de  M.  de  Bourmont  est  racontée 
avec  une  mesure  qui  ressemble  presque  i  l'approbation. 
Quant  à  l'amiral  Duperré,  le  fait  le  plus  honorable  peut-être 
de  sa  carrière  militaire  est  passé  sous  silence.  ftL  Duperré, 
nommé,  en  18 15,  commandant  pour  le  roi,  des  Antilles  fran- 
çaises, conduisait  à  la  Martinique  une  seule  frégate,  lorsqu'il 
rencontra,  à  l'entrée  de  la  rade,  une  frégate  anglaise,  beau- 
coup plus  forte,  dont  le  lieutenant  s'avisa,  en  l'absence  du 
capitaine,  d'arborer  un  drapeau  tricolore  renversé  au-dessous 
du  drapeau  anglais.  Le  brave  marin  ne  put  tolérer  cette  insulte 
gratuite  à  un  pavillon  proscrit,  il  est  vrai,  mais  immortalisé 
par  cent  victoires.  Bien  qu'une  escadre  anglaise  croisât  à  peu 
de  distance,  il  fil  battre  à  son  bord  le  branlebas  de  combat, 
et  signifia  au  lieutenant  anglais,  que,  s'il  ne  relevait  immédia- 
tement le  drapeau  tricolore,  et  ne  le  saluait  de  plusieurs  coups 


/|o6  LIVRES  FUANÇAIS. 

de  caiiuii,  il  commencerail  le  l'eu.  Cette  fière  attitude  en  im-' 
posa,  et  le  noble  drapeau ,  hissé  au  haut  du  grand  mat,  reçut 
les  honneurs  militaires.  Ce  n'est  pas  tout  :  à  l'arrivée  du  com- 
iiiodore  anglais,  31.  Duperré  l'obligea  à  traduire  devant  un 
conseil  de  guerre  le  lieutenant  qui  fut  destitué.  —  Cet  acte 
d'énergie  et  de  patriotisme  oublié  sous  le  règne  des  ennetnis 
acharnés  de  notre  gloire,  méritait  d'être  rappelé  aujourd'hui, 
et  nous  a;irions  désiré  le  retrouver  duns  la  note  relative  à  l'a- 
miral. A.  D. 

1 1 1 . — *Eré!iemc7is  de  Paris  des  26.  27,  28  et  zg  juillet  1  83o, 
par  plusieurs  témoins  oculaires.  Deuxième  édition  continuée 
jusqu'au  serment  de  Loris  Philippe  1",  et  augmentée  de  la 
Charte  naîioinde^  avec  Tindicatiou  compaiée  des  nouvelles  mo- 
difications. Paris,  i8jo;  Aiidoi.  In- 16  de  208  pages;  prix,  >  f r. 

Celle  histoire  est  bca\icoup  mieux  écrite  qii'on  ne  devait 
s'y  attendre,  au  milieu  du  tumulte  d'une  révolution  terminée 
en  dix  jours,  dans  toute  l'étendue  d'un  royaume  aussi  vaste 
que  la  France.  Les  écrivains  qui  ont  rédigé  ce  petit  volume, 
témoins  oculaires  de  ce  qu'ils  racontent,  étaient  sans  doute 
dans  les  rangs  des  plus  intrépides  conquérans  de  notre  indé- 
pendance ;  la  délicatesse  ([ui  les  empêche  de  se  nommer  est 
aussi  l'un  de  ces  trais  qui  embellissent  cette  époque  si  mémora- 
ble de  notre  histoire  :  ils  racontent  ce  cpi'ils  ont  vu  ,  nomment 
les  braves  dont  le  ni>m  doit  passer  à  la  postérité,  et  se  placent 
eux-mêmes  hors  de  la  peinture  sublime  qu'ils  mettent  sous  nos 
yeux.  >ous  ne  ferons  point  d'extraits  de  cet  ouvrage;  il  faut 
le  lire  en  entier;  hors  de  France  comme  chez  nous,  tous  les 
j)cuples  y  trouveront  de  salutaires  leçons,  et  surtout,  il  ne 
tiendra  qu'aux  gouvernans  d'en  profiter  :  jamais  avertisse- 
ment plus  utile  ne  leur  fui  donné  plus  à  propos.  N. 

112.  —  *  Causes  et  conséquences  des  événemeiis  du  mois  de  juil- 
let i8Ijo,  par  J.  FiÉvÉE.  Paris,  i83o;  A.  Mesnier.  In -8°  de 
107  pages;  prix,  2  fr.  5o  c. 

C'est  une  tentative  hardie,  un  mois  après  une  révolution, 
de  prétendre  en  indiquer  la  cause  précise,  et  en  annoncer  les 
vastes  conséquences,  de  dérouler  ainsi  en  quelques  pages  tout 
le  passé  et  tout  l'avenir  d'un  peuple,  et  d'assigner  à  chaque 
fait  sa  place  réelle  dans  l'ordre  des  évènemens  successifs  qui 
ont  précipité  vers  la  pins  honteuse  chute  ime  d^^nastie  royale. 
Quand  de  tels  mouNcmciis  ont  agile  les  Ftats,  il  semble  que 
Tecrivain  philosophe,  laissant  aux  hommes  d'actioii  la  tâche 
pénible  de  récrépir  provisoirement  l'édifice  social,  doit  se  re- 
cueillir quelque  tems,  ra])peler  à  lui  ses  principes  les  plus  fer- 
mes, ses  souvenirs  les  plus  sûrs,  et  ne  pas  donner  des  idée.*. 


SCIENCES  MORALES.  457 

incomplètes,  des  inspiriitions  plus  ou  moins  heureuses,  pour 
la  vraie  et  déliuitive  raison  des  choses.  Nous  accuserons  donc 
de  léméiité  l'auteur  de  la  brochure  (|ue  nous  annonçons,  et 
nous  lui  reprocherons  d'avoir  cru  que  l'esprit  sulHsait  à  une 
telle  œuvre,  quand  le  génie  même  reculerait  devant  elle. 

Au  milieu  du  style  brillant  et  ingénieux,  mais  souvent  sub- 
til et  alambiqué  de  M.  Fiévée  ,  il  est  assez  difficile  de  distin- 
guer un  ordre  de  raisonnement  exact  et  sévère,  par  consé- 
quent de  réiuter  ou  d'appuyer  ses  opinions.  Toutefois,  dans  le 
dénombrement  des  causes  de  la  révolution  actuelle,  une  la- 
cune nous  a  frappés.  Anciennement  attaché  au  parti  roya- 
liste, M.  Fiévée  a  voulu  se  dissimuler  à  lui-même  la  haine 
profonde  que  le  peuple  avait  toujours  portée  aux  protégés  de 
la  Sainte-Alliance.  Il  n'a  pas  osé  dire  qu'entre  les  Bourbons  et 
nous,  il  y  avait  tout  le  sang  deYValerloo  ;  et  que,  si  les  hommes 
habiles,  les  raisonneurs  peuvent  eftacer  de  U  ur  esprit  de  sem- 
blables souvenirs,  le  ])euple  les  garde  tonjfturs.  Depuis  le  mois 
de  juillet  i8i5,  depuis  le  jour  où  la  famille  déchue  fit  à  Paris 
son  entrée  triomphale  an  milieu  de  cette  armée  toute  cou- 
verte encore  du  sang  de  nos  frères,  il  y  eut  en  France,  parmi 
les  niasses,  une  agitation  sourde  et  constante,  ini  espoir  iné- 
branlable de  faire  briller  de  nouveau  le  drapeau  tricolore,  et 
de  secouer  enfin  La  poussière  qui  souillait  ses  nobles  couleurs  ! 
Paris  se  préparait  depuis  quinze  ans  aux  grandes  ])atailles  de 
juillet,  et  les  hymnes  lidicules  que  chaque  parti  appelé  au 
pouvoir  entonnait  à  la  tribune,  en  l'hdnneurde  nos  maîtres, 
restaient  sans  écho  dans  la  nation. 

Si  M.  Fiévée  a  négligé  cette  cause  féconde  des  évènemens 
de  juillet,  cette  cause  qu'on  pourrait  appeler  le  préjugé  pa- 
triotique, il  en  a  saisi  et  développé  spirituellement  l'origine 
immédiate  et  occasionelle.  «Après  la  dissolution  de  la  garde 
nationale,  dit-il,  les  habilansde  Paris  n'ayant  plus  aucun  signe 
polir  se  rallier,  avcî'  plus  de  quatre  cents  n;illions  de  monu- 
mens  qui  leur  appartenaient,  c'est-à-dire,  dont  ils  avaient  suc- 
cessivejuent  fourni  les  fonds,  se  trouvèrent  sans  un  seul  bâti- 
ment pour  se  réunir  et  se  communiquer  leurs  pensées,  si 
quelque  danger  l'exigeait.  C'est  ce  qu'on  appelait  la  préroga- 
tive royale —  A  l'apparition  des  ordonnances,  nous  serions- 
nous  portés  vers  le  parlement  comme  an  tems  de  la  Fronde, 
pour  le  supplier  d'aller  se  jeter  aux  pieds  du  roi,  afin  de  lui 
faire  entendre  la  vérité,  au  moins  pour  la  dernière  fois,  et  de 
lui  porter  des  propositions  de  conciliatioa?  Nos  cours  ro3'ales 
sont  composées  d'hommes  du  pouvoir,  et  non  d'hommes  do 
pouvoir.  D'ailleurs,  notre  confiance  ne  pouvait  être  là;  trop 


458  LIVJŒS  FRANÇAIS. 

de  condnmnalions  politiques  nous  en  avaient  avertis  depuis  le 
ministère  du  8  août.  ISous  serions -nous  portés  vers  l'Hôtel- 
de-Yillc  pour  exciter  le  zèle  de  nos  échevins,  et  nous  mettre 
sous  leur  direction':'  Notre  Hôtel-de-Yille  est  l'hôtel  du  préfet; 
au  lieu  de  nos  magistrats,  nous  n'aurions  encore  trouvé  là  que 
des  hommes  du  pouvoir;  autant  dans  ce  qu'on  appelle  nos 
mairies,  que  ne  connaissent  guère  que  ceux  qui  ont  été  s'y  ma- 
rier, ou  y  demander  des  certificats.  La  Chambre  des  députés 
était  feruiée',  la  Chambre  des  pairs  de  même.  Le  peuple  se 
groupa  dans  les  rues,  parce  qu'il  n'y  avait  que  les  rues  qui 
appartinssent  au  peuple.  Quand  les  soldats  vinrent  les  lui  dis- 
puter, l'action  s'engagea  ;  car  encore  t'aut-il  que  le  peuple  soit 
quelque  part.  Aucun  despotisme  ne  peut  parer  à  cet  inconvé- 
nient  » 

Certes,  il  est  impossible  de  dire  plus  finement  comment 
s'engagea  cette  immortelle  bataille  ;  et,  en  général,  à  quelque 
page  que  l'on  ouvre  la  brochure  de  M.  Fiévée,  on  trouvera 
force  réflexions  piquantes,  force  tableaux  pleins  d'esprit  et  de 
vivacité.  Mais  ces  richesses  sont  confuses  et  incohérentes,  les 
considérations  sérieuses,  sacrifiées  à  des  mots  heureux,  les  con- 
séquences souvent  étrangères  à  leurs  principes.  L'auteur  est 
lui-même  infidèle  à  ses  promesses,  ou  plutôt  à  celles  de  son 
libraire,  et,  en  dépit  du  titre  officiel,  on  chercherait  vainement, 
dans  son  ouvrage,  une  suite  d'aperçus  relatifs  aux  résultats 
probables  de  la  révolution  de  i83o,  à  moins  qu'on  ne  com- 
prenne sous  cette  dénomination  les  quelques  idcex  jetées  au  ha- 
sard à  la  fin  du  livic.  fséaiunoins,  et  malgré  ces  imperfections, 
chacun  voudra  connaître  cet  ouvrage  d'un  homme  d'esprit, 
quand  ce  ne  serait  que  pour  apprendre  comment  se  font  les 
conversions  au  xix'  siècle,  et  comment  on  peut  passer  du  Con- 
servateur anTem.s,  en  soutenant  qu'on  n'a  jamais  cru  à  la  pos- 
sibilité de  l'existence  des  Bourbons.  A.  D. 

11 3.  —  Questions  sur  la  Révolution  de  i83o,  par  le  baron 
Massias.  Paris,  i83o;  Firmin  Didot.  In-8"  de  4o  pages;  prix, 
I  fr.  5ocent. 

Le  début  de  cet  écrit,  dû  à  l'auteur  de  divers  ouvrages  phl- 
Ioso])hiqucs  importans  ,  est  un  tableau  rapide  et  animé  des 
grandes  journées  qui  doivent  ajouter  une  si  belle  page  à  no- 
tre histoire.  M.  Massias  y  caractérise  avec  beaucoup  de  force 
le  règne  de  ce  monarque  imbécille  qui,  invoquant  sans  cesse 
la  sagesse  divine,  ne  sut  même  pas  s'éclairer  des  plus  simples 
lumières  de  la  sagesse  humaine.  Il  passe  de  là  à  l'examen 
de  questions  d'un  si  haut  intérêt  que  les  circonstances  ont  sou- 
levées, el  il  le*  résout,  en  général,  comme  l'ont  fait  nos  dé- 


SCIENCKS  MORALES.  45g 

pûtes,  à  un  pclit  nombre  d'opposanj  près,  lesquels,  au  sur- 
plus, ont  trouvé  bien  des  approbateurs  paraii  la  nation.  Nous 
énumérerons  les  diverses  questions  que  traite  l'auteur,  comme 
le  meilleur  moyen  de  faire  connaître  son  écrit  : 

1°.  Le  parjure  et  C abdication  de  Charles  X  sufjlrent-ils  pour 
abolir  entièrement   les  lois  et  la  Charte? 

2°.  ^  qui,  après  la  consommation  du  parjure,  appartenait  de 
maintenir,  modifier  et  compléter  la  Charte  ? 

3°.  La  chambre  de^  députés,  en  droit  de  conserver  et  de  modi- 
fier la  Charte,  avait-elle  le  droit  d'en  changer  les  articles  fonda- 
vientaux ^  et  démettre  la  France  en  république'? 

4°.  Eût-il  été  expédient  que  la  chambre  des  députés  mit  la 
France  en  république,  lors  même  qu'elle  en  aurait  eu  le  droit  et 
le  pouvoir? 

5°.  La  chambre  des  députés,  qui  n'était  pas  en  droit,  et  pour  qui 
il  n'était  pas  opportun  de  proclamer  la  république,  avait-elle  le 
pouvoir  de  nommer  un  roi? 

6°  Qui,  tac/iambredes  députés,  ayant  droit  dénommer  un  roi, 
devait-elle  élire,  de  Napoléon  II,  du  duc  de  Bordeaux  ou  du  duc 
d'Orléans? 

On  voit  par  quel  enchaînement  logique  l'auteur  est  arrivé 
à  l'ordre  actuel  de  choses;  chemin  taisant,  il  examine  cer- 
taines questions  incidentes,  notamment  la  légitimité  de  la  nais- 
sance du  duc  de  Bordeaux.  M.  Massias  n'y  croit  point,  et  il 
présente  à  ce  sujet  des  rapprochemens  et  des  anecdotes  qui 
peuvent  fortifier  des  doutes  déjà  conçus;  nous  y  renvoyons 
les  personnes  dont  la  conscience  est  encore  préoccupée  de  cette 
insignifiante  légitimité,  en  présence  des  œuvres  glorieuses  de 
la  légitimité  nationale.  En  somme,  cet  écrit,  dont  on  n'adop- 
tera peut-être  pas  toutes  les  opinions,  dénote  du  moins  un  bon 
citoyen  et  un  homme  résolu  à  rompre  en  visière  avec  cette 
ignoble  congrégation  dont  le  joug  nous  a  tant  humiliés;  or, 
comme  dit  Coxirricr,  c'est  là  le  point.  P.  A.  D. 

1 14-  —  De  /«  Charte  d'un  Peuple  libre.  Le  peuple  français 
ayant  reconquis  ses  droits,  quelle  sera  désormais  la  Charte 
d'un  peuple  libre  et  digne  dé  la  liberté  ?  par  A.-D.  Vergnacd, 
ancien  élevé  de  l'École  Polytechnique.  Strasbourg,  août^  i83o  ; 
imprimerie  de  Silberniann  ;  et  Paris,  Roret,  rueHaulefeuille. 
In-S"  de  09  pages;  prix,  i  fr.  (  Se  vend  au  profit  des  bles- 
sés. ) 

ISous  ne  pourrions  nous  livrer  ici  à  la  discussion  de  tous  les 
articles  dont  se  compose  le  projet  de  Charte  que  M.  >  ergnaud 
présente  à  ses  concitoyens,  trop  tard,  il  est  vrai,  pour  qu'il 
puisse  concourir  à  éclairer  le  pouvoir  constituant  sur  les  vœux. 


46o  LlVniiS  FRANÇAIS. 

et  les  besoins  du  pays,  mais  à  tems  encore  pour  conîribuer  à 
répandre  partout  des  idées  saines  sur  la  nature  des  institutions 
qui  conviennent  à  un  peuple  libre.  Nous  noi;s  bornerons  donc 
à  l'annoncer,  en  reconnaissant,  sans  toutefois  approuver  en- 
tièrement toutes  les  opinions  professées  par  l'auteur,  que  c'est 
l'œuvre  d'un  bomme  instruit  et  d'un  bon  citoyen.  Z. 

11 5.  —  Piiition  d  MM.  les  Membres  de  la  Chambre  des  Dé- 
putés. —  De  la  Révision  de  la  C/iarte ,  des  motifs  qui  la  déter- 
minent ;  par  M.  DE  FRA>CLiEr.  Senlis,  4  août  i83o.  ln-4"  de 
4  pages. 

1  i6,  —  Pétition  :  moment  présent  ;  ensemble  des  mesures , 
des  lois  que  je  propose  à  MM.  tes  Membres  de  la  Chambre  des 
Députés;  par  M.  de  Francliei.  Senlis,  i5  août  i85o.  In-4° 
de  8  pages. 

Nous  avons  eu  plus  d'une  fois  l'occasion  de  faire  connaître 
à  nos  lecteurs  les  idées  politiques  de  M.  de  Franclieu,  et  ses 
opuscules  qui  se  distinguent  souvent  par  des  vues  utiles,  tou- 
jours par  un  vif  amour  du  pays  et  un  zèle  ardent  pour  la  liberté. 
Ces  deux  nouveaux  écrits  .'!e  recommandent  au  même  litre.  Sur 
le  premier,  publié  au  moment  où  la  nouvelle  révolution  avait 
tout  remis  en  question  parmi  nous,  M.  de  Franclieu  deman- 
dait que  les  cbangemens  à  faire  à  la  Cbarte  ne  fussent  opérés 
que  dans  des  formes  solennelles  et  spéciales  pour  ce  grand 
acte  de  révision.  L'auteur  reproduisait  un  projet  déjà  publié 
par  lui,  et  tendait  à  fixer,  par  un  mode  régulier  et  déterminé 
à  l'avance,  les  améliorations  successives  et  périodiques  que 
doit  subir  la  constitution  d'un  peuple ,  pour  rester  toujours 
au  niveau  des  progrès  de  la  civilisation  et  des  besoins  poli- 
tiques de  ce  peuple. 

La  seconde  pétition  renferme  quinze  observations  qui  por- 
tent sur  des  objets  plus  ou  moins  graves.  L'auteur  demande 
que  le  Pantliéon  soit  rendu  à  sa  destination  première,  et  pro- 
pose l'érection  de  divers  monumens.  Il  demande  que  la 
Cbanibre  des  députés  soit  renouvelée  par  cinquième  chaque 
année  ;  qne  la  Chambre  des  pairs  soit  remplacée  par  un  Sénat 
électif,  mais  avec  des  conditions  d'élcclion  différentes  de  celle» 
de  la  Chambre  des  députés.  Il  veut  un  tribunal  d'Étatsuprême 
pourjugerlescrimes  de  lèse-nationetles  fonctionnairesprévari- 
cateurs  ;  une  organisation  de  la  force  publique,  qui  embrasse 
toute  la  ))opulatiiin ,  divisée  en  sept  classes,  depuis  l'enfance 
jusqu'à  la  vétérance.  fixée  à  l'âge  de  6o  à  70  ans.  Enfin,  les 
«•ftlonies  attirent  aussi  rultenlion  de  notre  publiciste ,  qui  ré- 
."Uime.pour  elles  des  luis  stables  et  un  régime  définitif. 

Dans  l'étroit  espace  d'ïuie  pétition.  iM.  de  Franclieu  n'a  pu 


SCIENCES  MORALES.  —  LITTÉRATURE.       461 

qu'énoncer  des  propositions;  on  voit,  à  lenr  nombre  et  à  leur 
importance,  qu'un  vul  u  me  sufliraitù  peine  pou  ries  développer. 
Il  nous  faudrait  aussi  faire  un  livre,  si  nous  voulions  les  exa- 
miner à  fond.  Nous  aurions  quelques  points  à  contester  à 
M.  de  Franclieu,  mais  lors  même  que  nous  ne  nous  trouvons 
pas  de  son  avis,  nous  ne  saurions  nous  empêcher  de  rendre 
témoignage  à  ses  lumières,  à  ses  intentions  et  à  son  amour  du 
bien  public.  M.  A. 

Littérature. 

1  17.  —  *  Œuvres  de  Voltaire,  arec  préfaces,  avertissemens, 
notes,  etc.,  par  M.  BEccnoT.  9^  et  10"  livraisons,  comprenant 
les  tom.  m,  v,  xix,  xx,  xxxix  et  xl,  des  Œuvres  complètes. 
Paris;  i83o;  Lefèvre,  rue  de  l'Éperon;  prix  du  vol.  ,  4  ff- 
5o  c. 

Nous  avons  déjà  recommandé  aux  lecteurs  de  la  Revue  Ency- 
clopédique, cette  importante  publication,  pour  laquelle  le  nom  de 
M.  Beuchot  était  une  garantie  plus  que  sulFisante.  Les  nouveaux 
volumes  que  nous  avons  sous  les  jeux  nous  paraissent  dignes  des 
mêmes  éloges  que  les  précédens,  soit  par  le  mérite  très-notable 
de  l'exécution  typographique ,  soit  pour  l'extrême  correction 
du  texte  ,  soit  siutout  par  les  annotations  savantes  et  judicieu- 
ses de  l'éditeur.  En  attendant  que  l'entière  puldication  de  l'ou- 
vrage nous  mette  à  portée  d'examiner  cette  belle  édition  aA^ec 
tout  l'intérêt  qu'elle  mérite,  nous  nous  contenterons  d'indi- 
quer ce  qu'ofî'rent  de  plus  remarquable  les  six  volumes  que 
nous  annonçons  aujourd'hui. 

Les  deux  premiers  (met  v  delà  collection)  font  partie  dvi  f/iéâ- 
ire,  et  contiennent,  entre  autres  pièces,  Zaïre,  Adélaïde  du  Gues- 
clin,  Mahomet,  Mérope  et  Séiuiratnis.  Chacune  de  ces  tragédies 
est  accompagnée  de  sesva)-iantes  et  de  notes,  presque  toutes  d'un 
grand  intérêt.  A  la  suite  d'Adélaïde  se  trouve  une  pièce  intitulée: 
Le  duc  d"  J lençon ,  oi'i  le  même  sujet],  déjà  traité  dans  le  duc  de 
Foix,  avait  été  arrangé  par  l'auteur  en  trois  actes,  et  sans  rôle 
de  femme,  pour  le  petit  théâtre  de  Potzdam  :  cette  dernière 
tragédie  n'a  été  imprimée  qu'en  1821.  L'autre  volume  con- 
tient, de  même,  des  fragmens  d'une  pièce  inédite  intitulée  : 
Thérèse.  Ces  deux  ouvrages  sont,  du  reste,  très-peu  remar- 
quables ,  et  nous  n'en  faisons  mention  que  pour  montrer  com- 
bien l'éditeur  a  mis  de  zèle  et  de  conscience  à  rendre  cette 
collection  aussi  complète  qu'il  était  possible  de  le  désirer. 

Les  deux  volumes  suivans  (xix  et  xx)  comprennent  en  en- 
tier le  siècle  de  Louis  XT\  .  avec  le  supplément,  qui  manque 


462  LIVRES  FRANÇAIS, 

dans  beaucop  d'éditions  même  assez  récentes,  et  qui  contient, 
comme  on  sait,  une  réponse,  telle  queVoltaire  pouvait  la  faire, 
aux  critiques  et  aux  invectives  de  La  Beaumelle. 

Enfin,  sous  le  titre  de  Mélanges,  se  trouvent  rassemblés, 
dans  les  tom.  xxxix  et  xl  des  œuvres  complètes,  des  Mémoi- 
res, discours,  et  autres  morceaux  relatifs  à  divers  sujets, 
parmi  lesquels  on  remarque  tout  ce  qui  se  rapporte  au  mémo- 
rable procès  de  Calas,  une  lettre  très-curieuse  sur  l'impôt  du 
vingtième,  publiée  pour  la  première  fois  en  1819  par  M.  de 
La  Bédoyère ,  et  son  examen  critique  des  œuvres  de  Mauper- 
tuis,  qui  n'avait  pas  encore  été  r.dmis  dans  la  collection  des 
œuvres  de  Voltaire. 

Ce  petit  nombre  d'o])servations,  auquel  nous  devons  nous 
borner  pour  le  moment,  fait  voir,  du  moins,  avec  quel  soin 
M.  Bcucbol  poursuit  la  tâche  laborieuse  qu'il  s'est  imposée,  et 
que  per^onne  n'était ,  assurément,  plus  capable  de  bien  rem- 
plir. Y.  Z. 

118.  — *  Françoise  de  Rimini,  drame  en  cinq  actes  et  en 
vers,  par  Gustave  Drouineau,  représenté  pour  la  première 
fois  sur  le  Théâtre-Français,  le  28  juin  i83o.  Paris,  i85o; 
Timothée  Dehay.  In-8°  de  xiv  et  120  pag.  ;  prix,  3  fr. 

Parmi  les  sujets  nombreux  que  le  drame  a  empruntés  à 
l'épopée  et  au  roman ,  il  en  est  bien  peu  qui  aient  obtenu  un 
succès  complet.  Outre  qu'il  est  rare  que  la  même  action  con- 
vienne également  au  récit  et  au  théâtre,  il  semble  qu'une  fois 
que  le  génie  a  impiimé  son  cachet  à  un  événement,  l'imagi- 
nation  se  prête  avec  peine  à  le  voir  reproduire  sous  des  formes 
nouvelles.  Le  nom  de  Françoise  de  Rimini  rappelle  à  tout  lec- 
teur du  Dante  deux  situations,  j'oserai  dire  caractéristiques; 
celle  où  Françoise  et  son  amant  s'abandonnent  aux  séduc- 
tions du  livre  des  Amours  de  Lancelot;  situation  si  heureuse- 
ment livrée  à  la  rêverie  du  lecteur  par  le  vague  de  ce  dernier 
vers  : 

Quel  giorno  piii  non  vi  leggemmo  avanie; 

et  celle  OÙ  le  poète  les  peint  au  séjour  des  supplices,  errant  dans 
le  vague  des  airs,  comme  deux  colombes,  souflVans,  mais  éternel- 
lement unis.  Or,  de  ces  deux  .>-ituations,  la  preuîière  ne  con- 
vient sous  aucun  rapport  au  théâtre;  la  seconile est  postérieure 
à  l'action.  Que  reste-t-il  au  drame,  privé  de  ces  deux  élémens? 
L'aventure  d'une  fenune  tuée  par  son  mari,  parce  qu'il  décou- 
vre (pi'elle  aime  son  beau-frère!  Cela  n'est  ni  bien  original,  ni 
bien  important.  Il  faut,  pour  remplir  le  drame,  ajouter  à  ce 
fond  d'autres  évèncmens,  d'autres  personnages,  d'autres  com- 
binaisons; et  c'est  ce  qu'a  fait  !M.  Drouineau.  La  querelle  des 


LITTKRAÏLRE  463 

Guelfes  et  des  Gibelins,  les  efforts  du  Dante  pour  relever  les 
espérances  de  ce  dernier  parti,  occupent  une  assez  «^randc 
place  dans  son  ouvrage,  surtout  aux  premiers  actes.  Par  mal- 
heur, ces  détails  politiques  ne  font  que  rallentir  l'action  et 
compliquer  le  sujet.  Ilien  de  moins  intéressant  que  les  Guel- 
fes et  les  Gibelins.  Ces  factions  déchiraient  l'Italie  pour  la 
cause  de  deux  puissances  rivales  ,  le  pape  et  l'empereur,  dont 
le  triomphe  ne  pouvait  que  lui  être  également  funeste  :  si  les 
peuples  italiens  avaient  eu  alors  plus  de  lumières,  ils  se  seraient 
armés  contre  tous  deux.  Une  invention  plus  heureuse,  c'est 
celle  d'un  tournoi  où  Paolo  remporte  le  prix;  la  jalousie  de 
lierthold,  qui  lui  suggère  l'idée  d'obliger  Françoise  à  ceindre 
l'écharpe  au  vainqueur  et  à  lui  donner  le  baiser  d'usage  ,  pro- 
duit une  situation  très-dramatique.  Cette  scène,  et  plusieurs 
autres,  où  la  passion  est  peinte  avec  énergie  et  délicatesse,  con- 
firment les  espérances  qu'avait  fait  concevoir  le  succès  de 
Rienzi,  et  que  réaliseront  sans  doute  les  nouveaux  ouvrages 
que  M.  Drouineau  nous  promet  dans  sa  préface.  Nous  re- 
marquons, dans  cette  préface,  une  protestation  d'admiration 
et  de  respect  pour  les  anciens  maîtres  de  notre  scène,  qui 
honore  à  la  fois  le  talent  et  le  caractère  de  ce  jeune  auteur. 

Pressé  par  la  coterie  romantique  de  dire  à  quel  régiment 
littéraire  il  appartient,  M.  Drouineau  répond  «  qu'il  ne  conçoit 
pas  qu'on  puisse  enrégimenter  les  intelHgences,  que  les  con- 
quêtes de  l'esprit  doivent  êtie  individuelles,  qu'il  ne  s'agit 
pas  de  suivre  un  drapeau,  mais  bien  ses  propres  idées  et  l'es- 
sor de  son  imagination.  »  Cela  est  juste  et  vrai,  aussi  bien  ex- 
primé que  bien  pensé.  Je  suis  moins  satisfait  des  moyens  qu'il 
propose  pour  renouveler  les  tableaux  trop  souvent  reproduits 
sur  notre  scène.  »  Donner  de  la  vie  à  l'érudition  ,  animer  d'un 
coloris  intime  et  vigoureux  les  sujets  qui  ne  nous  ont  été 
offerts  qu'à  l'aide  de  demi-teintes  pTdes  et  timides  :  faire  pal- 
piter la  science  historique;  rajeunir  toutes  ces  vieilles  passions, 
en  les  représentant  avec  l'énergie  et  la  couleur  vraie  de  leur 
siècle  ;  les  jeter  comme  contraste  au  milieu  de  notre  civilisation 
moderne,  où  toutes  les  physionomies  s'effacent,  etc.  Ce  style 
enluminé  fait  mon  supplice,  quand  je  le  vois  appliqué  aux 
matières  de  raisonnement  et  de  critique.  La  théorie  des  arts 
est  bien  assez  abstraite,  sans  y  joindre  l'obscurité  du  langage 
à  la  mode. 

Que  veut  dire  M.  Drouineau  ?  Que  les  personnages  et  les 
évènemens  que  nous  offre  le  drame  doivent  désormais  por- 
ter les  couleurs  du  pays  et  du  tems?  Le  précepte  est  bon, 
mais  il  n'est  pas  nouveau;  et  ponr  ne  citer  qu'un  petit  nom- 


464  LIVRES  FRANÇAIS, 

bre  d'exemples,  il  me  semble  que  le  Cid,  les  Horaccs^  Atha-^ 
lie,  Tancrcde,  en  présentent  d'assez  benreuses  applications; 
que  les  moeurs  y  sont  peintes  avec  autant  d'exaclitndc  que  le 
permet  l'intérêt  dramatique.  Mais  peut-être  M.  Drouineau 
veut-il  que  les  personnages  reparaissent  à  nos  jeux  absolu- 
ment tels  que  les  faisaient  les  usages,  les  opinions,  les  costu- 
mes de  leur  siècle.  De  pareils  tableaux  pourront  être  agréa- 
bles aux  antiquaires  :  mais  je  doute  qu'ils  soient  fort  goûtés  du 
public.  Pour  l'émouvoir,  pour  l'attacber,  il  faut,  de  toute  né- 
cessité, que  les  béros  du  drame  sympathisent  avec  lui.  Il  faut 
sous  le  costume  du  siècle  peindre  l'homme  de  tous  les  tems. 
J'ai  encore  une  objection  à  soumettre  à  M.  Drouineau.  «  Je 
crois,  dit -il,  ù  la  perfectibilité  de  l'espèce  Jmmaine;  je 
crois  à  la  perfectibilité  des  arts;  je  crois  donc  l'art  dramati- 
que susceptible  de  modifications  inépuisables.  «L'espèce  hu- 
maine est  perfectible  sans  doute,  en  ce  qui  est  le  fruit  de  l'ex- 
périence et  de  l'observation.  Ainsi  les  sciences,  les  arts 
mécaniques,  l'organisation  des  Sociétés,  la  moralité  même  de 
l'homme  sont  indéfiniment  susceptibles  de  progrés.  Mais  il  n'en 
est  pas  ainsi  des  arts  où  l'imagination  domine.  Leur  empire 
ne  s'étend  pas  de  siècle  en  siècle  ,  et  l'avantage  de  l'expé- 
rience n'y  compei.se  point  linconvénient  de  trouver  la  car- 
rière déjà  parcourue.  Les  hommes  de  génie  qui  ont  initié  les 
peuples  à  la  culture  de  ces  arts  en  resteront  donc  probable- 
ment les  plus  heureux  moiièles.  Quels  progrès  à  faits  l'épopée 
depuis  H  ojiière  ;  l'ode,  depuis  Pindare  et  Horace;  l'élégie, 
depuis  Tibulle  ;  la  tiagédie,  depuis  Voltaire;  et  qui  pourrait 
croire  que,  dî»n=^  1^»  fahle  et  dans  la  comédie  ,  La  Fontaine  et 
Molière  seront  jamais  surpassés  !  Cb. 

1  iq.  —  Mchn^<ges,  ou  Suite  des  promenades  d'un  solitaire,  par 
CliurAes  d'Oitrepont.  Paris,  i85o;  Firmin  Didot,  rue  Jacob. 
lri-8°  de  viii  et  222  pages  ;  prix,  5  fr. 

Ce  n'est  point  ici  un  titre  en  l'air  ou  pris  au  hasard;  médité 
sous  des  ombrages  inspirateurs,  cet  ouvrage  est  bien  réelle- 
ment l'œuvre  d'un  philosophe  qui  vit  solitaire  au  milieu  de 
Paris,  qui  puise  en  lui-même  et  dans  ses  livres  une  pensée 
pure  et  indépendante,  vuie  opinion  lil)re,  et  que  n'influence 
point  l'opinion  du  voisin.  Si  c'est  là  un  avantage,  si  l'honane 
qui  écrit  ainsi  est  plus  lui,  plus  original,  cet  avantage  n'est 
pas  à  l'abri  de  quelque  inconvénient;  il  est  bien  certain  qu'il 
y  a  aussi  quelque  chose  à  ajiprendre  dans  la  grande  fréquen- 
tation des  honuiie-.  qu'il  est  telle  conversation  où,  sans  per- 
dre son  indépendance  originelle,  une  opinion  se  travaille  et 
se  modifie,  imr  pensée  s'élal)f)re  et  s'aiguise.  Toufefois  l'étude 


LITTÉRATURE.  4G5 

d'un  livre,  tel  que  les  Promenades,  est  peut-être  pour  le  lec- 
teur uue  étude  plus  curieuse  que  celle  d'un  livre  composé 
connue  lous  les  autres  ;  on  peut  espérer  d'}^  trouver  plus  d'in- 
dividualité et  moins  de  ce  qu'on  trouve  partout. 

D'après  ce  que  nous  venons  de  dire,  on  ne  s'étonnera  pas 
si,  malgré  la  haute  raison  de  l'auteur  et  le  mérite  réel  de  son 
ouvrage,  on  n'est  pas  toujours  de  son  avis,  si  l'on  rencontre 
de  tems  en  tenis  des  idées  qui  peut-être  auraient  gagné  à 
passer  dans  le  frottement  de  la  société.  Nous  croyons,  par 
exemple,  que  c'est  mal  comprendre  notre  tems  que  de  le  re- 
présenter comme  :  «  Un  siècle  où  le  matérialisme  et  l'athéisme 
sont  tellenieiit  en  crédit  qu'il  faut  avoir  quelque  courage  pour 
oser  confesser  Dieu  et  les  doctrines  qui  se  rattachent  à  cette 
croyance.  »  Nous  pensons  qu'aujourd'hui  il  y  a  heaucoup  [dus 
de  liherté  snr  ce  point  qu'au  dix-huitième  siècle  ;  que  l'incré- 
dulité est  iiioins  systématique,  et  la  liberté  de  croyance  beau- 
coup plus  entière,  beaucoup  plus  à  l'abri  de  toute  persécution, 
même  de  tout  sarcasme,  il  y  a  aussi,  dans  le  livre  de  M.  d'Ou- 
trepont ,  certaines  questions  politiques  sur  lesquelles  nous  ne 
partageons  pas  le  sentiment  de  l'auteur,  et  nous  croyons  que 
notre  opinion,  plus  conforme  à  l'opinion  commune,  est  aussi 
plus  conforme  à  la  vérité.  Nous  essaierions  de  le  prouver,  si 
la  discussion  de  telles  questions  n'exigeait  pas  des  dévelop- 
pemens  assez  étendus.  Peut-être  aussi,  en  évitant  la  discussion, 
évitons-nous  une  défaite;  car  M.  d'Outrepont  est  un  adver- 
saire qui  peut  faire  douter  de  soi-même  quand  on  est  en  op- 
position avec  lui. 

Au  reste,  il  est  impossible  que,  sur  un  livre  qui  renferme 
tant  de  sujets  divers,  deux  hommes  soient  toujours  de  même 
avis;  outre  qu'il  est  poli  et  qu'il  est  juste  de  penser  que  cha- 
cun à  son  tour  peut  avoir  tort  et  raison,  il  faut  bien  convenir 
(et  ceci  regarde  le  critique  comme  l'auteur)  qu'il  entre  sou- 
vent un  peu  de  préjugé  dans  nos  doctrines.  «  J'ai  écrit  que 
bien  penser,  sous  le  rapport  politique,  dit  M.  d'Outrepont, 
c^est  penser  comme  nous  pensons,  et  malheureusement  cette  ma- 
nière d'être  est  la  base  de  tous  nos  jugemens.  Lord  Sandwich 
disait  un  jour  à  l'évêque  Warburton  :  «  Je  ne  vois  aucune  dif- 
férence entre  C orthodoxie  et  iliciérodoxie,  et  l'évêque  répondit  : 
l'orthodoxie,  milord,  c^est  ma  doxxe,  et  f hétérodoxie,  la  doxie 
d'un  autre  homme.  »  Si  nous  prenions  à  la  lettre  la  plaisante- 
rie de  l'évêque,  il  en  faudrait  conclure  qu'il  n'y  a  rien  de  vrai 
parmi  les  hommes,  et  que  toutes  les  opinions  se  valent  ;  mais 
c'est  une  exagération  qu'il  faut  savoir  comprendre,  et  qui  ren- 
ferme une  pensée  pleine  de  sens.  » 

T.   XLVII.   AOITT  i&5o.  5o 


46«  LIVRES  FRANÇAIS. 

Quelquefois  aussi  nous  ne  pouvons  attribuer  qu'à  une  sim- 
ple tlisirartion  l'erreur  où  nous  cro^^ons  que  notre  auteur  est 
tombé.  Ainsi,  dans  un  elinpitre  intitule  :  Que  d'erreurs  et  d  ab- 
surdités dans  une  bUitiollièque^  chapitre  qui  prouve  à  la  fois 
beaucoup  de  lecture  et  un  lact  f(trt  judicieux.  ]\].  d'Outre- 
pont  accuse  une  pensée  de  Sophocli;  que  nous  tenons  à  justi- 
fier, car  Sophocle  est  un  de  nos  auteurs  de  prédilection  :  «  Il 
faut  respecter  le  pouvoir  suprême,  dans  quelque  main  qu'il 
soit  déposé.  1)  Soph.  [Antigone.)  M.  d'Outrepont  n'a  pas  de 
peine  à  faire  sentir  ce  qu'il  y  a  d'immoral  et  de  faux  dans 
cette  maxime;  puis,  il  ajoute  :  «Les  poètes  sont  quelquefois  de 
singuliers  citoyens.  Remarquons  que  Sophocle  est  ici  inexcu- 
sable, car  il  ne  met  point  sa  maxime  dans  la  bouche  d'un  ty- 
ran, ou  dans  celle  d'un  valet  de  cour;  mais  il  la  faitdiie  par 
le  chœur,  par  le  personnage  qui  est  toujours  chargé  de  la  par- 
tie morale  et  sentencieuse  dans  les  tragédies  grecques.  »  D'a- 
bord la  phrase  grecque  est  beaucoup  moins  absolue  que  la 
phiase  française.  Ensuite,  s'il  est  vrai  que  le  plus  souvent  le 
chœur  est  le  personnage  moral  de  la  pièce,  ce  n'est  pas  une 
régie  sans  exception,  et  parmi  les  exemples  du  contraire,  le 
chœur  de  V Jniigone  a  été  plus  d'une  fuis  cilé.  Les  vieillards 
«pii  composent  ce  chœur  sont  des  courtisans  de  Créon,  ils 
plaignent  le  malheur,  mais  ils  obéissent  aux  volontés  du  maî- 
tre ;  et  l'intention  assez  manifeste  de  Sophocle,  dans  tout  le 
cours  de  la  pièce,  a  été  de  prouver  que  le  despotisme  perver- 
tit même  le  bon  naturel  ;  c'est  une  flatlei  ie  populaire  qui  n'est 
pas  rare  chez  les  auteurs  dramatiques  d'Athènes,  lesquels  usent 
de  tous  les  moyens  poiu-  ra})peler  aux  Athéniens  tous  les  vices 
du  gouvernement  d'un  seul,  tons  les  avantages  de  la  liberté. 

L'erreur  que  nous  venons  d'in(li«iuer,  nous  l'aurions  laissé 
passer  impunément  dans  beaucoup  de  livres  ;  mais  les  opinions 
de  M.  d'Outiepont  sont  si  bien  marquées  au  coin  de  la  sa- 
gesse, elles  ont  à  nos  yeux  une  autorité  si  respectable,  que 
nous  avons  cru  nécessaire  de  venir  au  secours  de  Sophocle. 
Cette  remarque  nous  sert  d'ailleurs  à  varier  le  ton  de  cet  ar- 
ticle, dont  le  sujet  nous  offre  beaucoup  à  louer.  Il  est  peu 
d'ouvrages  où  l'on  trouve  ainsi  réunis  un  savoir  étendu,  une 
vue  perçante,  une  conscience  d'honnête  homme.  Studieux, 
observateur  et  écrivain,  M.  d'Outrepont  s'adresse  à  un  grand 
nombre  de  lecteurs.  Chez  lui  la  profondeur  de  la  pensée  est 
unie  à  lu  légèreté  des  formes;  les  vérités  morales  n'ont  rien 
de  rébarbatif,  et  se  présentent  sous  une  apparence  piquante; 
témoins,  entre  autres,  les  chapitres  intitulés  :  Jadis  et  Aujour- 
d'hui ;  En  tonte  chose,  il  faut  considérer  la  fin.  C'est  une  revue 


LITTERATURE.  ^67 

<Catistique  et  souvent  fidèle  de  la  société  d'aujourd'lmi  que  le 
chapitre  intitulé  :  Philotas;  la  grande  question  do  la  soiu-i;e 
du  pouvoir  est  habilement  discutée  dans  un  dialogue  entre  A  et 
B,  et  dont  le  titre  est  :  La  première  letire  de  T  Alphabet  n'apas  tou- 
jours le  se^is  commun.  Ici,  M.  de  Bonald  est  vigoureusement 
réfuté;  là,  Louis  XIV  est  jugé  avec  une  haute  indépendance; 
ailleurs,  !e  matérialisme  est  combattu  avec  une  conviction  pro- 
fonde, et  la  tolérance  professée  avec  des  paroles  dont  l'ex- 
pression s'échappe  du  cœur;  un  Discours  à  un  Prince  âaê  de 
quinze  ans,  qui  forme  ce  dernier  chapitre,  est  empreint  d'une 
haute  et  touchante  éloquence  ;  et  le  chapitre  précédent  :  Édu- 
cation d'un  petit  Prince  allemand^  à  la  manière  du  bon  vieux  teins, 
sauf  les  exceptions ,  est  une  espèce  de  scène  comique,  un  dia- 
logue écrit,  comme  M.  d'Outrepont  les  sait  écrire,  de  main  de 
maîti-e. 

Nou^  aurions  voulu  pouvoir  citer  quelques  fragmens  des 
Promenades,  mais  des  phrases  détachées  n'indiquent  jamais 
fidèlement  le  talent  qui  brille  dans  un  livre,  et  l'espace  nous 
manque  pour  les  longues  citations  ;  c'est  au  lecteur  à  ratifier 
nos  éloges,  qui,  du  reste,  ont  reçu  leur  passeport  des  criti- 
ques qui  les  précèdent.  M.  A. 

120.  — *  Jycs  Mauvais  Garçons  (par  M.  Alphonse  Royer). 
Paris,  i85o  ;  Eugène  Renduel,  rue  des  Grands-Augustins, 
ri°  22.  2  vol.  gr.  in-8°  de  400  p.  environ  chacun  ;  prix,  14  fr. 

121.  —  *  Les  Deux  Fous,  histoire  du  tems  de  François  I"  : 
1624;  par  P.  L.  Jacob  ,  bibliophile,  membre  de  toutes  les 
Académies,  éditeur  des  Soirées  de  IV aller  Scott  à  Paris.  Pa- 
ris, i83o;  Eugène  Renduel.  Grand  in-S"  de  xih-Sqj  pages; 
prix,  7  fr. 

Depuis  quelques  années,  la  littérature  en  général,  et  la  poé- 
sie en  particulier,  semblent  être  devenues,  pour  ainsi  dire, 
les  succursales  de  l'érudition.  Celle-ci,  nous  11e  devons  pas 
le  nier,  a  rendu  d'iniportans  services  à  la  science  :  elle  a  rec- 
tifié les  erreiu's  nombreuses  où  les  préoccupations  philoso- 
phiques avaient  entraîné  les  publîcistes  les  mieux  instruits  et 
les  plus  ingénieux  du  siècle  dernier;  elle  a  jugé,  avec  cet 
équitable  sang-froid  ([ui  tient  compte  de  toutes  les  circonstan- 
ces locales,  les  hommes  et  ks  choses  de  la  féodalité;  elle  noifs  a 
présenté  enfin  l'ensemble  de  cette  époque  remarquable  sous 
un  jour  nouveau  et  plus  vrai.  iMais,  nos  poètes  et  nos  roman- 
ciers, en  la  suivant  dans  cette  sage  et  consciencieuse  révision 
des  jugemens  historiques,  n'ont  pas  su  se  garantir  d'une  exa- 
gération dangereuse.  De  l'observation  plus  exacte  du  cos- 
tume, de  l'étude  pins  approfondie  et  plus  impartiale  du  ciu-ac- 


4fi8  LIVRES  FRANÇAIS. 

lèic  (le  chaque  siècle,  esl  résulté  ce  qu'on  appelle  la  couleur 
locale,  sorte  (le  vernis  a-^réable  et  piquant,  qui  peut  bien  ra- 
jciMiirles  détails  d'untahh'au,  niaisqui  ne  saurait  en  dissimu- 
ler la  faiblesse  et  Tinrorrection.  Kh  bien,  nos  jeunes  auteurs, 
en  dirigeant  leurs  efforts  vers  la  recherche  de  cette  qualité, 
peut-être  trop  négligée  parleurs  devanciers,  sonttombés  dans 
nue  erreur  fatale  :  ils  ont  cru  qu'elle  pouvait  constituer  à  elle 
seule  le  mérite  des  ouvrages  d'art,  et  qu'elle  suffirait  à  leurs 
succès.  Bien  plus,  ils  ont  méconnu  la  nature  même  de  cette 
couleur  locale  dont  l'acquisition  leur  paraissait  si  précieuse  : 
ils  l'ont  fait  consisler  dans  la  représentation  exacte  des  formes 
extérieures,  au  lieu  de  la  chercher  dans  l'intelligence  des  idées 
morales  (|ui  dislingucnt  une  époque  parmi  toutes  les  autres. 
Ainsi,  les  uns  ont  minutieusement  décrit  la  forme  d'un  cha- 
peau, la  couleur  et  les  plis  d'un  haut-de-chausses;  ils  ont  par- 
hiitcnient  analysé  la  disîiibution  des  diverses  parties  dont  se 
comjiosait,  au  xv'  siècle,  un  château  seigneurial,  ou  même  le 
logis  d'un  riche  bourgeois;  d'autres  se  sont  crus  plus  hliWles, 
eu  introduisant  dans  leur  dialogue  quelque  juron  historique, 
(Ml  faisant  retentir,  sous  les  voûtes  d'un  corps-de-garde  ou 
d'un  cabaret,  le  refrain  gothique  d'une  vieille  chanson  :  la 
plupart  ont  fait  comme  ces  peintres  qui  demandent  à  leur 
palette  les  plus  brillantes  couleurs  pour  rendre  toute  la  ri- 
chesse d'un  uniforme  ou  d'un  habit  de  cour,  et  dont  le  froid 
pinceau  ne  couununiqnc  ni  vie,  ni  expression  aux  pâles  figu- 
res écrasées  sous  ces  lourds  ornemcns.  Bien  peu  se  sont 
attachés,  comme  les  grands  maîtres,  à  étudier  les  traits 
caractéristiques  de  la  physionomie  d'un  siècle ,  afin  de  les 
personnifier  dans  (pielques  portraits  d'imagination,  types 
pliilosophi(|ues  ou  poéîi(|ues,  pour  ainsi  dire,  des  opinions  et 
des  mœurs  de  leur  tems. 

Ce  reproche  ne  pourrait  s'adresser  enlièremcnl,  sans  injus- 
lice,  aux  auteius  des  deux  romans  que  nous  annonçons.  Les 
rilanviiis  Gnrrans  offrent  un  tableau  assez  vivant  de  l'intérieur 
du  vieux  Paris;  l'action  en  est  curieuse  et  animée,  etles  figures 
j)rincipales  sont  (racées  avec  soin  et  avec  une  agréarble  variété 
dans  le  dessin.  Quant  aux  Dcii.t  Fous,  un  intérêt  mélancolique 
s'attache  à  la  personne  du  héros  principal,  Caillette,  qu'un  tmiour 
irop  sincère  et  troj)  générciix  pour  la  personne  de  Diane  de 
Poiliers  conduit,  à  travers  plusieurs  aventures  assez  habilement 
liées  entre  elles,  à  ui'.e  mort  volontaire  et  prématurée.  Il  y  a 
ccrlainemeut  quelque  chose  dans  ces  ouvrages  qui  révèle 
deux  talens  originaux  ;  mais  ces  talons  sont  gâtés  par 
un  défaut,  disons  nn'eux,  par  une  manie  qui  nuit  singulière- 


LITTÉRATURE.  ^(k, 

ment  à  l'eflet  que  leurs  productions  sont  destinées  J  obtenir 
sousie  lapport  de  l'art  :  c'est  raiVectation  de  la  coultMir  locale, 
non  plus  appliquée  seulement  aux  petites  choses,  comme  nous 
l'avons  déjà  signalé,  mais  transportée  jusque  dans  le  style.  Soil 
(ju'ils  aient  voulu  donner  une  teinte  plus  antique  à  leur  travail, 
soit  qu'ils  aient  réellement  formé  le  projet  de  réformer  la  lan- 
f^ue,  31.  Jacob  et  sou  émule  semblent  d'accord  pour  intercaler, 
dans  un  récit  écrit  en  français  de  notre  époque,  avec  élégance  et 
naturel,  des  dialogues  interminables,  où  tout  ce  que  l'élude  la 
plus  laborieuse  des  écrivains  du  xvi''  siècle  a  pu  leur  fournir 
d'expressions  grotesques  et  de  façons  étranges  de  parler  est  re- 
cueilli avec  une  scrupuleuse  exactitude.  Qu'en  lésultc-t-il  ? 
Une  disparate  choquante,  un  défaut  d'harmonie  qui  l'atiguent  et 
repoussent.  Et  encore,  si  ce  dialogue  était  simple,  court,  et 
approprié  aux  personnages  :  mais  non,  ceux-ci  sont  tous  éga- 
lement bavards,  sentencieux  et  diffus,  ne  laissant  échapper 
aucune  occasion  d'ouvrir  la  bouche,  et,  lorsqu'ils  ont  une 
fois  obtenu  la  parole,  la  conservant  avec  une  persévérance 
admirable.  De  bon  compte,  les  dialogues  occupent,  pour  le 
moins ,  les  deux  tiers  de  chaque  volume  ;  et  certains  mots  pé- 
dantesques,  tels  que  iSa/rtnas,  viessire  Apollo,  dame  Juno,elc.,  y 
reparaissent  avec  une  complaisance  qui  porterait  à  croire  que 
les  auteurs  leur  attribuent  quelque  vertu  magique  d'attrac- 
tion. Certes,  le  langage  moderne  peut  faire  d'utiles  conquêtes 
dans  les  domaines  négligés  du  vieux  français  :  que  de  mots 
expressifs,  que  de  tournures  naïves  et  énergiques,  un  écrivain 
habile,  un  nouveau  Courrier,  saurait  rendre  populaires  eu 
les  adaptant  avec  art  aux  habitudes  nouvelles  de  notre  lan- 
gue. Mais  c'est  une  tâche  qui  demande  du  discernement  et 
de  la  mesure  ;  ce  sont  des  conquêtes  qu'on  ne  peut  obtenir  que 
lentement  et  par  degrés;  pour  y  réussir,  il  ne  suffit  point  de 
lancer  inconsidérément  dans  le  public  un  gros  volume,  tout 
farci  de  phrases  bien  lourdes  et  bien  obscures  ;  et  c'est  une 
tentative  ridicule  que  de  vouloir  placer  le  vocabulaire  mo- 
derne eu  présence  de  cette  nomenclature  de  mots  éteints  aux- 
quels la  mode  capricieuse  a  tour  à  toiu-  retranché  deux  ou 
trois  lettres,  afin  de  leur  donner  une  allure  plus  jeune,  et  qu'on 
est  tout  étonné  de  voir  ressuscites  pour  contester  à  d'heureux 
dérivés  leur  juste  droit  de  cité.  Quant  aux  avantages  que  l'art, 
pour  lui-même,  peiit  retirer  de  cette  innovation,  païaîtront- 
ils  plus  évidens?  Je  ne  le  pense  pas.  Loin  de  contribuera 
l'effet  de  l'ensemble,  je  l'ai  déjà  dit,  ce  placage  d'un  dialogue 
antique  au  milieu  d'une  narration  à  la  moderne  est  du  plus 
mauvais  goût,  et  ne  produit  (ju'une  maladroite  discordance  : 


470  LIVRES  FRANÇAIS. 

et  puis,  quelle  pourra  «'ire  la  vérité  de  ces  discours  dont  le9 
membres  de  pjirases  ont  été  pillés  cà  et  là  daus  des  livres,  qui 
souvent  ne  sont  point  contemporains  les  uns  des  autres,  et 
qui,  dans  tous  les  cas,  entachés  de  l'érudition  pédantesque  et 
de  la  subtilité  scolastique  du  tems ,  ne  peuvent  donner  une 
idée  juste  du  langage  familier  et  populaire.  Aussi,  qu'est-il  ré- 
sulté des  premiers  essais  de  ces  jeunes  écrivains  ?.I!s  n'ont  fait 
ni  de  bons  ouvrages  d'érudition  grammaticale  et  littéraire ,  ni 
des  romans  complets  et  amusans  :  une  autre  fois,  qu'ils  tra- 
cent, entre  les  deux  genres,  une  ligne  de  démarcation  plus 
précise,  et  certes  ils  sont  bien  capables  d'obtenir  des  succès 
solides  et  durables  dans  l'un  et  dans  l'autre. 

122.  —  Le  Grenadier  de  CUe  d'Elbe,  Souvenirs  de  i8i4  et 
181 5;  par  A.  Babginet,  de  Grenoble  ;  avec  cette  épigraphe  : 
La  vertu,  c'est  le  détournent.  Paris  ,  i85o  ;  Marne  et  Delaunay- 
Vallée.  2  vol.  grand  in -8°,  formant  ensemble  plus  de  800 
pages  ;  prix,  i4  fr. 

M.  Barginet  n'avait  certainement  pas  déterminé  le  plan  de 
son  ouvrage  avant  de  prendre  la  plume  ;  car  il  est  dillicile  de 
comprendre,  lorsqu'on  a  eu  l'attention  de  le  lire  jusqu'au 
bout,  quel  en  est  le  véritable  héros,  et  sur  quelle  action  l'au- 
teur a  voulu  diriger  l'intérêt.  Le  fabuleux  épisode  des  Cent- 
jours,  qui  intervint,  avec  tant  de  merveilleux  et  de  déplorables 
incidens,  entre  les  deux  prétendues  restaurations,  paraît  avoir 
vivement  frappé  l'imagination  de  M.  Barginet.  Fort  jeune  en- 
core en  18  i5,  et  placé,  daus  sa  ville  natale,  aux  avant-postes 
de  cette  popuhitiou  enthousiaste  qui  fêta  la  première  ISapo- 
léon  échappé  àc  sa  triste  captivité  de  l'île  d'Elbe,  il  recueillit 
avec  soin  les  impressions  profondes  que  ce  beau  spectacle  ne 
put  m.anqiier  de  produire  sur  son  imagination  encore  neuve.  Des 
circonstances  particulières,  et  dont  le  récit  occupe  une  place 
dans  son  livre,  durent  ajou-ter  encore  à  la  force  et  à  la  magie 
de  ses  souvenirs.  Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  s'il  a  cédé, 
peut-être  même  un  peu  tard,  au  désir  de  les  consacrer  par  un 
hommage  public.  Ainsi,  bien  évidemment,  son  premier  pro- 
jet doit  avoir  été  de  tracer  un  tableau  poétique  de  ce  grand 
événement,  et  de  constater  la  part,  toute  minime  qu'elle  soit, 
qu'il  peut  y  avoir  eue.  Si  les  détails  nouveaux  et  personnels 
qu'il  pouvait  ajouter  à  l'histoire  de  cette  épo(|ue  avaient  été 
assez  nombreux  ou  assez  im|)ortans,  il  aurait  donc  fait  tout 
simplement  des  Mémoires;  s'il  avait  été  doué  du  talent  d'a- 
ligner des  rimes  et  de  mesurer  des  sylhibes,  il  aurait  embou- 
ché, cotnme  on  dit,  la  trompette  épique  :  mais  ni  l'une,  ni 
l'autre  entreprise  ne  paraissant  convenir  à  son  talent,  ni  aux 


LITTERATURE.  4;, 

matériaux  qu'il  avait  à  mettre  eu  œuvre,  l'auteur  a  cherclié  un 
genre  mixte,  où  l'on  trouve  de  nombreux  essais  d'épopée  en 
prose,  et,  par-ei ,  par-là  ,  (juelques  pages  d'anecdotes  histori- 
ques, le  tout  mêlé  à  une  intrigue  fort  ordinaire  de  roman,  dans 
laquelle  un  austère  et  lidèle  grenadier  de  la  vieille  garde  joue 
le  rôle  principal.  xV  parler  l'ianchement,  ce  singulier  amal- 
game ne  produit  point  im  heureux  effet;  et  la  pompe  trop  re- 
cherchée du  style  ne  déguise  pas  toujours  l'absence  d'intérêt , 
l'inutile  allongement  du  récit,  et  le  peu  de  proportiondu  nom- 
bre et  de  la  valeur  des  idées  avec  l'étendue  des  phiase.s.  Ce- 
pendant, on  y  trouve  des  passages  bien  écrits;  quelques  épi- 
sodes, ceux  surtout  oi^i  le  brave  vétéran  reparaît  à  de  rares 
intei'valles  sur  la  scène,  sont  touchans  et  naturellement  racon- 
tés ;  enfin,  parmi  les  mille  et  une  digressions  à  propos  de 
Napoléon,  de  son  génie  et  de  ses  erreurs,  se  lencoiitrent 
beaucoup  d'opinions  exprimées  avec  sagesse  et  patriotisme, 
quoique  le  jugement  général  de  l'auteur  sur  cet  homme  ex- 
traordinaire nous  semble  pécher  par  cette  affectation  d'impar- 
tialité qui,  pour  égaliser  les  deux  plateaux  de  la  balance, 
s'empresse  trop  complaisamment  d'alléger  le  coté  du  mal,  aux 
dépens  de  la  saine  justice. 

iis3. —  Oui  et  Non,  roman  du  jour,  par  lord  Normanby  , 
auteur  de  Malllde;  traduit  de  l'anglais  par  MM.  Claudon  et 
Paquis,  traducteurs  de  la  Collection  des  romans  i'ashionables. 
Paris,  i83o  ;  M"'  Bréville,  rue  de  l'Odéon,  n"  J2.  4  vol.  in- 12, 
formant  ensemble  prés  de  1200  pages;  prix,  12  fr. 

Deux  amis,  Oakley  et  Germain,  sont  introduits  auprès  des 
lecteurs,  dans  une  auberge  où  leurs  caractères  se  dessinentdcs 
l'abord  d'une  manière  bien  prononcée  :  l'un  est  soupçonneux, 
méfiant,  taciturne  et  bourru;  le  s<;cond  affable  et  gai,  mais 
doué  d'une  humeur  facile  et  trop  confiante.  De  là,  cha- 
cun court  employer  la  belle  saison  à  sa  guise;  l'im,  dans  une 
sombre  retraite,  où  il  assiste  aux  derniers  momens  d'un  oncle 
misanthrope,  qui  lui  laisse,  en  mourant,  un  immense  héritage  ; 
l'autre,  dans  une  société  du  beau  monde,  où  il  perd  son  ar- 
gent, avec  une  sorte  d'aimable  et  caustique  roué,,  et  son 
tems,  auprès  d'une  lady  insensible  et  coquette.  Arrivent  les 
élections  du  comté  qui  amènent  de  nouveau  la  rencontre, 
puis  la  rupture  des  deux  amis,  présentés  concurremment  aux 
suffrages  des  freeholders  réunis.  Oakley,  libéral  indépendant, 
émet  avec  éloquence  des  opinions  vigoureuses  qui  lui  assurent 
d'abord  la  majorité  des  voix  ;  mais  la  modération  de  Germain, 
ses  manières  ouvertes  et  affectueuses,  et  les  efforts  bien  diri- 
gés des  meneurs  de  sa  coterie  l'emportent  à  la  fin  sur  la  rudesse 


473  LIVRES  FRANÇAIS 

de  l'orateur  radical,  qui,  par  respect  pour  les  principes,  a 
refusé  de  grisera  ses  frais  les  électeurs  campagnards.  J'oubliais 
(pTOakley,  toujours  enclin  à  de  jaloux  soupçons,  se  brouil- 
lait avec  sa  maîtresse,  parce  qu'elle  avait  un  instant  porté 
les  couleurs  de  son  rival,  sans  pour  cela  perdre  l'amour  de 
celle  qui  a  voué  une  sincère  admiration  à  son  noble  ca- 
ractère; puis  Germain,  détrompé  sur  ses  espérances  par 
lady  Latimer  dont  il  était  devenu  l'assidu  courtisan  ,  s'attache 
de  plus  en  plus  à  la  sœur  de  celle-ci,  lady  Jane  Sydenham, 
dont  il  sait  apprécier  les  qualités  agréables  et  solides.  Enfin, 
lorsque  l'ouverture  de  la  session  parlementaire  rapelle  a  Lon- 
dres, avec  toute  la  société  fashionable,  les  deux  nîiuveaux 
députés,  l'un  devient  un  assidu  défenseur  des  intérêts  du 
peuple,  landis  que  l'autre  sacrifie  trop  souvent  ses  devoirs 
politiques  à  son  goût  pour  les  plus  coûteux  plaisirs.  Toute- 
fois, ce  dernier  a  ime  fin  plus  heureuse  que  son  rival; 
emporté  par  son  humeur  fantasque  et  défiante,  celui-ci 
cherche  querelle  à  un  petit-maître  dont  il  n'a  jamais  pu  sup- 
porter l'impertinence  et  la  frivolité,  et  meurt  dans  un  duel 
devenu  indispensable,  au  moment  d'épouser  Hélène  à  laquelle 
il  rend  enfin  justice.  Germain,  au  contraire,  ruiné  par  ses  folles 
dépenses,  trouve  encore,  dans  sa  détresse,  lady  Jane  fidèle  à 
ses  engagemens;  et,  cédant  aux  vœux  exprimés  dans  le  testa- 
ment du  malheureux  Oakiey,  il  retrouve,  en  l'épousant,  unefor- 
tune  indépendante  qui  lui  est  assurée  dans  la  succession  de  son 
ami.  Il  serait  trop  long  de  discuter  ici  la  valeur  morale  des  pré- 
ceptes de  conduite  que  peut  comporter  cet  ouvrage  ;  mais ,  en 
le  considérant  comme  un  «simple  roman  ,  disons  qu'il  est  amu- 
sant et  spirituel  :  les  diverses  scènes  le'.ativcs  aux  élections 
surtout  sont  décrites  avec  beaucoup  de  gaîté ,  quoique  les 
tiiiducleurs  en  aient  souvent  aflaibli  les  couleurs,  soit  par  une 
négligence  bl;1mable,  soit  peut-être  jiar  ignorance  du  langage 
et  des  mœurs  de  l'Angleterre.  et. 

Beaux- J  ris. 

I  'il\.  — *  Mctliodes  d'/iannonie  el  de  composition,  à  l'aide  des- 
(juelles  on  peut  apprendre  soi-Uiême  à  accompagner  la  basse 
(  hiffrée,  et  à  composer  toute  espèce  de  musique  ;  par  M.  Geor- 
f^cs  Albkechtsbergek  ;  nourellr  rdUion  traduite  de  l'allemand 
avec  des  notes,  par  M.  (Ihoron,  directeur  de  l'Institution  de 
musiqlie  religieuse.  Paris,  i83o;  Bachelier.  2  vol.  in-8°.  T.  1 
de  xxxii  et  219  pages. T.  11,  entièrement  composé  de  planches 
de  musique  dLj'isées  en  /j  séries  de  io5,  37,  208  et  78  pages 
non  compris  le  titre  ;  prix,  iG  fr. 


BEAUX-ARTS.  4-3 

Né  à  Rlostenieubourfi:,  à  deux  lieues  de  Vienne,  le  3  février 
1736,  Jean-Georges  Albrechtsberger  s'appliqua  dès  l'enfance 
à  l'étude  de  la  musique  avec  une  assiduité  peu  coinnuine  au 
jeune  âge;  après  avoir  touché  l'orgue  en  ditféreiis  endroits  ù 
la  satisfaction  générale,  il  fut,  en  1772,  successeur  de  son 
maître  Mann  ,  organiste  de  la  Cour,  et  vingt  ans  plus  tard  ,  en 
1792,  remplaça  Léopold  Hoffmann,  maître  de  chapelle  de  la 
cathédrale  de  Saiut-Étienne,  àViennc.  Il  occupa  cette  place  jus- 
qu'à sa  mort,  arrivée  le  7  mars  1809;  et  c'est  pendant  qu'il 
s'acquittait  de  ses  honorables  fonctions  qu'il  composa  un  nom- 
bre fort  considérable  de  messes ,  offertoires ,  graduels,  etc.  Il 
publiait  en  même  tems  quantité  de  morceaux  de  musique  in- 
strumentale, presque  tous  dans  le  style  fugué,  faisait  imprimer 
la  Méthode  de  Composition  qui  est  l'objet  de  cet  article,  et  for- 
mait de  nombreux  élèves  ,  parmi  lesquels  on  remarque  Beet- 
hoven, Hummel,  fVeigl,  le  chev.  Seyfriid,  etc. 

C'est  ce  dernier  qui  s'est  chargé  de  recueillir  en  un  seul  corps 
les  traités  d'Albrechtsberger  épars  jusqu'à  ce  jour,  et  de  placer 
ce  travail  en  tête  de  la  Méthode  de  composition ,  en  ajoutant  à 
ce  dernier  ouvrage  des  augmentations  communiquées  par  l'au- 
teur lui-même.  Le  Traité  d'harmonie  et  de  basse  chiffrée  occupe 
80  pages  :  le  système  développé  par  l'auteur  est  d'une  simpli- 
cité extrême  ;  après  avoir  défini  l'accord  pariait  et  ses  dérivés, 
et  en  avoir  réglé  l'emploi,  il  présente  cet  accord  primitif 
comme  susceptible  de  recevoir  successivement  ou  simultané- 
ment ses  dissonnances  de  septième,  neuvième,  onzième  et 
treizième,  et  formant  ainsi  de  nouveaux  accords  susceptibles 
de  renversemens  ainsi  que  ses  premiers,  et  qui  deviennent 
chacun  l'objet  d'une  étude  particulière.  Quelque  nombreux 
que  fussent  les  exemples  correspondans  à  cette  première  par- 
tie, M.  Choron  a  foit  sagement  d'y  ajouter  un  choix  excel- 
lent de  partimenti  ou  leçons  de  basse  chiffrée  ,  tiré  de  la  col- 
lection de  Carlo  Cotumacci  :  l'usage  d'étudier  l'harmonie  en 
s'exercanl  à  l'accompagnement  était  fort  commun  dans  ces 
admirables  conservatoires  d'Italie,  aujourd'hui  entièrement 
déchus  du  rang  qu'ils  ont  occupé  durant  un  siècle  ;  une  telle 
méthode  est  fort  simple  et  fort  commode,  et  c'est  probable- 
ment pour  cela  qu'elle  est  tout-à-lail  inusitée  en  France  où 
l'on  commence  à  ne  trouver  plus  d'accompagnateur  qui  ait 
l'habitude  du  chiffrage. 

L'enseignement  du  contrepoint  est  présenté  avec  autant  de 
clarté  que  celui  de  l'harmonie.  Après  avoir  posé  quelques 
régies  générales,  l'auteur  indicjue  les  moyens  d'écrire  cor- 
rectement les  cinq  espèces  de  contrepoint  simple  à  2  ,  3  et  4 


4^4  LIVRES  FRANÇAIS. 

parties,  et  termine  par  (pielques  notions  sur  la  composition  à 
cinq  voix.  Viennent  ensuite  les  règles  de  l'imitation  et  de  lii 
fugue  simple,  puis  celles  du  contrepoint  double  à  l'octave,  à 
la  dixième  et  à  la  douzième,  enfin  des  notions  sur  la  fugue 
double  et  les  canons;  le  tout  est  terminé  par  une  instruction 
sur  les  instrumens  et  les  voix,  leur  étendue  et  la  manière  de 
les  employer. 

M.  Choron  a  conservé  dans  son  entier  le  travail  d'Albrechts- 
berger;  il  n'a  fait  subir  au  texte  aucun  changement  notable,  si 
ce  n'est  la  transposition  de  certains  chapitres  qui  semblent  hors 
de  leur  place,  et  l'addition  de  quelques  éclaircissemens  passa- 
gers. Quant  aux  no  tes  assez  nombreuses  qu'il  a  placées  au  bas  des 
pages,  nous  ne  saurions  trop  en  recommander  la  lecture  aux  élè- 
ves qui  étudient  la  composition.  On  y  retrouve  cette  véritable 
sciencemusicale,au)ourd'huisirare,  surtout  en  France:  nous  si- 
gnalerons en  particulier  les  notes  des  pages  gg,  1 5g,  2o5  où  les  rè- 
gles du  contrepoint  et  de  la  fugue  sont  décrites  de  telle  manière 
qu'elles  paraîtront  claires  aux  intelligences  les  moins  dévelop- 
pées :  M.  Choron  expose  cette  partie,  en  quelque  sorte  méca- 
nique de  la  composition,  comme  il  n'avait  jamais  été  fait  jus- 
qu'à cette  heure,  en  apprenant  à  l'élève  comment  il  doit  s'y 
prendre  pour  écrire,  lui  indiquant  les  écueils  qu'il  doit  évi- 
ter et  la  route  dont  il  ne  peut  s'écarter  sans  faillir.  Cette  nou- 
velle édition  d'Albrechtsberger  et  un  servive  de  plus  rendu  à 
la  musique  par  M.  Choron;  mais  nous  ne  le  tenons  pas  quitte; 
souvent  il  annonce  dans  ses  notes  un  ouvrage  qui  a  ])Our  titre  : 
Introduction  à  V Eluda  gmcralc  et  raisonnée  de  la  Musique  :  nous 
devons  à  l'amitié  de  M.  Choron  la  connaissance  de  plusieurs 
parties  de  cet  excellent  livre  qui,  piésentaut  l'art  musical  sous 
un  jour  nouveau,  nous  paraît  devoir  tout  expliquer  et  tout 
éclaircir  ;  là,  point  de  difficultés  éludées,  point  de  théories  aven- 
tureuses, point  de  déclamations  extravagantes,  mais  des  vé- 
rités neuves  bien  reconnues  et  bien  établies,  digne  fruit  de 
quarante  années  de  travaux  et  de  méditations.  Que  M.  Cho- 
ron se  hâte  de  mettre  la  dernière  main  à  ce  travail  et  de  le 
livrer  au  public,  il  sera  le  sceau  d'une  des  réputations  musi- 
cales les  plus  justement  et  les  plus  honorablement  établies. 

J.  Adrien  Lafasge. 
125.  — Manuel  complet  de  la  Danse,  comprenant  la  théorie, 
la  pratique  et  l'histoire  de  cet  art  depuis  les  tems  les  plus  re- 
cidés  jusqu'à  nos  jours;  à  l'usage  des  amateurs  et  des  profes- 
seurs; par  M.  Blasis,  premier  danseur  du  théâtre  du  roi 
d'Angleterre,  el  coiui)osileur  de  ballets;  traduit  de  l'anglais 
de  M.  Barton,  sur  l'édition  de   i85o,  par  }l.  Paul  Vergnaud, 


BEAUX -ARTS.  —  MÉMOIRES  ET  RAPP.       475 

o.t  revu  par  M.  Gardel.  Paris,  i85o;  Roret.  Iu-18  de  vi-412 
pages,  et  24  pages  de  musique  notée,  avec  un  giand  nombre 
de  figures  ;  prix,  3  fr.  5o  0. 

Deux  noms  célèbres  dans  les  annales  de  la  chorégraphie 
recommandent  suffisammenl  cet  ouvrage ,  où  la  matière  est 
traitée  ex-professo  et  avec  tous  les  développemens  néces- 
saires, dans  six  parties,  divisées  chacune  en  de  nombreux 
chapitres. 

Mémoires  et  Rapports  de  Sociétés  savantes. 

126.  —  *  Séance  pul/lique  de  la  Société  libre  d'émulation  de 
Rouen,  tenue  le  6  juin  1829.  Rouen,  1829;  imprimerie  de 
Baudry.  In-S"  de  196  pages. 

Après  un  discours  de  M.  Destigny,  président,  où  les  bien- 
faits des  sciences,  des  lettres  et  des  arts  sont  exposés  avec  di- 
gnité, et  où  l'orateur  fait  en  peu  de  mots  l'éloge  de  Laroche- 
foucauld-Liancourt ,  dont  toute  la  France  regrette  encore  la 
perte,  31.  P.  A.  Corbeille,  professeur  d'histoire  et  secrétaire 
de  la  Société,  rendit  le  compte  annuel  des  travaux  aussi  nom- 
breux que  variés  des  sociétaires.  Les  sciences  et  leurs  appli- 
cations aux  fabriques  de  l'industrieuse  ville  de  Rouen  y  ont  eu 
leur  part  ;  mais  la  littérature  y  domina  ,  ce  dont  le  plus  grand 
nombre  des  lecteurs  ne  se  plaindra  point.  Ce  compte,  où  tant 
d'objets  sont  passés  en  revue,  est  cependant  fort  court.  On  lut 
à  la  même  séance  un  fragment  d'une  tragédie  de  M.  Deville, 
compatriote  de  Corneille,  mais  qui,  au  lieu  de  puiser  dans 
l'histoire  romaine,  va  chercher  ses  héros  dans  nos  propres  an- 
nales, et  a  mis  en  scène  la  mort  du  duc  de  Guise,  dans  le 
château  de  Blois.  — Une  Notice  nécrologique  sur  M.  le  doc- 
teur Marquis,  professeur  de  botanique,  poète,  antiquaire,  en- 
levé aux  sciences  et  aux  lettres  à  5i  ans;  M.  Caraxiet  est  son 
biographe.  —  M.  Tovgard  fait  un  rapport  sur  les  médailles 
d'encouragement  distribuées  par  la  Société  aux  artistes,  aux 
fabricans,  aux  ouvriers.  Tel  était  le  sujet  dont  le  public  fut 
occupé,  à  la  séance  annuelle  de  1829.  frois  Mémoires  sont 
insérés  dans  ce  volume,  par  décision  de  la  Société  ;  le  pre- 
mier est  une  Notice  sur  les  poids  et  mesures,  par  M.  Lemar- 
chandde  la  Faverie;  le  second  est  intitulé  :  Delà  Mort  sentie, 
par  M.  le  docteur  Ave>'El;  et  le  troisième  est  le  rapport  de 
M.  Deville  sur  le  projet  de  monument  à  élever  à  Pierre  Cor- 
neille. Le  projet  ayant  été  adopté,  la  souscription  ouverte  et 
remplie,  cet  hommage  rendu  au  fondateur  de  la  tragédie 
française  sera  bientôt  une  sorte  de  compensation  des  outrages 


/j^G  LIVRES  FRANÇAIS. 

dont  la  ?ol-disante  école  inodernc  croit  flélrir  la  uiénioiic  des 
ailleurs  qui  ont  porté  le  plus  haut  la  gloire  de  notre  littéra- 
ture. 

Ouvrages  périodiques. 

ny.  —  *  Annales  provençales  d'agriculture  pratique  et  d'éco- 
nomie rurale,  publiées  par  MM.  TotLoizAN  et  Feissat  aîné.  — ■ 
3"  année  :  \\"'ùi  et . "52  (janvier  et  février).  Marseille,  i83o.  On 
s'abonne  an  bureau,  rue  de  la  Canebiére,  n"  19.  Ce  recueil 
niensnel  paraît  par  cahiers  de  trois  l'euillcs  d'impression;  prix 
de  l'abonnement,  par  année,  6  fr.  pour  Marseille,  8  fr.  polar  le 
reste  de  la  France. 

Dans  le  cahier  de  janvier,  M.  Planche  entre  dans  des  consi- 
dérations générales  sur  l'introduction  d'un  troupeau  de  bêtes  à 
laine  dans  un  domaine  situé  entièrement  dans  la  plaine,  sans 
bois  et  sans  collines.  Il  rend  compte  des  soins  qu'il  a  donnés 
jusqu'à  ce  jour  à  un  troupeau  dont  les  premières  brebis  ont  été 
achetées  en  181g,  des  expériences  laites  successivement  pour 
améliorer  la  race  dans  un  pays  moins  propre  que  les  départe- 
niens  du  nord  de  la  France  à  l'engraissement  des  troupeaux, 
des  résultats  qu'il  a  obtenus;  et  nous  met  sous  les  yeux,  dans 
trois  tableaux  synoptiques,  l'accroissement  progressiTdes  pro- 
duits réels.  Ces  détails  sont  d'autant  plus  curieux,  et  doivent 
d'autant  plus  intéresser  les  agriculteurs  du  département  des 
J)()Uches-dn-Uhùne ,  que  les  habitans  de  cette  partie  de  la 
France  se  sont  obstinés  jusqu'ici  à  rejeter  tous  les  perfection- 
nemeiis  introduits  dan?  l'agriculture.  Cette  obstination  ,  qui 
provient 'd'un  déplorable  esprit  de  routine,  tient  un  grand 
nombre  de  départemens  du  midi  dans  une  infériorité  immense 
lelalivement  à  ceux  de  la  Normandie,  de  l'île  de  France  et 
de  presque  toutes  les  provinces  septentrionales.  Espérons  qui; 
le  brillant  résultat  des  efforts  tentés  par  >!.  l'iancheengagerales 
propriétaires  et  les  fermiers  à  l'imiter;  que  les  procédés  et  les 
instrimiens  actuellement  en  usage  en  Provence  seront  aban- 
donnés pour  faire  place  aux  nouveaux  ;  et  que  cette  belle  pro- 
vince arrivera  enfin  au  niveau  de  celles  où  l'on  accueille  tous 
les  perfectionnemens  que  la  science  et  l'expérience  doivent 
nécessairement  amener.  Dans  tous  les  cas,  M.  Planche  et  ses 
associés  ont  acquis  par  leur  tentative  et  le  succès  de  leurs  tra- 
vaux des  droits  à  la  reconnaissance  de  leurs  compatriotes  et 
de  la  France  entière. 

Le  numéro  7>i  des  annales  contient  im  article  sur  la  compa- 
tibilité de  la  taille  élevée  avec  la  superfinessc  de  la  laine  chez 
les  moulons. 


OUVRAGES  PÉRIODIQUES.  4-7 

L'aulcur  prétend,  en  l'appuyant  des  résultats  de  ses  propres 
expériences  :  i°qiie  les  montagnes  et  pâturages  qui  nourisseiit 
moins  richement  le  bétail  et  lui  donnent  la  mèche  lâche,  pro- 
duisent une  laine  fine,  soyeuse,  et  d'un  irisé  régulier,  signe 
caractéristique  de  la  laine  améliorée  ;  2°  que  les  montagnes  et 
pâturages,  donnant  plus  de  graisse  avec  le  brin  fin,  et  toison 
tassée,  produisent,  au  contraire,  avec  le  même  troupeau  une 
laine  beaucoup  plus  grosse,  plus  riche  et  d'aspect  cotonneux, 
c'est-à-dire,  ayant  perdu  en  grande  partie  son  frisé.  D'où  on 
peut  conclure  que  de  maigres  pâturages,  en  taisant  perdre  aux; 
moutons  l'embonpoint  qui  leur  est  nécessaire,  donnent  à  la 
laine  encore  plus  de  finesse;  mais  qu'alors,  à  force  de  s'être 
amincie,  elle  a  perdu  de  son  nerf  comme  de  ses  autres  qua- 
lités.—  L'auteur,  ayant  donc  posé  en  principe  que  la  santé, 
l'embonpoint  et  la  taille  des  moutons  sont  toujours  en  raison 
directe  de  la  beauté  des  pâturages,  et  que  des  pâturages  trop 
gras  leur  donnent  im  excès  de  graisse  aussi  nuisible  pour  la 
qualité  de  leur?  laines  qu'une  maigreur  excessive,  soutient 
que  la  taille  moyenne  est  seule  compatible  avec  la  siiperfinessc 
de  la  laine  chez  les  moutons.  Z. 

1  uS.  —  *  Recueil  industriel,  manufacturier,  agricole  et  com- 
mercial, de  la  Salubrité  publique,  et  des  Beauœ-Arts ,  auquel 
son  réunis  et  aj.outés  ce  journal  et  la  Feuille  des  arts  et  métiers 
de  l' Angleterre,  et  les  Annales  de  la  Société  royale  des  Prisons. 

—  Répertoire  général  des  Brevets  d'invention, renfermant  la 

description  des  expositions  publiques  faites  en  France  et  à 
l'étranger;  dédié  au  roi,  par  J.  G.  Y.  de  Moléon,  ancien  élève  de 
l'École  Polytechnique ,  ingénieiir  en  chef  des  domaines  de  la 
couroTUie,  etc.  Paris,  i85o;  de  Moléon,  rue  Godotde  iMauroy, 
n°  2;  Bachelier.  12  cahiers  par  an,  de  6  à  ^  feuilles,  et4planches, 
formant  4  volumes;  prix.  5o  fr.  pour  Paris,  5G  fr.  pour  les 
départemens,  4^  fr.  pour  l'étranger. 

On  ne  peut  exiger  que  ce  recueil  satisfasse  complètement  à 
son  titre;  il  faudrait,  pour  obtenir  ce  résultat  sans  un  mira- 
cle spécial,  que  le  mouvement  de  l'industrie  fût  très-lent, 
que  la  société  de  Statistique  ne  fit  presque  rien,  etc.  Il  faut 
donc  le  considérer  en  lui-même,  sans  le  comparer  aux  pro- 
messes qu'il  fait  trop  imprudemment.  On  n'en  sera  pas  mé- 
content, s'il  est  considéré  plutôt  comme  indicateur  que  comme 
recueil  de  Notices  instructives  :  l'instruction  sur  les  arts  exige 
beaucoup  dedéveloppemens,  elle  est  nécessairement  verbeuse, 
et  lorsque  les  mots  ne  suffisent  point,  elle  appelle  le  dessin 
à  son  secours,  et  dans  ce  cas,  le  dessin  même  doit  être  prodi- 
gué. Si  les  articles  d'une  certaine  étendue  se  multipliaient  dans 


4;8  LIVRES  EN  LANGUES  ÉTRANGÈRES 

ces  cahiers,  ce  serait  aux  dépens  du  nombre  des  insertions, 
et  par  conséquent  des  indications.  Dans  le  cadic  étroit  de  6  à 
7  feuilles,  il  est  peut-être  impossible  de  réunir  avec  a^antage 
deux  sortes  de  publications,  dont  l'une  n'atteint  point  le  but, 
s'iMui  est  défendu  d'être  volumineuse.  D'ailleurs,  ce  n'est  pas 
une  tâche  peu  difïicile,  ni  un  service  médiocrement  utile  que 
la  rédaction  d'un  indicateur  mensuel  des  divers  objets  com- 
pris dans  ce  recueil,  et  un  jugement  éclairé,  impartial  des  di- 
vers écrits  qui  les  concernent.  Il  est  donc  à  désirer  que  M.  de 
Moléon  restreigne  son  plan ,  s'il  veut  rendre  son  ouvrage 
utile  comme  recueil,  ou  l'étendue  de  quelques-uns  de  ses 
articles,  afin  de  ne  rien  omettre  de  ce  qu'il  a  compris  dans  ses 
altributious.  N. 

Livres  en  langues  étrangères ,   imprimés  en  France. 

129.' — *  Caroli  Linvœi,  sueci,  doctoris  medicinœ^  Systema  na- 
iarœ,  etc.  — Système  delà  nature,  ^nv Charles  Li>né,  suédois, 
D.  M. ,  ou  les  trois  Régnes  de  la  Nature  distribués  systémati- 
quement en  classes,  ordres,  genres  et  espèces  :  première  édi- 
tion publiée  de  nouveau,  et  revue  par  A.  L.  A.  Fée,  pharma- 
cien en  chefde  l'École  de  médecine  militaire  de  Lille,  professeur 
de  botanique,  associé  de  l'Académie  royale  de  médecine,  etc. 
Paris,  1  y5o  ;  Levrault.  In-8°  de  86  pages  :  prix ,  4  fr» 

M.  Fée  avait  le  projet  de  publier  cet  ouvrage,  avec  une  tra- 
duction française  faite  par  son  ûls ,  âgé  de  moins  de  dix  ans  , 
et  qui  s'en  occupait  avec  autant  de  succès  que  de  zèle,  lorsque 
la  mort  l'enleva.  L'infortuné  père  consacre  une  partie  de  sa 
préface  à  la  mémoire  de  ce  fils  si  digne  de  ses  regrets,  et  peut- 
être  de  ceux  des  sciences,  des  lettres,  de  la  patrie  :  nous  di- 
sons peui-êlre,  car,  il  faut  l'avouer  !  le  génie  même  est  soumis 
à  l'empire  des  circonstances,  et  son  début  dans  la  carrière 
peut  être  environné  d'un  éclat  qui  n'éblouisse  qu'un  mo- 
ment. 

L'édition  que  M.  Fée  renouvelle  fut  publiée  eu  ijoS.  De- 
puis cette  époque  reculée  de  près  d'un  siècle,  l'histoire  natu- 
relle a  fait  d'immenses  acquisitions,  ainsi  que  les  sciences  dont 
elle  reçoit  quelque  lumière.  La  minéralogie  de  Linné  est  aban- 
donnée, et  le  souvenir  n'en  sera  conservé  que  dans  l'histoire 
de  la  science;  sa  zoologie  subira  bientôt  la  même  destinée  :  sa 
botanique  a  résisté  jusqu'à  présent  à  des  attaques  vigoureuses 
et  multipliées  ;  elle  se  maintiendra  peut-être  encore  long-tenis, 
moins  par  ses  propres  forces  que  par  la  faiblesse  de  ses  ad- 
versaires. En  général,  c'est  du  perfectionnement  des  méthodes 


IMPRIMES  EN  FRANCE.  4;<j 

tle  descriptioa  que  l'histoire  naturelle  éprouve  le  besoiu,  et 
nul  syj^tème  ne  peut  la  Taire  découvrir.  Si  t(jutes  les  procluc- 
tions  de  la  nature  étaient  décrites  avec  exactitude  et  précision, 
on  pourrait  procéder  à  une  classification  méthodique,  et  for- 
mer des  groupes  de  tous  les  êtres  dont  l'analogie  serait  re- 
connue; ces  groupes  seraient  subdivisés  en  suivant  les  mêmes 
règles ,  etc.  ;  on  arriverait  ainsi  au  véritable  systime  de  la  na- 
ture :  nous  ne  sommes  pas  encore  assez  avancés  pour  cette  en- 
treprise. Multiplions  donc  les  monographies,  les  descriptions 
détaillées,  dussent-elles  être  prolixes,  volumineuses;  le  tems 
du  laconisme  dans  cette  partie  des  sciences  n*est  pas  encore 
arrivé;  il  faut  qu'une  science  soit  complète,  avant  que  l'on 
essaie  de  la  réduire  à  son  expression  la  plus  simple. 

Il  y  a  des  auteurs  bien  dignes  de  l'immortalité,  mais  dont 
les  ouvrages  peuvent  cesser  d'être  lus,  même  par  les  érudits. 
Bien  peu  d'écrivains  échapperont  à  cette  destinée,  et  le  plus 
souvent,  ce  ne  sont  point  ceux  qui  ont  fait  faire  aux  sciences 
les  progrès  les  plus  remarquables;  c'est  principalement  au 
mérite  du  style  que  ce  privilège  est  accordé  :  Pline  et  Buffon 
seront  lus  aussi  long-tems  que  leur  idiome  se  conservera.      P. 


lY.   NOUVELLES  SCIENTIFIQUES 

ET    LITTÉRAIRES. 

AMÉRIQUE  SEPTENTRIONALE. 


ÉxiTS-UNi*. — New-Haven.  — Aérolithes.  —  Les  faits  re- 
cueillis par  M.  le  professeur  i^iV/nnan,  sur  les  aérolithesdu  Té- 
nesséeet  <le  in  Géorgie,  fjiflërent  en  quelques  points  de  ceux 
qui  accompagnent  le  plus  communément  la  chute  de  ces  corps  : 
celui  de  la  Géorgie  partit  d'un  nuage  petit  et  noir,  et  fit,  en 
tombant,  un  bruit  pareil  à  celui  de  l'eau  subitement  vaporisée 
par  le  contactd'un  corps  emi)rasé.  Son  poids  était  de  56  livres: 
le  fer  y  est  à  l'état  métallique,  plus  brillant  que  nos  arts  ne 
peuvent  le  rendre.  Comme  on  ne  l'avait  pas  encore  ana- 
lysé, nous  ne  pouvons  savoir  jusqu'à  quel  point  sa  compo- 
sition chimique  est  analogue  à  celle  des  aérolithes  connus; 
mais  sa  iexture  ,  semblable  à  celle  des  aérolithes  ,  le  distingue 
de  ceux  dont  on  avait  écrit  l'histoire  :  le  fer  y  est  distribué  en 
points  brillans  sur  un  fond  gris  de  cendre,  et  l'aimant  peut 
le  séparer  de  la  gaugue  qui  le  renferme.  Sa  pesanteur  spéci- 
fique est  3, Jj.  F. 

—  Etat  de  New-York.' — Rochester.  — Accroissement  de  la 
population.  — Cette  ville  contenait,  en  1828,  plus  de  dix  mille 
habitans,  quoique  les  premières  maisons  eussent  été  bâties 
en  1811.  et  que.  parmi  les  habitans  qui  y  sont  nés,  les  plus 
âgés  n'eussent  pas  plus  de  17  ans.  Ces  rapides  progrès  sont 
pnn(  ipaiement  dus  au  canal  Erié  ,  qui  traverse  la  rivière  Ge/^ 
nessi  dans  un  aqueduc  de  huit  cents  pieds  de  long,  et  aux 
grands  moulins  à  farine  que  met  en  mouvement  la  chute  de 
la  rivière,  de  seize  pieds  plus  élevée  que  la  plus  haute  des 
i'hutes  de  la  Clyde.  Z. 

Canada. — Otébec. — Société  littéraire  et  historique.  — Pohne 
-''ur  la  prise  (leMissolon^lii,  en  1827. —  Movt-Réal.  —  Presse  pé- 
riodique. —  Journaux  français.  —  La  Bihliotlièque  canadienne. 


AMÉRIQIE  SEPTENTRIONALE.  —  ANTILLES.    481 

journal  français,  qui  paraît  à  3Iont-IUal,  deux  lois  par  mois,  en  un 
cahier  de  24  pages  in-8%  depuis  plusieurs  années,  puisqu'il  est 
parvenu  à  son  neuvième  volume,  annonce  (n'du  1  5  juin  i85o, 
j)ag.  4840  ■>  n"^'  dans  la  Société  de  iUtcralure  et  d'Iiisloire  de 
Québec,  il  a  été  lu  un  poème  héroïque,  en  français,  sur  la 
j-rise  de  Missolonghi  par  lesTurcs,  en  1827.  A  une  séance,  tenue 
le  6  mai  i85o,  M.  Set\el,  président,  a  informé  la  Société 
qu'il  avait  reçu  de  M.  Duponceati,  président  de  la  Société  phi- 
losophique américaine  pour  l'avancement  des  connaissances 
utiles,  à  Philadelphie,  le  premier  volume  des  transactions  de 
la  classe  historique  et  littéraire  de  ce  corps,  en  retour  du  fer- 
mier volume  des  travaux  de  la  Soclctc  de  Québec.  M.  Dupon- 
ccau,  dans  la  lettre  qui  accompagnait  cet  envoi,  exprimait 
l'espoir  que  les  relations  amicales  entre  les  deux  Sociétés  se- 
raient de  longue  durée.  Outre  la  Bibliothèque  canadienne,  on 
publie  encore  un  autre  journal  français  à  Mont-Uéal  ;  c'est  la 
Minerve  ,  rédigée  par  M.  Ludger  Duveunay.  ■ —  On  peut  con- 
sulter une  notice  détaillée  sur  V Abeille  canadienne,  journal 
français  entrepris  ù  Montréal,  en  août  1818,  insérée  dans  la 
Revue  Encyclopédique.  (Voy.  t.  iv,  novemb.  1819,  p.  l\\l\-!\\Q.) 

S.   P-Y. 

ANTILLES. 

CvBA.  —  Tableau  du  covirricrce  de  cette  lie,  en  1837  et  1828. 
—  D'après  les  documens  officiels  espagnols,  recueillis  par  le 
prefesseurPiAMON  de  la  Sagra,  le  conmierce  extérieur  de  cette 
colonie  a  donné  les  résultats  ci-après,  pendant  ces  deux  années  : 

Différence  entre 
1827.  1828.  ces  deux  années, 

fr.  fr.  fr. 

Importation....      86,764,270 97,674,610  10,910,040 

Exportation 71,400,960 60,571,810  5, 859,160 

Commerce  total.    i5S,ig5,25o— — 160,246,420  5,o5i,i9ofr. 

Le  commerce  a  été  réparti,  ainsi  qu'il  suit^  entre  la  31étro- 
polc  et  les  différentes  puissances  maritimes  : 

Importations.         1827.  1828.  1828. 

Rapport  à  la  valeur 
fr.  fr.  lotafede  l'importation, 

Espagne 12,706,610 02,784,050  Ln  o<'. 

États-Unis 55, 810, 470 3a, 995,480  Un  5''. 

Villes  anséatiques..      6,099,090 8,706,990  Un  1 1"'. 

Anglelerrc 8,091,855 8,85o,425  Un  ii"". 

France 7,061,020 8,179,275  Un  12"^. 

Pays-Bas 1,800,960 1,677,500  Un  60'. 

Ilalie 559,920 615,700  Un  i6o''. 

Russie 546,425 428,060  Un2I5^ 

T.  XLVII.   AOUT   l85o.  <51 


482  ANTILLES. 

Exportations.         1827.              1828.  1828. 

Rapport  à  la  valeur 

fr.                    fi.  totale  de  l'exportation. 

Espagne 11,421,200 i5,i3i,225  Un  4''. 

États  Unis 20,5j7,25o 15,884,820  Un  4^ 

Villes  anséatiques..      8,547,ooo 9,65j,5o5  Vn  y'. 

Angleterre 8,025,36o 8,059,100  Un  S'. 

France r), 218,090 0,774,060  Un  i8«. 

Pays-Bas 4,908,420 1,677,555  Un  4o'. 

Italie 2,193,055 1,128,700  Un  60'. 

Russie 2,244,045 0,597,910  Un  20*. 

L'importation  des  produits  manufactures  d'Europe  a  été 
répartie  de  la  manière  suivante,  en  1828: 

fr. 

Importé  d'Espagne,  pour 3,9.34,120  Un  8<". 

—  des  Etats-Unis 6,000,390  Un  ô"". 

—  des  Villes  anséatiques..  . .  8,191,605  Un  4'- 

—  d'Angleterre 6,020, 8i5  Un  S". 

—  de  France 5,178,605  Un  6*. 

—  des  Pays-Bas 6jo,i65  Un  4/". 

—  d'Italie 225, 4oo  Un  '.35». 

—  de  Russie 378,710  Un  8o«. 

Valeur  totale  des  produits  manufacturés 3o, 569, 000  fr. 

—      des  autres  produits  importés 35,oo.o,ooo 


Valeur  totale  de  l'importation 65,569,000  fr. 

Les    principaux  objets  de  l'importation   ont  été   les   sui- 
vans,  en  1828  : 

.  196,673  barils  de  farine,  ou  environ  19,667,000  kilogrammes. 
7,025,660  kilogrammes  de  riz.. 
2,44',9'0  '^.  de  beurre  et  saindoux. 
105,94?  bectoUtres  de  vin. 
37,585  pièces  de  toile  de  Bretagne. 
68,090  i(l.  d'esto|>ille  ou  toile  claire. 
1,299  "'•  ''*-■  Hollande. 
3,936  (d.  d'Irlande. 
88,012  id.  de  platitte. 

En  1827,  il  avait  été  importé  : 

Pour  6,097,900  fr.  de  vins,  eau-de  vie,  liqueurs. 

—  4,786,885  de  viande  salée,  fumée. 

—  5,216,121  de  beurre,  saindoux. 

—  1,544,160  de  poissons  secs,  sales. 

—  14,609,685  de  grains  et  farines. 

—  47^,1 3o  d'é{)icerics. 


ANTILLES.  483 

Pour     6,9^8, 43o  fr.  de  tissus  de  coton. 

—  2,010,400  de  tissas  de  laine. 

—  12,545,125  de  linges  et  effets. 

—  2,259,740  en  cuirs,  peaux. 

—  5,534,501  en  soieries. 

En  1828,  l'exportation  des  principales  denrées  provenant 
du  sol  €t  des  manufactures  de  la  colonie,  a  consisté  dans  les 
articles  suivans  : 

2,864  pipes  de  tafia. 
68,421,259  kilogrammes  de  sucre,  ou  68,421  barriques. 
14,767,012  id.  de  café. 
246,146  'd.  de  cire. 
8o5,556  id.  de  tabac  en  feuilles. 
96,299  id.  de  tabac  travaillé. 
549,861  id.  de  cotOQ  en  laine. 
29,977,595  id.  de  miel. 

En  1827,  il  avait  été  exporté  : 

67,647,626  kilogrammes  de  sucre. 
23,018,204  id,  de  café. 

257,623  id.  de  cire. 

851,954  id.  de  miel. 

909,719  id,  de  tabac  en  feuilles. 

La  navigation  relevée  à  l'entrée  et  à  la  sortie  des  ports  de 
ia  colonie  offre  les  nombres  suivans  : 

1827.  1828. 

Entrés.    Sortis.    Entrés.     Sortis. 

Navires  espagnols i85....     184 279....  3o4 

—  des  Etats-Unis.  1,242. ...  1,107 1,175....  990 

—  anglais 166....      i5i 206....  175 

—  français 92....        70 77..,.  79 

—  hollandais 4S. .  . .       46 53....  32 

—  danois 55....       25 52....  28 

—  sardes 27....        21 21....  i5 

—  brêmois 21....        20 12....  11 

—  hambourgeois..  12....        i4 12....  i4 

—  toscans 6. . . .         5 8. . . .  S 

—  suédois 4«  •  •  •         5 9»  •  •  •  7 

—  russes 2.,..  2 — • —  i5. ...  » 

—  portugais 1....          1 1,...  1 

—  prussiens 1....          » 2....  5 

—  siciliens 1....         » 4- •  •  •  5 

—  autrichiens....  »....          » 3....  5 

—  romains »....         » 1....  » 

—  haïtiens » . . . .         » 1 . . .  .  1 

Totaux i,84i 1,649 ''SSg i,6S6 

Le  tonnage  des  navires  entrés  a  été  de 277,066  tonneaux. 

des  navires  sortis 225, 83o  id. 


/i84  ANTILLKS. 

Résultais. 

1".  Les  produits  de  l'Europe  et  des  Etats-Unis  importés  à 
Cuba  sont  estimés  à  près  de  loo  millions.  C'est  près  d'un  6" 
de  ce  que  la  France  reçoit  du  dehors,  tant  pour  sa  consomma- 
tion que  pour  ses  entrepôts  C'est  le  quintuple  des  importa- 
tions faites,  par  nos  nayiies,  à  la  Martinique ,  qui  est  la  plus 
considérable  de  nos  colonies. 

2°.  Les  produits  de  Cuba,  exportés  en  1828,  valaient  65  mil- 
lions et  demi;  ou  plus  d'un  9"  des  exportations  annuelles  de  la 
France,  et  5  fois  un  quart  autant  que  les  denrées  coloniales  que 
nous  recevons  de  la  Martinique  ou  de  la  Guadeloupe. 

3°.  L'Espagne  est  entrée,  en  1828,  pour  un  tiers,  dans  les 
importations  faites  à  Cuba,  et  pour  un  4*  dans  les  exportations 
de  ses  produits.  En  1827,  ses  relations  avec  la  colonie  avaient 
été  moindres  de  moitié. 

4°.  Les  importations  des  Etats-Lnis  égalent  en  valeur  celles 
de  la  métropole,  et  leurs  exportations  sont  dans  une  égale 
proportion  aux  achats  qui  y  sont  faits  par  l'Espagne;  en  sorte 
que  celte  puissance  voisine  prend  exactement  la  même  part 
que  la  métropole,  dans  les  transactions  commerciales  delà  co- 
lonie. En  1827,  cette  participation  était  beaucoup  plus  grande. 

5°.  Les  villes  anséatiques  et  l'Angleterre  entrent  pour  la 
même  valeur  dans  l'importation  ,  et  les  denrées  qu'elles  achè- 
tent sont  en  plus  grande  quantité. 

6".  La  France  porte  à  Cuba  presque  autant  de  marchandi- 
ses que  l'Angleterre  ou  les  villes  anséatiques,  mais  ses  retours, 
en  1827  et  1828,  ont  été  singulièrement  inférieurs;  ce  qui 
semble  indiqr.er  qu'elle  ne  peut  exporter,  avec  les  mêmes 
avantages,  les  denrées  coloniales  de  cette  île.  Les  importa- 
tions forment  le  1  1"  de  celles  de  la  colonie,  et  ses  exportations 
le  18°  seulement. 

7°.  Les  autres  pays  de  l'Europe  ne  prennent  qu'une  faible 
part  au  commerce  de  Cuba.  Cepandant,  on  remarque  que  la 
Russie  accroît  ses  relations  avec  cette  île,  et  qu'en  1828,  elle 
en  a  exporté  une  quantité  de  denrées  dont  la  valeur  ne  diffé- 
rait que  très-peu  de  celle  des  produits  achetés  par  la  France. 

8°.  En  examinant  la  nature  et  la  quantité  des  marchandises 
importées  à  Cuba,  on  remarque  que  celte  colonie  n'offre  pas 
aux  farines  d'Europe  et  des  États-Unis  un  marché  où  l'on 
puisse  vendre  20  millions  de  kilog.  de  farine.  C'est  seulement 
la  subsistance  annuelle  de  4,620  individus  ou  le  i57'  de  la  po- 
pulation de  l'île;  d'où  il  suit  que  627,000  habitans  vivent  des 
produits  agricoles  du  sol  de  In  <  nlonie  ,  et  ne  mangent  point 


ANTILLES.  485 

de  pain,  ou  du  moins  n'en  consomnient  pas  habituellement- 
L'importation  des  farines  peut  donc  s'accroître,  comme  l'ai-, 
sance  publique,  indéfiniment. 

9".  La  consommation  du  ris  exotique  est  i'ort  grande;  elle 
est  plus  considérable  qu'en  aucune  autre  colonie  américaine  de 
la  zone  torride  ;  elle  prépare  l'abandon  du  régime  composé 
des  produits  indigènes,  et  amène  l'accroissement  de  la  con- 
sommation des  farines  de  froment. 

lo.  La  consommation  du  vin  est  plus  répandue  que  celle 
du  pain  ;  on  peut  admettre  qu'il  y  a  35,ooo  individus  ou  un 
sur  18  qui  en  boivent  habituellement  une  bouteille  par  jour. 

1 1°.  L'usage  général  de  fonder  presque  entièrement  la  nour- 
riture animale,  sur  le  poisson  sec,  salé  ou  fumé,  rend  fort 
considérable  la  consommation  du  beurre,  de  l'huile  et  des 
autres  assaisonnemens  gras.  La  dépense  qu'ils  exigent  égale 
presque  celle  du  vin. 

ia°.  Les  subsistances  importées  ne  surpassent  en  valeur  que 
d'un  6*  le  montant  des  produits  manufacturés  venant  d'Eu- 
rope ou  des  Étate-Lnis. 

Les  tissus  de  coton  se  rapprochent  du  quart  de  la  valeur 
totale  de  ces  produits. 

Ceux  de  laine  en  font  le  iS",  et  ceux  de  soie  le  io% 

Les  cuirs  et  peaux  préparés  en  constituent  le  i5'. 

Mais,  ce  sont  les  effets  d'habillement,  le  linge,  qui  en  com- 
posent la  grande  masse;  leur  valeur  égale  presque  la  moitié 
de  toute  celle  des  produits  manufacturés. 

i3".  L'exportation  des  denrées  provenant  du  sol  et  des  fa- 
briques de  Cuba,  montre  avec  quelle  rapidité  se  développe 
la  prospérité  des  pays  du  Nouveau-Monde,  lorsque  quelques 
circonstances  heureuses  en  favorisent  l'essor.  En  1828,  Cuba 
a  fourni  au  commerce  d'Europe  et  d'Amérique  68,4oo  barri- 
ques de  sucre.  C'est  à  très-peu  près  la  quantité  qui  est  fournie 
à  la  France,  par  ses  quatre  colonies  agricoles,  et  beaucoup 
plus  que  la  consommation  annuelle  du  royaume. 

i4°.  En  calculant  sur  2,5oo  kilogrammes  de  sucre,  par 
grand  carré  des  Antilles,  et  non  compris  la  consommation  lo- 
cale, on  peut  porter  les  cultures  de  la  canne  à  sucre  de  la  colo- 
nie à  26,000  carrés,  faisant  35,5 10  hectares  ou  17  lieues  car- 
rées. 

i5°.  Cuba  a  fourni  à  l'exportation  de  1827  près  de  25  millions 
de  kilogrammes  de  café.  Cette  quantité  est  double  de  la  con- 
sommation annuelle  de  la  France,  et  un  tiers  en  sus.  Elle 
suppose  une  forêt  de  cafcyers  de  55  millions  d'arbres,  couvrant 
35,538  hectares  ou  18  lieues  carrées. 


486  ANTILLES. 

16°.  Le  coton  n'est  cultivé  que  partiellement  à  Cuba,  et 
son  exportation  n'excède  pas  55o,ooo  kilogrammes.  Le  tabac 
est  plus  abondant;  il  se  rapproche  d'un  million  pesant  ;  mais, 
un  produit  étranger  aux  autres  colonies  d'Amérique,  et  qui 
donne  à  la  Havane  une  branche  de  commerce  étendue,  c'est 
la  multiplication  extraordinaire  des  abeilles,  qui  a  fait  obtenir, 
en  1828,  iMie  exportation  de  miel  de  prés  de  5o  millions  de 
kilogrammes.  C'est  ^5  fois  plu?  qu'il  n'en  sort  de  France, 
provenant  de  nos  entrepôts  ou  de  notre  industrie  agricole. 

17".  La  navigation  donne  lieu  aux  remarques  suivantes. 
Cuba  reçoit  annuellement  18  à  1900  navires,  composant  un 
total  de  1177,000  tonneaux;  c'est  presque  pt)ur  chaque  arri- 
vage un  port  de  i  5n  tonneaux. 

18°.  Les  États-Unis  fournissent  environ  les  deux  tiers  de  ces 
navires;  l'Espagne,  un  10*;  l'Angleterre,  un 9';  la  France,  un 
20^;  les  Pays-Bas  et  le  Danemark,  un  40%  etc. 

19°.  Le  nombre  de  navires  que  reçoivent  annuellement  la 
Havane  et  les  huit  autres  ports  de  Cuba  égale  celui  des  na- 
vires qui  entrent  à  Maiscille,  et  leur  tonnage  est  maintenant 
supérieur. 

20".  CHaque  cargaison  vaut  environ  5o,ooo  fr. ,  et  chaque 
tonneau  5Go  fr.  C'est  le  nombre  considérable  de  navires  amé- 
ricains chargés  d'objets  de  consommations  d'un  grand  encom- 
brement ,  qui  réduit  ce  nombre  à  de  tels  termes  ;  car,  par  une 
moyenne  de  plusieurs  années,  on  trouve,  que  dans  nos  rela- 
tions commerciales,  avec  nos  colonies  d'Amérique,  les  car- 
gaisons s'élèvent  à  120,000  fr.,  et  la  valeur  de  chaque  ton- 
neau à  plus  de  5oo. 

21°.  Enfin,  d'après  la  moyenne  des  deux  dernières  années, 
l'importation  s'élève  à  92,219,000  fr.,  et  l'exportation  à 
G8,5o  1,000.  La  popidation  est  d'environ  65o,ooo  personnes, 
ce  qvii  donne  à  chaque  habitant  de  toute  classe  une  participa- 
lion  de  près  de  i5o  fr.  dans  la  valeur  des  importations,  et  de 
1  10  dans  l'exportation  des  denrées  de  la  colonie. 

A  la  Martinique,  il  y  a  deux  ans,  l'ensemble  des  produits 
français  et  étrangers  importés  dans  la  colonie  valaient  25 
iniilion>;;  et  l'exportation  des  denrées  provenant  du  sol  et  des 
l'abriquesde  l'île,  plus  de  27.  La  population  n'était  pas  tout-à- 
l'ait  de  100,000  personnes;  conséquemment,  la  parti(,ipation 
de  chaque  liabilant  était  au  moins  de  25o  fr.  dans  les  marchan- 
dises de  toufe  espèce  importées  annuellement,  et  de  270  dans 
les  produits  agricoles  exportés  m  France  et  à  l'Étranger. 

Ainsi .  la  masse  du  comniercc  de  Cuba,  comparée  à  la  po- 
pulation de  cette  Ile.  donne  annuellement  pour  chaque  habi- 


ANITILLES.  —  ASIi:.  487 

tant,  une  valeur  de  260  IV.,  tandis  que  celte  somme  s'élève  à 
la  Martinique  à  620  fr.  ou  moitié  plus. 

Cette  différence  est  celle  qui  existe  entre  l'acliviié  agrico- 
le, industrielle  et  commerciale  de  l'une  et  de  l'autre  de  ces 
colonies,  proportionnellement  à  leur  population.  Elle  indi- 
que quelle  immense  carrière  d'améliorations  et  de  succès  est 
encore  ouverte  dans  la  première  de  ces  deux  îles,  et  montre 
la  possibilité  de  porter  son  commerce  annuel  au-delà  de  5oo 
millions  de  fr. ,  ce  qui  serait  le  double  de  la  valeur  de  celui  de 
la  Jamaïque,  la  plus  riche  et  la  plus  importante  des  colonies 
nombreuses  de  l'xiugleterre.  A.  Moreau  de  Jonxès. 

ASIE. 

Rl'SSIE  ASIATIQUE.  SibÉRIE.  VÉNISSÉÏSK.  Positioil  géo- 

graphique.  — Population. —  Une  note  communiquée,  en  octobre 
1829,  à  VAcadcviie  des  Sciences  de  Pêlersbourg ^  par  M.  Hak- 
STEEN,  voyageur  en  Sibérie,  a  donné  la  position  géographi- 
que de  la  ville  de  Yénisseïsk,  une  des  plus  considérables  de  la 
Sibérie,  et  située  à  iijô  lieues  de  Moscou,  et  à  i348  de  Pé- 
tersbourg.  Sa  longitude  a  été  trouvée,  par  les  méthodes  di- 
rectes, égale  à  109°,  5o',  54"?  à  l'est  de  l'île  de  Fer,  et  la 
latitude  58",  27',  19";  la  population  de  cette  ville  était,  en 
1829,  de  5,726  habitans. 

GÉORGIE.  ■ —  TiFLis.  —  Population.  —  Presse  périodique.  — ■ 
Journaux  publiés  dans  trois  langues  :  russe,  géorgienne  et  pei'- 
sane. — Cette  ville,  qui  a  eu,  en  1829,  une  population  de 
17,000  Ames,  possédait,  à  cette  époque,  trois  journaux  en 
trois  langues  différentes  : 

1°.  Ti/lisskla  Fédomosti,  etc.  — Gazette  de  Tillis,  en  langue 
RUSSE,  commencée  au  mois  de  Juillet  1828,  et  publiée  hebdo- 
madairement, par  numéro  de  4  pages  in -fol. ,  sur  deux  co- 
lonnes, et  depuis  le  mois  de  janvier  i83o,  deux  fois  par  se- 
maine, à  cause  du  succès  qu'a  obtenu  cette  intéressante  feuille, 
répandue  dans  toute  la  Russie. 

2°.  Gazelle  de  Ti/lis,  en  langue  géorgiek>e;  elle  a  commencé 
en  même  tems  que  la  gazette  russe ,  et  a  cessé  de  paraître  en 
avril  1829.  Sa  collection  se  compose  de  26  numéros  hebdo- 
madaires pour  les  6  derniers  mois  de  1828,  et  de  12  numéros 
pour  les  5  premiers  mois  de  1829;  en  tout,  58  numéros  in-fol., 
de  quatre  pages  chacun,  sur  deux  colonnes. 

5".  Gazette  de  Tiflis,  en  langue  persane;  il  en  paraît,  cha- 
que  semaine,  depuis  le  mois  de  juillet  1S29,  un  numéro  de 
quatre  pages,  petit  \n-\",  sur  deux  colonnes. 


488  ASIE.  — EIROPE. 

L'intéressante  collection  de  ces  trois  journaux  publiés  en 

Asie,  dans  les  trois  langues  russe,  géorgienne  et  persane ,  a  été 

adressée,  par  l'auteur  de  cet  article,  à  la  Revue  EneycLopé- 

dique,  pour  la  Bibliothèque  fondée  au  bureau  de  ce  recueil, 

Serge  Poltoratzky,  de  Moscou. 

EUROPE. 

GRANDE-BRETAGNE. 

Sympathie  de  L'Angleterre  pour  notre  dernière  Révolution.  • — 
Les  Journaux  anglais  coulinuentà  louera  l'enviTunde  l'autre 
la  juste  résistance  et  l'élan  patriotique  de  la  population  pari- 
sienne. Plusieurs  réunions  ont  eu  lieu  à  Londres  pour  célébrer 
dignement  les  glorieux  exploits  des  trois  jours  de  juillet.  Les 
villes  de  provinces  ont  (ait  chorus  avec  la  capitale  :  de  nom- 
breuses souscriptions  se  sont  ouvertes  en  l'honneur  de  nos 
blessés,  à  Birmingham  ,  à  Plymouth,  etc.  L'Ecosse  n'est  point 
demeurée  en  arrière.  Il  y  a  eu  à  Edimbourg,  le  20  août  der- 
nier, une  assemblée  de  mille  personnes,  dans  laquelle  on  a  en- 
tendu entre  autres  discours  remarquables  celui  de  M.  Jeffkey,, 
ex-édileur  delà  Revue  d'Edimbourg,  connu  pour  ses  opinions 
libérales.  Il  a  salué  la  Révolution  qui  vient  de  s'accomplir  du 
titre  de  triomphe  universel.  «  C'est,  a-t-il  dit,  un  événement 
public  ,  sans  précédent  dans  les  annales  des  peuples,  dans  les 
annales  du  monde  ;  événement  qui  ne  peut  être  ni  égalé,  ni 
surpassé,  et  pour  le  bien  qu'il  promet,  et  pour  l'héroïque  et 
sévère  vertu  avec  lat[uclle  il  a  été  accompli.  "Ce  que  l'orateur 
exalte  surtout  comme  caractère  de  cette  grande  crise,  c'est 
qu'elle  décèle  une  haute  portée  morale.  La  France  était  riche, 
prospère,  mais  elle  manquait  de  dignité  à  ses  propres  yeux  et 
à  ceux  de  l'Europe,  et  c'est  un  besoin  d'estime  et  de  liberté 
qui  souleva  les  masses,  el  leur  fit  tout  risquer  plutôt  que  de 
subir  une  dégradante  oppression.  11  compare  la  Révolution  de 
1789  à  celle  de  i85o,  el  en  fait  admirablement  ressortir  tou- 
tes les  oppositions.  Enfin,  passant  à  ce  (jue  la  France  a  le 
droit  d'attendre  et  d'espérer  de  l'avenir,  il  proclame  l'opinion, 
la  seule  puis-ance  et  le  seul  despotisme  possible  de  nos  jours; 
et  termine  en  établis>ant  que  la  France,  en  unissant  la  sagesse 
à  l'énergie,  la  modéi  ation  à  la  victoire,  a  non-seulement  re- 
vendiqué ses  droits  de  la  façon  la  plus  glorieuse,  mais  a  fait 
aussi  tout  ce  qui  dépendait  d'elle  pour  maintenir  la  paix  en 
Europe,  el  s'allirer  la  symj)nlhie  et  l'eslime  des  nations  voi- 
sines, et  par(i(  nliiKinenr  de  la  Grande-Bretagne,  qui,  ayant 


GRANDE-BRETAGNE.  489 

foudé  sa  liberté,  doit  plus  que  toute  autre  applaudir  à  de  pa- 
reils eflorts  et  se  réjouir  de  leur  succès.  «Ce  discours  a  été 
interrompu  à  div  erses  reprises  par  les  applaudissemens  et  les 
bravos  de  l'auditoire. 

Londres.  • —  Mesures  pour  te  soulagement  des  ouvriers.  — 
Le  comité  nommé  pur  le  parlement  pour  examiner  la  situa- 
tion des  classes  laborieuses,  et  aviser  aux  moyens  de  l'amé- 
liorer, a  proposé  de  former  des  Sociétés  dans  toutes  les  villes 
et  cantons  manufacturiers,  et  d'y  admettre  tout  artisan,  de 
n'importe  quelle  profession.  La  direction  de  la  Société  et  ses 
fonds  seront  confiés,  d'après  les  règles  arrêtées,  à  un  comité 
élu  par  les  membres.  Chaque  membre,  tant  qu'il  aura  du  tra- 
vail, paiera  une  somme  de — ,  par  semaine  ou  par  mois;  s'il 
discontinue  ses  paiemens  pendant  deux  mois,  il  lui  sera  permis 
de  reprendre  sa  place  sans  perte,  mais  en  se  soumettant  à 
pajer  une  amende,  qui  augmentera  à  proportion  du  tems 
écoulé,  trois,  quatre  ou  cinq  mois.  Une  suspension  de  six  mois 
entraînera  la  confiscation  des  fonds  au  profit  de  la  Société. 
Lue  maladie,  certifiée  d'une  manière  satisfaisante  pour  le  co- 
mité, sera  toujours  une  excuse  valable  pour  tout  retard  ou 
suspension  de  paiement.  Le  montant  des  sommesversées  par 
chaque  membre  sera  inscrit  sous  son  nom,  et  ne  pourra  être 
retiré  qu'en  justifiant  du  manque  de  travail.  Dans  ce  dernier 
cas,  on  aura  droit  à  une  somme  fixée  par  le  comité,  payée  par 
semaine,  ou  par  jour,  jusqu'à  ce  que  les  fonds  à  soi  apparte- 
nant soient  épuisés.  » 

Suivent  plusieurs  autres  réglemens  également  sages  pour 
multiplier  ces  sortes  de  caisses  d'épargne,  et  pour  leur  assu- 
rer, par  acte  du  parlement,  toutes  les  facilités  légales  et  les 
privilèges  accordés  aux  antres  banques.  L.  S.  B. 

Statistique  de  la  marine  anglaise.  — Il  résulte  des  documens 
présentés  cette  année  au  parlement,  qu'en  1829  '^  marine  an- 
glaise a  employé  au  commerce,  avec  les  puissances  suivantes, 
savoir: 

Matelots. 

La  Russie 16,000 

Prusse 5,800 

Allemagne 5, 200 

Pays-Bas 6,800 

France 9^000 

Portugal 2,5oo 

Espagne 5,4oo 

Italie 5,000 

Inde 45800 

Chine 2,800 

États-Unis  d'Amérique 2,700 


490  EUROPE. 

Matelots. 

CuJonies  anglaises  des  Indes-Ocridentales.. i4,4oo 

Canada  et  colonies  de  l'Amérique  septentrionale..      20,000 

Brésil 1  ,Soo 

Pèche  de  la  baleine 4)4oo 

Total  des  marins,  en  1829 122,000  homme». 

Total  du  tonnage  anglais,  id 2,184,000 

RUSSIE. 

PÉtersbotjrg.  —  A  cadémie  des  Sciences.  — Séances  des  mois  de 
septembre ,  octobre,  décembre  iS'iC);  janvier  et  février  i83o.  — 
M.  OsTROGRADsKY  aniiouce  à  l'Académie  qu'il  a  résolu  le  pro- 
blème sur  la  propagation  des  ondes  à  la  surface  d'un  liquide 
renfermé  dans  un  vase  ayant  la  forme  d'un  secteur  cylindri- 
que. Le  problème  sur  la  propagation  des  ondes  à  la  surface 
des  fluides  renfermés  dans  des  vases  de  forme  invariable  a  été 
résolu  par  l'illustre  auteur  du  Calcul  des  résidus  dans  le  cas  du 
vase  rectangulaire  ;  M.  Ostrogradsky  l'a  traité  dans  le  cas  du 
vase  cylindrique.  Ses  recherches  relatives  à  cet  objet  seront 
imprimées  parmi  les  Mémoires  des  savans  étrangers  ,  publiés 
par  l'Académie  des  Sciences  de  Paris.  Le  problème  dont 
i>J.  Ostrogradsky  annonce  actuellement  la  solution  est  plus 
général  que  celui  qu'il  a  résolu  dans  son  Mémoire  antérieur. 
Il  détermine  l'élatde  la  surface  fluide  au  bout  d'un  tems  quel- 
conque, non  pas  en  supposant  que  le  bassin  soit  im  cylindre, 
mais  en  lui  attribuant  la  forme  d'un  secteur  cylindri(jue  :  de 
sorte  qu'en  admettant  que  l'angle  du  secteur  devienne  égal 
à  4^0",  on  retrouve  la  solution  du  problème  présenté  à  l'Aca- 
démie de  Paris.  — .M.  Ostrogradsky  croit  avoir  trouvé  l'équa- 
tion aux  différences  partielles  relative  à  la  propagation  de  la  cha- 
leur dans  l' intrieur  des  liquides;  «je  n'ignore  pas,  dit-il,  que 
l'illustre  auteur  de  la  Théorie  analytique  de  la  Chaleur  a  trouvé 
depuis  long-teius  l'équation  à  laquelle  la  température  dans  l'in- 
térieur d'un  liquide  doit  satisfaire  ;  mais  cette  équation  n'est  pas 
connue  juscju'à  présent.  Sonauteur  en  a  réservé  la  publication 
au  second  volume  de  la  théorie  malhémaliquc  de  la  chaleur. 
—  M.  RiPFER  communi(|ue  ([uelques  positions  géographiques-^ 
de  plusieurs  points  des  Monts -Ourals  et  de  la  Sibérie,  déter- 
minées par  M.  Hansteen  ,  et  qui  lui  ont  été  adressées,  avec  des 
observations  magnétiques  très-iniportanles  par  ce  voyageur  dans 
dcuxlelires  consécutives,  datées  de  Krasnoiarsket  d'Irkoutzk  ; 
les  longitudes  des  points  de  l'Oural  oui  élé  déterminées  par 
le   moyen  d  nu  seul  rjwonomètie,  en  so)[c  qu'on  ne  peut  les 


RUSSIE.  491 

regarder  comme  exactes  qu'à  une  minute  près»,  au  lieu  que, 
pour  celles  des  lieux  de  la  Sibérie,  on  avait  lait  usage  de 
deux  chronomètres  et  avec  beaucoup  de  soins.  {Voy.  ci-des- 
sus, p.  4^'7)- — î^l-  Kupfer  a  communiqué  une  lettre  de  M.  Ber- 
zÉLirs  à  Stockholm,  qui  contient  des  notices  sur  quelques  mi- 
néraux de  l'Oural,  comparés  avec  ceux  de  Norvège.  — Comme 
on  sait  que  beaucoup  de  salines  qui  se  trouvent  dans  l'étran- 
ger contiennent  dans  leurs  eaux-mères  du  brome,  substance 
halogène  découverte  par  M.  Balard,  M.  Hess  annonce  à  l'A- 
cadémie avoir  fait  plusieurs  expériences  sur  les  eaux- mères 
des  salines  de  Staraïa-Roussa,  ville  du  gouvernement  de  Nov- 
gorod, pour  savoir  si  elles  contenaient  aussi  cette  substance; 
il  a  trouA'é  qu'effectivement  elle  s'y  rencontrait  en  grande 
quantité,  et  pourrait  en  être  retirée  avec  plus  de  facilité  que 
cela  n'a  lieu  en  Allemagne;  c'est  surtout  le  procédé  de  Des- 
fosses qu'il  croit  applicable.  —  Une  lettre  adressée  d'Odessa, 
au  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  ,  par  M.  Hany,  mem- 
bre correspondant,  en  date  du  4  décembre  1829,' commu- 
niquait des  détails  sur  le  tremblement  de  terre  qu'on  a  ressenti 
dans  cette  ville,  le  ~  novembre  1829,  et  un  relevé  des  ob- 
seiTatlons  météorologiques  faites  avant  et  après  cet  événement. 
—  M.  Kupfer  lit  une  lettre  de  M.  Hansteen,  datée  d'Oren- 
bourg,  du  ~  janvier  i83o;  les  observations  qu'elle  contient 
sur  la  déclinaison  juagnétique  à  l'est  de  la  Sibérie ,  prouvent 
qu'il  y  a  des  déclinaisons  occidentales  considérables  à  l'est  de 
la  ligne  sans  déclinaison,  qui  passe  près  delà  ville  d'Irkoutzk, 
située  à  15^0  lieues  de  Moscou.  Cette  ligne  sans  déclinaison, 
dont  l'existence  a  déjà  été  établie  depuis  long-tems  par  les 
observations  de  Schubert,  a  été  l'etrouvée  par  M.  Hansteen. 
M.  RupFER,  s'appuyant  sur  les  observations  de  iM.  le  capitaine 
Vranguél,  avait  pensé  que  les  déclinaisons  ne  changent  pas 
de  signe  d'un  côté  à  l'autre  de  cette  ligne  de  déclinaison; 
mais  les  observations  très-précises  de  M.  Hansteen  prouvent 
qu'elles  changent  de  signe,  et  que  par  conséquent  la  ligne 
sans  déclinaison  qui  traverse  la  Sibérie  jouit  des  mêiiies  pro- 
priétés que  celles  qui  passent  près  de  Kazan,  et  par  les  Etats- 
Unis  de  l'Amérique  septentrionale. 

Serge  PoLTORATzKY,  dc  Moscou. 
Calendrier  russe.  — Réclamation  contre  une  assertion  de  la 
Revue  des  Deux-Mondes.  — 'La  Revue  des  Deux-Mondes,  re- 
cueil d'ailleurs  très-estimable,  publié  à  Paris,  sur  un  plan  ana- 
logue à  celui  iXcnoivG  Revue,  qui  l'a  annoncée  avec  éloge  (voy. 
janvier    i83o,  t.  xlv,  p.    i9Î)-i97;  et   inai  i85o,   t.    xlvi  , 


492  EUROPE. 

p.  478-479),  contient  une  assertion  fausse  et  hasardée,  relative 
à  1.1  Ilussie ,  qu'on  ne  peut  s'empêcher  de  relever,  à  cause  de 
l'importance  du  fait  qu'elle  signale,  plutôt  ou  qu'elle  invente. 
«  Le  calendrier  grec  (disent  ses  rédacteurs  dans  leur  cahier  de 
mai-juin  i85o,  p.  44o)  H"'  était,  comme  on  sait,  en  arrière  de 
douze  jours  sur  le  calendrier  grégorien,  vient  d'être  aboli.  » 
Celte  abolition  n'a  pas  eu  lieu,  et  seralong-tems  encore  diffé- 
rée; c'est  une  des  grandes  questions  politiques  et  religieuses 
qu'on  ne  résout  pas  légèrement.  S.   P. -y. 

ALLEMAGNE. 

DOCUME-\S  RELATIFS  A  LA  STATISTIQUE  MORALE  DE  LA 
MONARCHIE  PRUSSIENNE. 

(Voy.  t.  XLTi,  p.  4^4  et  p.  -91,  et  ci-dessus,  p.  204}) 

1 1°  Comparaison  e>'tre  tE  rapport  des  Écoliers  a  la  popula- 
tion, EN  i8i6eT  1825,  ET  LE  RAPPORT  DES  CRIMINELS,  EN  l825, 
A  LEUR  POPULATION  CORItESPONDANTE. 


Pbovinces. 


Brandebourg 

Poméranie.. 

Prusse 

Posen , 

Silésie 

Saxe 

Westphalie 

Provinces  rhénanes 


181G. 

Nombre 
des  écoliers 

sur 
10,000  habit. 


1,120 

i,o5o 

921 

I,i5l0 

1,594 

767 


.65 


1825. 


Nombre 


des  écoliers  sur 

l,û(io  enfans  en  âge 

de  fréqueuttr 

le*  écoles. 


NoMBHB 

d'babitatis 

correspondant 

à  chaque  crime  et  délit 

commis  eu  iSsS. 


429 


468 

94o 
451 
490 
584 
491 
525 
245 


58ci 


ALLEMAGNE. 


49^ 


13°  Classification  des  8  grandes  provinces  de  la  monarchie 

PRUSSIENNE  d'après  LE  NOMBRE  d'ÉCOLIERS  QUI   ONT  FREQUENTE 

LES  Ecoles  en  1825,  et  d'après  le  nombre  de  crimes  et 

DÉLITS  QUI  Y  FURENT  COMMIS  EN  1817,    1826,   ET  DEPUIS    1819 
JUSQUES  ET  V  COMPRIS    1826. 


D'après  le  nombre 
d'Ecoliers 

qui  fréquentèrent 
les  Ecoles 
en  1825. 

D'après  le  noc 
En  1817. 

abre  des  crimes  et 
En  1825. 

délits  commis 
De  1819  a  1826. 

1.  Saxe 

2.  Westphalie  . . . 
5.  Silésie 

4.  Brandebourg.  . 

5.  Prov.  rhénanes. 

6.  Poméranie. . . . 

1. Saxe 

2.  Prov.  rhénanes. 

5.  Westphalie  .  . . 

4.  Brandebourg.  . 

5.  Silésie.. ...... 

6.  Prusse 

7.  Poméranie.. . . 

8.  Posen 

i.  Prov.  rhénanes. 

2.  Prusse 

5.  Brandebourg. . 

4.  Posen ,. 

5.  Saxe 

6.  Westphalie... 

7.  Silésie 

8.  Poméranie.  .  .  . 

1.  Prov.  rhénanes. 

2.  Westphalie  , . . 
5.  Prusse 

4.  Brandebourg.  . 

5.  Posen 

ô.  Saxe 

7.  Prusse 

8.  Posen 

7.  Silésie 

8.  Poméranie. . . . 

Observation.  Les  provinces  de  Posen  et  du  Rhin,  dont  la  plus 
grande  partie  des  habitans  professent  la  religion  catholique,  offrent  à 
peu  près  le  même  contraste  sous  le  rapport  de  l'instruction  et  du  nom- 
bre des  crimes  que  présentent  les  deux  provinces  de  Poméranie  et  de 
Prusse,  dont  la  majorité  des  habitans  est  protestante.  L'explication  de 
ce  phénomène  n'est  pas  impossible.  Voyez  nos  réflexions  sur  les  crimes 
et  délits  commis  en  France  pendant  les  années  1825,  1826  et  1827, 
comparés  î»  l'instruction  primaire,  dans  le  cahier  de  novembre  1829  du 
Bulletin  universel  des  Sciences  (pages  261-264). 


1^°  Comparaison  entre  les  villes  et  les  campagnes. 


Nota.  Ce  Tableau  ayant  déjà  été  publié  dans  la  Revue  Encyclopc(ti(/ue 
(  voy.  t.  XLi,  janvier  1829,  p.  4ii)  nous  l'avons  supprimé  ici;  mais  en 
indiquant  la  place  où  nos  lecteurs  pom-ront  le  trouver,  afin  de  complé- 
ter aulant  que  possible  pour  eux  l'ensemble  de  cette  statistique  de  la 
monarchie  prussienne. 


14"  TaBLF.AC  STATISTIQIE   DES  PB1>CIPAUX   CBIMES   ET  DÉLITS    COMMIS,  E>'    1S17,    DAXS   lES  luiU  PROVINCE* 

MÊME 


PaOVI.NCES. 


Brandebourg.. . 

Poniùranic 

Prusse 

Posen 

Silésle 

Saxe 

Wcstphalie.  .  .. 

Prov.  rhéDanes. 

Total 


Suicide. 


175 

r^8 


'79 

95 

56 

65 

700 


6,Soo 
3 1,5 16 

8,620 
20,676 
11,257 
i3,o65 
28,417 
29,444 
4,569 


Meurtre. 

Cl 


595,000 
221,555 

255,555 
127,500 
185,182 
76,400 
204,600 
i54,585 
167,655 


Assassinat. 


48 


297,500 
664,000 
1,400,000 
95,626 
145,929 
165,714 
204,600 
251,875 
209,542 


Assassina  t 

accompagné 

de  vol. 

Cl 


1,190.000 


i.i46'000 
541,000 
618,555 

1,257,250 


Assassinat  d'un 

époux  ou  d^ne 

épouse. 

Cl 

s; 


1,190,000 
664,000 

l'400'000 

765,000 
5o3,7o4 

V 

1,023,000 

618,553 
1,257,250 


Infanti- 
cide. 


91,558 
552,000 

65,636 

76,500 
185,182 

95,500 
1 1 5,666 
125,667 
107,000 


i5»    Tableau  des  cbimes  et  des  délits   commis  dans  les  anciennes  provinces  de  la  moraecbiiIP 

ET  Y 


1826. 


Meurtres 

Assassinais 

Infanticides,  rccelem.  de  U  gros. 
et  de  l'enfantcm.  et  atoiUni... 

Duels 

Vols 

Dommag. cause!  à  la  propriété  aTec 
préméditât,  ou  par  escroquerie. 

Brigandage  ou  vol  sur  les 
grands  chemins 

/  volontaires. . 
Incendies  I 

(involontaires. 

Autres  crimes  et  délits. . 


Totaldes  crimes  et  délits. 


4 

1,520 

446 


34 
1,214 


5,283 


556 

9" 
2 

6 

18 
5i3 


12 

4 

i4 

4 

52 

17 

2 

5 

2,474 

716 

5go 

'97 

25 

8 

59 

24 

77 

'7 

2,025 

i,oo5 

5,i3o 

1,99-^ 

9 

7 

59 

4 

2,279 

209 

22 

26 

42 

1,284 


24 


1,198 


4(. 
97^ 


756 

219 

6 

j4 

8 
1,295 


44 

45 

186 

i4 

9.299 

1,859 

82 

166 

256 

8,io5 


20,Ol4 


5 
i5 

i4 

5 

1,541 

461 


i,ii5 


3,2o5 


461 
86 


3 

555 


901 


16: 

62 


i3 
3i 

45 
1,634 


4,242 


AL.L,Ji31AUl>(lV 


49^ 


E   LA    IIÛNABCHIE  PRCSSIEMJfE,    AVEC  L  INDICATION   DE   I.ELU   UAPrOHT    A   LA   POPLLATION    EXISTANTE     A    LA 


Parricide. 

Duel. 

Fol  avec  des 
circonstances 
aggravantes. 

assaut  avec 
effraction. 

Brigandage. 

Incendie- 

Indistinctcmem. 

c 

^ 

D 

s 

a 

3 

ç: 

o 
S 

c- 

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21 

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c 

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•2 

3 

c 

cr 
cr 

. 

» 

a 

95s 

1,242 

^3 

l6;301 

148,750 

14 

85, 000 

1,249 

955 

» 

» 

» 

■> 

375 

iv/i 

'7 

39,059 

3 

22  1,535 

4 

166,000 

4U 

1 ,495 

» 

* 

3 

466,667 

920 

1,522 

95 

14,7^7 

1  ? 

1 16,667 

i6 

87,500 

I  ,i53 

l,2l4 

1 

765,000 

■> 

t 

25l 

3,o4S 

i5 

5 1 ,000 

6 

127,500 

28 

27,593 

565 

2,107 

1 

2,01 5,000 

7) 

671,667 

1,339 

i,5o5 

117 

1  i,58i 

'9 

io6,o55 

59 

51,667 

iv97 

1,121 

» 

» 

» 

» 

1,865 

6i5 

229 

5  ,oo4 

i3 

88,1 54 

3o 

38,200 

2,267 

5o6 

» 

» 

I 

l.025'000 

1,247 

820 

259 

3,950 

24 

42,625 

12 

85,250 

1,602 

659 

2 

927,500 

4 

i>855>ooo 

2,691 

6S9 

544 

3,4io 

56 

35,125 

16 

115,93- 

5,417 

545 

4 

2.5i4.5oo 

11 

914,064 

9,646 

1,043 

1,^09 

7,1 58 

i4i 

71,353 

i59 

63,258 

12,292 

6i3 

iUSSIEKNE,    PENDANT    LES    ANNÉES    1824,    iSsS,     1826,    ET    LEUR   NOMBRE    TOTAL    DEPUIS     1819    JCSQUES 

COMPRIS   1826. 


1825. 

c 
a 

a 

4 

V5 

n' 

03 
0 

"H. 
S' 

7 

9 

r* 

3 

4 

6 

7 

27 

58 

58 

»6 

3 

5 

5 

2 

902 

2,210 

1,544 

856 

424 

181 

558 

248 

i5 

19 

18 

8 

a5 

14 

20 

1 2 

69 

46 

29 

7 

955 

1,359 

97-=^ 

1,094 

122 

5,925 

2»975 

2,a57 

48 

45 

205 

>7 
9,65i 

1,761 
78 
i35 
216 

7»495 


1826. 


6 
18 
18 

5 

1,9^4 

554 

5 

41 

24 

1,182 


19,626  5,587 


i-d 

^ 

c 

c 

V5 

V3 

y. 

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» 

n 

14 

6 

18 

7 

2 

2 

i5 

3 

i5 

12 

6 

9 

48 

22 

79 

35 

1 1 

- 

2 

1 

5 

1 

-. 

449 

2,979 

857 

2,477 

1,628 

1,018 

126 

522 

160 

438 

6o5 

206 

5 

54 

i5 

26 

i5 

8 

6 

io5 

20 

25 

42 

14 

7 

Si 

55 

63 

28 

5 

5o8 
910 

1,648 

858 

1,919 

i,8i8 

927 

0,248 

1j976 

5,o65 

4,189 

2,195 

w 


53  \ 


l,5l2 


222 

'>976 

14 

157 

11,342 

96,296 

2,211 

21,208 

103 

735 

206^ 

209 

s, 660 


3,208 
60,020 

185, l52 


496 


EUROPE. 


l6''TABLEArDES  CRIMES  ET  DES  DELITS  COMMIS  DANS  LES  PROVINCES 

Dr  Rhin  (i)  pendant  les  années  i8a4,  iSaS  et  1826,  et 

LEUR  nombre  total  DEPTJIS   |822  JDSQfES  ET  Y  COMPRIS  1  826. 


Qualification  DES  crimes  et  des  délits. 


Metiitic  et  simple  homicide. 

\  ol  et  larcin 

Fausse  monnaie 

Parjure 

Avortcment  et  infanticide.  , 

Blessures  graves 

Bip;ainie 

Rébellion 


Mauvais  traitemens  envers  les  parens.. 

Incendie 

Attentat  à  la  pudeur  avec  violence.. .. 
Viol 


Destruction  des  ustensiles  d'une  fabrique. 

Menace  d'incendie 

Corruption 

Concussion 

Exposition  d'un  enfant 

Homicide  involontaire 

Banqueroute 

Escroquerie 


NOMBRK   DES   CRIMES  ET  DÉLITS 

commis  dans  les  années 


1S24. 


7 
218 


5 


TOTAL 

1825. 

1826. 

de  1822 
à  1826. 

10 

12 

65 

147 

5 

i55 
I 

8;5 

» 

4 
2 

«7 

.5 

«7 

ai 

122 

2 

" 

7 

5 

5 
6 

4 
6 

42 

56 

2 

1 

I 

10 

î       « 

7 

45 

B 

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5 

2 

j 

4 
5 

n 

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1 

» 

■> 

5 

« 

n 

11 

4 

Ô 

21 

6 

208 

194 

1,290 

Total 2g4 

Berlin.  —  Question  proposée  par  la  classe  de  p/iilosophie  et 
(f histoire  de  l'' Académie  royale  des  sciences.  —  «Quel  fut  l'état 
de  l'administration  de  l'empire  arabe  pendant  la  durée  de  la 
puissance  séculière  de  Khalifes,  c'est-à-dire,  depuis  l'origine 


(1)  On  a  séparé  la  province  du  Rhin,  parce  que  les  gouvernemens 
qu'elle  comprend  sont  encore  régis  d'après  le  Code  français,  très-diffé- 
rent du  Code  en  vigueur  dans  les  sept  autres  provinces  de  la  monarchie 
prussienne.  Cette  partie  offre  par  conséquent  des  élemeus  entièrement 
comparables  avec  les  étals  correspondans  rédigés  en  France  avec  tant 
de  sagacité  par  M.  Guehhy  de  Ciiamp.>euf,  et  publiés  annuellement  par 
]c  ministre  de  la  justice. 


ALLExMAGiSE.  —SUSSE.  497 

tic  l'cuipirc  uia'oe,  et  sa  roiidation  pai  rintroductioa  <lc  l'isla- 
misme, jusqu'à  la  fm  tin  onzième  siècle  de  l'èie  chrétienne?) 
Ti' Académie  désire  que  les  conrurrens  ne  se  bornent  point  ù 
exposer  et  à  discuter  en  généraU'administration  introduite  par 
les  Arabes,  mais  qu'ils  la  développent  par  rapport  aux  diiré- 
rens  pays  qui  lurent  successivement  soumis  à  la  domination 
de  ce  peuple;  que  l'histoire  morale  et  politique  de  ces  pays 
soit  résumée,  ainsi  que  leurs  codes,  leurs  procédures  juridi- 
ques, etc.;  que  l'influence  de  l'ancienne  administration  soit  ol)- 
servée  dans  les  tems  postérieurs,  et  que  les  traces  qui  la  font 
reconnaître  soient  indiquées,  etc.  Les  Mémoires  seront  reçus 
jusqu'au  5i  mars  i832,  terme  de  rigueur,  et  le  prix  (de  100 
ducats)  sera  décerné  au  mois  de  juillet  de  la  même  année,  à 
la  séance  anniversaire  de  Leibnilz. 

SUISSE, 

Appenzell  (Rhodes  extérieures  ).  — Instruction  publique. 
—  Ex  ungue  leonem.  Un  fait,  un  trait  répand  quelquefois  du 
jour  surtout  l'esprit  d'une  institution,  comme  un  mot,  dans 
certaines  circonstances,  révèle  tout  im  caractère.  Une  École 
cantonale  a  été  fondée,  il  y  a  dix  années,  dans  le  bourg  de  Tro- 
guen ,  chef-lieu  d'Appenzell  protestant;  c'est  à  la  génésosité 
de  particuliers  que  la  création  en  est  due  ;  le  gouvernement 
n'est  intervenu  qu'enviion  cinq  ans  plus  tard.  La  bonne  étoile 
de  l'école  a  voulu  qu'elle  fût  placée  sous  la  direction  d'un  de 
ces  hommes  nés  pour  être  l'âme  d'une  institution  de  cette 
nature  ,  M.  Rrusi,  appenzellois,  et  l'un  des  premiers  coilabo- 
lalcurs  de  Pestalozzi.  Par  un  autre  bonheur,  sa  surveillance 
supéiieurc  est  confiée  à  un  philantrope  chrétien  versé  dans  la 
science  pédagogique,  dans  la  connaissance  du  peuple  suisse 
et  de  son  éducation,  ardent  ami  de  la  jeunesse  et  de  sou  per- 
fectionnement, M.  Jean  Gaspard  Zellwîîguer;  ce  nom  est 
entouré  de  l'estime  de  la  confédération  entière.  Le  i"de  juii!, 
l'école  a  célébié  sa  fête  annuelle  des  examens  publics;  ce  mot 
de  fête  n'est  rien  moins  qu'une  ironie.  M.  Zelhvéguer  a  ou- 
vert la  séance  par  un  discours,  dans  lequel  il  a  fait  la  proles- 

.  sion  de  foi  pédagogique  de  l'école;  c'est  comme  une  utile  le- 
çon donnée  aux  éducateurs  que  nous  en  citerons  quelques 
passages.  Il  a  montré  que  les  vraies  lumières  sont  une  souice 

,de  prospérité  pour  un  pays,  en  même  tems  qu'un  moyen  de 
conserver  sa  liberté.  «Mais,  a-t-i!  ajouté,  il  ne  faut  pas  cher- 
cher ces  lumières  uniquement  dans  les  connaissances  et  les 
sciences;  celles-ci  ne  sont  qr.'un  moyen  de  faire  descendre  la 

T.   XI.VIl.   AOUT  18Ô0.  ô-i 


498  EUROPE. 

lumière  céleste  dans  IMme  de  l'homme.  Une  étincelle  divine 
anime  tous  les  mortels;  mais  celui  qui  se  plonge  tout  entier 
dans  la  vie  animale  se  rapproche  de  l'animal ,  tandis  qu'en 
vivifiant  son  esprit  l'homme  se  rapproche  de  la  Divinité  ;  or, 
quelquefois  on  voit  des  personnes  riches  de  connaissances  vi- 
vre dans  l'esclavage  de  leurs  passions,  senïbiables  au  chien 
instruit  à  faire  des  tours,  et  qui  n'en  reste  pas  moins  confiné  dans 
la  nature  animale.  Celui-là  seul  qui  s'applique  à  faire  la  vo- 
lonté de  Dieu ,  qui  reçoit  Dieu  dans  son  cœur  et  vit  en  lui ,  qui 
s'efforce  de  devenir  semblable  à  la  Divinité,  non-seulement  par 
l'amour  des  hommes,  mais  encore  par  une  intelligence  culti- 
vée, celui-là  seul  ravit  la  lumière  du  ciel  et  reconnaît  qu'elle 
n'est  qu'une  préparation  à  ime  lumière  à  venir  et  plus  pure. 
Allumer  ce  flambeau  dans  le  cœur  des  enfans  qui  nous  sont 
confiés,  tel  est  notre  but;  nous  ne  nous  ravalerons  jamais 
jusqu'à  faire  de  notre  école  une  institution  de  partage! 

La  manière  dont  M.  Zelhvèguer  envisage  l'étude  de  l'his- 
toire mérite  ime  attention  particulière. 

«ISous  instruirons  dans  l'histoire  les  enfans  qui  nous  seront 
confiés,  mais  non  pour  les  mettre  en  possession  d'un  répertoire 
de  noms  et  de  dates;  nous  voulons  qu'ils  y  apprennent  à  con- 
naître la  nature  de  la  vraie  liberté,  et  à  comprendre  que  la 
liberté  disparaît  quand  disparaît  la  vertu.  Ils  doivent  appren- 
dre que  le  flatteur  du  peuple  vise  au  despotisme,  que  l'anarchie 
est  le  chemin  (pii  conduit  à  la  tyrannie;  que  la  source  du  dé- 
vofmient  patriolicpie  n'est  pas  dans  les  connaissances  acquises, 
mais  dans  l'amour  pur  de  Dieu  et  du  procliain  ;  que  la  vérita- 
ble patrie  ne  consiste  pas  dans  le  sol,  mais  dans  les  hommes, 
leurs  lois,  leurs  mœurs  et  leur  religion 

i)Tant  que  des  prédicateurs  politiques  font  consister  la  li- 
berté dans  la  souveraineté  illimitée  du  peuple,  on  n'a  pas 
saisi  l'esprit  de  la  liberté.  Le  peuple  qui  s'arroge,  par  !a  grâce 
de  Dieu,  un  pouvoir  illimité,  n'est  pas  moins  lyian  qiie  le 
despote  qui  s'assied  sur  un  trône,  par  la  grâce  de  Dieu,  et  pro- 
clame sa  volonté.  La  liberté  n'est  pas  non  plus  où  un  petit 
nombre  «léclai'e  méprisable  tout  ce  qui  ne  pense  pas  comme 
eux.  La  liberté  ne  règne  que  là  où  l'amour  des  honneurs  et  de 
la  gloire,  de  l'éclat  et  de  l'argent  n'ont  pas  supplanté  l'amour 
pur  du  devoir,  la  ferme  volonté  de  plaire  à  Dieu;  là  où  ne 
gouvernent  ni  l'homme  assis  sur  le  irône,  ni  la  multitude  dans 
les  rues,  mais  les  lois.  \vs  lois  seules,  limitant  le  pouvoir  de 
chacim.  Nous  jonii-ons  de  celte  liberté  réelle  lorsque  la  lumière 
céleste  t-era  répandue  sur  toutes  les  classes  de  la  société;  la 
répandre  doit  être  la  tâche  c,>-icntiellc  des  écoles.  » 


SUISSE.— PAYS-BAS.  499 

Ces  vues,  marquées  au  coin  de  la  sagesse,  ont  aujourd'hui 
pour  la  France  le  mérite  de  l'a  propos.  Les  quarante-iin  ans 
qui  viennent  de  finir  forment  pour  la  liberté  une  période  d'es- 
sais, de  luttes,  d'épreuves,  durant  laquelle,  elle  a  été  conquise, 
puis  épurée;  une  ère  nouvelle  s'ouvre,  celle  de  sa  consolida- 
tion et  de  son  accomplissement;  elle  va  s'asseoir  sur  la  hase 
solide  de  l'instruction  générale,  et  cette  instruction,  pour 
être  digne  de  la  liberté,  salutaire,  protectrice,  devra  être  vi- 
vifiée par  un  esprit  religieux,  mais  d'une  religion  large,  géné- 
reuse, dévouée,  pleine  d'enthousiame,  opposée  en  tout  à  la 
pratique  mesquine  des  frères  ignoranlins,  et  à  l'impie  égoïsme 
des  jésuites.  Dans  l'entreprise  vitale  d'une  régénération  de 
l'instruction  populaire,  la  France,  toute  brillante  d'intelligence 
qu'elle  est,  ne  dédaignera  pas,  nous  l'espérons,  de  consulter 
ce  qui  se  fait  dans  des  pays  plus  avancés  dans  cette  œuvre.  A 
ce  titre,  la  Suisse  mérite  son  attention  ;  le  vaste  et  imposant 
royaume  trouvera,  par  exemple,  un  excellent  modèle,  et  fera 
peut-être  des  découvertes,  dans  la  petite  école  centrale  et  nor- 
male de  lune  des  moitiés  du  petit  canton  d'Appenzell. 

C.    MOSNARD. 

PAYS-BAS. 

Amsterdam.  —  Institut  royal  des  Pays-Bas  :  Prix  proposes. 
— La  troisième  classe  a  tenu  sa  séance  publique  à  l'hôtel  de 
l'Institut,  le  24  novembre  1829.  Après  un  discours  d'ouver- 
ture prononcé  par  le  président,  J.  TeyssÈdre  I'Ange,  le  se- 
crétaire, M.  C.  A.  Des  Tex,  a  lu  le  rapport  des  travaux  de  la 
classe  pendant  les  deux  dernières  années. 

La  classe  avait  proposé,  dans  sa  séance  publique  du  28 
août  1827,  une  question,  sur  C  existence,  les  vraies  hases  et  te 
but  de  la  science  du  droit  naturel^,  et  sur  les  causes  qui  l'ont 
fait  plus  ou  moins  apprécier  d  différentes  époques.  Comme  la 
classe  n'avait  reçu  aucune  réponse  satisfaisante,  elle  a  mis  de 
nouveau  cette  question  au  concours,  en  y  joignant  les  quatre 
suivantes  : 

1°.  Jusqu'à  quel  point  la  Grèce  ancienne  a-t-elle  emprunté 
aux  peuples  de  l'Orient,  sous  le  double  rapport  de  sa  langue, 
de  son  écriture,  de  ses  arts  et  de  ses  sciences?  Quelle  mar- 
che a-t-e!le  suivie  pour  y  introduii-e  les  changemens  et  les 
améliorations  exigés  par  son  caractère,  ses  besoins  et  sa  po- 
sition ? —  2°.  Que  peut-on  conclure  avec  un  certain  degré  de 
probabilité  du  témoignage  des  anciens  sur  cette  espèce  de  co- 
médie mixte,  qui  tenait  à  Athènes  le  milieu   entre  le  genre 


5oo  EUROPE.  —  FRANCE. 

antique  et  le  genre  moderne?  En  quoi  consistait  principale- 
ment la  différence  de  la  comédie  mixte  avec  ces  deux  der- 
niers genres?  Que  sait-on  des  poètes  qui  se  sont  illustrés  dans 
cette  espèce  de  comédie,  et  des  pièces  qu'ils  ont  écrites?  — 
5".  Quelle  a  été  l'influence  des  colonies  romaines,  dans  l'Eu- 
rope occidentale,  sur  la  civilisation  des  peuples  de  cette  con- 
trée? —  4°  L'i  )lémoire  appuyé  de  preuves  sur  la  part  qu'ont 
prise  les  SchuUens  à  la  promulgation  de  la  littérature  orien- 
tale. 

Les  Mémoires  devront  être  écrits  d'une  autre  main  que 
celle  de  l'auteur,  en  latin,  hollandais,  français,  anglais  ou  al- 
lemand (mais  en  caractères  italiques).  Ils  devront  être  signés 
par  quelques  mots  distinctifs,  qui  devront  aussi  être  placés 
sur  un  billet  cacheté  et  conlenant  le  nom  de  l'auteur.  Les 
Mémoires  devront  être  reçus  tVanc  de  port  à  l'iujtel  de  l'In- 
stitut, à  Amsterilam  avant  le  i"  aoû!  i85i. 

M.  le  professeur  Geel,  de  Leyde,  a  lu  un  discours,  sur  la 
manière  d'étudier  l'hifloire  ancienne  et  la  littiralare,  et  les  li- 
mites des  reclierciies  qui  s'y  rapportent.  Après  quoi  le  président 
a  déclaré  la  séance  close.  X.  X. 

FRANCE. 

PARIS. 

Institvt.  —  Académie  des  Sciences.  —  Séance  du  4  août  i85o. 
—  M.  le  D'Oz*>AM,  de  Lyon,  adresse  des  expériences  nou- 
velles et  àc^  observations  sur  la  transformation  du  virus  va- 
rioli({ue  en  virus  vaccin,  et  sur  l'identité  de  la  vaccine  avec  la 
vario4e.  En  voici  un  extrait  :  «Au  mois  de  novendire  dernier, 
je  vous  adressai  vni  .Mémoire,  destiné  pour  le  prix  Moutyon, 
sur  la  mortalité  de  l'espèce  liuui.iine  comparée  (liez  les  divers 
peuples  de  l'Europe.  J'y  joignis  des  considérations  sur  la  vac- 
cine, avec  une  série  d'expériences  prouvant  que  le  virus  vac- 
cin, extrait  d'individus  attaqués  d'autres  maladies,  même  des 
maladies  contagieuse?,  ne  comnuuiique  jamais  que  la  vaccine. 
Aujourd'hui  je  vais  vous  soumettre  le  résultat  de  quelques 
expériences  que  j'ai  faites,  soit  dans  ma  salle  de  l'Hôtel-Dieu, 
soit  à  l'hospice  «le  la  Charité  de  cette  ville,  sur  une  propriété 
singulière  du  virus  vnriolique.  »  Ici  l'auteur  donne  le  détail 
de  ses  expériences,  et  continue  ainsi  :  ;<ïl  me  paraît  bien  con- 
firmé que  le  virus  varioli(pie,  mitigé  par  un  mélange  de  lait 
frais  de  vache,  produit  une  éruption  semblable  à  celle  de  la 


l'AUIS.  5oi 

vaccine,  et  qu'il  jouit  de  l;i  même  tbcullé  de  se  projirii^fcr  sous 
vtette  dernière  forme  ,  dont  il  a  acquis  la  nature  et  les  proprié- 
tés». Aprèsquelqaiesconsidérations  pathologiques,  M.  Ozanam 
conclut  ainsi  :  i"que  la  variole  (petite-vérole)  n'est  point  une 
maladie  innée  dans  l'homme,  mais  importée  en  Europe  vers' 
le  VI-  siècle  par  les  Maures  d'Espagne;  2"  que  la  vaccine  est 
la  véritable  variole ,  mais  de  l'espèce  la  plus  bénigne  ;  5°  qu'en 
innoculant  le  virus  vaccin  seul  ou  celui  de  variole  mélangé 
avec  le  lait  de  vache  t'riis,  en  très-petite  quantité,  on  obtient 
autant  de  boutons  que  de  piqûres  en  générai,  et  que  les  bou- 
tons sont  la  véritable  petite-vérole  qui  met  les  enfans  à  l'abri 
de  contracter  cette  maladie  dans  son  état  de  malignité,  ou 
plutôt  qui  en  est  le  préservatit',  vu  qu'en  général,  on  ne  la 
contracte  qu'une  seule  fois.  Dès  lors  on  ne  manquera  jamais 
de  vaccin ,  car  lorsque  la  variole  se  manifestera  dans  quelque 
canton,  en  prenant  le  virus  d'un  bouton  au  sixième  jour  de 
son  éruption  ,  c'est-à-dire  au  moment  où  le  liquide  qu'il  con- 
tient est  fluide  et  clair,  et  en  le  mêlant  avec  du  lait,  on  l'in- 
sérera par  des  piqûres,  comme  on  le  fait  pour  le  vaccin,  et  les 
résultats  en  seront  les  mêmes.  »  (  Renvoyé  à  la  commission 
des  prix  Montyon.) —  iM.  Peschier,  pharmacien  de  Genève, 
annonce  qu'il  a  cherché  dans  quelle  espèce  de  saule  la  salicine 
se  trouve  le  plus  abondamment.  Le  salix  incana  et  le  salix  mo- 
nandra,  variété  liclix,  sont  les  deux  espèces  qui  en  contiennent 
le  I  lus.  Les  Jiiédecins  de  Genève  ont  arrêté  la  marche  de  fiè- 
vres intermittentes,  en  administrant  la  salicine  à  la  dose  de 
i5  ou  18  grains,  dans  l'intervalle  des  accès  (M.  Becquerel, 
commissaire).  — M.  Sat,  médecin  français  à  Saint-Péters- 
bourg, adresse  la  copie  d'un  rapport  qu'il  a  lu  à  l'Académie 
impériale,  sur  une  opération  de  lithotritie  qu'il  a  pratiquée 
avec  le  plus  grand  succès.  Il  pense  que  l'Académie  des  scien- 
ces de  Paris  n'apprendra  pas  sans  intérêt  qu'un  chii-urgien  fran- 
çais ait  mis  en  vogue  un  procédé  opératoire  qui  avait  constam- 
ment échoué  entre  les  mains  des  Allemands  et  des  Russes,  et 
qui  dans  le  nord  de  l'Europe  était  considéré  comme  fantastique 
(M.  Boyer  commissaire).  —  M.  Geoffroy  Saint-HUaire  (ah  un 
rapport  sur  un  modèle  analomique  de  M.  Aizoux,  en  pâte  de 
carton.  Le  rapporteur  regarde  cette  branche  d'industrie  comme 
pouvant  être  très-utile  l'i  l'enseignement  de  l'anatomie,  dans  les 
collèges  et  dans  les  établissemens  où  la  pratique  de  la  dissec- 
tion est  impossible;  il  reconnaît  que  M.  Auzoux  a  beaucoup 
perfectionné  cet  art,  et  qu'il  mérite  les  encouragemens  de  l'A- 
cadémie (Approuvé).  —  MM.  Bouvard  et  Damohcau  font  un 
rapport  sur  u  ne  machine  proposée  par  M .  Voizoï' ,  ayant  pour 


5o3  FRANCK. 

objet  de  résoudre,  .sans  calcul,  tous  les  problèmes  de  trigo- 
nométrie sphérique.  Le  rapporteur  pense  que  cette  machine 
sera  toujours  insuiïlsanle  pour  tenir  lieu  des  opérations  du 
calcul,  et  qu'elle  serait  d'une  exécution  très-coûteuse.  Elle 
pourrait  tout  au  plus  être  employée  comme  moyen  de  vérifi- 
cation, et  pour  l'aire  reconnaître  une  faute  grossière  de  calcul. 
Cependant  M.  Voizou  a  fait  preuve  de  talent,  et  l'Académie 
l'engage  à  poursuivre  ses  recherches,  mais  à  les  diriger  sur 
des  objets  qui  puissent  le  conduire  à  des  applications  plus  heu- 
reuses. »  (  Approuvé.  ) 

—  Du  [)  août  i85o.  —  M.  Po«,<;on  annonce  que  le  Mémoire 
sur  la  résistance  des  fluides,  auquel  l'Académie  a  accordé  une 
uicntion  honorable  dans  le  dernier  concours,  est  de  M.  Le 
Chevalier,  officier  d'artillerie.  M.  Le  Cliexalier  désire  aujour- 
d'hui que  son  travail  soit  considéré  comme  un  Mémoire  or- 
dinaire,  et  devienne  l'objet  d'un  rapport.  (MM.  Poisson  et 
Dulongy  commissaires.)  —  M.  Dulong  lit  l'extrait  suivant 
d'une  lettre  que  M.  Berzélifs  lui  a  écrite.  «  Je  viens  d'obtenir 
quelques  résultats  curieux,  au  sujet  d'un  acide  végétal  qui  se 
trouve  dans  le  tartre  du  vin.  M.  G ay-Lussac  avait  déjà  donné, 
dans  les  annales  de  Physique  et  de  C/iiînie ,  quelques  détails 
sur  les  propriétés  de  cet  acide,  connue  en  Allemagne  sous  le 
nom  de  Voghcsen-Laure  (acide  des  Vosges).  Mon  analyse  de 
l'acide  tartrique  différant  de  celle  de  Proust,  dont  les  expé- 
riences m'inspirent  la  plus  grande  confiance,  je  l'ai  répétée  et 
suis  arrivé  au  même  résultai  que  lui.  .Mais,  après  avoir  analysé 
l'acide  des  Vosges,  j'ai  trouvé  qu'il  avait  la  même  composi- 
tion et  le  même  poids  atomique  que  l'acide  tartrique.  Cepen- 
dant les  caractères  de  cet  acide  et  les  formes  cristallines  de 
ses  combinaisons  diffèrent  des  caractères  de  l'acide  tartrique 
et  des  formes  cristallines  des  tartrates.  Les  deux  genres  de 
sels  prenant  le  même  nombre  d'atomes  d'eau  et  les  mêmes 
espèces  étant  héléromorphes,  il  demeure  prouvé  que  des  corps 
composés  d'un  même  nombre  d'élémens,  dans  les  mêmes 
proportions,  peuvent  présenter  des  propriétés  chimiques  dif- 
iërenles,  et  être  hétéromorphes.  C'est,  comme  on  le  voit, 
l'inverse  du  principe  de  l'isomorphisme  des  composés  formés 
d'élémens  de  diverse  nature,  dans  les  mêmes  proportions. 
On  connaît  déjà  plusieurs  exemples  analogues  à  celui  des 
deux  acides  lartriques,  soit  dans  les  combinaisons  inorgani- 
ques, soit  dans  les  composés  organiques.  Tels  sont  l'acide 
phosphariquo  ancieniKimenl  connu  et  l'acide  phosphorique 
calciné,  les  deux  oxide.-  stauni(|uc,  l'albumine  fluide  et  l'albu- 
mine coagulée.  Je  propose  d'appeler  isomères  ces  €OInposé^ 


PARIS.  5o3 

lÎDués  de  propriétés  différentes  et  de  composition  identique, 
et  pour  distinguer  l'une  de  l'autre  deux  combinaisons  isomè- 
res, on  ferait  précéder  le  nom  de  l'une  de  la  préposition  grec- 
(|ue  TTaoK.  Ainsi  l'on  dirait  acide  phosphorique,  acide  para- 
pliosphorique ,  etc.»  —  M.  Henri  de  Cassiki  fait  un  rapport 
verbal  très -favorable  sur  la  Monographie  des  capanulces ,  ré- 
cemment publiée  par  JM.  Decandolle /Z/5.  — M.  Geoffroy- 
Saint-Hilaiue  lit  un  Mémoire  intitulé  :  Sur  une  chèvre  des 
deux  sexes  :  femelle  quant  à  ses  parties  externes  ou  de  copulation, 
et  mâle  dans  ses  organes  profonds  et  de  reproduction. 

—  Du  16  août.  —  M.  Dulong  lit  une  note  de  M.  Le  Cheva- 
lier, ofTicier  d'artillerie ,  sur  la  caléfaction  de  l'eau  dans  des 
vases  portés  au  rouge.  D'après  les  expériences  de  l'auteur,  il 
paraîtrait  que  l'eau  contenue  d:ins  un  vase  fermé  porté  au 
rouge  peut  être  à  une  température  inférieure  à  100°  centi- 
grades; et  que  de  l'eau  à  la  température  de  l'ébuliition  se  re- 
froidit quand  on  la  verse  dans  un  creuset  incandescent.  —  I.e 
ministre  de  l'intérieur  écrit  à  l'Académie  pour  l'inviter,  d'après 
le  désirmanifesté  parle  gouvernement  autrichien,  à  faire  procé- 
der à  la  comparaison  de  la  toise  de  Vienne  et  du  mètre  français. 
Une  commission,  composée  de  MM.  Legeridre ,  Prony,  Ma- 
thieu et  Arago ,  s'occupera  des  moyens  de  répondre  promp- 
tement  à  la  demande  du  ministre.  —  M.  Gcoffroy-Saini-H i- 
laire  rend  compte  d'un  Mémoire  de  M.  Courbebaisse,  relatif 
à  un  veau  bicipliale.  M.  Courbebaisse,  vétérinaire  à  Aurillac, 
auteur  de  cette  communication,  l'a  rendue  satisfaisante,  en 
l'accompagnant  d'un  dessin  si  bien  fait,  que  nos  artistes  les 
mieux  exercés  à  Paris  n'eussent  guère  mieux  réussi.  Le 
veau,  ayant  deux  têtes  et  aussi  double  train  antérieur,  est  né 
le  20  août  iSar,  dans  une  vacherie  des  montagnes  du  Can- 
tal, appartenant  à  M.  Garnier,  banquier  à  Aurillac.  L'Acadé- 
mie décide  que  des  remercimens  seront  faits  à  M.  Courbe- 
baisse  ,  et  que  son  dessin  sera  gravé  dans  le  recueil  de  ses 
•Mémoires,  avec  le  rapport  de  JM.  Geoflfroy-Saint-Hilaire. 

— Du  20  août.  ■ —  MM.  Thcnard  ci Scrullas  font  un  rapport 
sur  le  Mémoire  de  MM.  Uobiqtjet  et  Boi'tro>-Chaula-rd.  re- 
latif aux  amandes  amères  et  à  l'huile  volatile  qu'elles  four- 
nissent. En  voici  les  conclusions.  <  En  résimiant  le  travail  de 
MM.  Robiquet  et  Boutron-,Charlard,  on  y  trouve,  outre  les 
preuves  d'habileté  dans  l'art  des  expériences,  en  faits  nou- 
veaux ou  mieux  constatés:  i''Que  l'huile  volatile  d'amandes 
amères  n'est  pas  toute  formée  dans  le  fruit;  que  l'eau  est  né- 
cessaire à  sa  production  ;  2"  Que  l'acide  benzoïquc  ne  préci- 
pite pas  non  i)lui?  dans  l'huile  volatile;  mais  que  celle-ci  est 


5o4  FRANCE. 

susceptible  de  se  convertir  entièrement  en  acide  benzoïque 
par  l'absorption  de  l'osigine  ;  5"  Qu'il  existe  dans  les  aman- 
des amères  une  matière  cristalline  particulière,  blanche,  ino- 
dore, inaltérable  au  contact  de  l'air,  d'une  saveur  amère  qui 
rappelle  celle  des  amandes  ;  très-soluble  dans  l'alcool  et  cris- 
tallisant par  le  refroidissement  en  aiguilles  rayonnées  ;  suscep- 
tible de  dégager  de  l'ammoniac  quand  on  la  chauffe  avec  de 
la  potasse  caustique  en  dissolution;  que  celte  subtance,  que 
lés  auteurs  nomment  amygdaUne.  serait  la  cause  unique  de 
l'amertume  des  amandes  amères,  et  l'un  des  élémens  de  l'huile 
essentielle,  dans  lai|uelle  ils  seraient  portés  à  admettre  l'exis- 
tence d'un  radical  benzoïque.  Le  Mémoire  a  paru  à  vos  com- 
missaires très -intéressant  et  digne  de  linseriion  dans  le  re- 
cueil des  savans  étrangers.  »  ^\pprouvé.)  —  M.  Caicht  lit  un 
Mémoire  d'analyse  sur  \\  dispersion  de  la  lumière. 

—  Du  5o  août. —  M.  Larret  litunapercu  chirurgical  sur  les 
dernières  journées  de  jiiillel- i85o. — Aunomd'one  connnis- 
sion ,  M.  de  Blatnville  fait  un  rapport  sur  le  Mémoire  de 
M.  Deshaies,  relatif  à  l'analyse  du  genre  hélix  putris.  <•  Il 
résulte  en  définitive  du  travail  de  M.  Deshaies,  que  l'organi- 
sation des  ambresscs  présente  des  différences  suffisantes  pour 
confirmer,  jusqu'à  un  certain  point,  l'établissement  d'un 
genre  Succinea,  tel  que  Draparnaud  l'avait  défini,  d'après  la 
considération  seule  de  la  coquille  ;  et  que  ces  différences  por- 
tent essentiellement,  comme  on  devait  s'y  attendre,  sur  l'ap- 
pareil de  la  génération.  Il  sera  intéressant  de  voir  si  les  gen- 
res agatine,  hulsine ,  caillot ,  jnaroroUe  ,  etc..  également  dé- 
membrés des  hélices,  prés(;ntent  des  différences  aussi  consi- 
dérables, quoique  cela  soit  peu  probable,  au  moins  pour 
plusieurs.  L'Académie  ne  doit  pas  moins  encourager' M.  Des- 
haies à  continuer  son  travail,  et  l'inviter  à  lui  en  faire  part  : 
c'est  du  moins  la  proposition  que  nous  avons  l'honneur  de  lui 
faire  en  terminant  ce  rapport.  (Approuvé.)» — M.  Dumcril 
rend  compte  de  l'examen  qu'il  a  fait  de  deux  larves  d'insectes 
que  M.  le  docteur  Fonta>eilles  avait  adressées  à  l'Académie, 
et  qui  avaient  été  rendues  par  une  dame  qui  avait  fait  usage  des 
pilu  les  écossaises.  Le  rapporteur  pense  que  ces  larves,  ou  che- 
nilles, ont  été  avalées  soit  avec  des  tiges  de  choufleurs  ou  de 
salades,  soit  avec  des  racines  de  navets  ou  de  toute  autre 
plante  potagère.  Nous  trouvons,  dans  les  auteurs,  beaucoup 
d'observations  de  ce  genre  qui,  dans  la  plupart  des  cas,  ont 
été,  comme  dans  «elui-ci,  considérées  comme  âef'  expulsions 
de  vers  intestinaux.  iMais  les  connaissances  acquises  sur  la 
structure  des  insectes,  comparée  à  celle  des  licbnintlief,  peut, 


PARTS.  r)o5 

dans  la  plupart  dos  cas,  éclaiicr  les  lucdeciiis  ohsct  valcjirs. 
Nous  pensons  que  l'Académie  doit  remercier  M.  Fontaneilles 
de  cette  communication,  qui  ajoute  un  fait  de  plus  à  ceux 
([ui  ont  été  déjà  publiés  à  ce  sujet.  (Approuvé.  )  —  M.  de 
BiAiiNviLLE  lit  le  Mémoire  sur  le  Dodo  ou  Dronte,  qu'il  avait 
annoncé  dans  la  séance  du  19  juillet  dernier.  —  iM.  Cv- 
viER,  dans  son  dernier  voyajije  en  Angl(!terre,  a  vu  la  tête 
de  Dronte  qui  existe  à  Oxt'ord ,  et  le  pied  du  même  oiseau 
qui  se  trouve  dans  le  Musée  britannique.  Il  compte  être  pro- 
chainement en  état  de  lédiger  un  Mémoire  oi^i  les  questions 
que  le  Dodo  ou  le  Dronte  à  fait  naître  seront  traitées  d'après 
un  examen  immédiat  des  seules  pièces  qu'on  ait  conservées 
dans  les  collections  d'histoire  naturelle.  —  M.  Savart  lit  un 
Mémoire  sur  la  sensibilité  de  l'organe  de  l'ouïe.  —  M"""  Heu, 
sage-i'einmc,  annonce  qu'elle  a  reçu,  le  4  juillet,  un  garçon 
bien  portant,  qui  a  un  double  train  de  derrière;  elle  propose 
à  l'Académie  de  le  lui  montrer.  M.  Geoffroy-Saint-IIilaire  se 
charge  de  prévenir  M™"  Heu  que  l'Académie  accepte  son  offre 
avec  empressement.  M.  Geoffroy-Saint-Hilaire  espère  pou- 
voir présenter  lundi  prochain  un  poulet  qui  a  aussi  un  dou- 
ble train  de  derrière.  A.  Michelot, 

—  Acadhnie  française. — Séance  publique  du  26  août ,  pour 
la  distribution  des  prix  de  vertu  et  autres ,  fondée  par  M.  de 
Monthjon.  —  Du  mois  s'était  écoulé  depuis  la  dernière  réunion 
solennelle  de  l'Institut.  Celle-ci,  tenue  par  l'xVcadémie  des 
sciences,  avait  eu  lieu  précisément  le  3O  juillet,  jour  de  sinis- 
tre luémoire,  désormais  marqué  dans  nos  annales  en  carac- 
tères qui  ne  peuvent  plus  s'eftacer.  Déjà  étaient  connues  dans 
Paris  ces  funestes  ordonnances  qui,  remettant  tout  en  ques- 
tion, appelaient  la  force  au  secours  de  la  perfidie.  La  ville  était 
tranquille  encore,  mais  de  cette  tranquillité  qui  fait  peur,  et 
qui  pi  ésage  la  tempête.  L'assemblée  réunie  par  cette  pacifique 
solennité  était  calme  aussi,  mais  animée  de  sentimens  qui  ne 
demandaient  (ju'à  s'épancher;  et  lorsque  M.  Arago,  dans  son 
éloge  de  Fresnel,  vint  à  raconter  l'odieuse  conduite  d'un  mi- 
nistre envers  ce  jeune  et  lualheureux  savant,  cette  assemblée 
tout  entière,  mêlant  des  cris  d'indignation  à  ses  justes  applau- 
dissemens,  sembla  vouloir  s'associer  à  une  accusation  géné- 
reuse, qui  venait  de  recevoir,  des  circonstances,  une  si  vivo 
opportunité. 

Un  mois  s'était  écoulé,  et  que  de  merveilles  il  emportai" 
avec  lui!  Après  des  faits  que  nous-mêmes  avons  peine  à  croire, 
l'ordre  et  la  paix  renaissaient  de  toutes  parts,  et  les  portes  de 
l'Institut,   encore  mutilées  par  les  coups  de  la  mitraille,  se 


5o6  FRANCE. 

rouvraienl  de  nouveau  devant  une  assemblée  composée  peu l- 
être  en  grande  partie  des  mêmes  auditeurs,  mais  pleine,  au- 
jourd'hui, de  bonheur  et  d'espérance.  On  savait,  d'ailleurs, 
que  par  une  touchante  sympathie,  vivement  appréciée,  rx\ca- 
démie  venait  de  consacrer,  au  soulagement  des  victimes  de  la 
cause  nationale,  une  somme  de  i5,ooo  fr.  provenant  des  fonds 
du  prix  de  M.  de  Monthyon,  non  employés  l'année  dernière. 
Aucune  vertu,  en  effet,  n'est  plus  digne  d'une  récompense 
éclatante  que  le  dévoûment  à  la  patrie,  et  les  bienfaits  de  cet 
ami  de  l'humanité  ne  pouvaient  recevoir  une  plus  heureuse 
destination. 

La  séance  a  été  ouverte,  à  deux  heures  et  demie,  par  un 
discours  de  M.  Parseval-de-Gra>dmaiso>",  qu'on  a  entendu 
avec  intérêt,  surtout  en  ce  qui  se  rapportait  aux  glorieux 
événemens  de  juillet  et  aux  prix  de  vertu,  objet  principal  de 
cette  séance.  Deux  de  ces  prix,  de  la  valeur  de  5,ooo  fr..  ont 
été  mérités  par  deux  femmes,  dont  la  vie,  aussi  modeste 
qu'utile,  n'est  qu'une  suite  de  bonnes  œuvres  et  de  témoi- 
gnages d'un  admirable  devoùment  au  service  des  pauvres. 
Ln  autre  prix  de  4-000  fr.  a  été  accordé  à  l'héroïque  courage 
de  Simon  Albony,  de  Ru*!ez,  qui ,  attaqué  par  un  chien  atteint 
de  la  rage,  sut  retenir,  au  péril  de  sa  vie,  cet  animal  furieux, 
jusqu'à  ce  qu'il  fût  possible  de  le  tuer,  et  délivra  ainsi  ses 
concitoyens  des  plus  elTroyables  dangers.  Il  est  consolant 
d'apprendre  que,  malgré  quatorze  blessures,  presque  aussitôt 
cautérisées  par  un  médecin  habile,  ce  généreux  citoyen  n'a 
pas  succombé,  et  que  l'on  donne,  au  contraire,  l'espoir  d'une 
guérison  complète. 

L'Académie  ne  pouvant  mieux  faire,  d'après  les  conditions 
qui  lui  sont  prescrites,  a  en  outre,  très-honorablement  men- 
tionné la  belle  conduite  de  3L  Banquier,  avocat  et  notaire  à 
Saint- Ambrois  (Gard),  qui,  après  de  longs  et  rigoureux  sacri- 
fices, est  parvenu  à  acquitter  des  engagemens  sacrés  que  do 
fausses  spéculations  avaient  fait  contracter  à  son  père.  Enfin, 
seize  autres  médailles,  de  la  valeur  de  600  fr.  chaque,  ont  été 
décernées  à  autant  de  personnes,  appartenant  toutes  à  la  classe 
peu  aisée,  et  parmi  lesquelles,  ainsi  qu'on  l'observe  chaque 
année,  il  se  trouve  beaucoup  plus  de  femmes  que  d'hommes. 

M.  le  président  a  fait  connaître  ensuite  que  l'Académie 
avait  jugé  à  propos  de  décerner  :  1"  à  M.  Sat,  pour  son  Cours 
complet  (C Économii' politique,  un  prix  de  8,000  fr.  ;  2"  à  M .  Charles 
LiCAs,  pour  son  ouvrage  sur  h'. Système penite?>.ciaire  en  Europe 
et  aiur  Etats-Unis ,  un  prix  de  6,000  fr.  ;  5"  à  31.  de  Norvins, 
auteur  du  poème  de  C  Immort  alite  de  l'âme,  j.ooo  fr.  ;  4  "  enfin,  à 


l'A  lus.  5o7 

M.  Chazet,  2,000  fr.  pour  un  traité  sur  les  Abus,  Us  Lois  et  les 
Mœurs,  en  tête  duquel  se  trouve  la  vie  de  M.  de  Monthyon. 

Le  sujet  d'éloquence  proposé  pour  cette  année  était  l'éloge 
de  Malesherbes.  Un  seul  discours,  sur  douze  qui  avaient  été 
envoyés,  a  fixé  l'attention  de  l'Académie.  11  aurait,  dit  le  rap- 
port, obtenu  le  prix  tout  d'inie  voix,  si  l'auteur  eût  tracé  la 
vie  de  son  héros  aussi-bien  qu'il  a  raconté  sa  mort.  Le  même 
prix  est  remis  au  concours  pour  i85i.  tin  autre,  de  poésie  ,  et 
qui  sera  décerné  à  la  même  époque,  a  pour  sujet  la  Gloire  lit- 
téraire de  la  France  ;  enfin,  on  y  joint  encore  le  grand  prix  de 
10,000  fr.  sur  la  Charité  considérée  dans  son  principe,  ses  appli-  ■ 
calions,  etc.,  déjà  proposé,  et  plusieurs  fois  remis  au  concours 
depuis  5827.  L'Académie  propose  de  même,  pour  i832,  un 
autre  prix  de  même  valeur,  déjà  pareillement  ajourné,  et 
ayant  pour  sujet  :  L'influence  des  mœurs  sur  les  lois  et  des  lois 
sur  les  mœurs.  Pour  ce  dernier  concours,  un  seul  Mémoire, 
sur  douze  envoyés  dans  l'année  actuelle,  a  été  remarqué,  par 
l'étendue  des  recherches  qu'il  suppose  et  l'esprit  de  raison  et  de 
justice  qui  y  a  présidé. 

Ces  détails  ont  été  écoutés  avec  distraction  par  l'Assem- 
blée, déjà  prévenue,  par  le  programme,  qu'elle  devait  enten- 
dre un  conte  nouveau  de  M.  Andrieux  et  une  ode  de  M.  Le- 
MERCiER.  Il  est  presque  inutile  de  dire  avec  quelle  bienveil- 
lance a  été  accueilli  le  premier  de  ces  deux  morceaux.  On  sait 
combien  d'estime  s'attache  à  la  personne  et  aux  talens  du 
respectable  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie,  et  l'on  ne  s'é- 
tonnera pas  davantage  d'apprendre  que  cette  nouvelle  pro- 
duction de  l'auteur  de  tant  tie  jolis  contes  n'avait,  malgré  la 
faiblesse  de  son  organe,  aucunement  besoin  d'une  si  favorable 
disposition  du  public.  Cette  pièce  a  pour  titre  :  l'Enfance  de 
Louis  XII  et  quelques  traits  de  sa  vie.  L'auteur  a  su  faire 
oublier,  à  l'aide  d'un  débit  plein  de  charme  et  de  cette 
bonhommie  spirituelle  et  parfois  malicieuse  qui  forme  le  ca- 
chet de  son  talent,  le  peu  d'importance  du  sujet.  Il  ne  s'agit, 
en  effet,  dans  ce  conte,  que  de  savoir  si  l'on  donnera,  ou  non, 
le  fouet,  à  l'héiitier  présomptif  de  la  couronne.  Beaucoup  de 
vers  heureux,  que  nous  regrettons- de  ne  pouvoir  citer,  ont 
été  justement  applaudis,  et  l'Assemblée  a  montré  qu'elle  par- 
tageait vivement  les  espérances  de  l'aviteur,  sur  l'avènement 
d'un  prince  si  digne  du  trône,  qui  a  porté,  commeLouisXII,  le 
titre  de  duc  d'Orléans,  et  qui ,  comme  lui,  méritera  sans  doute 
un  jour  celui  de  père  du  peuple. 

Les  mémorables  évènemens  de  la  grande  semaine  avaient 
heureusement  inspiré  l'auteur  d'Agamemnon.  On  a  retrouvé, 


5oH  FRANCE. 

tl;iiis  l'ode  intitulée  :  Le  Triomphe  naliomd,  dont  la  letluie , 
laite  par  M.  Leuiercier,  avec  le  talent  qu'on  lui  connaît ,  a  ter- 
miné la  .séance  ,  tonte  la  verve  de  ses  belles  années,  toute  l'é- 
nergie d'une  dme  vraiment  éprise  de  la  liberté.  Nous  citerons 
avec  plaisir  les  strophes  suivantes,  qui  ont  été  les  plus  ap- 
plaudies : 

Roi  proscripltîur,  I<t  foiulrc  grnnde  : 
Va,  fuis!  tes  lys  sont  morts,  tes  châteaux  investis. 

Paris  voit,  au  sang  qui  l'inonde. 
D'un  parjure  agresseur  les  titres  engloutis. 

Quoi!  notre  illustre  capitale 
Qu'un  czar,  vengeant  Moscou,  n'osa  sacrifiei, 

Poussé  de  démence  fatale, 
Un  roi  français  la  livre  au  bronze  nieiu'tricr. 

A-t-il  quelques  droits  légitimes 
Qu'un  sophisme  imposteur  lasse  encore  révérer  ? 

La  légitimité  des  crimes, 
Est-ce  un  dogme  légal  qu'on  veuille  consacrer? 

C'est  un- autre  roi  que  réclame 
La  France,  souveraine  et  libre  de  son  choix; 

J'entends  Paiis  qui  le  proclame, 
Jemmape  et  ses  vertus  l'élèvent  au  pavois. 

Périsse  l'espoir  chimérique 
De  rallier  l'Etat,  sorti  de  ses  dangers,  ■'■*' 

A  l'héiédité  despotique 
De  deux  berceaux,  flottant  aux  mains  des  étrangers  1 

Y.  L. 


Société  royale  des  Antiquaires  de  France. — Rrsumé  de  ses  tra- 
vaux pendant  le  premier  semestre  de  i85o.  — Nous  avons  déjà 
eu  plusieurs  fois  occasion  tl'appelcr  l'attention  de  nos  lecteurs 
sur  les  utiles  travaux  de  cette  Société  (voy.  notamment  le 
tom.  xxxvi,  octobre  1827,  p.  'i.[\^,i\Q\A  Revue  Encyclopédique). 
Klle  a  continué  depuis  à  remplir  d'une  manière  distinguée  le 
but  qu'elle  s'est  proposé.  Parmi  les  nouveaux  membres  rési- 
dans  qu'elle  a  reçus  dans  son  sein,  pendant  les  années  i8a8 
et  1829,  nous  citerons  MlM.  Gauthier  d' Arc,  Taillandier ,  Cra- 
pelet,  Etienne  fils,  de  Montrai,  etc. 

On  verra,  par  le  résumé  rapide  que  nous  allons  donner  de  ses 
séances,  pendant  les  six  premiers  mois  de  cette  année,  qu'elles 
ont  été  coiistamment  occupées  par  de  sa  vans  rapports  et  d'in- 


PARIS.  5o9 

téicssantes  communications.  —  Janvier.  —  La  première 
séance  de  janvier  a  été  employée  an  renouvellement  du  bu- 
reau. M.  Drppirig  a  été  nommé  président;  M)I.  le  baron  de 
la  Doucette  et  le  haron  Coq ttehcrt  de  M oîithret ,  viec-présideut  ; 
M.  Taillandier,  secrétaire  ;  M.  Etienne  fds,  secrétaire-adjoint, 
et  iM.  Derriat-Saint-Prix ,  archiviste.  —  Séance  du  19  :  im 
membre  fait  lecture  d'un  Mémoire  de  M.  Bcgé  sur  queiqiîcs 
monumens  celtiques  de  l'arrondissement  de  Châtillon  (Côte- 
d'Or).  M.  Warden  fait  hommage  de  cinq  médailles  en  bronze, 
provenant  de  l'arc  de  Cahors,  dans  l'endroit  où  était  situé  un 
temple  de  Diane.  Ln  membre  donne  lecture  d'un  Mémoire 
de  W.  PeLet  sur  l'arc  d'Orange.  — Séance  du  29  :  M.  de  Speyèr 
Passavant  communique  le  manuscrit  de  la  Bil>le  dont  il  est  pos- 
sesseur, et  qu'il  croit  avoir  été  donné  par  Alcuin  à  Charle- 
magne  ;  il  demande  qu'une  commission  soit  chargée  de  faire 
un  rapport  sur  ce  mamiscrit.  M.  le  président  désigne  pour 
faire  partie  de  cette  commission  MM.  Rolle,  de  Roquefort  et 
Jorand.  —  Février.  —  Séance  du  9 :  31.  de  la  Doucette  commu- 
nique un  certain  nombre  d'Eirennes  turquoises,  imprimées  ù 
Lille,  et  qui  contiennent  des  chansons  en  patois  de  Lille  et  de 
Turcoing  M.  Coquebert  de  Montbr.d  est  prié  de  faire  un  rap- 
port sur  ces  chansons.  M.  Etienne  fils  communique  un  très- 
beau  manuscrit  relatif  aux  funérailles  de  la  reine  Anne  de 
France,  qui  est  renvoyé  à  l'examen  de  M.  de  Roquefort.  Ln 
membre  fait  lecture  d'un  Mémoire  de  M.  Duvivier  sur  une 
sépulture  ancienne  trouvée  à  Cons-la-Grand'Mîle,  arrondisse- 
ment de  Mézières  (Ardennes).  M.  Bourée,  médecin  àCbâtillon- 
sur-Seine,  est  reçu  associé-correspondant. — Séance  du  iC): 
M.  Baudot,  correspondant  à  Dijon,  transmet  des  détails  sur  la 
découverte  de  divers  objets  antiques,  faiîe  par  M.  Lacordaire, 
dans  le  territoire  de  Poully  en  Auxois."  Parmi  ces  objets,  on 
remarque  plusieurs  médailles  d'argent  et  de  grand  bronze, 
entre  autres  un  Diadumenianus  en  argent,  une  Julia  Paula 
aussi  en  argent,  et  un  Balbinus  en  bronze.  Ln  membre  fait 
lecture  d'un  Mémoire  de  M.  Ze/e^ne,  correspondant  à  Chartres, 
sur  l'âne  qui  veille  et  la  truie  qui  iik'.  sculptures  gothiques  que 
l'on  remarque  à  une  des  portes  de  la  cathédrale  decette  ville. — 
.Mars. — -Séancedu  1";  M.  de  Roquefort  ï'nh  un  rapport  surT/Z/j- 
toire  delà  Touraine,  par  M.  Cliabnel.  Ln  membre  donne  lecture 
d'un  Mémoire  de  M.  Fi?rrtn(/sur  l'amphithéâtre  d'Arles. — Séance 
du  ç)  :  M.  Rifaud  est  reçu  membre  résidant,  et  M.  Marmin, 
associé-correspondant  pour  le  département  du  Pas-de-Calais. 
—  Séance  du  19  :  un  membre  fait  lecture  d'un  Mémoire  de 
M.  l'îibbé  Castellan  sur  Ie<  plaines  où  Marin- vainquit  pour  la 


5 10  FRANCE. 

seconde  fois  les  Ambrons  et  les  Teutons.  M.  RoUe^  au  nom  de 
la  commission  chargée  d'examiner  le  manuscrit  de  la  Bible 
qui  appartient  ;\  M.  Speyer-Passavant,  fait  un  rapport  très- 
étendu  sur  cette  Bible  que  la  Commission  a  comparée  à  celle 
dite  de  Cliarles-le-Chauve,  qui  appartient  à  la  Bibliothèque  du 
Roi.  Elle  pense  que  ce  précieux  manuscrit  peut  bien  être  du 
teras  de  Charlemagne;  mais  elle  révoque  en  doute  l'opinion 
de  M.  Passavant,  qui  croit  qu'elle  a  été  écrite  par  Alcuin  lui- 
même,  et  ([u'il  en  a  fait  hommage  à  Charlemagne.  Le  rapport 
de  M.  RoUe  est  rempli  des  considérations  les  plus  savantes,  et 
prouve  que  la  Commission  a  mis  le  plus  grand  scrupule  dans 
l'examen  auquel  elle  s'est  livrée.  —  Scaiice  du  29  :  la  Sociale 
des  Anliquaires  de  Copenhague  fait  hommage  de  l'ouvrage  sui- 
vant :  JSordiskeforiids  Sagact',  etc.  (Anciennes  Sagas  du  Nord, 
traduites  en  danois  sur  les  textes  irlandais,  soit  imprimés,  soit 
manuscrits,  par  C.  C.  Rafn.  2  vol.  in-8").  M.  Gilbert  fait  lec- 
ture-d'un  Mémoire  sur  une  maison  de  la  rue  des  Bernardins 
à  Paris.  Cette  maison,  bâtie  en  1567  ?•>''  Dnfoi'U  abbé  de  la 
Case-Dieu,  est  peu  remarquable  par  sou  architecture  et  les 
ornemens  de  sculpture  qu'on  y  voit;  mais  elle  est  curieuse, 
en  ce  qu'elle  oflVe  une  idée  des  maisons  des  persoimes  riches 
au  xvi.*  siècle.  —  Avril.  ■ —  Séance  du  9  :  M.  de  la  Doucette  fait 
un  rapport  sur  deux  Mémoires  de  M.  Sclaveigliceuser  sur  les 
antiquités  de  l'Alsace.  Le  même  membre  fait  un  autre  rapport 
sur  une  dissertation  de  M.  Jouannot  relative  aux  antiquités  du 
déparlement  de  la  Gironde.  —  Séance  du  19  :  un  membre 
donne  lecture  d'tm  Mémoire  de  31.  Doul)let  de  Boisiliil>uult  sur 
le  verre  de  Charlemagne,  conservé  anciennement  dans  le  tré- 
sor de  l'abbaye  de  la  Madeleine  ;i  Châteaudun,  et  déposé  ac- 
tuellement dans  la  bibliothèque  publique  de  Chartres.  — 
Séance  du  29  :  1\L  Le  Prérôl,  associé-correspondant  à  Rouen, 
transmet  des  détails  sur  les  anliciuités  romaines  découvertes 
récemment  à  Bcrlhonville,  arrondissement  de  Bernay  (Eure). 
Ces  objets  consistent  en  des  inslrumen>".  de  sacrifice  et  des 
oflVandes  votives,  la  plupart  d'une  beauté  admirable  et  pres- 
que tous  ornés  d'inscriptions.  Plusieurs  portent  l'enqircinte 
du  style  grec  le  plus  élevé.  Le  tout  est  du  Haut-Empire  et 
appartenait  à  un  temple  de  Mercure  qui  paraît  avoir  existé 
dans  le  voisinage  (1).  M.  de  la  Doucette  lit  une  notice  nécrolo- 
gique sur  feu  M.  Devisme,  associé-correspondant  ;'i  Laon.  — 


(1)  Les  objets  aiUiqr.rs  Uoiivt's  à  Uei  llionvilic  ont  «■.lé  acquis  par 
M.  ruioitl-Iînclicttc  et  doivent  fire  placés  dans  le  cabinet  des  aniiquos  de 
la  bibliiitlièqiie.  {Noie  du  lUdacIcur,) 


PARIS.  5ii 

Mai.  — Séance  du  lo  :  M.  Coqnebertde  Montbret  coinmuniqiif 
un  manuscrit  mexicain  qui  a  été  soumis  à  l'examen  des  Aca- 
démies des  Sciences  et  des  Inscriptions  et  Belles-Letires. 
M.  Banliea,  associé-correspondant  à  Nancy,  lait  lecture  d'une 
notice  sur  un  chapiteau  à  bas-relief  trouvé  à  Toul.  M.  l'aljbé 
Castellan  est  reçu  associé-correspondant  pour  le  département 
des  Bouches-du-llliône.  — Séance  du  19  :  31.  Dulanre  tait  un 
rapport  sur  le  Mémoire  de  M.  Véranda  relatif  à  l'amphilhéàlre 
d'Arles.  —  Séance  du  39  :  31  M.  Finn  Magnusen  et  Rafn,  prési- 
dent et  secrétaire  de  la  Société  des  Antiquaires  de  Copen- 
hague, écrivent  une  lettre  latine  à  la  Société  pour  la  remercier 
de  les  avoir  admis  au  nombre  de  ses  correspondans  étranj^ers. 
Un  membre  donne  lecture  d'un  Mémoire  de  M.  Le  jeune  sui' 
les  joutes  aux  coqs  dans  le  pays  chartrain.  M.  Frédc?Hc  Cail- 
liaud  est  reçu  associé-correspondant  pour  le  département  de 
la  Loire -Inférieure.  —  Juix.  —  Séance  du  g  :  M.  de  Labouderic, 
au  nom  de  la  Commission  des  Mémoires,  fait  un  rapport  sur 
ceux  qui  devront  composer  le  9"  volume.  Ln  membre  donne 
lecture  d'un  Mémoire  de  M.  Dufoiir  sur  le  temple  de  Mont- 
morillon.  —  Séance  du  ig  :  il  est  fait  lecture  d'une  notice 
nécrologique  de  M.  Lerouge,  sur  feu  M.  Mangourit ,  l'un  des 
fondateurs  de  la  Société.  —  Séance  du  29  :  après  différens  ob- 
jets d'administration,  M3I.  Daiezac-Mocaya  et  de  Talairat  sont 
reçus  associés -correspondans  pour  les  départemens  de  la 
Haute-Garonne  et  de  la  Haute-Loire,  et  M.  l'abbé  Chiarini, 
professeur  de  langue  hébraïque  à  l'Université  de  Wilna,  est 
admis  au  nombre  des  correspondans  étrangers.  R. 

—  Société  pour  l' enseignement  élémentaire.  —  Prix  proposé. 
—  Utilité  des  machines.  —  La  Société  de  C enseignement  élé- 
mentaire, dans  sa  séance  du  18  août,  a  proposé  un  prix  de 
5oo  fr.  qui  sera  décerné  à  l'auteur  du  meilleur  ouvrage,  dans 
lequel  on  aura  démontré  les  avantages  pour  les  classes  ou- 
vrières de  l'existence  des  machines. 


Publication  prochaine.  ■ —  M.  Chartes  Potjgexs,  un  de-  nos 
plus  laborieux  académiciens,  vient  de  mettre  sous  presse  une 
nouvelle  édition  de  son  ouvrage,  intitulé  :  Jbel,  ou  tes  Trois 
Frères,  1  vol.  in-i  a  d'environ  aôopag.  ,  imprimépourlapre- 
mière  fois  en  1820.  Paris,  Mongieaîné.  Boulevard  des  Italiens, 
n°  10,  et  dans  lequel  il  démontre  l'illégitimité  de  la  peine  do 
mort,  ainsi  que  les  graves  inconvéniens  des  peines  infamantes. 
Cette  nouvelle  édition,  considérablement  augmentée,  et  cor- 
rigée avec  soin,  sera  vcn  bie  au  profit  des  blessés. 


511  FRANCE. 

Richimalion.  —  Monsieur,  dans  une  lettre  insérée  dans  cahier 
de  Juin  do  la  Rente  Encyclopédique,  M.  Jomard  fait  remar- 
quer qu'en  opposant  (vo}'.  t.  xlvi  ,  p.  554)  ''  son  hypothèse 
de  l'écoulement  d'un  bras  du  Dliioliba  dans  le  lac  de  Tchad, 
les  hauteurs  respectives  de  Temboclou  et  du  lac,  je  lui  ai  fait 
dire  par  inadvertance  que  la  première  est  de  2.00  à  2G0  pieds , 
tandis  qu'il  l'a  évaluée  de  25o  à  260  mètres.  La  remarque  de 
iM.  Jomard  est  juste  ;  mais,  comme  par  suite  de  la  même  inad- 
veitance,  j'ai  porté  la  hauteur  du  Tchad  observée  par  Denham, 
à  5oo/'iVf/.s  au  lieu  de  920  pieds  français  ou  environ  5oo  mètres  , 
il  s'ensuit  que  les  deux  erreurs  se  compensent,  et  que  l'objec- 
tion subsiste. 

J'ai  rhonneur  d'être,  Monsieur,  avec  une  haute  considéra- 
lion,  votre,  etc.  Chavvet. 


Chronique  des  Théâtres  pendant  le  mois  d'août  i85o.  — 
La  révolution  qui  vient  de  ramener  parmi  nous  le  règne  de  la 
bonne  loi,  et  qui  permet  d'espérer  que  les  institutions  libé- 
rales deviendront  enfin  des  vérités,  sendjle  promettre  un  ave- 
nir plus  heiueux  à  nos  théâtres,  dont  l'existence  est  encore  si 
languissante.  Depuis  long-tems  on  réclamait  en  faveur  de 
l'industiie  théâtrale,  comme  de  toutes  les  industries,  la  li- 
berté que  décrétait  la  Charte;  on  demandait  aussi  l'abolition, 
ou  du  moins  la  modification,  de  cette  censure  arbitraire  et 
mesquine  d'un  gouvernement  trembleur,  qui  s'est  couverte 
(le  tant  de  ridicule  durant  la  restauration  :  aujourd'hui  le 
tems  est  venu  où  les  priv  iléges  de  tout  genre  doivent  être  abo- 
lis, et  où  les  gouvernemens,  s'appujant  sur  l'estime  du  peu- 
ple-, ne  doivent  plus  craindre  de  laisser  parler  librement  tous 
les  organes  légitimes  de  l'opinion  publique.  Une  commission 
a  déjà  été  formée  pour  aviser  aux  moyens  de  rendre  quelque 
vie  à  notre  littérature  dramati(|ue  :  on  aurait  pu  ,  ce  nous  sem- 
ble,  aj)pcleravec  avantage  dans  son  sein  quelques  directeurs 
de  théâtres  et  mên)e  (|uel(iucs  arlisle>,  gens  fort  capables  de 
comprendre  les  intérêts  de  l'art  en  général,  et  ceux  de  leur 
professicin  en  particulier.  Quoi  qu'il  en  soit ,  espérons  que  les 
lumières  et  les  bonnes  intentions  des  commissaires  choisis  par 
les  ministres  sutfirout  pour  éclairer  les  difficiles  questions 
qu'ils  sont  appelés  à  examiner.  En  attendant,  celles  des  entre- 
prises théâtrales  qui  peuvent  encore  lutter  contre  les  embar- 
ras de  leur  position  ont  cherché  à  tirer  partie  des  circonstan- 
ces politiques.  Les  unes  ont  ressuscité  les  cheî's-d'œuvres  de  la 
littérature   révolutioiniaire  de   1790  :  on  a  repris,  avec  (|ue!- 


TARIS.  515 

^^u-e  succès,  et  malgré  ranachronismc  des  plaisanteries  ou  des 
déclamations  siu-  la  vie  monacale,  les  Fisitandines,  de  PiCAnn 
f't  Devienne  (à  l' Opéra-Comique),  et  les  Fictimes  chlfrccs ,  de 
IMoNVEL  (au  théâtre  de  la  Porte-Saini-Martin) ;  d'antres  ont 
montré  sur  la  scène  les  héroïques  journées  de  juillet, avec  tons 
leurs  épisodes  sublimes  ou  plaisans;  les  dernières  enfin  ont 
profité  de  lu  chAte  de  la  censure  pour  réhabiliter  les  produc- 
tions qu'avait  repoussées  son  pouvoir  tyrannique.  lie  mois 
«niier  a  fourni  16  nouveautés,  sans  compter  les  reprises.  Nous 
arrivons  aux  détails. 

L'ODÉoNadoiiné,  pour  sapart,  3[)ièces  :1e  14,  t' Entrée  en  F a- 
tances,  comédie  en  im  acte  et  en  prose  ,  à  laquelle  tles  couplets 
<le  circonstance  ont  sauvé  une  chuletrop  bien  méritée  par  l'ab- 
sence de  tout  intérêt ,  de  toute  intrigue,  de  toute  peinture  de 
caractère.  C'est  un  avoué  qui,  sur  le  point  d'aller  à  la  cam- 
pagne, se  décide  à  rester  pour  soigneiune  cause  dont  il  espère 
de  gros  bénéfices,  et  qui  se  hâte  ensuite  d'abandonner  la  cause 
et  Paris,  dupé  par  sa  femme.  Celle-ci,  fort  contrariée  de  se 
voirprivéedes  vacances,  feintun  teiidrepenchantpour  le  client, 
rend  ainsi  son  mari  jaloux,  et  le  force,  par  ce  stratagème,  à 
changer  de  résolution.  Ce  peu  de  mots  suffît  pour  donner  une 
idée  delà  nullité  de  cet  onvrage,  attribué  à  trois  auteurs  qui  se 
sont  cachés  sous  le  nom  de  Paulin.  — Le  19  août,  première 
représenîalion  de  Dix  jours  après,  ou  k  Gentil/wmwe  de  ta 
Chambre,  à  propos  national  en  vaudevilles,  par  MM.  Sauvage 
et  Georges,  Ce  genlilhomuie  qui,  grâce  à  nue  forte  dose  d'o- 
pium, prise  pai'  mégarde  .  s'est  endormi,  le  liS  juillet,  après 
avoir  quille  son  service  à  Saint-Cloud  ,  ne  se  réveille  que  le 
5  août.  C'est  la  vieille  idée  d'Èpiménide  qu'on  n'a  jamnis  man- 
qué de  reproduire,  à  chaque  révolution  politique.  Mais  les  dé- 
tails rajeunissent  toujours  un  peu  ce  fond  qui  toinbe  de  vé- 
tusté. Les  diverses  classes  de  citoyens  qui  ont  figuié  dans  la 
grande  semaine  sont  ici  représentées  :  c'est  tui  élève  de  l'école 
polytechnique,  un  médecin  qui  a  établi  des  anï1)nlances  en 
faisant  le  coup  de  feu,  un  faubourien  blessé,  des  femmes-  qui 
font  de  la  charpie.  Des  couplets  remplis  de  la  joie  du  triomphe 
ou  d'allusions  satiriques,  des  noms  propres  livrés  aux  anplau- 
dissemens  ou  aux  sifflets  du  parterre,  tout  décèle  di1ns  cette 
bluette  l'effervescence  du  moment  :  en  harmonie  avec  les  sen- 
timens  du  public,  elle  a  obtenu  un  plein  succès. —  Samedi  28, 
1"  représentation  de  Jeanne  la  Folle,  ou  la  Bretagne  ou  xiii'  siè- 
cle, drame  historique  en  5  actes  et  en  vers,  par  M.  Fontan.  Les 
chroniques  rapportent  au  xi"  siècle  l'histoire  d'Hoël  V,  prince 
imbécille,  bigot,  lâche,  sous  le  règne  duquel  le  poète  a  placé 
T.  XLVll.  AOtT  i85o.  35 


r)i4  FIIANCK. 

l'action  de  son  drame.  Malgré  le  titre,  il  ne  laulpas  y  chercher- 
beaucoup  de  faits  historiques,  c'est  im  ouvrage  presque  entiè- 
ment  d'imagination.  Jeanne  la  Folle  est  un  personnage  créé 
par  le  poète,  et  l'on  remarque  dans  cette  physionomie  de  beaux 
traits  et  des  détails  bien  sentis;  malheureusement,  leiisendile  du 
rôle  est  un  peu  vague,  et  ne  tient  pas  assez  à  l'action.  L'auleur 
a  peint,  dans  celle  pièce,  les  déplorables  conséquences  du  règne 
d'un  prince  faible  et  abruti  par  la  superstition.  Ce  prince  se 
fait  le  vassal  de  l'étranger,  les  grands  l'insulleiit  en  face,  et 
trament  secrètement  des  complots  contre  sa  vie;  entraîné  par 
une  inique  préférence  pour  Gonaii,  son  fils  cadet,  il  déshérite 
l'aîné  ,  jeune  homme  de  cœur  et  d'espérance,  pourdoimer  la 
couronne  à  Conan,  monstre  de  coips  et  d'âme ,  bossu,  à  la 
chevelure  rouge,  à  l'œil  lerne  et  sinistre,  toujours  plongé  dans 
une  crapuleuse  ivresse,  qui,  non  content  de  dépouiller  son 
frère,  de  lui  ravir  la  couronne  et  sa  maîtresse  bien-aimée , 
vent  aussi  lui  ôter  la  vie,  et  finit  par  massacrer  son  propre 
père.  Le  misérable  ne  jouit  pas  du  fruit  de  ses  crimes  :  il  périt 
dans  l'incendie  du  palais,  ((ui  termine  la  pièce.  Cette  figure, 
atroce  et  ignoble  à  la  fois  ,  inspire  l'horreur  et  le  dégoût;  c'est 
vvne  de  ces  exceptions  dont  l'urliste  ne  doit  pas  êlie  prodigue, 
et  qui  sont  justifiées  par  le  talent  d'exéculion.  Il  y  eu  a  beau- 
coup dans  cette  peinture  qui  se  dislingue  par  la  vigueur  du 
trait  et  l'énergie  de  la  couleur.  C'est  dans  ce  rôle,  dans  quel- 
ques parties  de  celui  de  Jeanne  la  Folle,  dansphisieurs  belles 
scènes  et  dans  un  style  vrai  et  nerveux  que  se  trouve  surtout 
le  mérite  de  cet  ouvrage,  dont  malheureusement  la  donnée 
est  un  peu  commune  et  l'intéiét  peu  pressant.  La  caricature 
du  vieil  Hoël,  qui  rappelait  à  tons  les  yeux  un  prince  non 
moins  fatal  à  la  France  que  l'autre  le  fut  à  la  Bretagne,  a  con- 
tribué au  succès  de  la  pièce,  succès  que  pouvait  d'ailleurs 
assurer  le  talent  du  poète,  et  aussi  le  vif  sentiment  de  bienveii- 
lence  que  sa  personne  inspirait.  Victime  de  la  barbarie  d'une 
police  odieuse,  les  tortures  qu'il  avait  sid>ies  à  Poissy  avaient 
ému  tous  les  cœurs;  et  les  lâelies  persécutions  dont  sa  pièce 
clle-mOn)e  avait  été  l'objet,  méritaient  d'être  vengées  par  le 
pul)licd'uue  manière  éclatante.  Aussi,  JertH^e  la  Folle,  accueil- 
lie avec  beaucoup  de  faveur  le  premier  jour,  continue  à  rece- 
voir de  nond)ieux  applaudissemens. 

A  r()pî;RA-(>oMiorK,  on  a  donné,  le  21  i\où[.  Trois  jou7\i  en 
une  heure,  à  propos  patriotique  en  un  acte  ,  par'ALM.  Gabriel 
et  Masson,  musi(iue  de  MM.  Adolphe  Adam  et  ÎIomagkési.  Ce 
tableau  des  belles  journées  de  juillet,  moins  animé,  moins 
complet  que  d'autres  pièces  du  même  genre,  ne  manque  ce- 


PARIS.  5x5 

pendant  ni  de  mouvement,  ni  de  chaleur.  Dans  la  paitilion, 
véritable  impiumptu  musical,  on  a  remarqué  les  coiiplel^  : 
En  avant,  du  courage,  qui  ont  été  vivement  applaudis. 

(v'est  le  Vavdeville  qui  a  célébré  le  premier  la  suljlime  in- 
surrection des  Parisiens  :  dès  le  17  août,  lMIM.  Etienne  Arago 
«t  Ouvert  y  ont  l'ait  représenter  Les  27,  28  et  ic)  juillet ,  pièce 
en  trois  journées,  llapidemcnt  composé,  non  moins  rapidement 
appris,  cet  ouvrage  n'a  d'autre  prétention  que  de  repro- 
duire avec  fidélité  les  faits  les  plus  remarquables  des  trois  im- 
inwtelles  journées  :  les  tableaux  dont  il  se  compose  sont  rendus 
avec  une  verve  ,  une  franchise  de  patriotisme  qui  ne  pouvaient 
manquer  d'exciter  des  transports  d'enthousiasme  dans  un  au- 
ditoire encore  chaud  de  l'action  qui  s'y  trouve  retracée.  Aussi, 
ie  succès  a-t-il  été  complet.  — Aux  Variétés,  on  a  vu,  d'abord, 
la  Femme  du  Sous-Prcfet^  vaudeville  en  un  acte,  de  MÎM.  iMo- 
REAiî  et  Sey\'Rin  (i3  août),  bluetle  agréable  et  gaie,  à  laquelle 
a  succédé  :  M.  de  La  Jobardière,  ou  la  RéKolution  impromptu , 
vaudeville  en  un  acte,  par  MM.  Dumersan  et  Dvpin  (19  août), 
critique  fort  amusante  où  reparait  une  spirituelle  caricature 
de  1814,  M.  de  La  Jobardière,  l'ancien  régime  personnifié, 
avec  ses  ailes  de  pigeon  et  ses  gothiques  idées;  puis,  l'Ivro- 
gne, drame  grivois  en  deux  actes,  mC-lé  de  couplets,  par 
M.  Sauvage  (26  août),  qui  a  été  leçu  par  de  nombreux  sif-  ■ 
flets.  —  Aj)rès  quelques  semaines  de  vacances,  le  Gymnase  a 
ouvert  ses  portes  à  un  nombreux  auditoire  qui  est  venu,  dans 
la  même  soirée  (  i4  août),  assister  à  deux  premières  repré- 
sentations. Le  Foyer  du  Gymnase,  vaudeville  en  un  acte,  est 
un  petit  à  propos  dans  lequel  figment  plusieurs  personnages 
du  répertoire  de  ce  thééitre,  et  qui  a  paru  ennuyeux  et  froid 
assez  généralement.  Une  Faute,  drame  en  deux  actes,  par 
M.  Scribe,  est  une  sorte  de  contrepartie  de  Misanthropie  et  Re- 
pentir, un  tableau  bien  sombre  pour  un  vaudeville  et  où  le 
mélange  des  impressions  de  tragédie  et  des  fadeurs  d'un  cou- 
plet langoureux  forme  un  étrange  disparate.  Du  reste,  la  leçon 
morale  qu'il  amène  est  forte,  et  adoitement  ménagée  ;  et  la 
pantomime,  parfois  terrible  ,  de  M"""  Fay,  émeut  vivement  : 
c'est,  en  un  mot,  un  de  ces  ouvrages  qui  oppressent  la  poitrine 
plutôt  qu'ils  ne  mouillent  les  yeux  :  mais  ce  genre  a  aussi  de 
nombreux  amateurs.  —  Aux  NotjveadtÉs,  qui  ont  pris  le  titre 
de  Théâtre  national,  on  a  remarqué  un  d  propos  spirituel  sur 
les  évènemens  de  juillet,  par  M.  Masson.  André  le  Chanson- 
nier, drame  en  5  actes,  par  MM.  Fontan  et  Deskoters,  a 
paru  le  9  août.  Jugée  trop  forte  par  la  censure  du  régime 
déchu,    cette    production    e>t  .    m    réidilé ,    trop   faible  pont" 


5i6  FRAiNCE. 

les  nouvelles  circonstances.  Bien  qu'évideuiuient  remaniée 
par  les  auteurs  dans  quelques-unes  de  ses  parties,  pour  l'é- 
lever au  niveau  de  l'actualité,  la  pièce  ne  satisfait  pas  asse* 
aux  exigences  du  moment  :  ce  n'est  plus  à  présent  qu'il  nous 
faut  montrer  le  côté  hideux  de  la  révolution,  comme  pour 
nous  en  faire  peur.  A  part  ce  défaut  capital,  ou  remarque 
dans  cet  ouvrage  des  couplets  spirituels  et  délicats,  des  situa- 
tions attachantes,  surtout  de  bons  sentimens  très-bien  expri- 
més. Le  nom  de  l'un  des  auteurs,  si  digne  à  tant  d'égards  de 
l'intérêt  général,  a  été  "ialué  par  d'nnanimes  applaudissemens. 
Au  même  théâtre,  la  Contre-Lettre,  vaudeville  en  un  acte,  par 
MM.  Paxliîj  et  Edoiart>  n'a  obtenu  qu'un  succès  contesté. 

Nous  citerons .  povir  mémoire  seulement,  au  théâtre  de  la 
Porte  -  Saint -M  ARTiiN  ,  la  Barricade  ^  à  propos  vaudeville 
par  iMM.  liE^JA>IIN  et  Asicet  (ôoaoût);  à  I'Ambigi-Co- 
MiQiE,  la  France  au  xv'  siècle,  mélodrame  en  5  actes,  par 
M.  Charles  Desnoyers  (5  août);  et  à  la  Gaîté  ,  John  Bull  y 
imitation  d'une  pièce  anglaise,  par  M.  Théodore  (9  août). 


Banquet  mensuel  de  la  Bévue  Encyclopcdique.  (  Mardi 
10  août.)  —  Ce  banquet  patriotique  avait  attiré  à  la  Grande- 
Chaumière,  boulevard  du  Mont-Parnasse,  une  grande  af- 
fluence  de  personnages  de  disliucliou  ,  français  et  étrangers. 
Quatorze  nations  différentes  se  trouvaient  représentées  dans 
cette  réunion,  et  assises  à  la  même  table,  pour  fraterniser  en- 
send)le.  On  s'est  félicité  mutuellement  sur  les  grands  évène- 
mens  qui  viennent  d'assurer  le  triomphe  île  la  liberté  en 
France  :  on  a  reconnu  (]u'ils  doivent  exercer  une  salutaire  et 
puissante  influence  sur  le  sort  des  aulres  peuples.  Le  système 
oppresseur  de  la  Sainte-Alliance  va  faire  place  à  une  direction 
politique  plus  analogue  à  l'état  actuel  des  lumières  et  au  be- 
soin d'amélioration  j  rogressive  qui  se  fait  généralement  sen- 
tir. Les  monarques,  comme  les  peuples,  ont  également  à  ga- 
gner à  ce  changement  de  direction.  Les  trônes,  devenus 
populaires,  seront  mieux  affermis;  l'opinion  publique,  satis- 
faite par  de  justes  réformes,  ne  sera  plus  portée  à  se  manifester 
par  des  révolutions  violentes  et  orageuses;  la  monarchie  con- 
blihitioniielle,  .«•agcmeut  pondérée,  deviendra  le  droit  public 
de  l'Europe. 

On  voyait  des  Français,  de  Paris  et  des  déparlcniens,  des 
Jonglais,  des  Hollandais,  (\e-'  Belges,  des  Busses,  des  Polonaisy 
des  Allemands,  des  Italiens,  des  Espagnols,  des  Danois,  des 
Crées,  i]cs  Américains  i\u  nord  cl  du  midi,  rapprochés  par 
une  douce  et  profonde  sympathie,  abjuicr  les  vieux  préjugés- 


PAlllS.  5i7 

de  rivalités  nationales,  s'entretenir  de  leurs  intérêts  com- 
muns, de  l'avenir  prochain  d'avancement  social,  de  prospérité 
et  de  {gloire  que  peuvent  espérer  désormais  les  nations.  On  a 
porté  des  toasts  patriotiques  :  au  roi  constitutionnel  des  Fran- 
çais, au  roi  citoyen  qui  a  promis  que  la  Charte  sera  désor- 
mais une  vérité;  à  Lalayelte  ,  à  l'homme  de  la  liberté,  de  l'é- 
galité et  de  l'ordre  public,  an  citoyen  modèle;  à  l'héroïque 
population  parisienne;  à  la  garde  nationale;  à  l'union  des  na- 
tions; àni'tre  poète  populaire  Béranger;  à  M.  de  Jouvexcel, 
député,  l'un  des  convives,  et  aux  221  qui,  par  leur  adresse 
courageuse,  ont  préparé  la  révolution  de  i83o,  et  qui  doivent 
la  compléter  par  leur  énergie  et  leur  sagesse,  en  accepter 
toutes  les  conséquences  et  la  rendre  profitable  au  peuple. 
D'autres  toasts  ont  été  portés  :  par  M.  Chodzko,  auteur  de 
VHistotre  des  Cnvipagncs  des  Légions  polona'cses  en  Italie  :  aux 
trois  plus  grands  citovens  des  tems  modernes;  ff'^as/iinglon, 
Kosciusko  et  Lafayctte;  par  M.  Alphonse  c^'Herbelot  :  à  la  li- 
berté de  la  presse;  par  M.  Lehec,  avocat  d'Epinal  :  à  la  mé- 
moire de  Foy  et  de  Manuel;  par  M.  Qie>ti>,  d'Angers  :  aux 
braves  ouvriers  de  Paris  ;  par  M.  Jilliein",  de  Paris  :  aux  dames 
françaises!  elles  ont  prodigué  des  soins  touchans  et  des  se- 
cours aux  blessés;  elles  ont  inspiré  le  courage  pendant  le 
combat,  la  modération  après  la  victoire;  elles  ont  honoré  par 
l'humanité  le  triomphe  obtenu  par  le  patriotisme.  M.  Jibert 
SowiKSKi,  de  Varsovie,  l'un  de  nos  pianistes  les  plus  distingués, 
a  joué  quelques-unes  de  nos  mélodies  patriotiques  ,  avec  cette 
puissance  de  talent  qui  donne  de  l'âme  et  de  la  vie  à  l'instru- 
ment auquel  des  mains  mioins  exercées  et  moins  habiles  ne  sa- 
vent taire  rendre  que  des  sons.  L'hymne  glorieux  des  Marseillais 
a  été  chanté  par  M.  Floriot,  des  Vosges,  et  répété  en  chœur 
par  tous  les  assistans.  M.  Jtllien,  dans  une  improvisation  vi- 
vement applaudie,  a  rappelé  les  récens  titres  de  gloire  de  la 
population  parisienne,  et  il  a  lu  des  vers  adressés  au  général 
Latayette,  qui  retracent,  dans  un  tableau  rapide,  les  princi- 
paux événemens  de  la  vie  de  ce  grand  citoyen  (voyez  Rev. 
£nc.  tom.  xLv,  pag.  48''^-) 

Ln  toast  a  été  porté  à  la  reconnaissance  des  nouvelles  répu- 
bliques de  l'Amérique  du  sud  et  à  leur  prospérité.  M.  Mcr- 
PHY,  consul  du  Mexique,  a  répondu  par  une  allocution  éner- 
gique .  en  protestant  de  l'affection  sympathique  des  Américains 
indépendanspourleurs frères d'F.urope.  MM.  Gaimard,  x\moros, 
La  CHArviGMÈRE  ont  exprimé  le  vœu  que  l'assemblée  adres- 
sât une  demande  à  M.  le  préfet  de  la  Seine,  pour  faire  don- 
ner le  nom  de  Rue  V cinneait.  à  la  riif  lîabvionf ,  dans  laquelle 


5j8  FRANCE.  — ÎNÉGROLOGIE. 

cet  héroïque  élève  de  l'Ecole  Polytechnique  a  été  trappe;  h 
nom  de  Place  des  Braies ,  à  la  place  de  Grève ,  où  ne  devront 
plus  avoir  lieu  les  exécutions  publiques,  si  toutefois  la  peine 
de  mort  et  la  peine  infamante  de  la  marque  ne  sont  pas  très- 
piochainement  supprimées,  et  de  rendre  le  nom  de  Hue  de 
Lille  à  la  rue  ci-devant  Bourbon.  Une  demande  contenant  ces 
propositions  a  été  rédigée,  et  signée,  à  l'instant  même ,  par 
toutes  les  pei-sonnes  présentes.  ■ — Cette  fêle  civique,  signalée 
par  les  plus  nobles  élans  de  l'enthousiasme  et  de  la  généro- 
sité ne  pouvait  se  terminer,  sans  qu'on  y  fît  mention  des  hono- 
rables victimes  des  sanglantes  journées  de  juillet.  Une  collecte 
p.n  faveur  de  nos  blessés  a  été  faite  parmi  les  assislans;  elle 
a  produit  une  somme  de  164  francs,  (pii  a  été  versée  par 
MM.  QcEMiN  et  Jlllien,  entre  les  mains  du  maire  du  onzième 
arrondissement. 

NÉCROLOGIE. 

France.  —  Lair  [Pierre- J ac(/ ues-Gabriel)  naquit  à  Caen,  en 
1 76g.  Les  espérances  qu'avaient  inspirées  ses  brillantes  études  à 
l'Université  de  cette  ville  ont  été  de  beaucoup  dépassées  par 
les  talens  et  les  services  qui  lui  ont  valu  l'une  des  deux  places 
d'inspecteur-général  des  constructions  navales.  Emplo3'é  d'a- 
bord à  lîrest  dans  le  génie  maritime,  il  fut  envojé  au  Havre, 
alors  port  de  constructions  militaires,  et  dont  les  bassins  sont 
au  noujbre  des  ouvrages  les  plus  admirables  du  commence^ 
ment  de  ce  siècle.  Lair  prit  ensuite  une  grande  part  aux  prépara- 
iifs  de  l'expédition  de  Boulogne  :  il  suppléa  a  la  rareté  du  bois 
degayacpar  des  rouets  de  poulies  en  1er  coulé  aux(|uels  on  sub- 
stitua, dans  les  ports  du  Calvados,  des  rouets  en  porcelaine. 
Ce  fut  principalement  à  Anvers  qu'il  déj)loya  sa  science  pro- 
fonde et  toute  l'activité  de  son  esprit  :  par  ses  conseils,  il  con- 
tribua à  l'exécution  du  magnifique  bassin  qu'aujourd'hui  le 
gouvernement  des  l'ays-Bas  juge  trop  vaste  pour  le  commerce, 
et  qu'il  fiiit  combler  dans  une  partie  pour  bfitir  sur  une  forêt  de 
pilotis  vm  entrepôt;  il  dirigea  à  la  fois  l'établissement  d'un  ar^ 
senal  inmiense  et  la  consU'uction  de  la  flotte  qui  inquiéta  le 
plus  l'Angleterre,  et  f]ue  le  traité  du  25  avril  1814?  accepté 
avec  une  irréflexion  déplorable,  a  fait  perdre  à  la  France;  et  il 
secondapuis-amment  le  général  Carnot  durant  le  siège  célèbre 
que  soutint  cette  place.  Avant  M.  Bruwn,  ingénieur  anglais 
rpii  a  formé,  en  1821,  des  embarcadères  d'une  longueur  con^ 
sidérable,  Lairavait  élabli  des  ponts  \i)lans  et  des  embarcadères 
HolUuis  :  l'essai  f|u'on  en  (il.  en  i8i3.  réussit  complétcDienl; 


NlîlCROLOGIE.  r,,,j 

rfvec  lin  seul  de  ces  embarcadères,  on  peut  en  quelques  minutes 
jeter  jusqu'à  mille  soldais  d'une  rive  à  l'anlrc  de  l'Escaut;  ce 
procédé  un  peu  modifié  vient  de  servir  au  débarquement  de 
l'armée  sur  les  côtes  de  l'Alrique.  L'art  si  important  delà  cor- 
derie  est  redevable  à  M.  Lair  de  plusieurs  perfeclionneinens. 
Aucun  antre  ingénieur  n'a  plus  que  lui  contribué  à  soutenir  et  à 
accroître  la  supériorité  de  la  France  dans  les  constructions  na- 
vales ;  supérioiité  que  l'Amériqiie  du  Nord  avoue,  et  qui  ne 
nous  est  pas  contestée,  même  par  l'Angleterre.  Commandant  de 
la  Légion-d'Honneur,  nommé  baron  en  1821,  Lair  fut  obligé, 
dans  ces  dernières  années,  non  de  prendre  du  repos,  car  il  ne 
l'a  jamais  connu,  mais  de  donner  des  soins  à  sa  santé  qui  a\ait 
toujours  été  délicate  :  il  établit  prés  de  Caen  une  fabrique  de 
sucre  de  betteraves  qui  a  augmenté  la  prospérité  de  l'agricul- 
ture dans  cette  contrée,  une  des  plus  fertiles  de  la  France.  Le 
village  de  Matbieu,  où  naquit  le  poète  iT/arot,  que  Clément,  son 
fils,  a  faiton])]ier,  ctqu'babitait  dans  sa  ]cuncf^sc  Jugastin Fres- 
nel,  enlevés!  totaux  sciences  et  à  l'Institut,  a  vu  mourir  M.  Lair, 
le  27  mars  i85o.  Il  n'a  laissé  aucun  ouvrage,  mais  ses  éminens 
services  restent  à  la  France,  et  ceux  qui  ont  connu  cet  bomme 
d'une  modestie  extrême  conserveront  le  souvenir  de  ses  ex- 
cellentes qualités.  Les  administrations  de  la  marine  et  de  la 
guerre  devraient,  au  lieu  des  noms  adulateurs,  mythologiques 
et  parfois  ridicules  qu'elles  donnent  à  des  vaisseaux,  à  des  quais 
et  à  des  chantiers,  préférer  des  noms  aussi  honorables  que 
celui  de  Lair.  Isidore  1,e  Brun. 

—  SÉGiiR  (le  comte  Louis -Philippe)  ,  fils  du  maréchal  de 
Ségur,  ministre  de  la  guerre  sous  Louis  XVI,  est  né,  à  Paris, 
le  1 1  décembre  1753.  Tour  à  tour  sous-lieutenant,  capitaine, 
colonel,  le  comte  de  Ségur  n'employa  pas,  à  l'imilatiou  des 
jeunes  seigneurs  de  cette  époque,  la  plus  grande  partie  de  son 
tems  dans  les  galanteries  et  les  amusemens  frivoles  :  il  alla 
suivre  un  cours  de  droit  public  à  Strasbourg,  et  s'y  forma  à 
l'étude  de  la  diplomatie;  puis,  à  son  retour  à  Paris,  il  prit  des 
leçons  du  célèbre  LeRain,  pour  apprendre  à  bien  lire  et  à  bien 
dire.  Recherchant  avidement  la  société  de-s  savans  et  des 
hommes  de  lettres  les  plus  distingués  ,  il  fréquentait  les  réu- 
nions de  M""  Geoffrin  et  Du  Deffant;  et,  malgré  sa  jeunesse, 
il  obtint  l'amitié  de  d'Alerabert,  de  l'abbé  Raynal,  du  comte 
de  Guibert,  de  Champfort,  de  Snard,  de  Rulhiéres,  de  lîouf- 
flers,  de  Barthélémy.,  de  Delille,  etc.  ;  enfin,  La  Harpe  et  Mar- 
montel  l'éclairèrent  par  leurs  sages  avis ,  et  protégèrent  ses 
premiers  essais.  Comme  il  le  dit  lui-même  dans  ses  Mémoires  : 
«  Né  avec  une  imagination  yive,  au  milieu  d'une  cour  et  d'un 


020  NÉCROLOGÏK. 

siècle  où  l'on  s'occupait  plus  des  pl.iisii's  que  des  affaires,  dc:^ 
lelli-es  que  de  la  politique,  des  intrigues  de  la  société  que  des 
intérêts  du  peuple  ;  aimant  avec  passion  la  poésie  et  cette  phi- 
losophie nouvelle  qui,  soutenue  par  les  œuvres  brillantes  des 
esprits  les  plus  fins  et  des  plus  beaux  génies,  semblait  devoir 
assurer  le  triomphe  de  la  raison  ;  entraîné  par  le  tourbillon  d'un 
monde  vain,  léger,  spirituel  et  galant,  je  me  vis  tout  à  coup 
forcé,  par  l'élévation  de  mon  père  au  ministère  de  la  guerre, 
à  faire  un  tout  antre  emploi  de  mon  tems,  à  m'occuper  des 
affaires  publiques,  à  sortir  du  vague  des  salons  pour  entrer 
dans  le  secret  du  cabinet,  et  à  reclilier,  parla  connaissance  des 
hommes,  par  l'évidence  des  faits,  les  erreurs  trop  fréqueiites  de 
resj)rit  de  système  et  des  théories  sans  expérience.  »  La  carrière 
politique  du  jeune  diplomate  connnença  par  une  mission,  en 
qualité  de  ministre  plénipotentiaire,  à  la  cour  de  Russie,  au- 
près de  laquelle  il  l'ut  envoyé,  en  ijSô,  après  son  retour 
d'Amérique,  où  il  avait  pris  part  à  la  glorieuse  défense  des  Etats- 
Unis  contre  leur  ancienne  métropole.  La  noblesse  de  son  ca- 
ractère, Sun  esprit  et  son  habileté  rétablirent  promptement 
l'harmonie  (|ui,  depuis  long-tems,  avait  cessé  de  régner  entre 
les  deux  puissances.  On  sait  de  quelle  faveur  il  a  joui  con- 
starmnent  auprès  de  l'impératrice  Catherine,  qui  savait  ap- 
précier les  hommes  de  mérite,  et  qu'il  accompagna  dans  son 
célèbre  voyage  en  Tau  ride,  durant  lequel  elle  étala,  dans  le 
cours  de  i,Goo  lieues,  tant  de  luxe  et  de  magnificence.  Cinq 
jours  avant  son  départ,  il  avait  eu  la  satisfintion  de  signer  (le 
1 1  janvier  i  ^Hj)  tm  traité  de  commerce  fort  utile  à  la  France. 
La  guerre  ayant  éclaté,  en  1789,  entre  les  Turcs  et  la  Russie,  le 
comte  de  Ségur  fil  accepter  la  médiation  de  la  France,  et  la 
promesse  de  signer  une  (piadriqilc  alliance  projetée  entre  la 
France,  l'Espagne,  la  Prusse  cl  la  Russie.  Lesévènemens  delà 
révolution  le  rappelèrent,  peu  de  tems  après,  dans  sa  patrie. 
En  1790.  il  lut  nommé  maréchal  de  camp,  et,  plus  tard,  en- 
voyé par  le  roi  à  Berlin,  pour  relarder  la  guerre  :  il  réussit 
dans  cette  mission,  malgré  beaucoup  d'obstacles.  W.  de  Sé- 
gur, ainsi  que  son  père,  refusa  d'émigrer;  cependant ,  en 
1792,  le  comité  de  sûreté  générale  les  fit  arrêter,  mais  ils 
échappèrent  à  l'échafaud.  Toutefois,  leur  fortune  périt  au  mi- 
lieu du  naufrage  commun  :  ruiné  à  Saiut-Donnngue  et  en 
France,  "SI.  de  Ségur  sut  trouver,  dans  la  philosophie  et  dans 
la  culture  des  lettres,  les  nobles  consolations  et  les  ressources 
du  travail.  Napoléon,  cet  excellent  appréciate<n-  des  hommes, 
l'arracha  plus  tard  à  sa  retraite,  et  I  appela  dans  ses  conseils: 
il  y  prit  une  part  très-a{li\e  ;'i  la  discussion  des  (^odes.  En  iSoTt, 


iNÉCKULUGlE.  Sai 

il  fut  nommé  membre  de  l'Institut;  et  l'ordonnance  royale  de 
1816  le  conserva  parmi  les  membres  de  la  nouvelle  Académie 
française.  Après  avoir  été  l'un  des  ornemens  de  la  cour  de 
Napoléon,  où  il  remplissait  les  fonctions  de  grand-maîtro  des 
cérémonies,  même  pendant  les  cent  jours,  M.  de  Ségur  fut,  à 
l'époque  de  la  restauration,  éloigné  pendant  quelque  tems  de 
la  Chambre  des  pairs,  où  M.  Decazes  le  fit  rappeler,  en  1818. 
Toujours  fidèle  à  la  cause  de  la  liberté  constitutionnelle,  il  ne 
rechercha  plus  d'autres  faveurs  que  l'estime  générale  de  ses 
concitoyens.  C'est  dans  cet  esprit  et  avec  toute  la  vigueur  de 
son  talent,  qu'en  même  tems  qu'il  prenait  part  à  la  discussion 
des  plus  hautes  questions  politiques,  et  qu'il  les  éclairait  de 
son  expérience,  il  tenait  d'une  main  ferme  et  sévère  le  burin 
de  l'histoire  :  il  traçait  encore,  dans  ses  derniers  jours,  le  ta- 
bleau et  les  terribles  leçons  du  règne  de  Louis  XI. 

M.  de  Ségur  est  mort  le  27  août  dernier;  il  laisse  un  fils, 
héritier  de  ses  opinions  libérales  et  de  son  talent,  I.;  comte 
Philippe  DE  SÉGDR,  dont  l'Histoire  de  la  Campagne  de  Russie 
a  obtenu  ini  si  beau  succès,  et  qui  occupe  déjà  honorable- 
ment un  siège  au  sein  de  l'Académie  française. 

On  a  de  M.  de  Ségur  :  1°  Pensées  politiques;  in -8";  — 
2°  T héâtre  de  l'Ermitage  ;  1798.  a  vol.  in-S";  —  5"  Histoire  des 
principaux  évineinens  du  règne  de  Frédéric-Guillaume  II,  et 
Tableau  politique  de  l'Europe,  depuis  178G  jusqu'en  1796, 
sous  le  titre  de  :  Tableau  statistique  et  politique  de  l'Europe  ; 
1801,  3  vol.  in-12;  1800,  3  vol.  in-8°;  — 4°  Mémoire  sur  le 
Pacfe  rfe /amt7/e  (dans  la  deuxième  édition  de  l'ouvrage  suivant); 

—  5°  Politique  de  tous  les  Cabinets  d^  l'Europe  pendant  les  règnes 
de  Louis  XV  et  de  Louis  XVI  :  deux  éditions  ;  1801.  5  vol. 
in-8'';  — 6°  Contes,  Fables,  Chansons  et  Vers;  1801,  in-8"  ; 
1808,  in-8°;  • —  7°  Histoire  de  l'Europe  moderne;  1816,  in -8°  ; 

—  ^"Galerie  morale  et  politique  ;  1817-1823.  3  vol.  10-8°;  — 
9°  Abrégé  de  l'Histoire  ancienne  et  moderne,  à  l'usage  de  la 
jeunesse;  1817-1829,  in- 18  ;  —  10°  Les  Quatre  Ages  de  la  vie, 
Etrennes  à  tous  les  âges;  1819,  in-8"'; —  11"  Romances  et 
Chansons  ;  1819,  in- 18; —  12"  Le  Premier  jour  de  l'An, 
Chanson;  1820,  10-8";-  13"  Pensées,  Maximes,  Réflewions 
de  M.  le  comte  de  Ségup  ,  1822  ,  in-18;  —  14"  Notice  sur  le 
chancelier  d' A guesseau  ;  1  822,  in-18  ;  —  i5"  Mémoires,  Souve- 
nirs et  Anecdotes,  formant  les  trois  premiers  volumes  des  C?E/<- 
vres  complètes  de  M.  le  comte  ve  Ségur,  publiées  de  1S24- 
1829,  en  36  volumes;  —  16"  Recueil  de  famille,  dédié  à 
M""  la  comtesse  de  Ségur;  1826,  in-8°,  —  17"  Histoire  des 
Juifs;  1827,  in-8".  —  M.  de  Ségur  a  fourni   des  articles  au 

53  * 


5a2  Ni^CROLOGII-. 

Mercure,  an  Journal  de  Paris ,  et  à  la  Revue  Encyclopédique; 
il  a  lionne  en,  outre,  plusieurs  pièces  qui  ont  été  représentées 
au  A'audeville,  au  théâtre  Montansicr  ,  et  à  l'Opéra.  I!  a  été 
l'un  des  fondateurs  des  célèbres  Dîners  du  Vaudeville,  et  de  la 
»S'3c/V<e  littéraire  et  politique  du  Portique  Républicain,  qui  a 
compté,  parmi  ses  membres,  Parny ,  Chcnier,  Mercier,  NcU- 
geon,  etc. 

«  M.  de  Ségur,  dit  Dussault,  est  un  homme  de  beaucoup 
d'esprit;  il  écrit  avec  élégance,  grâce  et  clarté;  il  a  autant  de 
pureté  dans  le  jugement  que  de  droiture  dans  le  cœur.  »  — 
«  M.  de  Ségur,  a  dit  M.  Arnault,  dans  un  discours  prononcé 
sur  sa  tombe,  réunissait  à  ce  que  la  culture  des  lettres  peut  ap- 
porter de  plus 'piquant  dans  les  habitudes  de  l'homme  du 
grand  monde,  ce  que  les  haliitudes  du  grand  monde  peuvent 
prêter  de  plus  aimable  au  commerce  de  l'homme  de  lettres. 
Ni  les  inquiétudes  de  l'esprit,  ni  les  chagrins  du  cœur,  ni  les 
souffrances  du  corps  ne  purent  altérer  en  lui  ces  précieuses 
qualités;  quand  il  souffrait,  il  semblait  que  ce  fût  pour  lui  un 


fortune  des  plus  diverses,  à  l'abattement  du  malheur,  et,  ce 
qui  esit  plus  rare,  à  l'euivroment  de  la  prospérité.  » 


^J*g++SŒ=- 


TABLE  DES  ARTICLES 

CONTENUS 

DANS  LE  CAHIER  D'AOUT  i85o. 


I.  MÉMOIRES,  NOTICES  ET  MÉLANGES. 

Pages. 
1 .   Des  arts  qui  travaillent  à  la  formation  de  nos  habitudes  mo- 
rales  Cil.  Dunqye?'.   257 

3.  Opiuiou  sur  la  peine  de  mort  (second  article}.  Livingston.   276 
5.  Notice  nécrologique  sur  Jean  Schweighaeuser,    de  Stras- 
bourg  J.  //.  Schnitzler.    297 

4.  Souvenirs  politiques  :  La  Révolution  et  l'Empire  ;  Vers  .   . 
M.  A.  JuUien,  de  Paris.   020 

II.  ANALYSES  D'OUVRAGES. 

5.  Second  recueil  de  tableaux  par  la  commission  générale  de 
statistique  du  royaume  des  Pays-Bas A.  Quételet.   028 

6.  Histoire  de  la  civilisation  en  France,  par  M.  Guizot  :  époque 
féodale  (cours  de  i85oj Albert  Diitens.   336 

7.  Monumens  arabes,  persans  et  turcs,  considérés  et  décrits 

par  M.  Reinaud  (second  article) 

Amaury-Duvai,  de  l'Institut.   354 

8.  Comédies  d'Aristophane,  traduites  du  grec  par  M.  Artaud. 
A.  Poirson.   370 

III.  BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE. 

Annonces  de  67  ouvrages,  français  et  étrangers- 

Amérique  septentrionale.  —  Etats-Unis,  5 689 

Europe.  — Grande-Bretagne,    7,  dont  1  ouvrage  périodique.    .  392  " 

—  Russie,  4 407 

—  Pologne,  5 ...  412 

— ■  Allemagne,  4 • 4^5 

—  Suisse  ,2 42 1 

—  Italie,  .5,  dont  1  ouvrage  périodique 4^2 

—  Pays-Bas,  5,  dont  2  ouvrages  périodiques 4^7 

rV.ANCE ,  54  ,  savoir  :  Sciences  physiques  et  naturelles  ,9 43o 

—  Sciences  religieuses,  morales,  fwUtl.queset  historiques,  12.  .    .  44? 

—  Littérature.  7 4^1 


024  TABLE    DE^    ARTICLE?. 

—  Bcaiix-arts  ,  -2 ^72 

—  Mémoires  et  Rapports  de  sociétés  savantes  ,  i f^~5 

—  Ouvrages  périodiques  ,  9 4?^ 

—  Livres  en  langues  étrangères ,  imprimés  en  France ,  1    .   .    .   .  479 

IV.  NOUVELLES  SCIENTIFIQUES  ET  LITTÉRAIRES. 

Amérioie  septentrionale.  —  Etats- Unis  :  ?>en'-IIavcn  :  Arto- 
lithes.  —  Etat  de  j\ew-Fork  :  Rocliester  :  Accroi>seLajnt  de 
la  population.  —  Canada  :  Québec  :  Socii-té  liUéraire  et  his- 
torique ;  Poème  sur  la  prise  de  Missolonglii,  en  18^7.  — 
il/o/if.Z}tV)/ ;  Presse  périodique  ;  Journaux  français 47!) 

Aatili-es.  —  Cuba  :  Tableau  du  commerce  de  cotte  île,  en  1827 

et  1828 /|8i 

^SjE.  —  Russie  asiatique;  Sibérie:  Yénisséisk  :  Position  géogra- 
phique ;  Population. -^Georo^/f  ;  Tiflis  :  Population  ;  Presse 
périodique  ;  — Journaux  publié?  dans  trois  langues  ;  russe, 
géorgienne  et  persane  . 4'^7 

EUROPE. 

GnANPE-BRETAGNE.  — Sympathie  de  l'Angleteiro  pour  notre  der- 
nière révolution.  —  Londres  :  Mesures  pour  le  soulagement 
des  ouvriers,  —  Statistique  de  la  marine  anglaise 488 

RissiE.  —  Pétersbourg  :  Académie  des  sciences  t  Séances  de  sep- 
tembre 1829  à  février  i85o.  —  Calendrier  russe  :  Récla- 
mation contre  une  asserlion  de  la  Revue  des  Deux-Mondes.  .    l\(\i) 

x\i.LEMAG.NE.  —  Suite  et  iin  des  documens  relalifs  h  la  statisti- 
que morale  de  la  monarchie  prussienne.  - —  Berlin  :  Ques- 
tion proposée  par  la  classe  de  philosophie  et  d'histoire  de 
rAca<lémie  royale  des  sciences .    49^ 

SrissE.  —  AppenzeU  {Rhodes  extérieures)  :  Instruction  pub.lique.    f\Q-j 

Pays-Bas.  —  Amsterdam  :  Prix  proposés  parllnslitut  royal  des 

Pays-Bas 499 

France.  • — Paris.  —  Institut  :  Académie  des  sciences  :  Séances 
du  mois  d'août  i85o.  Académie  française  :  Séance  pu- 
blique du  25  août.  —  Société  royale  des  antiquaires;  Ré- 
sumé de  ses  travaux  pendant  le  premier  semestre  de  i85o. 
—  Société  jjour  l'enseignement  élémeutaire  ;  Piix  proposé  : 
Utilité  des  machines.  —  Publication  prochaine.  ■ —  Récla- 
mation de  M.  Chauret.  —  Chronique  des  théâtres  pendant 
le  mois  d'août  i85o.  —  Banquet  mensuel  de  la  Revue  Ency- 
clopédique, du  10  août 5oo 

Nécrologie. 

Franre  ;  Lair  ;  comte  de  Ségur .   Sig 


REVUE 

ENCYCLOPÉDIQUE. 

ou 

ANALYSES  ET  ANNONCES  RAISONNÉES 

DES    PBODDCTIOKS     LES     PI.l'S    REMARQUABLES 

DANS  LA  LITTÉRATURE,  LES  SCIEISCES  ET  LES  ARTS. 


I.  MÉMOIRES,  NOTICES, 

LETTRES  ET  MÉLANGES. 


L'AVEIVIR. 

L'avenir  !  Nous  n'avons  garde  de  prétendre  le  prévoir.  Qui 
aurait  osé,  au  commencement  de  juillet,  concevoir  l'idée  des 
évènemens  que  nous  avons  vus?  Qui  aurait  compté  sur  ime  si 
prompte  résistance  au  premier  acte  de  tyrannie  ?  Qui  aurait  cru 
que  le  peuple  d^une  ville  vaincrait  en  trois  jours  une  armée? 
Qui  aurait  calculé  ce  qui  était  ircalcnlable?  Non;  l'avenir  se 
dérobe  à  notre  vue;  nous  ne  songeons  point  à  le  prédire;  nous 
cherchons  seulement  à  exposer  nos  désirs,  nos  vœux  sur  ce 

ï.   XLVII.    SEPTEMBRE    I  8.>0.  34 


526  L'AVENIR. 

qu'il  couvre,  à  consulter  l'expcMience  pour  diriger  nos  efforts 

vers  ce  qu'il  peut  accomplir. 

La  France  est  jusqu'à  ce  jour  seule  coinplètemeul  libre  ,  au 
milieu  de  peuples  plus  ou  moins  asservis,  plus  ou  moins  cour- 
bés sous  le  joug.  La  France  seule  regarde  avec  confiance  et 
amour  les  institutions  qu'elle  se  donne,  tandis  que  tous  ses 
voisins  appellent  avec  impatience  des  changemens,  qui ,  pour 
les  uns,  peuvent  n'être  que  des  réformes;  qui,  pourles  autres, 
doivent  atteindre  àde  complètes  révolutions.  Puisse  la  France 
conserver   ces  institutions  qui   font  sa  gloire!  puisse- t-elle 
obtenir  tout  le  bonbeur  dont  elle  s'est  montrée  si  digne  !  puisse- 
t-elle  éclairer  les  autres  peuples  par  son  expérience,  comme 
elle  les  a  encouragés  par  son  béroïsme  !  Mais  qu'elle  ne  l'oublie 
point,  la  France  est  seule  !  .'•a  première  attention  doit  se  porter 
sur  cet  isolement.  La  France  est  seule  au  milieu  d'Etats  ri- 
vaux; la  France  a  donné  un  exemple  effrayant  pour  les  gou- 
vernemens;  la  France,  sans  vouloir  agir,  et  en  ne  s'occupant 
que  d'elle-même,  menace  tous  les  abus  dans  les  Etats  voisins  : 
la  France  entend  les  appiaudissemens  des  peuples;   qu'elle 
écoute  aussi  les  malédictions  des  ministres  des  rois  ;  partout 
où  s'exerce  un  pouvoir  fondé  sur  la  déception  ou  la  violence, 
elle  est  sûre  d'avoir  un  ennemi.  Sur  cbacune  de  ses  frontières, 
cet  ennemi  veille  poui-  profiter  de  ses  fautes;  sur  chacune,  il 
attend  avec  espérance.  Que  personne  ne  soit  si  insensé  que  de 
se  reposer  sur  des  notes  diplomatiques  pour   reconnaître   le 
nouveau  souverain,  sur  des  ambassades,  sur  des  promesses. 
De  même  que,  sans  le  vouloir,  la  France,  par  l'exemple  seul 
de  sa  liberté,  fait  la  gucne  à  toutes  les  tyrannies  ;  toutes  ces 
tyrannies,  dès  qu'une  chance  leur  serait  offerte,  se  trouveraient 
conjurées  contre  la  France.  La  paix  ne  saurait  dissoudre  cette 
ligue;  elle  subsistera,  elle  se  montrera  dans  dix,  dans  vingt  ans, 
comme  demain  ,  tant  que  le  système  progressif  et  le  système 
rétrograde  des  gouvernemens  seront  eu  présence.  N'oublions 
jamais  celte  inimitié,  qu'elle  fasse  sentir  à  la  France  la  néces- 
sité de   chercher  dès  a\ijourd'hui  toute  la  force  qu'elle  peut 
trouver  en  elle-même,  de  chercher  à  l'avenir  au-dehors  toute 
la  force  qu'elle  peut  s'assurer  par  des  alliances. 


L'AVEMK.  529 

La  Franre  est  aujourd'hui  forte  par  ellc-môine;  elle  désire 
ardonuiienl  n'avoir  point  la  guerre,  uiais  elle  sent  que  la  guerre 
ne  lui  apporterait  pas  des  dangers.  Isolée  comme  elle  l'était, 
dans  les  cent  jours,  au  milieu  de  l'Europe  ennemie,  elle  sent  que 
les  proportions  sont  changées  entre  elle  et  toute  coalition.  En 
i8i5,  sa  population  virile  et  militaire  avait  été  épuisée  par 
vingt-cinq  ans  de  guerre  ;  chaque  année,  la  conscription  avait 
enlevé  la  fleur  de  la  population,  toute  la  partie  de  la  jeunesse 
qui  était  le  plus  propre  au  service;  aussi ,  les  levées  en  masse 
ne  présentaient  plus  que  des  rangs  affaiblis.  Aujourd'hui,  quinze 
ans  de  paix  ont  laissé  accumuler,  pour  la  défense  de  la  patrie, 
tous  les  jeunes  gens  qui,  durant  ces  quinze  années;  sont  ar- 
rivés à  l'âge  viril;  ils  sonlTigés  de  dix-neuf  à  trente-quatre  ans; 
leurs  rangs  n'ont  pas  été  décimés,  n'ont  point  éprouvé  de 
pertes,  et  leur  vigueur  est  redoublée  par  les  souvenirs  de  la  gloire 
fies  générations  qui  ont  passé  devant  eux.  En  18 15,  la  popu- 
lation découragée,  fatiguée,  ne  désirait  que  le  repos;  elle 
8'était  usée  sur  tous  les  enthousiasmes;  les  mots  de  liberté, 
de  gloire,  de  patrie,  n'excitaient  plus  que  des  efforts  languis- 
sans;  les  âmes  faibles  se  résignaient  à  une  ignominieuse  ser- 
vitude. Aujourd'hui,  une  nouvelle  flamme  s'est  allumée,  une 
nouvelle  liberté  est  apparue  à  nos  yeux,  une  nouvelle  auréole 
de  gloire,  acquise  dans  les  derniers  jours  de  juillet,  couronne 
la  patrie.  Les  armées  coalisées  de  181 5  se  présenteraient  sur 
toutes  les  frontières  ,  qu'elles  rencontreraient  partout  de  la 
résistance,  qu'elles  se  fondraient  quand  elles  se  trouveraient 
aux  prises  avec  deux  millions  de  gardes  nationales.  Au  reste, 
ces  armées  de  18  1  5  n'existent  plus  nulle  part  ;  à  cette  époque, 
l'enthousiasme ,  ramT)ur  de  l'indépend-mce  et  celui  de  la  li- 
berté avaient  quitté  la  France  pour  passer  dans  les  rangs  en- 
nemis. Tous  ces  sentimens  ont  été  éloufiés,  punis  mênle,  par 
les  rois  qui  en  avaient  profité.  Où  sont  aujourd'hui  les  peuples 
qui  se  lèveraient  pour  écraser  la  France?  Oli  sont  les  land- 
wehrs  qui  s'armeraient  volontairement,  qui  combattraient  avec 
patriotisme,  quand  chaque  sujet  d'un  monarque  sait  qu'en  as- 
servissant  la  France  il  riverait  ses  propres  chaînes?  Non  :  dans 


5aS  L'AVEMU. 

ce  moment,  la  };iKirc  est  impossible  ;  les  étrangers  le  savent , 
et  ils  n'attaqueront  pas. 

Mais  les  étrangers  attendent  et  ils  veillent;  mais  ils  se  ré- 
jouissent, quand  ils  voient  des  symptômes  de  désorganisatioji  ; 
mais  ils  applaudissent,  quand  les  Français  déconsidèrent  le 
pouvoir  qu'ils  ont  créé,  les  ministres  que  la  révolution  leur  a 
donnés,  les  Chambres  qui  ont  sanctionné  leurs  droits.  Ils  sa- 
luent avec  joie  cette  image  de  i8i5;  car  c'est  ainsi  que,  dans 
les  cent  jours,  le  peuple,  qui  s'était  fait  un  gouvernement  nou- 
veau, oublia  qu'il  devait  s'intéresser  à  son  ouvrage;  le  peuple, 
(|ui  avait  désigné  à  son  chef  un  nouveau  ministère,  oublia 
f|u'il  devait  être  ministériel.  Les  étrangers  se  réjouissent;  car 
ils  savent  que  l'effet  d'une  révolution  est  de  détendre  entre  les 
mains  du  gouvernement  tous  les  ressorts  matériels  qui  font 
mouvoir  la  force,  pour  ne  plus  lui  laisser  que  le  ressort  de 
l'opinion;  si  les  organes  de  l'opinion  s'attachent  à  détruire 
celui-ci  à  son  tour,  le  gouvernement  ne  gouverne  plus;  la 
nation  n'a  pas  perdu  sa  force;  mais  elle  en  a  perdu  l'usage, 
elle  ne  peut  plus  agir  avec  ensemble,  et  elle  se  trouve  à  la 
merci  de  ses  inférieurs  en  puissance. 

Ne  nous  demandons  point  (qu'on  permette  à  celui  qui  écrit 
dans  un  journal  français  de  parler  comme  un  Français),  ne 
nous  demandons  point  si  la  Chambre  des  députés,  si  le  mi- 
nistère ont  mérité  quelques  reproches  ;  ils  sont  l'expression  de 
notre  volonté,  ils  sont  la  création  de  notre  puissance,  ils  sont 
les  agens  par  lesquels  nous  exerçons  notre  force,  les  instru- 
mens  avec  lesquels  nous  devons  opérer  notre  salut.  Laissons 
aux  amisde  Charles  X  le  soin  de  former  l'opposition;  ils  sau- 
ront assez  veiller  sur  les  fautes  et  découvrir  les  abus;  ils  se- 
ront toujours  assez  prêts  à  crier  aux  attentats  contre  la  li- 
berté, eux  qui  ne  la  connaissent  et  qui  ne  l'estiment  pas;  notre 
affaire  à  nous,  qui  voulons  être  libres,  c'est  d'être  aujourd'hui 
ministériels  (i) ,  de  l'être  en  nous  souvenant  ([ue  les  honnnes 


Cl)  Pour  qii*' 1(>  paliidics  soiiMil  ministériels,    il  Tant   avaiU  lunl  que  It- 


I/AVKMil.  5.>y 

soiil  honuiies  ;  que,  (jnels  que  soient  ceux  a  ([ui  nous  délégue- 
rons uo'i  pouvoiis,  nous  ne  !es  trouverons  jamais  parfaits,  et 
que,  plus  nous  les  changerons  souvent,  plus  nous  les  rendrons 
ignorans,  novices  et  hésitons,  plus  nous  nous  affaiblirons  nous- 
mêmes. 

Je  ne  sais  point  si  les  nouveaux  ministres  ont  l'ait  des  fautes  ; 
mais  je  sais  qu'il  était  à  peine  possible  qu'ils  n'en  fissent  pas. 
Ils  n'ont  trouvé  chez  tous  leurs  subordonnés  que  des  enne- 
mis; il  était  urgent  de  les  remplacer;  e-t  cependant,  ils  n'ont 
pu  le  faire  que  par  des  honunes  neufs.  Ils  ont  dû  consacrer  un 
tems  précieux  à  la  réorganisation  de  tout  le  personnel  de  l'ad- 
ministration, pour  se  mettre  en  garde  contre  la  perfidie;  et 
en  même  tems,  tous  ceux  qu'ils  ont  appelés  à  leur  aide,  ont  dû 
commencer  par  faire  un  nouvel  apprentissage.  Il  a  dû  résul- 
ter de  cette  double  cause  une  suspension  presque  absolue  du 
travail  journalier  de  l'administraticn,  à  l'époque  même  où  les 
nécessités  du  moment  imposaient  un  travail  presque  double. 
Peut-on  s'étonner  q\ie  ,  pendant  ce  noviciat  inévitable,   on 


niiHistère  soit  lui-même  pfl<r(0<c  ;  qu'il  soit  l'expression  franclie  et  f'ortc- 
uient  prononcée  des  intérêts  nationaux  ;  qu'il  accepte  sans  hésiter  toutes 
les  conséquences  nécessaires  de  la  révolution  ;  qu'il  ne  s'appuie  point  sur 
des  lois  évidemment  wauiaises  et  contraires  aux  principes  consacrés  par 
notre  loi  fondamentale,  rtiais  qu'il  en  piovoque  sans  aucun  délai  la  révo- 
cation ;  il  faut  qu'il  donne  des  gages  au  nouvel  ordre  de  choses,  au  lieu 
de  se  traîner  dans  les  anciennes  voies;  qu'il  lass<'  ouvertement  la  guerre 
aux  abus,  au  lieu  de  les  combattre  avec  mollesse  ;  qu'il  f'iappesans  pitié 
les  gros  trailemens,  les  cumuls,  les  sinécures,  au  lieu  de  les  ménager  avec 
indulgence;  il  faut  enfin  qu'il  s'explique  nettement  sur  ses  principes  de 
politique  intérieure  et  exféiieure,  afin  qu'au  dedans  la  liberté  et  l'ordie 
public  soient  fortifiés  etgaiantis  l'un  par  l'aiitie,  afin  qu'au  dehors  notie 
volonté  bien  connue,  hai.tement  manifestée,  d(!f.e  point  intervenir  dans 
les  affaiies  des  autres  Etats,  mais  de  ne  point  souffrir  qu'en  aucun  cas  ils 
puissent  violer  le  principe  de  non-intervention,  force  les  gouverneniens 
à  nous  respecter,  sans  avoir  à  nous  ciîjindre,  et  leur  prouve  que  notre 
modération  n'est  jioint  et  ne  sera  jamais  de  la  faiblesse.  A  ces  condi- 
tions, mais  à  ces  conditions  seulement,  nous  pourrons  devenirminisiériels, 

N.  D.  R. 


53o  L'xi  VENIR. 

n'ait  point  préparé  de  nouveaux  projets  de  lui,  on  n'ait  point 
exécuté  de  réforme?  On  s'impatiente  d'une  langueur  causée 
par  le  renouvellement  de  toute  l'administration  :  le  mal  tire  ;'» 
sa  fin  ;  au  lieu  d'v  porter  remède,  on  le  redoublerait  en  chan- 
geant l'administration  encore  une  fois. 

La  France  fait  aujourd'hui  la  glorieu;e  expérience  d'un  gou- 
yernement  national;  mais  n'oublinns  point  qu'elle  est  entrée 
dans  une  carrière  dû  aucun  exemple  ne  la  guide.  Son  succès 
sera  le  plus  beau  que  puissent  désirer  les  hommes  réunis  en 
société  ;  mais,  pour  l'atteindre  ,  elle  est  à  peine  éclairée  par  la 
théorie;  elle  ne  Test  par  aucune  expérience.  Qu'on  se  garde 
de  lui  demander  de  suivre  les  principes^  mot  avec  lequel  tant 
de  gens  se  dispensent  du  raisonnement  et  de  l'examen.  Où 
sont  les  principes  du  gouvernement  nouveau  ?  La  France  s'est 
donné  une  monarchie  constitutionnelle;  où  est  l'exemple 
d'une  monarchie  constitutionnelle  qu'elle  puisse  imiter?  Si  le 
mot  de  principes  rappelle  des  règles  générales  tirées  de  la 
monarchie  anglaise,  toutes  ces  règles  seront  décevantes;  car 
la  monarchie  anglaise  repose  sur  des  bases  tout  opposées. 

La  monarchie  constitutionnelle  anglaise  nous  présente  tm 
roi  dont  le  pouvoir  est  étayé  sur  des  idées  et  des  habitudes 
héréditaires,  dans  un  pays  où  tout  e^t  héréditaire;  où  la  loi 
est  un  usage  immémorial;  la  liberté,  uii  privilège  delà  race 
anglaise;  où  aucune  théorie  abstraite  n'est  opposée  aux  droits, 
ou  plutôt  aux  faits  existans  qu'on  appelle  coiisiittifion  :  ce  roi 
est  soutenu  par  une  chambre  des  pairs  dévouée  à  sa  dynastie 
et  au  gouvernemeiit  monarchique;  par  une  aristocratie  qui, 
tour;'i  tour  lui  emprunte  et  lui  prête  son  lustie;  par  une  ma- 
gistrature qui  a  conmiencé  par  être  bassement  servite,  et  qui  n'a 
acquis  un  peu  de  libéralité  que  paice  que  la  liberté  est  deve- 
nue la  loi  du  pays;  par  un  clergé  qui  regarde  la  couronne 
comme  défendant  ses  glèbes  et  sa  dîme,  et  qui  dispose  à  son 
tour  d'un  peuple  de  croyan*  ;  par  une  armée,  enfin,  formée 
par  des  engagemens  volontaires,  et  façonnée  à  une  double 
obéissance,  envers  l'aristocratie  et  envers  la  couronne.  En 
France,   au  contraire,   la  naissance  n'éveille  aucun    préjugé. 


L'AVENIR.  53 1 

riiéiédite  du  pouvoir  est  couï^idért-e  comme  un  abus,  la  li- 
berté est  une  conquête  qui  a  renversé  les  anciennes  lois,  l'o- 
hligalion  de  tout  innover  a  forcé  de  recourir  sans  cesse  à 
l'abstraction,  à  ce  qu'on  uonmie  les  principes.  Ln  roi  citoyen, 
un  roi  à  qui  la  patrie  doit  de  l'amour  et  de  la  reconnaissance, 
a  été  choisi  par  le  peuple;  mais  il  n'y  a  pas  de  prestiji^e  au- 
tour de  lui  ;  c'est  sa  personne  qu'on  aime,  non  pas  sa  race  ; 
il  ne  dispose  d'aucune  puissance  de  souvenirs;  il  est  seul  vis- 
à-vis  de  la  nation,  et  tout  ce  qui  appuie  le  trône  anglais  est 
conjuré  contre  lui.  La  chambre  des  pairs,  toute  récente  d'o- 
rigine, avait  été  faite  à  la  main  par  son  adversaire.  Par  un 
simple  usage  de  ses  droits,  par  le  rejet  d'une  loi  nécessaire, 
elle  pouvait  renverser  le  trône  ;  et ,  si  elle  était  demeurée  telle 
que  la  contre-révolution  l'avait  faite,  avec  sa  majorité  égale- 
ment ennemie  de  la  dynastie  et  de  la  nation,  elle  l'aurait  ren- 
versé dès  son  premier  scrutin  secret.  L'aristocratie,  si  l'on 
peut  dire  qu'il  en  reste  une  en  France,  a  perdu  tout  le  lustre 
que  s'efforçait  dt;  lui  donner  le  dernier  roi  ;  elle  a  blâmé  l'im- 
prudence de  Charles  X,  mais  elle  regrette  Louis  XYIII;  elle 
est  secrètement  ennemie  d'une  dynastie  nouvelle  qui  consa- 
cre son  abaissement.  La  magistrature,  que  par  respect  pour 
de  prétendus  principes  on  n'a  pas  voulu  épurer,  contient  dans 
son  sein  de  nombreux  ennemis  <le  la  nouvelle  dynastie,  qui 
tourneront  contre  elle,  toutes  les  fois  qu'ils  le  pourront ,  avec 
sûreté,  tout  ce  qu'on  lui  laissera  de  pouvoirs  constitutionnels. 
Le  clergé,  enfin,  est,  de  tous  les  corps  de  l'Etat,  le  plus  una- 
nime et  le  plus  acharné  dans  sa  haiiie.  Sa  con>;cience  et  ses 
préjugés,  son  intérêt  pécuniaire  et  son  amour  du  pouvoir,  tous 
ses  sentiméns  enfin  lui  font  désirer  la  contre-révolution  ;  il  se 
trouve  dans  l'État,  partout  présent,  partout  agissant  de  con- 
cert, comme  un  pouvoir  organisé  pour  une  conspiration  perma- 
nente; c'est  lui  qui  aigrit  tous  les  mécontenteniens,  qui  pousse 
au  désordre  et  à  la  révolte  une  population  ignorante,  qui  entre- 
tient la  correspondance  avec  l'étranger,  et  qui,  toujours  dé- 
i-obé  uu  châlimcnt ,  sait  encore  y  soustraire  ses  agens  coiq)a- 
bh's.  De  tous  les  soutiens  du  trône  biilaunique,  l'armée  seule 


532  L'WENIR. 

demeure  au  roi  des  Fi-anrais  ,  celle-là  n'est  point  ennemie, 
mais  elle  n'est  point  dévouée;  elle  est  nationale,  et  non  pas 
monarchique;  et,  si  des  souvenirs  pouvaient  l'emporter  sur 
son  premier  sentiment ,  son  sentiment  français,  ses  souvenirs 
de  la  république,  de  l'empire  et  des  Bourbons,  seraient  con- 
traires au  nouveau  trône. 

Que  conclure  de  cette  inspection  de  ce  qu'on  regarde  ail- 
leurs comme  les  appuis,  les  ouvrages  avancés  d'une  constitu- 
tion monarchique?  Aucun  d'eux  ne  défendra  le  trône  de  Louis- 
Philippe  ;  plusieius,  au  contraire,  le  battent  en  ruine.  C'est 
donc  au  peuple  lui-même  à  entourer,  à  défendre  le  roi  de  son 
choix:  c'est  a'i  peuple  à  mettre  de  côté  une  jalousie  que  les 
noms  excitent,  mais  que  les  choses  démentent ,  pour  consti- 
tuer de  bonne  foi,  avec  d'autres  élémens  que  ceux  employés 
en  Angleterre,  un  pouvoir  royal  suffisant  pour  se  maintenir, 
suffisant  pour  donner  à  la  chose  publique  l'impulsion,  la  vi- 
gueur qu'on  a  demandées  au  principe  monarchique,  suffisant, 
enfin,  pour  sauver  la  France  toutes  les  fois  qu'elle  sera  atta- 
quée. En  France,  le  pouvoir  royal  est  aujourd'hui  tout  entier 
dans  l'administration;  il  est,  il  doit  être  le  pouvoir  unique 
qui  exécute;  il  doit  former  un  réseau  qui  atteigne,  qui  couvre 
toute  la  surface  du  royaume;  qui,  par  les  minisires,  les  pré- 
fets, les  maires,  arrive  inmiédialement  à  l'accomplissement 
i!e  celte  volonté  nationale  que  la  loi  a  exprimée.  Quiconque 
administre  est  un  membre  du  pouvoir  royal  qui  doit  être 
soumis  au  chef.  Chaque  préfet,  chaque  maire  est  comme  un 
bras  du  roi  ;  il  doit  être  aussi  l'élu  du  roi.  L'unité  du  pou- 
voir national,  la  force  de  la  France,  sa  sûreté  au  milieu  de 
gouvernemens  ennemis  sont  attachés  à  la  prompte  et  régulière 
obéissance  de  tous  les  agens  du  pouvoir  exécutif,  à  la  certitude 
qu'une  seule  volonté ,  conforme  à  biloi,  fera  mouvoir  tous 
les  bras,  sans  réflexion,  sans  résistance. 

Des  écrivains  patriotes,  appliquant  à  la  France  libre  le  sys- 
tème des  résistances  locales,  où  la  liberté  s'était  réfugiée  daos 
de  vieilles  monarchies,  ont  fait  entendre  le  vœu,  que,  non  seu~ 
lement  les  conseillers  municipaux,  mais  les  maire-*  fus.sent  nom^ 


L'AVElMK.  533 

mes  par  les  communes;  que,  non-seulement  les  conseillers  de 
département,  mais  les  préfets  fussent  nommés  par  les  départe- 
mens;  qu'ainsi  le  roi  ne  commandât  qu'à  des  agens  qu'il  n'aurait 
point  choit  is,  qu'il  nepourraitpointdestituer,et  qui  seraient  dès 
lors  dispensés  de  lui  obéir.  C'en  est  fait  de  la  France  comme  na- 
tion, de  son  indépendance,  de  son  pouToir  de  résistance  aux 
étrangers,  si  ce  vœu  est  écouté.  Songent-ils  à  ce  que  devien- 
drait, non  pas  un  roi,  mais  un  gouvernement  quelconque,  sour- 
dement attaqué  par  la  pairie  et  l'aristocratie,  par  la  magistrature 
et  le  clergé,  qui  trouverait  encore  dans  ses  agens  immédiats 
résistance,  et  non  obéissance.  Aux  députés  de  la  nation  ap- 
partient la  manifestation  de  la  volonté  nationale,  qui  doit  être 
une  pour  tout  l'empire  ;  elle  doit  être  éclairée  par  toutes  les 
lumières  nationales,  compréhensive  et  se  rapportant  au  tout, 
non  à  ses  parties;  aux  élus  des  \illes,  aux  élus  des  départe- 
mens  appartiennent,  dans  les  conseils  de  commune  et  de  dé- 
partement, la  manifestation  des  besoins  locaux,  la  surveillance 
sur  les  agens  du  gouvernement,  pour  qu'ils  restent  toujours 
dans  la  loi ,  le  contrôle  de  la  comptabilité  ;  mais  aux  élus  du 
roi  l'exécution  doit  appartenir  partout  et  sans  partage.  Le  roi 
est  lui-même  l'élu  de  la  nation  ;  sa  force  est  dans  la  nation  et 
dans  l'opinion  nationale;  pour  renforcer  sa  popularité,  il  aura 
soin,  sans  doute,  de  choisir  des  agens  qui  soient  populaires; 
maisoB  ne  doit  point  oublier  que  ces  agens  exécutent  la  volonté 
de  tous,  par  opposition  à  celle  des  localités;  que  ces  agens  re- 
présentent plus  réellement  la  nation  que  ne  le  font  les  élus  du 
village.  Malheur  à  la  France,  si  le  droit  populaire  des  repré- 
sentans  de  la  commune  se  met  en  opposition  au  droit  popu- 
laire des  représentans  de  la  nation;  les  intérêt-  locaux  arrê- 
teront sans  cesse  l'intérêt  national,  tous  les  préjugés  seront 
représentés,  tous  auront  leur  droit  de  veto  contre  les  progrès 
delà  raison.  Dans  une  ville,  l'autorité  municipale  fera  brider 
les  machines  ;  dans  une  autre,  elle  fixera  le  prix  du  pain,  ou  le 
s^ilaire  des  ouvriers,  ou  elle  interdira  le  transport  du  blé  d'un 
district  à  l'autre  ;  ici ,  elle  exclura  les  protestans,  ou  les  juifs; 
là,  elle  s'opposera  aux  mesures  de  finance;  ailleurs,  à  celles 
de  défense  nationale,  qui,  salutaires  pour  la  nation,  sontsou-» 


5?i4  L'AVENIR. 

Tent  préjmliciables  aux  localilcs  :  partout  elle  se  dira  repré- 
senter le  peuple,  agir  ;ni  nom  du  peuple,  et  elle  invoquera 
cette  souveraineté  qui  appartient  à  la  France ,  et  non  pas  à 
chacune  de  «e<  parties. 

Quand  le  despotisme  était  au  centre,  ces  municipalités  po- 
pulaires étaient  le  seul  refuge  de  ce  qui  restait  de  liberté, 
parce  qu'elles  rallentissaient  un  peu  l'aclion  du  pouvoir,  qui 
cependant  avait  en  tous  lieux  d'autres  agens  qu'elles;  parce 
que  leur  résistance,  tout  aveugle  qu'elle  était  quelquelois  , 
valait  souvent  mieux  encore  que  la  volonté  du  maître.  Les 
municipalités  étaient  populaires  dans  l'ancienne  France  ;  elles 
le  sont  à  Naples,  en  Espagne,  en  Portugal,  en  Uus.^ie  ;  dans  un 
pays  où  le  peuple  n'a  aucune  part  au  commandement,  on  veut 
bien  consentir  à  ce  qu'il  se  concerte  pour  trouver  la  manière 
d'obéir  qui  lui  est  la  moins  onéreuse,  et  il  faut  y  accepter  pour 
bon  tout  ce  qui  peut  entraver  la  marche  impétueuse  du  des- 
potisme. Les  municipalités  sont  aussi  toutes  populaires  en 
Suisse  et  en  Hollande,  et  il  est  remaïquable  que,  dans  l'im  et 
l'autre  pays,  elles  ont  complètement  paralysé  le  pouvoir  lé- 
gislatif. Les  conseils  souverains  des  cantons  suisses,  et  les 
États  généraux  dos  provinces  unies  n'essayaient  pas  même  de 
faire  des  lois,  connaissant  l'impossibilité  de  triompher  de  la 
résistance  des  localités.  Ainsi,  les  communes  avaient  con- 
damné ces  deux  pays  libres  à  ne  plus  faire  un  pas  en  avant,  de- 
puis les  révolutions  qui  fondèrent  leur  liberté.  Il  n'y  a  pas  eu 
d'autre  cause  de  la  conservation  de  la  torture  dans  le  canton 
riche,  éclairé,  prolestant,  de  Neufchâtel.  Le  roi  de  Prusse  l'a- 
bolit en6n  en  j8i5  par  une  ordonnance  inconstitutioimelle, 
parce  que  dans  l'État  ne  se  trouvait  ntdle  part  le  pouvoir  de 
faire  ime  loi.  Dans  toute  la  Suisse,  les  conmituics  se  sont  consti- 
tuées les  gardiennes  de  tous  les  préjugés  et  île  tous  les  abus; 
elles  ont  fait  oublier  la  patrie  pour  la  localité,  qui  est  toujours 
rivale  et  jalouse  de  toutes  les  localités  qui  l'entourent  ;  elles  ont 
maintenu  à  leur  profit  la  confusion  des  pouvoirs  législatifs, 
administratifs  et  )U(iiçiaires;  dans  plusieurs  cantons,  elles  ren- 
dent impossible  d'établir  jamais  aucun  nouvel  inip«Jt  ,  et  de 
changer  par  conséquent  aucun  des  anciens,  quelque  absurde> 


L'AVEiMU.  555 

qu'ils  soient;  et  leur  économie,  souvent  sorditlc ,  en  soii;nant 
les  intérêts  matériels  de  leurs  ressoriissa7is,  leur  sacrifie  les  in- 
térêts intellectuels  de  la  patrie,  souvent  la  liberté  de  leurs  con- 
citoyens. Ainsi  la  Suisse  est  tourmentée  aujouid'liui  par  une 
classe  nombreuse  d'hommes,  qu'on  nomme  licimaildose  (sans 
demeure),  parce  qu'ils  n'appartiennent  à  aucune  coxnmune, 
chacune  d'elles  les  repoussant  également,  pour  ne  pas  se  char- 
ger de  leur  indigence. 

Revenons  à  la  France  qui  a  le  bonheur  de  ne  point  con- 
naître encore  par  expérience  cette  résistance  habituelle  de 
toutes  les  parties  au  tont.  Sa  Ibrce,  avons-nous  dit,  ne  dépend 
pas  seulement  de  sa  brillante  et  belliqueuse  population,  et  de 
l'enthousiasme  qui  Tanime  ;  elle  a  besoin  que  son  gouverne- 
ment soit  puissant  dans  l'opinion,  qu'il  soit  puissant  parla 
stabilité  et  l'expérience  de  ses  ministres,  par  la  confiance,  et, 
au  besoin,  par  l'indulgence  de  ses  administrés,  par  le  franc 
appui  de  la  presse  libérale,  tandis  que  la  presse  servile  ne  ces- 
sera de  l'attaquer.  Elle  a  besoin  que  son  action  soit  une,  qu'elle 
soit  prompte,  qu'elle  soit  éclairée,  que  les  rouages  de  la  ma- 
chine administrative  ne  se  révoltent  pas,  s'il  est  permis  de 
parler  ainsi,  contre  la  force  motrice  qui  les  met  en  jeu  :  elle  a 
besoin  esfin  que  le  peuple  soit  ministériel,  tandis  que  la  no- 
blesse, les  tribunaux  et  le  clergé  feront  de  l'opposition.  Si  la 
France  ne' sait  pas  comprendre  ces  nécessités  de  sa  position, 
elle  sera  bientôt  attaquée  par  les  gouvernemens  absolus;  et, 
malgré  toute  son  énergie,  sa  victoire  n'est  pas  assurée. 

Mais,  si  la  France  ne  détruit  point  elle-mC-me  à  plaisir  sa 
force,  elle  est  inattaquable;  elle  aura  la  paix,  et  alors  c'est 
des  gouvernemens  absolus  que  l'heure  a  sonné.  Dans  toute  la 
partie  occidentale  de  l'Europe ,  il  y  a  un  progrés  des  intelli- 
gences qui  ne  peut  plus  s'accommoder  d'un  gouvernement 
qui  prétend  mesurer  la  lumière,  maîtriser  la  pensée,  et  inter- 
dire l'instruction;  il  y  a  un  progrès  de  dignité  humaine,  qui 
ne  permet  plus  à  l'homme  de  se  soumettre  à  \\n  pouvoir  dont 
il  ne  reconnaît  et  n'approuve  pas  le  but,  dont  l'origine  est  une 
usurpation  ;  il  y  a  un  progrès  de  moralité  qui  ne  peut  plus  ad- 
mettre l'arbitraire  a   la  place  de  la  justice,  et  la  violence  au 


556  L'AVEN  fil. 

lieu  du  droit  ;  il  y  a  cufin  uu  progrès  de  richeescs  niatéricllrs 
et  mobilières  qui  demande  des  garanties  dont  la  richesse  Ibu- 
cière  peut  à  la  rigueur  se  passer.  Un  despote  ne  peut  pas  dé- 
penser les  champs  de  ses  sujets  :  s'il  les  confisque,  il  est  forcé 
do  les  rendre  à  d'autres,  et  le  domaine  de  la  nation  demeure 
à  peu  près  le  même;  mais  la  richesse  du  commerce  est  faite 
pour  la  consommation  ;  ce  que  le  gouvernement  prend  aux 
industriels,  soit  urgent,  soit  marchandises,  il  le  dissipe  lui- 
mf'me  ;  et,  si  des  bornes  ne  sont  mises  à  son  pouvoir,  il  pourra 
tojjt  [>rendre,  parce  qu'il  pourra  tout  dissiper.  Paitout  donc 
où  se  trouve  un  développement  d'intelligence,  de  dignité,  de 
moralité  ou  de  richesse  commerciale,  se  trouve  aussi  un  besoin 
intense  de  liberté  constitutionnelle  et  de  garantie.  En  vain, 
après  la  victoire  remportée  en  181 5  sur  la  France,  la  Sainte-Al- 
liance essaya  d'étendre  le  système  de  Metternich  sur  toute 
l'Europe;  en  vain  elle  attaqua  partout  l'intelligence,  la  dignité 
humaine  et  le  sentiment  du  droit  ;  le  besoin  des  hommes  déjà 
civilisés  était  plus  foit  qu'elle  ;  la  résistance  recommençait 
partout,  l'intelligence  se  révoltait  partout  contre  la  force  ma- 
térielle, et  la  victoire  de  Paris  a  enfin  révélé  l'impuissance  des 
despotes,  l'accord  des  peuples  et  les  besoins  du  siècle.  I.e 
parti  vaincu  n'a  plus  d'espérance  que  dans  les  fautes  de  la 
France;  si  celle-ci  reste  digne  d'elle-même,  chaque  despo- 
tisme de  l'Europe  occidentale  doit  crouler  au  sein  de  la  nation 
qui  le_  supporte,  par  les  forces  mêmes  du  pays  qu'il  opprime. 
Une  mémorable  leçon  a  enseigné  aux  peuples,  dans  les  der- 
niers jours  de  juillet,  quelle  était  leur  puissance,  même  contre 
des  armées  ;  elle  a  enseigné  aux  armées,  et  cette  leçon  est  plus 
importante  encore,  le  sort  qui  les  attend  ,  si  elles  combattent 
les  peuples.  Désormais,  les  soldats  auxquels  on  ordonnera  de 
tirer  sur  le  peuple  songeront  que  la  garde  royale  et  la  gen- 
darmerie oui  été  licenciées  pour  avoir  obéi;  que  leurs  soldats 
sont  rentrés  humiliés,  honnis,  privés  de  leur  état,  dans  les' 
rangs  de  ce  peuple  qu'ils  avaient  combattu;  que  les  Suisses 
ont  été  repousses  hors  de  cette  France,  à  laquelle  ils  tenaient 
à  honneur  «le  s'associer,  après  sTMre  fermé  toute  carrière  à 


L'AVENIR.  5:57 

eiix-uirmes  par  leur  aveugle  obéissance,  (^uc  ceux  qui,  tlans 
d'aultes  paj^s,  suivraient  leur  exemple,  aux  nus  ou  aux  autres, 
ne  s'aUendent  pas  à  être  traités  avec  autant  d'inilulgcnce. 
.Après  cette  leçon,  le  devoir  militaire  est  mieux  compris  de 
l'Europe;  ceux  qui  auront  Ciu  ([u'ils  doivent  pousser  l'obéis- 
sance jusqu'au  crime  seront  désormais  traités  par  le  peuple 
vainqueur,comme  des  criminels, 

La  politique  delà  France,  conforme  aux  principes  qu'elle 
professe,  lui  interdit  de  se  mêler  des  affaires  de  ses  voisins,  ou 
d'usurper  la  souveraineté  de  chaque  nation  sur  elle-même. 
Elle  ne  se  permettra  donc  point  d'intervention;  mais  elle  n'en 
permettra  point  aux  autres.  Point  de  Sainte-Alliance  des  rois, 
ou  bien  il  y  en  aura  une  des  peuples  ;  point  de  garantie  mutuelle 
des  usurpations,  ou  bien  la  France  proclamera  une  garantie  mu- 
tuelle des  droits.  Car,  après  tout,  elle  veut  respecter  le  prin- 
cipe de  l'indépendance  nationale;  mais  ses  vœux,  avec  tous 
ceux  des  amis  de  la  dignité  et  de  la  moralité  humaines,  sont 
pour  la  liberté.  Son  intérêt  dcmaade  impérieusement  la  liberté 
de  ses  voisins  :  car  ce  n'est  qu'avec  des  Etats  libres  qu'elle 
contractera  jamais  des  alliances  sur  lesquelles  elle  puisse  comp- 
ter. Viennent  les  revers,  et  les  alliés  despotiques  qu'elle  croi- 
rait avoir  agiront,  comme  agirent  envers  la  nouvelle  dynastie 
de  Napoléon,  l'Autriche  et  la  Prusse,  et  tous  les  princes  d'Al- 
lemagne. La  France  est  puissante  aujourd'hui  par  son  enthou  • 
siasme  ;  mais  le  calme  doit  venir  ensuite,  et  dans  le  calme  il 
faut  que  les  forces  matérielles  se  balancent.  L'Europe  ne  jouira 
de  ce  calme,  après  lequel  elle  soupire,  que  lorsque  tous  les 
pays  qui  entourent  la  France  auront  obtenu  les  gouvernemcus 
nationaux  qu'ils  réclament. 

La  Belgiqle  s'est  la  première  mise  en  mouvement  pour  ob- 
tenir des  institutions  et  des  garanties,  et  c'est  pour  elle  que  la 
France  est  appelée  à  reconnaître ,  pour  la  première  fois,  et  à 
faire  reconnaître  aux  autres  le  principe  de  non-intervention. 
Dans  ce  cas,  elle  sacrifie  ses  intérêts,  presque  ses  droits,  au 
désir  de  maintenir  la  paix.  La  Belgique,  unie  malgré  elle,  et 
})ar  une  force  étrangère  à  la  Hollande,  a  toujo(U'S  détesté  cette 


538  L'AVENIR. 

union.  On  ne  peut  douter  que  les  Belges  ne  préférassent  au  fond 
<lu  cœur  se  réunir  de  nouveau  à  la  France,  que  tous  les  Bel- 
ges âgés  de  trente  à  cinquante-cinq  ans  ont  aimée  comme  leur 
pairie  ;  les  étrangers  n'ont  pas  plus  le  droit  de  gêner  leur  choix 
i\  cet  égard ,  que  de  les  empêcher  de  changer  leur  gouverne- 
nient.  Cependant,  par  amour  de  la  paix,  pour  ne  pas  ébran- 
ler l'équilibre  de  l'Europe,  la  France  et  la  Belgique  peuvent 
sacrifier  leur  désir  et  leur  intérêt  commun ,  pourvu  que  les 
puissances  voisines  montrent  la  même  sagesse  et  la  même  mo- 
dération que  la  France.  Si  on  laisse  les  Hollandais  et  les  Belges 
arranger  entre  eux  leurs  intérêts,  il  est  bien  probable  que  les 
derniers  obtiendront  la  constitution  et  les  garanties  qu'ils  dé- 
sirent, obtiendront  siu^tout  de  se  séparer  de  la  Hollande,  et 
de  former  deux  États,  comme  la  Suède  et  la  Norwège,  sous 
un  même  roi.  Le  souverain  de  deux  pays,  qui  à  l'aide  de  l'un 
ferait  la  guerre  à  l'autre,  entendrait  bien  mal  ses  intérêts  :  à 
supposer  qu'il  subjuguât  l'un  des  deux,  son  pouvoir  ne  serait 
guère  durable;  il  commencerait  par  la  faiblesse  et  l'épuisement, 
il  finirait  par  ime  nouvelle  révolution.  Mais,  si  ce  souverain, 
au  lieu  d'employer  les  Hollandais  à  faire  la  guerre  aux  Belges, 
appelait  les  Prussiens,  certes  la>  France  ne  devrait  pas  le  per- 
mettre. Le  spectacle  d'une  conire-révolution  opérée  par  une 
armée  étrangère  serait  trop  dangereux;  il  enivrerait  d'orgueil 
les  despotes,  il  allarmerait  la  France,  et  il  ne  pourrait  man- 
quer d'allumer  bientôt  une  guerre  universelle. 

La  Prusse  et  toute  I'Allemagne  septenirionfde  sont  égale- 
ment mûres  pour  des  institutions  :  l'i  aussi,  les  progrès  de  l'in- 
telligence  et  de  la  dignité  humaines,  de  la  moralité  et  de  la 
richesse  mo])ilière,  réclament  des  garanties  qui  ne  peuvent 
être  long-teiHsrelusées  ;  mais  aucun  pays  d'Europe  n'a  une  es- 
pérance plus  fondée  de  les  obtenir  sans  révolution  :  les  gou- 
vernemens  ont  marché  avec  les  peuples;  s'il  n'ont  pas  donné 
des  garanties,  il  ont  presque  toujours  agi,  comme  si  elles 
existaient;  ils  n'outpas  violenté  l'intelligence,  ils  n'ont  pas 
outragé  la  justice,  el  ils  ont  soigné  avec  habileté  tous  les  in- 
térêts matériels.  Les  princes,  toujours  lents  à  se  dessaisir  du 


L'AVENIR.  559 

pouvoir,  n'ont  peut-être  tardé  jusqu'à  ce  jour  à  donner  aux 
peuples  les  constitutions  qu'ils  avaient  promises,  que  parce 
que  l'influence  de  l'Autriche  les  en  empêchait.  S'ils  le  tentent 
aujourd'hui  de  bonne  foi,  leur  tâche  ne  sera  pas  difficile:  car 
l'exemple  de  l'Angleterre  leur  est  bien  plus  applicable  qu'à 
la  France.  Les  familles  régnantes,  qui  n'ont  jamais  démérité, 
sont  toujours  chères  au  peuple,  par  une  aflection  héré- 
ditaire; le  pouvoir  attaché  à  la  naissance  et  à  raiitiijuite  est 
toujours  grand  chez  les  Allemands;  ils  vont  chercher  leur  li- 
berté, moins  dans  les  droits  de  l'homme  ,  que  dans  les  souve- 
nirs du  moyen  /îge  ;  leur  noblesse  est  entourée  de  respects  qui 
nous  paraissent  souvent  servîtes  :  elle  leur  offre  tous  les  élé- 
mens  d'une  pairie  indépendante;  leur  clergé ,  surtout  le  pro- 
testant ,  est  ami  en  même  tems  de  la  liberté  et  du  pouvoir  : 
il  sera  modérateur  et  conservateur;  leurs  tribunaux  sont  sa- 
vans,  indépendans,  mais  attachés  à  toutes  les  traditions  anti- 
ques. Enfin,  il  n'y  a  presque  qu'à  vouloir,  pour  y  faire  une 
nouvelle  Angleterre,  moins  ses  abus. 

Combien  la  condition  de  I'Espao'e  et  celle  du  Portugal  sont 
différentes  î  là,  il  faut  que  le  gouvernement  tombe,  et  qu'il 
tombe  d'une  manière  violente  :  il  a  par  trop  abusé  de  son  pou- 
voir; il  a  pous>é  trop  loin  la  tyrannie,  pour  qu'aucune  réforme 
soit  possible  avec  lui,  La  nation,  dont  une  partie  appartient 
encore  aux  siècles  de  la  barbarie  la  plus  reculée,  et  une  au- 
tre à  la  civilisation  de  notre  âge,  ne  demande  point  tout  en- 
tière des  institutions.  On  y  trouve  des  masses  qui  ont  horreur 
de  la  lumière,  de  la  légalité  et  delà  liberté;  mais  Ferdinand 
et  Miguel  se  sont  montrés  si  perfides  et  si  stupides,  ils  ont  tel- 
lement ruiné  leurs  pays,  ils  ont  tellement  compromis  toutes 
les  existences,  que  leurs  sujets,  si  divisés  entre  eux,  no  s'ac- 
cordent que  pour  les  haïr  et  pour  les  mépriser.  Il  est  proba- 
ble qu'ils  tomberont  sans  qu'un  bras  s'arme  pour  leur  défense  ; 
que  l'armée,  qu'ils  laissent  mourir  de  faim,  se  joindra  avec  joie 
à  ceux  qui  les  renverseront.  Il  n'y  a  rien  à  faire  d'eux ,  ni  pour 
eux  :  quel  que  soit  leur  sort,  ils  ne  méritent  aucune  pitié.  Quel- 
ques journaux  anglais  annoncent  des  projets  de  constitution 


o4o  L'AVENIR. 

monarchique  avec  Ferdinand  ;  quel?  sermons  prêterait-il  donc 
qu'il  n'ait  déjà  violée?  Quelle  garantie  exigerait-onde  lui, 
dont  il  n'ait  déjà  montré  l'insuffisance?  La  France  a  éprouvé 
qu'une  constitution  libérale  était  impossible  avec  les  Bourbons  ; 
et  pourtant  Charles  X  était  un  philosophe,  auprès  de  Fer- 
dinand; il  était  un  homme  probe,  loyal,  observateur  reli- 
gieux de  sa  parole,  humain,  compatissant,  économe,  auprès 
du  roi  de  boue  de  l'Espagne.  Si  la  nation  espagnole  pouvait 
supporter  un  roi,  un  fds  du  roi  des  Français  lui  conviendrait 
peut-être  mieux  qu'un  autre;  mais,  certes,  ce  ne  serait  pas 
un  trène  à  lui  envier.  Une  longue  anarchie  eJt  peut-être  le  seul 
avenir  qu'on  puisse  prévoir  pour  l'Espagne  et  le  Portugal  :  du 
moins,  cette  anarchie  formera  des  hommes,  tandis  que  celle 
d'aujourd'hui  les  détruit;  elle  fera  renaître  les  élémens  des  so- 
ciétés civiles,  et  celle-ci  les  pervertit.  Quand  cette  révolution 
qui  paraît  s'approcher  sera  accomplie,  elle  ôtera  à  la  France 
tout  sujet  de  crainte  du  côté  des  Pyrénées;  mais  elle  ne  lui 
donnera  pas  de  long-tems  une  alliée  efficace. 

Nous  ne  parlerons  point  des  puissances  plus  éloignées,  la 
Russie,  le  DA>EMiRK,  la  Svède  ;  l'AriRiCHE  elle-même  est  as- 
sez loin  de  la  France,  pour  n'être  pas  peut-être  entraînée  par 
son  exemple.  Il  n'est  pas  impossible  que  le  système  de  Met- 
ternich,  de  fermer  tout  abord  à  la  pensée,  d'interdire  toute 
communication  entre  les  peuples,  d'arrêter  tonte  instruction, 
puisse  être  toléré  quelque  tems  encore  dans  les  Etats  autri- 
chiens, d'à  niant  pi  us  qu'il  se  concilie,  du  moins  quant  aux  quatre 
millions  de  sujets  qui  sont  de  la  race  allemande,  avec  un  grand 
bien-être  matériel,  un  grand  soin  pour  la  classe  agricole,  qui 
fait  la  grande  masse  delà  population,  un  grand respectpour les 
droits  privés  et  pour  la  iu^tice,  sous  la  réserve  seule  du  droit 
à  l'intelligcîice.  Les  [aysans  autrichiens  sont  contens  de  de- 
meurer paysans;  les  seigneurs  seront  plus  contens  encore  de 
demeurer  seigneurs  ;  le  reste  de  la  nation  a  peu  d'importance. 
M.  de  Metlcrnich  a  jugé  le  reste  de  l'Europe  d'après  l'Autriche 
et  la  Bohême;  il  a  cru  que  les  autres  peuples  ne  tenaient  pas 
plusàla  liberté  que  ceux  qu'il  avait  sous  les  j(eux.  Son  erreur  est 
cuise  des  violentes  convulsions  par  lesquelles  nous  avons  passé  ; 


L'A  VENIR.  S41 

mais  il  a  trop  d'esprit  pour  ne  pas  voir  aujourd'hui  qu'il  lui 
serait  impossible  d'enlever  encore  une  fois  à  la  race  humaine 
ses  libertés  par  droit  de  conquête.  S'il  le  comprend,  il  doit 
renoncer  à  la  guerre  qui  compromettrait  ce  qui  lui  reste  de 
l'empire  des  ténèbres;  car,  pour  sauver  son  Autiiche,  sa 
Bohême,  sa  Hongrie  de  l'invasion  de  la  lumière,  il  faut  les 
séparer  des  pays  où  l'intelligence  est  en  mouvement,  et  où  les 
peuplée  réclament  leurs  droits.  Qu'il  étende,  s'il  veut,  ses 
frontières  à  l'Orient;  qu'il  y  comprenne  la  Bosnie,  la  Servie, 
l'Albanie,  la  Macédoine  même;  il  ne  leur  fera  que  du  bien, 
en  les  détachant  de  l'empire  turc  qui  tombe  en  lambeaux,  en 
les  sauvant  de  l'anarchie.  Que  l'Autriche  s'agrandisse  de  ce 
côté,  de  manière  à, demeurer  toujours  un  utile  contre-poids  de 
la  Russie;  elle  le  fera,  aux  applaudissemens  du  reste  de  l'Eu- 
rope. 

Par  amour  de  la  légitimité  ou  peut-être  du  beau  idéal  en 
fait  de  despotisme,  M.  de  Metternith  a  voulu  jusqu'à  présent 
sauver  la  Turquie  en  dépit  d'elle-même,  conserver  ce  colosse, 
encore  qu'il  n'eût  plus  de  sang  pour  l'animer,  de  bras  pour  se 
défendre.  3Iais,  après  la  chute  de  Charles  X,  l'inviolabilité 
des  trônes  n'est  plus  qu'un  rêve,  et  les  peuples  n'auront  pas 
plus  de  vénération  pour  le  pouvoir  roj'al,  encore  que  Mah- 
moud conserve  le  droit  d'abattre  des  têtes  selon  son  caprice. 
D'ailleurs,  tout  l'empire  turc  se  désorganise,  la  révolte  éclate 
partout,  les  finances  se  tarissent,  la  population  disparaît,  et 
l'Autriche,  quand  elle  le  voudrait,  n'aurait  plus  la  force  de 
sauver  le  trône  des  Osmanlis.  Qu'elle  s'étende  donc  au  midi 
du  Danube,  aussi  loin  qu'elle  croira  pouvoir  convenablement 
et  prudemment  le  faire  ;  qu'elle  s'y  arrondisse  ;  qu'elle  s'y 
donne  de  bonnes  frontières;  qu'elle  lie  toute  la  Hongrie  à  la 
côte  de  l'Adriatique  ;  elle  y  acquerra  des  terres  fertiles ,  de 
braves  soldats,  des  sujets  qui  ne  se  soucient  ni  du  progrès  de 
la  pensée,  ni  du  perfectionnement  de  l'éducation,  ni  de  la  li- 
berté de  la  presse  ;  des  hommes  qui  obéissent  et  ne  raisonnent 
pas,  à  qui  la  licence  suffit  sans  la  liberté;  qui  seront  contens, 
si  on  ne  leur  coupe  pas  la  tête  sans  motif,  si  on  ne  le?  pille 

T.    XLVII.   SEPTEMBRE    I  83o.  55 


:^\'^  L'AVENIR. 

pas  sans  ordre,  et  si  on  les  appelle  aux  arinée>:.  pour  leur  doii- 
ucr  le  plaisir  de  se  battre.  Qu'on  ajoute  encore  à  ces  confes- 
sions la  légalité  et  l'ordre  de  l'Autriche,  et  on  les  élèvera  dans 
l'éthelle  sociale  ;  on  repeuplera  bientôt  les  déserts  oi"i  l'oppres- 
sion les  disperse,  on  ajoutera  une  force  réelle  à  l'empire  au- 
trichien. Sa  population  sera  homogène,  du  moins  quant  à 
l'intelligence  et  à  la  moralité;  elle  ne  sera  tourmentée  par  au- 
cun désir  d'indépendance,  par  aucun  mouvement  séditieux; 
et,  si  l'empereur  d'Autriche  déclare  ensuite  à  l'Europe  que 
ses  sujets  sont  trop  serviles  pour  estimer  la  liberté,  trop  igno- 
rans  pour  rechercher  l'origine  de  son  pouvoir  ou  de  sa  justice, 
trop  abrutis  pour  désirer  de  s'instruire,  pour  avoir  besoin 
de  livres,  de  journaux  et  d'Universités;  si  ,  en  conséquence, 
il  coupe  toute  communication  entre  ses  Etats  et  le  monde  ci- 
vih•^é,  on  le  laissera  faire,  et  on  l'en  croira  sur  parole. 

Mais,  peur  atteindre  ce  bien  suprême  de  la  politique  autri- 
chienne, pour  s'enfermer  avec  sécurité  dans  le  paradis  des 
sots,  il  faut  renoncer  à  I'Italie.  La  possession  d'une  langue 
de  terre  prolongée  vers  la  France,  entre  la  Sufsse  et  la  Tos- 
cane, d'une  langue  de  terre  couverte  de  villes  populeuses  et 
riches,  où  tous  les  besoins  de  l'esprit  se  font  sentir,  où  tous 
les  sentimens  généreux  sont  entendus,  où  une  grande  richesse 
industrielle  demande  toutes  les  guanties,  cette  possession  est 
un  contre-sens  pour  l'Autriche.  Son  joug  y  est  abhorré,  sa 
langue  seule  y  excite  la  colère  ;  il  y  a  antipathie  entre  les  deux 
peuples,  Italien  et  Allemand;  il  y  a  un  frémissement  conti- 
nuel dans  celui  qui,  depuis  quinze  ans,  est  courbe  sous  le  joug 
autrichien,  qui  n'obéit  qu'à  un  droit 'de  conquête  qu'aucun 
titre  plus  respectable  n'a  encore  consacré,  qui  ne  reconnaît 
pas  plus  dans  ses  maîtres  des  souverains  héréditaires  que  des 
souverains  de  son  choix.  Les  Lombards  et  les  Yénittens  sont 
mûrs  pour  la  liberté  qu'ils  ont  connue,  qu'ils  ont  goûtée;  mais 
tous  prél'éreraient  encore  obéir  à  un  mauvais  roi  de  toute  l'I- 
talie, plulôl  qu'à  une  constitution  libérale  donnée  par  les  Au- 
trichiens ;  tous  mettent  avec  raison  l'indépendance  nationale 
au-dessus  même  de  la  liberté.  A  la  première  convulsion  de 


L'AVENIR.  545 

l'Europe,  ils  seront  prêts;  et,  tandis  qii«  la  paix  dure  entre 
l'Autriche  et  la  France,  il  faut  les  garder  par  de  puissantes 
armées.  On  parle  de  quatre-vingt  mille  hommes  à  envoyer  en 
Italie,  pour  la  tenir  tranquille;  et  dans  un  moment  où  les 
iVonlières  de  Turquie,  de  Russie,  de  Prusse,  réclament  aussi 
des  soldats,  un  tel  déplacement  de  forces  est  ruineux  pour  la 
monarchie.  Que  serait-ce,  si  la  guerre  éclatait,  si  Napies  et  l'E- 
tat de  l'Eglise  se  soulevaient  au  midi,  le  Piémont  au  couchant; 
si  la  France  arrivait  avec  ses  années  :  le  corps  autrichien  aven- 
turé dans  la  Lomhardie  serait  perdu,  et  sa  destruction  ouvri- 
rait lesavenues  déjà  connues,  déjà  pratiquées  de  Vienne.  Quand 
les  bataillons  milanais  passaient  en  vainqueurs  les  portes  de 
cette  capitale  ennemie,  les  soldats  criaient  en  riant  :  Appal- 
tali,  abonnés^  c'est  la  troisième  fois  que  nous  entrons  sans  puycr  ! 
Ils  comptaient  bien  y  entrer  encore;  ils  y  entreront  en  effet 
si  l'Autriche  ne  sait  pas  prendre  son  parti;  si,  pendant 
qu'elle  en  a  encore  le  pouvoir,  elle  ne  concourt  pas  à  élever 
une  puissante  monarchie  italienne,  une  monarchie  indépen- 
dante entre  elle  et  la  France,  une  monarchie  qui,  pouvant  ad- 
mettre plus  d'élémens  aristocratiques  que  la  France,  sera 
moins  dangereuse  pour  elle,  par  son  voisinage  et  son  exemple  ; 
une  monarchie  qui,  animée  du  désir  de  sa  conservation,  et 
ayant  besoin  de  paix  à  son  premier  établissement,  tiendra  la 
balance  entre  les  deux  puissans  empires,  ses  voisins,  dont  l'un 
représente  le  système  progressif,  l'autre  le  système  rétrograde 
de  l'espèce  humaine. 

Cette  haute  détermination  de  l'Autriche,  qui,  pour  s'arron- 
dir, abandonnerait  volontairement  le  pays  auquel  elle  a  donné 
le  nom  barbare  de  Royaume  Lombardo-Vénitien,  et  se  ferait 
céder  en  retour  une  compensation  d'égale  valeur  et  d'étendue 
supérieure,  dans  la  Turquie  d'Europe,  conmie  elle  l'a  fait  au- 
trefois pour  les  Pays-Bas  autrichien*,  serait,  pour  elle,  nous  le 
croyons,  le  seul  moyen  sage,  honorable,  avantageux,  de  sor- 
tir d'une  situation  périlleuse.  Nous  confessons  aussi  que  nous 
n'avons  aucune  espérance  de  le  lui  voir  adopter.  L'Autriche 
entassera  ses  sohlats  demi-barbares  sur  le  sol  de  la  Lombar- 


544  L'AVENIR. 

die;  elle  exaspérera  toujours  plus  les  peuples  qu'elle  foulera 
par  leur  présence;  elle  épuisera  ses  provinces  allemandes  et 
hongroises  d'homines  et  d'argent;  elle  y  éveillera  un  mécon- 
tentement qu'on  n'y  sentait  pas  encore;  ses  soldats  allemands 
apprendront  en  Italie  les  idées  italiennes  ;  les  soldats  lombards 
les  répandront  en  Allemagne;  et,  quand  le  moment  du  choc 
arrivera,  tout  l'empire  d'Autriche  sera  embrasé.  Déjà  M.  de 
Metternich  peut  savoir  que,  dans  cet  empire  même,  les  hom- 
mes se  groupent  selon  leur  langue  et  leur  origine,  qu'ils  se 
comptent  et  s'étonnent  que  vingt-cinq  millions  de  Bohèmes, 
de  Hongrois,  de  Polonais,  d'Iilyriens,  d'Italiens,  aient  pu 
obéir  si  long-tems  à  quatre  millions  d'Autrichiens;  que,  n'o- 
sant encore  réclamer  des  droits,  ils  s'attachent  du  moins  à  des 
souvenirs  nationaux,  que  leurs  efforts  pour  reproduire  ce  qu'ils 
ont  été  montrent  leur  mécontentement  de  ce  qu'ils  sont.  Dans 
cet  empire  même,  l'orage  n'attend  qu'un  premier  choc  élec- 
trique. 

Et  comment  ce  choc  pourrait-il  être  long-tems  évité  ?  L'Au- 
triche a  maintenu  dans  toute  l'Italie,  par  son  influence,  des 
gouvernemens  cent  fois  plus  vicieux  que  le  sien  ;  elle  a  ar- 
rêté, elle  a  anéanti  par  ses  annes,  la  réforme  qui  s'opérait  à 
Naples;  elle  y  a  poussé  le  gouvernement  dans  des  voies  de 
perfidie  et  de  cruauté  qui  l'ont  rendu  l'abomincCtion  de  l'Eu- 
rope; les  supplices,  les  tortures  se  sont  multipliés  ;  des  récits 
d'horreur  circulent  déjà,  le  procès  effroyable  de  iMattei  n'est 
encore  qu'imparfaitement  connu  ;  mais  la  lumière  qui  brille 
en  France  éclairera  bientôt  tous  les  crimes ,  et  le  ressenti- 
ment d'une  nation  si  barbarement  traitée  ne  peut  tarder  à 
éclater.  L'état  valétudinaire  du  roi  de  Naples  est  peut-être  la 
seule  chance  de  salut  qui  reste  à  sa  maison  ;  si  son  fils  arrive 
bientôt  au  pouvoir,  pur  des  souillures  du  dernier  règne;  s'il 
rend  à  un  peuple  cruellement  trompé  la  liberté  que  tant  de 
sermens  lui  avaient  garantie,  l'Autriche  interviendra- 1 -elle 
alors  pour  l'empêcher?  De  quel  droit,  et  avec  quelle  sécurité? 
Lorsqu'en  violant  un  territoire  neutre  et  indépendant,  elle  y 
appellerait  les  armes  de  la  France  ;  lorsqu'en   engageant  ses 


L'AVE  MR.  545 

armées  jusqu'au  fond  de  la  péninsule,  elle  les  exploserait  à  ce 
que  toute  retraite  leur  fut  coupée  ? 

Mais  ce  n'est  pas  à  Naples  seulement  que  le  sol  tremble; 
quelle  est  la  partie  de  l'Italie  où  un  gouvernement  stupide  et 
souvent  féroce  n'ait  pas  enseigné  à  ses  sujets  îi  soupirer  après 
une  révolution?  A  Modène,  un  prince  autrichien  a  pris  à  tâ- 
che de  rivaliser  avec  don  Miguel.  Sa  haine  pour  les  lumières, 
dans  le  pays  de  Muratori  et  de  Tiraboschi,  a  blessé  les  Modé- 
nois  dans  leur  antique  renommée  :  sa  tyrannie  a  pénétré  plus 
avant  encore  dans  toutes  les  familles,  et  il  s'est  aussi  rendu, 
s'il  est  possible,  plus  odieux  encore.  Le  gouvernement  du 
Pape  s'est  signalé  à  Rome,  par  un  mépris  de  toutes  les  lois,  de 
toutes  les  formes,  qu'on  n'aurait  plus  cru  possible  en  Europe  : 
il  renverse  les  jugemens  des  tribunaux,  il  interdit  ou  il  fait 
recommencer  les  procédures,  il  suspend  les  prescriptions,  il 
délie  les  biens  des  liens  hypothécaires,  selon  la  fiiveur  ou  le 
caprice.  Il  n'y  a,  dans  tous  ses  Etats,  pas  une  famille  qui  n'ait 
quelqu'un  de  ses  membres  atteint  par  d'iniques  poursuites 
judiciaires,  pas  une  fortune  que  l'arbitraire  des  légats  ne  me- 
nace et  ne  puisse  renverser.  Les  Etats  du  Piémont,  plus  avancés 
peut-être  en  intelligence  qu'aucun  autre  en  Italie,  plus  remplis 
des  souvenirs  d'un  régime  libéral,  ont  été  soumis  ù  une  con- 
tre-révolution qui  n'a  épargné  aucun  perfectionnement,  au- 
cune des  idées  du  siècle.  Les  jésuites  ont  été  investis  de  tout 
pouvoir  dans  l'Etat,  dans  l'église,  et  dans  l'instruction  de  la 
jeunesse.  D'insolentes  prérogatives  ont  été  accordées  à  la  no- 
blesse, pour  la  brouiller  avec  la  bourgeoisie  ;  les  journaux,  les 
livres,  la  pensée  ont  été  repoussés  à  la  douane,  comme  une 
odieuse  contrebande,  et  le  gouvernement,  qui  craignait  la  rai- 
son humaine,  a  cessé  lui-même  de  la  consulter.  Son  système 
économique,  ses  prohibitions  à  l'entrée  et  à  la  sortie,  sont 
tellement  absurdes,  qu'elles  exciteraient  le  rire,  si  l'on  ne  sa- 
vait combien  elles  font  souffrir.  De  tous  côtés  l'Italie  est  mûre 
pour  une  révolution;  et,  si  elle  éclate  dans  un  pays  neutre, 
que  fera  l'armée  autrichienne?  Si  elle  réussit,  comment  dé- 
fendra-t-elle  les  frontières  lombardes  contre  le  désir  toujours 
plus  ardent  des  Italiens  de  redevenir  un  seul  peiiplc  ? 


5!»6  L'AVENIR. 

Nous  n'avons  pas  besoin  d'arrêter  nos  regards  sur  la  Suisse^ 
engagée  et  par  ses  intérêts  et  par  ses  goûts  à  défendre  sa  neu- 
tralité. L'exemple  de  la  France  ne  sera  cependant  pas  perdu 
pour  elle  :  là  au'isi  il  y  a  de  vieux  abus  à  réformer,  de  vieux 
préjugés  à  détruire,  de  vieilles  taclies  à  faire  disparaître.  C'en 
est  une  qui  ne  peut  plus  s'accorder  avec  un  siècle  de  moralité 
et  d'intelligence  que  l'babitude  des  capitulations  pour  le  ser- 
vice étranger.  Le  métier  d'hommes  qui  se  loueut  pour  aller 
tirer  sur  le  gibier  humain  qu'on  leur  désignera,  sans  s'infor- 
mer de  la  cause  qu'ils  défendent  ou  qu'ils  attaquent,  sans  se 
soucier  du  droit  ou  de  linjustice,  sans  être  appelés  à  cette  œu- 
vre de  carnage  par  le  devoir,  le  patriotisme,  la  fidélité,  mêuie 
ie  préjugé  ou  la  passion;  ce  métier  est  trop  odieux  pour  pou- 
voir se  continuer;  aujourd'hui  que  l'opinion  du  monde  est 
appelée  à  le  juger,  il  ne  pourra  soutenir  la  réprobation  du  sen- 
timent moral  qui  le  flétrit.  Ce  n'était  pas  pour  faire  ce  que  la 
conscience  des  Français  aurait  refusé  de  faire,  que  les  régi- 
mens  suisses  entraient  autrefois  au  service  de  France;  ils  de- 
mandaient alors  seulement  à  paitager  l'honneur  et  les  dan- 
gers des  amis  de  leur  patrie  ;  entrant  aujourd'hui  dans  la  mêm« 
carrière,  ces  montagnards  comprennent  mal  le  mouvement 
lîu  monde  et  ne  s'aperçoivent  pas  qu'elle  ne  les  conduit  plus 
au  même  but.  11  est  tems  qu'ils  s-'arrêtent ,  avant  que  le  trafic 
({u'ils  font  de  leur  sang  et  du  sang  d'autrui  les  signale  à  la 
haine  de  tous;  il  est  tems,  s'ils  ont  besoin  de  guerres, 
qu'ils  sachent  choisir  celles  auxquelles  un  juste  enthousiasme 
peut  associer  des  étrangers,  celles  où  ils  défendront,  si  ce  n'est 
leur  patrie,  du  moins  ce  qui  leur  est  cher  dans  leur  patrie; 
qu'ils  abandonnent  les  palais  des  rois  pour  se  ranger  aux  avant- 
postes  de  la  civilisation;  qu'ils  aillent  combattre  dans  la  Grèce 
ou  à  Alger  pour  l'avancement  de  la  religion  ,  de  la  liberté ,  des 
mœurs  et  des  lumières ,  pour  la  défense  des  femmes  et  des 
citoyens  paisibles,  et  ils  retrouveront  cet  honneur  militaire 
que  leurs  pères  allaient  chercher  dans  les  services  étrangers. 
Tels  sont  les  voisins  qui  entourent  la  France;  tels  sont  les 
peuples  sur  lesquels  son  exemple  exerce  une  puissante  in- 
fluence; et  qui,  mûrissant  pour  la  liberté,  quand  ils  aurout 


^A^E^(lR.  547 

uL'qiii?  cuuimc  la  Fiance  des  institutions  protectrices,  ne  se- 
«ont  pas  ni'jins  ciiipi-essés  qu'elle  à  maintenir  la  paix.  Mais  il 
reste,  en  l'ace  des  rivages  de  France,  un  antre  peuple  puissant, 
un  peuple  que  la  France  avait  long-tems  considéré  comme 
l'ival,  auquel  elle  gardait  une  profonde  rancune  pour  lui  avoir 
ramené  les  Bourbons,  et  qui ,  dans  cette  dernière  circonstance, 
a  manifesté  tant  d'enthousiasme  pour  sa  délivrance,  que  tout 
autre  souvenir  est  effacé  ,  sauf  celui  de  cette  noble  sympathie. 
Les  Anglais  ont  applaudi  avec  transport,  quand  les  Français 
ont  brisé  le  joug,  parce  que  l'action  était  belle  en  elle-même, 
non  parce  qu'elle  leur  était  utile.  Au  contraire,  elle  dérange  lem- 
politi(iue  précédente  ,  et  elle  pente  de  l'incerlilude  dans  toutes 
leursalliances,  dans  tous  leursprojets.  llsavaient  établi  l'ordre 
qui  vient  de  tomber,  et  ils  se  croyaient  intéressés  à  le  défen- 
dre. De  vieilles  habitudes,  dont  il  serait  difficile  de  trouver  le 
motif,  leur  faisaient  considérer  l'Autriche  comme  leur  alliée 
nécessaire;  ils  sendilaient  donc  appartenir  au  système  rétro- 
grade, tandis  que  leur  constitution,  leurs  sentimens,  leurs 
pensées  ,  leurs  intérêts  les  rangeaient  dans  le  système  progres- 
sif. La  France,  reconnaissante  de  leur  sympathie  et  désireuse  de 
leur  alliance,  ménagera  jusqu'à  leurs  préjugés,  autant  qu'elle 
poui  ra  le  lâire.  C'est  surtout  par  égard  pour  eux  qu'elle  n'est 
point  intervenue  dans  les  affaires  de  la  Belgique,  qu'elle  n'in- 
terviendra point  dans  les  affaires  d'Italie,  à  moins  que  d'au- 
tres puissances,  également  étrangères,  ne  s'en  mCdent  les 
premières.  C'est  d'accord  avec  eux  qu'il  conviendrait  à  la 
France  d'engager  l'Autriche  à  se  retirer  de  la  lutte  des  révolu- 
tions, en  a!)andonnant  ses  possessions  en  Italie,  et  prenanldes 
coivpensations  dans  l'Orient.  C'est  d'accord  avec  eux  qu'il  lui 
convien(h"ait  de  reconnaître  une  Italie  libre,  indépendante  et 
forte;  de  garantir  à  VEspagiie  qu'aucun  pouvoir  étranger  ne 
la  troublerait  dans  sa  difficile  réorganisation;  d'aider  le  roi 
des  Pays-Bas  à  assurer  l'indépendance  et  l'harmonie  des  deux 
peuples  soumis  à  sa  couronne.  Un  intérêt  égal  pour  la  paix, 
la  liberté  et  l'indépendance  des  nations,  rendra  eilicace  la 
médiation  des  deux  nations  les  plus  éclairées  de  l'Europe;  et 
plus  elles  étudieront  le.-  destinées  probable-  du  genre  luimain, 


5/|8  L'AVENIR. 

plus  elles  trouveront  que  leurs  intérêts  et  leurs  vœux  doi- 
vent être  identiques. 

On  a  cherché  à  faire  naître  une  opposition  d'intérêts  entre 
la  France  et  l'Angleterre,  à  l'occasion  de  la  possession  que  la 
France  vient  d'acquérir  sur  la  côte  d'Afrique.  \j^ expédition 
d'Jl^cr  a  souffert  de  la  révolution  de  France  :  son  chef,  sen- 
tant bien  qu'il  serait  rappelé,  paraît  n'avoir  mis  ni  soins  pa- 
ternels à  garantir  la  santé  de  ses  soldats,  ni  bienveillance  ou 
adresse  dans  ses  rapports  avec  le  peuple  conquis,  ni  vigilance 
pour  empêcher  un  honteux  pillage.  Son  successeur  aura  une 
tâche  diiïicilo  pour  rétablir  quelque  ordre  et  quelque  sûreté 
en  Afrique.  Cependant  les  attaques  des  Bédouins,  les  massa- 
cres de  Belida  et  de  Bonne  ont  assez  prouvé  que  ce  peuple 
perGde  et  avide  de  pillage  était  hors  d'état  de  se  gouverner 
lui-même  ;  qu'évacuer  Alger,  ce  ne  serait  pas  rendre  cette 
ville  à  l'indépendance,  comme  l'a  proposé  ridiculement  un 
journal  anglais,  mais  condamner  ses  habitans  ù  être  pillés  et 
massacrés.  L'humanité,  le  progrès  de  la  civilisation,  la  sûreté 
du  commerce  dans  la  Méditerranée ,  demandent  toujours 
plus  impérieusement  qu'un  peuple  civilisé  possède  Al- 
ger. Le  midi  de  la  France  a  senti  l'importance  de  cette  colo- 
nie; les  Provençaux  mettent  l'espérance  de  leur  commerce 
compromis,  dans  les  établissemens  qu'ils  se  préparent  à  faire 
sur  la  côte  d'Afrique.  Dans  cette  première  année,  cependant, 
les  pertes  ont  été  considérables,  et  la  possession  onéreuse  à 
la  France  ;  mais  c'est  un  droit  de  plus  qu'elle  a  acquis  à  une 
conquête  qu'elle  ne  pourrait  évacuer  sans  honte  pour  elle- 
même,  sans  cruauté  pour  les  habitans  qui  se  sont  confiés  à 
sa  foi. 

Tandis  que  l'Angleterre  applaudit  généreusement  aux  révo- 
lutions qui  bouleversent  sa  politique,  on  demandera  peut-être 
si  elle  ne  court  point  risque  d'en  être  elle-même  ébranlée. 
Nous  ne  le  croyons  pas.  Sans  doute,  beaucoup  d'abus  y  ré- 
clament encore  des  réformes;  beaucoup  de  souffrances,  dans 
les  ordres  inférieurs  du  peuple,  demanderaient  une  meilleure 
distribution  de  la  propriété.  Mais  l'Angleterre  est  déjà  en  pos- 
session de  moyens  légaux  pour  marcher  <an«  secousse  à  son 


L'AAENIR.  549 

perfectionnement;  clic  n'a  pas  besoin  des  tlangcrcnx  expé- 
(Hens  qui  ont  réussi  à  la  France,  mais  auxquels  on  ne  recourt 
jamais  sans  effroi.  Constituée  bien  différemment  quela  France, 
avec  une  masse  bien  plus  grande  de  prolétaires,  avec  plus  de 
richesses,  mais  incomparablement  plus  de  pauvreté,  elle  de- 
vrait trembler  si  une  insurrection  remettait  son  sort,  comme 
il  a  remis  celui  de  la  France  à  la  sagesse  et  à  la  vertu  des 
classes  ouvrières.  C'est  par  plus  de  lumière,  qu'elle  peut  por- 
ter remède  aux  maux  qu'elle  éprouve,  et  non  par  plus  décou- 
rage. C'est  de  calme,  d'ordre  et  de  réflexion  qu'elle  a  besoin, 
pour  découvrir  le  moyen  de  rattacher  ù  la  propriété  ces  mil- 
lions d'ouvriers  qui  vivent  au  jour  le  jour,  en  faisant  seuls 
tout  l'ouvrage  des  manufactures  et  de  l'agriculture.  Sa  tâche 
est  bien  plus  difficile  que  celle  de  la  France,  parce  que  le  but 
qu'elle  doit  atteindre  est  bien  plus  mal  défini.  Mais  nous  es- 
pérons que,  dès  qu'elle  connaîtra  le  remède,  le  patriotisme 
ne  lui  manquera  pas  pour  rapplicpier  ;  nous  espérons,  disons- 
nous,  pour  l'honneur  de  la  liberté,  que  la  France  et  l'Angle- 
terre, ayant  toutes  deux  passé  par  une  heureuse  et  glorieuse 
révolution,  n'auront  jamais  plus  le  besoin  de  s'y  engager  de 
nouveau. 

Jetons  en  finissant  un  dernier  regard  sur  cet  avenir  dont 
nous  avons  cherché  à  soulever  le  voile  ;  il  dépend  de  la  France, 
si  elle  n'oublie  point  que  son  devoir  envers  l'univers  est  d'être 
unie  et  forte.  Alors,  respectée  aujourd'hui  pour  son  héroïsme, 
elle  sera  bientôt  entourée  d'une  ceinture  d'États  libres,  qui 
garantiront  sa  prospérité  comme  sa  sécurité.  Si  elle  s'agite 
pour  avancer,  sans  savoir  où  elle  veut  aller;  si  elle  change 
sans  cesse  ses  institutions,  et  les  dépositaires  de  son  pouvoir, 
ce  pouvoir  s'évanouira  entre  leurs  mains;  au  lieu  de  peuples 
alliés,  parmi  ses  voisins,  elle  ne  verra  que  des  princes  enne- 
mis ;  elle  sera  appelée  de  nouveau  à  une  lutte  terrible;  et  vic- 
torieuse ou  vaincue,  elle  n'en  sortira  pas  sans  dommage  pour 
sa  liberté. 

J.  C.  L.  DE  SlSMO^D^. 


55o  DE  LA  MÉTHODE 

DE 

LA  MÉTHODE  D'OBSER\  ATION, 

APPLIQUÉE 

AIX  SCIENCES  iMOIlALES  ET  POLITIOLES. 


A  M.  LE  DIRECTEUR  DE  LA  REA  LE  ENCYCLOPEDIQUE. 

MONSIETJB, 

Il  est  toujours  richcux  pour  un  écriv.iia  de  n'avoir  pas  été 
compris  ;  mais  cela  est  surtout  pénible  pour  celui  qui  écrit  sur 
I;i  morale  ou  sur  les  lois.  Dans  ces  matières,  en  effet,  un  faux 
principe  en  théorie  conduit  nécessairement  à  de  mauvaises 
actions  dans  la  pratique.  Si  l'auteur  n'est  pas  accusé  d'incon- 
séquence, les  reproches  adressés  à  son  ouvrage  tombent  pres- 
que toujours  sur  sa  personne.  Vous  ne  sei-ez  donc  pas  smpris 
si  je  vous  adresse  quelques  observations  sur  l'article  inséré 
dms  le  numéro  de  la  Revue  française  du  aïois  de  mai,  au  su- 
jet de  mon  Traité  de  Législation.  Ces  observations  seront,  du 
reste,  étrangères  aux  critiques  relatives  au  mérite  littéraire; 
elles  ne  porteront  que  sur  le  fonds  des  choses. 

Avant  de  répondre  au  critique,  je  dois  le  remercier  de  tou- 
tes les  marques  de  consiilération  qu'il  me  donne,  et  que  je  liii 
rendrais  sans  doute,  s'il  n'avait  pas  eu  la  modestie  de  me  ca- 
cher son  nom.  Il  est  animé  pour  moi  d'une  si  grande  bien- 
veillance, r[u'il  ne  ni'alliibue  pas  un  taux  raisonnement  sans 
l'accompagner  de  l'assurance  de  sa  profonde  estime,  et  qu'il 
m'accable  d'éloges,  toutes  les  fois  qu'il  peut  trouver  l'occasion 
de  m'impiiler  une  absurdité.  Ou  sera    peut-être  surpris   de 


DO  BSKll  NATION.  55. 

Aoir  lin  houinic  doué  truii  si  bon  naturel  se  résigner  à  iiioii- 
Irtr  au  doigt  les  l'aules  du  prochain,  poiu'  leqiîcl  il  parait  avoir 
une  affection  si  sincère;  mais  l'étonnenient  cessera  quau'i 
j'aurai  dit  que  c'est  un  homme  extrêmement  attaché  d  la  loi 
du  devoir.  11  avait  à  renjplir  U7ic  tâche  pénible  qui  lui  était  im- 
posée, dit-il,  par  le  nom  de  l'auteur,  et  parle  mérite  du  reste 
du  livre;  il  n'a  pas  dû  rendre  compte  de  l'ouxragc ,  sans  sii^îia- 
ler  une  introduction  dont  les  doctrines  lai  paraissent  offaiblir 
l'empire  de  l'obligalion  morale ,  et  ôler  à  la  science  son  autorité. 

Si  l'on  pouvait  douter  de  la  répugnance  avec  laquelle  le 
critique  a  rempli  la  lâche  pénible ^  une  seule  observation  sufll- 
rait  pour  dissiper  tous  les  doutes.  L'ouvrage  dont  il  dit  avoir 
voulu  rendre  compte  forme  quatre  volumes  ;  et  sur  les  vingt- 
six  pages  dont  son  article  se  compose  ,  vingt-une  sont  co!i- 
sacrées  à  la  tâche  pénible  ;  cinq  pages  ont  suffi  à  l'analyse  des 
onze  douzièmes  de  l'ouvrage  :  c'était  ici  la  tâche  agréable.  La 
loi  du  devoir  ne  permet  pas  de  consulter  ses  affections. 

Suivant  le  critique,  j'ai  donc  professé  des  doctrines  propres 
à  affaiblir  l'empire  de  Vobligalion  morale,  et  à  ùter  à  la  science 
son  autorité.  Il  est  à  craindre,  suivant  lui,  que  l'autorité  de 
mon  nom  ne  serve  à  donner  du  crédit  à  mes  principes,  et 
c'est  pour  cela  qu'il  s'impose  la  tâche  pénible  de  les  réfuter. 
Ce  reproche,  fait  par  un  homme  qui  me  témoigne  tant  d'es- 
time, et  qui  montre  un  si  grand  zèle  pour  la  loi  du  devoir,  est 
très-grave,  tellement  grave,  qu'il  serait  difficile  d'en  faire  un 
plus  fort  à  un  écrivain  qui  s'occupe  de  morale  ou  de  législa- 
tion. La  question  est  de  savoir  s'il  est  mérité,  et  si,  dans  cette 
occasion,  le  critique  n'a  pas  montré  plus  de  zèle  que  de 
science.  Ai -je  réellement  professé  les  doctrines  qu'il  m'attri- 
bue; et  celles  que  j'ai  professées  peuvent-elles  avoir  les  con- 
séquences qu'il  leur  suppose?  En  lisant  son  article,  il  ni'a 
paru  évident  ((u'il  ne  m'avait  pas  compris  :  vous  jugerez. 
Monsieur,  si  c'est  sa  faute  ou  la  mienne. 

Je  conçois  deux  manières  de  traiter  un  sujet  quelconque: 
on  peut  le  traiter  comme  science,  ou  comme  art  pratique.  Si 


552  DE  LA  MÉTHODE 

on  le  traite  comme  une  science,  on  le  considère,  ce  me  sem- 
ble,  comme  la  connaissance  d'un  certain  ordre  de  phéno- 
mènes. Quelquefois  ces  phénomènes  ont  entre  eux  plus  ou 
moins  d'analogie  ;  quelquefois  aussi  ils  dérivent  les  uns  des 
autres.  Si,  par  exemple,  je  veux  acquérir  la  science  de  la  lé- 
gislation,  il  faut  que  j'étudie  et  que  je  classe  les  diverses  lois 
auxquelles  les  peuples  sont  soumis.  Il  faut  que  j'observe  en- 
suite les  rapports  qui  existent  entre  elles,  et  que  je  recherche 
les  causes  qui  les  ont  amenées  et  les  résultats  dont  elles  ont 
été  suivies.  Si  je  yeux  étudier  la  morale  comme  science,  il  faut 
que  j'observe  les  diverses  passions  qui  se  manifestent  chez  les 
hommes;  que  j'examine  les  circonstances  ou  les  faits  sous 
l'empire  desquels  elles  se  développent,  et  enfin  que  j'en  dé- 
couvre, les  conséquences. 

On  procède  différemment  quand  on  considère,  sous  le  rap- 
port de  l'art,  l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  branches  de  nos 
connaissances.  On  recueille  alors  les  vérités  ou  les  principes 
que  la  science  a  découverts  ;  on  les  convertit  en  règles,  et  ces 
règles  servent  à  nous  diriger  dans  le  cours  de  la  vie.  C'est 
ainsi  que  la  plupart  des  sciences  ont  fourni  des  procédés  ;\ 
tous  les  arts,  et  ont  dirigé  une  multitude  de  gens  qui  les 
ignorent.  Il  ne  faut  pas  conclure  de  là  que  toute  règle  de  con- 
duite a  toujours  été  précédée  d'observations  scientifiques  :  il 
est  des  choses  tellement  simples  qu'elhis  nous  frappent,  sans 
que  nous  ayons  besoin  de  réfléchir;  il  est  aussi  des  sentimens 
tellement  naturels,  tellement  énergiques,  qu'ils  nous  entraî- 
nent avant  que  nous  ayons  eu  le  (ems  de  penser. 

La  science,  ne  procédant  pas  de  la  même  manière  que  l'art, 
quoiqu'elle  tende  vers  le  même  but,  n'a  pas  non  plus  le  même 
langage.  La  première  expose  ou  déduit;  le  second  donne  des 
règles,  prescrit.  L'une  montre  la  nature  des  choses,  et  ob- 
serve les  lois  :  l'autre  commande,  trace  des  devoirs.  La 
science,  telle  du  moins  que  je  la  conçois,  ne  sera  long-tems 
connue  que  du  petit  nombre;  mais  l'art  de  se  bien  conduire 
doit  êlrc  appris  à  tous. 


D'OBSERVATION.  553 

Celui  qui  étudie  une  science  n'a,  selon  moi,  que  deux 
règles  à  suivre  :  rechercher  la  vérité  avec  l'attention  et  la 
persévérance  dont  il  est  capable;  l'exposer  ensuite  de  la  ma- 
nière la  plus  simple,  la  plus  claire,  la  plus  méthodique;  s'il 
remplit  cette  double  tHche,  pn  n'a  plus  rien  à  lui  demander. 

Voulant  traiter  la  législation  et  la  morale  comme  sciences, 
j'ai  dit  que  je  procéderais  comme  on  procède  habituellement 
quand  on  écrit  snr  les  sciences;  c'est-à-dire  que  j'exposerais 
un  certain  ordre  de  phénomènes,  que  je  tâcherais  d'en  mon- 
trer l'enchainement,  d'en  faire  voir  les  conséquences.  J'ai  dit 
que  les  règles  en  sortiraient  d'elles-mêmes,  et  que  je  n'aurais 
même  pas  à  parler  de  droits,  ni  de  devoirs;  j'ai  surtout  dis- 
tingué l'autorité  des  lois  de  notre  nature,  de  l'autorité  des 
écrivains  ou  des  savans.  J'ai  démontré  que  la  première  a  une 
puissance  irrésistible;  mais  j'ai  dit  aussi  que  les  hommes  qui 
s'occupent  de  sciences  n'ont  pas  d'autre  puissance  que  celle 
que  leur  donne  la  vérité;  ce  n'est  pas  à  eux  que  l'autorité  ap- 
partient ;  c'est  aux  lois  dont  ils  ont  fait  la  découverte.  J'ai  dit, 
en  parlant  des  personnes  qui  cultivent  les  sciences,  qu'un  sa- 
vant qui  fait  des  recherches  sur  les  causes,  la  nature  et  les  con- 
séquences des  actions  ou  des  institutions  humaines,  n'a  pas 
plus  d'autorité  sur  les  peuples  que  n'en  a  sur  les  classes  indus- 
trielles un  homme  qui  fait  des  recherches  sur  la  mécanique. 
L'un  et  l'autre,  ai-je  ajouté,  peuvent  décrire  les  phénomènes 
relatifs  à  la  science  dont  ils  s'occupent;  l'un  et  l'autre  doivent 
exposer  les  conséquences  d'un  bon  ou  d'un  mauvais  procédé  ; 
mais  il  n'appartient  pas  plus  au  premier  qu'au  second  de  par- 
ler de  devoirs. 

Ayant  distingué  la  science,  qui  recherche  des  règles  de  con- 
duite dans  l'observation  des  phénomènes  de  la  nature,  de  l'art, 
qui  apprend  à  faire  l'application  de  ces  règles,  j'ai  dit  qu'il 
appartenait  aux  hommes  qui  dirigent  leurs  semblables  de  leur 
enseigner  leurs  devoirs,  de  leur  prescrire  l'accompUssement 
de  leurs  obligations  :  j'ai  cité  parmi  les  personnes  qui  sont 
dans  ce  cas,  les  ministres  de  la  religion,  les  magistrats,  le* 
parens. 


5:)'|  DE  LA  MÉTHODE 

Vous  remarquerez  qu'il  n'est  ici  question  que  de  niélhode 
et  de  propriété  de  langage;  il  ne  s'agit  nullement  du  fond  des 
choses  :  rien  de  ce  qui  est  étranger  à  la  méthode  n'est  af- 
firmé, rien  n'esl  mis  en  doute. 

Le  critique  parait  cependant  singulièrement  scandalisé  de 
ce  langage.  Après  avoir  rapporté  quelques  passages  de  mon 
livre,  il  s'empresse  de  rassurer  ses  lecteurs,  en  leur  disant 
qu'il  ne  faut  pas  conclure  de  mes  paroles  que  je  ne  reconnais 
pas  de  devoir  dans  l'homme.  Il  veut  bien  leur  apprendre  qu'il 
existe  dans  mon  ouvrage  plusieurs  passages  qui  prouvent  que 
je  reconnais  des  devoirs  et  des  droits.  Il  leur  dit  que  ceux  qui 
me  connaissent  personnellement  n'ont  pas  besoin  de  mes  pa- 
roles imprimées  pour  en  être  convaincus.  Enfin  il  assure, 
qn'rt»  lieu  du  renégat,  le  devoir  trouverait  au  besoin  en  moi 
im  martyr  :  Impacidum  ferient  ruinœ. 

Je  suis  fort  reconnaissant  de  la  bonne  opinion  que  le  cri- 
tique a  de  ma  personne,  en  ayant  une  si  mauvaise  de  mes 
opinions;  je  suis  fort  reconnaissant  sin-tout  de  l'atteslalion  qu'il 
veut  bien  en  donner,  après  avoir  rapporté  des  passages  de 
mon  livre  qui,  suivant  lui,  pouvaient  rendre  cette  attestation 
nécessaire.  Je  me  permettrai  cependant  d'observer,  en  pas- 
sant,  qu'il  me  donne  ici  plus  d'éloges  que  je  n'en  mérite,  et 
que  je  ne  suis  pas  un  homme  aussi  héroïque  qu'il  veut  bien  le 
dire.  Si,  au  moment  où  j'écris  cette  lettre,  j'entendais  cra- 
quer fortement,  je  ne  dis  pas  le  globe  terrestre,  mais  seule- 
ment les  murs  de  la  maison  que  j'habite,  j'aurais  peur;  cela 
me  paraît  certain.  Mais  ce  n'est  pas  de  cela  qu'il  s'agit. 

Le  critique  veut  bien  apprendre  à  ses  lecteurs  que  je  recon- 
nais des  droits  et  des  devoirs  :  s'il  leur  avait  dit  que  je  ne 
conçois  pas  que  cela  puisse  être  mis  en  doute,  et  que  mon 
opinion  à  cet  égard  l'ésulte  de  toutes  les  parties  de  mon  ou- 
vrage, il  aurait  parlé  avec  plus  d'exactitude.  Cela  aurait  été 
plus  obligeant,  et  surtout  plus  vrai  que  la  citation  du  vers 
d'Horace. 

Dans  im  des  chapitres  qu'il  désapprouve,  après  avoir  som- 
mairement examiné  quelques-uns  des  systèmes  qu'on  a  faits 


D'OBSERVATION.  555 

sur  la  morale,  je  m'expiinie  en  ces  termes  :  Qu'on  ne  se  hâte 
pas  de  conclure  de  là  que,  pour  s'instruire  dans  les  sciences  7110- 
rates,  il  est  nécessaire  de  n'avoir  point  de  règles ,  de  mépriser  lu 
Justice,  de  ne  tenir  compte  d'aucun  devoir.  Qii  poirratt  avoir 
TKE  TELLE  PE^■sÉE  ?  La  question  n'est  pas  de  savoir  s'il  faut  se 
conformer  à  la  justice.,  s'il  est  des  devoirs  qu'il  faut  observer,  des 
droits  qu'il  faut  respecter,  des  maximes  ou  des  principes  qu'il  est 
hon  de  mettre  en  pratique  ;  elle  est  de  savoir  quelle  est  la  meil- 
leure méthode  pour  arriver  à  la  découverte  de  ce  qui  est  juste,  de 
ce  qui  est  droit,  de  ce  qui  est  un  devoir  (1  ) . 

Ainsi,  dès  les  premières  pages  de  mon  ouvrage.  J'ai  an- 
noncé assez  nettement,  ce  me  semble,  que  j'allais  traiter  une 
question  de  méthode,  et  que  je  ne  concevais  pas  que  la  pen- 
sée pAt  venir  à  un  homme  de  mettre  en  question  s'il  existe  ou 
non  des  droits  et  des  devoirs.  Si  le  passage  que  je  viens  de 
citer  n'était  pas  assez  clair  aux  yeux  du  critique,  il  aurait  pu 
en  trouver  beaucoup  d'autres  qui  peut-être  l'auraient  été  da- 
vantage :  je  pourrais  en  citer  plusieurs,  mais  je  pense  qu'un 
second  suffira. 

«Dans  tous  les  pays,  on  a  beaucoup  écrit  contre  les  philo- 
sophes :  on  les  a  accusés  d'incrédulité,  d'athéisme,  de  maté- 
rialisme, enfin  de  toutes  les  opinions  qu'on  a  cru  propres  à  les 
rendre  odieux  aux  nations.  Je  n'ai  point  à  examiner  si  ces  re- 
proches ont  été  de  bonne  foi,  et  s'ils  ont  été  bien  on  mal  fon- 
dés ;  mais  je  crois  pouvoir  faire  observer  ici  que,  s'il  est  au 
monde  une  classe  d'individus  à  laquelle  ils  conviennent,  il 
n'en  est  aucune  qui  les  mérite  aussi-bien  que  les  possesseurs 
d'hommes.  Est-il,  en  effet,  une  incrédulité  plus  effrayante  pour 
le  genre  humain,  que  celle  des  individus  qui  nient  l'existence 
de  toute  espèce  de  devoirs?  Les  hommes  auxquels  on  a  reproché 
d'avoir  affecté  le  cynisme  dans  leur  impiété  ont-ils  jamais  eu 
l'imprudence  de  soutenir  qu'un  père  ne  doit  rien  à  ses  enlans, 
qu'un  fîls  ne  doit  rien  à  sa  mère?  Ont-ils  jamais  osé  publier 
qu'un  marine  d(nt  rien  à  sa  femme,   ni  une  femme  à  son 

(1)  Toin.  I ,  pag.  9. 


556  DE  LA  METHODE 

mari?  Ont -ils  jamais  dégradé  les  hommes  jusqu'au  point  de  sou- 
tenir qu'un  être  humain  n'a  aucun  devoir  à  remplir  ni  envers  lui- 
même,  ni  envers  les  autres  ? 

B  L'incrédnlilé  qui  porte  sur  Vexistence  de  tous  les  devoirs  mo- 
raux est  plus  liuieste,  et  je  dirai  même  plus  impie  que  celle 
qui  porterait  sur  une  vie  à  venir,  ou  sur  l'existence  d'un  Etre 
suprême.  Qu'importerait,  en  effet,  la  croyance  dans  une  autre 
vie,  ou  même  celle  de  la  Divinité,  ù  celui  qui  croirait  en 
même  tems  qu'il  n'a  aucun  devoir  à  remplir,  ni  envers  lui- 
même,  ni  envers  les  autres,  ni  envers  celui  qui  lui  a  donné  la 
vie?  Celui  qui  fait  de  la  ruse  et  de  la  force  la  Diesure  de  ses 
droits,  et  qui  ne  reconnaît  pas  d'autre  devoir  que  celui  d'o- 
béir aux  caprices  d'un  maître,  ne  dénie-t-il  pas  l'existence  de 
tous  les  devoirs  moraux,  l'existence  de  la  justice  et  les  pré- 
ceptes de  toute  religion?  Ne  dénie-t-il  pas,  par  conséquent, 
l'existence  de  tout  rapport  entre  l'homme  et  un  Être  suprême? 
En  se  faisant  lui-même  le  but  et  le  centre  de  tous  les  devoirs 
des  hommes  qu'il  tient  asservis,  ne  se  substitue-t-il  pas  à  la 
place,  non-seulement  du  genre  humain  tout  entier,  mais  de  la 
Divinité  elle-même  (i)  ?» 

A3ant  dit,  dans  les  premières  pages  de  mon  ouvrage,  que  je 
ne  pouvais  supposer  que  quelqu'un  mît  en  question  s'il  existe 
ou  non  des  droits  et  des  devoirs,  j'ai  fini  comme  j'avais  com- 
mencé. Mais,  dit  le  critique,  si  vous  les  admettez,  vous  refu- 
sez.aux  savans  le  droit  d'en  parler  ;  et  ce  droit  leur  appartient 
incontestablement.  J'en  demande  pardon  au  critique;  mais  il 
me  fait  tenir  un  langage  qui  n'est  pas  le  mien.  Il  transforme 
en  question  de  droit  une  question  de  méthode,  ce  qui  certai- 
nement n'est  pas  la  même  chose.  Si  je  disais  à  un  écrivain 
qu'il  doit  observer  les  régies  de  la  grammaire  ou  de  la  logi- 
que, et  s'il  me  répondait  qu'il  a  le  droit  décrire  comme  il  lui 
plaît,  que  pourrais-je  lui  répondre  ?  Rien,  si  ce  n'est  que  je  ne 
lui  ai  pas  contesté  son  droit. 


(i)  Toin.  IV,  pag.  4'ii  tt  4o2. 


D'OUSERVATION.  55^ 

Montesquieu  j  ensait  qu'un  écrivain  devait  prouver  les  qua- 
lifications par  les  choses,  et  non  les  choses  par  les  qualifica'- 
tions.  J'ai  partagé  son  opinion  sur  ce  point,  et  c'est  une  des 
raisons  qui  m'ont  fait  penser  que,  pour  donner  la  qualification 
(le  droits  ou  de  devoirs  aux  choses,  il  fallait  dabord  montrer 
ce  que  les  choses  sont.  J'aurais  cru  tomber  dans  un  cercle  vi- 
cieux, si,  comme  tant  d'autres,  j'avais  fondé  nos  devoirs  sur  la 
loi  du  devoir  ;  il  fallait  donc  procéder  d'une  autre  manière.  Une 
autre  raison  a  dé  tet  mi  né  le  parti  que  j'ai  pris,  et  cette  raison  tient 
peut-être  à  une  disposition  personnelle.  Un  soldat  qui  parle 
l)eaucoup  de  sa  bravoure,  un  prêtre,  de  sa  piété,  une  femme, 
de  sa  pudeur,  et  un  agent  d'affaires,  de  sa  probité,  m'inspirent 
t;n  général  peu  de  confiance.  Je  puis  dire  aussi  que  des  écri- 
vains qui  parleraient  à  tout  propos  de  leur  conscience  et  de 
leur  soumission  à  la  loi  du  devoir  ne  prendraient  peut-être 
pas  î«  meilleur  moyen  de  me  persuader.  Il  est  des  choses  qu'on 
fait  et  dont  on  parle  peu  :  c'est  pour  cela  qu'à  mon  avis  il  est 
des  expressions  dont  il  faut  être  sobre. 

Convaincu  que  la  vérité,  quand  elle  est  bien  exposée,  finit 
lot  ou  tard  par  avoir  sur  les  peuples  une  puissance  irrésistible, 
j'ai  dit  que  pour  faire  faire  des  progrès  aux  mœurs  et  aux  in- 
stitutions, il  suffisait  (l'appliquer  à  la  législation  et  à  la  morale 
la  méthode  qu'on  suit  dans  toutes  les  sciences,  la  méthode 
d'observation.  Celte  méthode,  ai-je  ajouté,  n'est  peint  exclu- 
sive du  sentiment  moral  (ovi  de  la  conscience);  elle  ne  peut, 
au  contraire,  être  efficace  que  parce  qu'elle  en  admet  ou  en 
suppose  l'existence. 

Ici,  le  critique  se  récrie  :  il  passe  l'expression  admet,  mais 
leinot  suppose  'e  choque  singulièrement;  il  y  voit  une  incon- 
séquence palpable.  «  L'analyse  qui  suppose  l'existence  d'un 
«fait,  et  d'un  fait  dont  on  n'a  pas  une  idée  nette  et  précise! 
«Cependant  le  but  principal  de  ce  premier  livre  est  de  re- 
))  pousser  toute  hypothèse.  » 

J'ai  dit,  en  cosimencant  cette  lettie,  que  le  critique  ne  m'a- 
vait pas  compris;  j'ajouterai  maintenant  qu'il  ne  me  paraît 
pas  bien  comprendre  les  termes  de  notre  langue.  Quand  j'ai 

T.    XLVII.    SEPTEMBUF.    l  85<).  .  56 


.>58  DL  LA   MliTUODE 

fait  ()l)S(;rvcr  qr.c  la  huiIkuIc  aiialvlit[\ie  ne  peut  prétendre  à 
quelque  efficacité  qu'autant  qu'elle  adviet  cru  suj^pose  le  senti- 
ment moral,  quel  a  été  le  sens  dans  lequel  j'ai  pris  ce  mot  sup- 
pose? Je  l'ai  pii-  dans  le  <ens  qu'il  a  naturellement;  dans  celui 
que  lui  attribue  le  Dictionnaire  de  l'Académie.  J'aurais  égale- 
ment rendu  ma  pensée  si,  au  lieu  de  supposer,  j'avais  écrit 
sous-enund.  Supposer,  dit  l'Académie,  c'est  poser  une  chose 
pour  établie,  pour  reçue,  afin  d'en  tirer  ensuite  quelque  indue- 
lion.  Sur  quoi  donc  le  critique  a-t-il  pu  se  fonder  pour  me 
faire  dire  que  je  considère  le  sens  moral,  ou,  si  l'on  veut,  la 
conscience,  comme  une  pure  hypothèse? 

L'erreur  dans  laquelle  il  est  tombé  me  paraît  ici  d'autant 
moins  excusable  que,  s'il  n'était  pas  clair  à  ses  yeux  que  le 
mot  suppose  devait  être  pris  pour  sous-entend,  il  povivait  en 
trouver  le  sens  naturel  dans  le  chapitre  même  où  il  est  em- 
ployé. Dans  ce  chapitre,  en  effet,  je  tâche  de  faire  comprendre 
que  les  lumières  que  nous  acquérons,  ou  que  nous  communi- 
quons par  la  science,  seraient  sans  effet ,  s'il  n'existait  pas  en 
nous  un  principe  d'action  pour  nous  porter  vers  ce  qui  est 
bien,  et  nous  détourner  de  ce  qui  est  mal.  Voici  les  paroles- 
mêmes  dont  je  me  suis  servi  : 

«  Le  seul  effet  qui  lui  soit  propre  (à  la  méthode  analytique), 
et  (|u'elle  produit  sans  le  secours  d'aucun  autre  agent,  est  de 
faire  connaître  le  bien  et  le  mal  qui  résulte  de  tel  action  ou  de 
telle  loi.  Il  faut  donc,  pour  que  les  connaissances  qu'elle  donne 
ne  soient  pas  stériles,  qu'il  existe  dans  l'homme  un  principe 
d'action  qui  le  pousse  vers  ce  qui  est  bien,  et  qui  l'cloigne  de  ce 
qui  est  mal  ;  qui  le  détermine  à  approuver  les  habitudes  ou  les 
institutions  utihïsau  genre  humain,  et  à  réprouver  celles  qui  lui 
sont  funestes.  Si  l'homme  no  portait  en  lui-même  aucun  prin- 
cipe d'action,  la  science  serait  sans  cfF<:l,  car  elle  ne  saurait  en 
créer  un  ;  elle  ne  saurait  imprimer  au  genre  humain  un  mou- 
vement qu'il  n'aurait  pas  (i).  » 

(i)  Tom.  I,  pag.    loi.  .Te  dis,  dans  la  page  suivante,  en   parlant  du 
sens  moral  :  »  Ce  sentiment  exl   inconicsinlilc  ;   il  se   nianil'este  par  nn» 


D'OBSERVATION.  5.1;) 

(Comment  se  peut-il,  je  le  répète,  qu'ayant  reconnu  l'exi- 
stence de  ce  phénomène  d'une  manière  si  nette,  si  positive, 
le  critique  me  fasse  dire  que  je  le  considère  comme  ime  pure 
hypothèse  ?  Je  le  comprends  d'autant  moins  que  j'ai  donné  à 
cette  observation  plus  de  développemens  peut-être  qu'il  n'é- 
tait nécessaire,  et  que  les  termes  dont  je  me  suis  servi  n'ont 
rien  d'ambigu. 

Le  critique  me  dira  peut-être  qu'il  ne  suffisait  pas  d'ad- 
mettre le  fait  comme  positif,  comme  indubitable,  mais  qu'il 
fallait  de  plus  le  prouver,  le  décomposer,  l'expliquer.  Je  ne 
partage  pas  son  opinion  à  cet  égard;  j'en  dirai  la  raison,  eu 
répondant  à  quelques  autres  objections  de  même  nature. 

Après  m'avoir  reproché  la  méthode  d'exposition  que  j'ai 
adoptée,  le  critique  me  fait  un  reproche  d'un  autre  genre  ;  il 
trouve  mauvais  que  j'aie  dit  qu'il  appartient  aux  hommes  in- 
vestis d'une  autorité  quelconque  de  parler  de  devoirs  à  leurs 
subordonnés  dans  l'ordre  naturel  ;  ce  mot  de  devoirs^  employé 
par  des  parens  envers  leurs  enfans,  par  des  magistrats  envers 
les  simples  citoyens,  par  les  ministres  de  la  religion  envers  les 
personnes  de  leur  communion  ou  de  leur  croyance,  ne  lui 
parait  pas  convenable,  au  moins  dans  mon  ouvrage. 

Le  critique  ne  voit  pas,  il  ne  lui  est  pas  possible  de  com- 
prendre de  quel  droit  pourraient  parler  de  devoirs,  dans  mon 
système,  le  législateur,  le  père,  l'Instituteur,  le  mari,  le  ministre 
du  culte,  auxquels  cependant  je  reconnais  le  droit  d'eu  parler  ; 
car  si  je  ne  pars  pas  du  principe  de  l'utilité,  comme  fonde- 
ment de  l'obligation,  en  tant  que  principe  de  morale,  que 
reste-t-il  au  père,  au  mari,  au  législateur?  Est-ce  la  loi  posi- 
tive, l'autorité,  la  volonté  du  supérieur?  «  Mais,  ajoute  le  criti- 
que, la  loi  positive,  l'autorité,  la  volonté  du  supérieur,  lors- 
qu'elles ne  se  fondent,   ni  sur   l'utilité',  ni  sur  l'obligation , 


multitude  de  laits;  il  est  pour  l'iiomme  un  principe  ou  une  cause  d'ac- 
tion ;  il  contribue  à  former  nos  mœurs.  Sous  ce  rapport,  il  est  un  dt  s  fon- 
demens  de  la  morale  et  de  la  légisL-lion  ;  il  en  est  en  quelque  forte  ta  pre- 
mière cause,  u 


r;()o  DK   L\   MKillODE 

nous  craignons  fort  (]u"t'lles  ne  se  rcsolvenl  dans  la  force  la 
plus  irrationnelle  et  lapins  brutale.  Cependant,  ce  n'est  pas  là 
ce  que  M.  Comte  a  voulu  dire.  Aussi  sonniies-nous  forcés  de 
confesser  notre  inipo-^sibilité  de  comprendre  sa  pensée.  »■ 

.le  suis  oiiligé  de  rappeler  ici  une  ol)servalion  que  j'ai  déjà 
faite  :  quand  j'ai  parlé  de  la  méthode  et  du  langage  qui  con- 
viennent aux  sciences,  je  ne  me  suis  occupé  en  aucune  ma- 
nière des  droits  des  savans;  cette  expression,  employée  dans 
imc  question  de  méthode,  m'aurait  paru  fort  injpropre.  Ce 
n'est  cependant  qu'en  m'altrihuant  des  termes  dont  je  ne  me 
suis  pas  servi,  et  que  j'aurais  repoussés  s'ils  s'étaient  présentés  à 
mon  esprit,  que  le  critique  me  presse  de  ses  objections.  Otez 
de  sa  réfutation  les  expressions  qu'il  m'attribue  à  tort,  et  ses 
objections  s'évanouissent.  Mais  venons  au  fond  de  la  question. 

Le  critique  ne  voit  pas  de  quel  droit  parlerait  de  devoirs  un 
père  à  ses  enfans,  un  magistrat  aux  citoyens,  un  ministre  de 
la  religion  aux  personnes  de  sa  croyance,  si  les  uns  et  les 
autres  ne  se  fondent  ni  sur  l'utilité,  ni  sur  l'obligation.  J'avoue 
fjue  si  le  critique  ne  comprend  pas  ma  pensée,  je  ne  com- 
prends pas  mieux  la  sienne,  à  moins  qu'il  ne  veuille  faire  en- 
lendre  ([ue  je  ne  crois  à  l'existence  d'aucun  devoir,  quand 
j'affirme  que  personne  ne  peut  avoir  la  pensée  de  la  nier. 

Je  ne  sais  quelle  est  l'école  philosophique  à  laquelle  le  cri- 
tique a;. parvient  ;  mais,  quelles  que  soient  ses  doctrines,  pré- 
tendrait-il (ju'on  doit  procéder  dans  la  pratique  de  la  morale 
comme  ou  procède  dans  l'exposilion  de  la  science?  Si  je  veux 
donner  à  mes  enfans  des  habitudes  de  tempérance,  de  sincé- 
rité, de  candeur,  de  simplicité,  de  désintéressement,  faudra- 
t-il  que  je  m'arme  d'abord  dos  écrits  de  Kant,  de  Reid  ou  de 
lîentham?  Faudra- t-il  que  je  commence  par  les  initier  dans 
les  secrets  de  la  psychologie  ou  de  l'idéologie,  et  que  je  leur 
uolifie  mon  dr(jit  de  leur  parler  de  leurs  devoirs,  en  leur  ex- 
posant la  théorie  du  jurisconsulte  anglais  ou  des  philosophes 
écossais?  Si  je  m'abstiens  de  leur  enseigner  ces  théories,  ou  si 
je  les  ignore,  mon  aiitorité  se  résoudra-t-elle  nécessairement 
dans  la  for  Cl  la  plus  irnilionnrllc  et  la  plus  hrutaU?  W  faut  bien 


D'OliSEllVATiON.  5()i 

que  ce  soit  la  pensée  du  ciiluiuc,  à  moins,  je  le  répèle,  qu'il 
ne  m'accuse  de  ne  croire  à  l'existence  d'aucun  devoir. 

J'observe  tous  les  jours  des  maj^istrats  qui  parlent  aux  ci- 
toyens de  leurs  devoirs,  et  qui  en  exigent  l'accomplissement; 
je  vois  qu'ils  leur  parlent  au  nom  des  lois;  mais  je  ne  remar- 
que pas  que,  quelles  que  soient  leurs  théories  philosophiques, 
ils  commencent  par  leur  exposer  les  doctrines  du  jurisconsulte 
anglais  sur  l'utilité,  ou  celle  des  philosophes  de  l'Ecosse  sur 
le  devoir;  je  suis  même  très-disposé  à  croire  que  la  plupart 
d'entre  eux  n'ont  jamais  lu  deux  pages  de  Bentham  ou  de 
Reid  ;  fairt-il  dire  cependant  que  leur  autorité  et  celle  de  la 
loi  qu'ils  exécutent  est  hi  force  la  plus  irrationnelle  et  la  plus 
brutale?  Je  ne  crois  pas  que  ce  soit  la  pensée  du  critique;  mais, 
s'il  en  était  ainsi,  qu'a-t-il  voulu  dire? 

Il  me  semble  qu'il  emploie  des  termes  dont  il  n'a  pas  d'a- 
bord déterminé  la  valeur,  et  que  ce  défaut  de  précaution  l'en- 
traîne dans  de  singulières  méprises.  J'avais  toujours  cru,  par 
exemple,  qu'un  père  qui  instruit  ses  enfans  dans  les  pratiques 
de  la  morale,  remplit  lui-même  un  devoir,  et  un  des  devoirs 
les  plus  rigoureux.  Aux  yeux  du  ciitique,  ce  n'est  pas  un  de- 
voir que  le  })ère  remplit,  c'est  un  droit  qu'il  exerce.  C'est  sous 
le  même  point  de  vue  qu'il  considère  l'autorité  des  magis- 
trats, des  ministres  du  culte,  et  enfin  de  tous  les  hommes  qui 
exercent  quelque  pouvoir  sur  leurs  semblables.  Jamais  chez 
lui  il  n'est  question  que  du  droit  de  parler  de  devoirs. 

Ce  n'est  pas  ici  une  simple  question  de  mots  ;  la  différence 
qui  existe  entre  nous  sur  ce  point  porte  sur  le  fond  des  choses. 
Tout  homme  dont  la  raison  a  acquis  un  certain  développe- 
ment est  libre  de  renoncer  à  l'exercice  d'un  simple  droit; 
mais  il  n'est  pas  également  libre  de  renoncer  à  l'accomplisse- 
ment de  ses  devoirs.  Je  suis  persuadé  qu'en  y  regardant  de 
près,  le  critique  finira  par  être  de  mon  avis;  mais  alors,  il  sera 
obligé  de  convenir  que  la  plupart  des  mots  dont  il  fait  usage, 
dans  les  objections  qu'il  m'adresse,  sont  pris  à  contre-sens. 
Je  regrette,  au  reste,  de  ne  pouvoir  pas  répondre  ici  à  toutes 
les  difficultés  qui  paraissent  avoir  assailli  son  espi  it  quand  il  n 


362  DK  LA  MÉTHODE 

iii  le  premier  volume  de  mon  ouvrage  :  mais  je  ne  puis  faire 
dans  quelques  pages  un  traité  de  droit  et  un  traité  de  morale. 

Le  critique  paraît  avoir  une  grande  répugnance  pour  ce 
qu'on  nomme  VaiUité  ;  il  avoue,  avec  douleur,  qu'il  me  soup- 
çonne d'avoir  du  penchant  pour  cette  pernicieuse  doctrine. 
Je  reconnais,  qti'en  effet,  je  n'ai  pas  eu  d'autre  objet  en  écri- 
vant, que  de  faire  un  ouvrage  utile  ;  si  c'est  un  mal,  j'en  suis 
coupable,  et  ne  cherche  point  à  m'en  excuser  :  j'ai  péché  en 
pleine  connaissance  de  cause.  J'ai  aspiré  à  faire  un  livre  propre 
à  concourir  au  perfectionnement  des  mœurs  et  des  lois,  un 
livre  utile. 

Ayant  admis,  comme  un  fait  incontestable,  que  l'homnKî 
porte  en  lui-même  un  principe  d'action  qui  le  dirige  vers  ce 
qui  est  bien,  et  qui  l'écarté  de  ce  qui  est  mal,  mais  ayant  admis 
en  même  tems  que,  dans  un  grand  nombre  de  cas,  l'homme  a 
besoin  de  lumières  pour  distinguer  ce  qui  est  mal  de  ce  qui  est 
bien,  et  que  l'instinct  ne  lui  suflit  pas  toujours  pour  se  bien 
conduire,  j'ai  dit  que  la  science  ne  pouvait  pas  avoir  d'autre 
objet  que  de  l'éclairer.  Mais  comment  la  science  de  la  législa- 
tion, par  exemple,  peut-elle  éclairer  les  hommes?  En  leur 
faisant  observer  les  institutions  qui  les  régissent;  en  leur  mon-, 
tranl  les  divers  effets  qu'elles  produisent;  en  leur  faisant  con- 
naître les  causes  qui  les  ont  amenées  et  celles  qui  les  soutien- 
nent. J'ai  dit  que,  si  l'on  ne  voulait  pas  que  les  peuples  se 
livrassent  à  de  vains  efforts  de  perfectionnement,  il  fallait,  en 
remontant  d'un  fait  à  un  autre,  arriver  à  des  phénomènes  qu'il 
leur  fût  possible  de  modifier  (i).  J'ai  indiqué  les  principales 

(ij  \oici  les  termes  mêmes  dont  je  me  suis  servi  :  a  En  procédant 
ainsi  (en  montant  d'un  l'ait  à  un  autre),  on  anive  à  des  faits  primitifs  ou 
à  des  phénomènes  dont  on  ne  trouve  plus  les  causes;  là,  il  faut  s'arrêtei', 
parce  qu'au-delà  on  ne  trouve  plus  que  des  ténèbres.  On  peut  ne  pas  tou- 
jours remonter  jusqu'à  ce  qu'on  arrive  à  des  causes  incocpluablcs  ;  mais  il 
faut  cependant,  poiii'  que  les  sciences  ne  soient  pas  des  cofinaissanc«'s 
stéiiles,  passer  d'un  pliénomène  à  un  autie,  jusqu'à  ce  qu'on  arrive  à  des 
faits  qu'il  soit  dans  la  puissance  des  hommes  de  modifier.  En  morale  et 
en  législation,  comme  en  toute  autre  science,  on  n'agit  eHlcacement 
iju'^utant  qu'on  agit  sur  des  causes.  "  T.  i,  p.  78. 


D'OBSERVATION.  505 

causes  qui,  à  mes  yeux,  exercent  plus  ou  moins  d'influence 
sur  les  institutions  et  sur  les  Imbitndes  morales  des  peuples  , 
et  j'ai  ajouté  que,  pour  modifier  ces  institutions  ou  ces  habi- 
tudes, il  fallait  en  attaquer  les  causes.  Tenter  de  modifier  les 
effets  aussi  long-temps  que  les  causes  subsistent,  ai-je  ajouté, 
est  la  plus  vaine  des  entreprises.  En  considérant  ces  causes  re- 
lativement aux  phénomènes  qu'elles  produisent,  je  les  ai  dési- 
gnées sous  le  nom  de  faits  primitifs.  J'ai  donné  le  même 
nom  aux  causes  dont  il  nous  est  impossible  de  donner  l'expli- 
cation, et  que  nous  ne  connaissons  que  par  les  effets  qu'elles 
produisent.  A  mes  yeux  ce  sont  là,  en  effet,  les  phénomènes 
primitifs  non  du  monde,  mais  de  la  science  dont  je  m'occupe. 

Le  critique  trouve  cette  qualification  mauvaise,  mais  sans 
en  indiquer  une  meilleure;  il  doute,  dit-il,  qu'on  puisse  ac- 
cepter ma  définition.  Suivant  lui,  les  faits  primitifs  ne  sont  pas 
ceux  dont  il  ne  nous  est  plus  possible  de  trouver  ou  d'expli- 
quer les  causiîs,  mais  ceux  qui,  par  leur  nature,  sont  incompa- 
tibles avec  l'idée  d'effet  dans  l'ordre  de  la  création;  ceux,  par 
exemple,  dont  le  contraire  implique  contradiction.  Il  aurait  dé- 
siré me  voir  traiter  des  faits  primitifs  de  la  nature  morale  de 
l'homme,  en  prenant  cette  expression  dans  saveritable  acception. 
Son  désir,  dit-il,  n'a  pas  été  satisfait.  (Pag.  2-21.) 

Je  n'ai  pas  eu  l'intention  de  traiter  des  faits  primitifs,  en 
donnant  à  ces  mots  le  sens  absolu  que  leur  donne  le  critique. 
J'avoue  que  mon  intelligence  ne  va  pas  jusqu'à  expliquer  les 
iaii^  qui,  par  leur  nature,  sont  incompatibles  avec  l'idée  d'effet 
dans  l'ordre  de  la  création.  Je  ne  suis  pas  même  sûr  de  com- 
prendre la  pensée  du  critique,  quand,  par  forme  d'exemple,  il 
nous  dit,  que  les  laits  dont  le  contraire  implique  contradiction 
sont  par  leur  nature  incompatibles  avec  l'idée  d'effet  dans 
l'ordre  de  la  création.  J'avoue  que,  quelle  que  soit  la  bran- 
che de  nos  connaissances  que  j'étudie  ,  je  rencontre  à 
chaque  pas  des  phénomènes  inexplicables.  J'avais  même  en- 
tendu dire  que  ce  malheur,  si  c'en  est  un,  arrive  à  des  gens 
qui,  sur  un  grand  nondire  de  points,  en  savent  beaucoup  plus 
que  moi.  Je  sais  bir-n  qu'il  est  des  hommes  qui  prétendent 


504  DE  LA  MÉTHODE 

donner  rexplicalioii  universelle  de  toutes  choses  :  je  ne  suiV 
point  de  ce  nombre  (i). 

Voici  des  reproches  non  moins  graves.  Suivant  le  critique, 
je  me  suis  arrêté  à  la  vie  extérieure  de  l'homme  ;  je  parais  n'a- 
voir attaché  une  grande  importance  qu'à  la  description  des 
faits  sensibles  de  Fhumanité;  \es  actions  extérieures  elle?,  in- 
stitutions  de  l'homme  ontévidemment  absorbé  mon  attention 
tout  entière;  je  ne  me  suis  guère  efforcé  de  pénétrer  les  mys- 
tères de  l'âme  humaine,  et  les  secrets  de  la  nature  morale  ; 
j'ai  établi  un  parallélisme  absolu  entre  les  sciences  physiques 
et  les  sciences  morales;  j'ai  affirmé  que  les  sciences  morales 
doivent  s'arrêter  tout  juste  là  où  s'arrêtent  les  sciences  phy- 
siques ;  j'ai  affirmé  que  le  champ  des  unes  n'est  pas  plus 
étendu  que  le  champ  des  autres  :  pour  avoir  le  droit  d'affir- 
mer cela,  il  fallait  établir  d'abord,  sous  peine  de  retomber  dans 
riiypothi'se,  que  C homme  n'est  que  matière  ;  et  je  n'ai  pas  prouvé 
que  l'homme  n'est  que  matière  ;  enfin  ,  de  ce  que  le  {)hysicien 
n'arien  àprescrire  aux  arbres  et  aux  pierres, y*fli  conclu&érieu- 
semcnt  que  de  même  il  n^apparticnt  pas  au  moraliste  et  an 
piibliciste  de   parler  de  devoirs  (pag.  21,  222  et  225). 

J'en  demande  pardon  au  critique  ;  mais  il  me  prête  ici  une 
série  d'absurdités  dont  je  le  défie  de  trouver  la  moindre  trace 
dans  mou  ouvrage;  si  elles  ont  existé  quelque  part,  ce  n'est 
certainement  que  dans  son  imagination.  Où  donc  a-t-il  vu 
que.j'ai  établi  un  parallélisme  absolu  entre  les  sciences  physi- 
ques et  les  sciences  morales?  où  a-t-il  trouvé  cette  singulière 


(1)  Les  liomiiies  qui  prétondent  tout  expliquer,  et  qui  se  vantent  de 
posséder  la  science  univtrï^elle,  sont  de  grands  admirateurs  de  Platon. 
Voici  cependant  ce  que  pensait  ce  philosophe  de  ceux  qui,  de  son  ten!s, 
manifestaient  les  mêmes  prétentions  :  «  Lorsque  quelqu'un  viendra  te 
dire  qu'il  a  trouvé  un  hnniaie  qui  sait  tous  les  métiers,  qui  réunit  en  lui 
seul,  dans  un  degré  éniinent,  toutes  les  connaissances  qui  sont  partagées 
entre  les  hommes  :  voici,  à  ce  que  je  crois,  ce  qu'on  doit  penser  de  ceUii 
qui  tient  de  tels  discours  ;  il  faut  le  regarder  comme  un  huLécite  qui  s'est 
laisse  duper  par  un  ehartatan.  »  De  la  licpitl/lii/uc,  liv.  x,  toni.  n,  p.  2^8, 
ile  la  traduction  de  Grou. 


D'OBSERVATION.  56îy 

assertion,  que  les  uues  doivent  s'arrêter  exactement,  et  au 
même  point  que  les  autres,  et  que  le  champ  des  premières 
n'est  pas  plus  étendu  que  celui  des  secondes?  J'ai  dit  que, 
pour  arrivera  la  découverte  de  la  rérité,  il  n'y  a  qu'une  bonne 
méthode,  celle  de  l'obscrvatiun  ;  j'ai  ajouté  que  la  méthode 
est  la  même  quel  que  soit  l'objet  auquel  on  l'applique  ;  mais, 
loin  de  conclure  de  l'identité  de  la  méthode  l'identité  des  su- 
jets auxquels  elle  est  appliquée,  j'ai  précisément  dit  le  con- 
traire. Voici  les  termes  mêmes  dans  lesquels  je  me  suis  ex- 
primé :  «  Les  sciences  morales  dijfererit  des  autres  par  la  nature 
des  faits  qui  en  sont  l'objet,  elles  ne  peuvent  en  différer  ni  par 
la  méthode,  ni  par  la  puissance  qui  est  propre  à  la  véri- 
té (i).  «Proclamer  que  les  sciences  morales  et  politiques  dif- 
fèrent des  sciences  physiques  par  la  nature  des  faits  qui  en 
sont  l'objet,  est-ce  établir  un  parallélisme  absolu  entre  les  unes 
et  les  autres?  Est-ce  dire  que  le  champ  de  celles-là  n'est  pas 
plus  étendu  que  le  champ  de  celles-ci? 

En  vo3ant  le  critique  pren  !re  des  questions  de  méthode 
pour  des  questions  de  droit,  j'ai  commencé  à  soupçonner 
qu'il  ne  savait  pas  bien  ce  qu'est  une  méthode  ;  ici  mes  soup- 
çons se  changent  en  certitude  :  il  est  évident,  en  effet,  qu'il 
ne  distingue  pas  la  méthode  des  objets  auxquels  elle  s'appli- 
que. L'erreur  dans  laquelle  il  tombe  ressemble  à  celle  d'un 
homme  qui  confondrait  une  procédure  judiciaire,  avec  les  faits 
ou  les  droits  qu'elle  doit  mettre  en  évidence. 

Le  critique  veut  bien  m'apprendre  qu'un  physicien  n'a  rien 
à  prescrire  aux  arbres  et  aux  pierres,  et  qu'il  ne  pourrait, 
sans  abuser  des  mots,  déduire  de  ses  observations  que  les  uns 
ont  le  devoir  de  croître,  les  autres,  celui  de  graviter  vers  le 
centre  de  la  terre.  Ensuite ,  il  ajoute  immédiatement  : 
M.  Comte  en  a  conclu  sérieusement,  que  de  même  il  n'appartient 
pas  au  moraliste  et  au  publiciste  de  parler  de  devoirs  (pag-  225). 

Quand  on  attribue  de  pareilles  extravagances  à  un  écri- 
vain, il  faudrait,  je  pense,  se  donner  quelque  peine  pour  le* 

(i)  Toni.  I,  pag.  4'->- 


566  DE  LA  MJiTHODE 

prouver  ;  mais  le  critique  n'y  regarde  pas  de  si  près.  Persuadé 
sans  doute  que  de  telles  assertions  n'ont  pas  besoin  de  preuve, 
il  continue,  et  se  demande,  si  la  conséquence  est  ralionnelle. 
Oui,  ajout'e-t-il ,  si  l'homme  n'est  que  matière  ;  s'il  est,  comme 
la  matière,  dépourvu  de  toute  moralité,  et  soumis  d  r empire  de 
la  nécessité. 

En  lisant  de  pareilles  observations,  je  marche,  je  l'avoue, 
de  surprise  en  surprise.  Le  critique  s'imaginera-t-il  que  le 
naturaliste,  en  exposant  les  lois  du  monde  physique,  adresse 
ses  leçons  aux  arbres  et  aux  pierres,  et  qu'il  se  propose  de 
leur  enseigner  les  lois  de  la  végétation  ou  de  la  gravitation? 
Ou  bien  supposerait-il  que  les  hommes  auxquels  il  s'adresse 
sont  aussi  dépourvn>^  de  conscience  et  de  liberté  que  les  pier- 
res et  les  arbres,  et  qu'il  n'existe  chez  eux  aucun  principe  ca- 
pable de  les  déterminer  a  faire  un  bon  usage  des  connaissan- 
ces qui  leur  sont  données? 

Il  paraît  croire  qu'on  ne  saurait  l'aire  sortir  la  connaissance 
d'aucun  devoir  de  l'observation  du  monde  physique,  et  c'est 
probablement  pour  cela  qu'il  me  reproche  un  parallélisme 
que  je  n'ai  pas  fait.  Je  ne  suis  pas  de  son  avis;  je  suis,  au  con- 
traire, bien  convaincu  que  nos  devoirs  se  multiplient  à  me- 
sure que  nos  connaissances  s'étendent.  Du  moment  qu'un 
homme  qui  se  destine  à  la  pratique  de  la  médecine,  par  exem- 
ple, a  appris  que  tel  remède  guérit  tel  maux,  son  devoir  vi'esi- 
il  pajs  d'en  faire  l'application  à  ceux  qui  en  ont  besoin,  et  qui 
réclament  les  secours  de  son  art?  Faut-il  conclure  de  là,  que 
le  professeur  ou  l'écrivain  qui  expose  les  principes  de  cette 
science,  doit  commeticer  par  faire  un  traité  des  devoirs  ?  je  ne  le 
pense  pas  :  dans  toutes  les  sciences,  il  est  des  vérités  que  l'on 
n'exprime  pas,  parce  qu'elles  sont  sous-entendues;  je  neveux 
pas  dire  supposées,  le  critique  m'accuserait  de  mettre  ces  véri- 
tés au  rang  des  hypothèses. 

Je  me  suis  arrêté  à  la  vie  extérieure  de  l'homme ,  dit  le  cri- 
tique, je  n'ai  attaché  une  grande  importance  qu'à  la  descrip^ 
tion  des  faits  sensibles  de  l'humanité;  les  actions  extérieures  et 
les  institutions  de  l'homme  ont  évidennnent  absorbé  mon 
jillenti'Mi  tout  (Mitièrc. 


D'OBSERVATION.  5G7 

Quels  sont  les  faits  que  le  crilifiue  enten'.l  désigner  par  ces 
mots  la  vie  extérieure,  et  les  faits  sensibles?  Veut-il  parler  des 
faits  qui  se  passent  dans  nos  organes  physiques,  ou  que  nous 
accomplissons  par  leur  moyen  ?  Si  c'est  des  faits  de  ce  genre, 
me  reprocherait-il  de  n'avoir  point  parlé  des  iali  internes? 
Je  ne  le  pense  pas;  car,  je  ne  saurais  concevoir  l'obligation 
de  parler  de  la  circulation  du  sang,  de  la  digestion  ou  d'autres 
phénomènes  physiologiques,  dans  un  traité  de  législation.  Il 
veut  donc  parler  des  phénomènes  qui  se  rapportent  à  l'âme, 
et  il  trouve  mauvais  que  je  ne  les  aie  pas  distingués  en  faits 
extérieurs  et  en  faits  intérieurs,  et  que  je  n'aie  pas  parlé  des  uns 
et  des  autres. 

Cette  distinction  se  trouve,  je  le  sais,  dans  un  grand  nom- 
bre d'écrits  récemment  publiés  :  cependant  je  ne  l'ai  pas  adop- 
tée. Si  j'avais  distingué  les  faits  de  l'àme  ou  les  faits  de 
conscience,  en  intérieurs  et  en  extérieurs,  le  critique  n'en  au- 
rait-il pas  conclu  que,  dans  ma  pensée,  l'âme  a  un  dehors  et 
un  dedans  ;  que,  par  conséquent,  elle  est  étendue  ;  et,  par  con- 
séquent, matérielle?  J'avais  bien  d'autres  raisons  pour  ne  pas 
m'engager  dans  des  discussions  de  cette  nature;  je  les  ferai 
bientôt  connaître. 

Ce  n'est  pas  tout  :  je  n'ai  attaché,  dit  le  critique,  une  grande 
importance  qa'aux  faits  sensibles  de  l'humanité.  Qu'est-ce 
qu'il  entend  par  ces  deux  mots?  Voudrait-il  dire  que  je  n'ai 
mis  de  l'importance  qu'aux  faits  apercevables?  Si  telle  est  sa 
pensée,  j'avoue  qu'il  a  raison;  mais  alors  je  voudrais  bien 
qu'il  m'expliquât  comment  j'aurais  pu  mettre  une  grande 
importance  à  des  faits  qu'il  m'aurait  été  impossible  d'aperce- 
voir, et  par  conséquent  de  connaître.  J'ai  considéré  les  hom- 
mes dans  leurs  facultés  intellectuelles  et  dans  leurs  facultés 
morales,  comme  dans  leurs  facultés  physiques.  Qu'avais-je  à 
faire  de  plus? 

Les  actions  extérieures  et  les  institutions  de  l'homme  ont 
évidemment  absorbé  mon  attention  tout  entière.  Ce  reproclie, 
que  le  critique  m'ajdresse,  lui  paraît  fort  grave;  je  ne  m'en 
justifierai  pas.  J'avoue  qu'en  effet  je  n'ai  pas  eu  d'autie  objet 
que  do  concourir,  autant  r\\\c  rela  dépend  de  moi,  à  donuet- 


568  DE  LA  METHODE 

aux  actions  et  aux  institutions  humaines  toute  la  lectitudedont 
elles  sont  susceptihles.  Mais  cela  est-il  donc  si  peu  de  chose? 
et  celui  qui  aspire  à  produire  un  pareil  résultat  doit-il ,  à  cause 
de  cela,  être  signalé  comme  affaiblissant  l'empire  de  l'obliga- 
tion morale  et  l'autorité  de  la  science  ?  Ne  sera-t-il  plus  per- 
mis de  concourir  au  perfectionnement  des  mœurs  ou  des  lois, 
à  moins  qu'on  ne  commence  par  se  livrer  à  d'obscures  et  sté- 
riles rêveries  ? 

Le  critique  se  trompe  d'ailleurs  quand  il  prétend  que  les 
actions  et  les  institutions  de  l'homme  ont  absorbé  mon  atten- 
tion tout  entière;  j'ai  voulu  de  plus  en  connaître  et  en  mon- 
trer les  causes,  en  exposer  les  résultats.  C'est  à  la  connaissance 
de  cet  ensemble  de  phénomènes  et  de  rapports  qui  les  lient, 
que  j'ai  cru  qu'il  convenait  de  donner  le  nom  de  science.  J'ai 
cherché  à  découvrir  les  lois  de  notre  nature;  mais  je  n'ai  pas 
cru  et  je  ne  crois  pas  encore  qu'il  soit  nécessaire  de  dire  aux 
hommes,  à  mesure  que  chaque  loi  se  présente,  votre  devoir 
est  de  la  suivre.  Cela  est  sous-entendu,  si  non  supposé. 

Parmi  les  nombreuses  questions  que  le  critique  soulève  an 
sujet  de  mon  ouvrage,  il  en  fait  une  qui  renferme  une  accu- 
sation assez  grave.  11  demande  si  mon  éloignement  pour  toute 
autre  méthode  que  celle  que  j'ai  adoptée  ne  m'aurait  pas  en- 
traîné à  coniprehdre  dans  mon  animadrersion ,  et  les  méthodes 
que  je  réprouve ,  et  les  résultats  de  ces  métlwdes^  sans  me  don- 
ner trop  la  peine  de  vérifier  si  par  hasard  ces  résultats  n'étaient 
pas  justes,  quoique  découverts  en  tâtonnant,  à  l'aide  d'une 
méthode  vicieuse  ?  (pag.  217.)  Ensuite,  il  cherche  à  me  faire 
comprendre  que  les  résultais  ne  sont  pas  nécessairement  faux, 
par  cela  seul  que  la  méthode  à  l'aide  de  laquelle  ils  ont  été 
obtenus  n'était  pas  irréprochable. 

Il  ne  s'agit  ici  que  de  principes  de  morale,  et  il  est  bien  clair 
qu'en  me  reprochant  d'avoir  compris  dans  mon  animadverslon 
et  les  méthodes  vicieuses  et  les  résultats  de  ces  méthodes, 
même  quiuid  ils  sont  justes,  il  m'accuse  d'avoir  repoussé  des 
vérités  morales  sans  m'être  donné  la  peine  de  les  examiner.  Je 
ne  .sais  sur  quoi  celle  accusalion  est  fondée;  car  le  critique  ne 
lente  mémo  pa'*  dr  lu  ninlivcr.  Je  ne  crois  pas  qu'il  existe  dans 


D'OBSERVAÏIOX.  569 

mon  onvra',fe  une  seule  phrase  qui  puisse  en  avoir  iburni  le 
prétexte.  Loin  d'attaquer  les  maximes  pratiques  admises  dans 
les  divers  systèmes  que  j'examine,  je  dis,  au  contraire,  et) 
parlant  des  doctrines  des  jurisconsultes,  que  ces  maximes  sont 
généralement  bonnes  (1)  ;  je  ne  dis  pas  un  mot  de  colles  qui 
sont  admises  dans  les  autres  systèmes  dont  je  parle.  Comment 
donc  le  critique  peut-il  me  reprocher  de  confondre  les  métho- 
des qui  me  paraissent  défectueuses,  avec  les  résultats  de  ces 
méthodes  ? 

Il  prétend  que  j'ai  mutilé  les  sciences  de  la  morale  et  de  la 
législation.  Mais,  comment  les  ai-je  mutilées  ?  En  les  réduisant, 
dit-il,  à  la  simple  description  des  rnœurs ,  des  habitudes ,  des  ac- 
tions et  des  institutions  hamaines.  Je  lis  le  premier  chapitre  de 
mou  ouvrage,  et  j'y  vois  (pag.  17),  qu'en  dégageant  les  scien- 
ces morales  et  politiques  des  croyances  particulières  à  chaque 
religion,  elles  ne  sont  que  la  description  des  actions  et  des 
institutions  humaines,  des  causes  physiques  et  morales  qui  les 
produisent,  et  des  effets  qui  en  résultent  relntivemerit  au  bien-être 
des  hommes.  Il  est  clair  qu'il  y  a  ici  une  mutilation  ;  mais  est-ce 
moi  qui  mutile  les  sciences,  ou  le  critique  qui  mutile  mes 
pensées? 

En  examinant  le  système  de  M.  Benthnm,  qui  donne  l'uti- 
lilé  pour  base  à  la  législation,  j'ai  dit  qu'une  science  est  l'ex- 
position méthodique  d'un  certain  ordre  de  phénomènes,  et  non 
le  développement  d'une  maxime;  j'ai  dit  que  si  l'on  fait  d'une 
maxime  de  morale  la  base  de  la  science,  on  s'expose  à  tomber 
dans  un  cercle  vicieux  ,  si  le  principe  adopté  n'était  pas  une 
idée  parfaitement  claire  et  universellement  admise  ;  car  com- 
ment raisonner  avec  des  gens  qui  mettraient  ce  principe  en  ques- 
tion ?  comment,  par  exemple,  prouver  à  des  législateurs  qui 
se  moqueraient  du  bien  public  et  qui  ne  croiraient  pas  à  l'en- 
fer, que  l'utilité  générale  doit  être  h;  principe  de  leurs  raison- 
nemens  ? 

Cette  objection,  qui  peut  Ctre   faite  contre  tout  systèuK; 

(  \)  T(im.  I,  pag.   \\- . 


070  DE  LA  METHODE 

fondé  sur  tinc  maxime,  devient  le  sujet  d'une  accusation.  Le 
critique  me  reprodie  de  ne  pas  l'avoir  réfutée;  il  aurait  dé- 
siré  savoir  si  le  législateur  qui  préfère  son  intérêt  à  l'intérêt 
général  a  droit  ou  tort.  Ensuite,  il  ajoute  qu'il  est  fâché  de  se 
sentir  obligé  de  reconnaître  que,  si  j'étais  pressé  sur  celte 
question,  je  reviendrais  probablement  au  principe  de  Ben- 
tham.  Cette  accusation  est  grave  ;  car,  à  ses  yeux ,  le  principe 
de  l'utilité  est  un  principe  funeste  (i). 

Il  est  très-vrai  que  je  n'ai  pas  examiné  si  le  législateur  qui 
se  moquerait  de  l'utilité  générale  aurait  droit  ou  lori  ;  à  mes 
yeux  ce  n'est  pas  là  qu'est  la  difliculté  ;  elle  est  dans  la  ques- 
tion de  savoir  comment  il  faut  s'y  prendre  pour  que  les  na- 
tions aient  de  bonnes  lois,  et  des  gouvernemcns  qui  marclient 
droit.  Ceci,  je  l'avoue,  pourrait  bien  tendre  un  peu  vers 
l'utilité,  et  sentir  par  conséquent  l'hérésie  ;  cependant,  le  criti- 
que se  trompe  quand  il  dit  que,  si  l'on  me  pressait,  j'en  re- 
viendrais à  un  système  dont  j'ai  fait  voir  les  défauts.  Ses  con- 
jectures à  cet  égard  me  prouvent  qu'il  n'a  pas  compris  un  mot 


(i)  Le  Critique  paraît  être  du  nombre  tle  ceux  qui  considèrent  le  prin- 
cipe de  Bentliam  comme  une  nouveauté  dangeureuse.  Qu'il  lise  Platon, 
et  il  verra  que  ce  philosophe  professait  le  principe  de  l'utilité  d'inie  n)a- 
nière  aussi  nette,  aussi  positive  que  le  jurisconsulte  anglais.  Dans  son 
Traité  de  la  République  ou  du  Juste,  Platon  dit  assez  clairement  qu'à  ses 
yeux,  ce  qui  est  juste  et  ce  qui  est  utile  aux  hommes  est  une  seule  et  même 
chose.  "  On  a  et  on  aura  toujours  raison,  fait-il  diie  à  Sociale,  de  dire  que 
l'utile  est  Iwnni'tc,  et  qu'il  n'y  a  de  houleux  que  ce  qui  est  nuisible,  a  Liv,  v, 
t.  Il,  p.  9.-.  Voyez  aussi  les  pages  i54,  '^iS  et  5i4  du  même  volume. 
Dans  son  livre  Des  Lois,  Platon  traite  les  hommes  qui  mettent  l'«<i7cd'un 
côté,  et  \c juste  de  l'autre,  bien  plus  sévèrement  qu'il  n'a  traité  les  pos- 
sesseurs de  la  science  universelle.  "Quanta  moi,  dit-il,  la  chose  me  pa- 
raît aussi  évidente  (l'identité  entre  \c Juste  et  l'utile)  qu'il  m'est  évident 
que  la  Ciète  est  une  île  :  et  si  j'étais  législateur,  je  ne  négligerais  lien 
pour  engager  les  poètes  et  tous  mes  citoyens  à  tenir  les  mêmes  discours  : 
je  n  au7-ais  point  de  cliàtiwens  assez  grands,  pour  punir  quiconque  oserait 
dire  qu'il  y  a  des  médians  qui  vivent  heureux,  et  que  l'utile,  l'avantageux 
est  un,  et  le  Juste  un  autre,  a  Liv.  ii,  t.  i ,  p.  4'5»  traduction  de  Groii.  Il 
est  bien  clair  que  les  écrivains  de  la  nouvelle  école,  qui  admirent  Platon 
f.i  condamnent  Henlhani,  ne  coiniaissant  même  pas  leurs  écrits. 


D'OIiSEllVATION.  57 1 

de  ce  que  j'ai  dit  sur  la  méthode.  C'est  au  public  à  juger  si 
c'est  ma  faute  .ou  la  sienne. 

J'arrive  à  un  reproche  très-grave  ;  mais  indirect.  Le  criti- 
que, pour  me  réfuter,  m'apprend  (pag.  226)  qu'il  y  a  dans 
l'homme  liberté  et  moralilé.  Cela  ne  va-t-il  pas  faire  croire  à 
ceux  qui  n'ont  pas  lu  mon  ouvrage,  que  je  ne  considère  pas  la 
liberté  et  la  moralité  comme  des  lois  de  notre  nature,  ou  que 
du  moins  je  ne  me  suis  point  expliqué  à  cet  égard?  Je  doute 
qu'une  telle  pensée  se  présente  jamais  à  l'esprit  de  ceux  qui 
auront  lu  les  chapitres  où  j'expo;;e  les  effets  du  despotisme  et 
de  l'esclavage  domestique.  Quand  on  réfute  un  écrivain  j  il 
faudrait  tâcher  de  ne  pas  lui  imputer,  même  indirectement, 
des  opinions  flétrissantes,  diamétralement  opposées  à  celles  qu'iL 
a  publiquement  manifestées,  surtout  quand  il  n'a  jamais  donné 
le  droit  de  mettre  ses  écrits  en  opposition  avec  sa  conduite. 

Suivant  le  critique,  j'aurais  dû  traiter  des  faits  incompatibles 
avec  l'idée  d'effet  dans  l'ordre  de  la  création;  j'aurais  dû  dé- 
crire l'âme  humaine  ,  les  conditions  de  sa  nature ,  les  princi- 
pes qui  régissent  son  activité  (pag.  221,  225  et  227);  et  je 
n'ai  rien  fait  de  tout  cela.  J'avoue  qu'en  effet,  je  ne  suis  pas 
remonté  à  la  création  pour  y  observer  les  faits  primitifs;  je 
n'ai  point  décrit  l'âme  humaine;  je  n'ai  point  déterminé  les 
conditions  de  son  existence;  je  n'ai  pas  décrit  les  principes  qui 
régissent  son  activité. 

On  pourrait  faire  sur  ces  remarques  diverses  questions;  je 
n'en  ferai  qu'une  ;  mais  celle  là  pourrait  me  dispenser  d'en  faire 
et  d'en  examiner  d'autres.  Ce  que  le  critique  m'accuse  de  n'a- 
voir pas  fait  est-il  possible  ?  Si  cela  n'était  pas  dans  l'ordre 
des  choses  possibles,  y  aurait-il  de  la  justice  à  me  reprocher 
de  ne  l'avoir  pas  fait?  Je  suppose  bien  que  le  critique  ne  me 
demande  que  ce  qu'il  croit  exécutable  ;  cependant  ,fç-e  liii  con- 
seille d'en  tenter  lui-même  l'exécution ,  avant  de  se  prononcer 
à  cet  égard.  Qu'il  songe  bien  surtout,  s'il  en  vient  à  l'expé- 
rience, qu'il  s'agit  de  décrire  des  êtres  tmma^me/5,  des  faits 
non  sensibles,  et  qu'il  les  représenterait  mal  avec  des  signes 
matériels,  grossiers,  sensibles.  Enfin,  qu'il  n'oublie  pas  qu'il 


5^2  DE  LA  METHODE 

ne  s'agit  pas  ici  de  faire  de  la  poésie  ,  mais  de  la  science,  et 
que  par  conséquent  les  images,  les  comparaisons,  le  langage 
figuré  doivent  en  être  bannis.  Si ,  après  avoir  rempli  ces  con- 
ditions, il  exécute,  en  langage  intelligible,  ce  qu'il  me  repro- 
che de  n'avoir  pas  exécuté,  je  reconnaîtrai  que  j'ai  eu  tort,  et 
je  m'empresserai  de  profiler  de  ses  découvertes. 

Le  critique  paraît  persuadé,  et  il  n'est  pas  seul  de  cette  opi- 
nion ,  (ju'il  n'est  point  de  questions  insolubles  pour  les  scien- 
ces ;  il  veut  qu'on  ait  une  réponse  pour  tontes  les  demandes, 
et  que  cette  réponse  satisfasse  toujours  la  curiosité  de  ceux  à 
qui  elle  est  adressée.  Je  suis  si  loin  de  partager  son  opinion  à 
cet  égard,  qu'à  mon  avis  savoir  ignorer  est  une  des  premières 
conditions  de  toute  science;  je  suis  convaincu,  et  l'expérience 
de  chaque  jour  me  confirme  dans  ma  conviction,  que  nous 
sommes  environnés  de  toutes  parts  d'impénétrables  mystères; 
je  ferai  volontiers  ma  devivedumot  si  connu  et  si  méprisé  d'un 
de  nos  philosophes  :  Que  sais-je  ?  Et  ce  n'est  certes  pas  d'au- 
jourd'hui que  je  sens  la  nécessité  de  mettre  des  bornes  à  notre 
curiosité;  je  l'ai  reconnue  dès  les  premières  pages  de  inon 
livre;  lorsqu'en  1821  je  fus  appelé  à  donner  un  cours  de  lé- 
gislation, ce  fut  une  des  premières  vérités  que  je  m'efforçai 
d'inculquer  dans  l'esprit  de  mes  élèves;  enfin,  dans  le  cours 
que  j'ai  donné  il  y  a  deux  ans,  c'est  par  là  que  j'ai  commencé. 
Je  sais  bien  que  des  esprits  au<lacicux  ou  inexpériementés  ne 
craignent  pas  de  se  lancer  dans  un  océan  de  conjectures  ; 
mais  je  sais  bien  aussi  que,  sur  cette  mer  dangereuse,  plus 
d'une  réputation  a  fait  naufrage. 

Beaucoup  d'autres  avant  moi  ont  écrit  sur  la  législation,  et 
ils  n'ont  pas  jugé  nécessaire,  soit  de  traiter  d'abord  des  faits  in- 
compatibles avec  l'idée  d'effet  dans  l'ordre  de  la  création,  soit 
de  décritio  l'âme  humaine,  les  conditions  de  sa  nature,  les 
principes  qui  régissent  son  activité.  Je  ne  crois  pas  cependant 
(|ue  le  rrili(pic  leur  reproclie  d'a/faiblii'  f  empire  de  l'obligation 
morale  et  l'autorité  de  la  science;  comment  ce  qui  n'est  pas 
un  sujet  de  blàine  dans  leurs  livres,  serait-il  donc  ime  cause 
*le  condamnation  dans  le  mien  ? 


D'OBSERVATION.  5yZ 

En  me  reprochant  de  n'avoir  pas  traité  des  faits  incompa- 
tibles avec  ridée  d'effet  dans  L'ordre  de  la  création,  le  critique 
n'aiirait-il  pas  voulu  m'accuser  indirectement  d'athéisme? 
IS'aurait-il  pas  voulu  cacher  une  imputation  de  matérialisme, 
sous  le  reproche  qu'il  me  fait  de  n'avoir  pas  décrit  l'ûme  hu- 
maine, ni  les  conditions  de  son  existence?  Enfin,  n'aurait-il 
pas  voulu  m'attribuer  la  dénégation  de  la  conscience,  quand 
il  m'a  fait  considérer  le  sens  moral  comme  une  hj'pothèse  ?  Je 
voudrais  écarter  de  pareilles  idées,  car  je  ne  saurais  les  ad- 
mettre, sans  admettre  en  même  tems  que  ce  n'est  ni  de  la  cri- 
tique ni  de  la  science  qu'il  a  voulu  faire.  Et,  cependant,  elles 
assaillent  mon  esprit  malgré  moi ,  quand  je  vois  qu'il  signale 
ce  qu'il  appelle  mes  doctrines  comme  affaiblissant  l'empire  de 
la  morale;  quand  je  vois,  surtout,  le  soin  qu'il  prend,  après 
m'avoif  attribué  un  raisonnement  absurde  que  je  n'ai  pas  fait, 
de  déclarer  que  la  conséquence  est  rationnelle,  si  l'homme  n'est 
que  matière ,  il  est,  comme  la  matière,  dépourvu  de  toute  mo- 
>-aUte;  mais  que  je  nai  pas  démontré  que  l'homme  n'est  que 
matière. 

Quand  Montesquieu  publia  l'Esprit  des  Lois ,  ses  ennemis 
lui  reprochèrent  de  n'avoir  parlé  ni  du  péché  originel,  ni  de  la 
grâce.  Le  reproche  ne  pouvant  être  réfuté,  les  dévots  ne  man- 
quèrent pas  d'en  conclure  que  l'auteur  ne  croyait  ni  à  l'un  ni 
à  l'autre.  Le  critique  m'accuse  de  n'avoir  pas  traité  de  la 
cause  première  dans  l'ordre  de  la  création,  et  de  n'avoir  donné 
la  description  ni  de  l'âme,  ni  des  conditions  de  sa  nature,  ni 
des  principes  qui  régissent  son  activité.  Je  conviens  qu'en  effet 
je  n'ai  pas  donné  celte  description ,  mais.quelles  conséquences 
veut-il  en  faire  tirer? 

Montesquieu  se  justifia  en  disant  que,  s'il  avait  parlé  du 
péché  originel,  on  aurait  pu  lui  reprocher  de  n'avoir  pas 
parlé  de  la  rédemption,  et  ainsi,  d'article  en  article,  à  l'infini. 
Ne  pourrais-je  pas  dire  aussi  que,  si  j'avais  traité  des  faits 
primitifs  dans  l'ordre  de  la  création,  et  donné  une  description 
de  l'âme  et  des  conditions  de  sa  nature,  on  m'aurait  repro- 
ché de  n'avoir  pas  traité  de  la  fin  du  monde,  et  de  n'avoir  pas 

T.    XLVII.    SEPTEMBRE    1&5g.  5^ 


5;74  DE  LA  MlhHODE 

décrit   les   peines  et   les  récompenses    de  la   vie    éternelle? 

L'auteur  de  l'Esprit  des  Lois  ajouta  qu'ayant  traité  un  sujet 
immense  il  avait  été  obligé  d'omettre  quantité  de  choses  qui 
appartenaient  à  son  sujet,  et  qu'à  plus  forte  raison  il  avait 
omis  celles  qui  n'y  avaient  point  de  rapport.  Si  j'avais  recours 
a  une  pareille  excuse,  le  critique  n'y  verrait-il  pas  un  nouveau 
motif  d'accusation  ? 

Mais  quel  est  au  fond  le  différent  qui  nous  divise  ?  Le  voici. 
Je  suis  convaincu  que,  par  leur  propre  nature,  les  nations 
tendent  vers  ce  qui  est  bien,  et  s'éloignent  de  ce  qui  est  mal  ; 
mais  qu'elles  ne  voient  pas  toujours  la  bonne  voie,  et  qu'elles 
ont  besoin  de  la  chercher  pour  la  trouver.  Il  ne  s'agit  donc, 
suivant  moi,  que  de  les  éclairer  pour  les  faire  marcher  droit  : 
il  sufTit  de  leur  faire  connaître  la  nature,  les  causes  et  les  con- 
séquences de  leurs  actions  et  de  leurs  institutions,  pour  les 
déterminer  à  se  bien  conduire.  Quand  elles  posséderont  ces 
connaissances,  elles  sauront  ce  qu'elles  doivent  faire  et  ne  pas 
faire,  sans  qu'on  ait  besoin  de  le  leur  dire  ;  leur  conscience  ou 
leur  sens  intime  leur  fera  discerner  nettement  ce  qui  est  et 
ce  qui  n'est  pas  un  devoir;  elles  posséderont  les  connais- 
sances que  les  sciences  de  la  législation  et  de  la  morale  peu- 
vent donner. 

Suivant  le  critique,  cela  ne  suffit  pas.  Il  faut  d'abord  ap- 
prendre aux  hommes  qu'ils  ont  une  conscience  ou  un  sens 
moral,  ce  qui,  ù  mon  avis,  est  aussi  nécessaire  que  de  leur  en- 
seigner qu'ils  ont  des  yeux,  quand  on  veut  leur  apprendre  à 
lire.  Il  faut  ensuite  leur  montrer  un  à  un  les  élémens  dont  la 
conscience  se  compose,  ce  qui  est  propre  à  donner  à  un  homme 
le  discernement  du  bien  et  du  mal,  comme  la  connaissance  du 
mécanisme  de  l'œil  est  propre  à  lui  donner  une  bonne  vue.  Il 
faut  de  plus  leur  donner,  en  termes  clairs  et  positifs,  une  bonne 
description  de  l'âme,  des  conditions  de  son  existence  et  des 
principes  qui  régissent  son  activité,  et  leur  faire  bien  remar- 
quer les  différences  qui  existent  entre  ces  phénomènes  et  ceux 
qu'on  désigne  sous  le  nom  de  faits  de  conscience.  Il  faut  leur 
donner  en  outre  un  traité  des  faits  primitifs,  c'est-à-dire  des 
laits  qui  sont  inconipaliblt-s  avec  l'idée  d'effet  dans  l'ordre  de 


D'OBSKRVATION.  570 

ia  création.  Enfin,  il  l'aul  leur  dire  ce  qui  est  et  ce  qui  n'est 
pas  un  devoir,  de  peur  que,  par  caprice,  leur  sens  moral  ne 
s'avise  de  se  taire  quand  il  devrait  parler,  et  accompagner  tout 
cela  d'éloquentes  exhortations. 

Il  est  bien  clair  qu'il  existe  quelques  différences  entre  ces 
deux  manières  de  concourir  au  perfectionnement  des  mœurs 
et  des  lois.  Je  suis  convaincu  que  la  simple  exposition  de  la 
vérité  exerce  à  la  longue  sur  les  nations  une  influence  im- 
mense, et  que  leur  sens  moral  les  dirige  bien  quand  elles  sont 
éclairées,  et  qu'elles  ne  sont  entraînées  par  aucune  mauvaise 
habitude.  Le  critique  semble  avoir  moins  confiance  dans  la 
force  de  la  vérité  ,  dans  la  puissance  des  lois  de  notre  .lature , 
que  dans  l'autorité  des  savans  ;  il  revendique  au  profit  de 
ceux-ci  la  force  que  je  reconnais  à  la  conscience  humaine,  et 
il  se  fait  le  défenseur  de  leurs  droits,  auxquels  j'avoue  que  je 
n'avais  pas  pensé.  Il  n'a  pas  non  plus  la  même  conflance  que 
moi  dans  le  sens  moral;  car  il  veut  qu'on  le  prouve  et  qu'on 
le  rappelle  sans  cesse  aux  hommes,  ce  qui  suppose  qu'ils  peu- 
vent l'oublier,  ou  ne  pas  y  croire.  Il  pense  aussi  que,  pour  se 
déterminer,  ce  sens  a  besoin  du  secours  des  orateurs,  puis- 
qu'il nous  donne  jusqu'aux  formules  à  l'aide  desquelles  on  peut 
l'exciter. 

Je  ne  déciderai  pas  laquelle  de  ces  deux  manières  est  la 
plus  conforme  à  une  bonne  méthode  :  c'est  une  question 
dont  j'abandonne  la  solution  aux  hommes  qui  s'occupent  de 
sciences  morales;  mais,  quelle  qu'elle  soit,  il  sera  toujours 
évident  que  ma  croyance  dans  la  tendance  des  hommes  à 
remplir  leurs  devoirs  est  au  moins  aussi  ferme  que  la  sienne. 

Je  ne  sais  si  le  critique  s'est  ou  non  livré  à  l'étude  de  la  mo- 
rale et  de  la  législation;  l'étonnement  que  lui  a  causé  la  lec- 
ture du  premier  volume  de  mon  ouvrage  me  permet  d'en 
douter  ;  s'il  s'en  était  occupé,  il  aurait  vu  que  la  manière  dont 
je  crois  qu'il  convient  de  traiter  ces  sciences  est  loin  d'être 
nouvelle.  Qu'il  lise  donc  les  écrivains  qui  ont  traité  de  la  théo- 
rie de  la  morale  ou  de  celle  des  lois,  depuis  Aristote  jusqu'à 
Montesquieu,  et  il  verra  si,  à  chaque  pas  qu'ils  ont  fait,  ils  ont 


5^6  DE  LA  MÉTHODE 

cru  nécessaire  de  dire,  ceci  est  un  devoir,  cela  est  un  droit.  Je 
doute  que  lemot^fi^o/rsoit  prononcé  une  seule  fois,  soit  dans  le 
Traite  de  Morale  d' Aristote,  soit  dans  V Esprit  des  Lois.  Dans  le 
dernier  de  ces  deux  ouvrages,  on  ne  trouve  pas  un  seul  petit 
chapitre  consacré  à  l'exposition  de  la  théoiie  du  devoir  :  à 
peine  le  mot  s'y  Irouve-t-il  accidentellement.  Quel  sujet  de 
scandale  pour  le  critique,  s'il  fait  jamais  une  pareille  décou- 
verte ! 

Le  critique  présume  que,  repoussé  par  les  formes  de  cer- 
tains systèmes,  non  entièrement  satisfait  par  d'autres,  j'ai 
voulu  secouer  en  même  tems  le  joug  de  tous,  et  marcher 
dans  une  voie  nouvelle.  «  Mais,  ajoute-t-il,  avant  de  prendre 
ce  parti,  a-t-il  examiné  à  fond,  et  sans  aucune  préoccupation 
de  pensée,  tout  ce  qu'on  avait  fait  avant  lui?  Le  lecteur  en  ju- 
gera (p.  234).  »  Voilà  le  grand  secret  mis  au  jour  :  je  n'ai 
pas  fait  consister  la  science  des  mœurs  et  des  lois  dans  la  con- 
naissance d'une  obscure  métaphysique;  je  n'ai  pas  suffisam- 
ment étudié  les  doctrines  de  quelques-uns  de  nos  docteurs; 
je  ne  me  suis  pas  laissé  enrégimenter  sous  leur  bannière. 
De  là  ces  nombreuses  altérations  faites  à  mes  pensées  pour  en 
faire  résulter  des  accusations  indirectes  de  matérialistne  et  d'a- 
tliéisme.  Si  le  critique  m'a  épargné  l'imputation  de  sensua- 
lisme ^  c'est  assurément  par  bonté  d'âme,  et  pour  ne  pas  me 
perdre  complètement  aux  yeux  de  ses  lecteurs. 

-Le  critique  se  trompe  toutefois,  s'il  croit  que  je  ne 
connais  rien  de  ce  qu'a  pu!)lié  son  école  :  j'en  ai  bien  lu 
([uclque  chose,  et  même,  puisqu'il  faut  le  dire,  des  volumes 
tout  entiers,  ce  qui  n'arrive  guère  à  personne;  mais  s'il  fallait 
rendre  compte  de  ce  que  j'y  ai  appris,  en  fait  de  science,  j'a- 
voue que  je  serais  fort  eudjarrassé.  Mais  puisque  nous  en  som- 
mes aux  aveux,  le  critique  lui-même  aurait-il  examiné  à  fond 
ce  qu'on  avait  écrit  avant  l'apparition  de  l'école  nouvelle? 
N'iturait-il  pas  cru  sur  parole  les  docteurs  qui,  du  haut 
de  leur  chaire,  ont  proclamé  qu'ils  en  avaient  fini  as gc  les  écri- 
vains du  xv!!' et  du  xviii'  siècles,  et  mêmeavecunebonnepar- 
tie  de  ceux  du  xix'?  Si,   comme  beaucoup  d'autres  jeunes 


D'OBSERVATION.  5;- 

gens,  il  s'en  est  rapporté  à  eux  cet  égard,  qu'il  lise  quelques  uns 
de  ces  écrivains  avec  lesquels  il  semble  croire  qu'on  en  a  de- 
puis si  !ong-tems  fini  :  il  y  apprendra  ce  que  c'est  qu'une  mé- 
thode, et  comment,  quand  on  écrit,  on  peut  donner  de  la  pré- 
cision à  son  langage.  Qui  sait  même  si,  après  les  avoir  lus,  il 
ne  sera  pas  tenté  de  dire  ;'i  ses  maîtres  : 

Les  gens  que  vous  lucz  se  porleiit  assez  bien. 

Il  est  tems  de  mettre  un  terme  à  cette  discussion;  qu'il  me 
soit  permis  cependant  d'ajouter  encore  une  réflexion.  Le  cri- 
tique, qui  attaque  si  Yivemenl  le  premier  livre  de  mon  ou- 
vrage, celui  dans  lequel  j'expose  la  méthode  qu'il  convient 
de  suivre  quand  on  tiaite  des  sciences  morales,  fait  des  autres 
parties,  mais  surtout  du  dernier  volume,  un  éloge  que  je  crois 
exagéré.  Cependant  que  trouve-t-on  dans  ce  dernier  volume? 
on  y  trouve  l'application  rigoureuse,  à  un  sujet  qui  n'avait 
pas  été  compl/.'tement  traité,  de  la  méthode  exposée  dans  le 
livre  premier.  Or,  si  l'on  ne  prouve  pas  que  j'ai  été  infidèle  à 
la  méthode,  il  faut  qu'on  reconnaisse  ou  qu'elle  est  bonne,  ou 
que  tout  l'ouvrage  est  mauvais;  il  est  impossible,  en  effet,  de 
partir  d'une  base  fausse  et  d'ari'iver  à  des  résultats  vrais,  sans 
tomber  dans  l'inconséquence.  Ce  qui  est  mauvais  en  théorie 
ne  saurait  être  bon  dans  l'application;  mais  aussi  ce  qui  est 
bon  dans  l'application  ne  saurait  être  vicieux  dans  la  théorie. 
Gomment  le  critique  n'a-t-il  donc  pas  vu  qu'en  faisant  l'éloge 
du  dernier  volume,  après  avoir  condamné  le  premier,  s'il  ne 
pouvait  pas  me  convaincre  d'inconséquence,  il  était  lui-même 
inconséquent?  Au  lieu  de  s'attacher  aux  choses,  il  n'a  couru  qu'a- 
près des  mots  ;  il  a  refuté  les  idées  qui  se  trouvaient  dans  sa  tête, 
au  lieu  d'examiner  celles  qui  sont  dans  mon  ouvrage.  «  -Ain'^i, 
déclamant  en  l'air,  et  combattant  contre  le  vent,  il  a  rem- 
porté des  triomphes  de  même  espèce  (i),  »  Ce  nxalheur,  je  le 
sais,  n'arrive  que  trop  aux  jeunes  gens  qui  s'avisent  «.l'écrfre 
sur  des  matières  qui  ne  sont  pas  de  leur  âge  ;  mais  quand  oa 

(i)  Montesquieu,  Défense  de  L'Esprit  des  Lois. 


5;8  DE  LA  MÉTHODE  D'OBSERVATION. 

veut  absolument  parler  de  ce  qu'on  n'est  pas  sûr  de  savoir, 
faudrait-il  du  moins  consulter  des  amis  éclairés,  avant  que  de 
publier  ses  pensées. 

Le  critique,  en  attaquant  les  doctrines  qu'il  m'a  prêtées,  a 
rempli,  dit-il,  un  devoir  pénible;  c'est  aussi  pour  remplir  un 
devoir  que  je  lui  ai  répondu.  Les  principes  que  j'ai  exposés 
dans  mon  ouvrage  ne  sont  pas  différeus  de  ceux  que  j'ai  pro- 
fessés dans  des  cours  publics  :  or,  je  n'ai  pas  dû  laisser  croire 
aux  hommes  qui  m'avaient  honoré  de  leur  confiance,  que  j'en 
ai  abusé  en  professant  des  doctrines  propres  à  affaiblir  l'em- 
pire de  h  morale  et  l'autorité  de  la  science.  L'Académie  française 
a  jugé  mon  ouvrage  utile  aux  mœurs;  et  elle  a  rendu  cette 
décision  à  l'unanimité^  puisque  la  seule  voix  qui  s'y  soit  op- 
posée n'a  fait  aucune  objection  ni  sur  la  tendance  morale  du 
livre,  ni  sur  la  vérité  des  principes  qu'il  renferme.  Je  ne  de- 
vais pas  laisser  croire,  par  mon  silence,  non-seulement  que  je 
m'étais  trompé,  mais  que  j'avais  entraîné  dans  l'erreur  un 
corps  qui  jouit  à  tant  de  titres  de  la  confiance  publique,  et 
qui  renferme  un  si  grand  nombre  d'hommes  éclairés.  Enfin, 
je  suis  intimement  convaincu  que  la  méthode  que  j'ai  adoptée, 
mais  dont  l'invention  ne  m'appartient  pas,  est  le  moyen  le 
plus  propre  à  faire  avancer  les  sciences  morales,  et  à  garantir 
les  jeunes  imaginations  des  obscurs  systèmes  qui  menacent  de 
les  troubler.  Les  motifs  qui  me  firent  adopter  cette  méthode 
m'imposaient  donc  l'obligation  de  la  défendre,  et  de  repous- 
ser des  attaques  dont  l'cflet  le  moins  mauvais  ne  peut  être  que 
d'obscurcir  ce  qui  est  clair. 

Charles  Comte. 

P.  S.  Cet  article  devait  paraître  il  y  a  près  de  trois  mois  : 
diverses  circonstances  en  ont  retardé  l'insertion  dans  la  Revue 
Encyclopédique. 


379 
DE  L'ABOLITIOiN  GRADUELLE  DE  L'ESCLAVAGE 

DANS    LES    COLONIES    ErROPEENNES ,        ^ 

Et  notamment  dans  les  colonies  françaises. 

Considérée  à  la  fois  dans  l'intérêt  des  esclaves,  des  maîtres,  des 
colonies  et  des  Métropoles. 

SECOND    ARTICLE. 

(Voy.  B.ev.  Eue,  t-  xvi,  p.  52j).) 


L'histoire  de  cette  question  est  l'histoire 
(ie  toutes  les  questions  de  justice  et  d'huma- 
nité. Quand  elles  ont  été  proposées,  elles  ont 
rencontré  un  nombre  considérable  d'oppo- 
sans;  et,  lorsque  leurs  effets  ont  été  bien  con- 
nus, elles  ont  obtenu  l'assentiment  universel. 

(PuiLiPS,  Discours  à  la  Chambre  des  Com- 
munes, session  de  1826,) 


Après  avoir,  clans  la  première  partie,  constaté  ce  qu'est, 
en  point  de  droit  et  de  fait,  la  condition  actuelle  des  esclaves 
dans  les  colonies  européennes,  nous  considé'erons  succes- 
sivement, dans  celle-ci,  les  résultats  moraux  et  matériels  d'un 
tel  état  de  choses  :  1°  en  ce  qui  concerne  les  erclavcs;  2°  en 
ce  qui  concerne  les  maîtres  ;  5"  en  ce  qui  concerne  les  colo- 
nies ;  4*  en  ce  qui  concerne  les  métropoles.  ]Nous  prouverons 
que,  sous  tous  ces  divers  rapports,  l'esclavage  n'est  pas  moins 
condamné  par  le  bon  sens  et  la  morale  ;  nous  démmitrerons 
ensuite  qu'il  n'est  pas,  comme  on  le  croit  généralement,  la 
condition  nécessaire  de  l'existence  des  colonies. 

I.   En  ce  qui  concerne  les  esclaves.  Les  colons  cit  .';ouveMt 


58o  DE  L'ABOLITIOlN  GRADUELLE 

combattu  les  adversaires  de  l'esclavage,  en  opposant  lu 'con- 
dition des  noirs  dans  les  colonies  à  celle  des  paysans  dans 
quelques  contrées  de  l'Europe;  et  comme,  tout  balancé,  ils 
n'ont  pas  hésité  à  déclarer  les  premiers  beaucoup  plus  heu- 
reux que  les  second,  il  en  est  résulté  que  nous  aurions  tort 
d'aller  si  loin  chercher  des  misères  à  adoucir  et  à  réparer, 
quand  nous  en  avions  auprès  de  nous  de  plus  pressantes  en- 
core. Peu  de  mots  suffiront  pour  prouver  combien  de  telles 
assertions  sont  inexactes  et  peu  sincères. 

II  est  bien  vrai  que  l'état  des  classes  laborieuses,  dans  plu- 
sieurs parties  de  notre  Vieux-Monde,  laisse  encore  beaucoup  à 
désirer.  A  peine  échappés  aux  agitations  sanglantes,  aux 
guerres  acharnées,  aux  pesantes  servitudes  du  moyen  âge, 
les  habitans  des  campagnes  sont  encore,  en  plusieurs  pays,  il 
faut  l'avouer,  dans  la  situation  la  plus  pénible.  Ce  n'est  qu'au 
moyen  d'un  travail  rude  et  excessif  qu'ils  parviennent  à  sub- 
venir à  la  plus  chétive  existence.  Le  fisc  saisit  avidement  la 
plus  forte  portion  de  leurs  salaires,  et  les  contraint  à  suppor- 
ter des  privations  do  toute  espèce.  Au  sein  des  prodiges  du 
luxe  et  des  arts,  leur  sort  fait  pitié;  et  néanmoins,  combien  un 
tel  sort  est  encore  préférable  à  l'esclavage  ! 

Sans  doute,  si  l'homme  n'avait  pas  d'autre  destination  ici- 
bas  que  celle  de  vivre,  l'esclave  d'un  bon  maître  pourrait 
être  considéré  par  exception  (car  la  nature  même  de  l'escla- 
vage veut  qu'un  bon  maître  soit  une  exception)  comme  plus 
heureux  que  le  paysan  libre  d'un  pays  où  la  société  est  encore 
mal  organisée.  Il  le  serait,  en  effet,  comme  être  vivant;  mais 
ce  n'est  point  là  la  vie  humaine.  Tout  démontre  que  l'homme 
existe  bien  réellement  pour  développer,  sans  entraves,  ses  fa- 
cultés intellectuelles,  pour  devenir  membre  libre  de  la  so- 
ciété, à  laquelle  il  doit  un  tribut  à  la  vérité,  mais  un  tribut 
dont  il  peut  choisir  à  son  gré  l'espèce,  selon  les  dispositions 
de  sa  nature  individuelle.  Telle  est  évidemment  la  loi  de  l'hu- 
manité; et  voilà  pourquoi,  d'un  pôle  à  l'autre,  un  secret  in- 
stinct a  révélé  aux  hommes  cette  vérité  dont  l'expression  est 
devenue  vulgaire,  que  la  Liberté  est  le  plus  grand  des  biens. 


DE  L'ESCLAVAGE.  58i 

La  condition  du  paysan  est  quelquefois  misérable,  sans 
doute;  mais  que  de  circonstances  peuvent  y  apporter  quel- 
que adoucissement  !  Il  travaille  beaucoup,  mais  il  est  maître  de 
limiter  son  travail:  son  salaire  est  faible,  mais  ce  salaire  est 
une  dette  qu'il  peut  exiger,  non  xine  concession  qu'on  peut 
lui  faire  et  lui  retirer.  La  fortune  l'a  mal  partagé  ;  mais  la  jus- 
tice lui  tend  la  main,  et  elle  le  traite  à  l'égal  des  riches  et  des 
puissans.  Comme  père,  comme  époux,  comme  possesseur  de 
sa  chose,  il  ne  connaît  que  Dieu  et  la  loi  commune  à  tous  ;  et, 
si  les  charges  qu'il  paie  à  l'État  lui  sont  pesantes,  du  moins 
peut-il  se  dire  sujet  ou  citoyen  de  cet  État.  C'est  peu;  son 
sort  lui  paraît-il  intolérable?  mille  voies  lui  sont  ouvertes  pour 
en  changer.  Le  monde  est  devant  lui  ;  si  les  montagnes  lui 
déplaisent,  il  descend  dans  les  plaines,  il  franchit  les  barriè- 
res des  cités;  là  l'industrie  l'appelle  dans  ses  ateliers;  l'église 
le  reçoit  dans  ses  milices ,  l'armée  dans  ses  rangs.  Il  arrive  à 
tout  dans  ces  carrières  diverses.  Il  est  apte  à  posséder  toutes 
les  richesses,  tous  les  titres,  toutes  les  grandeurs  ! 

A  quel  immense  intervalle  se  trouve  l'esclave  d'une  pa- 
reille situation  !  En  payant  son  prix,  comme  denrée,  le  maî- 
tre n'a  pas  seulement  acheté  sa  personne;  il  a  acheté  ses  vo- 
lontés, ses  désirs,  ses  pensées,  son  être  moral  tout  entier,  en 
un  mot.  Il  ne  s'appartient  plus,  il  n'est  plus  à  lui,  il  n'est 
plus]  lui.  Il  travaille  autant  que  son  maître  le  veut,  et  ne  se 
repose  que  quand  il  lui  plaît.  Il  cultive  comme  le  bœuf  la- 
boure. Le  hasard  l'a  attaché  à  un  champ  de  cannes,  à  une  ri- 
zière, à  une  plantation  d'indigo;  il  doit  y  mourir,  et  jamais 
le  mode  de  son  travail  ne  pourra  changer,  à  moins  que  le 
maître  ne  le  juge  convenable  à  ses  intérêts.  Quand  son  ar- 
deur s'éteint,  le  fouet  la  ranime  ;  pour  salaire,  il  a  la  subsis- 
tance et  l'abri,  réglés  à  la  volonté  de  son  maître.  Il  ne  peut 
boire,  manger ,  dormir ,  être  vêtu  que  comme  l'entend  ce 
maître.  Le  voilà  dans  le  sein  de  l'habitation;  au  dehors,  il  est 
sans  cesse  poursuivi  par  la  double  ignominie  attachée  à  son 
état  d'esclave  et  à  la  couleur  de  sa  peau.  On  l'injurie,  on  le 
frappe  à  plaisir,  pourvu  qu'on  soit  blanc.  Il  n'y  a  de  réprimés 


582  DE  L'ABOLITION  GRADUELLE 

que  les  torts  qu'il  peut  faire  aux  autres.  L'ordre  de  chose  est 
toujours,  en  ce  qui  le  concerne,  absurde,  incohérent  et  con- 
tradictoire; il  est  hors  du  droit  commun,  et  toutes  les  obli- 
gations sociales  l'enchaînent;  on  le  reconnaît  homme,  et  on 
lui  refuse  le  droit  de  se  défendre  contre  un  homme  ;  il  possède 
et  il  est  possédé j  son  pécule  lui  appartient,  et  ses  enfans  ne 
lui  appartiennent  pas;  on  nie  sa  moralité,  sa  conscience,  et  il 
y  a  pour  lui  des  devoirs  et  des  délits  ;  on  le  dégrade  de  la  di- 
gnité d'être  raisonnable,  on  l'assimile  aux  êtres  privés  de 
discernement,  et  on  le  punit  avec  plus  de  rigueur  que  ceux 
en  qui  l'on  suppose  la  connaissance  du  juste  et  de  l'injuste. 
Placé  sous  de  telles  conditions,  on  peut  dire  qu'il  n'est,  ni 
dans  la  société,  ni  dans  l'État,  ni  dans  la  'Jité  ;  qu'il  n'est  pas 
même  dans  la  famille,  dont  il  peut  toujours  être  séparé  et 
banni  à  la  volonté  du  maître!...  C'est  là  celui  qu'on  prétend 
comparer  aux  paysans  d'Europe!  11  e;t  maintenant  facile  d'ap- 
précier la  valeur  d'un  semblable  parallèle. 

Développons  mieux  encore  les  vices  de  cette  institution,  si 
monstrueuse  et  si  funeste,  lors  même  que  la  raison  et  l'huma- 
nité ont  tâché  d'en  atténuer  les  résultats. 

L'expérience  a  prouvé  que  rien  ne  peut  être  aussi  nuisible 
au  bon  ordre  de  la  société  que  l'existence  d'une  loi  double,  en 
quelque  sorte,  et  qui  se  partage  une  population  vivant  sur  le 
même  sol.  Les  vices  d'un  semblable  état  de  choses  sont  ma- 
nifestes ;  Il  y  a  privilège  légal  en  faveur  des  uns,  et  oppres- 
sion légale  à  l'égard  des  autres.  Dès  lors  la  communauté  est 
en  état  permanent  de  guerre  ;  elle  se  compose  de  deux  frac- 
tions essentiellement  ennemies,  dont  l'une  tend  sans  cesse  à 
alferuiir  le  joug  qu'elle  fait  porter,  et  l'autre  à  briser  le  joug 
qu'elle  porte.  Le  lien  social  n'est  plus  dans  cet  intérêt  com- 
mun qui  fait  marcher  toutes  les  classes  vers  le  même  but;  il 
est  dans  la  force  matérielle  qu'une  circonstance  quelconque 
peut  déplacer.  La  loi,  n'étant  plus  en  harmonie  avec  l'équité, 
a  perdu  sa  sanction,  et  se  présente  sous  l'aspect  d'une  volonté 
capricieuse,  que  chacun  croit  avoir  le  droit  de  mettre  i\  l'é- 
cart ,  quand  il  peut   le  faire  avec  iiDpunilé.  On  n'appelle  or- 


DE  L'ESCLAVAGE.  585 

gaiiisation  un  pareil  système  ijUe  par  un  abus  étrange  des 
mots.  C'est,  à  le  Lien  prendie,  lu.e  véritable  désorganisation 
consacrée  en  droit,  c'est-à-dire,  tout  ce  qu'il  peut  y  avoir  de 
plus  insensé.  L'histoire  est  là  pour  nous  apprendre  les  maux 
qui  en  découlent,  et  toutes  les  nations  civilisées  sont  tellement 
convaincues  qu'une  loi  égale  pour  tous  est  le  premier  des  be- 
soins, que  leurs  efforts  tendent  particulièrement  à  introduire 
ce  principe  dans  leurs  constitutions  politiques. 

Or,  il  est  de  la  nature  même  de  l'esclavage  que,  partout  où 
il  existe,  il  y  ait  une  loi  spéciale  qvii  ne  concerne  que  les  es- 
claves, une  autre  loi  spéciale  qui  ne  soumette  que  les  hommes 
libres  ;  tel  est  aussi,  nous  l'avons  vu,  le  système  régnant  dans 
les  colonies.  Bien  plus,  là,  comme  nous  le  montrerons  ailleurs, 
on  peut  reconnaître  dans  la  législation  une  troisième  loi  qui 
régit  ceux  qui,  bien  que  libres,  n'ont  pas  l'honneur  d'être  de 
pur  sang  européen...:  ne  parlons  ici  que  de  la  loi  spéciale  qui 
concerne  les  esclaves,  et  examinons  les  caractères  du  système 
qu'elle  consace. 

Nous  disons  que  ce  système  est  essentiellement  contraire  à 
l'équité,  véritable  base  et  principe  conservateur  de  la  société 
civile.  En  effet,  il  établit,  comme  règle  fondamentale,  qu'un 
homme,  moyennant  la  nourriture  et  l'entretien  le  plus  chétifs, 
peut  exiger  d'un  autrs  homme  le  travail  forcé  de  sa  vie  en- 
tière, et  il  est  bien  évident  que  ces  obligations  respectives  se- 
raient encore  hors  de  toute  proportion ,  quand  même  il  ne 
faudrait  pas  ajouter  à  la  part  de  l'esclave  le  sacriflce  de  toute 
liberté  physique  et  morale,  l'abandon  de  ses  droits  comme 
époux  et  comme  père,  la  soumission  aux  châtimens  corpo- 
rels, etc.  S'il  est  vrai ,  comme  le  croit  IMalouet  (i),  qu'il  s'é- 
tablit une  espèce  de  pacte  entre  l'acheteur  et  l'acheté ,  i>' est-ce 
pas  là  manifestement  le  plus  injuste  et  le  plus  vicieux  qui 
puisse  avoir  lieu  entre  des  contractans;  et  quand  le  législateur 
vient  pour  en  affaiblir  les  résultats;  quand,  par  exemple,  il 
impose  au  maître  l'obligation  de  laisser  à  son  esclave  le  pro- 

'i)  Mémoire,  etc.,  pag.  19. 


584  DE  L'ABOLITION  GllADLELLE 

iliiit  du  travail  de  quelques  jours  ou  de  quelques  heures,  quand 
il  lui  défend  de  vendre  les  enfans  de  cet  esclave  au-dessous 
d'un  certain  âge,  etc.,  ne  lait-il  pas  ainsi  l'aveu  de  Tiniquité 
radicale  dé  la  convention? 

De  ce  que  ce  système  n'a  pas  l'équité  pour  base ,  il  suit  qu'il 
est  nécessairement  fondé  sur  la  violence.  En  effet,  nulle  part 
on  n'a  besoin  d'user  de  contrainte  pour  faire  des  agriculteurs; 
mais  il  faut  un  fouet  et  des  chaînes,  partout  où  l'on  veut  avoir 
des  esclaves.  Que  l'esclavage  soit,  de  tout  point,  fait  et  main- 
tenu par  la  violence  ;  que  la  législation  ait  pour  objet  princi- 
pal de  la  légaliser,  et  que  cette  vfolence  légalisée  soit  sa  véri- 
table garantie,  c'est  ce  qu'on  ne  saurait  contester,  si  l'on  se 
reporte  au  tableau  que  nous  avons  offert,  à  tous  ces  traite- 
mens  auxquels  on  ne  peut,  sans  une  sorte  de  honte,  voir  des 
hommes  être  soumis,  à  cet  ensemble  de  dispositions  cruelles, 
reconnu  indispensable  pour  maintenir  une  juste  subordination 
et  un  salutaire  effroi  parmi  les  esclaves.  Nous  avons  exposé, 
sans  commentaire,  cette  portion  des  lois  coloniales;  nous  ne 
l'examinerons  point  ici  en  détail.  Assurément,  il  est  bien  dif- 
ficile que  les  personnes,  même  les  moins  familiarisées  avec 
les  questions  de  pénalité,  n'y  aient  pas  vu  la  violation  constante 
de  tous  les  principes  d'après  lesquels  la  raison  et  l'humanité 
veulent  que  la  matière  soit  réglée.  Rappelons  simplement  les 
peines  portées  contre  les  coups  ou  jnenaccs  adresses  aux  blancs, 
la  rrïutilalion  des  atiimaux ,  la  dései-tion,  délit  que  Montesquieu 
a  déclaré  ne  pouvoir  comprendre,  quand  il  est  imputé  à  un 
esclave,  etc.  (i). 

Œuvre  d'injustice  et  de  violence,  comment  ce  système  lé- 
gal pourrait-il  être  réellement  efficace ,  en  ce  qu'il  renferme 
de  garanties  pour  la  personne  des  esclaves?  Conunent  devien- 
drait-il véritablement  protecteur  à  l'égard  de  ceux  envers  qui 
il  est  si  barbare  !  cette  assertion  que  la  loi  coloniale  est  presque 
toujours  sans  efficacité,  quand  elle  est  en  faveur  des  esclaves, 
avait  déjà  été  énoncée,  et  l'on  peut  être  frappé  de  sa  justesse 

(i)  MosTBSQiiEi.-,  Esprit  des  Lois.   Liv.  xv,  ch.  n. 


DE  L'ESCLAVAGE.  585 

en  voyant  que,  presque  partout  et  notamment  dans  nos  colo- 
nies, il  a  fallu  sans  cesse  reprorluire  tout  ce  que  les  actes 
avaient  présenté  de  favorable  aux  noirs  depuis  l'origine  mf-uie 
des  élablissemens  ,  et  toujours  avec  la  même  inutilité  ,  au  dire 
de  plusieurs  écrivains  recommandables  et  bien  instruits.  Le  fait 
a  paru  tellement  constant  qu'on  a  quelquefois  prétendu  que 
ce  n'était  pas  en  réalité  chose  praticable  que  de  vouloir  inter- 
venir entre  le  maître  et  l'esclave,  qu'on  ne  pouvait  arriver  de 
la  sorte  qu'à  unrésuUat  nuisible  à  l'un  ou  à  l'autre,  et  souvent 
même  à  tous  les  deux;  quoi  qu'il  en  soit  de  cette  opinion  tour 
à  tour  invoquée  par  les  adversaires  et  par  les  partisans  de  l'es- 
clavage, il  est  facile  de  comprendre  que  c'est  précisément  parce 
que  le  système  est  vicieux,  dans  toutes  ses  parties,  qu'on 
craint  davantage  d'y  toucher.  On  a  peur  que  la  moindre  at- 
teinte ne  fasse  chanceler  et  tomber  en  ruine  un  édifice  assis  sur 
de  telles  bases,  voilà  pourquoi,  quand  quelques  améliorations 
sont  accordées  aux  esclaves,  une  secrète  inquiétude  qu'elles 
ne  soient  bientôt  tournées  contre  les  maîtres  porte  à  statuer 
de  telle  sorte  qu'en  définitive  ceux-ci  sont  toujours  à  peu 
près  libres  d'agir  comme  il  leur  plaît.  Il  ne  manque  rien 
à  la  loi  que  ce  qui  fait  qu'elle  est  exécutée,  et  elle  ne  l'est 
point. 

Un  système  présentant  les  caractères  que  nous  venons  de  dé- 
terminer doit  nécessairement  opérer  l'entière  dégradation  mo- 
rale de  l'individu  qui  s'y  trouve  soumis.  C'est  assurément  un 
fait  qui  ne  peut  être  contesté  que  l'état  d'abrutissement ,  ana- 
logue en  quelques  points  à  celui  des  peuplades  non  civilisées, 
dans  lequel  la  race  noire  a  été  généralement  maintenue  dans 
les  colonies.  Ce  fait  n'est  pas  contesté  par  les  colons  eux- 
mêmes.  Seulement  ils  refusent  d'attribuer  le  résultat  à  sa  vé- 
ritable cause;  ils  prétendent  que  les  noirs  sont  dégradés 
comme  noirs,  tandis  que  l'évidence  nous  montre  qu'ils  ne  le 
sont  que  comme  esclaves,  et  que  Tesclavage  est  la  source 
unique  des  imperfections  morales  qu'on  affirme  être  natives 
en  eux. 

Ici  se  présente  la  question  de  l'infériorilé  de  (a  race  noire 


586  DE  L'ABOLITION  GUADUËLLE 

comparée  à  la  race  blanche,  question  long-tcms  débattue  avec 
gravité,  et  qui  ne  nous  arrêtera  qu'à  peine,  parce  que  le  tems 
l'a  rendue  presque  ridicule.  On  fonde  cette  infériorité  du  noir 
sur  les  différences  organiques  qu'il  présente,  sur  la  couleur 
de  sa  peau,  ses  cheveux  laineux,  ses  lèvres  épaisses,  etc. 
Mais,  de  ces  caractères  constitutifs  d'une  organisation  physi- 
que autre  que  celle  des  blancs,  couiuient  peut-on  induire 
l'inégalité  nécessaire  du  développement  moral  et  intellectuel  ? 
Quant  aux  nuances  de  la  peau  ,  nous  voyons  qu'elles  sont  va- 
riées à  l'infini  sur  le  globe,  du  noir  au  blanc,  du  rouge  au 
jaune.  Selon  l'explication  la  plus  probable,  le  phénomène  de 
couleur  s'effectue  entre  l'épitkrme  et  les  tissus.  Or,  quel  rap- 
port peut-il  y  avoir  entre  l'iatelligence  humaine,  cette  noble 
émanation  de  la  divinité,  et  une  peau  faite  de  manière  à  ré- 
fléchir ou  à  absorber  tous  les  rayons  lumineux?  Nous  pour- 
rions en  dire  autant  de  la  nature  des  cheveux;  et  quant  à  la 
formation  de  la  tête,  caractère  plus  essentiel  à  la  vérité  ,  nous 
ferons  remarquer  d'abord  qu'elle  est  bien  loin  d'être  identi- 
que chez  toutes  les  tribus  noires  ;  que,  dans  la  même  peuplade, 
elle  varie  souvent,  suivant  les  individus,  de  même  que  parmi 
les  blancs,  et  qu'après  tout,  de  l'aveu  des  auteurs,  il  ne  faut 
pas  attacher  une  trop  grande  importance  à  l'ingénieuse  théorie 
de  l'angle  facial  de  Camper  et  de  Cuvier  (i). 

Les  lumières  physiologiques  s'unissent  aux  croyances  reli- 
gieuses pour  reconnaître  l'unité  du  type  primitif  de  l'espèce 
humaine.  Si ,  par  suite  des  bouleversemens  que  le  monde  a 
subis,  les  diverses  fractions  dre  l'humanité,  placées  sous  des 
conditions  climatériques  et  hygiéniques  différentes,  ont  éprouvé 
certaines  modifications  dans  leur  organisation  physique,  d'où 
vient  qu'on  en  conclurait  que  quelques-unes  sont  essentielle- 
ment inférieures  aux  autres,  surtout  quand  on  ne  voit  pas  que 


(i)  On  peut  Consulter,  pour  les  développemens  relatifs  à  l'aptitude 
des  noirs,  à  leurs  travaux  intellectuels,  etc.,  l'ouvrage  curieux  et  instruc- 
lif  de  M.  Gbécoire,  iulitulé  :  De  la  Litlcrai tire  des  nègres.  Paris,  i8io. 
I  vol.  in-8"^ 


DE  L'ESCLAVAGli.  58? 

l'espèce  ail  été  altérée  par  ces  modifications.  Or,  c'est  bien  le 
cas  pour  les  noirs ,  en  qui  l'on  reconnaît  généralement  une 
vigueur,  un  perfectionnement  sinj^ulier  des  sens,  et,  compara- 
tivement aux  blancs,  une  grande  supériorité  de  forces  physi- 
ques, supériorité  qui  a  causé  tous  leurs  maux,  en  les  faisant 
préférer  pour  les  cultures  coloniales. 

Rien  donc  peut-il  être  plus  absurde  que  de  prétendre  que 
les  noirs  sont,  comme  noirs,  et  de  toute  nécessité,  dégradés  et 
vicieux;  qu'ils  sont,  de  leur  nature  propre,  menteurs,  pillards, 
impudiques,  crédules  et  superstitieux,  empoisonneurs,  adon- 
nés à  la  magie  ,  incapables  d'instruction  et  de  comprendre  les 
devoirs  sociaux,  etc.,  et  qu'il  faut  toujours  avoir  la  main  haute 
avec  eux,  si  l'on  veut  réprimer  des  pencha ns  sur  lesquels  leur 
raison,  toujours  dans  l'enfance,  ne  peut  rien? 

Et  pourtant,  combien  de  fois  de  semblables  allégations  ont- 
elles  été  renouvelées  avec  une  étrange  assurance?  Tout  ré- 
cemment encore,  n'a-t-on  pas  vu ,  à  la  Jamaïque  et  dans  les 
autres  îles,  lorsqu'il  s'est  agi  d'accorder  aux  esclaves  la  fiiculté 
de  porter  témoignage  devant  les  cours  de  justice,  de  longues 
discussions,  de  minutieuses  enquêtes  s'établir  pour  décider 
si  les  noirs  sont  susceptibles  d'arriver  à  la  notion  de  La  valeur 
du  serment"?  Quel  pitoyable  aveuglement  !  une  faculté  accordée 
en  Europe  à  l'individu  placé  le  plus  bas  dans  l'échelle  sociale, 
au  paysan  le  plus  stupide,  on  la  refuse,  dans  les  Antilles,  à 
un  homme  que  son  génie  naturel  porterait  peut-être,  s'il  pou- 
vait passer  un  bras  de  mer,  à  la  tête  d'une  armée  ou  d^ins  les 
rangs  d'un  sénat! 

Parmi  les  colons  eux-mêmes,  cependant ,  quelques-uns  qui 
ont  bien  observé  et  bien  connu  les  noirs  se  sont  attachés  à 
justifier  leur  caractère  moral  et  à  faire  juger  de  ce  qu'ils  se- 
raient, une  fois  libres,  par  ce  qu'ils  étaient  dans  l'esclavage, 
quand  leur  condition  se  trouvait  accidentellement  adoucie. 
«Les  noirs  cultivateurs,  dit  le  colonel  3Ialenfant  (i),  sont  gé- 
néralement  doux,   humains,   généreux,   hospitaliers,   bons 

(i)  Pag.  .95. 


588  DE  L'ABOLITION  GRADUELLE 

pères,  bons  maris,  bons  fils,  respectueux  envers  les  vieillards, 
soumis  à  leurs  maîtres,  à  leurs  pères,  laborieux,  quoiqu'on  en 
puisse  dire».  Nous  pourrions  invoquer  une  foule  d'autres  té- 
moignages semblables.  Mais,  de  quelle  valeur  seraient-ils  de- 
vant le  fait  décisif  d'Haïti.  Là  peut  s'observer  une  population 
noire  dont  la  civilisation  est  rapidement  progressive;  là,  des 
écoles  tenues  par  des  noirs  répandent  l'instruction  religieuse 
et  les  connaissances  utiles  (i)  ;  là,  il  y  a  des  lois  faites  par  des 
législateurs  noirs,  que  des  magistrats  noirs  sont  chargés  de 
faire  exécuter;  toutes  les  occupations  civiles,  toutes  les  fonc- 
tions politiques  peuvent  être  et  sont  remplies  par  des  noirs. 
Après  cela ,  osera-t-on  encore  répéter  que  les  noirs  ne  sont 
pas  faits  pour  arriver  à  toutes  les  conquêtes  de  la  sociabilité, 
que  c'est  la  nature,  et  non  le  système  colonial,  qui  arrête-leur 
développement  moral  et  intellectuel ,  et  qui  condamne  irrévo- 
cablement celte  race  à  l'état  de  dégradation  où  elle  est  encore 
plongée? 

C'est  peu  de  dégrader,  ce  système  tue.  Il  opère  bien  visible- 
ment l'extinction  de  l'espèce,  et  cette  extinction  serait  déjà 
consommée,  sans  la  traite  qui  lui  a  toujours  offert  un  aliment 
nouveau.  Comme  on  l'a  déjà  vu ,  le  travail  excessif  auquel  les 
esclaves  peuvent  être  contraints  est,  dans  les  colonies,  une 
première  cause  de  mortalité  parmi  les  noirs.  Le  défaut  de 
soins,  une  nourriture  malsaine,  des  châtimens  insensés,  les 
souffrances  physiques  et  morales,  le  sombre  désespoir  qui  en 
est  quelquefois  la  suite  sont  autant  de  causes  qui  y  concourent. 
Cette  mortalité  a  été  souvent  signalée  à  l'attention  publique, 
mais  jamais  peut-être  de  manière  à  bien  présenter  toute  sa 
grandeur  véritablement  effrayante.  Recueillons  quelques  ren- 
seignemens.  Un  écrivain  (i)  nous  apprend  que,  de  i68e  à 
1776,  c'est-à-dire,  dans  l'espace  de  96  ans,  on  avait  introduit 
plus  de  800,000  noirs  à  Saint-Domingue.  En  1777,  la  colo- 

(i)  Voy.  les  Lettres  du  g<^néral  l.>f;i.-v.\c  aupiésidenl  de  la  Société  pour 
l'enseignement  élémenlairo,  et  le  journal  de  cette  Société. 
{">.)  IIiLLiABo  b'AinBRTK!  it.  Touj.  Il,  pag.  6.5. 


DR  L'ESCLWAGK.  589 

nie  n'en  coiuplaU  que  290,000,  dont  140,000  seulement 
étaient  des  noirs  créoles,  c'est-à-dire,  nés  dans  la  colonie. 
Ainsi,  sur  le  plus  beau  sol  du  globe,  800,000  individus  se  trou- 
vaient ,  après  un  siècle ,  malgré  le?  naissances  que  la  fécouilité 
hâtive  des  femmes  rend  si  nombreuses  dans  ces  flimals,  ré- 
duits à  140,000  !  !  !  • ■ • ■ • 

A  Surinam,  il  y  avait,  vers  la  fin  du  sit'tle  dernier,  7.5.000 
noirs.  F.n  défalquant  les  vieillards  et  lesenfans,  il  restait  5o,ooo 
individus,  nécessaires  pour  les  travaux  de  culture  et  autres. 
L'importation  annuelle  dans  cette  colonie  se  montait  à  2,5oo 
environ,  et  cette  importation  était  indispensable  pour  tenir  au 
complet  le  nombre  des  5o,ooo  Irivailleurs.  Il  suit  de  là  que 
le  nombre  des  morts  excédait,  chaque  année,  les  naissances 
du  même  nombre  de  2,600  ;  ce  qui  effectuait,  sur  la  totalité, 
une  perte  de  cinq  pour  cent,  et  démontrait,  par  conséquent, 
qu'une  génération  active  et  saine  de  5o,ooo  individus  s'étei- 
gnait en  vingt  années  (1)  ! 

Si  l'on  en  croit  M.  de  Humboldt  (2),  la  mortalité  est,  à 
Cuba,  de  sept  pour  cent  par  an. 

Le  décroissement  est,  à  la  .Martinique,  d'un  treizième  par 
an  ,  au  rapport  d'un  honorable  orateur  de  la  Chambre  des  dé- 
putés (5),  appuyant  cette  évaluation  sur  les  lenseigneraens 
officiels  fournis  parle  ministre  en  1824. 

Sur  750,212  esclaves  des  Indes  occidentales  britanniques, 
il  s'est  opéré ,  de  1817  à  1820,  suivant  M.  Moreau  de  Jonnès, 
une  diminution  de  i8,25i  individus  par  la  dift'érence  des  dé- 
cès et  des  naissances.  C'est  6,000  individus  par  an,  ou  un  sur 
126.  Une  telle  mortalité  laisserait  à  peine  à  ces  colonies  un 
■  avenir  de  trois  générations  (4).  A  ces  renseignemens,  nous  en 
ajouterons  d'nutres,  empruntés  à  un  tableau  slati>tique  publié, 
en  1827,  par  un  recueil  périodique  exclusivement  consacré  à 


(i)  Stedma.x.  Tom.  m,  pag.  84  et  i85. 

(2)  Essai  politique.  Tom.  11,  pag.  Sg. 

(3)  M.  Dbvacx,  du  Cher.  Session  de  i8s6. 

(4)  Du  Commerce,  etc.  Tom.  n,  pag.  34y- 

T.   XLVll.   SBPTEMBRE    1  83o.  58 


590  DE  L'ABOLITION  GRADUELLE 

la  noble  cause  de  l'abolilion  (i).  D'après  ce  tableau  ,  pendant 
les  années  1818,  1824,  la  population  esclave  s'était  accrue 
dans  trois  colonies  seulement  [Bahama,  liarhade  e\.  Domini- 
que')^ de  5,4'V-^  individus,  et  elle  avait  éprouvé  dans  toutes  les 
autres  une  perle  qui  s'élevait  à  5i,4i9.  et  eflecliiail  pour  six 
ans,  le  nonsbrc  précédent  soustrait,  une  diminution  de  27,997 
individus. 

Si,  dans  l'ensemble,  on  calcule  cpie,  depuis  l'origine  des 
établissemens,  l'Afrique  doit  avoir  envoyé  par  an  aux  régions 
équinoxiales  de  l'Amériiiue  une  quantité  moyenne  de  70,000 
individus  (2),  formant  peut-être  de  20  à  25  millions  d'hom- 
mes, pour  produire  une  population  de  quelques  millions  de 
noirs  disséminés  dans  les  îles  et  dans  les  deux  Amériques,  on 
aura  l'idée  du  fléau  le  plus  dévastateur  qui  ait  jaijiais  mois- 
sonné l'humanité. 

Et  l'on  ne  peut  avoir  le  moindre  doute  que  ce  ne  soit  bien 
l'esclavage  avec  ses  conséquences  désastreuses  qui  amène  cet 
affreux  résultat.  Car,  partout  où  le  système  est  amélioré,  la 
mortalité  s'airail)lit  ;  parlcpiit  elle  est  exactement  proportion- 
nelle avec  l'espèce  et  la  durée  du  travail  imposé  aux  esclaves. 
Mais  un  fait  plus  concluant,  c'est  que  ,  dans  les  mêmes  lieux, 
cette  même  population  qui  décroît  rapidement,  tant  qu'elle 
est  esclave,  s'accroît  au  contraire  d'une  manière  sensible  ,  dès 
qu'elle  est  affranchie.  Les  Etals- Luis  et  Haïti  en  sont  la 
preuve;  divers  rapports  officiels  ont  constaté  le  fait,  pour  la 
plupart  des  colonies  anglaises.  La  Trinité  en  a  offert  un  frap- 
pant exemple.  On  transporta,  en  18  iG,  environ  744  Noirs 
américains,  de  tout  sexe  et  de  tout  âge,  qui  avaient  pris  parti 
pour  les  Anglais,  dans  la  guerre  précédente.  On  leur  concéda 
un  terrain  où  ils  vécurent  libres;  en  1824,  cette  petite  colonie 
s'élevait  à  925  individus;  re  qui  formait,  pour  huit  années. 


(1)  Anti  slavcry  monthly  reparler,  N"  9.6,  pag.  ii. 

(2)  M.  DK  IIl.miioi.dt  l'a  i)ort<''C  à  74,000;  M.  Ghégoibe  à  80,000; 
d'autres  à  100,000  ;  M.  Ualbi  évalue  ^  5o,ooo  individus  la  seule  impor- 
tation annuelle  du  Brésil. 


DE  L'ESCLAVAGE.  5g, 

wn  accroissement  de  149  personnes,  ou  de  2  1/2  pour  cent, 
taux  précisément  égal  à  celui  de  la  mortalité  dans  la  même  île 
parmi  les  esclaves  (1). 

Si  donc  il  résulte  nécessairement  de  Pesclavage  qu'il  doit 
être  régi  par  une  loi  spéciale,  et  si  cette  loi  crée  de  toute  né- 
cessité, en  ce  qui  concerne  la  personne  des  esclaves  ,  un  sys- 
tème contraire  à  l'équité,  fondé  sur  la  violence,  inefficace 
dans  les  garanties  qu'il  accorde,  propre  à  opérer  la  dégradation 
de  l'individu  et  l'extinction  de  l'espèce,  quelle  voix  osera  s'é- 
lever pour  prendre  sa  défense,  pour  repousser  l'anathème  dont 
une  telle  institution  doit  être  à  si  bon  droit  frappée? 

II.  En  ce  qui  concerne  les  maîtres.  —  S'il  est  une  vérité  con- 
stante, c'est  que  l'esclavage  ne  corrompt  pas  moins  le  maître 
que  l'esclave.  Cette  vérité  a  cent  fois  été  reproduite  et  déve- 
loppée. On  a  pu  citera  l'appui  des  faits  nombreux,  pris  dans 
tous  les  tems  :  celui  que  présentait  la  société  coloniale  était 
le  plus  frappant  qu'on  pût  invoquer. 

Il  ne  s'agit  ici  nullement  de  diriger  des  traits  satiriques 
contre  les  colons  ;  mais,  il  est  impossible  que  le  système  adopté 
pour  la  culture  des  colonies  n'ait  pas  exercé  une  inOuence 
quefconque  sur  leurs  habitudes  morales,  et  nous  devons  dé- 
terminer la  nature  de  cette  influence. 

Or,  qui  ne  conviendra  que  l'esclavage  ne  semble  merveil- 
leusement combiné  pour  encourager  les  penchans  vicieux 
auxquels  les  institutions  sociales  doivent  chercher  à  mettre  un 
frein  ;  que  cette  domination  absolue  et  illimitée  qu'exerce  sur 
son  semblable  l'homme  ,  qui  sait  si  rarement  se  dominer  lui- 
même  ,  ne  soit  précisément  faite  pour  ôter  toute  digue  à  ses 
passions  ;  que  la  cupidité,  la  débauche,  la  colère  et  toutes  les 
autres  maladies  de  l'âme  ne  trouvent  là  un  attrait  et  un  ali- 
ment qui  se  reproduisent  sans  cesse?  En  thèse  générale,  la 
vertu  est-elle  compatible  avec  un  tel  état  de  choses?  Com- 
ment resterait-on  modéré  dans  ses  désirs,  quand  on  peut  tout 

(1)  Anii-slavery  monildy  reporter.  Novenibie  1827,  paj?.  i56. 


592  DE  L'AROUTION   (.RADUELLE 

exiger  des  sueurs  de  l'iiunuiie  ;  contiuent,  quand  on  n'a  même 
pas  besoin  de  se  donner  la  peine  de  séduire;  humain,  quand 
on  a  si  fréquemment  sous  les  yeux  des  chàtimens  dont  la  plus 
vile  populace  de  l'Europe  pourrait  seule  endurer  le  spectacle? 
Nous  le  demandons  :  n'y  a-t-il  pas  là  une  cause  perpétuelle  et 
nécessaire  de  dépravation? 

On  a  souvent  remarqué  que,  dans  les  colonies,  ce  sont  les 
onfans,  les  jeunes  femmes  qui  donnent  les  plus  fréqnens  exem- 
ples d'insensibilité  froide  et  de  cruauté  réfléchie,  à  l'ég  ird  des 
esclaves.  Cette  observation  n'a  pas  besoin  de  commentaire; 
elle  démontre  assez  par  elle-même  toute  l'étendue  du  mal 
moral  dont  l'esclavage  est  l'origine. 

Une  raison  plus  forte,  un  intérêt  mieux  entendu  répriment 
quelquefois,  chez  les  hommes  ce  fatal  entraînement  à  tout  se 
permettre  envers  les  esclaves;  et  l'on  a  souvent  trouvé  là  un 
argument  contre  toute  réforme,  contre  toute  amélioration  ve- 
nant du  dehors.  Laissez  agir  les  maîtres,  répétait -on  sans 
cesse;  reposez-vous  sur  leur  raison,  et  plus  encore  sur  leur 
intérêt,  qui  est  de  faire  vivre  des  hommes  qu'ils  ont  bien 
payés,  et  qui  forment  la  plus  forte  portion  de  leur  capital!.. 
Mais  le  lérnoignage  irrécusable  des  faits  prouve  combien  la 
raison  et  l'intérêt  sont  faibles  devant  les  passions  brutales  : 
comme  nous  l'avons  vu  ,  les  nègres  payés  si  cher  mourraient 
par  milliers,  chaque  année;  chaque  année  aussi,  l'extension 
des  cultures,  et  par  conséquent  l'accroissement  de  la  morta- 
lité élevaient  considérablement  le  prix  de  ceux  qu'on  transpor- 
tait d'Afrique,  C'était  là  une  cause  de  ruine  imminente;  les 
calculs  les  plus  simples  le  pouvaient  démontrer,  et  rien  ne 
changeait  pourtant ,  rien  n'éclairait  la  masse  des  colons  ;  ils 
n'en  persévéraient  pas  moins,  à  quelques  exceptions  près, 
dans  ce  système  de  destruction;  ils  n'en  continuaient  pas 
moins  à  imposer  à  leurs  esclaves  un  travail  qui  les  exténuait , 
à  les  faire  châtier  de  manière  à  les  rendre  infirmes,  ou  à  les 
priver  de  la  vie;  ce  qui  effectuait  sur-le-champ  une  perte  de 
capital,  portée  qnchjuefuis  jusqu'à  douze  mille  francs,   mais 


DE  L'KSCLAVACK.  5î)7) 

dont  ou    se    consolait,  en  disant  :  L'Afriinie  rst  iiiir  bonite 
mère  (  i  )  / 

Des  écrivaijjs  dignes  de  foi  nous  oui  (ait  coimaître  ce  que 
sont  la  plupart  du  tems  les  Ijlancs  préposés  à  la  surveillance 
des  esclaves;  et  l'on  sait  que  c'est  de  leur  part  surtout  que 
ceux-ci  ont  à  souflVir  tous  les  genres  d'oppression.  Le  système 
paraît  là  dans  tout  ce  qu'il  a  de  plus  hideux,  de  plus  propre  à 
moiitrer  la  t'unesic  influence  qu'exerce  l'esclavage  sur  la  race 
blanche.  Lii)ertinage ,  orgueil  et  cruauté,  tels  sont  les  traits 
habituels  du  caraclcie  de  ces  uiaîtres  secomlaiics.  C'est  par 
eux  qu'ont  été  consacrés  ces  principes  qui  rornient  comme  nu 
corps  de  doctrine  ci  une  morale  à  l'usage  des  colonies  :  que  le 
nèisre  esl  fait  par  la  nature  pour  être  esclave  ;  qu'il  faut  ?)e  lui 
rien  passer  et  se  montrer  toujours  terrible  avec  lui  ;  que  le  grand 
art  consiste  d  faite  en  sorte  qu'il  produise  le  plus  et  coûte  le  moins 
possible;  surtout  que,  si  l'on  veut  faire  fortune  aux  îles,  il 
faut  commencer  par  étouffer  la  sensibilité  philaniropiqite  de  l' Eu- 
rope; et  il  est  malhciueusement  trop  vrai  qu'elle  est  souvent 
étoutïée,  et  qu'après  s'être  montrés  compatissans,  la  plupart 
des  Européens  finissent  par  adopter  les  idées  et  la  conduite 
des  colons  à  l'égard  des  esclaves;  tant  est  profonde  sur  le  ca- 
ractère moral  l'influence  qu'exerce  i\n  ttl  spectacle  d  ini- 
quité ! 

En  iSi'i,  un  jeune  homme  du  cap  de  Bonne-Espérance,  fils 
d'un  ecclésiastique'  de  la  colonie,  fut  convaincu  du  meurtre 
d'un  esclave  et  condamné  à  mort.  Interrogé  par  le  pasteur 
qu'on  avait  chargé  de  l'assister  dans  ce  terrible  moment,  sur 
ce  qu'il  pensait  de  l'esclavage,  «  Monsieur,  s'écria  le  malheu- 
reux jeune  homme,  en  montant  sur  l'échafaud  ,  l'esclavage  est 
un  a/freux  système,  pire  encore  pour  les  maîtres  que  pour  les  es- 
claves [i)  !  Qu'ajouter  contre  l'esclavage  à  ce  témoignage 
d'une  de  ses  victimes,  en  présence  même  delà  mort! 

Au  surplus,  nous  le  répétons,  il  ne  s'agit  ici  du  caractère 

(i)  Malkafakt,  pag.  ijô. 

fîj  .hUl-slaicry  rcporler,  1S2S.  IX"  .52,  pag.  ijô. 


594  I>E  L'.UiOUTION  GRADUELLE 

colonial  que  sous  le  rapport  de  l'esclavage.  Ou  lui  a  rendrt 
justice  à  tous  autres  égards;  et,  récemment  encore,  un  écri- 
vain déjà  cité  (i)  a  dit  :«Les  colons  sont  d'ailleurs  les  plus 
honnêtes  gens  du  monde,  bons,  serviables,  justes  et  humains, 
pourvu  qu'il  lie  soit  (jucstion  de  noirs,  ni  d'hommes  de  couleur. 
Ce  sont  des  hommes  fanatisés  par  les  préjugés  de  leur  en- 
fance; ce  ne  sont  pas  les  personnes  qui  sont  coupables  ,  c'est 
le  système  qui  est  criminel.  « 

IIL  En  ce  qui  concerne  les  colonies.  —  Qu'une  population 
maintenue  dans  l'état  de  dégradation  et  de  souffrance  que  nous 
avons  fait  connaître  mette,  en  plusieurs  contrées  de  l'Amé- 
rique, la  société  dans  un  péril  toujours  croissant;  c'est  ce  que 
le  raisonnement  et  l'expéi  ience  démontrent  également.  Pour 
apprécier  toute  l'élendue  de  ce  péril,  établissons  aussi  exacte- 
ment que  possible  le  rapport  de  la  population  blanche,  soit 
avec  les  noirs,  soit  avec  les  hommes  de  couleur. 

L'Archipel  des  Antilles  présente  une  population  totale  de 
2,845,000  habitans;  savoir; 

482,600,  blancs. 
1,212,900,  libres  de  couleur. 
i,i47j5oo,  esclaves  (1). 
Dans  les  Guyannes,   on  compte  une  population  totale  d& 
215,922  individus,  ainsi  partagée  : 

9»97»jWyncs. 

11,402,  hommes  de  couleur. 
194,549,  noirs  esclaves. 
Au  Brésil,  la  population  doit  présenter  à  peii  près  les  résul- 
tats suivans]: 

900,000,  blancs. 
600,000,  hommes  de  couleur. 
1,900,000,  esclaves. 
Environ  1,600,000  Indiens,  métis,  dont  un  certain  nom- 

(i)  MoRiîiNAs.  Pag.  58-. 

(2)    lIlMIlOLDT.   TollI.   11. 


I)K  L'ESCLAVAGE.  51)5 

bre  sont  esclaves,  coniplèlcnt  le  total  de  5, 000,000 ,  iuiqiiel 
011  croit  pouvoir  poitei'  la  populatioîi  actuelle  de  cet  empire. 

Aux  Etats-Unis,  la  population  était,  en  1 820,  de  9,600, 000  ha- 
bilans  (quelques  tribus  indiennes  non  comprises).  Cette  po- 
pulation était  ainsi  partagée  : 

7,726,525,  blancs. 

235,557,  hommes  de  couleur. 
1,558, 118,  noirs  esclaves. 

Il  faut  remarquer  que  la  population  esclave  et  affranchie  se 
trouve  à  peu  près  tout  entière  comprise  dans  dix  Etats  méri- 
dionaux, où  les  noirs  et  hommes  de  couleur  sont  au  nombre 
de  1,496,285,  et  les  blancs,  de  1,188,796. 

On  peut  évaluer  à  environ  2,5oo,ooo  les  noirs  et  hommes 
de  couleur  libres,  ou  dont  la  liberté  prochaine  est  assurée,  qui 
sont  dispersés  dans  les  nouveaux  États  de  l'Amérique,  parmi 
8  à  9  millions  d'hommes  appartenant  à  diverses  races. 

11  résulterait  de  ces  évaluations,  que  la  ra^e  noire  compte- 
rait à  peu  près  pour  (//a;  millions  dans  les  quarante^  dont  se 
compose,  à  ce  qu'on  croit,  la  population  totale  de  l'Amé- 
rique, c'est-à-dire  qu'elle  formerait  le  quart  de  cette  popula- 
tion, et  qu'il  y  aurait  trois  hommes  de  race  européenne,  ou 
bien  indigènes,  pour  un  individu  originaire  d'Afrique. 

On  ne  verrait  là  aucune  raison  de  concevoir  des  alarmes 
bien  vives,  si  cette  population  était  également  distribuée  dans 
l'immense  étendue  du  Nouveau-Monde.  Mais  nous  voyons,  au 
contraire,  qu'elle  est  toute  concentrée  sur  quelques  points,  et 
de  manière  à  y  présenter  les  résultats  suivans  : 

Dans  les  dix  Etats  de  l'Union,  où  la  population  se  trouve  à 
peu  près  réunie,  il  n'y  a  pas  tout-à-fait  un  blanc  pour  un 
homirie  originaire  d'Afrique  ;  le  rapport  est  exactement  le 
même  au  Brésil,  si  l'on  comprend  les  Indiens  avec  les  Blancs; 
mais  il  y  a  bien  près  de  trois  Africains  pour  un  blanc,  si,  comme 
il  convient  de  le  faire,  on  met  ces  tribus  à  part. 

Dans  les  Gnyaiuies,  on  trouve  vingt  à  vingt  et  un  noirs  ou. 
l'innmes  de  couleur,  et  dans  l'Archipel  des  Antilles  ,  de  qualre  d 


D9ti  1>K  L'ABOLITION   GUADLELLE 

ciiKj  pour  un  blanc  eiiiipéen,  ou  créole.  Il  est  inutile  d'établir 
ce  rapprochement  dans  les  autres  parties  de  l'Amérique,  où 
l'on  s'est  mis  à  l'ahii  de  tout  danger  sons  ce  rapport,  par  un 
système  d'affranchissement  graduel,  mais  effectif. 

La  situation  devient  beaucoup  plus  grave  dans  les  Antilles, 
par  l'inégalité  plus  grande  encore  de  la  répartition  des  deux 
mces.  Ainsi,  l'on  voit  que,  si  dans  l'ensemble  il  se  trouve  sur 
loo  individus  17  blancs,  4^  hommes  de  couleur  libres,  et 
4o  esclaves,  ou  bien,  en  réunissant  ces  deux  dernières  classes, 
85  d'origine  africaine  contre  ly  de  race  européenne ,  ce  dernier 
nombre  se  trouve  être  élevé  à  45  pour  Cuba,  tandis  qu'il  se 
réduit  à  12  pour  la  Jamaïque,  et  à  1 1  pour  les  deux  Antdles 
françaises.  La  proportion  décroit  encore  dans  d'autres  colo- 
nies, où  elle  ne  se  trouve  plus  que  de  5  ou  6  pour  cent.  En- 
fin, dans  certaines  îles,  il  y  a  plus  de  cent  noirs  ou  hommes  de 
couleur  pour  un  blanc. 

Ces  rapprochemeus,  qu'il  serait  facile  de  multiplier,  sont 
bien  expressifs;  on  peut  y  ajouter  encore  quelques  considé- 
rations importantes. 

On  avoue  que  l'esclavage  est  lu  plaie  des  Étals-Unis  (1)  ;  au 
iirésil  il  est,  pour  tous  les  hommes  qui  voient  de  haut  et  de 
luin,  la  source  des  plus  sérieuses  inquiétudes.  Mais,  si  Ton  eu 
redoute  les  conséquences  dans  ces  puissans  Etals,  combien  les 
doit-on  redouter  davantage  dans  cet  Archipel,  où  la  dispro- 
portion entre  les  deux  races  est  beaucoup  plus  considérable, 
le  système  infiniment  plus  rigoureux,  et  où  les  bras  de  mer 
qui  coupent  les  territoires  de  chaque  nation  rendent,  en  cas 
de  révolle,  les  secours  moins  faciles  et  moins  prompts. 

Dès  l'origine  même  des  colonies .  on  avait  pressenti  les  iu- 
convéniens  qui  pourraient  résulter  un  jour  de  l'imporlation 
inconsidérée  des  noirs  dans  ces  élablissemens  pour  le  main- 
lien  du  bon  ordre  et  de  la  subordination.  L'Espagne,  après  l'a- 
voir simplement  tolérée,  voulut  en  réprimer  l'abus  (^2)  ;  mais 

(1)  Wabden.  t.  i;  Jntroduil'wn,  pag.  5".  —  Cooper,  Lcllrcx  sir  lix 
Elats-i'nis. 

(a)  Charlkxoix.  Toin.  i,  [>.  «9^. 


DE  L'ESCLAVAGE.  597 

on  lie  tarda  pas  à  s'écarter  de  celle  sage  ré-'eivc,  et  tontes  les 
nations  semblèiont ,  connue  à  l'envi,  s'attacher  à  encombrer 
de  noirs  leurs  établissemens.  Le  principe  s'établit  alors  qne 
l'angnientalion  de  prospérité  dépendait  absolument  de  l'aug- 
mentation des  esclaves.  Il  ne  fut  plus  question  d'améliora- 
tions dans  le  système  agricole,  dans  la  fabrication  des  pro- 
duits ;  il  ne  fallut  (jne  des  nègres,  on  s'occupa  simplement  d'en 
recevoir  d'Afrique,  cliaque  année,  un  peu  plus  quil  n'en  était 
mort  dans  la  précédente  ;  et  c'était  là  ce  qu'on  appelait  peu- 
pler les  colonies  (1). 

Toutefois,  l'expérience  prouvait  que,  plus  nombreux,  ils 
devenaient  aussi  plus  remnans  et  moins  dociles,  et  que  le  sen- 
timent de  leur  force  numérique  ne  lardait  pas  à  les  porter  à 
briser  le  joug  sous  lequel  ils  gémissaient.  «  Les  esclaves  ,  dit 
l'auteur  des  Annales  du  Conseil  de  la  Martinique  (2),  ne  sont 
plus,  depuis  la  paix  le  i^Cio,  ce  qu'ils  étaient,  trente  ou  qua- 
rante ans  avant.  Il  semble  qu'ils  ont  tous  lu  le  morceau  qui 
les  regarde  dans  ^Histoire  philosophique  et  politique  de  Ray- 
nab).  L'Europe  pressentit  alors  le  danger,  et  ses  avis  firent 
connaître  aux  colons  tout  ce  qu'il  y  avait  à  redouter  de  ces 
dispositions  nouvelles  de  leurs  esclaves;  des  insurrections  par- 
tielles vinrent  prêter  appui  aux  conseils  de  la  sagesse  euro- 
péenne ;  mais  rien  ne  put  éclairer  les  colons,  et  ils  n'en  con- 
tinuèrent pas  moins  à  demander  sans  cesse  à  l'Afrique  de 
nouveaux  nègres  qui  ajoutaient  au  péril,  non-seulement  en 
aiccroissant  cette  population  hostile,  mais  encore  en  rappelant 
aux  nègres  créoles  les  souvenirs  du  sol  natal,  en  réveillant 
en  eux  l'amour  de  l'indépendance  et  la  haine  de  l'oppiession  . 
De  nos  jours  même,  nous  avons  vu  ces  colons,  nous  les  voyons 
encore,  après  la  sanglante  catastrophe  de  Saint-Dominge,  lut- 
ter avec  opiniâtreté  pourmaintenir  une  importation  condar^- 


(1)  Qiielquefuis  on  a  été  jusqu'à  pl■opo^er  au  gtiuveinenicnt  d'accoi - 
de;'  une  prime  pour  cliaque  Ictc  de  noir  iiilroduitc  flans  les  établisseniciu  • 
(Ladarthe.  Foyiigc  au  Scncgal.  I11-8",  1S02,  pap-.  100.' 

'9'  DfssALLK.  TiiiJi.  II.  pag.  049- 


598  DE  L'ABOLITION  GRADUELLE 

née  par  le  simple  hon  sens,  quand  même  elle  ne  serait  pas 
réprouvée  par  l'hiimatiité  ! 

Certes,  il  est  permis  de  s'étonner  de  tant  d'imprudence; 
mais  ce  n'est  rien  encore  ;  dans  la  position  extrême  où  se  trou- 
vent les  planteurs  des  îles,  ainsi  épars  au  sein  d'une  population 
nombreuse  et  lorcément  ennemie,  il  semble  qu'il  devrait 
suffire  encore  du  simple  bon  sens  pour  leur  aprendreque, 
plus  le  joug  qu'ils  feront  porter  sera  rigoureux,  et  plus 
il  y  aura  de  danger  pour  eux;  que  ce  danger  s'affaiblira, 
à  mesure  que  l'esclavage  deviendra  plus  lolérable.  L'expé- 
rience est  encore  là,  d'ailleurs,  pour  servir  d'appui  au  raison- 
nement en  montrant  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  révolte  parmi  les 
noirs  dans  les  contrées  où  ils  ont  été  plus  humainement  trai- 
tés, notamment  dans  l'Amérique  espagnole.  On  croirait  d'après 
cela,  que  le  régime  devrait  être  d'autant  plus  modéré  que  la 
population  noire  serait  plus  considérable.  Et  bien  !  c'est  tout 
le  contraire.  Si  l'on  observe  ce  qui  se  passe  dans  les  Antilles, 
on  voit  presque  toujours  que  l'esclavage  y  est  d'autant  moins 
amélioré  que  les  esclaves  y  sont  plus  nombreux.  Plusieurs  fois 
même,  les  colonies  ont  précisément  opposé  aux  améliorations 
qu'on  exigeait  d'elles  cette  supériorité  numérique  qui  était 
une  raison  suffisante  pour  les  faire  accueillir.  Par  exemple,  en 
1ÎS25,  le  Conseil  de  Tabago,  dans  une  adresse  au  gouver- 
neur, sur  ce  qu'on  alléguait  que  le  régime  de  l'esclavage  n'é- 
tait pas  dans  cette  île  établi  sur  des  bases  aussi  libérales  que 
dans  quelques  autres,  disait  :  «Quand  bien  même  le  fait  serait 
exact,  le  gouvernement  ne  pourrait  être  surpris  de  ce  qu'on 
eût  accordé  de  plus  fortes  garanties  à  la  Société ,  dans  une  île, 
où  aSo  colons  libres  se  trouvent  au  milieu  de  i4,ooo  esclaves; 
ce  qui  établit  le  rapport  de  1  à  56  (i).  Nous  verrons,  quand 
il  sera  question  des  hommes  de  couleur,  un  nouvel  et  plus 
frappant  exemple  de  ce  qu'on  peut  avec  justice  appeler  la  de- 
raison  coloniale.» 

Voici  donc  l'état  de  choses  que  présentent  actuellement, 

(1)  Royal  Gazette  of  ■fittiatiai,  iN-i") 


DE  L'ESCLAVAGE.  599 

sons  ce  rapport,  les  colonies  européennes.  Environ  5oo,ooa 
blancs  y  sont  entunrés,  pressés,  comptés  par  une  population 
maintenue  dans  la  plus  misérable  condition  où  des  hommes 
puissent  être,  et  qu'une  inégale  répartition  rend  sur  quelques 
points  dix,  vingt,  cent  fois  plus  considérable  que  celle  qui  l'op- 
prime. Si  on  la  laisse  languir  et  s'éteindre,  comme  par  le 
passé  ,  les  colonies  se  perdent  ;  si  on  la  laisse  s'accroître  ,  elles 
sont  menacées  d'une  inévitable  subversion  ;  les  évènemens  en 
ont  déjà  affranchi  une  moitié  :  à  Surinam,  à  la  Jamaïque,  des 
révoltes  ont  établi  l'indépendance  de  ces  tributs  redoutables 
de  marrons  avec  lesquelles  il  a  fallu  quelquefois  transiger  (1). 
Dne  révolution  terrible  a  rendu,  dans  la  plus  grande,  dans 
la  plus  riche  des  Antilles,  600,000  esclaves  maîtres  et  sou- 
verains. D'autres  passent  graduellement  an  rang  de  citoyens 
dans  les  nouvelles  républiques  du  continent  !...  de  tous  côtés, 
les  esclaves  de  nos  îles  peuvent  du  rivage  saluer  des  compa- 
triotes affranchis!...  dans  cette  situation,  les  colons  ne  sem- 
blent s'inquiéter  que  de  ce  qui  s'écrit  à  Londres  et  à  Paris  sur 
l'esclavage,  et  ils  voient  tout  le  mal  dans  les  pages  oCi  on  leur 
démontre  l'impérieuse  nécessité  de  modifier  et  d'abolir  un 
système  qui  menace  la  société  coloniale  d'une  inévitable  ca- 
tastrophe ! 

IV.  En  ce  qui  concerne  Les  Métropoles.  —  Les  colonies,  sur- 
tout celles  de  l'Amérique,  ont  rencontré,  de  nos  jours,  un 
grand  nombre  d'adversaires  ;  et  en  effet ,  au  premier  aperçu , 
quelques  îles  jetées  dans  un  autre  hémisphère,  avec  des  rades 
d'un  accès  facile  et  sans  travaux  d'art  pour  les  défendre  ,  pa- 
raissent des  possessions  dont  l'avantage  réel  est  tout  au  moins 


(1)  A  la  Jamaïque,  les  marions  ont  quelquefois  mis  en  péril  la  colo- 
nie ;  reconnus  iridépendans  par  des  traités,  ils  vivent  dans  des  forèls 
inaccessibles.  Il  leur  est  alloué  une  certaine  somme  pour  chaque  esclave 
déserteur  qu'ils  ramènent  à  son  maître.  Cette  étrange  transaction  rap- 
pelle assez  celle  que  les  Romains  faisaient  avec  les  tribus  barbares  aux- 
quelles ils  confiaient  la  garde  de  leur  iVontière,  quand  ils  avaient  renoncé 
àM'espoir  de  les  dompter On  sait  quel  en  fut  le  résultat  1 


(îoo  DE  L'ABOLITION  GRADLELLE 

doiiieiix.  lilles  peuvent  être  si  facilenienl  enlevées,  en  cas  de 
guerre,  qu'on  hésite  à  faire  pour  leur  prospérité  des  sacrifi- 
ces un  peu  considérables  en  teins  de  paix;  et  cepenîant,  si 
l'on  ne  fait  ces  sacrilîces.  elles  dépéiis^cnt  et  deviennent  une 
<liar2:e.  La  nécessité  de  proléger  (|uel([ucs  européens,  qui  s'y 
trouvent  placés  au  milieu  d'une  population  devenue  infiniment 
redoutable  par  l'oppression  (ju'on  fait  peser  sur  elle ,  reud  leur 
cnlrelieQ  très-coflteux  :  par  une  conséquence  toute  naturelle 
d'un  tel  état  de  choses,  il  faut  quelquefois  y  mainlenir  un  ordre 
politique  tout-à-fait  contraire  aux  vrais  principes  de  gouver- 
nement, et  qui  devient  alors,  en  Europe,  un  sujet  perpétuel 
d'accusations;  il  faut  sans  cesse  y  renouveler  les  administra- 
lions  qui  s'y  croient  ordinairement  en  pays  de  conquête,  et  les 
soldats,  que  les  maladies  y  moissonnent  avec  une  effrayante 
lapidité;  et  tous  ces  renouvelleinens  se  résolvent  toujours  en 
pertes  d'hommes  et  de  millions  pour  la  mère-patrie. 

Ainsi,  nous  voyons,  par  exemple,  qu'en  1820,  nos  deux  An- 
tilles coulaient,  pourleursdépensesintérieures,  i  i,86o,ooofr., 
et  qu'elles  rapportaient  5,790,000  fr.;  leschoses  n'ontpasbeau- 
(Oup  changé  depuis.  Il  en  résulte  que  la  France  paie  un  peu 
plus  de  six  millions  l'honneur  de  posséder  ces  deux  îles.  Mais 
c'est  beaucoup  plus,  si  Ton  considère  l'excédant  de  prix  que 
nous  sommes  obligés  de  payer  pour  les  denrées  qu'elles  pro- 
duisent, et  que  nous  pourrions  prendre  ailleurs  à  plus  bas  prix. 
Elles  nous  vendent  5o  fr.  les  cent  livres  de  sucre  que  la  Ha- 
vanne  nous  livrerait  à  55  fr. ,  et  l'Inde  anglaise  à  meilleur  mar- 
ché encore.  M.  Say  fait  monter  de  70  à  80  millions  par  an  la 
somme  que  nous  coulent  nos  colonies  sous  les  (]i'ii\  points  de 
vue  que  nous  venons  d'indiquer  (i).  En  Angleterre,  on  s'est 
jécrié  cent  fois  contre  les  privilèges  particuliers  qu'il  a  fallu 
accorder  aux  denrées  des  colonies  de  l'Amérique,  au  détri- 
menl  de  celles  des  autres  parties  de  l'empire  britannique  (2). 

(1)  Cours  complet  d' Kronomic  politique,  elc.  Toiii.  ii,  1828. 

(2)  On  a  avancé  que  la  dette  publique  de  l'Angleterre  a  dû  être 
.'iiigirn  ii!ér,  dan.".  Ir.>  tie;i!e  dernières  année?,  de  i5o  millions  par  la  pos- 


DE  L'ESCLAVAGE.  (îoi 

Et  qiu»i  (Je  plus  extiaordiiiairc,  en  eflVl ,  que  de  voir,  au  seiii 
même  d'une  nation,  les  mêmes  produits  inégalomeiil  taxés? 
Quoi  de  plus  contraire  à  l'équité,  soit  envers  les  producteurs, 
soit  envers  les  consommateurs?  On  répond  que,  sans  celle 
inégalité  de  taxes,  les  colonies  à  esclaves  ne  pourraient  sou- 
lenir  la  concurrence.  Mais,  alors  pourquoi  avoir  des  colonies 
à  esclaves  ? 

On  sent  que  nous  no  pouvons  qu'indiquer  ici  les  hautes 
questions  qui  naissent  en  l'oule  d'un  examen  approfondi.  On  a 
écrit  des  volumes  pour  et  contre  les  colonies.  Les  évèneniens 
poliliques  eh  ont  déjà  séparé  plusieurs  de  leurs  métropoles. 
S'il  est  dans  l'avenir  de  l'Amérique  que  toutes  les  autres  soient 
successivement  affranchies,  l'Europe  aura  bien  certainement 
de  justes  motifs  pour  s'en  consoler.  En  attendant,  il  serait 
peut-être  peu  raisonualilc  de  vouloir  qu'on  les  abandonnât  ; 
mais  il  y  a  toute  raison  à  demander  que  leur  régime  soit  amé- 
lioré, de  manière  à  ce  qu'elles  ne  deviennent  pas  un  fardeau 
de  jour  en  jour  plus  incommode.  Or,  c'est  de  l'esclavage  que 
naissent,  en  très-grande  partie  ,  les  iuconvéniens  de  leur  pos- 
session; et  c'est  aussi  le  point  sur  lequel,  dans  cette  grande 
controverse,  doit  se  porter  exclusivement  notre  attention. 

En  thèse  générale,  les  colonies  peuvent  être  surtout  utiles 
à  la  métropole,  en  offrant  des  débouchés  à  ses  produits,  et  en 
lui  envoyant  en  retour  des  denrées  qui  sont  presqu'au  rang 
de  ses  premiers  besoins. 

Pour  ce  qui  regarde  particulièrement  la  France,  on  peut  cal- 
culer que  le  montant  de  l'importation  totale  dans  toutes  ses 
colonies  s'élève  à  environ  84  millions.  Sur  ce  total ,  il  y  a  à 
déduire  tout  ce  qui  est  importé  de  l'étranger,  par  suite  de  l'in- 
terlope qu'on  n'a  jamais  pu  empêcher,  malgré  toutes  les  pré- 
cautions possibles,  parce  qu'il  résulte  à  la  fois  de  l'éloigne- 
ment  de  la  mère-patrie  qui  seule  a  intérêt  à  l'empêcher  et  des 

session  des  colonies  à  sucre;  et  que  le  pays  gagnerait,  à  l'abandon  de  et  s 
colonies,  2  millions  qu'elles  gagnent  elles-mêmes  pai-  le  liant  juix  au- 
quel on  leur  paie  cette  denrée. 


€03  DE  L'ABOLITION  GRADUELLE 

rapports  faciles  qui  peuvent  toujours  être  établis  entre  les  dif- 
férentes îles  d'un  même  arcliipel.  Il  se  montait,  suivant  M.  Mo- 
reau  de  Jonnès  (i) ,  à  17,000,000  fr. ,  il  y  a  quelques  années, 
pour  nos  deux  Antilles  seulement.  Cette  importation  étrangère 
est  soldée  en  denrées  coloniales,  et  toute  cette  valeur  perdue 
pour  nos  produits.  C'est  ainsi  que  se  trouve  tarie  cette  source 
de  débouchés  tant  vantée.  Les  effets  de  cet  interlope  sont  si 
funestes, ajoute  l'auteur  (p.  55g),  qu'autant  vaudrait  presque 
avoir  perdu  les  établissemens. 

Le  reste  du  montant  de  l'importation  est  fourni  par  la  mé- 
tropole à  la  consommation  coloniale.  Mais  qui  ne  voit,  de 
prime  abord,  combien  cette  importation  serait  plus  considé- 
rable, si  l'esclavage  était  détruit?  En  effet,  la  population  totale 
de  nos  colonies  peut  s'élever  à  570,000  habitans,  dont  509,000 
esclaves.  Ces  derniers  qui  forment  au-delà  des  quatre  cin- 
quièmes de  la  totalité,  n'entrent,  dans  la  consommation  des 
objets  importés,  que  pour  une  faible  somme  en  morue,  en 
viande  salée  et  en  tissus  sans  valeur.  Par  conséquent,  les 
58,000  blancs  et  les  25,oôo  affranchis,  en  tout  Gi,ooo  indivi- 
dus, peuvent  être  considérés  coamie  les  consommateurs  à  peu 
près  exclusifs  des  produits  de  la  métropole.  Supposons  main- 
tenant les  509,000  esclaves  transformés  en  ouvriers  libres; 
certainement,  pouvant  dès  lors,  comme  en  Europe,  et  bien 
mieux  qu'en  Europe,  trouver  dans  le  prix  de  leur  travail  une 
nourriture  plus  saine  et  plus  abondante,  des  vêtemens  plus 
appropriés  à  leur  goûts  et  aussi  aux  variations  de  la  tempéra- 
turc,  enfln  toutes  ces  commodités  diverses  qui  appartiennent 
à  la  vie  sociale ,  ils  seraient  promptement  amenés  à  consom- 
mer autant  à  eux  seuls  que  l'autre  cinquième  de  la  population. 
L'importation  serait  donc  doublée,  ainsi  que  le  tonnage  qu'elle 
suppose,  et  elle  serait  toujours  croissante,  puisque  la  popu- 
lation placée  dans  une  pareille  situation  ,  au  lieu  de  perdre 
chaque  année  ,  comme  il  arrive  ,  à  moins  qu'on  ne  la  renou- 
velle par  la  traite,  s'accroîtrait  rapidement. 

(1)  Pag.  29.4. 


DE  L'ESCLAVAGE.  Go5 

C^est  donc  un  intérêt  pressant  pour  notiv.  industrie  que  les 
esclaves  soient,  s'il  est  possible,  transformés  en  ouvriers  li- 
bres. Il  y  a  donc  là  un  moyen  bien  réel  de  lui  ouvrir  des  dé- 
bouchés qu'elle  léclamc,  et  dont  le  besoin  se  fait  de  jour  en 
jour  plus  vivement  sentir. 

On  peut  appliquer  ce  calcul  à  toutes  les  colonies  à  esclaves 
indistinctement.  Ajoutons  qu'il  n'a  pas  peu  contribué  à  for- 
mer en  Angleterre  l'opinion  qui  se  manifeste  avec  tant  de 
force  en  faveur  de  l'affranchissement  des  noirs. 

Il  est  facile  de  concevoir  aussi  que  ce  surcroît  d'importa- 
tion suppose  nécessairement  un  accroissement  proportionel 
dans  la  création  des  valeurs  d'échange  ou  d'exportation;  et 
cet  accroissement  ne  pourrait  manquer  d'avoir  lieu  :  en  effet, 
on  a  calculé  que,  pour  produire  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  là 
consommation  intérieure,  au  commerce  d'exportation,  à  l'ali- 
mentation des  cultivateurs,  il  faut  à  la  France  76  lieues  car- 
rées de  terres  coloniales,  et  i4?'  à  peu  près,  si  l'on  veut  que 
tout  le  coton  nécessaire  à  nos  fabriques  soit  fourni  par  nos  co- 
lonies. Or,  l'étendue  de  ces  colonies  (y  compris  Bourbon)  est 
de  4^0  lieues  carrées,  dont  un  tiers  seul  sullit,  par  consé- 
quent, pour  le  but  proposé.  Ce  tiers  correspond  ,  à  la  vérité, 
à  l'étendue  actuelle  des  propriétés  existantes  qu'on  évalue  à 
environ  146  lieues  carrées.  Si  donc  cette  portion  de  sol  est 
bien  loin  de  satisfaire  à  l'exportation  demandée  par  la  mé- 
tropole, il  faut  de  toute  nécessité  en  accuser  le  système  éta- 
bli pour  la  production,  c'est-à-dire,  l'esclavage. 

Si  les  tei-res  ne  manquent  pas,  les  hommes  ne  manquent 
pas  non  plus,  comme  il  est  prouvé  par  les  calculs  suivans  que 
nous  empruntons  à  la  même  source. 

Pour  produire  la  quantité  de  denrées  coloniales  que,  con- 
somme actuellement  la  France,  il  faut  seulement  5o,ooo  car- 
rés de  terre  (5,4'>2  toises  carrées  par  chaque  carré),  cette 
mesure  agraire,  vu  l'état  inférieur  de  l'agriculture  dans  nos 
colonies,  produit  6,000  liv.  pesant  de  sucre,  2,000  de  café, 
^50  d'indigo,  on  5  à  600  de  coton.  Il  faut  trois  hommes  pour 
la  culture  de  deux  carrés  en  cannes  à  sucre  ;  un  seul  pour 


6b4  DE  L'ABOLITION  GRADUELLE 

chaque  carré  en  calevcr,  ou  iiidigoiier;  un  seul  aussi  pour 
trois  carrés  de  cotonniers.  D'après  ces  bases,  le  nombre  d'in- 
dividus nécessaires  poiu-  produire  toutes  les  denrées  colonia- 
les exigées  par  notre  consommation  se  monte  à  4f'5'300.  Il 
peut  devenir  double,  si  les  cultures  prennent  un  grand  ac- 
croissement. V  On  voit  qu'il  ne  faut  pas  les  800,000  habitans 
que  possédaient  les  colonies  françaises  avant  la  révolution  ; 
qu'il  ne  faut,  dans  l'état  actuel  de  l'industrie  agricole,  que  80 
à  100  mille  cultivateurs  (i).  >» 

Si  donc,  avec  nos  309,000  travailleurs  esclaves,  nous  ne 
produisons  pas  ce  que  pourrait  rigoureusement  produire 
40,000  cultivateurs  ordinaires,  il  faut  encore  de  toute  néces- 
sité accuser  le  système  qui  les  met  en  œuvre,  c'est-à-dire, 
l'esclavage. 

On  avoue,  en  effet,  qu'on  pourrait  singniièremcnt  amélio- 
rer la  culture  des  terres  et  la  fabrication  du  sucie,  en  intro- 
duisant les  procédés  agricoles  ou  chimiques  de  l'Europe, 
l'emploi  des  animaux  et  des  machines;  qu'on  obtiendrait  par- 
là  une  augmentation  d'un  quart  au  mois  dans  les  produits. 
Mais  le  principal  obstacle ,  c'est  d'avoir  des  esclaves,  c'est-à- 
dire,  des  ouvriers  plus  routiniers  encore  que  les  nôtres  Cp.  2^0). 
Et  qui  peut  douter,  au  surplus,  que  ces  009,000  individus  qui 
languissent  sous  le  joug,  s'ils  étaient  transformés  en  ouvriers 
libres,  et  travsiJlant  pour  leur  compte,  ne  créassent  promjîte- 
ment  un  surcroît  considéra])le  de  produits  dans  les  colonies! 
En  thèse  générale,  l'avantage  du  travail  libre  ne  peut  plus 
être  contesté;  la  science  économique  s'est  attachée  à  en  dé- 
montrer l'évidence,  et  divisés  encore  sur  une  foule  de  points, 
les  plus  célères  économistes,  depuis  Adam  Smith  jusqu'à  J.  B. 
Say,  se  sont  trouvés  d'accord  sur  celui-ci.  La  plus  simple  ob- 
servation du  passé  ne  suffit-elle  pas  d'ailleurs  pour  établir 
cette  utile  et  généreuse  théorie?  Dans  lestems  anciens,  comme 
dans  les  tems  modernes,  peut-on  trouver  un  état  quelconque 
dont  la  fortune  agricole,  industrielle,  ou  commerciale,  dont 

(1)  MosKAf  DR  .To>Tifes.  Toiii.  I,  pag.  206. 


DJ:  L'KSCLAVAGfc:.  6o5 

\e  capital  social,  enfin,  n'ait  pris    un  accroissement  considé- 
i-able,  par  suite  de  l'afiranchisseraent  des  classes  laborieuses  ? 

Il  résulte  de  ces  considérations,  que  l'esclavage  doit  être 
encore  condamné  dans  l'intérêt  de  la  métropole,  et  que  son 
abolition  augmenterait  considérablement  la  valeur  do  ses  co- 
lonies. 

Mais  cette  abolition  est-elle  praticable?  L'esclavage  n'est-il 
pas  essentiel  à  l'existence  des  colonies?  Le  climat,  la  nature 
du  sol,  l'espèce  des  cultures,  la  diflërence  des  races  ne  s^op- 
posent-ils  pas  invinciblement  à  ce  que  le  travail  y  soit  libre, 
comme  ailleurs?  Enfin,  demander  l'abolition  de  l'esclavage, 
n'est-ce  pas  demander  la  ruine  des  colonies  ?  Telles  sont  les 
questions  que  nous  avons  maintenant  à  examiner. 

On  a  écrit  cent  fois,  et  l'on  répète  sans  cesse,  que  les  tra- 
vaux des  cultures  coloniales  sont  au-dessus  des  forces  des  Eu- 
ropéens. Les  planteurs  l'ont  si  fortement  et  depuis  si  long- 
tems  assuré,  qu'ils  ont  fini  par  se  le  persuadera  eux-mêmes, 
et  par  convaincre  sur  ce  point  un  grand  nombre  de  person- 
nes, auprès  desquelles  la  déplorable  condition  des  noirs  n'a 
plus  été  dès  lors  qu'un  mal  nécessaire.  Ce  n'est  là  pourtant 
qu'un  véritable  préjugé,  comme  l'examen  des  faits  peut  le 
démontrer.  En  effet,  si  l'on  remonte  à  l'origine  des  colonies, 
notamment  des  colonies  françaises,  on  voit  que  les  premiers 
travaux,  c'est-à-dire,  les  plus  pénibles,  ceux  que  nécessita  le 
défricbement,  furent  effectues  par  des  Européens.  Ces  cultiva- 
teurs d'Europe,  qu'on. employa  dans  les  premières  planta- 
tions coloniales,  furent  ai^^^lès  Engagés  de  trcîite-six  mois,  par- 
ce qu'ils  contractaient  en  France  l'engagement  de  servir  dans 
les  colonies  trois  années,  à  l'issue  desquelles  ils  étaient  libres 
de  retourner  dans  leur  patrie. 

En  i665,  l'établissement  français  de  la  Tortue  se  compo- 
sait d'environ  45o  personnes,  qui  cultivaient  le  tabac.  Il  n'y 
avait  encore  à  Saint-Domingue  que  la  colonie  de  Léogane, 
d'environ  120  individus,  et  point  d'esclaves  encore  dans  ce 
nombre,  qui,  en  quatre  années,  fut  porté  à  1,500,  p;ir  la  sage 
administration  du  premier  gouverneur  de  cette  colonie,  d'O- 

T.    XLVII.    SEPTEMBRE    I  85o.  3() 


()oG  DE  L'ABOLITION  GUADLELLE 

j;(i(iii.  Il  j.araîl  qu'il  n'y  en  eût  quelques-uns  échappés  de  la 
partie  cspa}j;uole  de  Saiut-Dniningie  que  vers  1669  (1). 

Le  système  ûcs  engagés  ne  fut  point ,  sur-le-champ,  comme 
un  pourrait  le  croire,  remplacé  par  celui  de  l'esclavage  des 
Vfricains.  Il  y  en  eut  hnig-tems  encore,  et  l'on  croyait  si  peu 
alors  les  travaux  et  le  climat  des  colonies  incompatibles  avec 
l'organisation  physique  des  Européens,  qu'on  imposa, 
jusqu'à  une  époque  assez  avancée,  aiix  propriétaires  de  ter- 
lains,  roJ)Iigation  d'en  employer.  Des  arrêts  de  1696,  1716 
cl  I  728,  ordonnaient  de  prendre  au  moins  an  engage  par  chaque 
vingtaine  d'esclaves  qui  résidaient  dans  une  habitation  (2). 
Mais  ces  arrêts  étant  insensiblement  tombés  en  désuétude, 
par  suite  de  la  facilité  que  l'on  avait  à  se  procurer  des  nègres, 
le  préjugé  que  les  blancs  ne  pouvaient  travailler  dans  les  co- 
lonies s'établit  peu  à  peu.  Nous  pouvons  indiquer  les  princi- 
pales causes  qui  contribuèrent  à  l'accréditer. 

En  général,  quels  étaient  les  Européens  qui  se  rendaient 
lians  les  colonies?  ordinairement,  il  faut  en  convenir,  des 
gens  sans  moralité,  quelquefois  perdus  de  dettes,  et  qui, 
apiès  avoir  dissipé  leur  patrimoine,  allaient  chercher  «ous  un 
autre  ciel  une  nouvelle  fortune  à  dévorer.  Pourde  tels  hommes, 
les  moyens  les  plus  prompts,  les  plus  aisés  de  gagner  de  l'or, 
étaient  les  seuls  qui  convinssent  ;  et  livrés  la  plupart  du  tems 
.i  la  paresse  et  à  l'indolence  dans  leur  patrie,  était-il  probable 
quMls  pussent  se  dévouer  à  des  travaux  pénibles  sur  un  sol  où 
la  cupidité  les  avait  momentanément  appelés.  En  outre,  le  tra- 
vail des  terres  se  trouvant  là,  dès  lors,  le  partage  de  la  race 
noire,  et  la  race  noire  étant  maintenue  dans  un  tel  état  de  dé- 
gradation ,  il  y  avait  un  nouvel  obstacle  à  ce  que  les  blancs 
européens  s'occupassent  du  travail  des  terres.  Cette  sorte  de 
mépris,  qui  s'attachait  dans  les  colonies  à  la  culture,  unique- 
ment parce  que  les  nègres  y  étaient  exclusivement  consacrés, 
est  un  fait  qui  a   frappé  tous  les  bons  observateurs.  C'est  là 

(i)  Chaiii.evoix,  Histoire  de  S ainl- Dominique.  Toni.  11,  liv.  vni. 

[■>)    IIll.LlAIIO  d'Ai  liHBTEllI,.    Toill.    It,    pag.    i~~'^ ■ 


DE  L'ESCLAVAGE.  607 

ce  qui  a  fait  manquer  la  plupart  des  essais  qu'on  a  voulu  faire 
pour  améliorer  le  système  agricole  danscesélablissemens.  Par 
exemple  ,  on  a  plusieurs  fois  essayé  d'y  introduire  la  charrue  : 
pour  en  faire  goûter  l'emploi  aux  esclaves,  on  envoyait  quel- 
ques laboureurs  bien  choisis;  mais  ces  hommes,  placés  au  ni- 
veau des  cultivateurs  noirs  de  la  colonie,  ne  tardaient  pas  à  se 
regarder  comme  avilis;  ils  accablaient  de  dédains  et  d'insultes 
leurs  compagnons  de  travail,  qui,  chose  étrange,  méprisaient 
aussi  et  raillaient  ces  blancs  dont  les  bras  partageaient  leur  pro- 
pre besogne  (1).  Ceci,  joint  à  tous  les  inconvéniens  que  ren- 
contre toujours  le  manouvrier  enlevé  au  sol  qu'il  a  jiisque-là 
cultivé,  et  à  la  routine  qui  est  sa  sagesse,  suffisait  bien  pour 
dégoûter  de  leur  position  ces  laboureurs.  Dès  lors,  les  essais 
manquaient, "et  bientôt  ils  étaient  abandonnés. 

Si  les  noirs  étaient  consacrés  à  la  terre,  les  professions  in- 
dustrielles étaient  assez  généralement  exercées  dans  les  villes 
par  les  hommes  de  couleur,  et  il  y  avait  encore,  dans  l'état 
d'abjeition  où  cette  classe  était  maintenue,  un  prétexte  à  re- 
garder comme  avilissant  cet  emploi  si  utile  et  si  honorable  de 
la  capacité  physique  et  intellectuelle  de  l'homme.  Voilà, 
comme  on  voit,  des  raisons  suffisantes  pour  motiver  l'état 
d'oisiveté  et  de  désordre  dans  lequel  vivait  ordinairement  la 
partie  de  la  population  blanche  qui  n'était  pas  occupée  à  di- 
riger les  cultures  ou  les  opérations  commerciales  avec  la  mé- 
tropole. 

C'était  au  sein  de  cette  partie  de  la  population  que  venaient 
la  plupart  du  tems  se  perdre  ces  jeunes  gens  qui,  mus  par  di- 
vers motifs,  passaient  dans  les  colonies.  Ils  y  apprenaient  à 
persévérer  dans  leurs  habitudes  de  dissipation  et  de  prodiga- 
lité ;  l'intrigue  et  la  friponnerie  leur  enlevaient  promptement 
le  peu  de  capitaux  qu'ils  possédaient.  L'abus  des  plaisirs,  fatal 
dans  tous  les  climats,  mortel  dans  celui-ci,  ruinait  leur  santé. 
Affaiblis  et  languissans,  mal  soignés,  livrés  au  regret  de  voir 
toutes  leurs  espérances  déçues,  quelquefois  en  proie  aux  bc- 

(1)  Malekfaiît,  pag.  i56. 


Go8  DE  L'ABOLITION  GRADLELLE 

soins  les  plus  pressons  ,  le  chagrin  s'empafait  d'eux;  ils  expi- 
raient, et  l'on  ne  manquait  jamais  de  dire  qu'ils  avaient  suc- 
combé aux  atteintes  du  climat  dévorant  des  colonies,  quand  ils 
n'avaient  été  victimes  que  de  leurs  passions.  Tout  en  effet 
porte  à  croire,  comme  un  grand  nombre  d'écrivains  l'ont  re- 
connu (i),  qu'un  régime  irritant  et  des  excès,  auxquels  on 
n'est  que  trop  porté  sous  un  ciel  brillant  et  pour  lesquels  il  y 
a  toute  facilité  sur  une  terre  d'esclavage,  étaient  les  véritables 
causes  de  la  mortalité  observée  parmi  les  Européens. 

On  insiste  sur  la  nature  des  travaux  dans  ces  contrées,  si 
différens  de  ceux  de  l'Europe;  et,  pour  prouver  qu'il  n'y  a 
que  les  Africains  qui  puissent  les  accomplir,  on  cite  les  Indiens 
dont  la  race  s'est  éteinte  dans  les  Antilles  ;  mais  il  suffit  d'une 
simple  observation  pour  prouver  combien  l'objection  a  peu  de 
fondement.  Les  Indiens  ont  péri,  non  dans  les  travaux  des 
cultures  coloniales  qui  existaient  à  peine  alors,  si  elles  exis- 
taient,  mais  dans  les  travaux  des  mines  qui  seuls  paraissaient 
dignes  d'attention  aux  conqiiérans. 

La  tentative  malheureuse  de  colonisation,  faite  dans  le 
siècle  dernier  à  la  Guyanne,  a  paru  à  Malouet  un  fait  con- 
cluant en  faveur  de  l'opinion  qu'il  émet  aussi  contre  la  pos- 
sibilité de  faire  travailler  les  Européens  aux  cultures  co- 
loniales (i).  Mais  il  suffit  de  connaître,  dans  ses  détails, 
l'histoire  de  cette  expédition  désastreuse,  pour  voir  qu'on  ne 
peut  absolument  rien  en  induire.  Ce  n'est  pas  parce  qu'ils 
travaillèrent  que  ces  colons,  envoyés  sur  ce  sol  avec  tant  d'im- 
prévoyance, périrent  misérablement;  c'est  au  contraire  parce 
que  diverse^;. circonstances  étrangères  aux  cultures  les  empê- 
chèrent de  travailler;  de  là,  une  profonde  misère,  des  souf- 
frances de  tout  genre,  des  maladies  dévorantes.  En  voilà  assez 


(i)  Mcmolre  sur  les  maladies  de  Siiint-Domlngiie,  par  M.  Bourgeois, 
secrétaire  de  la  chambre  d'agriculUire,  imprimé  dans  un  volume  inti- 
tulé :  Voyages  tnicrcssans  dans  différcnics  colonies;  par  M.  N Lon- 

diTS,  1788.  i   vol.  in-8". 

(■2)  Mémoires,  pag.  (j7>. 


DE  L'ESCLAVA(;E.  600 

peur  expliquer  une  catastrophe  dont  le  travail  des  plantations 
est  bien  injustement  accusé.  Au  surplus,  certaines  parties  des 
Guyannes  sont  peu  salubres,  et  il  est  bien  clair  que,  toutes  les 
fois  qu'on  voudra  y  fonder  des  colonies  avant  d'avoir  pris  tous 
les  moyens  possibles  pour  en  assainir  le  sol  et  l'atmosphère, 
ces  colonies  seront  détruites  avant  de  naître. 

Qu'il  faille  absolument  des  noirs  d'Afrique  pour  produire 
les  denrées  tropicales,  c'est,  en  vérité,  ce  qu'on  ne  peut  ad- 
mettre, en  présence  de  tant  de  faits  qui  établissent  le  contraire. 
Il  est  bien  reconnu  que  la  culture  de  la  canne  et  la  fabrication 
du  sucre  constituent  ce  que  le  travail  colonial  peut  avoir  de 
plus  pénible.  Or,  on  cultive  la  canne  et  l'on  fait  du  sucre,  sans 
noirs  d'Afrique,  dans  plusieurs  contrées  des  deux  Indes.  L'In- 
doustan,  avec  sa  population  indigène  dirigée  par  le  génie  in- 
dustriel de  l'Angleterre,  en  produit  à  lui  seul  une  quantité 
toujours  croissante.  A  Java,  où  l'on  ne  compte,  sur  4  à  5  mil- 
lions d'habitans,  que  27,000  esclaves,  presque  tous  domes- 
tiques, la  culture  de  la  canne  à  sucre  est  l'une  des  plus  impor- 
tantes de  l'île  (1).  Le  Mexique  peut  être  considéré  comme 
n'ayant  jamais  eu  de  population  noire  ;  on  évaluait  à  six  mille 
ceux  qui  se  trouvaient  répandus  dans  l'immense  territoire  de 
la  Nouvelle -Espagne,  et  la  plupart  étaient  également  consa- 
crés à  la  domesticité  ;  cependant,  le  Mexique  produit  du  sucre  ; 
«il  y  a  vingt  ans,  dit  M.  de  Humbolt,  qu'on  ne  connaissait  pas 
en  Europe  le  sucre  mexicain  :  aujourd'hui,  laVéra-Cruz  seule 
en  exporte  120,000  quintaux  (2).  » 

Ce  point  est  d'ime  importance  telle  que  nous  ne  croyons 
pas  pouvoir  l'appuyer  de  trop  de  faits  et  de  témoignages. 
L'auteur  des  Considérations  sur  Saint-Domingue  (3)  n'hésite 
pas  à  reconnaître  que  l'on  peut  très-bien  faire  travailler  les 
blancs  aux  cultures  coloniales,  et  il  déclare  qu'il  serait  avan- 
tageux de  faire  travailler,  concurremment  avec  les  esclaves,  tous 

(1)  Sir  Stamford  Rafles,  History  ofan  Arcliipchf;o,  etc.,  vol.  1. 

(2)  Essai  pollli({ue.  Tom.  11,  pag.  4o. 

(.1)    HlLLlAKD  d'AdBERTBCIL,   Toill,   11,   pBg.  274. 


6io  DE  L'ABOLITION  GRADUELLE 

les  vag^aboiuls  oisifs  qui  remplissent  la  colonie.  Un  voyageur, 
que  nous  avons  cit«'i  dit  :  «  Qu'il  est  absurde  de  croire  jc[ue  les 
Européens  ne  puissent  vivre  et  travailler  dans  ces  climats; 
qu'on   voit  de  IVéquens  exemples  du  contraire;  que  des  fa- 
milles allemandes  ont  travaillé  avec  succès  à  la  Louisiane,  et 
des  Irlandais  à  la  Barbade,  sans  avoir  de  nègres;  que  le  sys- 
tème des  anciens  euKaçés  des  colonies  françaises  existe  dans 
quelques  parties  des  Etats-Unis,  où  le  colon  a  en  même  tems 
des  engagés  et  des  esclaves,  avec  cette  différence  que  les  pre- 
miers travaillent  mieux  et  lui  coûtent  moins  (i).  Un  Améri- 
cain, magistrat  en  Géorgie,  et  ancien  planteur  dans  les  Indes- 
Occidentales,   déclare  que  c'est   une  erreur  de  croire  que  la 
canne  à  sucre,  le  cafeyer,  etc.,  ne  puissent  être  cultivés  que 
par  des  noirs  ;  les  créoles,  blancs  de  l'Anguilla  et  de  Tortola, 
et  les  hommes  de  la  Barbade ,  appelés  ten  acre  men  (hommes 
de  dix  acres) ,  qui  sont  accoutumés  à  mener  une  vie  active  et 
sobre,  sont  agiles,  robustes,  et  prouvent  que  les  blancs  peuvent 
cultiver  le  sol  colonial  (2) .  »  Enfin,  un  écrivain  français,  connu 
par  des  travaux  d'un  grand  intérêt  sur  nos  colonies,  et  qu'il  faut 
compter  parmi  ceux  de  nos  contemporains  qui  les  connaissent 
le  mieux  (3) ,  a  si  bien  reconnu  que  les  Européens  sont  tout- 
à-fait  aptes  aux  travaux  agricoles  des  colonies  qu'il  propose 
d'envoyer  dans  les  nôtres,  pour  accroître  leur  prospérité, 
6,000  cultivateurs  tirés  de  nos  campagnes,  et  il  voudrait  voir 
ce  nombre  ultérieurement  porté  jusqu'à  20,000. 

Il  ne  faut  donc  pas  de  toute  nécessité  des  noirs  pour  la 
culture  des  colonies  ;  mais ,  comme  par  le  fait  cette  culture 
s'opère  par  des  noirs,  examinons  maintenant  s'il  est  absolu- 
ment nécessaire,  comme  on  l'a  tant  répété  aussi,  que  ces  noirs 
soient  esclaves.  C'est  le  second  point  de  la  question  ,  et  il  ne 
nous  sera  pas  moins  facile  de  démontrer  qu'il  n'y  a  là  encore 
qu'un  préjugé  démenti  par  des  faits  irrécusables,  et  dont  il  est 


(i)  Robin.  Tom.  m,  pag.  21g,  228. 

(2)  Stokes.  Conslilulwn  oftlie  Britlsh,  colonies,   pag.  /|.i4. 

(3)  .MoHBAU  OB  JoNPiÈs.  Dit  Cotiimcrcc  au  xix*'  siècle.  Tom.  u. 


DE  L'E8CLA\AGE.  -  6ii 

U'm>  (le  laiit'  justice.  Ceux  qui  le  défendent  >(•  foiKlcnt  no- 
tamment sur  ce  qu'entre  les  tropiques  la  terre  nourrit  si  faci- 
leuieut  ses  hahitans,  (lu'ils  sont,  par  lanature  deschoscs,  livrés 
à  l'apathie,  et  qu'ils  ue  travaillent  qu'autant  qu'on  les  y  con- 
traint (i).  Dans  nos  colonies,  par  exemple  ,  un  tiers  d'arpent 
suffit  à  la  subsistance  d'un  homme  pour  laquelle  il  faut  six  ar- 
pens  en  France,  d'au  il  suit  f|ue  le  (loiizième  de  la  population 
peut  subvenir  à  l'enlretien  de  tout  le  reste  qui,  dés  lor>,  de- 
meure les  bras  croisés. 

Mais  que  conclure  de  l'admirable  fécondité  du  sol  in- 
lertropical,  si  ce  n'est  qu'il  est  destiné  à  faire  vivre  un 
plus  grand  nombre  d'individus  ,  et  que  des  circonstances 
tout  humaines  ,  et  où  la  nature  n'est  pour  rien  ,  peu- 
vent seules  empêcher  que  cette  invariable  destination  ne  soit 
accomplie.  Par  là  se  résout  d'elle-même  aussi  l'objection  que, 
sur  un  sol  pareil,  une  partie  de  la  population  doit  rester  oi- 
sive, pafce  que  ses  produits  ne  trouveraient  pas  de  consom- 
mateurs ;  car  la  population  croîtrait  là  comme  partout  avec  la 
production,  et  dés  lors  les  consommateurs  ue  lui  manque- 
raient pas. 

Il  faut,  dit-on,  que  le  travail  soit  forcé  entre  les  tropiques  : 
il  faut  que  le  fouet  tire  Ips  hommes  de  l'engourdissement  où 
les  plongent  les  ardeurs  accablantes  d'un  soleil  perpendicu- 
laire; il  faut  enfin  que  le  culliy.iteur  soit  esclave  ou  brute. 
Étrange,  absurde  contradiction  de  laquelle  il  résulterait  que 
ce  serait  précisément  dans  les  climats  où  la  nature  a  rendu  le 
fardeau  de  la  subsistance  le  plus  léger,  où  elle  a  voulu  épar- 
gner les  sueurs  de  l'homme,  que  l'homme  devrait  Cti-e  néces- 
sairement condamné  à  tout  ce  que  la  condition  humaine  peut 
avoir  de  plus  affreux  ! 

Avouons-le,  on  a  donné,  sous  ce  rapport ,  beaucoup  trop 
d'importance  aux  degrés  de  latitude.  Si,  dans  les  tems  an- 
ciens, comme  dans  les  tems  modernes,  on  suit  de  l'œil  les  di- 
vers parallèles,  il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître  que 

(i)  Barré  dk  S>H5t-Vf.n a.nt.   Dex  Colonies:  itiodirnes.  elc 


6i2  DE  L'ABOLITION  GRADLELLE 

rien  n'a  été  plus  vaiiable  que  l'espèce  et  le  degré  du  travail 
exécuté  par  les  hommes  dans  des  situations  entièrement  ana- 
logues. On  a  travaillé  peu  ou  beaucoup  sans  esclaves,  ou  avec 
des  esclaves,  selon  les  circonstances.  La  religion,  les  lois,  le 
voisinage  des  côtes  ou  des  montagnes  y  ont  influé.  On  parle 
des  contrées  tropicales;  mais,  dans  les  siècles  où  les  parties 
septentrionales  de  l'Europe  étaient  inexplorées  et  barbares, 
on  efit  été  fondé  aussi  à  déclarer  que  jamais  ces  régions  glacées 
ne  seraient  cultivées,  ou  qu'elles  ne  le  pourraient  être  que 
par  des  esclaves.  On  l'a  peut-être  dit  cent  fois  dans  l'ancienne 
Rome;  et  cependant  ces  contrées  sont,  de  nos  jours,  riches 
d'agriculture  et  d'industrie,  et  si  dans  quelques-unes  les  terres 
sont  encore  cultivées  par  des  scifs,  il  en  est  d'autres  dont  les 
paysans  sont  au  rang  des  cultivateurs  les  plus  libres  et  les 
plus  civilisés  du  globe. 

Revenons  aux  noirs,  nous  ne  rapporterons  point  ici  tout  ce 
qui  a  été  dit  sur  leur  paresse  invétérée,  sur  cette  disposition 
morale  qui  empêchera  toujours,  assure-t-on,  d'en  faire  des 
ouvriers  libres  et  industrieux  (i).  A  quoi  bon,  en  effet,  com- 
battre des  assertions  dont  l'inexactitude  est  démontrée  par 
des  faits  manifestes?  Les  colons,  qui  ont  accrédité  cette  erreur, 
aflirmaient  qu'on  devait  les  croire,  eux  qui  avaient  sans  cesse 
les  noirs  sous  les  yeux,  de  préférence  à  ces  raisonneurs 
d'Europe  qui  s'étaient  faits  leurs  apologistes,  sans  les  con- 
naître. L'expérience  a  pourtant  prouvé  que  c'étaient  les  rai- 
sonneurs qui  ne  se  trompaient  pas,  et  qu'il  était  injuste  et 
absurde  de  prétendre  que  les  Africains  ne  j^euvent  êtreameeés 
à  travailler  sans  porter  des  chaînes. 

Les  colons  croyaient  connaître  les  noirs ,  et  en  réalité  ils  ne 


(i)  Récfninient  encore,  l'auteur  d'une  brochure  imprimée  au  IlAvrc, 
relative  à  l'.ifrranciiisseinent  des  esclaves,  disait  :  Il  est  sans  exemple  que 
jamais  noir  ait  travaillé  sans  y  vire  forcé,  sans  être  dans  un  état  de  soumis- 
sion absolue  (paîj,  lô).  Ccu)nient  se  peut-il,  q'i'en  présence  de  tant  de 
faits  qui  donnent  un  déaiciiti  fura)el  à  de  telles  assertions,  elles  soieot 
kaiis  cesse  reproduites  avec  une  aussi  étrange  assurance! 


DE  L'ESCLAVAGE.  Gi7> 

connaissaient  que  leurs  esclaves.  Oubliant  que  les  hommes, 
loin  de  se  civiliser,  s'abrutissent  par  l'esclavage,  ils  s'étonnaient 
de  ne  pas  voir  se  développer,  sous  le  fouet  des  commandeurs, 
la  capacité  intellectuelle  et  physique  de  cette  race,  et  ils  dé- 
claraient ce  développement  impossible;  ils  arguaient,  par 
exemple,  de  ce  que  les  esclaves  qui,  dans  les  colonies,  déser- 
taient les  habitations  pour  se  jeter  dans  les  forêts,  préféraient 
toujours  un  vagabondage  inactif  au  travail.  Mais,  quelle  était 
ordinairement  la  cause  qui  les  avait  portés  à  braver  le  sup- 
plice et  à  fuir?  On  ne  le  conteste  pas  :  l'horreur  que  leur  inspi- 
rait un  travail  qui  n'était  productif  pour  eux  que  de  misères 
et  de  mauvais  traitemens.  Comment  dès  lors  ce  même  tra- 
vail pouvait-il  être  le  mobile  et  le  but  de  ces  hommes  devenus 
libres? 

On  alléguait  encore  la  répugnance  que  les  affranchis 
marquaient  pour  les  travaux  agiicoles,  la  préférence  qu'ils 
accordaient  toujours  aux  professions  industrielles  des  villes. 
Nous  avons  parlé  du  mépris  voué  en  général  dans  les  îles  au 
travail  de  la  terre,  parce  qu'il  était  exclusivement  affecté  aux 
esclaves;  et  ceci  explique  assez  l'aversion  des  affranchis  pour 
ce  genre  d'occupation.  D'ailleurs,  si  la  profession  qu'ils  adop- 
taient devenait  plus  avantageuse  pour  eux  que  la  culture,  s'il 
y  avait  à  la  fois  plus  de  lucre  et  moins  de  peine  à  travailler  de 
la  sorte  qu'à  louer  leurs  bras  dans  les  sucreries  :  le  choix  quMls 
faisaient  prouvait  du  sens,  et  voilà  tout.  On  ne  peut  donc  rien 
conclure  de  ceci  contre  le  travail  libre  des  noirs  ,  non  plus 
que  de  la  négligence  que  les  esclaves  mettaient  quelquefois  à 
cultiver  ces  jardins  dont  les  produits  entraient  dans  leur  pé- 
cule. Cette  négligence  est  explicable,  quand  on  se  rappelle 
que  le  plus  souvent  les  esclaves  n'avaient  pour  cette  culture 
particulière  que  les  heures  qu'ils  pouvaient  dérober  à  leurs 
repas,  et  en  outre,  qu'ils  étaient  accablés  outre  mesure  de  tra- 
vail le  reste  du  tems,  de  l'aveu  même  de  ceux  qui  accusent 
leur  paresse.  On  voit  que  nous  nous  attachons  à  ne  pas  lais- 
ser sans  réponse  une  seule  des  objections  qui  ont  été  faites 
par  les  apologistes  de  l'esclavage. 


(ji4  DE  L'ABOLITION  (.SlADLELLi: 

Ain?i,  conclure  de  ce  qu'il  faut  souvent  employer  la  coii- 
Irainte  et  les  châtimens  pour  faire  travailler  les  noirs  aux  cul- 
tures, tant  qu'ils  sont  esclaves,  ou  bien  de  ce  qu'ils  ont  quel- 
quefois le  travail  en  aversion,  lorsqu'ils  cessent  d'être  esclaves, 
que  les  noirs  ne  peuvent  travailler  libres,  c'est  manifeste- 
ment raisonner  mal,  et  contre  l'évidence.  Car,  si  nous  exami- 
nons ce  qui  se  passe  devant  nos  yeux,  nous  voyons  un  grand 
nomJjr-e  de  noirs  affranchis  travailler,  niême  à  la  terre,  dans  la 
plupart  des  contrées  de  l'Amérique;  ils  se  louent  facilement, 
pour  le  teras  des  récoltes,  aux  États-Unis  et  au  Brésil,  où  ils 
forment  une  population  assez  considérable,  plus  facilement 
encore  dans  les  républiques  hispano-américaines,  où  le  tra- 
vail n'a  jamais  pu  devenir  le  partage  exclusif  de  la  race  noire; 
dans  les  Antilles  mêmes,  où  tout  semble  combiné  pour  les 
éloigner  des  occupations  agricoles;  là,  il  est  iuGniment  ordi- 
naire de  voir  les  planteurs ,  dont  les  terres  sont  voisines  des 
grandes  villes  où  se  trouve  surtout  concentrée  la  population 
aiïranch'ie ,  troiwenparmWes  tiégres  libres  qui  y  résident,  quand 
ils  ont  besoin  d'un  surcroît  de  bras,  des  ouvriers  qui  viennent 
travailler  chez  eux,  moyennant  un  prix  convenu.  Divers  rap- 
ports officiels  faits  au  gouvernement  anglais  rendent  ce  fait 
incontestable. 

31.  de  Humboldt,  après  avoir  visité  diverses  plantations  de 
la  Nouvelle-Espagne,  dirigées  indifféremment  par  des  noirs 
libres,  mulâtres  ou  zambos ,  déclare  que  les  faits  constatés  par 
lui  prouvent,  ce  qui  a  depuis  long-tenis  cessé  d'être  douteux 
pour  les  colons  éclairés,  à  savoir,  que  l'Amérique  peut  produire 
du  sucre  et  de  l'indigo  par  des  mains  libres,  et  que  les  mal- 
heureux esclaves  sont  susceptibles  de  devenir  des  paysans  ou 
des  fermiers  semblables  à  ceux  de  l'Europe  (i).  Ajoutons,  re- 
lativement aux  cultures  du  Mexique,  quelques  détails  em- 
pruntés à  une  lettre  en  date  de  1826,  écrite  par  M.  "NVard,  en- 
voyé anglais  auprès  du  gouvernement  de  cette  république. 
M.Wardy  déclare  que,  voulant  contribuer  de  tousses  moyens 

(i)   Essai  politique,  etc. 


DE  L'ESCLAVAGE.  6i5 

à  éclairer  la  grande  question  coloniale  qui  s'agilait  alors,  il 
visita  lui-même  la  vallée  de  Cuernavaca  et  Cuantla  Amilpars, 
aux  environs  de  Mexico,  laquelle  fournit  en  grande  partie  le 
sucre  et  le  café  produit  par  la  fédération  mexicaine,  et  où, 
néanmoins,  //  n'y  a  plus  un  seul  esclave.  Toutes  les  ciiltures 
étaient  primitivement  opérées  par  des  noirs  achetés  à  la  Véra- 
Cruz,  de  3  à  4oo  dollars  chacun.  Quelques  riches  habitans, 
ayant  reconnu  que  la  fatigue  de  la  route  et  le  changement  de 
climat  leur  en  faisaient  perdre  un  grand  nombre,  imaginèrent 
de  créer  une  race  de  cultivateurs  libres,  en  donnant  chaque 
année  la  liberté  à  quelques  esclaves  qu'ils  retenaient  comme 
ouvriers,  et  encourageaient  à  se  marier  avec  des  naturels.  Ce 
plan  économique  réussit,  et  lors  de  la  guerre  de  l'indépen- 
dance, en  1810,  ceux  qui  Ta  valent  adopté  s'en  trouvèrent  bien; 
car  leurs  ouvriers  continuèrent  à  travailler  pour  eux,  tandis 
que  les  esclaves  des  autres  désertèrent  leurs  habitations. 
M.Ward  ajoute  qu'il  n'est  pas  question  ici  du  moindre  moyen 
coercitif  pour  provoquer  au  travail  ces  ouvriers,  tout  noirs  ou 
mulâtres  qu'ils  sont  (i). 

Les  noirs  affranchis  travaillent  à  Sierra-Léone.  h.  la  vérité, 
on  a  pu  s'étonner  de  la  lenteur  des  progrès  de  cette  colonie, 
et  souvent  les  adversaires  du  travail  libre  des  noirs  ont  cru 
pouvoir  l'opposer  victorieusement  aux  défenseurs  de  la  thèse 
contraire  ;  mais  il  faut  remarquer,  d'abord,  que  trois  fois,  de- 
puis sa  fondation,  qui  ne  date  que  d'un  demi-siècle,  elle  a  été 
atteinte  des  fléaux  de  la  guerre;  ensuite,  cette  pensée  si  gé- 
néreuse, si  honorable  pour  ceux  qui  l'ont  conçue,  ne  suppose 
pas  nécessairement  le  génie  indispensable  pour  l'accomplir  ; 
enfln,  convenons-en,  quand  toute  l'Europe  faisait  la  traite  à  la 
côte  de  Guinée,  quels  résultats  pouvaient  avoir  les  efforts  de 
quelques  philantropes  pour  civiliser  l'Afrique? 

Citons  encore  Haïti  :  cette  république  compte  actuellement 
environ  900,000  noirs  affranchis,  ou  fils  d'aflVanchis,  qui  tra- 
vaillent.   En    1824,  l'exportation   des  produits   du  sol  s'est 

(1)  Anti-slavery  Monthly reporter,  1828,11'' 9,  p.  aSi, et  iSig,!!"  5i ,  j'.  36, 


6i6  DE  L'ABOLITION  GRADUELLE 

inontée  à  720,000  livres  de  sucre,  gga,g5o  livres  de  coton  , 
07,700,000  livres  de  café,  sans  compter  les  bois  d'ébéniste- 
rie,  le  cacao,  le  rhum,  etc.  Sans  doute,  cette  exportation,  qu'on 
peut  évaluera  65, 000, 000  francs,  n'égale  pas  même  la  moi- 
tié du  montant  de  l'exportation,  en  «78g,  pour  la  seule  partie 
française,  et  elle  est  peut-être  encore  exagérée.  Mais,  en  af- 
faiblissant les  chiffres  d'un  tiers  ou  de  moitié,  il  reste  encore 
une  quantité  assez  considérable  de  produits  coloniaux;  et, 
certes,  après  k-s  longues  guerre;  intestines  dont  cette  île  a  été 
le  théâtre,  de  nombreuses  émigrations,  et  l'absorption  d'un  ca- 
pital immense  dans  la  dévastation  et  l'incendie  des  bâtimeus , 
des  plantations,  des  sucreries,  on  ne  peut  s'étonner  que  cette 
quantité  ne  soit  pas  plus  considérable.  Dans  l'état  actuel,  sa 
population  est  croissante;  par  conséquent,  ses  cultures  sont 
en  progrès.  Voilà  un  l'ait  à  l'autorité  duquel  il  faut  se  sou- 
mettre. Il  est  donc  avéré  que  les  noirs  peuvent  produire  les 
denrées  tropicales,  sans  être  esclaves.  Il  est  donc  évident  que 
celte  race  peut  être  transformée  en  une  population  active  et 
laborieuse,  et  que  ce  n'est  point  là  un  des  rêves  de  la  philan- 
thropie européenne. 

Concluons  de  tout  ce  qui  vient  d'être  dit  :  1°  que  les  blancs 
européens  ou  créoles  peuvent  cultiver  les  colonies;  2°  que  les 
colonies  peuvent  être  cultivées  sans  esclaves,  c'est-à-dire  par 
les  noirs  libres. 

Ni)us  nous  réservons  d'examiner,  dans  la  troisième  partie, 
le  travail  libre  dans  ses  rapports  avec  la  propriété,  telle  qu'elle 
est  actuellement  constituée  dans  nos  colonies  ,  et  de  faire  voir 
par  quels  moyens  on  peut  concilier  l'intérêt  réel  des  maîtres 
avec  la  liberté  des  esclaves. 

Résumons-nous.  Si  l'on  a  pu  soutenir  ce  paradoxe  étrange, 
que  les  hommes  ne  sont  pas  essentiellement  nés  pour  l'état 
social,  on  n'a  jamais  du  moins  contesté  que  partout  où  la  so- 
ciété existe,  elle  ne  doive  constamment  tendre  à  ce  qui  la  per- 
pétue et  l'améliore.  Or,  comme  nous  l'avons  vu,  dans  l'es- 
clavage, il  y  a  teujours  tendance  à  la  dissolution  de  la  société; 
il  constitue  un  système  de  violence  et  d'injustice,  honteux  et 


DE  L'ESCLAVAGE.  617 

immoral,  essentiellement  antipathique  avec  les  principes  qui 
servent  de  base  et  de  lien  à  la  communauté  ;  il  organise  le 
travail  qui  la  fait  vivre,  de  telle  sorte  que  tous  les  fruits  sont 
pour  les  uns  et  tous  les  labeurs  pour  les  autres;  il  maintient 
la  classe  productive  dans  un  état  d'abjection,  de  misère  et  de 
souffrances,  constant,  nécessaiie,  inévitable;  il  crée  sur  le 
même  soi  deux  et  souvent  trois  classes  divisées,  ennemies  et 
toujours  menaçantes  l'une  pour  l'autre;  il  compromet  tou- 
jours ainsi  la  sécurité  des  colonies;  il  met  obstacle  à  ce  qu'il 
y  ait  sur  le  même  sol  un  ordre  légal  uniforme,  et  rend  la  loi 
à  peu  près  illusoire,  dans  les  garanties  qu'elle  accorde  à  la 
personne  des  esclaves  ;  il  est  pour  la  race  noire  une  cause  de 
destruction  rapide  et  constante  ;  il  abrutit  et  dégrade  cette 
race,  la  prive  de  tout  développement  moral  et  intellectuel,  et 
par  suite  de  tous  les  avantages  de  la  sociabilité  ;  il  est  un  prin- 
cipe nécessaire  de  dépravation  pour  la  race  blanche;  il  im- 
pose à  la  métropole  le  fardeau  d'un  entretien  coûteux;  il 
empêche  les  colonies  d'arriver  au  degré  de  prospérité  qu'elles 
recevraient  de  l'augmentation  de  la  population  et  des  cultures; 
il  prive  l'État  du  surcroît  de  revenu  qu'il  retirait  naturelle- 
ment de  l'accroissement  des  propriétés  et  des  produits  ;  il 
porte  enfin  préjudice  au  commerce  et  à  l'industrie  de  la  mèrti 
patrie,  en  affaiblissant,  en  rendant  presque  nulle  l'importance 
des  débouchés  naturels  ouverts  à  ses  produits. 

L'esclavage  colonial  est  donc  de  tous  points  contraire  aux 
intérêts  de  la  communauté;  il  est  donc  pour  elle  un  principe 
nécessaire  et  constant  de  désorganisation  ;  il  peut  donc  être 
proclamé  haiitement  anti-social  !  il  doit  donc  être  aboli,  au 
nom  de  tous  les  intérêts  sociaux  qu'il  met  en  péril. 

P.  A.  D. 


'V\*f\^p\^WVW>i^WWV%*\^VWVW^WV  «^VWVWVVW \WV%%WVWVVWVCVVW\^W\^WVVWVVWWWVWVVW 


IL  ANALYSES  D'OUVRAGES. 


SCIENCES  PHYSIQUES  ET  NATURELLES. 


A  COMPENDIITM  OFTOE  COCRSB  OF  CHEMICAL  INSTBCCTION,  CtC.  

Abrégé  du  Cours  d'instruction  chimique,  fait  à  la  Faculté  de 
médecine  de  l'Université  de  Pensylvanie,  par  M.  le  docteur 
Hare  ;  ouvrage  destiné  à  ses  élèves  (»). 

Nous  avions  espéré  que  cet  ouvrage  de  M.  Hare,  comparé 
à  des  écrits  analogues  de  même  date,  ou  plus  récens,  publiés 
par  des  professeurs  européens,  nous  fournirait  l'occasion  de 
mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  l'état  de  l'enseignement 
de  la  chimie  dans  les  deux  mondes.  Mais  il  paraît  que  les  chi- 
mistes regardent  les  théories  comme  assez  avancées,  assez 
complète?,  et  qu'ils  se  livrent  exclusivement  à  la  recherche 
des  faits  :  de  l'immobililé  des  théories  résulte  la  durée  des  ou- 
vrages destinés  à  les  enseigner,  surtout  dans  ce  tems,  où  l'on 
ne  manque,  pour  aucune  science,  de  bons  traités  à  l'usage 
des  étudians  et  des  professeurs.  Ainsi  nous  attendrions  peut- 
être  encore  très  long-tems  l'apparition  d'un  ouvrage  que  nous 
pussions  associer  à  celui  de  M.  H;ire,  afln  d'observer  la  mar- 
che de  l'un  et  de  l'autre  ;  et,  si  les  méthodes  présentent  quel- 
ques diversités,  d'examiner  quelles  sont  celles  qui  semblent 
préférables.  Nous  n'assisterons  donc  qu'aux  leçons  du  pro- 
fesseur américain  ;  nous  le  suivrons  dans  la  partie  de  son  cours 
qu'il  a  publiée,  et  qui  est  arrivée  jusqu'à  nous.  Au  mois  de 

(i)  Philadelphie,  1828;  Cany  et  Loa.  Grand  in-8°  de  558  pages,  avec 
"Il  grand  nombrf;  de  figures  gravées  en  bois. 


SCIENCES  PHYSIQUES.  619 

novembre  1828,  le  résumé  des  leçons  sur  l'électricité,  le  gal- 
vanisme et  rélectro-iuagnélisme  n'était  pas  encore  livré  à 
l'impression  ;  depuis  ce  tems,  Touvrage  est  certainement  com- 
plété ,  mais  l'importante  division  de  la  science  qui  lui  man- 
quait encore  ne  nous  est  point  parvenue.  Nous  le  regrettons 
d'autant  plus  que  ce  qui  donnera  le  plus  de  prix  à  cet  ouvrage 
est  la  description  et  la  figure  de  cha(pie  instrument,  ou  ap- 
pareil employé  par  le  professeur  dans  ses  expériences,  et  que, 
sans  doute,  les  leçons  sur  l'électricité  et  le  magnétisme  sont 
bien  pourvues  de  ces  moyens  d'exposition  et  d'explication. 

Ce  traité  devait  répondre  à  sa  destination,  et,  par  consé- 
quent, diriger  vers  la  médecine  les  applications  de  la  physi- 
que et  de  la  chimie.  On  doit  donc  s'attendre  à  y  trouver  quel- 
ques parties  plus  développées,  aux  dépens  de  quelques  au- 
tres qui  occupent  plus  de  place  dans  les  ouvrages  où  la 
science  n'est  pas  considérée  sous  un  point  de  vue  spécial. 
On  s'en  aperçoit  à  la  marche  rapide  de  l'auteur,  lorsqu'il 
s'occupe  de  la  lumière  et  des  pliénomènes  de  la  vision,  ma- 
tière expédiée  en  six  pages,  qui  contiennent  en  effet  ce  qu'un 
médecin  ne  doit  pas  ignorer  sur  les  propriétés  de  la  lumière 
et  le  mode  de  son  action  sur  les  corps  organisés.  La  cristallo- 
graphie, quoique  moins  importante  pour  les  sciences  médi- 
cales, est  traitée  moins  brièvement  :  mais  la  théorie  du  calori- 
que est  exposée  avec  soin,  ainsi  que  les  faits  dont  elle  est 
déduite,  et  ses  applications  qui  ajoutent  encore  au  nombre  de 
ces  faits. 

Les  instrumens  pour  mesurer  la  pesanteur  spécifique  des 
corps  ont  été  muUipliés  entre  les  mains  de  M.  H4|e;  on  en 
voit  ici  deux  nouveaux  qui  paraissent  très-commodes,  et  que 
nos  artistes  construiraient  facilement  d'après  le  dessin  et  avec 
le  secours  de  l'explication.  L'auteur  s'est  attaché  à  rendre  les 
expériences  aussi  promptes  et  aussi  sûres  qu'elles  doivent  l'être 
dans  un  cours  public,  en  sorte  que  son  livre  n'est  pas  seule- 
ment un  recueil  de  leçons  de  chimie  ,  il  renferme  aussi  plus 
d'instruction  sur  l'art  des  expériences  que  la  plupart  des  au- 
teurs de  traités  de  physique  et  de  chimie  n'ont  cru  devoir  en 


(y20  SCIENCES  PHYSIQUES. 

joindre  au  développement  des  doctrines  scientifiques.  On 
pense  bien  que  les  formules  algébriques  n'ont  point  été  ad- 
mises dans  ces  leçons  données  à  des  étudians  en  médecine  ; 
les  mathématiques  n'ont  pas  encore  pris  rang  parmi  les  scien- 
ces qui  peuvent  concourir  au  perfectionnement  de  l'art  de 
guérir.  Cependanl  il  faut  observer  qu'une  connaissance  exacte 
des  lois  du  mouvement  et  de  leurs  effets  est  une  des  bases  de  la 
physique  ;  on  ne  contestera  pas  non  plus  que  le  médecin  ne 
peut  se  dispenser  d'être  physicien,  à  moins  qu'on  ne  regarde 
la  chimie  comme  une  science  de  luxe  dont  la  médecine  n'a 
guère  profité.  Cette  opinion,  quoique  directement  opposée  à 
toute  bonne  logique,  ne  manque  pourtant  point  de  partisans 
dans  toutes  les  écoles  de  médecine  ;  elle  en  compte  beaucoup 
en  Allemagne,  un  peu  moins  peut-être  en  Angleterre,  en  Italie, 
et  surtout  en  France;  M.  Hare  nous  apprend,  dans  sa  préface, 
qu'un  certain  nombre  de  ses  disciples  paraissent  peu  convain- 
cus de  l'utilité  de  l'instruction  qu'il  leur  donne,  et  réduiraient 
volontiers  cette  partie  de  leurs  études  au  point  qu'ils  feraient 
aussi-bien  d'y  renoncer  entièrement.  Ainsi  nos  erreurs,  en 
fait  d'instruction,  ont  traversé  l'Océanet  pénétré  dans  le  Nou- 
veau-Monde avec  nos  doctrines.  Le  tems  approche  où  les  rap- 
ports entre  les  diverses  subdivisions  des  connaissances  hu- 
maines seront  mieux  connus,  ainsi  que  les  secours  mutuels 
qui  peuvent  mettre  toutes  ces  parties  de  l'ensemble  en  état  de 
profiter  des  progrès  de  chacune  d'elles.  On  s'étonne  que  des 
hommes  exercés  au  raisonnement,  initiés  dans  quelques-uns 
des  mystères  de  la  nature,  dont  la  mémoire  doit  avoir  conti- 
nuellemqi^  à  sa  disposition  une  multitude  de  faits  physiques 
classés  méthodiquement,  que  ces  hommes  n'aient  pas  reconnu 
que  les  phénomènes  de  la  vie,  de  la  digestion,  de  la  nutri- 
tion, etc.,  sont  autant  de  faits  chimiques  extrêmement  com- 
plexes, et  dont  les  lois  ne  peuvent  être  découvertes  qu'au 
moyen  de  l'analyse  préalable  de  ces  phénomènes  et  de  leurs 
causes.  Qu'on  se  rappelle  par  quelle  suite  d'expériences 
Spallanzani  parvint  à  constater  que  la  digestion  est  une  disso- 
lution chimique  des  alimens  dans   le  suc  gastrique,  et  qu'elle 


SCIEXCHS  PHYSIQUES.  Oii 

s'opère  même  hors  du  corps  vivant,  lorsque  l'on  met  la  ma- 
tière soluble  en  contact  avec  le  dissolvant  :  c"est  ainsi 
qu'il  tant  interroger  la  nature,  pour  lui  arracher  ses  secrets  et 
dévoiler  le  mystère  de  ses  opérations.  Ces  recherches  sur  la 
digestion,  si  habilement  dirigées  et  décrites  par  le  célèbro 
professeur  italien,  seront,  dans  tous  les  tems,  un  modèle  de 
sagacité,  de  logique  expérimentale,  et  suffiraient  pour  re- 
coinmander  l'étude  de  la  chimie  à  tous  les  amis  des  sciences 
naturelles  et  de  leurs  applications.  Mais  on  ne  peut  tiop  Je 
redire  ,  les  théories  chimiques  ne  seront  bien  comprises  qu'à 
l'aide  de  connaissances  approfondies  sur  les  propriétés  géné- 
rales des  corps;  ou,  en  d'autres  termes,  si  l'on  n'est  pas  assez 
instruit  en  physique,  ou  sera  fréquemment  arrêté  dans  le 
cours  des  recherches  chimiques,  exposé  à  s'égarer,  quand 
même  on  aurait  acquis  la  plus  grande  connaissance  des  faits 
isolés,  et  que  l'on  posséderait  à  un  très-haut  degré  l'adresse 
des  manipulations.  Si  les  chimistes  ne  peuvent  se  dispenser 
d'être  physiciens,  ils  devraient  s'imposer  aussi  l'obligation  de 
ne  pas  négliger  les  matliématiques.  On  cite  il  est  vrai,  parmi 
les  promoteurs  de  la  science,  des  hommes  qui  manquèrent 
totalement  de  cette  instruction  préliminaire  ;  mais  ils  la  ser- 
virent par  la  découverte  de  quelques  faits  que  l'on  ne  pouvait 
concilier  avec  les  théories  admises  jusqu'alois,  en  faisant  sen- 
tir la  nécessité  de  réformer  ces  doctrines,  en  préparant  les 
bases  de  théories  moins  imparfaites;  mais  ils  ne  contribuèrent 
point  à  élever  l'éilifice  sur  ces  bases.  Lavoisier  et  Berlhollct 
n'étaient  point  pourvus  des  connaissances  mathéma^ues  in- 
dispensables pour  approfondir  les  théories  physiques  ;  mais  i^s 
eurent  le  secours  des  plus  illustres  géomètres  de  leur  tenis, 
et  ils  en  firent  un  heureux  usage  :  une  partie  de  la  reconfiais- 
sance  que  les  chimistes  ont  vouée  à  Lavoisier  serait  équitahle- 
meni  décernée  à  Laplace. 

Dans  l'étatactuel  de  nos  coniuiissances  et  de  nos  habitudes, 
M.  Ilare  ne  pouvait  adopter  un  autre  plan  que  celui  qu'il  a 
suivi  dans  cet  ouvrage;  réduit  à  s'abstenir  des  applications  et 
même  des  formes  mathématiques,  il  ne  pouvait  présenter  les 

T.   XLVII.    SEPTEMBRE    l85o.  4" 


622  SCIENCES  PHYSIQUES, 

notions  de  physique  autrement  qu'il  ne  l'a  fait,  ni  les  Jtendre 
plus  loin,  excepté  celles  Je  la  lumit-rc,  dont  on  regrette  qu'il 
n'ait  pas  un  peu  plus  développé  la  théorie.  Il  ne  peut  être  in- 
différent pour  la  chimie,  ni  peut-être  pour  la  médecine,  que 
les  phénomènes  de  la  lumière  soientproduitspar  un  lluide  éma- 
né du  soleil  et  des  corps  célestes  de  même  nature,  dégagé  par 
certaines  actions  chimiques,  etc.,  ou  qu'ils  soient  le  résultat 
des  vibrations  d'un  fluide  répandu  dans  les  espaces  célestes, 
et  considéré  comme  immobile  :  ces  deux  hypothèses  peuvent 
satisfaire  à  peu  près  également  à  l'explication  des  faits  de 
mouvement  et  de  vision  ;  mais  on  ne  voit  pas  clairement 
comment  on  en  déduirait  les  mêmes  résultats  chimiques. 
M.  Hare  adopte  l'hypothèse  ne^vtouienne,  admise,  dil-d,  par 
la  majorité  des  physiciens;  mais  les  questions  de  physique  ne 
sont  point  résolues,  comme  celles  de  politique.  Dans  les  scien- 
ces exactes,  lorsque  les  opinions  sont  partagées,  c'est  que  la 
vérité  ne  s'est  pas  encore  manifestée,  et  que,  par  conséquent, 
on  ne  sait  rien  encore,  et  qu'il  faut  de  nouveaux  efforts  pour 
arriver  à  des  connaissances  positives. 

Sous  le  titre  de  Chimie  pneumatique,  l'auteur  a  réuni  la  théo- 
rie générale  des  gaz,  et  Texposiliou  des  caractères  et  des  pro- 
priétés de  tous  ceux  que  les  travaux  chimiques  ont  fait  con- 
naître ;  il  les  combine,  soit  entre  eux,  soit  a^ec  le  ca.rbone,  le 
soufre,  le  phosphore,  le  bore,  le  sodium,  etc.  Toute  cette  par- 
tie de  l'ouvrage  est  au  niveau  des  connaissances  acquises,  et 
conforme  aux  doctrines  actuellement  reçues.  Veudiométrie  y 
est  traitée  avec  quelque  étendue,  et,  parmi  les  instrumens 
qu'elle  emploie,  l'auteur  en  décrit  deux  qui  sont  de  son  inven- 
tion. VUyërometvie  obtient  aussi  les  soins  qu'elle  réclame  dans 
un  ouvrage  destiné  aux  études  médicales  Le  seul  leproche  que 
l'on  puisse  taire  à  cette  chimie  pneumatique  n'est  peut-être  pas 
fondé,  et  certainement  il  est  sans  importance  :  toutefois,  nous 
ne  l'ou.ettrons  point,  afin  de  conserver  les  droits  de  la  criti- 
que. C'est  a  la  fin  que  l'auteur  a  placé  l'exposition  des  divers 
moyens  de  mesurer  la  pesanteur  spécifique  des  gaz;  on  s'at- 
tendait à  la  trouver  immédialemenl  après  la  théorie  générale 
des  fluides  élastiques. 


SCIKNCES  PHYSIQUES.  625 

La  ?eiiion  suivanle  est  la  chimie  dos  métaux.  Ici,  rautcur 
a  pris  pour  guide  notre  célèl)re  Thénard,  et  le  travail  du  pro- 
fesseur américain  peut  être  considéré  comme  un  résumé  très- 
bien  fait  des  leçons  du  professeur  de  Paris  sur  le  même  sujet. 

La  dernière  section  est  consacrée  à  la  chimie  des  substances 
végétales  et  animales.  L'ouvrage  y  représente  fidèlement  tout 
ce  que  nous  croyons  savoir  sur  ces  deiix  objets,  et  que  proba- 
blement il  faudra  désapprendre  tôt  ou  tard.  La  science  suit 
actuellement,  dans  les  recherches  sur  les  corps  organisés,  une 
marche  opposée  à  celle  qui  lui  a  si  bteu  réussi  pour  arriver 
à  la  théorie  des  substances  inorganiques  :  pour  celles-ci,  elle 
a  généralisé  et  simplifié;  pour  les  autres,  elle  apporte  chaque 
jour  de  nouvelles  complications.  Ce  n'est  pas  dans  l'emploi 
<le  cette  méthode  que  nous  engagerons  les  chimistes  duNou- 
veau-iMonde  à  imiter  ceux  de  l'Europe  :  si  nous  sommes  toul- 
à-fait  hors  de  la  bonne  voie,  que  nos  erreurs  soient  confinées 
parmi  nous,  et  que  d'utiles  avertissemens  puissent  nous  arri- 
ver de  quelque  part  ;  tandis  que  nos  chimistes  semblent  tra- 
vailler à  l'envi  pour  épaissir  les  nuages  qui  nous  cachent  le 
but,  qu'une  lumière  lointaine  puisse  nous  le  faire  au  moins 
en^trevoir,  et  rendre  noire  marche  moins  incertaine.  Nous 
devrons  beaucoup  à  l'Amérique,  si  elle  nous  apprend  à  mar- 
cher avec  plus  de  précautions,  lorsque  la  loute  est  mal  éclairée, 
périlleuse,  hérissée  d'obtacles  :  telle  est  celle  que  les  chimis- 
tes ont  à  suivre,  dans  les  recherches  sur  les  corps  organisés, 
et  principalement  sur  les  corps  vivans.  M.  Hare  nous  donne 
l'exemple  de  cette  sage  défiance  :  voici  comment  il  termine 
la  section  où  il  expose  la  chimie  des  végétaux  et  des  animaux. 
«Je  prends  congé  de  cette  partie  de  la  science  qui  se  réduit 
à  peu  près  à  des  faits  non  généralisés.  Les  grandes  décou- 
vertes dont  la  chimie  des  corps  inorganiques  s'est  enrichie 
ont  fondé  la  théorie  de  ces  corps  et  des  élémens  dont  ils  sont 
composés,  et  nous  donnent  l'espoir  de  parvenir  également  à 
la  découverte  des  lois  de  la  matière  organique,  ou  de  l'in- 
fluence qu'exerce  le  principe  de  vie  pour  modifier  et  diveisi- 
fier  les  résultats  des  lois  générales  de  la  matière  non  organisée» 


Ca4  SCIENCES  PHYSIQUES.  ^^ 

«Un  cours  limité  à  quatre  mois  ne  peut  suflirc  aux  expé- 
riences et  aux  menus  détails  qu'exige  la  chimie  des  corps  or-'^  '*. 
ganisés;  et  d'ailleurs,  les  élèves  n'auraient  pas  le  tems  de 
retenir  tout  ce  que  le  professeur  aurait  dit.  Mais  l'exercice  de 
la  médecine  est  une  continuation  des  études  que  nous  ne 
pouvons  pousser  plus  loin  dans  ces  leçons  ;  le  médecin  a  cons- 
tamment sous  ses  yeux  des  objets  à  observer,  des  faits  qu'il 
doit  analyser,  des  actions  et  des  réactions  dont  les  lois  peu- 
vent se  laisser  entrevoir.  S'il  a  besoin  de  'f:  elques  expérien- 
ces directes,  il  peut  toujours  les  faire  aisément  et  à  peu  de 
frais....»  En  effet,  comme  celte  partie  de  la  chimie  est  spécia- 
lement dans  le  domaine  de  la  médecine,  c'est  aux  médecins 
qu'il  faut  recommander  les  tra\aux  que  son  perfectionnement 
exige. 

M.  Hare  a  réuni,  dans  un  Appendice,  plusieurs  Mémoires  ou 
Notices  qu'il  avait  fournis  précédemment  à  l'excellent  recueil 
périodique  publié  par  M.  le  professeur  Silliman.  Le  premier 
est  une  dissertation  sur  cette  quesiion  :  Les  effets  de  la  cha- 
leur pe»ivent-ils  être  produits  par  le  seul  mouvement?  II 
conclut  qu'il  faut  admettre  l'existence  d'un  calorique^  fluide 
auquel  il  attribue  non-seulement  tous  les  phénomènes  de  la 
chaleur,  mais  ceux  de  la  lumière  et  de  l'électricité.  Ce  Mé- 
moire a  été  l'occasion  d'un  démêlé  scientifique  où  les  deux 
adversaires  ont  paru  tour  à  tour  dans  le  recueil  de  M.  Silli- 
man;  M.  Hare  a  placé  ici  la  défense  de  son  opiiiion.  Parmi 
les  autres  notices  renfermées  dans  cet  aj)pendice,  on  remar- 
que une  solution  algébrique  du  problème  de  déterminer  dans 
un  mélange  de  gaz,  la  quantité  de  chacun  des  fluides  mélan- 
gés, d'après  la  pesanteur  spécifique  du  mélange  et  celle  de 
chacun  des  fluides  qu'il  renferme.  On  y  remarque  aussi  la 
description  et  la  figure  de  plusieurs  instrumens  imaginés  par 
l'auteur,  et  que  nous  pourrions  nous  approprier.  Nous  l'avons 
déjà  dit,  et  nous  nous  plaisons  à  le  répéter  :  l'ouvrage  de 
M.  Hare  sera  consulté  avec  profil  par  les  physiciens  et  les 
chimistes  qui  chercheront  à  pcrfeclionncr  l'art  des  expé- 
riences. Ferrv. 


SCIENCES  MORALES  ET  POLITIOIJES. 


Des  science?  occvltes,  ou  Essai  sur  la  Magie,  les  Prodiges  et 
les  Miracles,  \)ar  Eusibe  Salveute  (i). 

Quand  on  voit  l'homme  d'iitat,  infatigable  défenseur  des 
droits  et  des  intérêts  de  son  pays,  ne  quitter  la  tribune  où  il 
a  fait  entendre  des  paroles  de  sagesse  et  de  liberté,  que  pour 
se  livrer  à  des  études  graves  et  profondes,  oiUieprises  pour 
édairer  la  nation  ,  pour  l'arracher  an  joug  de  l'ignorance  et  de 
l'erreur,  on  ne  saurait  trop  admirer  un  aussi  pur  patriotisme  ; 
et  c'est  celui  de  M.  Eiisèhe  Salverte.  Qu'il  nous  soit  permis 
de  rcnJre  hommage  à  son  beau  caractère:  député,  il  n'a  ja- 
mais reculé  devant  la  vérité;  la  France  l'a  toujours  trouvé 
fidèle  à  son  mandat;  écrivain,  il  a  constamment  attaché  son 
nom  à  des  ouvrages  uliles  à  riiunianité,  et  son  Iiilroitaciion  à 
r/dstoire  de  la  civilisalioti ,  depuis  les  premiers  tans  historiques 
jusqu'à  fa  fin  du  xv!!!*"  siècle,  pensée  immense,  qu'il  n'a  pas 
craint  d'aborder,  est  un  monument  à  jamais  durable  de  la 
haute  portée  de  ses  vtîes  philosophiques. 

L'étude  des  sciences  occultes  chez  les  anciens  était  une  bran- 
che importante  de  ce  grand  travail.  Les  lecherches  de 
M.  Salverte  a3ant  pris  assez  d'éten<Uie  pour  pouvoir  être  déta- 
chées du  cadre  de  l'ouvrage  principal,  et  former  un  tout  sus- 
ceptible d'un  intérêt  spécial,  il  s'est  décidé  à  les  publier  sépa- 
rément. Déjà  son  Essai  historique  et  philosophique  sur  les  norns 
d'Ho7Jimes,  de  Peuples  et  de  Lieua-,  publie  en  1834,  avait  révélé 


(1)    Paris,    uS29-iS5o;  ScdillvTt,   lucdu  l'Odéoii,   n"  5n.   2  vol.  ii;-S"  ; 
prix,  I  j  tV. 


626  SCIENCES  MOli.VLES 

»;»  vaste  érudition;  son  Essai  sur  les  Sciences  occulles  n'est  point 

au-dessous  de  ses  premiers  écrits. 

Yan-dale,  Bayle,  Fosteîselle  avaient  effleuré  ce  sujets  ils 
avaient  voulu  prouver  que  les  oracles  étaient  le  produit  de  l'a- 
dresse et  de  la  superstition.  Mais  aussi,  avec  quels  ménage- 
mens  ils  ont  émis  leurs  opinions;  ils  n'auraient  jamais  osé  at- 
taquer ouvertement  et  de  front  les  prodiges  et  les  miracles; 
M.  Salvei'te,  venu,  il  est  vrai,  dans  un  tems  plus  éclairé,  a 
eu  l",  courage  de  traiter  franchement  la  question  ,  de  la  discu- 
ter sous  toutes  ses  faces,  de  combattre  à  outrance,  en  un  mot, 
les  erreurs  et  les  préjugés.  On  n'est  nullement  disposé,  j'ima- 
gine, à  brûler  vifs  les  sorciers  d'aujourd'hui;  mais,  quand  on 
songe  que  ces  affreuses  exécutions  avaient  encore  lieu ,  il  y  a 
quatre-vingts  ans,  et  qu'on  croyait  alors  presque  généralement 
à  la  puissance  surhumaine  de  ces  malheureux,  on  peut  s'éton- 
ner que  l'on  ose  prouver  à  présent  qu'elle  n'existait  que  dans 
l'imagination  des  hommes  fanatisés.  L'ouvrage  de  M.  Salverte 
fait  faire  un  grand  pas  à  l'esprit  humain  ;  il  apprend  aux  incré- 
dules à  se  rendre  compte  de  leur  opinion,  à  l'appuyer  sur  de? 
faits;  il  porte  un  dernier  coup  aux  superstitions  populaires, 
et  rinléret  soutenu  que  sa  lecture  inspire  est  un  sûr  garant  de 
son  succès,  et  par  conséquent  du  bien  qu'il  produira.  Avant 
d'en  tracer  l'analyse  complète,  nous  allons  faire  ressortir  la 
pensée  principale  qui  l'a  constamment  dirigé. 

Les  livres  anciens  sont  remplis  de  témoignages  en  faveur  de 
la  magie;  tous  la  représentent  comme  une  science  surnatu- 
relle. Aussi,  parmi  les  modernes,  les  uns  l'ont  niée  absolu- 
ment (et  dans  le  dernier  siècle  surtout,  on  s'était  habitué  à 
l'idée  que  ce  n'était  qu'impostures  et  mensonges);  les  au- 
tres ont  affirmé  qu'elle  était  une  manifestation  de  la  puissance 
de  Dieu  dans  les  prophètes,  et  de  celle  du  démon  dans  les 
ennemis  du  peuple  juif.  M.  Salverte  prend  un  autre  parti  ;  non 
pas  qu'on  pui.-se  admettre  une  science  surnaturelle,  mais  est-il 
raisoiuKible  de  penser  que  celte  multitude  de  prodiges  rap- 
portés par  les  écrivains  anciens  soient  tout-à-fait  controuvés  ; 
que,  s'il  y  u  eu  supercherie,  la  foule  ne  s'en  soit  jamais  aper- 


MT  POLITIQLKS.  627 

tue;  que  lo^  prèlies  et  le?  initiés  (jui  exploitaieut  à  leur  prolit 
l'étude  lie  l;i  nature  et  la  crédulité  populaire  n'eussent  jamais 
pu  parvenir  à  exécuter  autre  chose  que  quelques  tours  de  char- 
latans? Non,  sans  doute;  aussi,  M.  Salverte  présente  tous 
ou  presque  tous  les  témoignages  comme  vrais;  il  donne,  de 
la  plupart  des  prétendus  miracles,  une  explication,  si  noi;i 
incontestable,  au  moins  très-plausible.  On  trouvera  peut-être 
qu'il  semble  trop  avoir  pris  d'avance  le  parti  de  tout  expliquer. 
On  a  de  la  peine  à  imaginer  que  les  anciens,  dans  la  marche 
de  leurs  sciences,  se  soient  si  parfaitement  rencontrés  avec 
les  modernes  ;  que  les  découvertes  laites  nouvellement  nous 
servent  à  ex])liquer  des  prodiges  qu'on  aurait  jusqu'à  ces  der- 
niers tems  regardés  comme  incroyables.  Mais,  comme  le  but 
de  M.  Salverte  est  moins  d'expliquer  quelque  chose  en  parti- 
culier que  l'ensemble  des  faits,  on  ne  disputera  pas  avec  lui 
sur  quelques  explications  plus  ingénieuses  peut-être  que  fidè- 
les, et  l'on  conclura  avec  l'auteur  quelo  plupart  des  faits  attri- 
bués à  la  magie  sont  vrais,  mais  qu'ils  nous  ont  été  transmis 
quelquefois  sous  le  voile  de  l'allégorie,  quelquefois  avec  des 
détails  invraisemblables,  souvent  d'une  manière  inexacte; 
mais  que  du  moins  les  anciens,  les  initiés  surtout,  ont  été  plus 
loin  dans  l'étude  des  sciences  physiques  qu'on  ne  le  croit  eom- 
munément.  Nous  allons  maintenant  suivre  M.  Salverte  dans 
les  développemens  qu'il  a  donnés  à  son  sujet. 

L'homme  est  crédule,  parce  qu'il  est  naturellement  véridi- 
que;  il  aiiue  à  exprimer  ses  sensations,  ses  sentimens  et  ses 
souvenirs  avec  la  même  vérité  que  ses  pleurs,  ses  cris  et  les 
mouvemens  de  sa  physionomie  révèlent  ses  souffrances,  ses 
craintes  et  ses  plaisirs.  En  agissant  sur  ses  passions  par  sa  cré- 
dulité, les  hommes  supéiieurs  (jui  voulurent  imposera  leurs 
semblables  le  frein  de  la  religion  présfuUèrent  les  miracles  et 
les  prodiges  comme  des  signes  certains  de  leur  mission , 
comme  des  œuvres  inimitables  de  la  divinité  dunt  ils  étaient 
les  interprètes.  L'histoire  de  tous  les  pays  et  de  tous  les  ûge.s 
est  chargée  de  récits  merveilleux  qu'on  aurait  tort  de  rejeter 
avec  un  dédain  peu  philosophique  ;  tous  les  faits  peuvent  s'ex- 


(i28  SCIENCES  MOiWLES 

pliqiier  par  un  pclit  nombre  de  causes  plus  ou  moins  faciles  à 
discerner,  et  la  recherche  de  ces  causes  nous  ouvre  les  archi- 
ves dune  politique  mystérieuse  dont  quelques  hommes  savans 
se  sont  servis  dans  tous  les  tems  pour  gouverner  le  genre  hu- 
main, et  le  conduire  à  la  grandeur  ou  à  la  bassesse,  à  l'escla- 
vage ou  à  la  liberté. 

Dans  le  doinaine  du  merveilleux,  on  doit  disiinguer  les  pro- 
diges ou  les  évènemens  singuliers  que  la  nature  ne  produit 
qu'en  paraissant  s'écarter  des  lois  qu'elle  s'est  invariablement 
prescrites,  et  les  miracles  ou  œuvres  magiques,  émanés  des 
hommes.  L'attrait  attaché  aux  faits  extraordinaires ,  le  pen- 
chant à  l'exagération  qui  en  est  la  conséquence,  l'opiniâtreté 
des  traditions,  les  expressions  inexactes,  l'explication  erronée 
de  représentations  emblématiques,  l'emphase  propre  aux  lan- 
gues de  l'antiquité,  et  le  style  figuré,  attribut  essentiel  de  la 
poésie,  ont  dû  grossir  de  fictions  les  faites  de  l'histoire.  A 
l'appui  de  cette  opinion,  l'auteur  cite  un  grand  nombre  d'exem- 
ples; nous  reproduirons  les  plus  saillans. 

Que  l'on  rejette  ce  qu'ont  raconté  de  l'immense  ArrtAcn  les 
marins  du  nord  ;  que  l'on  taxe  d'exagération  ce  que  rappor- 
tent Pline  et  Elien  des  dimensions  de  deux  poiypes  de  mer, 
<|ii'avaient  pourtant  dû  voir  des  observateurs  nombreux;  il 
suffit  d'admettre  avec  Aristote  que  les  bras  de  ce  mollusque 
alteignaienl  quelquefois  iusqîi'à  deux  mètres  de  longueur,  et 
on  avouera  qu'il  peut  enlever  un  homme  sur  une  chaloupe  dé- 
couverte. Que  devient  alors  la  fable  de  Scyllaî  ce  monstre,  le 
fléau  des  poissons  les  plus  forts  qui  passaient  à  sa  portée,  et 
dont  les  six  têtes,  soudainement  élancées  hors  des  flots,  sur 
leurs  cous  démesurés,  entraînèrent  six  des  rameurs  d'Ulysse; 
ce  monstre,  si  l'on  substitue  à  l'exagéiation  poétique,  la  réa- 
lité possible,  n'est  qu'un  polype  parvenu  à  une  croissance  ex- 
traordinaire et  collé  contre  l'écueil  vers  lequel  la  crainte  du 
gouffre  de  Carybde  forçait  les  navigateurs  peu  expérimentés 
à  diriger  leurs  frêles  embarcations. 

Eh  lui  promettant  tine  lithe  part  daiis  les  biens  que  Dieti 
doit  doiuior  ;'i  "■••ii  [XMiple.  "îSoï-e  décide  le  niadianitc  Hobab  à 


ET  POLITIQUES.  GiiO 

s'unir  à  la  marche  des  Israélites,  o  ]Se  nous  abandonne  pas,  lui 
dit-il,  tu  sais  dans  quellieu  du  désert  il  nous  est  avantageux 
de  camper;  viens  et  sois  notre  guide.  «Sa  marche,  ainsi  réglée, 
est  ouverte  par  l'arche  sainte  avec  laquelle  s'avance  et  s'arrête 
tour  à  tour  le  peuple  tout  entier:  les  prêtres  qui  l'environnent 
portent  le  feu  sacré  ;  la  fumée  est  visible  le  jour,  et  la  flamme, 
pendant  la  nuit;  Dieu  même  guide  son  peuple  la  nuit  par  une 
colonne  de  feu,  et  le  jour  par  une  colonne  de  fumée. 

Vers  la  fin  d'un  combat  opiniâtre  ,  les  nuages  amoncelés 
produisaient  une  obscurité  presque  complète  ;  soudain  ils  se 
dissipent  devant  la  lune  qui  s'élève  à  l'orient,  tandis  qu'à  l'oc- 
cident le  soleil  n'est  point  encore  descendu  sous  l'horizon  ;  ces 
deux  astres  semblent  réunir  leurs  clartés  pour  prolonger  le  jour 
et  donner  au  chef  des  Israélites  le  tems  d'achever  la  défaite  de 
ses  ennemis.  Ce  chef  a  arrêté  le  soleil  et  la  lune. 

Sur  le  mont  Éryce,  en  Sicile,  l'autel  de  Vénus  était  situé 
en  plein  air,  et  une  flauime  inextinguible  y  brillait  constam- 
ment, sans  aucun  aliment  visible,  et  malgré  le  froid,  la  pluie 
et  la  rosée.  Bayle  traite  ce  récit  de  fable.  En  d'autres  lieux,  ce- 
pendant, la  nature  a  allumé  des  feux  semblables.  Les  feux  de 
Piétra-3iala,  en  Toscane,  sont  dûs,  suivant  sir  Humphry 
Dav}-,  à  un  dégagement  de  gaï  hydrogène  carburé.  Les  flam- 
mes pei'pétuelles  que  l'on  admire  à  l'Atesch-Gah  ,  près  de  Ba- 
kou, en  Géorgie,  sont  alimentées  par  le  naplite  dont  le  sol  est 
imprégné.  Ce  sont  des  feux  sacrés,  et  les  prêtres  Hindous  les 
ont  enfermés  dans  une  enceinte  de  cellules,  comme  on  avait 
élevé  autour  du  feu  de  la  montagne  Éryce  le  temple  de  Ténus. 
En  Hongrie,  dans  la  saline  de  Szaliua,  cercle  de  Marmarosch, 
un  coiuant  d'air  impétueux,  sortant  d'une  galerie,  s'est 
enflammé  spontanément,  c'est  du  gaz  hydrogène  sembl/ible  à 
celui  que  l'on  emploie  aujourd'hui  pour  l'éclairage.  Des  prê- 
tres, dans  une  civilisation  de  forme  fixe,  auraient  consacré  ce 
plîénomène  à  la  superstition;  dans  une  civilisation  perfectible, 
l'industrie  en  tire  un  service  utile.  D'autres  faits  naturels,  peu 
lonnu-  ont  donné  lieu  à  de  grossières  erreurs.  A  la  surface  des 
»MUx  ihernialcs  de  Baden  en  Allemagne,  et  des  eaux  (rischia,^ 


G3o  SCIENCES  xMORALES 

île  du  royaume  de  Naples  ,  on  recueille  le  zoogène  ,  subslaiice 
singulière  qui  ressemble  à  la  chair  humaine  revêtue  de  sa  peau, 
et  qui,  soumise  à  la  dislillation ,  fournit  les  mêmes  produits 
que  les  matières  animales.  Près  du  château  de  Lepomena ,  et 
dans  les  vallées  de  Siuigalia  et  de  Négreponte,  les  rochers  sont 
couverts  de  celte  substance.  Voilà  l'explication  de  ces  pluies 
de  morceaux  de  chair,  qui  figurent  au  nombre  des  prodiges 
de  l'antiquité. 

Arrosée  et  fertilisée  par  le  Jourdain,  la  vallée  des  bocages 
s'ouvrait  devant  le  voyageur  qui  du  désert  arrivait  à  Ségor.  Là, 
Sodome,  Gomorrhe  et  vingt-six  autres  cités  fleurirent  pen- 
dant un  demi  siècle;  les  villes,  les  habitations  lurent  détruites 
par  une  conflagration  subite.  Vn  lac  d'eaux  amères,  le  lac  As- 
phaltide  remplaça  la  vallée  des  bocages.  Strabon  attribue  sa  des- 
truction à  l'éiiiption  d'un  volcan;  la  nature  du  sol  suffit  seule 
à  la  solution  du  problème. 

La  vallée  était  assise  sur  la  couche  de  matières  éminem- 
ment inflammables  qui  forme  encore  le  fond  du  lac  Asphaltide. 
Dans  des  puits  nombreux,  on  y  voyait  sourdre  ,. exposé  à  une 
atmosphère  brûlante,  le  bitume  qui  s'étendait  sous  la  terre, 
'/embrasement  déterminé  par  une  cause  accidentelle  se  pro- 
pagea avec  une  rapidité  dont  ne  nous  donnent  point  une  idée 
les  incendies  qui  dévorent  (|ucl(juelbis  les  mines  de  houille  et 
de  charbon  de  terre.  Les  maisons  en  feu ,  la  campagne  minée 
au  loin  par  la  flamme  souterraine,  s'abîmèrent  dans  le  goun"re 
que  formait  l'allaissement  du  sol,  affaissement  proportionné 
à  la  consommation  du  bitume.  Le  Jourdain  se  précipita  dans 
le  nouveau  lac,  dont  l'étendue  fut  bientôt  assez  considérable 
pour  que  le  fleuve  s'y  perdît  tout  entier,  abandonnant  à  la  sté- 
rilité les  contrées  qu'il  arrosait  auparavant,  et  l'on  a  vu  la  co- 
lère du  ciel  dans  un  accident  de  la  nature. 

Le  passage  de  la  iMer  Ronge  est  aussi  facile  à  expliquer.  Le 
flux  et  reflux,  en  se  faisant  avec  une  violence  extraordinaire, 
mais  dont  on  a  vu  des  exemples  encore  ti)ut  récenmienl,  dé- 
truisent toute  la  ronleiu  merveilleuse  du  fait. 

M.   Salverte.   en   réunissant  d'innombrables  citations  de   ce 


ET  POLITIQUES.  05  r 

genre,  a  toujours  soin  de  s'appuyer  sur  des  aiitoiilcs  puissantes. 
La  bonne  foi  de  riiistoricn  Josèphe  lui  fournit  des  armes  liien 
redoutables.  Pbiloii  lui-nit^me  attribue  à  des  causes  naturelles 
quelques  miracles  de  Moïse;  ainsi,  en  parlant  de  la  source  qui 
jaillit  du  rocher  d'Horeb  :  «Moïse,  dit-il,  frappa  le  rocher; 
et,  soit  que,  par  un  heureux  hasard,  il  eût  ouvert  l'issue  à 
une  nouvelle  source;  soit  que  les  eaux  eussent  d'abord  été 
amenées  là  par  de  secrets  conduits,  et  que  leur  aliondance  les 
fît  sortir  avec  impétuosité,  le  rocher  jeta  autant  d'eau  qu'une 
fontaine.  » 

Après  avoir  ainsi  démontré  que  les  prodiges  peuvent  s'ex- 
pliquer naturellement,  l'auteur,  appliquant  ce  principe  aux 
œuvres  magiques,  pense  que  les  prêtres  et  les  initiés  n'ont 
pas  seulement  spéculé  sur  l'ignorance  et  la  fraude,  et  que  leurs 
secrets  cachaient  une  science  très-étendue  et  toutes  les  con- 
naissances théoriques,  nécessaires  pour  opérer  des  résultats 
merveilleux,  et  dont  a  dû  se  composer  la  magie. 

Long-lems  la  magie  a  gouverné  le  monde,  et  son  origine  va 
se  perdre  dans  les  tems  les  plus  reculés.  L'Orient ,  l'Occident, 
le  Nord  ont,  pendant  des  siècles,  respecté  sa  puissance  et  son 
antiquité.  Ses  œuvres  furent  également  attribuées  au  bon  et 
au  mauvais  prfncipe  ;  mais  on  ne  croyait  pas  qu'elles  fussent 
le  renversement  de  l'ordre  naturel.  Tout  secours  inespéré  pa- 
raissait un  bienfait  de  la  divinité,  et  c'est  ainsi  qu'on  admet- 
tait des  degrés  différens  dans  l'importance  des  miracles  et 
dans  la  science  des  thaumaturges.  Zoroastre  descend  à  plu- 
sieurs reprises  dans  la  lice  avec  les  enchanteurs  ennemis  de 
sa  nouvelle  doctrine;  il  ne  nie  point  leurs  œuvres  merveil- 
leuses, il  les  surpasse;  il  affirme  qu'elles  sont  l'ouvrage  des 
Deivs ,  émanation  du  principe  du  ui:d,  et  il  le  prouve,  en 
remportant  sur  eux  la  victoiie  au  nom  du  principe  du  bien. 
Moïse,  prophète  du  vrai  Dieu  ,  lutte  de  miracles  avec  les  prê- 
tres égyptiens,  sûr  d'établir,  par  la  supériorité  des  siens,  la 
supériorité  du  maître  au  nom  duquel  il  parle  devant  le  roi 
d'Egypte.  Suivant  une  tradition  hébraïque,  conservée  en 
Orient,  il  devina  le  secret  des  procédés  employés  par  ses  ri- 


632  SClEiNCES  MORALES 

vaux,  sans  que  ceux-ci  pussent  pénétrer  les  siens;  ce  qu'ex- 
pi  inic  en  style  figuré  la  verge  de  son  frère  dévorant  celles  d(î 
SCS  antagonistes,  tianformées  en  serpens. 

Dès  que  quelques  lueurs  liistoiiques  permettent  de  pénétrer 
dans  les  temples,  on  reconnaît  qu'une  vaste  branche  des  con- 
naissances humaines  n'a  pu  fleurir  qu'au  fond  des  sanctuai- 
res, et  qu'elle  composait  une  partie  importante  des  mystères 
religieux.  Tous  les  miracles  (jui  n'appartenaient  pas  à  l'adresse 
ou  à  l'imposlure  étaient  le  fruit  de  celte  science  occulte;  c'é- 
taient, en  un  mot,  de  véritables  expériences  de  physique. 

Lorsque,  de  nos  jours, Swedenboig  déclarait  que  ceux  qui 
ne  croyaient  point  à  sa  parole,  ne  se  rendraient  pas  non  plus 
à  (les  miracles;  c'est  qu'il  comprenait  fort  bien  que  le  tems  des 
miracles  était  passé.  Nous  sommes,  dit-on,  trop  éclairés  pour 
y  croire;  n'est-ce  pas  dire,  en  d'autres  termes  :  Ce  qui  for- 
uiait  une  science  secrète,  réservée  uniquement  à  (luelques 
êtres  privilégiés,  est  rentré  dans  l'immense  domaine  des  scien- 
ces accessibles  à  tous  les  esprits. 

En  effet ,  des  arts,  depuis  long-lems  vulgaires,  ont  dû  pas- 
ser pour  divins  ou  magiques,  tant  que  leurs  procédés  sont  res- 
tés secrets;  et,  dans  les  luttes  d'habileté  qu'élevaient,  entre  les 
dépositaires  de  la  science,  des  iutérêts  opposés,  pour  ne  point 
laisser  apercevoir  aux  regards  profanes  les  bornes  des  moyens 
de  la  magie,  un  pacte  tacite  ou  foimél  existait  entre  les  thau- 
maturges. Déjà,  dans  la  mythologie  grecque,  il  n'était  pas  per- 
mis à  ini  (lieu  de  défaire  ce  qu'un  autre  dieu  avait  tait.  Dans 
les  luttes  des  thaumaturges,  il  pouvait  en  être  de  même  en 
général;  on  voit  mên;e  que  le  triomphe  de  l'un  d'eux  ne  pa- 
raissait nullement  décisif  à  ses  adversaires,  prêts  à  choisir  à 
leur  tour  unv.  épreuve  où  leur  capacité  l'emportera.  Moïse  a 
vaincu  les  prêtres  égyptiens;  Élie,  les  prophètes  de  ÎJaaI. 
Loin  de  s'humilier,  Pharaon  poursuit,  à  main  armée,  le  peuple 
qu'a  conduit  M</ise  :  Jésabel  jure  de  venger,  par  la  mort  d'É- 
lie,  les  prêiies  ((u'il  a  mis  à  mort. 

Eiï  résumé,  l'art  des  magiciens  parait  inoins  un  secours 
«i    un  l)içiifail    ccnliuM'l   de  la  i]ivinil<''   que  le  produit   d'une 


ET  POLITIQUES.  6.17» 

science  péniblement  acquise  et  dinicilement  conservée.  Poin- 
oi)ércr  magiquement,  il  fallait  des  préparatifs  très -étendus  sur 
la  nature,  et  sur  l'action  desquels  on  jetait  un  "Voile  mystérieux. 
Apollonius  se  défend  d'être  au  nombre  des  magiciens,  qu'ii 
appelle  artisans  de  miracles.  Enfin,  Moses  Mainionitle  nous 
apprend  que  la  première  partie  de  la  aiagie  des  Chaldéesis 
était  la  connaissance  des  métaux,  des  plantes  et  desanimaiix, 
et  que  la  seconde  indiquait  les  tems  ot'i  les  œuvres  magi- 
ques pouvaient  êlre  produites,  c'est-à-dire,  les  momens  où 
la  saison,  la  température  de  l'air,  l'état  de  l'atmosphère  secon- 
daient le  succès  des  opérations  cbiBiiqucs  ou  physiques. 

Ajoutez  à  cela  les  opérations  mécaniques,  les  gestes,  les  pos- 
tures, les  paroles  inielligibies  et  ini'itelligibles,  le  charlata- 
nisme de  l'escamotage,  les  tours  d'adresse  plus  ou  moins  gros- 
siers, le  sort  consulté  sans  cesse,  et  dirigé  pa'  .-.la  ruse;  ces 
oracles,  que  Fontenelle  et  Van  Dale  ontdévoilés  ;  et  vous  au- 
rez un  système  à  peu  près  complet. 

Comme  il  fallait  partout  montrer  un  pouvoir  surnaturel, 
et  cacher  la  main  de  l'homme,  un  secret  religieux  couvrit  îes 
principes  de  la  science  :  ime  langue  particulière,  des  expres- 
sions figurées,  des  allégories  ,  des  emblèmes  en  voilèrent  les 
moindres  détails.  Les  hiéroglyphes,  une  écriture  inconnue, 
le  langage  énigrnalique  des  évocations,  les  révélations  gra- 
duées, partielles,  et  qu'ur.  petit  noinbre  de  prêtres  obtenaient 
dans  leur  plénitude,  et  la  religion  d'un  serment  terrible,  con- 
tribuèrent à  les  envelopper  d'une  obscurité  impénétrable. 
jMichœlis,  qui  savait  relever,  par  une  philosophie  saine  et  i»î'o- 
londc,  le  pris  de  sa  vaste  érudition,  remarque  qu'une  langue 
universelle,  créée  par  les  savans,  et  à  l'usage  des  sa  vans  seuls, 
les  mettrait  en  possession  exclusive  de  la  science;  s'il  eût  l'ait 
un  pas  de  plus,  Michtelis  aurait  observé,  que  son  hypo- 
lhè-;e  était  l'histoire  de  l'antiquité  ;  (<ue  les  religions  possé- 
daient presque  toutes  une  langue  et  une  écriture  sacrée,  et 
qu'elles  permettaient  aux  initiés  d'imposer  aux  profanes,  qr.i 
osaient  concevoir  l'espoir  de  deviner  ces  énigmes  ,  et  for- 
niaionl  mille  conjectures  extravagantes.  Le  thaumaturge,  loin 


054  SCIENCES  MORALES 

de  les  dissiper,  les  aidait  à  se  répandre  ;  c'était  autant  de  ga- 
ranties de  rinviolabilité  de  son  secret. 

Aussi,  concentrée  dans  un  petit  nombre  de  mains,  trans- 
mise souvent  d'une  manière  incomplète,  la  magie  dut  se  dé- 
grader; les  siècles  s'accumulèrent,  et  elle  se  réduisit  à  une 
pratique  dénuée  de  théories,  à  des  formules  inexactes  et  sou- 
vent intraduisibles.  Plus  tard,  l'ignorance  et  la  curiosité,  l'o- 
pinion qu'(Mi  imitant  des  figures  d'hiéroglyphes,  ou  devait 
opérer  des  prodiges,  qu'on  obtenait  précédemment  par  le 
procédé  dont  ils  déguisaient  l'expression,  produisirent  d'é- 
tranges aberrations,  et  firent  germer  parmi  la  multitude  les 
erreurs  les   plus  grossières. 

Tant  que  1  esprit  de  .forme  fixe  de  la  civilisation  subsista, 
les  mystères  restèrent  cachés  au  fond  des  sanctuaires,  au  fond 
des  écoles  philosophiques.  Ils  ne  se  répandirent,  à  la  longue, 
que  par  l'influence  de  la  civilisation  perfectible.  La  commu- 
nication habituelle  des  Grecs  avec  les  successeurs  des  mages, 
dispersés  en  Asie,  après  la  mort  de  Smerdis  ;  les  victoires 
d'Alexandre;  l'appauvrissement  de  Tlîgypte,  après  la  conquête 
des  Romains,  qui  fit  affluer  à  Rome  des  prêtres  de  grades  in- 
férieurs qui  y  trafiquèrent  des  secrets  des  temples;  les  poly- 
théistes, enfin,  qui  se  convertirent  au  christianisme,  et  a]tpor- 
lèrent  dans  son  sein  les  connaissances  magi(|ues  qu'ils  possé- 
daient, propagèrent  les  débris  de  la  science  sacrée.  Elle 
subsista  long-temsdans  les  écoles  des  philosophes  théurgistes, 
et  parmi  les  prêtres  errans  ;  on  peut,  sans  invraisemblance, 
assigner  pour  successeurs,  aux  premiers,  les  sociétés  secrètes 
de  l'Europe;  aux  seconds  les  sorciers  modernes. 

Après  avoir  ainsi  tracé  l'histoire  de  la  magie,  M.  Salverte 
recherche  quels  progrès  les  sciences  avaient  pu  faire  dans 
l'anti(pulé,  et  après  avoir  esquissé  à  grands  traits  les  mer- 
veilles que  la  pratique  donnait  au  thaumaturge  la  possibilité 
d'opérer,  tableau  empreint  des  plus  vives  couleurs,  écrit  de 
verve,  d'un  style  rempli  d'images  et  de  poésie,  il  s'engage 
dans  l'exposé  des  conquêtes  scientifiques  des  anciens,  et 
jette  sur  cette  énuinéralion,  qui  semble  un  peu  aride  au  pre- 


ET  POLITIQUES.  G35 

mier  abord,  un  inttrOt  de  curiosité  toujours  croissant  par  la 
variété  des  détails,  l'heureux  choix  des  citations,  et  par  les 
rapprochemens  inattendus,  les  explications  ingénieuses  qu'il 
accumule  avec  un  rare  talent. 

Nous  allons  suivre  l'auteur  dans  cette  partie  importante  de 
son  livre,  et  reproduire  succinctemcnL  les  principaux  faits 
qu'il  a  recueillis,  heureux  si  nous  pouvons  donner  une  idée  des 
immenses  recherches  du  savant  écrivain.  Une  analyse  rapide 
ne  reproduira  jamais  qu'imparfaitement  ce  vaste  ensemble 
plein  d'intérêt  et  de  vie ,  qu'il  faut  étudier  dans  l'ouvrage 
même. 

I.  La  mécanique,  l'acoustique,  l'optique,  l'hydrostatique, 
sont  l'objet  des  quatre  premiers  chapitres.  Ces  sciences  étaient 
connues  des  thaumaturges,  et  portées  à  un  degré  de  perfec- 
tion que  les  modernes  n'ont  pu  atteindre  pendant  long-tems, 
et  qu'aujourd'hui  même  ils  ont  à  peine  surpassé. 

Les  planchers  mouvans,  les  machines  qui  saisissaient  les  as- 
pirans  à  l'initiation  et  les  faisaient  disparaître,  se  retrouvent 
dans  presque  tous  les  temples;  les  statues  qui  se  mouvaient 
d'elles-mêmes  prouvent  que  la  construction  des  autoinates 
n'est  rien  moins  qu'une  invention  récente,  et  les  paroles  qu'el- 
les prononçaient,  au  rapport  de  tous,  très-distinctement,  in- 
diquent assez  que  les  anciens  avaient  découvert  le  secret  des 
androides,  qui,  de  nos  jours  encore,  sous  le  nom  de  femme  invi- 
sible, ont  excité  l'admiration  de  bien  des  gens.  Quelle  devait 
être  la  terreur  de  la  multitude,  en  entendant  des  arbres,  des 
animaux  proférer  des  phrases  pleines  de  sens,  et  ces  tôles  par- 
lantes, dont  les  écrit'^  des  chroniqueurs  de  tous  les  pays  font 
mention  si  fréquemment?  On  savait  aussi  dans  les  sanctuaires 
imiter  parniitement  le  bruit  du  tormerre;  on  connaissait  le 
mécanisme  et  l'usage  des  orgues  hydrauliques  ,  des  coffres  r;  - 
sonnans. 

Les  illusions  offertes  à  la  vue  n'étaient  pas  moins  extraordi- 
naires. Les  thaumaturges  se  servaient  de  miroirs  qui  repré- 
sentaient les  images  multipliées,  les  images  renversées,  et, 
chose  plus  remarquable  encore,  qui  perdaient  dans  une  posi- 


«ÔG  SCIKNCES  MORALES 

tioiï  particulière  la  propriété  de  réfléchir.  Ils  ménageaient  avec 
habileté  les  effets  de  la  lumière;  les  jardli^s  délicieux,  les 
magniOques  palais,  qui,  du  sein  d'une  obscurité  profonde,  ap- 
paraissent subitement  éclairés  à  perte  de  vue,  comme  par  un 
soleil  qui  leur  lût  propre,  l'ont  supposer,  dans  des  tems  recu- 
lés, l'existence  du  dlorama.  D'un  autre  côté,  les  apparitions 
des  dieux  et  des  omlires  des  morts  n'étaient-elles  pas  dues  à 
la  fantasmagoiie  :  inconsolable  de  la  perte  d'Eurydice,  Or- 
phée se  rend  à  Aornos,  dans  un  antre  consacré  aux  évocations; 
il  croit  que  l'ombre  d'Eurydice  le  suit;  il  se  retourne,  et, 
voyant  qu'il  s'est  trompé,  il  se  tus  de  désespoir. 

Ne  doit-on  pas  rapporter  également  aux  prestiges  de  la  diop- 
trique,  une  faculté  extraordinaire,  dont  parlent  les  écrivains 
d'âges  et  de  pays  assez  différens,  pour  que  l'on  puisse  croire 
qu'ils  ne  se  sont  pas  copiés  les  uns  les  autres.  Des  magiciens 
avaient  trouvé  le  secret  de  fasciner  la  vue  des  hommes,  au 
point  de  rendre  des  personnes  invisibles,  ou,  du  moins,  de  les 
faire  paraître  sous  la  forme  d'êtres  d'une  espèce  différente. 
Sans  faire  mention  de  Protée,  Cratisthènes,  au  rapport  d'Eusta- 
thius,  s'entourait  de  flaumies  qui  semblaient  sortir  de  son  corps, 
et  passait  seulement  pour  un  faiseur  de  piesfiges.  Ce  fait  extraor- 
dinaire, dont  les  livres  anciens  racontent  tant  d'exemples,  fut 
retrouvé  au  Mexique  et  au  Pérou.  Les  naguals,  prêtres  natio- 
naux, prenaient  tout  à  coup  un  aspect  effroyable,  et  se  trans- 
fonîifiicnt,  aux  yeux  des  hommes,  en  aigles,  en  tigres,  en  ser- 
pens  monstrueux;  ces  miracles  ne  s'opéraient  que  dans  un 
endroit  choisi  et  désigné  d'avance  ;  ils  indiquent  l'existence 
des  machines,  mais  n'en  font  pas  deviner  les  ressorts. 

Nous  ne  nous  étendrons  pas  sur  la  fontaine  merveilleuse 
d'Andros,  sur  les  statues  qui  versaient  des  larmes,  les  lampes 
perpétuelles,  etc.  L'hydrostatique  explique  aisément  ces  phé- 
nomènes. Les  anciens  connaissaient  aussi  les  liqueurs  alcoo- 
liques, la  distillation,  les  liquides  ch.angeant  de  couleur,  et 
grand  nombre  de  résultats  chimiques;  mais  ils  possédaient 
rn  même  tems  la  recelte  de  secrets  que  nous  avons  été  bien 
long-tems  à  décduviir.   Les  moyens  de  se  préserver  de  l'at- 


ET  POLITIQUES.  6ô: 

teinte  du  feu,  si  souvent  employés  dans  les  cérémonies  du 
culte,  et  dans  les  épreuves  judiciaires,  étaicRt  mis  en  usage 
en  Asie,  en  Italie,  dans  le  Bas-Empire,  et  jusqu'aux  derniers 
siècles  en  Europe.  L'art  de  tisser  l'amianthe  était  une  invention 
très-ancienne  ;  elle  vient  d'être  tout  récemment  renouvelée  par 
le  chevalier  Aldini ,  et  sera  d'un  immense  avantage  dans 
les  incendies.  Les  thaumaturges  avaient  enfin,  pour  rendre  le 
bois  incombustible,  un  procédé  que  nous  n'avons  point  re- 
trouvé. '■    ' 

II.  La  connaissance  parfaite  des  plantes,  de  leurs  proprié- 
tés  fournissaient  aux   initiés    des   armes    redoutables;   sans 
doute,  le  pouvoir  de  l'harmonie  et  des  bons  traitemens  de- 
vait agir  sur  les  sens  des  animaux;  mais  combien  de  fois  ce- 
lui des  odeurs  n'a-t-il  pas  servi  à  les  dompter.  Et ,  pour  citer 
un  seul  exemple,  la  faculté  qu'avaient  les  i'hsylles  de  braver 
la  morsure  des  serpens,  mis  hors  de  doute  par  des  expérien- 
ces faites  de  nos  jours  en  Egypte,  tenait  à  des  .émanations 
odorantes,  qui  affectaient  les  sens  des  reptiles,  et  échappaient 
à  ceux  de  l'homme.  31.  Salverte  examine  les  vertus  de  ceitai- 
nes  lierbe.'^,  de  drogues  et  de  breuvages  préparés  par  les  prê- 
tres; les  unes,  causant   un  assoupissement  profond,  les  au- 
tres, plongeant  dans  une  imbécillité  passagère.  Les  Scythes 
s'enivraient  en  respirant  la  graine  d'une  espèce  de  chanvre  je- 
tée sur  des  pierres  rougies  au  feu.  On  sait  que  les  baies  de  bel- 
ladone, prises  comme  aliment,  produisent  une  folie  furieuse, 
suivie  d'un  sommeil  qui  dure  vingt-quatre  heures.  L'odeur 
seule  de  la  jusquiame,   surtout  quand   la  chaleur  excite  son 
.énergie,  dispose  à  la  colère,  aux  querelles.  On  peut  rappor- 
ter, entre  autres,  le  trait  de  deux  époux  qui,  parfaitement 
unis  partout  ailleurs,  ne  pouvaient,  sansen  venir  à  des  débats 
sanglans,  rester  quelques  heures  dans  la  chambre  où  ils  tra- 
vaillaient. On  ne  manqua  pas  de  croire  la  chambre  ensorcelée, 
jusqu'à  ce  que  l'on  découvrit,  d;ins  un  paquet   considérable 
de  graine  de  jusquiame,  placé  près  d'un  poêle,  la  cause  de 
ces  dispates  journalières,  que  la  disparition  de  la  subsla.ice 
\  énéneu,se  fit  cesser  .sans  retour. 

T.    XLVII.    SEPTEMBRE    I  Soo.  4' 


(K>8  SCIENCES  MORALES 

C'est  donc,  sans  aucun  doute,  dans  certaines  propriétés 
connues  de  substances  et  de  compositions  particulières,  que 
l'on  doit  rechercher  les  mobiles  de  ces  illusions  délicieuses  ou 
elfra^^antes,  de  ces  révélations  involontaires,  de  ce  courage  in- 
vincible, de  cette  force  morale  qui  résistait  à  tous  les  tour- 
mens,  dont  l'histoire  des  initiations  anciennes  oftVe  tant 
d'exemples. 

Ajoutez  à  cela  l'effet  des  onctions  magiques,  et  vous  aurez 
l'explication  de  l'histoire  entière  des  sorciers.  M.  Salverte 
montre  clairement  que  la  plupart  des  faits  qui  leur  étaient 
imputés  n'avaient  pu  exister  qu'eu  rêves;  que  pour  produire 
ces  rêves,  il  snflisait  des  drogues  dont  ils  se  frottaient,  et  de 
l'opinion  certaine  qu'ils  avaient  conçue  d'avance  qu'ils  al- 
laient être  transportés  au  sabbath.  En  1750,  à  Wurtzbourg, 
une  religieuse,  prévenue  du  crime  de  sorcellerie,  fut  traduite 
devant  un  tribunal  :  elle  déclara  opiniritrement  avoir,  par  ses 
maléfices,  tranché  la  vie  à  plusieurs  personnes.  Ces  personnes 
vivaient  ;  leur  présence  démentait  ses  aveux  insensés,  et  ce- 
pendant elle  périt  sur  le  bûcher,  et  cela  en  i^So. 

L'histoire  duFieua;  de  la  montagne  et  de  ses  jardins  enchan- 
tés confirme  ce  qui  précède.  Il  était  entouré  de  fanatiques, 
dont  le  dévoûment  sans  borne  ne  lui  coûtait,  dit-on  ,  que  le 
soin  de  les  endormir  par  jine  boisson  narcotique,  et  de  les 
faire  tran^^porter  dans  des  palais  délicieux  où,  à  leur  réveil, 
toutes  les  voluptés  réunies  leur  fiiisaienl  croire,  pendant  quel- 
ques heures,  qu'ils  goûtniont  les  plaisirs  du  ciel;  n'est -il  pas 
évident  qu'une  pareille  illusion  doit  s'expliquer  par  l'ivresse 
physique  combinée  à  l'ivresse  de  l'âme.  Chez  l'homme  cré- 
dub;  et  préparé  d'avance  par  les  peintures  et  les  promesses 
les  plus  flatteuses,  le  breuvage  enchanteur  produisait  sans 
|)eine,  au  sein  d'un  profond  sommeil,  et  ces  sensations  si  vi- 
ves et  si  douces,  et  la  continuité  magique  qui  en  doubinil  le 
prix.  Interrogez  uu  homme  qui  vient  d'assoupir  des  douleurs 
aiguës  avec  une  dose  d'opium;  le  tableau  des  illusions  en- 
<  hanteresses  qu'il  ne  cessera  d'éprouver,  dans  l'état  d'extase 
(tù  il   peut  rester  long-tems  plongé,  sera   exactement  celui 


ET  POLITIQUES.  659 

des  voluptés  surnaturelles  dont  le  chef  des  assassins  coudjlait 
ses  futurs  séides  ;  la  promes.e  de  les  soustraire  à  l'empire  de 
la  douleur  exaltait  encore  leur  fanatisme,  et ,  s'il  connaissait, 
comme  tout  le  fait  présumer,  quelque  moyen  d'engourdir  la 
sensibilité  physique,  l'accomplissement  de  cette  promesse  de- 
venait un  nouveau  miracle,  une  preuve  ajoutée  à  tant  d'au- 
tres du  pouvoir  certain  de  commander  à  la  nature. 

L'un  des  plus  puissans  auxiliaires  des  thaumaturges  était 
l'imagination  préparée  par  la  croyance  habituelle  à  des  récits 
merveilleux,  par  l'exaltation  des  facultés  luorales,  par  une  ter- 
reur irréfléchie  ,  par  les  pressentimens.  Nous  sommes  chaque 
jour  témoins  des  effets  singuliers  qu'elle  peut  produire;  que 
des guérisons miraculeuses  lui  sont  dues;  et  que  de  services  n'a- 
l-elle  pas  dû  rendre  à  la  médecine  qui,  née  dans  les  temples, 
faisait  partie  des  sciences  occultes,  et  ne  fut  long-tems  exer- 
cée que  par  des  prêtres!  La  crédulité  et  le  charlatanisme  for- 
tifiaient leur  influence;  on  sait  que  les  abstinences  extraordi- 
naires, dont  les  anciens  font  si  souvent  mention,  provenaient 
de  substances  nutritives  réunies  so\!s  un  volume  presque  im- 
perceptible, qui  permettaient  de  rester  long-tenis  sans  pren- 
dre en  appaience  d'alimens.  Matthiole  n'attribue-t-il  pas  aux 
Scythes  l'usage  d'une  herbe  agréable  au  goût  qui  suppléait  si 
efficacement  à  la  nourriture,  que  l'effet  s'en  prolongeait  quel- 
quefois douze  jours  entiers  :  souvent  aussi  les  thaumatm'ges 
guérissaient  des  maladies  qui  n'avaient  jaiTiais  existé,  et  l'his- 
toire des  résurrections  elle-même  semble  fournir  quelque  ap- 
pui à  cette  assertion.  La  fille  de  Jair  est  mourante  ;  son  père  a 
imploré  le  secours  d(;  Jésus  ;  on  vient  annoncer  qu'elle  a  cessé 
de  vivre.  Jésus  rassure  Jaïr;  il  dit  positivement  aux  person- 
nes qui  pleuraient  :  ne  pleurez  point,  la  jeune  fille  n'est  pas 
morte,  elle  n'est  (ju'endormie  :  et  en  eiîet,  un  instant  apiés,  il 
la  réveille.  On  a  vu  dans  ce  fait  une  résurrection;  mais  les  jia- 
roles  de  Jésus  indiquent  elles-mêmes  le  contraire.  La  fille  de 
Jaïr  était  tombée  en  léthargie,  et  Jésus  l'en  a  tirée. 

Les  anciens  initiés  pouvaient  inspirer  aussi  la  terreur  p.ir  la 


G.'jo  SCIENCES  MOr, ALES 

connaissance  approfondie  «juMIs  possédaient  des  substances 
vénéneuses.  Sans  doute,  ils  rendaient  d'iinnienscs  services  à 
l'humanité  par  leur  science,  mais,  lorsque  les  circonstances 
exigeaient  des  exemples  frappans,  ils  n'hésitaient  point  à  em- 
plo^'er  les  dangereux  moyens  de  destruction  qu'ils  avaient  en 
leur  pouvoir.  L'art  de  graduer  les  poisonsade  toustems  existé 
dans  l'Inde.  Hélait  connu  chez  les  Hébreux;  et  si  aujourd'hui 
un  prophète  se  présentait  devant  un  roi,  comme  Elle  devant 
Joram,  lui  annonçait,  en  puniliou  de  son  impiété,  sa  fin  pro- 
chaine et  les  symptômes  de  la  maladie  qui  doit  lui  ravir  le 
jour,  et  que  si  prédiction  se  réalisât,  qui  n'accuserait  le  pro- 
phète d'avoir  coopéré  à  l'exécution  de  sa  menace! 

III.  Ce  qui  nous  frappe  le  pluschez  les  sages  de  l'antiquité, 
c'est  le  talent  de  l'observation.  Aux  yeux  d'un  peuple  crédule 
et  ignorant,  qu'ils  devaient  paraître  puissans,  ceux  qui  pré- 
voyaient avec  exactitude  les  tremblemens  de  terre,  les  ébou- 
leinéns,  la  pluie,  les  orages,  les  changemens  de  vents,  qui 
possédaient  enfin  l'art  de  soutirer  la  foudre  des  nuages.  Et 
pourtant  un  examen  approfondi  des  phénomènes. météorolo- 
giques et  des  signes  ava:it-(-ourcurs  (|ui  précèdent  ordinaire- 
ment de  tels  accidens  suffisait  pour  assurer  ces  prédictions 
que  le  vulgaire  transformait  en  la  faculté  d'accorder  ou  de  re- 
fuser la  pluie  et  les  vents  favorables.  Les  thaumaturges  profi- 
taient de  ces  dispositions  au  merveilleux,  j>our  agir  plus  ou- 
vertement dans  leurs  épreuves  et  les  étendre  à  tous  les  faits 
naturels;  c'est  ainsi  qu'ils  s'entouraient  d'opérations  magiques 
pour  écarter  la  grêle,  lorsqu'ils  savaient  fort  bien  que  les 
nuages  n'en  portaient  point. 

Ils  connaissaient  sans  aucun  doute  les  innuenses  ressources 
que  pouvait  leur  offrir  l'électricité.  M.  Salverte  entre  à  ce  su- 
jet dans  une  dissertation  fort  curieuse  et  fort  savante  sur  les 
diverses  traditions  qui  tendent  à  le  prouver.  Après  avoir  mon- 
tré rSuma  Pumpilius  faisant  les  expériences  de  notre  Franklin, 
et  TuUus  Hoslilius,  frappé  de  la  foudre,  comme  ie  prolésseur 
lleichmann  en   i755,  pour  les  avoir  répétées  avec  Ijop   peu 


1':t  politiques.  641 

de  précaulioiis ,  il  prouve  que  l'exisleuce  de  cel  art  icmonte 
jusqu'à  l'rométliée,  qu'il  explique  le  mythe  de  Salnionée;  qu'il 
lut  conuu  dos  Hébreux,  puis  de  Z,oroastre,  qui  s'en  servit  pour 
allumer  le  feu  sacré,  et  opérer  dans  l'initiation  de  ses  secta- 
teurs des  épreuves  et  des  merveilles. 

Nous  ne  le  suivrons  pas  dans  cette  discussion  que  l'(Miscml)le 
imposant  des  laits  (pj'il  a  recueillis  rend  très-inléressaule. 

La  science  des  thaumaturgies  s'étendait  à  bien  d'autres  ob- 
jets. Ils  avaient  appris  que  certaines  cultures  se  nuisaient  les 
unes  aux  autres;  que  certaines  compositions  étaient  propres  à 
nuire  aux  récolles  de  tout  genre,  à  dessécher  les  plantes,  à 
faire  avorter  les  fruits.  Dès  lors,  ils  étaient  en  droit  de  prédire 
la  stérilité  des  arbres  ou  des  céréales,  quand  Timprudence  du 
cultivateur  avait  donné-  des  voisins  malfaisans  aux  végétaux 
utiles,  ou  loisqn'ils  avaient  jeté  quelque  sortilège  sur  le  soi.  Ils 
possédaient  également  l'art  allVcux  de  rendre  l'air  pestilentiel, 
dont  les  guerres  de  la  révolution  nous  ont  amené  l'applica- 
tion. Les  Sonnes,  au  rapport  de  Strabon,  non  contens  de  bles- 
ser leurs  ennemis  avec  des  armes  empoisonnées,  suffoquaient 
les  guerriers  qu'ils  n'avaient  pu  atteindre,  en  leur  lançant  des 
traits  chargés  d'inie  poudre  piéparé(;;  et  ces  piojecliles  ré- 
pandaient au  loin  une  odeur  si  infecte,  qu'elle  frappait  de 
mort  quiconque  avait  le  malheur  de  la  respirer.  , 

M.  Salverte  termine  l'exposé  des  faits  qui  indiquent  des 
connaissances  très-avancées  chez  les  anciens,  en  faisant  ressor- 
tir les  merveilles  qu'Us  pouvaient  multiplier  par  l'emploi  du 
phosphore  et  du  pyrophore,  du  naphte  et  des  liqueurs  alcoo- 
liques; il  donne  l'explication  du  feu  descendu  d'en  haut,  re- 
présente le  sang  de  Nessus  comme  m\  phosphore  de  soufre,  et 
le  poison  que  Medée  emplo^^a  comme  un  véritable  feu  Gré- 
geois; ce  feu  ,  retrouvé  à  plusieurs  reprises,  a  été  mis  en  œu- 
vres* très-anciennement  :  on  faisait  usage  d'un  feu  incxliuguible 
en  Perse  et  dans  l'Hindouslan  ;  l'auteur  s'attache  ensuite  à 
prouver  que  l'invention  de  la  poudre  remoiUe  à  une  ép')(|ue 
très-reculée;  qu'elle  a  été  de  tous  tems  connue  à  la  Chine;  il 


642  SCIENCES  MORALES 

appuie  celle  assertion  d'une  foule  de  preuves  incontestables; 
et  découvrant  dans  les  temples  la  connaissance  du  fusil  à  vent, 
des  forces  de  la  vapeur  et  des  propriétés  de  l'aimant,  il  exa- 
mine si  la  flèche  <£ Abaris  n'était  point  la  ])oussole  dont  l'his- 
toire de  quelques  peuples  démontre  l'antique  existence. 

Cet  aperçu  rapide  fait  voir  que  les  thaumaturges  avaient 
des  moyens  innombrables  d'imposer  à  la  classe  ignorante,  et 
si  l'on  descend  jusqu'aux  procédés  d«  nos  jongleurs,  jusqu'aux 
amusemens  de  la  physique  expérimentale,  qui  n'étaient  certes 
pas  inconnus  à  des  hommes  intéressés  à  s'environner  de  tout 
ce  qui  pouvait  grandir  leur  pouvoir,  on  doit  certainement 
conclure  que  de  semblables  causes  ont  du  donner  lieu  à  bien 
des  miracles,  et  qu'il  serait  absurde  de  prendie  le  parti  de  tout 
nier,  parce  que  le  fait  en  lui-même  serait  voilé  sous  des  allé- 
gories ou  des  expressions  figurées.  La  méthode  de  M.  Salverte 
est  d'un  esprit  élevé;  elle  ouvre  un  vaste  champ  aux  recher- 
ches scientifiques,  car  les  secrets  de  la  thaumaturgie  devaient 
être  très-multipliés,  et  sans  doute  il  ne  les  a  point  tous  expli- 
qués ;  il  en  est  dont  la  mémoire,  ensevelie  sous  une  enveloppe 
fabuleuse,  dans  quelques  documens  anciens,  sortira  un  jour  de 
cette  espèce  de  tombeau,  réveillée  par  des  découvertes  heu- 
reuses qui,  sans  honorer  moins  leurs  auteurs  et  l'esprit  humain, 
ne  seront  pourtant  que  des  r^é inventions. 

Le  premier  philosophe  connu  qui  ait  étudié  la  science, 
comme  elle  doit  l'être,  eu  observant,  Démocrile,  disait  que  la 
magie  se  renfermait  tout  entière  dans  l'application  et  l'imita- 
tion des  lois  et  des  créations  de  la  nature.  M.  Salverte  est  parti 
du  même  principe,  et  il  a  traité  son  sujet  en  homme  qiii  a  su 
comprendre  parfaitement  l'antiquité. 

Son  livre  a  trouvé  des  adversaires  dans  quelques  jeunes 
écrivains,  plus  spirituels  qu'instruits;  les  uns,  se  faisant  les 
champions  de  l'erreur,  érigeant  <  n  principe  que  c'est  chose 
nécessaire,  ont  trouvé  mauvais  qu'on  ait  osé  attaquer  le  cha- 
pitre des  superstitions  et  déclaré  hautement  que  c'était  dé- 
truiic  I;i  [)i)ésic  de  Tliistoire;   d'autres,  sont  reverius  à  cette 


v:ï  politiques.  G45 

vieille  idée  du  xviu''  siècle  ,  que  la  plupart  dos  prodiges  cl  des 
miracles  n'ont  exist»J  que  dans  l'iinagitiation,  et  que  1(îs  sciences 
n'auraient  pu  être  consvîrvées  mystérieusement  dans  les  tem- 
ples anciens,  si  elles  avaient  été  portées  réellenienl  à  un  haut 
degré  de  perfectionnement. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  de  telles  opinions  qu'une 
saine  philosophie  et  l'histoire  entière  de  l'antiquité  démentent 
assez  coniplèlement;  nous  ne  nous  occuperons  pas  non  plus 
de  répondre  au  reproche  qui  a  été  l'ait  à  l'auteur  d'avoir  accordé 
trop  de  confiance  au  consensus  omnium.  Il  faut  avoir  un  hien 
grand  désir  de  trouver  quelque  chose  à  critiquer  pour  en  venir 
là,  et,  quant  à  nous  qui  croyons  que  tout  livre  consciencieux 
et  bon  dans  ses  conséquences  est  un  liAre  à  louer,  surtout 
lorsqu'il  est  entouré,  comme  celui  de  iM.  Salverte,  du  prestige 
d'un  style  élégant  et  de  hautes  considérations  philosophiques, 
nous  pensons  donner  une  nouvelle  preuve  de  notre  bonne  foi 
littéraire  en  admirant  un  travail  qui  a  coûté  vingt  ans  de 
veilles,  et  qui  jette  un  jour  nouveau  sur  l'histoire  de  l'hu- 
manité. 

Les  notes  qui  le  terminent  contiennent  un  article  fort  intéres- 
sant sur  la  statue  de  Memnon,  et  une  dissertation  sur  les  dra- 
gons et  serpens  monstrueux  qui  figurent  dans  un  grand  nom- 
bre de  récits  fabuleux  ou  historiques,  dissertation  insérée  dans 
la  Revue  Encyclopédique.  (Voy.  t.  xxx,  p.  3oi  et  623.) 

L.  Am.  s — T. 


e*  t-ts-9o^^-&&«^'&*^e^ 


644  SCIENCES  MORALES 

A  HisTORT  uf  England  fro.m  the  iirst  ixvasio>  by  the  ilo- 
MAKS,  etc.  —  Histoire  d'Angleterre,  depuis  la  première  in- 
vasion par  les  Royiiains ;  par  John  Lingard(i). 

Histoire  d'Anxleterre  ,  etc.,  traduite  en  français  par  M.  de 
RoiMorx  (2). 

On-s'éloune  quelquefois  de  ce  que  l'histoire  moderne  ait 
en  général,  jusqu'à  ces  derniers  tems,  aussi  peu  fixé  l'attention 
et  excité  l'intérêt  des  peuples  mêmes  dont  elle  retrace  l'exis- 
tence. Quelques  écrivains  ont  cru  en  trouver  la  cause  dans  un 
enthousiasme  immodéré  .  pour  ces  anciens,  dont  les  lumières 
recueillies,  comme  en  un  foyer,  dans  les  cloîtres  du  moyen 
Age,  nous  ont  fait  ce  que  nous  sommes.  Cette  explication  a 
été  assez  généralement  admise,  et  bien  des  gens  pensent  que, 
pour  rendre  parmi  nous  les  études  historiques  à  leurvéritahle 
objet,  il  est  d'abord  indispensable  ùt  se  délivrer  définitivement 
des  Grecs  et  des  Romains.  Mais,  c'est  là  évidemment  une  vue 
superficielle;  il  ne  se  peut  qu'une  telle  préférence  n'ait  pas 
une  plus  haute  origine  ;  les  nations  ne  vivent  pas  ainsi  sur  un 
sentiment  de  gratitude  exaltée;  la  niison  publique  veut  de 
plus  i)uissans  motifs,  et  l'on  ne  s'explique  point  de  la  sorte 
pourquoi  ceux  qui  se  sont  passionnés  pour  les  anciens  se  sont 
si  peu  passionnes  pour  les  modernes.  Peut-être  que,  si  l'on  se 
fût  donné  la  peine  de  regarder  de  plus  près  ce  qu'est  l'his- 
toire, de  la  mettre  véritablement  à  sa  place,  comme  travail 
de  l'esprit  humain,  on  eût  trouvé  quelque  chose  de  mieux  à 
dire  à  ce  sujet. 

.Assurément,  si  Diisloire  n'était  autre  chose  qu'un  amas  in- 
cohérent et  bizarre  des  faits  divers  successivement  amenés 
par  le  cours  des  siècles,  nous  ne  a' oyons  pas  pourquoi  celle  de 

(1)  Paris,  1826;  I,.  lîaudiy,  rue  (lu  Coq  Saiiil-IIonoié,  11°  y.  16  vol. 
in-8»  ;  prix,   112  fr. 

(2)  Paris,  1826  ;  Carié  de  la  Charic,  nie  de  rjîcoIe-de-Médecinc,  n"  4. 
10  vol.  ont  paru  ;  piix  du  vol.,  6  fr.  5o  c. 


ET  POLITIQUES.  045 

rKiirope  moderne  n'exciterait  pas  un  liant  intérêt.  Oi'i  tron- 
ver  une  plus  ample  et  plus  riche  collection  de  batail- 
les et  de  révolutions,  d'é\ènemens  de  toute  sorte,  immen- 
ses par  leurs  résultats  pour  les  peuples  qui  les  ont  accomplis? 
Mais  l'histoire  est  mieux  que  cela;  sans  quoi  il  la  faudrait 
presque  mettre  an  rang  des  contes  qui  servent  à  tromper  la 
longueur  des  veillées.  3Iensonge  ou  vérité,  la  différence  ne 
serait  pas  grande,  et  l'on  concevrait  que  les  esprits  supé- 
rieurs ne  vissent  là  qu'un  vain  amusement  à  renvoyer  à  "\Val- 
ter  Scott. 

Si,  comme  l'observation  attentive  le  révèle,  et  comme  di- 
vers travaux  cnntemporains  l'ont  démontré,  la  société,  dans 
son  ensemble,  est  invariablement  soumise  à  la  loi  du  progrès; 
si  elle  a  le  sentiment  profond  que  telle  est  sa  marche  néces- 
saire, il  est  clair  qu'elle  ne  sera  vivement  intéressée  par  une 
série  de  faits  qu'autant  que  la  pensée  du  progrès  s'y  trouvera, 
qu'autant  qu'ils  n'appartiendront  pas  à  luie  de  ces  époques,  où 
l'humanité  paraît  accidentellement  stationnaire,  ou  rétro- 
grade. Dans  ces  époques,  en  effet,  il  ne  peut  y  avoir  pour  elle 
que  du  bruit  et  du  mouvement,  que  des  tableaux  de  calamités 
avec  lesquelles  elle  sympathise,  mais  dont  elle  éloigne  bien 
vite  ses  regards,  pour  les  reporter  sur  ces  tems  glorieux,  où  le 
progrès  se  manifeste  par  ses  deux  caractères  essentiels,  le  dé- 
veloppement des  lumières  et  de  la  liberté. 

Il  faudra  donc,  pour  que  l'histoire  nous  attache  fortement, 
qu'une  pensée  d'affranchissement  ou  de  civilisation  la  domine  ; 
il  faudra  que  nous  puissions  suivre  cette  pensée  au  travers 
des  phases  divei'sesde  la  nation  dont  il  s'agit  ;  que  tout  vienne 
là,  hommes  et  choses,  que  chaque  fait  y  apporte  son  tribut, 
et  que  le  terme  où  l'on  s'arrête  se  trouve  aussi  être  le'  pas  le 
plus  en  avant  dans  la  carrière.  Alors,  et  seulement  alors,  il  y 
a  vie  et  puissant  intérêt;  c'est  de  l'histoire. 

Voyez,  en  effet,  parmi  les  révolutions  qui  marquent  les 
annales  des  peuples,  si  ce  ne  sont  pas  toujours  celles  auxquel- 
les ils  doivent  la  liberté  qui-fixent  pi"esque  exclusivement  no- 
tre attention!  Autant  en  dirai-je  de  ces  vastes  conquêtes  qui 


G46  SCIENCES  MORALES 

changent  tout  à  coup  la  lace  d'une  portion  du  globe.  Nous  n'ad- 
iniions,  nous  ne  voulons  connaître  que  celles  qui  sont  faites 
au  profit  de  la  grande  cause  sociale,  par  un  peuple  civilisé  sur 
un  peuple  barbare.  Et  ainsi  s'explique  le  degré  si  différent 
d'intérêt  qu'excitent  en  nous,  par  exemple,  les  expéditions 
d'Alexandre  et  celles  de  Timur-Bek,  ou  de  plusieurs  autres  dé- 
vastateurs de  l'Asie. 

Ces  idées  sont  tout-à-fait  applicables  aux  hommes  mêmes 
(|ui  figurent  dans  l'histoire.  De  grandes  qualités,  de  beaux 
exploits  peuvent  être  signalés  dans  tous  les  tems.  Chaque  âge 
eut  ses  héros;  mais  dans  quel  but  ont  été  dirigés  leurs  efforts; 
à  quelle  cause  leur  bras  s'est -il  dévoué?  C'est  là  toute  la 
question.  On  pourrait  citer  quelques  personnages  du  Bas-Em- 
pire, dont  les  noms  sont  à  peine  connus  du  lecteur,  et  dont 
la  carrière  fut  peut-être  non  moins  glorieuse  que  celle  de 
Scipion;  et  Bélisaire  serait  peut-être  dans  cette  classe,  si  un 
conte  populaire  n'en  avait  fait  un  frappant  exemple  de  l'in- 
gratitude des  rois.  Mais  ces  personnages  illustres  ont  dépen- 
sé leur  vie  au  profit  du  lâche  et  honteux  despotisme  des  em- 
pereurs d'Orient ,  et  nous  nous  soucions  peu  dès  lors  de  leur 
gloire.  Je  reste  indifférent  à  vingt  traits  de  dévoûment  subli- 
me, dictés  par  un  amour  aveugle  pour  une  dynastie  déchue, 
et  la  mort  de  Léonidas  ne  se  présente  jamais  à  ma  pensée, 
sans  exciter  en  moi  une  vive  et  profonde  émotion  ! 

Maintenant,  on  voit  de  suite  pourquoi  certaines  parties  de 
l'histoire  ont  été  si  universellement  adoptées,  pourquoi  d'au- 
tres sont  restées  dans  l'oubli ,  et  n'ont  pas  même  trouvé  de 
narrateurs  dignes  d'estime.  Car,  c'est  une  chose  remarquable, 
et  que  tout  ce  qui  précède  fait  suffisamment  comprendre,  que; 
partout  où  l'histoire  a  réellement  valu  la  peine  d'être  traitée, 
où  elle  a  été  véritablement  nationale  dans  une  acception  nou- 
velle du  mot,  elle  a  rencontré  d'habiles  interprètes.  Le  gé- 
nie s'y  est  'de  lui-même  porté.  Voilà  comment  l'histoire  de 
ces  peuples  libres  de  l'antiquité,  qui  dominèrent  et  éclairèrent 
le  monde,  a  passé  dans  de  si  admirables  productions,  et  com- 
ment aussi,  après  tant  de  siècles  accomplis  sur  la  poussière 


ET  POLITIQUES.  647 

de  leurs  cités,  celte  histoire  excite  encore  un  plus  viC  intérêt 
qu'une  grande  partie  de  l'histoire  moderne. 

Il  faut  bien  voir,  en  effet,  que  les  annales  de  notre  Europe 
commencent  partout  par  une  déplorable  invasion  de  la  bar- 
barie sur  la  civilisation,  par  la  plus  effroyable  scène  de  mort 
et  de  dévastation  dont  le  monde  ait  jamais  été  le  théâtre.  Sans 
doule  ,  il  y  a  là  matière  à  de  rapides  et  profondes  considéra- 
tions à  la  manière  de  Montesquieu.  Mais  les  détails  présentent 
nu  chaos  non  moins  fastidieux  qu'affligeant,  et  sur  lequel  le 
zèle  d'une  science  vaine  peut  seul  aimer  à  s'appesantir.  Vient 
ensuite  la  féodalité  qui  s'étend  imiformément  sur  toute  l'Eu- 
rope, la  féodalité  réhabilitée  dans  ces  derniers  lenis  par  une 
école  philosophique  ,  et  qui  fut  certainement  un  progrès  de 
l'état  social,  comparativement  aux  tems  anciens,  mais  qui 
amena  un  nombre  infini  de  luttes  longues  et  sanglantes,  où  la 
liberté  succomba  presque  toujours,  et  où  ne  se  trouve  plus 
dès  lors  cette  sorte  d'intérêt  que  j'ai  signalé.  Les  tableaux 
prennent  plus  de  grandeur,  quand  la  réforme  vient  donner 
le  signal  de  l'affranchisssement  de  l'esprit  humain  et  frayer 
les  voies  à  la  liberté  civile;  ils  en  deviennent  atissi  plus  atta- 
clians. Pour  plusieurs  peuples,  l'histoire  ne  date  véritablement 
que  de  là. 

Les  considérations  et  les  rapprochemens  viennent  en  foule 
à  l'appui  de  ce  système,  et  prouvent  que,  dans  le  fait,  le  but  et 
les  résultats  des  évènemens  en  font  tout  le  prix  devant  la  pos- 
térité. L'Espagne,  théâtre  d'une  guerre  si  longue  et  si  achar- 
née, et  dont  le  peuple  hcroùpie  reconquit,  pied  à  pied,  son 
sol  sur  les  Maures,  devrait,  ce  semble,  pouvoir  offrir  une 
histoire  pleine  d'un  puissant  intérêt  :  pourquoi  donc  est-elle 
si  négligée,  et  n'a-t-elle  trouvé  qu'un  jésuite  pour  histo- 
rien (i)  ?  C'est  qu'en  définitive,  elle  présente  le  tableau  de 
toutes  les  franchises  nationales  vaincues  par  le  monachisme, 
et  d'une  grande  victoire  sur  Mahomet,  dont  tous  les  fruits  ont 
été  pour  l'inquisition.  Que  voulez-v(»us  faire  d'une  histoire 

(1)  Mabiana 


648  SCIENCES  MORALES 

rouronnéc  par  une  telle  fin?  Au  contraire,  qu'un  petit  peuple 
fasse  retentir  t-es  monts  du  ci  i  de  liberté  ;  qu'il  déploie  de  mâ- 
les vertus  pour  renverser  la  tyrannie;  qu'il  s'a ÛVanchisse enfin 
par  d'héroïques  efforts;  aussitôt  tous  les  autres  ressentent  un 
vive  sympathie  pour  cette  partie  de  son  histoire  ;  on  ne  la  lit 
pas  sans  émotion,  et  il  trouvera, un  Jean  de  Miller  pour  la 
retracer! 

Nous  n'avons  pas  encore,  dit-on,  d'histoire  nationale  ;  miù-i 
est-ce  aux  écrivains  ou  à  cette  histoire  elle-même  qu'il  faut 
s'en  prendre  ?  L'espace  me  manque  pour  traiter  ce  point.  Dans 
la  crainte  d'abuser  du  droit  de  préambule,  je  l'abandonne  aux 
réflexions  du  lecteur,  et  j'arrive  à  l'histoire  d'Angleterre. 

Ici,  du  moins,  il  ne  peut  y  avoir  de  doute  sur  l'îmmense 
intérêt  qui  doit  s'attacher  à  un  exposé  fait  avec  talent.  Il  s'agit 
d'une  nation  chez  laquelle  une  pensée  de  liberté  domine  tous 
les  faits,  s'associe  à  tous  les  changemens  politiques.  Cette  na- 
tioji  a  posé  la  base  de  ses  franchises,  à  une  époque  déjà  re- 
culée ;  elle  y  a  ajouté,  à  chaque  siècle,  à  chaque  règne  :  toutes 
les  classes  ont  concouru  à  l'œuvre;  le  clergé  souvent,  la  no- 
blesse toujours;  le  peuple  est  constamment  resté  sur  la  brè- 
che. Parmi  ses  longs  troubles  civils-,  on  voit  nailre  et  se 
développer  la  monarchie  représentative,  c,ette  belle  inven- 
tion moderne,  la  plus  heureuse  alliance  du  pouvoir  et  de  la 
liberté  qui  ait  été  jusqu'à  présent  conçue  :  on  puise  des  leçons 
d'expérience  politique  à  chaque  page,  et,  pour  compléter 
l'imposante  majesté  du  tableau,  on  suit  un  agrandissement 
progressif  qui  a  livré  à  ce  peuple  la  domination  des  mers  du 
globe  et  lu  Ibitune  de  l'univers;  certes,  il  faut  convenir  que 
rarernent  le  génie  de  l'histoire  eut  une  |dus  belle  et  plus  large 
carrière  à  parcourir. 

Aussi,  les  historiens  n'ont  pas  man(|ué  à  ce  pays  ;  quelques- 
uns  sont  comptés  parmi  ses  écrivains  les  plus  distingués  et  ont 
même  (pielquefois  mérité  d'être  placés  à  peu  de  distance  des 
beaux  génies  de  rautir(uité.  Dans  le  nombre  ,  il  en  est  un  qui 
a  réellement  pris  rang  à  côté  d'eux  par  les  mérites  divers  de 
-on  vaste  et  beau  travail  ;  on  voit  que  je  veux  parler  de  David 
!i  IM E . 


ET  POLITIQUES.  G49 

L'ouvrage  de  ce  célèbre  écrivain  est  très-connu  en  France; 
c'est  celui  que  lisent  et  méditent  les  personnes  qui  veulent , 
parmi  nous,  faire  une  étude  approfondie  de  l'histoire  Britani- 
(|ue.  On  apprécie  généralement  les  qualités  précieuses  qui  dis- 
tinguent ce  travail,  la  pureté  du  style,  la  vivacité  de  la  nar- 
ration, la  hauteur  des  vues,  une  parfaite  connaissance  du  cœur 
humain  el  du  mécanisme  des  sociétés,  surtout  une  entière  im- 
partialité entre  les  diverses  sectes  qui  jouent  un  rôle  si  impor- 
tant dans  ces  annales.  Ce  caractère  particulier  de  l'histoire  de 
H  urne  est  d'autan tplus  à  remarquer  qu'il  est  peut-être  le  seul  des 
philosophes  du  xyiii^  siècle  en  qui  l'on  puisse  pleinement  le 
reconnaître.  Il  est  vrai  qu'ayant  devancé  toute  son  école,  et 
poussé  la  doctrine  sceptique  jusque  dans  ses  dernières  consé- 
quences, il  lui  en  a  peut-être  moins  coûté  qu'à  un  autre  pour 
rester  tonl-à-fait  indifférent  entre  des  opinions  si  vaines  à  ses 
yeux.  Catholiques,  épiscopaux,  presbytériens,  n'ont  plus  été 
pour  lui  que  deshommesà  blâmerou  àplaindre  successivement, 
suivant  qu'ils  étaient  tour  à  tour  oppresseurs  ou  opprimés. 

Il  semble  qu'il  y  avait  quelque  présomption  à  tenter  après 
Hume  une  nouvelle  histoire  générale  d'Angleterre  dans  les 
mêmes  dimensions  ;  l'ouvrage  du  D"^  Lingard  a  prouvé  qu'une 
telle  supposition  eût  été  mal  fondée,  et  que,  malgré  la  supé- 
riorité avec  laquelle  ce  vaste  tableau  avait  été  exécuté,  nom- 
bre de  parties  pouvaient  ne  rien  perdre,  gagner  même  à  être 
vues  par  un  autre  œil  et  retracées  par  une  autre  main. 

Le  D"^  Lingard  était  déjri  connu  en  Angleterre  par  quelques 
travaux  d'érudition.  Dans  une  préface  écrite  d'un  ton  de  sin- 
cérité quelque  peu  fière,  il  fait  lui-même  connaître  comment 
lui  est  venue  la  pensée  d'écrire  l'histoire  de  sa  patrie.  Halu- 
tuellement  livré,  pour  ses  travaux  de  prédilection,  à  la  lec- 
ture dcs.monumens  de  cette  histoire,  il  songea  à  annoter,  che- 
min faisant,  les  passages  qui  rectifiaient  des  erreurs  commises 
par  les  historiens  précédens.  Peu  à  peu  ,  ses  notes  se  grossis- 
sant chaque  jour,  il  lui  sembla  qu'il  avait  les  élémens  d'un  tra- 
vail original.  Dès  lors,  il  se  mit  à  l'œuvre  ,  et  pour  lui  Conser- 
ver ce  caractère  spécial  d'originalité  ,  il  renonça  sur-le-champ 


G5o  SCIENCES  MORALES 

à  la  lecture  des  ouvrages  de  ses  prédécesseurs  et  se  borna  uni- 
quement à  la  lecture  des  autorités,  se  réservant  de  revenir  aux 
premiers,  quand  il  aurait  achevé  d'écrire;  méthode  excel- 
lente qu'on  ne  saurait  trop  recommander,  mais  qui  ne  trou- 
vera malheureusement  que  peu  de  partisans,  parce  qu'on 
a  plutôt  lait  de  copier  des  erreurs  que  de  chercher  à  les  rec- 
tifier. Ainsi  a  été  composée  la  nouvelle  histoire  d'Angle- 
terre. 

Il  suit  de  là  qu'elle  se  distingue  par  une  mérite  inconlesta- 
ble,  et  qu'on  ne  saurait  méconnaître  après  la  lecture  de  quel- 
ques pages  :  c'est  un  caractère  d'authenticité  et  de  vérité  qui 
la  place  au  premier  rang  sous  ce  rapport  entre  les  composi- 
tions historiques  :  elle  est  bien  réellement  un  ouvrage  de  cou- 
science.  L'auteur  déploie  dans  l'examen  et  la  comparaison  des 
témoignages  un  soin  infini  et  une  grande  sagacité.  Quelques- 
unes  des  sources  où  il  a  puisé  lui  appartiennent  en  propre,  et  il 
les  a  très-habilement  mises  à  profit  pour  jetter  un  jour  tout 
nouveau  sur  certaines  partie  de  l'histoire.  Il  est  supérieur  en 
ce  point  à  Hume  dont  les  recherches  sont  néanmoins  en  gé- 
néral exactes  et  approfondies. 

M.  Liiigard  appartient  à  une  classe  d'hommes  à  qui,  soit 
injuste  prévention,  soit  croyance  l'ondée  en  raison,  on  n'ac- 
corde guère  en  Angleterre,  et  l'on  peut  bien  ajouter  aussi  en 
France,  la  faculté  de  juger  avec  calme  et  impartialité  les  évè- 
nemens  historiques  :  31.  Lingard  est  ministre  de  l'Église  ro~ 
maine.  Soyons  justes;  cette  persua:5ion,  acquise  d'avance, 
qu'un  prêtre  catholique  ne  saurait  être  impartial,  l'ait  qu'on 
est  quelquefois  très- exigeant  à  son  égard;  on  l'attend  ;\  cer- 
tains passages;  on  l'arrête  au  moindre  mot,  et  souvent  on  lui 
suppose  assez  gratuitement  des  intentions  ou  des  préventions. 
Si  le  nouvel  historien  anglais  ne  sort  pas  entièrement  intact 
de  cette  épreuve,  il  faut  pourtant  convenir  qu'il  n'y  a  quo  de 
faibles  reproches  à  lui  faire  à  cet  égard.  En  général,  il 
lient  exaitement  la  balance  entre  les  factions  religieuses,  et 
attribue  avec  justice  à  chacune  ses  torts  et  ses  excès.  La  Rc- 
riir  d'Edimbourg  l'a  accusé  d'être,  comme  de  raison,  dévoué 


ET  POLITIQUES.  65 1 

aux  (loctrinos  de  Rome  :  ce  dévoûmcnt  me  paraît  renfermé 
dans  de  sages  limites  ;  enfin,  le  caractère  sacerdotal  dont  l'au- 
teur est  revêtu  n'a  évidemment  exercé  qu'une  faible  influence 
sur  ses  jugemens;  j'en  excepterai  toutefois  celui  qu'il  porte 
sur  la  reine  Marie  :  je  ne  puis  admettre  qu'on  accorde  toutes 
les  vertus  à  une  femme  atrocement  fanatique,  qui  dictait 
chaque  jour  des  arrêts  de  mort  de  son  oratoire.  Il  ne  faut  pas, 
comme  fait  l'auteur,  prétendre  l'excuser,  en  alléguant  qu'elle 
vécut  crans  un  siècle  où  l'on  se  faisait  un  principe  de  gouver- 
nement de  ramener  ù  l'unité.  L'assertion  est  vraie;  mais  tous 
les  princes  du  siècle,  quoique  imbus  des  mêmes  idées  ,  n'agi- 
rent pas  avec  la  même  cruauté.  Qu'elle  soit  donc  flétiie  pour 
ses  sanglantes  persécutions,  de  même  que  ce  Philippe  II,  bien 
digne  de  lui  être  donné  pour  époux,  et  qui  n'imita  que  trop 
ses  fureurs, 

(]'est  au  contraire  sans  aucunes  restrictions  qu'on  recon- 
naîtra dans  le  D'  Lingard  un  zélé  partisan  des  libertés  pu- 
bliques et  des  di  oits  du  peuple.  Il  en  expose  constamment  le 
triomphe  de  manière  à  montrer  que  cette  cause  est  la  sienne. 
Il  la  défend  toutefois  sans  exagération,  etenavouantles  eireurs 
où  ime  ardeur  immodérée  a  pu  quelquefois  entraîner  la  na- 
tion. Son  ouvrage  est.  sous  ce  point  de  vue,  préférable  à  ce- 
lui de  Hume,  à  qui  l'on  a  reproché,  non  sans  raison,  no- 
tamment dans  le  récit  de  la  grande  lutte  parlementaire  du 
xvn'  siècle,  quelque  partiailé  pour  la  couronne.  Hum;,-,  en 
effet,  Écossais,  et  élevé  parmi  des  jacobites  ,  ne  put  jamais  se 
défendre  d'un  peu  de  prédilection  pour  un  parti  vaincu  et  si 
souvent  persécuté.  Il  se  montre  en  général  trop  favorable 
aux  Stuarts  ;  d'ailleurs,  vivant  dans  la  haute  société  d'une 
époque  où  le  jargon  sentimental  eu  faveur  des  intérêts  popu- 
laires servit  trop  souvent  à  déguiser  l'égoïsme  profond  des  es- 
prits, Hume  partageait  le  dég"ùt  générai  qu'inspirait  alors  la 
pensée  de  toute  victoire  des  dernières  classes.  C'est  une  sin- 
gularité assez  piquante  qu'un  prêtre  catholique  se  tiouve  ici 
infiniment  plus  libéral  qu'un  philosophe  du  xv!!!*"  siècle ,  ami 
du  baron  d'Holbach  et  de  M"""  du  Deffant. 


652  SCIENCES  310UALES 

Du  reste,  le  docteur  Lingard  fait  profession  de  n'être  point 
ce  qu'on  appelle  un  historien  philosophe;  mais  il  me  paraît 
s'ôlre  mépris  sur  ce  qu'on  entend  en  général  par  philosophie 
de  l^ histoire  ;  W  seml)le  croire  qu'elle  consiste  exclusivement 
dans  l'art  de  pénétrer  les  intentions  secrètes  des  personnages 
et  les  motifs  cachés  des  évènemens,  et  il  prétend  (|u'il  faut 
laisser  aux  romanciers  cette  vaine  recherche.  J'observerai  d'a- 
bord qu'on  pourrait  opposer  à  l'aiiteur  nombre  de  passages 
où  lui  aussi  s'attache  à  la  partie  intime  de  l'histoire,  et  s'ef- 
force de  dévoiler  la  raison  du  jeu  des  acteurs;  cela  doit  être, 
et  il  en  sera  de  même  dans  toute  composition  historique.  Cest 
aussi  un  des  mérites  de  Hume  qui  déploie,  sous  ce  rapport , 
une  rectitude  de  jugement  et  une  finesse  de  vues  qu'il  ne  fau- 
drait pas  dédaigner,  parce  qu'on  ne  saurait  y  atteindre;  je 
crois  que  c'est  un  peu  ici  le  cas  du  D'  Lingard.  Mais  la  philo- 
sophie de  l'histoire ,  au  moins  dans  le  sens  ordinaire  de  cette 
expression ,  s'occupe  bien  moins  des  individus  que  de  l'hu- 
manité en  général,  de  ses  intérêts,  de  ses  besoins,  de  ses  pro- 
grès. Elle  fournit  ces  grandes  vues  qui  guident  au  travers  du 
labyrinthe  des  laits,  les  soumettent  à  une  appréciation  com- 
mune ,  les  ramènent  à  un  ensemble  imposant  et  utile.  Sans 
elle,  l'histoire  ne  serait  que  chronique  indllférente  et  morte; 
il  faut  qu'il  y  ail  de  la  philosophie  dans  tout  travail  historique, 
digne  de  fixer  l'attention  des  hommes  éclairés;  et  il  y  en  a 
dans  l'ouvrage  du  D'  Lingaid  lui-même,  (|uoi  qu'il  en  dise. 

Quant  au  style,  on  a  généralement  rendu  justice  au  nouvel 
historien.  Sa  diction  est  constamment  claire  et  soutenue.  Il  se 
sert  quelquefois,  comme  l'école  poétique  actuelle  d'Angle- 
terre, de  termes  rajeunis;  mais  il  les  place  toujours  à  propos. 
Ses  tours  sont  élégans  sans  recherche;  la  narration  se  lit 
avec  plaisir.  Peiit-être,  néanmoins,  y  voudrait-on  rencontrer 
plus  souvent  de  ces  traits  vifs  el  heureux  qui  surprennent  et 
excitent  l'intérêt  dans  celle  de  son  devancier. 

Je  ne  puis  rendre  un  compte  détaillé  d'un  aussi  grand  ou- 
vrage :  ce  serait  presque  la  matière  d'un  volume.  Dans  l'im- 
possibilité de  suivre  pas  j  pas  l'auteur,  j'extrairai  simplement 


tT  POLITTQI  ES.  G55 

de  mes  notes  quelques-unes  de  celles  qui  concernent  le  règne 
de  Charles  I",  règne  si  fécond  en  évènemens  importans  et  dé- 
cisifs. De  nouveaux  rapprochemer.s  avec  l'histoire  de  Hume 
achèveront  de  mettre  le  lecteur  à  même  d'apprécier  les  mé- 
rites respectifs  des  deux  écrivains. 

Dès  le  début,  les  qualités  principales  qui  distinguent  le 
D'  Lingard  ressortent  d'une  manière  frappante.  Il  y  a  mani- 
festement plus  de  soin  et  de  clarté  dans  sa  narration;  celle  de 
Hume  est  plus  confuse  et  quelques  circonstances  intéressantes 
y  sont  omises;  mais  celui-ci  reprend  tous  ses  avantages,  en  re- 
traçant l'histoire  de  la  session  qui  amena  la  mémorable  péti- 
tion de  droit.  Ici  le  récit  est  plus  complet,  plus  plein  de  frag- 
mens  empruntés  aux  débats  parlementaires,  et  propres  à  en 
mieux  faire  comprendre  le  résultat.  Tous  deux,  au  reste,  jugent 
ce  résultat  à  peu  près  de  même  ;  c'est  pour  Hiune  une  véri- 
table révolution,  et  le  D'  Lingard  dit  que  le  parlement  a,  dans 
cette  circonstance,  bien  mérité  de  la  postérité,  en  plaçant  les 
libertés  de  la  nation  sur  des  bases  fermes  et  imtnuaùlcs)  (Vol.  ix, 
p.  555.) 

Hume  e^t,  comme  on  le  pense  l>ien,  beaucoup  plus  favo- 
rable au  comte  de  Strafford  que  le  nouvel  historien  :  il  cher- 
che à  pallier  ses  attentats  envers  la  nation;  il  le  présente 
presque  comme  un  grand  homme,  victime  d'ennemis  puissans 
qui  lui  supposent  des  torts  imaginaires.  Le  D"^  Lingard,  tout 
en  exprimant  une  juste  compassion  pour  la  fatale  destinée 
d'un  homme  doué  des  plus  hautes  qualités  et  de  grands  talens, 
voit  en  lui,  néanmoins,  le  plus  actif  et  le  plus  formidable  ennemi 
des  libertés  du  peuple.  (Vol.  x,  p.  i  lo.)  Il  est  également  équi- 
table, en  rapportant  la  condamnation  et  la  mort  de  l'arche- 
vêque Laud,  dont  il  ne  dissimule  pas  le  zèle  persécuteur  con- 
tre les  adversaires  de  l'Lglise  d'Angleterre.  Hume,  dans  sou 
indignation  contre  les  juges  du  malheureux  vieillard,  va  jus- 
qu'à justifier  ses  persécutions  passées  par  une  réflexion  assez 
peu  philosophique  :  il  eût  été  à  désirer,  suivant  lui,  qu'on  re- 
tînt les  presbytériens  dans  l'uniformité  par  epielqucs  rigueurs 
salutaires  et  légales.  Des  rigueurs  salutaires!   niii  se  serait  at- 

r.    XI.VII.    SEPTEMBRE    I  85o.  /)  •> 


054  SCIEiNCIiS   MOJIALES 

tendu  à  trouver  là  cette  expression  tant  lepruchée  de  nos  jour» 

à  un  écrivain  de  la  congrégation  ! 

Je  terminerai  cet  examen  par  la  citation  d'un  passage  dans 
lequel  l'auteur  apprécie  de  la  manière  la  plus  judicieuse  la 
position  et  la  conduite  des  Stuarts,  dont  l'histoire  a  d'autant 
plus  d'intérêt  pour  nous,  qu'elle  s'est  exactement  reprotUiite 
dans  ce  pays,  et  qu'une  révolution  glorieuse  vient  aussi  de  lui 
donner  im  dénoûmeiit  conforme.  Cette  citation  servira  eu 
même  lems  à  faire  mieux  connaître  la  manière  du  D"^  Liugard, 
autant  toutefois  qu'il  est  possible  à  une  traduction  de  remplir 
un  tel  oflike. 

«Les  Stuarts,  dit  riustorien  (vol.  x,  p.  iSa),  s'assirent  snr 
le  trône  des  Tudors,  avec  la  persuasion  qu'ils  possédaient  lé- 
gitimement tous  les  pouvoirs  arbitraires,  réclamés  et  exercés 
par  leui's  prédécesseurs.  Mais,  dans  le  cours  des  cinquante 
dernières  années,  les  esprits  avaient  été  changés  par  une  éton- 
nante révolution.  Il  était  devenu  de  mode  d'étudier  les  prin- 
cipes du  gouvernement,  et  d'opposer  les  droits  des  sujets  aux 
prétentions  du  souverain.  INous  avons  vu  qu'Éli.vabeth,  mal- 
gré la  crainte  respectueuse  qu'inspirait  la  fermeté  de  son  ca- 
ractère,  avait  été,  vers  la  fin  de  son  règne,  incapable  de  ré- 
primer l'expression  des  idées  libérales;  elles  firent  de  rapides 
progrès,  sous  la  domination  modérée  de  Jacques  I".  Les  eni^ 
barras  et  les  besoins  qui  naquirent  des  guerres  et  des  dettes 
de  Charles  I"  débarrassèrent  l'opinion  de  toute  contrainte. 
Le  bon  sens  eût  dû  apprendre  à  ce  monarque  qu'il  fallait  cé- 
der aux  seulimens  généreux  de  son  peuple;  mais,  dans  tous 
les  siècles,  les  princes  ont  été  lents  à  comprendre  cette  impor- 
tante leçon,  que  l'influence  de  l'autorité  doit  en  définitive 
fléchir  devant  l'inChienoe  de  l'opinion.  Charles  resta  opiniâtre- 
ment attaclié  à  la  prérogative  royale;  et,  s'il  en  abandonna  en- 
fin (luehjue  point,  ce  ne  fut  qu'après  avoir  si  longuement  lutté 
et  de  si  mauvaise  grâce,  qu'il  donna  toujours  lieu  à  ses  sujets 
de  concevoir  des  soupçons  sur  sa  sincérité  ;  soupçons  confir- 
més par  une  habitude  de  duplicilé  qui  avait  constamment 
marf|ué  sa  conduite  (k'puis  ses  premiers  pas  dans  la  vie  pu- 


ET  POLITIQUES.  G55 

t)liqiie.  Leur  dcfiance  devint  comme  l'antidote  de  leur  grati- 
tude ;  ils  ne  lui  tinrent  aucun  compte  des  plus  importantes 
concessions,  et  le  désir  d'assurer  ce  qu'ils  avaient  obtenu  les 
porta  à  faire  de  nouvelles  et  plus  importantes  demandes.  » 

A'^.  B.  M.  DE  liOTîJOXJx  a  publié  une  traduction  de  cette  his- 
toire d' Angleterre  y  au  mérite  de  laquelle  on  a  rendu  toute 
justice.  Je  n'ai  pas  actuellement  cet  ouvrage  sous  les  yeux, 
et  c'est  ce  qui  m'empêche  de  lui  faire  un  emprunt  auquel  le 
lecteur  eût  gagné,  selon  toute  apparence. 

P.   A.    DrFATJ. 


\  \%  XW  V\  V  vvv  \ 


LITTERATURE. 


Essai  slr  l'histoire  de  la  littérature  néerlandaise,  par  J. 
DE  S'Gravenweert  ,  chevalier  de  l'ordre  royal  dii  Lion- 
Belgique,  membre  de  l'Institut  des  Pajs-Bas,  etc.  (i). 

Naviia  de  ventis.  A  ce  titre,  personne  n'était  plus  en  état 
que  M.  de  S'Gravenweert  de  faire  connaître,  surtout  en 
France,  la  littérature  néerlandaise  (ce  mot  de  nouvelle  créa- 
tion a  été  nécessité  par  la  réunion  de  la  Belgique  aux  ci-de- 
vant Provinces-Unies  des  Pays-Bas).  Il  avait  entendu  révo- 
quer en  doute  à  Paris  l'existence  d'une  littérature,  et  presque 
d'une  langue  hollandaise.  Il  prit  l'engagement  de  détruire 
celte  oulrageuse  prévention,  et  il  tient  parole.  Il  donne, 
dans  un  premier  chapitre,  l'histoire  de  l'origine,  de  l'altéra- 
tion et  de  l'épuration  de  la  langue  néerlandaise;  il  retrace, 
dans  le  deuxième,  les  premiers  teins  de  la  littérature  néer- 
landaise, jusqu'au  xvn'  siècle.  Le  troisième  embrasse  cette 
époque  (le  xvii*  siècle),  la  plus  glorieuse  dans  les  annales  des 
Provinces-Unies.  Le  quatrième  chapitre  développe  les  causes 
de  la  décadence  (nous  aimerions  mieux  de  la  détérioration)  de 
cette  littérature,  jusques  vers  le  milieu  du  xvui"  siècle.  Dans 
le  dernier  chapitre  ,  l'auteur  présente  le  tableau  de  sa  renais- 
sance jusqu'à  nos  jours,  et  présage  ses  destinées  futures.- 

Il  ne  nous  est  guère  possible  d'entrerdans  les  détails  d'érudi- 
tion du  premier  chapitre.  L'auteur  établit  que,  dès  le  commen- 
cement du  v°  siècle,  la  langue  néerlandaise  devint  une  langue 
écrite.  Il  existe  des  statuts  de  saint  Boriiface,  qui   ordonnent 

(i)  Amsterdam,  iSôo;  Delachaux.  In-S"  de  25 1  pages. 


LlTTERATLiUJ:.  65; 

aux  pi  êtres  d'instruite  le  peuple,  non  en  latin,  mais  en  langue 
vulgaire.  Telle  fut  aussi  la  volonté  de  Charlemagne  ,  dont  la 
cour  faisait  usage  du  teuton,  ou  de  l'un  de  ses  dialectes.  A  la 
mort  de  Louis-le-Débonnaire,  fils  et  successeur  de  Charle- 
magne (800),  la  plus  grande  partie  des  Pays-Bas  échut  à  son 
fils  Louis,  surnommé  le  Germanique.  Ce  prince  accorda 
toute  sa  protection  à  la  langue  du  peuple.  Le  capitulaire  de 
l'an  81g  est  le  plus  ancien  document  écrit  en  dialecte  néer- 
landais. C'est  à  une  époque  postérieure  (881)  qu'il  faut  rap- 
porter un  chant  de  victoire,  trouvé  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Amand ,  et  attribué  à  un  habitant  du  Hainaut,  où  alors  en- 
core on  se  servait  du  teuton.  La  traduction  des  psaumes  par 
Notkin,  abbé  de  Saint-Gall,  en  Suisse,  date  des  premières  an- 
nées du  XI''  sièle  (1).  «  Ces  deux  écrits,  dit  notre  auteur,  ont 
une  telle  ressemblance  avec  le  hollandais  et  le  flamand ,  qu'il 
est  permis  de  les  ranger  dans  la  première  littérature  néerlan- 
daise. »  Sous  les  empereurs  de  la  maison  de  Souabe,  les  dia- 
lectes allemands  et  néerlandais  se  rapprochèrent  de  plus  en  plus  ; 
témoins  deux  inscriptions  tumulaires,  l'ime  de  1166,  l'autre 
de  1296,  citées  par  l'auteur.  A  l'avènement  de  la  maison  de 
Habsbourg,  le  flamand  ou  le  hollandais  se  sépara  entière- 
ment du  dialecte  allemand.  La  Flandre,  le  Brabant  et  la  Zé- 
lande  restèrent  en  possession  du  dialecte  flamand,  parlé  dans 
la  Gaule  Belgique  :  la  province  d'Ltrecht,  et  surtout  la  Hol- 
lande, conservèrent  l'ancien  dialecte  dans  une  plus  grande 
pureté.  Ce  dialecte  devint,  dans  les  Pays-Bas,  et  spéciale- 
ment dans  les  Provinces-Unies,  la  langue  écrite  et  universelle 


(1)  M.  Ypev  a  publié,  à  Utrecht,  en  1812,  un  savant  ouvrage  sur  l'His- 
toire delà  langue  hoUandai^c,  depuis  !es  tems  les  plus  anciens  jusqu'à  nos 
jours.  (1  vol.  in-8°  de  5yô  pag.)  M.  S'G.  caracférise  ainsi  cette  laiiq-ue, 
à  la  fia  de  son  premier  chapitre  :  «  Sœur  aînée  de  l'allemand  moderne, 
mais  essentiellement  distincte  dans  su  grammaire  et  dans  ses  inversions, 
elle  est  riche  en  synonymes  et  en  nuances;  elle  est  forte,  sonore,  élo- 
quente et  hardie,  ce  qui  la  rend  plus  propre  à  l'histoire,  à  l'épopée,  à 
l'ode  et  à  la  tragédie,  qu'à  la  poésie  légère  et  à  la  comédie.  Partout  le 
caiactèrc  sérieux  de  la  nation  se  reproduit  dans  son  idiome.  » 


G58  LITTERATURE. 

du  clergé,  des  savans  et  du  gouvernement,  la  langue  ensei- 
gnée dans  les  écoles  primaires. 

»Au  XIII'  siècle,  la  langue  néerlandai.'^e  avait  déjà  fait  de 
sensibles  pi  ogres.  Une  ordonnance  des  ducs  Henri  I"  et  Hen- 
ri II  de  Brabant,  donnée  à  Bruxelles,  en  1229;  une  autre, 
du  roi  Guillaume,  comte  de  Hollande  et  de  Zélande,  sous  la 
date  du  1 1  luars  i354,  et  la  coutume  d'Anvers,  de  i5oo,  en 
fournissent  la  preuve.  L'usage  de  cette  langue  était  si  univer- 
sel en  Flandre  que,  dans  les  négociations  des  Gantois  avec 
Pliilippe-le-Hardl,  roi  de  France,  en  1286,  les  Flamands  con- 
sidérèrent la  nécessité  de  négocier  en  français  comme  une  des 
plus  vitdentes  injures  que  ce  prince  leur  eût  faites.  » 

Depuis  la  page  i5  jusqu'à  la  page  20,  l'auteur  conduit 
ainsi  l'histoire  de  la  langue  hollandaise  jusqu'à  nos  jours.  Heu 
est  résulté  un  peu  de  confusion  dans  l'ordre  chronologique,  un 
peu  d'anticipation,  impossible  à  éviter,  sur  les  chapitres  sub- 
séquens,  et  ainsi  de  redite  dans  ceux-ci.  Quelque  intéressant 
que  soit  le  surplus  du  premier  chapitre,  nous  passons  au 
deuxième,  intitulé  :  Première  époque  littéraire ^  depuis  le  xiir 
jusqu'au  xvii"  siècle. 

La  traduction  des  lais  des  ménestrels  ;  les  romans  de  la  Ta- 
ble-Ronde du  roi  Arthur,  traduits  par  Claes  (jNiculas)  van 
Brecliten,  de  Harlem,  ouvrent  ici  le  catalogue  des  auteurs 
néerlandais.  «  Néanmoins  leurs  ouvrages,  depuis  long-tems 
perdus  ou  oubliés,  prdissent  devant  ceux  de  Jacques  de  Maer- 
lant ,  né  en  Flandre  (à  Maeriant),  en  i255.  Il  n'était  pas  ec- 
-clésiastique  ;  Il  occupa  dans  sa  province  l'emploi  de  greffier 
de  la  ville  de  Damme,  où  il  est  mort  en  i3oo,  et  où  on  lui 
érigea,  àTHôtel-dc-Ville,  une  espèce  de  monument.  Ses  ou- 
vrages sont  presque  tous  des  traductions  de  Pierre  Comestor, 
de  Vincent  de  Beauvais,  etc.  Les  ouvrages  de  Maeriant  n'ont 
aucun  mérite  poétique  :  c'est  de  la  prose  rimée  ;  mais  la  lan- 
gue est  déjà  plus  pure,  la  tournure  de  ses  phrases  ne  manque 
pas  d'une  certaine  élégance,  et  ses  idées  s'élèvent  ([uelque- 
foisau -dessus  des  préjugés  de  son  siècle.  Métis  [Evillc]  Stoke^ 
son  contemporain,  et  probablement  moine  de  la  célèbre  ab- 


LITTÉUVIURE.  65() 

baye  il'Egmont,  vivait  vers  la  fin  du  xiii*  siècle.  Il  domia  des 
chroniques  riinées  de  la  Hollande,  et  les  di-dia  au  comte  Guil- 
laume III,  dont  il  s'intitule  le  prtarre  ckrc.  »  (Voyez  l'article 
que  nous  lui  avons  fait  dans  la  lilograp/iie  universelle.)  «  Un 
troisième  auteur  du  tems,  plus  poéti(juc,  mais  moins  pur  de 
style,  est  Jean  de  Hélu  ,  Brabançon  :  il  choisit  paur  sujet  d(î 
son  ouvrage  la  victoire  remportée  par  Jean,  duc  de  Brabant . 
en  1258,  et  il  s'élève  quelquefois  au  ton  de  la  poésie.  Enfin, 
on  place  dans  ce  siècle  la  dissertation  riinée  du  Frère  Thomas 
ou  Gérard,  sur  le  système  de  la  nature  ;  fatras  des  préjugés  du 
tems,  mêlés  aux  système  de  Ptolémée.  L'air  et  la  terre  y  sont 
dépeints  comme  peuplés  de  monstres  qui  se  combattent 
sans  relâche,  pour  effra3'er  le  genre  humain.  » — Les  romans 
de  chevalerie  faisaient,  à  cette  épo(iue,  les  délices  des  gens 
soi-disant  comme  il  faut,  et  VHistoire  de  Charies-de-C Èlé- 
gaste,  les  Amours  de  Florant  et  de  Blanchejleur,  les  Enfansdti 
Limbourg,  etc.  passèrent  en  néerlandais  avec  une  vogue  po- 
pulaire. C'est  peu  de  chose  pour  un  siècle;  mais  ce  siècle 
était  un  siècle  d'ignorance  et  de  discordes  civiles.  Il  serait  in- 
juste de  passer  sous  silence  Louis  de  Fclthem^  continuateur 
de  Maerlant  ;  ISicolas  Leclerc,  secrétaire  d'Anvers,  à  qui  nous 
devons  une  chronique  rimée  des  ducs  de  Brabant,  sous  le  ti- 
tre de  Gestes  (Gesta)  brabançons  ;  Ctacs  IVillemsz  (Nicolas,  fils 
de  Guillaume)  un  peu  plus  poète  que  les  deux  autres,  et  dont 
l'ouvrage  est  intitulé  :  Co«/'s  d'Amour,  et  enfin,  \e  i\ouveaa 
Doctrinal,  ou  le  Miroir  du  péché,  par  Jeayi  de  TVeert ,  produc- 
tion remarquable  par  la  liberté  des  idées  religieuses.  Une  cause 
principale  de  la  décadence  de  la  littérature  néerlandaise,  a 
cette  époque,  est  dans  les  changemens  successifs  des  maisons 
souveraines  qui  gouvtrnèrentles  Pays  Bas,  et  dont  la  maison  de 
Bourgogne  réunit  enfin  les  dépouilles  en  i455.  Cette  maison, 
toute  française  d'origine  et  de  mœurs,  encouragea  peu  la  lan- 
gue nationale,  et  elle  contribua  à  l'altération  du  style  et  de  l.t 
prononciation. 

Il  faut  rapporter  à  cette   époque   les  Chambres  de  rhcluri- 
Ltciis,  très-multi})liées  dans  les  campagnes  non  moins  que  dans 


GOo  LITTlî  RATURE. 

les  rites.  M.  S'Gravcinvci'ii  estime  qu'eu  égard  à  la  vulgarité  de 
leur  composition,  icnr  influence  lltléraire  fut  nulle  ;  ce  qui  est 
peut-être  trop  dire;  ils  représentaient  des  mystères  et  des  mora- 
lités ;  ils  s'entre-di^lrihuaicnt  des  prix  de  poésie  ;  ils  rivalisaient 
quelquefois  d'improvisation.  Chaque  chambre  avait  son  bla- 
son, sa  devise  et  son  étendaixl  ;  les  chefs  ou  directeius  por- 
taient les  titres  de  prince  ou  de  doyen  ;  elles  figuraient  dans  les 
solennités  publiques  par  des  entrées  triomphales,  par  des  ca- 
valcades, par  la  richesse  et  la  bizarrerie  de  leurs  costumes. 
Philip()e-le-Bel  ne  dédaigna  pas  de  s'y  faire  inscrire.  Elles 
s'attirèrent  plus  d'une  fois  l'animadversion  de  l'autorité,  par 
la  licence  de  leurs  satyres  contre  le  gouvernement  et  le  clergé. 
M.  Rops  nous  a  donné  une  intéressante  histoire  des  rhétori- 
ciens,  dans  les  Mémoires  de  la  Société  de  philologie  hollandaise 
de  Leyde,  t.  ii,  p.  a55-55i. 

M.  S'Gravenweert  attribue  encore  au  xv"  siècle  les  premiers 
ouvrages  flamands  ou  hollandais  en  prose.  Une  traduction  de 
l'AncienTestament,  d'après  la  Vulgate,  parut  àDelft,  en  1477? 
l'Histoire  ou  la  Chronique  des  Pays-Bas,  par  Veldenacr,  à 
Utrechl,  en  1480.  C'est  dans  le  siècle  suivant  qu'il  faut  surtout 
distinguer  Coornhert,  secrétaire  de  Guillaume  I".  (  Voy.  nos 
articles  Coornhert  et  Lipsius,  dans  \a  Biographie  universelle.  ) 
Engagée  par  Coor/)/<rr<,  la  chambre  des  rhétoriciensd'Am>ler- 
dam  publia,  en  1  .t8-J,  une  grammaire  hollandaise,  dont  il  com- 
posa la  préface.    , 

Philippe  de  Marni.r,  seigneur  d'Aldégonde,  le  Mornay  de  la 
Hollande,  méiite  émineinment  d'être  mentionné  ici.  Celui  de 
ses  ouvrages  en  prose,  qui  fit  le  plus  de  sensation,  est  su  Ruche 
de  l'Église  catholique,  satyre  dans  le  genre  de  Swift ,  mais  an- 
térieure au  Conte  du  Tonneau  de  plus  d'un  siècle.  Sa  traduc- 
tion des  Psaumes  de  David,  en  vers  hollandais,  d'après  l'origi- 
nal hébreu  ,  lai  fit  aussi  beaucoup  d'hon.icur.  L'air  national 
de  IVilhelmusvan  ISas^auwen  (Guillaume  de  Nassau)  est  encore 
de  Marnix  :  c'est  la  Marseillaise  du  tems. 

Nous  passons  sous  silence  des  noms  moins  illustres;  mais  il 
faut  rendre  justice  à  Corneille  Kilian,  proie  de  l'imprimeur 


UïTERATURE.  661 

Pltintin;  il  publia  à  riiiniiimcric;  de  Plantin,  en  iôçô,  son 
Tlie.sauras  Lingiiœ  Teulonlcœ.  Le  Vocabulaire  étymologique  et 
grammatical  de  Kilian,  réimprimé  pour  la  troisième  fois  à 
Anvers,  en  1599,  sert  encore  aujourd'hui  de  base  à  toutes  les 
recherches  des  philologues  néerlandais. 

Les  historiens  hollandais  Bor  et  vaji  Mcteven  figurent  ici  dans 
leur  ordre  chronologique. 

Enfin,  deux  personnages  intéressans  lient ,  pour  ainsi  dire  , 
le  XVI*  siècle  au  xvii'  :  ce  sont  Rœnur  (Romain)  f  isschcr  et 
Henri,  fils  de  Laurent  Spieghct.  La  crainte  de  trop  étendre 
cet  extrait  nous  fait  encore  renvoyer  nos  lecteurs  à  nos  arti- 
cles de  la  Biographie  universelle. 

La  plus  glorieuse  époque  de  l'Histoire  de  la  Hollande  est, 
sans  contredit,  sous  tous  les  rapports,  la  première  moitié  du 
xvii'^ siècle.  M.  S'G.  en  trace  un  magnifique  tableau,  qu'il  faut 
lire  dans  l'ouvrage.  Les  deux  coryphées  de  celte  époque 
sont  Hoofft  et  Vondel.  (Voyez  l'ouvrage  ;  voyez  aussi  nos  arti- 
cles, dans  la  Biographie  universelle.)  Nous  en  disons  autant  de 
Cats,  leur  émule  de  gloire.  Cals  est  le  poète  éminemment  po- 
pulaire de  la  Hollande. 

Un  grand  nombre  de  noms  illustres  se  groupent  autour  de 
ces  chefs  de  file  :  l'époque  était  si  inspiratrice  !  La  création  du 
théâtre  d'Amsterdam  est  de  cet  âge.  Vondel  et  Hoojft  en  illus- 
trèrent la  naissance.  Samuel  Coslcr,  Bredero,  Jean  Vos  y  con- 
coururent, mais  avec  une  grande  disparité  de  mérite.  Les 
deux  filles  de  Romain  Visscher  furent  à  la  fois  les  Muses  et  les 
Grâces  de  cette  mémorable  période.  L'immortel  Grotius,  ainsi 
que  Daniel  Hemxus,  comptent  parmi  les  écrivains  hollan- 
dais les  plus  distingués. 

Viennent  ensuite  Constantin  Huygens,  seigneur  de  Zuili- 
chem,  et  père  du  célèbre  mathématicien  de  ce  nom;  le  poète 
sacré  Kampluiisen  ;  le  poète  erotique  Jonktys ;  le  poète  frison, 
écrivant  dans  le  dialecte  de  sa  province ,  Gisbert  Japix.  Il  faut 
apprendre  à  connaître  dans  l'ouvrage,  ou  dans  la  Biograpliie 
universelle,  Jércmic  de  Decker,  Jean  de  Heemskerk ,  Régnier 
Anslo,  etc.  Le  Parnasse  hollandais  se  glorifie  encore  .  dans  ce 


662  LITTÉRATURE. 

siècle,  d' J ntojusdés  van  dcr  Goes ,  et  du  théologien  Vollenho- 
ren,  immortalisé  ;;urtout  par  son  Triomphe  de  la  Croix. 

M.  S'GravcHweert  range  parmi  les  poètes  du  second  ordic 
de  cette  époque.  Bin\scro,  Oudaen,  Pluymer,  Elisabeth  Hoof- 
man,  Wellekens.  Fraticius  cl  Bronchlnisius  (  Broekhuizen  )  n<' 
bornèrent  pas  leur  mérite  à  la  poésie  latine  ;  la  muse  natio- 
nale reçut  aussi  leurs  hommages. 

D'accord  avec  M.  de  Vries ,  dans  son  Histoire  (anthologi- 
quc)  de  la  poésie  hollandaise,  l'auteur  fait  dater  de  cette 
époque  le  déclin  de  la  littérature  et  surtout  de  la  poésie  na- 
tionale en  Hollande.  «On  avait  commencé  (dit-il)  à  lire  Cor- 
neille, Racine,  Molière,  les  types  de  la  perfection  dramatique, 
et  l'on  trouva  plus  commode  désormais  de  les  traduire  (m  de 
les  imiter,  que  de  créer.  »  L'originalité  de  la  muse  hollandaise 
s'évanouit,  à  mesure  que  prévalut  la  manie  des  traductions. 
L'esprit  de  coterie  s'introduisit  d'ailleurs  avec  les  clubs  ou  les 
associations  littéraires,  et  dès  lors  on  se  disputa,  on  s'entre- 
déchira  pour  un  mot,  pour  une  phrase  ou  une  inversion;  «la 
médiocrité  inventa  des  lits  de  Procaste;  »  on  pardonna  à  la 
froideur  et  à  l'afTectation,  en  faveur  d'une  monotone  régula- 
rité. Amsterdam  vit  naître,  en  1670,  sous  la  pompeuse  devise 
de  JSilvolentihiis  ardaiim,  une  société  qui,  à  force  de  traduire, 
bannit  prèscjuc  entièrement  de  la  scène  les  chef-d'œiivres 
de  Vondel.  Pels.,  fondateur  du  nouveau  club,  n'était  cepen- 
dant pas  sans  mérite;  en  1668,  il  avait  donné  une  tragédie  de 
laMort  de  Didon,  et  son  imitation  libre  de  V Art  poétique  d'Ho- 
race Cît  un  ouvrage  estimable,  ainsi  que  son  discours  en  ver< 
.sur  l'usage  et  l'abus  du  théâtre  (1C81).  Catherine  Lescailze,  en- 
tièrement animée. de  l'esprit  de  Pels,  donna  des  imitations  en 
vers  de  Rotrou  et  de  Corneille  ;  elles  sont  au  nombre  de  sept, 
et  forment  le  5"  volume  de  ses  œuvres,  recueillies  en  5  volu- 
mes in-4%  Amsterdam,  1722;  les  deux  premiers  contiennent 
ses  poésies  mêlées.  La  faiblesse  y  est  mal  compensée  par  l'i 
correction. 

Quand  la  poésie  hollandaise  eut  pris  son  essor  avec  Vundel 
et  Iluo/J't  ,  la  Flandre-  demeura  stationuaire.  et  cet  état, arriére 
dure  jusqu'il  nos  jours. 


LIÏTEUATUUE.  663 

M.  S'Giavenwecrt  revient  sur  la  prose  hollandaise.  Hoofft 
ne  l'ut  pas  moins  grand  prosateur  que  poète,  témoin  surtout 
son  Histoire  de  Hollande  ;  témoin  encore  son  Histoire  de 
Henri  IV,  pour  laquelle  Louis  XITI  lui  donna  lo  cordon  de 
Saint-Michel,  et  son  Histoire  de  la  Maison  de  M  cdicis;  enfin  son 
admirable  traduction  de  Tacite.  Les  Brandi  (Gérard),  et  Gas- 
pard et  Jean,  fils  de  Gérard,  sont  ici  en  seconde  ligne.  Le  chef- 
d'œuvre  de  Gérard  Brandi  est  sa  vie  de  Ruiter. 

La  traduction  hollandaise  de  la  Bible,  adoptée  au  synode  de 
Dordrecht  (  1618  et  1619)  ,  est  un  monuuient  très-reuiar- 
quable. 

Enfin,  M.  S'Gravenweert  mentionne  ici  quelques  voyageurs 
hollandais,  JeanNieuivhoff,  le  pasteur  Baideus,  Scliouîen,  Bos- 
mun,  de  Brujn,  et  il  n'a  garde  de  passer  sous  silence  le  grand 
ouvrage  qui  parut,  en  1706,  sous  le  titre  de  la  Tartaric  septen- 
trionale et  orientale ,  par  le  bourguemestre  d'Amsterdam,  Ni- 
colas fP^itsen,  l'ami  intime  de  Pierre-le-Grand. 

Nous  sommes  fiers  de  transcrire  ici,  pour  l'honneur  de  la 
Hollande,  le  témoignage  rendu  à  Witsen,  par  Voltaire,  dans 
son  Histoire  de  Pierre-le-Grand.  «C'était,  dit-  il,  un  citoyen 
recommandable  à  jamais  par  son  patriotisme  et  par  l'emploi 
qu'il  faisait  de  ses  richesses  qu'il  prodiguait  en  citoyen  du 
monde;  envoyant  à  grands  frais  des  hommes  habiles  re- 
chercher ce  qu'il  y  avait  de  plus  rare  dans  toutes  les  parties 
de  l'univers,  et  frétant  des  vaisseaux  à  ses  dépens  pour  décou- 
vrir de  nouvelles  terres.  » 

Le  surplus  du  5"  chapitre  offre  quelques  considérations  sur 
l'état  comparatif  de  l.i  littérature  hollandaise  au  commence- 
ment et  vers  la  fin  du  xvii"  siècle.  Nous  regrettons  de  ne  pas 
pouvoir  les  transcrire,  et  nous  renvoyons  nos  lecteurs  à 
l'ouvrage  de  M.  S'Gravenwert.  Le  chapitre  suivant  est  con- 
.sacré  au  xviu"  siècle. 

Dans  la  revue  du  xviii"  siècle,  l'auteur  reconnaît,  et  il  aurait 
grand  tort  de  ne  pas  le  faire,  que  cette  époque  qui  est  carac- 
térisée par  la  détérioration,  n'en  offre  pas  moins  plusieurs 
poètes  et  prosateurs  irès-distingués ,  et  il  se  plaît  à  leiu"  ren- 


664  LITTÉRATURE. 

dre  justice.  Il  la  divise  en  trois  périodes  :  depuis  1700  jusqu'à 
1775;  depuis  1775  jusqu'àla  révolutiou  de  1795  ;  et  enfin,  de- 
puis celte  catastrophe  jusqu'en  i8i5,  période  (dit-il),  de  la 
restauration  qui  se  rattache  au  moment  actuel. 

Voici  les  sommités  littéraires  de  ce  tems  qui  lui  ont  semblé 
les  plus  dignes  de  commémoration. 

Sclwnur  (Lucas)  promettait  infiniment;  mais  sa  carrière 
fut  terminée  à  vingt-deux  a.is. 

Poot  (Hubert),  fils  d'un  paysan  des  environs  de  Dclft,  né 
en  1689;  dès  son  premier  âge,  il  se  délassait  des  travaux 
agricoles  par  la  lecture  de  Vondel ,  de  Hooft,  à'Anlonidès,  et 
il  publia  à  Rotterdam,  en  1716  ,  un  recueil  de  poésies  qui  fixa 
aussitôt  sur  lui  l'attention  des  connaisseurs.  Mort  à  l'âge  de 
40  ans,  il  a  excellé  dans  la  poésie  anacréontique  et  dans  l'idylle. 
M.  S'Gravcnweert  assimile  Pool  à  Béranger.  Comparaison 
n'est  pas  raison. 

Langendjk  (PitiTc),  né  en  iG85,  est  le  premier  poète  co- 
mique de  la  Hollande.  Il  trouva  la  scène  comique  occupée  par 
des  farces  ignobles,  et  son  bon-sens  lui  indiqua,  une  autre 
route.  A  l'âge  de  16  ans ,  il  puisa  son  premier  sujet  dans  le  ro- 
man de  Cervantes,  et  son  don  Quichotte,  ou  les  Noces  de  Ga- 
rnachet  pièce  bien  conduite,  bien  versifiée  et  pleine  de  verve, 
est  restée  au  théâtre.  Les  ridicules  qu'il  a  peints  avec  le  plus 
de  succès  sont  les  querelles  des  physiciens  de  son  lems  sur  le 
système  de  Newton;  les  spéculations  de  Lav\',  qui  boulever- 
sèrent en  Hollande  tant  de  fortunes,  et  la  manie  des  anoblis- 
semens,  fruit  de  l'élévation  de  Guillaume  III  au  trône  d'An- 
gleterre. Telle  fut  l'origine  de  ses  Matlicmaticiens ,  de  son 
Quincampoix,  ou  Arlequin  actionnaire,  de  la  Double  Duperie  en 
Mariage  et  de  son  Krelis  Louwen.  Il  s'éleva  tout-à-fait  au 
genre  de  la  comédie  de  mœurs  dans  son  Miroir  des  JSégocians. 
Sa  Xantippe,  épouse  de  Socrale ,  n'est  pas  non  plus  sans  mé- 
rite. 

Hoogvliel  [Arnold),  né  en  1687,  débuta  dans  la  carrière  poé- 
liquepar  unetiaduction  des  Fastes  d'Ovide,  entreprise  ingrate. 
Doux  volumes  de  poésies  rnclces  offrent  quelques  pièce?  remar- 


LITTÉRATURE.  ()«:> 

quables;  mais  sa  céléhrilé  se  fonde  surtout  sur  sonA  braliam 
le  Patriarche,  poème  en  douze  chants  qui  parut  en  1727.  «Cet 
ouvrage,  brillant  de  poùsie  descriptive  et  d'une  versification 
forte  et  harmonieuse,  n'est  pas,  quoiqu'on  en  ait  dit,  un 
poème  épique;  c'est  un  long  et  superbe  récit,  dans  le  style 
de  l'épopée,  de  la  vie,  des  sacrifices  et  des  combats  du  père 
des  croyans.  »  Adopté,  nationalisé  en  quelque  sorte  par  le  goût 
religieux  des  Hollandais,  V A braliam  a  donné  naissance  à  une 
foule  de  mauvaises  copies,  et  la  Bible  entière  a  failli  être  tra- 
vestie en  prétendus  poèmes  épiques. 

De  Marre  (^Jean) ,  né  en  1696,  mérite  surtout  d'être  cité 
pour  sa  tragédie  de  Jacqueline  de  Bavière,  représentée  e*a  1736. 
On  a  encore  de  lui  un  beau  poème  en  six  chants,  intitulé  : 
Batavia,  dont  le  sujet  est  la  domination  hollandaise  dans  l'ar- 
chipel d'Asie. 

Feituma  [Sibrand),  plus  versificateur  que  poète,  est  auteur 
d'une  bonne  traduction  de  la  Henriade  :  il  a  aussi  publié  une 
imitation  en  vers  de  Télémaque.  Brutas  et  Alzire  se  distinguent 
parmi  les  emprunts  qu'il  a  faits  à  la  Melpomène  française. 

On  doit  à  Philippe  Zweers  une  très-bonne  tragédie,  intitu- 
lée :  Sémiramis,  ou  la  Mort  de  Ninus.  La  ti'agédie  à'Ada, 
comtesse  de  Hollande,  par  François  van  Steenwyk,  mérite  des 
éloges.  Mais  les  deux  plus  grands  hommes  que  la  littérature 
néerlandaise  ait  produits  à  cette  époque  sont,  sans  contredit, 
Balthasar  H uydecoper  et  Onno-Zwier  van  Hareri. 

Haydecoper  réunit  à  un  très-haut  degré  les  deux  mérites  si 
divers  de  grammairien  critique  ou  philolologue  hollandais,  et 
de  poète;  ses  productions  du  premier  genre  sont  toutes  classi- 
ques. Il  commença  sa  carrière  poétique,  en  1719,  par  sa  belle 
tragédie  A"" Achille.  Son  Arsace  eut  également  un  succès  mé- 
rité. Son  imitation  des  Satyres  et  des  É pitres  d'Horace  est  un 
chef-d'œuvre  en  son  genre. 

VanHaren,  issu  d'une  des  plus  illulres  maisons  de  la  Frise, 
et  qui  occupa,  avec  des  désagrémens  infinis,  les  plus  hautes 
dignités  de  la  république,  fournit  au  théâtre  deux  tragédies  : 
Agon,  sultan  de  Baniam  .  tableau  de  la  chute  des  souverains 


666  LITTÉRATURE. 

de  cette  contrée  île  l'Inde,  et  Guillaume  I".  Mais  ces  ouvrages^ 
torts  de  talent  et  de  pensées,  sont  écrits  et  versifiés  arec  une 
négligence  impardonnable.  II  en  est  de  même  de  son  poème 
des  Gueux,  sobriquet  adopté  comme  titre  d'honneur  par  les 
fondateurs  de  la  liberté  hollandaise  au  xvi'  siècle.  Cet  ouvrage, 
en  vingt  chants  et  en  stances  régulières  (Oftava-Rima),  parut 
en  1769.  Il  offre,  avec  les  plus  riches  tableaux,  les  plus  ma- 
gnifiques et  les  plus  touchans  épisodes.  Il  a  fallu  qu'en  1780, 
BiUerdyk  et  Feitli  seréunissent  pour  châtier  le  style  et  corriger 
la  versification  des  Gueux,  afin  de  placer  cet  ouvrage  au  rang 
qu'il  mérite. 

Van  Haren  [Guillaume) ,  frère  du  précédent,  fut  homme 
d'Etat  et  diplomate  commi;  lui;  et,  comme  lui,  à  la  plus  ri- 
che imagination  ,  à  l'esprit  le  plus  cultivé,  aux  sentimens  les 
plus  nobles,  il  joignait  le  style  le  plus  rocailleux  et  la  versifi- 
cation la  plus  disparate.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  la 
Hollande  lui  doit  son  seul  véritable  poème  épique.  Ce  poème 
est  intitulé  :  Friso,  roi  des  Gangarides  et  des  Prusiates  :  ce  Friso 
est  unpersonnageplusquedouteux,  dont  quelques  chroniques 
font  mention  ,  et  qui  aurait  été  le  fondateur  du  peuple  Frison. 
Son  avantureuse  carrière  est  présentée  dans  une  suite  de  dix 
chants.  L'invention  seule  du  sujet  annonce  un  génie  créateur; 
les  détails  étincellent  de  beautés  du  premier  ordre.;  les  épiso- 
des sont  variés  et  intéressans.  Il  ne  manque  encore  qu'un  Bil- 
derdyk  ou  un  Feith  pour  le  retoucher.  Friso  a  été  faiblement 
traduit  en  prose  française  ,  par  M.  Jansen.  Une  belle  ode  de 
Guillaume  van  Haren,  intitulée  :  Léonidas,  et  sa  sombre  com- 
plainte lyrique  sur  lavie  humaine  sont  dans  tous  les  souvenirs 
Hollandais.  Nous  en  avons  trouvé  la  traduction  en  prose,  dans 
un  recueil  intitulé  :  Variétés  Littéraires.  Voltaire  a  adressé  à 
Guillaume  vnn  Haren  de  beaux  vers  qui  commencent  ainsi  : 

Déniostlicne  au  conseil  et  Pindare  au  Parnasse, 
L'augusîe  liberté  marche  devant  tes  pas  : 
Tjrtée  a  dans  ton  sein  répandu  son  audace, 
Et  tu  liens  sa  Iruropette,  organe  des  combats. 


LITTI-!:UATIJUE.  QGy 

Lucas  Trip,  Jean  Eascbe  Foet^  Roger  Sc/tat le  ne  sont  point 
passés  sons  silence  comme  poètes  lyriqncs  sacres. 

Parmi  les  grammairiens  se  distinguent  Lambert  Tenkate, 
Mo?ien,  Hoogstraten,  surtout  le  premier;  nous  avons  déjà  rendu 
justice  à  Haydecoper. 

L'histoire,  si  noblement  commencée  par  Hooft  et  Brandt, 
cite  avec  distinction  à  cette  époque  Gérard  van  Loon  ,  Finan- 
çais van  Mieris,  parent  des  célèbres  peintres  de  ce  nom,  van 
der  T yiickl,  membre  du  conseil  de  Flandre,  en  s 729,  et  qui, 
sous  les  auspices  et  aux  frais  du  comté  de  Cobenzel,  écrivit  une 
Histoire  des  troubles  des  Pays-Bas  ,  tirée  seulement  à  six  exem- 
plaire^, et  surtout  JVagenaar.  (Voyez,  pour  ce  dernier,  la 
Biographie  universelle.  ) 

Junte  van  Ejfen  publia,  avec,  succès,  de  ijSi  à  170 5,  un 
Spectateur  hollandais^  dans  le  genre  de  celui  de  Steele.  Ce 
genre  donna  naissance  en  Hollande  au  Philosoplie  (  de  Philo- 
sooph),  au  Penseur  (  de  Denker  )  ;  van  Engelen  fut  un  des  col- 
laborateurs les  plus  estimés  de  ces  feuilles  hebdomadaires. 

Unancien  journal  littérairehollandais,  intitulé  :  leBoekzaalder 
Gelearden  (la  Bibliothèque  des  Savans),  était  un  peu  trop  théo- 
logique, un  peu  trop  ecclésiastique.  M.  S'Graven^veert  a  oublié 
d'en  parler.  En  1  ;6 1 ,  parurent  les  Vaderlandsclie  Letteroefenin- 
gen  (études  littéraires  nationales);  ce  journal  fut  suivi  de 
deux  autres  non  moins  méritans,  sous  les  titres  de  Bibliothèque 
universelle ^  et  iV Ecole  universelle  des  Arts  et  des  Sciences. 

Le  ferment  patriotique  se  développait  dans  les  Provinces- 
Unies.  Selon  M.  S'Gravenweert,  la  poésie  s'en  ressentit  sur- 
tout ;  il  la  voit  redevenir  plus  originale,  et  il  attribue  à  diverses 
conjonctures  la  naissance  d'^un  genre  mixte  auquel  ne  fut  rien 
moins  qu'étranger  l'essor  que  la  littérature  et  la  poésie'  alle- 
mande prirent  à  cette  époque. 

Dans  ce  genre  mixte,  mais  plus  français  qu'allemand, 
l'auteur  dislingue  d'abord  Nicolas-Simon  van  Winter,  et  son 
éitonse Lucrccc-Guillelmine  vanMerken.  Né  à  Amsterdam,  dans 
la  classe  aisée,  en  1718,  van  Winter  cultiva  les  lettres  par  dé- 
lassement. On  lui  doit  un  poème  dans  le  genre  descriptif,  in- 


068  LITTÉllATUJŒ. 

titillé  :  le  Fleure  d'Amstel,  en  six  chants;  un  poème  des  i^at- 
sons ,  en  quatre  chants,  et  deux  tragédies  originales  ,  Memikoff 
et  Monzongo.  Il  est  mort  à  Leyde,  en  i8o5.  (voy.  Biogra- 
phie universelle.)  Son  épouse,  qui  commença  à  s'iUustrer  sous 
le  nom  de  van  Merken,  nous  a  laissé  un  poème  moral  et  reli- 
gieux, en  trois  chants,  sur  C Usage  de  l'Adversité.  Il  établit 
avec  éclat  sa  réputation;  mais  elle  se  surpassa  dans  un  poc<ne 
héroïque,  en  douze  chants,  intitulé  :  David.  «Il  est  empreint, 
dit  M.  S'Gravenweert,  d'une  douceur  et  d'une  grâce  qui  com- 
pensent l'énergie  de  Hoogvliei.  .>  En  1779,  elle  prit  encore  un 
plus  noble  essor  dans  son  poème  épique  de  Gcrmanicas,  en 
vingt  chants,  qui  a  été  faiblement  traduit  en  prose  française. 
Simplicité,  régularité,  élévation,  s'y  unissent  au  plus  rare  ta- 
lent pom-  la  poésie  descriptive  et  à  une  couleur  locale  dont  on 
ne  peut  trop  admirer  la  vérité.  Les  caractères  sont  beaux  et 
soutenus;  l'action  et  les  épisodes  naturellement  enchaînés;  la 
.  politique  et  la  morale  empreintes  d'une  haute  sagesse  ;  le  style 
est  harmonieux  et  pur;  sous  le  rapport  de  la  versification,  on 
a  appelle  M"'  van  Merken  la  Racine  de  la  Hollande.  Elle  a  en- 
core fait  paraître,  de  1772  à  i78t),  sept  tragédies  de  son  in- 
vention, qui  n'ont  pas  toutes  le  même  mérite,  mais  qui  sont 
toutes  des  productions  très-eslimables,  savoir  :  le  Siège  de 
Leyde,  ]es  Camisards ,  Marie  de  Bourgogne,  Louise  d'Arlac, 
Sibylle  d'Anjou,  et  Simon  de  Byk.  La  dernière  est  son  chef- 
d'œuvre,  M"""  van  Merken  est  morte  à  Leyde,  en  1789.  Après 
M°"  van  Merken,  M.  S'Gravenweert  nomme  une  autre  Muse 
contemporaine  très-distinguée,  Julienne  Cornélie  de  Lannoy , 
auteur  d'une  excellente  tragédie  de  A<?on-/e-Grfl«r^,  et  de  deux 
autres,  dont  l'une  a  pour  sujet  le  siège  de  Harlem,  signalé 
par  le  coui'^age  de  la  Jeanne  d'Arc  hollandaise,  Kenau  Hasse- 
laar ;  l'antre  est  inulilée  Cléopatre,  veuve  d'Antipater.  Dans 
un  volume  de  poésies  mêlées  que  M"°  de  Lannoy  publia  en  1 780, 
on  distingue  des  épîtres  et  des  satyres,  où  elle  a  pris  Boibau 
pour  modèle. 

Nous  passons  sous  silence  Sara-  Marie  van  der  JVilp;  et 
Cjnthie  Lenige ;  mais  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  faire  men- 


LITTÉUÂTIJUE.  OOi) 

*îon  de  deux  illustres  associées.  M"""  JVulf,  née  Bekker,  el 
Agathe  Dckcn.  Sous  son  nom  de  faniille ,  la  première  avait 
<."ommcncé  à  se  faire  connaître  par  quelques  poésies  légères, 
pleines  de  verve  et  d'originalité.  Ces  dames  ont  publié  ensem- 
ble des  romans  nationaux  qui  ont  eu  un  merveilleux  succès  , 
bien  qu'on  puisse  leur  reprocher  un  peu  de  prolixité.  Ce  sont 
Sara  Burger/iart,  JVillevi  Lcvend ,  C'urncUa  JF'ildschut ,  et  les 
Letives  cC Abraham  Blankaert. 

JeanNomsz,  qui  mourut  à  l'hôpital  d'Amsterdam,  après 
avoir  long-tems  soutenu  par  ses  ouvrages  le  théâtre  de  cette 
ville,  eut  le  tort  de  se  charger  de  trop  de  bagage  pour  aller  à 
l'immortalité,  comme  il  en  avait  la  vocation. 

Nous  renvoyons  à  l'ouvrage  de  M.  S'Gravenweert,  ceux  qui 
voudront  connaître  Havercorn  (Guillaume),  Uy  lenbroek  (Jean)., 
LeFrankvan  Berkhey,  auteur  d\mc  FI  istoire  naturelle  de  Hollan- 
de, préférable  à  ses  poésies,  V  ereul.  De  Krayjf,  VanderWoordt; 
Van  Alplien,  le  Berquin  hollandais;  Bcllci?nj,  que  l'on  peut 
<;omparer  à  M.  de  Lamartine  ;  Nieuwland,  prodige  de  science 
et  de  verve,  le  plus  grand  génie  peut-être  qu'ait  produit  la  Hol- 
lande, et  qu'elle  a  perdu,  en  1792,  à  l'âge  de  5o  ans  ;  Slyl  (Si- 
mon), poète  et  historien.  La  réputation  de  i'//oe?t  a  été  aussi  co- 
lossale qu'éphémère.  L'auteur  de  VEssai  ne  le  nomme  seule- 
ment pas,  et  comment  aurait-il  tout  nommé  ?  Est  modusin  rébus. 

Sur  les  confins  de  l'avant-dernière  et  de  la  dernière  époque, 
indiquées  par  M.  S'Gravenweert,  seprésentela  grande  célébrité 
poétique  de  Feilh  (Rhyntis)  :  l'ode  et  la  tragédie  sont  les  plus 
beaux  fleurons  de  sa  couronne.  A  un  concours  poétique,  dont 
\G'sU]e\.iiia\\.V  E  loge  de  Ruyter,  il  avait  envoyé  deux  pièces,  l'une 
en  vers  alexandrins,  l'autre  en  vers  lyriques.  Les  juges  balan- 
cèrent entre  les  deux  poèmes,  et  s'en  remirent  au  sort  pour  le 
prix  et  pour  l'accessit.  M.  Feith  se  trouva  l'auteur  de  l'un  et 
de  l'autre.  Deux  poèmes  religieux  et  moraux,  l'un,  intitulé  le 
Tombeau  (1792),  l'autre,  la  Vieillesse  (i8o5j,  ajoutèrent  en- 
core à  li.  réputation  de  Feith.  Ses  tragédies  sont  Thirsa,  ou  la 
anère  des  Macchabées  (1784),  Jeanne  Gray  (1791),  Inès  de 
Castro  (1794),  et  Mucius  Cordus  (1795).   Feith  est  mort  à 

T.    XLVII.   SEPTEMBRE   iH.lo.  IÇ) 


(ijo  LirrEI\ATCUE. 

Zwoll,  sa  ville  natale,  en  1824;  il  fui  un  des  premiers  mem- 
bres (lo  l'Institut  balave. 

Dans  la  dernière  époque  se  distinguèrent  Hehners  (Jean- 
Frédéric),  dont  le  plus  beau  titt'ede  gloire  est  son  poème  de  la 
Nation  hollandaise^  en  6  chants  (1812).  Le  1"  chant  célèbre  le 
caractère  moral  du  peuple  batave  ;  le  2""  ses  combats  sur 
terre;  le  5°"  ses  combats  sur  mer;  le  4°"^  sa  navigation  ;  le 
5°""  son  mérite  dans  les  sciences;  le  6°"  son  mérite  dans  les 
arts. 

Après  Hehners^  l'auteur  nomme  Lovajes  (Adrien),  poète 
prosateur  et  journaliste.  Ses  plus  beaiix  titres  littéraires  sont 
SCS  romans  historiques,  dans  le  genre  de  ceux  de  M""  de  Gen- 
lis  :  Franc  de  Borselcn,  Jacqueline  de  Bavière,  Louisede  Coligny, 
Jean  de  IVitt,  Hugues  de  Groot  (  Grotius),  Maurice  Lynsla- 
ger  ;  ce  dernier  est  un  tableau  plein  d'intérêt  des  mœurs  du 
XVII'  siècle.  L'auteur  y  a  fait  paraître  avec  beaucoup  d'art  les 
principales  notabilités  du  tenis. 

Fan  JVinter  (Pierre),  fils  de  l'époux  de  Lucrèce-Guilelmine 
Van  Merken  est  auteur  de  fort  estimables  traductions  en  vers 
des  odes  d'Horace,  des  quatre  premiers  livres  de  l'Enéide  ,  et 
de  V Essai  sur  l'Homme  de  Pope.  Le  baron  de  Meerman  (  fean)  , 
fils  de  celui  qui  a  écrit  sur  l'origine  de  l'imprimerie,  a  publié 
des  voyages,  des  ouvrages  historiques,  etc.  Du  tems  de  la 
réunion  de  la  Hollande,  il  était  membre  du  Sénat  conserva- 
teur. M'°'  de  Meerman,  née  Mollcrus  cultivait  aussi  les  lettres, 
et  la  poésie.  M°"  Fan  Streek,  Klyn  (Bernard).  L'avocat  Van- 
hall,  d'Amsterdam,  bon  poète,  est  auteur  de  deux  charmantes 
productions,  moitié  d'imaginalion  ,  moitié  historiques;  l'une, 
intitulée  Pline  le  Jeune,  l'autre,  Mécène.  Il  a  intercalé,  dans  la 
dernière,  un  grand  nombre  de  fort  belles  traductions  d'Ho- 
race, d'Ovide,  de  Properce,  de  Tibulle.  Mais  le  géant  de  cette 
époqueest  M.  Bilderdyk(Guillanmr) , né  î\  Ann^ierdam,  en  ijSG, 
et  encore  aujourd'hui  l'un  des  principaux  ornemens  de  l'In- 
stitut de  Hollande.  Érudition,  grammaire  et  philologie,  cri- 
tique littéraire ,  poésie  ,  tout  est  également  de  son  ressort.  «  Il 
est  à  lui  seul  une;  génération»,  dit  énergiqucment  iM.  S'Gra- 
venvveert,  qui  entre  dans  beaucoup  de  détails  à  son  sujet. 
Si  l'on  avait  un  reproche  ;'i  faire  à  !M.  Bilderdyk,  ce  serait  la 


LITTERATURE.  C;! 

profusion  de  sa  richesse .  et  l'on  doit  encore  rcgrelter  qu'il 
lermine  sa  carrière  par  le  paradoxe,  le  fanatisme,  et  par  une 
intolérance  haineuse  et  tracassière.  M""  BUderdyk,  qui  vient 
de  mourir,  s'est  associée  à  la  gloire  poétique  de  son  mari. 

Nous  signalerons  parmi  les  rivaux  de  gloire  de  M.  BUder- 
dyk, M.  Kinker  (Pierre),  poète,  philologue  et  philosophe  de 
la  plus  haute  portée.  Il  est  professeur  à  l'Académie  de  Liège. 

La  langue  hollandaise  a  dû,  deTios  jours,  son  système  d'or- 
tliographe.  autorisé  parle  gouvernement,  à  M.  SicgenOeck , 
professeur  d'^doquence  et  de  littérature  nationale  à  Lcyde. 

De  1799  '*  i8ii,  M.  Pierre  JVeiland,  pasteur  des  Remon- 
Irans  à  Rotterdam,  a  publié,  en  11  vol.  in-S",  un  excellent 
Dictionnaire  de  la  Langue  liollandaise. 

Jusqu'à  un  certain  point,  Swift  a  trouvé  un  émule  dans 
ArencL  Fokke. 

Il  est  échappé  une  méprise  à  M.  S'Craven^eert,  p.  200. 
L'auteur  de  l'ouvrage  de  la  Richesse  de  la  Hollande  n'est  point 
le  professeur  Luzac,  foudi'oyé  dans  le  désastre  de  Leyde,  mais 
l'avocat  £//e  Lu:ac ,  libraire  à  Leyde  et  à  Gœttingue,  com- 
mentateur du  droit  naturel  de  Wolff.  (Voyez  la  Bibliographie 
imiverselh.  ) 

Ici  se  présentent  quelques  hommes  qui,  dans  le  dernier  pé- 
riode, ont  écrit  sur  l'histoire  de  Hollande,  et  l'auteur  rend  jus- 
tice à  Tcwater,  iiKlait,  au  Iwron  de  Spaon,  au  vénérable  Nestor, 
jM.  Vanvoyn.  —  Parmi  ceux  qui  ont  traité  quelques  autres  par- 
tie de  l'histoire,  il  distingue,  à  juste  titre,  Martin  Stuart.  Ce 
yénérable  pasteur  des  Remontrans  d'Amsterdam,  mort  en 
1826,  a  publié,  de  179'i  à  1810.  une  Histoire  Romaine,  jus- 
qu'à l'époque  de  Constantin,  en  trente  volumes  in-S", 

Ce  qu'a  fait  Stuart  pour  VHistoire  Romaine ,  M.  van  Kam- 
pen  le  fait  en  ce  moment  pour  celle  de  la  Grèce.  Les  trois  pre- 
miers Tolumes  de  son  Histoire  de  la  Grèce  ont  paru  à  Rotter- 
dam et  à  Dordrecht,  de  1827  à  i85o,  in-S",  et  ils  font  attendre 
avec  une  vive  impatience  les  trois  ou  quatre  autres  qui  doi- 
vent les  suivre. 

L'Histoire  Sainte  et  l'Histoire  Ecclésiastique  ont  été  sa- 
vamment traitées  par  van  Hamelsveld,  Ypey,  Muntinghe  et 
Vander  Palm.  Ce  dernier,  profeseur  de  langues  orientales  à 
Leyde,  est  encore  à  nommer  parmi  les  colosses  de  la  liuéra- 


G;!ï  LITTIiPvATUKE. 

tiire  hollandaise,  soit  comme  hisloiien,  ou  comme  philolo'- 
gue,  on  comme  orateur  sacré.  L'éloquence  de  la  chaire  a  pris 
en  Hollande,  surtout  depuis  une  trentaine  d'années,  un  grand 
et  bel  essor.  Avec  Van  der  Palm  ttStunrt,  il  Tant  citer  sur- 
tout Borger,  Kist ,  Hulshof,  Clarisse,  etc. 

Martinet,  pasteur  à  Zutphen,  a  eu  le  mérite  de  populari- 
ser en  Hollande  le  goût  de  l'histoire  naturelle,  par  son  Ca- 
téchisme de  la  nature. 

ISous  regrettons  de  ne  pas  pouvoir  faire  connaître,  connue 
ils  le  mériteraient  à  divers  titres  littéraires,  Perpoiicher,  Kan- 
telaar,  Ockerse,  le  La  Bruyère  de  la  Hollande,  Loots,  Tollens, 
et  une  foule  d'autres. 

M.  S'Gravenweert  n'a  pas  oublié  les  artistes  dramatiques; 
et  ici,  la  rivale  des  plus  hautes  réputations  de  ce  genre, 
M""  Wattier,  devenue  M"'  Zièscnis,  sort  entièrement  de  ligne. 

Ainsi,  l'uuteur  arrive,  et  nous  arrivons  avec  lui ,  au  terme 
de  son  Essai.  Dans  les  sciences,  quel  pays,  proportion  gai'- 
dée  de  son  étendue  et  de  sa  population,  a  fourni  une  plus 
brillante  carrière  que  la  Hollande?  Ici  du  moins,  on  lui  rend 
universellement  justice. 

L'histoire  littéraire  des  Provinces-Unies  a  eu  pour  dignes 
interprèles,  mais  dans  l'idiome  national,  de  Vries,  Ypey, 
Sc/ieltcma  y  Collot  d'Escury,  JV itsen-Geysbeck ,  van  Campen, 
de.  Clerc,  etc.  M.  S'Gravenweert  a  honorablement  rempli  par 
son  Essai  une  déplorable  lacune  de  la  littérature  française,  et 
son  ouvrage  doit  faire  cesser  bien  des  préventions  injustes  (i). 

■Nous  terminerons  notre  extrait  par  cette  citation  : 

«  La  littérature,  ingénieusement  appelée  la  physionomie 
du  peuple, -est,  en  Hollande,  grave  et  religieuse,  comme  la 
nation  :  toujours  simple,  et  souvent  sublime  ou  hardie,  elle 
se  distingue  par  un  caractère  oiiginal  de  méditation  et  de  pa- 
triotisme. Dans  la  marche  de  la  civilisation,  elle  conservera 
une  place  qui  lui  est  propre,  et  qui  pourra  avec  quelque  droit 
lui  être  enviée.  » 

Marron. 

(i)  Le  principal  litre  littéraire  de  M.  de  S'Giaven^vfcrt  est  une  tra- 
duction d'Homère  en  vers  hollandais. 


m.    BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE. 

LIVRHS  ÉTRANGERS  (i). 


AMERIQUE  SEPTEÎNTRIONALE. 
ÉTATS-UNIS. 

i3o.  — *  Tables  togarithmiqaCfS  et  trigcnomêtriqucs  à  7  déci- 
maies  en  petit  formai^  corrigées  des  erreurs  des  Tables  précé- 
dentes, par  F.  il.  Hassler,  M.  S.  P.  A.;  stéréotypées  par 
Guillaume  Hagar  et  C'e.   New-\ork,   i83o;  Carvill.  In-13. 

La  publication  de  ces  Tables  en  français,  dans  le  Nouveau- 
Monde,  et  pour  l'usage  des  navigateurs,  est  une  bonne  nou- 
velle pour  notre  commerce  et  pour  notre  langue  :  l'Amérique 
s'annonce  comme  favorablement  disposée  à  former  et  à  per- 
pétuer avec  nous  des  relations  trop  différées  par  le  gouverne- 
ment dont  nous  sommes  enfin  délivrés,  mais  qui  n'en  sont  que 
plus  intimes,  depuis  qu'une  politique  plus  libérale  préside  à 
nos  destinées.  Outre  les  avantages  ordinaires  attachés  à  ces 
liaisons  entre  les  peuples,  nous  pouvons  espérer  de  rendre 
d'importans  services  aux  jeunes  républiques  améritaines,  de 
les  aidei'  dans  leur  carrière  de  civilisation,  d'industrie,  de  pro- 
grt'S  inteliectuel-s,  de  bonheur  public  et  privé;  et,  si  nous  ob- 
tenons cette  satisfaction,  elle  ne  sera  pas  sans^  profit  pour 
nous-mêmes:  un  peuple  qui  ne  s'améliorerait  point  n'aurait 
jamais  le  pouvoir  de  contribuer,  par  son  exemple  et  par  son 
influence,  au  perfectionnement  de  nations  lointaines  avec  les- 
quelles il  n'aurait  de  communication  que  par  ses  livres,  les 
navigater.rs  et  les  voyageurs  de  part  et  d'autre. 

Les  Tables  de  logarithmes  sont  du  nombre  des  livres  qu'il 


(1)  Nous  indiquons  par  uii  astérisque  (') ,  placé  à  côté  du  lilie  de 
chaque  ouvrage,  ceux  des  livres  étrangi  rs  ou  fiançais  qui  paiai.ssent 
dignes  d'une  attention  particulière,  et  nous  en  reniirms  qntUpicfois 
compte  dans  !a  section  des  Analyses, 


0:4  LIVRES  ÊTRAiSGEKS. 

convient  de  multiplier  par  les  impre^sious  stéréotype?.  L'in- 
troduction est  en  français;  quant  aux  formules  trigonométri- 
ques,  elles  sont  dans  la  hingue  universelle  des  sciences  ma- 
thématiques. Nous  ignorons  par  quels  motifs  les  Tables  de 
logarithmes  des  fonctions  Irigonométriques  et  celles  des  sinus 
naturels  des  arcs,  depuis  o°  jusqu'à  ç)0°,  sont  annoncées  par  un 
titre  en  latin,  anglais,  français,  allemand  et  espagnol.  Voilà 
quatre  idiomes  (|ui,  dans  tout  le  livre,  sont  réduits  à  cet  em- 
ploi. Au  premier  coup  d'œil,  ce  titre  polyglotte  semble  inu- 
tile; mais  il  avertit  tous  les  habitans  des  États-Unis  et  ceux 
des  nouvelles  républiques,  que  le  livre  est  à  leur  usage,  s'ils 
sont  familiarisés  avec  les  calculs  qui  exigent  ces  Tables.  Quant 
à  la  correction  des  chilYres,  on  n'a  sans  doute  lien  négligé 
pour  s'en  assurer  avant  de  passer  au  stéréotypage.  Le  carac- 
tèie  est  d'une  extrême  finesse,  et  il  fallait  ce  degré  de  petitesse 
pour  renfermer  autant  de  choses  sons  un  aussi  petit  volume, 
et  transformer  nos  in-4°  ou  nos  gros  in-8°  en  un  petit  in-12. 
La  diffîcullé  de  cette  entreprise  a  été  aussi-bien  surmontée 
en  Amérique  qu'elle  eût  pu  l'être  en  Europe. 

1 5 1 .  — Suggestions  respeeting  tmprovemetits  in  éducation^  etc. 
— Vues  relatives  au  perfectionnement  de  l'éducation,  présen- 
tées aux  curateurs  de  la  maison  d'éducation  de  jeunes  filles, 
à  Hartford,  et  publiées  d'après  leur  demande;  par  Catherine 
E.  Bef.ciier.  Hartfovd,  i85o.  In-S"  de  84  pages. 

L'auteiu'  de  cet  ouvrage  est  directrice  de  l'Institulion  de 
jeunes  fdles  à  Hartford,  élablissement  dont  elle  a  considéra- 
blement accru  la  renonmiée  et  la  prospéiité.  Ce  ne  sont  donc 
point  des  vues  purement  spéculatives  qu'elle  communi(|ue  au 
public,  mais  des  fruits  de  l'expérience  j)arvenns  à  la  matu- 
rité ;  il  serait  à  désirer  qvi'elle  eût  complètement  raison  sur 
tous  les  points,  car  elle  établit  qu'tV  n'y  a  point  de  défaut  de  ca- 
ractère,  ô'hahitude.s  et  de  vianières  qui  ne  puisse  être  corrigé. 
Comme  elle  a  continuellement  une  centaine  de  pensionnaires 
snus  les  yeux,  elle  a  certainement  beaucoup  vu,  beaucoup 
observé;  mais  n'a-t-clle  pas  jugé  avec  quelque  indulgence? 
On  ne  lui  saurait  pas  mauvais  gré  d'avoir  mieux  pensé  de 
quelf|ues-unes  de  ses  élèves  qu'elles  ne  le  méritaient  réelle- 
ment, d'avoir  considéré  coumie  guérisdcs  maux  qui  n'étaient 
que  palliés.  Celte  disposition  à  juger  favorablement  est  peut- 
être  une  condition  de  rigueur  pour  que  l'in*tituteur  ou  l'in- 
stitutriie  obtienne  fiuelqiie  succès.  Ce  petit  ouvrage  prouve 
ce  que  l'on  soupçonnait  déjà,  que  l'on  a  fait  en  Amérique  les 
niTme?  fautes  qu'en  Fnrope.  relativement  à  l'éducation;  mais 
il  fait  vi;ir  aus-i  (jue  Vnw  y  tait  de  grands  efforts  pour  :-ortir  de 


ih'ATS-LMS.  675 

cfitlo  ancienne  el  profonde  oini»'ie,  que  l'on  y  obtient  des 
améliorations  dont  l'effet  nécessaire  sera  d'en  aniencr  d'autres 
non  moins  importantes.  L'éciit  de  Madame  Beecher  est,  à 
quelques  égards ,  une  statistique  des  meilleures  maisons  d'é- 
ciucation  de  demoiselles,  aux  États-Unis  :  celle  d'Hartford  se- 
rait, ^  coup  sûr,  des  plus  remarquables,  même  dans  l'une  des 
plus  grandes  capitales  de  l'Kurope. 

L'auteur  soutient  que  les  femmes  doivent  être  exclusive- 
ment chaigées  de  l'éducation  des  personnes  de  leur  sexe  :  ou 
ne  peut  lui  opposer  aucune  expérience  contraire,  mais  quel- 
ques inductions  très-probables  font  soupçonner  que  sa  propo- 
sition est  trop  absolue.  On  sait  que  l'éducation  de  l'homme  ne 
serait  pas  aussi-bien  faite  par  des  hommes  seuls,  que  lorsque 
des  femmes  sensées  y  prennent  paît;  ne  peut-on  pas  appli- 
quer la  même  remarque  à  l'éducation  des  jeunes  fdles  ?  Puis- 
(pie  nous  en  sommes  encore  à  faire  ces  questions,  et  que  la 
solution  nous  embarrasse,  il  faut  avouer  qu'en  fait  d'éduca- 
tion, nous  en  sommes  encore  aux  premiers  élémens.  llecueil- 
lons  donc  les  faits  instructifs,  car  c'est  par  les  faits  seulement 
que  les  arts  s'enrichissent  et  s'acheminent  vers  leur  perfec- 
tion ;  et  quel  art  mérite  mieux  nos  recherches  et  nos  soins  que 
celui  d'élever  nos  enfans  pour  leur  bonheur,  et  pour  le  bien- 
être  des  générations  futures  ?  F. 

i52.  —  Thouglits  on  éducation  in  its  connexion  with  ma- 
rais, etc.  —  Pensées  sur  l'éducation  dans  ses  rapports  avec 
la  morale  :  poème  récité  devant  la  Société  philosophique  et 
littéraire  du  collège  de  Hampden  Sidney,  au  cinquième  anni- 
versaire de  l'institution;  par /)««<>/ Bryan.  Richmond,  i85o; 
AVhite.  In-H°  de  5  feuilles. 

Ce  qu'il  faut  louer  surtout  dans  cet  ouvrage,  c'est  la  droi- 
ture d'intention  et  le  zèle  de  l'auteur,  qui  a  fait  preuve  de 
beaucoup  de  bonne  volonté  en  se  rendant  à  l'appel  fait  aux 
poètes  par  la  Société  du  collège  de  Hampden  :  mais,  sur  le 
titre,  nous  avions  rêvé  plus  et  mieux  que  cela.  Il  y  a  tant  de 
choses  à  apprendre  en  éducation,  cette  science  qui  va  s'élar- 
gissant  et  se  complétant  à  mesure  que  le  genre  humain  avance. 
Nous  attendions  des  vues  importantes  et  nouvelles  sur  un  pa- 
reil sujet,  traité  dans  un  pays  libre  ;  nous  croyions  voir  com- 
ment, jeune,  on  apprend  à  subordoni.er  son  intérêt  person- 
nel au  bien-être  de  tous  ;  comment  on  s'élève  de  bonne  heure 
aux  pensées  hautes  et  généreuses  qui  fondent  et  conservent 
les  républiques.  Au  lieu  de  ces  graves  enseignemens,  M.  Bryan 
a'a  donné  qu'une  suite  d'allégories  assez  froides,  une  galerie 
de  portraits  de  tous  les  vires  que  l'édiu  ation  doit  étouffer,  et 


Gy6  LIVRES  ÉTRA>GERS. 

des  maux  qu'elle  peut  faire  naîtic  si  l'on  suit  un  mauvais 
système.  C'est  l'ambition,  la  g:îieire.  les  factions,  l'intempé- 
rance, etc.,  etc.  Bref,  disons-le  franchement,  nous  clierchions 
des  idées  et  des  observations,  si  piécieuses  en  pareille  ma- 
tière, et  nous  avons  trouvé  une  amplification  de  collège,  vide 
et  boursouflée.  L.  S.  B. 

1 53. — ^  narra/ Lve  oftlie  Anti-masonicexcitement  in  ilie\TVes~ 
tern  pari  of  ike  Slate  of  New-York,  etc.  —  Histoire  du  soulè- 
vement (tjitimaronniifue,  dans  la  partie  occidentale  de  l'État  de 
JSew-York  ,  depuis  182G  jusqu'en  1829;  Y>^i^  Henry  URoyyy , 
conseiller  es  lois  (counseilor  v.l  law).  Batavia,  1839.  I»-^"  Je 
244  pages. 

Le  récit  de  M.  Brown  fait  mieux  connaître  la  siluation  mo- 
rale et  sociale  de  la  population  des  États-Unis,  ou.  plus  exac- 
tement, de  l'État  de  ^ew-lork  ,  que  tDut  ce  qu'on  recueil- 
lerait dans  les  livres  des  vo^^ageurs  les  plus  dignes  de  foi.  Les 
faits  qu'il  met,  pour  ainsi <iire,  sous  les  yeux  de  ses  lecteurs 
sont  tels  que  l'imagination  d'un  romancier  n'aurait  rien  conçu 
de  mieux,  et  seiait  proboblement  restée  au-dessous  de  la  réa- 
lité, de  même  que  les  créations  des  poètes  sont  au-dessous  de 
la  nature  qu'ils  ne  connaissent  point,  et  qu'ils  prétendent 
imiter  ou  surpasser.  Un  prisonnier  pour  dettes  est  élargi; 
des  bourses  se  sont  ouverlC'^  pour  satisfaire  ses  créanciers  ; 
une  voiture  l'attend  à  la  porte  de  la  prison,  il  y  monte  :  il  est 
tombé  entre  les  mains  d'ennemis  plus  impitoyables  que  ses 
créanciers,  on  l'emmène  ,  il  disparait  :  voila  la  part  du  roman; 
'•jjoutons-y  les  infortunes  de  l'épouse  de  ce  prisonnier,  qui, 
mariée  à  l'âge  de  16  ans,  en  1819,  a  partagé  les  revers  suc- 
cessifs qui  ont  ruiné  son  époux,  supporté  les  vices  et  les  désor- 
dres que  ces  revers  ont  entraînés,  etc.  Quant  aux  tableaux  de 
mœurs  locales,  la  rivalité  de  deux  imprimeurs  établis  dans  un 
village  (  Batavia  ) ,  l'efl'et  protluit  par  la  menace  de  révéler  par 
la  presse  tous  les  mystères  de  la  franc-maçonnerie;  des  tenta- 
tives pour  mettre  le  feu  à  la  maison  du  téméraire  imprimeur; 
quelque  lems  après,  un  projet  d'attaque  contre  sa  forteresse, 
car  s;i  maison  était  en  état  de  soutenir  un  siège,  munie  de 
deux  pieniers,  de  5  à  6  pistolets,  de  i5  à  20  fusils.  Viennent 
ensuite  des  procès  particuliers,  des  informations  judiciaiies  , 
où  Ton  peut  observer  la  Diarclie  des  tribunaux  dans  l'Etat 
de  New- York.  Les  actes  de  violence  furent  d"abord  contenus, 
mais  enfin  des  attaques  eurent  lieu,  et  les  francs -maçons 
furent  les  agresseurs;  mais  leurs  adversaires  ne  furent  pas 
moins  reprébeusibles,  d'autant  plus  qu'ils  firent  intervenir  a 
politique  et  même  la  religion  dans  des  querelles  où  les  inté- 


ÉTATS-UNIS.  —  GUAiM)E-BllETAGNE.  677 

ïêts  du  ciel  n'élaieiit  point  cuiiipromis  ,  non  plus  que  ceux  cle 
la  pallie;  et,  dans  un  gouvernement  républicain,  toute  la  po- 
litique consiste  dans  la  connaissance  de  ces  intérêts  de  la  patrie, 
et  des  moyens  de  les  assurer  sans  nuire  à  ceux  de  l'humanité. 
11  est  à  désirer,  sans  doute,  que  les  républicains  aient  quel- 
que aversion  pour  tout  ce  qui  se  passe  dans  une  retraite  mysté- 
rieuse où  l'on  n'admet  que  des  adeptes  et  des  initiés;  si  les  souve- 
rains de  l'Europe  ont  pu  croire  que  leurs  trônes  étaient  menacés 
parla  t'ranc-maconnerie,  il  faut  excuser  les  citoyens  de  l'Etat  de 
New-York  d'avoir  conçu  quelque  défiance  en  voyant  celte  as- 
sociation se  répandre  chez  eux,  jusque  dans  les  plus  petits 
villages,  et  appeller,  au  besoin,  les  associés  des  autres  États. 
Celte  histoire,  fort  bien  écrite  et  pleine  d'observations  judi- 
cieuses, apprendra  beaucoup  de  choses  que  la  plupart  des 
hommes  d'Etat  ne  savent  pas  encore  assez;  elle  leur  fera  voir 
qu'aucun  préjugé  n'est  sans  influence,  que  l'elï'et  dont  ils  sont 
capables  sont  les  plus  souvent  imprévus,  opposés  à  ceux  aux- 
quels on  s'attendait,  et  qu'il  est  toujours  imprudent  de  comp- 
ter sur  d'autres  résultats  que  ceux  des  vérités  morales  et  po- 
litiques. Y. 

EUROPE. 

GRANDE-BRETAGNE. 

i34-  — *  Prospectus  ofaplan  of  p/tilosophy,  etc. —  Prospec- 
tus d'un  plande  philosophie,  contraire  à  tous  les  systèmes  mo- 
dernes, et  fondé  sur  la  parole  de  Dieu,  par  Florent  Calli, 
ex-aide-dc-camp  du  général  Mina,  membre  de  l'Académie  des 
Arcades  de  Home,  fondateur  et  piésident  perpétuel  honoraire 
de  l'Académie  des  Regenerados,  éditeur  d'e/  Ecropeo,  en  Espa- 
gne, et  de  r/?7>,  au  Mexique;  auteur  des  Mémoires  sur  la  der- 
nière guerre  en  Catalogne.  Londres,  i85o;  imprimerie  de 
Howlett  et  Brimmer.  In-4°  de  20  pages. 

M.  Galli  n'est  pas  consolant;  le  tableau  qu'il  met  sous  nos 
yeux  nous  montre  le  préseul  sous  un  terrible  aspect  ;  et  le 
passé,  surchargé  des  erreurs  et  des  calamités  qu'elles  en- 
traînent, ne  pouvait  nous  amener  à  rien  de  mieux  que  ce 
que  nous  voyions.  La  faculté  dont  l'homme  s'enorgueillit  le 
plus  n'a  servi  <ju'à  le  perdre;  semblable  aux  lumières  insi- 
dieuses produites  par  les  exhalaisons  des  marais,  elle  nous  a 
toujours  fait  quitter  la  bonne  voie,  et  diriger  nos  pas  vers  les 
lieux  les  plus  malsains,  les  plus  dangereux.  C'est  sur  la  foi  de 
ce  guide  pervers  que  nous  en  sommes  venus  au  point  de  croire 


CjS  LlVKliS  ETilANGl'RS. 

que  la  terre  tourne  autour  du  soleil,  etc.,  etc.  Et  qui  pour- 
rait compter  les  égareniens  de  cette  sorte,  df)nt  nos  prétendues 
sciences  sont  coupables?  On  peut  donc  être  assuré,  que  la 
pliilosophie  de  M.  Galli  sera  nouvelle  à  tous  égards,  et 
({u'elle  non*  fera  désapprendre  à  peu  prés  tout  ce  que  nous 
avons  cru  savoir  jusqu'à  présent,  sans  en  excepter  les  véri- 
tés mathématiques,  dont  le  réformateur  ne  parle  point,  mais 
qui  ne  sont  nullement  en  sûreté,  Ci\r  elles  ne  sont  point  fon- 
dées sur  la  parole  de  Dieu,  et  ne  peuvent  être  comprises  dans 
la  nouvelle  philosophie. 

Ce  prospectus  est  écrit  avec  chaleur,  entraînement,  con- 
viction profonde  :  ceux  dont  il  n'ébranlera  point  les  croyan- 
ces philosophiques  ne  seront^iourtant  pas  ir^se^siblesaux  char- 
mes de  l'éloquen»  e,  car  il  y  en  a  beaucoup  dans  ce  pro>pectus, 
et  l'érudition  de  M.  Galli  ne  la  dépare  point.  Ceux  qui  l'au- 
ront lu  d'un  bout  à  l'autre  seront  au  moins  tentés  de  se  faire 
inscrire  au  nombre  des  souscripteurs,  pour  l'ouvrage  qu'il 
se  dispose  à  publier.  Voici  commeut  il  l'annonce. 

«  Dix  années  d'observations,  d'épreuves  et  de  voyages,  l'é- 
tude assidue  de  l'aspect  de  l'univers,  étude  faite  sur  les  cho- 
ses et  non  dans  les  livres,  m'ont  démontré  que  rien  n'est 
exagéré  dans  l'esquisse  que  j'en  ai  présentée,  et  que  l'horizon 
politique  de  l'Europe  est  réellement  très-sombre,  plus  som- 
bre que  je  ne  saurais  le  dépeindre.  Je  propose  donc  aux  na- 
tions civilisées  un  système  de  philosophie,  dont  l'objet  est 
d'attaquer  le  mal  dans  toutes  ses  racines,  de  calmer  les  pas- 
sions, de  panser  les  plaies,  d'éteindre  l'esprit  de  parti,  de  pro- 
pager l'union,  la  paix  et  l'harmonie  parmi  les  hommes,  en 
travaillant  à  réconciliei-  la  science  avec  la  morale,  la  politique 
avec  la  religion,  la  philosophie  avec  les  lumières  divines,  la 
nature  avec  Dieu.  On  sait  trop  bien  que,  sans  la  religion,  la 
justice  des  rois  n'est  pas  une  garantie  pour  les  peuples,  que 
les  rois  ne  peuvent  se  confier  à  la  loyauté  de  leurs  sujets,  que 
ni  les  peuples,  ni  les  rois  ne  peuvent  compter  sur  la  sainteté 
des  prêtres;  que  la  faveur  (lu  Tout-Puissant  est  refusée  aux 
prêtres,  aux  peuples  et  aux  rois.  L'erreur,  l'incrédulité  et  les 
dissentions  domestiques  dominent  toute  l'Europe.  Malheur  à 
cette  population!  Le  jugement  de  Dieu  se  prépare,  et  l'atteindra. 

«L'ouvrage  est  déji'i  fort  avancé,  et  un  grand  tableau  pré- 
sentant les  bases  et  le  type  de  tout  le  système  est  fout  prêt  pour 
l'impression  :  c'est  un  précis  de  tout  mon  travail  ([ue  je  me 
propose  de  livrer  au  public  par  souscription,  Je  donne  à  ce 
tableau  le  nom  de  Tabula  pliilohgica,  parce  que  mon  s^'Stème 
lepnse  tout  entier  sur  le  texte  de  saint  Jean  e-j  y.py.n  -n-j  o  loyoç  (iu 
piincipin  ciat  Tcrbum  ,  etc.).  Le  tableau  philologique  est  de 


GllÀNDE-liilLT  AGM'.  6-0 

nature  à  Ctre  bien  mieux  compris  à  la  seule  inspeeliou,  qu'il 
ne  pourrait  l'êlre  par  les  explications  d'un  prospectus  :  mais, 
afin  que  l'on  puisse  s'en  former  une  idée,  traçons  ses  piinci- 
paux  linéaniens.  Il  représente  une  coupe  de  l'univers,  dirigée 
suivant  l'axe  terrestre,  et  la  voûte  des  cieux,  à  l'horizon  :  le 
milieu  est  occupé  par  un  symbole  hiéroglyphique,  relatif  à  la 
nature  de  Dieu.  Le  tint  est  surmonté  par  la  genèse  du  lan|jage 
humain,  avec  le  tracé  des  rayons  qui ,  partant  de  ce  foyer 
commun,  se  diligent  vers  lescinq  parties  du  monde,  et  vont 
y  former  toutes  les  langues  et  leurs  dialectes,  au  nombre  d'envi- 
ron deuxmille  cinq  cents.  Les  textes  qui  forment  la  base  du 
système  représenté  parce  tableau,  sont  transcrits  littérale- 
ment, avec  l'explication  à  côté  de  l'original;  tout  le  reste  est 
en  anglais. 

»  Le  prix  de  la  souscription  au  Tableau  philologique  et  au 
livre  qui  l'explique,  est  de  2  livres  sterling  et  2  srhelings.  » 
(On  souscrit  à  Londres,  chez  M>L  Treultel,  3o,  Soho  Square  ; 
Arch,  Cornhill;  Longman,  Patenioster  row.  ) 

En  prenant  le  mol  p/iitologie  dans  le  sens  ordinaire,  et  non 
dans  l'acception  plus  spéciale  que  31.  Galli  lui  attribue,  on  sera 
curieux  de  voir  l'immense  travail  que  notre  novateur  en  phi- 
losophie a  fait  SIM'  les  langues.  Son  prospectus  annonce  déjà 
l'étendue  de  son  érudition;  son  tableau  doit  en  donner  une 
bien  plus  haute  idée,  et  répandie  quelque  clarté  dans  l'his- 
toire, encore  si  obscure,  des  migrations  des  peuples  et  de  l'in- 
vasion de  toute  la  terre  par  l'espèce  humaine.  N. 

i55.  — *  Lectures  on  an  entire  iiew  stale  ofsociety^  etc.  —  Le- 
çons sur  un  état  de  société  tout-à-fait  nouveau,  comprenant 
une  analyse  de  la  société  en  Angleterre,  et  des  vues  sur  la 
production  et  la  distribution  des  richesses,  la  formation  des 
caractères  individuels,  le  gouvernement  au-dedans  et  au-de- 
hors  ;  par  Robert  Owen,  écuyer.  Londres,  1800  :  suite  de 
brochures  d'une  feuille  d'impression,  pui)liées  par  Strange, 
Tateruoster  row,  et  Heterington,  et  vendues,  au  prix  de  trois 
deniers  chacune,  par  G.  Purkess,  'ii  AVardour  street ,  Soho, 
et  (liez  tous  les  libraires,  ainsi  qu'au  bazar  coopératif,  19  Gre- 
ville  Street,  Hattongarden,  et  dans  tous  les  magasins  coopératifs. 
La  Bévue  Encyclopédique  a  déjà  parlé  plusieurs  fois  des  en- 
treprises philantropiques  de  M.  Owen.  Quoiqu'il  n'ait  pas 
encore  obtenu  un  succès  complet  et  décisif,  même  dans  le 
Nouveau-Monde,  il  se  présente  pourtant  avec  l'aiiioiité  de 
quelque  expérience,  et  ne  s'appuie  pas,  comme  M.  Gaili,  sur 
des  fondemens  qu'il  ne  soit  par  permis  d'examiner  et  de  son- 
der. Ses  idées  sont  au  niveau  de  notre  intcUigcucc  :  mieux  ou 


68o  LIVRES  ÉTRANGERS. 

les  conçoit,  plus  on  s'y  attache;  et  si  l'on  est  forcé  de  recon- 
naître que  les  moyens  de  bonheur  qu'il  nous  présente  ne  sont 
pas  encore  applicables  à  notre  situation,  ce  sont  des  regrets 
que  l'on  éprouve,  et  non  pas  un  désappoiniement;  l'espé- 
rance n'est  pas  tout-à-fait  perdue,  on  se  résigne  à  différer 
jus(|u'à  ce  que  les  lumières  S'aient  plus  répandues,  les  esprits 
mieux  préparé?  pour  des  réformes  auxquelles  la  raison  seule 
présideiait.  Les  idées  consolantes  arrivent  en  foule,  et  font 
oublier  les  maux  présens,  en  laissant  entrevoir  dans  l'avenir 
des  biens  que  l'imagiiialion  appiécie  à  sa  manière,  sans  se  pi- 
quer d'exactitude.  Partout  011  les  écrits  de  M.  Owen  pénétre- 
ront, il  peut  compter  sur  un  grand  nombre  de  lecteurs  atten- 
tifs, et  ceux  mêmes  qui  n'adopteront  pas  ses  doctrines  con- 
cevront une  haute  estime  pour  l'écrivain,  et  s'empresseront 
de  rendre  justice  à  ses  inlenlions. 

iSous  n'avons  encore  sous  les  yeux  que  les  cinq  premières 
feuilles  de  ces  leçons;  le. réformateur  commence  par  l'analyse 
de  l'état  soeial  en  Angleterre,  et  passe  ensuite  à  l'exposition 
des  erreurs  qui  jusqu'à  présent  ont  dirigé  tous  les  peuples,  et 
servi  de  bases  à  toutes  les  associations  humaines  que  nous 
puissions  observer,  ou  dont  l'histoire  nous  a  transmis  la  con- 
naissance. Cette  matière  abonde  au  point  que  M.  Owen  y  a 
consacré  deux  leçons,  après  lesquelles  il  arrive  aux  réformes 
qu'il  veut  proposer  :  elles  sont  radicales,  comme  on  va  le 
voir.  «Dans  le  nouvel  état  de  société  que  je  veux  faire  con- 
naître, une  religion  n'est  pas  nécessaire,  non  plus  que  la  res- 
ponsaliililé  individuelle,  l'artifice  des  récom|tenses  et  des 
punilions;  non  plus  que  les  propriétés  privées,  la  concurrence 
commerciale,  l'inégidilé  des  rangs  et  des  conditions,  les 
unions  conjugales  célébrées  avec  la  solennité  dont  elles  ont 
été  accompagnées  jusqu'à  présent.  Les  lois  éternelles  de  la 
nature  y  seront  ponctuellement  observées;  aucune  passion 
n'y  portera  au  crime;  la  pauvieté  n'y  sera  point  à  redouter; 
tous  les  échanges  seront  au  profit  de  tous;  on  n'y  connaîtra 
point  le  désir  des  richesses,  des  honnciu's,  des  distinctions; 
point  de  dissolution,  mais  au  coiiliaire  une  chasteté  réelle  et 
pure;  une  tendance  universelle  vers  le  bien  de  tous,  une  af- 
fection nuituelle,  les  douceurs  d'une  inaltérable  concorde. 

«Cet  état  social  si  désirable  sera  le  résidtat  de  la  connais- 
sance et  de  l'appliciition  des  lois  de  la  nature  hiniiaine,  de 
l'expérience  que  l'histoire  doit  nous  donner,  desaveriissemens 
(|uc  l'on  y  trouvera  pour  éviter  les  fautes  commises  par  igno- 
rance, et  les  vices  que  ces  fautes  ont  engendrés,  des  soins  que 
l'on  prendra  pour  l'éducation  de  la  jeunesse,  et  même  des 


GRANDE-iiRETAG?JE.  681 

«Iges  plus  avancée,  de  la  direction  que  l'on  sntua  donner  aux 
actions  et  aux  penchius,  des  institutions  raisonnables  qui  se- 
ront établies,  pour  s'emparer  de  l'homme  naissant,  et  ne  le 
quitter  que  lorsque  la  tombe  le  réclame.  Ce  sera  par  ce 
moyen  que  chaque  génération  ajoutera  quelques  nouveaux 
dégrés  au  perfectionnement  de  celle  qui  l'aura  précédée.  » 

(]'est  ainsi  que  INl.  Owen  commence  sa  quatrième  leçon, 
dans  laquelle  il  entreprend  de  prouver  qu'une  société  perfec- 
tionnée se  passe  de  religion,  de  système  de  récompenses  et 
de  chàtimens  et  de  propriétés  privées.  L'acte  d'accusation  des 
religions  est  très -véhément;  les  reproches  qui  leur  sont 
adressés  sont  des  plus  graves;  et,  si  elles  les  ont  mérités,  rien 
ne  peut  les  justifier.  Il  est  bien  évident  que  le  réformateui'  ne 
parle  que  des  systèmes  religieux  imaginés  par  les  hommes,  et 
n'a  point  en  vue  les  dogmes  révélés,  ni  rien  de  ce  que  Dieu 
même  a  daigné  manifester  aux  hommes.  Ceux  qui  s'avise- 
raient de  crier  à  l'impiété,  au  scandale,  prouveraient  sur-le- 
champ  qu'ils  savent  mieux  persécuter  que  raisonner.  En  effet, 
qui  oserait  dire  que  l'homme  est  en  état  de  créer  une  religion, 
ou,  en  d'autres  terme?,  d'établir  des  relations  entre  la  divinité 
et  la  race  humaine?  et  si,  malgré  son  impuissance,  il  cons- 
truit un  système  religieux  pour  servir  de  bases  à  son  état 
social,  n'aurait-il  pas  abandonné  la  raison,  et  pris  son  imagi- 
nation pour  guide?  M.  Owen  insiste  sur  un  axiome  ([ue  les 
législateurs  perdent  souvent  de  vue,  et  dont  ils  ne  s'écartent 
jamais  impunément  ;  c'est  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  sûreté  pour 
les  peuples  que  dans  l'application  des  vérités  morales,  c'est 
à-dire,  des  rapports  qui  subsistent  réellement  entre  les  hom- 
mes, d'après  les  luis  générales  de  la  nature  himiaine.  Le  ré- 
formateur attaque  avec  la  même  force  de  logique  le  système 
de  responsabilité  individuelle,  de  récompenses  et  de  peines, 
de  propriété  privée;  c'est  principalement  contre  cette  dernière 
institution,  base  fondamentale  de  nos  sociétés  actuelles,  qu'il 
dirige  les  plus  vigoureuses  attaques.  Il  faut  en  convenir,  la 
défense  est  difficile,  si  on  ne  veut  la  confier  qu'aux  armes  du 
raisonnement.  On  voit,  au  contraire,  au  premier  coup  d'œil, 
qu'un  système  social  où  tout  serait  mis  en  commun  remédie- 
rait à  la  plupart  des  maux  que  nous  souffrons;  (}ue  les  ma- 
chines, par  exemple,  y  procureront  l'avantage  de  créer,  pour 
l'usage  de  tous,  la  plus  grande  somme  de  produits  avec  le 
moindre  travail,  et  de  faire  jouir  à  la  fois  du  maximum  de  ri- 
chesses et  de  loisir  :  loin  de  proscrire  ces  créations  de  l'indus- 
trie, on  s'attacherait  à  les  perfectionner  de  plus  en  plus,  en 
sorte  que  le  travail  immédiat  de  l'homme  serait  exclusive- 


G82  LIVRES  LTRANGERS. 

ment  réservé  pour  ce  que  l'on  ne  pourrait  faire  an  moyen  des 

machines. 

La  cinquième  leçon  a  pour  but  de  démontrer  qu'une  société 
pertéctionnée  n'admet  ni  commerce,  ni  distinctions  sociales, 
ni  mariages  contiaclés  à  notre  manière.  Cette  matière  n'est 
pas  terminée  dans  les  léuilles  que  nous  avons  sous  les  yeux; 
nous  attendrons  ai'ec  impatitnce  la  fin  de  celte  intéressante 
discussion  ,  et  surtout  quelques  informations  sur  les  effets 
que  les  doctrines  de  M.  Owen  ont  opérés  en  Angleterre.  Sa 
philosophie  n'est  pas  simplement  spéculative;  c'est  aux  actes, 
aux  résultats  qu'il  attache  du  prix,  et  ses  efforts  sont  bien 
dignes  d'obtenir  la  seule  récompense  qu'il  ambitionne,  de  voir 
quelques  heureux  (|u'il  aura  laits,  et  dans  la  carrière  du  per- 
fectionnement social,  quel(|ues  pas  qu'il  aura  provoqués  et 
guidés.  Y. 

i56. — *The  friend  cf  Aitstralia;  or  a  Plan  for  explnring  tlie 
inierior,  etc.  —  L'Ami  de  l'Australasie,  ou  plan  pour  explorer 
l'intérieur  de  tout  le  continent  de  la  iNouvelle-Galle  méridio- 
nale, par  un  officier  retiré  du  service  de  la  Compagnie  des  Indes. 
Londres,  i85o;  Hurst.  In-8'  de  428  pages,  orné  d'une  carte 
et  de  cinq  planches. 

Il  est  bizarre  que  les  Anglais,  qui  ont  dépensé  tant  de  mille 
livres  sterling  pour  résoudre  le  problème  géographique  des 
glaces  éternelles  du  pôle,  qui  ont  prodigué  un  si  grand  nom- 
bre de  vies  et  beaucoup  d'argent  pour  les  expéditions  d'Afri- 
que, aient  jusqu'ici  complètement  négligé  l'exploration  d'une 
de  leurs  plus  importantes  colonies.  Tout  ce  qu'on  sait  en  An- 
gleterre de  la  Nouvelle-Galle  du  sud,  c'est  que  c'est  un  lieu 
de  déportation  pour  les  voleurs  et  les  rebelles  irlandais,  que 
la  côte  est  presfpie  partout  stérile  et  sablonneuse,  que  de 
hautes  montagnes  ferment  l'accès  de  l'intérieur,  d'où  soufflent 
à  certaines  époques  des  vents  brfilans,  qui  ont  fait  augurer 
que  le  centre  était  occupé  par  des  déserts  arides  :  plusieurs 
faits  démentent  cette  dernière  supposition,  entre  autres  les 
inondation»  soudaines  qui  viennent  souvent  assaillir  les  vallées 
et  les  basses  terres,  sans  qu'on  puisse  leur  assigner  une  cause, 
et  savoir  par  où  elles  arrivent,  et  par  où  elles  disparaissent  au 
bout  de  deux  ou  trois  jours.  Les  embouchures  des  cours  d'eau 
intérieurs  ne  sont  pas  même  bien  connues;  quelques  per- 
sonnes ont,  il  est  vrai,  reçu  du  gouvernement  la  mission  d'ex- 
plorer le  pays;  mais  les  moyens  ont  été  si  disproportionnés  à 
l'entreprise,  qu'elles  ont  été  obligées  de  couper  court  à  leurs 
excursions,  et  de  revenir  sur  leurs  pas,  faute  d'armes,  de  pro- 


GRANDE-BRETAGNE.  685 

visions,  etc.  C'est  ce  qui  arriva  à  Blaxlaiid,  Wcntworlh,  Law- 
son,  et  aux  capitaines  Oxley,  Ring  et  Jamicsoii. 

Le  but  du  livre  dont  il  s'agit  est  de  proposer  de  faire  plu- 
sieurs expéditions  à  la  lois  sur  différens  points,  ayant  un  cen- 
tre commun,  d'oi'i  l'on  expédierait,  à  l'aide  de  dépôts  établis 
de  dislance  en  distance,  des  provisions,  de  la  poudre,  des  ha- 
ches ;  bref,  tout  ce  qui  peut  être  nécessaire  à  des  explora- 
teurs. Les  moyens  indiqués  par  l'auteur  sont  ingénieux,  mais, 
comme  il  n'en  a  pas  essayé,  plusieurs  peuvent  n'être  pas  aussi 
praticables  qu'il  le  croit.  Sa  grande  terreur,  c'est  que  la  France, 
dont  les  navigateurs  ont  en  effet  remonté  les  premiers  la  ri- 
vière Suan,  jusqu'à  vingt  lieues  dans  l'intérieur  du  continent, 
ne  vienne  revendiquer  ses  droits  sur  la  Nouvelle-Galle,  et 
n'envoie  une  commission  savante  reconnaître  la  côte  et  en 
prendre  possession  sur  un  autre  point  que  celui  qu'occupent 
les  Anglais.  «  N'imitons  pas,  dit-il,  les  Espagnols  qui  fondè- 
rent une  première  ville  (Saitit-Michel),  au  Pérou,  en  i55i, 
et  négligèrent  la  géographie  de  l'Amérique  méridionale,  ou 
la  tinrent  secrète  pendant  près  de  deux  cents  ans,  jusqu'à  ce 
que  la  Condamine  entra  dans  le  fleuve  des  Amazones,  en 
'i'y'5y,  et  donna  la  première  carte  exacte  du  cours  de  cette 
immense  rivière.  Ne  nous  laissons  pas  ravir  l'honneur  d'avoir 
découvert  et  civilisé  ces  terres  inconnues  :  tout  relard  est 
dangereux.  Une  nation  d'un  génie  plus  entreprenant  peut 
nous  dépasser.  Louis  XV  envoya  dans  l'Amérique  du  sud  une 
expédition  savante,  composée  de  vingt-cinq  personnes,  au 
moment  où  il  était  engagé  dans  une  guerre  importante.  La 
France  est  riche,  éclairée,  avide  de  gloire  ;  prévenons-là.  «Et 
pourquoi  ne  prendrions-nous  pas  ces  craintes  pour  un  avis? 
qui  empêcherait  la  France,  dans  un  an  ou  deux,  et  plus  tôt 
peut  être,  de  fonder,  à  l'instar  des  Anglais,  une  colonie  nais- 
sante sur  ces  plages  qu'elle  a  reconnues  la  première?  d'établir 
dans  l'Océan  pacifique  un  vaste  entrepôt  de  marchandises,  un 
échange  des  produits  de  la  Chine  et  de  l'Inde  contre  ceux 
d'Europe  ;  ou  bien  encore  d'en  faire  un  lieu  de  baïuiissement' 
pour  ses  criminels,  si,  comme  il  fiuit  l'e-pérei',  elle  se  prononce 
pour  l'abolition  de  la  peine  de  mort.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ces 
projets,  ce  serait  toujours  chose  utile  de  s'éclairer  sur  ce  pays, 
sur  la  nature  du  sol,  sur  les  ressources  qu'il  présente.  Le  cli- 
mat est  généralement  tempéré  ;  dans  les  plaines  qui  avoisi- 
nent  les  montagnes,  on  obtient,  avec  un  peu  de  culture,  du 
blé,  d'abondans  légumes  et  des  fruits  savoureux.  Les  eaux 
qui  viennent  de  l'intérieur,  et  particulièrement  les  inonda- 
tions dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  amènent  avec  elles  d'c- 


684  LIVRES  ÉTilANGEllS. 

normes  troncs  d'arbres  qui  t-cuioignent  de  la  fertilité  du  cen- 
tre. La  rivière  du  Prince-Ilégent,  dans  laquelle  on  a  pénétré 
jus<iu'à  une  distance  de  cinquante-quatre  milles,  l'orme,  au- 
dessus  des  rochers  qui  barrent  son  lit,  «ne  cascade  de  cent 
quarante  pieds  de  hauteur;  et,  sur  ses  bords,  les  alluvions  et 
les  débris  d'arbres  et  de  rocs  prouvent  (]ue  les  eaux  montent 
souvent  de  dix  à  douze  pieds.  Enlîii,  tout  porte  à  croire  que, 
de  même  que  la  côte  de  Coromandel,  ce  nouveau  continent  a 
pour  ceinture  des  déserts  de  sables,  et  des  monlugues,  der- 
rière lesquelles  s'étendent  des  plaines  semées  de  collines,  et 
arrosées  par  une  grande  quantité  de  lacs  et  de  rivières.  Du 
reste,  il  est  inouï  qu'on  en  soit  encore  aux  conjectures,  et 
qu'il  ne  se  soit  pas  organisé  non-seulement  une,  mais  vingt 
expéditions,  pour  reconnaître  un  pays  qui  promet  tant  de  nou- 
veautés aux  savans,  et  tant  de  découvertes  curieuses  aux 
voyageurs. 

107. — *MiUla)y  Réminiscences,  etc.  —  Souvenirs  militaires  : 
Extraitsd'un  journal  tenu  pendant  quarante  années  passé<!S  en 
acti  vite  de  service  dans  les  Indes-Orienlales,  par  le  colonel  (/fljnes 
"Welsh.  Londres,  i83o;  Smilh,  Elder  et  C"' .  2  vol.  in-8°. 

Une  foule  de  gens,  même  en  Angleterre,  où  de  continuelles 
relations  avec  l'Inde  auraient  dû  éclairer  les  esprits,  ne  voient 
encore  dans  les  adorateurs  de  Brama  qu'une  race  de  Païens 
impassibles,  dépourvus  de  passions,  soigneux  de  la  vie  ani- 
male, dévoués  à  l'idolâtrie,  aux  exercices  de  la  pénitence,  et 
aune  indolente  méditation.  On  prend  pour  accordé  que  l'im- 
mense population  éparsc  sur  le  vaste  territoire  qui  s'étcfid  du 
cap  Comorin  aux  monts  Himalaya  a  mêmes  traits,  même 
physionomie,  bien  que  formée  de  tribus  ausM  distinctes  que  le 
sont  entre  elles  les  diverses  nations  d'Europe.  Les  innombra- 
bles ouvrages  publiés  eu  Angleterre  sur  les  Indes-Orientales 
n'ont  pas  apporté  jus(iu'ici  de  grandes  lumières  Sur  le  véri- 
table état  du  pays  :  écrits  pour  la  plupart  par  des  hommes 
imbus  de  préjugés,  et  qui  cherchaient  dans  les  faits  non  la  vé- 
rité, mais  la  confirmation  de  leurs  propres  erreurs  ,  ils  renfer^ 
ment  peu  de  vues  justes  et  impartiales.  Il  n'en  est  pas  de 
menu  du  livre  quejious  annonçons. 

Entré  au  service  de  la  compagnie  en  1790,  le  colonel  AVelsh 
a  habité  quarante  ans  dans  l'Inde ,  et  a  fait  partie  de  l'armée 
Sepoy,  composée  de  naturels  qui  aident  à  subjuguer  leurs 
compatriotes  :  là,  il  a  pu  observer  toutes  les  nuances  de  carac- 
tère qui  distinguent  cinq  castes,  différant  essentiellement  de 
mœurs,  de  religion,  de  coutumes,  et  offrant  cependant  dans 
leur  ensemble   nu  cxcuiplc  admirable  de  discipline  et  d'har- 


GRANDE-BREïAGNi:.  G85 

monie.  11  donne,  snr  l'organisation  de  ce  ledoutahle  instru- 
ment de  tyrannie,  des  détails  fort  curieux,  mai-,  que  nous  ne 
répéterons  pas,  dans  noire  impatience  d'arriver  au  récit  d'une 
de  ces  violentes  injustices,  de  ces  sanglantes  expéditions,  ù 
l'aide  desquelles  la  Compagnie  des  Indes  a  étendu  si  rapide- 
ment ses  conquêtes.  La  guerre  de  Poligar,  enlrepri.-e  en  1801, 
futà  peu  prés  ignorée  de  l'Europe;  elle  mérite  pourtant  d'être 
connue  ;  et  c'est  bien  le  moins  qu'une  sympathie  tardive  vienne 
récompenser  les  efibrts  généreux  de  malheureux  braves,  assas- 
sinés pour  avoir  voulu  repousser  une  oppression  étrangère. 
«  L'ennemi  ne  tenant  plus  nulle  part,  dit  M.  "NN'elsh ,  on  en- 
voya des  compagnies  battre  les  broussailles  et  les  taillis  où  les 
Indousauraientpu  se  réfugier  :  j'eus  pour  ma  part  le  malheur 
d'être  devancé,  dans  la  poursuite  d'un  des  chefs,  dont  la  têle 
était  à  prix,  par  un  parti  de  nos  alliés  qui  tirèrent  sur  lui ,  le 
blessèrent,  et  le  firent  prisonnier  à  quelques  pas  de  nous, 
nous  enlevant  ainsi  uoe  récompense  de  dix  mille  pagodes,  ou 
quatre  mille  livres  sterling.  En  peu  de  jours,  les  deux  Mor- 
dous  et  leurs  familles,  Catabonia  Naig,  Dela^nai  Pilly,  et  le 
Frère  Muet,  furent  tous  pris  et  pendus,  excepté  Dora  Souamy, 
ie  plus  jeune  des  fils  de  China  31ordou,  et  Dehnvai  PiHy,  qui, 
étant  moins  importans ,  furent  transportés  pour  la  vie  à  l'île 
du  prince  de  Galles,  arec  soixante-dix  de  leurs  plus  dévoués 
partisans  :  ainsi  finit  cette  cruelle  guerre,  où  périt  tant- de 
monde,  et  dont  le  résultat  fut  loin  d'être  honorable  à  ceux  qui 
survécurent.  Des  deux  Mordons,  le  frère  aîné  se  nommait 
"SVella,  ou  Véli  Mordou  ;  mais  il  ne  se  mêlait  en  rien  du  gou- 
vernement du  pays  :  tout  son  tems  était  pris  par  la  chasse, 
qu'il  aimait  avec  passion.  C'était  un  homme'  d'une  taille  et 
d'une  force  extraordinaires,  et  dont  le  plus  grand  amusement 
était  de  lutter  avec  les  animaux  féroces,  auxquels  il  faisait  ime 
impitoyable  guerre.  Débarrassé  de  tous  les  soucis  et  de  tout 
laltirail  du  pouvoir,  il  menait  une  vie  errante,  visitant  àTan- 
jore,  ù  Tripolichiny,  à  Madura,  ses  voisins  européens,  qui 
Testimaient  beaucoup.  Si  quelqu'un  voulait  du  gibiep,  il  suf- 
fisait d'un  message  à  Véli  Mordou  pour  en  obtenir.  Il  mettait 
le  même  empressement  à  donner  à  tout  étranger  le  plaisir 
d'une  de  ses  dangereuses  chasses;  mais,  prenant  un  soin  tout 
particulier  de  la  sûreté  de  son  hôte,  il  lenvironnait  de  ses  meil- 
leurs et  de  ses  plus  intrépides  piqueurs,  et  s'avançait  seul  à 
la  rencontre  du  ligie  qu'il  avait  traqué.  Une  vie  semblable 
peut  paraître  puérile  et  insignifiante  aux  habitans  de  nos  con- 
trées civilisées,  mais  elle  avait  un  but  et  une  b.aute  utilité  dans 
un  pays  couvert  de  taillis  et  infesté  dos  plus  dangereux  ani- 
T.  xLvii.  sF.PTEMnriK  I  8oo.  44 


GSG  LIVRES   KTIWNGERS. 

maux.  Lorsque  j<;  fus  en  station  à  .Madura.  en  1790,  je  reçus 
plusieurs  marques  d'intérêt  de  ce  Nemrod  oriental.  Son  frère, 
China  Mordou.  était  le  Siinverain  o«tensil)le  d'un  territoire 
étendu  et  fertile;  il  résidait  à  Sherewéle.  Il  était  basané,  grand, 
bien  fait,  d'une  aiïabiiité  remarquable,  trés-accessible,  et  de 
mœurs  fort  douces.  Quoique  roi  d'un  peuple  pour  qui  le 
moindre  de  ses  désirs  était  une  loi,  il  habitait  un  palais  ouvert 
.i  tout  le  monde,  et  n'avait  pas  un  garde.  Quand  je  le  visitai,  en 
février  lyip,  chacun  entrait  et  sortait  librement  de  chezlui,et 
tous  le  bénissaient  connne  le  père  de  ses  sujets.  Il  me  prit  en 
amitié,  et  pendant  tout  le  tems  que  je  passai  à  Madura,  il  m'en- 
voyait continuellement  des  présens ,  du  riz,  des  fruits;  entre 
autres,  une  espèce  d'orange  très-grosse,  à  peau  rude,  d'un  par- 
ium  et  d'un  goût  exquis.  Ce  fut  lui  qui  m'apprit  à  jeter  la 
IriHce  et  à  faire  divers  exercices  en  usage  dans  le  pays.  Ce- 
[icndant  le  sort  me  condamna  plus  tard  à  poursuivre  ce  même 
iiomme  comme  une  bête  fauve;  à  le  voir  blessé,  pris,  lan- 
guissant dans  sa  prison  avec  la  cuisse  fracturée,  et  enfin  hissé 
a  un  gibet  infâme,  avee  son  brave  frère,  son  fds,  et  leurs  plus 
fidèles    ser\  iteurs.  » 

Lhi  autre  membre  de  cette  triste  famille  mérite  une  men- 
iion   particulière  :   c'était    un    proche    parent   de   Catabonia 
Naig,  né  sourd  -  nuiet.  Les  Anglais  l'appelaient  Du77ihj ,  les 
tlusidmans    Moiikah,  et  les   Jndous  Oumi;  noms  qui  dési 
gnaient  tous  son  infirmité.    Grand,  élancé,  d'une  apparence 
i'rêle   et  maladive,   ce  jeune  garçon   avait  une  de  ces  âmes 
énergiques  auxquelles  on  en  appelle  dans  les  tems  de  trouble, 
et  son  défaut  d'organisation  était  une  puissance  de  plus  sur 
des  esprits  ignorans  et  superstitieux.  L'Oumi  était  adoré  des 
siens;  son  moindre  signe  était  un  nrarle,  et  chacun  volait 
pour  exécuter  ce  qu'il  ordonnait.  Pas  un  conseil  ne  se  tenait 
<|u'il  ne  le  présidât  ;  il  ne  se  faisait  pas  une  enlrcj)rise  hasar- 
deuse qvi'il  ne  fût  à  la  tête.  Ses  harangues  étaient  simples  et 
(  ourtes.  Il  rassemblait  sur  la  paume  de  sa  main  plusieurs  brins 
de  paille  ,  les  arrangeait  par  ordre,  de  manière  à  représenter 
les  troupes  anglaises  :  puis,  de  l'autre  main,  il  les  balayait,  en 
poussant  un  sifïlcment  aigu  qui  était  le  signal  de  l'attaque. 
Tout  ce  que  le  courage  peut  tenter  en  audace,  tout  ce  que  la 
valeur  peut  accomplir  >ans  guides  et  sans  discipline,  le  j)auvre 
Onmi  le  tenta,  et  en  vint  à  bout.  Mû  pai- le  patriotisme  le  plus 
ardent  et  le  plus  pur,  il  fit  beaucoup  de  lual  aux  Anglais  en 
l'iiflërentes  rencontres,  et  l'armée  tout  entière  se  ligua  \)onv  sa 
perle.  Le  24  uiai.  à  la  suite  d'un  engagement  terrible,  il  tomba 
rouvert  de   blessures,   prés  d'un  jietit  village,  à  o  milles  du 
lamp  l'unemi.  »  Le- Inilous  étaical  en  {)lrine  retraite,  et  le 


r.RANDE-BRETAGNE.  6S;- 

cnlonel  pronnl  iiac  récompense  aux  Eléapuaricns  nos  aliics, 
pour  chaque  chef  qvi'ils  ramèneraient  mort  on  vif.  Bion  que  la 
unit  fût  avancée,  ils  partirent  joyeux,  pour  aller  à  la  décou- 
verte. Cependant,  le  silence  et  une  apparence  de  calme  avaient 
enhardi  les  femmes  du  village  voisin,  et  elles  se  rendirent  sur 
le  champ  de  bataille,  dans  l'espoir  de  soulager  quelques-uns 
des  leurs.  L'une  d'elles  découvrit  son  propre  fils,  encore  vi- 
vant, au  milieu  d'un  monceau  de  cadavres,  et,  comme  elle 
s'apprêtait  à  l'enlever,  il  rassembla  le  peu  de  forces  qui  lui 
restaient,  et  s'écria  loMère,  laissez-??iw  mourir,  mais  sauvez 
la  vie  du  Souamy,  qui  meurt  blessé  près  de  moi  :  »  désignant 
le  sourd-muet  par  l'épithèle  de  Soiua?ir,  qui  signifie  littérale- 
ment Dkinité.  La  femme  obéit  à  son  fils  mourant,  et,  aidée  de 
SCS  compagnes,  transporta  le  jeune  chef  chez  elle.  Mais,  comme 
elles  s'occupaient  à  le  faire  revenir  et  à  étancher  le  sang  qui 
coulait  de  ses  blessures,  elles  entendirent  les  cris  des  Etéa- 
pouriens ,  animés  à  la  poursuite.  Jetant  aussitôt  un  drap  sur 
le  blessé,  elles  commencèrent  les  lamentations  de  mort  ;  à 
leur  arrivée,  les  ennemis,  ayant  demandé  la  cause  de  ces  cla- 
meurs, et  ayant  appris  qu'un  jeune  "garçon  venait  de  mourir  de 
la  pelile-vérole,  s'enfuirent  du  village  sans  oser  regarder  der- 
rière eux.  »Ce  stratagème  ne  retarda  que  de  deux  mois  la  dé- 
plorable fin  du  malheureux  Ounsi,  qui  fut  pris  et  pendu  avec 
le  reste  de  sa  famille;  un  enfant  de  quinze  ans.  Dora  Souamy, 
fut  seul  excepté  de  ce  massacre  général,  etl'anlcur  le  retrouva 
dix-sept  ans  après,  dans  l'ilc  du  prince  de  Galles,  où  il  avait 
été  déporté.  L'infortuné  avait  alors  trente-deux  ans;  c'était  un 
vieillard  courbé,  à  cheveux  blancs,  mais  qui,  sous  cette  dé- 
crépitude prématurée,  conservaii  encore  une  âme  ferme  et 
résignée,  rie  vivant  plus  que  de  souvenirs  d'anciennes  gloires 
et  d'anciennes  atfections.  Quoi<ii!e,  comme  on  a  pu  en  juger 
par  quelques  passages  de  son  récit ,  M.  T^  elsh  n'ait  pas  grande 
peine  à  faire  céder  son  humanité  à  ce  qu'il  croit  être  son  de- 
voir de  soldat,  il  ne  put  se  défendre  d'un  peu  d'émotion  à  la 
vue  d'une  si  grande  infortune,  et  il  fait  un  appel  au  gouver- 
neur des  Indes,  en  faveur  de  cette  malheureuse  victime  d'un 
système  odi3ux.  Dieu  veuille  qu'il  soit  entendu,  et  qu'on  rende 
à  ce  pauvre  Indou  la  douceur  d'aller  mourir  dans  son  pays! 
C'est  déjà  trop  de  barbarie  que  d'avoir  prolongé  si  long-tems 
un  exil  qu'aucun  trouble  dans  l'Inde  ne  peut  plus  motiver. 

Forcée  de  choisir  entre  un  grand  nombre  de  choses  intéres- 
santes, je  passe  à  regret  une  chasse  au  tigre,  la  réception  ma- 
gnifique quele  rajah  de  Courg  fit  au  voyageur,  le  séjour  de  ce 
dernier  chez  ce  despote  d'Orient,  les  effrayantes  confidences 


G8S  LlVI\i:S   ETIUNGKRS. 

qu'il  y  reçut,  les  prodigieux  tours  d'adreesc  dout  il  fut  té- 
moin, etc. ,  etc.  A  Baugalore,  il  assista  à  une  cérémonie  qui 
est  en  grand  renom  chez  les  Indous.  Il  ne  s'agissait  de  rien 
moins  que  de  voir  des  hommes  marcher  sur  un  brasier  ar- 
dent. «La  fournaise  était  préparée  dans  une  fosse  ohlonguedc 
18  pieds  sur  12,  remplie  de  charbons  allumés,  et  parfaitement 
rouc;es.  La  procession  s'avança,  et  chacun  de  ceux  qui  en  fai- 
saient partie  marclia  ou  dansa  délibérément  sur  ce  feu  dans 
toute  la  longueur  de  la  fosse  :  la  chaleur  était  si  intense,  qu'il 
nous  fut  impossible  d'approcher  très -prés.  Nous  restâmes  à 
quelques  toises,  sur  nos  chevaux,  mais  à  même  de  tout  voir 
et  d'épier  chaque  geste.  La  fêle  était  en  l'honneur  de  Maria- 
mah.  déesse  de  la  petite-vérole,  à  laquelle  on  sacrifie  lui  coq, 
avant  de  se  hasarder  dans  la  fournaise.  Les  exécutans  étaient 
tout  barbouillés  d'une  substance  jaunâtre.  Ils  allaient  et  ve- 
naient au  milieu  du  feu  ,  tantôt  vite  ,  tantôt  lentement ,  mais 
sans  aucune  souffrance  apparente.  Un  homme  portait  sur  ses 
épaules  un  enfant  qui  ne  cria  même  pas.  »  M.  ^Velsh  fit  de 
vaines  tentatives  prés  des  natiu'els  pour  apprendre  le  secret  de 
leur  préservatif;  mais,  soit  ignorance,  soit  mauvaise  volonté, 
ils  ne  voulurent  rien  lui  dire. 

Ces  deux  volumes,  écrits  d'un  style  simple,  renferment 
beaucoup  de  faits,  et  plus  de  renscigncmens  sur  l'Inde  qu'on 
n'en  trouve  dans  des  ouvrages  à  titres  plus  ambitieux,  et  à 
plus  hautes  prétentions. 

i58.  —  The  fiftli  of  Nocember ,  or  tlie  Gun-powdcr  Plot.  — 
LeXinq-Novembre ,  ou  la  Conspiration  des  poudres;  pièce 
historique  qu'on  croit  avoir  été  composée  par  William  Shaks- 
PEARE.    Londres,  i85o;  lialdwin.  In-8°  de  114  pages. 

Il  est  des  noms([ui,  à  eux  seuls,  évoquent  des  mondes,  re- 
peuplent l'imagination  d'une  foule  d'êtres  qu'on  a  vus  dans 
des  heures  de  repos  et  de  béatitude;  des  noms,  qui  réveillent 
les  plus  vives  émotions  de  l'âme,  qui  ont  en  eux  quelque 
chose  de  sacré,  qu'on  ne  prononce  qu'avec  amour  et  respect  : 
Shakspeare  est  un  de  ces  noms  -là  ;  et  en  le  voyant  figurer  sur 
le  titre  d'une  pièce  historique  découverte  depuis  peu,  nous 
avons  éprouvé  un  mélange  de  scntimcns  divers.  Ce  graivd 
homme  mourut  en  161G,  et  la  conspiration  de>  poudres  eut 
lieu  en  i6o.5  :  il  put  donc  profiter  de  dix  ans,  passés  à  la  cam- 
pagne, dans  la  solitude,  pour  composer  une  tragédie  que 
les  circonstances  ne  lui  permirent  ])as  de  publier.  Voilà  pour 
les  probabilités,  et  il  n'en  coûte  rien  d'accorder  cela.  Mais 
quelle  crédulité  résisterait  à  la  lecture  de  celte  œuvre  attri- 
buée au  plus  sublime  génif  ilc  l' Angleterre  ?  Comment  accep- 


GUAMDE-BUETA(i:SE  -  RI  SSlbl.  689 

tiT  ce  style  oiiiphatiiine  et  plat,  lias  et  guiiulé,  pour  la  conti- 
nuation de  celte  intarissable  verve,  s'amassant  et  roulant  à 
pleins  bords?  Quel  degré  d'impudence  n'a-t-il  pas  fallu  au 
faussaire  pour  croire  faire  une  seule  dupe?  Qui  jamais  a  lu 
Shakspeare  sans  retenir  quelques-unes  de  ces  tournures  har- 
dies ,  de  ces  paroles  fortes  et  pleines,  qu'il  semble  créer  ex- 
près, et  sur  l'heure  :  sa  pensée  arrive  toute  vêtue,  comme  Mi- 
nerve sortit  toute  armée  du  cerveau  de  Jupiter.  Cette  langue, 
qu'il  plie  «t  manie  à  son  gré,  on  croirait  qu'il  l'invente,  et 
pourtant  rien  ne  révèle  ni  fatigue,  ni  effort;  c'est  une  création 
large,  facile,  naturelle,  au  milieu  de  laquelle  le  génie  se  joue 
comme  un  dieu ,  laissant  échapper  des  flots  de  poésie,  et  se 
complaisant  en  son  œuvre,  comme  le  Très-Haut  de  Raphaël 
se  complaît  à  la  vue  des  mondes  échappés  de  sa  main.  C'est 
chose  bien  magnifique  que  cette  puissance ,  pour  peu  qu'on 
s'y  arrOte  et  qu'on  y  réfléchisse;  mais  on  conçoit  pourtant 
que  quelques  écervelés  n'y  voient  que  de  l'audace,  et  se  figu- 
rent en  pouvoir  approcher  :  du  moins,  telle  a  dQ  être  l'illu- 
sion de  l'homme  qui  s'est  avisé  de  continuer  Shakspeare. 
Sa  composition  n'a  de  remarquable  que  le  grand  nom  qui  s'y 
rattache,  et  la  grossièreté  de  l'imposture  :  à  part  ces  deux  ti- 
tres à  l'attention,  c'est  une  platitude  assez  niaise,  et  qui  pou- 
vait passer  inaperçue  de  la  critique.  L.  Sw.-Belloc. 

RUSSIE. 

iSg.  —  *  Essais  eiitomologu/ues  publiés  par  À rvid-David  Hvsi- 
MEt.  (de  Gothembourg) ,  membre  correspondant  de  l'Acadé- 
mie des  sciences  de  Pétersbourg,  etc.  Pélersbourg,  1821-1827  ' 
Imprimerie  de  la  Chancellerie  privée  du  miiiislèie  de  l'inté- 
rieur. Tome  I,  composé  de  six  cahiers  formant  ensemble 
270  pages  in-8". 

L'histoire  des  insectes,  de  quelque  manière  qu'elle  soit  trai- 
tée, excite  la  curiosité  par  les  faits  singuliers,  les  phénomènes 
nouveaux  qu'elle  fait  passer  sous  nos  j^eux.  Si  le  naturaliste 
qui  nous  les  dévoile  sait  agrandir  son  sujet,  aller  à  la  recherche 
de  quelques  lois  générales,  approfondir  ce  qui  n'avait  été  vu 
que  superficiellement,  la  curiosité  du  lecteur  change  de  ca- 
ractère; elle  devientamour  delà  science, besoin  d'instruction. 
M.  Hummel  ferait  naître  quelquefois  cette  disposition  à  -l'é- 
tude, s'il  n'était  point  de  tems  en  tems  plus  missionnaire  que 
naturaliste,  s'il  ne  convertissait  jamais  ses  leçons  en  prônes, 
et  s'il  pouvait  s'abstenir  de  substituer  la  théologie  à  l'histoire 
naturelle.  Mais  l'ardeur  de  son  zèle  l'entraîne,  le  subjugue  ;  et 
ce  zèle  n'est  pas,  comme  il  en  est  persuadé,  l'effet  d'une  forte 


oyo  LIVilES  ÉTilANGEIlS. 

et  intime  coiniction  leligiet'.se.  mais  très-rnatérielleuient  l'iiiî 
des  syniptômes  de  !'hiiiTieur  acrimonieuse  dont  ses  essais  por- 
tent quel(|uefois  l'empreinte.  (Voyez  l'offensante  critique  d'iii\ 
ouvrage  de  >1.  Billbïirg,  autre  eiitoinulogislc  suédois,  Essais 
n"  4?  V'^ë^  ^')  Il  ^'^t  ^i"'î'  fli'fi?  dans  l'essai  suivant,  .M.  Huui- 
mel  demande  pardon  de  cette  offense,  qu'il  cherche  à  la  répa- 
rer en  chrétien  pénitent,  et  non  pas  en  naturaliste,  en  sorte 
qu'il  ne  lait  aucune  ré]>aration.  Cependant  cet  acte  de  contri- 
tion sert  de  préface  à  VEssai  n"  5,  consacré  tout  entier  à  des 
remontrances  sévères  adressées  aux  observateurs  de  la  nature 
qui,  dans  le  cours  de  leurs  recherches  sur  les  créatures,  né- 
gligeraient de  s'occuper  en  niTme  teins  du  Créateur,  d'admi- 
rer sa  haute  sagesse,  de  s'humilier  devant  son  intelligence  in- 
finie. «  Ouvrons  les  livres  qui  traitent  des  sciences  pliysiques  , 
ceux  de  ^hi^toir('  naturelle  en  particulier;  si  l'homme  (lui 
s'occupe  de  quelqu'une  de  ses  hranches  est  forcé  de  les  con- 
sulter, et  pouivii  que  ce  ne  soient  point  de  simples  nomencla- 
tures, il  sera  sur  d'y  rencontrer  le  plus  souvent  le  matéiia- 
li.sme,  le  déisme,  le  polythéisme,  ou  quelque  autre  syslè'ne 
infernal  qui  conduit  au  chemin  de  la  perdition.  Je  ne  parle 
pas  ici  des  livres  (^irefi^m^nf  opposés  au  christianisme,  et  com- 
posés pour  en  sapper  les  fondemens,  dictés  par  l'esprit  du  mal 
et  avidcmeat  lus  par  ses  disciples  :  je  parle  de  ces  ouvrages 
qui,  en  apparence,  ne  traitent  que  de  la  science;  qui  même  , 
par-ci  par-là,  parlent  avec  un  respect  affecté  de  la  Providence,  de 
l'auteur  des  merveilles  de  la  nature,  maisdontla  doctrine  dégui- 
sée n'en  est  pas  moins  funesle.  car  elle  est  contraire  à  la  BiMe  ; 
etsan-  la  liible,  ])oint  de  chiislianisme,  et  hors  du  christianisme, 
point  de  sailli.  )>M.  lluniniel  déclare  qu'il  ne  nomme  la  peu' ut  ces 
ouvrages  et  leurs  auteurs;  cependant,  on  lit  cette  note  au  bas 
de  la  page  :  c  Croirait-on  que,  dans  le  courant  de  1824?  i'  ait 
paru  à  Paris  un  ouvrage,  d'ailleurs  fort  savant,  où  l'auleur, 
après  avoir  beaucoup  loué  la  tolérance  des  philosophes  païens, 
regrette  que  la  doctrine  des  Indous  n'ait  pas  de  tout  tems  pré- 
valu sur  la  terre  ?  Voyez  VEssai  historique  et  philosophique  sur 
les  noms  d' lionimes,  des  peuples  etdes  lieux,  ^lav  Ensèhc  Salveîite. 
Paris,  1S24.  tom.  11,  pag.  25.  »  Est-ce  le  véritable  esprit  du 
christianisme  (|ui  a  fait  dire  à  l'auteur  de  ces  Essais,  n°5,  p.  5, 
«.Que  la  plùtosopUic  superficielle  et  brillante  qui  rejette  la  Bible  «, 
pour  ainsi  dire,  infusé  l'esprit  d' Anté-Clirist  dans  beaucoup  d'éta- 
hlissemens  littéraires  de  nos  jouis?  »  Que  les  recherches  sur  l'an- 
li(|uité  des  connaissances  astronomiques  et  sur  l'âge  des  zo- 
diaques servirent  «  au  trop  fameux  Dupuis  à  bâtir  la  fable  la 
plus  absurde  et  la  plus  impie  ,  dans  l'abominable  livre  auquel 


illSSIK.  (uji 

il  n'a  pas  rungi  de  donner  son  iioni?»  CertaincineMl,  rhtinieui- 
atrabilaire  n'est  pas  incompatible  avec  la  sincéiité  de  la  foi  ; 
mais  le  meilleur  clnétien,  le  plus  semblable  au  divin  iiiodrlo 
est  toujours  le  plus  tolérant.  On  doit  regretter  (|ne  M.  Hum- 
mel  n'ait  pas  consacré  à  l'entomologie  les  pages  dans  lesquelles 
il  combat  avec  un  courage  très-inutile  de  prétendus  ennemis 
du  christianisme  : 

jVoh  defensoribus  istis 

Tempus  eget. 

Venons  enfin  au  naturaliste.  Ces  essais  offrent  de  tems  en 
tems  des  faits  pleins  d'intérêt,  et  qui  contribueront,  parleur 
enseinlile,  ii.  taire  placer  l'entomologie  au  nombre  des  sciences 
aimables.  Qu'on  lise  les  notices  sin-  les  l'ourinis  de  Pé- 
tersbourg  et  sur  la  blatte  germanique  ,  on  prendra  une  idée 
juste  des  attraits  de  cette  étude,  des  plaisirs  qu'elle  procure  à 
ceux  qui  peuvent  s'y  livrer.  Nous  reviendrons  une  autre  fois 
sur  ces  Essais^  considérés  uniquement  par  rapport  à  la  science  ; 
nous  avons  dCi  commencer  par  ce  (]ui  intére.-se  essentielle- 
ment l'esprit  scientifique,  l'indépendance  de  chacune  des  di- 
visions de  nos  connaissances,  et  de  ceux  qui  les  cultivent. 

Ferrv. 

1  4o.  —  *  Poiititclicski  Balance  Sréla,  —  Balance  poliiu/iic  du 
Globe,  en  1828,  par  M.  Adrien  Balbi  ;  lra(!!!ite  en  russe  par 
EiNERLiNG.  et  augmentée  d'une  carte  géographique,  d'après 
Mercator,  et  d'un  texte  explicatif,  l'éteisbourg,  i83o.  Deux 
grandes  feuilles;  prix,  8  roubles. 

h'ARcvae  Encyclopédique,  ayant  contribué  à  la  publication  i!e 
la  Balance  du  Globe ,  a  jugé  convenable  de  s'abstenir,  jusqu'à 
présent,  d'un  examen  de  cet  ouvrage,  et  de  ne  point  antici- 
per sur  les  jugemens  qu'en  porteraient  les  recueils  périodiques 
étrangers.  Maintenant  que  cet  important  travail,  qui  a  coûté  à 
lM.  Balbi  de  laborieuses  et  immenses  recherches,  est  déjà 
connu  et  apprécié  dans  le  monde  savant,  et  qu'on  vient  d'eu 
publier  des -traductions  en  plusieurs  langues,  nou^  pensons 
que  le  lourde  la  Revue  est  venu  de  l'annoncera  ses  lecteuis. 
Nous  croyons  ne  pouvoir  mieux  faire  que  d'emprunter  à  V A- 
beilleduNord,  dePélersbourg(fi"73,  du  ,":,',"|'['^  i83o),  la  notice 
que  ce  journal  a  publiée  sur  la  Balance  du  Globe^  et  qui,  en  fai- 
sant connaître  cet  ouvrage  d'une  manière  analytique  etdélail- 
lée,  donne  en  même  îems  une  idée  de  l'accueil  qu'il  a  reçu  en 
Russie  :  «  11  est  impossible,  dit  V  Abeille  du  Nord,  de  méconnaître 
la  tendance  de  notre  siècle  vers  de^  occupations  sérieuses.  En 
Russie,   comme  dans  les  autres  pays  civilisés,  les    connais- 


CÎJ3  LIVUES  ETllANGEllS. 

santés,  reiifcviuées  d'al)!)rd  dans  les  cabinets  des  sa  vans,  se 
.sonl  ensuite  répandues  dans  les  dilTérentes  classes  qui  se  vouent 
à  l'étude  des  sciences,  et  dans  toute  la  société.  Connaître, 
analyser,  approfondir,  tel  est  le  caractèce  distinctif  de  notre 
époque;  c'est  pourquoi  l'on  s'occupe  avec  zèle  de  celles  des 
sciences  qui  sonl  le  plus  propres  à  satisfaire  cette  tendance, 
et  au  nombre  descpielles  la  statistique  occupe,  sans  contredit, 
le  premier  rang.  Aucun  raisonnement  ne  peut  résister  à  la  con- 
viction que  produit,  dans  certains  cas,  le  rapprochement  des 
chiffres  (i)  ;  ce  moyen  de  conviction  a  «ne  force  positive,  qui 
n'admet  aucun  donle;  chaque  jugement  devient,  à  l'aide  des 
nombres,  ime  vérité  mathémaliqiie,  accessi])le  aux  esprits  les 
moins  pénétrans  (2). 

(i)  Sans  contester  entièrement  la  puissance  et  la  juslessedes  argumens 
produits  par  des  cliiiries,on  ne  peut  c(;|)endanlpasen  admettre  la  certitude 
d'une  manière  absolue.  On  ne  sauiail  assez  se  méfier  d'une  conviction 
apparente,  [irodulfe  quehjuefois  jiar  la  combinaison  attrayante  des  nom- 
bres. Un  citoyen  et  un  savant  distini;ué,  pour  lequel  nous  professons  une 
vive  admiration  et  une  haute  estime,  a  souvent  réussi  à  former,  avec  des 
nombres,  des  combinaisons  exactes  et  iieureuses,  et  à  justiflei  ainsi  l'épi- 
graphe d'un  de  ses  plus  beaux  ouvrages  :  «  Mttndum  rcgunt  niimcri  ;  » 
mais  il  lui  est  aussi  an  ivé  d'abuser  de  l'emploi  des  nombres,  lorsqu'il  les  ap- 
pliquait d'une  manière  trop  absolue  et  trop  inconsidérée  au  mouvement 
intellectuel  et  moral  des  nations.  IIeureus<,-merit  pour  la  science,  l'auto- 
rité de  sou  grand  talent  a  liouvé  un  cotitiepoids  et  nu  contiùle  dignes  de 
1  .i,  dans  un  autre  talent  distingué;  nous  voulons  jjailcr  des  argumens 
])leins  de  force,  de  justesse  et  d'éloquence  que  M.  Dcnoyer  a  op[)osés, 
dans  un  article  de  la  Bcviic  Française  (n"  4»  juillet  1S28,  p.  j^-g»),  aux 
calculs  de  M.  Charles  Dupin.  —  Cet  article  remarquable  a  été  traduit 
en  russi;  dans  le  Tùlcgraphc  do  Moscou,  rédigé  pai  M.  I'ulévoï.     S.  P-y. 

(2I  C(.'pcndanl,  pour  démontrer  à  l'auteur  de  l'article  de  ['ytbe'dicdu 
Nord,  et  à  tous  les  pailisans  des  nombies  combien  les  vcrllcx  mathé- 
matiques de  ce  genre  soûl  quelquefois  errances,  nous  signalerons,  comme 
un  exemf)le  de  l'abus  qu'on  peut  faire  des  ehilfres,  les  diverses  don- 
nées qui  ont  rapj)ort  h  la  population  de  ta  Russie  :  les  Archives  du  Kord, 
publiées  à  Pétcrsbourg,  l'ont  portée,  en  iSaj,  d'après  un  recueil  alle- 
mand (  !  ?  ),  h  5g,5jô,3oo  habitans  (septembie  iSaj,  n"  1  j,  I.  xxix,  p.  88); 
M.  IÎalbi,  dans  sa  Balance  du  globe,  publiée  en  1828,  à  ^c  millions;  et 
dans  son  tableau  :  l'Empire  liasse,  compare  aux  prinripau.r  Etais  du  monde, 
en  iS?y,  à  55, 226,000;  M.  Sch.mtzier,  dans  son  Essai  statislit/iic  sur  ta 
Russie,  publié  en  i82r),  à  Strasbourg  (p.  55-58), à  55  millions.  Il  en  est  de 
même  des  nombres  qui  ont  rapport  à  la  population  des  villes  delà  Rus- 
sie :  Pétersbourg,  par  exemple,  dont  la  véiitable  poi)ulation  ,  en  182S, 
a  été  indiquée,  dans  la  i'cvuc  Encycfdpédlquc,  ]iar  M.  Balbi  lui-même, 
d'après  des  leuseignemens  authentiques  (juin  i82y,  t.  xlii,  ]i.  789-790; 
et  octobre  1829,  I.  xi.ni,  p.  228-229),  aurait,  d'après  le  Dictionnaire 
géographique  de  M.  Vsévoli)jskj'  (^Moscou,  2''  édition,  iSa"))  ,  25o,ooo  ha- 
bitans  ;  d'après  les  yîrclnics  du  ISord  (octobie  1827,  n»  19,  t.  xxix,  p.  276), 
5o5,ooo;  d'après  \' Abrùgè  de  Ccographic,  par  M.  Langlois  (Paris,  1827, 
t.  1,  p.  45^)5  200,000;  d'a[)ièsla  Balance,  de  M.  Haibi,  520,000  ;  tnfinj 


IlLSSI!'  695 

')0n  n  publié  plusieurs  lahloaux  slatisliques  des  différentes 
pnrlics  du  globe;  mais  les  notions  qu'ils  renferment  ne  pou- 
vaient servir  de  base  à  un  bon  ouvrage.  Pour  réussir  dans  un 
travail  aussi  important,  il  a  fallu  avoir  les  moyens  qui  sont 
(lc[)uis  long-tenis  à  la  disposition  de  M.  Balbi.  Sa  correspon- 
dance avec  des  savons  des  deux  liémisphères  qui  s'occupent 
de  statistique,  les  matériaux  qui  lui  ont  été  communiqués  par 
des  hommes  d'état  de  différens  pays  (1) ,  l'ont  mis  dans  la 
position  la  plus  favorable  pour  faire  en  ce  genre  le  travail  le 
plus  complet;  nous  dirons  donc  hardiment  de  sa  Balance  du 
Globe,  qu'il  est  impossible  de  réunir,  sur  une  seule  feuille, 
plus  de  notions  qui  puissent  offrir  une  idée  plus  exacte  des 
forces  de  chaque  État. 

«L'étendue  des  pays  est  calculée  en  milles  géographiques, 
à  60  par  degré  ;  les  revenus,  ainsi  que  les  dettes,  sont  marqués 
en  fi  ancs,  ce  qui  rend  l'usage  du  tableau  très-facile. 

»En  comparant  entre  elles  les  cinq  parties  du  monde  ,  nous 
trouvons  que  l'Asie  occupe  la  première  place  en  étendue  et  en 
population;  que  dans  l'Europe,  qui  est  quatre  fois  plus  petite,  la 
population  relative  estplusgrande  quedauslesautrespartiesdu 
globe  ;  que,  dans  toute  l'Amérique,  il  y  a  à  peine  autant  d'ha- 
bitans  qu'en  France  et  dans  les  Pays-Bas,  pris  ensemble  , 
quoique  l'étendue  de  ces  deux  pays  ne  forme  que  la  68"°^  par- 
tie de  l'Amérique. 

:) Relativement  à  l'étendue,  la  Russie  est  le  pays  le  plusvaste 
de  tous;  car  elle  occupe  plus  de  la  7""*  partie  de  tout  le  glcbe 
terrestre.  Après  la  Russie  viennent  la  Grande-Bretagne,  la 
Chine  et  le  Brésil,  tandis  que  la  France  occupe  le  vingt- 
deuxième  rang  (a). 

d'après  l'Essai,  de  M.  Schnitzler,  publié  dernièrement  (1S29,  p.  58), 
012,970.  Des  vérité j  statistiques  de  ce  genre  ne  sont  elles  pas  de  nature 
à  perpétuer  les  erreurs  à  l'infini  ?  —  Pour  régulariser  autant  que  possible 
des  données  aus^i  incei  laines  ,  et  aussi  nuisibles  aux  progrès  de  la  statis- 
tique, nous  nous  eccupons  à  rédiger  (d'apiès  des  documeus  que  nous 
possédons  et  que  nous  croyons  les  plus  autbentiques ,  parce  qu'ils  offrent 
les  n(unbres  les  moins  incertains  et  les  plus  approximatifs)  un  Tableau 
statislif/iie  de  la  population  dos  ri  lies  de  Russie,  qui  paraîtra  dans  un  des 
procliains  cahieis  de  la  Uevue  Encyclopédique. 

(1)  11  n'en  a  malheureusement  pas  été  ainsi  de  la  Russie  :  nous  avons 
entendu  M.  Balbi  se  plaindre  à  nous  de  l'insuffisance  des  renseigneniens 
statistiques  qu'il  a  eus  sur  notre  pays. 

(2)  Les  rédacteurs  de  VJbeillc  du  Aorc/ auraient  dû  expliquer  la  cause 
de  la  différence  qiu  existe  entre  cette  classification  et  celle  qu'ils  ont  pu- 
l)liée,  d'apiès  un  recueil  allemand,  dans  leur  autre  journal  (Archives  du 
I\oid,  août  1827,  n"   16,  t.  xxviii,p.  ?>;2-Ô73\  où  la  Ciiiue  est  placée. 


CujLi  LIVRES  ÉTUANGEUS. 

»Les  piiys  les  plus  populeux  sont  la  Chine,  la  Grande -Brc- 
lagne,  la  Uussie  (i) ,  la  France  et  l'Autriche. 

»Sous  le  rapport  des  revenus,  ces  Etats  se  classent  dans 
l'ordre  suivant,  l'Angleterre,  la  France,  la  Chine,  la  Russie  el 
l'Autriche. 

»I1  serait  inutile  de  nous  étendre  sur  les  raj)prochemens  cu- 
rieux et  sur  les  résultats  intéressans  qu'on  peut  tirer  de  ce  ta- 
bleau. Le  tra\ail  de  M.  Balbi  mérite,  sans  contredit,  une  juste 
reconnaissance.  Le  traducteiu'  y  a  ajouté  une  carte  géogra- 
phique, d'après  Mercator,  sur  laquelle  les  colonies  et  les  pro- 
vinces soumises  sont  désignées  avec  les  mêmes  couleurs  que 
les  Etats  auxquels  elles  appartiennent.  Ce  tableau  offre  ,  sous 
le  rapport  géographique  et  statistique,  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  important  et  de  positivement  connu.  » 

Il  est  singulier  que  V Abeille  du  Nord  se  soit  abstenue  de 
l'aire  connaître  en  détail  le  texte  explicalil",  ainsi  que  les  aug- 
mentations et  les  rectifications  que  le  traducteur  aura  sûre- 
ment faites  à  ceux  des  articles  relatifs  à  la  Russie  que 
M.  lialbi  a  été  contraint,  à  défaut  de  renseignemens  authen- 
tiques, de  marquer  avec  des  signes  dubitatifs. 

Serge  Poltoratzry,  de  Moscou. 

ALLEMAGNE. 

141.  —  *  Der-  Menscli  auf  seinen  kcerprrlic/ien,  gemuthllchen 
und  geisiigen  Eniwicklungsstufen.  —  L'homme  représenté 
dans  les  divers  degrés  de  ses  développemens  physiques,  mo- 
raux et  intellectuels,  par  le  D'  J.  C/ir.  G.  .Ioerg,  professeur 
d'accoucliement.  Leipzig,  i8a9;Barth.  In-8"  de  Sao  pages. 

M.  Jœrg  n'est  pas  le  premier  médecin  qui  porte  ses  médi- 
tations sur  le  développement  successif  des  facullés  physiques 
et  intellectuelles  de  l'homme.  Ce  tableau  a  été  tracé  plusieurs 
fois.  Notre  intention  n'est  point  de  comparer  l'ouvrage  de 
M.  Jœrg  à  ceux  de  ses  prédécesseurs,  ni  d'examiner  si  d'au- 
tres ont  rempli  ce  cadre  aussi  bien  que  lui  ;  nous  nous  borne- 
uerons  à  faire  connaître  la  marche  suivie  par  le  professeur 
d'accouchement  de  Leipzig.  Il  a  divisé  son  ouvrage  eu  six 


poiu  l'élondue,  avant  la  Graiidc-Brelagne,  cl  où  la  France  iiccupe,  non 
pas  le  ■22'"''  raniî,  niais  le  afi""". 

(1)  Dans  le  tableau  publié  dans  les  Archives  du  Nord  (septembre  182-, 
:i"   17,  t.  XXIX,  {).  8S),  le  Japon  vient  ininiédiatcincnt  apièsla  Russie. 


ALLEMAGINE.  ^         U()5 

chapilres;  le  premier  a  pour  objet  la  forma  lion  du  (celus;  dans 
le  deuxième  eliapifre,  l'auteur  considère  l'homme  dans  son 
enfance  :  rallailernenl  et  la  dentition  occupent  paiîiculière- 
ment  son  attention;  il  passe  de  là,  dans  le  troisième  chapitre, 
an  développement  de  la  puberté,  qu'il  envisage  séparément 
dans  les  deux  sexes.  Les  deux  chapilres  suivans  ont  pour  ob- 
jet l'âge  vijil  et  la  vieillesse.  L'auteur  termine  par  des  consi- 
dérations sur  riiomme  ;i  l'état  de  la  mort,  et  dans  la  décom- 
position de  sa  dépouille  mortelle.  Fourtracer  un  pareil  tabkau, 
il  faut  être  à  la  fois  médecin  et  philosophe.  Grâces -aux  pro- 
grès des  études,  la  médecine  et  la  philosophie  s'allient  tiès- 
bien  dans  les  universités  d'Allemagne.  On  en  voit  la  preuve 
dansi  cet  ouvrage  de  M.  Jœrg  :  il  parle  toujours  en  médecin 
instruit  et  en  homme  éclairé.  Toutefois,  on  pourrait  ne  pas 
partager  tous  les  avis  de  .^L  Jœrg.  Il  veut,  par  exemple,  que" 
l'on  emploie  les  jeunes  théologiens  à  travailler  à  l'améliora- 
tion morale  de^  prisonnier.-^,  et  il  n'approuve  pas  qu'on  envoie 
à  grands  Irais  des  missionnaires  chez  les  païens  des;  autres 
parties  du  monde,  tandis  qu'il  y  a,  dit-il,  assez  de  païens  dans 
nos  pays  pour  occuper  bs  missionnaires.  Il  est  sans  doute 
louable  de  travailler  à  l'instruction  et  à  l'amélioi'ution  mo- 
rille des  piisonniers;  cependant,  les  détenus  aussi  ont  leur  li- 
berté de  conscience,  et  il  ne  serait  pas  juste  de  tourmenter 
leur  foi  religieuse.  En  parlant  des  naissances  illégitimes, 
M.  Jœrg  pense  que  l'illtat  a  le  droit  d'exiger  une  déclarition 
de  ces  naissances  de  la  part  de  la  mère  et  du  père,  afin  que 
l'on  ait  des  garanties  relativement  au  sort  futur  des  enfans. 
La  recherche  de  la  paternité  est  admise  dans  la  législation  an- 
glaise :  en  faisant  quelques  études,  l'auteur  poujra  se  con- 
vaincre qu'à  cet  égard  la  législation  française,  qui  n'admet 
point  la  recherche  de  la  paternité,  est  aussi  bonne,  peut  êtie 
même  meilleure,  que  la  loi  anglaise.  An  total,  le  livre  de 
M.  Jœrg,  ai^^traction  faite  de  qp.elques  opinions  hasardées, 
nous  paraît  être  un  très-bon  Manuel.  D  —  g. 

142.  —  * Lehrbuch  der  Liieraturgeschlchtc,  etc.  — •  Elémens 
de  l'Histoiie  des  Littératures,  par  L.  Wachler.  Deuxième  édi- 
tion. Leipzig,  i83o;  Barth.  In-8°  de  667  pages. 

Le  D'  L.  Wachler,  auteur  d'une  monographie,  précise  et  in- 
téressante de  la  Saint-Barthélémy,  et  d'un  Manuel  estimé  d'His- 
toire littéraire,  en  trois  volumes,  vient  de  publier  la  seconde 
édit  i  on  d'un  livre  élémentaire,  dont  M.  DE  G  olbÉrt  rendit  compte 
dans  la  Revue  Eiwjclopédique ,  lors  de  ton  apparition.  (Voy. 
t.  XXXVII,  p.  145,  cahier  de  janvier  1828.)  Jlalgré  quebjues 
critiqiies  de  détail  dont  l'auteur  a  eu  tort  de  ne  point  proûlerj 


«90  LIVRES  KTUANGEllS. 

noire  savanl  cuUaboraleur  donnait  à  l'ouvrage  des  éloges  qu'il 
mérite  mieux  encore  aujourd'hui,  par  les  nombreuses  amé- 
liorations qu'il  a  reçues.  Ce  n'est  pas,  toutefois,  que  nous 
lussions  cmbarassés  d'y  signaler  encore  mainte  lacune,  même 
dans  la  partie  relative  à  l'Allemagne.  Quant  à  la  France,  ces 
lacunes  sont  si  graves  qu'il  nous  est  impossible  de  les  passer 
sous  silence  :  et.  pour  ne  parler  que  de  l'époque  où  nous  vi- 
vons (traitée  généralement,  il  faut  le  dire,  d'une  manière 
moins  salislaisanteque  l'antiquité  et  le  moyen-âge),  comment, 
dans  un  tableau  des  principales  productions  intellectuelles, 
ne  trouve-t-on  ni  parmi  les  philosophes,  ni  même  parmi  les 
économistes,  le  nom  de  Henii  Saint-Simon?  Comment  le 
nom  de  "Manuel  est-il  oublié  parmi  ceux  des  orateurs,  celui 
de  Lamennais  parmi  les  théologiens  à  côté  de  de  i^Lii^tre,  ce- 
lui de  Ballanchc,  parmi  les  prosateurs,  celui  de  Victor  Hugo 
parmi  les  poètes?  Nous  ne  nous  faisons  point  illusion  sur  les 
nombreuses  recherches  auxquelles  oblige  un  Recueil  comme 
celui  de  M.  Wachler  et  sur  la  difficulté  de'  son  exécution  : 
mais  des  notabilités  qui  devraient  tenir  les  premiers  rangs  dans 
le  catalogue  le  moins  complet  ne  sauraient  être  négligées 
sans  reproche ,  dans  un  volume  où  près  de  sept  mille  écri- 
vains divers  se  trouvent  euregistrés.  Nous  ne  doutons  pas  que 
l'auteur  ne  se  hâte  de  faiie  disparaître  des  imperfections  aussi 
fâcheuses  dans  une  nouvelle  édition,  que  l'utilité  de  son  tra- 
vail ne  tardera  pas  certainement  à  rendre  nécessaire.     H.  C. 

1^5.  — *  Àrhtopluinis  Fragmenta.  — Fragmens  d'Aristo- 
phane, publiés  par  Dindorf.  Leipzig,  1829.  In-8°. 

Le  nombre  des  pièces  d'Aristopliane  est,  pour  les  savans , 
unsujet  de  conleslation  :  aussi  M.  Dindorf,  que  d'utiles  tra- 
vaux ont  rendu  justement  célèbre,  cherche-t-il  d'abord  à  con- 
cilier les  opiu'ious  difféienles  qui  existent  à  cet  égard.  Dans 
une  dissertation  sur  les  titres  et  le  nombre  des  comédies  de 
son  auteur,  il  se  sert  habilement  d'une  variante  d'un  bon  ma- 
nuscrit de  la  Bibliothèque  royale,  qui  porte  p5 ,  c'est-A-dire 
l\^\,  et  qui  allie  ainsi  l'opinion  de  Suidas  ,  dout  il  renferme 
les  œuvres,  à  celle  d'autres  grammairiens.  M.  Dindorf  recti- 
fie (juehpies  litres,  rejette  quelques-unes  des  pièces  attribuées 
ordinairement  à  Aristophane,  et  donne  pour  cette  décision 
des  motifs  coufoimes  à  la  saine  critique.  Quant  aux  fragmens, 
ils  sont  rangés  par  ordre  :  viennent  d'abord  ceux  de  la  pièce 
intitulée  :  Lca  Babylovicns.  Le  poète  y  attaquait  Cléon,  sans 
même  déguiser  sou  niun  :  aussi,  cet  excès  d'audace  lui  fit-il 
beaucoup  d'ennemis.  11  s'agit  ensuite  de  la  comédie  intitjjlée 
Proagov.  principalement  dirigée  contre  Furipide.  M.  Dindorf 


ALLEMAGNE.  Gc)- 

a  enrichi  ces  fragnicns  de  recherches  sur.  les  acteurs  employés 
par  Aristophane.  Ampliiarée,  représentée  en  la  2'  année  de  la 
f)i-  olympiade,  s'adresse  surtout  à  la  superstition  :  on  croit 
que  Nicias  tst  le  sujet  des  railleries  du  poète.  Puis,  M.  Din- 
dorf  donne  de  justes  éloi^es  à  la  dissertation  que  M.  Putter  a 
publiée  à  Bonn,  en  1828,  sur  le  premier  Plutus;  viennent  en- 
suite VJ^olosikon,  qui  appartient  à  la  comédie  moyenne,  et  le 
Kokalus ,  qui  marque  la  transition  vers  la  nouvelle  :  il  paraît 
(|ue  cette  comédie  l'ut  la  dernière  composée  par  Ari>tO}diane. 
Les  lecteurs  du  Musée  du  R/tin,  qui  parait  à  Bonn,  se  rappel- 
lent encore  comment  M.  Granert  y  a  réuni  toutes  les  tradi- 
tions sur  ce  Kokalus.  Anagyre,  les  Laboureurs,  la  Vieillesse, 
Gérjtade,  Didale^  les  Danaldes  occupent  peu  de  place  dans 
le  livre  de  .M.  Dindorf.  Il  pense  que  la  pièce  intitulée  Lem- 
îùœ  était  une  sorte  de  parodie  de  l'Hypsipyle  d'Euripide.  Les 
Cigognes  paraissent  avoir  rappelé  les  idées  des  anciens  sur  la 
piété  filiale  de  ces  oiseaux.  Nous  ne  citer;>ns  pas  tons  les  autres 
titres  ;  nous  dirons  seulement  que  les  fragmens  recueillis  s'é- 
lèvent au  nombre  de  719;  que  des  notices  font  autant  que 
possible  connaître  le  sujet  des  pièces  auxquelles  elles  appar- 
tiennent, que  les  leçons  reçoivent  d'utiles  corrections.  Un  bon 
index  termine  cet  ou\rage,  qui  ajoutera  aux  titres  déjà  si 
nombreux  que  l'éditeur  s'est  acquis  à  l'estime  des  philologues. 

1/14.  —  Phirecrates  et  Eupolidis  fragmenta.  —  Fragmens 
de  Phérérate  et  d'Eupolis.  Léi{>zig,  1829    In-8°. 

M.  Pir>KEL  nous  a  donni,  il  y  a  deux  ans,  le  peu  de  mots 
de  Cratinu?  que  le  tems  a  respectés.  D'injustes  critiques  ne 
l'ont  point  effrayé  :  il  nous  présente  aujourd'hui  les  restes  de 
deux  autres  poêles  comiques.  Phérécrate  vivait  au  fenis  de 
Platon  et  d'Aristophane.  Il  écrivait  ses  comédies  de  l'Olym- 
piade 88  à  gS.  L'éditeur  pense  qu'il  en  composa  17;  il  en 
donne  ici  les  titres  et  presque  l'argument.  Quant  à  Eupolis,  né 
dans  la  2'  ou  la  5^  année  de  la  Sô'  olympiade ,  il  composait 
dans  le  même  tems  que  le  précédent.  On  lui  attribue , tantôt 
quatorze,  tantôt  dix-sept  et  tantôt  vingt  CL-médies.  Il  y  avait 
dans  ses  créations  de  la  verve,  et  surtout  de  l'esprit.  Eupolis  a 
laissé  son  nom  à  une  espèce  de  mètre,  dont  il  faisait  plus  par- 
ticulièrement usage.  Le  volume  est  terminé  par  un  appendice 
et  par  un  supplément  à  l'édition  de  Cratiiius,  qui  contient  de 
nombreux  IVagmens.  M.  Piunkel  a  fait  usage  d'une  disserta- 
tion du  docteur  Lucas,  publiée  à  Bonn,  en  1828. 

P.   DE  GOLBÉRY. 

145.  —  Gescinclite  der  Malereï  in  Italien.  —  Histoire  de  la 
peinture  en  Italie  ,  depuis  la  renaissance  de  l'art  jusqu'à  la  fin 


G()8  LIVRES  ÉTRANGERS. 

(lu  xviu'  sit'cle,  par  L.  Lanzi,  traduite  de  l'italien  ,  et  publiée 
par  y/c/.T>"AGXER,  avec  les  note?  de  J.  G.  de  Qiaxdt.  Tom.  i". 
Leipzig,  i85o;  Darth.  In-8'*  de  6i4  pages. 

Tous  les  altistes  les  et  amateurs  des  aris  connaissent  l'ou- 
vrage iîalien  de  Lanzi,  qui  a  été  traduit  dans  plusieiirs  langues. 
L'éditeur  de  !a  traduction  allemande  ne  s'est  pas  borné  À  re- 
pr;iduire  l'original  :  un  écrivain,  qui  s'occupe  spécialement  de 
l'histoire  de  l'art,  M.  de  Quandt,  a  ajouté  un  grand  nomljre 
de  noies  qui  tendent  à  compléter  et  quelquefois  ;i  rectifier  le 
texte;  le  tradncteur  y  a  joint  aussi  des  noies;  on  trouve  de 
plus,  à  la  tête  de  la  traduction,  un  morceau  curieux,  où  l'ou- 
vrage de  Lanzi  est  jugé  non  pas  par  un  iulmiraleiu'  aveugle, 
mais  par  un  critique  impartial.  Ordinairement  les  traducteurs 
sont  à  genoux  devant  l'original.  Ici  l'on  juge  Lanzi  de  manière 
à  ne  pas  lui  laisser  im  mérite  bien  élevé  :  l'amour  (ie  la  vérité 
paraît  l'avoir  emporté,  chez  !e  traducteur,  sur  l'intérêt  qu'il 
avait  à  faire  valoir  son  auteur. — Lanzi,  est-il  dit  dans  cette  pré- 
face, était  un  de  ces  honnêtes  collecteurs  qui  sont  infatigables 
dans  leurs  recherches,  et  mettent  un  zèle  très-louable  à  re- 
cueillir tout  ce  qui  peut  orner  leur  collection;  mais  il  n'allait 
pas  plus  loin.  Il  n'était  pas  échauffé  par  le  génie  de  la  pein- 
ture :  il  ne  saisissait  pas  l'influence  de  la  religion  et  des  mœiu's 
sur  les  arts  chez  ses  compatriotes;  il  adoptait  des  opinions 
toutes  faites  sur  le  mérite  relatif  des  peintres.  Il  aurait  volon- 
tiers pesé  les  artistes  dans  la  fameuse  balance  inventée  par  de 
Piles;  il  avoue  qu'il  a  empiuntc  la  plupart  de  ses  jugemens  à 
3Iengs  ;  or,  "\îengs  avait  des  idées  particuliéi-es  sur  le  beau  , 
fini  ne  sont  qu'un  système  aussi  peu  soutenable  que  beaucoup 
d'autre.-?.  En  résumé  ,  il  fiiut  compter  pour  peu  de  choses  les 
jugemens  que  Lanzi  porte  sur  les  ouvrages,  de  l'art,  mais  ou 
peut  en  toute  sûreté  le  consulter  sur  les  dates  et  les  localités. 
C'est  un  guide,  un  cicérone,  qui  vous  dit  exactement  où  se 
trouve  tel  ou  tel  tableau  d'un  certain  maître,  combien  ce 
maître  a  lait  d'ouvrages,  à  quelles  époques  î!  s'en  est  occupé, 
et  quel  a  été  le  sort  de  ces  chefs-d'ccuvre.  — Je  ne  pense  pas 
que  Lanzi  eftt  été  bien  flatté  de  voir  son  travail  réduit  à  celui 
d'un  guide  ;  mais  je  crois  que  les  éditeurs  allemands  ont  assez 
Itien  apprécié  le  talent  du  prétendu  historien  de  la  peinture. 
(>eux  qui  le  consulteront  à  l'avenir  feront  bien  d'avoir  égard 
aussi  aux  notes  des  éditeurs  allemands  ;  ils  y  trouveront  beau- 
roup  d'indications  relatives  ;'■.  l'histoire  de  l'arl.  D — g. 


SUISSE.  (Jç)9 

SUISSE. 

146.  —  *  Bline  in  fias  TVexen,  etc.  —  Vue  siir  le  but  et  la 
nature  de  l'éducation  des  femmes;  ouvrage  destiné  aux  mè- 
res et  aux  fdles  capables  de  réflexions;  par  Vl'^"  Rosette  Nie- 
DEREK,  née  Rasthofer.  Berlin,  1828;  A.  i\ucker.  In-8°  de 
xet  49(3  pages  (i). 

Lorsqu'on  étiulie  avec  attention  les  développemens  de  l'es- 
pèce humaine,  on  aperçoit,  à  l'un  des  extrêmes  de  l'éduca- 
tion des  femmes,  des  pensionnats  de  demoiselles  et  des  maisons 
qui  semblent  n'aspirer  qu'au  titre  de  succursales  de  la  mar- 
chande de  modes,  du  coiffeur  et  du  maître  de  danse  ;  à  l'au- 
tre extrême,  des  instituts  d'éducation  et  une  vie  de  famille,  où 
l'on  se  propose  de  résoudre  le  grand  problème  de  la  destinée 
de  la  femme,  dont  le  perfectionncm<Mit  individuel ,  la  pros- 
périté, le  bonheur  et  la  moralité  religieuse  de  la  famille  sont 
la  solntion.  Ceux  qni  croient  que  la  femme  accomplit  sa  des- 
tinée lorsqu'elle  parvient  à  s'établir  dans  le  monde  à  force 
de  frivolité  agissent  conséquemment ,  s'il  la  dressent  pour 
cela.  Mais,  quand  on  respecte  l'âme  humaine  et  la  divine  em- 
preinte que  le  Créateur  Y  a  hiissée,  sii  tâche  se  complique,  en 
iiîême  tems  qu'elle  devient  plus  noble.  Indépendamment  des 
intérêts  éternels  de  la  nature  himiaine,  premier  objet  de  la 
science  générale  de  l'éducation,  on  se  demande  quel  est  le  ca- 
ractère distinctif  de  la  femme,  quelles  attributions  la  nature 
lui  a  données,  quelles  relations  résultent  de  là  pour  elle  avec 
la  famille  et  avec  la  société,  quelle  sorte  d'influence  son  édu- 
cation doit  exercer  sur  l'une  et  sur  i'autie.  C'est  ainsi  qu'à 
procédé  M"''  Niedereb.  Compagne  d'un  homme  placé  sur  la 
première  ligne  des  collaborateurs  de  Pestalozzi ,  directrice 
d'un  institut  d'éducation  justement  célèbre,  riche  d'une  expé- 
rience faite  consciencieusement,  et  douée  de  hautes  facultés, 
elle  a  droit  de  suffrage  dans  les  discussions  philosophiques  les 
plus  approfondies  sur  la  fonction  des  éducateurs.  A  défaut 
d'autres  garanties,  son  livre  en  serait  une  preuve  péremptoire. 
Prenant  pour  point  de  départ  la  reconnaissance  intime  de  la 
nature  féminine,  et  les  principes  immuables  de  l'éducation 
envisagée  au  point  de  vue  d'une  philosophie  religieuse,  elle 


(i)  Xons  plaçuiis  cet  article  dans  le  liulletin  bibliographique  de  la 
Suisse,  qiKiiqii'il  ait  été  publié  en  Allcniafjne,  paire  qu'il  a  été  écrit  en 
Suisse,  par  une  dame  suisse,  et  qu'il  coniplète  le  tableau  des  publiia- 
Uons  relatives  à  l'éducation  récemment  faites  dans  ce  pays. 


-00  JJVflLS  l'MRiNfiERS. 

combine  ces  deux  élémeii»  ;  puis,  elle  construit  sur  cette  Ijase 
une  théorie,  dont  toutes  les  parties  se  correspondent,  et  Ibr- 
uient  un  ensemble  s.uis  lacune  et  parfaitement  harmonique. 
Comment  l'âme  de  la  femme  se  présente-t-elle  aux  yeux  de 
l'auteur?  Ecoutez  :  «  Une  immense  plénitude  d'aflection  est 
innée  à  l'âme  de  la  femme,  destinée  par  Dieu  à  Aivifier  et  à 
développer  tous  les  garans  délicats  du  sentiment  humain  {der 
MeusckllcIikeU).  Le  feu  sacré  demande  à  être  entretenu  avec 
un  saint  respect,  et  nourri  des  flammes  de  l'amour  divin,  afin 
qu'il  ne  s'éteigne  pas  dans  l'atmosphère  épaisse  de  la  terre, 
mais  qu'au  contraire,  s'il  \ient  à  s'obscurcir  au  milieu  des 
orages  de  la  \ie,  il  se  ravive  au  céleste  foyer  où  il  fut  puisé.  » 
Voici  maintenant  de  quelle  manière  l'auteur  envisage  l'éduca- 
tion en  général  :  «  L'éduralion  se  propose  Je  conduire  le  genre 
humain  au  but  que  Dieu  lui  a  marqué,  par  le  chemin  de  ses 
lois.  Les  moyens  humains  qu'elle  emploie  sont  le  développe- 
ment et  la  culture  du  corps,  de  l'esprit  et  du  cœur,  par  la 
raison  et  la  conscience,  par  Part  et  la  science.  Les  moyens  di- 
vins sont  le  développement  et  la  culture  de  la  raison  et  de  la 
conscience,  par  la  révélation  que  Dieu  a  donnée  aux  hommes, 
par  les  événemens  de  la  vie,  par  des  êtres  inspirés  de  Dieu, 
par  l'église,  par  le  baptême,  et  la  sainte  Cène.  Dès  qu'on  sé- 
pare et  qu'on  isole  les  moyens  humains  et  les  moyens  divins, 
leur  application  présente  des  contradictions  et  des  luttes;  en 
renonçant  à  leur  union,  ils  perdent  leiu-  salutaire  influence; 
alors,  au  lieu  d'améliorer  l'homme,  l'éducation  le  pervertit  ; 
par  une  conséquence  inévitable,  cette  perversion  le  met  en 
désaccord  avec  la  nature,  avec  lui-même,  avec  son  espèce  et 
avec  la  Divinité.  » 

Nous  sentons,  en  traduisant  ces  passages,  qu'on  leur  tron- 
veia  en  France  une  teinte  de  my.-ticisme  et  de  dévotion  illi- 
bérale; tant  est  diflerer.t  le  génie  des  deux  langues  et  des  deux 
peuples.  Uicu,  cepentlant,  n'est  plus  éloigné  de  la  simplicité 
et  des  petites  prati(|ues  d'une  dévotion  méticuleuse  ou  pédan- 
tesqiie,  que  l'élévation  de  l'esprit  religieux  qui  règne  dans  le 
livre  de  M™"  ÎSiederer;  son  cliristianisme  prend  la  forme  ap- 
propriée à  \m  esprit  d'une  culture  philosophique. 

L'ouvrage  est  divisé  en  quatre  livres.  L  Besoins  et  habitudes: 
Sommeil;  nourriture;  gymnastique;  propreté;  décence; 
amour  du  travail  ;  économie;  ortlre  dans  l'espace  ;  ordre  dans 
le  lems;  ordre  dans  l'éducation.  II.  Edacailon  morale  :  Déve- 
loppement du  sentiment,  à  l'occasion  des  soins  physicjues  don- 
nés à  l'enfant  ;  amour  maternel  ;  vie  domestique;  réveil  et  dé- 
veloppement de  la  sensibilité  enfantitie  ;  amour;  reconnais- 


SLISSE.  r-oi 

}*ance  ;  conscience;  loi;  courage  et  humilité;  récompenses  et 
peines;  morale  fie  la  vie  de  l'enfant;  développement  dos  élé- 
mens  religieux;  réconciliation.  111.  Educalion  intcUecUtclle  : 
Rapport  du  sujet,  sous  le  point  de  vue  de  Téducation  intellec- 
tuelle;... de  l'instinct  dans  ses  rapports  avec  l'intelligence;... 
rapport  des  lacnltés  intellecUielles  aux  autres  facultés  de  la 
nature  humaine,  et  leur  influence  ;  fraudes  et  erreurs  dans  la 
marche  de  l'éducalion  intellectuelle  des  fdles;  la  lecture, 
moyen  d'éducation  intellectuelle  ;  tendance  naturelle  de  l'é- 
ducation intellectuelle  des  fdles,  comme  résumé  de  l'ensem- 
ble de  cette  éducation  ;  conséquences  de  cette  éducation  pour 
l'humanité.  IV.  Éducation  sociale  :  Éducation  esthétique; 
forme  et  nature  de  la  société;  sociabilité;  rang;  luxe  et 
mode;...  publicité;  fêles;  liberté;  patrie;  église.  » 

Rapprochée  des  principes  fondamentaux  du  livre,  celle  sim- 
ple indication  des  matières  essentielles  qui  y  sont  traitées,  et 
de  leur  ordre,  fait  assez  bien  connaître  l'esprit  dans  lequel  il 
est  écrit.  L'auteur  fait  reposer  la  science  de  l'éducation  sur  sa 
véritable  base,  la  j>sychologie  ;  elle  cherche,  dans  le  sanctuaire 
deràme  humaine,  les  réalités  dont  les  phénomènes  de  la  vie  ne 
sontque  les  images;el,  loin  dese  borner  à  satisfaire  unecnrio- 
silé  spécul.itive,  ses  recherches  sont  noblement  pratiques,  puis- 
qu'elles tendent  à  épurer  et  à  élever  la  pensée  et  lessenlimens. 
L'impression  générale  produite  par  un  livre  en  est  la  meilleure 
pierre  de  louche  :  l'etVet  de  celui  de  IM""  àSiederer  est  de  vous 
placer  dans  une  atmosphère  morale  ,  où,  sans  vous  enorgueil- 
lir de  la  natin-e  humaine,  vous  respectez  en  elle  les  intentions 
de  son  auteur,  et  vous  vous  sentez  pressé  de  la  rapprocher  de 
son  type  primitif.  «  Quant  une  lectiue  vous  élève  l'esprit,  dit 
La  Bruyère,  et  qu'elle  vous  inspire  des  sentimens  nobles  et 
courageux,  ne  cherchez  pas  une  autre  règle  pour  juger  de  l'ou- 
vrage; il  est  bon  ,  et  fait  de  main  d'ouvrier.  »  La  main  de  l'ou- 
vrier se  reconnaît  à  chaque  page  de  celui  que  nous  recom- 
mandons ici. 

Tandis  qu'on  ne  considère  le  plus  souvent  l'éducation  des 
filles  que  sous  le  point  de  vue  du  bonheur  individuel  et  do- 
mestique, on  devrait  y  voir  l'une  des  causes  des  vertus  publi- 
ques ou  de  la  décadence  des  mœurs,  et,  par  conséquent,  des 
Etats.  Ses  rapports  avec  la  société  civile  ont  été  considéré? 
par  l'auteur  d'ime  manière  complète;  ce  grave  sujet  nous 
semble  épuisé  dans  les  chapitres  intitulés  :  Institution  d'édu- 
cation pour  tes  filles  ;  publicité;  liberté; patrie;  uou;<  invitons  A 
II-,^  méditer  les  hommes  appelés  à  s'occuper  de  l'éducation 
publique  :  beaucoup  d'entre  eux,  nous  ne  craignons  pas  de 

T.    XLVII.     SEPTEMBRE    1 85o.  ^5 


noa  LIVRES  ÉTRANGERS. 

l'avancer,  y  trouveront  une  richesse  d'idées  et  une  profondeur 
philosophique  qu'ils  n'eussent  pas  trouvées  en  eux-mêmes. 

Ce  mérite  du  fond  nuit  peut-être  à  la  forme  ;  trop  philo- 
sophique pour  les  femmes  dont  la  culture  intellectuelle  n'est 
pas  avancée,  elle  ùte  au  livre  ce  caractère  de  popularité  que 
nous  aurions  ai.'né  à  y  trouver,  parce  que  nous  voudrions 
le  voir  dans  les  mairis  de  toutes  les  mères.  Qu'on  ne  se  mé- 
prenne point  sur  notre  critique  :  ce  que  nous  semblons  blâ- 
mer est  une  qualité  rare,  que  bien  des  honniies  ambitionne- 
raient :  c'est  la  précision  rigoureuse  du  langage  de  la  philoso- 
phie, que  l'auteur  doit  d'ailleurs  vivifier  par  les  couleurs  de 
l'imagination  et  par  la  sensibilité  d'un  cœur  de  femme.  Ce- 
pendant, plus  de  simplicité  cûtxju  quelquefois  plus  de  charme. 

1/17.* —  Die  Hausmidtcr.  —  Lft  mère  de  Famille,  Ouvrage 
pour  le  peuple,  par  M.  Titus  Tobleii,  D-M.  Buhler  (canton 
d'Appenzell) ,  )83o;  Michel  Buft".  In-i  2  de  viij-207  pages. 

La  forme  de  ce  livre  est  aussi  populaire  que  celle  du  pré- 
cédent l'est  peu;  tout  y  est  en  action.  Elisabeth,  la  mère  de 
famille,  (|uoique  femme-modèle,  n'a  rien  de  fantastique;  c'est 
une  excellente  paysanne  du  canton  d'Appenzell,  entourée  des 
habitudes  et  des  mœurs  de  son.  canton.  Seulement,  elle  donne 
à  ses  concitoyens  un  bon  exemple,  que  l'auteur,  Appcnzellois 
comme  elle,  accompagne  de  bons  conseils,  sur  cent  objets  de 
la  vie  du  peuple.  Son  langage  même  est  celui  que  le  peuple 
comprend;  l'expression  appenzelloise  est  sagement  préférée 
à  l'expression  classique,  toutes  les  fois  que  celle-ci  ne  serait 
pas  à  la  portée  des  personnes  auxquelles  l'ouvrage  s'adresse. 
La  tournure  proverbiale  donnée  aux  leçons  et  aux  conseils 
est  aussi  heureusement  choisie.  La  Mère  de  Famille  est  à  la 
fois  un  livre  d'éducation  des  femmes,  et  un  Manuel  de  bon 
sens  sur  des  choses  usuelles  placées  en  dehors  du  domaine  de 
l'éducation.  Pour  atteindre  le  premier  but,  l'auteur  montre 
plutôt  le  résultat  qu'il  ne  déroule  le  moyen  d'y  arriver;  mais 
l'esprit  dont  il  cherche  à  pénétrer  le  lecteur  est  celui  de  l'é- 
ducation véritable,  du  jicrfcctionnement  moral.  Les  autres 
avis  portent  sur  les  préjugés  et  les  superstitions  du  peuple, 
sur  les  soins  de  la  santé  et  de  la  fortune,  sur  l'économie  do- 
mestique et  la  vie  de  famille.  Tout  le  livre  respire  un  senti- 
ment moral  sans  affectation.  Sous  le  rapport  littéraire,  il  est 
attrayant  par  une  naïveté  aussi  originale  que  la  peuplade  pour 
laquelle  il  est  écrit. 

C.    MOKNARD. 


SUISSE.  ^o% 

Ouvrages  Périodiques. 

148. — *Zeitsclirift  fur  Vollissckutlelirer,  etc. — Journal  pour 
les  Instituteurs  du  Peuple,  publié  par  une  société  d'hommes 
attachés  à  l'éducation  publique  en  Suisse  et  dans  l'Alleuiagne 
méridionale.  Bâle ,  1829  ^^  i85o;  Félix  Schneider.  Cahiers 
in-12,  de  deux  à  trois  feuilles  d'impression ,  paraissant  tous 
1-es  deux  mois. 

En  Allemagne  et  dans  la  Suisse  allemande ,  l'éducation 
n'est  pas  seulement  une  de  ces  matières  générales  sur  les- 
quelles les  personnes  instruites  réfléchissent,  parlent  ou  écri- 
vent d'une  manière  plus  ou  moius  vague,  une  espèce  de 
terre  commune  dans  le  domaine  de  la  pensée;  c'est  une  par- 
tie parfaitement  circonscrite,  une  province  distincte  dans 
l'empire  de  la  science,  et  qui  a  ses  divisions  territoriales ,  sa 
charte  et  sa  propre  législation.  La  pédagogique  ou  science  de 
l'éducation  forme  une  branche  à  part,  comme  l'économie  po- 
litique ou  la  géographie  ;  des  chaires  lui  sont  consacrées  dans 
les  universités;  les  ouvrages  qu'elle  a  fait  éclore  composent 
une  vaste  bibliothèque;  elle  occupe  des  journaux  scientifiques  et 
d'autres  plus  populaires.  Celui  que  nous  annonçons  participe 
de  ce  double  caractère  ;  les  sujets  y  sont  traités  scientifique- 
ment et  pourtant  mis  à  la  portée  des  instituteurs  ordinaires 
et  des  pères  de  famille  dont  la  culture  intellectuelle  n'est  pas 
bien  avancée.  Chaque  cahier  du  journal  contient  trois  divi- 
sions :  1°  dissertations,  mémoires,  lettres;  2°  notices  histori- 
ques; 5°  analyses  d'ouvrages  relatifs  à  l'éducation.  Dans  la 
première  de  ces  divisions  se  traitent  des  sujets  d'uiie  grave  im- 
portance :  par  exemple,  le  but  et  les  limites  des  écoles  popu- 
laires, les  rapports  de  l'école  avec  la  vie  pratique,  les  rapports 
de  l'église  avec  l'école;  on  y  trouve  une  série  de  lettres 
adressées  aux  instituteurs  du  peuple,  par  M.  Kkiîsi,  ancien 
collaborateur  et  ami  de  Pestalozzi,  et  aujourd'hui  directeur 
de  l'école  cantonale  des  Rhodes  extérieures  d'Appenzell.  Les 
notices  historiques  rendent  compte  de  l'établissement  et  du 
perfectionnement  des  diverses  sortes  d'écoles  en  Suisse  prin- 
cipalement, puis  aussi  en  Allemagne.  Dans  la  section  des  analy- 
ses, on  ne  rend  compte  que  des  ouvrages  les  plus  marquans.  La 
théorie  et  les  faits  concourent  ainsi  dans  ce  journal  à  faire  ré- 
fléchir les  instituteurs  et  à  donner  à  leurs  efforts  une  direction 
éclairée.  L'éditeur  du  journal,  M.  Rod.  HA^•HART,  professeur 
de  pédagogique  à  l'L  liiversile  de  Baie  et  recteur  du  Gymnase, 
appartient  à  la  classe  des  écrivains  distingués  dans  celte  bran- 


7o4  LIVRES  ETRANGERS. 

i-he  des  sciences;  sou  active  coopération  à  ce  Recueil  pério- 
dique, où  d'autres  noms  recoinmandables  se  groupent  autour, 
du  sien,  permet  de  croire  que  le  mérite  de  son  journal  se  sou- 
lieudra. 

i^Q.  — Journal  d'Education,  publié  par  la  Société  d'utilHé 
publique  du  canton  de  Vaud.  Yverdun.  1H29  et  i85o;  Fivaz, 
lils  aîné.  Cahiers  in-8";  la  première  année  d'une  feuille  et  de- 
mie d'impression,  la  seconde  année  d'une  feuille. 

La  Société  vandoise  d'utilité  publique  a  été  bien  inspirée 
lorsqu'elle  a  conçu  l'idée  de  faire  publier,  par  un  comité,  un 
journal  d'éducation,  dans  le  but  de  propager,  parnii  les  insti- 
tuteurs et  les  pères  de  famille,  la  connaissance  des  principes 
pédagogiques,  et  d'otTrir  aux  uns  el  aux  autres  un  moyen  de 
correspondance  publique,  de  communication  réciproque  des 
résultats  de  leur  expérience  et  de  leurs  réflexions.  I!  est  fâ- 
cheux que  l'exécution  ait  été  trop  hâtiv  e.  Les  publications  ont 
commencé,  il  semble,  ayant  que  les  personnes  qui  s'en  trou- 
vaient chargées  spécialement  aient  arrêté  un  plan  avec  toute 
la  conscience  de  la  lâche  entreprise,  el  aient  ordonné,  avec 
maturité  et  d'une  nianière  systémati((ue,  des  matériaux  suffi- 
sans.  La  faiblesse  des  premiers  cahiers  a  jeté  de  la  défaveur 
sur  l'entreprise,  en  sorte  que  malgré  l'amélioration  sensible 
des  numéros  suivans  ,  et  surtout  de  ceux  de  l'année  cou- 
rante ,  elle  n'a  pas  reçu  tout  l'encouragement  que  méritait 
son  objet.  Lue  teinte  religieuse  d'une  nuance  particulière 
a  aussi  nui  an  Journal  d'Education  aux  veux  de  la  majorité 
du  j)nblic.  Les  premiers  cahiers  étaient  remplis  de  détails  de 
méthodologie;  la  partie  morale,  négligée;  et  les  bases  psy- 
chologiques de  l'éducation  n'étaient  guères  prises  en  considé- 
ration. Sous  tons  ces  rajjports,  le  journal  a  successivement 
subi  des  réformes  utiles.  Il  ne  pourrait  que  gagner  par  des 
emprunts  plus  fréquens  faits  aux  journaux  et  aux  ouvrages 
pédagogifiues  de  l'Allemagne;  ceux  de  la  Hollande  trouvent 
un  interprète  instruit  dans  cette  matière,  et  le  journal  une  coo- 
pérateur  actif  en  !>!.  Van  Muyden-Porta.  C.  Monnard. 

ITALIE. 

i5o. — *  Mémoires  de  Mathématiques  et  de  Physique,  par  6'Mt7- 
/a«me  LiBRi.  T.  1".  Florence,  182;);  Léonard  Ciardetli.  In-4". 

Ces  (Mémoires  ont  attiré  en  Itali*;  Tattention  de  tous  les  sa- 
vans,  et  ont  excité  leur  smprise  et  presque  leur  admiration. 
C'est  le  coup  d'essai  d'iui  jeune  homme  <|ui  promet  par  là  de 
prendre  une  belle  placr   d.iii'^  Ic^  s'iences.  el  de  continuer 


ITALIi:.  n.f) 

celle  série  dMioinines  illustres  qu'elles  oui  produit  dans  sa  pa- 
trie, parliciilièieniL'Ut  peudaut  le  xviu''  siècle.  Nous  sommes 
heureux  de  sij^ualer  à  la  Frauce  cette  reuounné(!  naissante 
dont  elle  peut,  je  crois,  s'enorgueillir,  puisque  M.  Lilni  lui 
appartient,  sinon  par  sou  origine,  du  moins  p;ir  l'étude  de  sa 
langue,  dont  il  se  sert,  et  de  ses  grands  mathématiciens,  dont 
il  rappelle  le  style  clair  et  précis.  — Les  Mémoires  qui  com- 
posent ce  voliune,  auquel  Fauteur  promet  une  suite,  traitent 
«les  matières  ci-après  :• —  i"  sur  quelques  formules  générales  d'a- 
nalyse; —  '>,"  théorie  de  la  chaleur;  —  5°  des  fonctions  continues; — 
4°  trois  Mémoires  sur  la  théorie  des  nombres.  — -  Nous  invitons 
beaucoup  tous  ceux  qui  s'occupent  des  hautes  mathématiques 
à  porter  leur  attention  sur  cet  ouvrage  remarquable ,  qui  dé- 
note une  grande  supériorité  de  savoir  et  de  génie  dans  son 
auteur. 

i5i.  ■ — HimedeiPelrarca,  etc.  —  Poésies  de  Pétrarque,  édi- 
tion publiée  sur  la  leçon  du  professeur  Marsand,  avec  des  ad- 
ditions et  des  corrections,  par  Jngelo  SiccA.  Padoue,  1829; 
Picotti. 

Voici  une  fort  belle  édition  de  Pétrarque.  Les  noms  des 
hommes  qui  la  publient  doivent  la  recommander  à  tous  les 
amis  des  textes  corrects  et  des  savantes  recherches  bibliogra- 
phiques. M.  Sicca  est  connu  surtout  en  Italie,  où  il  a  mérité 
par  ses  beaux  travaux  des  récompenses  académiques  et  des 
témoignages  de  reconnaissance  de  plusieurs  corps  savans,  no- 
tamment de  l'Athénée  de  Brescia.  Quant  à  M.  Marsaïul ,  il 
s'est  fait  connaître  dans  toute  l'Europe  par  ses  recherches  as- 
sidues des  éditions  de  Pétrarque,  auquel  il  a  consacré  les  études 
de  toute  sa  vie,  et  par  la  collection  qu'il  en  a  rassemblée.  On 
sait  que  cette  collection  a  été  acipiise  pour  la  Bibliothèque 
particulière  du  roi  de  France.  P- 

Ouvrages  périodiques . 

i52. — * Annali  universalidi Stalistica^  etc.  —  Annales  univer- 
selles de  Statistique,  d'économie  publique,  d'Histoire,  de 
voyages  et  de  commerce.  Milan,  i85o;  les  éditeurs  des  An- 
nales universelles  des  Sciences  et  de  l'Industrie,  Cont.'''  dell 
Agnello,  u"  960.  Cahiers  mensuels  in-8". 

i55.  — *  Annali  universali  di  /I  gricultura,'etc. — Annales  uni- 
verselles d'Agriculture,  d'économie  rurale  et  domestique,  et 
d'arts  et  métiers.  i\lilan,    i83o;  les  mêmes.  In-8". 

Ces  deux  recueils  mensuels,  dont  nous  avons  déjà  parlé 
plusieurs  fois,  continuent  à  faire  un  très-bon  choix  parmi  les 
matériaux  mis    à  leur  disposition.   Mais  nous  continuerons 


joG  LIVRES  iiTRA^^GERS. 

aussi  a  leur  faire  un  reproche  que  nous  avons  dcja  exprimé, 
reproche  intéressé,  sans  doute,  car  nous  voudrions  profiter 
souvent  de  ces  deux  publications  pour  enrichir  la  nôtre,  ce 
qui  ne  peut  avoir  lieu  que  par  les  notices  qu'ils  nous  donne- 
ront sur  l'Italie.  Les  rédacteurs  de  Milan  trouvent  dans  les 
écrits  périodiques  de  l'Angleterre,  de  la  France,  de  l'Alle- 
magne, etc. ,  tout  ce  qu'il  leur  faut  pour  tenir  l'Italie  au  cou- 
rant de  ce  que  l'on  fait  dans  toute  l'iîurope  pour  le  progrès 
des  sciences  agronomiques,  économiques  et  statistiques  :  en 
échange,  ils  doivent  à  l'Europe  une  ample  instruction  sur  les 
travaux  analogues  exécutés  en  Italie;  et  si  l'on  ne  fait  pas  as- 
sez dans  celte  contrée,  qu'ils  stimulent  leurs  compatriotes, 
qu'ils  provoquent  les  recherches,  qu'ils  en  recueillent  les  ré- 
sultats. Toutefois,  dans  les  circonstances  actuelles,  on  ne  peut 
savoir  mauvais  gré  aux  Annales  de  Statistique  de  s'étendre  sur 
Alger,  et  de  faire  connaître  cette  contrée,  ses  habitans,  la  do- 
mination que  l'aimée  française  eu  a  chassée.  On  lit  aussi  avec 
intérêt  et  profit,  dans  \c^  A nnales  d' Agriculture,  les  articles  de 
MM.  LoMEM  et  Manetti,  quoique  le  premier  nous  fasse  per- 
dre l'espoir  de  naturaliser  en  France  la  patate  (convoltulus 
batatas) ,  et  que  le  second  nous  prouve  que  nous  avons  tardé 
beaucoup  trop  long-tems  à  multiplier  sur  notre  sol  deux  ar- 
bres intéressans  sous  plus  d'un  rapport,  le  spruce  noir  de  Vir- 
ginie [allies  nigra) ,  et  le  magnolier  glauque.  M.  Lomeni  est 
un  des  principaux  rédacteurs  des  Annales d' Agriculture  :  celles 
de  statistique  sont  confiées  à  M.  Lampatô. 

154.  — *  E jfcmeridi  di  Mcdicina  omiopatica.  etc.  —  Ephéme- 
rides  de  la  Médicine  homéopatliique,  rédigée  par  une  So- 
ciété, de  médecins  napolitains,  sous  la  direction  du  professeur 
C,  M.  DE  HoRATus,  médecin -chirurgien  de  S.  .M.  le  roi  des 
Deux-Sicilcs.  Naples ,  iSag-iSôo;  imprimerie  de  ïObscrva- 
ieur  médical.  In- 12. 

Tandis  que  le  gouvernement  auliichien  interdisait  l'ensei- 
gnement des  doctrines  du  docteur  Hahnemann.  dans  les  Élats 
soumis  à  sa  domination,  ce  système  ,  propagé  par  les  méde- 
cins de  son  armée,  pendant  l'occupation  du  royaume  de 
ISaples,  s'introduisait  dans  la  pratique  médicale  de  ce  pays, 
où  ses  prosélytes  ont  entrepris  la  publication  d'un  journal  qui 
compte  déjà  plusieurs  cahiers,  et  qui  se  compose  d'essais  théo- 
riques sur  les  doctrines  dont  il  entreprend  la  diffusion,  et 
d'observations  expérimentales  destinées  à  en  démontrer  les 
avantages. 

i55.  — *  Antologia.  etc.  —  Antologie,  journal  des  sciences, 
des  lettres  et  des  arts.  Florence.  i83o;  au  cabinetscientifique 
et  littéraire  de  G,  P.  \ieu.-seux.   direcleur  cl  éditeur.  riil)Ii- 


ITALIE.  J07 

Ciilîon  mensuelle,  par  cahiers  in-8"ilc  10  feuilles  au  moins. 
Prix  de  l'abonnement,  5G  lires  loscaiies  pour  l'Italie;  52  fr., 
franc  de  port,  à  Paris. 

L'Italie  est  une  des  provinces  delà  rcpiil)li(|ue  des  lettres 
le  mieux  pourvues  d'exceliens  ouvrages  périodiques,  et  VJn- 
lologie  csl  certainement  de  ce  nombre.  Partout  où  Ton  exerce 
ainsi  une  critique  éclaiiée,  équitable  et  même  bienveillante, 
la  raison  publique  se  fortifie,  les  connaissances  se  répandent, 
les  perlectionnemens  intellectuels  et  moraux  arrivent  succes- 
sivement, et  se  maintiennent.  La  critique  raisonnable  et  dé- 
cente exerce  sur  les  esprits  et  leurs  diverses  opérations  une 
influence  non  moins  salutaire  que  celle  d'une  bonne  police  sur 
les  mœurs.  La  critique  a  même  l'avantage  d'étendre  son  ac- 
tion beaucoup  plus  loin  que  la  police;  elle  ne  reconnaît 
point  de  circonscriptions  territoriales,  point  de  limites  qui 
l'airêtent;  en  tous  lieux  et  dans  tous  les  tcms,  elle  attaque  les 
délits  contre  le  goût  et  le  bon  sens,  et  venge  la  raison  des  ou- 
trages que  lui  firent  des  auteurs  qui  ne  sont  plus,  et  de  ceux 
que  lui  prodiguent  trop  souvent  les  écrivains  de  notre  époque. 
Un  mauvais  drame  est  applaudi  en  France,  imprimé,  livré  à 
ses  juges  compétens;  il  en  trouve  en  Italie,  et  n'échappera 
point  à  leur  arrêt.  Hernani  a  comparu  devant  le  tribunal  de 
î'Antologie  (n°  ii5,  juillet  i85o);  après  des  informations 
scrupuleuses  et  un  examen  dont  l'auteur  ne  peut  se  plaindre, 
la  condamnation  de  l'ouvrage  est  prononcée ,  avec  tous  les 
égards  que  mérite  le  caractère  de  l'auteur.  Il  semble  que  la 
critique  peut  s'exercer  aussi  sur  quelques  parties  de  la  disser- 
tation sur  la  pièce  de  M.  Hugo,  et  sur  la  tragédie  moderne. 
Citons  une  des  observations  que  l'on  y  remarque. 

«  INous  pensons  qu'une  seule  innovation  d'un  immense 
pouvoir  sur  le  théâtre  serait  celle  qui  permettrait  aux  mo- 
dernes de  mettre  sur  la  scène  tragique,  à  l'imitation  des  Grecs, 
les  ministres  des  autels.  Nous  ne  doutons  nullement  que  cette 
tolérance,  loin  de  nuire  au  respect  qu'on  doit  au  culte  et  au 
sacerdoce,  ne  contribue  au  contraire  à  inspirer  pour  eux  une 
vénération  plus  profonde,  à  augmenter  la  puissance  morale  des 
cérémonies  religieuses.  Supposons,  par  exemple,  qu'on  mette 
sur  le  théâtre  la  catatrophe  delà  conjuration  des  Pazzi,  ou  celle 
de  notre  tems  contre  Yisconti,  avec  une  représentation  fidèle 
des  circonstances  de  l'événement;  qu'on  y  voie  la  pompe 
du  service  divin ,  que  l'orgue  se  fasse  entendre  ,  que  la 
fumée  de  l'encens  s'élève  en  nuages  vers  la  voûte  du  tem- 
ple ,  que  le  peuple  soit  prosterné  ,  etc.  :  qui  ne  sortirait 
pénétré  d'horreur,  après  avoir  vu  couler  le  sang  dansla 
maison   du   seigneur,  au    moment  même   où   l'on  célébrait 


;:o8  LIVIŒS   ÉTKA.NGLllS. 

les  plus  arif^usles  mystères  de  la  religion?...  n  Mais  si  vou» 
représentez  fidèlement  la  conjuration  des  Pazzi ,  après  la 
scène  de  l'assassinai  de  l'un  des  Médicis,  au  moment  de  l'élé- 
vation de  l'hostie,  ne  Inudrait-il  pas  montrer  l'archevêque  et 
Bandini  pendus  à  une  fenêtre  du  palais,  ce  dernier  saisissant 
avec  les  dents  son  complice,  et  ne  lâchant  cette  horrible  proie 
qu'au  moment  où  il  expire?  Nos  romantiques  oseraient  peut- 
être  souiller  la  scène  de  ces  atrocités;  mais,  à  coup  sur,  le 
public  ne  les  supporterait  point.  Quant  aux  cérémonies  reli- 
gieuses, et  la  religion  elle-même,  il  est  à  délirer  qu'elle  soif 
écartée  de  nos  yeux ,  et  traitée  constamment  avec  la  réserve 
qui  convient  à  son  essence  mystérieuse.  Celle  des  Grecs  por- 
tail l'enipreinte  de  son  origine;  l'homme  pouvait  user  à  son 
gré  de  ce  qu'il  avait  créé  :Tnais  une  religion  émanée  de  Dieu 
même  ne  peut  être  détournée  de  son  augu>le  destination. 
Mais,  dit-on,  la  religion  use  d^une  grande  condescendance  envers 
les  arts  ;  elle  laisse  revêtir  de  formes  matérielles  les  essences  spi- 
rituelles dont  elle  nous  a  révélé  Ceaistence ;  elle  ne  s'offenserait 
pas  plus  des  libertés  que  fart  dramatique  se  permettrait  envers 
elle  que  de  celles  dont  la  peinture  et  la  sculpture  sont  en  posses- 
sion, etc..  11  serait  à  désirer  que  les  beaux-arts  n'eussent  ja- 
mais dénaturé  les  idées  religieuses;  et  aujourd'hui,  là  saine 
philosophie  doit  s'attacher  à  réparer  le  donunage  que  cette 
imprudence  a  causé.  Puisqu'il  est  encore  lems  de  s'opposer  à 
de  nouveaux  envahissemens  dont  la  religion  aurait  à  souffrir 
de  nouvelles  pertes,  (|u'on  s'abstienne  de  ces  sortes  d'innova- 
tions, et  (pjc  les  théâtres  se  boinent  à  exploiter  l'inépuisable 
mine  des  passions  humaines  et  de  leurs  résultats. 

i56. — *Il  Nuovo  RicogHtore,e\.c. — Le  Nouveau  Collecteur, 
ou  Archives  de  toute  Littérature  ancienne  et  moderne,  avec 
l'indication  et  des  notices  des  livres  nouveaux  et  des  nouvel- 
les éditions.  Milan,  i85o;  Ant.  Fort.  Stella  et  ses  fils. 

i'jii  recueil  succède  au  Spectateur  italien  et  étranger,  dont  la 
pu])lication  est  de  j  i[\  cahiers,  et  au  Collecteur,  qui  a  fait  pa- 
raître 9(5  livraisons.  Celui-ci  est  dans  la  sixième  année  de  sa 
renaissance.  Les  douze  cahiers  de  l'année  peuvent  être  réunis 
en  deux  volumes,  ou  n'en  former  qu'un  seul,  de  5'(  feuilles 
d'impression  au  moins.  Prix  de  l'abonnement ,  à  Milan,  i5 
livres  d'Italie,  pour  Tannée,  et  la  moitié  pour  six  mois.  Pour 
les  étranger-,  l'abomiement  est  augmenté  de  2  livres  par  an, 
frais  du  port  jus{|u'aMx  fiontières  du  royaume.  Les  éditeurs 
peuvent  procurer  les  ouvrages  annoncés,  et  préviennent  ceux 
qui  en  feraient  la  demande  «pie  les  prix  sont  en  livres  d'I- 
talie. 


ITALIE.  —  GRÈCE.  709 

Ce  recueil  peut  «"'tre  comparé  à  notre  Mercure;  et,  s'il 
éprouve  les  vicissitiifles  auxquelles  le  doyen  de  nos  journaux 
littéraires  tut  exposé,  si  la  fortune  lui  estquel(|uelV)i,s  contraire, 
ousi  la  capricieuse  le  comble  de  ses  faveurs,  il  pourra  dumoins 
compter  sur  une  existence  plus  que  séculaire,  traverser  plu- 
sieurs générations,  tandis  qu'il  verra  s'élever  et  tomber  la  plu- 
part de  ses  contemporains,  et  même  de  ceux  qui  ont  brillé 
d'un  plus  grand  éclat.  Les  éditeurs  ne  s'attachent  point  à  sui- 
vre un  ordre  déterminé,  et,  en  effet,  les  lecteurs  ne  le  deman- 
dent point;  comme  les  livres  de  cette  sorte  sont  faits  pour 
qu'on  les  prenne  et  qu'on  les  quitte  à  volonté,  rien  n'empê- 
che qu'une  pièce  de  Vers  ne  vienne  se  placer  à  côté  d'une  dis- 
sertation philosophique,  que  la  gravité  des  sciences  ne  succède 
aux  saillies  de  l'esprit,  aux  caprices  de  l'imagination.  Quant 
aux  notices  bibliographiques,  l'ordre  y  serait  utile,  sans  doute; 
mais  il  en  est  un  par  lequel  il  faut  commencer,  et  qui  s'ac- 
corde rarement  avectoute  autre  classification  ,  c'est  celui  d'an- 
tériorité, qui  semble  constituer  im  droit  à  être  annoncé  avant 
toutes  les  productions  d'une  date  plus  récente.  C'est  ainsi 
que  les  causes  sont  appelées  à  tour  de  rôle  devant  les  tribu- 
naux; et,  en  fait  de  littérature,  le  public  est  le  tribunal.  Quel- 
quefois, les  rédacteurs  des  recueils  périodiques  se  chargent  des 
fonctions  de  rapporteurs  de  ces  causes,  et  par  leurs  analyses 
ils  peuvent  influer  sur  le  jugement  :  il  nous  a  paru  que  ceux 
du  ISuoro  Ricoglitore  s'acquittent  de  ces  fonctions  avec  impar- 
tialité et  pleine  connaissance  de  la  chose  à  juger,  en  ayant  au- 
tant d'égards  pour  les  écrivains  que  pour  les  lecteurs.  Il  serait 
inutile  de  citer  quelque  partie  de  ce  recueil  pour  donner  une 
idée  de  l'ensemble,  d'après  une  ou  deux  pièces  détachées; 
personne  n'ignore  aujourd'hui  qu'on  ne  peut  faire  connaître 
par  ce  moyen  une  oeuvre  de  plusieurs  mains,  où  l'on  emploie 
toutes  sortes  de  matériaux,  ovi  l'on  n'est  pas  toujours  libre  d'ac- 
corder à  chaque  travail  le  tems  qu'il  exigerait.  En  parcourant 
les  cahiers  que  nous  avons  sous  les  yeux,  nous  y  avons  trouvé 
une  agréable  variété ,  plus  de  littérature  que  de  sciences,  et 
celles-ci  mises  ù  la  portée  des  lecteurs  qui  ne  se  piquent  point 
d'être  savans.  Il  y  a  donc  tout  lieu  d'espérer  que  le  Nouveau 
Collecteur  plaira  long-tems,  et  sera  digne  du  succès  qu'il  ob- 
tiendra. Y. 

GRÈCE. 

157.  — AtaT«7p,«,..  Cf.,  T.  T.  —  Régîemens  sur  l'organisation 
de  l'Ëcole  centrale  militaire.  Egine,  1829.  In-S"  de  21  pages. 


;io  LIVRES  ÉTRANGERS. 

Les  I  églcmens  de  VEcv/e  militaire,  confiée  aux  soins  de 
M.  le  capitaine  Taczié,  ont  été  empruntés  à  ceux  qui  régissent 
en  France  les  établissenicns  du  même  genre.  Les  personnes 
qui  ont  visité  avec  soin  celui  que  l'on  a  créé  dernièrement  en 
Grèce  s'accordent  à  faire  l'éloge  de  l'instruction  des  profes- 
seurs et  du  zèle  et  des  progrès  des  jeune^  cvelpidcs.  qui  sont 
l'espoir  de  leur  pays. 

La  Grèce  attend  avec  impatience  la  création  d'une  Ecole 
maritime,  qui  lui  est  peut-être  plus  nécessaire  encore,  parce 
qu'elle  aiaiique  de  bons  ofliciers  de  mer.  Cette  utile  institu- 
tion ne  tardera  pas  sans  doute  à  être  définitivement  organisée. 

ï58.  — Siœ  feuillets  de  tncs  Tablettes,  par  M.  Eug.  de  Vjlle- 
^E^VE.  Égine,  1829;  imprimerie  française.  In-8°  de  12  pages. 

Nous  n'aurions  pas  mentionné  ce  léger  et  insignifiant  opus- 
cule, si  le  lieu  où  il  a  paru  ne  donnait  pas  quelque  intérêt  ù 
sa  publication.  11  offre  une  nouvelle  preuve  de  l'universalité 
de  notre  langue,  qui  commence  à  être  généralement  parlée  en 
Grèce,  où  elle  devient  un  des  élémens  de  l'éducation  pu- 
blique. E.  G. 

PAYS-BAS. 

I  59. — *  Fables  de  La  Fontaine,  ornées  de  100  gravures  à  l'eau 
forte,  par  £(/g'c/fe  VERBCtCKHOvEN.  Bruxelles,  i85o;  Deuien- 
geot  et  Goodman.  2  vol.  grand  in-8°  sur  papier  vélin  d'An- 
nonay. 

Nous  copions  ici  le  prospectus  publié  par  les  éditeurs  de  cet 
ouvrage  :  nous  croyons  faire  plaisir  à  nos  lecteurs  en  leur 
faisant  connaître  celte  belle  entreprise  de  librairie. 

«  On  sait  le  grand  prix  attacbé  de  tous  lems  par  les  ama- 
teurs aux  gravures  à  l'eau  forte;  celles  des  peintres  célèbres 
de  l'Ecole  flamande  et  bollandaise  sont  montées  à  un  taux 
tellement  élevé,  qu'il  faut  aujourd'luii  posséder  une  grande 
fortune  pour  pouvoir  en  réimir  la  colleclion  complète  dans 
son  portefeuille.  Cette  faveur  n'est  point  sans  motifs;  ce  genre 
de  gravure  est  émincnuncnt  propre,  en  effet,  à  reproduire 
d'une  façon  vive  et  animée  la  pensée  de  l'artiste  avec  sa  fou- 
gue et  son  originalité,  qui  bien  souvent  s'effacent  et  disparais- 
sent dans  le  travail  plus  long  qu'exigent  toutes  les  autres  ma- 
nières de  graver. 

»  Un  de  nos  artistes  les  plus  distingués,  M.  Eugène  Ver- 
bœckhovcn,  qui,  nous  pouvons  le  dire  avec  orgueil,  est  sans 
rival  en  Europe  dans  l'art  de  peindre  les  animaux,  a  conçu 
riicurcusc  idée  d'une  collection  de  100  gravures  à  l'eau  forte, 


PAYS-RAS.  ;,i 

tlonl  les  sujets  soronl  cmpninîés  aux  fables  de  La  Fontaine.  Tl 
a  h'wn  voulu  Imiter  avec  MM.  Dcnienj^eol  et  Gooslman  pour 
sou  beau  travail,  qu'ils  puljlieui  par  sousciiplion.  Le  talent 
bien  connu  de  cet  artiste  est  une  garantie  de  l'exécution  parfaite 
de  son  ouvrage;  non-seulement  on  y  trouvera  une  remarqua- 
ble correction  de  dessin  ,  mais  encore  cet  art  merveilleux  de 
donner  une  pbysionomie  à  chacun  des  animaux  mis  en  scène, 
et  de  rendre  avec  infiniment  de  naturel,  de  pittoresque,  la 
pensée  tout  entière  de  l'immortel  fabuliste.  » 

Ouvrages  /Hriodu/iie!;. 

jGo.  • — *  La  Revue  des  Revîtes,  (mile lins.  Journalier,  magasins, 
annales  et  recueils  des  arts  et  des  sciences  physiques ,  chimiques  , 
technologiques,  agricoles,  économiques  et  commerciales  ;  par  wna 
Société  d'industiiels.  Bruxelles,  1829-1850.  Cette  publication 
mensuelle  a  commencé  avec  l'année  182g.  Chaque  cahier  est 
de  4  il  5  feuilles  in-8°,  avec  plusieurs  planches  lithogi'aphiées- 
avec  soin.  Prix  de  l'abonnement,  12  florins;  i5  florins,  franc 
de  port,  dans  toutes  les  provinces  des  Pays-Bas;  i5  florins 
pour  les  pays  étrangers. 

Il  semble  qu'on  multiplie  trop  les  livres  faits  avec  des  livres, 
et  les  journaux  composés  avec  des  journaux.  Paris  en  est 
inondé,  l'Allemagne  et  l'Angleterre  nous  en  envoient:  l'Italie 
se  met,  à  cet  égard  ,  an  niveau  des  pays  où  les  redites  et  les 
republications  abondent;  il  est  à  craindre  que  les  productions 
originales  ne  deviennent  de  plus  en  plus  rares,  tant  il  semble 
que  l'on  peut  s'en  passer  pour  faire  gémir  la  presse  et  con- 
sommer tout  le  papier  qu'il  nous  est  possible  de  fabriquer. 

Le  mot  Revue  a  besoin  d'être  défini ,  car  les  acceptions  qu'il 
reçoit  aujourd'hui  divergent  de  plus  en  plus,  et  par  conséquent 
il  serait  bientôt  impossible  d'y  attacher  un  sens  précis,  si  on 
ne  prenait  pas  la  précaution  de  fixer  celui  qu'il  eut  à  son  ori- 
gine, et  qu'il  convient  de  lui  conserver,  à  l'exclusion  de  tout 
autre.  Les  ouvrages  périodiques ,  auxquels  le  titre  de  Revue 
fut  donné  pour  la  première  fois,  furent  consacrés  à  l'examen 
des  livres  nouveaux,  des  productions  scientifiques  et  litté- 
raires, des  écrits  sur  les  arts,  et  en  général,  de  ce  qui  avait 
quelque  intérêt  pour  la  république  des  lettres.  Assez  long- 
tems ,  ce  titre  ne  désigna  point  d'autres  fonctions,  en  sorte 
que  les  Revues  qui  vinrent  partager  avec  les  premières  le  tra- 
vail des  inspections  littéraires  se  bornèrent  à  celle  occupa^ 
tion,  déjà  suffisante  pour  un  grand  nombre  (le  coopérateurs. 
Les  Revues  anglaises  n'ont  point  altéré  rinstitutinn  primitive  ; 


712  LIVRES  KTRAiNGERS. 

eu  France,  la  Revue  Encyclopédique  ne  s'en  est  pas  écartée  non 
plus,  quoique  son  plan  soit  plus  vaste  que  celui  des  Revues 
anglaises.  Quelques  écrivains  périodiques  sont  allés  plus  loin  ; 
ils  ont  pensé  q»ie  copier,  ou  traduire,  c'était  revoir,  et  leurs 
magasins  ont  été  ouverts  sous  l'enseigne  de  Revues.  En  ceci, 
ics  Anglais  nous  ont  encore  donné  l'exemple  d'une  plus 
grande  correction  dans  les  titres  de  leurs  ouvrages  périodi- 
ques; ceux  de  ces  ouvrages  où  ils  accumulent  des  notices  de 
toutes  sortes,  originales  ou  d'emprunt,  sont  des  Magasins,  et  ils 
en  ont  de  très-hien  fournis.  Quelques-uns  des  recueils  publiés 
sur  le  continent,  sous  le  titie  de  Revues,  s'imposent  l'obliga- 
ticn  de  ne  rien  insérer  (jui  leur  appartienne,  de  pouvoir  ci- 
ter, dans  tous  les  cas,  un  ouvrage  imprimé  qui  ait  fourni 
chacun  de  leurs  articles;  ils  sont  donc  aussi  des  magasins,  quoi- 
qu'ils diffèrent  de  ceux  de  l'Angleterre ,  en  ce  qu'ils  ne  tirent 
rien  inmiédiatement  des  fabriques,  et  ne  s'approvisionnent 
que  de  ce  qui  est  déjà  livré  à  la  consommation.  Cette  discus- 
sion à  propos  de  titres  et  de  mots  n'est  point  une  vaine  subti- 
lité :  on  ne  peut  douter  (pi'on  sert  beaucoup  mieux  les  sciences 
et  les  arts,  en  ajoutant  aux  connaissances  acquises  <jue  lors- 
qu'on se  borne  à  répandre  ce  qui  est  déjà  su  ;  dans  le  prenn'er 
cas,  on  a  travaillé  pour  tous  sans  exception,  et  dans  le  second 
cas,  seulement  pour  ceux  qui  ne  savaient  pas  encore.  Multi- 
plions donc,  autant  que  nous  le  pourrons,  les  journaux  qui  se 
chargent  de  mémoires  originaux,  qui  forment  l'avant-garde  de 
l'armée  d'expédition  contre  l'ignorance  et  le  faux  savoir  :  le 
corps  d'armée  sera  toujours  assez  nombreux.  C'est  ainsi  que 
chez  nous  le  Journal  du  Génie  civil  s'est  élevé  rapidement  à 
une  haute  prospérité,  en  raison  des  publications  originales 
dont  il  est  rempli.  Faites  que  l'on  trouve  dans  votre  recueil 
ce  que  l'on  chercherait  en  vain  dans  tons  les  autres;  vous 
n'aurez  pas  à  craindre  qu'on  vous  délaisse.  Le  journal  de 
Bruxelles  est,  certainenient,  très-digne  d'estime;  les  choix  sont 
bien  faits,  les  notices  intéressantes;  mais  en  associant^iux  ar- 
ticles d'iunpriint  un  certain  nombre  de  choses  qui  n'aient  point 
encore  paru  dans  d'aulies  lecueils,  les  rédacteurs  seront  en- 
core plus  assurés  de  plaire  et  d'instruire,  et  pour  les  services 
de  cett«î  nature,  le  public  n'est  jamais  ingrat.  La  ville  de 
Bruxelles  est  aussi  un  centre  des  sciences  et  des  arts,  un  des 
foyers  d'où  la  lumière  se  répand  dans  tout  le  monde  civilisé  : 
on  y  est  promptement  instruit  de  toutes  les  découvertes,  on 
en  fait  quelques-unes  ;  que  la  presse  périodique  se  hâte  de  les 
publier.  Cet  honorable  emploi  suffit  pour  exciter  l'émulation 
des  rédacteurs  de  journaux  consacrés  aux  connaissances  utiles. 


PAYS-BAS.  —  LIVRES  FRANÇAIS.  ;  i5 

La  Revue  des  Revues,  qui  t'ait  déjà  très-bien,  lera  mieux  en- 
core, si  elle  consent  à  se  charger  de  tous  'es  articles  originaux 
qu'elle  pourra  trouver,  dût-elle  renoncer  à  son  titre. 

Il  y  a  déjà,  dans  ce  recueil,  des  notices  de  cette  espèce; 
mais  elles  appartiennent  spécialement  aux  Revues  ,  et  ne  peu- 
vent être  considérées  comme  propageant  des  connaissances 
nouvelles.  Telles  sont,  par  exemple,  les  observations  sur  les 
produits  de  l'industrie  et  les  tableaux  exposés  cette  année. 
Les  jugemens  sur  le  travail  des  tabricans  sont  exprimés  avec 
une  modération  qui  inspire  la  confiance  ;  il  n'en  est  pas  ainsi 
de  la  Revue  du  Salon  de  peinture.  A  Bruxelles,  comme  à  Paris, 
leux  qui  s'érigent  en  arbitres  des  beaux-arls  se  croient  dis- 
pensés d'observer  les  convenances  :  un  ton  rogne  et  tranchant, 
(|ue  Beaumarchais  renvoyait  aux  libellistes  ;  des  prétentions  à 
l'esprit  qui  ne  provoquent  aucun  sourire;  cependant,  l'éloge 
domine  dans  toute  celle  revue,  mais  on  voudrait  que  l'exagé- 
ration n'y  fût  pas  quelquefois  trop  évidente,  et  que  partout  on 
pût  reconnaître  le  langage  de  la  raison,  toujours  simple,  et 
manifestant  la  justesse  des  pensées  par  celle  des  expressions. 
Au  reste,  il  faut  croire  que  ces  articles  sur  les  beaux-arts  sont 
fort  difiiciles  à  bien  faire,  car  on  n'y  réussit  pas  mieux  à  Pa- 
lis qu'à  Bruxelles.  Quant  aux  autres  objets  sur  lesquels  on 
trouve  des  notices  dans  la  Revue  des  Revues,  nous  répétons 
avec  plaisir  que  les  lecteurs  auiont  lieu  d'être  satisfaits  du 
choix  et  de  la  rédaction.  N. 

LIVRES  FRANÇAIS. 

Sciences  physiques  et  naturelles. 

16 1  —  *  Discours  sur  les  révolutions  de  la  surface  du  glohe, 
et  sur  les  changemens  qu'elles  ont  produits  dans  le  régne  animal; 
par  M.  le  baron  Cuvier.  Siaicme  édition  française,  revue  et 
augmentée.  Paris,  i85o;  Edmond  d'Ocagne.  In -8"  de  408 
pages,  avec  6  planches;  prix,  7  fr.   5o  cent. 

Des  savans  anglais  et  allemands  ont  pensé  qu'il  serait  utile 
de  détacher  ce  discours  du  grand  ouvrage  de  31.  Cuvier,  sur 
les  ossemens  foS;siles,  et  de  le  mettre  à  la  portée  des  lecteurs 
qui  ne  font  pas  de  l'histoire  naturelle  leur  étude  spéciale,  ou 
qui  doivent  s'interdire  la  dispendieuse  acquisition  d'un  ou- 
vrage qui  renferme  plus  de  400  planches.  En  faisant  passer 
dans  leur  langue  l'excellente  introduction  aux  recherches  sur 
l'^s  ossemens  fossiles,  les  savans  traducleurs  l'ont  enrichie  de 
noies,  dont  l'auteur  a  profilé  pour  cette  édition,  en  y  joignant 


;i4  LIVRES  FRANÇAIS. 

oncore  ci;  que  ses  recherches  ullérieures  lui  ont  l'ail  décou- 
vrir. Mais  ces  nouvelles  connaissances  ue  pouvaient  ctre  qu'in- 
(liriuées  dans  ce  discours,  qui  est  le  résumé  de  ce  que  l'on  sait 
aujourd'hui  sur  le  monde  souterrain,  sur  ces  plantes  et  ces 
animaux  ensevelis  depuis  tant  de  tems,  à  une  si  grande  pro- 
tondeur :  notre  illustre  naturaliste  se  propose  de  les  repro- 
duire en  détail  dans  le  volume  de  supplément  à  son  grand 
ouvrage,  où  il  réunira  ses  propres  découvertes  à  celles  que 
l'on  a  t'ailes  dans  les  deux  continens.  Lorsque  cet  intéres^■ant 
volume  sera  publié,  nous  aurons  tout  ce  qu'il  faut  pour  ap- 
précier convenablement  les  additions  faites  à  ce  discours,  dans 
cette  nouvelle  édition  :  M.  Cuvier  promet  de  discuter,  dans 
le  volume  supplémentaire,  les  hypothèses  nouvelles  auxquel- 
les les  découvertes  ullérieures  auront  donné  lieu  ;  il  sera  donc 
lems  alors  d'examiner  si  ces  découvertes  et  ces  hypothèses 
peuv,ent  réagir  sur  l'introduction  même,  et  si  les  opinions  et 
les  doctrines  exposées  dans  ce  discours  sont  susceptibles  de 
quelques  modifications.  F. 

162.  —  Mimcirc  sur  le  Charbon,  son  eniploi  dans  l'assai- 
nissement des  eaux  et  à  divers  usages  rconorniques,  par  A.  Che- 
V ALLIER.  Paris,  i85o;  imprimerie  de  Dezaiiche.  In- 13  de 
52  pages. 

Toutes  les  classes  de  la  société  pourront  lire  avec  fruit  le 
31émoire  de  31.  Chevallier  sur  les  ciiiplois  des  diverses  espèces 
de  charbon  végétal,  animal  ou  schisteux  pour  la  décoloration 
des  liquides,  tels  que  vinaigres,  huiles,  eaux-de-vie,  etc.  L'au- 
teur y  indique  les  fréquens  usages  du  charbon  de  bois  coilime 
engrais;  ensuite,  comme  moyen  d'économie  domestique  pour 
le  chaulTage  "par  un  procédé  particulier,  et  d'hygiène  pour  la 
désinfection  des  viandes,  leur  conservation,  ainsi  que  celle  de 
l'eau  et  son  assainissement.  Il  est  fort  à  désirer  que  cette  der^ 
nièie  propriété  du  charbon  végétal  soit  plus  connue,  et  surtout 
utilisée  dans  les  hautes  plaines  du  Jura  et  le  midi  de  la  France, 
où  riiabitude  est  de  conserver  pour  l'usage  journalier  les  eaux 
pluviales  dans  des  citernes,  souvent  très-mal  saines.      R"'  C. 

i65.  —  Description  d^un  nouveau  système  d'arcs  pour  les 
grandes  clutr pentes,  exécuté  sur  un  bâtiment  de  20  mètres  de 
largeur,  à  Marac,  près  Rayonne,  et  sur  le  manège  de  la  caserne 
de  Libourne;  par  A.  R.  Émv,  colonel  du  génie,  en  retraite,  ex- 
directeur des  forlidcalions  de  La  Rochelle  et  de  Rayonne, 
membre  de  l'Académie  de  La  Rochelle,  etc.  Paris,  1828;  Ca- 
lilian  Gœury.  In-f(dio  de  i5  pages,  avec  7  planches  gravées; 
prix,  (i  fr. 

M.  le  colonel  Lmy  rappelle  d'abord  les  services  trop  long- 
lems  niéconaus  que  Philibert  Delormc  a  rendus  ù  l'art  du 


SCIENCES  PHYSIQUES.  71 5 

charpentier.  Le  système  d'arcs  eir  planches,  imaginé  par  cet 
ingénicnx  architecte,  n'avait  encore  été  employé  qu'à  de  pe- 
tites constructions,  lorsqu'on  en  vit  enfin  une  application  en 
grand  à  Paris,  à  la  Halle-aux-Blés.  Si  nos  architectes  avaient 
quelque  habitude  des  mathématiques  et  de  leurs  applications, 
s'ils  connaissaient  le  calcul  de  la  résistance  des  bois,  et  les  faits 
nombreux  qui  confirment  ces  résultats,  ils  auraient  construit 
avec  plus  d'économie  et  d'élégance  la  vaste  étendue  des  mar- 
chés de  cette  capitale,  des  Halles-aux-Vins,  des  Greniers  d'A- 
bondance, ctc  :  peu  à  peu,  l'art  du  charpentier  aurait  adopté 
les  periéctionnemcns  dont  il  a  grand  besoin ,  l'instruction  se 
serait  répandue  de  haut  en  bas,  suivant  l'ordre  naturel,  et  elle 
aurait  pénétré  jusqu'au  fond  de  nos  campagnes.  Aussi  long- 
tems  que  les  études  des  architectes  conserveront  leur  direction 
actuelle,  ces  changemens,  si  désirables,  n'auront  pas  lieu; 
mais,  ce  qui  est  assez  vraisemblable,  c'est  que  les  charpentiers 
recevront,  par  une  autre  voie,  l'instruction  que  les  architec- 
tes ne  leur  donneront  point ,  et  que  les  maîtres  de  L'art  seront 
moins  habiles  que  quelques-uns  des  ouvriers  qu'ils  emploient. 
Si  l'enseignement  industriel  continue  comme  il  a  commencé, 
il  ne  sera  plus  permis  aux  architectes  de  persévérer  dans  l'i- 
gnorance dont  ils  semblent  se  faire  mi  point  d'honneur,  comme 
les  gentilshommes  du  moyen  âge  auraient  cru  déroger  en  sa- 
chant écrire  leur  nom. 

M.  le  colonel  Émy  n'est  point  dans  ce  cas  :  les  systèmes  de 
charpente  qu'il  a  fait  exécuter,  et  ceux  qu'il  propose,  sont 
autant  d'applications  des  lois  connues  de  la  résistance  des  bois. 
Il  décrit  d'abord  la  charpente  du  hangar  de  Marac  et  celle  du 
manège  de  la  caserne  de  Libourne,  et  il  les  compare  avix  char- 
pentes construites  suivant  les  méthodes  ordinaires;  il  passe 
ensuite  aux  applications  à  des  arcs  de  plus  grande  portée.  Le 
premier  projet,  dont  il  donne  une  notice  et  le  dessin,  est  celui 
du  comble  du  manège  de  100  mètres  de  longueur,  et  de  4o 
mètres  de  largeur,  qui  devait  être  construit  à  l'école  de  cava- 
lerie de  Saumur.  11  ose  passer  ensuite  à  vm  comble  de  100 
mètres  de  portée ,  et  il  termine  ces  hardies  conceptions  de 
l'art  parla  construction  des  plus  vastes  coupoles.  On  remar- 
quera spécialement,  dans  ces  divers  projets,  l'attention  que 
l'auteur  a  eue  de  profiter  constamment  de  tous  les  modes  de 
résistance  dont  les  bois  sont  capables,  de  leur  associer  le  fer, 
sans  prodiguer  ce  métal,  et  en  ne  l'employant  qu'avec  de 
petites  dimensions.  Tous  les  détails  de  ces  constructions  gi- 
gantesques peuvent  être  exécutés  par  des  ouviieis  onlinaires, 
avec  les  inslrumens  de  leurs  travaux  habituels.  Cet  ouvrage 


7i6  LIVRES  FRANÇAIS. 

est  un  !*ujet  crétuile  trt-s-convenable  pour  les  jeunes  geus  qui 
se  destiiienl  aux  arts  de  la  construction;  ils  y  apprendront 
comment  on  peut  tirer  parti  des  hommes  et  des  matériaux 
qu'on  a  sous  la  main,  même  lorsqu'il  s'agit  d'ouvrages  re- 
marquables par  leur  grandeur  et  leur  perfection. 

164.  —  Manuel  du  Ferblantier  et  du  Lampiste,  ou  l'Art  de 
confectionner  en  ferl)lanc  tous  les  uslensibles  possibles,  les 
appareils  récemment  inventés,  comme  auguslines,  cafetières, 
caléfactenrs,  etc..  ;  l'étamage,  le  travail  du  zinc;  l'art  de  fa- 
briquer les  hmipes  d'après  tous  les  systèmes  anciens  et  nou- 
veaux; tous  les  appareils  d'éclairage,  depuis  les  lustres  jus- 
qu'aux quinquets  ;  enfm,  de  faire  tous  les  orne  mens  des  produits 
du  fer])iantîer  et  du  lampiste  :  suivi  d'an  vocabulaire  deste>-mes 
techniques  ;  par  M.  Le  Brtn.  l'aris,  i85o;  Roret,  rue  Haute- 
feuille.  In-i8  ;  prix,  5  fr. 

Cet  ouvrage  est  divisé  en  quatre  parties.  La  première  traite 
des  matériaux  et  des  outils  en  usage  dans  la  ferblanterie,  et  des 
procédés  généraux  de  fabrication.  — La  seconde  indique  l'art  de 
travailler  les  ustensiles  de  cuisine,  tels  que  cafetières,  fdtres. 
passoires,  râpes,  caléfacteurs ,  casseroles,  écuelles,  lanternes 
siphons,  entonnoirs,  baignoires,  etc.  On  y  traite  aussi  du  tra- 
Aail  du  zinc,  de  l'étamage,  etc.  —  La  troisième  partie  donne  la 
construction  de  toutes  les  espèces  de  lampes,  depuis  la  veil- 
leuse et  la  lampe  de  cuisine,  jusqu'aux  lauipes  à  mouvement 
d'horlogerie,  inventi-espar  Carcel,  Gagneau.  Du  verger  et  Got- 
teux  :  on  y  trouve  aussi  l;«  description  des  lampes  hydrostati- 
ques de  Girard,  deThilorier,  de. Morel  et  dcGarnier.  Cette  par- 
lie  est  en  grande  partie  extraite  de  l'ouvrage  de  M.  Péclet  sur 
l'éclairage,  et  de  l'article  lampe  du  Dictionnaire  technolo inique. 
—  La  (|uatrième  paitie  a  pour  objet  les  ornemens,  le  vernis, 
la  peinture,  le  polissage,  la  dorure  des  métaux  employés  dans 
les  appareils  piécédemment  décrits.  Elle  est  terminée  par  la 
des(  ription  de  l'art  de  faire  le  moiré  métalli(|ue. 

Cet  ouvrage  est  écrit  avec  ordre  et  clarté;  il  sera  utilement 
consulté  par  les  personnes  qui  se  livrent  à  la  fabrication  des 
appareils  de  ferblanterie,  et  par  celles  qui  s'intéressent  aux 
progrès  des  arts.  C'est  un  des  meilleurs  traités  de  la  collec- 
tion des  manuels  :  écrit  sans  prétention,  il  donne  une  idée 
juste  des  procédés  les  plus  usités  dans  ce  genre  de  travail, 
dont  les  produits  sont  si  fre(|uemmenl  employés.    EnANCOEtR. 

i65.  —  Manuel  du  Bonnetier  et  du  fabricant  de  bas,  par 
M.  V.  Leblanc  et  M.  Préaux -Caltot,  de  Troyes ,  fabricans. 
Paris,  ibôo;  Roret.  In-18  de  020  pages,  avec  figures; 
prix.  5  fr. 


SCIiiNCES  PHYSIQUES.  -17 

Cet  ouvrage  s'adresse  à  un  grand  nomltre  de  lecteurs.  L'art 
du  bonnetier  embrasse  dans  son  ensemble  plusieurs  profes- 
sions :  les  dateurs,  les  laveurs,  les  apprêtcurs,  etc.  Il  se  divise 
lui-même  en  quatre  branilies  principales  :  la  bonneterie  en 
coton,  la  bonneteiie  en  fii,  la  boruieterie  en  laine,  et  enfin  ia 
bonneterie  en  soie,  qui  ont  été  traitées  séparément  par  les  au- 
teurs. Paris  eut  long-tems  et  conserve  encore  la  réputation 
d'être  la  première  ville  manufacturière  pour  cette  dernière 
espèce  ;  mais,  depuis  l'abolition  des  privilèges,  cette  industrie 
a  pris  un  essor  considérable,  elle  est  maintenant  répandtie 
sur  plusieurs  points  de  la  France.  Lyon,  Nîmes,  Mont- 
pellier, Dourdan  ont  aussi  leurs  manufactures  de  tricot 
■de  soie.  Si  l'on  récapitule  le  nombre  des  fabriques  de  tout 
genre  de  bonneterie  établies  dans  nos  départemens,  on  trou- 
vera que  le  total  s'élève  à  près  de  sept  cents  ,  non  compiis  les 
métiers  isolés.  L'n  renseignement  statistique  curieux,  que  nous 
regrettons  de  ne  pouvoir  fournira  nos  lecteurs,  serait  d'éta- 
blir combien  il  y  a  de  métiers  par  fabrique  :  cette  somme  trou- 
vée, on  saurait  aisément  combien  d'hommes  sont  employés  à 
cette  fabrication,  puisqu'on  peut  toujours  compter  six  per- 
sonnes employées  par  chaque  métier  battant  pour  la  filature", 
le  lavage,  le  peignage,  la  teinture,  la  couture  et  les  apprêts. 
On  verrait  par  ce  moyen  de  quelle  importance  est  cette  bran- 
che d'industrie  qui  fournit  des  moyens  d'existence  à  une  quan- 
tité si  considérable  de  monde  :  il  y  a  eu  telle  de  ces  fabriques 
où  l'on  a  compté  plus  de  trente  mille  personnes  de  tout  âge 
employées.  Si  de  ces  considérations  générales  sur  son  utilité 
nous  passons  à  l'examen  du  manuel  en  lui-même,  nous  n'au- 
rons à  reprocher  aux  auteurs  que  d'être  parfois  trop  concis, 
ej  la  concision  est  souvent  un  défaut  dans  les  livres  techniques  ; 
mais,  d'un  autre  côté,  il  y  avait  tant  de  choses  à  l'aire  entrer 
dans  cet  in- 18,  que  nous  ne  pouvons  en  conscience  nous  ap- 
pesantir sur  ce  reproche.  OL". 

166.  —  *  L'Esprit  (/i>  l'/iomme  de  ij;uer)'e,  ou  Essai  moral,  his- 
torique et  Ihéori-  pi  alique  sur  l'art  mi  lit  air  c ,  accompagné  de 
tableaux  et  de  planches;  par  le  capitaine  L.  A.  D'Esmon». 
Paris,  i85o;  Corréard  jeune;  Anselin.  In-8°  de  414  pages, 
avec  7  tableaux  et  16  planches;  prix,  12  fr. 

Nous  n'avons  pu  que  parcourir  cet  ouvrage  d'une  lecture 
facile  ,  d'une  étude  agréable,  mais  dont  l'analyse  exige  quel- 
ques méditations;  nous  serons  donc  dans  la  nécessité  d'y  re- 
venir en  tems  plus  opportun.  Nous  aurons,  sans  doute,  à  faire 
quelques  observations  critiques,  à  rectifier  quelques  légères 
inadvertances;  et  comment  une  lecture  attentive  n'en  ferait- 

T.    XLVII.   SEPTEMBRE    l85o.  4^^ 


;iB  LIVRES  FRANÇAIS. 

elle  pas  découvrir  dans  un  volume  de  4oo  pages  ?  L'auteur 
kii-même  prévient  ses  lecteurs  que  son  livre  porte  le  cachet 
d'une  première  édition,  et  termine  son  avant-propos  par  le  ju- 
gement que  Martial  pronon^;ait  sur  ses  propres  épigranimes. 
La  modestie  de  M.  le  capitaine  d'Esmond  est  beaucoup  trop 
sévère;  on  le  serait  encore  trop,  en  transposant  deux  mots 
dans  le  vers  du  poète  latin,  et  disant  : 

Siiiit  mala  ;  sunt  quxdani  mediociia  ;  sunt  bona  plara. 

Ce  livre  est  du  nombre  de  ceux  auxquels  on  revient  volon- 
tiers. Nous  nous  empresserons  d'en  rendre  à  nos  lecteurs  un 
compte  un  peu  détaillé,  malgré  la  multitude  et  la  variété  des 
objets  qu'il  embrasse.  P\ 

l'ij. — *  Manuel  élémentaire  {)our  la  construction  et  le  dessin 
des  caries  géographiques ,  par  A.  M.  Perrot.  Paris,  i83o;  Ro- 
ret.  In-i8  de  iv  et  258  pages,  avec  7  planches;  prix,  o  i'r. 

De  tous  les  moyens  d'apprendre  la  géographie  élémentaire, 
le  plus  expéditit'et  le  plus  agréable  consiste  sans  doute  à  co- 
pier les  cartes  d'un  atlas,  en  choisissant,  pour  les  marquer  sur 
son  dessin,  les  villes  ou  les  accidens  naturels  qu'on  croit  avoir 
besoin  de  se  rappeler,  en  guidant  ses  traits  par  le  tracé  des 
méridiens  et  des  parallèles,  et  relevant  le  tout  par  une  bril- 
lante enluminure  :  de  cette  manière  on  se  met  parfaitement 
dans  l'esprit  la  position  relative  des  lieux  et  des  objets,  et  l'a- 
grément des  couleurs,  la  netteté  des  formes  contribuent  sin- 
gulièrement à  la  fixer  dans  notre  mémoire. 

Mais  cet  exercice,  bon  pour  les  enfans  et  ceux  qui  com- 
mencent, ne  peut  bientôt  plus  satisfaire  ces  élèves  dont  l'es- 
prit veut  toujours  aller  au  delà  de  i;e  qu'ils  ont  sous  les  yeux; 
ils  voient  bien  dans  leur  caUjuc  ou  leur  dessin  une  image  de 
la  carte  qu'ils  copiaient  :  mais  cette  carte  elle-même,  com- 
ment l'a-t-on  faite?  comment  représente-t-elle  la  terre  ou  ses 
diverses  parties?  pourquoi  les  méridiens  n'ont -ils  aucune 
coxirbure,  si  le  pôle  est  au  milieu  d'une  carte  circulaire?  pour- 
quoi, dans  les  mappemondes  ordinaires,  sont-ils  courbés  en 
sens  opposés  au-dessus  et  au-dessous  de  l'équateur?  pour- 
quoi sont-ils  droits  et  à  des  distances  progressivement  crois- 
santes dans  la  projection  de  Mercator? 

Toutes  ces  questions  et  d'autres  semblables,  pour  être  réso- 
lues complètement,  exigent  des  notions  assez  avancées  de 
géométrie  descriptive  ;  mais  combien  de  gens  ont  étudié  cette 
science  qui  ne  se  doutent  pas  de  ce  que  c'est  qu'une  carte,  ni 
fur  quel  principe  elle  es!    construite   :  c'est  pour  eux  que 


SCIENCES  PHYSIQUES.  719 

M.  Penot  a  écril  son  livre,  plein  de  faits  et  de  recherches; 
on  jugera  par  le  compte  que  nous  en  allons  rendre  s'il  mé- 
rite, comme  nous  le  croyons,  l'attention  de  tous  ceux  qui  se 
livrent  à  l'étude  de  la  géographie. 

M.  Perrot  divise  en  trois  parties  ce  qu'il  a  à  dire  sur  les 
cartes  géographiques  :  dans  la  première,  il  explique  leur  usage 
et  leurs  diflcrentes  espèces,  selon  que  l'on  veut  y  étudier 
les  divisions  naturelles,  politiques,  administratives,  mili- 
taires, etc.  (1)  Il  passe  de  là  aux  mesures  absolues  et  rela- 
tives au  moyen  de  déterminer  la  forme  et  la  surface  de  notre 
planète.  Plusieurs  tables  sont  consacrées  à  nous  faire  con- 
naître les  nombreuses  mesures  itinéraires  en  usage  dans  les 
divers  pays,  et  les  dimensions  exactes  du  sphéroïde  terrestre, 
ù  tous  les  degrés  de  longitude  et  de  latitude  exprimés  dans 
le  système  centésimal,  ainsi  que  dans  le  système  sexagé- 
simal. 

Le  rapprochement  de  ces  deux  divisions  déjà  mises  en  pra- 
tique pour  quelques  cartes  (2),  où  l'on  traçait  sur  le  bord 
intérieur  du  cadre  les  degrés  centésimaux ,  doit  nous  faire 
espérer  que  le  tems  n'est  pas  éloigné,  où  les  divisions  de  de- 
grés seront  toutes  conformes  à  notre  système  de  numération, 
et  n'introduiront  plus  dans  le  calcul  ces  fractions  et  ces  quan- 
tités complexes  que  le  système  mélrfque  en  a  chassées  :  en 
même  tems,  les  tables  des  mesures  de  distance,  où  l'on  ne 
trouve  pas  moins  de  seize  lieues  différentes  pour  la  Fiance 
seule,  convaincront  peut-être  les  écrivains  de  tous  les  pays 
qu'il  n'y  a  pas  d'autre  moyen  de  présenter  une  idée  nette  et 
certaine  à  leurs  lecteurs,  que  d'exprimer  toutes  les  quantités 
dont  ils  parlent  en  mesures  métriques,  ne  les  mettraient-ils 
qu'entre  parenthèses,  et  que  tout  ouvrage  où  cette  précaution, 
aura  été  négligée  ne  sera  certainement  compris,  s'il  parle  de 

(1)  ]M.  Perrot  appartenait,  ce  nous  semble,  à  la  direction  du  Biblio- 
tnappe;  ce  traité  de  géograpliie  établissait  en  principe  qu'il  ne  fallait  ja- 
mais mettre  dans  une  carte  que  ce  que  l'on  avait  besoin  d'y  trouver  pour 
l'objet  spécial  auquel  elle  était  destinée  ;  il  fondait  là-dessus  des  divi- 
sions et  sous-divisions  de  caries,  à  l'aide  desquelles  il  pouvait  présenter 
jusque  dans  leurs  plus  petits  détails,  mais  chacun  seulement  à  sa  place, 
tous  les  accidens  de  terrain  ou  de  construction  qu'on  ne  peut  jamais 
présenter  à  la  fuis  même  dans  des  cartes  beaucoup  plus  grandes.  M.  Per- 
rot a  suivi  cette  idée  avec  persévérance  ;  il  la  développe  au  commence- 
ment du  manuel  que  nous  annonçons,  et  nous  promet,  comme  devant 
paraître  prochainement,  un  Atlas  administratif  de  France,  contenant 
une  carte  pour  chacun  des  services  publics  :  nous  ne  doutons  pas  que 
cet  Atlas  ne  présente  beaucoup  d'intérêt  aux  lecteurs. 

(2)  Je  puis  citer^  dans  ce  genre,  l'Atlas  classique  de  !\î,  Bassït. 


720  LIVIŒS   FilANÇAÏS. 

grandeurs,  que  du  petit  nombre  de  ceux  qui  auront  fait  une 

étude  approfondie  de  la  matière  qu'il  traite. 

Après  avoir  ainsi  détaillé,  dan?  la  première  partie,  les  me- 
sures de  la  terre,  l'auteur  indique  dans  la  seconde  les  moyens 
de  la  représenter  :  le  plus  simple,  quant  à  la  théorie,  c'est 
sans  doute  de  faire  un  globe  :  c^est  aussi  par  là  qu'il  commence  ; 
mais  un  globe  est  toujours  restreint,  souvent  incommode  ;  en 
aucun  cas,  il  ne  peut  se  diviser  de  manière  à  ne  présenter  à 
l'œil  que  la  partie  de  la  terre  dont  on  veut  s'occuper  avec  as- 
sez de  détails  pour  dispenser  d'autres  recherches  :  il  a  donc 
fallu  recourir  aux  cartes;  mais  les  cartes  sont  la  représenta- 
tion d'une  surface  courbe  sur  une  surface  plane,  et  cette  re- 
présentation ne  s'obtient  que  par  des  projections.  M.  Perrot 
traite  donc  de  ces  divers  moyens  de  rapporter  la  face  ter- 
restre tantôt  sur  un  plan,  tantôt  sur  une  nappe  conique  ou  cy- 
lindrique que  l'on  déroule  ensuite  pour  la  ramener  à  la  sur- 
face plane;  il  montre  les  avantages  et  les  défauts  de  chacun  de 
ces  procédés,  et  la  préférence  que  l'on  doit  donner  à  l'un  ou  à 
l'autre  selon  le  genre  de  carte  que  l'on  veut  décrire  ;  il  en  fait 
lui-même  l'application  aux  principales  parties  du  monde,  et 
entre  à  ce  sujet  dans  des  détails  aussi  complets  qu'ils  sont  né- 
cessaires et  souvent  peu  connus  (i). 

La  troisième  paitie  est  consacrée  à  la  description  des  instru- 
mens  nécessaires  au  géographe,  aux  conseils  sur  le  tracé  des 
cartes,  sur  le  choix  du  papiei",  des  crayons,  des  couletu's,  etc.  , 
sur  les  signes  de  convention  dont  il  est  bon  de  faire  usage, 
pour  représeuler  les  villes,  les  fleuves,  les  marais,  les  bois,  les 
sables,  les  ruchers,  les  limites,  etc.,  etc.  C'est  proprement 
la  partie  géographique  de  l'ouvrage,  et  celle  dont  nous  devons 
le  moins  nous  occuper. 

L'auteur  y  a  joint,  outre  de  nombreuse.;  planches,  une  liste 
des  ouvrages  à  consulter  s(U"  la  construction  et  le  dessin  des 


(i)  On  peut  juger  combien  la  plupart  des  iiommes  ignorent  les  prin- 
cipes des  projections,  par  une  carte  qu'on  %'oit  aciuellemcnt  chez  qu(;l- 
ques  niarcliaixls  d'estampes,  et  qui  a  pour  objet  de  représenter  la  posi- 
tion de  la  lerie  par  rapport  au  soleil  dans  les  douze  mois  de  l'année.  La 
gravure  en  est  assez  soignée;  mais,  ce  qu'on  aura  de  la  peine  à  s'imagi- 
ner, c'est  que  Viixc  de  la  terre,  au  lieu  de  eonseiver  le  ])aiallélisme  que 
la  nature  lui  a  donné,  tourne  successivement  ses  pùles  vers  tous  les  points 
du  ciel,  et,  ce  qui  est  ])]us  fort  encore,  il  y  a  des  positions  où  l'écliptique 
est  représentée  par  unv  ligne  sinueuse.  Or,  je  demande  si  jamais  un 
cercle  peut  être  placé  de  lîinnière  à  présenter  à  l'œil  un  S  allongé?  Et 
si  un  homme  qui  s'occupe  du  dessin  des  cartes  fait  de  paieilles  fautes,  h 
quoi  ne  doit-on  pas  s'attendre  de  la  part  de  ceux  qui  ne  s'occupent  que 
superficiellement  de  cette  science. 


SCIEiNCES  PHYSIQUES.  721 

caries  g(^'Oi;iaphi([ues,  et  un  voc:ibiil;iiie  tlôlaillc  de  tous  !cs 
termes  techniques  employés,  soit  dans  le  cours  de  son  traité, 
soit  dans  l'art  du  géographe. 

Nos  lecteurs  jugeront  sans  doute,  d'après  cet  exposé,  qu'il 
était  difficile  de  rassembler  plus  de  choses  sous  un  plus  petit 
volume  ,  et  ils  regaideront  ainsi  que  nous  le  manuel  de  M.  Per- 
ret ,  comme  l'un  des  meilleurs  qui  aient  été  publiés  jusqu'ici. 

B.  J. 

168. — *  Histoire  générale  des  Voyages,  ou  Nouvelle  Collection 
des  relations  de  Voyages  par  terre  et  par  mer,  mis  en  ordre  et  com- 
plétés jusqu'à  nos  jours,  par  C.  A.  Yvaikenaer,  membre  de 
l'Institut;  t.  xix.  Paris,  i85o;  Lefebvre,  In-8"de45i  pages; 
prix  du  vol.,  7  fr. 

Cette  nouvelle  histoire  des  voyages,  que  les  progrés  conti- 
niicls  de  la  géographie  avaient  rendus  depuis  long-tems  né- 
cessaire, sepouisuit  toujours  avec  le  même  succès  par  les  soins 
de  M.  "Walkeniief  et  de  ses  savans  collaborateurs.  On  a  déjà 
vu  ,  dans  le  iiuméro  du  mois  de  juin  dernier  (t.  xlvi,  p.  719), 
l'analyse  du  1.  xviii,  et  l'indication  des  cartes  qui  l'accompa- 
gnaient. Le  v(jlume  que  nous  annonçons  aujourd'hui  n'offre 
pas  moins  d'intérêt.  îl  continue  la  série  des  voyages  au  midi 
de  l'Afiique,  et  particulièrement  au  cap  de  Bonne-Espérance 
et  le  long  des  côtes,  depuis  le  cap  Negro  jusqu'au  cap  Corien- 
tes.  Le  1  "de  ces  voyages  est  celui  de  M.  LATROBE,de  la  commu- 
nauté anglaise  des  Frèies-Mor.ives,  envoyé  en  181  5  au  Cap, 
pour  y  visiter  deux  établissemens  de  cette  secte,  et  aviser  au 
moyen  d'en  fonder  un  troisième.  On  y  trouve  des  faits  cu- 
rieux,  contés  avec  une  simplicité  et  um:  bonne  foi  remarqua- 
bles, "^ers  la  fin,  se  lit  une  description  du  fameux  vignoble 
de  Coîistantia  ou  Constance,  qui  doit  son  nom  à  la  femme  d'un 
des  anciens  gouverneurs  de  la  colonie.  Vient  ensuite  la  rela- 
tion d'une  deuxième  excursion  du  missionnaire  Campbell  , 
remplie  de  détails  non  moins  intéressans,  et  terminée  par  do.î^ 
observations  générales  sur  les  peuplades  sauvages  visitées 
par  le  voyageur,  et  sur  la  ville  de  i.altakou,  déjà  décrite  dans 
le  volume  précédent.  Celui-ci  est  terminé  par  la  relation  de 
J.  Philip,  inspecteur  des  missions,  et  par  un  extrait  des  jour- 
naux de  quelques-uns  de  ses  confrères,  depuis  «798,  suivi 
d'une  Notice  intéressante  sur  l'état  actuel  et  le  résultat  de  ces 
missions.  On  voit  avec  plaisir  qu'elles  ont  contribué  à  amé- 
liorer le  sort  des  naturels,  en  établissant  parmi  eux  quelques 
principes  de  religion  et  de  civilisation,  et  en  modérant,  d'un 
autrccùté,  les  vexations,  souvent  intolérables,  exercées  envers 
res  mallîCiUTux  par  des  ffouvorneurs  liollàndais ,  et  même, 


^23  LIVRES  FIliNÇAIS. 

quoique  plus  rarement,  dans  ces  dernières  années,  par  les 
agens  du  gouvernement  anglais.  Y.   Z. 

169.  ■ — *  Statistique  de  l'arrondissement  de  Falaise,  par 
M3I.  Fred.  Galeron,  y/ //;/«.  de  Brebisson  ,  Jul.  Des- 
noyers, etc.,  6'  et  7"  cahiers.  P'alaise,  1 829-1  S^K^Pa lis,  Lance, 
rue  Croix-des-Petits-Champs,  n°  5o.  2  cahiers  in-8",  chacun 
de  172  pages,  aAec  des  dessins  lithographies;  prix  du  cahier, 
3  francs, 

1^0.  —  Histoire  et  description  de  F  alaise ,  par  M.  Fréd.  Ga- 
lERON.  Falaise,  i85o;  Brée  l'aîné.  Paris,  Lance.  In -8"  de 
iv-144  pages;  prix,  5  fr.,  avec  un  portrait  de  Guillaume-le- 
Conqiiérant,  par  .M.  Cli.  de  YArguELiN,  et  une  vue  du  château, 
par  M.  Alhert  d'Oilliam^o^. 

Voltaire  reprochait  à  des  érudits  d'avoir  publié,  dans  de 
lourds  in-folios,  l'histoire  d'obscures  bourgades  :  ces  écrivains 
exploitaient  leschnrtres  et  les  ruines;  ils  se  passionnaient  pour 
une  inscription  ou  pour  une  image  armoriée;  puis,  exigeant 
d'idiomes  qu'ilsne  savaient  pas,  l'explication  des  étyniologies, 
ils  attribuaient  à  des  conquéraus,  à  des  rois,  à  la  famille  de 
Priam,  et  même  à  celle  de  Noé,  la  fondation  des  petites  villes  qui 
étaient  le  sujet  ou  le  prétexte  do  leurs  livres.  Versés  dans 
l'histoire  sacrée  et  mythologique,  ces  historiograph-es  canton- 
naux  ne  pensaient  point  à  rechercher,  dans  la  conformation 
du  sol,  l'histoire  des  catastrophes  empreintes  dans  les  moin- 
dres parties  du  globe  ;  ils  négligeaient  d'interroger  et  de  dé- 
crire les  usages  et  les  institutions  de  tems  passés.  La  géolo- 
gie, la  statistique  ,  l'économie  politique  sont  des  sciences 
toutes  nouvelles,  et  que  doit  avoir  cultivées  l'écrivain 
qui  entreprend  de  tracer  la  description  d'une  contrée  im- 
portante. Des  statistiques  réceuunent  publiées  eussent  été 
des  ouvrages  très-estimés  dans  le  xviii''  siècle  :  Voltaire  n'eût 
pas  jugé  trop  volumineuse  la  description  du  département  des 
Bouches-du-5lh(Hie,  par  M.  de  Villeneuve.  Tous  les  préfets  n'ont 
eu  ni  le  même  zèle,  ni  autant  de  sagacité,  pour  profiter  des 
travaux  des  Académies  locales.  On  pourrait  citer  des  admi- 
nistrateurs qui  ont  refusé  des  renseignemens  nécessaires  à  de 
simples  annuaires;  genre  d'écrit  d'une  utilité  réelle  et  pro- 
gressive, mais  jusqh'ici  très-négligé,  à  cause  peut-être  de  l'in- 
térêt qu'un  gouvernement  jésuitique  trouvait  à  celer  ses  actes 
et  à  dissimuler  la  situation  de  chaque  département  (1).  Ce- 


(1)    Ainsi  l'Annuaire  de  la  î\Ianclie ,  qui,  dès  sa  première   année, 
avait  l'uurni  des  détails  cn.ieux  sur  ce  dépaj-tenient  trop  peu  connu,  n'a, 


SCIENCES  PHYSIQUES.  7*3 

pendant,  pliisieurs  maj^islrats  ont  piihlié  des  essais  estimal)Ies 
de  statistique  locale.  L'historien  de  la  ville  deïhion  ville,  M.  Tes- 
sier,  qui  vient  de  passer  à  la  sous-préfecture  de  Saint-Etienne, 
nous  procurera,  on  l'espère,  une  description  de  cet  arrondis- 
sement si  remarquable  par  son  industrie.  M.  Galeron ,  magis- 
trat non  moins  instruit  et  zélé,  s'est  proposé  de  faire  con- 
naître Falaise  à  ses  propres  habitans.  «  Après  douze  années 
passées  au  milieu  d'eux,  dit-il,  c'est  un  trop  faible  témoi- 
gnage du  dévoûment  que  je  leur  porte,  » 

Falaise  avait  déjà  été  le  sujet  de  rccherclies ,  mais  moins 
étendues  et  moins  approfondies  que  les  écrits  publiés  sur  lu 
ville  de  Bajeux  ,  sans  doute  parce  que  cette  dernière,  d'ori- 
rigine  celtique,  devint  un  siège  épiscopal  dès  les  premiers  tems 
du  christianisme;  tandis  que  Falaise,  fondée  par  les  Normands, 
appartient  seulement  à  l'histoire  politique  et  commerciale. 
M.  Fred.  Pltjqttet  a  fait  oublier  ses  devanciers  par  son  Essai 
sur  la  Villeet  i'  arrondissement  de  Bajeux  (voy .  Rev.  Enc.^  t.  xlii, 
p.  49'5)-  ^^'  Galeron  a  fait  imprimer,  à  part,  l'histoire  et  la 
description  du  chef-lien  de  l'arrondissement  dont  il  continue 
la  statistique.  Guillaume  naquit  et  résida  dans  le  château  de 
Falaise  :  il  emmena  les  seigneurs  et  une  foule  d'habitans  du 
pays  à  la  conquête  de  l'Angleterre  :  résolution  glorieuse,  qui 
semble  avoir  attiré  sur  Falaise,  dans  les  siècles  suivans,  des 
sièges  et  les  malheurs  que  produisirent  les  guerres  de  la  féo- 
dalité, de  religion,  et  la  domination  anglaise.  Cetteville  subit 
aussi  les  effets  du  système  des  foires,  qui  faisait  comme  appa- 
raître un  grand  commerce  dans  des  contrées  dépourvues,  en 
partie  à  cause  d'elles,  de  toute  industrie.  Peut-être  des  recher- 
ches dans  les  archives  municipales  procureraient  de  nouveaux 
renseignemens  sur  l'état  des  arts  dont  les  produits  affluaient  à 
Guibray,  foire  franche  dès  le  xi"  siècle.  L'auteur  a  pu  com- 
mettre, sans  doute,  quelques  erreurs  de  généalogie;  mais, 
en  revanche  il  a  recueilli  avec  beaucoup  de  soin  des  actes  cu- 
rieux, qui  viennent  appuyer  le  récit  des  faits;  il  nous  apprend 
ainsi  qu'à  la  fin  du  xii'  siècle,  les  revenus  de  Falaise  n  étaient 
que  de  54o  hvres,  et  qu'aujourd'hui  ils  s'élèvent  à  87,779  fr.; 
il  rapporte  la  charte  municipale  qu'octroya,  en  i2o5,  Phi- 
lippe-Auguste; etc. 

M.  Galeron  a  subi  l'influence  de  l'esprit  des  petites  villes, 
qui  ne  permet  pas  à  l'historien  de  tout  raconter  :  il  a  pu  ani- 

pu  paraître  pour  i85o.  L'Annuaire  du  Calvados  a  été  continué.  Rédigés 
avec  plus  d'indépendance,  ces  livres  vont  sans  doute  raconter  les  événe- 
mens  dont  la  Basse-Norniandie  a  élc  dcrnicrenienl  le  théâtre. 


724  LIVRES  FRANÇAIS. 

mer  la  pailic  iopographi(iue  par  des  extraits  naïfs  de  chrnnr- 
qiies  anciennes,  niais  il  a  lait  peu  d'emprunts  à  la  clironiqne 
tonlcmpoiaine.  Peut-être  y  a-t-il  de  rexagération  à  évaluer 
■i  5o  millions  de  francs  le  mouvement  des  affaires  à  la  foire 
de  Guihra}",  et  à  170,000  douzaines  de  bonnets  de  coton,  les 
produits  de  la  principale  industrie  du  pays.  D'un  autre  côté, 
il  y  a  sûrement  de  la  modestie  à  taire  le  zèle  que  l'auteur  a 
communiqué  aux  hahitans,  pour  recueillir,  dans  un  petit  mu- 
.«ée ,  les  armes,  médailles,  etc.,  trouvées  dans  la  contrée,  et 
pour  fonder,  par  souscription,  une  bibliothèque  comptant  déj;'» 
4,000  volumes,  dans  une  ville  qui  a  fourni  son  contingent  à  la 
liste  si  longue  des  littérateurs,  savans  et  artistes  qui  sont  néir 
dans  l'ancienne  Normandie. 

La  Slaiistique  de  C Arrondissement  de  Falaise  prouve  mieux 
encore  les  connaissances  variées  et  le  patriotisme  de  M.  Gale- 
ron  :  comme  le?  dessins  qui  accompagnent  les  deux  nouvelles 
livraisons  prouvent  le  zèle  et  le  talent  de  iMM.  Cli-  de  Vai;- 
QiELiN,  Alb.  d'0illiams05,  Jlp/i.  DE  Brebissos  (i).  Cette 
statistique  gagnerait  à  être  débarrassée  de  quelques  répéti- 
tions :  elle  n'aura  pas  moins  de  4  ^<^lume  in- 8°,  dont  le 
dernier  sera  consacré  anx  sciences  géologiques  et  naturelles. 
D'après  cette  proportion,  la  statistique  du  Calvados  se  com- 
poserait de  25  volumes,  et  celle  de  toute  la  France,  d'environ 
ï,4oo  volumes.  Mais  beaucoup  d'arrondissemens  sont  moins 
liistoi  iques  que  celui  de  Falaise,  et  sa  statistique,  destinée  prin- 
cipalement à  servir  les  intérêts  et  les  besoins  assez  compli- 
qués de  la  population,  expose  en  outre  l'état  ancien  et  présent 
des  cantons  limitrophes.  On  doit  encourager  cette  publi- 
catioji  :  jr.squ'à  ce  que  nous  possédions  de  semblables  des- 
criptions statistiques  pour  les  principales  contrées  des  gran- 
des divisions  du  royaume,  il  sera  très-diiïîcile  de  composer 
une  histoire  de  France  à  la  fois  topographique,  littéraire,  mo- 
rale, industrielle  et  politique.  Isidore  Lebrcn. 

Sciences  religieuses,  morales,  politiques  et  historiques. 

171.  —  *  Sainte  Bihle  de  Vence,  en  latin  et  en  français,  àvc<'' 
des  notes  critiques  et  historiques,  des  préfaces  et  des  dissertations , 
tirées  du  commentaire  de  dom  Calinet,  abbé  de  Sénoncs,  de 
l'abbé  de  Frncc,  et  des  autres  auteurs  les  plus  célèbres,  pour 

(1)  AI.  Brcbiss.in  fils  cnrtlimiotiv< c  succès  la  publication  des  mnusxex 
fie  la  Noriui'.nclic,  collection  destinée  à  fhtililer  l'éfiide  de  la  iiniscoloj;ie 
de  la  Fiance,  et  qiii  te  rnniposeia  de  S  fssrirnlPF.  in-f^";  ]'iit,  ^  Tr. 


SCIKNCES  MORALES.  ;25 

faciliter  l'intelligence  ilc  rÉcriture  Sainte  ;  enrichie  de  figure? 
et  de  cartes  géographiques.  Cinquième  édition,  soigneuse- 
ment revue,  et  angnienlco  d'un  grand  noml)rc  de  notes,  par 
M.  Dracu,  rabbin  converti,  et  enrichie  de  nouvelles  (/isserla- 
tions.  T.  XYiii  et  xxîii.  Paris,  i85o;  31équignon-Havard  ,  rue 
des  Saints-Pères,  n°  lo.  2  vol.  in-8";  prix  du  volume,  j  t'r. 

Le  tome  xvin  contient  des  remarques  sur  les  douze  petits 
prophètes,  qui  ne  sont  pas  sans  intérêt;  une  préface  sur  les 
deux  livres  canoniques  des  Machabées;  une  dissertation  sur 
la  parenté  des  Juifs  et  des  Laccdémonicns  ;  une  dissertation 
sur  l'arche  d'alliance;  les  deux  livres  des  Machabées,  et  un 
abrégé  de  l'histoire  des  Juifs,  depuis  la  mort  du  pontife  Simon 
jusqu'à  la  naissaccc  de  Jésus-Christ. 

La  dissertation  sur  la  parenté  des  Juifs  et  des  Lacédémo- 
niens  nous  dit  bien  que  les  chefs  de  ces  deux  peuples  s'écri- 
virent réciproquement,  mais  elle  ne  nous  apprend  pas  lequel 
des  deux  commença  le  premier.  Le  grec  porte  qu'Aréus,  roi 
de  Sparte,  écrivit  d'abord  à  Onias,  souverain  pontife  des  Juifs, 
tandis  que  le  latin  porte  au  contraire  que  la  correspondance 
fut  entamée  par  Onias.  Le  disseriateur  ne  décide  point  li 
question. 

Quant  à  la  parenté,  quelques  savans  croient  qu'elle  est  foute 
chimérique  et  sans  fondement  réel;  d'autres  la  croient  véri- 
table; et  d'autres  la  mettent  au  rang  des  choses  douteuses  et 
incertaines.  Le  dissertateur  voudrait  bien  ne  pas  se  pronon- 
cer; comment  faire?  La  chose  est  toute  simple.  «Quelque 
parti  que  l'on  prenne,  dit-il,  paimi  ces  sentimens  divers,  il 
est  certain  au  moins  que  les  Hébreux  et  les  Lacédémonicns 
l'ont  cru  sérieusement,  et  par  conséquent  qu'ils  avaient  de 
part  et  d'autre  des  raisons  au  moins  plausibles  pour  s'en  per- 
suader. »  A  oilà  qui  est  puissamment  raisonner.  Tout  le  reste 
est  de  cette  force.  La  dissertation  finit  de  cette  manière.  «Pour 
peu  rjue  ces  peuples  eussent  d'envie  de  se  croire  parens,  et 
de  le  persuader  aux  autres,  rien  n'était  plus  aisé  que  d'y  réus- 
sir, avec  tant  de  marques  extérieures  de  ressemblance  :  ap- 
paremment leur  intention  n'a  jamais  été  qu'on  approfondit 
beaucoup  cette  affaire,  et  qu'on  la  prît  dans  toute  la  rigueur; 
elle  ne  souffre  point  un  examen  profond  et  littéral.  » 

Dans  la  dissertation  sur  l'arche  d'alliance,  on  examine  !-"i  elle 
fut  remise  dans  le  temple  après  la  captivité  de  Babylone,  et  si 
elle  doit  un  jour  reparaître.  On  répond  à  la  première  ques- 
tion que  le  sentiment  qui  est  le  plus  répandu  et  \c  plus  com- 
nmn  aujourd'hui,  et  qui  a  été  le  plus  ordinaire  parmi  les  an- 
ciens, est  que  l'arche  ne  fut  jamais  rccoiîTrcc  .  et  ne  parut  pas 


726  LIVRES  FRANÇAIS. 

dans  le  second  temple.  On  répond  à  la  seconde  question  que 
les  deux  prophéties  du  second  livre  des  IMachabées  et  de  Jéré- 
niie,  dont  l'une  annonce  que  l'arche  reparaîtra,  et  l'autre 
(|u'elle  ne  reparaîtra  ])as,  se  concilient  aisément,  parce  que  la 
dernière  est  plus  claire  et  plus  formelle,  et  qu'il  faut  s'en  te- 
nir à  celle-ci. 

Le  tome  xxiii  renferme  les  sept  dernières  épitres  de  saint 
Paul,  et  les  sept  épitres  catholiques,  avec  leurs  préfaces  et  des 
dissertations  sur  l'Ante- Christ,  sur  la  fin  du  monde,  sur  le 
voyage  de  saint  Pierre  à  Rome,  sur  le  fameux  passage  de  la 
première  épître  de  saint  Jean  :  Très  sunt  qui  testimonium  dant 
in  cœlo,  etc. ,  et  sur  le  livre  d'Enoch. 

On  trouve  quelques  opinions  singulières  dans  la  disserta- 
tion sur  l'Ante-Christ. 

1°.  Un  roi  est  méprisable,  selon  RoUin,  quand  il  no  monte 
sur  le  trône  ni  par  le  droit  de  sa  naissance,  ni  par  le  choix  vo- 
lontaire des  peuples. 

2".  La  religion  catholique  peut  subsister,  quoique  le  chef 
de  l'Eglise  ne  réside  point  à  Rome. 

5°.  Les  éditeurs  persistent  dans  l'opinion  que  Mahomet  est 
un  des  précurseurs  de  l'Ante-Christ,  marqué  dans  les  Écri- 
tures, malgré  les  révélations  d'une  béate,  qui  désigne  Napo- 
léon. 

4°.  Le  dernier  ennemi  de  Jésus-Christ  se  nommera  peut-être 
Mahomet.  Il  régnera  sur  l'univers  entier.  Il  viendra  à  la  fin  du 
monde.  Il  tiendra  son  siège  à  Jérusalem  ou  à  Rome.  Il  s'élè- 
vera au-dessus  de  tout  ce  qui  est  appelé  Dieu... 

Dans  la  dissertation  sur  le  passage  de  la  première  épître  de 
saint  Jean,  l'auteur  regarde  comme  indubitable  que  le  plus 
grand  nombre  des  anciens  manuscrits  grecs  et  latins  et  les 
versions  orientales  ne  lisent  point  ce  passage;  que  la  plupart 
des  pères,  tant  de  l'Orient  que  de  l'Occident,  ne  l'ont  pas 
connu...,  et  néanmoins  il  est  authentique.  J.  L. 

172.  — *  Des  3Jysti'rcs  de  la  Vie  humaine,  par  le  comte  de 
MoNTLosiER,  précédé  d'une  Notice  sur  la  vie  de  l'auteur.  Paris, 
182g;  Pichon  et  Didier.  2  vol.  in-S";  prix,  i5  fr. 

M.  de  Montlosier  regarde  la  vie  humaine  comme  une  par- 
tic  de  la  vie  universelle;  il  traite  donc  des  mystères  de  celle- 
ci  avant  d  aborder  les  secrets  de  la  première. 

L'univers  est  pour  lui  une  lutte  entre  des  forces  qui 
jouent  les  unes  contre  les  autres.  Les  forces  vaincues  ont  été 
limitées,  et  les  limites  qui  leur  ont  été  imposées  constituent  ce 
que  nous  appelons  les  formes.  Trois  grandes  forces  domi- 
nent nu-dessus  des  autres  :  1"  la  force  céleste,  qin'  coordonne 


SCIENCES  MORALES.  727 

les  soleils  et  les  balance  dans  l'espace;  a°  la  force  solaire, 
qui  se  déploie  par  ralliactioii  des  planètes  et  par  l'émission 
de  la  lumière;  5"  la  force  terrestre,  qui  se  manifeste  par  la 
rotation  de  la  terre  sur  elle-même,  par  sa  révolution  autour 
du  soleil,  et  encore  par  la  cohésion  de  ses  parties,  par  leur 
cristallisation,  leurs  affinités,  et  par  certaines  émanations  et 
répulsions.  Il  appelle  la  première  esprit  céleste  ou  Dieu,  la 
seconde,  esprit  du  soleil,  et  la  troisième,  esprit  de  la  terre. 

Quant  au  corps  ou  à  la  matière,  l'auteur  ne  sait  où  la  trou- 
ver. Cette  terre  que  vous  dites  inanimée,  dit-il,  a  soin  de 
tourner  autour  da  soleil ,  pour  baigner  tour  à  tour  ses  deux 
pôles  dans  la  lumière  et  la  chaleur  de  cet  astre  ;  elle  roule  sur 
elle-même  pour  ne  pas  soutenir  toujours  sur  la  même  face 
la  foudre  des  rayons  solaires.  Cette  pierre,  que  vous  appelez 
l)rute,  vous  résiste,  si  vous  voulez  en  séparer  les  parties;  les 
molécules  se  sont  choisies  et  disposées,  et  vous  présentent  les 
phénomènes  que  vous  appelez  affinités,  cristallisation;  elles 
exercent  des  répulsions,  sous  le  nom  d'élasticité,  de  calorique, 
d'odeur,  de  couleur,  etc..  Cet  ensemble  d'action  compose  la 
vie  minérale;  c'est  l'esprit  de  la  terre  qui  agit  ici.  Les  spiri- 
tualistes  ont  donc  tort,  selon  l'auteur,  de  parler  de  quelque 
chose  d'inorganique,  d'inanimé. 

La  vie  végétale  répugne  de  même  à  l'idée  de  corps  brut, 
La  pla.'ite,  par  ses  feuilles,  s'approprie  les  émanations  du  so- 
leil ,  les  fait  descendre  jusqu'à  ses  racines,  où  elle  les  mêle  aux 
sucs  de  la  terre,  et  les  fait  remonter  en  fleurs,  en  fiuits  et  en 
bourgeons.  Chaque  portion  de  la  tige,  chaque  fibre  de  l'écorce 
sait  comment  elle  doit  agir  dans  l'œuvre  de  la  circulation, 
de  la  floraison  et  de  la  fructification,  CJiaque  partie  est  donc 
un  esprit  particulier ,  soumis  toutefois  à  l'esprit  général  qui 
fait  l'ensemble  de  la  plante.  Il  y  a  ici  alliance  de  l'esprit  de  la 
terre  et  de  l'esprit  du  soleil. 

C'est  d'une  manière  plus  manifeste  encore  que  la  vie  ani- 
male accuse  le  concours  de  ces  deux  esprits.  La  chaleur,  l'é- 
lectricité, et  même  les  gaz  qui  composent  l'atmosphère  sont, 
d'après  M.  de  Montlosier ,  des  émanations  de  la  terré  et  du 
soleil.  L'animal  absorbe  une  partie  de  ces  produits,  et  il  con- 
somme des  végétaux  et  des  animaux  qui  en  ont  été  nourris. 
Chacun  de  nos  muscles  sait  quant  et  comment  il  doit  agir 
pour  triturer  les  alimens  ;  les  glandes  de  la  bouche  savent 
qu'elles  doivent  verser  des  sucs  pour  faciliter  ce  travail;  l'es- 
tomac, les  intestins,  le  foie,  les  poumons,  lecœur,  les  artères 
et  les  veines  connaissent  le  rôle  qu'elles  ont  à  jouer,  et  le  rem- 
plissentquand  ilene-t  teuis.  Tousces  esprits  épais  se  subor(;lon- 


728  LIVRES  FRANÇAIS. 

lient  à  l'esprit  général,  qu'on  uppcîle  le  corps  luiniain,  comme 
lous  les  esprits  de  la  plante  à  l'ànie  végétale,  comme  tontes 
les  forces  terrestres  à  l'esprit  de  la  terre,  comme  la  terre  elle- 
même  à  l'esprit  du  soleil ,  et  celui-ci  à  l'esprit  du  ciel  ou  à 
Dieu. 

Indépendamment  de  la  vie  animale  individuelle,  M.  de 
iMonllosicr  reconnaît  une  vie  animale  collective.  Une  ruche 
d'aheilles  ,  un  camp  de  fourmis  ne  sont  pour  lui  que  de 
grands  animaux,  dont  les  divers  organes  ne  sont  pas  couverts 
d'un  tissu ,  et  peuvent  s'écarter  un  peu  plus  les  uns  des  au- 
lies  qu'on  ne  le  voit  chez  les  animaux  individuels.  Les  neu- 
tres, chez  les  abeilles,  sont  des  estomacs  vagabonds,  et  les 
reines  sont  les  parties  génitales  de  la  ruche.  Tous  ces  petits 
êtres  n'ont  qu'une  vie  de  relation,  et  il  leur  est  aussi  impossi- 
l)lc  qu'aux  parties  de  notre  cœur  de  se  séparer  sans  mourir.  Aus- 
^i,  quoiqu'ils  soient  des  esp?-iis  particuliers,  ils  obéissent  à  un 
esprit  commun^  qu'on  peut  appeler  l'esprit  de  la  ruche,  comme 
chez  nous,  chaque  muscle ,  chaque  artère,  chaque  valvule  se 
soumet  à  l'esprit  général,  qui  est  l'esprit  de  ce  qu'on  appelle 
notre  corps. 

Tels  sont  les  degrés  par  lesquels  l'auteur  a  cru  devoir  ani- 
ver  à  la  r/e  humaine.  Il  est ,  continue-t-il,  un  animal  chez  le- 
(jnel  l'esprit  indispensalile  aux  fonctions  de  l'animalité  engen- 
dre une  sorte  tle  superflu,  qui  produit  ce  qu'on  nomme  les 
opérations  intellectuelles,  telles  que  la  mémoire,  la  pensée,  la 
volonté.  L'auteur  donne  à  ce  produit  le  nom  Wesprit  surabon- 
ilanl;  et  il  réserve  à  l'esprit  d'animalité  le  nom  d'esprit  ncces- 
saircy  nom  qu'il  étend  à  l'esprit  de  la  vie  végétale,  à  l'esprit 
minéral,  à  l'esprit  terrestre,  à  l'esprit  solaire,  et  à  l'esprit  cé- 
leste. L'a-prit  nccessaire  est,  parce  qu'il  a  dû  être;  il  v  a  un  so- 
leil, une  terre,  des  végétaux,  etc.,  parce  qu'il  ne  pouvait 
pas  ne  pas  y  en  avoir.  Du  reste,  il  agit  d'une  ujanière  infailli- 
ble :  jamais  le  soleil  n'ouLdie  d'émettre  ses  rayons,  jamais  la 
«erre  ne  se  trompe  de  route;  jauiais  le  minéral  ne  change  "sa 
cristallisation,  jamais  la  ph'uite  ne  ntei  ses  fleurs  à  la  place  de 
ses  r.iciiies,  jamais  l'eslomac  ne  secrète  de  larraes,  ni  l'œil  de 
liqucin-  propre  à  la  digestion.  Mais  Vc^prit  surabondant  ta- 
lonne, oublie,  calcule,  et  s'égare.  Il  reste  quelquefois  absorbé 
dans  Vespril  (mimai,  comme  pendant  le  sommeil,  et  pendant 
la  folie.  Quelquefois  aus.-i,  il  veut  soimiettrc  Vesprit  nécessaire: 
il  le  combat  par  l'abstinence,  ou  il  s'en  sépare  violemment; 
c'est  ce  qui  produit  la  vie  drrote  et  le  suicide. 

V  esprit  sarahondanl.  ou  l'esprit  des  fonctions  intellectuelles, 
os!  le  ^cul  qui  s'occupe  de  l'esprit  c'élesle  et  de  la  vie  à  venir: 


SCIENCES  MORALES.  -20 

il  est  iclii^icux  ;  Vesprit  nccessab'c esl  aihcc.  Ccpciuhuit,  !o  pre- 
mier cherche  aussi  le  bonheur  ici-bas. 

M.  de  Monllosicr  compte  trois  élémcns  de  bonheur  :  i"  faire 
sa  volonté;  2"  être  avec  un  autre;  3°  être  d'accord.  Libcrtc, 
amour  et  ordre,  tel  est  le  bonheur  de  l'individu.  De  même 
qu'il  y  a,  iiux  yeux  de  l'auteur,  des  animaux  individuels  etdes 
animauxcollcctifs,  la  vie  hinnaine  se  présente  aussi  soit  comme 
individuelle,  soit  comme  collective;  sous  ce  dernier  aspect 
c'est  ce  qu'on  appelle  VcUit  ou  la  socicié.  Les  conditions  de 
bonheur,  pour  un  peuple  et  pour  les  peuples  entre  eux,  soûl 
les  mêmes  que  pour  l'individu.  Le  soin  des  publicistes  doit 
être,  en  conséquence,  d'établir,  dans  les  rapports  de  gouver- 
nans  à  gouvernes,  et  de  peuple  à  peuple,  liberté,  amour  et  al- 
liance. 

Tel  est  le  singulier  système  imaginé  par  M.  de  Montlosiei-. 
11  y  a  sans  doute  plus  d'une  objection  sérieuse  à  élever  con- 
tre ces  fictions  platonicicniscs.  Il  ne  laudrait  cependant  pas  se 
contenter  de  l'idée  qu'on  en  peut  prendre  dans  cette  aride 
analyse.  Nous  engageons  les  hommes  chez  qui  la  science  n'a 
pas  desséché  l'imagination,  à  lire  l'ouvrage  même.  Malgré  la 
bizarrerie  du  langage,  ils  trouveront,  à  plus  d'un  endroit, 
sous  les  grâces  du  génie  poétique,  cet  esprit  de  généralisation 
qui,  dans  les  sciences,  produit  les  découvertes  et  les  vues 
philosophiques.  Adolphe  GARXiiiR. 

175.  —  Rapport  fait  au  nom  du  Bureau  de  charité  du  11*  ar- 
rondissement, dans  i'  Assemblée  générale  du  l'ornai  i83o,  par 
M.  DU  GÉRANDO,  l'un  des  administrateurs.  Paris,  i85o.  In-8". 

174-  —  Société  des  établlssemens  charitables ;'réi>:lemens  et 
discours  des  président  et  secrctaireprorisoires.  Paris,  1 85o;Treuîti'l 
et  Wurtz.  In-S". 

C'est  une  belle  et  généreuse  idée  que  celle  qui  a  fait  naître, 
de  nos  jours,  ces  nombreuses  sociétés  charitables  que  nous 
remarquons  aujourd'hui  de  tous  côtés  sur  le  sol  de  la  France, 
et  particulièrement  dans  sa  capitaîe.  Au  milieu  des  désordres 
et  des  crimes  dont  nos  cités  sont  le  théâtre,  et  dont  la  misère 
est  bien  souvent  le  motif  ou  tout  au  moins  le  prétexte,  il  est 
consolant  pour  l'ami  de  l'humanité  de  viiir  ces  associations 
bienfaisantes  fournir  à  l'indigence  estimable  des  secours  et 
du  travail.  Ce  n'est  en  effet  qu'à  cette  double  condition  que 
la  charité  est  réellement  une  vertu,  et  il  a  fallu  beaucoup  de 
tems  et  une  fâcheuse  expérience  pour  comprendre  tout  ce 
que  peut  faire  de  mal  une  cliaiité  aveugle,  qui  n'a  pour  résul- 
tat que  d'épuiser  stérilement  les  ressources  de  la  bienfaisance 
et  d'encourager  une  honteuse  mendicité. 


-3o  LIVRES  FRANÇAIS. 

La  plupart  de  ces  précieuses  institutions  datenf,  comme  nous 
l'avons  dit.  de  notre  tenis.  Toutefois  ,  comme  il  faut  être  juste 
envers  les  époques  de  même  qu'envers  les  individus,  nos  lec- 
teurs apprendront  sans  doute  avec  plaisir  que,  quelques  an- 
nées avant  la  révolution  de  1789,  il  existait  dans  la  paroisse 
de  Saint -Sulpice  une  administration  des  pauvres  qui  pu- 
bliait chaque  année  le  ccmipte  de  ses  travaux.  M.  de  Gérando, 
dont  on  est  sur  de  rencontrer  le  nom  partout  où  il  y  a  du 
bien  à  faire,  a  donné,  dans  le  rapport  indiqué  ci-dessus,  des 
détails  très-intéressans  sur  cette  société,  et  sur  l'ordre  parfait 
qui  régnait  dans  ses  opérations ,  qui ,  à  ce  qu'il  assure,  pour- 
raient encoie  servir  de  modèle  aujourd'hui.  Déjà  on  avait  eu 
l'heureuse  idée  d'établir  des  ateliers  pour  les  indigens  valides. 
L'administration  avait  quatre  maisons  de  ce  genre,  où  étaient 
occupés  près  de  800  enfans  des  deux  sexes.  Ces  élablissemens, 
loin  de  coûter,  étaient  productifs,  et  les  enfans  pouvaient  rap- 
porter à  leurs  parens,  toutes  leurs  dépenses  prélevées,  une 
petite  somme  ([ui  s'élevait  jusqu'à  12  francs  par  mois.  Enfin, 
d'autres  sommes  étaient  employées  en  achats  d'outils,  en  se» 
cours  distribués  à  des  familles  laborieuses,  frappées  par  des 
malheurs  inattendus,  et  en  loyers,  dont  on  ne  payait  jamais 
que  le  quart,  pour  contraindre  le  pauvre  à  s'aider  aussi  lui- 
même.  On  ne  s'étonnera  pas,  d'après  ces  détails,  que  l'admi- 
nistration des  pauvres  de  la  paroisse  de  Saint-Sulpice  ait  été 
citée  ,  alors,  comme  le  meilleur  modèle  qui  existât  en  France 
pour  la  distribution  des  secours  à  domicile. 

A  la  suite  de  cette  notice  se  trouve  le  compte  rendu  des  se- 
cours donnés  aux  indigens  du  1 1*  arrondissement,  pendant 
l'année  182g.  On  y  voit  que  cet  arrondissement,  qui  com- 
prend pourtant  des  quartiers  où  règne  une  certaine  aisance, 
compte  j  pauvre  sur  12  individus,  ce  qui  excède  l'évaluation 
faite  pour  la  capitale  en  masse,  qui  n'est  que  de  1  sur  10.  Les 
2°"^,  5'"''  et  10"'  arrondissemens  sont  beaucoup  mieux  parta- 
gés, puisqu'ils  ne  comptent  que  1  sur  24,  22  et  20  environ. 

Peud'ant  l'année  1829,  le  bureau  a  secouru  0,009  indigens. 
Les  recettes  avaient  été  de  io9,o55  fr.  63  c.  ;  les  dépenses, 
partagées  en  trois  branches  (secours  en  nature,  en  argent  et 
à  domicile)  ,  montent  à  101,900  fr.  33  c. ,  d'où  résulte,  mal- 
gré des  circonstances  défavorables,  et  surtout  l'extrême  cherté 
du  pain  et  le  froid  excessif  de  l'hiver  dernier,  un  restant  en 
caisse,  au  1"  janvier  i83o,  de  7,  i53  fr.  3o  c. 

Nous  ne  dirons  qu'un  mot  de  la  seconde  brochure  annoncée 
(  i-des>us.  Elle  contient  plusieurs  pièces  relatives  à  la  fonda- 
tion d'une  société  nouvelle  ,  dite  des  Etabliisemens  charitables ^ 


SCIENCES  MORALKS.  ySi 

qui  a  pour  objet,  suivant  les  expressions  de  M.  de  Gérando, 
son  secrétaire ,  de  Ibrliier  les  archives  ou  les  annales  de  la 
charité;  d'établir  un  centre  de  correspondance  pour  les  insti- 
tutions philanthropiques  ;  d'examiner  et  de  préparer  les  amé- 
liorations que  peut  recevoir  le  système  des  secours  publics. 
La  liste  des  membres  déjà  admis  présente  une  foule  de  noms 
honorables,  qu'on  est  habitué  à  retrouver  dans  toutes  les  as- 
sociations utiles,  et  qui  sont  du  plus  heureux  augure  pour 
l'avenir  de  celle-ci.  Y.  Z. 

ijS. — 1  Premier  rapport  de  la  Société  pour  l' encouragement  de 
C  instruction  primaire  parmi  les  protestans  de  France.  Paris,  i  B29- 
i85o.  In-8°  de  02  pages. 

Ce  rapport  olTi-e  d'abord  l'ordonnance  d'institution  et  le  rè- 
glement de  cette  honorable  et  utile  Société.  Ces  pièces  sont 
suivies  du  procès-verbal  de  la  séance  extraordinaire  du  co- 
mité du  24  avril  i83o,  présidé  par  M.  le  comte  de  Jaucourt. 
C^est  M.  jÉf/owrt/ï/LAFOKD  DE  Ladkbat  qui  s'est  chargé  de  rendre 
compte  des  premiers  travaux  de  la  Société.  Mais  son  existence 
très-récente  ne  lui  a  permis  que  de  faire  pressentir  l'heureuse 
influence  qu'elle  est  appelée  à  exercer  un  jour.  Du  reste,  le 
discours  de  M.  de  Ladébat,  rempli  de  détails  intéressans  sur 
les  écoles  protestantes  de  Paris  et  des  départemens,  a  été  en- 
tendu avec  plaisir.  Cette  lecture  a  été  suivie  de  diverses  pro- 
positions relatives  à  l'amélioration  de  l'instruction  primaire. 
Le  rapport  se  termine  par  la  liste  des  souscripteurs,  au  nom- 
bre de  181,  et  dont  les  cotisations  respectives  s'étaient  éle- 
vées, le  00  avril  dernier,  à  la  somme  de  5^565  fr.  A. 

1  ^6.  — Questions  sur  la  Peine  de  mort,  par  le  baron  Massias. 
Paris,  1800  ;  Firmin  Didot  frères  ,  rue  Jacob,  n"  24.  In-8"  de 
3o  pages  ;  prix,  1  fr.  5o  c. 

Ce  nouvel  écrit  de  M.  Massias  traite  d'une  des  plus  hautes 
et  des  plus  intéressantes  questions  qui  puissent  être  agitées  au 
sein  de  la  société  actuelle.  Soulevée  il  y  a  près  d'un  siècle,  elle 
n'a  depuis  cessé  d'appeler  l'attention  des  publicistes,  et  elle  les 
a  souvent  partagés.  Je  ne  crois  pas  que  les  questions  posées  et 
résolues  par  M.  Masîias  soient  destinées  à  terminer  ce' grand 
débat.  La  première  qu'examine  l'auteur  est  celle-ci  :  La  so- 
ciété a-t-elle  le  droit  de  punir  de  mort?  M.  3Iassias,  remontant 
aux  principes  qu'il  a  établis  dans  ses  écrits  philosophiques, 
décide  que  la  société  a  le  droit  de  décerner  la  peine  de  mort, 
quand  c'est  pour  elle  un  besoin  conforme  à  l'ordre,  et  il  expose 
ensuite  comment,  à  son  avis,  la  peine  de  mort  est  réellement 
en  quelques  cas,  pour  la  société,  un  besoin  conforme  d  l'ordre. 
Il  défend  au  surplus  cette  thèse  par  des  argumens  souvent 


-02  LHPiLS  FilANÇAIS. 

reproduits,  et  qui  riC  m'ont  pas  convaincu  ,  je  l'avoue,  après 
les  réfutalions  multipliées  qui  en  ont  été  faites  dans  ces  der- 
niers tems,  notamment  par  M.  Charles  Lvcis,  dont  les  tra- 
vaux ont  tant  avancé  cette  grande  controverse.  M.  Massias 
examine  ensuite  dans  quelles  limites  doit  être  restreint  le  droit 
de  condamnation  à  mort,  et  il  veut  que  l'applicatioii  de  cette 
peine  n'ait  lieu  qu'en  cas  de  meurtre  couuiiis  sciemment ,  mé- 
tliamment  et  volontairement.  11  semblerait,  après  une  solution 
semblable,  que  cette  question,  si  la  peine  de  mort  peut  être  ap- 
pliquée aux  délits  politiques,  ne  devrait  même  pas  être  posée 
par  l'auteur.  Il  s'en  occupe  aussi  néanmoins,  et  semble  même 
être  d'avis  qu'd  est  des  cas  où  un  homme  d'Etat  est  bien  plus 
coupable  qu'un  malfaiteur,  c'est-à-dire  où  sa  vie  doit  être  éga- 
lement sacrifiée  CiVi  besoin  conforme  d  Tordre.  Enfin,  M.  Massias 
en  vient  au  point  qui  semble  être  le  but  de  son  écrit  ;  il  se  de- 
mande si  les  ex-niinistres,  coupables  des  ordonnances  du  20  juil- 
let,  sont  passibles  de  la  peine  Me  mort.  Sans  se  piononcer  po- 
sitivement sur  la  culpabilité,  il  les  recommande  à  la  clémence 
iTun  peuple  généreux  qui  s'est  montré  assez  grand  dans  la 
conquête  de  ses  droits,  poui-  n'avoir  que  faire  de  quelques 
gouttes  de  sang  après  la  victoire.  Après  tout  ce  qui  précé- 
dait, je  ne  m'attendais  guère,  je  dois  l'avouer,  à  une  telle 
conclusion;  il  est  fort  probable  que  bien  des  lecteurs  épiou- 
veront  la  même  surprise,  et  qu'on  ne  comprendra  guère  com- 
ment, pour  calmer  les  esprits,  amenci'  la  nation  ù  ne  point 
user  de  rigueur  en  cette  grande  circonstance,  M.  Massias  a 
cru  devoir  s'attacher  d'abord  à  justifier  toutes  les  idées  vul- 
gaires relativement  à  la  peine  de  mort.  P.  A.  D.... 

177.  —  *  Histoire  des  Conquêtes  des  Normands,  en  Italie,  en 
Sicile  et  en  Grèce  ,  accompagnée  d'un  atlas  in-4";  par  E.  Gait- 
TiER  d'Arc.  Première  époque  :  ioi6-io85.  Paris,  i8jo;  L.  De 
Bure,  rue  de  Bussy,  n°  5o.  In-S",  avec  un  Atlas  in-4";  pi'ix? 
12  fr.  Le  second  volume  va  paraître,  et  coulera  7  fr.  5o  c. 

Nous  consacrerons  une  analyse  à  ce  travail  intéressant, 
dans  un  de  nos  plus  prochains  cahiers. 

178.  — *  Histoire  de  Frédéric-  le-  Grand ,  par  M.  Camille 
Pagakel.  Paris,  i83o;  A.  Desauge,  rue  Jacob,  n"  5.  2  vol. 
in-8°;  prix,  i5  fr. 

Entre  le  grand  nombre  d'ouvrages  publiés  sur  ce  roi  de 
Prusse,  littérateur,  philosophe  et  guerrier,  qu'on  pourrait  ap- 
peler le  JuUien  des  tems  modernes,  on  doit  distinguer  celui 
que  nous  venons  signaler.  Nous  en  eussions  fait  le  sujet  d'un 
article  étendu,  si  M.  Paganel  n'eût  mis  son  livre  au  jour  à 
l'époque  même  où  le  parjuje  royal  délivrait  la  France  de  cette 
prétendue  légitimité  essentiellement  conspiratrice,  puisqu'il 


SCIENCES  3I0KxVLES.  733 

€St  dans  son  essence  de  méconnaître  et  de  traiter  en  rivale 
rebelle  la  véritable  souveraineté.  Des  évènemens  immenses 
ont  absorbé  l'altenlion,  et  durant  dewx  mois  ne  lui  ont 
guère  laissé  la  possibilité  de  se  reposer  sur  les  objets  qui 
n'étaient  pas  d'intérêt  public.  Par  la  force  des  choses,  les 
sciences  et  les  arts  sont  devenus  d'une  considération  secon- 
daire. Quel  est  le  lecteur  qui  se  iVit  arrêté  à  l'analyse  d'un 
livre,  lorsqu'il  était  queslit)n  de  conquérir  la  liberté,  ou  d'en 
régulariser  la  conquête  ?  iMaintenaut  tout  rentre  peu  à  peu  dans 
l'ordre  habituel,  et  l'on  peut  revenir  à  ses  travaux.  Nous  ai- 
ions  donc  reprendre  les  lectures  que  la  révolution  avait  inler- 
rompues.  L'ouvrage  de  M.  Paganel  paraît  avoir  le  premier 
des  droits  à  notre  attention,  parce  qu'il  est  sans  contredit  le 
meilleur  dans  son  genre;  nous  le  trouvons  rempli  de  faits 
pressés  et  exposés  dans  un  ordre  admiral)le  ;  l'intérêt  y  est 
soutenu  ;  le  style  y  est  ce  qu'il  doit  être,  quand  un  grand  mo- 
narque, vraiment  digne  du  trôiie,  fait  le  sujet  du  tableau, 
c'est-à-diie  qu'il  est  noble,  pur,  franc  et  simple.  On  voit  que 
l'auteur  a  long-tems  travaillé  sa  composition;  il  s'est  princi- 
palement occupé  d'en  resserrer  le  contenu;  il  doit  avoir  fait 
de  grandes  recherches  pour  réunir  ses  matériaux;  mais  il  a 
sacrifié  ceux  qui  n'étaient  pas  indispensables  ;  il  n'a  dit 
que  ce  qu'il  iaHait,  et  eu  même  tems  tout  ce  qu'il  était 
nécessaire  de  dire.  Nous  nous  bornerons,  pour  le  mo- 
ment, à  l'annoncer,  en  attendant  que  nous  puissions  en  offrir 
une  analyse  étendue.  Nous  nous  occuperons  de  ce  livre  avec 
d'autant  plus  de  plaisir,  qu'ayant  aussi  fait  la  guerre  sur  le 
terrain  où  le  héros  de  M.  Paganel  s'est  acquis  une  gloire  im- 
mortelle, et  qu'ayant  étudié  sur  les  lieux  les  opérations  qui 
placèrent  Frédéric  en  tête  des  maîtres  de  l'art,  nous  sommes 
pénétrés  d'une  respectueuse  admiration  pour  l'homme  prodi- 
gieux dont  l'ombre  puissante  semblait  encore  habiter  Sans- 
Souci,  quand  les  suites  delà  victoire  d'Iéna  nous  y  transpor- 
taient. BORY  DE  SaiKT-YiNCENT. 

i^ç).  —  Bataille  de  Paris,  en  juillet  i85o,  par  le  lieutenant- 
général  d'arlUlerie  Alux.  Paris,  iSrîo;  Corréard  jeune.  In-8° 
de  l\o  pages,  avec  un  plan  d'une  partie  du  champ  de  bataille  ; 
prix,  s  fr. 

Dans  cette  brocîuire,  la  politique  tient  plus  de  place  que  les 
faits  et  les  considérations  militaires.  iM.  le  général  Allix  com- 
mence par  exposer  la  cause  éloignée  de  la  révolution  de  juillet; 
il  passe  ensuite  à  la  cause  immédiate,  et  rappelle  une  pétition 
qu'il  adressa,  en  182G,  au  roi  Charles  X,  à  ses  ministres,  et 
aux   deux  chambres.  Il   n'épargnait    pas  alors  les  vérités  à 

T.    XLVII.    SEPTRMBRC    1 83o.  4? 


;54  LÎVRFS   FRANÇAIS. 

des  gens  peu  disposés  à  les  ('COUler,  et  il  les  icpiôdtiit  aujour- 
d'hui, plus  dures  qu'elles  n'avaient  poru  jusqu'au  dénoùnient  du 
liinget  pénible  drame  si  improprement  nommé  Restauration. 
«.  Lesordonnanc<sdu  uS  juillet  étaient  à  peine  publiées,  que 
la  bataille  s'engagea  entre  la  contre-révolution  et  ses  adver- 
saires. 11  m'est  impossible  de  décrire  en  entier  le  champ  de 
bataille  où  elle  a  été  livrée,  il  faudrait  décrire  tout  Paris,  et 
indiquer  l'emplacement  de  toutes  les  barricades  qui  turent 
élevées,  en  une  seule  nuit,  dans  toutes  les  rues  et  à  tous  les 
carrefours;  ce  serait  im  travail  immense  :  je  dois  me  bornera 
décrire  ime  partie  très-petite,  sans  doute,  de  ce  vaste  champ 
de  b;itaille,  et  du  plus  vaste  que  je  connaisse...  »  Après  avoir 
exposé  les  moyens  défensifs,  M.  le  général  Allix  suit  la  mar- 
che des  troupes  de  Charles  X  ,  et  note  les  fautes  commises  par 
IMarmont.  «■  La  plu?,  grande,  dit-il,  fut  de  n'avoir  pas  assuré  la 
subsistance  de  ses  troupes.  La  défense  sentit  très-bien  le  parti 
qu^'lle  pouvait  tirer  de  cette  faute,  et  le  premier  de  ses  actes 
fut  de  s'emparer  de  tous  les  magasins  de  vivres  et  de  fourrages 
établis  dans  Paris  pour  la  nourriture  de  la  garnison.  » 

Des  considérations  politiques  viennent  suspendre  le  récit 
de  la  bataille  et  les  observations  militaires.  Le  général  suit, 
'lans  ses  écrits,  la  méthode  de  Montaigne,  ou  }>lus  exactement, 
il  use  de  la  même  liberté,  caiise  familièrement  avec  son  lec- 
teur, et  lui  communique  toutes  ses  pensées  à  mesure  qu'elles 
se  présentent.  On  lit,  dans  cet  article,  une  multitude  d'anec- 
dotes, dignes  non-seulement  d'être  insérées  dans  des  mémoi- 
res historiques,  mais  de  passer  dans  l'histoire  même,  pour  ter- 
miner les  portraits  des  hommes  qui  exercèrent  la  plus  forte 
infkience  sur  les  évènemens  et  sur  les  nations.  Enfin,  le  récit 
de  la  bataille  continue:  l'esprit  et  les  disposilions  des  habitans 
de  Paris  reçoivent  les  éloges  qui  ont  retenti  dans  toute  l'Eu- 
rope. «  Tous  les  intérêts  individuels  furent  méconinis,  oubliés. 
Le  recueil  des  belles  actions  sera  immense,  et  elles  ne  seront 
pas  toutes  recueillies.  »  Parmi  bîs  faits  rapportés,  il  en  est  un 
sur  lequel  ks  opinions  seront  partagées,  et  qui  provoque  une 
discussion. 

«  C'étaient  des  Suisses  qui  défendaient  le  Louvre  lorsque 
la  défense  eut  pri^  l'offensive.  Tous  les  Suisses  qu-i  tnmi)èrent 
dansles  mains  des  vainqueursélaient,  morlsou  vifs,  jetés  dans 
la  Seine,  près  le  Pont-des-Arts  ;  et  la  défense  disait  que  c'é- 
tait des  estaffelles  f[u'elle  expédiait  pour  Saint-Coud.  C'était, 
en  d'autres  tcrjiies,  dire  aux  Suisses  de  ne  plus  y  revenir.  Ils 
avaient   oublié  le  \o  août;  ils    n'out»lieioiit    pas   sans   doute 

If    9.Q  JMilK'f.    " 


SCIENCES  MORALES.  ^35 

La  peiKsée  du  général  Allix  n'est  pas  surtisammenl  déve- 
loppée; l'honneur  des  coniliattans  parisiens  exige  (pi'on  éloi- 
gne d'eux  jusqu'au  soupçon  d'une  cruauté  sans  but,  et  qui, 
au  premier  coup  d'œil,  scuiible  tout-à-fait  inexcusable.  Exa- 
minons la  conduite  des  Suisses  dans  cette  grande  crise  poli- 
tique ;  voyons  si  ce  qu'ils  ont  lait  était  leur  devoir.  S'ils  étaient 
à  la  solde  de  Charles  X ,  et  non  de  ki  France,  ils  ne  pouvaient 
inspirer  aux  Français  qu'une  forte  aversion,  et  la  morale  la 
plus  sévère  ne  blûmera  point  cette  antipathie;  les  peuples  ne 
peuvent  s'accoutumer  à  n'être  comptés  pour  rien  dans  les  af- 
faires qui  les  concernent,  et  dont  ils  paient  tous  les  frais.  Si 
la  France  n'était  pas  étrangère  aux  capitulations  avec  les  Suis- 
ses, les  régimens  de  cette  nation  ne  devaient  nullement  se 
mêler  de  nos  affaires  domestiques;  une  nation  s'oflènse  avec 
raison  lorsque  des  étrangers,  qu'elle  n'a  pas  chargés  du  soin 
de  la  rappeler  à  ses  devoirs,  viennent,  les  armes  à  la  main,  faire 
des  remontrances,  et  commander  au  nom  des  lois,  dont  ils  ne 
peuvent  être  les  organes.  Les  officiers  suisses  n'ont  point  senti 
l'inconvenance,  l'illégitimité  de  leur  conduite  ;  on  ne  peut  les 
excuscrd'aucune  manière,  car  après  tout  ils  ne  sont  pas  dispen- 
sés de  raisonner.  Qu'ils  n'allèguent  point  l'esprit  militaire,  la 
discipline,  la  foi  du  serment;  rien  de  tout  cela  n'est  applicable 
aux  circonstances  du  mois  de  juillet.  Ces  officiers  n'ignoraient 
point  combien  la  présence  d'étrangers  en  armes  au  milieu  de 
la  France  était  odieuse  aux  Français,  et,  en  les  menant  au 
combat,  ils  devaient  s'attendre  à  l'effet  de  ces  animosités  in- 
A'étérées.  L'exaspération  des  Parisiens,  portée  au  plus  haut 
degré,  et  dans  une  affaire  décisive  telle  que  l'attaque  du  Louvre, 
ne  pouvait  être  contenue  par  aucune  considération  :  on  ne 
faisait  pas  plusde  quartier  aux  Suisses  qu'aux  gendarmes  qui, 
depuis  seize  ans,  étaient,  dit  M.  le  général  Allix,  les  exécuteurs 
des  hautes-œutrcs  de  la  coni)  c- révolution.  Dans  les  affaires  de 
juillet,  ce  ne  sont  pas  les  Parisiens  qui  méritent  d'être  blâmés 
par  rapport  à  leur  conduite  envers  les  Suisses,  mais  les  offi- 
ciers de  cette  nation  ,  qui  ont  joint  leiu's  soldats  à  ceuxque  le 
crime  dirigeait  contre  nous.  On  s'est  montré  généreux  envers 
les  soldats  français  que  les  passions  politiques  avaient  peut- 
être  égarés;  mais  les  étrangers,  que  ces  passions  n'exci- 
taient point,  étaient  sans  excuse;  on  les  a  traités,  non  comme 
ennemis,  mais  comme  des  assassins  pris  en  des  circonstances 
qui  les  mettaient  hors  de  la  loi. 

Les  évènemens  de  juillet  feront  probablement  sentir  aux 
Cantons  suisses  qu'il  n'est  plus  tems  de  fournir  des  soldats 
aux  Fatals  qui  leur  en  demandent,  et  qu'il  faut  employer  d'une 


r^6  LIVIiES  FRANÇAIS, 

autre  manière  l'excédant  de  leur  population.  Ils  ont  déjà  iait 
quelques  essais  de  colonies  lointaines  ;  mais  ce  n'était  encore 
que  des  essais,  on  n'avait  pu  tout  prévoir  ;  on  n'a,  sans  doute, 
pas  obtenu  tout  le  succès  que  l'expérience  aurait  assuré  si 
l'on  avait  mis  ses  leçons  à  profit.  Si  l'on  revient  à  ces  projets 
avec  plus  de  données,  en  choisissant  des  contrées  plus  conve- 
nables, et  tn  procédant  avec  une  sage  lenteur,  on  parviendra 
certainement  à  créer  de  nouvelles  Hcivétics,  dignes  en  tout  de 
leur  mère  commune.  Veut -on  s'établir  dans  d'autres  Alftes? 
l'Ancien-Mondc  ofîVirait  des  régions  caucasiennes,  mais  il  tant 
les  conquérir  :  l'Amérique  résente  ses  77ioniagnes  rocheuses^ 
la  protection  d'une  république  puissante  e!  aiïermie,  un  cli- 
mat salubie,  de  belles  t'orêts,  un  sol  fertile;  mais  là,  presque 
plus  de  relations  avec  le  monde  civilisé,  et  encore  moins  avec 
l'Europe,  avec  cette  patrie  si  chère,  et  d'autant  plus  désirée, 
qu'on  a  moins  d'espérance  de  la  revoir.  Les  montagnards  con- 
sentent-ils à  vivre  dans  les  plaines  en  s'exposant  aux  dangers 
d'un  climat  nouveau,  d'une  température  inaccoutumée,  etc.  ? 
Ils  se  rapprocheront  des  auties  humains,  mais  c'est  encore  le 
Nouveau-Monde  qui  vient  leur  proposer  son  territoire.  L'im- 
mense vallée  du  Mississipi  s'enorgueillirait  de  compter  une 
Suisse  nouvelle  au  nombre  de  ses  divisions  territoriales.  L'an- 
cien continent  ne  se  prête  pas  de  même  à  la  formation  de 
colonies  nouvelles  ;  deqiielque  côté  que  l'on  dirige  ses  regards, 
on  ne  voit  que  des  popuhitioiis  hostiles,  ou  des  gouvernemens 
dont  les  habitiules  républicaines  ne  s'accomuiodcnt  point.  >Iais. 
avant  que  la  Suisse  ait  envoyé  aux  États -Lnis  d'Amérique 
tous  les  colons  qu'elle  peut  lui  fournir,  d'autres  ressources  ne 
lui  manqueront  point,  et  elle  ne  sera  pas  dans  la  nécessité 
de  renouveler  ses  fournitures  de  soldats  aux  monarchies  de 
l'Europe,  s'il  en  était  encore  quelques-unes  qui  voulussent  en 
faire  la  demande. 

Revenons  à  la  Bataille  de  Paris,  et  aux  anecdotes  racontées 
par  iM.  le  général  AUix.  Après  avoir  fait  remarquer  qu'aucun 
des  serviteurs  si  zélés  de  la  fatuille  des  Bourbons,  aucim  des 
partisans  dévoués  du  ministère  Polignacne  prit  les  armes  dans 
les  ntémorables  journées  de  juillet ,  il  rapporte  le  fait  suivant  : 
«  Il  m'a  été  raconté  que  Cliarles  X,  alors  comte  d'Artois,  en- 
voyé à  Lyon  lors  du  relourde  l'île  d'Elbe,  disiit  à  ses  cour- 
tisans, en  présence  (lu  général  Albert,  ai  'e-de-raiup  de  M.  le 
duc  d'Orléans  :  Notre  victoire  ne  sera  point  douteuse  ;  dix 
mille  gentils-honmies  ont  pris  les  armes  :  à  cpioi  le  général 
Albert  répondit  (jue  dix  mille  paysans  comme  lui  valaient 
beaucoup  mieux  ;  en  efTet,  eu  1810  comme  en  i8ôo,  pas  un 


SCIliNCLùS   MORALES.  -5; 

seul  de  ces  préleiultis  braves  ne  se  moiilra  pour  défendre  leur 
idole.  Ils  lie  se  sont  jamais  montrés  qu'au  trésor,  qui  était  bien 
leur  véritable  et  seule  divinité,  et  c'est  bien  certainement  la 
seule  qu'ils  re{i;rettenl.   » 

Autie  anecdote.  «  Le  18  mars  181  5,  dans  sa  première  entre- 
vue avec  Napoléon,  le  maréchal  Ney  lui  demandait,  moi  pré- 
sent :  Qui  a  pu  vous  déterminer  à  l'ormer  une  entreprise  où 
vous  deviez  cent  l'ois  périr?  La  lecture  du  Moniteur,  répondit- 
il  :  j'ai  vu  que  les  actes  du  gouvernement  des  Bourbons  étaient 
en  opposition  avec  les  intérêts  de  la  Fiance,  et  j'ai  jugé  que  la 
France  était  à  moi  ;  je  suis  venu.  »  F. 

180.  —  Du  Passé f  du  Présent  et  l'J venir,  par  Micliel  Berr 
[(leTurique).  Paris,  i83o;  Delaunay.  In-8° de 3o pages;  prix, 
1  ir. 

181.  —  Népomucène  L,  Lemercier ,  d  ses  concitoyens ,  sur  la 
grande  semaine.  Paris,  i85o;  librairiedcsétiangers,  rue  Neuve- 
Saint-Augustin  ,  n"  55,  et  rue  de  la  Paix,  n°  1  1  ;  Delaunay, 
Levavasseur,  au  Palais-Royal,  etc.  In-8''  de  48  pages;  prix, 
i  ir.  5o  c. 

La  brochure  de  M.  Michel  Berr  n'est  déjà  plus  précisément 
de  circonstance:  composée  avant  la  proiiuilgation  de  la  nou- 
velle Charte  et  l'élévation  au  trône  du  duc  d'Orléans,  elle  sem- 
ble aujourd'hui  antique  et  surannée,  tant  les  évènemens  se 
sont  précipités  avec  vitesse.  Piempli  d'intentions  excellentes 
et  d'honorables  vœux,  ce  travail  est  d'ailleurs  peu  fécond  en 
idées  utiles  :  c'est  l'œuvre  d'un  bon  citoyen,  mais  non  d'un 
homme  politique. 

L'écrit  de  M.  Lemercier  est  d'une  toute  autre  importance. 
«  La  chute  de  rancienne  monarchie  française,  à  la  fin  du  xviii'' 
siècle,  dit  M.  Lemercier,  fut  une  grande  révolution.  Quicon- 
que put  en  être  témoin,  et  sut  juger  les  causes  de  cette  inévi- 
table catastrophe ,  ne  considérera  pas  les  importans  évène- 
mens de  juillet  dernier  comme  une  révolution  nouvelle,  mais 
couime  la  continuation  de  celle  qui  éclata  dans  l'année  1789, 
et  dont  un  concours  de  circonstances  fortuites  a  retardé  l'ac- 
complissement. Parmi  les  nombreuses  variations  des  choses, 
des  gouvernemens  et  des  systèmes,  le  principe  virtuellement 
révolutionnaire  qui  meut  la  population  en  masse,  n'a  pas  cessé 
d'agir  progressivement.  Traversé  par  mille  obstacles,  il  a  mar- 
ché dans  le  même  sens  avec  constance  ;  il  marche  encore.  C'est 
erreur  ou  folie  de  présumer  qu'aucime  puissance  répressive 
le  puisse  arrêter  ou  détourner  de  son  but  ei  jamais.  Ce  prin- 
cipe est  le  produit  d'une  cause  morale,  et  sa  force,  ainsi  que 


r58  LIVRES  FKA^iÇAIS. 

toute;  loice  inatéiielle  dans  la  nature,  a  son  impulsion  mo- 
trice et  ses  effets  universels  que  rien  ne  peut  anéantir,  etc.  » 

Cette  idée  si  juste  et  si  rationnelle,  W.  Lemercier  la  suit 
dans  loules  ses  conséquences.  Il  nous  montre  le  principe  ré- 
\  olutioiMiaire  renversant  la  Bastille,  et  terrassant  l'Europe,  à 
la  fin  du  siècle  dernier,  se  ralliant  à  Bonaparte  par  dégofit  de 
ranarcliio,  puis  aux  Bourbons,  par  dégoût  du  despotisme  ; 
eliassant  enfin  au-delà  de  la  mer  cette  dynastie  parjure,  lors- 
qu'elle veut  leniplacer  un  joug  caché  sous  des  lauriers,  par  un 
gouvernement  d'antichambre  et  de  sacristie.  Puis ,  allant  du 
passé  à  l'avenir,  M.  Lemercier  offre  au  pouvoir  nouveau  de 
sagesconseils  qu'il  n'a  guère  suivis.  Il  l'exhorte  à  rompre  pour 
jamais  avec  les  voltigeurs  de  tous  les  anciens  régimes,  avee 
ceux  de  l'empire  comme  avec  ceux  de  la  restauration  ,  et  lui 
lait  voir  son  appui  naturel  dans  cette  jeunesse  à  la  fois  coura- 
geuse et  intelligente,  également  habile  à  défendre  la  liberté 
par  la  plume  et  pirl'épée. 

Ces  avis  de  M.  Lemercier  et  de  tant  d'autres  dévoués  ci- 
toyens n'ont  guère  été  suivis;  il  leur  reste  le  mérite  de  lesavoir 
donnés  :  il  reste  encore  à  M.  Lemercier  un  aulre  et  plus  bril- 
lant titre  de  gloire.  Le  jeudi,  29  juillet,  à  onze  heures  du  ma- 
lin, au  moment  où  le  sang  des  |)atriotes  coidait  à  la  caserne  de 
Babylone,  au  Louvre,  aux  Tuileries,  au  Palais-lloyal,  M.  Le- 
mercier accepta  les  fonctions  périlleuses  de  pré>ideul  delà 
'.oruniission  insurje(  tionnelle  dtr  1 1*^  ariondisscinent,  et  con- 
tinua de  les  exercer  pendant  tout  ie  tems  du  danger.  "Sous  qui 
l'avons  vu  calme  et  ferme  dans  ces  jours  de  crise,  nous  ne 
pouvons  terminer  cet  article  sans  rendre  ce  faible  hommage 
a  l'iin  de  nos  plus  vei  tucux  et  de  nos  plus  illustres  citoyens. 

A.   D. 

18 '2.  —  Philippe  l",  roi  (les  Français:  Précis  historique,  par 
iM.  A.  Chateai  neijf.  Paris,  1800  :  les  marchands  de  nou- 
veautés. In-8"_^de  vii-Sr  pages;  prix,  1  fr.  aS  cent. 

Un  changement  de  règne  fut  toujours  une  bonne  fortune 
})Our  b's  biographes.  Mais,  c'est  un  graïul  peuple  qui  appelle 
un  prince  à  l'honneur  de  le  gouverner;  il  suffît  presque  de  ra- 
<outet  cet  avènement  exIracu'diuaiKe  :  les  peuples  ont  pu  si 
rarement  élire  eux-mêmes  ItMirs  chefs!  Que  si  ce  prince  n'a 
pris  aucune  part  aux  évènemens  qui  ont  amené  la  vacance  du 
trône,  il  a  donccon<pn's  tant  de  popularité  par  la  pratique  de 
toutes  les  vertus  civiques  ;  et  cette  unanimité  d'une  nation  toute 
entière  dans  son  choix  explique  assez  quelle  à  été  la  vie  du  nou- 
veau sou\  erain.  Cependant  les  contemporains  cherchent  dans  le 
passé  des  gages  pour  l'avenir  :  ils  observent  incessamment    le 


SiClENCES  MORALES .  759 

monarque,  pour  qu'il  reste  inaccessible  aux  sédiicliun;  et  aux 
excès  du  pouvoir  suprême  ;  et  la  postérité  surtout  voudra  ju- 
ger le  roi   par  le  prince. 

M.  Cli*it('auiR'ut',  auteur  de  riiisloire  estimée  di-s  grands  ca- 
pitaines de  la  révolution,  a  publié  ce  précis  historique,  peu 
après  ces  journées  terribles  dont  le  duc  d'Orléans,  par  son 
acceptation  de  la  couronne,  a  assuré  la  gloire  et  les  bienfaits. 
La  criti([ue  ne  peut  pas  être  sévère  pour  un  livre  fait  aussi  ra- 
pidement; d'ailleurs,  l'auteur,  véridiqueet  instruit,  s'est  pré- 
servé de  l'adulation.  Il  nous  montre  Louis-Pliilippe.d'Orléans, 
né  à  Paris,  le6octo]>re  i^jô,  déjà  commandant  une  division  à 
Valmy,  oi'i  22,000  Français,  soldats  presque  improvisés,  met- 
tent ea  fuite  70,000  Allemands.  A  Jemmapcs,  le  duc  de  Char- 
tres, vainqueur  aussi  à  l'affidre  de  lioussut,  rallie  des  régi- 
mens,  et-s'éiance  à  la  tête  des  grenadiers,  vers  les  hauteurs  que 
défendent  5o,ooo  Autrichiens  et  200  canons.  Xervinden  et 
Tirlcmont  sont  en  outre  témoins  de  sa  valeur  :  déjà  de  la 
gloire  et  le  plus  ardent  patriotisme!  Mais  le  géaéral  de  vingt 
ans  est  prince  royal  ;  et  il  expiera  par  l'exil,  dans  une  vie  er- 
rante et  malheureuse,  sa  naissance  et  ses  talens  militaires. 
Perdu  pour  la  cause  nationale,  il  devient,  sous  le  nom  de 
M.  Corby,  régent  d'histoire  et  de  mathématiques  au  collège 
de  Reichenau.  De  la  Suisse,  ce  prince  va  visiter  le  Dane- 
mark, la  rsorwège,  la  Laponie,  jusqu'au  cap  Nord,  à  18  de- 
grés du  pôle  :  il  parcourt  la  Finlande,  la  Suède,  et  revient  à 
Hambourg,  en  1796,  «  presque  sans  avenir,  mais  persistant 
dans  son  refus  d'entrer  dans  \e^  camps  des  étrangers  ;  et  le  Di- 
rectoire négocie  secrètement  son  expulsion  de  l'Europe.   » 

Charles  X  et  sa  famille  n'ont  rien  appris  dans  les  révolutions, 
ni  par  les  voyages:  troisgénérations  de  princes,  tombées  ensem- 
ble du  trône  de  France,  viennent  d'être  transportés  de  Cher- 
bourg à  PortsmoiUh,  et  à  l'aspect  du  pavillon  étoile,  flottant 
sur  le  Great-Britain,  le  roi  déchu  di.-ait  au  couimandaut  de 
l'expédition,  M.  Duujont-d'l'rville  :  «  Ah!  si  mon  frère  n'eût 
pas  favorisé  l'indépeudauce  de  l'Amérique  du  nord!..  Il  a  causé 
la  perte  de  notre  dynastie  :  -tous  les  malheurs  de  la  Fiance  pro- 
viennent de  là  ."Jamais  voyages,  au  contraire,  n'ont  été  mieux 
régléspour  l'instruction  des  princes,  que  ceux  qu'une  suite  de 
circonstances  déplorables  lit  entreprendieau  duc  d'Orléans.  11 
a  vn  l'Allemagne,  les  États  du  nord  de  l'Europe,  il  ré?iJa  quel- 
que teuis  en  Angleterre,  et,  traversant  l'Océan  ,  il  visita  pres- 
que tous  les  États  de  l'Union  :  c'est  lorsqu'il  vient  d'étudier 
les  institutions  et  l'industrie  des  deux  nations  les  plus  libres 
du  monde,  qu'il  est  appelé  en'Sicile.  Là,  le  boaheur  enfin  lui 


;4o  LIVRES  l'RANÇAIS. 

sourit.  Il  épouse  la  princesse  Amélie,  qui  «devait  à  un  natiu-e 
heureux,  secondé  de  l'éducation,  une  dignité  sans  orgueil» 
une  vertu  sans  faste,  et  une  bienl'aisanee  sans  ostentation.  » 

La  France  profilera  sans  doute  d'une  instru(  tion  si  doulou- 
reusement ac(|uise  :  le  prince,  bieu  avant  de  ceindre  la  cou- 
ronne, a  reeu  la  consécration  de  l'infortune  pour  lui  et  pour 
ses  fils,  qui  ne  pouriont  pas  oublier,  et  les  malheurs  de  leur 
famille,  et  de  bien  terribles  exemples.  Roi  des  Français  ou 
duc  d'Orléans,  Louis-Philippe  n'a  rien  à7?i»rfrdans  sa  vie  pri- 
vée. M.  Cliâleauneufa  relraté  seulement  sa  vie  politique,  et 
même  il  termine  son  précis  historique  à  la  séance  mémorable 
de  la  Chambre  des  pairs,  en  1 8 1  5,  dans  laquelle  ce  prince  dé- 
fendit, avec  MM.  de  Rroglie,  Lanjuinais,  etc.,  le  trône  et  son 
droit  sacré  de  elénience  contre  une  majorité  avide  d'exils  et 
de  supplices.  On  regrette  aussi  que  ce  livre  ne  nous  montre 
pas  le  protecteur  éclairé  des  beaux-arts  et  de  l'industrie,  l'ex- 
cellent père  de  famille,  le  propriétaire  qui,  prince  au  Palais- 
Royal,  était  à  iSeuJIIy  un  savant  agronome,  et  l'ami  des  ou- 
vriers. Isidore  Lebrun. 

i85.  —  Notices  historiqufS  sur  S.  A.  R.  Louis-Plii- 
Cippe  d'Orléans,  roi  des  Français,  et  sur  le  général  Lafayetle, 
commandant  en  chef  les  gardes  nationales  de  France,  extrai- 
tes de  la  Biograptde  universelle  et  portative  des  contemporains, 
et  précédées  de  quelques  notes  sur  la  nécessité  de  se  rallier  au  duc 
d'Orléans:  par  V.  de  IJoisjoslin.  Paris,  i83o;  les  éditeurs, 
rue  de  l'École-de-Médeeine,  n"  5.  In-8°  de  112  pages;  prix, 
^5  cent.,  au  profit  des  blessés. 

On  recherche  maintenant  tout  ce  qui  peut  contribuer  à  faire 
apprécier  le  caractère  des  deux  citoyens  illustres  que  les  der- 
niers évènemens  ont  placés  l'urrsur  le  trône,  auquel  ses  vertus 
promettent  un  éclat  nouveau,  l'autre  à  la  tête  de  cette  mi- 
lice nationale  dont  il  a  jadis  secondé  si  glorieusement  la  pre- 
mière organisation.  Nous  recommandons  les  deux  Notices 
annoncées  ci-dessus,  et  extraites  d'un  recueil  dont  nous  avons 
eu  déjà  plus  d'une  fois  l'occasion  de  louer  l'exactitude  et  l'im- 
partialité, ;'i  tous  ceux  qui  'h'sirent  connaître  par  quelle  suite 
d'événemens  et  de  patriotiques  dévoûmens  Lafayette  et  Louis- 
Philippe  ont  aequi>  des  droits  à  "l'estime  des  Français. 

Litlératare. 

i84- — *Bil)liolliéque  latine- française  :  Collection  des  classiques 
latins,  avec  la  traduction  en  regard,  publiéepar  C.  L.  F.  Panc- 
KOtCKE.   Institution  oratoire  de  Quintilien ,  traduction  nou- 


LITTÉRATIRE.  r4 , 

vclle ,  par  C.  V.  Oiuzille,  chef  de  limeaii  au  iiiiiiibliTc  de 
l'intérieur.  T.  ii.  Paris,  1800;  C.  L.  F.  Pauckoucke.  In-8°; 
prix,  7  fr.  (Voy.  Bev.  Enc,  t.  xlvi,  p.  75G.) 

La  notice  qui  précède  ce  volume  est  à  peu  près  extr.iite  de 
Dodwcll;  mais  cet  extrait,  dégagé  des  formes  de  la  disserta- 
tion, est  clair,  précis  et  élégant;  les  considérations  qui  sui- 
vent sur  kl  décadence  des  lettres,  et  sur  les  torts  de  Sénèque 
envers  la  vieille  littérature  de  Rome,  pourraient  bien  déplaire 
aux  romantiques  contempteurs  de  la  nôtre  ;  et,  si  Quintilieu  est 
venu  ressusciter  les  bonnes  doctrines  chez  les  Romains,  nous 
n'avons  pas  moins  besoin  d'y  revenir.  La  lecture  de  son  Insti- 
tution or  aioire  Pi\\ià\\.  beaucoup  de  conversions  à  opérer;  elle  con- 
viendrait surtout  à  ceux,  (jui  faisam  sibi  scientlœ  persaasioneni  in- 
duerunt  ;  ce  passage  du  premier  livre  a  été  fort  bien  rendu  par 
M.  Oiiizille,  dont  la  traduction  est  claire  et  fidèle.  Il  nous  se- 
rait impossible,  sans  doute,  d'entrer  ici  dans  une  discussion 
philologique  du  mérite  qu'elle  présente.  Il  vaut  mieux  instruire 
nos  lecteurs  des  moyens  dont  il  s'est  servi  pour  en  faire  un  bon 
travail.  L'édition  de  Quinlilien,  qui  fait  partie  de  la  collection 
de  M.  Lemaire,  a  été  fort  utile  au  traducteur,  qui  se  plaît  à  le 
reconnaître,  et  qui  a  profité  aussi  des  remarques  de  MM.  Adry 
et  Capperonnier  ;  et,  grâces  à  lui,  on  pourra  lire  avec  fruit  et 
avec  plaisir  celle.  Institution  oratoire^  que  La  Harpe  qualifiait 
de  livre  immortel.  La  notice  sur  Quinlilien  est  parfaitement 
écrite,  elle  est  forte  de  choses  et  de  style  ;  nous  en  extrairons 
les  faits  suivans.  L'auteur  naquit  à  Calahorra,  et  suivit 
à  Rome  les  leçons  de  célèbres  orateurs,  puis  il  accom- 
pagna Galba,  que  Néron  avait  désigné  pour  commander  en 
Espagne.  A  l'avènement  de  Galba ,  il  fut  nommé  professeur 
d'éloquence  ;  après  vingt  ans  d'exercice,  il  se  retira  ;  et  il  com- 
posait son  Institution  oratoire,  quand  Domitien  le  choisit  pour 
présider  à  l'éducation  de  ses  petits  neveux;  enfin,  ce  ne  fut 
que  sous  Adrien  ,  et  dans  un  ;1ge  fort  avancé  ,  qu'il  parvint  au 
comble  des  honneurs  et  des  richesses.  Cela  explique  com- 
ment, sous  Trajan,  Pline  s'adressait  encore  au  rhéteur  plus 
riche  en  vertus  qu'en  ressources.  M.  Ouizille  cherche  à  absoudre 
son  auteur  du  reproche  d'avoir  loué  Domitien.  Nul  doute, 
dit-il,  que  l'éloge  de  cet  empereur  n'eût  été  imposé  à  tous  les 
gens  de  lettres  du  tems  par  l'ombrageuse  susceptibilité  de  ce 
tyran.  La  lecture  de  Quinlilien  a  été  fort  recommandée  par 
Rollin  :  elle  doit  plaire  surtout  aujourd'hui,  (/ue  l'éloquence  a 
recouvré  ses  plus  nobles  prérogatives,  et  qu'elle  est  appelée  à  exer- 
cer une  si  haute  influence  sur  notre  avenir,  aujourd'hui  qu'elle  est 
devenue  le  plus  puissant  moyen  d'illustration  personnelle,  et  qu'il 


74»  LIVRES  FJIA>ÇA1S. 

importe  tant  de  lui  donner  une  direction  sage  et  généreuse,  digne 
enfin  des  institutions  qui  7ious  régissent.  Ces  mois  sont  de 
Al.  Ouizille,  et  prouvent  que,  s'il  est  bon  philolo|^ue  et  tra- 
ducteur exact,  il  n'est  pas  inoins  bon  Français. 

1 85. — * Dibliotlièquc Lalhic-française,  pul)liée  pai'C.L.F.  Panc- 
KoucKE.  — Comcd'es  (leTérence,  traduction  revue  par  M.  âmar. 
T.  II.  Paris,  i85o;  C.  L.  F.  Panckoucke.  In-8";  prix,  7  IV. 

M.  l.EMAiRE.  dans  son  édition  de  Térence ,  avait,  PCur  le 
texte,  suivi  <'cl!e  de  Porlet.piddiée  à  Leipzig,  en  1  821 .  W.  Amar 
adopte  ce  niCine  texte,  cl  le  place  en  regard  de  sa  traduction; 
les  notes  appartiennent  en  grande  partie  à  M""  Dacier,  qui, 
de  la  sorte,  conserve  encore  sur  le  poète  romain  une  partie  de 
SCS  droits.  Elle  aura  toujours,  aux  yeux  des  vrais  auiis  des  let- 
tres anciennes,  l'honneur  incontestable  de  les  avoir  l'ait  aimer 
par  ses  traductions;  mais  son  style  ne  connaît  aucune  espèce 
de  variété;  elle  prête  indistinctement  à  tous  les  personnages 
d'ime  pièce  le  même  ton,  le  même  langage.  On  ne  fera  donc 
})as  ù  M.  Amar  la  (piestion  chagrine  qu'il  sendde  s'adresser  : 
Pourquoi  traduire  Tt'rcnce  après  3/"""  Dacier?  On  lui  demandera 
encore  moins  pourquoi  il  l'a  traduit  après  l'abbé  Lemonnier  ; 
bien  que  ce  dernier  se  soit  montré  lîaliile  latiniste  et  écrivain 
correct,  il  a  manqué  de  vie  et  de  mouvement,  et  lui-même  n'a 
eu  d'autre  but  que  de  créer  pour  les  jeunes  enl'ans  une  lec- 
ture qui  les  délassai  de  la  construction  des  phrases.  Ku  sorte 
qu'il  n'a  donné  Térence  (pi'au  collège,  tandis  ((u'aujaurd'hui 
cet  auteur  prend  réellemenr  sa  place  dans  notre  littérature.  La 
traduction  de  M.  Amar  est  d'une  élégance  soutenue,  elle  rend 
avec  vérité  la  pensée  cl  l'expression  du  comique  j-omain.  On 
liraUvec  bien  du  plaisir  les  précieuses  réflexions  dont  il  a 
semé  sa  prélacc,  et  surtout  le  parallèle  établi  entre  Piaule  et 
Térence;  l'un,  licencieux  dans  les  choses  comme  dans  les 
mots,  l'autre  préléi'ant  le  sourire  <\c>  gens  de  goût  au  gros  rire 
de  la  populace.  Ft  (|ue  l'on  ne  dise  pas  que,  de  l'un  à  l'autre, 
la  civilisation  romaine  avait  fait  des  progrès,  que  la  littérature 
s'était  épurée,  que  les  spectaieurs  étaient  devenus  meilleurs 
juges,  en  devenant  des  connaisseins  plus  éclairés.  La  nais- 
sance de  Téience  précéda  de  huit  ans  la  mort  de  Piaule,  et  il 
n'y  en  avait  que  dix-huit  que  ce  dernier  avait  cessé  de  vivre, 
qtiand  V Andrienne  fut  jouée  pour  la  première  fois.  M.  Amar 
transciit  ici  quehiues  passages  de  M.  Auger;  ils  expliquent  à 
merveille  celte  dissonnance  morale  qu'on  remarque  entre  les 
deux  poètes.  Térence,  honoré  de  l'amitié  de  Furius,  de  Lelius 
et  de  Scipion,  parle  toujours  en  homme  de  bonne  compa- 
gnie ,  tandis  que  la  position  sociale  et  les  relations  habituelles 


LITTlillATlRE  ^45 

de  Piaule  lui  avaieul  lait  ecniliacler  uiit;  rudesse  tie  laiiga}>e, 
un  dévergonilage  de  style  qui  va  sou  veut  jusciu'à  l'obscénité. 
Ce  volume  renferme  V Andriennet'X  V Eunuque. 

P.    DE   COLBIÎUY. 

i8G.  — *  Œuvres  complètes  de  M.  le  vicomte  de  Ciiateav- 
BRiAND,  pair  de  France,  membre  de  l'Académie  française.  ï.  xv 
et  XYi  :  Itinéraire  de  Paris  à  Jérusalem  :  1. 1"  et  ii.  Paris,  i83o; 
Fayolle,  rue  du  Rempart- Saint -Honoré  ;  Fournier  jeune. 
2  vol.  in-i2  de  55o  pages  chacun,  avec  des  cartes;  prix  de 
chaque  volume  5  fr.  5o  c.  pour  les  souscripteurs  aux  œuvres 
complètes;  4  !•'•  pour  les  non-souscripteurs.  (Voy.  Rev.  Enc, 
t,  XLVI,  p.  4t>o.) 

M.  DE  FoRTiA,  auquel  on  doit  cette  belle  édition  des  œuvres 
du  premier  écrivain,  peut-être,  de  notre  époque,  continue  à 
lui  donner  les  soins  éclairés  et  presque  minutieux  du  biblio- 
graphe de  bon  goût  et  du  savant  énitlit.  Comme  nous  l'avons 
déjà  fait  observer,  cette  édition  réunit,  à  l'agrément  d'une 
impression  correcte,  l'avantage  d'être  la  dernière  et  la  plus 
complète;  et,  ce  qu'auctme  autre  ne  peut  offrir,  le  mérite  de 
notes  fort  curieuses  ajoutées  à  la  fin  de  chaque  volume,  par  le 
laborieux  éditeur.  Nous  remarquons,  dans  ceux-ci,  une  très- 
longue  note  sur  Videntité  de  l'ilc  de  Goze  et  de  l'Ogjgie  d'Ho- 
mère. 

187.  —  Romances ,  ballades  et  légendes,  par  M.  Boucher  de 
Perthes.  Paris,  i85o;  Treuttel  et  Wurtz,  rue  de  Bourbon, 
n°  17.  In-)8;  prix,  5  fr. 

La  légende  nous  vient  d'Allemagne ,  où  Bùrger  l'a  rendue 
populaire.  Son  théâtre  est  le  moyen  âge,  sa  mythologie  le 
christianisme  avec  le  cortège  des  fables  nées  des  imaginations 
du  Nord  :  telle  l'a  trouvée  JM.  Bovcher  de  Perthes  ;  mais  il  la 
transforme  avant  de  nous  la  rendre.  Ses  conceptions  sont 
moins  fantastiques,  ses  couleuis  moins  étranges,  sa  langue 
moins  trivialement  colorée.  La  chevalerie  lui  prête  ses  noms; 
le  remords,  le  crime,  la  vengeance  animent  ses  inventions  ; 
l'amour  les  domine  toutes;  innocent  ou  coupable,  il  en  est 
le  nœud.  Le  poète  a-t-il  été  neuf  dans  ses  idées?  Je  ne  le  crois 
pas.  Elles  rentrent  souvent  dans  le  cercle  des  imaginations 
connues.  Voyons  s'il  lésa  rajeunies  parla  forme. 

La  forme  la  plus  ordinaire  ce  cette  sorte  de  composition 
est  le  récit.  Il  en  est  une  plus  vive,  qui  tient  le  milieu  entre 
le  drame,  auquel  elle  emprunte  quelquefois  son  dialogue,  et  le 
récit,  dont  elle  suit,  par  moment,  la  marche  progressive.  C'est 
celle  où  le  poète  saisit  les  points  principaux  de  sa  légende  et 
les  développe  isolémeni,  en  y  ramenant  par  allusion  les  cir- 
constances secondaires.    M.  Boucher  de  Perthes  parait  affec- 


;44  LIVRES  FRANÇAIS. 

lionner  cette  dernière  forme,  et,  selon  nous ,  avec  raison  ;  et 
nos  éloge*  seraient  ici  sans  restriction,  si  les  discours  des  per- 
sonnages étaient  entremêlés  de  lécits  placés  dans  la  bouche 
du  poète  :  chaque  morceau  de  M.  Boucher  de  Perthes  n'est 
qu'une  rapide  élégie  qui,  placée  surles  lèvres  d'un  personnage 
passionné .  ne  permet  au  poète  que  le  développement  d'une 
seule  situation,  et  lui  interdit  souvent  l'eftet  de  contrastes. 

Nous  arrivons  avec  plaisir  à  l'examen  du  style,  où  nos  éloges 
seront  peu  mêlés  de  critiques.  Il  est  toujours  simple  ,  élégant, 
harmonieux,  souvent  vif,  quelquefois  énergique;  et,  si  les 
couleurs  en  étaient  plus  fortes  et  plus  animées,  il  ferait  sans 
doute  oublier  ce  qui  manque  au  fond  des  idées  de  haidiesse 
et  de  nouveauté.  Il  serait  facile  de  trouver  dans  ce  recueil  dix 
morceaux  égaux  en  mérite  à  celui  que  je  vais  citer  : 

Le  Pauvre  honteux. 

Il  ne  demande  pas,  mais,  sur  son  front  livide, 
Ah!  ne  lisez-vous  pas  ces  mots  affreux  :  j'ai  faim  ! 
11  ne  demande  pas  ;  il  est  Cer  et  timide  : 
Lui  lefusciez-vous,  hélas!  un  peu  de  pain? 

Hâtez- vous,  le  tems  presse;  une  minute  encore, 
Et  peut  être  à  vos  pieds  vous  le  veirez  mourir. 
La  faim,  depuis  trois  jours  le  ronge,  le  dévore; 
11  ne  den)ande  pas,  car  il  faudrait  rougir. 

Il  fut  soldat,  dit-on;  soldat  il  était  brave, 
.J'entendais  autrcfiiis  célébrer  sa  vertu. 
Oui,  ce  rtgaid  n'est  pas  h-  regard  d'im  esclave: 
11  a,  n'en  doutons  pas,  vaillamment  combattu. 

On  dit  qu'il  fut  frappé  d'une  injuste  sentence. 
Quel  était  son  foi-t'ait  ?  un  ancii-ii  souvenir. 
Courtisan  du  malheur,  dédaignant  la  puissance, 
Son  cccur  était  fidèle  :  ah!  pourquoi  l'en  punir? 

Toi,  tu  n'es  pas  heureux,  tu  n'es  pas  insensible; 
ISous  connaissons  aussi  Is  tourment  de  la  faim. 
Mon  père,  tu  le  sais,  tu  sais  qu'il  est  horrible. 
Mais  pour  un  jour  encor  n'avons-nous  pas  du  pain  ? 

Après  ces  vers,  attendons  avec  confiance  le  nouveau  recueil 
que  le  poète  nous  promet,  sous  le  titre  de  C/ianls  armoricains. 

A.  DE  L. 

i88. — À  la  jeune  France,  ode,  par  M.  Victor  Hrco,  insé- 
rée dans  le  Globe  du  19  août. 

18g.  —  Une  Semaine  de  Paris ,  messénienne,  par  M,  Casimir 
Delavig:<e.  Paris,  i8jo:  Alex.  Mesnier.  In-8°;  prix,  i  fr.  5o  c. 


LITTllUATURK.  745 

190.  —  Le  Triomplie  national,  ode  aux  citoyens  do  Paris, 
par  M.  A'V/)07?mcène  Lemebcier.  Paris,  i85o;  Delaiinay.  111-4°  ; 
prix,  ^5  c. 

191.  — Le  Soleil  de  la  Liberté ,  par  M.  Gasiare  Dromneau, 
stances  lues  au  Théâtre-Français,  le  10  août.  Paris,  i83o; 
Timothée  Dehay.  In-8";  prix,  20  c. 

192.  — La  V Icioire  du  Peuple ,  nationale,  par  Hyacinthe,  de 
CoMBEROiTssE.  Paris,  i85o;  Timothée  Dehay.  In-8°  :  prix , 
75  cent. 

195.  - — Les  Trois  Jours,  par  Théodore  Villenave.  Paris, 
i83o  ;  Timothée  Dehay;  Lassime.  In-8°  ;  prix,  60  c. 

194.  —  LesTroisJ  ours,  esquisses  en  vers,  par  M.  Louis\... 
DE  Brienon.  Auxerre,  i85o.  In-8°. 

Si,  dans  la  merveilleuse  révolution  qui  vient  de  s'opérer 
sous  nos  yeux  quelque  chose  a  droit  de  nous  surprendre,  c'est 
la  supériorité  des  niasses  sur  les  individus,  de  l'intelligence 
commune  et  populaire  sur  les  calculs  des  doctes  et  des  ha- 
biles. De  même  que,  dans  l'ordre  politique,  nous  avons  vu  le 
peuple  remporter  en  trois  jours  une  victoire  admirable,  et  les 
hommes  d'État  continuer  maladroitement  son  œuvre;  de 
même,  dans  l'ordre  littéraire,  quand  tout  autour  de  nous  était 
dévoûment,  poésie,  enthousiasme,  l'art  s'est  montré  froid, 
pTde  et  glacé,  et  l'imagination  est  restée  fort  au-dessous  de  la 
réalité.  Les  pièces  de  vers  que  nous  annonçons  en  olTrent  le 
triste  témoignage;  et,  à  l'exception  d'un  petit  nombre  de 
traits  heureux  et  de  vers  énergiques,  elles  n'ont  qu'une  va- 
leur éphémère  et  de  circonstance  dont  on  ne  tiendra  guère 
compte  dans  l'avenir. 

Nous   ne    citerons  que  pour  mémoire  la   composilion  de 

!M.  Louis  V de  Brienon  :  elle  est  faible  et  sans  couleur, 

pleine  d'allusions  de  mauvais  goût  aux  souvenirs  de  l'ancienne 
Grèce;  elle  iait  beaucoup  plus  d'honneur  au  patriotisme  qu'au 
talent  du  poète.  iNous  en  dir(Mis  à  peu  prés  autant  de  la  Natio- 
nale de  IM  DE  CoMBERoussE,  et  des  Trois  Jours  de  M.  Ville- 
nave, quoiqu'elles  renferment  cà  et  là  des  vers  assez  bien 
faits;  mais  eiles  manquent  d'originalité  et  d'élégance,  et  ne 
s'élèvent  jamais  au-dessusde  la  médiocrité.  L'ode  de  M.  Gus- 
tave Droiineau  n'est  pas  sans  quelque  chaleur,  et  a  d'ailleurs 
le  mérite  inappréciable  d'être  courte.  La  strophe  suivante 
donnera  une  idée  de  son  style,  qui,  généralement  pur  et 
correct,  n'a  guère  droit  à  d'autres  éloges  : 

Qu'avec  rapidité  le  Français  se  réveille! 

Oh!  comme  ils  combattaient  ces  bourgeois  qui,  la  veille. 


;46  LIVRES   FRANÇAIS. 

Travaiilaient  à  gagner  le  pain  de  leurs  enfans! 

Leur  belle  mort  nous  laissa  triomphans.... 

ÎVe  pleurons  pas respect  à  leurs  mânes  sublimes  i 

Car  un  Dieu  juste  a  lerii  ces  victimes 

Dans  le  sein  jjalernel  de  son  élernilé  ; 

Et  fra|)i»ant  des  vaincus  les  hordes  conslcrnées, 

En  couroniiaiit  nos  fionts  de  gloire  et  de  clarté, 

11  coiDbatlail  jiour  nous  dans  ces  grandes  journées, 

Le  soleil  de  la  liberté. 

Nous  en  venons  niainlenant  aux  trois  compositions  vrai- 
nienl  impoilantes  de  cette  espèce  de  concours  poélique,  aux 
pièces  de  MM.  Lehercieb,  Casimir  DELKViGyiE.  et  F iclov  Hcgo. 
On  a  déjà  cité  dans  ce  recueil  plusieurs  stances  de  M.  Lenier- 
cier  (vov-  ci-dessus,  p.  5n8.)  On  y  retrouve  les  dél'auts  habi- 
tuels de  sa  manière  :  une  versification  rude  et  rocailleuse,  de 
la  recherche  à  côté  des  expressions  les  plus  triviales,  et  de 
longues  dissertations  philosophiques  qui  détruisent  TeiTet  gé- 
néral. Mais  .M.  Lcmercier  a  du  moins  senti  ce  qu'il  a  chanté  : 
im  vif  amour  du  pays,  une  haine  violente  pour  ses  oppres- 
seurs respirent  a  chaque  page,  et  l'énergie  dçs  sentimens  fait 
pardonner  la  faiblesse  du  style.  Ses  vers  ont  le  désordre  du 
combat  :  on  voit,  qu'inspirés  par  l'enthousiasiTie  de  la  vic- 
toire, ils  ont  été  jetés  sur  le  papier,  entre  la  prise  du  Louvre 
et  le  voyage  de  Rambouillet  :  ce  n'est  pas  le  fruit  des  calculs 
du  poète,  mais  le  cri  du  citoyen. 

Ace  titre,  et  malgré  de  nombreuses  imperfections,  nous 
préférerons  l'ode  de  M.  Lemercier  à  la  messénienne  de  31.  De- 
lavigne.  Depuis  le  succès  de  AVaterloo  et  de  Jeanne  d'Arc,  tout 
se  change  en  messénienne  sous  la  plume  de  M.  Delavigne , 
joie  ou  tristesse,  victoire  ou  revers.  Celte  forme  heureuse- 
ment transportée  des  voyages  d'Anacharsis  dans  le  domaine 
de  la  poésie,  l'auteur  l'avait  habilement  appliquée  à  l'élégie 
politi(jue  ;  mais  il  l'a  aus.-itôt  usée,  en  l'imposant  à  toutes  les 
idées  qui  venaient  traverser  son  imagination.  En  général, 
M.  Delavigne  reproduit  maintenant  avec  alïectation  les  pre- 
mières inspirations  de  sa  muse,  et  paraît  s'habituer  à  se  co- 
pier lui-même,  ce  qui  est  encore  plus  dangereux  que  de  co- 
pier les  autres.  Dans  sa  Parisienne,  chanson  médiocre,  que  les 
circonstances  et  une  musique  facile  ont  rendue  populaire,  il  a 
tant  bien  que  mal  inséré  les  traits  les  plus  saillans  du  Passage 
du  Mont-Saint-Dernard  :  dans  une  Semaine  de  Paris,  il  a  eu 
recours  à  ces  dialogues  patriotiques  où  se  complaisait  autre- 
fois son  talent,  et  qui  Hrent  en  partie  la  fortune  de  Parthénope. 
Mais  ce  qui  dans  Parthénope  était  neuf  et  plein  de  vie  est 


LITTÉKATDUE.  7^7 

commun  vt  dôplacù  dans  une  semaine  de  Paiis.  D'ailleurs, 
ces  épisodes  perpétuels  iiilenompent  la  luuralion,  lui  ûtent  le 
caractère  de  grandeur  et  d'unité  qu'elle  devrait  avoir,  et  lui 
donnent  l'air  d'un  recueil  d'Ana  mis  en  vers,  plutôt  que  d'une 
œuvre  d'inspiration.  L'inspiration  en  effet,  rcntli(jii>iasnie  est 
la  sève  du  génie;  voilà  ce  qui  manque  à  la  nouvelle  messé- 
nienne,  et  ce  que  l'élégance  de  la  versification  ne  peut  com- 
penser. ISous  citerons  une  seule  strophe,  plus  passionnée  que 
les  autres,  et  moins  empreinte  de  cet  amour  de  périphrase 
qui  dépare  les  morceaux  les  plus  distingués  de  la  Semaine  de 
Paris . 

A'engcance!  place  au  drapeau  noir! 
Passage,  citoyens,  place  aux  débris  funèbre» 

Qui  reçoivent  dans  les  ténèbres, 

Les  sermens  de  leur  désespoir. 
Porté  par  leurs  bras  nus,  le  cad^'ivrc  s'avance. 
Vengeance!  tout  un  peuple  a  répétr;  vengeancel 
llest(;s  inanimés,  vous  serez  satisfaits! 
Le  peuple  vous  l'a  dit,  el  sa  parole  est  sûre; 

(^e  n'est  pas  lui  qui  se  parjure  : 
Il  a  tenu  quinze  ans  les  sermens  qu!il  a  faits. 

En  résumé,  la  pièce  de  M.  Dclavigne  n'est  pas  complète- 
ment digne  de  sa  belle  réputation  ;  et,  dans  cette  lutte,  l'école 
classique,  qu'il  représente,  a  peut-être  été  vaincue  par  l'école 
romantique.  M.  A  iclor  Hugo  a  chanté  la  révolution  de  i85o, 
dans  une  ode  imparfaite,  sans  doute,  entachée  de  négligences 
impardonnables,  d'affectations  noiubreusesetde  mauvais  goût, 
mais  011  étincellent  de  sublimes  beautés  :  vivement  ému  parle 
spectacle  qui  se  déroidait  sous  ses  yeux,  il  en  a  tracé  le  ta- 
bleau, non  pas  avec  le  calme  d'im  narrateur  officiel,  mais  avec 
l'âme  d'un  poète.  Dans  l'impossibilité  d'insérer  ici  le  passage 
où  i\J  .Victor  Hugo  fait  ses  adieux  à  la  famille  déchue,  nous  don- 
nerons cette  peintme  de  la  bataille,  oTi  quelques  taches  ne 
détruisent  point  l'effet  d'ensemble  : 

Alors  tout  se  leva  :  l'homme,  l'enfant,  la  femme. 
Quiconque  avait  un  bras,  quiconque  avait  une  àme; 
Tout  vint,  tout  acci;urut;  et  la  ville  à  grand  bruit 
Sur  les  lourds  bataillons  se  rua  jour  et  nuit. 
Vn  vain  boulets,  obus,  la  balle  et  les  mitrailles. 
De  la  vieille  cité  déchiraient  les  entrailles  ; 
l'avés  et  pans  de  mui',  croulant  sous  mille  efforts. 
Aux  portes  des  maisons  amoncelaient  les  morts; 
Les  bouches  des  canons  trouaient  au  loin  la  foule  ; 
lOlle  se  reformait  comme  une  mer  qui  roule  ; 
Et  de  son  râle  alfreux  ameutant  les  faubourgs, 
Le  tocsin  haletant  bondissait  dans  les  tours! 


74«  LIVRIiS  IRANÇAIS. 

Il  est  difficile  d'exprimer  en  [)lus  Idéaux  vers  l'enthousiasme 
qui  poussait  au  combat  Paris  tout  entier.  >'ous  terminerons 
par  une  stro[)lie  où  M.  Hugo,  s'adressaiit  aux  jeunes  gens,  en- 
fans  des  belliqueux  lycées,  personnifie  en  ces  termes  l'aigle  im- 
péiiale  : 

Aigle  qu'ils  devaient  suivre,  aigle  de  notre  armée 
Dont  la  plume  sanglante  en  cent  lieux  est  semée, 
Dont  le  tonnerre  un  soir  s'éteignit  dans  les  flots; 
Toi,  qui  les  as  couvés  dans  l'aire  paternelle, 
Regarde,  et  sois  joyeuse,  et  crie,  et  bats  de  l'aile  ! 
Mèie,  tes  aiglons  sont  éclos  1 

Certes,  ces  enfans  ont  prouvé  sous  le  feu  qu'ils  étaient 
braves  et  de  bonne  race.  Malheureusement,  ils  n'ont  guère 
plus  de  Carnot,  de  Hnche  et  de  Napoléon  pour  les  conduire, 
et  llougel-de-l'Ile  est  bien  vieux  pour  les  chanter! 

195.  —  La  Cour  de  Marie  de  Mcdicis,  Mémoires  d'un  cadet 
de  Gascogne.  i6i5-iGi8.  Paris,  i85o;  Al,  Mesnier,  place  de 
la  Bourse.  In-8°  de  5oo  pages;  prix,  G  tV. 

Avant  de  parler  des  Mémoires  d'u-i  cadet  de  Gascogne,  nous 
devons  rendre  justice  à  la  bonne  foi  de  l'éditeur,  qui  déclare 
au  public  ne  pouvoir  pas  garantir  l'aulheuticité  de  ce  livre.  Et 
au  fait,  il  n'y  avait  pas  besoin  d'un  long  examen  pour  se  con- 
vaincre que  la  cour  de  Marie  de  Médias  rentre  dans  la  classe 
des  compositions  de  fantaisie  à  propos  d'une  époque  histo- 
rique. C'est  encore  une  imitation  éloignée  des  romans  de 
"Walter  Scott;  un  jeune  homme  obscur,  ignoré,  que  le  hasard 
jette  à  travers  de  grands  évènemens,  qui  les  observe,  les  juge, 
s'y  mêle  progressivement,  et  finit  par  devenir  im  acteur  du 
premier  ordre  dans  le  drame  politique  de  son  tems.'Muis  de- 
puis Francis  Osbaldistone ,  Ivanhoë  et  le  3Jergy  de  .M.  Méri- 
mée (chronique  de  15^2,  )  ces  caractères  sont  bien  usés  en 
littérature  :  d'ailleurs,  le  cadre  choisi  par  l'auteur  de  la  Cour 
de  Marie  de  Mcdicis  est  médiocrement  hemeux,  et  ne  prête 
guère  à  des  développcmens  attachans  et  passionnés  :  il  com- 
prend le  tableau  des  petites  intrigues  qui  troublèrent  le 
royaume  pendant  la  régence  de  Marie  de  31édicis,  époque 
mesquine  et  presque  insignifiante  ,  perdue  entre  la  mort  de 
Henii  IV  et  l'élévation  du  grand  lUchelieu.  Un  seul  fait  dans 
cette  période  offrait  un  beau  et  poétique  sujet  :  mais  l'auteur 
a  tiré  peu  de  parti  de  la  mort  du  maréchal  d'Ancre, et,  toujours 
racontant  sans  jamais  peindre,  il  n'a  pas  donné  assez  de  vie 


'  I "  ■>   r —  ■--    ■ 

aux  anecdotes  dont  fourmille  son  ouvrage.  Cependant,  s 
parait  manquer  d'éclat  et  de  coloris,  il  a  fait  preuve  d'érud 


MEMOIRES  ET  RAPPORTS.  y/^e^ 

tion,  et  nous  pensons  que  son  taleiil  j-cia  plus  À  l'aise  (!;iii< 
l'ouvrage  sérieux  qu'il  promet  au  public  (i). 

Mémoires  et  Rnpporia.  de  S'Tirtrs  savtinlrs. 

jg6.  — *Mêmoires  de  la  Socictc  d'agricuilure ^  fcieiuex,  arts 
et  belles-lettres  du  département  de  rÀiil>p.  Troyes,  i85o;  im- 
primerie de  Sainton. 

Il  paraît  \\n  numéro  de  ces  Mémoires  à  la  fin  de  chaque  tri- 
mestre. Les  quatre  numéros  forment  un  volume,  dont  le  prix 
est  de  5  fr.  à  Troyes,  et  de  (3  fr.  par  la  poste. 

Au  mois  de  mai  dernier,  la  Société  do  Troyc>  a  tenu  sa 
séance  publique  annuelle,  et  l'un  des  secrétaires  y  a  présenté 
le  tableau  de  ce  qu'ont  produit,  dans  le  cours  de  l'année  pré- 
cédente ,  les  travaux  des  sociétaires  sur  les  diverses  branches 
de  connaissancesqu'ils  cultivent  plus  spécialement.  Nous  avons 
remarqué,  dans  cette  analyse  très-bien  faite,  qu'en  rendant 
compte  d'un  rapport  fait  par  M.  Founeron  sur  l'ouvrage  de 
M.  Bergery,  intitiilé  :  Économie  de  foui^rier,  M.  le  secrétaire 
semble  partager  l'ojiinion  du  rapporteur,  que  l'auteur  del'ou- 
vrage  aurait  pu  s'élever  à  une  philosophie  plus  digne  de  l'hom- 
me, et  ne  pas  se  borner  à  fixer  continuellement  la  pensée  de 
l'ouvrier  sur  l'emploi  le  plus  profitable  de  son  tems,  de  ses 
salaires  et  de  ses  ressources.  Mais,  il  ne  faut  pas  perdre  de 
vue  que  M.  Bergery  a  traité  de  Vcconomie  de  fourrier,  et  que, 
.suivant  l'usage  des  géomètres,  il  s'est  renfermé  dans  les  limi- 
tes de  son  sujet.  Cet  esprit  d'exactitude  est  malheureusement 
trop  rare  parmi  les  écrivains;  et  cependant,  il  n'est  pas  moins 
rare  qu'un  ouvrage  soit  non-seulement  bienfait,  mais  réelle- 
ment bon,  s'il  manque  de  ce  caractère  de  justesse,  de  préci- 
sion, de  sage  écononnie  dans  le  choix  et  l'emploi  des  maté- 
riaux. 

On  saura  gré  à  M.  le  docteur  Bedor  de  sa  Notice  sur  un 
livre  philosophique  peu  connu,  et  très-digne  de  l'être,  que 
l'on  doit  à  un  médecin  français  de  naissance,  mais  qui  a  con- 
stamment passé  pour  Espagnol ,  c'est  le  docteur  Juan-Huarte, 
qui  vivait  au  xvi""  siècle.  Son  ouvrage  est  intitulé  :  Examen 
des  esprits  dans  leur  aptitude  aux  sciences.  Vne  traduction  nou- 
velle de  celle  œuvre  physiologico-philosophique  aurait  aujour- 
d'hui presque  tous  les  avantages  d'une  production  nouvelle, 

(  )  PUtoirc  de  France  depuis  ta  mort  de  Henri  IV  jusqu'à  la  mort  de 
Mmariij  1610-1661,  par  M.  A.  Bazik.  6  vol.  in-S". 

r.   XLVII.    SEPTEMBRK    l85o.  4^ 


;jo  LIVRES  FRANÇAIS. 

et    personne   n'est  plus  en  étal  que  M.  le  docleur  Bedor  de 
l'aire  ce  présent  au  public  studieux. 

M.  Gi'Y  soutient  àTroyes  rhonneiir  des  .Muses  classiques, 
au  risque  d'attirer  sur  lui  les  sarcasmes  de  la  nouvelle  école, 
dite  littéraire.  On  trouve,  dans  ce  recueil,  une  traduction  de 
six  cantates  de  Métastase,  en  vers  français,  où  la  langue  e^t 
respectée,  où  les  anciens  préceptes  sont  observés,  sans  que  la 
poésie  semble  y  rien  perdre,  quoiqu'elle  soit  intelligible  d'un 
bout  à  l'autre. 

Nous  nous  bornons  à  cette  mention  des  Mémoires  de  la  Société 
de  l'Aube,  parce  qu'elle  nous  seudîle  suffisante  pour  inspirer  le 
désir  de  consulter  ce  recueil,  dont  la  lecture  ne  sera  point  sans 
fruit.  Lessujetsde  prix  i^-oposés  par  la  Société  pour  iSôi  pa- 
raissent de  nature  à  exiger  beaucoup  plus  de  tems  qu'il  n'en 
est  accordé  aux  concurreus;  le  premier  est  rédigé  ainsi  :  «  Ana- 
lyser très-succinctement  l'histoire  de  la  navigation  de  la  Seine 
à  Troyes  et  au-dessus  de  cette  ville  ; — indiquer  les  causes  qui 
l'on  interrompue  d'abord,  et  qui  plus  tard  l'ont  lait  cesser 
entièrement;  —  démontrer  les  avantages  que  promet  ce  ca- 
nal, comme  opération  particulière,  et  déterminer  rinfluencc 
favorai)le  qu'il  doit  exercer  sur  le  département.  »Le  sujet  de 
l'autre  prix  est  ime  f[ueslion  plus  générale,  mais  dont  lu  solu- 
tion exige  peut-être  encore  plus  de  tems  ;  il  s'agit«  d'indiquer 
les  nioyeiis  d'améliorer  les  terrains  tourbeux,  et  de  les  rendre 
propres  à  la  végétation  »  On  demande  que  les  concurrens  rap- 
portent les  expériences  de  chimie  agricole  et  les  procédés  de 
culture  dont  ils  auront  fait  usage.  Les  iMémoires  doivent  être 
adressés  à  M.  Dubois  de  Mor^mbert,  secrétaire-général  :  les 
prix  seront  décernés  dans  la  séance  publique  de  i85i  ;  ils  con- 
sistent en  imc  médaille  d'or  du  prix  de  200  fr.  F. 

ij)^. — *Société  d'émiilalioii  du  département  da  J ara  :  Séance 
publi(iue  du  ij  novembre  1829.  Lons-le  -  Saulnier,  i85o. 
In-8°. 

Le  compte  rendu  de  cette  séance  académique  s'ouvre  par 
un  discours  de  M.  Valdenvit,  alors  préfet  du  département,  et 
président  de  la  Société.  Ce  discours,  qui  ressemble  à  tous  ceux 
du  même  genre,  se  termine  par  un  éloge  du  roi  déchu  :  «  Nous 
relrouvons  dons  le  souverain  bien -aimé  qui  nous  gouverne, 
dit  M.  le  préfet,  les  pensées  du  bon  roi,  ce  cœur  généreux  qui 
souffre  des  privations  des  peuples,  ce? sentimens a/fectucu.r  dout 
la  prévoyante  bonté  porte  la  consolation  dans  toutes  les  clas- 
ses. «C'est  par  un  tel  langage,  pl.ilement  adulateur,  que  les 
fonctionnaires  de  l'époque  entraînaient  graduellement  ce 
prince  vers  l'abîme  où  il  >e<t  enfin  précipité.    Xprè";  ce  dis- 


MÉMOiniiS  ET  IIAPP.  —  01  VRAGî:S  PÉRIOD.  ybi 
■cours,  M.  leD'GuYfcTANT,  seciéUiiie  perpétuel,  a  fait  rinjapport 
sur  les  travaux  de?  membres  de  îa  Société,  entre  lesquels  nous 
remarquons  un  Essai  d'analyse  des  eaux  de  Lons-te-Saulnier, 
par  31.  PoiRiiiu,  pharmacien  de  cette  \ille;  un  exposé  fort 
intéressant  (/c  L'Kiat  de  la  Maison  pénitentiaire  et  de  l'Ecole  pour 
les  petits  enfaiis  de  Génère^  résultat  d'un  voyaj^e  fait  par  M.  le 
secrétaire  perpétuel  dans  cette  ville;  ime  note  sur  diverses 
améliorations  agronomiques  opérées  par  M.  Chevillard;  une 
Notice  curieuse  sur  les  antiquités  de  Lons-le-Saulnier,  par 
M.  MoTJNiER,  conservateur  du  Musée;  enfin,  un  savant  Mé- 
moire de  M.  Hoi'RY  sur  l'Analogie  des  langues  grecque,  la- 
tine et  sanscrite.  Voici  pour  la  pro.-e.  La  Société  a  également 
payé  son  tribut  poétique,  par  plusieurs  morceaux  qui  ne  sont 
pas  indignes  d'être  remarqués;  nous  citerons  spécialement 
des  Imitations  d'Horace,  par  iM.  le  général  Delort,  et  de  77«o- 
mas  Moore,  par  31.  Viakcin. 

La  Société  a  remis  au  concours  pour  i85o  un  sujet  sur  le- 
quel elle  n'avait  reçu  qu'un  31émoirc  :  c'est  i'iiistoire  du  pays 
formant  aujourd'hui  le  département  du  Jina,  depuis  Jules- 
César  jusqu'à  nos  jours;  le  prix  est  nue  médaille  d'or  de  200  fr. 
La  Société  annonce  également  qu'elle  décernera  des  médail- 
les d'encouragement  aux  meilleurs  31émoires  historiques  sur 
les  diverses  localités,  ainsi  qu'aux  ouvrages  inédits,  scientifi- 
ques ou  littéraires,  qui  lui  seront  adressés  par  les  auteurs.  La 
Société  propose  également  divers  prix  pour  l'encouragement 
de  l'agriculture  dans  le  département.  A, 

Ouvrages  périodiques. 

198. — *Bulletin  des  sciences  géographiques  ,  etc.  '.Economie 
publique.  Voyages  :  6"  section  du  Bulletin  universel,  publié  par 
la  Société  pour  la  propagation  des  connaissances*  scientifiques 
et  industrielles,  et  sous  la  direction  de  31.  le  baron  de  FÉrvssac. 
T.  xvi  (dejjxième  volume  supplémentaire  dei  828). Paris,  i85o; 
au  bureau  du  Bulletin,  rue  de  l'Abbaye,  n"  5.  In-S"  de 
420  pages. 

«  Lorsque  nous  fûmes  appelé,  en  1828,  dit  31.  deFérussac,  en 
qôalité  de  chef  de  division,  à  diriger  les  recherchl^s  statistiques 
queparaissait  vouloir  entreprendre  le  ministère  du  commerce  et 
des  manufactures,  afin  de  pouvoir  appuyer  la  marche  des  affaires 
sur  une  parfaite  connaissance  des  faits,  notre  premier  soin  fut 
de  constater  toutes  les  sources  de  renseignemens  existantes 
alors,  que  nous  pouvions  consulter  avec  fruit,  en  nous  atta- 
chant à  tenir  cet  inventaireconstammentà  jour.  Obligéde  nous 


;5a  LIVRES   FRANÇAIS. 

ilémetlie  de  ces  t'oiiclions,  lorsque  nous  cHmes  acquis  la  cer- 
titude que  le  seul  plan  praticable,  pour  arriver  à  une  connais- 
«ance  ("onipKto  de  faits  positifs  sur  toutes  les  questions  d'in- 
térêt public,  n'était  point  agréé  par  le  ministre,  nous  conçûmes 
le  projet  d'utiliser  ces  matériaux  pour  le  Bulletin,  en  nous 
bornant  à  rappeler  les  documens  trop  anciens,  et  à  donner,  sur 
tous  les  travaux  récens  dont  nous  avions  connaissance ,  un 
article  spécial  et  court,  propre  à  les  faire  connaître  aux  lec- 
teurs de  ce  recueil.  »  (Extrait  de  V  A  ver ùs sèment). 

Ce  Volume  est  donc  un  recueil  d'indications  relatives  à  la 
statistique  de  la  France,  un  guide  à  consulter  dans  les  recher- 
ches que  l'ou  pourra  faire,  soit  sur  quelques  parties  du  ter- 
ritoire, soit  sur  toute  son  étendue.  Pour  »me  telle  destination, 
il  fallait  que  toutes  ces  iSolices  fussent  réunies,  au  lieu  d'être 
réparties  dans  les  cahiers  du  Bulletin  ;  mais  comme  elle  sont 
une  partie  essentielle  du  plan  de  celte  grande  entreprise  scien- 
tifique ;.  conmie  elle  serviront  très-efficacement  à  rendre  plus 
prolitables  tous  les  documens  ultérieurs  qui  seront  publiés  sur 
les  mêmes  contrées  et  sur  les  faits  qui  les  concernent,  il  fallait 
les  associer  aux  cahiers  du  Bulletin,  mais  en  dehors,  en  faire 
un  volume  supplémentaire;  c'est  le  parti  que  M.  de  Férussac 
a  pris,  et  les  amis  des  sciences  statistiques  lui  en  sauront  gré. 
Une  table  alphabétique  très-détaillée  rendra  les  recherchesen- 
core  plus  faciles  :  rien  de  ce  qui  pouvait  venir  au  secours  du 
laborieux  invcsligaleur  n'a  été  omis,  et  l'on  n'a  pas  craint  de  se 
livrer  à  un  travail  ingrat  et  rebutant,  pour  l'épargner  à  des 
savans  et  à  des  honnncs  d'Etat  ([ui  (uU  à  faire  un  autre  em- 
ploi de  leur  lems. 

199.  —  *  Le  Franc  Parleur  de  Vaitcluse,  journal  politique, 
industriel  et  littéraire.  Avignon,  iSôo;  typographie  d'Armand 
Guichard.  On  s'abonne  à  Avignon,  chez  M.  Henry  >1acmet, 
avocat,  rue  Calade.  Ce  journal  est  mensuel;  chaque  numéro 
est  de  2  feuilles  d'impression.  Prix  de  l'abonnement  :  1  2  fr. 
par  mois,  7  fr.  5o  pour  G  mois,  1  fr.  5o  par  numéro. 

Les  cœurs  français  battent  en  province  avec  autant  de  force 
qu'à  Paris  ;  lisez  le  Franc  Parleur,  et  vous  en  serez  convaincu  ; 
et  ce  journal  n'est  pas  un  fruit  de  notre  récente  et  glorieuse 
résurrection;  il  est  né  sous  le  régime  prosciipteur  de  toute 
franchise  ;  il  a  paru  comme  l'un  des  signes  qui  annonçaient  la 
chute  prochaine  de  la  tyrannie  qui  accablait  et  déshonorait  la 
France.  D'Avignon,  où  il  était  rédigé,  \eFraiK  Parleur  était  ré- 
duit à  se  faire  imprimer  à  Marseille  :  aujourd'hui,  le  titre  qu'il 
a  raison  de  conserver  peut  être  porté  par  tous  les  écrivains 
qui  ne  prostituent  point  leur  plnni'',  A  l'avenir,  la  franchise 


OLVRAf.F.S  PÉRIODIQUES.  ;53 

cl  la  siocrrilî;  seronl  îles  qualités  commuuos  à  tous  ;  le  inérile 
des  écrits,  périodiques  ou  non,  consistera  dans  la  justesse  des 
pensées  et  des  vues  et  le  sentiment  de  Ta  propits,  ce  tact  dé- 
licat qui  fait  discerner  le  moment  opportun  pour  que  des  vé- 
rités puissent  se  produire  avec  le  plus  de  succès  pour  l'intérêt 
commun,  le  bien  de  la  patrie.  Nous  recommandons  l'Avigno- 
nais  franc  parleur  aux  Français  du  nord,  de  l'est  et  de  l'ouest, 
afin  qu'il  y  apprennent  à  bien  connaître  leurs  concitoyens  du 
midi,  connaissance  encore  plus  rare  qu'on  ne  l'imagine.  Nous 
ne  ferons  aucun  extrait  de  ce  journal,  non  moins  bien  écrit 
que  bien  pensé;  il  est  trop  couit  pour  qu'on  ne  le  lise  point 
d'un  bout  à  l'autre  partout  où  il  parviendra.  Quant  aux  ma- 
tièies  dont  il  se  chargera,  comme  il  a  l'avantage  d'être  court, 
et  de  plu-,  indépendant  quant  an  choix;  et.  comme  nous  vi- 
vons dans  un  tems  fertile  en  sujets  intéressans,  on  est  fondé  ù 
croire  que  les  deux  feuilles  ne  contiendront  rien  qui  ne  mérite 
d'être  lu. 

il  est  peut-être  impossible,  surtout  en  France-  qu'un 
homme  d'esprit  n'ait  point  quelque  teinte  de  malice  :  les  lec- 
teurs se  plaisent  à  le  remarquer  dans  les  écrits;  le  Franc  Par- 
leur donne  aussi  cette  satisfaction,  mais  avec  la  décence  et  la 
réserve  convenables.  En  général,  il  paraît  que  la  presse  pério- 
dique a  fait  une  acquisition  agréable  et  prérieuse  ;  c'esl  le 
Franc  Parleur.  Y. 


IV.   NOUVELLES  SGIEiNïlFIQUES 
ET   LITTÉRAIRES. 


AMEUIOlJE  CENTRALE. 


GrATEMALA. —  Supprc&siondes  Couve.ns.  —  Extinciiondes  Or- 
dres religieux. —  Le  Congrès  fcdcral  de  la  république  cenlro-mné- 
ricaine,  considérant  que  les  religieux  ont  été  chassés  de  l'Etat 
dcGualeniala,  par  des  motifs  (ju'approuvent  la  prudence  et  la 
justice;  que,  de  l'ait,  ils  ont  évacué  tout  le  territoire  de  la  répu- 
blique ;  que  cette  circonstance  favorise  les  suppressions  et  les  ré- 
formes que  les  communautés  religieuses  doivent  subir  pour  le 
bien  de  l'Etal;  que  l'autorité  suprême  a  jugé  convenable  de  pro- 
voquer les  délibérations  sur  cet  objet,  et  que  le  sénat  a  auto- 
risé lecongrès  à  s'en  occuperpendant  lasession^actuelle  ;  que 
les  raisons  qui  motivèrent  l'oxpulsion  des  religieux  subsistent 
dans  toute  leur  force  pour  faire  prononcer  l'extinction  des 
ordres  ;  que  les  autorités  de  l'Etal  de  Guatemala  ont  déjà  com- 
mencé cette  extinction,  puisque  les  maisons  conventuelles 
mèr^s  y  existaient  toutes,  et  que  leur  destruction  entraîne  iné- 
vitablement la  chute  des  couvens  dont  ces  maisons  entrete- 
naient la  population;  que  les  principaux  motifs  qui  firent  ad- 
mettre les  religieux  et  conserver  les  couvens  furent  le  service 
des  autels  et  le  soin  des  âmes,  fonctions  qui  peuvent  être  aussi 
bien  remplies  par  des  prêtres  séculiers  que  par  des  religieux; 
(pic  même  le  clergé  séculier  se  rendra  plus  digne  encore  de  son 
ministère  sacré  lorsqu'il  en  sera  chargé  seul  ;  que,  d'ailleurs,  la 
conservation  des  couvens  est  incompatible  avec  les  maximes 
d'une  politicpie  éclairée,  dont  l'utilité  publique  est  le  seidbut; 
(jue  l'opinion  généi-ale  a  condamné  ces  établissemcns;  qu'ils 
ont  été  suppriuiés  partout  oi'i  l'on  a  su  combiner  les  grands  et 
I  especlables  intérêts  de  la  religion  avec  tout  ce  que  la  politi- 
(pic  et  les  lois  peuvent  faire  pour  le  bonheur  des  citoyens  : 
voulant  régler  invariablement  ces  deux  parties  essentielles  de 
l'ordre  pnlilic,  sans  éientlre  les  réformes  au-delà  de  ce  qn'cxi- 


AMERIQUE  CENTRALE.  —  Al  STKAUE.  yb'i 
gent  les  circonstances  actuelies  ,  adopte  les  résolutions  siii- 
vanles. 

Article  premier. — La  nation  ne  reconnaît  et  n'admet  dans  sou 
sein  aucun  ordre  relij^icux.  Ceux  qui  étaient  ('tahlis  jus(|u'i\ 
ce  jour  sont  suppiinics. 

•2".  Los  liéthléniisles  ne  sent  pas  compris  dans  la  suppression 
générale  prononcée  par  l'article  premier.  L'asseml)lée  légis- 
lative de  l'Etat  fera  les  dispositions  nécessaires  poiu-  régler 
le  mode  d'existence  de  ces  religieux  confinés  dans  son  terri- 
toire. 

5".  Les  religieux  des  ordres  supprimés  pouiront  continuer  à 
vivre  dans  la  république,  cojimie  prêtres  séculiers,  pourvu 
qu'ils  ne  se  rendent  pas  indignes  de  la  confiance  du  gouver- 
nement. 

4".  A  l'avenii'  la  nation  ne  reconnaîtra  point  les  vœux  so- 
lennels et  perpétuels  des  religieuses.  11  n'y  a  d'exceptions  que 
peur  celles  qui  existent  actuellement;  leurs  communautés  sub- 
sisteront telles  qu'elles  sont.  Par  la  suite,  les  femmes  qui  en- 
treront dans  un  cloître  n'y  resteront  qu'autant  qu'elles  le  vou- 
dront, et  elles  y  vivront  à  leurs  frais. 

Soit  transmis  au  Sénat. 

Fait  à  Guatemala,  le  6  septembre  1829. 

Signé  Urbano  Ugarte,  président. 

Francisco  Ftofizs ,      )   ,.      ^,  ,,  . 

El        .       ,,  députes  secrétaires. 

trancisco  Jdenavent,  \      ^ 

Scellé  par  le  Sénat,  le  29  septembre  1829. 

Au  pouvoir  exécutif. 

Mariano  Zebtexo,  président. 

AUSTRALIE. 

Colonies  anglaises.  —  Fondation  de  deux  nouvelles  villes  sur 
tes  bords  de  la  rivière  duCya,iie{Swan  Iiivcr).-^\jn(',  lettre  datée 
du  10  septembre  182;)  donne  les  détails  sui  vans  su  ries  non  veaux 
établissemens  que  viennent  de  fonderies  derniers  émigrans. 
C'est  l'un  d'eux  qui  écrit  :  «Comme  l'hiver  était  dans  toute  sa 
rigueur,  lors  de  notre  arrivée,  le  li-eulenant  gouverneur  jugea 
à  propos  de  nous  faire  débarquer  dans  l'île  du  Jardin  (  Gardcn 
Islund),  où  nous  eûmes  beau;  oup  de  gros  tems ,  sans  que 
notre  santé  en  souffrît.  Depuisque  le  printems  est  enfin  venu, 
nous  sommes  presque  tous  établis  à  dix  milles  de  l'emboii- 
cliure  de  la  rivière,  où  nous  avons  commencé  à  bâtir  la  ville 
de  Perth  :  le  site  choisi  est  d'une  grande  beauté,  et  le  pays 
plu.«  riant  el  plus  fertile  que  je  n'en  puis  donner  l'idée.  C'est 


;56  ALiSTKALIE. 

i(  i  que  cuaiiiieiice  le  soi,  dont  les  qualités  varient  à  l'intini, 
I  t  le  leniient  jti'u[tre  .i  toute  espèce  de  culture.  Le  terrain  des 
bords  de  la  rivière  depuis  la  mer  n'est  guère  coinposé  que 
d'alluvion,  détrempé  d'eau  denier,  et  mêlé  de  sable  :  et 
(  ependanl,  toute  la  surlace  est  couverte  de  beaux  herbages, 
très-variés,  ot  (jui,  dit-on,  offrent  une  abondante  récolle  au 
botaniste.  A  l'embouchure  de  la  rivière,  \me  petite  ville  com- 
mence aussi  à  s'élever  :  les  officiers  du  ôS""  y  ont  fait  un  grand 
jaidin  ou,  ils  cultivent  des  pommes  de  terre  et  des  pois  qui  vien- 
ruMit  bien  malgré  la  qualité  inférieure  de  la  terre.  Cette  colo- 
nie naissante  a  pris  le  uom  de  Fr-cemanI le,^il  deviendra  bientôt, 
je  crois,  un  grand  entrepôt  de  commerce.  Notre  population, 
ycouipris  ]>lus  de  deux  cents  nouveaux-venus,  se  monte  à 
près  de  cinq  cents  âmes  :  nous  avens  deux  cents  moutons, 
quarante  têtes  de  bétail,  vingt-cinq  chevaux,  etc.  Le  climat, 
autant  que  j'en  ai  pu  juger,  est  très-salubre  :  pendant  tout 
l'hiver,  il  n'y  <>  pas  eu  une  maladie  grave.  Nous  sommes  ad- 
miral)lement  placés  pour  commercer  avec  l'Inde,  surtout  avec 
les  Malais,  qui  pourront  encore  trafiquer  avec  nous,  alors 
que  les  autres  communications  leur  deviendront  difficiles  ou 
impossibles.  Enfin,  tout  nous  promet  un  avenir  prospère» . 
Polynésie.  —  Archipel  de  la  Société.  —  Etablissement 
(Cune  presse  d  Éimeo.  —  Joie  des  naturels.  —  Leur  ardeur 
/'('(/;■  le  savoir.  —  Leur  roi.  —  Leurs  chants  populaires.  — 
Au  moment  où  la  presse  vient  d'accomplir  tant  de  mer- 
veilles parmi  nous,  où  elle  a  fait  si  glorieusement  l'édu- 
cation des  masses,  il  y  a  plaisir  à  la  voir  apparaître  pour  la 
première  fois  chez  un  peuple  neuf,  e\  l'y  voir  accueillir  par 
des  transport  de  joie.  M.  Ellis,  missionnaire  protestant,  vient 
de  publier,  sous  le  titre  de  Polynesian  Researches,  des  détails 
d'un  haut  intérêt  sur  l'importation  de  l'imprimerie  dans  les 
îles  du  grand  Océan,  situées  à  l'est  des  Philippines,  et  formant 
les  nomijreux  groupes  qu'on  désigne  par  le  nom  général  de 
Polynésie.  Rien  de  plus  touchant  que  l'enlhonsiasme  de  ces 
populations  naïves  pour  une  si  rapide  et  si  magique  manifes- 
lati'ju  de  la  pensée.  On  ne  peut  comparer  leur  ivresse  qu'à 
celle  qu'inspira  en  F'rance  la  première  ascension  d'un  aéros- 
tat, et  en  Angleterre  l'apparition  de  la  première  voiture 
mue  par  la  vapeur. 

M.  Eliis  partit,  emportant  avec  lui  des  caractères  et  une 
presse,  dont  il  avait  appris  ù  se  servir.  Ce  fut  à  Eimeo  qu'il 
monta  son  imprimerie,  et  nulle  part  invention  ne  fut  plus 
considérée  et  plus  utile.  Dans  plusieurs  familles  i\  n'y  avait 
qu'un  livre,  où  tous  etudiaitnt  tour-à-tour  ;  beaucoup  n'en 
possédaient  même  pas.  Les  un.«  avaient  copié  le  .*>yllabair*  tiu 


AUSTRALIE.  75* 

entier  :  d'autres,  ne  pouvant  se  procurer  du  papiei,  avaient 
préparé  avec  soin  des  nuin  eaux  d'écorce,  et,  à  l'aide  d'uu 
jonc  trempé  dans  une  teinture  rouge  ou  violette,  avaient  tracé 
une  à  une  les  lettres  de  l'alphabet,  et  jusqu'à  des  phrases  en- 
tières. C'étaient  des  fragmens  des  saintes  écritures  ou  des 
portions  de  discours  qu'ils  avaient  retenues.  Le  roi  Ponriare, 
dont  le  zèle  pour  l'instruction  de  «es  sujets  peut  servir  d'exem- 
ple à  plus  d'un  souverain  d'Europe,  fut  ravi  de  voir  ai  river  une 
presse,  et  fouruit  tout  de  suite  ime  maison  et  tout  ce  qui  était 
nécessaire  pour  monter  l'imprimerie,  demandant  pour  unique 
récompense  qu'on  l'envoyât  chercher  quand  tout  serait  prêt. 
Il  vint,  en  effet,  accompagné  de  quelques  chefs  favoris  et 
suivi  d'un  immense  concours  de  peuple.  M.  Ellis  prit  l'outil  de 
compositeur  ;  mais,  A'oyant  avec  quel  plaisir  le  roi  examinait  les 
caractères  neufs  et  brillans,  il  lui  proposa  de  composer  lui- 
même  le  premier  alphabet.  La  figure  de  l'insulaire  devint  rayon- 
nante; il  accepta  cette  tâche,  et  plaça  les  lettres  du  grand 
et  petit  alphabet,  auxquels  on  ajouta  ensuite  le  peu  de  mono- 
syllabes complétant  la  première  page  du  syllabaire.  Charmé 
de  voir  toute  une  page  composée,  il  se  résigna  à  attendre  que 
la  feuille  fût  terminée  avant  le  tirage.  Lorsqu'on  lui  lit  dire 
qu'on  allait  enfin  imprimer,  il  arriva  avec  dt;ux  chefs  et  une 
nombreuse  suite,  jalouse  d'assister  à  cette  grande  opération. 
La  foule,  assemblée  devant  la  maison,  s'ouvrit  pour  le  laisser 
passer,  ainsi  que  ses  deux  compagnons;  puis,  sur  sa  prière, 
la  porte  fut  fermée  et  la  fenêtre  voilée.  Il  examina  attentive- 
ment alors  et  avec  un  vif  plaisir  les  formes  fixées  sur  la  presse; 
et,  comme  il  se  disposait  à  tirer  lui-même  la  première  feuille 
imprimée  dans  ses  États,  il  pria  ses  amis  de  ne  pas  trop  le 
regarder  et  de  ne  pas  se  moquer  de  lui  ,  s'il  s'y  prenait  mal. 
M.  Ellis  lui  enseigna  à  se  servir  du  tampon,  plaça  le  papier,  et 
lui  dit  de  tirer  le  levier.  La  feuille  fut  nettement  imprimée. 
Pomare  la  prit,  examina  le  papier  d'abfird.  et  ensuite  les  ca- 
ractères avec  une  profonde  admiration.  Il  la  passa  à  l'un  des 
chefs,  et  tandis  qu'il  continuait  à  tirer  deux  autres  épreuves, 
la  première  fui  montrée  en  dehors  au  peuple,  qui  poussa  une 
acclamation  générale  de  surprise  et  de  joie.  Il  ne  se  passait 
pas  de  jour  que  le  roi  ne  vint  surveiller  les  progrès  de  l'ou- 
vrage; observant  toutes  choses,  il  compta  plusieurs  lettres,  et 
parut  étonné  de  retrouver  cinq  mille  fois  la  lettre  A  dans  les 
seize  pages  du  sylla!)aire.  On  miprima  2,600  exemplaires  de 
ce  livre,  un  catéchisme  taliitien,  un  choix  d'extiaits  des  saintes 
Écritures,  l'Évangile  de  saint  Luc. 

O  grande  Bretagne,  terre  du  savoir!  .*"écriaicnt  lans  cesse 


-58  AUSTRALIE. 

tou^  LCiix  qui  se  pressaieril  aux  portes  et  aux  fenêtres  tic  l'ini- 
priiucrie.  La  foule  accourait  de  toutes  les  parties  d'Eiuieo, 
et  même  des  îles  voisines,  pour  voir  les  missionnaires  à 
l'œuvre,  et  pour  se  procurer  des  livres.  Le  rivage  était  bordé 
de  canots;  les  maisons  des  hahitans  étaient  envahies  par  des 
hùtes  nombreux;  et  de  tous  cotés  des  groupes  campaient  en 
plein  air.  Pendant  plusieurs  semaines  que  dura  le  tirage,  on 
eût  dit  alentour  une  foire  permanente. 

Aliii  de  conserver  les  livres,  on  jugea  nécessaire  de  les  relier 
d'une  façon  im  peu  solide  avant  de  les  livrer  aux  demandeurs 
"  M.  Ellis  s'était  mis  au  fait  de  la  reliure  en  Angleterre.  Mais  les 
matériaux  lui  man(]uaient;  il  l'allut  y  sujiplécr.  On  fabricpui 
d'excellent  carton  avec  de  la  toile  li'écorce  d'arbre.  De  vieux 
journaux  teints  en  violet  foncé  furent  collés  par-dessus,  et  on 
se  servit,  pour  le  dos  et  les  coins,  du  petit  nombre  de  peaux 
de  mouton  apportées  d'Europe.  Lorsque  les  provisions  furent 
épuisées,  les  naturels  firent  la  chasse  aux  animaux  pour  s'en 
procurer  de  nouvelles.  Ils  arrivaient  triomphans  avec  la  peau 
de  quelque  gros  chien,  ou  de  quelque  vieille  chèvre,  aux- 
quelles tenaient  encore  le  poil  et  la  barbe.  D'autres  fois  c'était 
la  dépouille  d'im  chat  sauvage  attrapé  dans  les  montagnes. 
Lors(ju'()n  leur  eut  enseigné  à  apprêter  le  cuir,  ils  le  firent  chez 
eux,  et  de  tous  côtés  on  voyait  des  peaux  suspendues  aux  bran- 
ches des  arbres  ou  tendues  dans  di^s  cadres,  ;'i  sécher  au  soleil. 
Les  livres  élémentaires  se  distribuaient  gratis  :  mais  il  fut 
arrêté  que  tout  ouvrage  plus  considérable  ou  plus  important 
se  vendrait  pour  couvrir  les  frais  du  papier  et  de  l'impression, 
et  poiu'  empêcher  que  le  peuple  ne  fît  peu  de  cas  des  choses 
données  poui  rien.  Le  prix  fixé  fut  une  petite  quantité  d'huile 
de  noix  de  coco,  facile  à  se  procurer  et  que  les  naturels  se  sou- 
mirent à  payer  avec  joie.  Tout  pénible  et  tout  fatigant  qu'était 
un  travail  sans  relâche,  sous  les  tropiques,  et  dans  une  saison 
où  le  soleil  est  vertical,  M.  Ellis  dit  que  cette  époque  est  parmi 
les  plus  heureuses  de  sa  vie. 

«Je  voyais  souvent,  ajoute-t-il,  arriver  trente  à  quarante 
canots  des  parties  les  plus  éloignées  d'Eimeo  ou  de  quelque 
île  voisine,  amenant  chacun  cinq  à  six  personnes  qui  ne  iai- 
saient  le  voyage  que  pour  se  procurer  des  exemplaires  des 
.saintes  Ecritures,  qu'il  leur  fallait  souvent  attendre  six  ou  sept 
semaines.  Elles  apportaient  d'énormes  paquets  de  lettres, 
écrites  sur  des  feuilles  de  jdalane  cl  roulées  comme  d'.inciens 
parchemins;  c'étaient  autant  de  suppliques  de  ceux  qui,  ne 
pouvant  venir  eux-mêmes,  demandaient  par  grâce  qn'on  leur 
euvovât  des  livres. 


AlSîllALlE.  759 

«Lu  soii'.  au  l'oiiflier  du  soleil,  un  c.uiot  arriva  dv,  Tahilt', 
intintépar  iin(|  lioinnies.  llsdcbarqiiùreiit,  plitrciit  leur  voile, 
tirèrent  leur  catiot  sur  la  playe,  et  s'achcitiiiièrcnl  vers  ma 
ilenieure.  j'allai  au  devant  d'eux  :  »  Luka,  te  parau  na  Luka! 
—  Luc,  la  parole  de  Luc!  me  dirent-ils  tous  à  la  l'ois,  en  me 
montrant  des  eannos  de  handjou  pleines  d'huile  de  coco  qu'ils 
offraient  en  paiement.  Je  n'avais  point  d'exe.'uplaires  prêts; 
je  leur  eu  promis  pour  le  lendemain  malin,  et  je  les  engageai 
à  se  retirer  chez  quelque  ami  dans  le  village  pour  y  passer  la 
nuit. 

Le  crépuscule,  toujours  Irès-court  sous  les  tropiques,  avait 
disparu.  .le  leur  souhaitai  le  bonsoir  et  me  retirai.  Le  lende- 
main, au  point  du  jour,  je  les  aperçus,  à  mon  grand  étonne- 
ment,  couchés  à  terre  devant  la  maison  sur  des  nattes  de 
feuilles  de  cocotier,  sans  autre  couverture  que  le  laige  man- 
teau de  toile  d'écorce  qu'ils  portciit  habituellement.  .Te  me 
hâtai  de  soitir  et  je  sus  d'eux  qu'ils  avaient  passé  là  toute  la 
nuit.  Lorsque  je  leur  demandai  pourquoi  ils  n'étaient  pas  allés 
loger  dans  une  maison,  ils  répondirent  :  Oh!  nous  avions  trop 
peur  qu'en  notre  absence,  quelqu'un  ne  vint  de  grand  malin 
vous  demander  les  livres  que  vous  aviez  p)éparcs,  et  qu'alors 
nous  lussions  obligés  de  repartir  les  mains  vides;  nous  avons 
tenu  conseil  hier  soir,  et  nous  avons  résolu  de  ne  nous  éloi- 
gner qu'après  avoir  obtenu  ce  que  nous  sommes  venus  cher- 
cher. Je  les  conduisis  dans  l'imprimerie,  et,  ayant  assemblé 
des  feuilles  à  la  hâte,  je  leur  donnai  à  chacun  un  exemplaire; 
ils  m'en  demandèrent  deux  aulres,  l'un  pour  une  mère,  le  se- 
cond pour  i[ne  sœur.  Ils  enveloppèrent  les  livres  dans  un 
morceau  de  loile  blanche  du  pays,  les  mirent  dans  leur  sein, 
me  souhaitèrent  une  heureuse  journée,  et  sans  avoir  bu, 
mang;é,  ni  visité  une  seule  personne  de  l'établissement,  ils 
coururent  au  rivage,  remirent  leur  canot  à  Ilot,  hissèrent  leur 
voile  de  cordes  de  palmier  nattées,  et  se  dirigèrent  tout  joyeux 
vers  leur  île  natale.  » 

Api'ès  l'Evangile,  les  missionnaires  imprimèrent  un  volume 
d'hvmnes  en  vers,  qui  ac(|uircnt  bientôt  une  grande  popula- 
rité, ces  peuples  ayant  un  goût  tout  particvdier  pour  l'harmo- 
nie poétique,  à  laquelle  leiulangue  est  singulièrement  propre. 
lis  possèdent  de  nombreuses  ballades  historiques  et  mytholo- 
giques où  se  trouvent  retracés  ime  foule  d'évènemeus  en  rap- 
port avec  chaque  époque  de  la  vie.  Ces  poèmes  se  nomment 
uhtis  :  on  enseigne  aux  enfans  à  les  réciter  de  bonne  heure,  et 
pour  ainsi  diie  à  les  représenter,  car  ils  ont  paifois  le  carac- 
ièrc  du  drame  ou  delà  panlomimc.  Il  y  a  un  chant  pour  la  pO- 


7^0  AUSTUALIL:.  —  ASIE, 

che,  un  aulre  pour  la  consliiictioii  d'un  canol,  pour  lancer 
nue  pirogue  en  mer,  pour  abattre  un  arbre  de  la  forêt  Cti 
sont  des  harmonies  imitafives  d'un  accent  neuf  et  sauvaire 
tandis  que  les  paroles  rappellent  ilos  usages  singuliers  d'an- 
cienne superstition  qui  vont  disparaître.  Ilesrfortà  souhaiter 
que  les  missionnaires  conservent  non  seulement  la  ^ub^tance 
de  ces  poésies  populaires,  mais  les  poésies  mêmes  dans  leur 
lorme  originale,  et  qu'on  en  ait  un  jour  des  traductions  aussi 
près  du  texte  que  possible.  Les  chansons  tahiliennes  surtout 
contiennent  beaucoup  de  mots  qui  ne  sont  plus  en  usa-e  dans 
j'idiùme  parlé,  et  que  M.  Eilis  croit  devoir  faire  remSnter  à 
la  plus  haute  anliqulté.  Ces  chants  sont  pleins  tl'images,  vifs 
.1  lies  passionnés  quand  le  sujet  l'exige.  Les  rares  spécimeus 
qu  en  donne  le  voyageur  missionnaire  se  rapprochent  beau- 
coup de  la  plus  belle  poésie  orientale. 

ASIE. 

^^^'^^i^^sy.^TiQvE.~GÉimGiE.—rnstructionpublirfne.— Écoles 
—  La  Gazette  de  Ttjlis,  feuille  intéressante  que  nous  avons  fait 
connaître  à  nos  lecteurs  (  voy.  ci-dessus  ,   cahier  iVaoât  i83o  , 
.|«;-4»o  j ,  et  que  presque  tous  les  journaux  russes  exploitent 
a  1  envi  sans  le  moindre  scrupule,  continue  à  nous  offrir  des 
notions  intéressantes  et  circonstanciées  sur  les  provinces  du 
Caucase  sous  les  rapport  historique,  .statistique,  ethno-n-a- 
phique  et  industriel.  C'est  à  elle  que  nous  devons  les  détails 
suivans  sur  lesprogrès  de  Viiislraclion  publique  enGcornie.  —  Du 
nioment  où  cette  province  fut  réunie  à  la  Russie,  on  posa ,  en 
i8o2,  los  hases  de  l'é.lucation  de  la  jeunesse,  par  la  fondation 
d  une.ro/.a  l.His,  qui  fut  remplacée ,  en  180/,,  par  une  pm- 
sion  rxoble,  destinée  principalement  à  procurer  de  rinslruction 
aux  enlans  des  gentilshommes  géorgiens;  chaque  année  huit 
e  evcs  devaient  être  envoyés  à  la  pension  de  l'Université  de 
Moscou,  pour  y  achever  leurs  éludes.  Mn  1807,   IN^iseigne- 
inent  de  cette  école  fut  assimilé  à  celui  des  gymnases,  et  dfvi.é 
en  quatre  classes;  l'illustre  général  Vermolov  ,  ayant  reconnu 
par  la  suite  que  ce  mode  (renseignement  n'était  pas  en  har- 
monie avec  les  besoins  ûu  pays,  y  Ça,  en  ,8h),  de  nouveaux 
cliangemens:  1  enseignement  des  langues  latine  et  allcmamle 
lut  remplace  par  celui  de  la  langue  tatare,  beaucoup  pkis  usi- 
tée dans  ces  couines  ;  l'on  ajouta  au  cours  d'études  plusieurs 
branches  des  sacnccs  milUaires.  L'école  ainsi  réorganisée  eut 
)usqn  a  .:>oo  élèves  :  mais,  d'après  le  .but  de  sa  fondation,  ell^ 
n  ofirfHt  q.i  .,  1,,  seule  aristocratie  géorgienne  les  ])ienfails  de 


ASIE.  — FAROPE.  ;(>  i 

l'édiicalion,  dont  les  autres  classes  de  la  population  conimeu- 
caient  aussi  à  sentir  le  besoin  à  mesure  du  développement  de 
la  prospérité  générale.  En  ronséquence ,  on  a  étal)!i  en  mai 
i85o  un  gymnase  àïiflis,  et  ringt  écoles  de  district  dans  le- 
provinces.  A  ce  p;\mnase  est  attachée  une  pension  pour 
/jo  élèves  du  gouvernement,  dans  laquelle  sont  admis,  aux 
Irais  de  leurs  parens,  les  enfans  des  gentilshommes,  des  mili- 
taires et  des  employés.  A  l'époque  de  son  ouverture,  cet  éta- 
blissement comptait  2q8  élevés. 

S.  P  —  Y. 
EUROPE. 
GRANDE-BRETAGNE. 

Londres.  —  Pompe  d  incendif  mue  par  la  vajeur.  —  Celte 
machine,  de  l'invention  de  Al.  Bbaithwaith,  a  rendu  déjà  les 
plus  importans  services  :  la  simplicité  des  moyens,  la  certi- 
tude et  la  facilité  de  l'action,  la  force  extraordinaire  du  jet,  et 
la  quantité  de  fluide  qu'elle  envoie,  lui  donne  des  avantages 
incontestables  sur  les  pompes  ordinaires.  Elle  peut  lancer  en- 
viron 9,000  gallons  (4o  tonneaux)  par  heure,  ù  une  élévation 
de  90  pieds,  par  une  ouveiture  d'un  septième  de  pouce  de 
diamètre.  Plus  le  tube  est  large,  plus  la  quantité  d'eau  aug- 
mente ;  avec  deux  jets,  on  obtiendrait  cinquante  tonneaux  par 
heure,  lancés  à  cinquante  ou  soixante  pieds.  Mais  l'élévation 
dépend  beaucoup  du  vent.  Par  un  tems  calme,  on  a  projeté  un 
jet  d'un  septième  de  pouce  de  diamètre,  à  une  distance  de 
»4o  pieds.  Le  second  point  important  est  le  tems  qu'exige  la 
formation  de  la  vapeur.  Des  témoins  oculaires  affirment  que, 
du  moment  que  le  feu  est  allumé,  l'eau  de  la  chaudière  étant 
lout-à-fail  froide,  il  ne  faut  pas  plus  de  18  minutes  pour  que 
la  vapeur  atteigne  toute  son  intensité  :  presque  toujours  les 
anangcmens  nécessaires  pour  atteler  les  chevaux,  se  procurer 
de  l'eau,  etc.,  remplissent  cet  intervalle;  et  la  marche  n'ar- 
rête même  pas  l'action  du  feu,  qui  est  constamment  ravivé 
par  un  souîllet  dont  le  mouvement  correspond  à  celui  des 
roues.  Deux  hommes  suffisent  pour  diriger  l'eau  et  faire  tra- 
vailler la  pompe  ;  les  frais  de  combustible  sont  de  six  sous 
d'Angleterre  (12  sous  de  France)  par  heure. 

Le  prix  d'une  de  ces  machines  est  de  800  livres  sterling; 
l'inventeur  se  charge  de  fournir  un  homme  accoutumé  au 
service  de  la  pompe,  et  prend  sur  lui  tous  les  frais  de  répara- 
tion pendant  10  ou  20  ans,  «elon  le*  conditions. 


;6s  F.L'ÎIOPE. 

RUSSIE. 

PÉTERSBorRG.  ■ —  Académie  des  sciences.  —  Sravccs  des  mois 
de  mars  et  d'avril  i8r>o.  —  M.  B.ER  a  lu  un  Mémoire  sur  une 
dent  de  mannnoiilli  ou  élèpliant  fossite^  semblable  à  la  dent  de 
rdép/iant  WJ  fri(/iir  vivant j  et  un  autre  snr  les  espèces  du  ;  enre 
Felis  fjiiise  iroiiveni  en  Russie.  --—  M.  yiciiNÉvsK.Y  a  présenté 
trois  dessins  et  une  description  de  Vaarore'boréale,  qu'il  a  ob- 
servée le  —  mars  lîSoo.  —  M.  Schmidt  a  présenté  en  ma- 
nuscrit une  grammaire  nicngo'e,  dont  nous  parlons  plus  ba-", 
et  M.  ÎMebtens,  une  dissertation  sur  les  acalip/ies,cl  un 
deuxième  traité  sur  les  physsophores.  ■ —  31.  Frkhn  a  lu 
un  Mémoire  relatif  l'i  tt'ois  médailles  des  Bulgares  du  Vol^a  du 
ix"  siècle;  et  M.  B^B,  son  rapport  sur  le  manuscrit  de 
M.  KiTLiTz,  ayant  potir  objet  quelques  oiseaux  du  Chili  ;  \\ 
signale  avec  éioi^e  It-s  notions  ornitbolojjifpies  recueillies  par 
M.  Kiilitz  pendant  son  court  séjour  au  Cbili,  oi'i  il  a  décou- 
vert i)lusietus  nouvelles  espèces  d'oiseaux.  —  31.  Hamel,  au- 
teur d'un  excellent  ouvraj;e  sur  la  Fabrique  d' ormes  de  Toula 
(voy.  Revue  Encyclopédique,  janvier  1828,  t.  xxxvii,  p.  126- 
12g),  a  lu  un  Mémoire  daiis  lequel  il  démontre  l'utilité  dont 
il  serait  pour  la  science  et  pour  l'industrie  manufacturière 
d'étudier,  avec  plus  de  soin  qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'ici,  l'his- 
toire naturelle  de  ces  espèces  d'oestrus,  dont  les  larves  sont 
logées  sous  la  peau  de  divers  animaux,  où  elles  se  nourris- 
sent, et  parviennent  à  leur  entière  croissance  dans  des  abcès, 
qui  oceasionent  dans  le  cuir  des  trous  et  d'autres  défauts, 
au.xquels  les  tanneurs  et  les  chamoiseurs  russes  donnent  le 
nom  de  petite  vérole.  - — ^-31.  Ostuogradsky  a  fait  connaître 
(pi'il  avait  achevé  sa  dissertation  sur  les  inégalités  séculaires  des 
éli'mcns  des  planètes  ;  ce  travail  doit  être  adressé  à  l'Institut  de 
France.  —  31.  le  g;énéral  Bazai^e  a  présenté  son  3Iémoire, 
intitulé  :  Nouvelle  démonslralion  du  binôme  de  Newlon  pour  le 
cas  de  l'exposant  entier  et  positif,  indépendante  de  la  théorie  des 
permutations  et  des  combinaisons.  —  31.  31ertens,  qui  a  fait 
lin  voyage  autour  du  monde,  a  donné  des  détails  sur  les  pro- 
grès rapides  delà  civilisation  parmi  les  insulaires  de  l'Océan- 
Pacifique;  il  pense  qu'il  serait  important  pour  l'histoire  de 
l'humanité  en  général,  et  pour  celle  de  ces  insulaires  en  par- 
ticulier, de  recueillir  tout  ce  qui  a  rapport  à  leur  industrie 
indigène.  En  offrant  à  l'Académie  les  curioHtés  relatives  à  cet 
objet,  ([u'il  a  recueillies  pendant  son  voyage,  il  a  exprimé  le 
<lé>ir  qu'elles  forment  la  base  d'un  Musée,  qui  rétmirait  tout 


RUSSIE.  763 

ce  que  l'Académie  possède  en  l'ait  d'Iiahillemens,  d'armes, 
d'ustensiles,  d'ornemens,  etc.,  des  peuples  sauvages,  et  dont 
une  section  serait  consacrée  aux  insulaires  de  l'Océau-Facili- 
([ue.  —  M.  RiTLiTz  a  adressé  un  Mémoire  sur  les  oiseaux  du 
gtoupe  d'iles  de  Bouinsima,  et  une  liste  d'animaux  empaillés 
ou  conservés  dans  de  l'esprit  de  vin,  qu'il  a  rapportés  de  son 
voyage  autour  du  monde,  ainsi  qu'une  grande  quantité  de 
plantes  du  Kamtchatka.  Tous  ces  objets  sont  offerts  à  l'Aca- 
démie, ainsi  qu'une  collection  géognoslifiue,  un  portercuille 
de  4'5  dessins,  de  M.  Postels,  minéralogiste  et  peintre  de 
l'expédition  du  capitaine  Litke,  et  un  porlefeuille  de  47  des- 
sins de  31.  MiKHAÏLOv,  peintre  de  l'expédition  de  la  corvette 
Mollcr.  —  On  a  lu  une  lettre  du  capitaine  Litke,  contenant 
les  résultats  de  ses  obsevxations  sur  la  pendule,  laites  a  l'Obser- 
vatoire de  Greenvvich,  à  Valparaijjo,  à  Silka,  au  port  de  Saint- 
Pierre  et  Saint-Paul  (Kamtchatka),  à  Sainte-Hélène,  et  à 
l'Observatoire  de  Pétersbourg.  —  M.  Hansteen  a  été  élu 
membre  honoraire  de  l'Académie,  à  l'occasion  de  l'achève- 
ment du  voyage  qu'il  a  entrepris  en  Piussie  pour  des  observa- 
tions magnétiques. 

Tbavaux  publics.  —  Canaux.  ■ —  On  construit,  en  Russie, 
trois  nouveaux  canaux  qui  ont  été,  commencés  en  1825  : 
l'un,  sous  le  nom  de  canal  de  la  Vindnva,  est  destiné  à  joindre 
cette  rivière  au  JNiémen;  le  second,  doit  réunir  le  Niémen  à 
la  Vistule  ;  et  le  troisième,  joindre  le  \  olga  à  la  Moskva. 

^'oYAGE  AUX  COLONIES  AMÉRICAINES  RUSSES.  —  Découverte 
d'une  ilc  habitée.  —  M.  KhromtchÉ^ko,  dans  son  voyage  qui 
a  duré  environ  deux  ans,  et  duquel  il  est  revenu  à  Kronstadt 
en  juillet  i83o,  a  découvert,  au  7°  (j'  5G"  de  latitude  méri- 
dionale, et  177°  i5"de  longitude-est  de  Greenwich,  une  pe- 
tite ile  habitée,  qui  n'est  désignée  sur  aucune  des  cartes  les 
plus  récentes,  et  à  laquelle  il  a  donné  le  nom  de  Lœwendahl , 
en  l'honneur  de  son  premier  adjoint;  le  voyageur  a  déter- 
miné la  position  de  deux  groupes  d'iles  (dont  Kotzebue  n'a 
parlé  que  d'après  les  rapporta  d'un  insulaire),  et  il  en  a  lait  la 
description. 

Instruction  publique.  — Statistique  universitaire.  — !So?n- 
bre  des  élèves  en  1829.  —  hWniversitc  de  Pétersbourg,  qui 
comptait,  en  1826,  5o  élèves,  en  a  en  i';y  pendant  l'année 
1829.  Le  nombre  des  étudians  dans  les  huit  gonvernemens 
de  son  arrondissement,  a  été  de  10,200. 

—  Le  nombre  des  élèves  de  VUniversité  de  Moscou,  qui  a  célé- 
bré, en  janvier  i85o,  le  75'" anniversaire  de  sa  londalion,  a  été, 
pendant  l'année   scolaire    1829,    de    660,    non    compris  les 


764 


ELiROPE. 


1 8  candidat*,  et  58  cliiiuif^ieiis  qui  y  ont  continué  leurs  étu- 
des. Le  nombre  total  (tes  élèves,  dans  les  296  établissemens 
d'instruction  publique  des  07ue  gouvernemens  de  l'arrondis- 
sement universitaire,  a  été  de  i5,6oi.  Ces  élèves  étaient  ré- 
partis ainsi  qu'il  suit  : 


ROMBBB  et   CK5RB 

des 
Établissemens. 

SOMBBB 

des 
Élèves. 

NOUBBK  et   GEKRB 

des 
Établissemens. 

NOMBRE 

des 
Élèves. 

1 1  Gymnases. 

1,089 

Université 
de 

Moscou. 

716 

94  Ecoles 
de  district. 

7,5o6 

Pension  des  nobles, 
à  Moscou. 

27a 

i54  Écoles 

de  paroisse 

et  primaires. 

4,945 

Haute  École 
de  Demidov, 
a  laruslavle. 

79 

54  Pensions 

el  Écoles 
particulières. 

9g4,  dont 
562  garçons 
et  652  filles. 

Nombre  total  dos 
Établissemens. 

296. 

Nombre  total 
des  Élèves. 

1 5,601. 

Le  nombre  des  élèves  a  été,  en  1829,  de  i  ,5oo  plus  consi- 
dérable qu'en  1828;  celui  des  professeurs  et  dos  maîtres  s'est 
élevé  à  827  ;  ce  qui  fait  environ  un  pour  18  élèves.  On  a  ou- 
vert 8  nouvelles  écoles  paroissiales  et  3  nouvelles  pensions 
particidières. 

Les  onze  gouvernemens  de  l'arrondissement  universitaire 
de  Moscou  se  classent  dans  l'ordre  suivant,  d'après  le  nombic 
tic  leurs  élèves  : 


RUSSIE. 


765 


MOSIS 

Gouvernemens. 

NOMBRE 

des 

Elèves. 

NOMS 

des 
Gouvernemens. 

NOMBRE 

des 

Elèves. 

I.  Moscou. 

5,9"9 

7.  Tver. 

1,187 

2.    Riazane. 

1,395 

8.   laroslavle. 

1,087 

5.  Toula. 

1,589 

9.  Novg-orod. 

1,047 

4.  A'iadimir. 

1,573 

10.  Tambov. 

1,009 

5,  Orel. 

1,571 

II.   Kùstroma. 

654 

6.  Voronège. 

! 

1,200 

TOTAL. 

1 1 

TOTAL. 
10,601               j 

On  doit  regretter  que  les  autres  Universités,  celles  d'Aijo 
(transférée  en  1828,  aj^rès  l'incendie  de  cette  ville,  à  Helsing-- 
tbrs) ,  de  PcJershourg,  de  Kazane,  deKharkof,  de  Dorpatetde 
Vilna  négligent  de  pul)lier  de  semhlal)les  documens,  avec 
lesquels  on  pourrait  dresser  un  tahieaii  statistique  très-curieux 
de  l'état  de  l'instruction  publique  en  Paissie,  et  établir  les  rap- 
ports qui  existent  entie  la  population  de  ses  différens  gouver- 
nemens et  le  nondjre  des  élèves;  car  tout  ce  qui  a  été  publié 
jusqu'à  présent  à  ce  sujel  dans  les  journaux  est  inexact  et  in- 
complet. Serge  Poltoratzky,  (Je  Moscou. 

Philologie  obiestale.  —  Grammaire  de  la  l-angue  mongole, 
par  M.  ScHMiDT. — Cette  grammaire  est  le  fruit  de  longs  et  cons- 
lans  travaux.  Dans  un  rapport  présenté  à  l'Académie  des 
sciences  de  Pétersbourg,  M.  Schmidl  expose  tout  ce  qui  a  été- 
fait  avant  lui  dans  cette  branche  de  la  pliilologie  orientale,  et 
prouve  que,  malgré  les  excellens  travaux  de  IJever.  nos  con- 
naissances sur  le  mécanisme  de  la  langue  mongole  sont  encore 
Irès-défectueuses.   L'Académie,  considérant    ([ue  la  piddica- 


T.    XIVII.     SEPTEMBRE     1  83o. 


4y 


;()()  EliUOPE 

lion  de  la  grammaire  mongole  de  iVl.  Schmidt.  reconnu  ponr 
l'orientaiiSlc  le  plus  versé  dans  celle  langue,  sera  non-seule- 
ment re(  ne  par  le  monde  savant  avec  beaucoup  d'intérêt, 
mais  qu'elle  sera  encore  d'une  grande  utilité  ponr  la  Russie, 
a  résolu  d'en  publier,  à  ses  ("rais,  deux  exilions,  l'une  avec  le 
lexle  allemand,  et  l'autre  en  russe. 

Arkhangel.  —  Beaux- Arts.  —  Sculpture.  —  Monument  en 
bronze  d  Lomonossor,  par  Martos.  —  Le  célèbre  poète,  dont 
s'honore  la  Russie,  n'avait  eu  jusqu'à  présent  qii'ini  simple 
sarofipluige  élevé  à  Pélersbourg,  sur  sa  tombe.  Une  souscrip- 
tion, ([ui  produisit  5o,ooo  roubles,  fut  ouverte  pour  lui  ériger 
un  monument,  qui  se  compose  de  deux  figures,  dont  la  plus 
grande,  de  dimension  colossale,  représente  Lomonossov  dans 
un  moment  d'inspiration  poétique  ;  son  bras  droit  est  étendu; 
il  tient  dans  la  main  gauche  une  harpe,  ornée  du  chiffre  de 
l'impératrice  Elisabeth,  et  soutenue  par  un  génie  ailé.  A  l'imi- 
tation des  anciens,  M.  Martos  a  représenté  le  poète  à  demi- 
nu.  Il  est  debout  sur  un  hémisphère,  où  l'on  voit  la  partie 
septentrionale  de  la  Russie  européenne,  et  les  mots  :  Mer 
glaciale  et  Kholmogory^  lieu  de  naissance  de  Lomonossov.  Le 
tout  est  en  bronze,  ayant  trois  archines  et  deux  verchoks  (un 
peu  plus  de  deux  mètres)  de  haut,  sans  compter  l'hémisphère. 
Cette  masse  reposera  sur  un  piédestal  de  granit,  dont  le  de- 
vant poilcin  en  lettres  d'or  le  nom  de  Lomonossov.  La  hau- 
teur totale  du  monument  est  de  sept  archines  et  demie  (en- 
\  iron  ciii(|  mètres). 

Pr.r.ssE  PÉRIODIQUE.  —  Nombre  et  indication  des  Journaux  pu- 
blics eh  liussie  en  langue  française .,  pendant  les  années  182;) 
et  iB5o.  —  Le  nombre  des  jourHaux  en  langue  française,  pu- 
bliés en  Russie  pendant  l'année  1829,  a  été  de  7,  dont  5  à 
Pélersbourg,  5  à  Moscou  et  1  à  Odessa.  Deux  de  ces  jour- 
naux, publiés  à  Moscou,  ont  cessé  de  paraître  :  le  Bulletin  du 
Nord,  rédigé  depuis  janvier  i8->.8  jusqu'en  décembre  1829, 
par  M.  Lecointe  de  La»  eau;  sa  collection,  qui  se  compose  de 
24  cahiers  mensuels,  ou  6  volumes  in-8°  pour  les  deux  an- 
nées, ne  peut  manquer  d'intéresser  les  étrangers,  en  leur  tai- 
sant connaître  Us  ri  hesses  scientifiques,  littéraires  et  indus- 
trielles de  la  Russie.  On  trouve,  dans  les  cahiers  de  janvier, 
lévrier  et  mais  1S28  de  ce  Bulletin,  un  article  très-curieux  sur 
l'état  de  la  Presse  périodique  en  Russie,  traduit  du  Télégraphe 
de  Moscou  (N°'22,  25  et  i.\,  de  1827),  et  qui  fait  connaître,  à 
quelrpies  omissions  et  inexactitudes  près,  les  titres  et  l'époque 
de  publication  de  tons  les  Journaux  qui  ont  paru  en  Russie  de- 
puis qu'on  y  a  introduit  ce  genre  d'ouvrages  (c'est-à-dire,  de- 


ilUSSIi:.  -6;: 

puis  le  commencement  du  xviii"  siècle  jusqu'à  l'année  1828J; 
le  lédaclcur  Irançais  a  seulement  eu  le  tort  de  donner  le  litre 
impropre  (.VEspiùt  des  Journaux  russes  à  des  articles  (|ui  ne 
présentent  (|u'une  simple  notice  hihliograp/iir/iie.  Lo  Biil/ciin  a 
rendu  encore  à  la  littérature  le  service  de  relever  les  erreurs 
que  les  journaux  étrangers  commettent  si  inconsidéreuiment 
et  si  obstinément,  en  donnant  des  articles  inexacts  sur  la  iuis- 
sie,  et  en  défigurant  les  noms  de  nos  écrivains;  et,  quoique 
des  observations  justes  et  même  sévères  aient  été  adressées  à 
ce  sujet  dans  le  cahier  de  janvieriS2S  (p.  28-38)  du  Bullclin 
du  No7'd,  aux  rédacteurs  du  Journal  général  de  la  Littérature 
étrangère,  publié  à  Paris  depuis  trente  ans,  ces  messieurs  n'en 
ont  guère  tenu  compte,  puisqu'ils  continuent  toujours  à  of- 
frir, sur  la  liltérature  russe,  des  notions  d'une  inexactitude 
inconcevable,  et  poussent  la  négligence  au  point  de  faire  pa- 
raître, au  mois  A' août  i83o,  leur  cahier  de  mars.  —  îl  est  fort 
à  regretter  que  le  Bulletin  du  Nord  ait  cessé  de  paraître.  — Le 
second  journal  dont  nous  avons  à  annoncer  la  cessation  n'a 
eu  qu'une  existence  éphénu're  :  c'est  une  feuille  puiiliée  à 
Rioscou,  sous  le  titre  de  Théâtre  Français,  et  distribuée  le  soir, 
à  raison  de  /|0  centmies.  Chaque  numéro,  dont  il  n'a  paruque 
5  ,  en  janvier  1829,  se  composait  d'une  page  in-4°,  sur  deux 
colonnes,  et  ne  dill'érnit  du  Moniteur  des  Théâtres,  feuille  quo- 
tidienne, publiée  à  Paris  depuis  six  ans,  qu'en  ce  qu'il  n'avait 
pas,  comme  celle-ci,  vingt  spectacles  à  annoncer,  et  qu'il 
tempérait  l'aridité  de  ses  annonces  en  les  faisant  accompagner 
de  couplets,  de  charades,  de  logogriphes,  etc. 

Le  nombre  des  journauo)  français  publiés  en  Russie,  réduit 
à  5  par  la  disparition  de  deux  journaux  de  Moscou,  s'est  élevé, 
en  i85o,  jusqu'à  8,  dont  4  i>  i'étersbourg,  1  à  Moscou  et 
3  à  Odessa  ;  savoir  : 

I.  — Le  Journal  de  Saint-Pétersbourg ,  politique  et  littéraire^ 
paraissant  trois  fois  par  semaine,  les  mardi,  jeudi  et  samedi, 
par  numéro  de  quatre  pages  in-fol.  ,  à  deux  colonnes.  Il  fait 
suite,  depuis  le  mois  de  janvier  1826,  au  Conservateur  impar - 
tial ,  publié  depuis  iSio  jusqu'en  décembre  1824,  deux  fois 
par  semaine,  par  numéro  de  quatre  pages  in-4",  sur  deux  co- 
lonnes, comme  une  continuation  du  Journul  du  Nord.  Le 
Journal  de  Pétersbourg,  rédigé  au  ministère  des  affaires  étran- 
gères est,  pour  ainsi  dire,  le  Moniteur  russe;  car  il  donne  les 
nouvelles  officielles,  diploni.atiques  et  celles  de  la  cour,  avant 
les  journaux  russes.  On  y  trouve  peu  d'articles  relatifs  à  la 
littérature  rus^e  ;  ceux  qui  ont  rapport  à  la  statistique,  au 
commerce  et  à  l'industrie,  sont  traduits,  en  grande  partie, 
des  journaux  du  pays. 


768  ELROPE. 

2.- —  Le  Journal  des  Voies  de  communication.  —  Cette  inté- 
ressante publication,  que  la  Revue  Encyclopédique  a  t'ait  con- 
naître avec  détail  (mars  1828,  t.  xxxvii,  p.  713-716),  datr 
du  mois  de  juillet  i8ii6,  et  n'a  paru  régulièrement  que  pen- 
dant six  mois,  après  lesquels  elle  a  malheureusement  éprouvé 
des  interruptious  continiiellos  ;  an  lieu  de  24  livraisons  men- 
suelles, qui  ont  été  promises  pour  ladeuxannécs  1827  et  1828, 
on  n'a  publié  que  six  numéros  de  ce  journal  (de  7  à  12),  et, 
pour  l'iituiée  1829,  seulement  deux  (numéros  i3  et  i^).  I-c 
\5'°'  cahier  a  paru  en  janvier  i85o,  et  le  16°"'  an  juin;  ou  réi- 
tère la  promesse  de  le  publier  avec  plus  d'exactitude;  ce  qui 
est  à  désirer,  dans  l'intérêt  des  sciences.  Chaque  livraison  est 
aussi  publiée  en  russe;  prix  des  12  cahiers  in-S",  4^  francs,  et 
80  fr.  pour  le  journal  dans  les  deux  langues. 

j.  — Le  Furet,  journal  de  la  littérature  et  des  théâtres  ,  pu- 
blié à  Pétersbourg  depuis  le  mois  de  juillet  1829,  par  M.  Saist- 
JiLLiEN,  les  mercredi  et  dimanche,  par  numéro  de  q>ialre 
pages  in-4"  sur  deux  colonnes.  C'est  une  pâle  imitation  du 
malin  et  spirituel  Figaro,  et  du  caustique  Corsaire.  Le  Furet  ne 
vit,  en  grande  «artie,  que  d'emprunts  :  c'est,  en  petit  format, 
un  Voleur,  un  Pirate,  un  Conipila/eitr,  un  Cabinet  de  lecture. 

4.  —  Mélanges  làtéraircs,  publiés  à  Pétersbourg,  par 
M°"  LA^SKOY-^  ii.LAMOv  ;  les  quatre  premières  liTraisons  pour 
l'année  i85o  forment  un  volume  in-8'',  d'environ  3oo  pages. 
Le  prix  de  la  souscription  est  de  3o  roubles. 

5.  —  Bulletin  de  laSoeiétc  des  Naturalistes  de  Moscou,  publié 
depuis  le  mois  de  mai  1829,  sous  la  direction  de  M.  Fischer. 
La  première  année  de  ce  Bulletin,  auquel  on  ne  s'abonne  pas, 
miiis  qui  se  distribue  gratis  aux  membres  de  la  Société  et  aux 
amis  des  sciences,  forme  un  volume  in-8°  composé  de  douze 
numéros.  Le  premier  numéro  de  la  seconde  année  a  paru  eu 
mai  1800.  Il  est  à  désirer  que  li  publication  de  ce  Bulletin 
n'éprouve  pas  d'interruption,  et  (ju'elle  ait  lieu  régulièrement 
tous  les  mois,  conformément  aux  promesses  du  prospectus.  Ce 
Bulletin  est  le  seul  journal  français  (pi'on  publie  cette  année 
à  Moscou. 

6.  —  Le  ^ournal d'Odessa,  commencé  au  mois  d'avril  1820, 
parut  d'abord  sous  le  titre  de  Messager  de  la  Russie  méridio- 
nale, doux  fois  par  semaine,  par  numéros  de  quatre  pages 
in-4"sur  deux  colonnes.  En  juillet  1821,  il  fut  aussi  publié  en 
langue  russe,  mais  cela  ne  fui  pas  continué;  en  novembre 
1820,  il  changea  son  titre,  et  fut  intitulé  -.Journal  d'Odessa,  ou 
Courrier  commercial  de  la  nouvelle  Russie.  Depuis  le  mois  de 
j'invier  1827,  il  est  imprimé  dans  les  deux  langues  r«.v<î<' et /»««- 


RISSIK.  ;(;.) 

fiilse,  et  parail  jusqu'à  [»iésuntaveo  exactitude  tous  le»  iiiei- 
cretli  cl  les  .samedi,  [>ar  numéros  de  4  p!io<-'''>  format  iu-ful., 
soiis  le  litre  de  Journal  d'Odessa,  eu  russe  :  Odcsski  F éstnik. 
<!ette  leuille,  couHue  déjà  des  lecteurs  de  la  Revue  Encyclo- 
pédique ^voy.  novembre  1H27,  t.  xxxvi,  p.  389-090),  est  très- 
intéressante  <!t  offre  beaucoup  d'articles  instructifs  et  impor- 
tans  sur  les  provinces  méridionales  de  la  Russie. 

J-.  —  Feuille  de  commerce,  paraissant  low?,  \c%  samedis ,  par 
numéro  de  deux  pages  in-fol.  sur  deux  colonnes,  depuis  le 
mois  de  janvier  i85o,  et  distribuée  avec  le  Journal d'' Odessa. 

8.  ■ — Bulletin  de  la  Société  agronomique  de  la  Russie  méridio- 
nale. Le  premier  numéro  de  ce  Bulletin,  publié  dans  les  deux 
langues  russe  et  française,  a  paru  en  juillet  i85o,  sous  la  forme 
de  Supplément  au  Journal  d'Odessa;  il  contient  un  court  avant- 
propos  dans  lequel  les  rédacteurs  indiquent  les  motifs  qui  ont 
déterminé  la  Société  agronomique,  établie  depuis  peu  de  tem? 
à  Odessa,  à  cette  publication,  et  donnent  l'aperçu  suivant  de 
la  marche  qu'ils  se  proposent^de  suivre.  «Les  rédacteurs,  ap- 
préciant à  sa  juste  yaleur  la  tâche  qu'ils  ont  à  remplir,  pu- 
blieront de_'préférenoe  les  travaux  déjà  approuvés  des  au  très  So- 
ciétés d'agriculture,  avec  lesquelles  ils  sont  en  relation.  Uépan- 
dre  toutes  les  découvertes  et  les  perfeclionnemens,  dont  l'éco- 
nomie rurale  est  l'objet,  lorsqu'ils  seront  utiles  et  applicables 
à  ces  provinces,  appeler  l'attention  des  propiiétaires  sur  cette 
branche  d'industrie  non  er.core  explorée,  et,  en  réveillant  leur 
sollicitude,  opérer  des  améliorations  dans  l'économie  rurale 
de  la  Russie  méridionale,  tel  sera  l'objet  des  efforts  des  rédac- 
tems,  et  ils  s'estimeront  heureux  s'ils  ne  deviennent  point 
entièrement  infructueux.  Les  vieilles  routines  ont  des  racines 
profondes.  Les  hommes  y  tiennent  comme  à  une  partie  de 
l'héritage  qu'ils  ont  reçu  de  leurs  pères.  Yoilà  quel  a  toujours 
été  le  plus  graiid  obstacle  à  l'avancement  des  sciences  agri- 
coles. iSous  espérons  que  tous  les  propriétaires  se  réuniront 
d'intention  avec  nous,  et  contribueront  aux  progi'ès  de  la 
science  dans  cette  province  par  l'application  des  nouvelles 
méthodes.  Nous  recevrons  avec  infiniment  de  reconnaissance 
les  observations  qu'ils  auront  faites,  et,  si  la  sphère  rétrécie 
de  cet  écrit  ne  nous  permet  pas  de  les  publier,  nous  eu  pro- 
literons  pour  rectifier  des  théories  agronomiques,  qiiel{[uefois 
séduisantes,  mais  souvent  inapplicables.  <i  — Ce  Bulletin  est 
adressé  sans  rétribution  aux  aboiniés  du  Journal  d'Odessa. 

S.  r— Y. 


77^'  EIUIOPE. 

ALLEMAGNE. 

AtxaiCHE.  — Proip'èfide  C industrie.  ■ — Depuis  ci(iq  an?,  trois 
ohemiiis  de  l'er  ont  été  construits  en  Autriche  par  des  compa- 
gnies particulières.  Le  plus  grand  sera  celui  qui  va  de  la  ri- 
vière.Moldau  (en  Bohême,  confins  de  la  Bavière)  jusqu'au  Da- 
nube. Sa  longueur  excède  déjà  i5,/jOO  cordes  :  la  corde  est 
une  mesure  égale  à  six  pieds  d'Allemagne.  11  est  question  aussi 
d'établir  sur  plusieurs  fleuves  des  j)onts  suspendus.  L'indus- 
trie et  le  commerce  .-ombicnt  avoir  pris  dernièrement  une 
nouvelle  inq)idsinn,  mais  jiisqu'ici  le  mouvement  ne  se  lait 
sentir  (ju'eu  Autriche. 

Brlnswick. —  Nouvelle  édition  des  Œuvres  de  J.  H.  Campe. 
—  Parmi  le  grand  nombre  de  bons  écrivains  pour  la  jeunesse 
querAlIcmagne  a  produits,  le  vénérable  Campe,  cet  ami  bien- 
veillant de  l'enfance,  u'eût-il  écrit  que  le  Nouveau  Ilobinson, 
ouvrage  traduit  dans  toutes  les  langues,  aurait  encore  des 
droits  incontestables  à  notre  reconnaissance.  Cet  ouvrage,  et 
tous  ceux  qu'il  a  composés,  ont  eu,  lors  de  leur  publica- 
tion ,  (me  grande  influence  sur  le  perfectionnement  de  l'édu- 
cation, et  le  mérite  réel  de  la  plup.'rt  d'entre  eux  fait  qu'ils 
conserveront  cette  bienlaisante  influence  long-tem^  encore. 
Il  e.-t  donc  intéressant  «l'apprendre  que  11.  \  ievvig  ,  gendre 
de  feu  Campe,  va  publier  une  nouvelle  édition  complète  de 
tous  les  ouvrages  de  celui-ci  destinés  à  l'enfance  et  à  la  jeu- 
nesse. La  collection  formera  07  vol.  in-12,  pour  le  modique 
prix  de  souscription  de  10  rixdales.  Voici  quelle  sera  la  dis- 
position des  volumes  :  Le  1"  est  l'Abécédaire,  avec  24  g""''" 
vurescoloriées;  lessuivans,  dea-;,  la  Petite  Bibliothèque  pour 
les  Enfans ,  0  gravures;  —  8,  Psycologie  pour  les  En- 
fans,  5  gravures;  — 9,  le  Petit  Livre  de  Morale,  une  gra- 
vure; —  12-14.  's  Découverte  de  l'Amérique,  3  gravures  et 
5  cartes  de  géographie; —  i5,  Livre  d'Estampes  historiques, 
iS  feuille?;  —  16,  Règles  de  prudence  pour  la  Jeunesse,  une 
gravure; — 17-55,  les  deux  Collections  de  Voyages,  etc., 
i()  gravures  et  plusieurs  cartes  ;  —  36,  Conseils  d'un  père  à  sa 
Fille;  et,  enfin,  37,  Théophron ,  ou  Conseils  de  l'expérience 
pour  la  jeunesse.  J — h  de  Li'Cenav. 

SUISSE. 

Découvertes  d' Antiquités. —  On  sait  combien  le.  sol  de  la 
Suisse  est  riche  en  dcbri.s  de  la  domination  romaine,  auxquels 


SILSSK.  ;;, 

>i;  ai«~'l»'iU  (juil(|ii(!-  Iiac(;s  du  pas.siigc,  vA  du  .scjuui'  de?  liordrs 
barl)are^  qui  out  proineiié  la  désoialiou  sur  la  surlacc  de  l'Eu- 
rupo.  Malf^ré  les  louillcs  ahoudaiilcs  laites  dans  quclques-utis 
doseaiitous,  il  reste  encore  ;\  glauer  dan^^  tes  cliauips  souter- 
rains ,  et  cha(|ue  année  on  découvre  des  objets  de  (jucUiuc 
ititérèt.  Nous  réunissons  ici  une  partie  des  découvtnles  les 
plus  récentes  ou  les  pins  curieuses. 

îl  y  plusieurs  années  que,  dans  le  canton  de  Zurich,  a  iuie 
dcnii-licue  de  la  ville  de  "NVintertlicjur,  on  construisit  une  fila- 
tm'e  au  bord  de  laTœss,  sur  un  roc  de  molasse,  lin  creusant 
les  l'ondemens  et  les  caves  dans  ce  roc,  on  y  vit  beaucoup  de 
fissmes,  dont  plusieurs  contenaient  un  {;rand  nniubre  de  de- 
mi-cylindres de  métal,  semblables  à  des  canons  de  fusil  par- 
tagés en  deux  dans  leur  longueur;  des  barres  de  métal,  d'un 
pouce  d'épaisseur  sur  âeux  et  demi  ou  trois  pieds  de  lonji,  et 
terminés,  à  leur  extrémité  la  plus  large,  par  un  bouton  sphé- 
rique  d'environ  deux  lignes  de  diamètre;  plusieurs  exemplai- 
res d'un  instrument  lait  d'airain  de  Corintlie  ,  mais  dont  on 
ignore  l'usage;  il  est  plat,  long  de  quatre  pouces,  renflé  dc^ 
deux  côtés  vers  le  milieu,  l'extrémité  la  plus  large  arron- 
die, fort  tranchante,  à  Texlrémité  phis  étroite  une  entaille. 
(Un  instrument  tout  sciiibiable ,  mais  de  pbis  grandes 
dimensions  et  de  métal  plus  grossier,  fut  trouvé,  il  y  u 
huit  ans,  daijs  luie  tourbière,  à  une  demi -lieue  de  Zu- 
rich, près  de  ^Vicdikon.)  Enfin,  le  roc  de  molasse  leuferuiait 
encore,  dans  ses  lentes,  des  lames  d'épées  et  de  poignaids, 
et  plus  loin  un  canal  de  trois  pieds  de  longiteur  et  de 
profondeur,  dans  lequel  étaient  des  charbons  et  des  lesies  de 
cadavres  humains.  I.e  propriétaire  du  sol,  et  par  conséquent, 
des  objets  découverts,  mécanicien  habile,  mais  sans  instruc- 
tion scientifique,  n'a  conservé  qu'un  seul  exen)plaire  des  bar- 
jes  de  métal  et  de  l'instrument  inconnu  ;  il  s'est  servi  de  tout 
le  reste  pour  si  s  fabrications.  Ce  n'est  que  plusieurs  années 
après  qu'un  homme  instruit  a  eu  connaissance  de  cette  décou- 
verte, dont  il  a  bien  voulu  nous  faire  part. 

Une  ville  des  Rouraques,  célèbre  du  tcmsde  la  domination 
des  Romains  en  Helvétie,  puis  détruite  par  les  Huns,  en/|5o. 
a  laissé  son  nom  au  petit  village  d\^€ugst,  dans  le  cantcn  dv 
BTde.  Malgré  les  nombreuses  fouilles  et  découvertes  faites  ^nr 
cet  emplacement  d'une  ville  jadis  florissante,  on  continue 
avec  succès  à  exploiter  ce  sol  fertile  en  mouuniens  historiques. 
On  y  a  retrouvé,  entre  autres,  des  sépulcres,  un  aqueduc  bien 
conserA'é ,  une  grande  route  qui  y  conduisait  de  "Vindonissa, 
la  ville   la  plus  brillante  de  l'Helvéli*'  romaine,  dont  le  nom 


7^3  Etnori;. 

^'est  conservé  dans  celui  du  village  de  "NN  indisuh  .  ;iu  canionr 
d'Argovie.  L'automne  dernier,  M.  Schmidt,  labriiaut  de  pa- 
pier, a  découvert,  à  un  pied  et  demi  de  profondeur,  deux  su- 
perbes mosaïques,  sous  lesquelles  on  croit  qu'il  existe  de  vas- 
tes bains,  Il  est  propriétaire  du  théâtre  romain,  fort  spacieux, 
et  il  possède  une  riclieroUection  d'antiquités  trouvées  à  Aeugsf, 
médailles,  ustensiles,  divinités,  etc.  Un  ingénieur,  M.  Frey, 
a  levé  le  plan  de  l'enceinte  dans  laquelle  ce*  monumens  de  la 
ville  d'Augusta  ont  été  retrouvés. 

Aux  environs  de  Nidau,  j  etite  ville  à  l'extrémité  orientale  du 
tac  de  Bienne.  dans  le  canton  de  Berne,  on  a  souvent  aperçu  des 
traces  des  établissemens  que  les  Romains  avaient  formés  dans 
cette  contrée.  Au  pied  du  Jensberg,  situé  à  quelque  distance 
de  la  ville,  on  avait  déjà  précédemment  déterré  des  médailles 
romaines.  Des  fouilles  ordonnées  au  printems  dernier  par 
le  préfet  ont  fait  découvrir  des  monnaies  romaines,  et  des 
vases  en  terre,  ornés  de  figures  en  reliefs  de  divinités,  d'hom- 
mes et  d'animaux.  Le  gouvernement  a  mis  à  la  disposition  de 
la  curatelle,  ou  commission  académique,  une  somme  pour 
faire  continuer  les  fouilles,  sous  sa  direction.  Des  antiquaires 
présument  que  l'emplacement  en  question  fut  celui  de  l'an- 
cienne Pclinesca ;  les  découvertes  qu'où  fera  aideront  peut- 
être  à  éclaircir  celle  question. 

A  l'extrémité  opposée  du  même  lac,  sur  les  confins  des  can- 
tons de  Berne  et  de  Neucliâtel ,  il  existait  sans  doute  du  tems 
des  Romains  une  ville  considérable.  Le  sol  y  recèle  des  mé- 
dailles romaines;  les  vignerons  en  rencontient  de  tems  en 
tems  sous  leur  lioyau  ;  au  commencement  du  mois  de  juin 
dern'er,  on  en  a  trouvé  une  en  cuivre,  de  Constantin-le-Grand. 
L'espace  dans  lequel  se  voient  tant  de  vestiges  de  la  présence 
des  vainqueurs  de  l'Ilelvétie  est  estimé  avoir  5,ooo  pieds 
en  longueur;  un  pan  de  mur  semble  attester  encore  qu'il  y 
avait  là  une  ville. 

Vers  le  même  tems,  à  deux  lieues  de  ia  ville  de  Berne,  dans 
la  direction  orientale,  au  bord  d'un  bois,  un  paysan,  ayant 
arraché  un  sapin  ,  vit  sous  les  racines  une  médaille  romaine 
d'une  moyenne  grandeur,  d'airain  de  Corinlhe,  légèrement 
argenté;  l'inscription  porte  :  .¥..  IL  Fa".  DiV^.S  A^G^S- 
T^  S.  (Auguste  est  rcpié>^enti;  avec  une  couronne  d'é- 
toiles. )  CONSENS\  SK>.  OUDIN.  EQ.  PQH.  La  figure 
qui  se  trouve  sur  le  revers  tient  une  branche  d'olivier  à  la 
main.  Une  route  romaine  passait  dans  celte  contrée;  peut- 
èlre  aboutissait-elle  au  lac  de  Thouu,  silué  a  (|uelques  lieues 
de  là  .  au  midi. 


SLISSE.  ;;:> 

Ali  luoi;;  de  mai,  le  ■idiiveinemciit  ihiirisorim  fit  faire  de? 
travaux  sur  la  grande  roule  qui  longe  le  lUiin  et  l'extiémité 
occidentale  du  lac  de  C()n>tance.  Dans  les  derniers  jours  du 
mois  on  trouva,  à  i4  pieds  de  profondeur,  des  monnaies  d'ar- 
gent très-fin  qui  avaient  conservé  tout  leur  brillant  primitif. 
Trois  des  pièces  présentent  d'un  côté  l'inscription  suivante 
autour  d'un  croix  :  CARLVS  RE  7  Fil  7  ;  sur  le  revers  l'une 
porte  :  MliTVLLO  7;  la  seconde.  MEDIOL  7;  la  troisième, 
PAPIA,  et  au  milieu  un  signe  qui  se  refuse  à  la  description. 
Chacune  de  ces  trois  pièces  pèse  35  grains.  Toutes  les  autres  , 
au  nombre  d'une  trentaine,  du  poids  de  52  grains,  paraissent 
provenir  des  Sarrasins.  Les  mêmes  caractères  se  trouvent  sur 
l'un  des  côtés  de  ces  pièces;  mais  sur  les  revers  chacune  a 
quelque  chose  de  particulier,  en  sorte  qu'il  n'y  en  a  pas  deux 
qui  se  ressemblent  parfaitement.  Avant  d'arriver  à  ces  mon- 
naies,  on  trouva  dans  le  même  emplacement  quelques  osse- 
mens  humains  et  un  éperon  presque  détruit  par  la  rouille. 
L'état  du  sol  fait  présumer  que  ces  objets  étaient  là  par  suite 
d'un  éboulement. 

A  Cormevoz,  Milluge  fribourgeois ,  situé  à  cinq  quarts  de 
lieue  d'Avenche  (ancienne  Aventicum),  un  paysan,  ayant  ar- 
raché un  arbre,  découvrit  sous  les  racines  un  beau  pavé  en 
mosaïque ,  bien  conservé,  d'environ  vingt  pieds  carrés.  Au 
centre,  on  voit  un  médaillon  d'à  peu  près  quatre  pieds  de  dia- 
mètre, qui  représente  Thésée  tuant  le  .Minotaure.  Le  large 
cercle  qui  entoure  le  médaillon,  et  occupe  presque  tout  le  carré 
à  l'exception  des  angles,  est  divisé  en  huit  compartimen?  dont 
le  dessin'  symétrique  et  uniforme  offre  un  symbole  du  lab\'- 
rinthe. 

Un  artiste  de  Lausanne,  distingué  par  son  talent,  son  goût 
et  son  savoir,  a  dessiné  le  médaillon  sur  les  lieux;  il  enpot'te 
le  jugement  suivant  :  «Il  existe  sans  doute  des  mosaïques  plus 
belles  et  infiniment  plus  soignées  dans  l'exécution  :  mais  celle- 
ci  se  distingue  par  sa  dimension  et  par  une  exécution  large. 
L'attitude  de  chaque  figure  est  très-convenable,  le  Alinotaure 
est  beau.  La  composition  est  d'un  artiste  habile  ;  mais  l'exé- 
cution se  ressent  de  l'éloiguement  de  Home,  et  peut-être  aussi 
d'un  commencement  de  dégenération  dans  l'ait.  La  main  de 
Thésée  et  celle  du  Minotaure  laissent  lieaucoup  à  désirer,  sous 
le  rapport  de  la  régularité  du  dessin.  » 

Cette  uîosaïquc  appartient  probablement  a  une  villa  des 
environs  d'Aventiciuii.  Les  antiquités  qu'on  dccuu\  re  encoiT 
chaque  année  dans  l'emplacement  de  celte  cite  romaine,  at- 
testent sa  vaste  étendue  et  sa  splendeur.  Le   guuvernemcal 


;;4  EUROPE. 

rnboiirgcdis  se  piopo.-'C,  dit-on,  de  faire  transportorà  Frii)ouii; 
la  mosaïque  découverte  il  y  a  quelques  semaines,  et  de  jetci 
ainsi  les  l'ondeniens  d'un  Musée.  11  est  à  craindre  (jue  ce  mor- 
ceau précieux  ne  souffre  dans  le  transport. 

Le  gouvernement  raudois ,  de  son  côté,  a  autorisé  les  con- 
servateurs des  antiquités  cantonnales  à  construire  un  Musée 
à  Avenche,  pour  y  recueillir  les  débris  mobiles  d'Aventicum, 
et  donner  à  ces  antiquités  plus  de  prix,  en  les  laissant  rappro- 
chés des  monumens  immobiles  qu'on  voit  en  j;rand  nombre 
dans  l'enceinte  et  dans  les  environs  d'Avenche,  humble  ville 
qui  n'a  conservé  de  la  magnifique  cité  qu'elle  remplace  que 
des  ruines  et  des  souvenirs.  1-e  canton  de  Vaud  possède  ;i 
Lausanne  un  Musée  central;  néanmoins,  le  gouvernement 
a  préféré  avec  sagesse ,  pour  cette  partie  considérable  de 
nos  antiquités,  l'intérêt  de  la  couleur  locale  aux  avantages 
généraux  de  la  centralisation. 

Parmi  les  découvertes  qui  se  font  annuellement  à  Avenche 
et  dans  les  environs,  une,  laite  en  i823,  mérite  d'être  remar- 
quée. Sous  une  masse  considérable  de  plâtras,  le  hasard  fit 
apercevoir  des  débris  de  l'ancienne  ville.  On  fouilla,  et  l'oi' 
trouva  des  colonnes  de  marbre,  des  aigles  d'albâtre,  im  mur 
encore  debout  avec  des  peintures  à  fresque,  et  non  loin  de  là 
un  aqueduc  en  marbre  blanc  et  poli.  C'étaient  sans  doute  les 
restes  du  palais  de  quelque  personnage  considérable.  —  Les 
fouilles  entreprises  par  les  propriétaires  de  fonds  de  terre 
n'ont  guère  pour  objet  que  de  trouver  des  matériaux  de  con- 
struction; elles  suivent  la  ligne  des  murs.  L'idée  de  diriger 
les  fouilles  dans  l'intérêt  de  la  science,  et  de  découvrir  les 
traces  du  plan  de  la  cité  (jui  dut  aux  îlomains  un  si  haut  point 
de  splendeur,  incontestablement  fort  intéressante,  nous  pa- 
raît impo<*sible  à  exécuter  sans  d'énormes  sacrifices.  Des 
champs  et  des  prés  couvrent  l'antique  ville:  qui  consentirait 
à  sTcrifier  ses  récoltes  à  des  investigations  de  pure  curiosité 
scientifi(|ue  ?  Nul  doute  cependant  (|ue  le  zèle  des  conserva- 
teurs et  l'intérêt  que  le  gouvernement  fait  voir  pour  cette 
partie  de  l'histoire  cantonuale  ne  se  soient  communiqués  à  un 
grand  nombre  des  habilans  d'Avenche.  Lu  des  conservateurs 
s'est  sagement  attaché  à  une  idée  plus  praticable  que  celle  de 
fouilles  systémali(|ues,  c'est  de  dresser  un  procès-verbal  dé- 
taillé de  celles  (|ui  ont  été  faites  ou  qui  se  feront  encore. 

Quoiqu'il  n'ait  été  ([ueslion  dans  cet  article  que  d'antif|iii- 
tés  découvertes  en  Suisse,  <;e  ne  sera  pas  trop  s'écarter  du  su- 
jet que  de  mentionner  un  don  d'objets  analogues  que  vi<:ul 
de  recevoir  la  Bibliothèque  publique  de  Berne,  d'un  régiment 


SUISSE.  y;r5 

bernois,  au  service  de  Naples ,  stationné  à  Nola ,  celte  vieille 
cc.lonie  étrusque  dont  les  potiers  jouissaient  d'une  céléhiilé 
immense.  Le  corps  des  officiers  de  ce  régiment  a  fait  faire  à 
ses  trais  des  fouilles  dans  des  tombeaux  souterrains  d'une 
baute  antiquité.  11  a  acquis  par  Ce  moyen  une  collection  de 
deux  cent  treize  vases,  dont  plus  d'une  douzaine  sont  d'une 
grandeur  et  d'une  beauté  remarquables,  enrichis  de  figures  et 
d'autres  ornemens,  tantôt  rouges  sur  un  fond  noir,  tantôt 
noirs  sur  un  fond  rouge.  On  ne  peut  qu'admirer  le  bon  goût 
des  formes  et  des  ornemens.  L'un  des  vases  de  première  gran- 
deur est  d'une  espèce  très -rare,  vu  le  caractère  des  ligures  et 
deux  courtes  inscriptions  grecques  :  aussi  la  commission  de 
surveillance,  sans  l'autorisaticm  de  laquelle  on  ne  peut  sortir 
du  royaume  aucun  objet  d'antiquité,  désirait-elle  vivement 
acquérir  ce  morceau  pour  le  Musée  royal;  il  n'a  fallu  rien 
moins  qu'une  intervention  supérieure  pour  que  les  premiers 
acquéreurs  pussent  le  conserver.  La  collection  complète 
vient  d'arriver  à  Berne,  parfaitement  bien  conditionnée.  On  y 
a  joint  un  modèle  en  relief  d'un  tombeau  antique,  pour  ftiire 
bien  comprendre  la  place  qu'y  occupent  ces  sortes  de  vases. 
On  nous  promet  la  prochaine  publication  d'une  description 
raisonnée  de  la  collection,  accompagnée  de  planches  litho- 
graphiées. 

En  voyant  cette  féconde  exploitation  du  sol  helvétique,  il 
est  impossible  de  ne  pas  désirer  qu'il  se  forme  ,  à  côté  de  tant 
d'autres  associations,  une  société  (Cantiquaires  suisses.  Atten- 
tive à  toutes  les  découvertes,  elle  veillerait  à  ce  qu'aucun  ob- 
jet de  quelque  prix  ne  se  perdît,  ou  ne  restât  dans  des  mains 
barbares;  sans  prétendre  centraliser  les  collections,  elle  cen- 
traliserait la  connaissance  des  découvertes  éparses,  lierait  sys- 
tématiquement entre  elles,  par  des  catalogues  raisonnes,  les 
diverses  collections  cantonnales  ou  personnelles,  et  saurait 
ainsi  tout  ensemble  conservera  ces  restes  d'une  ancienne  ci- 
vilisation une  physionomie  locale,  et  en  nationaliser  l'étude. 
Nous  soumettons  ce  vœu  à  ceux  de  nos  compatriotes  qui  ont 
fait  leurs  preuves  dans  cette  branche  d'éi  udition. 

C.   MONNARD. 

GmsoNS.  —  Histoire  naturelle.  — •  Au  commencement  de 
mai,  on  a  tué  dans  la  Haule-Eiigadine  un  oiseau  ries  contrées 
les  plus  septentrionales,  le  grand  plongeon  de  la  mer  du  Nord 
(cotymhiis  glacialisj.  Il  pesait  sept  livres.  Cet  oiseau  entre- 
prend quelquefois  en  hiver  des  voyages  lointains. 


-;(>  EUROPE. 

GRÈCE. 

ExTKAiT  d'une  Lettre  acirc^si'e  au  Direcleiir- Fondateur  de  la 
Revue  Encycloi'Édiqve  :  Situation  générale  ;  Ferme  modèle  ; 
Orphanolrophe.  —  Écoles  Normales.  —  Paras  et  Nauplie, 
17  mai  et  i5  juin.  —  «  A  force  de  persévérance,  chaque  par- 
lie  de  l'administration  s'améliore;  mais  les  progrès  sont  lents; 
ils  le  seraient  moins,  si  nous  étions  délivrés  de  quelques  intri- 
gans  qui  se  mêlent  de  nos  affaires  sans  titre  ni  Aocation. 

«Je  ne  vous  parle  pas  des  projets  conternant  l'agriculture, 
les  arts  et  métiers,  les  colonies,  etc.;  tout  ceci  pourra  se  faire; 
mais  avant  tout,  il  faut  savoir  comment  et  par  qui.  Dans  l'é- 
tat actuel  des  choses,  et  tant  que  l'administration  de  la  Grèce 
ne  sortira  pas  du  provisoire,  il  est  impossible  de  rien  pro- 
mettre. J'aime  à  penser  que,  sous  peu,  nous  saurons  ce  qui 
en  adviendra  du  gouvernement;  le  nouveau  souverain  décla- 
rera ses  intentions. 

«  La  ferme  modèle  établie  à  ïyrinthe,  entre  Nauplie  et 
Argos,  avance.  M.  Paléologue  fait  espérer  que  cet  établisse- 
ment prospérera.  Avant  l'automne,  l'école  de  celle  ferme 
renfermera  au  moins  24  élèves.  L'orphanolrophe ,  à  Egine, 
va  très-bien;  il  contient  cinq  cents  ent'ans,  et  un  nombre  con- 
sidérable d'entre  eux  se  distinguent  dans  la  gramujaire,  le 
dessin  et  la  musique;  une  vingtaine  ont  été  placés  dans  la 
marine,  et  par  leur  discipline  servent  de  modèles  aux  vieilles 
moustaches. 

»  On  eu  a  envoyé  une  quarantaine  à  Nauplie,  pour  y  appren- 
dre'les  étals  de  lailleui',detourneur  cl  de  charpentier.  Presque 
tous  réussissent.  A  côté  de  l'orphanolrophe  d'Egine,  sont  en 
pleine  activité  deux  écoles  normales,  l'imepour  l'enseignement 
mutuel,  l'autre  pour  les  éludes  supérieures.  Elles  sont  sous  la  di- 
rection de  M.  McsTOXiDi;  elles  comptent  environ  troiscents  élè- 
ves, et,  suivant  toute  apparence,  en  contiendront  sous  peu  le 
double.  Ou  ne  peul  qu'éprouver  un  sentiment  de  surpiise  et 
de  joie,  en  voyant  ces  jeunes  gens,  sortis  depuis  un  an  des  té- 
nèbres de  l'ignorance  et  des  horreurs  de  la  miscre,  faire  des 
progrès  aussi  rapides  et  aussi  extraordinaires. 

Que  les  espérances  qu'ils  nous  donnent  sont  douces  et- flat- 
teuses, que  celle  rrconipense  tic  l'intérêt  (ju'on  leur  porte  est 
satisluisante  ! 

Nauplie  sort  un  peu  de  ses  ruines  et  de  >es  marais;  ou  y 
b.ilit  bejiucouj).  Il  en  est  de  même  de  Tripolitza,  de  Patras, 
de  (]orinthc  et  d'aulriîs  villc.^.  (iliaque  province  possède  à  cette 


GRIXE.  >77; 

heure,  une  ou  deux  écoles  d'enseignenjent  mutuel.  Paros  csl 
bien  changé,  les  ri:cs  y  sont  pj-opres  ;  on  a  établi  un  jardin 
public;  là  où  il  n'y  avait  que  des  rochers  est  une  école  d'en- 
seignement mulucl  ])our  trois  cents  écoliers;  on  va  construire 
un  quai  le  long  de  la  nier,  depuis  la  mairie  jusqu'à  l'ancien 
arsenal,  et  on  coninieuce  à  bâtir  un  uDuvel  arsenal  ;  en  un 
mot,  cette  ville  est  tellement  embellie  et  améloirée  qu'à  peine 
est-elle  reconnaissable. 

M.  IMaiin,  jeune  pharmacien  plein  de  zèle  et  d'instruction, 
qui,  après  êlie  resté  quelques  mois  en  qualité  d'aide  pharma- 
cien,  chez  M.  Moiin,  à  Genève,  s'était  décidé  à  offrir  à  la 
Grèce  ses  services  et  ses  talens,  vient  d'y  être  nommé  phar- 
macien des  troupes  régulières ,  et  directeur  de  la  pliarmacie 
centrale.  Z. 

Code  de  Commerce  français  adopté  en  Grèce.- — Sur  la  demande 
des  négocians  grecs,  le  Code  de  Commerce  français  a  été  mis 
en  vigueur  dans  les  Etats  de  l'Hellade.  Les  dispositions  si  con- 
fuses de  la  législation  civile  dans  ce  pays  font  regretter  vive- 
ment que  la  même  mesvire  n'ait  pas  été  étendue  aux  auli'cs 
Codes  qui  nous  régissent.  L'identité  de  législation  entre  les 
peuples,  en  simplifiant  leurs  l'apports ,  forme  un  des  liens  les 
plus  puissans  de  la  civilisation,  et  nos  Codes  ont  été  pris  pour 
modèles  par  toutes  les  nations  qui  ont  jugé  utile  d'apporter 
quelques  réformes  à  leur  législation  antérieure. 

Etablissement  d'une  monnaie.  —  Un  atelier  pour  frapper 
les  monnaies  vient  d'être  créé  à  Lginc,  par  les  soins  de  M.  de 
CAPO-d'IssTRiAS.  Il  a  placé  à  la  tête  de  cet  étaldissement  un  Ar- 
ménien, anciennement  employé  à  Constanlinople.  Les  pièces 
sorties  des  ateliers  sont  passablement  frappées.  L'unité  mo- 
nétaire grecque  a  été  fixée  à  90  centimes.  La  pièce  d'argent 
de  cette  valeur  poile  le  nom  de  Phéniw.  On  n'a  point  encore 
frappé  de  multiples  de  cette  monnaie,  qui  a  déjà  été  contre- 
faite. 

Suppression  du  journal  :  l'Atrore.  —  Peu  de  tems  après 
l'établissement  du  gouvernement  grec  à  Napoli  de  llomani, 
un  Grec,  W.  AistosidÈs  ,  armateur  à  Candie,  a  fait  paraître 
un  recueil  périodique,  intitulé  :  L'//«rore,  Hw?.  Ce  journal, 
(|ui  traitait  de  la  politique,  de  l'agriciiltute,  du  commerce  et 
de  la  littérature,  était  faiblement  rédigé.  Cependant,  on  a 
jugé  que  son  exi.'^tence  pouvait  compromettre  la  tranquillité 
du  pays;  il  n'a  pu  paraître  que  durant  trois  mois,  et  il  a  été 
supprimé.  Bien  que  les  sciences  et  les  arts  n'aient  pas  à  le  re- 
gretter, on  a  généralement  désapprouvé  les  mesures  prises  à 
cette  occasion  par  le  gouvernement,  qui  est  ainsi  resté  le 
maître  des  deux  seules  gazettes  publiées  dans  le  pays.     E.  G. 


7;8  EUJIOPE   —  BELGIQUE. 

BELGIQUE. 

Statistique.  —  Population.  —  Diins  un  moment  oi^  le  })eu- 
pie  belge  liitle  avec  une  constance  héroïque  pour  conquérir 
à  la  fois  sa  liberté  politique  et  son  indépendance  nationale  ; 
quand  tous  les  cœurs  généreux,  en  Europe,  palpitent  d'une  af- 
fection sympathique  et  profonde  pour  cette  population  levée 
loutentière  contre  ses  oppresseurs,  nos  lecteurs  ne  liront  point 
sans  intérêt  le  tableau  ci-après  de  la  population  des  principa- 
les villes  des  Pays-Bas.  Ils  y  verront  la  preuve  qu'il  est  im- 
possible à  la  Hollande  de  maintenir,  avec  les  forces  militai- 
res dont  elle  peut  disposer,  l'union  malheureuse  de  deux 
peuples  qui  différent  de  religion,  de  langage,  do  mœurs,  d'in- 
térêts, et  qui  n'avaient  été  associés,  contre  leur  volonté  etcon- 
Ire  la  nature  des  choses,  que  par  la  combinaison  diplomatique 
la  plus  déplorable  et  la  plus  criminelle. 

Population  des  principales  villes  des  Pays-Bas. 

Brcxellbs io5,noo  liabitans.  Liège 5o,ooo  habilaiîs. 

LoovAiîf 25,5oo  AnvERs 65,ooo 

Gand 65,000  Maêstricht. , . .  jy,ooo 

liBL'GES 35,000  Namih IJ,000 

MoAS 20,000  Tournai 24,000 

Des  calculs  statistiques  de  notre  savant  collaborateur 
'\I.  IMouEAr  DE  JoN>Ès  font  connaître,  d'après  des  bases  nii- 
ihentiqucs,  à  quel  nombre  peut  s'élever  la  levée  en  masse  des 
provinces  belges.  La  population  de  ce  pays  étant  de  qi'Aïre 
MILLIONS  d'habitans,  le  nombre  d'hommes  âgés  de  quinze  ans 
à  soixante,  et  capable  de  porter  les  armes  en  cas  d'invasion, 
est  composé  des  cinq  séries  suivantes  : 

Agés  de  i5  à  20  ans i-9,jç)i   honiines. 

—  de  20  à  5o 527,582 

—  de  3o  à  4o 28 1 ,075 

—  de  4u  à  5o 252,095 

—  de  5o  à  60 178,588 

Total  de  la  levée  en  masse 1,198,000 

On  compte,  dans  celte  masse,  840  mille  hommes  âgés  de  20 
à  ."io  ans,  et  propres  au  service  militaire  le  plus  iiclif.  Il  sulfit 
de  ces  nombres  pour  donner  au  peuple  belge  la  conscience  de 
^es  forces,  et  ])oi;r  lui  f;iire  sentir  qu'il  dépend  de  lui  de  ré- 
gler sa  destinée  et  île  se  constituer  <!n  Etat  lilire  et  imlépen- 
dant. 


FllANCE.  —  DEFARTEMENS.  -".j 

FRANCE. 

DÉPARTEMENS. 

TdiîLovsE.  [HauU-Garotine.)  — Prix  proposes.  — L' yiradcnnc 
royale  des  Sciences  de  celle  ville  propose  la  queslion  suivanle, 
pour  le  prix  qui  sera  décerné  en  i833.  «  Indiquer  les  circonstan- 
ces dans  lesquelles  le  minerai  de  1er  extrait  des  mines  de  Rancié. 
et  traité  dans  les  forges  catalanes  des  Pyrénées,  y  produit  une 
>;orte  d'acier  naturel,  dit  fer  cédât,  ovtfer  fort,  dans  le  pays,  par 
opposition  au  fer  doux  que  l'on  retire  habilueileiaeut  de  ces 
mêmes  forges.  Déterminer  ensuite  les  conditions  qui  assu- 
rent la  production  du  fer  fort  de  manière  à  l'obtenir  a  vo- 
lonîé.  >i  La  solution  des  deux  parties  de  la  queslion  doit  être 
fomlée  sur  des  faits  observés  dans  les  forges  catalanes,  et 
constatés  d'une  manière  authentique.  Le  prix  est  une  mé- 
daille d'or  de  la  valeur  de  5oo  fr. 

Pour  l'année  1 8.5a,  im  prix  double  (médailled'or  de  i  ,000  i'r.) 
sera  décerné  à  une  théorie  physico-mathématique  des  pompes 
aspirantes  et  foulantes,  faisant  connaître  le  rapport  enti(!  la 
force  motrice  et  la  quantité  d'eau  élevée  à  une  hauteur  dan- 
née,  en  ajMut  égard  aux  principaux  obstacles  que  la  force  doit 
surmonter. 

Les  lettres  et  mémoires  seront  adressés  à  M.  D'Aubtssos 
nEsvoisi>s.  secrétaire  perpétuel  de  l' A<adémie  ;  le  terme  de 
rigueur  pour  qu'ils  soient  admis  au  concours  est  le  i"  fé\rier. 

—  académie  des  Jeux  floraux:  —  Prix  décernés  ea\  85o.  A  la 
séance  du  o  mai ,  on  a  couronné  les  auteurs  des  pièces  sui- 
vantes :  '."Attila.,  ode,  par  M.  GriLniro  de  Lavergne,  a  rem- 
porté le  prix  réservé  du  genre  :  —  2"  La  Jeune  Veuve  à  son 
Fils,  ode  élégiaquc,  par  )!,  ïîrel  de  la  Martimère,  a  obl<'nu 
une  violette  réservée:  —  5°  Florette,  poème,  par  M.  Guir,- 
uiTD  de  Lavergxe,  a  remporté  le  prix  de  l'année;  —  4"  ^^ 
Jeune  Fille,  élégie,  par  M.  Tirel  de  la  MartiniÈre,  a  rem- 
porté le  prix  de  l'année;  —  5°  Le  Retour  du  Bal,  élégie, 
par  M.  Mafge,  a  obtenu  un  prix  réservé  du  genre  ;  —  6°  Les 
Deux  Sœurs,  hymne  à  la\'ierge,  par  M.  Adolphe  de  Pii- 
BrsQrE,  a  remporté  le  prix  de  l'année;  — 7°  Le  sujet  de  dis- 
cours proposé  par  l'Académie  était  la  question  suivante  : 
Quels  axantages  peuvent  retirer  nos  écrivains  de  la  lecture  des  au- 
teurs fran{'ais  antérieurs  au  iisif  siècle?  yi.  Granié  (du  Gers) 
(  l  M.  GxiLHArD  DE  Lavergne  ont  obtenu  chacun  mie  églan- 
tine  d'or.  — L'Académie  propose  pour  le  sujet  du  discours  mis 


780  FRANCE. 

au  concours  de  i83i,  la  question  suivante  :  Est-ce  par  t'imita^ 
tion  ou  par  l'invention  que  la  liitératiire  française  a  faille  plus  de 
progrès?  Pour  le  coiicom-.sde  1  83i,  les  auteurs  feront  remettre, 
par  une  personne  domiciliée  ùToulouse,  trois  copies  de  chaque 
ouATOge  à  M.  ôe  Malaret ,  secrétaire  perpétuel,  qui  en  don- 
nera un  récépissé. 

—  Société  royale  d'Agriculture  du  département  de  la  Haute- 
Garonne.  —  Le  grand  piix  d'hoimeur  pour  l'amélioration  des 
laines  sera  décerné  dans  la  séance  publique  du  24  juin  i83i. 
Ce  prix  consiste  en  houlettes  de  vermeil  et  d'argent. 

PARIS. 

ÏNSTiTrT.  —  Académie  des  Sciences.  —  Séances  du  mois  de  sep- 
tembre j  8jo.  — Séance  du  6.  — >1°"'  Evde,  sage-femme,  présente 
l'enfant  à  double  train  de  derrière,  dont  il  a  été  question  dans 
laprécédente  séance.  —  M.  Geoffroy-Saint-Hilaire  lit  un  Mé- 
moire à  ce  sujet,  où  il  fait  connaître  ce  qu'il  y  a  de  particulier 
et  d'incomplet  dans  ces  membranes  surnuméraires.  —  M.  Gay- 
Lussac  annonce  que  M.  Braconnot,  de  Nancy,  a  découvert 
dans  le  peuplier  la  substance  nommée  salicine,  et  une  autre 
substance,  qu'il  regarde  comme  nouvelle,  et  qu'il  nomme  po- 
pulinc.' — MM.  Cuvier  et  Duinèril  i'oni  un  rapport  sur  le  Mé- 
moire de  M.  ]5rescfiet,  relatif  à  l'organe  de  l'audition  de  quel- 
ques poissons.  En  voici  les  conclusions  :«  Les  fonctions  des 
parties  de  l'oreille  sont  encore  si  obscures  que  l'on  ne  peut 
trop  s'occuper  de  discerner  ce  que  ces  parties  ont  de  constant 
et  de  variable,  pour  arriver  à  fixer  leur  essence  ;  et  la  classe 
des  poissons  présentant  à  cet  égard  plus  de  variations  qu'au- 
cune autre,  c'est  sur  elle  que  l'attention  des  anatomistes  doit 
naturellement  se  porter.  Les  observations  de  M.  Breschet 
confiiment  en  partie  ce  qui  a  été  vu  le  plus  récemment  par 
les  anatomistes  qui  l'ont  précédé,  el  elles  offrent  plusieurs 
particularités  nouvelles.  Nous  en  avons  vérifié  une  grande 
partie,  principaleiaent  celles  qui  concernent  l'alose,  l'estur- 
geon, la  carpe  et  la  raie.  Nous  nous  sommes  assez  convaincus 
de  l'exactitude  scrupuleuse  de  l'auteur  pour  ne  faire  aucun 
doute  que  l'on  ne  vérifie  de  la  même  manière  celles  que  nous 
n'avons  pas  eu  l'occasion  de  réf)éter.  Nous  pensons  donc  que 
l'Académie  doit  accueillir  favorablement  ce  travail,  et  en  or- 
doiuier  l'impression  dans  les  Mémoires  des  savans  étrangers, 
si  l'auteur  ne  le  l'ail  pas  paraître  auparavant  par  quelque  autre 
voie.  (Approuvé.) — -  MM.  Gay-Lussac  et  Scrullas  font  un 
rapport  >nr  le  Mémoire  de  "M.  Lecam',  relatif  à  la  matière  en- 


1»A111S.  ;8i 

îorante  du  sang  ou  lu-matosine.  »  En  résumant  ce  qui  précède, 
dit  en  terminant  M.  le  rapporteur,  on  trouve  que  la  matière  co- 
lorante lia  sang  ou  hématosine  n'e^t  pas  un  principe  immé- 
diat, mais  une  combinaison  d'albumine  et  d'une  substance 
colorante  particulière  que  M.  Lecanu,  à  l'aide  d'im  procédé 
facile  et  qu'il  décrit  avec  soin,  e^t  parvenu  à  isoler.  Il  propose 
de  nommer  cette  substance  glohuline,  en  lui  assignant  les  ca- 
ractères suivans  :  i°  d'être  d'un  beau  rouge  à  l'étal  d'hjdrate, 
et  d'un  rouge  brun  à  l'état  sec  ;  2°  de  contenir,  ce  qu'il  est  fa- 
cile de  démontrer  par  l'incinération,  les  0,174  t'c  son  poids 
de  fer;  c'est-à-dire  une  quantité  double  de  celle  qu'on  a  trou- 
vée dans  la  matière  de  .Al.  Berzélius,  et  par  consé(iuent  pro- 
portionnelle à  la  quantité  d'albumine  qui  en  a  été  séparée; 
5°  d'être  très-soluble  dans  les  alcalis,  et  Ijeaucoup  plus  que  ne 
l'est  l'albumine  coagulée,  car  il  sufTit  de  deux  ou  trois  gouttes 
d'eau  de  potasse  ou  d'ammoniaque  pour  en  dissoudre  très- 
promptenient,plusieurs  grammes  ;  4°  enfin,  et  c'est  une  de  ses 
propriétés  les  plus  remarquables,  de  former  avec  l'acide  hy- 
drochlorique  im  composé  soluble  dans  l'alcool  concentré. 
Ces  faits,  qui  sont  présentés  avec  clarté,  et  qui  ont  exigé  beau- 
coup d'expériences  pour  les  établir,  font  des  Mémoires  de 
M.  Lecanu  un  travail  qui  mérite  l'approbation  de  l'Académie. 
(Approuvé.)  —  i\l.M.  Gay-Lu.'^sac  ,  Flourens  et  Navier  font  un 
rapport  sur  le  Mémoire  de  M.  de  Chabrier,  relatif  au  moyen 
de  voyager  dans  l'air,  et  à  une  tbéorie  nouvelle  des  mouve- 
tnens  des  animaux.  En  voici  quelques  fragmens  :«Il  est  aisé 
de  comparer  la  quantité  d'action  que  l'homme  est  capable  de 
produire  avec  celle  qu'exige  le  vol.  L'oiseau  qui  plane  dans 
l'air  dépense  dans  chaque  seconde  la  quantité  d'action  néces- 
saire pour  élever  son  poids  à  8°  de  hauteur,  tandis  que, 
dans  le  même  tems,  l'homme  ne  peut  élever  son  propre 
poids  à  o^jOSG  :  de  sorte  que  la  quantité  d'action  n'est  que 
la  ~-  partie  de  celle  que  l'oiseau  dépense  pour  se  soutenir 
dans  l'air.  Si  Ihomme  était  le  maître  de  dépenser  dans  ua 
tems  aussi  court  qu'il  le  voudrait  la  quantité  d'action  qu'il  dé- 
pense ordinairement  en  huit  heures,  on  trou\e  qu'il  pourrait 
chaque  jour  se  soutenir  dans  l'air  pendant  5  mmutes;  mais, 
comme  il  est  fort  éloigné  d'avoir  cette  faculté,  il  est  évident 
qu'il  ne  pourrait  se  soutenir  que  pendant  un  tems  beaucoup 
moindre,  et  qui  ne  serait  qu'une  très-petite  fraction  d'une  mi- 
nute. Ces  rapprochemens  montrent  à  quel  point  les  tenta- 
tives faites  dans  la  vue  de  rendre  l'homme  capable  de  voler 
étaient  chimériques.  L'homme  et  la  plupart  des  ([uadrupèdes 
étant  dans  l'impossibilité  de  se  soutenir  <lans  l'air,  il  reste  à 

T.   XLVll.   SEPTEMBRE    1  85o.  5o 


;?83  FRANCE. 

examiner  ce  qu'il  est  possible  de  faire,  lorsque,  par  l'usage  de 
capacités  remplies  d'un  gaz  plus  léger  que  l'air  atmosphérique, 
le  poids  de  l'homme  est  supporté,  et  qu'il  ne  s'agit  plus  que 
de  mouAoir  et  de  diriger  à  volonté  l'appareil.  —  L'usage  des 
ailes  remplies  de  gaz,  proposées  par  M.  Chabrier,  ne  semble 
pas  praticable ,  parce  que  l'on  ne  pourrait  leur  imprimer  la 
vitesse  nécessaiie  pour  se  procurer  un  mouvement  continu 
par  l'eflet  de  battcmens  alternatifs.  Il  paraît  qu'un  homme 
supporté  par  un  aérostat  agirait  sur  l'air  d'une  manière  beau- 
coup plus  avantageuse,  en  faisant  tourner  rapidement  des 
roues  armées  d'ailes  obliques,  disposées  comme  celles  d'un 
moulina  vent,  comme  l'avait  indiqué  Meunier,  de  l'Académie 
des  Sciences.  M.  Navier,  auteur  du  rapport  que  nous  analy- 
sons, a  soumis  ce  moteur  au  calcul.  Il  est  évident  qu'en  sup- 
posant l'appareil  placé  dans  un  air  parfaitement  calme,  on 
n'aurait  besoin  que  d'une  force  très-petite;  u)ais  la  force  né- 
cessaire, qui  est  proportionnelle  au  cube  de  la  vitesse,  aug- 
mentera très-rapidement  avec  le  mouvement  imprimé.  La 
question  consiste  donc  à  rechercher  quel'e  vitesse  un  appareil 
suspendu  à  un  aérostat,  et  par  un  certain  nombre  d'hommes, 
pourrait  acquérir.  Le  résultat  du  calcul,  dans  lequel  l'aérostat 
a  été  supposé  sphérique,  est  que  la  vitesse  limite  dont  il  s'a- 
git augmente  pi-oporlionnellement  à  la  puissance  ~  du  rayon 
de  l'aérostat;  et  si  l'on  attribue  à  ce  rayon  une  valeur  de  10°, 
qui  est  double  de  celle  qui  a  lieu  pour  les  aérostats  ordinaires, 
on  trouve  que  la  valeur  de  cette  vitesse  est  environ  2"  ~  par 
seconde.  Par  conséquent,  l'aérostat  ne  pourrait  être  maintenu 
immobile  contre  un  veut  dont  la  vitesse  dépasserait  2  "  3-  par 
seconde,  vitesse  très-faible,  puisque  c'est  à  peu  près  celle  qui 
permet  au  moulin  à  vent  de  commencer  à  travailler.  Comme 
on  a  négligé  dans  le  calcul  plusieurs  élémens  qui  auraient 
augmenté  la  valeur  de  la  force  nécessaire,  il  paraît  que,  mal- 
gré l'avantage  que  l'on  trouverait  à  donner  aux  aérostats  une 
forme  pins  propre  à  fendre  l'air  que  la  forme  sphérique,  on 
peut  conclure  que,  dans  l'état  le  plus  ordinaire  de  l'atmos- 
phère, l'appareil  serait  le  jouet  des  vents.  On  ne  trouverait 
d'ailleurs  aucun  avantage  à  remplacer  la  force  de  l'homme 
par  celle  de  la  vapeur  d'eau,  ou  d'un  gaz  fortement  comprimé 
d'avance  d^ius  un  réservoir.  L'homme  est  encore  aujourd'hui 
l'agent  mécanique  qui,  à  poids  éj^al,  est  capable  de  pioduire  le 
plus  grand  travail  continu  qu'il  soit  possible.  Nous  pensons 
d'après  cela,  dit  M.  ISavier,  que  la  création  de  l'art  d'une  na- 
vigation aérienne  vraiment  utile  est  subordonnée  à  la  décou- 
verte d'im  nouveau  nu)UMn',  dont   l'action  comporterait  un 


PAKIS.  ;.85 

apparoil  beaucoup  moins  pesant  (pie  les  moteurs  connus....  A 
l'égard  du  travail  de  M.  de  Chabrier,  nous  ne  pensons  pas  que  les 
vues  présentées  par  l'auteur  soient  propres  à  atteindre  le  but 
qu'il  s'était  proposé..)  (Approuvé.) — Le  ra})port  sera  im- 
primé dans  le  recueil  de  l'Académie. 

■ — Du  i5  septembre. —  iM.  Arago  lit  une  lettre  qu'il  a  reçue 
de  M.  MATTE^EI,  de  Forli,  et  dans  laquelle  ce  physicien  cite 
des  expériences  qui  prouvent,  suivant  lui,  qu'au  moment  du 
contact  de  deux  substances  dissemblables,  il  y  a  dévelop- 
pement d'électricité,  même  quand  ce  contact  n'est  accompa- 
gné d'aucune  action  cbimique. — Le  reste  de  la  séance  est  rem- 
pli parla  lecture  de  plusieurs  iMémoires  sur  lesquels  nous  fe- 
rons connaître  le  jugement  de  l'Académie. 

— Du  losepienibre. — MM.  L«<re(7/e  et  Z)«mcVt7 font  im rapport 
sur  la  monographie  des  insectes  mélitrophiles  de  MM.  Per- 
cheron et  Gaurv.  «Sous  le  rapport  de  la  variété  et  de  la  richesse 
des  couleurs,  qui  sont  d'autant  plus  frappantes  que  la  taille, 
généralement  assez  grande,  et  la  figure  ovale  du  coips,  les  fait 
mieux  ressortir,  on  ne  pouvait  choisir  un  sujet  plus  digne  du 
pinceau  d'un  artiste.  Dans  l'intérêt  de  l'entomologie,  il  eût  été 
à  désirer  que  les  frais  de  cette  entreprise  eussent  reçu  une  au- 
tre destination,  celle  par  exemple  de  nous  aider  à  reconnaî- 
tre les  espèces  de  quelques  autres  familles  d'insectes,  où  le 
secours  des  figures  est  plus  nécessaire,  disons  mieux,  indis- 
pensable. Mais  comme  un  ouvrage  de  cette  nature  ne  pourrait 
plaire  aux  simples  amateurs  d'images,  qu'il  aurait  par  con- 
séquent peu  de  débit,  il  a  bien  fallu  se  soumettre  au  goût  do- 
minant. Nous  nous  plaisons  cependant  à  rendre  cette  justice 
aux  auteurs  de  ce  travail,  que  si  la  beauté  des  figures  qui 
l'accompagnent,  et  qui  ont  été  exécutées  par  M.  Guérin,  doit 
contribuer  au  succès  du  livre,  la  science  y  gagnera  aussi,  en 
ce  qu'elles  sont  coordonnées  par  une  bonne  méthode,  appuyée 
sur  un  grand  nombre  d'observations  nouvelles,  et  propre  à  sim- 
plifier beaucoup  l'étude  de  ces  insectes  »  (Approuvé.) — M.  Fré- 
déric CuviER  lit  un  essai  sur  la  classification  naturelle  des  ves- 
p€rtillions  et  la  description  de  plusieurs  espèces  de  ce  genre. 

—  Du  27  septembre.  —  MM.  Arago^  Gay-Lussac  et  Savart, 
rapporteur,  font  un  rapport  sur  une  lampe  hydraulique  pré- 
sentée par  la  maison  Thayot  et  C'.  «  Les  inventeurs  de  cette 
lampe  ont  entrepris  de  faire  disparaître  des  lampes  de  Girard 
tous  les  défauts  qui  les  ont  fait  abandonner,  et  l'on  peut  dire 
qu'ils  ont  complètement  atteint  le  but  qu'ils  se  proposaient. 
Comme  il  nous  serait  impossible,  sans  le  secours  d'un  des- 
sin, de  donner  nue  idée  nette   de  cette  machine,  non.'*  nous 


^84  FRANCE. 

bornerons  à  dire  qu'elle  se  compose,  comme  la  fontaine  de 
Héron,  de  trois  réservoirs  :  i°  d'un  réservoir  supérieur  qui 
contient  l'huile  destinée  à  alimenter  la  colonne  constante  qui 
comprime  l'air;  2°  li'im  réservoir   inférieur,  occupé  par  un 
certain  volume  d'air,  et  qui  communique  avec   le  supérieur* 
par  un  tube  renfermant  la  colonne  liquide  comprimante;  5" 
enfin,  d'un  réservoir  intermédiaire,  contenant  aussi  de  l'huile, 
et  qui  communique,  d'une  part  avec  le  réservoir  inférieur,  de 
l'autre  avec  le  bec,  par  un  tube,  dans  lequel  s'élève  à  une  hau- 
teur constante  l'huile  qui  doit  servir  à  la  combustion.  Le  ser- 
vice n'exige  aucune  précaution  que  tout  le  monde  ne  puisse 
prendre  ;  il  se  fait  avec  promptitude.  Le   seul  reproche  que 
l'on  puisse  faire  à  celte  machine,  d'ailleurs  si  simple  et  si  in- 
génieuse, est  de  présenter  plusieurs  soudures  qui  demandent 
à  être  faites  avec  beaucoup  de  soin;  néanmoins  comme  elles  sont 
presque  toutes  situées  à  l'extérieur,  on  peut  dire  que  leur  véri- 
fication étant  très-facile,  cet  inconvénient  est  en  réalité  moins 
grand  qu'il  ne  parait  d'abord.  En  résumé,  la  lampedeM.Tha}  ot 
et  C*"  est  remarquable  par  la  simplicité  de  sa  con>truction,par 
la  disposition  .ingénieuse  de  ses  diverses  parties,  parles  pro- 
priétés dont  elle  jouit,  de  pouvoir  être  chargée  facilement 
it   transportée    d'un   lieu   dans  un   autre    sans  déversement 
d'huile;  en  conséquence,  nous  pensons  qu'elle  mérite  l'ap- 
probation  de  l'Académie.  »  (Appprouvé.)  —  MM.  Henri  Cas- 
sini  cl  Mirhel  font  un  rapport  sur  les  observations  d'anatomie 
et  de  physiologie  végétales  que  le  D'  Schpltz  avaient  présen- 
tées à  l'Académie.  Il  en  résulte  qu'il  existe  dans  les  végétaux 
une  circulation  comparable,  à  quelques  égards,  à  celle  des  ani- 
maux. En  effet,  quand  on  considère  les  vaisseaux  d'un  lambeau 
de  stipule,  longd'un  à  deuxpouces,  et  lai'ge  de  trois  à  quatre 
lignes,  on  ne  saurait  se  refuser  à  l'idée  qu'il  existe  un  suc  vital, 
cl  <i  ne  ce  suc  passe  plusieurs  fois  parles  mêmes  routes.  Mais  il  y  a 
cette  différence  notable  entre  la  circulation  des  végétaux  et 
celle  des  animaux  d'im  ordre  élevé,  que  dans  ces  derniers  il 
existe  un  point  uni([ue  de  départ  où   aboutissent  deux  systè- 
mes vasculaires  bien    distincts,  l'un  qui  porte  le  sang  jus- 
qu'aux exirémités  du  corps,  l'autre  qui  le  ramène  à  sa  source; 
tandis  que  dans  les  végétaux  on  ne  découvre  ni  point  spécial 
de  départ,  ni  double  système  vasciilaire.  Des  vaisseaux  d'une 
même  nature  foiJULut  un  réseau  dor)t  les  mailles  sont  autant 
d'appareils  circulatoires  semblables,  qui  communiquent  tous 
entre  eux;  de  sorte  qu'il  y  a  unité  de  mouvement  tant  que 
les  parties  vivent  en  commun,  et  mouvement  propre  à  chaque 
partie  dès  qu'elles  sont  séparées. — La  découverte  de  RI.  Schnllz 


PAUIS.  780 

est  (lu  plus  haut  inléicl  i)our  ranatoiiue  et  la  physiolojjie  vé- 
gétale?; elle  éclaire  ces  deux  hiaïuhes  de  la  science  l'un<j  par 
l'autre  ,  et  elle  montre  entre  les  végétaux  et  les  animaux  des 
rapports  qu'on  ne  soupçonnait  même  pas.  »  La  lettre  de 
IVl.  Schuitz,  et  les  beaux  dessins  qui  l'accompagnent,  seront 
insérés  dans  le  recueil  des  savans  étrangers.    A.  Michelot. 


Télégraphe  perfectionné ,  de  jour  et  de  nuit,  à  l'usage  du 
public.  —  L'art  de  !a  télégraphie  est  moderne,  et  par  con- 
séquent susceptible  de  progrès  dont  quelques-uns  fixeront 
les  époques  de  son  histoire.  Celui  que  l'on  propose  sera  peut- 
être  du  nombre  de  ces  perfectionnemens  remarquables.  L'in- 
venteur s'est  proposé  de  simplifier  le  mécanisme  f[^ui  transmet 
les  signaux,  de  donner  à  chaque  signal  une  expression  plus 
étendue,  quoique  très-précise,  et  d'obtenir,  au  moyen  de  la 
machine  plus  simple  qu'il  a  imaginée,  un  nombre  de  sjgnaux 
beaucoup  plus  grand  que  les  appareils  usités  jusqu'à  présent 
ne  peuvent  en  fournir  ;  ce  qui  enrichit  la  langue  télégraphique, 
et  rend  son  expression  beaucoup  plus  lapide.  De  plus,  afin  de 
mettre  tout  le  tems  à  profit,  des  sig.uaux  de  nuit  peuvent  dou- 
bler les  ressources  que  procurent  les  moyens  de  correspon- 
dance diurne.  On  estime  que  dix  mots  seront  exprimés  par 
douze  signaux,  et  que  cinq  signaux  au  moins  seront  transmis 
par  chaque  minute;  ainsi,  chaque  heure  d'activité  peut  suffire 
à  la  transmission  de  5o  mots,  ce  qui,  au  moyen  du  laconisme 
qu'exige  une  dépêche  dont  la  rapidité  est  le  principal  mérite  , 
permet  d'expédier  plus  d'un  avis  par  heure,  et  par  jour,  un 
nombre  qui  excède  certainement  les  besoins  probables  d'une, 
correspondance  aussi  accélérée. 

Des  expériences  ont  été  faites  à  Paris,  en  présence  de  bons 
juges  et  de  conimissaires  du  gouvernement  :  les  résultats  ob- 
tenus ont  fourni  les  données  des  calculs  qu'on  vient  de  faire  ; 
les  assistans  ont  été  pleinement  satisfaits  :  ainsi,  le  succès  de 
l'exécution  en  grand  ne  peut  être  douteux.  Le  bas  prix  et  l'ex- 
trême célérité  de  cette  correspondance  dispenserait  les  négo- 
cians  d'envoyer  des  estafettes  qui  ne  peuvent  devancer  les 
lettres  que  de  quelques  heures,  au  lien  que,  d'une  extrémité 
de  la  France  à  l'autre,  en  passant  par  la  capitale,  le  télégraphe 
fait  la  demande  et  transmet  la  réponse  dans  l'espace  de  tems 
qu'il  faudrait  accorder  à  un  commissionnaire  pour  porter  un 
message  dans  Paris.  Quant  au  prix  des  dépêches  télégraphi- 
ques, on  a  calculé  qu'il  pourrait  être  assez  modéré  pi. nr  qu'une 
communication  de  quelques  lignes  de  Paris  an  Havre  sm;  coù- 


;8C  FRANCE. 

tilt  pas  pius  de  i5  francs.  Bientôt,  sans  doute,  nous  sa«ran5 
déûnitiveinent  ce  qu'on  doit  attendre  de  cette  heureuse  con- 
ception ;  elle  ne  semble  pas  destinée  à  rester  dans  l'oubli  qui, 
trop  souvent,  fait  perdre  le  fruit  de  longues  et  frnctueuses  mé- 
ditations, tandis  que  le  charlatanisme  sait  faire  adopter  des 
projets  ruineux,  presque  sans  examen  préalable,  sans  expé- 
riences sur  lesquelles  on  puisse  fonder  l'espoir  du  succès. 
Nous  suivrons  avec  intérêt  l'établissement  de  ces  télégraphes 
commerciaux;  nous  annoncerons  leurs  progrès  comme  une 
bonne  nouvelle,  comme  un  signe  de  la  prospérité  croissante 
de  notre  patrie. 

M.  Ferrier  ,  de  Draguignan,  auteur  du  nouveau  système, 
se  propose  de  faire  une  seconde  expérience  publique,  dans  le 
courant  du  mois  d'octobre  (i). 

Voyage  autour  du  monde,  qui  doit  être  prochainement  entre- 
pris dans  les  intérêts  combinés  des  découvertes,  de  la  civilisation 
et  du  commerce.  —  Un  voyageur  anglais,  déjà  célèbre, 
M.  BrcKiNGHAM,  que  nous  possédons  dans  ce  moment  à  Pa- 
ris, a  conçu  l'idée  de  ce  grand  voyage  dont  on  trouvera  le 
plan  détaillé  à  la  suite  de  ce  cahier.  Tous  les  amis  de  l'huma- 
nité applaiidiront  aux  vues  généreuses  qui  ont  inspiré  ce  pro- 
jet destiné  à  établir  des  relations  nouvelles  et  des  échanges 
réciproquement  utiles  entre  des  peuples  séparés  par  l'immen- 
sité des  mers,  étrangers  jusqu'ici  les  uns  aux  autres,  et  que 
des  intérêts  communs  doivent  rapprocher.  Plusieius  grandes 
villes  manufactiuières  d'Angleterre  ont  encouragé  ce  projet 
par  des  souscriptions;  et  la  France  voudra  sans  doute  imiter 
leur  exemple  et  s'associer,  par  une  coopération  active,  à  cette 
philantropique  entreprise. 

Réclamation  de  M.  .Iomard,  à  propos  d' une  assertion  du  Globe^ 
—  L'un  de  nos  collaborateurs,  IM.  Jomard,  membre  de  l'Insti- 
tut, justement  estimé  pour  son  désintéressement,  son  hono- 
rable caractère  ,  et  les  services  qu'il  a  rendus  aux  sciences  et 
à  l'instruction  populaire,  vient  d'être  l'objet  d'une  attaque 
qui  porte  sur  deux  faits  également  erronés,  et  de  nature  à 
porter  atteinte  à  la  considération  qui  lui  est  acquise  depuis 
long- lems.    Si    l'auteur   de    l'article    du   Globe   eût    mieux 


(i)  La  Revue  Emyclopcdique  a  déjà  annoncé  avec  éloges  et  à  plusieurs 
reprises  fvoy.  ticv.  Enc,  l.  xxxiv,  p.  8i,>  ;  t.  xxxi,  p.  852  ;  t.  xxx,  p.  SSy  ;  et 
passhn)  le  Télcf^mplic  de  jour  cl  de  nuit,  de  terre  et  de  mer,  de  M.  le  con- 
tre-amiial  Saint-Haouen,  don!  le  fils  est  niainlenant  à  l'armée  d'Afrique, 
où  l'on  a  l'nil  usaj^e  avec  succès  de  ce  mode  de  communication  entie 
la  Hotte  «t  l'atuiée. 


PARIS.  787 

eonnu  ce  digne  cîloyen,  il  se  serait  épargné,  ainsi  qu'à  l'esti- 
mable journal  qu'il  a  induit  en  erreur,  des  assertions  dénuées 
de  tout  fondement.  Sur  un  bruit  controuvé,  et  qui  paraît  l'ou- 
vrage de  la  malveillance,  on  a  prétendu  que  M.  Joniard  ve- 
nait d'être  nommé  à  une  nouvelle  place,  et  on  ajoute  que  le 
dépôt  de  géographie  dont  il  est  le  conservateur  à  la  Biblio- 
thèque royale,  n'est  pas  encore  livré  au  public;  ce  qui  réunit, 
dit-on,  sur  une  seule  tète,  les  inconvéniens  du  cumul  et  d'ime 
sinécure.  Le  fiiit  est  que  tous  les  jours,  depuis  six  mois,  le 
dépôt  de  géographie,  est  ouvert,  et  que  M.  Jomard  n'occupe 
qu'un  seul  emploi  rétribué.  En  revanche,  il  appartient  à  un 
grand  nombre  de  commissions  gratuites  et  de  sociétés  de  bien 
public.  Ce  que  M.  Jomard  a  fait  depuis  dix-sept  ans  pour  la 
cause  de  la  civilisation  et  de  l'humanité  est  trop  connu  dans 
toute  l'Europe,  pour  que  nous  nous  étendions  davantage;  et 
nous  insérons  ici  avec  empressement  la  lettre  qu'il  a  écrite  au 
Globe,  qui  sans  doute  n'a  pu  lui  donner  une  place,  à  cause  de 
l'abondance  des  matières  politiques. 

Paris,  34  septembre  i85o. 

A  M.  le  Rédacteur  du  Globe. 

Monsieur,  c'est  par  un  article  de  votre  journal  de  ce  jour 
que  j'apprends  ma  nomination  à  un  nouvel  emploi.  H  y  a  de 
fortes  raisons  de  croire  que  cette  nouvelle  est  sans  aucun  fon- 
dement. Comme  je  n'ai  jamais  demandé  de  place  non  gra- 
tuite, je  ne  choisirai  pas  ce  moment  pour  grossir  la  foule  des 
solliciteurs,  et  l'on  ne  me  verra  jamais  prendre  la  place  de 
personne.  Vous  avez  été  mal  informé,  Monsieur,  au  sujet  du 
dépôt  de  géographie  de  la  Bibliothèque  :  il  est  depuis  long- 
tems  ouvert  au  public;  il  l'est  même  aujourd'hui,  malgré  les 
vacances.  L'emploi  de  conservateur  est  le  seul  que  j'exerce, 
il  est  la  récompense  de  trente -deux  ans  de  travaux,  les 
plus  actifs  et  les  plus  assidus  :  c'est  au  public  à  en  apprécier 
le  mérite  et  l'utilité,  et  non  à  moi  d'en  faire  l'apologie  :  voilà 
la  seule  réponse  que  je  puisse  faire  aux  ins'nuations  de  l'au- 
teur de  l'article.  Il  est  des  hommes  que  leur  caractère,  leurs 
actes  et  leur  vie  entière,  consacrée  au  bien  public  et  aux  pro- 
grès des  lumières,  devraient  garantir  contre  de  telles  attaques. 
J'espère  de  votre  impartialité,  Monsieur,  que  vous  voudrez 
bien  donner  place  à  cette  réponse  dans  le  plus  prochain  nu- 
méro du  Globe. 

J'ai  l'honneur  d'être  ,  etc.  Signé  Jomard. 


788  FRANCE. 

Publication  nouvelle.  —  Le  dernier  voyiif^e  de  lady  IMorgab 
en  Fi  ance  lui  a  l'uiinii  de  nouveaux  sujets  (l'observaîioris  et  de 
nouvelles  peintures  de  nos  mœurs.  Kous  recevons  à  l'instant 
son  ouvrage,  qui  sera  l'objet  d'une  analyse  dans  un  de  nos 
prochains  cahiers.  On  le  trouve  chez  Fournier ,  rue  de  Seine. 
2  vol.  in-8"  avec  un  portrait  de  l'auteur  ;  prix,  12  fr. 


Chronique  des  théâtres  pendant  le  mois  de  septembre  i83o. 
—  Outre  plusieurs  reprises,  parmi  lesquelles  nous  citerons 
celle  de  Fénelon,  tragédie  de  (Ihékier,  représentée  à  la  Gaîté, 
le  26  septembre,  et  celh;  de  Robert,  chef  de  brigands,  mélo- 
drame imité  dv. Schiller,  an  théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin,  les 
différcns  répertoire«se  sont  accrus,  pendant  ce  mois,  de  quinze 
nouveautés. 

Le  Théatre-Fbaxçais  en  a  donné  trois  :  le  9,  un  drame  en 
trois  actes  et  en  prose  intitulé  :  Trois  jours  d' un  grand  Peuple  ;\k 
i3,  Junius  Brutus,  tragédie  en  cinq  actes,  par  M.  AM)RiErx;  et 
\e  0.0,  Corinne,  drame  en  trois  actes  et  en  vers.  Le  Théâtre-Fran- 
çais a  été  mal  inspiré  en  cédant  à  l'entraînement  universel  qui 
met  sur  tous  les  théâtres  les  résultats  de  notre  dernière  révolu- 
tion. Les  pièces  de  circonstances,  où  des  évènemens  réels  sont 
retracés  tels  qu'ils  viennent  de  se  passer  sous  nos  yeux,  convien- 
nent peu  à  un  théâtre  où  l'on  est  accoutumé  à  voir  des  créations 
d'ailisles,  et,  les  fictions  d'une  imagination  qui  s'efforce  de 
nous  tirer  du  monde  vulgaire.  Un  vaudeville  qui  ne  lait  que 
rappeler,  par  des  allusions  louangeuses  ou  satiriques,  les  évè- 
nemens de  la  veille,  peut  amuser  un  instant,  mais  quel  plaisir 
trouver  à  la  représentation  pâle,  mesquine,  pros.'iïque,  plate 
enfin,  d'une  révf)lntion  qui  fera  l'admiration  de  la  postérité.  Le 
public,  qui  s'était  ennuyé  dès  le  premieracte,  a  pris  le  parti  de 
ne  pas  écouter  lesdcuxderniers,  et  l'auteur  n'a pasélé  nommé. 
— C'était  presqu'aussi  un  ouvrage  de  circonstance  que  la  tragé- 
die de  Junius  Brntus:  singulier  mouvcmeiit  dm  choses  poli- 
tiques, fpii  fait  qu'après  trente  aimées  inie  pièce,  composée 
dans  les  i.lées  du  moment,  et  à  laquelle  les  circonstances  avaient 
ensuite  fermé  le  théâtre,  se  retrouve  toute  remplie  de  ces 
traits  qui  émeuvent  ])rofon<lément  une  assemldée,  parce  qu'ils 
réveillent  tous  les  senlimens  qui  agitent  a(  tuellenient  la  so- 
ciété! On  ne  peut  nier  que  la  première  représentation  n'ait  dû 
à  cet  à-propos  une  partie  de  ce  succès  d'enthousiasme  que 
peu  de  tragédies  ont  obtenu.  Nous  nous  empressions  d'ajou- 
ter,, toutefois.  r|ue  le  talent  (|ui  brille  tlans  cet  ouvrage  lui  au- 


PARIS.  789 

mit,  dans  tous  les  tems,  assiirt'  un  accueil  favorable.  Ce  n'était 
pas  une  tilchc  facile  de  faire  applaudir  au  lh('ntro  une  tragédie 
sur  le  même  sujet  que  l'une  des  productions  dramatiques  les 
plus  estimées  de  Vollaire.  Malgré  quelque  faihks'^c  dans  l'in- 
trigue, le  Uriitas  de  uoIih;  grand  tragique  luille  d'un  éclat  très- 
vif;  l'enthousiasme  républicain,  l'héroïsme  des  senlimens  ro- 
mains, le  pathétique  déchirant  qui  naît  de  la  lutte  entre  la  na- 
ture et  le  patriotisme,  y  sont  admirablement  exprimés.   En 
suivant  les  inventions  d'Alfieri ,  en  les  modifiant  avec  talent, 
M.  Andrieux  est  parvenu  à  rajeunir  un  peu  ce  sujet.  Ce  n'est 
point  ici  l'amour  qui  entraîne  les  fils  de  Brutus  dans  la  con- 
spiration en  faveur  du  roi  banni,  c'est  leur  amitié  pour  le  fils 
de  ïarquin,  c'est   leur  inexpérience  qui  les  rend  dupes  d'un 
traître,  et  leur  persuade   que  le  seul  moyen  de   sauver  leur 
père  d'une  mort  inévitable,  est  de   s'engager  dans  ce  fatal 
complot;  de  sorte  que  ce  malheureux  père  est  obligé  de  con- 
damner ses  fils  pour  un  crime  dont  leur  tendresse  pour  lui  a 
été  le  principal  motif.  Celte  combinaison  paraît  ingénieuse  au 
premier  coup  d'œil;  malheureusement  elle  est  excessivement 
pauvre  d'exécution  chez  Alfiéii ,  et  n'est  pas  même  très-vrai- 
semblable ici,  quoique  M.  A  ndrieuxait  corrigé  avec  adresse  quel- 
ques-unesdes  fautes  de  son  modèle.  Si  nous  voulions  examiner 
la  pièce  dans  la  rigueur  classique,  nous  pourrions  reprocher  au 
poète  de  fréquens  changeinens  de  lieu,  et  la  léunion,  en  vingt- 
quatre  heures,  de  celte  multitude  d'évènemens  qui  se  passent 
depuis  la  mort  de  Lucrèce  jusqu'à  l'affermissement  de  la  répu- 
blique par  l'acle  terrible  de  patriotisme  de  son  fondateur.  Mais 
nous  croyons,  au  contraire,  que  le  poète  ne  mérite  que  des 
éloges  pour  avoir  ainsi  développé  son  action  dans  un  cadre 
où  il  a  pu  faire  entrer  cette  belle  scène  de  place  publique,  où 
le  corps  sanglant  de  Lucrèce  explique  et  la  proscription  desTar- 
quin,  et  la  haine  du  peuple  contre  les  rois,  et  l'exaspération  de 
Rome  entière  contre  les  citoyens  qui  ont  osé  conspirer  pour 
eux.  Le  rôle  de  Brulusest  plein  de  nerf  et  d'énergie,  et  les  scè- 
nes du  peuple  sont  en  général  bien  faites.  Cet  ouvrage,  enfin,  ne 
peut  qu'accroître  la  réputation  d'un  auteur  dont  on  applaudit 
depuis  si  lon^-tems  les  ingénieuses  comédies,  qui  s'est  placé 
au  rang  de  nos  conteurs  les  plus  spirituels,  et  qui,  sous  tant 
d'autres  rapports,  enfin,  est  en  possession  de  l'estime  publi- 
que. —  La  Corinne  de  M"""  de  Staël  a  fourni  le  sujet  du  drame 
donné  aa  Théâtre-Français,  et  la  pièce,  dépouillée  forcément 
de  presque  tout  ce  qui  a  fait  le  succès  du  roman,  ne  pouvait  es- 
pérer une  bien  brillante  fortune.  L'auteur,  quia  imaginé  un  dé  - 
noûment  nouveau,  a  suivi  son  modèle  dans  le  reste  du  drame. 


790  FRANCE. 

donl  l'action  un  peu  froide  ii'.i  pu  être  réchauffée  par  un  style 
élégant  et  des  vers  spirituels.  La  pièce  n'a  rencontré  que  des 
appiaudissemens,  ce  qui  n'a  pas  empêché  l'auteur  de  se  ca- 
cher sous  un  modeste  anonyme. 

Le  contingent  de  l'Odéon  consiste,  pour  le  mois  de  sep- 
tembre, en  une  petite  comédie  de  circonstance,  en  un  acte  et 
en  vers,  par  M.  d'ÉPAGNY,  intitulée  :  Les  Hommes  du  Lende- 
main (il  septembre)  ;  et  un  drame,  en  cinq  actes  :  Nobles  et 
Bourgeois,  ou  la  Justice  des  Partis  (20  septembre).  Débar- 
rassons-nous tout  de  suite  d'un  reproche  que  nous  avons  à 
faire  à  M.  d'Épagny  :  sa  pièce  est  plutôt  une  satire  qu'une  co- 
médie, et,  comme  presque  toutes  les  satires,  elle  ne  montre 
le  sujet  que  du  côté  du  blâme:  nous  croyons  qu'en  jugeant 
l'événement  qui  fait  le  fond  de  sa  pièce,  avec  le  sentiment 
qu'elle  inspire,  on  jugerait  mal  et  sans  beaucoup  de  justice. 
Nous  convenons  que  dans  le  court  espace  d'un  acte  il  était 
difficile  d'échapper  à  cet  inconvénient ,  que  le  poète  rachète 
d'ailleurs  par  des  peintures  vraies,  de  la  verve  et  du  bon  co- 
mique. Les  lâches  du  lendemain  sont  justement  flétris  dans 
cette  esquisse,  où  l'amertume  d'Aristophane  était  tout-à-fait  à 
sa  place;  les  stygmates  que  leur  a  infligées  M.  d'Lpagny  ont 
trouvé  de  la  sympathie  dans  l'assemblée,  qui  a  vivement  ap- 
plaudi la  pièce.  — Le  succès  de  Nobles  et  Bourgeois  a  été  vive- 
ment contestée;  ce  titre  promettait  ce  que  le  drame  n'a  point 
donné  :  le  contraste  des  ridicules,  ou  la  lutte  des  inimitiés  de 
deux  classes  rivales.  Le  drame  ne  roule  que  sur  luie  aventure 
romanesque  empruntée  aaxFatriciensûe  P^anderVelde.  Le  pu- 
blic s'est  peu  intéressé  à  cette  action  bizarre  et  compliquée, 
malgré  des  détails  bien  peints,  des  situations  bien  imaginées, 
et  le  caractère  d'une  jeune  fdle  qui  oftie,  dans  sa  bizarrerie, 
des  traits  où  se  révèle  le  talent  des  deux  auteurs  qui  ont  gardé 
l'anonyme. 

Le  Congréganiste  ou  les  Trois  Educations,  comédie-vaude- 
ville en  trois  actes,  par  MM.  Villeneuve  et  Andisson,  mise  à 
l'index  il  y  a  peu  de  mois  par  la  censure  déchue,  a  paru,  grâce 
au  régime  nouveau,  sur  le  théâtre  du  Vaideyille  ,  le  i3  sep- 
tembre. Ce  congréganiste  est  encore  un  tartufe,  qui  abuse 
de  la  pieuse  confiance  d'une  noble  dame  pour  escroquer  sa 
fortune  et  séduire  sa  nièce.  Ses  basses  intrigues  ont  pour  ré- 
sultat de  démontrer  aux  spectateurs,  que  l'éducation  claus- 
trale ne  vaut  pas  mieux  que  l'éducation  mondaine,  et  qu'une 
jeune  fille,  élevée  par  une  mère  vertueuse,  a  plus  de  sagesse 
et  de  raison  que  celles  dont  la  jeunesse  s'est  formée  au  milieti 
des  dissipations  d'ime  salle  de  bal .   ou  dans  les  minutieuses 


PARIS.  791 

pratiques  de  la  Aie  dévote.  Rien  dans  tout  cela  de  bien  neuf  ni 
de  réelienieiit  comique.  La  Foire  aux  Places,  vaudeville  en  un 
acte,  par  M.  Bavard  (20  septendiie),  est  une  satire  amèrc 
plutôt  que  gaie  de  cette  impudente  manie  de  solliciter  dont 
le  moment  actuel  olïre  tant  de  déplorables  excès,  et  de  la  mal- 
encontreuse faiblesse  des  puissans  du  jour,  qui  partagent 
sans  examen  et  sans  réllcxion  les  laveurs  administratives  dont 
la  France  leur  a  confié  la  répartition.  —  Les  Variétés  ont 
donné  le  Jésuite  retourné,  ou  la  Demande  en  mariage,  vaude- 
ville en  un  acte,  par  M.  Edouard  (i5  septembre),  et  Voltaire 
chez  les  Capucins,  comédie-anecdote  en  un  acte,  mêlée  de  cou- 
plets, par  iM>l  DiMERSAN  et  Dcpin  (28  septembre).  Le  héios 
de  la  première  de  ces  pièces,  M.  Ncirville,  est  un  magistrat 
municipal,  et  non  pas  un  jésuite,  (pioiqu'il  apporte  dans  ses 
intrigues  autant  d'astuce  et  de  duplicité  qu'on  en  suppose  gé- 
néralement aux  eufansde  Loyola  :  mais,  comme  ses  maîtres  en 
faits  de  ruses,  il  finit  par  être  la  dupe  de  ses  sourdes  menées, 
et  se  trouve  forcé  de  céder  la  main  de  la  riche  héritière  qu'il 
convoitait  à  l'amant  qu'elle  piéfère.  On  connaît  l'anecdote  de 
Voltaire  chez  les  capucins,  qui  ne  semble  point  de  nature  à 
fournir  la  matière  d'une  comédie  ;  aussi  les  auteurs  ont-ils 
mis  sous  la  protection  du  grand  homme  une  légère  intiigue 
amoureuse,  que  son  intervention,  auprès  des  bons  pères  chez 
lesquels  il  a  reçu  l'hospitalité,  conduit  à  un  dénoûment  heu- 
reux. Ces  deux  ouvrages,  le  second  surtout,  ont  obtenu  «n 
favorable  accueil.  —  Aux  Nouveautés,  on  a  vu,  le  17  septem- 
bre, le  Bourgeois  de  la  rue  Saint-Denis,  comédie  en  trois  actes, 
mêlée  de  chants,  par  M31.  Brazier,  Villenei  ve  et  Emile,  qui 
doit  son  succès  au  jeu  plaisant  et  gai  de  Bouffé,  chargé  du 
rôle  d'un  commis-marchand  de  la  rue  Saint-Denis. 

L'Ambigu-Comiqie,  fermé  depuis  quelques  mois  par  suite 
des  embarras  où  s'était  trouvée  l'ancienne  administration, 
vient  de  rouvrir  ses  portes,  le  2  5  septembre,  pour  la  première 
représentation  de  Henriette,  ou  Deux  ans  après,  mélodrame  en 
trois  actes  et  en  cinq  tableaux,  par  M.  Angelot,  dont  le  mé- 
rite n'a  pas  été  également  apprécié  par  les  divers  spectateurs. 
—  A  la  Gaîté,  on  a  vu,  le  4  septembre,  le  Jésuite,  mélo- 
drame en  trois  actes,  par  M.  Victor  Di'Caxge,  qui  n'est  que  la 
mise  en  action  d'un  des  romans  les  plus  connus  de  l'auteur 
[les  Trois  Filles  de  la  Veuve),  et  qui  a  obtenu  un  succès  com- 
plet. On  a  donné,  au  même  théâtre  le  Te  iJeum  et  le  Tocsin, 
tableau  patriotique  en  un  acte,  mêlé  de  couplets,  par  MM.  Ho- 
noré et  SiM0NNi>' ,  et  le  Marchand  de  Bœufs,  vaudeville  en  nu 
acte  ,  par  MM.   Brazier  et  Carmovche  (19  septembre),  imi~ 


rga  FRANCE. 

lation  assez  gaie  du  conte  de  La  Fontaine,  la  Clochette.  —  Au 
Cirque-Olympique,  on  a  ilonné  Philippe  ou  la  Gucrison  mili- 
taire, pièce  en  un  acte  (28  septembre). 


Beaix-Arts.^ — M  usée  cosmopolite  (rue  de  Provence,  u°  18,  en 
face  de  la  nie  Lepellelier). — Ce  beau  musée  offre  une  suite  dv 
tableaux  dans  le,gt'nre  du  D/o/'nma,  d'une  dimension  moins  éten- 
due, mais  où  tout  est  vivant  et  vrai  :  c'est  la  nature  même.  On 
parcourt  les  principaux  sites  remarquables  qui  fixent  l'attentiou 
du  voyageur  allant  à  Alexandrie  en  Egypte. — La  vue  d'Alger 
et  de  toute  la  côte,  qui  a  fourni  le  sujet  de  plusieurs  tableaux, 
dus  en  partie  à  M.  de  Saint-Avlaire,  mérite  surtout  des  élog(;«. 
Od  ?e  croit  transporté  en  Afrique,  et  sur  les  traces  de  notre 
armée.  On  admire  ce  pays  à  la  fois  si  favorisé  de  la  nature,  si 
maltraité  par  le-  bommes,  et  qui  attend  de  nous  les  bienfaits 
de  la  ci\  ilisation.  Puissions-nous  ne  pas  avoir  offert  des  pro- 
messes trompeuses  d'amélioration  et  de  liberté  à  la  popula- 
tion malbeureuse  et  opprimée  qui  occupe  ce  rivage  !  — Le 
Musée  cosmopolite  va  reproduire  incessamment  les  trois  gran- 
des journées  de  juillet,  les  scènes  improvisées  des  barricades, 
la  résistance béroïqiie du  peuple  etle  triomphe  delà  liberté.    O. 

• — Médaille  du  général  Lafavette  [i], destinée  à  servir  à  C/iis- 
taire  de  la  révolution  de  i85o.  — Cette  médaille,  du  module  de 
22  lignes ,  est  la  seconde  que  M.  Cannois  a  gravée  en  l'hon- 
neur du  plus  grand  citoyen  de  notre  époque.  La  presse  pério- 
dique ,  naguère  persécutée  avec  tant  d'acharnement,  put  du 
moitis  dénoncer  les  procès  que  lui  intentait  le  gouvernement  ; 
mais  l'opinion  publique  a  ignoré  qu'il  se  soit  alarmé  d'une 
médaille  laite  spécialement  pour  perpétuer  dans  l'Amérique 
du  Nord  la  mémoire  d'un  voyage  triomphal,  et  nouveau  en- 
core pour  l'histoire.  J'en  conçus  l'idée,  au  départ  pour  les 
Etats-Unis,  de  Vhâle  de  la  nation,  en  1824  :  d'un  coté,  l'effigie 
très-fidèle  de  M.  Lafayetlc;  sur  le  revers,  l'inscription  en  an- 
glais :  Citoyen  des  Deux-Mondes,  cl  dans  l'exergue,  la  date  de 
sa  naissance  et  celle  de  son  embarquement.  Que  .M.  Puymaurin 
ait  défendu  de  frapper  à  Paris  cette  médaille  toute  améri- 
caine, on  peut  expliquer  cette  répugnance  et  cet  acte  arbi- 
traire d'un  agent  du  parti  contre -révolutionnaire  ;  mais 
l'honorable  capitaine  Bacdix,  négociant  au  Havre,  qui  a  la 
propriété  do  ces  matrices ,  veut  les  expédier  pour  l'Union ,  où 
plus  de  10, 000  souscripteurs  les  attendent  ;  le  ministère  del'inté- 

(1)  Paris,  Lévt-quc,  Palai.s-R(.\al,  galciit  de  \  aloi.-,  11"  121.  piix,  6.  fr. 


PARIS.   —    NÉCIIOLOGIE.  jgS 

rieur  est  en  émoi  ;  la  police,  quitlécachèto  les  lettres,  étend  ses 
investigations  dans  les  bureaux  de  diligence;  le  26  août,  la 
voiture  qui  emporte  les  coins  transmet  aussi  des  ordres  aux 
magistrats  du  Havre  de  faire,  dans  le  comptoir  de  M.  liaudin, 
les  recherches  les  plus  minutieuses  :  au  même  moment,  des 
agens  de  iMM.  Corbière  et  Franchet  envahissent  le  doini<ile  et 
l'atelier  de  M.  Cainiois,  qu'ils  font  traduire  et  condamner  en  po- 
lice correctionnelle  :  procès  qui  cause  la  mort  de  sa  jeu  ne  épouse. 
Cependant  les  matrices  parvinrent  heureusement  à  New- York  ; 
mais,  chose  étonnante,  il  ne  se  trouva  pas  dans  toute  l'Linion 
de  balancier  assez  f(;rt,  ni  d'artiste  assez  exercé  pour  frapper 
cette  médaille  de  18  lignes  :  il  fallut  recourir  à  l'hôtel  des  mon- 
naies de  LiA'erpool,  en  xVngleterre.  - —  La  nouvelle  médaille  de 
Lafayette  est  dédiée  aux  gardes  nationales  de  France  :  elle 
reproduit,  avec  une  ressemblance  parfaite,  les  traits  du  géné- 
ral et  du  député  que  même  les  ennemis  de  la  liberté  des  peu- 
ples ne  peuvent  s'empêcher  de  vénérer.  L'inscription  dit  : 
Appelé  par  le  peuple  au  commandement  de  la  garde  nationale.  Pa- 
ris, •iS  Juillet  i85o.  M.  Cannois  ,  auteur  du  viédaillrr  français 
pour  le  xix^  siècle ,  va  prouver  de  nouveau,  par  sa  statue  du 
général  Foy,  que  ni  les  vexations,  ni  les  rivalités  intrigantes 
ne  peuvent  décourager  l'artiste  qui  possède  l'amour  de  son 
art  et  un  véritable  talent.  Isidore  Lebrin. 

NÉCROLOGIE. 

Grande-Bretagne.  —  Rennel.  —  Le  major  anglais,  James 
Renncl,  associé  étranger  de  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles- Lettres  de  France,  mort  dans  les  premiers  jours  d'a- 
vril i83o,  a  été  inhumé  le  6  à"W  estminster.  Il  était  né  en  1742? 
à  Chudleigh,  dans  le  Devonshire.  Dès  ij'îi,  il  s'était  distin- 
gué comme  officier  de  marine,  à  la  prise  de  Pondichéry  ;  cinq 
ans  après,  il  servait  dans  l'Inde  comme  officier  de  génie.  Une 
blessure  grave  l'oiiligea  de  quitter  le  service;  il  se  livra  dès 
lors  à  l'étude,  et  particulièrement  à  celle  de  la  géographie.  Son 
premier  ouvrage  connu  est  une  carte  du  banc  et  du  courant 
du  lac  Lagallas.  En  1781,  il  publia  un  atlas  du  Bengale  et  une 
notice  sur  les  cours  du  Gange  et  du  Brahma-Soutra.  Depuis, 
il  a  mis  au  jour  une  carte  de  l'Indostan ,  accompagné  d'un 
iMémoire:  le  système  de  la  géographie  d'Hérodote  ;  des  obser- 
vations sur  la  topographie  de  laTroade  ;  des  éclaircissemens  sur 
l'expédition  de  Cyrus  le  jeune,  et  sur  la  retraite  des  10,000.  Il 
s'est  occupé  aussi  de  recherches  sur  l'intérieur  de  l'Afrique  : 
c'est  lui  qui  a  rédigé  le  voyage  de  Hornemann.  On  annonce  que 


rcj4  NECIIOLOGIL. 

le  major  llemiel  laisse  un  traité  manuscrit  sur  les  courans  de 

rOcéan  atlantique,  avec  des  cartes  fort  détaillées.  Z. 

Allemaok.  — Bavière.  — Fraumiofer  [Joseph). —  Le  tribut 
que  nous  payons  à  la  mémoire  de  cet  illustre  opticien  est  bien  tar- 
dif; mais  l'homme  qui  vécut  paisiblement  utile,  et  que  la  renom- 
mée vint  cherche)-,  sans  qu'il  eût  fait  un  pas  au  devant  d'elle, 
loin  de  chercher  à  faire  parler  de  lui  après  sa  mort,  disparaît 
sans  bruit,  comme  il  se  plaisait  à  vivre.  >ié  à  Straubiiig,  en 
1787,  Frai MioFER  fut  enlevé  aux  sciences  et  aux  arts,  en 
1826.  En  moins  de  quarante  ans,  il  sut  vaincre  les  plus  grands 
obstacles  ([u'un  homme  puisse  rencontrer  dans  la  carrière  de 
l'instruction.  11  devint  mend>re  de  plusieurs  Académies,  et  il 
exécuta  des  travaux  qui  furent  admirés,  même  par  l'Angle- 
terre. Attaché  dès  l'enfance  à  un  travail  manuel,  orphelin  à 
onze  ans,  mis  en  apprentissage  chez  un  maître  très-exigeant, 
il  raanquade  tous  les  secours  pour  apprendre  à  lire  et  à  écrire, 
et  pourtant  il  apprit.  Retiré  connue  par  miracle  de  dessous  les 
ruines  de  la  maison  qu'il  habitait,  et  qui  s'était  écroulée  subi- 
tement, il  devint  l'objet  de  la  curiosité,  d'abord,  et  ensuite 
de  l'intérêt  de  j)lusieurs  hommes  de  mérite,  au  nombre  des- 
quels on  se  plaît  à  trouver  le  roi  Mcurhnitien  Joseph.  Le  jeune 
homme,  ou  plus  exactement,  l'enfant,  n'usa  qu'avec  une  ex- 
trême réserve  des  secours  qui  lui  furent  oflerts.  Accoutumé  à 
tirer  de  lui-même  la  force  et  les  moyens  nécessaires  pour  sur- 
monter les  difficultés  qu'il  rencontrait ,  passant  la  journée  dans 
un  atelier,  ses  outils  à  la  main,  et  la  nuit  dans  un  cabinet  sans 
fenêtres,  où  il  lui  était  interdit  d'avoir  de  la  lumière,  il  vint 
à  bout  d'apprendre  les  mathématiques.  A  l'âge  de  vingt  ans, 
il  fut  reçu  dans  le  bel  établissement  créé  par  MM.  Reichen- 
bach  et  Utzschneider,  pour  la  confection  d  iustrumens  de  ma- 
thématiques et  d'optique,  et  il  commença  la  carrière  qu'il  a 
parcourue  avec  tant  de  succès.  En  1823,  il  fut  nommé  con- 
servateur du  cabinet  de  physique  de  l'Académie  de  Munich, 
dont  il  était  déjà  mendne.  h' Institution  astronomique  d'Edim- 
bourg se  l'était  aussi  associé, ainsi  que  l'Luiversité  d'Erlangen, 
et  plusieurs  Sociétés  savantes.  D'autres  distinctions  auraient 
flatté  son  anioiu'-propre,  si  son  iime  tout  entière  n'eût  point 
appartenu  aux  sciences,  aux  arts  et  aux  vertus  sociales.  Le  roi 
de  Bavière  le  nonmia  chevalier  de  l'ordre  du  mérite  civil,  et 
le  roi  de  Danemark  lui  envoya  la  décoration  de  l'ordre  de  Da- 
nebrog.  Le  célèbre  télescope  de  l'Université  de  Dorpat  est 
l'ouvrage  de  Fraunhofer  :  c'est  assez  pour  attacher  à  jamais  son 
nom  àl'histoire  des  sciences  mathématiques  et  physiques.        F. 


TABT.E  DES   ART  [CLES 

CONTENUS 

DANS  LE  CAHIER  DE  SEPTEMBRE  i85o. 


I.  MÉMOIRES,  NOTICES  ET  MÉLANGES. 

Pages, 

1.  L'Avenir J.  C.  L.  de  Sismondi.  626 

2.  De  la  m<Hhode  d'observation,  appliquée  aux  sciences  mo- 
rales et  politiques Charles  Comte.   55o 

3.  De  l'abolition  graduelle  de  l'esclavage  (9' article).   P.A.D.   679 

IL  ANALYSES  D'OUVRAGES. 

4-  Abrégé  du  cours  d'instruction  chimique  fait  à  la  Faculté  de 
médecine  de  l'université  de  Pensylvanie,  par  le  D"^  Ilare 
("ouvrage  anglais) Ferry.   618 

5.  Des  sciences  occultes,  ou  Essai  sur  la  magie,  les  prodiges 

et  les  miracles,  par  Eusèbe  Salverte L.  Am.  S — t.   626 

6.  1°  Histoire  d'Angleterre,  par  John  Lingard;  2"  la  même, 
traduite  en  français,  par  M.  de  Roujoux  .    .   P.  A.  Dufaii.   G44 

7.  Essai  sur  1  histoire  de  la  littérature  néerlandaise,  par  J.  de 
Sgravenweert Marron.  656 

m.  BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE. 

Annonces  de  70  ouvrages,  français  et  étrangers. 

Amérique  septentrioaale.  —  Etats-Uiiis,  4 ^/^ 

Europe.  — Grande-Bretagne,  5 677 

—  Russie,  2 689 

—  Allemagne,  5 694 

—  Suisse,  4,  dont  2  ouvrages  périodiques 699 

—  Italie,  7,  dont  5  ouvrages  périodiques 704 

—  Grèce,  2 709 

—  Pays-Bas,  2,  dont  1  ouvrage  périodique 710 

France,  09,  saxon'  :  Sciences  pliysiciues  et  naturelles,   10.    ...   713 

—  Sciences  religieuses,  morales,  politiques  et  historiques,  i3.  .    .  724 

—  Littérature.  12 74o 

—  Mémoires  et  Rapports  de  sociétés  savantes ,  1 749 

—  Ouvrages  périodiques  ,  a 7^1 


7gt)  TABLE    DE!i    ARTICLES. 

IV.  NOUVELLES  SCIENTIFIQUES  ET  LITTÉRAIRES. 

Amérique  centrale.  —  Guatemala  :  Suppression   des  couvens  ; 

Esliiiction  des  ordres  religieux 754 

Australie.  —  Colonies  anglaises  .•  Fondation  de  deux  nouvelles 

villes  sur  les  boi-ds  de  la  rivière  du  Cygne.  —  Polynésie. 

Archipel  de  la  Société.  Eimeo  :  Établissement  d'une  presse  ; 

Joie  des  naturels  ;  leur  ardeur  pour  le  savoir  ;  leur  roi;  leurs 

cbadts  populaires ySf» 

Asie.  —  Russie  asiatique  ;  Géorgie  :hislT\xct\on  publique;  Écoles.    760 

EUROPE. 

Grande-Bretagne.  —  Londres  :  Pompe  à  incendie  mue  par  la  va- 
peur  761 

Russie.  — Pefers6oH>"g' .•  Séances  de  l'Académie  des  sciences  des 
mois  de  mars  et  d  avril  i85o.  — Travaux  publics  :  (banaux. — 
Voyage  aux  colonies  américaines-russes  :  Découverte  d  une 
île  habitée.  —  Instruction  pubiKjue  :\  Statistique  des  uni- 
versités de  Pétersbourg  et  de  Moscou.  —  Philologie  orien- 
tale :  Grammaire  de  la  langue  mongole,  par  Sclimidt.  — 
Arkhangcl  :  Bcaux-Àrls  :  Sculpture;  .Monument  en  bronze 
à  Lomonossov,  par  Martos.  —  Presse  périodique  :  iNombi'e 
et  indication  des  journaux  publiés  en  langue  française,  pen- 
dant les  années  1829  et  i85o 762 

Allemagine.  —  Autriche  :  Progrès  de  l'industrie.  —  Brunswick  : 

Nouvelle  édition  des  œuvres  de  Campe 770 

Suisse.  —  Découvertes  danliquilés  dans  les  cantons  de  Zurich, 
de  Bàle,  de  Berne,  de  Thiirgovie,  de  Fribourg  et  de  Vaud. 
—  Grt.sons  ;  Histoire  naturelle 770 

Grèce. — Situation  générale;  Ferme  modèle;  Orphanotrophe; 
Code  de  commerce  français  adoplé  en  Grèce  ;  Établissement 
-   d'une  monnaie  ;  Suppression  du  journal  : /'^if/roce 776 

Belgique. — Statislif[ue  ;  Population 778 

France.  — Toulouse  (Haute-Garonne)  :  Prix  proposés  par  l'Aca- 
démie des  sciences,  l'Académie  des  jeux  floraux,  et  la  So- 
ciété d  agricultui'e 779 

Paris.  —  Iitstitut  :  Académie  des  sciences  :  Séances  du  mois  de 
septembre  i85o.  —  Télégraphe  perfectionné,  à  l'usage  du 
public.  —  Projet  d'un  Voyage  autour  du  monde.  —  Ré- 
clamation de  -M.  Jomard.  —  l'ublication  nouvelle.  — Chro- 
nique des  théâtres  pendant  le  mois  de  septembre  i85o.  — 
Beaux-Arts  :  Musée  cosmopolite  ;  Médaille  du  général  La- 
fayelte ,   •    •    .   780 

INÉCROLOGIE. 

Grande-Bretagne  :  James  Reniiel.  — Allemagne;  Bavière:  Joseph 

Fraunhoier ■-ç)ù 


SUrPLÉ!\lEiVT  A  LA  RFVLE  ElVCYCLOPi^;i)IQM:, 

SEPTEMBRE    l85o. 

ESQUISSE  D'UN  PLAN 

DE 

VOYAGE  AUTOUR  DU  MONDE, 

PAR  LA  ROUTE 

DES    INDES,    DE   LA   CIII^'E,    DU   JAPON 
ET  DES  ILES  DE  L'OCÉVN  PACIFIQUE; 

AYAXT  POIR  BUT  LES  I>TÉrÈTS   COMBINÉS 

DES  DÉCOirVERTES,  DE  LA  CIVILISATIOX  ET  DU  COMMERCE. 

socs    lA    DIRECTION    ET    LE    COMMANDEMENT 

DE   J.   S.    BUGKINGHAM, 

Auteur  des  Voyages  en   Palesliiic  ,   en   Sjiic  ,   en  Arabie,  en  Mésopotamie  et  en  Perse;   Membre 

des  Sociétés  littéraires  de  Bombay  et  de  Madras,  de  la  Société   Asiatique  du  Bengale 

et  des  Sociétés  Géographiques  de  Londres  et  de  Paris  (i). 


On  se  propose,  dans  le  cours  de  ce  voyage,  de  compléter,  ou  tout  au  moins 
d'accroître,  autant  qu'il  sera  possible,  nos  connaissances  sur  les  objets  sui- 
rans,  d'une  si  haute  importance  pour  les  peuples  et  pour  les  particuliers  : 

1».  Former  une  collection  de  doctimens  re  latifs  aux  contrées  de  l'Orient  ; 

2°.  Ucpandre  les  connaissances  usuelles  dans  tous  les  lieux,  que  l'on  visitera  ; 

5°.  Ouvrir  de  nouveaux  débouchés  aux  fabriques  de  l'Europe; 

4°.  Découvrir  de  nouvelles  matières  dont  les  vaisseaux  puissent  se  charger  en 
retour. 

Jusqu'à  présent,  les  rivalités  nationales  ont  causé  de  très-grands 
maux,  sans  les  compenser  par  aucun  bien.  Si  un  peuple  fait  une 
entreprise ,  tous  les  autres  s'empressent  de  lui  susciter  des  obsta- 
cles :  l'apparition  d'une  découverte,  la  création  d'un  art,  les  pro- 
grès intellectuels,  les  améliorations  politiques  et  morales,  tout  ce 
qui  peut  contribuer  à  la  prospérité  des  uns  est  vu  avec  dépit  par 
ceux  qui  n'en  profitent  point.  Dès  que  les  hommes  sont  divisés  en 
nations,  ils  oublient  qu'ils  sont  adorateurs  d'un  même  Dieu,  enfans 
d'un  même  père  ;  les  liens  de  la  grande  famille  ne  subsistent  plus; 
et,  loin  de  s'entr'aider  pour  arriver  tous  ensemble  au  bonheur,  les 
sentimens  d'affection  mutuelle  sont  tellement  dénaturés  qu'on  se 
réjouit  des  malheurs  qui  affligent  les  voisins,  qu'on  s'attriste  lors- 
qu'ils prospèrent  :  erreur  bien  funeste ,  si  ce  n'e.'-t  qu'une  erreur  ! 

Mais  il  semble  que  les  nations,  plus  éclairées  sur  leurs  véritables 
intérêts,  commencent  à  se  rapprocher;  que  les  préjugés  s'affai- 

(l)  Ce  projet  a  été  lu  à  la  Société  de  Géographie  et  à  la  Société  Asiatique,  ({ui  ont  nommé 
chacune  des  commissions  spéciales  pour  l'examiner. 


798 

blissent  ;  que  no'X'?  nous  déj^ageons  peu  ;i  pou  des  erreurs  et  des 
passions  de  nos  pères.  La  France  aura  contribué  puissamment  à 
cet  heureux  changement,  en  donnant  au  monde  l'exemple  d'une 
nation  qui  se  régénère  avec  autant  de  sagesse  et  de  courage.  La 
Grande-Bretagne  tout  entière  a  célébré  ce  glorieux  événement  : 
tous  les  âges,  tous  les  rangs,  toutes  les  professions  l'ont  appris  avec 
enthousiasme;  leurs  appUuuhssemens  ont  retenti  hors  de  leur  ih\: 
l'Europe  les  a  compris,  elle  s'est  ébranlée.  Ainsi  deux  nations  puis- 
santes, libres  et  généreuses,  s'uniront  désormais  pour  tout  ce  qui 
sera  juste  et  bon.  utile  à  l'une  et  à  l'autre,  à  tous  les  peuples.  Elles 
auront  pour  auxiliaires  les  hommes  qui  pensent,  et  ne  sont  pas 
condamnés  au  sih'uce  ;  en  quelque  lieu  qu'ils  soient  placés,  ils 
prendront  part  à  l'association  universelle  pour  l'affranchissement 
du  genre  humain.  C'est  la  ligue  du  courage  et  de  la  vertu,  guidée 
par  la  raison:  de  jour  en  jour,  ses  forces  deviendront  plus  impo- 
santes, son  triomphe  plus  facile  et  plus  assuré. 

•l'ai  vu  cette  disposition  des  esprits:  j'en  ai  conçu  plus  d'espé- 
rance pour  l'accomplissement  d'un  projet  qui  exige  la  coopération 
d'un  grand  nomlire  de  personnes  éclairées  et  généreuses.  Un 
membre  distingué  du  sénat  français  m'ayant  invité  à  communiquer 
ce  projet  aux  Français  amis  de  la  civilisation  et  du  perfectionne- 
ment social,  je  suis  veiui  à  Paris,  afin  de  donner  moi-même  les 
explications  et  les  développemtns  qui  pourraient  être  désirés.  Le 
plan  d'opérations  que  je  vais  exposer  avait  été  conçu  depuis 
loniï-temps,  mais  sans  être  définitivement  arrêté  ;  et  ce  fut  seu- 
lement vers  la  fin  de  juillet  que  je  le  conimuniquaià  l'Listitution 
Fxoyale  de  Londres,  sous  les  auspices  d'un  membre  de  la  famille 
royale,  avec  l'approbation  de  quelques-uns  des  hommes  les  plus 
illustres,  les  plus  éclairés,  les  plus  vénérés  en  Angleterre,  par 
tous  ceux  qui  peuvent  apprécier  leurs  vertus  philanthropiques.  Ce 
fut  précisément  la  même  semaine  que  la  France  victorieuse,  se 
délivrant  d'une  ignoble  domination,  faisait  luire,  pour  tous  les 
peuples,  l'aurore  d'une  liberté  fondée  sur  la  justice,  et  dirigée  par 
la  sagesse;  et  dès  que  je  sus  quel  chef  la  nation  régénérée  s'était 
choisi,  je  fus  assuré  que  mon  projet  n'avait  besoin  d'aucun  appui 
pour  se  présentera  la  nation  française;  que  si  un  homme,  qui  pense 
et  sent  comme  tous  les  Français  dignes  de  ce  nom,  venait  proposer, 
avecdesuffisantes  garanties,  uueentieprisedont  le  résultat  doit  être 
au  profil  (lerhumanilé,  il  pouvait  compter  sur  un  accueil  favorable  ; 
qu'il  serait  écouté,  compris;  et  secondé  :  je  suis  venu. 

A  la  France  donc!  à  son  monarque  citoyen!  à  son  peuple!  à  ses 
libérateurs!  à  ses  députés!  à  son  connnerce!  à  tous  les  gouverne- 
mens,  à  toutes  les  nations  de  l'Europe  qni  s'intéressent  aux  [)rogrès 
de  la  connaissance  de  notre  globe  et  de  ses  productions!  parce  que 
celte  connaissance  promet  à  tous  les  hommes  un  accroissement  de 
jouissances  et  de  ressources!  je  propose  une  expédition  que  j'ai 
méditée  soigneusement,  et  qui  peut  être  une  source  de  prospérités 
pour  les  peuples  moins  bien  traités  par  la  fortune,  sans  porter  au- 
<un  préjudice  à  ceux  qu'elle  a  déjà  comblés  de  ses  faveurs,  et 
même  en  leur  accoidant  de  nouveaux  dons. 


799 

L'utilité  des  connaissances  géographiques  est  trop  généralement 
sentie  pour  que  j'insiste  sur  un  sujet  aussi  peu  contesté;  mais  je 
dois  rappeler  qu'une  partie  de  te  que  nous  croyons  savoir  a  l)esoiii 
d'être  revu  et  rectifié  ;  que  d«fs  régions  très-anciennenienl  habitées, 
et  dont  la  navigation  nous  a  souvent  rapprochés,  ne  sont  pourtant 
pas  encore  explorées.  Jamais  l'Europe  ne  tut  mieux  préparée  pour 
de  grands  voyages  de  découvertes  :  les  méthodes  d'oi)servation 
sont  perfectionnées,  les  connaissances  préliminaires  abondent  ; 
l'esprit  d'entreprise  est  un  des  caractères  de  notre  époque,  et  ce 
qui  rend  les  circonstances  encore  plus  favoraljîes  ,  les  moyen- 
d'exécution  s'accuiijulent  continuellement. 

Depuis  le  tems  d'Alexandre-le-Grand  et  de  Ptolémée,  qui  en- 
voyèrent l'un  et  l'autre  une  expédition  pour  découvrir  les  source- 
mystérieuses  du  Nil,  jusqu'aux  dillîciles  et  dispendieuses  entreprises 
dirigées  par  nos  compatriotes  Franklin  et  Parry  an  miheu  des  glaces 
polaires,  pour  chercher  vers  le  nord  une  voie  navigable  entre  les 
deux  Océans,  les  marins  les  plus  habiles  et  les  plus  intrépides  se 
sont  bornés  à  la  solution  de  quelques  problêmes  de  géographie.  Leur 
pensée  ne  s'occupa  point  de  considérations  d'un  ordre  plus  élevé; 
nul  autre  motif  ne  les  soutint  au  milieu  des  périls  :  cependant ,  ils 
surmontèrent  tous  les  obstacles,  et  leur  renommée  est  immortelle. 
Depuis  Néarque  jusqu'à  Colomb,  les  découvertes  de  terres  nou- 
velles frappèrent  l'imagination  des  peuples,  l'épandirent  un  vif  éclat 
sur  les  souverains  qui  ordonnèrent  ces  expéditions ,  recommandè- 
rent à  la  postérité  les  hommes  qui  vinrent  à  leur  secours  par  leur 
fortune,  leur  influence  et  leur  savoir. 

Les  sciences  hydrographiques  et  géographiques  ont  fait  d'im- 
menses acquisitions,  mais  elles  peuvent  en  faire  encore.  Très-cer- 
tainement, nos  cartes  ne  sont  pas  au  complet,  ni  toutes  parfaitement 
correctes.  Quand  même  une  nouvelle  circonnavigation  du  globe 
n'aurait  point  d'autre  objet  que  de  remplir  des  lacunes  et  de  corri- 
ger des  erreurs  qui  peuvent  devenir  funestes  aux  marins  et  à  ceux 
qui  les  emploient,  elle  mériterait  les  encouragemens  de  toutes  les 
nations  qui  prennent  quelque  part  au  commerce  de  tout  l'univers  . 
et  dont  les  navires  peuvent  s'engager  dans  ces  mers  encore  peu 
connues.  Mais  il  ne  s'agirait  plus  aujourd'hui  de  ces  voyages  de 
simple  reconnaissance;  on  voudrait  former  des  établissemens  de 
commerce,  et  les  consolider  en  laissant  aux  peuplades  qu'on  visite- 
rait les  souvenirs  les  plus  attrayans  et  les  plus  propres  à  leur  faire 
désirer  le  retour  de  leurs  amis  de  l'Europe  ;  ce  serait,  de  l'instruc- 
tion, les  premiers  élémens  de  l'agi'iculture  et  des  arts  les  plus  utiles. 
On  joindrait  l'exemple  au  précepte  ;  on  les  initierait  par  degrés  à 
noti'e  manière  de  vivre  ,  aux  jouissances  et  au  bonheur  de  la  civili- 
sation; on  les  conduirait  par  la  route  du  plaisir  à  toutes  les  amélio- 
rations intellectuelles  et  morales  dont  on  les  trouverait  susceptibles  ; 
et,  pour  le  bien  qu'ils  nous  devraient,  nous  ne  leur  demanderions 
que  des  échanges,  encore  plus  profitables  pour  eux  que  pour  nous- 
mêmes. 

Les  portions  du  globe  où  cette  entreprise  peut  obtenir  les  plu^ 


8oo 

l)iillnn>  succès  sont  les  cotes  et  les  iles  île  l'hémisphère  orientai, 
entre  la  Chine  et  l'Amérique  du  sud,  en  y  joignant  la  presqu'île 
de  Corée,  Fonnose  ,  le  Japon,  li<irnéo,  la  Nouvelle-Guinée,  Cé- 
lèbes,  les  Molnques,  les  P]iili])pines,  l'archipel  des  Kouriles  et  les 
innombrables  iles  éparses  dans  l'Océan  Pacifique.  Toutes  ces  con- 
trés sont  peu  connues  du  monde  commerçant,  parce  que  le  privi- 
lège de  la  Compagnie  anglaise  des  Indes  orientales  en  interdisait 
l'accès  à  tous  les  vaisseaux  qui  n'appartenaient  pointa  cette  com- 
pagnie :  elle  réservait  pour  elle  seule  l'exploitation  de  près  d'un 
tiers  du  globe,  et  d'un  nombre  prodigieux  de  peuples  dont  nous 
ne  connaissions  tout  au  plus  que  les  noms.  Enfin  son  monopole  va 
cesser,  et  les  peuples  qu'il  avait  dépouillés  rentreront  dans  leurs 
droits  naturels  !  il  est  tems  de  se  préparer  à  les  faire  valoir,  et 
préalablement,  de  reconnaître  les  lieux  on  ils  doivent  être  exercés. 
Faute  de  données  certaines  sur  ces  pays,  les  plus  reculés  que  le 
commerce  puisse  atteindre,  les  premières  spéculations  dont  ils  fu- 
rent l'objet  eurent  les  suites  les  plus  fâcheuses;  les  commercans , 
jahiux  de  profiter  de  la  nouveauté,  s'efl'orcèrent  d'arriver  les  pre- 
miers; leur  cargaison  fut  mal  assortie;  et,  faute  de  connaître  les 
besoins  des  peuples  auxquels  ils  s'adressaient,  ils  n'eurent  que  peu 
de  débit  :  les  échanges  ne  furent  pas  plus  avantageux.  Le  nouveau 
marché  s'euî^ombra  de  marchandises  non  recherchées-;  elles  s'ava- 
rièrent, les  pertes  s'accrurent,  les  entrepreneurs  furent  ruinés  :  le 
désespoir  fit  renoncer  à  des  branches  de  commerce  qui  seraient  de- 
venues très-productives  ^i  elles  eussent  été  mieux  dirigées.  Ces 
malheurs  ne  peuvent  être  attribués  qu'au  défaut  dé  connaissances 
exactes  des  lieux  et  des  peuples,  et  le  seul  moyen  d'acquérir  ces 
connaissances  est  une  exploration  méllif)dique,  soigneuse,  qui  ne 
se  borne  point  à  voir  les  objets  en  masse,  et  qui  entre  dans  les  dé- 
tails si  nécessaires  pour  le  succès  des  opérations  commerciales. 

Afin  de  procéder  à  cette  nouvelle  exploration,  les  associés  qui  se 
chargeront  des  premiers  frais  de  rentrej)rise  devront  faire  l'acqui- 
sition d'un  vaisseau  de  grandeur  sufTlsante,  ainié,  équipé  ,  prêt  à 
mettre  en  mer.  Il  conviendrait  peut-être  de  lui  procurer  la  res- 
source d'une  machine  à  vapeur,  afin  qu'il  ne  soit  point  retenu  par 
les  calmes ,  ni  entraîné  par  les  courans  :  dans  ce  cas,  on  choisirait 
la  machine  la  plus  durable  et  la  moins  exposée  aux  accidens  du  ku 
et  des  explosions  ;  on  profiterait  de  toutes  les  recherches  faites  ré- 
cemment sur  l'architecture  navale  et  les  arts  qui  s'y  rapportent. 

Comme  l'achat  et  l'équipement  de  ce  vaisseau  sont  une  forte  dé- 
pense, le  nombre  des  souscripteiu's  doit  être  très-considérable.  Il 
est  à  désirer  que  les  amis  des  découvertes,  delà  civilisation,  des 
progrès  du  commerce  et  de  l'industrie,  se  joignent  à  cette  associa- 
tion pliilanlropiquc ,  dans  tons  les  pays  où  le  gouvernement  ne  s'y 
opposera  point.  Dès  qu'un  bâtiment  tel  que  je  le  demande  me  sera 
confié,  les  souscripteurs  seront  déchargés  de  tous  les  frais  ulté- 
rieurs; aucun  autre  appel  à  leur  générosité  ne  sera  fait  par  la  suite. 
L'entielien  du  navire ,  de  ré([uipage  et  des  personnes  embarquées 
seront  à  mou  compte  jusqu'au  retour  :  j'y  pourvoirai  par  le  com- 
merce. 


8oi 

Comme  ce  vojiigc  a  spécialement  pour  objet  de  reconnaître  les 
lieux  et  de  l'aire  (les  essais  île  commerce,  l'association  des  souscrip- 
teurs n'est  point  une  compagnie,  et  ne  se  réservera  point  les  titres 
de  propriété  que  les  sociétés  commerciales  s'attriiiueut  ordinaire- 
ment. L'avance  du  bâtiment  est  un  don  l'ait  par  des  amis  des  con- 
naissances utiles  et  de  l'humanité  ;  si  ce  don  peut  être  la  source 
de  quelques  bénéfices,  ils  appartiendront  à  ceux  qui  auront  exé- 
cuté l'entrepiise.  Quant  au  résultat  des  recherches  qu'on  aura 
laites,  il  entre  dans  le  domaine  de  tous  les  peuples;  les  vues  des 
souscripteurs  se  sont  étendues  sur  l'univers  entie»-,  sans  donner 
ujie  attention  particulière  aux  intérêts  de  leur  nation. 

Voici  les  objets  dont  je  m'occuperai  constamment,  durant  tout 
le  cours  de  l'expédition  : 

I.  Perfectionner  la  géographie  et  l'hydrographie  des  côtes  et  des 
îles  qu'on  visitera;  ajouter  de  nouveaux  faits  à  ce  que  l'on  sait 
déjà  sur  ces  contrées;  recueillir  et  mettre  en  ordre  les  matériaux 
de  leur  statistique  ;  faire  connaître  leurs  productions,  les  mœurs  et 
les  usages  des  habitans ,  indiquer  leurs  besoins,  etc.  ;  former  des 
collections  de  leurs  livres  et  manuscrits,  et  de  toutes  les  parties  de 
leur  histoire  naturelle,  et  des  produits  de  l'industrie  locale. 

II.  Répandre  ,  mais  avec  économie  ,  dans  tous  les  ports  qu'on 
visitera,  des  échantillons  des  produits  et  des  fabriques  européen- 
nes (étoffes  de  laine,  de  soie  et  de  coton,  ((uincailleries,  verre- 
ries et  poteries,  etc.  ),  afin  de  consulter  le  goût  des  acheteurs,  de 
prendie  le  modèle  des  formes  qu'ils  préfèrent,  de  convenir  des 
prix,  en  un  mot,  de  préparer  les  voies  d'un  commerce  régulier,  et 
sur  lequel  on  puisse  fonder  des  spéculations,  comme  entre  les  peu- 
ples civilisés. 

III.  Introduire,  autant  qu'il  sera  possible,  en  même  teras  que 
les  marchandises  européennes,  quelques  notions  des  arts  et  des 
usages  de  notre  civilisation,  des  instrumens  que  les  arts  naissans 
puissent  employer,  quelques  pratiques  d'agriculture,  d'économie 
domestique;  des  graines,  des  plantes,  des  animaux,  des  matières 
sur  lesquelles  les  nouveaux  ouvriers  puissent  faire  leur  apprentis- 
sage :  essayer  d'établir  des  écoles  pour  étendre  et  perpétuer  les 
bienfaits  de  l'instruction. 

IV.  Emmener  de  tous  les  pays  que  l'on  visitera  un  ou  deux  en- 
fans  de  12  à  16  ans,  avec  le  consentement  de  ceux-ci ,  assez  âgés 
pour  conserverie  souvenir  de  leur  pays,  de  leurs  usages,  de  leiu* 
langue,  etc.,  et  assez  jeunes  pour  s'habituer  à  de  nouvelles  contrées, 
à  un  nouveau  langage,  à  de  nouvelles  mœurs  :  afin  de  les  pla- 
cer dans  quelqu'une  des  principales  écoles  de  l'Europe  ;  et  lorsque 
leur  éducation  sera  terminée,  de  leur  procurer  les  moyens  de  re- 
tourner dans  leur  patrie,  où  ils  pourront  répandre  les  connais- 
sances qu'ils  auront  acquises,  avec  bien  plus  de  facilité  et  de  succès 
que  ne  le  feraient  des  missionnaires  étrangers. 

Cette  esquisse  générale  de  mon  Plan  sera  peut-être  insuffisante 
pour  quelques  lecteurs;  je  vais  donc  entrer  dans  quelques  détails, 
en  m'adressant  successivement  aux  classes  parmi  lesquelles  je  puis 


8o2 

espérer  de  trouver  des  souscripteur?,  qni  pourront  offrir  à  mon 
cnireprisc  l'appui  de  leur  autorité  et  de  la  considération  qui  les 
environne.  En  exposantles  avantages  qui  résulteront  pour  chaque 
classe  de  l'exécution  de  mon  projet,  c'est  au  nom  de  leurs  propres 
intérêts  que  je  sollicite  leur  approbation. 

I.  Les  princes,  les  grands,  tous  ceux  que  la  puissance  ou  de 
grandes  richesses  placent  à  la  tête  des  nations ,  seront  de  plus  en 
plus  assurés  de  se  maintenir  dans  le  haut  rang  qu'ils  occupent,  à 
mesure  qu'ils  répandront  parmi  les  peuples  plus  de  connaissances 
et  des  moyens  de  prospérité.  Ainsi  mon  Projet  leur  offre  une  oc- 
casion d'exercer  la  plus  noble  de  leurs  prérogatives,  celle  d'être 
les  bienfaiteurs  des  hommes  soumis  à  leur  influence  ou  à  leur 
pouvoir. 

II.  Le  clergé,  la  noblesse,  les  hommes  livrés  à  la  culture  des  di- 
verses branches  des  connaissances  humaines,  ceux  qui  exercent 
des  professions  libérales,  les  personnes  étrangères  au  commerce  se 
plairont  à  seconder  les  efforts  que  l'on  fait  pour  bannir  de  toute  la 
leire  l'ignorance,  l'idolâtrie,  l'esclavage;  pour  perfectionner  la 
morale  des  peuples,  cette  source  féconde  des  plus  grands  biens 
dont  l'humanité  puisse  jouir. 

ITI.  Les  banquiers,  les  capitalistes,  les  propriétaires,  les  posses- 
seurs de  fonds,  de  quelque  nature  qu'ils  soient,  sentiront  qu'en 
améliorant  la  condition  des  peuples  placés  à  une  grande  distance, 
on  ouvre  au  commerce  de  nouveaux  marchés,  on  multiplie  les 
canaux  pour  l'écoulement  des  pioduits  du  sol  et  des  fabriques, 
on  donne  plus  de  valeur  aux  capitaux,  en  leur  procurant  de  nou- 
veaux emplois  ;  on  accroît  ainsi  toutes  les  sortes  de  richesses. 

IV.  Les  commerçans  verront  avec  satisfaction  qu'on  leur  pré- 
pare des  relations  plus  étendues,  plus  diversifiées,  et,  par  consé- 
quent, de  nouveaux  moyens  d'échapper  aux  chances  défavorables, 
ou  de  les  compenser  par  d'autres  profits;  qu'ils  seront  désormais 
plus  assurés  du  succès  de  lems  opérations  dans  les  mers  dont  les 
côtes  seront  mieux  reconnues,  où  ils  n'auront  plus  à  redouter  les 
erreurs  des  cartes,  où  la  navigation  ne  sera  plus  exposée  aux  dan- 
gers qui  la  menacent  encore. 

V.  Les  fabricans  pourront  espérer  que  celte  nouvelle  explora- 
tion du  monde  commercial  entretiendra  l'activité  de  leurs  manu- 
factures, en  mettant  la  consomniatiou  au  niveau  de  l'énorme  puis- 
sance de  production  dont  les  machines  sont  pourvues,  et  qui 
menace  tous  les  travaux  industriels  de  la  plus  désolante  suspension. 

YI.  Les  propriétaires  de  vaisseaux  ne  peuvent  demeurer  indiflë- 
rens  à  une  entreprise  qui  semble  faite  exprès  pour  eux.  Une  pro- 
digieuse concurrence  atellement  diminué  leursbénéfices,  qu'ils  ont 
le  plus  urgent  besoin  de  s'étendre  hors  des  mers  sillonnées  dans 
toutes  les  directions  par  la  foule  des  navigateurs,  de  chercher  des 
paiages  moins  fréquentés,  où  la  science  et  l'habileté  du  marin 
soient  encore  nécessaires  ,  et  dont  l'exploitation  leur  appartienne 
à  ce  titie,  au  moins  pendant  quebjue  tems. 


8o3 

VIL  Je  ne  puis  oiihlicr  de  ni'adrcsser  aux  datncs,  daus  tous  les 
pays  ovi  la  civilisation  les  a  élevées  au  larijj;  qui  leur  appailieul. 
Mon  entreprise  tend  à  préparer  l'alTranchissement  de  leur  sexe 
dans  les  contrées  orientales,  où  il  est  traité  avec  une  barbarie  si 
révoltante.  Si  l'ascendant  de  peuples  plus  éclairés  et  de  mœurs 
plus  sociales  ne  va  pas  au  secours  des  feuunes,  dans  cette  partie 
du  monde,  leur  esclavage  et  leur  affreuse  dégradation  ne  fiiu"ront 
peut-être  jamais.  Si  ,  au  contraire,  on  peut  y  introduire  quelque 
cliangemeut  en  faveur  de  l'humanité,  celte  amélioiation  ne  man- 
quera point  d'en  amener  d'autres^  et  la  route  vers  le  bien  ne  sera 
plus  déserte.  Les  hommes,  pour  leur  propre  félicité,  commence- 
ront à  s'occuper  de  celle  des  femmes  ;  ils  voudront  avoir  des 
compagnes,  et  les  mettre  à  leur  niveau;  les  facultés  intellectuelles 
des  deux  sexes  seront  cultivées  avec  le  même  soin,  les  occupations 
propres  à  chacun  également  honorées;  les  mères  ne  se  borneront 
plus  à  être  les  nourrices  de  leurs  enfans;  elles  voudront,  elles 
pourront  se  charger  de  les  élever;  elles  seront  à  leur  place,  et 
l'humanité  ne  sera  plus  outragée  dans  sa  plus  belle  moitié. 

VIII.  Enfin,  je  m'adresse  à  toute  la  république  des  lettres,  et 
principalement  à  ceux  qui  la  gouvernent  et  qui  président  à  ses 
destinées.  Ils  ont  entre  les  mains  l'immense  levier  de  l'opinion  pu- 
blique, dont  la  presse  transmet  l'action  dans  tout  l'univers  :  la 
puissance  de  cette  action  s'accroît  et  devient  plus  salutaire  à  me- 
sure que  nos  connaissances  s'étendent  et  se  perfectionnent. 

Plusieurs  sociétés  publiques  se  sont  établies  à  Paris,  dans  un 
esprit  analogue  à  celui  de  l'association  que  je  propose,  pour  encou- 
rageràla  fois  les  découvertes  géographiques,  et  hâter,  danscertaines 
limites,  les  progrès  de  la  moraleet  de  la  philanthropie. Sur  les  listes  de 
leurs  membres  figurent  les  noms  les  plus  respectables  de  la  France. 
Nous  avons  aussi  en  Angle  terre  une  association  pour  la  découver  te  de 
l'intérieur  de  l'Afrique,  et  une  autre  pour  améliorer  les  sort  des 
habitans  de  cette  partie  du  monde.  Chez  nous,  aussi  bien  qu'en 
France,  l'élite  de  la  nation  s'empresse  de  prendre  part  à  ces  œu- 
vres philanthropiques. 

Cependant  mon  projet  ne  peut  être  exécuté  que  très-difficile- 
ment par  voie  d'association  :  d'abord  les  souscriptions,  annuelles 
de  quatre  ou  cinq  cents  membres  ne  fourniront  certainement  pas 
les  fonds  qu'exige  une  entreprise  où  nul  bénéfice  ne  couvre  une 
partie  des  frais;  en  second  lieu,  les  délibérations  d'une  société  sont 
lentes  ;  la  diversité  des  opinions,  les  causes  qui  détournent  l'attcn- 
lion  exercent  une  grande  influence  sur  leurs  nombreux  conseils, 
et,  dans  l'entreprise  dont  il  s'agit,  il  faut  absolument  une  marche 
rapide,  décidée,  des  mesures  aussi  promptes  qu'énergiques  :  les 
sociétés  ne  se  meuvent  point  elles-mêmes,  et  n'impriment  point  le 
mouvement  avec  cette  force  et  cette  vitesse. 

Si  cette  difficulté  peut  être  vaincue,  l'expédition  n'en  éprouvera 
pas  d'autres.  Lorsque  l'on  aura  procuré  au  vaisseau  tout  ce  qui  lui 
est  nécessaire  pom'  s'éloigner  de  l'Europe,  et,  qu'approvisionné 


8o4 

comme  je  le  suppose,  il  aura  pris  le  large,  qu'on  n'ait  plus  d*in- 
qui('ludes  relativement  à  ses  besoins  ultérieurs  :  on  y  pourvoira  par 
!e  commerce,  durant  tout  le  voyage.  Qu'on  se  rappelle  que  le  di- 
recteur de  l'entreprise  y  attacliera  son  honneur  et  sa  gloire;  qu'il 
sera  secondé  par  des  savans  qui  l'accompagneront,  par  des  officiers 
choisis  en  considération  de  leurs  connaissances  variées,  de  leur  ha- 
bileté et  de  leur  prudence,  de  la  promptitude  et  de  la  justesse  de 
leur  coup  d'œil,  de  leur  fermeté  dans  l'exécution. 

Il  faut  bien  que  je  parle  de  moi-même,  que  je  produise  mes 
titres  à  h\  direction  d'une  telle  entreprise.  A  peine  sorti  du  berceau, 
le  goût  des  expéditions  lointaines,  l'ambition  de  me  signaler  par 
quelques  découvertes,  furent  mes  passions  dominantes.  iMarin  dès 
l'âge  de  neuf  ans,  je  n'avais  pas  atteint  ma  vingt-unième  année, 
lorsque  je  fus  chargé  d'un  commandement;  j'ai  conduit  des  vais- 
seaux dans  toutes  les  parties  du  monde;  mes  courses  par  mer  m'ont 
fait  connaître  les  deux  Amériques,  la  31éditerranée,  la  Turquie,  la 
Mer  Rouge  et  le  golfe  Persique,  les  Indes  orientales,  y  compris 
Bombay,  Ceylan,  Madras  et  le  Bengale.  Sur  terre,  j'ai  parcouru 
''i-gjpte,  la  Nubie,  l'Arabie,  la  Palestine,  la  Syrie,  la  Mésopotamie, 
la  contrée  où  fut  Babylone,  l'ancienne  Médie,  la  Perse.  Dans  ces 
pays  divers,  j'étais  vêtu  comme  les  habitans,  je  vivais  à  leur  ma- 
nière, j'apprenais  leur  langue,  et  je  parvenais  ainsi,  non-seulement 
à  passer  partout  en  sûreté,  mais  à  obtenir  des  égards,  de  la  consi- 
dération. Je  suis  dans  ma  quarante-quatrième  année;  j'ai  une  forte 
coiislitulion,  de  la  santé,  de  la  vigueur,  la  constance  et  l'énergie 
qui  font  lutter  contre  les  obstacles,  envisager  les  périls  avec  calme, 
afin  de  les  éloigner;  je  ne  manque  point  d'expérience  pour  aider 
mon  jugement,  et  non  pour  refioidir  mon  zèle.  J'ai  publié  des  ou- 
vrages et  prononcé  plusieurs  discours,  en  différentes  occasions; 
mes  lecteurs  et  mes  auditeurs  (il  y  en  a  peut-être  deux  cent  mille  en 
Angleterre)  peuvent  me  juger  en  connaissance  de  cause,  et  dire  si 
je  suis  en  état  de  recueillir  des  informations,  et  de  les  communi- 
quer, soit  verbalement,  soit  par  écrit. 

Voici  donc  ce  que  je  demande  pour  l'entreprise  qu'on  me  con- 
fiera :  Un  vaisseau  le  mieux  équijjé  que  les  fonds  réunis  pourront 
le  permettre,  et  pourvu  de  ce  qu'il  lui  faut  pour  se  procurer,  par 
voie  d'échange,  ce  dont  il  aura  besoin  par  la  suite.  Tous  ces  objets 
seront  des  inslrumens  entre  mes  mains,  pour  l'exécution  des  tra- 
vaux dont  je  serai  chargé.  Au  retour  de  la  circonnavigation  du 
globe,  après  avoir  atteint  le  but  de  l'entreprise,  autant  que  les  cir- 
constances l'aurout  peruiis,  pour  m'acquitter  envers  les  hommes 
honorables  qui  m'auront  mis  en  état  de  léaliser  ce  projet,  je  m'en- 
gage à  publier  une  narration  fidèle  et  authentique  de  tout  le  voyage, 
depuis  le  départ  jusqu'au  retour.  Ce  monument,  dédié  aux  sou- 
scripteurs, attestera  ce  qu'ils  auronr  fait  pour  leur  pairie  et  pour 
rhumanité,  et  perpétuera  la  reconnaissance  qui  leur  est  due. 

Taris,  le  i"  oclob.c  1S2S.  j,  s.  BUCKINGHAM. 

Bue  de  Ri\oli  ii"  28. 


8o5 

Dèiibèraùons  d'une  ylssemblcc  publ'ujiic  au  Théâtre  de  l'Insti- 
tution Royale,  à  Londres. 

Dans  une  nombreuse  asseml)Iée,  c|iii  eut  lien  le  jeudi  22  juil- 
let j83o,  à  J'InstiUilion  Koyale  de  la  Grande-Bretagne.  S.  A.  II.  le 
Duc  DE  SrssEx,  piésidcnt  de  la  Société  pour  l'encouragement  des 
arts,  des  manulaclures  et  du  commerce,  occupant  le  fauteuil,  les 
décisions  suivantes  furent  adoptées  à  l'unanimité  : 

Sur  la  motion  de  Sa  Grâce  le  Dic  de  Sommerset,  président  de 
rinstilution  royale,  appuyée  par  Lord  John  Uussell,  membre  <lu 
parlement,  vice-président  de  la  Société  pour  la  propagation  des 
connaissances  utiles  : 

1°  Il  a  été  décidé  que  le  plan  d'après  lequel  M.  Buckingham 
propose  de  diriger  un  voyage  autour  du  globe,  dans  l'intention  de 
faire  des  découvertes  bydrographiques,  de  favoriser  les  progrés 
de  la  civilisation  pratique,  et  de  donner  des  développemens  nou- 
veaux à  l'activité  commerciale,  parait  à  cette  assemiblée  devoir 
produire  de  grands  avantages  pour  le  pays,  et  amener  des  résul- 
tats généraux  fort  u-tiles;  il  lui  semble  donc  avoir  droit  aux  encoura- 
gemens  des  sujets  de  S.  M.  dans  tous  les  rangs  et  dans  toutes  les 
classes. 

Sur  la  motion  de  l'amiral  Sir  Sidney-Smito  ,  appuyée  par  Sir 
Alexakder  Johnston,  ex-président  de  la  cour  suprême  de  Cey- 
lan,  et  vice-président  de  la  Société  asiatique  : 

2°  Que  l'expérience  nautique,  les  habitudes  actives  et  les  con- 
naissances variées  dont  31.  Buckingham  a  fait  preuve  dans  ses 
ouvrageset  dans  ses  discours  relativement  aux  contrées  de  l'Orient, 
et  de  plus  le  zèle  persévérant  qu'il  a  manifesté  dans  ses  efforts 
pour  exciter  la  sympathie  des  Européens  en  faveur  de  leurs  frères 
de  l'Asie,  sont,  dans  l'opinion  de  cette  assemblée,  des  qualités 
qui  le  rendent  particulièrement  propre  au  commandement  et  à  la 
complète  exécution  de  cette  entreprise. 

Sur  la  motion  de  Lord  Durham,  appuyée  par  le  Révérend  Ar- 
thur S.  AVade,  d.  d.  F.  s.  A.: 

3°  Que  les  membres  de  cette  assemblée ,  après  avoir  réuni, 
avec  une  vive  satisfaction,  leurs  contributions  pour  assurer 
les  covimencemcns  de  celte  nouvelle  et  intéressante  entreprise  y 
croient  pouvoir  inviter  avec  instance  tous  les  amis  de  la  propaga- 
tion des  connaissances  utiles,  du  perfectionnement  moral,  et  de 
l'extension  des  rapports  commerciaux ,  à  vouloir  bien  coopérer, 
par  leurs  efl'orts  et  leurs  secours,  à  V accomplissement  ùe  ce  grand 
projet. 

Sur  la  motion  du  général  Sir  Samuel  Be^tham,  appuyée  parle 
colonel  Leicester  Staniiope  : 

4°  Que  les  personnes  dont  les  noms  suivent,  choisies  parmi  le* 
premiers  souscripteurs,  dont  l'adhésion  en  faveur  du  projeta 
devancé  toute  annonce  publique,  et  comprenant  des  membres  de- 
diverses  professions,  sont  engagés  à  choisir  entre  elles  un  comité 


8o6 

cciilralfiiii  recherchera  les  mesures  les  plus  propres   à  faire  par- 
venir au  Lut  que  l'on  se  propose;  savoir  : 


fA9i:llc  royale  , 

S.  A.  R.  1p  duc  de  Siissex. 
S.  A.  R.  If  duo  de  Cambridge. 
S.  A.  R.  le  duc  de  Glouccster. 
S.  A.  R.  le  prii'.ce  Léopold. 

PAIRS  d'aNGLETERRE  ^ 

S.  G.  le  duc  de  Soinmerset. 
S.  G.  le  duc  de  Devonshiie. 
S.  (i.  le  duc  de  Rcdfoid. 
S.  G.  le  duc  de  Porlland. 
S.  G.  le  duc  de  Leinsler. 
Le  marquis  d'AngIcsev. 
Le  marquis  de  Ijansdowne. 
Le  marquis  de  llastings. 
Le  marquis  de  Sligo. 
Le  comte  Speucei-. 
Le  comle  Ferrers. 
Le  vicomte  Torrington, 
Le  vicomte  JJcresl'urd. 
L'évêque  de  IVorvvich. 
Lord  Sondes. 
Lord  Holland. 
Loi'd  Ellenborougli. 
Lord  Durliam. 
Lord  Tankerville. 

PARLEMENT, 

Loid  vicomte  INIilton. 

Lord  vicomte  Kl)rington. 

Lord  vicomte  Morpeth. 

Marquis  de  Tavislock. 

Le  trèslioii.  lord   F.  Leveson-Govver. 

Le  très-lion,  lord  Augent. 

Lord  John  Russell. 

Le  trés-hon.  William  Huskisson. 

Le  très-lion.  Cliailes  Grant. 

Le  très-lion,  sir  John  Sinclair. 

L'Iion.  George  Agar  Lllis. 

L'iion.  George   Fonsonby. 

Le  général  Robert  Grosvenor. 

Sir  Francis  Rurdett. 

Sir  James  Scarlctt. 

Henry  Rrougliam. 

John  Cam  Hohhouse. 

Thomas  William  Ccike. 

Charles  Raiiiig  Wall. 

W.  W.  Whilmon'. 

Edward  Wynn  Rendarves. 

John  Maxwell. 

Josiah  John  Guest. 

William  Caveudish. 

Jan)es   Alexander. 

Robert  Cutlar  Fergussoa. 

John  Marshall. 

Daniel  Sykes. 

Robert  Olway-Cave. 

Edward  Davies  Davcnport. 

Hrnry  llopo. 

John  Wilks. 

Richard  Jenkins. 


George  Smith. 
William  Evans. 

MARINE  ROTALE  . 

L'amiral  sir  Sidnev  Smilh. 

Le  capitaine  Peler  Ileywood. 

Le  capitaine  F.  Marryatt. 

Le  cai)itaiiie  Alex.  Me.  Konochie. 

Le  capitaine  Glasscock. 

Le  ca]>ilaine  James  Horsburgh. 

Le  capitaine  William  Maxfield, 

Le  lieutenant  Raymond  Evans. 


Le  général  sir  John  Doyle. 

Le  général  sir  Samuel  Rentham. 

Le  col.  George  Fitz-Clareuce,  adj.-gén. 

Le  colonel  C.  J.  Doyle. 

Le  colonel  Lelcester-Stanhope. 

Le  colonel  T.  Perronet  Thompson. 

Le  capitaine  de  génie  Alex.  Robe. 

Le  capitaine  T.  F.  Irvine. 

Le  lieutenant  James  Grant. 

HOMMES  DE  LOIj 

Sir  Alexander  Johnstone,  juge. 
J.  M.  Fonhlanque,  juge. 
Sir  Peter  Laurie,  alderman. 
Malhew  Davenport  Hill,  avocat. 
A.-V.  Kiiwan,  avocat.' 
M^illi.Tm  Vizard,  avoué. 
James  Anderton,  avoué. 
A.  L.  Sarel,  avoué. 
Ruiy  Hutchinson,  avoué. 

CLERGÉ  J 

Le  lév.  archidiacre  Wrangham. 

Le  rév.  Arthur  Wade. 

Le  rév.  Dionysins  Lardner. 

Le  rév.  John  Young. 

Le  rév.  J.  A.  Tours. 

DOCTEURS    MÉDECINI^y 

George  Rirkbeck. 
Soulhwood  Smith. 
W.  Rabington. 
R.  G.  Rabington. 
Edward  Harrison. 

SA  VANS  ET  HOMMES  DE  LETTRES  | 

Ralph  Watson. 
John  Crawfurd. 
John  Ilaycs. 
James  l'ntiiam. 
Robert  Owen. 
Rowland  llill. 
Edwin  Ilill. 
Thomas  Roscoe. 
Henry  Lylton  Rulwer. 
Edmund  Ilalsewell. 
John  Towill  Rutt. 
W  aller  Weldon. 


NEGCCIANS  . 


William  Tilo.  P.  llcallcy. 
'riioiiia>i  Piinp;le. 

William  W  illx-rlorcc.  ' 

Thomas  Claiksoii.  Laurence  Matsliall. 

Apsiev  Pcllatt. 

BANQUIERS,  j3,j„.;  llutcl.inson. 

MM.  Coulis  et  Co.  J.  M.  raisons. 

MM.  Siiiitli ,  Payne  et  Sniillis.  Edward  Fletcber. 

MiM.  Kansom  et  Comp.  Heniv  Porcher. 

MM.  Miirland  et  Comp.  Charles   Robertson. 

Hemy  Diummoiid.  Thomas  Paris, 

Sir  Geoiife  Duckett.  (}.  jMonis.m. 

Thomas^HalIilax.  W.  Kilnei-. 

John  Labouclieie.  William  Millar  Chrisly. 

Joha  Williams.  Robert  Lucas  Chance. 

Apres  la  formation  d'un  comité  central,  clioisi  parmi  le?  picmier.s 
sou*cripteiir.s  de  Londriis  (i),  comprenant  toutes  les  personnes  dé- 
signées ci-dessus,  il  a  été  encore  résolu  : 

1°  Que  les  souscripteurs,  dans  les  différentes  parties  de  la 
Grande-Bretagne  ,  seraient  engagés  à  former  de  semblables  comi- 
tés, pour  poursuivre  le  même  objet  dans  leurs  territoiies  respec- 
tifs, et  pour  communiquer  les  résultats  de  leurs  efforts  au  comité 
central  de  Londres  ; 

2°  Que  les  banquiers  étaient  généralement  invités  à  vouloir 
bien  recevoir  à  leurs  caisses  le  montant  des  souscriptions;  puis  à 
le  transmettre  ultérieurement  au  comité,  qui  se  chargerait  de  les 
conserver  pour  en  faire  l'application  exclusive  aux  objets  de  l'expé- 
dition ;  et  qu'ils  étaient  également  invités  à  seconder  le  succès 
de  l'entreprise  ; 

5°  Que  les  directeurs  de  la  presse  périodique  seraient  instamment 
priés  de  donner  la  plus  grande  publicité  aux  traits  caractéristiques 
du  vovage  proposé,  alin  que  toutes  les  classes  de  lecteurs  pussent 
prendre  une  connaissance  prompte  et  exacte  de  la  nature  et  de 
l'objet  de  l'entreprise  projetée. 

Lord  Durham  demanda  aussitôt  que  des  remercîmens  fussent 
adressés  à  S.  A.  R.  le  Duc  de  Susses  pour  l'intérêt  qu'il  avait  mis 
à  l'expédition  proposée  et  la  manière  dont  il  avait  présidé  l'as- 
semblée. Cette  motion,  étant  appuyée  par  M.  Buckingham,  l'au- 
teur et  le  directeur  présumé  de  l'entreprise,  fut  votée  par  acclama- 
tion, et  l'assemblée  entière  se  leva  au  milieu  d'unanimes  applau- 
dissemens. 

S.  A.  R.  le  Duc  de  Sussex  exprima  sa  reconnaissance  de  l'hon- 
neur qui  lui  était  fait ,  et  déclara  que,  dans  toute  sa  vie,  il  n'avait 
présidé  aucune  assemblée  avec  autant  de  satisfaction,  et  qu'il  n'avait 
étendu  son  patronage  à  aucune  entreprise  qui  lui  parût  mieux  cal- 
culée pour  produite  des  résultats  plus  avantageux  dans  des  pays 
éloignés,  et  devoir  réfléchir  plus  de  gloire  sur  ceux  qui  la  favorisaient. 
La  séance  fut  alors  levée. 

(l)  L'n  comité  âc  dames  sera  forme',  d'un  autre  côte,  pour  encourager  et  faciliter  les 
souscriptions  el  l'appui  de  leur  sexe  :  en  Angleteire,  à  la  tête  d'une  longue  liste  de  dames, 
déjà  inscrites  comme  souscripteurs,  se  trouvent  les  noms  de  S.  A.  R.  la  duchesse  de  Kent 
et  de  lady  Morgan. 


8o8 

Voici  la  lislc  des  villes  en  Angleterre  où  l'on  a  déjà  o 
obtenu  des  souscriptions  :  ' 

Population.    Ville,.  Populalio 


nitc. 

Londres  .  . 
Duhlin  .  .  . 
Edimbourg 
ttlaspo».  .  . 
IMaiiclitslcr. 
I.iverpool.  . 
Uristnl  .  .  . 
lîiriningliam 
I-fcds.  .  .  . 
Shdficid.  .   . 


Population,  yillei. 

■    l,5oo,noo  liullon 

300,000  .Norwich 
145,000 


16. 


•  ,00( 


l-ÎOjOOO 

100.000 

6  fi, 000 
64,000 


6(;,ooo   \Vorc 


Xotliiigharn 
iXcHcasIle.  . 
Dundee,  .  . 
(îrctiiock.  , 
Coventrv.  . 
Alierde.-n.  . 
Wolvrrl 


60,000 
40,000 
JC.oon 
5o,ooo 


'l'ton      19, 


1,000 
19,00c 


lS,ooi 


fille,. 

Derby.  .  .  . 
Sunderlaiid. 
Chclienhaui. 
Whilbj.  .  . 
Boston  .  .  . 
Ilereford.  . 
Kendal.  .  . 
lieverlev  .  . 
Bcdford.  .  . 
l'almouth  . 


iS.ooo 
14.Û00 
21,000 

11,000 

10,000 
9,000 
8,o>)o 
6,000 


fille,. 
Darliiiptou  . 
Cljeinïslbrd 
Monnioulh. 
Al)n-gavenu; 
VLW|jort.  .  . 
Monmoulh  . 
llanlej.  .. 
Iruro.  .  .  . 
Xi 


5,000  (Cowfs, 


uvert  et 


Population. 
5,000 
5,000 
4<5oo 
3,000 
3,000 
3,000 
3,000 
3,000 
3,5oo 

5,080 


JCÎ  '°"^''"'1^"^!"«',  commencées  dans  les  villes  ci  -dessus  dési- 
fentcs     sont  continuées  avec  zèle  et  activité,  sous  la  direction  de 

T>  en  ::  r;''t  '  r\  '^^*'  ^^  ^'  '^'  ^^^-^"^^  ^"'^  ^^^  exemple,  et  "eu 
dot  e  n,n  '  ^  '■'  ''  '"^  ^^--^^^^'i^^  de  cette  expédition,  nul 
se,    L'  ''  quelques  mois  die  ne  soit  prête  à  paHir  et  à  réali- 

mnfu   "T^rr""-,^"'.  '  ""  "'"'^  *'  '•''■""^•'  ''^'"^  •''■"l'^'rêt  de  l'hu- 
manité et  de  la  civilisation  universelle. 

exmVIÎ^inn  '^'' •'■'''  "'^'■"■'^^'^'••«'^  PO'"-  l'équipement  complet  de  cette 
expcdition,  qui  con.sistera  en  un  on  plusieurs    vaisseaux,  suivant 

t^ai^rT  'T'''^'''  '^^  ^^"^'^  '-^f-^  p-"-  '-  --erï  r 

•eru  li  ";  ^"'  ^""'T"  ^  ''"'^^'  ^^P'^^dant,  si  l'on  parvenait  L 
é  i  lël^^  P'f  '"'■'''  ^^'^^  «Pé'-^'tions  en  deviendraient 

évidemment  et  p  us  étendues  et  plus  cflicaces.  Cette  valeur,  consi- 

itn  ct.r/""'"  '";'/"■;'!  ''''''  ^"^'''''-^  P''-^q-  insignifia'nte"  i 
ainsi  d'''  ^'"^"^/'«'^«'fe  1- P'oduit  d'une  souscription,  pour 
nomh  e  V  ""'^■'^'■^'"«-  C'e^t  pour  cela  qu'il  est  à  désirer  que  le 
«0^11?.  t  P^^'"f«""^\q"'  y  prendront  part  soit  aussi  gv^nd  que 
ne  n.«  1'  •     '^"'•''  contingent  de  chacun  soit  assez  modfque  pour 

canîta  i  Îë-TT'"'!"''''''  «^^"'.-  ^''  P'i"ceset  les  nobles,  les  riches 
cap  tal.ste.  et  les  banquiers,  les  dames  d'un  haut  rang  ou  d'une 
grande  lorlune  peuvent  céder  à  leurs  sentimeus  de  bienveillance 

"uati^  de!   "r  '  7'  ''''r  ''■'  — -P-PO.tionnée:!;  lëu 
situation  élevée  dans  le  monde,  et  à  leur  inclination  ;  tandis  que 
ceux  qui  ne  pourront  apporter  à  la  masse  qu'une  légère  contribua 

eZnnse -'ir"  ""^'\V  't""  ''''''  "^«^^'"^'  '^  '^'^^  S-'--"^« 
ron  T,  ,.!;  ^  '  '-"''''  ^'«'•'-'"^J^^-^'  <omn.e  les  plus  rkhes,  se- 
que  s^ion  r^iir  """T^"^"  reconnaissance.  Quelque  considérables 
ment  In  '""""''^'f.  ^^«"""^'^  ^^'^^'^  réunies,  elles  seront  entiére- 
mn"  nu  h  .'"'i '/'  ^Y'^''  exclusif  qu'on  se  propose.  De  cette  sorte, 
l-e  lapait  de  chacun  individuellement  puisse  être  bien  mi- 
c  ot^s  c'?;" ""  "  'T''  P^'"^'^"'--'  d'entreprendre  de  grandes 
du  .lis;'..!  ."'''''•!•'"'  ^?  ^;''^'*'''^P'"-^  fo'-t.  eeluiqui  retientl'ancre 
du  .ai.s.seau,  au  mihcu  de  la  tempête,  est  composé  des  fibres  les 
r  u^imnces  et  les  plus  Hubles;  et  que  l'Univcrs,%i  vaste,  si  infini 

?ès  At  o'r  \T^^'''"  """'"'  '''''  ^'^'S"-^  P^"'-  ^'^'^'-^PPC'r  aux  in- 
vestigations  de  1  homme. 

nP.^sim!r"'  •''  '^"'',  '"'  """"^  ^*  '^  contribution  de  toutes  les 
pe  onne..  qui  prendront  rang  parmi  les  souscripteurs  seront  rap- 
pelé dans  une  liste  alphabétique,  et  rendus  pul^lics  d'abord  avant 
e  commencement  du  yojage,  puis  une  seconde  lois  lorsqu'il  sera  ter- 

quels  individus  appartient  la  gloire  d'avoir  secondé  cette  entreprise 

raris.  (o    irr  nr^i^U .0-0  * 


Paris,  le  1"  octobre 

Rue  de  Rifoli  u"  25. 


l82vS. 


J.    S.  BUCKINGHAM^ 


II 


8o9 
FONDS  AUXILIAIRES. 


Trailem 

.     S( 

3uscr. 

.  75  1. 

st. 

75 

•  75 

TJ 

.  60 

68 

.  5o 

5o 

;  4o 

4.. 

iv/rt/  des  Traitcniens  (les  Officiers  oit  Eiuplnyês  marilhnes ,  et  des 
Artistes  oiiSaians,  avec  le  prix  du  passat^c  pour  les  diverses  sortes 
de  passa!j;ers. 

Les  deniaiicles  d'emplois  par  des  personnes  qui  désirent  faire 
partie  de  cette  expédition  sont  déjà  si  nombreuse.'; ,  et  continuent  à 
s'accroître  si  rapidement,  que  l'on  a  jugé  nécessaire  de  publier 
l'état  suivant  des  traitemens  annuels,  en  sus  des  rations  ordinaires 
de  vivres  accordées,  dans  la  marine  royale,  aux  divers  emplois  in- 
diqués ;  et  de  régler  en  outre  que,  indépendamment  des  qualités 
et  (.ertificats  requis,  (  haquc  postulant  devra  procurer  le  nombre 
de  souscriptions  indiqué  en  regard  de  l'emploi  qu'il  désire  occu- 
per; le  montant  des  souscrip4^ions  étant  laissé  à  la  convenance  des 
souscripteurs. 

EMPLOIS    MARITIMES  : 

Trailem.      Souscr. 

Premier  Capitaine  .  .   .   200  1.  st.  200  Commis  aux  Vivres  .  , 

Second  Capitaine  .    .    .    ij5  ijS  Directeur  des  Etudes  . 

Premier  Lieutenant .  .    i5o  i5o  Premier  Contre-Maître 

Second  Lieutenant  .   .    125  i25  Second  Contre-Maître 

Troisième  Lieutenant  .    100  100  Troisième  Contre-Maître  4o 

Maître  d'Equipage   .   .     jri  y5  Aspirans jo 

Médecin j5  jS  Aides-Chirurgien .    .    .  .  5o               5o 

Chiruigien  en  chef  .  .      70  y5  Commis 20                20 

EMPLOIS    SCIENTIFIQUES  : 

Astronome 100  1.  st.  100  Chymiste 100  1.  st.  100 

ingénieur  hydrographe  100  joo  Botaniste 100  100 

Zoologiste 100  100  Artistes    . 100  joo 

Minéralogiste loo  100  Bibliothécaire 100  100 

Afin  de  conserver  la  discipline  et  l'ensemble  si  nécessaires  dans 
les  évolutions  navales,  il  est  à  désirer  que  tous  les  matelots  soient 
de  la  même  nation  et  parlent  la  même  langue,  l'anglais  par  exem- 
ple; mais  les  officiers  de  marine  et  les  savans  peuvent  être  de 
tous  les  pays  qui  auront  fourni  des  souscriptions  pour  les  frais  de 
l'expédition.  Les  noms  et  les  travaux  de  chacun  d'eux  seront  rela- 
tés avec  soin  dans  l'histoire  du  voyage  :  de  manière  que  chacun  en 
retire  la  portion  d'honneur  qui  lui  sera  réellement  due. 

Des  aides  surnuméraires  de  marine  et  de  sciences  seront  reçus  à 
bord  comme  volontaires,  à  condition  qu'ils  procureront  la  moitié 
du  nombre  des  souscripteurs  mis  en  regard  du  rang  pour  lequel 
ils  seront  qualifiés,  et  qu'ils  désireront  occuper.  Ces  surnuméraires 
ne  recevront  que  les  vivres,  de  la  même  qualité  que  les  autres  of- 
ficiers ou  savans,  et  feront  le  service  sans  recevoir  de  traitement, 
jusqu'à  ce  qu'une  vacance  ait  lieu  dans  la  classe  pour  laquelle  ils 
seront  inscrits;  et  lorsqu'une  vacance  aura  Heu,  ils  auro/it  droit 
au  traitement  et  aux  rations  de  cet  emploi  ,  sans  être  tenus  de  rien 
débourser. 

L'avancement  dans  chaque  classe  sera  invariablement  réglé  par 
le  seul  rang  d'ancienneté,  toutes  les  fois  que  le  plus  ancien  pos- 


8io 

sédera  les  taîens  requis  pour  remplir  convenablement  Temploi  va- 
cant, soit  que  la  vacance  ait  lieu  par  la  mort  ou  par  rétablissement 
du  précédent  titulaire  dans  quelques-uns  des  lieux  visités  pendant 
le  voyage  :  le  rang  d'ancienneté  sera  réglé  par  la  date  de  l'inscrip- 
tion comme  surnuméraire,  dans  chaque  classe. 

On  compte  néanmoins  que  les  personnes  qui  s'embarqueront  en 
qualité  de  volontaires,  avec  l'expectative  des  em-  lois  qui  pour- 
ront vaquer,  feront  leur  service  comme  aides  des  officiers  sous  les 
ordres  desquels  ils  seront  placés,  et  qu'ils  se  conformeront  à  tou«; 
égards  à  la  discipline  et  aux  réglemens  qui  seront  observés  par  loiis 
les  autres  membres  de  l'expédition,  dont  la  sûreté  et  le  succès  dé- 
pendront en  grande  partie  de  l'unité  du  dessein  et  de  l'ensemble 
d'exécution. 

La  raison  pour  laquelle  les  savans  ontdes  appointemens  inférieurs 
àceuxdespi'incipaux  (jfficiers  maritimes  est  facile  à  comprendre,  si 
l'on  considère  que  le  service  de  ceux-ci  exige  en  tout  tems  l'em- 
ploi d'une  grande  vigilance,  de  l'activité,  de  la  fatigue  et  de  l'in- 
trépidité; tandis  ([ue  le  service  des  premiers  sera  des  plus  agréa- 
bles quand  le  vaisseau  est  au  port,  consistant  alors  principalement 
en  excursions  de  recherches  ou  de  plaisirs;  et  comparativement 
bien  facile  pendant  tout  le  tems  que  le  vaisseau  tiendra  la  mer, 
n'ayant  alors  à  s'occuper  que  de  tenir  leur  journal,  donner  quel- 
ques séances  d'un  cours  s\ir  leur  science  respective,  pour  servir 
d'explication  à  leurs  dessins  et  collections  ;  mais  n'ayant  point  de 
devoir  rigoureux  à  remplir,  point  de  quart  à  faire  la  nuit,  objets 
qui  exigent  tous  les  soins  et  la  présence  continuelle  des  officiers  et 
des  marins  employés  sur  le  vaisseau. 

Il  doit  être  bien  entendu  que  les  travaux  ,  les  produits  et  col- 
lections de  toutes  les  personnes  jouissant  d'appoinleniens  et  rece- 
vant les  vivres  comme  employés  de  l'expédition  ,  appartiendront 
exclusivement  au  commandant,  qui  fera  tous  les  frais  des  traite- 
mens  et  des  approvisionnemens.  Mais,  aûn  de  satisfaire  au  désir 
d'hommes  riches,  y  coifipris  leurs  épouses  et  leurs  enfans,  de  sa- 
vans ,  d'étudians  qui  veulent  compléter  leur  éducation  par  des 
voyages,  ou  d'autres  personnes  qui  voudraient  accompagner  l'ex- 
pédition à  leur  frais  et  pour  leur  propre  conq)te,  de  sorte  qu'elles 
fussent  entièrement  maîtresses  de  leiu-  tLins,  et  conservassent 
la  propriété  exclusive  de  leurs  travaux  et  des  profits  de  leurs  avan- 
ces, on  leur  fournira  les  vivres  pendant  le  voyage  à  la  table  du 
commandant,  et  des  chambres  particulières  pour  leur  usage  ex- 
clusif, conformémentau  tarif  annuel  suivant  : 

Chambras  de  i"  classe     Soo  liv.  slerl.    Cliambres  de  4"  t-'l^sse     5oo; 
Cliambres  de  a' classe     70  j  ;  Chambres  de  S*"  classe     4oo; 

Chambres  de  5«  classe     600;  Chambres  de  5' classe     3oo. 

Quantaux  passagers  du  salon  des  officiers,  de  celui  des  officiers 
mariniers  et  sous-officiers,  ou  du  gaillard  d'avant  ou  place  des  ma- 
telots, parmi  lesquels  se  troineront  des  personnes  respectables , 
telles  que  des  missionnaires,  des  émigrans,  des  colons,  des  artisans, 
des  marchands,  des  instituteurs  et  autres  personnes  qui  accompa- 


8ii 

gneronl  l'expédition,  dans  l'intention  de  s'élahlir  dans  quelqu'un 
des  pa3's  que  l'on  visitera  :  —  ils  auront  des  vivres  cl  le  loge- 
ment, comme  les  officiers  et  les  marins  des  trois  divisions  susdi- 
tes, an  prix  suivant,  par  mois  : 

Salon  des  OfTiciers i5  1iv.  sterl. 

Salon  des  OfTicicrs  Maiinicis    ...        lo 
Gaillard  d'avant 5 

Comme  la  totalité  des  sommes  produites  parla  souscription  gé- 
nérale doit  être  employée  à  la  construction,  au  gréement  et  à  l'é- 
quipement du  vaisseau,  aussi  complet  qu'il  sera  possible,  —  le  mon- 
tant des  sommes  produites  par  la  répartition  des  divers  emplois, 
ainsi  que  celles  provenant  du  prixde  passiige  îles  diverses  clauses  de 
passagers,  seront  mis  à  part  comme  fonds  auxiliaires,  dont  l'em- 
ploi exclusif  sera  de  payer  les  traitemens  de  l'équipage,  de  fournir 
les  provisions  de  vivres,  et  de  défrayer  les  autres  dépenses  cou- 
rantes qui  auront  Heu  pendant  la  durée  du  voyage ,  et  avant 
la  réalisation  des  profits  que  l'on  attend  du  frélage  et  des  opéra- 
tions de  commerce. 

Avant  qu'aucun  des  postulans  d'un  emploi  rétribué  puisse  être' 
reçu  comme  candidat,  il  faut  qu'il  ait  obtenu  le  nombre  requis 
de  souscriptions,  et  queleur  montant  soit  payé àl'nn des  banquiers 
de  l'expédition  ;  à  la  suite  de  quoi,  les  trois  considérations  d'après 
lesquelles  les  divers  candidats  pour  un  uiêmeemploi  seront  jugés, 
et  leur  nomination  décidée,  sont  : 

1°  Le  talent  supérieur  et  spécial  ; 

2"  La  somme  pour  laquelle  il  aura  contribué,  tant  par  lui-même  que  par 

ses  amis  ; 
5»  L'antériorité  de  la  date  à  Iaquell(>  il  aura  obtenu  le  nombre  requis  de 

souscripteurs. 

Quant  aux  particnliei^s  et  aux  familles  qui  s'emljarqueronl 
comme  passagers  seulement,  la  priorité  de  leur  inscription  sera  le 
seul  motif  de  la  préférence  qu'ils  obtiendront;  et  le  choix  des 
chambres  pour  chaque  classe  sera  aux  plus  anciens  inscrits. 

Tous  lesarrangemens  et  traités  relatifs  à  l'emploi  des  fonds  pour 
la  construction  et  l'équipement  du  vaisseau,  jusqu'au  moment  de 
son  départ  d'Europe,  seront  faits  par  ordre  du  comité.  De 
même,  tout  ce  qui  concerne  la  conduite  du  voyage,  après  cette 
époque,  par  conséquent  le  choix  et  l'engagement  des  officiers,  des 
savans  et  de  l'équipage,  se  feront  parles  ordres  et  sous  la  respon- 
sabilité de  M.  Buckingham  lui-même  ;  c'est,  par  conséquent,  à  lui 
et  non  au  comité  que  toutes  les  propositions  et  demandes  doivent 
être  adressées,  franches  de  port. 


Les  lettres  adressées  à  M.  Buckingliam  peuvent  être  confiées  aux  soins  de 
MM.  Lafitte  et  compagnie,  banquiers  de  Paris,  pour  la  France;  et  à 
MM.  Coutls  et  compagnie,  banquiers  de  Londres,  pour  i'A-ugleterre^ 


8l2 
EXTRAITS  RELATIFS  AU  VOYAGE  DE  M.   HLCKIXGHAM. 


Résolution  rfd  l'Association  des  Indes  Orientales  de  Liverpoul.  Présidence  de  M    James  Crapper,   Èr. 

Il  a  élô  résolu,  —  Qa^  le  coni:tû,  pén»^Irè  du  sf-rvîce  rcadii  àlii  question, des  ïndes  par  J.  S.  Buckin 
ghani  ,  Éc.  par  ses  lectures,  taat  à  Liveipool  qu'en  d'autres  lieux,  donnant  ainsi  Timpulsion  à  ce  sujet 
dans  uu  moment  des  plus  irnporlans.  dcmaiidc  l.i  permission  de  lui  présenter  ses  remercimens  sincère» 
pour  le  secours  qu'il  lui  a  pièlé  ;  et  de  vouscrJre  pour  la  oOiUlUC  de  20  guinées  pour  son  voyage  projett-. 
avec  des  soubaîls  sincères  qu'il  réussisse. 

SuUe  du  comité t  a  Lverpool,  R-  MOORSOM,  secrétaire  pro.  temp. 

1^  21  \uillet    i85o. 


LETTRE    DE    M.     ERODCHAM, 

Exlcait  d^ane  lettre  adressée  par  A/.  Jîenrj    Broug!tam ,  Éc.  président   de  la  Société  pour  la  propagation  des 
connaissances  utiles^  et  député  du  comté  d'York,' à  M.  Buckingham,  le  5  juin  i85o.  ' 

«  Je  n'ai  pas  depuis  longtemps  vu  de  projet  qui  nie  plaise  autant  que  celui  que  tous  m'avez  commun!  - 
que  hier,  et  auqufl  |"ui  donné  toute  mon  attention.  Je  pensais  depuis  long-temps  à  un  vuya^c  de  décou- 
vertes, ou  plutôt  à  un  voya;ïe  ayant  pour  but  d'oliteiiir  »;t  de  communiquer  des  renseignemuns  utiles  au 
moyen  d'une  a'isorialion.  Mais  votre  projet,  qui  combine  l'objet  commercial  avec  l'autre  ,  en  atteii^nnnl  le 
but  sans  l'indécision  (jui  s'attache  aux  décisions  d'une  société,  et  qui  entravent  toujours  l'exécution,  me 
paraît  infiniment  meilleur  sous  tous  les  rapports,  ei  je  souhaite  rordialcment  qu'il  réussisse.  Je  desîrc  aussi 
contribuera  son  exécution  par  tous  les  moyeus  qui  seront  en  mou  pouvoir.   1 


LETTRE  DU  COMTE  DE  LABOBDE. 

Extrait  d^une  lettre  adressée  par  le  comte  Alexandre  de  Laborde,  présîden  t  de  la  Société  pour  la  propagation  de 
la  cirilisalion.  membre  de  ia  Chamhre  des  Députés  de  la  Finance,  préfet  de  la  Seine,  etc.,  etc.,  à  M.  Buckin- 
ghmn,  à  Paris,  le  \^  juillet  iSôo. 

«  A  l'ouverture  des  chambres,  qui  amène  dan^  la  capitale  les  principales  notabilités  du  pays,  je  pour- 
rai faire  connaître  \oire  utile  entreprise,  et  faire  sentir  combirm  il  serait  convenable  et  glorieux  à  la 
France  de  la  seconder.  En  alteiidant,  ïeuillez  nie  compter  au  nombre  de  vos  souscripteurs.  Je  désirerais  \1 
veulent,  monsieur,  qu'il  vous  fût  possible  de  faire  un  petit  voyiij;*'  à  Paris  :  Je  crois  que  cette  course  se- 
rait très-util)!  à  \03  projets  ;  et,  dans  tous  les  cai,  je  serais  fort  heureux  de  pouvoir  contribuer  à  vous  ren- 
dre agréable  le  séjour  de  la  capitale,  a 

Inscription  d*un  volume  relatif  ïi  la  Terre-Sainte  ,  présenté  par  l'amiral  sir  Sidney-Smitk  à  3/.   Buckingham  , 
après  avoir  entendu  son  discours  public  sur  les  contrées  de  l'Orient. 

«  De  U  part  de  sir  Sidney-Smilli .  coiiimc  témoignage  de  sa  gratitude  pour  le  vifplaisir  que  lui  a  fait 
éprouver  la  description  lîdèle  et  animée  de  la  Palestine  par  M.  Buckingham,  et  de  soa  admiration  du 
xèlc  avec  lequel  il  plaide  en  f>ivcur  de  ramèlîorution  générale  des  contrées  de  l'Orient.  • 


Copie  d'une  lettre  adressée  par  lord  Tankerrîlle  à  l'honorable    colonel   Leicester  Stanliope,  du  château  d»  Chil 
lingham  ,  dans  le  ^iorthumberland»  le  lo  Si^ptemhre  18Ô0. 

«  Votre  lettre  que  j'ai  reçue  ce  malin  m'a  rappelé  ce  que  j'ai  toujours  eu  l'intçntion  de  faire,  de  sou- 
scrire pour  l'entreprise  de  M.  Buckingham.  J'ai  assisté  l'année  dernière  à  quelques-unes  de  ses  séances, 
et  je  le  crois  particulièrement  propre  à  conduire  une  entreprise  aussi  grande  et  aussi  utile.  » 


Résolulion  du  Comité  de  Londres  relativement  au  paiement  des  souscriptions  pour  le  voyage  de  M.  Buckingham 
.  autour  du  globe. 

Le  Comité,  tenu  p;ir  ordre  de  l'Assemblée  pénérale,  à  rinstitution  royale,  le  sa  juillet'iSôo,  sous  la  prési* 
denc**  de  S.   A.  R    !<■  duc  de  Susscx,  a  résolu  à  l'unanimité  : 

!•  t^ue  l'étendue  du  patronage  et  de  Tappuî  déjà  donnés  à  cette  expédition  garantissent  que  son  objet 
sera  définitivement  rempli  ; 

a*  QuVn   conséquence   de  la  résolution   de    l'assemblée   générale,  qui  autorise  MM.  Smîth,  Piiyue  et 
Smithr,  MM.  Coutls  et  compagnie,  et  MM.  Ransom  et  compagnie  ,  à  recevoir  des  souscriptions  pour  cet 
objet,  sous  le  contrôle  du  romitt:    on  fait  savoir  aux  souscripteurs  en  général  que  leui"s  sousciiplion?  peu- 
vent actuellement  être  payées  pour  le  compte  du  comité  du  voyage  de  M.  Buckingham. 
(  Signé  ; 

LEICESTER  STANHOPE,  secrétaire  honoraire. 
A  la  salle  du  Comité^  Charing  Cross, 
Londres,   le  5  août  l85o- 

TYPOGBAPIMF.  DK  .M aRCELI.IN-LEGRAND,  l'LASSAN  ETCOMP. 


IMPBIMERlE  DE  PLASSAN  ET  COMP.; 


TABLE 

ANALÏTIQUE  ET  ALPHABÉTIQUE 

DES  MATIÈRES 

DU   QUARANTE -SEPTIÈME  VOLUME 

DE  LA  REVUE  ÏINCYCLOPÉDIQUE. 

Juillet,  Aoct,  Septembre   i85o  (*). 

On  a  réuni  aux  quatre  mots  indicatifs  des  quatre  gbandes  divisions  de 
'ce  Recueil  ; 

I.  MÉMOIRES,  NOTICES  ET  MÉLANGES; 

II.  ANALYSES  ET  EXTRAITS  D'OUVRAGES  CHOISIS; 

III.  RULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE; 

IV.  NOUVELLES  SCIENTIFIQUES  ET  LITTÉRAIRES; 

le  détail  et  le  renvoi  des  articles  qui  s'y  rapportent  ;  puis  on  a  caractérisé 
«es  articles,  à  la  suite  du  nom  de  leurs  auteurs,  par  l'une  des  quatre 
■abréviations  ci-après  :  M.  (mémoires  et  notices)  ;  A.  (analyses)  ;  B.  (bul- 
letin bibliographique);  N.  (nouvelles  scientifiques  ex  littéraires.)  La 
désignation  C.  après  les  noms  propres  indique  les  collaborateurs  de  la 
Revue,  lorsqu'il  s'agit  des  articles  qu'ils  ont  fournis. 

Au  lieu  de  cornprendre  sous  la  dénomination  générale  sciences  et  arts 
(comme  dans  nos  quatre  tables  des  matières  de  l'année  1S19)  l'indication 
des  différentes  sciences  dont  traite  ce  volume,  on  a  cru  devoir,  pour  rendre 
les  recherches  plus  faciles,  et  pour  mieux  caractériser  le  but  philosophique 
delà  Revue  Encyclopédique,  ouvrir  un  compta  particulier  et  spécial,  en 
lettres  eapiiaks,  non-seulement  à  chacune  des  branches  des  connaissances 
humaines  :  abricultcre  ,  anatomie,  etc.  ;  à  chacun  des  élémens  essentiels 
de  la  civihsation  et  des  moyens  principaux  de  communication  entie  les 
hommes:  académies  et  sociétés  savantes,  dictionnaires,  enseignement 
mutuel,  instruction  publique,  journaux,  théâtres,  etc.  ;  mais  encore  à 
chacun  des  pays  dont  il  est  fait  mention  dans  ce  Recueil  ;  de  manière 
qu'on  puisse  rapprocher  et  comparer  tour  à  tour,  soit  l'clat  des  sciences  et 
des  élémens  de  la  civilisation  dans  chaque  pays,  soit  les  nations  elles-mêmes!, 
sous  les  différens  rapports  sous  lesquels  on  a  eu  occasion  de  les  considérer. 


A  la  jeune  Fn-mce,  ode,  par  Victor 
Hugo,  744. 


Abel,  ou  les  Trois-Frères,  par  Ch. 
Pougens,  5i 1. 


(*)  On  souscrit  pour  ce  Recueil  scientifique  et  Littéraire  ,  dont  il  parait  un 
cahier  de  quatorze  feuiU  es  d'impression  tous  les  mois,  au  Bureau  centiial  d'abcîn- 
NEMENX  ,  rue  de  l'Ode'on  ,  n*  18;  chez  Arthus  Bertuand  ,  rue  Haute- 
feuillo ,  n»  28  .  et  chez  Renouard.,  rue  de  Tournon  ,  n"  6.  Prix  de  la  souscrip- 
■tion  :  à  Paris,  ^6  fr  pour  un  an;  dans  les  departeniens ,  53  IV.  ;  60  fr.  dans 
4' Etranger. 

T.    XLVII.  53 


yÇ)ii  TABLE    A 

Abel,  de  Chrisliani.i.  L'Académie 
des  Sciences  de  Paris  lui  décerne 
le  grand  piix  de  nialliématiques, 
242. 

Aheii  Ilunieya,  ou  les  Arabes  sous 
Pliilipjie  II,  mélodiaiiie  de  M. 
Martinez  de  la    l{<isa  ,  25o. 

Académies,  f'oy.  Sucii'tks  savantes, 

Adricn-Lafasge  (J).  C— B.,  ^ji- 

Aérolillies  d:i  Tenessée  et  de  la 
Géorgie,  480. 

AÉROSTATigi'E,  ij6,  781. 

Afrique,  422. 

Ac.RICULTtJBK,  212,  4^8,  i/6,  "05. 

Albrechtsbeiger  (G.),  f^oy.  Mélbo- 
de  d'iiainionic. 

Aldini.  L'Académie  des  Sciences 
de  Paris  lui  décerne  un  prix  de 
huit  mille  francs,  243. 

AtCKBnK  (Élémens  d'),  etc.,  par 
Reynaud,  iSi. 

Aloeb,  455,  548. 

Allemacre,  i56,  7-7>7> ,  4'5,  492, 
558,  6c)\,  770. 

Allen  (Z.).  Tlic  Science  of  Mccha- 
nics,  SScj. 

AUerveireldt  (J.).  Foy.  Grolte  de 
Ilan. 

Allix  (Gén.).  Foy.  BatailledcParis. 

Alvaies  d'Andiada.  L'Abeille  por- 
tugaise, ou  Recueil  de  connais- 
sances agréables,  216. 

Aniar.  Foy.  Térence. 

Améhiqle  cejiTBale,  754. 

MÉllIDION  Ar,E,    142. 

—  SKPTE.\TRIO.\  ALK  ,     137,    21S,    Ô89, 
'  480,  67;^. 

Araoros.  Foy.  Éducation  pliysiqne. 

ANALYSES  (II.)  d'ouvraycs  alle- 
mands  :  Leçons  sur  la  connais- 
sance des  prisons,  |iar  I\.  II.  Ju- 
lius.  Troisiémearlicle  (//.  6'.),  55, 

—  (Touvrages  anf^lais  :  Abrégé  du 
cours  d'instruction  chimique  fait 
à  la  faculté  de  médecine  de  l'u- 
niversité <le  Pensylvanie,  par  le 
docteur  llare  [l'\rry),  6j8. — His- 
toire d'Angletene,  par  J.  Lin- 
gard,  traduite  en  français,  par 
Houjoux  (P.  À.  Du  fan),  644. 


NALYTiyVE 

Analyses  d'ouvrages  français  : 
Voyage  de  la  corvette  l'yisirolahc, 
exécuté  pendant  les  années  1826- 
1827,  sous  le  commandement  de 
M.  J.  D.  d'Urville  [Isidore  Le- 
brun)., 45.  —  Moiuunens  arabes, 
persans  et  Turcs,  considérés  et 
déciits  par  Reinaud  [Amaury- 
Diwal),  92,  554.  —  Harmonies 
poétiques  et  religieuses,  par  A, 
de  Lamartine  (//.  Patin),  12S.  — 
Second  recueil  de  tableaux,  pu- 
bliés |)ar  la  commission  générale 
de  statistique  des  Pays-Bas  (A. 
Çiietelei),  .128.  —  Histoire  de  la 
civilisation  en  France,  par  Gui- 
zot  [Albert  Diiiens),  536.  —  Des 
sciences  occultes,  ou  Essai  sur  la 
magie,  les  prodiges  et  les  mira- 
cles, par  EusèbeSalverle  [L.  Am. 
5',../),  G2,").  —  Essai  sur  l'histoire 
de  la  lillératnre  néerlandaise, 
par  J.  de  S'Gravenweert  [Mar- 
ron), (t56. 

—  d'ouvrages ^TCCi-  ;  L'Illaded'Ho- 
mèi  e,  traduction  nouvelle  en  vers 
français,  j)ar  A.  Bignan  [Servan 
de  Siigny),  119.  —  Comédies 
d'7Vristo[)Iiane,  trad.  en  français, 
par   Artaud    (//.    Poirson)  ,    570. 

—  d'ouvrages  italiens  :  Onze  bro- 
chures sur  la  réforme  de  la  cons- 
titutions du  Tessin  [C.  Monnard), 
104. 

Anatomie,  "oi  . 
Ancehjt.  Foy.  Henriette. 
Andisson.  Foy.  Congréganiste. 
André  le  chansonnier,  drame,  par 

Ton  tan  et  Desnoyers,  5i5. 
Andrieux.  Foy.  Junius  Brutus. 
Apior.ETEBBE.  Foy.  Ghande-Bheta- 

GSE. 

Anicet.  Foy.  Barricades. 
Anin)auxa|)privoisés. rby.  Chassay. 
Anti-Draco  :  or  Ucasons  for  aboli- 

.iliing  lliepiinislinteiit  ofdeallt,  etc. 

3  98. 
AnTiLf.Es,  481. 
Antiquité  grecque  (Connaissance 

de  l'j  SOUK  le  rapjiort  du  gouver- 


DES   MAÏlEllE^. 


790 


ncmenl,  par  Wilchelin  Wachs- 
iiiiilb,  4^0. 
Antiquités.  Voy.  AncHiicrLOciK. 

—  de  Sayii,  recueillies  en  i684,  par 
J.  P.  de  ReilTeiiherfî,  i5y. 

—  découverles  en  Suisse,  770. 
Applicalion  des  globes  à  la  Trigri- 

noiiiétrie  spliérique,  etc.,  par  J. 
Juiup,  i8i. 

A-pi opos sur  les  événeraens  de  juil- 
let, par  Masson,  5i5. 

Arago  (Elienne).  Les  27,  28  et  29 
juillet,  5i5. 

Archéoi.ogik,  92,  iSy,  554,  42"? 
5u8,  770. 

AECHiTKCTi'BEde  ^  itruvc, suivie des 
exercices  de.lean  Poleni,  et  com- 
mentée par  Simon  Stralico,  425.* 

Arcs  (Desciiption  d'un  nouveau 
système  d')  pour  les  grandes 
charpentes,  par  A.  R.  Emy,  714. 

Aristophane  (Fragmens  d'),  publiés 
[)ar  Dindorf,  696. 

Arnould  (  INicolas-François),  Voy. 
INécbologie. 

Art  MiLiTAiHE,  2i5,  709,  717. 

Artaud.  Voy.  Comédies  d'Aristo- 
phane. 

Arthur.  Voy.  Leçon  de  dessin. 

Arts  indistriels,  i58,  716. 

Arts  (des),  qui  travaillt.at  à  la  for- 
mation de  nos  habitudes  morales, 
1 1,  207. 

Asie.  219,  487,  7C0. 

Astronomie,  242.  244" 

A  Thymo  (Pétri)  Hisloria  Braban- 
tim  diplomalica,  edidit  F.  A.Relf- 
finberg,  170. 

Jtnncrie  (/.  F.  d').  De  Zecbad  in- 
rigling  te  Scbeveningen,  427. 

Australasie,  755. 

—  (L'Ami  de  1'),  ou  Plan  pour  ex- 
plorer l'intérieur  de  la  Nouvelle- 
Galle  méridionale,  6S2. 

Autriche,  54o. 

Auzoux.  Modèles  anatomiques  en 

pâte  de  carton,  5oi. 
Avenir  (L'),  M.  52j. 


B. 


Babbage's  Uejle.vions  on  the  décline 

of  Science  in  England,  i45. 
Bablnet.  L'Académie  des  Sciences 

de  Paris  lui  décerne  une  médaille 

d'or,  242. 
Bailly  'A.).  Histoire  linancière  de 

la  France,  19a. 
Bains  (Les)  de  mer  à  Scheveningen, 

etc.,  par  J.  F.  d'Aumerie,  427. 
Balance  politiqueduglobe,  en  1828, 

par    Adrien    Baibi,    traduite    en 

russe  par  F/merling,  691. 
Balbi.  Voy,  Larenaudiére. 

—  f^oy.  Balance. 

Banquet  mensuel  de  la  Revue  Eacy- 

clopédique,  5 16. 
Barbier  (J.  B.  G.).    Voy.  Matière 

médicale. 
Barginet  (A.).  Voy.  Grenadier. 
Barricade  (La),  à  propos  vaudeville, 

]iar  Benjamin  et  Anicel,  5iG. 
Barthélémy.  Voy.  Insurrection. 
Bataille  de  Paris,  en  juillet  iS3u, 

par  le  général  Allix,  755. 
Bayard.  La  Foire  aux  places,  ^91, 
Beaux-Arts,   209,    222,   1\^'à5  ,  472, 

Bédouins.  Voy.  Burckardt. 

Becdier  {Mrs  C.  E.).  Suggestions 
respecting  improvemenls  in  éduca- 
tion, 674. 

Belles- Lettres.  Voy.  Littéhatubb. 

Belloc  (M-^e  L.  Sw.),  C.-B.  4o4, 
CS9,  et  lesarticlessignés  L.Sw.B. 

Benjamin.  Voy.  15arricade. 

—  Voy.  Jeffries. 

Benoît  (P.  M.  N.).  Voy.  Guide  du 
Meunier. 

Berr  (Michel).  Voy.  Passé. 

Be/zélius.  Lettre  à  M.  Dulong  sur 
quelques  résultats  curieux  obte- 
nus au  sujet  d'un  acide  végétal 
qui  se  trouve  dans  le  tartre  de 
vin,  5o2. 

Beucbot.  Œuvres  de  Voltaire,  !\C>i . 

Bible  de  Veiice,  publiée  par  Diauh. 
724. 


8ÔÔ  TABLE    AI 

Bibliographie,  15^,  38g,  4265  Gjô. 

IJibliothèque  latine-française  :  Col- 
lection des  classiques  latins,  avec 
la  traduction  en  regard,  publiée 
par  G.  L.  F.  Panekoueke,  740, 
742. 

—  de  famille,  5g5. 

Bichcno    (J.   E.).    Jrcland  and   lis 

economy,  etc.,  i48. 
Bigelow's  Eléments  of  technotofp/ , 

i38. 
Bignan  (A.). ^'oy.llliade  d'Homère. 
Bildcr  fur  die  J ii^rcnd,  Itcraiisgcgc- 

bcn  von  Ernest  von  Hettwald,  ^nj. 
Biographie,    i45,    Sgi,   SgS,   3gg, 

7Ô8,  740. 
Blasis.  Voy.  Danse. 
Boigne  (^Général,  comte  de).  Vo\'. 

ISÉCBOI.Or.IB. 

Boisjoslin  (V.  de).  Voy.  Notices  his- 
toriques. 

Bonnetier,  Voy.  Manuel. 

Bon  sens  (Le)  national,  par  Marc- 
Antoine  Jullien,  ig8. 

Bory  de  Saint-Vincent,  C.-B.  753. 

Boucher  de  Perthes.  Voj.  Eonian- 
ces. 

Bourbonne  (Notice  sur)  et  ses  eaux 
thermales,  par  F.  Lemolt,  44o'' 

Bourdon  (Isidore).  Voy.  Ph3-siolo- 
gie  comparée. 

Bourgeois  (Le)  de  la  rne  Saïnt-De- 
Deois,  comédie  mêlée  de  chants, 
par  Brazier,  Villeneuve  et  Emile, 

79'- 

Boufron-Gharlard.  Voy.  Robiquet. 

Braitliwaith.  Vo\\  Pompe  à  incen- 
die. 

Bravi  (Giuseppe).  Tcoria  c  Pratica 
del  Probab'de,  etc.   161. 

—  Raglonmuenlo  critico  stilla  Tcoria 
del  p rohabilc,  1 6 1 . 

Brazier.  Voy.  Bourgeois. 

—  Voy.  Marchand  de  bœufs. 

Brebisson  (Alph.  de).  Voy.  Falaise. 

Breschet.  Nlrmoire  relatif  à  l'orga- 
ne de  l'audition  de  quelques  pois- 
sons, 780. 

Brevets  d'invention.  Voy.  Viga- 
rosv. 


ALYTIQrr. 

Brienon  (Louis  de).  Voy.  Imn 
jours. 

Brodzinski  (Gasimir).  Poésies  y 
4i5. 

Brown's  IVarralivc  ofllic  Anti-maso- 
niè cjccitcnwnl  in  the  Western  part 
oftiic  sintc  ofNeiv-Vork,  676. 

Bryan's  Thoiights  on  éducation  in  ils 
connexion  witli  morals,  675. 

Buckingham.  Voyage  autour  du 
monde,  7S6. 

BcLLETi.N  BIBLIOGRAPHIQUE  (III)  :  Al- 
lemagne, i56,4ï5,6g4. — États- 
Unis  ,  107  ,  58g  ,  675.  —  France  , 
172,  450,  715.  — Grande-Breta- 
gne, 143,  3g2,  6yy.  —  Grèce, 
70g,  —  Guatemala,  142.  — Ita- 
lie, 161,  422,  704.  —  Pays-Bas, 
167,427,  710.  — Pologne,  i54, 
4i2.  —  Russie,  i5o,4o7,  68g. — 
Suisse,  421,  ôgg. 

Burchardt  (John).  iKolli  on  the  Bé- 
douins and  TVahabys,    i46. 

Byron  (Lord).  Commérages  littéraL- 
res  au  sujet  de  ses  Mémoires,  aa  1 . 


C. 


Calendrier  russe.  Réclamation  y 
relative ,  49' • 

Campe  (J.-H.).  Œuvres.  Nouvelle 
édition  publiée  par  A  ieweg,  770. 

Canada  ,  48o. 

Canaux  (Construction  de  trois  nou- 
veaux) en  Russie,  760. 

Carmouche.  Voy.  Marchand  de 
bœufs. 

Carte  lopographique  du  cours  du 
Rhin,  4i8. 

—  de  l'Afrique  septentrionale,  par 
Jérôme  Segato,  42a. 

Cartes  géographiques  (Manuel  élé- 
mentaire pour  la  construction  et 
le  dessin  des),  par  A.  M.  Perrot, 
7.8. 

Censure  (Abolition  de  la)  de  la 
presse,  à  Malacca,  21g. 

Chabrier  (De).  Mémoire  relatif  au 


moyen   de  voyager 


DES    MATIÈRES 

dans    l'air 


80 1 


Charbon  (Mémoire  sur  le);  son  em- 
ploi dans  l'assainisseiucnt  des 
eaux,  etc.,  par  A.   Chevallier, 

Charmoy  (F.-B.  ).  Voj.  Observa- 
tions. 

Charpente  (Nouveau  système  de). 
Voy.  Aies. 

Charte  (De  la)  d'un  peuple  libre, 
par  A.  D.  Vergnaud,  459. 

Chassay.  Notice  sur  quelques  ani- 
maux élevés  et  apprivoisés,  172. 

Chateaubriand.  Œuvres  complè- 
tes, 745. 

Chateauneuf  (  A.  ).  î^oy.  Philippe 
I". 

Chazet.  L'Académie  française  cou- 
ronne son  traité  sur  tes  abus ,  les 
lois  et  les  mœurs,  607. 

Chemins  de  fer  construits  en  Autri- 
che, 770. 

Chevallier  et  Payen.  Moyens  à 
mettre  en  usage  pour  prévenir 
les  faux  en  écriture,  241. 

Chevreul  (E.).  Foy.  Chimie. 

Chevallier  (A.).  Foy.  Charbon. 

Cbimie,  212,  5o2,  5o5,  714.  7S0. 

—  (Cours  de)  générale,  par  Lau- 
gier,  173. 

—  (Cours  de),  par  Gay-Lussac, 

174. 

—  (Leçons  de)  appliquée  à  la  tein- 
ture, par  E.  Chevreul,  175. 

—  (Cours  de)  élémentaire  et  indus- 
trielle, par  Payen,  176. 

—  ("Abrégé  du  cours  de),  fait  à 
l'Université  de  Pensilvanie,  par 
le  docteur  Hare,  A.,  618. 

Chiite,  220. 

CHiaoBGiE.   Foy.  Scieivces  médica- 
les. 
Chodzko    (  Alexandre  ).    Poésies  , 

4l2. 

Chobographie,  474- 

Choron.  Foy.  Méthode  d'harmo- 
nie. 

Cinq-Novembre  (Le),  ou  la  Con- 
spiration des  poudres,  pièce  his- 


torigue  attribuée  à  Shakspearc , 

688. 

Classe  laborieuse  (Moyens  d'amé- 
liorer l'état  moral  et  physique  de 
la),  par  Uoniy  M'Cormac,  147. 

Classiques  latins.  Foy,  Bibliothè- 
que. 

Claudon.  Foy.  Oui  et  Non. 

Cloudesley  ,  par  William  Godwin  , 
traduit  en  françab  par  Jean  Co- 
hen, 208. 

Code  de  Commerce  français  adopté 
en  Grèce,  777. 

Cohen  (Jean),  Foy.  Cloudesley. 

Comberousse  (Hyacinthe  de).  Foy. 
Victoire. 

Comédies  d'Aristophane,  traduites 
du  grec  par  Artaud,  A.,  370. 

CojiMERCE,  426,  45 1,  477' 

—  (Tableau  du)  de  i'ile  de  Cuba, 
481. 

—  (  Tableau  historique  du  ) ,  des 
arts  mécaniques,  etc.,  par  Gus- 
tave de  Gulich,  4i5. 

Compagnie  générale   du   Levant. 
Foy.  Projet. 
Comte  (Charles),  C.-M,  ,  55o. 

Coiigréganiste  (  Le  )  ou  les  trois 
Educations,  comédie-vaudeville, 
par  Villeneuve  et  Andisson,  790. 

Considérations  on  the  propriety  and 
necessity  ofanncxing  the  province 
ofTcxustottie  UniledStales,  etc., 
i4o. 

Contes.  Foy.  Romans. 

Contre-Lettre  (La),  vaudeville,  par 
Paulin  et  Edouard,  5 16. 

Courbebaisse.  Mémoire  relatif  à  un 
veau  bicéphale,  5o3. 

Corinne,  drame  en  vers,  788. 

Coste  (L.  M.  P.).  Foy.  Roues  hy- 
drauliques. 

Cour  (Ija)  de  Marie  de  Médicis. 
Mémoire  d'un  cadet  de  Gasco- 
gne, 748. 

Cours  d'histoire  des  Sciences  natu- 
relles, par  Cuvier,  M.,  5. 

Cuba,  48i. 

Culmann  (F.  J.).  Fof.  Métallurgie 
du  fer. 


802 


TABLE    ANALYTIQIE 


CoLTB.  VcTj.  Sciences  heucieobes. 
Ciivier.  ^oy.  le  mot  Cours. 

—  Mémoire  sur  des  ossemens  qui 
paraissent  appartenir  à  un  oiseau 
dont  l'esptcc  est  délruilc,  340. 

—  Kov.  Discours. 


D. 


Dandolo(T.) .  Sa^gio  di  Leticre  sulla 
Suizzera,  l^iù, 

—  La  Suizzera,  etc.,  4^3. 
Daskmark,  540. 

Danse  (Manuel  complet  de  la),  par 
iJlasis,  traduit  de  l'anglais  par 
Paul  A  ergnaud, 474- 

Darragon.  l'oy.  Inslitutioii  auxi- 
liaire. 

Davesne.  Koy.  Leron  de  dessin. 

DécouviMte  d'une  île  liabitée  par 
le  navitcur  russe  Klu'omtchénko, 
765. 

De  Gérando.  T  oy.  Rapport. 

Delavigne  (Casimir).  Une  semaine 
de  Paris,  nie.ssénienne,  744- 

Deshaies.  Mémoire  relatif  à  l'ana- 
lyse du  genre  hélix  putris,  5o4. 

D'Esmond  (  L.  A.  ).  L'esprit  de 
l'homme  de  guerre,  ou  Essai  sur 
l'ait  militaire,  717. 

Desnoyers,  ^oy.  André. 

—  Foy.  France. 
Desvergers.  Foy.  Petite  Prude. 
Deux  fous  (Les),  histoire  du  tems 

de  François  i",  par  P.  L.  Jacob, 

Dictionnaire  tnpographiquc,  histo- 
rique et  statistique  de  la  Sarlhe, 
l)ar  J.  R.  Pcsche,  445. 

Dindorf.  Arislophanli  Fragmenta  , 
6<j6. 

Discours  prononcé  par  le  comte 
Mostowsky ,  à  Touverture  de  la 
di«'-te  de  PoKigne,  iSJ. 

—  sur  cette  question  :  Quelle  a  été 
l'inlluenre  du  gouvernement  re- 
piesentatir  en  France  sur  notre 
littérature"  et  no*  mœurs  ,  [)ar 
Edouard  Ternaux,  196. 


Discours  prononcés  on  public  en 
différentes  occasions,  par  J.  D. 
CJodman,  5c)o. 

—  prononcé  par  le  procureur-géné- 
ral Moiroud,  à  Pondichéry  ,  etc., 
45!i. 

—  sur  les  révolutions  de  la  surface 
du  gli;bc  ,  etc.  ,  j'ar  le  baron  Cu- 
vier,  715. 

Dix  jours  après,  ou  le  Gentilhomme 
de  la  Chambre,  vaudeville,  par 
Sauvage  et  Georges,  .5i!i. 

Domaines  (Des)  et  de  l'état  consti- 
tutionnel de  la  Lorraine  ,  par 
Noël,  ig."!. 

Dorvo.  T^oy.  Envieux. 

Dovalle.  Vow.  Sylphe. 

Drach.  Foy.  Rible. 

Droit.  Voy.  JoBisPEUDencB. 

RATL'RKL,  499' 

—  pÉi>Ai.,  24,  276,  SgS. 

PIELIC,   195. 

Drouineau  (Gustave).  Le  Soleil  de 
la  Liberté,  745. 

P'oy.  Françoise  do  Rimini. 

Duhrnnf'aut,  C-B.,  176. 

—  L'Agriculteur  -  Manufacturier, 
212. 

DLicange  (Victor).  Foy.  Jésuite. 

Duchesne.  Fbv.  Peinture. 

Dufau  (P.  A)"C.-A.,  644. 

Dulour  (Léon).  L'Académie  des 
sciences  de  Paris  lui  décerne  le 
prix  de  physiologie  expérimen- 
tale ,  i^ù. 

Dugès.  Observations  nouvelles  sur 
les  planaires,  241. 

Dumersan,  C.-B.,  511. 

—  et  Dupin.  M.  de  la  Jobardière, 
va\ideville,  5i.5. 

Voltaire  chez  les  capucins, 

791. 

Diinoyer  (Charles),  C.-M.,  237. 

Dupin.  l'oy.  Dumersan. 

Dupourquet.  Note  concernant  un 
enfant  double,  du  genre  icliia- 
dclj)hp,  né  à  Salies,  258. 

Diipiiis-Delcourt.  Essai  sur  la  navi- 
gation dans  l'air,  176. 

Dujiuvtrcn  présente  à  l'Académie 


des  sc'cnces  de  Paiis  un  riilanf, 
par  lui  guéri,  qui  avait  perdu  la 
majeure  partie  de  sa  figure  ,  208. 
Durivau.  Instruction  pratique  et 
théoiique,  ou  Guide  des  niaittes 
pour  la  lecture  élémenta<re,  etc., 

447. 
Duteus  (Albert),  C.-A.,  356. 
Duval  (Amaury),  de  l'Institut,  C- 

A,,  ij2,  554. 
Duvcrt.   Les  2-,  28  et  9.9  juillet, 

5i5. 
—  Foy.  Petite  Prude. 


Eadx  thermales,  44o 
École cantounale  de Troguen,  chef- 
lieu  d'Appenzell,  497- 

—  militaire  d'Ej^ine.  Règlement 
sur  son  organisation,  709. 

—  normale  de  Nauplie,  776. 
Economie  dombstique,  705. 

—  POLITIQUE,  148,  195,  45o,  45i. 

prBLIQUK  ,701. 

HtBALE,  428,  ^~6,   7o5,  776.  7S0. 

Ecosse,   foy.  GnAXDE-BaETACAE. 
Edmond  ,    roman    polonais  ,    par 

Etienne  Wit>\icki,  4'4' 
Edouard,  foy.  Contre-Lettre. 

—  f^oy.  Jésuite. 
Édccatiok  ,   190,  419»  702,   704  ) 

—  (Mémoire  sur  1'),  par  J.  Del  ^  ., 
142. 

—  (Vues  relatives  au  perfectionne- 
ment de  T),  par  Catherine  E. 
Beecher,  674. 

—  (Pensées  sur  1')  dans  ses  rap- 
ports avec  la  morale,  poème,  par 
Daniel  Rryan,  675. 

—  physique  (Manuel  d'),  gymnas- 
tique et  morale,  par  le  colonel 
Amoros,  ijj. 

—  des    femmes,     /i'ov.    ISiederer 
(M-»). 

Egypte  (L'ancienne).  Foy.  Sethos. 


DF.S    MATIÈRES.  QqS 

Eincriing.  l'ny.  Balance  poliliquc. 
Emile,  foy  Bourgeois. 
Emy  (A.  B.).  Foy.  Arcs. 
Encvclopéuie  américaine,  publiée 
par  F.  Lieber,  157. 

El\SBir,>EMK.\'T  Ml'TlEL,  776. 

—  pBiMAiBB  (État  de  l')  en  Grèce, 

23(). 

Entomolooie,  689,  783. 

Entrée  (L')  en  vacances,  comédie 
en  prose,  par  Paulin,  5i3. 

Envieux  (L'),  comédie  en  vers,  par 
Dorvo,  249. 

Epagny  (D').  Les  hommes  du  len- 
demain, 790. 

Epître  à  la  société  d'agriculture , 
sciences  et  arts  du  département 
de  la  Doidogne  ,  par  de  Gageac  , 
207. 

Esclavage  (Abolition  de  l')  dansla 
ïille  et  le  territoire  de  Malacca, 
21  y. 

—  (De  l'abolition  graduelle  de  1') 
dans  les  Colonies  européennes  , 
M.,  579. _ 

Espagme,  539. 

Essais  entomologiques,  publiés  par 
A.  D.  Hunimei,  6Sq. 

Établissemens  prolesfans  pour  l'é- 
ducation d'enfans  pauvres  ,  au 
IXeuhof,  près  Strasbourg,  190. 

Etats-Ums,  2^,  137,  218,  389,  480, 
673. 

ETH>ocaAPHiE,  146. 

Eupolis.  foy.  Runkel. 

Evans  (  Oliver  ).  foy.  Guide  du 
meunier. 

Evènemens  de  Paiis  des  26,  27,  2S 
et  29  juillet  iSôo,  4^6. 

(Causes  et  conséquences  des), 

par  J.  Fièvée,  45(>. 

Expédition  scientifique  à  l'Aiarat, 
par  Pariot  fils,  223. 

Exposition  à  Londres  des  poi  traits 
peints  par  feu  sii'  Thomas  La- 
wrence, 222. 


8o4 


Fables  de  La  FontairK-,  publiées  à 

Bruxelles,  par  Eug.  A  crboecklK)- 

ven,  jio* 
Falaise  (Statistiqne  de  i'arrondisse- 

uient  de),  par  Fréd.  Galeron,  A. 

de  Brebisson,  etc.,  722. 

—  (Histoire  et  description  de) ,  par 
Fréd.  Galeron, -22. 

Falconelti.  Foy.  Irène  Delfino. 
Fa7nily  Library  N"  XIT''.  Livcs  of 

Drllish  pliysicians,  c>()5. 
Fée  (A.  L.  A.).  Foy.  Système  de  la 

nature. 
Feissat  aîné,  f^cy,  Toulouzan. 
Felton  (S.).  On  ihc  portraits  ofcn- 

gtisli  aulhora  nf  gardcning,  i45. 
Femme  (La)  du  sous-préfet,  vau- 
deville, par  Moreau  et  Sewrin, 

5i5. 
Ferblantier.  Voy.  Manuel. 
Ferme  modèle  établie  à  Tyrinthe, 

entre  IS'auplie  et  Argos,  "6. 
Fenier.  J'^oy.  Télégraphe. 
Ferry,  C.-Â.,  61S.  —  B.  i64,  691. 
Férussac  (Baron  de).  Bulletiu  des 

sciences  géographiques,  751. 
Fiévée  (J.).   Toy.  Evèneuieus  de 

Paris. 

FlICANCKS,    192. 

Foire  (La)  aux  Places,  vaudeville, 
par  Bayard,  791. 

Fondation  de  deux  nouvelles  villes 
sur  les  bords  d«;  la  rivière  du  Cy- 
gne, en  Au,-.tralasie ,  70.5. 

Fontan.  Foy.  Jeanne  la  Folle. 

—  Voy.  André. 

Fonlaneilles.  \ote  sur  deux  larves 
d'insectes  rendues  par  une  per- 
sonne qui  avait  fait  usage  des 
pilules  écossaises,  5oj. 

Fbawcb,  172,  2Ô8,  356,  4^0,  442, 
5oo, 626, 715, 779. 

—  (La)  au  XV  siècle,  mélodrame, 
par  Charles  Desnoyers,  5i6. 

Franclieu.  Voy.  Pétitions. 


ALYTIQrE 

Fhascs-maçows,  676. 
Francœur,  C.-B.,  176,  184,  716. 
Françoise  de    Rimini ,    drame   en 

vers ,   par   Gustave   Drouineau , 

462. 
Franklin  (Benjamin).  Voy.  Science. 
Franscini  (Stefano).    Voy.  Luvini- 

Perseghini. 
—  Vo\\  Zscbocke. 
Fraunhofer  (Joseph).   Voy.  Nécbo- 

L(JCIE. 

Fr'icnd  (The)  of  Australla  ,  682. 


Gabriel.  Voy.  Trois  jours. 

Galeron  (Fréd.).  Voy.  Falaise. 

Gageac.  f'oy.  Epître. 

Galli's  Prospectai  of  a  plan  ofphilo- 
sophy,  677. 

Gambarf,  de  Marseille.  L'Acadé- 
mie des  sciences  de  Paris  lui  dé- 
cerne une  médaille  d'or,  242. 

Gambey.  L'Académie  des  sciences 
de  Paris  lui  décerne  une  médaille 
d'or,  242. 

Garnier  (Adolphe),  C.-B..  729. 

Gaury.  Voy.  Percheron. 

Gaiittier  d''Arc  (E.).  Voy.  Histoire 
des  conquêtes  des  NorHiands. 

Gay-Lussac.  Cours  de  Chimie,  174. 

Geoffroy  Saint-Hilaire,  de  l'insti- 
tut, C.-B.,  175. 

GÉOr.HAPHIE,     146,253,    422,    44^5 

48-,  718,  751. 

—  (Traité  élénientaiie  de),  etc.  , 

par  Larenaudiére,  186. 
Géométrie  (Élémens  de),  etc.,  par 

T.  Walker,  i5S. 
Georges.  J^oy.  Dix  jours  après. 
Godman  (John  D.J.  Adresses  delivc- 

red  on   varions  public  occasions, 

590. 
Godwin   (William).  Voy.  Cloudes- 

ley. 
Golbéry, C.-B.,  159,  i6i,4i9>42i) 

697,745. 
Gondinct  (Ad.),  C.-M.,  5. 


londrel  (  Loiiis-François  ).  Rél'ii- 
lalion  tlii  rapport  de  M.  Lisfranc 
à  l'Académie  ioy;i!e  de  Méde- 
cine, 178. 

Cordon  (  Prycc  Lochart  ).  Persona/ 
Meinoiis,  or  licminiscenccs  ofmcn 
and  manncrs,  etc.,  4oo. 

(il  aiii maire  de  la  langue  luongole, 
765. 

GrA.NDK-BbKTAGKB  ,  145  1  221,  092, 
488,547,644,6-7,761. 

Ghkcb,  206,  709,  776. 

Grenadier  (Le)  de  l'île  d'Elbe,  etc., 
par  A.  Barginet,  47'J» 

(îrotte  de  Ilan  (Description  pitto- 
resque de  la)  sur  Lesse,  par  J. 
Alleweireldt,  167. 

GcATEMAn,  142,754. 

Gueldre,  Voy.  Mémoires. 

Guide  du  meunier  et  du  construc- 
teur de  moulins ,  par  Oliver 
Evans,  traduit  en  français  par 
P,  M.  N.  Benoît,  i85. 

Guillaume  Tell ,  tragédie  de  feu 
Pichat,  249. 

GuUchÇil.  von).  Gesclilcldidic  Dar- 
sfcllunî;  des  Handcls,  4i5. 

Guizot.  Histoire  de  la  Civilisatiuu 
en  France,  A.  536. 

Gymnastique,  4^75  754- 


H. 


Hammer  (De).  Voy.  Réponse. 

Ilarc's  Compendiiim  of  thc  course  of 
cliemical  instruction,  A.  618. 

Harmonies  poétiques  et  religieuses, 
par  Alphonse  de  Lamartine,  A. 
1  28. 

Hassler  (F.  R.).  Foy.  Tables  loga- 
rithmiques. 

Henriette,  ou  deux  ans  après,  mé- 
lodrame, par  Ancelot,  791. 

Héreau  (Fdme),  C.-B.  i54,  et  les 
articles  signes  b.  h. 

HisTOiBE,  i58,  171,400,445,456, 
755. 

— 'd'Angleterre,  par  Lingard,  tra-  I 


OE?    MATlÈriEï:.  8o5 

diiite  en  français  t)ai  Roui  uix,  A. 

644. 

Histoire  de  Ficdcric-le-Grand,  par 
Camille  Paganel,  732. 

—  de  la  Nation  suisse,  par  H. 
Zschokke,  en  italien  et  en  fran- 
çais, 421 . 

—  des  conquêtes  des  Normands, 
en  Italie,  en  Sicile  et  en  Grèce, 
par  E.  Gautier  d'Arc,  752. 

—  du  Brabant,  par  Pierre  A.  Thy- 
mo,  publiée  par  F.  A.  Reillén- 
berg,  170. 

—  de  l'Ordre  de  la  Toison-d'Or  , 
tirée  des  archives  de  cet  ordre, 
par  F.  A.  Reiffenberg.   171. 

—  de  la  civilisation  en  France,  par 
Guizot,  A.  356. 

—  financière  de  la  Franco,  etc., 
par  A.  Bailly,  192. 

—  résumée  de  la  guerre  d'Al- 
ger, etc.  455. 

—  de  la  littérature  néerlandaise,  par 
J.  de  S'Gravenweert,  A.  656. 

—  des  litléi  atures,  par  L.  Wachler, 
695. 

.\ATCRELLB,     I72,    258,478,    5o3, 

Soi,  7'"''  77-^- 

—  de  la  peinture  en  Italie,  etc.,  pai' 
Lanzi,  traduite  en  allemand  par 
Wagner,  697. 

Historiens  (Collection  des)  de  By- 
zance  ;  uo'ivelle  édition  publiée 
par  Aiebuhr,   i58. 
Hollmid  (J.).    Mcmoirs  of  the    lifc 
and  minisiry  ofthe  rev.  John  Sum- 
mer  fie  Id,  591. 
Homme  (L')  représenté  dans  les  di- 
vers degrés  de  ses  dévelnppemens 
physiques,  moraux  et  intellectuels, 
par  J.  G.  G.  Joerg,  694. 

—  de  guerre,  f^oy.  D'Esmond. 
Hommes  (Les)  du  lendemain,  co- 
médie en  vers,  pai  d'EpagTiy,790. 

Honoré.  Voy.  Te  Deum. 

HORTICULTLRE,   l45,  45o. 

Houwald   (Ernest  de).     Tableaux 

pour  la  jeunesse,  419. 
Hugo  (Victor).  A  la  jeune  France, 

ode,  744- 

54 


.Sn() 


TABLE    ANAI.YTIOir. 


llunibuldt  .Alexandre  de).  Séance 
extraordinaire  tenne  en  son  hon- 
neur par  l'Académie  inijiériale 
des  Sciences  de  Sainl-Péters- 
bijiirg,  407- 

Humniel  (Arvid-David).  foy.  Es- 
sais cntomologiques. 

IIiiol.  J'oy.  Larenaudièi  c. 

IIvDnACLiQL'ii,  182,  240. 


IcHTVoi.oniE,  780. 

Iliade  (L')  d'Homère,  traduction 
nouvelle  en  vers  français  ,  par 
A.  liignan,  A.  ,  1 19. 

Imporlation  (Aperçu  de  1')  el  de 
l'Exportation  de  la  France  de- 
puis ijif) jusqu'en  iiS2"),pag. 417. 

lni]iriii!!'rif  (  Iniporlalion  de  l'j 
dans  les  îles  du  (jiand-Océan  , 
756. 

Inde  (Tableau  géographique,  his- 
torique et  descriptil'de  I')  ,   i46. 

—  (Souvenirs  de  1')  ,  G84. 
Ikdlstrie,  9.4^»  477- 

Industrie  (Progrés  de  1')  en  Au- 
triche, 770. 

Inondations  (Détails  sur  les)  qui 
eurent  lieu  au  mois  d'août  1829 
dans  la  province  de  Moray,  par 
Thiinias  Lauder,  3t)2. 

Institution  auxiliaire  de  l'Jbcole  de 
Droit  deParisjdirigéeparM.  Dar- 
ragon,  24-5. 

I>STBrCTIO>    ÉLÉME.^TAlnE,  447- 

POPtLAIRE,  449^  7f)2,  7o3. 

PRIMAIRE,    ?.56,   JÔI. 

—  piBLiQLK.  yoy.  Écoles,  Ukiveb- 
siTÉs,  etc. 

En  Géorgie,  760. 

—  En  Russie,  764.    ^ 

—  du  Peuple  français,  449- 
Insurrecli(a)    (L'),  poème  dédié 

aux  Parisiens,  par  Barthélémy 
et  Méry,  ?.i)4. 
Inventions,   195,  509,  761,  783, 


Irène  Delphino  ,  chronique  véni- 
tienne, par  Falconetti,  traduite 
en  français,  20S. 

Irlande.  J'oy.  Graxde-Bbetagnb. 

—  (  De  1'  ),  et  de  son  économie 
inférieure,  etc.,  par  J.  E.  Bi- 
cheno  ,  i.j8. 

Islamisme,  92,  .354. 

Italie,  161,  23G,  ^'>.7.,  542,  704. 

Itinéraire  descriptif  de  la  France, 
etc.,  par  ^'aysse  de  ^  illicrs,  445. 

Ivrogne  (I/),  drame  mêlé  de  cou- 
plets, par  Sauvage,  5i5. 


Jacob  (P.  r.).  Voy.  Deux  Fous. 

Jacobi,  de  Kœnisgsbcrg.  L'Acadé- 
mie des  Sciences  de  Paris  lui 
décerne  le  grand  prix  de  mathé- 
matiques, 242. 

Jardinage.  T'oy.  HoRTiCDi.TinK. 

Jaiicli  (  Giov.  ).  Lcllcra  sut  modo  di 
elcf,'gcre  i  tncmbri  de/  gran  Consi- 
g  lia,  io5. 

Jeanne  la  Folle,  ou  .la  Bretagne  au 
XIII''  siècle,  drame  historique  et 
envers,  par  Foutan,  5i5, 

Jeffiies,  ou  le  G  j  and- Juge,  mé- 
lodrame, par  Benjamin,  25 1. 

Jésuite  (Le)  retourné,  ou  la  De- 
mande en  mariage,  vaudeville, 
]iar  Edouard,  791, 

—  (Le),  mélodrame,  jiar  Victor 
Ducange,  791' 

John  Bull,  imitation  d'une  pièce 
anglaise,  par  Théodore,  5 16. 

Jokeis  (Les)  anglais,  ou  les  Courses 
d'Eps')m,  vaudeville,  25o, 

Jomard.  Voy.  Réclamation. 

Jurg  (J.  Clir.  G.)  Der  Mcnsch , 
II.  s.  IV.,  694. 

JoLRPiAix  ET  Recueils  PbHioDiQLKs. 

—  publiés  en  ÂUcmagne  :  Kri- 
ti.sclie  Zciischr'i fl ,  à  Heidelberg, 
169. 

—  publiés  en  Angletenx  :  le  Re- 
présentant des  Peuples,  Journal 


hebdoniadaiie  iVanrais  ,  à  Lon- 
dres, io.\. 

-  publiés^on  Canada  :  la  Biblio- 
tlièqne  '■canadienne  ,  à  Mont- 
Hi'ul  ,  ^'So.  —  La  Minerve  ,  à 
Mont-Réal,  48i. 

-  publiés  en  France  :  Recueil 
agronomique  ,  à  Monlauban  , 
212.  —  L'Agriciilieur-IManufac- 
lurier,  à  Paris,  212.  —  Journal 
des  Sciences  militaires  des  ar- 
mées |de  terre  ctj  de  nier,  à  Pa- 
lis, 21 5.  —  Jdurnal  du  Comité 
agricole  du  déjiarlement  de  la 
Marne,  212.  —  L'Abeille,  ou 
Recueil  de  connaissances  agréa- 
bles (en  portugais),  à  Taris,  216. 
—  Annales  provençales  d'agri- 
culture pratique  et  d'économie 
rurale,  à  Marseille,  47'^-  — Ke- 
cueil  industriel,  manulaclurier, 
agricole  et  commercial,  à  Paris, 
4-7.  —  Bulletin  des  Sciences 
géographiques,  à  Paris,  y5i.  — 
Le  Frap.c  Parleur  de  Vauclusc  , 
762. 

-publiés  en  Géorgie  :  La  Gazette 
de  Tiflis,  en  trois  langues  :  russe, 
géorgienne  et  persane,  ^Sj,  760, 

-  publiés  en  Grève  :  L'Aurore 
(  Hw;  ).  Ce  journal  vient  d'être 
supprimé,  777. 

-  publiés  en  Italie  :  Annal'i  uni- 
vcr sali  dis talislica,  à  Milan,  i65, 

-oS.  —  Giornalc  arcadico ,  "à 
Rome,  16G.  — Fuglio  commer- 
ciale italiano;  — L'EcIcclico;  — 
Bibliographia  ilaliana,  à  Parme, 
426.  — Annali  universalidi  Agri- 
coUura  ,  à  Milan,  700. — Efyc- 
meridi  di  Mcdicina  omeopal  ica,  à 
Naplcs  ,  706.  —  Jntotogia  ,  à 
Florence,  70C.  ;— //  Nuovo  Rico- 
gUlore,  à  Milan,  708 

-  publiés  dans  les  Pays-Bas  :  Jour- 
nal d'Agriculli:re  ,  d'Economie 
rurale  et  d«s  Manulaclures,  à 
Bruxelles  ,  428.  —  Correspon- 
dance   n)albémaliquc    e!    pliysi- 


DES    MATIÈRES.  807 

que,  a  Bruxelles,  45o.  — La  Re- 
vue des  Revues,  à  Bruxelles,  71 1. 

—  publiés  en  Russie,  en  langue 
l'ianraise,  au  nombre  de  8,  dent 

4  à  Pétersbonrg,    1  à  Moscou  et 

5  h  Odessa,  767. 

—  publiés  en  Suisse  :  Zciisclirift 
fur  yolksschullchrcr,  à  Bàle,  703. 
— Journal  d'Education,  à  Yver- 
dun,  704. 

Julitis  (  N.  H.).  Voricsungen  ûber 
die  Gefiingïiisskunde,  A. ,  55. 

Jullien  (^larc-Antoine) ,  fuiidateur- 
direcleur  de  la  Revue  Encyclo- 
pédique ,  C.-M. ,  320 ,  et  les  ar- 
ticles signés  M.  A.  J. 

—  Le  Bon  Sens  national,  198. 
Jump  (J.).  Application  des  Globes 

à  la   Trigonométrie  sphérique  , 

etc.  ,181. 
Junius  Brutus  ,    tragédie  par  An- 

drieux,  7S8. 
JuiiispRi!DE.>cE,  iSg,  i6c),  1^5. Voyez 

aussi  Législation. 


Karslen  (C.  J.  B.).  Voy.  Métallur- 
gie du  1er. 
Khromtchénko.  Voy.  Découverte, 
Kresz.  Vo\.  Pêcheur. 


L. 


Lair  (P.  J.  G.)  Voy.  Nkckolooie. 

Lamartine  (Alphonse  de).  Voy. 
Harmonies  poétiques. 

Laml'ranchi  (  Louis  -  Reinier  ). 
Voyage  à  Paris  ,    199. 

Lanzi.  Gescliiclilcdcr  Malerci  in  lia- 
lien  iibersetzt  von  TVagnér ,  C97. 

Larenaudit're  ,  Caibi  et  Iluot  : 
Traité  élémentaire  de  Géogra- 
phie, ou  Abrégé  du  précis  de  l-i 
5;éographic  universelle  de  Malte- 
Brun,  186. 


Hu8  TAbLE    AXA 

Laiider's  Account  uflhc  grcat  floods 
of  Augusi,  392. 

Laugicr.  Cours  de  Chimie  géné- 
rale, ,1/5. 

Lavy.  Etat  général  des  végétaux 
originaiies,  etc.  ,  45o. 

Lawrence  (Thomas)  ,  peintre  an- 
glais.   J'oy.  Exposition. 

Leblanc.  Vo\,  Manuel  du  Bonue- 
tier. 

Le  Brun  (Isidore) ,  C.-A. ,  43.  — 
B.,  429,  724,  740.  — N.,  519, 

793- 

—  Voy.  Manuel  du  Ferblantier. 
Leeanu.   Mémoire  sui-  la  matièie 

colorante  du    sang  ou   iiémalo- 

sine,  780. 
Le  Chevalier.  Note  sur  la  caléfac- 

tion  de  l'eau  dans  des  vases  por 

tés  au  rouge,  5oJ. 
Leçon    (La)  de  dessin,  comédie, 

par  Davesne  et  Arthur,  201. 
Lecture  élémentaire.    Joy.    Duii- 

vau. 
Législation,  24,    159,   276,  ^98, 

777- 
Lemercier  (jNe[>.).   Le  Triomplie 
national,  5o8,  ji^. 

—  à  ses  Concitoyens,  sur  la  grande 
semaine,  7.17. 

I^emoit  (F.).  Foy.  Bourbonne. 

Les  27,  28  et  29  Juillet,  vaudeville, 
par  Aragu  et  Duveil,  5i5. 

Lettre  de  TutundjuOglu.  l'oy.  Ré- 
ponse. 

—  T'^y.  Observations. 

Libri  (Guillaume).  J'oy.  Mathéma- 
tiques. 

Licbcr  (Francii).  EncyclopcilùiAnie- 
7'icana.  lôj. 

Lingiird's  History  ofEngland  from 
tlie  /irsl  invasions  oflhe  Eomans  , 
A.,644._ 

Linnœi  (  Caroli  ) ,  siieci ,  Systcma 
N-durœ,  478, 

I.ishanc.    /'ov.    Goudret. 

LirllOTBITIK,  Soi. 

LiTTÉRATUKK  aucicnue  ■  classique  , 
119.  370.  ^96,  697,  74.),  74-i;  — 
anglaise,    i()4,   ao8,4o7.,   4/1  • 


I.YHQliE 

688;  —  des  Élats-Uiiis,  673;  — 
française,   119,  128,201,202, 

2o4  ,    207,    249,    25o,320,    46I5 

462  ,  464  ,  467,  470,  471,  5oj, 
5i5,  5i4,  5i5,  5i6,  710,  745, 
744  ,  745  ,  74H ,  779 ,  788 ,  790  , 
791  ;  —  italienne,  166,  208,  4^6, 
706,  706,  708;  —  néerlandaise  , 
656  ,  711,  —  orientale,  i5o;  — 
polonaise,  4i2  ,  4'5,  4i4j  — 
portugaise  ,  2  1  6  ;  —  russe  ,  4  1  2. 

Lilcs  ofrcmarhabic  Youllis  of  bolh 
sexes,  599., 

Livingston  (Edouard).  Voy.  Peine 
de  mort. 

Lomonossov.  Foy.  Monument. 

Loi  raine.  Voy.  Domaines. 

Lucas  (Charles).  L'Académie  fian- 
çaise  couronne  son  syslcmc  péni- 
ietitiaire  en  Europe  et  aux  Elals- 
l'nts,  5()6. 

Lucenay   (J.  de),  C.  —  B.,4i8, 

420.  —  N. ,  770. 

Luvhù  -  Perscgliini    e    Franscliini. 

lUpoala  ail'  opuscolodclaig.  Land. 

Ouadri ,  I  04. 
—  Colpo  d'occliio,  etc.,  io5. 


M. 


Machines  (La  Science  des)  ,  etc. , 
par  Zachariah  Allen,  089. 

M'Cormac  (Henry  ).  On  tlie  Lest 
nicans  of  impnning  llic  moral 
and  pliysical  condition  of  titc 
worhing  classes,   \.\j. 

Malacca,  219. 

Malte-Brun.  Voy.  Larenaudière. 

Manuei,  du  Feiblantieret  du  Lam- 
piste, par  Le  Brun,  716. 

—  du  Bonnetier  et  du  Fabricant  de 
bas,  ])arV.  Leblanc  et  Préaux- 
Callot,7i6.     . 

Manufacturks,  428. 

Marchand  (Le)  de  Bœufs,  vaude- 
ville, par  Brazier  (4  Carmouche, 
79' ■ 


DES    MATIERES. 

Mari  (Le)  de  ma  Ffinmc,  comédie 
en  versj  par  Kosrt,  .149. 

Marine  anglaise  (État  de  la) ,  489. 

Marron,  C. — A.,  656. 

Marlinez  de  la  Rosa.  Voy.  Aben- 
llumeya. 

Massalski  (Joseph).  Poésies,  ^12. 

Massias  (Barcin).  Voy.  Questions. 

Masson.  Foy.  Trois  jours. 

—  Voy.  A  propos. 

Mathématiques,  iô8,  161,  181, 
1S2  ,  258  ,  209,  242  •,  243,  43o  , 
5oi,  675,  714. 

—^  (Mémoires  do)  et  de  physique, 
{)ar  Guillaume  Libri,  704. 

Matière  médicale  (Traité  élémen- 
taire de),  par  J.  B.  G.  Barbier, 
405. 

Mauvais  Garçons  (Les) ,  par  Al- 
j)honse  Royer,  467. 

M.  de  la  Jobardière,  ou  la  Révo- 
lution impromptu  ,  vaudeville  , 
par  Dumersan  et  Dupin,  5i  5. 

Mécaniql'e,  1S2 ,  212,242,  244» 
589. 

Médaille  du  général  Lafayelte , 
destinée  À  servir  à  l'histoire  de 
la  révolution  de  Paris,  792. 

Mkdbci>k.  Voy.  Sciences  médi- 
cales. 

Mélanges,  ou  Suite  des  promena- 
des d'un  solitaire,  par  Chailes 
d'Outiepont,  464- 

Mémoires,  kotices,  letthes  et  sié- 
LASGES  (1.)  :  Cours  d'histoire  des 
sciences  naturelles,  par  M.  Cu- 
vier  (  Gondinet  ) ,  5.  —  Opinion 
de  M.  Edounrd  Livingston  sur 
la  peine  de  mort  ,  24,  276.  — 
Des  arts  qui  travaillent  à  la  for- 
mation de  nc:s  habitudes  mo- 
rales (Ch.Dunoyer),  267.  — No- 
tice nécrologique  sur  M.  Jean 
Schv.eighaeuser,  de  Strasbourg 
(J.  H.  Schnilzler)  ,  297.  —  Sou- 
venirs politiques  :  La  révolu 
tion  et  l'empire  (M.  A.  JuUien), 
520.  —  L'Avenir  (  J.  C.  L.  de 
Sismondi  ; ,  îaô.  —  De  la  Mé- 
thode d'observation  ,  appliquée 


809 

aux  sciences  morales  et  politi- 
ques (T/idr/c;  Comte),  55o. — De 
l'abolition  graduelle  de  l'escla- 
vage (P.  J.  D.).  2"^  article,  579. 

—  ET  Rappokts  du  sociétés  savan- 
tes en  France,  47^,  74<)- 

—  de   l'Académie   impériale   des 
Sciences  de  Saint-Pétersbourg, 


—  présentés  à  celte  Académie  par 
divers  savans,  4ii. 

—  sur  l'histoire  de  la  Gueldie,  etc. , 
par  J.  A.  ?^ybofr,  171. 

—  sur  la  Vie  et  le  Ministère  du  ré- 
vérend John  Summerfield  ,  par 
J.  Hollaud,  091. 

—  personnels,  ou  Réminiscences 
des  hommes  et  des  mœurs  en 
Angleterre  ,  etc.  ,  par  Piyce 
Lockart  Gordon,  4oo. 

Memorla  sohre  la  Edttcacion,  142. 
Mère   (La)  de  Famille,  par  'Titus 

Tobler,  702. 
Méiy.  Voy.  Insurrection. 
Mesures  prises  à   Londres  pour  le 

soulagement  des  ouviiers,  4^9. 

MÉTALLrRGIE,  779. 

— ()uFer(Manueldela),parC.  J.  B. 
Karsten  ,  traduit  de  l'allemand, 
par  F.  J.  Culmann,  44i' 

■Méthode  (De  la)  d'observation, 
appliquée  aux  sciences  morales 
et  politiques,  M.  ,  55o. 

Méthodes  d'harmonie  et  de  com- 
position, par  Georges  Albrechts- 
berger,  tiaduite  de  l'allemand 
par  Choron,  472- 

Miehclot  (A.),C.--N.,  244,  5o5, 
7S5. 

Mittertîiaïer  et  Zachariae.  Recueil 
ciitique  de  jurisjjiudence  et  de 
législation  étrangères,  159. 

Moiroud.  Voy.  Discours. 

Moléon  (  J.  G.  V.  de).  Recueil  in- 
dustriel,,etc.  ,  4/7- 

Monnaie  (Établissement  d'une)  a 
Egine,  777. 

Monuard  (C.),  C.-A.  104. 

—  B. 4?i: 42^1  702,  7o4-  —  ^. 499s 


8 10  TABLE    AN 

Moniiard.  Voy.  Zscliokke. 
iMontabeit  (P.  de),  t'^oy.  Peinliir<\ 
Monii  (BaltislaJ.     Peiisicri ,   etc.  , 

Muntlosier  (C.  de).  Voy.  Mys- 
tères. 

Moiiumens  arabes,  persans  et  turcs 
du  cabinet  du  duc  de  lilacas,  etc., 
par  Reinaiid,  A.,  92,  7)5^. 

Monument  en  bronze,  érigé  à  Lo- 
nionossov,  poète  russe,  -^66. 

IMoRALR,  399. 

Moreau  de  Jonnès(A.),  C.  —  PJ., 

4«7- 
Moreau  et  Sewrin.  La  Femme  du 

Sous-Préfet,  5i5. 
Morogues  (lî.de).  ^oy. Productions 

nationales. 
Mostowski  (Comte). ^'oy.  Discours. 
]Musée  cosmopolite  de  Paris,  792. 

MUSIQCE,  4/2. 

Mystères  (Des)  de  la  vie  humaine, 
par  le  comte  de  Monllosier,  726. 


Naples,  .544  • 

Navigation  à  vapeur. (Mémoire  sur 
la),  par  Séguin  aîné,  44'- 

— dans  l'air,  ^oy.  Du])ui8  Delcourt. 

•Nkckolooie.  Le  général  comte  de 
Boigne,  à  Cliambérv,25i. — IVioo- 
las-Krançois  Arnoiild,  auteur  dra- 
nialrque,  à  Paris,  ^i^~^>. — Jean 
Seinveighacusur , ,  jjrol'esscur  à 
l'université  de  Sttasbouig,  297. 

—  Pierre-Jacques  Gabriel  Lair, 
inspecteur  général  '  des  con- 
structions navales  à  Brest,  5i8. 

—  Comte  Louis  Philippe  Sé- 
giir ,  membre  de  l'Académie 
fiançaise  ,  519.  —  James  lientiel, 
major  anglais,   à  Londres,  jj7>. 

—  Jose])h  Fraunlw fer ,  opticien, 
à  Munich,  ~ij\. 

iSicbulir.   Corpus  Hhlorite  Byzanli- 

tue,  i5S. 
î\ie<lercr  (M""'  Rosellc ] . \  ues  sur 


ALYTIQVE 

le  but  et  la  nature  de  l'éduca- 
tion des  lémmes,  G99. 

Nobles  et  Bourgeois  ,  ou  la  justice 
des  partis,  dïame,  790. 

Noël.  Foy.  Domaines. 

]\(jrmaiiby  (  Lord  ).  Foy.  Oui  et 
Non. 

Norvins  (De).  L'Académie  fran- 
çaise couronne  son  poème  de 
l'Immortalité  de  l'âme,  5o6. 

Notice  nécrologique  sur  Jean 
Scbweighaeuser,  de  Strasbourg. 
M.,  297. 

Notices  historiques  sur  S.  A.  R. 
Louis- Pliilipiie  d'Orléans,  roi 
des  Français,  parV.  de  lioisjos- 
lin,  y^o. 

Nouvelles  scientifiques  et  litté- 
nAiREs(lV,).  Allemagne,  253, 
492,  770.  —  Antilles,  4^'-  — 
Asie,  219,487,  760.  —  Austra- 
lie, 755. —  Chine,  220.  —  Etats- 
Unis,  218,  4S0.  — France,  258, 
5oo ,  779.  —  Grande  -  Bretagne  , 
221,  488,  761.  — Grèce,  236, 
776.  —  Guatemala,  754. — Ita- 
lie, 236. —  Malacca  ,  219. — Pa- 
ris, 258,  5oo,  780.  -=-Pays-Has, 
499  ,  778.  —  Polynésie  ,  756.  — 
Russie,  225,  490,  762.  — Russi»; 
asiatique,  487,  760.  — Suède, 
228.  —  Suisse,  497,  770- 

NLMis.MATHjtjE  moderne,  792. 

NyhofJ'  (Is.  yin.).  Gcdcnkwaardig- 
licden,  etc.  ,171. 


Observations  sur  la  lettre  de  ïu- 
lundju-Oglu  à  M.  Tbaddée 
Bulgarin  ,  par  F.  B.   Cliarmoy, 

.     i5o. 

ŒîuvHES  de  V'oUaiie  ,  publiées  par 
Beucbol,  461 . 

—  de  Caippe,  770. 

—  COMPLÛTES  de  Chateaubriand  , 
745. 

Ordres    loligicux   (Fixlitulion    des) 


dans  l'Eiat  de  Guatemala,  j5'[. 
Oh.mthologik,  7^5. 
Oi  |>hanotiophc  d'Egine,  776. 

OaVCTOGRAPHlE,    s/fO. 

Oui  et  ISOn,  roman  du  joui-,  |)ar 
lord  IN'ormanhy  ,  traduit,  en 
français  par  Claudon  et  Paquis, 

47»- 

Ouizille  (C.  V,).  Foy.  Quintilien. 

Outieponl  (Charles  d').  Foy.  Mé- 
langes. 

Oivcn's  Lectures  on  an  entirc  new 
staic  ofsoc'tety,  &~<j. 

Ozanani.  Observations  sur  îa  trans- 
formation du  virus  variolique  en 
virus  vaccin,  5oo. 


Pa^ancl  (Camille).  Histoire  de 
Frédéric-le-Grand},  jSa, 

Panckouke  (C.  L.  F.').  Foy.  Biblio- 
thèque latine-française. 

Paquis.  Voy.  Oui  et  JXon. 

Paris,  198,  258,  5oo,  780. 

Perrot  Gis.  Foy.  Expédition. 

Passé  (Da) ,  du  Présent  et  l'Ave- 
nir, par  Miciiel  lierr,  -37. 

Patin  (H.),  C.  —  A.  12S. 

Paul  Cil  fjord,  by  ihe  author  ofPel- 
ham,  4o2. 

Paulin.  Foy.  Entrée  en  vacances. 

—  Foy.  Contre-Lettre, 

PacVBES,  72f). 

Payen.  Cours  de  chimie  élémen- 
taire et  industrielle ,  176. 

—  Foy.  Chevallier. 
Pays-Bas,  167,  170,  4^7) 499?  ^57, 

710,  778. 
Pêcheur  (Le)   français,    etc.,   par 

Kresz,  184. 
Pf.ijvk  de  mort  ;Opinion  de  Living- 

ston  sur  la),  M.  24,  276. 
(Raisons    d'abolir  la)   pour 

crime  de  faux,  ^98. 

Foy,  Questions. 

Pkistube,  222,697,792. 

—  (Traité  complet  de  la),  par  P. 
de  Montabert,  209. 


DE»    MATIÈRES.  81I 

Peiktl'rk  (Musée  de)  et  de  sculptu- 
re, etc.,  par  Réveil  et  Duchesnc, 
210. 

Pentland.  Mémoire  de  géographie 
mathématique,  2^9. 

Percheron  et  (Jaury.  Monographie 
des  insectes  luélitropliiles,  785. 

Perrelet.  l'Académie,  des  Sciences 
de  Paris  lui  décerne  une  mé- 
daille d'or,  24?-. 

Perrot  (A.  M.).  Foy.  Cartes  géo- 
graphiques. 

Pesche  (J.  R.).  Foy.  Dictionnaire 
topographique. 

Petite  (La)  Prude,  vaudeville,  par 
Duvert ,  Desvergers  et  Varin  , 
25o. 

Pétitions  (Deux)  à  M  M.  de  la  cham- 
bre des  députés,  par  de  Fran- 
clieu,  460. 

Pétrarque   (Poésies   de) ,  publiées 

])ar  Angelo  Sicca,  705. 

Phahmacie,  Foy,  Sciences  médi- 
cales. 

Phékomènes,  092,  4S0. 

Phérécrate.  Foy.  Runkel. 

Philippe  I^'',  roi  des  Français;  pré- 
cis historique,  par  A.  Château- 
neuf,  708. 

Foy.  Psotices  historiques. 

Philippe,  ou  la  Guérison  militaire, 

792- 
Philologie,    119,    ^70,   69G,    697, 

74'>,742. 
Philosophie,    i45,    147?   267,  525, 

55o,  579,  620,  679,  726. 

—  (Prospectus  d'un  plan  de),  con- 
traire à  tous  les  systèmes  [moder- 
nes, par  Florent  Galli,  677.    ,  .Tj 

Physiologie,  i5G,  245,  694. 

—  comparée  (Principe  de)',  etc., 
par  Isidore'Bourdon,  432. 

—  végétale,  5o3,  784. 
Physique,  212,  /^ôo,  yoff.  ' 
Pichat.  Foy.  G'iiillaume-rell. 
P  ici  lire  nf  India ,  etc.,  i46.  " 
Pioda    (G.  B .  ).     Osscrvazioni  in- 

iorno  alla  Riforma  dclla    consti- 
iuzione,  104. 
Piroux.  Le  Vocabulaire  des  sourds- 


8l2 


TABLE    ANALYTIQUE 


Muets.    Partie  icouogiapliiijue , 
191. 
Poésie,  119,   128,202,204,2(17, 

020, 4 12, 4 '5, 4 lis  507,675,705, 
710,  74^5,744,  745. 

DBAMATIQIE,  l64,  201,  249,  '5o, 

462,  5  1 5,  5i4»  5i5,  5  16,  688, 
788,790,791. 
Poezyo  Alexandra  Cliodzld,  4i2. 

—  Jozcfa  Massabzici^o,  4 12. 

—  Knzimicrza  Brodzinshicgo  ,  4>5. 

—  bihliync  S  le  fana  Pf^clwickicgo  , 
4.4.   . 

—  siclskie,  4  I  4- 

Poirsoii  (A.),  C— A.,  370. 

BOLEMIQL'E,   l5o,  178. 

Poleni  (Jean),    f^oy.    Architecture 

de  Vilruvc. 
PoLiTiQi'K,  io4,  i4o»  i54,  196,  198, 
404,45^,456, 4 'S,  459  ,  460, 525, 
682  ,  707,  7.52. 
Pologne,  i54,  4 '2. 
Poltoratzky    (Serge)  ,  tic   Moscou, 
C  — B.,411,694.  — N.,  488, 
491,765. 

POLYJVÉSIE,   756. 

Pompe  à  incendie  mue  par  la  va- 
peur, derinveiilion  de  M.  Braith- 
waith,  761. 

Ponts  et  Chaussées,  770, 

Population  (Accroissement  de  la) 
à  Ilochester,  État  de  ]\cw-York, 
480, 

—  des  principales  villes  des  Pays- 
Bas,  778. 

Portraits    (  Sur  les  )    des    auteurs 

d'horticulture  anglais  ,  etc. ,  par 

S.  Fellon,  i45. 
Pougens  (Charles).  P^oy.  Abcl. 
Préaux -Caltot.    ^oy.    Manuel  du 

Bonnetier. 
Presse  périodique,  /^oy.  Journaux. 
Priso.-vs    (  Leçons  sur  la   connais- 

S2nceLdes)  ,  etc.  ,  par  N.  H.  Ju- 

lius.  A.,  55. 

—  (  Discipline  des  )  en  Chine  , 
220. 

Prix  décernés  par  l'Académie  des 
Sciences  de  l'aiis,  242;  — par 
l'Académie    fran^îiise  ,    5o.ï  ;  — 


par  l'Académie  des  jeux  floraux 
(le  Toulouse,  779. 

—  PROPOSÉS  par  l'Académie  des 
Sciences  de  Paris,  243;  —  par 
l'Académie  royale  des  Sciences 
de  Berlin,  49'>  ;  —  par  l'Institut 
royal  des  Pays-Bas  ,  499  '  —  P^i" 
rAcadéiuie  française,  507;  — 
par  la  Société  pour  l'Enseigne- 
ment élémentaire  de  Paris,  5i  1  ; 
—  par  la  Société  d'Agriculture  , 
Sciences  ,  Arts  <  t  Belles-Lettre» 
d(î  Troyes,  750  ;  —  par  la  Société 
d'Émulation  du  déparlement  du 
Jura  ,  751  ;  —  par  l'Académie 
royale  des  Sciences  de  Toulouse, 
779;  — parl'Académie  des  Jeux 
floraux  de  Toulouse,  779  ;  —  par 
la  Société  royale  d'Agriculture 
du  département  de  la  Haute- 
Garonne,  780. 

Proliabilités  (Théoiie  et  pratique 
du  calcul  des  )  ,  par  Joseph 
Bravi,  i6i. 

—  (Dissertation  critique  sur  la 
théorie  des  ) ,  par  le  même,  161 . 

Production  nationale  (De  la),  con- 
sidérée comme  base  du  com- 
merce ,  etc.  ,  par  le  baron  de 
Morognes,  45 1. 

Progrès  des  moyens  de  communi- 
cation dans  les  États-Unis,  218. 

Projet  d'une  association  indus- 
trielle sons  le  nom  de  Compa- 
gnie générale  du  Levant,  246. 

Prisse,  233,  492,  538,  752. 

Pu  VIS.  L'Académie  des  Sciences  de 
Paris  lui  décerne  le  prix  de  sta- 
tistique, 243. 


Quadri  (  G.  B,  ).  Osscrvazioni 
dcir  aiitorc  di  un  progctio  di 
Adrlzzo  da  fars'  dclle  commtini , 
iu4. 

Questions  surla  révolution  de  i83o, 
par  le  baron  Massias,  458. 


DES 

Questions  sui  la  Peine  de  mort,  par 

le  même,  •j'hx. 
Quetelet  (  A.  ) ,  C.  —  A.  ,  3a8.  — 

B.,  169. 

—  Mémoire  concernant  les  degrés 
successifs  des  forces  qu'une  ai- 
guille d'acier  reçoit  pendant  les 
frictions  qui  servent  à  l'aiman- 
ter,  209. 

—  Correspondance  mathématique 
el  plijsique,  l\ho. 

Quintilien.  Institution  oratoire , 
traduite  en  français,  par  C.  V. 
Ouiziile,  -40. 


R. 

Rapport  fait  au  nom  du  Bureau  de 
charité  du  ii^  airondissement 
de  la  ville  de  Paris,  par  De  Gé- 
rando,  729.  ■ 

Reali  (Giov.).  Ceimi  opologctlcl, 
etc. ,  io4. 

Eecherches  microscopiques  sur  la 
génération  des  monades  ,  par 
C.  Aug.  Sigm.  Scliultze,  iJ6. 

Réclamations  de  M.  Chauvet  au 
sujet  des  hauteurs  respectives  de 
Temboctou  et  du  lac  Tchad , 
.5i2  ;  —  de  M.  Jomard,  à  propos 
d'une  assertion  du  Globe,  7S6. 

RjiClIElLS  PÉBIODIQEES.  V  Oy .  JoiR- 
NAUX. 

Réflexions  sur  le  déclin  des  scien- 
ces en  Angleterre  ,  etc.  ,  par 
Charles  Babbage,  i43. 

ReifTenberg  (Jean-Philippe) ,  Anii- 
quiiatcs  Saynonses,  169. 

Reiffenbcrg  (F.  A.),  C— B.,  iSq, 
170. 

—  Voy.  Histoire  du  Brabant. 

Histoire  de  l'Ordre  de  la 

Toison  d'Or. 

Reinaud.  Voy.  Monumens  arabes. 

Religion.     Voy.      Sciences     reli- 

GlEtJSKS. 

Rennel (James).  Voy.  Nécrologie. 

Réponse  à  la  lettre  de  Tutundju- 

Oglou,  par  M.  deHainmer,  i5o. 


MATIERES.  Sl3 

Réveil.  Voy.  Peinture. 

Révolution  de  Paris  des  27,  28  et 
29  Juillet  iiSlîo.  Éciits  divers 
y  relatifs,  lyS,  ao4 ,  231,4^6, 
458,  4SS,  507,  5i5,  5i4,  5i5, 
5 16,  755,  707,  708,  740,  744, 
-45,  788,  791.  792. 

Reynaud.  Elémens  d'Algèbre,  etc., 
iSi. 

Richesse  (  De  la  ) ,  ou  Essais  de 
Ploutonomie,parRoberl-Guvard, 
45o. 

Robert-Guyard.  Voy.  Richesse, 

Robiquet  et  Boutron -Cbarlard  , 
Mémoire  relatif  aux  amandes 
amèies  et  à  l'huile  volatile  qu'el- 
les fournissent,  5o5. 

Romances,  ballades  et  légendes, 
par  Boucher  de  Perlhes,  74^. 

Romans,  208,  4o2,  4i4?  4^7,  4/0, 
471,  74s. 

Rosier.  Le  Mari  de  ma  Feir. me, 
comédie,    249. 

Roues  hydrauliques  (  Traité  d(!s) 
et  des  Boues  à  vent  ,  etc.  ,  jîar 
L.  M.  P.  Cosle,  182. 

Royer  (Alphonse).  Voy.  Mauvais 
Garçons. 

liunhcl.  Pherecratcs  et  EupolUl'is 
Fragmenta,  697. 

RcssiK,  i5o,  220,  407,  ^'jOy  .')4o , 
689,  76a. 

ASIATIQUE,  484,   760. 


Salverte  (Euséhe).  Voy.  Sciences 
occultes. 

Sat.  Bap])ort  sur  une  opération  d«' 
lithotritie ,  que  ce  médecin  a 
pratiquée  avec  le  plus  grand  suc- 
cès, Soi . 

Sauvage.  Voy.  Dix  jours  ap;c-^. 

—  Voy.  Ivrogne. 

Say    (  J.   B.  ).    L'Académie   fran- 
çaise cnnronne  son    Cours  com- 
plet d' Économie  politii/iie,  5o6. 
i   Schnitzler  (J.  H.),  C.  — M.,  297. 

55 


8l4  TABLE    A 

Scluiltz.  Ohservfl lions  d'anatomie 
et  de  physiologie  végétale  ,  784. 

Schullzc  [C.  A. S.).  Mikroskopiselie 
Lntersiichiingen,  i56. 

Schweigliaeuser  (Jean).  Foy.  No- 
tice nécrologique. 

Science  (La)  du  bonhomme  Ri- 
chai  d  ,  par  Benjamin  Franklin  , 

449- 
Sciences  médicales,  178,  258,  i55, 

706. 

ilOBAI.KS  KT   POLITIQOKS  ,  55,     I9O, 

556,  44"»  625, -a4. 

RATUKKLI.ES  KT   PHYSIQIES,    5,    ^Ô, 

172,  242,  a45 ,  528,  390,  618, 

715. 

-  occultes  (Des) ,  ou  Essai  snr  la 
Magie ,  les  Prodiges  et  les  Mi- 
racles, par  Eusèbe  Salverte,  A.  , 

623. 

RELIGIEUSES,  724' 

Scribe,  f^oy.  Une  Faute. 

Sculpture,  210,  766. 

Segato  (Jérôme).  Carte  de  l'Afri- 
que septentrionale,  422. 

Séguin  aîné.  f'oy.  iSavigalion  à  la 
vapeur. 

Ségur  (Comte  Louis-Philippe),  ^oy. 
Nécrologie. 

Servan  de  Sugny,  C.  —  A.,  119. 

Sethos ,  ou_  Une  journée  de  l'an- 
cienne Egypte,  poème  drama- 
tique, 201. 

Sewrin.  f^oy.  Morcau. 

S'Grav<;i!\vcert  (J .  de).  Essai  sur 
l'Histoire  de  la  Littérature  néer- 
landaise, A.,  656. 

Shnhspeare  (  TVitllam  ).  Tlic  fifth 
Novcmbcr  ,  or  tlic  Gunpowder 
Plot,  688. 

-  (Théâtre  de),  traduit  en  ita- 
lien par  Virginius  Soncini  ,  164. 

Sicca  (Angclo).  liane  de  Petrarca, 

-oS. 
Simonnin.  Foy.  Te  Deum. 
Sismondi  ;,J.  C.  L.  de) ,   C. — M. , 

52  5. 
Six  feuillets  de  mes  Tablettes,  par 

Eiig.  de  Villeneuve,  710. 
Société  (Levons  sur  un  état  de)  lout- 


NALYTIQLE 

à-fait  nouveau  ,  etc..  par  Robert 
Owen,  679. 
Sociétés  savantes  et  d'utilité  pu- 
blique, 

—  dans  V Amérique  septentrionale  : 
Société  de  littérature  et  d'his- 
toire de  Québec,  480. 

—  en  Btissic  :  Académie  impériale 
des  Sciences  de  Saint-Péters- 
bourg, 407,  iio,  4i  II  490- 

—  en  Allemagne  :  Société  de  Géo- 
graphie de  Berlin  ,  255.  —  Aca- 
démie "^royale  des  Sciences  de 
Berlin,  i(j6. 

—  en  Italie  :  Académie  des  Scien- 
ces de  Turin,  256. 

—  dans  les  Pays  -  Bas  :  '  Institut 
royal  dfs  Pays-Bas,  499- 

—  en  France  [  Dans  les  départe- 
mens  )  :  Société  d'Agriculture, 
Sciences  et  Arts  de  Périgueiix , 
207.  —  Société  des  Sciences , 
.\gricultuie  et  Belles-Lettres  de 
Montauban,  212.  —  Société  li- 
bre d'émulation  de  Rouen,  475. 

—  Société  d'Agriculture,  Scien- 
ces, Arts  et  Belles-Lettres  du  dé- 
partement^ de  l'Aube,  7/(9.  — 
Société  d'Émulation  du  départe- 
ment du  Jura,  750.  — Académie 
ro}"ale  des  Sciences  de  Toulouse, 
779.  — Académie  des  Jeux  flo- 
raux de  Toulouse  ,  779.  —  So- 
ciété royale  d'Agriculture  de  la 
Haute-Gaionne,  780. 

—  (à  Paris)  :  Institut.  Académie 
des  Sciences,  258  ,  5oo  ,  780.  — 
Académie  française,  5o5. —  So- 
ciété phllotecbnique  ,  244-  — 
Société  royale  des  Antiquaires 
de  France,  5o8.  —  Société  pour 
l'Enseignement  élémentaire,5ii. 

—  Société  des  Etablissemeiis 
cliajitables,  729. — Société  pour 
l'encouragement  de  rinslructidii 
primaire  parmi  les  Protestans  de 

I        France,  751. 

Soleil  (Le)  de  la  Liberté  ,  par  Gus- 
I       tave  Drouinean,  745. 


DES    M. 

Sonciiii  (  \  irginiiis).  l'oy.  Shakes- 
peare. 

Soulèvement  aiMiiuaroiiiiique  (Dé- 
tails sur  le)  ,  dans  la  partie  orci- 
dentale  de  l'État  de  Nen-York  , 
par  Henry  Brown,  676. 

SOCBDS-SUIETS,    igi. 

Souscription  ouverte  en  Angle- 
terre en  faveur  des  blessés  à  Pa- 
ris pendant  les  journées  des  27, 
28  et  21)  juillel,  221. 

Souvenirs  mililaircs  :  Extraits  d'un 
journal  tenu  ])eudant  quarante 
années  de  service  dans  les  Indes- 
Orientales  ,  par  James  Walsh  , 
684.   . 

—  politiques.  La  Révolution  et 
l'Empire,  par  M.  A.  JuUien, 
M. ,  020. 

Statistique,    i65,  218,  243,  244, 

4»-'  445,480,  481,  487,  489, 

691,  705,  722,  778. 

—  du  royaume  des  Pays-Bas.  f^oy. 
Tableaux. 

—  morale  (Documens  relatifs  à  la) 
de  la  monarchie  prussienne , 
2^5,  492. 

Stratico  (Simon  ).  Foy.  Architec- 
ture de  Vitruve. 

Sturni  (Ch.  ).  Résumé  d'une  nou- 
velle Théorie  relative  à  une 
classe  de  fonctions  transcen- 
dantes, 258. 

Suède,  228,  54o. 

Suisse,  104,  421,  497»  ^99'  77^- 

—  (Essai  de  lettres  sur  la) ,  par  T. 
Dandolo,  425. 

—  (La)  considérée  dans  ses  beau- 
tés pittoresques  ,  etc.  ,  par  le 
même,  425. 

Summerfield    (John).    Foy.    Hol- 

land. 
Sylphe  (Le) ,  Poésies  de  feu  Do- 

valle,  202. 
Sympathie  de  l'Angleterre  pour  la 

dernière  révolution  eu  France  , 

488. 
Système  de  la  nature,  par  Charles 

Linné,  publié  par  A.  L.  A.  Fée, 

i7S. 


8i5 


T. 


Tableaux  (Second  recueil  de)  pu- 
bliés par  la  commission  {réné- 
lale  de  statistique  ,  A.,  528. 

Tables  logarithmiques  et  trigoiio- 
métriques  à  sejit  décimales  eu 
petit  foimat,  par  F.  R.  Hassler, 
672. 

Techi\ologik.     Foy.    Arts     ijiuus- 

TRIELS. 

—  (Eléméns  de)  ,  etc.  ,  par  Jacob 
Jiigclovv,  i58. 

Te  Deuni  (  Le  )  et  le  Tocsin  ,  ta- 
bleau patiii)lique  mêle  de  cou- 
plets, (lar  Honoré  et  Simounin, 

Télégraphe  pcrlectionné  ,  de  jour 
et  de  nuit ,  à  l'usage  du  public, 
inventé  par  Ferrier,  785. 

Téience.  Comédies  ,  traduction 
française,  revue  par  Amar,  742. 

Ternaux (Edouard).  Poy.  Discours. 

Tcssin  (  Canton  dn  ).  Onze  brt - 
chures  italiennes  relatives  à  la 
réforme  de  sa  Constitution,  A.  , 

io4. 

Texas  (Province  de).  Sui-  la  con- 
venance etla  nécessité  de  la 
réunir  aux  Etats-Unis,  i4o. 

Théâtres  de  Paris,  249,  5 12,  7S8. 

Théodore.  Foy,  John  Bull. 

Théologie.  Foy.  Sciences  rei.î- 
G  iecses. 

Thilorier.  L'Académie  des  Scien- 
ces de  Paiis  lui  décerne  le  prix 
de  inécanique,  242,. 

Toblcr's  Haiismitltcr,  702. 

Topographie,  1(17,  4'S,  425,  44^, 
722. 

Topograpliisclic  Carte  des  Hlicins- 
tronis,  4 '8. 

Toulouzan  et  Feissat  aîné.  Annales 
provençales  d'agriculture,  etc., 
4/6. 

Traductions  : 

—  en  alleynand  :  de  l'ifalieii,  697. 

—  en  français  :  del'allcmandj/iai, 


8i6 

472; — de  langlais,  182,  208, 
47»  >  474,644;  du  grec,  119, 
570;  —  de  l'italien  ,  208  ;  —  du 
latin,  74o,  -42  ;  —  en  russe  :  du 
fiançais',  691  ;  —  en  italien  :  de 
l'allemand,  421  ;  —  de  l'anglais, 
.6i. 

'Iraite  des  Xoias.  Foy.  Esclavage. 

Travaux  publics  exécutés  en  Suède 
par  l'armée,  228. 

Triomphe  ^Le)  national,  ode  aux 
citoyens  de  Paris,  par  X.  Le- 
meicier,  745. 

Thois  joiBS  en  une  beure,  à  propos 
patriotique,  par  Gabriel  et  Mas- 
son,  5i4. 

—  (Les) ,  par  Théodore  Villenave, 
,-45. 

—  esquisse  en  vers,  par  Louis  de 
Biienon,  745. 

—  d'un  grand  peuple,  drame  en 
prose,  78S. 

Typoghaphie,  706. 


Une  Faute,  drame,  par   Scribe, 

5i5. 
Une    Semaine    de   Paris,    messé- 

nicnne,  par  Casimir  Delavigne  , 

.74i. 

Umtbrsitbs. 
—  de  New- York.   218;  —  de  Pé- 

tersbourg,  760;  —  de  Moscou , 

765. 
Urville  (Capitaine  J.  Dumont  d'  ). 

Vo\.  Voyage. 


V. 


\  ACCINK,   JIIO. 

Varin.  l'a}:  Petite  Prude. 

A  aysse  de  A  illiers.  f^oy.  Itinéraire 
descriplir. 

A  égélaux  originaires.  Vov.  Lavy. 

A  crbivckhoveii  iKutrène).  P'ov.  Fa- 
bles de  La  Fontaine. 


TABLE    ANALYTIQUE 

Vergnaud  (A.  li.).  /'oi .  Charte. 

—  (Paul).  Foy.  Daii>c. 

Victoire  (La)  du  Peuple,  natio- 
nale, par  Hyacinthe  de  Combe- 
rousse,  745. 

Aies  des  Siédecins  anglais,  SgS. 

—  de  jeunes  gens  remarquable* 
des  deux  sexes,  599. 

Vie^Teg.  T^oy.  Campe. 

Vigarosy  (  A.  B.  ).  Considérations 
sur  cette  question  :  Contiuuera- 
t-on  de  délivrer  des  brevets  pour 
les  inventions  industrielles,  etc., 
J95. 

A  illenave  (Théodore).  Foy.  Trois 
Jours. 

Villeneuve.  Foy.  Congréganiste. 

—  Fo^'.  Bourgeois. 
Villeneuve  (Eug.    de).    Foy.  Six 

Feuillets. 

Virey,  C. — B. ,  455. 

Filruvii  PolUonis  Architeetura,  4^5. 

Vocabulaire  des  Sourds- Muets. 
Foy.  Piroux. 

Voizou.  Inventeur  d'une  machine 
pour  résoudre  sans  calcul  tous 
les  problèmes  de  trigonométrie 
sphérique,  5o2. 

A  oltaire  chez  les  Capucins  ,  comé- 
die-anecdote ,  mêlée  de  cou- 
plets ,  par  Dumersan  et  Dupin, 

79'- 

—  Foy.  Beuchot. 
VovACB  autour  du  monde  ,  projeté 

par  Ruckingbani,  7S6. 

—  de  la  corvette  l'Aotrolabe,  exé- 
cuté sous  le  commandement  du 
capitaine  J.  Dumont  d'Urville. 
A. ,  43. 

—  aux  colonies  américaines  russes, 
763. 

—  à  l'Ararat,  par  Parrot  fils,  2a3. 

—  à  Paris,  ou  Esquisses  des  hom- 
mes et  dos  choses  dans  cette  ca- 
pitale, par  Louis  Reinier  Lan- 
franchi,  199. 

\  ovAGEs  (  Histoire  générale  des  ), 
etc.,  par  C.  A.  Walknaer,  771. 


DES    MATIERES. 


817 


w. 


TVachkr  (L.).   Lelirhuch  der  LUe- 

ratur  gcsclùclite,  695. 
TVachamulh  (ff'.).  Hcllenisclic  Al- 

tcrlhumshunde,  420. 
Wagner.  Voy.  Lanzi. 
Walkenacr  (C.  A.).  Toy.  Voyages. 
TValkcr's  Eléments  of  Geometry , 

TT'arnkœnig  (  Lcop.  Aug.  ).  Doc- 
trinajurls  phllosopltica  aphorlsmis 
dlstincta,  etc.,  169. 

Wéchabites.  Voy.  Burckardt. 

TFelsh's  Military  Rcminiscences , 
684. 

Witwicki  (Etienne).  Poésies  bi- 
bliques, 4'4' 

—  Poésies  champêtres,  4'4' 

—  Edmond,  roman,  4i4- 


Yénisséisk,  en  Sibérie.  Position 
géographique  et  population  de 
cette  ville,  487. 


Zachariae.  Voy.  Mittermaïer. 

Zschokke  (  H.  ).  Histoire  de  la  na- 
tion suisse,  traduite  de  l'alle- 
mand en  français,  parCh.  Mon- 
nard,  l^ix. 

—  même  ouvrage  traduit  en  ita- 
lien ,  par  Stefano  Franscini  , 
42». 


FIN    DE    LA    TABLB    DU    TOME    XLVIII. 


ERRATA    DU    TOME    XLVII. 


Cahier  de  Juillet.  Page  197,  lig.  7,  qui  a,  lisez  :  qui  est. 
p.  25 1,  lig.  21  de  la  NécaoLOGiE  :  de  la  gloire  et  de  ta  fortune,  lisez  :  de 
gloire  et  de  fortune  ; 

Cahier  «f  Aolt.  Page  428,  lig.  27,  d'avoir  exploité,  ajoutez  :  la  pre- 
mière ;  1.  42,  nos  espèces,  lisez  :  nos  races  ;  p.  429, 1.  25,  ajoutez  :  vn  asso- 
lement raisonné  ;  p.  519,  I.  i,on  peut,  lisez  :  on  put. 

Cahier  de  Septembre.  Pag.  720,  lig.  29,  géographique,  lisez  :  graphi- 
que ;  p.  722,  1.  21,  lisez  :  trop  versés;  p.  -23,  1.  18,  a  fait  imprimer,  lisez  : 
a  publié;  p.  709,  1.  5i,  transportés,  lisez  :  transportées. 


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AP       Revue  encyclopédique 

20 

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