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PHOrESSOR OF HISTORY
DIRECTDR or THE UNIVERSITY UBRARY
19 10- 192a
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Revue Française
DE L'ÉTRANGER ET DES COLONIES
Exploration
GAZETTE GÉOGRAPHIQUE
Tome XXIII - 1898
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Revue Française
DE L'ÉTRANGER ET DES COLONIES
ET
Exploration
GAZETTE GÉOGRAPHIQUE
(Fondée en i8j5. — Vingt-deuxième année,}
Sous la aireclion de MM. Georges DEMANCHE et Éduuaud MARBEAU
if«4^4UiEL DEL a%usi^ L L'txtiïirTJuir ujiiviitSELLi AB uic:EUJ)|t Db iSSa
MENTION iJOKORABLE A l'eXI^OSITION UMlVERSELU; Dt PARIS Lli \^ï^
Tome XXIII - 1898
PARIS
]Mt>BmEai£ ET LIBRAIRIE CENTRALES DESCHEMJNS DE FER
IMPRIMERIE GHAiX
SOC[|iT£ ANONYME AU CAPITAL DE ClKa MiLLlOVS
Hue Bergère, 20
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6IVEN IN MEN.uRY OF
ARCHIBALD CARY COOliOâS
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Revue Française
DE UÉTRANGER ET DES COLONIES
ET
Exploration
GAZETTE GÉOGRAPHIQUE
LA LIGUE COLONIALE DE LA JEUNESSE
La propagande coloniale parait entrer dans une phase nouvelle, et il
faut s'en réjouir. Celte fois ce sont les jeunes gens qui annoncent leur
intention de marcher. Ils apportent les qualités de leur âge, Télan, la
foi dans l'avenir. Ceux qui ont encore entre les mains les premières li-
vraisons de la Revue Française y retrouveront notre appel à la jeunesse
des écoles. Il nous avait paru que rien de fécond, de solide, de durable
ne pouvait se créer, si on ne parvenait à conquérir aux idées d'expansion
coloniale ceux qui doivent avoir l'enthousiasme pour les grandes choses
et qui ont devant eux le temps pour les accomplir.
Au lendemain du Congrès de géographie de 1875, nous avons tenté
de faire des prosélytes en faveur des colonies dans le sein de ces confé-
rences semi-politiques où s'exerçaient à la parole nombre de jeunes
gens qui nourrissaient l'espoir de forcer tôt ou tard l'entrée du parle-
ment. L'heure était propice. La ferme attitude du tsar Alexandre II venait
tout récemment de dissiper le cauchemar d'une nouvelle invasion alle-
mande; nos fmances publiques se reconstituaient, la prochaine exposi-
tion s'annonçait comme le signal du relèvement matériel et moral de la
France; l'Angleterre continuait en silence son œuvre de lenle absorption,
l'Allemagne se préparait une flotte militaire et convoitait pour son com-
merce les grands marchés de l'Extrême-Orient. Il n'y avait pas un instant
à perdre et la France devait prendre sa double revanche de sa défaite
coloniale du siècle passé et de sa récente défaite continentale en occupant
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H • REVUE FRANÇAISE
àuv tous les points du globe des positions qui lui permettraient de riva-
liser avec r Angleterre et l'Allemagne. C'était là que tous les efforts de-
vaienl converger ; et le grand programme de politique générale, digne
*lij U nier la génération qui dirigerait les destinées de la France jiendant
iv iliTïiiiT quart de siècle, semblait devoir réunir tous les patriotes et
former nn champ d'action commun pour tous les partis.
Le crnirait-on? C'est dans ces milieux, où tout eût dû vibrer, que nous
avoiis *rouvé le plus d'indifférence et parfois môme le plus d'hostilité,
n La France n'est pas une nation colonisatrice. » Telle était la foimule
qu'oii nous opposait sans cesse. Formule sans réplique, parce qu'elle
révélai l clans ces jeunes cervelles une lacune irrémédiable. Ces jeunes
gens avaient la prétention de jouer à bref délai un rôle prépondérant
dans les destinées de la France, ils avaient foi en eux ; lauréats de con-
cours, diplômés de toutes les académies, ils avaient tout appris,
cmyaieui tout savoir, mais leurs maîtres n'avaient pas su leur inspirer
la passion pour les grandes entreprises, l'ambition de replacer leur patrie
au fM>in[ culminant qu'elle avait occupé dans le monde aux derniers
s!6cla«. fi'enseignement, tel qu'il était donné dans les lycées, ix)uvail
foriiiei' d'excellents fonctionnaires, des magistrats consciencieux; mais
s'il y eût eu parmi ces élèves des tempéraments propi*cs à devenir des
rolnjis, ils eussent été regardés comme des cerveaux brûlés, de futurs
aveiiiuiiiTs. Il <'*tait admis que l'on ne partait aux colonies que si l'on
avail (juelque tare à cacher, quelque faute à faire oublier.
Oîriiment admettre qu'un professeur tant soit peu clairvoyant ait
laisse titis élèves arriver au terme de leurs études sans leur avoir montré
^ur tous les points du globe, les quelques milliers de Français, mission-
naires ou religieux, installés depuis des siècles, maintenant parmi les
jiKliiîônes la tradition de l'amour et du respect pour la France, ensei-
gna ni les enfants dans les écoles du Levant, soignant les malades, créant
des établissements scientifiques en Extrême-Orient, formant jusque dans
TAsie centrale des gîtes d'étape et des avant-postes de la civilisation,
î*em:mt l'Indo-Chine de chrétientés prêtes à accueillir nos explorateure,
occupant la Nouvelle-Calédonie pour y attendre notre drapeau. Les
jeunes gens auxquels' nous nous adressions n'avaient jamais entendu
[Ktrler de ces questions qu'ils qualifiaient d'affaires de sacristie. A van-
ter ces leuvres vraiment nationales, on gagnait d'être traité de clérical,
voir uitïme de jésuite. Un professeur qui en eût parlé eût été dénoncé
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L
LA LIGUE COLONIALE DE LA JEUNESSE 7
et eût risqué de perdre sa chaire. Gambetta lui-même, quand il com-
prit la réserve de force qu*il y avait pour la France dans ces antiques
congrégations, se heurta aux préjugés de ses propres partisans, et il lui
fallut tout son passé pour ne pas être traité de suspect, le jour où il
s'écria : « L'anticléricalisme n'est pas un article d'exportation. »
Ce fut dans les années qui suivirent une véritable révélation pour nos
politiciens que l'existence de nos missions françaises. Ceux qui eurent
le loisir de faire une tournée dans le Levant ou que les circonstances
égarèrent sur les côtes d'Afrique revenaient émerveillés du prestige des
établissements religieux français et remplis de disix)sitions bienveillantes
à leur égard. Néanmoins les nécessités de la politique électorale leur
faisait voter (la mort dans l'âme) les dispositions qui ruinaient les œuvres
dont ils s'étaient déclarés partisans. La prétention de se seiTir des gens
sans les servir, suivant une expression restée célèbre, de pouvoir cam-
battre ici ce que l'on applaudissait là-bas ; cette ignorance de l'histoire de
nos établissements français, des sourdes rivalités contre lesquelles ils
ont à lutter, des conditions pécuni«aires de leur existence, des nécessités
de leur recrutement, sont pour les étrangers, nos concurrents, absolu-
ment inexplicables. C'est aussi pour eux un motif de légitime allégresse
parce qu'ils constatent dans la classe dite dirigeante, une orientation
qui sert à merveille leurs intérêts, puisqu'elle paralyse toutes les œuvres
de propagande française.
Nous ne croyons pas que cette façon d'agir vis-à-vis de nos mission-
naires soit profitable aux colons eux-mêmes, négociants ou planteurs.
Ces derniers ne peuvent être respectés à l'étranger et dans les colonies
qu'autant qu'on sera habitué à voir la France faire respecter ses natio-
naux et surtout ceux qui, par leur désintéressement et leur caractère,
paraissent à leurs yeux les plus dignes de l'appui de leur patrie. Ils ne
pourront agir avec sécurité que s'il s'établit dans la métropole une opi-
nion générale, indiscutable, d'après laquelle tout Français, qu'il réside
dans nos colonies ou sur le sol étranger, est intangible, et que la pro-
tection de notre drapeau lui est acquise.
C'est bien l'esprit du toast que vient de porter l'empereur d'Allemagne
à Kiel ; il a proclamé au profit des Allemands la doctrine que les An-
glais ont de tout temps appliquée et dont ils savent même largement
abuser. A force de considérer dans, le monde politique ou gouverne-
mental les missionnaires comme suspects, parce qu'ils étaient des reli-
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8 REVUE FRANÇAISE
gieux, 01) a habitué Tesprit public à se désintéresser des stations,
posteî^, comptoirs de nos nationaux, à agir vis-à-vis d'eux avec une
tjtraiïge désinvolture. L'affaire Verdier vient d en donner récemment la
preuve.
Il subâfste encore dans lés masses un état d'âme, comme on dit au-
jourd'hui, bien fait pour décourager ceux qui veulent consacrer leur
existence aux entreprises coloniales. L'opinion publique sommeille en-
coi'e. tlle a assisté indifférente au massacre de Flatters, resté impuni,
à 1 abandon de l'Egypte; TOuganda, la clef du Nil, a été traité de quan-
litc^ négligeable; Zanzibar a été délaissé ; Madagascar est resté dix ans
dans l'oubli. Il n'a tenu qu'à un fil que le Tonkin ne fût aban-
donné. 1 durant quinze années ni dans le pays, ni dans le parlement, il
n*y a eu une orientation positive, une opinion ferme, un programme
nationaU Et pendant cette période de luttes intestines, l'Angleterre et
rAllema^e exécutaient avec hardiesse et sûreté un merveilleux plan
d\'ny( nible, prenant partout position, sauf à régler ensuite les choses
par enlcîDle diplomatique.
Malgré toutes ces vicissitudes et ces inconséquences de notre politique
ctiloniale, la France se retrouve à la fin du siècleen possession de beaux
domaines, les uns achetés par le sang de nos soldats, les autres, pro-
dnils (h- conquêtes pacifiques de nos explorateurs. C'est qu'en dépit de
l'indilTorence générale, officiers de terre et de mer, négociants et mis-
sionnaires gardaient la foi dans le réveil national et" affirmaient par
lenr vaillance la vitalité de notre race. Leur témérilé a triomphé de
Tapât hie des masses et a obligé les plus récalcitrants à confesser que
l'heure était enfin venue de reprendre nos traditions coloniales des temps
passés. Le siècle n'est pas fini et toutes les terres inoccupées ou incon-
nues en 1873 sont définitivement partagées. Quelques centaines de
mille francs de crédits votés par les Chambres il y a vingt ans, et dans
cette ardente course c'étaient nos couleurs qui l'emportaient partout.
Le Niget' eût été un fleuve français de ses sources à son embouchure.
Nous liominions dans le Soudan égyptien. Mais les regrets sont stériles.
Dans le^ Sociétés de géographie, d'études coloniales, dans les syndicats,
Krcjupes et unions, tous les bons espiits songent à tirer le meilleur
parti lIi^ ce qui constitue notre empire colonial. Il ne faut pas que l'on
puisse répéter indéfiniment que nous avons bien des colonies, mais que
nous n'avons pas de colons.
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LA LIGUE COLONIALE DE LA JEUNESSE 9
I.,es jeunes auxquels nous nous adressions en <873 approchent aujour-
d'hui de la cinquantaine. A cet âge on ne part plus aux colonies, on eiri
revient. D faut donc retourner à la source des énergies, à la jeunesse.
C'est ce qu'ont bien compris Bonvalot, qui peut dire aux jeunes : « Je
vous ai ouvert les grands chemins et prouvé que rien n'est impossible
à une volonté tenace » ; le Père Didon, grand éducateur de la jeunesse,
le Pierre l'Ermite de cette nouvelle croisade. Et avec eux toute V Union
coloniale fmnçaisCy ce groupe récent dont M. Chailley-Bert est le puis-
sant outil de propagande et M. Mercet le président si autorisé.
Il y a dix ans, il s'était formé à Lyon une société de voyages de la
jeunesse. Elle fonctionna quelque temps, mais elle manquait des appuis
et des hauts patronages que la Ligue coloniale de la Jeunesse a obtenus.
Cette fois tout porte à croire que nous sommes en présence d'une
œuvre d'avenir. M. Marcel Dubois, professeur de géographie coloniale
à la Faculté des lettres de l'Université de Paris, présentait dimanche
19 décembre, à une assemblée nombreuse réunie 44, rue de Rennes,
l'état major de la Ligue. Il racontait comment ce groupement avait
germé depuis cinq ans dans les lycées ou, entre camarades, on s'en-
tretenait des voyages d'explorateurs audacieux, des expéditions mili-
taires qui nous donnaient le Tonkin, le Dahomey, Tombouctou et
Madagascar. Ce travail silencieux, connu seulement des professeurs qui
s'applaudissaient de voir leurs élèves se passionner pour ces nobles
causes, continua d'orienter les esprits vers des solutions positives. Ces
jeunes gens emportèrent avec eux hors du lycée le précieux dépôt de
ces souvenirs, le désir de profiter des e£forts et des résultats obtenus
par leurs aînés et d'entrer résolument dans le mouvement d'expansion
coloniale. Au lieu de' chanter indéfiniment en chœur : « Partons I Par-
tons I », ils se sont décidés à ne pas chanter,- mais à partir. Leur Ligue
a pris pour devise : Propagande — Éducation — Assistance. Les coti-
sations ne seront pas employées à faire des banquets et à rédiger une
revue d'admiration mutuelle, mais à subventionner des missions d'études
et à assister ceux qui iront s'installer aux colonies. Les ressources doi-
vent trouver leur affectation au dehors. Maurice Darchicourt et Louis
Vaucheret (élèves de l'École coloniale), sentirent tout d'abord que le
groupement de jeunes éléments était indispensable pour créer la soli-
darité nécessaire à ceux qui cherchent leur voie et sont dépourvus de
renseignements précis. Le Comité Dupleix, l'Union coloniale, la Société
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40 REVUE FRANÇAISE
de géographie commerciale étaient bien des centres d'information, mais
le groupement de jeunes gens animés d'une vocation coloniale bien dé-
•finie peut faire plus. Elle confirme les néophytes dans leur foi, o-éeune
émulation constante, prépare pour l'avenir des amitiés durables. Elle
fait qu'on se connaît, qu'on se juge et qu'on s'apprécie à l'âge où la
confiance réciproque peut le mieux s'établir et où les caractères sont
encore assez impressionnables pour subir l'heureuse influence des tem-
péraments les mieux trempés. Que de belles et bonnes choses se diront
et se feront dans cette pépinière de colons î que de sacrifices désintéres-
sés, de concours discrets, de sentiments élevés vont jaillir spontanément
du cœur de ces jeunes patriotes qui ont remporté sur eux-mêmes les.
premières victoires, ont su dépouiller les préjugés d'un milieu bour-
geois et rétrograde, ont su imposer à leur famille l'idée qu'un fils ne
doit pas rester indéfiniment près des jupons de sa maman.
La réunion de dimanche était présidée par M. Roume, directeur au
ministère des colonie, représentant M. A. Lebon, ministre des colonies.
M. Marcel Dubois, dans sa conférence, a commenté la devise de la
ligue coloniale de la Jeunesse. Il a apporté dans son allocution la verve
et la chaleur qui convenaient à la circonstance. Il a fort bien exposé
qu'il ne s'agissait plus pour les colons, comme aux siècles passés, de se
transporter dans un centre où' ils auraient tout le loisir de chercher les
procédés de colonisation les plus 'favorables et de faire des essais. A
l'heure présente, la vie marche autrement. Il faut partir tout armé,
avec une éducation complète et laborieuse avant le départ, savoir où
l'on va, ce que l'on veut faire, et entrer immédiatement en action. La
vie de colon, qu'on soit planteur ou négociant, ne se comprend plus
comme un moyen de jouir de plus de liberté, d'avoir une vie plus large
et plus facile. C'est, au contraire, l'entier sacrifice de sa liberté qu'il
faut faire dans l'intérêt de la communauté dans laquelle on entrera
comme une pièce qui doit s'adapter exactement au rouage auquel elle
est destinée*
« Vous devez, par un travail commun, a-t-il dit, vous fondre Ici
même, dans la mère patrie, dans une communauté très étroite d'efforts,
de sentiments et d'aide réciproque ; vous affranchir de certains préju-
gés, trop fréquents chez ceux qui se destinent aux carrières libérales, à
rencontre des professions commerciales ou manuelles: apprendre de
toute main, élargir votre curiosité, et par un échange continuel entre
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LA ijgif: colomalf de la jeunesse h
vous, pénétrer dans les domaines les plus variés et dans toutes les com-
plexités d'instruction. >>
Ces idées, qui certes non sont pas banales, ont été fort goûtées par
rassemblée et chaleureusement applaudies et par les jeunes ligueurs
et par leurs sœurs et cousines, car, malgré le programme un peu sévère
de la réunion, on comptait dans la salle tout un parterre de toilettes
élégantes.
M. Charles Noufllard, président de la Ligue, a ensuite remercié les
représentants de plusieurs ministres qui avaient tenu à témoigner leurs
sympathies à la nouvelle assocation. Puis il a fait comprendre que la
Ligue entendait organiser une préparation spéciale, une sorte d'entraî-
nement pour la vie coloniale. Il a constaté que le premier effort consis-
terait pour les futurs colons à prendre eux-mêmes Tinitialive de leur
propre sort et h obtenir de leurs familles le consentement au choix de
cette carrière. C'est, on le voit, toute une révolution dans les mœurs,
A force de couver les enfiints, d'épargner pour eux, d'écarter les moin-
dres risques sous leurs pas, on a fini môme par penser pour eux, et on
a énervé leur caractère au point de tuer toute spontanéité et toute ini-
tiative. Rendre un peu plus de liberté à l'éducation de la jeunesse,
habituer les parents à l'idée que l'enfant doit se préparer à devenir
homme et à agir par lui-même, voilà la grande réforme. Pour l'opérer
ces jeunes gens se posent en liguenrs. J'augure pour le succès, parce
que leur première manœuvre a consisté à se créer des intelligences dans
la place et à faire applaudir par leurs élégantes invitées la théorie du
départ et l'idée de l'éloignement. 11 n'y a que le premier pas qui coûte
et rien n'est contagieux comme l'exemple. Les voyages d'exploration
sont maintenant presque un sport; on pousse volontiers sa petite pointe
en Afrique ou dans le Haut-Mekong. C'est devenu passe temps princier.
Le jour où ce sera bien porté d'être planteur ou chef d'une factorerie,
les amateurs ne manqueront pas et les familles donneront à leurs en-
fants Yexeat. Pour une fois le snobisme aura produit un heureux
résultat.
Edouard Marbeau.
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SOUDAN FRANÇAIS
LE GUET-APENS DE BOUNA
Les nouvelles reçues du Soudan ne permettent plus de douter de la
mort du capitaine Braulot et de ses compagnons européens, le lieute-
nant Bunas et le sergent Myskiewicz, tombés dans le guet-apens que
leur avait tendu, à Bouna, Sarakéni-Mory, le fils de Samory. C'est une
perte cruelle, mais qui n'affecte en rien Thonneur de nos armes.
Un aperçu rétrospectif des événements qui se sont déroulés dans cette
partie du Soudan, permettra de se rendre compte de la situation faite
au détachement Braulot.
Envoyé en mission à Sikasso au début de 1897, pour se rendre
compte d'une manière précise des sentiments que nourrissait à notre
égard le fama Babemba, successeur de notre allié Tiéba, le capitaine
Braulot avait pu constater que le fama n'avait contre nous aucune pen-
sée hostile, mais qu'il ressentait à l'égard de Samory une terreur non
dissimulée. Aussi n'y avait-il pas à songer à l'engager dans une cam-
pagne contre ce dernier. Le capitaine Braulot, qui s'était rendu de
Bamako à Sikasso par Bougouni, revint au Niger par Ségou, ayant
franchi environ 703 kilomètres en un mois, avec un ariôt de 8 jours
seulement.
En rentrant à Ségou, il trouva un ordre du colonel de Trentinian
le désignant comme chef d'état-major de la colonne de la Volta. Il
rejoignit celle-ci par San et Sono, en même temps que le commandant
Caudrelier, son nouveau chef. Le 3 mai, ce dernier prenait la direction
des opérations et se portait avec toute la colonne sur Boromo, où il
avait été précédé par le capitaine du génie Cazemajou. Là, la colonne
fut disloquée, et le capitaine Braulot envoyé en avant dans le Lobi,
région de la rive droite de la \olta située entre Bobo Dioulasso et Bou-
na (I) avec une force de iOO fusils. Il établit tout d'abord un poste à
Diébougou, dans la boucle de la Voila, à 2 jours de marche environ
des bandes de Sarakéni-Mory. Ce dernier, lors de l'arrivée du capi-
taine Braulot à Diébougou (26 mai), se trouvait à Bouna. Quant à
Samory, il était dans le Djimini, sur la rive droite du Comoé. Après
avoir, suivant l'expression du capitaine Braulot, « cassé » Kong, où il
ne laissait que des ruines, il avait été rejoint par les bandes de Sara-
(I) Voir Bev. Fr. nor. 1897. p. 649, la carte de la Haute- Voila.
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SOUDAN FRANÇAIS 13
kéni-Mory. C'est alors que le capitaine Braulot lui envoya une lettre
qu'un tirailleur s'offrit à porter tout seul à travers ce pays bouleversé.
Samory le fit assurer de ses intentions pacifiques et lui envoya même,
en signe d'amitié, un cadeau important en or.
I^endant ce temps, le capitaine Braulot était obligé de guerroyer
contre les Oulés, tribu sauvage qui avait, dès notre arrivée, fait montre
de son hostilité.^ Secondé par des peuplades amies et par les Dioulas de
Diébougou, il envoya contre eux un détachement de 50 fusils commandé
par le lieutenant Bunas. Cette petite troupe résista à une attaque vio-
lente des Oulés et les repoussa vivement, mais non sans avoir perdu
2 tués et 9 blessés, ce qui était beaucoup»
Ayant reçu l'autorisation du commandant Caudrelier de descendre
au sud dans la direction de Bouna, — 250 kilomètres de pays sauvage
à traverser — le capitaine Braulot partit de Lokhoso le 1**" août 1897,
avec 91 hommes. Il devait prendre possession de Bouna, que l'on
croyait ne pas être occupé par les Sofas de Samory. Mais bientôt la
situation changea. À quelque distance de Bouna, un groupe de Sofas
refusa de laisser passer la petite troupe. Après de longs pourparlers, le
capitaine Braulot put entrer en relations avec Sarakéni-Mory qui vint
au-devant de lui et s'offrit à l'accompagner à Bouna. Sarakéni parais-
sait sincère dans son accueiL Aussi, le détachement français, suivi
d'une colonne de Sofas, se mit-il en route vers Bouna, que Sarakéni
devait lui remettre.
Arrivé le 19 août en face de la ville, Sarakéni invita le capitaine
Braulot à prendre la tête de la colonne avec lui, pour faire dans la
fille une entrée solennelle. Le 20 août au matin, le capitaine Braulot,
Sarakéni, un boy et un clairon, s'avançaient vers la ville, précédant,
à quelque distance, le détachement français commandé par le lieute-
nant Bunas, que suivait une colonne de Sofas.
Vers 10 heures, des coups de feu se faisaient entendre du côté de la
ville et en même temi)s les Sofas qui, peu à peu, avaient débordé le
détachement français de chaque côté, entouraient complètement celui-
ci et Tassaillaient brusquement. Le lieutenant Bunas et le sergent Mys-
kiewicz tombaient aussitôt pendant que les Sofas se précipitaient à cinq
ou sixsur chaque tirailleur, qu'ils attaquaient à coups de sabre. Us étaient
si serrés, disent les tirailleurs, qu'ils n'auraient pu faire usage de leurs
armes sans se toucher entre eux.
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14 KEVUE FRANÇAISE
Malgré le désordre qui fut la conséquence iuévilabledece guet-apeiis,
un groupe de 44 tirailleurs, sur les 97 présents, parvint à percer les
rangs des Sofas et à battre en retraite en combaltant. D'autres ont pu
s'échapper après avoir été pris, ce qui porte à 5S le nombre des survi-
vants. Après avoir marché pendant 5 jours sans manger, ces tirailleurs
arrivaient au poste de Lokhoso, apportant la nouvelle du désastre. Au-
cun des tirailleurs survivants n'a vu tomber le capitaine Braulot, en
raison de la nature du terrain qui le cachait à leurs yeux, mais il est
hors de doute qu'il a été la première victime.
On n'a pas, dit le Bulletin du Comité de tAfnque française ^ de ren-
seignements précis sur les causes de cette affaire et les 3 Européens du
détachement ayant été tués, il ne sera sans doute jamais possible de
savoir la vérité. On verra, par le récit rapporté par la mission Nebout,
k son retour du camp de Samory, que Talmamy reconnaît le massacre
et s'en excuse; mais ce récit ne fait pas la lumière sur les causes qui
ont amené le guet-apens. On croit cependant que Sarakéni a été i)oussé
par les marabouts fanatiques qui l'entourent et qui, depuis la défaite de
la colonne anglaise Henderson, n'ont fait qu'accentuer leur haine fa-
rouche contre tout ce qui est européen.
Le capitaine Braulot était né à Nancy en 1861. Sous-lieutenant en
1886, après s'être engagé volontairement, il fit un séjour à Madagascar,
après une première campagne au Sénégal. En 1892, il fil partie, avec
le D^ Crozat et M. Marcel Monnier, de la commission de délimitation de
la frontière orientale de la côte d'Ivoire, que dirigeait M. Binger, gou-
verneur de cette colonie. Chargé ensuite d'une mission à Kong, il fut
forcé de s'arrêter aux portes de Bouna. 11 prit ensuite part aux opéra*
tiens de la colonne de Kong. En 1896, le capitaine Braulot avait été
envoyé à la Côte d'Ivoire avec mission d'entrer en pourpariers avec
Samory, mais la réponse que lui adressa ce dernier rendit toute négo-
ciation inutile. Enlin^ il avait été renvoyé au Soudan a la fin de 1896.
Le V Bunas, né à Cahors en 1864, s'ét;iit engagé également. Après
avoir fait campagne au Tonkin, il avait été nommé sous-lieutenant en
1889. 11 avait été deux fois au Sénégal, avant d'entreprendre sa dernière
campagne au Soudan.
L'acte de trahison dont ont été victimes le capitaine Braulot et ses
compagnons api)elle une éclatante réparation. Déjà les noirs se disaient
que si nous n'attaquions pas Samory, c'est »|ue nous étions moins forts
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LA MISSION NEBOUT CHEZ SAMOUY Vd
que lui. Que vont-ils penser maintenant si nous ne savons pas venger
nos morts ?
n n'y a pas à hésiter : si nous en restons là, notre prestige auprès
des indigènes est sérieusement compromis ; et Ton sait que c'est bien
plus par l'ascendant que nous donnent nos victoires que par les 4.000
hommes disséminés sur un immense territoire, que nous maintenons
Tordre et la tranquillité au Soudan. Il faut donc agir et en finir avec
Samory, ce qui nous permettra de nous trouver face à face avec les
Anglais, — ces Anglais que nous trouvons toujours partout — qui,
péchant comme d'habitude en eau trouble, viennent d'occuper ce môme
Bouna!
G. Vasco.
LA MISSION NEBOUT CHEZ SAMORY
La politique suivie depuis quinze années au Soudan à l'égard de l'ai-
mamy Samory n'est certes pas marquée au coin de l'esprit de suite.
Tantôt ce sont des colonnes conduites par de vaillants chefs : Archinard,
Uumbert, Combes, Monteil, etc., que l'on dirige contre notre insaisis-
sable ennemi, tantôt ce sont des missions pacifiques (Binger, Péroz,
Braulot, Nebout) qu'on lui envoie en vue de conclure un arrangement.
Mais, quel que soit le moyen employé, le résultat est toujours le même:
Samory reste notre emiemi irréductible et, ni la fortune des armes, ni
les négociations ne peuvent en venir à bout.
Pendant que du Soudan on essayait de maintenir ses bandes en res-
pect et en même temps de gagner du terrain, de la Côte d'Ivoire par-
tait une mission chargée d'entamer de nouvelles négociations avec lui.
Cette mission avait pour but de le joindre tout d'abord (ce que n'avait
pu faire la mission Braulot) et de l'amener à nous laisser occuper Bon-
doukou et Bouna, ce qui permettrait d'opérer la jonction, par une chaîne
de postes, de nos possessions du Soudan et de la Côte d'Ivoire. Enfin,
s'il était possible, on devait chercher à le cantonner dans les territoires
s'étendant du Comoé à la république de Libéria.
La mission était composée de MM. Bonhoure, secrétaire général de la
Côte d'Ivoire, Nebout, l'ancien compagnon de Crampel, administrateur
du cercle de Baoulé et Le Filliâlre, administrateur du cercle dellndénié.
Partie de Grand-Bassam, elle remonta le Comoé jusqu'à Beltié, se rendit
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16 REVUE FRANÇAISE
à Zaranou puis à Assikasso. De là elle gagna Satama-Soukouro, pre-
mier poste occupé par les sofas de Samory. Là il fallut négocier et
attendre pendant deux mois afin de savoir si et où on pourrait voir Sa-
mory. C'est dans cet intervalle que Ton apprit le massacre de trois
Européens à Bouna; mais les sofas affirmèrent à la mission que c'étaient
des Anglais. Sur ces entrefaites, M. Bonhoure, rappelé à la Côte d'Ivoire
pour exercer Tintérim du gouvernement, dut laisser la direction de
la mission à M. Nebout dont la haute expérience était connue. L'almamy
étant rentré à Dabhakala fit savoir à la mission qu'il était disposé à la
recevoir. Mais M. Nebout ne voulut se mettre en marche que muni
d'une lettre de Samory revêtue de son cachet. L'almamy la lui envoya
aussitôt avec un cadeau de deux chevaux destinés à faciliter la route
aux Européens, ce qui impressionna favorablement la mission.
Voici d'après le récit envoyé à VÉclair par son correspondant,
M. A. Mévil, qui a rencontré la mission à son retour à la Côte, l'accueil
que fit Samory à nos<x)mpatriotes:
« Ce fut exactement le 2 octobre 1891 au matin que MM. Nebout et
Le Filliâtre arrivèrent à Dabhakala. A peine étaient-ils installés que Sa-
mory leur fit demander s'il ne leur déplairait point de voir ses sofas
habillés avec les dépouilles du détachement de tirailleurs soudanais
récemment défait à Bouna. Ils lui répondirent immédiatement que cela
leur serait tout à fait odieux. Par la suite, ce manque complet de tact
de la part de Samory les étonna beaucoup. On leur conta alors l'affaire
Braulot, et ils surent que les trois Européens, dont on leur avait annoncé
la mort à Satama, étaient non point des Anglais mais des Français, et
qu'en l'occurence ils avaient été trompés avec une habileté très diplo-
matique, décelant de la part de Samory un savoîr-faire dangereux.
Cette nouvelle leur causa un profond chagrin. De plus, ils comprirent
qu'il était désormais impossible de songer à traiter avec Samory après
cette récente attaque. Dès lors, le but de leur mission était fort amoin-
dri ; il n'en restait pas moins intéressant : l'entrevue avec Samory ne
pouvant manquer d'être très suggestive, pleine d'enseignement et,
somme toute, très utile à notre politique future vis-à-vis de lui.
Le jour même de leur arrivée, à deux heures de l'après-midi, MM. Ne-
bout et Le Filliâtre furent reçus par Samory qui les accueillit très aima-
blement, vint au devant d'eux, leur souhaita le bonjour en français, et
leur présenta ses fils.
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^7^^^
LA MISSION NEBOUT CHEZ SAMORY 17
Samory est, paraît-il, actuellement un homme d'une soixantaine d'an-
nées. Il a le nez épaté,» les lèvres fines et porte la barbe au menton. Ses
joues aux pommettes saillantes — caractéristique de la race Malinké —
sont rasées. Comme signes distinctifs, il a une cicatrice prononcée au
sourcil droit, une autre au mollet gauche et ses mains ne sont point
noires, mais d'un jaune assez clair et d'apparence ladre.
Sa physionomie est pleine d'une bonhomie souriante et révèle un
homme énergique et intelligent. Alors que ses fils, ses griots et certains
de ses chefs arborent des boubous luxueux, lui, au contraire, est de
mise simple : le boubou de toile blanche, vêtement habituel des mara-
bouts, semble seul lui convenir. Il tient constamment dans sa main une
queue d'éléphant, dont l'extrémité est engainée d'argent: cet objet
bizarre lui sert à chasser les mouches importunes.
Les premières paroles adressées à MM. Nebout et Le Filliâtre par Sa-
mory, après celles de bienvenue, furent des excuses pour l'attaque de
la colonne Braulot et le meurtre de nos trois compatriotes — quHl avoua.
Personnellement, dit-il, il estimait beaucoup Braulot qu'il avait reçu peu
de temps auparavant (1) ; il déclara être resté absolument étranger à cette
malheureuse affaire. D'après lui, la colonne Braulot, en arrivant à Bouna,
trouva le village inoccupé et s'en empara. Sarinké-Mory, son fils, opé-
rant dans les environs, ne tarda pas à apprendre la nouvelle de l'occu-
pation de Bouna par un détachement français. Il accourut en hâte à
Bouna, surprit la colonne Braulot et la défit sans que celle-ci eût eu le
temps de se défendre.
Cette version ne doit être acceptée qu'avec la plus extrême réserve,
d'autant plus que l'envoyé de Samory, Ali, qui s'était fait le guide de
la mission, affirma à MM. Nebout et Le Filliâtre que la colonne Braulot
ayant rencontré Sarinké-Mory et ses troupes, fit route avec eux, et,
sans qu'aucun incident no fût survenu de part et d'autre, elle se vit
brusquement attaquée, à un moment où elle ne s'y attendait nullement.
Après l'entrevue, Samory fit défiler devant la mission ses troupes pré-
sentes à Dabhakala, le gros de ses troupes se trouvant à Bouna sous le
commandement de son fils Sarinké-Mory. Ce fut d'abord un bataillon
fort d'un millier d'hommes environ, dont 830 pouvaient être armés de
fusils à tir rapide. Ce bataillon marchait par rangs de vingt, et il était
(1) 11 y a là une confusion, Braulot n'ayant pas vu Samory.
xxm (Janvier 98). N» 229. 2
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M REVUE FRANÇAISE
prt^éiié d un clairon qui sonnait très correctement une de nos marches
et »[i»t, disait-on, n'était autre que Je clairon de Braulot. Puis vint une
trtjupe de cavaliers, forte d'un millier d'hommes, dont à peine 200 pos-
sédaient des fusils à tir rapide. Le défilé de cette troupe eut lieu par
rangs de quatre, — et au pas.
L'armée de Samory offre, paraît-il, un coup d'oeil peu banal : tuniques,
dolmans, vestons, redingotes, habits, chéchia, képis, chapeaux et cas-
quelLea divers s'y donnent rendez-vous et forment un ensemble dont la
vue pour un Européen ne manque pas d'être risible. Cette armée, vêtue
d une manière si bigarrée, ne manœuvre pas mal, les commandements
La plupart du temps s'y font en français — ce qui prouve que beaucoup
de nos tirailleurs soudanais y ont trouvé asile et s'y sont faits instruc-
tonr.s (1). Parade et revue furent suivies d'une fantasia exécutée par 45 lils
dv Samory, tous beaux garçons et bons cavaliers, vêtus richement et
coi ffùin d'une haute chéchia enfermée dans une gaine d'argent gaufré.
Le lendemain Samory reçut MM. Nebout et Le Filliâtre sans apparat
et leur parla longuement d'un envoyé du Soudan français dont on ve-
nait iJ*i lui signaler l'arrivée très prochaine à Dabhakala. Cette nouvelle
ne manqua pas d'intriguer beaucoup nos envoyés de la Côte d'Ivoire .
Cv Lie fut que le mardi 5 octobre au cours d'une troisième entrevue,
c|uHI lïit question d'un traité possible entre nous et lui. En entendant
iintî telle proposition, Samory esquissa un geste significatif. M. Nebout
ppoiiia immédiatement de l'effet produit et essaya de lui démontrerque
lo nvn le des européens se resserrait de jour en jour autour de lui, et
qu'i'ii cas de défaite il lui serait désormais à peu près impossible de
fuir. Les bases d'un traité lui furent énoncées.
Saniory écouta en silence cette longue démonstration, qui dura plus
d'uiif heure; il ne parut pas, ou, mieux peut-être, il ne voulut pas en
saisir la portée. Il répondit qu*il désirait vivement faire la paix avec
les Français, dont il connaissait la puiseance et qu'il craignait énormé-
ment, mais qu'il lui serait bien difficile d'habiter dans un territoire
lirniu-, tétant un nomade à qui il fallait de l'espace pour vivre. Quant à
l'arguaient du cercle d Européens se rétrécissant chaque jour autour de
lui, et pouvant le menacer, il ne l'apprécia nullement, et môme, chose
curieuse, à plusieurs reprises il manifesta son profond mépris pour les
]\) U ei conûniie pleinement ce que la Revue énonçait dans l'article ^fos forces au
h(mUiH i*Jéc. 1897, p. 721).
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LA MISSION ?ŒBOUT CHEZ SAMORY 19
Anglais: il ignore leurs forces militaires et il les croit de vulgaires
marchands incapables de porter un fusil. Cette opinion de Samory sur
les Anglais est, en somme, plutôt regrettable, car, s'il se savait partout
entouré d'adversaii'es redoutables, il se montrerait plus conciliant.
A ses côtés pendant tous ces entreliens se trouvait son griot favori,
Mady Findia, le seul parmi ses griots lui parlant librement et paraissant
avoir une certaine influence sur lui. Une de ses femmes aussi, dit-on,
a sa confiance et lui donne de fréquents conseils. Mady Findia a semblé
être très favorable aux Français.
Il paraît qu'il existe un autre griotdu nom d'Amara, vivant aux côtés
de Sarinké-Mory, dont il est le grand confident Ce griot nous est hos-
tile au dernier point. C'est lui qui aurait conseillé et machiné l'attaque
de la colonne Braulot. MM. Nebout et Le Filliltre ont vu cet Amara,
un jour qu'il se trouvait de passage à Dabhakala. Samory le fit venir
auprès de lui, et le força à dire bonjour et à tendre la main à nos com-
patriotes. On leur prétendit ensuite que cet Amara avait fait tous ses
efforts auprès de Samory pour les faire assassiner.
Ce qui a frappé MM. Nebout et Le Filliâtre durant leur séjour à
Dabhakala, ce sont l'autorité et la suprématie absolues exercées par
Samory sur ses sujets. Tout se fait par lui, d'après lui, pour lui. Il est
le seul maître devant lequel on s'incline sans murmurer. Il règne h
Dabhakala une discipline de fer, à tel point même que personne n'a le
droit d'accepter le plus petit cadeau sans en avoir au préalable demandé
la permission à, l'îilmamy.
MM. Nebout et Le Filliâtre reçurent plusieurs fois la visite de Samo-
ry. U ne négligea rien pour leur être agréable; il eut à leur égard mille
attentions délicates. Chaque jour, il leur faisait apporter de l'eau de
sa source, chaque jour il leur envoyait des bananes, du lait, des o&ufs,
des poulets et maintes autres choses encore, chaque jour il faisait tuer
un bœuf à leur intention, et par ses soins leurs hommes recevaient
jouroellement trois plats de viande et de riz. Il se montra tyrannique
même jusque dans ses amabilités; c'est ainsi que, lors de la première
entrevue, le^ miliciens qui accompagnaient nos envoyés étant venus
sans armes, il les renvoya, en disant qu'il savait que les Français n'ai-
maient pas à avoir autour d'eux leurs hommes sans armes -
Ayant parlé d'armes européennes fabriquées par ses forgerons, nos
compatriotes furent intrigués, et lui demandèrent de les mener voir une
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20 REVUE FRANÇAISE
chose qui leur paraissait si curieuse. Samory se rendit très volontiers à
leur désir, et les mena auprès de ses forgerons. Ils virent effectivement
fabriquer sous leurs yeux des fusils à répétition, modèle Kropatchek,
en usage dans notre marine. Trois fusils environ peuvent être fabriqués
par semaine.
Un de ces fusils a été donné par Samory au gouverneur de la Côte
d'Ivoire, et a été rapporté par la mission Nebout. J'ai eu l'occasion de
le voir à Grand-Bassam et je l'ai examiné longuement. Voici la critique
que l'on peut en faire : cette arme à première vue est une copie frap-
pante du fusil Kropatchek, mais lorsqu'on l'examine de près on s'a-
perçoit vite que cette copie est ignorante, et présente nombre d'imper-
fections qui la rendent, surtout entre les mains d'un noir, très peu
dangereuse.
La crosse n'est pas d'aplomb avec le canon, l'obturation se fait dans
des conditions très défectueuses, l'âme de la pièce est rayée d'une façon
absolument fantaisiste, et elle présente à sa sortie une ouverture plus
large qu'à l'entrée. Il est néanmoins extraordinaire qu'un noir, muni
d'outils rudimentaii'es,, soit arrivé, à force de patience et d'adresse, à
fabriquer une telle arme. Il faut que la volonté du maître se fasse bien
rudement sentir pour atteindre un pareil résultat. On fabrique égale-
ment des cartouches à Dabhakala ; les capsules, par exemple, n'ont pu
Jamais y être fabriquées.
Au bout de quinze jours, MM. Nebout et Le Filliâtre, considérant leur
mission comme terminée, demandèrent à l'almamy la route, afin de
s'en retourner à Grand-Bassam. C'est à ce moment seulement qu'ils
éprouvèrent avec lui quelques difiicultés. Il leur demanda, en effet, de
retarder leur départ jusqu'à l'arrivée, très prochaine, — de l'envoyé
du Soudan français, dont la venue l'inquiétait un peu.
Cette attente énerva considérablement nos compatriotes et les choses
allaient tourner à l'aigre lorsque l'envoyé du Soudan arriva à Dabha-
kala. Cet envoyé s'appelait Yolol-Semba, il venait du poste de Siguiri
et était porteur d'une lettre, à l'adresse de Samor}% revêtue du cachet
du gouverneur de Kayes. Dans cette lettre on demandait à Samory des
explications au sujet d'une attaque projetée par lui contre le village
d'Odienné. Samory protesta hautement devant les envoyés de la Côte
d'Ivoire contre celte accusation, il leur dit avoir d'autant moins l'in-
tention d'attaquer ce village qu'il y compte un grand nombre de parents.
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LA MISSION NEBOUT CHEZ SAMORY 21
Immédiatement après cette entrevue, MM. Nebout et Le Filliâtre
quittèrent Dabhakala; ils y étaient restés exactement vingt jours. Avant
leur départ Samory les avertit qu'il envoyait Tun de ses marabouts
porter une lettre au gouverneur de la Côte d'Ivoire et que, dans cette
lettre, il exprimait encore tous ses regrets pour Fattaque de la colonne
Braulot, qu'il renouvelait son vif désir de vivre en paix avec nous,
qu'il était persuadé de la bonne foi des envoyés delà Côtedlvoire, mais
qu'il redoutait toujours une attaque du Soudan, et qu'il n'aurait véri-
tablement confiance que le jour où nous lui enverrions cen/ fusils Gras,
comme gage de paix.
Il fut décidé que le marabout, escorté d'Ali et d'un autre homme de
Dabhakala, ferait route jusqu'à Grand-Bassam en compagnie de la
mission. Avant de partir, Samory fit offrir soixante bœufs comme ca-
deau à nos compatriotes, qui n'en acceptèrent que six en raison des
difficultés du transport. Entouré de tous ses fils à cheval, montant lui-
même un fort joli cheval, il accompagna la mission jusqu'à quatre kilo-
mètres de Dabhakala. Arrivé à un marigot, il fit signe à son escorte de
rester en arrière, et seul alors, il chemina pendant plus d'un kilomètre
avec les envoyés de la Côte d'Ivoire. Il prit très aimablement congé d'eux,
leur renouvelant encore sa satisfaction de les avoir vus, et leur expri-
mant une dernière fois son grand désir de vivre en paix avec nous. »
La mission revint sans encombre à Grand-Bassam.
Les résultats obtenus par la mission sont, comme on le voit, abso-
lument négatifs. Samory — qui n'est pas mort, ainsi que le bruit en
avait couru avec persistance, — a bien reçu les envoyés, s'est môme
montré gracieux envers eux, mais n'a rien concédé et n'a pas paru dis-
posé à traiter et surtout à se cantonner dans un territoire délimité. Et
il n'en saurait être autrement. Samory, en effel, est un sultan essen-
tiellement nomade, ne vivant que de pillage, n'étant riche que par ses
déprédations et le nombre de ses esclaves. Or, quand une région est
dévastée et ruinée, il lui faut absolument, pour vivre avec toutes ses
hordes, passer dans une autre. C'est pour lui une fataliti^ à laquelle il
ne saurait se soustraire. Espérer le contraire est une pure illusion.
Il ne reste donc comme solution qu'à réduire Samory par la force ou
tout au moins à le rejeter dans des régions où il ne puisse pas être un
obstacle à notre développement colonial. Plus on tardera et plus la zone
de massacres et de ruines s'étendra dans cette partie de l'Afrique.
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ETAT DU CONGO
EN CAPTIVITÉ CHEZ LES REBELLES
Nous avons rendu compte, dans un précédent fascicule (nov. 1897,
p. 637; de la révolte des soldats qui formaient la colonne Leroi et de la
fin tragique des ofGciers belges qui la composaient. B s'en fallut de peu
que les rebelles, dans leur haine contre tous les Blancs, ne fissent une
nouvelle victime. En effet, un des Pères Blancs de l'Ouganda, le P. Aclrte,
qui était tombé entre leurs mains, n'échappa à la mort que par une
circonstance providentielle.
Le P. Achte était parti du Toro, au nord du lac Albert-Edouard, le
19 avril 1S97, pour visiter quelques catéchumènes d'au delà de la
Semliki, rivière large de SO à 60 mètres et profonde de 7 à 8, qu'il fallut
passer sur un simple tronc d'arbre creusé, en guise de [ûrogue. Au delà
le pays est encore anglais, mais la ligne frontière, que n'indique pas
un obstacle naturel, n'est pas toujours respectée. En arrivant à Mutégo,
gros village à 6 lieues du fleuve, le P. Achte se trouva tout à coup en
présence de 30 soldats qui lui dirent qu'ils étaient envoyés par « leur
Blanc » pour s'enquérir de la route menant au poste belge de l'Uson-
gdra. La nuit approchait et le P. Achte se sentait entouré et observé.
Quels étaient ces soldats? Seraient -ce, par hasard, les révoltés dont il
avait entendu parler? Quoi qu'il en fût, la retraite était maintenant
impossible. »
ft Le lendemain, vers 10 heures, dit le P. Achte, dont nous repro-
duisons le récit publié par les Missioiis catholiques, après avoir gravi
une haute montagne, nous débouchons devant une plaine couverte de
tentes européennes, de huttes, d'hommes, de femmes, d'enfants ! Nous
sommes perdus ! Ce sont les révoltés, « aussi nombreux, comme ils me
te diront plus tard, que l'herbe des champs. »
On me conduit poliment vers la tente du Blanc. Elle est sur une
petite hauteur: sur le pignon de devant flotte un drapeau belge. Au
passage, on me salue en français: un malin vient môme me compli-
menter en flamand. Je me garde bien de lui répondre.
J'arrive auprès d'un hangar, genre kiosque, où l'on fume la pipe à
l'ombre. Une vingtame de belles chaises européennes attirent mon
attention et me donnent de lugubres pressentiments, que confirme le
spectacle qui s'offre alors à mes yeux. J'aperçois 40 à 30 n^res, babil -
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ÉTAT DU CONGO 23
lés du pantalon d'officier et de la veste à deux ou trois galons d'or,
coiflFés de képis également à deux ou trois galons d'or; un revolver
pend à leur côté.
Je ne sais plus quelle contenance piendre. Mais, on ne me laisse pas
longtemps dans l'indécision. Soudain, vingt mains se posent violem-
ment sur moi : chapeau, rosaire, montre, chapelet, gandoura même,
tout disparaît en un clin d'œil. Les cris sauvages : Tuez-le ! tuez-le î »
retentissent; de nombreux fusils sont braqués sur moi; mais ceux qui
m'entourent de plus près pour me dépouiller crient à leurs amis : « Ne
tirez pas; vous allez nous atteindre. Lions-le, et puis nous le tuerons. »
Tout cela avait duré une minute à peine. Je n'avais plus que la che-
mise intacte sur le corps. De tout apur, distinctement, je dis : « Saintt»
Vierge Marie, à mon secours ! » Et je crie, tout haut, en kisouahili :
'< Je suis un 9 homme de Dieu », laissez-moi ! »
Dieu, qui tient dans ses mains le cœur des hommes, changea subite-
ment les dispositions des plus acharnés. A l'instant, plusieurs se mettent
à me défendre; l'un ramasse les débris de ma culotte et me l'ajuste
assez convenablement ; un autre m'offre son chapeau pour le poser sur
ma tète exposée aux ardeurs d'un soleil de feu. Je suis tiré en tous
sens. Les uns veulent me tuer; les autres me protègent. Ceux-là per-
sistent à m'attacher les mains et les coudes; ceux-ci s'efforcent de me
les délier. Pendant ce temps, deux ou trois Nyamparas avaient trouvé
des bâtons ; ils vinrent faire pleuvoir les coups sur mes assaillants et
sur mes défenseurs indistinctement et n^e dégagèrent.
On me conduit alors sous le hangar. Je m'assieds sur une chaise
longue en face de Mulamba, leur roi, et de Kandolo, leur premier
Nyampara. Une foule énorme m'entoure et le silence se fait. J'essaie
d'expliquer qui je suis et ce qu'est un padri français. A chaque instant
on m'interrompt :
« Nous avons tué les Belges qui nous appelaient des animaux et qui
tuaient nos chefs et nos frères, comme on tue des chèvres I »
De pareilles exagérations sont naturelles dans la bouche des noirs
exaspérés. Ayant répété vingt fois que je ne suis pas Belge, que je n'ai
jamais fait de mal aux noirs, je crois plus sage de laisser ces terribles
enfants de la nature déverser le trop-plein de leur bile et je les interroge
h mon tour. . . Je fais semblant de les écouter avec intérêt.
Voici l'histoire tragique qu'ils me racontent :
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24 REVUE FRANÇAISE
Uavant-garde, composé^ de mille soldats et conduite par neuf
Blancs, était arrivée sur les bords du Yabéli, il y a environ quatre
mois. Deux officiers firent donner cent coups de sikoli (lanière de peau
d'hippopotame) à un Nyampara. Les trois grands Nyamparas, Kandolo,
Sadiki et Kalukula, exaspérés firent alors circuler le mot d'ordre de la
révolte. Ils veulent échapper au Dieu des derviches, au bâton et à la
corde des Belges, et du même.coup se venger et venger leurs compa-
triotes battus, pendus, fusillés depuis des années. La nuit arrive : sou-
dain, deux Blancs tombent de leur chaise, frappés au cœur; cinq autres
tombent aussi sous les balles, et les deux autres se sauvent à la faveur
des ténèbres. Tout est pillé.
Le baron Dhanis poursuit les révoltés. Il a mie armée de 4 à o.OOO sol-
dats, commandés par de nombreux Blancs. D atteint les rebelles sur les
bords de Tlturi. Deux de ses principaux Nyamparas manyémas sont
Mulamba et Almasi, qu'il croit fidèles et dévoués. « Mais, me disait
Mulamba, il y a trois ans que j'amasse et que j'étouff'e dans mon cœur
la haine des Belges. Quand je vis Dhanis en face de mes compatriotes
révoltés, je tressaillis de bonheur; c'était le moment de la délivrance
et de la vengeance ! »
Le baron Dhanis dispose donc son armée, place les sentinelles, et
les Européens s'en vont dormir, comptant sur la victoire pour le lende-
main. Vers deux heures du matin, les révoltés, de connivence avec les
Manyémas du camp de Dhanis, sont aperçus par les sentinelles qui leur
tirent dessus. C'est le signal que tous les Manyémas attendent. Une
fusillade furieuse commence de tous les côtés à la fois. Les Belges
sautent de leur lit et veulent donner des ordres. Mais où est l'ennemi?
Où est le soldat fidèle? La révolte est partout.
Le soleil se lève enfin et éclaire un bien triste désastre : les cadavres
de plusieurs centaines de Haoussas jonchent le sol ; sept Belges gisent
aussi à terre. Tous les autres ont fui, n'emportant absolument rien. Le
fusil même du baron Dhanis, 18 canons, des bombes, toutes les muni-
tions de l'expédition, toutes- les provisions, les tentes, les effets des
Blancs : tout est pris. Il y a de cela à peu près trente jours.
Après avoir fêté leur victoire par de copieuses libations de vin et de
cognac, les vainqueurs choisissent Mulamba pour leur roi, et Almasi et
Kandolo pour leurs deux premiers Nyamparas. Ils organisent la cara-
vane pour s'en retourner dans leur pays où ils veulent se déclarer
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ÉTAT DU CONGO 25
îndépeiidaats. Ils se disent 4.0()0. Je les estime 2.000. D'abord, dans le
fol orgueil de leur triomphe, ils voulaient déclarer la guerre à tous les
Blancs et se constituer les vengeurs de la race noire; ils avaient juré de
tuer tous les Européens qu'ils rencontreraient. C'est pourquoi ils s'ap-
prêtaient à aller au Toro massacrer les Anglais de Fort-Peller et les
autres Blancs, pendant qu'un détachement de soldats iraient tout droit
au poste belge de TUsongora. J'ai usé de toute mon éloquence pour
les détourner d'un tel projet. Aurai-je réussi ?
Mais revenons à mon histoire personnelle.
J'avais bu lentement le café, écoutant les récriminations et me
demandant comment finirait pour moi la tragédie. On me conduit alors
dans une hutte ouverte à tous les vents et on m'apporte à manger du
sorgho cuit en forme de petits pains et un peu de beurre sucré (con-
serves des Belges). Je déclare que je ne mangerai pas avant d'avoir
revu les 14 jeunes gens qu'on m'a enlevés. Cette résolution excite l'ad-
miration des femmes et l'une d'elles, s'approchant, me dit :
« Toi, Muzungu (Blanc), tu ne mourras cerUiinement pas. »
On va rapporter à Mulamba mes paroles. Il ordonne de me rendre
les quatre plus jeunes de mes catéchumènes et il m'envoie une chèvre,
en me faisant dire : « Tu as tes hommes, voici une chèvre, mange. »
Je réponds que je veux tous mes enfants, qu'il m'en manque encore
dix et que je ne mangerai rien avant de les avoir.
Le soleil se couche et les ténèbres se répandent sur le camp. Mu-
lamba arrive avec une trentaine d'hommes, tous de^ Nyamparas. Il y
a eu grande contestation à- mon sujet. Ils ont juré autrefois de tuer
tous les Blancs! pourquoi m'épargneraient-ils? On m'invite à sortir.
Mulamba fait apporter deux chaises. Il s'assied sur l'une d'elles et me
présente l'autre; les Nyamparas sont debout. Mulamba leur explique
pourquoi il ne veut pas me tuer : « Je n'ai pas de fusil, je n'ai jamais
frapp('» aucun noir. » J'ai su après, qu'on avait mis à la torture mes
pîiuvres enfants pour savoir si je frappais.
Un Nyampara répliqua. Son long et virulent discours peut se résu-
mer en ce peu de mots : « On a juré de tuer tous les Blancs, donc
celui-ci doit être tué. Tous les Blancs se ressemblent, tous complotent
l'asservissement des noirs !
Ce fougueux tribun me prouva qu'il y a chez les Manyémas des gens
intelligents et même éloquents, dont on pourrait faire de fervents
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26 KEVtîE FRANÇAISE
chrétiens. Que ne leur a-t-on depuis longtemps envoyé des missionnaires I
Je Tinterrompis et essayai de le réfuter. Alors Mulamba s'écria d'une
voix irritée :
« Moi, je défends de tuer ce Blanc. Que colui qui veut le tuer prenne
son fusil et lui envoie une balle; le voilà assis A mes côtés. »
Silence de mort.
« Personne ne tire ? » cria-t-il !
Silence.
« Blanc, va, tue ta chèvre, mange et dors. Tu os sauvé ! »
Je rentrai donc dans la hutte. Une femme m'apporte à manger. Je
prends Tassiette pleine de sorgho cuit et la passe à mes quatre caté-
chumènes. Je suis bien résolu à ne pas manger tant que je n'aurai pas
revu tous mes jeunes gens. Comment dormir, du reste? Il fait froid
et je n'ai rien pour me couvrir; tout m'a été enlevé. Je suis toujours
en chemise et en petit pantalon tout déchiré. Une brave femme m'ap-
porte un morceau d'étoffe; une autre dit à son mari, un chef, de me
donner sa capote (une capote imperméable à l'usage dos sentinelles).
Il s'exécute et je puis enfin dormir un peu.
Le lendemain 24, Mulamba me fait appeler. Il demande des nouvelles
du lieutenant Van der Wielen, qui est dans l'Usongora. « Il faut qu'il
soit tué », dit-il !
Je lui indique un sentier impraticable, afin que les deux lieutenants
Van der Wielen et Sannaes aient le temps de s'enfuir vers le Toro. Mais
mon avis sur le chemin à prendre est violemment combattu par des •
Wangwana qui ont fait partie de la caravane de Stanley en 1888.
Comme je persiste toujours à ne pas vouloir manger, Mulamba or-
donne de me rendre tout mon monde. Pourtant Mukonjo, jeune homme
de n ans, manque à l'appel. Mulamba me promet de me le faire
rendre. Je rentre dans ma hutte, et on tue la chèvre. De braves femmes
m'apportent de leur côté quantité de shorgo bien cuit, et mes pauvres
catéchumènes qui venaient, eux aussi, d'échapper à l'esclavage, sinon
à la mort, oublient vite leurs souffrances devant un si bon régal.
Désormais, je vais être traité en ami. La soirée du samedi et tout le
dimanche, ma hutte ne désemplit pas de monde : chefs, siinples soldats,
femmes, enfants. Beaucoup me font promettre d'aller leur enseigner la
religion quand le pays sera pacifié. Je pense que ce peuple, quoique
vicié par le contact des Wangwana, deviendrait vite catholique.
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ÉTAT DU CONGO 27
Actuellement, les Manyémas révoltés sont de terribles sauvages
mangeurs de chiens et, pour certaines tribus, de chair humaine. Avec
les Wangwana, ils ont appris à fumer le chanvre, (jui, comme on le
sait, opère à Tinstar de l'opium et abrutit. Dans leurs caravanes, ils
n*ont aucune discipline, aucune idée de respect envers leurs chefs.
Le lundi matin, je réclame mon jeune Mukonjo, et je demande à
partir vers midi. De bonne heure, 7 à 800 hommes, armés de fusils,
ont quitté le camp; 300 autres étaient déjà allés, dès samedi, paraît-il,
à la recherche des Belges de TUsongora, avec ordre de les tuer.
Vers midi, Mulamba et plusieurs Nyamparas arrivent dans ma hutte
pour me congédier. Je demande mon âne. On me le refuse. Pas de
chance î c'était la première fois depuis 1890 que j'en avais un à ma
disposition. Je réclame ma tente, même refus; ma montre, mes <30u-
vertures, etc.
Mulamba coupe court à mes* réclamations, en disant • « Tu n'auras
rien ! Ce dont un Manyéma s'est une fois emparé, il ne le rend plus.
Mais, pour que tu n'écrives pas en Europe que nous t'avons volé, prends
de l'ivoire; nous ne savons qu'en faire, puisque nous n'avons personne
pour l'emporter, nous tuons les éléphants pour la viande seulement. »
Et il ordonne d'aller chercher dans les broussailles les défenses de
deux éléphants abattus ces jours derniers. Je fis encore des instances
pour avoir ma chapelle portative, cadeau de ma famille. Il a l'air de
vouloir me satisfaire et on m'apporte... le missel et la pierre sacrée.
Enfin il me dit :
« Blanc, c'est assez, va-t'en, voici dix soldats pour te conduire hors
du camp, va-t'en !
« Et mon jeune homme qu'on m'a volé ?
« Tu l'auras, il est là-bas, va-t'en ! »
Le P. Achte se met en route avec ses 13 catéchumènes. Au moment
de dépasser les dernières huttes, il redemande encore son jeune homme.
Celui-ci lui est enfin rendu, sans pagne il est vrai, mais il est sauvé.
A la tombée de la nuit, la petite caravane, qui avait hâté sa marche,
était déjà à 4 lieues du camp des révoltés.
Au Toro,des bruits inquiétants s'étaient déjà répandus sur le compte
du missionnaire. La nouvelle de son retour combla de joie les habitants.
Le 29 avril, à 4 heures du soir, le P. Achte, considéré comme un ressus-
cité, faisait une entrée vraiment triomphale dans la capitale du pays.
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28 REVUE FRANÇAISE
LA DÉFAITE DES REBELLES BATÉTÉLAS
Après le massacre de la colonne Leroi et Téchec des premières troupes
deFÉtat du Congo envoyées contre les rebelles, le lieutenant Henry avait
été appelé au commandement d'une colonne de 700 hommes destinée à
opérer contre les révoltés. Parti d'Avakoubi, sur le haut Arrouhouimi,
le 7 mai, il arrivait le 18 au poste de Mawambi, situé en amont du con-
fluent de la rivière Ibina dont il remonta la vallée pour atteindre la
rivière Semliki où Ton signalait la présence des révoltés. Ceux-ci après
avoir longé vers le sud la grande forêt équatoriale avaient détruit le
poste congolais établi à Karimi, et, franchissant la frontière, avaient pé-
nétré sur le territoire anglais, où le lieutenant Sennaes, avait arrêté leur
marche à la hauteur du fort de Katwé, sur la rive nord du lac Albert-
Edouard.
1^21 juin, le lieutenant Henry quittait'Kisengé et arrivait le 28 à Béni,
après avoir traversé un pays riche et peuplé situé à l'extrême limite du
bassin oriental du Congo.
U était désormais facile de suivre la trace des révoltés, car la route
qu'ils avaient prise était jalonnée par de nombreux cadavres et marquée
par leurs empreintes. En outre, des vautours et des oiseaux de proie
planaient sans cesse dans la direction des révoltés, indiquant ainsi la
route à suivre.
Les révoltés continuaient à se diriger sur Nyangoué sous la conduite
de leur chef Mulamba; l'étoile de celui-ci ne tarda pas à pâlir. Ses
compagnons lui reprochaient son manque d'égards, et, la jalousie aidant,
un complot, dont le chef était un nommé Kandolo, se forma pour le
tuer. Il fut traîtreusement assassiné à M'Bulia et son cadavre mangé par
ses propres frères. Le chef du complot, Kandolo, devint dès lors le chef
de la révolte.
Chaque jour, dit le commandant Henry, dans un rapport adressé au
gouverneur général, nous franchissions deux, trois ou quatre campe-
ments des BatétélaS et nous avions l'espoir de les rejoindre sous peu de
jours. Malheureusement les difficultés de la marche grandissaient au fur
et à mesure que nous avancions. De Béni à Lulambi, le pays des Oua-
nandès est très riche, très peuplé et frès fertile, mais àpartirdeLutambi,
on entre en plein dans le massif qui forme ia limite du bassin du Nil et
du Congo et où l'Ibind et la Lindi prennent leur source; ce pays n'est
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CONGO 29
qu'une série de hautes montagnes, séparées par de profonds ravins, et
rhorizon est partout hérissé de pointes de montagnes qui ne font que
grandir, plus on arrive vers le sud. Par contre, plus on avance dans
cette direction et plus les vivres et les indigènes sont rares et plus aussi
le climat froid faisait souflfrir les soldats. Aussi devenait-il urgent d'at-
teindre les révoltés.
Les 42 et 13 juillet, la colonne rencontra quelques abandonnés, qui
lui apprirent que les révoltés ne les avaient quittés que depuis deux ou
trois jours. Le 14, elle tomba sur un camp abandonné le matin même
et des coups de feu tirés dans les montagnes environnantes furent enten-
dus. La colonne se trouvait ainsi sur les talons des révoltés, et par une
marche de nuit, par une nuit claire, elle put, le 14 juillet, vers minuit,
se poster à 300 mètres de leur camp, derrière une petite colline dont la
crête permit de cacher les troupes de l'État pendant quç s'eifectuaient
les reconnaissances préparatoires de l'attaque.
Notre but, dit le commandant Henry, était de fondre sur lui à 5 heures
du matin, le 15 juillet. La chute, d'au moins 40 mètres, d'une rivière
qui doit être le Lindi, envoyait à tous les échos un bruit sourd, qui
étouiîait tous ceux que nous pouvions faire par imprudence ou invo-
lontairement. Pendant la nuit, les soldats s'emparèrent d'un boy des
révoltés, qui nous apprit que ceux-ci avaient campé en deux fractions,
séparées par ime distance d'environ une heure, et de forces à peu près
égales.
Celle d'en avant avait pour chef un nommé Kalula, et celle qui se
trouvait près de nous était commandée par le chef même de la révolte,
Kandolo qui, détail important, était détenteur de la réserve des car-
touches des révoltés.
A 4 heures 30 du matin, nous prîmes nos dispositifs d'attaque. Le
lieutenant Derclayeet le servent Sauvage, son adjoint, devaient déployer
leurs 300 soldats le long de la lisière même du camp ennemi, de façon
à l'envelopper; aucune sentinelle ne le gardait et pas un seul révolté
ne .«te doutait de notre présence. I^s lieutenants Sannaes et Friard me
suivaient avec le reste de la troupe comme réserve, soit environ
230 hommes. Le sergent Kimpe, avec quelques hommes, gardait le camp
que nous avions quitté la veille.
L'attaque conunença à 5 heures du matin, si foudroyante que le dé-
fenseur ne tint pas plus d'un quart d'heure, et prit la fuite dans la
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30 REVUE FRANÇAISE
direction du deuxième camp, en nous abandonnant ses femmes, ses ba-
gages, sa réserve de cartouches et un grand nombre de fusils Albini et
à piston. Nous rassemblâmes ensuite nos troupes sur la position conquise,
afin d'éviter d'être surpris, Nous ne pouvions poursuivre, parce que
le jour n'était pas encore levé et que nous pouvions tomber dans une
embuscade. --
A 7 heures, nous fûmes attaqués nous-mêmes par les forces du
deuxième camp qui avaient rallié les fuyards du premier. Cette attaque,
faite par des troupes beaucoup supérieures en nombre, fut si impétueuse
que notre première ligne plia. U fallut l'héroïque exemple de tous les
blancs et de nos meilleurs sous-ofBciers noirs pour arrêter l'assaillant qui
continuait d'avancer en nombre supérieur. Je saisis cet instant pour
faire sonner « En avant » par tous les clairons. A ce moment, tous les
blancs montrent l'exemple d'un courage et d'un dévouement admirables,
en courant sus à l'ennemi et en entraînant nos soldats. A ce moment
aussi, le lieutenant Sannaes tombe frappé à bout portant par une balle
d'Albini qui lui traverse l'avant-bras gauche, ricoche heureusement sur
des cartouches qu'il portait à la ceinture et entre dans la hanche gauche,
où elle reste.
Les révoltés perdent pied petit à petit, pour prendre la fuite dans
toutes les directions, après 3 heures d'un combat acharné. La poursuite
ne peut durer que pendant une demi-heure, car les troupes, sur pied
depuis 30 heures, étaient harassées et la plupart n'avaient pas pris de
nourriture depuis 48 heures. De plus, les blessés, un blanc et 30 soldats»
réclamaient des soins. A la date de son rapport (31 juillet 1897), le com-
mandant Henry annonce que le lieutenant Sannaes, dont la blessure était
grave, est heureusement hors de danger.
Le commandant Henry estime que les révoltés attaqués, qui étaient
environ 1.200, ont perdu plus de 400 hommes, 800 fusils Albini,
100 à piston, plus 10.000 cartouches et de nombreuses caisses d'objets
divers.
M. Henry signale qu'un groupe de révoltés, fort au maximum de
200 fusils et commandé par Saliboko, lui a échappé. Ce groupe, quia
suivi une route parallèle et très proche du groupe principal, est insufiB-
sant pour ralier les fuyards. Si Saliboko parvenait à ralier les débris
de la révolte, et s'il voulait se diriger sur Nyangoué, la chose ne lui se-
ra it pas possible, d'abord parce qu'ils n'ont presque plus de cartouches.
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UNE SOaÉTÉ CRÉOLE 31
et ensuite, parce que des déchirements intérieurs, analogues à ceux qui
se sont déjà produits, ne manqueront pas de se faire jour entre les
différentes races dont se composent les révoltés.
Le commandant Henry annonce que la fatigue de ses troupes était
telle qu'il n'a pu songer à poursuivre Saliboko . Il estime qu'au bout
de trois ou quatre étapes, par le climat froid de ce pays montagneux,
et après les nombreuses fatigues supportées par ses troupes depuis leur
départ de Mawambi, il aurait risqué de perdre les trois quarts de son
effectif, Dans ces conditit)ns, il s'est décidé à rejoindre le Haut-Itouri
pour y refaire ses hommes. M. Henry estime, du reste, que les révoltés
subiront de grandes pertes dans le pays où ils se trouvent, vont se mu-
tiner, se disperser pour pouvoir vivre, et tomberont petit à petit de
misère, de faim, de maladie, et sous les coups des indigènes.
Sans être aussi optimiste que le commandant Henry, fait remarquer
le Mouvement anliesclavagiste de Bruxelles, on peut néanmoins admettre
que les révoltés n'ont plus une force suffisante pour constituer un grave
danger pour l'État du Congo. Toutefois, par mesure de prudence, des
ordres ont été donnés pour que d'autres troupes tirées de la région de
iNyaugoué se mettent à la poursuite des débris des révoltés et que les
opérations soient continuées jusqu'à extinction complète de la révolte.
UNE SOCIETE CREOLE
Ce qu'une classe d'élite demande aux littérateurs et aux artistes, le
public, dans un autre ordre d'idées, l'exige du voyageur : c'est de
décrire des choses vues, de rendre des impressions ressenties, de
méditer à l'occasion de sujets qui lui sont familiers. Et parfois le
voyageur, alors même qu'il réunit la somme d'aptitudes suffissuites
pour satisfaire à sa tâche, ne réussit pas pleinement, tant est com-
plexe et délicate la perception, l'explication de certains phénomènes
naturels et sociaux.
A quelles erreurs ne se vouèrent donc point d'avance ceux qui,
d'inspiration et se fiant à leur sensibilité ou à la force de leur raison,
ont tenté de devenir les paysagistes d'une nature différente de celle où
ils vivaient, et ont, d'une seule parole, ironicjue ou méprisante, con-
damné un peuple ! Dans Indiana, c'est pourtant la manière de G. Sand;
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32 REVUE FRAi^ÇAlSE
. sa description de Bourbon et d'une gorge de montagne, le Bernica,
qu'elle prend pour un lac ou un gouffre, étonne par ses inexactitudes
géographiques et révèle une complète ignorance des lieux.
L'amiral Page (1) procède de même; une courte station devant cette
île lui suffît pour être à tout jamais « dégoûté » de « ces misérables
créoles » qu'il compare à des « lazaroni et léperos », et chez lesquels,
avant lui, on avait déjà découvert « un esprit étroit de provinciaux a .
C'est presque de l'invective, mais c'est avant tout encore de l'ignorance.
On a raison, pour ce défaut, d'oublier des pages où l'exotisme ne gagne
rien et de glisser sur des jugements dont l'influence est au demeurant
malsaine pour l'opinion. De nos jours, qui s'aviserait ainsi de peindre
une contrée lointaine, sur la seule foi de quelques récits? qui oserait
juger une société sans l'avoir fréquentée et patiemment observée ? La
critique est trop savante et subtile pour tolérer une pareille œuvre ;
d'ailleurs, la recherche de l'exact et du réel, devenue dans tous le^
esprits une idée dominante, est aujourd'hui un gage contre l'imagina-
tion et l'erreur.
Quand il s'agit de créoles, il faut avant tout savoir de qui l'on parle
et s'entendre sur l'individu dont il est question. La précaution est utile,
elle a préservé quelques-uns de grossières erreurs. 11 semble que la na-
ture sous les tropiques, variée et prolifique dans ses créations, ait imposé
son influence aux hommes qui l'exploitent. Sur une terre de quelques
* kilomètres carrés, à la Réunion en effet, vivent et s'agitent dans une
promiscuité partout ailleurs dangereuse, des races aussi opposées par le
genre de vie que par les aspirations; ces races, elles-mêmes, se com-
posent de familles dissemblables par les moeurs et par les idées; et
dans ces familles on peut encore découvrir des individus de même
nom, subissant en commun les influences physiques du milieu où ils
ont pris naissance, mais qui possèdent des caractères assez nets pour
les différencier entre eux. C'est ainsi que dans la grande famille créole, on
rencontre trois types d'hommes distincts qu'on a très souvent confon-
dus dans une même appellation, ce sont : le créole noir, le mulâtre et
le créole blanc. L'un est fils indigène de deux immigrants nègres, l'autre
est ordinairement l'enfant d'un blanc et d'une négresse, car dans les
climats chauds, la blanche a le dégoût du nègre ; le dernier descend
directement de deux Européens ; peut-être son corps s'est-il alangui,
(1) Impressions familières d'un marin.
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UNE SOCIÉTÉ CRÉOLE 33
mais son sang s'est conservé pur. Celui-là seul adroit au titre de créole ;
il est seul le successeur légitime de l'ancien colon que les Espagnols
nommaient criollo . C'est cette classe de coloniaux seulement que nous
voulons envisager.
I/îs créoles, on ne Tignore point, eurent surtout comme ancêtres des
émigrés français. Partis de Flandre, de Nonnandie, de Bretagne, même
de riIe-de-France, et s'expatriant, soit par des motifs politiques ou d'ar-
gent, soit par goût d'aventures, ils se fixèrent à Bourbon, souvent après
s'être arrêtés aux Indes ou dans d'autres comptoirs.
Ce mouvement d'émigration s'effectua lentement, durant le xvii® et
le xvni® siècle, mais d'une façon à peu près uniforme. Cela prouve
une fois de plus que les pays neufs n'ont pas à redouter un manque
de population; à l'expansion d'une nation civilisée, il faut attribuer pour
cause première la volonté d'un chacun. Des influences particulières et
variables sollicitent sans doute l'individu ; celui-ci les sent, mais s'il
émigré, c'est qu'il le veut bien, c'est qu'il y consent librement. Dans ce
cas, l'individu affirme sa volonté et provoque un fait : l'expansion de
sa race. Ce fait demeurerait stérile si ces actes de volonté n'étaient pas
répétés ou ne coïncidaient point; il n'y aura pas lieu de le craindre
tant que les influences qui les suggèrent, prises dans leur ensemble,
subsisteront.
Quand on peut reconstituer le passé de ces hommes, les suivre dans
la lente fondation de leur fortune et de leur famille, quand on peut
se rendre compte des travaux énormes qu'ils ont exécutés, on est obligé
de reconnaître en eux, à un haut degré, l'esprit colonisateur. C'est dans
leur correspondance de famille, dans leurs mémoires intimes, sorte de
journal écrit au jour le jour, qu'ils se révèlent à nous avec leurs qua-
lités et leurs défauts. Ils y notaient les résultats de leur expérience el
établissaient des règles de conduite que leurs enfants, après eux, de-
vaient appliquer avec succès, ce qui ne les empêchait pas d'implorer,
comme leurs pères, a l'aide et la protection de la Providence » . Mais
ce qui faisait d'eux des colons, malgré ce reste de superstition, c'était
une dose de hardiesse mêlée de prudence, celte curiosité de l'incertain
et du nouveau qui les avait presque poussés hors de chez eux, c'était
leur patience inaltérable dans des difficultés imprévues, contre lesquelles
ils ne pouvaient aussitôt réagir et auxquelles ils opposaient un tempé-
rament de fer, un calme et une sérénité vraiment philosophiques.
XXIII (Janvier 98). N* 229. ^ 3
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34 HEVUE FRANÇAISE
Ces hommes, sous le coup de grosses préoccupations et tout entiers à
leur entreprise, ne vécurent longtemps que d'une vie corporelle. Faute
de loisirs, ils n'avaient pu se créer avec leurs voisins des relations
durables d'amitié, et bien moins encore se délasser l'esprit dans l'étude
des lettres et des arts. Un moment arriva pourtant où le but vers
lequel ils tendaient fut atteint et même dépassé : la certitude pour eux
de revenus suffisants et la constitution d'un intérieur. Le colon, autrefois
célibataire et presque indigent, se vit tout à coup, grâce à ses seuls
efforts, chef de famille et dans l'aisance. Ce changement de situation
fit naître ou simplement revivre en lui des tendances nouvelles et des
habitudes momentanément effacées par d'autres plus modestes et plus
utiles. On put dès lors l'étudier sous un autre aspect, comme homme
du monde.
Ce ne fut guère qu'à partir de 1830 que les fils de ces hobereaux de
province devinrent tout à fait des hommes de salon, aux manières élé-
gantes, au langage raffiné, de vrais gentilshommes. Cette période qui
embrasse la fin de la Restauration et les premières années du règne
suivant, fut, a-t-on écrit, v( une période de fermentation et de renou-
vellement dans le génie moderne. » Son influence s'élendit jusqu'aux
colonies. Dès ce moment, en effet, le cercle de la vie mondaine s'élar-
git à Bourbon ; les salons dionysiens s'emplissent chaque soir d'une
jeunesse turbulente et joyeuse ; les bals, les soirées musicales et litté-
raires où l'on entend parfois des lectures d'auteurs^ se succèdent en se
multipliant ; l'on joue même « la comédie et l'opérette deux fois par
mois » chez certaines dames, non pas dans un salon, mais sur un vrai
petit théâtre construit au fond du jardin ombragé et fleuri de la villa.
Le dimanche est réservé aux pique-niques et aux parties fines; on
émigré en masse pour la campagne : jeunes gens et jeunes filles à
cheval, les pères et mères en voiture ou « à fauteuils ». Les sages,
ceux auxquels suffit la fatigue des affaires restent à la maison, dans
l'atelier ou le cabinet de travail ; l'un brosse une toile, modèle une
statuette, l'autre « s'exerce à la poésie en traduisant en vers les plus
beaux passages d'Horace et de Virgile ». I^eur vie n'étant pas celle
d'artistes, ils n'en ont ni les prétentions ni les grandes émotions : ils
ne pensent qu'à se préserver de l'ennui et des passions.
Dans cette société de choix, où le parvenu se sent mal à l'aise, la
conversation facilite l'épanouissement d'intelligences qui s'étiolaient
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^1
UNE SOCIÉTÉ CRÉOLE 35
faute de sucs régénérateurs, Tesprit, comme des fusées, éclate et se
répand en mille étincelles ; la femme est une divinité qu'on adore ;
chacun a sa déesse préférée et dépose à ses pieds ses tendres hom-
mages. La galanterie y est en honneur, mais on lui a fixé des limites ;
Tesprit chevaleresque y excite une noble ardeur : on se bat pour sa
belle aussi allègrement qu'on danse et qu'on aime.
Autre est la génération actuelle ; une transformation due à des
causes variées s'est opérée dans l'esprit créole. Une fois encore s'est fait
sentir l'influence des idées de la métropole. Le créole de la troisième
république n'est plus le créole de l'Empire et de la Restauration. Son
caractère a changé avec la forme du gouvernement : l'un a perdu en
moralité ce que l'autre a gagné en sérieux. C'est un citoyen dans toute
la force du terme; il a des droits et les revendique énergiquement à
la moindre tentative de rapt. La commune est, à son avis, le milieu
où doit se déployer l'activité du contribuable et il entend prendre sa
part dans la gestion des intérêts communs ; la politique le passionne
autant qu'elle ennuyait ses pères ; son inquiétude de l'avenir trouve sa
justification dans le présent, mais l'esprit de parti, reste des traditions
de famille, nuit à l'impartialité de ses opinions et limite l'étendue de
ses vues.
C'est un mari modèle ; il s'acquitte de ses fonctions avec une rare
facilité et dirige son intérieur selon la règle ; sa volonté exprimée ne
soufire pas la discussion comme ses idées la critique. L'enfant, à ren-
contre de la loi, demeure sous sa tutelle et l'accepte même après sa
majorité. L'épouse a liéanmoins conservé sur lui sa puissance morale ;
elle l'exerce par la force de sa foi, de son amour et de la tradition.
C'est un artiste par tempérament; un système nerveux exagéré,
transforme par malheur sa sensibilité en sensiblerie; la nature le tient
sous son charme, il en comprend les beaux spectacles, mais le choc
des impressions en est si rude qu'il ne peut les exprimer. Les idées
généreuses trouvent un écho dans son âme, mais cette âme vibre si
fort qu'elle en fait un fanatique ; la sensation pour lui renaît si neuve
et intense par la simple reproduction de l'image qu'elle engendre la
vision de ce qui n'est pas : l'hallucination. En lui point de complète
réflexion, point de mûre délibération : ce n'est pas l'idée seule et par
elle-même qui se réalise, c'est le désir dont elle s'enveloppe qui en
fait la puissance motrice.
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36 REVUE FRANÇAISE
De ces ancêtres le créole a conservé Tamour et le respect de la
femme, une grande aptitude au commandement et une certaine gai té
toujours prête à s'éveiller et aussitôt suivie d'une arrière-pensée de
crainte. Du milieu il tient un peu de mélancolie maladive, une imagina-
tion créatrice parente de l'aberration, un naturel violent joint à une
susceptibilité étonnante, comme aussi une lenteur d'action qui s'^oppose
parfois à la brusquerie de son geste et à l'exubérance de sa parole.
Quant à la France, elle lui a inculqué des goûts, des sentiments et des
idées modernes qu'il accepte et dont il lui sait gré, mais qui heurtent
singulièrement ses convictions et ses préjugés de colon.
Cette société, justement parce qu'une autre commence à l'absorber, se
désagrège et perd de son caractère aristocratique. Elle ne dégénère
peut-être pas ; à coup sûr elle évolue parce qu elle a porté atteinte à la
pureté de son sang ; plus la corruption se propagera, plus cette marche
vers la démocratie sera progressive.
Dans une colonie où l'Européen a vécu en oriental, la naissance de
métis devenait forcée ; les premiers membres de la race mulâtresse
tirent donc leur origine du concubinage auquel on se laisse fatalement
entraîner, sous les climats tropicaux et dans des conditions d'existence
uniques. Un autre élément rongeur est le nombre de déclassés que cette
société a produits. Le mariage pour le créole équivaut à une nécessité;
la solitude lui pèse, un besoin inné d'affection l'y prédispose; d'ailleurs
la tradition a établi qu'à tel âge on se marie et qu'il faut se marier.
Cette aversion du célibat, excellente pour la perpétuation de l'espèce,
a ses inconvénients au point de vue social. Le couple créole ne songe
par assez à l'avenir de ses enfants ; il est trop optimiste, et, si fort
qu'il se croie, il ne parvient pas â leur assurer toujours une existence
médiocre : c'est autant de déclassés pour l'avenir, c'est autant de taches
pour le nom de famille. Le mariage ne devrait pas être seulement, à
leurs yeux, la communion de deux âmes et le rapprochement de deux
corps, mais surtout une institution sociale, le premier instrument de
civilisation d'un peuple.
Parmi les mulâtres et les déclassés il s'en trouve d'intelligents et
d'actifs, qui se font vite une place au soleil et gagnent beaucoup
d'argent. L'origine des premiers et le passé des seconds les empêchent
de contracter, dans le pays, des alliances riches ou convenables pour
eux, mais qui seraient des mésalliances pour celles qui les accepteraient ;
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UNE SOCIÉTÉ CRÉOLE 37
c'est sur les familles pauvres ou mulâtresses qu'ils se rejettent. De son
côté, cela se conçoit aisément, la jeune fille mulâtresse ou la blanche
pauvre n'aspire qu'au mariage; aussi, rejetant les préjugés courants ou
réprimant des sentiments intimes, elle s'élève ou s'abaisse. C'est ainsi
que peu à peu, par atavisme ou croisement simple, l'élément mulâtre
prend l'importance que lui abandonne l'élément blanc. Cette fusion, il
faut l'avouer, est en outre facilitée par un perpétuel contact, une
éducation souvent reçue en commun et les relations des deux classes
avec les Européens de passage qui, pour ainsi dire, servent d'élément
communicateur.
Somme toute, il est curieux de constater qu'une colonie d'exploitation
où la richesse fut prompte, mais soumise à des crises violentes, où
l'égalité de condition n'était pas admise et la différence de caste regardée
comme nécessaire, se soit transformée d'une manière insensible en
colonie de peuplement. A l'ancien état de choses s'est substitué le
nouveau, aussi bien sous l'influence de la politique et du commerce,
que de la tradition abandonnée et des idées modernes.
La Réunion est d'ores et déjà une colonie démocratique où une
aisance moyenne est répartie entre le plus grand nombre, où l'égalité
des droits et des libertés pour tous est un principe établi. La race
mulâtresse cessera sous peu d'élre refoulée par le mépris qu'éprouve à
son égard la classe blanche du pays et l'envie que lui portent ses parents
plus noirs et bien moins doués. Elle tient certainement à rester française ;
mais elle aura des besoins nouveaux, et les moyens de les satisfaire ne
lui manqueront pas; son allure semblera plus indépendante et à l'avenir
elle ne peut que garder cette attitude. La métropole a le devoir de lui
accorder cette liberté relative qu'une fille majeure est en droit de
réclamer ; néanmoins, en bonne mère, elle doit toujours exercer une
certaine surveillance et conserver comme une sorte de domination
morale.
Léon O'Zoux.
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SIBERIE
LES BOURIATES DE L'AMOUR
Iakoute à renne.
Les bords du fleuve
Amour n*ont vu appa-
raître lacolonisation russe
que depuis le traité d'Aï-
goun, en 18o8, qui recon-
naissait à l'empire des
tsars la possession d'un
vaste territoire donnant
accès à la mer du Japon.
Mais, en raison de la dis-
tance et des difficultés de
pénétration, les Russes
sont encore fort clairse-
\î^P%rf^^"'^ W ^y mes dans ces régions où
^^"* les peuplades indigènes
sont encore restées dans
leur état primitif. La ci-
vilisation n'a pu encore s'infiltrer que partiellement parmi elles, faute
de contact, et celles qui ont embrassé la religion orthodoxe ne l'ont fait
que par intérêt et sont encore vouées au culte des idoles.
Dans la région de Transbaïkalie, située entre le lac Baïkal et le fleuve
Amour, habitent des peuples pasteurs appartenant aux Mongols Bou-
riates et aux Tongouses Solones. Un voyageur russe, M. Chimkièvitch,
a donné sur ces indigènes de curieux renseignements que nous trou-
vons dans le Tour du Monde.
A l'époque des bouleversements politiques de l'époque de Gengis Khan,
les Bouriates, qui habitaient la Mongolie, quittèrent ce pays et vinrent
habiter la Transbaïkalie actuelle après en avoir chassé les Iakoutes.
Depuis ce temps ils n'ont cessé d'y mener avec leurs troupeaux de
chameaux, chevaux, vaches, brebis, une existence si paisible que c'est à
grand peine que les Russes ont pu former quelques régiments parmi eux.
Essentiellement nomades et n'ayant pour toute richesse que leurs
troupeaux, les Bouriates n'habitent que rarement des maisons qui ne
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SIBÉRIE 39
sont jamais que de grandes cabanes en bois. Leur logis habituel c'est
la tente en feutre qu'on trouve chez tous les peuples pasteurs ; elle est
chaude en hiver et facile à transporter. Elle repose sur un grillage en
bois, laissant au sommet une ouverture pour cheminée. Au centre est
le foyer sur lequel est placée une grande marmite en fonte servant à la
cuisson des aliments. Autour de la tente sont installés les meubles. Le
côté gauche est réservé aux hommes, le droit aux femmes. En face
rentrée se dresse un autel où se trouvent les idoles, livres saints, instru-
ments de musique et bougies parfumées. L*odeur de la fumée est
assez désagréable, car le coihbustible employé n'est que du fumier de
vache desséché.
Aux repas, où l'on mange dans des assiettes en bois, on sert du thé,
préparé, comme la soupe, avec du lait, du beurre et salé. Ce breuvage
a, pour des Européens, un aspect répugnant. Puis vient une soupe de
viande de mouton coupée en menus morceaux, avec le mangir^ feuilles
de l'oignon sauvage, et le fameux kirsen, mouton grillé. Comme dessert,
du lait caillé séché en morceaux, une espèce de fromage et un verre
d'eau-de-vie de lait. Cette araka des Mongols a un goût de lait aigre
auquel on a bien de la peine à s'habituer.
Chez les Bouriates la femme est aimée et respectée. La polygamie
existe; c'est toujours la première femme qui est considérée comme la
maîtresse de la maison. Les enfants sont préposées à U garde des trou-
peaux et vivent dans les steppes jusqu'à 17 ans, âge où les filles com-
mencent à s'occuper du costume et de la coiffure. Hommes et femmes
portent des robes chinoises tombant jusqu'à terre. Les hommes portent
une ceinture en étoffe avec le couteau mongol et un chapeau plat, coni-
que, à hauts bords. Les femmes portent comme les hommes un panta-
lon et une blouse ; elles ont aussi la robe chinoise plus large et sans
ceinture. Elles se distinguent des jeunes filles par la coiflFure et par un
gilet sans manches porté par-dessus la robe.
Les jeunes filles portent souvent sur le front des plaques d'argent, le
plus souvent en forme de cœur. Leur coiflFure est très compliquée. On
leur rase d'abord la tête jusqu'à l'âge de 7 ans, puis on arrange leurs
cheveux en tresses. Quand la fille commence à porter des ornements,
le nombre des tresses augmente et va parfois jusqu'à 22. Dans une
coiffure de fiancée toutes les tresses sont réunies par paires au moyen
de fils de corail et de rubans.
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40 lŒVUE FRANÇAISE
Les femmes bourlates recherchent beaucoup les ornemenis et s'en
couvrent la tête, la poitrine et le dos. Sur la tête elles ont une couronne
ornée de corail d'où pendent des filets de corail tombant sur la poitrine.
Des boucles d'oreilles en argent massif sont aussi attachées à la cou-
ronne ou pendent de chaque côté sur la poitrine. Celle-ci est aussi cons-
tellée de petites boîtes en argent contenant des prières, des herbes, etc.
Ce sont leurs amulettes. Les femmes portent en outre des épaulettes
en corail. Le costume complet est très beau et vaut souvent plus de
10.000 francs.
Peu accoutumés aux travaux par suite de leur existence nomade, les
Bouriates sont assez paresseux. Une de leurs occupations favorites est de
monter à cheval et de dresser les chevaux sauvages, exercice auquel
ils sont fort habiles. Les chevaux de la steppe sont petits, mais forts et
vigoureux. Les Mongols ont une singulière façon de les préserver du
froid. Quant après une course à vive allure et un froid de 30** au-dessous
de zéro, le cheval se trouve échauffe, ils lui versent de l'eau sur le dos,
qui se cou\Te aussitôt d'une couche de glace conservant la chaleur.
C'est là un moyen de remplacer les étables qu'ils n'ont point et les
couvertures dont ils ne connaissent pas l'usage.
Très intelligents, les Mongols savent tous écrire. Us apprennent faci-
lement le russe et sont très aptes à l'assimilation. Un grand nombre
d'entre eux sont arrivés à des situations importantes comme officiers,
fonctionnaires, etc. La Russie a laissé à ces peuples asiatiques la forme
de leur gouvernement qu'elle se contente de contrôler. Le peuple est
jugé par ses chefs. Le pouvoir appartient à la douma (conseil des
chefs) et au taïcka ou prince é\\x à vie. Les Bouriates professent la
religion boudhique, venue du Tib»et, et connue par ses prêtres, les
lamas.
Les Toungouses Goldes appartiennent également à la race mongole.
Ce peuple, qui habite le bas Amour et l'Oussouri, est le plus civihsé
des peuples pécheurs de la région. Four devenir pêcheurs les Goldes
ont renoncé à la vie nomade et ont créé des villages sur les bords des
rivières. Chaque famille a son bateau, et au moins une dizaine de chiens
En hiver ceux-ci sont attelés en traîneau ; en été ils aident au halage
des bateaux.
Les Goldes tirent un merveilleux parti des peaux de poissons. Ces
peaux travaillées d'une façon remarquable, tannées, assouplies et cou-
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SIBÉRIE
41
sues forment des couvertures, des robes, des bottes, des petits sacs à
provisions. Les femmes comme les hommes fument sans cesse.
L'introduction de Topium par les Chinois est une cause d'abrutisse-
ment.
Fiancé golde.
Le mariage chez les Goldes est assez compliqué comme cérémonies.
Le mari achète sa femme ; plus il est riche plus le mariage se fait vite,
le paiement ayant lieu aussitôt. La rencontre des fiancés donne Heu à
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42 REVUE FRANÇAISE
un simulacre de lutte. Le mari vêtu d'un riche costume de chasse, d'un
chapeau de musc avec queue de zibeline et arc et flèche dans les mains,
est prêt à tirer, car suivant les usages, il ne peut avoir sa femme que
prise de force. Quand le cortège de la fiancée arrive par eau, le mari
qui attend sur la rive se jette dans son bateau au signal qui lui est donné
et se dirige comme une flèche vers le bateau qui porte sa femme,
car il doit la voler à ses parents. Alors commence une véritable lutte
entre les deux bateaux, lutte applaudie par la foule et qui se termine
toujours à l'avantage du mari.
La vie de ces peuplades est remplie de superstitions; les peuplades
agricoles suivent le boudhisme, tandis que les chasseurs et pécheurs du
bas Amour sont officiellement orthodoxes, mais pratiquent le chama-
nisme, dont le nom vient des prêtres, les chamanes, intermédiaires
entre les hommes et les esprits, bons ou mauvais.
A. M.
LES EXPLORATIONS POLAIRES EN 1897
Les explorations polaires n'ont pas eu, en 1897, l'intérêt saisissant de
celles de l'année précédente, dans laquelle se place le voyage de Nan-
sen. Néanmoins, comme M. Ch. Rabot l'a fait remarquer dans une inté-
ressante élude présentée à la Société de Géographie de Paris, dans h^
vaste secteur compris entre le détroit de Smith et la N"**-2temble, sept
missions ont été à Tœuvre.
Groenland. — Nous avons déjà parlé de la mission Peary (1), qui, en
dehors du bloc de fer natif de 45 tonnes, rapporté du cap York, non
sans peine, n'a point fait de découverte géographique.
Une mission danoise, composée' du lieutenant Frode Petersen, de
l'enseigne Boi^ et des naturalistes Kruse et Pjetursson a été chargée
de faire des levés dans le district d'Egedesminde (côte ouest).
Islande. — Le d"^ Thoroddsen, continuant ses précédents travaux géo-
logiques, a étudié les effets du tremblement de terre qui a affecté le
sud de l'Islande, du 26 août au iO septembre 1896, s'étendant de la
côte sud au talus méridional du Hôiland (Hocliland) et de l'est à l'ouest.
D'après M. Thoroddsen, ce tremblement de terre a produit de notables
(1) Voir R. F., t. XXII, pages 305 et 673.
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m9^^
LES EXPLORATIONS POLAIRES EN 4897 43
modifications dans les formes du terrain et affecté le régime des
sources. D'énormes avalanches se sont séparées des montagnes. Le
grand Geyser, qui ne lançait plus depuis longtemps que de rares co-
lonnes d*eau, en projette journellement maintenant. M. Thoroddsen a
été témoin d'une éruption atteignant 40 mètres de haut. Un effet in-
verse a été produit sur le Stokkr, ce geyser formé à la suite du trem-
blement de terre de i 789 et que les touristes s'amusaient à faire jaillir
en jetant dans son gouffre des mottes de gazon et des pierres en guise
d'émétique. Ce geyser ne fonctionne plus depuis le dernier tremble-
ment de terre, mais sa cheminée reste remplie d'eau à une tempéra-
ture de -f- 70**. Par contre, le Blesi, qui demeurait inactif depuis 1789,
donne maintenant des signes d'agitation et, à côté, une crevasse adonné
naissance à des projections d'eau.
Après avoir visité l'Islande du sud, M. Thoroddsen s'est rendu dans
le nord, au district d'Hunavatu, où il a trouvé, parmi les basaltes, des
gisements de rhyolites. E ne reste plus à M. Thoroddsen, pour achever
le refevé du gi-and plateau désert du centre de l'Islande, qu'à visiter
la partie orientale. Ce sera l'œuvre de 1898 qui verra sans doute achever
les grands travaux géographiques accomplis en Islande par M. Tho-
roddsen.
Le lieutenant danois David Bruuriy continuant ses recherches archéo-
logiques de 1896, a exploré en 1897 les régions nord et sud de l'Is-
lande, ainsi que le plateau central, qu'il a traversé deux fois. M. Bruun
n a pas trouvé trace des habitations que les traditions plaçaient à la
base des Kjaellingfjeld. Ses explorations ont donné de nouvelles preuves
du rétrécissement progressif de la zone habitable en Islande, par suite
des pluies de cendres volcaniques, de l'aggravation du climat, du dé-
boisement du pays. C'est ainsi que des groupes d'habitation anciennes
en ruines ont été retrouvées, abandonnées sans doute à la suite de
quelque pluie de cendres volcaniques. Les fouilles de M. D. Bruun
ont fait découvrir des lampes en pierre, des bijoux en bronze, etc.,
provenant de la primitive civilisation Scandinave.
Une O^ anglaise doit poser, en 1898, un câble sous-marin entre le
nord de l'Ecosse et le Bernfjord, sur la côte sud-est de l'Islande. Le
télégraphe se prolongera par terre, jusqu'à Reykjavik. La pose de ce
câble sera vivement appréciée par no» marins qui chaque année vont
pêcher la morue sur les côtes dangereuses de l'Islande.
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44 REVUE FRANÇAISE
Spitzberg. — Le ballon (hmen^ monté par Andrée et ses 2 compagnons,
est parti, on le sait, de Tîle des Danois, le H juillet 189" (1). On est
toujours sans nouvelles des explorateurs.
Sir Martin W. Conway. Talpiniste anglais bien connu par ses ascen-
sions dans mimalaya, a continué ses explorations dans Tintérieur du
Spitzberg occidental.
Dans une première excursion, M. Conway a parcouru la carapace de
glace qui recouvre la presqu'île N.-E. entre le StortQord, et la Klaas
Billen Bay. Partant de cette baie, il s'est avancé jusqu'au mont Chyde-
nins, puis, gagnant par mer la Kingsbay (côte ouest), il a exploré la
région glacée à Test. Il a fait Tascension du pic central des Trois-Cou-
ronnes, un des sommets les plus caractéristiques de l'archipel, et a ter-
miné son exploration par l'escalade du Horn Sounds Tind, point cul-
minant du Spit2)>erg.
Cette seconde exploration dans les glaciers n'a pas duré moins de
trois semaines.
Signalons en passant la fondation, au Spitzbei^, du premier journal
publié dans ces régions, le Spitbergen Gazette, dû à l'initiative de
M. C. Christensen, professeur au collège de Tromso.
Terre François-Joseph. — Plusieurs baleiniers écossais ont chassé les
morses et les ours blancs, abondants à la terre François-Joseph. L'un
d'eux, le Balsena, a découvert sur la côte sud plusieurs petites îles.
La mission anglaise F, Jackson, envoyée par M. Harmsworth (2), a
hiverné pour la troisième fois à la terre François-Joseph. En 1897, elle
a, en partant d'Elmwood, le 16 mars, \youT la partie occidentale, pu se
rendre compte que la terre de Gillis n'existe pas entre le Spitzberg et
l'archipel François-Joseph. La terre entrevue en 1707 par le navigateur
hollandais est sans doute l'extrémité ouest de ce dernier archipel.
Le 6 août, Jackson et ses compagnons ont quitté la région en laissant
àElmwood un dépôt de vivres et de charbon. Le navire Windward qui
venait chercher M. Jackson s'est avancé à 50 milles dans le nord-ouest
à travers des eaux libres, sans découvrir aucune nouvelle terre, puis
a rapatrié la mission.
Expéditions projetées vers le pôle nord. — Pour 1898, le lieutenant
(1) Voir R. F., t. XXII, pages 305, 491 et 547.
(2) \o\r Revue Française^ tome XXII, page 602.
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EXPLORATEURS ET VOYAGEURS 45
Peary se propose de pousser vers le pôle en établissant une station qui
servirait de point de départ pour une série de campagnes annuelles
devant laisser chacune un poste de plus en plus avancé. M. Peary
espère ainsi qu'on atteindrait le pôle nord au bout de peu d'années.
Le capitaine Sverdrup, le compagnon de Nansen, projette, avec le
Framy d'accomplir le périple du Groenland, en longeant d'abord, vers
le nord, la côte ouest, et ensuite, vers le sud, la côte est.
Trois explorateurs danois, réprenant le projet Ryder (1895) qui avait
pour objectif la reconnaissance de la côte occidentale du Groenland,
entre le 70** et le cercle polaire se rendront au Groenland. D'Angmagsa-
lik, la station récemment installée sur la côte orientale, où ils hiver-
neront, ils espèrent s'avancer en 4899 vers le Nord.
Le professeur suédois Nathorst, enfin, se propose d'explorer le
Spitzberg oriental.
Pôle sud. — Le 16 août dernier, l'expédition belge A. de Gerlachee&i
partie vers le pôle sud, sur la Belgica. Le lieutenant de vaisseau de
Gerlache est accompagné des officiers de marine Lecointe, Melaerts et
Amudsen (ce dernier norvégien), du lieutenant d'artillerie Danco, des
naturalistes Racovitzaet Arctowski.
L'exploration entrera dans les régions antarctiques par le sud du cap
Horn.
Les frais ont été couverts par une subvention de 160.000 francs du
gouvernement belge et par une souscription nationale de 140.000 francs.
D'après les nouvelles parvenues récemment de Montevideo, la Belgica
avait quitté ce port et devait actuellement entrer dans la zone d'obser-
vations polaires. P. B.
EXPLORATEURS ET VOYAGEURS
AFRIQUE
Le lieutenant Blondiatix, chargé par le gouverneur du Soudan d'ex-
plorer la région comprise entre le Soudan français et la C6te d'Ivoire,
dont le capitaine Marchand et M. Pobéguin avaient reconnu une partie
où M. Eysseric avait été arrêté, partit de Beyla, notre poste le plus
avancé du Soudan dans cette direction, le 6 février 1897, avec l'adjudant
Not et 22 tirailleurs. La mission se dirigea sur le Mahou pour étudier
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46 REVUE FRANÇAISE
le cours du Férédougouba. Le 24 février, elle campa près de ce fleuve,
à Dabala, à S kil. du confluent du Tien-Bâ, dans le Ouataradougou,
naguère dévasté par Samory. Continuant sa marche vers Test, M. Blon-
diaux passa à Kani, dans le Nigoui (27 février), à Sakhala, dans le
Ourodougou (2 mars), à Kourousoudougou, dans le Ténindiéri (7 mars).
Il avait ainsi relié par un itinéraire le poste de Beyla avec Titinéraire
Marchand.
La mission revint alors sur ses pas, le pays devenant dangereux; elle
se dirigea plus au nord, par Boron, Bafélétou, passant par une région
dévastée par Samory. Ayant traversé le Tien-Bâ. puis le Boa, elle arriva
à Koro (visité par la colonne Combes en 1893, puis par M. Vuillemot
en 1896). M. Blondiaux se dirigea ensuite vers le sud et arriva le 28 mars
à Gouentéguéla, après avoir traversé le Férédougouba. Le 1*' avril, il
était à Dootou, à 2 kil. 1/2 du confluent du Bafing et du Férédougouba
ou Bagoé. Le Férédougouba et le Bafing, à leur jonction, ne forment
chacun qu'un seul bras ; le premier a 250 mètres et le second 150 de
large. Plus bas, le fleuve est coupé d'îlots et de rochers. Le Férédou-
gouba ne serait autre que le prolongement du Sasandra (rivière S*-An-
dré). La mission se dirigea à l'est vers Séguéla (4 avril), en passant par
le Gouaran ; elle tenta en vain de pénétrer chez les Lô, où Ton trouve
des anthropophages. N'ayant pu traverser le Férédougouba par suite
de l'hostilité des Lô et des Onobés, M. Blondiaux revint en arrière, passa
à Doué et à Touba. Ayant fait une nouvelle tentative infructueuse de
pénétration par le pays des N'Guéré anthropophages, M. Blondiaux put
pourtant apprendre que le Cavally et le Diougou ne sont qu'une môme
rivière, qui prend sa source dans les monts Niénimba et reçoit sur sa
gauche la rivière So. De N'Zo, la mission retourna vers le nord par Lola,
Goueké et Boola et rentra au mois de juin à Touba pour y passer l'hi-
vernage. Cette exploration a permis de déterminer le bassin supérieur
du Bandama rouge, de fixer le cours supérieur de Sassandra et de re-
connaître la grande route de Beyla à Kong.
M. Bailly, accompagné de .^IM. de Boisé et H. Pauly, s'e^t embarqué
le 30 novembre à Marseille à destination de Konakry. De la Guinée il
doit remonter vers les sources du Niger et chercher à gagner la Côte
d'Ivoire après avoir contourné la colonie de Sierra Leone et le Libéria,
dont l'hinterland, habité par des populations sauvages, est encore à
peine connu.
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EXPLORATEURS ET VOYAGEURS 47
M. Edouard Foa (t. XXI, p, 745) vient de traverser l'Afrique, des
bouches du Zambèze à celles du Congo; il s'est embarqué le 10 décem-
bre à Loango pour rentrer en France, après une absence de plus de
3 années passées en grande partie dans le bassin du Zambèze. Parti de
Tête, sur le Zambèze il a visité les régions des lacs Nyassa et Tanga-
nika, ainsi que les territoires de la C* du Zambèze et de la G*® du Ka-
tanga (État du Congo). Au mois d'août i897 il était à Oujidji, sur le
Tanganika, d'où il se proposait de gagner les Stanley-Falls par une route
nouvelle.
L'explorateur allemand Eugène Zintgraff a succombé le 5 décembre
à Ténériffe aux suites d'un accès de malaria. Son premier voyage en
Afrique s'était effectué au Congo, en i884, avec le D^ Cha vanne. 11 avait
été un des premiers explorateurs du Kameroun, en 1886. En 1889 et
1890 il avait atteint la région de la Bénoué après avoir franchi la zone
que forme la forêt vierge. D visita ensuite l'Afrique orientale allemande
et portugaise, ainsi que le TransVaal. En 1896 il se rendit pour la 3« fois
au Kameroun ; il s'y occupait en dernier d'entreprises agricoles. 11 était
né à Dusseldorf en 18S8.
L'expédition anglaise Cavendish, dont on avait annoncé à tort le
massacre, est rentrée à Londres, L'expédition, dirigée par M. Cavendish,
neveu du duc de Devonshire, avait pour but principal la chasse. Elle
comprenait 3 Européens, 90 Ascaris et 130 chameaux. Elle quitta Ber-
bera en septembre 1896 et arriva en novembre à Logh, sur rOuebbir
Ganana, ou elle rencontra le lieutenant Mamini, résident italien au
Bénadir. De Logh, M. Cavendish se dirigea vers l'ouest jusqu'à l'extré-
mité nord du lac Stéphanie ; au sud du lac, il reconnut une couche
abondante de houille qui doit s'étendre assez loin, car M. Cavendish en
trouva une semblable à l'ouest du lac Rodolphe. Du lac Stéphanie, la
mission se dirigea vers le lac Rodolphe qu'elle contourna par le nord.
M. Cavendish reconnut, dans cette partie du lac l'existence de l'estuaire
d'un grand fleuve qu'il croit être l'Omo et qu'avait déjà signalé l'explo-
rateur américain Donaldson Smith. Dans cette région, le café sauvage
croît en abondance. Le pays, situé à l'ouest du lac Rodolphe, forme une
masse de montagnes inhabitées et d'un accès très difficile. M. Cavendish
a relevé tout le littoral ouest du lac, qui ne figurait pas encore sur les
cartes. Les bords du lac sont tout à fait plats, sur une largeur d'environ
80 kilom. ; ils sont exposés aux inondations résultant de la crue du lac.
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48 REVUE FRANÇAISE
M. Cavendish a constaté la disparition du volcan que le comte Te-
leki avait signalé au sud du Rodolphe; sa place est marquée par une
plaine de laves. Entre les lacs Rodolphe et Baringo, M. Cavendish a
constaté également la disparition d'un volcan qui se trouvait dans un
autre lac. La mission Cavendish a ensuite traversé le Baringo et, pas-
sant par Kikouyou, est arrivée à Monbassa, d'où elle s'est rendue à Zan-
zibar. Le 18 octobre, M. Cavendish arrivait à Londres. .
M. Cavendish a rapporté en Angleterre un certain nombre d'animaux
vivants; bien que sa mission n'ait pas eu un caractère scientifique, il
n'en a pas moins dressé des cartes, pris des photographies et relevé
certaines régions encore inconnues.
Le capitaine belge Heymans a remonté, en 1897, la Lua, affluent de
gauche de TOubangui, jusqu'à Bowara. La Lua (75 à 100 mètres de
large et 3 m. de profondeur) se confondrait avec le Dekere, qui prend
sa source près de Banzyville; cette nouvelle voie d'accès vers le Congo
oriental permettrait donc d'éviter le coude de l'Oubangui, encombré
de rochers. Ce serait là une importante découverte au point de vue de
la pénétration intérieure.
ASIE
M. Georges Saint-Yves, parti de Moscou, après avoir passé par Omsk
et gagné Viemji en tarentass, a atteint, en juin 1897, le poste de Prje-
valski ou Katakol, que baigne le lac Issyk-Koul sur le grand plateau
central asiatique. M. Saint-Yves ayant ensuite franchi le col d'Oulakol,
de 3.800 mètres d'altitude dans les monts Tian-chan, arriva à cheval
à Och le 3 juillet, puis à Marghilan. L'explorateur, après avoir poussé
au sud dans l'Alaï et exploré la frontière du Khanat de Boukara est
revenu à Marghilan. 11 est rentré en Europe par Kokand, Djizak, Sa-
markand, Merv, Bakou et Batoum.
M"® Massieu (XXII, p. 304), après son voyage en Indo-Chine méri-
dionale, s'est rendue à Lao-Kay et a parcouru une grande partie du
Hautr-Tonkin poussant jusqu'aux lacs Ba-bé, à Cao-bang et à la porte
de Chine. Elle s'est embarquée ensuite à Haïphong(lOjuin) pour Hong-
Kong. De là, elle s'est rendue dans l'intérieur de la Chine pénétrant
jusqu'à I-chang (province de Hou-pé) à 1.600 kilomètres de la mer. sur
le Yang-Tsé. Passant ensuite par le nord, elle est entrée en Sibérie et
est arrivée en décembre 1897 à Tachkend, dans le Turkestan, après
avoir traversé l'Asie de l'est à l'ouest.
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NOUVELLES GEOGRAPHIQUES ET COLONIALES
AFRIQUE
Sahara : Les assassins du M^* de Mores. — Le chef du poste d'Ouargla,
ayant acquis la certitude qu'un dissident, nommé Elkheir ben Abd el Kader,
un des assassins du m'» de Mores, se trouvait campé avec une tente de Toua-
reg, à quelques kilomètres de la zaouïa de Temassinin, se proposa de le faire
enlever. Le il octobre, le caïd Ali ben Braïm, quittait Ouargla, à la tête
d'un goum de 53 hommes montés sur des méhari. En arrivant à Temassinin,
il se dirigea vers le campement. Deux guides pénétrèrent seuls dans la tente
des Touareg, et annoncèrent que des Châamba, recherchant des troupeaux
volés, désiraient parler à Bl-Kheir. Celui-ci, qui se trouvait dans la fente,
mis en éveil, sortit précipitamment, monta sur son mehara et réussit à
prendre la fuite, à la faveur de la nuit tombante. Le cald disposa alors ses
hommes autour de la tente, attendant le retour d'El Kheir. Il revint, en
effet bientôt, tenant en main son méhara. Mais prévenu qu'on le recherchait,
il lâcha sa béte et prit la fuite de nouveau.
Dès le lendemain malin, la poursuite commença. Les cavaliers apercevant
El Kheir firent feu sur lui et le blessèrent à la jambe. Mais il put cependant
leur échapper, grâce à des replis de terrain. Les recherches sous la direction
du caïd, continuèrent sans résultat jusqu'au soir, où les cavaliers, craignant
de s'égarer dans une région qui leur était inconnue, se replièrent vers la
zaouia. Eu arrivant, le caïd se fit immédiatement livrer la smala d'El Kheir,
composée de sa femme, sa belle-mère, cinq enfants, et prit également les
objets que renfermait sa tente : un méhara et treize chamelles, bêtes qui,
presque toutes, avaient été volées par El Kheir. Le caïd conduisit le tout à
Ouargla, où cette famille sera gardée comme otage.
La conduite du caïd Ali est à remarquer, bien que sa mission n'ait pas eu
un succès complet. Il a pu obtenir la neutralité des Touareg et, bien que
ces derniers aient probablement favorisé la fuite d'El Kheir, il est parvenu
à se fîadre livrer par eux la famille du fuyard.
Sénégal : Troubles e/ec(oraua;.— Les élections au conseil général qui vien-
nent d'avoir lieu au Sénégal ont été la cause à S^-Louis de désordres em-
preints d'un caractère de gravité qu'il n'est pas possible de dissimuler. Les
noirs «*e sont livrés à des manifestations tumultueuses aux cris de : A bas la
France, et ont mis à sac un certain nombre de maisons. Ces incidents mon-
trent une fois de plus le mauvais usage que les indigènes font des droits
électoraux qui leurt)nt été octroyés sans raison, et fournissent un argument
de plus aux adversaires du système représentatif aux colonies. On sait qu'en
Cochinchine les trois quarts des électeurs sont des fonctionnaires, que dans
rinde française les électeurs, presque tous des natifs, sont embrigadés comme
un troupeau. On pourrait multiplier les exemples sans pouvoir mettre en
r^ard les avantages que les colonies tirent du suffrage universel.
XXIII (Janvier 98). N- 229. 4
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50 REVUE FRANÇAISE
Les Anglais, autrement pratiques en matière coloniale, s'ils ont doté du
self-govemment leurs colonies à population blanche, ont eu bien garde d'agir
de môme pour leurs autres possessions. En Sénégambie, à Sierra-Leone où
ils sont depuis plus d'un siècle, les indigènes ont accès aux fonctions pu-
bliques, mais ne participent point à la gestion des affaires de la colonie.
Nous autorisant de ces exemples, il faut avoir la volonté de revenir en
arrière et d'enlever le droit de suffrage à des indigènes qui n'en comprennent
pas la valeur et en font si mauvais usage. Les manifestations nettement
antifrançaises des noirs de S'-Louis appellent une réforme radicale sous ce
rapport. Il faut éviter avant tout que les passions politiques soient une cause
de décadence pour une des plus françaises de nos colonies. Le Sénégal, en
effet, qui fait environ 45 millions d'affaires par an, a son commerce presque
exclusivement aux mains des Français, fait fort rare dans nos colonies. Sur
216 navires entrés dans les ports sénégalais en 1896, 144 portaient pavillon
français. C'est une proportion qu'on ne trouve nulle part et un fait qui
mérite d'être signalé.
Soudan français : Touareg battus. — La mort des lieutenants de spahis
de Chevigné, de Latour de S*-Ygest, et des spahis tués à Rhergo, par les
Touareg, le 19 juin 1897, est aujourd'hui vengée. A la première nouvelle de
cet échec, le colonel de Trentinian envoya une reconnaissance vers le terri-
toire des Touareg Rerabisch et Kel Antassar. Il fit former une colonne com-
prenant trois compagnies de tirailleurs soudanais, de l'artillerie et deux
pelotons de spahis. Cette force était destinée à opérer par voie de terre, con-
curremment avec une autre qui agirait par le Niger, et comprenait une com-
pagnie de tirailleurs soudanais embarqués sur les chalands de la flottille du
fleuve et appuyés pai* une canonnière. Ce petit corps était commandé par les
chefe de bataillon d'infanterie de marine Goldschen et Klobb.
La colonne prit la direction de Bamba, situé à 150 kil. à l'est de Tombouctou
et non loin de la rive gauche du Niger. La colonne prit contact, vers le mi-
lieu de septembre, avec plusieurs partis touareg et leur infligea une déroute
complète. Nos troupes délivrèrent 300 prisonniers faits dans les derniers
rezzous et dont les Touareg se servaient comme esclaves, plus d'autres es-
claves, en grand nombre, affectés à la garde des troupeaux. Un grand butin
tomba en même temps en notre possession. La médaille militaire a été con-
férée aux maréchaux des logis Pichon et d'Abel de Libran blessés à l'affaire
de Rhergo.
Traité avec les Aouélimiden, — Le lieutenant de Chevigné, tué à Rhergo,
avait signé au mois de mai un important traité de protectorat avec les Aoué-
limiden. La confédération des Touareg Aouélimiden est très importante.
L'autorité de son aménokal, Madidou, s'étend du Mossi à l'Aïr et du massif
Hoggar jusqu'à Sokoto. Le lieutenant de vaisseau Hourst, au cours de sa des-
cente du Nigei', avait engagé des relations avec Madidou et jeté les bases
d'une entente* Madidou acœptait de recevoir nos commerçauts et promettait
de se rendre dans nos postes du Soudan. Chargé de mettie à profit ces bonnes
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NOUVELLES GÉOGRAPfflQUES Et COLONIALES SI
dispositions, M. de Chevigné rencontra, le 13 mai, à Imentabomak, le repré-
sentant de l'améflokal, ce même Djamarata qui avait connu le lieutenant
Hourst, et sifena avec lui la convention suivante :
Art. 1^. — Les Français et les Aouélimiden s'engagent à vivre en bonne
et solide amitié.
Les Aozélimiden s'engagent à ne conclure désormais aucun traité d'alliance
ou de commerce avec d'autres nations que par l'intermédiaire des autorités
françaises.
Art. 2. — Les Français s'engagent à respecter les usages, lés mœiirs et h
religion des Aouélimiden.
Art. 3. — Les Français, seuls, pourront circuler librement en tout temps,
se livrer au commerce ou à leurs études dans le pays dés Aouélimiden et y
seront protégés dans leurs personnes, leurs biens et leurs usages comme
s'ils appartenaient à la tribu, à la condition de ne violer en rien les lois, les
coutumes et la propriété.
De m(^me, les Aouélimiden pourront ciix^uler et commercer sur les terri-
toires soumis à l'action de la France. Ils y seront protégés comme les gens
du pays, à la «condition de ne violer en rien les lois, les coutumes et la
propriété.
Art. 4. — Nos caravanes pourront circuler librement en tout temps chez
les Aouélimiden sans être molestées en quoi que ce soit ni par qui que ce soit.
Les Aouélimiden, leurs vassaux et leurs noirs s'engagent à fournir, contre
rétribution, des guides, des vivres et des moyens de transport à nos caravanes.
Art. 5. — Des conventions postérieures pourront être faites et régleront
les questions qui ne sont pas élucidées dans ce traité, ou que la pratique et
le développement des relations viendraient à soulever.
Art, 6. — Selon l'usage, le présent traité sera soumis â la ratification de
qui de droit.
Fait et signé en double expédition, à Imentabomack, le quatorze mai 1897.
Lieutenant U. de Chevigné, Salah Djamarata.
Mohamed ben Saîd.
Mohamed ould Bisrat.
Le 21 mai, M. de Chevigné rentrait à Tombotictou,
Ce traité a une grande importance, car il assure le libre passage dans
toute la région qui forme le coude du Nifeer enti^ Tombouctou et Say et
permet, par suite, le ravite^Uement par la voie dii fleuve, au moins jusqu'aux
rapides d'Ansongo, de la r^on au nord de Say.
Les Anglais à Bondoukou, — Le gouverneur de la colonie anglaise de la
Côte d'Or, sir William Maxwell, qui vient de mourir, avait entrepris, l'été
dernier, un voyage sur les confins des territoires de la Côte d'Ivoire et de
Samory, afin de surveiller les mouvements de ce dernier ainsi que ceux des
Français. L'éxpéditioii pénétra par deux fois dans Bondoukou qui était
inoccupé, et y séjourna pendant 3 semaines. Après avoir parcouru la région
sans rencontrer de Français, sir Maxwell quitta Bondoukou à la fin d'octobre
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-.-F
52 REVUE FRANÇAISE
après y avoir laissé une garnison de 400 hommes environ sous les ordres du
capitaine Montgomery Campbell. Une protestation ayant été adressée contre
Foccupation de Bondoukou, qui, à la suite des travaux de délimitation de
la commission franco-anglaise que dirigeait le capitaine Binger, avait été
reconnue partie intégrante de la colonie française de la Côte d'Ivoire, les
Anglais ont évacué cette ville qui a été occupée par Tadministrateur Clozel
avec une troupe de miliciens. Il est difficile d'expliquer cette incursion des
Anglais à Bondoukou, ce point Ogurant sans conteste sur les cartes anglaises
comme situé en territoire français.
Les Anglais à Bouna. — Une dépêche adressée de Kintampo, dans l'hin-
terland de la. Côte d'Or anglaise, annonce que le major Jenkinson a occupé,
le 17 novembre, sans résistance, la ville de Bouna, où le capitaine Braulot a
été massacré.
Bouna est située entre le 40*^ et le 50* méridien, presque exactement sur
le 8® parallèle nord, à plus de 50 kilomètixîs dans Test de la frontièi*e, entre
la Côte d*Or et notre Cote d'Ivoire, en plein dans les limites assignées à
celles-ci par une commission de délimitation franco-anglaise. Les cartes an-
glaises et françaises sont parfaitement d'accord sur ce point. Les Anglais,
dit à ce propos le Tempsy ont renouvelé la tentative qu'ils avaient précédem-
ment faite sur Bondoukou, autre point de la Côte d'Ivoire, qu'ils durent
évacuer quand on leur eut fait observer qu'ils s'installaient sans aucun droit
chez nous. Leur coup sur Bouna aura certainement les mêmes résultats, car
rien ne permet de contester nos droits.
Dahomey : Nos forces dans l'Hinterland. — D'après un arrêté inséré au
journal officiel du Dahomey le 15 nov. 1897, le commandant d'infanterie de
marine Ricour a été nommé provisoirement et sauf ratification commandant
supérieur du haut Dahomey. Cet officier supérieur aura sous ses ordres
directs les résidents du moyen Niger, du Borgou, du Gourma, et du Djougou-
Kouandé et comme troupes, la 7^ compagnie de tirailleurs sénégalais (capi-
taine Chartrain), la 8® compagnie (capitaine Garnier), la 1^ compagnie de
tirailleurs auxiliaires sénégalais (capitaine Dumoulin), la 1« compagnie de
tirailleurs auxiliaires haoussas (capitaine Duhalde), la ^^ compagnie de
gardes indigènes du Dahomey (inspecteur Pan nier) et la 3« compagnie (ins-
pecteur de Bournazel), soit en tout 6 compagnies représentant moins d'un
millier d'hommes. On voit combien ces effectifs sont peu de chose en com-
paraison des 3 à 4.000 indigènes réguliers que les Anglais ont rassemblé au
Lagos et au Niger.
Traités ratifiés. — Le Bulletin officiel du ministère des colonies pour le
mois d'octobre dernier contient la ratification, par le président de la Répu-
blique, des traités signés avec le chef du Gourounsi (Soudan), le 19 sep-
tembre 1896 par le lieutenant Voulet; avec le chef de Aseydou-Belelé (au
sud du Gourounsi), le 20 mars 1897, par le lieutenant Chanoine; avec les
chefs de Pabégou, Birni, Niéro, Kouandé, pays au nord du Dahomey, pen-
dant les mois de février et mars 1897, par M. Portes, administrateur colo-
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 53
niai, et M. Molex, inspecteur de la garde civile indigène ; avec le chef de
Baniguara, au nord du Dahomey, le 20 mai 1897, par M. Molex; avec les
chefs de Guilmaro, Lamboanti, Namsougou, Kodja, pays au nord du Daho-
mey, pendant le mois de mai 1897, par le capitaine Garnier.
Oubangui : La mission Marchand (t. XXII, p. 689). — Dans les premiers
jours de décembre une dépêche de source belge annonçait que la mission
Marchand avait été massacrée. Des avis ultérieurs de même source précisaient
la nouvelle en disant que 2 officiers seulement avaient échappé et parmi eux
le capitaine Marchand. En France, au ministère des colonies, on ne savait
rien. Le gouverneur du Congo, interrogé, répondit que rien ne permettait
de considérer la nouvelle comme exacte. Le Mouvement géographique qui
Pavait lancée ne put que s'en référer à une dépêche privée qui n'indiquait
ni le lieu, ni la date du désastre. Depuis bientôt un mois rien de nouveau
n'est connu. Mais on a appris que la rumeur lancée par un télégramme de
Bruxelles était connue au Congo depuis le milieu d'octobre et on a même
publié une lettre de M. de Béhagle, de la même date, sofFrant avec les
150 fusils de sa mission, en cas de désastre. On se demande alors comment
pareille dépêche a pu être lancée comme nouvelle alors qu*il s'agissait d'un
bruit connu depuis plus de G semaines.
Un incident dans la marche de la colonne s'était produit le 7 mai : 7 tirail-
leurs et 13 pagayeurs restés en arrière avaient été tués et mangés par les
indigènes. C'est peut-être cet événement qui a donné lieu aux bruits sinistres
qui ont été répandus.
Une des dernières lettres reçues du capitaine Marchand est du 17 juin 4897.
Dans cette lettre il annonce son arrivée à Semio le même jour ayant amené
avec lui ses 2.200 charges. Une partie était déjà partie en avant avec le pre-
mier détachement, arrivé à Tamboura, dans le bassin du Nil. Du côté du
nord Dem Ziber avait été occupé le l^f juin par M. Liolard qui préparaît
depuis 18 mois sa marche en avant et qui a pu réaliser son projet grj\ce aux
3.000 charges qui lui ont été amenées par le capitaine Marchand, en plus de
celles de ce dernier. Le capitaine Marchand espérait voir flotter le drapeau
tricolore sur Djour Gattas dans le milieu de juillet et sur Meschra el Heck
un mois plus tard.
Airique australe anglaise : Télégraphe. — La ligne télégraphique
qui part du Cap et que les Anglais espèrent prolonger jusqu'au Caire, avait
atteint l'extrémité méridionale du lac Nyassa le 20 juillet 1897. Depuis lors
les travaux se poursuivent activement. On vient de tracer et de préparer le
tronçon entre le sud du Nyassa, dernière station actuelle et la rive sud du
Tanganika, en longeant le Nyassa. Les ingénieurs pensent pouvoir inaugurer
cette nouvelle section en avril 1898 et commencer celle qui doit aboutir au
Nyanza (lac Albert-Edouard) au sujet duquel des pourparlers spnt entamés
avec rÉtat limitrophe du Congo. On espère ainsi réunir bientôt le Cap à l'Ou-
ganda, par le télégraphe. On voit que les Anglais, qui sont tenaces dans leurs
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H REVUE FRANÇAISE
projets n'ont pas abuidoimé l'idée de créer une ligne télégraphique anglaise
sur le territoire de l'État du Congo.
Madagascar : Situation» — Sauf dans la région sakalave de l'ouest, la
situation reste satisfoisante. A la suite de la prise du rocher presque inac-
cessible d'Ikongo, sur lequel étaient retranchées les tribus rebelles des
Tanalas, le calme a reparu dans la région. Au Qord, le l*-colonel ^yautey a
organisé la liaison entre les régions paciflée§ du plateau central et celles de
Majunga.
Les travaux de la route de T^j^arive ù. la côte est avancent de plus en
plus; les voitures circulent sur un parcours d'environ 150 kilomètres.
Le dernier chef rebelle du Bouéni, Rainitavy, a fait sa soumission le 23 no-
vembre. La prise de sa résidence, Mosokoamena, coûta la vie au lieutenant
Berge. Pour l'en déloger il fallut quelques centaines d'hommes et plusieurs
jours de lutte, mais Rainitavy réussit à s'enfuir.
Au sud, les communications sont ouvertes entre Fianarantsoa et Fort-Dau-
phin.
— l^e commandant du génie Roques est arrivé à Marseille le 23 décembre
apportant une étude complète sur le^ projets de chemin de fer et de roule
de Tananarive à la côte orientale et d'amélioration du port de Tamalave.
— Par décision du 7 décembre, le c€^itaine de vaisseau Huguet a été
nommé au commandement de la division navale de l'Océan Indien, où il
succède au capitaine de vaisseau Le Dô.
Route de Majunga, — On a été fort surpris, à Tananarive, de voir arriver
le 10 novembre, sur la place Jean-Laborde, un convoi de 25 voitures Lefèvre
chargées; c'est, en effet, la première fois que des voitures parties de la côte
parviennent [à Tananarive. Ces véhicules, traînés par des mulets, ont
effectué en 4 jours le trajet d'Ankazobé à la capitale par la nouvelle route.
Amenés de Majunga à Suberbieville par des chalands, ils ont mis 8 jours
pour aller de Suberbieville à Andriba et 6 d'Andriba è Ankazobé, soit
18 jours de Suberbieville à Tananarive. 100 de ces voitures ont déjà atteint
Andriba et 50 sont à Ankazobé. Cet événement démontre la viabilité de la
nouvelle route de Majunga. C'est grâce au l*-colonel Lyautey que ce résultat
a été obtenu; avec des crédits insignifiants et quelques mois de travail, il a
prouvé que le ravitaillement de Tananarive était autrement facile par la
côte ouest que par Tamatave.
La pénétration au Ménabé. — A l'ouest du plateau central se trouve une
vaste contrée connue sous le nom de Betsiriry, qui présente des richesses
aurifères et agricoles considérables. I^ partie la plus riche est comprise
entre 2 rivières, le Mahajilo et la Mania qui, en se réunissant, forment la
Tsiribihina. Tout le cours atteint à peine une longueur de 110 kilomètres
jusqu'à la mer. Ensuite commence le Ménabé.
C'est par le Betsiriry que la pénétration a commencé. Les Sakalaves de la
région ayant repoussé nos ouvertures et refusé de libérer leurs esclaves,
furent battus le 14 août et firent leur soumission. Nos troupes se portèrent
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 55
ensuite dans le Ménabé. Ce pays était placé sous Tautorité de deux rois qui,
quoique firères, étaient en lutte continuelle. L'un d'eux, Inguereza, nous fit un
accueil conciliant. L autre, Toéra. se montra nettement hostile. Le 30 août,
il fut tué après un combat assez vif à Ambiki, sa capitale, qui tombait entre
nos mains. Le Ménabé fut alors organisé et des postes furent établis sur les
points les plus importants.
Le commandant Gérard, chef de la colonne d'occupation, quitta ens^ite Je
Ménabé pour aller organiser, dans le sud, la région de Mahabo, à l'est de
Monrondava, puis il se rendit par mer à Benjavilo, à l'embouchure du
Manambolo, et y organisa un nouveau district. C'est alors que se produisit
la révolte des Sakalaves du commencement d'octobre.
Le chef, Inguereza, obéissant aux instigations des marchands arabes de
rinde, établis sur le littoral, fomenta une révolte générale des Sakalaves
de la région. Presque tous les postes du Ménabé furent attaqués en même
temps. Mais, sur les 25 établis dans la contrée, un seul, qui ne compre-
nait qu'un faible détachement, le poste d'Ankalalobé, tomba aux mains des
Sakalaves. Partout ailleurs, les révoltés furent repoussés. Le l' Chambaud,
resté seul avec quelques hommes à Ankalalobé, a été tué ainsi que plusieurs
de ses tirailleurs. Ambiky, où commandait le capitaine Mazillier, a repoussé
toutes les attaques. Mais le 1^ Turquois a été mortellement frappé (5 oct.).
Ces incidents démontrent combien il faut se méfier des Sakalaves dont la
fourberie et l'amour du pillage ne sont que trop connus. Le l*-colonel Sep-
tans, récemment arrivé à Majunga, a été envoyé avec une colonne chaînée
de réduire les insurgés.
Écoles françaises. — Si dans plus d'une colonie française les écoles sont
rares et les élèves peu nombreux, il n'en est pas de même à Madagascar,
Dans sa récente tournée à l'ouest de Tananarive et au Betsiléo, le général
Gallieni a pu constater le développement que prend l'enseignement de la
langue française, grâce aux nombreuses écoles dirigées par les nc^issionnaires
français. Quelques chiffres vont le démontrer.
A Ambositra, dans son unique école, le Père Fabre ne réunit pas moins
de 800 élèves, garçons et filles. Le P. Fabre, qui est à Madagascar depuis
24 ans, dirige, à lui seul Européen, toutes les écoles catholiques du district,
c'est-à-dire 50 écoles ne comptant pas moins de 18.000 élèves. A Ambohi-
masoa, le P. Fontainier dirige l'instruction de 700 enfants et de près de
45.000 dans tout le district. A Fianarantsoa, où se trouvent des écoles de
Frères et de Sœurs, les résultats obtenus sont remarquables. A Soavinan-
driana, l'école catholique est dirigée par un instituteur malgache qui a com-
battu les Sakalaves dans nos rangs. A Arivonimemo, le P. Gardes, qui n'a
pas fondé moins de 96 écoles, fait construire une école normale. Enfin, à
Tananarive, les Frères des écoles chrétiennes viennent d'ouvrir 5 nouvelles
écoles. Grâce à l'arrivée de 15 nouveaux Frères, le nombre des élèves des
écoles françaises de la capitale pourra être considérablement augmenté.
Partout — c'est le Journal Officiel de Madagascar qui le déclare — le général
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56 REVUE FRANÇAISE
Gallieni s*est montré satisfait des résultats obtenus par nos missionnaires.
Les Malgaches ^ hormis les Sakalaves — sont, on le sait, généralement
studieux et désireux d'apprendre. En multipliant les écoles françaises, on
créera parmi eux une jeune génération sympathique et même dévouée à la
France.
Tremblements de terre. — Le mois de novembre a été marqué par de nom-
breuses secousses de tremblements de terre, qui se sont produites dans
diverses r^ons de Tile. A Tananarive, elles se aont fait sentir avec une
intensité marquée et ont occasionné quelques dégâts. Dans la région volca-
nique du lac Itasy, les commotions ont été si violentes que les indigènes ont
quitté précipitamment leurs cases au milieu de la nuit et sont resti^ dehors
jusqu'au jour. Le Temps donne, à ce propos, les curieuses explications que
fournissent les indigènes sur ces phénomènes souterrains. Pour certains, ils
proviennent de ce qu'une baleine se retourne brusquement sur le dos dans
la mer. D'autres attribuent ces secousses au frétillement puissant et joyeux
d'une béte gigantesque vivant sous terre et qui, privée d'eau pendant les
7 mois de la saison sèche, témoigne, en se trémoussant, de sa vive satislac-
tion de la chute des premières pluies, grâce auxquelles il lui est enfin pos-
sible de boire et de se laver.
Eiythrée : Rétrocession de Kassala, — Les négociatiohs entamées entre
l'Italie et l'Angleterre au sujet de la rétrocession à l'Egypte du territoire de
Kassala ont abouti à un arrangement qui a été mis à exécution. Le colonel
Parsons, gouverneur anglais de Souakim, a débarqué à Massouah avec un
corps de troupes, et s'est dirigé vers Kassala en traversant l'Erythrée. 1^
25 décembre, Kassala a été remis aux Anglo-Egyptiens. 450 Ascaris régu-
liers et 150 appartenant à diverses bandes ont passé au service des Anglo-
Egyptiens, Les officiers italiens ainsi que les troupes indigènes restées au
service de l'Italie ont pris la route de Reren et du littoral. Une indemnité
sera payée à l'Italie pour la valeur des armes et des approvisionnements qui
resteront dans la place.
La ville de Kassala, qui était autrefois le centre d'un commerce important
entre le Nil et la mer Rouge, appartenait à l'Egypte jusqu'au moment où la
révolte du Soudan la fit tomber au pouvoir du mahdi. Elle avait été prise
par le général Baratieri en 1894 et les Italiens l'occupaient depuis cette
époque.
ASIE ET DIVERS
Chine : Les Allemands à Kiao-Tchéou (XXII, p. 743). — On annonce que
le gouvernement chinois, dans l'espoir de hâter l'évacuation de la baie de
Kiao-Tchéou, aurait accepté sans conditions et avec une promptitude Incon-
nue à la cour de Pékin, les demandes du gouvernenrient allemand, à savoir :
compensation pour les familles des missionnaires assassinés au Chan-Toung ;
érection d'une église commémorative à Tsi-Ning-Tchéou sur le grand canal
et d'une tablette impériale à Kuye; dégradation du gouverneur Li-Ping-
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 57
Hing, qui allait devenir vice-roi du Sé-Tchouen; paiement des dépenses
nécessitées par Toccupation de Kiao-Tchéou; privilèges de mines et de che-
mins de fer, non seulement au Chan-Toung, mais ailleurs, et pareils à ceux
énoncés dans le premier paragraphe de l'article 5 de la convention française
da mois de juin 1895.
Mais le gouvernement allemand n'entend pas abandonner ainsi la station
navale qu'il vient d'occuper et dont le massacre des missionnaires lui a
fourni le prétexte. Aussi a-t-il résolu de maintenir, jusqu'à nouvel ordre,
l'occupation de Kiao-Tchéou. Bien plus, il a fait partir, malgré la soumis-
sion de la Chine, les renforts en bâtiments et en hommes qu'il préparait.
Ces renforts comprennent une 2® division navale placée sous les ordres du
prince Henri de Prusse et 600 hommes d'infanterie de marine. Le 16 décembre,
en présence de Guillaume II, qui a donné à ce départ une pompe théâtrale,
le prince Henri a quitté Kiel avec le vieux cuirassé Deuischland, de 7.676
tonnes, 8.000 chevaux et 14 nœuds, que suivait le croiseur Gefion. Lorsque
le prince Henri aura rejoint à JKiao-Tchéou la division navale de l'amiral
Diederichs, les forces navales qui seront réunies en Extrême-Orient, vers la
fin de janvier, seront ainsi composées : 3 navires de 1® classe : Kaiser,
Deutschland, Kœnig-Wilhelm ; 3 croiseurs de 2® classe : Kaiserin-Augusta,
Prinz-Wilhelrriy Irène; 2 croiseurs de 3^ classe : Gefion^ Arcona; 2 croiseurs
de 4*^ classe : Cormoran, Geier. Ces dix navires ont 4.010 hommes d'équipage
et de troupes et 134 canons de gros calibre. ,
Dans cette même province de Chan-Toi\ng, où est situé Kiao-Tchéoii, se
trouvent aussi les ports de Tchéfou et de Weï-IIaï-Weï que détiennent tou-
jours les Japonais en garantie de l'indemnité de 16 millions de livres sterling
que doivent leur payer les Chinois.
Les Russes à Port-Arthur. — Les Allemands avaient à peine pris possession
de Kiao-Tchéou que les Russes craignant une manifestation du même genre
d'une autre puissance sur les cotes de la Chine, envoyaient leur flotte prendre
ses quartiers d'hiver à Port-Arthur, mais avec cette différence que cet acte
s'accomplissait d'accord avec le gouvernement de Pékin. Il est probable
que cet hivernage prendra les caractères d'une occupation provisoire qui, elle-
même, se changera sans doute en occupation permanente. Il n'y a là, du reste,
rien qui doive étonner, Port-Arthur se trouvant compris dans la sphère des
intérêts russes et un traité secret autorisant, dit-on, les Russes à agir comme
ils l'ont fait. On connaît l'importance de la position de Pori-Arthur (1) qui
domine complètement du côté nord l'entrée du golfe de Petchili.
Les événements de Kiao-Tchéou et de Port-Arthur ont causé une vive
émotion dans les cercles officiels de l'Angleterre et du Japon. Les flottes de
ces deux pays sont en mouvement dans les mers de Chine et l'on croit
qu'elles cherchent une « compensation » à prendre à l'embouchure du Yang-
Tsé et sur les côtes de la Corée.
(1) Voir la description de Port-Artliur, Rev. Fr, 1894, t. XiX, p. IbS.
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58 REVUE FRANÇAISE
Le port de Marseille. — Le mouyement général du port de Marseille
en 1896 a été, d'après la chambre de commerce, de 16.290 navires jaugeant
10.518.261 tonneaux, dont 11.782 navires français avec 6.108.782 tonneaux
et 4.508 navires étrangers avec 4:439.475 tonneaux. Le^ navires à voiles sont
au nombre de 5.042 (766.142 tonneaux) et les navires à vapeur de 11.248
(9.782.119 tonneaux). Relativement à 1895, il y a une augmentation totale
de 332 navires et de 848.370 tonnes, mais cette augmentation a profité pour
45 0/0 à la marine étrangère. La proportion du pavillon français dans le
mouvement du port de Marseille, qui était de 59 0/0 en 1895, tombe à
58,50 0/0 en 1896. '
Un fait important pour les intérêts du port de Marseille est rétablissement
dans cette ville, à dater du i^ février 189Ô, delà tête de ligne de la PeniU'
sular and Oriental Company, qui renonce à Brindisi comme point de départ.
Désormais les passagers pour l'Extrême-Orient de cette grande ligne s'em-
barqueront à Marseille ; seule la malle des Indes continuera à suivre la voie
de Brindisi. Cet événement ne pourra qu'augmenter le mouvement du port
de Marseille, mais il aura aussi pour conséquence de prendre une partie du
trafic revenant aux navires français et de diminuer encore la proportion du
pavillon français dans notre grand port méditerranéen.
Grôce-Torquie : Traité de paix, — Après 4 mois de négociations pré-
paratoires, il a fallu encore 2 mois 1/2 de négociations pour arriver à signer
la paix. La guerre n'avait duré qu'un mois. Voici le texte du traité :
Traité de paix.
Article premier. — Identique à l'article premier du traité de paix préliminaire,
contient une description détaillée de la nouvelle frontière.
Art. 2. — La Grèce payera à la Turquie une indemnité de guerre de livres turques
quatre millions, conformément aux conditions prévues à l'article 2 des préliminaires
de paix.
Art. 3. — L'évacuation de la Thessalie sWectuera suivant les conditions posées
dans l'article 4 des préliminaires de paix ; elle aura lieu dans le délai d'un mois à
partir du moment où les puissances auront reconnu comme remplies les conditions
prévues aux deux derniers alinéas de l'article 2 des préliminaires de paix et où l'é-
poque de la publication de l'emprunt pour l'indemnité de guerre aura été établie par
la commission internationale, en conformité ave<; les dispositions de l'arrangement
financier mentionné dans cet article.
Le mode d'évacuation et de remise aux autorités helléniques des localités évacuées
sera déterminé par les délégués des deux parties intéressées avec le concours des dé-
légués des grandes puissances.
Art. 4. — Les prisonniers de guerre seront rendus de part et d'autre immédiatement
après la ratification du présent traité.
Art. 5. — Une amnistie pleine et entière est accordée de part et d'autre à toutes
les personnes qui ont été compromises dans les événements qui ont précédé ou suivi
la déclaration de guerre.
Art. 6. — Les sujets de chacun des deux États, dont la situation est régulière de-
vant la loi, pourront séjourner et circuler librement, comme par le passé, sur le ter-
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 59
ritoire de Tautre, chacune des deux autres parties contractantes se réser\^nt la faculté
de refuser Faocès de son territoire à ceux des sujets de l'autre partie qui auraient
subi des condamnations judiciaires d'ordre pénal ou qui auraient été Tobjet d'un
arrêté d'expulsion à raison de leurs antécédents et méfaits de droit commun.
Avis préalable en sera donné aux légations respectives.
Art. 7. — Les musulmans habitants ou originaires de Thessalie qui, en vertu de
Tartide 13 de la convention du 24 mai 1881, avaient acquis ou non la nationalité hel-
lénique, seront libres d'émigrer ou de fixer^leur nationalité en Turquie. Ceux qui ont
acquis la nationalité hellénique auront, en vertu d'une déclaration préalable à faire à
l'autorité compétente dans un délai de trois ans, à partir de l'échange des ratifications
du présent acte, la faculté d'opter pour la nationalité ottomane. Tous ces émigrés
continueront à jouir pleinement ht sans aucune entrave, conformément à ladite con-
vention, de leurs propriété immobilières sises en Grèce et à les administrer.
Les mêmes avantages seront accordés par réciprocité aux habitants ainsi qu'aux
individus originaires des territoires rétrocédés à la Turquie par suite de la nouvelle
rectification de la frontière, ou bien actuellement domiciliés dans ces localités.
Ces mêmes habitants ou bien originaires des territoires rétrocédés à la Turquie
ainsi que les représentants des institutions ou communes sises dans ces localités qui
auraient des propriétés immobilières en Thessalie seront libres de passer la frontière
pour les cultiver, comme par le passé, sans qu'aucune entrave puisse leur être sus-
citée de ce chef.
Des avantages identiques sont accordés tant aux habitants du originaires de Thes-
salie qu'aux représentants des institutions ou communes s'y trouvant, qui posséde-
raient des propriétés immobilières dans les territoires rétrocédés à l'empire ottoman.
Art. 8. — En exécution de l'article 4 des préliminaires de paix, la Grèce payera à
la Turquie, pour l'indemnisation des particuliers en raison des pertes causées par les
forces grecques, la somme de 100.000 livres turques.
Le payement de cette somme sera effectué en même temps que l'indemnité de
guerre.
Art. 9. — Sans toucher au principe des immunités et privilèges dont les Hellènes
jouissaient avant la guerre sur le même pied que les nationaux des autres États, des
arrangements spéciaux seront conclus entre la Grèce et la Turquie en vue de prévenir
l'abus des immunités consulaires, d'empêcher les entraves an cours régulier de la
justice, d'asanrer l'exécution des sentences rendues et de sauvegarder les intérêts des
sujets ottomans et étrangers dans leurs différends avec les sujets hellènes, y compris
les cas de faillite.
Jusqu'à la conclusion et à la mise en vigueur de la convention prévue par l'article 5
(paragraphe B) des préliminaires de paix, les consuls hellènes en Turquie et les con-
suls ottomans en Grèce exerceront leurs fonctions administratives sur les mêmes
bases qu^avant la guerre.
Quant aux affaires judiciaires entre sujets hellènes et sujets ottomans, celles qui on
été portées par devant les tribunaux à une date antérieure à la déclaration de guerre
continueront à être traitées en Turquie conformément au régime en vigueur avant la
guerre; les affaires qui auront surgi postérieurement à la déclaration de guerre seront
traitées conformément aux principes du droit européen, sur la hase de la convention
turco-serbe du 26 février/9 mars 1896.
Art. 10. — Les stipulations de la convention du 24 mai 1881 pour la cession de la
Thessalie à la Grèce sont maintenues, sauf celles qui sont modifiées par 1c présent
acte.
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60 REVUE FRANÇAISE
La Sublime-Porte se réserve de saisir de ses propositions pour le règlement des
questions découlant de ladite convention les puissances qui en sont signataires et doat
les décisions doivent être, acceptées par la Grèce.
Art. 11. — Les deux hautes parties contractantes conviennent de conclure, dans un
délai de trois mois, à partir de la ratification du présent traité, les arrangements
suivants :
a) Une convention réglant les questions de nationalités contestées sur les bases du
projet négocié en 1876, entre la Grèce et la Turquie;
6j Une convention consulaire dans les conditions prévues au premier paragraphe
de Tarticle 9 (article 3 des préliminaires de paix);
c/ Un traité d'extradition pour la remise réciproque des criminels de droit com-
mun; et
d) Une convention pour la répression du brigandage sur les frontières communes.
Les deux parties se réservent de conclure ultérieurement un traité de commerce
et de navigation.
En attendant la conclusion de ce dernier traité, la liberté de commerce et de navi-
gation est rétablie d'une manière réciproque.
Art. 12. — Les relations postales entre la Grèce et Tempire ottoman, qui avaient
été interrompues depuis quelques années, seront rétablies conformément aux accords
généraux qui règlent la matière aussitôt que les administrations postales des deux
pays auront conclu une convention spéciale à ce sujet.
En attendant, les deux administrations pourront échanger directement, dans les
localités qu*elles désigneront comme siège d'échange, leurs valises et colis dûment
scellés et expédiés par voie de terre ou de mer à destination des deux pays ou pour
le transit.
Art. 13. — Les administrations des télégraphes des deux pays devront prendre
les mesures nécessaires pour rétablir les communications entre leurs réseaux respec-
tifs et pour entretenir convenablement leurs lignes télégraphiques de manière à im-
primer un cours ininterrompu et rapide aux échanges des dépêches.
Art. 14. — En vue d'assurer le maintien des rapports de bon voisinage entre les
deux États, les gouvernements de la Grèce et de la Turquie s'engagent à ne pas tolé-
rer sur leur territoire des agissements de nature à troubler la sécurité et Tondre dans
l'État voisin.
Art. 15. — En cas de divergences dans le cours des négociations entre la Grèce et
la Turquie, les points contestés pourront être soumis, par l'une ou l'autre des parties
intéressées, à l'arbitrage des représentants des grandes puissances à Constantinople,
dont les décisions seront obligatoires pour les deux gouvernements.
Cet arbitrage pourra s'exercer collectivement ou par désignation spéciale des inté-
ressés et soit directement, soit par l'entremise de délégués spéciaux.
En cas de partage égal des voix, les arbitres choisiront un surarbitre.
Art. 16. — Les ratitications du présent traité définitif de paix par Sa Majesté le
roi des Hellènes et par Sa Majesté impériale le Sultan seront échangées à Constan-
tinople dans le délai de quinze jours à partir d'aujourd'hui, si faire se peut.
En foi de quoi les plénipotentiaires respectifs l'ont signé et y ont apposé le sceau
de leurs armes.
Fait en double à Gonstantinople, le 22 novembre/4 décembre 1897.
L. S. Mavrocordatos, L. S. Tevfik,
L. S. Stephanos, L. S. Hassan Fehmy.
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^^
BIBLIOGR-A.PHIE
La librairie Hachette, dont les beaux ouvrages sont si apprécies, publie
sous le titre de Un Parisien à Madagascar, par Etienne Grosclaude (magni-
fique volume, illustré de plus de iOO gravures, br., 10 francs, relié, V* francs)
les notes et impressions du plus amusant de nos chroniqueurs parii>ieTis. Se
trouvant à Madagascar, il fut en effet chargé, avec quelques compactions, de
la mission quasi-officielle de « prendre contact avec les populations Sakakves
du Mohajilo et du Manambolo! C'est dans cette région, le Ménabé, <|iit' \mii
d'éclater une révolte des Sakalaves.
Après avoir été Tun des héros de l'expédition, M. Grosclaude s'en e^l fait
le narrateur, ou plutôt il nous communique le « carnet de route » qu'il rédi-
geait là-bas au jour le jour. Rien n'est piquant comme le contraste de ces
expériences plutôt redoutables et de ce style « bon enfant », émaillé de plai-
santeries et de citations impréMies dont l'effet est irrésistible.
Voulez-vous donner à nos jeunes Français une « leçon de choses » intéres-
sante et peu banale; voulez- vous leur montrer ce que c'est que Tesprit
français dans la vie réelle, dans l'action, dans le danger : faites-leur lire Je
livre de Grosclaude.
L'année 1897 du Tour du Monde (nouvelle série, 3« année), contient kn
voyages du comte de Gœtzen, à travers l'Afrique; du D*" Hocquard, à Mada-
gascar (Journal de l'expédition) ; de MM. Emile Deschamps, à l'île de Chypiiî^
Emile Roux, aux sources de l'irrouaddi ; Rabot, en Norvège et en Suède :
Muntz, en Allemagne: Nuremberg et Anspach; Fournereau, les villes mortes
du Siam; E. Mercié, aux terres de Kerguelen; de M"® Marie-Anne de Bovet^
en Ecosse; de MM. Zacacci, au pays de Don Quichotte; Chimkièvilch, rUez
les Boudâtes de l'Amour; de Longe, à la Sierra Nevada de Californîi!, et est
illustrée de 500 gravures, d'après les meilleurs dessins. Elle contient en outre
416 pages de chroniques hebdomadaires sous le titre : A travers le monde et
conseils aux voyageurs y avec 400 gravures et cartes. Un magnifique volume in-4*
(br., 25 francs, relié, 32 fr. 50).
La maison Hachette publie aussi deux nouveaux ouvrages de sa coUeclian
de voyages illustrés :
Ascensions et ExplorcUions. A sept mille mètres dans l'Himalaya, par str Con-
way, traduit par H. Jacottet. Ce volume renferme le récit du beau voyn^^e
accompli par sir W. Conway dans l'Himalaya du nord-ouest et dans le Kara-
koroum. Là se dressent, au-dessus d'immenses glaciers, les plus étf ritJtJS du
globe en dehors des régions polaires, des sommets qui, comme le pic i Jmhs in-
Austen, sont inférieurs de 200 mètres seulement au Gaurisankar. Sii'\V,-M.
Conway a réussi à s'élever au pic des Pionniers, à un peu plus de iMfO mè-
tres, détenant ainsi le « record de l'altitude » jusqu'à l'ascension de l'Acon-
cagua. Le récit de sa pénible escalade et de ses longues marches à tnivctb les
glaciers est d'un vif intérêt pour les personnes, toujours plus nombreuï^es à
notre époque, que passionnent l'alpinisme et les difficultés de la moniagne*
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6â REVUE FRANÇAISE
Au pays d^AphrodiUy voyage à l'île de Chypre dans lequel M. Emile Des-
champs nous fait visiter Larnaka, Famagouste, Nicosie, nous décrit les
ruines grandioses qu'a laissées l'architecture des Croisés et nous montre l'état
actuel de File sous le régime anglais, établi il y a dix-neuf ans. Les itinéraires
de M. Deschamps embrassent l'Ile entière, et il n'en a négligé aucun recoin.
Il a étudié les habitants avec une attention minutieuse, et il a rapporté
beaucoup de détails caractéristiques sur leur* vie privée et publique, leurs
coutumes, leurs fêtes, leurs croyances et leurs superstitions. On peut donc
dire que ce petit volume donne, en môme temps qu'un résumé de l'histoire
de l'île, révélée par ses monuments et ses ruines, un tableau complet de la
Chypre d'aujourd'hui.
Le plus populaire, le plus répandu des almanachs, VAlmanack Hachette
vient de paraître. Que nous apporte-t-il pour* 1898? D'abord les probabilités
du temps, 200 nouvelles recettes de cuisine, le tableau des monnaies, poids
et mesures, etc., et ce merveilleux agenda qu'on peut détacher du volume.
11 publie aussi 200 articles nouveaux, illustrés de 1.452 figures et 10 cartes.
Parmi ces articles citons : l'histoire de l'année, les cyclones, l'habitation hu-
maine, l'histoire de Russie en tableau, les ordres religieux, les voyageurs au
pôle, l'insurrection cubaine, la guerre gréco-turque, la France militaire,
vinicole ; puis l'art de se marier, nos domestiques, la mode, les lots non ré-
clamés, etc. L'almanach donne 65 primes ou bons gratuits remboursant
70 fois son prix; les concours représentent 48.100 francs. Enfin, par l'achat
d'un timbre on est assuré contre tout accident pour une somme de 5.000 francs.
Parmi les principales nouveautés que la librairie Ch. Delagrave ajoute
cette année, comme livres d'étrennes, au vaste catalogue dont on connaît
déjà l'extrême richesse, nous citerons :
Les Pirates de Venise, par L. de Caters, récit historique fort mouvementé
et fort attachant, où nous voyons de grands personnages de l'illustrissime
République aux prises avec ces fameux Uscosques qui ont laissé dans les
annales de l'Adriatique de si pittoresques souvenirs. Des deux parts s'agitent
de vaillants héros, les uns farouches et terribles, les autres d'une haute et
très imposante dignité: ce qui donne lieu à des tableaux d'une saisissante
originalité, auxquels de nombreuses compositions d'Ed. Zier, le très habile
dessinateur, donnent un surcroît de relief et de vie. Br., iO fr.; relié, 13 fr.
Dans r illustration et les Illustrateurs, M. Emile Bayard faitl'histoire détaillée
et anecdotique de l'art d'enjoliver par le dessin et la gi'avure les textes litté-
raires, et nous avons, depuis les origines jusqu'à nos jours, une galerie
complète de toutes les notables personnalités qui se sont distinguées dans
cette brillante carrière, avec une suite de spécimens originaux de nature à
bien faire saisir les caractères qui diversifient le talent et l'esprit de chacun
de ces artistes. Br., 5 fr. ; relié, 6 fr. 50.
Russes et Français, par F. Bournand, avec un grand nombre d'illustrations,
« A différentes reprises, aux siècles passés, dit l'auteur de ce livrer les Russes
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filBLIOGRAPHIE A3
et les Français se sont trouvés en rapport et alliés môme plusieurs fois. C'est
rhistoire anecdotique de ces rapports que nous avons voulu faire. Nous avons
étudié la Russie à ses premiers débuts sur la scène du monde, depuis le
onzième siècle jusqu'à nos jours, depuis le mariage d'une princesse russe
avec un Français, jusqu'au voyage du tsar Nicolas II et de la tsarine en
France et aux événements de 1897. » Br., 3 fr. 90, relié, 6 fr. 25.
De Marseille à Tamatave, par L. Brunet. L'auteur, en sa qualité de député
d'une des îles françaises qui avoisinent Madagascar, était mieux que personne
désigné pour faire sous la forme d'un simple voyage, l'histoire et la descrip-
tion du pays qu'il s'agit d'assimiler le plus possible à la métropole, pour le
plus grand profit de la civilisation et pour les bénéfices moraux et matériels
qui peuvent en revenir à tous. Très amplement illustré par un ensemble de
gravures dont beaucoup ont un caractère documentaire, l'étude de M. Brunet
est évidemment ce qui a été fait de plus complet et de plus authentique sur
ce sujet. Br. 2 fr. 30, relié, 3 fr. 90.
Parmi les autres ouvrages illustrés de la maison Delagrave citons, à l'usage
des enfants : S^-Nicolas, le charmant périodique illustré qui renferme de si
attachants récits et contient toujours, ce qui augmente son succès, « la boîte
aux lettres », et annonce des concours de toutes sortes, avec prix. Un an, 18 fr.
Le filleul de MuUe, par Pierre du Château, est la touchante histoire d'un
pauvre petit être trouvé abandonné dans la cathédrale de Metz et à qui on
donne pour marraine Mutie^ la grosse cloche. i?tp, du même auteur, met en
relief une légende américaine profondément originale. Le Royaume des roses,
de Fornari, nous porte dans un pays idéal où n'arrivent que des aventures
extraordinaires. Les Voyages de Gulliver, sommairement racontés aux enfants
par tante Nicole, forment un album dont les fantaisies sont vivement appré-
ciées.
Rappelons enfin une belle i^uh\\caX\on,\àBibliothèque des arts de r ameublement,
par H. Bavard, en 12 petits volumes de luxe reliés (2 fr, 50 le vol.), véritable
encyclopédie contenant la monographie de chacune des professions relatives
à l'ameublement : ébénisterie, orfèvrerie, verrerie, décoration, styles, etc.
La librairie Hbtzel, toujours si appréciée de la jeunesse, continue par le
Sphinx des glaces (br. 9 fr., cart. 12 fr.) la collection des voyages extraordi-
naires de Jules Verne. On ne peut vraiment qu'admirer la fécondité iné-
puisable et la variété d'invention de ce maître qui, après 30 années de colla-
boration ininterrompue trouve moyen de rendre le 4o« volume de sa collection
aussi intéressant que les précédents. Le pôle est toujours un objet de vive
attention pour les explorateurs et même pour les héros que Jules Verne
lance en avant dans les glaces où ils subissent de telles mésaventures qu'il
faut aller à la recherche des survivants de cette expédition antarctique.
A côté de Jules Verne, André Laurie tient la première place avec Gérard et
Colette, les chercheurs d'or de l'Afrique australe (br. 7 fr., cart. 10 fr.). Là
encore, l'attention est portée sur cette région des mines d'or ou les villes
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r
64
REVUE FRANÇAISE
1*5
semblent sortir de terre avec tous les progrès des sciences modernes, au
milieu de pays déserts ou habités par des peuplades de nègres tantôt féroces
tantôt bons enfants. C'est une véritable étude de mœurs à la fois instructive
et morale. L*attrait de ces deux ouvrages est encore rehaussé par une illus-
tration abondante et soignée.
La librairie Flammarion publie un album des plus curieux et des plus
intéressants : Les grandes journées réwlutionnaires, 4830-4848, par Armand
Dayot. C'est un aperçu très vivant des événements qui marquèrent cette
période si agitée de notre histoire. Le résumé succinct qu'en fait l'auteur
rappelle les causes qui motivèrent les deux révolutions. Mais si le texte a son
intérêt, les gravures ont plus d'attrait encore. Grâce à leur nombre considé-
rable, à leur variété, on peut suivre, à leur seule vue, la marche des événe-
ments, scènes parlementaires, manifestations, soulèvements révolutionnai-
res, etc., depuis les barricades de juillet jusqu'à l'avènement du prince
Louis -Napoléon et au rétablissement de l'ordre dans la rue et dans les esprits.
1 vol. in-4« oblong, br. 10 fr., relié 15 fr.
Les héros de la marine française, par G. Conlesse, que publie la maison
FiRMiN-DiDOT, est un bel et bon ou\Tage où défilent toutes les gloires de notre
marine depuis Richelieu, Duquesne et Tourville, jusqu'au commandant Ri-
vière et Courbet, sans oublier de plus modestes marins dont les exploits
méritent d'être popularisés. L'auteur a eu le bon esprit de mettre ses récits,
pleins de couleur et de mouvement, à la portée de tous et de les parsemer
d'anecdotes qui en augmentent encore l'intérêt. M. Conlesse, l'auteur de la
Marine d'autrefois, accompagne son livre, édité avec luxe, de belles illustra-
tions en couleurs qui ont pour auteurs MM. Léon Couturier et E. Courboin.
Un fort volume, br. 15 fr., cart. 20 fr.
La carrière du maréchal Suchet, que retrace M. F. Rousseau d'après des
documents inédits, est la mise en lumière d'une des gloires les plus pures
du premier Empire. Longtemps en sous-ordre, Suchet ne parvint à la célébrité
que par les campagnes d'Aragon et de Valence où il conquit son bâton de
maréchal. Chef heureux, il fut aussi un administrateur intègre, habile, cons-
ciencieux, et sut même conquérir l'estime des Espagnols qui avaient cepen-
dant pour la domination française une haine avérée. M. Rousseau s'est
surtout appliqué à faire ressortir ces brillantes qualités du maréchal qui lui
permirent d'assurer à la région nord-est de l'Espagne une tranquillité que
ne connurent jamais les autres provinces occupées par nos troupes. F. Didot,
éditeur, 3 fr. 50.
Le Gérant, Edouard MARBEAU.
IMPRIMERIE CHAIX. ROB BEROBRB, 20, PARIS. — S5U2H2-97. — (iKn UrUlNl).
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LES EXPLORATIONS EN ASIE EN 1897
Dans son très consciencieux et très complet rapport sur les progrès des sciences
géographiques en 1897, M. le baron Halot, secrétaire général de la Société de géogra- •
phie de Paris, fait ressortir Timportance des explorations en Asie pour cette même
année, et notamment les travaux et les progrès des Russes. Nous devons à son obli-
geante communication dz pouvoir reproduire cette partie saillante de son étude.
Asie ru>se. — En Asie, ratiention se porte tout d'abord sur le plan
gigantesque dont la Russie poursuit l'exécution. Il est figuré sur la carte
par le réseau des voies ferrées qui, de l'Oural ou de la mer Caspienne,
se dirigent vers TEst, soit par une courbe à travers le Turkestan, soit
directement à travers la Sibérie jusqu'à la frontière chinoise, qu'elle tou-
che ou même franchit.
Tandis que les grands travaux géodésiques et fopographiques, entre-
pris en Sibérie et dans le Turkestan depuis une cinquantaine d'années,
aboutissent à la construction d'une carte au 1/420.000 de la partie occi-
dentale de l'Asie russe, sous la direction du général Bolchefif, et d'une
autre au 1/630.000 de la Transbaïkalie, sous la direction du général
Koversky, la grande artère qui doit courir de l'Oural à la mer du Japon
acquiert une importance nouvelle.
Le Transsibérien, qui se complète par le Transmandchourien, créera
■ la voie de transport la plus directe d'Europe en Extrême-Orient et ou-
vrira la Chine à l'influence de l'Empire du Nord (1). Déjà, la ligne
Transsibérienne est en pleine exploitation de Tcheliabinsk à Kansk
(2.980 kilomètres); sa construction est même terminée jusqu'à Nijni-
Oudinsk, à 130 lieues au delà de l'Yénissei. Un pont a été jeté sur l'Ob;
un autre s'édifie sur l'Yénissei ; les rails sont posés, à l'ouest du Baïkal,
sur une longueur de plus de 3.000 kilomètres depuis les monts Oural,
et Ton peut prévoir l'achèvement prochain de la voie jusqu'à Irkoutsk.
Entre cette ville et Strétensk, sur la Chilka, il fallut entreprendre
d'importants levés topographiques avant de songer à tracer la ligne.
Lorsque cette section, dont les travaux sont très avancés, sera construite,
le Transsibérien s'étendra, sur une longueur de 4.500 kilomètres, pour
aboutir au point de départ de la navigation sur la Chilka, laquelle,
comme on sait, réUnie à l'Argoun, forme le fleuve Amour. Par cette
voie, les bateaux à vapeur déboucheront dans le détroit de Tartarie,
(1) Voir Rev. Fr, t. XXU, p. 231 : Le Transsibérien (avec carte).
xxm (Février Ô8). N- 230. &
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66 REVUE FRANÇAISE
en face de l'île Sakhaline, après avoir effectué un parcours de 3.000 ki-
lomètres environ par le fleuve. Dès à présent le trafic tend à se déve-
lopper sur cette immense artère fluviale de TAmour, où nous trouvons
en mouvement plus de 100 vapeurs.
A TExtrême-Orient, dans la section dite du Pacifique, la ligne est ou-
verte sur près de 1.000 kilom. entre Khabarovka 970 kilom. et Vladi-
vostok ; en outre, les travaux sont commencés sur le transmandchou-
rien, qui reliera Vladivostok à Nertchinsk, par Tzouroukhaitou,
Tzitzikar et Ningouta. Ici l'exploration du pays a débuté par des
reconnaissances de M. Strelbitzky remontant à 1894-93. Elles ont per-
mis d'établir la topographie exacte du Grand Khingan. La région située
à TEst de cette chaîne, entre le Petit Khingan et le Sikhota-Alme, a
été explorée par MM. Anert et Komaroff.
Plus au Nord, les recherches dirigées par le gouvernement russe ont
amené MM. Bogdanovitch et Slemine à la découverte de dépôts auri-
fères dans les montagnes de Djoukjour, entre Nikolaevsk et Okhotsk,
Leur enquête se poursuit jusque sur la côte occidentale du Kamt-
chatka.
D'autres recherches géologiques, ayant pour but d'assurer le com-
bustible à la grande voie transcontinentale, ont permis de signaler la
présence de bassins houillers dans la vallée de l'Amour, de l'Yénissei
et dans les steppes kirghizes.
Le lac Baïkal a été, cette année môme, l'objet d'une exploration hy-
drographique, qui a duré de mai à octobre et qui se répétera pendant
quatre ou cinq ans.
On connaît le projet audacieux qui consiste à transporter les trains
d'un bout à l'autre de ce lac, soit une distance d'environ 40 kilomètres,
6ur des bateaux brise-glace, immenses ferry-boats, qu'il est également
question d'utiliser pour la navigation dans l'Océan Boréal, au Nord des
embouchures de l'Ob et de l'Yénissei.
L'accès à ces deux fleuves devient d'ailleurs de plus en plus facile,
depuis les travaux de dragage et de balisage entrepris dans leurs
estuaires par ordre du ministre de la marine russe. Déjà trois navires
commandés par le capitaine Wiggins avaient eflectué un certain nombre
d'observations astronomiques et levé la côte sur une étendue de 2.S0O
railles. Le délai assigné était de 8 à 6 années, et l'état d'avancement de
ces travaux a permis, durant l'été 1897, à une flotille de H navires
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LES EXPLORATIONS EN ASIE EN 1897 67
anglais, de s'avancer dans Tinlérieur de la Sibérie et d'en sortir sans
aucune avarie. Les recherches magnétiques et hydrologiques faites dans
ces parages, depuis 1893 jusqu'en 1898, par MM. Wilkitzki et autres
ont prouvé que l'influence du Gulfstream se fait sentir jusqu'à la mer
deKara. Notamment on a constaté la présence à la côte mourmane
(portion de la Laponie russe baignée par l'océan Glacial) d'un courant
d'eau chaude d'une cinquantaine de kilomètres dont la température
varie de 9** à 11° c. Ce courant se rétrécit [et sa température baisse à
mesure qu'il s'approche de la mer de Kara.
Le cliemin de fer ouralien, qui s'embranche sur le prolongement du
Transsibérien et s'arrête à Perm, est actuellement continué dans la direc-
tion de la Dvina et reliera, par ce fleuve, le jport d'Arkhangelsk avec
la Sibérie Occidentale (1).
Si nous quittons le Transsibérien et les lignes qui s'y rattachent pour
nous transporter dans les contrées desservies par la voie qui, du Cau-
case, par de là la Caspienne, atteint Samarkand,' nous avons à signaler
de nouvelles conquêtes géographiques à l'actif de la Russie.
Des études analogues à celles que poursuivent dans les glaciers des
Alpes le prince Roland Bonaparte, MM. Forel et J. Vallot, ont été récem-
ment entreprises dans le Caucase. Durant le deuxième trimestre de 1896,
M. N. A. Busch parcourut la partie Nord-Ouest de la chaîne, fixant
l'altitude et examinant le mouvement de 49 glaciers dont 30 n'avaient
encore été l'objet d'aucune observation. Il rapporte, outre des collec-
tions scientifiques nombreuses, une carte botanique du district de
Kouban.
D convient peut-être de signaler, à cet endroit, le phénomène géolo-
gique curieux dont cette région a été dernièrement le théâtre. Probable-
ment à la suite d'un tremblement de terre, l'Araxe, rivière qui sert de
frontière entre la Russie et la Perse, et qui se déversait dans la Koura,
a changé sa direction pour se jeter dans la mer à vingt kilomètres au
sud de son ancien cours. Par suite de cette déviation naturelle de l'Araxe,
une région, autrefois simple marécage, va être rendue à l'agriculture.
Asie mineure. — Avant de quitter les bords occidentaux du continent
asiatique, notons deux voyages importants, accomplis en Asie Mineure :
l'un d'octobre à janvier 1896 par MM. le D*" Oberhummer et Zimmerer
(1) La ligne d'Arkhangelsk à Vologda (Russie d^Europe) est inaugurée; Texploita-
lion a été commencée au mois de novembre dernier.
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68 REVUE FRANÇAISE
de Munich; l'autre par notre collègue, le capitaine breveté de Conten-
son et Tabbé Chabot, en 1897.
Après un séjour en Syrie, les voyageurs allemands se dirigèrent de
Damas vers le Nord, franchirent le Taurus cilicien, atteignirent les rive*
du Kyzyl-Yrmak qu'ils remontèrent d'abord pour explorer le mont Ar-
gée, et qu'ils descendirent ensuite pour relever son cours moyen. Telle
est la partie nouvelle de ce voyage dans une contrée que visita Tchikha-
tchef en 1849, Barth en 1838 et plus récemment Nauman.
C'est au Sud-Est de ces montagnes que se porta la mission archéolo-
gique française. Elle put utiliser pour upe bonne partie de son parcours
la carte de Kiepert (Beriin, 1890) publiée d'après les voyages de Humann,
Puchstein, etc., seul document à peu près exact de la région /comprise
entre la Syrie et l'Arménie. En attendant que le capitaine de Contensoa
mette au net ses levés de détail et ses observations barométriques, tra-
çons seulement le chemin parcouru d'Alexandrette à l'Euphrate, par
les passes de l'Amanus, les bassins du Kara-Sou, de l'Afrin, du Koveïk
et du Sadjour, suivant une ligne circulaire qui touche au sommet du
djebel Barakat et se prolonge par la reconnaissance du cours du fleuve,
jusqu'au massif du Kara Dagh et à la partie Sud du Taurus Arménien
après une pointe sur Orfa en Mésopotamie. Le retour s*est effectué
par Aintad dans une direction sud-ouest.
M. l'abbé Chabot, chargé de cours à l'Écple des Hautes Études, s'était
muni d'une mission de l'instruction publique, a J'avais obtenu, d'autre
part, nous écrite!, de Contenson, par l'intermédiaire de l'ambassade de
France à Constantinople, des lettres vizirielles qui nous ont été indis-
pensables pour voyager avec quelque apparence de sécurité dans ces
pays encore fumants du sang dès massacres. »
Signalons aussi le voyage accompli au Yemen, dans la pointe sud-
ouest de l'Arabie par M. Désiré Charnay, le vétéran des voyageurs
français.
Connu par ses explorations au Mexique et dans l'Amérique centrale,
M. Charnay a, cette fois, pénétré au coeur d'une région dangereuse
par le fanatisme de ses habitants. Ses recherches archéologiques pour-
suivies dans l'intérieur de l' Yemen, à Sanà, à Djerim, à Taes, etc., lui
ont permis de reconstituer la physionomie des villes sabéennes du
temps de la reine Belkis, l'amie de Salomon.
Asie centrale. — Revenons ensuite aux progrès géographiques dont
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LES EXPLORATIONS EiN ASIE EX 1897 60
les graods travaux opérés par la Russie ont été Toccasion, et pénétrons
dans l'Asie Centrale par le chemin de fer transcaspien.
Le trafic se fait depuis le mois de février dernier entre Samarkand
el Djizas, dans la direction du Syr-Daria. La voie est construite jusqu'à
Kavas, d*où elle bifurque, à gauche vers Tachkent, à droite vers
Khokand. Grâce à rétablissement d'une route d'Askhabad à Méchèd,
les Persans peuvent utiliser le Transcaspien pour Técoulement de leurs
produits.
Notons encore qu'un embranchement est en construction depuis le
printemps dernier, de Merv pour Kouck dans la direction de Hérat. Il
s'arrête à la frontière de l'Afghanistan.
Le Bokhara, dont la population et la vie économique restent tou-
jours intéressantes, a été visité cette année par la mission du colonel
Kouznétzoff, qui, de Kerminé, ^station du Transcaspien, prit sa route
par Karchi, Gouzar Chirabad, Termez, et suivit TAmou-Daria sur une
longueur de près de 300 kilomètres à travers un pays désert.
Plusieurs missions scientifiques sont parties de Samarkand pour en-
treprendre l'étude du Rochan, du Chougnan et du Vakhan, qui ap-
partiennent, conmie on sait, à la région du Pamir.
L^ recherches de M. Zahlman [X)rtèrent principalement sur les dia-
lectes taijiks. Le professeur Korjinski et le lieutenant KoznakofF prirent
la route connue du Kizil-Art ; seul M. Ivanoff, chargé d'une mission
géologique, réussit à pénétrer, par les monts Hissar et le Darvaz, au
Rochan, d'où il poursuivit son exploration géologique dans le Chou-
gnan et le Vakhan pour monter ensuite vers Och, par la passe de
Taldjyk.
Ces différents voyages font songer à pelui d'un • officier danois,
iM. Olufsen, qui traversa le Pamir d'Och à Kalaï-Pandj, releva la rive
droite du Pandj, qu'il descendit jusqu'à Kalaï Khoumo et se porta droit
sur le Sourghab dont il remonta le cours pour revenir à son point de
départ. L'itinéraire du voyageur forme une boucle complète dont le tracé
est appuyé sur un grand nombre de positions astronomiques.
Une expédition scientifique, sous la direction de M. Fedtchenow,
explore les montagnes qui séparent la vallée du Syr-Daria de celle
du Tchou. On y étudie surtout les glaciers, assez nombreux dans
le pays.
Quand.on considère les travaux des Russes en Asie Centrale, les noms
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70 KEVUE FRANÇAISE
de Pievlzof, de Potanine, de Prjevalski, de Groum-Grjimaïlo, ouvriers
de la première heure, se présentent forcément à Tesprit. Cette grande
œuvre de pénétration a été méditée, élaborée et accomplie sous les aus-
pices et par les soins de la Société impériale russe de géographie.
C'est encore sous son impulsion directrice que fut exécutée la belle
exploration de M. Roborovski, qui n*a pas duré moins de trois années,
de 1893 à 1896. Les membres de la Société ont pu lire le rapport sur
cette expédition, pam dans Tun des derniers comptes rendus, rapport
que l'explorateur nous a directement communiqué par la gracieuse en-
tremise de M. le général Venukoff (1).
Les travaux de M. Roborovski et Kozloflf embrassaient : les diverses
ramifications du Tian-Chan au-dessous desquelles s'étend une dépres-
sion de plus de 100 mètres dont il fixa la position, l'étude détaillée du
Nan-Chan, où fut découvert un lac salé, le Kara-Nor, le Kouen-Loun,
les monts Humboldt et Ritter, le cours du Tarim, les abords du Lob-Nor,
le bassin du Koukou-Nor. Au lieu de suivre des itinéraires fixes, ils
procédèrent par excursions circulaires autour de stations météorologi-
ques établies par leurs soins, et ils purent tracer des mailles entre les
itinéraires déjà connus, complétant ainsi l'œuvre de leurs devanciers.
Enfin, nous ne pouvons passer sous silence une expédition russe en
Asie, conduite par M, le professeur Krasnoif et ayant pour but Tétude
de la culture du thé aux Indes, à Ceylan, à Java, en Chine et au Japon.
C'est peut-être la plus importante au point de vue de la géographie
botanique et agricole, La relation qu'en publie la Revue russe « Knijki
NedaiU » aura une influence sensible sur l'introduction de la culture du
thé dans la Transcaucasie, où MM. Popoff ont déjà fait des essais fruc-
tueux.
Dans la dernière partie de son long itinéraire, le voyageur suédois
Sven Hedin. auquel la Russie, l'Angleterre et l'Allemagne font une vé-
ritable ovation, a pris comme champ d'exploration les contrées situées
au Nord du Tibet. Nous ne reviendrons pas sur ses ascensions dans le
Pamir, ni sur ses traversées de la portion occidentale du désert de Takia
Makan; ces travaux appartiennent à l'exercice précédent. En janvier
1896, il repartait de Khotan vers la Keria Daria, trouvant au passage
des traces de villes enfouies, remontait ce cours d'eau jusqu'à sa perte
dans les sables à environ 39** 30' de lat. N., atteignait le Tarim, le Ba-
(1) Voir Rw. Fr.y t. XXII, p. 598, avec carte.
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Société de Géographie .
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72 REVUE FRANÇAISE
gratch-Koul, puis, se portant à TEst de la rivière Koutché, découvrait,
au Nord du Lob-Nor, reconnu par Prjevalski, une série de nappes
d'eau situées à l'emplacement marqué pour ce lac sur les cartes chi-
noises, non loin des nappes que èignala Pe\1zofif.
M. Sven Hedin constata que le régime hydrographique de cette région
est sounjiis à de fréquents changements. De retour à Kholan, il entreprit
en juin 1896 la traversée du versant septentrional du Tibet, franchis-
sant le Kouen-Lun et TArka-Tagk, puis, se tenant dans sa marche vers
l'Est entre le 3S® et le 36®, il aboutit à un vaste plateau semé de lacs
sans dégagement ; enfin, par le Koukou-Nor et le bassin du Hoang-Ho,
il gagna Pékin. Cet itinéraire, dans sa partie la plus récente, rappelle
les grandes traversées effectuées du Nord au Sud par les missions Bon-
valot et Henri d'Orléans, Dutreuil de Rhins et Grenard. Celles-ci s'en-
foncèrent plus profondément dans l'intérieur du Tibet, presque jusqu'aux
portes de Lhassa.
Les explorations françaises en Asie. — Parmi les étrangers qui col-
laborent à l'œuvre d'ensemble entreprise par les Russes en Asie, qui
dirigent vers ces espaces immenses à peine éclos à la civilisation leur
enquête scientifique, ou qu'attire seulement le spectacle de ces transfor-
mations grandioses, les Français tiennent une place honorable. Pour
ne parler que de ceux qui, cette année, sont restés en contact avec la
Société de Géographie, nous devons signaler d'abord M. Chaffanjon (1).
Sans nous arrêter aux études scientifiques diverses auxquelles s'est
adonnée la mission J. Chaffanjon, Louis Gay et Mangini, sur tout son
parcours, c'est-à-dire du Caucase à la mer du Japon, ni môme aux
nombreuses observations astronomiques qu'elle fit, franchissons avec
elle l'Altaï, arrivons à Kobdo, l'une des plus importantes villes de la
Mongolie septentrionale» et cheminons à l'Est vers Ourga. Par le col de
Dzaghistaï, M. Chafl'anjon nous conduit dans le bassin supérieur de
rÉder, et le relevé qu'il en fait modifie sensiblement le système hydro-
graphique de cette région sur une étendue de 400 kilomètres. Ici le sol
est ingrat, et seules des ruines telles que celles de Karakoroum nous ré-
vèlent la civilisation des grands ka'an. L'aspect est différent sur les rives
du Keroulen, où le précéda (1894-189S) la mission russe de M. Stre-
Hsky. M. Chaffanjon, qui s'attendait à pénétrer dans une région inha-
bitée, se vit en contact avec une population sédentaire et <)ut porter
(1) Voir Rev. Fr., t. XXII, p. 239.
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LES EXPLORATIONS EN ASIE EN 1897 73
un grand nombre de localités sur la carte. La vallée du Khailar qu'il
remonta ensuite pour gagner, par delà les Khingan, laNonni et l'Amour,
fut descendue jusqu'à TArgoun vers la même époque par M. Franke.
Celui-ci était parti de Pékin parla vallée de Tlssoun, le bassin du Chara
Mouren et le Gobi Mongol, suivant un itinéraire qui rappelle la route
de la mission Fritsche de 1873. Il put atteindre le Bouir Nor et cons-
tater que les P. Jésuites, Gerbillon et Pereira en avaient exactement
fixé la position dès le xvu^ siècle.
M. Levât entreprit, dans le Sud-Est de la Sibérie, la reconnaissance
de la Zeia. Il en détermina les cours moyen et supérieur sur un itiné-
raire de 2.000 kilomètres par des levés à la boussole et des observa-
tions barométriques. Ses opérations ont pu être raccordées à celles de
M. Kropotkine et de Tétat-major russe dans cette partie peu connue du
bassin de l'Amour. Pendant ses deux missions géologiques de 189S et
1896 accomplies avec M. Th. Sabachnikofif, M. Levât a signalé de nom-
breux gisements aurifères, et s'est incidemment occupé du régime des
eaux et des pluies comme des conditions climatériques des régions
visitées.
La nécessité où nous sommes de nous en tenir aux résultats géogra-
phiques ne nous permet pas d'insister sur la traversée de l'Asie russe,
dont M. Lalo nous fît un récit attachant, ni sur les voyages de M. le
baron de Baye qui nous ont valu une ample moisson de documents ar-
chéologiques et l'étude de populations telles que les Ostiaks répartis
dans le bassin inférieur de l'Ob.
"Même remarque en ce qui touche les travaux mûrement préparés' et
toujours fructueux de M. Edouard Blanc en Asie Centrale, les observa-
tions ethnologiques que M. Paul Labbé, rentré tout récemment en
France, recueillit cet été sur la race kirghize et les études économiques
et sociales que poursuit avec succès M. Pierre Leroy-Baulieu à travers
le continent asiatique.
Au cours de la mission que lui confia le ministère des colonies,
M. Saint>-Yves reprit en sens inverse et avec quelques variantes, l'itiné-
raire de M. Chaflfanjon dans le Sémiretchié. Sergiopol, Kopal, Vemiié,
Prjevalski, Narynsko^^, Och, jalonnent le tracé principal, qui se pro-
longe dans l'Alaï et le Transalaï par le Tengiz Baï, les vallées de Mozar
et de Taracha, connus des Russes, mais qu'aucun voyageur français
n'avait encore visités. 11 put, au-dessus de l'Issyk-Koul, observer un
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74 REVUE FRANÇAISE
type très curieux de perte de rivières, puis, en lougeant la chaîne qui
sépare le Semiretchié du Ferganah, il découvrit entre les cols de Terek
et de Tchibbel une série de glaciers très caractéristiques, dont deux
reçurent les noms de nos collègues MM. Chaifanjon et Gay.
Extrême-Orient. — L'année 1897 a vu s'achever trois importants
voyages français en Extrême-Orient. Ce sont, .d une part, les missions
Bonin et Marcel Monnier, de Tautre la mission lyonnaise dirigée par
M. Brenier.
Les deux premières se rattachent par une partie de leurs itinéraires
à l'Asie russe. Elles ont pu observer le Chinois chez lui ou bien explo-
rer ses frontières, puis, au cours de longues chevauchées, apprécier
l'intensité de l'efifort victorieusement tenté par le monde slave aux con-
fins du monde jaune. La dernière mission limite sa sphère d'action à
la Chine même. Son ambition est d'évaluer la puissance productrice et
l'avenir économique de ce marché qui s'ouvre à peine et de ménager
les issues par lesquelles s'établiront les grands courants commerciaux
qui font les colonies fécondes.
Les 8.000 kilomètres que parcourut en Chine par voie de terre M. Ch.-
Eudes Bonin, vice-résident de France en Indo-Chine, l'ont conduit des
possessions françaises aux possessions russes. Il ilt la topographie exacte
des sources du fleuve Rouge, signalées, mais non relevées par l'explo-^
rateur anglais Colqhoun. M. C. Madrolle s'était porté dans cette direc-
tion par Lin-an-fou et Che-Pin et avait fixé le cours de la rivière Song-
koi, mais ses travaux appartiennent à l'année précédente et nous nous
contentons de rappeler dans ce rapport qu'il a dressé la première carte
de Hai-nan. La géographie est surtout redevable à M. Bonin d'un
itinéraire nouveau (800 kil.) sur la frontière du Tibet, de Tali à Tat-
sienlou; sur ce parcours, il traversa le royaume inexploré de Meli et
découvrit la boucle du Yang-Tsé qui, de Li-kiang à Young-ning-tou-
fou, s'avance à près d'un degré vers le Nord pour tourner brusquement
au Sud et reprendre vers l'Est son cours tortueux (1). C'est de Tatsien-
lou qu'un missionnaire catholique, le P. Soulié, partit en décembre 1894
pour se porter au Sud-Ouest par une route nouvelle, jusqu'au point
où le Mékong pénètre dans le TibeU A Tatsienlou, M. Bonin prit la
route que suivit Gill en 1877, et, toujours marchant vers le Nord,
il coupa en plusieurs points les tracés de Potanine, atteignit à Lan-
(1) Voir Rev, Fr,, t. XXI, p. 704 avec carte.
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LES EXPLORATIONS EN ASIE EN 1897 75
tcheou le fleuve Jaune qu'il descenditjusqu'à l'endroit où commence son
coude vers le Sud. Cette route est connue, mais la reconnaissance de
M. Bonin dans l'Ordos est nouvelle et son tracé, de Koukou-Khoto à
Chara Mouren, c'est-à-dire des abords du Hoang-ho h la route postale
menant en Sibérie, n'a été coupé que sur un point, par Prjevalsky
(1871-1873).
Plusieurs cartes à grande échelle ont permis de tracer avec exactitude
la route de M. Marcel Monnier dans l'empire du Milieu. Le détail de ce
voyage oi^nisé aux frais du journal Le Temps, est en partie publié et
bientôt l'explorateur, après trois ans d'absence, nous fera lui-môme le
récit de ses longues pérégrinations pendant lesquelles il a pénétré la vie
chinoise, Nous nous contenterons donc aujourd'hui de noter les levés
au 1/50.000 qu'il exécuta en 1896, d'Y-Tchang au Tonkin à travers le
Sé-Tchouen et le Yunnan, et l'itinéraire nouveau qu'il décrivit cette
année en Corée entre. Tche-Moul-Po, Séoul et Gensan. U s'était rendu
dans cette presqu'île par Formose, le curieux archipel des Liou Kieou
incorporé depuis peu dans le domaine du Mikado et l'Ile de Kiou-Siou.
Le 4 juillet, il était à Vladivostok d'où il gagnait par l'Oussouri la
vallée de l'Amour, le Baïkal et Irkoutsk. Rentré en territoire chinois,
il toucha Ourga et, par un itinéraire se rapprochant de celui qu'effec-
tua en sens inverse M. Chaffanjon, il visita les vestiges de Karakoroum,
la lamaserie d'Erden-Zo, puis Kobdo. ^Abandonnant alors la route] du
Turkestan, il atteignit au delà de l'Altaï les sources de FOb. C'est l'iti-
néraire suivi au xui^ siècle par un moine du Brabant, Guillaume
Ruysbroek, dit Rubruquis, que le roi Louis IX envoya en Tartarie
prêcher TÉvangile. Son livre à la main, M. Marcel Monnier suivit sa
trace. Il leva soigneusement la route à la boussole comme pour ses
explorations précédentes en Chine et en Corée. Du Turkestan par la
Transcaucasîe il pensait atteindre le nord de la Perse et contourner la
Caspienne pour revenir en Europe après un parcours de 30.000 kilo-
mètres.
Du voyage de M. H. Brenier, directeur de la mission lyonnaise,
rappelons seulement les grandes lignes de ce vaste itinéraire. On sait
que Bordeaux, Lille, Marseille, Roanne et Roubaix avaient répondu à
l'appel de la Chambre de commerce de Lyon. La mission, dirigée d'a-
bord par M, le consul Rocher, était partie sous le patronage des minis-
tères des affaires étrangères, des colonies, dvi commerce, et elle avait
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76 REVUE FRANÇAISE
obtenu de la marine qu*un médecin de 1^ classe, M. Deblenne, lui
fût adjoint. Les membres qui la composaient, prenant comme base
notre colonie indo-chinoise, étudièrent, outre ses ressources propres,
ses voies de pénétration et ses éléments d'échange ; puis ils exami-
nèrent la valeur économique et commerciale du groupe formé par le
Yun-Nan, le Kouang-Si et le Koui-Tchéou; enfin ils procédèrent à l'ex-
ploration commerciale du Se-ïchouen, avec Tchoung-King comme
centre des opérations. Ils ont ajouté à ces résultats une enquête sur le
commerce général de la Chine, qu'ils ont poursuivie soit le long du
Yang-Tsé-Kiang ou du Si-Kiang, soit en se rendant par mer à Pakhoi,
à Hong-Kong, ^ Changhaï et à Pékin. |
La mission lyonnaise a à son actif 16.000 kilomètres parcourus en
pleine Chine, plus de 8.000 kilomètres de levés de route à la bous-
sole et au baromètre, dont près de 4.000 en terrain nouveau, les études
géologiques de M. l'ingénieur Duclos, les observations botaniques et
médicales du docteur Deblenne, des renseignements ethnographiques
et linguistiques, des données géographiques générales et différentes
découvertes ou constatations intéressantes, notamment celle de la véri-
table branche mère du Si-Kiang qui est la rivière Lieou-Tchéou-Fou.
L'exemple donné par la chambre de commerce de Lyon fut suivi à
un an de distance par la chambre anglaise de Blackburn et par les
chambres de commerce allemandes de Crefeld, de Gladbach, de
Brème, etc., toutes avec l'appui plus ou moins officieux de leurs gou-
vernements respectifs. On peut rattacher à ce mouvement d'enquête
la tournée officielle confiée par la Grande-Bretagne à M. le consul Byron
Brenan dans tous les ports ouverts de la Chine et en Corée. Quant à la
mission japonaise elle, commença sans doute à fonctionner en même
temps que la mission lyonnaise et la précéda à Tchoung-King; mais
aucune de ces entreprises ne présentait l'envergure de la nôtre.
Nous arrêtons là ces indications sans aborder la question des chemins
de fer de pénétration dont les puissances occidentales se disputent les
concessions.
Empire i>e l'Indk. — Ce rapide coup d'œil sur les explorations
accomplies en 1887 ne comporte pas une étude sur les opérations mi-
litaires conduites par les Anglais au Nord-Ouest de l'empire de l'Inde.
Mais il faut signaler la mission de MM. Welby et Malcolm qui par-
tirent du Kachmir, effectuèrent la traversée du nord du Tibet entre le
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LES EXPLORATlOiNS EN ASIE EN 18^7 77
38® et 36°, atteignirent le Tchou-Mar, origine du Mouroussou, par
conséquent, du Yang-Lé, et par le Koukou-Nor et le couvent de
Koumboum, se rendirent à Lan-Tchéou, puis à Pékin! MM. Deasy et
Arnold Pike durent limiter Jeur exploration à la région des lacs située
à Test du Ladak. /
Nous ne pouvons nous arrêter aux travaux effectués en Birmanie, où
l'expédition Pottinger faillit être écharpée (Georg. Jal., août 1897); ni
même aux avantages territoriaux et commerciaux que la Grande-Bre-
tagne recueillit du traité de Pékin (5 juin 1897) à la suite des négo-
ciations de sir Claude Macdonald (cession de TÉtat Chan de Kokang,
installation de l'Angleterre dans le territoire situé au sud de la rivière
Nam^Ouam; ouvertures de nouvelles routes commerciales entre la
Chine et ]a Birmanie, et faculté de construire dans le Yunnan un che-
min de fer se reliant à cette colonie).
Nous passerons également sur les résultats appréciables de la con-
vention du 20 juin 1895 signée par la France et la Chine. On sait
qn'elle porte principalement sur un abornement de la frontière du
Yunnan et sur Tintroduction de nos produits dans les provinces limi-
trophes du Tonkin.
Indo-Chine française. — L'ère des voyages de découvertes est terminée
dans rindo-Chine française ; mais il importe de tirer parti du domaine que
nous avons conquis. C'est à ce résultat que travaillent deux missions
hydrographiques chargées d'établir le degré de navigabilité du Mékong:
Tune en av^l des cataractes de Kong, et l'autre en amont de Luang Pra- .
bang. La première, confiée à MM. le lieutenant de vaisseau Itier, l'ingé-
nieur Desbos et le lieutenant Morin, a franchi les rapides du fleuve, de ■
Sambor à Stung-Treng, sans subir aucune avarie, complétant ainsi
l'œuvre du lieutenant de vaisseau' Simon; la seconde, dite mission
hydrographique du haut Mékong, sous le commandement de l'enseigne
de vaisseau Mazeran, est parvenue, en août dernier, à amener la ca-
nonnière La Gramfière de Tang-Ho à Xieng-Lap, après avoir franchi
cinq rapides réputés infranchissables Tang-Ho, Tang-Lot, Tang-Paken,
Tang-Pho-Mulet, Tang-Pang) (1).
La partie du massif montagneux de l'Annam, comprise entre la rivière
de Hué, le Quang-Tri, Ai-Lao, le Se-Kong et le Se-Lâ-Nong, au nord des
itinéraires de Malglaive et Bonin, a été parcourue non sans danger,
(1) Voir plus loin, p. 124.
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78 REVUE FRANÇAISE
de jiïillet à septembre 1896, puis dans les premiers mois de 1897, par
M. le lieutenant Debay qui, en dépit des obstacles, a réussi à rassembler
les éléments d'une carte de cette région.
Pendant le cours de celte année, la Société de Géographie a pu
suivre l'itinéraire de deux voyages accomplis dans le Laos et TAnnam
sous les auspices du ministre de l'instruction publique.
Le premier en date est celui de M. le comte Pierre [de Barthélémy
qui, accompagné de M. Jean de Neufville et d'un préparateur pour ses
collections d'histoire naturelle, remonta le cours du Song-Ca et se
dirigea sur Luang-Prabang en reprenant la route de MM. Cupet et
Massie. Il descendit ensuite le Mékong et revint à la côte d'Annam par
le passage d'Ai-Lo. De ce voyage, le troisième qu'il ait accompli dans
rindo-Chine française, M. de Barthélémy a rapporté, outre ses levés
de routes et ses collections, des notes ethnographiques sûr le Tran-
Ninh, ancienne principauté de la province annamite de Vinh.
L'objet de la mission de M. Marc Bel était la poursuite de recherches
minéralogiques, géologiques et géographiques dans l'Annam et le
Laos. Débarqué à Qui Nhon, dans la province de Binh-Dinh, il explora
le massif montagneux dont la largeur s'étend du littoral à la plaine
boisée du Mékong* Par Atlopeu, sur le versant S.-E. du plateau de
Boloven, il arriva au Sé-Kong qu'il descendit ainsi que le Mékong pour
atteindre Kratié, puis Pnom Penh, relevant toutes les altitudes de la
route et recueillant des échantillons qui lui permettront de fixer quel-
ques traits de la géologie de ces régions. On lui doit la découverte des
premiers gîtes filoniens aurifères du Laos. La seconde partie de son
exploration a été consacrée à l'étude des gisements houillers, des gîtes
aurifères et des mines de cuivre de la province de Quang-Nam.
M*°® Bel, qui accompagnait son mari pendant ce voyage, a recueilli
des collections pour le Muséum d'histoire naturelle.
De la sorte, nous sommes amenés à citer le beau voyage de M°*® Mas-
sieu à travers la Birmanie, nos possessions inda-chinoises, la Chine et
la Russie d'Asie; celui de M"»*^ Cross en Indo-Chine et en Chine, deux
Françaises que nous pouvons comparer à l'une de leurs émules an-
glaises, M"** Bishop, qui, par le Yang-Tsé-Kiang, s'aventura dans le
Se Tchouen et jusqu'aux confins du Tibet. Ainsi les voyages en pays
lointains, et particulièrement en Extrême-Orient, ont cessé d'être Tapa-
nage d'une seule moitié du genre humain. Holot.
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LES LETTRES DE LA MISSION MARCHAND
Lorsque fut répandue, au commenœment de décembre 1897, la
nouvelle du massacre de la mission Marchand, — nouvelle qui depuis
deux mois n'a pas été confirmée et que Ton peut considérer comme
fausse, — les renseignements récents connus sur la mission ne consis-
taient qu'en quelques nouvelles vagues remontant à plus de cinq mois.
Depuis lors des lettres ont surgi de tous côtés, donnant, dans les jour-
naux, des renseignements détaillés, beaucoup trop même, sur la marche
de la mission, son but, ses intentions. Si la nouvelle du massacre
n'avait été lancée que dans le but de provoquer la publication de
correspondances concernant les faits et gestes de la mission Marchand,
il faut reconnaître que nos rivaux intéressés sont aujourd'hui bien
renseignés. La Revue Française qui pendant longtemps s'était imposé
de Conrart le silence prudent, n'a plus désormais l^^aucune raison de
se tenir sur la réserve.
Le capitaine Marchand s'était embarqué à Bordeaux le 20 juin 1896.
Il avait sous ses ordres 12 Européens : les capitaines Mangin et Ger-
main, le lieutenant Largeau, de l'infanterie de marine ; le capitaine
Baratier, des spahis soudanais ; le capitaine d'mfanterîe Simon, qui,
tombé malade en remontant l'Oubangui, a eu encore la force de revenir
en Algérie pour y mourir en décembre dernier; l'enseigne de vaisseau
Dyé ; M. Émily, médecin de la marine ; l'administrateur Bobichon ;
l'interprète Landetoin ; enfin, 4 sous-ofiSciers, parmi lesquels les ser-
gents Nicolas et Dat, encadrant deux compagnies de tirailleurs indi-
gènes. Afin d'assurer les derrières de la mission Marchand, le capitaine
Roulet vient d'être désigné })our se rendre sur le haut Oubangui.
Tous les membres de la mission sont de vieux Africains.
Les lettres que nous publions ci-dessous font ressortir les difficultés
énormes contre lesquelles la mission Marchand a eu à lutter. Déjà en
exposant la marche concentrique qui se fait de trois côtés vers le haut
Nil, la Revue Française (déc. 1897} a retracé les obstacles que la mis-
sion Marchand dut surmonter de Loango à Brazzaville d'abord, puis^
de ce point au confluent du M'Bomou et de l'Oubangui. Le M'Bomou
étant sans cesse obstrué par des obstables, sur son parcours de 100 kilo*
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80 REVUE FRANÇAISE
mètres, il fallait la plupart du temps suivre 1^ voie de terre pour trans-
porter non-seulement les 3.000 charges de la mission, mais encore deux
vapeurs démontés et partagés en tranches. Grâce aux sultans de Rafaï
et de Sémio, qui fournirent des porteurs, souvent remplacés plutôt de
force que de gré, on put ainsi avancer lentement et prendre pied dans
le bassin du Nil, après un portage d'environ 90i) kilomètres, soit la
distance de Paris à Perpignan.
Une lettre adressée par un des membres de la mission Marcliand et
publiée par le Télégramme de Toulouse donne d'intéressants détails
sur cette pénible marche. Voici cette lettre, date de M'Bima, 1®*^ août
1897:
« Vous pouvez, mon cher ami, par la situation géographique que je
vous donne (6® latitude nord, 24®, longitude est), vous faire une idée
approximative de Tendroit d'où je vous écris et du chemin que nous
avons parcouru depuis le 13 avril que nous avons quitté Banghi.
Un mois de pirogue d'abord, sous le soleil ardent .sous les averses
diluviennes et au milieu de tornades épouvantables, si fréquentes sous
Téquateur.
Notre convoi, le dernier de la mission, est composé, de 72 pirogues
et de 1.200 pagayeurs transportant 1.500 charges...
... Après des fatigues sans nombre, nous sommes arrivés à Ouango,
sur le M'Bomou affluent de TOubanghi. Nous suivons tout le temps la
rive droite de TOubanghi et du M'Bomou, car la rive gauche appartient
à TEtat indépendant du Congo. Nous voilà à plus de 2.SO0 kilomètres
de Loango, qui est le port de la côte le plus rapproché.
Nous allons continuer notre marche vers Test par voie de terre, car
Ouango est le point terminus de la navigation. Nous devons alors
tracer et faire une route de quinze mètres de largeur à travers un pays
accidenté comme celui-ci, où les obstables surgissent à chaque pas :
ici un ravin rocailleux, plus loin un bourbier vaseux, partout des
brousses épaisses, de hautes herbes.
Voilà la partie la plus pénible de notre mission ; nous devons explorer
tous les cours d'eau navigables, rivières se transformant en torrents
rapides, infranchissables. A chaque instant nous devons traîner nos
pirogues à terre et les remettre à flot au delà des passages dangereux.
Nous devons enfin faire passer du bassin du Congo dans- celui du Nil
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XXIII (Février 98). H" 230.
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t'
82 REVUE FRANÇAISE
deux vapeurs de 18 mètres de longueur qu'il nous faudra faire porter
à dos d'homme, sur un parcours de i .000 kilomètres, de Ouango au
Bahr-el-Ghazal, affluent du Nil. Un de nos vai)eurs a déjà franchi
400 kilomètres, et à l'heure où vous aurez ma lettre il naviguera dans
les eaux du Nil.
L'énergie et la volonté d'un homme, le capitaine d'infanterie de
marine Marchand, secondé par une dizaine de blancs, appartenant
comme lui à cette arme d'élite, ont conçu et mis à exécution ce hardi
projet.
Et, dans cette colonie du Haut-Oubanghi, où depuis un an nous ne
mangeons plus de viande fraiche, où le vin manque depuis longtemps,
où les privations sont sans nombre et la fatigue continuelle, sur les
douze Européens qui composent la mission, huit officiers et quatre
sous-officiers, pas un n'est malade !...
Nous traversons ainsi Gozobaughi, Bozoghi, Bangasso, Zemio...
Nous arrivons à Rafaï, dont le territoire touche au territoire arabe du
Darfour : là, nous sommes reçus par le sultan que le capitaine Marchand
comble de cadeaux.
Trois jours après notre arrivée à Zemio, je reçois l'ordre de par-
courir, avec 2S0 porteurs pour former en quelque sorte l'avant-garde
de la mission ; j'arrive ainsi à M'Bima d'où je vous écris.
Me voilà seul blanc à iSO kilomètres du poste le plus voisin et, dans
quelques jours, nous serons dans le bassin du Nil., Nous serons enfin
à Fachoda, où nous pourrons mettre à flot nos vapeurs. Nous espérons
que par suite de notre traité avec Ménélik, nous pourrons gagner
Djibouti en passant par TAbyssinie ; le roi des rois doit envoyer un de
ses ras à notre rencontre pour nous faciliter le passage et ce ne sera
pas la partie la moins intéressante de notre voyage. Enfin, encore
deux ans à peine et j'espère qu'en 1899 nous serons définitivement
rentrés en France ».
Un an sans manger de viande fraîche et encore moins de pain, ni
boire de vin, et pas un malade parmi les blancs ! Il faut vraiment
posséder un entraînement remarquable et une foi puissante dans le
succès pour arriver à de pareils résultats,
D'autre part, un sous-officier aux tirailleurs sénégalais, adresse à sa
famille deux lettres, que publie la Dépêche de Toulouse :
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I^S LETTHKS DE LA MISSION MARCHAND 83
Nozzioby, le 45 juillet 1897. (25'55 est et 5*33 Nord.)
Cher cousin,
« Je suis dans la haute Egypte, occupé à construire un nouveau poste
sur le bord du Soueh, sous-affluent du Nil Blanc. C'est une étape de
plus dans cette région peu connue que la mission Marchand va disputer
aux exploiteurs anglais et belges.
Si nous réussissons, j'oublierai de bon cœur tous les dangei*s et
toutes les fatigues. Mais que de difficultés, que de combats à surmonter
OQQtre la nature et peut-être les hommes ! Les Derviches ne sont pas
commodes, et le bateau que nous traînons depuis Loango, tantôt par
eau, tantôt par terre à travers les forêts, les marécages et les rochers ne
va pas seul sur le Nil. Ah ! quand nous Taurons lancé sur le grand
fleuve, il y aura en Europe des gens étonnés, stupéfaits, désappointés.
Nous n'avons pas im jour de repos, car un jour de retard, rendrait
tous nos efforts inutiles ; tout ce que nous aurions fait le serait en pure
perte si lés Anglais ou d'autres occupaient notre route quand nous
voudrons passer. Je crois au succès à la condition de bien marcher ;
malgré mon espoir, j'ai une crainte secrète d'arriver trop tard. Quand
tu liras cette lettre, nous serons sur le Nil ou bien nos os blanchiront
lentement dans la brousse d'Egypte, sous un ciel de plomb. Si nous
sommes détruits, je crois que je garderai au delà de la mort le regret
de ne pas avoir réussi. Oui, mon seul désir, à l'heure actuelle, est de
voir le Faidherbe promener nos couleurs entre Khartoura et Gondokoro.
Vous devez savoir en France que* le Blot est arrivé au Tchad ; nous
pouvons en être fiers, c'est le premier bateau français.
Tambourah, 27 août 1897.
Chers parents,
Nous sommes allés dans l'Oubanghi pour occuper la haute Egypte,
faire connaître nos forces aux Derviches, lancer un bateau sur le Nil et
réunir, si c'est possible, notre colonie d'Obock, sur la mer Rouge, à
celle du Congo, sur l'Atlantique. Nous sommes 23 blancs pour ce
travail avec 500 tirailleurs noirs. Le plus pénible est pourtant fait ; je
viens de conduire les derniers morceaux du bateau au bord de la
rivière du Souch où on va le monter... »
L'auteur de la lettre, qui après plus d'une année de fatigues et de
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84 KEVUE FRANÇAISE
privations, est encore animé de Tardeur des premiers jours, raconte
ensuite les difficultés que rencontre la mission pour se procurer dos
porteurs et surtout pour les empêcher de déserler chaque nuit. De là
des mesures de rigueur qu*expliquent la nécessité d'avancer et surtout
celle de ne pas mourir de faim.
Mais de toutes les lettres publiées jusqu'ici la plus iniéressante est
sans contredit celle adressée par l'enseigne de vaisseau Dyé à M. A.
Bernard, professeur à l'école des lettres d'Alger. Voici, d'après la
Dépêche algérienne, le texte de cet intéressant document, daté de Ban-
gasso, 21 août 1897 :
« Je viens d'être arrêté dans la région pendant trois semaines par
une légère atteinte du climat et j'en profite pour penser, la plume à la
main, aux amis que j'ai laissés là-bas, au pays des blancs%
Le pays des blancs! le pays ties étoffes, des perles, du cuivre,
des fusils et de la poudre; c'est pour tous les noirs d'ici, une terre
fabuleuse.
On est allé un peu vile en disant qu'en mars 1897 notre drapeau
devait flotter sur le cours même du Nil ; c'est toiit juste si en novembre
ou décembre 1897 la mission Marchand occupera le Bahr-el-Ghazal et
atteindra, par lui, le Nil vénérable grâce à une flottille dont le transport
va être prochainement achevé. Dès 1896, M. Liotard a bien planté notre
drapeau dans le bassin du haut Nil en établissant un poste près de la
résidence du grand chef azandé Tamboura, à 50 kilomètres de la rive
gauche du Soueh, qui a accepté notre protectorat comme Sémio et
Rafaï, mais ensuite le manque de ravitaillement de denrées d'échange
a paralysé M. Liotard.
Fort heureusement; le capitaine Marchand, avec sa mission de
17 blancs, dont 9 officiers de toutes armes (artillerie, cavalerie, marine,
bureaux arabes), arrivait au Congo dans la seconde moitié de 1896. A
la tête de ses miliciens, il dégagea énergiquemcnt les routes de
Brazzaville à Loango et de Brazzaville à Manyanga, imprima une (éner-
gique impulsion au portage par la route des caravanes, le Niari, en
utilisant le tronçon du chemin de fer belge et il réussit à lancer de
Brazzaville sur le Haut-Oubanghi, près de 6.000 charges.
Telle fut l'œuvre de la mission en 1896.
Dès l'arrivée des premières charges sur le M'Bomou, M. Liotard put
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LES LETTRES DE LA MISSION MARCHAND 85
reprendre sa marche en avant, habile et prudente, sur le poste de
Djénia, au nord de Séinio et de là, sur Dem-Ziber, où un poste est
fondé et où il s'abouche depuis plusieurs mois avec les populations
avoisinantes. Là, comme à Tamboura, on trouve des chevaux, des
troupeaux de bœufs et de moutons, toutes richesses inconnues au
Congo. De son côté, le capitaine Marchand, fait procéder, avec ses
Sénégalais, à l'occupation du Djour-Ghattas, par Tamboura.
La première ipoitié de 1897 a été employée au transport des charges
depuis Brazzaville jusqu'à Semio et Tamboura et à la mise en train
du transport de la flottille — flottille dont je suis le commandant. Le
transport se fait par vapeur jusqu'à Bangui, par pirogues aux eaux
basses jusqu'à Bang&sso, puis encore à dos d'hommes au delà.
Les gens du sultan azandé Semio , se montrent récalcitrants au
portage et causent encore de grosses difiîcultés entre ce poste et celui
de Tamboura, en dépit des gros cadeaux qui leur sont faits.
Pour atteindre le Nil même, dedx obstacles se présentent; dans les
steppes du Nord, les Madhistes; dans le Sud, le Bahr-el-Ghazal et tout
son réseau de marais. C'est pour triompher des marais que le transport
d'une flottille par le haut M'Bomou a été décidé par le capitaine
Marchand.
Aussitôt, la flottille montée, sans doute en octobre, la descente sur
Meschra-el-Rek, puis sur Sobat et Fachoda, ne sera plus qu'une
question de jours.
J'ai reçu de bonnes nouvelles de Gentil. Sa canonnière, Léon-Blot, a
déjà sillonné le Gribiûgui (affluent du Chari), en juin 1897. La santé
d'Ahmet Medjekane s'est rétablie.
Pendant les sept derniers mois de 1897, je n'ai cessé de sillonner le
haut Oubanghi entre Bangui et M'Bomou, d'abord sur ma vaillante
canonnière Faidherbe, puis en pirogue au moment des plys basses
eaux, dirigeant des convois chargés. Votre parent, M. Bruel, dont la
résidence de Mobaye était située au milieu de ma zone de parcours,
m'a toujours fourni la plus grande aide et ce fut pour moi un grand
bonheur de pouvoir sympathiser avec lui, de temps à autre, dans ces
pays perdus.
D'ailleurs, nous avons été frères d'armes et avons reçu ensemble le
baptême du feu, dans l'absurde échaufiourée du 21 janvier dernier, où
les noirs du poste de Banzyville ont ouvert le feu sur nous.
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86 REVUE FRANÇAISE
Le dernier incident de rOubanghi est le massacre, par les Banziris,
de vingt et un noirs du village de Yokola, près de Banghi (où je suis
descendu peu après) vers le 10 mars. Le 13 juillet, M. Comte, admi-
nistrateur de Bangui, périssait noyé en attaquant de nuit le village
rebelle. Depuis le Jacques-d'Vzès, commandé par le lieutenant de
vaisseau Morin, est enfln arrivé de Brazzaville et a infligé à ces gens
une correction exemplaire. Ils venaient rôder de nuit jusque dans le
poste prêts à sagayer.
Quant à moi, voici le résuiîié de mes pérégrinations. Après avoir été
pendant trois jours l'hôte de M. de Brazza et de sa charmante femme,
en fin octobre 1896, me voici faisant à pied la dure roule de Loango
à Brazzaville avec Ahmed que j'ai soigné chemin ftiisant, en novembre.
A Brazzaville, je prends le commandement du Faidherbe, qui part
aussitôt jKDur le Haut^Oubanghi et arrive à Mobaye le 30 décembre.
Depuis, j'ai navigué dans la rivière en amont de Bangui, pour
contribuer aux transports. Fin mai, quoique la baisse des eaux rendit
encore le fleuve à peu près innavigable j'ai fait franchir au Paidherhe
les derniers rapides et l'ai conduit jusqu'à l'entrée du M'Bomou. Là il
a été coupé en morceaux pour être transporté sur le Soueh en piroglies
et à dos d'hommes. »
Enfin, le Lorrain^ de Metz, a reçu communication d'une lettre éma-
nant d'un sous-oflicier de la mission, M. Nicolas. Cette lettre, la plus
récente connue, est datée de Zémio, 12 septembre.
« Le 16 août, je quittais le poste de Zémio avec un convoi de 120
porteurs de la mission Marchand, à destination du village de Ga-
manzou, qui se trouve à cinq jours de marche de Zémio, sur la route
de Tambourah. Pour conduire ce convoi, je n'avais avec moi que deux
Sénégalais et un caporal ; j'ai eu pas mal de tracas avec mes porteurs
qui se sauvaient dans la brousse, abandonnant leurs charges. Le che-
min, ou plutôt le sentier, est très mauvais en cette saison ; car nous
sommes en ce moment en pleine saison des pluies. Les herbes sont très
hautes et retombent sur le sentier, ce qui rend la marche des porteurs
très pénible. Les ruisseaux sont pleins, débordent même, ce (jui forme
des bourbiers avant et après chaque « marigot ». Malgré les petits tra-
cas que j'ai eus à la suite des fuites nombreuses de mes porteurs pen-
dant la marche et au gîte d'étape (pendant la nuit), à la suite aussi de
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LES LETTRES DE LA MISSION MARCHAND 87
la chaleur et des pluies quotidiennes, je suis arrivé à conduire mon
convoi à destination et sans qu'il me manque une seule charge.
Je suis rentré au poste de Zémio, hier, 11 septembre, en très bonne
santé, où j'ai reçu les félicitations de mon capitaine pour avoir très bien
conduit mon convoi et surtout pour l'initiative que j'avais prise en ré-
quisitionnant des porteurs à remplacer.
Le 8 septembre, pendant que je retournais sur Zémio, j'ai eu le
plaisir de rencontrer M. Liotard, commissaire du gouvernement du
Haut-Oubanghi, retour d'une mission dans le Bahr el Ghazal. Nous
avons fait route ensemble pendant trois jours jusqu'à Zémio. »
De l'ensemble de ces correspondances se détache ce fait que la mis-
sion, malgré les plus grands obstacles matériels, poursuit heureusement
sa marche en avant. M. Liotard qui, depuis le l®' juin 1897, avait pris
possession de Dem Ziber (ou Dem Soliman) et y avait fait faire des
plantations de mil pour assurer la nourriture de son escorte, n'a pas
poursuivi sa marche en avant, attendant, pour cela, la concentration
de la mission Marchand, n n'a donc pas occupé, ainsi qu'on l'avait
annoncé, Meschra el Rek. Comme on l'a vu, il était arrivé le 11 sep-
tembre, à Zémio, revenant du Bahr el Ghazal.
Aux dernières nouvelles, la mission Marchand s'établissait à Tam-
bourah, y construisant des magasins pour y abriter ses nombreuses
charges et préparant activement le montage de la flottille qui doit être
lancée sur le Soueh. Toutes les pièces du vapeur Faidherbe étaient déjà
arrivées à Tambourah et le capitaine Germain se préparait à revenir
jusqu'à Ouango, sur le M'Bomou, pour y charger les pièces d'un second
vapeur, le Duc d'Uzès^ et les amener à Tambourah.
Tambourah, qui emprunte son nom au sultan de la localité, est un
vOlage situé dans le bassin du Nil, non loin de la ligne de partage des
eaux du bassin du Congo. Le Soueh, qui porte aussi le nom de Djour
dans la partie supérieure de son cours, est une des rivières qui forment
le Bahr el Ghazal.
Pendant que MM. Germaio, Dyé, Bobichon et Nicolas s'occupaient
des travaux de Tambourah, le capitaine Marchand procédait à la recon-
naissance du pays. Avec le capitaige Baratier et l'interprète Landeroin
il devait se diriger, à l'est, vers Roumbek. En même temps, les lieute-
nants Msuigin et Largeau et le D^ Emily devaient se diriger au nord,
sur Meschra el Rek par Djour Ghattas. Le dernier de ces deux points
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88 REVUE FRANÇAISE
serait déjà occupé, d'après la lettre de M. Dyé. Il est donc probable que
le prochain courrier nous apportera la nouvelle de l'occupation de
Meschra el Rek qui n'est qu'à cinq étapes de Djour Ghattas.
La publication des lettres de la mission Marchand n'a pas été sans
éveiller les susceptibiliU's de certains organes de la presse britannique.
La Pall MaU Gazette, parlant avec dédain du capitaine Marchand et
de ses vaillants compagnons, les appelle des « touristes français ».
Le Standard, dont les attaches gouyernementales sont connues, est
froidement féroce : e Si, dit-il, Texpr-dition Marchand est autorisée
par le Gouvernement français, l'Angleterre aura à en demander raison
à la France. Si, d'un autre côté, rexptklition est une entreprise privée,
nous aurons à traiter le commandant Marchand et sa bande comme on
traite les flibustiers. »
Il est assez singulier d'entendre «ainsi parler de flibustiers dans un
pays qui a produit Jameson et ses compagnons, les envahisseurs à main
armée, en pleine paix, d'un pays civilisé.
Mais on ne voit i)as trop ce que cette expression de flibustiers vient
faire ici. Le Bahr el Ghazal n'est pas une province britaimique, ni même
égyptienne. Bien qu'il soit teinté aux couleurs nationales sur les cartes
géographiques anglaises, le bassin du haut Nil ne i)eut encore flgurer
qu'au chapitre des espt'Tances, et on siût qu'il y a loin de la coupe aux
lèvres. Pour le moment, il est reè nullius, n'appartenant à personne et
par suite à la discnUion du premier occupant. L'Angleterre ne saurait
en eflet le revendiquer comme |)ays anglais. Quant à l'Egypte, elle l'a
bel et bien abandonnt' lors de sîi renonciation aux provinces du Sou-
dan, à la suite de l'invasion mahdiste.
Il Testait cependant une province au gouvernenient égyptien, celle
d'Équatoria, à cheval sur le haut Nil, où Émin-Pacha était parvenu à
maintenir l'autorité du Khédive. Or, n'est-ce pas Stanley qui, agis-
sant sous rem[)ire d'une inspiration britannique, est parvenu jusqu'à
Emin et, sous prétexte de le sauver, l'a emmené, malgré sa volonté,
lui, les fonctionnaires et les soldats égyptiens, jusqu'à Zanzibar, d'où
ces derniers ont été rapatriés dans leur [)ays.
Après cet abandon d'un caractère indiscutable, sur quels droits
TAngleterre pourrait-elle donc s'api)uyer pour revendiquer, ou faire
revendiquer par rÉgy[)te, les provinces du haut Nil ?
Georges Demai^che.
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LE BAHR EL GHAZAL ET SES HABITANTS
Les territoires où vient de pénétrer la mission Marchand, au sortir
deTOubangui, sont connus sous la désignation de Pays des Rivières,
auquel on donne aussi, politiquement, le nom de Bahr el Ghazal. C'est
un vaste triangle compris entre le Nil Blanc ou Bahr el Djebel, le Bahr
el Arab et la ligue de partage des eaux des bassins du jN'il et du Congo.
Cette région est arrosée par tous les cours d'eau qui se jettent dans le
Nil sur sa rive gauche; car, de ce côté, le grand fleuve africain ne re-
çoit pas un seul affluent pendant toute sa traversée de la Nubie et de
rÉgypte, c'est-à-dire du confluent du Bahr el Ghazal jusqu'à la Médi-
terranée, sur une longueur de 3.100 kilomètres. L'altitude moyenne de
la contrée est de 800 mètres et une très faible différence de niveau
sépare les tributaires du Nil de ceux du Congo.
Le Bahr el Arab (fleuve des Arabes) qui forme la limite septentrio-
nale de la région, est aussi en quelque sorte une limite climatérique,
établissant un contraste frappant entre la nature du sol, la faune, la
flore et les habitants des deux rives. Au sud du Bahr el Arab, des
pluies abondantes donnent naissance h une multitude de rivières ayant
toujours un débit; au nord, les lits desséchés des cours d'eau ne s'em-
plissent, pour un mon)ent, qu'à l?i suite de pluies diluviennes. Au sud, .
singes et éléphants se trouvent en abondance, ainsi que la mouche
Isetsé, au nord, on ne les rencontre pas. Le Bahr el Ghazal est le pays
des nègres et des botes à corne ; le Kordofan ainsi que le Darfour est,
au contraire, celui des Arabes et des chevaux.
Les Européens peuvent vivre dans celte région à condition d'éviter
les marécages du bas pays. Casati et Ëmin, entre autres, y passèrent
plus de 10 années, au milieu des circonstances les plus difficiles.
Le sol du Bahr el Ghazal est généralement fertile et les récoltes y
sont abondantes. Dans ce pays riche en produits de toute nature et, avec
ses 3SO.OO0 kilomètres carrés, grand comme les 2/3 de la France, la
population, que Reclus évalue à 3 millions d'âmes, serait autrement
nombreuse si elle n'avait pas été la proie des négriers. Les marchands
arabes après avoir pillé et dévasté une zone allaient installer plus loin
leur zeriba (station fortifiée) et dirigeaient sans cesse, vers l'Egypte et la
mer Rouge, de longues files d'esclaves. La conquête égyptienne ne mit
pas fia à cet odieux trafic, qui s'exerça seulement d'une façon moins
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90 REVUE FRANÇAISE
ouverte. Quand ritalien Gessi Pacha, nommé gouverneur du Babr el
Ghazal, voulut empêcher la chasse à Thomme, les Arabes soulevèrent
le pays et c'est de vive force qu'il fallut avoir raison du grand négrier
Soliman, fils de Zibebr. Sa capitale, Dem Soliman, le centre le plus
important du Babr el Ghazal, fut prise d'assaut et lui-même fut fusillé.
La tranquillité était revenue dans le i>ays lorsque l'invasion mahdiste
vint y accumuler de nouvelles ruines, après avoir triomphé de Lupton
bey, le successeur de Gessi, qui succomba sous les coups des enva-
hisseurs.
Le cours du Babr el Ghazal, qui forme la limite orientale du Pays
des Rivières, est souvent parsemé d'obstacles résultant de l'aggloméra-
tion d'herbes et de débris qui rendent la navigation pénible et difficile.
D'après les dires des explorateurs ces barrages du Nil proviennent de
l'insuflisance de pente qui occasionne d'immenses débordements; les
eaux du fleuve envahissent les terres et forment des lagunes parsemées
de passes libres. Ces lagunes, qui sont appelées meha ou /buta, suivant
leur profondeur, subsistent même pendant la saison sèche. A l'époque
des pluies elles créent, en raison de leur nombre et de leurs dimensions,
des obstacles répétés à la navigation.
Par suite des crues et des orages violents, les herbes sont arrachées
et charriées vers le Nil. Aux points de rétrécissement du fleuve, ces
paquets d'herbes agglomérées s'écoulent difficilement d'abord, puis,
peu à peu s'amalgament et s entassent au point de former un barrage
complet dont l'épaisseur et la résistance sont suffisantes pour porter
rhomme.
Parfois les masses flottantes qui forment ces barrages finissent par
se consolider et se couvrent alors d'une végétation arborescente. Les
eaux coulent en dessous ou se détournent do leur cours. Les Nouers.
tribu qui habite la région marécageuse située au confluent du Nil et du
Babr el Ghazal (fleuve des Gazelles) s'établissent sur ces barrages et se
nourrissent de j)oissons qu'ils prennent en perçant le sol.
Le Nil a toujours connu ces obstacles et, pendant 7 ans (1870-1877^,
une partie du Babr el Djebel fût à ce point barrée que la navigation ne
put être tentée que par la branche du Babr el Zaraf (fleuve des Girafes).
En 1880, Gessi Pacha, descendant à Khartoum avec 500 soldats et des
esclaves libérés, se trouva bloqué avec son vapeur sur le fleuve. Trois
mois s'écoulèrent avant que l'Autrichien Marno pût parvenir à le dé-
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LE BAHR EL GHAZAL ET SES HABITANTS 91
gager. Pendant ce temps, la plupart de ses hommes étaient morts de
maladie ou de faim.
Ces obstacles naturels sont plus rares dans le Bahr el Ghazal qui, à
Tépoque des crues, roule une masse d'eau assez puissante pour balayer
les barrages formés par le ISil en aval de son confluent.
En présence de ce fourré impénétrable, que les indigènes appellent
un êed, les barques sont obligées de s'arrêter et les vapeurs eux-mêmes,
malgré leur force d'impulsion, ne peuvent arriver à se frayer un pas-
sage. Les roues sont prises dans un enlacement d'herbes et le bâti-
ment est en quelque sorte prisonnier. Alors l'équipage saute à l'eau et,
armé de faulx — car le cas est toujours prévu —, se met à couper les
herbes, puis s'efforce de remettre le bateau en mouvement pendant
que les hommes restés à bord, aident à la manœuvre avec de grandes
perches, en accompagnant leurs efforts, suivant l'usage, d'une chanson
cadencée.
Ce n'est pas en vain que le Bahr el Ghazal porte le nom de Pays des
Rivières, car les cours d'eau y tiennent une large place. Les principales
rivières, qui ont de l'eau pendant toute l'année, ne sont guéables que
pendant la saison sèche; à l'époque des pluies, elles ont un débit
considérable et sortent souvent de leur lit. Ce sont, en se dirigeant de
l'ouest à l'est : le Pango, le Soueh et le Djour. qui réunissent leurs
eaux près de Meschra el Rek, le Djaou, le RohI, le Jeï. Ces cours d'eau,
qui coulent dan^ la direction sud-nord, portent plusieurs noms selon
le territoire des tribus qu'ils traversent.
Les prindpales localités du Bahr el Ghazal ont suivi les vicissitudes
politiques du pays et ont été tous des centres importants et des cités
déchues. Ayak ou Doufalla, sur le RohI, au temps florissant de la traite,
était une zériba (village fortifié) fondée par des marchands arabes et
entourée d'un fossé profond.
Non loin de là se trouve Roumbeck, appelé aussi Rohl, comme la
rivière et la tribu de ce nom, autre zériba importante et chef-lieu d'une
moudirieh au temps de l'occupation égyptienne. Dans cette ville, le
port des vêtements était un signe distinctif de religion; à l'exception
des femmes des Arabes, aucune autre n'avait le droit de se montrer
vêtue. Roumbek, où le gros de la population appartient à une branche
de la grande famille Dinka, faisait autrefois un commerce assez impor-
tant d'ivoire, caoutchouc, coton, plumes d'autruche.
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92 REVUE FRANÇAISE
Au nord-ouest deRoumbek, s'élève Djour Ghattas, la principale zériba
de la région, située dans une plaine fertile, dans la zone intermédiaire
entre les savanes marécageuses et les terrasses couvertes de prairies
et de bois. C'est un marchand grec du nom de Ghattas, enrichi dans
le commerce de Tivoiue et des esclaves, qui a donné son nom à cette
localité habitée par des Djour (Diour). Une rivière qui porte aussi Je
nom de cette tribu, nrrose le pays. Le Djour a un débit assez fort pen-
dant toute l'année; ses eaux sont peuplées d'innombrables crocodiles.
L'Italien Gessi-Pacha, lorsqu'il était gouverneur du Bahr el Ghazal,
avait ouvert le Djour à la navigation en le débarrassant des papyrus
et des grandes herbes qui en obstruaient le cours,
A une centaine de kilomètres vers le nord, près du confluent du
Djour et du Momoul, est bâti Meschra el Rek (embarcadère du Rek).
C'est là que commence la navigation du Bahr el Ghazal et que se
forment les caravanes qui se dirigent vers l'ouest et vers le sud. La
région comprise entre Djour Ghattas et Meschra el Rek est plate et,
en raison de l'insufiBsance des pentes, se transforme facilement en mare;
cage à l'époque des pluies.
Au nord-ouest de Djour Ghattas, se trouvent Koutchouk-Ali, où
l'explorateur Schweinfurth avait créé de beaux jardins de bananiers,*
citronniers et orangers; Vaou, dont les grandes forêts fournissent les
bois de construction pour les bateaux naviguant sur le Djour.
Elnfin, à Touest de Djour Ghattas, se dresse la zériba de Dem Ziber
ou Dem Soliman, créée il y a une trentaine d'années, par Ziber-Pacha
et résidence de son fils Soliman, ces deux grands trafiquants d'esclaves
que Gessi-Pacha dut mettre à la raison.Soliman y avait construit un
palais et la ville était la seule du Bahr el Ghazal qui possédât une mos-
quée. Les Égyptiens en firent la capitale de la province. Elle fut alors
une grande cité populeuse,, aux nombreux magasins approvisionnés
de denrées européennes ; ses artisans étaient célèbres par leur habileté.
Aujourd'hui, bien que située au croisement des routes du Kordofan,
du Darfour et du Congo, elle est presque complètement déserte, n'ayant
pour habitants, que les indigènes Dinkas. Lorsque M. Liotard en prit
possession, il dut, avant tout, y attirer des habitants et se préoccuper,
tant était grande la pénurie des ressources du pays, d'assurer la sub-
sistance du poste qu'il y établissait.
Les indigènes, en présence desquels se trouvent actuellement les
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LE BAHI< KL GHAZAL ET SES HABITANTS 93
missions françaises appartiennent plus particulièrement à deux grandes
familles : les Asandés et les Dinkas; les premiers relevant plutôt du
bassin du haut Oubangui, les seconds de celui du Nil. Voici quelques
détails descriptifs sur les peuplades plus ou moins sauvages de ces
régions.'
Les Sandès ou Asandès/ qu'on appelle aussi Niam Niam forment
une importante famille qui occupe toute la région touchant à la ligne
de partage des eaux du Nil et de TOuellé-Makoua, au nord-est de
rÉtat du Congo.
De taille moyenne, ils ont la peau d'un brun rougeâtre. Les hommes
attachent leurs cheveux en petites tresses, retombant du sommet de la
télé. Parfois ils se tatouent, mais le plus souvent ils se dessinent
des lignes tracées en noir avec le suc du gardénia. Leur vêtement se
compose uniquement d'un morceau d'écorce battue et la coiffure d'un
chapeau d'herbe tressée ayant tout l'aspect d'un pot de fleurs. Les
femmes enroulent leurs cheveux à l'aide de petits paquets d'herbe.
Les jeunes filles et les enfants, ont le costume le plus primitif du
monde. Les femmes portent seulement une bande d'étoffe, assez petite
en géi^éral, en forme- de ceinture. Elles ont l'habitude de s'oindre
le corps d'huile de palme et de le frotter avec de la poudre de bois
rouge. Les hommes comme les femmes portent des anneaux en fer au
cou, aux poignets et aux .chevilles et piquent dans leurs cheveux des
épingles en ivoire ou en os, de singe ou d'homme.
Les Asandés sont armés de lances, de boucliers, d'arcs et de flèches.
Beaux parleurs, chasseurs et guerriers, ils sont cependant de moeui^
hospitalières. Ce sont les femmes qui ont soin du ménage et à qui
incombent également les travaux des champ». Les hommes — quand
ils font autre chose que chasser — s'adonnent aux petits métiers et
fabriquent des ornements en fer, des paniers et ceintures en paille, etc.
Leur sauvagerie ressort pleinement de ce fait qu'ils sont anthropophages
à l'occasion.
Les Dinkas sont répandus sur tout le territoire du Bahr-el-Ghazal.
On en trouve même sur la rive droite du Nil. Voici comment s'exprime
sur leur compte l'explorateur italien Casati qui vécut pendant dix
années dans la région du haut Nil :
« La famille Dinka comprend de nombreuses tribus, trèà diflérentes
par les coutumes et les mœurs, mais toutes d'un caractère facile, ne
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94 REVUE FRANÇAISE
se passionnaDt que pour la chasse aux animaux sauvages. Les Dinkas
sont timides quand ils entrent en relations avec des étrangers. D'un
physique agréable, avec des membres vigoureux et souples ils se
montrent d'une grande supériorité à la course et manient la lance et
Tare d*une façon remarquable ; ils n'ont aucune constitution politique
à proprement parler ; le gouvernement est tout patriarcal : les villages
ont à leur tête des chefs jouissant de privilèges héréditaires. Les
habitations sont en paille de forme conique, d'une propreté admirable,
relativement spacieuses. Les hommes se couvrent d'une peau de chèvre
attachée aux reins, beaucoup cependant sont complètement nus ; les
femmes portent constamment deux de ces peaux qui retoml)ent à la
hauteur du genou ; elles prennent ce costume dès qu'elles sont nubiles.
D Les Dinkas ont l'habitude de dormir sur un lit de cendres, soit
pour se mettre ainsi à l'abri des myriades d'insectes, soit pour atténuer
les effets de l'abaissement considérable de la température pendant la
nuit. Rien n'est plus étrange qu'un village dinka lorsque, le matin,
tous ces fantômes blanchâtres se lèvent.
* Ils ont ordinairement les oreilles percées de plusieurs trous dans
lesquels ils passent de petits anneaux en fer ; les hommes portent aux
bras des cercles d'ivoire ; les femmes, des cercles de fer aux chevilles
et aux poignets. De même que beaucoup d'autres races nègres ils
s'arrachent deux des incisives inférieures.
D Lés Dinkas se nourrissent rarement de viande. Us ont en horreur la
chair de l'hippopotame et du crocodile. Leurs alimente préférés sont les
laitages et les farineux, et leur boisson est une bière préparée avec le
sorgho. Us estiment tout particulièrement une bouillie faite avec du
beurre, du miel et du lait. Tous leurs vases simt lavés avec de l'urine
de vache ; ils ne connaissent pas le sel. Us fabriquent leur beurre d'une
façon particulière : le lait est versé dans une courge que l'on bouche et
qu'une personne assise sur deux petits escabeaux de bois, place sur ses
genoux et secoue à droite puis à gauche, en la frappant alternativement
des deux mains, par coups réguliers et cadencés ; l'opération exige un
certain temps pour séparer le beurre du lait en grumeaux plus ou moins
gros.
» Les Dinkas professent im culte tout particulier pour les serpenis,
il n'est pour ainsi dire pas de case qui ne renferme quelque reptile,
un python le plus souvent. Ces animaux, nourris de lait, sont si
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LE BAHR EL GHAZAL ET SES HABITANTS 95
familiers qu'ils obéissent à la voix de la maltresse du logis. Comme
les Dinkas professent la polygamie, cette maîtresse est la première
femme épousée, dans le cas où il se trouve plusieurs femmes. La
femme s'achète aux parents ; le nombre des épouses d'un citoyen
dinka est donc en rapport avec la fortune de celui-ci. C'est sous la
direction et la surveillance de cette maltresse du logis que les autres
vaquent à la préparation des aliments, à l'approvisionnement de l'eau
et du bois, à la culture des champs, à l'entretien des élables à vaches
et à chèvres. Le Dinka, qui possède de grands troupeaux est presque
toujours absent du foyer; quand il revient au village il plante sa lance
devant la case de celle de ses femmes qu'il favorise. C'est pour elle un
honneur en échange duquel elle a à pourvoir aux besoins de son
seigneur et maître. »
Les Dinkas, dont certaines tribus vivent constamment dans les
marais, ne sont pas sans avoir quelque analogie avec les échassiers
qui y habitent. Ils ont de longues jambes décharnées et de larges pieds
plats. A l'instar des cigognes, ils ont pris l'habitude de se tenir im-
mobiles sur une jambe et d'appuyer l'autre au dessus du genou. Suivant
Th. von Heuglin, qui rapporte cet usage, ils se reposent ainsi durant
une heure entière.
Dans les plaines fertiles du Bahr-el-Ghazal, les cultures auxquelles se
Uvrent les indigènes, comprennent le sorgho, les fèves, les courges, le
sésame et le tabac. On y rencontre aussi des bananiers, des dattiers, des
citronniers» des orangers.
Passionnés éleveurs de bétail, les Dinkas ont pour celui-ci les plus
grandes attentions. Quand un de leurs animaux tombe malade ils le
mettent aussitôt dans une étable à part et le soignent de leur mieux.
Ils ont le plus grand respect pour la vache dont ils recueillent précieuse-
ment, pour tous les usages domestiques, la bouse et l'urine. Cette
dernière, qui semble jouer un rôle assez important dans leur existence
sert à teindre la chevelure de ceux qui ne se rasent pas la tête. Assez
habiles ouvriers, les Dinkas ont la réputation d'être d'excellents
cuisiniers — pour les indigènes.
En s'avançant à l'est vers le Nil, la mission Marchand se trouvera
aussi en contact avec les Bongos. Ceux-ci forment une importante peu-
plade établie entre les Niam Niam et les Dinkas dans les régions supé-
rieures du Tondi et du Djaou. Us ne ressemblent guère aux Dinkas et
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96 REVUE FRANÇAISE
s'en distinguent par la forte musculature de leurs membres, au lieu
d'avoir les jambes d'échassiers des tribus du marécage. D*après l'explo-
rateur Schweinfurth, les hommes ne sont pas nus comme la plupart
des indigènes du Bahr el Ghazal; ils portent un lambeau d'étoffe et un
grand nombre d'anneaux de fer qui forment brassard. « Les -femmes
n'ont point de pagne; elles s'attachent seulement à la ceinture une
branche feuillue ou des touffes d'herbes. Pour elles, les ornements par
excellence sont les clous ou les plaques de métal qu'elles se passent à
la lèvre inférieure ; souvent on rencontre des femmes ayant la lèvre
pourvue d'une rondelle assez grande pour qu'elle puisse servir dô plat
pour la nourriture. En outre, , les élégantes s'introduisent des chevilles
dans les commissures des lèvres, dans les narines, sur toutes les saillies
et dans tous les plis du corps; il en est qui se sont ainsi épinglées en
cent endroits différents. » Les femmes s'affublent aussi d'une queue
qui, en se balançant dans leur marche lourde, leur donne une allure
d'animal.
Les Bongos se distinguent par leur douceur et leur amour du travail.
Ils sont plus cultivateurs que pasteurs et, non seulement les femmes,
mais encore les hommes s'adonnent aux travaux de la terre et en
retirent d'abondantes récoltes. Leur nourriture se cpmpose, outre les
végétaux, de viandes de toutes sortes dont quelques-unes sont assez
répugnante^. Ils mangent avec délices le^ vers intestinaux du bœuf, les
scorpions, les larves de termite et autres animaux rampants. Comme
forgerons, ils jouissent d'une grande réputation. lis croient à la métemp-
sycose et sont convaincus que les âmes des vieilles femmes passent
dans le corps des hyènes; aussi, se gardent-ils bien, d'après Schwein-
furth, de tuer ces animaux, de peur d'atteindre quelque membre de
leur famille.
Les lettres de la mission Marchand sont moins favorables aux indi-
gènes que les récits des explorateurs. L'une d'elles, datée de Tamboura,
27 aQÛt, et publiée par rEclair^ contient les appréciations suivantes :
•( Les populations Azandés, au milieu desquelles nous sonunes depuis
Rafaï, sont apathiques et indisciplinées, mais elles ne sont pas dange-
reuses et nous les tenons par leurs sultans Bangasso, Rafaï, Sémio,
Tamboura. Mais Fort-Hossinger est sur leur extrême limite; à quatre
ou cinq jours d'ici, nous aurons affaire avec les Dinkas, qui ne sont
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LE BAHR EL GHAZAL ET SES HABITANTS 97
pius les populations pacifiques et pastorales dont parlent les quelques
explorateurs qui sont allés chez eux. Ce sont des gens cupides et
voleurs qui, braves en môme temps que très nombreux, ont le plus
grand mépris pour les armes à feu et ont l'habitude de foncer sur leurs
ennemis en se bouchant les oreilles avec de Tétoupe, simplement armés
d'une massue en bois.
Nous sonmies en pourparlers avec eux depuis longtemps, désireux
de passer en amis et ne nous souciant pas d'avoir à leur faire la guerre.
Du reste, plusieurs de leurs chefs nous ont déjà fait les meilleures pro-
messes et je pense que nous pourrons bientôt nous mettre en route dans
la vallée du Soueh. où nous sommes déjà depuis deux mois. »
On remarquera que le correspondant qui envoie ces nouvelles n'avait
pas encore pénétré — pas plus que la mission Marchand — sur le ter-
ritoire dinka. Ses appréciations peuvent donc être exagérées, d'autant
plus que M. Liotard, qui a pris contact à Dem Ziber avec les Dinkas,
se contentait, en parlant d'eux, de signaler surtout leur odeur nauséa-
bonde (1).
Mais il est bien certain que l'invasion mahdiste a dû modifier les
mœurs précédemment paisibles des indigènes. Sous ce rapport, il ne
sera donc pas surprenant de constater une transformation dans les
peuplades qui habitent le Bahr el Ghazal. Dans l'état d'esprit des indi-
gènes, une surprise sera donc toujours à redouter, et c'est pai' là que
les expéditions françaises sont pius particuUèrement vulnérables.
J. SeR VIGNY.
(1) Voir Rem9 Frafiçaise, déc. 1897, t. XXII, p. 691.
xiui (Février 98). N* 230.
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LES PORTS DE HAMBOURG ET BRÈME
La prospérité sans cesse croissante du commerce de FAllemagne, le
développement rapide de sa marine marchande, appellent de plus en
plus Tattention sur ses ports, notamment sur Hamboui^ et Brème qui
tiennent le premier rang entre tous.
Par sa situation à une faible distance de l'embouchure d'un grand
fleuve, Hamboui^ se trouve dans une situation particulièrement favo-
rable pour le commerce maritime. C'est, en effet, là où se trouve son
port que finit la navigation maritime et que commence la navigation
fluviale. Grâce à cotte situation privilégiée, Hambourg est en communi-
cation directe par l'Elbe et par les canaux qui y aboutissent avec la plus
grande partie de l'Allemagne et une partie de l'Autriche. Les voies
ferrées elles-mêmes contribuent à lui apporter un trafic important. On
va juger, par ce qui suit, de la position avantageuse du port de Ham-
bourg et de l'importance de son mouvement commercial.
A son embouchure, l'Elbe a assez de profondeur pour accueillir les
navires du plus grand tirant d'eau. En côtoyant les îles hollandaises et
les rives allemandes de la mer du Nord, on trouve à la sonde, de 12 à
14 brasses et, jusqu'à Gluckstadt, à 70 kilomètres après l'embouchure,
le fleuve conserve une profondeur qu'aucun fleuve européen ne dépasse.
C'est près de Gluckstadt, à Brunsbuttel, que débouche le canal de la
Baltique, creusé à 9 mètres de profondeur, et, en face, à Cuxhaveo,
enclave hambourgeoise, la ville libre a créé un port de marée qui ser-
vira de point de départ aux grands paquebots de la Hamburg-Amerika-
Unie. Ce port de 8 mètres de profondeur à marée basse, en aura 10"* 8 à
marée haute. En remontant l'Elbe, les plus grands bâtiments peuvent
parvenir jusqu'à la rade de Brunshausen, à 30 kilomètres de Hambourg.
En temps normal, les navires d'un tirant d'eau de plus de 7°» 20 ne peu-
vent se rendre directement à Hamboui^. Toutefois, les ports et bassins
de la ville ont été établis à une profondeur plus considérable.
A Hambourg, la marée moyenne n'est plus que de 1"80, de sorte
que tous les ports maritimes hambourgeois ont pu être établis comme
ports de marée ouverte.
C'est à Hambourg, placé à une centaine de kilomètres de l'embou-
chure de l'Elbe, que l'estuaire se transforme en fleuve proprement dit.
Grâce aux facilités de pénétration qu'offre le fleuve, Hambourg a vu
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LES PORTS DE HAMBOURG ET BRÈME 99
son commerce augmenter dans de notables proportions. Dans ces 30
dernières années, le jaugeage des navires maritimes a passé de 1.300.000
à 6.200.000 tonnes. Les marchandises parties de Hambourg par bateaux
fluviaux pour des lieux de destination en amont de la ville, ont passé,
en 30 ans, de 330.000 à 2.400.000 tonnes. Quant à celles qui arrivent
de rintérieur de Hambourg, elles représentent actuellement 2 millions
de tonnes.
Aussi Hambouj^, avec son tonnage total d'entrées de 6.228.000 t.
eo 1894, dépasse-t-il tous les ports voisins et est-il devenu le premier
port du continent. Anvers n'a que 5.002.000 1., Rotterdam, 4.143.S00 1.,
le Havre, 2.860.500 t., Brème, 2.172.000 t. Au point de vue du trafic
international, Hambourg était parvenu à dépasser Liverpool, en 1894,
avec 6.354 navires et 5.699.000 t. contre 5.873 navires et 5.492.000 t.,
ne se laissant devancer que par Londres avec un mouvement de 10.834
navires et 8.301.000 tonnes.
D'autre part, la population de Hambourg est passée, de 200.000 ha-
Utanis en 1862, à 650.000 aujourd'hui, sans compter les 150.000 ha-
bitants d'Altona, ville juxtaposée.
Sur 9.165 navires entrant à Hambourg, 6.500, soit 70 0/0, sont des
bateaux à vapeur qui représentent seuls 90 0/0 du tonnage total.
La majeure partie du port de Hambourg est réservée au pori libre,
d'une étendue de 1.000 hectares. Les bassins, dont les quais ont 16 à
17 kilomètres de long et dont les hangars et entrepôts couvrent 175.640
mètres carrés, aoiit reliés par des voies ferrées aux gares adjacentes et
possèdent de nombreuses grues pouvant soulever jusqu'à 150 tonnes
De grands chantiers de construction, ceux de Blohm et Voss et du Rei-
herstieg, sont étabUs sur le territoire du port libre.
En 1895, Hamboui^ a vu entrer par mer, 9.443 navires jaugeant
6.254.500 tonneaux de registre; en 1896, 10.447 navires et 6.445.000
t. ; U en est parti 9.446 jaugeant 6.279.700 t. et en|1896, 10.371 navires
et 6.300.000 tonnes. La valeur de l'importation par mer est estimée à
1.661.433.000 m. et, en 1896, à 1.713.071.000 m. ; celle de l'exporta-
tion par mer à 1.336.773.290 m., et, en 1896, à 1.439.210.000 marks.
Si l'on ajoute les arrivages et départs par l'Elbe supérieur (soit 28.485
bateaux fluviaux en 1895, et 31.833 en 1896, valant 841.824.005 marks
en 1895, et 954.805.000 en 1896 et, en outre les arrivages par voie
farée, on arrive, pour 1895, à un mouvement commercial total repré-
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100 REVUE FRANÇAISE
sentant 5.40Z.1H.00O marks et, pour 1896, 5.793.194.000 m. En
somme, la valeur des marchandises entrées et sorties de Hambourg est
de 7 milliards de francs, en sensible progrès sur les années antérieures.
Les navires entrés à Hambourg, qui ne jaugeaient, en moyenne, que
461.770 tonnes de 1816 à 18S0, jaugeaient 2.206.254 tonnes de 1871 à
1880 et 6.264.500 en 1895. 11 faut y ajouter 266.704 I. pour Altona et
102.072 i. pour Harbourg en 1895.
La flotte maritime de Hambourg ne comprenait, en 1845, que 223
navires jaugeant 42.802 tonnes ; elle possédait, en 1880, 491 navires
avec 244.280 t. ; en 1895, 650 navires et 644.800 tonnes: en 1896, 673
navires et 680.000 t.
A rentrée, le port de Hambourg est surtout fréquenté par le pavil-
lon anglais. Celui-ci tenait le premier rang jusqu'en 1896 ; mais, cette
année, le pavillon allemand lui enleva la première place avec 2.914.900 1.,
ne laissant que la seconde aux Anglais avec 2.734.500 t. Les autres
pavillons ont peu d'importance: le norvégien, 301.600 t.; le danois,
136.600 t. ; le néerlandais, 102.700 t. ; le français, 62.900 t. seulement
(contre 67.000 t. en 1893) ; le suédois, 52.300 t., etc. Tandis que pres-
que tous les pavillons sont en augmentation, celui de France marque
une diminution de plus de 4.000 tonnes.
Malgré sa prospérité croissante, la ville libre de Hambourg fait encore
de grands eflbrts pour améliorer ses voies d'accès et renforcer son outil-
lage. Le port de Hambourg possède 12 bassins et de nombreux mouil-
lages le long de pieux (ducs d'Albe), en pleine rivière. L'encombrement
est tel cependant, à certains moments, que les navires venant de la mer
ont parfois peine à obtenir un emplacement. Aussi a-t-on décidé de
créer 12 nouveaux mouillages (ducs d'Albe), au milieu du grand bas-
sin, dit India Hafen. Ces travaux coùtemnt 52.000 marks. En outre, le
Sénat de Hambourg vient de soumettre au corps législatif un plan gé-
néral d'agrandissement du port, qui consiste à creuser à Kuhwarder
(rive gauche), 3 grands docks et à prolonger la darse actuelle. Les frais
prévus sont de 11.159.000 marks pour le seul bassin qui serait cons-
truit immédiatement et achevé dans 4 ou 6 ans.
Le port de Brème n'a pas été aussi favorisé par la nature que celui de
Hambourg. Bien que situé à une plus grande proximité que ce dernier
de la mer du Nord, il n'a pas, comme lui, cette grande artère fluviale
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LES PORTS DE HAMBOURG ET BRÈME 101
qui draîne sur ses quais tout le commerce de Tintérieur. Brème n'a
comme mode de pénétration dans les terres que les chemins de fer et
c*est là une voie artificielle et coûteuse à laquelle le commerce pré-
fère, autant que possible le transport par eau. Malgré ces causes d'in-
fériorité sur sa rivale, Brome a su tirer un remarquable parti de la
poussée formidable du commerce allemand.
En 189S, les importations dans le port de Brème ont été d'une valeur
de 806.306.000 marks, soit une augmentation de 111.821.000 m. sur
1894. Les exportations ont été en 1895 d'une valeur de 76o.8o2.000 m.,
soit 93.743.000 m. de plus qu'en 1894. Le commerce total a augmenté
en un an de 10, 12 0/0 sur la quantité et de 6,6i 0/0 sur la valeur.
Cette augmentation sans précédent correspond d'ailleurs à celle du
commerce total de l'Allemagne, dont l'exportation a attemt 3.318 mil-
lions de marks en 1895, soit 356 millions de m. de plus qu'en 1894.
L'activité s'est exercée surtout dans les industries textiles, les mines,
les métaux, les machines, la céramique.
En 1896, le progrès commercial de Brème s'est encore accentué. Les
importations ont été d'une valeur de 821.473.000 marks et les exporta-
tions d'une valeur de 809.365.000 marks.
A Brème, l'importation des objets manufacturés (articles en coton,
laine, soie et demi-soie, jute, etc.) a passé de 76 millions de m. en
189i à 106 en 1895; à l'exportation, ces mêmes marchandises qui don-
naient, en 1894, 72 millions de m., ont atteint en 1895, 102 millions
de marks.
Les importations de Brème proviennent surtout de l'Empire allemand
(287.635.000 m.) et des États-Unis (228.174,000 m.); les autres puis-
sances ne suivent que de bien loin; les principales sont l'Angleterre
(46.697.000 m.), la République argentine (44.000.000 m.), la Russie
(27.846.000 m.), l'Australie (27.400.000 m.); la France n'envoie à
Brème que pour 3.222,000 marks.
Les exportations brèmoises sont dirigées pour plus de la moitié sur
l'Empire aljemand (425.338.000m. en 1895); viennent ensuite: les
États-Unis (141.000.000 m.), l'Autriche (42.500.000 m.), l'Angleterre
(32.700.000 m.); la France no reçoit de Brème que pour 1.160.000
marks.
Les importations à Brème consistent surtout en coton (181 .325.000 m.) ,
laine (83.320.000 m.), tabac et cigares (47.166.000 m.), etc. Les expor
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lOÎ REVUE FRANÇAISE
tations de ce port comprennent avant tout le coton brut (174.Î23.000 m.),
la laine (83.283.000 m.), le tabac et les cigares (54.600.000 m.). On
voit donc par la comparaison de ces chiffres que les produits ne font
qne traverser Brème, qui leur sert de port de transit.
Le commerce générai de Brème avec la France est tombé de
10.207.703 fr. en 1894 à 5.477.295 fr. en 1895, à cause des prix trop
élevés de nos vins.
La navigation des ports du Weser a été de 4.083 navires et
2.183.200 tonneaux à rentrée et de 4.448 navires et 2.200.200 t. à la
sortie en 1895 ; au total, c'est une diminution de 252 navires, mais une
augmentation de 58.027 t. sur 1894. Le tonnage à l'entrée comprend
784.000 tonnes provenant des États-Unis, 296.500 tonnes allemandes,
295.700 t. anglaises, 202.700 t. russes, 49.300 t. Scandinaves, 27.845 t.
espagnoles et portugaises, 29.794 t. hollandaises et belges, seulement
7.908 t. françaises. A la sortie, les chiffres sont à peu près les mômes.
On constate une grande augmentation des relations avec l'Amérique du
sud (186.800 t. en 1895, soit 47.000 t. de plus qu'en 1894), principale-
ment avec la République Argentine et le Brésil.
Pour 1896, les chiffres totaux des navires ont progressé mais le ton-
nage a baissé. A l'entrée, on compte 4.494 navire et 2.011.663 tonnes ;
à la sortie 4.781 navires et 2.008.866 tonnes.
Cet aperçu du commerce maritime des deux principaux ports alle-
mands amène cette conclusion que la part du pavillon français y va de
plus en plus en diminuant pendant que, d'autre part, les navires alle-
mands qui fréquentent les ports français et viennent y enlever le fret,
vont sans cesse en augmentant. C'est là une constatation de plus de la
décadence de notre marine marchande. Et tandis que, de 4891 à 1896,
Hambourg voit augmenter son tonnage de 700.000 t. à l'entrée, Dun-
kerque et le Havre, nos deux principaux ports du nord, voient dimi-
nuer leur tonnage, le premier de 20.000 tonneaux, le second de 34.000.
Les défectuosités de l'outillage de nos ports et les facilités que l'on
trouve à l'étranger sont une des causes de cette décadence.
Paul Barré.
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NOUVELLE-CALÉDONIE
ÉTA.T DE LA COLONISATION LIBRE
La France, disent les étrangers, a des colonies, mais n'a pas de colons ;
et chacun de disserter sur la répugnance qu'ont les Français à aller
chercher fortune hors de la métropole. L'amour d'un bien-être relatif,
même dans une perpétuelle médiocrité; l'ignorance des conditions
d'existence que Ton trouverait au loin; la résistance des parents à voir
leurs enfants aux prises avec les difficultés sans nombre et hors de
portée d'être conseillés ou soutenus; la facilité de s'abriter dans un
emploi quelconque ou de devenir fonctionnaire : tels sont les motifs qui
sont le plus souvent mis en avant. Sans doute, il y a vingt ans, ils ont
pu retarder l'expansion coloniale, mais depuis, bien des préjugés sont
tombés. Le manque de débouchés pour le nombre tpujours croissant de
gens en quête de positions, la connaissance de plus en plus répandue
des affaires coloniales, l'extension rapide de notre domaine extérieur,
la propagande à outrance faite par des hommes comme Bonvalot ou
des sociétés comme l'Union coloniale, la part de plus en plus grande
donnée par la presse aux colonies, le va-et-vient continuel, des posses-
sions d'outre-mer à la métropole, des soldats qui ont opéré depuis
quinze ans au Tonkin, au Soudan, à Madagascar. Toutes ces causes
n'ont pas été sans amener une transformation dans notre manière de
voir.
C'est ainsi que dans toutes les familles on s'est familiarisé avec l'idée
que celui des enfants qui part aux colonies n'est pas nécessairement
un enfant perdu pour toujours. Les préjugés anciens sont tombés, on
suppute les chances de succès, on cite les exemples de ceux qui ont
réusAi. f Si tu étais parti avec lui il y a dix ansi dit le père à son fils
qui végète dans une position sans avenir, tu nous reviendrais mainte-
nant fortune faite. » — « C'est possible, répond le fils, mais un de mes
camarades qui revient de Nouvelle-Calédonie, m'a dit la vérité là-des-
sus. Le tout est de choisir l'endroit. On est encore plus tracassé par
l'administration dans les colonies qu'on ne l'est en France. On vous
dore la pilule pour vous attirer et une fois là, il faut déchanter. Fina-
lement on revient plus pauvre qu'on n'est parti. »
Cela donne l'état d'âme d'un grand nombre de gens rebelles à toute
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104 REVUE FRANÇAISE
idée d'émigration. Une famille qui rentre en France éprouvée par le
climat, n'ayant plus de ressources, retombant à la charge de ceux qui,
tout en restant au pays avaient partagé les illusions de Theure du
départ, c'est la propagande à rebours, et la Nouvelle-Calédonie nous en
donne malheureusement de trop fréquents exemples.
En i884, dix-sept familles s'installaient à Koné (côte ouest). Une
seule a résisté et tient actuellement un débit de boissons. Deux mois
après leur arrivée, toutes les autres avaient renoncé à leur tentative.
En 1887 on y installe dix nouvelles familles, et les immigrants viennent
peu à peu jusqu'en 1891 ; à partir de cette date le mouvement cesse
complètement. En résumé, sur 80 colons la moitié a abandonné la po-
sition, l'autre moitié cherche tant bien que mal à tirer parti du terrain.
Si on consulte une carte de la colonisation, on voit sur la côte est six
centres : Canala (Négropo et Ciu), Monéo, Ponérihouen et ses environs,
Ina, Poindémien, Tiéti. Sans compter le centre de Thio qui est aliéné
mais n'est pas occupé. Sur la côte ouest, on distingue cinq centres :
Koné, Voh, Onégoa, Oubatche et Hienghène. Ces trois derniers figurent
pour mémoire, car l'effort n'a pcMrté que sur Koné et Voh.
Il est incontestable que c'est le premier groupe, celui de la côte est,
qui doit donner les meilleurs résultats à raison des vents d'est et aussi à
cause de la qualité du sol.
Les colons qui ont su persévérer sont-ils sur le chemin deja fortune?
Se constituent-ils des exploitations qui en feront dans un temps donné
de puissantes et riches familles?
Sur les 470.000 caféiers actuellement plantés, 300.000 appartiennent
à un capitaliste de la colonie, M. Leconte; 30,000 à M. I^aujolle, anciai
géomètre; 140.000 se répartissent entre une trentaine de familles. A Voh,
150.000 caféiers se répartissent entre 43 familles. Si l'on prend les résul-
tats en masse, on peut dire que la plupart des petits colons ont épuisé le
pécule beaucoup trop maigre de 5.000 francs qu'ils avaient apporté sur
l'assurance qu'on leur avait donnée qu'ils pouvaient, avec cette réserve,
vivre à l'aise pendant les cinq premières années.
Sauf quelques exceptions, les colons se soutiennent par le crédit que
leur fait la maison Ballande qui prend hypothèque au fur et à mesure.
Les moins endettés doivent de 600 à 1.000 francs, et la sécheresse
absolue que subit la région les mettra bientôt à la merci des préteurs.
Au moment où ils ne pourront plus payer les intérêts du capital prêté,
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NOUVFXLE-CALÉDONIE 105
Us seront bien forcés d'abandonner leurs concessions aux capitalistes.
Les colons arrivent avec Tidée fixe que le café pousse comme la
pomme de terre et doit donner bon an mal an 1 franc de renie par
pied après 5 années de culture. Or, cela n'existe que dans Timagi-
Dation de ceux qui écrivent des brochures pour amorcer le colon. Ils
n*ont pas craint d'annoncer qu'avec 5.000 francs et 5 ans de travail on
devait se faire annuellement 5.000 francs de rente. Il ne leur est pas venu à
la pensée de faire des traités populaires sur la culture du café telle qu'elle
est comprise dans les centres producteurs, de propager l'emploi des
engrais qui peuvent donner au sol calédonien la vigueur qui lui
manque. On n'a pas prévenu ces braves gens qu'ils se trouveraient
loin des centres importants et sans communications faciles. Il leur
est impossible de vivre du seul produit de la terre en attendant que le
café donne des résultats. Il faut bien qu'ils fassent venir vin, farine,
sel, etc., qu'ils portent au marché volailles, cochons, etc. Comment
faire s'il n'y a pas de routes?
On ne s'explique donc pas que le gouverneur, M. Feillet, puisse avoir
ridée de créer un grand centre au milieu de l'île, à 35 kilomètres de
chaque côte, au col d'Amien, ce qui exige la construction d'une route
qui coûtera plus de 100.000 francs, sans compter l'entretien ultérieur.
Les colons auront plus de deux jours de charrette à bœufs; ce n'est
pas fait pour les encourager.
Le conseil général a conscience de cette situation; il n'est pas disposé
à entrer dans les vues du gouverneur, car il sent qu'il lui incomberait
une lourde responsabilité si. comme tout le fait prévoir, on allait au-
devant d'un insuccès. Il y a dans ce conseil des hommes expérimentés,
qui ont une notion juste des mesures susceptibles d'enrayer le mal. 11
faudrait assurer le sauvetage des colons déjà installés, aider les plus
courageux, ralentir le mouvement d'immigration jusqu'au moment où
la nature du sol sera suffisamment étudiée et où les chemins d'accès
auront été faits.
D'après quelques-uns, le gouverneur ne paraît pas comprendre que
surtout dans la période de début d'une colonisation, il faut inspirer à
tous, fonctionnaires ou colons, la conviction qu'on ne leur demande pas
de penser comme le gouverneur et de lui plaire en se faisant ses agents
électoraux, mais de faire les uns de l'administration et les autres de la
culture. Le régime de la peur n'a jamais réussi à faire de la colonisa-
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06 REVUE FRAISÇAISE
tion libre, et ceux qui trouvent dans une colonie que le caprice du
gouverneur fait loi estiment que ce n'était pas la peine de quitter la
métropole pour aller aux antipodes risquer leur santé et leur pécule.
Un Colon libre.
Fidèle à sa tradition, la Retme Française ne manque jamais d'exposer
les deux faces des questions en laissant le lecteur juger lui-même où
se trouve la juste doctrine; aussi tenons-nous à rapprocher de la cor-
respondance qu'on vient de lire l'extrait suivant de la Quinzaim colo-
niale (10 janvier 1898) que dirige M. Chailley-Bert, secrétaire général
de r Union coloniale française :
Le ministère des colonies a reçu, d'un haut fonctionnaire chargé
spécialement d'étudier ce qui se rattache à la situation économique et
à l'avenir de la Nowelle-Calédonie, un rapport du plus haut intérêt.
Ce fonctionnaire attribue l'insuccès des anciennes tentatives do coloni-
sation libre à ce que les a premiers émigrants avaient été mal recrutés,
étaient dépourvus des aptitudes professionnelles et surtout des res-
sources indispensables pour la mise en valeur d'une concession agri-
cole ». Nous n'avons cessé, en ce qui nous concerne, de nous élever
contre les théories d'après lesquelles la colonisation ne devrait être
qu'un nouveau mode d'assistance; cette constatation très nette vient
grossir le nombre de celles qui établissent ce qu'a de dangereux et de
chimérique une manière de voir dont s'inspirent diverses propositions
de loi dues à l'initiative parlementaire, actuellement soumises à la
Chambre des députés.
Après avoir fiait allusion aux résultats du mouvement d'émigration
déterminé par le gouverneur actuel avec le concours de l* Union colo-
niale française^ le rapport s'occupe du service de l'immigration qui
fonctionne à Nouméa : « Le nouveau venu trouve, à son débarquement,
un local mis gratuitement à sa disposition pendant la durée de son
séjour à Nouméa. 11 est reçu par le gouverneur, et une société, qui
s'est donné la mission de guider les colons, 1* « Union agricole calédo-
* nienne », lui donne toutes les indications qui peuvent lui être utiles.
• L'émigrant est ensuite conduit, par un agent de l'administration,
dans le canton oh se trouvent les lots entre lesquels il fera choix de sa
concession. Il existe généralement des abris provisoires qui sont utilisés
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NOUVELLE-CALÉDONIE 107
jusqu'au moment où le colon a pu se construire ou se faire construire
une maison. C'est ordinairement une habitation en torchis, recouverte
de feuilles de cocotiers ou d'écorce de miaoulis ».
Depuis trois ans, le mouvement d'émigration vers la Nouvelle-Calé-
donie a donné ces résultats : les territoires concédés comprennent
8.830 hectares, le nombre des familles qui les mettent en valeur est de
171 ; enfin, les plantations réunissent 610.000 pieds de café.
Le rapport de la mission traite ensuite un point important et sa con-
clusion est conforme à la recommandation qael'Union coloniale française
renouvelle avec insistance sous toutes les formes. Le capital de
5.000 francs exigé constitue-t-il des ressources suffisantes pour mener
à bien la mise en valeur de la concession? « Oui, si le colon est un
cultivateur de profession, un paysan décidé à se livrer lui-même aux
travaux de culture et à s'imposer, au début, de réelles privations. —
Non, s*il appartient à la catégorie des professions manuelles urbaines
et surtout à celles des personnes auxquelles le travail manuel est étran-
ger. Fixer un chiffre exact par catégorie est impossible ; mais pour
l'élément non cultivateur, on peut considérer que le minimum des
ressources doit être considérablement élevé ».
Les doléances des émigrants portent seulement sur deux points : la
pénurie de la main-d'œuvre et le manque de voies de communication.
D'après la mission, la main-d'œuvre pénale, la main-d'œuvre mdigëne
et celle des libérés ne donnent et ne donneront jamais que des résul-
tats très médiocres, c Les Annamites et les Javanais introduits en
Nouvelle-Calédonie sont, au contraire, des travailleurs appréciés, les
Javanais surtout, en raison de la connaissance qu'ils ont de la culture
du café. C'est à l'Indo-Chine et à Java que devront être empruntés les
véritables auxiliaires de la colonisation. »
Quant à l'amélioration des voies de communication, ce sera surtout
l'œuvre du temps ; toutefois, l'administration y applique la plus grande
diligence. C'est ainsi que le plan de campagne élaboré par le gouver-
neur comprend, pour l'accès des centres créés, l'ouverture de 1.734 ki-
lomètres de routes charretières de deux mètres de largeur et de
768 kilomètres de pistes ou sentiers d'exploitation.
En ce qui concerne la situation économique de la colonie, voici
.'exposé de la mission : la progression des exportations de café est
constante, de 32.800 kilogrammes en 1890, elle passe à 212.S96 kilo-
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108 REVUE FRANÇAISE
grammes en 1896, pour atteindre le chiflfre de 98.534 kilogrammes
pendant les six premiers mois de Tannée 1897. Lorsque les centres
nouvellement crôés seront en plein rapport, la production actuelle
sera presque doublée : on peut considérer qu'elle atteindra près de
400.000 kilogrammes avec une valeur de 1. 800.000 francs. D'autre
part, la valeur delà propriété territoriale s'est considérablement accrue.
Le rapport en mentionne deux exemples topiques : 6 hectares plantés
en café, acquis pour 6.000 francs en juin 1893, se sont vendus
11.500 franco le 23 novembre 1893; 3 hectares également plantés en
café, achetés en 1896, pour le prix de 1.225 francs, vendus le 24 oc-
tobre 1896, 14.000 francs.
LE BUDGET DES COLONIES POUR 1898
Le budget du ministère des colonies ne cesse d'augmenter chaque
année, ainsi, du reste, que le domaine colonial de la Franco. Le bud-
get présenté par le gouvernement pour 1898 s'élevait à la somme
totale de 88.030.868 fr., présentant une augmentation de plus de 4
millions sur le chiffre de 1897, qui était de 83.874.RiO fr. Mais par
suite d'augmentations survenues, la commission du budget propose le
chiffre de 91.564.240 fr. se décomposant ainsi: dépenses communes,
2.360.000 fr. ; dépenses civiles, 13.157.868 fr. ; dépenses militaires,
66.626 872 fr. ; services pénitentiaires, 9.419.500 fr.
Si l'on déduit de cet ensemble les contingents et receltes que les co-
lonies paient à la métropole et qui s'élèvent à 9.546.914, le chiffre des
dépe/ises réelles descend à 82.017.326 fr. Encore est-il bon de faire
remarquer que les 9 millions et demi du service pénitentiaire ne sont
point précisément des dépenses coloniales, et pourraient être rattachés
î\ tout autre ministère.
Voici de quelle façon M. Riotteau, rapporteur, après avoir constaté
que nos anciennes colonies de la Réunion, Martinique, Guadeloupe
souffrent de la crise sucrière et de l'élévation du change (30 0/0 à la
Guadeloupe), expose la situation de nos autres possessions :
« Au Sénégal, la baisse des arachides a fait diminuer également les
transactions commerciales. Le chiffre des importations s'est pourtant
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LE BUDGET DES COLONIES POUR 1898 109
accru au profit de la métropole. La France a pour sa part les 2/3 des
importations contre 1/3 au profit de Tétranger.
A Ja Guyane, on constate également une baisse sur le total des im-
portations et des exportations, mais la proportion du trafic reste la
même entre la métropole et l'étranger.
La situation est sensiblement identique à Saint-Pierre et Miquelon,
dans rinde, à la Nouvelle-Calédonie, à Tahiti. Les importations et
exportations avec la France sont peu importantes. Elles diminuent avec
Tétranger.
Pour la première fois, le Soudan apparaît avec un commerce de
14.712.314 fr. à Timportation et 13.483.611 fr. à [rexportalion. Les
.renseignements parvenus sont encore trop incomplets pour faire la part
exacte de la France et de l'étranger dans ces transactions. On peut dire
cependant que notre commerce y a une situation prépondérante. La
Guinée française est en progression. Mais les transactions de la métro-
pole, aussi bien à l'importation qu'à l'exportation, ne s'accroissent
qu'avec lenteur. Il en est de môme à la Côte d'Ivoire. Au Dahomey, au
contraire, les importations de la métropole progressent plus rapidement,
alors que celles de l'étranger dimiouent... Au Congo, l'importation de
la France est en progrès faible, il est vrai, mais l'exportation a diminué
de plus de moitié. L'importation étrangère a augmenté de 500.000 fr.
environ. L'exportation à l'étranger a diminué, mais dans une propor-
tion moindre que celle de la France,
En ce qui concerne Madagascar, par suite de la situation troublée de
l'île les informations sont incomplètes.
La Cochinchine et le Cambodge réunis présentent une diminution de
4 millions environ sur les importations de France et de 7 millions pour
le commerce étranger. L'exportation est en diminution de 6 millions
pour la métropole et de 3 millions pour l'étranger. L'Annam-Tonkin est
en augmentation de près d'un million pour l'importation de France ;
l'étranger subit une diminution de près de 3 millions à l'importation.
L'exportation de la colonie sur la France remonte d un million. Celle de
l'étranger s'abaisse de 200.000 fr. environ.
D'une manière générale, nous avons importé pour près de 104 mil-
lions dans nos colonies, alors que l'étranger y importait 123 millions.
Elles nous ont envoyé pour 107 millions de produits, alors que l'é-
tranger en absorbait 118 millions. Le commerce général des colonies.
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110 R£VUB FRANÇAISE
tant avec la France qu'avec rétrangar» a'est élevé à 417 millions contre
510 millions constatés 9U budget de 1887. Les causes de cette dimi-
nution de trafic sont complexes. Dans rindo-Chine» elles proviennent
de la mauvaise récolte du riz ; dans nos cdonies sucrière», de la baisse
du prix du sucre ; dans nos colonies d'Afrique, de la baiise des ara-
chides et des graines oléagineuses similaires ».
Le personnel de l'administration centrale des colonies coûtera, en
1898, 690.000 fr., alors que Ton consacre seulement la somme déri-
soire de 75.000 fr. pour Témigration des travailleurs aux colonies. U
est vrai que cette somme sera relevée à 100.000 fr., chiffre encore bien
insufflsant quand il s'agit, comme pour la Nouvelle-Calédonie d'aider
au transport d'émigrants ayant déjà un petit capital.
La subvention au Congo français est de 2.353.000 fr. depuis 1887, la
France a dépensé pour cette colonie 17*286.320 fr., pendant que les
dépenses locales ont été de 20.135.296 fr.
Les recettes étant fort au-dessous des dépenses, il y a donc eu de ce
côté un déficit constant. M. de Lamothe, le nouveau gouverneur, a
pour instructions spéciales de mettre plus d'ordre et d'économie dans
les dépenses de la colonie.
La subvention au budget local de Madagascar est diminuée pour
1898 de 200.000 fr., mais ce n'est là qu'un trompe-l'œil, car pour 1897,
il a été demandé 17 millions de crédits supplémentaires par suite de
l'insurrection, et les dépenses militaires ont dû être élevées de 13.710.000
fr. à 18.276.000 pour 1898.
Les frais d'occupation du Soudan français sont fixés à 6.180.000 fr. ;
les crédits votés pour 1897 étaient de 6.312.000 fr. et les dépenses de
l'exercice 1895 avaient été de 9.707.153 fr. Grâce à l'heureuse admi-
nistration du colonel de Trentinian, les dépenses du budget local ont
été réduites de 2 millions environ (1). Une somme de 600.000 fr. est
consacrée aux travaux d'avancement du chemin de fer de Kayes au
Niger. Avec des ressources aussi insufiisantes il faudra 30 ans, dit le
rapporteur, pour atteindre le but.
En Guinée, une somme de 100.000 fr. contre 300.000 fr. pour 1897,
est affectée aux travaux de prolongation de la route de Konakry au
Niger, pour lesquels la colonie accorde une subvention annuelle de
(1) Voir Bev. Fr. sept. 1S97, p. 505 : la Situation au Soudan français.
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LE CHEMIN DE FER DE PÉKIN ill
30.000 fr. Là encore le crédit est insuffisant, car si les colonies doivent
se développer, c'est par les travaux publics qui les mettront en valeur.
Les crédits affectés aux services militaires de TAnnam et du Ton-
kin ont été ramenés par la commission de 24.640.000 fr. à 23.2SO.000.
Parmi les réductions proposées la commission demande la diminution
des médecins militaires. C'est là une détestable économie, car on sait
que bien des petits postes sur la frontière manquent de médecins, et
c'est toujours par les maladies que les expéditions coloniales françaises
ont le plus souffert.
Enfin les crédits de défense des colonies sont élevés d'une année sur
lautre de 800.000 à 1.200.000 fr. C'est sur cette somme que sont
soldés les travaux entrepris à la Martinique, à Dakar, à Saigon et à
Madagascar pour la défense des points d'appui de la flotte.
Terminons en r^rettant que le rapport de M.Kiotteau ne contienne
pas, comme celui de son prédécesseur, le tableau des budgets de chaque
colonie ainsi que celui de leur mouvement commercial.
G. V.
LE CHEMIN DE FER DE PEKIN
VEoonomiste français a publié récemment une intéressante lettre de M. Pierre
Leroy-Beaulieu, dont les correspondances sont très remarquées, sur Pékin et les cbe
mins de fer de la Chine. En voici le passage le plus saillant :
Depuis trois mois, on se rend à Pékin en chemin de fer. La première
ville de l'intérieur que les Chinois se soient décidés à relier à la côte
par le nouveau moyen de locomotion importé d'Occident est leur sacro-
sainte capitale et le petit réseau de chemin de fer de la province du
Tchili est encore le seul qui existe dans Fempire, Il comprend en tout
467 kilomètres en exploitation : 127 de Pékin à Tientsin, 43 de Tientsin
à Tangkou, un peu au-dessus des forts de Takou qui défendent Tembou-
chure du Peï-Ho, 233 de Tangkou à Shan-Haï-Kwan, point où la
Grande Muraille de Chine aboutit à la mer, et enfin un prolongement
de 64 kil(»nètre.s au delà de cette Grande Muraille vers le Nord-Est.
Le premier tronçon de ce chemin de fer, construit par les soins de
Li-Hong-Chang| reliait ses mines de charbon de Kaïpesig à la rivière
Petang, située un peu au nord du Peï-Ho ; il fut ensuite étendu, par
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"H
412 REVUE FRANÇAISE
les soins du même vice-roi, d'une part, jusqu'à Tientsin ; de Tnutre,
jusqu'à Shan-Haï-Kwan. Si on Tavait poussé avec plus d'activité de ce
côté, il aurait pu rendre de sérieux services pendant la guerre sino-
japonaise. On projette de le prolonger jusqu'à Moukden en Mandchourie
méridionale avec embranchement sur Newchwang, port ouvert du Pet-
Chili septenirional, occupé par les Japonais en 1895. Mais les travaux
avancent fort lentement de ce côté ; la ligne de Tientsin à Pékin, au
contraire, a été construite en un an.
Sur tous ces chemins, le trafic est déjà actif, conmie on était en droit
de s'y attendre. 11 y a quatre trains par jour dans chaque sens entre
Tientsin et Tangkou, deux de Tangkou à Shan-Haï-Kwan (trois et
quatre même sur les sections de cette ligne), deux enfin de Tientsin à
Pékin, depuis le 1^^ octobre : lorsque je suis venu ici, quelques jours
avant cette date, il n'en existait encore qu'un qui franchissait la distance
entre les deux villes en cinq heures, à raison de 25 kilomètres à l'heure.
L' « express » quotidien ne met plus maintenant que 3 heures 53 minu-
tes et marche à 32 kilomètres à l'heure. Les recettes de la ligue de
Pékin à Tientsin atteignent ea moyenne 3,000 taëls par jour, c'est-à-
dire 10,000 francs au cours actuel du change. Cela fait 30,000 francs
par kilomètre et par an. C'est un magnifique résultat ; aussi est-on déjà
en train de poser une seconde voie sur c^tte ligne à peine terminée et
où des aflBches annonçaient encore dernièrement que les voyageurs
n'étaient transportés qu'à leurs risques et périls sans responsabiUté de
l'administration.
La construction est cependant fort bien faite, à la laideur normale de
la voie européenne ; le ballast est excellent, composé de pierres concas-
sées et non de terre ou de sable, comme on le fait parfois dans les pays
neufs. Les difficultés techniques à surmonter n'ont pas été grandes,
quoique la traversée de terrains périodiquement inondés sur une nota-
ble pallie de la ligne ait nécessité des remblais peu élevés, mais solide-
ment construits. Le Peï-Ho et un ou deux autres cours d'eau sont fran-
chis par des ponts aux piles de pierre qui ne sont pas tous achevés ; on
passe alors à côté sur des passerelles provisoires en bois. Le chemin de
fer, — qui appartient à l'Etat chinois, — a été exécuté par des ingé^
nieurs anglais et américains ; ce sont encore eux qui en dirigent l'exploi-
tation au point de vue technique et les mécaniciens sont aussi des
Européens ; mais tout le reste du personnel, employés dans les gares,
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LE CHEMIN DE FER DE PEKIN 413
coDtrôIeurs et autres, est chinois, comme aussi radmiDistralion finan-
cière. Le matériel est peu luxueux, mais suffisant pour un voyage de
courte durée et les bancs cannés des vagons de première sont peut-être
préférables, en ce pays de malpropreté, à des sièges plus rembourrés ;
les voitures de seconde n'ont que des bancs de bois tout simples ; beau-
coup de Chinois voyagent aussi dans des vagons de marchandises.
Quant aux bagages, que les Européens sont seuls à avoir en grande
quantité, on les met tout bonnement dans le même compartiment que
leur propriétaire. Les prix sont modérés: 2 piastres 80 cents de Tientsin
à Pékin, soit 6 fr. 30 ou 5 centimes par kilomètre en première et moitié
moins en seconde.
On descend de vagons à 3 liy ou 1,S00 mètres, des murailles de Pékin
au milieu d'un grand nombre de spectateurs attirés tous les jours par
Farrivée du train et l'on passe brusquement du plus perfectionné à l'un
des plus barbares moyens de transport que l'humanité ait à sa disposi-
tion. Le tarantass sibérien parait le plus doux des véhicules si on le
compare à la charrette de Pékin. Deux grandes roues aux jantes énor-
mes reconvertes de fer et garnies d'un triple cercle de clous, reliées pai*
un essieu très fort, supportent cet informe appareil que recouvre une
bâche bleue. Une ou deux mules attelées en flèche le traînent ; le char-
retier s'assied en avant de la partie abritée sous la bâche sous laquelle
s'insinue le malheureux voyageur; il n'y a pas assez de place pour
s'étendre et il faut rester assis, les jambes allongées ; à peine est-ou en
marche qu'on est violemment projeté à droite, à gauche, en arrière,
contre l'armature de bois de la voiture qui prend, elle, les inclinaisons
les plus variées ; on regarde avec angoisse la boue profonde du chemin
où l'on craint à chaque instant d'être précipité, soit parce que le véhi-
cule aura versé, soit parce qu'il aura été brisé par un cahot plus violent
que les autres; il n'en est rien pourtant et au bout d'une demi-heure on
se trouve sain et sauf devant une muraille crénelée de 25 pieds de
haut, précédée d'un fossé boueux aux trois quarts comblé ; on la suit
quelques instants, puis on tourne à droite sur un pont d'où une porte
donne accès dans une demi-lune tout entourée de murs ; on franchi
par une seconde porte le rempart proprement dit et vous voici dans
Pékin.
X XIII (Février 98). N*230.
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ÉPHÉAlÉRIDES ÉTRANGÈRES ET COLONIALES POUR L*ANNÉE 1897
FRANCE
Mort à Paris d'Antoine d'Abbadie, explorateur en Ethiopie (20 mars 4897).
Mort à Grenoble du 1^ de vaisseau Boiteux, conquérant de Tombouctoa
(22 sept.).
Algérie. — M. Lépine est nommé gouverneur général (1* oct.). !l succède à
M. Jules Ombon qui était resté 6 ans- en fonctions,
Tunisie. — Convention signée à Paris avec TAngleterre, mettant fin au traité
perpétuel conclu en 1875 entre la Tunisie et l'Angleterre (18 sept.).
AMqae occ^ française. — Décret supprimant le commandement supérieur
des troupes (8 janv.).
Gninée française. — Décret établissant, à dater du 1"* juin, des droits de
douane (4 av.).
Sondin français. — Décret supprimant le ^ escadron de spahis soudanais
(25 fév.).
I^a mission Voulet, qui avait occupé Ouagadougou {i^ sept. 1896) et établi le
protectorat français sur la Mossi et le (jourounsi, effectue sa réunion avec
la mission Baud venant du (lourma, réalisant ainsi la jonction du Soudan
avec le Dahomey (16 fév.).
Traité de protectorat signé avec les Touareg Aouélimiden (14 mai).
Occupation de Say (19 mai).
Un détachement de spahis, sous les ordres du 1^ de (^hevigné, est massacré
par les Touar^, près de Rhergo (19 juin).
Le capitaine Braulot attiré dans un guet-apens par les Sofas de Samory, est
massacré à Bouna avec une partie de son escorte (20 août).
M. A. Lebon, ministre des colonies, débarque à Dakar (17 oct.), visite le Sé-
négal et va jusqu'à Kayes. C'est la i^ visite d'un ministre aux colonies.
Côte-dlTOire. — Le Conseil d'État annule l'arrêté de déchéance de la conces-
sion Verdier (5 mars).
Dahomey. — Convention signée à Paris avec l'Allemagne délimitant le Daho-
mey et le Togo. Celte convention reconnaît le Gourma à la France et San-
sanné Mango à l'Allemagne (23 juil.).
Occupation de Boussa (Niger) par le 1* de vaisseau Bretonnet (5 fév.).
Occupation de Nikki, capitale du Borgou (nov.).
Congo. — Le Conseil d'État annule l'arrêté de déchéance de la concession
Dauraas (5 mars).
Décret modifiant l'organisation du Congo français et nommant M. H. de La-
mothe commissaire général (28 sept.). M. de Brazza^ qui rentre en France^
était le premier gouverneur du Congo.
UOfficiel publie un décret modifiant l'organisation judiciaire (3 oct.)*
Onkangui. — M. Liotard^ l^^gouverneur, occupe Dem Ziber, dans le bassin
du haut Nil (1«" juin).
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ÉPHÉMÉRIDES POUR L'ANNÉE 1897 14«
La mission Marchand arriTe à Tamboara, an Bahr el Ghazal (juil.).
Madagascar. — Le général Gallieni restitue aux provinces non hovas leur au-
tonomie administrative (janv.).
Le général Gallieni prononce la déchéance de la reine Ranavalo (27 fév.).
Celle-ci est internée à la Réunion, où elle arrive le 14 mars.
Un poste français est créé à Ihosy, en pays bara (fév.), et une communica-
tion par ce point est établie entie Tullear et le Betsileô.
La révolte des Hovas est apaisée et Tlmenna paciûée (av.)*
L'Officiel de Paris promulgue la loi portant application à Madagascar du tarif
général des douanes (17 av.).
Décret réglementant le régime des mines (20 juil.).
VOfficiel publie un décret réglementant le régime de la propriété (23 juil.).
Les derniers grands chefs hovas insurgés font leur soumission (29 juil.).
Décret supprimant le titre de résident général et le remplaçant par celui de
gouverneur général (31 juil.),
VOfficiel publie un décret créant un 2^ régiment de tirailleurs malgaches
(12 oct.).
Le pavillon français est arboré sur les îles Juan de Nova(S*-Christophe), Eu-
ropa et Bassas de India, dépendances de Madagascar.
Soulèvement des Sakalaves du Ménabé (oct.).
Mo-Chise. ^ Décret supprimant le poste de secrétaire général du gouverne-
ment créé en 1895 et rétablissant celui de résident supérieur au Tonkin
(8 juin).
L'enseigne de vaisseau Mazeran franchit avec le La Grandière les rapides de
TangHo, reculant ainsi jusqu'à Xien Lap, la navigation du (Mékong (août).
Sappression des fonctions de vice-roi à Hanoï.
ModWcations du protectorat en Annam à l'avantage de la France*
L'emperiiir d'Ânnam quittant Hué pour la 1'^ fois depuis la conquête rend
visite au giuyemeur général à Saïgon (4 déc.).
I^MSalédonie. -^ Décret fixant le régime du domaine et des concessions
(10 av.).
Voir : Chine.
ALLEMAGNE
Le Reichstag ayant rejeté la phipart des crédits demandés pour l'augmenta-
tion de la flotte, l'amiral Hollmaim donne sa démission de ministre de la
marine. L'amiral Tlrpitz est nommé à sa place (31 mars 1897).
Le Reichstag vote l'abolition de la loi contre le séjour des jésuites (3 av.).
Le Reichsanzeiger publie la nomination de M. de Bulow comme secrétaire
d'État aux affaires étrangères, où il remplace M. Marschall (28 oct.).
Bfort à Ténériffe de l'explorateur Zintgrafif au retour du Kameroun (5 déc).
Le prince Henri de Prusse quitte Riel avec les navires envoyés en Chine
(16 déc.).
Voir : Dahomey, Chine.
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H6 REVUE FRANÇAISE
AUTRICHE
ÉlectioiîB au Reichsralh (9 mars 1897).
M. Lueger, chef des antisémistes, est élu bourgmestre de Vienne (8 av.).
Ordonnances mettant l'emploi de la langue tchèque sur le pied d*^alité avec
la langue allemande en Bohême (6 av.) et en Moravie (22 av.).
Le Reichsrath repousse la demande de mise en accusation du cabinet Badeni,
formée par les libéraux allemands, au sujet des ordonnances bilingues
(8 mai).
Le Reichsrath rejette une nouvelle demande de mise en accusation du cabi-
net (20 oct.).
A la suite d'incidents violents et d'actes d'obstruction suscités au Reichsralh
par la minorité allemande et de désordres dans différentes villes, le mi-
nistère Badeni donne sa démission (28 nov.). M. Gautsch devient chef du
cabinet (1 déc.).
Troubles graves entre Tchèques et Allemands à Prague (4, 2 déc.).
ESPAGNE
Assassinat à Santa Agueda, par un anarchiste, de M. Canovas del Gastilio,
chef du cabinet (8 août). Chef du parti conservateur, plusieurs fois premier
ministre, cet homme d'État avait puissamment contribué à la restauration
de la monarchie en 1875. Le général Azcarraga devient chef du cabinet.
Formation du cabinet libéral Sagasta, succédant au cabinet conservateur
(4 oct.).
Cufca. — Le maréchal Blanco est nommé capitaine général à Cuba en rem-
placement du général Weyler dont les mesures de répression ont été sans<
effet sur l'insurrection (8 oct.).
La Gacela publie des décrets accordant un gouvernement autonome à Cuba et
à Porto-Rico (25, 26 nov.).
PUlippines. — Les chefs insurgés et leurs bandes font leur soumission (déc).
L'insurrection durait depuis 2 ans.
GRANDE-BRETAGNE
60^ anniversaire de l'avènement de la reine Victoria (20 juin 1897).
L'Angleterre dénonce les traités de commerce conclus avec la Belgique et
l'Allemagne (30 juil.).
Bénin. ~ A la suite du massacre d'une mission anglaise près de Bénin (janv.),
une expédition anglaise s'empare de Bénin (fév.)
Miger. — Les troupes de la C*« du Niger s'emparent de Bida, capitale de l'émir
du Noupé (27 janv.).
Côte d'Or. — L'expédition Henderson est battue et dispersée à Oua par les
sofas de Samory (av.),
Rhodesia. — Inauguration du chemin de fer de Boulouwayo (4 nov.).
ZSùuibar. -- Décret abolissant l'esclavage (av.)«
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 117
Eft afiricain. — L'expédition Macdonald envoyée vers le Haut-Nil est arrêtée
dans sa marche par la révolte de ses soldats soudanais (nov.).
Canada. — Élections au Parlement de Québec (11 mai). 49 libéraux et
25 conservateurs remplacent les 46 conservateurs et les 23 libéraux sor-
tants. M. Marchand succède à M. Flynn comme premier ministre de la
province.
laies. — Une colonne anglaise est assaillie par les Ouaziris à Maïza, sur le
Tochi (N.-O.) et subit un grave échec (juin 1897.)
A la suite du soulèvement des Mohmands, le campement anglais de Malakhan
a à repousser de vives attaques (27-30 juil.).
Les Afridis prennent les armes contre les Anglais et s'emparent des postes
fortifiés du défilé de Khyber.
La brigade anglaise Jefifreys, assaillie par les Mohmands, subit un échec sé-
rieux (16 sept.).
Les Anglais après avoir infligé plusieurs échecs aux Mohmands occupent
Jarobi, centre du soulèvement. Les Mohmands font leur soumission (oct).
Le général Lockhart, nommé au commandement en chef de l'armée d'opé-
rations, après avoir pénétré dans la vallée de Tirah, met en fuite les Afri-
dis à Ghagra Kotal après un sanglant combat (20 oct.).
L'armée d'opérations n'ayant pu réduire les Afridis bat en retraite, après
une série d'escarmouches meurtdères, pour prendre ses quartiers d'hiver
près de Pechawer (déc.)
Voir : Tunisie, Chine. (A suivre,)
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES
AFRIQUE
Soudan français : Navigabilité du Niger. — £n descendant le Niger, la
mission Hourst avait trouvé ce fleuve libre de Koulikoro (en aval de Bam-
mako) jusqu'à AnsongO. Les rapides ne commençaient qu'en ce point et ren-
daient la navigation des plus pépibles jusqu'au-dessous de Boussa.
Mais la mission Hourst avait parcouru le Niger à la saison des hautes
eaux. Il fallait donc se rendre compte des conditions de navigabilité aux
basses eaux et de la possibilité de ravitailler, par Tombouctou, notre poste de
Say, sur le Niger.
Le chef de bataillon Goldschen, commandant de la région de Tombouctou,
confia, en mai 1897, au lieutenant de Chevigné la mission de reconnaître
cette partie du fleuve.
Partie de Koriumé (7 mai), avec 5 pirogues calant de 20 à 28 centimètres,
la mission était le 11 mai à Rhergo, le 15 mai à Imentabonack et rentrait
le 21 mai à Tombouctou.
De Tombouctou à Imentabonack, les pirogues ont eu beaucoup de peine
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ils REVDB FRANÇAISE
à passer ; il y eut de nombreQx échouages sur des bancs de saUe qui, en
certains points, forment des barrages dans toute la largeur du fleuve^
Le niveau du fleuve descend, aux basses eaux, très rapidement. A Bofa,
à 54 kil. en aval de Koriumé, M. de Ghevigné trouve ce fleuve entièrement
coupé par des bancs de vase, alors que R jours ayant, le lieutenant Mejnier
avait passé facilement en pirogue. A Imentabonack, en 48 heures, les 16-17
mai, M. de Ghevigné constata un abaissement de niveau de 10 centimètres.
A cette saison, le passage de Kefna, à 26 kil. de Imentabonack, put être
considéré comme infranchissable car le lit du fleuve est hérissé de roches
aiguës.
D'après M. Vuillot, le Niger peut être considéré comme navigable de Tom-
bouctou à Ansongo, m^isaux hautes eaux seulement. En aval d'Ansongo, les
o)wtaCiles rocheux et les rapides rendent la navigation difficile à toute épo-
que, et dangereuse sinon impossible neuf mois sur douze.
CSÔte dlvoire : Réoccupation de Bondoukou, — On se rappelle que Bon-
doukou avait été placé dans la sphère des intérêts français, en 1890, par le
capitaine Binger, dans son grand voyage dans la boucle du Niger. Une
convention franco-anglaise Ta formellement reconnu. Toutefois, les autorités
anglaises de la Gôte d*Or, redoutant une invasion des sofas de Samory, à la
suite du désastre de la mission Henderson, envoyèrent des troupes au N.-O.
de rhinterland de leur colonie. Un de ces corps s'installa à Boualé, puis à
Bouna, tandis qu'un autre occupa Bondoukou et Kammala, au N.-E. Le
gouvernement français, dit le Temps, fit remarquer que des troupes anglaises
ne pouvaient rester dans une irille reconnue française et le gouvernement
anglais donna des ordres pour l'évacuation de Bondoukou.
Pour empêcher Samory de rentrer à Bondoukou, le ministre des colonies
donna des instructions au gouverneur de la Côte d'Ivoire afin qu'il fît procé-
der à l'occupation de ce point. A la fin de noveriibre dernier, M. Glozel quit-
tait le poste d'Assikasso, dans le bassin du Gomoé, à 220 kilomètres de
Grand-Bassam, accompagné de M. Lamblîn, commis aux affaires indigènes,
et de 25 miliciens. Le 5 décembre 1897, M. Glozel entrait à Bondoukou. La
ville, grande et bien bâtie, qui a plus d'un kilomètre de l'est à Touest, a été
pillée par Samory. La population a dû s'enfuir. Vingt crânes, blanchissant
au soleil sur la route de Dadiani, indiquent que le Napoléon noir, comme on
l'appelle parfois, a des procédés sommaires de gouvernement,
Bondoukou est à 300 kilomètres de Grand-Bassam. Au nord, un détache-
ment du commandant Gaudrelier est, depuis quelques semaines, à une petite
distance de Bouna. De Bondoukou à Bouna, la distance est d'environ 120
kilomètres. Du cêté de la frontière anglaise, la jonction de nos établissements
du Soudan et de la Gôte d'Ivoire est donc près de la réalisation effective.
Côte d'Or : An^lai$ à StUaga. — En vertu d'une convention de 1888, les
gouvernements anglais et allemand s'étaient engagés à neutraliser un terri-
toire, situé dans la vallée de la Volta. En novembre et décembre 1897, pen-
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NOUVELLES GÉOGfiAPHIQUBS BT COLONIALES ^i^
dant que des missions anglaises organisées par le gouvernement de la Côte
d'Or, allaient à Bouna dans le N.-E., à proximité de la région où se trouvent
les troupes françaises, d'autres se dirigeaient vers le nord et le N.-O., c'est-
à-dire vers la <c zone neutre » anglo-allemande. Elles ont occupé Salaga et
Yendi, puis ont renforcé la garnison de Gambaka, capitale du Mampoursi
(au nord de la zone neutre) où les Anglais résident depuis mai 1897. Cette
occupation d'un territoire neutralisé a soulevé en Allemagne une émotion
non dissimulée.
Le gouvernement anglais aurait décidé^ de construire une voie ferrée
allant de la côtQ au bassin intérieur de la Volta.
Daliomey-Niger : Occupation de rhinterland. — L'occupation fran-
çaise au Boi*gou et dans tout l'hinterland du Dahomey, est aujourd'hui par-
tout effectuée. A Nikki, où le roi cédant, dit le Temps, à des excitations du
dehors, s'était soulevé et fut tué, est installée une garnison de 200 hommes.
A Kandi, Kouandé, Kayoma se trouvent des garnisons de 100 hommes. A
Bouflsa, 200 hommes ont été installés par le 1^ de vaisseau Bretonnet. Le ca-
pitaine Baud a fait occuper la rive droite du Niger et a placé des postes de
50 hommes à Roufia, Gomba, Ilo, Madécali et Karimama. Près de Say, l'îlot
de Fort Archinard, où s'était établi le 1^ de vaisseau Uourst, a été occupé par
300 hommes. Enfin, deux nouvelles compagnies de tirailleurs de 150 hom-
mes chacune, doivent partir de Dakar pouc renforcer les troupes du Borgou.
Le chef de bataillon Ricourt, qui réside â Nikki, commande à toutes ces
troupes. MM. Bretonnet et Baud devant s'embarquer le 25 février pour ren-
trer en France, sont remplacés, le premier, par le capitaine Chabert à Boussa,
le second, par le capitaine Dqhalde à Ilo. A Kouandé commande le capitaine
Diimoulin. Enfin, le Gourma est placé sous les ordres de l'administrateur
Molex.
Afin de faciliter les communications, trois routes partent de Carnotville
vers l'intérieur : l'une sur Ilo, par Nikki et Boussa; une autre sur Ouaga-
dougou par Kouandé et Fada N'Gourma; une 3« sur Say, s'embranchant sur
la précédente à Koncobiri. Le télégraphe qui, deKotonou, desservait Abomey
et Carnotville, atteignit Ouangara en décembre 1897. Il doit être actuellement
à Kouandé et arrivera sans doute à Ouagadougou dans 6 mois. Ainsi, sous
l'énergique impulsion du gouverneur du Dahomey, M. Ballot, l'hinterland
est aujourd'hui bel et bien français.
État dn Ciongo : Budget, — Le roi Léopo|d vient d'approuver le projet
de bu4get du Congo pour 1898. Les dépensai s'élèvent à 17.251.000 fr., les
recettes à 14.765.000 fir. ; le déficit prévu est |e 2,500,000 fr. Le crédit pour
la force publique est augmenté de près de ^ millions, celui de la marine
l'est de 1 million, celui des travaux publics est doublé. Le service des trans-
ports (route des caravanes et chemins de fer), coûtera, en 1898, 8.600.000 fr.
Dans ce chiffre sont compris les firais de tran3port à dos d'homme de presque
toutes 1^ marohundises importées ou exportées pour le compte des Sociétés
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n
iîO REVUE FRANÇAISE
commerciales. Gomme précédemment, le déficit budgétaire préYU sera cou>
vert par Temprunt. On sait que l'Etat indépendant émet, à mesure de ses
besoins et avec l'autorisation du gouvernement belge, les titres non encore
mis en circulation de l'emprunt de 130 millions de francs autorisé par la
loi de 1887.
Afrique allemande : Budget. — Le budget des quatre colonies alle-
mandes d'Afrique se balance en recettes et dépenses par une somme do
12.909.900 marks. Dans ce chiffre, 5.965.200 marks forment la part de l'A-
frique orientale, 1.394.100 marks sont affectés au Kameroun, 550.000 au
Togo et 5.000.600 au Sud-Ouest africain.
Les subsides votés par l'Empire se répartissent de la façon suivante :
Afrique orientale, 3.805.200 marks (soit une diminution de 534.000 marks
sur 1897) ; Kameroun, 814.000 marks (123.800 d'augmentation) ; Sud-Ouest
africain 4.600.000 marks (1.585.600 en plus) ; soit au total une augmentation
de 1.175.200 marks. Seul, le Togo, ne reçoit aucun subside impérial.
Au point de vue militaire, une augmentation de 100 hommes et jugée
nécessaire aux troupes destinées à asssurer la tranquillité du Kameroun,
troupes qui ne comprennent que quelques centaines d'hommes, tous indi-
gènes, à l'exception d'une partie des cadres qui sont européen>. Au Togo,
il est question de transformer le corps de police en une troupe militaire,
mais cette opération ne s'effectuera qu'après la rectification définitive des
frontières.
Dans le Sud-Ouest africain, on a entrepris la construction d'une voie fer-
rée qui part de Swakopmund et pénètre dans l'intérieur.
Une somme d'environ un million de marks est affectée â ces travaux pour
1898. Une autre somme de 250.000 marks va être consacrée à l'amélioration
du port de Swakopmund et une somme de 40.000 marks pour compléter
l'artillerie qui défend ce point.
Madagascar : Révolte takalave, — La situation militaire continue à
s'améliorer dans l'ouest. La ligne de communication entre le plateau central
et le canal de Mozambique est complètement occupée par nos troupes. La
tranquillité parait se rétablir, mais il faut l'imputer pour une part au
retour des pluies, qui rendent le terrain absolument impraticable. Il résulte
des renseignements recueillis que les Anglo-Indiens de la côte se sont livrés
et se livrent encore à une propagande active pour nous présenter auprès des
tribus sakalaves comme des envahisseurs résolus à réduire le pays en escla-
vage et à dépouiller les indigènes de leurs biens. On ne saurait prendre de
mesures trop sévères contre ces marchands de l'Inde et des Comores qui sont
les véritables promoteurs de l'insurrection.
Afin de faciliter, lors de la reprise de la campagne, la pénétration et la
police à l'intérieur, des canonnières doivent être commandées en France
pour renforcer l'action de nos troupes et exercer sur les indigènes une salu-
taire influence. Ces petits bâtiments pourront rendre de grands services, car
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NOUVELLES GÉOGRAPfflQUES ET COLONLiLES 121
la Tsiribihîna, le plus importaDt des fleuves de la région ouest, peut être
rendue facilement navigable sur près de 200 kilomètres. Grâce aux mesures
prises, l'année 1896 verra sans doute ouvrir effectivement à la colonisation
le Ménabé, qui nourrit les plus beaux troupeaux de Madagascar, possède de
riches forêts et récèle des gisements aurifères.
Pénétration dans le sud, — L'extension de notre influence dans le sud a
motivé la création d'une nouvelle circonscription qui a pris le nom de cercle
des Baras et des Tanalas. La direction en a été confiée au commandant Cléict
et le chef-lieu a été installé à Ivohibé. Le roi des Baras d'Ivohibé, à la suite
des échecs qui lui ont été infligés, a fait sa soumission à l'administrateur
Cardeneau.
Dans la province de Tullear, grâce à l'envoi d'une compagnie de la légion
étrangère, les progrès sont considérables. L'administrateur Estèbe et le capi-
taine Génin ont amené la soumission des chefs de la vallée de l'Onilahy et
ceux-ci doivent payer un impôt annuel. Ces régions passent pour fertiles et
le climat y est très supportable.
A Fort-Dauphin, le capitaine Brulart élargit de jour en jour son cercle
d'action. De ce côté, la pénétration est laborieuse, car les Antandroys s'oppo-
sent avec persistance à la marche de nos reconnaissances. Néanmoins, le
capitaine Brulart a déjà obtenu un résultat important dans l'établissement
d'une ligne de communication régulière entre le chef-lieu de sa province et
Fianarantsoa en passant par Tamotamo, Bebroky et Ihosy, pays riches par
leurs forêts à caoutchouc. Behara, chez les Antandroys, a été enlevé de vive
force. Un poste a été établi en ce lieu qui est le point de passage obligé des
caravanes venant de l'ouest. Des écoles ont été ouvertes dans le cercle,^ un
service postal installé et des travaux d'assainissement eotrepris à Fort-
Dauphin.
CoiorUsation militaire indigène, — Sur la route de Majunga le mouvement
commercial augmente, grâce aux efforts du lieutenant-colonel Lyautey, pour
peupler la partie déserte de la route (environ 130 kil.) entre Ankazobé et
Andriba. Quatre villages militaires, distants de 25 à 30 kil., ont ét^ créés
pour servir de gîtes d'étapes. Les tirailleurs malgaches y ont amené leurs
£unilles qui ont reçu du bétail, des instruments aratoires et des approvision-
nements pour aider à leur établissement. Les bons résultats obtenus jusqu'ici
permettront sans doute d'adopter cette mesure pour la pénétration au Ménabé
et en d'autres provinces.
Situation, — Les travaux de la route de Tamâtave ont bien résisté jus-
qu'ici aux pluies torrentielles qui n'empêchent pas la continuation des tra-
vaux. Les convois par voiture sont aujourd'hui presque exclusivement
employés de Tamâtave à Andevourante et de Mahatsara à Santaravy qui se
trouve à environ 40 kilomètres à l'intérieur.
A Tamâtave, l'état sanitaire s'est considérablement amélioré depuis que
divers travaux d'assainissement ont été exécutés et que les services publics.
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in REVUE FRANÇiUSE
fort maltraités jusqu'à présent au point de yuQ de Thygiène, ont ^té installés
dans des maisons démontables.
Le capitaine Rossi, successeur du résident Pradon dans la province de
Marsantsétsa, a complètement pacifié cette région dans laquelle la rébellion
s'était montrée particulièrement tenace. La liaison de cette province avec
les cercles voisins est aujourd'hui un fait accompli, et des routes sont tracées
de tous côtés afin de faciliter les communications.
Un indice de la pacification générale consiste dans un arrêté publié le
9 décembre, au Journal officiel de Tananarive, par lequel l'état de siège est
levé dans Flmérina et le Betsiléo, où il avait été établi au mois de sep-
tembre 1896. Ce régime, qui n'a jamais été l'occasion de mesures de rigueur
vis-à-vis des Européens, avait été établi uniquement dans le but d'atteindre
les fauteurs et les chefe de l'insurrection.
Le gouverneur général a également distrait les affaires civiles de l'état-
major et les a fait ressortir d'un bureau spécial relevant directement de
son autorité. Le commissaire des colonies, Lsdlier Ducoudray, en prendra la
direction dès son arrivée à Tananarive.
Le général Gallieni va rendre applicable l'acte de navigation réservant aux
navires battapt pavillon français le cabotage sur les côtes de Madagascar.
Cette mesure aura une grande importance parce qu'elle diminuera les impor-
tations étrangères, et qu'elle permettra de fermer la côte ouest à la plupart
des boutres indiens et arabes dont on connaît le rôle joué lors de la révolte
sakalave.
La récole du riz s'annonce bien et promet d'être abondante.
A Tananarive la vie commence à devenir moins monotone ; les sports y
sont en honneur : lawn-tennis, cyclisme et même réunions hippiques.
Afrique orientale anglaise: Expédition Macdonald. — Les soldats
soudanais révoltés de l'expédition que dirigeait le major Macdonald, sont
assises à Lubwas-Usoga. Plusieurs combats ont eu lieu entre les troupes
du major et les rebelles, mais sans que ces derniers aient pu être délogés de
leurs positions. D'après une dépêche de Zanzibar (10 janvier), les nouvelles
du m£^or Macdonald envoyées de l'Usoga, le 19 décembre, annoncent qu'un
nouveau combat a été livré. Le 1* Macdonald, frère du major, et un mis-
sionnaire ont été tués. Des renforts ont été expédiés de la côte. Déjà, le
mois précédent, le gouvernement britannique avait envoyé à Mombassa, un
contingent important de troupes de l'Inde. Ces soldats étaient destinés à
renforcer l'expédition Macdonald , mais les événements de l'Ouganda où
I^usieurs des postes soudanais ont fait cause commune avec les révoltés, a
nécessité tout d'abord leur envoi dans ce pays. Il a été décidé, en outre,
que des sous-offîciers de l'armée régulière seraient envoyés pour encadrer
les troupes indigènes de l'Ouganda.
M. Jackson, commissaire du gouvernement, qui avait été grièv^oimit
blessé dans le premi^ combat livré par les rebdles, est actuellement en
t)onne voie de guérison.
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NOUVELLES i^OGRAPHIQUBS ET COLONULES 133
ASIE
CaieminB de 1er turcs. — Ainsi que nous le laissions prévoir (oct.
1897, p. 616), le prolongement du chemin de fer de Cassabaaété terminé en
1897. La seconde section a été livrée à l'exploitation le 27 octobre et la der-
nière le 20 décembre.
Les stations sont les suivantes rapportées comme distàiicès à Torigine de
la nouvelle ligne, c'est-à-dire, Alacheir, Kapaklar (134 km.), Banaz (158 km.),
Atourak (176 km.), Toumloupounar (18Skm.), Kutchukeui (203 km.), Balmali-
moud (226 km.) et Aflon Karakissar (251 km.).
La jonction entre cette ligne et lembranchement Eskicheir Konia du grand
réseap d'Anatolie n'est pas encore réalisée à Afion Karahissar, par suite de
difficultés locales qui seront aplanies prochainement. De sorte que l'on pourra
bientôt aller de Smyrne à Constantinople en chemin de fer sans change-
ment de wagon, comme cela a lieu déjà entre Salonique et Constantinople.
Indo-Cîhiiie françalBe : Aperçu général, — Notre collaborateur, M. Paul
Barré a fait, le 18 décembre dernier, une conférence sur l'Indo-Ghine fran-
çaise, à Boui^es, sous les auspices de la Société de Géographie du Cher. Nous
en extrayons les données suivantes :
Notre empire indo-chinois, qui comprend 1.900 kilomètres de cdtes, s'étend,
en j comprenant les territoires qui rentrent dans notre action en vertu de
la convention franco-anglaise de janvier 1896, sur une superficie dç
800.000 kilomètres carrés environ. La population totale y est d'au moins
21 millions d'habitaqts, dont 12 pour le Tonkin, 2.100.000 pour la Cochin-
chine, 1.500.000 pour le Cambodge et 5.400.000 pour l'Annam et le Laos. On
compte environ 6.000 Européens. Il n'y a encore que deux chemins d^ fer
exploités, celui de Saigon à Mytho en Cochinchine, inauguré en 1885
(114 kilom.) et celui de Phu-lang-Thuong à Lang-Son, au Tonkin (101 ^il.),
dont la l^*^ section fut ouverte en 1891. La soudure de ce dernier chemin de
fer se prépare avec le sud de la Chine d'une part, avec le fleuve Rouge d'autre
part.
Le commerce extérieur total de l'Indo-Chine française est d'au moins
110 millions de francs. Dans le Tonkin et l'Annam seuls, les progrès ont été
considérables, le trafic extérieur ayant passé de 2 millions de francs en 1875
à 19 en 1885 et à 40 en 1894. Les importations ont été, en 1894, de 27 mil-
lions, soit le double des exportations (13 millions). En 1896, l'Annam et le
Tonkin ont acheté pour plus de 12 millions de francs de produits français,
soit la moitié de leurs importations. En 1886, la France n'y vendait que pour
4 millions 1/2. Les recettes locales (droits de douane et taxes sur les habi-
tants) progressent beaucoup; elles sont passées de 9 millions 1/2 de francs en
1890, à 21 millions en 1896.
En résumé, grâce à ses nombreuses ressources agricoles (surtout le rfz),
aniipales et ipinières (surent la houille), grâce à son voisinage de la Chine,
rindo-Chine française est appelée à un grand avenir, le jour où la piraterie
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en aura été extirpée et le jour où la France y aura envoyé assez de capitaux,
de chefe d'exploitation et de contre maîtres pour mettre le pays en valeur.
Mékong : Exploration Maxeran. — On sait que renseigne de vaisseau Maze-
ran, commandant la mission hydrographique du haut Mékong, est parvenu
à amener, le 6 août» la canonnière La Grandière à XiengLap.
Voici les détails que donne le Temps sur cette montée que Ton regardait
généralement commme impraticable :
De Tang-Ho à Xieng-Lapp, le Mékong présente les rapides de Tang-Ho,
Tang-Lot, Tang-Paken, Tang-Pho-Mulet et Tang-Pang. Le La Grandière appa-
reilla le 19 juillet et franchit Iç Tang-Ho, puis le Tang-Lot. Mais alors que le
bâtiment était parvenu dans le chenal, réchauffement d'un coussinet vint
immobiliser sa machine et le laissa à la merci d'un courant de près de
cinq nœuds, qui lui Ût redescendre le rapide, exposé à tout instant à être
écrasé sur les rochers dont le fleuve se trouve hérissé. Quelques chocs se pro-
duisirent, en effet, sans causer heureusement de graves avaries à la coque.
Le 31 juillet, après avoir changé le gouvernail cassé dans la bagarre, dé-
part pour Pa-Leo. Gourant très fort jusqu'au Nam-Lène. Le Mékong charrie
en grande quantité des arbres morts et des débris. Le Tang-Paken, signalé
coomie périlleux, est remonté sans trop de peine, grâce à la forte pression do
la chaudière.
Au-dessus du Nam-Lène, la machine stoppe brusquement, un tronc d'arbre
s'étant engagé dans la cage de l'hélice. La canonnière est en plein dans le
grand chenal, étroit de 50 mètres, avec des rochers de tous les bords. Le cou-
rant est d'au moins six nœuds. Une première ancre mouillée casse aussitôt.
Heureusement la deuxième tient bon et permet de dégager l'hélice et de
reprendre la marche.
De Pa-Leo à Tang-Pang, la navigation ne rencontra de sérieuses difficultés
qu'au Tang-Pho-Muet, les roches étant insuffisamment couvertes. Le 2 août,
la canonnière s'amarrait au pied du Tang-Pang, au-dessus du Nam-Pha.
Le rapide du Tang-Pang, d'une longueur de plusieurs kilomètres, est
l'obstacle le plus difficile du Mékong. Le fleuve, resserré entre des collines à
pic, possède une largeur d'à peine 80 mètres. En plusieurs endroits, des
roches encombrent le chenal. Le courant, très violent, se précipite sur ces
obstacles et soulève l'eau en vagues puissantes. La pente est des plus raides.
Le Tang-Pang, en outre, se divise en cinq rapides trop rapprochés les uns
des autres pour que la chaudière puisse conserver assez de pression pour les
franchir tous. Le La Grandière a mis une heure pour avoir raison du Tang-
Pang et il a fallu, à plusieurs reprises, injecter du pétrole dans les four-
neaux, pour conserver à la machine une force de propulsion suffisante. A
partir de Xieng-Kok, le fleuve se présente superbe jusqu'à Xieng-Lap.
Au moment où le La Grandière arrivait à Xieng-Lap, des désordres graves
avaient éclaté chez les Sip Song Pannas. Notre intervention était demandée
de la façon la plus pressante par une partie de la population en vue de réta-
blir sur le trône de Xieng-Hong notice protégé le prince Morne Tiome Muong
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 425
Maha, frère ennemi du roi actuel. Il semble que Tétat troublé de ces parages
rende plus particulièrement utile la présence des canonnières à Xieng-Hong.
Tonkin : Soumission du dé Tham. — Le dé Tham, le plus important chef
de pirates du Tonkin, s*e8t soumis avec toute sa bande. Cette bande conti-
nuait les méfaits des Baky, du doc Nhuong, du doc Ngy, de Lun-Ky, etc.
Retranchée dans les brousses du Yen-Thé, la bande du dé Thani était traquée
par nos miliciens depuis plusieurs mois et menaçait toujours le chemin
de fer de Lang-Son à Pha-Lang-Thuong. Sa soumission ouvre à la colonisa-
tion l'immense région entre le Song-Thuong, la rivière Claire et la rivière
de Cao-Bang. Cette région est plus vaste que le Delta et son climat, grdce
à son altitude, est moins chaud et bien plus favorable aux Européens, qui
peuvent s*y adonner aufx exploitations agricoles, forestières ou minières.
Création du 4« ttrailleurs. — Un décret du 10 décembre 1897 porte création
d'un 4« régiment de tirailleurs tonkinois à 3 bataillons. Le 3® régiment, qui
comptait 4 bataillons est réduit à 3. Toutefois ces deux corps pourront être
portés ultérieurement à 4 bataillons et avoir la même composition que les
2 premiers régiments par une simple décision du ministre de la marine. Le
4* tirailleurs sera formé par 1 bataillon créé en 1896 et rattaché provisoire-
ment au l^' régiment, 1 bataillon du 3« régiment, par 2 compagnies créées
en 1896 et par 2 compagnies à créer.
La création du 4« tonkinois n*est qu'un retour en arrière. En effet ce régi-
ment avait déjà été constitué par décret du 19 février 1886. Mais un autre
décret du 26 juin 1890 en avait décidé la suppression, par mesure d'économie.
La Revue Française avait alors critiqué cette mesure comme tout à fait inop-
portune et la soi-disant économie qui devait en résulter comme mal placée.
Aujourd'hui on reconnaît la nécessité de ce rétablissement et l'intérêt qu'il
y a à renforcer les effectifs insuffisants de notre empire indo-chinois. Il y a
longtemps que la piraterie aurait été extirpée, si Ion avait consenti à faire
en temps utile les dépenses nécessaires.
Charbons. — Les charbonnages de Hon^hsd et de Kébao prennent chaque
jour une plus grande importance et l'on peut espérer pour eux un grand
avenir. En effet, la vente, à Hong Kong, des charbons et briquettes du Tonkin,.
qui était de 42.4^ tonnes en 1895, est montée à 75.700 tonnes en 1896. Si
la production des mines du Tonkin pouvait être quintuplée, il est probable
que les charbons qui en proviennent pourraient facilement se vendre à Hong-
Kong, sans qu'il s'en suive un abaissement sensible de prix. A Honeghaî la
progression de l'exportation suit une marche très satisfaisante; c'est ainsi
que les charbons exportés rien que dans le mois de septembre dernier, ont
atteint le joli chiffre de 24.000 tonnes.
Souièvement de fanatiques. — - Dans le courant de 1897, un Annamite
nommé Kydong, ami de l'ex-roi Ham-Nghi, après avoir été élevé en Algérie,
était revenu au Tonkin. D'un caractère vaniteux, il se crut appelé à jouer
un grand rôle et commença, en se faisant passer pour un être surnaturel,
une agitation qui avait pour but la restauration de l'ex-roi exilé. Il fut
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126 REVUE PRANÇAkSE
bientôt arrêté et envoyé au pénitencier de Poulo-Condor. Mais ses prédica-
tions avaient porté leurs fruits auprès des crédules indigènes. Excités par
les légendes que Ton répandait sur son compte, ceux-ci formèrent des bandes
en pleip Delta, qui pillèrent et incendièrent les environs d'Halphong, Haî-
dzuong, Thaî-Binb. Dans la nuit du 15 décembre 1897, SOOfttnatiques assail-
lirent les babitations des environs d'Haïpbong, mais ils fuient vigotreuse-
ment repoussés. La répression fût vigoureuse, et ceux qui furent convaincus
d'avoir pris part à la révolte furent passés par les armes. Le calme est réta-
bli partout, mais il règne encore une certaine effervescence parmi différents
groupes indigènes.
Atttiiiw^ : Uempereur à Saigon. ~ Le 4 décembre, M. Doumer, gouver-
neur général, recevait à Saigon la visite de Tempereur d'Annam. Cet acte
aofviari «ne haute importance par le fait que le souverain venait, pour la
première fois depû la conquête, rendre hommage à son vainqueur. Mais
aux yeux des vieux Annamite» «à des mandarins si attachés aux rites du
pays^ ce voyage ne peut que déconsidérer lit nonarchie qui tirait une bonne
part de son prestige du mystère qui entourait la ceMur éà Hué.
CShine. — SaHsfat^ùmê à V Allemagne (XXIII, p. 56). ^ M. de Babw a fiût
connaître au Parlement allemand les satisfactions accordées par la CMift
pour le massacre des missionnsdres du Chan-Toung :
1<> Le gouverneur de la province de Chan-Toung a été révoqué et déclaré
inapte à jamais remplir une fonction supérieure. De plus, six fonctionnaires
supérieurs de la province de Chan-Toung, désignés par TAUemagne, ont été
déplacés et punis. Une instruction judiciaire a été ouverte contre les auteurs
ou eompUoes de l'assassinat.
â9 Le gouvernement chinois a promis de payer 3.000 taèls dlndenmité
pour les dommages causés à la mission et par elle réclamés.
3<> Trois cluq[)elles expiatoires, auxquelles seront appliquées les armes im-
périales, en signe de protection, seront érigées à Tsinnig, à Tsao-Tchou-Fou,
et sur lies lieux du crime. Le gouvernement chinois ouvre un crédit de 66000
taêls pour chaque ^lise et donne gratuitement les terrains, plus un crédit
de 7.000 taëls, pour des habitations solides, et pour la préfecture apostolique
de Tsao-Tchou fou, ^000 taêls. Tous les payements devront être effectués
aux mains de l'ambassade allemande.
40 Un édit impérial spécial sera publié, visant la protection de la mission
allemande.
La Chine aurait cédé à bail à l'AUemagne, la baie de Kiao Tchéou pour une
période de 99 ans et aurait concédé à cette puissance tous ses droits de adii-
veraineté sur ce territoire.
Allemagne : Lignes rapides de paquebots, — Depuis quelques annéeé tés
lignes allemandes de paquebots ont pris une extension considérable. Le pre-
mier service allemand de vapeurs à grande vitesse fut installé en 1881 sur
l'Amérique. Jusque-là, on avait effectué les relattons par des vapeurs ayant
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 127
au plus une vitesse de 14 milles marins à l'heure. VBlbe, du Lloyd, de
Brome, en 1881, développa une vitesse de 16 milles. Bientôt, en 1883, on
atteignit New-York en 9 à 10 jours, avec le Weser et la Fuîda.
La flotte allemande s'accrut de VEider en 1884 et de 3 autres vapeurs en
1886, ayant une vitesse de 17 noeuds 1/2. En 1887, on arriva à 18 1/2 avec
le Hahn. En 1889, on construisit le Kaiser-Wilhelm, En 1897, on a achevé le
Kaiser''Wilheim''der'Gros$e et, en 1898, ce sera le tour du Kaiser-Friedrich'
der-GroêSêy qui complétera la flotte du Nord-Deutscher Lloyd, de Brème.
Hamboui^, entré en scène en 1889, établit une ligne de vapeurs rapides
sur New-York, avec VAugusta-Vickma et la Columbia. En 1896, Hambourg
mit en service le Narmannia et Brème la Sprée, En 1891, Brème lança le '
Havel et Hambourg le Fûrst-Bismarck, qui fût alors le plus rapide des va-
peurs de commerce allemands. Par suite, en 1891, un service régulier
h^omadaire est ouvert entre Hambourg et New- York. Avec les 2 nou-
veaux vapeurs de Brème, la flotte des transports à grande vitesse se trouve
portée à 16 bâtiments, dont 12 partant de Brème et 4 de Hambourg. La
vitesse réalisée est passée de 16 milles marins en 1881 à 22 actuellement. La
durée du trajet n'est plus que de 6 à 8 jours, tandis que les bateaux-poste
m exigent 10 à 12. Le FUrê^Bitmarck a plusieurs lois fait la traversée de
rOcéan en 6 jours et demi.
Le Kaiser-Wilhelm. — Le record de la vitesse appartient aujourd'hui au
Kaiser-WUhelm^der'Grosse, qui a éclipsé, dans sa l"» traversée, de Brème à
New- York (sept. 1897), tous les autres paquebots interocéaniques. En effet,
sa traversée de Southampton à New-York s'est effectuée en 5 jours, 22 heures,
45 minutes. Ce qui donne, pour les 3.060 milles parcourus depuis les Needles
jusqu'à Sandy-Hook, une vitesse moyenne de 21 nœuds 39. Plus rapide
encore a été le trajet de retour qui s'est effectué en 5 jours, 15 h. et 10 min.,
œ qui £ùt une vitesse moyenne de 21 n. 91 de Sandy-Hook au phare
d'Eddystone. La plus belle journée (de midi à midi en tenant compte du
changement de longitude) a été de 564 milles à l'aller et de 519 au retour,
ce qui donne pour ces deux journées une vitesse moyenne de 22 n. 56. Le
Kaiter-Wilhelm est non seulement le plus rapide paquebot (ceux de la
C^ Cunard n'ayant pas dépassé 21 n. 75), mais aussi le plus grand, avec ses
13.800 tonneaux de jauge brute. Sa longueur totale est de 196» 50, son
tirant d'eau de 7>° 93 et son déplacement de 20.500 tonnes. Il possède 2 ma-
chines a triple expansion et 2 hélices.
Il importe de signaler ce &it, peu ordinaire, que le Kaiser-Wilhelm a donné
à son premier voyage sa plus grande vitesse. Gelle-ci, en effet, n'a pu se
maintenir dans les traversées suivantes et est même descendue à 18 n. 56*
Cette course à la vitesse a pour conséquence d'augmenter le mépris que
les grands paquebots affectent pour la vie humaine. Le tribunal maritime
de Brème a en effet constaté que, le 19 septembre, une femme s'étant jetée
par-ëesBiis bord, le commandant du Kaiser-Wilhelm n'a pas jugé utile de
mettre une chaloupe à la mer afin de conserver sa vitesse I
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128 REVUE FRANÇAISE
Ijégion d*honneur. — Parmi les nominatioDS faites à Toccasion du 1" janvier,
signalons les suivantes. Commandeurs : le colonel Combes; M. Harmand, ministre de
FrancQ au Japon. Chevaliers : le 1^ de vaisseau Bretonnet, résident au Niger; M. Hen-
ric, médecin de 2* classe de la marine, membre de la mission du 1* (aujourd'hui ca]ii-
taine) Voulet au Soudan; M. Gentil, administrateur des afifoires indigènes au Congo;
M. Bonin, vice-résident au Tonkin; M. Georges Rolland, ingénieur des mines.
BIBLIOGRAPHIE
Une fort intéressante publication que nous sommes heureux de signaler â nos lec-
teurs, France- Album , vient de faire paraître les fascicules consacrés au Pays du
Soleil. Le n"* 45, relatif à la Côte d'Asur^ contient 31 vues de Nice, Villefrancbe,
Beaulieu, Eze, La Turbie, Monaco et Menton, une notice de M. H. Moris. archiviste
du département, et une carte. Avec le précédent (n"* 44), qui va de la Napoule à
Pembouchure du yar,et celui (n* 48), qui va paraître), du littoral compris entre Hyèr«6
et Agay, Tillustration de la Côte d'Azur est complète. L'intérieur dès départements
du Yar et des Alpes-Maritimes fait Tobjet du fascicule beaucoup plus importan t
(n** 46-47, 88 pages), qui donne 81 vues choisies parmi les points les plus intéressants
du réseau des chemins de fer du Sud, lignes de Nice à Grass?, Draguignan à Meyrar-
gnes et Nice à Puget-Théniers et Digne. Cette région, trop peu connue, est des plus
pittoresques et cause une agréable surprise au touriste qui croit jusqu'à un certain
point découvrir ses gorges magnifiques, ses raines, ses villages perchés sur des rocs
presque inaccessibles.
Ces quatre fascicules donnent ensemble plus de ^00 vues que chacun peut se pro-
curer moyennant 2 fr. 50 contre lesquels France- Albumf 51, cité des Fleurs, Paris,
adresse franco les quatre fascicules Pays du Soleil. Chaque album séparé, n<*' 44, 45,
48, franco 0 fr. 60 — 46-47 1 fr. 15.
Ghampollion inconnu, par L. de la Brière. Pion éditeur. — Ce ne sont pas
seulement des < lettres inédites » que publie M. de la Brière, mais une véritable cor-
respondance qu'il était mieux à même que personne de connaître et de mettre au jour
avec ce style délicat d'un lettré qui a fait ses preuves. Connu comme savant, comme
archéologue, Champollion était en effet <c inconnu » comme poète et comme auteur
dramatique d'un « Bajazet » qui fut joué à Grenoble en 1814. Grâce à M. de la Brière^
voici une lacune comblée dans la vie d'un grand homme.
Ija mission Hourst, par le 1^ Hourst. Pion éditeur. La belle exploration de U
mission Hourst est encore présente à tous les esprits. Mais ce que l'on ne connaissail
pas ^t ce que ce livre nous révèle, ce sont le smille détails et épisodes de Texpédition, la
1* qui ait descendu le Niger sur tout son parcours. Avec beaucoup d'humour, qui
n'exclut pas un fin esprit d'observation, M. Hourst raconte les difficultés qui entra-
vèrent la mise en route de là mission, les négociations avec les Touareg, les mœurs
de ces derniers, le saut des rapides avec la flottille et le passage de ceux-ci, pavillon
déployé, à travers les établissements anglais du bas Niger. Nous aurons à revenir sur
ce magnifique volume in-8'*, édité avec soin et enrichi de 190 gravures et d'une beUe
carte du Niger au 1/1.000.000-.
Le Gérant, Edouard MARBEAU.
IMPRIXIRIE CUAIX. BDI BUOiai, 19, FAMS. — -tSeDH-OS. — (iKn UriUMX).
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LA PRINCIPAUTE D'ANDORRE
ET
LA QUESTION ANDORRANE
^M:^
Le conseil d'arrondissement de Prades, réuni
le 20 septembre dernier, « considérant que l'An-
dorre coûte annuellement et sans aucun profit,
une centaine de mille francs à la France, que les
Andorrans n'ont aucune affection pour notre pays,
malgré tous les bienfaits dont nous les gratifions d,
a émis le vœu que la France renonce à ses droits
sur l'Andorre et cède ce pays à l'Espagne, moyen-
nant une compensation territoriale.
La solution proposée par le conseil d'arrondissement de Prades est
d'une application moins facile qu'elle le paraît à première vue. L'étude
approfondie et impartiale des droits respectifs de la France et de l'Espagne
sur ce territoire suflQrait à le démontrer.
Cest une erreur assez généralement accréditée que l'Andorre est une
république placée sous le protectorat de la France et de l'Espagne
représentées respectivement par le préfet des Pyrénées-Orientales et
l'évoque d'UrgeJ. Dans ce cas, les véritables souverains de ce pays
seraient le Président de la République Française et le roi d'Espagne. La
théorie qui fait de l'Andorre une seigneurie appartenant « par indivis >
à l'évoque d'Urgel et au préfet des Pyrénées-Orientales n'est pas plus
exacte. En réalité, l'Andorre est une principauté souveraine, bien que
n'usant pas de ce que l'on nomme en droit international la souveraineté
extérieure, L'évêque d'Urgel s'intitule « Prince souverain des Vallées
d'Andorre », ou, en catalan « Princep Sobera de los Valls de Andorra ».
Ce serait, je crois, du mauvais chauvinisme que de se refuser à lui
reconnaître de bonne grâce ce titre, s'il est réellement le sien, d'autant
plus que, de l'aveu même des populations françaises intéressées à la
question, la France aurait plus d'avantages à faire abandon de ses
droits qu'à contester ceux de l'évoque.
uni (Mars 98). N* 231. 9
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130 REVUE FRANÇAISE
Pour faire la part des prétentions de chacun des deux États yoisins
sur le territoire d'Andorre, il est indispensable de remonter aux origines
de ce pays et de suivre attentivement les diverses modifications sur-
venues dans sa situation politique.
La charte d'organisation en communauté de la population indigène
remonterait, paraît-il à 805 et serait due à Charlemagne, mais, dès
799, Louis le Débonnaire, à qui son père avait donné le royaume
d'Aquitaine en partage, avait déjà arraché ce pays aux Sarrazins et
s'était même avancé au-delà de Lérida et de Tarragone. Cette conquête
fut solennellement reconnue, à Aix-la-Chapelle, en 8i2, par le Khalife
Al-Hakem, lors du traité de paix conclu entie lui et Charlemagne.
Elle forma d'abord la marche de Golhie et fut l'origine du comté de
Barcelone.
En 820, Louis le Débonnaire détacha l'Andorre du domaine de la
couronne et en fit, à l'occasion de la consécration de l'église cathé-
drale d'Urgel, don pur et simple et sans restriction à l'évoque de cette
ville. Cette donation n'a pu être faite au comte d'Urgel puisque le
pays d'Urgel n'était pas encore organisé en comté. La formule de l'acte
de donation est trop précise pour ne pas mériter d'être rapportée :
» Jussis eorum atque dominio subjungimus atque perpetuo manci-
pamus, ut pleniter ordinent atque disponant et cum Dei adjutorio illis
sit detinendum et possidendum et Dei cum timoré dispensandum atque
regendum sine cujuspiam inquietatione ac contradictione; ita ut nullus
comes, nullus princeps, nullus judex, neque uUa parva magnaque
persona aliquam vim aut invasionem facere valeat, aut unquam io
eodem episcopo facere proesumat. »
Cette donation fut faite la sixième année du r^ne de Louis-le-Dé-
bonnaire succédant comme empereur à son père Charlemagne. Ce n'est
donc pas au roi d'Aquitaine, vassal de son père mais bien à TEmpe-
reur d'Occident lui-même usant de toute la plénitude de la souveraineté
que la Mitre d'Ui^el est redevable de cette donation.
U ressort du texte cité plus haut que l'évêque d'Urgel était seul sou-
verain des Vallées d'Andorre. Sa situation politique ne saurait être plus
exactement comparée qu'à celle du pape Etienne II recevant 60 ans plus
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LA PRINCIPAUTÉ D ANDORRE 131
tôt des mains de Pépin le Bref, les cinq villes lombardes qui furent
Torigine des États de l'Église. Le comte d'Urgel pouvait bien plus tard
relever du comte de Barcelone, vassal lui-même dans la suite du
royaume d*Aragon, Tévéque et ses successeurs n'en étaient pas moins
seuls suzerains absolus de TAndorre, et sans être tenus à aucun hom-
mage. D'ailleurs, il ne faut pas s'étonner de voir des évêques successi-
vement de nationalité franque puis espagnole, ou, pour employer des
expressions de nos jours, sujets français puis espagnols, exercer avec
toutes les prérogatives qu'elle comporte, la souveraineté sur TAndorre.
A cette époque, Ton était aux débuts de la féodalité et les lois et usages
lie cette période sesont perpétués jusqu'à nos jours plus qu'on ne saurait
rimaginer. Entre autres exemples, il convient de citer les Pays-Bas et
le grand-duché de Luxembourg dont les couronnes se trouvaient, jusqu'à
la mort du roi Guillaume III, réunies sur une même tête. Le récent
avènement au trône grand-ducal d'un prince étranger à la famille
royale de Hollande a démontré que le Luxembourg, bien que gouverné
par le même prince que les Pays Bas, avait cependant maintenu dans
sa constitution l'application de la loi salique qui ne régit pas, en Hol-
lande, la succession au trône et avait, par conséquent, une existence
politique indépendante.
Il est évident que, dans la mise en pratique des principes du droit
international, la diplomatie ne saurait contester à l'Andorre les privi-
lèges qu'elle reconnaît à d'autres pays.
*
* *
Cette unité dans l'administration temporelle de l'Andorre ne s'est
pas, il est vrai, perpétuée jusqu'à nos jours et la période des complica-
tions commença pour l'évêchô d'Urgel à une époque qu'il n'est pas
facile de préciser, mais qui eut pour point de départ une de ces alliances
offensives et défensives comme les seigneurs en concluaient à cette
époque. Les évoques donnèrent c en fief », c'est-à-dire en s'en réservant la
suzeraineté, les vallées d'Andorre aux seigneurs de Caboets. Il existe,
parait-il, de très nombreuses preuves de ce mode de donation, en consé-
quence duquel les seigneurs de Caboets se considéraient comme les
vassaux de l'évêque d'Urgel et reconnaissaient ce dernier pour leur
suzerain. Miron Guitardo de Caboets, notanmient, déclare que lui, son
père, son aïeul et ses ancêtres ont toujours tenu la vallée pro episœpo,
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132 REVUE FRANÇAISE
c'est-à-dire « à fief ». Il invite ses héritiers et notamment son fils Ramon
à reconnaître cette suzeraineté.
Plus tard, par le mariage d'Axnalda de Caboets avec Arnold de Cas-
telbon, ce fief passa dans la famille de ce dernier, mais comme cette
alliance n'avait pas eu l'agrément de l'évêque, en H85, trente hommes
de chacune des paroisses d'Andorre, délégués par leurs concitoyens,
prêtèrent serment à l'évêque et s'engagèrent à ne jamais reconnaître
pour leur seigneur Arnold de Castelbon. Toutefois, l'année suivante, et
cédant aux instances d'Amalda de Caboets, l'évêque consentit à donner
à son mari l'investiture de ce fief, « salvis omnibus convenientiis quœ
scripta sunt inter nos et homines vallis Andorrae » et en réservant pour
lui-même et ses successeurs la souveraineté en toutes choses, « integrum
dominium et seniorium. i>
Pendant une période d'agitation et de luttes perpétuelles comme celle
du moyen-âge, la seigneurie d'Andorre ne pouvait échapper au sort
commun et il fallait s'attendre à voir des contestations s'élever entre la
maison de Castelbon et la mitre d'Urgel. C'est à cette occasion que l'on
voit, pour la première fois, intervenir les comtes de Foix. A la suite
d'une de ces querelles de vassal à suzerain, l'évêque, par un accord
conclu en 1201, renouvelle à Amalda l'investiture du fief des vallées
d'Andorre et, en retour, Arnold de Castelbon, Amalda de Caboets et
leur fiJle Ermesinde s'engagent, tant en leur nom qu'en celui de leurs
successeurs, à reconnaître à perpétuité la suzeraineté de la Mître. Pen-
dant cette seconde période de l'histoire d'Andorre, l'évêque et les sei-
gneurs de Caboets ou de Castelbon se partagent la souveraineté de
l'Andorre, mais le premier nous apparaît, sans contestation possible,
comme le seul souverain direct et suprême, tandis que les derniers sont
seulement ses feudataires, en tout soumis à son autorité.
*
* *
Malgré les termes positifs de l'accord cité précédemment et par lequel
il était notamment stipulé qu'Ermesinde ne se marierait, qu'après avis
et consentement de l'évêque, Arnold de Castelbon accorda la main de
sa fille à Raymond Roger, comte de Foix, pour son fils Bernard Roger.
Par le fait de cette union, la terre d'Andorre passait à la maison de
Foix. Cette alliance fut pour l'évêché d'Urgel et le comté de Foix la cause
d'une source de discordes qui se terminèrent par la fameuse sentence
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LA PRINCIPAUTÉ D ANDORRE 133
des pariatges ou paréages. Ce traité ou plutôt cette sentence arbitrale
(ut scellée par Tévêque Pedro de Urgio et Roger Bernard III, comte de
Foix, le 8 septembre 1278 et confirmée onze ans après par le pape
Martin IV.
Les termes de cette sentence réglaient le tribut que pouvaient perce-
voir en Andorre Tévêque d'Urgel et le comte de Foix, stipulaient que les
viguiers de Tun et de l'autre rendraient en commun la haute, moyenne
ou basse justice, que Févêque et le comte pourraient lever des troupes
en Andorre, mais sans pouvoir en faire usage Tun contre l'autre, enfin
que le comte rendrait l'hommage à l'évêque pour la seigneurie.
En raison de l'importance de ce dernier point, il ne serait pas sans
intérêt de le transcrire ici intégralement. L'article en question est ainsi
conçu :
« ...Item ha sido pronunciado y ordenado por los susodichos amigables
componedores que el susodicho conde de Foix y sus sucesores tengan
nempre en feudo para el Obispo de Urgel y sus sucesores todo lo que
tiene y recibe o debe recibir en el valle o valles y hombres de Andorra,
y tengan estas cosas para la Iglesia de Urgel, y que el mismo Conde
y sus sucesores tengan siempre en feudo el valle de S. Juan y el Cas-
tillo de Ahos con todas sus pertenencias para el Obispo y sus sucesores
y la Iglesia de Urgel, excepto el Castillo de Ter, el cual jamas se en-
tiende ser comprendido en feudo ; y por los susodichos valles neutros
de Andorra y de S. Juan, desde ahora el mismo conde hace homenaje
al dicho seôor Obispo, y que lo mismo esten obligados hacer todos sus
sucesores al Obispo y a sus sucesores por las cosas susodichas. »
A propos de cet article, une remarque importante s'impose naturel-
lement. L'Évêque donne ou confirme au comte de Foix la possession
de fiefs représentant une superficie supérieure à celle qu'occupe ac-
tuellement l'Andorre. De plus, on voit figurer dans cette donation
comme franc-alleu le château de Tor. Bien que ce soit s'écarter un peu
de la question, je crois devoir faire remarquer qu'en agissant ainsi,
l'évoque d'Urgel disposait d'une conquête et non du territoire donné par
Louis le Débonnaire. En effet, nous voyons dans J. F. Bladé (1), que le
3 des noues de juillet 11S9, Bernât Sanz, évéque de la Seù et ses deux
frères conclurent un traité en vue de la conquête de la vallée de San
(1) Éludes géographiques sur la vallée d'Andorre.
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134 REVUE FRANÇAISE
Joan qui appartenait alors à Arnal de Caboets. D'ailleurs, la charte de
donation est positive en ce qui concerne les limites de l'Andorre et elle
énumère chacune des six paroisses actuelles, plus celle de Santa Coloma
aujourd'hui supprimée.
Indépendamment de cet article, il convient aussi de citer la formule
du serment d allégeance qui termine ce document. La voici :
« Y los Santos Evangelios y Cruz de Nuestro Seûor delante de noso-
tros puestas y tocadas : Nos, por la gracia de Dios, Roger Bernardo,
Conde de Foix y Visconde de Castellbô, hacemos desde ahora homenage
à vos, Pedro, Obispo de Urgel, por la gracia de Dios, con la boca y las
manos, segun el uso de Barcelona. »
Ce serment ne fut pas le seul prêté, Ermesinde suivit ainsi que ses
fils l'exemple de son mari et, de leur côté, les Andorrans représentés
par 30 hommes de chacune de leurs paroisses prêtèrent, en 1131, ser-
ment de fidélité à l'Évêque.
Les successeurs de Bernard III continuèrent naturellement à prêter
serment de fidélité à la Mître. En 1560, alors que le comté de Foix ap-
partenait à Jeanne d'Albret, fille de Henri II de Navarre et mère de
Henri IV roi de France, le fiscal d'Andorre ayant occasion de signaler
à l'évêque certains empiétements du viguier du comte de Foix traite ce
dernier de vassal, rappelant qu'il doit Thommage à l'évêque dont il
est le fendataire (facU et facere solitus est hommagium), et, en effet, à
cette occasion, l'évêque s'intitule : PHnceps Supremus et Direclus An-
dorrœ. C'est, du reste, le titre que lui donnaient les Andorrans qui se
reconnaissaient eux-mêmes ses sujets et ses vassaux en 1419 lorsqu'ils
s'adressèrent à lui pour solliciter la constitution d'un conseil général
avec ses prudhommcs et ses syndics. Cette demande, agréée par l'évêque,
fut l'origine de l'organisation administrative qui s'est perpétuée jusqu'à
nos jours, mais il est évident que si la sanction épiscopale fut indispen-
sable en cette circonstance, c'est une preuve que ce conseil général ne
constituait nullement le pouvoir supérieur dans les vallées et qu'il
serait hors de propos d'assimiler les conseillers à des députés ou leur pré-
sident à un chef d'état républicain.
Ainsi finit la troisième période de l'histoire d'Andorre pendant la-
quelle l'évêque partageait la souveraineté sur l'Andorre avec la maison
des comtes de Foix dans les mêmes conditions que ses prédécesseurs
l'avaient partagée avec les seigneurs de Caboets et de Castelbon. Cette
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LA PRINCIPAUTÉ D'ANDORRE 135
période diffère de la précédente par le pacte des paréages solennelle-
ment conclu par les deux parties et sanctionné par Tautorité papale.
*
* *
En 1589, par suite de Tavènement au trône de France du fils d'An-
toine de Bourbon et de Jeanne d'Albret, la terre d'Andorre, qui était
déjà passée, en 1560, de la maison des comtes de Foix à celle des rois
de Navarre, devient le fief des chef» de TÉlat français. Henri IV était déjà
entré en possession de ce fief en 1672 à la mort de Jeanne d'Albret, mais
il est bien certain qu'à cette époque, le roi de Navarre, absolument indé-
pendant pour ce qui concernait ses possessions du Béarn et de la Na-
varre ainsi que pour le comté de Foix qui ne relevait plus que de lui-
même, se trouvait, quant à la seigneurie d'Andorre, le vassal de l'évêché
d'Urgel comme il était également le feudataire du roi de France pour
ses possessions de Gascogne, de Périgord et de Limousin. Son avène-
ment au trône de France modifia, il est vrai, la situation en ce qui con-
cerne ses possessions françaises qui, suivant l'usage, furent réunies au
domaine royal, mais son royaume de Navarre, qui était absolument in-
dépendant, ne fut pas considéré comme incorporé dans le royaume de
France et Henri IV conserva le titre de roi de Navarre qu'il fit seule-
ment précéder de celui de roi de France. Quant à la seigneurie d'An-
dorre qui, en droit féodal, ne dépendait d'aucun de ces deux royaumes,
elle continua naturellement à rester le fief de Henri IV et de ses succes-
seurs et à relever directement de l'évêque d'Ui^el. Il était, il est vrai,
peu admissible qu'un modeste souverain comme ce dernier exigeât
d'un vassal devenu si puissant, l'accomplissement de la formule d'hom-
mage personnel, mais le principe de la dépendance d'Andorre vis-à-vis
de la Mître ne s'en trouvait pas pour cela diminué. D'ailleurs, cette
époque fut peut-être celle où les évêques d'Ui^el eurent le moins de
contestations avec les comtes de Foix et leurs successeurs et où ils
purent exercer dans la plus large mesure leurs droits de suzeraineté.
Cette quatrième période de l'histoire de l'Andorre dure environ deux
siècles pendant lesquels l'évêque se donne le titre de Prince Souverain
d'Andorre, réglemente en toute indépendance de la France, fixe la valeur
de la monnaie, règle le mode des transactions commerciales, la chasse,
la pêche, les droits politiques de ses sujets, se réserve le droit de grâce
pour la peine de mort et concède des privilèges aux Andorrans et cela
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CARIE
OE LA PRINaPAUTËI
D'ANDORRE
^^
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138 REVUE FRANÇAISE
sans coDtesiation de la part de la France. Pendant ces deux siècles, la
France peut, il est vrai, opposer quelques privilèges accordés à l'An-
dorre pur Louis XIII et Louis XIV, mais ces deux rois, en pareille cir-
oiiit^lfince, agissaient non comme souverains deTAndorre, mais comme
rois de France et ne pouvaient accorder de franchises que comme sei-
gru^urs feudataires de l'Andorre ou comme chefs d'un puissant état
voisin Jisjîosés à entretenir des relations cordiales avec un territoire
pourvu d'une organisation politique spéciale. L'on pourrait en dire au-
tant (Je la défense faite aux Andorrans par Louis XIV de tuer les bes-
tiaux appartenant à ses sujets français et qui seraient surpris paissant
indùtiieiit sur la Solane d'Andorre (1). En conséquence, ces mesures de
blenvcillafice ou de restriction, loin d'être un argument susceptible de
prouver une absorption de l'Andorre dans le domaine royal ne peuvent,
au contraire, que démontrer la réalité d'une existence politique abso-
luiiieal indépendante.
Celte situation s'est prolongea jusqu'à l'époque de la Révolution fran-
çais' et il ne tenait qu'aux Bourbons d'ajouter à leurs titres de « rois de
Frîince et de Navarre », celui plus modeste de « seigneurs d'Andorre ».
[| ctuivieat ici de faire ressortir un point qui paraît avoir échappé
aux difTerentes personnes qui se sont occupées de recherches sur les
vulièes d'AndoiTe.
Le 10 .ii>ut {"iOâ, l'Assemblée Législative, en décrétant la déchéance
du roi, et Je 21 septembre, la Convention en proclamant la République
ne {Xïuvaient évidemment prendre aucune décision en ce qui concernait
l*jVndorre, Composées exclusivement des députés des deux royaumes
de Fiance et de Navarre, ces deux assemblées ne pouvaient assimiler
les N'allées aux provinces françaises puisqu'elles ne faisaient pas partie
jntr^ranli* du domaine de la couronne. Elles ne pouvaient davantage
les Irailer comme une colonie fondée ou conquise directement par la
mefro[H>]i;! et ne relevant que de cette dernière, et en substituant le
principe de la volonté nationale au régime du droit divin, elles ne
pouvaiejiL espérer donner force de loi à leur décision que dans les pays
qu*elles représentaient. L'évêque d'Urgel aurait pu seul, à défaut du
peuple aTidorran, qui n'avait pas le système représentatif, confirmer le
roi Loui.^ \VI dans ses droits « personnels » sur l'Andorre, ou transférer
|f I J .-t\ 15]adé, Études géographiques sur les vallées dt Andorre.
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LA PRINCIPAUTÉ D'ANDORRE 139
ceux-ci au gouvernement républicain. Il avait, en un mot, le droit strict
de maintenir en possession d'un fief relevant excliisivement de lui seul
un vassal qui ne le tenait que comme héritier des seigneurs de Caboets.
Cette théorie peut paraître un peu hardie, et Ton se représente mal
l'évoque d'Urgel protestant d'une façon efficace contre le nouvel état
de choses. Au point de vue du droit politique il n*eût fait, il est vrai,
que suivre l'exemple de Philippe-Auguste déclarant vassal rebelle le
roi Jean-Sans-Terre, et confisquant ses fiefs de Normandie, d'Anjou, de
Touraine et de Poitou, mais il convient d'ajouter que le roi de France
avait à sa disposition, pour appuyer cette décision, des forces mili-
taires qui manquaient totalement au suzerain de l'Andorre. Il ne fau-
drait pas, d'ailleurs, conclure de cette remarque que les héritiers directs
de Louis XVI fussent en droit de revendiquer la possession de la sei-
gneurie d'Andorre. Les évoques de la Seu, en reconnaissant les pré-
tentions de la République Française et en traitant avec elle, ont bien
démontré que leur intention était de transférer au chef de l'État
français, quel qu'il fût, les droits personnels des premiers seigneurs
d'Andorre. Il convient même d'ajouter que cette concession était toute
naturelle par suite de la disparition en France de l'organisation féodale
et le remplacement des grands feudataires par des gouverneurs de
province. Le viguier français nommé par le gouverneur du comté de
Foix pouvait facilement demeurer en fonctions, lorsqu'à leur tour les
préfets de départements eurent remplacé les gouverneurs de province.
Si, au moment de la chute de la royauté, il y eut dans les rapports de
la France et de l'Andorre une modification notable au point de vue
du droit international, il n'y eut, du moins, aucun changement dans les
rapports administratifs.
Il était nécessaire de donner à l'histoire des Vallées d'Andorre les
développements qui précèdent, pour montrer que la possession de ce
territoire était, en droit, absolument précaire pour les premiers seigneurs
de Caboets et leurs successeurs, y compris les rois de France, et subor-
donnée expressément au bon vouloir du suzerain et que, de plus, elle
n'avait été continuée à la France, après 1792, qu'en vertu d'un consen-
tement tacite des évéques. Depuis la Révolution, l'histoire d'Andorre
offre peu d'événements saillants car il importe peu que le délégué fran-
çais soit le préfet de l'Ariège, le sous-préfet de l'arrondissement de
Prades, ou le préfet des Pyrénées-Orientales* En revanche, cette période
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140 REVUE FRANÇAISE
a été fertile en contestatioDs de part et d'autres, ainsi qu'en dissensions
intérieures, et c'est à cette situation pénible que le vote du conseil
d'arrondissement de Prades a pour but de mettre fin.
II
Après avoir établi les droits de la France sur l'Andorre, il y a lieu
d'examiner quels peuvent être ceux de l'Espagne sur ce pays. La situa-
tion de ce côté est bien claire. Les droits de l'Espagne sont nuls, abso-
lument nuls en tant que droits acquis. Quant au droit des nations, il
est le même dans tous les cas et pour tous les pays et l'Espagne, comme
d'ailleurs la France, pourrait s'opposer à l'aliénation des Vallées à aussi
juste titre que l'Allemagne, par exemple, à l'aliénation du Danemark
au profit de la Suède ou à celle de la Suisse au profit de la France ou
de l'Italie.
La qualité de sujets espagnols dont sont revêtus les évêques d'Ui^el
ne saurait conférer à l'Espagne aucun droit sur la principauté souve-
raine de ces derniers, pas plus que la suzeraineté des rois de France
sur le duché de Normandie ne pouvait en attribuer à ces monarques
sur les possessions extérieures de leurs vassaux. Il existe, il est vrai, un
accord entre les évoques de la Seu et le gouvernement espagnol, mais
cet accord ne préjuge en rien de la question, il est le résultat de la
nécessité dans laquelle se trouvaient les évoques d'Urgel de chercher
par des alliances un appui séculier assez fort pour contrebalancer l'in-
fluence d'un vassal devenu plus puissant que son suzerain, et les
rapports de l'évêque avec l'Espagne ressemblent un peu à l'investiture
donnée aux premiers seigneurs de Caboets pour assurer à la Mître
d'Urgel, l'administration temporelle des Vallées et surtout pour la
garantir contre les contestations armées des seigneurs voisins. L'Espagne
peut bien prêter ses bons ofiîees pour l'exercice de la justice, la police
intérieure, l'instruction publique, cela ne saurait constituer une sorte
de main-mise sur le territoire des Vallées. D'ailleurs, la France rend
les mêmes bons oflices à la principauté de Monaco, ce qui ne porte
nulle atteinte aux droits de souveraineté du prince r^ant. J'ajouterai
même que si les Andorrans, conmde peuple, ne jouissent pas de la
souveraineté extérieure et ne peuvent accréditer d'agents diplomatiques
auprès des puissances voisines, cela tient à ce qu'ils sont en la dépeu-
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LA PRINaPAUTÉ D'ANDORRE 141
dance exclusive du prince-évèque à qui ce droit de souveraineté ne
semble pas pouvoir être contesté s'il lui plaisait d'en faire usage.
m
Je pense avoir exposé la question sous son véritable point de vue et
établi les droits respectifs des deux puissances voisines. Avant de pro-
poser une solution que je crois possible, il serait utile d'exposer rapi-
dement ce qu'est l'Andorre, et quels seraient pour la France les avan-
tages à recueillir en échange de l'abandon de ses droits de seigneurie
sur ce territoire.
Les Vallées d'Andorre, d'une superficie d'environ 800 kilomètres
carrée, se trouvent, pour la majeure partie, situées sur le versant méri-
dional des Pyrénées. Elles comprennent presque entièrement le bassin
des différentes rivières formant TEmbalire, jusqu'au confluent du
Riuner; c'est-à-dire qu'à part quelques exceptions, la frontière andor-
ranne pourrait se trouver limitée par la chaîne principale des Pyré-
nées et par quelques contreforts espagnols^ Les exceptions à cette
délimitation naturelle sont les suivantes :
L Versant français. — En s'en tenant aux termes généraux du traité
de 1659 qui stipulait que « les monts Pyrénées, qui avaient ancienne-
ment divisé les Gaules des Espagnes, seraient aussi dorénavant la limite
des deux royaumes », la France pourrait revendiquer la possession
d'une portion nord-est du territoire andorran si l'Andorre était inter-
venue dans le traité des Pyrénées comme partie contractante. La France
pourrait, en outre, ne pas borner là ses prétentions, mais, par contre,
l'Espagne pourrait aussi être appelée à faire valoir les siennes, comme
nous le verrons plus loin. La France conteste, en efiet, à la principauté
cette portion de territoire que Ton nomme la Solane d'Andorre et qui
se trouve limitée au nord par la chaîne principale des Pyrénées, du pic
de la Gabanette au Saut du Taureau, puis par une ligne droite partant
de ce point pour aboutir au confluent du rio de la Palomera avec l' Ariège,
à l'est par le cours supérieur de l'Ariège, à l'ouest par une ligne de
partage des eaux commençant au pic de la Gabanette et se prolongeant
dans la direction sud-ouest jusqu'au port de Saldeu, puis par une
seconde ligne partant de ce port et se continuant vers le sud-est jusqu'au
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m REVUE FRANÇAISE
pic d'Embalire, au sud par quelques hauteurs allant du pic d'Embalire
au pie de la Font Nègre où FAri^e prend sa source. Les limites nord
et est de ce canton font partie de la frontière franco-andorranne. Logi-
quement, cette frontière devrait être reculée jusqu'aux limites ouest et
sud, laissant ainsi à la France le cours supérieur de TAriège et les
affluents de la rive gauche.
II. Verseau espagnol, — A cet égard, la principauté d'Andorre a beau-
coup à gagner et peu à perdre. Le rio de Vexesarri prend sa source
dans la coma de Seturia (territoire andorran), il débouche ensuite sur
le territoire de la commune espagnole d'Os de Balaguer où il reçoit le
rio de Saloria et rentre ensuite sur le territoire des Vallées un peu au
nord du village andorran de Vexesarri. Une partie de son cours et le
cours complet de son affluent sont donc à tort espagnols et arrosent un
territoire sensiblement égal en superficie à celui que la France conteste
à TAndorre.
L'Espagne, de son côté, pourrait réclamer aux Vallées une légère
rectification de frontière qui lui donnerait les sources du rio Grimau.
La population des Vallées est portée, suivant certains auteurs, à 12 et
môme 20.000 habitants, mais d'autres calculs plus modérés et proba-
blements plus exacts ne lui donnent au maximum que 6 à 7.000 habi-
tants, répartis entre 6 bourgs ou chefs-lieux de paroisse, 9 villages de
100 habitants et au-dessus et 30 ou 40 hameaux.
Les principales ressources du pays, après la contrebande, sont la
culture, et en particulier celle du tabac et l'élevage des bestiaux. Il y a
aussi quelques petites industries, mines de fer, moulins de foulon,
scieries, etc... En somme, le territoire des Vallées ne saurait tenter
l'ambition d'un grand conquérant et l'importance de ce petit État réside
surtout dans sa position stratégique et dans les difficultés qu*il crée sans
cesse à ses voisins, par la facilité qu'il ofiûre à la contrebande. Située à
peu de distance de la trouée des Pyrénées formée par la vallée de la
haute Ségre et défendue contre l'Espagne par le fort de Montlouis et
ses batteries avancées et contre la Franco par celui de Puycerda, l'An-
dorre, par sa position à cheval sur la chaîne principale, pourrait favo-
riser un mouvement tournant au profit de l'adversaire qui en serait
maître. Grâce à cette considération, il y a de fortes raisons pour que
son indépendance soit encore longtemps respectée.
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LA PRINCIPAUTÉ D'ANDORRE 143
La contrebande exercée par les Andorrans étant pour les régions
Toisines un sujet de griefs très sérieux et la population des Vallées
n'apportant à la France que des charges sans compensation, le vote du
conseil d'arrondissement de Prades semble assez logique. Cependant,
tout en cherchant à lui donner satisfaction, il ne faudrait pas perdre de
vue le côté militaire ni renoncer bénévolement à des droits d'immixtion
qui paraissent sérieux, puisque pendant plus d'un siècle les évéques de
la Seû les ont reconnus au gouvernement français prenant les lieu et
place des rois de Navarre.
La même nécessité d'en terminer une fois pour toutes avec la contre-
bande pratiquée sur divers points de notre frontière méridionale pour-
rait être invoquée en ce qui concerne la petite enclave espagnole de
Llivia. Située à un peu plus d'un kilomètre de la frontière espagnole,
cette petite localité, oubliée lors du traité de 1689, est réunie à l'Espagne
par un chemin neutre qui aboutit à l.SOO mètres de Puycerda et sert
presque exclusivement à favoriser la fraude en matière de douane.
La cession à la France du territoire de Llivia semble toute indiquée.
L'on y ajouterait le territoire contesté aux Vallées d'Andorre. La prin-
cipauté recevrait en compensation le quadrilatère formé par la portion
du bassin du rio de Vexesarri demeurée territoire espagnol, mais céde-
rait à l'Espagne les sources du rio Grimau.
De cette façon, l'Andorre se trouverait enserré dans une ceinture de
montagnes qui rendrait la fraude non pas impossible mais certainement
plus difficile. La neutralité du chemin de Llivia à la frontière étant
supprimée, l'on diminuerait ainsi l'importance des deux principaux
foy^^ de contrebande.
Le territoire d'Andorre, bien que modifié dans sa forme, conserverait
la même superficie, mais bénéficierait d'un léger accroissement de
population et la France aurait, de ce côté, sa frontière naturelle. Je sais
bien que si l'on voulait appliquer à la lettre la théorie des frontières
de montagnes, l'Espagne, au lieu de céder Llivia serait en droit de
réclamer le territoire environnant, soit à peu près 600 kilomètres carrés^
ainsi que la forêt d'Iratydans les Basses-Pyrénées et quelques points
sans importance le long de la frontière, mais nous pourrions aussi
revendiquer les sources de l'Ugarrana et de TYchura, et celles des deux
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144 REVUE FRANÇAISE
Nives dans le département cité plus haut et le Val d'Aran tout entier.
Un remaniemeot si complet de la frontière serait d'une application si
di£Scile et léserait tant d'intérêts qu'il est douteux qu'il puisse jamais
y être procédé sans que le sort des armes se soit préalablement pro-
noncé en faveur de l'un ou l'autre des deux États intéressés, et la bonne
harmonie qui existe entre les deux pays fait rejeter bien loin cette
éventualité.
Sans aller d'ailleurs si loin, la cession d'Os à Andorre et de Llivia à
la France semble présenter peu de difficultés, mais, en retour de ces
concessions territoriales, l'Espagne serait en droit d'exiger une com-
pensation. Ne la trouverait-elle pas suffisamment large dans la substi-
tution pure et simple de son gouvernement au gouvernement français
dans l'exercice de l'administration intérieure des Vallées? Que le roi
d'Espagne devienne, à son tour, le vassal de son sujet 1 evêque d'Ui^el,
cela serait certainement une nouveauté piquante, mais il n'y aurait
là rien d'illogique et, au point de vue du droit public, il importe peu
que la Mître soit suzeraine de la France ou de l'Espagne. L'influence
espagnole se substituerait dans les Vallées à l'influence française, et à
ce point de vue nous aurions peu à perdre : la langue, les mœurs, les
idées religieuses, l'intérêt public ou privé, les moyens de communica-
tion, tout pousse les Andorrans dans les bras de l'Espagne et tente de
les éloigner de la France. L'Espagne pourrait se charger, soit exclusi-
vement, soit de concert avec l'évéque, de l'instruction publique, de
l'administration intérieure, de la police et de la représentation à l'étran-
ger des sujets andorrans. Toutefois, le droit de souveraineté extérieure
paraissant difficilement contestable à l'évéque d'Urgel, celui-ci pourrait
accréditer auprès du gouvernement français un représentant qui aurait
spécialement pour objet de veiller à l'exécution des mesures garantis-
sant la neutralité de la principauté. La France devrait naturellement
exiger l'engagement qu'il ne serait pas élevé de fortifications dans le
pays, et que les troupes espagnoles ne pourraient s'y trouver qu'en
quantité suffisante pour suffire aux besoins de la police intérieure.
Le territoire qui serait cédé par l'Andorre à la France, se composant
de pâturages inhabités, il n'y aurait pas lieu de s'occuper du principe
des nationalités. Il ne parait pas douteux que les habitants dOs de
Balaguer acceptent avec satisfaction la proposition qui leur serait faite
de devenir Andorrans. Quant aux Lliviens, s'ils avaient des objec-
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GommuQiqué par le Club Alpin Franriiis.
XXIII (Mars 98). N<» 231.
10
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146
REVUE FRANÇAISE
tions sérieuses à présenter, il serait toujours loisible de leur accoitier
le maintien de leurs usages locaux, la dispense du service militaire,
une administration autonome et la faculté de faire juger les crimes ou
délits par les tribunaux de Tune ou l'autre dos deux puissances voisines,
mais il serait indispensable de mettre un terme aux immunités doua-
nières dont ils jouissent. A cela près, s'il leur prenait la fantaisie de
se proclamer en république ou d'élire un roi, voire même un em[)ereur,
le mal ne serait pas grand et depuis la disparition du grand-duché de
Gérolstein et la mort de l'empereur Soulouque. les occasions de s'égayer
aux dépens des principicules se font trop rares pour que l'on se prive
de cette satisfaction lorsqu'il est donné de la rencontrer.
Cette enclave se compose d'un gros village Llivia et de deux hameaux
Gorguja et Sareja.
On voit que pour être moins importante que la question d'Orient, la
question andorranne présente cependant quelques dilUcultés. Espérons
que la diplomatie européenne ne fera pas encore une fois banqueroute
lK)ur si peu de chose.
H. DOUCHET.
(Sceau de la Principauté.)
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L'EXPOSITION COLONIALE DE 1900
L'emplacement définitif de TExposition coloniale fait encore ques-
tion. D'après le projet du commissariat général, ce sont les pentes du
Trocadéro qui doivent recevoir l'ensemble des constructions formant
cette exposition spéciale. On a réservé aux étrangers le côté du levant
et aux colonies françaises le côté du couchant. Les plantations et les
massifs subsisteront, si bien que ce n'est que sur les pelouses que
pouiTont être élevés les édicules variés tant asiatiques qu'africains. De
là un entassement, un fouillis presque inextricable, un pêle-mêle de
pagodes massives surplombant les fines et délicates constructions d'ar-
chitecture mauresque, des paillottes faisant piteuse mine auprès des
merveilleux morceaux de l'art indien. Ni ordre, ni méthode, ni sys-
tème. Rien qui aide le visiteur, qui l'incite à s'instruire et le prépare
au milieu où il est subitement transporté. Des heurts et des contrastes
hors de nature, tel serait le résultat d'une pareille exposition. On n'au-
rait pas même la place de produire les types de la faune et de la
flore spéciales aux diverses régions. C'est renoncer d'avance à tout
caractère scientifique, c'est nous ramener aux errements anciens de la
danse du ventre, et faire résider toute l'attraction dans une série de
petites boutiques, formant un bazar sans originalité, et faisant concur-
rence aux arcades de la rue de Rivoli.
n pouvait en être ainsi en 1867 et même en 1818, alors que dans
tous les milieux, au Parlement et ailleurs, on se plaisait à répéter que
la France n'avait pu faire de colonies parce que nous n'étions pas un
peuple colonisateur. En 1889, il n'en était déjà plus de même. Il
s'était déjà formé un groupe de fanatiques. Le patriotisme s'en
mêla; on était justement fier de notre récente installation en Tunisie.
La politique se mit aussi de la partie, et ceux qui avaient rompu tant
de lances au Parlement pour maintenir notre prise de possession au
Toakin, tinrent à affirmer l'existence de notre nouvel empire colonial
d'Indo-Chine. Aussi on ne lésina pas et on consacra aux colonies un
emplacement suffisant sur l'esplanade des InvaUdes.
On s'attendait à ce qu'on fit mieux encore en 1900. Il est incontes-
table que, dans ces dix dernières années, l'orientation de tous les
esprits, en France, est tournée vers les pays d'outre-mer. Il n'est plus
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148 REVUE FRANÇAISE
nécessaire de prêcher la croisade coloniale. C'est à qui tiendra le record
de l'exploration. 11 y a une véritable concurrence parmi les civils et
les militaires pour arriver bon premier sur les routes de pénétration
commerciale, aussi bien en Asie qu*en Afrique.
Les journaux remplissent leurs colonnes de rubriques qui ne s'y
introduisaient il y a dix ans que furtivement. La* masse des lecteurs,
bien qu'insuffisamment documentée en matière géographique, a pour-
tant la notion très précise que l'explorateur éclaire les routes que sui-
vront bientôt nos voyageurs de commerce. Le haut négoce de Paris a
euGn senti que la baisse graduelle des exportations n'était jkis un mal
accidentel mais venait d'une concurrence qui nous fermerait dans un
temps donné nos meilleurs débouchés. A l'instar des Anglais et des
Allemands, il s'est décidé à préparer des champs nouveaux d'activité
pour les échanges.
Dans l'ordre de la politique générale, Madagascar a pris dans les
préoccupations du monde des affaires une place à peine soupçonnée
en 1889. Cette expédition si tardive a soudainement conquis une po-
pularité qu'on était loin de prévoir quelques années avant, aloi's que
l'expédition du Dahomey, si glorieuse pour nos troupes, s'était faite au
milieu de l'indifférence générale du grand public de la métropole.
Depuis la dernière exposition, nous avons ajouté à nos territoires le
Dahomey, une partie du Soudan occidental avec le cours du moyen
•Niger et Tombouctou, Madagascar est devenu terre française. Voici
que nous pénétrons dans la vallée du haut ISil. Notre situation en
Indo-Chine s'est consolidée. Ce sont là des événements considérables,
et ce qui domine surtout ce mouvement d'expansion, c'est le souci
constant que le peuple de France a pris de ses intérêts coloniaux. L'o-
pinion désormais est faite. La politique coloniale n'est plus le mono-
pole de quelques maniaques, comme on nous appelait jadis, de gens
à idée fixe, hantés pai' le souvenir de Dupleix, mais elle est bien un
des articles du programme national. Les colonies sont déflnitivement
considérées comme le })rolongement de la mère-patrie, comme la res-
source suprême des générations futures quand le revenu des capitaux
ne permettra phis à personne de vivre de ses renies et que tout le
monde s^a obligé de produire.
Aussi bien tous les groupes coloniaux s'imaginaient que l'Exposition
coloniale allait être le clou de la grande manifestation de 1900 et quo.
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T;KXP0SITI0N coloniale de 1900 149
le gouvernement représenté par les ministres du commerce et celui des
colonies, s'entendrait avec le commissaire général de FExposition pour
faire la part du lion aux colonies françaises. Cette entente a bien eu
lieu, mais le résultat a causé une profonde déception à toutes les
Sociétés géographiques et coloniales et en particulier à l'Union coloniale
française, qui depuis* plusieurs années sous la remarquable impulsion
de M. Chailley-Bert, a pris la haute direction du mouvement commer-
cial dans nos colonies. Les autorités supérieurs n'ont rien trouvé de
mieux que de parquer notre exposition coloniale dans l'espace restreint
et tout à fait insuffisant de la partie occidentale du Trocadéro. M. Ch. Roux,
député, s'est fait l'écho des plaintes des coloniaux dans le dernier ban-
quet mensuel de l'Union coloniale. C'est, en effet, du côté où l'on était en
droit de trouver le plus actif concours pour donner à l'Exposition coloniale
toute sa splendeur que l'on a rencontré l'accueil le plus réfrigérant. La
notion de l'œuvre immense accomplie par la France dans ces vingt
dernières années paraît avoir échappé aux dirigeants. La découverte
bien réelle de l'Afrique centrale par l'Europe civilisée et la mainmise
de la France sur une partie de ce continent est un fait historique qui, .
dans l'histoire de la civilisation, sera la marque caractéristique du siècle
passé. La participation de la France à cette grande entreprise devait
apparaître dans l'Exposition de 1000 sous un relief qui frappât l'esprit
de tous les visiteurs et fût un légitime sujet de fierté pour nos compa-
triotes. Nos rivaux savent bien tirer partie de ces grandes manifesta-
tions pour donner du prestige à leurs œuvres; et leurs efforts constants
dans ce sens ne sont pas étrangers au développement excessif de leur
commerce extérieur.
Pour répondre à toutes ces préoccupations, on avait proposé d'instal
1er l'Exposition coloniale à Saint-Cloud,. depuis la Seine jusqu'au pla-
teau, au-dessus de la Cascade. De son côté, la ville de Meudon, d'accord
avec le directeur de l'Observatoire d'astronomie physique, avait pré-
senté au ministre des colonies une proposition pour l'utilisation de la
r.uperbe orangerie du château de Meudon, de la vaste pièce d'eau de
Bel-Air et des pelouses où fut organisé le camp pendant les aimées qui
suivirent la guerre de 1870. Ces offres séduisantes furent écartées par
la question préalable. Le concours financier de la Ville de Paris a été,
paraît-il, subordonné à la condition expresse que l'Exposition tout en-
tière fût dans la Ville de Paris. D'autre part, des engagements ont été
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160 REVUE FRANÇAISE
pris vis-à-vis des exposants étrangers. On leur a annoncé qu'ils occupe-
raient une partie du Trocadéro. Se trouvant ainsi au centre du mouve-
ment des visiteurs, ils ne paraissent pas disposés à renoncer à cet
avantage et à être transférés ailleurs. Une solution mixte a donc été
cherchée. Elle consisterait à laisser au Trocadéro l'Exposition coloniale
étrangère dans la partie qui lui a été réservée, et à développer, dans
l'autre portion du Trocadéro, les colonies françaises d'Asie ; ^ puis à faire,
sur la grande pelouse de la Muette, à l'entrée du Bois de Boulogne-,
l'exposition africaine formant un tout complet, une Afrique indivisible.
L'Algérie et la Tunisie seraient là, comme pour le continent noir, la
brillante et luxueuse devanture de l'Afrique française. La Tunisie est
acquise, d'ores et déjà, à ce projet. Pour l'Algérie, ce n'est qu'une
question d'argent. Son budget ne lui permettant pas de faire le moindre
sacrifice pour l'installation de son exposition, elle est à la disci'étion
de l'administration supérieure.
La question se pose maintenant dans les termes les plus simples.
Ou bien l'Exposition coloniale de 1900 sera réduite à l'emplacement
. prévu au Trocadéro et elle ne sera alors qu'une exposition officielle
dans laquelle les ministères du commerce et des colonies suivront leurs
propres inspirations, disposant le tout à leur gré. Les colons paraissent
on effet, pour la plupart, résolus, dans ce cas, à refuser toute partici-
pation à cette entreprise restreinte et peu flatteuse pour la France. Ou
bien la combinaison qui consiste à séparer l'exposition africaine et k
la faire émigrer vers la Muette sera adoptée en haut lieu et c'est avec
empressement que les colons viendront, sons le pavillon et dans l'en-
ceinte de leurs colonies respectives, apporter le tribut de leurs efforts
et concourir au succès de cette grande manifestation nationale. Il
n'est que temps que cette question soit réglée. Nous estimons, qu'en
présence du refus absolu du Conseil municipal de Paris de laisser faire
une grande exposition coloniale aux abords de la capitale soit à Meudon
soit à Saint-Cloud, la solution du transfert de l'exposition africaine à la
Muette est préférable à tous égards et nous espérons que le conseil
municipal, le gouvernement et le commissariat général de l'Exposition
trancheront la difficulté en ce sens.
EDOUARD MaRBBAU.
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LE PRINCE HENRI D'ORLÉANS EN ABYSSINÏE
C'est avec un vif intérêt que l*on suivra Texpédition que le prince
Henri d'Orléans va entreprendre dans les provinces méridionales de
l'Abyssinie avec le conote Léontief. Cette expédition n'a pas pour but
de donner la main aux missions Liotard et Marchand, qui arrivent de
rOubangui sur le haut Nil, ni même d'appuyer la mission de Bon-
champs qui, elle, marche à la rencontre des deux précédenlA. Mais son
objectif n en est pas moins fort important, car en prenant possession
des provinces méridionales de TAbyssinie, que Ménélik revendique
comme faisant partie intégrante de l'empire éthiopien, elle aura pour
résultat de prendre contact avec le cours du Nil Blanc et d'établir dans
la région du lac Rodolphe une barrière à Tenvahissement britannique.
Dans un banquet qui lui a été oflfert le 4 février dernier, à Thôtel
Continental, à Paris, le prince Henri a déclaré qu'il ne ferait pas part
du détail de ses plans suivant la règle que s'impose tout voyageur de
ne pas exposer tous ses projets. « Mais, a-t-il ajouté, vous save« dans
quelle contrée nous nous rendons. Les provinces équatoriales de l'Ethio-
pie s'étendent, au sud de celle-ci, jusqu'au 2*» lat. N. et, à Touest, jus-
qu'à l'Albert-Nyanza et au Nil Blanc. Traversés par deux voyageurs
anglais et plusieurs italiens, les plateaux gallas nous ont été décrits
comme riches et de grand avenir. S. M. l'empereur Ménélik nous a
chargés de l'organisation de l'immense province qui formera, comme
ses confins militaires, son propre état-tampon. Il est inutile de vous
dire par qui sera pressé le tampon au sud. Avec les concours moraux
et matériel de nos frères russes, avec mon ami M. le comte de Léontief,
investi par son nouveau titre de la confiance de Ménélik, en travaillant
pour l'empereur, nous savons que nous travaillerons de notre mieux
pour les intérêts de la France. Au milieu de nos efforts, nous aurons
constamment les yeux tournés à l'ouest, vers cette vallée du haut Nil
qui, menacée de se trouver enserrée dans l'étau britannique, verra
bientôt, grâce aux expéditions hardies de nos explorateurs d'un côté, à
la volonté de Ménélik de l'autre, flotter sur ses rives les drapeaux aux
trois couleurs, abyssin à droite, français à gauche, représentant le droit
et la liberté >.
Le prince Henri s'embarquera à Marseille, le 10 mars, avec ses com-
pagnons européens, au nombre de 16. Parmi ceiix-ci se trouvent le
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i52 RI-VUE FRANÇAISE
comte Léonlief, MM. Mourichon, Espéret, d'Origny, docteur Levassor,
quelques sous-officiers et quelques cosaques. Uue centaine de Sénéga-
lais destinés à former Tescorte^ sont déjà rassemblés à Djibouti.
Dans un entretien avec un correspondant du Temps, le prince Henri
a donTié quelques détails sur l'organisation et le fonctionnement pro-
bable de son expédition. Son premier soin, une fois la caravane formée
à Djibouti,. sera, non de descendre vers les provinces méridionales de
TAbyssinie, mais de se rendre, avec le comte Léontief, auprès de Méné-
lik, afin de s'entendre avec le négus sur la campagne à entreprendre et
de bien connaître ses intentions. Ménélik, qui est un homme fort in-
telligent, est aussi un diplomate fort avisé, soucieux avant tout des
intérêts de son empire et des revenus qu'il pourra se procurer. Il se
montre reconnaissant envers ceux qui lui ont rendu service et accueil-
lant enverê les nouveaux venus, tout en sachant bien distinguer ceux
qui arrivent les mains vides dans le but unique de faire fortune et ceux
qui amènent avec eux une pacotille commerciale, ou les éléments néces^ .
saires à la création d'une exploitation ou d'une industrie. Ménélik n'i-
gnore pas qu'il en tirera certainement profit pour lui et pour son pays.
Comme les cadeaux sont toujours fort appréciés et, qu'en Abyssinie
notamment, ils constituent une entrée en matière -^ peu près obliga-
toire pour être considéré, le prince Henri et le comte Léontief apportent
à Ménélik de beaux et nombreux présents provenant de l'empereur de
Russie, du sultan et quelques-uns réunis en France.
L'expédition emporte avec elle pour plus*de 200.000 francs de mar-
chandises destinées aux échanges avec les peuples indigènes de l'Ethiopie
méridionale, et à des cadeaux pour les chefs dont il est bon de s'assurer
les bonnes grâces. Et c'est là chose facile : avec une pièce d etoflfe et
quelques verroteries le noir est vite satisfait, et un cadeau bien placé
sera toujours, pour le voyageur européen, le meilleur des passeports.
Le programme d'occupation des provinces équatoriales variera selon
les ressources et les troupes que Ménélik fournira à l'expédition. Si les
effectifs sont suffisants pour former deux groupes différents, le comte
Léontief et le prince Henri prendront chacun le commandement de l'un
d'eux et agiront parallèlement. Les provinces à occuper ont une super-,
fîcie considérable, et c'est avec de grandes précautions que l'expédition
devra s'avancer, ménageant les populations, les traitant avec douceur,
évitant avant tout les conflits armés et cherchant à imposer son autorité
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LE PRINCE HENRI D'ORLÉANS EN ABYSSINIE 153
plus par la persuasion que par la force. La région des Somalis pourrait
seule présenter quelques obstacles en raison du caractère pillard de ses
habitants. Mais cette zone une fois franchie, sous la protection de
l'escorte et avec la distribution de quelques cadeaux, la caravane arri-
vera sans obtacle dans les États de Ménélik.
Le comte Leontief est ofiBciellement investi par le négus du titre de
gouverneur des provinces équatoriales. Le prince Henri est son colla-
borateur, sans titrer et sans subordination. Leur mission consiste à
reculer jusqu'au Nil à Touest, jusqu'au parallèle passant par le lac
Albert-Nyanza au sud, les frontières de l'empire éthiopien, selon les
constantes revendications de Ménélik.
Ce n'est pas, en effet, comme on pourrait le croire, depuis ses
victoires sur les Italiens, que le négus réclame pour TAbyssinie ses
anciennes limites. Déjà en 1891, peu de temps après son avènement
et au moment où il voyait se dessiner de plus en plus le partage de
l'Afrique entre les grandes puissance européennes, Ménélik adressait à
la reine d'Angleterre, ainsi qu'aux autres souverains d'Europe une
lettre datée d'Addis-Abbeba «lel4Miazia l'an 1883 de la miséricorde
du Seigneur» (10 avril 1891), dans laquelle il exprimait le désir «de
faire connaître les limites de l'Ethiopie à. ses amies les puissances de
l'Europe ». Apriès une description géographique de ces limites, le roi
des rois d'Ethiopie ajoutait :
« En indiquant aujourd'hui les limites actuelles de mon empire, je
tâcherai, si le bon Dieu veut bien m'accorder la vie et la force, de réta-
blir les anciennes frontières de l'Ethiopie jusqu'à Khartoum et jusqu'au
lac Nyanza avec tous les pays Gàllas. Je n'ai point l'intention d'être
spectateur indiffèrent, si des puissances lointaines se présentent avec
lldée de se partager l'Afrique, l'Ethiopie ayant été pendant plus de
14 siècles une île des chrétiens au milieu de la merdes païens. »
Ménélik a suffisamment montré depuis qu'il savait ne pas rester
indifférent, quand le partage était applicable à l'Abyssinie. Il est peu
probable que les Anglais, qui sont à la porte de Khartoum, lui per-
mettent d'étendre jusque-là les liniites de son empire. Mais par contre
il paraît vraisemblable que, grâce à l'expédition du comte Leontief et
du prince Henri, l'ÉtRiopie retrouvera, en bonne partie du moins, sa
frontière méridionale d'autrefois.
A. MONTELL.
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^
CHINE : LE SYKIANG
On nous écrit de Chine :
Je viens de lire, dans le n" de juin 1897 de votre Revue si française,
l'annonce de Touvertare du Sykiang (West FUver) au commerce européen.
4 Le traité qui ouvre le fleuve de Canton jusqu'à la ville de Outchéou-
fou a été signé le 4 féviîer et entrera en vigueur le 4 juin. L'Angleterre
veut donner une grande solennité à cet événement, à cause de son
importance pour le commerce de Hong-Kong. Jusqu'ici, ajoute la Revue
FrançaUe, il n'a pas été question d'y faire figurer le drapeau français,
bien que la nouvelle voie de communication ouverte aux Européens
doive amener un détournement des marchandises- chinoises transitant
par le Tongking ». — Et, plus loin : « On assure, d'après la Quinzaine
cohnmle, que les Anglais demandent l'ouverture de la navigation jusqu'à
Nan-nin-fou et Pose ».
Que le drapeau français doive flotter ou plutôt ait flotté le jour de
l'ouverture de la navigation à côté du drapeau anglais, c'est là une
question de peu d'importance, quoique d'ordinaire on ne fasse figurer
le drapeau du vaincu au triomphe du vainqueur que comme trophée,
pour rehausser la victoire de l'un et aggraver l'humiliation des vaincus.
Or, c'est bien une victoire sur nous, que l'ouverture de ce fleuve au
commerce européen ou plutôt anglais. Je me hâte d'ajouter que la
victoire n'est pas complète, et si la France s'oppose énergiquement à ce
que demandent encore les Anglais, c'est-à-dire à l'ouverture totale du
Sykiang même jusqu'à Nan-nin et Pë-së, elle peut encorer parer le coup
gui menace les intérêts commerciaux de sa jeune colonie du Tongking.
Peut-être, bien des lecteurs de votre intéressante Revue ne voient-ils
pas l'importance de cette question et se demandent pourquoi la Chine,
qui a ouvert le Sykiang dans la moitié de son parcours, ne l'ouvrirait
pas jusqu'aux points terminus de la navigation de ses différents affluents,
c'est-à-dire jusqu'à Pë-së au Kouangsy, Pokio, Pëhen et Sankio dans
la province du Kouy tchéou ?
Cette concession faite à la demande de l'Angleterre serait une viola-
tion de droits certains de la France, à qui la Chine a concédé par te
traité de i895 des avantages commerciaux de préférence aux autres
nations dans les provinces limitrophes du Tongkin. Ce serait une colos-
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CHINE : LE SYKIANG 155
sale chinoiserie, jointe aune noire ingratitude; car c'est bien la France,
et non TAngleterre, qui Ta tirée du danger où les victoires japonaises
l'avaient mise. La Russie, en retour de ce service, ne s'implante-t-elle
pas solidement en Corée? La France, pour garantir le présent et l'avenir
commercial du Tongking, doit donc s'opposer, aussi longtemps que
pos^ble, à l'ouverture du Sy-Kiang en amont de Outchéou-fou.
Pour mieux mettre en lumière ce point important, il faut reprendre
la question d'un peu plus haut. Tout le monde sait que le point de
départ de notre installation en Cochinchine est le traité signé en no-
vembre 1787 sur la proposition de l'évoque d'Adran, M^ Pigneaux de
Béhaine. Or, une des raisons qui déterminèrent alors les ministres de
Louis XVI à la signature de ce traité fut de trouver en Cochinchine un
dédommagement à la perte des Indes.
Pour atteindre ce but, l'occupation de Saigon et des provinces mari-
times ne suffisait pas; il fallait trouver des voies de pénétration pour
amener nos produits commerciaux dans les provinces méridionales de
l'empire chinois. L'expédition du Mëkong en 1866-67, sous la conduite
de Doudart de Lagrée, eut pour objet de chercher une route commer-
ciale. Le Mëkong n'étant pas jugé navigable, la mission se dirigea par
terre vers Semao, et c'est avec une vive joie qu'en débouchant à travers
de hautes montagnes, ses membres saluèrent le Songhoï, roulant majes-
tueusement ses eaux dans une spacieuse vallée qui s'étendait à leurs
pieds. Dès le premier moment, ils devinèrent qu'ils avaient devant eux
le fleuve du Tongking, le fleuve Rouge, la voie commerciale cherchée
pouvant remplacer ou compléter le Mëkong. Au premier moment d'en-
thousiasme, ils déployèrent un drapeau français et le saluèrent par une
détonation générale de leurs armes, « car nous sommes les premiers
Français, écrivirent-ils au premier moment, qui foulons les rives de ce
fleuve ».
Ce cri poussé explique la satisfaction d'avoir atteint le but à la suite
de bien des jours de marche fatigante. Cependant les voyageurs n'étaient
pas les premiers Français qui eussent parcouru ces pays et cherché un
chemin facile de communication entre la mer et l'Europe. Sans citer
d'autres noms et remonter trop haut, je me contenterai de signaler le
nom de deux compatriotes. En 1781, le vén. Moye, un lorrain, cherchait
à ouvrir une voie de communication par la Birmanie, 11 ne se contenta
pas d'écrire dans ce but un long mémoire, mais donna même à ses
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1.-S6 REVUE FRANÇAISE
projets un commencement d'exécution en établissant quelques familles
de néophytes du Setchouan dans Ja ville de Ten-ni^tchéou, ville où
Mai^ary, poursuivant le même projet, fut massacré en 1875.
Un Français, Vachal, après un premier séjour au Laos en 1842, vint
au Yunnan pour ouvrir une route de communication par le Mëkong. Il
mourut asphyxié, après une privation totale de nourriture, dans les
prisons de Kai-hoa-fou, le H avril 1851.
Plus tard, un alsacien, Millier, essaya par trois fois d'atteindre la pro-
vince du Kouytchéou en remontant le Tongking et le Sykiang. Trois
fois il fut reconduit par la police chinoise, qui Tintema quelques mois
dans la prison de Canton, n'accordant pour sa nourriture à ce vil bar-,
bare que du riz cru non écossé, à Tégal des bêtes de somme.
Il fut plus heureux à la quatrième tentative, mais ce fut pour venir
mourir dans la bonne ville de Hin y fou, percé par les lances musul-
manes, en 1862.
Cette digression étant nécessaire pour montrer que, bien avant Lagrée,
Garnier et leurs compagnons, des Français avaient parcouru ces pays.
Ce n'est pas à dire que leur enthousiasme ne fût légitime; car s'ils
ne furent pas les premiers, ils eurent le mériie de comprendre qu'ils
ne devaient pas être les derniers à fouler les rives du Songhoï et que ce
fleuve devait rouler ses eaux a l'ombre du drapeau français. Les tenta-
tives faites pour commercer sur ce fleuve en 1872, par Jean Dupuis, et
l'occupation définitive du Tongking firent rentrer cet le idée dans le
donmine des faits. Le commerce du sud de la Chine allait donc appar-
tenir à la France. La Cochinchine allait être pour nous, ce que sont les
Indes à l'Angleterre.
« Partout où la France fait un pas l'Angleterre, qui ne la perd pas de
vue, cherche à en faire un à côté, quand ce n'est pas en avant ». (Reine
Française, juillet 1897, page 44o.)
L'Angleterre qui sait temporiser, sait aussi agir énergiquement quand
ses intérêts commerciaux sont en jeu. On Ta vu par l'occupation de la
Birmanie, dont les chemins de fer drçiineront le commerce vers Bahmo
et les Indes. Le Mëkong deviendra inutile, si tant est qu'il puisse ser\ir
au développement du commerce de Saïgon. L'ouverture du Sykiang, à
la demande de l'Angleterre, détournera les marchandises chinoises au
grand détriment du fleuve du Tongking, qui ne rendra plus le service
qu'en espérait le commerce français de Hanoï.
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CHINE : LE SYKIANG 157
Aussi longtemps qu'on posj^ à la Chambre française la qaeslioii de
savoir si on garderait ou si Ton abandonnerait le Tongking, et que la
prise de possession fut plus nominale que réelle, on ne songea guère au
Sykiang. Mais la pacification et Toccupation effective de ces dernières
années mirent la question de la navigation de ce fleuve à Tordi-e du
jour. Plusieurs voyageurs, surtout des Anglais, le remontèrent môme
jusqu'à Pé-?ë. Il y a deux ans, un français, M. Madrolle, prit de nom-
breuses informations à ce sujet et projeta même un voyage pour étudier
■ le Sykiang.
Mais ce qui devait surtout allirerTattention delà di}>loma(ic franraisc
sur cette question, ce fut la mission commerciale lyonnaise, la Chambre
(le commerce de Lyon ayant résolu d'envoyer une mission au Yunnaii
pour essayer de nouer des relations commerciales. Le choix des mem-
bres fut heureux.- Les Chambres de Bordeaux, Roubaix, Roanne, Lille,
Marseille y prirent part, et de lyonnaise qu'elle était d'abord, elle
devint mission presque française.
Je dis presque française, car tout en louant comme elle le mérite
rinitialive privée des Chambres, il est regrettable que les organisateurs
aient eu trop à cœur de se passer de tout concours du gouvernement et
d'avoir trop insisté sur le caractère exclusivement commercial. Ce man-
que de tout caractère officiel, malgré la distinction personnelle des
membres de la mission, ne contribua pas peu à les exposer à un certain
dédain de la part des autorités chinoises, qui affectèrent trop de ne voir
en eux, conrormément à leurs passeports, que de simples commerçants.
C>ette déconsidération fut d'autant plus frappante, qu'en môme temps
voyageait dans nos contrées la mission anglaise. M. Burnes se présenta
en costume consulaire et se fit partout recevoir avec les honneurs dus à
son uniforme. M. Burnes parlait aussi . couramment le chinois, et il
aurait été à désirer que les membres de la mission lyonnaise eussent pu
se préparer à leur voyage; car on ne peut nier que l'ignorance de la
langue d'un pays rend peu propre à le bien étudier, ce dont pourtant
ils montraient le plus vif dési)'.
Heureusement, ils trouvèrent partout le long de la route des compa-
triotes dévoués, qu'un long séjour dans le pays rendait admirablement
aptes à leur fournir les renseignemente désirés. La mission lyonnaise
remonta au Yunnan par le Tongking et de là se rendit, en traversant
le Kouytchéou, à Tchongkin, pour redescendre le fleuve Bleu.
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158 REVUE FRANÇAISE
Ses membres ne semblaieut pas avoir songé au Sykiang. Un Français,
qui avait séjourné vingt ans dans le pays, attira là-dessus leur attention
en répondant à leurs questionnaires par une lettre de 500 pages. Il leur
soumit le projet de conserver à la France le commerce de trois pro-
vinces chinoises : le Kouangsy, le Rouytchéou et <m partie le Yunnan,
en reliant le cours supérieur du Sykiang au Tongking par quelques
tronçons de chemin de fer français. Preuves à l'appui, il démontra que
ce projet assurait l'influence commerciale de la France sur une popula-
tion de 25 à 30 millions d'habitants.
Ils avouèrent, en pesant ces raisons, que cette question était pour
eux d'une imi>ortance capitale. Ils félicitèrent leur compatriote d'être
leur collaborateur, joignant une étude si consciencieuse des int<?rèts
commerciaux fhmçais à ses multiples occupations.
Après un échange de lettres et télégrammes avec laFi-ance et Pëking,
ils reçurent pour instruction de rebrousser chemin et de revwir sur le
Sykiang. Ils repartirent de Tchôngking le 10 novembre <896. Le
29 avril ils n'étaient qu'à deux jours de Loly, près Pé-s<\ Le massacae
d'un missionnaire français, M. Mezel, eut lieu le lendemain du jour où
ils seraient arrivés, s'ils n'avaient eu à temps la prudence de revenir sur
leurs pas. Le bruit de leur mort s'était même répandu, et ce fut ce qui
détermina M. Bûmes à remonter vers la capitale de la province au mois
de mai. Depuis, on annonce la visite de la mission allemande qui, elle
aussi, veut étudier les populations qui habitent le Sykiang. Comme on
le voit, la question de la navigation de ce fleuve est à l'ordre du jour.
La mission lyonnaise a fait des tentatives pour entrer en rapports
d'affaires avec les Chinois. Un jour son chef sonda un gros mandarin
du Yunnan en vue d'obtenir l'autorisation pour les ingénieurs ft'ançais
d'exploiter les mines.
Le refus fut catégorique et voici la réponse motivée, bien chinoise
par son caractère, qui lui fût faite : » Nous devons vous protéger et
nous ne pouvons le faire qu'en ville, où est le prétoire. Or, comme
d'ordinaire, les mines ne sont pas dans les villes... » Le fait n'étant pas
niable, on voit la conclusion du syllogisme.
La mission lyonnaise a cependant bien mérité de la France en atti-
rant l'attention sur la question du Sykiang. La France pourra conserver
une zone dlnfluence au Tongking, un vaste hinterland commercial,
pourvu qu'on s'oppose énergiquement à tout empiétement sur nos droits
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CHINE : LE SYRIANG 159
certains, reconnus par un traité, et qu'on poursuive énergiquement Je
projet de relier le Sykiang au Tongking en amont de Outchéou-fou
par des tronçons de chemin de fer français. C'est par ce moyen et par
ce moyen seulement que Tavenir commercial de notre colonie du Tong-
king sera à Tabri de toute atteinte étrangère.
Le Sykiang est, comme on Ta dit, un fleuve Tchong-Kia-tse, c est-
à-dire que c'est cette race qui habite ses bords en villages serrés presque
surtout son parcours. Qu'est-ce que ce peuple Tchong-Kia?Tchong-Kia,
d'après leur langue, signifie peuple frères. Ce sont les Pou-y du Kouang-
sy, les Pou dhoï, Tchoui des voyageurs anglais, les Thos duJTongking,
les Thaï de Siam. Ils portent le môme nom malgré la prononciation
difiérente.
C'est le même peuple frère, sans compter les Cham, les Shans, les
Stiengs. les Mois, etc. qui, s'ils ne sont pas leurs frères, peuvent être
leurs cousins ou leurs beaux-frères. La langue tchong-kia est un dia-
lecte de la lange thaï, qui, d'après M.^ Pallegoix, autorité en cette
matière, dériverait du paly comme le latin et le grec. Si ces langues
sont sœurs, les peuples qui les parlent sont frères, de la grande famille
indo-germanique.
Si la Chine est, comme le prétendent de savants ethnographes, comme
Jones et Klaproth, peuplée en partie par des émigrations de la famille
européenne, on en trouverait les traces dans ces Tchong-Kla et les Thos.
Les Thos, d'après le commandant P. Famin, forment 10 0/0 de la
population du haut Tongking. M. de Cerné, dans son livre de la Mobili-
sation au Tongking, dit que le Thos est de sang aryen, franc, loyal,
énergique; il a gardé son antique organisation féodale. Tous ces traits
peuvent s'appliquer au Tchong-Kia habitant les bords du Sykiang.
L'importance du Sykiang étant démontrée pour la nation qui possède
le Tongking, on se demande pourquoi la France n'aurait pas de consulats
aux points terminus de la navigation du Sykiang comme Pësë, Hingfou,
près Pokio-port, Tchenfong, près du port de Petsen, etc. « A nous, me
disait un jour un voyageur français, on nous demande des rapports; les
Anglais, eux, agissent d'abord qnand leurs intérêts sont en jeu ».
Alrittbr.
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EXPLORATIONS EN ASIE
M. MARCEL MONNIER EN CHL\E
M. Marcel Monnier, qui fait le « tour d'Asie », a adressé à la Société
de géographie de Paris une série de letlres dont nous extrayons les
principaux passages :
« Après avoir occupé lautomne 1896 et le début de l'hiver à par-
courir la Mongolie orientale sur une distance d'environ 400 lieues, des
confins du Slian-Si à la frontière mandchoue ; par les ruines de Chan-
Tou (l'ancienne capitale dite des Yuén), Dolo Nor, etc., j'ai regagné
le sud. De fin décembre (1896) au iO février, j'ai voyagé dans le Fô-
kiôn, prenant pour point de départ le port militaire de Pou-Tchéou,
visitant la haute vallée du Min et quelques-uns de ses principaux
affluents, notamment l'admirable vallée arrosée par le Ou-Lou-Kiang
(rivière du Dragon-Noir).
Après quoi j'ai passé la mer, vu le nord de Forinose et surtout,
avec le plus vif intérêt, l'archipel des Liou-Kiéou, ce très curieux
royaume insulaire, longtemps tributaire de la Chine, incorporé depuis
quelques années dans les domaines du Mikado, mais dont les populations
d'un type très tranché et très personnel, la flore et la faune d'un
caractère tout spécial, ne présentent que de très vagues afiinités avec
ce que l'on observe sur le continent ou dans les Iles voisines. Cela
n'est ni chinois, ni japonais. C'est un coin de terre bien étrange dont il
n'existe point encore, que je sache, oc monographie tant soit peu
complète. Cependant la chose en vaudrait la peine, et c'est là un champ
d'études de nature à passionner les ethnographes.
Des Liou-Kiéou je suis remonté vers la baie de kagoshima, et J'ai
traversé de bout en bout, non sans faire décrire à mon itinéraire
d'innombrables zigzags, cetie belle île de Kiou-Siou, délaissée, je ne
sais trop pourquoi par les touristes japonisants, bien que la nature et
les phénomènes volcaniques y soient d'une grandeur incomparable et
qne les mœurs et coutumes du vieux Japon y persistent, sur nombre
de points, dans leur intégrité première.
Me voici enfin depuis quelques jours en Corée. J'ai repris définitive-
ment pied sur le continent et ne le quitterai plus jusqu'au jour, lointain
encore, où j'aurai la joie de toucher les fronti^'res de France. Mon
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J
EXPLORATIONS EN ASIE 161
projet immédiat est de traverser la péninsule coréenne, de Séoul k
Wou-San, en décrivant un détour assez prononcé dans l'est et Test-
sud-est par la province de Kang-Ouen-To et le massif du Keum-Kang-
San (montagnes de Diamant), où le bouddhisme, importé de Chine en
Corée vers le iv® siècle de notre ère, a fondé ses plus mystérieuses et.
paraît-il, ses plus majestueuses retraites. Je vais voir ce qu'il y a de
vrai dans les magnificences de cette Suisse coréenne, célébrées à Tenvi
par les vieux poètes et les vieux peintres chinois, mais que bien peu
d'Européens ont entrevues (trois seulement à ma connaissance, et non
de nos compatriotes).
De Wou-San Je songe à remonter vers la frontière de Mandchourie
par la région boisée et très sauvage encore du Ham-Yeng-Tô jusqu'au
Pêk-Tou-San (la montagne blanche) d'où s'épanchent, d'une part, les
eaux du Ya-Lou, de l'autre celles du Tiû-Mén. Par cette dernière rivière
je rejoindrai la côte, puis Vladivostok. De Vladivostok, soit par la
Mandchourie, Kirin et Tsitsikar (si toutefois la saison pluvieuse me
permet cette voie), soit par le fleuve Amour, j'atteindrai la Trans-
Baïkalic, puis Irkoutsk. De là je compte quitter la route de Sibérie et
obliquer, par les contreforts de l'Altaï, vers le Turkeslan. Là, j'aurai le
choix entre deux itinéraires, deux des grandes routes des invasions:
1® La route de Saraï, passant par le nord de la mer d'Aral et de la
Caspienne, pour alteindre le Volga, le Don, Azow et la Crimée. C'est
la voie suivie par les Huns, lors de leur grande invasion en 375 de
notre ère, et plus tard par les missionnaires, Jean de Plan Carpin et
Rubruquis. Elle a été très rarement parcourue depuis le xm^ siècle et
j'aimerais à le suivre, si les ciiconstances et surtout la saison ne s'y
opposent point;
2** La route qui contourne au sud de la Caspienne, la route de
l'invasion arabe, et du christianisme nestorien. Plus étudiée que la
précédente, elle n'en est pas moins du plus haut intérêt, et je l'adopterai
sans regret si la saison tardive m'y oblige. En ce cas mon itinéraire
sera, dans ses grandes lignes : le Ferganah, Tachkent, Samarcand,
Bokhara, Merv, Méched, Téhéran, Tauris, Erivan et Tiflis. De toutes
façons cette traversée de l'Asie en diagonale, de la vallée de l'Amour
à la mer Noire, aura été une belle promenade. Mais je ne suis pas
au bout, et j'aurais tort d'en parler comme d'une chose faite. J'ai
cependant bonne espérance Pt compte, si tout réussit au gré de mes
xxni(Mar8 98}. N«23l. 11
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162 REVUE FRANÇAISE
désirs, me retrouver parmi vous dans le courant de Thiver, peut-être
même avant que la présente année soit défunte. »
Une nouvelle lettre de Sémipalatinsk de M. Marcel Monnier, com-
plète ces renseignements sur la suite de son voyage.
Après avoir visité Vladivostock il s'est rendu par TOussouri et la
vallée de TAmour au lac BaYkal et à Irkoutsk.
De là, rentrant sur le territoire chinois par Kiakhla, il arrive à Ourga,
au moment des grandes fêtes religieuses que les Mongols célèbrent tous
les 3 ans dans leur ville sainte. 80 à 60 000 fidèles, dans leurs costumes
de fête, se pressaient pour recevoir la bénédiction du Bogdo ou Bouddha
vivant d'Ourga, qui, après le Dalaï-Lama de Lhassa, est Tun des plus
grands personnages du monde bouddhique. Il y avait des pèlerins
venus, non seulement du Nord de TEmpire, mais encore des Kalmoucks
bouddhistes des steppes d'Astrakan. Ces foules bariolées, avec leur
immense camp de tentes de feutre, offraient un spectacle extraordinaire.
D'Ourga à Kobdo M. Marcel Monnier suivit à peu près Titinéraire de
la mission Chaffanjon, Il visita les ruines de la vallée de l'Orkhon, les
vestiges de la capitale de Gengis-Khan, Kara-Koroum et sa citadelle,
ainsi que la grande lamaserie d'Erden-Zo, le sanctuaire le plus en
renom de la Mongolie, que la mission Chaffanjon n'avait pu visiter. Ce
qui fait rintérêt de ce sanctuaire, c'est qu'on y a réuni nombre d'objets
jadis disséminés dans d'autres monastèfes et remontant à la période de
la dynastie de Gengis-Khan.
Après cette curieuse visite, M. Monnier se dirigea sur Oulia-Soutaï,
en traversant le massif des monts Tsa-Kindava, dont les profondes
dépressions sont séparées par des colsde 2 800 à 3200 mètres. Deux jours
avant d'arriver à Oulia-Soutaï, la neige commença à tomber abondam-
ment (6 septembre 1897), retardant considérablement la marche.
De Kobdo, le voyageur, voulant rentrer sur le territoire russe par
une route nouvelle, se dirigea sur Biisk, à travers l'Altaï, au milieu
d'un paysage grandiose. « Ce fut, dit M. Monnier, la route de Rubru-
quis nous a laissé de son voyage une relation saisissante et d'une exac-
titude très appréciable encore à l'heure actuelle. Il y m'a paru intéres^
sant de reprendre, en sens inverse son livre à la main, la route
parcourue jadis par le i)auvre moine qu'un roi de France improvisa
son ambassadeur extraordinaire ».
Grâce au passeport fourni par les soins de la légation de France à
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EXPLORATIONS EN ASIE 1G3
Pékin, et à la faveur de pouvoir prendre des chevaux de relais dans
tous les campements mongols, droit réservé d'ordinaire aux mandarins,
celte traversée de la Mongolie put se faire rapidement. Accompagné
par un mandarin à boutons bleus, M. Monnier a pu ainsi franchir en
moins de 2 mois, un trajet qui en eût demandé 5 ou 6 pour une cara-
vane conservant les mêmes montures. Chaque camp mongol fournit
aussi de 13 à 20 chevaux, avec des cavaliers ne servant qu'à caracoler.
1 Si j'ajoute, poursuit M. Monnier, que ces relais, rien que sur le terri-
toire chinois, ont été au nombre de 16, vous aurez une idée de
l'effectif de cavalerie mobilisé à mon intention dans la Chine du nord :
onze à douze cents chevaux pour le moins ». Parti d'Ourga le 25 août,
M. Monnier arrivait à Sémipalatinsk le 16 octobre, ayant effectué un
parcours de 3 123 kilomètres, depuis son passage de la frontière à
Kiakhta.
M. Monnier se dirigera ensuite sur Samarkand, puis il gagnera la
Transcaucasie et Tiflis, par le nord de la Perse, en contournant la mer
Caspienne. Son retour se fera après 3 années d'absence et environ
30000 kilomètres parcourus en tous sens sur la terre asiatique.
M. BEL EN ANNAM ET AU LAOS
La région encore mal connue, surtout au point de vue des richesses
et des produits du sol. qui sVtend entre la chaîne de montagnes de
l'Amour et le Mékong, est l'objet d'explorations de plus en plus fré
quenies. Un ingénieur des mines, M. Marc Bel, vient de la parcourir
entre Tourane et Khong et a relevé dans la province de Quang-Nam
Hes gisements aurifères, jadis exploités, qui n'avaient été signalés
dernièrement que comme mines dé zinc ! Charge par le ministre de
rinstruclion publique d'une mission géographique et minéralogique en
Annam et au Laos, M. Bel avait quitté Marseille le 20 décembre 1896.
Le 20 janvier 1897 il débarquait à Qui-Nhon, dans la province de
Binh-Dinh (Annam), et commençait son exploration en compagnie de
«1 femme, la première Européenne qui ait visité ces régions et traversé
la chaîne annamite.
Dans une lettre écrite à bord du Salazie, 29 septembre 1891, M. Bel
a adressé à la Société de géographie de Paris la relation suivante de
son voyage :
« C'est de Qui-Nhon que j'ai commencé mes explorations ; elles on
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164 REVUE FRANÇAISE
surtout porté sur le massif montagneux dont la largeur s'étend du
littoral annamite aux forêts claires de la plaine du Mékong, massif
qu'habitent les populations autochtones appelées Moïs par les Anna-
mites, Khas par les Laotiens et par elles-mêmes.
Il n'y a que la différence du langage ou du dialecte qui donne à
ces indigènes des désignations différentes, permettant de les diviser en
plusieurs groupes, parmi lesquels nous avons visité : les Moïs, en
réduisant ce terme aux populations limitrophes de TAnnam, — les
Bahnai-8 Rongao, — les Djaraïs, — les Salangs, — les Halangs, —
les Lové, — les Soés ou Sepoun, — les Souks, — les Braos. J*ai
séjourné chez eux cinq mois en suivant un itinéraire allant de Qui-
Nhon à Atlopeu, où nous sommes arrivés le 14 avril.
Attopeu est le premier village que nous ayons rencontré qui soit
habité par des Laotiens. De là, j'ai remonté la Sekong jusqu'à la limite
de la province d* Atlopeu, puis nous l'avons descendue jusqu'à Siempang
d'où nous sommes allés à Khong par voie terrestre en passant par
quelques villages habités par des Cambodgiens.
De Khong, nous avons descendu le Mékong jusqu'à Stung-Treng,
d'où nous avons remonté la Sésane en pirogues jusqu'à Ban-Kong-
Sedam, excursion qui a demandé douze jours et demi, du 14 au 26 juin,
durant lesquels la saison des pluies s'était franchement déclarée. Puis
nous sommes revenus en quatre jours par la même voie à Stung-Treng,
grâce aux nombreux rapides qui nous ont permis d'aller très vite. A
Stung-Treng le service à vapeur des Messageries fluviales de Cochin-
chine ne fonctionnant pas encore, bien que les eaux fussent en crue,
M. Frébault, commissaire du gouvernement, voulut bien nous conduire
avec la chaloupe de l'État, VAf^guSy jusqu'à Kratié, où nous avons pris
une des chaloupes chinoises à service journalier qui drainent à peu près
tout le trafic du fleuve. Elle nous a conduits à Pnom-Penh, et de là, sur
le Battambang, nous sommes arrivés le 14 juillet à Saïgon.
J'ai, durant ce voyage, constaté que la cartographie de la région
habitée par les Khas est très insuffisante; j'ai rapporté de nombreux
échantillons minéraux qui me permettront de tracer quelques traits de
la géologie de ces régions. J'ai également relevé toutes les altitudes
de la route que je remettrai au ministère dans mon rapport de mission.
M"® Bel a recueilli, pour le Muséum de Paris, des collections d'histoire
naturelle.
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EXPLORATIONS EX ASIE 165
Au cours de cette campagne j'ai eu la grande satisfaction de
reconnaître les premiers gîtes filoniens aurifères connus au Laos ; on ne
connaissait en effet jusqu'ici au Laos que des gîtes alluvionnaires. Ce
fait minéralogique pourra avoir une grande importance pour l'avenir
minier du pays, si, comme je crois pouvoir Tespérer, des découvertes
se répètent, et si ces gîtes présentent quelque continuité en profondeur.
Le 15 juillet, nous retournions en Annam, à bord du paquebot la
Tamise, et le 18 juillet, nous débarquions à Tourane, d'où, deux jours
après, nous partions pour une courte exploration minérale de la
province de Quang-Nam. J'y ai consacré un mois entier à l'étude des
gisements aurifères qui s'y trouvent. Ces gisements, connus des
Européens seulement depuis deux ans environ, ont fait l'objet d'ex-
ploitations anciennes importantes, dues aux Annamites, mais qui
auraient été interrompues depuis le règne du roi Minh-Mang. Jusqu'en
ces dernières années, les Européens les ignoraient ou plutôt on les leur
avait signalées comme mines de zinc ! Actuellement une Société
française s'occupe de la reprise de ces exploitations.
Il y a dar)s la même province d'autres gîtes minéraux: du cuivre et
du charbon. Le cuivre a aussi fait l'objet d'exploitations anciennes dues
aux Annamites ; une Société française a également repris ces gisements
depuis quelque temps, mais, lors de mon passage, les travaux y étaient
interrompus. Quant aux gîtes de charbon, le temps m'a fait défaut
pour les visiter; ils ont d'ailleurs fait l'objet de rapports de divers
ingénieurs des mines et sont par conséquent bien connus.
En dehors de ces gisements minéraux, mes excursions en Annam,
tant dans la province de Binh-Dinh que dans celle du Quang-Nam,
m'ont laissé l'impression d'un pays extrêmement riche au point de
vue agricole, susceptible des cultures tropicales les plus variées ; la
population y est nombreuse, intelligente, travailleuse et très soumise.
Il n'est malheureusement pas assez connu, et mérite d'attirer la plus
sérieuse attention en vue d'une colonisation florissante.
Le massif montagneux de l'Annam et du Laos, qui est immense, se
prêtera, en dehors de la culture du riz que les sauvages y font partout,
aux cultures tropicales les plus variées, le jour il jouira de voies de
pénétration praticables ; actuellement on ne peut y aller que par des
sentiers de montagne, et le transport ne peut s'y eflfectuer que par portage
à dos d'homme et en partie avec des éléphants. J'ai conduit de Qui-
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166 REVUE FRANÇAISE
Nhon à Attopeu la première caravane un peu considérable ayant
pénétré dans ce pays, mais au prix de retards et de difficultés que la
colonisation ordinaire ne pourrait pas supporter. A mon départ de
rindo-Chine, le gouverneur général faisait procéder à l'étude des
chemins de fer de pénétration dans ces régions.
Après quelques jours passés à Hué et consacrés à la visite des environs
où se trouvent les magnifiques Champs Élyséens, peut-être uniques en
leur genre, où reposent les rois d'Annam. nous sommes rentrés à
Tourane, par le col des Nuages, le 30 août, et nous arrivons aujourd'hui
à Marseille par le paquebot des Messageries maritimes Salazie, d'où j'ai
tenu à vous écrire ces notes sommaires résumant l'ensemble de mon
voyage.
J.-M. Bel. »
CHINE
LE RAPPORT DE LA MISSION LYONNAISE
Nous avons reçu de la Chambre de commerce de Lyon, le rapport
de la mission commerciale envoyée dans la Chine méridionale pour y
rechercher des débouchés à notre industrie et à notre commerce.
On se rappelle que, sur l'initiative de la Chambre de commerce de
Lyon, qui a supporté la majeure partie des frais du voyage, une mis-
sion d'études commerciales fut envoyée en Chine, en 189S, sous la
direction de M. Rocher, puis de M. Brenier. I^s Chambres de com-
merce de Marseille, Roanne, Roubaix, Bordeaux, Lille, prirent part à
cette mission qui dura 2 ans et dont la Revue Française a suivi la
marche étape par étape (1).
Ce fut le 15 septembre 1895, que la mission commerciale, qui comp-
tait 13 membres, s'embarqua à Marseille. Arrivée au Tonkinen octobre,
elle y séjourna environ un mois, puis pénétra en Chine, et se dirigea
sur Yunnan Fou, où elle parvint à la fin de l'année. Là elle se divisa en
plusieurs tronçons : une partie se rendit à Tchoung-King, par le Kouei-
Tchéou, tandis que l'autre, qui se subdivisa à son tour, se dirigeait vers
(1) Voir i-éeominont (fév. t898, p. 75) le rapport de M. Hulot sur les oiplorations
en Asie, et dans ce n" p. 757.
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CHINE 167
cette grande ville par deux itinéraires différents à travers le Sé-Tchouen,
Cette province fut visitée par plusieurs groupes au cours de Tété 4896.
Puis des membres de la mission descendirent une partie du fleuve
Bleu, pendant que d'autres, parcourant le Kouang-Si, arrivaient à Can-
too et visitaient les principaux points du littoral de la Chine.
Le 3 septembre 1997, M. Brenier débarquait à Marseille.
Nous analysons ci-dessous les conclusions que M. Brenier tire de son
rapport au point de vue de l'intérêt qu'il y a pour les Européens à
atoir leur part dans les immenses richesses que renferme la Chine.
M. Brenier, dans ses conclusions, donne tout d'abord un aperçu d'en-
lemble concernant l'attitude des Chinois et le commencement d'évo-
lution qui se fait dans leur esprit.
Le mandarin est, en principe, hostile à l'Européen, surtout parce
qu'il a sa situation à défendre. C'est cependant lui avec qui l'on peut
seulement traiter certaines affaires. Le lettré, qui n'a rien à conserver,
est bien plus hostile encore, car, par son hostilité même, il peut arriver
à se faire une situation, en montrant son mauvais vouloir vis-à-vis
des barbares de l'Occident. Le grand commerçant, lui, est tout disposé
à faire des affaires avec les Européens; une fois la convention conclue,
il n y a généralement pas de crainte à avoir sur son accomplissement.
Dans son parcours de 16.000 kilomètres, en pleine Chine, la mission
n'a jamais perdu quoi que ce fût appartenant à ses caravanes. Quant
au peuple, paysan ou petit bourgeois, il ne nous est pas sympathique;
mais on n'a à lui reprocher qu'une curiosité véritablement insup-
portable.
Au fond, les Chinois n'ont été souvent jugés que sur quelques points,
ceux avec lesquels on s'est trouvé en contact sur le littoral. L'immense
majorité des Chinois ne connaît ni l'Européen, ni les produits euro-
péens. Mais le jour viendra où une pénétration plus complète saura
faire accepter ces produits dont les Chinois n'éprouvent pas le besoin,
mais qu'ils apprécieront un jour à leur juste valeur.
La création de grandes industries, l'exploitation des mines, qui for-
ment une des richesses les plus considérables de la Chine, l'extraction
de la houille, qui, suivant l'explorateur allemand de Richtofen, suffi
rait à la consommation du monde, opéreront, chez les Chinois, une
véritable transformation. Cette évolution a déjà commencé et les che-
mins de fer lui en ont donné le branle. Il y en a déjà deux en activité
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168 REVUE FRANÇAISE
dans le nord de la Chine : Tun de Tien-Tsin à Chang-Haï-Kouan et
par delà la Grande Muraille en Mandchourie, où il est destiné à se
relier un jour avec le chenoin de fer russe; Fautre, de Tien-Tsin à
Pékin. Deux projets sont concédés : Tun aux Belges, de Pékin à Han-
Kéou; l'autre aux Américains, de^Shanghaï à Nankin par Sou-tchéou,
avec un embranchement de Sou-tchéou sur Hang-tchéou. Le succès de
ces chemins de fer est certain, quand on se rend compte de l'énorme
circulation intérieure de la Chine, malgré la primitivité des moyens
actuels. C'est ainsi que le thé de Pou-Eul, qui vient du voisinage du
Laos tonkinois, s'en va à Pékin à travers le Yunnam. On trouve des
ailerons de requins et des nids d'hirondelles à Tchen-Fou, c'est-à-dire
à une distance considérable de la mer. Enfin, on rencontre des Chi-
nois de toutes les provinces, à des distances très grandes de leur pays
d'origine.
L'introduction des chemins de fer n'est pas le seul progrès matériel
que l'on puisse constater. Ainsi, des filatures et tissages de coton exis-
tent à Han-Kéou, à Shang-haï, à Ning-po. Les Allemands, qui devien-
nent pour les Anglais de redoutables rivaux en Extrême-Orient se sont
lancés dans la création d'usines et de manufactures. On voit donc que
la Chine songe à se transformer peu à peu. Malgré cela, M. Brenier
paraît profondément convaincu de la supériorité que doit conserver
la vieille Europe. Selon lui, ce n'est pas « le péril jaune » qu'il fau-
drait dire, mais « l'illusion jaune ».
Au point de vue pratique, il y a nécessité, avant tout, de coordonner
nos efforts, afin de savoir ce qu'il faut faire avant de vouloir. Ensuite,
il est urgent d'agir, afin de profiter de la situation qui nous a été créée
par les derniers événements en Extrême-Orient. Le voyage de la mis-
sion lyonnaise a été très fécond; il importe que les résultats n'en
soient pas perdus et que le rapport de M. Brenier ne demeure pas une
œuvre sans sanction et sans profit pour notre commerce et notre
industrie.
G. V.
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MADAGASCAR
LES ÉCOLES FRANÇMSES ET ÉTRANGÈRES.
Le bulletin de janvier 1898 de riZ/tance/ran^awe contient un rapport
fort instructif du secrétaire général du comité de ï Alliance à Tanana-
rive, sur la situation des écoles françaises et étrangères à Madagascar.
Ce document est un véritable exposé de la situation des écoles avant et
après l'occupation, ainsi que du programme d'enseignement qui doit
implanter, dans la grande île, la langue et, par suite, la prépondérance
matérielle et morale de la France. En voici les parties principales :
Importance de Peyiseîgnement libre avant notre arrivée, — Madagascar
a, depuis trois quarts de siècle, des écoles privées et confessionnelles.
Parmi ces écoles, les unes étaient françaises, les autres étrangères.
Les statistiques des missions étrangères donnent pour 1894 et 1893 et
pour rimérina les chiffres de 861 écoles et de 36.468 élèves. (L'une des
missions (anglicane) n'ayant pas fourni de statistique, ces chiffres sont
inférieurs à la réalité.) Ces mêmes statistiques donnent pour les mômes
années et pour le reste de Madagascar 88.139 élèves (I), soit au total
94.607 élèves.
La mission française en accusait à la même époque, dans Tlmérina
17.240 élèves, dans le reste de Madagascar, 10.17S, soit au total: 27.415,
Dans rimérina seule (en n'y comprenant pas le Wakinankoratra), il y
a donc autant d'écoles et d'élèves que dans tout le reste de l'île. L'Imérina,
pour une population de 6 à 700.000 habitants, fournit un contingent
de SO à 60.000 élèves. Le pourcentage du Hova sachant lire et écrire,
n'a jamais été établi; mais il est certainement très élevé; il pourrait
bien n'être pas inférieur à celui de certains pays européens.
Il y avait donc là une œuvre considérable, dont la France avait le
devoir d'assurer la continuation, mais aussi qu'il était impossible de ne
pas contrôler et diriger.
(1) Ce chiffre doit être faussé par les données de la mission norvégienne qui semblent
exagérées : 36.808 élèves pour 505 écoles seulement, soit 72 élèves par école au lieu
de 49 en Imérina. L'écart provient probablement de ce que les statistiques norvégiennes
donnent le nombre des élèves inscrits. Celles de PImérina, le nombre des élèves pré-
sents et examinés.
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i"0 BEVUE FRANÇAISE
Hostilité de beaucoup de ces écoles. — Il est incontestable, en effet,
que, dans beaucoup de ces écoles, les maîtres étaient animés d'un
esprit hostile à la France. Ce fait pourrait n'avoir pas besoin de démons-
tration. L'hostilité det missionnaire» anglais à notre politique est trop
naturelle pour qu'on ne l'admette pas sans discussion. Elle a été con-
testée cependant par quelques nnssionnaires français, mais leur bonne
foi a été surprise...
Missions étrangères. — I^es écoles étrangères se divisaient, il y a un
an à peine, en 3 catégories.
A. — Les écoles norvégiennes forment un groupe important : 85 mis-
sionnaires, 50o écoles, 36.808 élèves. Mais elles sont presque toutes en
dehors de l'Imérina. Le centre de la mission norvégienne n'est même
pas à Tananarive, quoique, naturellement, le chef de la mission y ré-
side, à titre d'ambassadeur en quelque sorte, et y dirige une petite école.
Les écoles normales, le véritable centre scolaire, sont à Antsirabé et à
Betafo, capitales du Vakinankaratra. C'est au Vakinankaratra et au
Betsiléo que sont la majorité des écoles et des élèves de la mission nor-
végienne. Les autres sont chez les Sakalaves et dans les tribus du sud.
En concentrant leurs efforts sur les provinces excentriques, les Norvé-
giens ont renoncé à exercer une action sur la politique générale. Dans
les parties de l'ile où ils sont établis, en particulier au Vakinankaratra,
leur influence ne s'exerce pas dans un sens hostile à la France.
B. -- liCs écoles anglicanes (Eglise établie d'Angleterre) forment un
groupe à part, s'entendent fort mal avec les autres écoles anglaises,
évitant même toute relation avec elles; à ce point que la partie la plus
naïve de la population malgache ne considère pas les Anglicans comme
Anglais et leur donne le nom fantastique au point de vue ethnografdii-
que, de a Besopy « (Bishop^ évéque). En im mot, les membres de
l'Église établie d'Angleterre professent pour les indépendants les mêmes
sentiments à Madagascar qu'en Angleterre. Les anglicans sont peu
nombreux, 44 missionnaires seulement, dont un évêque (le poste est
actuellement vacant).
Quels que puissent être leurs sentiments à notre égard, il est incon-
testable que, depuis le traité de 1892, par lequel l'Angleterre a reconnu
notre protectorat, les missionnaires anglicans, sans doute à cause de
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MADAGASCAR 171
leur caractère officiel, ont modifié leur attitude à notre égard. Depuis
cette date, par exemple, ils se sont mis à renseignement du français.
C. — Un troisième groupe de missionnaires étrangers est celui des
Indépendants, que Ton appelle incorrectement en France les Méthodistes,
Encore convient-il d'y distinguer deux sous-groupes. Le moins impor-
tant est celui de la Société des Amis (Frinds Foreign Mission Associa-
tion) : ces missionnaires appartiennent à la secte des quakers : ils sont
au nombre de 20 seulement; au recensement de 1894, ils accusaient
147 écoles et 9. 468 ôlèves.
Relativement nouveaux venus à Madagascar, et pour ne pas entrer
en lutte avec les premiers arrivés, ils ont renoncé à toute propagande
religieuse et se sont confinés dans leur rôle pédagogique. Leurs écoles
sont les mieux tenues des écoles anglaises. L'un d'eux, M. Standing, le
chef de la mission, parle français avec correction et facilité. Les « Amis »,
depuis l'arrivée du général Gallieni, ont montré une grande docilité et
une réelle intelligence de la situation.
Il n'en a pas été de même des autres indépendants appartenant & la
Société des Missions de Londres (Lcmdon Missionary Society, par abré-
viation L. M. S.)-
Les L. M. S. sont arrivés à Madagascar dès 1820; plus profondément
qu'aucune autre Société de missionnaires, ils ont pris racine dans le
pays; dès le premier jour, sous la direction de sir Robert Farquhar et
de son agent Hastié, ils ont eu à jouer un rôle politique, et jusqu'à la
fin ils ont été dominés par la préoccupation de compter au nombre de
leurs élèves les membres de la famille royale, les fils des principaux
personnages, tous les enfants en un mot qui, par le rang social des
parents, semblaient appelés plus tard à diriger les affaiies du pays.
Leurs efforts ont de tout temps porté sur l'imérina, centre politique de
l'île. Ils étaient nombreux, 36 missionnaires, et leurs recensements ac-
cusent pour l'ensemble de l'île environ 50.000 élèves; ils s'étaient ma-
gnifiquement installés à Tananariveet un quartier, celui de Faravohitra,
était presque tout entier dans leurs mains. Habitués par leur passé à
être les conseillers des souverains malgaches, Ie3 maîtres occultes de
l'imérina et comptant fermement que Madagascar deviendrait colonie
anglaise, ils nous ont vu arriver avec un profond dépit qu'actuellement
encore ils ne savent pas dissimuler.
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172 KEVUE FRANÇAISE
Modifications dans le groupement des missions étrangères, — La situa-
tion des Indépendants de la L. M. ^. a été profondément ébranlée de-
puis un an. Ds ont été atteints à la fois dans leur situation matérielle et
dans leur prestige par la réquisition et Tachât de leurs plus beaux édi-
fices, rhôpital de Soavinandriana, devenu hôpital militaire, le Collège
devenu le Palais de Justice, et la « Normal School ».
En même temps, ils ont expérimenté l'ingratitude des Malgaches;
beaucoup de leurs élèves et anciens élèves les ont abandonnés; eux qui
de tous les missionnaires protestants avaient le caractère officiel le plus
marqué, ils ont particulièrement souffert de la chute de l'ancien gou-
vernement. Ils semblent avoir compris eux-mêmes que leur situation
était fausse et intenable. Déjà une moitié des missionnaires L. M. S. ont
quitté Madagascar sans esprit de retour, dit-on. On peut affirmer au
moins que la vieille puissance de cette Société à Madagascar est brisée.
Dan» le courant de cette année 1897, le groupement des Sociétés de
missionnaires étrangers s'est donc modifié. On commence à distinguer
ceux qui s'accommoderont à notre domination et ceux qui, au contraire,
ont déjà commencé l'exode.
Protestants français, — En même temps que la principale Société
des missionnaires anglais renonçait à la lutte et commençait à quitter
Madagascar, la Société évangélique de Paris envoyait à Paris des mis-
sionnaires protestants français.
Les protestants français paraissent destinés à recueillir la succession
des L. M. S. Déjà le gouverneur général leur a donné la « Normal
School » achetée aux missionnaires anglais et la maison confisquée de
Rasendranoro où ils rétablissent, sous le nom d'École du Palais, l'an-
cienne « Palace School j des L. M. S. Toutes les écoles primaires des
L. M. S. sont désormais sous leur direction. Malheureusement ils sont
encore peu nombreux, et la mort vient de diminuer encore leur nombre.
Il ne reste plus que quatre missionnaires et leur famille. Si peu nom-
breux qu'ils soient, leur présence pourra préparer les voies à une poli-
tique d'apaisement.
Missionnaires français. — Les Écoles libres françaises, avant la
guerre, appartenaient en théorie toutes aux Jésuites. Mais il y avait une
fiction de discipline ecclésiastique; et en réalité, les Frères des Écoles
chrétiennes, tout subordonnés qu'ils fussent aux Jésuites au point de
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MADAGASCAR . 173
vue religieux et financier, avaient des écoles bien à eux, animées d'un
caprit spécial. On peut en dire autant des écoles de filles dirigées par
les Soeurs de Saint-Joseph de Cluny.
Les Pères Jésuites étaient au nombre de 43. Les Frères des Écoles
chrétiennes au nombre de i7. Les Sœurs au nombre de 27. Le chiffre
de leurs élèves ne dépassait pas 30.000 dans Madagascar entier.
Il serait injuste de ne pas rendre justice à Tesprit d'abnégation des
Jésuites et aux services qu'ils ont rendus à la cause française par le
simple fait de leur présence et de leur origine française. Mais au point
de vue enseignement, il est incontestable que les Jésuites, qui sont des
maîtres excellents dans l'enseignement secondaire, ne son t ni outillés pour
se charger de l'enseignement primaire, ni même disposés à le faire. Ce
sont exclusivement les Frères des Écoles chrétiennes qui se sont occu-
pés d'enseigner aux Malgaches la lecture, l'écriture et la langue fran-
çaise.
Les Pères Jésuites n ont dans tout Madagascar qu'une école réellement
dirigée par eux, et qu'ils appellent collège; mais les jeunes Malgaches,
qui y entrent en petit nombre, ont déjà reçu à l'École des Frères une
instruction complète. Leur passage au collège des Pères a moins pour
but de les pousser plus loin encore, que de leur inspirer un esprit de
docilité et de dévouement aux intérêts de la Compagnie. Le collège a
été jusqu'îci en dehors de la ville; les élèves y sont internes, soumis
par conséquent à une surveillance constante et entraînés à des exercices
de piété.
Les Frères, au contraire, ne sont pas prêtres, et sont avant tout des
éducateurs ; leur seule école de Tananarive contient un millier d'élèves
(le collège n'en a qu'une centaine), et jusque dans ces derniers mois,
de tous les Malgaches parlant un peu le français, il n'en était pas un
seul qui ne l'eût appris chez les Frères.
Il y avait donc, d'une part, nécessité de venir au secours des écoles
libres françaises; d'autre part, il est indispensable de modifier l'orga-
nisation existante; au point de vue enseignement, les Frères des Écoles
chrétiennes étaient seuls intéressants; or, ils n'avaient pas d'existence
ofiîcielle; ils n'étaient pas venus à Madagascar en qualité de société
indépendante, mais amenés par les Jésuites qui se chargeaient de leur
nourriture et de leur entrelien. Seuls, par conséquent, les Jésuites
étaient et pouvaient être subventionnés par le Gouvernement. Augmen-
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174 REVUE FRANÇAISE
ter purement et simplement cette ancienne subvention, c'était s'exposer
à en voir la plus grande partie employée à toute autre chose qu'à l'en-
seignement.
M. le général Gallieni a proposé au ministère des colonies de sub-
ventionner nommément les Frères, ce qui a pu se faire en passant un
traité avec le directeur de la Société à Paris. Celui-ci s'est engagé,
moyennant une subvention annuelle de 25.000 francs, à envoyer et à
entretenir à Madagascar quinze Frères qui se consacreront exclusive-
ment à renseignement et se conformeront aux programmes en vigueur
dans la colonie. Dix sont déjà arrivés à Tamatave.
Situation numérique actuelle du penonnel de renseignement libre, —
Xnm renseignement privé a subi une double modification.
Tandis que le nombre des missionnaires étrangers était diminué par
Teffacement, on pourrait presque dire la disparition des L. M. S., le
nombre des instituteurs libres français s'augmentait dans une notable
proportion par l'arrivée de quinze Frères des Écoles chrétiennes et de
quatre envoyés par la Société évangélique.
Encore faudrait-il mentionner l'arrivée à Fort-Dauphin de misiion*
naires lazaristes, qui y ont déjà créé des écoles florissantes.
Les modifications apportées, depuis l'arrivée du général Gallieni, au
personnel de l'enseignement libre peuvent donc se résumer ainsi : dé-
part d'une vingtaine de professeurs libres anglais, arrivée d'une ving-
taine de professeurs libres français.
Grâce à cette modification, le nombre de nos professeurs hbres égale
à peu près celui de leurs concurrents étrangers ; une centaine de part
et d'autre, soit 200 en tout (les Lazaristes de Fort-Dauphin mis à part).
En voici le relevé:
Écoles françaises. Écoles étraBgères,
Jésuites 43 Nonégiens . r>5
Soeurs S. J. Clmiy *7 Amis 10
Frère» des Écoles chrétiennes (an- AngUcarii^ 11
ciens) 15 (Après l'exode) [L. M. S. > 16*
Frères des Écoles cliré'.ionnes (nou-
veaux) (1) • 15*
Mietion évangéliqiH' 4
Total 106
(1) Les chiffres uiodiliés au cours de cette année sont suivis d'un astcrique.
Total 102
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'1
EXPLORATEURS ET VOYAGEURS 175 ^
Il y a eu un déplacement de 40 environ et, Tannée dernière, on au-
rait eu à peu près: écoles françaises, 80; étrangères, 120.
Enseignement officiel. Personnel.. — L'enseignement officiel a été créé
par le général Gallieni. Depuis cpielques mois à peine, sont arrivés de
France deux intUtuteurs et une institutrice. D'autre part, une institu-
trice bourbonnaise, venue à ses frais, a été mise à la tête d'une école
officielle, ce qui porte à S les membres du corps e&seignant, en com-^
prenant le chef de service.
L'existence d'une organisation puissante de l'enseignement privé, la
division de cet enseignement en deux camps adverses, dont les discus-
sions religieuses sont une gêne perpétuelle pour le gouvernement,
rendent inévitable la création d'écoles officielles, sans l'existence des-
quelles il serait bien difficile d'établir des examens et de faire respecter
des programmes.
(A suivre.)
EXPLORATEURS ET VOYAGEURS
AFRIQUE
L'explorateur anglais Cavendish, à peine de retour de l'Afrique orien-
tale, se propose de repartir prochainement pour la même région. L'ex-
pédition durera 2 ou 3 ans, très nombreuse, elle comprendra une dizaine
d'officiers, 2 armuriers d'artillerie, 1 cartographe et quelque» autres
Européens. Elle disposera de 350 carabines Lee-Metfort-Martini et sera
accompagnée de 380 Somalis armés. Son convoi comprendra 400 cha-
meaux, 80 chevaux et 80 mulets. « La région que nous allons parcou-
rir, a dit M. Cavendish, est une des rares parties de l'Afrique dont la
carte n'a pas été faite. On ne sait presque rien au sujet du territoire
d'une superficie de 400 milles qui s'étend entre le lac Rodolphe et le
Nil, sinon qu'il est peuplé par de puissantes tribus. L'expédition par-
tira de Kismayou pour se diriger en ligne droite sur le lac Rodolphe. Il
se peut qu'au début de notre marche, nous ayons à lutter contre les So-
malis ; mais, ensuite, la route est libre et nous serons bien reçus par les
tribus Borans et Rendile, à cause du bon souvenir laissé par l'explora-
teur américain Chandler. Nous arriverons en 3 mois au lac Rodolphe.
Nous portant ensuite à l'oiiest de ce lac, nous ferons la carte de tout
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176 REVUE FRANÇAISE
le pays jusqu'au Nil. Nous remonterons jusqu'à la source du Sobat et
nous explorerons tous les affluents de la rive droite du Nil ».
Bien que M. Cavendish ne le dise pas, sa mission, scientifique au
début, pourra facilement se transformer en une mission politique, char-
gée d appuyer les prétentions britanniques sur le haut Nil.
Le commandant Clément Brasseur a été tué le 10 novembre 1897, au
moment où, à la tête des troupes congolaises, il attaquait le borna de
Chiwala, un chef arabe pillard, établi sur le haut Louapoula, près du
lac Bangouélo. Le c' Brasseur était parti pour la ^^ fois au Congo
en 1890, comme s.-lieutenant. A un second voyage, en 1892, il était
désigné pour commander la station de Luluabourg, d'où il se rendit
au Katanga en 1893. C'est de là qu'il partit pour la belle exploration au
cours de laquelle il reconnut le système de lagunes du Kamolondo et
Je cours inconnu du Louapoula inférieur. Né en 1863, dans la province
de Namur, le c' Brasseur était un officier et un explorateur de haute
valeur.
Le gouvernement de l'État du Congo organise une importante mis-
sion scientifique sous la direction du l' Lemaire, ancien commissaire du
district de l'Equateur. Cette mission ne comprendra pas moins de
6 blancs, parmi lesquels un géologue, un photographe, un dessinateur.
Les Iterriloires sud du Congo seront le but de la mission, qui se rendra
au Katanga, par le Zambèze, le lac Nyassa et le Tanganika. Lofoï sera
le centre de ses opérations. Si la chose est possible, la mission reviendra
par la côte occidentale, en coupant diagonalement le cours supérieur
du Kassaï. M. Lemaire emporte un important bagage d'instruments
scientifiques et 2 pirogues démontables en aluminium. M. de Windt
sera le commandant en second de l'expédition.
RÉGIONS POLAIRES
M. de GerJache, chef de l'expédition belge au Pôle sud, a envoyé de
ses nouvelles par pigeon voyageur. A son départ de Punta-Arenas, il
avait emporté 2 pigeons qui lui avaient été offerts par un Français,
M. Pante. Après avoir relâché à Ushuaia, point civilisé extrême de la
Terre de Feu, où il s'élait arrêté pour faire du charbon, M. de Gerlache
avait encore ses pigeons à bord. C'est donc au large du cap Horn que
le lâcher a eu lieu. Un des pigeons est arrivé à Punta-Arenas, annon-
çant que tout allait bien à bord et que la Belgica, tenant bien la mer,
se dirigeait droit vers le Sud.
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■I
ÉPBÉMÉRTOES ÉTRANGÈRES ET COLONIALES POUR L'ANNÉE 1897 ^^>
GRÈCE
En raison des affaires de Crète, l'armée grecque est mobilisée (mars 1897).
A Ja suite des incursions de bandes grecques en Thessalie, la Turquie déclare
la guerre à la Grèce (18 av.).
Les Turcs s'emparent de la passe de Melouna (19 av.)-
Les Grecs sont battus à Mati (23 av.).
Edhem-Pacha occupe Larissa, évacué par le prince royal de Grèce (25 av.). \^
Le colonel Manos qui avait envahi l'Epire est battu à Pente Pighadia (Bech )
Pounar) (24 av.), |
Le générai Smolenski repousse les attaques des Turcs à Veiestino (30 av.).
Le cabinet Ralli remplace le cabinet Delyannis (30 av.).
L'armée grecque est battue à Pharsale (5 mai).
Les Turcs occupent Volo (8 mai).
La Grèce, après avoir rappelé de Crète le colonel Vassos, demande la média-
tion des grandes puissances (8 mai).
Les Grecs, qui ont envahi une deuxième fois l'Epire, sont battus à Gribovo
après un combat acharné (14 mai).
Les Grecs sont battus à Domokos (17 mai).
Sur la demande du tsar le sultan donne l'ordre de suspendre les hostilités
(18 mai).
Signature à Coustaniinople, après de laborieuses négociations entre la Porto
et les grandes puissances, des préliminaires de paix (18 sept.).
La Chambre des députés ayant refusé, par 93 voix contre 30 et 43 abslen-
tions, sa confiance au cabinet Halli (30 sept.) celui-ci donne sa démission.
Formation du cabinet Zaïmis. Pour la première fois un catholique devient
ministre (2 oct.).
Signature à Constantinople du traité de paix entre la Grèce et la Turquie
(4 déc.). Une légère rectification de frontière est accordée à la Turquie, à
qui la Grèce paiera une indemnité de guerre.
Voir : Turqute-Crète.
ITALIE
Décret de dissolution de la Chambre des députés (3 mars 1897).
Élections législatives (21 mars).
Ouverture du nouveau parlement (5 avril).
Le cabinet di Rudini est reconstitué avec l'adjonction de M. Zanardelli (14
déc.).
Brytlurée. — A la suite d'un accord avec l'Angleterre, l'Italie remet la place
de Kassala aux Anglo-Égyptiens (25 déc).
Somalis. — La mission Bottego est en partie massacrée près de Gabo (17 mars).
Deux de ses membres italiens sont recueillis par les Abyssins. Partie de
(1) Voir Rev, Fr., fév. 1898. p 113.
XXIII (Mars 98). N-231. 12
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178 REVUE FRANÇAISE
la côte des Somalis le 22 fév. 1895, la mission Bottogo explorait la r^on
du lac Rodolphe.
PAYS-BAS
Élections législatives faites d'après la nouvelle loi électorale (ii juin 189").
Le nombre des électeurs qni était jusqu'alors de 350.000 est plus que dou-
blé. Sont élus : 45 libéraux, 22 catholiques, 21 protestants orthodoxes,
4 chrétiens historiques, 4 radicaux, 4 socialistes. Faible majorité libérale.
La Chambre sortante comptait 56 libéraux, 25 catholiques, 15 protestants
et 3 radicaux.
Formation du cabinet libéral progressite Pierson (26 janv.).
PORTUGAL
Le cabinet Hintze Ribeiro est remplacé par le cabinet progressiste Luciano
de Castro (7 fév.).
Dissolution des Cortés (9 fév.).
Élections législatives (25 av.).
Ouverture des Certes (10 juin).
ROUMANIE
Le cabinet libéral Demètre Stourdza succède au cabinet Aurélian, du même
parti (12 av. 1897).
RUSSIE
Le c** Mouravief est nommé gérant du ministère des affaires étrangères (12
janvier 1897). 11 succède au prince Lobanof mort en 1896.
Arrivée à Cronstadt du président de la République Félix Faure (23 août).
La flotte russe prend ses quartiers d'hiver à Port-Arthur (Chine) (18 déc.).
Voir : Corée,
SERBIE
Élections à la Skoupchtina (4 juil. 1897). Sont élus 188 radicaux et 4 libé-
raux. Les 61 membres nommés par la couronne comptent 12 libéraux,
12 progressistes, 3 indépendants et 4 radicaux.
Le cabinet Simitch ayant donné sa démission, un nouveau cabinet, sans cou-
leur politique bien tranchée, est formée sous la présidence de M. Vladan
Georgevitch (23 oct.).
SUÈDE ET NORVÈGE
Saède. — L'explorateur suédois Sven Hedin revient en Suède après une ex-
ploration de près de 4 années dans l'Asie centrale.
L'expédition Andrée quitte le Spitzberg se dirigeant vers le pôle en ballon
(Il juil.).
KiWège. — Élections législatives (nov.). Sont élus 75 membres de la gauche
et 35 de la droite. La précédente Chambre contenait 59 memhres de gau^
che et 55 de droite.
SUISSE
Entrée en fonctions du président Deucher (i^^ janv* 1897)*
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"W^mWw^
ÉPHÉMÉRroES POUR L' ACTIVÉE 1897 i7d
TURQUIE
Crète. — Des troubles graves entre chrétiens et Turcs éclatent en Crète {i^
fév. 1897).
Le quartier chrétien de la Canée est incendié par les musulmans (6 fév.).
L«8 navires étrangers débarquent des détachements de marins. Les chré-
tiens prennent les armes dans tout Tile.
Un corps de troupes grecques débarque en Crète (15 fév.). Le colonel Vassos
prononce l'annexion de File à la Grèce. Les navires des grandes puissances
débarquent des troupes dans les principales villes de Crète.
A la suite d'un mouvement en avant des insurgés crétois vers La Canée, les
navires des puissances ouvrent le feu sur les Crétois (21 fév.).
Remise à la Grèce d'une note des puissances demandant le rappel des trou-
pes grecques débarquées en Crète, déclarant l'annexion de cette île à la
Grèce actuellement impossible, mais assurant son autonomie effective sous
la suzeraineté du sultan (2 mars).
La Grèce, dans sa réponse, se déclare prête à rappeler sa flotte, mais ne peut
retirer ses troupes par suite du traitement auquel les Crétois seraient
soumis de la part des Turcs. Elle demande que les Crétois soient appelés
à se prononcer sur leur sort (8 mars).
Blocus de la Crète par la flotte des puissances (21 mars).
La Grèce rappelle le colonel Vassos ; les dernières troupes grecques quittent
la Crète (26 mai).
Les puissances et la Porte ne peuvent s'accorder pour donner un gouverneur
à la Crète ; l'occupation mixte subsiste.
Voir Grèce.
AFRIQUE
Etat du Congo. — Le c* Chaltin chargé d'occuper l'enclave concédée au Congo
sur le Nil, s'empare de Redjaf sur les Madhistes (14 fév. 1897).
Les soldats indigènes delà colonne Leroi, marchant vers le Nil, se révoltent
et massacrent leurs ofliciers (14 fév.). Ils infligent un échec à la colonne
Dhanis à Ekvraoga (18 mars), mais sont complètement battus par le 1^
Henry (15 juil.).
Transfaal. — Traité d'alliance signé à Bloemfontein avec l'État d'Orange (17
mars 1897).
iByssiiiie. — Convention commerciale conclue avec la France (27 janv.).
Traité conclu avec l'Angleterre (14 mai 1897).
Egypte. — L'expédition anglo-égyptienne au Soudan, interrompue après l'oc-
capation de Dongolaj, en 1896, est reprise. Prise d'Abou-Hamed (7 août
1897).
Occopatloû de Berber (sept). L'expédition est de nouveau suspendue.
ASIE
layon. — Arrivée en Angleterre du i^ paquebot inaugurant une ligne de
navigation japonaise 0»^^^- 1897).
lï
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180 REVUE FRANÇAISE
Corée. — Conventions signées à Séoul (2 mai 1897) et à Moscou (28 mai)
entre la Russie et le Japon, réglant la situation de ces puissances en Corée.
Chine. — Convention signée à Pékin avec TAngleterre ouvrant, à dater du
4 juin 1897, le Si-Kiang au commerce (4 fév.).
Convention signée à Pékin avec l'Angleterre modifiant à Tavantage de celle-
ci la frontière sino-birmane et conférant à la Grande-Bretagne divers
avantages dans les provinces méridionales de la Chine (5 juin).
Retour en France de M. Brenier, chef de la mission commerciale lyonnaise
qui, pendant â ans, a parcouru la Chine méridionale (3 sept.).
A la suite du massacre (l^*" nov.) de missionnaires catholiques allemands,
dans le Chan-Toung, TAllemagne occupe la baie de Kiao-Tchéou (14 nov.).
L'escadre russe prend ces quartiers d'hiver à Port-Arthur avec l'assentiment
du gouvernement chinois (18 déc.).
OCÉANIE
Hawaï. — Traité portant annexion volontaire d'ilawaï aux États-Unis
(17 juin 1897).
AMÉRIQUE
États-Unis. — M. Mac-Kinlcy, républicain, succède à la présidence à M. Cle-
veland, démocrate (4 mars 1897).
Venexnela. — Reprise des relations diplomatiques avec l'Angleterre (15 mars
1897). Elles avaient été rompues au sujet du territoire contesté de la
Guyane.
Uruguay. — Assassinat du président de la République, Idiarte Borda (nov
1897). Le pouvoir est confié au président du Sénat, Cuestas.
Brésil. •— Prise de Canudos et mort d'Antonio Conselheiro, chef des insurgés
fanatiques qui résistaient depuis 6 mois à toutes les expéditions (sept. 1897).
NOUVELLES GEOGRAPHIQUES ET COLONULES
AFRIQUE
Algérie : Huilei et liège en Norvège. — La Norv^ reçoit par an 276.850
kg. d'huile d'olive ; contrairement à l'opinion courante, cette huile provient
surtout de pays qui n'en produisent pas. L'Allemagne en fournit 66.820 kg.,
l'Angleterre 67.270, la Hollande 40.680, etc. L'Algérie et la France réunies
ne fournissent à la Norvège que 42.000 kg. d'huile d'olive !
Pour les li^es, même surprise : la France et l'Algérie ne donnent que
4.680 kg., alors que l'Allemagne en fournit 227.830 kg. et l'Angleterre
59.7iO. La part de la France et de l'Algérie ne représente ainsi que 0,7 «/o-
Comme le £edt remarquer tort justement la Quinzaine coloniale, ce sont les
pays non producteurs qui nous concurrencent d'une façon inexplicable.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES iSi
U est donc du plus haut intérêt pour l'Algérie, d'entrer directement en
relations avec la Norvège, afin de pouvoir lui fournir la majeure partie de
ses huiles et de son liège.
Soudan français : VOussourou. — L'Oussourou est la redevance de
douane payée par les caravanes maures en pénétrant dans le Sahel français*
D'après la Revue Coloniale, cet impôt, perçu autrefois par un intendant
d'Ahmadou, est aujourd'hui réglementé par les postes de douanes français
établis sur la frontière du Sahel. Les percepteurs sont des sous-officiers euro-
péens ou des indigènes capables, assistés de cavaliers indigènes.
Les caravanes paient le dixième de la valeur de leurs marchandises en
guinées, mais on s'efforce d'en faire payer un tiers en espèces. Muni du reçu
coupé dans un registre à souches, la caravane peut alors circuler lib-ement
dans tout le Soudan français. L'Oussourou a donné 400.000 fr. en 1896.
Sel du Sahel, — - Le Sahel, vaste région au nord de» bassins du Sénégal et
du Niger habitée par des tribus maures, est surtout impoitant à cause du
sel qu'on extrait principalement à la sebkha el Rhadera, au sud de Chin-
guette, et aux mines de Taodeni, au nord de Tombouctou.
La sebkha el Khadera est une profonde dépression dans une région déser-
tique. Une mare de 50 kilom. en occupe le centre; elle reçoit toutes les eaux
du pays; dès le mois d'octobre, elle est à sec et on peut en extraire le sel.
Il faut d'abord enlever 0™,50 de sable apporté par les vents pour arriver à
la couche du sel, qu'on taille en barres de 1 mètre de long, à l'aide d'un
instrument en fer à dents de scie (sebadri). Lorsque le sel devient plus blanc,
on arrête l'extraction, car on approche de l'eau; cette couche de sel s'appelle
tenormcU dans la langue des Maures. Lorsqu'un point de la mare a été épuisé,
on passe à un autre. L'eau des pluies et les infiltrations remplissent les trous
et, en 2 ou 3 ans, les puits peuvent être de nouveau exploités en sel. Ce sel
est porté à Ghinguette, à 10 jours de marche, puis dirigé sur 'Tichit, d'où il
est répandu dans tout le Soudan. La barre de sel de 25 kilog. est vendue 14
à 16 fr. à Nioro, 15 à 16 fr. à Goumbou, 20 à 25 fr. à Sokolo.
Quinée française : Houte de Konakry au Niger, — La mission du capi-
taine Salesses poursuit l'étude de la route de Konakry au Niger. La campagne
de 1897, grâce au garde d'artillerie Leprince, a fait atteindre le 14« kilo-
mètre, franchir le plateau de Tangbaïa et pousser jusqu'à Rouria. Le per-
sonnel indigène guinéen, recruté parmi les Sousous, a donné un bon travail. j
Le prix du kilomètre, qui était Fan dernier de 7.000 fr., est tombé à 5.000 fr.
La route étant terminée jusqu'à Koura, les Européens de Konakry ont pu j
en profiter et des chevaux ainsi que des bicyclettes ont déjà sillonné cette i
voie. Le 15 novembre, les travaux ont repris vers Sémenta, Béreiré et Fri- -"i
gniagbé. Les 15 kilomètres qui suivent la rivière Gousira seront faciles à exé- ^
cuter. La rivière Tahili une fois traversée, la route se continuera jusqu'à j
Béreiré, au pied des monts Auloum; on compte atteindre le 100* kilomètre
en 1898. ^
S
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«e REVUE FRANÇAISE
Sierra-Leone : Chemins de fêr. — Les travaux du chemin de fer de
Sierra-Leone ont été commencés à la fin de 1895 et on y a dépensé déjà
4 millions. La ligne part de Freetown, qui compte 30.000 habitants, près
du collège de Fourah-Bay ; elle est à 0"» 76 d'écartement et les locomotives
sont prévues pour une vitesse de 30 à 40 kilomètres à Theure.
Le tracé est du à M. Bradford. A partir de Fourah-Bay, deux embranche-
ments conduisent, Tun vers la jetée de Fourah-Bay, où Ton débarque le ma-
tériel de la ligne, Fautre vers la jetée du port de Freetown. La ligne suit la
rive gauche de la Rokelle ; les rails atteignaient le village de Rokelle le
25 octobre 1897, et ils ont dû atteindre celui de Waterloo en février 1898
(à 32 kilom. de Fourah-Bay).
Le piquetage de la voie est achevé jusqu'à Songotown (Prince AUredtown)
et Ton espère exploiter la ligne jusqu'à ce point (48® kil.) en juin 1898. Il
est ^ peu près certain que la ligne sera prolongée ensuite de Songotown vers
rintérieur; les dépenses imputables à ce prolongement sont estimées à
12 millions et demi.
Hinterland du Dabomey : Bretonnet et Verm^rsch, — Le 1^ de vais-
seau Bretonnet qui, il y a un an, avait occupé Boqstia, où il exerçait les
fonctions de résident, est rentré en France le 13 février. Grâce à l'occupation
de Boussa, toute la rive droite du Niger, de Say à Boussa est française. Par-
tout M. Bretonnet a été parfaitement reçu comme représentant des blancs
de Porto-Novo. Il a étendu le protectorat français jusqu'à Kayoma et KJssi,
sur la demande des rois de ce pays qui réclamaient la protection de la France
et rétablissement de voies de communications avec la côte. La situation dans
ces régions est satisfaisante, grâce à l'énergie du 1* de vaisseau Bretonnet et
de MM. Cuman, de Bernis et Veyssière qu'il a laissés comme résidents à Ho,
Boussa et Parakou. D'après un télégramme récent, le maréchal des logis de
Bernis vient d'être tué dans une éch^ufifourée avec des indigènes.
Peu de temps avant, M. Bretonnet, le capitaine d'inf"*^ de marine Ver-
meersch était rentré en France. D'abord adjoint au capitaine Baud pour roccu-
pation du Gourma, il avait été envoyé au Borgou en juillet 1897, au moment
où les Baribas venaient de se soulever et d'attaquer le poste de Kouandé,
vigoureusement défendu par le P Aymès; nommé alors résident au Borgou,
il rejoignit en toute hâte le siège de son commandement. Des renforts ayant
dû être envoyés dans le pays, le capitaine Ganier prit le commandement
des troupes, et, avec l'aide du capitaine Vermeersch comme chef d'état-major,
réussit à pacifier le pays. Cette région, où la population est dense, est fort
riche et possède de vastes pâturages. Le capitaine Vermeersch a fait de nom-
breux relevés géographiques de cette contrée à peine connue jusqu'ici.
Des incidents se sont produits à diverses reprises sur les confins du Lagos
et du Borgou, par suite des tentatives des Anglais d'occuper divers points
en dedans de notre ligne de postes. Des officiers et sous-ofiQciers arrivent sans
cesse au Niger et au Lagos et la création de nouvelles compagnies de haoussas
sous leurs ordres se poursuit de plus en plus.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 483
Adaxnaoua : Les épaves de la mission Mizon, — Lorsque la mission Mizon
fut brusquement interrompue par la C*® anglaise du Niger, un de ses bateaux,
le Sergent MalanUne, fut saisi par celle-ci et confisqué. Mais les tirailleurs
laissés à Yola, près du sultan de FAdamaoua, y restèrent longtemps encore
sous la conduite du sergent Ahmed. Une correspondance adressée au Temps
nous fait connaître le sort de ces épayes de la mission Mizon. La Royal Niger
Company a toujours un ponton à Yola, mais elle n'a pas pu réussir à établir
une résidence à terre. A force d'intrigues et de cadeaux, elle a fini par obte-
nir du sultan le renvoi du sergent Abmed. Les tirailleurs qui raccompa-
gnaient entrèrent alors au service du sultan. Quant aux marchandises du
Sergent Malamine, elles ont été vendues au plus grand profit de la R. N. Cy,
Celle-ci a également fait détruire le bateau qui a été transformé en 1897, en
bois à brûler.
n faut vraiment la mansuétude inaltérable du quai d'Oroay pour ne pas
avoir appuyé plus vigoureusement auprès de FAngleterre la demande d'in-
demnité réclamée pour la mission Mizon. Il en est de même, du reste, pour
les Pères Blancs de l'Ouganda. Les uns et les autres auront bien gagné —
quand ils l'obtiendront un jour — la réparation qui leur est due et qui leur
e8t depuis si longtemps promise.
Congo français : Haoussas. — Les convois d'indigènes haoussas, origi-
naires des environs du Niger et du lac Tchad, descendent parfois dans le
bassin de la haute Sangha pour y trafiquer avec les blancs et les noirs. Ces
Haoussas, excellents commerçants, viennent du nord, par terre jusqu'à Nola,
d'où le gouvernement français les fait transporter par pirogues jusqu'à
Bayanga. Jusqu'en ces derniers temps, ils achetaient des produits dans la
haute Sangha, la haute Goko et retournaient chez eux. A Yola, sur la
Bénoué, ils vendaient leur ivoire aux Anglais de la O^ du Niger. Le Gou-
vernement français a cherché à fixer les Haoussas dans notre région. Déjà,
plusieurs colonies de ces indigènes se «^ont créées à Carnot, Bania et Nola,
et vont donner un grand essor au commerce local.
Natal : Annexion du Zoulouland. — Le Parlement de la colonie de Natal
vient de voter, malgré une vive opposition, l'acte d'incorporation du Zoulou-
land à la colonie, dont la frontière va être ainsi reportée à la limite méridio-
nale des possessions portugaises. L'opposition était motivée par l'énorme
accroissement de population indigène qui en résultera pour la colonie.
Le Natal agrandi aura environ 600.000 habitants noirs contre seulement
45.000 blancs, soit 13 contre 1. Au Cap, sur 1.500.000 habitants, on compte
1.100.000 individus de couleur contre près de 400.000 blancs, soit environ
1 blanc sur 3 noirs. Les possessions françaises de l'Afrique du Nord, les seuls
pays d'Afrique qui puissent se comparer au Cap et au Natal, ont un peu
plus de 550.000 Européens sur moins de 6 millions d'habitants.
Transvaal t Réélection du président Kruger. •— Les élections à la prési-
dence^ qui viennent de se terminer au commencement de février» ont amené
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184 HEVUE FRANÇAISE
la réélection pour 5 ans du président Paul Kruger, qui a obtenu 12.764 suf-
frages, contre 3.716 donnés à M. Schalk Bui^r, candidat préféré de la popu-
lation industrielle, et 1.943 au général Joubert. Cette majorité considérable
témoigne de l'influence que V a oncle Paul > exerce sur ces compatriotes.
Élu pour la 1" fois président en 1882, M. Kruger fut réélu en 1888 et en
1893. Né en 1825, à Colesberg, près de TOrange, il fit partie des premiers
Boêrs qui quittèrent la colonie du Cap pour conserver leurs franchises et
leurs lois, et vinrent se fixer avec Prétorius, au-delà du Vaal.
Madagascar : Situation. — La tranquillité la plus complète règne sur
le plateau central ; mais Faction de la justice française ne peut avoir raison
des vols et déprédations commis par les Malgaches, et la nécessité d'une
législation spéciale se fait de plus en plus sentir.
Les querelles religieuses sont en voie d*apaisement. La Société des missions
évan^liques de Paris a ouvert la li^ école protestante française à Tananarive.
Dans le sud le roi des Baras, Isambo, a fait sa soumission. Les Baras et les
Antanosses ont demandé à être protégés contre les Mahafales qui restent
absolument hostiles à toute idée de progrès et de pénétration.
Les progrès de la pacification ont permis le rapatriement de 2 compagnies
de tirailleurs algériens ; une 3^ sera rapatriée en février, la 4® et dernière en
mars. Les effectif des troupes d'infanterie vont être réduits et une compagnie
de conducteurs sera supprimée, en vue de réduire les dépenses militaires.
Révolte sakalave. — Le colonel Septans s'occupe activement de la création
de postes en vue de couper les Sakalaves de la mer. A la suite des dernières
opérations, l'occupation du port de Tamboharono, centre important du
commerce comorien et indien, a été efifectuée le 4 janvier. Par suite les Saka-
laves du Mahilaka vont être privés de leur principale base de ravitaillement
en poudre et en armes. Les inondations des vallées de Tsiribihina et du
Manambolo maintiennent le statu quo. Toutefois, des soumissions isolées se
produisent. Les Sakalaves sont surtout dispersés en petites bandes de pillards
qu'il sera facile de réduire peu à peu.
La justice française et les Malgaches, — Une correspondance adressée au
Journal des Débats, signale les graves inconvénients que comporte l'applica-
tion aux Malgaches, par le tribunal de Tananarive, des lois françaises. Dans
toutes les colonies il est admis en principe que l'annexion ne peut conférer
d'emblée aux indigt^nos, les mêmes droits qu'aux Européens. Ainsi les indi-
gènes continuent à être régis par leur ancien statut personnel et leur situa-
tion ne peut être modifiée que par une autorisation du pouvoir souverain.
Or les magistrats de Tananarive professent une opinion diamétralement
opposée, qui ne tend rien moins qu'à proclamer l'égalité juridique des Mal-
gaches et des Français et, par suite, à remettre en cause indirectement bien
des questions tranchées par l'autorité supérieure. Que l'assimilation se fisisse
un jour et graduellement est une chose vraisemblable. Mais il n'est pas
admissible qu'au sortir d'une insurrection des plus graves, dans un pays où
notre domination est à peine établie, les Malgaches puissent se soustraire» en
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 185
s'abritant derrière rarseoal des lois françaises, au code indigène qui les régit
et à tous les arrêtés concernant la réglementation du travail, la justice indi-
gène, renseignement, etc. En Algérie, les indigènes, si différents des Euro«
péens par leurs mœurs et leurs usages, sont régis encore aujourd'hui par
une législation qui leur est propre, ont, en un mot, leur statut personnel.
Pourquoi n*en serait-il pas de même à Madagascar où la conquête ne date
que d'hier? Agir autrement serait paralyser toute notre administration,
enlever leur efficacité aux mesures propres à assurer la tranquillité des
indigènes et rendre presque impossible la colonisation française à Mada-
gascar et l'exploitation des richesses naturelles de la grande île.
Traité anglo-abyssin. — Le traité que la mission anglaise en Abys^
sinie avait conclu avec Ménélik, en 1897, vient seulement d'être publié. On
verra, par le texte ci-dessous, que le négus, loin de faire alliance avec les
Mahdistes, s'engage à interdire le passage des armes et munitions qui leur
seraient destinées.
La frontière du Somali britannique est délimitée par une convention an-
nexe. Mais le traité publié est muet sur Textension, prématurément annoncée,
de la frontière d'Abyssinie jusqu'au Nil et à l'Albert Nyanza.
Voici, d'après le Livre bleuy le texte du traité signé à Addis-Abeba, le 14 mai
1897, par M. Rennel Rodd, représentant de l'Angleterre.
Article premier. -^ Les sujets ou personnes protégées par chacune des
deux parties contractantes ont pleine liberté d'entrer, de sortir et commercer
dans les territoires réciproques et jouiront de la protection du gouvernement
du pays où ils se trouvent; mais il est défendu à chacune des parties contrac-
tantes de passer la frontière de ces pays avec des forces armées, sous quelque
prétexte que ce soit, sans avoir obtenu d'avance l'autorisation des autorités
compétentes.
Art. 2. — La frontière du protectorat britannique sur la côte des Somalis
reconnue par l'empereur Ménélik, sera déterminée plus tard par l'échange
de notes entre James Rennell Rodd, représentant S. M. la Reine, et le roi
Makonnen, représentant S. M. l'empereur Ménélik, à Harrar. Ces notes seront
annexées au présent traité, avec lequel elles formeront partie intégrante,
aussitôt qu'elles auront reçu l'approbation dos hautes parties contractantes;
on attendant, le sttUu quo sera maintenu.
Art. 3. — La route des caravanes entre Zeyla et Harrar via Gildessa sera
ouvel^te, dans toute sa longueur, au commerce des deux nations.
Art. 4. — S. M. l'empereur de l'Ethiopie, d'une part, accorde à la
Grande-Bretagne et à ses colonies, en ce (jui concerne les droits d'entrée et
les taxes locales, tous les avantages qu'elle accordera aux sujets d'autres
nations;
D'autre part, tout le matériel destiné exclusivement au service de l'État
éthiopien aura le droit de passer par Zeïla pour entrer en Ethiopie en tran-
chise de douane.
Art. 5. — Le transit de tous les engins de guerre et munitions destinés
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tes REVUE FRANÇAISE
à S. M. l'empereur de TÉthiopie est autorisé à trayers les territoires britan-
lùques, dans les conditions prescrites dans Tacte général de Bruxellfô, signé
le 2 juillet 1890.
A HT. 6. — S. M. Tempereur Ménélik II, roi des rois d'Ethiopie, s'engage
vis-i\-vis du gouvernement de S. M. Britannique de faire tout en son pouvoir
pour empêcher le passage à travers son empire des armes et munitions à
dt^li nation des mahdistes, qu'il déclare les ennemis de son empire.
Le présent traité doit entrer en vigueur aussitôt que sa ratification par
S, M. Britannique aura été notifiée à l'empereur d'Ethiopie; mais il est
ent*indu que les prescriptions de l'article 6 seront applicables à partir du
jour de sa signature.
En foi de quoi, etc.
hiit à Addis Abeba, le 14 mai 1897.
Lfi document, rédigé en anglais et en amhara, outre une traduction fran-
çaise, contient plusieurs annexes. L'une d'entre elles se rapporte aux fron-
tières du protectorat anglais dans le pays des Somalis, dont la limite est
T\\(*€^ comme suit dans une lettre du ras Makonnen, gouverneur du Harrar :
*> Elle part de la côte en face d'Adou. Elle suit la route des caravanes par
AbltfiH-Sones, jusqu'au mont Somadou, d'où elle touche les monts Sou et
Ef^ii : puis elle se dirige sur Mogamedin, d'où elle va en ligne droite jusqu'à
Aimn-Arche, à l'intersection du 44« degré est de Greenwich avec le 9« degré
nord. Une ligne droite est tirée de ce point jusqu'à l'intersection du 47* degré
est de Greenwich et du 8« degré nord. Là, la frontière suit le tracé indiqué
ilana le protocole anglo-italien du 8 mai, jusqu'à la mer. »
Côte française des Somalis : Chemin de fer de Djibouti, — Les tra-
vaux du chemin de fer de Djibouti à Harrar, commencés dans le courant de
181>7, sont poussés avec activité. Le tracé de la ligne est terminé de Djibouti
au 50® kilomètre et la construction se fait sur tout ce secteur. La plate-forme
est préparée sur une longueur de 10 kil. et prête à recevoir le rail. Le tracé
dû ]ii voie part du point où sont construits les grands magasins des Message-
ries Maritimea. C'est dans la baie naturelle d'où part la ligne que sera établi
le port projeté. Une jetée de 200 mètres, avec appontement à son extrémité,
H éW' construite par la O® du chemin de fer pour faciliter le débarque-
nïciil de son matériel. Les bâtiments servant de magasins sont déjà édifiés
i4 une petite locomotive dessert les chantiers de la voie en construction. Les
ï^unmiis employés aux travaux de terrassement font preuve de bon vouloir
suns la direction d'ouvriers français. Des brigades d'études sont échelonnées
du kil. 50 au kil. 130 afin de préparer la construction de la voie après
riiitiiWement des 50 premiers kilomètres. Les ingénieurs estiment que la
1' î^<^cition, de Djibouti à Mordalé (120 kil.), pourra être terminée et livrée à
Iri iin de 1898. Le l^*" tronçon est en territoire français sur 80 kil.
Soudan oriental : Préparatifs contre les Mahdistes, — Les nouvelles de
la marche des explorateurs français sur le haut Nil ont eu pour conséquence
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 187
de précipiter les préparatifs que font 1^ Anglais pour marcher sur Khartoum.
3 bataillons anglais qui tenaient garnison en Egypte sont partis pour le
Soudan, où n'opéraient jusqu'alors que des troupes ég}T)tiennes. Ces batail-
lons ont été remplacés par 3 autres provenant de la Méditerranée et par
2 qui rentraient de Tlnde en Angleterre. Actuellement, le corps expédition-
naire comprend 18.000 soldats égyptiens, 3 bataillons anglais, plus la flottille
des canonnières du Nil. Les troupes anglaises sont commandées par le général
Gatacre, mais placées sous la haute direction du sirdar de Tarmée égyptienne,
sir Kitchener.
En attendant le retour de la saison favorable pour les opérations, quelques
légères escarmouches ont lieu de temps à autre avec les Mahdistes. Les canon-
nières ont poussé une reconnaissance sur le Nil jusqu'à 180 kilom. en amont
de Berber et ont capturé un certain nombre de bateaux chargés de grain,
après avoir passé sans difficulté devant les campements mahdistes de Chendy
et de Métemmeh. Le poste le plus avancé des Anglo-Égyptiens sur le Nil est
à El-Damer, au confluent de TAtbara.
Entre ce point et Kassala, les troupes indigènes de Fltalie, enrégimentées
sous le drapeau anglais, après la cession de Kassala (déc. 1897), se sont em-
parées das petits postes derviches d'Osobri, Mougatta et Soufieh. Enfin, un
service postal relier a été établi entre Souakim, Berber et Kassala, et pro-
chainement le télégraphe sera établi entre ces trois villes.
Quant aux derviches, dont on avait annoncé la marche sur Berber, au
nombre de 30 à 40.000, ils n'ont pas quitté leurs retranchements, où ils
attendent sans doute qu*on les attaque. Démoralisés, mal commandés et
n'ayant point Tardeur fanatique de ceux qui résistèrent à l'expédition Wol-
seley, ils ne seront sans doute pas un ennemi bien redoutable pour l'armée
anglo-égyptienne.
TripoUtaine : Commerce avec le Soudan, -^ Le commerce entre Tripoli,
Benghazi, Ghadamès, Rhat et le Soudan a atteint, dans les meilleures an-
nées, 10 et 11 miUions de francs, importations et exportations totalisées. En
1895, le chiffre n'a été que de 7 millions et en 1896 que de 5.700.000 fr.
L'état troublé du Soudan et la situation précaire du Bomou sont les prin-
cipales causes de cet abaissement d'environ moitié. Mais il faut aussi tenir
compte de la concurrence des ports des autres régions d'Afrique, car Tripoli
et Zanzibar ne sont plus comme autrefois, les seules portes ouvertes à l'Eu-
rope sur le centre africain.
ASIE ET DIVERS
Laos : Navigabilité du Mékong. — M. P. de Barthélémy a fait connaître
à la S*^ de géographie de Paris, ses observations relatives à l'utilisation du
Mékong. Entre Luang-Prabang et Vien-Tiane, les rapides ne paraissent pas
pratiquement franchissables. La seule partie du fleuve réellement utilisable
actuellement est le grand bief de 650 kilomètres compris entre Vien-Tiane
et Savannakhek. On tombe ensuite dans les rapides de Kemmarat qui ne
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488 REVUE FRANÇAISE
sont praticables que pour des transports par pirogues, auxquelles on préfère
généralement les caravanes. Vient ensuite le court bief de Bassac, navigable
la plus grande partie de l'année pour des vapeurs de faible tirant d'eau jus-
qu'à Rhong. De Khong à Khône, les pirogues redeviennent nécessaires. Enfin,
l'île de Rh6ne barre la route et, plus bas,, on ne peut franchir par vapeur les
rapides de Préapatang, de Sambor et de Samboc qu'à la saison des pluies
(cinq mois environ). Le service des vapeurs redevient r^ulier de Kratié
à Pnompenh.
Le régime du Mékong le rend inapte, suivant M. de Barthélémy, à tout
transport fluvial rapide et régulier au-dessus de Kratié, sauf sur le bief de
Savannakhek à Vien-Tiane. C'est pour ces motifs que le commerce du Laos
appartient actuellement au Siam pour la majeure partie.
Hong-Kong : Commerce et navigation en 4896, — L'année 1896 a été des
plus favorables pour Hong-Kong. Sur un total de 333.671.000 taels hatkwan (1)
qui représente le commerce extérieur total de la Chine, 43 0/0, soit
145.409.000 taëls de marchandises, sont entrés ou sortis par le port anglais
de Hong-Kong. Aucun autre port n'atteint ce chiflfre. Cette prospérité tient à
la magnifique position géographique de Hong-Kong, à Tabsence de douanes
et aux facilités de toutes sortes offertes au commerce.
11 a été transporté en 1896, par les navires européens, 6.677.500 tonnes de
marchandises à Hong-Kong. Les importations proviennent surtout de la Chine
et de Formose (787.000 tonnes), du Japon (561.000 t.), de la Cochinchine
(418.600 t.), du Siam (325.000 t.), de l'Inde et de Singapour (261.000 t.), de
l'Angleterre (159.000 t.), des Indes néerlandaises (153.000 t.), des ÉlaU-
Unis (145.000 t.), d'Haïnan et du Tonkin (124.000 t.), des Philippines
(106.000 t.), etc.
Les exportations d'Hong-Kong ont été dirigées surtout vers la Chine et For-
mose (1.500.000 t.), rinde et Singapour (282.500 t.), le Japon (213.500 t.).
Haïnan et le Tonkin (104.000 t.), etc.
En 1896, les entrées et les sorties du port de Hong-Kong ont porté sur
80.463 navires jaugeant 16.516.000 tonnes, dont 6,454 navires anglais jaugeant
8.758.000 t. (le mouvement maritime de Liverpool a été, en 1896, de
40.200 navires et 17.585.000 1.). Le tonnage total a dépassé de 883.840 1., soit
5,65 0/0, celui de 1895. Les augmentations portent uniquement sur les pa-
villons anglais, allemand, japonais et chinois. Le tonnage des navires alle-
mands (2™« rang) entrés à Hong-Kong a été de 857.000 t. contre seulement
165.000 tonnes françaises. La France ne vient même qu'au A^ rang, la Chine
la dépassant avec 248.000 tonnes à l'entrée.
Depuis 1889, aucun voilier français n'est entré à Hong-Kong. Mais tandis
que la progression d'une année sur l'autre a été de 5,50 0/0 pour le pavillon
anglais, de 23 0/0 pour le pavillon allemand, elle s'est élevée à 195 0/0 pour
le pavillon japonais. Ce dernier, qui ne tenait qu'une place infime avant la
(1) 1 taël haïkwan valail4fr. 20 en 1896.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 189
guerre si no-japonaise, arrive aujourd'hui au 5® rang (146.000 t.) et doit son
augmentation principalement aux nouvelles lignes de navigation créées par
le Japon.
Chine : Succès de la politique anglaise. — Un événement des plus impor-
tants vient de se produire dans la lutte d'influence que se livrent depuis
longtem/ps TAngleterre et la Russie à la cour de Pékin. La Chine vient, en
effet, de décider que toutes les voies navigables de l'empire seraient ouvertes
au commerce étranger. Cet avantage, bien qu'applicable à toutes les nations,
est particulièrement favorable au commerce anglais, puisque celui-ci repré-
sente les 4/S*» du mouvement commercial étranger en Chine. En outre, la
Chine assure à un Anglais la succession de sir Robert Hart, dans cette ma-
gnifique position d'inspecteur général des douanes qui donne à son titulaire
une si haute part d'influence. Enfin, au point de vue politique, l'Angleterre,
qui a toujours eu des visées sur le riche bassin du Yang-lsé-Kiang, ne pou-
vant absorber ce uiorceau un peu gros du Céleste empire, obtient de la Chine
(le ne jamais céder ou donner à bail une partie quelconque de cette région.
C'est là une imitation de la convention franco-anglaise du Siam relativement
au bassin du Ménam. Voici comment une dépêche de Londres du 22 lévrier
annonce ces nouvelles :
Le Foreign Office fait savoir que le ministre anglais à Pékin a obtenu ds
la Chine les concessions suivantes :
!♦* Les cours d'eau navigables de l'intérieur de la Chine seront ouverts,
dans le courant du mois de juin prochain, aux vapeurs britanniques et
autres, de telle sorte que, partout où des traités permettent actuellement
l'emploi d'embarcations indigènes, les étrangers auront également le droit
de se servir de vapeurs ou de chaloupes à vapeur appartenant soit à des
Chinois, soit à des étrangers;
2^ La Chine s'engage formellement vis-à-vis de la Grande-Bretagne à ne
donner à bail, ni à hypothéquer, ni à vendre à quelque puissance que ce
soit, des territoires de la vallée et de la région du Yang-Tsé ;
30 La Ciiine s'engage à confier toujours à un Anglais les fonctions d'ins-
pecteur général des douanes, tant que le commerce anglais avec les ports de
la Chine continuera à dépasser celui d'une autre puissance quelconque;
4*> Un port sera ouvert avant deux ans dans la province de Hou-Nan.
Enfin, comme couronnement de ce succès diplomatique, l'emprunt de
16 millions de livres sterling, qui doit servir à payer le dernier acompte dû
au Japon sur l'indemnité de guerre, sera émis en commun par une banque
anglaise et une banque allemande.
Japon : Traité de commerce avec la France. — Le Journal Officiel du
15 janvier 1898 a promulgué une loi du 13 du même mois approuvant le
traité de commerce et de navigation signé à Paris le 4 août 4896 par
M. Hanotaux et le ministre plénipotentiaire du Japon. Nous avons eu sou-
vent à signaler les progrès considérables de l'empire du Soleil-Levant. Ce
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traité ne peut que donner un nouvel essor à son développement commer-
cial. Si nos négociants doivent bénéficier des taxes réduites appliquées aux
autres puissances, par contre, les produits japonais seront admis dans le
délai de 3 ans au droit de notre tarif minimum.
L'une de» clauses les plus importantes de ce traité est la renonciation de
la France, suivant en cela celles d'autres nations européennes, à la juridic-
tion consulaire pour ses nationaux. Ceux-ci seront désormais justiciables des
tribunaux japonais. Il sera intéressant de voir, par l'application qui en sera
faite, si cette concession, faite à la demande expresse du Japon, n'est pas
prématurée.
Sibérie : Climat de Yakoutsk, — Nous avons indiqué (R. F. t. \X1,
p. 685) la basse température qui régnait à Verkhoîansk. La ville de
Yakoutsk est dotée d'une température aussi rode, car il y gèle sans inter-
ruption du 15 septembre au 15 mai, et le thermomètre oscille entre
— 68** et — 48». La température moyenne de Thiver est de — 55^.
Du 15 mai au 15 septembre, la gelée, devenue rare, disparait. Une tempé-
rature douce lui succède, et, en moins de 100 jours, les céréales peuYent
être semées, germer et mûrir. L'été, la température moyenne dépasse 22^.
11 faut à peine 80 jours pour que le blé noir de Koubao mis en terre
puisse être récolté; les blés tendres n'exigent que 77 jours^ le seigle, l'orge,
l'avoine, que 71.
Alaska : Un curieux lac. — La Revue française a signalé (t. XXII, 1897,
p. 682) l'existence, dans l'Alaska, d'un lac extraordinaire qui ne gèle pas, et
dont les eaux sont plus froides en été qu'en hiver, M. Féret, dans le Cosmos
(8 janvier 1898) propose quelques explications relatives à ces phénomènes.
On ne connaît pas, dit-il, de communication du lac Salawick avec la mer
mais il doit en exister une par un canal souterrain sinueux, car le niveau
moyen de la mer est aussi sensiblement celui du lac. Or, il doit se produire
dans le lac un phénomène semblable à celui de la marée pénétrant dans
les rivières. La marée montante s'oppose à lecouïement des eaux de la
rivière qui se gonfle. Au contraire, la marée descendante laisse écouler les
eaux qui alimentent la rivière, et celle-ci baisse.
Si le canal de communication supposé est assez long, le lac peut se trouver
à un point du régime des eaux où les mouvements sont sensibles, sans qu'il
y ait aucun mélange apparent des eaux salées et douces.
Pour expliquer l'élévation de la température des eaux du lac en hiver et
son abaissement en été, M. Féret, dit ceci: u Si le lac est alimenté par quel-
ques sources souterraines et, par conséquent, assez chaudes et d'une tempé-
rature constante, le degré de la température doit s'y élever pendant l'hiver,
puisque le lac, en cette saison, n'est alimenté que par elles. Quand arrive la
saison chaude, les glaciers voisins entrent en fusion et fournissent des tor-
rents d'eau dont la température est aux environs de 0». Ce puissant apport
&it baisseï^ la température du lac jusqu'au jour où les torrents, taris dan»
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NOUVELLES GÉOGRAPfflQUES ET COLONULES 491
leur source par les gelées de Thiver, laissent le lac s'alimenter des seules
sources à température plus élevée. »
Colonisation officielle française. — Le nombre total des colons fran-
çais transportés dans nos colonies aux frais du gouvernement métropolitain
depuis trois ans, n'a été que de 830 (275 en 1895, i28i en 1896, 274 en 1897).
La ÎS"«-Calédonie en a reçu le plus grand nombre; 457 (115 en 1895, 179 en
1896, 163 en 1897); l'Indo-Chine vient aussitôt après, avec 308 colons (129 en
1895, 90 en 1896, 89 en 1897). Les autres colonies n'ont reçu, pendant tr(ws
années que les nombres suivants de colons : Sénégal, 14; Guyane, 10;
Madagascar, 8 (tous en 1897); Diego-Suarez 6 (tous en 1895); Nossi 6é, 5;
k Réunion 5; Tahiti 3; N"««-Hébrides 3; Côte d'Ivoire 2; Martinique 2;
ObociL 1; Guadeloupe 1.
BIBLIOGRAPHIE
L'année cartographique, par F. Schrader, Hachette éditeur. — Le 7« supplé-
ment à Tatlas Schrader vient de paraître. U contient : la carie de la population de la
Russie; les itinéraires Nansen, Cbaflanjon, Bonin, Foureau, Donaldsoû Smith; le
cours du Niger levé par la mission Hourst; la route de Konakry au Niger; la Somalie
occidentale; le lac Victoria et l'Ouganda; le réseau ferré mexicain; la région monta-
gneuse nord du Venezuela, etc. Ces cartes exécutées et reproduites avec le plus grand
soin, sont accompagnées d'un texte explicatif et d'un résumé des principales explora-
tions. La publication de Tannée cartographique permet de se tenir au conrant de
toutes les découvertes géographiques.
Paris, le bombardement, Buzenval, par Ddqubt, avec 2 cartes des opéra-
lions, Charpentier éditeur. — Ce volume forme le 7* de l'œuvre considérable de Fau-
teur sur la guerre de 1870. Sa partie saillante est le récit de la bataille de Buzeuval
ainsi que des opérations qui la préparèrent. M. Duquet démontre avec sa netteté
habituelle quelles furent les fautes qui annihilèrent complètement les efforts et les
sacrifices de cette dernière grande journée du siège. Dans un autre chapitre il expose
les résnltats, insignifiants au point de vue miUtaire, du bombardement^ qui oe fut
qu'un acte barbare de la part des vainqueurs. Enfin le dernier épisode du siège est
cette journée du 22 janvier où les gardes nationaux qui n'avaient pas sa combattre
tentèrent de renverser un gouvernement aussi incapable que maladroit. Un dernier
volume sera consacré aux négociations pour la paix.
Le comte Ch. de Kinsky vient de publier un ouvrage fort documenté : La Conti-
nent airicain, Manuel du Diplomate^ qui comble une lacune dans les études
parues jusqu'alors sur le continent que se partagent en ce moment les grands états
européens. Il donne en effet, sous une forme synoptique et très claire, la situation
politique exacte de l'Afrique à l'heure actuelle, et par un historique indispensable,
mais réduit avec discernement, il nous conduit à la partie pratique : Production et
Commerce, traitée à fond d'après les dernières statistiques. L'ensemble de ce volume
constitue donc un vade-mecum des plus utiles à qui possède ou veut avoir des inté-
rêts eu Afrique. A. Challamel, éditeur, 17, rue Jacob.
Les expédUions anglaises en Afrique, par le l^-colonel Septans, 1 fort
vol. gr. in-S" avec 29 cartes ou croquis, 7 fr. Lavauzelle éditeur. — Le consciencieux
ouvrage du colonel Septans, qui est à la fois récit historique, travail didactique et de
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192 REVUE FRANÇAISE
critique, retrace les dernières campagnes des Anglais en Afrique. Le remarquable
esprit de suite qui caractérise la politique eitérieore de nos voisins est sans doute
pour quelque chose dans leurs succès. Mais on n^est pas surpris du résultat obtenu
quand on constate leur habileté dans l'organisation d'une campagne coloniale.
Le colonel Septans étudie successivement les deux expéditions contre les Aschantis
(1873 et 1896) qui sont des modèles sous le rapport de la préparation et de Thygiène;
la guerre contre les Zoulous (1879) marquée tout d'abord par un désastre; la campagne
d'Egypte contre Arabi (1881) et celle du Soudan qui ne put arriver à Khartoum au
secours de Gordon. Au moment où les Anglais vont reprendre la marche sur Khar-
toum, le récit de la campagne de 1884-1885 est de toute actualité.
Annuaire illustré de Tarmée coloniale. — Almanach du Marsouin
pour 1808 (5* année), par Ned-Noll. 1 Vol. in-4'', imprimé avec luxe, contenant
10 cartes et 40 photogravures teintées; franco, 2 fr. 60. Lav^uzelle, éditeur. — Cesl
le type le plus parfait sous tous les rapporta qu'on puisse imaginer dans les ouvrages
de ce genre; le livre classique des bibliothèques pour tout ce qui a trait à Tannée
œloniale. Dans ce siècle d'informations à outrance, il importe de donner à l'actualité
l'importance qui lui revient légitimement. Aussi l'auteur fait-il large place au cha-
pitre intitulé « L'Année militaire coloniale i>, dont le développement augmente tous
les ans. M. Ned Noil qui est, on le sait, un de nos bons officiers géographes, a égale-
ment multiplié les cartes coloniales, augmenté leur degré de précision et tracé des
croquis provisoires permettant de suivre la marche des colonnes et des reconnaissan-
ces outre-mer. La partie historique est traitée avec un développement œnsidérable.
une compétence hors pair, et se complète de la façon la plus heureuse de photogra-
phies inédites rapportées par nos officiers renln's récemment de mission.
Encore l'armée coloniale, ))ar Ë. de Ouzman. Broch. in-S". Lavauzelle, (>di-
leur. — L'organisation proposée par M. de Guzman paraît fort simple et peu coû-
teuse. L'armée coloniale, absolument indépendante de l'armée expéditionnaire, doit
avoir pour objet la garde et la défense des colonies; or, l'artillerie et l'infanterie dr
marine et ses succédanés indigènes suffisent pour la constituer. 11 n'y aurait donc qu'à
compléter et réorganiser ces deux armes, qui ont, depuis longtemps déjà, donné leur
mesure.
Un séjour dans 111e de Java, par Jules Leclercq. Pion éditeur. — Le pays
que raconte ce livre, c'est Java, l'tle merveilleuse, qui rivalise avec l'Italie par ses
paysages, avec la Suisse par ses beautés alpestres, avec le Brésil par ses forêts vierges,
avec l'Inde par ses monum(!nts et ses vestiges de civilisation disparus. C'est une des
plus belles contrées de la terre, quoiqu'elle soit peu connue à défaut d'ouvrages en
langue f^rançaise. L'auteur décrit les villes, les ruines et les volcans de Java. 11 raconte
quelques épisodes d'an intérêt captivant, un bal à Batavia, une réception à la cour de
l'empereur de Java, une expédition de nuit à travers la foi-ét vierge du Gédé. A une
époque où les questions coloniales sont au premier plan, on lira avec intérêt les pages
où l'auteur montre comment les Hollandais ont su organiser une possession qoi passe
pour la plus belle du monde. Cette étude, sur le système colonial des Hollandais, est
une instructive leçon pour les peuples colonisateurs.
le Gérant, Edouard BIARBEAU.
IMPUMUII CHAIX. RDI BEROÎM, S0« PAKIS. — 4S34-S-98. — (IMT* UrlIkU).
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flINTERLAND DU DAHOMEY
LA MISSION BAUD-VERMEERSCH AU GOLRMA
Le mouvement colonial qui s'est [iroduit en France il y a quelques
années n'a éU» nulle part plus actif que dans l'Afrique occidentale. Par
plusieurs points du littoral la France cherchait à pénétrer au Soudan
et à constituer dans le bassin du ^iger un empire des Indes noires sem-
blable à celui qu'avait rêvé Dupleix, quoique infiniment moins riche.
C/est par le Sénégal et le Haut-Niger que la marche en avant s'effec-
tuait avec lo plus de rapidité, lorsque la conquête du Dahomey vint
nous ouvrir une nouvelle voie d'accès vers la boucle du Niger,
Reserré à l'est par la frontière anglaise de Lagos, à l'ouest par la
frontière allemande du Togo, le Dahomey n'était qu'un couloir limité
au sud par la mer. Il importait donc au plus haut degré, pour ne pas
voir ce passage se transformer en impasse, de lui donner du côté du
nord, seul côté où l'extension fût possible, l'air qui lui manquait par-
tout ailleurs. Au delà du O»' parallèle les frontières allemande et anglaise
n'étaient plus délimitées et un vaste champ d'exploration était ouvert,
dans cette région presque inconnue, au plus entreprenant et au plus
actif.
S'il n'était pas facile de dire exactement quel était le programme colo-
nial suivi à cette époque dans les hautes sphères gouvernementales,
par contre il n'en était pas de môme parmi les « coloniaux » français
et ceux-ci avaient pris pour but de leurs efforts de réunir les unes aux
autres nos diverses colonies de l'Afrique occidentale pour en faire un
seul bloc.
Nous avons déjà exposé comment, par la con(|uète du Mossi, la mis-
sion Voulet-Chanoine avait rivé le dernier anneau soudanais à la chaîne
de nos postes s'étendant du Sénégal au Dahomey ('). Nous allons cxjioser
maintenant les efforts non moins grands et non moins couronnés de
succès tentés par la voie du Dahomey.
C'est vers la région nord de notre nouvelle possession que se porta
l'attention du gouverneur du Dahomey, M. Victor Ballot, auquel la
colonie est redevable de toutes les mesures prises pour son développe-
ment et sa prospérité. Il fallait tout d'abord reconnaître le haut Daho-
(li Voir Hevue Française^ l. Wll. août 1897, p. /iHI, nuv. p. GU.
xiin(A\nl U8). N- iî32. 13
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r
1^
194 REVUE FRANÇAISE
mey sur lequel on n'avait encore que de vagues données géographiques.
Ce fut l'alfaire d'une campagne et le posle de Carnotville fut fondé
('sept. 1894) sur la limite du 9^ parallèle. C*estde là que devaient partir
presque toutes les missions à destination de Thinterland du Dahomey.
Pendant que nous reculions notre occupation vers le nord les Anglais
et les Allemands en faisaient autant dans Thinterland de leurs possessions
maritimes du Togo et du Lagos, et Ton pouvait prévoir le moment où
dépassant les limites tracées par la diplomatie, les missions lancées au
nord du 9*^ parallèle allaient se trouver en conllit d'intérêts dans la
région s'étendant jusqu'au Niger et qu'aucune puissance européenne ne
pouvait revendiquer à la suite de traités.
Ce fut à la fin de 1894 que se produisit ce grand mouvement d'explo-
ration qui porta presque à la fois, Français, Allemands et Anglais jus-
qu'au Niger. La première, la mission dirigée par le commandant Decu^ur,
pénétra dans l'hinterland du Dahomey et, après avoir visité le Borgou
et signé un traité à Nikki, se dirigea sur le Gourma et Say, qu'elle
plaça sous protectorat français, suivit le Niger jusqu'à Léaba, au delà de
Boussa, précédant constamment la nnssion allemande Griiner qui crui
assurer le Gourma à l'Allemagne en signant un traité avec un chef qui
n'était que le vassal du roi de Gourma. Peu après le gouverneur Ballot
se rendait à Nikki et à Boussa, pendant que le capitaine Toutée attei-
gnait le Niger près de Badjibo et le remontait jusqu'au delà de Say,
après avoir fondé le poste d'Arenberg, qu'un ordre ministériel lit
évacuer par la suite, sur les réclamations de Compagnie anglaise du
Niger. Enfin les lieutenants Baud et Vermeersch, qui avaient dt»jà ac-
compagné M. Dccœur, se rendaient du Dahomey à la Côte d'Ivoire en
contournant les possessions anglaises de la Cote d'Or, par Sansaimé
Mango, Gambaka et Oua.
A la même époque, la mission anglaise Lugard visitait le Borgou cl
la mission allemande Grùner et de Carnap suivait à peu près le même
itinéraire que la mission Decœur. Toutes ces missions avaient passé
des traités avec de nombreux chefs indigènes. Tel fut le résultat de la
campagne 1894-1895.
L'année suivante fut marquée par une abstention complète du côté
des Français. Aux efforts vigoureux tentés par une série d'explorateurs
succéda une apathie des plus regrettables. Ce n'était cependant pas
tout que de visiter de vastes régions et de passer des traités, il fallait
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i
HIMERLAND DU DAHOMEY 195
donner une sanction à ceux-ci et procéder à roccupation effective du
pays. Cest ce dont se préoccupaient nos rivaux qui avançaient lente-
ment et sans bruit dans l'intérieur pendant que nous cherchions à dé-
brouiller par voie diplomatique Técheveau fort obscur des traités indi-
gènes. Les Allemands occupèrent ainsi Timportante position de Sansanné
Mango pour servir de point d'appui à la marche en avant qu*ils pro-
jetaient au Gourma.
Enfin, une réaction se produisit en France au moment où M. Lebou
prit la direction de nos affaires coloniales. On comprit vite en haut lieu
ce que Toecupation du Gourma par les Allemands pouvait avoir de
grave et on résolut de rattraper rapidement le temps perdu. A la fin
de 1896, deux missions étaient formées au Dahomey : Tune, sous les
ordres du capitaine d'infanterie de marine Baud, avait pour but de pro-
céder à Foccupalion effective du Gourma afin d'assurer la jonction du
Dahomey au Soudan ; l'autre sous les ordres du lieutenant de vaisseau
Brelonnet, ancien membre de la seconde mission Mizon, devait occuper
toute la région comprise entre le Borgou et le moyen Niger jusqu'à
Boussa.
Nous allons suivre dans leur marche ces deux missions auxquelles
vint s'ajouter par la suite l'expédition qui s'empara de Mkki, la capitale
du Borgou.
DU DAHOMEY AU GOUKMA
I^ mission placée sous les ordres du capitaine Baud comprenait : le
le lieutenant d'infanterie de marine Vermeerseh, le garde principal de
l*"" classe Combes, de la milice du Dahomey, trente anciens tirailleurs
siinégalais, armés du mousqueton modèle 1892, cinquante gardes du
Dahomey, munis du fusil Gras et 100 porteurs.
Le 6 janvier 1897, la mission qui était partie de Porto-Novo au coui-
niencement de décembre 18î)6, quittait Bafilo, dernier poste français au
nord-ouest du Dahomey (*), se dirigeant sur Sansanné-Mango et le
Gourma. Si la route était libre en 1895, elle avait cessé de l'être deux
ans plus tard, car les Allemands, plus persistants que nous, avaient
occupé Sansanné-Mango à titre permanent, et, par l'envoi de reconnais-
sances, principalement dans la direction du nord, cherchaient à s'im-
planter dans le Gourma.
Pour réussir dans sa tâche, la mission devait éviter de donner l'éveil
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196 REVUE FRANÇAISE
et dissimuler sa marche. Dans ce but, elle s'arrêta à une demi-journée
de marche de Sansanné-Mango et décrivit, à Touest de cette ville, un
dcmi-cerele qui la mettait hors de la vue du poste allemand et lui per-
mettait ainsi, en retardant le moment où elle serait signalée, de prendre
Tavance qui lui était nécessaire.
Le 20 janvier, MM. Baud et Vermeersch entraient à Pâma, première
localité importante du Gourma.
Le Gourma forme un royaume de 74.000 kilomètres carrés de super-
ficie, soit deux fois et demie la grandeur de la Belgique. Il est borné
au N. par le Libtako, lé Yaga, le Torodi et le Gueladjo; au N.-E. par le
Dendi ; à l'E. et au S.-E. par le Borgou ; au S. par le Sansannc^Mango ;
au S.-O. par le Gambaka; à 10. par le Mossi. La capitale est Fada
A'Gourma. Le royaume est formé de plusieurs provinces ayant chacune
à leur tête un fama ou hato, choisi par les notables, mais dont l'élec-
tion doit être approuvée par le roi. Les habitants appartiennent à la
race malinké comme les Bambaras. On rencontre, cependant, un assez
grand nombre de Peulhs, les pasteurs de toute cette partie de TAfrique.
Les sujets du roi de Gourma sont fétichistes; mais il y a parmi eux des
musulnians, dont les imans, par suite de leur culture intellectuelle
plus élevée, exercent une influence reconnue.
\jQ roi du Gourma était, il y a peu de temps encore, un puissant
monarque et, plusieurs des États qui l'entourent aujourd'hui, tels que
le LibUko, le Gambaka, reconnaissaient sa suzeraineté. Mais, peu à peu,
certains chefs parvinrent à se soustraire à l'autorité qu'il exerçait sur
eux, niais faiblement, et se rendirent indépendants. Bilanga se souleva
tout d'abord, bientôt suivi par Tibga et Toucouna. C est au siège de
cette dernière place que fut tué l'oncle et prédécesseur du roi actuel,
en voulant la faire rentrer dans l'obéissance. Cet échec fut le signal
de la désagrégation du royaume du Gourma, chaque provirice essayant
de se soustraire à l'autorité du roi de Fada N'Gourma. Plus audacieux
que les autres, Adama Tourintouriba, chef de Matiacouali, non content
(le se rendre indépendant, allait méni(i jusiju'à envahir le territoire de
Fada N'Gourma et en pillait les villages. Aussi, la mission allemande
tirihier-de Carnap, s'autorisa-t-elle de ce fait pour prétendre qu'Adama
était le véritable souverain du Gourma.
Lors du passage de la mission Decœur au Gourma, en janvier 1895,
le roi Bantchandé avait fait à celle-ci un sympathique accueil et avait
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HIMEHLAND DU DAHOMEY * 107
sigiié avec empressement le traité de protectorat qui lui avait été pré-
senté. Se débattant au milieu de nombreuses difficultés, il avait espén»
que la mission lui donnerait un sérieux appui contre ses vassaux
révoltés. Mais le commandant Decœur, pressé d'atteindre le Niger, et
n'ayant pas assez de monde pour établir des postes sur ses derrières,
ne put que lui promettre pour Tavenir le secours qu'il attendait de
notre présence.
Deux années venaient de s'écouler depuis le passage de M. Decœur,
lorsque la mission Baud-Vermeersch arriva au Gourma. Dans ce laps
de temps, la situation de Bantchandé avait empiré. Le roi avait même
quitté sa capitale, où il ne se sentait plus en sûreté, pour aller établir
son camp à Diabo, près d'un chef qui lui était resté fidèle.
De Pâma, où il avait appris ces nouvelles, M. Baud sentit la nécessiti'î
de se rendre rapidement auprès de Bantchandé. Laissant un poste de
quelques hommes à Pâma, pour assurer ses communications, il partit
pour Diabo où il arrivâtes février. Bantchandé fit, à ceux qu'il revoyait
au bout do deux années, une réception enthousiaste et les aceueiHit
comme des « sauveurs venus du ci(^l ».
Le traité de protectorat de 18î)5 et les événements qui Pavaient suivi
dictaient à la mission son devoir. Celui-ci était avant tout de rendre
rtVI le protectorat, d'accorder à Bantchandé l'appui qui lui avait été
promis, le mettant ainsi à môme de recouvrer son autorité et de sou-
mettre ses vassaux révoltés. Le roi du Gourma comprit vite que ses inté-
rêts et ceux de la France étaient intimement liés, et que cette union était
pour lui l'unique moyen de venir à bout des chefs de Pâma et de Matia-
couli. Ces derniers, qui sympathisaient avec les Allemands, menaçaient
de lui faire perdre, s'ils étaient victorieux, les deux tiers de son royaume
et peut-être même sa couronne.
Pour mener à bien la campagne qui allait s'ouvrir, il ne fallait pas
perdre un instant. Aussi le 4 février, c'est-à-dire deux jours seulement
après son arrivée à Diabo, la mission quittait-elle cette ville avec ses
70 fusils, accompagnée par le roi, qui n'avait pu réunir autour de lui
que 300 cavaliers et à peine un millier de fantassins.
Les hostilités commencèrent aussitôt. Le S au matin, la ville de Tou-
couna, devant laquelle avait été tué le prédécesseur de Bantchandé,
était attaquée et enlevée après une lutte de 3 heures, grâce à l'escorte
de la mission qui entraîna les continjjents indigènes hésitants, La ville
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198 REVUE FRANÇAISE
^ ('lait protégée par une épaisse haie d'arbustes épineux, qui avait arrêté
jusqu'ici toutes les attaques des assaillants. I^ chute de cette place
d*armes de la rébellion eut un grand retentissement parmi les indigènes,
et, comme rien n'attire conmie le succès, Bantchandi' vit s'accroître
rapidement le nombre de ses partisans.
Le 6 février, la ville forte de Barga est attaquée et prise.
^ * Le 7, l'expédition entre à Tibga, poursuivant Yorombato, le chef
vaincu de Toucouna. Cje dernier offre de faire sa soumission; mais
y comme Bantchandé exige sa tête, les pourparlers sont rompus. Le 12,
un rassemblement ennemi est attaqué à Tantiaka, entre Toucouna et
-j Tibga, et dispersé.
^ JONCTION ou DAHOMEY AU SOUDAN.
^; A ce moment les indigènes firent connaître qu'une colonne française
venant du Mossi devait se trouver à peu de distance de la mission Baud.
^ Ce ne pouvait être que l'expédition Voulet dont l'entrée à Ouagadougou
^ avait été connue de la mission au moment de son départ du littoral
K- dahoméen. Le 15 février M. Baud recevait en effet une lettre de M. Vou-
^^ let adressée à « un Européen » et faisant connaître sa présence en
Uîrmes comminatoires, car on croyait, au Mossi, avoir affaire à une
* mission allemande, que l'on ne voyait pas apparaître sans quelque
inquii'tude à côté d'une mission anp;laise. Grande fut la joie de
MM. Voulet, Chanoine et le d"^ Henric, qui dirigeaient l'expédition du
Mossi, lorsque la réponse parvint avec cette signature : « Capitaine
Baud, résident de France au Gourma. »
Dès que le campement de la mission Voulet fut connu, le capitaine
Vermeersch partit avec 10 cavaliers pour Ouede^o, où se trouvait son
bivouac, et le lendemain, 17 février, il l'amenait à Tibga, où elle était
reçue triomphalement.
La jonction des deux missions n'avait pas seulement le caractère
d'une concentration de deux forces militaires victorieuses, ayant su
renverser les ennemis de la France et rétablir l'autorité de ses alliés, ce
qui était déjà un résultat considérable aux yeux des indigènes. Elle
faisait aussi sur les populations une impression profonde en leur démon-
trant que la puissance de la France était grande, puisque ses soldats
arrivaient à la fois du sud et du couchant.
Elle avait enfin un caractère d'une haute portée politique en ce qu'elle
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HINTERLAND DU DAHOMEY 199
consacrait d'une façon effective la jonction de nos deux possessions du
Dahomey et du Soudan, jonction qui n'était encore tracée que sur les
cartes géographiques. Gnlce à la chaîne de postes s'étendant de Bandia-
içara au Macina, à Carnotville au Dahomey, en passant par Ouagadou-
i;ou et Fada N'Gourma, toute la partie orientale de la boucle du Niger
était assurée d'avoir un débouché sur le littoral par territoire exclusive-
ment français. Ce sera l'honneur des missions Voulet et Baud d'avoir
assuré cet important résultat qu'une convention diplomatique avec
l'Allemagne devait reconnaître quelques mois plus tard.
Les missions du Mossi et du Gourma firent route ensemble, le 18 fé-
vrier, jusqu'à Bilanga. MM. Voulet et Chanoine reprirent ensuite la
route de Ouagadougou, tandis que MM. Baud et Vermeersch se diri-
geaient vers le sud-est en longeant la frontière du Mossi. A Toucouna,
Bantchandé s'arrêta pour passer les fêtes du rhamadan. La mission en
profita pour goûter un repos bien gagné, tout en ne négligeant rien pour
mener à bien l'accomplissement de sa lâche.
Les fêtes de Toucouna donnèrent lieu à de nombreux palabres où les
chefe des provinces parcourues vinrent renouveler leur acte de sou-
mission en apportant on guise de tribut de nombreux cadeaux consis-
tant souvent en chevaux, bœufs et moulons. Le fils du chef Yocombato
vainement poursuivi depuis le début de la cariipagne, vint annoncer
que son père s'était donné la morl de désespoir, et, en faisant sa sou-
mission, fit un cadeau de chevaux pour obtenir son pardon. Ce ifut l'oc-
casion pour la mission de se constituer un sérieux troupeau et de pou-
voir montet une partie de ses tirailleurs sénégalais.
Comme aucun renfort n'était aiinoncé à la mission, un certain nombre
de porteurs furent choisis pour remplir les vides survenus parmi les
tirailleurs, et rapidement instruits en conséquence. D'autre part, le
prestige du nom finançais que la jonction opérée à tibga avait élevé au
plus haut t)oint, valait aussi à Bantchandé une influence qll'll n'avait '
jamais connue; environ 7.000 hommes, parmi lesquels 2.000 cavaliers,
se trouvaient actuellement réunis sous ses éteridards. Tel était lé résul-
tat de trois semaines de succès.
PRÉTENtlONS ALLEMANDES
Pendant que la mission se trouvait à Toucouna, elle apprit qîje le fama
de Matiacouali avait envoyé des chevaux au commandant du poste
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21)0 HEVUE FRANÇAISE
«illeinand de Sansann(''-Mani;o, lui deiiiandaiU son assistance dans nno
{guerre qu'il avait à soutenir contre les Peulhs du Torodi. En i*éponse,
le commandant allemand lui avait annoncé l'envoi d'une mission.
Il y avait là un sérieux danger, et Rantchandé n'eut pas de peine
à comprendre que si les Allemands réalisaient leur projet, son royaume
étiiit partagé en deux tronçons, et que la région de Matiacouali, dont
Adama élait le chef, lui échapperait inévitablement, pour être incor-
porée dans le protectorat allemand. Il fut décidé que la mission, accom-
pagnée de Bantchandé, se rendrait sur-le-champ au pays d'Adama.
De Toucouna, la mission arrive le 31 mars à Fada N'Gourma, où
Bantchandé sacrifie un taureau blanc pour se rendre les augures favo-
rables. Le o avril aile arrive à Ouguerou, où elle rencontre des envoyés
d'Adama. Ceux-ci déclarent que leur maître se couvre la tête de pous-
sière devant son roi et devant les Français, qu'il n'ose se présenter lui-
même, mais qu'il envoie un tribut de quatre chevaux et de vin^^t
bœufs.
Fendant son séjour à Ouguerou, la mission reçoit des nouvelles quel-
que peu inquiétantes relativement aux progrès des Allemands. Sur la
nouvelle que le chef de Pâma, Countouma, auprès duquel un petit poste
avait été laissé, prenait depuis peu une attitude hostile, le capitaine Baud
avait envoyé à Pâma un sergent et huit hommes pour renforcer notre occu-
pation. Cette démonstration avait produit un heui'eux effet sur le chef,
qui, pour témoigner de sa soumission, avait envoyé au poste un bœuf
et deux chevaux.
Sur ces entrefaites, le commandant allemand de Sansanné-Mango,
lieutenant Gaston Thierry, avait annoncé son arrivée à Pâma et s'était
fait précéder par quelques hommes. Cette nouvelle était grave et le
capitaine Baud résolut de partir aussitôt pour Pâma, pendant que le
capitaine Vermeersch achèverait de régler la question de Matiacouali,
dont le chef, au lieu de venir en personne faire sa soumission, s'était
enfui à Kankantchari.
Il est désormais certain qu'Adama ne se soumettra pas et appellera
les Allemands à son aide. Lorsque ceux-ci vinrent pour la première
fois au Gourma, en 1895, c'est à Adama et non à Bantchandé qu'ils
rendirent visite, et c'est le premier, qui, étant alors à Kankantchari.
leur déclara qu'il était le véritable roi du Gourma et plaça le pays
sous leur protection.
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202 . HEVUE FRANÇAISE
SOITMISSION PES CHEFS
La situation exigeait une prompte solution. D'accord avec le capi-
taine Vermeersch, Bantchandé convoque d'urgence les notables de
Matiacouali. Ceux-ci arrivent dans la nuit. Le lendemain grand pala-
bre. Bantchandé déclare aux notables qu*Adama, rebelle contre son
roi, doit être destitué et que d'ailleurs il a laissé la place libre par sa
fuite. Les notables élisent alors comme chef un vieillard nommé Kou-
adou, et Bantchandé, sous forme de consécration de son élection, lui
donne un bonnet blanc. Tous les rites établis pour de semblables
cérémonies ont été ponctuellement suivis, le nouveau chef a été coiffé du
bonnet par le personnage sacré ayant seul pouvoir d'agir ainsi, puis il
a été soulevé à bras par les notables et hissé au-dessus de leurs têtes.
Toutes ces formalités une fois accomplies, la mission part pour
Matiacouali avec le nouveau chef pour Tinstaller dans ses fonctions.
Afin de rassurer la population, M. Vermeersch fait proclamer
que les Français ne font pas la guerre à la population, mais seule-
ment à Adama qui a appelé les Allemands dans le pays et pouvait
faire naître la guerre civile. Les habitants pourront désormais circuler
sans crainte et les caravanes ne seront plus exposées à être rançonnées.
Cette proclamation produit aussitôt son effet sur les partisans
d'Adama qui abandonnent en grand nombre son camp pour se rallier
au nouvel ordre de choses. Resté presque seul, Adama s'enfuit à I)ia-
paga, dans le but de se réfugier à Sansanné-Mango. Sans perdre de
temps des émissaires et des cavaliers de Bantchandé sont envoyés
dans tous les points importants de la province, Bozougou, Madjori,
Sabalga, Mali, avec des lettres écrites en arabe invitant les chefs h faire
leur soumission au roi.
Tous ces émissaires rejoignent la mission à Diapaga, le 30 avril,
rapportant de partout des cadeaux, en signe do soumission. Le chef de
Bozougou, Yando, arrive en grande pompe le jour suivant pour saluer
le roi du Gourma.
La cérémonie qui eut lieu alors ne manqua par d'originalité. Pour
recevoir les hommages de ses sujets, Bantchandé s'assit, avec les chefs
de la mission française sous un apatam, sorte de dais fabriqué avec
des paillassons, les tirailleurs en demi-cercle à droite et à gauche, les
partisans du roi derrière.
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HLXTEBLAM) !)(' DAHOMEY 20a
Quatre tad de poussière avaient été préparés sur le chemin qu'il
fallait suivre pour arriver aux pieds de Bantchandé. Le chef s'avance
lentement, se prosternant à chaque tas pour prendre do la poussière h
(leiix mains et s'en couvrir la tète. Arrivé au dernier tas, il fait, toujours
prosterné, un long discours, se déclarant esclave du roi. Puis il se
relève, prend son bouclier d'une main, son casse-téte de l'autre, et
exécute une danse guerrière au son d'une flûte dont joue un de ses
hommes. Il témoigne ainsi sa volonté de combattre pour son roi.
Il fait ensuite apporter 10 sacs do cauris et, los mettant successive-
ment sur sa tète, afin de démontrer cju'il ferait niiHior de porteur pour
le roi, il les dépose aux pieds de Bantchandé. Enfin les bœufs offerts
en tribut sont amenés.
Le roi invita Yando à le suivre dans sa compagnie et ses guerriers
vinrent grossir les forces déjà respectables de Bantchandé.
La mission, quittant Diapaga, contirme la poursuite commencée
contre Adama. Elle traverse une petite chaîne diî montagnes et arrive
à Madaga au pied d'une falaise de 50 mètres de hauteur. Bien que le
village soit fortifié, les habitants n'osent pas résister et l'abandonnent
dès qu'ils aperçoivent la tête de la colonne. On fait cependant quelques
prisonniers qui apprennent qu' Adama s'est enfui jusqu'il Sansannc'*-
Mango. La poui-suite n'a dès lors plus d'objet. La mission reste seule-
ment quelques jours à Madaga (^t les chefs des environs, de Mali,
.Sabalga, Madjori, qui n'avaient pus encore apporté leur soumission,
viennent faire acte de vasselage.
Le 10 mai, M. Vermeersch apprend, par une lettre venue du Dahomey,
qu'une compagnie de tirailleurs, partie de Porto-Novo, est arrivée à
Konkobiri (ou Nagon-Kaouri), à 90 kilomètres de Madaga. Laissant
alors son camp sous les ordres de l'inspecteur Combes, il part avec
30 cavaliers à la rencontre de la colonne et la rejoint le soir môme.
Cette colonne, placée sous les ordres du capitaine Ganier, que secon-
daient le lieutenant Drot, le médecin de la marine Bartet, l'inspecteur
delà garde indigène Molex, avait pour objectif Kodjar (ou Kotchari),
près de Madaga, où elle devait s'établir provisoirement, afin de relier
les forces de la mission Baud à celles de la mission Bretonnet qui
opérait sur le Niger. Pour atteindre son but, elle avait suivi et ouvert
une nouvelle voie de communication avec le Dahomey, par Djougou
(Ouangara) et Kouandé, où elle avait fondé un poste.
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"JfiA lŒVUE FRANÇAISE
M. N'ormeerscli rainona la colonne à Mada^a, où Banlchandé donna
i'ïi son honneur une grande fête militaire, moulant lui-même à cheval
ri 4'xécutant un grande fantasia à la tête de ses cavaliers. Lorstiue lo
i,i[)îlainc Ganier quitta Madaga, le 17 mai, pour aller prendre posses-
su m de son poste, le roi du Gourma charg(^a M. \'crmeersch de remettre
a cliaque officier un cheval harnaché et envoya un troupeau de bœufs
[inur la nourriture des tirailleurs.
Tous les villages de la région ayant fait leur soumission et payé
tribut, la mission qu'accompagne toujours Banlchandé se met en route
jiour \»isiter les provinces de Madjori et de Pâma, les seules restant à
l^ircourir dans tout le Gourma, que la mission aura alors visité en
ions sens. Après avoir longé le pied de la chaîne de montagnes jusqu'à
Ltt^obou, on s'engage dans une grande plaine très giboyeuse, où cerfs.
Iiippopotaraes et éléphants se trouvent en abondance. Sur les bords de
la Sabori, rivière de Sansanné-Mango, qui traverse la plaine, les indi-
t;*>iies constatent les effets foudroyants du mousqueton modèle 1892
sur les hippopotames de la rive. C'est là que le capitaine Baud rejoignit
la mission.
Appelé à Pâma par suite de l'arrivée d'un <lélachen)ent allemand
tlans cette ville, M. Baud s'y était rencontré avec le commandant de
Sansanné-Mango qui revendiquait, au nom de lAllemagne, Panja et
Maliacouali. Pendant deux jours, les pourparlers continuèrent entre les
deux officiers sans aboutir à un résultat. Cependant, il fut convenu que
-i J^ama et Matiacouali reconnaissaient réellement l'autorité de Bant-
chandé, elles devaient rentrer dans la sphère d'inffuence de la France.
Countouma. chef de Pâma, fut alors sonnné de déclarer si, oui ou
nnn, il relevait du roi de Fada N'Gourma. Il répondit que Banlchandé
I lait le roi de tout le Gourma et que Pâma et Matiacouli en dépendaient.
Tr-icès- verbal de cette déclaration fut aussitôt dressé, et le lieutenant
alhmand Thierry y apposa sa signature, avant de rentrer à Sansanné-
^lango.
La question de Pâma ainsi tranchée, le capitaine Baud rejoignit
VL Vermeersch et ses compagnons et, après avoir passé à Tamargua,
près de Madjori, revint avec eux à Pâma.
Le but de la mission était atteint. Le roi Bantchandé, notre protégé,
avait été consolidé sur son trône, ses adversaires battus avaient fui ou
fait leur soumission, les prétentions allemandes avaient été annihilées
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HINTEHL-ViXD Dl DAHOMKY 205
pr suite de l'occupation effective du pays et le (iourina, entièrement
pacifié, ajoutait un nouveau fleuron à la couronne coloniale de la
France, fleuron qui, par sa position géographique même, était d*unc
haute importance. Pendant toute la durée de la campagne, les chefs de
la mission avaient constamment payé de leur personne, tout préparé et
tout dirigé, souvent par une température de 35" à 40" degrés centigrades.
Aussi, était-ce bien à eux que revenait tout l'honneur de la campagne.
Bantchandé voulant envoyer une ambassade à Porto-Novo pour
témoigner sa reconnaissance au gouvernement français, il fut convenu^
que M. Vermeersch accompagnerait celle-ci au Dahomey et que
M. Baud rentrerait à Fada N'Gourma avec le roi. Le 12 juin 1897,
l'ambassade quittait Pâma et arrivait le 9 juillet à Porto-Novo, en
passant par Madjori, Konkobiri, Kouandé et Djougo. M. Ballot,
gouverneur du Dahomey, reçut solennellement les envoyés du roi de
Gourma et donna des fêtes en leur honneur.
LA MISSION BRETONNET AU NRIER
Pendant que la mission Baud prenait la route du Gourma, le lieute-
nant de vaisseau Bretonnet se dirigeait vers le Niger. Son but était de
prendre possession de tous les points de la rive droite du fleuve non
encore aux mains des Anglais, et d'occuper solidement au-dessous des
cataractes de Boussa, un point qui fût accessible à la navigation pro-
venant du bas fleuve, afin de pouvoir assurer dans Tavenir la libre
communication par eau entre Thinterland du Dahomey et la mer.
Nous résumons, d'après le Bulletin de l'Afrique Française et d'autres
communications, le récit des opérations de la mission.
Dr DAHOMEY AU Nlf.Ell
1-e 28 décembre 181)0, M. Bretonnet quittait Carnotville, à la tète de
^i c<jlonne. Celle-ci comprenait : MM. (>arron, inspecteur de l"^*' classe
de la garde indigène, second de la mission ; de Bcrnis, maréchal des
logis de chasseurs, chef d'escorte ; Çarrérot. inspecteur de la garde
indigène ; 3 interprètes, 100 miliciens et tirailleurs auxiliaires séné-
galais et 100 porteurs recrutés à Porto-Novo.
La mission se rendit d'abord à Para-Kou, d'où elle partit le 1^^'^jan-
vier 1897, laissant sur sa droite la roule qui mène à Nikki, la capitale
du Borgou. pour se diriger sur Bouay, après avoir traversé Bori et
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206 REVUE FRANÇAISE
Saoré, où elle établit uii poste à la demadde des chefs de ces deux
localités. Le roi de Bouay la reçut avec des marques de vive sympathie
et lui donna un terrain pour la construction d'un poste. Cet accueil
favorable permit à M. Bretonnet de poursuivre aussitôt sa marche sur
Kandi.
En traversant ainsi les paysbaribas dans leur plus grande largeur, la
mission devait se trouver aux prises avec de sérieuses difiîcultés. Les
chefs baribas de quelque importance sont assez nombreux et en cons-
tante rivalité les uns avec les autre>. Ils semblent être en quelque sorte
•indépendants du roi de Nikki; mais c(* dernier exerce sur eux une crainte
non dissimulée. Les Baribas sont généralement pillards ; aussi leur
pays est-il rien moins que sûr. Cependant la région que traversait la
nûssion était mohis agitée que celle de Nikki, carlesPeulhs parvenaient
à y élever des troupeaux et des caravanes la traversaient parfois en
en payant toutefois une redevance et en s'entourant d'une escorte de
cavaliers baribas.
Un incident qui se produisit dans la marche de Bouay sur Kandi,
faillit compromettre le succès de la mission. Le 1 1 janvier, à la chute
du jour, celle-ci était assaillie à Timproviste par les habitants de Gou-
narou qui la crib'èrent de tlèches et lui blessèrent deux hommes.
M. Bretonnet, avant d'attaquer le village, résolut d'entrer en pourpiir-
1ers avec les habitants, ne sachant à quel motif attribuer cette agression
que rien n'avait pu motiver. Bien lui en prit, car, avec l'aide des chefs
indigènes qui l'accompagnaient, il apprit que l'attaque dont il avait été
l'objet était le résultat d'une mé[)rise, les indigènes croyant avoir eu
affaire à une caravane haoussa. Afin de ne pas compromettre la mar-
che de sa colonne, qui aurait pu se ressentir de la j)résence sur ses
derrières d'un centre hostile, M. Bretonnet se contenta d'une satisfaction
pacifique de la part des habitants et n'eut qu'à se louer dans la suite de
celte détermination.
Après la création d'un poste à Kandi, la mission poursuivant sa
marche vers le nord, atteignit, le 20 janvier, Ilo, inuntmse ville de 10 à
12.000 habitants située sur le .Niger. Le roi et les habitants firent un
accueil chaleureux à la mission dont la présence était pour eux une
garantie de tranquillité. Un poste fut créé à Ho; l'inspecteur Carrérot
fut placé à sa tête et chargé en même temps des fonctions de résident.
M. Bretonnet, après avoir passé cinq jour-^ h Ho c{ rempli le but pre-
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HrNTERL\i\D DU DAHOMEY 207
mier de sa mission qui était de prendre pied au Niger, se remit en route
en suivant le cours du Niger dans le but de se rendre à Boussa. U ne
savait pas encore d'une façon certaine dans quelle situation se trouvait
cette ville. Ce fut seulement à Lafagou qu'il apprit que Boussa n'était
pas occupé par les Anglais, bien que ceux-ci eussent fait peu de temps
auparavant une infructueuse tentative d'occupation. Le chef de Djebé,
homme de confiance du roi de Boussa qui l'envoyait à la rencontre de
la mission annonça à celle-ci qu'elle était impatiemment attendue
depuis le dernier passage des Français dans ces parages (mission Hourst).
Hâtant sa marche M. Bretonnet arrivait à Boussa le 5 février et y arbo-
rait aussitôt le drapeau tricolore.
Le roi de Boussa fit à la mission française, une rtkeption enthousiaste
et lui donna aussitôt un terrain pour la construction d'un poste et d'une
résidence, M. Bretonnet devant choisir Boussa pour son centre d'action.
Les habitants s'associèrent pleinement aux sentiments de leur roi .envers
les Français, car la présence de ceux-ci était un gage de protection
contre leurs ennemis et une garantie pour les transactions commerciales.
Comme on devait s'y attendre, la Royal Niger Company, qui reven-
dique pour elle seule le Niger jusqu'à Say, ne manqua pas de protester
contre l'occupation de Boussa, qu'elle comidérait, prenant son désir
pour une réaUté, comme partie intégrante de son empire. Le lieutenant
de vaisseau Bretonnet, résident de France au moyen Niger, ne put que
recevoir la protestation, mais n'eut pas, naturellement, à en tenir
compte. II savait trop bien que, quand on évacue un point contesté —
comme Fort d'Arenberg, par exemple — les Anglais ont vite fait de
s'en saisir et de le transformer en Fort Taubman Goldie.
ÛPÉRATlOiNS AUTOUR DE HOUSSA
\jH majeure [>artie de la tâche de la mission était accomplie et
M. Bretonnet s'occupait activement fie l'organisation de son gouverne-
ment, lorsque pris naissimce une agitation qui pouvait avoir de graves
conséquences. Un chef indigène nommé (^ora. qui était, depuis peu,
arrivé du Noupé, son ancienne résidence, avait choisi pour capitale, la
ville fortifiée de Ouaoua, à environ 3o kilomètres au sud de Boussa. Se
posant en compétiteur du roi de Boussa, il avait résolu de le détrôner
et avait profité de l'arrivée des Français pour exciter contre eux les Ba-
ribas. dont les instincts pillards allaient être singulièrement contrariés
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n
ii08 REVUE FHANÇAISE
par la nouvelle occupation. Gaj^née par le mouvement insurrectionnel,
la ville de Sagonou, située à peu de distance au nord de Boussa, se
déclarait en faveur de Cora, qui se préparait à s'y rendre avec toutes
ses forces et avait envoyé, le 15 mars, sa déclaration de guerre à
Boussa.
M. Bretonnet résolut aussitôt d'empêcher la jonction des forces enne-
mies. Secondé par le roi de Boussa et ses troupes, il marcha contre
(^ora et l'atteignit à la chute du jour au village fortifié de Zali, où il
venait de s'installer. Un combat s'engagea, mais la nuit ne jjermit pas
de donner l'assaut au village qui était entouré de murailles. De part et
d'autre, on resta sur le qui-vive et les combattants, fort rapprochés les
uns des autres, ne cessèrent de se provoquer, à l'instar des héros d'Ho-
mère. Mais, lorsque le jour parut, la place était évacuée, abandonnée
par rennemi, dont le chef ^k)ra avait été sérieusement blessé. M. Bre-
tonnet se dirigea aussitôt sur Sagonou qui fit sa soumission.
Mais si l'ennemi était l)atlu et dispersé au nord de Boussa, il n'en
était pas de môme au sud, où le chef de Kayoma, notre allié, menacé
par les Baribas, demandait l'installation d'un poste. Un rassemblement
tl'environ 2.000 guerriers avait eu lieu à Ouaoua, et, pour prévenir
l'attaque dont Boussa était menacé, il fallait frapper l'ennemi avant que
toutes ses forces fussent réunies. Bien que n'ayant (|ue 43 hommes
sous la main, M. Bretonnet, accompagné de MM. Carron et de Bernis,
du roi de Boussa et de ses troupes (environ 600 hommes) partit pour
Bessigboué, d'où il tenta d'arriver à un accommodement avec le chef de
Ouaoua. Mais celui-ci, prenant, sans doute, cette démarche pour un
un acte de faiblesse, fit une réponse arrogante qui ne laissait point de
doute sur ses intentions. Le 14 avril; l'attaque était décidée sans atten-
dre l'arrivée des contingents de Kayoma.
La ville de Ouaoua était entourée de hautes murailles et, en l'absence
de toute artillerie pour les battre en brèche, il fallut donner l'assaut à
tout prix. Ce fut M. de Bernis qui, à la tête de 30 Sénégalais, entraîna
les combattants et, après des prodiges de valeur, resta maître delà
position. La lutte avait ('té chaude et nous coûtait 3 tués et 1:2 blessés.
L'effet produit fut considérable, et le chef d'Ouaoua vint faire sa sou-
mission au roi de Boussa. Celui-ci s'était retiré à Bessigboué, suivant
l'usage du pays^ qui veut que le vainqueur, désireux de faire la paix,
se retire à quehpie dislance de la ville conquise.
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HLXTERLAM) Dl DAHOMEY 200
Le 16 avril, le roi de Kayomà arriva à Bessigboué, demandant avec
insistance un résident blanc pour sa capitale. Mais le peu de force dont
disposait M. Bretonnet ne lui permettait pas de créer un poste à Kayoma,
et encore moins de se séparer de Tun des deux blancs qui lui étaient si
nécessaires. Si plusieurs chefs avaient fait leur soumission, d'autres
tenaient encore la campagne et il fallait être en mesure de prévenir
toute surprise.
.La situation étant devenue plus calme, M. Bretonnet, qui était rentré
à Boussa, entreprit une tournée vers le nord dans le but de visiter les
postes établis au début de son expédition. Parti de Boussa le 4 juin, il
se trouvait à Ilo lorsqu'il apprit que le chef Cora soulevait contre nous
les petits chefs de la région nord du Borgou dont notre présence gênait
les habitudes invétérées de pillage. C'était sur le poste de Kandi, où
se trouvait un sous-officier blanc, que devait porter Tattaque, avec la
complicité des habitants de ce village. Laissant à Ilo M. Carrérot,
M. Bretonnet se dirigea, avec M. de Bernis et 45 hommes, sur les 2 à
3.000 indigènes rassemblés à quelque distance de Kandi. Le 21 juin,
Tennemi attaqué avec vigueur fut rejeté sur Kandi et la ville prise.
M. de Bernis avait été légèrement blesàé dans ce combat où il avait
chargé Tennemi avec son entrain habituel.
Fort dépourvu de munitions, M. Bretonnet se rendit alors à Kodjar,
sur les confins du Gourma, pour renouveler ses approvisionnements
auprès de la compagnie de tirailleurs Ganier, qui avait été placée en
ce point afin de servir de trait d'union entre les postes du Gourma et
ceux du Niger. Une fois ravitaillée la mission partit <lc Kodjar, au com-
mencement de juillet, pour se rendre, à travers une brousse maréca-
geuse peuplée d'éléphants, à Carimama et à Madecali, localités du Dendi
situées sur le Niger, dont les chefs sollicitèrent l'établissement d'un
poste. Elle revint ensuite à Ilo (6 juillet) d'où elle partit en toute hâte
le 22, à la nouvelle d'un mouvement offensif dirigé contre Boussa.
Le chef Cora avait en effet repris les armes, et voulant profiter de
l'absence de M. Bretonnet, rassemblait ses forces à Ouaoua. Bien que
n'ayant avec lui que 23 miliciens et les gens du roi de Boussa, sur les-
quels il était difficile de compter beaucoup, M. Carron ne s'en porta
pas moins à la rencontre de l'ennemi. Le 23 juillet, un vif combat fut
livré à Kakodji, à 2 heures seulement de Boussa. Le chef Cora y fut
mortellement blessé et ses partisans, sérieusement éprouvés par notre
xxîii (Avril 98). N- 232. 14
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^210 HEVUE FRANÇAISE
feu, se retirèrent dans le plus grand désordre. Mais avec sa petite troupe
M. Carron n'était pas en état de les poursuivre.
M. Bretonnet, qui n'avait mis que 7 jours pour se rendre d'Ilo à
Boussa, arriva le 28 Juillet et s'empressa de tirer parti de la défaite de
l'ennemi. Ouaoua était abandonné ainsi que les villages voisins de la
vallée de l'Oly; mais les habitants revinrent peu à peii et firent l^ir
soumission qui, cette fois, fut définitive.
Cependant les échecs essuyés par les indigènes, et que les faibles
forces de la mission ne permettaient pas de rendre décisifs, ne rebutaient
pas les petits chefs baribas. Menacé par le soulèvement que préparait
une partie de ses sujets, le roi de Kayoma invoqua encore notre assis-
tance (7 août). Le lieutenant de vaisseau Bretonnet lui envoya alors
MM. Carron et Carrérot avec 60 hommes. A leur approche les révoltés
prirent la fuite, et M. Carrérot fut installé comme résident à Kayoma
avec 30 hommes. Un poste fut également établi à Kissi à la demande
du roi.
Enfin, l'orage qui s'amoncelait depuis longtemps du côté de Nikki
éclata sérieusement. Les chefs baribas de cette région rassemblèrent
leurs forces à More et Barou en vue d'une attaque décisive sur Kayoma
et Boussa. M. Bretonnet, laissant dans cette dernière ville comme rési*
dent provisoire le garde principal Moussa Touré, partit le i^ septembre
pour Kayoma, d'où il essaya de négocier avec ses adversaires ; mais
ceux-ci répondirent par une déclaration de guerre.
Décidé alors à brusquer J'attaque avant que toutes les forces enne-
mies fussent concentrées, M. Bretonnet, ayant avec lui MM. Carron
Carrérot, de Bernis, 90 hommes, les gens de Boussa et de Kayoma,
partit de cette dernière ville le 12 juillet. Le 13, il arrivait devant More,
village fortifié de fortes palanques, derrière lesquelles environ 1.300
hommes se tenaient abrités. A 3 heures le signal de l'assaut fut donné.
Nos soldats se comportèrent vaillamment et enlevèrent rapidement la
position. Mais l'inspecteur Carrérot fut frappé par une flèche empoi-
sonnée et succomba 1 heure i/2 après. C'était une perte sérieuse pour
la mission au service de laquelle il n'avait cessé un instant de mettre
son activité et son dévouement.
Battu, l'ennemi n'était cependant pas détruit. Il le prouva une fois
de plus en faisant, dès le 14 au matin, un vigoureux retour ofiensif,
ce qui ne l'empêcha pas d'essuyer un nouvel écbec. Décidé à profiter
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HINTERLAWD DU DAHOMEY -211
de sa victoire, M. Bretonnet commença aussitôt la poursuite. Le 15 au
matin il se trouvait devant le village fortifié de Barou, dans lequel
l'ennemi s'était fortement retranché. Celui-ci fit une résistance des plus
opiniâtres et il fallut la vigueur et la ténacité de nos soldats et de leurs
chefs pour en avoir raison. Enfin le chef de la révolte, Bio Yorouma,
lomba frapppé à mort et sa chute entraîna la fuite désordonnée de ses
partÎMtns. Ce coup de vigueur produisit une impression salutaire
(lans le pays, et assura enfin la tranquillité des régions de Boussa et de
Kayoma.
Le 28 septembre 1897, la mission rentrait à Kayoma. ayant mené à
boone fin la répression du dernier mouvement et la pacification du
pays. La campagne avait été rude et avait coûté à la petite colonne
% tués dont Tinspecteur Carrérot, et 30 blessés. Hommes et chefs étaient
surmenés, et il n'était que temps de les renforcer et de leur permettre
de prendre un repos bien gagné A Kayoma, M. Bretonne! trouva le
lieutenant Brot, mis à sa disposition. Il envoya comme résident à
Boussa M. Caron, et à Do M. de Bemis qui vient d'y être assassiné dans
des circonstances encore inconnues, au moment où il se préparait h
rentrer en Franco et à recevoir la récompense de ses actions d'éclat et
des brillants services rendus à la mission.
Après avoir ainsi complètement atteint le but de son expédition, le
lieutenant de vaisseau Bretonnet reprit la route du Dahomey et s'em-
barqua à Kotonou pour Marseille où il arriva en février 1898. La
colonne Gasnier-Vermeersch devait achever son œuvre à l'intérieur par
la prise de Nikki et l'écrasement des derniers Baribas.
Par suite de l'heureuse issue de la mission Bretonnet, la France avait
pris possession de la rive droite du Niger au-dessus de Boussa et y
avait établi une chaîne de postes, afin d'en rendre l'occupation effective.
L'hinterland du Dahomey était donc assuré de s'étendre jusqu'au
Niger et d'avoir une porte ouverte à Boussa sur le fieuve navigable.
Tous ces événements ne se passèrent pas sans les vives protestations
de la presse anglaise. Les organes inspirés par la C'*" du Niger, le Times
notamment, ne nous ménagèrent pas les attaques. L'occupation de Boussa
ainsi qu'on l'a vu (*), donna lieu à des récriminations sans fin. iMais la
C* du Niger, dont l'appétit est plus grand que l'estomac, ne pouvait
nous prévenir partout dans cette course au premier occupant, car ses
{\)Rev. Fr. t. xxii, p. 208, avril 1897.
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Q|2
REVUE FRANÇAISE
forces à peine suffisantes pour maintenir son autorité là où elle était
établie, ne lui permettaient pas de prendre possession des régions
qu'elle convoitait.
Depuis, la situation s'est modifiée. Les envois considérables eo
hommes et en officiers, faits dans Fintérieur de la colonie de Lagosel
au Niger, ont permis aux Anglais d'établir leurs postes juste en face des
nôtres cl même de les tourner pour s'installer sur leurs derrières,
copime ils l'ont fait pour lé poste de Kissi, en venant s'établir à Béria,
à Ilesha, à Okoulo. C'est là un procédé fort peu correct, au moment
surtout où les plénipotentiaires des deux nations examinent loyalement
les droits et la situation des deux pays. Ce n'est pas en cherchant à
susciter dà incidents, en intimidant nos postes indigènes, en essayant
de tourner les"^mdigènes contre nous que les Anglais arriveront à
aplanir les difficultés'^istantes.
Nos voisins d'outre-MaoSISl^'^i^^'^^^®'^* '®s premiers en expansion
coloniale, se sont laissés devaiSQ^^ sur cette terre d'Afrique. Grâce à
l'activité de nos explorateurs, de nK^ officiers, nous sommes devenus
les beaU possidenies de ces régions sai^v"^*^*^®- ï^ Anglais ont perdu
la partie ; pour une fois, qu'ils sachent dfc'^^ '^ reconnaître, même de
mauvaise grâce.
Georges Démanche.
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KIAO-TGHEOU
Les Allemands viennent d'obtenir la concession à bail de la baie ilo
Kiao-Tchéou et de ses environs. Comme cela pourrait fort bien devenir
une occupation définitive, ainsi qull en sera sans doute de celle des
Russes à Port-Arthur et à la baie de Ta-liène-ouane, il est intéressant
d'étudier la valeur de ce point du territoire chinois.
La baie de Kiao-Tchéou, située sur la côte sud de la province du Chan-
toung, est le seul port de refuge praticable pour de gros navires entre
Chang-haï et Tchéfou. Les Russes, qui cherchaient depuis quelques
années un port d'hivernage pour leur flotte sur les côtes de Chine, s'en
étaient rendu compte et avaient obtenu du gouvernement chinois, il y a
un peu plus d'un an, Tautorisation d'y faire hiverner leurs navires. Les
Allemands ayant eu quelques démêlés avec le fils du Ciel, au sujet de
leurs missionnaires catholiques au Chan-loung, dont deu& ont été assas-
sinés, s'empressèrent d'exiger de la Chine la cession à bail de Kiaotchéou
et de ses environs comme compensation.
La baie de Kiao-tchéou prend son nom de la ville de ce nom qui se
trouve située à 3 1/2 milles du fond du havre dans une plaine arrosée
par plusieurs rivières se jetant dans la baie. La plus importante est le
Ta-Kou, qui prend sa source près de Houang-hsien, à huit milles de
la côte nord du Chan-toung, dont il traverse ainsi toute la partie pénin-
sulaire. Dans l'antiquité, un canal reliant l'un de ses affluents, le Pai-
aha-ho, au Kiao-laï-peï-ho, qui se déverse dans le golfe du Pé-tché-li,
formait une île de toute la partie orientale de la province.
A l'est du Ta-kou-ho, le Tchang-tchi-ho et le Nan-ta-ho se jettent
aussi à la mer. Le dernier passe à peu de distance des murs deTsi-mei-
hsien. Enfin au sud de Kiao-Tchéou deux autres rivières apportent en-
core à la baie leurs eaux et leurs sables. Grâce à ces alluvions la ligne
des rivages change continuellement et l'hydrographie en est assez mal
faite. Les bas-fonds s'étendent très loin de la limite des hautes mers et
des navires calant seulement quelques mètres doivent jeter l'ancre non
loin de l'entrée du havre dans 7 à 8 brasses d'eau. On ne peut donc
guère utiliser comme port de refuge que la partie sud, qui n'en constitue
pas moins, suivant l'expression des instructions nautiques anglaises,
I l'un des ports Jes mieux abrités de U côte Est de Chine, ^
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^
214 . REVUE FRANÇAISE
. A haute mer, la surface du havre ne mesure pas moins de 140 milles
carrés et le mouillage paraît entièrement fermé par les hautes terres de
rentrée, dont les deux pointes : le cap Evelyn au sud et le Yu-nui-shan
au nord, ne laissent entre elles qu'un goulet de deux milles à peine
de large avec une profondeur de 10 a 20 brasses. La ligne des sondes
de 5 brasses ne s'étend qu'à 5 milles de l'entrée. Or, comme le fond de
la baie en est à 17 milles, on voit le peu d'espace utile laissé par les hauts
fonds dans ce vaste bassin. Il a u'ailleurs l'inconvénient grave de geler
en partie pendant les hivers rigoureux, et ils y sont assez fréquents,
bien qu'on se trouve là sur le 36<» de latitude, c'est-à-dire à la même
hauteur de l'équateur que Malte et Athènes.
Le froid qui commence en décembre dure jusqu'en mars et les habi-
tants affirment que la glace est quelquefois assez épaisse pour qu'on
puisse traverser la baie à pied sec, de l'île Polato dans le nord, à l'île
Tchi-po-saft près de l'entrée. C'est sans doute à cause de cela que les
Russes ont préféré s'installer à Port-Arthur et à Ta-liène-ouane, qui,
bien que beaucoup plus au nord, sont rarement pris par les glaces.
Par un temps clair l'entrée de la baie est facilement reconnaissable
du large, à 17 milles de distance, grâce à l'élévation de l'île To-lo-shan
(563 pieds de haut) qui forme un excellent amer et à celle des côtes
où l'on aperçoit des montagnes telles que le Loung shan et le Ta-mo-
shan (ou haute montagne double) qui ne mesurent pas moins de
1146 pieds et 2249 pieds de hauteur respective.
La division française des mers de Chine, qui a visité ce point en
1896, a reconnu que les Chinois avaient établi trois batteries sur les
hauteurs de Tching-tao-ko et de Fou-shan-so, qni forment la partie
nord de la passe. On a relevé aussi l'existence d'une jetée de débarque-
ment, récemment construite dans l'anse de Tching-tao-ko, près de
l'entrée et du village de ce nom (aussi appelé Tsin-tao-fou).
Pour assurer la défense de leur concession, les Allemands ont pris
également possession des îles To-lo-shan, Tcha-lien-tao et Ka-tl-miao,
situées respectivement à 18, 29 et 33 milles au large de l'entrée, ainsi
que d'un certain nombre d'autres plus rapprochées telles que l'île Ronde,
Taï-koung-tao, etc.
Le journal anglais Standard publiait dès le 17 janvier dernier une
carte de la concession et une note traduite des documents oflBciels
çtllemands. D'après ces renseignements, l'Allemagne obtenait la surface
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KÏAO-TCHÉOU 21?)
eotière de la baie, jusqu'à la limite des hautes mers ; les terrains situés
au nord et au sud de la passe jusqu'au sommet des montagnes, ainsi
que les îles situées dans la baie et au large. Le territoire concédé est
entouré d'une zone neutre à Tinlérieur de laquelle aucune mesure admi-
nistrative ne peut être prise par les autorités chinoises sans le consen-
tement de FAllemagne. Le pays ainsi soumis aux Allemands est limité
comme suit :
Une ligne droite allant à l'ouest, tirée du rivage près de la colline de
l'est, à un point qui, au moment des hautfes mers, se trouve à 7 milles
de Kiao-tchéou. De là, elle va droit au nord jusqu'au point dit station
ielAkinàe Ta-po-teur, puis elle revient au sud-est jusqu'au confluent des
rivières Kiao-ho et Ta-kou-ho. Elle se dirige alors directement vers l'est
jusqu'au rivage de la baie de Lao-shan, en un point où aboutit la ligne
fictive venant de l'île Ka-ti-miao au Sud-Est. Elle prend là une direction
S. S.-O. vers l'île de Tcha-lien-Tao, d'où elle va à l'O. S.-O. sur l'île de
To-lo-shan. Elle rejoint la terre ferme dans l'O. S.-O. un peu au delà
du 120* de longitude E. de Greenwich, d'où elle revient au point de
départ.
Les Allemands n'ont point perdu de temps et nous avons déjà sous
les yeux une belle carte de la province du Chan-toung intitulée :
t Deutschland in Ostasien » dessinée d'après le baron von Richtoffen et
sur laquelle l'établissement géographique de Dietrich Reimer à Berlin
a marqué la concession à bail (Pachtgebiet) et tout autour, à une dis-
tance de 30 kilomètres, la zone neutre. Quant à la zone d'influence ou
hmterland elle s'étend sans doute dans l'esprit de nos voisins à toute
la province même du Chan-toung. On voit en effet, figurer déjà sur
cette carte le tracé des lignes de chemin de fer dont l'Allemagne espère
obtenir la concession et qui sont destinées à drainer vers Kiao-tchéou
les richesses minières et les produits de ragriculture pour les détourner
du port de Tchéfou et de la grande ligne ferrée projetée (»ntre Tientsin
etHankéou, concédée aux Belges, paraît-il, s'il faut en croire les dernières
nouvelles de source anglaise.
Le réseau ferré projeté par l'Allemagne comprend une ligne princi-
pale partant de Kiao-Tchéou pour atteindre à l'O. N.-O. la capitale de
la province Tchi-nan-fou en passant par les villes de Kao-mi-hsien, de
Weï-haien et Tchang-lo-hsien, riches en mines de houille, comme celle
de Po-chan-hsien qu'on dessert par un embranchement partant des envi-
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216 REVUE FRANÇAISE
rons de Tchang-shan-hsien et passant par Tsi-tchouane-hsien. De
Tchi-nan-fou, la ligne va à Tsi-ho-hsien sur le fleuve Jaune, d'où une
autre ligne principale se dirige au S.-E. sur Yi-Tchéou-fou en suivanl
les bords du Grand-Canal. Elle desservira un pays riche en soie et en
productions agricoles, ainsi que les villes de Tai-ngan-fou, Hsin-tai-hsien
et Mong-Tin-hsieu. Un embranchement a été prévu depuis pour i-elier
Yi-tchéou-fou et ses importants gisements houillers avec Kiao-Tchéou. 11
n'est pas encore marqué sur la carte, mais il est mentionné par le Lmdon
and China Express du mois dernier.
Si l'Allemagne arrive à obtenir la concession de ce vaste réseau qui
ne mesure pas moins de 825 kilomètres, elle pourra drainer vers
Kiao-Tchéou, presque tous les produits de la partie occidentale de la
province très riche en minéraux utiles, et où il existe même des métaux
précieux tels que l'or, la galène argentifère, le fer magnétique et non
loin, à l'ouest de Yi-tcheou-fou dans les montagnes du King-Kang-Hn,
d&s gisements diamantifères peu connus et inexploités dont nous avons
établi l'existence dès 1876 pendant une résidence de quatre aimées et
demie dans la province (*).
Kiao-Tchéou (latitude 36» 10' long. E. de Greenwich 120^ 10') était
autrefois le centre le plus important du commerce dans le Cbantoung
oriental. Elle recevait ses provisions du sud par la mer et distribuait
des marchandises dans tout le pays. Grâce à l'ensablement de la baie
et surtout à l'ouverture du port de Tchéfou, en 1838, le commerce a
grandement diminué. Le port actuel de la ville se trouve à 5 milles
au sud à un endroit nommé Ta-po-teur, sur une crique, à 13 milles par
eau de la mer et qui est presque à sec à marée basse. Les jonques de
Ning-Po et du Fo-Kien jettent l'ancre dans la rade et leurs chargements
sont apportés par des bateaux à fond plat dont oO à 60 attendent sur
la boue le retour de la marée. Le pays tout autour aussi loin qne la
vue peut s'étendre est absolument plat ; près de la mer, il devient
marécageux et par suite malsain, surtout pendant les fortes chaleurs
de l'été. Le gouvernement chinois eût préféré voir ce port ouvert au
commerce plutôt que celui de Tchéfou, mais il fut alors considéré
comme beaucoup moins approprié au mouillage des navires à vapeur.
(1) La province chinoise du Chan-toung^ géographie et histoire natureltey Revue de»
questions scion tiri(|uos de Bruxelles 1890-91-9?.
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KiAo-'n infini:
m
Des coDsîdératiOTis politiques trulilèrent d ailleurs en faveur deTchéfou
laieux placé au point dt:^ vutj ^Lratéf^ique, sinon au point di' vue
ixïmiiiercial.
La ville de Kii^i-TcJu'OU porU' î;i [raee 6vklenle dt* son ancienne
riches!^\ Presque toutes les rues sont lravi:*rsce& par de nombreux ait^
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bien coïistiujtes. l'iusinirs ruîivr*^rjL mw vasie é[uudae de ti^rrain (*l
possèdent deë mur-^ de 30 pinis iréltWatioïu îni^M i^oigucuserm.^il iiiir
solidement construits. iJr li;nHs uuUs dr |Kivilh)(i peints tiii iim^u i^i
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218 REVUE FRANÇAISE
disposés par paire devant la porte d'un certain nombre d'édifices,
indiquent la résidence officielle des nombreux mandarins.
Si la ville n'est pas grande, les faubourgs, par contre, couvrent un
espace considérable ; c'est surtout dans les quartiers de l'ouest que se
fait le commerce. La population était, il y a quelques années, fort
hostile aux étrangers et les missionnaires anglais y ont été insultés à
diverses reprises. C'était autrefois le principal marché de la partie
orientale du Chan-toung. Les environs produisent encore des grains,
des fruits, des légumes.
Le petit port de Tching-tao-ko, à Test de l'entrée du havre, ne pos-
sède que peu de maisons. On y fait cependant un commerce important
de cochons salés, de choux du Chan-toung frais ou conservés, de
radis, d'arachides et de coton. Tout cela est exporté par jonques sur
Shang-Haï.
Sur la partie est de la baie de Kiao-Tchéou se trouvent de grands
établissements de pêcherie, ressemblant à nos madragues. Le pays, aux
environs, est stérile à l'extrême, le sol consistant en argile jaune est
semé de blocs de granit descendus des sommets voisins du Lao-Shan.
Ces montagnes sont, dit-on, riches en minéraux divers. Les annales de
la province y mentionnent l'existence de l'or, de l'argent, de l'améthyste
et surtout du cristal de roche blanc ou enfumé. Les moines des nom-
breux monastères des environs exploitent ce cristal dont ils fabriquent
des verres de lunettes ou d'autres objets de luxe, tels que des petites
bouteilles plates servant de tabatières. Ils cultivent aussi la rhubarbe
et de nombreuses plantes médicinales. La soie du chêne ou pongée est
produite en abondance dans les environs par le bombyx à demi
sauvage du Quercus sinerisis,
La recherche de l'or est défendue par la loi, ce qui n'empêche pas
les paysans de laver en secret le sable des rivières dans presque toute
la partie orientale du Chan-toung. Ils se livrent à cette opération pendant
les mois d'hiver, alors que les moissons étant rentrées ils n'ont pas
autre chose à faire. On a découvert, récemment, l'or dans la roche
elle-même aux environs de Ping-tou, à IS lieues au nord de Kiao-
Tchéou. Une compagnie a été formée pour l'exploitation, avec l'autori-
sation de rËtat, mais la mauvaise administration des mandarins en a
bientôt causé la ruine. Il n'y a pas de doute, cependant, qu'avec une
organisation honnête dirigée par des européens, on pourrait exploiter
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KlAO-TCHÉOU 219
avec succès les diverses mines de la province et tout particulièrement
les houillères de Weï-hsien, Po-shan-hslen et Yi-tchéou-fou où Ton
rouve un charbon valant celui de Cardiflf. 11 est probable que les
Allemands obtiendront la concession de ces mines dont les produits
pourront venir à la côte au moyen des chemins de fer projetés.
Non loin du Lao-shan, à 9 lieues à TE.-N.-E. de Kiao-Tchéou, se
trouve la ville de Tsi-mi-hsien, dont les rues sont ornées d'une série
d'arcs de triomphe en pierre sculptée. Elle ne compte cpie 18.000 habi-
tants environ. Son commerce, qui est peu important, s'approvisionne
par le port voisin (2 lieues 1/2) de Niu-kou-ko, petite ville située sur
la rive orientale du havre de Kiao-Tchéou et entièrement peuplée de
pêcheurs. On y trouve de vastes magasins remplis de coton cultivé aux
environs, de gâteaux de pois provenant des fabriques d'huile de
Ddichos soya. Ces tourteaux sont très employés comme engrais. Le
pays fournit encore de la cire d'insectes ou Péhx, des poires, des
pommes et des kakis, ainsi que des noix et des amandes d'abricot
douces ou amères.
De Kiao-Tchéou une route va au N.-O. à Weï-hsien en passant par
Kao-mi-hsien, à 6 lieues de distance, par conséquent dans la zone
neutre allemande. Cette route était autrefois une magnifique chaussée
dallée de quarante pieds de largeur. Elle n'est plus maintenant qu'une
série de fondrières infranchissables pendant la saison des pluies (juin et
juillet). Elle traverse plusieurs rivières qui vont se jeter au nord dans
un lac aujourd'hui à peu près complètement desséché, le Paï-mai-hou.
Les ponts étaient autrefois de superbes échantillons de Tarchitec-
ture chinoise. Malheureusement, ils n'ont pas été entretenus et les
immenses dalles de granit qui les constituaient sont aujourd'hui rem-
placés par des fagots de tiges de sorgho recouverts de terre. La plaine,
est semée de nombreux et gracieux villages bâtis à l'ombre des pins,
des peupliers, et dont les jardins sont plantés de poiriers, pommiers,
pêchers, abricotiers, noyers et châtaigniers. Les champs produisent le
blé, le sorgho, le maïs, les arachides, le tabac et une quantité de
légumes qu'il serait trop long d'énumérer. On sait, en effet, que les
Chinois sont, avant tout, végétariens. Au Chan-toung, ils élèvent des
porcs et des volailles dont ils sont aussi friands. Ds mangent bien
encore de la chèvre et de l'àne, mais jamais de bœuf, cet animal étant
spécialement consacré à l'agriculture.
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n
220 l{EVUE FRANÇAISE
Kao-mi-hsien est une petite viUe entourée de murs comme toutes
les villes chinoises. Ses murs, bien entretenus, ont trois milles de tour
et renferment une population d'environ 10.000 âmes. Il se fait dans
cet endroit un grand commerce d'un tabac blond et léger ressemblant
au labac turc et que Ton exporte en quantité sur Tchéfou, d'où
il gagne jusqu'à l'Europe et l'Amérique où il sert à la fabrication du
Maryland.
Tels sont les environs immédiats de Kiao-Tchéou. On voit, par cette
courte description, que le pays est assez riche en productions diverses
et que la province de Chan-toung pourra devenir, dans des mains
expérimentées, une source certaine de richesses. Les Allemands s'en
sont très adroitement saisis et ils ont la bonne fortune d'avoir su
décider Herr Delring, l'un de leurs compatriotes qui connaît le mieux
la Chine du Nord, où il a été commissaire des Douanes impériales mari-
times, tant à Tchéfou qu'à Tientsin depuis 1875, à quitter le service
chinois et son ami Li-Houng-tchang, dont il était aussi le conseiller
intime, pour venir prendre la direction de leurs affaires à Kiao-Tchéou.
Sans perdre de temps, ils ont organisé aussitôt un service postal de
quinzaine sous pavillon allemand entre Shang-haï et leur nouvelle
colonie, car tel est bien le nom qu'ils entendent donner à leur
Pachgebiet, Voici donc encore les Russes à Port-Arthur et les Japonais
à Weï-haï-weï, les Anglais à Kowrloun près Hong-Kong ; que va faire
la Franco, That is the question.
A.-A. Fauvel,
Ancien offijder des Douanes chinoises au Chan-4oung.
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LE PREMIER PARTAGE DE LA CHINE
Les événements se déroulent en Extrême-Orient avec une rapidité
qui contraste singulièrement avec Timmobilité traditionnelle du Céleste
empire. Cela tient du reste à la situation particulière de la Chine qui,
vaincue dans sa lutte avec le Japon, n'ayant plus de flotte, presque
plus d'armée et pas d'alliée, se trouve à la discrétion absolue des gran-
des puissances européennes. Celles-ci n'ont eu garde de laisser échap-
per une si belle occasion pouvant servir leurs intérêts et viennent de
procéder à Tattribution, en quelque sorte pour chacune d'elles, d'une
partie de la Chine et à un premier partage de son territoire.
Lorsque le traité de Simonoseki eut donné au Japon la presqu'île de
Liao-Tong, où se trouve le port de guerre chinois de Port-Arthur, la
Russie, qui ne pouvait admettre l'établissement du Japon sur le conti-
nent, et précisément en un point où elle avait jeté ses vues, adressa au
gouvernement du Mikado, de concert avec la France et l'Allemagne,
une note demandant au Japon de renoncer à l'annexion de la pres-
qu'île de Liao-Tong. Une élévation de l'indemnité de guerre devait
compenser ce sacrifice. Le Japon, ne se sentant pas en état d'entamer
une lutte qui pouvait lui faire perdre entièrement le prix de ses vic-
toires, céda, et le Liao-Tong resta chinois.
Mais le Céleste empire avait une dette, de reconnaissance à payer.
La Russie, la plus intéressée de toutes les grandes puissances dans
les affaires d'Extrême-Orient, obtint de faire passer à travers la Mand-
chourie le chemin de fer transsibérien, obligé par son tracé primitif a
un coude très accentué vers le nord pour atteindre l'océan Pacifique.
D en résultait une économie de tracé de plus de 60O kilomètres, l'au-
torisation d'établir des postes militaires pour protéger les travaux et la
main-mise en quelque sorte sur la Mandchourie septentrionale. De plus,
la Russie obtenait du gouvernement de Pékin, l'autorisation de faire
hiverner, en cas de besoin, sa flotte dans un port chinois libre de glaces.
Plus modeste dans ses prétentions, la France n'avait profité de la
situation que pour obtenir d'insignifiantes rectifications dans la délimi-
tation, encore inachevée à cette époque, de la frontière du Tonkin et
quelques avantages pour son commerce dans les provinces méridionales
de la Chine.
L'Allemagne n'avait rien demandé. Elle se réservait, étudiait le ter-
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222 REVUE FRANÇAISE
rain et allait faire ses premiers pas sur le territoire chinois en débutant
par ua coup d'éclat.
Dans les premiers jours de novembre 1897, on apprenait que deux
missionnaires catholiques allemands, avaient été massacrés dans le
Chan-Tong, le jour de la fête de la Toussaint. Sans perdre un instant,
le gouvernement allemand adresse à la Chine une demande de répa-
ration catégorique, et donne ordre à sa flofte de se saisir d'un gage en
mettant ia main sur la baie de Kiao-Tchéou, excellent mouillage situé
aux portes du golfe de Petchili. Le 14 novembre les navires allemands
prenaient possession de la baie de Kiao-Tchéou, et des détachefments»
s'avançant dans l'intérieur, occupaient ensuite la ville de ce nom. En
vain la Chine, pour se débarrasser de ce voisinage, s'empressa-t-elle,
contrairement à toutes ses habitudes, à donner inmiédiatement à FAlle-
magne toutes les satisfactions qu'elle demandait. Celle-ci ne voulut pas
entendre parler de l'évacuation de Kiao-Tchéou et demanda au gouver-
nement de Pékin de lui céder la baie et une bande de territoire adja-
cent, mais seulement à bail, afin de permettre aux Chinois de sauver
la face. Devant les instances réitérées du gouvernement allemand et en
présence de l'orage qui semblait s'amonceler, le Tsung^li-Yamen fil
droit, le 6 mars dernier, aux exigenœs germaniques.
Voyant l'Allemagne s'installer à Kiao-Tchéou, et ne sachant pas jus-
qu'où pourraient aller ses prétentions, le gouvernement russe avait t«iu
à faire connaître ses intentions pour éviter d'être prévenu. B avait,
d'accord avec la Chine, envoyé sa flotte hiverner à Port-Arthur. Le 18
décembre 1897, quatre navires russes entraient dans le grand port chi-
nois. La démonstration était significative et indiquait bien uù commen*
cément d'abdication de la part de la Chine. Ce commencement n'allait
pas tarder à avoir une suite, car les événements allaient se prëdpiter.
Obhgée de payer au Japon une importante indemnité de guerre^ la
Chine n'était pas en mesure de se libérer par ses propres ressoorees. Il
lui fallait donc pour pouvoir s'acqiiitter et mettre les Japonais en de-
meure d'évacuer Weï-Haï-Weï, qu'ils détenaient comme gage, reeotirir
à l'emprunt. Cet emprunt qui le souscrirait ?
C'est ici que les perplexités duTsung li Yamen prirent des proportions
9axi9 cesse grandissantes. Prêter de l'argent à la Chine, personne ne
s'y refusait; mais il fallait avoir des garanties. Ces garanties devaiefil
consister dans le contrôle de certains revenus el oe coolr^ devait
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LE PREMIER PARTAGE DE LA CHINE 233
donner une sérieuse influence à celui qui Texercerait. L'emprunt de-
vait donc amener une lutte d'influences entre les puissances en rivalité
d'influence en Extrême-Orient.
Après avoir oscillé entre un emprunt d'État souscrit par la Russie,
puis par l'Angleterre, le Tsung li Yamen se décida à traiter avec deux
banques, l'une anglaise, l'autre allemande, pour l'émission d'un em-
prunt de 16 millions de livres sterling.
C'était au fond im succès pour l'Angleterre qui obtenait en inéme
temps d'autres avantages fort importants : l'ouverture des cours d'eau
navigables de la Chine au commerce européen, l'engagement de tou-
jours confier à un Anglais le poste important de directeur général des
douanes, enfin rengagement de ne céder sous aucune forme un terri-
toire du bassin du Yang Tsé Kiang — sauf à V Angleterre, aurait pu
ajouter la convention. Mais ce qui n'était pas dit était sous entendu et
la presse britannique n'a pas caché la nécessité pour l'Angleterre d'oc-
cuper quelque forte position stratégique dans les parages du Yang Tsé,
et de se réserver une influence prépondérante dans le bassin d'un
fleuve qui a plus de 3.000 kilomètres de cours et où l'ensemble de la
population n'est pas évalué à moins de 200 millions d'habitants, c'est-
à-dire à plus de cinq fois le chiffre atteint par la Grande-Bretagne et
llrlande.
Cette attribution à l'Angleterre d'uue énorme sphère d'influence au
cœur de la Chine, les avantages qu'elle tenait de l'emprunt et d'autres
concessions, et les tentatives qu'elle avait faites pour avoir accès à
Taliea Wao, port incontestablement placé dans la sphère des intérêts
russes, ne pouvaient laisser la Russie indifférente. Il importait en
effet au gouvernement du tsar de ne pas laisser s'affaiblir, même mo*
meataaémennt, son influence toute puissante à Pékin. Aussi dans les
premiers jours de mars une note était-elle adressée au Tsung li Yamen
par le i^^nistre russe à Pékin, M. Pawlof, demandant la cession à bail
de Port-Arthur et de Talien Wan, ainsi que le droit de raccorder Port-
Arthur au chemin de fer en construction à travers la Mandchourie et
dans les mêmes conditions. C'était une réponse indirecte mais non
dissimulée aux demandes anglaises.^
La situation était grave pour la Chine, qui, suivant ses habitudes,
essaya de gagner du temps. Mais, après avoir cédé à l'Allemagne, après
avoif cédé à l'Angleterre, comment résister à la Russie, dont la puis-
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224 REVUE FRANÇAISE
saace était autrement redoutable? Mise en demeure de donner sa ré-
ponse à bref délai, la Chine vient d'accéder à toutes les demandes de
la Russie, et de signer le 27 mars une convention conforme.
Le succès de la Russie était de beaucoup plus éclatant que celui de
TAngleterre qui, n'ayant pu faire prévaloir le principe d'intégrité terri-
toriale de la Chine, va sans doute prendre un « gage » •
Mais, se demandera-t-on, quel a été dans tous ces événements le
rôle joué par la France ?
Il faut reconnaître que jusqu'ici la France est restée en arrière des
autres puissances. En fidèle alliée, elle a tout d'abord appuyé les de-
mandes de la Russie. Puis, lorsque les avantages obtenus par d'autres
puissances eurent détruit l'équilibre existant en Extrême-Orient, elle
adressa à son tour une note au Tsung li Yamen en vue de faire va-
loir certaines revendications. D'après les journaux anglais — car, en
France, aucune nouvelle précise n'a transpiré à ce sujet — la France
demande à la Chine : la cession à bail du port de Laï Chau, dans les
mêmes conditions que Kiao Tchéou a été cédé à l'Allemagne ; le droit
de construire un chemin de fer jusqu'à Yunnan Fou; l'attribution à un
Français de la direction générale des postes et télégraphes; enfin l'en-
gagement par la Chine de ne céder à aucun titre un territoire situé
dans les provinces de Yunnan, Kouang Si et Kouang Tong. Le port de
Laï Chau ou Lei Tchéou qui se trouve sur la partie orientale de la pres-
qu'île située en face de l'île d'Haïnan, possède un excellent mouillage»
comme on est loin d'en trouver dans tout le golfe du Tonkin.
Il n'en a pas fallu davantage pour éveiller la mauvaise humeur que
les principaux organes de la presse britannique ne cessent de témoigner
à la France lorsipie celle-ci cherche à faire un mouvement sur un point
du globe où ses voisins d'outre-Manche ont des prétentions, ou pour-
raient en avoir. La presse anglaise a trouvé naturel que la Russie fît
tous ses efforts pour obtenir un port libre de glaces sur les ipers de
Chine ; elle a reconnu que la Handchourie devait fatalement être en-
traînée dans l'orbite de la politique russe. Mais quand il s'agit de la
France, et quand celle-ci s'avise d'émettre quelque prétention, les ap-
préciations sont alors bien différentes !
Le Tintes, qui se distingue comme toujours par son peu d'aménité
à notre égard, ne manque pas de s'élever contre les propositions de la
France. Il trouve fort mauvais que la France demande à la Chine de
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fn^^
LE PREMIER PARTAGE DE LA CHINE 2:25
ne rien céder de ses trois provinces méri'iionales. Tout d'abord une
partie du Yunnan appartient au bassin du Yang Tsé et la Chine s'est
déjà engagée à ce sujet. Le Kouang Tong se trouve vis-à-vis de Hong-
Kong; par suite les intérêts anglais sont en jeu de ce côté. Quant à Laï
Chau. il se trouverait quelque peu sur la route de Singapore à Hong-
Kong» et il paraît que cette route est intangible aux yeux des Anglais.
A entendre pareil langage on dirait vraiment que tout ce qu'il y a de
bon sur la surface du globe doit être la propriété des seuls fils d'Albion
ou n'appartenir à d'autres nations que suivant leur bon vouloir. Cette
théorie n'a heureusement plus cours et on devrait comprendre, de l'autre
côté du détroit, qu'il y a d'autres intérêts au monde que les intérêts
britanniques, et qu'ils doivent être défendus à l'égal de ces derniers.
N'est-ce pas du reste l'Angleterre qui a été l'inspiratrice de tous les
procédés politiques qui viennent d'être appliqués en Chine? j
N'a-t-elle pas la première inventé la cession "à bail, en cédant pour
un temps au souverain du Congo un territoire sur le haut Nil, qui ne
lui appartenait pas d'ailleurs?
Hong-Kong n'explique- t-il pas toutes les créations de dOpôl de charbon?
La demande de non cession des provinces du sud de la Chine n'est-
clle pas décalquée sur celle de l'Angleterre relative au Yang-Tsé?
Et si, à un autre point de vue, l'Angleterre touche à la Chine d'un
côté par Hong-Kong, de l'autre par la Birmanie, la France en est aussi
limitrophe par le Tonkin et ce, sur une longueur de plus de 2.000 kilo-
mètres. Il faudrait aussi, sous prétexte que la Birmanie touche au Yun-
nan, que la France renonçât à construire un chemin de fer du Ton-
kin à Yunnan Fou? L'Angleterre s'est attribuée en Chine la part du
lion; qu'elle laisse donc les autres nations faire rentrer dans leurs
sphères d'intérêt les territoires qui avoisinent leurs possessions. Les
négociations entre la France et la Chine suivent d'ailleurs leur cours et
il faut espérer que nos négociateurs auront assez de fermeté pour ne
pas se laisser influencer à notre détriment.
Nous ne pouvons que nous estimer heureux de voir écarter pour la
France toute idée de grande extension territoriale en Chine. Nous n'avons
nul besoin d'annexer une population qui deviendrait vite un élément
ruineux de concurrence pour notre commerce et pour notre colonie
d'Iodo-Chine en particulier. Il y a déjà trop de Chinois dans cette colo-
nie; n'en augmentons pas encore le nombre. A. Montell.
xxni (Avril 98). N» 232. 15
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JAPON '
COMMERCE ET PROGRÈS MARITIMES EN 1896
Le commerce extérieur du Japon a continué, en 1696, à s'accroître
comme les années précédentes. Les importations au Japon ont atteint
la valeur de 171.675.000 yens (2) en 1896et les exportations japonaises,
117.843.000 yens, soit un trafic total de 289.S18.000 yens.
Les importations dépassent donc les exportations de 53.832.000 yens.
Cette difiTérence sans précédent n'est pas due à l'extension générale des
affaires, mais à la diminution de 13,4 0/0 subie par le commerce
d'exportation, et à l'augmentation de 32,8 0/0 en faveur deTimporration
étrangère, par rapport à l'année précédente.
Comparativement à 1895, on constate en effet que les importations
ont progressé de 42 millions de yens, alors que les exportations ont
subi un recul de 18 millions, Néanmoins, le commerce total a augmenté
de 24 millions de yens en 1896.
La diminution des exportations japonaises en 1896, contrastant avec
leur progression constante depuis plusieurs années, a une cause toute
locale et temporaire. Les États-Unis, principaux acheteurs de produits
japonais, ont, en effet, par suite de leur situation politique et de leur
régime économique rendu incertain par laltente de l'élection pré-
sidentielle, restreint beaucoup leurs achats en 1896, surtout en soie
grège. Les récoltes des soies s'étant, de plus, trouvées inférieures
aux années précédentes, il en est résulté une diminution notable des
exportations du Japon, mais c'est là, nous le répétons, un simple
accident, sans conséquence pour l'avenir.
Quoi qu'il en soit, les États-Unis tiennent toujours la tête des pays
vers lesquels s'exportent les produits japonais. Us figurent pour
31.533.000 yens (contre 54.029.000 y. en 1895). Le 2« rang passe à
Hong-Kong avec 19.966.000 y. La France descend du 2*^ au 3« rang,
avec 19.028.000 y. en 1896 (contre 22.007.000 en 1895). La Chine
devient de plus en plus tributaire des produits japonais, dont elle
achète pour 13.824.000 y. (contre 9. 135.000 y. en 1895). Les pays qui
(1) Voir les précédentes études publiées sur le Japon dans la Bevtie Française^
notamment t. XXII, p. 143.
(2) l yen-- 2 fr. 72 environ en 1896.
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I
JAPON ^27
Yiennent ensuite sont: TAngleterre (9.013.000 y.), les Indes anglaises
(4.538.000 y.), la Corée (3.368.000 y.), TAllemagne (2.972.000 y.),
l'Italie (2.(>69,000 y .), la Russie (1.323.000 y.), etc.
L'Angleterre est toujours la nation qui vend le plus au Japon. En 1896,
Jes produits anglais qui y ont été introduits ont atteint la valeur de
59.282.000 y. (contre 45.172.000 y. en 1895). Les Indes anglaises
passent du 4* rang au 2* avec 22.518.000 y. d'importations au Japon,
doublant presque le chiffre de 1885 (12.002.000 y.). La Chine perd un
rang avec 21.345.000 y. (contre 22.986.000 y.). L'Allemagne perd aussi
un rang, quoique en sensible progrès avec 17.184.000 y. (contre
12.233.000 y.). Les États-Unis doublent presque leurs importations
16.374.000 y. en 1896 contre 9.277.000 y. en 1893). Hong-Kong
progresse aussi avec 9.134.000 y. (contre 8.078.000 y.), La France
monte de 5.180.000 y. en 1895 à 7.682.000 y. en 1896, mais llndo-
Chine française baisse de plus de moitié (1.673.000 y. en 1896 contre
3.383.000 y. en 1895).
Ainsi que le fait remarquer, dans le rapport publié au Moniteur
officiel du Ck)mmerce, M. Goudareau, gérant du consulat de France,
« les commissions payées annuellement par certains de nos industriels
et commerçants à des intermédiaires anglais, suisses ou allemands, suf-
firaient amplement aux frais d'une agence française... D'une façon
générale, à l'entrée comme à la sortie, les 4/5 de nos transactions
conmierciales avec le Japon sont encore effectués par des maisons
étrangères ».
Compagnies de navigation japonaises. — L'année 1896 a été signalée
au Japon par l'extension de la navigation maritime nationale.
En mâts, on a inauguré une ligne de Yokohama à Londres, en
août une de Kobé à Seatle (États-Unis) avec escale à Honolulu (Hawaï).
En octobre, le service avec l'Australie (Yokohama à Melbourne) a été
oj^anisé définitivement. Ces lignes, qui sont mensuelles, sont desser-
vies par les plus grands paquebots de la « Nippon Yusen Kwaisha »,
que remplaceront bientôt des bâtiments nouveaux. La Nippon Yusen
Kwaisha » possède en tout 10 lignes qui unissent respectivement
Yokohama à Melbourne, à Seatle (via Honolulu), à Londres, à Shan-
ghaï, à Manille (via Hong-Kong), à Bombay (par Hong-Kong, Singa-
pore et Colombo) ; Kobé à Vladivostok (via Gensan), âTientsin, à New-
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228 REVUE FRANÇAISE
Chang, Sanghaï à Vladivostok. 11 y a pour ces diverses lignes 1 à 6
départs par mois.
En outre, la « Toyo Kiseo Kwaisha » va inaugurer l 'itinéraire de
Yokohama à San Francisco, et la « Shosen Hwarsha » dessert les poiis
de Chine, de Corée et de Formose.
L'Angleterre a fourni tous les nouveaux paquebots japonais, au
nombre de 23, jaugeant de 2.000 à 6.000 tonnes, et munis de perfec-
tionnements leur permettant des vitesses supérieures aux paquebots
européens ou américains qui naviguent entre l'Europe, les États-Unis
et le Japon.
On ne peut que regretter que les constructeurs de navires français ne
cherchent pas à attirer les commandes du Japon.
Au l*''^ janvier 1897, il existait au Japon 810 vapeurs jaugeant
363.000 tonnes et 16S voiliers jaugeant 27.000 tonnes.
Les deux principales C'^ japonaises sont la « Nippon Yusen Kwaisha »,
qui possède 3i vapeurs représentant 97.000 tonnes, et la « Osaka Shosen
Kwaisha t, qui possède 57 vapeurs avec 27.000. Ces compagnies sont
fortement subventionnées par le gouvernement du Mikado.
La concurrence des lignes japonaises s'est fait rapidement sentir pour
les lignes étrangères. Les compagnies nationales prenant 25 0/0 de
moins que celles de l'étranger, chargent énormément de marchan-
dises, surtout au retour ; mais les prix, beaucoup trop bas pour les
dépenses à supporter, leur ont déjà fait subir des pertes considérables.
Aussi des pourparlers se sont-ils engagés pour l'établissement d'un tarif
uniforme. Le personnel des compagnies japonaises est complètement
japonais, à l'exception du commandant.
Le pavillon français n'est représenté dans les eaux japonaises que
par la C® des Messageries maritimes qui relie, tous les 15 jours, l'Eu-
rope au Japon. Il y a, en outre, 2 comp^nies américaines, 3 anglaises
(avec 4 départs par mois pour l'une), 2 allemandes et une autri-
chienne, pour ne parler que des services réguliers.
Paul Barré.
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BALLES HUMANITAIRES ANGLAISES
(DUM DUM)
Les dernières ex|)é(iitions coloniales ont surabondamment démontré
rinsuflttsance, au point de vue de Teffet produit, des fusils de petit
calibre, que Ton a surnommés les fusils « qui ne tuent pas ». En effet
les balles de ces fusils^ quand elles n'atteignent pas un organe essentiel,
ne font que des blessures insignifiantes ou qui ne produisent leur effet
que plusieurs heures après, n'empêchant pas par conséquent, celui qui
est atteint de continuer à se battre et de produire son effort comme s*ii
n'avait pas été atteint.
Les effets, fort peu meurtriers, des balles de petit calibre furent cons-
tatés indépendamment de toute provenance d'armement. Dans leurs
campagnes contre les tribus montagnardes du Nord-Ouest de llnde et
notamment dans l'expédition du Tchitral, les Anglais remarquèrent
combien peu était efficace le tir de leurs fusils Lee-Metford. Lors de
la campagne d'Abyssinie les Italiens furent à même de juger l'insuffi-
sance de leurs armes à petit calibre sur les Abyssins. A la bataille
d'Adoua, les soldats du général Baratieri dirigeaient un feu des plus
nourris contre les innombrables phalanges qui les assaillaient. Mais les
Abyssins, quand ils n'étaient que légèrement atteints, continuaient à
marcher et à se battre, comme s'ils n'avaient pas été touchés, et il fal-
lait les « tuer plusieurs fois » pour les faire tomber.
Les mêmes observations ont été faites dans nos expéditions coloniales.
Le capitaine Toutée, a propos des engagements qu'il eut avec les Toua-
reg sur le Niger, reconnaissait que la balle du dernier modèle, qui
transperce tout ce qu'elle frappe, ne produit pas le môme effet de com-
motion foudroyante que les anciens projectiles. « Les gros fusils à pis-
ton, dit-il, donnaient un tir fort lent, mais ih abattaient leur homme.
Les 200 coups tirés par les tirailleurs dahoméens ont jeté bas plus de
monde que les 3.500 cartouches tirées par les laptots avec leurs armes
perfectionnées ».
Mais ce fut surtout dans l'Inde que l'inefDcacité des balles de petit
calibre produisit un fâcheux effet. « Les régiments anglais, engagés
dans l'expédition du Tchitral, avaient quelque peu perdu confiance dans
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230 REVUE FRANÇAISE
leur fusil Lee-Metford. Les gens des tribus ne semblaient pas s'aperce-
voir des balles perfectionnées qui les traversaient de part en part. A la
première, un adversaire civilisé se fût déclaré pleinement satisfait et se
serait replié sur la prochaine ambulance; les Afghans, soutenus par leur
fanatisme et leur extraordinaire endurance physiqiie (on en a vu conti-
nuer à se battre avec une lance au travers du corps), poussaient leur
charge à l'arme blanche comme si de rien n'était; il fallait les tuer à
plusieurs reprises; c'était déconcertant et peu sûr. Parfois même, ils en
réchappaient; c'est un fait bien connu sur la frontière du Nord-Ouest
que l'exemple de cet Afghan qui avait reçu sept balles Lee-Metford
dontpne dans la tète, et qui, ramassé dans les lignes anglaises, se porte
à présent comme vous et moi. Bref le département de TOrdnance dut
s'occuper de fournir au fusil de petit calibre une balle capable d'arrêter
une charge de ghazis, comme on appelle les soldats de la guerre
sainte. »
Toutefois il faut dire que la balle Lee-Hetford n'était inefficace qu'à
petite distance. Dans cette même campagne du Tchitral, on a constaté,
d'après des observations chirurgicales, qu'à longue distance elle faisait
des blessures susceptibles de mettre un homme hors de combat. Ainsi
à i.300 mètres les blessures étaient fort graves et la balle pulvérisait
les os traversés. « Mais, fait observer le Journal, aux courtes distances
la blessure était petite, nette, elle prenait à travers les os la forme
ronde d'une balle tirée à travers une feuille de papier et ne se déchirait
pas. D'où il résultait, d'après le livre du major Thompson, que l'on ne
pouvait compter sur la balle du Lee-Metford pour arrêter, dans sa
course, un honmie qui charge. Itcannot be dependedupon to stop aman
in his charge. C'est ainsi qu'au conmiencement de la dernière campa-
gne, des Afridis, traversés de part en part, continuaient à courir au
devant des troupes anglaises et à combattre comme s'ils n'eussent pas
été atteints. »
On eut alors recours à un procédé pratique pour faire rendre à la
cartouche Lee-Metford le plein effet qu'on en attendait. Ces cartouches
ont une balle en plomb enveloppée d'une chemise en nickel. On coupa
le « nez « à la balle, ou bien on la lima, on l'usa par frottement, de
façon à en adoucir la pointe par la disparition d'une partie de l'enve-
loppé en nickel. De cette façon la balle s'aplatissait au premier choc,
faisant immédiatement une grave blessure. Les résultats ainsi obtenus
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— =^* -i»
BALLES HUMANITAIRES ANGLAISES !23i
par les troupes britanniques fiireni si concluants que Ton modifia
aussitôt le système de fabrication.
t Désormais, dit le Temps^ au lieu de fabriquer des balles entière-
ment enveloppées de nickel, on fabriqua des a balles à nez mou »
{soft-nos&tjy c'est-à-dire des balles qui ne sont entourées de nickel que
sur les côtés et à la base ; à la pointe, le nickel disparaît et le plomb
seul se montre au « nez ». L'effet des cartouches ainsi armées, comme
des cartouches préparées par les soldats, dans le Tchitral, est facile à
prévoir. La balle pénètre dans les chairs, mais tandis que la partie
périphérique est arrêtée, la partie centrale, en plomb, grâce à sa
masse, continue à avancer ; ]e plomb sort du nickel, s'étale en disque,
et forme même des éclaboussures. d*où — d'après un chirurgien
anglais, M. Davis, qui en a observé les effets — « une blessure très
cruelle » . Les tissus sont déchirés, lacérés selon un plan beaucoup plus
étendu que le plan de la balle même: les artères, les veines, les nerfs
sont broyés à distance, et les blessures ont une gravité exceptionnelle. »
Cette balle, horriblement meurtrière, porte le' nom de dum-dum.
Son appellation, assez bizarre, ne lui a pas été donnée, ainsi qu'il a
été dit, par les indigènes à cause du bruit qu'elle fait. Elle provient,
tout simplement d'une petite localité des Indes, Dum-Dum, située
dans la banlieue de Calcutta, où se trouve une importante nianuEac-
ture d'armes.
La balle dum-dum se présente encore sous une autre forme, avec
un nez dur, en nickel, et sur les côtés des fentes par où le plomb peut
s'étaler dans la plaie. Le résultat est toujours le même et la dum-dum,
en entrant dans la plaie, s'ouvre comme les branches d'un parapluie,
ou, suivant l'expression d'un témoin, comme un accordéon, en faisant
d'efifroyables blessures. Au choc elle s*écrase sur elle-même dans les
tissus^ le plomb s'étale comme un disque a produisant une blessure si
atroce, dit le major Davis, que, selon toute probabilité elle serait inter-
dite dans une guerre européenne ». L'aveu du major Davis mérite d'être
noté.
Ainsi donc, il est avéré que les Anglais, qui se piquent si souvent de
sentiments humanitaires et s'apitoyent si habilement sur le sort des
esclaves des autres nations ^ n*hésitent pas à employer contre des
peuplades guerrières, qui ont le tort grave de défendre leur indépen-
dance avec une énergie farouche, un engin primitivement destiné à la
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232 REVUE FRANÇAISE
chasse des bêtes féroces^ et qui cause d'horribles blessures, semblables
à celles des balles explosibles dont la convention internationale de
Saint-Pétersbourg, du 11 septembre 1868, a interdit l'emploi.
Questionné à ce sujet et simultanément dans les deux Chambres, le
24 février dernier, le gouvernement britannique n'a pas nié le fait.
A la Chambre des communes, lord (jeorge Hamilton, répondant à une
question de M. Dillon, a reconnu que les balles appelées dum-dum
faisaient partie de l'armement des troupes anglaises. Mais, a-t-il ajouté,
ces balles ne sont pas des balles explosibles et aucune loi ne s'oppose
à leur usage.
A la Chambre haute, lord Stanley d'Alderley adressait une questioo
analogue au gouvernement. Il expliqua à la Chambre que ces balles
avaient été inventées pour les tigres et rien que pour les tigres ; que le
colonel Wyhé, envoyé au Népaul, ayant vanté dans un journal l'effel
de ces balles sur les tigres, les commerçants anglais s'étaient mis
immédiatement à en fabriquer. Ces balles explosibles, dit-il, méritaient
d'être condamnées et leur usage prohibé dans les armées civilisées.
Mais ce qui avait produit le plus d'eiïet sur lord Stanley d'Alderley.
c'était le fait que des soldats anglais avaient éié blessés par ces balles,
les Afridis, entre les mains desquels il en était tombé un certain
nombre dans cette meurtrière campagne de Tirab, ayant jugé à propos
de les retourner par la bouche de leurs fusils contre les envahisseurs de
leurs montagnes. Et lord Stanley de citer le cas de deux joueurs de
cornemuse blessés le même jour, l'un « par une honnête et sphérique
balle lee-metford », l'autre par une balle dum-dum. Le pri»mier, celui
qui a été blessé par « l'honnête balle » peut encore écrire qu'il a la
poitrine transpercée, mais qu'il n'est pas en danger de mort et pourra
bientôt jouer à nouveau de la cornemuse. L'autre, au contraire, a été si
horriblement blessé que les deux chevilles et les os des jambes ont été
réduits en pâte.
Comme à la Chambre des communes, le représentant du gouverne-
ment britannique répondit que les balles dum-dum n'étaient pas
explosibles du tout et que leur usage n'était contraire à l'esprit d'aucune
convention ni coutume de guerre. Par suite, il n'y avait besoin
d'aucune sanction particulière pour pouvoir faire usage de ces balles.
En faisant une réponse en ce sens, les représentants du gouvernement
britannique ont méconnu complètement l'esprit de la convention de
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I
BALLES HUMANITAIRES ANGL.AISES 233
1868 interdisant remploi des projectiles explosifs avec les armes à la
main. Sans doute, les balles dum-dum ne sont pas explosives, mais
elles produisent des blessures aussi effroyables, et c'est ce que la con-
vention internationale a entendu prohiber, que les balles employées
fussent explosibles ou non. En un mot, c'est le résultat anti-humani-
taire que la convention a voulu atteindre bien plus que la cause qui
devait le produire. On ne saurait mieux s'en rendre compte qu'à la
lecture des considérants suivants de la convention de Saint-Pétersbourg.
« Considérant que les progrès de la civilisation doivent avoir pour
effet d'atténuer au tant que possible les calamités de la guerre ; que le
seul but légitime que les Etats doivent se proposer durant la guerre est
l'affaiblissement des forces militaires de l'ennemi ; qu'à cet effet, il
suffit de mettre hors de combat le plus grapd nombre d'hommes pos-
sible ; que ce but serait dépassé par l'emploi d'armes qui aggraveraient
inutilement les souffrances des hommes mis hors de combat ou rendraient
leur mort inévitable ; que l'emploi de pareilles armes serait, dès lors,
contraire aux lois de l'humanité, les parties contractantes s'engagent à
renoncermutuellement, en cas de guerre entre elles, à l'emploi, pour leurs
troupes de terre ou de mer, de tout projectile d'un poids inférieur à
400 grammes, qui serait ou explosible ou chargé de matières fulminantes
ou inflammables. »
A la Chambre française, un député des Ardennes, M. Hubert a ques-
tionné à son tour le ministre des affaires étrangères sur l'emploi des
balles dum-dum, rappelant le sens de la convention de Saint-Péters-
ïxmrg et les questions posées au cabinet britannique. M. Hanotaux a
répondu qu'il manquait de renseignements précis et authentiques, ajou-
tant seulement que « ces questions pourraient, le cas échéant, donner
lieu k an échange de vues entre les puissances ». Nous espérons que
rhis(orien et successeur de Richelieu ne s'en tiendra pas à cette vague
promesse. Il serait un peu tard d'attendre « le cas échéant » d'upe guerre
où l'Angleterre serait engagée.
Jusque dans ces derniers temps les balles dum-dum n'avaient été em-
ployées qu'aux Indes où les Anglais avaient pu en apprécier sur eux-
mêmes les effets. Mais voici qu'un télégramme de Londres, 33 mars, nous
apprend que les troupes anglaises employées au Soudan oriental dans
l'expédition contre Khartoum sont également approvisionnées de balles
dum-flum. Bientôt sans doute il en sera de même pour le Soudan oc-
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234 REVUE FRANÇAISE
cidental et le fougueux colonel Lugard, qui ne cherche que Toccasion
de faire éclater un conflit sur le Niger, voudra probablement savoir si
les effets de la dum-dum sont aussi démonstratifs que ceux des canons
Maxim de l'Ouganda.
Mais ici la situation change sensiblement de caractère. Au lieu de
n'avoir affaire qu'à des Asiatiques où à des noirs, le colonel Lugard peut
se trouver — si par malheur ses agissements amenaient une collision
sanglante — en présence d'officiers français. Emploierait-il alors contre
eux ces balles destinées aux foétes fauves et aux sauvages? Qui nous
assure du contraire après la déclaration de lord G. Halmilton ? Ge serait
monstrueux et ce serait donner à la guerre un caractère de cruauté
digne des temps barbares.
n importe donc au plus |iaut degré, pendant que nous sommes en-
core en paix, que la question fasse l'objet d'un examen attentif de la p^irt
des gouvernements civilisés, afin de donner à la convention interna-
tionale de 1868 la sanction que les Anglais ne paraissent pas disposés
lui reconnaître.
G. Vasco.
LE COMMERCE DE LA TUNISIE EN 1896
Il est toujours intéressant de suivre le développement d'une possession
jeune et pleine d'avenir comme la Tunisie. Les progrès réalisés jus-
qu'ici y ont été considérables, et, s'il reste encore beaucoup à faire,
on peut avoir foi dans la vitalité du pays qui suffit à ses charges et
trouve encore moyen d'avoir d'importantes réserves.
L'année 1896 n'a pas été une année aussi prospère que ses devancières,
le commerce extérieur de la Tunisie a été de 80.952.000 francs .dont
46.444.500 fr. aux importations et 34.S07.500 fr. aux exportations.
On constate, sur 1895, une diminution totale de 4.380.700 fr. En 1893,
les importations tunisiennes avaient été de 38.383.000 fr. et les expor-
tations de 29.685.000 francs.
Les exportations tunisiennes ont diminué de 6.739.000 fr. en 1896,
par suite des mauvaises récoltes résultant d'une sécheresse prolongée.
Les principaux produits exportés sont : les huiles d'olive (4 millions
au lieu de 6.237.000 fr. en 1895), les vins ordinaires (1.553.000 fr. au
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LE COMMERCE DE LA TUNISIE EX 1896 235
lieu de 2.552.000 fr. ). l'orge (2.964.000 fr. au lieu de 3.764.000
fr.), etc.
75 Vo des exportations tunisiennes vont en France et en Algérie, 11 **/<►
en Italie, 8 % en Angleterre et à Malte.
D y a une légère augmentation pour la France et TAlgérie, TAngle-
lerre et Malte et une légère diminution pour Tltalie. La part de tous les
autres pays réunis ne s'élève qu'à environ 6 Yo . Parmi ceux-ci, la
Belgique est en sensible diminution, Tripoli, l'Egypte et la Grèce pré-
sentent au contraire une augmentation appréciable ; tous les autres
pays n'entrent que pour une part insignifiante dans le commerce d'ex-
portation de la Tunisie.
Si les exportations ont sensiblement baissé en 1896, les importations
en Tunisie ont, au contraire, montré en .1896, une augmentation de
2.358.600 fr., qui s'explique par le manque de récolte en Tunisie, ce
qui a nécessité l'importation de grains étrangers.
Un fait saillant a été la diminution de près de 2 millions 1/2 cons-
tatée en 1896 dans l'importation des tissus de coton. L'indigène, qui
est le principal acheteur de ces tissus, n'ayant que peu de ressources,
par suite du manque de récoltes, ne peut se procurer que difficilement
ces produits manufacturés, et comme l'Angleterre fournit presque à elle
seule ces tissus, on comprend facilement que cette branche d'im~
portation britannique soit en diminution de près de 3 millions sur 1895.
Un autre fait a été l'augmentation à l'importation des huiles et des
vins. La cause en est dans l'insuffisance des récoltes, qui a amené une
dimiDution de 2.200.000 fr. dans l'exportation des huiles et de 1 million
dans celle des vins. Ce sont les Italiens et les Maltais qui consomment
surtout les vins étrangers ayant quelque peine à s'habituer à ceux que
fournit le pays.
Le développement constant de la population est une des causes prin-
cipales de l'augmentation des importations. Pour divers produits la
construction de nouvelles voies ferrées explique l'augmentation des
importations, comme celles des bois et des rails.
Le classement des importations par pays de provenance se fait de la
façon suivante : France 25.563.000 fr., Algérie 1.536.000 fr. (soit en-
semble, plus de 27 millions) ; Angleterre 3.832.000 fr . , Malte 2.483.000
fr. (soit au total 6.315.000 fr.) Italie 5.284.000 fr., Russie 2.011.000
fr.etc.
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236 REVUE FRANÇAISE
La Fi-ance et TAIgérie figurent pour 88 Vo àes importations totales,
(contre 56 *»/o en 189S) . L'Angleterre et Malte, qui entraient pour 21 %
en 1895, tombent à 13 Vo , ^ette différence étant due à la diminution
de 3 millions sur les tissus de coton. Lltalie arrive au 3"*^ rang avec
11 **/o, sans modification appréciable. La Russie vient ensuite avec 4 ^'o
doublant son chiffre de Tannée précédente, jmr suite des entrées de
céréales. Par contre, la Belgique descend de 4 à 3 V© , rArtriche se re-
lève de 1 Vo en 1895 à 3 Vo en 1896, par suite des achats en sucre,
café et bois faits àTrieste. Tripoli vient au 1™* rang avec 11/2 Vo, en
légère augmentation.
En résumé s'il y a une diminution sensible des exportations en 1896,
la part de la France est cependant plus considérable que précédem-
ment dant les échanges avec la Tunisie. Le chiffre de 1896 est en effet
le plus élevé qui ait été atteint jusqu'ici. Ces constatations sont conso-
lantes, car elles établissent péremptoirement qu'en Tunisie, à l'inverse
de ce qui se produit dans beaucoup d'autres de ses possessions, l'en-
semble des transactions commerciales de la France vient, non seule-
ment au premier rang, mais encore en s'accroîssanl normalement d'une
année à l'autre.
Le projet de budget de la Régence pour 1898 s'élève, en recettes
ordinaires, à 24.061.000 fr., en augmentation de 385.000 fr. sur l'année
précédente. Les dépenses ordinaires sont prévues pour 240.60.000 fr. ;
on voit donc que, malgré une série de mauvaises récoltes, le budget
de la Régence peut être facilement équilibré sans augmentation
d'impôts. ' M.
EXPLORATEURS ET VOYAGEURS
AFRIQUE
M. Georges Farrei explore actuellement la région méridionale du
Maroc. Parti pour ce pays en avril 1897, il fit d'at)ord le levé des envi-
rons de Tanger, puis après 6 mois de séjour à Rabat-Salé, se dirigea le
i4 décembre vers Meknès et Fez, à travers les tribus berbères des
Zemmour et des Guerouan, qui assassinèrent le capitaine français
Schmidt, il y a environ lo ans. M. Forrel se propose d'explorer ensuite
les montagnes au sud de Fez et le grand Atla«.
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* EXPLORATEURS ET VOYAGEURS 237
M. Félix DuboiSy l'auteur de Tombouctou la Mystérieuse, est débarqué
à Marseille, dans le milieu de mars, revenant d'un 2** voyage au Sou-
dan français. M. Dubois a traversé de part en part la boucle du Niger
du haut Niger à Say, puis est descendu au Dahomey, où il s'est embar-
qué après avoir visité le Mossi et le Gourma.
L'explorateur allemand de CafTtap, qui fut le second du D^ Gruner
dans Texpédition que conduisit celui-ci du Togo à Say et aux bords du
Niger, vient de traverser Thinterland du Kameroun jusqu'à la Sangha et
de revenir en descendant le Congo. Le capitaine de Carnap-Quernheimb
quitta dans le milieu de septembre 1897 la station delaunde, dans lehautde
lacolonie allemande, dans le but de reconnaître la région situéeài'est du
Kameroun, près du confluent du Goko et de la Sangha. La caravane
était composée de 200 soldais et porteurs commandés par un sous-
ofiBcier blanc. La région qu'il s'agissait de traverser était complètement
ioconnue. L'expédition franchit sans grande difficulté la ligne de par-
tage des eaux du bassin de l'Atlantique et du Congo et parvint à des
altitudes où les membres de la caravane eurent vivement à souffrir du
froid; 2 porteurs succombèrent même par suite de la basse température.
Franchissant des régions où jamais blanc n'avait été vu des populations,
M. de Camap fut arrêté dans sa marche par les habitants, comme
l'avait été précédemment le 1' Tappenbeck. Ne voulant pas se frayer un
passage par la force afin de ne pas s'aliéner les populations pour l'avenir,
ctnepouvant arriver à convaincre celles-ci de ses bonnes intentions,
H. de Carnap fit un détour dans la direction du nord, et, sans avoir eu
à tirer uu coup de fusil, arriva assez facilement à Koundé (6^ lat. N. et
14<» 40' long. E.
Se trouvant alors en territoire français, M. de Carnap écrivit à
M. Biom, commissaire français dans la Sangha, pour lui faire part de
son arrivée et lui demander la permission de traverser avec sa troupe
le territoire français. Sur son autorisation, M. de Carnap se rendit àTen-
dira-Camot pour rendre visite à M. Blom ; il congédia alors son escorte
qui retourna à laundé avec son adjoint, puis continuant sa route le long
de la Sangha, il arriva le 24 décembre à la factorerie établie à Ouesso par
la S*^ belge du Haut-Congo où il séjourna 23 jours en attendant l'arrivée
d'un vapeur pour le conduire au Stanley-Pool. Le 17 janvier, il s'em-
barquait sur un steamer hollandais à destination de Brazzaville et de
LéopoldviUe. Le 8 février, il prenait le train à la station de Kimuenza
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238 RKVUE FRANÇAISE
pour Matadi, où il arrivait le 11. De là, il s'embarquait pour retouroer
au KamerouD et arrivait le 22 février au chef- lieu de la colonie
allemande.
M. Perdrizet, agent français dans la haute Sangha, vient d'explorer
une région inconnue au nord de cette rivière. Parti de Tendira-Camot,
il s'est dirigé vers le nord, suivant un itinéraire à peu près semblable
à celui de M. Clozel, et est arrivé à la rivière Ouom découverte par cet
explorateur. Il en a suivi le cours sur une certaine distance, en aval du
point atteint par M. Clozel.
M. de Béhagle (XXII, 672) â quitté Brazzaville le 8 janvier, pour
continuer sa ma.che vers le lac Tchad. Bien secondé par son collabo-
rateur M. Toussaint Mercuri, il a pu, non sans peine, réunir ses mar-
chandises et ses porteurs. Son second, M. Bonnel de Mézières, qui était
revenu en France pour chercher du renfort à la mission, doit s'em-
barquer prochainement pour retrouver son chef, avec 4 Européens et
une escorte de 25 noirs. Il espère rejoindre M. de Béhagle à la station
de Bangui, située au coude formé pur TOubangui.
Un membre de la mission Gentil (XXII, 608) M. Pierre Prins, a donné
dans une lettre datée du 24 août 1897, des nouvelles de l'expédition qui
poursuivait sa marche avec un plein succès dans la direction du Tchad.
M. Prins, qui était resté sur le Gribingui, se dirigeait alors surEl-Kouti
(Dar-Rouna), qui figure sur les cartes par 8** lat. N. et 18** long. E. C'est
dans ces parages que fut tué Crampel et que s'avança Dybowski, pour
retrouver les traces de la mission de son prédécesseur.
Le comte Ernest Hoyos vient de rentrer à Vienne, de retour de son
3e voyage en Afrique. En 1896, il avait déjà parcouru l'Etat d'Orange
et le Transvaal pour revenir par Delagoa. Dans son récent voyage, le
comte Hoyos, qui avait pour compagiion son cousin, le comte Geza
Szechenyi, se rendit du Cap à Kimberley, puis à Boulouwayo, avant de
s'enfoncer dans l'intérieur du pays des Matabélés. Les voyageurs entre-
prirent alors une expédition de chasse qui dura deux mois. De retour à
Boulouwayo, ils se rendirent ensuite par Charter, Fort-Salisbury et
Oumtalo, dans le Mozambique, arrivant à l'océan Indien par le chemin
de fer de Beïra. De là, ils rentrèrent en Europe, en visitant les princi-
paux points de la côte orientale d'Afrique.
On annonce le prochain départ d'une expédition transafricaine,
dirigée par le major Gibbons^ avec 7 autres Européens, et qui traversera
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EXPLORATCURS ET VOYAGEURS 239
le continent noir de Capetown à Alexandrie. Cette expédition est
entreprise sous les auspices de la Société de géographie et du gouver-
nement britanniques. Elle emportera avec die des chaloupes et des
chalands en aluminium démontables, chaque secUon pesant 120 livres
anglaises. Une des chaloupes a 40 pieds de long et aura double
machine, ce qui permettra, à l'occasion, d'en faire 2 chaloupes à
vapeur de 30 pieds diacune. De cette manière, l'expédition pourra,
toutes les fois qu'elle le jugera nécessaire, se dédoubler en deux
expéditions distinctes. J^es explorateurs sont armés de fusils Mauser
et emporteront 5.000 cartouches.
L'expédition s'écartera de sa route naturelle pour découvrir les
sources du Congo, après quoi elle arrivera dans l'Ouganda probable-
ment au mois de juillet 1899. Si la puissance des Derviches est détruite
à cette époque, les bateaux en aluminium laissés sur le Niger et
taisant 70 milles par jour atteindront le Caire. Si, par hasard, la route
lui était barrée par les Derviches l'expédition se replierait et marcherait
vers la côte occidentale d'Afrique, en suivant le Congo. Le major
Gibbons estime que son expédition du Cap au Caire durera 18 mois.
Le cspiisâne Roberto Ivens est décédé à Lisbonne, le 29 janvier, à
l'âge de 48 ans. Il avait effectué, en 1884-85, avec Brito Capello, une
traversée africaine de Mossamedès, dans l'Angola, à Quilimane au
Mozambique, pour laquelle la S^ de géographie de Paris lui avait
décerné sa grande médaille d'or.
M. Edouard Foa a entretenu la Société de Géographie de son dernier
voyage en Afrique, où il vient de passer 38 mois, d'août 1894 à no-
vembre 1897. Chargé d'une mission scientifique, il débarquait au Mo-
zambique dans le but d'explorer la région comprise entre le Zambèze
et le lac Nyassa et de s'y livrer à la grande chasse des fauves, fort abon-
dants dans ces parages. M. Foà avait pour compagnons MM. Edmond
de Borely et Camille Bertrand. Le 1" l'accompagna jusqu'au Nyassa,
le 2^ jusqu'au Tanganyka. La caravane comprenait 380 hommes, dont
25 armés. M. Foa remonta le Zambèze, jusqu'à l'Aroangoa, son affluent
de gauche dans la Rhodésia. Il resta plus d'un an dans la région qui
s'étend du Zambèze au lac Bangouéolo et y fit de nombreux levés d'iti-
néraires. C'est là qu'il recueillit ses plus précieuses collections d'his-
toire naturelle.
Remontant au nord, au Nyassa et au Tanganyka, M. Foa reconnut
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240 REVUE FRANÇAISE
les rivières Tchozi et Tchambézi, qui se jettent dans le lac BaDgouéolo
et sont, d'après lui, les véritables sources du Congo. Empêché par Télat
de guerre des tribus de gagner le Kassaï, il revint vers le Tanganyka,
mais ne put davantage se diriger vers le haut Quelle par suite de la
révolte des Batélélas contre la colonne belge Dhanis. Il gagna alors le
fleuve Congo par la voie la plus directe et arriva à Nyangoué 30 mois
après son départ de la côte. De là il descendit en pirogue jusqu'à la
Nouvelle Anvers, en vapeur jusqu'au Stanley Pool et, par le chemin de
1er, arriva à l'embouchure du Congo, où il s'embarqua pour rentrer en
France.
M. GuUllaume Grandidiery fils de Texplorateur dont le nom est insé-
parable de celui de découvertes géographiques à Madagascar, vient i\c
s'embarquer pour cette île, afin de s'y livrer à des travaux d'études
géographiques.
Lord Delamere (XXII, 490), attendu à la côte orientale d'Afrique,
s'achemine vers Lugh, ayant franchi la Djouba, près du lac Rodolphe.
L'arrêt de l'expédition Macdonald est la cause de ce revirement d'itiné-
raire. Son compagnon, le D"" Alkinsa, s'est rendu à Zanzibar pour y
prendre 12 mois de provisions. Lord Delamere, qui accomplit sa
5® exploration, a bâti, à Hai'rgueRsa, à cinq étapes de Barbara, sur la
route du Harrar, une maison qui est la première construction euro-
péenne au pays somali.
AMÉRIQUE
Le major Or ton Kerbey vient d'accomplir un voyage des souixîcs de
l'Amazone à Tembouchure de ce fleuve. Parti de Cuzco, en vue de
rechercher des territoires encore inconnus et propres à l'exploitation de
la gomme élastique et du caoutchouc, M. Kerbey parvint, en suivant
rUrubamba et l'Ucayali, jusqu'au!^ confluent de cette rivière avec le
Maraûon. Il pense être le premier blanc ayant exécuté ce trajet, en
suivant le cours des rivières et sans l'assistance des Indiens. Aux
rapides de Pongo de Mainiké, il perdit ses canots et ses bagages, mais
parvint, malgré de nombreuses difficultés, à continuer son voyage
jusqu'au Para. Il estime que la véritable branche mère de l'Amazone
est l'Ucayali, et non le Maranon. Quant à la source de l'Urubamba, elle
serait de 1.000 milles plus éloignée de celle du confluent que celle du
Maranon lui-même. M. Kerbey a découveil une région éminemment
propre à la cultnre du caoutchouc.
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^^7fr^ ^
NOUVELLES GEOGRAPHIQUES ET COLONIALES
AFRIQUE
Algérie : Pmu^rtf du gouverneur général, — VOfficiel du 6 mars 1898 a
publié deux décrets du 23 février relatifs aux pouvoirs du gouverneur géné-
ral. L'un dispose que le gouverneur aura, en matière de police, les mêmes
attributions que le ministre de 1 intérieur en France et nommera les com-
missaires de police. L'autre place sous son autorité les préfets, sous-préfets,
secrétaires généraux et conseillers de préfecture. Le gouverneur accordera
désormais les congés. Les promotions de classe auront lieu d'après son
rapport.
Tn autre décret du 16 mars {Officiel du 23) donne au gouverneur général
la haute main sur le service des postes et télégraphes.
Ces décrets seront bien accueillis et donnei'ont au gouverneur général un
peu de l'autorité qui lui manquait.
Algérie et Tunisie : Naturalisations. — Le nombre des naturalisations
en Algérie s>st élevé, en 1897, à 1.607, en augmentation de 276 sur 1896.
Oo chififre comprend 701 militaires et 906 civils (632 hommes et 274 fem-
mes). Parmi les 632 hommes, 141 étaient mariés à des Françaises, 275 à des
étrangères ; 199 étaient nés en Algérie. Au point de vue professionnel, 453
appartenaient à l'agriculture au commerce et à l'industrie, 134 à la pèche
maritime. Les enfants des naturalisés civils sont au nombre de 804, parmi
lesquels 45, majeurs, étaient déjà Français. La nationalité des 632 hommes
civils se décompose ainsi : Italiens 258 ; Espagnols 205 ; indigènes algériens
75 ; Maltais 47 ; Marocains 12 ; Alsaciens- Lorrains 9 ; Suisses 9 ; Allemands
7 ; divers 10. Quant aux 701 naturalisés militaires, on compte parmi eux
330 Alsaciens-Lorrains, 121 Allemands, 99 Belges, 66 Suisses, 29 Italiens, 16
Autrichiens, 8 Espagnols, 7 Russes, 6 Luxembourgeois, 2 Hongrois et 17 de
nationalités diverses.
En Tunisie, le nombre des naturalisations s'est élevé en 1897 â 28. 11
était de 29 en 1896. Le classement par nationalité donne: 14 Italiens, 6 indi-
gènes tunisiens, 3 Maltais, 2 Suisses, 1 Espagnol, 1 Russe et 1 individu de
nationalité inconnue.
. CSolonies: Naturalisations» — Les naturalisations accordées aux autres
colonies ou protectorats ont été de 62 au lieu de 414 en 1896.
La Cocfainchine a fourni 20 naturalisations accordées à un même nombre
d'indigènes.
A la Guadeloupe et à la Martinique il n'y a eu aucune naturalisation.
A la Réunion, 3 naturalisations ont été accordées,
A la Nouvelle-Calédonie, 2 Anglais ont obtenu la naturalisation.
A Tahiti, 1 Allemand et 1 Danois ont obtenu le bénéfice des nouvelles
dispositions du décret du 7 février 1897.
xxui (Avril 98). N* 232. 16
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242 REVUE FRANÇAISE
En Annam et au Tonkin il y a eu 35 naturalisations au lieu de 63 en
i896, 42 en 1895, 35 en 1894. Parmi les 35 naturalisés on compte 23 iDdi-
gènes, 1 Suisse et 1 Espagnol.
Ajoutons, qu'en France, le chifihre des naturalisations s*est abaissé à 3.2ri2,
en diminution de 330 sur 1896. C'est le chiffre le plus bas depuis la loi du
26 juin 1889 qui ayait amené une notable augmentation dans le nombre des
naturalisations, [.es naturalisés les plus nombreux sont: les Italiens 831,
(34 0/0) ; les Alsaciens-Lorrains 515, (21 0/0) ; les Belges 500, (20 1/2 0/0) ;
les AUemands 153, (6 0/0).
Soudan français : Touareg. ~ Plusieurs rezzous ont été opérés depuis
quelque temps par les Touareg d'Arinda, dont les terrains de parcours sont
situés sur la rive droite du Niger, à une centaine de kilomètres de Tombouc-
tou. Le commandant de la région fit former une colonne qui atteignit le
campement des Touareg à Goursgai et livra bataille. 50 Touart^ furent tués.
Nous n*avons eu ni tué ni blessé parmi les nôtres. La colonne est rentrée à
Tombouctou, dit le Temps, à la fin de novembre, amenant avec elle une
députation des vaincus qui sollicitaient Taman et venaient en discuter
les conditions avec le commandant (jodschœu- chargé de la région de Tom-
bouctou.
Peu après, on apprenait la mort du chef des Maures, Oulad Allouch, à
Bassikhounou. Ce chef négociait avec le commandant de la région du Nioro
la soumission complète de ses hommes et on devait créer un poste à Hain,
point extrême de notre pénétration vers le Nord. Mais Tanarchie a suivi dans
ce pays la mort du chef; les incursions et les pillages ont recommencé. H a
fallu rompre les n^ociations et, depuis, les postes français voisins de Oulad
Allouch se tiennent sur la défensive.
Vicariat apostolique, — Le R. P. Augustin Hacquard, des missions d'Alger,
a été nommé titulaii*e de vicariat apostolique du Sahara récemment créé.
Explorateur dans toute la force du terme, il avait fait partie de la mission
d'Attanoux chez les Touareg Azdjar et plus récemment de la mission Uourst
sur le Niger. Les Pères Blancs ont un établissement à Ségou et à Tombouctou.
Télégraphes. — Un bureau télégraphique et postal a été ouvert le 12 février
à Ouagadougou, au Mossi, pour le senice officiel et privé. Ce bureau est le
point terminus actuel, au Soudan, de la ligne télégraphique destinée à relier
le Sénégal et le Dahomey. Cette ligne, partant de Saint-Louis, passe ixir
Kayes, Segou-Sikoro, Sansono, Yako et Ouagadougou et doit rejoindre, à Fada-
N'Gourma, la ligne que le Dahomey établit de son côté par Camotville,
Kouande et Pâma. Il reste à relier Fada-N'Gourma à Pâma, d'une part, et
à Ouagadougou de Fautre.
Kong assiégé par Samory. — Les tentatives d'aiTangement avec Samorj'
n'ont pas réussi et la lutte vient de recommencer. Les intérêts en présence
étaient trop divergents pour qu'une entente pût intervenir. Un télégramme
du gouverneur général de l'Afrique occidentale informe que la garnison de
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_^.^aJ^
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 243
Kong, commandée par le lieutenant d'artillerie Demars-Méchet, a été assiégée
pendant quinze jours par plus de 2.000 sofas de Samory. Elle leur a opposé,
quoique les ouvrages de défense aient dû être improvisés, une résistance
héroïque sans subir de pertes sensibles : 3 indigènes ont été tués, 11 blessés.
Elle a été délivrée le^27 février par la colonne du commandant Caudrelier
qui, après plusieurs engagements victorieux où il n'a pas perdu un seul
homme, a réussi à dégager Kong et ses environs.
Guinée française : Pojjulations indigènes, -:- Le D*" Maclaud, de retour
de la Guinée fran«:aise, a exposé, à la Société de Géographie, les beaux résul-
tats de Tœuvre de son gouverneur M. Ballay. La colonie possède une route
carrossable qui bientôt atteindra le Niger, une ligne télégraphique de la côte
au Soudan qu'un chemin de fer suivra bientôt. Elle a un port accessible aux
grands navires et sa capitale, Konakry, salubre et bien bàlie, prospère tous
le^ joues.
La Guinée fran<;aise comprend 3 régions, d'après M. Maclaud. La zone côtière
est le pays fertile; on y trouve la Kola, les palmiers à huile, le riz; les plaines
sont basses, marécageuses et constituées par des bans d'alluvions oes grands
fleuves. La région des vallées est coupée par une multitude de cours d'eau.
EnÛn, le pays des hauts plateaux^ le Fouta-Djalon, a un climat tempéré et
salubre, excellent pour les Européens anémiés; les pâturages, malgré l'igno-
rance des indigènes, nourrissent tout le bétail utilisé en Afrique occidentale.
Près de la côte, vivent les Baga, chassés du haut pays par les inva«îions des
Soussou et des Foula ; cette famille comprend les Tymné, les Baga, les Baga-
foré, les Landouraan, les Yola et les Nalou. Les Tymné sont guerriers et clms-
sent encore les esclaves. Les Baga vivent de la mer et de leurs jardins de
kola. Les Bagaforé s'habillent, tandis que leurs femmes vont nues; ils pra-
tiquent encore dans les baies des cérémonies sanglantes. Les Landouman sont
voleurs et pratiquent le culte des morts.
Dans les vallées sont les Soussou musulmans, vivant de leurs cultures, au
milieu de leurs esclaves; ils sont doux et hospitaliers.
Les Foula habitent le Fouta-Djalon, ce sont des Peulh ; ils ont de nombreux
esclaves qui sont surtout des Bambara. Les Foula comprennent les Alfeïa et
les Souriaqui, tour à tour, donnent au pays son chef suprême; ils sont
fanatiques, menteurs et ont longtemps repoussé l'influence française. Depuis
plus d'un an, l'administrateur colonial Noirot a beaucoup développé l'agri*
culture du pays.
Développement de Konakry. — Le développement de la ix)pulation du port
de Konakry augmente rapidement, du fait surtout de l'immigration de la
colonie anglaise de Sierra-Leone. l-ln 1890, il y avait 200 habitants à Kona-
kry; on en compte 3.600 actuellement, par suite de l'extension du commerce
local. Le mouvement commercial qui était de 7.344.000 francs en 1890 s'est
élevé, en 1896, à 10.420.000 francs (4.633.000 francs à l'importation et
5.787.000 francs à l'exportation) et les résultats déjà acquis du premier se-'
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244 REVDE FRANÇAISE
mestre 1897 annoncent une augmentation de plus d'un million et demi. Le
commerce est donc dans un état satisfaisant et le trafic du caoutchouc, no-
tamment, se développe dans de fortes proportions. Les travaux de recon-
naissance en vue de créer une voie ferrée ont été repris par le capitaine Sa-
lasses. La route carrossable commencée il y a deux ans a aujourd'hui plus
de 60 kilomètres confortablement établis. Lorsqu'une voie ferrée aura été
créée vers le Niger ~ et il importe d'y procéder à bref délai en vue de sou-
tenir la concurrence que ne manquera pas de faire le chemin de fer en
construction de Sierra-Leone — la ville de Konakry deviendra certainement
l'entrepôt principal du Soudan français méridional et le point d'escale de la
plupart des paquebots desservant l'Afrique occidentale.
Anglais au Niger. — Bien que les négociations anglo-françaises suivent
une marche lente mais régulière, les Anglais ne cessent d'envoyer au Lagos
et au Niger, officiers, soldats, armes et munitions. Le colonel Lugard, nommé
commandant des forces britanniques dans ces parages, s'est embarqué ^ 5
mars à Liverpool pour rejoindre son poste. Le colonel Willcoks commandant
en second, l'accompagne. Le quartier général est fixé à Lokodja, au confluent
du Niger et de la Bénoué. Etant donnés le passé de Lugard dans l'Ouganda,
et les sentiments nettement hostiles à la France qu'il n'a cessé de mani-
fester, on doit considérer son départ comme un acte essentiellement anti-
amical du gouvernement britannique. Avec le oolonel Lugard un conflit est
toujours à craindre dans une région où les postes anglais et français sont
quelque peu enchevêtrés.
Etat du Congo : Achèvement du chemin de fer, — Les Belges viennent
de mener à bonne fin l'œuvre grandiose du chemin de fer du bas Congo. On
annonce en effet que la i^ locomotive est arrivée le 12 mars à Dolo, sur le
Stanley Pool, au terminus de la ligne. C'est un résultat qui fait grand
honneur à ceux qui l'ont entrepris et dirigé, et qui ouvre de nouvelles
et brillantes perspectives d'avenir au développement commercial de l'Afrique
centrale.
C'est le 31 juillet 1889 que se constitua la C'*' de construction, qui, dt's le
début poussa les travaux avec activité. Le 21 mars 1891 un premier tronçon
était inauguré de Matadi à Ravin Léopold. Le 17 juin 1895, lexploitalion
arrivait à la Lufu (82 kil.); le 20 juillet 1896, elle atteignaitTumba (188 kiL)
et le 15 novemboe 1897 le kil. 340. L'inauguration officielle aura lieu en
juillet 1898, en grande solennité •
Oubangui : Ravitaillenient par le chemin de fer belge. — Lors de son
voyage fait au Stanley-Pool, avec le major Thys, M. de Lamothe, commissaire
général du Congo français s'est occupé de la question du ravitaillement du
haut Oubangui. Maintenant que le chemin de fer du Congo belge est terminé,
les officiers, fonctionnaires et agents français se rendront dans le haut Ouban-
gui par la voie ferrée qui les transportera en 2 jours de Matadi à Léopoldviile,
au lieu des 30 à 40 jours que nécessite la voie des caravanes, qui laissait
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 245
souvent même les agents incapables de continuer au-delà de Brazzaville.
M. Fouque a déjà conduit, par le chemin de fer belge, un premier convoi
destiné au haut Oubangui. Le chemin de fer sera très avantageux aussi pour
le transport des vins et liquides, qui souffraient beaucoup du transport à dos
d'hommes, transport qui était excessivement onéreux.
Bahr-el-Ghazal : Dem-Ziber. — M. Colmant, qui a exploré la région de
Dem-Ziber en décembre 1894, a communiqué au Mouvement géograpMqûe se&
notes sur ce pays en ruines, où flotte actuellement le drapeau français et où
flotta autrefois le pavillon égyptien, avant le soulèvement mahdiste.
Dem-Ziber, où M. Liotard a établi un poste en 1897, a i kilomètre de
côté et comprend 50 à 60 bâtiments, s'étalant au milieu des hautes herbes.
« Ces bâtiments sont fort élevés, dit M. Colmant, et semblent avoir eu des
toits en terrasse; le feu et la ruine en ont enlevé les traces. Les murailles,
d'une épaisseur 75 centimètres, en briques gris jaunâtre, non cuites, sauf
celles des corniches, pouvaient certainement résister à de rudes attaques.
On retrouve des poutres de 50 à 60 centimètres d'équarrissage et des
débris noircis de formidables fermes. Les briques ont 48 centimètres de
long, io de large et 4 d'épaisseur. Les murs, pour la plupart, sont
recouverts d'une légère couche de terre, mais la pluie a décollé ce plâtrage.
Toutes les grandes ouvertures sont bouchées à l'aide de briques entassées. »
On compte à Dem-Ziber 60 maisons à peu près intactes. Au milieu des
herbes en friche, il y a quelques borassus, des citronniers, des cactus, des
papayers. Dans un ruisseau fangeux, les éléphants prennent leurs ébats. Les
animaux de la région sont les merles, les pintades, les ramiers, les milans.
Miêsion Marchand, — (1) Les dernières nouvelles de la mission Marchand
sont favorables. En novembre 1897, la mission était au complet à Tambou-
rah, et les dernières charges étaient réunies en ce point. La marche vers le
Nil allait commencer. La moitié de la mission était échelonnée sur le Soueh
et on allait occuper Koutchouk-Ali, près du confluent de la Vaou et du Soueh,
qui devait servir de port d'embarquement. Les chalands et beats en fer
étaient déjà sur le Soueh et la canonnière Faidherbe était presque complète-
ment montée. Koutchouk-Ali avait été une des résidences de l'explorateur
Schweinfurth qui y avait créé de beaux jardins.
D'après le Mouvement géographique, la mission commandée par le U Fouc-
ques, ayant sous ses ordres plusieurs sous-ofliciers et une compagnie de
tirailleurs sénégalais a quitté le Stanley Pool à bord du steamer Antoinette,
de la maison hollandaise. Le 25 janvier dernier elle passait à Liranga, au
confluent de l'Oubangui et s'apprêtait à remonter cette rivière jusqu'aux
rapides de Zongo.
D'autre part le Daily Chronicle annonce, d'après un télégramme de Londres
29 mars, que le paquebot français Stamboul est arrivé le 25 fév. à Matadi
avec 150 tirailleurs sénégalais, 8 officiers, 4 sous-ofliciers et un prêtre. Ces
(1) Voir la carte du Balip cl Gliazal publiée dans la Bev. Fr. fév. 1898, p. 81.
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246 REVUE FRANÇAISE
forces ont pris le chemin de fer pour se rendre à Léopold ville puis à Brazza-
ville. Par cette voie elles ont abrégé leur marche de plus d'un mois. Ces
troupes sont destinées à servir de soutien aux missions Liotard et Marchand.
Le capitaine Roulet, arrivé le 6 mars à Libreville prendra le commande-
ment de ces troupes de relève.
Angola : Peste bovine. — La région du Cunône, la partie la plus méri-
dionale des possessions portugaises d'Angola, est actuellement ravagée par
une peste bovine épouvantable. Importée en Abyssiniepar un navire italien,
en 1893, cette redoutable épidémie a parcouru toute l'Afrique du nord au sud
et de Test à l'ouest. Au plateau de Huilla, où elle est arrivée récemment, écrit
aux Missions catholiques le P. Antunès, supérieur des Pères du Saint-Esprit
au Cunène, elle a détruit en un mois près de 12.000 bœufs. Le bétail cons-
tituant l'unique richesse du pays, il en est résulté un véritable désastre pour
les habitants. Les indigènes, qui n'ont souvent pas de cultures, qui tiraient
des bœufs toute leur nourriture et tous leurs vêtements, sont réduits à ia
famine. Déjà, il y a trois ans, la sécheresse, les sauterelles et les gelées
avaient produit la famine dans cette même région. La peste n'épargne guère
que 1 à 2 0/0 du bétail qu'elle attaque. Avant qu'on puisse élever de nou-
veaux troupeaux, il faudra de 15 à 20 années. On jugera des difficultés où se
trouvent les colons et les missions par suite de ce fléau, quand on saura que
tous les transports du littoral à Huilla (environ 300 kilomètres), se faisaient
par wagons traînés par des bœufs, et que le labourage et le fumage des
terres, deviennent impossibles faute de bétail.
Madagascar : Soumissions, — Le dernier et le plus important chef de
l'insurrection hova, Rabozaka, qui, depuis longtemps, était obligé de se
cacher dans la forêt impénétrable, a fait sa soumission, le 20 février, au
c^ Pourrai, du cercle d'Anjozorobé. Après la campagne de 1895, où il montra
une réelle énergie, il se jeta dans les forêts du nord, entraînant avec lui une
partie des troupes hovas. Il joua ensuite le principal rôle dans la rébellion
du nord-est de l'Imérina. Battu et traqué par le colonel Combes, il parvint
longtemps à dépister toutes les poursuites. Sur le point d'être cerné par le
l'-colonel Gouttenègre, commandant le 1^"^ territoire, il s'est rendu avec pro-
messe d'avoir la vie sauve. Ses derniers partisans avaient livré quelques
jours avant 3 canons de campagne enfouis dans la forêt, l'étole et la chasuble
du P. Berthieu assassiné par les rebelles en 1896.
Pénétration dans le Sud, — Le capitaine Flayelle, commandant les troupes
de la région de Tullear, poursuit de plus en plus l'élargissement du cercle
d'occupation. Le poste d'Ankolofotsy, créé sur la rive droite de l'Onilahy, a
été ravitaillé, le 23 décembre, par un convoi de 37 pirogues, escorté par un
détachement de légionnaires. Le poste de Vorondreo, sur les rives de la
Fierenana, a été renforcé en prévision d'un retour offensif du roi sakalave
Tompomanana, qui a établi son campement dans les environs d'Andemba.
Dans la province de Fort Dauphin, la pénétration se poursuit méthodique-
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NOUVELLES GÉOGRAPfflQUES ET COLONIALES 247
ment, mais la résistanée des Antandroys ne permet d'avancer que lentement.
Chaque pas avant est accompagné d'engagements parfois très vifs. Cette
région de Madagascar est celle qui renferme le& tribus les plus guerrières et
les plus sauvages de Vue,
— Le colonel Combes, rentrant en France, a débarqué à Marseille le
16 mars, ainsi que le capitaine de vaisseau Le Dô, qui a remis, le 13 février,
au c' Huguet, le commandement de la division navale de la mer des Indes.
Dépen$e$ militaires. — L'exercice budgétaire 1897 porte ouverture de
17.200.000 francs de crédits supplémentaires pour dépenses militaires à
Madagascar. Ces dépenses avaient tout d'abord été prévues pour 9850000
francs, mais l'insurrection a nécessité des efforts imprévus qui ont presque
triplé le chiffre primitif. Sauf dans quelques points de la côle: Diégo-Suarez,
Vohémar, Sainte-Marie, Vatomandry, Mahanoro, Mananjary, ou dans nos
postes armés de l'intérieur : Fianarantsoa, Ambositra, Bétafo, Babay, Anlta-
zobé, Ambatondrazaka, il y avait partout des troubles, en juillet 1806, date
de l'arrivée du général Gallieni.
Le !«'" janvier 1897, notre zone de pénétration formait un quadrilatère
s'étendant sur la côte est de Tamatave à Mahanoro, au sud de Mahanoro à
Analaidirano, à Touest de Analaidirano à Suberbieville, en côtoyant Tlkopa, et
s'avançant, au nord, jusqu'au lac Alaotra. Le nord était soumis à notre
domination, de même que le sud (Mananjary, Fianarantsoa et Farafangana).
De nouveaux territoires militaires furent alors créés et, en juillet 1897, le
général Gallieni put réduire l'effectif européen pour le remplacer par des
tirailleurs malgaches. Mais ces réductions n'ont pas été ce qu'on aurait
désiré et, à la fin de 1897, le corps d'occupation, prévu pour 5.940 hommes,
en comprenait encore 13.720, Européens ou indigènes.
D'autres frais ont été occasionnés par des mesures sanitaires, la mise en
état des voitures Lefebvre, l'achat de fusils et munitions, le remplacement
des mulets épuisés par la campagne de 1895 et presque entièrement détruits
par les maladies et notamment la morve. 1.359 mulets et 30 juments ont
été acquis depuis le !«'' janvier 1897.
Colonisation militaire. — Dans le but d'encourager les- militaires libérés à
s'établir à Madagascar, pour y créer une exploitation agricole, le général
Gallieni a publié une circulaire insérée à VOfficiel de la colonie du 3 février
1898, dans laquelle il est dit que la colonie met gratuitement à la disposition
de tout Français une concession de 100 hectares. Pour ceux qui possèdent un
petit capital leur permettant de faire face aux premières dépenses d'instal-
lation, cette concession pourra être le point de départ d'une exploitation
avantageuse. En outre, afin d'engager davantage les militaires à se fixer dans
l'île, le général Gallieni a obtenu que le délai de rapatriement gratuit, qui
n'était que d'un an à partir de la libération sur place, fût porté à 2 ans.
Ouganda : Indemnité aux Pères Blancs. — Le gouvernement britannique
s'est enfin décidé à procéder au règlement de l'indemnité due aux Pères
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248 REVUE FRANÇAISE
Blancs pour les pertes qu'ils onl subies dans les ti-oublcs de l'Ouganda, où le
capitaine Lugard conquit une triste célébrité en janvier 1892, — il y six ans!
Interrogé par sir Ch. Dilke, M. Curzon a expliqué qu'aux demandes de la
France le gouvernement anglais avait répondu qu'une indemnité était réelle-
ment due et que, si cette indemnité n'était pas payée par la C'* de l'Est afri-
cain, le gouvernement la payerait :
« En 1894, en effet, lord Rosebery déclara que le gouvernement indemni-
serait les missionnaires fran(,*ais simplement pour faire acte d'amitié et de
courtoisie envers la France. La question du montant de l'indemnité fut alors
soulevée, et, quelque temps après, les négociations fui*ent commencées en vue
du règlement général de tous les litiges entre la France et l'Angleterre en
Afrique. C'est au cours de ces négociations que lord Kimberley, ministre
libéral des affaires étrangères, proposa de payer 10.000 livres sterling. Le
gouvernement actuel croit donc qu'il est de son devoir d'accorder cette somme
aux missionnaires français. x>
Sur ces déclarations, la Chambre a voté (3 mars) malgré l'opposition do
quelques radicaux, le crédit de 250.000 francs d'indemnité aux Pères Blancs.
R^te encore à régler l'indemnité réclamée par la mission Mizon.
Abyssinie : Monnaies. — L'Abyssinie n'a eu longtemps comme monnaie
courante que le thaler levantin, à l'effigie de Marie-Thérèse d'Autriche, le-
quel a continué à être frappé à Vienne et à Rremnitz, au millésime de 1780.
Comme sous-multiple, les Abyssins ont employé le lingot de sel (amulet) et
la poignée de blé. M. Crispi avait essayé d'introduire en 1890 le talaro eritreo
italien ; le négus n'en a pas voulu et vient de créer un talari à son eflSgie,
avec le concours d'un Français, M. Léon Chefneux. La Monnaie de Paris a
été désignée pour frapper ces nouvelles pièces blanches et leurs subdivisions
en argent ou en cuivre. L'empereur Ménélik a même adopté le système déci-
mal . Le talari éthiopien, porte d'un côté le buste et le profil du négus, avec
la tiare; au rêvera est le lion de Juda. Sur la tranche est inscrite la devise: •
L'Ethiopie ne tend la main qu'à Dieu .
ASIE
Siam : Expulsion. — On annonce de Bangkok que le gouvernement sia-
mois a expulsé M. Lillie, directeur du Siam Free Press , et on ajoute que le
minisitre d'Angleterre à Bangkok aurait reçu l'ordre de ne point s'opposer
à l'exécution de cette mesure. On a lieu de s'étonner tout d'abord de l'impas-
sibilité de l'Angleterre dans cette affaire, mais on la comprendra mieux
quand on saura que M. Lillie, bien que sujet anglais, prenait surtout, dans
son journal, la défense des intérêts français au Siam. De plus, M. Lillie était
irlandais et c'est ce qui explique ses sympathies à notre égard. Mais étant
donnée la situation particulière du directeur du Siam Free Press, il y aura
lieu de s'étonner de ce que la France ait laissé passer sans protester ce nou-
vel acte de provocation du gouvernement siamois. Nos protégés sont toujours
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 249
l'objet de persécutions de la part des mandarins et Ton se demande pour
quel lîïotif inexplicable le gouvernement frauijais ne sait pas parler haut et
ferme à Bangkok et exiger des Siamois les satisfactions qui lui sont dues.
Un tel abandon de tous nos droits ne peut avoir que le plus déplorable effet
pour le prestige du nom français en Indo-Chine.
Cambodge : Accaparements chinois, — On a vu récemment toutes les
rizeries de Cochinchine tomber entre les mains chinoises. Une autre indus-
trie, créée par des Français au Cambodge, vient de subir un sort identique.
Il s'agit des usines à égrener le coton, que MM. Praire et C'« avaient fondé à
Ksach-Kandal, en y adjoignant une huilerie pour la distillation de la graine.
La production du coton qui n'était que de 25.000 piculs en 1890, était par
suite montée à 120.000 en 1895.
En 1896, les droits d'entrée sur les cotons au Japon ayant été supprimés,
'administration décida d'augmenter la taxe de sortie sur ce produit au Cam-
bodge, afin d'empêcher les Japonais d'accaparer le coton du pays. Mais le
Conseil d'Etat, que la loi oblige de consulter dans ce cas, ayant refusé de
sanctionner la taxe, la vente des usines de Ksach-Kandal dut être effectuée.
Ce sont des Chinois qui sont devenus acquéreurs et qui pourront se tirer
d'affaire grâce à leur sobriété, leur endurance et à leur peu d'exigences dans
la vie matérieUe.
Il semble qu'il y a là un nouveau fait qui doive appeler sérieusement
l'attention des pouvoirs publics, car il est vraiment bien inutile que des
Français mettent en œuvre des capitaux importants pour fonder des indus-
tries dans leurs colonies, pour arriver à voir des étrangers se substituer à
eux, uniquement par ce que la métropole n'encourage pas les efforts de ses
nationaux.
Chine : Cession de Kiao Tchéou à l'Allemagne, — Les négociations enta-
mées entre la Chine et l'Allemagne à la suite de l'occupation par cette puis-
sance, de la baie de Kiao Tchéou, ont abouti à une convention signée à Pékin
le 6 mars. En vertu de cette convention, la Chine cède à bail à l'Allemagne la
baie de Kiao Tchéou avec une bande de territoire environnant. Elle lui ac-
corde, en outre des concessions de chemin de fer ou de mines et le droit de
préférence pour les travaux publics à entreprendre dans la province de
Chang-Tong. En vertu des stipulations du traité, les troupes allemandes ont
reçu ordre d'évacuer les villes de Kiao-Tchéou et de Tsimo, qui sont situées
dans la zone neutre, en dehors du territoire affermé à l'Allemagne.
Cession de Port-Arthur à la Russie, — Les demandes de la Russie à la Chine
ont été acceptées par celle-ci après de rapides négociations. Le Messager offi-
ciel de Saint-Pétersbourg publie, à ce sujet, le communiqué suivant :
« Les représentants de la Russie et de la Chine, dûment autorisés à cet
effet, ont signé à Pékin, à la date du 15/27 mars courant, un arrangement
spécial en vertu duquel Port- Arthur et Talien-Wan, avec les territoires y
attenant et les eaux territoriales qui en dépendent, ont été cédés en usufruit
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?50 REVUE FRANÇAISE
au gouvernement impérial pour un terme de*25 ans, lequel pourra éive pro-
longé ensuite d'un commun accord. De plus, la Chine a conçue à la Russie
le droit de construire une ligne de chemin de fer destinée à relier ces ports
à la grande ligne transsibérienne.
Cet arrangement est une conséquence directe et naturelle des relations
amicales qui existent entre les deux vastes États voisins, dont tous les efforts
doivent tendre à maintenir la tranquillité sur toute l'immense étendue de
leurs possessions limitrophes, pour le bien de leurs peuples.
L'ouverture du port de Talien-Wan aux bâtiments de commerce de toutes
les nations étrangères créera en Extrême-Orient, pour le commerce et l'in-
dustrie, un nouveau marché très étendu grâce à la grande ligne transsibé-
rienne, appelée désormais, par suite de l'accord conclu entre la Russie et la
Chine, à relier les points extrêmes de deux continents du vieux monde.
L'arrangement signé à Pékin a donc pour la Russie une haute valeur histo-
rique et doit être accueilli comme un heureux événement par tous ceux aux-
quels tiennent à cœur les bienfaits de la paix et le développement des bonnes
relations entre les peuples. »
Chemins de fer de Mandchourie, — Les gouvernements russe et chinois ont
conclu un accord en vertu duquel le chemin de fer de l'Est chinois sera relié
aux chemins de fer russes par deux lignes de jonction, l'une de 440 kil.,
aboutissant à la station d'Onou, près du Transbaïkal, et l'autre de 95 kil.,
aboutissant à Nikolskoé, sur la ligne de l'Oussouri.
Par suite de la cession de Port-Arthur, un nouvel embranchement se dé-
tachera de la ligne de Mandchourie près de Redonné (Tsin-Tcheng), pour
aboutir à Port-Arthur.
Corée. — Revirement de la politique russe. — La Russie vient de faire,
d'elle-même en Corée certaines concessions au Japon, dans le but apparent
de prévenir une opposition de ce dernier à l'installation de la Russie à Porl-
Arthur. Elle a rappelé son conseiller financier et ses instructeurs militaires.
Voici en quels termes le Messager officiel de St-Pétersbourg, annonce ce
rappel qui n'est probablement que temporaire.
« Dans les derniers temps, des nouvelles sont arrivées de Séoul montrant
qu'une fermentation politique se produisait tant parmi le gouvernement que
le peuple coréen. Il s'est formé entre les hommes d'Etat de ce pays un parti
qui est animé d'hostilité contre les étrangers en général, et déclare que la
Corée est déjà entrée dans la voie de l'indépendance, et que son gouverne-
ment n'a plus besoin d'étrangers dans l'administration intérieure du pays.
Ces circonstances ont entièrement rendu difficile l'activité des instructeurs
mihtaires et des conseillers financiers envoyés à Séoul sur la prière instante
de l'empereur Li de Corée et de son gouvernement. Ces fonctionnaires se
heurtaient tous à des obstacles dans l'accomplissement régulier et conscien-
cieux dos devoirs qui leur incombaient. Un pareil état de choses ne pourrait
pas répondre aux bonnes intentions de la Russie. Aussi notre représentant
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^'vm^mam^'T^!'
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 254
à Séoul a reçu l'ordre de demander à l'empereur et à son gouvernement :
Considérez- vous comme nécessaires notre secours, la protection du Palais,
les instructeurs militaires et le conseiller de l'administration financière ?
A cette demande il a été répondu au chargé d'affaires de Russie à Séoul
que le gouvernement coréen, tout en exprimant à 1 empereur de Russie ses
remercîments profonds à propos des secours acordés, à temps, à la Corée,
trouve que le pays pourrait maintenant se tirer d'affaire sans aucun appui
dans les affaires politiques et financières.
En présence de ces nouvelles, le gouvernement impérial a chargé son re-
présentant à Séoul de déclarer à.l'empereur de Corée et à ses ministres que,
si de leur avis, la Corée n'a plus besoin en ce moment, d'un secours étran-
ger, et se trouve en état par sa propre force, de maintenir son indépendance
dans son administration intérieure, la Russie n'hésitera pas d'ordonner le
rappel du conseiller financier russe. Quant à ce qui concerne les militaires
russes, ceux-ci en présence de la situation incertatne de l'état de choses en
Corée, resteront, après leur sortie de l'armée coréenne, à la disposition de
la mission russe. »
AMÊRIQOE
Canada : Exode aux mines d'or du Klondyke. — Malgré la rigueur du cli-
mat et les immenses difficultés d'accès, la région aurifère du Klondyke, sur
le territoire canadien, est sans cesse le point de mire d'une foule de mineurs,
principalement américains. 6.000 individus, conduisant 3.200 chevaux char-
gés de provisions, ont tenté, l'automne dernier, de traverser les montagnes
au-delà de Juneau. 200 à peine ont pu franchir la passe Blanche et 700 la
passe de Chilkoot ; ils otit dû camper tout l'hiver près du lac Bennett, à 75
jours de Klondyke. Des 3.200 chevaux, 200 seulement restaient en octobre,
et les sentiers étaient jonchés de cadavres et de tombes. De nombreux aven-
turiers avaient préféré retourner en arrière. A Dawson-City, un grand nom-
bre de mineurs sont dans un dénument absolu. Malgré cela, on se précipite
avec une véritable furia sur la région nouvelle. On signale aussi de l'or à
Fort-Selkirk, à 280 kilomètres à Test de Dawson-City ; on en a trouvé aussi
sur les bords du Mackenzie.
Dans l'Alaska, en territoire américain, M. Fritz Behnson aurait, dans les
crevasses d'un rocher, ramassé 250.000 francs d'or en un jour, sur les bords
du Youkon.
On s'occupe activement de venir au secours des malheureux mineurs, en-
fermés presque sans vivres, dans les glaces aurifères. Un détachement d'in-
fanterie, emportant 200 tonnes de vivres, a quitté Portland, dans l'État amé-
ricain d'Or^on, en février, pour se rendre au Klondyke. Le gouvernement
canadien a défendu aux Américains de fidre pénétrer des troupes sur son
territoire, dont la frontière d'ailleurs est indécise en plus d'un point. Mais
l'entente se fera entre les deux gouvernements.
De divers côtés d'ailleurs,, des expéditions de secours s'orçanisent pour le
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252 REVUE FRANÇAISE
Klondyke. Un Anglais. M. Lewis, aurait engagé dans ce but six Lapons et
acheté 114 rennes. A Winnipc^, on a signalé l'arrivée de 3 wagons conlenaol
chacun 115 chiens de Terre-Neuve, qui vont être dirigés vers le Klondyke.
Chemin de fer au Klondyke. — D*autre part le gouvernement canadien a
soumis au parlement d'Ottawa, un projet de loi portant création d'un che-
min de fer d'environ 150 milles de longueur, allant de la rivière Slikeon au
lac Teslin. De ce point à Dawson, les communications auront lieu par les
voies fluviales. Les travaux, dit le Paris-Canada, doivent commencer un
mois après le vote du projet et être terminés en septembre. La Compagnie
s'engage à établir en six semaines une route par traîneau de Glenora au lac
Teslin. Elle doit aussi assurer les transports par bateau du lac Teslin à Daw-
son. Elle reçoit en retour comme subvention 25.000 acres de terre, par mille
de voie ferrée à construire. Mais les rivières et cours d'eau aboutissant au
Klondyke sont exceptés de la concession. Le coût total des travaux est
.estimé à 5 millions de dollars.
EUROPE ET DIVERS
Allemagne : Progrès de la marine marchande, — On se rendra compte de
l'immense développement de la marine marchande allemande si l'on considère
que, de 150 navires à vapeur avec 82000 tonnes et 4350 voiliers de 900000 t.
en 1871, cette marine est passée à 1 125 vapeurs avec 900000 t. et 2500 voi-
liers avec 600000 t. en 1897. Les vapeurs sont aujourd'hui 6 fois plus nom-
breux et le tonnage a décuplé. Un tonneau de vapeur valant environ 3 ton-
neaux de voilier, la capacité de transport de la marine marchande allemande
est donc de plus de 3 300 000 tonnes.
Depuis 1888, époque où Hambourg, Altona et Brome sont entrées dans
l'union douanière, ces villes ont constitué de vastes ports. Hambourg a volé
pour cela 378 milions de francs. Brome, Vegesack et Bremerhaven
143 640000 fr., Altona 11340 000 fr., Geestemund 20160000 fr., Dantzig
10080000 fr. et Stettin 35540000 fip.
Le mouvement dans les ports qui était en 1873 de 94 700 navires entrés et
déchargés avec 12300000 t., s'est élevé en 1895 à 133800 navires et
30500000 t. Le commerce étranger, qui était représenté en 1873 par
50650 navires entrés et déchargés, a été de 52700 navires en 1895, soit seu-
lement 4 0/0 d'augmentation, mais le tonnage est passé, pendant ces 22 ans,
de 10 400 000 à 24 millions de tonnes. Le mouvement entre les ports alle-
mands et les ports hors d'Europe est passé de 2 200 000 t. en 1873 à 7 mil-
lions de tonnes en 1895. On voit par ces chiffres les progrès accomplis par
la marine allemande, qui est aujourd'hui la 2^ du monde, et qui vise à
atteindre la marine anglaise.
Nouvelle ligne de navigation vers V Extrême-Orient. — La C'*' Hambourg-
Amsrika-Liaie a résolu d'établir un service sur la Chine et le .lapon. Les dé-
parts auront lieu de Hambourg les 25 de chaque mois pour Penang, Singa-
pore, Hong-Kong, Shanghaï, Yokohama et Hiogo. Les navires affectés à cette
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 253
ligne peuvent embarquer 8.000 tonnes et ont une Yi'cisc de 12 nœuds. Le
1"" départ a eu lieu le 25 janvier 1898.
La Hcmbourg-Amerika-Linie a confié aux chantiers Blohm et Vos, de Ham-
i)ourg, la construction de 3 grands paquebots, dont 2 destinés à la ligne
d'Exlréme-Orient; ils compteront 500 pieds de long, 02 de large et 40 de
profondeur. Ces commandes portent à 7 le nombre des paquebots transatlan-
tiques demandés par la C'*' allemande.
Il y avait déjà deux C'*' allemandes qui desservaient régulièrement la Chine
et Je Japon : le Nord-Deulsdier Lloyd, de Brème, et la King-sin-Linie, de Ilam-
boUrg. On n'ignoi^e pas que, malgré les intérêts que nous avons en Extrême-
Orient, une seule ligne française^ celle des Messageries Maritimes, dessert ces
Émigration. — L'émigration allemande a sans cesse décru depuis quel-
ques années. Alors qu'il y avait 115.392 émigrants allemands en 1891, il n y
en avait plus que 33.566 en 1894, 29.226 en 1895 et 25.771 en 189t).
Cette décroissance a pour cause principale les lois sévèi'es édictées aux
Étals-Unis contre les émigrants. Il en est résulté que les indigents, les illet-
trés et leurs familles ont été repoussés des ports américains ou même rete-
nus dans les ports allemands au moment où ils voulaient s'embarquer.
Avant 1894, 95 0/0 des émigi-ants allemands allaient aux États-Unis; il n'y
en a plus que 82 0/0 qui y ont été en 1896. Les autres directions des émi-
grants sont surtout le Brésil, le Canada, TAfrique et la République Argen-
tine. L'émigration allemande au Brésil et en Afrique australe (Transvaal,
etc.), augmente sans cesse. Les émigrants s'embarquent surtout à Hambourg
et à Brème.
Russie : Mine$ d'émeraudes. — On a annoncé la concession pour 24 ans
de mines d'émeraudes dans TOural, faisant partie des propriétés du cabinet
impérial. Ces mines célèbres ont une histoire assez curieuse. Elles forment
une enclave dans le territoire de Reft (Oural). D'après Pylaieff on y trouvait
déjà au XVII® et au xviii*^ siècle des émeraudes et des topazes, pierres prêt
cieuses avec un reflet lilas; elles fournissaient donc des pierres dès Tépoque
où Catherine la Grande fit venir des ouvriers florentins pour créer des ate-
Kers impériaux de taille de pierres fines et de pierres dures qui existent
encore à Ekaterinbourg. Mais olïiciellement on n'a commencé Texploitation
des mines d'émeraudes qu'en 1841.
C*est pendant un voyage que l'empereur Alexandre 1 lit, comme grand-duc
héritier, dans TOural et la bibérie que furent découverles les alexandrites,
ainsi nommées en son honneur. La légende raconte mémo que c'est un coup
de pic donné par l'illustre visiteur qui découvrit la première alexandrite.
L'exploitation se faisait par le gouvernement, la taille des pierres était exé-
cutée à Ekaterinbourg, et les émeraudes, aussi bien que les alexandrites,
talent portées au Trésor impérial à Saint-Pétersbourg, où on les employait à
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254 REVUE FRANÇAISE
la fabrication de joyaux dont une partie est restée au Trésor, tandis que ia
généralité a servi à faire des cadeaux impériaux.
On raconte que, se trouvant à Vienne, Nicolas I fut surpris d'apprendre
que des émeraudes qu*il avait remarquées chez un bijoutier provenaient de
ses mines de TOural, qui ne devaient jamais rien vendre au public. Le
détournement était manifeste et une enquête devait en être la suite. Mais un
incendie arriva fort à propos, détruisit les bâtiments, et les aménagements
des puits d'extraction qui se trobvèrent dès lors inondé. L'exploitation ne fut
jamais reprise par le gouvernement.
Les fraudes électorales aux colonies. — La Revue Française^ a eu
Toccasion de signaler les troubles électoraux qui ont eu lieu dernièrement
au Sénégal (t. XXIII p. 49). Disons à ce propos que les fraudes électorales
constatées dans les colonies françaises, sont très nombreuses et, dans le nom-
bre, il y en a de vraiment incroyables.
A la Réunion, entre autres, on a appris qu'un individu vient d'être con-
damné à huit mois de prison pour avoir, lors des dernières élections au
conseil général, voté sous le nom de l'évéque de S'-Denis. Aucun membre
du bureau n'avait songé à mettre en doute l'identité de cet élecleur.
Dans rinde française, ainsi que le fait remarquer la Quinzaine coloniale,
on a constaté que, dans certaines circonscriptions, on avait inscrit plus d'é-
lecteurs qu'il n'y avait d'adultes de plus de 14 ans î Ainsi, à Bahour, il n'y
a que 8.443 adultes et on a trouvé 9.643 électeurs inscrits ! Par des exem-
ples de cette nature on peut se demander de quelle autorité jouissent bien
des mandats coloniaux.
Société de géographie : Prix. — La Société a attribué les prii suivants : Grande
Médaille d or : D' Sven Uedin. — Grande médaille d'or : M. Edouard Foa. — Prix
Dewez, c' Jouan. — Prix H. Fournet : Pèi-es Roblci et Colin. — Prix Duveyrier : capi-
taine Salesses. — Pères L" Bourbonnaud : capitaine Passaga. Prix Barbie du Bocage :
M. Grenard. — Prix A. de Monthérot : M. Levât. — Prix W. Huber : M. Ch.
Durier. — Prix Grad : M. G. Saint-Yves. — Prix Jansen : capitaine Cayrad. —
Prix Jomard : M. C. Guy. — Prix F. Fournier : M. Delbecque.
Médaille ooloniale. — Par décret du 28 février , le droit à l'obtention de la
médaille coloniale est acquis aux militaires et marins qui ont pris part aux opérations
du haut Oubanjîui, du l"*" janvier au 31 décembre 1897. Cette distinction déjà awor-
dée les années précédentes pour TOubangiû, devait revenir naturellement aux
membres des missions Liotard etMai-chand.
BIBLIOGRAPHIE
La Bulgarie chrétienne, par M. le B^" A. d'Avril, ministre plénipo-
tentiaire (chez Challamel et chez E. Leroux). — Nos lecteurs connaissent la
compétence toute spéciale de M. d'Avril, collaborateur de la Revue Française,
dans les questions orientales. Il a publié au cours de sa carrière une séné
d'études très documentées sur les communautés religieuses des populations
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BIBLIOGRAPHIE 255
chrétiennes de rOrienl. Son nouvel ouvrage contient l'exposé des premières
églises bulgdres. Lors de la destruction par les Turcs des états serbe, bulgare
et grec, le choix de Conslantinople comme capitale de Tempire ottoman aug-
menta l'autorité du patriarche de Conslantinople. 11 fut reconnu par les Turcs
comme chef civil de tous les chrétiens de rite grec et ce .patriarche exerça de
fait une véritable suprématie sur les sièges plus anciens d'An tioche, d'Alexan-
drie et de Jérusalem. Les populations chrétiennes soumises aux Turcs jouis-
rent d'une grande autonomie en ce qui concerne la désignation des digni-
taires religieux, les mariages, les sacrements, l'enseignement et la perception
des contributions locales. La répartition des chrétiens en .groupes séparés
n'eut pour base ni la division géographique, ni la différence de langue ou de
race. Chaque chef religieux devint le chef civil de ses ouailles formant une
miletû Tous les orthodoxes furent placés sous la juridiction civile du patriar-
che orthodoxe de Conslantinople qui eut ainsi la suprématie sur les Bulgares,
englobés sous la désignation de Roumiy c'est-à-dire Grecs. L'auteur retrace
toute la série de conflits qui aboutirent en 1861 à la formation du groupe
des Bulgares unis à l'Église romaine et au schisme de l'Église bulgare qui
fut affranchie de la suprématie grecque par le firman de 1870 et définitive-
ment séparée par le concile ou plus exactement par le synode de 1872.
Cette étude montre une des faces de la question d'Orient, explique com-
ment dans la dernière guerre gréco-turque, les Bulgares eurent une attitude
plus bienveillante à l'égard des Grecs ; elle jette un jour sur les procédés
de la diplomatie russe oscillant entre les Grecs et les Bulgares.
La France ne peut se désintéresser complètement de ces questions, car nous
avons plusieurs points de contact avec les Bulgares unis par les Lazaristes
établis à Constanti.nople, Salonique et Monastir et les Augustins de l'Assomp-
tion à Philippopoli. Il faut signaler aussi les Résurreclionnistes polonais à
Andrinople. Les écoles fondées par ces religieux sont l'objet de la bienveil-
lance de l'Alliance française qui leur facilite la propagation de notre langue.
Atlas Larousse illustré. — La publication de ce bel atlas constitae une véri-
table ianovation dans la science géographique. 11 y a peu de temps encore, la géo-
graphie ne se présentait que sous un aspect sec et passablement rebutant. Depuis
quelques années, on s'efforce de la rendre plus aimable et,, sous ce rapport, TAtlas
Larousse réussit au delà de toute espérance. Les nombreuses photographies qu'il ren-
ferme sur les paysages et les monuments de la France en font à la fois nn ouvrage
d'étude et un ouvrage de récréation. Par son caractère artistique, il prend rang parmi
les ouvrages de luxe et a sa place marquée sur la table des salons.
Au point de vue cartographique, l'Atlas Larousse se distingue par la netteté de son
dessin et la facilité qu'il offre à la lei-ture. L'absence de surcharges de noms géogra-
phiques, la multiplicité des couleurs sont des plus appréciables pour l'examen des
cartes. Le texte qui accompagne n'est pas une nomenclature sèche et aride; il pré-
sente, au contraire, un réel intérêt, çrâce à ses aperçus extrêmement variés. Mais ce
qai fait surtout le succès de la publication, ce sont les gravures au nombre d'un mil-
lier, véritables documents pris sur le vif et repnxiuits directement d'après des photo-
graphies. Grâce au véritable album que forme 1 atlas, plus d'un projet de voyage sera
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256 REVUE FRANÇAISE
conçu au vu des merveilles naturelles et artistiques que présente ce romaniuable en-
semble lie gravures.
L'Atlas Lan)usse' illustré comprendra 40 fascicules h 0 fr. 60, paraissant chaqu»'
semaine. Le l'"" \olumo comprenant la France et ses colonies est paru: le 2* est en
cours de publication. Les 2 vol. relitis en toile, 30 francs.
France- Album, cité des Fleurs, Paris, dont nous avons signalé déjà les jolis
fascicules Consiicrés au pays du soleil, la spleiidide côte d'Azur, d'Hyén»s à MenU>n,
vient de compléter cette collection par son 48* n«» consacré à la région des Maures et
à TEsterel, Hyères, S'-Tropez, Fréjus, S»-Raphaël, etc. Ses dessins variés foQt res-
sortir FattractioD qu'exerce sur ses visiteurs ce séduisant pa\s.
Mon 9* voyage au Sahara et au pays touareg, par F. Foureau. — C'est
le réiMt, publié à la Société de géographie, du voyage que la Hevue a déjà raconté.
Les Anglais en Egypte, par le ¥»• de Noailles, A. Charles, éditeur. —Dans
cette suggestive brochure, M. de Noailles fait voir les Anglais prenant pied de pliis
en plus profondément en Éypte. Les demandes du ministre anglais sont toujours
impératives. S'il reste quelques Français dans les fonctions publiques, leur influence
est annihilée. Dans les écoles la langue anglaise remplace peu à peu le français,
naguère dominant et que les missions catholiques propagent de leur mieux. Grande a
été notre faute en nous isolant en 1882 ; nous en portons la peine aujourd'hui.
Golonias Portuguezas, par E. de Vasconcellos, C'' N*' Editora, Lisbonne. —
L'éminent auteur bien connu par ses travaux géographiques, a fait une œuvre utile
en présentant sous une forme de vulgarisation, une étude intéressante des colonies
portugaises, Cap Vert, S. Thomé, Angola Mozauibique, Goa , Macao, Timor. Jadis,
le Portugal fut la !'• puissance coloniale du monde. Bien que l'Angleterre lui ait eu-
levé un large territoire qu'il n'avait pas su occuper, le Portugal possède enœre de
belles colonies. Comme Latins, nous \oyons avec plaisir, M. de Vasconcellos secouer
la torpeur trop grande de ses compatriotes, au moment où tous les peuples se taillent
un empire colonial.
La Corée indépendante, russe ou japonaise, par Villetard de
Laguérie. Un vol. in-Ki, avec 50 illustrations, 4 fr. (Hachette et C', Paris). — Au mo-
ment où de graves événements s'accomplissent en Kxtréme-Orient, cet ouvrage ne
saui-ait venir plus à propos. L'auteur a visité la Corée en 1895, au moment où le Japon
venait de trancher à coups de sabre le lien de vassalité qni la rattachait de temps
immémorial à la Chine. 11 l'a vue aussi en peine de s'acquitter des devoirs virils de
sa i-écente liberté, que le serait, jK)ur trouver sa vie, un oiseau né dans une cage,
brusquement lâché en pleins champs. Politiquement, elle n'était plus chinoise; elle
l'était toujours moralement et voulait demeui*er telle, mais elle le voulait passivement.
Seule, une femme, la Reine, pensa, voulut et agit comme les hommes ne surent pas
le faire. Elle succomba ; et la Corée aux abois, ne voyant pas d'autre moyen d'écarter
d'elle le joug abhoré des Japonais, chercha son salut sous l'égide de l'empire russe
Le Gérant, Edouard MAI\BEAL\
mPRIMKRIB CHAIX. RCB BBROBRK. SO. P4RIS. — 4234-2-98. — {tMtUt Urillf«l).
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J
ÏÏINTERLAND DU DAHOMEY
LA CONQUÊTE DU BORGOU
Le Gourma une fois pacifié par la mission Baud-Vermeersch et la ré-
gion du Niger occupée par la mission Bretonnet (1), restait à soumettre
le pays compris entre ces deux régions et le Dahomey, le Bourgou ou
pays des Baribas.
Jadis réunis sous la domination d*un roi résidant à Nikki, les pays
Baribas n'étaient pas, comme aujourd'hui, partagés entre plusieurs
chefs à peu près indépendants les uns des autres. Formant un vaste
plateau d'environ 80.000 kilomètres carrés de superficie, traversé par de
nombreuses rivières, leBorgou est riche, fertile, et produit même jus-
qu'à deux récoltes par an. Les chevaux sont nombreux et les troupeaux
constituent ta principale richesse des habitants.
La population du Borgou comprend trois races distinctes : les Bari-
bas, les maîtres du pays, cultivateurs, guerriers et pillards de profes-
sion; les Peulhs, les pasteurs par excellence du Soudan, possesseurs de
grands troupeaux; les Haoussas, qui forment la population marchande,
et s'adonnent presque exclusivement au commerce. Plus instruits que
les autres races, les Haoussas parlent et écrivent Tarabe et sont les inter-
médiaires des chefs dans leurs relations. Opprimés par les Baribas, ils
étaient alors les seuls à nous témoigner quelque sympathie. Les Baribas
dédaignent les armes à feu et se servent pour combattre, les fantassins
de Tare et de la flèche empoisonnée avec le suc du strophantus, les ca-
valiers de ^a lance ou de la sagaie. Hardis, entreprenants et braves, ils
ont su, avec ces armes primitives, non seulement résister aux invasions
de leurs voisins mieux armés, mais encore porter chez ces derniers le
pillage et la dévastation.
Au moment où le Gourma venait d'être pacifié, la situation prenait
un carçuîtère assez grave dans le Borgou. Le lieutenant de vaisseau
Bretonoet avait toujours à lutter contre les chefs baribas très remuants
de la région de Boussa et de Kayoma (2). D'autre part, les postes établis
entre Carnotville et Ilo par la mission Bretonnet n'avaient pu résister au
soulèvement qui gagnait tout le Borgou. C'est ainsi que Chori, Bon,
(1) Voir Rev. Fr. avril 1898, p. 193.
(2) Voir la carte page 201 (avril 1898j.
x«n(Mai98). N* 233. 17
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258 REVUE FRANÇAISE
Saoi*é, Bouay, Kaodi ne se trouvant plus en élat de réBister, avaient été
évacués. Kouandé, où commandait le lieutenant Aymès, se trouvait
dans de meilleures conditions et repoussait toiis les assauts desBaribas.
A Parakou, Tinspecteur de la mUice Yeisseyre se maintenait ferme à
son poste.
En présence de ce soulèvement, qui menaçait de prendre des pro.
portions coilsidérables et de couper les communications du Dahomey
avec le Gourmad'un côté et la_ mission Bretonnet de Taulre, M. Ballot,
gouverneur du Dahomey, résolut d*agir énergiquemenl et nomma rési-
dent du Bourgou le capitaine Vermeersch, le chargeant de rétablira
tout prix la tranquillité dans le pays et d'y établir notre domination. H
importait en effet au plus haut degré d'assurer l'exécution du traité qui
nous conférait le protectorat du Bourgou et, en même temps, de venger
le meurtre des inspecteurs Forget et Carré en donnant une sévère leçou
aux pillards Baribas.
Mais avant de marcher sur Nikki^ la capitale des Biribas, il fallait
tout d'abord déblayer le terrain autour de nos postes. Le 23 juillet 1897
le capitaine Vermeersch quittait Porto-Novo, n'ayant avec lui qu'uoe
cinquantaine d'hommes. Le 20 août il arrivait à Kouandé, après une
marche rendue extrêmement pénible par suite du débordement des ri-
vières, car on était en pleine saison des pluies. A ce moment, la con-
vention franco-allemande fixant les limites du Togo et du Dahomey,
qui venait d'être signée tout récemment, permettait de dégarnir un
certain nombre de postes. C'est ainsi que 2o hommes purent rejoindre
le capitaine Vermeersch à Djougou. Doux inspecteur de la garde indi-
gène, MM. de Lavilléon et de Bournazel, et un garde principal, M. Lan,
y arrivèrent de leur côté. D'autre part. 60 porteurs dahoméens, dont les
services n'étaient plus utiles, furent équipés et armés en tirailleurs et
rendirent par la suite de réels service^. L'effectif de la petite colonne fut
ainsi porté à 140 hommes, la plupart à peine instruits eau métier des
armes. A Kouandé, se trouvait le lieutenant Ayniès, un sergent euro-
péen, 55 tirailleurs sénégalais et 15 miliciens.
Avant de commencer les opérations, il fallait nous assurer l'appui de
chefs fidèles. Ouro-Ali, qui était notre adversaire, fut remplacé à Kouandé
par Yarou-Bori, riche, intelligent et le plus capable de nous rallier la
population. Grâce h lui, les habitants furent vite rassurés et les chefs
des villages voisins vinrent faire leur soumission.
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HINTERLAND DU DAHOMEY 259
OPÉRATIONS AUTOUR DE KOUANDÉ
Le manque de cartouches ne permettait pas de marcher immédiate*
ment en avant, car il fal'ait attendre l'arrivée des approvisionne-
ments envoyés du Dahomey par M. Ballot. Mais les Baribas, enhardis
par notre inaction, se préparaient à nous attaquer. Ouro-Ali, allié au
chef de Ouassa, Sinagt)rigui» avait rassemblé une petite armée et se
dirigeait sur Kouandé.
Afin de prévenir Tattaque des Baribas, le capitaine Vermeersch se
décida à marcher conti^e les deux chefs, avant qu'ils eussent opéré leur
jonction. Ouro-Ali fut attaqué le premier et, après un léger engage-
ment, rejeté vers le N-E. Aussitôt a[)rès, la colonne se dirigea sur
Ouassa. La marche de la colonne fut pénible, car, outre les accidents
de terrain et Tépaiss ur de la brousse, il fallait franchir deux rivières
démesurément grossies par les piuies. Le l^sepœmnre, la coionne arri
vait sur les bords de la Mékrou. Il fallut ti heures de travail sous une
pluie torrentielle pour jeter une mauvaise passerelle sur la rivière et la
franchir. Le 14, la même opération fut nécessaire pour passer la Bérou,
dont les rives étaient transformées en marécages. Les chevaux devant
traverser à la nage, il fallut en outre débarmsser le lit de la rivière
d'une multitude de branches d'arbres que Tennenii y avait jetées pour
retarder notre marche.
En raison de la proximité de l'ennemi, la colonne est serrée et massée
en deux groupes, couvrant le convoi. Les cavaliers Zaberniabés,
qui forment l'avant-garde, se rapprochent de plus en plus de la
colonne, lennemi ayant été signalé. Celui-ci, dissimulé dans un ravin,
et caché par les hautes herbes, fait retentir une grande clameur dès que
les troupes prennent le contact et leur envoie une volée de flèches. wSe
t)récipitant alors en avant, il se jette sur la colonne, l'entoure et l'attaque
de tous côtés à la fois. Surpris parce bïusque mouvement, les tirailleurs
hésitent un moment; mais bietitôl, encourages par leurs officiers, ils
ré[>ondent par un feu nourri à l'attaque des Baribas. Prenant ensuite
Toffensive, ils se précipitent sur l'ennemi, qui s'enfuit en laissant OU
hommes sur le terrain du combat. De notie côté, 8 tirailleurs f^taifnt
tués et 8 blessés.
Le capitaine Vermeersch poursuit vivement les Baribas et traverse
plusieurs villages qui sont tous abandonnés, mais où l'on trouve en
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260 REVUE FRANÇAISE
abondance des vivres et du bétail. Quelques Peulhs y restent seuls; ils
apportent des provisions et les offrent avec une joie non dissimulée,
mais beaucoup d'entre eux jouent un double jeu, et après avoir observé
le passage de la colonne, reprennent leurs arcs et leurs flèches pour
aller rejoindre Tennemi.
Le 17, au matin, la marche en avant est reprise. Des Peulhs font coq-
naître que Tennemi, qui avait fui jusqu'à Tobré, a reçu des renforts et
va renouveler son attaque. Pour parer à toute surprise, la colonne se
forme en carré pour continuer sa marche. Au centre est placé le convoi,
suivant le sentier frayé par les tirailleurs. En tête, en avant du carré
marchent 2 sections en file indienne ; de chaque côté du carré, 3 autres
sections marchent dans la brousse à hauteur du convoi, formant les
faces droite et gauche du carré. Enfin, ^ autres sections ferment la
marche, derrière le convoi et forment la face arrière du carré. Tout
en avant et sur les côtés, les cavaliers auxiliaires Zabermabés explorent
la brousse afin d'empêcher toute surprise et de donner le temps, en cas
d'attaque, de former en ligne les sections qui encadrent le convoi.
Bientôt les cavaliers se serrent de plus en plus autour de la colonne,
n'avançant qu'avec une extrême prudence par crainte d'une embuscade.
Les herbes sont si hautes en ce moment qu'un homme à cheval y dis-
paraît entièrement. La saison des pluies, jointe aux précautions inces-
santes qu'il faut prendre, rend la marche des plus pénibles.
Tout à coup, les cavaliers se rejettent précipitamment sur la culonne,
car le contact vient d'être pris avec l'ennemi ; les guerriers baribas, tout
couverts de gris-gris qui doivent avoir le pouvoir de les mettre à l'abri
de nos balles, se précipitent sur les tirailleurs en poussant de grands
cris. Leur nombre est considérable, et en quelques instants, la colonne
est enveloppée de toutes parts. Le combat est très difficile, cardes deux
côtés, on s'attaque presque sans se voir, à cause de l'épaisseur de la
brousse. Les Baribas couvrent le carré d'une grêle de flèches et s'appro-
chent de si près que les otticiers sont obligés de prendre leur revolver
en main et de s'en servir pour se défendre.
Des deux côtés, le tam-tam bat avec rage, chez les Baribas et chez
nos contingents indigènes, Des 4 faces du carré, un feu violent est
dirigé sur les assaillants. Le combat est très vif, et à plusieurs reprises,
le capitaine Vermeersch est obligé de porter en avant, sur les points les
plus menacés, les Sénégalais du lieutenant Aymés, qui font partout
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HINTERLAND DU DAHOMEY 264
reculer I ennemi. Celui-ci, qui ne voit pas ses pertes, en raison de
Tépaisseurde la brousse, renouvelle ses assauts pendant 2 heures consé-
cutives. Enfin, une dernière décharge le met en fuite et il abandonne
le lieu du combat, qui est jonché de morts et de blessés. La colonne se
porte alors en avant et poursuit Tennemi qui s'enfuit dans toutes les
directions.
Mais il faut bientôt arrêter la poursuite car les munitions font défaut.
D'ailleurs Tennemi, complètement démoralisé, n'est plus à craindre pour
le moment. La colonne revient sur ses pas et le 29 septembre au soir,
rentre à Kouandé,. où elle apprend peu de jours après la mort d'Ouro-
Ali.
MARCHE SUR NIKKI
Les opérations entreprises autour de Kouandé avaient donné le temps
aux approvisionnements envoyés du Dahomey d'arriver à destination .
D'autre part, M. Ballot, prévoyant une assez vive résistance de la part
des Baribas, dans la marche qui allait être entreprise sur Nikki, avait
jugé nécessaire de renforcer la colonne d'opération. Une compagnie
d'auxiliaires sénégalais et une compagnie d'auxiliaires haoussas avaient
été dirigées de Porto-Novo sur Parakou. D'un autre côté, le capitaine
Ganier, qui avait été envoyé au Gourma pour servir de Irait d'union
entre ce pays et les postes du Niger, rejoignait le capitaine Vermeersch
avec le médecin de la marine Bartet et 40 tirailleurs.
La concentration de toutes ces troupes devant s*opérér à Parakou, le
capitaine Vermeersch laissa le poste de Koaandé à la garde du lieutenant
Drot et se dirigea vers le sud. Le l^** novembre, il arriva à Parakou. Le
capitaine Ganier, se trouvant être le plus ancien officier, prit le com-
mandement de la colonne. Le capitaine Vermeersch devint son chef
d'élat-major, tout en gardant les fonctions de résident des pays baribas.
La colonne expéditionnaire, forte de 410 fusils, et divisée en trois
groupes commandés parles capitaines Dumoulin, Duhalde et Chambert
quitta Parakou le 4 novembre, se dirigeant sur Bégourou, où a lieu un
premier engagement. Partout l'ennemi évacue les^villages. La concen-
tration doit se faire à Chori, où sont attendus tous les guerriers de la
région centrale du Borgou. Le chef Chaco-Yérouma, de Péréré, la ville
la plus importante de la région, est à la tète des Baribas. Dan« la nuit
du Tau 8, une alerte est donnée par une reconnaissance ennemie. La
8, la colonne se remet en marche, adoptant la formation en carré, afin
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^
WSi REVUE FRANÇAISE
de prévenir toute surprise et de pouvoir repousser rapidement toute
attaque.
De son côté, l'ennemi s'avançait en plusieurs colonnes parallèles ; la
principale commandée par Chaco-Yérouma, suivait le sentier, pendant
que les autres se frayaient un passage en suivant les pistes qui sillon-
naient la brousse. Ce fut entre Guinagourou, où la colonne v«aait de
camper, et les ruines de Tiraré, que le choc se produisit.
Les cavaliers zabermabès qui marchaient en éclairenrs, se replièrent
précipitamment dès qu'ils entendirent le bruit formé par la masse de
l'armée ennemie, forte d'environ 10,000 hommes. Au oommanderoenl
qui est donné, les sections qui se trouvent en tête, se forment rapide-
ment en ligne, malgré l'épaisseur de la brousse, et ouvrent un feu nourri
sur l'ennemi, qui est arrivé à 30 pas de la colonne sans avoir vu les
tirailleurs. Ceux-ci font des feux de salve, abattant tous les ennemis qui
se présentent devant eux. Surpris et complètement désorganisés par
cette fusillade, les Baribas se retirent en désordre, laissant sur le terrain
un grand nombre de cavaliers et de fantassins. Le drapeau de Ghaco-
Yérouma tombe en notre pouvotr.
Mais ce n'était là que le premier acte du combat. En effet, séparés les
uns des autres par une brousse épaisse, les différents groupes de l'année
ennemie marchaient en avant parallèlement, mais sans se voir. Le
premier groupe, qui avait donné et venait d'être mis en fuite était celui
des gens de Péréré. Les autres étaient accourus au feu successivement
et avaient enveloppé le carré sur toutes ses faces. Mais l'absence com-
plète de cohésion dans l'attaque des Baribas facilitait singulièrement la
tâche de nos tirailleurs; aussi, après une lutte d'une heure et demie,
l'ennemi fuyait-il en désordre de tous côtés.
La colonne se met alors vivement à la poursuite des Banbas, traverse
Chori, Péréré, Darou-Para et le 13 novembre, à 9 heures du matin,
fait son entrée à Nikki.
La ville est complètement déserte, seul un notable musulman est
resté pour recevoir tes Français, chargé par le roi de négocier sa sou-
mission. Siré-Torou, le roi de Nikki, après avoir envoyé tout d'abord
deux de ses fils pour faire agréer sa soumission, se présenta en personne
le 19 novembre; il signa alors, avec les principaux chefs baribas, un
acte constatant sa soumission et portant annexion de son royaume au
Dahomey.
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>
CHINE 963
Quelques jours apr^, les chefs des villages voisins suivaient son
exemple et venaient faire leur soumission complète. Le dernier acte de
la lutte fut la destruction de Yj^ssikéra et {^tay, ou avaient éié assas'»
sinés les inspecteurs Forgetet Carré.
Le capitaine Vermeersch, rentrant en France, le capitaine Dumoulin
fut désigné pour le remplacer comme résident à Nikki. Depuis lors,
l'occupation du Borgou a été complétée ( t le commandant Ricour a pris
la direction de tout lo pays bariba, depuis les confins du Dahomey jus-
qu'au Niger,
Menée avec entrain et résolution par le capitaine Ganier et son chef
d'état-major, le capitaine Vermeersch, la campagne de Nikki a été le
dernier acte de la prise de possession de Thinterland du Dahomey et a
assuré l'occupation elTective des pays sur lesquels la France avait h Atire
valoir ses droits de souveraineté,
Georges Démanche.
CHINE
LA PROVINCE DU CHAN-TOUNO
La prise de possession du port de Kiao-Tchéou et de ses environs par
r Allemagne, doit forcément amener la province entière du Chan-toung,
au sud de laquelle ils se trouvent, dans la sphère d'influence allemande,
ou pour employer une expression allemande Ykintet^land de la nouvelle
concession temporaire. |1 est en effet plus que probable que le Pach-
gebiet conclu entre TEmpire du Milieu et l'Empipe des Roheniollern
finira par devenir une véritable colonie, drainant ^ son profit toute |i
province, si elle ne finit pas môme par Tabsorber tout-à-fait.
Il est donc fort intéressant d'étudier la valeur de cette provinpe du
Chan-toung fort peu connue en Europe.
Ayant eu la bonne fortune de Thabiter pendant prés de cinq ans,
nous sommes 4 même de donner wx lecteurs 4e la Revue f^rançai^e
un résumé des renseigriements que nous avons déjà publiés iuHBxtenso
dans la R&oue ies Questiom Scientifiques de Bruxellç^ de \^QQ à 1893,
en nous aidant de la carte que nous avons dressée dès 1876,
BiitQire. — Gr^ce à son histoire et ^ sa position géographique, elle
est Tune de? plus intéressai^tes de la Chine. Au point de vue historique.
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264 HEVUE FRANÇAISE
elle fut le berceau de la race chinoise. La dynastie de Tchéou (i^ au
111^ siècle av. J.-C.) eu est originaire. Elle adonné naissance à Confuchts
et à ses deux disciples Laotzeu et Mengztzeu. Au point de vue géogra-
phique, sa forme péninsulaire lui donne 402 lieues de côtes, semées de
baies et de ports importants, tels que Tchéfou, Weï-haï-weï et Kiao-
Ichéou. Elle est traversée par le Fleuve Jaune et le Grand Canal ainsi
que par deux grandes routes impériales. Enfin Tindustrie de la soie y a
pris naissance en 780 av. J.-C. à Yen-tchéou-fou. Elle fut visitée dans
sa partie ouest par Marco-Polo, en 1276, et le missionnaire franciscain
Odoric de Pordenone en 1320. Elle possède Tun des sanctuaires les plus
vénérés du Confucianisme, la montagne sacrée du Taï-^han et fut le
berceau de nombreux poètes et savants.
Géographie. — La population est estimée à plus de 30 millions ré-
pandus sur 121,130 kilomètres carrés. Cette province est, après celle du
Tchéli, la plus peuplée de toute la Chine. Sa partie occidentale, qui
appartient à la grande plaine formée par les alluvions du Hoang-ho et
comprend la moitié de la province, est considérée à juste titre comme
Tun des pays les plus fertiles du monde. Elle est aussi la plus cultivée,
aussi est-ce là que Ton trouve le plus grand nombre de villes et les plus
florissantes. La partie orientale est montagneuse et moins peuplée, ayant
moinsde terres cultivables; par contre, elle est riche en minéraux et
Ton peut mettre au premier rang des mines d'or et de plomb argen-
tifère. La partie centrale comprend trois importants bassins houillers, à
savoir : Weï-hsien, Po-chan-hsien et Yi-tchéou-fou, dont les produits
peuvent rivaliser avec le Cardiff, comme qualité, tandis que l'extrême
bon marché de la inain-d'œuvre indigène permettra de faire au char-
bon anglais et mêmB japonais une concurrence redoutable, quand réta-
blissement des voies ferrées, actuellement projetées par les Allemands,
permettra d'apporter à Kiao-tchéou les houilles chinoises.
Une petite ligne ferrée en projet part du petit port de Niu-kou-ko, dans
la partie orientale de la baie de Kiao-tchéou, passe par la ville de ce nom,
puis monte au N-0 par Kiao-mi-hsien, à Weï-hsien, d'où elle se dirige
à l'ouest en faisant une courbe vefs le nord, passant par Tchang-lo-
hsien, Tyiaûg-chan-bsien (au sommet de la courbe), Tchang-Tchéou-
lisien, T^i-nan-fou, la capitale, pour aboutir à Tsi-ho-hsien, sur le
Fleuve jaune; de là elle descend au S.O en suivant le tracé de la
grande wmte impériale, die passe près de TaY-an-fou, Hsin-tai-hsien et
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CHINE 265
Mong-yin-hsien. Elle atteint enfin Yi-ichéou-fou dont les charbons
seront apportés à Kiao-tchéou par une ligne ferrée de 190 kilomètres
de développement, passant par Tchii-tchéou et Tchii-tcheng-hsien.
Les charbonnages de Weï-hsien seront desservis directement, tandis
que ceux de Po-chan-hsien le seront par un embranchement de 50 kil.
partant du village de Tchang-tien à 13 kil. àTestdeTchang-shan-hsien.
La ligne fermant le triangle entre Yi-tchéou-fou et Kiao-tchéou, bien
que mentionnée dans les journaux anglais, n*est pas tracée sur la carte
récemment publiée par Tinstitut géographique de Dietrich Reîmer à
Berlin. L'ensemble de ces lignes représente un développement de
816 kilomètres environ. Elles contournent tout le massif montagneux
du chanloung central sans y pénétrer, ce qui évitera la construction de
tunnels et de viaducs importants. Les rivières à traverser sont d'ailleurs
peu considérables et n'ont guère d'eau qu'en été.
La province possède 10 villes principales ou fou, dont la capitale
Tchi-nan-fou ; 11 villes de second ordre ou tchéou et 96 villes de
3« ordre oxxhsien. Plusieurs de ces villes sont célèbres dans l'histoire.
Marco-Polo se rendant de Pékin à Yang-tchéou en 127G-77, visita Chi-
nangli, aujourd'hui Tchi-nan-fou, puis Tadinfu, la Y'en-tchéou-fou
actuelle, où il trouva « abondance de soie merveilleuse et des jardins
riches en fruits de grande taille » ce qui qui est encore vrai de nos
jours, comme ce qu'il dit de Sinjumatu « une place riche et belle avec
un commerce prospère et une nombreuse population. » En 13^24-2r>,
Odoric de Pordenone se rendant en mission vers le grand Kan de Tarlarie
àCambalik (Pékin), la traversa à son tour et dit : « En cette cité a plus
grande quantité de soye que en nulle part du monde, car quand la soie
y est la plus chère si en y a on bien plusieure livres pesans pour quatre
gros, on y trouve grand plante de biens et de marchandises». C'est la
Tchi-ning-tchéou de nos jours située sur le Grand Canal. Rien ne
changeant en Chine, tout cela est encore vrai aujourd'hui.
Confucius naquit à Tchu-fou-hsien où se trouve encore son tombeau
comme celui de l'empereur Shao-hao (2597 av. J.-C), le quatrième de
la Chine. A Tsou-hsien se voit le tombeau de Mencius. La montagne
sacrée du Taï-shan (1545 m. de haut), à 9 kilomètres au N. de Taï-an-
fou, est un lieu de pèlerinage célèbre dès le x\® siècle avant J.-C. Il
s'y trouve une pagode en fer élevée par l'empereur Shao-Kang en 2079
av. J.-C et une statue de 40 pieds de hauteur de l'impératrice Min
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266 REVUE FRANÇAISE
(2146 avant J.-C). I^s tumuli recouvrant les restés «les anciens rois des
tribus autochtones el non chinoises, les barbares Laï, sont encore
visibles à 2 lieues i/i à l'ouest de Tching-tchéou-fou.
La partie occidentale de la province traversée par le « chagrin de
la Chine » ou le « Fléau des fils de Han » comme les Chinois appellent
souvent le Fleuve Jaune, a été constamment dévastée par les formi-
dables inondations de ce fleuvn. La première, suivant la tradition, re-
monte à 3100 av. J.-C. Le célèbre empereur Yi'i construisit, vers
2205 av, J.-C, un certain nombre de canaux très étendus pour drainer
le pays, ce qui n*empôcba pas le Hoang-ho de changer constamment de
Ut allant se jeter à la mer, tantôt au sud, tantôt au nord de la pro-
vincs du Chan-toung et détruisant lo grand canal en le rcn^plissant de
son limon. Si chacune de ses grandes inondations cause la mort de
millions d'hommes (1), elle n'en enrichit pas moins le pays tout comme
les crues régulières du Nil. La grande plaine formée par ces alluvions
donne en eflet plusieurs récoltes par an sans le moindre engrais, H est
vrai, par contre, que l'entretien constant des digues ruine le trésor pro-
vincial. Conmie on ne trouve pas une pierre sur une étendue de près
de mille lieues carrée», ces digues ne peuvent être construites qu'en
terre battue et en fagots de tiges de sorgho (le bois faisant également
défaut, les Chinois ayant détruit depuis longtemps toutes les forêts). Il
en résulte qu'à chaque nouvelle crue importante elles sont emportées
par le courant qui atteint plusieurs milles à l'heure, et il faut chaque
fois réquisitionner toute la population riveraine pour les relever à
grands frais.
En 1888, plusieurs ingénieurs européens (surtout anglais) ont pro-
posé au gouvernement chinois d'entreprendre l'endiguement du Fleuve
Jaune, moyennant une dépense d'environ 40 millions de fra^ncs. On
refusa leurs services, car chaque inondation permet aux mandarins de
pressurer le peuple et de garder dans leurs poches la plus grande partie
des subsides. En 1831, le gouvernement n'avait pas dépensé moins de
13 millions de taëls, soit envifon 78 millions de francs. On peut se
demander combien de millions furent dilapidés. Est-il possible de ré-
gulariser le cours du Fleuve Jaune en l'endiguant et en le draguant? La
(1) En 1888, le gouvernement accusa dans ses rapports oflBciels la perte de 2,500,000
hommes noyés dang Tinondatlon du mois de novembre. Ces ohiffret sont certainement
au-dessous de )a vérité, et on peut estimer à 3 niiUiops le nombre d9i m^ts.
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CHINE
367
science des ingénieurs dit oui ; nous en doutons un peu. Si les Alle-
mands y arrivent, ils rendront à Thun^anité un service tel qu'on pourra
les remercier d'avoir mis la main sur cette province.
Ils poun'aient aussi restaurer le Grand Canal qui traverse du ]\.0.
au S.Ë toute la partie occidentale de la province faisant partie de la
grande plaine en passant par les villes importantes de Te-tchéou, Wou-
tcheng-hsien, Lin-tohing-tchéou, Toung-tchang-fou, Toung-ping-tchéou
et Tchi-niog-tchéou. Soit une longueur d'un peu plus de 140 lieues qui,
ajoutées aux 94 parcourues dans la province par le Hoang-ho, donnerait
un total de 205 lieues de voies navigables sur ces deux grandes artères
commerciales. Le Chan toung ainsi pénétré par les chemins de fer dans
sa partie centrale, par le fleuve Jaune et le Grand Canal à l'ouest et
desservi par ses ports, sur sa longue ligne côtière orientale, serait la
province de Chine la mieux outillée pour le commerce d'importation et
d'exportation. Les Allemands toujours pratiques et bien renseignés s'en
sont certainement rendu compte quand ils ont mis la main sur ce pays.
Mais la restauration du Grand Canal nous semble aussi difficile que
Tendiguement du fleuve Jaune, étant donné que celui-ci traverse le
canal et que son lit s'exhaussant toujours se trouve âiyourd'hui à plus
de 16 pieds au-dessus du niveau de celui-ci.
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2G8 REVUE FRANÇAISE
Climat. — Bien que les moussons ne dépassent guère la côle sud,
leur influence se fait encore sentir sur la côte nord. Elles partagent
l'année en deux saisons bien distinctes, suivant que les vents soufflent
du S.S.E., ou du N.N.O., Les premiei-s amènent une chaleur assez
forte, qui monle quelquefois jusqu'à 40** c, bien que la moyenne se
maintienne entre 25<* et 28** c. Les vents froids font par contre tomber
le thermomètre jusqu'à près de 30** au-dessous de zéro. L'hiver est
long, il commence en octobre pour fmir fin avril. Le maximum du
froid a lieu vers février et le maximum de chaleur en juillet. On passe
rapidement de l'hiver à l'été et réciproquement, les saisons intermé-
diaires n'existant pour ainsi dire pas.
L'isotherme moyenne de la province est celle de 11*>77 c. qui passe
par Tchéfou, Vérone, Turin et Bordeaux, bien que la latitude moyenne
soit celle de 3&*30 passant par Guelma, Blidah et Cadix. Le climat est
très sec, surtout en hiver ; ce n'est qu'en juin et juillet qu'on observe
quelques pluies. Il nous est arrivé de passer à Tchéfou neuf et même
dix mois de suite sans une goutte de pluie. On y compte en moyenne
lo jours de pluie par an. La neige est parfois abondante mais, vu la
sécheresse de l'atmosphère, elle disparait par évaporation, sans presque
mouiller le terrain. Au printemps et à l'automne, les brouillards sont
fréquents sur les côtes, surtout au voisinage du cap Chan-toung.
I^ cause de l'inégale répartition des pluies et des sécheresses pro-
longées dans la province est due, sans doute, au déboisement complet.
On ne trouve plus au Chan-toung une seule forôl, par suite les sources
y sont rares, surtout dans la plaine. Aussi les famines causées par la
sécheresse sont-elles fréquentes. Celle de 1876-187" y fit périr près de
3 millions d'habitants. Le rétablissement des routes et la construction
des voies fériées sera le meilleur moyen de lutter contre le retour de
ce fléau.
Le pays est sain, les maladies épidémiques y sont rares, sauf la petite
vrrole qui est endémique par toute la Chine. Les étrangers vivant pro-
prement et à part des Chinois, en sont rarement atteints. II en est de
même de la lèpre et du goitre communs parmi la population la plus
pauvre. -
Habitants, — Les habitants sont forts et robustes, sans doute parce
que le climat tempéré leur permettant de cultiver le blé, l'orge et les
autres céréales des pays du nord, ils sont mieux nourris que les popu-
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^
270 REVUE FRANÇAISE
lations du sud vivant de riz et de poisson et qui sont anémiées par Jes
chaleurs des tropiques, l^s Chautounais sont d'excellents cultivateurs el
de robustes travailleurs. Un grand nombre d'entre eux vont chaque
année faire le métier de coolies ou hommes de peine pour le charge-
ment ou le déchargement des navires à Tchéfou et à Tientsin. D'autres
vont jusque sur les côtes de la Sibérie et du Japon faire la récolte des
herbes marines comestibles qui constituent un article dimportation
considérable en Chine. Sauf quelques-uns qui s'y sont fixés, tous ren-
trent au pays natal avec leurs économies. Les classe* supérieures four-
nissent un grand nombre de lettrés et de mandaiins, et le doyen de
Tacadémic ou des Han-lin (forêt de pinceaux) a souvent été un lettré
du Chan-toung.
Les femmes sont plutôt au-d^^ssous de la taille moyenne. Beaucoup
travaillent dans les champs où nous les avons vues plus d'une fois
attelées à la charrue à côté d'un âne ou d'un bœuf et cela malgré leurs
pieds déformés par la pratique des bandages de compression.
Selon l'usage établi, on ne leur apprend qu'à coudre et à broder,
à faire les souliers et les vêtements, moudre le grain, cultiver la terre et
vaquer à tous les soins du ménage. Dans les classes pauvres, elles sont
toutes illettrées. On n en trouve pas une sur mille qui sache lire. Elles
sont par suite tristes et abruties comme la plupart de leurs sœurs dans
toute la Chine. Mariées de fort, bonne heure et généralement mères de
nombreux enfants, elles sont rarement jolies et toujours fanées de
bonne heure.
Les habitants du Chan-toung sont généralement polis et affables,
surtout dans la campagne. Us sont curieux comme des enfants et fort
superstitieux, par suite déliants et souvent vindicatifs. Il est dangereux
de les exciter et la moindre provocation peut amener une révolution
fort difficile à apaiser. Comme tous leurs compatriotes, ils sont très,
âpres au gain, d'une moralité douteuse et d'une patience remarquable.
Us jouiraient certainement d'une excellente santé s'ils n'avaient un
mépris par trop grand de l'hygiène et de la propreté, car ils sont extrê-
memc'it sobres.
Dans la partie orientale du Chan-toung (à Tong-tchéou-foii) se trou-
vent des gens plus belliqueux et moins religieux que ceux de la majorité
de la province. Ce sont les descendants d'immigrants du Houpè, qui
vinrent au nornbi-e d'environ 200,000 s'établir dans le pays vers la fin
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CfflNE 271
de la dynastie des Yuan (1341) sous la conduite d'un général nommé
Chang-Iiang-pi.
Religion. — La plus grande partie des habitants sont Confucianistes,
Boudhisles ou Taoïstes; mais on trouve aussi un bon nombre de Maho-
métans (3 millions) et quelques Juifs. Les disciples de Confucius sont
surtout nombreux dans les déparlements de Yen-tehéou-fou et de
Tchi-nan-fou. On trouve cependant deux mosquées dans cette capitale
de la province et une autre à Tchi-ning-lchéou. Les missionnaires catho-
liques ont aujourd'hui près de 21,000 chantounais dans leurs églises et
chapelles tandis que les protestants des différentes dénominations comp-
tent 7,000 adhérents.
Les premiers missionnaires qui ont évangélisé la province furent
sans doute des jésuites. Le célèbre Mathieu Ricci traversa la partie
occidentale de la province sur le Grand Canal en 1598, puis en 1600,
date à laquelle il visita Tsi-niug-tchéou et y fut l'hôte du vice-roi.
Géologie. — Toute la partie occidentale du Chan-toung située entre
le golfe du Pçtchili, le massif central et les provinces voisines du
Tchéli et du Ho-nan, est formée par les alluvions du fleuve Jaune et la
terre jaune de la grande plaine appelée Loess par les géologues allemands,
qui lui attribuent une origine sub-aérienne. Elle provient de la des-
truction des montagnes de la Chine du nord et atteint souvent des
épaisseurs de 180 pieds. Le Loess forme, avec l'alluvion quaternaire et
moderne» les terres de culture les plus riches qu'on connaisse, puis-
qu'elles donnent chaque année 3 et 4 récoltes sans jamais avoir besoin
d'engrais. Les eaux le traversant sans y séjournera cause de sa porosité,
les sources y sont aussi inconnues que les lacs et marais.
Le centre de la province est constitué par un massif montagneux où
la plus haute cime, le Taï-chan, atteint l.o45 nièlres. On y trouve les
roches primitives le gneiss, les grès et calcaires carbonifères dont les
couches sont inclinées sensiblement vers le nord.
La partie orieiitale et péninsulaire est formée par deux séries de
soulèvement ; Tune formée de gneiss, de schistes cristallins et de
granits, l'autre plus récente présente les grès, calcaires et argiles du
cambrien chinois. Çà et là, surtout pWs de Teng-tchéou-fou et dans
les îles Miao-tao, eu face, on observe des coulées de l}asaltes et des
porphyres.
Miiiéralogie* — Les sables des torrents du Chin-kang-ling (chaîne
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272 REVUE FRANÇAISE
des Diamants) à 40 lieues au S.E. de Yi-tchéou-fou contiennent des dia-
mants. Nous avons récolté de nombreux grenats pyropes dans les ba-
saltes décomposés de Teng-tchéou-fou et les schistes micacés de Tchéîoo.
Les quartzites du Lao-Chan, à Test de la baie de Kiao-tchéou, renfer-
ment du cristal de roche et de Faméthyste. On parle aussi de cornalines
près de Tchi-nan-fou.
Aux environs de Teng-tchéou-fou l'amiante est utilisé pour la fabri-
cation de creusets et de petits fourneaux réfraciaires légers comme du
carton. Près de Laï-tchéou-fou, on exploite des mines de sléatite on
pierre à savon.
Les argiles de Po-chan-hsien servent à la confection de poteries
renommées dans tout le nord de la Chine. Ccst aussi près de celte ville,
à Yen-tching-hsien, que Ton prépare la matière première des fameux
émaux cloisonnés de Pékin, au moyen de grès spéciaux dont on fabrique
aussi quantité de petits objets en verre. Une montagne de gypse est
(ncore exploitée près de Tching-tchéou-fou. Les terres salines du N.-O.
donnent par Icxivialion les sels de soude et de potasse employés dans
Tinduslrie.
Ainsi que nous Tavons déjà dit dans une précédente élude sur Kiao-
tchéou, on trouve au Chantoung trois centres importants pour la produc-
tion de la houille. Ce sont les charbonnages de Weï-hsien, à l'est du
massif central, ceux de Po-chan-hsien, au centre, cl enfin ceux de
Yi-tchéou-fou, au sud de la province. Tous trois ne sont exploités que
superficiellement au moyen de procédés fort rudimentaires. Les Chinois
n'ayant pas de pompes d'épuisement, sont obligés d'abandonner les
puits dès qu'ils arrivent à la couche aquifère, ce qui arrive infaillible-
ment à une profondeur de quelques mètres. La houille varie de qualité
et de nature, suivant les mines ; les unes donnent de l'anthracite, les
autres un charbon bitumineux de première qualité.
Dans la partie orientale de la province, presque tous les torrents
charrient de l'or. On ne l'a encore trouvé dans la roche qu'à Ping-tou-
tchéou, à 13 lieues au N. de Kiao-tchéou. Jusqu'ici*, le gouvernement
n'a autorisé la recherche du métal précieux qu'en cet endroit, et seule-
mement par une compagnie chinoise qui fit bientôt banqueroute é
cause de la mauvaise administration des directeurs.
L'argent ne se trouve au Chan-toung que combiné au plomb dans la
galène argentifère dont on a trouvé un gisement non loin de Tchéfou.
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CHINE 273
Il n'est d'ailleurs pas plus exploité que ceux qui existent près de Tchi-
nan-fou.
Le cuivre paraît inconnu, bien que les Chinois en signalent Texistence
en plusieurs endroits. Quant au fer il se trouve, paraît- il, en un grand
nombre d'endroits, et nous en avons trouvé, aux environs de Tchéfou et
de Tchi-nan-fou, sous forme d'oxyde magnétique et de fer spéculaire.
Les livres chinois parlent encore du mercure et du soufre, mais nous
n'avons pu en constater l'existence.
Végétaux et cultures. — Les forêts ont complètement disparu dans
celte partie de la Chine, mais on trouve des bouquets d'arbres dans les
villages et surtout dans les cimetières où ils sont protégés par le respect
religieux. Les principales essences cultivées au Chantoung sont le pin
chinois, le chêne à feuilles de châtidgnier, le chêne de Mongolie, trois
espèces de peupliers, beaucoup de saules et de cyprès. Le mûrier à »oie
et le mûrier à papier, le sophora du Japon et plusieurs variétés d'aca-
cias, puis l'ailanle du Japon qui, comme le chêne, noumt un ver à
soie. On trouve encore l'acajou chinois Cedrela sinmsis et le Sterculia
à feuilles de platane dont on fabrique des instruments de musique.
Les arbres fruitiers sont nombreux et les poires de Lai-Yang-hsien
sont exportées dans toute la Chine, comme les châtaignes, les pommes,
les noix, les jujubes et les kakis, à l'état frais ou à l'état sec. L'abri-
cotier, le pécher et le pininier donnent de bons fruits dont les amandes,
douces ou amères, sont aussi exportées en quantité par le port de
Tchéfou. La vigne fournit plusieurs variétés d'excellent raisin, mais la
fabrication du vin est inconnue des Chinois depuis qu'un décret impé-
rial Ta prohibée. Le thé ne poussant point dans la province, on y boit
du vin de riz et de millet, ainsi qu'une sorte de bière et de l'alcool
retiré de ces grains et du blé fermenté.
Le riz^ ne pousse que dans la partie la plus méridionale. Les
Chantonnais cultivent partout le froment, l'orge, le sorgho et le petit
millet, ainsi que le maïs. La paille de blé sert à fabriquer des tresses
exportées en immense quantité jusqu'en Angleterre, sous le nom de
Strawbraid.
Après les céréales, les plantes économiques les plus cultivées sont les
légumineuses, fèves et féverolles, et parmi elles le fameux Dolichos soya
qui fournit de l'huile et une sauce fermenlée dite Soye. L'arachide, cul-
W\ée dans tous les terrains sablonneux, donne une excellente huile
XXIII (Mai 98). N- 233. 18
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274 REVUE FRANÇAISE
comestible qui sert souvent, en Europe, à falsifier l'huile d'olive. Uoe
phaséole donne un petit pois vert dont la farine sert à fabriquer un
vermiœlle dur et transparent qui forme un important article d'expor-
tation.
Les plantes textiles cultivées sont le coton et le chanvre. De très
bonnes teintures sont fournies par Torcanette, le carUiame, l'indigotier,
le tournesol, une rhamnée et les graines de sophora. U n'existe pas de
prairies naturelles ou artificielles ; aussi le bétail est-il nourri avec de
la paille hachée ou avec de la luzerne.
Les plantes médicinales sont extrêmement nombreuses et donneot
lieu à un grand commerce d'exportation ; les plus importantes sont la
réglisse, le faux ginseng, la rhubarbe et le pavot à opium que Ton ren-
contre assez fréquemment, bien que la culture en soit prohibée.
Les Chantonnais sont passés maîtres dans la culture maraîchère. Les
choux du Chantoung, dits Paï-tsaî, sont connus dans toute la Chine et
Ton trouve dans les jardins une variété infinie de (dantes potagères:
navels, radis énormes genre Daïkon, épinards, concombres, melons et
pastèques. Les racines du lotus sont employées dans l'alimentation,
unsi que les ignames et les patates douces, de même que les rhyzonDes
de Caladium, des crosnes et les jeunes pousses de bambou. Les jardi-
niers cultivent en serre et en pleine terre des quantités d'arbustes à
tleurs odorantes ou gracieuses. Les plus à la mode sont les camélias,
les pêchers et pruniers, les chrysanthèmes, les gardénias et le jasmin
du (Ap.
La flore des champs est très riche et il serait trop long d'énumérer
toutes les fleurs sauvages qui ornent les montagnes au printemps,
citons seulement les anémones, les tulipes, les lis rouges et jaunes, les
campanules et les œillets.
Faune, — La faune n'est pas moins riche que la flore. Parmi les
principaux animaux, il faut citer le sanglier, le loup, le chien sauvage
et le renard, l^uis viennent les loutres et putois. Le lapin n'existe pas,
il est remplacé par le lièvre chinois. Les écureuirs sont communs, ainsi
que de nombreuses variétés de petits rongeurs, rats et hamsters. Notre
souris ne semble pas y être connue.
Sur les côtes, on trouve des phoques de plusieurs variétéa.
Les animaux domestiques sont : le petit cheval importé de la Mon-
golie, le poney du Sze-tchouen, les chevaux du Chan-toung; les ânes
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CHINE 275
et les mulets; ces derniers sont renommés pour leur force et leur rus-
ticité. Les chameaux sont communs dans Touest et le centre, ils appaf-
tieoneat à Tespèce à double bosse dite de bactriane.
Les chèvres sont plus communes que les moutons qui sont importés
du nord, et qui appartiennent à la race à grosse queue. Les porcs sont
de la race dite tonkinoise. Xîuant aux chiens, 41s sont à demi sauvages,
on en trouve cependant dans toutes les maisons où les chats, emblème
de la pauvreté, sont plus rares.
I.es boeufs sont de petite taille et ne servent qu'au labouiuge. Dans
la partie sud on trouve aussi le buiQe.
Les' oiseaux domestiques sont représentés par les canards, les oies,
les poulets et les pigeons. Quant aux oiseaux sauvages on en compte
det centaines d*espèces parmi lesquelles se distinguent surtout les oi-
seaux aquatiques. Beaucoup sont revêtus du plus brillant plumage.
Grâce à la dialeur de Tété, il en vient jusque des tropiques, tandis que
les grands froids de Thiver amènent au Chan-toung les hôtes emplumés
de la Sibérie. Cependant sur les 204 espèces que nous avons reconnues
dans la province, 44, soit' plus d'un cinquième sont indigènes.
Les poissons présentent une variété un peu moins grande que les
oiseaux ; nous en avons trmivé une cinquantaine d'espèces, presque
toutes péchées et mangées par tes Chinois. La plupart sont communes
aux mers d'Asie et Ton compte parmi eux fort peu d'espèces euro-
péennes. La truite et le saumon sont inconnus au Cban-toung où les
eaux sont, sans doute, trop bourbeuses. On y trouve par contre le silure,
le cyprin doré, la carpe et le grand esturgeon.
Ia classe des insectes est largement représentée, et Ton élève pour
ieur soie plusieurs espèces de bombyx ou d'attacus vivant sur le mû-
rier, le chêne et Tailante et fournissant les fameux pongées ou soies
écrues du nord de la Chine que Ton exporte de Tchéfou en quantités
importantes. Les Abeilles sont aussi élevées pour leur miel. Les insectes
nuisibles sont représentés entre autres par les scorpions et les scolopen-
dres ou mille pattes. Les moustiques sont rares et la punaise des lits
également; par contre les habitants, vu leur malpropreté sont trop
souvent couverts de puces, poux et autres parasites humains. Un petit
ooecus vivant sur le frêne fournit la fameuse cire d'insectes dite Pei-la.
Parmi les mollusques marins, les huîtres sont fameuses^ les rivières
nourrissent de grands moules perlières.
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276 liEVUE FRANÇAISE
Depuis que cet article a été écrit, les Anglais se sont assurés de la
possession du port de Weï-haï-weï non loin de Tchéfou, qui a été décrit
autrefois dans cette Revue. C'est une position de première importance
qui leur permettra de lutter d'influence contre TAiiemagne moins bien
postée à Kiao-tchéou et la Russie admirablement installée à Port-Arthur
et à Ta-lien-ouane. L'Angleterre prendra possession temporaire de Wei-
haï-weï vers le mois de mai, quand les Japonais, ayant reçu le dernier
acompte de Tindemnité de guerre chinoise, se retireront définitivement
du territoire de l'Empire du Milieu. Naturellement rien n'étant stable
coiiinie le provisoire, les fameux baux temporaires russes, allemands et
anglais deviendront des occupations définitives et le partage de la
Chine peut-être considéré d'ore et déjà comme commencé.
Que va obtenir la France? Elle arrive bonne dernière et Ton parle
d'un port à charbon à Kwan-tchéou en face Haïoan; d'une concession
pour dépôt de charbon à rentrée de la rivière de Fou-lchéou de cou-
cessions diverses dans le Yunnan, Kouang-sî et Kouangtong.
En tout cas, on négocie toujours, tandis que l'Allemagne agit et en-
fonce le coin dans le bois vermoulu en faisant recevoir officiellement
le prince Henri au Palais d'Été à la table môme de l'Empereur contrai-
rement à l'étiquette multiséculaire et jusqu'ici intangible des Fils du
Ciel. L'Angleterre rugit, mais elle agit elle aussi, après la Russie qui
manœuvre sans bruit et avec succès.
A.-A. Fauvel,
Ancien officier de Douanes chinoises au Chan-toung,
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LE PREMIER PARTAGE DE LA CHINE
(Suilejii).
Le i)arUige de la Chine continue avec une régularité presque mathé-
matique et une docilité que Ton aurait jamais pu supposer chez
les Chinois. Nous avons vu que l'Allemagne, TAngleterre et la Russie
avaient obtenu du Tsung li Yamen des concessions de diverses natures.
L'Allemagne, la cession à l>ail pour 99 ans de la baie de Kiao-Tchéou
et des concessions de chemins de fer et de mines dans la province de
Chantoung ;
L'Angleterre, la promesse de non-aliénation d'aucune partie de la
vallée du Yang-Tsé, le maintien d'un Anglais à la tète de la direction
générale des douanes, Touverture de tous les cours d'eau et de 3 ports
au commerce européen, la concession (de concert avec une banque alle-
mande) d'un emprunt de 400 millions de francs ;
La Russie, la cession à bail fK)ur 25 ans de Port-Arthur et de Talien-
Wan et le droit de raccorder ces ports par un chemin de fer au trans-
roandchourien.
Cet important succès de la Russie, s'installant à l'entrée du golfe du
Petchili avait vivement surexcité l'opinion publique en Angleterre. I^
gouvernement britannique, qui avait toujours déclaré jusqu'alors que sa
politique n'était pas une politique d'annexion, mais une politique de
pofie ouverte en Chine, se trouvait dans l'alternative de ne pas donner
satisfaction à l'opinion publique ou d'agir d'une façon contraire à ses
déclarations. Son hésitation ne fut pas longue, les principes, chez nos
voisins d'Outre- Manche, fléchissant toujours rapidement devant les inté-
rêts. En compensation de la cession de Port- Arthur — car c'est toujours
à titre de compensation qu'une demande est adressée à la Chine —
l'Angleterre exigea l'occupation d'un point stratégique etjeta son dévolu
sur Weï-Haï-Weï.
A la séance de la Chambre des communes du 5 avril. M. Balfour,
chaîné de l'intérim du Foreign Office en l'absence de lord Salisbury,
a fait connaître le résultat des négociations avec la Chine. Lorsque le
gouvernement anglais apprit que la Russie négociait pour l'acquisition
de Port- Arthur, il proposa à cette puissance de s'abstenir de cette ac-
(1) Voir la Rev. Fr., avril 1898 p. 2il.
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278 REVUE FRANÇAISE
quisiliod, s'engageant de son côté à ne prendre possession d'aucun port
dans le golfe de Petchili. La Russie déclina cette proposition. Le cabinet
britannique informa alors la Russie qu'il se considérait comme libre de
prendre des mesures pour la protection des intérêts anglais. Il demanda
en même temps à la Chine de lui céder à bail le port de Weï-Haï-Wei
dans les mêmes conditions que Port-Arthur était cédé à la Russie. La
Chine ne put faire autrement que de consentir à cette demande et céda
Weï-Haï- Weï dont l'Angleterre prendra possession lorsque le Japon, qui
occupe cette place jusqu'au paiement intégral de l'indemnité chinoise,
aura procédé à son évacuation. Il faut ajouter que le gouvernement du
Mikado, pressenti par l'Angleterre, avait donné son adhésion à cette
combinaison, en échange, sans doute, d'autres avantages.
H reste maintenant à savoir quand le Japon évacuera Weï-Haï- Weï,
car si l'indemnité due par la Chine peut être payée, après l'emprunt
qu'elle vient de contracter, en une seule fois et à bref délai, elle peut
aussi n'être réglée que par versements partiels, dont le dernier, d'après
le traité de Simonoseki, peut être retardé jusqu'en 1002.
C'est certainement en vue de faire pièce à la Russie que l'Angleterre
a jeté son choix sur Weï-Haï- Weï. Cette place, située presque en face de
Port-Arthur, commande la partie sud de l'entrée du golfe du Petchili,
comme Port- Arthur en commande la partie nord. Assiégée par les Japo-
nais pendant la dernière guerre, elle fit une vigoureuse résistance avec
l'appui de la flotte chinoise. Cette dernière dut cependant se rendre
lorsque les Japonais, qui avaient attaqué la place par terre pour en
prendre à revers les défenses, l'eurent mise entre deux feux. L'île qui
commande l'entrée du port est bien fortifiée et en mesure de résister à
toutes les attaques si elle est appuyée par les batteries de terre.
Au point de vue stratégique, les Anglais ont donc eu la main heu-
reuse en se faisant céder Waï-Haï- Weï. Mais cette place demandera des
travaux de réfection considérables (les batteries de terre ayant é4é
détruites) et la présence d'une nombreuse garnison en raison de Fim-
porlance des ouvrages à défendre. En outre, elle ne vaut pas Port-
Arthur.
A un autre point de vue il faut remarquer que Weï-Haï- Weï se trouve
à peu de distance de Kiao-Tchéou et dans cette même province de
Chantoung où l'Allemagne a acquis des droits privil^és et qu'elle
considère comme rentrant dans sa sphère d'influence. Bien que M. Bal-
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LE PREMIER PARTAGE DE LA CHINE 279
four ait déclaré que « les intérêts anglais étaient identiques aux inté-
rêts allemands et que l'Angleterre travaillait avec TAllemagne la main
dans la main, dans un but commefcial général » — ce qui a quelque
peu surpris les Allemands — un conflit est toujours possible.
Le cession de Weï-Haï-Weï n'aurait cependant pas satisfait entière-
ment TAngleterre et on assure que les négociations se poursuivent en
vue de la cession des îles Chusaîn, près de Tembouchure du Yang-Tsé,
ou d'un territoire sur le continent en face de Hong-Kong. Ce n'était
vraiment pas la peine de faire entendre bien haut que la politique an-
glaise n'avait pas pour but des ambitions territoriales et le démembre-
ment de la Chine, pour en arriver à un pareil résultat. Il est vrai que
certains journaux prétendent que c'est une façon de soutenir le gouver-
nement de Pékin contre des influences rivales. Le Daily Graphie a
même l'air de développer sérieusement cette thèse qu'en prenant Weï-
Haï-Weï « le gouvernement de la reine donne une expression pratique
de son attachement au principe de l'indépendance chinoise » l
L'Allemagne, la Russie, l'Angleterre une fois satisfaites, le gouver-
nement de Pékin a bien voulu donner son adhésion aux demandes de
la France, qui arrive bonne dernière, n'ayant pas employé vis-à-vis du
Tsung li Yamen, les procédés expéditifs et comminatoires des autres
puissances. Aussi le gouvernement chinois, qui est devenu d'une bonne
composition vraiment extraordinaire, remerciait-il en quelque sorte la
France de ses bons procédés. Dans le télégramme par lequel il annon-
çait, dans les premiers jours d'avril, son adhésion aux propositions
françaises, il ajoutait : « Nous espérons que votre Excellence nous saura
gré d'avoir mis toute notre bonne volonté dans les négociations et de
la diligence avec laquelle nous en avons hâté la conclusion. Votre
Excellence pourra déclarer au gouvernement français que la France a
obtenu toutes ses demandes par des négociations amicales, sans qu'elle
ait eu â user de démonstrations navales ni d'ultimatum. » On ne saurait
être plus accommodant !
On se rappelle que la France, en vue de maintenir l'équilibre entre
les diverses puissances en Extrême-Orient avait demandé à la Chine :
l** la non-cession à une autre puissance des provinces chinoises limi-
trophes du Tonkin : Yunnan, Kouang-Si, Kouang-Toung ; 2<* La con-
cession d'un chemin de fer du Tonkin à Yunnan Fou ; 3^ La nomination
d'un Français à la direction des postes chinoises; 4® La cession à bail
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280 REVUE FRANÇAISE
d'une baie sur les côtes méridionales de la Chine, qui est la baie de
Kouang Tchéou.
La Chine a fait droit à toutes ces demandes. Déjà par un arrangement
antérieur — du 12 juin 1897 — elle avait pris rengagement, envers la
France, de ne pas céder à d'autres puissances l'île d'Haïnan, qui ferme,
du côté de la Chine, le golfe du Tonkin. C'est là un réel succès pour
notre diplomatie, suivant de près les avantages remportés par les autres
puissances.
Par l'inaliénabilité des provinces chinoises voisines du Tonkin, la
France entoure cette colonie d'un rideau protecteur, qui forme, en
quelque sorte, un véritable tampon. Par la concession du chemin de fer
de Yunnan, qui se raccordera avec celui de Langson, elle s'assure de
la pénétration commerciale au Kouangsi et au Yunnan et peut attirer
par là, dans la vallée du fleuve Rouge, le transit commercial de cette
partie de la Chine. Par la cession de la baie de Kouang Tchéou, dans
la presqu'île de Lei Tchéou, elle s'assure la possession d'un abri silr
et d'un centre de ravitaillement pour sa flotte ainsi que d'un poste d'ob-
servation important à l'entrée des mers de Chine (1). Située dans la
presqu'île de Lei Tchéou et séparée seulement par un détroit de l'île
d'Haïnan, la baie de Kouang Tchéou se trouve à proximité du golfe du
Tonkin dont elle garde l'entréedu côté de l'Orient. Elle est, en quelque
sorie, la clef du détroit et assure à la France la suprématie dans les eaux
du golfe du Tonkin. La valeur de cette position est encore accrue par
son voisinage de Tîle d'Haïnan, qui rentre dans la sphère dlnfluence
de la France.
Il y a seulement lieu de regretter que le gouvernement français n'ait
pas demandé à la Chine la cession d'un port quelconque de cette île,
deux fois grande comme la Sardaigne, afin de bien établir sa. volonté de
ne pas laisser s'y constituer une influence autre que celle de la France.
La chose eût été d'autant plus facile que le gouvernement de Pékin ne
sait rien refuser aujourd'hui à ceux qui lui demandent un morceau de
territoire et qu'il a mis une bonne grâce particulière à accéder aux de-
siderata de la France.
Nous avons déjà signalé la mauvaise humeur témoignée par les jour-
naux anglais lorsque ceux-ci apprirent que la France allait tout bonne-
(1) Voir page 312 la description de la baie de Kouang Tchéou.
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LE PREMIER PARTACÎE DE LA CHINE
281
ment imiter en Chine la ligne de conduite de T Angleterre. Lorsqu'il
apprit que la France demandait la cession d'une baie dans la Chine
CHINE
Wr^^
méridionale, le Times, par habitude sans doute, ne nous ménagea pas
sa désapprobation. « Cette nouvelle, disait-il, semble si étonnante que
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282 REVUE FBANÇAISE
nous hésitons à y ajouter foi, ayant plus ample confirmation. En effet,
toutes les puissances commerciales intéressées dans le commerce avec
la Chine, verraient d'un très mauvais œil que la France agît ainsi et ne
manqueraient pas de faire de très sérieuses représentations ...» Cest
toujours la mise en avant de cette théorie que ce qui est permis à l'An-
gleterre est défendu à la France.
Cependant, rassuré par la modération des prétentions françaises, le
Times — rendons-lui cette justice, et d'autant plus volontiers que l'occa-
sion en est plus rare — voulut bien se montrer plus équitable dans ses
appréciations. « Kouang Tchéou, dit-il ultérieurement, est situé dans
une sphère où la France a déjà des intérêts considérables et nous ne vou-
lons pas nous opposer aux demandes légitimes de la France, mais il ne
faut pas qu'elle imite la Russie et prenne notre consentement pour pré-
texte à des demandes exorbitantes. » Le Times peut être tranquille : ja-
mais l'ambition de la France n'arrivera à la hauteur de celle de l'An-
gleterre, qui vient de se réserver un morceau de mattre dans le gâteau
chinois.
Bien que l'on prête à l'Angleterre l'intention d'occuper encore quelque
position stratégique, on peut considérer aujourd'hui le premier partage
de la Chine comme accompli. Ce n'est pas que les positions effective-
ment occupées aient enlevé à la Chine un territoire important. Non,
car ces positions ne sont toutes que des points stratégiques d'étendue
très restreinte. Mais ce qui est beaucoup plus grave pour l'avenir, c'est
l'indication que chaque nation a faite de la zone dans laquelle elle en-
tend faire prédominer son influence. Sous ce rapport, il y a eu une
réelle attribution de la Chine.
I\os voisins d'outre-Rhin ont été les premiers, dans cette occasion, à
prendre part à la curée. Bs n'ont pas, il est vrai, stipulé que le Chan-
toung où se trouve Kiao Tchéou, serait inaliénable. Mais les privilèges
qu'ils ont obtenus sous le rapport des mines, chemins de fer, etc., leur
assure une situation prépondérante et Ton peut dire que la province de
Chantoung est placée dans leur sphère d'influence. Par ses richesses
naturelles, sa population de 30 millions d'habitants, sa position stra-
tégique à l'entrée du Petchili, le Chantoung est un morceau de choix.
Mais ce n'est rien à côté de la part que l'Angleterre s'est réservée : la
vallée du Yang-Tsé, la région la plus peuplée de la Chine ( environ SOO
millions d'habitants), la plus riche, la plus fertile et la plus industrieuse.
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LE PREMIER PARTAGE DE LA CHINE 283
Il se passera du lemps avant que les Anglais aient pënélré dans cet im-
mense bassin, qu'ils ont placé, en quelque sorte, dans leur sphère d'in-
fluence. Mais quand ils auront fini par initier à tous les secrets de Tin-
dustrie européenne cette race intelligente, souple, travailleuse et presque
sans besoins qui peuple Tempire du Milieu, ils se trouveront en présence
d'une concurrence commerciale des plus redoutables. Car II ne faut
pas Toublier, ce n'est pas par les armes, mais par la concurrence à bon
marché que le Chinois sera redoutable un jour.
Nous avons vu que la part de la France était plus modeste et que sa
sphère d'influence se bornait aux provinces limitrophes du Tonkin.
Celle du Yunnan appartient, il est vrai, mais pour une petite partie,
au bassin du Yang-Tsé et les Anglais ne manquent pas de revendiquer
cette portion dé teTritoire. Il n'y a vraiment pas là matière à contes-
tation.
Quant à la Russie, sa sphère d'influence directe est naturellement in-
diquée par les travaux du chemin de fer transsibérien traversant la
Mandchourie et devant se rattacher d'un côté à Vladivostok et de l'autre
à Port-Arthur, par Bedouna. Ici, l'absorption sera plus prompte. L'exé-
cution des travaux amène un nombreux personnel russe, avec des
troupes de protection, des escortes de Cosaques, etc. Aussi la Mand-
chourie est-elle considérée par tous comme devant être, à un jour assez
proche, rattachée à l'empire des tsars.
De tous les intéressés dans les affaires d'Extrême-Orient, un seul pays
s'est ténu sur la réserve. Le Japon, en effet, le récent vainqueur du
Céleste empire, n'a pas eu sa part des dépouilles et n'a même pas tendu
la main. Il y a là de quoi surprendre. Mais peut-être un accord secret
a-t-il fkit la part de ceux dont le silence paraît être, à première vue,
une véritable énigme.
A. MONTELT..
P.-S. — D'après un télégramme de Pékin, 26 avril, le Japon a ob-
tenu de la Chine que la province de Fo Kien, située en face de Formose
ne serait jamais cédée à une puissance étrangère. C'est donc la région
de Fou Tchéou que le Japon a choisi comme rentrant dans sa sphère
d'influence. Il ne reste donc plus guère que la Mongolie avec Pékin, le
Tibet et le Turkestan chinois dont le Céleste empire puisse disposer.
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LA DÉCADENCE
DE NOTRE
SERVICE POSTAL DE L'ATLANTIQUE
Si la Chambre des députés, arrivée au terme de son mandai, a cru
devoir donner raison aux vieux errements liés à de puissants intérêts
privés, défendus avec une énergie digne d'une meilleure cause, par
MM. Brindeau et Charles Roux, on doit lui savoir gré d'avoir su con-
sacrer les trois séances des 24, 25 et 29 mars à écouter les discours si
remarquables et si documentés de MM. Louis Pichon, Viviani et Char-
ruyer.
Dans son rapport sur le budget du ministère du commerce, conçu à
un point de vue général, M. Charles Roux s'exprimait bien ainsi : « Nous
laissons à notre barbe les ports de Hambourg, d'Anvers, de Rotterdam,
de Brème, au fond de leurs ancrages souvent inaccessibles, obstrués
fréquemment par les glaces, reculés dans des mers périlleuses, con-
currencer Bordeaux, Nantes, Brest, Cherbourg, le Havre, Dunkerque,
Bayonne, Cette, Marseille,-toutes ces portes ouvertes sur l'Océan et la
Méditerranée par tous les temps et dans toutes les saisons. »
Pourquoi le distingué député de Marseille a-t-il omis dans cette énu-
mération, le port de Saint-Malo, déjà en l'état actuel, autrement impor-
tant que Brest, Cherboui^ et Bayonne, et dont un appontement facile à
établir, en eau profonde sous la cité de Saint-Servan, pourrait refaire,
du jour au lendemain, le premier port de commerce et de trafic postal
de la France, à proximité de l'Atlantique? Si dans son discours du
29 mars, M. Charles Roux a pu dire au sujet de Brest — ce qui n'est
d'ailleurs pas un argument au point de vue du trafic postal, tel que le
comprennent et le pratiquent nos concurrents étrangers: « Comme
port de guerre, Brest nous a rendu déjà d'éminents services et nous en
rendra certainement encore ; mais, comme centre commercial il n'existe
pas, et il est bien difficile. Messieurs, de créer du jour au lendemain
un centre commercial. Il faut des siècles. » Saint-Malo et la rade de la
Rance sont restés un centre commercial latent, auquel la nature et la
géographie ont assuré une supériorité sur le Havre, dont l'évidence
se serait imposée à un peuple moins détaché que les Français, de la
grande lutte pour la production de la richesse. Alors que, sous prétexte
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DÉCADENCK 1)K NOTIIK SKIlVia: POSTAL 1)K L'ATLANTIOUE :>85
de débarquer ou d'embarquer, à proximité de Paris, les passagers
d'Amérique, ou a enfoui des centaines de millions dans les sibles
mouvants de Testuaire de la Seine, sans arriver à doter les abords des
bassins factices du Havre, de la profondeur nécessaire, et de Taccessi-
bililé à toute heure et en tout état de marée, il suffirait de savoir
dépenser intelligemment et pratiquement trois ou quatre millions sous
Saint-Servan, ou entrent et évitent les plus gros cuirassés d'escadre, pour
mettre en valeur, au point de vue du grand traiic, la rade profonde, à
proximité de l'Atlantique, qui se prêterait le mieux ù la distribution et
à la concentration des passagers et des dépêches sur le continent.
Au point de vue de la logique du débat transatlautique à la Chambre,
le discours de M. Viviani, du 29 mars, montrant la décadence de la
ligne postale française, tombée depuis le contrat de 1883 au septième
rang entre ses concurrentes, aurait dû précéder le discours prononcé
par M. l-iouis Pichon, à la séance du 2o, pour exposer les conditions
indispensables du relèvement de notre service postai. Le parti pris bien
arrêté de la majorité du Palais-Bourbon de conserver quand même
au Havre le bénéfice de la tête de ligne du service postal de l'Atlan-
lique-Nord, devait dispenser le rapporteur de la commission du budget
elle ministre du commerce, d'engager la discussion sur le terrain où
lesavaientconviés les adversaires du projet du gouvernement, substituant
arbitrairement le combat de gré à gré au principe légal de l'adjudication
ouverte.
Si M. Viviani a su réfuter avec beaucoup de talent et de netteté les
aliments, en contradiction avec toutes les idées reçues dans les milieux
maritimes, auxquels M. Charles Roux et le ministredu commerce se sont
raccrochés, pour tenter d'expliquer ce maintien de la tête de ligne de
notre service postal au Havre, équivalant à une abdication définitive
devant nos concurrents, le jeune député de la Seine aurait peut-être pu
exposer d'une façon un peu plus synthétique, ces causes de la déca-
dence du commerce maritime de la France, parmi lesquelles une con-
ception officielle autant qu'erronée du fonctionnement des grandes
lignes postales joue un rôle considérable.
Dans une brochure des plus intéressantes sur la marine marchande,
publiée, il y a peu de temps, par M. Roger Lambelin, et lors des dis-
cussions du dernier congrès de la « Loire navigable », on s'est chargé
d'indiquer à M. Charles Roux, l'une des causes principales pour les-
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m REVUE FRANÇAISE
quelles nous décimons, alors que les AUemauds progressent tous les
jours, en nous concurrençant à notre barbe, avec nos propres ports.
Aussi bien que les Belges et les Hollandais, les Allemands ont compris
que les transports à bas prix devaient se faire avec les fleuves et les
canaux : ces voies qui marchent, et ils ont su développer leur iiystème
de communications intérieures par eau, de façon à amener directeoml
le fret aux convoyeurs de mer dans des ports comme Hambourg et Brème.
A la place des Français, les Allemands auraient créé Paris port de mer, et
entretenir Nantes, au lieu de chercher à développer, au bénéfice exclusif
des grandes compagnies de chemins de fer, des ports de tonnage aussi
excentriques que le Havre et Saint^Nazaire. Par contre, le jour où» la
lutte des vitesses s'est dessinée enire les grandes compagnies de paque-
bots-postes de FAtlantique-Nord, ces mêmes Allemands — qui sont
d'ailleurs venus exploiter pour leur compte, les avantages de la situation
géographique dé Cherbourg — se seraient empressés de lâcher le Havre
pour chercher en baie de la Rance, ou en rade de Brest, les ports du
littoral permettant de réduire à leur minimum, les voyages de mer, avec
les risques et les inconvénients qu'ils comportent.
Par exemple, M. Viviani a admirablement réfuté l'argument fonda-
mental de MM. Brindeau, Charles Koux et Boucher, en faveur du
maintien du Havre comme seul port d'attache du service postal de
TAtlantique-Nord : « Et si la Compagnie Transatlantique insiste, si die
prétend qu'elle ne peut pas mettre les marchandises sur ses navires,
comme nous n'avons pas int^êt en passant un contrat avec elle à lui
faire perdre cet élément de trafic, je demande si nous ne pourrions pas
laisser à cette compagnie, le soin de dédoubler ses services, d'appliquer
cette idée familière à M. Dupuy de Lôme qui était, j'imagine, un homme
compétent et qui a toujours demandé qu'on laissât les compagnies libres
d'avoir deux sortes de navires, d'abord des navires de 2S nœuds, uni-
quement réservés aux voyageurs, et des navires de 12 à 13 nodudfi, uni-
quement destinés au transport des marchandises. »
Bien que, ainsi que l'a rappelé M. Charruyerà la séance du 24mai^,
d'après les dispositions de la Igi du Id mars 1895, pendant un certain
nombre d'années encore, le seul port du Havre absorbera, au plus grand
détriment de tous les autres, la presque totalité des crédits ouvris au
ministère des travaux publics, il semble démontré que, jamais on ae
pourra utiliser commodément et pratiquement dans ce port des types
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DÉCADENCE DE NOTUE SERVICE POSTAL DE LATLANTIQUE 287
steamers analogues aux paquebots monstres que les grandes compagnies
concurrentes mettent en exploitation sur leurs lignes, entre TAmérique
elles ports du continent ou du Royaume Uni à proximité de l'Atlan-
tique, où les passagers, les sacs de dépèches et les colis postaux viennent
de plus en plus, chercher les traversées de mer les plus rapides, en
délaissant Liverpool aussi bien que le Havre.
Pendant les dix ans que la convention postale ratifiée par la Chambre
va retenir au Havre, en dehors du mouvement des passagers et des
dépêches, notre ligne indigène subventionnée, tout porte à croire que le
trafic rapide entre l'Europe continentale et le Nord-Amérique, s'établira
par les grands ports bretons qui sont encore plus rapprochés de l'Atlan-
tique que la rade de Cherbourç et qui se prêtent mieux pour organiser
rembarquement et le débarquement à quai. Mais dans cette course à la
vitesse qui semble devoir s'accélérer jrfutôt que se ralentir — quoiqu'en
pense M. Charles Roux, — qui sait si Tesprit d'entreprise des Anglo-
Saxons, des Ecossais et des Irlandais ne viendra pas disputer la clien-
tèle du continent à nos ports voisins de l'Atlantique, en amenant, par
les tunnels futurs sous le Pas-de-Calais et sous le détroit entre l'Ecosse
et le nord-irlandais, les trains éclairs d'Europe jusqu'à Londonderry-
Moville. d'où une ligne rapide sur Halifax, réaliserait un gain de
i.OOO milles marins, sur les traversées actuelles entre nos ports de
l'Atlantique et New- York. Voilà déjà un an que la Chambre de com-
merce de Belfast a entamé sérieusement l'élude d'un projet d'établis-
sement de communication sous-marine entre l'Ecosse et l'Irlande, et,
pour qui connaît la persévérance et la force de volonté de cette grande
communauté de l'Ulster, il ne peut y avoir de doute qu'elle réussira à
triompher de tous les obstacles. Ce sont d'ailleurs les chantiers de Bel-
fast qui vont mettre prochainement à l'eau pour la White-Siar S.^S C«
le nouvel « Oceanic », ce steamer de 210 mètres, plus grand que le
« Great Eastern », qui construit par le Righthon. H. Pirrie, Téminent
successeur du grand architecte naval Sir William Harland, enlèvera
sans doute à la Norddeutscher Uoydy la suprématie du tonnage et de
la vitesse qu'elle avait momentanément conquise avec son « Kaiser
Wilhem der Grosse. »
Et pendant que les compagnies concurrentes renforceront leurs flottes
avec des nouve»ix navires de ce type, notre service postal immobilisé
au Havre, pourra^ à peine conserver le septième rang, auquel la pré-*
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288 REVUE FRANÇAISE
pondérance des intérêts particuliers sur l'intérêt national et une fausse
conœption des lois du trafic maritime l'ont laissé descendre.
En 1900, quand l'attraction spéciale de V Exposition du Génie Celtique
à Rennes pour les nations qui doivent y participer, induira les Gallois,
les Ecossais, les Irlandais, les Celtes du Nouveau-Monde et deTAustra-
lie à passer par la Bretagne, pour se rendre à l'Exposition de Paris, ou
en revenant, ce seront des compagnies étrangères qui bénéBcieront de
ce mouvement par les ports bretons, tandis que la ligne postale fran-
çaise du Havre, continuera à transporter les passagers de cabine que les
lignes concurrentes se verront obligées de refuser.
IjONKL RADIGUtT.
LE DEVELOPPEMENT DES ETATS-UNIS
Sous ce titre, le Scottish Geographicat Magasine An mois d'avril publie
un intéressant travail de démographie et de statistique dû à M. Henri
Garnell du département de l'inspection archéologique aux États-Unis,
dont l'analyse intéressera sans doute les lecteurs de fa Revue Française,
Partant du lendemain de la paix qui mit fin à la guerre de rindéi)en-
dance entre les colonies de la Nouvelle Angleterre et la mère patrie,
M. H. Garnett nous montre les États-Unis d'Amérique délimités, en
l'î90, par le Mississipi, parle Canada et par l'Atlantique, passant d'une
superficie initiale de 900,000 milles carrés, à un domaine territorial
de 3,600,000 milles carrés, par les acquisitions et annexions successives
de la Louisiane, en 1803; de TOrégon; des Florides, en 1821 ; du Texas,
en 1847; de la Californie, du Nevada, de l'Utah, de TArizona, du Colo-
rado, du Nouveau Mexique, puis en dernier lieu de l'Alaska, acheté à la
Russie en 1867.
Comme système orographique, deux grandes arêtes : la Cordillère
à l'ouest, la chaîne des Apalaches à l'ouest, avec trois vallées.
Quel a été le développement de la population parallèlement à celui
de l'habitat de la nation américaine ?
Le premier recensement officiel aux États-Unis en 1790, accuse une
population de 3,900,000 habitants occupant surtout la bande étroite du
littoral atlantique du Maine à la Géorgie etc'estàpeine si la pénétration
vers l'ouest avait atteint le pied des monts Apalaches, avec trois ou
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LI-: I)ÉVKL(M»I»KAII:M DKS ÉTATS-LMS 289
quali*e centres de colonisation dans cette région alors lointaine. Depuis
1790, le développement de la population a été phénoménal, elle s'est
multipliée seize fois et, pendant le siècle qui s*est écoulé la proportion
de l'accroissement a varié de 230/0 à 26 0/0 par décade. La proportion
initiale de cinq habitants par mille carré — tombée à quatre en 1810
par suite de l'acquisition de la Louisiane — atteignait dix-sept au mille
carré en 1890. La population des différents états en 1890 variait de
6,000,000 pour celui de New^York à 45,000 pour celui du Nevada et la
densité de la population de 318 par mille carré dans le Rhode-Island
à moins de 1/2 dans le Nevada.
En ce qui concerne les sexes, en raison surtout de Timmigration de-
puis 1830, les mâles se sont trouvés en plus grand nombre, surtout
dans l'ouest. Le nombre des têtes par foyer a diminué de o,So'"^* per-
sonnes à 4,99'®°'** aujourd'hui, où les familles les moins nombreuses ont
jHHir habitat les états du nord-ouest, le New-Hampshire spécialement.
Quelles sont les différentes races qui ont contribué à former cette po-
pulation des États-Unis qui atteignait en 1890 le chiffre de 63,000,000
d'habitants ?
Comme première distinction essentielle au point de vue de la for-
mation ethnique du peuple américain, il y a celle entre la race blanche
et la race africaine avec les métis qui s'y rattachent. En 1790, la pro-
portion était de 3,172,000 blancs pour 737,208 nègres, tandis qu'en
1890 elle est devenue de 34,938,890 blancs pour 7,i70,040 noirs.
D'où sont venus les éléments d'immigration qui, depuis un demi-
siècle, ont considérablement contribué à l'accroissement de la population
des États-Unis?
Les quinze millions et plus d'Européens qui, durant cette période ont
émigré aux États-Unis, peuvent se répartir de la fagon suivante en
tant que provenance : 6,230,000 originaires du Royaume-Uni dont
3,500,000 Irlandais; 4,300,000 /MIeraands: 1,000,000 de Scandinaves:
400,000 Austro-Hongrois et autant d'Italiens, etc., etc. Donc, dans
l'immigration totale, le Royaume Uni et l'Allemagne viennent en tête
avec les proportions de 40 et 30 0 0.
Lors du recensement de 183i), la population des lltats-Unis comptait
20,9i7,274 personnes nées en Amérique et 2,244,602 immigrés, tandis
quen 1890 la proportion était de 33,372,703 personnes nées en Amé-
rique et de 9,249,3i7 immigrés.
xxiii (Mai 98). N^ 233. 19
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îv
^^ i90 REVUE FRANÇAISE
¥ 11 n'existe pas d'Église d'État dans la grande république, où les ca-
p Iholiques romains, les méthodistes et les baptistes forment les commu-
^ nautés confessionnelles les plus imj)ortanles, comptant chacune ud
I ' * sixième de l'ensemble de la population.
f: Les illettrés au-dessus de dix ans d'âge sont dans les proportions de
I 8,7 0/0 de lensemble de la population, de 12 0/0 chez les immigrants
et de 70 0/0 parmi la jiopulalion de couleur,
Quelles sont les professions, les productions, les industries et les
exportations des Etats-Unis?
Comme valeur nette, c'est l'industrie de transformation, représen-
i tant quatre milliards de dollars, qui marche en tête des éléments de
. richesse des Etats-Unis, avant l'agriculture, les industries de transport
et les mines.
Au point de vue aj^ricole, le nombre des exploitations ou fermes qui
atteignait 1,500,000 en 1850, avait tripl<:' en 1890, tandis que la super-
f^ ficie des terres cultivées augmentait pendant la même période de
113,000,000 acres à 358,000,000 acres, et la proportion des terres cul-
[ livées atteignait le cinquième du territoire de l'Union.
Le capital engagé dans les différentes industries est monté do
:)33,000,0OO de dollars en 18S0 à 6 milliards et demi de dollars en
1890 avec Itis augmentations correspondantes de 957,000 à 4,712,000
pour les personnes employées et de 237,000,000 à 2 milliards de dollars
pour les salaires payés,
f^ La valeur totale des produits du sous-sol des Etats-Unis a été en 1896
- de 662,000,000 de dollars se répartissant entre la houille, le minoiû
de fer, le pétrole, l'argent, le cuivre, le plomb, etc., etc.
l Au point de vue des échanges intérieurs, en plus d'un immense sys-
\.. lème de voies navigables, les Etats-Unis disposent de réseaux ferrés
[- couvrant 180,000 milles et le commerce du transport atteignait eo 1890
l' un déplacement de 808,000,000 de tonnes.
^ Le commerce extérieur des Etats-Unis est encore à l'heure actoelte
p insignifiant (juand on le compare à l'immense mouvement des affaires
^ intérieures. La moitié des exportations et les deux tiers des importa-
tions passent par New- York.
La richesse d* s Etats-Unis, estimée à 7 milliards, de dollars en 18o0,
représentait en 1890 63 milliards de dollars.
L. R.
e*
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FLOTTES ESPAdNOLE ET AMÉRICAINE
•
La guerre qui vieal d'éclaler entrai l'Espagne et les Étals-Unis, —
i(uerre qui a pour cause la violente envie qu'ont les Américains de
(iiettre la main sur Cuba, la « Perle des AntilFes w, — met aux prises
deux gnindes nations ayant une marine importante. A l'actif des Amé-
ricains, il faut placer une énorme supériorité de population (70 millions
contre 17), de ressources naturelles, industrielles, et surtout, en énorme
abondance, l'argent, ce nerf de la guerre. C'est là le côté faible de
l'Espagne, dont les finances ont presque toujours été en mauvais état
et dont les ressources sont limitées. Mais les Espagnols ont une armée
solide, disciplinée, aguerrie par trois aimées de guerre civile à Cuba et
prèle à tous les sacrifices. Par contre, l'armée des États-Unis n'existe
qu'à l'état d'embryon (2o.()00 hommes en temps de paix) et les levées
d'hommes qui se font aétuellement ne pourront, avant longtemps, lui
donner un autre caractère que celui d'une milice armée. Sous ce rap-
port, l'armée espagnole de Cuba lui est incontestablement supérieure.
Les deux pays en guerre n'ayant point de frontières terrestres limi-
trophes, c'est sur mer que se décidera le sort de la lutte. Maîtresse de la
raer, la flotte espagnole pourra ruiner le commerce américain et ravi-
tailler sans cesse Cuba en hommes et en approvisionnements. Rien
alors ne pourra faire prévoir la fin de la lutte. Si, au contraire, la
flotte américaine l'emporte d'une façon décisive, la perte dé Cuba
est certaine, mais pourra toutefois se faire encore longtemps attendre.
Depuis la victoire des Autrichiens à Lissa (1866), aucune bataille
navale n'a été livrée, à l'exception de celle du Yalou pendant la
p:uerre sino japonaise. C'est donc avec un vif intérêt que Ton suivra
la lutte du canon, de la cuirasse et de la torpille entre deux flottes
munies de tous les perfectionnements modernes.
La flotte espagnole pèche sous le rapport des gros cuirassés, mais elle
possède un beau groupe de croiseurs cuirassés qui, par leur grande
vitesse, sont en mesure de refuser le combat en cas d'infériorité. Les
croiseurs ordinaires sont en nombre insuffisant et d'une valeur relative.
Par contre, le groupe des contre-torpilleurs, composé de navires neufs
et à très grande vitesse (6 filent de 28 à 30 nœuds) rendra sans douter
de grands services pour la coursiî des navires ennemis et pour forcei- le
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2'>2 REVUE FRANÇAISE
l>l(xus établi à Cuba. Les Américaius n'ont point de bâtiments de ce
^eure. Les torpilleurs sont peu nombreux.
La Hotte des Élats-Unis se compose de navires très modernes, rUnion
ayant procédé, depuis peu d'années seulement, à la reconstitution de
sa flotte. Les cuirassés ont un puissant armement et une forte protec-
tion, mais présentent dlassez graves défauts en raison de la hâte avec
laquelle ils ont été construits et de Tinexpérience des chantiers amé-
ricains qui n'en avaient pas encore eu à exécuter. Ses croiseurs cui-
rassés sont peu nombreux , mais ses croi. eurs corsaires réalisent de
belles vitesses. Ils sont, par coutrc, faiblement armés et font une
énorme consommation de charbon . Les Américains ne sont que faible-
ment représentés en torpilleurs.
Au point de vue du matériel, l'avantage est du côté des Étals-lnis.
II n'en est pas de même au point de vue du personnel. Les Espagnols
so^it d'excellents marins, présentant des qualités de résistance et d'endu-
rance à toute épreuve. Leur marine compte 2i officiers généraux, 870
officiers de tout gr.ide et 14.000 sous-officicrs et matelots, auxquelles il
faut ajouter 7.000 soldats d'infanterie de marine et 1.500 d'ailillerie.
En outre, l'inscription maritime donne une réserve de 16.000 hommes.
La marine des États-Unis compte 18 offliciers généraux, 703 officiers
de tout grade et 12.000 matelots. Les équipages se recrutent par enga-
gements volontaires. Les États-Unis n'ont ni inscrij)tion maritime, iii
réserve.
Voici quelle est la composition des doux flottes, en défalquant les
non-valeurs :
Espagne. — 3 cuirassés, 5 croiseurs cuirassés, 10 croiseurs, 7 canon-
nières-torpilleurs, 18 contre-torpilleurs, 14 torpilleurs, 1 sous-marin.
États-Unis. — 5 cuirassés, 6 garde-côtes cuirassés, 2 croiseurs cui-
rassés, 17 croiseurs, 18 torpilleurs, 3 sous marins.
Examinons maintenant la composition de la flotte espagnole :
3 cuirassés: Pelayo, ^umancia, Viltoria.
Le Pdayo — 9.900 tonneaux et 16 nœuds, — construit à la Seyne et
lancé en 1887, vient d'être transformé et muni d'une artillerie à tir
rapide et abritée. Son armement comprend 4 canons de gros calibre,
10 de moyen et 18 de petit calibre. C'est un l)on bâtiment.
La Numancia et la Vittoria sont deux vieilles frégates cuirassées de
7.300 t. remontant à 1863 et 1869. Ces bâtiments viennent d'être refon-
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^UM
LES FLOTTES ESPAGNOLE ET AMÉRICAINE ^293
dus à la Seyne et pourvus d'un armement moderne ; mais ils ne filent
que 10 à 11 nœuds. Leur caractéristique est un cuirassement total,
variant de 11 à 14 centimètres dans toutes leurs œuvres mortes.
5 croiseurs cuirassés: Carlos F. Cristobal-Colo/iy Almirante-Oquendo,
Infante- Maria-Teresa, Vizcaya.
Ces trois derniers, d'un type unique de 7.000 1., 13,000 ch. et 20 n.,
sont armés de 2 canons de 27 centimètres, 10 de 14 c, sans compler
rartillerie de petit calibre. Ils possèdent une ceinture blindée et un pont
cuirassé. Trois navires semblables, Principe de Asturias, C.-Cisneros,
C^iialuHa, sont en construclion.
Le C. -Colon — 6.840 1., 1 i.OOOchev., 20 n., — acheté en 1897 à l'Italie.
ej4 armé de 2 canons de 23 centimètres, 8 de lo centimètres à tir rapide
et 26 pièces de petit calibre, loutcs protégées par des masques. C'est un
des medleurs bâtiments de la flotte espagnole. Deux croiseurs sembla-
bles sont en construction à Gènes.
Le Carlos F— 9.235 t., 1«.500 ch. et 20 n. — a un pont cuirassé
et une ceinture blindée de 30 centimètres ne protégeant que la partie
centrale du navire. Son artillerie comprend 2 pièces de 28 c, 10 de 14
à tir rapide, 4 de 12 et 10 de pelit calibre. C'est le plus moderne et le
plus important de la flotte.
Ces cinq navires forment avec le Pelayo une bonne escadre de haute
mer.
10 croiseurs. — Les deux plus rapides sont : VAlfonso XIII — 5.000 1.
et 20 n. — et le Lepanto — 4.300 t. et 20 n. Les autres sont de faible
tonnage et de vitesse insuflisante : A/fonso XII, 3.090 t., 17 n. ; Aragon,
CasiiUa, Savarra. 3.340 t., 14 n. ; Heina- Mercedes, 3,020 t., 20 n.
A ces derniers. Il faut ajouter 3 [)etits croiseurs protégés : Marqv^s de
la Emenada, Isla de Cuba. Isla de Luzon, de 1 .050 t. et d'une vitesse
ne dépassant pas 16 n.
7 canonnières-torpilleurs, presque sans protection, dont l'une, Terne-
rario, file 20 n. et les autres 18.
18 contre-torpilleurs ou « destroyers » d'un tonnage variant de 380
à Soi) t. et d'une vitesse de 18 à 30 n. VAiidnz. ÏOsado, le Pluton, et
la Proserp^na, filent 30 n. : le Furor et le Terror, 28. Les autres ne
dépassent pas 22 n. 1/2.
14 torpilleurs dont quelques-uns sont déjà vieux et dont aucun no
dépafse 20 nœuds.
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^
294 REVUE FRANÇAISE
Un bateau sous-marin le Peral.
Enfin un certain nombre de petits croiseurs, canonnières, etc., de
plus ou moins de valeur militaire. A Cuba, il y a 40 canonnières de
40 t. de date récente.
Comme navires propres à êlre armés en course, TEspagne ne peul
guère prendre dans sa marine marchande que les 36 paquebots de la
a rx)mpania transatiantica ». Sous ce rapport elle se trouve dans un
grand état d'infériorité vis-à-vis des États-Unis. Mais elle vient d'acheler
les magnifiques paquel)0ts allemands Nomiania et Columbia filant21n.
qui pourront lui rendre de signalés services.
Passons maintenant à la flotte de TUnion.
5 cuirassés : lowa, Itidiana, Massachusetts, Oregm, Texas.
Vlowa — 11.400 t., 17 n. 8 — est arnu» de 4 pièces de 30 cent.
accouplées dans 2 tourelles-barbettes d'acier, de 8 pièces de 20 placées
par paires dans 4 barbettes, de 4 canon» de 10 à tir rapide. L'armement
est complété par 20 canons de petit calibre à tir rapide. Vlowa n'a
qu'une ceinture cuirassés partielle de 3o centimètres, couvrant seule-
ment la partie centrale du bâtiment, le reste n'est pas protégé.
MIndiana, le Massachusetts, VOregon sont de même type — 10.300 1..
16 n. 1/2. — l/artillerie comprend i canons de 33 cent, placés par
paires dans 2 barbettes, 8 de 20, 4 de 13 à tir rapide et 20 de petit ca-
libre à tir rapide. Une ceinture de 4S cent, protège les 4/S du bâti-
ment. Une cuirasse de 127 millimètres protèg^e le reste de la coque.
Le Texas — 7.300 t., 16 n. — est armé de 2 pièces de 30 en tourelles.
6 de 15 et 12 de petit calibre. Son cuirassement ne couvre que le tiers
du bâtiment. Le Marne qui a sauté à la Havane était du même type.
Deux autres cuirassés récemment lancés mais qui sont loin d'être prêt»,
le Kearsage et le Kenlucky, offrent cette particularité, qu'on ne trouve
que chez les Américains, grands amateurs de constructions étagées, de
posséder, à l'avant et à l'arrière, 2 tourelles superposées armées de ca-
nons de gros calibre.
6 gardes-côtes cuirassés : Monterey, Katahdin, Puritan, Amphitrile^
Miantonomahj Monadnock, Terror.
Les 4 derniers, de i.OoO t., ont une vitesse variant de 10 n. o à 14,
Ils sont de peu de valeur. Le Puritan déplace 6,130 t. et donne 13 iii
Le Katahdin est un navire à éperon, très bas sur l'eau, filant 16 u, \A
Monlerey — 4.200 t. 16 n. — est relativement récent. Sa ceinture cul-
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LES FLOTTES ESPAGNOLE ET AMÉRICAJNE 295
rassée, de 33 cent., est complète. Il est armé de 4 pièces de )I0 accou-
plées dans 2 tourelles et de 6 pièces de petit calibre.
2 croiseurs cuirassés : Brooklyn^ New-York.
Le Brooklyn — 9.270 t., 21 n. — a un rayon d'action de IS.OOO mil-
les. Il possède une ceinture partielle d'acier de 98 millimètres et un
pont cuirassé de 7i^ à 180 mil. Il est armé de 8 pièces de 20 accouplées
dans 4 tourelles et de 24 canons à tir rapide. Le New-York — 8.280 t.
et 21 n. — est protégé par une ceinture complète de 10 cent. Sa grosse
artillerie ne compte que 6 pièces de 20, plus les pièces à tir rapide. Ces
navires, de type analogue, sont les meilleurs croiseurs de la flotte.
3 croiseurs protégés : Columbia, Minneapolis, Olympia,
Ce» bâtiments appelés « commerce destroyer » (destructeurs du com-
merce) ou croiseurs corsaires, ont les premiers 7460 t. le 3* SS80 t. ;
ils ont donné 22 n. 8, 23 n. et 21 1/2. Mais ces vitesses ne peuvent
se maintenir longtemps et le ColumMa, dans une traversée de TAtlan-
tique à grande vitesse n'a atteint que 18 n. 40 en moyenne. Le pont
est en acier. L'armement est faible pour les 2 premiers : 1 pièce de 20,
2 de 18, 8 de 12, plus 12 de petit calibre, à tir rapide. VOlympia est
mieux armé : 2 pièces de 20, 10 de 12 et 14 de petit calibre, à tir
rapide.
6 croiseurs ordinaires : Baltirmre^ 4800 t., 20 n. 6 ; San Francisco y
4080 t., 20n.2; Philadelphia, 4410 t., 19n. 7 ',Newark,Mmi. 19n. f
Chicago, 4800 t., 18 n. ; Charleston, 4040 1. 18 n. 7 ; et 7 de moindre
importance : Cincinnati et Raleigh, 3180 t., 19 n. ; Atlanta, 3190 t.,
16 n, ; Boston, 3190 t., 18 n. ; Détroit, Marblehead et Montgomery,
2000 t. 18 n. 7. Ces bâtiments n'ont qu'une valeur militaire restreinte,
plusieurs manquent de stabilité. 1 croiseur-torpilleur, le Vesuvius de
21 n. 6.
Enfin si l'on ajoute 10 vieux monitors à tourelles, survivants de la
guerre de Sécession ; 28 canonnières, 18 torpilleurs, 3 sous-marins et
divers autres petits bâtiments, on a l'ensemble de la flotte des États-
Unis.
Depuis la probabilité d'une guerre avec l'Espagne, le gouvernement
de Washington a acheté au Brésil les 2 croiseurs Amasonas et Abreu,
devenus New Orléans et Albany. Le l^*" est prêt ; le 2^ encore en cons-
truction en Angleterre. Tous deux déplacent 3 430 t. et doivent donner
22 n. Ils sont armés de 4 pièces de 18c.. 4 de 12, 20 de petit calibre
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2î)G REVUE FRANÇAISE
et 10 mitrailleuses. Un autre croiseur acheté en AHemagne. a reçu le
nom de Topeka et est parti pour les États-Unis.
La flotte auxiliaire américaine possède de puissants navires. Uami-
rauté avait reçu, peu avant Touverture des hostilités, l'offre de 63
navires à vapeur, les plus grands de la marine des États-Unis. Parmi
eux, 4 seulement ont une grande valeur ; ce sont les beaux paquel)ols
de r 0 American line » : Saint-Paul, Saint-Lotm, de 11630 t., Paris,
New York, de 10670 t., donnant une vitessse de 20 n. Tous les autres
varient entre 1500 et 4600 t. et un seul atteint 16 n.
Ni TEspagne, ni les États-Unis n'ont adhéré à la convention de 1856
abolissant la course; ils pourront donc armer des corsaires. Le gouver-
nement américain a laissé entendre au début des hostilités qu'il renon-
cerait à la course si TEspagne prenait le même engagement. Mais, celte
puissance a maintenu son droit, et avec raison, car la course est à son
avantage et elle aurait bien tort d*y renoncer. La flotte marchande
américaine est, en effet, bien supérieure à celle de TEspagne et, par
suite, bien plus exposée que cette dernière à souffrir de la guerre. Les
Étals-Unis possèdent 483 vapeurs et 3 785 voiliers, tandis que TEspagne
n'a que 355 vapeurs et 1 108 voiliers. La disproportion du tonnage est
encore plus forte : les vapeurs et voiliers américains représentent
2.105.000 tonnes, tandis que ceux de TEspagnc n'arrivent qu'à ♦îoO.OOO.
Dajisces conditions, la course doit donc profiter surtout à l'Espagne.
Mais il ne faut rien exagérer à ce sujet, car la vapeur a changé bien
des choses. Il ne saurait être question, en effet, de faire la course avec
des navires à voile; or, les vapeurs sont rares et les plus susceptibles
de remplir cet office, en raison notamment de leur vitesse, ont été incor-
porés dans la marine de guerre sous le nom de croiseurs auxiliaires. Il
ne reste donc que des vapeurs de petit tonnage et de faible vitesse, et
ceux-là ne sauraient rendre de grands services. La course, on le voit,
ne ressemblera guère à celle qui a illustré Robert Surcouf et bien d'au-
tres de nos compatriotes.
Les flottes des deux nations n'ont pas encore fait parler d'elles, car,
de chaque côté, on n'était pas prêt. La principale escadre américaine,
commandant Sampson, concentrée à Key-West, à l'extrémité de la
Floride a immédiatement entrepris le blocus de l'ouest de Cuba, ce qui
est aller un peu vite quand on n'est pas maître absolu de la mer. Une
deuxième escadre, commandant Schley, composée de croiseurs rapides
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CONGRÈS DKS SOCIÉTÉS SAVANTES 297
et de paquebots armés a grande vitesse, semble avoir pour mission de
surveiller l'escadre espagnole qui était concentrée aux îles du cap Vert.
La composition de ces escadres de l'Atlantique varie sans cesse en raison
des opérations à exécuter.
Il n'en est pas de même dans le Pacifique, où, à cause des distances,
le groupement des forces varie peu. L'escadre américaine, commandant
Devey, concentrée dernièrement à Hong-Kong, se compose des croiseurs
Olympia^ Boston, RcUeigh, des canonnières Concord, Pétrel, et de trois
transports. Elle est supérieure à l'escadre espagnole des Philippines,
commandant Montojo, qui ne se compose que de faibles unités : les
croiseurs Ca^tilla, Don Juan, Ma de Cuba, Isla de Luzon, Reina-Cris-
tina, quatre bâtimenls de peu d'importance et sept petites canonnières.
Les croiseurs américains sont modernes, tandis que ceux de l'Espagne
n'ont que peu de valeur militaire.
La guerre qui vient d'éclater peut être longue, très longue môme, si
aucune intervention ne se produit. Les deux adversaires ne peuvent, en
effet, se porter de coup mortel et chacun d'eux est tenace et opiniâtre
au suprême degré. La perte môme de Cuba par les Espagnols, que les
Américains escomptent beaucoup trop rapidement, ne terminerait pas
nécessairement la guerre. D.
COiNGRÈS DES SOCIÉTÉS SAVANTES
1^ congrès des sociétés savantes de Paris et des départements s'est
ouvert le 12 avril, dans le grand amphithéâtre de la nouvelle Sorbonne
sous la présidence de M. Alexandre Bertrand. Voici, parmi les commu-
nications, un résumé de celles ayant un caractère géographique :
M. H. Froidevaux a recherché quel est le l^"" voyageur européen
ayant remonté le Sénégal jusqu'au point où il cesse d'être navigable,
c'est-à-dire à la chute du Félou. On croyait jusqu'ici qu'André Bruë
avait été le !**•' à pénétrer au pays de Galam et à s'avancer jusqu'à la
chute du Félou, C'est à un autre voyageur, Chambonneau, que doit re-
venir cet honneur. Dans un mémoire adressé à Seignelay en 1688, il
raconte avoir pénétré au pays de Galam en 1686 et avoir envoyé
en 1687 une expédition qui paivint au pied de la chute du Félou et en
dressa une carte qui est conservée dans les archives du dépôt des cartes
et plans de la marine. Cette mission ne put pénétrer plus avant dans le
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298 REVUE FRANÇAISE
pays, mais elle en rapporta, outre delà poudre d'or, d'intéressants ren-
seignements géographiques.
M. HANTftKux donne communication d'un mémoire sur les courants
de l'Atlanlique nord déterminés par les épaves flottantes. Les carcasses
de navires, les bouteilles flottantes et les glaces montrent que les eaux
de l'Atlantique nord forment, sous l'impulsion des vents, deux vastes
circuits se mouvant en sens contraire et imitant les mouvements de
l'atmosphère dans ces régions. En 10 années les parcours de 300 car-
casses ont permis d'analyser 050 trajets partiels. Dans le même laps de
temps, 750 bouteilles ont aussi été recueillies sur différents rivages.
M. Thoulet rappelle à ce propos qu'il a depuis longtemps préconisé
l'emploi d'épaves artiticiolles peintes de couleurs voyantes qui rempla-
ceraient avantageusement les autres flotteurs.
M. MouHLOT, professeur au lycée de Caen, lit un mémoire sur le
groupe des îles Chausey. Cet archipel, situé à Test du Cotentin, com-
prend environ 300 ilôts et écueils dont 53 seulement découverts à marée
haute. Un chenal large et profond le sépare en deux parties. I^ plus
grande de ces îles a une longueur de 2 kilomètres et une largeur très
variable. Elle possède un sol fertile et des carrières de granit; elle est
entourée de prairies flottantes de varech qui reliant entre eux tous les
îlots. Les Chausey sont, depuis la fin du wni*" siècle la propriété d'un
lord des îles qui les fait exploiter par un fermier et loue des cabines
aux pécheurs de Normandie qui y font des séjours temporaires.
Le gouvernement français prit officiellement possession des îles au
xvni^ siècle dans un but fiscal : pour faire cesser la contrebande qui se
faisait, par les îles, entre Jersey et la France. En 1736, une caserne y
fut bâtie. Cassini publia l'archipel dans sa carte de France. En 1755,
un fort fut construit, mais une flotte anglaise le détruisit presque
aussitôt. Plus tard l'archipel devint propriété privée. Grâce aux ar-
chives départementales du Calvados, on peut se rendre compte des pré-
cautions avec lesquelles les ministres de Louis XV renouèrent, au len-
demain de chaque traité de paix, le fil de la possession française, de
manière à ménager les susceptibilités anglaises.
M. Froide VAUX appelle l'attention sur le projet de voyage que le duc
de Choiseul avait chargé Adanson d'exécuter en Guyane et qui, s'il
avait été réalisé, aurait avancé d'un siècle nos connaissances sur les
richesses des colonies américaines.
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CONGRES DES SOCIÉTÉS SAVANTES 299
M. Emile Belloc fait connaître un projet'de percement des Pyrénées
au port de la Pez (vallée de Louron) qui aurait pour but de mettre en
con^rnunication directe la vallée de TAure avec la vallée espagnole de
Gistain. Ce projet, approuvé en 176i, ne reçut qu*un commencement
d'exécution. M. Belloc signale, à propos des ports de la Ojère et de
Vénasque, les difficultés qu'éprouvèrent nos soldats au commencement
du siècle dernier pour amener en Espagne rarlillerie destinée à faire le
siège de Vénasque (Aragon) et de Castel-Léon (val d'Aran).
Une note de M. Flmot, archiviste du Nord, fait connaître que la
pêche de la morue et du hareng était déjà en pleine activité à Dun-
kerque au xui^ siècle. Dès la fin du xw® siècle, des traités furent con-
clus avec l'Angleterre à ce sujet. I-.es Dunkerquois péchèrent d'abord
la morue sur le Dogger-Bank, entre l'Angleterre, la Hollande et le
Danemark. Puis ils s'avancèrent plus au nord et poursuivirent la ba-
leine sur les côtes d'Islande et de Groi'*nIand. Au xvn® siècle ils fré-
quentèrent Terre-Neuve, mais ce ne fut qu'exceptionnellement. A partir
du xvHi® siècle, l'Islande fut toujours l'objectif de la flottille de pèche
dunkerquoise.
MM. G. Saint- Yves et J. Fournier ont envoyé un mémoire sur le
voyage de François de Lopès, marquis de Montdevergues, de la Ro-
chelle à Madagascar (1660- 16(37). On y trouve des lettres inédites ra-
contant en détail le voyage jusqu'à Fort-Dauphin de ce gouverneur qui
tomba bientôt en disgrâce et fut incarcéré, à son retour en France, au
château de Saumur où il mourut en 1672.
M. E. Chantre expose les résultats de ses recherches sur les popu-
lations de la vallée du Nil. La race égyptienne serait due à la juxtapo-
sition et peut-être au mélange d'un peuple envahisseur asiatique avec
des autochtones de race lybique. Cette race a peu varié depuis ses ori-
gines malgré les immigrations multiples de peuples très différents.
Ainsi l'Égyptien de nos jours — copte citadin ou fellah laboureur —
n'est pour ainsi dire pas mêlé avec le Perse, l'Arabe ou le Turc. Les
Grecs et les Romains n'ont pas influé non plus sur son type primitif.
M. C. Guy fait une communication sur la perte de St-Domingue
d'après divers mémoires (jui se trouvent aux archives du ministère des
colonies. Il en résulterait que St-Domingue n'aurait peut-être pas été
perdu pour la France si le général Leclerc, chef de lexpédition envoyée
par le premier Consul, n'avait pas été enlevé par la maladie. Son suc-
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:m lŒVUE hHANÇAISE
cesseur eut à lutter contre un ennemi redoutable, le n<^gre Dessalines,
qui se fit depuis proclamer empereur et sur le couronnement duquel
M. Guy donne de curieux détails. Un fait à remarquer, aujourd'hui
plus spécialement, est Tinlervention constante des États-Unis d'Amé-
rique, et même de TAngleterre (en guerre alors avec la France), en fa-
veur des noirs de St-Domingue. (les derniers firent en premier lieu
usage de leur liberté pour massacrer systématiquement tous les blancs
qui se troiivèrent dans l'ile. Aussi la population qui comptait 670,000
habitants avant la guerre, ne s'élevait plus qu'à 180,000 après Tavèm^
ment de Dessalines.
M. E. A. Martel expose les résultats de 10 années d'exploration
elïectuéesdans les gouffres, cavernes etrivières souterraines (1888-1897).
Les gouffres et abîmes ont surtout occupé M. Martel. Leur profondeur
avait été exagérée; ils atteignent cependant 210 mètres en France et
300 à 820 en Autriche, ce qui suffit à rendre difficile et dangereuse
l'exploration de ces puits naturels.
Les abîmes sont, en principe, les affluents des rivières souterraines
vers lesquelles ils conduisent les eaux de pluie par des voies plus ou
moins détournées. Ces rivières souterraines tirent généralement leur
origine de ruisseaux superficiels engloutis sur des points plus ou moins
nombreux. Elles sont en réalité des fausses sources. Très rarement il y
a communication directe, visible du moins, entre une perte et une
fausse source. En France on cite Bramabiau, la plus longue caverne
de France (6,300 mètres de développement total dont 700 pour le cours
direct de l'eau i; le Mas d'Azil, etc. Le Laos et le Tonkin paraissent pos-
séder en ce genre les plus remanjuables percées de part en part (Nam-
Hin-Boun, Sé-Bang-Faï, grottes de Pung).
La loi presque générale est l'existence, sur le cours des rivières sou-
terraines, de véritables siphons d'aqueduc qui jouent le rôle de vannes
fixes et retiennent les eaux en amont. Les siphons sont placés par-
fois à la sortie de la fausse source qui alors est complètement impé-
nétrable. C'est le cas des fontaines de Vaucluse, de la Touvre, de
rOmbla (Dalmatiej, etc,
Les explorations de M. Martel ont i>ermis de se rendre compte des
dangers de pollution des eaux souterraines. Ce danger provient de la
funeste habitude qu'ont les paysans de jeter dans les gouffre?, réputés
à tort insondables, les cadavres des animaux morts. Les pluies qui
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^^^^F-
■ii^^.*
UlGANDA 301
lonibcnt par dessus chargent les cours d'eau de microbes nocits dont
l'absorbtion provfX[ue de graves épidémies.
Si l'hygiène a profilé des explorations souterraines, l'agriculture a eu
aussi sa part. Les Katavothres, de Grèce et les perles du Karst ont été
l'objet de quelques travaux de désobstruction qui ont fait disparaître
dans certaines vallées des inondations périodiques désastreuses.
On a reconnu aussi que les stalactites des cavernes se formaient aussi
bien sous les voûtas épaisses et sous Jes minces. Les plus belles concré-
tions reconnues par M. Martel sont celles de la grotte du Dragon à Ma-
jorque, sous une voûte de 5 à 30 mètres d'épaissseur seulement et de
l'aven Armand (Lozère) sous un plafond de plus de 100 mètres d'épais-
seur. Cet aven, immense puits de 207 mèlres, découvert en 1H97, ren-
ferme les plus belles stalagmites connues, car il a une véritable foret
de 200 colonnes atteignant jusqu'à 10 mètres d'élévation, offrant un
sjx^clacle féerique sans rival. Enfin dans la rivière souterraine de Pa-
dirac (Lot) qui, cette année, sera rendue accessible au public, on a fait
de sérieuses découvertes zoologiques. La science des aivernes ou spé-
léologie a donc le droit de revendiquer une place propre parmi les
branches du savoir humain.
M. P. Barhé fait, sur les traversées de l'Asie une communication que
nous rapportons plus loin.
OUGANDA
RÉVOLTE ET DÉPOSITION DE MOUANGA
Dans le courant de l'été 1897 une révolte éclatait dans l'Ouganda.
Le roi Mouanga, fils du célèbre Mtésa, qui n'avait pas oublié l'éclat et
rautorité dont la royauté de son père était entourée, tentait de secouer
le joug de la domination anglaise que le capitaine Lugard avait réussi
à implanter à coups de canons Maxim. Le Bouddou, province du sud-
ouest de l'Ouganda, d'où était partie la prise d'armes, renfermant la
majeure partie des catholiques indigènes, on avait cru tout d'abord que
le soulèvement avait un caractère confessionnel. Cela n'avait pas surpris.
Mouanga ayant été tour à tour catholique et protestant. Mais il n'en
était rien, et Mouanga manifestait son hostilité contre tous les Européens
indifféremment.
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L._.-
302 BEVUE FRANÇAISE
Les Missions catfioliqttes ont publié dernièrenieni des correspondances
émanant des Pères Blancs qui donnent le détail des événements qui ont
abouti au remplacement de Mouanga, roi de rOuganda, par son fils
Choua, âgé de quelques mois.
Mouanga, dont le royaume avait été placé dans la zone anglaise en
189Ô, accepta à contre-cœur le protectorat britannique, avec le désir
secret de secouer un jour ce joug. Mouanga chercha donc à se faire
des partisans; il attira à sa cour, en quaFité de pages, l'élite de la jeu-
nesse et eut ainsi bientôt 3.000 pages. Les deux premiers ministres
représentant, Tun les catholiques, l'autre les protestants, prirent
ombrage de ce fait et obtinrent du représentant de l'Angleterre à Kam-
pala la réduction à 800 des favoris du roi.
Mais Mouanga s'éiait fait de nombreux amis, soit par des cadeaux
aux païens, soit par des promesses de toutes sortes aux musulmans,
aux catholiques et aux protestants. Lorsque le pays fut ainsi gagné à sa
cause, Mouanga quitia furtivement sa capitale Mengo et se rendit
près de la frontière allemande dans le Bouddou, où il concentra ses
troupes.
M. Wilson, sous-commissaire anglais et gouverneur elfectif. fut aus-
sitôt averti. Il fit donner à Gabriel Mujasi, le chef le plus turbulent du
Bouddou, l'ordre de venir dans la capitale pour en repartir avec le
major Ternan, commissaire anglais chargé de visiter le Bouddou.
Gabriel refusa et le 28 janvier 1897, MM. Wilson et Ternan partirent
pour le Bouddou, qu'ils quittèrent sans rien y faire; en avril ils partirent
avec 600 Nubiens pour une expédition à Test du Nyanza. Ils ne laissèrent,
pour défendre le pays, que 120 soldats au fort de Kampala.
Le 28 avril, les deux kalikiro catholique et protestant, étonnés de
rindifférence de M. Wilson, se rendirent auprès de lui; ce fut peine
perdue, comme les divers avertissements donnés par M^"" Sireicher.
Cependant, le 4 mai, le roi Mouanga alla à Kampala avec ses partisans
à la réception de M. Wilson, mais n'osa pas encore agir; accuse même
d'idée conspiratrice, il s'en défendit si bien que les Anglais ne crai-
gnirent plus rien.
Sur ces entrefaites, M. Wilson, ayant appris le massacre des officiers
belges de l'expédition Dhanis par leurs soldats mutinés décida une
levée de tous les Baganda pour aller au secours du capitaine Sitwell,
commandant du fort Gerry. Le roi Mouanga aida en apparence au
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CANADA 303
recrutement et, de fait, une armée importante de Baganda quitta Mengo
le 7 juin pour marcher vers Je Toro. Elle s'arrêta au pays de Kawaoga,
où elle apprit que le capitaine Sitwell, dont le fort était à 15 jours de
là, n'avait besoin de rien, L'armée était de retour à Mengo le 3 juillet.
Mouanga le lendemain a*enfuit la nuit de la capitale et alla au Boud-
dou, par le lac. Il ap[}ela ses partisans, qui accoururent de tous côtés et
bientôt il put disposer de 2.800 fusils et plusieurs milliers de lances.
M. Wilson, malgré la fuite du roi, resta encore optimiste; ne voulant
pas écouter les conseils de M*' Streicher, il se contenta d'envoyer au
Bouddou 68 Nubiens pour y protéger les missionnaires et en ramener
le roi. Fort heureusement le major Teman rentra le 10 juillet de son
expédition à l'est du lac Victoria; il comprit la gravité de la situation
et se mit en marche sur le Bouddou avec toutes les troupes disponibles.
Les missionnaires se réfugiaient déjà dans la capitale de TOuganda.
Le 20 juillet, le major Ternan atteignit le Bouddou. Après un comhal
acharné qui ne dura pas moins de trois heures, il mit les insurgés en
déroute et les poursuivit jusqu'à l'Oussagara. Mouanga se sauva aussitôt
au Kibombiro, en territoire allemand. Le lieutenant von Wùlfen le con-
duisit au Kiziba, puis à Bukoba, où il lui fît, devant la menace d'un
eaoon Krupp, remettre ses 5!J fusils; on le relégua ensuite à la station
allemande de Mouaqza, au sud du lac Victoria.
Le 1 i août, le major Ternan prononçait la déchéance de Mouanga,
et proclamait roi son fils Choua, né d'une protestante. La régence a été
confiée aux deux katikiro. protestant et catholique, et au protestant
Kangaro. Les troubles dans l'Ouganda ont néanmoins continué contre
les Anglais, et la révolte des Soudanais semble donner un élément
nouveau à la rébellion.
CANADA : COMMKKCl!; ET xNAVIGATION
Le» rapports commerciaux entre la France et le Canada ont éti' ren*
dus assez difficiles jusqu'à ce jour j>ar suite de Talisence d'une ligne de
paquebots reliant directement les deux pays. Cette lacune dans nos re-
lations serait à la veille de disparaître. On annonce, en etiét, que M.
Laurier, premier ministre canadien, consacrerait à subventionner une
ligne de navigation directe une somme de 80.000 piastres et égale à
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304 liEVUE FHANÇAISE
celle de 400.000 francs que la France destine^-ait à cette ligne. Si rac-
cord financier est fait, la ligne est bien près d'être créée.
Les échanges entre les deux pays, fort peu considérables jusqu'ici,
prendraient rapidement un nouvel essor, c'est ce qui résulte du rapport
sur le commerce du Canada de M. Kleczkowski, consul général de France
à Montréal, dont nous donnons un aperçu.
Eu 189 j-96, le commerce tolal du Canada a été de 121 .013.000 dol-
lars (ou piastres) aux exportations et de 118.011.000 aux importations.
Les exportations n*avaienl été que de 113.638.000 dollars en 1894-93
et que de o7.o68.000 en 1867-68 ; les importations avaient été de
i 10.781.000 dollars en 1894-9o et de 73.4o9.000 en 1867-68.
Depuis celle époque — dale de la créaton de la Confédération — la
progression du mouvement commercial a été constante et presque tou-
jours régulière.
Les exportations canadiennes se dirigent surtout vers l'Angleterre
(1)6 millions de dollars) et les Élats-Unis (44 millions). Les autres pays
n'ont que des chiffres insigniliânts. La France n'a reçu en 189o-96 que
pour 581 540 dollars de produits canadiens, contre i^i.lSi en 1890-91
( minimum ) et 823.573 en 1881-8:2 (maximum). Terre-Neuve a reçu
poui* 1.782.000 dollars de produits canadiens, en forte diminution,
l'Allemagne pour 737.000.
Les im])ortations au Canada proviennent surtout des États-Unis (68
millions de dollars) et de l'Angleterre (32. 980.000). L'Allemagne vient
ensuite (5.930.000), puis la France (2.810.942). Malgré le souvenir du
passé et les sympathies vivaces de la France au Canada, notre com-
merce y est infime et n'y progresse guère; nos importations y ont at-
teint leur maximum en 1892-93 (2.832.000) et leur minimum en 1879-
80(1.110 841).
11 n'est pas sans intérêt de remarquer que les ventes anglaises au Ca-
nada sont sans cesse en décroissance, tandis que. les achats anglais au
Canada ont presque doublé depuis 1872. Cela tient au progrès du Ca-
nada, au point de vue agricole, progrès qui ont provoqué la marche
ascendante des expéditions des produits agricoles (l)eurre, fromages,
héliiil, etc.).
Signalons aussi qu'en l'absence d'une ligne de navigation directe
entre la France et le Canada, un grand nombre de produits français,
sortant d'Europe par des ports étrangers (Anvers ou Liverpoolj arrivent
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CAiN.\DA 30o
au Caaada sous pavillon anglais et y sont inscrits comme produits an-
glais. II y aurait donc lieu, pour être exact de majorer sensiblement les
importations françaises. Ainsi, la France fournit au Canada pour 1 mil-
lion 900.000 dollars de soieries, alors que les douanes canadiennes
n'en accusent que 105.000. L'Angleterre ne produit pas de vins de
Champagne et les douanes indiquent qu'elle en fournit au Canada pour
12.900 dollars. La statistique est souvent instructive et cette fois bien
démonstrative.
Une autre cause du peu d'importation au Canada de produits français
tient à Télévation de certains tarifs douaniers. Les produits français
sont aussi le plus souvent des articles de luxe et par cela môme soumis
à des tarifs élevés. Ainsi les eaux-de-vie, dont la France importe
presque la totalité, sont soumises à des droits qui excèdent le prix delà
marchandise elle-même : leur valeur déclarée est de 235.000 piastres
et les droits perçus de 339.000 ! Pour les vins, qui constituent encore
un des éléments les plus considérables de l'importation française, les
droits perçus équivalent au tiers ou au 2/S^* de la valeur du produit.
L'année 1897 a été bonne pour le Canada. Les recettes locales ont
augmenté. La plus-value résultant, pour les blés du Manitoba, de Tin-
suffisance de la récolte en Europe, a continué à rendre l'argent plus
abondant dans le pays.
Navigation. — Le mouvement de la navigation maritime dans les
ports canadiens, a été en 1895-96, de 15.291 navires et 3.895.000 tonnes
à l'entrée, et de 14.511 navires et 5.363.000 t. à la sortie.
En se plaçant au point de la nationalité des bâtiments, on trouve
16.688 navires anglais (avec 6.526.0Ô0 tonnes), 11.568 navires des
États-Unis (avec 2.683.000 t.) et seulement 862 navires norvégiens et
suédois (76i.000t.), 85 navires allemands (119.000 t.) ^3 navires ha-
waïens (84.000 t.), 244 navires français (70.860 t.), etc.
La part du pavillon anglais est si considérable qu'elle dépasse tous
les autres réunis. La part du pavillon français, déjà si faible, est encore
plus infime si Ton tient compte de ce que le tonnage porté provient en
grande partie du Pro Patria, bateau postal de 737 tonnes de notre co-
lonie de Saint-Pierre et Miquelon, qui fait tous les 15 jours escale dans
les ports de Sydney et d'Halifax. Le surplus du tonnage français s'ap-
plique à quelques voiliers venus de France pour charger du bois ou à
quelques navires de pêche de la région de Terre-Neuve.
xxiii(Mai98). N*333. * iO
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306 REVUE FRANÇAISE
Uûe grande partie du trafic intérieur du Canada se fait encore paries
rivières et les lacs et donne lieu à un mouvement de 18.138 navires
d'un tonnage de S.323.000 t. La majorité des bâtiments porte le pavillon
des États-Unis ; mais, sous le rapport du tonnage, l'avantage appartient
aux Canadiens.
EXPLORATEURS ET VOYAGEURS
Le vicomte /. de Cuverville a rendu compte de son voyage à travers
la péninsule balkanique (1897). Parti du Monténégro, il traversa la
région montagneuse des Berda, se rendit en Albanie, par le lac de
Scutari, parcourut le pays des Mirdites (Albanais catholiques qui ont
conservé l'usage de la vendetta, ce qui cause 70 Vo des décès). Après
avoir traversé la Bosnie et l'Herzégovine, le voyageur entra en Serbie,
puis en Bulgarie, où il parcourut le pays des Pomac. dans les monts
Rhodope. M. de Cuverville termina son voyage par la Roumanie.
Le prince Henri d'Orléans^ dont nous avoijs fait connaître le projet
d'exploration en Abyssinie {XXIII, p. 151), s'est embarqué le 10 avril à
Marseille, avec le comte Léontieff, pour Djibouti, où il forme la cara-
vane qui doit le conduire auprès de Ménélick.
M. ds Bonchamps, chargé de conduire une expédition sur le haut
Nil {KXn, 652) est de retour auprès de Ménélick.
L'enseigne de vaisseau Bryzimki a été chargé d'explorer le haut
Mékong, il doit partir deMuong-Sin, sur le La Grandière, et remonter
le fleuve aussi haut que possible.
Le 1^ danois Olufsen vient de partir pour une nouvelle exploration au
Pamir. 11 formera à Och une caravane, en vue d'aller à Kachgar, à
Yarkand, au lac Yachil Koul, à Ouakhan, etc. Plus tard, il visitera le
lac d'Aral.
M. Jules Garnie)', dont les travaux d'ingénieur sur la N"®-Calédonie
sont bien connus, s*est embarqué avec son fils, M. Pascal Garnier, dans
le but d'accomplir lin voyage scientifique et industriel en Australie,
Débarqués à Albany (King George's Sound), à la pointe S.-O. du conti-
nent austral, les voyageurs remonteront la côte ouest, puis se dirigeront
sur Coolgardie et rayonneront aussi loin que possible autour de cette
station.
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■'"^
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES
AFRIQUE
Algérie et Tunisie : Vins. — La production des vins en Algérie, en
1897, a été de 4.367.758 hectolitres pour 118.823 hectares cultivés. Le dépar-
lement d'Alger a donné 2.186.829 hectolitres pour 45.668 hectares, celui
d'Oran 1.418. 657 h^. pour 54.480 h. et celui de ConslanUne 762.812 hi pour
18.675 h. En 1896, la production vinicole de l'Algérie n'avait été que de \
4.050.000 hectolitres. Pendant les dix derniers mois de i897, sur 5.837.583
hectolitres de vins importés en France, 2.924.000 h» provenaient d'Algérie
et 40.424 h^ de Tunisie.
La Tunisie a produit 90.000 hectolitres de vins en 1897 contre 95.200 en
1896; il y a donc une légère diminution.
Comme point de comparaison, rappelons que la France, en 1897, a produit
32.350.722 hectolitres de vin pour 1.688.931 hectares cultivés. Le rende-
ment moyen à l'hectare est de 20 hectolitres en France (contre 26 en 1896)
et de 38 hectolitres en Algérie.
Soudan français ; Enseignement des indigènes. — On compte actuel-
lement au Soudain français 30 écoles ayant plus de 700 élèves. En 1895, il ne
restait plus des écoles créées par le général Gallieni que l'école des otages de
Kayes. Le colonel de Trentinian a transformé cette école, qui est devenue
l'école des fils de chefs. On y a installé un instituteur européen, un institu-
teur indigène, un moniteur européen et un marabout ; elle compte 50 élè-
ves. Un instituteur européen est attaché à l'école de Kayes, récemment créée,
et fait des cours du soir. 11 y a, à Médine, une école dirigée par un institu-
teur indigène. Enfin, on trouve les écoles de cercles où ce sont des sous-ofiBcierss
qui enseignent le français aux indigènes. Dans certains cercles existent des
école» fondées par les Pères du S' Esprit et les Pères Blancs.
On a créée aussi deux écoles d'enseignement professionnel, une à Kayes,
confiée aux directions de l'artillerie et du génie, l'autre à Koulikoro, où sont
les ateliers de réparations de la flottille du Niger, Les élèves de ces écoles
reçoivent 25 centimes par jour ; quand ils sont assez instruits pour devenir i
apprentis, on les augmente. |
Côte d'Ivoire : Population. — On vient de procéder au recensement ,|
approximatif de la population qui atteindrait en bloc 2.250.000 habitants. |
Celte population serait répartie sur le territoire compris entre le littoral, la /
colonie anglaise de la Côte d'Or, la république de Libéria et le 9« de latitude â
nord. Cette superficie peut être évaluée à 250.000 kilomètres carrés. La co- j
lonie aurait donc une moyenne de 9 habitants par kil. carré. %
Daiiomey : Flèches empoisonnées. — Les flèches empoisonnées sont de <%
moins en moins usitées en Afrique, car les indigènes leur préfèrent de plus j
en plus les armes à feu européennes. Sur les côtes où sont des factoreries j
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308 REVUE FRANÇAISE
européennes, l'usage des flèches a complètement disparu. Dans Thinterland
du haut Dahomey, où les indigènes n'ont pas eu de relations avec les
blancs, et ignorent même Texistence du fusil, MM. Le Danlec, Bojé et
Béreni ont constaté, disent les Archives de médecine navale, que les Tcha-
béens, les Baribaset les Bokos n*emploient pas d'autres armes que les flèches
empoisonnées.
La base du poison est Textrait de stropliantus, connu dans presque tout l'in-
térieur de l'Afrique sauf vers le sud où on utilise le venin de serpent. Le
poison est préparé avec les graines ou les racines de strophantus sous tonne
d'extrait aqueux.
L'homme atteint d'une de ces flèches est pris, 8 à 10 minutes après la pé-
nétration daos les tissus, de mouvements convulsifs ; il se couche sur le
ventre et gratte le sol de ses ongles, puis la respiration et le cœur s'arrê-
tent, au bout de 13 minutes, la mort survient. Les antidotes des indigènes
sont ordinairement sans efficacité. En cas de blessure, il faut, pour essayer
de se soigner, faire le plus tôt possible une ligature à la racine du membre,
afin d'empêcher le poison de se répandre dans l'organisme. On enlève la
flèche, on lave la plaie avec une solution d's^cide tannique ou avec une
décoction d'une écorce riche en tannin ou avec du vin de Champagne. Le
chloral diminue la rapidité de l'intoxication, et il est bon d'administrer une
potion chloralée après la neutralisation du poison dans la blessure.
État du Congo : Les révoltés Batétélas. — Les soldats révoltés de la mis-
sion Dhanis (t. XXII, p. 037), après leur défaite par lel^ Henry (15 juil. 1897)
étaient réduits aux 2/3 de leur effectif, soit 1.000 Batétélas environ. Us se
divisèrent alors en bandes. Le l' Henry, après une poursuite inutile, perdit leur
trace et se consolida sur les rives de l'Arouhimi. De son côté, le baron Dha-
nis s'était rendu au Manyéma, après la dislocation de son avant-garde, et
s'y était retranché, envoyant des troupes contre les révoltés. L'une de ces
colonnes, celle du capitaine Door me,. rencontra, le 20 décembre 1897, entre
les rivières Lowa et Oso, près Saliboko, une partie des rebelles qui furent
littéralement taillés en pièces. Le sous-lieutenant Malaerls fut tué dans l'action.
Les commandants Long et Debergh, d'autre part, ont opéré dans la région
limitée par le 28« méridien est de Greenwich, le sud du lac Albert - Edouard
et le nord du lac Tanganika. Le 1* Henry, à son tour, vient de marcher de
nouveau contre les rebelles et le baron Dhanis tient encore en réserve une
forte colonne qui pourra, espère-t-on, anéantir totalement ces derniers.
Trcmsvaal : Commerce français. — Les maisons françaises sont rares à
Johannesburg, et celles qui s'y sont fondées ont presque toutes périclité ou
fait faillite, alors que les maisons anglaises ou allemandes sont prospère.
D'après M. G. Aubert (1), les maisons françaises créées au Transvaal sont
tombées parce qu'elles se sont combattues au lieu de se soutenir. Les pre-
mières maisons françaises tinrent des articles d'alimentation, mais des naai-
tli L'Afrique du sud, par G. Aubert. 1 vol. Flammarion éditeur.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 309
sons concurrentes, pour attirer vers elles les clients, avilirent tellement les
prix que les bénéfices arrivèrent à être à peu près nuls. Aussi le commerce
d'alimentation est-il passé aux mains des Anglais et des Allemands. La
maison Rolfes et Nebel est une des principales. Ces deux Allemands, simples
commissionnaires à Paris en 1885, partirent pour Kimt)erley, avec peu de
ressources, dans le but d'y créer une maison d'alimentation; leur champ
d'action s'agrandit sans cesse et ils purent fonder des magasins à Port-Eli-
sabeth, Durban et Johannesburg; ils ont expédié Tannée dernière pour
35 millions de francs de marchandises et ont entre leurs mains la plupart
des maisons de détail et les bars de Johannesburg. Il est impossible de lutter
contre ces négociants qui ont une organisation admirable. Il est bien loin
d'en être de même parmi les négociants français.
Cependant l'industrie française lutte parfois avec succès. Ainsi la C'« du
Creusot a obtenu du gouvernement du Transvaal des commandes impor-
tantes en canons et munitions. La C'*' de Fives-Lille a un ingénieur qui
s'occupe sur place des machines pour les mines et a entrepris divers travaux
notamment l'installation des conduites d'eau à Johannesburg. Quelques
autres manufactures françaises ont envoyé là-bas des représentants. Mais
les usines allemandes et anglaises ont fait de plus grands efforts : elles ont
de nombreux ingénieurs ou agents capables de faire sur place tous devis pour
machines, mines, etc., alors que les maisons françaises demandent beaucoup
plus de temps, devant faire ce^ études à Paris !
Le Transvaal consomme pourtant beaucoup d'articles français, de même
que le Cap et Natal ; on peut estimer leur valeur à 40 millions de francs
pour 1896, consistant en armes et munitions, constructions métallurgiques,
vins, cognacs, champagnes, vinaigres, conserves alimentaires, beurre,
ciment, légumes conservés, confitures, articles pour électricité, huiles,
sucres. Mais tant que la France n'aura pas sur place des maisons de détail ou
de gros chargées de répandre ses produits, le commerce sera toujours aux
mains de nos concurrents bien plus pratiques.
Soudan oriental : Défaite des derviches, — L'armée anglo-égyptienne,
depuis longtemps inactive, vient de remporter un brillant succès. Le madhi
ayant fait établir un camp fortifié près de Dakheïla, sur l'Atbara, le sirdar
Kitchener résolut de s'en emparer. Le 8 avril, après une marche de nuit,
l'armée anglo-égyptienne arriva à 4 heures du matin à portée du camp der-
viche. On s'arrêta et la. marche ne fut reprise qu'à six heures moins vingt.
A ce moment, 24 canons, placés à la droite, et 12 mitrailleuses Maxim com-
mencèrent à tirer sur le camp derviche qui fut énergiquement bombardé :
en outre, des fusées incendiaires étaient lancées dans les rangs des Derviches.
Pendant ce temps, les oflRciers anglais adressaient d'ardentes allocutions à
leurs hommes.
Après une heure d'un bombardement qui avait infligé des pertes sérieuses
aux Derviches, les trompettes sonnèrent la charge. Au centre étaient les
régiments anglais ; en avant, les Cameron highlanders chargés de trouer la
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340 REVUE FRANÇAISE
palissade ; derrière eux suivaient lesrégiments de Lincolnshire, de Warwicks-
hire et les Seaforth highlauders. Les Cameron highlauders eurent quelque
peine à percer des brèches dans le camp des Derviches et c'est tandis qu'ils
y travaillaient qu'ils y perdirent plusieurs des leurs. Le général Gatacre fut
le premier à franchir les retranchements ennemis avec un simple soldat qui
tua d'un coup de baïonnette un Derviche qui allait tirer à bout portant sur
le général A 9 h. 1/4 tout était fini.
La cavalerie égyptienne a poursuivi les Madhistes dont plus de 3000 ont
été faits prisonniers avec leur chef, l'émir Mahmoud. 12 émirs et environ
2000 Derviches ont été tués. Les Egyptiens ont eu 51 soldats tués, 14 oflQciers
et 319 soldats blessés. Les Anglais ont eu 10 tués dont 2 officiers et 90 bles-
sés. Le gros de l'armée égyptienne est ensuite revenu à Berber. La marche
sur Khartoum ne sera reprise qu'après la crue du Nil.
ASIE
Asie centrale : Chemins de fer russes, — Les Russes ont commencé les tra-
vaux préliminaires d'établissement d'un chemin de fer de Merv, sur la ligne
Iranscaspienne, au poste de Kouchk, près de la frontière a%hane. Cette ligne,
de 235 kilom. , sera achevée en 3 ans et s'appellera la « branche du Mourghab ».
Elle aura 7 stations : Sarg-Yazy, Kapterkan, Sultan-Bend, Imam-Caba, Fâsh-
Kupri, Kalch-i-mov et Kouchk. La dépense est prévue pour 8 millions 1/î
de roubles. Les Russes ne désespèrent pas de pousser plus tard le chemin de
fer de Kouchk à Hérat, â travers la chaîne du Paropamise. Hérat est à 900 kil.
de Pechawer, terminus des chemins de fer de l'Inde anglaise.
D'autre part, le chemin de fer transcaspien va être prolongé au cœur de
l'Asie. La voie est déjà construite de Samarkand à Djizak et Kavas (140
verstes). M. G. Saint- Yves est le premier Français qui soit passé par ce che-
min de fer, qui traverse le Zarafchan sur un pont.
A Kavas, la ligne bifurquera à gauche sur Tachkent et à droite sur Khod-
jend, Kokan, Marghilan et Andidjan. La ligne qui ira à Tachkent franchira
le Syr-Daria sur un pont de 240 mètres. — On compte achever ces deux
lignes en 1898.
Travaux du Transsibérien. — Une dépêche de Tomsk annonce que
le 1^ train direct, qui était parti de S'-Pétersbourg le 1^ avril à 9 h. du
matin, est arrivé à Tomsk, le 7 à 5 h. de l'après-midi. C'est le seul express
qui roule sans interruption pendant 6 jours et 6 quits. Les voitures sont
construites de manière à rendre le roulement presque imperceptible. L'éclai-
rage est électrique. Il y a un restaurant, une bibliothèque, des pianos, et
même des appareils de gymnastique.
La ligne sibérienne centrale, avec embranchement à Tomsk, est aujour-
d'hui achevée, ce qui permet d'aller d'une seule traite jusqu'à Krasnoiarsk.
Les travaux avancent aussi sur la ligne Irkoutsk-Balkal, la ligne transbaikale,
la ligne de rOussouri et la ligne de Perm-Kotlas. 2.000 acres de bois ont été
abattus; 30 millions de mètres cubes de terrassements, un million \/Aàe
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 3ii
mètres carrés de remblais en tranchées et près de 130.000 mètres cubes de
travaux de maçonnerie ont été exécutés. Sur 630 verâtes, des ponts en bois
et fer ont été construits sur la seconde portion de la ligne centrale et sur la
ligne de TOussouri. Sur la ligne transbaïkale, 241 ponts çont achevés. En
tout» 1.002 gai^ et cabanes d'entretien ont été élevées. 47 stations ont été
approvisionnées d'eau. 1.163.000 traverses ont été livrées, ainsi que
4.498.000 tonnes de rails, boulons et matériel, 32 machines et 756 wagons
ou plates-formes ont été expédiés.
Depuis 3 ans, on a exécuté sur la ligne transsibérienne : 100 millions de
mètres cubes de terrassements, 2.959 verstes de rails, 305 verstes de ballast.
La rigueur du climat retarde singulièrement les travaux; ceux-ci, en effet,
doivent être suspendus pendant 7 mois de l'année et les travaux de maçon-
nerie ne peuvent être exécutés qu'en été.
Indo-Ghlne française : Sanitorium à créer, — L^s Européens établis
en Indo-Chine ne peuvent se remettre des fetigues du climat qu'en allant au
Japon ou en revenant en France, ce qui est bien loin.
Le cap Saint-Jacques et la pointe de Doson seront surtout des stations bal-
néaires et non des sanitoria pour les malades. Il y a donc lieu de chercher
installer dans la colonie un établissement analogue à celui du D^ Mècre
Yokohama.
Les Français de la Guadeloupe ont bâti sur les hauteurs de Matouba et du
cap Jacob des maisons où ils peuvent se reposer. Le même but est atteint à
la Réunion par le bourg de Salazie. Les Anglais ont créé dans Tlnde de véri-
tables villes sur plusieurs points élevés, à Simba, à Dardjiling, à Outaca-
camound, à Març, à Mont-Abou, etc. A Sumatra, les HollandaisJ[envoient les
convalescents sur le plateau de Menangkabao (hautes terres de Padangj. A
Java, le sanitonum est à Sindang-Laja, à 1,070 mètres d'altitude. Les Espa-
gnols en Amérique, le Brésil ont fait rechercher dans les montagnes des ré-
gions à température plus douce et à climat plus sain.
L'Indo*Chine renferme tout ce qu'il faut pour y créer un sanitorium.
MM. Neis, Humann et Yersin ont trouvé, dans la région arrosée par le haut
Dong-Naï, des vallées et plateaux situés entre 800 et 1,200 mètres d'altitude,
où les forêts de conifères alternent avec des clairières couvertes d'une herbe
à pâturages. Cette région est à proximité du port de Nha-Trang, à l'est, et de
celui de Phan-Hi, au sud. L'occupation de cette région, dit le Courrier de
Saigon située sur les conûns non délimités de la Cochinchine, de l'Annam et
du Laos serait facile; on la relierait à la côte par une route et on n'aurait
qu'à y transporter des c(\nstructions démontables.
Une mission vient d'être envoyée dans le bassin du haut Dông-Naï pour
étudier la question de l'installation d'un sanitorium, notammeut dans les
environs d'Yum et de Melone.
Atinnuf^ : Port de Tourane. — Un arrêté de M. Doumer, gouverneur gé-
néral, en date du 29 janvier 1898, a loué à MM. Ulysse Pila et J. B. Malon,
Vilot de l'Observatoire, à l'entrée du port de Tourane, (à Texceplion dune
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312 REVUE FRANÇAISE
surface de d.OOO mètres carrés, au nord), en vue de l'exploitation des houil-
iières et des docks de Tourane. Le bail aura une durée de 20, 30, 40, 50 ou
60 ans à dater du i^' mars 1898.
Sur les terrains loués moyennant une redevance de 100 piastres par an, les
concessionnaires s'engagent à exécuter ou installer à leurs frais : un appon-
tement de 115 mètres, 300 mètres de quais, des magasins clos d'une surface
d'au moins 1.000 mètres, etc., en un mot tout l'outillage nécessaire pour la
navigation et le commerce, Les travaux , qui ne coûteront rien au protecto-
rat, devront être commencés dans 6 mois et finis dans 2 ans. La rénuméra-
tion des concessionnaires consistera simplement dans la perception de taxes
minimes.
Ces travaux permettront au port de Tourane, le seul de TAnnam, de prendre
le développement auquel sa situation l'appelle ; les mines de houille de Nong-
Son pourront aussi, par des communications faciles, voir augmenter beau-
coup leur chif]^ d'exploitation.
La baie de. Kouang-Tchéou.— Lbl Hong-Kong Weekly Press donne quel-
ques détails sur la baie de Kouang-Tchéou (ouang que l'on ajoute au nom
de la ville, veut dire baie en chinois),
Kouang-Tchéou est situé à environ 200 milles à l'O-S-O de Hong-Kong: la
baie est excellente aussi bien pour faire un port de guerre qu'un port de com-
merce, et les Français ont, en choisissant ce point comme base d'opération,
Mt preuve d'un grand sens de ce qu'il leur faut et de la manière de se l'as-
surer. Le port est, à certains égards, égal à celui de Hong-Kong, supérieur
même, à certains points de vue, quoique bien des avantages du port anglais
lui fassent défaut; c'est en tous cas, un point sur lequel il vaut la peine de
mettre la main. On accède par deux étroites entrées au havre qui a 20 milles
de longueur et est complètement dans l'intérieur des terres; la profon-
deur en est de 6" 50 à 20 m. environ, le fonds est de bonne tenue. L'entrée
orientale, qui a une largeur d'à peu près un demi-mille (un peu plus de
800 m.), est bordée au large par plusieurs bancs de sable qui en rendent
l'accès directement impossible du côté de la haute mer; mais il y a un
bon chenal qui suit à quelque distance la plage en venant du Sud, avec
une profondeur moyenne de 13 m. environ, bien qu'elle s'abaisse en un
point à 10 m. environ. A l'entrée même de la baie, la profondeur est d'à peu
près 16 mètres.
La partie la plus large de la baie a environ 10 milles de l'E. à TO. et en-
viron 6 ou 7 du N. au S. donnant ainsi un ancrage sûr à une immense flotte
du plus fort tirant d'eau. Le courant de marée est très fort à l'entrée du port,
comme on doit s'y attendre, vu l'immensité du bassin qui s'emplit et se vide
au flux et au reflux et l'élroitesse du goulet. Une rivière de quelque impor-
tance tombe dans la baie de Kouang-Tchéou et sur cette rivière se trouve la
ville de Iché-Komé, centre d'un commerce important avec Macao et Kong-
Moun sur la rivière de l'Ouest ou Si-Kiang.
L'amiral de la Bédollière vient de prendre possession de la baie.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 313
Les traversées de l'Asie. —^ Notre collaborateur, M. Paul Barré, a
fait au congrès des sociétés savantes, à Paris, le 15 avril 1898, une commu-
nication sur les traversées de TAsie, qui complète le travail quil avait déjà
publié ici (1). 11 en a compté 29 principales, dont 12 françaises. 7 russes,
5 anglaises, 2 italiennes, 1 hollandaise, 1 allemande, 1 suédoise.
En voici la liste :
10 Plan Carpin (italien) d'Européen Chine (1246).
2° Ruysbroeck (hollandais), d'Europe en Chine (1253).
3» Marco-Polo (italien), d'Europe au Japon (1271-1290).
4» E. Bouza (russe), traverse la Sibérie (1635).
5® M^pylof (russe), traversée de la Sibérie (1639).
6<* Stadoukhim et Ignaiief (russes), traversée de la Sibérie (1644).
7° Dejnef (russe), d'Europe à la mer de Behring (1648).
go Bagkof (russe), d'Europe à Pékin (1651).
9> Pallas (allemand), traversée de la Sibérie (1769-1774).
IQo B. de Lesseps (français), du Kamchatka à Saint-Pétersbourg (1785-
1788). (2)
110 Ney Elias (anglais), des Indes en Europe par le Pamir (1872-1873).
120 }£ac Carthy (anglais), de Sanghaï a la cAte birmane (1876-1878.
130 Ed, Cotteau (français), d'Europe au Japon à travers la Sibérie (1881).
14<> Joseph Mçurtin (français), traversée de la Sibérie ((1879-1881).
150 B. Méchain et de Mailly Chalon (français), de Pékin en Russie (1883).
160 Joseph Martin (français), traversée de la Sibérie (1882-1886).
170 Younghusband (anglais), de Pékin aux Indes (1887).
I80 G. Bonvalot, Henri (TOrléans (français) et de Decken (belge), de la Si-
bérie au Tonkin (1889-1890).
190 Bower (anglais), des Indes à Shanghai (1890-1892).
200 Radloff (russe), de Saint-Pétersbourg à Pékin (1891-1892).
2I0 LitUedale (anglais) et sa femme, de la mer (^pienne à Pékin (1893).
220 P. Grenard (français), de Russie à Shanghaï (1892-1895).
230 Menkhadjino/f et Oulanoff (kalmouks russes). d'Astrakhan à Pékin
(1893-1894).
24« Levât (français) et Sabachnikof (russe), d'Europe à Vladivostok (1895-
1896).
^o /. Cha/fanjon, Mangini et Gay (français), du Turkestan à Vladivostock
par la Mongolie (1894-1896).
260 Ch. Bonin (français), du fonkin à Ourga (Mongolie) et à Pékin (1895-
1896).
270 Sven Hedin (suédois), du Turkestan russe à Pékin (1896-1897).
280 Marcel Monnier (français), de Tlndo-Chine à Vladivostok par la Chine
puis de là en Perse par le lac Baïkal (1895-1898).
(i) Voir R. F., 1891, tome xiii, page 476.
(if Un certain nombre de traversées de la Sibérie ont été omises dao» cette liste où
M. Paul Barré n'a fixé qae les voyages présentant un réel intérêt de découvertes.
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314 REVUE FRANÇAISE
29<> M"*<» Isabelle Massieu (française), de Hong-Kong au Turkeslsn roise
1896-1897),
Dans la région sibérienne tout au moins, la traversée de l'Asie n'aura
bientôt plus de mérite, puisqu'on pourra la faire en chemin de fer.
AMÉRIQUE ET DIVERS.
Canada: U industrie du saumon en Colombie, — Une grande partie des
saumons en bottes que l'on consomme en France, provient du Canada occi-
dental. Le saumon conservé est, en effet, une industrie qui constitue, avec
l'exploitation des mines et des forêts, une des principales ressources de la
Colombie britannique. Le premier établissement fut fondé en 1875 à Inver-
ness, par MM. Turner et Breton. En 1876, deux autres furent créés sur la
rivière Fraser, dans l'île Dease et dans l'Ile du Lion. Une fabrique fut établie
en 1877 sur la rivière Lulu. En 1878, une usine et une fabrique furent
construites. En 1879, un nouvel établissement fut installé. Actuellement, on
compte 34 maisons «'occupant des conserves de saumon sur la rivière Fraser
et 22 sur les autres rivières de la province.
Les saumons, décapités, débarrassés de leurs arêtes et écailles, sont diri-
gés vers une roue à aubes qui les distribue à une série de couteaux qui les
coupent à la dimension des bottes. Les morceaux sont ensuite placés dans
les boîtes, qui passent dans des nettoyeurs automatiques, où un jet de vapeur
et un rouleau de caoutcbouc enlèvent les petits morceaux qui pourraient
encore adhérer aux parois extérieures. Les couvercles sont ensuite posés à la
main et soudés à la machine. Les bottes, après fermeture, sont soumises,
pendant 45 minutes, à un bain de vapeur chauflfé à 256 degrés.
États-Unis : Key West. — Le port de Key West, où se trouve concentrée
la flotte des États-Unis opérant contre Cuba, est situé à l'extrémité des nom-
breuxf îlots qui forment le prolongement de la Floride. Les cayes ou récifs
de la Floride sont une chaîne d'îles basses, couvertes de palétuviers et ayant
une étendue du N.-E. au S.-O. de 200 milles (370 kil.). Ce nom de caye, dit
le Cosmos, provenant de l'espagnol cayos, s'applique aux îlots sablonneux
ou rocheux (madréporiques) que Ton trouve dans la mer des Antilles. Les
Anglais en ont fait cay et les américains key. Quelques-unes seulement de ces
cayes sont habitées par des pêcheurs. Elles sont bordées à une distance de
8 à 12 kil. par des récifs de corail étroits qui sont accores et dangereux. Les
passes qui existent conduisent dans un canal intérieur navigable pour les
plus grands navires jusqu'à Key West. Mais ce canal est dangereux pour la
navigation.
Key West (ou la caye de l'Ouest) est File la plus importante du groupe.
Elle a 6.500 mètres de long sur 1 kil. de large. Elle est très basse, bordée
d'une plage de sable et généralement couverte de mangliers très serrés. La
ville, avec ses maisons entourées de cocotiers, est situte au N.-O. de l'ile;
elle est protégée par le fort Tayior. Key West, dont le mouillage est excellent,
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.^
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 315
commande le canal de la Floride, à proximité de la Havane située de l'autre
côté, à 90 milles (160 kil.).
L'importance de Key West est encore accrue par suite de la guerre avec
l'Espagne. L'amirauté américaine y a depuis longtemps un arsenal et un
dépôt de charbon ; mais il y manque un dock, tandis qu'il en existe un à la
Havane. On trouve à Key West des approvisionnements de toutes sortes, eau,
provisions fraîches et même de la glace. La ville est reliée par cable à la
Havane et aux États-Unis. La population s'élevait, en 1890, à 3.000 âmes, en
grand nombre pécheurs.
CSaba et Porto-Rioo : Commerce avec r Espagne. — La situation particu-
lière de Cuba n'a que peu influé jusquici sur son mouvement commercial
avec la métropole. En 1895, l'Espagne a vendu à Cuba (à l'exclusion de l'or
et de l'aident) pour 119.345.000 pesetas ou piécettes, alors que l'Ile n'a fourni
à sa métropole que pour 33.944.000 piécettes. Pour 1896, l'Espagne a vendu
à Cuba pour 131.428.000 p., soit, malgré l'état d'insurrection de l'île, une
plus-value sensible de 15 millions alors qu'elle ne lui a plus acheté que pour
ii .928.000 p., bien moins encore que l'année précédente.
Les exportations espagnoles ont augmenté surtout pour les armes à feu,
la iarine de blé, le riz et le maïs, les sandales. Les importations de Cuba en
Espagne ont diminué surtout pour le tabac et le sucre, ce qui s'explique par
la ruine d'une partie des plantations.
Les principaux produits achetés par Cuba à l'Espagne, en 1896, sont : la
fîmne de blé (20.327.000 p.), les tissus de coton (18.721.000 p.), les sandales
(13.433.000 p.), armes à feu (9.361.000 p.), le vin ordinaire (7.347.000 p.).
Les principales ventes de Cuba à sa métropole sbnt constituées par le tabac
(9.362.000 p.), le sucre (6.590.000 p.), le cacao (3.048.000 p.), etc.
Pour Porto-Rico, les marchandises provenant d'Espagne ont atteint en
1896 la valeur de 37.604.000 p. soit une augmentation de 10 millions 1/2
sur l'année précédente, portant pour 5 millions sur les tissus de coton. Quant
aux produits importés de Porto-Rico en Espagne ils ont atteint la valeur
de 27.772.000 p. présentant, à l'inverse de ce qui a eu lieu à Cuba, une plus-
value de plus de 5 millions. Si le tabac était en décroissance de 1 million, le
sucre présentait une augmentation de 3 millions et le café également.
Allemagne : Sexennat naval, — Le projet soumis depuis plusieurs mois
au Reichstaget relatif à l'augmentation de la flotte, a finalement été adopté.
Après une asseï vive discussion, le Reichstag a voté en 2® lecture (25 mars),
par 212 voix contre 439 l'art. 1**^ — qui constituait l'essence môme du pro-
jet — fixant le nombre des bAtiments qui doivent être toujours prêts à entrer
en campiignç et la période pendant laquelle seront construits les nouveaux
navires. Le vote du projet en 3® lecture a eu lieu le 28 mars presque sans
débats.
D'après la nouvelle loi dite du sexennat, l'Allemagne aura dans 6 ans une
belle flotte de guerre composée de 17 cuirassés de i^ rang, 8 garde-côtes cui-
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316 REVUE FRANÇAISE
rassés, 9 croiseurs de l®"" rang, 26 croiseurs dé 2« rang, avec une réserve de
2 cuirassés, 3 grands croiseurs et 4 petits, ce qui lui donnera une force navale
comparable à celle de la France. La loi fixe pour 6 années (1898-1904) les
dépenses extraordinaires s'élevant à 471 millions de marks et à 4«2ÛO.000
msitks Taugmentation des dépenses courantes.
Roumanie : Développement maritime, — La Roumanie, qui ne possédait,
jusqu'au traité de Dorlin de 1878, que les bouches du Danube comme terri-
toire maritime, a annexé, par ce traité, le territoire de la Dobrutscha, surla
mer Noire, et y a créé de toutes pièces le port de Constanza, l'ancienne Kus-
tendjé. Par suite, la navigation sous pavillon roumain sur le Danube et la
mer Noire, qui n'existait pour ainsi dire pas, a pris depuis peu un dévelop-
pement assez rapide. Il y a 5 ans, ce service ne comprenait que 2 remor-
queurs et quelques schlepps. En 1895, la C'« danubienne vendait au gouver-
nement roumain ses 2 plus beaux vapeurs, ainsi que ses chantiers de
construction de Turnu-Sevérin. Ces chantiers ont déjà construit un joli ba-
teau fluvial et le gouvernement a acquis 2 autres navires assurant le service
postal entre Constanza et Constantinople. En 1896, ce service roumain<*écla-
mant un nouveau vapeur, l'État acheta un paquebot de la C'« italienne Flo-
rio. Avec ces bateaux, le gouvernement desservait les lignes de Braïla-Galatz-
Constanza-Constantinople et de Constanza-Constantinople, le premier avec un
voyage, le second avec 3 voyages par semaine. Un 3® service vient d'être ins-
tallé entre Londres-Marseille et Galalz-Braïla, au moyen de 3 vapeurs cons-
truits à Kiel.
Pour accaparer le commerce danubien, la Roumanie est décidée à créer un
¥ service entre ses ports et les Indes. Mais les Roumains auront fort à foire
pour lutter contre la concurrence des pavillons étrangers. Voici, en effet,
quels sont les services réguliers qui, en 1897, ont fréquenté leurs ports.
C*^ marseillaise Fraissinet (3 vapeurs, service bi-mensuel de Marseille i
Galatz-Braïla) :
Lloyd autrichien (service hebdomadaire de Galatz à Constantinople et à
Batoum) ;
S*^ russe de navigation sur la mer Noire et le Danube (cinq services heb-
domadaires ;
C'® privilégiée austro-hongroise de navigation sur le Danube (service quo-
tidien de Galatz à Toultcha, etc.) ;
0« générale de navigation italienne (service hebdomadaire) ;
C*^ allemande Deulsche-Donau-Linie (3 voyages par semaine) ;
S^ hongroise de navigation fluviale et maritime (3 voyages par semaine^
En outre, des services irréguliers sont faits par les MessagerFes maritimes
françaises, la C'« anglaise Johnston, les S""» anglaisée Johnson et Wilson, la
C'e belgo-roumaine, la Deutsche Levante Linie, etc. Soit un total de 8 ser-
vices réguhers et de 5 lignes à services irréguliers.
Houille : Production. — La production de la houille sur le globe, qui
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 317
n'était en 1865 que de 174 millions de tonnes, s*est élevée, en 1895, à
578.818.000. L'Angleterre reste encore le pays qui produit le plus de houille,
mais les États-Unis et l'Allemagne, les premiers surtout ne tarderont pas
sans doute à la dépasser, si leur progression persiste. La production anglaise
reste presque stationnaire, tandis que celle de l'Allemagne a triplé depuis
30 ans. En 1895, la production houillère de l'Angleterre a été de 192.700,000
tonnes, celle des États-Unis de 175.î201.000, celle de l'Allemagne de
104,000,000. Les autres pays ont des productions bien moindres : France
28.0-20.000 tonnes, Belgique 20.458.000, Autriche 26.907.000, Hongrie
4.589.000. La production des houillères du Pas-de-Calais, qui progresse
loujoui's, a été de 44 millions de tonnes, soit la moitié de la production fran-
(.'aise. La France est obligée de consommer encore 31 0/0 de houilles étran-
gères. Les houilles anglaises entrent en France pour 4.434.000 tonnes, les
houilles allemandes pour 1.037.000 t. et les houilles belges pour 4.888.000 t.
Cuivre : Production. — En 1896, le monde entier a produit 387.207
tonnes de cuivre, contre 339.699 en 1895. L'augmentation provient surtout
de TAmérique. Les États-Unis, qui avaient donné 175.294 tonnes de cuivre
en 1895, en ont fourni212.112t. en 1896. L'état de Montana, seul, a produit
183.966 l. de cuivre raffiné et les seules usines d'Anaconda 56.910 t. (dont
48.580 t. expédiées en Europe sous forme d'anodes de cuivre noir pour le
raffinage par Téleclrolyse). En Europe, c'est l'Allemagne qui produit le plus
de cuivre : 20.306 t. en 1896. L'Angleterre en a donné seulement 508 t. (dis-
trict de Swansea), et la Suède à peu près autant.
Nickel : Production. — En 1896, la production du nickel et de ses com-
posés métalliques (oxyde, sulfure, sulfate, etc.), a été de 6.280 t. contre
5,617 t. en 1895 et 0.634 t. en 1894. La production la plus importante est celle
de la Nouvelle-Calédonie (2.972 t. en 1896, 2.548 en 1895, 2.422 en 1894) ; la
production néo-calédonienne augmente donc sans cesse, alors que celle du
Canada diminue (2.226 t. en 1894, 1.764 en 1895 et 1.542 en 1896) et que
celle d€s États-Unis a aussi la même tendance (1 .677 1. en 1896 contre 1.215 t.
en 1895 et 1.916 1. en 1894). La Norvège produit par an 90 t. de nickel. La
consommation étant inférieure à la production, il doitdoncy avoir en ce mo-
ment une accumulation de stocks.
Coton : Production. — La protluclion totale du coton sur le globe a étt',
en 1889-90, de 15.235.000 balles de iOO livres. Sur ce total, plus de la moitié
est à l'actif des États-Unis qui ont produit à eux seuls 8.520.000 balles , soit
35,92 0/0 du total.
Le second rang appartient aux Indes anglaises (3.280.000 balles), puis vient
la Chine (1.450.000 b.). Les autres pays ont des productions cotonnières bien
moins importantes. Voici leur énumération : Egypte 750.000 ; Amérique du
Sud et Antilles 400.000 ; Afrique (sauf l'Egypte) 37o.0ô0 ; Asie russe 200.000;
Turquie 120.000; Japon 115.000 ; Grèce, Italie, etc. 25.000 balles.
L'Egypte exporte une grande partie du coton qu'elle produit et en envoie
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318 REVUE FRAI^iÇAISE
même aux États-Unis ; Texportation du coton égyptien, qui n'était que de
4.550 bàUes en 1884-85, atteint 23.790 balles en 1890-91 et 59.118 b. en 1894-
95. Le coton égyptien est aussi très apprécié en Europe.
Après rinde et TÉgypte , l'Asie russe est un pays destiné à faire concur-
rence aux États-Unis pour le coton. Le coton américain des régions élevées a
été mtroduit au Turkestan en 1884 et, dès 1894, cette région en produisait
120 millions de pounds.
Arbre sifflear. — U existe un arbre bien curieux, rencontré par
Scbweinfurth en Afrique. Cet arbre, connu des indigènes sous le nom de
tsofarj produit une gomme appelée gedarefy très recherchée des traitants arabes.
Cette gomme sert de nourriture à un insecte qui, pour la découvrir, creuse
les branches et les perfore de part en part. Quand le vent vient à souffler, il
s'engage dans ces petits tuyaux, ce qui produit des sifiQements, d'où le nom
d'arbre sifiïeur donné à ce végétal.
Mouche tsétsé. — La mouche tsétsé, Glosinia morsUanSy fléau du bétail
dans l'Aû'ique australe, est un insecte ailé, de 15 millimètres de long, de
couleur brun foncé et brun clair. Elle est armée d'un aiguillon acéré de 7 à
8 millimètres, au moyen duquel elle distille son venin. Ce venin est mortd
pour le chiea, le bœuf, le mouton et le cheval; il est inofifensif pour les ani-
maux sauvages et pour le mulet, Tâne et la chèvre. En volant, la tsétsé pro-
duit un bourdonnement, appelé par les indigènes chant de la tsétsé, qui rap-
pelle le celui de la guêpe ; il s'entend à près de 50 mètres.
Le venin de cette mouche ne produit d'efifet chez l'animal atteint que
24 heures après la piqûre. L'animal a de l'anxiété, de l'inappétence; il est
agité de mouvements convulsifs, l'œil devient brillant, la pupille se dilate;
cette première phase dure de 10 à 15 heures. Puis le poil se hà'isse,
les yeux pleurent, une mucosité sanguinolente s'échappe des narines; l'ani-
mal bêle ou hennit et n'avance plus qu'en chancelant. Au bout de 24 heures
les lèvres s'enflent et se tuméfient, l'abdomen et les flancs s'excavent, l'amai-
grissement survient, l'animal tombe dans le coma et meurt Parfois aussi,
ranimai semble fou, se précipite sur tous les objets en poussant de grands
cris, les mord, se roule, gratte la terre et finit par s'abattre sur le sol où il
meurt. Il n'y a jusqu'ici qu'un seul i*emède contre ce fléau : c'est de fuir le
lieu où la première tsétsé a été signalée. Ces mouches préfèrent les endroits
humides, quelque peu boisés, n'en sortent que pour aller piquer le bétail qui
passe dans leur voisinage et y reviennent aussitôt.
La mouche tsétsé, d'après la Revue scientifique, ne se rencontre pas dans
toute l'Afrique équatoriale. Stanley émit cette opinion, sans doute pour
éloigner les autres explorateurs et réserver au roi des Belges le bassin do
Congo qu'il venait de révéler.
M. H. Chastrey, par ses recherches et ses renseignements, est convainco
que la mouche tsétsé n'existe pas dans les bassins du Congo, du Kassaf, de
la Sangha et de TOubanghi, ni dans la région des grands lacs. On peut donc
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 349
parCutement maltiplier le bétail européen dans ces vastes plaines. Le gouver-
nement français a fait d'ailleurs, à Brazzaville et à Loudima, des essais d'ac-
climatation qui sont très encourageants : commencés en 1889, ces essais
avaient produit deux ans après une trentaine de bétes.
La tsétsé ne vit que dans le bassii» du Zambèze moyen jusqu'aux iron-
tières du Transvaal, du côté du sud. On en aurait cependant rencontré au
Natal, dans la région de Durban.
Langues : Statistique, — 1^ congrès postal de Washington a constaté
que les 2/3 des lettres confiées aux diverses postes du monde sont écrites
en anglais.
Sur 500 millions dlndividus parlant Tune des langues modernes, 125 mil-
lions, soit le quart, parlent Tanglais, 90 millions le russe, 75 millions Talle-
mand, 55 millions le français, 45 millions l'espagnol, 35 millions l'italien
12 millions le portugais,
L'écart entre le chiffre de la population parlant anglais et la proportion
des correspondances de cette langue provient de l'usage très répandu de
l'anglais dans le commerce. Ainsi, aux Indes, les 300 millions de lettres et
paquets expédiés ou reçus par an sont surtout en anglais, bien que, sur
300 millions d'habitants, 300.000 à peine parlent l'anglais.
Mnsèaxn : Cours pour les voyageurs. — Voici le programme de ces cours :
liai, 3, M. Vaillant, reptiles et poissons; 5, M. de Rochebrune, mollusques; 7,
M. Perrier, vers; 10, M. Bouvier, crustacés; 12, M. Brongniart, insectes ; 14, M. Filbol,
anatomie; 17, 21, 24, MM. Bureau, Morot, Bois, plantes; 26, M. St. Meunier, géo-
l(^ie; 28, M. Lacroix, minéralogie; 31, M. Boule, paléontologie; Juin, 2, M. Gréhaut,
hygiène; 4, M. Becquerel, météorologie; 7, M. Bigourdan, topographie; 9, M. Da-
\anne, photographie; 11, O Javary, cartes par photographie.
' Petites nouvelles. — L'exposition des collections de M. le b**" de Baye vient
d*être ouverte au musée Cfuimet. On sait que M. de Baye a rapporté de Russie, de
Sibérie, du Caucase, de précieux documents ethnographiques et scientitiques.
— Une autre exposition non moins intéressante est celle que M. le C*'' U, de La
Vaulx Tient d'ouvrir un Muséum, où se trouvent les collections scientifiques qu'il a
recueillies lors de son voyage d'exploration en Patagonie.
-^ La 24* caravane scolaire des Dominicains d'Arcueil aura lieu, cette année, du
21 juil, au 3 sept., en Egypte, Palestine, Syrie, Turquie. Voilà qui n'est pas banal
pour des jeunes gens et on ne peut qu'applaudir à un programme d'éducation aussi
pratique.
BIBLIOGRAPHIE
L'Insurrection crétoise et la guerre Gréco-Turque, par Henri Turot.
Un vol. in-16, avec gravures et cartes. Hachette, éditeur. — Pendant plus de trois
mois, M. Turot a suivi pas à pas les événements qui, l'an dernier, se déroulèrent en
Orient. L'auteur assiste tour à tour aux lugubres péripéties de l'insurrection crétoise;
puis dès que la guerre éclate, il se rend en Thessalie, ensuite en Épire pour noter au
jour le jour les luttes passionnantes qui mettent aux prises musulmans et hellènes.
Son récit, très impartial, est dune précieux à recueillir par tous deux — et ils sont
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320 REVUE FRANÇAISE
nombreux — qui ont suivi avec angoisse les diftérentes phases de la guerre gréco-
turque, qui ont douloureusement pris part aux souflVances de la Grèce et qui cher-
chent à se former une opinion éclairée sur les faits et siir leurs causes.
La olef de Paris. — Quel monde colossal et curieux que Paris, et combien
ignoré des Parisiens eux-mêmes, avec 25y000 habitants, ses 182000 étrangers, ses
2 800 fabriques et manufactures, ses 74 000 maisons, ses 6 624 rues et 1 500 édifices!
Comment apprendre à connaître dans tous ses détails, cet organisme colossal, qui
éveille la curiosité et Tadmiration du monde entier? Où trouver le fil pour se con-
duire dans ce dédale immense?
Dans cent volumes coûteux à acheter, longs à lire, mais qu'a résumés en un seul
Pans- Hachette^ qui est le dictionnaire et le miroir de Paris, avec 800 portraits, 125
vues d'édifices, 67 plans, 27 statistiques illustrées, en tout plus de 1 000 gravures,
4000 articles et 100000 adresses. Pour 3 fr. 75 Paris- Hachette donne en ses 1 650 pa-
ges, la valeur de 34 volumes in-18; à 3 fr. 50. C'est le livre indispensable à tous.
Ije roman d*an capitaine de navire, par G. Dojarric, A. Lemerre, éditeur.
— C'est un roman bien sentimental qui nous montre en même temps les particularités
de la vie en mer. On sent bien que l'auteur, M. G. Dujarric, a été lui-même un pro-
fessionnel de Tocéan. Ce livre attachant et simple a le mérite de pouvoir être lu par
tout le monde. La mélancolie qui s'en dégage n'a rien de factice, car c'est an roman
vrai.
L'Afrique du Sud, par G. Aubert, 1 fort vol. avec cartes et gravures, Flamma-
rion, éditeur. — Fondateur d'une grande maison de commerce au Transvaal, l'auteur
était mieux à même que qui que ce fut pour faire connaître l'état de commerce
français dans r.\frique du sud, son insuffisance et la cause de ses échecs. L'ensemble
que nous citons plus haut, tiré du livre de l'auteur, est absolument topiqne
(V. page 308 u
L'armée de Bonaparte en Egypte, par le c* (iuitry. — Un volume in-S*
avec reliure souple. — (^e volume, qui fait partie de la collection des mémoires mi-
litaires édité par la maison Flammar'on, renferme un ensemble de documents bien
intéressants à consulter : lettres d'officiers et de soldats, mémoires, rapports offi-
ciels, etc. C'est la vie intime, anecdotique de l'armée d'ÉgAple qui apparaît dans ces
pages, aussi intéressante qu'un épisode de roman et peut-être une des plus riches
en enseignements. L'armée d'I^pte a beaucoup souffert, mais elle a conquis une
page immortelle dans l'histoire. Les Pyramides, Aboukir, S' Jean d'Acre sont là pour
en témoigner. On lira toujours a\ec plaisir ce qui se rattache à cette brillante
période.
Lee rivalités européennes en Extrême-Orient, par J. Joubkrt, brochure
où l'auteur fait ressortir l'importance des intérêts français dans le sud de la Chine.
-Les hommes et les choses néfastes, par Ed. Gibert, 2* édition, brochure
où l'auteur retrace ren\ahissement de la France par le cosmopolitisme israélite.
M^ Macaire, par le y^' de Noailles, brochure dans laquelle Fauteur expose la
mission de M^*^ Macaire auprès de Ménélik et la création en Egypte du patriarcit
copte catholique en 1895.
Le Gérant, Edouard MARBEAU.
IHPRIULIIIE CHAIX. RDB BBROÈRB, 20, PARIS. ~ 8874-2-98. — (bCTC UriOcu).
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Dl]PLEIX ET LE PROTECTORAT DE L'INDE
Rome n'assujétit Tltalie qu'après une lutle cinq fois séculaire et,
comme je l'ai marqué dans Texposé qui précède Thistoire des protec-
loraU européens, (1) Tincorporalion lente des peuples de la Péninsule
fut une œuvre méthodique de division et d'isolement qui laissait tout
d'abord aux vaincus leurs franchises et leurs distinctions originelles.
Ce ne fut qu'au prix de deux siècles de guerre et de diplomatie que le
Sénat soumit à sa suprématie l'Afrique du nord et l'Asie occidentale,
observant à l'égard des États maintenus ou formés dans ces régions,
cette même politique d'attente qui respectait dans des mesures di-
verses les lois et les institutions nationales. (1 )
Il est arrivé au xvni* siècle qu'en moins de vingt-cinq ans un simple
gouverneur de comptoirs coloniaux crées en Extrême-Orient a établi
l'hégémonie de sa nation sur un territoire aussi vaste que l'Asie ro-
maine et ce prodige invraisemblable, il l'a accompli presque seul par
les mêmes procédés qui ont fait de la Cité de Romulus la « maîtresse
du mopde. »
Dupleix occupe une place émiuente dans les annales des conquêtes
asiatiques; il y figure comme la démonstration vivante de celte vérité
« que dans le sort des destinées humaines le caractère est d'un plus
grand poids que Tespril, la volonté que l'intelligence, la ténacité que
le génie. » (i).
J
L'anarchie régnait dans l'immense empire fondé au xvi'' siècle par
Mohammed Babour, arrière petit-fils de Tamerlan. Des provinces succes-
sivement démembrées s'étaient érigées en royaumes, se subdivisant à
leur tour en Etats subordonnés d'inégale puissance et soubabs, nababs
et rayas, à l'exemple des ducs, comtes et autres « a^^ents royaux » de
lepoque féodale, s'étaient insensiblement substitués au pouvoir sou-
verain dont ils restaient nominalement dépendants.
Dupleix eut l'intuilion du parti qu'un gouvernement civilisé pourrait
ri» V. Ed Engelbardt, les protectorats anciens ol modernes 1. introduction.
(%) Discours de M. A Lebon prononcé au Centenaire de Dupleix en 1897.
xxni (Juin 98). N* 234. 21
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322 REVUE FRANÇAISE
tirer de cette décomposition et des conflits intérieurs qu'elle suscitait; il
entrevit à la lumière des expériences acquises au cours de ses premières
missions Tédifice grandiose qu'une main habile et entreprenante ferait
sortir de ce chaos.
La compagnie fran<;aise dont il était devenu le mandataire général
en 1741, n'avait dans la pensée de Colbert, son fondateur, eonmie dans
celle de ses membres, aucun but politique. Créée au capital modeste
d'un miUion et demi de livres tournois et affranchie de toute redevance
fiscale, elle devait uniquement se vouer au trafic de l'Inde dont le
monopole lui était garanti sous l'égide de la marine et de l'arcnée
nationales.
Dumas fut le premier gouverneur des comptoirs échelonnés sur
la c()te orientale de la péuinsule gangétique que les circonstances ame-
nèrent à s'immiscer dans les affaires des soubabies et nababies voisines;
il y fut convié par les intéressés eux-mêmes et se fit payer par des ces-
sions cotières le prix de ses services. Le grand Mogol le décora même
du titre de nabab qui lui conférait une sorte d'indigénat et légitimait
aux yeux des populations son intervention et ses acquisitions territoriales.
Telle fut l'origine des protectorats qui devaient bientôt couvrir la
majeure partie de l'Hindoustan.
Dès le début de sa carrière» active, Dupleix, revêtu comme son prédé-
cesseur de la dignité de nabab, entreprit un voyage au Bengale en s'en-
tourant de tout l'appareil d'un prince asiatique. 11 se fit reconnaître
comme nabab de Chandemagor et pour flatter la race dominante du
pays, il alla en grande pompe rendre visite au gouverneur musulman
de l'Hougli qui, occupant un rang inférieur au sien, lui prêta publi-
quement foi et hommage comme un humble vassal.
Cette mise en scène ne laissa pas de porter ombrage à la compagnie
anglaise qui possédait, elle aussi, plusieurs factoreries sur la même
côte de l'Inde et qui se sentait menacée par le prestige nsûssant de sa
rivale et de son nouveau représentant.
L'Angleterre et la France étaient alors en guerre pour la succession
d'Autriche et les hostilités ne tardèrent pas à éclater entre les deux co-
lonies d'bxtrême-Orieut; elles eurent un dénouement glorieux pour les
Français : la prise de Madras par Mahé de La Bourdonnais.
Notons incidemment qu'au cours de cette première lutte le gouver-
nement de Louis XV avait proposé au cabinet de Londres de neutra**
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1)1 PLEIX ET LE PROTECTORAT DE L'INDE 323
liser les possessions indiennes respectives, ce que l'Angleterre avait net-
tement refusé. On se rappelle qu'en 188o le plénipotentiaire des États-
Unis délégué à la conférence africaine de Berlin, a particulièrement
insisté pour qu'une disposition semblable fût appliquée aux terrilx)ires du
bassin du Congo. Sa motion qu'il supposait peut-être sans précédent
dans l'histoire du droit international fut partiellement adoptée. (1)
A la suite de la reddition de Madras, Anaverdi Khan, nabab du
Garnate, se détacha de Talliance anglaise et traita au nom du Grand
Mogol avec son adversaire victorieux. Muni d'un paravana spécial à
cet effet (2) il transféra à la France la suzeraineté de Pondichéry et de
Madras, enclaves de sa nababie qui relevaient comme elle du pouvoir
impérial. Dupleix se vit confirmé dans sa qualité de prince indien et
autorisé à prétendre à toutes les prérogatives de ce rang.
Quoique le grand comptoir conquis sur les Anglais leur eût été rendu
à la paix d'Aix-la-Chapelle (1748), le succès des armées françaises avait
singulièrement grandi l'homme d'action qui l'avait si résolument préparé.
Les circonstances permirent bientôt à Dupleix d'exercer son rôle d'ar-
bitre et de protecteur sur une plus vaste scène.
Nizam el-Molouk, soubab du Dekkan. le plus considérable des Etats
méridionaux de l'empire mogol, venait de mourir. Trois compétiteurs
se disputaient sa succession, Nazer Singh, l'héritier naturel, Mozafer
Singh, l'héritier testamentaire et Chanda-Saïb, descendant des anciens
souverains autochthones du pays.
Chacun d'eux se réclamait de l'appui de la France.
Les .deux derniers, après s'être assurés du consentement de l'empe-
reur, conclurent une alliance avec Dupleix et lui offrirent pour prix de
sa coopération les territoires de Villenour, de Valdour et de Bahour
compris dans sa soubabie. Soutenue par un corps de 2,000 hommes
sous la conduite successive du comte d'Autheuil et du marquis de
Bussy, la cause de l'héritier désigné par Nizam el-Molouk l'emporta et
Mozafer Singh fut reconnu comme soubab du Dekkan, tandis que
C|ianda-Saïb prit possession du Carnate.
Ce fut à Pondichéry même, au siège du gouvernement de la com-
(1) V. Ed. Engelhapdt,rapport officiel au ministère des Affaires étrangères sur Taffaire
du Congo. — Livre Jaune de 1885.
(i) Lettres patentes de l'empereur.
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324 REVUE FRANÇAISE
pagnie française que iMozafer Singh revêtit sa dignité et qu'il reçut des
mains de son allié les insignes du commandement.
Il ne se contenta pas de celte marque extérieure de soumission et
de reconnaissance. Le 15 janvier 17SI un traité fut signé par lequel
le nouveau soubab se déclarait protégé de la France et, comme les
chefs des peuples clients de Rome, simple tenancier des domaines
composant ses Etals. 11 s'engageait à ne faire aucune concession à quel-
que puissance ou société que ce fut sans lagrément du gouvernement
français; un tribut annuel prélevé sur les revenus de l'ancien royaume
d'Arcate devait être payé à la compagnie et la monnaie frappée à
Pondichéry aurait cours dans llnde méridionale comme monnaie
d'État. La France acquérait la suzeraineté sur Mazulipalam et Yanaon;
le nabab du Carnate qui tenait son investiture du Dekkaa devenait
vassal direct de la puissance protectrice. Enfin, Mozafer Singh voulant
« que les Français fussent plus considérés chez lui que ses propres
'^sujets » s'en remettait du choix de son premier ministre au gouverneur
général de Pondichéry. Dupleix confia cette haute charge qui répondait
à celle de grand vizir au brahme Ragnoldas formé à son école et qui lui
était personnellement dévoué.
Ajoutons que Dupleix fut proclamé nabab de toute la région située
entre la Khrisna et le cap Comorin (1) avec le titre de Zapher Singh
Bahadour qui signifiait a toujours brave et victorieux. »
Une garde de 300 Français pourvue de six canons s'établit dans la
capitale de la soubabie et le marquis de Bussy, qui la commandait,
assuma dans le pays le rôle et les fonctions de résident.
IjC protectorat qui plaçait sous la dépendance de la France l'immense
Dekkan et le Carnate reposait ainsi sur les conventions les plus so-
lennelles et les plus régulières,
II
Le pacte de 1750 était à peine conclu que Mozafer Singh périt daus
une émeute. Cet événement, bien loin de compromettre la situation
prépondérante de la compagnie française, fut pour Dupleix Toccasion
d'aflirmer son autorité et ses droits.
' \) ('omprenaiil 9O0 kil. do cOle.
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DIPLEIX ET LK PROTEGTOHAT DK LINDK 32.)
L'an des prétendants à la soubabie, Salabet Singh, Taîné des trois fils
de Nazer Singh qui avait aspiré à Théritage de Nizam el-Molouk, se
ménagea une entrevue avec le marquis de Bussy et lui exposa en ces
termes ses intentions : « Dupleix regardait Mozafer Singh comme
son frère ; le soubab était mon oncle ; je suis donc le neveu de Dupleix.
S'il cessait d'être généreux, je voudrais moi-même renoncer aux titres
que je tiens de ma naissance. Dupleix saura que nous n'avons trempé
en rien dans le complot. Il autorisera les marques d'amitié que vous
pourrez me donner. S'il vous rappelle, mes frères et moi nous vous sui-
vrons. Nous ne voulons recevoir le pouvoir que de lui et des Français. »
Le gouverneur général prit résolument le parti du prince dont le
fidèle Ragnoldas lui garantissait la sincérité, Salabet Singh souscrivit à
toutes les clauses du traité de Pondichéry; il y ajouta des concessions
territoriales nouvelles du côté de Mazulipatam et abandonna en propre
à la compagnie la province du Carnate.
Le 18 février 1751 l'élu de la France fut proclamé à Aurengabad
soubab du Dekkan et roi de Golconde en présence du O® de Kerjean,
délégué spécial de Dupleix. « Le jeune soubab, écrivait alors le marquis
de Bussy au gouverneur, n'est que votre esclave...; tout le Dekkan
vous appartient... tout le pays en deçà de la Krishna est à vous et
encore une fois le soubab ne se regarde que comme votre fermier. » (1)
Si le lieutenant de Dupleix dans ses communications intimes repré-
sentait le nouveau prince comme une sorte de pupille, il n'avait garde
d'affecter vis-à-vis de lui l'attitude d'un tuteur imposant ses volontés;
d'après les constantes instructions de son chef, il ne donnait ses ordres
que sous forme de conseils et laissait au protégé toutes les apparences
de l'autorité souveraine.
A cette époque les Mahrrates, peuple guerrier et pillard, formaient
au centre de l'indoustan une fédération qui avait occupé autrefois une
partie du Dekkan et devait plus tard menacer le Grand Mogol jusque
dans sa propre capitale. En 1751 ils s'allièrent avec Mehemet Ali, rajah
du Mysore et envahirent le nord de la soubabie de Salabet Singh. Ils
furent défaits en deux rencontres par le marquis de Bussy qui conclut
(1) Le jonr de son couronnement, Salabet Singh envoya à madame Dupleix an para -
vana qui lui octroyait à perpétuité pour elle et pour ses descendants la 80u\erainelé
de TAldée de Cadapa; c'était un petit royaume.
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326 REVUE FRANÇAISE
avec eux, au commencement de 1752, un armistice au nom du prince
du Dekkan.
« Je serai, dit Dupleix, en ratifiant l'acte du résident, l'arbitre de
tous les différends entre Salabet et ses ennemis. » Et de fait, une con-
testation s'étant élevée peu après entre le Dekkan et le Mysore limi-
trophe, Dupleix eut à prononcer entre les deux États qui s'en étaient
remis à sa décision. Il attribua le pays de Trichinopoly au rajah du
Mysore en l'obligeant, en tant qu'acquéreur de ce territoire, à l'hom-
mage de vassalité envers Salabet Singh, son propre vassal.
A la suite de cet arrangement le rajah du Mysore se plaça spontané-
ment sous le protectorat français en s engageant à payer à la compagnie
royale un tribut annuel de quinze lakhs de roupies et à lui fournir un
contingent armé de 800 hommes.
Un second traité avec le Dekkan fut conclu en 1753; il portait la si-
gnature de Saïd Lasker Khan, successeur de Ragnolbas et régent effectif
de l'Etat, à défaut dti souverain qu'une maladie incurable éloignait des
affaires. Ce traité dit d'Aurengabud, tout en confirmant les droits anté-
rieurement acquis à la France, attribuait à cette puissance quatre nou-
velles provinces, parmi lesquelles la magnifique région d'Ellorah: il
contenait en outre une clause d'après laquelle le gouvernement de la
soubabie promettait « de ne rien entreprendre sans l'amiable concours
de la Compagnie royale. »
Dupleix était à l'apogée de sa puissance : il pouvait légitimement se
dire, comme l'avait précédemment déclaré Salabet Singh « protecteur
du prince du Dekkan, de ses sujets et de toute l'Inde intérieure. »
m
Je n'ai pas à poursuivre l'histoire de la colonisation française aux
Indes dans la période de sa décadence politique; l'étude qui nous inté-
resse peut rester étrangère à la douloureuse fin du grand patriote qui
l'avait si glorieusement personnifiée.
Un gouvernement frivole s'était alarmé de quelques revers et redou-
tait, sinon les périls, du moins les conséquences diplomatiques d'une
lutte d'outre-mer dont la portée échappait à la clairvoyance de ses pusil-
l.inimes conseillers.
L'Inde française qu'un simple contingent de troupes métropolitaines
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DUPLEIX ET LE PROTECTORAT DE L'INDE 327
aarait reculés jusqu'au pied de l'Himalaya, fut abandonnée aux Anglais !
Résumons en peu de mots Tentreprise de Dupleix au point de vue
spécial qu*indique le titre de cet écrit.
Si les alliances franco-indiennes affectent les formes féodales qui
répondent aux traditions indigènes, elles présentent les caractères
essentiels des gouvernements mixtes que nous qualifionsde protectorats.
Les soubabies et les nababies dont les princes héréditaires traitent
avec la compagnie royale, sont des Etats plus ou moins régulièrement
organisés qui, tout en relevant nominalement de l'empire mogol, jouis-
sent de la plus complète autonomie intérieure et entretiennent des
relations directes avec leurs voisins.
Leur droit public n'est pas sans analogie avec celui des grande feu-
dataires de la an du moyen âge, tels que les ducs de Bourgogne et de
Bretagne qui avaient non seulement leur administration propre, mais
encore leur diplomatie; il rappelle aussi la situation des principautés
allemandes qui depuis les traités de Westphalie possédaient tous les attri-
buts du Selfgavemment et prêtaient néanmoins hommage à l'Empereur.
Quand à l'autorité étrangère à laquelle soubabs, nababs et rayas se
subordonnaient conventionnellement, elle était représentée par le man-
dataire général d'une société qui dépendait elle-même d'une puissance
souveraine. Les forces terrestres et maritimes dont disposait cette société
et sans lesquelles elle ne pouvait se maintenir, appartenaient à l'armée
et à la flotte de cette puissance.
L'on est ainsi en présence d'entités politiques distinctes, condition
primordiale de tout protectorat.
En considérant, comme exemple typique, la nature des liens qui
s'établissent entre la monarchie de Louis XV et le plus considérable des
Etats méridionaux de la péninsule gangétique, l'on constate que le
Dekkan accepte ou plutôt recherche la tutelle française et se soumet à
ses directions non seulement dans ses affaires intérieures mais aussi
dans ses rapports extra-territoriaux. Son prince se dit tenancier du sol
dont il abandonne le dcnninium au protecteur et cette relation se traduit
par l'obligation d'un tribut et d'un concours armé. Le vectigal et le
tribulum que les Romains exigeaient de leurs alliés avaient exactement
la même signification (1).
(1) Gaius, Inst. ii, 7.
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L_,
328 KEVUE FRANÇAISE
L'administration proprement dite reste sans doute aux mains du
chef indigène, mais elle n'est pas soustraite à l'action indirecte de l'au-
torité de l'Etat supérieur. Celui-ci, indépendamment de la garnison
permanente et du résident qu'il entretient dans la capitale de son allié
participe au choix du haut fonctionnaire auquel le pouvoir est confié.
Le vizir est l'organe de ses conseils et obéit à son orientation.
D'autre part le soubab abdique en partie son autonomie extérieure
en se soumettant à l'arbitrage du protecteur dans ses conflits avec ses
voisins et en renonçant ainsi au libre exercice du droit de guerre et de
paix. Il s'interdit môme tout pacte stipulant une concession que la
puissance prééminente n'aurait point approuvée.
Des conditions analogues, sinon identiques, président aux relations
du protecteur avec les princes du Carnate, du Mysore et de l'Arcate et
la suprématie efîeclive de la monarchie française rayonne jusqu'au
cœur de l'Indoustan.
Cette conquête, plus digne de l'épopée que les exploits des Fernand
Cortez et des PizaiTe, n'est point une œuvre de violence ou de surprise.
Les peuples de l'Inde se sont plutôt donnés que rendus au vainqueur
des Anglais. Eblouis par son prestige, séduits par sa fortune, ils lui
ont pour ainsi dire confié leurs destinées et par leurs rivalités intestines,
ils se sont inconsciemment prêtés à l'accomplissement de ses desseins.
Telle est, je crois, la vraie caractéristique de l'entreprise extraordi-
naire qui, sans les défaillances d'un gouvernement faible et insouciant,
aurait doté la France de la première colonie du monde.
Ed. Engelhardt,
ministre plénipotentiaire.
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D'OMSK A VIERNIY
M. G. Saint-Yvos, chargé d'une mission scientifique, vient d'arcoraplir une inté-
ressante exploration dans TAsie russe. Voici la relation d*une partie de ce voyage,
d'Omak, en Sibérie, à Vierniy, sur le plateaa central asiatique, qu'il adresse à la
Revue Française.
I
Parus-Omsk par train transsibérien. — En route pour le Thian-Shan. —
La navigation sur V Irtych. — Le pont du chetnin de fer transsibérien,
— Escales et villages cosaque^i. — Le bon chef de district. — l ne tem-
pête fluviale, — Arrivée à SemipcUatinsk.
Blanc, fusiforme, avec des allures de torpilleur de haute mer, le
sieamboat les Trois Apôtres attend dans le port miniature d'Omsk,
rbeure du départ , une heure à la fois tardive et matinale qui nous
permet d'apprécier l'excessive modestie de Téclairage de la cité sibé-
rienne.
La lune rappelle plutôt un gros fromage de Hollande que la chaste
Phœbé (si on nous permet cette comparaison peu po(Hique). Quelques
rayons indécis, interm(^diaires entre un gris bleu et un gris orange,
glissent sur l'Om qui conduit ses eaux jaunâtres aux eaux jaunâtres de
rirtych. Là-bas, à Textrémité du port, un feu à éclipses... involon-
taires, falot hissé à un màt pour indiquer le confluent des deux rivières
et auquel le vent imprime de réguliers balancements.
De temps à autre, le steam-boat lance des appels sonores; ils riva-
lisent comme harmonie avec le cri d'un chameau en détresse et troublent
seuls le silence de la nuit.
Deux heures du matin ; le moment solennel approche : dernières
étreintes des parents, des amis ; quelques uns de ceux qui partent vont
à 1.000, l.oOO, 2.000 kilomètres ; la Sibérie est si grande ! quand se
reverra- t-on? dans un an, dans deux, et les distances donnent à ce dé-
part Témotion, les angoisses poiguantes d'un départ de long courrier.
Le ponton qui relie notre maison flottante à la terre ferme est retiré ;
un dernier coup de sifflet, quelques tours de roue ; bientôt on est sorti
de rOm et on navigue sur l'Irtych. De rares et indécises lumières, bien
clairsemées, trahissent sur la rive, le voisinage de la ville, d'où il ne
monte aucune rumeur ; rien ne vient répondre au clapotis dos vague-
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^
l
i
:m REVUE FRANÇAISE
lettes boueuses du fleuve et au brouhaha de la machine. Eu avant,
d'autres lumières, celles de la gare du chemin de fer transsibérien et
do ses annexes, groupement récemment venu au monde et qui fera vivre
la ville son aînée.
Toutefois, avant de vous entraîner plus loin, il serait peut-être utile de
vous dire qui nous sommes, d'où nous venons et où nous allons sur ce
vapeur qui ahane parmi les brouillards d'un grand fleuve sibérien.
Quatre compagnons de voyage , tout au moins pour une partie de la
route. D'abord le lieutenant d'artillerie Dmitri lakovlef, un lieutenant
d'artillerie sibérien, en garnison àPrjevalski, frontière de Chine; grand,
mince, élégant, excellent valseur, belle voix de baryton : objet du voyage:
rojoint sa garnison à 1.500 kilomètres d'Omsk. Ensuite, le baron de
Munck. d'Helsingfors , membre de la noblesse de Finlande, riche pro-
priétaire, passionné chasseur et non moins passionné Finlandais, voyage
un peu pour son agrément, un peu pour contribuer de sa personne et
(le sa fortune à une œuvre scientifique ; ne parlant pas le russe — par-
ticularité curieuse — mais parlant fort bien le français ; aussi bon qu'ai-
mable, aussi grand que fort; se rend actuellement à Kapal et accompagne
leprofesseurWallenius. En troisième lieu, le susdit professeur Wallenius,
magister philosophiœ d'après sa carte de visite ; malgré ses allures la-
tines, il n'est pas échappé de Pompéï, mais vient en droite ligne de la
Finlande; est petit, blond, avec la barbe en pointe, s'enveloppe dans
une très ample bourka (manteau du Caucase) où disparaîtrait une famille
entière ; parle le finnois, le suédois, le danois, le russe, le polonais, l'an-
glais, le turc, le kirghise, le sarte, le tatar, etc. , une tour de Babel en
chair et en os; il est parti à la recherche d'inscriptions en turc ancien,
et fera dix mille kilomètres au besoin pour recueillir une fructueuse
moisson. Enfin, le quatrième voyageur est l'auteur de ce récit, chargé
par M. André Lebon, ministre des colonies, sur la bienveillante recom-
mandation de notre éminent explorateur asiatique — j'ai nommé Ga-
briel Bonvalot — d'une mission dans la Sibérie Occidentale et au Tur-
kestan pour y étudier la colonisation russe.
Le chemin de fer transsibérien m'a permis de me rendre rapidement
u Omsk, capitale du gouvernement général des steppes, c'est-à-dire des
trois provinces de Semipalatinsk, d'Akmolinsk et de Semiretché. Pour-
quoi ne pas vous raconter par le menu tous les détails de ce voyage en
chemin de fer? Parce que vous les avez déjà lus ailleurs et que vous
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D'OMSK A VIERNIY 331
êtes comme moi pressés de vous mettre en route pour lesThian-shan,
en remontant Tlrtych sur le vapeur les Trois Apôtres,
Installation rudimentaire que celle de nos Trois Apôtres; une cabine
de \^ classe pour deux passagers, cabine dont se sont emparés les Fin-
landais ; un salon également de i^^ classe où s'entassent les retardataires
sur d'étroites banquettes recouvertes d'un velours somptueux..., mais
usé; devant, derrière, en haut, en bas, sous la tête, entre les jambes,
des bagages, encore des bagages, si bien qu'il est difficile de se remuer
sans faire écrouler quelque colis en ^uilibre instable. Heureusement
les flots de l'Irtych sont plus cléments que ceux de la Manche ou de
rOcéan ; et la bataille des bagages détachés ne vient pas rivaliser avec
la bataille des éléments déchaînés.
La partie du pont réservée aux passagers de 3® classe est recouverte
d'une toiture métallique qui donne au steam-boat la physiono-
mie du Nautilus du capitaine Nemo. Ici, le capitaine Nemo est repré-
senté par un brave sibérien, porteur d'une casquette galonnée; depuis
son enfance, il se promène de Tobolsk à Omsk, d'Omsk à Semipala-
tinsk et vice-versâ^ ce qui lui permet de connaître comme l'alphabet
tous les îlots de son fleuve, tous les bancs de sable, car la navigation
de l'Irtych n'est pas précisément facile. A l'avant, un homme sonde
continuellement avec une longue perche ; sur le flanc du vapeur, une
échelle à carrés blancs et noirs indique les profondeurs nécessaires
pour le tirant d'eau du navire. Chaque fois qu'il retire la perche, le
sondeur crie le chiffre relevé ou un « tout va » satisfaisant.
Certains navigateurs en Irtych ont eu la joie d'un naufrage, particu-
lièrement à l'époque des basses eaux. Comme en plus d'un point les
rives sont désertes, l'accident n'est pas des. plus gais; si les secours
tardaient, on pourrait jouer au radeau de la Méduse, à moins de faire
son Robinson Crusoë ou son Robinson suisse, dans l'un des îlots de
llrtych.
A cinq verst^s environ du confluent de l'Om et de l'Irtych, nous pas-
sons sous le pont du chemin de fer transsibérien, impressionnante pas-
serelle d'acier lancée d'une rive du fleuve à l'autre par d'audacieux in-
génieurs. De nuit, sur notre minuscule vapeur, comme perdu entre ces
deux géants, le fleuve et le pont, on est subjugué, écrasé par tant de
force. Les formes géométriques ont leur beauté, leur poésie et ces en-
chevêtrements réguliers procurent en même temps une vive et réelle
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\
332 REVUE FRANÇAISE
sensation d*art. Le peu de largeur du pont, proportionhellemenl à la
longueur — un couloir, une ruelle plutôt qu'un pont — accroît Tin-
lensité de Timpre^ion.
Et longtemps encore, on contemple la silhouette sombre dont la Inné
illumine ou estompe doucement les dentelures; peu à peu, celte sil-
houette s'évanouit à l'horizon, se fond dans la nuit avec les dernières
lueurs vacillantes delà ville d'Omsk, maintenant points imperceptibles
d'un paysage vague, indéterminé.
Avec le jour naissant, se distinguent plus nettement les deux rives,
Tune haute, rongée sans cesse par les flots, Fautre plate, accrue sans
cesse par ces mêmes flots. Rien ne se perd, tout ce qui est pris à Tune
des rives est apporté à Tautre, et cela, à tour de rôle, suivant les coudes
du fleuve. Ainsi se forme, se transforme le modelé terrestre, masque
chaque jour modifié d'un monde en travail.
12 mai. — A huit heures du matin, en vue du village de Pokrovs-
kaia, sur la rive droite. Du reste, il est difficile de se tromper, car il
n'existe aucun village sur la rive gauche. Le thermomètre marque!'*:
la température est douce, partout la nature s'éveille, secoue Tengour-
dissement du long sommeil hivernal. A l'abri de quelques l)ouleaux
fleurissent les premières anémones toutes blanches (anenione paiens).
Si la rive droite est seule peuplée d'une façon permanente, ce n'est
pas l'eflfet d'un hasard. Au x\iii® siècle, lorsque la Sibérie occidentale
était loin d'avoir au Sud son extension actuelle, on avait dû se proté-
ger contre les incursions des Kirghises, peu batailleurs sans doute,
mais pillards incorrigibles. On créa en conséquence la ligne fortifiée de
l'Irtych: sur la rive droite, de 2S verstes en 2o verstes, un poste de
cosaques ; les villages actuels, tous des villages cosaques ont succédé à
ces postes. D'Omsk à Semipalatinsk, on compte six stanitzas cosaque
avec leurs six chefs-lieux^ et 39 posoloks ou villages moins importants
qui en dépendent, dont i5 dans le gouvernement d'Akmolinsk et
24 dans le gouvernement de Semipalatinsk.
Ce sont des villages construits entièrement en bois, les autres maté-
riaux de construction faisant défaut dans la steppe ; une église au clo-
cher généralement peint en vert ; quelques rues à peine esquissées où
se complaît la boue en hiver et la poussière en été ; autour des mai-
sons, des enclos palissades qui rappellent les kraals de l'Afrique aus-
trale et où on enferme le bétail ; des tas monumentaux de fumier or-
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[PW?^
D'OMSK A VlKliNlY 333
nanlde ci de là les coins des rues, avec des poules qui picorent; une
demeure enjolivée de peintures multicolores, celle de Tatanian ou chef
du village ; tel est l'aspect invariable sous lequel se présentent les vil-
lages cosaques de la rive droite de l'Irtych.
Pokrovskaia est d'origine relativement récente, car le village n'exis-
lait pas à l'époque du passage de Pallas en 1171 . D'Omsk à Tcherla-
kofskaia, il cite les postes d'Oust Zaoslrofskoi, d'Atschaïtskoï, de
Kisilbachskoï et de Solianoï-Porovotou, ainsi que le village de colons
appelé Sonina, du nom d'un moujik tué par les Kirçhises.
Quelques bois de bouleaux viennent, de temps à autre, interrompre
la monotonie de cette rive plate: squelettes d'arbres, à la silhouette
blafarde, qui, trop souvent vus, imprègnent Tàme de tristesse. Partout,
à droite, à gauche, la steppe, planche mal rabotée, mais sans aucune
bosselure, aucune boursouflure un peu accentuée, la terre à l'état simple,
en supprimant tout relief. De minuscules moulins à vent agitent parfois
leurs bras décharnés. Rares sont les cultures ; ces villages indiquent
plutôt des emplacements de colonisation qu'une colonisation sérieuse.
A midi, le thermomètre placé au soleil sur le pont marque 21<* : c'est
satisfaisant pour la saison. On déjeune dans un petit salon situé sur le
pont, — je devrais dire un tout petit salon, — car, si les passagers sont
tant soit peu nombreux, on prend ses repas par escouades successives.
Nous mangeons avec d'autant plus d'appétit qu'un séjour prolongé à
table devient une occupation en cet insipide pays où tout sue l'ennui.
Nous passons devant Tcherlakofskaia, gros bourg cosaque, chef-lieu
d'une stanitza du district d'Omsk ; de cette stanitza dépendent les vil-
lages que nous avons successivement aperçus sur la rive droite.
Tcherlakofskaia doit son nom à un bras de l'Irtych, formé à 4 versles
du bourg et qui vient s'y rejoindre au cours d eau principal ; ce bras
est appelé Tcherlak. Le village fut fondé par Springer, gouverneur
d'Omsk, au xvni^ siècle ; il avait 60 maisons en 1771.
A 5 heures, voici Talarskii ; un orage éclate et la pluie tombe violem-
ment; les gouttelettes cinglent avec fracas la carapace métallique de
notre bateau. Une heure plus tard, nous sortons du district d'Omsk et
du gouvernement d'Akmolinsk pour entrer dans le district de Pavlodar
et le gouvernement de Semipalatinsk. Changement tout administratif...
et invisible, car la contrée n'a pas changé d'aspect et est toujours aussi
monotone.
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334 REVUE FRANÇAISE
Le vapeur est chauffé au bois ; il doit s'arrêter chaque soir pour
renouveler sa provision de combustible. On marche depuis 17 heures
environ; aussi, à 7 heures, le capitaine donne-t-il Tordre d'accoster au
village d'Ourlioutioupskii. Deux ou trois coups de sifflet stridents, qui
font accourir les indigènes ; on frôle une berge argileuse ; une planche
vite jetée sert de ponton et bientôt nous sommes à terre en quête d'im-
prévu. Hélas ! le bagage d'impressions sera léger !
Le long de la rive, des tas de bois alignés en bon ordre ; ce sont les
approvisionnements; dfs hommes, revêtus de leur touloupe graisseuse,
s'agitant lourdement dans des bottes en feutre, chargent les bûches sur
des civières et les portent au bateau. Tout ce mouvement sans bruit,
sans cris, sans interpellations : des ombres accompUssant une mysté-
rieuse besogne, si des ombres peuvent accomplir quelque chose. La
nuit est venue ; deux de nos mariniers tiennent des falots, dont la lueur
timide accroît Tétrangelé de ce va et vient. Après une périlleuse navi-
gation entre des tas de bois, nous allons buter contre des tas de fumier;
ce choc nous décide à une prudente retraite et nous réservons au len-
demain une plus ample interview avec les villages cosaques.
13 mai. — Morphée a réservé suffisamment de soDges heureux et de
doux sommeil aux passagers des Trois Apôiresy car celte nuit, personne
ne s'est douté que nous passions devant des villages aux noms harmo-
nieux de Bachliatchnoï, de Jelisinskaïa, chef-lieu d'une stanitza, de
de Piatorii^k.ii et de Bobrovskii. Halte du matin, à 8 heures, pour un
nouvel approvionnement de bois au \illage d'Osmorichskii ; cette fois,
1 escale sera plus intéressante que celle de la veille ; au moins, la diurne
lumière nous permettra de voir quelque chose.
A peine notre vapeur a-t-il été signalé que de tous les coins du village
sont accourus femmes, jeunes filles, garçons et garçonnets ; les femmes
trottent la jupe retroussée, laissant voir leurs bottes de cuir ; les fillettes
et les garçons pataugent jambes nues et pieds nus dans la boue, la
douceur du cUmat permettant déjà cette économie de chaussures. Les
uns portent des paniers d'œufs frais, d'autres des jarres de lait ou des
pots de beurre. Tout ce monde vient s'aligner le long de la berge et
attend la clientèle avec une impassibilité orientale. Pêle-mêle de châles
rayés, de fichus à couleurs voyantes, avec de ci de là quelques frais
minois.
Moins empressés, plus placides si possible, les hommes arrivent
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D'OMSK A VIERNIY 335
derrière. La pèche est leur principale occupation et ils ne rougissent
pas de laisser plus d'une fois les femmes labourer la terre. A vrai dire,
l'Irtych n'est pas parcimonieux à leur égard ; le poisson y abonde.
Pour quelques kopecks, 40 à oO centimes de noire monnaie, on peut
s'offrir un repas copieux.
De forts gaillards que ces cosaques, bâtis à la hache ; une large tête
sur un cou de taureau ; des traits mongoloïdes ; une barbe de « fleuve
antique » toute embroussaillée. Ils portent des bottes de feutre, un
pantalon de grosse étoffe, une chemise de couleur à petits pois ou à
carreaux ; comme coiffure, la casquette plate chère aux Russes, celle
que Ton trouve — plus ou moins galonnée ou ornemenlée — à tous les
de^és de la hiérarchie sociale.
Le marché est vite improvisé et les transactions commencent. Pen-
dant que quelques-uns de nos compagnons de route s'approvisionnent...
en prévision sans doute d'une navigation au long cours, nous nous
risquons dans le village.
Toujours les éternelles maisons en bois, ces primitifs chalets dont le
profil, si peu géométrique, vous obsède l'imagination d'une extrémité
de l'empire russe, à l'autre. En voici une ornée de sculptures plus ou
moins naïves, bariolées de vert, de jaune, de rouge; à travers les dou-
bles vitres, on distingue à l'intérieur quelques plantes des pays tropi-
caux : c'est la demeure du richard de l'endroit ou de l'atamau. Des rues
larges comme les plus larges de nos boulevards, mais où les ingénieurs
des ponts et chaussées ni le service de la voirie, n'ont jamais eu,
certes, de grands travaux à exécuter; en cette saison, au lendemain de
la débâcle du fleuve et de la fonte des neiges, elles ressemblent plutôt
à des rivières de boue coulant entre les maisons de cette Venise sibé-
rienne. Et partout, une odeur de fumier qui vous pénètre; sur une
place plus vaste, l'église peinte en vert, isolée de toute construction;
elle est l'indice de l'importance du village, le porte-drapeau de la colo-
oisalion russe. En un endroit plus sec, quelques vaches efilanquées
broutent béatement Therbe appétissante.
Vite, on regagne le bord du fleuve et on s'amuse des transactions en
le marché improvisé, né de l'arrivée du steainboat. Un moujik dépe-
naillé, pieds nus, ce qui est rare en ce pays où l'homme naît botté,
offre une corbeille de superbes poissons, de fins sterlets ; des passagers
marchandent et, après une résistance vite lassée, le pauvre diable
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336 lŒVUE FRANÇAISE
diminue ses prix. Enfin, le produit de sa pêche est acquis pour une
somme dérifoire de quelques kopecks, il verse sur le pont les poissons
tout frétillants et, prenant ses jambes à son cou, s'enfuit à toute vit^se,
sans dire un mot, comme s*il avait peur d'être poursuivi et forcé de
restituer son misérable buiin.
Le chargement de bois est terminé; les Trois Apôtres annoncent leur
départ par trois coups de sifflet, un sans doute en Thonneur de chaque
apôtre, et nous reprenons notre navigation fluviale, suivis quelque
temps du regard par les villageois immobiles sur la berge. Les arrivées
et les départs des sleam-boats pendant la belle saison, constituent les
seuls événements de leur existence où les jours se suivent et se res-
semblent.
J'oubliais de vous dire que nous avions à notre bord, le natchalnik.
chef du district de Pavlodar, le district que nous traversons. Cet excel-
lent fonctionnaire, ayant appris, avant son départ, qu'il ferait route
avec moi et craignant, par suite de son ignorance de la langue fran-
çaise de ne pouvoir entretenir une conversation suivie, avait fait pré-
parer par sa fille un véritable questionnaire en français et en russe.
Manifestation touchante de la sympathie des deux peuple !
Par le natchalnick, j'apprends que d'importants gisements de houille
ont été découverts à une centaine de kilomètres de Pavlodar, sur la
rive gauche de l'Irtych, à un point nommé lékibaslous. Des ingénieurs
fi-ançais en ont fait l'étude et une Société franco-russe se propose d'ex-
ploiter ces gisements. Si la tentative réussit, la contrée presque déserte
pourrait à bref délai se transformer.
L'Irtych, par sa largeur est une petite mer; aussi se permet-il
d'avoir ses tempêtes. A trois heures, branle-bas de combat : roulements
de tonnerre à travers la steppe avec des tonalités de tonnerre d'opéra ;
éclairs pâles, blafards, sur un fond de nuages très noirs ; des vagues,
de vrais vagues, avec simulacre de roulis et de tangage; une personne
sensible aurait presque le mal de mer... d'Irtych. Et la pluie se met de
nouveau à claquer contre notre carapace métallique, sur laquelle les
gouttelettes s'écrasent avec fracas. Puis, lorsque l'orage est passé, nous
naviguons dans un fleuve de bronze doré en liquéfaction.
14 mai. — A une heure du matin, nous arrivons à Pavlodar; l'ai-
mable natchalnik nous quitte. Pavlodar est le chef-lieu d'un vaste dis-
trict du gouvernement de Semipalatinsk; le natchalnik attribue à la
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D'OMSK A VIERMY 337
ville une population d'environ 7.500 habitants. Le district est peuplé
de Cosaques, groupés dans onze villages, dix sur la rive droite de
rirtych et un àTonesldu fleuve, le village de Baïan-Aoul. Toujours
d'après le natclialnik, la population de ces onze villages serait de
iO.OOO habiUnts.
Comme dans toute la Sibérie occidentale, les villages cosaques sont
groupés en stanitzas; il y a trois stanitzas dans le district de Pavlodar :
Pavlodar, Jelesinskaia et Baïan-aoul. Pavlodar, le chef-lieu du district,
est désigné par Pallas sous le nom de Korjakofskoi et par Rose sous
celui de Koràkovsk. En 1771 , Pallas le considère déjà comme « lo. poste le
plus peuplé et le mieux bâti de la ligne de Tlrtych ». En dehors du fort
et des habitations des officiers, il y avait alors deux faubourgs peuplés
de Cosaques, de militaires réformés et de voituriers; le poste devait sa
prospérité aux salines du voisinage.
A côté des Cosaques, le reste de la population du district est formé
par le& Kirghises qui occupent 23.622 iourtes et sont par conséquent
au nombre de 94.488 ou à peu près.
D'Omsk à Pavlodar, l'une ou l'autre rive était toujours caractérisée
par de hautes berges de loess; au delà de Pavlodar, en amont, le fleuve
s'étale en de vastes plaines et atteint des dimensions exagérées.*, pour
un fleuve aucune falaise pour le limiter, pas même le plus faible repli
de terrain. Nous faisons la rencontre d'un grand vapeur de la Compa-
gnie Botakof, V Alexandre Newski^ qui rentre à Omsk; on se hèle d'un
vapeur à lautre et cette rencontre est une distraction de quelques
instants.
C'est à 5 heures du matin que nous avons quitté Pavlodar ; à midi,
nous. passons devant un village, lamichovskaia, et une heure après,
nous sortons du district de Pavlodar pour entrer dans le district de
Semipalatinsk. Toujours des rives plates, à demi submergées, avec des
îles éparses, basses, qui ressemblent à des radeaux de verdure. Parmi
les passagers de 2« classe, quelques négociants tatars, originaires de
Kazan, qui vont jusqu'à la frontière de Chine ; le professeur Wallenius
lie conversation avec eux. Ces Tatars de Kazan sont les grands négo-
ciants de la Sibérie occidentale ; on les trouve partout où il est possible
de gagner de l'argent et on ne peut qu'apprécier en ces contrées
d'indolents, leur esprit entreprenant et leur activité. Nous ne faisons
halte pour renouveler notre provision de bois qu'à 1* heures du soir, au
XXIII (Juia 98). N» 234. 22
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338 REVUE FRANÇAISE
village de Podpousknoï. Inutile de dire que cette fois encore, les traD-
sactions s'effectuent à la lueur des lanternes.
15 mai. — L'Irtych diminue de largeur, les berges de lœss repa-
raissent. Depuis Podpousknoï, à cause des inondations, la route postale
s'est écartée du fleuve ; elle s'en rapproche à Seraiarskaia, gros village
cosaque. En amont de Semiarskaia, de véritables collines se montrent
sur la rive gauche ; elles forment les derniers contreforts de la chaîne
du Tarbagatai ; l)ientôt Tlrtych evSt contraint d'accepter le lit rétréci
d'un vulgaire cours d'eau européen. Il est 4 heures de l'après-midi
lorsque Jious nous arrêtons à Dolonskaia pour faire notre dernière pro-
vision de bois, nous serons cette nuit à Semipalatinsk.
Sur la gauche, se profile la silhouette d'une chaîne de quelques
centaines de mèU^s d'élévation tout au plus ; au sortir des intermi-
nables steppes que nous avons traversées, elle nous produit l'impres-
sion des Alpes ou des Pyrénées, ce qui prouve une fois de plus que
tout est relatif sur la machine ronde . On nomme cette chaîne « Semitau »
« les sept montagnes », accouplement original d'un mot russe « sem •
(sept) et d'un mot kirghise « tau » montagne, (prononcez laau).
Je consacre toute la soirée au développement et au fixage des clichés
photographiques pris pendant notre navigation sur l'Irtych, opération
quelque peu délicate dans un salon de steam-boat. Enfin, après des
efforts plus ou moins couronnés de succès, je m'endors à côté de mes
clichés qui en vaillants clichés qu'ils sont, tâchent, mais inutilement de
sécher rapidement. Je comptais ne débarquer qu'à 7 heures du matin ;
hélas I l'homme propose. . . et le gouverneur dispose. Prévenu par
dépêche de notre arrivée, le gouverneur de Semipalatinsk a envoyé un
officier de police nous attendre sur la berge avec trois landaus. A 3 heures
du matin, bon gré, mal gré, il me faut empaqueter mes clichés encore
humides (pauvres clichés ! ) et faire mon entrée solennelle, bien que
matinale, en la bonne cité de Semipalatinsk, « la ville des sept Palais.»
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L'ECOLE MILITAIRE DE SAINT-CYR
d'apri^s lk (:ol<»nel Titeux(I).
(7cst le seigneur de La Nour, le compagnon d'Henri IV, qui eut le
premier Tidée de l'institution d'écoles spéciales pour les jeunes gens
qui se vouaient à l'armée. Il avait tracé le plan de quatre académies
réparties sur différents points du territoire, et avait indiqué de pré-
férence : Fontainebleau, châteaux de Moulins, de Plessis-les-Tours et
de Cognac. Il fut tué au siège de Lîunballe, en io91, sans avoir pu
ftdre adopter son projet.
Le collège delà Flèche, fondé en IG07, n'était pas une école spéciale-
ment militaire, l'éducation des officiers continua à se faire dans les
régiments* C'est à Richelieu que Ton doit la première école militaire,
créée en 1636, puis IWcadémie royale des exercices de guerre, en 1639
pour former des instructeurs pour les soldats.
A partir de 1678, les gentilshommes de la noblesse de cour firent
leur éducation dans les deux belles compagnies de mousquetaires de la
maison du roi.
En 1662, I^uvois avait pris la direction do l'administration militaire;
il constata que le d('isordre était à son comble, que bien souvent Taisent
destiné aux soldats était dissipé par les chefs. Préoccupé du bien de
Tarmée, il réprima ces désordres avec une impitoyable rigueur. U
comprit que le mal Résultait des conditions déplorables dans lesquelles
les officiers avaient fait leur noviciat militaire. Pour procurer aux cadets
de petite noblesse le bienfait d'une boime éducation militaire dont jouis-
saient, aux mousquetaires, les jeunes seif^iieurs de haute naissance,
Louvois les réunit en compagnies au lieu de les disséminer dans les
régiments. Us vivaient en soldats, mais entre eux, et recevraient une
éducation capable de relever leurs sentiments et leur caractère. En juin
1682, un édit crée deux compagnies de cadets-gentilshommes à xMetz et à
Tournay. Bientôt il fallut en porter le nombre à neuf, elles furent
établies dans les places frontières. Dès 1683, les compagnies de cadets
fournirent près de deux mille officiers iK)ur la guerre d'Espagne*
A la mort de Louvois, dans le but unique de détruire l'œuvre du
(1) S^'Cyr, par Eugène Tileux (8^W pages, 107 reproductions en couleurs, 2G4 grav.,
26 plans d'après les aquarelles et dessins d»» Fauteur. Firmin Didot, éditeur, Paris, 1898.
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340 REVUE FRANÇAISE
ministre intègre si longtemps redouté, ses ennemis persuadèrent à
Louis XIV de supprimer les compagnies et de répartir les cadets dans
les anciens régiments. Les puissances rivales de la France, au contraire,
adoptèrent le système de Louvois, le prince d'Orange le transplantait en
Hollande et Télecteur de Brandeboui^ en Allemagne. L'institution dis-
paraissait en France au moment où allait s'ouvrir la guerre néfaste de
la succession d'Espagne, dont les désastres furent dus aux mauvais
officiers, indisciplinés, vantards, ignorants.
En 1726, Claude Le Blanc, secrétaire d'État de la guerre, reprit le
prc^ramme de Louvois, mais en 17^i3 on saisit le prétexte de la guerre
})Our la succession de Pologne pour licencier la dernière compagnie de
cadets. Au même moment, Frédéric II or^çanisait une armée qui fut la
base de la puissance allemande; la Russie confiait à des officiers prus-
siens l'organisation d'une école de cadets. Eu France il n'y avait plus
ni académie, ni école militaire.
!*àris-Duverney, se servant de l'inlluence de madame de Pompadour.
obtint de Louis XV l'édit du 13 janvier 1751, qui créait VÉcole mili-
taire. L'emplacement fut un fief nommé Grenelle, voisin de l'hôtel
des Invalides. En 1770 on aménagea le champ de mars pour les exer-
cices des élèves.
En 1776, l'École militaire est supprimée à cause des frais d'entretien
et les élèves sont répartis dans des collèges de province : Sorrère,
Brienne, Rebais, Beaumont, Pont-le-Voy... à raison de 50 à 60 élèves,
dits Élèves du Roi. En 1777 une ordoimancedu roi rétablit l'École mili-
taire de Paris pour y recevoir dans une compagnie de cadets-gefUils-
hommes, outre les cadets, les meilleurs élèves des écoles militaires de
province.
Tel était le système en vigueur quand Bonaparte entra, en 1779, à
l'âge de dix ans, au collège de Brienne, ayant Pichegru comme maître
(le quartier. M. de Kéralio, sous-directeur de l'École militaire de Paris,
faisant l'inspection à Brienne, dit qu'il avait remarqué en lui « une étin-
celle qu'on ne saurait trop cultiver » et le fil entrer à l'école de Paris le
^^ octobre 1784. On lit entre autres choses dans ses notes d'inspection
a ....• caractère soumis assez faible dans les exercices d'agrément
et le latin ce sera un excellent marin » Bonaparte ne reste qu'un
an à Paris et reçut sa lettre de nomination de sous-lieutenant le
15 août 178o. Il quitta l'École pour le ré{^iment d'artillerie de La Fère.
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LKCOLK MILITAIHK DE SAL\T-CYR :U1
In règlement royal du 9 octobre 1787 supprima TÉcoIe de Paris et
la compagnie des cadets-gentilshommes à cause du luxe et delà magni-
ficence en disproportion avec le luxe des élèves, et on augmenta le
uombre des élèves des écoles [de province. L'hôtel de l'École militaire
fut donné par Louis XVI à la ville de Paris qui en fit un magasin de blé,
puis des ateliers pour le tailleur de la garde nationale La Convention
nationale supprima en 1793 les écoles militaires. L'École de Mars, ins-
tiuée sous le régime de la Terreur, compta 3293 élèves. Elle occupait
la plaine des Sablons, des Ternes à la porte Maillot. On lui donna pour
directeur Bretèche, le héros de Jemmapes.
Pour. cette école,. comme pour les cadets de 1683, de 1727, pour les
élèves de Técole royale militaire de 1757 et 1763, pour Bonaparte en
1784, le colonel Titeux donne la reproduction des uniformes des élèves
On sait que Tuniforme d'une élégance extrême avait été dessiné par
David. La série de ces costumes reproduits par l'auteur lui-même, offre
une gamme des plus séduisantes. Les vues du camp des Sablons et de la
fête militaire, extraites de la Bibliothèque nationale, ainsi que la fête
des Victoires donnent à ce chapitre un vif relief. Cette école n'eut
qu'une courte durée, et le camp des Sablons fut levé en octobre 1794,
Elle avait été à peu près nulle sous le rapport de l'instruction.
Une des préoccupations du Premier Consul fut d'organiser l'instruc-
lion publique et de créer une école spéciale militaire. 11 l'établit à Fon-
laipebleau le l^*" mai 1802 où elle fonctionna jusqu'en 1808, époque à
laquelle Napoléon la transféra à Saint-Cyr.
Le commandement de l'école de Fontainebleau fut donné au général
Bellavène. Le Premier Consul se réservait les nominations ; le concours
n'y avait aucune part. Le régime y était des plus rudes. La nourriture et
l'existence du soldat, les études spéciales en plus. On travaillait peu à
Fontainebleau, et l'Empereur faisait une telle consommation dofTiciers
qu'au lieu de rester deux ans à l'école, les élèves y restaient à peine
une année. Les élèves savaient fort bien qu'à la Grande Armée on ne
ferait pas grand cas de leurs connaissances en sciences et en belles-
lettres.
Avant d'introduire le lecteur dans l'École de St-Cyr, le colonel Titeux
expose l'origine de cette maison royale, création de M™® de Maintenon.
L'œuvre de cette illustre femme est narrée dans les plus grands détails.
C'est une reconstitution complète de cette maison de St-Louis où la
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342 ' REVUE FRANÇAISE
fondatrice put réaliser l'idéal de ses conceptions pour l'éducation des
jeunes filles. Les portraits de M"** de Maintenon par Mignard et de
Louis XIV par Pliilippe de Champagne, font Tobjet de magnifiques
reproductions par le pinceau môme du colonel Titeux. On voit passer
successivement tous les portraits de la fondatrice aux diverses époques
et de charmantes physionomies des demoiselles de la classe bleue en
1686, de la classe jaime, des dames en habit de chœur et sœurs con-
verses, les vues et perspectives de la maison roj'ale sous tous ses
aspects. L'attrait qu'offre ce chapitre explique que l'auteur tout en ayant
l'ficole spéciale militaire en vue, se soit attardé à donner cette impor-
tance à l'élude de la fondation de M"* de Maintenon. L'École militaire
ayant été définitivement transférée à St-Cyr et i)endant près d'un siècle
toutes les générations d'officiers ayant passé par cette maison, il était
naturel de penser que, dans un ouvrage de cette importance, rien de ce
qui touchait les origines de la maison ne devait être passé sous silence.
Le lecteur saura gré au colonel Titeux d'avoir pensé ainsi et nous
devons à cette façon d'avoir compris son rôle d'historien le document
le plus complet sur cette œuvre magistrale de Louis XIV, qui sera pour
certains la partie la plus attachante de ce volume. Ici encore un sou-
venir curieux.
Le 16 août 1792, l'Assemblée législative ordonna le départ des pen-
sionnaires de St-Cyr. La deuxième demoiselle qui sortit de St-Cyr, fut
Marie-Anne de Buonaparte, plus connue sous le nom d'Elisa. Elle
épousa en 1797 le capitaine d'infanterie Bacciocchi, et devint, en 1803,
princesse de Lucques et de Piombino, puis grande duchesse de Tos-
cane ; elle mourut en 1820. — Elle était entrée dans la maison de
St-Louis, le 22 juin 1784 à l'Age d(^ sept ans. Son frère Napoléon de
Buonaparte, capitaine en deuxième au 4*^ régiment d'artillerie depuis
le 6 février 1792, et nommé lieutenant-colonel du 1^*^ bataillon des volon-
taires de la Corse, était venu à Paris pour se justifier de son attitude
à Ajaccio pendant une émeute. H alla voir sa sœur à Saint-Cyr au mois
de juin et y retourna au commencement d'août. Il se disposait à re-
gagner la Corse pour y reprendre son commandement, lorsque la jour-
née (lu 10 août vint modifier ses résolutions.
Le 1®*^ septembre 1792, le jeune officier se présenta à St-Cyr pour y
prendre sa sœur ; comme elle ne pouvait sortir sans un ordre de la muni-
cipalité, il se mit à la recherche du maire. C'était un épicier, Aubrun,
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L'ECOLE MILITAIRE DE SAINT-CYR 343
dont la boutique se trouvait en face de la porte du cimetière de St-Louis.
Malgré sa carte de civisme, le futur maître du monde dut parlementer
longuement pour amener Aubrun à lui donner le certificat demandé. U
écrÎTit enfin au dos de la pétition de Napoléon, un certificat établissant
ridentité du requérant et de sa sœur et la nécessité d'accorder Tin-
demnité de 20 sols par lieue jusqu'à .\jaccio. Quelques heures après son
arrivée à Versailles, Bonaparte toucha un mandat de 352 livres. Il
revint à St-Cyr avec une mauvaise voiture de louage et le soir même,
en compagnie de sa sœur et portant ses hardes, il franchissait cette
porte de Tantique maison devant laquelle il devait se présenter le
28 juin 1805, Empereur des Français et Roi d'Italie.
Tous les biens de la maison de St-Cyr avaient été mis en vente dès les
premiers jours d'avril 1791. Ils trouvèrent facilement des acquéreurs.
Les paysans du village achetèrent les champs entourant le mur de clô-
ture; on n'excepta de la vente que la maison, le jardin et le clos y atte-
nant. Le 16 mars 1793, la convocation nationale décida la suppression
de la maison de St-Louis et ordonna qu'elle serait évacuée dans le délai
d'un mois.
Le Prytanée français, organisé par le Premier Consul en 1801, fut
essentiellement destiné à fournir une éducation gratuite aux enfants des
militaires tués au champ d'honneur, et des fonctionnaires civils, vic-
times de leurs fonctions. Il se divisait en quatre sections. Paris (Louis-
le-Grand), Saint-Cyr, Saint-Germain, Compiègne. En 1803, le nom de
Prytanée français fut réservé au collège de Saint-Cyr, qui compta bien-
tôt près de 800 élèves. A la suite de la visite qu'il y fit le 28 juin 1805,
Napoléon décida sa transformation en Prytanée militaire. Lorsqu'ils
avaient terminé leurs études, les élèves du Prytanée subissaient un
examen pour entrer à l'École de Fontainebleau, à moins que les
nécessités de la guerre, comme c'était souvent le cas, ne les fissent
diriger directement vers les régiments. En 1808, l'Empereur ayant
repris, pour l'usage de sa cour, une partie des bâtiments du palais de
Fontainebleau, l'École militaire fut transférée à Saint-Cyr et le Pry-
tanée de Saint-Cyr à La Flèche.
Saint-Cyr avait déjà presque complètement perdu à l'intérieur sa
physionomie ancienne. Le colonel Titeux reproduit l'inventaire remis
au général Bellavène. C'est le point de départ de toutes les transforma-
tions qui seront opérées durant ce siècle. Quand Napoléon vint visiter
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344 REVUE FRANÇAISE
rÉcole le 7 mars 1809, il éprouva un très vif mécontentement qu'il tra-
duisit dans sa lettre au général Clarke ; « Les élèves, écrit-il, ont
moins d'expérience et sont plus jeunes que le dernier homme de la
compagnie qu'ils sont appelés à commander. » La parole du maître fut
entendue et en quelques semaines l'École fut réformée et redevint ce
qu'elle était à Fontainebleau. « Les écoles, dit le général Trochu, ne
furent que des centres de fabrication d'officiers et de sous-officiers, en
état d'incessante et fiévreuse activité, où la quantité passa toujours
avant la qualité des produits... Mais le pays épuisé, les familles déci-
mées, les cadres vides, les établissements d'éducation surmenés, toutes
les institutions militaires restées provisoires et devenues improductives
à force d'avoir produit, disaient assez aux hommes de bon sens et
d'expérience de ce temps, que la France allait payer ses gloires par
une catastrophe nationale. »
L'École deSaint-Cyr fournissait aussi bien des officiers à la cavalerie
qu'à l'infanterie, mais on n'y apprenait pas les manœuvres de cavalerie et
Napoléon se décida à combler cette lacune en créant à Saint-Germain,
en 1809, une École spéciale de cavalerie où il espérait attirer les jeunes
gens des grandes familles restées hostiles à »on gouvernement. Ce
chapitre présente le château de Saint-Germain sous toutes ses faces.
Le colonel Titeux s'y est livré avec complaisance à son penchant
favori. La galerie des costumes de la campagne d'Italie, la reproduction
du tableau exécuté en 1810 et représentant le baron de la Roncière
commandant de l'École de Saint-Germain, les diverses tenues des
élèves ; tout cet ensemble est exécuté par le colonel Titeux avec une
conscience et une extrême finesse de touche.
L'École de Saint-Germain fut loin de répondre à ce qu'on en espérait
L'indiscipline, les tracasseries des anciens vis-à-vis des conscrits, les
duels fréquents... tous les écarts qui étaient la plaie de Saint-Cyr s'y
retrouvaient avec plus d'intensité. Le général de Béllavène, désigné
pour remplacer à la tête de l'École le général de la Roncière ne fut
guère plus heureux que son prédécesseur. Le 1*^"* août 1814, les élèves
de Saint-Germain passèrent à Saint-Cyr. L'École spéciale de cavalerie
avait duré cinq ans à peine.
Après la chute de Napoléon, on était encombré d'anciens officiers
disponibles, la France et l'Europe entière aspiraient au repos; il n'était
plus question de former des officiers pour le présent, mais seulement
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LÉCOLE MILITAIRF: DR SAINT-CVH 345
de sauvegarder l'avenir. Après une série d'ordonnances qui traduisent
les hésitations du gouvernement eu 18H et 1815, le maréchal de
Gouvion Saint-Cyr dressa le programme de la réorganisation, a désor-
mais la pratique devait céder le pas à la science ». En 1818, le système
arrêté fut mis à exécution ; à La Flèche, TÉcole militaire préparatoire ;
à Saint-Cyr, TÉcole spéciale militaire.
Dans la magistrale préface que le général du Barail a consacré à cet
ouvrage, cet ancien ministre de la guerre signale le chapitre qui
embrasse lapériodedel8i8à 1830 comme un des plus intéressants: « 11
fourmille, écrit-il, de faits importants,* oubliés ou méconnus depuis
longtemps. » Le général du Barail attire spécialement l'attention sur la
Odélité au .devoir que montra le bataillon de Saint-Cyr durant les jour-
nées de juillet 1830; alors qu'il vint spontanément à Saint-Cloud offrir
ses services au Roi.
Mafgré le régime très sévère appliqué à St-Cyr sous la Restauration,
les brimades qui avaient disparu dans les premières années, s'étaient peu
à peu rétablies. En 1828, une véritable révolte avait éclaté. Dès l'installa-
tion du gouvernement de Louis-Philippe, le maréchal Gérard ministre
de la guerre, proposa la suppression de l'école de la Flèche et le recru-
tement de celle de St-Cyr parmi de jeunes soldats qui, après deux ans
d'études, rentreraient dans les corps comme sous-officiei*s. L'ordon-
nance de 1830 prise dans ce sens fut rapportée en 1831 par l'influence
du maréchal Soult. Le général du Barail estime que si la réforme pré-
conisée par le maréchal Gérard était exagérée, il n'y avait pas moins
quelque chose de bon à emprunter au système allemand pour le recru-
tement des officiers.
l^e système de vexations ou brimades inauguré à Fontainebleau,
développé à St-Cyr, battit son plein sous la monarchie de Juillet. Le
colonel Titeux raconte dans le détail ces procédés barbares indignes de
jeunes gens destinés à fraterniser dans la vie et appelés à représenter le
dévouement et la générosité de caractère dans sa plus noble expression.
En 1838, le général Baraguay d'Hilliers essaya d'y mettre un terme en
séparant complètement les anciens et les nouveaux. C'était une illusion,
elles devaient encore durer trente ans. Cxî n'est que le 1*^' juin 1861,
qu'on revint à l'ancien système, la fusion des anciens et des recrues.
A mesure que l'auteur avance et se rapproche de la période contem-
poraine, du temps où se formèrent à St-Cyr, la génération d'officiers
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r
346 REVOE FRANÇAISE
qui eurent en mains le commandement de notre armée de 1870, iJ
entre dans des développements plus étendus sur les progranunes et les
méthodes d'enseignement. La commission d'inspection, en 1834, renou-
velle ses critiques des années précédentes. Elle demande une instruction
f plus restreinte, mais réelle, au lieu de celle qui existe dans les pro-
^; grammes bien plus que chez les élèves. — Le travail et l'instruction,
dit- elle, ne recueillent aucun avantage et n'établissent aucun droit à
l'avancement sur les camarades plus instruits. En 1842, le rapport fait
par la commission au ministre contient ce passage : t On apprend à
St-Cyr de tout un peu, mais si peu de chaque chose qu'au bout de six
[^ mois on ne sait plus rien du tout. A peine quelques jeunes gens d'élite
;* font exception, et encore si, après leur sortie de l'École, ils n'ont pas la
f. ferme volonté de travailler et de refaire eux-mêmes leur instruction, ils
1^ retombent bientôt dans la classe de ceux qui ne savent rien. » Pendant
r des pages entières ce sont les mêmes lamentations. Aussi le colonel
r Titeux fait cette douloureuse réflexion :« Chose à peine croyable, il
' fallut attendre trente ans et la leçon terrible de revers sans exemple,
fy pourvoir s'accomplir, en partie seulement, «des réformes d'ime aussi
^ évidente nécessité. » Le général Trochu dans son ouvrage, Varmk
i, française en /<S7P, parlant du fonctionnement des écoles militaires de
i 1830 à 1870 dit : « Comme toutes nos institutions militaires, alors que
t, les voies et moyens de la guerre se transformaient profondément autour
l de nous, à l'étranger, par le travail silencieux, dont les eflorts devaient
^ être un jour irrésistibles, elles restèrent immobiles un demi-siècle dans
I l'indifférence, peut-être même dans l'ignorance de ce menaçant travail,
[ dans la contemplation de la légende, dans l'application obstinée des
\ méthodes vieillies de la tradition. »
; ('.4 suivre,)
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FLOTTES ESPAGNOLE ET AMERICAINE
(Suite.) (l)
II
VITESSE ET RAYON d'aCTION
Le principal facteur de la guerre navale moderne est la vitesse. L'es-
cadre qui possédera la plus grande vitesse sera maîtresse d'accepter ou
de refuser le combat à sa volonté. Et si elle joint à la vitesse un impor-
tant rayon d'action, sa supériorité sur l'escadre ennemie ne fera que
s'accroître. La question de l'approvisionnement de charbon présente,
en effet, un haut intérêt. Le charbon, dit M. Leflaive (2), est une pro-
tection, en ce sens, qu'il permet d'éviter un ennemi plus puissamment
armé; il est aussi un élément de la puissance offensive puisqu'il permet
de porter l'artillerie là où celle-ci est nécessaire. Enfin, pour certains
navires, il peut être considéré, en quelque sorte, comme un élément
d'information.
Les événements qui se déroulent actuellement dans la mer des
Antilles sont la démonstration évidente de ces principes. L'escadre
espagnole de l'amiral Cervera, grâce à la supériorité de sa vitesse, a pu
dépister toutes les recherches de la flotte américaine. Ce résultat pro-
vient non seulement de sa vitesse, mais de l'homogénéité de ses grands
croiseurs cuirassés pouvant tous soutenir la môme allure. 11 ne faut
pas oubher que la vitesse d'une flotte est, non pas celle de son bâtiment
le plus rapide, mais celle de son bâtiment le plus lent. Quand l'amiral
Sampson se rendit de Key-West à Puerto-Rico pour bombarder San
Juan, il dût marcher à la vitesse de son navire le plus lent, le garde-
côtes de 10 nœuds Ampkitritey qui filait 6 à 7 nœuds de moins que le
groupe des cuirassés, et H de moins que le vaisseau amiral, le croiseur
cuirassé Neiv-York,
Dans le tableau des vitesses que nous donnons ci-dessous, ce n'est
(1) Voir Rev, Fr.. mai 1898, p. 291.
[t) Développement des marines de guerre^ publié par 1' a Association technique ma-
ritime » à qui nous devons la (communication des dessins ci-contre.
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348 HEVUE FRANÇAISE
pas la vitesse ordinaire, mais la plus grande vitesse aux essais qui est
indiquée. Cette vitesse maxima pourrait être atteinte quelque temps en
cas de nécessité; mais les navires ne la donnent plus en service ordi-
naire et il ne faut compter habituellement que les 3/ o^^ ou les 4/o*^* du
maximum atteint aux essais. Un exemple est celui du croiseur corsaire
Columbia, descendu de 22 nœuds 1/2, aux essais, à 18 nœuds 1 /2 en
service courant dans la traverse^ rapide qu'il fit de rAllantique.
Pour le classement des vitesses, une distinction a été faite entre les
cuirassés et les non cuirassés. Cette distinction est nécessaire-, car il est
admis que des navires, sans protection sérieuse pour leur artillerie et
leurs machines, ne peuvent songer à lutter avec quelque chance de
succès contre des cuirassés ayant leurs œuvres vives à Tabri. Led(^sastre
de l'escadre espagnole à Cavité, où les navires en bois et sans pro-
tection de lamiral Montojo ont été incendiés et coulés par les navires
en acier et seulement protégés du commodore Dewey, est une confir-
mation de ce principe. Le cuirassé est le seul type de bâtiment qui ne
puisse être vaincu — sauf le cas de surprise — que par un autre
cuirassé. Aussi est-il logique de le classer à part.
On verra par l'énumération des vitesses respectives des flottes amé-
ricaine et espagnole que, pour les cuirassés, les Espagnols ont Tavan-
tage. Ils possèdent, en effet, 6 croiseurs cuirassés de 20 et 21 nœuds,
formant un groupe bien homogène, contre 2 croiseurs cuirassés améri-
cains de même vitesse. Il est vrai que, sous le rapport des gros cuirassés
il6 et 17 nœuds), les États-Unis ont Tavantage; mais cet avantage ne
peut leur servir pour forcer au combat des bâtiments qui ont une
vitesse supérieure de 4 nœuds.
Par contre, les Américains possèdent 20 croiseurs de 15 à 23 nœuds
en présence desquels les 5 croiseurs espagnols de 15 à 20 nœuds fe-
raient piètre figure. Mais, excellents pour la capture des paquebots et
bâtiments marchands ennemis, ces croiseurs ne sauraient songer à
soutenir avantageusement le combat contre les croiseurs cuirassés
espagnols. L'avantage restera donc à ces derniers, tant qu'ils pourront
éviter la rencontre des cuirassés américains.
Enfin, au point de vue des bâtiments éclaireurs, l'Espagne possède
une excellente flottille de 6 contre-torpilleurs de 28 à 30 nœuds, 0
canonnières torpilleurs de 20 nœuds et 6 de 18 nœuds contre lesquels
les Américains n'ont rien encore à opposer.
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LES FLOTTKS ESPAGNOLi: ET AMEIMCALNE
États-Unis. Espagne.
Flotte cuirassée.
:m
il n. Brooklyn, New- York, croii.
20 n
17 n. Texas, lowa^ cuir.
16 II. Oregon, IndianOy Massachusetts y
cuir. : Katahditif Monterey ,
<^. côtes.
Carlos F, crois.
C. Colon, A, OquendOf Mariu-Teresa,
Vizcaya, Princ. de Aslurias, crois.
PelayOj cuir.
Flolle non cuirassée (croiseurs).
23 n. MinneapoUs.
ii n. Columbia.
21 n. Olympia (Océan Pacifique), Ve-
suvius.
20 n . Baltimore ( 0 . Pac .),San Francisco,
New-Orléans,
19 Q. Philadelphia, Newark, Cincinnaii.
18 n. Raleigh (0. Pac), Ùëlrott, MaHile-
head, Montgomery, Charleston
(0. Pac), Chicago, Buffalo.
16 n. Topeka, Atlanta.
15 n. Boston iO. Pac).
Alfonso XIII, Lepanlo,
Alfonso XII, R. Mercedes, M, de la Ensc-
nada.
Canonnières et contre'4orpilleurs.
30 o.
28 n.
±2n.
20 n.
18 n.
17 n. Bennington, Concord {(). Pac. >,
Yorklown, can.
16 D. NashviUe, Castine, cao.
1 5 n . Machias, Helena, Wilmington, can .
Audas, Osado, Pluton, Proserpina, c.-t.
Furor, Terror, c.-t.
ûestructor, c.-t.
Temerario, Filipinas, Maria de Molina,
M, de la Victoria, Alvaro de Bazan,
can. -t.
Galicia, Rapide, M, de Molitis, Nueva
Espana, M. Alonso Pinson, V. Yanes
Pinson, eau. -t.
Dans ce tableau sont compris tous les bâtiments, sauf les tor[)iI leurs,
lilant lo nœuds et plus. Les navires en service y figurent seuls.
Le rayon d'aclion d'un navire de guerre n'est pas facile à déterminer
d'une manière bien précise. Il dépend naturellement de l'approvision-
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^
350
REVUE FRANÇAISE
nement de combustible et aussi de la consommation faite par les ma-
chines auxiliaires, bouilleurs, servo-moteurs, etc. Le charbon qui esl
ainsi brûlé varie selon le nombre et l'utilisation de ces machines. L ap-
provisionnement normal peut aussi Hre doublé, quadruplé même, en
logeant du charbon un peu partout, même sur le pont. Le rayon d'ac-
tion en est, par suite, augmenté sensiblement. C'est ainsi que Tappro-
visionnement normal de T /nrf/ana peut être porté de 4<)0 à 1.800 t^;
celui du Brooklyn, de 900 à 1.800 ; celui du Minneapolis et du Colum-
bia, de 760 à 2.000.
La distance de Cadix à la Havane étant de 4.000 milles, les bàlimenls
ayant cette endurance peuvent effectuer le trajet sans avoir à renou-
veler leur charbon. Voici un état des rayons d'action à 10 nœuds.
États-Unis.
Espagne.
Flotte cuirassée.
15.000 m.
Brooklyn j cr. c.
12.000 m.
Carlos Vy C. Colon, cr. c.
13.500
New-Yorky cr. c.
9.700
A. OquendOy Maria- Teresa,
6.700
loway cuir.
Vizcaya, P.deAsluiias, cr. c.
6.600
Indianaj MassachusettSf Oré-
6.000
PelayOy cuir.
goTij fuir.
3.400
Numanciaj cuir.
2.700
Mord&'ey, g. c.
1.800
Puritan^ Amphitritej Mianto-
nomoh, Monadnok, Terror^
Katahdin^ g. c.
Flotte non
cuirassée.
16.000 m.
Minneapolis.
12.000 m.
Alfonso Xlilj Upanto.
13.000
Olympia,
5.000
Destructory c.-torp.
11.000
Columbia,
4.700
R. Mercedes, Legazpi.
10.700
Sewark, San Francisco.
4.200
Alfonso XII,
7.400
Charleston.
:j.400
TemerariOf c.-lorp.
7.000
Baltimore^ Philadelphia.
4.500
Raleigh, Cincinnati,
4.000
Atlantay Boston,
Les chiffres des rayons d'action ne sauraient être d'une exactitude
absolue, les auteurs n'étant pas d'accord sur l'endurance de plusieurs
navires.
Voici maintenant une description, avec dessins, de navires améri-
cains.
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Cuirassé américain lovoa.
■^ r>7 UT-
S7f.R.
Longueur entre perp*"" . . i 10" H
Largeur 21™ 87
Tirant d'eau arrière ... 7"^ 90
Déplacement 11.322 tx.
Puissance maxima . . H.iSâchx.
Vitesse maxima ... 17n.
ApproY^ norma) de charbon . 635 tx.
Rayon d'action à 10 n . 6.000mil.
Armement.
i canons de 305 mm. en 2 tourelles-barbettes d'acier de 35() mm.
8 — de 203 mm. en 4 — — de 203 mm.
6 — de iOl mm. tir rapide en encorbellements blindés.
20 — de 57 mm. t. r.
4 — de 37 mm. t. r.
4 gatlings. — 6 tubes lance- torpilles.
Comme l'indique le dessin ci-dessus, Ylotoa, n'a qu'une ceinture cui-
rassée partielle (7/10®^) de 356 mm., sur â^^HÔ de hauteur. Le pont blindé
a de 70 à 120 mm.
Mis sur chantier à Philadelphie en février 1893et lancé le 28 mars 1896,
Ylowa, qui a coûté 3 millions de dollars, non compris l'armement, a
2 hélices et 436 hommes d'équipage. C'est le plus puissant des cuiras-
sés américains en service. Il peut être comparé au Cartiot.
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Cuirassé américain Kearsat/e, (Même type : le KerUucky.)
ï^^,
57 S7 S7 S7
Longueur 112 m.
Largeur . 24 m.
Tirant d'eau arrière . . 7" 60
Déplacement. . . . 11.500 tx.
Puissan^® maxi"' (prévoe) ll.OOOcfex.
Vitesse maxima ( prévue) 17° 5
Approv^ normal de charbon . . 410 Ix.
Ravon d'action à 10 n . O.OOOmil.
Armement.
\ canons de 330 mm. en 2 tourelles d'acier de 381 nmi. .
4 — de 203 mm . en 2 tourelles superposées aux précédentes de 279 mm .
14 — de 127 mm. tir rap. en batterie.
20 — de 7omm.t. r.
4 — de 37 mm. t. r.
4 mitrailleuses. — o tubes lance-torpilles..
La ceinture cuirassée n'est pas complète; elle n'existe pas à rarrière.
Elle atteint 418 mm. Le pont blindé a de 70 à 120 mm. Mis sur chan-
tier à Nevvport en janv. 1890, le hearsage a été lancé le 24 mars 1898
et n'a pas encore fait ses essais. Il a 2 hélices. Sa caractéristique est
d'avoir 2 tourelles superposées tournant ensemble; les 4 pièces de cha-
que tourelle sont, par suite, dirigées du même côté.
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Monitor américain Monterey.
«
Longueur 79" 60
Largeur 17" 98
Tirant d'eau moyen . . 4'" 42
Déplacement i.204lx.
Puissance maxima . . o.474cbx.
Vitesse maxi ma. . . . 16 n.
Appm^noriial de cbirboii . . 203 tx.
Rayon d'action à 9 n . . 2.700 mil.
Armemeint.
2 canons de 305 mm. en tourelle avant de 305 mm.
2 — de 2S4 mm. en tourelle arrière de 292 mm.
G de 57 mm. tir rap.
4 — de 37 mm. t. r.
4 mitrailleuses.
La ceinture cuirassée en acier est complèteet a32omm. d'épaisseur.
Lancé à San-Francisco, le 28 avril 1891, le Monterey se trouve toujours
dans l'océan Pacifique. Il est actionné par 2 hélices. Avec le navire cà
éperon Katahdin, le Monterey est le plus moderne des gardes-côtes cui-
rassés américains. Seul de ceux-ci il est en acier.
D.
xxiii (Juin 98). N« 234.
23
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L'ARMÉE AMÉRICAINE
PENDANT LA GUERRE DE SÉCESSION
Lorsque le Conjurés américain eut décidé d'en appeler aux armes, on
se basant sur la morale du grand fabuliste Lafontaine :
La raison du plus fort est toujours la meilleut-e :
Nous Talions montrer tout à Theure,
la presse des États-Unis faisait entendre sur tous les tons que la guerre
était Tallaire de (juinze jours, un mois au plus, que la flotte espajioole
n'oserait même [)as lutter, qu on allait débarquer SO.OOO hommes —
100.000 disait-on même — à Cuba, etc. Beaucoup d'Américains sem-
blaient ajouter foi à ces pronostics, et, parmi eux, il y avait sans doute
nopibre de membres du Congrès. Or, aujourd'hui que la flotte espagnole
dépiste partout celle des États-Unis, que Cuba n'est ni soumis, ni af-
famé par un blocus plus apparent que réel, que l'on n'a débarqué ni
30.000 hommes, ni même 10.000, ou déchante, paraît-il, de l'autrecôté
de l'Atlantique et on commence à accuser le pouvoir d'incapacité.
Il faut avoir, en vérité, l'ignorance la plus élémentaire des lois de la
guerre, la présomption et Tinfatuation des Américains, ainsi que l'oubli
de leur propre histoire, pour avoir pu œncevoir un seul instant uue
idée aussi fausse de la situation. L'armée régulière n'étant que de 25.000
hommes, le Président Mac Kinley a appelé aussitôt 100.000 hommes
sous les drapeaux. Mais ces hommes n'ont jamais été soldats ; il faut les .
équiper, les armer, les instruire et surtout — ce qui est le plus diflicile
— leur inculquer les idées de discipline. Tout cela n'est l'affaire ni de
15 jours, ni d'un mois, et il s'écoulera bien encore trois mois avant que
cette masse d'hommes soit quelque peu transformée en soldats.
D'ailleurs les instructeurs manquent, les armes, les uniformes font
défaut. Tout dernièrement, une corresj)ondance relevait ce fait, qu'au
camp de Tampa, les volontaires n'avaient qu'un fusil pour cinq et que
l'uniforme d'une milice n'était constitué que par un foulard. Enfin,
l'indiscipline est assez grande, certains cori)s n'obéissant pas à leurs
chefs, les volontaire^ en prenant à leur fantaisie, témoin ce soldat nègre
qui tue à coups de poing un coiffeur qui n'a pas voulu le r^r. Eo
outre, les fièvres commencent à faire des ravages sous le chaud climat
de la Floride ; il y aura du déchet, même avant le débarquement à Cuba.
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L ARMEE AMÉRICAINE 355
Et quand celui-ci aura été effectué d'autres appels de volontaires seront
indispensables (I).
On peut dire que Tecofe que fontaujourd'hui les États-Unis n est qu'une
répétition de celle qu'ils firent au début de la guerre de Sécession. Aussi
est-il intéressant de rappeler ce qui se passa à cette époque, d'après le
récit et les commentaires du général de Chanal sur l'armée américaine.
Les forces militaires des États-Unis se divisent en deux parties dis-
tinctes : l'armée régulière, qui est l'armée fédérale proprement dite,
recrutée au moyen d'engagements volontaires et les milices des États
qui, en temps de guerre, forment Tarmée volontaire. Cette organisation
résulte de la constitution politique de la confédération formée d'États
souverains ayant chacun leur autonomie. Aussi l'armée volontaire est-
ellc levée, organisée et encadrée par les États avant d'entrer au service
de l'Union. Les milices des États, véritables gardes nationales, peuvent
être paiement appelées à un service actif pendant un temps déter-
miné en cas d'invasion ou d'insurrection.
Avant la guerre de Sécession Farmée régulière comprenait 1.098 olTi-
ciers et 15.304 soWats répandus sur tout le territoire ; mais cet effectif
n'était pas complet, surtout parmi les officiers, dont un tiers environ
manquait sous les drapeaux. Lorsque les hostilités éclatèrent, les né-
cessités de la guerre amenèrent le gouvernement fédéral à une véritable
loi de conscription annihilant jusqu'à un certain point les droits des
États pour la levée des forces militaires.
Le 12 avril 1864, le Président Lincoln appela 73.000 hommes sous le
armes, pour une durée de S mois. On croyait alors à Washington que
ce serait suffisant pour étouffer la prise d'armes du Sud. Mais bientôt,
le d mal, le président fut obligé de faire un nouvel appel de 82.000
hommes, dont 18.000 pour la marine et 42.000 pour l'armée volontaire,
avec service obligatoire de 3 ans. Le Nord répondit avec enthousiasme
et, au l^' juillet, on avait pu organiser 71 régiments d'infanterie, 1 de
grosse artillerie et 10 batteries de campagne (rartillerie légère n'étant
pas organisée habituellement en régiments).
La bataillede BuH8-Run(21 juillet), où l'armée fédérale commandée
par Mac-Dowel, fut complètement défaite par les confédérés sous les
ordres de Beauregard, vint bouleverser tous les projets des hommes du
(1} Uq appel de 75(100 hommes a eu lieu le 25 mai.
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356 REVUE FRANÇAISE
jNord qui pensaient avoir promptemeot raison des forces militaires du
Sud. Pour parer aux éventualités d'une guerre qui semblait devoir
prendre des proportions gigantesques, le Président fut alors autorisé
à faire des appels jusqu'à concurrence d'un million d'hommes, pour
une durée de service variant de 6 mois à trois ans.
Les échecs de l'armée fédérale ne firent qu'augmenter les manifes-
tations du patriotisme et les États, les sociétés et même des particuliers
levèrent et équipèrent des régiments ou des compagnies. Chacun agis-
sant de sa propre initiative, il en résulta un certain désordre. Aussi ud
ordre du ministre de la guerre (il février 18()2), fixa-t-il pour l'avenir
le quantum de chaque État. L'armée comptait alors 637.000 hommes.
C'était encore insuffisant ; aussi, en 1862, 1863 et 1864, six nouveaux
appels eurent-ils lieu, de 300.000 ou 500.000 hommes chaque. Au total,
2.759.000 hommes furent appelés sous les drapeaux pendant la durée
de la guerre, d'avril 1861 à avril 1865.
Les cadres furent augmentés en proportion, et Ion compta 70 majors
généraux et 275 brigadiers généraux. Quant aux régiments créés et dis-
sous selon lés besoins et les événements et, n'ayant pas cette perpétuité
qui existe dans les vieux pays militaires, ils atteignirent le chiffre de
900 pour l'infanterie, ^20 pour la cavalerie et 30 pour rartillerie.
Chaque État créant se» régiments sans s'inquiéter de ce qui se
passait à côté, il y eut, par exemple, un 10'' d'infanterie Illinois et
un 10*" d'infanterie New- York. Les premières levées résultèrent d'en-
gagements volontaires, sans primes d'abord, puis avec une prime de
100 dollars par homme pour un engagement de 3 années. Mais les con-
fédérés avaient adopté dès 1861, le service obligatoire. Le Nord dut
alors les suivre dans cette voie et deux lois de 1863 et 1864 établirent le
service obligatoire déterminé par le tirage au sort pour subvenir à l'in-
suffisance des engagements volontaires. Le remplacement d'abord auto-
risé contre paiement de 300 dollars, ne fut plus admis que dans certains
cas par la loi de 1864. Eu 1863, le remplacement porta sur 35.000
hommes et donna 10.318.000 dollars (32 millions et 1/2 de francs).
La prime de 100 dollars donnée tout d'abord aux engagés, fut élevée
dans la suite par le congrès et, grâce au dons des États ou des parti-
cu liera, portée à 300 et 330 dollars. Dans certains régiments de l'armée du
Potomac, chaque soldat avait reçu même jusqu'à 600 dollars. Ces primes
ne furent pas sans nuire à l'application de la loi, car les hommes les voj'ant
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L'ARMÉE AMÉRICAINE 357
augmenterde plus en plus attendaient pour s'engager un taux encore plus
élevé. D'autres, après un premier engagement désertaient, puis se ren-
gageaient sous un autre nom, afin de toucher la prime une fois déplus.
En février 1864, les souscriptions destinées à augmenter les primes du
gouvernement fédéral avaient atteint le chiffre énorme de 936 millions
de francs.
La formation des listes de recrutement rencontra de grandes diffi-
cultés en raison de la mauvaise tenue des registres de Tét^t civil. Les
inscrits formèrent deux classes : de 20 à 3o ans et de 35 à 45. L en-
semble xles listes fournit un total de 3.113.000 hommes, soit environ
19 Vo de la population.
Dans les premiers temps de la guerre les hommes de couleur n'étaient
pas compris sur les listes de recrutement. La loi de 1804 les y fit figurer,
ainsi que les esclaves.
L'établissement de la conscription, en 1863, ne fut pas sans occasion-
ner des émeutes dans plusieurs grandes villes. Les scènes les plus vio-
lentes eurent lieu à New- York, où l'émeute aidée par la populace cosmo-
polite, resta maîtresse de la ville pendant 2 jours, brûla des bureaux
de recrutement et égorgea des gens de couleur.
Au i*' mai 1864, Tarmée fédérale comptait 662.000 hommes sous les
drapeaux, 109.000 détachés dans les divers départements militaires,
in.OOO malades ou blessés, 66.000 en congé ou prisonniers et lo.OOO
déserteurs, ce qui représente un effectif nominal de 940.000 hommes.
En mars 1863, le totalde l'armée était de 965.000 hommes, mais on
n en comptait plus que 602.000 sous les drapeaux.
Les pertes éprouvées pendant la guerre se montèrent, pour Tarmée
fédérale, à 280.000 hommes, dont 90.000 périrent sur le champ de
bataille ou des suites de leurs blessures et 183.000 moururent de mala-
die. Dans le total des pertes le nombre d'officiers ligure pour 7.600.
Ces chiffres ne sont relativement pas élevés, si Ton remarque que la
guerre a duré 4 années (ce qui ferait une moyenne de 70.000 par
année et que des batailles acharnées ont été livrées, comme celle de la
Weldemess (mai 1864) qui dura 3 jours et coûta 4S.000 hommes aux
fédéraux sur un effectif de 1 40.000.
Un chiffre qui retient l'attention est celui des désertions, car il ne
s'élève pas à moins de 189.000, parmi lesquels 216 officiers. Ce dernier
chiffre ne surprendra pas autrement, la plupart des grades étant dus à
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388 REVUE FRANÇAISE
la faveur ou au hasard. lie nombre énorme des désertions doit être
attribué pour une partie à la faiblesse du président Lincoln qui ne pou-
vait approuver une condamnation à mort (7 exécutions seutero^t
eurent lieu pendant la durée de la guerre), et surtout à la fadlitr
qu'éprouvait le déserteur h se soustraire à toute recherche, en raisonde
l'étendue considérable du pays et de l'absence d'une bonne police. Pour
remédier à ce mal, le gouvernement, qui savait quelle est l'inSueoce
de l'argent dans un pays où tout est une affaire, institua une prime dfi
30 dollars pour l'arreslation des déserteurs. L'effet produit fut TGam-
quable : rien que pendant une durée de 6 mois (1863), 22.000 déserteurs
furent amenés au bureau de recrutement I
L'armée fédérale acceptait dans ses rangs tous les engagements
étrangers. Ceux-ci, autant qu'il a été possiblç de le savoir dans un pays
recevant une importante immigration, furent à peu près proportioaaéa
au nombre d'étrangers établis à demeure sur le territoire de l'Union.
En m»i 1864, sur 940.000 hommes, U y avait 188.000 Américaius
d'origine européenne. Au début des hostilités on avait essayé de former
des corps composés uniquement d'Allemands et d'Irlandais (les immi-
grants les plus groupés dans les États-Unis), mais on y renonça bientôt
en raison des inconvénients nombreux que présentait cette formation.
Les étrangers enrôlés sous les drapeaux de l'Union et dont le nombre
atteignit environ 3 %» ^^^ furent pas précisément ses meilleurs soldats.
On sait tous les préjugés contre les hommes de couleur qui, aujour-
d'hui encore, ont cours aux États-Unis. À une époque où rësclavage
existait, le fossé qui séparait les blancs des noirs était encore plus pro-
fond. Aussi au début de la guerre, les nègn^s étaient-ils exclus de
l'armée. Mais le besoin d'hommes qui se fit peu à peu sentir modifia les
idées existantes et un vote du 17 juillet 186â autorisa l'armée à recevoir
dans ses rangs des hommes de couleur. Ce fut la Louisiane qui organisa
le premier régiment noir. Dans le courant de 1863, 18 régiments
d'hommes de couleur, commandés par des officiers blancs, avaient
été créés. Lorsque la guerre se termina, en 1868, on comptait 123.000
noirs sous les drapeaux ; 186.000 avaient été enrôles au cours de la
lutte. Ils avaient formé un ensemble de 120 régiments d'infanterie, 7 de
cavalerie, 12 de grosse artillerie et 10 batteries d'artillerie de campMpc.
Les nègres, surtout ceux qui étaient libres, firent vite de bons soldats
et rendirent d'aussi utiles services que les blancs, car ils avaient une
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SANTHGO DE CUBA
SANTIAGO DE CUBA
Dans cette grande île de Cuba qui, d'une extrémité à l'autre, ne me-
sure pas moins de 1 4^0 kilomètres — la distance de Paris à Madrid —
la partie orientale est de beaucoup la plus accidentée. Sur la côte mé-
ridionale s'étend une v^Titable chaîne de montagnes, la sierra Maestra
(ou chaîne maîtresse) qui, s'éievant brusquement sur le littoral, produit
l'effet d'une imposante muraille dressée contre les flots. Des pics élevés
surgissent de cette masse et le principal, qui porte le nom de pico di
Tarquino atteint une hauteur qui varie, selon les évaluations, de 9.000
à 2.500. mètres.
Cette région, presque inhabitée, sans voies de communication, cou-
verte en partie de forêts et de marécages dans le voisinage des rivières,
a été de tout temps la terre favorite des insurrections. Le soulèvement
de 1868, qui amena une guerre civile de 10 années, y prit naissance et
s'y fortifia ; celui de 1895, qui a amené la guerre avec les États-Unis,
y a trouvé un refuge à peu près impénétrable contre les colonnes des
troupes régulières espagnoles.
La sierra Maestra, au milieu de son développement sur la cote méri-
dionale, décrit une légère courbe vers le nord et forme un large cirque
sur les dernières ramifications duquel s'élève doucement la ville de San-
tiago de Cuba, à l'extrémité d'une magnifique rade sûre et profonde,
capable d'abriter toutes les flottes de guerre. C'est laque l'escadre espa-
gnole commandée par l'amiral Cervera, a établi son centre d'action.
1
■A
endmrance supérieure. Ils manœuvraient avec justesse sous les ordres i
de leurs officiers blancs, aimaient le métier des armes et se condui- J
saient bravement au feu. }
Ces souvenirs sont restés présents dans la mémoire des Américains ^
d'aujourd'hui. Aussi le général en chef Miles, qui est un vétéran de la ^
guerre de Sécession, n'a-t-il eu garde d'oublier les troupes noires. '5
Celles-ci se trouvent au premier rang parmi les corps réunis à Tampa
et à la Nouvelle-Orléans, et figureront sans doute en tôte du corps expé-
ditionnaire destiné à débarquer à Cuba. Mais ce temps ne viendra pas
tout de suite, car les États-Unis éprouvent à former une armée véritable
autant de difficultés qu'il y a 37 ans.
G. Vasgo.
1
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360 REVUE FRANÇAISE
Santiago, que l'on appelle aussi Cuba, est, après la Havane, la ville la
plus importante de File. Sa population est évaluée, depuis le dernier
recensement, à 70 000 habitants. Sous le rapport de l'activité commer-
ciale, elle n'arrive cependant qu'au 3^ rang, Cienfuegos Itii ayaet depuis
quelques années, ravi la 2* place qu'elle ne semble pas en état de pou-
voir reconquérir.
Santiago a, en effet, le défaut de n'avoir que des communications
difficiles avec l'intérieur de l'île, par suite de la barrière que forme le
massif montagneux de la sierra Maestra et c est là un obstacle sérieux
à son développement commercial. -Plusieurs lignes de chemins de fer
partent bien de Santiago, mais ces lignes ne sont pas rattachées au ré-
seau général de l'île et n'ont qu'un caractère local comme celle d'El
Câney, petite localité à l'est de la ville où les riches habitants vont en
villégiature, celle d'El Cobre qui dessert les mines de cuivre de celte
région et n'aboutit mêm(î pas à Santiago, mais au petit port de Julian
situé sur la rive occidentale de la rade. La phis importante est la ligue
qui traverse la sierra Maestra et servira'un jour de voie de pénétration
à l'intérieur de l'île ; mais cette ligne s'arrête à San Luis, à une faible
distance au nord de Santiago.
La ville, dit Elisée Reclus, s'est nichée à l'extrémité nord-orientale de
la rade, dans une combe circulaire et s'élève en encorbellement sur les
pentes des montagnes. Ses maisons basses et multicolores, ses prome-
nades, ses jardins, l'horizon superbe des monts environnants font de
Cuba l'une des cités les plus belles des merveilleuses Antilles ; mais la
chaleur extrême qui s'amasse dans l'air presque immobile du cirque
' profond donne à son climat un caractère d'insalubrité par trop accusé.
L'accès de la rade est formé par un goulet sinueux et resserré qui,
dans sa partie la plus étroite, ne mesure que 160 mètres de largeur, ce
qui ne permet guère à un bâtiment de fort tonnage de se retourner.
Quand on arrive de la haute mer, l'entrée de la passe apparaît comme
une brèche faite dans la muraille de rochers escarpés qui s'élève du
littoral ; mais cette brèche semble elle-même n'être qu'un couloir sans
issue, car une haute paroi de rochers, formant un immense écran, cache
absolument la vue de l'intérieur. Ce n'est qu'une fois dans le goulet
que le passage se découvre sur la gauche, le long de la caye Smith,
laissant sur la droite la petite baie de Nispero. De tous côtés se présen-
tent de ces petites baies (ensenadas), vivement échancrées dans les terres
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o
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362 REVUE FRANÇAISE
et dont quelques-unes peuvent fort bien, en raison de leur profondeur,
recevoir de gros navires.
Sauf le petit village de la Socapa, avec ses toitures inclinées et ses
tuiles rouges, que Ton aperçoit au premier tournant de la passe, les
abords inférieurs de la rade sont presque sans habitants. Sur le côté
oriental, les rives sont généralement escarpées, présentant d'excellenles
positions pour la défense de la passe. Sur le côté occidental, les rives,
d'abord relevées, s'abaissent bientôt et restent à peu près plates. Des
fourrés de mangliers bordent le rivage et lui font comme une ceinture à
peu près infranchissable.
Quand on a franchi la pointe Gorda, qui s'avance fièrement dans la
mde avec sa masse de rochers, le fond du magnifique bassin apparaît
alors avec son amphithéâtre de montagnes et la ville de Santiago à ses
pieds. D'une extrémité à l'autre la rade a une longueur de plus de
8 kilomètres et la passe 1 kilomètre et demi.
La défense de la passe n'était autrefois assurée que par le vieux fort
Morro avec ses hautes murailles peu en rapportavec rarlillerie moderne,
situé à rentrée même du goulot, à 70 //* de hauteur. Plus loin, à l'inlr-
rieur de la passe, se trouvaient les batteries de la Cueva, d'Estrella et de
Santa Catalina. Depuis les événements qui se sont produits à Cuba dans
ces dernières années, les défenses ont été i*enforcées. I^ fort Morro a
subi des transformations qui l'ont mis en meilleure postui*e pour nîsis-
ter à la grosse artillerie. Des travaux de défense ont été exécutés et gar-
nis de canons près de la Socapa sur la pointe opposée de l'entrée du
goulet. A l'intérieur de la passe et hors de la vue de la haute mer. un
fort a été construit sur la caye Smith, cet îlot escarpé qui forme une
excellente position stratégique. D'autres travaux de fortification sont en
voie d'exécution, afin de renforcer encore la défense de ce que les
Américains appellent te « goulot de bouteille » de Santiago, la rade
représentant la bouteille où l'escadre espagnole se trouve « bouchée ».
C'est ainsi qu'une batterie, enfilant la passe, a été établie à la pointe
Gorda.
L'entrée do la rade se trouve donc bien protégée et si les Espagnols
ont pu armer leurs fortifications d'un nombre suffisant de pièces de
grosse artillerie et surtout organiser d'une façon sérieuse la défense
sous-marine, la passe peut être regardée comme infranchissable. Avec
ses gros cuirassés, bien protégés et munis d'une puissante artillerie, la
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GIKRRE HISPANO-AMÉRICAINE 363
flotte américaioe pourrait, sans doute, avoir raison du vieux fort Morro
et des batteries du littoral. Peut-être même pourrait-elle forcer la passe
en faisant le sacrifice d'un grand nombre de ses navires. Mais que l'un
de ses gros bâtiments soit coulé dans la partie étroite du goulet, celui-ci
serait alors totalement obstrué ; les navires entrants ne pourront plus
avancer et ceux qui auraient déjà pénétré dans la rade ne pourront plus
en sortir. La destruction de l'escadre de l'amiral Cervera dans la rade
de Santiago vaut-elle la peine de courir d'aussi gros risques?
C. DE Lassalle.
GUERRE HISPANO-AMÉRICAINE
C'est une guerre essentiellement coloniale que celle qui a lieu entre
l'Espagne et les États-Unis. Elle a pour enjeu les colonies espagnoles des
Antilles et même celles de l'Océanie, Aussi intéresse-t-elle vivement les
puissances coloniales par les conséquences qu'elle peut avoir et les
enseignements qu'elle comporte. A ce titre la Revue FrançaUe en retra-
cera les événements sous une forme succincte.
Sans remonter aux origines du conflit, qui a pour cause l'ingérence
clandestine des Américains en faveur des insurgés cubains, l'explosion
du cuirassé américain Maine dans le port de la Havane et les injonctions
du gouvernement de Washington à l'Espagne, rappelons seulement que
les hostilités prirent naissance le 21 avril 1898, à la suite du refus par
le gouvernement espagnol de recevoir l'ultimatum des États-Unis lui
enjoignant d'avoir à retirer ses troupes de Cuba.
Sans attendre que la déclaration de guerre ait été faite officiellement,
les Américains se lancèrent à la poursuite des navires marchands espa-
gnols et en capturèrent une vingtaine, parmi lesquels trois paquebots
transatlantiques. Un seul navire américain, chargé de charbon, fut pris
par les Espagnols, aux Philippines.
OPÉRATIONS AUX PHILIPPINES.
C'est en Extrême Orient que se livra le premier combat. L'escadre
américaine qui se trouvait à Hong-Kong sous les ordres, du commodore
Dewey reçut l'ordre de se diriger sur Manille pour y combattre l'escadre
espagqola. Elle se composait des croiseurs Olympia, Raleigh, Baltimore,
Bosionj des canonnières Concorda Pétrel, de l'aviso Mac Culloch, des
transports Zafiro et Xawshan. Ses bâtiments de combat étaient modernes
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364 RFVDE FHANÇAISE
et bien armés. Il n'en était pas de même de l'escadre espagnole de
l'amiral Montojo ; ses navires étaient démodés, en bois pour la plupart,
sans vitesse et sans armement moderne. Elle se composait des croiseurs
Reina-CtHstina, Castilla, Ma de Cuba, Isla de Luzon, Don Antonio de
Ulloa, Don Juan d'Austria^ VelaacOy Marques del Ducro, des canon-
nières Génial Ltzo, Argos, du transport Isla de Mindanao.
Le l*^*" mai, dans la nuit, l'escadre américaine pénétrait dans la baie
de Manille et n'était signalée qu'après avoir franchi l'entrée. A la pointe
^ du jour elle attaquait l'escadre espagnole protégée par le feu des bal-
I' teries de l'arsenal de Cavité. En deux heures de combat cette escadre
était détruite après une défense héroïque : deux de ses navires étaient
incendiés, les autres coulés par le feu de l'ennemi ou par les Espagnols
eux-mêmes pour les empêcher de tomber aux mains des Américains.
Ces derniers n'avaient eu que 8 blessés et quelques légères avaries à
I leurs navires, tandis que les Espagnols perdaient 600 tués ou blessés.
I Les défenses de Cavité avaient été réduites rapidement au silence ; les
I fortifications mal entretenues, les pièces d'artillerie d'ancien et trop
I faible modèle, les batteries sans protection, n'avaient pu résister lonfi;-
I temps à l'artillerie à tir rapide et à longue portée des Américains. L'ar-
I senal lui-môme était occupé par ceux-ci peu après le combat.
I i^ désastre est dû à l'incurie du gouvernement espagnol qui, s'il ne
|: pouvait transformer des navires démodés en une flotte moderne, pou-
^ vait au moins leur assurer une protection efficace par l'établissement à
|r terre de puissantes batteries convenablement i>ix)tégées, et par l'instal-
I lation do sérieuses défenses sous-marines qui eussent pu tenir à dis-
I lance les navires américains et même les empêcher de pénétrer dans la
I baie. Rien de tout cela n'a été fait. Dans combien de colonies françaises
I un pareil désastre, engendré par les mêmes causes, ne se produirait-il
I pas si la guerre venait à éclater ?
I Quelques jours après le combat de Cavité, la canonnière espagnole
V. Cnllao venait se faire prendre dans la baie de Manille. La canonnière
; Leyte a été aussi captui'ée depuis.
t Embarrassé par sa victoire, faute d'avoir des troupes de débarque-
"f- ment, l'amiral Dewey s'est contenté de bloquer Manille tout en cher-
p chant à soulever de nouveau les indigènes contre les Espagnols.
'f Sans la révolte qui ensanglanta, pendant deux ans, les Philippines,
^ ces îles auraient été presque dégarnies de troupes et auraient été la
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GlERRE HISPANO-AMERICAINE 365
proie certaine des Américains. La conquête que ces derniers vont
entreprendre sera autrement dillicile, car le général Augustin, capitaine
général, a sous ses ordres environ 15.000 soldats espagnols, hommes
aguerris, sans compter les troupes indigènes. Les 3.000 hommes qui
viennent de partir de San Francisco ne sont que Tavant-garde des
lo.OOO annoncés. Mais la grande majorité se compose de volontaires
et, si une nouvelle insurrection n'éclate pas, leurs efforts seront,, sans
doute, infructueux.
OPÉRATIONS AUX ANTILLES.
Lorsque le président Mac-Kinley déclara la guerre les Américains'ue
pouvaient songer à envahir Cuba avec les 2o.000 hommes de leur
armée régulière. Ils n'étaient pas prêts. Un décret du 23 avril appela
tOO.OOO hommes sous les drapeaux. Ce sont ces hommes que Ton
arme et que Ton instruit, et comme cela ne semble pas suffisant — les
Espagnols ne paraissant pas le moins du monde disposés à évacuer
Cuba — un décret du 2o mai a appelé encore 75,000 hommes.
Un des premiers actes du gouvernement de l'Union fut de déclarer
le blocus de la partie ouest de Cuba comprise entre Malanzas et Cien-
fuegos. Mais ce blocus n'est pas toujours très effectif, plusieurs navires
ayant pu le forcer. Les forces navales américaines furent divisées en
deux escadres ; Tune, appelée escadre volante, sous les ordres du Com-
modore Schley, avait pour objectif de surveiller l'escadre espagnole
venant des îles du cap Vert; l'autre, sous les ordres de l'amiral Samp-
son, était chargée du blocus de Cuba. Les hostilités ont été à peu près
nulles jusqu'ici, les Américains étant dans l'impossibilité d'effectuer un
débarquement, leur armée n'étant encore que dans la période d'orga-
nisation.
Quelques escarmouches ont cependant eu lieu. Les premiei's engage-
ments so produisirent devant Malanzas, à l'est de la Havane, où les
canons des navires américains firent peu de dégâts. Le 11 mai, les
canonnières Wilmington .et Hudson, le torpilleur Winslow, bombar-
daient Cacdenas, non loin de la Havane. Mais ces bâtiments s'étant trop
rapprochés des batteries espagnoles, reçurent des avaries graves. Le
Winslow, désemparé par un boulet, dut être pris à la remorque après
avoir eu un officier et plusieurs hommes tués. Ce furent les premières
victimes de la guerre du côté des Américains. Le même jour d'autres
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366 KEVUE FRANÇAISE
bâtiments tentaîeot de débarquer des armes pour les insurgés, près de
Oenfuegos, mais étaient repoussés par les Espagnols. Le 17, plusieurs
navires essayaient une descente à Caïbarien, sur la côte septentrionale,
mais étaient repoussés également. Même résultat à Cabanas.
Pendant que ces petits bâtiments faisaient ainsi le coup de feu sur
les cotes de Cuba, Tamiral Sampson avec ses cuirassés, apparaissait le
12, à la pointe du jour, devarit San Juan de Puerio-Rico, et sans aver-
tissement préalable, commençait aussitôt le bombardement. Après trois
heures de combat, la flotte américaine se retirait sans résultat, ayant
subi quelques avaries et causé des dommages peu importants à San-Juan
et au fort Morro, qui a vivement riposté. Les Américains eurent i tué et
7 blessés, les Espagnols, 4 soldats tués et quelques blessés.
Sur ces entrefaites, Tescadre espagnole de Tamiral Cervera arrivait
aux Antilles. Composée des quatre croiseurs cuirassés, Almimnle
Oquendo, Ma7*ia Teresa, Vizcaya, Christobal ^'olon, d*égale vitesse, des
contre-torpilleure Terror, Furor, Pluton, formant un tout très homo-
gène, elle était partie des îles du cap Vert le 29 avril ; naviguant à
petite vitesse, elle arrivait à hauteur de la Martinique le 11 mai et
détachait à Saint Pierre le Terror qui avait quelques avaries à réparer.
Poursuivant sa marche, elle inclinait au sud, touchait le 15 à File de
Curaçao, et, le 19 mai au matin, entrait dans la rade de Santiago de
Cuba, sans avoir c'té i^enconlrée par Tennemi. '
A la nouvelle de Tarrivée près de la Martinique de la flotte espagnole,
contrairement au bruit qui avait été répandu de son retour à Cadix,
l'escadre volante quittait Hampton Hoads le 12^ mai, se dirigeant en
toute hâte vers la Havane, afin de barrer la roule à Tamiral Cervera du
côté du Yucatan, tandis (jue l'escadre Sampson allait prendre position
entre Cuba et Haïti. Mais pendant que les éclaireurs cherchaient vaine-
ment en tous sens l'escadre espagnole, celle-ci entrait tranquillement à
Santiago, où le commodore Schley venait la bloquer, après avoir croisé
pendant dsux jours devant Cienfuegos où il la croyait entrée tout d'abord.
Néanmoins, les Américains ne paraissaient pas encore bien convaincus de
sa présence en ce port et leurs navires battiiient les mers de tous côtés ;
67 d'entre eux sont actuellement dans les mers des Antilies, parmi
lesquels 23 yachts ou remorqueurs armés, que Ton appelle la flotte des
moustiques, à cause des piqûres qu'elle doit occasionner.
Le cuirassé Orégon et la canonnière Jfar/W/a, venant de San-Francisco
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Ql^VTRIÈW: CENTENAIRR DE VASO» DE 0 VMA , 367
par le cap Horn, ont rejoint heureusement Tescadre après avoir été
rejoints eux-mùmes à Rio-de-Janeiro par le croiseur Nictkeroy, racheté
au Brésil et qui prend le nom de Buffalo,
A part l'affaire de ('avile, aux Philippines, il n'y a eu jusqu'ici
aucun engagement sérieux. Des deux côtés on n'est pas prêt. En Espagne,
l'escadre de réserve commandée par l'amiral de la Camara, continue à
s'organiser à Cadix. Aux États-Unis, l'armée se forme avec lenteur. On
commencé enfin à comprendre que la guerre peut durer longtemps.
Il est bon de signaler l'hostilité suscitée aux États-Unis contre la
France par la presse qui a poussé à la guerre, la presse jaune, comme
on l'appelle. Capture du paquebot fran(^^ais Lafayclte, accusé d'avoir
voulu forcer le blocus de la Havane, puis relâché et autorisé à entrer
dans ce port, au début des hostilités; accusation d'y avoir débarqué
des officiers d'artillerie français pour venir en aide aux Espagnols ;
retard mis par les employés du çàble français de la Martinique de trans-
mettre un télégramme américain, — qui n'a même pas été déposé, —
toutes fausses nouvelles qui ont été démenties, mais qui n'en ont pas
moins produit une fâcheuse impression contre la France. Il importail
de faire ressortir cet état d'esprit (jue l'on ne peut que regretter en
France.
C. DE Lasallr.
QUATRIÈME CENTENAIRE DE VA8C0 DE 6AMA
Le Portugal a brillamment fêté, du 17 au 20 mai 1S9«, le 400^ an-
niversaire de la découverte de la roule des Indes par Vasco de Gama,
qui fut l'origine de la puissance maritime et coloniale du Portugal, la-
quelle ne dura d'ailleurs qu'un siècle.
Cette grande découverte eut une répercussion considérable dans le
bassin de la Méditerranée. L'Europe faisait alors, par la voie de l'isthme
de Suez et de la mer Rouge, tout le commerce avec l'Inde et l'Extrême-
Orient. La route du Cap, que les navires marchands adoptèrent [leu à
peu, porta un coup mortel à celle de la mer Rouge, qui ne devait recou-
vrer sa suprématie que plus de trois siècles après. Venise surtout, fut
gravement atteinte. Mais les Portugais ne surent pas conserver leur pré-
pondérance en Extrême-Orient. Les Hollandais, puis les Anglais, qui
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368 REVUE FRANÇAISE
les suivirent de près, ne tardèrent pas à se substituer à eux et à édifier
des empires coloniaux encore puissants à l'heure actuelle.
C'est en 1497, que le roi de Portugal chargea le grand navigateur de
tenter cette entreprise, que Barthélémy Diaz n'avait pu mener à son but.
tout en découvrant cependant le cap des Tempêtes, devenu presque
aussitôt cap de Bonne-Espérance (1487).
Précédemment , les Canaries avaient été découvertes par les I*orlugais
en 1341, les Açores en 1330, Madère en 1420, le cap Bojador en 1433,
le cap Vert en 144S. L'embouchure du Congo fut découverte par Diego
Cam en 1482.
11 est intéressant de noter aussi qu'en 1486, I^ierre de Covilham fut
envoyé en Egypte, d'où il gagna la mer Rouge, Aden et les Indes, par
la route que suivaient alors les Vénitiens et les Arabes ; il se rendit en
suite de Goa à Sofala, puis revint à Aden, au Caire, puis en Abyssinie où
il disparut .
Le 4 juillet Hî>7, Vasco de Gama partait de Belem, près Lisbonne,
avec trois vaisseaux de guerre, un navire chargé de provisions et 148
hommes. Il y avait à bord 10 condamnés à mort destinés à être mis eu
avant en cas de conflit. Après avoir essuyé une violente tempête sur les
côtes de l'Afrique méridionale, Vasco de Gama eut à comprimer une
révolte à bord ; il fit mettre le pilote aux fers et prit lui-même la barre.
Le 20 novembre, il doubla le cap de Bonne-Espérance, après une relâche
à Sainte-Hélène, puis arriva le jour de Mot^l au pays qu'il nomma
Natal.
Bientôt, on dut sacrifier le navire qui portait les provisions, car il ne
pouvait plus tenir la mer. Puis, le scorbut éclata à bord. Au bout d*un
mois de relâche, l'expédition reprit sa marche, reconnut l'embouchure
du Zambèze et arriva à Mozambique. Bien que l'accueil des indigènes
eût été quelque peu hostile, on repartit sans difficulté et on arriva à
Mombassa, puis à Mélinde le ir> avril 1498, jour de Pâques.
Un pilote ayant consenti à conduire l'expédition vers le littoral de
l'Inde, l'expédition repartit le 20 avril et aborda à Calicut, port de flnde
méridionale, sur la côte du Malabar, le 20 mai 1498.
Deux des condamnés furent débarqués. Les curieux les entourèrent
aussitôt et des marchands tunisiens leur demandèrent leur natio-
nalité; ils se déclarèrent Portugais. Les marchands tunisiens qui avaiœt
trafiqué avec les Espagnols, les accueillirent avec bienveillance et des
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yi ATHIÈME CENTJ:NA1HK DE VASCO I)E GAMA 'M)
relations amicales s'établirent aussitôt avec les indigènes. Mais, par suite
de la perfidie des Maures et autres trafiquants, qui craignaient la con-
currence commerciale portugaise, les autorités se montrèrent plus hos-
tiles et finalement, les habitants s'emparèrent des marchandises et se
saisirent des gardes qu'ils violentèrent. Vàsco dé Gaina fit à son tour
plusieurs prisonniers qu'il ne rendit qu'en échange de ce qu'on lui avait
pris. Il cingla ensuite vers Cananor et Goa.
Mais il fallait partir. Vasco de Gama fit voile vers l'Afrique, aborda
en octobre à Magadoxo, puis à Mélinde,' où il dut brûler un deuxième
navire hors d'usage. On continua vers le Cap avec les deux navires res-
tants, mais la tempête les sépara. La mort du frère de Vasco de Gania
qui fut enseveli à l'île de Terceire (A(;ores), retarda encore l'expédition.
Vasco de Gama dut brûler son propre navire et ne rentra à Lisbonne .
que le 30 août 1499. Nicolas Coelho, son lieutenant, qui commandait
le seul navire sauvé, était rentré avant lui, le 10 juillet, deux ans après
le départ de la flottille. 53 hommes seulement sur 148 qui étaient par-
tis, revirent le Portugal.
Vasco de Gama, en récompense de sa découverte, fut nommé amiral
des Indes.
De nombreux voyages vinrent bientôt compléter celui de Gama.
Alvarez Cabrai parti en mars 1500, descendit jusqu'au Mozambique,
visita Mélinde et Calicut.
Vasco de Gama lui-mome, repartit en février 1S02, avec 20 navires
et des forces considérables. Arrivé aux Indes, il traita avec les radjahs
de Cananor, de Cochin et de CoUam, qui s'engagèrent à ne faire de
commerce qu'avec le Portugal, il revint à Lisbonne en février 1503,
après avoir laissé dans les eaux de l'Inde, une escadre qui y périt.
En 1504, Albuquerque partit de Lisbonne pour les Indes. 11 cons-
truisit le premier fort portugais dans l'Inde, à Cochin, ce qui ruina le
commerce que les Arabes, les Egyptiens et les Vénitiens faisaient dans
la mer des Indes.
En 1503, François d'Almeida partit d'Europe avec 20 navires et des
troupes, il construisit en route des forts à Quiloa, Mombassa, Goa,
Onor et Cananor. En février lo09, il battit les Arabes à Diu et assura
au Portugal la suprématie dans l'Inde. Albuquerque qui était toujours
dans rinde, se querella avec d'Almeida ; ce dernier repartit pour l'Eu-
rope, mais s'étant arrêté au Cap, il y fut tué par les Cafres.
xxni (Juin 98). N- 234. 24
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l
370 REVUE FRANÇAISE
Albuquerque resté seul, prit l'île de Socotora en 1307, pour com-
mander la route de la mer Rouge et imposa la suzeraineté portugaise
aux ports de TArabie. Il détruisit Mascate en grande partie, s'empara
d'Ormuz et y établit un fort. Goa, qu'il prit eu 1310, devint le œntre
des Indes portugaises. Albuquerque s'empara encore de Malacca, puis
d'Ormuz une ^ fois (1513), il mourut à Goa la même année.
Le Portugal était, par ces conquêtes, devenu la première puissance
maritime et coloniale du monde. Vasco de Gama, nommé en 1524
vice-roi des Indes y repartit, mais y mourut peu après à Cocbin (1525).
Les princes indiens se révoltèrent alors contre les Portugais. En
^ 1383, le roi d'Espagne étant devenu maitre du Portugal, les colonies
de rinde furent laissées à elles-mêmes et la Hollande put facilement
s'en emparer.
Entre temps, en 1337, les Portugais avaient, les premiers, noué des
relations avec la Chine et s'étaient installés à Macao. En 1326, Georges
de Menezes atteignait la N''*^ Guinée, Sumatra, Bornéo, etc. En 1329 de
Souza Tavares allait àBassorah et Estevam daGama pénétrait, en 1341.
au fond de la mer Rouge. En 1342, Mendez Pinto abordait au Japon.
En loli Albuquerque avait fait explorer les iles Moluques ; en 1317,
Perez d'Andrade avait vu Poulo Condor et en 1318, il s'était arrêté à
Canton, mais dans tous ces pays, les Portugais n'avaient fondé aucun
établissement.
Il faut donc rendre au Portugal cette justice cpie c'est lui qui a montré
^ le chemin dont les autres, et surtout les Anglais ont largement profité.
On ne peut donc que s'associer à la glorification de cette brillante
période qu'a été pour la géographie et pour le Portugal, la fin du 15'
siècle et le commencement du 10*, période dans laquelle le nom de
Vasco de Gama domine tous les autres.
Paul Barré.
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i
EXPLORATEURS ET VOYAGEURS
Le d' Maclaud est chargé d*une nouvelle mission en Guinée française.
D se rend à Konakry, puis au Fouta-Djallon, pour y étudier à fond les
ressources agricoles. Son enquête durera au moins 48 mois. Il
part seul, sans escorte. Il avait accompagné Braulot à Kong, en 1893.
La mission Gentil (XXIII, 238) est heureusement arrivée au lac Tchad.
Partie de France en avril 1895, il ne lui a pas fallu moins de 3 années
pour accomplir ce voyage. En septembre 1896, M. Gentil, qui avait
remonté TOubanghi jusqu'à son confluent avec la Kémo, établissait un •
poste sm* un sous-affluent du Chari. En avril 1897 il s'intallait sur un \\
affluent du Gribingui, par 7*^ de lat, et 16*»40, long. E. C'est là qu'il a
monté son vapeur démontable le Léon-Blot, et d'où il est parti pour .|
atteindre le lac Tchad, où il entrait le 1^"^ novembre après avoir séjourné
2 mois au Baguirmi. Pour arriver jusqu'au lac M. Gentil dut tra-
verser des territoires occupés par Rabah, le conquérant du Bornou,
l'instigateur du massacre de la mission Crampel. A Goulfeï, une de ses
places d'armes, sur la rive gauche d'une des branches du Chari, il fut
cependant bien reçu et la population lui off'rit gratuitement des vivres
en abondance. En revenant du lac Tchad, il s'arrêta de nouveau au
Baguirmi, dont le sultan est indépendant et ramena de sa capi-
tale, Massinia, une ambassade qui doit venir en France, M. Gentil
rapporte d'importants résultats géographiques. Le Gribingui n'est qu'un
affluent du Chari et non une de ses branches. Quant au Logone il
ne serait qu'une branche du Chari.
M. Bonnel de Mézières, second de la mission de Béhagle (XXIII, 238),
qui était revenu en Europe pour constituer une mission de renfort, s'est
embarqué le 8 mai à Anvers, pour se rendre au Congo et y rejoindre
M. de Béhagle, qui se dirige sur la région du Tchad. Il est accompagné
de MM. Louis Martel et G. Boui^eau qui ont déjà séjourné dans la région
du haut Congo, Charles Pierre et Raymond Colrat, plus spécialement
chargés des études topographiques et scientifiques de la mission.
M. de Poncins. a écrit du camp d'Aliou, près d'Ankober, 13 janvier.
Depuis le 8 novembre 1897, il a vécu, tantôt chez les Somalis Issa,
tantôt chez les Adals. Il a suivi un itinéraire en pays neuf, qui l'a mené
à un point d'eau très écarté, dans un désert brûlé. Ce point est Abako,
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1!!^^(WWW^''
%
37-2 REVUE FRANÇAISE
repaire des nomades Somalis, et qui se trouve sur la route entre Harrar
et le Choa.
Le prince Henri d'Orléans (XXIII, 306) est parti le 30 mai de Djibouti,
avec les Français qui l'accompagnent et son escorte de Sénégalais. 11 se
rend à Addis-Abbeba par une route directe et encore inexplorée à tra-
vers le désert. Ce voyage ne laissera pas que de présenter des difficultés
assez sérieuses en raison de l'état de guerre existant entre tribus doui
on traversera le territoire. Le c^^ Léontieff, qui est parti seul de Djibouti,
précédant la caravane, est arrivé à Harrar.
M. Raoul, pharmacien en chef de 1'^ classe des colonies, est mort à
I^annilis, près de Brest, des suites d'une maladie qu'il avait contractée
à Sumatra, au cours de sa dernière mission scientifique, d'où il avait
rapporté de précieux renseignements au point de vue de racclimatalion
das plantes coloniales. Il était âgé de 53 ans.
M. D.-W. Caimegie a rendu compte du voyage de 13 mois qu'il
. , accompli, en 1896-1897, dans l'Australie occidentale. Parti de Coolgardie,
le 9 juillet 4896, avec 3 compagnons, MM. T. -A. Breaden, G. Massie et
C. Stansmore, 9 chameaux et des provisions pour 5 mois, M. Carnegie
s'engagea dans un désert où les chameaux restèrent 13 jours 1/2 sans
boire. Les rares populations rencontrées sont des nomades vivant de
i rats et de lézards. Les puits sont rares et vite taris. Les habitants sont
noirs et se badigeonnent de graisse et de cendres ; ils sont petits, laids
et vont absolument nus. Ils ne construisent pas de maisons, n'ont pas
de villages et s'installent dans des cavités qu'ils creusent dans le sol.
Quoique sauvages, ils ne sont pas méchants. La vu^ des chameaux
les a beaucoup étonnés. M. Carnegie a constaté que la région cotre
Coolgardie et les mines de Kimberley est un désert hihabitable, où il
n\Y a pas trace d'or. La mission est passée à Doyie's VVell, à 325 kil.
de Coolgardie, au mont Woi*snop, à Alexandre Springs, aux monts
Alfred et Maria. Le point extrême atteint fut Hall's Creek, par 1845'
et 127<»,46'. Le retour de l'expédition eut lieu par les lacs White et Mac
Donald, les monts Rawiinson, Blyth Creek, les lacs Wells et Darlot.
La mission revint à Coolgardie en août 1897, ayant perdu M. Stansmore.
t-^
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NOUVELLES GEOGRAPHIQUES ET COLONIALES
AFRIQUE
Tunisie : Régime douanier. — Le Journal officiel tunisien a publié une
série de décrets relatifs au régime économique de la Tunisie. Depuis le
l*"^ janvier 1898, l'obligation pour le gouvernement beylical de maintenii* le
tarif uniforme de 8 0/0, en vertu de la clause de la nation la plus favorisée,
a disparu du fait de la suppression de l'ancien traité anglo-tunisien. La publi-
cation d'un nouveau tarif douanier ne pouvait plus être ajournée davantage
et cVst pour y pourvoir, au moins à titre provisoire, que les décrets précités
ont été rendus. Ces décrets assuient au commerce français des avantages
importants, conformément aux engagements pris par M. Hanotaux devant la
Chambre des députés.
On se rappelle que la loi du 19 juillet 1890, votée par les Chambres dans
IMntérét des colons français établis en Tunisie, accordait l'entrée en fran-
chise, en France, des céréales, du bétail, du vin, etc., dans des quantités
déterminées chaque année. Mais, par contre, les produits français continuaient
à acquitter à leur entrée en Tunisie la taxe de 8 0/0 comme les autres mar-
chandises. Les anciens traités qui liaient la Régence aux nations étrangères
ayant cessé d'exister et ayant été remplacés par des conventions qui lui
laissaient sa liberté d action, il en est résulté la possibilité d'accorder aux
produits français un traitement privilégié. Désormais, les principales indus-
tries françaises, primées encore par la concurrence étrangère sur le marché
tunisien, telles que celles des fers, tissus de laine, métaux, machines, ma-
tériel des travaux publics, sont assurées d'approvisionner exclusivement
la Régence par la double combinaison de la franchise accordée aux produits
français de l'espèce et de l'application aux produits similaires étrangers du
tarif protecteur établi en France. La France acrpiiert, en outre, le monopole
de la vente de produits d'importante consommation qu'elle peut fournir, tels
que le sucre et l'alcool qui sont frappés à l'importation étrangère d'un droit
protecteur sufiBsant pour atteindre ce but. Exception est faite seulement
pour les cotonnades, qui d'après la dernière convention avec l'Angleterre,
ne devront pas, jusqu'en 1913, être taxées <\ plus de 5 0/0 de leur valeur.
Cette importation britannique représente une valeur annuelle de 4 A 5
millions de francs.
Aiûsi que le faisait remarquer dernièrement la /î^'uue Française {diVviMSdSy
p. 234), 75 0/0 des exportations tunisiennes prenaient le chemin de la
France et de l'Algérie, tandis que 58 0/0 seulement des importations en
Tunisie provenaient de France et d'Algérie. La suppression de la taxe de
8 0/0 qui frappait les produits français élèvera certainement d'une façon
sensible le quantum des importations françaises.
La diminution produite par le nouveau régime douanier sur les recettes
au Trésor tunisien est compensée ps^r la surélévation des droits sur les den-
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374 REVUE FRANÇAISE
rées coloniales et d'une taxe de consommation sur Talcool et le sucre. Ces
dix)its équivalent à l'octroi de mer appliqué en Algérie.
Dans sa séance du 4 mai, la Conférence consultative, appelée à donner son
avis sur ces mesures, s'y est complètement ralliée.
Dès l'ouverture dés Chambres, celles-ci seront saisies de certaines modifi-
cations à apporter à la loi de juillet 1890, en vue d'amener le plein dévelop-
ment de la colonisation tunisienne.
Soudan français : Prise de Sikasso. — A la suite de l'attitude hostile
du fama de Sikasso, une colonne de 1 500 hommes a été organisée et placée
sous les ordres du l'-colonel Audéoud, ^-gouverneur du Soudan français.
Arrivée devant Sikasso l'assaut a été donné le 1^^ mai. L'attaque, commencée
au point du jour, ne s'est terminée qu'à 3 h. du soir par la prise de la ville. Le
fama Babemba s'est fait tuer après une résistance acharnée. Nos pertes ont été
sensibles : 2 ofliciers tués, les V^ Gallet et Loury, 4 officiers blessés, 50 indi-
gènes tués et 13o blessés, soit au total 195 tués ou blessés. On évalue à un
millier le nombre des ennemis tués ou blessés. Des approvisionnements im-
portants en armes, munitions et vivres ont été trouvés dans la place.
La ville de Sikasso, située dans la boucle du Niger, un peu au nord du H*^
parallèle, est la capitale du Kénédougou. L'ancien roi de ce pays, Tiéba, avait
depuis longtemps contracté un traité d'amitié avec nous et, comme ses inté-
rêts étaient opposés à ceux de notre adversaire Samory, il nous fut toujours
fidèle. Tiéba mourut en 189^ et fut remplacé par son fils Babemba. Ce der-
nier n'a jamais paru désireux de conserver avec nous les bonnes relations de
son père. Aussi, quand, en 1897, le colonel de Trentinian envoya dans le bas-
sin de la Volta une colonne d'occupation, il tint à s'assurer des dispositions
exactes de Babemba et il envoya le capitaine Braulot, qui fut tué plus tard
à Bouna par les gens de Samory. Effrayé sans doute par la concentration de
nos troupes àSégou, Babemba fit au capitaine Braulot un accueil chaleureux,
se porta en personne à sa rencontre et le retint huit jours dans sa ville. Ses
bonnes dispositions étaient certaines.
Mais, récemment, on apprit que Babemba était en relations suivies avec Sa-
mory. Une mission fut alors envoyée à Babemba. Elle était commandée par
le capitaine Morrisson et comprenait une vingtaine d'hommes. Cette fois,
l'accueil réservé à notre envoyé par le fama de Sikasso fut plutôt hostile. Il
importait de briser de suite cette résistance.
C'est dans ce but que fut formée la colonne expéditionnaire qui vient de
prendre la ville, après un combat qui a dû être assez vif> car Sikasso était
entouré de « tatas » assez solides et il a fallu du canon pour ouvrir la brèche.
Il est à prévoir qu'un poste solide sera établi à Sikasso afin de servir dépeint
d'appui contre Samory. Voici la description que le capitaine Braulot don-
nait de Sikasso :
» Sikasso est une très grande ville. Elle s'est augmentée de moitié depuis
le voyage de Péroz en 1891. Elle est entourée de deux tatas très solides sé-
parés par un chemin de ronde de 50 à 60 mètres de large. Le périmètre du
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 375
tata extérieur est d'au moins 8 ou 9 kilomètres. L'ancienne ville qui domine
au N. Ja nouvelle est séparée de cette dernière par un ruisseau qui coule du
S.-O. au N.-E. Ce ruisseau arrose, dans sa partie N.-E., près de Thabitation
du fama qui domine sur la campagne, une bananerie immense.
En somme, vue du plateau qui commande la ville à i 200 mètres au N.,
Sikasso a grand air. De toutes parts, des maisons à étage couronnées de clo-
chetons s'élèvent au-dessus des terrasses et des toits en paille. Dans la partie
haute, se dresse une butte qui est, en petit, la butte Montmartre de la capi-
tale du Kénédougou, Ce n'est pas laid comme ensemble. J'estime la popula-
tion à 12000 habitants ». ^
Occupation et siège de Kong, — La réoccupation de Kong, effectuée par le
lieutenant Demars avec 80 tirailleurs, puis par le commandant Caudrelier, a
donné lieu à de brillants faits d'armes que rapporte une correspondance
adressée à V Eclair.
Les 1»» Demars et Méchet, partis le 21 janvier 1898 de notre dernier poste,
sur le Comoé, s'avancèrent jusqu'à 8 kil. de Kong et apprirent que quelques
sofas seulement gardaient cette ville. Ils résolurent aussitôt de l'attaquer.
300 sofas à peine sortirent de leurs santés (retranchements), mais furent vite
repoussés par quelques feux de salve. Samory, informé de l'occupation de
Kong par une faible troupe, fit aussitôt investir Kong, du li au 27 février,
par 2.000 à 3.0<)0 sofas, qui tirèrent 60.000 cartouches de fusil à tir rapide et
lancèrent plusieurs projectiles pleins de 0" 60 de longueur sur 0"» 10 de diamè
tre.Un de ces projectiles tomba au milieu du poste mais n'atteignit personne.
La résistance héroïque de la petite garnison des 1*» Demars et Méchet est
digne d'admiration. Les diflicultés de défense d'un posls improvisé furent
grandes. L'eau vint bientôt à manquer. Les puits intérieurs étaient insuffi-
sants et les puits extérieurs dangereux à aborder. Pendant les premiers jours
des corvées parvinrent à se glisser la nuit hors du poste pour chercher un
peu d'eau. Mais les sofas s'en aperçurent et déjouèrent la manœuvre. Il fal-
lut alors se rationner strictement; tous les animaux et plusieurs porteurs
périrent de soif. Toutes les nuits les griots de Samory venaient insulter les
tirailleurs et les exciter à abandonner le poste.
Le commandant Caudrelier, prévenu, quitta le poste deKhomhokodianiri-
koro, le 24 février. Les sofas l'attaquaient le lendemain , à 2 kil. au sud de
Nasian, Victorieuse, la colonne fut attaquée encore le 26, sans succès.
Près de Kong, la colonne essuya, sans pertes, les feux de 2.000 à 3.000
sofas, mais au bout de quelques heures de combat, la place était dégagée et
le c* Caudrelier faisait sa jonction avec les 1'» Demars et Méchet (27 fév. 1898).
Sierra-Leone : Insurrection. — Une grave révolte a éclaté contre l'An-
gleterre à Sierra-Leone. Les noirs se sont soulevés parce que les Anglais
voulaient percevoir un impôt de 6 fr. 25 par cabane, chiffre considéré comme
beaucoup trop élevé pour les ressources des indigènes.
La révolte prit naissance dans le pays de Kassi ou Kareni, au N. E. de
Port-Lokko, à 23 milles de Freetown, près la frontière française, où aux
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376 REVUE FRANÇAISE
griefs provoqués par l'impôt sur les huttes se joignait la nomination d'un
roi impopulaire par les Anglais. Ce dernier a été fait prisonnier par son
rival Bé-Boury qui Ta fait égorger.
Dans le courant de février 4808, le capitaine Sharpe requit la force de
police pour arrêter Bé-Boiiry; l'échec fut complet. Le major Norris ne réussit
pas mieux. Le commandant Tarbet fut repoussé, puis cerné dans* Karéné.
Une compagnie du « West-India régiment », envoyée pour le dégager, n'y
a réussi qu'après 3 jours de combats acharnés. A la fin d'avril, le colonel
Marshall déclara avoir traversé le district de Karéné sans trop de difficultés.
Mais de nouveaux troubles éclatèrent à Kambia (district de Bandjama) le
17 avril, puis dans le district de Romietta en mai.
La situation s'est aggravée depuis et il est très diflicile de trouver des por-
teurs pour accompagner les troupes britanniques. La rébellion a même
gagné le sud de la colonie ; des factoreries européennes ont été brùléçs daus
l'île Sherbro et des négociants ont été massacrés ou faits prisonniers. Le ré-
vérend Humphrey a eu sa tète piquée en haut d'une perche. Deux factoreries
de la Compagnie française de l'Afrique occidentale ont été incendiées à
Manho et plusieurs traitants noirs y ont été massacrés.
Les Anglais ont expédié des troupes de Lagos et 6 navires à destination
de Sierra-Leone, et il faudra un f;rand effort pour écraser ce soulèvement.
Le territoire de Sierra-Leone comprend la colonie proprement dite et l'Ain-
terland. La colonie comprend la péninsule de Freetown (ville de 40.000 hab.),
l'île de Sherbro, quelques autres îles et une bande côtière de 180 milles de
large sur 20 milles de profondeur (en tout 4.000 milles carrés). L'arrière-
pays s'étend sur 30.000 milles carrés,
Depuis la convention franco-anglaise de délimitation de 1895, le gouver-
neur sir Frédéric Carde w a entrepris la pénétration dans l'intérieur, rendue
difficile par les luttes intestines des petits chefs et par le trafic des esclaves.
Le pays de protectorat a été divisé en 6 districts, dirigés chacun par un com-
missaire. Le budget est de 250.000 fr. qu'on voulait alimenter par un impùt
sur les liqueurs et un autre sur les huttes. C'est ce dernier impôt qui a pro-
voqué la révolte.
Hlnterland du Dahomey : Occupation du Dendi, — Les heureux ré-
sultats obtenus par les missions Baud-Vermeersch, au Gourma, et Bretonne!,
au Niger, n'assuraient pas la soumission complète des régions voidnes du
grand fleuve au nombre desquelles se trouvait le Dendi. M. Ballot, gouver-
neur du Dahomey, chargea alors le capitaine Baud d'occuper ce pays, proche
voisin du Gourma (*). Bien que n'ayant sous ses ordres que de faibles forces,
le capitaine Baud quitta Kodjar et occupa Carimania (14 octobre 1897) sur le
Niger après avoir eu à traverser une région d'une brousse épaisse et la rinère
Mekrou, rendue difficile à franchir par la hauteur des eaux. De.Carimama,
M. Baud se rendit à Ilo. où il apprit que les habitants de Madécali avaient
(1) Voir la l'arte, p. 201 (avril 1898).
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 377
attaqué nos alliés. Il résolut alors, bien que n'ayant qu'une trentaine de ti-
railleurs, de marcher sur cette ville pour en punir les habitants.
L'ennemi, qui comptait environ 2.000 hommes, fantassins ou cavaliers ar-
més d'arcs et de flèches, de lances et de javelots, s'avança à sa rencontre. Le
choc se produisit dans une plaine couverte d'une herbe si épaisse et si haute
que l'on avait peine à apercevoir un homme à dix pas. L'ennemi se préci-
pita sur la petite troupe et la couvrit de flèches; mais les tirailleurs ripostèrent
vivement en envoyant des feux de salve qui brisèrent l'élan des assaillants.
Ceux-ci reculèrent alors, pendant que les tirailleurs, se formant en colonne,
s'élançaient à la baïonnette sur l'ennemi qui s'enfuit en laissant 200 hommes
sur le champ de bataille. Au fort de l'action, le capitaine Baud reçut au bras
gaoche une flèche empoisonnée qui le fit cruellement soufTrir et ne lui per-
mit de se rétablir qu'après un assez long temps. De retour à llo, il put,
grâce à quelques renforls, pacifier enliorement le Dendi et procéder à son
oi-ganisation .
Rhodésia : M, Rhodes rétabli directeur, — L'Assemblée générale des action-
naires de la Chartered a adopté, le 21 avril, des modifications dans son orga-
nisation intérieure et a rétabli M. Cecil Hhodes dans ses fonctions de directeur.
On n'a pas oublié les causes de sa chute.
Premier ministre du Cap, directeur de la Chartered, Thomme le plus
inlluent de l'Afrique australe anglaise, \L Cecil Rhodes n'avait trouvé sur
sa route, pour contrecarrer sa politique, que les Boêrs du Transvaal. Le
coup de main tenté par le D^ Jameson, qui aurait pu assurer à. M. Cecil
Rhodes la toute-puissance, faillit un moment causer sa perte. Blâmé dans
toute l'Europe, en Angleterre môme — du moins en apparence, — M. Rhodes
dut abandonner son poste de premier ministre et la direction de la Charte-
red. Mais, bien que n'étant plus rien, il parvint néanmoins à maintenir son
influence dans le pays qui porte son nom, à réprimer la révolte des Mata-
béiès et à poursuivre le chemin de fer du Cap jusqu'à Boulouwayo. Les
Anglais, qui n'oublient pas les services rendus, et qui savent apprécier les
hommes de valeur, ont assuré à M. Rhodes une rentrée quasi-triomphale
et vont lui permettre de consacrer ses talents incontestés à la cause de TEin-
pire britannique.
Les modifications introduites dans l'organisation de la Chartered sont la
conséquence des derniers événements qui avaient déjà amené l'institution
d'un représentant du gouvernement britannique auprès de la puissante
C'«. Désormais, un commissaire-résident assistera à tous les conseils de la
Chartered et devra autoriser les expéditions militaires. Le commandant des
troupes de la C'*" sera nommé par la couronne. En outre, un droit de veto
absolu sur toutes les décisions des directeurs sera conféré au Secrétaire
d'Etat des colonies, à Londres. Par suite de ces modifications, la Chartered
sera ainsi placée sous le contrôle du Gouvernement.
Dans le discours qu'il a prononcé en prenant possession de ses fonctions,
M. Cecil Rhodes a confirmé ce que l'on savait déjà sur le caractère de sa
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378 REVUE FRANÇAISE
politique envahissante. On n*a pas oublié, qa*au moment de l'invasion
Jameson, M. Cecil Rhodes avait déclaré que sa carrière commençait à peine.
Son programme semble justiûer cette parole.
Emporté par la grandeur de ses projets, M. Cecil Rhodes ne se contente
plus de rétablissement d'un télégraphe transafricain du Cap à Alexandrie,
il veut encore le faire suivre par un chemin de fer. Il se propose dès main-
tenant de poursuivre Textension de la ligne de Boulouwayo jusqu'au lac
Tanganika, sur une distance d'environ 800 milles, ce qui coûterait environ
2 millions de £. De là, il serait possible de la relier avec celui qui est ac-
tuellement en construction dans l'Ouganda. M. Rhodes, qui voit les choses
de loin, envisage déjà le chemin de fer du Nil prolongé jusqu'à Khartoum
et remontant de là jusque dans l'Ouganda.
On voit combien est audacieuse la politique de Cecil Rhodes ; son ambi-
tion n'a pas de limites puisqu'il lui faut TAfrique entière, mais ce qui est
plus grave, c'est que cette politique est le rêve de beaucoup d'Anglais.
Madagascar : Pénétration dans le sud. — Bien que la saison sèche ne
soit pas définitivement revenue, les troupes ont recommencé leurs opérations
contre les peuplades insoumises. Dans le sud, une bande de Baras s'était ins-
tallée dans le massif boisé du Vohinghezo, sur la rive gauche du Mangoky,
coupant les communications entre Tullear et le cercle des Baras et des
Tanalas. Un détachement de 150 hommes de la légion étrangère et des tirail-
leurs avec 1 pièce de canon, sous les ordres du capitaine Flayelle fut char-
gée d'enlever la position.
La colonne se heurta le 12 mai^ à des escarpements boisés occupés par les
rebelles qui raccueillirent par un feu très nourri. Aux premiers coups de
feu, le capitaine Flayelle et le 1' Montagnole qui marchaient à l'avant^garde
tombèrent mortellement blessés. Le 1' Defer prit alors le commandement et
donna des ordres pour l'enlèvement de la position qui fut aussitôt effectué,
grâce à un mouvement tournant vigoureusement conduit par le sous-1* Ga-
renne et malgré les énormes difficultés du terrain et la résistance déployée
par les rebelles abrités par les retranchements derrière lesquels ils laissèrent
de nombreux cadavres. Indépendamment de la perle si sensible du capitaine
Flayelle et du 1* Montagnole, l'expédition a perdu un soldat de la légion
étrangère et un tirailleur malgache. Les blessés ont été assez nombreux. On
assure qu'un certain nombre a succombé faute de soins, aucun médecin ni
aucune ambulance de campagne n'accompagnant la colonne. C'est là un M
qui ne se produit que trop souvent. L'insouciance avec laquelle nous sacri-
fions la vie de nos soldats aux colonies, contraste avec les soins dont on
entoure ceux des Anglais et des Hollandais, par exemple.
— Les opérations faites dans les régions côtières, éprouvent singulièrement
les tirailleurs malgaches originaires du plateau central qui sont plus sensi-
bles encore que les Européens aux fièvres paludéennes. Aussi est-il indis-
pensable de maintenir à Madagascar les tirailleurs sénégalais, qui ont rendu
jusqu'ici de si grands services et supportent fort bien le climat.
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1
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 379
— Le général Gallieni est nommé grancj-offlcier de la Légion d'honneur, juste
témoignage de haute satisfaction auquel tout le monde applaudira. Le
général doit entreprendre une tournée d'inspection de 3 à 4 mois sur la côte
de Madagascar.
Colonisation, — Un courant d'émigration se dessine de la Réunion â Ma-
dagascar. D'après V Avenir de Madagascar, le premier noyau de la future
colonie bourbonnaise est arrivé au Betsiléo sous la conduite de M. Babet. Ce
dernier était accompagné de sa famille et l'ensemble du groupe se compose
de 70 personnes. La région choisie pour leur Installation est à moitié route
de Fianarantsoa. Chacun des nouveaux arrivants est possesseur d'un pécule
variant de quelques centaines à quelques milliers de francs. L'administra-
tion locale leur assure de quoi attendre la premiôi-e récolte. C'est la pre-
mière tentative de grande colonisation qu'il y ait à signaler.
Dans le nord de l'île une maison française a prévenu le résident de Vohé-
mar qu'elle allait bientôt installer une usine de conserves dans cette ville.
Cette industrie, qui emploiera plus de 300 ouvriers européens ou créoles,
: sera une source de prospérité pour la région. D'autre part, une maison de
I commission de Paris a l'intention de prendre Yohémar comme centre
d'achats pour l'exportation en grand du bétail sur le Transvaal. Cette entre-
■f prise sera suivie avec intérêt par tous ceux qui considèrent Madagascar
^ comme devant être l'un des greniers d'abondance du Transvaal.
; Concurrence allemande. — On se demande si la pacification de l'île va
; attirer à Madagascar autant de trafiquants et de navires étrangers qu'on en
rencontre dans la plupart de nos autres colonies. A Tamatave, malgré les
services des lignes françaises régulières, le pavillon anglais se montre aussi
souvent que le pavillon français. Dernièrement est arrivé un navire alle-
I mand, le Zanzibar, portant plusieurs milliers de sacs de sel, balles de toiies,
caisses de man^ites, colis de provisions et de toute nature. On se demande
ce que font les exportateurs et les armateurs de Marseille pour que les Alle-
mands viennent de Hambourg leur enlever un fret qui devrait leur apparte-
nir sans conteste. Le Zanzibar a relevé ensuite pour Vatomandry avec des
passagers et de la marchandise. Peut-être le jour n'est-il pas éloigné où les
.\llemands, qui ont considérablement augmenté leurs envois de navires sur
r les côtes voisines du Transvaal, établiront une ligne régulière jusqu'à Mada-
igascar et louchant aux ports de France. Aurons-nous donc encore une fois
travaillé pour l'étranger ?
r Ouganda : Révolte (XXIII, p. 301). — Depuis la révolte d'une partie des
troupes soudanaises de l'Ouganda (expédition Macdonald) contre l'Angle-
terre, le roi de l'Ounyoro, Kabarega, sans cesse vaincu, mais jamais réduit,
n'a cessé d'inspirer des inquiétudes. Quant à Mouanga, le roi détrôné de
l'Ouganda, il est dans le S.-O. de ce pays avec de nombreuses bandes.
1^ 23 février dernier, le capitaine Harrisson rejoignait, au sud de Mrouli,
les rebelles sortis du fort de Loubouas; il forçait leurs retranchements et
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380 REVUE FRANÇAISE
leur tuait SO à 60 hommes. Les Anglais avaient 10 tués et âO blessés, dont
l'un, le capitaine Molony, a succombé. Aux dernières nouvelles remontant
au 21 mars, la rébellion était considérée comme terminée! Les derniers
révoltés ont disparu vers le nord par delà de la frontière des Ouakedis.
Ce soulèvement, depuis son origine, en septembre 1897, a coûté aux An-
glais 7 Européens (i missionnaire et 6 officiers), 300 chrétiens Bagandas,
100 Souahélis et 20 soldats des troupes hindoues envoyées de Mombassa au
major Macdonald.
Abyvsinie : Lazaristes français, — Les Lazaristes français viennent de
s'établir de nouveau en Abyssinie. Ils avaient évangélisé TErythrée et le nord
du Tigré dès 1839, époque où le P. de Jacobis avait fondé la mission de
Keren; le cardinal Guglielmo Massaja. capucin italien, y vint en 1846 et y
resta 35 ans ; il y consacra évéque le père de Jacobis, visita le premier.
Bonga dans le Kafifa en 1835, et écrivit une grammaire galla.
En 1891, les Lazaristes français furt^nt contraints par les Italiens de quitter
le pays où les Pères capucins do Florence les remplacèrent.
En 1897, le Pape autorisa les Lazaristes français à regagner TAbyssinie.
Les Italiens lour ayant refusé le passage par Massaouah, ils partirent de Dji-
bouti, d'où ils ont atteint Harrar en décembre 1897, après avoir rencontré en
route la mission française de M. de Poncins. Les lazaristes ont été reçus à
Harrar par Tévéquo fr&nçais du pays galla, Mgr Taurin ; qui est installé là de-
puis 1881. De Harrar, les Lazaristes se sont dirigés sur Addis-Abeba, et au
nord sur le Tigré et TAgamé.
ASIE
Inde IrEUlçaise : Suppression des cipahis, — Un décret vient de décider
la suppression du corps des cipahis ou cipayes de Tlnde française et son rem-
placement par une milice. Le licenciement s*effectuera à Pondichér> le
le^ juin 1898.
Le corps des cipahis (de sipahiy homme de guerre), fut, d'après VAlmanaeh
du Marsouin, créé par Dupleix qui, avec cette troupe hindoue, soutint la
lutte contre les Anglais, défendit Pondichéry et conquit le Dekkan. L'ordon-
nance du 12 novembre 1878 réorganisa le corps des cipayes, qui forma il
compagnies. En 1778, la guerre avec les Anglais fit augmenter leur effectif.
Mais, après la paix de 1783, ils furent réduits de 5 bataillons de 10 compa-
gnies (à 100 hommes) à un bataillon de 600 hommes. Lorsque nos comploii-s
furent pris par les Anglais, le corps des cipayes fut dissous. Le Premier
consul le réorganisa après la paix d*Amiens, et plus tard les cipaves sou-
tinrent le 5^ siège de Pondichéry contre les Anglais.
i\os comptoirs nous ayant été rendus en 1814, on ne laissa subsister que
4 compagnies de cipayes qui furent réduites à 2 en 1867. Ces modestes com-
pagnies, dernier vestige de notre ancienne puissance aux Indes, portaient,
I>araît-il, ombrage aux Anglais qui obtinrent, en 1889, que le corps fut réduit
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES J81
à une seule compagnie. En 1891, elle eut môme été supprimée sans Toppo-
sition du Sénat. C'est cette compagnie, qui comprenait 1 capitaine, 2 lieu-
tenants d'infanterie de marine, !2 lieutenants indigènes et 150 soldais indi-
gènes que les nécessités budgétaires viennent de conduire à supprimer. Ces
« nécessités » sont biejx incompréhensibles pour un pays dont le budget
dépasse 3 milliards.
ATinam : Famine, — La Ikmine exerce actuellement ses ravages dans
plusieurs provinces de TAnnam et ses désasti-eux effets se feront sans
doute sentir jusqu'à la prochaine récolte. A Hué, des distributions gratuites
de riz ont été organis(^es, mais elles ont eu des résultats bien inattendus.
Tout -d'abord, les affamés de toute la province sont accourus et la capitale a
été transformée en une espèce de cour des miracles. Ensuite, ces affamés se
sont jetés sur le riz qu'ils ont dévoré et sont morts peu après. En différents
endroits, on a entrepris des travaux afin d'assurer quelque nourriture aux
indigènes pouvant encore travailler. Malgré l'affreuse misère qui règne, les
Annamites qui sont fatalistes ont observé partout le plus grand calme; il n'y
a eu ni soulèvement ni pillage, et les magasins des Chinois qui contenaient
un peu de riz, n'ont été l'objet d'aucune menace.
' Corée : Trailé russo- japonais, ■— Le Messager officiel de SainL-Pélersbourg
(11 mai) a publié le communiqué suivant :
Depuis la fin de la guerre sino-japonaise, le gouvernement impérial n'a
cessé de mettre tous ses soins à assurer l'intégrité complète et l'indépendance
de l'État coréen. Au début, lorsqu'il s'est agi de poser les bases solides de
l'organisation financière et militaire du jeune État, il était naturel que
celui-ci ne put se passer d'un soutien étranger. C'est pourquoi, en 1896, le
souverain de Corée avait adressé à l'empereur la demande instante d'envoyer
à Séoul des instructeurs et un conseiller militaire russes.
Grâce à Fassistance que la Russie lui a témoignée en temps utile, la Corde
est entrée maintenant dans une voie où elle peut se sulïire à elle-même sous
le rapport administratif. Cette circonstance a donné à la Russie et au Japon
la possibilité de procéder à un échange d'idées amical pour déterminer d'une
manière claire et précise les relations réciproques des deux États en pré-
sence de la situation nouvellement créée dans la péninsule coréenne.
Les pourparlers en question ont abouti à la conclusion de l'arrangement
ci-dessous, destiné à compléter le protocole de Moscou, et qui a été signé
d'ordre de l'empereur par notre ministre à Tokio.
Par stipulation essentielle de cet arrangement , les deux gouvernements
confirment définitivement la reconnaissance par eux de la souveraineté et de
l'entière indépendance de l'empire coréen, et prennent en même temps l'en-
gagement mutuel de s'abstenir de toute ingérence dans les affaires intérieures
de ce pays. Dans le cas où la Corée aurait besoin de l'assistance d'un des
Étals contractants, la Russie et le Japon s'engagent à ne prendre aucune
mesure, concernant la CoréO) sans accord préalable entre eux.
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382 REVUE FRANÇAISE
PROTOCOLE
Le conseiller d'État et chambellan, baron de Rosen, envoyé extraordinaire
et le minisire des affaires étrangères du Japon, afin de donner suite à Tar-
ticle 4 du protocole signé à Moscou le 28 mai/9 juin 1896 , entre le prince
Lobanof et le marquis Yamagata, dûment autorisés à cet effet, ont convenu
les articles suivants :
Article l*^^ Les gouvernements impériaux de Russie et du Japon recon-
naissent définitivement la souveraineté et l'entière indépendance de la Corée,
et s'engagent mutuellement à s'abstenir de toute ingérence directe dans les
affaires intérieures de ce pays.
Art. 2. Désirant écarter toute cause possible de malentendu dans Tavenir
les gouvernements impériaux de la Russie et du Japon s'engagent mutuelle-
ment, dans le cas où la Corée aurait recours au conseil et à l'assistance soit
de la Russie , soit du Japon , à ne prendre aucune mesure pour la nomina-
tion d'instructeurs militaires et de conseillers financiers, sans arriver préa-
lablement à un accord mutuel à ce sujet.
Art. 3. Vu le large développement pris par les entreprises commerciales
et industrielles du Japon en Corée, ainsi que le nombre considérable de su-
jets japonais résidant dans ce pays, le gouvernement russe n'entravera point
le développement des relations commerciales et industrielles entre le Japon
et la Corée.
Fait à Tokio, en double, le 13/2r) avril 1898.
ROSKN-NISHI .
L'acte diplomatique ci -dessus témoigne que les deux États ont reconnu
tout naturellement la nécessité d'assurer réciproquement la tranquillité dans
la péninsule voisine, en sauvegardant l'indépendace politique et Tordre in-
térieur du jeune empire coréen.
A la suite de la conclusion de cet arrangement amical, la Russie se trouve
à même de diriger tous ses efforts vers l'accomplissemet de la tâche histo-
rique et essentiellement pacifi(iue qui lui incombe sur les l3ords du grand
Océan.
Japon : Nouveaux services maritimes, — Le Japon ne cesse de poursuivre
son extension commerciale et maritime. La Compagnie de navigation
« Osaka Shoser Kvaisha » vient de créer deux nouvelles lignes. La première
met Kobé en relations avec Hong-Kong et fait escale à Moji et à Formose ;
on se propose de la prolonger jusqu'à Saïgon pour y créer une nouvelle
concurrence aux produits français. Le service est fait par 2 paquebots de
1.700 tonneaux et de 10 nœuds de vitesse, auxquels va bientôt s'ajouter un
3® bâtiment; les départs ont lieu tous les 20 jours.
La 2e ligne dessert les ports du Yang-tsé-Kiang, de Shanghaï à Hankéou ;
elle ne comprend encore que 2 bateaux, qui vont être remplacés par
5 vapeurs, dont 3 iront de Shanghaï â Hankéou et les 2 autres de Hankéou
à Tchung-King, dans la province de Sé-Tchuen. Ces derniers, comme ceux
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 383 I
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de Sibérie, seront à fond plat et mus par des roues placées à Tarrière. Les |
trois compagnies de navigation qui se partageaient jusqu'ici le trafic du
Yang-tsé Kiang, et dont les actionnaires sont surtout Chinois, bien que deux
d'entre elles battent pavillon anglais; voient d'un mauvais œil cette concur-
rence japonaise au cœur même du Céleste empire.
Weï-Hfid-Weï : Occupation anglaise. — On se rappelle que, par l'un |
des derniers traités, la Chine cédait à bail à l'Angleterre le port Weï-Haï- I
Weï. Mais cette place était encore occupée par les Japonais et l'occupation
pouvait se prolonger assez longtemps si l'indemnité de guerre chinoise
n'était payée que par fractions. Mais, sous l'inspiration britannique, l'em-
prunt chinois a été rapidement souscrit et le paiement intégral du restant
de l'indemnité effectué très peu de temps après. 11 ne restait donc plus au
Japon qu'à s'exécuter ; c'est ce qu'il vient de faire. Les Chinois ont occupé
la place le 16 mai, aussitôt après le départ des Japonais et les Anglais ont
opéré leur débarquement le 17. Les drapeaux chinois et anglais flotteront
ensemble jusqu'à ce que la remise complète des forts ait été effectuée. Le
drapeau chinois sera alors retiré.
Espagne : Marine marchande, -*• La marine marchande espagnole com*
prenait au l^»" janvier 1898, 562 vapeurs de plus de 50 tonneaux, avec un ton-
nage total de 499.200 t. et une force de 93.775 chevaux; 191 de ces navires
ont plus de i.OOO t. c'est la province de Bilbao qui possède le plus de navires
(151 vapeurs avec 200.052 t.); celle de Barcelone ne vient qu'au 2® rang
avec 97.738 t. pour 75 navires. La Havane (Cuba) vient au 5® rang avec
21.400 t. Manille (Philippines) au 8^; Cienfuegos (Cuba) au 9®.
La flotte marchande à voiles de l'Espagne se compose de 1.125 voiliers de
plus de 50 t. jaugeant 158.700 t. La province de Manille est celle qui possède
le plus de voiliers (306); viennent ensuite les provinces de Barcelone (150),
de la Havane (108) et de Majorque (102).
Le port de Bilbao prend chaque jom* une importance croissante; pour
1897-98, son augmentation a été de 13 navires et do 21.900 t. ; dans
le courant de l'année le nombre des navires à voiles a diminué de 334 (avec
32.800 t), tandis que celui des vapeurs s'est augmenté de i8, quoique le
tonnage ait là aussi diminué (de 62.300 t.). Barcelone a subi une perte
sérieuse de 18 vapeurs (78.900 1.) et 83 voiliers (21.ÎK)0 t.). La province de la
Havane a perdu aussi 47 navires et 10.170 t.
BIBLIOGRAPHIE |
Au oap Nord, par Cn. Rabot, 1 \ol. avec gravures et 4 cartes, Hachette, éditeur.
— M. Ch. Rabot dont le nom fait autorité pour tout ce qui concerne les régions
boréales et glaciaires, publie sous ce titre un ouvi-age qui est à la fois un récit de ses
voyages (on sait que M. Rabot connaît à fond la Norvège et la Laponie) et un guide
pour les touristes qui, chaque, été visitent en grand nombre les pays Scandinaves. Cesi
de la Norvège septentrionale et de la Finlande qu'il est question ici, en attendant la
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384 UEVUE FRANÇAISE
publication du deuxième volume. La région des fjords, des glaciers, des £orél8 défile
tour à tour sous les yeux du lecteur ainsi que les chapitres relatifs à la chasse et à la
pêche, même celle de la baleine. Nous ne saurions donc trop recommander cet ouvrage
qui n'a pas son similaire en France.
Aux Indes (MadraSy Nizam^ Cashmire^ Bengale), par Georges Noblemaire.
Un vol. in-16. Hachette, éditeur. — Diversité, c'était la devise du poète, et c'est
celle aussi, semble- l-il, de l'aimable auteur de ce journal de voyage. Du petit
peuple indigène rencontré sur les routes au grand monde des fonctionnaires et officiers
anglais, et de l'échoppe du marchand au palais du maharajab, scènes de la rue, de la
vie de salon, courses à travers la jungle et sports élégants, danse des bayadères, céfé-
raonies du culte, chasses émouvantes ou d'une imprévue drôlerie, curiosités artistiques
et magnificences de la nature, notre voyageur a tout observé, tout décrit. Le style de
cet écrivain, qui ne veut pas être « un auteur » mais « un homme », est aussi varié
que les sujets dont il traite.
Alerte et spirituel, instructif, généreux et charmant — par endroit, une pointe de
sensibilité, un graih de satire, — Irt^s impartial envei*s l'étranger, tout pénétré cepen-
dant de l'amour contenu, mais vivace, de la patrie lointaine, jeune, en un mot, tel
est ce livre qu'il faut lire, ce récit d'un voyage aux Indes, par un officier français.
Un voyage au Laos, par le Docteur Lefèvue. 1 vol. jn-18, Pion, éditeur.
— Membre de la 2» mission Pavie en Indo-Chine, M. le D' Lefèvre vient de faire
paraître un très intéressant Voyage au Laos, L'auteur a pris part aux travaux de
la Commission franco-anglaise chargée, en vertu du protocole signé à Paris en
1894, de délimiter les frontières des possessions de la France et de l'Angleterre sur
les rives du Mékqng, dans la région de Muong-Sing, là où ne put être créé un État
tampon. C'est au cours de ses voyages que M. le D' Lefèvre a reeueilli les notes qu'il
livre aujourd'hui à la publicité, l-^rites chaque soir à l'étape, avec l'impression tonte
fraîche des choses vues, ces pages constituent un guide précis et détaillé qui nous fait
connaître à fond le haut Laos de la frontière chinoise à Luang-Prabang et à Hanoï.
Cet ouvrage est accompagné d'un très grand nombre de gravures fort curieuses et
d'une carte de ces territoires mal connus.
Voyage au pays des Fjords, par Antoine Salles, 1 vol. Ln-18, Pion, édi-
teur. — La. Suède et laNorw^e sont à la modp. Les productions littéraires, picturale*
et musicales des pay^ Scandinaves sont plus goûtés que jamais. Mais si nous aimons
les écrivains et les artistes, nous ignorons trop le pays, pourtant si original et si
pittoresque. M. Antoine Salles, que le ministère de l'instruction publique avait
chargé de mission, répare cette lacune en publiant ses notes de voyage: Au pays
des fjords. Vue carte et de nombreuses phototypies illustrent fort agréablement ce
livre, qui nous fait connaître les merveilles de la nature du Nord. C'est à roccasioo
de l'exposition de Stockholm que l'auteur a visité la péninsule Scandinave qu'il tra-
verse de part en part, de Stockholm à Trondjem et de Trondjem à Christiania,
avant de suivre tout le littoral norvvégien de Bergen au cap Nord.
Le Gérant, Edouard MAKBËAO.
IMPRIUERtE CUAIX, RUB BEROÈRK, SO, PARIS. — H72S-5-98. — (IlCn UrflkU).
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LA CONVENTION DU NIGER
Après de longues et laborieuses négociations, la France el l'Angleterre
sont arrivées à se mettre d'accord sur la fixation de leurs frontières
respectives dans le bassin du Niger. Une première commission composée
des représentants des deux pays et réunie à Paris au début de 1896,
n'avait pu aboutir par suite des prétentions exagérées de l'Angleterre.
Mais nos explorateurs et nos soldats gagnant de plus en plus du terrain
dans la boucle du Niger au détriment des visées britanniques, le cabi-
net de Saint-James crut prudent de reprendre les négociations, avec la
pensée de chercher à gagner au moins du temps, s'il ne pouvait arriver
à un accord.
C'est dans ce but que les pourparlers reprirent entre les nouveaux
commissaires, MM. Binger et R. Lecomte, pour la France, M. Gosselin
et le colonel Everett, pour l'Angleterre, désignés par leurs gouverne-
ments. Nos plénipotentiaires, au talent et à l'expérience desquels on ne
peut que rendre hommage, se demandèrent pendant assez longtemps,
en présence des lenteurs calculées de leurs collègues britanniques, si tous
leurs efforts ne seraient pas vains. Après bien des difficultés et 9 mois
de négociations, ils viennent enfin d'aboutir, grâce à l'esprit conci-
liant du premier ministre britannique lord Salisbury, et de nos ministres
des affaires étrangères et des colonies, MM. Hanotaux et André Lebon.
Voici les grandes lignes de la convention, qui a été signée à Paris le 14 juin
et dont le texte officiel n'a pas encore été publié.
Le différend entre les deux pays portait sur deux régions bien dis-
tinctes : l'hinterland des colonies de la Côte d'Ivoire et de la Côte d'Or
d'une part; celui du Dahomey et du Lagos de l'autre. Dans la première
r^on, les Anglais revendiquaient une importante partie du bassin de
la Volta et leurs atlas allaient même jusqu à comprendre dans leur sphère
d'influence le Mossi, bien que ce pays n'ait jamais été parcouru ni par
un explorateur ni par un soldat britanniques.
Dans la région du Niger, les prétentions des Anglais étaient encore
plus grandes. Ils revendiquaient en elïet tout le pays à l'est d'une ligne
droite prolongeant la frontière franco-anglaise du Dahomey, à partir du
9^ parallèle jusqu'à Say, sur le Niger. Ils se basaient pour cela sur l'in-
terprétation de la convention de 1891), interprétation qui n'a jamais été
xiiii (Juillet 98). N- 235. 25
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386
REVUE FRANÇAISE
admise en France, la convention étant absolument muette sur ce point.
De notre côté nous revendiquions cette région jusques et y compris
Boussa, afin d'avoir accès au bas Nij^er navigable. Nous avions pour
nous, outre des traités, une occupation effective, conformément aux
principes reconnus en matière d'extension territoriale en Afrique.
Peu à peu les niîgociateurs des deux pays finirent par abandonner
leurs prétentions extrêmes et quatre points importants restèrent seuls,
mais fort longtemps, en discussion. C'étaient Houna et Oua sur la Volta,
Nikki et Boussa au Niger. Bref, pour arriver à une solution on fit une
cote mal taillée : Bouna qui était Toccupépar les Anglais depuis le guet-
apens où périt le capitaine Braulot et Oua, où nous avions un poste,
faisaient Tobjet d'un échange. Sur le Niger, l'Angleterre nous i-econnais-
sait Nikki et nous lui abandonnions Boussa et l'accès du bas Niger,
Ces concessions arrivaient-elles à se compenser? 11 faut reconnaître
que non, que Ton se place au point do vue des traités signés avec les
indigènes ou de l'occupation effective. En nous abandonnant Bouiia,
TAngleterre nous reconnaît une frontière naturelle, le cours de la Volta,
rivière importante en ce qu'elle est navigable pour des pirogues pen-
dant toute l'année. En revanche, nous lui abandonnons non seulement
Oua, mais encore une importante portion du Gourounsi, où notre
frontière naturelle paraissait devoir être le Poplogon, après les explora-
tions Voulet et Chanoine et Toccupation qui en avait été la consé-
quence.
Au Niger, les concessions faites à l'Angleterre ont une valeur plus
considérable encore. Les divers traités passés à Nikki et à Boussa par
les explorateurs des deux nations ne laissaient pas que de susciter de
vives controverses. Et si les négociateurs, pour sortir des difficultés
qui en résultaient, ont pris le parti de partager le différend, ils l'ont fait
dans un sens bien favorable à TAngleterre. En effet la ligne fron-
tière qui part du Dahomey au 9* degré et passe plus près de Nikki que
de Boussa, ne va pas aboutir directement au Niger. Elle décrit une
courbe vers le N. 0. et n'atteint le Niger qu'à 10 milles en amont
d'ilo.
On sait que le Niger forme au-dessus de Boussa une série de cata-
ractes qui rendent la navigation absolument impraticable. En occupant
un point situé au-dessous de Boussa, la France pouvait avoir accès à la
mer par le bas Niger, qui est navigable. La convention nous enlève
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'T^mW^^^^^
LA CONVENTION DU NIGER , 387
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cet avantage, que les sacrifices faits par la France semblaient devoir lui
accorder et nous rejette dans Tintérieur des terres.
Mais ce n*est pas tout. La convention en accordant à l'Angleterre le ^
cours du Niger jusqu'en amont dllo nous coupe de la route des cara-
vanes se rendant du Gando. du Sokoto et de la région du Tchad sur
la rive droite du Niger. En effet c'est à Guiris, le port d'IIo, que ces
caravanes franchissent ordinairement le fleuve. Ces localités étimt de- i^j
venues anglaises bien qu'il n'y ait eu ni occupation effectuée, ni même
de traité signé par nos voisins, les caravanes seront naturellement in-
duites à prendre la route qui mène à Lagos et à abandonner celle du
Dahomey.
Là comme aUleurs, les Anglais ont su se faire attribuer la meilleure
part, car les caravanes, importantes par le nombre des personnes et la
valeur des marchandises,qui apportent les produits du nord de l'Afrique :
sel, cuirs, bœufs, chevaux, etc., pour les échanger contre ceux de la
zone tropicale, font un commerce très rémunérateur. Ilo, qui est îa plus
grosse ville des bords du Niger, compte environ 20 000 habitants et
son marché ordinaire est très fréquenté.
Pour la mise en valeur de nos possessions du Niger, Ilo avait encore
une autre importance pour la France: c'était le terminus naturel du
chemin de fer qui, partant du. Dahomey, devait, par Carnotville et
Nikki, aboutir au Niger. Il faudra désormais reporter plus au nord ce
chemin de fer, qui n'aura plus pour terminus que des villages sans po-
pulation et sans trafic, car on ne déplace pas ainsi les courants com-
merciaux étabhs.
La convention du 14 juin ne règle pas seulement les frontières de
la boucle du Niger, elle détermine aussi celles comprises entre la rive
gauche de ce fleuve et le lac Tchad.
La convention du 5 août 1890 avait établi une ligne frontière allant
de Say sur le Niger à Barroua sur le lac Tchad. Cette convention avait
été très diversement interprêtée des deux côtés de la Manche. En France,
à cette époque où il était beaucoup question de créer un chemin de fer
transsaharien aboutissant au lac Tchad, on avait été surtout préoccupé
du désir de s'assurer l'accès du lac. On considérait donc la ligne Say-
Barroua comme la limite minima de l'hinterland, de l'Algérie et delà
Tunisie, nous laissant toute liberté d'action dans la région du Niger et
et de la Bénoué, à l'exception du Sokoto que nous reconnaissions ap-
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388 REVUE FRANÇAISE
partenir à la âphère d'influence anglaise, en vertu d'im traité passé par
la C'*^ du Niger, traité qui n'a jamais existé et dont les négociateurs
français ont été dupes. En Angleterre au contraire, on considérait le
pays compris entre la ligne Say-Barroua et la mer comme rentrant
dans la zone de la C'** anglaise du Niger.
La question est aujourd'hui tranchée. La France, par la convention
du 14 juin, reconnaît formellement le territoire en question comme
rentrant dans la sphère anglaise, la rive nord et est du lac Tchad, entre
Barroua et la frontière allemande, rentrant dans la sphère française.
Mais en même temps le tracé de la ligne Barroua-Say est sensible-
ment modifié. Au lieu de partir de Say, la frontière de la rive gauche
du Niger prend son point de départ à 10 milles en amont dllo, où aboutit
le tracé du Dahomey, décrit un demi-cercle avec un rayon de 100 milles
au nord de Sokoto, redescend du 14* parallèle jusqu'au parallèle H'^SO,
formant ainsi une vaste territoire autour de Zinder. reconnu comme
sphère française, et, après avoir rejoint à nouveau le 14* parallèle,
vient aboutir à Barroua.
Au point de vue commercial la convention établit l'égalité de traite-
ment pour les produits des deux nations dans les colonies françaises et
anglaises délimitées pour une durée de trente années, chaque puis-
sance restant cependant maîtresse de ses tarifs. Le commerce français
pourra ainsi bénéficier des possessions anglaises du golfe de Guinée,
mais il est probable qu'il n'en usera guère. La réciproque existera au
profit du commerce anglais dans nos possessions de la Côte d'Ivoire et
du Dahomey, et il ne manquera pas d'en profiter.
Enfin, pour rendre possible la navigation sur le Niger, l'Angleterre
donne à bail à la France pour une durée de 30 ans, deux enclaves à
déterminer sur le Niger: Tune entre Léaba et la rivière Mossi (ou
Moussa), l'autre sur l'une des bouches du Niger. Chacime de cfô
enclaves ne pouri-a avoir plus de 400 mètres de rives et plus de 30 hec-
tares de superficie.
On sait comment la Royal Niger Company a réussi à rendre impos-
sible la navigation du fleuve à tous autres qu'à ses associés, grâce à un
règlement draconien et à des vexations de toute nature. Le gouverne-
ment britannique, s'engage, dans un protocole annexe, à examiner
immédiatement avec le gouvernement français le règlement en question
en vue d'écarter les dispositions restrictives pour la navigation. Ce ne
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I.A CONVENTION DU NIGER 389
sera, en somme, que se conformer aux dispositions de TacLe de Berlin,
Si le cabinet anglais est ferme dans ses intentions, on peuf prédire la
transformation prochaine de la Compagnie du Niger et peut-être même
sa complète disparition, ce dont personne ne se plaindra en France
comme en d'autres pays.
Si Ton dégage maintenant la convention de ses aperçus partieuliera,
on doit s'estimer heureux de sa conclusion en ce sens qu'elle met un
terme aux nombreux différends qui avaient surgi entre la France et
TAngleterre dans l'Afrique occidentale, différends qui, à plus d'une
reprise, avaient pris un caractère aigu. Elle clôt ainsi la série des traités
qui ont délimité successivement la Gambie, la Guinée* Sierra Leone et
le Dahomey. Vis à vis des autres puissances (Portu^^il, Ailemagne,
Congo), notre situation est également réglée. Seule la frontière entre le
Togo et la Côte-d'Or fait encore l'objet d'une discussion entre l'Alle-
magne et l'Angleterre.
Aujourd'hui toutes nos possessions du nord etdelouesL de l'Afrique
peuvent communiquer entre elles par leur hinterland. La convention du
14 juin n'établit pas le fait, car même sans sa conclusion la Côtedlvoirc
et le Dahomey n'en avaient pas moins effectué leur jonction avec le Soudan,
mais elle le consacre et le garantit. A nous maintenant de savoir lin^^
parti de cet immense empire colonial, huit fois graiid comme le
territoire de la France si l'on y comprend le vaste désert tUï Sahiira.
Une seule question reste encore à régler en Afrique mire la France
et l'Angleterre, mais c'est la plus délicate et la plus dillicile : celle de
l'Egypte et du bassin du Nil.
Georges Dh:MÂ!>fCHK^
1
I
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D'OMSK A VIERNIY
n
(1)
Semipalatinsky « la ville des Sept Palais ». — Églises et mosquées, —
Promenade dans les lies de r Irtych. — Première entrevue avec les
Kirghises, — Une représentation d'amateurs au Cercle. — Dépari
matinal. — Oit on fait connaissance avec le moelleux tarentass.
Lorsque Pallas, au cours de son mémorable voyage à travers la Sibé-
rie, arriva à Semipalatinsk (qu'il appelle Semipalatnaia), il fut bien
embarrassé de retrouver les sept Palais qui avaient donné leur nom à la
cité. Son prédécesseur Gmelin avait été plus heureux : « Les Russes,
dit-il, dans sa relation, ont nommé ^cet endroit Sempalat, parce que
Ton y voit les restes de sept maisons bâties en pierre ; on les appelle en
langue kalmoucke, le couvent de darchan Ifortchi. C'est une espèce de
couvent que ce Kalmouck idolâtre fit bâtir et qu'il habita ; U se com-
pose de six maisons élevées sans symétrie l'une auprès de Tautre ; on
voit encore dans Tune de ces maisons deux 'idoles de bois qui repré-
sentent des ours. » Pallas ne vit les maisons, ni les ours ; à plus forte
raison ne les cherclierons-nous pas aujourd'hui.
A l'époque du voyage de Pallas, Semipalatinsk était une importante
forteresse de la ligne fortifiée de l'Yrtych et en môme temps le princi-
pal marché des Russes au sud de leurs possessions de la Sibérie occi-
dentale, « L'ancienne forteresse, écrit Pallas, forme un carré revêtu de
remparts de charpente, contre lesquels on a construit des casernes dans
Hntérieur. Elle est entourée d'un fossé ; deux tours servent de porte. On
y voit une vieille église de bois, deux maisons pour les commandants,
le bâtiment de la chancellerie, un magasin à poudre et un autre pour
les vivres. Elle a un faubourg au-dessus et un second au dessous ; ils
renferment deux cents maisons. Le plus grand nombre des habitants
est composé de Cosaques et de dragons réformés. On remarque
cependant parmi eux beaucoup de négociants et de marchands. Le lieu
d'échange avec les nomades est à 12 verstes de la forteresse ; la plupart
des marchands étrangers viennent de Tachkent et de la petite
Boukharie. »
Le fort de Semipalatinsk a été fondé en 1718 ; la ville devint ensuite
(1) Voir Rev, Fr., juin 1898, p. 329.
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D'OMSK A VIERNIY 391
un chef-lieu de cercle du gouvernement de Kolivan, pour retomber en
1804 au rang de simple cité. Elle est le chef-lieu d'un gouvernement
de la Sibérie occidentale depuis 1854.
Semipalatinsk n a pas eu jusqu'à ce jour une bonne presse géogra-
phique ; la plupart des voyageurs — particulièrement les explorateurs
français — qui y ont séjourné quelques heures en allant en Chine ou
en revenant du Turkestan, lui ont fait la plus déplorable réputation :
climat polaire en hiver, climat torride en (Jté, ville à demi envahie par
les sables et destinée à disparaître à bref délai, etc. Un peu la résultante
de Tétat psychique du voyageur. En réalité Semipalatinsk n'est ni
pire que les autres villes de la Sibérie occidentale : c'est une cité sibé-
rienne et ces deux mots disent tout.
Son climat ne diffère guère de celui d'Omsk où on est gratifié d'un
écart de 37" degrés au-dessus de zéro, à 40* au-dessous ; ses environs
valent les environs d'Omsk, et la ville n'est pas encore disparue sous
les sables puisqu'elle tend au contraire à s'accroître. Beaucoup de boue
en hiver; beaucoup de poussière en été : mais c'est le lot de tous les
centres habités du pays sibérien. Evidemment pour nous autres occi-
dentaux accoutumés à notre confort, un séjour prolongé à Semipala-
tinsk semblerait le plus cruel des exils; croyez- vous toutefois qu'Omsk
ou que Tobolsk soient des lieux d'agrément, des stations balnéaires?
Les maisons de Semipalatinsk sont en bois; les rues, les places affec-
tent des proportions démesurées, pas le moindre pavage, pas le moin-
dre dallage; s'il en était autrement, Semipalatinsk constituerait la plus
heureuse des exceptions. Ne médisons donc pas trop de Semipalatinsk,
qui ne mérite certes pas tous les anathèmes des voyageurs. J'ajouterai
même qu'au printemps, l'Irtych, avec ses îles toutes vertes, boisées,
émaillées de fleurs multicolores, offre un gracieux panorama.
En outre, Semipalatinsk a un cachet beaucoup plus asiatique que les
villes du gouvernement de Tobolsk ou du gouvernement d'Akmolinsk.
A côté des églises aux clochetons et aux coupoles bariolés de vert, se
dressent les flèches élégantes des minarets mu>ulmans; le turban des
mollahs y voisine avec la robe des popes, et de ce contact de plusieurs
races, de plusieurs civilisations, naît une variété d'édifices et de cos-
tumes qui intéresse le voyage et le prépare aux surprises de l'Asie cen-
trale. Il ne faut pas voir Semipalatinsk en revenant du Turkestan, il
faut le voir en y allant.
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392 KEVUE FRANÇAISE
La majeure partie de la populatioa musulmane est composée de
Talars de Kazan et de Tatars d'Orenbourg, venus dans ces contrées
pour s*y livrer au commerce. Au bazar, simple réunion de pavillons en
bois, de boutiques peu profondes alignées le long d'une rue que de
larges flaques d'eau transforment actuellement en marécage, on trouve
beaucoup de produits qui proviennent de la Chine par Kobdo et Altais-
kaya Stanitza ou de Djarkent; si Semipalatmsk était en relations conti-
nuelles avec le reste de la Sibérie et avec TEurope, son mouvement
commercial atteindrait certainement d'importantes proportions. La navi-
gation fort active sur Tlrtych ne dure que du mois de mai au mois d'oc-
tobre. Sur la place principale, le bureau de police avec la haute tour
où veille sans cesse un guetteur pour annoncer les incendies, ce terrible
fléau des cités sibériennes.
Par extraordinaire, la gaslinitza (hôtel ou auberge... à votre choix),
où nous ont conduit les aimables envoyés du gouverneur est presque
convenable; elle est même ornée dans la vaste salle à manger de l'une
de ces monumentales boîtes à musique conçues par le génie artistique
des Allemands. Après avoir procédé à l'installation de nos bagages,
nous nous préparons à la visite classique chez le gouverneur, cette
visite en tenue de cérémonie que l'étiquette russe réclame jusque sur
les confins de TOcéan Glacial arctique. A dix heures, un landau attelé
de trois superbes chevaux s'arrête devant notre hôtel ; c'est le gouver-
neur, toujours bienfaisant, qui nous l'envoie pour nous promènera
travers la ville et aussi pour nous conduire à son palais. Le cocher, de
rouge et de noir habillé, avec de nobles plumes de paon sur un petit
chapeau aplati (tel un haut de forme occidental qui pendant cinq mi-
nutes aurait servi de coussin), a un air de gravité qui sied bien à ses
hautes fonctions. En même temps, arrive le maître de police qui nous
souhaite la bienvenue et se met à notre disposition ; un observateur et
un curieux; il donne force renseignements au professeur Wallenius
sur diverses inscriptions dans les environs de Kapal, et le professeur
est aux anges en l'écoutant.
Après avoir fait la joie des badauds — il y en a même dans les villes
sibériennes — notre majestueux équipage nous dépose à la porte du
palais du gouverneur, belle construction presque neuve, à l'aspect mo-
numental, et dont les pierres blanches tranchent sur les bâtisses de
bois environnantes. S. Ex. le générai Karpoff, gouverneur de la pro-
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D'OMSK A VIEHNIY 393
vince de Semipalatinsk, a é,té prévenu télégraphiquement de notre arri-
vée prochaine par S. Ex. le général baron Taubé, gouverneur générai
des Sleppes; il nous reçoit avec une grande amabilité et nous invite à
une petite fête intime qui doit avoir lieu le lendemain. Nous prenons
congé de lui, enchantés de son accueil cordial.
Ce jour-là, la gastinitza retentit des flons-flons sonores de son orgue
de Barbarie, à la grande joie des Asiatiques, tandis que le professeur
Wallenius pour nous prouver ses talents de linguiste, abreuve de phrases
tatars... et de verres de café fortement mélangeas d'eau-de-vie, un mal-
heureux négociant tatar, qui finit par s'aifaisser lourdement sur la
table et, vaincu par cette double éloquence, par s'y endormir du som-
meil du juste.
La journée est belle et une promenade à travers la ville nous permet
d en admirer les beautés... rares; après avoir rencontré quelques so-
lennels mollahs qui, grâce aux extraordinaires turbans dont leur chef
est coiffé, semblent avoir passé la tête à travers une citrouille, nous
arrivons sur la rive de Tlrtych. Ces quelques îles, qui étalent leur ver-
dure au milieu du fleuve, nous séduisent ; on hèle une barque et nous
voilà partis. Quelle barque, mon dieul elle est faite pour porter des
âmfô comme celles de la barque à Carou et non des êtres en chair et
en os; à chaque instant, je tremble de faire un naufrage en Irtych; un
jeune tatar pagaye à Tarrière et peu à peu nous approchons de l'île.
Christophe Colomb ne fut pas plus ému lorsque la vigie lui signala la
terre. Malheureusement, toute médaille à son revers, et, comme nous
sommes dans l'île, il nous faudra retourner par la même voie périlleuse.
En attendant, nous galopons comme des enfants à travers les belles
prairies qui, comme les papillons sortant de leurs chrysalides, viennent
à peine de dépouiller leur manteau de neige. Ici une théorie de blanches
anémones, plus loin un bouquet de renoncules dorées ou une couronne
de primevères mauves. Taches grises sur ce tapis aux couleurs tendres,
deux ou trois tentes de feutre, des wartesy d'où s'échappe une bande-
role de fumée dessinant de fines volutes : sans doute, le campement
printanier de quelques Kirghises qui, attirés par l'herbe savoureuse et
le frais ruisseau comme l'agneau de la fable, ont transporté dans cet
islet leurs pénates et leurs troupeaux. Allons.
Les Kirghises nous accueillent gracieusement, et, avec la dignité de
bons maîtres de maison, nous offrent de pénétrer dans leur portatif
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394 REVUE FRANÇAISE
logis. Le sol est recouvert partout de tapis, sauf au milieu, où un
espace laissé vide représente le fourneau de cuisine ; dans un vase en
métal, de forme élégante, le traditionnel koungan, le thé chauffe, tandis
que, sur un large foulard, Thôte éparpille quelques baoursaks. gâteaux
de la dimension d'un domino et d'une pâte à peu près semblable à
celle de nos beignets. L'un des Kirghises possède un accordéon — Bon-
valot a déjà dépeint l'amour inné et profond des Asiatiques pour cet
instrument aussi facile que peu encombrant — et, après l'absorption
de plusieurs tasses de thé, nous faisons le tour de l'île, précédés de
notre joueur d'accordéon, suivis d'une quinzaine de Kirghises grands
et petits : telle une noce de village.
Sur la plage sablonneuse du fleuve, Wallenius harangue les popula-
tions et nous nous rembarquons dans notre frôle esquif. Jje soir, pour
terminer une journée si bien remplie, représentation d'amateurs au
cercle : programme, un monologue et un vaudeville russe.
Le lendemain, réception et fête chez le gouverneur; on improvise un
bal joyeux ; comme contraste, afin d'être prêts à partir à la première
heure, nous allons coucher à la station de poste. Dura.,, lex, sed lex.
18 mai. — Réveil matinal, cinq heures; il va falloir perdre, parsdt-il,
les bonnes habitudes de quitHude et de paresse prises sur le vapeur les
Trois'ApôtreSj ou pendant notre séjour à Semipalatinsk. Ne croyez pas
toutefois, avec une naïveté égale à la mienne, qu'heure de réveil
signifie heure de départ ; ce n'est pas pour rien que nous sommes en
Asie. L'opération la plus compliquée est le chargement des bagages ;
de leur amarinement dépend le plus ou moins de meurtrissure de votre
échine pendant la durée du voyage. Je ne vous décrirai pas le tarentass;
sa description vous est déjà familière et je ne vous souhaite pas de
faire du reste plus ample et plus personnelle connaissance avec cette
horrible machine, dont on n'a jamais dit et dont on ne dira jamais assez
de mal.
Nous avons retenu deux tarentass : dans le premier, le baron de
Munck et le professeur Wallenius; dans le second, le lieutenant
Sakovlef et votre serviteur. Les cochers sont des cochers kirghises ; la
tête enfouie dans leur bonnet de fourrure aux ailes rabattues, nos auto-
médons ne manquent pas- de pittoresque ; le Kirghise n'apprécie que
les métiers qui le mettent en contact permanent avec le cheval; con-
duire Encéphale — je ne parlerai pas de Pégase — soit attelé, soit
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D'OMSK A VIERNIY 395
autrement, est l'unique travail auquel consentent ces vaillants de la
steppe.
Le maître de poste — le staroste — nous a délivré nos coupons jus-
qu'à Sergiopol, c'est-à-dire pour une distance de 2"! verstes 1/2, soit
289 kilomètres 419 mètres ; nous payons par voiture 15 roubles 54
(41 francs 85), dont 12 roubles 24 reviennent au maître de poste et
3 roubles 30 à la couronne. En outre, il faut compter un pourboire au
cocher, pourboire qui est normalement de 20 kopecks par station
(50 centimes).
On ouvre toutes grandes les portes de la sianziq et nous voilà partis
au galop à travers la ville. Les joyeuses clochettes de la douga (le
collier de milieu) ont été attachées, et on ne les détachera que lorsque
nous serons sortis de la ville ; il n*ya que les voitures des pompiers
qui, dans les villes, aient le droit de faire entendre ce réjouissant
carillon, devenu pour les populations Tannonce d'un terrible danger.
Voici la rive droite de llrtych ; une île toute verte, avec quelques
bâtiments en bois que Ton distingue à travers le feuillage, partage le
fleuve en deux bras. Pas de pont ; un simple bac, et le bac arrive à
peine à l'autre rive. Il faut attendre son retour et nous attendons long-
temps. Le vent est glacial ; la contemplation de llrtych avec de pareils
coups d'éventail ne porte pas à la méditation: mais inutile de tempêter,
de protester; en certains pays, la lenteur est un devoir professionnel.
Enfin le bac tant désiré accoste notre rive ; les cochers sont descendus
de leur siège ; ils conduisent doucement leurs lourds équipages sur le
ponton de bois, et bientôt nous glissons sur le fleuve. On traverse rapi-
dement l'île, où sont établis les chantiers de réparation des bacs et on
remonte sur un second bac, qui conduit de l'île à la rive gauche ; heu-
reusement celui-là est à quai de notre côté et nous ne perdons pas trop
de temps.
Sur la rive gauche une nouvelle ville se forme autour des hangars
de la Compagnie de navigation Botakof ; nouvelle ville née de la pros-
périté de la navigation sur l'Irtych, qui se développe de plus en plus
depuis la construction du chemin de fer transsibérien. Quelques habita-
tions de mariniers, des magasins où, sans traverser le fleuve, le Kir-
ghise de la steppe peut se procurer les objets qu'il demande à l'indus-
trie européenne, et aussi l'inévitable traktir, l'assommoir russe. Non
loin, le cimetière kirghise : des monuments en terre affectant les formes
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396 REVUE FRANÇAISE
les plus diverses, simple quadrilatère de basses murailles avec des
boules aux angles, imitation de chapelles avec des coupoles déjà bran-
lantes ; sur ces édifices en terre, l'action du temps est rapide ; bientôt
ils se lézardent, s'effritent, puis s'écroulent un beau jour d'un seul
coup, et la poussière retourne à la poussière.
Maintenant les clochettes ont été détachées ; elles vibrent, elles
chantent à travers l'espace et nos chevaux galopent fiévreusement.
L'air frais du matin nous fouette le visage ; on a comme une sensation
intense de liberté en cette immensité, au sortir de cette prison, la
ville. Derrière nous, les dernières maisons presque imperceptibles en la
brume cotonneuse ; en avant, à perte de vue, la steppe ; pas un arbre
dressant ses grands bras verdoyants, pas même un arbrisseau accroupi,
recroquevillé, se faisant bien petit devant le vent niveleur. Non, rien
qu'une vaste table toute verte, constellée de-ci de-là, de fleurs jaunes
ou d'absinthes à feuillage blanchâtre et luisant qui lui font comme un
fin et soyeux tapis, une délicate résille.
A l'horizon, quelques ondulations gazonnées, d'abord à peine dis-
tinctes, puis prenant forme à mesure que nous marchons au sud. Le
soleil a enfin ouvert le rideau de brouillard ; la journée sera belle et ma
première entrevue avec messire tarentass ne me paraît pas trop dés-
agréable. J'accuserais presque d'exagération mes prédécesseurs en
Sibérie ; hélas ! je ne reviendrai que trop vite sur cette favorable im-
pression ; mais le proverbe ne dit-il pas : « Tout nouveau, tout
beau j) ? La première station, celle d'Oulougouz, est à 26 kilomètres de
Semipalatinsk et nous mettons trois heures et demie pour parcourir
cette distance : une moyenne de 7 kilomètres 500 à l'heure ; c'est
faible ; il est vrai que nous avons perdu beaucoup de temps au passage
de l'Irtych.
Au pied des premières collines, une maisonnette en bois autour de
laquelle sont groupées trois ou quatre iourtes kirghises, les demeures
des cochers et de leurs familles ; à l'entrée, deux poteaux bariolés de
noir et de blanc, surmontés d'un écriteau qui porte le nom de la
station, la distance qui la sépare de la station précédente et de la
station suivante ; à l'intérieur : d'un côté le logement du siaroste ou
chef de station ; de l'autre, son bureau et la pièce réservée aux voya-
geurs. L'ameublement de cette dernière pièce est simple : une grande
table, deux canapés qui, la nuit, servent de hts ; im portrait de Tempe-
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J
DOMSR A VIERNIY 397
reur et les règlements de poste suspendus le long des murs blanchis à
la chaux * dans un coin, une image sainte, un icône, avec la veilleuse
toujours allumée. Derrière la station, une vaste cour et les écuries. Telle
est la station d'Oulougouz ; telles sont toutes les stations sur la route
de Vierniy à Semipalatinsk.
Nous ne changerons pas de tarentass, jusqu'à Sergiopol, ce qui nous
évitera d'ennuyeux transbordemenls de bagages ; mais il nous faut
naturellement changer de chevaux à chaque station ; or la poste vient
de passer, et nous ne pourrons avoir des chevaux qu'à 2 heures de
l'après-midi : cinq heures de séjour forcé à la station d'Oulougouz. Les
déjeuners sont rudimentaires dans une stanzia : du thé, des œufs à la
coque, du lait, ou du lait, des œufs à la coque et du thé; on ne fait que
modifier Tordre des facteurs ; dans ces conditions, le repas ne saurait
constituer une occupation suffisante pour remplir cinq heures d'arrêt.
Le lieutenant Sakovief est malade ; le professeur Wallenius trouve que
son sommeil de la nuit a été insuffisant ; laissant malade et paresseux
à la station, je pars donc à la découverte avec le baron de Munk plus
vaillant.
Le thermomètre ne marqueque6 degrés au-dessus de zéro mais en mar-
chant^ la température semble printanière. Un ruisselet gazouille, non
loin de la station entre des renoncules jaunes d'or, des primevères aux
couleurs tendres, des spirées enrubannées de blanches fleurettes. Nous
nous acheminons vers les collines ; deux superbes outardes partent
devant nous. La station de poste est à une altitude de 220 mètres au-
dessus du niveau de la mer ; ces collines atteignent 300 mètres ; elles
forment le prolongement vers l'Irtych de la chaîne de Bel-Merek et de
la chaîne d'Arkalyk.
A la descente, en nous dirigeant vei's la route — si on peut appeler
route cette simple piste tracée à travers la steppe par le pas des chevaux
et le sillage des voitures, — nous trouvons dans une ravine une pointe
de flèche en silex de l'époque de la pierre taillée ; il y a eu dans ces
parages une station préhistorique, et notre trouvaille réjouira le profes-
seur Wallenius.
Ding ! ding ! le carillon des clochettes de la douga ; les tarentass ne
sont pas loin ; nos amis ont en effet quitté la station, bientôt ils nous
rejoignent ; nous reprenons dans les voitures nos places respectives, et
en route ! Toujours le même tableau : la steppe avec des ondulations,
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L.
398 KEVUE FRANÇAISE
des moutonnements, des croupes ; la nature a épuisé tout le vert de sa
palette pour en teindre les crêtes de toutes ces vagues ; de-ci de-là,
dans les creux, quelques flaques de jaune, les renoncules se groupant
en bataillons serrés. Pas d'arbres : seuls, les poteaux télégraphiques
fusent vers le ciel et tranchent de leur silhouette décharnée de choses
mortes sur le paysage uniforme.
A rhorizon, une nouvelle ligne de collines, les collines d'Arkalyk,
qui, sur la gauche se soudent au Semi-tau (prononcez Semi-laau),
aperçu de Tlrtych en arrivant à Semipalatinsk : ce sont des ondula-
lations sans caractère, gazonnées comme les premiers plans et privée
de végétation arborescente. Nous arrivons à 4 heures 45 à la station
d'Arkalyk, 355 mètres. Cette fois, nous n'attendrons pas les chevaux;
il y en a un nombre suffisant de disponibles ; néanmoins, afin de ne
pas perdre les bonnes habitudes, le staroste et ses cochers kirghises
mettent encore 45 minutes pour atteler.
Nous repartons à 5 heures 30. Presque en sortant de la station, nous
passons la rivière Kartasanai-doul sur un pont qui domine majestueu-
sement les deux rives de ce cours d'eau... sans eau, alfluent théorique
(pour le inoment du moins) de l'Irtych. Les rivières à régime variable,
comme les oueds de l'Algérie et de la Tunisie, sont très fréquentes dans
ces régions; à sec, pendant la plus grande partie de l'année, elles de-
viennent après la fonte des neiges ou après les pluies abondantes, des
torrents furieux, roulant des masses d'eau considérables, et lorsque les
ingénieurs ont oublié d'y construire des ponts pareils à celui que nous
venons de franchir, tarentass et voyageurs risquent fort de se promener
mélancoliquement pendant des heures sur leurs rives désertes, sans
pouvoir passer.
Voici une nombreuse caravane kirghise, venant de la frontière de
Chine, qui fait la halte du soir; une soixantaine de petites voitures
sont rangées en bon ordre dans la steppe ; les chevaux dételés paissent
en liberté et mâchonnent à belles dents cette herbe qui. est à tout Je
monde; les hommes accroupis autour d'un grand feu écoutent chanter
l'eau qui bout dans les kounganes aux formes artistiques. Avec les
demi-teintes crépusculaires, quel joli tableau de genre 1
A une dizaine de verstes de la station, nous franchissons les collines
d'Arkalyk en un point dont l'altitude, d'après Finsch, est de 390 mètres;
les sonmiets varient entre 450 et 500 mètres. Le chemin est devenu
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D'OMSK A VIERNIY 399
très mauvais; nos tarentass roulent entre les cailloux, s'enfoncent dans
les ornières, se relèvent brusquement arrachés, emportés par le triple
effort des chevaux et le supplice de la dislocation commence; j'estimo
maintenant cfue le tarentass mérite sa déplorable réputation, à moins
qu'il ne faille faire retomber le premier tort sur le réseau vicinal de la
Sibérie. Nous nous arrêtons à 8 heures 35 du soir devant la statiun
d'Achi-koul. la troisième depuis Semipalatinsk ; notre vitesse moyenne
depuis ce malin a été de 9 kilomètres à Theure. xMon baromètre indique
une altitude de 330 mètres ; Finsch dit 320.
Beaucoup de voyageurs — ceux qui ne sont pas pressés — s'arrêtent
la nuit dans les stations de poste et interrompent leur voyage jusqu'au
lendemain, afin de prendre quelques heures de repos. Mes compagnons
sont pressés, paraît-il, car ils décident de marcher toute la nuit. Aprrs
un de ces repas de Lucullus qui nous sont familiers, nous repart<uis
d'Achi-koul à 10 heures 30 du soir. Le sommeil est impossible à causi?
des horribles cahots de la voilure, de secousses brutales, inattendut:'s,
qui vous projettent brusquement en avant ou vous renvoient en arrièi e
avec non moins de violence. La nuit est sombre; on distingue vague-
ment la région parcourue; tout ce que je puis constater, c'est le déplu-
rable état des chemins. Il y a une pente légère, mais sensible, et la sta-
tion de Djertar, où nous arrivons à minuit 30, se trouve à une altitudii
de 420 mètres (400 d'après Finsch).
19 mai. — Toujours au galop, dans la nuit, avec les mêmes dislo-
cations. Au petit jour, la station de Kizil-Mouiinskii, 490 mètres (44**,
d'après Finsch). Il fait presque froid (3"), et nous absorbons avec un
indicible plaisir force tasses de thé. Le staroste ne fournit que le samn-
var, l'eau et les verres; le voyageur doit emporter avec lui sa proviaii>ii
de thé et de sucre. On profite généralement de l'eau chaude du samo-
var pour y faire cuire des œufs, si on en trouve à la station. Autour d*'^
bâtiments rôdent des chiens faméliques, hirsutes, aussi hargneux qiiv
les chiens des douars arabes; l'hospitalité n'est pas précisément leur
vertu, et ils ne se prêtent nullement aux méditations et aux contempla-
tions du voyageur paysagiste : gare aux crocs de ces empêcheurs do
rêverie ! Sur la gauche, quelques collines de 500 à 520 mètres.
Le jour est venu : nous sommes sur un plateau herbeux, parsemé dt»
flaques d'eau, bosselé de-ci do-là de quelques croupes au dessin indécis ;
à l'horizon, au contraire, un profU hardi, étrange, fascinant; une scw
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400 REVUK FRANÇAISE
immense aux dents ébréchées; quelque chose comme la chaînette
des Baumes de Venise, dans le Comtat, qui fait une collerette de
dentelle au grand Ventoux ; en cette nature jusque-là si calme, si pla-
cide, il y a un déchirement, et, du sol éventré, ont surgi menaçantes
ces pointes déchiquetées, comme usées par cet éventrement de la terre.
A mesure que nous galopons dans la steppe, nous nous rapprochons
de cette chaîne d'Arkat, vraiment bien originale. Malgré sa faible alii-
tude, 7 à 800 mètres au-dessus du niveau de la mer, 340 à 4O0 mèlres
au-dessus du niveau de la steppe, elle vous impressionne, vous étonne. Ac-
cumulation d'aiguilles, de pointes effilées qui semblent vouloir poignarder
le ciel, de tourelles, de clochetons, de fiers donjons, de créneaux, de minus-
cules coupoles de marabouts ; chaos de rochers dépenaillés, loqueteux,
auxquels la nature n'a pas fait l'aumône du plus petit manteau de ver-
dure ; et tout cela, grimaçant, fantastique, dominant d'une masse som-
bre, noirâtre ou grisâtre, la steppe bien verte où le vent fait onduler les
herbes et frissonner les anémones. Quel regret de ne pouvoir s'arrêter,
passer quelques jours dans ces montagnes étranges, perchoirs d'aigles
et de vautours, où l'on ne doit entendre que le fracas des rocs qui s'é-
boulent, les rumeurs de la montagne en travail I
Geoi^es Saint-Yves.
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L'ECOLE MILITAIRE DE SAINÏ-CYR^^^
u
Nous allons entrer dans la partie de Thistoire de St-Cyr où le colonel
Titeux n'aura plus besoin de fouiller les archives, de compulser les mé-
moires privés des familles, de rassembler les témoignages et de faire
appel aux souvenirs des vétérans. Il n'aura qu'à relater les choses qu'il
a vues, les faits dont il a été le propre témoin. U était autorisé à parler
de rÉcole, si on en juge par le tableau des élèves sortis avec le n® 1.
M. Eugène Titeux y figure pour Tannée 1859. Autour de lui ont vécu
de la même vie, mangé à la même table, travaillé, souffert, combattu
et professé des camarades par centaines. Us sont encore là pour
approuver ou critiquer son œuvre. Quelques-uns, les incorrigibles,
diront sans doute que toute vérité n'est pas bonne à dire. Le général
du Barail n'est pas de cet avis. La première ligne de sa préface est digne
de son grand caractère et est le plus bel éloge qu'un écrivain puisse
envier.
« Voici un livre admirable de sincérité et de bonne foi, »
La guerre d'Afrique devait atteindre profondément Tarmée dans son
esprit, dans ses habitudes professionnelles. En apprenant les avance-
ments rapides à raison de la bravoure, sans préoccupation aucune de
l'instruction, les élèves de Saint-Cyr s'habituaient à considérer l'étude
comme une fastidieuse et inutile corvée. Si Ton obtenait d'être envoyé
en Afrique, on ne serait pas en peine pour montrer qu'il n'est nullement
besoin d'instruction pour faire un vigoureux et brillant officier. Et c'est
ce que firent, eu effet, un grand nombre d'élèves de l'École spéciale mi-
litaire, qui devinrent les généraux de 1870. Dédaigner toute instruction
n'empêchait nullement d'être un brillant officier, et le général ChoUeton
qui commandait Saint-Cyr, en 1880, se prononça officiellement dans ce
sens : « Sorti le dernier de ma promotion et toujours le plus puni,
dit-il aux élèves, cela ne m'a pas empêché d'être général le premier de
tous mes camarades ». i
En 1861, une commission, nommée par le ministre de la guerre,
avait nettement formulé son sentiment au sujet de l'altération toujours
(1) Voir Hw. Fr„ juin 1898, p. 339.
xxïn (Juillet 98). N» 235. 26
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402 REVUE FRANÇAISE
croissante dans les produits de TEcole militaire de Saint-Cyr. Le rap-
port conclut ainsi : « Les conséquences de cet état de choses sont mena-
çantes pour l'avenir de Tarmée ».
En 1867, le général Trochu écrivait : « La composition de Tétat-ma-
jor général français dépend le plus ordinairement des relations créées
par la fortune des situations ». Si la distribution de ravancement,
« pierre angulaire de l'édifice militaire », ajoute le colonel Titeux, est
surtout une affaire de chance, de relations, peut-on compter voir le§
élèves d'une école militaire chercher à se faire remarquer par des ef-
forts qui sont généralement sans influence sérieuse sur leur carrière?
Le général Hanrion eut le commandement de TÉcole de 1871 à 1880.
11 eut pour successeur le général Cholleton. Le passage du général Haii-
rion fut marqué, en 1873, par une réforme vainement réclamée depuis
trente ans. Les cours de première année, au lieu d'être une répétition
de ceux du lycée, devinrent professionnels. Cours élémentaires pour
la premiëre année, cours supérieurs pour la seconde année. En 1877,
le cours d'art et d'histoire militaire comprit, pour les examens de sor-
tie, l'établissement d'un méiboire sur l'ensemble du cours, permettant
d'apprécier les connaissances générale de l'élève. En 1879, le général
Trochu, en rendant hommage au progrès considérable dû à la réorga-
nisation de l'enseignement par le général Hanrion, n'hésitait pas à dé-
clarer que Saint-Cyr était un mauvais instrument, qu'il n'est pas d'en-
seignement possible pour un professeur qui s'adresse en même temps
â plusieurs centaines d'élèves ; qu'un tel mode d'enseignement à la vo-
lée ne peut offrir aucune solidité. Le 4 février 1880 Je général Haurion,
ûuque! l'Ecole de Saint-Cyr devait sa renaissance, fut brusquement
relevé de son commandement; le prétexte de sa disgrâce fut que l'esprit
de l'Ecole était trop clérical. Le général avait précisé, dans Tinstruc-
tion sur le senice intérieur, le nMe et le devoir des élèves dans les réu-
nions pour la chapelle. Il ne faisait que réglementer ce qui se prati-
quait à l'Ecole depuis sa fondation. De 1803 à 1880 la messe fut de ri-
gueur à Saint-Cyr, et c'est Napoléon qui la rendit obligatoire alors
qu'il était encore premier consul.
Le général Cholleton, dans son ordre du jour de prise de possession
du commandement, invite les professeurs et les officiers à l'aider pour
que l'Ecole soit uniquement nationale et spécialement militaire. Le colo-
nel Titeux dit que l'on s'est demandé ce que cela pouvait bien signifier.
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L'ÉCOLE MIUTAIRE DE SAL\T-CYH 403
car Saint-Cyr est une école française qui ne forme pas d'officiers sur
commande pour l'étranger; elle est spécialement militaire puisque tous
les jeunes gens qui sortent sont voués à la profession des armes. Le nou-
veau commandant ne parla pas de travail cette fois, mais visitant peu
après une étude d'anciens, il déclara qu'il ne se montrerait pas exigeant;
au sujet des matières enseignées à l'école, qu'il n'y attachait pas d'im-
portance, qu'il importait surtout d'avoir des qualités militaires. Il sup-
primâtes moyennes qui avaient réglé l'obtention des sorties. Les élèves,
déjà enclins à la paresse, accueillirent ce régime nouveau par le cri :
a Conspuez la Pompe! » La Pompe ^ comme l'explique l'auteur dans partie
des Annexes qui contient Y Argot à Saint-Cyr (vocabulaire ancien et mo-
derne), est synonyme dés cours d'instruction générale,en opposition avec
le mi/t, synonyme d'instruction militaire.
La messe devint facultative, et le piquet qui rendait les honneurs dans
le chœur fut supprimé.
Cettr satisfaction à donner à l'esprit antireligieux qui dominait dans
les pouvoirs publics avait été le véritable motif du remplacement du
général Hanrion. Le général Deffis, la même année, remplaça le général
Cholleton.
En 1886, le commandement passa au général Tramond, bien connu
par ses études sur le fusil actuellement en usage dans l'armée. Cette
même année, un décret modifia l'organisation delaseciiou de cavalerie.
C'est en 1863 que le maréchal Saint- Arnaud avait repris l'organisa-
tion de l'École en établissant à Saint-Cyr une section de cavalerie à la-
quelle les jeunes gens se destinant à cette arme , étaient reçus après un
examen portant exclusivement sur leur talent en équitation. Le géné-
ral du Barail croit que c'est une erreur, que cela constitue un privilège
pour les jeunes gens qui, sans grande vocation militaire, ont pu appren-
dre dès l'enfance à monter à cheval. Il proposerait qu'on dédoublât
Saint-Cyr et que l'on reformât une École spéciale de cavalerie comme
celle instituée à Saint-Germain en 1809.
En 1886, le ministre de la guerre exposa que le système pratiqué
éoartait de la cavalerie les ^lèves qui, n'ayant pas eu le temps de se
préparer, peuvent néanmoins avoir des aptitude et une instruction gé-
nérale. Le décret fit en sorte que la sélection ne fût opérée que lorsque
les leçons d'équitation auraient pu replacer tous les élèves dans des con-
ditions à peu près égales.
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404 HEVUE FRANÇAISE
Sur la demande du général Tramond, à parlir de 1887, les élèves
furent, chaque année, conduits au camp de Châlons. Une caisse d'as-
^^ sociation mutuelle de prévoyance fut créée entre les élèves le 26 no-
Ç vembre 1887.
K On reconnaît universellement que notre seule École spéciale militaire
c est trop nombreuse pour un bon enseignement et que rinstructioo
p gagnerait à être donnée dans plusieurs établissements. L'augmentation
j. ' rapide des promotions rend cette réforme tout à fait urgente. Après
? 1870, l'effectif s'était maintenu longtemps entre 350 à 400 élèves par
i': division. Toute l'École ne comptait en 1882 que 613 élèves; en 1883,
^ 740 ; bientôt après, 800.
^ En 1894, 950 élèves. En 1895, 1.150. Il est vraisemblable que le
1} nombre ne descendra pas au-dessous de 1 .100.
f La partie relative spécialement à la vie des élèves de TÉcole, à leurs
; souvenirs et à leurs traditions, se termine par une série de chants qui
traduisent les tourments et les espérances de cette jeunesse parfois tur-
l bulente, mais toujours animée du souffle patriotique le plus ardent.
La Muse de Saint-Cyr contient tous ces essais poétiques, autant de
refrains qu'ont chantés à l'unisson tous ceux qui se sont voués depuis
un siècle à la carrière des armes, et que les vieux aiment à redire pour
évoquer 1 âge où la gloire à conquérir était leur rêve quotidien.
Le colonel Titeux pouvait terminer son ouvrage à celte place. Nous
venons de feuilleter 676 pages, avec 107 reproductions en couleurs,
264 gravures et 26 plans. C'était déjà un véritable monument. Des-
criptions, anecdotes, documents officiels, citations empruntées aux géné-
raux les plus illustres, appréciations des programmes, études eoqscien-
cieuses des costumes et des équipements à toutes les époques. Ce la-
beur est immense, et bien d'autres auraient limité là leur tâche. M. Ti-
teux a pensé qu'il devait plus à son pays. Il appartient à cette génération
qui a vu disparaître les restes de notre dernière grande armée, celle de
Crimée. Il quittait l'École de Saint-Cyr en 18o9, l'aimée même où nos
succès en Italie avaient aveuglé le gouvernement de l'Empire sur notre
véritable état militaire. Il est de ceux qui ont vu s'effondrer la puissance
de la France .en ayant la parfaite connaissance des fautes cemmises, et
il éprouve la douleur de constater que depuis 28 ans, on n'a pas fait ce
qu'on devait pour éviter de nouvelles humiliations. Au lieu de propo-
ser tout d'une pièce un plan de réformes, il a cru qu'il atteindrait plus
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L'ÉCOLE MILITAIRE DE SAINT-CYR m\
sûrement son but en faisant passer sous les yeux des vrais patriotes le
tableau de ce qui s'est fait en Allemagne depuis un siècle ; quMls y ver-
raient avec la formation de l'armée prussienne, le système d'éducation
militaire du corps d'officiers et le recrutement du haut commandement.
En face de ce tableau, il a placé le système pratiqué en France, puis il
conclut. En Allemagne, tout est donné au mérite, à la science prouvée.
Eu France, c'est la chance et la faveur qui priment tout. Les résultais
des deux systèmes sont connus depuis 1870. A dater de nos désastres,
les deux peuples ont continué dans les mêmes errements. Qu'advien-
drait-il si les deux nations venaient de nouveau à se trouver aux prises?
Plaise à Dieu que cet avertissement du colonel Titeux s'adressant à
l'opinion, reçoive ua meilleur accueil que celui fait à la fin du second Em-
pire aux célèbres et véridiques rapports du colonel Stoffel! Tout espoir
n'est pas perdu, quand on voit un ancien ministre de la Guerre, de la
valeur du général du Barail prendre sous son haut patronage le livre
que nous venons d'analyser rapidement. Sa préface tout entière devrait
être reproduite. Nous nous bornerons à présenter aux lecteurs de la
Revue Française le résumé qu'il fait lui-même du chapitre qui concerne
loi^^anisation de l'enseignement militaire en Prusse.
« Le chapitre le plus intéressant et le plus important peut-être du très
remarquable ouvrage du colonel Titeux, celui qui en est pour ainsi din»-
le couronnement superbe et qui appelle les plus graves méditations, e^t
le chapitre où le colonel, avec une 1res grande hauteur de vues, déve-
oppant les méthodes employées en Allemagne pour le meilleur recru-
tement possible du corps d'officiers, les met en regard de celles actueil-
lement en usage en France pour le même objet. La conclusion peut eu
être résum('*e en deux mol^ : Comparer; ei jugez.
C'est rhistoire la plus exacte des agrandissements successifs de la
Prusse depuis l'époque où, vassale de la Pologne, elle ne comptait eu
Enroi)e que par l'excellence de son armée, dispro|>oi:tioimée avec h*
chiffre de sa population, jusqu'au moment où, toujours grâce à son ar-
mée, elle devint une des plus puissantes nations du monde.
C'est donc son armée qu'il faut étudier dans ses moindres détails, et
c'est ce qu'a fait le colonel Titeux, avec le plus grand talent et la plus
grande précision. Il montre comment cette armée, préparée de longue
main, s'est formée laborieusement, sûrement, avec une immuable cons-
ance, pour en arriver au point où elle est parvenue aujourd'hui.
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i06 REVUE FRANÇAISE
Sans aucun doute, les événements ont laidement contribué au déve-
loppement rapide et extraordinaire de la Prusse. Mais c'est l'honneur
de ses hommes d'État et de ses grands patriotes d'avoir su profiter de
toutes les circonstances, même des plus critiques, même de l'effondre-
ment du pays en 1806, pour faire naître dans le cœur de tous un ardent
désir d'indépendance, et, dans ce sentiment si élevé e( si noble, d'avoir
su militariser toute la nation. 11 n'est, en effet, possible d'avoir une
grande et puissante armée, que si le i)euple tout entier est fortement
imbu de l'esprit militaire, s'il se passionne iK)ur tout ce qui regainie l'ar-
m('e, et si les classes supérieures se portent vers la carrièin? des ariTies.
qui doit être la profession la plus honorée et la plus considérée.
Depuis la création de Tannée permanente en Prusse, chaque prince
de la maison de Hohenzollern, en montant sur le trône, a apporté sa
pieiTe à l'édifice militaire; mais le véritable réformateur de l'armée, qui
aujourd'hui sert de modèle à toute l'armée allemande, c'est l'empereur
Guillaume P**, avec la puissante collaboration du prince de Bismarck.
Eclairé par les événements de 1848 et de 1830, il se rendit parfaitement
compte des vices d'une organisation qui datait encore de 1815 et qui
avait produit une année lourde, pesante, se mobilisant lentement et dif-
ficilement, n s'appliqua à y remédier, et, en lui donnant une plus grande
puissance offensive, à faire une armée vive, alerte et toujours prête à
entrer en campagne.
Déjà depuis longtemps, FtUat-major prussien passait pour le plus ins-
truit de l'Europe ; et, un fait bien digne de remarque et de profondes
réflexions, c'est qu'au sein d'une paix profonde, des officiers formés dans
les écoles de guerre et à l'Académie de Berlin, aient pu acquérir, sans
autre préparation que leurs études, la science nécessaire pour conduire
des armées dans de grandes guerres, avec une rapidité, une décision et
des succès dont on ne trouve d'exemples que sous Napoléon.
La Prusse s'est attachée à former un corps d'officiers ])arfaitement ho-
mogène. — Deux principes dominent cette question si imiK)rtanle de la
constitution des cadres : la communauté d'origine pour tous les officiers
sans exception, et l'avancement à l'ancienneté, qui est même, autant
que possible, respecté en campagne, où Ton réserve les distinctions ho-
norifiques pour les officiers qui se distinguent par quelque trait de bra-
voure ou quelque action d'éclat.
Nul ne peut être officier s'il ne sort d'une des onze écolas de guerre
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L'ÉCOLE MILITAIRE DE SAINT^CYH W
existant aujourd'hui en Allemagne, et s'il n'a subi avec succès l'exanien
de sortie, dit examen d'officier. — Dans ces onze écoles de guerre, Tins-
traction est identique; elle est la même pour tous les officiers deFarmée.
Le nombre des élèves est réglé de telle sorte qu'un professeur n'en ait
jamais plus de vingt-cinq à instruire. — En sortant de l'Ecole de guerre,
qu'il ne fimt pa^s confondre avec l'Académie de Berlin réservée à l'en-
seignement supérieur des officiers du grand étal-major et où les cours
ont une durée de trois ans, en sortant, dis-je, de l'Écoh* de gueri-e, les
officiers. qui se destinent aux armes spéciales, vont passer deux ans dans
une école d'application et sont classés dans l'artillerie ou le génie, s'ils
ont répondu avec succès aux examens de sortit?. Dans le cas contraire,
ils rentrent avec leur gi^ade dans l'infanterie.
Nul n'est admis à concourir pour l'Ecole de guerre, s'il n'est passé par
une école de cadets, ou s'il n'a été accepté dans un régiment avec le titre
d'Avantageur. Le souî^olTiciér provenant du rang ne peut aspirer à
Tépaulette. Le Cadet et l'Avantageur sont admis exactement dans les
mêmes conditions aux examens de l'Ecole de guerre, après avoir égale-
ment exercé pendant six mois les diverses fonctions d' « ap}7ointé », de
caporal et de sous-oflîcier. L'égalité en tout est donc absolue, et le mé-
rite et l'instruction seuls décident du sort des jeunes gens.
L'avancement à l'ancienneté est la porte hermétiquement fermée à la
plaie mortelle du favoritisme. Elle empêche la masse des officiers de pré-
tendre aux hauts grades de l'armée, réservés, en dehors des princes des
maisons souveraines, aux officiers dont la haute valeur intellçctuelle, le
mérite transcendant et la science étendue, ont été maintes et maintes
fois passés au crible et indiscutablement constatés.
Un très grand nombre d'officiers ne dépassent pas le grade de major
et se retirent satisfaits de leur sort, parce qu'ils trouvent une suffisante
compensation dans la grande considération dont ils jouissent et dans les
avantages qui leur sont accordés. — C'est ainsi qu'une nation jalouse de
son indépendance et de sa sécurité, honore et respecte les hommes qui
lui en garantissent le mieux la conservation.
Comparons donc la simplicité et l'uniformité des méthodes d'ensei-
gnement militaire en usage en Prusse, avec le système compliqué adopt('*
enFranceet impuissante donner cette homogénéité et cette solidarité du
corps d'officiers, considérées à juste titre comme un des principaux élé-
ments deforcede l'armée I
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408 REVUE FRANÇAISE
Les écoles militaires allemandes comprennent quatre grandes classes
bien distinctes :
1® Les écoles de Cadets, au nombre de dix, dont une supérieure,
sorte d'école préparatoire où les jeunes gens se destinant à l'étal mili-
taire acquièrent Tinstniction nécessaire pour ôtre admis aux écoles d of-
ficiers, dites écoles de guerre, et dont sont seuls dispensés les « Avanta-
geurs » possédant déjà cette instruction indispensable.
2** Les écoles de guerre, au nombre de onze, dont, sans aucune excep-
tion, sortent tous les officiers de l'armée, qui y reçoivent une instruction
absolument semblable.
3® L'école spéciale de Charlottenbourg, où les officiers se destinant à
l'artillerie ou au génie vont suivre un cours de deux ans.
4° L'Académie de guerre de Berlin, qui est le couronnement de cette
remarquable organisation d'instruction et d'éducation militaires. Les
cours y ont une durée de trois ans. Le but de l'institution est de former
et de diriger dans les branches les plus élevées des sciences militaires,
un certain nombre d'officiers de choix, d'une haute culture intellectuelle
et possédant déjà l'instruction nécessaire et l'application désirable pour
tirer un grand profit de cet enseignement supérieur.
Le colonel Titeux dit excellemment bien : « Avec un pareil système,
le corps d'officiers prussien forme un tout homogène, compact, où le
particularisme d'arme est tout à fait inconnu. Commun enseignement,
communs principes, commun esprit cimenté par la camaraderie sco-
laire. »
Voyons donc si l'éducation militaire, telle qu'elle est répartie en
France, est susceptible de donner les mômes résultats. — 11 est d'abord
un fait indiscutable, c'est que sous le rapport des établissements d'ins-
truction nous sommes infiniment moins bien dotés que l'Allemagne.
En vérité, quelles sont donc nos écoles militaires? Me faut-il d'abord
citer notre première, notre savante école, l'Ecole polytechnique? L'ins-
truction que les jeunes gens y acquièrent, sous l'enseignement des plus
grands savants de France, est au-dessus de toute critique, c'est certain;
mais malgré le titre qu'elle porte, est-elle bien une véritable école mili-
taire? Est-ce bien une école militaire celle où notoirement règne un es-
prit antimilitaire encouragé par les professeurs eux-mêmes, dit-on, où
les services de l'armée prerment rang après les emplois dans les tabacs
ou la téléphonie, où les candidats n entrent qu'avec le ferme désir d'en
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L'ÉCOLE MILITAIRE DE SAINT-CYR 409
sortir dans les services civils, où enfin les officiers d'artillerie et du génie
sont, en général, classés dans les deux derniers tiers de la promotion.
Faut-il donc tant de sciences mathématiques pour tirer le canon sur
un champ de bataille, ou faire un bon service de sapeur ou de mineur?
Sous l'Empire, les grands généraux de ces armes savantes, les Eblé, les
Haxo, les Lariboisière, les Chasseloup-Laubat ne sortaient pas de l'Ecole
polytechnique et ne s'en sont pas moins acquis im grand renom.
J'aimerais mieux, je l'avoue, peut-être un peu moins de science, et
des carctères plus façonnés à la discipline et à la subordination, et une
vocation plus décidée.
Notre seule école purement militaire est l'Ecole de Saint-Cyr; mais
elle est bien nombreuse, et il est difficile d'admettre qu'un professeur
qui s'adresse à trois ou quatre cents auditeurs, dont trop souvent l'esprit
est parti ailleurs et l'attention distmite, soit éxîoutépar tous, et son cours
fructueusement suivi.
En Allemagne, on pousse le souci de l'instruction et le scrupule jus-
qu'à diviser en trois ou quatre groupes de même valeur un auditoire de
vingt-cinq élèves, afin que les plus intelligents et les plus capablas ne
soient pas retardés dans leurs études par des camarades moins bien par-
tagés.
Beaucoup de bons e.sprits pensent que l'instruction générale de lar-
mée gagnerait beaucoup à multiplier le nombre des écoles militaires, en
attribuant chacune d'elles au recrutement d'un certain nombre de corps
d'armée.
Après Saint-Cyr, il n'y a plus que des écoles de sous-officiers, d'une
création relativement récente : Saumur, pour la cavalerie; Saint-Maixent,
pour l'infanterie : Versailles pour l'artillerie et le génie. Sans doute, ces
créations sont un progrès sur ce qui existait autrefois, puisque c'était le
néant ; mais que d'observations il y aurait à faire encore ! D'abord, il
est évident que des officiers de provenances aussi différentes ne peuvent
pas former un bloc aussi uni, aussi compact, aussi homogène que celui
qui est la conséquence d'une communauté absolue d'origine, d'instruc-
tion et de sentiments, comme cela a lieu en Allemagne. Et puis, c'est
entretenir sinon la rivalité entre les différentes armes, du moins leur
particularisme.
Ce sont toutes ces questions vitales pour l'armée que le colonel Titeux
traite magistralement dans son magnifique ouvrage, dont je ne puis que
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410 REVUE FRANÇAISE
recommauder la lecture attentive à tous ceux qui s'intéressent à l'avenir
de la France, si intimement lié à Texistence de son armée, i
Le général du Barail, qui a écrit les passages que nous venons de citer,
a, comme c'était son rôle, envisagé spécialement le point de \ue mili-
taire dans l'œuvre du colonel Titeux; il a laissé aux lecteurs la surprise
de découvrir chez lui, outre les talents de l'artiste, ceux d'un puissant
écrivain. Les dernières pages de ses conclusions ont une chaleur corn-
munîcative, une allure magistrale. U adjure tous les patriotes de songer
au duel final où l'une des deux nations rivales aura le sort deCarthage.Il
fait appel à l'union de toutes les intelligences et de tous les cœurs pour
le salut de la patrie.
<ï Réclamons donc instamment, dit-il, pour l'armée, la justice qui ren-
dra la France invincible. Apprenons à ces belles générations de jeunes
gens dont Saint-Cyr fait des officiers, qu'il n'y a pas d'autre grande^ir
que celle du devoir accompli, ni d'honneurs enviables que ceux qu'on
a vraiment mérités, ni d'autre droit à lavancement que dans la supé-
riorité du mérite par le travail, l'instruction, l'intelligence et l'abn^-
tion. Inspirons à cette fière jeunesse l'horreur de ce débrouillage qui
mène si facilement à l'égoïsme, au mensonge, à l'oubli de la \Taie cama-
raderie ; et hâtons, de toutes nos forces, le moment où notre chère patrie,
retrempée dans la vérité et la justice, reprendra sa marche radieusedans
le monde, à la tête des nations. »
Ed. M.
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FLOTTES ESPAGNOLE ET AMERICAINE"'
III
NOUVEAUX NAVIRES
I
Au moment où les hostilités semblèrent inévitables avec TEspagne,
le gouvernement des États-Unis chercha à acheter de tous cotés les
navires de guerre que les autres nations auraient à lui vendre. Il en
trouva peu et ce fut le Brésil qui lui céda les meilleurs. Ce furent les
croiseurs : Almirante Abreu, AmazonaSj Nichteroy^ Topeka et les torpil-
leurs Somers et Manley.
LAbreu (devenu YAlbany) est encore sur chantiers à Newcastle et le
Somers n'ayant pu quitter l'Angleterre par suite d'avaries, a été dé- .
sarmé ; ces deux bâtiments ne comptent donc pas.
VAmazonas que les Américains ont baptisé New-Orléans a été cons-
truit à Elswick (Angleterre). Lancé le 4 déc. 1896, il achevait son
armement au début des hostilités. D'un déplacement de 34S0 t., il file
de 20 à 22 n. Son armement consiste en 4 canons de 1 S c, 4 de 12,
10 de 57 mm. 10 plus petits, tous à tir rapide, 10 mitrailleuses Maxim
et 3 tubes lance-torpilles. Le Neio-Orléans fait partie de Tescadre de
Tamiral Sampson.
Le Nichteroy, appelé par les Brésiliens El Cid et baptisé Buffalo par
les Américains, avait été acheté aux Etats-Unis par le Brésil pendant
la guerre civile de 1894. C'est un ancien paquebot de oOOO t. qui avait
été armé d'artillerie légère et possédait 2 canons pneumatiques à la
dynamite.
Le Topeka. ex-Diogenes,. a porté plus d'un pavillon. Construit en
Allemagne pour le Pérou, au moment de la guerre du Chili, et non
livré, puis revendu au Japon lors de la guerre de Chine et non livré, il
était resté en Angleterre où les États-Unis en ont pris cette fois livraison-
D'un déplacement de 1 800 t. et d'une vitesse de 16 n., ce croiseur est
armé de 6 canons de 12 c. et de 10 de petit calibre.
Si les Américains n'ont que peu renforctî leur flotte par des acquisi-
tions de la dernière heure, ils ont par contre en chantiers ou en achè-
vement, un nombre très important de navires de guerre. Parmi ceux-ci
(1) Voir Rev. Fr. mai, juin 1898, p. 291, 347.
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M2 REVUE FRANÇAISE
se trouvent S cuirassés : Kearsage, Kmiuckyy Alabama, lUirm,
Wisconsin,
Les deux premiers, dont nous avons donné la description dans le
précédent n*» (p. 352), ont été lancés à Newport, le ti mars 1898. On
travaille à leur achèvement avec la plus grande rapidité et ils doivent
être prêts à la fin de Tannée.
VAlabama, mis sur chantiers à Philadelphie à la fin de 1896, a été
lancé le 18 mai dernier. D'un déplacement de H S25 t. il doit don-
ner 10000 chx et filer 16 n. Son artillerie comporte 4 pièces de
32 c. en tourelles par 2, 14 de 15 c, 16 de 57 mm., 4 de 3" mm.,
4 mitrailleuses et 4 lubes lance-torpilles. L Illinois et le Wisœnsin, de
même type, ont été commandés en 1897 et soLt encore sur chantiere, le
dernier à San-Francisco.
Au moment de la déclaration de guerre, les Américains n'avaienl
point de croiseurs en construction. Comme contre-torpilleurs, 3 seule-
ment, se trouvaient sur chantiers, ainsi que quelques torpilleurs.
Le contre-torpilleur Bailey^ type du genre, a été mis en construction
au commencement de cette année. D'une longueur de 61 m. d*un tirant
d*eau moyen de 2 m. 45, il déplacera 265 t. Ses deux machines action-
nant 2 hélices doivent développer 5.600 chev. et donner une vitesse de
33 n. aux essais et de 30 n. en service. Le rayon d'action sera de
3.000 milles à la vitesse économique de 14 à 15 n. L'armement com-
prend 4 canons de 57 "/" à tir rapide et 3 tubes lance-torpilles. Le bâ-
timent doit être prêt à la fin de Tannée.
Deux autres contue-torpilleurs semblables Stringham et Goldsborcmg
sont en construction à Wilmington, et à Seattle (Pacifique).
Ces contre-torpilleurs inachevés étaient, avec 18 torpilleurs, les seuls
que possédât la flotte américaine. Avant Touvertiuv des hostilités le
gouvernement avait déjà décidé la construction de 6 contre-torpilleurs
de 350 t. et 6 contre-torpilleurs de 150 t. à marche très rapide. En
même temps devaient être construits 3 cuirassés de 11.000 t. dont un
prendra le nom de Maine. La guerre une fois commencée on s'aper-
çut vite de la faiblesse de la flotte en petits bâtiments en présence des
contre-torpilleurs de 28 et 30 n. dont disposait la flotte espagnole.
Le gouvernement commanda aussitôt 30 contre-torpilleurs de 330 t.
et 30 n. et 70 torpilleurs de 100 t. et 22 n. à livrer dans le délai de 3 à
5 mois. Avec la merveilleuse activité qui règne dans les chantiers amé-
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LES FLOTTES ESPAGNOLE ET AMÉRICAINE 413
ricains et largenlqui est dépensé presque sans compter, les États-Unis
vont avoir incessamment une remarquable flottede petits navires rapides
qui établiront autour de Cuba un blocus hermétique et s'en empareront
par la famine s'ils ne peuvent le faire de vive force.
En attendant Tachèvement de cette flottille, les Américains ont trans-
formé en torpilleurs un certain nombre de yachts qui ont reçu les noms
de Mayflowery Hornet, EaglCj Wctëp, Accomac, Scojyion, Solace, Salurn.
Enfin un projet de loi a été déposé pour la construction par les chan-
tiers américains de S croiseurs cuirassés de H. 800 t. revenant chacun à
4 millions de dollars sans Tarmement; de 13 canonnières de 2.000 t.
revenant à 650.000 dollars chacune ; de 15 contre-torpilleurs de 400 t. ,
de 300.000 dollars chacun ; et de 10 torpilleurs de 150 t., de 200.000
dollars chacun. En outre, il est question de construire 4 et peut-être
6 monitors de 2.500 t. à faible tirant d'eau pouvant naviguer dans des
canaux étroits et peu profonds.
A en juger par les efforts considérables qu'ils font, les États-Unis vont
posséder d'ici peu une flotte de guerre remarquable par le nombre, la
vitesse et la puissance des bâtiments, flotte qui viendra peut-être au
2- rang des flottes du monde, et sera la plus redoutable après celle de
l'Angleterre. Ce sera le résultat le plus clair de la guerre actuelle.
En Espagne la situation est bien différente. On pousse avec activité
les travaux d'achèvement des navires à flots, mais une fois ceux-ci
armés, la réserve en bâtiments neufs sera presque épuisée. En 1897, on
a mis sur chantiers, 1 cuirassé, 1 croiseur -cuirassé, 5 croiseurs et 2 con-
tre-torpilleurs. Mais on ne peut prévoir l'époque d'achèvement de ces
bâtiments. Quant à ceux en construction à l'étranger comme le Pedro
d'Aragona qui se trouve à Gênes, il n'y a plus a y compter, en raison
des lois de neutralité. L'EspagTie n'a acheté aucun navire do guerre
étranger avant l'ouverture des hostilités.
Actuellement on achève l'armement des croiseurs-cuirassés Princessa
de Asturias et Cardinal Cisneros, de 7,000 t. 14.000 ch. et 20 n., lancés,
le 1^"^ le 17 oct. 1890, le 2" le 19 mars 1897. Ces croiseurs, du type Vis-
caya, ont un cuirassement un peu plus fort que ceux de l'amiral Cervera.
Un 3'' croiseur du même type, Cataluna se trouve encore en chantier à
Carthagène. On a mis en construction au Ferrol, à la place du Cisneros.
le croiseur Reina-Regente de 5.000 t. 6.500 ch. et 20 n. A Cadix, aussi
en 1897, a été mis sur chantier le croiseur Isabel la Calolica, de 300 t..
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414 REVUE FRANÇAISE
Les canonnières-torpilleurs Dona Maria de Molinay Marquer de la
Victoriay Don Alvaro de Bazaru de 830 t. et 20 n., mises à l'eau au
Ferrol en 1896 et 1897, sont à peu près en état de prendre la mer. Enfin
quelques torpilleurs sont en construction.
On voit que les ressources futures de rEspafi:ne, qui faisait construire
à l'étranger une partie de sa flotte, sont assez réduites. Aussi, plus la
lutte se prolongera et plus TEspagne se trouvera en état d'infériorité,
n'ayant ni TactÎTilé, ni les ressources, ni surtout la force de production
des Etats-Unis. Ceux-ci an contraire, trouvent dans la guerre un puissant
levier qui les rend de plus en plus redoutables et ne laisse plus aucun
doute sur l'issue de la lutte.
Ceux qui suivent avec attention les péripéties de la guerre, se deman-
dent si la marine espagnole n'est pas frappée d'une paralysie générale.
Ei^ effet, depuis le désastre de Cavité, ses navires sont d'une prudeBce^
d'une timidité vraiment inconcevables. Ses beaux croiseurs cuirass<^
n'ont pas tiré un coup de canon, et ne savent même pas tirer parti de la
supériorité de leur marche. Ses contre-torpilleurs, doués eux aussi
d'une vitesse remarquable, bien supérieure a celle des navires amé-
ricains, restent tranquillement au port, ne cherchant même pas à
accomplir ces prouesses légendaires qui, dans toutes les dernières
guerres, au Danube et sur la mer Noire, à Fou-Tchéou et à Sheïpo avec
Courbet, au Chili, à Weï-Haï-Weï, ont illustré de hardis marins. De ses
torpilleurs ont n'entend même pas parler. Quant à ces croiseurs et à ces
corsaires qui devaient ruiner par leurs prises le commerce américain,
il n'en est plus question.
On reste confondu de voir des marins aussi braves, aussi aventureux,
aussi aguerris que les marins espagnols, faire preuve d'une inertie que
rien n'explique. Tandis que les bâtiments américains dé toute nature
battent les mers des Antilles et se font assaillants, avec une hardiesse
que n'autorise pas toujours leur armement, les navires espagnols qui se
trouvent dans ces parages se renferment dans une stricte défensive, et
ne tirent un coup de canon que lorsqu'ils sont attaqués. Il faut
croire que cette attitude passive est imposée par des considérations
d'ordre supérieur, car rien dans le caractère espagnol ne justifie une
pareille pusillanimité. Mais ce que l'on ne peut s'expliquer, c'est que
l'on ne se serve pas de ses atouts quand on en a dans son jeu.
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Croiseur cuirassé américain Brooklyn.
76 "y»
Longueur à la flottaison. 122"* 27
Laideur 19^56
Tirant d'eau arrière . . 7"" 80
Déplacement 9.375tx.
Puissance maxima . . 17.134 <h\.
Vitesse maxima ... 21 n, 01
Approv^ oormal de charbon. . 911 tv.
Rayon d'action à 10 n . 15.000 mil
Armement.
8 canons de 203 mm. en 4 tourelles.
12 — de 127 mm. tir r. en encorbellements blindés.
12 — de 57 mm. t. r.
4 — de 37 mm. t. r.
4 mitrailleuses. — 6 tubes lance-torpilles.
La ceinture cuirassée en acier harveyé a une épaisseur de 76 mm.
Elle ne s'étend que sur la moitié (59 m) de la longueur ; elle rè^^nv.
sur une hauteur de 1 m. 20 au-dessus et au-dessous de la flottaisoQ. Lr
pont blindé aune épaisseur de 76 mm. qui est doublé en certaines par-
ties. Le blindage des tourelles est de 203 mm. dans la partie barbel Le
et de 140 pour le reste. La hauteur de comm'îndement de ^r<
pièces de chasse (10 m.) lui est précieuse pour pouvoir se servir de ^i'.a
canons par grosse mer.
Mis en chantier en janvier 1895, le Brooklyn a été lancé le 2 oc-
tobrel895. C'est un excellent croiseur de combat» L'étendue di^ <f>ii
rayon d'action lui permet d'aller facilement de New- York à San-Ki'îui
cisco sans faire de charbon.
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Croiseur cuirasse espagnol Emperadiyr Carlos V,
Longueur entre perp*^**' . . liS»"82 Puissance maxima . . 18.500ehx.
Largeur 20" 42 Vitesse maxima ... 21 n.
Tirant d'eau arrière . . . 8 ni. Approv^ oornal de charbon . . l.TOOtx.
Déplacement 9.089 tx. Rayon d'action à 10 n . la.OOOiil.
Armement.
2 canons Hontoria de 28 c. en 2 tourelles.
10 — — de 14 c. tir rap.
4 — — de 10 c. t. r.
4 — de 57 mm. t. r.
6 mitrailleuses. — 6 tubes lance-torpilles (torpilles Schwartzkopff).
La ceinture cuirassée, qui n'a plus que très peu de hauteur à cha-
que extrémité, a une épaisseur de 50 mm. Le pont blindé a 50 mm.
Les tourelles ont une protection de 254 mm. dans la partie fixe et de
102 dans la partie mobile.
Mis en construction à Cadix on 1893, le Carlos T a été lancé le
12 mars 1895. Il a été armé au Havre (F. et Ch.). Son artiUerie est
puissante, mais par contre son cuirassement est faible. Sa vitesse et
son rayon d'action lui donnent une réelle valeur. Il peut aller facile-
ment de Cadix aux Philippines sans faire de charbon. D.
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L'INSURRECTION CUBAINE
La guerre civile qui depuis 3 années désole Tile de Cuba va changer
de caractère par suite de l'intervention des États-Unis. A la guerre de
guérillas, à la lutte de surprises et de coups de main, succédera la
guerre régulièi'e avec ses batailles rangées et ses sièges quand les troupes
américaines auront débarqué en nombre à Cuba. Mais il est peu
probable que cette éventualité se réalise d'une façon sérieuse avant
l'automne, car la saison des pluies paralyserait toutes les opérations.
Il faut excepter cependant le coup de force que les Américains vont
tenter d'exécuter contre Santiago-de-Cuba.
LES PREMIÈRES INSURRECTIONS.
La lutte soutenue par les Espagnols contre les insurgés, que la
nature du pays bien plus que leur nombre rend insaisissables, n'est pas
la première qui ait lieu à Cuba. Quand les colonies espagnoles du con-
tinent américain se détachèrent de la métropole, au commencement de
ce siècle, et proclamèrent successivement leur indépendance, Cuba
resta calme. Mais bientôt des conspirations et des tentatives insurrec-
tionnelles se produisirent, en 1823, 1826, 1828. Elles n'eurent alors
qu'un faible écho dans le pays, ne trouvèrent pas de chefs capables
pour se mettre à leur tête et furent promptement étouffées.
En 1850 et 1851, des tentatives plus sérieuses se produisirent. Un
général espagnol, Lopez, gagné au parti des mécontents, essaya de
soulever les Cubains après avoir débarqué dans l'île à la tête d'une
expédition de flibustiers venant de la Floride — car déjà les États-
Unis prêtaient secrètement aide et assistance à tous ceux qui avaient
pour but de combattre les Espagnols à Cuba. Battu et fait prisonnier,
Lopez fut exécuté.
En 1853 et 183i, nouvelles et vaines conspirations.
Enfin la révolution espagnole de septembre 1868, qui renversa de
son trône la reine Isabelle II, sembla une occasion propice aux mé-
contents cubains pour prendre les armes. Le 10 octobre 1868, un sou-
lèvement éclatait à Yara, dans la [)rovince de Santiago, aux cris de :
^ Vive Cuba libre ! » Manuel de Cespeffes prenait la tête du mouve-
ment avec 147 hommes. Un mois après les insurgés étaient 4.000, et
leur nombre atteignait 10.000 deux ans plus tard.
XXIII (Juillet 98). N» 235. 27
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418 REVUE FRANÇAISE
Paralysée par suite de la révolution» puis par la guerre cantonaliste
et la guerre carliste qui absorbèrent presque toutes ses forces vives,
TËspagne ne put, pendant longtemps, que se tenir sur la défensive à
Cuba. Aussi les insurgés gagnaient-ils peu à peu du terrain et se ren-
daient maîtres des villes de Bayamo, Holguin, Mayari. En 1874, Gespedes
fut tué ; Maximo Gomez le remplaça. Mais l'horizon s'assombrissait pour
les insurgés. L'Espagne qui avait rétabli la monarchie et vaincu Don
Carlos portait maintenant tous ses efforts sur Cuba. Le maréchal
Martinez Çampos, envoyé à Cuba comme gouverneur général, mit tout
en œuvre pour amener la pacification de Tîle. La difiBculté de se pro-
curer des armes et des munitions, la discorde qui régnait dans le camp
révolutionnaire, les défections qui se produisaient avaient jeté le décou-
ragement paimi les insurgés cubains. Martinez Campos profita habile-
ment de la situation pour amener leur soumission par le convenio de
Zanjon (10 fév. 1878).
En vertu de ce pacte, l'Espagne s'était engagée à accomplir des
réformes. Cuba avait été jusqu'alors un vaste champ d'exploitation et
une source de profits considérables pour la Métropole qui lui fournis-
sait à peu près tout. Le$ fonctionnaires, les employés étaient, presque
sans exception, originaires d'Espagne et venaient à Cuba pour faire
fortune. Seuls les insulaires payaient, n'étaient rien et ne pouvaient
même pas faire entendre leur doléances. C'est cet état de choses que le
pacte de Zanjon devait changer. Malheureusement il resta lettre morte,
l'Espagne ayant vite oublié que l'insurrecUon lui avait coûté près de
100.000 hommes et 1 milliard de francs. Un sérieux mécontentement m
résulta et, dans les campagnes, une propagande habilement dirigée par
les chefs de la précédente insurrection prépara tout pour une nouvdle
prise d'armes, lorsque le moment d'agir serait venu.
l'insukrection de 1895.
Le 24 février 1895, dit M. Espinasse-Secondat (1), Tiusurrectioii
éclata à Baire (province de Santiago) aux cris de : « Vive Cuba libre! *
Le général Calleja, capitaine général, décréta aussitôt l'état de siège et
chargea le général Lachambre des opérations contre les insurgés. Mais
ceux-ci avaient déjà soulevé u^e partie de la province de Santiago,
occupé et piJlé plusieui-s boui^ades, et cerné un petit fort qui fut obligt^
. (1) V Insurrection ctibainey fév. 1895 à mai 1896, par P. Espiaasse-SecoDdati
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L7NSURRECTI0N CUBAINE 419
de se rendre. Aussi, malgré quelques succès, le général Lachambre se
vitril dans Timpossibilité de réprimer le mouvement.
A la nouvelle de la révolte, le gouvernement espagnol aVait envoyé
à Cuba, comme capitaine général, le maréchal Martinez Campos, sur le
nom duquel on comptait beaucoup pour pacifier Tîle. ;
Le 16 avril, le nouveau général en chef débarquait à Guanfanamo. l
Sa ligne de conduite devait avoir pour but d amener les rebelles à se ^
soumettre et, pour obtenir ce résultat, le maréchal voulut se contenter ■
d'une guerre défensive. Mais les chefs cubains, Gomez, Maceo, Marti, ^
tbsso, ne se prêtèrent pas à cette combinaison et menèrent vivement i
la campagne. Marti fut tué le 19 mai à Dos Rios, dans un vif combat
et son corps resta aux mains des Espagnols qui le transportèrent à
Santiago.
Après avoir organisé ses forces dans la province de Santiago, Marti-
nez Campos entreprit la visite des principales garnisons. Près de Baya-
rao il faillit être enlevé par Maceo qui. avec 3.000 hommes, attaqua sa '
colonne, de moitié inférieure en nombre, dans un passage difficile.
M. Campos dut charger à la tète de ses soldats et, pour se dégager de
la mêlée, fut obligé de tuer les insurgés qui le serraient de trop près
(iO juil.). La colonne eut 25 tués, parmi lesquels le généml Santocildes,
et 93 blessés.
Cette audacieuse attaque enhardit singulièrement les insurgés qui,
malgré plui^ieurs échecs, s'étendaient de province en province par suite
de la sympathie qu'ils rencontraient et de la terreur qu'ils inspiraient.
Déjà les provinces de Puerto-Princi[)e et de Santa-Clara renfermaient
de nombreux groui>es d'insurgés. Une marche en avant allait porter la
?:uerre jusqu'à l'extrémité occidentale de l'île.
Partis de la province de Puerto-Principe au commencement de décem-.
bœ 189o, Maximo Gomez et Antonio Maceo traversaient successivement
les j>rovinces de Santa-Clara et de Matanzas, battus à diverses reprises
lîiais ne reculant que pour mieux avancer, et arrivaient, Gomez jusqu^à
20 kilomètres de la Havane, Maceo jusque dans la province de Pinar-
del-Rîo après une marche de 600 kilomètres (1).' Gomez fut obligé de
rétrograder, maïs Maceo put se maintenir solidement à Pînar-del-Rio,
mettaDt ainsi File entière en état d'insurreetlon.
(1) Voir sur cette marche, la Revue Française d'octobre 1896, t. XXI, p. 5iB6.
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I
i2() REVUE FRANÇAISE
h' C'est alors que Martioez Caiiipos fut rappelé et remplacé par le géiié-
k rai Weyler (janv. 1896). Celui-ci commença par promettre ramoislie
5 aux insurgés qui déposeraient les armes (23 avril). Mais ces mesures de
t' clémence qui n'amenaient i)oint de réformes avec elles, ne produisireni
^ aucun effet.
jf La lutte continuait toujours. Six coloimes concentrèrent leurs efforts
y contre Maceo afin de le chasser de ses positions. Battu à Cacarajicara,à
V Cîmdelaria, à Consolacion-del-Sur, le chef insurgé reste insaisissable,
' ■ trouvant toujours un refuge dans les montagnes abruptes de Pinar-del-
l Rio. Mais s'il ne peut en être délogé il n'en peut plus sortir que difTici-
iS. lement, la Irocha (ligne fortifiée) qui travei^se l'île dans sa partie la plus
' étroite, de Mariel à Majana, et derrière laquelle sont répartis 25.000
l hommes, le coupant de Tintérieur de l'île. Une auti*e trocha. établie de
i Moron à Jucaro, dans la province de Puerto-Principe, ne peut, par
f contre, arrêter les incursions des insurgés venant de l'est.
Ne pouvant triompher de vive force des révoltés, le général Weyler
veut user de rigueur et les réduire par la famine et le manque de res-
sources. Dans ce but il ordonne à tous les habitants des campagnes de
se réfugier dans les villes avec leurs bestiaux et leurs approvisionne-
ments. C'est la ruine des habitants devenus ainsi des reconcerUrados
malgré eux ; mais le général Weyler espère par ce moyen enlever aux
insurgés, tout moyen de recrutement et les amener à la soumission par
la misère et la faim. La misère sévit en effet dans leurs rangs, mais les
éléments de subsistance que l'île offre naturellement, leur donent encore
de quoi vivre, tandis que les armes et les munitions, que des navires
leur apportent de temi)s à autre des États-Unis, leur doiment les moyens
de combattre. Aux mesures de rigueur du généml Weyler, ils ré[K)n-
dent en brûlant les villages et en faisant sauter à la dynamite les trains
de chemins de fer.
Pendant la saison des pluies, de juin à septembre, les opérations,
rendues presque impraticables, furent suspendues des deux côtés. Mais
au retour de la saison sèche, le général Weyler résolut d'eu finir
avec Maceo. Dans les premiers jours de novembre 1896, 40.000
hommes furent réunis sous les ordres du général en chef qui dirigea en
personne les opérations. Après de vifs engagements, les villages de Ma-
liôhta et de Lechuza, perdus dans la manigua (la brousse de Cuba), et
les escarpements de la montagne, fuient enlevés d'assaut. C'étaient les
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L'INSURRECTION CUBAINE 421
principaux points de refuge des insurgés dans la province de Pinar-
del-Rio.
Mais battues d'un côté, les bandes de Maceo reparaissaient de l'autre,
inquiétant les convois des colonnes d'opération, tenant celles-ci sans
cesse en halaine, épuisant officiers et soldats. Quant à Maceo il demeu-
rait insaisissable ; au point qu'on se demandait même s'il était encore
dans la province. Soudain le bruit se répandit, dans le milieu de décem-
bre, que le chef mulâtre venait d'être tué. La nouvelle était vraie.
Le 5 décembre, le commandant Cirujeda avait attaqué, avec
200 hommes, une bande d'insurgés qui s'approchait de la Havane. Cette
bande, qui s'était divisée en petits détachements pour mieux franchir la
trocha de Mariel, était celle de Maceo. Le chef mulâtre étant tombé, ses
hommes prirent la fuite abandonnant sou corps et celui de son aide de
camp le lieutenant Gomes;, fils du généralissime cubain. Mais bientôt,
revenus de leur panique, ils se jetèrent sur les Espagnols et parvinrent
à reprendre le corps de Maceo.
La mort d'Antonio Maceo, suivie presque aussitôt de celle de son
frère José, tué dans un combat avec les troupes de la partie orientale de
l'île, causa une joie immense en Espagne, où l'on entrevoyait déjà la
fin de l'insurrection. La pacification fit de grands progrès dans Pinar-
del-Rio, mais le général Weyler ne put atteindre quelques bandes qui
perpétuèrent la révolte dans la province.
Moins heureux étaient les Espagnds dans l'est de l'île. Le 17 octobre.
Gomez, avec 5.000 hommes et 3 canons, mettait le siège devant la
petite ville de Guaimaro. Cette place, qui n'avait qu'une très faible gar-
nison, capitula le onzième jour. Le 3 novembre, la colonne du général
Castellanos, forte de 4 bataillons avec artillerie et cavalerie, partait de
Minas pour ravitailler Cascorro. Assaillie par les insurgés dans une
région des plus accidentées et couverte de brousse elle repoussait 8 at^
taques de l'ennemi et parvenait le lendemain à Cascorro. Au retour,
elle fut encore harcelée à chaque pas par un adversaire presque invi-
sible. Elle ne rentra à Minas, qu'après avoir eu 30 tués et 118 blessés.
Ayant reçu d'Espagne des renforts qui comblaient les pertes occa-
sionnées par le feu et bien plus encore par les maladies, le général Weyler,
pressé d'agir, s'était décidé à entreprendre, au début de 1897, une cam-
pagne, qu'il croyait devoir être fructueuse en résultats, contre Maximo
Gomez. Mais le généralissime cubain, grâce à sa mobilité et à sa pro-
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422 REVUE FRANÇAISE
fonde connaissanoe du terrain, sut échapper constamment à b^ adver-
saires, et la saison des pluies arriva sans ique le général Weyler ait
obtenu d'autre résultat qu'une pacification incomplète des provinces de
la Havane et de Matanzas. Malgré le puissant effort qu'avaient fait la
Espagnols, Tinsurrection entretenue et alimentée parles expéditions de
flibustiers des États-Unis — il n'y en eut pas moins de 70 en trois années
— restait vivace, surtout dans le centre et dans Test. Le général Weyler
n'avait pas plus réussi à la dompter que ses prédécesseurs.
Sur ces entrefaites, le retour au pouvoir du parti libérai après la
mort de M. Canovas amena d'importants changements dans la politique
coloniale. Le général Weyler fut d'abord rappelé et remplacé par le
maréchal Blanco (8 oct. 1897). Puis des décrets des 25 et 26 novembre
établirent l'autonomie à Cuba et à Puerto-Rico, accordant à ces îles un
parlement, des ministres responsables, etc. Le 1*' janvier 1898, le
premier cabinet cubain était installé à la Havane par le maréchal Blanco.
La métropole se décidait enfin à accorder les réformes depuis si long-
temps demandées. Mais ces réformes arrivaient trop tard et les insorgés,
qui auraient pu s'en contenter au début, n'en voulurent pas entendre
parler, n'attendant de satisfaction que de la reconnaissance de l'indé-
pendance de rile. Le maréchal Blanco, qui avait vainement essayé de
négocier avec les révoltés, dut reprendre les hostilités. C'est alore que
se produisit l'explosion du Maine et les incidents qui ont amené l'inter-
vention des États-Unis.
PERTES ET FORCES RESPECTIVES DES BELLIGÉRANTS
Les trois années de lutte qui viennentde s'écouler ont coûté bien des
sacrifices à l'Espagne. On évalue à 500 millions de pesetas par an les
dépenses auxquelles elle devait faire face et à 15.000 hommes les pertes
qu'elle subissait. Par les chiffres de la l*"» année, qui n'ont fait qu'aug-
menter par la suite, on peut se rendre compte des pertes essuyées de
chaque côté. Au 31 mars 1896 les insurgés avaient eu, d'après des
rapports officiels, 4.338 morts et 1 .988 blessés (ces chiffres sont trop
précis pour être exacts, les morts et blessés étant très difficiles à cons-
tater). De leur côté, les Espagnols avaient eu 5.196 morts dont 304 offi-
ciers. Les blessés et surtout les malades étaient en nombre considérable.
A la fin de juin 1896, il y avait 6.000 hommes dans 42 hôpitaux el
il en mourait 250 à 300 par mois. Au mois d'octobre, après la saison des
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L'INSURRECTION CUBAINE 423
pluies, le nombre des blessés et malades s*élevait à 13.600, avec 81 mé-
dedûs seulement. Ce chiffre de malades qui progresse sans cesse,
g'eiplique par le fait que la plupart des envois de troupes à Cuba sont
composés de jeunes soldats du contingent. Or, on sait j^ar Texemple de
l'expédition de Madagascar, combien peu de résistance ceux-ci offrent à
la fatigue et au climat.
D'après les dernières statistiques officielles espagnoles, 2.135 officiers
et soldats ont été tués ou sont déjà morts de leurs blessures; 8,627 ont
reçu des blessures entraînant leur réforme. Autrement considérables
ont été les pertes résultant de maladies :. plus de 45.000 hommes sont
morts de la fièvre jaune ou d'autres épidémies; 47.000 ont été ren-
voyés en Espagne comme impropres au service par suite de dyssenterie,
fièvres paludéennes, etc. Actuellement il y a encore plus de 40.000 ma-
lades répartis en 56 hôpitaux. Si l'on ajoute à ces pertes celles des
insurgés, des habitants victimes de la guerre et des reconcentrados, on
peut bien dire sans exagération que 200.000 êtres humains dorment de
leur dernier sommeil dans la vaste nécropole de Cuba. A quel chiffre
arrivera-t-on quand sera terminée la guerre que les États-Unis viennent
d'entreprendre t au nom de l'humanité » I
On comprend facilement, qu'en présence de cette énortoe déperdition
d'hommes, les troupes espagnoles soient sensiblement réduites. Et
cependant, la métropole n'a pas marchandé les renforts! Au moment où
éclata l'insurrection, l'Espagne avait 21.700 hommes à Cuba. Le 8 mars
1895 furent embarqués les premiers renforts. Les envois de troupes ne
discontinuèrent pas et, à la fin de l'année, 86.000 hommes avaient déjà
été envoyés à Cuba. Lorsque le général Weyler remplaça le maréchal M.
Campos, de nouvelles troupes quittèrent enœre la péninsule, et, au 1^
mars 1897, le chiffre des renforts expédiés aux Antilles s'élevait à 192.109
hommes dont 4.827 à destination dePuerto-Rico. A la fin de 1897, il fallut
encore combler les vides qui s'étaient produits et 25.000 hommes vinrent
s'ajouter aux précédents. En résumé, 233.000 hommes ont quitté la
péninsule, à destination de Cuba. En outre, environ 100.000 volontaires
ont été levés et armés dans toute l'ile pour appuyer les troupes régulières.
Habituées au climat, ces troupes insulaires ont présenté une force de
résistance autrement considérable que les jeunes soldats du contingent.
Bonnes pour la guerre de guérillas, elles n'ont cependant pas, en raison
de leur composition variée, la valeur militaire de l'armée régulière.
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I
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424 REVUE FRANÇAISE
Que reste- 1- il aujourd'hui de cet immense effort fait par l'Espagne?
L'armée régulière compte environ 100.000 hommes ; mais si Ton fait la
déduction des indisponibles et des n©n-valeurs, le chiffre réel des com-
battants effectifs ne dépasse pas 75.000 hommes. Il faut y ajouter envi-
ron 80.000 volontaires qui, s'ils résistent au climat, n'en sont pas moins
éprouvées par les fatigues et les privations. Le chiffre des disponibles
peut donc être ramené à 65.000 hommes. 11 est vrai que de nouveaux
enrôlements ont eu lieu parmi la population insulaire depuis la décla-
ration de guerre ; mais ces nouvelles levées ne sont pas encore aptes a
rendre de réels services.
Le maréchal Blanco ne peut donc disposer que de 140.000 hommes
environ, toutes forces comprises. Ce sont pour la plupart des hommes
aguerris; mais comment avec si peu de troupes, le maréchal pourra-t-il
défendre une île qui a près de 1.500 kilomètres d'une extrémité à l'autre,
soutenir la lutte contre les insurgés cubains, et faire faceaux Américains
quand ils débarqueront. Jusqu'au mois d'octobre, il aura pour lui la
mauvaise saison et le vomito negro qui seront ses plus utiles auxiliaires
contre les Américains. Mais après?
L'armée espagnole est formée de trois corps d'armée, commandés par
des lieutenants généraux. Le 1*^'* corps a son quartier général à Santiago;
le 2« àPuerto-Principe; le 3^ à la Havane. Les régiments d'infanterie
sont à 3 bataillons ; mais la véritable unité de combat est le bataillon,
formé à 4 compagnies, sous les ordres d'un lieutenant-colonel. Il > a,en
outre, une guérilla montée de 60 hommes attachée à chaque régimeol
d'infanterie et à chaque bataillon de cazadores (chasseurs).
S'il est assez facile d'établir un état des forces espagnoles, il n'en est
pas de môme en ce qui concerne les insurgés. D'après les renseignements
de source cubaine, ceux-ci seraient de 35 à 40.000 ; mais dans ce nom-
bre il y a environ 10.000 honmies qui ne sont par armés. Comme
chez les Espagnols, le bataillon représente l'unité de combat; mais beau-
coup d'insurgés ne sont groupés qu'en bandes d'effectif très variable.
L'organisation militaire est sommaire et la discipline n'est que très rela
tive. La cavalerie des insurgés est bien montée, et nombreuse; on l'éva-
lue à une douzaine de mille hommes, ce qui leur 'donne une grande
mobilité. C'est ainsi qu'une bonne partie des forces qui traversa l'île
jusqu'à Pinar-del-Rio avec Maceo, était montée. Par contre, l'artillerie
est insignifiante.
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426 REVUE FRANÇAISE
N'ayant pour ainsi dire pas d'uniforme, Tannée insurgée présente un
aspect assez bizarre. Si un certain nombre de soldats portent la veste et le
pantalon coutil, d'autres ne possèdent qu'un pantalon et une chemise. lien
est môme, comme les noirs de Lacret et de Quintin Banderas, qui n'ont
pour unique costume, qu'un morceau de toile autour des reins ou un
sac percé d'ouvertures pour laisser passer la tête et les bras. Le « colonel »
I^acret, qui exerçait la profession de lampiste avant la guerre, est d'ori-
gine française, descendant sans doute des Français qui, après la perte de
Saint-Domingue, vinrent s'établir dans la province de Santiago.
L'armement des insurgés présente autant de variété que l'habille-
ment. L'infanterie possède des fusils de plusieurs systèmes : Mauser,
Remington, Coll, Winchester, etc. ; elle est aussi armée du machete, qui
est cependant l'arme ordinaire de la cavalerie. Sur divers points reculés
des forêts ou des montagnes, les Cubains ont établi des dépôts d'armes
et d'approvisionnement, des ateliers de réparations. C'est dans ces
refuges, généralement peu accessibles aux troupes espagnoles, qu'ils vont
se refaire de leur fatigues. Le service de santé n'existe pour ainsi dire
pas, de même que celui de l'intendance. Le Cubain se nourrit des fruits
tropicaux : Tigname, la banane, etc. Le complémentde nourriture, comme
celui d'habillement, il le trouve dans la capture des convois ou dans le
pillage des villages.
Bien que la guerre de Cuba soit une guerre de races, en même temps
qu'une guerre politique, le nombre des blancs dans les rangs des insur-
gés est plutôt supérieur à celui des noirs.
La répartition des forces des insurgés peut être établie approximati-
vement de la façon suivante. C'est dans la province de Santiago, foyer
de toutes les insurrections, que les révoltés sont en plus grand nombre,
12 à 15.000 répandus principalement dans le triangle compris entre
Santiago, Holguin et Manzanillo. Us sont sous les ordres de Galixto
Garcia, un des vétérans de la précédente insurrection.
Dans la partie centrale de l'île se trouve le généralissime Maximo
Gomez, avec 6.000 hommes. Son quartier général se trouve près de
Santi-Spiritus, dans la province de Santa-Clara. U n'a généralement,
autour de sa personne, que très peu de monde, sa tactique consistant à
toujours refuser le combat, et à inquiéter sans cesse son adversaire pour
l'user en détail.
Entre Santa-Clara et Santiago, un autre groupe d'insurgés est établi
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L'INSURRECTION CUBAINE 427
dans la province de Puerto-Principe. C'est là que se trouve la région
du Camaguey, le maquis par excellence de Cuba, refuge assuré des
bandes insurrectionnelles.
Dans la partie occidentale de l'île les insurgés sont répartis en trois
groupes principanx. Mayia Rodrigues a le commandement des forces
qui évoluent entre la Havane et Matanzas. Betancourt se tient dans la
région de Matanzas avec 2.000 à 2.500 hommes. Avec des forces à peu
près égales Pedro Diaz a son centre d'action dans la province de
Pinar-del-Rio.
Telles sont les forces insurgées. Elles ne manqueront certainement
pas de s'accroître, lorsque la misère se sera fait sentir encore davan-
tage dans toute Tîle et lorsque les Américains seront en mesure de
distribuer, à tous ceux qui en attendent, des armes et des munitions,
LES CHEFS CUBAINS.
Un des premiers soins des insurgés cubains a été d'organiser un
gouvernement provisoire dont le fonctionnement est plus apparent
que réel ; il n'a pas, en effet, de résidence fixe, ses membres étant aussi
errants que les bandes révoltées qui ne possèdent pas une place de
sûreté.
Le Président de la République cubaine est M. Bartolomé Masso, assisté
de MM. Mendez Capote, vice-président, José Aleman, ministre de la
guerre, d'un secrétaire d'État et d'un ministre des finances dont les
fonctions sont des plus simplifiées. Des représentants du gouvernement
provisoire sont établis dans les principaux pays d'Amérique et d'Europe.
En France ces fonctions sont dévolues au D^ Betancès. A New-York est
oi^anisée une junte centrale.
Le Président Masso, qui est né à Manzanillo en 1832, a pris part à
l'insurrection de 1868. Le 18 septembre 1895 il fut choisi comme vice-
président et le 29 octobre 1896 comme Président du gouvernement
provisoire, fonction dans laquelle il a succédé au marquis de Santa-
Lucia. n a, en outre, le grade dégénérai de division. Vieillard maladif
et exalté il passe, cependant, pour être un des rares cabedllas partisans
d'une guerre humanitaire.
Le vice-président Mendez Capote est né à Cardenas. Avocat-conseil
au chemin de fer de l'Ouest, il se démit de sa charge pour prendre le
commandement d'une troupe d'insurç:és. 11 a le grade de général de
brigade.
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428 REVUE FRANÇAISE
Le ministre de la guerre, général de brigade, José Aleman, est né
à Santa-Clara. II est âgé de"34 ans; avant Tinsurrection il était dinectenr
d-un journal et adjoint au maire de Santa-Clara.
VEjercito libertador (armée libératrice) comprend un état-major
général qui, ainsi qu'il arrive toujours en Amérique, est très fortement
galonné. Le chef suprême est Maximo Gomez. Voici le [>orlrait qu'en
trace M. Espinasse-Secondat :
« Un front large, des yeux étincelants, une forte moustache blanche
tombante — ce qui lui a valu de la part des Espagnols le sobriquet de
Chvw viejo (vieux chinois), — telle est la physionomie du généralissime
de l'armée séparatiste. Né à Saint-Domingue en 1836, Gomez, après
avoir lutté contre l'occupation espagnole de 1861 à 1864 comme olTi-
èier, se range parmi les insurgés cubains de 1868. Le Président Cespe-
dès le choisit pour son chef d'état-major. Gomez révèle ses aplitudt^
pour la guerre de partisans dans la province de Santiago, dans h
Camaguey, dans le territoire des Villas; il y gagne le grade de généml.
Un ulcère à la jambe Toblige à restreindre son activité et nécessite la
présence constante de deux médecins à ses côtés; il ne peut montera
cheval qu'à l'amazone. Astucieux, réfléchi, audacieux le généralissime
séparatiste jouit d'une réputation de tacticien remarquable. C'est après les
généraux Sherman et Lee que le maréchal de Moltke cite Gomez dans
ses mémoires. Gomez, est d'ailleurs, la seule figure vraiment militaire
des insurgés ».
A côté de Gomez, le mulâtre Antonio Maceo, tué en décembre 1895,
exerçait une grande influence sur l'élément de couleur. Muletier de pro-
fession, entreprenant et ambitieux il avait toutes les ([ualités du cabe-
cilla. A part Calixto Garcia, les autres chefs insurgés sont restés jus-
(pi'ici au second plan.
On s'est demandé de quels secours les insurgés pourraient être aux
Américains. Pour les reconnaissances, les combats d'avant-garde, les
coups de main, ils seront de précieux auxiliaires; mais il n'en sera sans
doute pas de même pour les opérations régulières. Malgré leur bravoure
ils ne rendraient pas. en bataille rangée, les services que l'on parait
attendre d'eux. Leur caractère indépendant, leur genre de vie, leur
tactique de combat ne les porteront que diflicilement à se plier à une
coopération régulière.
Bien que toutes les avances des Espagnols pour les amener, moyen-
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GlERRE HlSPANO-AMERICAfNE 45>0
nantde grandes mais tardives concessions, à déposer les armes en pré-
sence de l'invasion américaine, aient totalement échoué, les Cubains
n'en auraient pas moins préféré ne devoir qu'à eux-mêmes le soin de
conquérir leur indépendance et se passer du concours de Tamiée amé-
ricaine. Des secours en armes, munitions, approvisionnements leur
auraient suffi. Néanmoins, par haine de l'Espagne, ils n'en prêteront
])as moins une assistance effective à leurs alliés. Mais, au lieu de jouer
le rôle principal comme ils Tespéraient, ils ne figureront que comme
comparses. Et lorsque les Américains auront déversé à Cid^a un flot
d'hommes en armes, les Cubains seront noyés dans la masse des com-
battants. Ils s apercevront alors — trop tard aussi — qu'ils n'ont fait
que changer de maître. Le joug sera différent, mais ils ne gagneront
rien au change.
G. Vasco.
GUERRE HISPANO-AMERICAINE
(1)
opérations a cuba
Malgré la mauvaise saison, les opérations militaires sérieuses viennent
de commencer à Cuba. Ayant acquis la certitude que l'escadre de l'ami-
ral Cervera se trouvait réellement à Santiago, les Américains se mirent
en devoir de reconnaître le terrain aux alentours de la rade afin de
tenter un coup de force pour pénétrer à rintérieur ou de tourner les
défenses de la passe par un débarquement. Bloquer l'escadre espagnole
ne leur suffisait pas, il fallait encore la capturer ou la détruire.
Le 31 mai, le conwnodore Schley ouvrit une sérieuse canonnade
contre les positions fortifiées de la Socapa, du Morro, d'Estrella, de Ca-
talina et de la Punta Gorda constituant la défense de la rade ('). De part
et d'autre les per'es ont été insignifiantes. Cette affaire permit aux
Américains de constater qu'ils avaient à combattre un ennemi bien for-
tifié.
L'amiral Sampson, qui avait rejoint la flotte, résolut alors d'obstruer la
passe afin de rendre impossible la sortie de l'amiral Cervera. Dans ce
ce but, il fit embarquer sur un bateau charbonnier, le Merrimac, Tin-
génieur Hobson avec sept hommes, juste ce qu'il fallait pour le diriger,
(1) Voir Revue Française^ t. XXIII, p. 363.
(2) Voir la carte de Santiago, Revue Française^ juin 1898.
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430 flBVII& FRANÇAISE
et le chargea d'aller couler ce bâtiment dans la partie la plus étroite du
chenal. Le 3 juin avant le jour, le Merrimac parrkrt à s'avancer jus-
qu'à rentrée du goulet et à s'y engager. Accueilli alors parone canon-
nade nourrie, le navire ne tarda pas à sauter et à couler, mais noa
dans la partie la plus étroite du chenal qui resta libre pour la naviga-
tion» L'ingénieur Hobson et ses hommes, qui avaient pu sauter dans
une embarcation, furent faits prisonniers. Parmi les auteurs de cet acte
de dévouement pour lequel ils s'étaient spontanément offerts, on ne
compte que trois Américains; les cinq autres sont étrangers et parmi
eux un Canadien-Français, Georges Charette.
Le 6 juin, nouveau bombardement des forts de Santiago contre les-
quels Tamiral Sampson lance 1.500 projectiles. Cette fois les pertes des
Espagnols sont plus sérieuses : 7 morts et 39 blessés, dont 5 officiers,
tant dans les forts que sur le croiseur Reina Mercedes servant de bat-
terie flottante. Suivant Tusage les Américains déclarent n'avoir eu que
des pertes et des avaries insignifiantes. Ou les artilleurs espagnols sont
bien peu au courant de leur métier, ou leurs munitions sont de fort
médiocre qualité, ce qui parait plus vraisemblable.
En vue de préparer le débarquement d'un corps expéditionnaire
chargé d'enlever Santiago de vive force, la flotte américaine bombarde
à plusieurs reprises les diverses positions occupées par les Espagnols
surleUttoral environnant Santiago. Plusieurs navires pénètrent dans
la baie extérieure de Guantanamo à l'est de Santiago et débarquent à
Gaimanera 800 hommes de troupes de la marine (7 juin). Ceux ci sont
assaillis par les forces — volontaires pour la plupart — que les Espagnols
ont dans ces parages, et forcés de reculer après une longue lutte qui
ne leur coûte cependant que quelques tués, mais beaucoup de malades
d'insolation. Cependant l'artillerie des navires de guerre arrête les Espa-
gnols et permet aux Américains de camper sur le rivage.
Le 16 juin, nouvelle et violente canonnade des Américains contre les
forts de Santiago. Les Espagnols ont 3 morts et 18 blessés. Un obus
espagnol atteint le cuirassé Texas, tue 1 homme et en blesse 8.
Pendant que l'amiral Sampson tâtait ainsi les positions des Espagnols-
le corps d'armée rassemblé à Tampa (Floride) sous Jes ordres du géné-
ral Shafter, prenait la mer sur Si transports escortés par des navires de
^^uerre. Ce corps expéditionnaire compte 773 officiers, et 14 S64 hommes
presque tous réguliers, ainsi répartis :
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GUERRE HISPANO-AMÉRICAINE 431
Infanterie : 17 régiments de réguliers et 1 de volontaires, soit 11 ^27<i
officiers et soldats;
Cavalerie : 2 escadrons de réguliers et 2 de volontaires non montés,
soit 3.034 officiers et soldats parmi lesquels les rough-riders (ehevau-
légers) de New- York des colonels Wood et Roosejrelt. Un escadron de
9 officiers et 280 hommes est seul monté, le transport dès chevaux
ayant présenté de grandes difficultés;
Artillerie : 4 batteries légères et 2 de siège avec 18 officiers, et 4^>t}
hommes;
Génie et télégraphistes : 11 officiers et 245 hommes.
Afin de faciliter le débarquement, 4.000 insurgés sous les ordres iW.
Calixto Garcia ont été embarqués à Asserraderos, à l'ouest de Santiago
et transportés par mer près de Baiquiri où se trouvait déjà le ciief
insurgé Castillo avec 1.200 hommes.
Un nouveau corps de troupes, s'élevaut à 10.000 hommes, doit s i.nj-
barquer à Tampa pour renforcer le général Shafter.
Pour résister à Tattaque les Espagnols disposent de 10.000 homrrres
à Santiago même sous les ordres du général Linarès. Entre Sajiti;igu
et Guantanamo se trouvent 8.000 hommes commandés parle gênerai
Luque. Enfin dans l'intérieur de la province il y a environ lO.OOU
hommes avec le général Pando, commandant le corps d'armée de l'e.^l
qui marche au secours de Santiago.
La flotte expéditionnaire partie de Tampa le 14 juin, se trouva réunie
le 20 devant Santiago. Deux jours se passèrent encore en conférences
entre l'amiral Sampson, le général Shafter et le chef Calixto Garcia
pour le choix du point de débarquement. On se décida pour Baiqiiiri.
à environ 24 kilomètres à l'est de Santiago, où se trouve une petite baie
et un débarcadère servant à une exploitation minière. Le 22 juin le
débarquement commençait, sans obstacle de la part des Espagnols.
Quelques escarmouches ont eu lieu avec les troupes espagnoles «jiii se
concentrent autour de Santiago. Entre Jaragua et Sevilla les /vif^ft
ridersy qui s'avançaient sans précaution à travers la brousse, sont imn-
bés dans une embuscade et ont eu 22 tués dont 2 officiers et enTir*»»!
80 blessés. Les Espagnols ont perdu 8 tués et 23 blessés. La chaleur e^^t
intense et les pluies rendent les chemins impraticables.
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i;J2 REVUE FRANÇAISE
SOULÈVEMENT DES PHILIPPINES
Obligé, faute de troupes de débarquement, de rester sur la défensive
après son succès de Cavité, Tamiral auiéricain Dewey en attendant Var-
rivée des troupes qui lui étaient annoncées, fournissait à Aguinaido, le
chef de la dernière insurrection des Tagals, les moyens de soulever de
nouveau les indigènes contre les Espagnols et mettait à sa disposition,
argent, armes et munitions.
Dans les derniers jours de mai, l'insurrection éclatait partout & la fois
dans Tîle de Luçon, surprenant les Espagnols par l'impétuosité de son
mouvement. Les communications étaient coupées de tous côté, et le
général Augustin à Manille était séparé de plusieurs de ses lieutenants.
La province de Cavité, centre de la dernière insurrection, s'était soulevée
en masse. Les villes de Bacolor, Imus, Vieux Cavité, tombaient succes-
sivement au pouvoir des insurgés. Les petites garnisons espagnoles
étaient obligées de capituler. Quand aux soldats indigènes, qui avaient
cependant fait preuve de fidélité dans la précédente insurrection, ils
passaient à Tennemi avec armes et bagages, et tiraient même avant sur
les officiers et sous-officiers espagnols qui les encadraient. Cette désertion
des troupes indigènes met dans la situation la plus critique les troupes
espagnoles, qui, épuisées par la chaleur du climat, ont été obligées de
se replier sous les murs de Manille. Les insurgés bloquent complètement
la ville, mais ne peuvent attaquer avant l'arrivée des troupes américaines
faute d'artillerie. Le nombre de ceux qui sont annés de fusils est éva-
lué à 30.000 par le général Augustin.
Après le départ pour les Philippines des 2 500 hommes qui, sous les
ordres du général Anderson, ont quitté San-Francisco le 2S mai, sur
les transports City of-Pekin, CHy-of-Sydncy et Austrcdia^ les Américains
ont organisé un 2^ convoi de troupes d'égale force. Celui-ci s*est embarqué
le 13 juin à San-Francisco, sur les transports CAtna, ZelandiaeiSenetor,
Une 3*^ expédition, forte de 4.000 hommes, est partie le 27 juin sur les
transports OAto, City-of-Para, Morgan-City et Indiana. Le 29, le géné-
ral Meritt, commandant en chef, s'est embarqué sur le Newpori. Enfin,
une 4^ expédition est en préparation.
D'autre partie monïiov Monter ey, qui est puissamment armé et file 16
nœuds(l)a été envoyé à l'amiral Dewey. Ce bâtiment a quitté San-Fran-
(1) Voir Rev. Fr. juin 1898 p. 363, dessin et description de Monkrey.
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GUERRE HISP.\.\0-AMERICA1NE 433
cisco le 6 juin, accompagné d'un navire charbonnier. Enfin, apprenant le
départ d'une escadre espagnole pour les Phillippines, le gouvernement
de Washington, a fait partir, le 23 juin, le monitor Monadnock pour
Manille, avec un charbonnier. Le Monadnock qui est un mauvais mar-
cheur (il n'a pu donner que 13 n.) ne sera pas rendu à destination avant
fin juillet. Ces deux cuirassés sont armés de pièces de tir gros calibre.
Après avoir perdu un temps considérable depuis le désastre de Cavité
({'^ mai), sans avoir seulement tenté d'envoyer le moindre renfort aux
Philippines, le gouvernement espagnol s'est décidé tardivement, à faire
partir pour TExtrôme-Orient, un corps expéditionnaire de 4 à 3000 hom-
mes et l'escadre de réserve en formation à Cadix, sous les ordres de
Tamiral Camara. Prise il y a un mois, avant le développement de Tin-
surrection, cette décision aurait sans doute produit d'excellents résul-
tats. Mais aujourd'hui la tâche de l'amiral Camara est des plus difficiles.
Il lui faudra combattre l'escadre américaine, débarquer ses troupes et
essayer, avec des fosces insuffisantes, de reconquérir l'île de Luçon qui
sera sans doute perdue pour l'Espagne, au moment de son arrivée, car
la situation de Manille est très critique et la place ne pourra résister
longtemps aux attaques combinées des insui^és et des troupes améri-
caines débarquées.
Parti de Cadix, le 16 juin, l'escadre espagnole marchant à petite vi-
tesse, a mis 10 jours pour traverser la Méditerranée, car elle n'est arrivée
à Port-Saïd que le 26. Il est probable qu'elle ne parviendra pas à des-
tination avant la fin do juillet. La distance de Cadix à Manille étant de
plus de 8.000 inilles, il faut pour la franchir, 42 jours à la vitesse de 8 n.
et 34 jours à la vitesse, de 10 nœuds.
L'escadre comprend 12 bâtiments : le cuirassé Pelayo (16 nœuds)
vaisseau amiral, le croiseur cuirassé Emperador Carlos V (21 u.) (1) les
contre-torpilleurs Audaz, Osado, Proserpina (de 30 n.), 7 transports
chaînés de troupes et de charbon, afin de permettre à l'escadre de se
ravitailler par ses propres moyens.
Parmi les transports figurent les magnifiques paquebots Patriota et
Rapide (anciens Columbia et Normannia achetés à la C'^ hambourgeoise)
de 7.600 et 8.700 t., filant 21 n.. Ces navires, transformés en croiseurs
auxiliaires, portent chacun 6 canons de 203 mm. et 6 de plus petit
(1) Voir p. 416, dessin et description da Carlos V,
xxui (JuiUet 98). N- 235. 28
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434 REVUE FRANÇAISE
calibre. Les autres transports sont des transatiantiques : Buenos-Aim
(8.200 t. U n.) ayant 10 canons, Ma de Panay (3.630 t. 13 n.) armé
de 2 canons, Covadonga, navire charbonnier, San-Franciaco et Colon
portant des approvisionements et du charbon. L'escadre a 4.437 hom-
mes d'équipage.
Le secret gardé sur la composition de Tescadre, permettait de croire
au dépai't d'un corps expéditionnaire important. Or, le passage dans le
canal de Suez ne révèle la présence à bord, que de 2.147 honunes de
troupe. Le Rapido et le Fatria, qui transportiiient facilement en Amé-
rique 1.200 à 1.5<K) passagers, n'auraient à leur bord que 200 soldats
chacun. On- se demande alors quel est le but de l'expédition, si de
nouveaux transports ne suivent pas prochainement. Ce n'est évidem-
ment pas avec 2,000 hommes, que l'Espagne prétend reconquérir les
Philippines et lutter contre les troupes américaines?
Telle qu'elle est composée, l'escadre espagnole, sans compter les navires
auxiliaires qui ne sont que des navires sans grande valeur pour le com-
bat, est en mesure de lutter avec avantage contre l'escadre américaine,
qui n'a pas de cuirassé. Mais l'amiral Dewey sera difficile à vaincre
lorsque le monitor Motiterey et plus tard le Monadnock, l'auront rejoint
devant Manille. Il est possible alors que l'amiral Camara évite le combat
et cherche plutôt à tromper et à fatiguer son adversaire.
G. DE Lasalle.
EXPLORATEUÏÎS ET VOYAGEURS
AFRIQUE
Deux explorateurs français MM. Bailly- For filière et PatUy^ ont été
massacrés, le 16 mai dernier à Zolou, entre les rivières Loffa et Saint-
Paul, dans le nord de la république de Libéria. Cette r^on, jusqu'ici
inexplorée, était peuplée de tribus belliqueuses sur lesquelles aucune
puissance n'exerçait d'influence. Les explorateurs étaient des jeunes
gens, qui s'étaient épris des questions coloniales et de la vie d'explo-
rateur. L'un d'eux, Adrien Pauly, avait fait en 1894, à peine âgé de
21 ans, un voyage dans le haut Sénégal. Partie de Konakry à la fin de
décembre 1897j la mission Bailly se rendit à Farannah, où elle était le
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EXPLORATEURS ET VOYAGEURS 435
28 janvier 1898. Avec ses 70 porteurs, elle traversa Benty, la Melkcorée,
Pharmoréa, Ouessou et Kaba, ou passe le télégraphe venant de la côte
et allant au Niger. Le pays ainsi parcouru est très fertile en orangers,
citronniers, bananiers, kolatiers, caféiers.
Après Farannah, M. Bailly entra dans le Kissi, pays montagneux, oiî
Ton cultive presque exclusivement les kolas. Après une marche de
120 kil. au sud de Farannah, les sources du Niger furent atteintes à
une attitude de 850 m. Partant alors pour Kissidougou, M. Bailly ren-
contra dans ce poste, le commandant du cercle M. Moreau, et deux autres
Français. Le 23 février, il repartit pour une direction S. 0., en vue de
traverser Thinterland de Libéria.
Le 13 mars, les deux explorateurs étaient à Sapouyébara^ dans la
partie basse de rOuaou. C'est de ce point qu'est partie leur dernière
lettre datée du 26 mars ; ils se proposaient alors d'entrer dans le pays
des Tomas, puis d'atteindre la rivière Loffa, de la descendre jusqu'à
Barkoma, de là sur le Cavally, enûn d'arriver à Grand-Bassam. C'est
dans ce voyage que les deux explorateurs ont trouvé la mort dans des
conditions qui ne sont pas encore connues.
M. de Béhagle (XXIII, 371), dans une lettre en date de Bangui,
2 mars 1898, annonce son arrivée dans cette localité. Son second, M.
Mercury, doit conduire jusqu'à Ouadda les approvisionnements de la
mission. Lorsque tout sera prêt, l'expédition s'enfoncera vers le nord,
dans la direction du lac Tchad. M. de Béhagle constate Tinaction des
fonctiomiaires du Congo et le développement de l'État belge au détriment
de tous les intérêts français.
M. Gentil (XXIII, 371) revenant du lac Tchad, est arrivé au Gabon
le 26 mai. Il s'est embarqué dans le milieu de juin jiour rentrer en
France. Il est accompagné de l'ambassade que le sultan du Baguirmi
envoie en France.
Une lettre du capitaine Marchand (XXIII, 245), en date de Souhé, l^*^
décembre 1897, fait connaître qu'à cette date, l'embarquement du maté-
riel sur le Nil était en train de s'effectuer. Les inembres de l'expédition
étaient dans un état de santé aussi bon que possible.
M. de Bonchamps est arrivé à Mai*seille le 25 juin, après s'être embar-
qué à Djibouti, au retour de son expédition sur le haut Nil. A son
départ d'Addis-Abeba, sa mission secomposait de 120 hommes. Au cours
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436 REVUE FRANÇAISE
de son voyajïe, il a eu 20 morts ou tués et 20 déserteurs; par 6 fois, il
a dû reformer les cadres de son expédition. Il a pu s'approcher à un
degré du Nil Blanc, après avoir traversé des pays encore inconuus cl
déserts. Se voyant dans Tinipossibilité de se procurer des vivres, il a
dû revenir sur ses pas, se trouvant à 400 kil. de la frontière de TAbys-
sinie. S'il avait eu quelques embarcations légères, il aurait pu les lan-
cer sur le fleuve Baro et se rapprocher ainsi de la mission Marchand.
Au cours de son exploration, M. de Bonchamps a signé des traités avec
plusieurs chefs, étendant ainsi Tinfluence de Ménélik jusqu'au Nil.
ASIE ET OCÉANIE
M. Marcel Monnier (XXÎII, 160) est arrivé à Paris le 26 juin, à la
suite du tour d'Asie qu'il vient d'effectuer. Parti de France à la fin de
1894, il a plus particulièrement visité l'Indo-Chine et la Chine. Traver-
sant ensuite la Sibérie, il a parcouru le Turkestan, le nord de la Perse,
la Transcaucasie et est rentré en Europe par la Russie.
M. ChaiUey-Bert a rendu compte de sa mission à Java. Il a constaté
combien les Hollandais savaient modeler le système administratif de
leurs colonies aux nécessités imposées par la nature des pays et le
caractère des habitants. Les fonctionnaires sont recrutés avec un grand
soin, et continuent, retraités, à vivre dans la colonie. Il y a à Java plu-
sieurs milliers de fonctionnaires qui vivent de leur retraite dans les
localités situées ta 500 et 700 mètres d'altitude. Les colons hollandais
vont là-bas sans esprit de retour et s'adonnent à la culture du café, du
thé, du poivre, de la cannelle, du tabac. Les terres, propriétés des
villages, sont réparties entre les familles, tous les â, 3 ou S ans. Mais
certaines 'terres ont été vendues aux Européens ou aux Chinois,
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NOUVELLES GEOGRAPHIQUES ET COLONIALES
AFRIQUE
Algérie : La cunirebande du sud. — La création de marchés francs dans
le sud de l'Algérie, réclamée par les uns, blâmée par d'autres, vient finale-
ment d'avoir des résultats opposés à ceux qu'on en attendait. Non seule-
ment le trafic n'a pas réussi, mais l'Algérie elle-même est l'objet d'an transit
actif par le Maroc. Le président de la Chambre de commerce d'Alger, dans
une lettre adressée au préfet, appelle l'attention sur la contrebande et les
transactions illicites qui s'effectuent dans tout le M'Zab ; il réclame l'appli-
cation, à Djelfa, Laghouat et au M'Zab, des mesures de répression appliquées
déjà à Boghari et â Médéa. La même situation est constatée à Bou-Saâda et
partout la contrebande s'exerce surtout sur les sucres de provenance anglaise,
qui arrivent du Maroc par Figuig, et non seulement se vendent à très bas
prix dans le sud, mais encore sont expédiés avec bénéfice sur le nord de
l'Algérie.
Sahara : Météorologie, — M. F. Foureau, au cours de ses 8 voyages au
Sahara algérien, de 1883 à 18%, a fait une série d'observations météorolo-
giques dont nous donnons quelques résultats d'après son dernier ouvrage (1).
Les vents les plus communs au Sahara sont ceux de N.-O. et de S-.E-
Chaque soir, presque en même temps que le soleil, le vent se couche, disent
lesChaambas; un seul vent fait exception, c'est celui du N.-E., appelé el
dùtâne (le diable) par les Arabes, parce qu'il persiste la nuit. Le chihili est
un vent chaud du S.-O., soulevant beaucoup de sable; il affole les boussoles.
Les chutes de grêle ne sont pas rares, et sont toujours accompagnées de
pluie.
La neige tombe tous les hivers sur les hauts sommets du Tassili des Azdjer
(plus de 1 500 mètres d'altitude). Duveyrier avait déjà signalé la neige au
Ahaggar et M. Erwin von Bary au Tassili des Azdjer en 1876.
En janvier 1893, à une altitude de 300 à 400 mètres, M. Foureau vit,
pendant plus d'une semaine, le thermomètre descendre chaque nuit à
— 6<>C.; le vent soufflait fortement du N.-O.; le matin, l'eau exposée à
l'air était recouverte d'une épaisse couche de glace.
Les fulguritas, fragments de verre grossier produits par la fusion du sable
sous le choc de la foudre, ont été rencontrés au Sahara par M. Foureau et
par M. Bernard d'Attanoux.
La mission Flatters, — Le Bulletin du Comité de C Afrique française publie
la note suivante qui met fin à la légende des survivants de la mission Flatters :
On se rappelle l'émotion très vive produite en France par Tex-interprète
arabe Djebari qui prétendait avoir rencontré, au cours d'un voyage qu'il
aurait fait en Afrique occidentale et centrale, des survivants de la mission
(1) Mon 9" voyage au Sahara^ mars-juin 1897. Cballeroel éditeur, 1898.
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438 REVUE FRANÇAISE
Flatters gardés en captivité dans une oasis de TAdar. Un comité spécial s'était
même constitué pour aviser aux moyens de secourir et de délivrer ces
Français. Un rapport du capitaine du génie Cazemajou, envoyé par le mi-
nistère des colonies et le Comité de l'Afrique française pour reconnaître la
ligne Say-Barroua, établit que les assertions de M. Djebari sont absolument
fantaisistes. Les conclusions de ce rapport sont les suivantes:
i^ n n'y a jamais eu de survivants de la mission Flatters ni à Thaoua, ni
sur aucun autre point de TAdar ;
29 M. Djebari n'est jamais venu dans l'Adar.
Congo Iranç€d8 : Commerce en 48%. -> L'administration coloniale a été
jusqu'ici fort sobre de renseignements sur la situation commerciale du Congo
français. Elle se décide à donner dans la Revue coloniale une statistique qui
remonte, il est vrai, â 1896, mais qui n'en est pas moins instructive par ses
cbifiPres. En 1896, les importations au Congo français ont atteint une valeur
totale de 4.796.000 fr., dont 1.502.000 fr. seulement de produits irançaig.
L'Angleterre a vendu à notre colonie consulaire pour 1.795.000 ir., soit sen-
siblement plus que la métropole; l'Allemagne lui a vendu pour 800.000 fr.,
la Hollande pour 203.000 fr., l'État du Congo pour 325.000 fr., etc.
Les principaux produits importés au Congo français sont : les fils et tissus
(1.506.000 fr.), les boissons (716.800 fr.), les ouvrages en métaux (561.000 fr.)
les armes, poudres et munitions (263.000 fr.), les produits et dépouilles d'a-
nimaux (202.600 fr.).
Pendant la même année 1896, les exportations du Congo français ont été
de 4.746.000 fr. (c'est-à-dire presque égales aux importations) dont 4 mil-
lions 570.000 fr. de marchandises du cru de la colonie. La France a reçu
pour 583.400 fr. de produits de sa colonie, tandis que l'Angleterre en a ab-
sorbé près de 4 fois plus (1.910.000 fr.), l'Allemagne 621.000 fr., l'État du
Congo 725.600 fr„ etc. La France n'arrive donc qu'au 4« rang.
Les exportations du Congo finançais consistent notamment en huiles et
sucs végétaux (2.085.000 fr.), matières dures à travailler (1.772.300 fr.), bois
exotiques (456.000 fr.), fruiU et graines (209.000).
Le Congo est encore une de nos colonies où la plus grosse par t^ du trafic se
trouve être aux mains des étrangers. Ce résultat contraste étrangement avec
celui du Congo belge où 73 0/0 des produits importés sont de provenance
belge.
État du Congo : Commerce en 4897 (t. XXII, p. 613). — Toujours
remarquable dans ses résultats, le commerce général total de l'État du
Congo a atteint, en 1897, 40.884.000 francs, dont 17.457.000 fr. pour les
exportations et 23.427.000 fr. pour les importations. Comparé à l'année
précédente, il y a une plus-value globale de 31 0/0, et si on compare 1897
à 1893, on trouve en 4 ans une progression de 140 0/0.
Les importations au Congo consistent surtout en tissus de coton, denrées
alimentaires, conserves, articles en métal, machines, etc.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONULES 439
Les quantités d'alcool importées ont Congo ont fort heureusement baissé
de 1.465.500 litres en 1895 à 1.138.000 litres en 1897.
Les recettes de TEtat du Ck)ngo, qui n'étaient que de 74.000 fr. en 1886, se
sont élevées suecessivement à 1.319.000 fr. en 1891, à 5.887.000 en 1896, et à
9.183.000 en 1897 ; les recettes, qui n'atteignaient que 4,87 0/0 des dépenses
en 1886, 28,97 0/0 en 1891, ont atteint en 1897 68,21 0/6 des dépenses. Il y
a donc amélioration sensible.
Les produits exportés par l'Etat du Congo sont surtout, pour 1897, le
caoutchouc (1.785.000 kg., valant 8.927.000 fr., contre 242.000 kg. seule-
ment en 1893); l'ivoire (245.800 kg., valant 4.916.500 fr.); le café, le cacao,
l'huile de palme, les noix palmistes. La Belgique seule a acheté en tout pour
12.88^^.000 fr. de produits congolais en 1897, soit plus des 2/3 des produits
exportés.
Sous le rapport des importations, la part de la Belgique est plus brillante
encore, car elle est de 73 0/0 — 16 millions sur 23. 11 y à 5 ans elle n'était
que de 48 0/0. On voit par là quel merveilleux parti les Belges savent tirer
du Congo et quel exemple ils nous donnent.
Madagascar : Situation. — La un de la saison des pluies va permettre
de reprendre les opérations contre les Sakalaves du Ménabé. Des tirailleurs
sénégalais, dont l'endurance a été particulièrement remarquée, vont être
. spécialement employés, dès leur arrivée, à ces opérations. Quant à la péné-
tration chez les Mahafales, Antandroys et autres tribus situées entre Fort-
Dauphin et TuUéar, la réduction du corps d'occupation ne permettra d'agir
de ce côté qu'après la complète pacification du Ménabé.
Le Journal officiel de Tananarive a publié un arrêté en vertu duquel tout
indigène âgé de 21 ans et originaire de l'Imérina doit le service militaire
pour 5 années, conformément à la loi malgache du 25 mars 1879. Mais
l'exonération sera admise moyennant un versement variant de 50 à 150 fr.,
selon le nombre des années.
Colonisation, — Le général Gallieni, dans son voyage au N.-E. de l'Emyrne
et dans la vallée de la Mananara, a pu constater les progrès de la colonisa-
tion. A Ambatomainty, village arrosé par le Sahasarotra, le Père Crâne con-
tinue à développer les rizières, les pépinières d'arbres et les jardins potagers.
La concession obtenue, dans la vallée de Mananara, par M. Sauton, archi-
tecte, fils de l'ancien président du conseil municipal de Paris, est très fer-
tile, surtout pour les céréales. M. Sauton se propose de se livrer en grand
à la culture du blé, afin de fournir la farine à Tananarive â un prix très bas. Il
compte aussi cultiver l'avoine de la même façon (afin de remplacer le paddy
pour la nourriture des animaux de selle et de trait).
M. Bontemps, géomètre, qui opère dans le cercle de Anjozorobé, délimite
ane concession de 2.500 hectares attribuée à M. Souhaité, sur la rive droite
de la Mananara. La pacification trop récente du pays n'a pas encore permis
à l'agriculture indigène de prendre tout son développement, mais chaque
our amène de nouveaux progrès.
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iiO REVUE FRANÇAISE
Dans le secteur de Manankasina (cercle d'Ankazobé) 10 lots de colonisation
ont été reconnus, sur les rives de llkopa; ils ont de l'eau et de la tourbe
en abondance. Dans le secteur d'Ambohimanjaka, 3 lots ont été reconnus.
La vallée de la Mananara est une des régions les plus favorables à la colo-
nisation. L'eau y est abondante, les pâturages sont excellents, le terrain esl
très bon et le pays salubre. Les indigènes cultivent le riz, les patates, le
manioc, le maïs, les pommes de terre, les haricots, le tabac, les arbres frui-
tiers. Tous les légumes d'Europe viennent bien, ainsi que le blé et Tavoine.
L'élevage peut très bien réussir.
Prix de la vie à Tananarive. — La vie matérielle est chère à Tananarive»
par suite des difficultés de transport entre la côte et Tintérieur et aussi à
cause de Taffluence des nouveaux colons. Une pension au restaurant vaut de
100 à 180 fr. par mois ; le loyer d'une maison d^habitation coûte de 60 à
180 fr., celui d'un magasin sur une rue fréquentée coûte jusqu'à 450 fr.
Un repas d'hôtel se paie 3 à 4 fr. Le vin ordinaire vaut 2 fr. 50 à 3 fr. le
litre et le pain 1 fr. 50 le kilogr. On sait, par contre, que les produits do
pays sont à très bon marché.
Cyclisme, — Il est assez curieux de constater l'extension du cyclisme dans
un pays qui ne possède encore pas de roules, car la circulation à bicyclette
n'est quelque peu praticable que dans les environs de la capitale. Ce sport a
du succès, non seulement chez les Européens, mais encore chez les Mal-
gaches. Le 47 avril a eu -lieu sur la place Mahamasina, autrefois réservée
au couronnement des souverains, une brillante réunion organisée par le
Sport-Club de Tananarive et présidée par le général Gallieni. Des courses
ont eu lieu pour Européens et pour Malgaches. La réunion a pris fin sur un
défilé auquel ont participé M"« Rasanjy, fille du gouverneur hova, gracieuse-
ment costumée aux couleurs françaises, et la plupart des coureurs. Le Jour-
nal officiel a tiré très habilement la conclusion pratique de cette réunion en
faisant ressortir l'intérêt qu'il y aurait, une fois le réseau des routes com-
plété, à i-ecruter parmi les Malgaches des coureurs à bicyclettes pour tous
les services et notamment pour les communications postales.
Goxnores : SUtialion, — La résidence des Comores a été successivement
occupée, dans ces dernières années, par MM. Humblot, le commandant
Decazes, et M. Pobéguin, titulaire actuel. Ce dernier a changé tout ce qui
existait à son arrivée ; comme son prédécesseur avait fait avant lui. On veut
appliquer le Code civil aux Comoriens, ce qui n'empêche pas de vendre des
esclaves publiquement par permission des cadis. L'impôt a été élevé, cette
année, de 33 0/0. Les fonctionnaires, qui n'existaient pas du temps de
M. Humblot, qui étaient 5 au temps de M. Decazes, sont 9 cette année. Un
progrès à signaler pourtant : un paquebot des Messageries Maritimes touche
à la Grande Comore le 24 de chaque mois. Il y dépose le courrier, y prend
les passagers, mais n'accepte ni colis ni marchandises.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 44i
Navigation par Suez en 1897. — D'après les statistiques eoncernant
le canal de Suez, la uavigation en 1897 s'est chiffrée par 2.986 navires
(3.409 en 1896) représentant un tonnage net de 7.899.373 tonnes (8.560.283
en 1896). Voici la répartition du transit en 1897 (*) par nationalité, nombre
de navires et tonnage net :
Pavillons. Navires. Tonn. net. Pavillons. Navires. Tonn. net.
Anglais 1.905 5.319.136t Ottoman 7 5.557 1
Allemand .... 325 858 685 Chinois 3 4.067
Français 202 519.605 Américain ... 3 3.7U
Néerlandais ... 206 382.248 Egyptien .... 3 3.411
Austro-Hongrois . 78 184.037 Siamois 2 2.559
Russe 44 144.439 Suédois 1 1.225
Espagnol .... 48 137.831 Danois 2 1.043
Italien 71 129.464 Mexicain .... 1 531
Japonais 36 114.435 Portugais .... 1 195
Norvégien. ... 48 87.186
Le pavillon anglais supporte une large part de la diminution totale du
transit et voit son tonnage baisser de près de 500.000 tonnes. Le pavillon
allemand gagne, par contre, 52.000 1. Le pavillon français baisse de 13.000 1.
Le pavillon néerlandais gagne un rang, quoique ne s'augmentant que de
2.()00 t. C'est que le pavillon italien, dont laugmentation de 1896 n'était
due qu'à une cause temporaire (la guerre d'Abyssinie), perd en 1897
263.000 t. et tombe du 4^ au 8« rang (chiffre inférieur encore de 17.000 t. à
celui de 1895). Le pavillon austro- hongrois gagne 26.000 t., celui de la
Russie 10.000 t., tandis que celui de l'Espagne en perd 45.000 t. Le pavillon
japonais, dont les progrès avaient déjà été considérables en 1896, progresse
encore de 84.000 t. en 1897, c'est-à-dire qu'il devient 4 fois plus fort. Le
pavillon norvégien s'augmente de 14.000 t., celui de la Turquie perd
36.000 1 et son tonnage n'est plus que le 1/8 de celui de 189i). Les pa-
villons chinois, américain, danois et suédois, qui avaient disparu Tannée
précédente, reparaissent cette année. Le pavillon égyptien reste à peu près
insignifiant. Le pavillon belge disï)araîl, tandis qu'on voit apparaître les
pavillons siamois et mexicain. Enfin, le pavillon portugais arrive au der-
nier rang et perd les 29/30 de son chiffre.
La proportion par tonnage est la suivante : anglais, 67,3 0/0; allemand,
10,8; français, 0,6; néerlandais, 4,8; austro-hongroiîs, 2,3; russe, 1,8; es-
pagnol, 1,7; italien, 1,6; japonais, 1,4, etc. En comparant avec les chiffres
de 1896, il y a diminution de 0,7 0/0 pour le pavillon anglais et augmenta-
tion de 1,4 pour le pavillon allemand, de 0,4 pour le pavillon français, et
de 0,4 pour le pavillon néerlandais.
Par rapport au tirant d'eau, 1.78!2 navires calaient 7 mètres ou au-des-
sous; 1.595 avaient un tirant supérieur à 7 mètres, et parmi ceux-ci 391
(1) Voir le transit en 1896, R(W. Fr.y t. XXII, p. 441, juillet 1897.
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442 REVUE FRANÇAISE
dépassaient 7",50. Ca dernier chifiFre, supérieur de 31 à 1896, indique une
nouvelle progression dans le nombre des gros navires.
Le nombre des passagers, qui était de 308.241 en 1896, est tombé â
191.224 en 1897. Dans ce nombre, on compte 14.743 passagers spéciaux
(pèlerins, émigrants, transportés), 83.833 passagers civils et. 92.639 mili-
taires. C'est ce dernier chiffre surtout qui a beaucoup baissé, car il était de
198.5i0 en 1896. Parmi les militaires, on compte 30.647 Anglais, 15.302
Français, 13.254 Russes, 11.789 Espagnols, 10.384 Italiens, etc.
ASIE
CShine : Massacre du P. Berthollet, — Les Missions catholiques de Lyou
publient une lettre du préfet apostolique du Kouang-Si annonçant le mas-
sacre du P. Berthollet. Celui-ci était parti le 25 mars pour visiter les chré-
tientés des sous-préfectures de Ly-Pou-Hien et de Yun-Ngan-Tchéou. Grâce
à la protection de quelques soldats, le voyage s'effectua sans incidents et le
mandarin de Yun-Ngan accueillit parfaitement le P. Berthollet. Le 21 avril,
le missionnaire quitta Yun-Ngan avec quelques chrétiens. A une lieue el
demie de la ville la caravane venait de passer un pont quand une quinzaine
d'individus de mauvaise mine l'arrêtèrent. A un signal donné les tam-tam
et les conques marines sonnèrent le rappel et plusieurs centaines de forcenés
armés de fusils, de lances , de piques s'avancèrent contre le P. Berthollet
Celui-ci voulut se réfugier dans un village, mais toutes les portes se fer-
mèrent devant lui. Il rebroussa alors chemin, mais cerné de tous côtés, cri-
blé de coups de lance il s'affaissa et expira. Deux chrétiens indigènes furent
tués, d'autres emmenés captifs.
Le sous-préfet averti accourut avec 40 hommes, mais il ne put que rele-
ver les cadavres et les fit ensevelir. Il manda aussitôt l'auteur du crime,
mais celui-ci étant arrivé entouré de sa bande armée, le sous-préfet n'osa
le faire arrêter. Les jours suivants on pilla les maisons des chrétiens. Le
gouverneur du Kouang-Si est animé de sentiments différents de ceux du sous
préfet. Vingt jours après le crime, il n'avait pris aucune mesure de répres-
sion et son hostilité pour les Européens n'est pas douteuse.
Dès que la nouvelle de l'assassinat du P. Berthollet a été connue, le mi-
nistre de France à Pékin a exigé des satisfactions du gouvernement chinois.
Celui-ci a accordé ce qu'on lui demandait : condamnation des coupables;
châtiment des autorités; indemnité de 100.000 fr. et construction d'une
chapelle commémorative.sur le point où le crime a été commis.
Chemin de fer de Pakhoï. — En même temps qu'il accordait salisfeclion
à la France, le gouvernement chinois, par acte séparé, lui donnait la con-
cession d'une ligne de chemin de fer reliant Pakhoï, dans* le golfe de Ton-
kin, à la vallée du Si-Kiang et à Nang-Ningfou. On ne voit pas l'intérêt qu'il
peut y avoir pour la France à détourner, en dehors du Tonkio — car Pa-
khoï est en Chine — le courant commercial du Kouang-Si, que Ton s'efforce
d'attirer vers Lang-son. Il faut plutôt croire que cette concession n'a été
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NOUVELLES GÉOGRAPfflQl^SS ET COLONIALES 443
demandée par la France que pour empêcher son attribution à TAngleteiTe
qui y serait plutôt intéressée et qu'elle n'entrera pas dans la période d'exé-
cution.
Hong-Kong : Cession d'un hinterland. — Par une convention signée à
Pékin le 9 juin 1898, la Grande-Bretagne obtient la concession à bail, pour
une durée de 99 ans, de territoires situés en face de Hong-Kong. La super-
ficie totale de ces territoires est de 200 milles carrés. La Chine garde la côte
nord de la baie de Mirs et de la baie de Deep, mais elle cède à bail à l'Angle-
terre les eaux de ces deux baies. Les Anglais obtiennent ainsi un agrandis-
sement sérieux de territoire, puisqu'il s'agit de SOO kilomètres carrés. L'avan-
lafçe n'est pas seulement stratégique (le territoire cédé contient des hauteurs
qui commandent la ville de Hong-Kong) ; mais ce territoire peut devenir le
point de départ d'un chemin de fer, soit vers Canton (ce qui peut paraître
superflu), soit vers l'intérieur, et môme, éventuellement, vers le Yang-Tsé
(Han-Kéou). .
On peut se demander dans quelle mesure ce nouveau succès des Anglais
se concilie avec l'engagement formel que la Chine a pris d notre égard de la
non-cession à d'autres puissances d'avantages territoriaux dans les provinces
avoisinant le Tonkin.
OCÉANIE
Philippines : Le coprah, — Le cocotier commun, qui croit surtout
dans les terrains voisins de la mer et imprégnés de substances salines, est
un des principaux arbres des Philippines. Son fruit, le coco, a une amande
qui est un aliment agréable lorsque le fruit n'est pas parvenu à maturité ;
plus lard, l'amande devient dure et acre ; concassée alors et séchée, on en
tire l'huile de coco ou le coprah.
Cette huile a, pendant longtemps, été l'objet d'une grande consommation
aux Philippines; mais depuis l'introduction du pétrole anglais et américain,
on l'exporte. Les provinces de la Laguna et de Visayas sont celles qui pro-
duisent le plus de coprah. M. Edouard Vidal, négociant français, a perfec-
tionné la fabrication de cette huile dès 1882, et a été l'un des promoteurs de
son exportation. En 1883, 418 piculs de coprah étaient vendus en Europe ;
on en vendait 4.783 en 1885 ; enfin, en 1894, on en a vendu pour 2.349.(K)0
piastres, représentant un poids de 34. 810. (KX) kilogrammes. La France est
le pays qui en a acheté le plu» (1 062 000 piastres).
Voici comment on fabrique le coprali : Dans la province de Misamis, quand
le fruit est mûr, on le divise en deux et on le met au soleil. En quelques
heures, la chair du coco se. contracte et se détache de la coque. On ramasse
ces morceaux de noix et on les laisse au soleil pendant plusieurs jours,
jusqu'à ce que l'eau do l'amande soit évaporée. Le coprah est bon à être
vendu lorsque en voulant le plier, il se rompt. Le coprah de deuxième (|ualilé
s'obtient en séchant les amandes à la fumée. Les Cliinois ont les premiers
employé ce moyen détestable pour produire plus vite, et les indiens les ont
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444 REVUE FRANÇAISE
I ) imités. L'industrie du coprah, née il y a 14 ans aux Pliilippines, est une de
1* celles qui paraissent avoir le plus d'avenii* dans l'archipel,
Australie : Restriction de l'immigration, — Le gouvernement de l'Aus-
tralie occidentale vient de mettre en vigueur une loi interdisant l'accès de
la colonie aux personnes ne sachant ni lire ni écrire, aux indigents, aux
personnes atteintes de maladies contagieuses, aux individus ayant été depuis
moins de 3 ans condamnés pour crimes, aux prostituées et aux personnes
vivant de la prostitution d*autrui.
Les capitaines et propriétaires des navires ayant débarqué des immigrants
appartenant aux catégories précédentes sont passibles d'une amende de 2500
à 12500 francs par immigrant, et le navire pourra être saisi jusqu'au paie-
ment de l'amende, et au dépôt d'une provision destinée à couvrir les frais
de renvoi, hors de la colonie, des immigrants en question.
Comme on le voit, l'Australie entre dans la voie tracée par les États-Unis.
Ce système, qui a du bon, devrait bien être appliqué, dans une certaine
mesure, dans plusieurs de nos colonies, notamment en Algérie et en Tunisie,
pour nous protéger du rebut de population que l'Espagne et surtout l'Italie
nous envoient chaque année.
EUROPE ET DIVERS
'^ Allemagne : Direction de rémigration. — Les colonies que l'Allemagne
^ a acquises dans ces dernières années n'ont pas re<:u et ne sont guère suscep-
^ tibles de recevoir une forte proportion de colons européens. Aussi la grande
masse des émigrants allemands continue-t-elle à se diriger sur des pays où
ne flotte pas le drai)eau germanique. Le même cas se présente aussi pour
l'Italie.
Une nouvelle loi allemande, mise en vigueur le l^*" janvier 1898, vient
précisément de régler Témigration, Cette loi veut empêcher que les émi-
grants ne soient les victimes des agences qui entreprennent de les trans-
porter au loin : elle soumet donc ces agences à un contrôle très étroit.
Le gouvernement allemand cherche aussi à créer, dans les pays étrangers
des centres compacts de population germanique, de manière à y former des
colonies réelles et d'éviter Téparpillement des émigrants. L'émigration alle-
mande dépasse généralement 100000 individus par an et se porte surtout
vers les États-Unis, où les Allemands tendent à se perdre dans la grande
masse anglo-saxonne ; se faisant très rapidement naturaliser Américains,
leurs enfants ne se distinguaient plus guère des vrais Américains.
Le gouvernement allemand pour éviter cette perte sèche, veut diriger
l'émigration vers des pays où il y a encore de la place et pour cela, la nou-
velle loi spéciûe que la création d'agences d'émigration ne sera autorisée que
si ces agences ont pour but de transporter les émigrants vers les pays que le
gouvernement allemand juge aptes à la colonisation nationale. On ne sait
pas encore quelles seront les régions préférées du gouvernement de Berlin,
mais l'application de cette loi modifiera certainement sensiblement le cou-
rant du flot allemand à l'étranger.
f
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 443
Gibraltar : Navigation, — Le port franc de Gibraltar, dont le mouvement
commercial est intéressant à suivre, en comparaison avec celui d'Alger, a
reçu, en 1897, la visite de 4.307 navires jaugeant 4.373.784 tonnes. Le pavillon
anglais, à lui seul, est représenté par 2.652 navires et 3.316.162 1. Viennent
ensuite les pavillons allemand (383.632 t.), espagnol (164.8i5t.), suédo-nor-
végien (133.375 1.), français (130.478 t.)
En 1897, il y aeu pour les vapeurs entrés à Gibraltar, une diminution de
36 vapeurs et une augmentation de 37.248 t. La diminution des naviree pro-
vient de la suspension de quelques petits services de caboteurs. Quant à l'aug-
Dienlation du tonnage, elle provient de la relâche des grands paquebots de la
ligne hambourgeoise-américaine, desservant l'Italie et TAmérique, qui font
r^ulièrement escale à Gibraltar, depuis le printemps 1897.
Pour les voiliers, la diminution est de 31 bâtiments et 3.682 t. En réunis-
sant les vapeurs et les voiliers, il y a une diminution de 107 navires et une
augmentation de 33.566 1.
Le commerce du charbonnage des navires, qui avait décru, de 1889
(562.000 t.), â 1896 (262.000 t.), au grand avantage d'Alger, qui avait su
attirer dans son port les navires ayant à relâcher pour faire du charbon, a
repris sa marche en avant, en 1897 (283.000 t.). Cette reprise résulte
des droits de quai établis au port d'Alger, dont le résultat a été l'éloignement
d'un certain nombre de navires. Les charbons de Gibraltar sont tous de pro-
venance britannique.
Russie : Pétrole à Bakou. — Le port de Bakou est devenu le premier
centre commercial de la mer Caspienne, grâce au voisinage des gisements de
naphte et à sa situation sur ies routes entre la Russie, l'Asie centrale et la
Perse. On ne rencontre plus autant de puits jaillissant spontanément qu'autre-
fois dans la péninsule d'Apcheron, mais la production de l'huile pourrait être
presque illimitée, et les puits donnant jusqu'à 5.000 tonnes par jour sont
encore nombreux. Une de ces sources avait un débit de 10.000 tonnes par
jour et procurait 150.000 fr. par jour à son propriétaire ; cet énorme débit
n'a pas duré, mais en deux mois, le puits a fourni pi us de 300.000 tonnes d'huile
valant près de 4 millions de fr. Dans les districts avoisinantle Volga, lepétrole
sert comme combustible.
Bakou possède de nombreuses rafllneries transformant Thuilo brute en di-
vers produits expédiés â Astrakan et sur le Volga, aux ports russes et per-
sans de la Caspienne, ou envoyés par chemin de fer à Batoum, pour être
transportés par la mer Noire. Le commerce de pétrole a développé la naviga-
tion sur la Caspienne, et l'industrie de la construction et de la réparation
des navires est une des principales de Bakou.
Les populations de l'Europe, — La population totale de l'Europe en
1897 serait de 380 millions d'habitants, alors qu'elle n'était que de 343 mil-
lions en 1887. En dix ans, la densité ar kilomètre carré est donc montée de
33 à 39.
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446 REVDE FRANÇAISE
La Russie d'Europe (avec la Finlande), renferme à elle seule 106300000
habitants, soit près du tiers du total. La plus forte population existe ensuite
en Allemagne (52300000 hab.), puis en Autriche-Hongrie (43 500 000 hab.)
Le Royaume-Uni (G^® Rretagne) vient au 4« rang (39 800 000 hab.) et la
France au 5» (38 500 000 hab.). L'Italie (31 300 000 hab.) et TEspagne 18 mil-
lions sont ensuite les seuls autres états qui dépassent 10 millions d'habitants.
Les autres états européens se classent ainsi : Belgique 6 500 000 habitants;
Turquie d'Eurdpe 5 800000; Roumanie 5600000; Portugal 5 millions
Suède 5 millions ; Pays-Bas 4 900 000; Bulgarie 3 300 000 ; Suisse 3 millions
Grèce 2 400 000 ; Danemark 2 300 000 ; Serbie 2 300 000 ; Norvège 2 millions
etc.
La plus forte densité de population est celle de la Belgique, qui compte
220 hab. par kOom. carré, viennent ensuite : Tltalie (169), les Pays-Bas (149)
la Gd« Bretagne (126), TAllemagne (97). La Suisse a 73 et la France 72 hab.
par kilom. carré ; TAutriche-Hongrie en a 69 : parmi les états importants.
TEspagne n*en a que 36, la Russie d'Europe que 20 par kilom. carré.
Depuis 10 ans, c'est la Russie qui a vu sa population augmenter le plus
(17 800000 hab. de plus qu'en 1887. soit 1,45 Vo P&i* ^)- L'Allemagne vient
ensuite avec 1.15 Vo> P"is l'Autriche avec 0,96 Vo» l'Angleterre avec 0,58Vf,
l'Italie avec 0,45 <>/o. En France, le coefficient tombe à 0,08 Vo-
En tenant compte de ces taux d'augmentation, la Russie d'Europe aurait k
la fin du 20e siècle 228 millions d'hab., l'Allemagne 106 Vj, l'Autridie-
Hongrie 79, l'Angleterre 65, l'Italie 44 V4. La France n'aurait que 40 mil-
lions V, ! Ce tableau très suggestif montre donc quel rang inférieur la France
occupera dans un siècle si la natalité ne progresse et si celle des autres puis-
sances ne subit pas un temps d'arrêt sérieux.
Petites aouTelles. — Ua décret du 21 mai, porte sappression des fonctions de
directeur de Tintérieur et de secrétaire général des directions de Tintérieur aux colo-
nies. Les attributions de ces fonctionnaires sont dévolues au gouverneur, qui sera
assisté d'un secrétaire général.
— Par décrets du 28 juin, sont nommés (cabinet Brisson) : M. Delcassé, député,
ministre des affaires étrangères; M. Trouillot, député, minrstre des colonies.
M. Trouillot est avocat à Lons-le-Saulnier !
Liégion d'honneur. — Par divers décrets ont été nommés : chevalier, MM. E.-A.
Martel, explorateur, et L. Rousselet; M. Morisson, Truptil, capitaines, Hanet, lieut*,
blessés à la prise de Sikasso ; commandeur, M. Binger, pour la part importante prise
aux négociations du Niger.
La question d'Orient depuis le traité de Berlin, par Max Chou-
BLiER, 1 vol. in-8«. A. Rousseau, éditeur. Paria. — La question d'Orient est
de celles qui, malgré certaines éclipses, sont toujours l'objet des préoccupa-
tions du monde politique. Aussi, M. Choublier a t-il cru utile de réunir en
un volume fortement documenté et écrit d'un style sobre, les éléments néces-
saires êi l'histoire des vingt années écoulées depuis le traité de Berlin. U eipne
tout d'abord la situation et les aspirations des populations chrétiennes encore
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 447
sous la domination turque, les rivalités des petites puissances balkaniques
avant et depuis cette époque, et les courants politiques qui amènent le heurt
diplomatique des grandes puissances sur les rives du Bosphore. La Grèce, la
Crète, rArménie figurent dans cette étude à côté des nationalités slaves.
Le dogme de l'intégrité de l'empire ottoman n'a pas empêché la Turquie
d'être démembrée. Il en sera sans doute de même dans l'avenir. La Russie
modère aujourd'hui toutes ses prétentions et se pose en amie de la Turquie ;
mais celle-ci ne peut pas compter sur son amitié. L'Angleterre ne s'oppose
que modérément à la marche des Russes, si elle peut garder l'Egypte. L'Au-
triche est poussée en Orient par ses populations slaves. L'Allemagne est
l'amie de la Turquie, mais cherche surtout des avantages commerciaux. La
France est la protectrice naturelle de la Turquie, ses intérêts dans le Levant
lui commandent d'assurer l'intégrité de l'empire turc, mais sa politique est
par trop flottante. Quant à la Turquie sa réforme n'est guère possible, car
elle devrait reposer sur la laïcisation de l'Étal et l'émancipation des chré-
tiens, préceptes en opposition avec la loi de l'Islam.
Guide Jeanne : Espagne et Portugal, Hachette, éditeur. — On croirait
peut-être mal venu le moment de voyager en Espagne. Il n'en est rien ; car outre que
TEspagne n'a pas changé depuis la guerre avec TAmérique, les sympathies à notre
égard sont devenues plus vives et le change, qui a monté prodigieusen^ent, oscille
entre 80 et 100 "/<,. Quelle occasion plus favorable de voyager i moitié prix?
Cette nouvelle édition du Guide, qui a été entièrement refaite, se divise en 4 bro-
chures que Ton peu détacher et utiliser séparément. Outre les renseignements ordinai-
res sur les hôtels, modes de transport, etc., qui sont réunis à part, et des conseils pra-
tiques pour les voyageurs, elle contient, chose fort agréable, un petit vocabulaire con-
tenant les mots et phrases les plus utiles en voyage. Sa partie cartographique et parti-
culièrement soignée et ne renferme pas moins de 51 cartes et plans de villes ou de monu-
ments, dont un grand nombre coloriées. 11 y a là un réel progrès sur les précédentes
éditions dont il faut féliciter les auteurs du guide, et que les touristes ne manqueront
pas d'apprécier. Le Guide Espagne-Portugal, qui comprend aussi Gibraltar et Tanger,
marquera sa place dans la collection si renommée des Guides Joanne.
L'expédition de Formoee, par le comm' Tairion, Lavauzelle, éditeur. —
Les a Souvenirs d'un soldat v donnent une notion exacte, sous une forme attachante,
de Texistence que mena à Kelung, pendant 9 long mois, le régiment d'infanterie de
marine. L'expédition de Formose, en 1884-85, est encore fort peu connue, et le commt
Tbirion, qui a pris part aux opérations était bien qualifié pour mettre en relief le
courage et l'abnégation de nos \ aillants soldats. Cette brochure (avec 1 carte) sera
précieuse à consulter pour l'histoire de nos guerres coloniales.
Les surprises dans la guerre iS70, traduit de l'allemand, par le colonel
E. Girard. LavauzeUe. — Un journal allemand, la Gazette des cavaUeriy a publié une
étude des surprises qui eurent lieu en 1870-71. Cette brochure est instructive par ses
exemples et par les enseignements qu'elle comporte. 46 surprises ont été tentées contre
les troupes allemandes et 6 seulement ont été repoussées. Du côté des Allemands 6 coups
de main seulement ont été tentés.
LVlnsurrection Cubaine, par Espinasse-Secondat. Lavauzelle. — Cette bro<
chure, toute d'actualité^ est le récit des causes qui ont amené Tinsurrection actuelle à
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448 KEVUE FRANÇAISE
Cuba, et des opérations qui eurent lieu de 1895 à 1897. Elle renferme d'intéressants
renseignements sur les forces des deux partis en présence. Nous en parlons plus liaut.
De rimportance du fleuve Rouge, par le capit. Franquet. Lavauzelle. —
On sait que c'est en vue de posséder le fleuve Rouge, comme voie de pénétration en
Chine, que nous avons conquis le Tonkin. Ce fleuve constitue-t-il la meilleure voie de
pénétration au sud de la Chine? C'est ce que M. Franquet étudie en le comparant aox
autres fleuves ayant acct^'s dans la Chine méridionale depuis l'iraouaddi jusqu'au Yang>
Tsé. Celte brochure Ir^'s documentée, sera consultée avec fruit, par tous ceux que la
question intéresse. Elle contient aussi une notice sur le cercle de Lao-Kay, ses habi-
lants, ses produits, son commerce. Des cartes et documents diplomatiques y sont
annexés.
Les Français d'aujourd'hui, par Ed. Demolins, 1 vol. in-18, F. Didot
éditeur. — « J'entreprends d'expliquer, écrit l'auteur, les divers types sociaux dont
l'ensemble forme la société française ; je voudrais faire comprendre comment, — de
science certaine, — se fabriquent par exemple, un Auvergnat ou un Normand, un
Provençal ou un Lorrain, etc. ; comment et pourquoi ils diffèrent. On verra qa'ili
sont le produit de causes constantes qu'il est possible d'analyser exactement et dont
la principale, la plus profondément agissante, est la nature du lieu et du travail. •
Ce volume paraît devoir soulever autant de discussions que le précédent : A qttoi tient
la supériorité des Anglo-Saxons ? « Vous serez aussi combattu pour ce livro et vousserei
plus loué encore que pour le premier », écrit M. R. Bazin à l'auteur. L'opinion de
M. E. Reclus, le célèbre géographe, n'est pas moins explicite : c L'intérêt que j'y ai
trouvé, dit-il, n'a pas faibli un instant et certaines descriptions, notamment celle de
l'Auvergnat, marchand de bœufs, mont paru de véritables chefs-d'œuvre...» Alphonse
Daudet, qui avait lu ces études dans la Science sociale^ exprima son opinion en ces
termes catégoriques : t Cette nouvelle géographie de la France me transporte. » Le
grand public ne peut que ratifier de pareils jugements ; il fera à cet ouvrage le grand
succès qu'il mérite.
Le volume se termine par des Appendices. M. Demolins y expose la Méthode scien-
tifique qu'il a suivie et fait appel aux collaborateurs locaux qui voudraient l'aider à
établir avec plus de détails la carte sociale des diverses régions de la France.
France- Album (51, cité des Fleurs, Paris), continue la série de ses intéressantes
publications. C'est au Mont-Saint-Michel qu'est consacré son 49* fascicule. Une
notice approfondie due à la plume autorisée du R. P. Lévêque, complète avantageu-
sement les nombn^uses illustrations que contient cet album, digne de ses devanciers,
par les difl'érents aspects de ce merveilleux bijou d'architecture, unique au monde.
Sous le n" 49 biSj un fascicule est réservé à l'illustration de Granvllle et ses en
virons, Saint-Pair, Jullou ville, Carolles, etc., sites pittoresques encore plus agréables
pour les amateurs de bon air et de villégiature.
La librairie Garnier met en Nente, pour suivre la guerre en Amérique, une grande
carte de l'île de Cuba, d'après les derniers documents, contenant en outre fen car-
touches) la carte de l'Atlantique, le golfe du Mexique, la mer des Antilles, Cuba oro-
graphique et minéralogique et une carte de l'île de Puerto-Rico. Cette carte est tirée
en plusieurs couleurs. 2 francs.
Le Gérant, Edouard MARBEAU.
IMPRIMBRII CHAIX, RDB BEROBRI, 30, PARIS. ^ 1 4034'6-98> -' (Ucn LtrOlMl).
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LA FUTURE QUESTION D'ORIENT
Le inonde devient petit par ce temps de rapides communications qui,
-déplus en plus, suppriment les distances. Les nations les plus éloignées
sont mises en contact et le xx® siècle verra se poser des problèmes re-
doutables vers lesquels nous aurons couru en aveugles. C'est un de ces
problèmes que je me propose d'envisager.
Voir l'avenir dans le présent, a dit Donoso Cortes, c'est voir le pré-
sent mieux que les autres. A ce compte, bien présomptueux serait
celui qui parlerait d'une question future. Mais on sera plus indulgent
si on songe que le présent n'existe pas, qu'il s'évanouit dans le passé
à mesure qu'on l'élue et qu'il n'est que le résultat des époques anté-
rieures. Tout homme, donc, assez âgé pour avoir vu une partie de ce
passé, assez réfléchi pour se rendre compte des faits, pourra émettre
une opinion plus raisonnée que celle du public trompé par l'actualité
et par les téégrammes. C'est à ces deux titres que j'aborde la question
chinoise. Elle a, d'ailleurs, appelé l'attention de plusieurs publicistes et
on n'a pas tout à fait oublié le cri d'alarme poussé par M. d'Estournelles
dans la Revtie des Deux Mondes.
I
I^s récents projets de partage de la Chine, l'espèce d'acquiescement
qu'y donne le gouvernement de ce grand empire, la cession bénévole
de Kiao-Tchao à l'Allemagne et la façon gracieuse avec laquelle le Tsung-
li-Yarnen s'efforce, par des concessions analogues, de satisfaire les ja-
louses convoitises des autres peuples ont inspiré une sorte de pitié mé-
prisante pour celte vieille nation de 400 millions d âmes. Ce sentiment
durera-t-il ? 11 faut avouer que nos jugements sur la Chine ont été très
divers. Les physiocrates en avaient fait le pays modèle; puis on n'y a
vu que des magots grotesques auxquels les Anglais, par philanthropie,
sans doute, imposaient, avec quelques coups de canon, leur opium de
rinde.
EUisuite, la terrible révolte des Taïpings changeait le rire en horreur
par ses prodigieux massacres de millions de créatures humaines. Elle
était à peine terminée qu'une poignée de soldats français et anglais pé-
nétraient en vainqueurs jusqu'à Pékin et nous nous leurrions d'une
confiance sans borne dans la supériorité militaire des Européens. Aussi
quand M. Challemel-Lacour, ministre des affaires étrangères, déclara,
à la tribune, que la Chine était une quantité négligeable, l'opinion pu-
XXIII (Août »8). W 236. 29
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m) REVUE FRANÇAISE
blique prit au sérieux celte singulière affirmation. 11 est vrai que, peu
après, l^affaire de I^ngson effarait les esprits et les portait à Textréme
oppose. Les Célestes, sans s'en douler, précipitaient du pouvoir Tiûa-
movible Jules Ferry et passaient pour être une puissance militaire de
premier ordre.
Depuis, les victoires des Japonais ont amené dans les idées un uou-
veau revirement qui ne sera probablement pas le dernier. El pourtant,
au-dessus de ces jugements divers, contradictoires même, un mot pbuc
qui se retrouve dans toutes les bouches et qui semble donner la note
d*un accord général : la Chine est immuable. Qu'est-elle? On Tignore,
mais tout le monde sait qu'elle ne change jamais. C'est, tout d^abord,
ce qu*il serait bon d'examiner.
Les mots, dans la réalité. n*ont guère le sens absolu que nous leur
donnons. Pour juger de leur vraie signification, il faut analyser ce qu'ik
prétendent i^eprésenter. L'immobilité e«t, dans un certain sens, le fait
de toutes les races. Chacune garde en elle quelque chose d*indeslruc-
tible qui est sa caractéristique. Le Français a un fonds de générosité,
d'enthousiasme que l'abus des jouissances et le culte du veau d'or ne
parviennent pas à étouffer, qui se réveille et se manifeste au moment
où on s'y attend le moins et qui bouleverse tous les calculs.
Le Juif a aussi ses traits moraux et physiques qui ne changent pas.
Humble et sordide dans ses ghettos ou éclaboussant ses victimes de son
luxe arrogant, traqué partout ou maître de tout, ignoré ou trônant
dans les académies, il est toujours l'être souple capable de s*élever de
rien à la plus haute fortune, parasite des nations, faisant son bien du
mal des autres et cachant sous des dehors trompeurs son étemelle
perfidie.
L'Arabe, aujourd'hui chasseur d'esclaves en Afrique a gardé les
mœurs et jusqu'au costume des brillants et fanatiques cavaliers qui éle-
vèrent les califats poétiques de Bagdad et de Cordoue.
Le farouche Mongol, coupeur de tètes, qui submeiçeait l'Asie au
temps de Tamerlan, revit avec son même métier et ses habitudes pa*
Iriarcales dans le pasteur hospitalier errant dans la steppe en rêvant au
Nirvana.
11 fallait rappeler ces vicissitudes pour faire entrevoir combien les
Chinois ont pu se transformer et combien encore ils sont encore sus-
ceptibles d'évoluer. Eux aussi ils ont leur caractéristique, le culte des
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LA Fim HK QUESTION DOHIKNT ^ 451
ancêtres, qui peut causer leur faiblesse actuelle en s'opposant aux
changements rapides et brusques, mais qui est aussi leur force.
C'est que, malgré certaines théories à la mode qui prétendent tout
expliquer par le lieu, le genre de travail, Vorigine communautaire ou
particulariste, les idées mènent le monde, le métamorphosent lentement
ou rapidement, unissent les volontés pour une puissante action com-
mune ou les divisent au point d'annihiler les races les mieux douées.
Toute l'histoire s'explique par ces grands courants et si nous venons
de traverser, en France, une longue période stagnante, la cause en est
dans le manque absolu d'idées directrices correspondant à nos besoins,
dans notre attachement aux vieux dogmes épuisés de 89.
La Chine n'échappe pas à cette règle générale ; notre ignorance nous
ennpêche d'y suivre le mouvement des idées, mais les manifestations
en sont écrites dans les faits. Elle a eu ses époques de gloire guerrière,
de conquêtes et d'expansion. Elle a connu les crises économiques et a
subi des systèmes qui valaient ceux des Smith, des Ricardo et des Say.
La question sociale s'est posée, pour elle, il y a des siècles et elle a
osé plus que nous puisqu'elle a fait, officiellement, l'essai du socialisme
pur sous l'inspiration d'un homme qu'on regardait comme un génie.
L'essai, il est vrai, n'a pas été heureux. Elle vient de passer dans l'iso-
lement voulu comme par un long sommeil, mais tout annonce un réveil
dont l'Europe imprudente donne le signal. Non, malheureusement, la
Chine n'est pas immuable. Je l'ai vue, il y a trente-cinq ans et je ne la
reconnais plus ; elle se transforme à vue d'oeil et noué n'avons pas â
nous en applaudir.
Ce serait une grave erreur de prendre pour une décom[X)sition sa
désoi^nisation actuelle. Plus qu'aucun peuple, elle a gardé intactes
deux des cellules essentielles à la construction du corps social : la famille
et la commune. Plus qu'aucun peuple, elle a des promesses de durée
puisque^ mieux que tout autre, elle a su pratiquer le quatrième com-
mandement : Tes pères et mères honoreras afin que tu vives lon-
guement.
II
En présence des nations européennes prêtes à armer, comme aux
temps barbares, tous les hommes valides, la première question qu'on se
jx>se est relative à la puissance militaire que peut un jour représenter le
Céleste-Empire. Pour y répondre, il est nécessaire de consulter le passé,
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454 REVUE FRANÇAISE
de rechercher les causes de Télat actuel, d'examiner le caractère, l'eu-
durance> les qualités de la race.
Des cliercheui*s nous ont raconté Tétonnanle histoire de ce général tic
Geugis Khan, Tilluslre Saboutay, qui coininanda des arraée^s dès ï-à^v
de 17 ans et niourul, toujoui-s combattant, à Tàge de 65 ans, sans avoir
jamais été vaincu. Son champ de bataille s'élendait de Pékin à Buda-
pest. Tacticien et stratégiste, ayant établi parmi ses troupes un ordi-c
admii-able et une bureaucratie savante, il conquit le Turkeslan en peu
de mois, envahit avec une rapidité qui n'a jamais été égalée, la Russie
méridionale et défit coup sur coup trois grandes armées hongroise, d-
lemande et polonaise. La Chine lui offrit une toute autre résistance; le
grand général lutta vingt-cinq ans avant de la dompter. Et cepeodani,
en 1865, quatre matelots, baïonnette, au bout du canon, traversaient
l'immense ville d'Han Kéou, semant l'épouvante parmi les habitants,
pour aller reprendre de force un de leurs camarades que les mandarius
avaient mis en prison.
Les observateurs superficiels s'ysont trom[)é5: ils ont cru que l'horreur
de la violence, le mépris pour l'état militaire, qui ne laisse aller dans
les troupes que la lie de la population, étaient le dernier mot d'un peu-
ple jadis si grand par les armes. Depuis, nous a^ons vu les Chinois au
Tonkin, à Tuyen-Quan ; nous avons trouvé dans les Pavillons Noirs des
adversaires sérieux ; à Formose, ils nous ont tenu tète.
Les Japonais, qui apportaient avec eux les vertus de dévouement,
d'abnégation, développées par le régime fé(xlal, qui s'étaient imbus de
la science militaire européenne, ont vaincu fiicilemeut les Chinois mal
commandés, se battant sans ardeur contre des jaunes et i>our une dy-
nastie qui n'est pas nationale. Mais ce n'est là qu'un épisode qui cons-
tate plus l'affaissement des emi>ereurs mandchoux et de leur adminis-
tration que l'incapacité de la race chinoise dans les arts de la guerre. Les
armées sont dt*s corps vivants, elles ont leurs maladies pendant lesquel-
les les désastres saccunmlent. L'armée prussienne, au moment de la
révolution de 1848, en était là et se faisait battre par les Danois. Ce qui
importe, c'est le caractère de la race. Il en est de pusillanimes dont ou
ne tirera toujours que des soldats inférieurs," les habillerait-on, selon uite
parole célèbre, de bleu, de vert ou de rouge. Tels sont les Coptes de
l'Egypte, quelques populations de l'bide, etc. Mais le Chinois n'est |Wi^
cela. Il a, plus qu'aucun autre, l'indifférence devant la mort. Il est res-
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LA F[îTCRE QUESTION DORIENT 45:3
peclueux et discipliné par son éducation. Son adresse manuelle, sa pa-
tience, son intelligence lui permettront de se servir des armes perfec-
tionnées de la façon la plus redoutable. Il est sobre et plus endurant que
qui que ce soit. Le climat extrême de son pays le rend insensible aux
plus grands changements de température. Son système nerveux peu dé-
veloppé lui permet de vivre dans des conditions hygiéniques que l'Eu-
ropéen ne supporterait pas. Ceux qui ont vu, lors de la prise de Canton,
les coolies que nous avions recrutés, placer les échelles pour l'assaut,
sous un feu meurtrier, n'ont pas oublié leur beau sang-froid. Ceux,
aussi, qui ont transporté des Chinois savent toutes les précautions qu'il
fallait prendre contre les révoltes de ce dangereux chargement.
La guerre sino-japonaise n'est pas non plus sans nous apporter son
contingent d'indications peu rassurantes. Elle nous a montré les cer-
velles jaunes parfaitement capables de s'approprier nos procédés tacti-
ques et stratégiques. Ce qu'un Japonais a pu faire, un Chinois le fera
certainement. Les leçons que les officiers Européens donnent avec tant
d'empressement aux enfants du Céleste Empire porteront leur, fruits.
Reste à savoir ce que ferait de sa science un grand'général à longue queue.
Il y a quelijues années, un humoristique, qui avait l'intuition de ces
choses, nous racontait la future grande invasion chinoise. L'armée
russe était anéantie, l'Allemagne appelait au secours, et l'Angleterre,
fidèle à ses traditions, tél^raphiait pour avertir qu'elle coupait le pont
sur la Manche. L'ingénieux écrivain ne semble pas s'être douté que les
jaunes pourraient avoir une marine dont un pont coupé ne mettrait
pas à l'abri. Depuis, le Japon, avec sa belle flotte de guerre et ses lignes
multipliées de grands vapeurs, a dû inquiéter cet auteur même sur la
sécurité des peuples de race blanche vivant dans des îles.
Ces perspectives, qui font sourire en Europe, sont prises plus au
sérieux dans la Chine elle-même. En 4867, Le Play, qui avait organisé
l'exposition universelle, se mit en rapport avec les exposants chinois.
Il leur montra ce qu'on est convenu d'appeler les merveilles de notre
civilisation et ne les étonna pas. « Oui, dirent- ils, vous avez une grande
puissance matérielle, mais vous n'avez pas la famille et vous bâtissez
sur la sable. » Au moment de leur départ, ils vinrent en grande céré-
monie, apporter à Le Play un petit éventail sans valeur sur lequel ils
avaient tracé quelques caractères. C'était, assuraient-ils, un précieux
talisman qu'il fallait garder soigneusement. Plus tard, un sinologue
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454 REVUE FRANÇAISE
déchiffra TiDscription. EUe signifiait : < M. Le Play a été bienveillant
pour nous, il ne nous a pas traités en barbares. Nous prions nos com-
patriotes, lorsqu'ils feront la conquête de cette contrée, de Tépargoer
lui et ses descendants. »
L'illustre Le Play, quand il racontait ce fait, ne manquait pas d'a-
jouter : « Laissons les jaunes tranquilles, moins nous aurons de rap-
ports avec eux, mieux cela vaudra. »
L'Europe, de tout temps, a lutté avec l'Asie occidentale; des succès
actuels lui font oublier qu'elle a vu les armées de ce continent arriver
jusqu'à Poitiers et jusqu'à Salzbourg. L'Asie orientale ne s'est encore
manifestée que par deux poussées brusques, sous Gengis-Khan et sous
Tamerlan. L'effroi qu'elles ont causé revit dans les mémoires du
temps. D'une seule chevauchée, les jaunes s'étendirent de Moscou à
Delhi et laissèrent pour des siècles, comme marque de leur soudain
passage, la horde d'or en Russie et le grand Mogol dans l'Inde. Puisse
rhistmre ne pas se répéter !
Reste à savoir si le chemin de fer transsibérien ne permettra pas plus
de venir chez nous que d'aller chez les Chinois.
m
On a déjà beaucoup écrit sur les conséquences économiques de la
prochaine entrée sur la scène du monde de ces 400 millions d'hommes
qui savent si bien s'expatrier pourvu qu'ils puissent retourner, à l'état
de cadavres, reposer près de leurs ancêtres. Merveilleusement doués,
ils accaparent irrésistiblement le petit commerce partout où on les laisse
s'implanter. Disciplinés dès le bas âge, ils ont toutes les qualités qui
permettent les associations puissantes et ils en usent. Leurs congréga-
tions sont redoutables dans notre Cochinchine. Us monopolisent cer-
taines branches commerciales et, grâce à des sacrifices considérables
faits en temps opportun, ils empêchent de naître toute concurrence.
Lorsque leur intérêt s'en mêle ils sont même capables d'être honnêtes.
Le bas prix de leur main-d'œuvre fait baisser les salaires si bien que
les États-Unis leur ont interdit de venir travailler chez eux ; qu'à Ma-
nille et en Australie on leur a couru sus et on les a massacrés.
n y aurait un moyen d'amortir le choc. Nous avons sur les Chinois
une grande avance : nous avons les capitaux sans lesquels la grande
industrie ne peut s'établir. La justice devrait s'opposer à TexportatioD
de ces capitaux, possession légitime de ceux qui les détiennent, mais
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LA FUTURE QUESTION D'ORIENT 45o
qui ne sont formés qu'avec le concours de la société. Malheureusement,
notre organisation financière et nos préjugés économistes sur la liberté
du capital sont un obstacle insurmontable à toutes les mesures qu'on
voudrait prendre dans cette voie. Bien mieux, on se dispute, en ce
moment, entre nations, pour savoir qui prêtera à la Chine. Nous ver-
rons donc, avant peu, de grandes enti^prises industrielles se fonder
dans l'Exlrôme-Orient, avec les capitaux d'Europe, pour utiliser le pa-
tient, l'adroit, l'infatigable du Céleste F^mpire, qui se contente d'un sa-
laire de quatre sous.
Les nations, aujourd'hui si fières de s'être outillées et organisées pour
fournir le monde de produits fabriqués, traverseront alors une crise .
terrible. Leurs capitalistes toucheront de beaux dividendes qui leur
viendront de l'Extrôme-Orient, mais leurs ouvriers sans travail ne se
laisseront probablement pas mourir de faim avant d'avoir tout cham-
bardé comme dit élégamment M. J. Reioach. La justice immanente des
choses, pour employer encore une expression à la mode, s'accommode-
rait assez de voir l'Angleterre obligée de défendre son marché intérieur
contre la concurrence chinoise en s'entourant d'une muraille de Chine.
Mais elle a montré qu'on peut forcer des murailles de cette espèce
pour empoisonner lucrativement ceux qui sont derrière. C'est un dan-
gereux exemple. On ne saurait blâmer sévèrement ceux qui le suivront
dans le seul but de vendre de loyales marchandises aux partisans du
libre-échange.
Quant à la France, qui doit à sa désorganisation et à son apathie
de perdre peu à peu ses débouchés extérieurs, elle serait probablement
plus épargnée que ses rivales dans cette évolution ikx)nomique déchaînée
par la cupidité. Ajoutons que, si on en juge par le petit Japon, cette
évolution désastreuse se fera en quelques années.
IV
Si nous nous élevons plus haut, si nous envisageons les conditions
morales dans lesquelles s'établit le contact de l'Europe et de la Chine
nous n'aurons pas non plus grandes raisons de nous réjouir.
Le Chinois, nous dit Le Play, a conservé beaucoup du décalogue, ce
qui explique la vigueur et la persistance de sa civilisation, mais le fait
certain, c'est qu'il est profondément immoral. Que M. Zola fasse tra-
duire ses romans pour le nombre prodigieux de lecteurs qu'il y a en
Chine, et il fera une meilleure aflEaire qu'en se mettant à la solde du
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456 REVUE FRANÇAISE
syndicat Dreyfus; de plus, là-bas, il n'effarouchera personne. La ques-
tion est de savoir si nous sommes de force à affronter celte immoralité
sans y perdre le peu de vertus qui nous restent encore. Une telle con.
sidération ne touche guère aujourd'hui, et cependant ceux qui ont été
en Chine la prendront au sérieux. J'ai vu, il y a 35 ans, un oflBcierde
grande intelligence, hostile au christianisme, il est vrai, et, par suite.
à sa civilisation, se passionner pour la civilisation chinoise dont il dé-
montrait, avec une ardeur communicative, la supériorité. Le curieux
livre de M. Simon, sur la Cité chinoise, livre si lu et si admiré, n'a pas
fait autre chose que de développer cette thèse.
La Chine a l'habitude d'absorber ses vainqueurs qu'elle méprise et
qu'elle coule dans son moule. Ceux qui se sont si facilement enjuivés.
qu'on les suppose vainqueurs de la Chine, peuvent-ils jurer qu'ils évi-
teront le sort de tous leurs prédécesseurs, qu'ils ne se chinoiserontpas?
Ils répondront en parlant de notre glorieuse civilisation. Mais qu'est-ce
bien qu'une civihsation ? Si c'est un ensemble de principes religieux
et sociaux — et que serait-ce si ce n'était pas cela ? — il faut bien
avouer que leur confiance n'a pas des bases solides.
Nous avons contre nous nos haines nationales; il y a longtemps que
la République chrétienne du moyen âge et des croisades est morte et
enterrée. Nous avons contre nous nos divisions profondes , nos partis
irréconciliables, nos guerres intestines d'intérêts, notre prolétariat, notre
socialisme, nos sans-patrie. Les Chinois, malgré l'égoïsme profond qui
les ronge, ne font qu'un par les mœurs, par les traditions, par la ré-
pulsion que nous leur inspirons. Ils ont entre eux un lien très fort:
l'orgueil de leur civilisation, l'amour de leurs caractères qu'ils lisent
tous peu ou prou. Il est curieux d'anal j^er ce sentiment. Il est préci-
sément le même que celui de nos intellectuels. On dirait que le sys-
tème des examens doit partout produire des résultats identiques. Le
Chinois, lui aussi, est très fier, très satisfait de sa formation cérébrale,
mais cela ne lui a pas enlevé le sens des intérêts de la coUectivilé à
laquelle il appartient. Ce n'est pas un destructeur, un sans-patrie. Le*
Chinois est un intellectuel nationaliste,
La race chinoise est homogène, autre avantage. On dit qu'elle ne
peut s'élever très haut, mais il y règne une vivacité d'intelligence,
généralement répandue, qui frappe tous les étrangers.
Lorsque je me promenais dans les environs de Canton, je m'exta-
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LA FUTURE QUESTION D'ORIENT 457
siais devant les nombreux villages, bâtis en brique, soignés, ayant un
air d'aisance qui parsemaient la campagne. Des champs admirablement
cultivés les entouraient et les paysans que je rencontrais avaient un air
vif, dégourdi, qui reportait ma pensée avec tristesse vers certaines par-
ties de la chère France où la paresse, Tapathie, la misère et Tabrutis-
sèment sont encore fréquents.
Comme en Angleterre au siècle dernier, comme chez nous malheu-
reusement aujourd'hui, la population est à peu près stationnaire en
Chine. Il n'en a pas toujours été ainsi et on peut être assuré que le
changement dans les conditions économiques, résultant de la demande
de main-d'œuvre, fera reprendre à cette population, déjà si considé-
rable, sa progression normale. Que deviendra l'excédent? C'est encore
là un danger qu'on ne peut négliger.
Encore si nous avions abordé ce monde étranger et inquiétant à
l'époque où l'Europe était chrétienne, où ses nations étaient capables
de s'unir pour un but commun, généreux. et noble, il eût été possible
de conjurer bien des périls. Nous aurions donné l'exemple d'une mo-
ralité supérieure, la propagation de l'Évangile aurait établi un point
de contact entre la pensée chinoise et la nôtre, les bienfaits de la cha-
rité chrétienne auraient impressionné, le respect, au moins, eût à la
longue entouré les barbares de l'Occident.
Quel spectacle, au contraire, donnons-nous à ces masses méprisantes
et narquoises qui nous détestent en se moquant de nous plus que nous
ne nous sommes jamais moqué d'eux? Celui des plus honteuses cupi-
dités, des rivalités implacables, de l'abus de la force, de la violation
du droit des gens. Les Chinois ont un sens critique très fin, ils sai-
sissent de suite les travers, les défauts, les vices. Leurs caricatures po-
pulaires sur les étrangers et sur la façon dont ceux-ci les exploitent
sont souvent, avec une forme risible, pleines d'une poignante amer-
tume. Quelle opinion peuvent-ils avoir pour des gens, comme les
Anglais, qui les servent tant qu'ils les croient les plus forts et qui
prennent parti pour leurs ennemis les Japonais dès que ces derniers
ont remporté des victoires ? Ils cèdent sur toute la ligne en ce moment
où il se sentent faibles, mais ils comptent sur le temps, ils sont patients
et ils croient dans leur foi-ce. Comment les empôchera-t-on d'abuser
de celle-ci lorsqu'elle leur sera revenue?
Mais déjà, rien que le contact avec la Chine inerte risque de faire
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458 REVUE FRANÇAISE
éclater la guerre entre nous. Et la guerre menace d'être, dans ootre
époque, par rapport aux guerres du passé, comme des luttes d'hommes
à des jeux d'enfants.
L'Angleterre est furieuse de n'avoir^ dans son lot, que les 200 mil-
lions d'hommes qui habitent la yallée du Vang-tsé-Kiang. Elle se
répand en menaces, s'arme tant qu'elle peut, cherche des alliances et
regrette les beaux jours où son or jetait les unes contre les autres
les nations du continent. Un tel début promet pour le siècle qui va
commencer.
Notre France, dans ces circonstances, peut se féliciter de son heu-
reuse étoile. Ses missionnaires l'ont dignement représentée et ont M
ce qu'ils ont pu pour atténuer les maux à venir. La faiblesse de ses
gouvernants l'a servie ; elle n'a pris qu'une part minime dans la
curée et pourra continuer à se préserver, jusqu'à un certain point, de
l'invasion des Chinois dans nos colonies et en France. C'était essentiel.
Nous avons, en effet, des façons de voir qui nous contraignent à traiter
les nègres de nos colonies comme citoyens français. Nos sentiments
égalitaires ne connaissent qu'un poids et qu'une mesure. Refuser la
nationalisation, même par mesure de prudence, nous semble impos-
sible et nous l'accordons aux Juifs, qui nous ont fait tant de mal, nous
la leur avons même donnée en Algérie sans qu'ils aient eu la peine de
la demander. Que serions-nous donc devenus si nous avions, comme
sujets, quelques millions de Chinois qui ne se seraient pas fait faute
de réclamer, tôt ou tard, cette nationalisation regardée par nous
comme un droit leur revenant?
V
La question d'Orient, envenimée par la rivalité des puissances, a pesé
très lourd sur notre siècle. Elle avait cependant commencé par des
accords plus ou moins généreux, par la bataille de Navarin, par des
affranchissements; de plus, la décrépitude de l'empire turc et le nombre
des chrétiens qu'il contient la rendaient, par elle-même, chaque jour
moins dangereuse. C'est une autre question d'Orient, mille fois plus
grave, mille fois plus délicate, mêlée de problèmes économiques et
moraux, que nous laissons à nos enfants. Que penseront-ils de leurs
pères quand l'histoire leur apprendra qu'au moment où elle se pose
dans toute sa troublante angoisse, nous ne nous occupons que des luttes
ministérielles entre MM. Méline et Bourgeois? A. Nogubs.
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LES CROISEURS CUIRASSES FRANÇAIS
ET LA GUERRE HISPANO- AMÉRICAINE.
Le duel maritime entre les États-Unis et l'Espagne n'a pas doimé
jusqu'ici les enseignements que Ton pouvait en attendre au point de
vue des guerres navales de l'avenir. Depuis trois mois il n'y a eu que
deux combats navals et tous deux se sont produits dans des conditions
telles que l'un des deux adversaires était considéré comme vaincu
avant même d'avoir engagé la lutte.
A Cavité l'escadre en bois de l'amiral Montojo était sacrifiée d'avance
à l'escadre en acier américaine, qui lui était, en outre, supérieure en
vitesse, en artillerie, en tonnage, ainsi que par l'adresse de ses canon-
niers. A Santiago l'escadre de l'amiral Cervera se trouvait dans les
mêmes conditions d'infériorité, sauf au point de vue de la vitesse, —
on le croyait, du moins.
On fondait de grandes espérances sur les 4 beaux croiseurs cuirassés
qui composaient cette escadre très homogène et que Ton croyait eji
mesure de tenir en haleine pendant longtemps l'escadre américaine,
grâce à sa vitesse et à d'habiles manœuvres. Et cependant cette escadre
a été entièrement détruite après une courte lutte.
Faut-il conclure de cet événement que les croiseurs cuirassés ne
peuvent pas répondre aux espérances que l'on fondait sur eux? On ne
saurait le dire, car l'expérience qui vient de se produire n'est rien
moins que concluante. En effet, l'escadre espagnole était loin de dis-
poser de tous ses moyens d'action. Sa vitesse — - cette vitesse de 20 et
21 nœuds que ses croiseurs avaient donné aux essais et qui faisait
sa principale force, — avait subi une telle dépréciation qu'elle n'était
plus supérieure, ni même égale, à celle des cuirassés américains. Son
armement défectueux et incomplet, l'inhabileté de ses canonniers en
faisaient en outre une proie facile pour l'artillerie, bien supérieure à
tous les points de vue, des gros cuirassés américains. Dans de telles
conditions d'infériorité sa destruction était inévitable.
Et cependant, si l'escadre Cervera avait mieux choisi le moment de
sa sortie, si elle avait effectué celle-ci de nuit, ou par une de ces tem-
pêtes — comme celle qui sévit trois jours après, — qui rendent le tir
difficile et très incertain même pour les cuirassés, elle eût sans doute
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460 REVUE FRANÇAISE
échappé, au moins en partie, à la destruction causée par l'artillerie
américaine. Avec une vitesse qu'elle eût pu maintenir à 18 ou
10 nœuds, presque toutes les chances, dans les conditions ci-dessus,
étaient en sa faveur.
La destruction de Tescadre de l'amiral Cervera ne diminue pas l'im-
portance du rôle que peu vent jouer les croiseurs cuirassés. Elle démontre
seulement que les navires espagnols étaient en mauvais état et ne pos-
sédaient pas la vitesse qu'on était en droit d'exiger d'eux. Elle n'indique
pas non plus que les cuirassés doivent être préférés à tout autre type de
bâtiment. Sans doute dans le combat leur prépondérance est indiscu-
table, mais dans l'ensemble des opérations navales, surtout à grande
distance, leur supériorité est trop facilement amoindrie.
La meilleure leçon qui découle actuellement de la guerre hispano-
américaine est qu'il faut plus que jamais être prêt au cas d'une guerre
coloniale et qu'il ne faut pas attendre la déclaration de guerre pour
armer ses escadres, envoyer ses troupes aux colonies, approvisionner
celles-ci en vivres et en munitions. Les Américains qui depuis loogtemp>
pressentaient la tournure que devaient prendre les événements avaienl
une flotte devant la Havane 24 heures après la déclaration de
guerre. Les Espagnols qui, plus encore peut-être, devaient avoir le
même pressentiment et que deux révoltes coloniales auraient dû mettre
en éveil, n'avaient pas une escadre réellement en état de tenir la mer.
Leurs meilleurs bâtiments étaient en réparation, comme le Pelayo, ou
n'avaient pas leur armement au complet, comme le Christobal Cohti
et le Carlos Y. En outre, pour cp.use d'économie, les bâtiments navi-
guaient peu et les canonniers ne faisaient pas d'exercices de tir,
économie trompeuse que l'Espagne paie bien cher aujourd'hui.
On ne saurait reprocher à la France de faire des économies pour sa
marine. Le budget de celle-ci est le plus gros qui existe, après celui de
l'Angleterre; mais les dépenses que le parlement vole généralement sans
compter sont-elles appropriées aux conditions d'une guerre coloniale 1
Notre marine est-elle en mesure de lutter dans de bonnes conditions
dans les mers lointaines? Nos colonies sont-elles en bon état de défense,
suffisamment pourvues de troupes et d'approvisionnements ? Sur ce
dernier point il y aura beaucoup à dire.
La France peut être exposée à combattre sur mer une puissance mari-
time égale en forces ou supérieure. Dans le premier cas nos cuirassés
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LKS CROÏSEIJKS CUIRASSÉS FRANÇAIS mi
pourront jouer un rôle important et chercher à devenir ou à rester
maîtres de Ja mer. Dans Je second cas ils seront sans doute obligés de
demeurer sur la défensive pour éviter un désastre. Seuls les bâtiments à
marche rapide, c'est-à-dire les croiseurs, pourront aJors se risquer en
haute nier. Ce seront également les seuls bâtiments susceptibles de por-
ter la guerre dans les mers lointaines, en cas de conflit avec une puis-
sance non européenne, nos cuirassés devant être gardés en Europe pour
des causes d'ordre politique et ne pouvant d'ailleurs s'éloigner beau-
coup des ports de ravitaillement par suite de rinsuflisance de leurs
moyens. Plusieurs d'entre eux, en effet, ne sauraient aller d'un bout de
la Méditerranée à l'autre sans se trouver à court de charbon. Un autre
obstacle, la puissance de leur tirant d'eau, les mettrait dans Timpossi-
bilité de franchir le canal de Suez.
C'est donc sur les croiseurs que doit retomber tout le poids d'une
guerre maritime coloniale. Or les croiseurs sont de 3 catégories : les
croiseurs non protégés, bons pour la course, mais incapables desoutenir
la lutte dans une rencontre avec des bâtiments autres que leurs simi-
laires ; les croiseurs protégés, encore très vulnérables en pareille occu-
rence ; enûn les croiseurs cuirassés. Ceux-ci, par la protection que leur
assure leur cuirasse, par leur vitesse et par l'importance de leur artil-
lerie ne redoutent que les Cuirassés. Et encore, en cas de surprise de la
part- de ces derniers, sont-ils en état de résister à quelques coups de
canon, le temps de se mettre hors d'atteinte. Leur vitesse leur permet
de toujours refuser le combat, sauf contre leurs similaires ennemis, et
leur armement les met en mesuré de lutter contre l'artillerie de terre.
Aux Antilles, les croiseurs-cuirassés New-York et Brooklyn ont pris
part aux bombardements de Puerto-Rico ou de Santiago sans éprouver
plus d'avaries que les cuirassés.
Le croiseur-cuirassé étant le navire de combat le mieux adapté aux
guerres coloniales, on est en droit de se demander do combien de ces
bâtiments peut disposer la marine française. Leur nombre n'est que de
6, c'est-à-dire qu'il n'est pas supérieur à celui dont disposait l'Espagne
avant ses récents désastres. Ces croiseurs sont : le Charner, le Chanzy,
le Bruix, le Latouche-Trévllle, tous 4 du même type ; le Dupu^-cfe-Ldme,
le Polhuau.
Les 4 premiers, de 4.750 tonneaux de déplacement, ont une ceinture
de 90 millimètres et un pont cuinissé de SO mm. Leur vitesse maxima
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462 BEVUE FBANÇAISE
n'est que de 19 nœuds et leur approvisionnement normal de charbon
n'est que de 400 tx. L'artillerie comprend 2 pièces de 19 centimètres
et 6 de 14.
Le Pothuau est d'un type analogue un peu agrandi. D déplace
5.330 Ix et porte 2 canons de 14 c. de plus que les précédents. Au
point de vue de la vitesse et de l'approvisionnement de charbon, le
Pothuau n'est pas plus favorisé.
Plus ancien comme construction, le Dupuy-de-Lôme est cependaul
plus rapide et mieux protégé que les cinq autres croiseurs. U est en effet
cuirassé à 100 mm. sur toute son étendue et son pont cuirassé a 50 mm.
Sa grosse artillerie comprend 2 pièces de 19 c. et 6 de 16 c, en tou-
relles. Le blindage de ces tourelles est de 100 mm. tandis qu'il n'est
que de 50 sur les autres croiseurs. Le Dupuy-de-lAme file 20 n., mais
son approvisionnement n'est que de 900 tx de charbon, ce qui ne lui
donne qu'un rayon d'action insuffisant pour un croiseur.
Six croiseurs cuirassés en service, c'est donc tout ce que possède «i
bâtiments de ce genre la 2® puissance maritime et la 2* puissance colo-
niale du monde. C'est d'autant plus insuffisant que 5 de ces croiseurs,
n'ayant qu'un rayon d'action très limité, ne sauraient s'éloigner à trop
grande dislance d'un port de ravitaillement. Ils pourraient, il est vrad,
se faire suivre de navires charbonniers, pour ne pas être obligés de »
jeter, comme l'escadre de l'amiral Cervera, dans le premier port venu
et de s'y laisser bloquer. Mais ici se piésente une autre difficulté. Pour
ne pas être retardés et gênés dans leur marche, les croiseurs devraient
être suivis de transports ayant une vitesse au moins égale. Or il n'existe
dans la marine française que 4 paquebots (de la C'® Transatlantique)
pouvant fournir une vitesse de 18 à 19 n. — et encore! — tandis qu'en
Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis des paquebots faisant uo
service analogue donnent couramment 20, 21 et 22 nœuds. Pénurie eo
bons croiseurs cuirassés, pénurie en transports rapides, telle est doncb
situation présente.
n faut reconnaître toutefois que 7 autres croiseurs cuirassés sont en
construction. Ce sont : la Jeanne-d^Arc, magnifique croiseur de 11.300
t., les croiseurs Montcalm, Amiral-Gueydon, du Petit^Thouars, de
9.500 t., Kléber, Desaix, Dupleix de 7.700 t.
La Jeanne-d'ÀT'C^ dont nous donnons le dessin d*api*ès Y Association
technique maintime^ présente le même tonnage de déplacement que Je
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LES CROISEIÎPS CUIRASSÉS FRANÇAIS 463
cuirassé Charlemagfne. C'est un puissant navire non seulement par sa
masse, sa ceinture cuirassée de 150 mm d*épaisseur et son artillerie qui
compte âO pièces de moyen calibre et 24 de petit calibre, mais encore par
sa vitesse, prévue à 23 n. et son rayon d'action — Ô.OOO milles à 10 n.
—qui lui permet de se rendre de Toulon à Shanghaï sansavoir à renou-
\-eler son approvisionnement normal de charbon qui est de. 1.400 tx.
En surcharge il sera possible d'ajouter encore 900 Ix. de charbon ce qui
liorlera le rayon d'action à 13.500 milles. Avec ces approvisionnements
la Jeanne-d'Arc pourrait marcher à toute vitesse pendant 55 et 83 heures
consécutives. C'est là un résultat d*autant plus remarquable que les
bâtiments de guerre français pèchent en général par leur rayon d'action.
Malgré cette belle endurance la Jeanne-dWrc sera encore dépassée
par les navires anglais Hecla, d'un rayon d'action de 26.000 milles,
Power fui et Terrible de 25.000 m., le croiseur russe /Jun* de ÎO.OOO m.,
sans parler des grands croiseurs américains. Mais on sait par l'expé-
rience du Potverful, obligé de renouveler plusieurs fois son charbon en
se rendant d'Angleterre en Extrême-Orient par le Cap, combien ces
chiffres sont sujets à réduction.
La Jeanne 'd'Arc pourra sans doute détenir le record de la vitesse en
son genre. Mais déjà la marine anglaise lui prépare une sérieuse con-
currence. Dans les crédits demandés tout récemment à la chambre des
communes pour l'augmentation de la flotte, M. Goschen a fait valoir
que la construction d'un croiseur comme la Jextnne-d'Arc, obligeait
l'Angleterre à mettre en chantier 2 nouveaux grands croiseurs cuirassés
de 14.000 t. devant donner 23 n.
La Jeamte-d'Arc a été mise en construction à Toulon en 1895.
Les 3 croiseurs du même type de 9.300 t. sont eu contruction ; le
de Gtieydon à Lorient, le du Petit-Thouars à Toulon et le Monlcalm à
la Seyne. Ces bâtiments ont 138 mètres de long et 7 m. 50 de tirant
d'eau arrière. Leur artillerie comprend : 2 pièces de 194 mm. en
tourelle blindée, 8 de 164 mm. à tir rapide, 4 de 100 mm. à tir
rapide, '16 de 47 mm. et 6 de 37 à tir rapide. La ceinture cuirassée
atteint ISO mm. dans son milieu et diminue vers les extrémités.
L'épaisseur du pont cuirassé varie entre 30 et 50 nnu . L'approvision-
nement normal de charbon est de 1.023 t. ce qui donne un rayon
d'action à 10 n. de 6.300 milles, soit exactement la distance de Toulon
à Singapore. Avec un approvisionnement en surcharge l'endurance
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464 REVUE FRANÇAISE
peut être portée à 10.300 m., ce qui représente la dislance de Brest au
Japon. La vitesse minima prévue est de 21 n. A cette allure et avec
approvisionnement en- surcharge le rayon Jaction sera de 1.900 m., la
distance qui sépare Cherbourg de Toulon, laquelle pourra être franchie
en 90 heures.
Quoique étant un peu moins rapides que la Jeanne-d^Arc et ayant
un rayon d'action inférieur, les croiseurs du type Montcalm ont à
peu près la môme valeur comme armement et comme protection. Ds
formeront sans doute un ensemble d'excellents bâtiments.
11 faut être plus réservé sur les 3 croiseurs du même type de 7.700 1.:
Kléber, Desaiœ, Dupldx qui sont des réductions du type précédent. La
diminution du tonnage, tout en conservant la même vitesse, 21 n. et
un armement analogue, a amené une réduction de la ceinture cuirassée
en hauteur et en épaisseur; cette dernière n'est plus que de 100 mm.
au lieu de 150 sur les croiseurs précédents. L'approvisionnement de
charbon est ramené à 900 t. Et comme dans u n espace réduit il faut
donner la même force de chevaux et la même vitesse, il s'en suivra
une plus grande fragilité dans les machines et par suite une diminution
dans la force de résistance des bâtiments.
Quand ces divers croiseurs seront entrés en service, c'est-à-
dire pas avant le siècle prochain, la marine française possédera
7 croiseurs cuirassés neufs et 6 autres plus anciens, ces derniers im-
propres, à cause de leur faible rayon d'action, à faire campagne dans
les mers lointaines. Il est donc urgent de mettre en construction de
nouveaux croiseurs cuirassés aptes à remplir leur mission aux colonies,
c'est-à-dire à en rendre possible le ravitaillement ainsi que la défense à
grande distance. D.
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XJUïI (Août 98). H' 236,
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?t*7^^m^?^
Cuirassé Charleitiagne.
Longueur entre perp"» . . 1 17" SO
Laideur 20^26
Tirantd'eau moyen . . . 7™ 90
Déplacement 11.260 tx.
Puissance maxima . . IS.SOOdn.
Vitesse maxima . . . 18n.
IpproY^ Horaial de charlMui 69011.
Rayon d'action à 10 n . 4.300ri.
Armement.
4 canons de 305 mm. en 2 tourelles.
10 — de 139 mm. tir rap. en réduits blindés.
8 — de 100 mm. t. r.
16 — de 47 mm. t. r.
18 — de 37 mm. t. r. et rev.
4 tubes lance-torpilles, dont 2 sous-marins.
La ceinture cuirassée, d'une hauteur totale de 2 m ., a une épaisseur au
milieu, de 400 mm. et va en diminuant jusqu'aux extrémités. Le pont
blindé a 70 mm. La grosse artillerie est bien protégée, mais la moyenne
artillerie est plus exposée aux obus à grande capacité d'explosif. Le Char-
témoigne, mis en chantiers, à Brest, le 30 sept, 1893, a fait ses essais
officiels, en juin 1898. Il a donné 17 ri. 2S au tirage naturel, et 18 n.
13 au tirage activé avec lo.29S ch. Il formera avec ses similaires, le
Gaulois et le St-Louis, en achèvement à Brest et Lorient, une belle
division à 18 n.
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D^OMSK A VIERNIY
(1)
III
La chaine ftmtoêtique d'Arkat, — Notre entrée dans le Semiretché, —
La chaine du Tarbagataï, — SergiopoL — Passage à gué de la fivière
Aiagousi, — Accident de tarentass, — Les steppes salines du Balkach.
— .1m pied de VAlatau dzoungare.
Partis à 7 h. 20 du matin de Kizil-Moulinsk, nous sommes arrivés à
9 h, 35 à Arkat (26 verstes 1/2, 28 kilomètres.) A mesure que nous
galopions dans la steppe, nous nous rapprochions de cette chaîne d'Ar-
kat, vraiment bien originale ; malgré sa faible altitude, 7 à 800 mètres
au-dessus du niveau de la mer, 350 à 400 mètres au-dessus de la steppe,
elle vous impressionne, vous étonne. Accumulation d'aiguilles, de pointes
effilées qui semblent vouloir poignarder le ciel, de tourelles, de cloche-
tons, de fiers donjons, de créneaux, de minuscules coupoles de mara-
bouts, chaos de rochers déchiquetés, dépenaillés, loqueteux, auxquels
la nature n'a pas fait l'aumône d'un beau manteau de verdure ; et tout
cela, grimaçant, fantastique, dominant d'une masse sombre, verdâtre
ou grisâtre, la steppe bien verte où le vent fait onduler les herbes
et frissonner les anémones. Quel regret de ne pouvoir s'arrêter pour
passer quelques jours dans ces montagnes étranges, perchoirs d'aigles
et de vautours, solitude où l'on ne doit entendre que le fracas des rocs
qui s'éboulent, les rumeurs de la montagne en travail.
A peine 30 minutes d'arrêt à Arkat ; le staroste est expéditif, et nous
voici en route vers Alidjan. Nous courons dans une dépression gazonnée,
sorte de col ou plutôt de rigole, qui sépare les monts Arkat des monta
Alidjan ; à notre droite, les premiers : à gauche, les seconds. Le paysage
est maintenant sans intérêt. Toujours même absence de végétation arbo-
rescente. Rencontré un loup qui se sauve à toutes jambes ; décidément,
rien ne fait peur à un fauve comme la rencontre d'un bipède civilisé !
Nous croisons également une caravane de voitures en route pour Semi-
palatinsk ; les chevaux marchent béatement à petits pas, tandis que le«
conducteurs kirghises sommeillent.
Midi : nous stoppons devant la station d' Alidjan (24 verstes, 26 kilo-
mètres 000.) En entrant dans la station, tandis que le lieutenant
(!) Voir hev, Fr. 1898, juin p. 329, juil. p. 390.
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468 REVUE FJKANÇAISE
Sakovief présente au btaroste notre coupon et règle le pourboire du
cocher, je pousse les trois cris sacramentels qui constituent ruoiforme
discours que je prononce dan» chaque station : du lait ! du pain ! des
œufs! L'absence d'autres denrées alimentaires et ma très faible connais-
sance de la langue russe justifient ce laconisme. Quant à Walteniuset
au baron de Munek, ils se ptéoccupent de l'installation du samovar et
de la préparation du thé ; le starosle ne fournit que le samovar et l'eau
chaude; nous apportons le thé et le sucre. En général, autant de
repas de ce genre que de haltes dans des stations.
C'est à midi 30 que nous quittons Alidjan; la steppe est plus aiide
maintenant; le sol n'est pas partout recouvert de cette belle nappe de
verdure que nous admirions depuis Semipalatinsk. Devant nous, une
ligne de hauteurs, la dernière que nous rencontrerons dans la province.
Arrêt très court à la station d'Ouzoun-BouIak (26 kilomètres). Nous
franchissons la chaîne d'Inrekei, ondulation semblable aux monts
Arkalyk et aux monts Alidjan. Encore une caravane; celle-là est déjà
au campement et se repose. Successivement passent trois tarentass
venant en sens inverse; peut-être n'auronsi-nous pas de chevaux à la
station suivante, mes compagnons sont inquiets; quant à moi, cette
perspective d'un repos forcé est loin de me àéplaire.
La soirée est superbe : pas un nuage, pas même un flocon de vapeur,
et l'atmosphère, dans ces vastes espaces presque inhabités, est d'une
extraordinaire pureté. Une nouvelle caravane, celle-là d'une centaine
de voitures, donne une certaine animation à la steppe. Plus loin, quatre
chameaux enveloppés de manteaux de feutre; ces manteaux ont des
trous par lesquels on a passé les pattes ; ainsi habillés messieurs les
chameaux ont une mine bien drôle. Nous passons devant un aoul grouil-
lant de vie; aux appels des hommes, se mêlent les cris variés des trou-
peaux, bêlements des moutons, mugissements des bœufs, hennissements
des chevaux : concert étrange où les sons se heurtent, s'entre-choquent.
Un Kirghise à cheval... sur un bœuf, qu'il guide au moyen de corde?
passées dans les naseaux, rentre à l'aoul.
A la station d'Inrekeiskia. contrairement à mon espérance, nous
trouvons des chevaux et nous pouvons, à 7 heures du soir, continuer
notre route vers le sud. Nous sortons maintenant du gouvernement
de Semipalatinsk pour entrer dans le gouvernement de Semiretché. U
première station appartenant à ce gouvernement est celle d'Atyn-Kala-
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D'OMSK A VIERNIY 469
kskaïa où nous arrivons à 8 heures 30 du soir. Mes compagnons de route ,
ont enfin pitié de moi. et il est décidé que nous y passerons la nuit. U y
a près de 38 heures que nous marchons sans avoir pris de repos, nous
avons franchi 260 kilomètres ; on a bien droit après une pareille course
à une nuit de sommeil. |
Naturellement dans les stations, il ne faut pas parler de lits, on s'im- J
provise une couchette avec des couvertures et des pelisses sur les cana- |
pés et on dort, comme on dormirait dans Tune des salles d'attente de ^
nos gares. Au sortir du tarentass, vous vous croyez dans le plus moelleux |
des lits. i
20 mai — Départ à 6 heures 40 du matin. Temps aussi beau que la \
veille ; le thermomètre marque 6**5. Le panorama est presque gran- j
diose avec le profil neigeux des monts Tarbagataï qui strie Thorizon ,^
d'une ligne blanche, étincelante, sous le miroitement deis rayons du
soleil levant. Cette fois, nous sommes en présence de véritables mon- '^
tagnes, le tronc d'où proviennent toutes les branches, Semi-taou, Arka- j
lyk, Alidjan, Arkat, Inrikei, que nous avons successivement rencon- \
trées. Le système fort important et encore peu connu du Tarbagataï ]
se termine à l'ouest, vers l'Irtych, par un éventail de collines dont les ■
plus basses descendent jusqu'à une altitude de3S0 mètres; ces colhnes
font de la steppe du sud de la province de Semipalatinsk une steppe
ondulée ayant un caractère spécial et où, la colonisation, surtout avec
des irrigations, trouverait un domaine de valeur.
Le système du Tarbagataï est incliné du S.-E au N.-O. Il a son origine
en Chine, dans la Dzoungarie, au nordnouest du désert dzoungare, et
son massif original, les monts Saour, est le plus élevé de tout le sys-
tème. Les monts Saour s'étendent entre la ville chinoise de Bouloun-
TokhoY et la ville russe de Zaïsansk; le Mont-Blanc des Saour est le
Mouz taou, situé sur le territoire chinois, qui porte à 3.400 mètres sa
tête couronnée de neiges éternelles. Vers le milieu des monts Saour, le
Tarbagataï proprement dit se soude au premier massif, et s'il n'atteint
pas sa hauteur, il le dépasse beaucoup en longueur. Le Tarbagataï
sépare d'abord le territoire russe du territoire chinois, puis la province
de Semipalatinsk de la province de Semiretché. Un peu avant d'attein-
dre Sergiopol, il s'éparpille en cinq chaînes qui forment l'éventail dont
j'ai parlé. D'après Schrenck, la limite des neiges persistantes dans le
Tarbagataï, est à 2.760 mètres; le point culminant de la chaîne est le
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470 REVUE FRANÇAISE
Tas-taou (la montagne de pierre), d'une altitude de 2.958 mètres, qui
a été gravi plusieurs fois; je ne pense pas que l'ascension du Mouz-taoo
ait jamais été faite. L'étude géologique du système du Tarbagataï serût
très intéressante ; un minéralogiste polonais que j'ai vu à Mias et qui
connaît bien ces contrées, prétendait même qu'un jour le Tarbagaiai
serait une nouvelle Californie. Par les chaînes d'Ourkatchar et du Djair
qui bordent le désert dzoungare, le Tarbagataï est en rapport avec les
Thian-shan. On peut considérer, à la suite d'un examen attentif, le Tar-
bagataï comme l'un des plissements du système des Thian-shan.
Tout en faisant ces réflexions géographiques, nous nous laissons em-
porter à travers la steppe au triple galop des chevaux de notre taren-
tass, et, après le repos de la nuit, le trajet semble moins pénible. Voici
justement des malheureux qui accomplissent ce long voyage dans dfô
conditions qui nous font apprécier plus favorablemeût notre relatif com-
fort : un convoi de prisonniers, la plupart Kirghises, marchant à pied,
par groupes de deux ou de trois entre une haie de soldats qui les escor-
tent le fusil sur l'épaule; ils iront ainsi jusqu'à Semipalatinsk où onles
embarquera sur des barges qui, remorquées par les bateaux à vapeur,
les amèneront à^Omsk; d'Omsk à Krasnoïarsk, en chemin de fer; puis
au delà, de nouveau à pied jusqu'aux lointains pénitenciers de la Sibé-
rie orientale. Le temps n'est rien pour les Orientaux; mais l'espace!
après un semblable itinéraire, ils doivent en connaître la valeur et la
signification. Derrière, suivent dans des chariots, juchés sur une masse
confuse de ballots, d'ustensiles de ménage, les femmes et les enfants.
Et le convoi continue sa marche lente, tandis que nous courons en sem
inverse vers ces éblouissantes cimes qui maintenant flamboient, ruti-
lent, se grisent de l'or du soleil.
Une petite tache de verdure devant nous, les premiers arbres depuis
Semipalatinsk; un groupement de dés blanchâtres, une coupole verte
qui d'ici semble une minusculecoupe renversée; autour quelqueschamp,
bien peu; mais enfin tout cela indique l'approche d'une a^lomération
humaine; nous n'avons vu pendant deux journées déroute que des sta-
tions de poste. Enfin, les arbres, les maisons grandissent; rensemWe
du paysage devient plus distinct. C'est Sergiopol, et, joyeux, nous y
faisojQs notre entrée, à 9 heures 20 du matin.
Sergiopol, ainsi nommé en l'honneur du grand-duc Serge, car son
ancien nom kirghiz est Aiagouz, ne saurait être considéré comme une
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D'OMSK A VÎERÎVIY 471
Véritable cité : village de 1.302 habitants (782 hommes etSSO femmes),
aux oonfins des gouvernements de Semipalatinsk et de Semiretchê,
Sergiopol doit son origine à un poste cosaque ; on en a fait une slanitza
de cosaques du Semiretchê avec le poselok d*Oudjarskaïa comme
dépendance. A nos yeux, après les trois cettts kilomètres de steppes
que nous venons de traverser, c'est presque une grande ville. D*abord
la station de poste est vaste, t>ien aménagée (Sergiopol se trouvant au
croisement de la route de Vierniy et de la route de Bakty) ; ensuite,
nous y ferons un véritable déjeuner, avec des assiettes, des cuillers, des
fourchettes, un potage, un ragoût de mouton, un menu d'empereur,
m^me une bouteille de Champagne que le baron de Munck en allant à
la recherche d'une antique et noble (bien qu'informe) statue, a dénichée
dans un traktir. Je ne répondrai pas de l'âge du susdit Champagne et
je serais bien en peine de narrer les extraordinaires aventures à la suite
desquelles il est venu échouer à Sei^iopol ; mais enfin l'étiquette y est
et il n'y a que la tbi qui sauve... particulièremetit en matière de vins
de Champagne.
Malgré les heui^eiix effets d'un bon déjeuner qui contribuent géné-
ralement à faire voir tout en rose, je suis obligé de reconnaître que
Sergiopol n'est pas précisément un séjour enchanteur. Les arbres qui
de loin nous réjouissaient le regard, sont rabougris, poussiéreux ; la
terre semble leur reprocher le peu d'espace qu'elle offre à leurs racines.
Beaucoup de poussière dans ce qu'on est convenu d'appeler des rues;
un climat caractérisé par le contact des extrêmes, froids excessifs,
chaleurs non moins excessives. Des environs dénudés, déserts ; c'est
un point d'occupation, une étape marquée vers le sud, un poste militaire
qui peut, ou tout au moins a pu avoir sa raison d'être, mais voilà tout.
Il y a du reste une petite garnison de 5 ofliciers et 171 hommes;
effectif plus que suffisant pour maintenir le bon ordre à des centaines
de verstes. L'importance de Sergiopol ne consiste que dans sa situation
âti croisement de la route du Turkestan et de la route qui mène â
Bakty, sur la frontière chinoise. Une autre garnison de 7 officiers et de
132 hommes a été établie à Bakty, faisant face au poste chinois de
Tchougoutchak, par lequel on communique avec Chilko, Manas,
Oufoumtoi et Tourfan, où la Russie a récemment créé un vice-consulat.
Si nous examinons la région que nous venons de parcourir, ce
n'est pas autour de Sergiopol que la colonisation pourra trouver un
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472 REVUE FRANÇAISE
nouveau domaine susceptible de fructifier, c'est plutôt sur la riye
gauche^ de Tlrtych et entre le fleuve et les monts Arkat. Sergiopol, il
est vrai, est arrosé par un cours d'eau assez considérable, l'Aïagouz,
qui se jette dans le lac Balkach, mais son régime d'eau est très
variable, et au sud de Sergiopol seulement les terres seraient favorables.
J'ai parlé de la statue que le baron de Munck et le professeur
Wallenius avaient examinée et qui orne une des rues de Sergiopol;
cette statue se rattache au groupe des œuvres d'art (?) appelées Baba
Kamene par les Kirghises ; un bloc de pierre enfoncé dans le sol et
dont la partie supérieure a été plus ou moins dégrossie, avec l'intention
fort louable de représenter une figure humaine ; le résultat n'est géné-
ralement pas proportionnel à l'effort, et le talent de l'artiste indigène
paraît inférieur à sa bonne volonté. Parfois on peut relever sur ces Ba6a
Kamene des inscriptions offrant quelque intérêt.
Avant de quitter Sergiopol, un fait caractéristique: les maisons en
bois sont plutôt en minorité ; on remarque déjà .beaucoup de maisons
en terre, blanchies à la chaux, ayant la forme rectangulaire, avec la
terrasse orientale se substituant au toit, ce qui indique l'approche du
Turkestan et de l'Asie centrale.
A midi, nous quittons Sergiopol ; la ville est rapidement traversée, et
nos chevaux s'engagent dans le cours de l'Aïagouz ; c'est notre premier
passage à gué. Nous allons renouveler souvent cette opération qui à
l'époque des hautes eaux est parfois dangereuse.- En ce moment, il y a
peu d'eau, juste de quoi éclabousser les chevaux et laver un peu le
tarentass. L'Aïagouz est une des sept rivières, une de celles qui donnent
leur nom à la province : « Semiretché ». « sept rivières ». On n'est pas
d'accord sur les sept rivières ; l'opinion la plus vraisemblable est celte
qui considère comme « les sept rivières » : l'Aïagouz, le Karatal, le
Bien^ l'Aksou, le Sarkan, le Baksan et la Lepsa.
L'eau limpide de l'Aïagouz court sur les cailloux en murmurant;
quelques roseaux bordent les rives. Aussitôt on gravit la berge droite
qui est élevée et on s'engage dans les collines qui dominent Sergiopol
au sud. On m'a communiqué les résultats du nivellement très précis
fait l'année dernière par les officiers de l'état-major russe entre Omdt
et Vierniy. Omsk est à 84 mètres 915 au-dessus du niveau de la mer;
Pavlodar, à 126 mètres S20 ; Semipalatinsk (égUse), à 205 mètres 675;
Sergiopol, à 632 mètres 387. Mon baromètre m'indiquait 600 mètres
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D'OMSK A VIERNIY 473 >|
pour l'altitude de Sei^iopol (sans les corrections) ; iJ me donne sur la
berge droite une cote de 640 'mètres.
La région a un aspect plus désertique ; les plantes sont plus sèches ;
la flore n'a pas la même physionomie qu'entre Semipalatinsk et
Sergiopol. Les oiseaux se font plus rares ; la vie est moins intense ; et
sur ce paysage ^ morne, un soleil implacable darde des rayons qui
grillent les plantes, brûlent le sol. Ce sont des ondulations de terrain
qui font songer à d'anciennes dunes aujourd'hui fixées. Nous ne
sommes pas encore dans la steppe saline, mais nous en approchons.
Nous traversons une seconde fois à gué l'Aïagouz ; je laisse passer
le tarentass du baron de Munck et du professeur Wallenius, afin d'en
prendre la photographie au moment où il sera engagé au milieu de la,
rivière. La rive droite est plus élevée que la rive gauche; elle forme une
berge sablonneuse ; la rivière est large, mais peu profonde; l'eau, très
claire, très pure, court sur un lit de cailloux ; les chevaux qui piaffent font
retomber les gouttelettes en blanches cascatelles, et, en la sérénité de
cette calme et resplendissante journée de printemps, l'image de la
voiture se reflète à la surface de la rivière comme dans un miroir.
C'est avec peine que l'on gravit la berge, puis, on repart au galop.
L'étape est longue, près de 33 kilomètres de Sergiopol à la première
station, celle d'Aïagouzki, où nous arrivons à 3 heures. De nouveau,
de simples stations de poste, sans aucun village, sans aucune agglo-
mération humaine autour ; de simples relais pour ce long et pénible
voyage.
On ne cesse de suivre la rivière AYagouz que l'on traverse une
troisième fois; partout des spirées en fleurs, quelques tulipes au calice
orangé avec des taches rouges et brunes. La température est plus
chaude; nous marchons en effet toujours au sud. Malgré cela, la végé-
tation tend à devenir plus rare ; nous commençons à apercevoir une
poussière blanche mêlée à l'argile ou au sable, c'est du sel. Encore un
long plateau gazonné, quelques ondulations, puis, au delà, apparaît à
perte de vue la steppe du Balkach, striée de lignes rougeâtres, avec de
hautes colonnes de poussière qui tourbillonnent dans l'espace comme
des trombes, des vapeurs blanches, grises, montant du sol embrasé,
incendié par ce soleil dont rien n'arrête les radiations. Le panorama
est saisissant, mais l'impression est plutôt désagréable : on pressent les
fatigues du lendemain, lorsqu'il faudra parcourir cette zone désertique.
.V
. V *
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474 REVUE FRANÇAISE
La station, où nous nous arrêtons à 6 heures du soif, porte un nom,
cTaldy Koudouk r , qui nous indique du reste que nous sommes presque
dans le désert: Koudouk est un mot kirghise signifiant « puits ». La jour-
née a été chaude; le thermomètre est monté à 19^; nous ne pensons plus
aux nègres d'Omsket deKourgan. Nous repartons de Taldy à 7 heures du
soir; en tous sens, une steppe plate, sans arbres, sans arbrisseaux, sans
broussailles, où la végétation est représentée par des plantes sèches,
imprégnées de sel, jaunâtres, se confondant avec le sol, parfois épi-
neuses, ou bien étalant au ras de la terre de larges feuilles. De-ci de-là,
de longues tratnées blanches, des couches de sel qui craquent sous le
pas des chevaux. Et les tarentass ne se distinguent de loin qu'au nuage
de poussière qu'ils soulèvent autour d'eux. Les vêtements, la peau s'im-
prègnent de sable, de sel ; on en respire, on en mange ; une Invasion à
laquelle aucune résistance ne saurait être opposée.
La nuit vient. A notre droite, une caravane d'émigrants fait la halte
du soir ; les voitures sont rangées en ordre de bataille ; elles serviront
de chambre à coucher ; les hommes attachent les chevaux, tandis que
les femmes font la cuisine en plein vent ; les enfants à demi nus ramas-
sent les brindilles desséchées, les ronces pour entretenir le feu. Une
émigration vers le Par East comme celle qui, dans le milieu de ce siècle
a entraîné un torrent humain vers le Far West. L année dernière, plus
de 200.000 émigrants en Sibérie, et on ne sait quand s'arrêtera cet exode.
Quelques arbres chétifs.nous indiquent que nous rejoignons l'Alagouz,
dont nous nous étions écartés en débouchant de la région des collines.
A 8 heures 20 du soir, arrivée à la station de Kizil Hiiskaia, à 89 kilo-
mètres de Sergiopol, franchis en 8 heures; notre marche a été très
rapide. Les deux premières stations étaient à une altitude approximative
de 870 mètres, 890 mètres ; je trouve pour celle-ci 480.
On ne se reposera pas celte nuit, bien que nous n'ayons certes pas
perdu de temps depuis notre départ de Semipalatinsk ; après le dtoer,
nous continuons donc notre route. Nuit sombre, trajet monotone ; som-
meil impossible; beaucoup d'ornières profondes et aussi de buttes de
sable que doit escalader la voiture, ce qui ne se fait pas sans de véri-
tables secousses. Une heure après notre départ de Kizil-Kiiskaia, en gra-
vissant l'une de ces buttes, notre tarentass perd réquiUbre et nous cha-
virons sur le côté droit ; nous voilà roulant dans là steppe avec nos
bagages. Heureusement, rien de cassé, ni dans nos personnes, ni dans
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D'OMSK A VIEBNIY 475
notre matériel ; seulement, Tune des roues de devant, celle de droite,
qui s'est détachée. Malgré nos objurgations et nos protestations, les
cochers ne veulent pas accepter d'aller chercher une autre voiture à la
station : « Nitchevo ! Nitchevo ! » t Ce n est rien ! Ce n'est rien ! » s'ex-
claiôent à qui mieux mieux nos compagnons russes et on remet en
place la roue fugitive en la faisant tenir avec de mauvaises ficelles.
Je pars à contre-cœur, car je prévois une nouvelle culbute. Elle ne se
fait pas attendre. A trois kilomètres plus loin, le tarentass s'affale
encore une fois du côté droit : nous recevon^J tous nos bagages sur le
corps, et pour ma part, je viens buter contre une hache, qui m'entaille
— superficiellement par bonheur — le front* Eu me voyant tout ensan-
glanté et plus que furibond, le lieutenant Sakovlef se contente de répé-
cer son éternel « Nitchevo! ». Quel fatalisme exaspérant... surtout pour
un écopché qui se lamente I
On remet les bagages dans le tarentass, on replace la roue récalci-
trante, et, tant bien que mal, nous arrivons à la station de Malaia-
gouzki ; j'en garderai un mauvais souvenir de cette station-là. Enfin,
je panse plus ou moins rudimentairement ma blessure, et, comme
mes compagnons tiennent à ne pas s'arrêter cette nuit, je suis forcé de
continuer le voyage, mais vous ne vous étonnerez pas si je ne vous dis
rien de la station de Dochus-Agatsch, ni de celle d'Oukounin-Katchkoï,
où nous arrivons à 5 heures du matin; j'étais dans de telles dispositions
physiques et morales que les pages de mon carnet de route sont restées
blanches. Tout ce que je puis vous indiquer, c'est que toute la nuit
nous avons couru dans une steppe uniformément plate et que mainte-
nant nous sommés à la hauteur de l'embouchure de l'Aïagouz dans le
lac Balkach ; le lac est à notre droite, c'est-à-dire à l'ouest, à quelques
kilomètres.
21 mai. — Devant nous, une ligne de colUnes barre l'horizon et
rompt enfin la monotonie de la steppe : ce sont les collines d'Arga-
naty ou d'Arganalinsk. qui partagent en doux parties la vaste steppe
orientale du Balkach ; la première partie, celle que nous venons de
traverser, a des collines de l'Aïagouz aux collines d'Arganaty une lon-
gueur de 116 kilomètres.
La station d'Arganatinsk se blottit dans un cirque de ces collines
fort curieuses. Elles sont constituées par des roches noires, polies, assez
semblables à du marbre et qui étincellent sous le soleil. Les bâtiments
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476 REVUE FRANÇAISE
de la station forment le centre d'un petit village kirghise qui est venu
se grouper autour, et les roches abruptes dominent menaçantes les
constructions européennes comme les tentes de feutre. L'altitude de la
station d'Arganatinsk est de 450 mètres. Les collines environnantes
s'élèvent approximativement à 600 et à 6S0 mètres. Entre ArganafSnsk
et Achi-Boulak, on franchit assez rapidement cette petite chaîne et de
nouveau recommence la steppe, une steppe légèrement ondulée, d'où
montent d'insupportables nuages de poussière qui forment dans l'at-
mosphère comme de longues colonnes de fumées. Cette steppe est
moins fatiguante toutefois que la steppe du nord, car elle est limitée au
sud par une puissante chaîne neigeuse, dont la vue distrait le regard :
c'est l'Alataou dzoungare, le second plissement des Thian-Shan. Elle
ne forme encore qu'une ligne blanche, indécise, se confondant avec les
nuages; mais, à mesure qu'on avance, elle grandit, grandit toujours et
bientôt elle écrase le paysage de sa masse énorme, d'autant plus puis-
sante qu'elle s'élève directement au-dessus d'une plaine rase comme une
table, tant les reliefs dans leur ensemble y sont insignifiants.
Avant d'atteindre la station d' Achi-Boulak, nous croisons une impor-
tante caravane ; toutes ces charrettes sont chargées de fourrures et par-
ticulièrement de ces fourrures de l'Asie centrale que l'on appelle en
France mongolines (Mongolies). En quittant Àchi-Boulak, c'est encore
une autre caravane que nous apercevons, mais celle-là d'ëmigrants.
Ces rencontres donnent un peu d'animation au désert et rendent le
trajet moins fastidieux; à moitié route, les tarentass font toujours
une halte de quelques instants, et le « palavine » des cochers est salué
d'un soupir de soulagement, presque d'un cri de joie.-
Une petite pente gazonnée à franchir et on aperçoit la vaste dépres-
sion où coule la Lepsa, une des sept rivières, L'Alataou dzoungare
paraît, d'ici, un nuage noir que couronnerait un nuage blanc. Il donne
une excellente idée de ce que sont ces plissements du sol appelés mon-
tagnes. Le soleil est ardent et rien n'en tamise les rayons ; aussi, dans
les sillons du chemin, courent à Tenvi de petits lézards aussi gris que
la poussière dans laquelle ils s'ébattent ; en ces steppes arides, du reste,
tout est gris, le sol, les plantes, les animaux, la couleur des représen-
tants de la vie végétale et de la vie animale s'adaptant à la couleur de
la terre.
Aussi a-t-on une agréable surprise lorsqu'en s'arrétaht à la station de
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D'OMSK A VIERNIY 477
KaDdjiga-Boulaky on contemple à rentrée de la station quelques arbres,
quelques arbrisseaux presque verts, dont on avait oublié l'existence
depuis le départ de Semipalatinsk ; c'est une véritable joie que de se
trouver en présence d'autre chose qu'une végétation herbacée, si inté-
ressante fût-elle. La station de Kanjiga-Boulak est déjà un commence-
ment d'oasis et désormais nous marcherons de surprise en surprise.
Une ligne de hauteurs qui s'étend sur la droite, à l'ouest, borde la
Lepsa; elle se rattache aux collines d'Arganaty; on la contourne en
traversant une plaine sablonneuse. Voici un nombreux troupeau de
chameaux qui paissent tranquillement, broutant des herbes imprégnées
de sel; des chevaux vont boire à un petit ruisselet. Puis, c'est un pont en
bois tout neuf, la preuve que les ingénieurs de la Sibérie occidentale font
quelque chose, ce dont nous commencions à douter; il sert à franchir
un ravin en ce moment à sec, mais qui, à l'époque des crues, sert de
déversoir à la Lepsa.
On débouche enfin dans la vallée de la Lepsa, une véritable rivière
à l'eau limpide et abondante ; une île toute verte la partage en deux bras ;
l'une des rives est complètement dénudée et formée par des dunes d'un
sable très-fin, mouvant, l'autre, au contraire, s'est embellie d'une trace
d'arbustes. Sur la rive gauche, s'est créé un village, Lepsinskoi, mélange
de constructions en bois, de constructions en terre avec des toits en
chaume, et de tentes de feutre; Lepsinskoi est à 246 kilomètres de
Sergiopol ; entre ces deux points pourtant éloignés, nous n'avons trouvé
aucun centre de populali4)n. De même que Sergiopol, Lepsinskoi fait
parlie du district de Lepsinsk ; c'est une importante stanitza cosaque;
son attitude est de 430 mètres.
Nous sommes arrivés à S heures du soir à Lepsinskoi, nous en repar-
tons à 6 heures. Toujours la steppe, légèrement gazonnée mainten^t.
Dans celte région, une nombreuse population kirghise; on distingue à
droite et à gauche des aouls que trahit la fumée du repas du soir; sur
la route, une caravane de 34 chariots traînés par des bœufs. Ces chariots
sont chargés de ballots de poils de chameau. Plus loin, un. troupeau d'une
centaine de chevaux en liberté que garde un Kirghise à cheval : le
berger est armé d'une longue perche, à l'extrémité de laquelle est
attachée une corde formant une boucle, dont il se sert pour attraper les
chevaux par le cou, variante moins pratique et moins élégante du lazzo
des gauchos de l'Amérique du Sud. De nouveau une caravane qui vient
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478 REVUE FRANÇAISE
de s'arrêter pour le campement : les chariots sont rangés par escadrons,
trois escadrons de quarante chariots chacun; autour les boBufs ; devant
leurs escadrons respectifs, les conducteurs accroupis près d*un grand
feu alimenté avec les broussailles.
Sur un pont de bois, nous franchissons la rivière Baskan, la troisième
des Sept-Rivières et nous faisons notre entrée triomphale dans le village
de Baskansk, qui aligne ses maisons sur les deux rives du vivifiant
cours d'eau. Une halte est décidée à l'unanimité des voix ; nous cou-
cherons à Baskansk, sage décision à laquelle j applaudis des deux
mains. D'AU)!! Kalatskaia à Baskansk nous avons marché 38 heures
sans dormir, en parcourant ^83 kilomètres. Baskansk est un village
cosaque qui dépend de la stanitza de Sarkansk ; sa population est de
112 habitants (oo hommes et 57femmes); en France nous rappellerions
un hameau ; mais dans la steppe, on n'est pas difficile, et nous le con-
sidérons presque comme une ville. Altitude : 440 mètres.
22 mai. — Au réveil, lever de soleil superbe sur TAlataou dzoungare ;
les premiers rayons tombent obliquement sur les sommets couverts de
neige qui les renvoient en tous sens comme de gigantesques diamants ;
des lueurs rouges font une longue traînée de cime en cime, et tout cela
étincelle alors que la plaine est encoi'e dans la pénombre. Entre Bas-
kansk et Aksinsk, la station suivante, toujours la steppe ; on monte
cependant insensiblement. De nouveau, des caravanes en marche,
chariots traînés par des bœufs ; Tune des caravanes est de 42 voitures,
l'autre de 41 ; le mouvement commercial pawiît assez actif sur cette
route. Avant d'arriver à Aksinsk, on passe la rivière Aksou sur un
pont du même type que les précédents. Au-dessus du pont, un petit
plateau où sont groupées les maisons d'un village naissant ; partout où
il y a de l'eau, des centres de population se forment. Aksinsk est ud
hameau cosaque de la stanitza de Sarkansk : 83 habitants (38 hommes,
45 femmes, plus de femmes que d'hommes ! ) Vu du petit plateau,
l'Alataou dzoungare est absolument grandiose ; comme la montagne
vous saisit, vous impressionne après une traversée de ces interminables
steppes. Nous avons monté de 30 mètres depuis Baskansk ; mon barO'
mètre indique 470 mètres pour l'altitude d'Aksinsk.
En quittant la station, nous partons au grand galop dans la steppe
herbeuse. Plus on avance vers le sud, plus les sommets de TAiataou
dzoungare se détachent nettement sur le fond bleu du ciel. La chaîne
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D'OMSK A VIERNIY S79
s'étend sur une longueur de plus de 250 kilomètres ; elle constitue une
formidable barrière, placée entre Tempire russe et la Chine ; elle se hé-
risse de centaines de sommets, sommets pyramidaux surchargés de
neiges, tandis que le premier plan sombre, noir, contrastant avec le
blanc des hautes cimes, est formé de massifs moins élevés et dénudés.
La station et le village d'Abakoumovsk se trouvent au pied de ce pre-
mier plan. C'est à Abakouraovsk que se détache sur la gauche, la route
qui conduit à ï^psinsk, chef-lieu du district. Le village d'Abakoumovsk,
iiui se rattache comme Aksinsk et Baskansk à la stanitza de Sarkansk,
est peuplé de 1S4 habitants (81 hommes, 73 femmes). La stanitza est à
quelques kilomètres sur la route deLepsinsk,
Abakoumovsk est bien le plus joli village que nous ayons rencontré
depuis Semipalatinsk ; des arbres verts, bien verts, des sources d'eau
vives, de la fraîcheur, une oasis dans le déseîrt, et, dominant cet Eden,
la muraille abrupte de la première chaîne de TAlataou dzoungare.
D'après les nivellements de l'état-major russe, Abakoumovsk est à
624 mètres 493, presque la même altitude que Sergiopol ; en me rap-
portant à cette base, je dois donc considérer les chiffres fournis par
mon baromètre comitie trop faibles.
C'est par le col de Gasfort que l'on franchit la première chaîne de
l'Alataou ; il a été ainsi nommé en l'honneur du général Gasfort,
gouverneur général des steppes. L'ascension commence au départ
même du village d'Abakoumovsk ; on ne s'est pas préoccupé d'adoucir
les rampes, et la montée est si rapide, si dure pour les chevaux que
nous préférons descendre des tarentass. Nous cheminons dans une
gorge encaissée entre des schistes gris bleu, lie de vin, entremêlés de
quartzite ; avec la réverbération du soleil sur ces roches, la chaleur est
excessive. Le long de la roule court un petit ruisselet ; la végétation
s'est réfugiée sur ses rives minuscules, et il chante sa petite chanson
parmi un parterre de fleurs de toutes couleurs ; elles sont loin, bien
loin les plantes grises et desséchées de la steppe ; un monde végétal
nouveau commence et, autour de ces clochettes bleues, de ces boutons
jaunes, lourds de pollen, de ces digitales tigrées s'agitent bourdon-
nantes les guêpes, les abeilles, joyeuses de ce régal de reines. Les
parois se resserrent, les rocs affectent des formes étranges ; ici c'est
une véritable porte taillée parmi les blocs de pierre, et un poteau télé-
graphique, ô ironie I est venu se camper au beau milieu. Près de
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480 REVUE FRANÇAISE
8 verstes de montée. Soudain, avant d'arriver au col, on découvre, à
perle de vue, la steppe que Ton laisse derrière soi, mer immense sans
vagues, une mer des jours de grand calme, avec seulement les faibles
rides des sables mouvants que caresse la brise.
(A suivre,) Georges Saint-Yves.
ABYSSINIE
LA MISSION DE BONCHAMPS
M. de Bonchamps est rentré en France le 25 juin, sans avoir pu
atteindre le but de sa mission, qui consistait à se rendre d*Ab}8sinie au
Nil et à tendre la main à la mission Marchand, arrivant de TOubangui.
Malgré cet insuccès, M. de Bonchamps rapporte des renseignements
importants sur la région comprise entre TAbyssinie proprement dite et
le Sobat, cet important affluent du Nil.
M. de Bonchamps, qui avait quitté la France le 2S janvier 1897, se
trouvait 10 jours après à Djibouti. De là, il gagnait Harrar, puis Addis-
Ababa. La Revm Française a déjà retracé (déc. 1897) les débuts de la
mission; nous n'y reviendrons donc que rapidement. Organisée dans la
capitale de Ménélik, par les soins de M. Bonvalot, qui en confia la direc-
tion à M. de Bonchamps, jusqu'alors son second; la mission compre-
nait, outre son chef, 3 Européens, MM. Michel, Bartholin et Potter, une
cinquantaine d'Abyssins et de Gallas, 50 chameaux et des mulets. Le
17 mai elle quittait Addis-Ababa, se dirigeant en droite ligne sur
l'ouest. A la fin de juin elle était à Goré, à 600 kilomètres de la capi-
tale. Là commandait, au nom de Ménélik, le dedjaz Thessama, à l'ex-
trémité de la frontière abyssine. Au delà de ce point, le plateau éthio-
pien s'abaisse vers le Baro, gros affluent du Sobat, Les habitants de la
plaine ne sont plu» des Abyssins et Ménélik n'exerce sur eux que de
droits de suzeraineté, ses troupes ne dépassant pas la limite du
plateau.
A Goré se trouvait déjà une autre expédition, celle du capitaine
Clochette, qui avait également pour but d'atteindre le Nil et de rejoindre
la mission Marchand. Mais son chef était malade et ne paraissait pas en
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ABYSSLNIE 481
mesure de continuer sa route. D'ailleurs, les difficultés à vaincre pour
les deux expéditions ne provenaient plus seulement du sol et du cli-
mat : les Abyssins avaient une répugnance instinctive à quitter leurs
montagnes, surtout pendant la saison des pluies, qui avait amené la
perte d'un certain nombre de mulets et de chameaux.
« D'autre part, dit le Temps, auquel nous empruntons ce qui suit, les
autorités abyssines n'étaient pas des mieux disposées. Les lettres don-
nées par Ménélik à M. de Boncbamps étaient formelles ; un concours
entier était dû aux explorateurs français : seulement, à 600 kilomètres
de la capitale, un fonctionnaire avisé, ou croyant l'être, sait souvent
mal comprendre les ordres qu'on lui donne. Toute tergiversation pou-
vant paraître de la faiblesse, M. de Boncbamps décida, au bout d'un
mois, de se rendre à Bouré, sur le plateau abyssin, à 80 kilomètres au
nord-ouest de Goré. Le village de Bouré, qui est à 30 kilomètres du
Baro, est un centre commercial où les noirs de la vallée du Sobat
viennent vendre leurs produits, troquant surtout l'ivoire contre les
verroteries européennes.
La mission séjourna un mois à Bouré, recueillant assez difficilement,
par les marchands noirs de la plaine, quelques renseignements que les
chefs abyssins ne voulaient pas faire connaître. C est ainsi que M. de
Boncbamps, sur des données obtenues des nègres yambos, envoya
MM. Michel et Bartholin reconnaître une passe permettant de descendre
facilement du plateau de Bouré (1,800 mètres) à la plaine de Sobat,
qui est à 1,300 mètres plus bas. Sous prétexte de chasser le buffle, les
deux explorateurs descendirent peu à peu, mais, au moment où ils
allaient franchir la frontière, les chefs abyssins les arrêtèrent et cer-
nèrent leur camp avec un millier de Gallas.
Nos deux compatriotes furent ramenés à Bouré et M. de Boncbamps
les envoya tout de suite à Addis-Ababa protester auprès de Ménèlik
contre la mauvaise volonté de ses chefs de frontière. Malgré les difficul-
tés de la route, MM. Michel et Barlholin firent le trajet aller et retour
en six semaines, et quand ils furent revenus, avec les autorisations en
règle que M. Lagarde avait obtenues du négus, ils trouvèrent à Goré
M. de Boncbamps réorganisant sa mission avec le personnel placé sous
les ordres du capitaine Clochette, qui était mort dans les derniers jours
du mois d'août. Deux Français prêtèrent ainsi leur concours à M . de
xxm (Août 98). N* 236. 31
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482 REVUE FRANÇAISE
Bonchamps et à ses compagnons : c'étaient MM. Véron et Febvre. Con-
cours fort utile, car le personnel noir de la mission Clochette, malgré
ses défections, combla les vides survenus dans la mission Bonchamps.
Les montagnards africains ont, invétérée, Fhorreur de la plaine.
Quoi qu'il en soit, dans les première} jours de novembre, cinq Frau-
çais, un Suisse (M. Potter), 140 Abyssins et Gallas, avec 40 chameaux
et 130 mulets, partaient de Bouré, accompagnés par les autorités abys-
sines Jusqu'à la frontière. Cette fois, personne ne fut arrêté; on passa
le Baro sur un radeau formé de fagots et de bidons de campemeûl.
en constatant que cette rivière, aux hautes eaux, a le courant impé-
tueux de notre Rhône.
Les Yambos habitent les deux rives du Baro : Tarrivée de la mission
les effraya, ne sachant pas si ces nouveaux venus ne venaient pas faire
ou tenter une razzia d'esclaves. Au bout de quelques jours, la confiance
revint parmi eux et le chef de Pokodi déclara aux blancs qu'il avait
entendu dire que d'autres blancs étaient venus dans le pays du cou-
chant et avaient navigué sur le Sobat avec un bateau à vapeur. C'est
celle déclaration du chef de Pokodi qui a fait croire à Tarrivée de la
mission Marchand sur le Nil... On continua à cheminer sur la rive
gauche du Baro, sur une sorte de digue naturelle formée, le long du
fleuve, par les sédiments déposés' par lui. A très peu de distance de la
berge, le pays était inondé et c'est sur de petits tertres que les Yambos
édifient leurs cases, faites de pisé et de chaume; cases très propres,
d'ailleurs. Les Yambos, de race très noire, sont polygames, mais n'ont
pas d'esclaves. Le métal est rare chez eux, aussi font-ils l'extrémité de
leurs flèches avec des tibias de girafes, qui abondent dans le pays,
comme les éléphants, les crocodiles et les boas. Faune de brousse et de
marécages, comme on le voit,
Après avoir traversé deux importants aflluents de gauche du Baro,
l'Alouorou et le Guilo, qui prennent leur source dans le plateau duMot-
cha, entre l'Ethiopie et le lac Rodolphe, la mission arriva, à la fio du
mois de novembre, à une plaine immense, marécageuse et déserte. ?eù-
dant iO jours, à l'allure de 20 kilomètres, on marche sans rencontrer
personne. Il faut se frayer un chemin à travers les grandes herbes qui
poussent sur la digue naturelle du Baro et où parfois, fort heureuseoient,
les éléphants ont préparé une piste. Pas de bois, pas de vivres, rien que
la brousse humide, Les montagnards subissent la déplorable influ^ce
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ABYSSINIE 488
du climat. Beaucoup sont malades, quelques-uns meurent et leurs
cadavres s'entre-môlent avec ceux des cliameaui^ et des mulets, désha-
bitués du sol rocailleux de TÉthiopie.
Au 10* jour, on rencontre un village à l'abandon depuis un an.
Quelques Abigars qui Thabitaient s'étaient empressés de traverser le
Baro. M. de Bonchamps laisse à cet endroit son camp et ses malades
et part en reconnaissance avec les plus valides, dans le nord-ouest.
Après deux jours de marche, la mission fut arrêtée par un grand lac
bordé de marais, le tout formé par la rencontre du Baro avec le Jubaou
Sobat supérieur.
lie Juba, que Ton put joindre en amont, avait 150 mètres de large,
une profondeur considérable et un courant violent. Pas de barques : la
mission n'en avait pas rencontré depuis qu'elle avait quitté le pays des
Yambos. Pas de bois pour faire un radeau. Quant à traverser â la
nage, il n'y fallait pas compter : outre la rapidité du courant, il y avait
à se prémunir contre de nombreux crocodiles.
Après avoir aperçu au loin un gros village que M. Bonchamps pensa
être Nasser, le principal centre des Abigars, il fallut songer au retour.
On était au 24 décembre. Le personnel était exténué. Le dernier cha-
meau était mort près de Juba; il ne restait que 27 mulets sur 130 ; aussi
la caravane comptait-elle des traînards que les Abigars « zigouyaient »
de leur mieux. Les villages yambos, de leur côté, étaient en efferves-
cence. A Taller, ils n'avaient été d'aucun secours à la mission, car, en
Afrique, là où il n'y a pas de commerce, on ne produit que le strict
nécessaire à la consommation locale. Au retour, ce fut bien pis, car ils
s'étaient excités à propos du premier passage et ils témoignèrent presque
toujours d'une hostilité évidente. On n'eut de sécurité que dans les
villages situés à proximité de la frontière abysssine.
Là, M. de Bonchamps trouva des pirogues et pensa reprendre sa route
vers le Nil en utilisant la voie d'eau. Mais le personnel abyssin, revenu
au pied de ses montagnes, ne voulut connaître d'autre chemin que celui
du retour.
Les autorités abyssines, devenues très prévenantes, ravitaillèrent lar-
gement la mission, qui était à Goré au commencement du mois de
février 1898. Là, le dedjaz Thessama déclara que Ménélick lui avait
donné l'ordre de pousser l'occupation effective des Abyssins jusqu'à
l'extrémité du haut plateau. M. de Bonchamps allait l'accompagner,
\'4
.-s
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484 REVUE FRANÇAISE
mais un accès de fièvre bilieuse hématurique Tempêcha de donner
suite à ses projets. »
Le S avril 1898, M. de Bonchamps (lait de retour à Addis-Ababa avec
MM. Michel, Bartholin et Véron. Mais deux autres de ses compagnons,
M. Febvre et Potter, qui étaient restés à Goré, ont suivi Tannée abys-
sine se dirigeant vers le sud-ouest. Peut-éti'e pourront-ils, profitant de
la marche en avant des Abyssins, s'avancer assez loin vers le Nil ^
obtenir, par suite de meilleures circonstances, des résultats auxquels
M. de Bonchamps a dû renoncer.
Le moment n'est pas venu d'envisager les critiques qui ont é(é for-
mulées à rencontre de la mission. M. de Bonchamps, qui a si heureu-
sement ramené à la côle orientale d'Afrique Texpèdition congolaise
Stairs, désorganif?ée au Katanga par suite de la mort de son chef, a un
passé qui répond pour lui. Il ne faut pas oublier aussi qu'en Abyssinie
à l'heure actuelle toutes les inûuences sont mises en jeu, toutes les riva-
lités se donnent cours. Aussi n'est-il pas surprenant de ne pas voir
aboutir une mission qui ne renfermait pas en elle-même les éléments
qui étaient indispensables pour sa réussite.
Au point de vue géographique, la mission de Bonchamps a permis
de reconnaître une région sur la configuration de laquelle on était mal
fixé. Le plateau d'Abyssinie se termine brusquement à l'ouest par une
figne de falaises dominant de plus de 1(K)0 mètres la grande plaine du
Nil. Cette plaine s'étend alors à perte de vue et n'est coupée en quelque
sorte que par les puissants cours d'eau qui se jettent dans le Nil, comme
le Sobat et le Bahr el Ghazal. La rive droite du Nil se transforme, comme
la rive gauche en amont de Fachoda, en un immense marécage pen-
dant la saison des pluies et est alors totalement impraticable pour une
expédition par terre. Si la mission de Bonchamps avait pu disposer d'un
matériel Ûuvial et surtout d'un personnel habitué à naviguer sur les
rivières el mieux façonné au climat, elle serait très probablement arrivée
jusqu'au Nil. Souhaitons que la mission Marchand, conduite avec une
sage lenteur n'ait pas à regretter son absence.
V.
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GUERRE HISPANO-AMÉRICAINE '"
OPÉRATIONS A CUBA
Le mois de juillet a été signalé par deux graves événements : la des-
truction de Tescadre espagnole et la prise de Santiago.
Le général Shafter, ayant concentré ses forces devant Santiago, réso-
lut de brusquer Tattaque de la place avant l'arrivée des renforts espa-
gnols venant de ^Vanzanillo. Le 1*^ juillet au matin, le combat
commença sur un front de 8 à 9 kilomètres, formant la !*;« ligne
de défense des Espagnols. L'aile droite américaine, sous les ordres du
général Lawton, appuyée par la cavalerie montée et non montée des
généraux Wheeler (qui, malade, était porté en litière) et Young, se
porta sur El Caney, à 7 kil. N.-E. de Santiago. Le centre et la
gauche, sous les^ ordres des généraux Hawkins et Kent, s'avancJi'ent
sur les positions de San Juan et d'Aguadores. Cette dernière, qui forme
l'extrémité de la ligne de défense espagnole, est dominée par le fort
Morro. Après plusieurs heures d'un combat acharné, les Espagnols,
inférieurs en nombre, commencèrent à faiblir au centre et abandon-
nèrent les positions de San Juan et de Loraas. I^ général Linarès, qui
les commandait, put emmener toute son artillerie, ne cédant le terrain
que pied à pied, en combattant sans casse.
Du côté d'El Caney, les Espagnols, qui n'avaient que quelques com-
pagnies à opposer au général Lawton et aux insurgés cubains, durent
battre en retraite après une résistance héroïque. xMais du côté d'Agua-
dores, les Américains ne firent aucun progrès, malgré Tappui de l'es-
cadre de l'amiral Sampson, ayant été arrôt(''S par un ravin profond
qu'ils ne réussirent pas à franchir. Pendant toute la durée du combat,
les navires américains canonnèrent les fortifications espagnoles proté-
geant l'entrée de la rade. De son côté, l'escadre de l'amiral Cervera
trouvant enfin l'occasion de sortir de son inaction, appuya efficacement
par son artillerie et des compagnie de débarquement la défense des
lignes espagnoles.
La journée du l^*" juillet était un succès pour les Américains, mais un
succès chèrement acheté. Le 2, le général Shafter reprit l'attaque dans
la matinée, principalement du côte d'El Caney. Le général Torral, qui
avait succédé au général Linarès blessé, résista partout avec l'énergie du
désespoir, bien qu'obligé d'accentuer son mouvement de recul du côté
(1) Voir Jletme Françane, l. XXIII, p. 363, 429.
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486 REVUE FRANÇAISE
d*El Caney. Les progrès faits par les Américains dans la matinée n'ayant
été que peu sensibles, le général Shafler fit suspendre le combat, renon-
çant po ar le moment à enlever Santiago de vive force. Ses soldats,
comme les Espagnols, avaient admiraj)lement combattu; mais affaiblis
par ces efforts sans cesse renouvelés, épuisés par la marche au milieu de
terrains détrempés par les pluies, commençant à manquer de vivres et
de munitions que les routes défoncées ne permettaient pas d*emmener,
ils étaient hors d'état d'enlever d'assaut des positions fortifiées aussi
opiniâtrement défendues.
Les Américains avaient subi des perles sensibles dans ces deux jour-
nées : 230 tués, dont 22 officiers, 1284 blessés, dont 81 officiers, et 79
disparus ; soit en tout 1.S93 hommes. A ces chiffres il faut ajouter le
nombre des malades s'accroissant de jour en jour en raison de Tiosalu-
brité du climat. Les généraux, déjà vieux pour la plupart, avaient été
fort éprouvés : le général Hawkins était blessé et 3 autres étaient
malades.
De leur côté les Espagnols étaient presque à bout de forces. Leurs
pertes avaient été cruelles. Outife le général lânarès blessé, le général
Vara de Rey avait été tué en défendant El Caney et le colonel Ordoriez
rinventeur du canon de ce nom, qui avait déjà été blessé lors du l*' bom-
bardement par Tamiral Sampson, était atteint une 2^ fois. Les Espa-
gnols, dont les forces étaient évaluées de 6 à 8.000 hommes et qui
avaient eu à tenir tête à un ennemi près de 3 fois supérieur en nombre,
ne voyaient pas arriver les secours annoncés de l'intérieur et leur situa-
tion serait devenue très critique si le général Shafler avait pu continuer
Tattaque. C'est alors que Tamiral Cervera, qui connaissait la faiblesse de
la garnison, mais ignorait la situation très difficile de l'armée assiégeante,
crut qu'il ne lui restait plus qu'à tenter une sortie désespérée pour éviter
à son escadre d'être prise dans une souricière.
DESTRUCTION DE l'eSCADRE CERVERA.
Le 3 juillet, à 9 h. 1/2 du matin, VlnfarUa Maria-Teresa^ battant pa-
villon de l'amiral Cenera, débouche à toute vitesse de la passe de San-
tiago. En face de l'entrée de la rade croisait le cuirassé américain h-
diana qui ouvre aussitôt le feu pendant qu'une partie de l'escadre
américaine se rapproche en toute hâte de la côte pour couper la route
aux navires espagnols. La Maria-Teresa, que suit îmmédiatemejot le
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GUERRE HISPANO-AMÉRICAINE 487
Colon, parvient, avec ce dernier, h doublet Y Indiana; mais les deux
croiseurs se trouvent alors aux prises avec les cuirassés lowa et Texas,
qui les criblent d'obus avec leur puissante artillerie et leurs pièces à
tir rapide. Pendant ce temps, VOquendo sort à son tour, suivi du Vis-
caya et des ^ contre-torpilleurs Furor et Pluton, Le Brooklyn et le Texas
s'attachent à VOquendo, pendant que Ylowa et YIndiana se chaînent de
la Vîzcaya, appuyés par les croiseurs auxiliaires Gloucester et Harward.
Tout en ripostant vivement, l'escadre espagnole s'avance vers Touest
de toute la vitesse possible, suivie à hauteur par l'escadre américaine,
à qui le peu de distance qui sépare les combattants (1.000 à 1.500 m.),
permet de faire feu de toutes ses pièces, bien supérieures en nombre
et en puissance à ceUes des Espagnols. Profitant de la fumée qui couvre
le champ de bataille, les contre-torpilleurs se lancent à toute vapeur
sur r//îrftawa pour le torpiller. Mais, reçus par les décharges meurtrières
des pièces à tir rapide, ils sont obligés de battre en retraite. Le Furor
se* jette à la côte, non loin de la passe ; le Terror s'échoue et saute,
abandonné par son équipage.
Pendant cette course désespérée, les cuirassés américains couvrent de
mitraille les croiseurs espagnols dont le pont devient bientôt intenable.
Les canonniers ne peuvent plus, sous ce feu meurtrier, faire le service
des pièces, l'incendie éclate sur plusieurs points et un obus fait sauter
une des torpilles de la Vizcaya qui tue 20 hommes et couvre de débris et
de sang le pont du bâtiment. A 10 h. 4S, VOquendo est en flammes et
se jette à la côte, suivi de près par la Vizcaya qui fait explosion peu
après. A son tour, la Maria-Teresa, harcelée comme un sanglier par
une meute, se lance sur les rochers à 20 milles environ de Santiago.
Toutes les embarcations ayant été détruites, l'amiral Cervera, blessé, se
jette à la mer et est sauvé par son fils. Les embarcations des navires
américains sauvent une grande partie des marins espagnols.
Cependant le Colon, grâce à ses machines françaises en meilleur état,
avait pu prendre la tôle de l'escadre et distancer les cuirassés améri-
cains. Mais, gravement atteint dans sa fuite et toujours sous le feu de
YOrégon, du Massachusetts, ainsi que du Brooklyn dont la marche su-
périeure ne lui laisse plus d'espoir, il finit par se jeter à la côte après
S heures de combat, ayant effectué depuis sa sortie un parcours de 60
milles. Sa coque portait la trace de 80 trous d'obus.
La conduite héroïque des marins espagnols qui marchaient à la mort
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avec un courage admirable, n'avait pu préserver l*escadre d'une des-
truction complète : les 4 beaux croiseurs et les 2 conlreTtorpUleurs qui
la composaient étaient anéantis, mais aucun d'eux ne s'était rendu. Les
Espagnols perdirent environ 300 hommes tués ou noyés et 1 .300 prison
niers ; 2 à 300 hommes qui avaient pu gagner la terre revinrent seuls à
Santiago. Les Américains, qu'une bonne fortune e.xtraordinaire protège
jusqu'ici, n'eurent qu'un tué et 2 blessés et fort peu d'avaries, par suite
de l'inhabileté des canonniers espagnols et du désarroi dans lequel
ceux-ci se trouvèrent aussitôt sous cette pluie de feu.
11 es! difficile de comprendre conmient l'amiral Cervera s'est jeté en
plein jour sur la flotte américaine, au lieu de tenter une sortie la nuit,
ou par une de ces tempêtes, fréquentes à cette époque, qui n'eussent
pas manqué d'enlever aux Américains une notable partie de leurs avan-
tages. On en est d'autant plus surpris qu'on sait aujourd'hui que les
croiseurs ne pouvaient plus donner une vitesse supérieure à celle des
Américains, leur seule chance de salut, que les mécaniciens étaient in-
suffisants, les canonniers inexpérimenté:^ et que l'un des hâtinnents, le
Colon, avait été envoyé aux Antilles sans ses pièces de grosse artillerie !
Si l'on constate, en outre, que les 4 croiseurs espagnols qui eurent à
lutter contre 5 cuirassés et 1 croiseur, ne pouvaient mettre ^en ligne que
6 pièces de gros calibre contre 58, on se demande encore quel mobile
ou quel ordre impératif a pu pousser à cette héroïque folie,
REDDITION DE SANTIAGO.
La destruction de l'escadre Cervera rendit confiance en se& forces au
général Shafter qui somma Santiago de se rendre. Mais, au même mo-
ment entrait dans la place la colonne de secours du colonel Escariodont
l'arrivée 2 ou 3 jours plus tôt eût peut-être changé le cours des événe-
men s. Amsi renforcé, le général Torral refuse toute capitulation sans
condition et, pour rendre la passe plus difficile en vue d'une attaque
de l'amiral Sampson, y fait couler le croiseur désarmé /Ima-iferoédei
dans la nuit du 3 au 4 juillet. De son côté, le général Shafter ayant aussi
reçu des troupes de renfort, recommençait le feu contre les lignes espa-
gnoles, et l'e.scadre américaine parvenait à lancer quelques obus jusque
dans la ville môme de Santiago, qui est à 8 kilomètres de la passe. Dfô
pourparlers engagés pour la sortie de Santiago des femmes et des en-
fants amenèrent la conclusion d'une trêve entre les belligérants» Sur
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■■A
GUERRE HISPANO-AMÉRICAINE 489 ^ ^^
' 'à
âne nouvelle demande de reddiliori, le général Torral se montra disposé J
â entrer en négociations si on accordait à ses troupes le droit de se re- ;
tirer avec leurs armes. Bien que renforcés, les Espagnols ne pouvaient |
espérer résister longtemps, n'ayant plus do vivres, et leurs soldats étant 1
depuis longtemps privés de pain et de viande. |
Après des n^ociations qui durèrent plusieurs jours, les préliminaires "1
de la capitulation furent signées le 17 juillet à 1 h. du matin. A midi, |
le drapeau étoile était arboré sur la ville. Les troupes devaient rendre 4
la place et remettre leurs armes, mais le gouvernement américain s'en- |
gageait à les faire transporter en Espagne. La capitulation s'étendait à .1
toute la partie méridionale de la province de Santiago, Manzanillo, ;|
Bayamo et Holguin restant aux Espagnols. Il est difficile de comprendre |
comment le général Torral n'a pas même essayé de se retirer à Tinté" . |
rieur de l'île pour y rejoindre les autres garnisons. Mais ce qui s'ex- .' -^
plique moins encore, c'es qu'il ait capitulé pour d'autres garnisons qui ^
n'étaient même pas attaquées par les Américains. |
Si, jusqu'à ce jour, les insuccès de l'Espagne sur mer étaient com- |
préhensibles, on croyait du moins que, sur terre, ses soldats auraient J
facilement raison des troupes américaines. Or, sur terre comme sur 1
mer, la direction générale des opérations et le commandement semblent :
bien au-dessous de leur tâche. En effet, il s'est écoulé un mois entre le ^]
départ de Tampa de l'expédition américaine et la capitulation de San- ii
tiago. Quinze jours avant, le but de l'expédition n'était un secret pour ^
personne. Or, pendant ces 6 semaines, le maréchal Blanco n'a pas su '
faire parvenir à Santiago les troupes nécessaires à empêcher le débar- c
quement des Américains, à défendre la ville et, sans doute, à sauver ^
l'escadre Cervera. Une seule colonne est arrivée à Santiago, juste à .^
temps 'pour se faire comprendre dans la capitulation. En secourant uti- -i
l^fnent Santiago, le maréchal Blanco obligeait les Américains à un long S
siège qui décimait leurs troupes par le feu et les maladies (1) ; il arrêtait t
l'expédifion contre Puerto- Rico et donnait à son pays l'occasion de ^
conclure une paix rendue plus facile et plus honorable par l'opiniâtre
résistance de la place. c
A quoi servent les 60 ou 80.000 hommes concentrés près de la Ha- j
vane, attendant un siège qui ne viendra peut-être pas? Libres dans ^
(1) Un télégramme du général Shafler, 22 juillet, accuse déjà 1.350 malades de fièvre . 1
et 150 du vomito negro ; un autre, du 28^ 3.770 malades, dont 2.924 de fièvre.
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490 REVUE FRANÇAISE
leurs mouvementâ, les Amëricains vont sans doute occuper les princi-
paux ports de Tîle et cueillir les unes après les autres toutes les garni-
sons espagnoles. Déjà Tunas-Sasa a été attaquée ; 4 bâtiments sont
entrés dans la baie de Nipe, au nord de Santiago, ont coulé la canon-
nière Jorge-Juan et réduit au silence les forts qui ont amené le pavillon
espagnol (21 juillet) : enfin Manzanillo a été attaqué à 2 reprises.
Trois petits bâtiments appartenant à la flotte auxiliaire, But, Hornel
et Wompatuk Font assailli le 30 juin; mais ils ont été reçus par une
flottille espagnole plus nombreuse appuyée par des batteries de terre.
Le Homet a été désemparé et a été remorqué au laige; le Hiftt a reçu
H coups de canon. Les Américains ont dû se retirer. Le 18 juillet,
Manzanillo a de nouveau été bombardé. Les Espagnols ont eu 3 tués et
45 blessés, dont 3 ofliciers ; 3 de leurs canonnières, Qentinala, Delgado,
Pat^jo ont été détruites, ainsi que le paquebot transatlantique Purwttma
Concepcion qui, peu auparavant, avait réussi à débarquer un chai^-
ment de vivres. La théorie des petits paquets que les Espagnols pra-
tiquent â Cuba, sauf pour la Havane, leur ménage plus d'une surprise.
OPÉRATIONS AUX PHILIPPINES
La 1® expédition américaine, partie le iH mai de San Francisco sur
3 paquebots, est arrivée le 30 juin dans la baie de Manille et a com-
mencé le lendemain à débarquer à Cavité. En route Texpédition s'est
arrêtée aux îles des Larrons appelées aussi Mariannes, où elle est arrivée
le 20 juin. Le gouverneur espagnol de ce coin perdu de TOc^anie igno-
rait l'existence de Tétat de guerre et prit pour un salut les quelques
coups de canon tirés un peu au hasard par les Américains. D ne put
faire autrement que de se rendre avec les 6 officiers et les 54 hommes
qui composaient la garnison. Le 22, les Américains ont pris posses-
sion des îles et y ont laissé un détachement en garnison.
La 2® expédition, partie de San Francisco le 15 juin est arrivée devant
Manille un mois après. La 4® expédition a quitté San Francisco le 16
juillet sur les transports Peru et City of Puebla.
La situation dans Tîle de Luçon reste à peu près la même. Les insur-
gés ne cessent d augmenter en nombre et de serrer de plus en plus
étroitement les positions espagnoles de Manille. Plusieurs engagements
sans grand résultat ont eu lieu. Les Espagnols, qui ont perdu encore
quelques postes dans l'intérieur, semblent résolus à résister à Manille
jusqu'à la dernière extrémité. Les îles du sud de l'archipel, peuplées
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GUERRE HISPANO-AMÉRICAINE 491
en partie de musulmans, ne sympathisent nullement avec les insurgés
tagols, et restent fidèles à l'Espagne. Aguinaldo, qui a proclamé le
12 juin l'indépendance de la république philippine, vient de constituer
un ministère, pour bien montrer qu'il n'admet pas l'annexion aux
États-Unis. Une certaine tension règne entre les insurgés et les Améri-
cains. Ceux-ci restent toujours dans l'inaclion.
L'escadre de l'amiral Camara, destinée à secourir les Philippines, qui
était arrivée le 26 juin à Port-Saïd, y a perdu 10 jours à attendre des
navires charbonniers, le gouvernement égyptien, à l'instigation de l'An-
gleterre lui ayant refusé toute permission de s'approvisionner. Le 6 juil-
let elle arrive à Suez, avant traversé le canal. Là, nouvelle attente de
3 jours. Enfin un ordre de Madrid rappelle l'escadre, qui retraverse le
canal le 9 et part le 11 de Port-Saïd pour arriver à Carthagène. Ce
rappel, qui semble avoir été motivé par la destruction de l'escadre Cer-
vera et l'envoi en Espagne d'une escadre américaine, a soulevé des cri-
tiques qui paraissent fondées. En effet, l'escadre Camara ne peut songer
à combattre l'escadre américaine autrement nombreuse et puissante.
Dans le bombardement des ports elle ne peut s'exposer qu'à se faire
détruire. Envoyée au contraire aux Philippines sans perdre de temps,
elle aurait pu soutenir matériellement et moralement les troupes espa-
gnoles, inquiéter l'escadre américaine et peut-être lutter contre elle avec
avantage, tandis qu'en Espagne son rôle ne saurait être que secondaire,
à moins qu'elle ne soit envoyée avec des troupes et des approvisionne-
ments à Cuba ou à Puerlo-Rico. En ce cas, il serait temps de se hâter,
surtout pour cette dernière île sérieusement menacée.
Comme on le voit, le gouvernement espagnol, qui ne sait pas tirer
parti des forces importantes de terre et de mer qu'il possède encore,
se tient sur une défensive aussi obstinée que malheureuse. S'il attend
les coups sans essayer de les rendre, ni môme de les parer, les désastres
vont succéder aux désastres. Manille, maintenant sans espoir de secours,
ne peut que succomber. Puerto-Rico aura le sort de Santiago, si les
Espagnols ne sont pas en nombre comme dans cette dernière ville. Dans
ces conditions, mieux vaut traiter de la paix au plus vite quand on n'a
pas su préparer la guerre. C. de Lasalle.
P. S. — Ces lignes étaient écrites loisqu'est arrivée la nouvelle que
l'Espagne demande la paix. En même temps Puerto-Rico est envahi, le
général Miles ayant débarqué sans résistance eu S.-O. de l'île.
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LE GONVENIO DES PHILIPPINES
L'insurrection qui a éclalé tout à coup aux Philippines et qui met
les Espagnols dans la situation la plus critique n'a pas éié sans causer
quelque surprise. On croyait en effet dans les sphères espagnoles, le
pays pacifi' c( (raaquille, et cette conviction était assez, forte pour
faire ordonner prématurément le rappel en Espagne d'une partie des
forces qui avaient combattu l'insurrection.
La prise d'armes qui vient de s'effectuer a deux causes : le prestige
que les Américains victorieux exercent sur les indigènes qui ont
vu détruire sous leurs yeux la flotte espagnole à Cavité et le mécon-
tentement qui règne parmi tous les indigènes contre la domination
espagnole.
La raison qui a motivé la dernière insurrection des Philippines,
comme la présente, comme l'iusurrection de Cuba, est toujours la
même: la mauvaise administration de l'Espagne. Ce sont en effet les
exactions des fonctionnaires venus pour remplir leurs poches dans le
plus bref délai possible, les dénis de justice, l'éloignement des indi-
gènes — comme celle des créoles à Cuba — des situations tant soit
peu lucratives, l'exploitation, en un mot, de l'archipel au lieu de son
administration, qui ont amené la domination espagnole au bord du
précipice. Si au moins le gouvernement de la péninsule, instruit par
l'expérience de l'insurrection que le maréchal Primo de Rivero par-
vint à apaiser, avait exécuté à la lettre les engagements pris dans le
pacte qui amena la fin de la lutte, la situation serait sans doulebien
différente. Mais hl encore, l'Espagne n'a pas compris qu'il fallait faire
des concessions et elle court le risque de perdre ainsi toutes ses belles
colonies.
Après deux années de lutte contre les indigènes, les Espagnols,
malgré de brillants succès, n'amvaient pas à triompher de l'insurrec-
tion. Le maréchal Primo de Rivera, envoyé comme capitaine géné-
ral aux Philippines dans le courant de l'année 1897, en remplace-
ment du général Polavieja, avait demandé, ainsi qu'il vient de le dé-
clarer à la tribune des Corlès, l'envoi de 20 bataillons à effectifs
renforcés. L'Espagne, engagée conrmie elle l'était à Cuba, ne se trou-
vait pas en état de les lui fournir. Le maréchal fut alors autorisé à
employer d'autres moyens que la force pour amener la pacification du
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LE COiWEMO DES PHILIPPINES 493
pays. Les circonstances vinrent le servir à souhait sous ce rapport.
Au mois d*août 1897, un avocat connu de Manille, d'origine espa-
gnole, M. Pedro A. Paterno, se rendit spontanément auprès d'Agui-
naldo, le chef de TiûsurrecUon, sur la montagne de Biac-na-Bato, où
celui-ci s'était fortifié après l'occupation de Cavité par les Espagnols.
M. Paterno fit valoir les sentiments libéraux bien connus du capitaine
général des Phiiippihes et son désir d'introduire dans l'administration
du pays des réformes de nature à donner satisfaction aux indigènes.
« Aguiualdo, dit le Temps auquel nous empruntons les renseigne-
ments qui suivent, accepta les bons offices de M. Paterno et lui donna
de pleins pouvoirs pour arrêter avec le gouverneur général les termes
d'une convention pour le rétablissement de la paix. Les négociations
furent laborieuses; elles devaient cependant aboutir: le 13 novembre
1897, le général Primo de Rivera et M. Pedro A. Palerno signèrent, au
palais de iMalacagnany, un traité en vertu duquel D. Emilio Âguinaido,
chef suprême de tous les Philippins en insurrection contre le gouver-
nement légitime, Mariano Llanera et Baldomero Âguinaido, ses lieute-
nants, en leur nom et au nom de tous ceux qui les avaient choisis pour
chefs, renonçaient à leur attitude hostile, déposaient les armes qu'ils
avaient prises contre leur patrie et déclaraient se soumettre aux auto-
rités légitimes. Us revendiquaient en échange la mise en possession de
tous les droits et avantages de citoyens espagnols ; ils s'engageaient
enfin à faire remise de leurs armes aux autorités miliiaires tel jour et
en tel lieu qu'il plairait au gouverneur général de désigner.
La présentation des rebelles devait être faite par leurs chefs ; aussitôt
après l'accomplissement de cette formalité, chaque insurgé recevrait
soit un passeport, soit un sauf-conduit pour se rendre où il lui plairait
de s'établir ; les déserteurs de l'armée, les étrangers et les Espagnols de
la péninsule étaient seuls privés de ce droit et devaient s'éloigner de
l'archipel.
L'article 9 de ce document, appelé pacte de Biac-na-Bato, est ains
conçu : « Pour atténuer l'horrible dénuement où vont se trouver ceux
qui ont pris part à la guerre civile, le gouverneur général assurera des
moyens d'existence aux rebelles qui feront leur soumission avant l'expi-
ration du délai fixé par la convention ; la répartition des secours sera
faite par l'intermédiaire de M. Paterno, d'après les indications d'Emilio
Aguinaido. »
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494 REVUE FRANÇAISE
Les réformes que le générai Primo de Rivera s'engageait à intro-
duire dans le régime politique en vigueur aux Philippioes $0Dt les
suivantes :
Expulsion, ou tout au moins sécularisation, des ordres monastiques;
Reconnaissance des droits individuels des indigènes et en particulier
de rinviolabilité du domicile ;
Liberté de la presse, d'association et de réunion ;
Représentation des Philippines dans les Cortès espagnoles;
Unité de législation civile et pénale pour les mélropolitains et les
natifs ;
Droits pour les indigènes d'occuper la moitié des emplois de toute
catégorie dans les administrations publiques
Organisation des municipalités philippines sur le modèle des ayuuta-
mientos de la métropole ;
Révision des états de contribution personnelle, industrielle et
foncière ;
Restitution à leurs propriétaires légitimes de tous les biens antérieu-
rement confisqués;
Reconnaissance aux indigènes du droit de gropriété qui leur avait
été contesté jusq'aloi*s.
Une convention secrète était, paraît-il, jointe à ce traité ; elle stipu-
lait, au profit d'Aguinaldo et des chefs de l'insurrection obligés, par le
gouverneur général à s'éloigner de l'archipel, une indemnité pécuniaire
de 4 millions de pesetas, dont 3 millions en un chèque sur une maison
de banque de Hong* Kong payable au moment de leur débarquement et
un million au mois davril si toutes les petites bandes d insurgés encore
en armes étaient dissoutes.
Ces projets de convention furent proposés au gouvernement par le
général Primo de Rivera le 13 décembn} 1897 ; le lendemain, une dépê-
che de M. Sagasta, président du conseil, autorisait le gouverneur général
à recevoir la soumission des rebelles aux conditions stipulées et le féli-
citait même, au nom de la reine et de la nation, de cet heureux événe-
ment.
Les adversaires du marquis d'Estella lui reprochent aujourd'hui
d'avoir accepté de pareilles conditions et d'avoir humiUé l'Espagne ea
donnant aux insurgés les gages qu'ils lui demandaient, car Aguinaldo
et ses compagnons n'avaient pas oublié la mort de Louis Padai^, peivlu
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EXPLORATEURS ET VOYAGEURS 495
par les Espagnols après sa soumission, malgré la foi jurée, ni celle de
Camerino, admis dans Tarmée avec le grade de colonel et qui fut pris
et fusillé quand éclatèrent les troubles de Cavité auxquels il n'avait pris
aucune part. En garantie de l'exécution loyale de ces conventions, le
lieutenant-colonel Primo de Rivera, neveu du gouverneur général, dut
accompagner, en eflet, les chefs de l'insurrection à Hong-Kong, et les
généraux Tefeiro et Monet restèrent dans le camp des insurgés jusqu'au
jour où parvint l'avis du débarquement d'Aguinaldo et de ses amis.
La pacification defe Philippines semblait donc assurée; le 29 janvier
la reine régente conférait au général Primo de Rivera la grand'croix de
l'ordre de San-Fernando, pour avoir, disait le décret, obtenu la pacifi-
cation de l'archipel, résultat glorieux qui était une preuve nouvelle de
son habileté. »
11 faut croire que les engagements du convenio de Biac-na-Balo n'ont
pas été exécutés, pour qu'Aguinaldo ait réussi à soulever avec une telle
rapidité et un tel succès les indigènes tagals contre la domination es|)a-
gnole. Ce n'est pas en effet le concours matériel des Américains, immo-
bilisés sur leurs navires faute de troupes de débarquement, qui a été la
cause des désastres successifs essuyés par les troupes espagnoles. Leur
.appui n'a consisté qu'en quelques livraisons d'armes, et il a fallu la désaf-
fection générale pour amener une telle levée de boucliei*s. La leçon
de la précédente insurrection avait cependant été bonne. Faut-il que
l'Espagne n'en ait pas profité I
EXPLORATEURS ET VOYAGEURS
AFRIQUE
M. GentUy. dont nous avons annoncé (p. 371) l'heureuse arrivée au
lac Tchad, a débarqué à Marseille le 20 juillet, avec la mission du sul-
tan du Baguirmi qu'il amène en France. M. Gentil avait quitté la France
pour accomplir sa mission depuis avril 1895.
M. Pierre Prins, membre de la mission Gentil (qui a atteint le lac
Tchad), resté d'abord avec M. Fredon au poste fondé sur un affluent du
Gribingui, par 7^ de lat. et 16° 40' de long. E., en repartit bientôt pour
devenir résident de France auprès du cheik Mohamed es Senoussi, chef
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496 REVUE FHANÇAISE
du Dar Rounga, au pays d'Ei-Kouli. On se rappelle que Crampel el
Biscarrat furent assassinés à El-Kouii en 1891 ; aujourd'hui les musul-
mans du pays sont devenus accueillants, lis consentirent à vendre à la
mission des chevaux, des bœufs, des moutons, des ânes. Le 2i nov^n-
bre 1897, M. Prins était encore au poste de Giibingui; il en partait
2 jours après avec 2 Sénégalais et une escorte pour EI-Kouti, où il vit
le cheik Mohamed es Senoussi, un des auteurs du massacre de Cram-
pel ; il vit ce chef le 6 janvier 1898, à 15 jours de marche du Gribin-
gui. Il repartit bientôt, M. Gentil rappelant comme résident au Baguir-
mi et rentra à Gribingui le 29 janvier. Malgré sou bon accueil, il faut
considérer ce chef d'El-Kouti comme très suspect.
Le prince Henri d'Orléans, revenant d'Abyssinie, s'embarque le
2 août à Djibouti pour rentrer en France.
Le &^ Léontief est arrivé à Marseille le 24 juillet, venant d'Abyssi-
nie. Blessé accidentellement par une balle à Harrar, le 30 mai, il a dû
revenir en Europe pour se faire soigner.
M. A, Silva White est parti le 15 mars, dans l'intention de pénétrera
Yarboub, oasis située atix confins de l'Egypte et de la Tripolitaine, et où
résident les chefs de la secte musulmane des Senoussi.
Malgré le mystère dont la mission était entourée, M. Silva White n'a
pas réussi et a dû s'arrêter à l'oasis de Siouali (ancienne oasis de Jupiter *
Ammon). Il a trouvé là une monnaie en cuivre de Ptolémée 1*"^ Saler
(311-305 av. J.-C.) et a rapporté des inscriptions de tombeaux très
curieuses.
POLES
M. Borchgrevink doit partir pour le pôle Sud avec une expédition
anglaise organisée aux frais de sir Georges Newnes; il se dirigera vers
l'Australie et la terre Victoria du Sud, à bord d'un navire analogue au
Fram; ce navire, le Southeim-Cross, quitterait Londres avec 65 chieus
et des traîneaux. L'expédition doit se munir de 3 ans de vivres et de
pigeons voyageurs.
L'expédition allemande du 1^ Krech se mettra en roule dans le cou-
rant d'août pour le pôle Sud. Le Vaidivia, qui la porte, se rwidra
d'abord à l'embouchure du Congo, puis aux îles Kerguelen. L'expédi-
tion compte coopérer indirectement à l'œuvre scientifique de l'expédi-
tion belge dirigée par M. A. de Gerlache.
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NOUVELLES GEOGRAPHIQUES ET COLONIALES
AFRIQUE
Tunisie : Chemin de fer de la Gouletle racheté. -^ On annonce le rachat
par la C'« française Bône-Guelma du chemin de fer de Tunis à la Goulette
qui appartenait à la C'« italienne Rubaltino. La concession de cette petite ligne
avait été primitivement accordée à la O^ Bône-Guelma. Mais elle ne sut pas
Putiliser et se vit substituer la O^ Rubattino, poussée par le gouvernement
italien qui avait des vues sur la Tunisie. Cet incident faillit amener un con-
flit entre la France et Tltalie. Il eut en tous cas pour résultat d'ouvrir les
yeux sur la politique italienne en Tuûisie et d'amener la France à accentuer
son action sur la Régence. Quelques années après (1881) le traité de Ka«r-
Sald établissait le protectorat français en Tunisie.
Mais les Italiens ne cessaient pas de ùAve une vive opposition au nouvel
ordre de choses et, par le chemin de fer de la Goulette, étaient maîtres des
communications et des tarifs entre Tunis et la mer. C'est alors que fut conçu
le projet de rendre navigable par rétablissement d'un chenal, le lac maré-
cageux qui sépare la Goulette de Tunis et de créer dans cette ville même un
port maritime. Les tra\aux, commencés en 1888, durèrent cinq années. Le
28 mai 1893, le port de Tunis était inauguré. Depuis cette époque l'impor-
tance du chemin de fer de la Goulette était singulièrement diminuée, et Tin*
fluence politique que l'Italie pouvait en tirer avait cessé par suite de la recon-
naissance du protectorat français en Tunisie (1897). C'est ce qui a déterminé
la Q^ Rubattino à se dé&ire de sa concession. Ainsi tombent successivement
les entreprises qui combattirent autrefois Tinfluence française dans la Régence.
Algérie : Gouverneur général, — Un décret inséré à Y Officiel du 27 juillet
nomme gouverneur général M. Laferrière, vice-président du Conseil d'État,
en remplacement de M. Lépine. Ce dernier, qui avait succédé à M. J. Cambon
(ieroct. 1897), avait eu l'existence très difficile par suite des troubles antisé-
mites qui ont eu lieu depuis le commencement de 1898, à Alger particuliè-
rement. M. Laferrière, qui est né en 1846, a tait presque toute sa carrière au
Conseil d'État dont il était vice-président depuis 1886.
Sahara : Mission à In-Salah, — MM. Laperrine et Germain, officiers en
garnison au fort Mac-Mahon, renouvelant le raid du commandant Godron
vers le Gourara, se sont rendus dans les premiers jours d'avril 1898 à In-
S:ilah avec 40 spahis. Ils rapportent de cette mission accomplie pacifiquement
un itinéraire complet de 662 kil. qui passe par Aïn-el-Adrek, Oued-Aflissès,^
Aïn-Souf, Maader-Souf, Hassi Meylagh et Aouïnet-Sissa. La position d'In-Sa-
lah, déjà rectifiée par M. Foureau, tomberait, d'après cet itinéraire, à 52 kil,
à Test (légèrement sud) de la position actuellement supposée d'In-Salah. Cette
pointe poussée à In-Salah montre une fois de plus combien il serait facile
de prendre possession des oasis du Gourara et du Touar qui sont indispen-
sables à la sécurité du Sahara algérien.
xzin (Août 88). N» 23d» 3i
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498 HEVUE FRANÇAISE
Guinée française : Télégraphes. — Le Journal officiel du Sénégal,
annonce l*ouverture prochaine d'un bureau télégraphique à Bofifa, sur le rio
Ponge. Ce point est situé entre Dubreka (sur le Koukourai) et Doké (sur le
rio Nunez), qui ont été récemment reliés Tun à Tautre par une ligne télé-
graphique ainsi que nous l'avons annoncé. L'intention du gouverneur géné-
ral, d'accord avec le gouverneur de la Guinée française, est de relier cette
ligne par N'Dama à la ligne actuelle de la Casamance et créer ainsi un nou-
veau réseau court et commode pour assurer les communications du Sénégal
avec les rivières du Sud et Konakry, leur capitale. D'ailleurs, sur le parcours de
N'Dama au Sénégal, un bureau a été ouvert le 26 mai dernier, à Niakhar. gro6
centrede Sine, droit au nojrd de Foundioungue et de Fatik, centres de Saloun.
Sierra-Leone : Commerce (4896), — L'insurrection qui a ruiné tout Tin-
térieur de Sierra-Leone va jeter une grande perturbation dans leç aflÎBLires de
la colonie qui n'avaient cessé de prospérer jusqu'à ce jour. Le commerce de
Sierra-Leone, en 1896, s'est élevé à 494.688 £ ou 12.491.000 fr. pour les
importations et à 449.033 £ ou 11.338.000 fr. pour les exportations. En 1895,
les importations n'avaient été que de 427.338 £ et lesex portations, au con-
traire, s'étaient élevées à 452.604 £. Les importations ont donc progressé de
plus de 67.000 £, alors que les exportations ont baissé de 3.600 £.
Sierra-Leone, jusqu'à la création de la Guinée française, était le centre
comndercial de l'Afrique occidentale, depuis la Guinée portugaise jusqu'au
Libéria. Mais, depuis la fondation de Konakry et surtout depuis la délimi-
tation franco-anglaise de janvier 1895, le commerce de Freetov^n a souffert
de cette nouvelle concurrence. Mais, cependant, la colonie anglaise de Sierra-
Leone et la Guinée française peuvent se développer parallèlement et cela est
si vrai que le commerce total de Sierra-Leone en 1896 est supérieur de un
million à celui de 1894 et de plus de 3 millions à celui de 1893.
Les importations à Sierra-Leone en 1896 proviennent surtout d'Angleterre
(403.000 £), qui représente plus des 4/5 du total. Les États-Unis viennent
ensuite, mais bien.après, avec 36.187 £ et l'Allemagne avec 26.365 £. La
France, avec ses colonies, ne vend que pour 10.199 £ (dont 7.301 £ pour la
métropole). Il ne faut pas oublier que la France occupait autrefois une place
prépondérante dans le commerce de Sierra-Leone et qu'elle est tombée au
4« rang.
Les exportations de Sierra-Leone sont dirigées surtout vers l'Angleterre
(203.495 £, soit près de la moitié du total) et l'Allemagne (103.210 £). La
France n'en reçoit que pour 27.000 £ et le Sénégal pour 17.586 £•
Navigation. — En 1896, la colonie de Sierra-Leone a vu entrer 391 vap^^us
(avec 526.963 tonnes) et 384 voiliers (avec 11.697 t.). Le pavilbn an^^
absorbe à lui seul près des 4/5 du total (301 vapeurs avec 400.580 t. et 191
voiliers avec 3.362 t.). La France n'a que 35 vapeurs (avec 44.424 t:) et 168
voiliers (avec 2.820 t.) L'Allemagne vient ensuite avec 29 vapeurs et 30.691 1.
Le mouvement des bateaux français ne donne lieu qu'à des opérations mari-
times dérisoires.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONLVLES 499
Dahomey, Côte d'Or et Côte d'Ivoire : Villages de liberté, — L'abbé
A. Planque, supérieur des Missions africaines dont le siège est à Lyon, nous
adresse des renseignements précis sur les villages de liberté. Cette congré-
gation a fondé depuis longtemps au Bénin le village de Tocpo qui, dans la
pensée des missionnaires, doit servir de type. Au Dahomey, il y a le village
de Zagnanado. Le gouverneur, M. Ballot, nous verrait avec grande satisfac-
tion en créer d'autres.
La Côte d'Or a un établissement de ce genre dans le voisinage d'Elminaet,
en outre, celui de Sait-Pont dont parle le P. Albert dans le rapport qui a été
communiqué à la Société antîesclavagisle de France. Ce qu'il faudrait sur-
tout, c'est pouvoir s'installer au centre des Achantis. A la Côte d'Ivoire, nous
avons Nemni. La création d'autres centres dépendra de Taide que nous rece-
vrons du gouvernement.
Dans la préfecture du Haut Niger, si nous n'avons pas, à proprement par-
ler, de villages de liberté, il est juste de dire que toutes nos stations rendent
des services à la cause antiesclavagiste en recueillant les enfants et en ra-
massant les vieux et les vieilles quand on les jette à la brousse, parce qu'ils
ne peuvent plus rien faire. La préfecture du Haut Niger est en plein pays de
sacrifices humains et d'esclavage.
Le P. Zappa a obtenu déjà des résultats importants, mais les ressources
lui font dé&ut.
Les Missions afHcaines de Lyon ne font pas beaucoup de bruit, mais font
beaucoup de besogne. Elles sont postées du cap des Palmes jusqu'au Niger,
sur cette côte qui, pendant deux siècles, a été le grand marché central où
les nations européennes allaient recruter les esclaves afin de pourvoir de tra-
vailleurs leurs colonies intertropicales. Une partie du littoral a conservé le
nom de côte des Esclaves.
Quant au Dahome}r, il évoque les souvenirs les plus répugnants de la traite
des noirs. Les Missions africaines de Lyon ont pris, dès 1860, la charge de
la mission du Dahomey. Il n'était pas alors question en France de propa-
gande antiesclavagiste. Ainsi, trente ans avant qu'on prêchât la croisade an-
tiesdavagiste, nos missionnaires de Lyon faisaient œuvre de civilisation sur
le point d'Afrique où l'esclavage sévissait avec le plus d'intensité. Le champ
d'action de cette congrégation comprend les préfectures apostoliques de la
Côte d*lvovre, de la Côte d'Or, du Dahomey^ le vicariat apostolique du Bénin,
la préfecture apostolique du Niger. Dans ces cinq missions, il y a un évéque,
80 prêtres aidés par quelques frères, d'assez nombreux catéchistes et 63 sœurs
réparties en 14 établissements.
Nous devons à M. l'abbé Planque le tableau ci-dessous que nous publions
d'autant plus volontiers que c'est un document statistique précieux pour
rhistoire de cette région.
Côte d^Ivoire : 6 stations de pères, 1 ferme.
Côie'(fOr : 4 stations de pères, 2 stations de sœurs, 7 stations de caté-
chistes, 2 fermes.
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500 REVUE FRANÇAISE
ùahamey : 6 stations de pères, 2 stations de sœurs, 8 stations de ctté*
cbistes, 1 ferme.
Bénin : 8 stations (fe pères, 7 stations de sœurs, 42 stations de catéchistes,
1 ferme.
Niger : 6 stations de pères, 3 stations de sœurs, 9 stations de catéchistes.
Dahomey-Togo : Délimitation, — Le Journal officiel publie le décret qui
rend exécutoire la convention conclue à Paris, le 23 juillet 1897 et ratifiée
le 12 janvier 1898, entre la France et TAllemagne, en vue de délimiter les
possessions françaises du Daliomey et du Soudan et les possessions allemandes
du Togo. Le texte en a été publié par la Revue (déc. 1897, p. 726).
L'enseigne de vaisseau Brisson et le médecin de 2^ classe Ruelle ont été
mis à la disposition du ministre des colonies pour être actjoints au capitaine
James Plé, appelé à diriger les opérations de la commission française qui va,
de concert avec une commission allemande, établir sur le terrain la frontière
du Togoland.
État du Congo : Misiions de Mpala et de BaudouinvUle. — Les P^^
Blancs ou missionnaires d'Alger, auxquels le vicariat apostolique du haut
Congo a été réservé, ont fondé plusieurs établissements importants sur les
rives du lac Tanganika. Le centre en est à Mpala, station fondée il y a près
de 20 ans par M. Storms, sur la rive gauche du lac, et qui fut remise aux
Pères Blancs, en 1885, par le nouvel Étal du Congo.
Kirunga ou Baudouinville a été fondée en 1894 pour abriter les chrétiens
de Kibanga, station du N.-O. du lac, abandonnée à cause de son insalubrité.
Ceôt la résidence de M«^ Rœlens, vicaire apostolique. D'après la Belgique
coloniale, elle renferme 1.200 habitants, dont 800 catholiques et 400 qui se
disposent à le devenir ; de nombreux villages sont venus se mettre tout
autour sous la protection des missionnaires.
Les plateaux de Kirunga sont au-dessus des premiers contreforts soutenant
les hauts plateaux du Marungu. Si l'on quitte la plaine basse de Saint-Louis
de Mrambi, résidence du capitaine Joubert, on escalade une montagne de
200 mètres par un sentier de chèvre. De la crête de la i^ chaîne de mon-
tagnes, on voit un immense plateau ondulé, sillonné de ruisseaux dont les
rives sont très fertiles ; au sud se dresse le mont Mrumbi (1.700 mètres) et
derrière lui sont de hautes montagnes.
Baudouinville est construite sur une large colline dont le sommet a 150 m.
de large, 600 m. de long et 350 à 400 m. au-dessus du lac (soit 1 200 m. au-
dessus du niveau de la mer).
La population est dense ; dans une circonférence de 2 kilomètres autour de
la colline, on compte plus de 12 villages indigènes; au sud, sur 12 à 16 lun.
on trouve plus de 50 villages et au nord de la plaine de Kaloudja, il y en a 41
La population est divisée en quartiers ayant chacun un président chargé de
veiller à l'ordre public ; les chefs de quartiers sont soumis à uq nyampara,
sorte de maire qui est lui-même soumis aux ordres des missionnaires. Deux
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES Ml
résidences, une pour les religieux, l'autre pour les sœurâ, sont construites
eo briques; elles sont entourées de murs solides, au centre, est une cathédrale,
autour sont des habitations, des dortoirs pour enfants, des ateliers, des étables,
un dispensaire, un hôpital, etc. C'est une véritable petite ville au centre du
continent noir. .
Les Pères Blancs ont créé dans cette région des briqueteries, des ateliers
de charpenterie et de menuiserie, ouvert des carrières, établi une distillerie,
défriché les terres incultes, etc. On a réussi à former des ouvriers indigènes
qui ont pu édifier de véritables monuments, tels que l'église de Mpala. 15
missionoaires, 4 sœurs et des catéchistes évangélisent les 5 stations et les
villages chrétiens de Tanganika.
Madagascar : Écoles. — On lit dans le Bulletin de VAlliance Française
du lo juillet {n9 70) : Grâce à l'admirable activité de M. le général Gallieni»
l'œuvre scolaire s'étend à Madagascar dans des proportions dont nous ne sau"
rions que nous réjouir. L'école de médecine indigène, crée il y a un an, est
fréquentée par de nombreux élèves, et la distribution des prix a eu lieu sous
la présidence du gouverneur général, avec un éclat qui a frappé la population.
A l'école Le Myre de Vilers ont été adjoints des cours de droit dont Ont été
chargés M. Duchesne, substitut du procureur général, et Hesling, chancelier
de résidence.
De toutes parts s'ouvrent des écoles officielles. Dans le seul cercle de Tsia-
fahy, on relève 18 créations de cette nature en novembre 1897. Tous les gros
villages de l'Emyrneen sont actuellement pourvus. Là où les ressources finan-
cières ne permettent pas d'installer des instituteurs venus de France, des
sous-officiers sont chargés d'enseigner aux enfants la langue et l'histoire fran-
çaises, les éléments de calcul, de géographie, etc. A côté de ces écoles s'ouvrent
des asiles et des ouvroirs. En mars dernier, a été inauguré solennellement
l'ouvroir de Fiadana. Les élèves pauvres qui montrent des aptitudes parti-
culièrement intéressantes, sont l'objet de la sollicitude du gouvernement, qui
vient de créer 40 bourses à l'école Le Myre de Vilers.
Dans les écoles confessionnelles, on peut signaler aussi une activité consi-
dérable. Les écoles de la mission protestante française sont au nombre de 900.
Les écoles des Pères et des Frères sont aussi nombreuses et aussi prospères*
A Tananarive s'est fondée une Société des anciens élèves des Frères qui a
inauguré le théâtre malgache, à l'occasion de sa d*îrnière fôte par la repré-
sentation en français d'un drame tiré de l'histoire de l'île.
Le conseil d'administration de VAlliance Française, désireux de venir en
aide dans toute la mesure du possible à l'œuvre si patriolique du général
Galtiéoi, président du comité de VAlliance Française à Tananarive, lui a voté
dans sa dernière réunion une somme de 5,000 francs, dont il assurera la
répartition lui-même entre toutes les écoles de la colonie.
ASIE ET AMÉRIQUE
Chine : Chemxns de fer, — La Chine possède actuellement en exploitation
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502 REVUE FRANÇAISE
les lignes suivantes : i^ La ligne de TienUin, Tongkou, ShanhaîkwHD, de
270 kilomètres, qui doit se relier au Transsibérien ; 2*> La ligne de Ta-Yek
(28 kil.) ; 3^ La ligne Tientsin-Pékin (120 kil.). Toutes ces lignes sont à voie
normale, les trains y circulent à la vitesse de 30 à 50 kil. à Theure. Le reo*
dément moyen de Texploitation donne 5 Vo environ d'intérêt du capital.
Ces lignes ont été construites avec des fonds exclusivement chinois et par
ordre du gouvernement ; seule la ligne Tientsin-Shanhaïkwan a donné lieu
à un appel de capitaux privés, exclusivement chinois d'ailleurs.
Sont en outre projetées les lignes de Hankéou-Pékin (1 400 kil.) et de
Woosung-Shanghaï — Suchou-Nankin, avec 2 embranchements (500 kil.)
Pour la ligne de Hankéou-Pékin, la Chine n'a fourni qu'une partie des capi-
taux (100 millions), le reste provient d'un emprunt à l'étranger ; la con-
cession a été obtenue par un syndicat franco-belge. La ligne de Woosung è
Nankin est aux mains des Allemands; elle a été étudiée par les frères Hil-
debrand, ingénieurs prussiens ; les travaux sont si a%'ancés que le tronçon
Shanghaï-Woosung sera mis en exploitation au printemps ; c'est ce tronçon
qui, établi une première fois en 1875, avait été détruit par la population. On
sait en outre que la Russie a obtenu de faire pénétrer son transsibérien en
Mandchourie et de le rattacher à Talien-Wan et à Port-Arthur ; que la
France et l'Angleterre ont obtenu de feire pénétrer au Yunnan etauKonang-
Si, les lignes du Tonkin et de la Rirmanie ;que les Allemands, de leur côté,
ont obtenu la concession des chemins de fer à créer de Kiao-Tchéou dans le
Chantoung. Le chemin de fer sera le meilleur mode de pénétration en
Chine, mais aussi le meilleur moyen pour sortir les Chinois de leur toi^ieur
et les faire sortir de la Chine.
Japon: Émigration. ~- Les Japonais commencent à émigrer dans de
grandes proportions. Alors que, de 1885 à 1889, 15.017 Japonais avaient émi-
gré à l'étranger, ce nombre s'est élevé à 38.402 dans la période 1890-94. Ce
sont les îles Hawaï qui ont reçu le plus de Japonais : 12.221 de 1885 à 1889
et 21.625 de 1890 à 1894. Pour la dernière période de 4 ans, les pays de des-
tination se classent ainsi : Corée, 4.930; États-Unis, 3.789; Russie, 2.858;
Australie, 2.037 ; Canada, 1.716; Chine, 869; Antilles, 517; Mers du Sud,
89 ; Indes, 33.
De 1885 à 1895, près de 69.000 Japonais ont émigré aux Hawaî, mais dans
le reste de l'Océanie ils se rendent peu, par la crainte surtout du climat. En
effet, sur 305 Japonais arrivés aux îles Fidji en mai 1892, 106 étaient morts
des fièvres quelques mois après.
Canada : Température au Klondyke. — La r^on canadienne da Klon-
dyke, proche voisine de l'Alaska américain, renferme, on le .sait, des pépites
d'or dont certaines pèsent jusqu'à 22 kg. et valent 70000 fr. La séparation
de l'or des graviers et des sables se fait par un courant d'eau entraînant les
impuretés, l'or, très lourd, restant au fond et s'amalgamant avec du me^
cure, d'où on le sépare facilement ensuite.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONULES SOS
Le fh)id au Rlondyke étant très grand, la belle saison qui donne de Teau
courante ne va guère que du i^' juin au 1^ novembre (5 mois). En juillet,
le jour dure 20 heures, tandis qu'en hiver on ne voit le soleil que durant
2 heures. En 1896, la température moyenne observée a été de — 37o,6 en
janvier (mois le plus froid), de — 10<*,7 en avril, de + i3<>,9 en juillet (mois
le plus chaud), de — 3**,9 en octobre. La température la plus élevée a été de
+ 27®,2, certains jours de juin et juillet, et la plus basse a été de — 55<>,8,
pendant le mois de janvier. Le mois de juillet est le seul de Tannée pendant
lequel il n'a pas gelé.
Ëtats-Unis : Origine du mot « Jingo ». — Tous les journaux du monde
parlent couramment, à cette heure, à propos du conflit américain-espagnol,
des jingos pour désigner les chauvins, les fanatiques belliqueux aux États-
Unis. Voici quelle serait Torigine de ce mot étrange :
— Jingo, c'^t un mot d'argot, venu on ne sait comment dans le langage ;
ce mot dont on abuse, et qui correspond au mot a chauvin i> ou « cocardier »,
n'est guère en usage que depuis dix ans à peu près.
Dans une des crises de la politique extérieure de l'Angleterre, vers
1887-88 environ, il y avait comme un enthousiasme guerrier parmi la foule;
dans un music-hall du Strand, à Londres, un chanteur patriote obtint un
succès prodigieux en scandant sur un air de marche le couplet suivant, que
les assistants reprenaient en chœur avec accompagnement de cannes et du
pied sur le plancher :
We don't want to fight
But, by jingo, if we do
We' ve got the men,
We' ve got the ships
And we' ve got the monney too.
Ce qui voulait dire en substance : « Nous n'attaquons personne, mais
€ by jingo », qu'on ne s'y frotte pas, nous avons tout ce qu'il faut pour lut-
ter ». Et de ce petit juron sacramentel : « by jingo », on fit le jingo, le
jingolsme ! . • . Une chanson de café-concert créa, à l'aide, de ce petit vocable
innocent, un mot symbolique national, un mot de ralliement patrio-
tique, un mot qui fut tour à tour comme la crête de coq de la vanité anglo-
américaine.
Légion d'honneur. — Parmi les explorateurs nommés dans les dernières pro-
motions, citons : officier, le capitaine Baud qui explora et occupa Thinterland du
Dahomey ; M. Liolard, explorateur et l<-gouverneur du haut Onbangui; chevalier,
MM. Pob^in, explorateur de la côte -d'Ivoire; Félix Dubois, qui a traversé la boucle
du Niger de Tombouctou au Dahomey.
Vosges et Alsace, Guides Joanne. Hachette éditeur. — La nouvelle édition de
06 guide est une refonte complète de Tancienne. Il est publié au moment même od se
forment les projets de voyage dans les villes d'eaux et les stations de montagnes qui
se nomment : Plombières, Vittel, Bussang, Contrexéville, Gérardmer, le Ballon d'Al-
sace, la Schluchty^tc. Enfin^ l'Alsace-Lorraiiie y tient une large place. Beaucoup de
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504 REVUE FRANÇAISE
personnes ne yeulent pas franchir la frontière et voyager dans les provinces anneiées.
11 faut dire qu'il n'y a rien i redouter des autorités allemandes ; il n'y a plus de pas-
seport à la frontière, et Taccueil des habitants est toujours cordial.
Suivant Timpulsion donnée le guide des Vosges est orné de nombreux plans e*
cartes. Les renseignements pratiques, hôtels, itinéraires, avis et conseils aax touristes
sont des plus utiles. Les amateurs photographes apprendront avec plaisir que dei
chambres obscures sont instillées dans nombre d'hôtels.
Aux Fjords de Norvège et aux Forêts de Suéde, par Ch. Rabot. 1 yuI.
in-16, illustré, avec 4 cartes. Hachette, éditeur. — Les excursions en Suède, Norvège,
et même au Spitzberg, prennent de jour en jour plus d'extension. Nous avons déjà
signalé un !•' volume : Au Cap Nord, de M. Rabot, sur ces régions. Avec celui dont
nous annonçons la publication, Tétude si complète des pays Scandinaves est désor-
mais entière. Et ce n'est pas là un mince service rendu aux voyageurs de toute
nature, car fis y trouveront les renseignements les plus intéressants et les récits les
plus variés, comme sait les présenter M. Rabot, à qui sa profonde connaissance du
pays, de la langue et des mœurs des habitants donne une autorité incontestable.
. L'auteur conduit tour à tour le lecteur dans les régions les plus grandioses de ce
pays incomparable, sur les fameux fjords et glaciers qui s'ouvrent comme des cre-
vasses au milieu des montagnes, sur la mer de glace de Jostedal, puis au milieu des
forêts poétiques enveloppées des mythes de la légende et de la poésie. Kristiaoia,
Bergen, Stockholm et la Dalécarlie sont les principales étapes de cet itinéraire à tra-
vers la Scandinavie. Le livre de M. Rabot n'est pas seulement une relation de voyage,
c'est aussi un exposé du fécond mouvement intellectuel et politique qui agite la patrie
d'Ibsen, en même temps qu'un Guide indispensable au touriste.
GoUeotion des Guides Flammarion, publiés sous la direction de H. A.Siu-
VBRT. — C'est certainement une collection bien séduisante que celle qu'entreprend
l'éditeur Flammarion. Ces guides artistiques, très finement illustrés en couleurs et
malgré cela bon marché (1 fr.), réunissent les avantages pratiques les plus divers qu'on
ne trouvait pas groupés jusqu'ici dans les ouvrages similaires. Une ingénieuse dispo-
sition des cartes spécialement dressées pour les cyclistes et les automobiles, permet de
se rendre compte des moindres accidents de terrain dont les pentes sont marquées par
des cotes sur profils des routes, dessinés au-dessus des plans. Les Guides Flammarion
permettent aussi au touriste qui, au cours d'une excursion, renonce à la route pour
le chemin de fer, de rentrer chez lui en « simple wagon capitonné » ; des cartes de la
voie ferrée indiquent au voyageur le chemin à parcourir et un horaire le renseigne
sur la marche des trains.
La 1" série de ces guides, revêtus d*aa cartonnage souple, se compose des itinéraires
suivants : Paris à Fontainebleau ; Paris à Beauvais ; Paris à Chartres ; Paris à Yemon;
Paris à Étampes ; Paris à La Ferté-sous-Jouarre.
France- Album. — Le n° 50 de cette publication est consacré â l'illustration des
belles plages de la Loire-Inférieure : Pornichet, Le Pouliguen, La Baule, Le Bourg de
Batz, Le Croisic, qui se suivent presque sans interruption depuis Saint-Nazaire. Les
56 vues, notice et carte de l'Album les reproduisent fidèlement ainsi que les costumes
très curieux de Batz et l'ancienne ville de Guérande qui a conservé presque intact
son caractère du moyen-àge.
Le Gérant, Edouard MARBEAU.
^ IM^RUIKUI OUU, BUB V/ÊêÈÊM, M« PAMSÈ. — ieiT6-'^'t8. — (IMN UdHW).
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LES HABITANTS DU LAOS
L'étude très documentée que la Revue publie ci-dessous, concerne plus particu-
lièrement la région des Hoa Panh, située entre Loang Prabang et le Tonkin méri^
dional, mais elle est aussi applicable à la ms^eure partie du Laos.
1. — Laotiens ou Laos. — Moburs et Coutumes.
On trouve une grande diversité de races dans les Hoa Panli. On y
voit: les Laotiens ou Laos, les Thaïs, les Khas, les Meos, tes Jaos, les
Phou-Phaïs, les Phouocs.
Les Laotiens ou Laos se divisent en deux grandes catégories : les
Laos ventre blanc (Lao Thong Kao) et les Laos ventre noir (I^ao Thong
Dam), ainsi dénommés suivant qu'ils ont ou non des tatouages sur cette
partie du corps. Ce sont des Laos ventre blanc qui habitent les Hoa
Panb; ceux-là aussi se tatouent, comme tous les Laotiens, mais aux
jambes et aux cuisses seulement.
Le tatouage est considéré comme une marque de supériorité dans ce
pays-là, et à Luang Prabang, d'après ce qui m'a été dit, lorsque les gens
vont se baigner à la rivière, les femmes font mettre en aval d'elles les
jeunes gens en train de se baigner qui n'ont pas de tatouages, comme
s'ils étaient indignes de recevoir avant elles la caresse des eaux.
Dans le Hoa Panh, ce sont surtout des Leus venant de la Birmanie,
grands maîtres en tatouages, qui opèrent lorsqu'une de leurs caravanes
vient dans la conti^e pour faire du commerce. Us ont, pour cela faire,
des plaques métalliques percées de trous, dont l'ensemble représente
des variétés de dessins. Ces plaques étant appliquées sur la peau, on
pique avec une aiguille le patient par chacun de ces trous, on met
ensuite par dessus les piqûres ainsi faites une composition renfermant
du jus de tabac. Un onguent est après cela passé sur le tout, pour
diminuer la douleur et activer la dessiccation. Le tatouage ne disparait
qu'avec la peau.
Jjes femmes laotiennes, elles aussi, ont des petits tatouages soit sur
la main, soit sur le poignet; ils consistent en général en une petite
étoile. Quant aux Leus, ils sont, pour la plupart, tatoués depuis le cou-
de-pied jusque par-dessus les épaules; on les croirait habillés d'un
vêtenieiit à dessins, alors même qu'ils n'ont rien sur eux.
Les Lfaos sont d'une taille supérieure à celle de l'Annamite. La femme
laotienne est plus grande que la femme annamite, bien constituée phy-
siquement, bonne pour la reproduction. Elle est relativement plus forte
xxni (Septembre 98). N* 237. 33
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506 REVUE FRANÇAISE
que l'homme : celte particularité tient beaucoup, sans doute, à Fabus
que les homme» font de Topium. Tous ceux qui peuvent m payer ce
luxe, et par conséquent les chefs principalement, arrivent à fumer une
quantité considérable de pipes d'opium. Il leur est vendu en partie par
des négociants chinois qui vont Tacheter à Luang Prabang, en partie
par les Birmans qui s'en servent, quand ils viennent, comme mar-
chandise d'échange.
11 y a également de l'opium fabriqué dans le pays même parles Meos,
qui cultivent le pavot, en particulier du côté de Muong Son. Cet opiom
des Meos est évidemment de qualité inférieure, ceux-ci ne se servan
que de procédés primitifs de fabrication. D'une façon générale, tous les
Laos des Hoa Panh fument l'opium. J'ai même vu des coolies laos qei,
n'ayant pas le temps en marche de préparer leur pipe, avalaient des
boulettes d'opium. Cet ingrédient leur devient indispensable au boat
d'un certain temps, quand ils font le moindre travail sortant de lears
habitudes. Quelques femmes de chef fument également l'opium, mais
ce sont des exceptions; encore m'ont-elles dit que c'était pour elles un
remède contre les douleurs du ventre plutôt qu'un besoin.
I^s Laotiens ont les yeux un peu bridés. De même que les Annamites,
ils ne gardent ni la moustache, ni la barbe : ils s'épilent ou se rasent.
Les exceptions sont rares, et seulement parmi les vieux. Ils portent te
cheveux en brosse sur le milieu de la tête, tout le pourtours étant rasé.
Ce qui les différencie des Siamois, comme port de cheveux, c'est que
ces derniers ont bien les cheveux en brosse au milieu, mais sur le poor-
tewr de la tête, ils ont les cheveux coupés court au lieu d'être rasés : tes
Laotiens ont en somme lacoiflîire contraire à celle dite « aux enfants
d'Edouard ».
Les femmes ont leur chevelure rassemblée au-dessus de la tête, sur
le devant, en tronc de cône. Elle est retenue par une épingle à chevew
piquée transversalement, qui a la forme d'une pyramide quadrangulaire
de 3 centimètres environ de base sur 18 à 20 centimètres de hauteur.
Cette épingle à cheveux est en bois ou en argent. Dans ce dernier câs.
elle est creuse, et sa base fermée par un bouchon carré en argent égale-
ment : c'est le porte-monnaie de la Laotienne; c'est ià-dedans qu'elfe
met ses morceaux d'argent pour les menues dépenses, ou les économies
qu'elle emploiera à faire fabriquer des bagues ou des bracelets.
Chez les Laos^ la naissance d'un enfant ne donne lieu à aocutte ftte.
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LES HABITANTS DU LAOS 901
Après les couches, la femme reste tout un mois dans son intérieur, sans
sortir. Durant tout oe temps, aucun étranger n'est admis dans la maison :
la prë6enc6 d'un étranger dans la maison serait, d'après eux, un malheur
pour la mère et Tenfant. Pendant la grossesse, la femme se nourrit, en
partie du moins, de riz non encore arrivé à maturité, qui est très délicat
au manger. On le fait cuire dans des bambous.
L'enfant, dans son jeune âge, est rstrement habillé; la mère le porte
soit à califourchon sur le côté, soit sur le dos, dans une écharpe qui
vient se nouer sur le devant. La mère est vraiment mère, à ce moment-
là, et il n'est pas de caresses qu'elle ne prodigue à son rejeton.
Pour les mariages, au contraire, il y a une grande fête, qui dure de
un à quatre jours^ suivant la position sociale et la richesse des époux.
Le mariage se divise en deux périodes, qu'on peut désigner, la V^ sous
le nom de fiançailles, et la 2*" sous le nom de mariage proprement dit.
Le fiancé est tenu de donner aux parents de sa future . une certaine
dot dont l'importance varie avec la situation. Ces chiffres sont d'ailleurs
fixés par des coutumes écrites, et il est défendu aux parents de la fille,
sous ceriattes peines, de demander au delà du chiffre fixé. Mais il est
rare qu'on se conforme à ces prescriptions, et la dot est généralement
supérieure.
A partir du jour des fiançailles, le garçon s'installe dans la maison de
ses beaux-parents et travaille pour eux pendant un temps souvent très
long, jusqu'à 3, 4 et 5 ans, à moins qu*il puisse payer de suite la
somme fixée, ce qui est assez rare, auquel cas il f^eut emmener sa
femme une fois le mariage fait : son travail sert en somme à racheter
la dot qu'il ne peut payer. Dès qu'il s'est Kbéré de sa dette, il peut
s'installer à part et emmener s^ femme : cet événemeni est encore
marqué par une fôte, mais moins importante que ceHe des fiançailles.
Le jour du mariage, les parents et les chefs sont invités. Pendant le
repas de cérémonie, chacun des futurs vient se présenter aux parents et
aux chefs, lui faisant part do l'acte qui va s'accomphr et offrent à chacun
des petites bougies avec des fleurs, et aussi un petit cadeau en ai^gent
dissimulé au milieu. <'>eux-ci répondent par quelques exhortations aux
nouveaux conjoints.
A la fin du repas, si les époux n'habitent pas la maison même où a
eu lieu le festin, on les accompagne en jurande pompe chez eux. I^e
mari va devant, seul, suivi de la partie masculine de l'assemblée qui se
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508 REVUE FRANÇAISE
livre à des chants et des danses durant le parcours. Derrière^ vient la
femme, accompagnée de la môme façon. On se sépare après avoir donné
un petit concert qui clôture la fête. U n'y a aucune cérémonie religieuse
à ce sujet.
Les Laos enterrent ou brûlent leurs morts suivant leur position de
fortune. Tout décès donne lieu à une fête : les ix)nzes viennent dire des
prières, qui sont plus ou moins longues, plus ou moins compliquées,
selon qu'on les paie plus ou moins. Le prix varie de 3 piastres ï
S ou 6.
Les notables qui viennent à mourir sont à peu près toujours incinérés :
les dépenses d'incinération sont relativement assez élevées pour ce pay»
où Tor est inconnu, et où l'argent est si rare. Tout le monde ne peut
pas s'offrir un bûcher. Les frais d'incinération reviennent à environ
o taëls, ou 7 piastres et demie : cet argent est destiné à payer les ^ens
qui vont chercher le bois, qui entretiennent le feu et ramassent les
cendres. L'opération dure une demi-journée. Un bonze attache un
turban au cercueil et le tire jusqu'à l'endroit où l'on brûle. C^ se passe
en plein air, dans le cimetière même, et le cadavre, revêtu de ses effets,
est placé au-dessus du bûcher.
Ce n'est pas un spectacle bien divertissant que de voir ces lambeaux de
chairs grésillants se détacher petit à petit; la fumée à odeur caractéris-
tique qui s'en dégage empoisonne bientôt l'atmosphère environnante. D
m'a été donné d'assister à la crémation d'une vidlle femme de famiUe
de notable; le dégoût m'a fait évacuer la place avant la fin de la
cérémonie.
Les cendres et débris qui restent, une fois le corps consumé, sont
recueillis et enfermés dans une petite urne qu'on enfouit à un endroit
généralement retiré, [>our qu'elle ne soit pas foulée aux pieds par le:^
passants ou les animaux domestiques qui errent toujours en liberté.
Une petite case de dimensions très restreintes, comme peuvent en faire
les enfants eu s amusant, est d'ordinaire construite au-dessus de ces
emplacements. Le jour de la fête des morts, les parents vont y dépo^r
quelques chandelles, des prières écrites et quelques légers alinients
pour les mânes qui reposent là.
HabiUemeni. — L'habillement consiste, pour les hommes, en une
blouse descendant jusqu'à mi-corps, et un pantalon large, à la mode
annamite. Ils ont quelquefois un chapeau de paille, fabriqué dans le
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LKS HABITANTS DU f.AOS 509
pays méme^ aux ailes très larges. Pour les femmes, c'est un jupon avec
une broderie de 25 centimètres environ de large vers le bas : ce jupon
est simplement croisé au milieu des seins. Un petit veston en toile,
jusqu*à la taille, avec, pour les riches, des broderies et des boutons en
aident sur toutes les bordures, à la façon bretonne.
Les Laotiennes sont assez coquettes, et les jours de fête, leur costume
est embelli par un turban en soie multicolore, roulé autour de la tète,
avec des franges pendantes sur Tarrière. Une écharpe en soie bariolée
complète leur hatûllement les jours de grande fête. Elles aiment beau-
coup, ces jours-là, faire parade de leurs bijoux, presque exclusivement
en ai^nt. D'aucunes ont jusqu'à huit et dix bracelets autour de leurs
poignets, des bagues en quantité et quelquefois des bracelets autour de
leur cou-de-pied. Les enfants portent des colliers en argent, avec des
pièces de monnaie étrangères suspendues sur le devant. Tous ces bijoux
sont fabriqués dans le pays môme; leur travail est forcément grossier,
vu les outils primitifs dont disposent les ouvriers en argent.
Les habitants ne portent généralement pas de chaussures; parfois
cependant on leur voit des sandales chinoises en toile.
Ils aiment beaucoup tout ce qui est costume européen. On les voit se
pavaner avec des gilets bl.eus, avec des chapeaux mous : ce sont en gé-
néral des gens qui sont allés à Luang Prabang, et qui en ont profité pour
rapporter des objets dont ils font montre à leur rentrée dans le village.
Le chef de Muong Het ne manquait jamais de mettre son chapeau de
feutre quand il venait voir pour affaires le commandant du poste. Si, se
trouvant indisponible ou absent, son fils venait à le remplacer, le même
couvre-chef reparaissait avec le représentant de l'autorité. On aurait pu
croire que c'était pour eux un insigne de commandement.
Dans chaque famille, l'habillement est confectionné dans la maison
même. Les habitants cultivent le coton et élèvent des vers à soie en
quantité suffisante pour leurs besoins personnels et même pour l'expor-
taiioa. Ils fabriquent eux-mêmes leurs métiers à égrener le coton, à dé-
vider les cocons; le rouet est d'un usage familier aussi bien que le dévi-
doir. Les métiers à tisser, avec la navette, n'ont pas de secrets pour la
ménagère laotienne, qui fait des étoffes de tous genres, des écharpes,
des turbans, des couvertures en soie, des biais pour le bas des jupes.
On aime les couleurs voyantes dans ce pays; on s'en procure auprès
des quelques commerçants chinois qui viennent apporter leur opium.
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5i0 REVUE FRANÇAISE
I.,es métiers à tissor sont généralement installés à Tex teneur de la
maison, sur la tenrasse qui fait suite au corps de bâtiment. C'est surtout
le soir, à la veillée, que la femme fait marcher le rouet : femmes el
jeunes filles, mais ces dernières principalement, se réunissent aprè*
dîner, en dehors de leurs maisons, par groupe de quatre, cinq, six. In
fèu de bambous éclaire de ses faibles lueurs le rouet qui marche
marche, mais tout de même pas aussi vite que les langues. Des jeunes
gens viennent leur tenir compagnie et, pour égayer la soirée, apportent
leurs instruments de musique. Les virtuoses y vont de leur petit mor-
ceau de flûte ou de guitare, et le loustic d'à côté profite de Tatlenlion
que chacun prête au musicien pour chatouiller le dos de sa voisine. Ce
sont alors des cris aigus, ^es « Bak. na ma », qui arrêtent pour un mo-
ment, et le travail et l'inspiration de l'artiste.
La Laotienne a le rire de la Française. Que de fois ne m'est-ii pas
arrivé, le soir, de faire le tour des feux, en dehors de la vue de leus.
pour jouir complètement de ces scènes qui rappelaient en plein W
soirées analogues du village natal ! Il me semblait, à entendre ces rire>
perlés, qu'un de ces esprits si nombreux dans le pays me transportait
dans le pays de France, au milieu de gens de connaissance. Je n'éfais
plus au Laos, à ces moments-là; mon esprit. vagat)ondait alors à des
milUers de lieues, jusqu'au moment où mon arrivée à côté de ces jeunes
fous rompait le charme.
Habitations. — Les Laos construisent leurs maisons élevées du sol de
1 *" 50 environ. Les supports ou fermes sont en bois, la toiture en paille,
et les côtés et planchers en bambous écrasés ou tressés ; le dessous sert
à loger les buffles, bœufs, cochons ou volailles.
Dans chaque maison est toujours réservé un petit coin pour les
ancêtres. A cet endroit se trouvent généralement des bâtons d'enmis
ou des papiers dorés avec des sentences.
Les maisons sont d'ordinaire orientées en longueur dans le sens dn
cours d'eau qui coule à côté : aux deux extrémités sont deux petites
terrasses, l'une couverte, qui sert pourainsi dire d'antichambre; l'autre,
découverte, servant aux travaux de propreté. Un homme se croirait
déshonoré de passer au-dessous de cette dernière. Les jours de fête, par
exemple, les filles s'amusent à un jeu consistant à se lancer un petit
oreiller, le camp adverse devant l'arrêter dans sa course; lorsque ce
dernier vient à !t)uler sous cette terrasse, et que le tour revient A un
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LES HABITANTS DU LAOS 5ii
garçon d'aller le prendre, il refuse énergiquetnent et c'est une des filles
qui doit se dévouer pour aller le prendre là où il est tombé.
Il existe toujours deux petites échelles pour monter à la maison,
entre chacune de ces terrasses et le corps môme de la maison : on np
doit jamais prendre que celle à côté de la terrasse couverte, l'autre est
destinée aux domestiques ou esclaves.
Tout autour ou à côté des habitations sont de petits jardinets avec
arbres fruitiers : bananiers, cocotiers, pommes cannelle, cpielques pieds
de cannes à sucre, parfois des amandiers.
Il n'y a guère d'alignement observé dans les groupes qui constituent
les villages, on ne sait pas ce que c'est une rue ; les villages sont toujours
très sales. Dans chaque maison, les eaux ménagères étantjetées à même,
il se forme bientôt des cloaques où viennent se vautrer les animaux
domestiques logeant au-dessous : c'est certainement là la source de
beaucoup de maladies dans le pays. Il est difficile de réagir, au début
du moins, avec des gens qui vous répondent de suite que tout chan-
gement dans leurs habitudes déplairait aux mânes des ancêtres. Les
constructions, faites à peu près toujours avec des matériaux encore verts,
ne durent guère que de deux à trois ans ; elles sont à refaire complète-
ment au bout de ce laps de temps.
Nourriture. — Le riz cuit à l'étouflfée est la base de l'alimentation
des habitants; le peuple peut quelquefois y ajouter du poisson. Il est
rare de voir les gens se servir de baguettes pour manger leur riz, ainsi
que le font les Annamites et les Chinois ; presque toujours ils le prennent
à poignées, le roulent en boule entre leurs mains et piquent leur boule
ainsi formée dans un condiment fait de sel et de piment haché. Le
jardin leur fournit quelques herbages qu'ils mangent toujours cuits.
Les jours de fête seulement ils ajoutent à cette nourriture un peu de
viande de buffle^ de porc ou de poulet. Les chefs, en sus de ces variétés
d'aliments, ont encore les produits de la chasse, dont ils daignent par-
fois laisser quelques bribes à ceux qui les leur apportent.
Langue. — La langue laotienne est presque analogue à la langue
Ihai, et autrefois, sans doute, ces deux peuples furent d'origine com-
mune. Il y a cependant assez de diflférences actuellement dans les deux
écritures pour qu'un Laotien qui sait lire et écrire sa langue, mais qui
n'aura pas étudié le Thaï, ne sache ni lire ni écrire le Thaï, et récipro-
quement. Le langage courant est plus compréhensible par les uns et par
I
I
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512 REVUE FRANÇAISE
les autres, et cela s'explique par les relations journalières qui existent
entre eux. se confondant parfois dans le même village.
Instruction. — L'instruction n'est pas très répandue. 11 n'y a guère
que les chefs et les membres de leur famille qui sachent lire et écrire,
et encore parmi les Laos et les Thaïs. seulement; leurs connaissances oe
sont pas très étendues. On ne voit pas, comme en Annam et au Tookin
chez les Annamites, des écoles fréquentées par tous les en£aaxt6. Leur
façon de calculer est encore très primitive et reneioble beaucoup à celle
qu'emploient nos jeunes enfants à leurs débuts dans les écoles de vil-
lage : des petits cailloux ou des grains de maïs sont les bases de toutes
leurs opérations, qui ne sont d'aillleurs jamais bien compliquées.
A l'instar de ce qui se passait en France au moyen âge, ce sont les
représentants de la religion qui détiennent ce peu d'instruction et li
donnent aux favorisés de la vie. Les feomies qui savent lire et écrire
sont excessivement rares, et durant mon séjour je n'en ai connu qu'une
seule, la femme du Phia hoa panh de Sam Nua.
Religion. — Crotamges.
Tous les fils de familles, vers l'âge de 11 à 12 ans, revêtent la rc^
jaune des bonzes qu'ils gardent jusqu'à l'âge de 17 à SO ans en gén^l.
Durant tout ce temps ils restent à la bonzerie, qui n'est pour eux qu'une
école. Le laotien est la seule langue qu'ils apprennent; quelques-uns.
très rares, arrivent à connaître un peu de po/t, la langue sacrée.
Les élèves-bonzes ont le même costume que les bonzes eux-mêmes :
pantalon en toile jaune, grand manteau jaune, en toile également,
drapé à l'espagnole; ils ont la tête complètement rasée. Us vont d'ordi-
naire tète nue, celle-ci complètement rasée; quelquefois, mais bien
rarement, ils ont comme coiffure une espèce de bonnet en toile jaune,
formant pain de sucre.
Il n'est pas que les notables qui peuvent envoyer leurs enfants à la
pagode, les simples habitants peuvent aussi se payer ce luxe : en
principe, les bonzes sont pris dans la population, sans distinction de
classe.
Les bonzes choisissent leur voie de plein gré; ils ne pouvait être
contraints à se faire bonzes si telle n'est pas leur vocation. A la pagode,
le chef des bonzes leur apprend les prières et les divers exercices du culte.
Bonzes et élèves ont les mêmes obligations, les mêmes devoirs; ils
doivent suivre la même règle. Il leur est défendu de tuer n'importe quel
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Ï.ES HABITANTS DU LAOS M3
animal ou insecte; en aucune circonstance le mensonge ne leur est per-
mis. En principe, il leur est défendu de fumer l'opium et de boire de
l'alcool; mais, dans cette région surtout où ils se trouvent en dehors du
contrôle de leurs chefs propres, ces derniers préceptes» principalement,
sont loin d'être observés. Le chef des bonzes de Muong Het, qui avait
sa pagode dans le poste même, ne faisait guère que cela toute la
journée : il ne pouvait en conséquence empêcher ses élèves d'en faire
autant.
Toute relation avec la femme leur est interdite ; ils ne peuvent même
lui prendre la main. H y a cependant une exception dans l'année, le
jour de Tan, où il leur est toléré de prendre part comme les autres
aux réjouissances, et de batifoler avec les jeunes iilles comme ne
manquent pas de le faire les autres garçons, mais seulement en
réponse à des avances de la femme.
Les bonzes ne doivent faire que deux repas par jour, uu le matin
à 8 heures, et l'autre à midi. Leurs prières sont dites le matin avant le
jour, et après le premier repas. Ils ne peuvent pas sortir la nuit, et le
jour ils sont tenus d'en demander l'autorisation au chef des bonzes. De
temps en temps, si leurs parents habitent un village autre que celui où
ils se trouvent, on les autorise à aller les voir.
Les élèves peuvent, après consentement du chef des bonzes, cesser
leurs études et se retirer : dans ce cas, les parents de l'élève apportent
un habit neuf pour qu'on puisse reconnaître que leur enfant sort de
récole des bonzes ; l'habit jaune est laissé à la pagode.
Us peuvent être nommés bonzes à l'âge de 20 ans s'ils ont acquis
toutes les connaissances nécessaires et s'ils sont jugés dignes de cette
faveur : c'est le chef des bonzes de la pagode qui fait la nomination .
Les chefs des bonzes des pagodes voisines assistent à la fête qui est
donnéeà cette occasion, de même que les parents et amis de l'élève.
La fête dure de i à 3 jours : ce sont les parents et connaissances du
nouveau promu qui en font les frais. Un bonze qui vient d'être nommé
peut, s'il le désire, changer de pagode.
En plus des obligations imposées aux élèves, les bonzes doivent se
rendre à la pagode deux fois par mois, le 18^ et le 30^ jour, pour
demander à Bouddha le pardon des fautes commises. Les autres jours,
les prières sont dites dans leur logement même, sans qu'ils soient
astreints à se rendre à la pagode.
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514 REVUE FRANÇAISE
Quatre fois par mois, jour de repos correspondant au premier jour
de chaque quartier de la lune, les habitants peuvent venir chez les
bonzes battre le tam-tam et écouter les prières, Ils passent la soirée chez
ceux-ci : après leur départ, les bonzes continuent leurs prières qui durent
une partie de ta nuit.
A heures fixes ils battent, le tam-tam, ce qui est très désagréable et
procure des insommies à ceux qui n'y sont pas habitués.
Au commencement de Tannée, les statues sont descendues de la
pagode, placées sous une petite caï-nha improvisée, et lavées tous les
jours par les habitants pendant quinze jours.
Durant tout ce temps, les bonzes sortent avec leur tam-tam et, aocom-
oagnés des habitants, ils vont tantôt à un endroit, tantôt à un autre,
sur les bords de la rivière. Les habitants ont préparé là des petits autels
en terre, sur lesquels on place des bougies, des petits drapeaux eo
papier blanc; les bonzes disent des prières pour que Tannée soit pros-
père et les habitants heureux. Les jeunes femmes s'amusent à faire des
petits bonshommes en terre et demandent à Bouddha d'exaucer leurs
vœux en leur donnant une nombreuse famille. Chaque jour un autel
nouveau est construit en un point différent : autant d'occasions de faire
la fête, car pendant ces quinze jours, les habitants ne font juste que ee
qui est indispensable; les jeunes gens et les jeunes filles s'en donnent à
coeur joie.
Tous les jours, en temps ordinaire, Tun des bonzes va dans le. village,
une corbeille en bandoulière, et reçoit là-dedans ce que les habitants
veulent bien y mettre pour sa nourriture : du riz cuit, des ceufs, dos
bananes, etc
D'après ce que j'ai pu tirer d'un ancien bonze, voici Tidée qu'ils se
font de Bouddha, leur dieu : C'est Bouddha qui protège le monde, qui
fait du bien aux habitants, qui fait monter au ciel Tàme des bons
quaûd ils viennent à mourir. Ils croient que le monde est renouvdé
tous les 8000 ans. D'après les croyances qui leur sont enseignées.
Bouddha aurait fait son apparition déjà quatre fois, à 5 000 ans de dis-
tance chaque fois.
Toutes les fois il a eu un nom différent : le 1*^ s'appelait : Khou khou
San Tho; le 2* Kho na Kha mano; le 8* Khatsahpo; le 4« Kho Tha Mah:
le 8*^, qui d'après eux devrait venir dans 3742 ans, puisqu'ils sont
actuellement (1896) en Tan 1258, devrait avoir nom AU Nha Mé Toi,
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LKS HABITANTS DV LAOS 518
D'après leurs croyances, ce sont les « esprits » qui président aux dif-
férents actes de leur vie. 11 y en a de toute espèce : esprits des forêts
(esprits errants « Phi pâ »), provenant de gens disparus pnr mort vio-
lente, soit qu'ils aient été dévorés par le tigre, soit qu'ils aient été assas-
sinés ; esprits des rizières « Phi nd », ceux qui, les premiers, ont cultivé
des rizières; esprits de l'eau « Phi nam », provenant des hommes
noyés. Dans les rivières, quand il y a un rapide, d'après eux, c'est un
serpent « Ngùôc » qui se tient là, prêt à engloutir ceux qui s'y
aventurent.
Jl y a encore les esprits du hoa panh, du Mvong, du han^ de la
famille, etc..., anciens chefs du hoa panh, du muong, du ban, etc.,
qui veillent sur leurs anciens pays.
Dans chaque village, il y a le « père des esprits (Chao Cham » et la
ce mère des esprits Mo mot) » ; ils sont choisis et nommés par les no-
tables. Ce sont eux qui sont chargés d'évoquer les esprits. Au commen-
cement de chaque fête, avant le repas, les mets sont placés sur un petit
autel et les esprits devant présider à la fête sont évoqués.
ï^ « Chao Cham » d'un côté, la « Mê mot » de l'autre, prennent
deux plaquettes de bambou qu'ils font sauter à la main : dès qu'elles
tombent en même temps du même côté, les esprits sont servis, ils ont
déjà mangé. lU se contentent de l'odeur, comme m'ont réi)ondu les
notables auxquels je demandais comment ils pouvaient bien s'y prendre
pour manger.
Quand il y a un malade, le Chao Cham dit des prières pour savoir
quel est l'esprit qui est cause de la maladie. L'esprit des prières, qui
e>t invoqué, demande à l'esprit du mal ce qu'il lui faut. En général, le
Chao Cham, qui est l'interprète des e>prits, répond qu'il est nécessaire
de tuer un poulet, un cochon ou un buffle, suivant l'importance de la
situation qu'occupe le malade. Il va sans dire que le Chao Cham a sa
part des ripailles qui sont faites en cette circonstance. Il est bon de ne
pas être malade dans ce pays-là, car sous prétexte de chasser la maladie
il y a des chanteurs qui crient toute la nuit et toute la journée et rendent
malades ceux-là même qui ne le sont pas.
Les gens croient fermement à la métempsycose, comme riiKli(|iie la
formule du serment ci-dessous dont on se sert dans le pays :
Formule du serment chez les Laos,
« Moi, J£... , demeurant à , Hoa Panh de , dt'Hîlare
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M6 REVUE FRANÇAISE
comparaître devant pour prêter le serment
Devant Pra Pout Ha Chao (Bouddha), Pra Tham Ha Chtio (esprit des
prières), Pra Sang Ha Chao (esprit des bonzes représentants de la
religion), je viens boire l'eau du serment pour afiSrmer que mes paroles
sont l'expression de la vérité. Si je mens, si je ne tiens pas les promesses
faites (spécifier suivant le cas), je demande aux trois divinités et à Thep
Pha You da Chao Tang Powmg (esprits de la justice), descendus du ciel
dans Teau consacrée comme témoins, de me rendre cette eau néfaste.
Après l'avoir bue, je mériterai d'être puni de mort, ou affligé de toutes
les calamités durant toute mon existence. Quand je quitterai ce monde,
j'aurais mérité que mon âme descende aux enfers, dans le puits du feu,
et y reste tant que les divinités voudront me faire expier ma faute par
le supplice du feu. Ma punition terminée aux enfers, si je retourne sur
la terre, je mériterai d'être proscrit par la religion et par les honnêtes
gens, d'appartenir à une race d'êtres repoussés par les dieux et maudits
de tous ».
« Si je dis la vérité (spécifier suivant le cas), je demande aux trois
divinités et à Thep Pha You da Chao Tang Pouong (esprit de la justice)
de me rendre cette eau favorable ; qu'après l'avoir bue, la protection
des dieux se manifeste pour moi d'une façon visible ; que les esprits du
ciel et de la terre me protègent et m'épargnent les maladies et les mal-
heurs jusqu'à la fin de mon existence. Je demande enfin qu'après ma
mort, .mon âme soit admise au paradis pour y goûter les bonheurs
divins, et qu'après mon séjour au ciel, si je reviens sur la terre, je
jouisse de la protection des dieux et des esprit^, et obtienne la faveur
d'appartenir à une race favorisée, où je pourrai trouver le bien-être el
l'aisance ».
Ce serment est en usage encore actuellement, et je m'en suis servi
moi-même en certaines circonstances pour tâcher de découvrir la
vérité. La cérémonie se fait à la pagode, en présence d'un bonze qui
dit des prières.
Les I^os me paraissent croire assez à son efficacité, et certains d'entre
eux qui ne me semblaient pas très francs dans leurs dires, invités par
moi ù prêter ce serment, s'y sont refusés par peur sans nul doute de ce
qui pourrait leur arriver ultérieurement.
(A suivre.) Capitaine Bobo,
de l'Infanterie de marine^
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D'OMSK A VIERNIY
IV
(i)
Le col de Gdsfort. — Paysages de rAlalaôu dzoungare, — La ville de
Kapal. — Séparation, — La vallée de Vlli et. les sables, — Arrivée à
Viemiy.
Le sommet du col de Gasfortest atteint — 1065 mètres — les chevaux
soufllent longuement; ils ont bien mérité ce temps d'arrêt. Le col
forme un vaste plateau gazonné, dépression à peine marquée, creusée
entre des cimes qui dépassent de quelques mètres tout au plus son
niveau. I<e premier gradin où nous nous sommes arrêtés nous mas(|ue
en partie la steppe, mais devant nous s'étendent les massifs neigeux de
TAIataou dzoungare. Sur Tautre versant, une descente, si courte, si
peu accentuée que ce col ne ressemble guère aux cols typiques des
Alpes et des Pyrénées. Presque aussitôt on conmience à gravir de nou-
velles croupes recouvertes d'une belle végétation herbacée et on arrive
ainsi à la station d'Arasansk qui est plus élevée que le col, 1115 mètres.
Le village d'Arasansk fait partie du district de Kapal et de la stanitza
cosaque du même nom ; on y compte une population de 491 habitants
(223 hommes, 268 femmes). Nous étions partie d'Abakoumovsk à
10 heures 30 du matin ; nous ne sommes rendus à Arasansk qu'à
1 heure 30 de l'après-midi, et pourtant entre les deux stations, il n'y
a qu'une distance de 22 kilomètres,
Arasansk est un joli petit village, relativement propre, avec de jeunes
arbres autour des maisons, jeunes arbres qui dans quelques années
formeront une ceinture d'épaisse verdure. On sent la richesse, la
bonne colonisation ; c'est la rivière Bien, une des sept rivières, qui fer-
tilise la contrée. Elle contourne la chaîne de montagnes que nous avons
franchie au col de Gasfort et qui est la première ligne de l'Alataou
dzoungare, son avant-poste vers le nord.
Au delà d'Arasansk, on continue à monter à travers des pàtui-agcs où
pourraient paître à Taise des milliers de troupeaux. Décidément, l'Ala-
taou dzoungare perd à être vu de près ; il ne nous semble plus jnainte-
Dant aussi grandiose. Pas d'arbres, pas de forêts sur les pentes, de ces
forêts qui font un si heureux contraste avec le vert plus tendre des
(1) Voir Hev. Fr. 1898, juin p. 329 ; juil. p. 390 ; août p. 467.
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548 REVUE FRANÇAISE
prairies et le blanc éclatant des glaciers ; pas de neiges éternelles, seu-
lement des neiges temporaires trahissant déjà par une fonte partielle
leur future défaite ; des croupes» des mamelons, aucun pic hardi»
aucune dentelure, nen qui empoigne, qui subjugue; ces montagnes
ont Taltilude des Pyrénées ; elles n'en ont ni la sveltesse, ni les char-
mes ; ce sont de bonnes petites bourgeoises de montagnes I
En s'élevant toujours par des pentes douces, on arrive â un point
d où on découvre toute la plaine de Kapal, il serait plus juste de dire
le plateau. Des émigrants se sont arrêtés; les hommes dorment sans
doute dans les chariots, car on ne voit que les femmes qui profitent de
la halte pour bavarder ; le commérage ne perd jamais ses droits. Ceux-
là font de l'émigration en sens inverse ; ils ne vont pas du nord au
sud, mais au contraire du sud au nord, ce qui indique que les terres
qu'ils ont trouvées dans le Semiretché n*ont pas été à leut convenance.
Le fait est fréquent dans l'histoire de l'émigfation russe en Sibérie.
L' Alataou dzoungare, comme presque toutes les chaînes asiatiques est
constitué par une série de terrasses. Quand on examine superficiellement
le panorama contemplé du point où, en venant d'Arasansk on aperçoit
pour la première fois Kassal, il semble que réellement où va commen-
cer à descendre et que le col de Gasfort mériterait plutôt de s'appeler
le col d'Arasansk, Arasansk étant le sommet du col et Kapal se trou-
vant dans une vallée en contre-bas qui sépare le premier chaînon de
TAlataou du second chaînon ou de la chaîne centrale. Il n'en est rien
cependant, puisque Kapal est plus élevé qu' Arasansk ; la descente esl
apparente, ou plutôt temporaire, car utte fois arrivé dans ce que Ton
prend pour une dépression, on monte un long plateau en pente, incliné
du sud au noi*d. Nous avons le col de Gasfort à 1065 mètres, Arasansk
à 1145 mètres et Kapal à 1234 mètres. O sont trois gnidins d'un même
escalier: Gasford, V^ terrasse; Arasansk, 2* terrasse; Kapal, 3® ter-
rasse, et nous monterons de terrasse en terrasse jusqu'à la crête de la
chaîne pour descendre de la môme façon.
L'approche de la ville de Kapal est annoncée par une longue - avenue
d'arbrisseaux (\m ont reviMu leur parure printanière, les maisons^ se
cachent toulos dans im petit massif arborescent: la première impres-
sion esl excellente et on se sent reposé de la steppe. D y a même un
hôtel, ou tout au moins un établissement décoré de ce nom, le baron
de Munck et le professeur Wallenius y installent leur quartier gâaéral,
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B'OMSK A VIERNIY ' 819
tandis que le lieutenanl lakovlef et moi, nous ûous cônteijtxMw de la
sfalioD de ptvste. Nous devons, en effet, nous séparer le leîidemaîn de
nos deux compagnons de voyage; nous n'entendrons plus derrière nous
le carillon des clochettes de leur tarentass ;nous n'aurons plus à chaque
station la gaieté de leur conversation, nous ne jouirons plus de leur
entrain endiablé, de leur bonne humeur persévérante. Le tempérament
finlandais est beaucoup plus occidental, par suite beaucoup plus rap-
proché du tempérament français que le tempérament russe. Les sympa-
thies pour la France sont du reste très vives en Finlande et un grand
nombre de travaux scienlifiques des professeurs finlandais sont publiés
dans notre langue. Avant la séparation, nous nous réunissons le soir
au somptueux hôtel de Kapal, en un dîner que Ton s'efforce de fairo
non moins somptueux, mais qui ne Test que par la franche gaieté des
convives; cette fois, le baron n'a pas découvert, œmmeà Sergiopol,
une bouteille de Champagne, il s'est contenté d'une bouteille de ces
vins sucrés du Turkestan, qu'après cette première entrevue jecommeice
à trouver tout simplement détestables. Le baron de Alunck et le pro-
fesseur Wallenius vont rester quelques jours à Kapal pour organiser
leur expédition, puis ils exploreront au point de vue archéologique la
région entre Kapal et le lac Balkach ; de retour à Kapal, ils li>ngeront
l'Alataou dzoungare jusqu'à I^psinsk, gagneront Baksy par la steppe
de TAk-Koul, franchiront le Barbagasti et reviendront à Semipala-
tinsk par Zaïssansk et l'Altaï.
La ville de Kapal est le chef-lieu de l'un des six districts du ji:ouver-
nement de Semiretché; sa population est de 2.499 habitants (4.509
hommes et 990 femmes); c'est la ville la plus importante que nous ayons
trouvée depuis Semipalatinsk. Le district est peuplé de 103.927 habi-
tants ; ils est le moins peuplé de la province. On y compte 93.293 Kir-
ghises. Quant à la garnison de Kapal, elle se composant au moment de
notre passage d'une compagnie d'infanterie forte de 3 oiTiders et de
237 bommes ; depuis, je crois que te bataillon qui se trouvait à Prje-
valski a été envoyé à Kapal, qui n'est séparé d(* la frontière chinoise
que par une distancée d'une quarantaine de kilomètres.
Après le dîner, le baron et Wallenius nous accompagnent jusqu'à la
station de poste, ce qui n^est pas précisément faate, la ville étant
dénuée de tout éclairage. Enfin nous arrivons à bon port sans accident
et on se sépare après une dernière poignée de main.
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520 REVUE FRANÇAISE
23 mai. — A la pointe du jour, en route pour Vierniy. Le târentass
galope le long des montagnes gazonnées; la route est accidentée, mais
sans poussière. On descend toujours jusqu'à la station d'Ak-itâchkeo.
De temps à autre, on franchit des torrentelets qui desc^ident de la
montagne en mui:murant ; partout où passent ces torrentelets, il y a
quelque ferme russe ou quelque iourte kirghise ; le sol est bon et la
présence de Teau suffit pour permettre la culture; les environs deKapal
se prêteront à la colonisation. Lorsque la voiture doit franchir uoe
ravine, comme il n'y a pas dé frein, le cocher emploie la méthode
homœopathique ; il lance le tarentass à fond de train et par la force
acquise on remonte l'autre versant ; cette opération quelque peu émou-
vante fait songer aux a montagnes russes ».
Malgré les petits incidents, le trajet est intéressant. De jolis oiseaux
rouges et oranges, ou bien verts avec de longs becs fins voltigent, cou-
rant après les guêpes qui se cachent dans le calice des fleurs ; des aigles
monstrueux sont posés au sommet des poteaux télégraphiques et contem-
plent le paysage avec la gravité d'un sénateur romain ; ils ne se déran-
gent même pas au passage du tarentass et d'effrontés moineaux s'enfuient
entre les jambes des chevaux. Parfois, nous croisons sur la route des
femmes kirghises à cheval, montées comme des hoounes, bottées, Ja
figure empaquetée dans leur coifife blanche.
Ak-Itchken n'est qu'une simple station, à 28 kilomètres de Kapai et
à une altitude de 650 mètres ; elle est assez coquette et je l'ai photogra-
phiée. Pour éviter les massifs trop élevés, de Kapal à Ak-itchken, nous
avons marché du S.-E. au N.-O. ; maintenant nous prenons une direc-
tion N.-E., S.-O.
Entre Ak-itchken et Sari-Boiilak, la végétation devient plus rare;
aussi la poussière reparatt-elle ; nos chevaux en galopant en soulèvent
de véritables nuages ; on ne se voit plus ; la poussière vous entre dans
la bouche, dans les narines, dans les oreilles ; elle vous aveugle. En
outre, comme une voiture particulière suit la même route t[ue nous,
notre cocher kirghise ne veut pas àe laisser dépasser; une lutte homé-
rique s'engage entre les deux cochers au risque de nous faire verser et
la poussière ne s'en accroît que de plus belle. Enfin, au milieu de
toutes ces émotions, nous arrivons à Sari-Boulak (la fontaine jaune ou
verte). A quelque distance de la station, on aperçoit un gros vill^e,
Gavrilovskoï. C'est un des deux villages créés dans le district de Kapal
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D'OMSK A VlEKiMY 6^i
par des émigranls ; sa population est de 2566 habitaots (1305 hommes,
126i femmes); il a été fondé en 187i, et possède une église et une
école ; ses terres sont fertilisées par la rivière Karatal.
Nouveau changement de direction à partir de San-Boulak, nous mar-
chons N.-O., S.-E. Traversé successivement plusieurs petits com's d'eau,
avant d'atteindre le Karatal qui est une véritable rivière, impétueuse,
roulant des eaux boueuses qui proviennent de la fonte des masses nei-
geuses de la chaîne principale del'Alataou. Nous la franchissons sur
un très beau pont de bois, artistement construit el qui donne une
excellente idée des travaux des ingénieurs du Semiretché. Le village de
Kara-Boulak (la frontière noire) est fort coquet, verdoyant; toutes ses
rues sont des avenues ; au centre du village, une église miniature,
toute blanche avec son petit dôme argenté, et dans le fond du tableau, •
une cime puissante dominant le massif de son imposante masse pyra-
midale.
Le village de Kaia-Boulak est un village cosaque de la stanitza de
Koksni8k,peuplé de 778 habitants (389 hommes, 386 femmes). Je trouve
pour son altitude 700 mètres ; nous remontons, après avoir descendu
de Kapal à Sari-Boulak.
' C'est à quatre heures du soir, que notre tarentass nous emporte loin
f de ce coquet et gracieux village. La route devient très pittoresque. Les
montagnes sont proches et on distingue très nettement le massif central
de la haute vallée du Koksou, le plus élevé de FAlataou dzoungare.
La plaine de Kai-a-Boulak est fertile, bien arrosée et on pourrait y faire
de riches cultures. Puis on monte, passant d'une colline gazonnée à
une avitre colline ; les plissements se sont resserrés, au lieu d'être étalés
comme avant; la montagne a une physionomie plus imposante, le
paysage y gagne en grandeur. Toujours pas d'arbres, mais des herbages
partout, en aucun point les rochers ne sont à nu. De distance en distance,
des troupeaux de moutons gardés par des bergers à cheval ; les moutons
s'écartent tumultueusement au passage de notre tarentass. Après avoir
franchi ainsi 23 kilomètres, on descend vers Djangis-Agatsch, hameau
cosaque de 117 habitants, enfoui dans un nid de verdure, non loin du
Koksou qui draine les eaux de montagnes élevées, Dijangis-Agatsch est
à 590 mètres d'altitude.
En quittant Djangis-Agatsch, on commence aussitôt à gravir aes
pentes assez accentuées entre des montagnes vertes aux formes plus
xxui (Septembre 98). N* 337. 34
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52« BEVUE FHANÇAISE
vigoureusement dessinées. Le paysage a maintenant un caractère
alpestre. Nous rencontrons souvent des caravanes qui marchent ensuis
inverse; aussi est-ce tout un travail pour passer; j'ai grand'peur de
verser, lorsqu'il nous faut monter sur les talus du cbemio pour ne pas
nous jeter dans quelque chariot. A côté des bœufs ou des chevaux,
marchent des conducteurs de toutes tes races, des Sartes, des Dounga-
nés, des Tarantchis, plus déguenillés, plus loqueteux les uns que les
autres; ils vont, traînant la jambe, mais tout de même satisfsdts de
leur vie errante.
L'Alataou s'éparpille, se digite comme une feuille de palmier el à
peine avons-nous fini de voir une de ses branches qu'une autre apparaît.
Celle-ci semble plus imposante que les autres, pas de cime altière, mais
une louMe et formidable masse, pesamment assise sur sa base lai^ge,
étalée. Après une montée suit une descente et^n voici une qui e8tpa^
ticulièrement vertigineuse ; on attache deux des roues avec des cordes
pour que la voiture ne soit pas entraînée et pour remplacer le frein
absent; j'avoue que je préfère descendre à pied. On arrive ainsi i
Tsaritsin, autre bourgade cosaque de 159 habitants; mon baromètre vû»
donne une cote de 1070 mètres ; elle est plutôt trop faible. La nuit csl
venue et de la station nous entendons le glouglou sonore d'un petit
torrent, chanson de la vraie montagne. Depuis le matin, nous avoDs
franchi une distance de 125 kilomètres, plus de 10 kilomètres à l'heure,
en comptant les arrêts.
Nous partons de Tsaritsin à 9 h. 30 du soir; nous suivons la route
directe qui franchit les monts Kotourkaï ; l'hiver on fait un détour par
Koksuisk, le chef -lieu de la stanitza (639 habitants) et par LougovoT.
l'autre village créé dans le district par les émigrants (362 habitants),
C'est la partie la plus élevée du trajet et la station de Kougalinsk (vil-
lage cosaque, 205 habitants) où nous sommes à minuit, se trouve à une
altitude de 1320 mètres. De Kougalinsk à Allyn-Imel (la selle d'or) où
nous arrivons au petit jour, on commence à descendre ; Altyn-Imel n'est
déjà plus qu'à 1190 mètres. Altyn-Imel n'est qu'une simple station
avec quelques misérables cahutes autour , au fond d'une gorge brûlée,aride,
d'où la vie végétale est presque absente. La 2one de la colonisatioû
dans le district de Kapal qui s'étend d'Arasansk à Kougalinsk est finie;
de nombreux villages, pourraient, il est vrai, être créés dans la haute
vallée du Koksou. et dans celle du Karata'h
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D OMSK A VIERNIY 523
A Altyn-Imel se détache la route qui conduit à Djarkent et de là, à
Kouldja, sur le territoire chinois. C^est par cette route que se sont
dirigés M. Gabriel Bonvalot et le prince Henri d'Orléans, lors de leur
beau voyage au Thibet. Nous laissons cette route à notre gauche et nous
descendons au sud vers Vierniy par un vaste plateau recouvert d'une
végétation à physionomie déjà steppienne. Puis, se succèdent une série
d'ondulations qu'il faut gravir et ensuite redescendre, ce sont les con-
treforts de la chaîne la plus méridionale de TAlataou dzoungare. Der-
rière les lignes neigeuses et massives des chaînes centrales ; devant tout
au sud-ouest, bien loin, un pic hardi qui surgit tout blanc en l'azur
du ciel.
Bientôt on s'enfonce dans des replis de terrain, le pic étincelant dis-
paraît, l'attirante vision s'évanouit. Comme compensation, toute une
série de tableaux de ^enre : des Kirghises qui labourent, de primitives
cbamies que traîne ici une paire de chevaux, plus loin un chameau,
excellente leçon de choses qui prouve que l'animal bossu est utilisable
pour le trait; puis c'est la station au nom harmonieux de Kouian-
Kouzskaïa, simple baraque sur les bords d*un petit ruisselet, avec
quelques iourtes comme cortège. Plus loin, une troupe de femmes
Kirghises à cheval, portant dans leurs- bras leurs petits garçons; les
gamins tout souriants ont comme coiffure une petite calotte fourrée que
surmonte majestueusement une plume de paon se balançant au gré du
pas du cheval.
On descend toujours; l'Alataou dzoungare s'enfonce dans le lointain,
les détails du relief s'unifient, et on a de nouveau l'aspect d'une bar-
rière rectiligne comme sur le versant nord. Par rapport à la steppe de
nii, l'extrémité occidentale de l'Alataou dzoungare ressemblerait aux
cinq doigts d'une large et forte main qui se seraient enfoncés pesamment
dans la glaise. La carte de région de l'Alataou a été en grande partie
levée par les topographes de Vétat-major russe. Les cotes d'altitudes
que j'ai vues sur les minutes de leurs travaux (non encore publiés; sont
peu nombi-euses ; mais Elisée Reclus, dans son admirable géographie
étant peu explicite sur ce premier pli des Thian-Shan, j'en reproduirai
quelques unes : f^psinsk, chef-lieu de district, au nord de l'Alataou,
915 m. 931 ; Topolne, sur la route de Lepsinsk à Abakansk, 834 m. 435;
le lac Djassil Koul, au sud de Lepsinsk, 1S6S m. 392.
A midi, nous arrivons à Kara-Tchikinskaïa; nous avons rencontré
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524 REVUE FRANÇAISE
une iourte qui déménageait ou que l'on déménageait, car le mot iourte
signifie à la fois le contenant et le contenu. Sur un premier cheval, la
mère et son petit garçon ; sur deux chameaux, les montants de la ioarte,
les feutres, la rudimentaire batterie de cuisine,les tapis qui représentent
avec quelques coffres ornés de lamelles de cuivre, le mobilier; enfin à
l'arrière-garde, le père sur le second cheval, portant tendrement un mou-
ton noir. C'est ainsi qu'en Asie centrale, on change, non de logement,
car la maison se promène avec vous, mais d'emplacement.
La chaleur est excessive... et la poussière non moins excessive.
A Tchingildinskaïa nous sortons de la région des collines par lesquelles
vient mourir au sud la dernière chaîne de l'Alataou dzoungare, pour
entrer dans la steppe sablonneuse de FUi, ancien golfe du lac Balkach.
lorsque, à une époque relativement récente ses eaux venaient jusqu'au
pied des Thian Shan ; à cette époque il recouvrait presque entièrement
les districts de Lepsinsk et de Djarkent. Toute la vallée de TUi est
bordée de dunes mourantes, de bourrelets de sable tin, où les cbevaox
enfoncent et où la marche est pénible. Le long du fleuve se pressent
des roseaux élevés et touffus, où les tigres, surtout dans la partie infé-
rieure, près du Balkach, trouvent des gîtes k leur convenance. On me
raconte à ce propos l'histoire d'un officier russe qui était allé chasser
les oiseaux marins près de l'embouchure de llli dans le lac Balkacb,
au cours d'une mission topographique. NotreNemrod s'avançait roreiUe
au guet parmi les roseaux, se frayant non sans peine un passage:
soudain, à quelques pas de lui, il voit onduler les roseaux et il entend
comme le bruit d'un legerfroissement.il s'arrête prêt à tirer, supposant
que quelque superbe volaille allait s'envoler ; les roseaux s'écartent et,
doucement, avec des allures caressantes de chat, un superbe tigre (ail
son apparition. L'histoire ne dit pas qui eut le plus peur du fauve ou
de l'homme; en tout cas la peur paralysa le bras du chasseur qui heu-
reusement pour lui ne tira pas et le tigre court encore.
Nous avons atteint l'Ili et nous suivons longtemps sa rive droite
avant d'atteindre le grand pont en bois d'Ililsk où nous le franchissctti.<î.
La végétation a un aspect tout particulier, elle diffère de celle des steppes
septentrionales du Balkach ; la modification est due sans doute à la
température plus élevée et au voisinage d'un puissant cours d'eau
comme rili.
A lliisk, rili est déjà fort large ; on le franchit sur un long pont en
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DOMSK A VIERNIY 5-25
bois, fort bien construit et qui est le plus remarquable de toute
la province. Je voulais en prendre une photographie, mais la poussière
que soulève sans cesse le vent a pénétré dans mon appareil et il m'est
impossible de le faire fonctionner ; c'est encore là un des agréments
d'un voyage en Asie centrale. Une longue caravane de chameaux s'est
engagée sur le pont, venant de la rive opposée, et ils ne manifestent au-
cune velléité de se déranger au passage de notre tareniass ce qui amène
un véritable encombrement. Enan, tant bien que mal, nous parvenons
à la station de poste. La petite ville d'Iiiisk est construite sur la rive
gauche de Flli, elle appartient au district de Vierniy et a pour origine
un poste de Cosaques ; sa population n'est encore, malgré sa situation
commerciale de premier ordre, que de 520 habitants ; il est vrai que les
environs semblent peu fertiles et qu'elle est, pour ainsi dire, construite
au milieu des dunes de sable. Après le terrible tremblement de terre
qui détruisit Vierniy, on songea à transporter la capitale du gouverne-
ment, sinon à Iliisk, du moins à quelques kilomètres de l'emplacement
actuel de cette ville ; on renonça, nous ignorons pour quelles raisons,
à cet intéressant projet. Le jour où une voie ferrée réunira le Semiret-
cbé au Turkestan pour se diriger ensuite soit vers la Dzoungarie chinoise,
soit vers la Sibérie occidentale, Iliisk deviendra Tune des principales
gares de cette ligne. D'après le nivellement de l'état-major, Iliisk se
trouve à une altitude de 444 mètres 420.
C'est à 7 heures du soir que nous quittons Iliisk. Comme nous som-
mes très fatigués lakovlef décide que nous n'irons pas jusc[u'à Vierniy
ce soir, mais que nous coucherons à la seconde station après Iliisk,
celle de Karasouikskaïa ; nous y arrivons à 11 heures 30 du soir. Depuis
Kapal, nous avons parcouru sans consacrer quelques heures au sommeil
354 kilomètres en 39 heures.
25 mai. — Ravissant lever de soleil. Les quelques maisons du petit
village de Karasuisk créé par desémigrants (112 habitants) sont comme
enfouies au milieu des arbres, et ces arbres sont noirs de corbeaux, vé-
ritable armée ailée qui a envahi leurs branches et salue de mille chants
hanùonieux (!) l'astre dieu. En tout autre pays, ou en tout autre temps,
maître corbeau serait considéré comme nn animai absolument msup-
portable, mais après ces steppes arides il est l'emblème de la reappa-
rition de la verdure et on lui fait un accueil joyeux. Puis, à travers les
éclaircies des arbres, on a la vision maintenant plus nelte d'une admi-
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i
l
f
526 REVUE FRANÇAISE
rable chaîne toute neigeuse qui barre Tborizon, comme rAlataou dzourt<
gare le barrait à Baskansk ; c'est au pied de TAlataou transilien que
la ville de Viemiy est construite ; en deux heures de galop nous y seroos
facilement rendus.
Le village de Karasouisk a été créé en 1871 ; il devrait avoir 73 co-
lons et il n'en a encore que 63 ; celui de Nikolawskoï, que nous avoDs
traversé hier en venant de Diisk est d'origine plus récente ; il remonte
à 1874 ; il pouvait contenir 49 colons et il en a 87 ; sa population totale,
en comptant les femmes et les enfants, s'élève à 158 habitants. Ce sont
les deux seuls villages situés entre Viemiy et l'Ili.
A 9 heures du matin, nous arrivons enfin à Vierniy ; c'est par une
superbe avenue de grands et beaux arbnjs, des peupliers, que l'on fait
son entrée dans la capitale du Semiretché.
Viemiy, la capitale de la province du Semiretché, est la création du
général Kolpakovsky, l'ancien gouverneur du pays des sept rivières,
puis du gouvernement général des steppes ; et on peut dire que le créa-
teur a eu pour sa création tout l'amour d'un père pour son en&nt. Sa
vie entière a été consacrée à l'embellissement de Vierniy et la ville est
considérée à juste titre comme l'une des plus belles de l'empire russe.
Dans son œuvre, l'éminent administrateur fut puissamment secondé
par un Français, venu en 1868 au Turkestan, M. Paul Gourdet, qui sut
être à la fois, aux côtés du gouverneur, un ingénieur, un architecte, un
professeur. La nouvelle cité s'embellit d'édifices somptueux, consbvits
entièrement en pierre ; de larges avenues bien aérées fur^t percées
dans tous les sens ; des essences arborescentes furent partout plantées
et Viemiy eut l'aspect d'un vaste parc anglais, où circuleraient en tous
sens des ruisselets d'eau vive, avec ce fond de tableau toujours impres-
sionnant, grandiose de l'Alataou transilien que Ton aperçoit de toutes
les avenues: quelque chose comme Bagnères-de-Luchon et les allées
d'Etigny transportés dans l'Asie centrale.
Malheureusement, on avait compté sans là nature et la nature ne
voulut sans doute pas permettre aux Russes cette infraction à leur règle
invariable des constructions en bois. Un terrible tremblement de terre
anéantit en un jour l'œuvre du général Kolpakovsky et de ses auxi-
liaires. L'enquête géologique prouva que la ville de Viemiy était étaUie
sur un terrain de glissement et qu'elle aurait toujours à redouter l'ac-
tion destructive des tremblements de terre fréquents dans une partie
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D'OMSK A VIERNIY 5â7
d66 Thian-shan. On songea à cette époque, puisqu'il fallait tout recons-
truire, à reconstruire ailleurs. Mais le général Kolpakovsky ne pouvait
abandonner cette région où il avait vu son œuvre dans tout son épa-
nouissement, dans la beauté de son aclièvement ; il n'eut pas le courage
de s'éloigner de ce soi auquel il avait donné le meilleur de sa vie de
vaillant soldat et d'habile organisateur, et c'est ainsi que Viemiy est
toujours Viemiy. Il y a bien des tremblements de terre, mais le mal
étant chronique, la population s'y est habituée, et l'année même lui
semblerait incomplète si elle n'était pas diversifiée par un petit trem*
blement de terre.
On a peu à peu reconstruit, d'abord seulement en bois, puis la pierre
est reparue timidement, malgré les objurgations des pessimistes et des
esprits chagrins, et aujourd'hui encore on peut admirer quelques beaux
édifices surgissant au beau milieu d'un fouillis de verdure qui charme
le regard. Une élégante chapelle commémoralive, qui est l'œuvre de M.
Gourdet, rappelle le tremblement de terre. Parmi les constructions les
plus remarquables, il faut citer aussi les écoles. Mais ce que Viemiy
possède surtout d'incomparable ce sont ses boulevards, ses environs
et ces majestueuses montagnes que l'on ne se lasse d'admirer.
La ville de Viemiy est peuplée de 28.197 habitants, dont 18.692
hommes et 12.505 femmes. Au point de vue des races on compte sur
cette population 24.243 Russes, 1.018 Kirghises, 1.234 Tarantchis,
1.065 Sartes du Turkestan msse, 242 Sartes deKachgar, 3 Dounganes,
300 Tatars, 18 Chinois, 74 personnes de nationalités diverses. Au
point de vue religieux, nous trouvons la répartition suivante : 19.419
chrétiens orthodoxes, 8.380 musulmans. 245 juifs, 61 raskolniks,
40 catholiques, 21 luthériens.
La garnison de la ville est importante; elle se compose de 2 géné-
raux, 120 oflaciers, 1.865 soldats. Elle est formée des divers états-
majors du gouvernement, du district, etc., du 4^ bataillon d'infanterie
de la Sibérie occidentale (24 ofiBciers, 424 soldats, 7 chevaux) ; du
2* bataillon d'infanterie de la Sibérie occidentale (22 officiers, 447 sol-
dats, 9 chevaux); d'une compagnie de sapeurs (4 officiers, 128 soldats)
et du 1*' régiment de cosaques du Semiretché (34 officiers, 625 soldats,
647 chevaux).
A l'époque de mon arrivée à Viemiy, la gamlson devait justement
quitter la ville pour se transporter au pied des montagnes, à 9 kilo-
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528 REVUE FRANÇAISE
mètres de Vierniy, au camp créé par le général Kolpakovsky et fort
améliroré par le gouverneur actuel, le général Ivanof, qui en a fait
son œuvre favorite. Ce départ est l'un des événements, annuels à
Vierniy; il attire toujours un grand nombre de curieux.
Le jour de notre arrivée nous nous étions installés avec le lieutenant
lakovlef à Tune des deux auberges de la ville; mais Iakovief devait
se rendre à cheval avec des amis à la cérémonie militaire, tauidis que
j'étais convenu d'y aller avec notre compatriote M. Gourdet, la proïi-
dence des voyageurs à Vierniy. Comme toutes les cérémonies militaires
en Russie, le départ des troupes est précédé d'un service religieux. Sur
Tune des jplus vastes places de la ville, les troupes scmt formées en
carré, d'un côté les cosaques, sur les trois autres côtés, les deux ba-
taillons d'infanterie et la compagnie de sapeurs. Au milieu une tente,
où sera célébré par Farchevéque Nikon, primat du Turkestan, le service
religieux; devant la tente, le général Ivanof, gouverneur du Semiretché,
entouré de son état-major et de tous les hauts fonctionnaires du gou-
vernement.
Le ciel est souverainement bleu, le soleil resplendissant, trop res-
plendissant même, car il faut rester tête nue, et si la cérémonie dure
longtemps, gare aux insolations. Les montagnes toutes blanches, avec
de sombres forêts de conifères un peu au-dessous de la ligue étin-
celante des cimes, puis, plus bas, le vert clair des pommiers sauvages,
forment un merveilleux fond à cet impressionnant tableau. L'arche-
vêque arrive, accompagné de son clergé ; aussitôt les soldats se dé-
couvrent, tenant leur casquette dans la main gauche, le fusil appuyé
dans le creux du bras gauche replié, la crosse contre la pointe du pied
droit, la main droite libre pour faire les nombreux signes de aroix qui
caractérisent les prières russes. L'office dure environ trente minutes.
Des qu'il est terminé, l'archevêque monte dans sa voituie et se relire.
Le général Ivanof passe successivement devant chaque corps de
troupes; les musiques des bataillons, puis celle des cosaques jouent:
les soldats présentent les armes. Puis, le général revient au centre du
carré et prononce une courte allocution; la musique des cosaques joue
l'hymne national, tandis que les soldats poussent sans discontinuer d€>
hurrahs assourdissants. Enfin, après la présentation des drapeaux, la
petite colonne se met en marche. Malgré le soleil, la chaleur, la poa^
sière, les bataillons avancent avec une grande rapidité: lorsque la
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:^^^W:;
D'OMSK A VIERNIY 529
musique cesse de jouer, des chanteurs placés en tête de chaque compa-
gnie entonnent une chanson militaire dont tous les soldats reprennent
en chœur le refrain. A 2 heures, on arrive au camp ; beaucoup de fonc-
tionnaires, de dames, de jeunes filles ont suivi à cheval la colonne, et
toutes ces toilettes claires donnent un cachet extraordinaire à la prai-
rie où les troupes s'arrêtent, le front face au camp. Le camp disparait
au milieu d'un véritable fouillis de verdure; ce ne sont partout que
grands arbres, vertes avenues, entre lesquels se cachent les tentes
toutes blanches. En venant de Vierniy on trouve d'abord le camp des
cosaques, puis les camps des bataillons et tout près de la montagne
le camp de la compagnie des sapeurs. A l'arrière, sont les tentes ou
les maisonnettes des officiers. Chaque tente ne repose pas directement
sur le sol, mais sur un petit talus de forme carré. Tout est tenu très
proprement; on a même sarclé les allées qui ressemblent aux allées
d'un vaste parc anglais. Lorsque les troupes ont regagné leurs quar-
tiers respectifs, je rentre à Vierniy dans la voiture du général Ivanof,
et, à i heures, soixante convives sont réunis au palais du gouverneur
où force toasts sont portés à la France tandis que la musique des
cosaques joue la Marseillaise.
En dehors de s<m chef-lieu, le district de Vierniy comprend deux
stanitzas cosaques, la stanitza d'Ahnatinskaïa avec 3 poseloks et la
stanitza de Sophiiskaïa avec un seul poselok; en tout six villages co-
saques, peuplés de 12.649 habitants. Six villages ont été créés dans le
district de Vierniy par les émigrants; ils comptent aujourd'hui
0.788 habitants.
Quant aux indigènes, les Kirghises sont répartis entre 19 volosts,
avec une population de 108.908 habitants, dont 62.251 hommes et
46,657 femmes; les Tarantchis, au nombre de 20.468 forment 13 vil-
lages. La population totale du district est de 176.226 habitants, dont
98.787 hommes et 77.469 femmes.
Trop courtes furent les heures charmantes que je passai à Vierniy
et je conserverai longtemps le souvenir du général Ivanof, de notre
compatriote Gourdet et de mes amis les officiers russes ; mais les mon-
tagnes — ces invincibles sirènes — étaient là qui m'appelaient et
bientôt je dus m'élôigner vers de nouvelles contrées, à la recherche de
nouveaux paysages et de nouvelles amitiés.
Georges Saint- Yves.
'I
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SOUDAN FRANÇAIS
MASSACRE DE LA MISSION CAZEMAJOU.
Il ne se passe pour ainsi dire pas d'année que le mystérieux conti-
nent africain ne réclame une victime parmi les vaillants fils de France,
qui se risquent audacieusement pour la patrie et pour la science dans
ses redoutables profondeurs.
Aujourd'hui c*est le capitaine Cazemajou qui, avec une faible escorte
et suivant les traces de Bii^r et de Monteil, vient de succomber entre
le Niger et le Tchad, dans la région du Sokoto. Un câblegramroe du
gouverneur intérimaire du Dahonney, M. Pascal, annonce que le capi-
taine Cazemajou, l'interprète Olive et 6 tirailleurs de son escorte, ont
été tués à Zinder le 6 mai. Les survivants de la mission sont arrivés à
Ilo, sur le Niger, rapportant avec eux les bagages de la mission.
Le capitaine Cazemajou dirigeait une mission qui avait été organisée
par les soins du Comité de l'Afrique française, à l'heureuse initiative
duquel ont doit une bonne part des succès de la France dans l'Afrique
occidentale. Le but de la mission était de reconnaître les pays traversés
par la.'^igne frontière Say-Barroua, de rechercher s'il existait dans TA-
dar des survivants de la mission Flatters, puis de visiter les régions
situées k l'ouest du lac Tchad, vers le haut Oubangui et enfin de rentrer
en France par le haut Nil et l'Abyssinie si les circonstances le per-
mettaient.
Le capitaine Cazemajou était parti pour le Soudan en octobre 1S96.
Avant d'entreprendre sa mission, dont le point de départ devait être
le moyen Niger, il fit partie de la colonne Caudrelier envoyée sur la
haute Volta pour contenir Samory et arrêter les tentatives d'expaosicm
des Anglais vers le nord de la Côte d'Or, Dans ce but il avait pris contact,
dans les premiers mois 1897, avec la colonne du lieutenant Chanoine,
opérant dans le même but en Gourounsi. Il revint ensuite à Sono, où le
matériel de sa mission, qui avait été fourni par le Comité de l'Afrique
française, lui fut amené par l'explorateur Félix Dubois, M. Olive, inter-
prète judiciaire à Mostaganem, et le sergent du génie Doutrelong. Le 11
août la mission quitte Sono et, après avoir traversé Ouahigouya le 32,
arrive au mois d'octobre à Say, sur le Niger. M. F. Dubois qui devait
visiter le Gourmaet l'hinterland du Dahomey, se sépare alors de la mis-
sion et le.sei^nt Doutrelong, malade, revient en France.
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SOUDAN FRANÇAIS 58i
Les détails font encore défaut sur les circonstances qui ont amené le
massacre de la mission ; mais nous trouvons dans le Bulletin du Comité
de r Afrique française, des lettres du capitaine Cazemajou qui font
connaître les préparatifs d'organisation de la mission et la marche de
celle-ci vers Ai^oungou, Sokoto, Konni, dernier point d'où on ait reçu
de ses nouvelles directes par lettres. Le capitaine rencontra de grandes
difficultés pour organiser la caravane dans la région de Say« En outre,
il se trouvait là dans un voisinage trop rapproché de notre étemel en-
nemi Ahmadou, Tex-sultan de Ségou, dont la surveillance même loin-
taine pouvait entraver ses projets. Il descendit donc le Niger jusqu'à
Carimama puis jusqu'à Do, où il se rencontra avec le capitaine Baud.
Le capitaine Cazemajou traversa le Niger dans les derniers jours de dé<
cembre 1897 et se dirigea sur Argoungou où il arriva à la fin de janvier
1898. Voici ses lettres qui contiennent d'intéressants détails sur sa mar-
che et sur les pays traversés. La première est de Say 29 octobre 1897 :
« Je n'ai pu trouver ici, dit le capitaine Cazemajou, tous les bœufs
porteurs nécessaires à la réorganisation de mon convoi et je vais à
Carimama, dans le Dahomey, où j'espère être plus heureux. C'est là
que je passerai le Niger pour me diriger sur Argoungou à travers le
Dendi. C'est donc le projet que M. le lieutenant de vaisseau Hourst
avait indiqué à M. le secrétaire général que je vais exécuter.
Si à Argoungou, où je compte sur un bon accueil, j'apprends que la
route de Gober est sûre, c'est par là que je passerai pour me rendre à
Zinder, sinon, je serai forcé d'aller à Sokoto, puis à Katséna.
Il me reste M. Olive pour me seconder. C'est un sujet absolument
remarquable. Olive étonne tous les musulmans; il connaît mieux qu'eux
le Coran et les rites de leur religion, et leur indique les fautes qu'ils
conmiettent souvent quand ils font la prière. Il avait une grande in-
fluence ici sur les marabouts et c'est à lui qu'on amenait les gens malades
et non au commandant du poste ni à moi. Olive, par son caractère très
bon, sa modestie et ses connaissances très variées est bien Taide que je
rêvais. »
Dans une autre lettre datée de Carimama, 28 décembre, M. Caze-
majou dit :
« J'ai l'honneur de vous rendre compte que j'ai dû me transporter a
Ilo pour trouver les bœufs porteurs qui me manquaient pour réorga-
niser mon convoi. A Theure actueOe, j'ai tous les animaux qui me sont
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532 REVUE FRANÇAISE
nécessaires ; je termine aujourd'hui le passage du Niger et la mission
se mettra demain en route pour Argoungou. où je suis presque sûr d'être
bien accueilli.
D'Ilo à Carimama, j'ai suivi en partie la route de la rive gauche; j*ai
passé dans quelques villages du Kabbi, j'y ai été fort bien reçu. Tenda,
village habité par des gens de famille dendi, n'est pas indépendant; il
se réclame du serky N'Kabbi. Le chef du village m'a montré le drapeau
que M. le lieutenant Hourst, lui avait donné, Tan dernier, lors de son
passage. Le village d'Âlbarcaïzé, situé sur la rive gauche et sur le bord
du Niger, en face Carimama, est habité par des gens du serky N'Kabbi.
Pendant mon séjour à Uo, il est arrivé une caravane commercial ha-
oussa, composée de 600 personnes environ qui venait essayer de renouer
des relations commerciales avec Do, interrompues par suite du peu de
sécurité que trouvaient autrefois les commerçants sur cette place. Elle
était commandée par le fils du chef d'Yéga (le plus grand marché du
Gando), qui est venu me voir deux fois, qui paraissait enchanté du bon
accueil qu'il avait reçu à Ho et qui me disait avoir fait sur le marché
d'excellentes opérations. De nos conversations, il résulte que j'ai quelques
chances de pénétrer dans le Sokoto.
Il est inutile, je crois, que j'essaye de pénétrer pacifiquement dans
l'Adar sans avoir vu le sultan de Sokoto, car TAdar, quoique indé-
pendant du Sokoto, marche toujours volontiers contre les ennemis que
lui désigne le Lam Dioulbé, et passer à Argoungou en évitant Sokoto
serait se déclarer ouvertement l'ennemi du Sokoto. Il est donc probable
que j'essayerai d'aller à Sokoto; mais c'est à Argoungou que >je déciderai
définitivement, et en meilleure connaissance de cause quel sera mon iti-
néraire ultérieur. J'espère pouvoir vous envoyer un courrier d' Argoun-
gou vers la fin janvier 1898.
M. Olive, qui était resté à Carimama pendant que j'étais à Ilo, a pu
s'employer utilement dans ce poste pendant mon absence. Il est en par-
faite santé, et je me porte aussi très bien. Nous nous remettons en route
dans de très bonnes conditions...»
Le 26 janvier 1898, le capitaine Cazemajou, écrivait d' Argoungou :
« J'ai l'honneur de vous rendre compte que la mission a quitté Cari-
mama, le 29 décembre dernier, et est arrivée à Argoungou le 15 du
mois courant. Le roi du Kabbi avait donné partout des ordres pour
qu'on nous accueille bien et pour qu on facilite notre voyage. .Aussi,
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SOUDAN FRANÇAIS 533
c^est saiis la moindre difficulté que nous sommes arrivés à Argoungou.
Ici nous avons été fort bien reçus et quand j'ai parlé d'un traité au serky
?î*Kabbi, c'est avec empressement qu'il l'a accepté. J'adresse par ce
courrier au ministre des colonies une des expéditions de ce traité;
j'y ai joint mi croquis pour l'intelligence du texte.
Les habitants du Djerma et du Maouri font un peu de conunerce avec
l'ouest (sel du dalhol Fogha, natron du dalhol Bono, bœufs, moutons);
mais ceux du Kabbi proprement dit vivent surtout de rapines. Cette
population et celle d'Argoungou en particulier est guerrière ; mais je
ne crois pas qu'avant longtemps, il y aura lieu d'agir ici par la force :
tout le monde craint les Français et demande à être leur ami.
I^ mission quittera demain Argoungou et se dirigera sur Sokoto en
suivant la rive gauche du fleuve d'Argoungou. Je ne suis pas encore
sûr du bon accueil du chef de Sokoto; mais je ne crois pas qu'il m'em-
pêche de j)énélrer sur son territoire. Je serai probablement à Sokoto le
1*^ février et en partirai du 6 au 10 en prenant soit la route du Gober,
soit la route du Katséna. Tout dépendra des événements. L'Adar est
en excellents termes avec Sokoto et en mauvais termes avec Argoungou
et le Gober. Je suis donc absolument forcé de passer par Sokoto. Le
roi d'Argoungou m'a donné une lettre pour le roi de Gober; ce papier
que j'ai lu me permettra, peut-être de pénétrer dans cette région dont
on dit l'accès difficile. Tout le persoiuiel de la mission est en bonne
santé et le matériel en bon état. J'espère pouvoir vous envoyer de nos
nouvelles de Sokoto ».
Aucune lettre du capitaine Cazemajou n'est arrivée de Sokoto et cela
ne surprend pas. Mais son passage dans cette ville a été connu par les
débats qui ont eu lieu à la Chambre des communes. La 0^ du Niger
avait fini par apprendre le passage de la mission dont l'organisation, le
départ et la marche avaient été tenus secrets pendant très longtemps.
Gomme on pouvait s'y attendre, la C'^ du Niger donna à cet événement
des proportions extraordinaires et ne parla rien moins que de la con-
quête du Sokoto par les Français, malgré les traités. Un càblegramme
envoyé d'Akassa (aux bouches du Niger) le 20 février 1898, annonçait
la marche de deux expéditions françaises vers Sokoto et la présence de
6 officiers français et de 200 hommes à Argoungou ! Selon son habitude
d'exagération, la G'** du Niger avait mis un zéro de trop et doublé la
modeste mission Camezajou qui ne contenait qu'une vingtaine de fusils
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«34 REVUE FRANÇAISE
A la Chambre des Communes, M. Chamb^rlaia» ministre des colonies,
se fit Técho de ces bruits, et ce ne fut qu'après plusieurs démarches de
Tambassadeur d'Angleterre au quai d'Orsay et les assurances formelles
de M. Hanotaux que l'opinion se calma de l'autre côté de la Manche.
Pendant cette agitation des coloniaux britanniques la mission Gaze-
majou se mettait en marche sur Zinder. La dernière lettre du capHûoe
est datée de Konni, au N.-E. de Sokoto, 5 mars 1898. En voici les pas-
sages les plus importants :
« J'ai l'honneur de vous rendre compte que la mission quittera Konni
demain et se dirigera sur le Goulbi N'Sokoto, qu'elle suivra jusqu'à Sa-
bobimi.
Marafa, le chef d'une partie du tenitoire de l'Adar, aobteim du Lam-
Dioulbé que je puisse prendre si je le désire, la route de Katséna ; c'est
celle-là que je suivrai si je vois que je n'ai aucune chance de pouvoir
traverser le Gober...
Dernièrement j'ai reçu, en communication du chef du village de Konni
une lettre d'un chef d'une des fractions importantes des Kel-Gress disant
qu'il ne me recevrait pas dans son pays. D'autre part, j'ai appris qu'un
envoyé du cheik Senoussi de Koufra parcourt le pays des Touar^ du
Sud. Il est actuellement à Guédambadou, village situé à 70 kilomètres
au nord-est de Konni. Marafa, chef d'une partie de l'Adar m'a confirmé
ce renseignement et m'a annoncé que cet envoyé poussait les Touareg
à m'attaquer. Je suis en relations avec El Hadj Bello, un marabout des
Touareg Aouloumaden; El Hadj Bello est allé à la rencontre de cet
envoyé. Par lui j'espère avoir des renseignements sur les projets des
Touareg. D'ailleurs Marafa, qui est toujours bien renseigné m'infor-
mera de ce qu'il apprendra.
Tout le personnel de la mission est en bonne santé et le matériel en
bon état. Je vous écrirai de Sinder si je puis.
J'adresse aujourd'hui à M. le ministre des colonies un rapport relatif
à la question des survivants de la mission Flatters et un croquis de la
région de l'Adar. Les conclusions du rapport sont les suivantes : 1° D
n'y a jamais eu de survivants de la mission Flatters ni à Thaoua ni
dans aucun autre point de l'Adar; 2^ Djebari n'est jamais venu dans
l'Adar ».
Les circonstances dans lesquelles nos compatriotes ont trouvé la
mort seront connues à l'arrivée des survivants de la mission. On saura
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SOUDAN FRANÇAIS 535
alors sî c'est à un guet-apens des indigènes ou aux Touareg qu'il faut
attribuer le massacre. La région qui s'étend au nord de Sokoto et de
Kano est fort peu sûre et, en s'engageant de ce côté, la mission devait
se savoir fort exposée. On voit par suite quelles diflBcultés rencontrera
l'établissement de la ligne frontière que les Anglais ont bien voulu
nous laisser sur les coniSns méridionaux du Sahara.
Le capitaine du génie Casemajou était né à Marseille le 10 décembre
1894. Sorti de l'École polytechnique, il fit campagne au Tonkin avec le
général Boi^nis-Desbordes. Capitaine en 1889, il fut envoyé dans le sud
de la Tunisie et accomplit alors avec le lieutenant de spahis Dumas
une reconnaissance hardie sur Ghadamès. Décoré en 1894 et rentré en
France, il avait été, sur sa demande, envoyé au Soudan en 1896*
Nous rappelons ici le raid audacieux poussé par le capitaine Cazema-
jou sur Ghadamès.
L'EXPLORATION CAZEMAJOU A GHADAMÈS '
La pénétration au Sahara a toujours préoccupé les oflBciers placés
aux postes-frontières du sud algérien et tunisien. Le capitaine du génie
Cazemajou n'échappa pas à cette préoccupation. Accompagné du lieu-
tenant au 4® spahis A. Dumas il exécuta en 1893, avec ses propres
ressources, un raid du sud de la Tunisie sur Ghadamès par Nefta et
une route non suivie jusqu'ici, à travers l'Erg oriental.
Ghadamès avait été visité par la mission Mircher en 1862, par
M. Cometz en 1891 (venant de Douirat), par M. Kaddour en 1892
(venant de Douz).
Le 3 mars 1893, MM. Cazemajou et A. Dumas arrivaient à Nefta, où
ils organisèrent leur caravane composée de 3 chameliers- guides de la
tribu des Rebaya, d'un interprète et de 3 chameaux ; ils emportaient
des provisions de bouche. Le départ eut lieu le 6 mars de Nefta. Après
la traversée du Chott-el-Djerid, la caravane atteignit Bir-er-Ressof-
cherf (lî mars), à 23 kilomètres à l'est du nouveau poste français de
Bir-Berresof.
Pendant que les chameliers se procuraient 3 nouveaux chameaux
pour compléter la caravane, nos oflBciers firent une reconnaissance
jusqu'à ce poste ou bordj (Bir-er-Ressof-Jeraou), où ils rencontrèrent
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'536 REVUE FRANÇAISE
le lieutenant Sureau, du bureau arabe d'El-Oued. Le 13 niars« ils ren-
traient à Bir-er-Ressof-cherf. Le lendemain 14, accompagnés de
6 chameaux, ils se remirent en route, emportant 700 litres d*eau.
Le 20, ils rencontrèrent une caravane qui avait eu connaissance des
récentes tentatives de pénétration de MM. Gaston Méry et Femand
Foureau. Ils durent ensuite abandonner, pour s'alléger, une grande
partie de leurs provisions sur la route (1) et le 22 traversèrent des
dunes de 90 mètres de hauteur. Le même jour, la mission entrait dans
la Sebkah-el-Melah et arrivait à la Zaouya de Sidi-Maabet, dont les
notables déclarèrent que, malgré leur désir, ils ne pou valait laisser
pénétrer les Européens sans Tautorisation du caïmacan ou fonction-
naire turc de Ghadamès. Les ofliciers écrivirent donc immédiatement
au caïnuuxin.
Ce fonctionnaire envoya un membre de la Djemaa (conseil de la
ville) prévenir les officiers que, n'ayant pas de firman du sultan, ils
devaient quitter le territoire de la Tripolitaine au lever du jour et
qu'au cas contraire on les conduirait sous escorte à Tripoli. Ghadamès
n'était qu'à 2 kilomètres du lieu où s'étaient arrêtés les explorateurs ;
mais ces derniers, par crainte d'être arrêtés, partirent sur le champ.
Le 24 mars, ils retrouvaient les bagages qu'ils avaient laissés à l'aller,
et, sans rencontrer aucune bande de Touareg, car cette route leur est
inconnue, ils passèrent le l^"* avril au Djebbanet-Moghoth (cimetière du
Rebaya), atteignirent le Bir-Sfara et rentrèrent le 3 à Nefla. Le
4 avril, ils étaient à Gafsa.
MM. Gazemajou et A. Dumas avaient ainsi parcouru la distance entre
Sidi-Maabet et Nefta en 11 jours, ayant marché pendant près de
123 heures. A l'aller, ils n'avaient marché que 120 heures 1/2, mais
leur trajet avait duré 17 jours. La longueur de cette route, mesurée
suivant les pentes, est de 560 kilomètres.
G. Vasco.
[i) Ils les retrouvèrent intactes au retour, comme cela leur était déjà arrivé prét*ê-
demment. H. Duveyrier, Bonnemain, Bou-Derba avaient déjà constaté cette honnêteté
saharienne.
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GUERRE HISPANO-AMERICAINE
OPÉRATIONS A PUBRTO-HICO ET A CUBA.
(1)
La prise de possession de Santiago-de-Cuba par les Américains était
à peine accomplie, que le général Miles, commandant en chef des
troupes de TUnion, quittait Cuba avec 3.500 hommes, six batteries,
hait transports et une partie de la flotte, pour commencer les opérations
contre Puerto-Rico. En même temps, d'autres corps de troupes partaient
de Tampa et de divers ports du littoral aifin de porter d*abord à
10.000 hommes, puis à 20.000 les forces du corps expéditionnaire. Au
lieu d'attaquer directement San-Juan, capitale de Tile, dont les défenses
avaient été augmentées depuis le bombardement effectué par Tamiral
Sampson, et où se trouvaient groupées les principales forces du général
Macias, capitaine général de l'île, le général Miles préféra débarquer
tranquillement ses troupes à Guanica (25 juillet), à l'autre extrémité de
rîle. L'attaque directe de la capitale et sa chute auraient amené la
soumission presque complète de l'île, car les Américains n'ignoraient
pas que les Espagnols étaient encore moins aptes à la résistance qu'à
Santiago. Le général Macias ne disposait, paraît-il, que de 10.000 hom-
mes de troupes régulières et de quelques milliers de volontaires qui
n'avaient jamais tiré un coup de feu. Comment défendre avec ces faibles
forces une île d'une superficie de 9.300 kilomètres carrés, c'est-à-dire
plus grande que la Corse, et peuplée d'une façon très dense par
800.000 habitants ? On ne s'explique pas comment l'Espagne, depuis la
déclaration de guerre, n'a pas su envoyer dans l'île troupes et moyens
de défense, le blocus de San-Juan n'ayant été sérieusement établi
que tardivement et les autres points de l'île étant d'un accès libre, sinon
facile, pour de grands navires. Fatalement donc, Puerto-Rico, où il
n'existait cependant pas d'insurgés et où la défense eût été facile à
organiser, devait tomber aux mains des Américains.
Le 23 juillet, le général Miles débarquait à Guanica, au S.-O. de
l'île, à 120 kilomètres de San-Juan par l'intérieur. Les Esp^nols sur-
pris, et qui, d'ailleurs, n'étaient pas en forces, n'opposèrent qu'une légère
résistance et se retirèrent ayant eu seulement quatre blessés. Profitant
de la négligence des autorités espagnoles qui lui laissaient le champ
(J) Voir Revue Française, t. XXIU, p. 363, 429, 485.
xxni (Septembre 98). N« 237. 35
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538 REVUE FRANÇAISE
libre, le général Miles marcha sur Ponce, ville importante du sud de
l'île, qu'il occupa sans résistance, les Espagnols l'ayant évacuée à son
approche. Mais avant de s'avancer dans l'intérieur de Tile, le géoéral
Miles s'occupa de réunir autour de lui les forces qui arrivaient des États-
Unis. 10.000 hommes ayant été ainsi concentrés, Tavant-garde améri-
caine marcha en avant. Les Espagnols abandonnant le littoral sud de
Tile s'étaient retirés à Aibonito, bonne position stratéjiique qui couTre
la route de San-Juan. Pour attacjuer cette position de deux côtés difié-
rents, le général Miles fit débarquer à Arroyo, la division du général
Brooke, qui s'empara de Guayamo (5 août), après une faible résislauce
de lagarnison. Le 9, un engagement eut lieu à Coamo qui fut pris par
les Américains avec une perte de 7 blessés. L'attaque d'Aibonito
n'avait pas encore eu lieu lorsque survint la conclusion des prélimi-
naires de paix. Un engagement eut lieu à Cabezas de San-Juan, où les
Américains avaient occupé le phare que les Espagnols essayèrent de
reprendre. Le dernier combat s'est livré à Mayaguez où les Américains
ont eu 1 tué et IS blessés.
. Comme on le voit, la campagne de Puerto-Rico n'a donné lieu qu'à
des escarmouches. Mais en présence du désarroi des Espagnols, de
l'accueil souvent sympathique des habitants, le succès des Américains
n était pas douteux. A la date du 22 août, il y avait parmi leurs troupes
près de 1.000 cas de malaria, dysenterie, fièvre typhoïde. Le chiffre est
significatif.
A Cuba, il n'y a pas eu d'opérations, depuis la reddition de Santiago.
Cependant le 12 août, les Américains ont de nouveau bombardé par
mer Manzanillo, que les insurgés attaquaient par terre. Sommée de se
rendre après six heures de canonnade, la place a refusé.
L'état sanitaire de l'armée américaine (jui occupe tranquillement
Santiago de Cuba est fort peu satisfaisant. Le nombre des malade>
qui était de L500 au 22 juillet, avait atteint 4.279, le 28, et était
encore de 3.25S au 10 août, malgré des rapatriements et le départ
d'une partie des troupes pour Puerto-Rico, Quel chiffre effrayant n'eût
pas atteint l'armée du général Shafter, si le siège avait contiDué ! D'un
relevé officiel, il résulte que du débarquement à la capitulation, les
Américains ont eu 240 tués, dont 21 officiers, \ .384 blessés dont 98 offi-
ciers, 84 disparus, soit 1.914.
Les relations entre Américains et insurgés cubains sont très tendues.
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GUERRE HISPANO-AMÉRICAINE 539
le général Shafter n'ayant pas voulu remettre l'administration de San-
tiago aux insurgés, ni même autoriser leur entrée en troupe armée
dans la ville. Le chef Calixto Garcia s'est retiré dans Tintérieur. Les
insurgés qui n'ont prêté aux Américains qu'un concours peu efficace et
que ceux-ci traitent avec mépris, ne sont sans doute qu'au début des
surprises qui les attendent.
Les Américains qui avaient déjà capturé et retenu le paquebot fran-
çais Lafayette au début des hostilités, ont encore saisi les paquebots
Olinde-Rodrigues et Manoubia qui passaient près de Puerto-Rico, hors
de la ligne de blocus. Ces procédés vexatoires ne laissent pas que de
surprendre et on est étonné en France de la mollesse du Gouvernement
à en demander réparation.
PHILIPPINES. CAPITULATION DE MANILLE
Depuis le combat naval de Cavité aucun engagement n'avait eu lieu
aux Philippines entre Espagnols et Américains. Ceux-ci, qui recevaient
peu à peu leurs troupes de terre, s'avançaient cependant graduellement
sur Manille, que les insurgés bloquaient toujours étroitement. Afm de
d^ager les abords de la place, les Espagnols résolurent d'attaquer les
troupes du général Greene qui établissaient des batteries près de Malate.
Dans la nuit du 31 juillet au l*"^ août, 3 000 Espagnols profitant d'un
orage violent et d'un pluie torrentielle qui cachaient leur marche, as-
saillirent l'aile droite des Américains. Ces derniers surpris, reculèrent
d'abord, ne se rendant pas compte de la situation au milieu de la nuil
noire, et les Espagnols s'emparèrent des premiers retranchements enne-
mis. Mais le général Greene ayant reçu des renfoils et ayant rétabli le
combat, les Espagnols se replièrent sur Manille. Les pertes des Américains
ont été de H tués et 46 blessés. Les Espagnols, dont les pertes sont in-
connues, ont pu emporter leurs morts. Commencé à 11 h. i/i du soir le
combat était terminé à 3 h. du matio. Les insurgés, dont les rapports
avec les Américains sont très tendus, n'ont pas bougé de leurs retran-
chements. Dans la nuit du 1^' au 2 août les Espagnols ont fait une
nouvelle sortie ; mais les Améri(5aiiis, qui avaient renforcé leurs lignes,
se tenaient cette fois sur leurs gardes.
La 4^ expédition américaine, composée de o navires est arrivée dans
la baie de Manille le 4 août, ainsi que le monitor Monterey. L'amiral
Dewey et le général Merritt ayant ainsi réuni leurs forces devant Manille
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540 REVUE FRANÇAISE
résolurentd'attaquerlaplace.Le i3 août,rainiral Dewey,somma legéûéral
Augustin de capituler dans le délai d'une heure, et sur son refus, ouvrit
le feu avec son escadre à 9 h. du matin. Les batteries de la côte, n'ayant
pas répondu, Tamiral fit cesser le feu au bout d'une heure, le tir ayant
surtout porté sur les ouvrages défensifs du littoral. Pendant ce temps les
troupes de terre attaquaient les lignes espagnoles. Celles-ci s'étendaient
jusqu'à une distance variant entre 4 et 7 kilomètres du corps de la
place. Mais le nombre des défenseurs (environ S.OOO) étant insuffisant,
les Espagnols se replièrent sur le corps de la place q)rès une courte
défense, qui ne fut énergique que sur la droite des Américains. Ceax-
ci eurent 46 tués et iOO blessés. A 1 h. 30 le drapeau blanc ^ait arboré
et le général Jaudenez, commandant la place, capitulait. Le générai
Augustin, capitaine général, remplacé le S août, était parti sur le
navire de guerre allemand Kaiserin Augmta pour Hong-Kong, où il
arrivait le 18.
Voici le texte de la capitulation :
Les soussignés, ifiommés commissaires pour le règlement des détails de la
capitulation de la ville et des ouvrages de d^ense de Manille et de ses &a-
bourgs, ainsi que des forces espagnoles y statioqnées, conformément à un
accord survenu la veille entre le major général Wesley Merritt, commandant
en chef des forces des Etats-Unis aux Philippines, et S. Exe. Don Fermin Jaa-
denès, faisant fonctions de général en chef de l'armée espagnole aux Philip-
pines^ ont convenu ce qui suit :
1^ Les troupes espagnoles, tant européennes qu*indigènes, capitulent ainsi
que la ville et les ouvrages de défense avec tous les honneurs de la guerre.
Elles déposeront leurs armes aux endroits qui seront désignés par les au-
torités des Etats-Unis.
Elles resteront dans les quartiers qui leur seront affectés sous la garde de
leurs officiers, et seront soumises au contrôle des susdites autorité des Etats-
Unis jusqu'à la conclusion d'un traité de paix entre les deux nations bel-
ligérantes. Toutes les personnes non comprises dans la capitulation restent en
liberté.
Les officiers resteront dans leurs domiciles respectifs, et seront respectés
aussi longtemps qu'ils observeront les règlements qui les régissent et les lois
en vigueur.
2® Les officiers conserveront leurs armes blanches, leurs chevaux et les
objets leur appartenant en propre.
Les chevaux et objets appartenant en commun, de quelque autre nature
qu'ils soient, seront remis à des officiers d'état-major désignés par ks
Etats-Unis.
Z° Un état d'effectifs complets des hommes par corps on services et une liste
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GUERRE HISPANO-AMÉRICAINE 541
complète du matériel et des approvisionnements seront remis en double ex-
pédition aux Etats-Unis dans un délai de dix jours à compter du présent jour.
4^ Toutes les questions relatives au rapatriement des officiers et des soldats
des forces espagnoles et de leurs familles ainsi qu*aux dépenses que ledit ra-
patriement peut occasionner seront déférées au gouvernement des Etats-Unis,
à Washington.
Les familles espagnoles pourront quitter Manille à tous les moments qu'il
leur conviendra* >
lA remise des armes rendues par les forces espagnoles aura lieu quand ces
forces évacueront la ville, ou quand Tannée américaine y entrera.
5° Les officiers et soldats compris dans la capitulation seront pourvus par
les Etats-Unis, conformément à leur rang, des vivres nécessaires, attendu
qu'ils seront prisonniers de guerre jusqu'à la conclusion d'un traité de paix
entre les Etats-Unis et l'Espagne.
Tous les fonds qui se trouvent à la Trésorerie espagnole et dans toutes les
autres caisses publiques seront versés aux autorités des Etats-Unis.
6^ La ville de Manille, ses habitants, ses églises, ses édifices religieux, ses
établissements d'éducation et ses propriétés privées de toute nature seront
placés sous la sauvegarde de la foi et de l'honneur de l'armée américaine.
Suivent les signatures des 7 commissaires, 4 américains et 3 espagnols.
La capitulation de Manille, à rencontre de celle de Santiago, n'affecte
que la ville même. Bien que survenue le lendemain de la signature
des préliminaires de paix, elle garde toute sa valeur sous le rapport des
conséquences aux yeux des Américains, le général Merritt ayant ignoré
la cessation des hostilités. Les Américains devaient du reste occuper
Manille, d'après les préliminaires de paix ; mais ils y entrent en vain-
queurs et cette occupation ne sera sans doute pas sans conséquence sur
le sort de File de Luçon dont les Américains demandent Tanhexion.
Si Manille avait pu tenir jusqu'à la connaissance des préliminaires de
paix, c'est-à-dire 48 heures de plus, — et cela serait certainement
arrivé si l'escadre Camara, bien inutilement rappelée, avait poursuivi
sa route sur les Philippines — la situation de l'Espagne serait bien
meilleure pour la discussion de sa domination dans l'archipel.
Manille commençait à souffrir de la famine ; la provision de riz tou-
chait à sa fin. On brûlait les portes et les châssis des fenêtres faute de
combustible. Les pluies, la famine, la mauvaise qualité des eaux
avaient produit une épidémie qui fit de nombreuses victimes.
Comme à Santiago, les insurgés n'ont pas été autorisés à entrer en
armes dans la ville. Les Américains les tiennent à l'écart ; aussi Agui-
naldo et les siens ne cachent-ils pas leur mécontentement. Sans tenir
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548 REVUE FRANÇAISE
compte de l'armistice ils vont attaquer les îles Yisayas et Oo-Do, où
commaDde le général Rios.
Préliminaires de paix.
Vaincue sur terre et sur mer, ayant conscience de rimpuissance de
sa marine, du manque de direction de ses forces de terre, de son isole-
ment en présence des États-Unis ainsi que de son propre abandon,
TEspagne s'est décidée à demander la paix. Maintenant que Ton com-
mence à connaître la situation réelle du pays, on se demande comment
le cabinet Sagasta a pu attendre si longtemps avant de foire cette
démarche suprême. Partout où il a fallu se battre les Espagnols ont été
héroïques, mais partout les ordres supérieurs, la faiblesse du comman-
dement, ou rimpuissance matérielle ont paralysé les belles vertus du
peuple espagnol : courage, dévouement, abnégation. Combiea de
soldats et d'officiers laissent leurs os sous le ciel de feu des tropiques?
n serait difficile de le dire ; mais ce qui est profondément triste, c'est
que ces sacrifices ont été trop souvent sans utilité pour la patrie.
Les négociations entamées à Washington le 36 juillet par l'intermé-
diaire de M. Jules Cambon, ambassadeur de France, chargé par l'Es-
pagne des pouvoirs nécessaires^ ont abouti, le 12 août, à la signature
des préliminaires de paix dont voici le texte :
S. Exe. M. Cambon, ambassadeur extraordinaire et ministre plénipoten-
tiaire de la République française à Washington, et M. William Day, secn*
taire d*Etat aux Etats- Unis, ayant reçu respectivement à cet effet pleins pou-
voirs du gouvernement espagnol et du gouvernement des Etats-Unis, ont
établi et signé les articles suivants, qui précisent les termes sur lesquels les
deux gouvernements se sont mis d'accord relativement aux questions ci-des-
sous énumérées et qui ont pour objet l'établissement de la paix entre le^
deux pays, à savoir :
Art. 1^. L'Espagne renoncera à toute prétention à sa souveraineté et à tous
ses droits sur Tile de Cuba.
Art. 2. L'Espagne cédera aux Etats-Unis l'Ile de Porto-Rico et les autres
îles qui se trouvent actuellement sous la souveraineté de l'Espagne aux An-
tilles, ainsi qu'une île dans l'archipel des Ladrones, au choix des Etats-Unis.
Art. 3. Les Etats-Unis occuperont et conserveront la ville, la baie et le port
de Manille en attendant la conclusion d'un traité de paix qui devra déter-
miner le contrôle et le genre de gouvernement des Philippines.
Art. 4. L'Espagne évacuera inmiédiatement Cuba, Porto-Rico et les auUts
Mes qui se trouvent actuellement sous la souveraineté de l'Espagne aux An-
tilles. A cet effet, chacun des deux gouvernements choisira des commissaires
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GUERRE HISPANO-AMÉRICAINE 543
dans les dix jours qui suivront la signature de ce protocole, et les commis-
saires ainsi choisis devront, dans les trente jours qui suivront la signature
du protocole, se réunir à la Havane, dans le but de convenir et d'arriver à
Texécution des détails de Tévacuation, ci-dessus mentionnée, de Cuba et des
îles espagnoles adjacentes, et chacun des deux gouvememeqts nommera
également, dans les dix jours qui suivront celui delà signature du protocole,
d'autres commissaires qui devront, dans les trente jours qui suivront la si-
gnature de ce protocole, se réunir à San-Juan de Porto-Rico, pour s'entendre
sur les détails de l'évacuation de Porto-Rico et des autres îles qui se trouvent
actuellement sous la souveraineté de TEspagne aux Antilles.
Art. 5. L'Espagne et les Etats-Unis nommeront pour traiter delà paix, cinq
commissaires au plus pour chaque pays. Les commissaires ainsi nommés de- -
vront se réunir à Paris, le i" octobre 1898 au plus tard, et procéder à la né-
gociation et à la conclusion d'un traité de paix. Ce traité devra être ratifié
conformément aux lois constitutionnelles des deux pays.
Art. 6. Une fois terminé et signé ce protocole, les hostilités devront être
suspendues et, à cet effet, dans les deux pays des ordres devront être donnés
par chaque gouvernement aux chefs de leurs forces de terre et de mer aussi
rapidement que possible.
Fait double à Washington, en français et en anglais, par les soussignés
qui apposent, au bas de l'acte leur signature et leur sceau.
Le 12 août 1898.
D faut avant tout faire remarquer que c'est la France, puissance
amie des deux belligérants qui a été choisie comme négociatrice. C'est
là un hommage rendu à notre influence.
Ainsi qu'il résulte des termes du protocole, l'Espagne perd tout ce
qui lui restait de ses colonies d'Amérique et une des îles Ladrones, en
Océanie. Le sort des Philippines sera réglé par les négociations qui
vont s'ouvrir. On prête aux États-Unis l'intention d'exiger la cession
non seulement de Manille mais de toute Tîle de Luçon, ce qui porterait
on coup sérieux à la domination espagnole dans l'archipel. Les Améri-
cains laissent entrevoir une soif de conquêtes qu'on ne leur soupçon-
nait pas et nul, en Europe, n'ose risquer envers le nouvel astre naissant
au point de vue colonial, la moindre observation — qui sérail d'ail-
'eurs fort mal accueillie.
Partis pour la délivrance de Cuba, dans un but purement humani-
taire, les États-Unis dépouillent l'Espagne de§ 3/4 de son empire
colonial. A part les sacrifices en hommes et en aident, on se demande
ce que l'Espagne aurait pu perdre davantage, si elle avait lutté jusqu'à
ce que les colonies qu'elle cède eussent été conquises, Cuba notamment.
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544 KEVUE FRANÇAISE
Jusqu'à ce jour il fallait conquérir un pays pour pouvoir le posséder;
souvent même le vainqueur restituait au vaincu une large part de ce
qu'il avait pris. De l'autre côté de l'Atlantique les règles sont reover-
sées^ car les États-Unis demandent non seulement ce qu'ils ont pris,
mais surtout ce qu'ils auraient pu conquérir. Les Américains peavent
être un peuple supérieur à bien des points de vue, mais ils ne sont pas
accessibles aux sentiments qui font la grandeur d'âme et la générosité
envers le vaincu. Leur politique est avant tout celle des affaires ; elle
se résume toute en ce mot : Business.
C. DE Lasalle.
SIAM
L'EXPLOITATION DU BOIS DE TEAK
Les forêts de bois de teak se rencontrent surtout dan» le nord du Siam,
notamment aux environs de Nan, de Chieng-Maï, de Lampoon et sur la
rive droite du Meï-Ping.
Dès 1860, la Bornéo Company avait des agents dans ces régions, mais
c'est seulement depuis iO ans que le commerce du bois de teak a pris
une grande importance, qui date de l'époque de la création d'un vice-
consulat d'Angleterre à Chieng-Maï.
Presque tous les locataires des forêts de ce bois sont Birmans en
apparence, Anglais en réalité. Le locataire birman a, en effet, fort peu
de ressources, et lorsqu'il a obtenu la concession d'une forêt, il est obligé,
pour l'exploiter, d'emprunter des capitaux aux maisons anglaises de
Bangkok. Ces capitaux lui sont fournis à gros intérêts, à condition en
outre que le bois de teak soi 1 1 i vré sur telle rivière et à un prix fixé d'avance.
La moitié du capital emprunté est consacrée à l'achat des éléphants.
Cela n'est pas surprenant, car un éléphant ordinaire coûte 1.000 roupies
et un éléphant de choix 3.000. Or, il en faut parfois 50 pour des forêts
éloignées ou d'accès difficile. Le reste est destiné à faire des avances aux
coolies sur leurs gages et à subvenir aux dépenses d'exploitation pen-
dant les 3 ou 4 ans qu'il faut attendre avant qu'aucun pied de bois de
teak arrive sur le marché.
La V^ année, on fait à l'arbre, à 1 mètre du sol, une entaille circu-
laire par laquelle la sève s'écoule. A la suite de cette saignée, l'arbre
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SIAM 545
sèche et meurt: cette opération est nécessaire, car l'arbre vert ne pour-
rait pas flotter. La 2® année, on abat l'arbre et on l'élague. La 3® année,
lorsqu'il est tout à fait sec, l'arbre est transporté par les éléphants jus-
qu'aux ruisseaux, d'où il descend jusqu'à Bangkok, à l'aide du courant.
Pour que l'arbre flotté arrive à bon port, il ne faut pas qu'il y ait
trop peu d'eau, ni trop.
Lorsqu'il y a trop d'eau, le pays étant inondé, les radeaux s'aventu-
rent au delà des berges normales et, en cas de baisse des eaux, les bois
restent échoués au milieu des terres et sont perdus. Lorsqu'il n'y a pas
assez d'eau, ii n'y a qu'à attendre à l'année suivante.
On met sur les bois la marque de la C'«. Une fois arrivés à la rivière,
les bois sont réunis au nombre d'environ 130 pieds et constituent des
radeaux, qui se forment en juin à Raheng, sur le Meï-Ping, et à Soko-
tai, sur le Me-Yom. Des bateliers sont ensuite engagés à raison de 7 ou
8 par radeau et, se bâtissant une hutte dessus, ils descendent avec lui
le cours du fleuve. Il faut 15 jours à un train de bois pour descendre
de Raheng à Paknampoh; 10 jours de Sawankalok, sur le Me-Yom, à
Paknampoh; 3 jours de là à Cheï-Mat, où l'on paie la taxe à l'admi-
nistration siamoise; 10 jours après, on atteint Bangkok.
Avant d'atteindre une de ces 3 rivières, à l'aide des éléphants ou
par les ruisseaux, il faut parfois de longs mois, et c'est ainsi que cer-
tains trains de bois mettent un an pour arriver à destination, sans comp-
ter qu'en route de nombreux vols sont commis, souvent môme par les
domestiques et coolies du locataire de la forêt.
Le régime des forêts est très variable, suivant les provinces. Les
concessions sont données directement par les gouverneurs dans les
provinces de Chieng-Maï, Raheng et Lakhon; elles ont une durée limi-
tée, le plus souvent 3 ans. Aussi, le concessionnaire dévaste-t-il le
plus vite possible sa concession, saignant, abattant même les jeunes
tailles, sans scrupule pour l'avenir. Il faudrait, conmie les Anglais l'ont
fait en Birmanie, réglementer cette exploitation et attendre, pour couper
un arbre, qu'il ait atteint une certaine circonférence.
On estime à 6.600.000 francs la valeur du bois de teak tiré par an
des forêts du Siam. Comme il faut compter dans ce commerce sur un
espace de 4 ans avant de retirer un bénéfice, on peut dire que le capi-
tal engagé dans ce commerce du bois de teak est de 26.400.000 fr.,
et l'on évalue à 4.700.000 fr. le revenu annuel retiré par le gouver-
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546 REVUE FRANÇAISE
nement siamois, au moyen des taxes perçues sur les bois de teak. Ce
revenu sera doublé le jpur où Ton exploitera les forêts de Nan et du
nord de Luang-Prabang.
La Bornéo Company et la Bombay Burmah Trading Corporation
achètent plus de la moitié du bois de teak provenant du Siam. Tokay
Lam Sam, Chinois protégé Français, vient ensuite comme acheteur.
Le marché principal de bois de teak est à Londres ; on le paie envi-
ron 200 fr. par stère. Fn 1895, l'importation de ce bois à Londres a été
de 20.280 tonnes, contre 9.720 t. en 1894. Les envois totaux du Siam
et de la Birmanie en Europe ont été, en 1895, de 70.800 tonnes, contre
51.400 t. en i894.
Il serait intéressant de savoir quelle est la quantité de bois de teak
importée en France. C'est là une question de douane, car le marché
du teak se trouvant à Londres, c'est de ce point que sont expédiés
tous les chargements à destination de France. Il faut cependant excep-
ter les achats faits pour notre marine, qui sont envoyés en France
par Saïgon. Ce n'est que depuis peu que la marine a compris l'avantage
de s'approvisionner directement à Bangkok. Elle profite aussi, pour ses
transports en France, des gros vapeurs de la C'® Nationale, qui amènent
périodiquement en Indo-Chine troupes et approvisionnements et revien-
nent parfois à vide. Le premier achat direct remonte à mars 1893; il
a dû être satisfaisant, car depuis cette époque, les achats n'ont fait que
progresser.
L'industrie du teak amène tout naturellement à parler de ses prin-
cipaux ouvriers, les Khamous, dont le rôle est très important dans les
travaux d'exploitation des forêts.
Les Khamous constituent la tribu des « Kas Khamous » de la région
du Nam-Hon et relèvent de Luang-Prabang. Ils sont fétichistes et ont
un idiome spécial. Sous le régime siamois, ils étaient durement exploi-
tés; on leur envoyait des mandarins qui, sous prétexte de prélever
l'impôt du riz, se livraient à de telles concussions, que les Khamous
émigraient en grand nombre sur la rive droite du fleuve. Depuis 21 ans,
40.000 Khamous auraient ainsi émigré, sous la conduite de chefs ap-
pelés naï-roï. En arrivant dans les principautés dç Chieng-Maï, de La-
kon, de Preh et de Nan, ces riahroï passaient des contrats, pour l'ex-
ploitation des forêts de teak, avec les Birmans, qui en sont pour ainsi
dire les seuls concessionnaires»
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EXPLORATEURS ET VOYAGEURS 547
Les travaux des forêts se font pendant les pluies, de juin à novembre,
et les Khamous sont d'excellents ouvriers pour ce travail; pendant la
saison sèche, ils sont employés aux travaux domestiques chez les con-
cessionnaires
Depuis le traité franco-siamois de 1893, les Khamous, placés sous
une administration plus régulière, n*ont plus les mêmes tendances à
émigrer ; déjà même beaucoup d'anciens émigrants reviennent de la
rive droite sur la rive gauche (française) du Mékong, de sorte que la
naain-d'œuvre des Khamous, si bon marché et si précieuse pour les
bois, menace de devenir plus rare.
Aussi, les O^ anglaises songent-elles à s*adresser aux Karènes de la
rive gauche de la Salouen ; mais avec eux, le salaire et, par suite, le
prix du bois de teak augmenteront certainement.
En raison de cette migration, il ne serait pas impossible de détour-
ner, en partie du moins, le courant commercial du bois de teak de
Bangkok sur Pnom-Penh, par la voie du Mékong. Mais il n'y faut pas
songer pour le moment, après l'exploration hydrographique du Mékong
par le lieutenant de vaisseau G. Simon. Plus tard, quand le fleuve aura
été balisé, quand ses rapides auront été rendus praticables, à la suite
de travaux qui ne peuvent être que Fœuvre du temps, il sera possible
d'utiliser ses magnifiques biefs et de rendre navigables au conmaerce
les passages difficiles qui les séparent. Déjà, les vapeurs de la C'*' des
Messageries fluviales naviguent sur le Mékong central, non sans diffi-
cultés, il est vrai. Ce résultat inespéré est plein de promesses pour
l'avenir et de bon augure pour le développement du Laos.
B.
EXPLORATEURS ET VOYAQEURS
AFRIQUE
M. de Béhagle (XXIII, 435), se trouvait, à la fin de mai, sur le haut
Oubangui, attendant les dernières charges envoyées de Brazzaville à sa
mission. U ne lui a pas fallu moins de 9 mois pour monter de la côte à
rOubangui et au Gribingui. A Bangui, il a utilisé son séjour forcé à la
répression des cannibales et à la reconnaissance des vallées de la Kémo
et de la Toumi, d'où il a rapporté de nouvelles observations géogra-
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548 REVUE FRANÇAISE
pliiques. Les données anciennes sur ces rivières doivent être changées,
car la Kémo, après une direction N.-N.-E., s'infléchit vivement à i*E.,
se rapproche de TOubangui à moins d'une heure de marche et à âO kil.
à Test de son confluent. Au contraire, la Toumi vient du N. sur tout
son parcours navigable. M. de Béhagie, une fois ses chaires reçues,
ralliera aussitôt la tète de sa caravane sur le Gribingui. Dès que les
eaux de cette rivière seront hautes, c'est-à-dire dans le milieu de juin,
il se mettra en route et descendra au Baguirmi où il compte arriver aa
commencement de juillet. En août, il reviendra sur TOubangui prendre
de nouveaux approvisionnements et sera de retour au Baguirmi en
octobre.
Le 1^ anglais Brodie est arrivé en Angleterre au retour d'une mission
politique au Gando et au Sokoto. 11 était accompagné d'une centaine de
haoussas commandés par le capitaine Carroll. Le 1' Brodie croit â l'in-
vasion du Sokoto central par Rabah, le conquérant du Bornou.
Le prince Heiu^i d'Orléans est arrivé à Marseille le 12 août, revenant
d'Abyssinie où la saison des pluies arrête actuellement toute explora-
tion. Sitôt l'hivernage terminé, le prince compte repartir pour rejoindre
sa caravane et son convoi. Ses projets sont quelque peu modifiés. Au
lieu de marcher conjointement avec le c*" Leontief, il se propose d'agir
séparément, quoique dans le même sens, les intérêts français ne pou-
vant que gagner à une action complètement libre et indépendante.
M. de Bonchamps, dont nous avons fait connaître l'exploration (XXDI,
480), a donné à la Société de géographie de Paris quelques renseigne-
ments complémentaires sur son itinéraire. On sait que son but était de
rejoindre la mission Marchand et qu'il n'a pu arriver jusqu'au Nil. L'ex-
ploration proprement dite commencée à la rivière Didessa, se continue
par Goré et Bouré. M. de Bonchamps franchit ensuite le Baro (le Sobal
des Arabes) près de son confluent avec le Birbir. Il fallut pour cela fa-
briquer des radeaux avec du bois mort, quelques piquets et de grands
bidons de campement, la mission ne disposant d'aucune embarcation.
M. de Bonchamps longea ensuite la rive gauche du Baro. Aux mon-
tagnes succédèrent les vallées, puis, à Pomolé, la région marécageuse
et. la plaine qui s'étend jusqu'au Nil. Au delà de l'Alouorou on ne ren-
contre plus d'habitants, les indigènes ne s'aventurant pas dans ce pays
de la fièvre. Le 30 décembre 1897, la mission arrivait au confluent du
Djouba et du Baro. Elle n'avait pas d'embarcations, soufi'rait de la faim
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EXPLORATEURS ET VOYAGEURS
549
et de la fièvre. Dans ces conditions, M. de Bonchamps crut devoir reve-
nir en arrière, à marches forcées. En février 1898, il était de retour à la
frontière abyssine. Un accès de fièvre bilieuse le mit hors d'état de re-
commencer sa tentative avec un des ras de Ménélik, mais deux, de ses
compagnons se joignirent à ce chef.
M. de Bonchamps est le premier Européen qui ait pénétré dans ces
régions. Seul, Bottego avait traversé le Baro, en coupant Titinéraire de
■wMy^i,:^\
Bonchamps. La partie inférieure du Sobat, à partir de Nasser, avait été
explorée par Junker il y a près de 26 ans. Mais l'exploration de la partie
supérieure est l'œuvre de la mission de Bonchamps.
ASIE
M. Marcel Monnier (XXIII, 436), dont nous avons annoncé le retour
à Paris le 26 juin, après ses traversées de l'Asie, a donné quelques ren-
seignements sur la dernière partie de son voyage. iVprès avoir heureu-
sement traversé la steppe kirghize, l'exploration arrivait à Bagdad le
25 mars 1898 et, quelques jours plus tard, à Babylone, ayant ainsi em-
ployé 10 mois dans la traversée de l'Asie en diagonale, de la mer Jaune
au golfe Persique, dont 7 mois passés sur l'itinéraire parcouru par les
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550 REVUE FRANÇAISE
invasions mongoles. Depuis les ruines de Karakoroum et Karabal-
Gassoun, il ne s'est guère écarté de la route suivie par les hordes de
Gengis-Khan. Le l^"" juin, M. Monnier passait la frontière persane et ar-
rivait le 4 à Tiflis.
Le lieut' danois Olufsm, qui a exploré le Pamir en 1896 (XXD, H4),
est parti, le 14 juin, de Och, dans le Ferçhana, à la tête de la 2* expé-
dition danoise au Pamir. Sa caravane, qui compte 10 hommes annés
et 16 chevaux, est approvisionnée pour un an. L'expédition doit passer
une partie de Tété aux environs du Yachil-Koul et du Gas-Koul où eUe
se livrera à des travaux t(»pographiques, à des observations météorolo-
giques et à des recherches botaniques et zoologiques. Pendant Tau-
tomne, elle séjournera dans le Vakhan sur la frontière d'Afghanistan.
Elle hivernera ensuite dans le Chougnan. Au printemps 1899, dès que
les passes pourront être franchies, M. Olufsen se dirigera au nord vers
le Turkestan. Le d' Paulen s'occupera des récoltes botaniques et le prof
Hjuler des observations physiques.
OCÉAME ET AMÉRIQUE.
M. Jules Gamier, après avoir parcouru l'Australie occidentale, s'est
embarqué à Albany le 23 mai et est rentré en France avec de nombreux
documents sur la géologie, la linguistique. Son fils, M. Pascal Garmer
qui l'accompagnait, mais avait prolongé son séjour en Australie, a été
emporté par la fièvre à Coolgardie, à Tâge de 26 ans. Il avait effectué
d'importants voyages au Transvaal et en N^^*^-Zélande.
M. /. de Brettes est arrivé à Bordeaux (17 juil.), après de nouvelles
explorations en Colombie et en N^^'-Grenade. De 1892 à 1893, puis de
1897 à 1898, il a suivi l'itinéraire du conquérant espagnol Quesada
dans les marécages, les forèls et les savanes de la Colombie. Il a traversé
les territoires inexplorés des tribus goagires, le Santander, les territoires
aurifères de Soto, les miues d'émeraude de Leïva. Outre ses notes de
voyage, M. de Brettes rapporte de curieuses collections d'armes, d'idoles,
d'objets de toute nature.
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NOUVELLES GEOGRAPHIQUES ET COLONIALES
AFRIQUE
Algérie : Réorganisatwn administrative (XXllI, p. 241). — VOfficiel, du
25 août a publié 4 décrets du 23 août modifiant Torganisation administrative
de l'Algérie.
Le !«' précise et fortifie sur certains points les pouvoirs du gouverneur
général.
Le 2® institue sous le nom de <( délégations financières algériennes » des
corps électife nouveaux, où les trois grandes catégories de contribuables al-
gériens sont représentées par des délégués élus qui devront être consultés
sur toutes les questions d'impôts. Les délégations sont au nombre de trois,
représentant : i^ les colons ; 2« les contribuables des villes et villages autres
que les colons; 3» les indigènes musulmans.
Le 3« décret modifie l'organisation du conseil supérieur. La principale
innovation consiste dans l'introduction de seize nouveaux membres élus qui
sont des membres des délégations désignés par leurs pairs.
Le 4« décret rendu sur le rapport du ministre des cultes réforme l'orga-
nisation des consistoires Israélites algériens et les renferme dans des attribu
tiens d'ordre purement ecclésiastique, en transférant aux bureaux de bien-
faisance la distribution des secours provenant de certaines perceptions
destinées au soulagement des Israélites indigents.
Les Caravanes au Gowrara, — Cinq caravanes se sont rendues au Gourara
pendant la campagne 1897-1898 :
La caravane du cercle d'Aïn-Sefra de .Tiout avant un effectif de 123 hommes,
18 femmes, 300 chameaux ;
La caravane du cercle de Mécheria, qui se composait d'indigènes de toutes
les tribus des Hamyan et avait un effectif de 259 hommes, 26 femmes,
8 enfants, 1 082 chameaux.
Les indigènes du cercle de Géryville ont formé deux caravanes: l'une, celle
des Ouled-SidiCheikh-Cheraga, ayant un effectif de 116 hommes, 82 femmes,
40 eoÊBiQts, 428 chameaux ; l'autre, celle des Trafis et des Ksour qui compre-
nait 757 hommes, 329 femmes, 20 enfants, 2 319 chameaux ;
La caravane de l'annexe de Saïda comprenait des indigènes de toutes les
tribus établies sur ce territoire, vavec un effectif de 288 hommes, 98 femmes,
3 enfants, 1 063 chameaux. Au total, d'Algérie se sont rendus au Gourara
1 543 hommes, 553 femmes, 291 enfants et 5 282 chameaux.
Sahara. — Longitude dln-Salah. — M. F. Foureau pensait déjà, en 1893,
que la longitude d'In-Salah devait être, sur les cartes, reportée beaucoup
vers l'est. Il y avait, sur la position de ce point une « confusion inexplicable »,
comme le disait Hassenstein, certaines cartes plaçaient In-Salah à 0^,5' 0. de
Paris, d'autres à 0,29' 0. ; M. Foureau, enfin, pensait que cette ville était, au
contraire, à 0^3' E. du méridien de Paris. Les deux hypothèses extrêmes
oscillaient entre 28' et 52'.
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552 REVUE FPANÇAISE
En 1893, M. Foureau avait constaté que la masse des oasis du Touat et la
région de TOuad-Saoura occupaient sur les cartes une position bien trop occi-
dentale. Jusqu'ici les positions des divers points environnants avaient toutes
été déterminées en prenant In-Salah pour base. Or, M. Flamand, dans sa mis
sion au Gourara, en 1896, a trouvé, par des déterminations astronomiques,
pourTabelkoza la longitude de l^ySi^SO" 0. de Paris, alors qu'on supposait ce
point à 38'iO'' davantage vers Touest. MM. Foureau et Flamand sont donc
d'accord pour reporter Tln-Salah et toute la région environnante à 28' vers
Test, ce qui donne pour In-Salah la longitude de 0o,23' à Test de Paris.
Soudan français : Situation de Samory. — La colonne du c^ Pineau,
qui poursuivait les fugitifs de Sikasso, a pris cx)ntact avec les avant-postes
de Samory,qui ont battu en retraite vers le Libéria. Le vieil Almamy, voyant
se resserrer de plus en plus notre ligne de postes et se voyant couper les
communications avec les Anglais de la Côte-d'Or, a jugé prudent de reculer
et, se dirigeant vers louest, seule route ouverte, a franchi le Bandama pour
gagner le Sassandra. La voie est donc libre entre le Soudan et la Côte d'Ivoire
et la retraite de Samory produira, sous ce rapport, le plus heureux effet
Jonction avec la Côte d* Ivoire. — La colonne Pineau, après avoir parcouru
le Djimini et le Diamala, a laissé une garnison à Bouaké qui va être relié à
Kouadiokofi, poste occupé par les troupes de la Côte d'Ivoire. D'autre part,
les troupes envoyées dans la région d'Assikasso ont renforcé la garnison de
fiondoukou et procédé à Voccupation de Bouna évacué par les Anglais. Par
suite, une double jonction existe actuellement entre nos possessions du Sou-
dan et de la Côte d'Ivoire. Une des lignes de communication suit le Bandama,
par Tiassalé, Toumodi, Kouadiokofi, Bouaké, Kong et Khemokodianikoro.
L'autre ligne, celle du Comoé, part de Grand Bassam et passe par Assikasso,
Bondoukou, Bouna et Lokhoso.
Côte d'Ivoire : Commerce en 4896 et 4897, -— Les exportations et les
importations de la Côte d'Ivoire ont été à peu près égales en 1896. Les expor-
tations de la colonie ont atteint 4.400.000 fr. et les importations 4.639.000 fr.,
accusant une progression sur 1895. L'exploitation des bois surtout, s est
beaucoup accrue et les exportations forestières ont doublé en un an. L'expor-
tation des dents d'éléphants est passée de 390 kg. en 1892 à près de 1.500 kg.
en 1894. I^ caoutchouc voit aussi s'agrandir son marché.
La France reçoit la maiorité des produits exportés (St.236.000 fr.), puis vient
l'Angleterre (2.116.000 fr.). Malheureusement l'Angleterre importe à la Côte
d'Ivoire pour 3.130.000 fr. de marchandises, soit les 2/3 du total, alors que
la France (métropole et colonies), ne lui en vend que pour 822.000 fr.
En 1897, il y a peu de changement. La colonie de la Côte d'Ivoire a reçu
pour 4.693.800 fr. de produits importés soit 55.000 fr. de plus qu'en 1896.
L'augmentation porte surtout sur les combustibles minéraux et les matériaux
venant de France.
Lese^qwrtationsde la colonie ont été en 1897 de 4.718.600 fr., soit318.800fr.
de plus qu'en 1896; l'augmentation porte surtout sur l'acajou (8 millions de
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES m
kgi en 1896 et plus âe 18 millions 1/2 de kg. en 1897, valant 1.485.000 fr.)
et le caoQtchouc. Sur le total des exportations la France vient au i^ rang, en
recevant près de la moitié (2.236.800 fr.). Elle est suivie de très près par l'An-
glelerre (2.228.700 fr.). L'ensemble du mouvement commercial présente, sur
1896, une légère augmentation de 374 000 francs.
Dahomey : Commerce en 4897. — Les importations totales du Dahomey,
en 1897, ont été de 8 243 000 francs, et les exportations de 5 779 000 francs.
Parmi les produits importés au Dahomey, citons les boissons (3677 000 fr.),
les denrées coloniales de consommation (1 159 000 fr.), les tissus de coton
(1 095 000 fr.), etc. Parmi les exportations du pays, signalons les fruits et
graines (3085000 fr.) et les huiles et sucs végétaux (1 745000 fr.).
Le Dahomey a reçu, en 1897, pour 2 939000 fr. de produits français et a
vendu à la France pour 1 515 000 fr. de marchandises. Le Dahomey a reçu,
par contre, des pays étrangers, pour 5 304 000 fr. de produits et leur a vendu
des marchandises pour 4 251 000 fr.
Si l'on compare ces résultats avec ceux de 1896 (R. F., t. XXII, p. 438),
on constate une sensible décroissance : 1 million 1/2 sur les importations et
plus de 3 millions sur les exportations. La proportion des importations
française et étrangère n'a que peu varié en 1897.
Afrique oi^^ anglaise : Chemin de fer de [^'Ouganda, — Les travaux ;du
chemin de fer entre Mombassa, sur l'Océan Indien, et l'Ouganda, continuent
sans relâche. Les Anglais viennent de livrer à l'exploitation, pour les voya-
geurs, la ligne jusqu'à Voi, au nord des monts Dara, à 160 kil. de la côte.
On compte 9 stations, y compris celle du terminus. 11 y a trois classes de
voitures. Le tarif est de 60, 30 et 5 centimes par mille anglais (1,6 kilom.).
Sauf le dimanche, il existe un train par jour dans chaque direction. Partant
de Kilindini, port de Mombassa, à 7 h. 20 du matin, les trains arrivent à
Voi à A heures de l'après-midi et parcourent donc les 160 kilom. en
8 heures.
ASIE
Tonkin : Mortalité. — Sur 706 fonctionnaires constituant les services civils
du protectorat du Tonkin on a compté, en 1897, 21 décès (dont 1 suicide et
1 accident), soit une proportion de 3 0/0, alors que cette proportion s'élève à
4 ou 5 0/0 pour certains pays d'Europe. Encore faut-il observer, ajoute la
Quinzaine coloniale, que si on est arrivé au chiffre de 21 décès au Tonkin en
1897, c'est que la mortalité a été exceptionnellement élevée cette année parmi
les surveillants des télégraphes du haut Mékong. Sept de ceux-ci sont en effet
décédés depuis le i" janvier. Cette simple statistique démontre donc que le
climat du Tonkin est très supportable aux Européens.
Macao : Population et Navigation. — La superficie de la presqu'île de Ma-
cao est de 330 hectares. En 1878, il y avait 68.086 habitants dont 63.532 Chi-
nois et 4.476 de nationalité portugaise. En 1896, on y a compté 78.627 habi-
tants dont 74.568 Chinois et 3.898 Portugais. On constate donc une diminution
xxni (Septembre 98). N* 237. 36
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554 REVUE FRANÇAISE
de 578 Portugais et une augmentation de 11.036 Chinois. La population chU
noise comprend, à Maeao, 45,037 indigènes du sexe masculin contre 2d4S3l
seulement du sexe féminin.
Le nombre des navires entrés et sortis a augmenté depuis 1880, mais cette
augmentation porte exclusivement sur les jonques chinoises et les steamers
à faible tirant d'eau. Les principales causes de la diminution constante de
navires de haut bord irr^uliers tiennent à Tenvasement progressif do port
qui les oblige à mouiller au large dans une baie ouverte où ils manquent
d*abri et à la perception de droits d'ancrage de 50 reis par tonneaux de jauge.
Mais les Portugais ont aboli récemment les droits de tonnage (R. F. 1897,
t. XXII, p. 498) et cette mesure pourra, sans doute, arrêter quelque peu la
décadence de Macao.
Chine : Mission américaine. — Après la mission lyonnaise française, après
la mission allemande et la mission anglaise, voici venir la mission améri-
caine charçée d'explorer commercialement l'Extrôme-Orient. Le conseil
d'administration du musée commercial de Philadelphie a décidé, en eiïet,d'en-
voyer une mission de 3 membres chargée d'étudier les marchés chinois; ce sont
MM. C. A. Green, Sheridan P. Read et le d"^ Gustave Niederlein. La mission
dont l'initiateur est M. William Harper qui vient de faire un voyage autour
du monde, se rendra d'abord à Hong-Kong, puis à Shanghaï et restera 10 à
12 mois en Chine. Elle rayonnera dans le bassin du Yang-Tsé et dans le nord
de l'empire. Elle étudiera en route les moyens de développer le commerce
américain dans les régions traversées et les industries locales.
Arbre à huile, — VAleurites cordata ou arbre à huile chinois, existe ai
Chine depuis très longtemps. Les feuilles, l'écorce et les fleurs de certaines
variétés sont employées en médecine. L'une d'elles donne une huile très
appréciée des Chinois ; elle est cultivé dans le Szé-Tchouen, le Hoanan et
le Houpé. Cet arbre, dit la Revue Scientifique atteint 7 à 8 mètres de haut
Les feuilles sont grandes et belles ; les fleurs sont petites et roses. Le fruit
est vert et ressemble à la pomme. C'est des graines qu'on tire l'huile. Ces
graines se récoltent en août et septembi*e et sont écrasées au moyen de presses
en bois. L'huile fournie est claire, ressemble à de l'huile de lin, mais répand
une odeur désagréable. On emploie cette huile pour la peinture et le vernis
pour rendre imperméables le papier et les étoffes, pour l'éclairage. Son ^n-
ploi le plus usuel est dans la construction des bateaux dont elle bouche les
fentes entre les planches, qu'elle rend imperméables. On applique Fhuiie
après l'avoir fait chauffer, et on en badigeonne la carène une ou deux fois
par mois. La suie de l'huile brûlée sert à préparer l'encre de Chine. Par
Hankow on a exporté, en 1893, pour près de 6 millions d'huile ; mais cette
exportation se fait presque exclusivement sur les porls chinois.
OCÉANIE
ne* Bonin : Situation. — Les îles Bonin (Ogasawarajima), situées pir
270 lat. N. et par 140» long. £., ont été visitées récemment par des ingé-
nieurs. La population a doublé depuis 10 ans par l'immigratioiu Les halntanb
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NOUVELLES GfiOGRAPHIQUES ET COLONIALES m
cultivent la canne à Sucre, élèvent du bétail, mais négligent la pèche qui
pourtant serait fructueuse. Les habitants sont : des aborigènes d'origine
malaise vivant en sauvages et se logeant dans des cavernes, des Japonais im-
migrés qui font du commerce et de la culture, des métis asiatiques. Chinois.
Tagals, Coréens et Nippons, des Européens de toutes nationalités. Ces der-
niers, ignorés, déclassés, attirés par Tabsence dlmpôt et de gouvernement,
ont adopté une vie libre et facile, dans ces lies fertiles. Ils sont régis plus ou
moins par la loi du plus fort et ont d'assez bons rapports avec les indigènes;
ils s'allient souvent avec des femmes du pays.
Quatre écoles sont dirigées par des missionnaires européens et reçoivent
beaucoup d'enfants. Le gouvernement du Japon paye à la C'« Nippon- Yusçn-
Raisha 6.000 yens de subvention pour relâcher aux lies Bonin 6 fois par an.
L'intervention de l'administration japonaise est à la veille d'avoir lieu dans
cet archipel ; elle est paraît-il peu enviée par les aventuriers européens qui
y ont cherché l'absence de toute sujétion.
Iles Marshall. — M. Sleinbach, médecin allemand, a étudié récemment
cet archipel fort peu connu, qui est possession allemande depuis 1886.
Les îles Marshall sont basses et forment deux rangées parallèles nommées
Ratak et Ralik. Elles sont situées entre les 4<» et IS*» latitude nord et les loi*
et 173<» long. E. Il y a 34 îles d'une surface totale de 450 kilom. carrés. Ces
îles de corail ont la forme d'atolls. Le Lai atoll n'a qu'un diamètre de 7 à 9
kilom., tandis que celui de Kwajelin, a plus de ilO kilom. de long sur37dô
lai^.
Le climat, quoique tropical, est supportable. La moyenne de la tempéra-
ture, à Yaluit, est de 27<> centigrades. La température la plus haute observée
a été de 33^8 et la plus basse de 21o,5. L'humidité est très grande. La quan-
tité de pluie qui tombe par an est de 4.500 millimètres. Le temps est très
nuageux aux îles Marshall ; en 1893, on n'a eu que 6 jours parfaitement
clairs. Les îles ne contiennent pas d'eau douce. Les indigènes conservent l'eau
dans des fossés et les Européens recueillent l'eau de pluie sur le toit de leurs
habitations.
L'abondance des pluies donne une belle végétation. La flore comprend plus
de cent espèces de plantes. La faune par contre est peu variée. Le rat et la
souris sont les seuls mammifères. Comme oiseaux, il n'y a que des pigeons
et des coucous. De petites baleines pénètrent parfois dans les lagunes de
Tarchipel, qui est riche en poissons.
nés Santa-Gruz : Annexion anglaise. — On annonce de Sydney qu'un
croiseur britannique a procédé à l'annexion des archipels Santa-Cruz et Duff,
dans le Pacifique.
Les îles de la Reine-Charlotte, qui forment l'archipel de Santa-Cruz, cou-
vrent une superficie totale de 938 kilomètres carrés, entre les Nouvelles-
Hébrides et les îles Salomon; elles sont au nombre d'une quinzaine. I^e nom
de Duff (ou de Taoumako) s'applique au petit groupe de onze îles tout voisin
de Santa Cruz et occupant environ 30 kil. carrés. .
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556 REVUE FRANÇAISE
C'est dans cet archipel que se trouve rilot de Vanikoro, connu par le nau-
frage de La Pérouse et de ses compagnons.
La population est d*environ 5.000 habitants. Les indigènes sont agricul-
teurs ou pécheurs. Leur industrie consiste à construire des canots et à dabri-
quer des nattes, des étoffes en écorce, etc. Gomme aux Nouvelles-Hébrides,
leurs armes sont l'arc et les flèches, la lance, la massue.
L'archipel, découvert en 1595 par Mendana, fut retrouvé près de 2 siècles
plus tard par l'Anglais Chartered qui lui donna le nom d*iles de la Reine-
Charlotte. Les habitants ont eu souvent maille à partir avec les Anglais qui
ont usé de représailles à plusieurs reprises.
Tahiti : Commerce, — La situation conmierciale de Tahiti, la plus éloi-
gnée de toutes nos possessions, présente une caractéristique particuli^e. Les
importations totales à Tahiti et dépendances ont été, en 1897, d'après la
Revue Coloniale, de 3 745140 fr. (dont 737600 fr. de tissus, 448000 fir. d'ou-
vrages en métaux, 426 000 fr. de farineux alimentaires, 259 000 fr. de pro-
duits et dépouilles d'animaux, etc.).
Les exportations de Tahiti, en 1897, ont été de 3 150 660 fr.) dont 1 mOOOfr.
de matières dures à tailler, 904 000 fr. de denrées coloniales de consom-
mation, 769 000 fr. de fruits et graines, etc.).
La France a importé directement à Tahiti pour 258 123 fr. de marchan-
dises, auxquelles il faut ajouter 131 989 fr. de marchandises françaises
importées par voies étrangères. Les exportations de la colonie, en France,
atteignent 310811 fr. Les importations de l'étranger à Tahiti sont de3354i38fr.
(soit 9 fois supérieures à celles de la France) et les exportations de la colonia
pour l'étranger de 2 510 334 ff.
De toutes les colonies françaises, Tahiti est celle où le commerce étranger
a la plus grosse part et ce sont les États-Unis qui font le trafic le plus impor-
tant. Cela s'explique facilement par le voisinage de l'Amérique et par Téloi-
gnement de la France. Il faut dire aussi qu'un service régulier de voiliers
existe entre Tahiti et San-Francisco, tandis qu'il n'y en a pas avec la France.
Le conseil général a déjà réclamé la création d'une marche régulière de
vapeurs avec San-Francisco d'un côté et Nouméa de l'autre. Il a môme voté
une subvention de 200000 fr. en faveur de cette dernière ligne, la seule que
la France ait intérêt à créer pour son commerce. Si la métropole votait à
son tour une subvention, la ligne de Nouméa â Tahiti pourrait ainsi se
créer et vivre. Ce serait un moyen eflicace pour arrêter la décadence de nos
établissements d'Océanie.
EUROPE ET DIVERS
Suisse : Chemin de fer da Gornergrat. — Le 20 août, on a ouvert en
Suisse le chemin de fer le plus élevé de l'Europe, celui qui conduit de Zer-
matt au Gornergrat. Ce n'est pas seulement parce qu'il détient le record de
l'altitude que ce chemin de fer nouveau est une œuvre extraordinaire. Ce
qui le met hors pair dans un pays où abondent les lignes de montagne, c'est
la beauté et la variété des. paysages devant lesquels il passe; c'est aussi la
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 557
douoear et la régularité de la traction électrique qui prend le voyageur à
l'altitude de 1.067 mètres, à Zermatt, pour le déposer une heure plus tard à
3.018 mètres, en face du panorama justement fameux du Gornergi*at, à
quinze minutes au-dessous de Thi^tel qui enlaidit et encombre le sommet
(3.136 mètres) de cette inoffensive montagne. Le chemin de fer du Gorner-
grat n*a pas, comme celui delà Jungfrau, la prétention de faire concurrence
à Talpinisme. 11 se borne à substituer au mulet un mode de transport plus
rapide, plus confortable et m*^me plus économique. Un mulet coûtait 15 fr.
<Je location et 2 fr. de pourboire au muletier ; et on ne l'utilisait guère que
pour la HK^ntée, la descente en selle étant fatigante. Dès aujourd'hui» on
monte au Gornergrat pour 12 fr. et la double course se paie 18 fr. En outre,
le trajet en chemin de fer est trois fois plus rapide que l'autre.
L'énergie électrique est fournie à la locomotive par des trolleys qui la re-
çoivent de deux fils suspendus au-dessus de la voie ; la locomotive elle même
est d'un système assez nouveau qui, essayé d'abord avec succès par les tram-
ways de Lugano, a été appliqué ensuite sur la ligne d'Engelberg et sera pro-
bablement adopté par le petit chemin de fer de la Jungfrau.
Croiseurs auxiliaires anglais et français. — Depuis quelques
années, la durée des traversées de l'océan Atlantique a été abrégée de
moitiés La vitesse des paquebots n'est pas restée en arrière de celle des
navires de guerre. Aussi ces bâtiments marchands,appelés lévriers de
l'Océan (greyhounds), sont-ils susceptibles, à cause de leur grande vitesse,
de rendre des services signalés, en cas de guerre, comme croiseurs auxi-
liaires. Il esWdonc intéressant de comparer entre eux les bâtiments mar-
chands de la France et de l'Angleterre. Le tableau suivant indique le nombre
des navires français et anglais de plus de 3.000 t. classés suivant les vitesses
présumées, à partir de 16 nœuds :
Bâtiments de 19 nœads ou plus 7 anglais. 1 français.
- 18 5 - » -
- 17 1/2 6 - 8 —
- 17 13 - 1 -
- 16 1/2 . 8 — 2 -
- 16 16 -- 1 -
55 anglais. 13 français.
L'Angleterre a donc 4 fois plus de bâtiments de ces classcb supérieures
que la France* Le tonnage des bâtiments anglais de plus de 100 t. est do
12.969.951 1., alors que celui des bâtiments français n'est que de 1.089.540 1.,
soit 12 fois moins.
L'amirauté anglaise n'a que 4 bâtiments subventionnés, classés comme
croiseurs de réserve, de plus de 19 nœuds : VEtruria et VUmbria (Cunard), le
MajesUc et le Teutonic (White Star) : on peut leur adjoindre la Campania et
la Lucanta (Cunard) et la Caledonia (C^ Péninsulaire et Orientale). La
France n'a qu'un navire comparable à ceux-là : la Touraine (O^ Transatlan-
tique). L'Allemande en a 7 de 5.000 à 9.000 1. ayant 18 1/2 à 19 nœuds de
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558 REVUE FRANÇAISE
vitesse. Aucun navire anglais de 18 nœuds n'est à la disposition de l'Ami-
rauté, mais il en est ainsi de la Britanniaf de VOceana, du Victoria et de
VArcadia (17 n. 1/i, O^ P. et 0.), qui sont subventionnés, sauf le dernier.
C'est dans les navires de cette vitesse que la France a ses meilleures forces
auxiliaires avec des déplacements de 6.000 à 7.0 '0 1.; tels sont: V Armand-
BéhiCy Y Australien, le Polynésien et la Vilie-de-la-Ciotat (Messageries Blari-
times), la Bourgogne, la Gascogne, la Bretagne et la Champagne (Q^ Transat-
lantique).
Parmi les navires de moindre vitesse, en descendant jusqu'à 15 nœuds,
sont à la disposition de TAmirauté anglaise, ' sans subvention : Rome, Mat-
silia, Valeita, Ballarat, Paramatta et Carthage (P. 0.), Servia et Gallia
(Cunard), Britonnic, Germanie elAdriatic (White Star), de même que Emprm
oflruUa, Empress of China et Empress of Japan (C'« du Pacifique Canadien)
qui sont subventionnés.
La France n'a que 5 navires marchands de 17 n. 1/2 : ùvc-de-Bragance,
Eugène- Pereire^ Général-Chanzy, Maréchal- Bngeaud et Ville-d'Alger qui sont
affectés, par la C»« Transatlantique aux services de Marseille à Alger. On
voit donc que l'infériorité de la France, sous ce rapport, est énorme, puis-
qu'elle n'a que 5 bâtiments à mettre en ligne contre 83 anglais.
La France possède encore la Navarre (6.959 1.), le Brésil (5.810 i.),LaPlata
(5.677 t.) et la Normandie (6.283 t.). Il existe encore un grand nombre de
navires marchanda anglais d'égale vitesse, mais ayant moins de 3.000 t. de
déplacement ; de faible valeur de combat, ils peuvent cependant servir d'é-
claireurs de guerre. Le tableau suivant indique le nombre des navires mar-
chands anglais de moins de 3.000 t. et ayant plus de 16 nœuds de vitesse :
Bâtiments de 19 nœuds ou plus 4 à hélice. 12 à rouef .
- 181/2 » — 4 -
- 18. 5 - 15 -
17 1/2 » - . 3 -
- 17 6 - * 10 -
- 16 1/2 1 - 8
- 16 . 5 - 9 -
21 à hélice. 61 à roaes.
L'exposé qu'on vient de lire remonte à 4 années.
Si nous l'avons publié, c'est afin d'établir que la situation de la France n*
pour ainsi dire pas changé depuis ce temps. En effet, la Touraine est toujour
avec ses 19 nœuds notre plus rapide grand paquebot susceptible d'être armé
en guerre. Et, tandis que la France reste stationnaire, l'Angleterre, l'Alle-
magne, les Etats-Unis voient leur flotte marchande s'augmenter sans cesse
de paquebots à grande vitesse donnant en service courant une moyenne de 20
à 22 nœuds. Vienne une guerre avec une de ces trois puissances, et la France
sera sous ce rapport en état d'infériorité notoire. La guerre hispano-améri-
caine est pour nous un enseignement dont nous devons savoir profiler en
constituant à bref délai une flotte marchande de paquebots à grande vitesse.
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i-***- B
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 559
Traverfléee transatlantiques : Rapidité exagérée. *- On entend sou-
Tent répéter que cerlainô steamers viennent de réaliser le parcours d'Aogle-
terre à New-York en 5 et 6 jours, et Ton a même annoncé la possibilité de
ftiire bientôt ce trajet en 4 jours. Il y a là beaucoup d'exagération et en réa-
lité, il faut 8 et 9 jours au moins. En effet, les O^» ont Ihabilude de laisser
en dehors de leurs calculs une grande étendue du parcours, ce qui explique
la différence. Non seulement le temps passé pour se rendre de Londres
à Liverpool n'est pas compté, mais il en est de même pour le trajet de Li ver-
pool à Queensown (22 heures) et celui du phare de Sandy Hook à New-
York (21 heures). Celte façon inexacte de compter les traversées montre qu'il
ne faut pas trop attacher d'importance au temps indiqué par les C'^» pour
les traversées transatlantiques, temps qui doit être majoré d'environ 2 jours.
Augmentation de la population des villes. — Les villes continuent,
dans le monde entier, à progresser aux dépens des campagnes ; mais un fait
généralement peu connu et que M. Ripley a mis récemment en évidence,
c'est qu^ plusieurs cités d'Europe s'accroissent plus rapidement que la plu-
part de celles d'Amérique.
Berlin a dépassé New- York en moins d'une génération ; depuis 21 ans, sa
population s'est accrue autant que celle de Chicago et 2 fois plus que celle
de Philadelphie. Hambourg a gagné 2 fois autant d'habitants que Boston,
depnis 1875. Stockholm a doublé sa population, Copenhague l'a augmentée
2 fois 1/2, Christiania l'a triplée en une seule génération. A Rome, la popu-
lation est passée de 184.000 en 1860 à 450.000 en 1893. A Vienne, elle a
triplé pendant la même période, avec ses faubourgs. Paris a absorbé, de
4881 à 1891, les 4/5 de l'augmentation totale de la France.
En Angleterre, plus de la moitié des vTlles comptant plus de 25.000 habi-
tants, sont nées durant le xii« siècle ; 60 même des 105 villes dans ce cas
sont nées depuis 1825. 8 0/0 à peine des habitants des villes sont des enfants
de citadins, en prenant pour base une résidence prolongée pendant 3 géné-
rations. A Londres et à Paris, les immigrants forment plus du tiers de la
population. Pour 40 des principales villes d'Europe, un 5* seulement est dû
aax habitants de la ville.
Congrès national de géographie. — C'est à Marseille qae se tiendra le con-
grès en 1898, du 18 au 25 septembre, sous ta présidence du prince A. d'Arenberg.
Parmi les nombreuses communicatiojis annoncées signalons, au point de vue exté-
rieur, celles de MM. Brenier, sur la Mission lyonnaise en Chine ; Gourdet, sur le
chemin de fer en Asie centrale; J. Borelli, sur la rivière Omo ; Besson, sur la France
à Zanzibar, etc. Des conférences seront faites, en outre, par M"« Massieu, MM. Bon-
valot, M. Dubois, capitaine Baud, etc.
Guides Joanne : Londres et ses environs — C'est un guide entièrement nou-
veau que la maison Hachette offre aujourd'hui aux voyageurs, toujours nombreux, qui
vont visiter Londres. Et comme la plupart du temps ceux-ci ne savent pas l'anglais
elle a eu soin, tout d'abord, de placer, en feuillets séparéf», un petit interprète de la
langue anglaise avec les phrasas les plus essentielles. Gomment peut-on se rendre de
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«60 REVUE FRAI^ÇAISE
France eni Angleterre ; quels sont les moyens de transport à Londres, les liôtels, les
monnaies, la vie de tous les jours en un mot ; tel est le côté pratique. Puis Tient uns
élude descriptive et historique de Londres, les particularités souvent originales de la
vie anglaise, les monuments, les musées, les grands établissements de la capitale. Eofia
une 3* partie est consacrée aux environs et aux principales villes sur le détroit.
Ce qui augmente la valeur de ce guide ce sont les nombreux plans et cartes qui
raccompagnent et ne sont pas moins de 40, en noir ou en couleurs et rendront aux
touristes des services fort appréciés.
Gavelier de la Salle : par E. Guénin, Cliallamel, éditeur. — Le Comité Du-
pleix inaugure une série de notices sur « les hommes d'action », par une biographie
de Cavelier de la Salle, un de ces audacieux explorateurs à qui la France d^autrefois
devait la possession de tant de belles colonies aujourd'hui perdues. Cette étude se dis-
tingue par un style sobre, alerte et vivant, comme il convient à celui qu'elle met ca
lumière. Si courte qu'elle soit (71 pages), elle fait bien connaître l'homme et son
œuvre, auxquels le lecteur s'attache dès les premières lignes et qu'il suit jusqu'à la
fin avec une émotion mêlée de tristesse. Cavelier de la Salle fut, en effet, de ces bons
serviteurs auxquels on rend justice quand ils ont disparu, et dont le sort semble fait
pour déconcerter les dévouements et paralyser les initiatives. Grâce à Dieu cependant
la race n'en est pas encore épuisée pour nous, et le généreux appel de H. Bonvalot, dans la
remarquable préface qu'il a écrite pour le livre de M. Guénin, trouvera, nous l'espé-
rons, écho dans cette jeunesse française à qui le grand explorateur demande de con-
tinuer les a Gesta Dei per Francos ».
Le Désastre, par Paul et Victor Maroueritte. Pion, éditeur. ^ L'accueil cha-
leureux fait à cet ouvrage qui, depuis le commencement de Vannée atteint presque
sa 60* édition est pleinement justifié. Sous forme de roman les auteurs, fils du bril-
lant général Marguerilte tué à Sedan, ont retracé le pénible calvaire que suivit Tar-
mée de Metz. Ils ont su faire vibrer dans leur récit toutes les cordes du patriotisme,
exaltant les sentiments de devoir, de dévouement et de sacrifice. C'est là une œnvi^
autrement méritoire que celle qui consiste à mettre au premier plan toutes les défail-
lances, les lâchetés, les trahisons.
Mémoiree du g*> b*" de Marbot, 3 vol. in-16. Pion, éditeur. — LMmmense
succès de ces mémoires a été si vif, si universel, qu'il a remis en vogue tous les son-
venirs sur ce premier Empire. Cette édition à 3 fr. 50 le volume, aussi complète qae
la grande édition in-8* popularisera encore d'avantage par son bon marché l'oravre
immortelle du brillant général. Tout le monde pourra lire aussi les captivants récits
de l'un des héros les plus sympathiques de l'épopée impériale et sentir vibrer rame
du soldat, la fièvre du patriotisme et de l'enthousiasme dans ces pages d'une fran-
chise toute militaire, d'une furia toute française. La lecture de ces mémoires est récon-
fortante surtout pour les jeunes. C'est faire œuvre saine et patriotique que de leur
donner le plaisir de les lire.
Dieppe. Tel est le titre d'un élégant album que le comité dieppois de pnblidté
vient de faire paraître. Les monuments de la vieille cité, ses beautés naturelles, se$
environs pittoresques qui y attirent nombre de baigneurs, sont reproduits par des
illustrations d'une grande finesse.
Le Gérant, Edouard MARBEAU.
IMPRlIIXRn CHAIX. RUB BBBOBRB, IQ, PARIS. » 178S8-8-9S. — (IMN UritttU).
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FRANÇAIS ET ANGLAIS SUR LE NIL
I. — LA PRISE DE KHARTOUM
Tandis qu'en France les esprits, hypnotisés en quelque sorte par les
passions et les surexcitations d'un procès de trahison transformé en
brandon de discorde, semblent ne pas s'apercevoir qu'il y a au dehors
d'autres questions autrement graves que celle qui absorbe toutes leurs
pensées et dirige tous leurs actes, des événements d'une haute impor-
tance se déroulent sur les rives du INil. Les Anglais, sous le couvert du
gouvernement égyptien, ont repris Khartoum après avoir entièrement
défait le Mahdi, et l'expédition française Marchand, partie du haut
Oubangui, a occupé Fachoda, sur le Nil, coupant ainsi aux Anglais la
route du centre africain qu'ils s'apprêtaient à suivre. Ces deux événe-
ments étaient prévus depuis longtemps et on ne s'explique l'émotion
que le second cause en Angleterre, que par la vivacité de la déception
éprouvée par nos bons voisins, toujours heureux de nous jouer un mau-
vais tour, mais plus grincheux encore qu'un joueur qui a perdu quand
on leur rend la pareille.
Treize années se sont écoulées depuis Tépoque où Gordon-Pacha,
après avoir héroïquement défendu Khartoum pendant un an, est tombé
avec la ville sous les coups des Mahdistes (26 janv. 188S). A cette
é{)oque^ l'empire du Mahdi, dont nous avons retracé récemment la
formation et les progrès (1) était à son apogée. Le gouvernement du
Khédive Tewfick soumis docilement à toutes les instructions du cabinet
britannique, avait abandonné au khalife toutes ses possessions du
Soudan et de la Nubie et n'avait maintenu sa domination que jusqu'aux
frontières de l'ancienne Egypte.
Cet état de choses dura jusqu'en 1896, sans qu'aucun traité de paix
eut été conclu avec le Mahdi, mais aussi sans actes d'hostilité autres
qu'un échange de coups de feu ou une razzia sur la frontière établie,
événements qui, par une coïncidence extraordinaire, ne manquaient
pas de se produire lorsque la diplomatie remettait sur le tapis la ques-
tion de l'évacuation de l'Egypte par les Anglais. Ceux-ci avaient alors
bien soin d'agiter le spectre du péril mahdiste et de déclarer que la
sécurité de l'Egypte dépendait du maintien de leur occupation. Et les
choses en restaient là,
(1) Voir Rev. Fr, avril 189G, t. XXI, p. 231, le Mahdisme au Soudan (a>ec carte).
XX11I (Octobre 98). N* 238. 37
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à
562 REVUE FRANÇAISE
Cependant le gouveraement britannique reconnaissait qu'il avait
commis une grave faute en abandonnant le Soudan au Mahdi. Peuà
peu un courant d'opinion favorable à la reprise de Khartoum se iorma
et cela d'autant plus facilement que le projet de M. Cecîl Rhodes
d'établir une ligne ininterrompue de postes anglais du Cap au Caire,
était fort en faveur dans lempire britannique. On n'attendait plus
qu'une occasion pour agir. Les événements d'Abyssinie la firent bientôt
naître.
Malheureusement engagée dans une lutte sanglante avec Ménélik, en
conflit permanent avec les Derviches à Kassala, l'Italie se demandait si
l'Angleterre, à laquelle elle avait fait tant d'avances, ne l'aiderait pas
à sortir du guêpier où elle était tombée. Le gouvernement britannique
comprit, et saisit l'occasion de venir en aide à une nation amie, mais
non alliée, en attaquant les Mahdistes à l'autre extrémité de leur empire,
à la frontière d'Egypte, à 1,200 kilomètres de Kassala! C'était une nou-
velle conquête du Soudan qui commençait.
La V^ campagne (1896) conduisit les troupes anglo-égyptiennes à
Dongola dont elles s'emparèrent sans grande difficulté. La faible résis-
tance des Derviches, comparée à celle qu'ils opposèrent en 1883 à
l'armée anglaise du général Wolseley, indiquait bien l'état de décadence
dans lequel était tombé l'empire mahdiste. Aussi dès ce moment la
reprise de Khartoum fut-elle fermement arrêtée. Elle se serait sans
doute accomplie dans la 2^ campagne (1897) si la sérieuse prise d'armes
qui se produisit à la frontière nord-ouest de l'Inde n'avait obligé le
gouvernement britannique à mobiliser 60.000 hommes pour entre-
prendre l'infructueuse campagne dirigée contre les Afridis et à
différer par suite l'envoi de troupes destiné au Soudan oriental. Tout se
borna à l'occupation presque sans résistance d'Abou-Hamed et de
Berber, et à la construction d'un chemin de fer de Ouadi-Halfa à Abou-
Hamed afin de faciliter, à aussi grande distance, le ravitaillemail
du corps expéditionnaire.
Les Derviches qui n'avaient plus l'ardeur et le fanatisme d'antan,
n'inquiétaient nullement les envahisseurs. Es se contentèrent d'établir
un camp fortifié près de Dakheïla sur TAtbara, position d'où on pou-
vait assaillir sur ses derrières une armée remontant le Nil. Voulant
écarter cette éventualité le sirdar. ou généralissime, sir Herbert Kit-
chener résolut de le détruire. Le 8 avril 1898 les positions des Dervidies
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FRANÇAIS ET AiNGLAIS SUR LE NIL 563
furent attaquées au point du jour et enlevées d'assaut. Les Derviches
perdirent 2.000 tués et 3.000 prisonniers parmi lesquels leurs chefs
Témir Mahmoud. Les anglo-égyptiens eurent 60 tués et 420 blessés.
Après cette victoire le sirdar revint à Berber, attendant la crue du Nil,
en août, pour poursuivre sa marche en avant.
Dans rintervalle rien ne fut négligé pour assurer le succès de Texpé-
dition. Le chemin de fer, qui depuis Ouadi-Halfa suit pas à pas Texpé-
dition, fut prolongé jusqu'à TAtbara, rendant faciles et rapides les com-
munications avec le Caire, à 1.900 kilomètres de distance. La célérité
des moyens de locomotion a permis à des officiers de se rendre en
12 jours de liOndres au camp du sirdar. Munitions, vivres et approvi-
sionnements de toute sorte, dont les soldats anglais sont toujours gra-
tifiés avec un soin poussé à Textrême, ont pu ainsi être facilement
concentrés.
Afin de rendre décisive cette 3® can^pagne le corps expéditionnaire
fut encore renforcé de troupes britanniques. Son effectif fut porté à
24.000 hommes dont moitié environ de soldats anglais. Sur le Nil
10 canonnières et 4 autres vapeurs devaient appuyer la marche en
avant. Quant aux Mahdistes le nombre de leurs soldats était évalué
à 40.000.
Le 14 août, Tavant-garde du sirdar quitta le camp situé au confluent
de TAtbara. On croyait qu'un combat sérieux aurait lieu près de
Chablouka, à la 6® cataracte, où le chenal du Nil est torrentueux et de
nature à entraver le passage des canonnières et où, sur terre, de hautes
falaises forment une série de défilés propres à une action défensive.
Les Mahdistes n'avaient point manqué de construire des retranchements
et d'élever des batteries à cet endroit ; mais lorsque les troupes anglaises
y arrivèrent elles trouvèrent le passage abandonné. Le Mahdi avait
préféré concentrer toutes ses forces sous les murs de sa capitale,
Omdurman, en face de Khartoum qui n'est plus qu'une ruine. C'est là
que devait avoir lieu le choc décisif, le vendredi 2 septembre. En voici
le récit télégraphié d'Omdurman après la bataille :
« Des patrouilles de cavalerie, lancées le matin dans la direction
d'Omdurman, découvrirent l'armée derviche avançant en ligne de ba-
taille sur une étendue de 3 ou 4 milles. Des fanions innombrables flot-
taient au vent, au-dessus des masses de cavalerie et d'infanterie des
Derviches qui chantaient des chants de guerre.
'M
^
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564 REVUE FRANÇAISE
L'infanterie anglaise prit alors position au dehors du camp de Agaïza,
ayant à droite les Soudanais, puis les Égyptiens. Entre chaque brigade
était une batterie de mitrailleuses Maxim. La ligne des bataillons était
flanquée à droite et à gauche de fortes batteries Maxim-Nordenfeldt. En
arriéré, % brigades égyptiennes formaient la réserve.
A 7 h. 20 du matin, les Uerviches se massaient sur les hauteurs qui
dominent leur camp et s avançaient délibérément en formation enve-
loppante. A 7 h. 40, l'artillerie anglaise ouvrait le feu, auquel riposta
la mousqueterie derviche. L'ennemi, se portant sur la gauche de la ligne
anglaise, commençait une charge vigoureuse; mais cette charge fut
arrêtée par le feu général de toute la ligne anglaise, feu qui dora un
quart d'heure.
Pendant ce temps, les deux brigades de réserve avaient reçu Tordre
de se porter en soutien sur la gauche. Les Derviches, ne pouvant appro-
cher, firent alors une attaque déterminée sur le centre ; mais leurs ca-
valiers furent de nouveau maintenus à distance et balayés par une
grêle de projectiles. L'armée derviche se retira, laissant le sol couvert
de cadavres. La bravoure de ces barbares avait été incroyable. Leurs
émirs à cheval et leurs porte-drapeaux, avec un superbe mépris de la
mort, s'efforçaient d'avancer et arrivaient môme jusqu'à quelques cen-
taines de mètres de notre ligne.
Le colonel Rhodes, frère de M. Cécil Rhodes, qui agissait conune cor-
respondant du Tirnes, et plusieurs autres officiers anglais, ont été blessés.
Un lieutenant et un capitaine ont été tués.
Au moment où les Derviches battaient en retraite, l'armée anglo-^yp-
tienne quitta le camp en échelons de bataille, se dirigeant dans la direc-
tion d'Omdurman. Les brigades venaient d'atteindre le sommet des
hauteurs voisines du Nil, lorsque les Soudanais de l'aile droite rencon-
trèrent l'ennemi qui s'était reformé dans les rochers à deux milles du
camp anglais autour de l'étendard du khalife pour tenter une supréœ
attaque. 15.000 Derviches attaquèrent les Soudanais qui, soutenus par
les mitrailleuses Maxim, résistaient pendant que le général Kitcheno"
ordonnait à la gauche et au centre d'opérer une conversion.
En 10 minutes, avant que les Derviches eussent pu réussir dans leur
attaque, les Anglais s'emparaient des rochers, et l'ennemi surpris dans
la dépression de terrain était fauché par des feux croisés d'artillerie et
de mousqueterie. Tous ses efforts furent vains. L'armée derviche était
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1
FRANÇAIS ET ANGLAIS SUR LE NIL 565
réduite graduellement à des groupes épars et le sol jonché de cadavres
enveloppés de burnous, ne ressemblait plus qu*à un pré couvert de fla-
ques de neige.
Parmi les incidents de la bataille, on signale une charge de lanciers
qui, interceptés par une masse de Derviches, purent la traverser en se
taillant un passage à coups de sabre et de pistolet. Us eurent le lieute-
nant Grenfell tué et 4 officiers blessés ; 40 lanciers furent tués ou
blessés.
Sur Taile droite, ]a cavalerie égyptienne lutta toute la journée contre
les cavaliers Baggaras et reprit aux Derviches un canon dont ceux-ci
s'étaient emparés. La conduite des Derviches a été simplement héroïque.
Ail heures un quart, le général Kitchener ordonna l'avance géné-
rale. Les débris des Derviches furent repoussés dans le désert, pendant
que la cavalerie leur coupait la retraite surOmdurman. A midi un
quart, la colonne anglaise se portait sur Omdurman, ayant à sa tête le
général Kitchener, porteur de Tétendard noir pris au khalife. Omdurman
était occupé à 4 h. après une courte lutte. »
Cette brillante victoire, due à la supériorité de la tactique et surtout
de l'armement des Anglais, ne coûta que peu de monde aux vainqueurs :
23 sous-olticiers et soldats anglais tués, dont 19 du 21® lanciers et 99
blessés, dont 12 ofiiciers; 21 égyptiens ont été tués et 230 blessés. Quant
aux Madhistes, le recensement de leurs pertes fait sur le champ de ba-
taille accuse 10.800 tués. Plus de 3.000 ont été faits prisonniers. Un ^
courrier, parti d'Omdurman après la victoire, est arrivé au Caire en
87 heures.
La cavalerie, après avoir poursuivi les fuyards pendant 50 kilomètres
en suivant les bords du Nil, découvrit que le mahdi Abdullah s'était
dirigé à l'ouest vers le Kordofan, avec une poign,ée de cavaliers. Elle i
cessa alors la poursuite rendue d'ailleurs impossible par l'épuisement ^
des chevaux qui avaient été montés pendant 48 heui'es sans inter- ^
ruption. ^
Khartoum reconquis, l'empire du mahdi brisé, que va faire l'An-
gleterre?
C'est au nom du khédive que le Soudan est reconquis, mais c'est
aussi et surtout dans l'intérêt de l'Angleterre. C'est avec le concours de
l'armée égyptienne, mais c'est aussi avec l'assistance des foi'ces anglaises
et la direction d'un général anglais. C'est aux frais des contribuables
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566 HËVUE Française
égyptiens, mais c*est aussi avec l'aide du Trésor britannique ; et le ca-
binet de S^-James, qui avait avancé à TÉgypte la somme de 798.000
livres sterling, a déclaré, et la Chambre des communes Ta approuvé
(juin 4898), que ce prêt ne devait jamais être remboursé.
La conversation diplomatique engagée de temps à autre pour bien
établir qu'il ne faut pas compter sur la prescription, va sans doute re-
commencer entre la France et l'Angleterre, sur la question de l'occu-
pation. Le cabinet britannique ne pourra plus invoquer le péril mahdiste,
ni la nécessité d'assister le gouvernement du khédive, car, jamais peut-
être, l'Egypte n'a été plus tranquille ni plus prospère.
Certains organes de la presse britannique, partisans avérés du main-
tien permanent de l'occupation, annoncent que le moment est venu
pour l'Angleterre de déclarer qu'elle restera en Egypte. Il est encore
douteux que l'Angleterre fasse une déclaration en aussi flagrante con-
tradiction avec ses engagements antérieurs, car elle n'y a pas d'intérêt
évident ni immédiat. Mais on peut considérer comme certain qu elle y
restera sans le déclarer. Au surplus, l'arrivée de la mission Marchand,
à Pachoda, va donner une autre tournure à la conversation.
IL — LA MISSION MARCHAND A FACHODA
A peine la presse britannique avait-elle eu le temps de savourer la
bonne nouvelle venue de Kh^rtoum et d'escompter les immenses résul-
tats qu'allait produire la victoire, que sa satisfaction et son apparente
quiétude ont été profondément troublés par une grave nouvelle : la
mission Marchand a devancé les Anglais sur le haut Nil ! Voici comment
la nouvelle est parvenue à Omdurman, d'après un télégramme de cette
ville en date du 7 septembre.
Quelques jours avant l'arrivée de l'armée anglo-égyptienne, le Mahdi
ayant été informé que Fachoda avait été occupé par une troupe blanche
avait envoyé deux vapeurs s'assurer du fait. Un des vapeurs, revenu à
Omdurman, après la prise de la ville, s'est rendu au sirdar. Son capi-
taine raconte qu'en arrivant à Fachoda une troupe blanche, qui occu*
pait la place, ouvrit le feu sur ses navires et qu'il put échapper à grand
peine. Les balles trouvées dans la coque du navire paraissent avoir été
tirées par des fusils français.
A cette nouvelle, le sirdar Kitchener a formé aussitôt un petit corps
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FRANÇAIS ET ANGLAIS SUR LE NIL 567
expéditionnaire et a quitté Ondurman avec 3 vapeurs se dirigeant sur
Faelioda, qui est à environ 600 kilomètres,
Est-il besoin de dire qu'à Tannonce de la présence de la mission
Marchand à Fachoda, la presse anglaise, avec une presque unanimité
touchante, est partie en guerre contre la France, sortant de ses tiroirs
toutes les expressions de mauvaise humeur ou les insinuations hai-
neuses qui y avaient été rengainées depuis les affaires du Niger ou qui
y attendaient leur tour de sortie. En voici quelques échantillons :
Le Globe annonce la nouvelle sous ce titre « L'agression française ».
Le News of the World dit que le gouvernement ne doit pas hésiter ;
« Il y a quelque temps le gouvernement a informé le cabinet français
que la moindre tentative pour entraver la marche des Anglais sur le
Nil serait considérée comme un casus belli. L'occupation de Fachoda
par une mission française rentrerait dans cette catégorie. » Le Moming
Post estime que l'occupation de Fachoda par la France serait une cala-
niité. Le Daily Telegraph dit : « S'il s'agit de la mission Marchand et
que celle-ci prétende, au nom de son gouvernement, nous barrer le
chemin, il faudra l'inviter poliment, mais fermement à se retirer, et si
elle s'y refuse, l'expulser avec le moins de violence possible ».
Le TiiTies fait remarquer que si Fachoda était un territoire ouverte-
ment abandonné la France pourrait se baser sur ce fait; il n'en est rien.
Fachoda a été incorporé au Soudan égyptien en 1870 et l'Egypte est
aujourd'hui en mesure d'exercer sur ce territoire ses droits qu'elle a
toujours affirmés. Le Times ajoute que le gouvernement agira confor-
mément à la déclaration faite par sir Grey le 28 mars 1895, à savoir
que l'arrivée des Français à Fachoda constituerait un acte presque
hostile.
Tout d'abord faisons remarquer qu'il n'y aurait là aucun acte hostile.
Dire que nous sommes à Fachoda pour être agréable à l'Angleterre
serait évidemment une exagération. Il n'y a là qu'une question de
concurrence entre deux nations en rivalité pour leurs zones d'influence.
D'où vient le ton acerbe de la presse britannique ? De ce que nous
serions arrivés les premiers. Mais si les Anglais nous avaient devancés
à Fachoda ne trouveraient-ils pas cela parfait? Ils invoquent aujourd'hui
les droits et les revendications de l'Egypte. Mais que faisait donc Stanley
quand il emmenait malgré lui Emin Pacha et lui faisait abandonner la
province équatoriale où seul il avait pu maintenir contre les Mahdistes
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868 REVUE FRANÇAISE
le drapeau égyptien ? Les Anglais se souciaient alors fort peu des droits
de l'Egypte. En amenant l'abandon de l'Equatoria, ils poursuivaient un
but : faire de celte province une res nuUius que l'I. B. E. A. — la O
anglaise de l'Est africain — ferait entrer peu à peu dans sa sphère
d'action par l'Ouganda et qui deviendrait ensuite, par la force des
choses, territoire britannique. Le projet a échoué et c'est pour cela que
les Anglais sont aujourd'hui si forts partisans des droits de l'Egypte. La
suite des événements justifie d'ailleurs pleinement cette manière de voir.
Est-ce que dans la convention anglo-allemande du l**^ juillet 1890,
le territoire soumis à l'influence anglaise n'est pas indiqué comme étant
situé entre l'Abyssinie et la sphère italienne à lest, la frontière du
Congo et la ligne de faîte du bassin du Nil à l'ouest fart. 1*^ § 3) (1)
comprenant ainsi les provinces équatoriales ?
Est-ce que dans la convention anglo-belge du 12 mai 1894 l'Angle-
terre ne cède pas à bail au roi Tiéopold le Bahr el Ghazal dont la limite
septentrionale est marquée par le 10* parallèle jusqu' à un point à dé-
déterminer « au nord de Fachoda » (art. 2) (2)?
Est-ce que plus récemment encore FiVngleterre, dans le traité conclu
avec Ménélik, n'a pas cédé à l'Abyssinie la rive droite du Nil précisé-
ment à la hauteur de Fachoda? Comment l'Angleterre, après avoir
cédé à la Belgique; à l'Abyssinie les anciennes provinces égyptiennes
qui ne lui ont jamais appartenu, vient-elle se prévaloir aujourd'hui de
l'intégrité de l'empire égyptien? Au surplus, c'est une thèse qui n'est
pais pour nous déplaire. Que l'Angleterre respecte cette intenté en
évacuant l'Egypte et nous évacuerons Fachoda.
Mais la présence à Fachoda de la mission Marchand est-elle possible?
Voici plus de 2 années que l'expédition Marchand, dont nous avons
retracé l'origine et suivi la marche (3) a quitté la France (juin 1896).
Après une pénible montée de Loango à Brazzaville et une longue re-
monte de rOubangui, la mission dût entreprendre le passage du bassin
du Congo dans celui du Nil. Il fallut faire environ 1.000 kilomètres
dans un pays sans routes, tantôt sous un soleil ardent, tantôt sous des
pluies torrentielles, faire porter à dos d'hommes à travers la brousse
plusieurs milliers de chaînes et traîner à travers les forêts, les maré-
(1) Voir le texte du traité, Rev, Fr.. 1«' août 1890, p. 170.
(2) Voir le texte du traité, Rev, Fr., juin 1894, p. 333.
(3) Voir Rev. Fr,, déc. 1897, p. 689, fév. 1898, p. 79.
i!
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>-^^
FRANÇAIS ET ANGLAIS SUR LE NIL 569
cages et les rochers, les machines de deux bateaux à vapeur. Enfin,
après des fatigues sans nombre la mission arrivait à Tamboura, sur le
Soueh, affluent du Bahr el Ghazal et s'y concentrait dans le courant de
1897 (1). Il fallut ensuite lancer et équiper les deux vapeurs, puis at-
tendre la saison favorable des hautes eaux pour descendre le Soueh
jusqu'à Messhra el Rek, suivre le cours du Bahr el Ghazal jusqu'à son
confluent avec le Nil et descendre ce fleuve jusqu'à Fachoda.
Surprise par la baisse des eaux survenue plus tôt que d'habitude, la
mission avait dû arrêter sa marche en avant au moment d'entreprendre
la descente du Soueh. Après avoir établi un poste à Koutschouk Ali et
obtenu d'autre part du sultan de Djour Ghattas le passage sur son ter-
ritoire, elle établit son campement à Fort Desaix.
Le capitaine Marchand chai^ea alors le capitaine Baratier, l'inter-
prète Landeroin et 20 hommes d'aller reconnaître en pirogues le cours
inférieur du Soueh et du Bahr el Ghazal. Parti le 12 janvier 1898, le
capitaine Baratier dut naviguer au prix de mille difiicultés à travers des
marais se suivant à l'infini et couverts presque partout d'herbes gigan-
tesques. Pendant un mois et demi il fut en quelque sorte perdu dans
ce vaste marécage, n'ayant pas aperçu un habitant et n'ayant pour
vivre que le produit de sa chasse. Enfin il trouva un courant rapide, le
Bahr el Ghazal, qui le conduisit en quelques jours au lac Nô. Sa mis-
sion terminée, il revint trouver son chef.
Entre le poste du haut Soueh, où campa la mission, et le confluent
du Vaou, en aval de lancienne Zériba de Koutschouk Ali, il y a envi-
ron 250 kilomètres et, de là à Meschra el Rek, 175. C'est en ce point,
dont le nom signifie « embarcadère du Rek » que commence la naviga-
tion du Bahr el Ghazal.
A ses débuts, l'expédition Marchand comprenait 12 officiers, 12 sous-
ofiiciers européens et environ 500 indigènes sénégalais ou autres. Bien
qu'un seul officier, le capitaine Simon, ait quitté la mission pour re-
venir mourir en Algérie, le groupe principal, qui suit le capitaine
Marchand, a dû être sensiblement réduit par les maladies et par suite
de l'établissement de divers postes dans le Bahr el Ghazal pour assurer
les communications. Au commencement de 1898, une colonne de se-
cours et de ravitaillement lui fut envoyée sous les ordres du capitaine
(1) Voir la carte du Bahr el Ghazal, Rev. Fr,, fév. 1898, p. 81.
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570 REVUE FRANÇAISE
Ed. Roulet. Celui-ci, parti de Libreville (Gabon) le 20 mars avec 2 offi-
ciers, MxM. Berger et Thorel, et 120 tirailleurs ou laptols sénégalais,
prit à Matadi le chemin de fer qui venait d'être terminé et arriva ainsi
rapidement à Brazzaville où il s*embarqua pour remonter l'Oubangui.
A rheure actuelle il doit être dans le bassin du Nil.
On annonce qu'une autre expédition chargée de ravitailler la mission
a quitté la France le iO septembre sous les ordres du capitaine Delà-
fond, assisté des 1^ Durand-Autier, Galland, Perrot, de Sassel, 1 mé-
decin et 1 1 autres Européens. Après avoir embarqué à Dakar un déta-
chement de tirailleurs sénégalais, elle prendra à Matadi le chemin de
fer du Congo et sera embarquée à Brazzaville pour TOubangui et le
Bahr el Ghazal. Mais cette mission, qui emporte une grande quantité
d'approvisionnements, ne sera rendue à destination qu'au commence-
ment de 1899.
Les dernières nouvelles révélées de la mission — et depuis son pré-
tendu massacre nous ne pouvons qu'approuver ceux qui font le silence
sur sa marche — faisaient part de sa présence à Meschra el Rek en mars
^898. II est donc probable qu'elle a eu tout le temps et la possibilité
d'arriver à Fachoda.
Cependant, deux autres troupes blanches pourraient s'y trouver.
D'abord l'expédition anglaise Macdonald ; mais celle-ci, retenue long-
temps par la révolte de? Soudanais dans l'Ouganda, n'avait pas encore
quitté ce pays au commencement de juillet 1898. Ensuite, l'expédition
belge de Redjaf sur le haut Nil ; mais une récente attaque des Mahdistes
contre Redjaf donne peu de vraisemblance à la nouvelle de la marche
des Belges vers Fachoda. Enfin, les Abyssins descendant le Sobat au-
raient pu atteindre Fachoda.
P. S. — Le sirdar Kitchener de retour à Omdurman annonce qu'il a
rencontré à Fachoda le c*^ Marchand et l'a invité à se retirer. Celui-ci
ayant refusé, le sirdar a établi une garnison à côté du poste français
et a redescendu le Nil. La mission serait arrivée à Fachoda le 10 juillet
avec 8 otïiciers et 120 hommes.
Georges Démanche.
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LES HABITANTS DU LAOS <*^
IL — Autres races.
Pendant les nombreuses périodes de trouble auxquelles ce pays a été
en butte, beaucoup d'autres races sont venues s*y implanter. Celle qui
s'est étendue le plus rapidement est celle des Thaïs rouges, que certains
dénomment parfois Moïs, mais qui ne sont que des Thaïs. Ces Thaïs
rouges sont originaires de Mon Caya (Chu Ha ou Maï Ha), dans la ré-
gion entre le Song Ma et la Rivière Noire, sur la route ue Phu-Lé à
Cho-Bo. Ils ont envahi les territoires voisins des leurs et la vallée du
Nam Ma, de Muong Het à la hmite du Xieng-Kho, se trouve peuplée
en très grande majorité par ces Thaïs rouges. Le Hoà panh de Muong
Sam Teu en compte également beaucoup; ils se sont même introduits
dans le territoire de Muong Son, qui est cependant le plus occidental
des Hoa Panh Tang Hoc, et telle région de Muong Son, comme Muong
Khao, ne renferme plus du tout de Laos.
Mais là surtout où ils sont devenus !es maîtres, c'est dans le hoa panh
de Muong Soï, d'où ils ont chassé les Laos avec l'aide des Chinois, il y
a une dizaine d'années. Ce hoa panh ne compte guère que des Thaïs
rouges, et ils disent le pays à eux, bien que j'aie pu m'assurer par les
renseignements pris dans toute la région que Muong Soï est bien un
pays lao.
Les Thaïs de Muong Soï qui s'étaient infiltrés petit à petit dans ce
pays y habitaient d'abord eu même temps que les Laos; l'entente
n'existait pas entre les deux races. Les Thaïs furent chassés du pays
une première fois, il y a une trentaine d'années, y revinrent peu à peu
el, finalement, soutenus par les Pavillons Jaunes, ils chassèrent à leur
tour les maîtres du sol. Aujourd'hui encore, les Laos de Muong Soï
habitent presque tous le hoa panh de Hoa Muong.
Au mois d'avril 1894, les chefs thaïs de Muong Soï et les anciens
chefs laos qui en avaient été chassés ont été mis en présence, à Muong
Het, par le lieutenant Bobo, commandant le cercle, pour essayer d'une
entente qui permettrait aux Laos de Muong Soï de rentrer dans le pays
de leurs pères. Tous ces chefs réunis ont signé un accord par lequel les
Thaïs permettent aux Laos de se réinstaller dans leurs anciens villages.
Les corvées et charges du pays devront ètrô partagées entre eux ; les
(1) Voir Rei>. Fr., sept. 1898, p. 505.
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572 REVUE FRANÇAISE
chefs thaïs et laos pourront, comme par le passé, domier des ordres aux
habitants sous leurs ordres, sans distmction de race. Thaïs et Laos oat
prêté serm.ent de se conformer à Taccord signé par eux.
Les Thaïs blancs sont en très petit nombre, une cinquantaine de fa-
milles à peine, toutes dans lehoapanh de Muong Het ou celui de Xieng-
Kho. Es doivent venir du haut bassin de la Rivière Noire, du côté de
Dien Bien Phu.
Après les Thaïs viennent les Khas, par ordre d'importance, comme
chiffre de population. Les Khas sont considérés comme étant de race
inférieure par les Laos et par les Thaïs. Le mot Kha, ou xa, signifie
d'ailleurs a esclave », mais esclave d'un degré inférieur encore aux
« Khoë »,,qui sont plutôt des esclaves domestiques.
Trop opprimés, sans doute, à un moment donné ils levèrent l'éten-
dard de la révolte et luttèrent pendant onze ans pour obtenir quelques
libertés : on ne put les soumettre qu'en leur faisant des concessions.
Du côté de Luang Prabang, les Khas ont leurs chefs propres qui attei-
gnent même le grade de « Pha Nhia ». Dans les Hoa Panh Tang Hoc,
les libertés qu'on leur a laissé prendre sont moindres ; il n'y a que
quelques Phias Khas, et encore les autres chefs ne les reconnaissent-ils
pas comme tels. On a limité leurs titres à celui de « xen ». Un xen ne
peut commander que deux taos au maximum : un « tao » est la réu-
nion de dix maisons. Au-dessous du xen est le thao, chef d'un tao.
Les Khas n ont pas d'écriture. Lorsqu'ils veulent faire parvaiir un
renseignement ou un orare à un village Kha, les chefs se servent de
tablettes de bambou sur lesquelles ils font des encoches qui ne sont, en
somme, que des signes conventionnels. Leur langage est différent du lao
et du thaï. Ils subissent le nom de Kha, mais se disent P'ou Tings quand
on leur demande leur race. Pou Ting veut dire habitant des sommets.
Les Khas sont répartis un peu partout dans le pays.
Viennent ensuite les Meos, qui se divisent en trois catégories : blancs,
noirs et à carreaux. Ces différents noms leur viennent de la diversité de
couleurs de leurs vêtements, qui se trouve surtout chez la femme.
Les Meos ont encore un langage différent des trois précédents et qui
se rapproche plutôt du chinois. Les Meos sont, d'ailleurs, d'origine
chinoise.
Il existe des Jaos en petite quantité, vingt familles à peine, dans les
Hoa Panh Tang Hoc. Ils ne sont qu'une variété des Meos.
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LES HABITANTS DU LAOS 573
Les Meos ont la tête rasée, comme les Chinois, ne conservant qu'une
touffe de cheveux au milieu de la tête, ces cheveux formant queue ;
leur tresse est beaucoup plus courte que celle des Chinois. Les Jaos
ont cette touffe ramenée en corne au-dessus de la tête.
A des races si diverses viennent encore s'ajouter les Phou Phais et
les P*ouocs. Ces derniers sont considérés comme peuplade sauvage et
tenus en parfait mépris. A Torigine, Phou PhaYs et P'ouocs auraient
été de même race ; les P'ouocs ne seraient, en somme, que des Phou
Phaïs tombes en esclavage à la suite de dettes qu'ils ne pouvaient payer.
On commence à compter un peu plus avec les Phou Phaïs ; ils sont
gens assez résolus et dans tel endroit, comme Muong Sam Ten, par
exemple, les Phou Phaïs font trembler les gens du pays.
Esclavage.
En dehors des ravages exercés par les invasions et guerres diverses,
une autre plaie existait, qui contribuait pour le moins tout autant à la
dépopulation dp. pays. Je veux parler de l'esclavage, du trafic des gens
qui a eu lieu jusqu'à ces dernières années.
Il faut reconnaître que les Siamois avaient beaucoup fait non seule-
ment pour améliorer la position des esclaves, mais encore pour faire
disparaître cette coutume barbare.
Il suffit, pour s'en rendre compte, de lire les deux documents sui-
vants, que j'ai trouvés en fouinant un peu partout, et que les chefs
s'étaient toujours bien gardés de porter à ma connaissance. Connue on
pourra le voir, on avait réglementé les conditions pour que chacun pût
recouvrer la liberté : un salaire était attribué à l'esclave en plus de la
nourriture journalière, pour cnacune des journées passées chez le
maître. La liberté était acquise dès le jour où le travail avait permis
d'amasser une somme suffisante pour éteindre la dette, cause de l'as-
servissement. Les esclaves redevenaient des hommes : des lois réglaient
leur existence et établissaient leurs droits.
Circulaire du roi de Luang Prabang au sujet des esclaves,
« Le Phan hia Muong Chan et les divers mandarins de la cour de Luang
Prabang informent le Pha nhia, Phia boa panh, Phia palat, Lassa, et
autres notables du hoa panh de Muong Het, que les malheurs des
peuples du Laos (soit à Luang Prabang, soit dans les contrées environ-
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874 REVUE FRANÇAISE
oantes), causés par les pillages des bandes chinoises, sont arrivés à la
connaissance du roi de Siam, de même que le peu de tranquillité dont
jouit ce pays.
Le roi de Siam a envoyé alors le Phraya Sourisak Mon Try, man-
darin militaire, et le Phra Palat Sada, colonel, avec des troupes sia-
moises, à Luang Prabang, pour chasser ces bandes de notre pays el
permettre aux habitants de rentrer chacun dans son village et y re-
prendre tranquillement son travail. Actuellement, ces bandes sont déjà
chassées du pays et les habitants doivent faire rentrer leurs famille?
chacun dans son village ; ils n'ont plus rien à craindre.
Les 1«% 2®, 3* rois de Luang Prabang ont tenu conseil avec le man-
darin militaire et le colonel siamois, et ont pris une décision sur la
façon d'organiser le pays pour que les habitants soient heureux à
l'avenir ; il faut pour cela que les notables traitent bien les habitants.
Quant aux anciennes coutumes, on ne doit suivre que celles qui sont
bonnes; il faut abandonner les mauvaises. Pour les esclaves, par
exemple, il y en a de plusieurs catégories :
1** Il y a des esclaves qui ne sont pas payés : ce sont les gens qui,
voulant rester sous les ordres d'un notable, sont pris comme esdaves
par celui-ci, qui les garde avec lui et qui les fait travailler sans qu'ib
gagnent rien de toute leur vie.
2** Il y a les esclaves payés : quelqu'un achète un homme ou une
femme 20 roupies et le revend à un autre 40 roupies pour en tirer
des bénéfices (dans le pays même). En dehors de cela, il y a des gens
qui font le commerce d'esclaves pour gagner leur vie, prenuent des
habitants dans un pays pour aller les revendre dans un autre, comme
du bétail. Ces gens-là ne pensent pas que ce soient des hommes comme
eux. Cette coutume est un malheur pour les habitants ; elle serait de
nature, si elle continuait à s'exercer, à dépeupler vite le pays.
Le roi de Luang Prabang et le mandarin militaire siamois se sont
constitués en tribunal spécialement affecté à la question des esclaves
(San Croma thah), qui délivrera des certificats constatant que tel
homme ou telle femme sont Tesclaved'un tel ou d'un tel. Les deux inté-
ressés seront convoqués, et une fois le maître et l'esclave d'accord, les
juges remettront un papier (San Croma thali nah) avec le cachet du
tribunal au maître. Ce papier stipulera la somme d'arsçent versée par
le maître, somme sur laquelle le maître et l'esclave sont d'accord. D est
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LES HABITANTS DU LAOS 571J
formellement interdit au maître de prendre plas que la somme ins-
crite sur ce billet, quand Tesclave pourra se racheter.
Actuellement, dans la ville de Luang Prabang et dans toutes les pro-
vinces voisines la question des esclaves est déjà réglée : tous ceux qui
ont des esclaves payés ont reçu un papier du tribunal. La même chose
reste à faire dans les Hoa Panh Tang Hoc.
De la conférence tenue entre le 1", 2« et 3® rois et le mandarin sia-
mois, il résulte que tous les gens vendus en ce moment à Luang Pra-
bang ou les pays avoisinants ne sont que des gens des Hoa Panh, Lao-
tiens, Thaïs ou Khas : c'est pour ce motif qu'on envoie dans ce pays
des mandarins chargés de liquider les affaires d'esclaves. Les notables
et les habitants se conformeront à la règle prescrite.
Le roi a désigné le Satkouk Oun Keo, Sathou Chakavat et le Pha
nhia Xieng Nua, mandarins de Luang Prabang, pour circuler dans tou-
les Hoa Panh Tang Hoc et prendre note du nombre d'habitants et d'es-
claves.
Le roi donne l'ordre au Pha nhia et aux notables du hoa panh de
Muong Het de faire rassembler à Muong Het les habitants ainsi que les
esclaves payés ou volontaires de tous les villages, afin de les inscrire.
Défense est faite aux notables de cacher des hommes ; ils doivent indi-
quer le nombre exact des familles habitant leurs villages respectifs.
Dès qu'on aura pris note du nombre de ces familles, les mandarins
pourront régler la question des esclaves.
D est interdit au maître de l'esclave, dès que celui-ci pourra se ra-
cheter, de prendre une somme supérieure à celle portée sur le papier
du tribunal. Il ne pourra être acheté ou vendu des hommes sans un
papier de ce tribunal.
Que tout le monde se conforme également à ces ordres et suive les
prescriptions de la circulaire envoyée en même temps que celle-ci.
Le Pha nhia doit prévenir les notables et les habitants que si le roi a
envoyé des mandarins pour régler ces affaires d'esclaves,' c'est dans le
but de rendre le bonheur aux habitants, de permettre à chacun de
vivre libre, sans que désormais les uns soient les esclaves des autres.
Les notables et habitants n'ont à fournir aux mandariiis que le riz ;
quant au restant de la nourriture, ils ne doivent rien donner sans être
remboursés : les mandarins ont tous des appointements. »
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576 REVUE FRANÇAISE
Auti^e circulaire du roi de Luang Prabang sur la suppression
de la traite des esclaves.
« Luang Prabang, le 20^ jour du 6® mois de Tannée Kat Pao 1251
(1889 de l'ère chrétienne).
Par ordre du roi de Luang Prabang, les mandarins de la Cour infor-
ment les habitants et notables de toutes races des pays soumis à son
autorité, que, de concert avec le Phraya Sourisak Mon Ty, mandarin
militaire et le Phra Palat Sada, colonel siamois, le roi a pris une déci-
sion sur Torganisation du pays pour qu'il soit prospère et peuplé à
l'avenir, ce qui est le désir de S. M. le roi de Siam.
Pour les diverses coutumes du pays, on ne doit suivre, parmi les
anciennes, que celles qui sont bonnes, celles qui permettent aux habi-
tants de vivre tranquillement. Quant aux mauvaises, qui font le mal-
heur des habitants, il faut les abandonner. Considérons la question des
esclaves.
L'ancienne loi reconnaissait sept sortes d'esclaves :
l** Esclave payé, acheté ;
2^ Enfant d'esclave, qui est né dans la maison du mdtre ;
3** Esclave de famille, c'est-à-dire qui appartient à une famille d'es-
claves, depuis ses grands parents, et que le maître passe à ses enfants ;
4^ Esclave donné, c'est-à-dire celui qui, restant avec un individu
quelconque, est envoyé par celui-ci pour servir un autre maître, cama-
rade bu parent;
5** Esclaves provenant de ce que des gens, sous le coup d'une puni-
tion quelconque, sont allés demander à rester sous les ordres d'un man-
darin ou d'un notable, qui leur donne protection et les prend comme
esclaves ;
6** Esclaves provenant de ce que, en temps de famine, de pauvres
gens n'ayant rien à manger, sont venus demander à rester sous les
ordres d'un notable quelconque ou d'un simple habitant qui les nourrit
et les prend comme esclaves ;
7*» Esclaves provenant des hommes, femmes ou enfants prisonniers de
guerre et mis en esclavage.
Ces sept sortes d'esclaves s'appellent « That doï Kabine » : ce sont
des esclaves à perpétuité, selon l'ancienne loi du pays.
Il n'est pas possible qu'on garde ainsi ces gens-là esclaves jusqu'à ce
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LES HABITANTS DU LAOS 577
qu'ils aient ac(|uitlé leur dette, car personne n'ignore qu'ils ne pourront
jamais trouver l'argent nécessaire pour payer leurs maîtres, puisqu'ils
ne travaillent que pour celui-ci toute leur vie durant, et puis, s'ils
leur viennent à manquer, on prend leurs enfants à la place, ea com-
pensation de la somme due. .
C'est là une coutume très mauvaise : le père et la mère étaient es-
claves, il est vrai, mais la somme qu'ils devaient au maître doit se
trouver acquittée par le travail qu'ils lui ont fourni pendant toute leur
existence. Et cependant les enfants restent esclaves, sans connaître la
liberté depuis leur naissance jusqu'à la fin de leur vie : on les vend, on
les achète tant qu'on veut, comme des bétes ; ils ne_ sont pas considérés
comme des hommes.
11 y a des individus qui, sachant que leur esclave va s'acquitter, s'em-
pressent de le vendre ; d'autres qui se rendent dans un pays, y achètent
des hommes pour 40 ou 15 roupies, les emmènent et les revendent
100 ou 200 roupies chacun ; il y en a qui emmènent les malheureux
sans parents et les vendent ailleurs. Des individus vont attaquer un vil
la^e, arrêtent hommes et femmes et vont les vendre ; d'autres enfin qui,
ayant échangé de l'opium ou du sel contre des hommes, sont allés
revendre ces derniers pour en tirer des bénéfices.
De plus, lorsque des esclaves qui ont réaHsé des économies soit en
argent, soit en marchandises, soit en bestiaux, viennent à mourir, le
maître s'empare de tout, sans rien laisser soit à la femme, soit aux en-
fants du défunt ; et femmes et enfants restent toujours esclaves jus-
qu'à la fin de leur vie.
Conformément à l'ancienne loi du pays, tout ce que gagnaient les
différents esclaves devait revenir au maître, jusqu'aux petites sommes
provenant de la vente des cordes et fils fabriqués avec l'écorce d'arbre
que l'esclave allait chercher : ainsi, si quelqu'un tombe en esclavage,
il pourra rarement se racheter.
C'est d'ailleurs pour ce motif qu'il y a presque un tiers d'esclaves sur
la population totale du pays. En continuant à suivre cette coutume,
ni ces malheureux, ni leurs descendants ne pourraient recouvrer leur
liberté jusqu'à la fin du monde.
Le roi, le mandarin militaire, le colonel siamois et les mandarins de
la cour ont résolu de supprimer cette coutume.
Dorénavant, on ne doit plus prendre comme esclaves les fils, petits
XXIII (Octobre 98). N» 238. 38
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4
678 REVUE FRANÇAISE
fils ou arrière petits-fils d'esclaves; on ne doit pas revendre les esclaves
un prix supérieur au prix d'achat; on ne doit pas prendre les biens
R amassés par Tesclave.
Que ^ut le monde se conforme à cette loi nouvelle, car si rancienne
coutume continuait à prévaloir, le pays deviendrait de jour en jour plus
. désert. Comme dit le proverbe laotien : c Tha nam yeu Thi deu pa
k ^ Khong Khon, tha nam hon Thi deu pa Khong si », « les poissons aiment
I mieux rester dans les endroits où il y a de l'eau fraîche, que dans ceux
où il y a de l'eau chaude ». Si le commerce des esclaves continuait à se
faire, les habitants abandonneraient certainement leur pays pour aller
s'installer ailleurs. Si cette coutume, au contraire, est abandonnée, le
^ pays sera probablement de jour en jour plus animé.
Dans le royaume de Siam, la loi de la libération des esclaves date de
Tannée de Marong (1230). Voici comment on a procédé:
On a pris le montant de l'achat pour l'esclave ; puis, suivant que
c'était un homme ou une femme, qu'il était jeune ou vieux, on lui a
alloué une certaine somme par jour et on a retranché du prix d'achat
le produit du nombre de journées que l'esclave a passées chez le
maître par l'allocation d'une journée.
Comme le royaume de Luang Prabang dépend du roi de Siam, on
l doit se conformer à ses lois.
[r Le jour où il a été décidé que la traite des esclaves était abolie, le roi
avait mandé à la cour tous les chefs des bonzes, mandarins, notables,
fonctionnaires et chefs de villages présents à Luang Prabang et leur a
demandé s'ils étaient de cet avis. Tous ont répondu au roi qu'ils étaient
[^ très contents de voir supprimer cette coutume. Alors le roi a chargé les
I mandarins de la cour d'écrire cette ordonnance pour informer les man-
L darins, notables et habitants de toute race des diflérents pays soumis à
^ son autorité d'avoir à se conformer à cette loi.
1** Il est défendu aux geng qui ont des esclaves non payés, c'est-à-dire
des esclaves leur venant des aïeux, grand-père ou père, de les garder
comme esclaves ; ils doivent les rendre à la liberté.
2" 11 est défendu de prendre comme esclaves les enfants qui naii*senl
dans la maison du maître, à partir du jour où les parents ont été mis
en esclavage, et dont le nom ne figure pas sur le San Cromalhan, billet
du tribunal.
[ Ds doivent être Ubres de partir s'ils veulent; s'ils désirent habiter chei
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LES HABITANTS DU LAOS 579
le maître de leurs parents, celui-ci peut les faire travailler de temps en
temps, en compensatisn de la nourriture qui leur est fournie; mais on
doit les traiter comme le feraient leurs parents : on ne doit ni les forcer
à travailler, ni les frapper, ni les punir comme les vrais esclaves qu'on
a achetés.
Si le maître ne se conforme pas à cette loi, les parents des enfants
pourront adresser leurs plaintes au « san » (tribunal), comme les autres
habitants, afin qu'on puisse juger selon la loi. Dans le cas où ces en-
fants veulent aller habiter ailleurs, le maître des parents ne doit pas
leur faire payer le prix de leur nourriture.
3** Si quelqu'un vient demander un esclave, garçon ou fille, au maître,
pour en faire son mari ou sa femme, le maîlre ne doit rien faire payer
pour le mariage : il doit se faire rembourser le prix d'achat seulement
si l'esclave a été acheté.
Si ce sont des esclaves non achetés, le maître ne doit rien demander
et il ne doit pas leur faire payer d'amende, puisque avant le mariage
l'autorisation lui a été demandée conformément à l'habitude du pays.
La fête du mariage pourra se fêter chez le maître si celui-ci y con-
sent ; sinon on la fera ailleurs.
4° Si un garçon prend une esclave sans prévenir le maître et qu'il
la débauche, le maître pourra faire payer l'amende au garçon d'après
la loi du pays. Si le garçon n'a pas de quoi payer, le maître doit venir
réclamer au tribunal, qui jugera et ordonnera au jeune homme d'aller
servir le maître de l'esclave à raison de trois ticaux par mois, jusqu'à
quittance de la somme due.
5® Si un esclave vient à mourir, il est défendu au maître de prendre
ses biens, qui doivent revenir soit à la femme, soit aux enfants, soit
aux parents. Le maître ne peut tout prendre que dans le cas où son
esclave ne laisse pas d'héritiers.
6^ Si un esclave a de l'argent pour se racheter, ou bien va demander
de rester sous- les ordres d'un nouveau maître qui paye [X)ur lui, l'an-
cien maître ne doit pas l'empêcher de partir; il ne doit pas non plup
faire payer au delà de la somme portée sur le billet du San Cromathan
donné par le tribunal. En même temps qu'il reçoit l'argent, le maître
doit donner à l'esclave le billet du San Cromathan.
Si le maître ne veut pas accepter la somme qu'on lui rend, Tesclave
doit apporter la somme au (San) tribunal, qui appelle le madtre, lui
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580 REVUE FRANÇAISE
fsdt aeœpter l'argent et rendre le billet du San Cromathan à l'esclave.
On retient au maître, sur la somme, 2 roupies pour 10 au proflt do
trésor du roi, en punition de son refus d'accepter l'argent.
7** Il est absolument défendu aux mandarins, notables ou simples
habitants d'acheter des gens qui, esclaves avant, avaient pu se racheter.
Celui qui n'obéirait pas à ces ordres se verrait enlever l'esclave ach^
et ne serait pas remboursé en punition de sa désobéissance à la loi.
8® Si quelqu'un a acheté un esclave avec l'autorisation du tribunal,
muni d'un billet du San Cromathan portant ]e cachet du tribunal, billet
où sont inscrits le prix d'achat, le nom du maître et celui de l'esclave,
et que tôt ou tard cet esclave veuille aller avec un autre maître, l'an-
cien maître ne doit faire payer que la somme inscrite sur le billet du
San Cromathan fait par le tribunal. Il ne doit remettre l'esclave et le
billet au nouveau maître que lorsqu'il aura reçu son argent. Ceci doit
se passer devant le chef du « Tasseng » (réunion de deux ou trois Bans
à Luang Prabang ; peut être comparé au Phong dans les Boa Panh
tang Hoc), pour que celui-ci inscrive sur le billet du San Cromathan la
date, les noms et domiciles des deux maîtres et de l'esclave, la somme
payée et les noms des témoins, hommes ou femmes, qui ont assisté à
l'achat.
9® Lorsqu'un esclave s'est racheté en payant au maître la somme due
et que celui-ci lui a rendu le billet du San Cromathan devant le chef
du. Tasseng, il est défendu au maître de racheter son esclave par force;
le chef du Tasseng doit l'en empêcher. Si quelqu'un commet cette fiiule,
l'esclave a le droit de réclamer au tribunal qui punit le coupable: on
garde l'argent payé pour l'esclave, auquel on rend la liberté.
10** Lorsqu'un esclave a volé n'importe quoi à son maître, celui-ci
ne doit pas le punir lui-même, mais le conduire au (San) tribunal, qui
le jugera et punira d'après la loi.
11*» Il est également défendu à qui que ce soit de revendre en dehors
de leur pays les esclaves achetés, ou d'aller vendre en dehors du pays
soumis au roi de Luang Prabang les gens du pays.
Si quelqu'un ne se conforme pas à ces ordres, les chefs du village où
il habite, ou bien les parents de l'esclave, devront venir réclamer au
(San) tribunal, qui obligera le vendeur à aller racheter l'esclave pour
le ramener à ses parents. Mais au moment où cet esclave est racheté,
on doit faire le compte à tant par journées passées chez le nouveau
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pwwjCT-
LES HABITANTS DU LAOS
maître ; on ne doit rembourser à celui-ci que le prix d'achat diminué
du prix de ces journées.
Si, par exemple, le nouveau maître avait payé cent roupies, on ne
lui rend pas la. somme, puisque l'esclave a travaillé pour lui ; le prix
des journées est versé à Tesclave et l'ancien maître est condamné sui-
vant la loi.
12« La loi des esclaves date du 20« jour du 6^ mois de l'année Kat
Pao (mai 1889). Les mandarins, notables, fonctionnaires ou simples
habitants doivent se conformer à ce qui est dit dans cette circulaire à
dater du jour de la promulgation de la loi. »
En résumé, on voit d'après ces circulaires que deux catégories d'es-
claves devaient être mis en liberté immédiatement sans compensation
aucune :
1® Les esclaves non payés, c'est-à-dire provenant des aïeux, grands-
pères, etc....;
2^ Les enfants d'esclaves nés dans la maison du maître à partir du
jour où les parents avaient été pris comme esclaves.
Pour tous les autres, les conditions de libération étaient établies. Ces
réformes avaient déjà reçu exécution partielle : la nouvelle loi avait été
appliquée à Luang Prabang, où tous les gens employés au service de
quelqu'un reçoivent un salaire dont le maximum m'a semblé devoir
être 4 pfoen (environ 8 0,06) en plus de la nourriture.
Dans certaines régions des Hoa Panh Tang Hoc, la même loi était
appliquée, et elle allait l'être partout lorsque les événements ont obligé
les Siamois à quitter le pays. On est donc à peu près certain de ne pas
éprouver de grandes difficultés dans l'application de cette loi bienfai-
sante. Nous ne saurions, d'ailleurs, sur une question pareille, rester en
arrière des Siamois.
Il faut bien distinguer entre les diverses catégories d'esclaves citées
précédemment et les villages qui sont sous les ordres directs d'un chef:
les premiers sont la chose de l'individu, qui peut les vendre d'après
l'ancienne loi ; tandis que les seconds ne sont, en quelque sorte, que
les vassaux, qui doivent certaines redevances aux chefs, mais qui ont
le droit de cultiver des terres pour eux et leur famille, de faire du
commerce à leurs risques et périls, les gains aussi bien que les pertes
restant pour eux seuls. Tel village dont les habitants ne sont pas con-
\^
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i
882 REVUE FRANÇAISE
tents de leur chef peut demander et obtenir de se mettre sous les ordres
d'un autre dont ils se croiront mieux traités.
Il ne faudrait cependant pas croire que ces esclaves soient bien mal-
heureux: leur situation, dans les Hoa Panh du moins, n'attire pas la
pitié iitimédiate, spontanée; ils sont un peu de la famille, et bien rare-
ment les voit-on maltraités par leurs maîtres. Ce sont, à proprement
parler, des domestiques à vie et non payés, qui contribuent à aug-
menter par leur travail les ressources du maître sans en tirer aucun
profit. Les hommes cultivent les rizières, vont à la poche, préparent
les matériaux pour les cai-nhas, accompagnent le maître dans ses dé-
placements pour porter ses vivres ou ses eflTets, vont au loin chercher
la provision de sel si rare en ce pays ; les femmes s'occupent des tra-
vaux de propreté et de ménage, vont chercher le bois à la forêt, pré-
parent les matières (coton ou soie) qui serviront à la confection des
effets d'habillement, décortiquent le riz, etc ...
Il faut savoir que tel individu est esclave pour le reconnaître. Il
n'en est pas moins vrai que l'esclavage existe encore en partie.
(A suivre,) Capitaine Bobo,
de V Infanterie de marine.
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LE CHEMIN DE FER DU BAS CONGO
L'inauguration solennelle du chemin de fer du Congo et son ouver-
ture au trafic, de Tembouchure du grand fleuve africain jusqu'au
Stanley Pool, marquent le point de départ d'une ère nouvelle dans a
pénétration du continent noir et l'exploitation des nombreuses richesses
naturelles que celui-ci enveloppait naguère de ses ténèbres. Grâce au
ruban d'acier qui se déroule sur près de 400 kilomètres, le Stanley
Pool, c'est-à-dire l'extrémité de l'immense réseau navigable du bassin
du Congo, ne se trouve plus qu'à 48 heures du littoral, — au lieu d'un
mois par le sentier des caravanes, — et Brazzaville, le chef-lieu des
possessions françaises du Congo, se trouve ramené à une distance de
18 jours des côtes de France. Ce n'est pas sans difficultés, sans dé-
penses, ni sans efforts que la petite et industrieuse Belgique est venue
à bout de cette œuvre remarquable, que la grande mais peu cons-
tante France n'a pas su ou voulu entreprendre sur la rive opposée du
fleuve. La ténacité, l'esprit de suite, la persévérance de la C'® belge du
chemin de fer ont triomphé de tous les. obstacles, et cependant, comme
nous allons le voir, les débuts étaient loin d'être encourageants !
Lorsque Stanley, dans sa magnifique mais sanglante traversée du
continent noir (1875-1877), eut descendu le majestueux fleuve du
Congo jusqu'au lac qui porte aujourd'hui son nom, il fut arrêté par
une succession de rapides et de chutes s'étendant sur un parcours
d'environ 323 kilomètres jusqu'à l'embouchure du fleuve. Rendre
navigable cette partie du Congo, il n'y fallait pas songer, en raison de
la quantité d'obstacles accumulés et de la multiplicité des chutes. Ia
route de terre, même si elle pouvait être créée dans un temps assez
rapproché, présenterait toujours de grosses difficultés à cause du grand
nombre de cours d'eau ou ravins qu'il faudrait franchir et de la série
de hauteurs qu'il faudrait escalader par le travers. De plus, elle de-
manderait de longues étapes et ne serait pas apte au transport des
produits lourds et encombrants. Aussi, lorsque les résultats du voyage
de Stanley furent connus, l'idée de construire une voie ferrée pour
atteindre facilement le grand réseau navigable du centre africain ne
fut-elle pas longue à faire son chemin.
Au commencement de 1878, le roi Léopold II, qui portait un vif
intérêt aux découvertes africaines, provoqua la création d'un syndicat
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' '-^-^
Le CHExn a
(D'après commuiucaii4
(c Bas-Congo.
wrment Géographique.
l'ÉRALE DE MaTADI.
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fm REVUE FRANÇAISE
qui envoya au Congo une mission d'études chargée de recueillir sur la
question un ensemble de données qui faisait absolument défaut. Le
t.H novembre de la même année était créée la société en participation,
qui donna naissance un peu plus tard à TAssociation internationale
utricaine d'où est sorti à son tour TÉtat indépendant du Congo.
Eu 1880, Stanley retourna au Congo pour le c -mpte des intérêts
belges et y étudia pendant plusieurs années les voies d'accès vers
llfitérieur et la valeur des produits susceptibles d\^tre amenés à la
crue par la voie du Congo. Ses conclusions aboutirent à la possibilité
de construire un chemin de fer dont il évaluait le coût à la somme très
niuiléri^ de 37 millions de francs. Le s déclarations de Stanley produi-
sirent leur effet en Angleterre et, en novembre 1888, un syndicat
lintannique se formait et demandait la concession du chemin de fer
(lu lias Congo. Mais les garanties furent insuffisantes pour pouvoir faire
appel aux capitaux et le syndicat dut se dissoudre en septembre 188(5.
C*est alors qu'entra en scène le capitaine Thys, sur l'initiative duquel
lafTaire fut reprise à Bruxelles, par la création de la « C** du Congo
pour le commerce et l'industrie ». Celle-ci, constituée définitivement
i*ri février 1887, se proposait de poursuivre dans des conditions plus
moLlii?tes, l'étude et la construction d'un chemin de fer. Elle ne perdit
point de temps. En effet, le 8 mai de la même année, le capitaine Thys
s'embarquait pour le Congo à la tête d'une troupe d'ingénieurs, bientôt
suivi d'un second groupe. 1-es opérations se poursuivirent jusqu'en
décembre 1887 et furent alors suspendues par suite de la saison des
pluios. Reprises en mai <888, elles étaient définitivement terminées le
4 novembre. Les ingénieurs rapjportaient avec eux le levé, au 1/5000*,
du tracé sur une longueur de 433 kilomètres. Ces travaux de recon-
naissance ne se firent pas sans peine, car il fallut partout débrousser
le terrain un peu à l'aventure dans une région qui était presque entiè-
lenit^nt inconnue des Européens. Le rapport concluait à la possibilité
de construire une voie ferrée, à l'écartement de 75 centimètres et d'ac-
quôrir le matériel roulant moyennant une dépense de 35 millions.
Le 31 juillet 1889 la « C® du chemin de fer du Congo » était cons-
titut^e à Bruxelles au capital de 85 millions. Le gouvernement belge
souscrivit 10 millions.
Le premier groupe d'ingénieurs quitta Anvers le 11 octobre. En jan-
vier 1890, lorsque commencèrent les travaux d'installation à Matadi,
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LE CHEMIN DE FER DU BAS CONGO 587
tête de ligne de la voie à construire, environ 800 noirs, parmi lesquels
200 Zanzibarites, se trouvaient réunis sut les chantiers.
Ce fut en mars <890 que commencèrent les travaux de terrassement
proprement dits. Cette première période de Texécution des travaux fut
particulièrement dure et meurtrière. On s'en rendra compte quand on
saura que le Congo roule ses eaux à Matadi entre deux rangées de hau-
teurs. Pour sortir du creux où est bâti Matadi, il faut donc s'élever for-
tement, et assez brusquement si l'on veut rester en territoire congolais
(la frontière portugaie passe à 1.800 mètres de la voie). Au col de Pa-
labala, le tracé atteint 280 mètres d'altitude. Et comme à ce point on
n'est qu'à 16 kilomètres de Matadi, il faut donc racheter sur un aussi
petit parcours la différence d'altitude de 254 m., la tête de ligne ne se
trouvant qu'à 26 m. au-dessus du niveau de la mer. Dure besogne, qui
demandera 3 ans et sera une rude école pour les ingénieurs et une
meurtrière campagne pour les travailleurs.
Pendant cette période de mise en train les travaux marchent avec
une lenteur désespérante. Il semble, en effet, que l'on ne puisse pas
sortir du bas-fond d'oti émerge Matadi. Mais il faut reconnaître, comme
le dit M. A.-J. Wauters, dans le Mouvement géographique^ que « le tra-
vail y est des plus pénible, notamment au passage des Échelles, ainsi
désigné parce qu'on n'y peut avancer qu'en se servant d'échelles, au
risque d'être précipité dans les rapides du Congo, et au point dit de
rÉboulement (kil. 6), où les mineurs travaillent dans le vide suspendus
par une corde au-dessus des chutes de la Mpozo. «
Aussi, au 30 juin 1891Ja voie n'est-elle achevée que jusqu'au kil. 2:6,
tandis que la dépense s'élève à 6 millions. Au 30 juin 1892, le kil. 9
est seulement atteint et le capital social (25 millions) est déjà entamé
de 11 millions et demi. Le kilomètre de voie revient ainsi à plus de
1.250.000 francs, au lieu de 60.000 francs, chiffre prévu I Les obsta-
cles qu'il faut sans cesse surmonter et la lenteur d'exécution des tra-
vaux amènent le découragement parmi les travailleurs, que les mala-
dies déciment d'ailleurs. La mauvaise nourriture, une installation défec-
tueuse, une température torride dans des ravins chauffés à blanc par le
soleil engendrent tout un cortège de maladies contagieuses : dysenterie,
fièvres paludéennes, béri-béri, etc. En 30 mois, de janvier 1890 à mai
1892, 900 hommes sur 4.500 travailleurs employés ont succombé. Le
nombre des malades est considérable. Aussi est-ce avec une peine
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588 REVUE FRANÇAISE
inouïe que ron parvient à recruter des travailleurs sur la côte occiden-
tale, car ceux qui ont été rapatriés ou ont déserté, font un tableau dé-
plorable des chantiers du chemin de fer. Il faut aller jusqu'aux Bar-
bades, à Zanzibar, et môme jusqu'à Hong-Kong, d'où on ramène 500
coolies, pour trouver des terrassiers.
Cependant, malgré le décourgement presque général, la direction des
travaux ne faiblit pas un instant. Enfin, au commencement de 1893,
le col de Palabala (kil. 16) est atteint. C'est là un résultat important, car
désormais, le terrain sersl moins accidenté, la température moins brû-
lante, la vie plus facile. Aussi l'état des travailleurs s'améUore t-il rapi-
dement au moral comme au physique ; chacun reprend courage et les
travaux avancent avec une rapidité inaccoutumée. Au mois de juillet,
le rail atteint le kil. 29 et, le 4 décembre, la première section, de Ma-
tadi à Kengé, soit 42 kil., est inaugurée par le gouverneur général. La
construction est désormais bien lancée : h la fin de 1894, on atteint le
kil. 82; à la fin de 1895, le kil. 142.
Mais, pendant que les travaux prennent une tournure aussi encoura-
geante, une grave crise financière éclate en Belgique. En effet, la 0* du
chemin de fer a déjà dépensé la majeure partie de son capital et c'est à
peine si le cinquième de la longueur de la voie est construit. Alors
commence contre l'entreprise du chemin de fer une violente campagne
qui, au Parlement et dans la presse, doit durer 2 ans (1894-1896). Le
Parlement, pour sortir d'embarras, nomme une commission technique
chargée d'examiner l'état des travaux et la possibilité de les mener à
bien. Cette commission s'embarque pour le Congo en août 1893 et en
revient avec un rapport favorable, fixant à l'année 1900 l'époque de
l'achèvement de la voie et à 130.000 fr. le coût du kilomètre restant à
construire. Éclairés par l'enquête, la Chambre, à une faible majorité,
le Sénat, à une très forte, approuvent (mai 1896), une convention de
l'État belge élevant de 10 à IS millions sa souscription et garantissant
une émission d'obligations de 10 n?illions. On voit que, si les opposi-
tions aux grandes entreprises coloniales sont souvent, les mêmes en
notre Europe, il y a, par contre, des parlements qui, soucieux avant
tout des intérêts commerciaux de leur pays, ont à cœur d'encourager
ces entreprises et de les mener à bien.
Encouragée par les bonnes nouvelles venant de Belgique, la direction
des travaux du chemin de fer redouble d'efforts. En 1892, un ingénieur
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LE CHEMIiN DE FEU DU BAS CONGO
589
français, M. Espanel, a été chargé de la direction de Tensemble des
services. En 1894, M. GoHin le remplace et, depuis cette époque, cha-
cun d'eux, à tour de rôle pendant un an, reste chargé de la direction
des travaux. Sous cette impulsion, la construction avance rapidement.
Le 22 juillet 1896, le chemin de fer est inauguré jusqu'à Tumba
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port maritime
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RÉSEAU FLUVIAL NAVIGABLE DU C JNGO (I80JO kll.).
(kil. 189). En janvier 1897, il arrive au point culminant de la ligne,
745 m. d'altitude, au col de Zona-Gongo et, le 1«' août, le service pu-
blic est ouvert jusqu'à Tlnkisi (kil. 264), que Ton franchit sur un beau
pont de 100 mètres. En même temps, la G'** commence à entrer dans
la période des recettes de quelque importance, car celles-ci montent à
400.000 fr. par mois, après l'ouverture jusqu'à Inkisi.
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590 REVUE F1UNÇAISE
M. Espanet avait poussé les travaux au point de construire 100 kilo-
mètres en un an. M. Goflin, à son tour, ne voulut pas rester en arrière
et atteignit 10 kilomètres par mois pendant la dernière campagne. Avec
un personnel bien entraîné et 8.000 travailleurs sur les chantiers, ricB
n'était impossible sous ce rapport. Le IS septembre 1897, le ch^nin de
fer atteignait Tampa (kil. 336), à l'altitude de 635 m. et commençait la
grande descente vers le Pool. Au mois de décembre, il arrivait à la
mission des jésuites à Kimuenza. Enfin, le 16 mars 1898, après huit
années de travaux, le sifllet de la locomotive retentissait sur les bords
du Stanley-Pool, à Dolo, terminus de la ligne, situé à 388 kil. de Ma-
tadi. Deux années avaient été gagnées sur le laps de temps prévu parla
commission d'enquête, la longueur de la ligne ayant été ramenée de
435 kil. à 388 et, dans la dernière campagne, le coût du kilomètre
s'était abaissé à 100.000 fr. La dépense totale s'élevait à 65 millions, ce
qui établit à environ 155.000 fr. le prix de revient du kilomètre.
Le 6 juillet la ligne était déclarée ouverte au public, après une inau-
guration solennelle faite en présence d'un grand nombre d'invités ame-
nés par le l*-colonel Thys et des délégués des puissances voisines du
Congo. M. de Lamothe, gouverneur du Congo français, représentait la
France et recevait, à son tour, les invités à Brazzaville.
La misç en communication facile et rapide du vaste bassin du (k)ngo
avec l'Océan ouvre un champ immense à la pénétration fluviale dans
l'État du Congo. Ce n'est pas seulement le Congo, sur ses 1.300 kil.
navigables sans interruption du Pool aux Stanley-Falls, qui est ouvert à
la navigation, ce sont aussi ses nombreux affluents, dont quelques-uns
sont presque aussi importants que le grand fleuve lui-même : le Kassaï,
qui, avec le Sankourou, est praticable jusqu'au delà de Lusambo, sur
un parcours de plus de 1.500 kil. ; l'Oubangui, accessible aux vapeurs
jusqu'après Yakoma sur 1.200 kil. ; la Sangba, navigable jusqu'à Bania,
sur 900 kil. En groupant tous les cours d'eau jusqu'ici reconnus, on
n'arrive pas à moins de 18.000 kilomètres I
Les Belges recueillent aujourd'hui le fruit des sacrifices qu'ils n'ont
cessé de faire, sur l'intelligente initiative de leur roi, pour ouvrir à leur
commerce le cœur de l'Afrique, ils en sont déjà bien récompensés. An-
vers, où naguère l'ivoire était peu connu, est devenu le premier mar-
ché du monde pour ce précieux article ; l'importation du caoutchouc
qui y était nulle il y a 10 ans, s'élève actuellement à 1.600.000 kilo-
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SOUDAN FRANÇAIS mi
grammes. Les recettes de TÉtat du Congo, qui n'étaient que de 74.000 fr.
en 1886, dépassent actuellement 9 millions. Enfin, le mouvement
commercial s'élève à plus de 40 millions et les importations de la Bel-
gique au Congo entrent en ligne de compte pour 73 0/0. Quelle est,
parmi les colonies françaises créées depuis 20 ans, celle qui approche
d'un pareil développement et qui fasse aux produits de la métropole
un aussi brillant accueil?
A. MONTELL.
SOUDAN FRANÇAIS
SIÈGE ET PRISE DE SIKASSO
La conquête du Soudan français, accomplie par nos officiers d'infan-
terie et d'artillerie de marine à la tête d'une poignée d'hommes, est
marquée, presque à chaque page de son histoire, par un brillant fait
d'armes. Un des derniers — car il ne reste plus que Samory à mettre à
la raison dans la vaste boucle du Niger — est la prise de Sikasso.
Le Kénédougou, dont Sikasso est la capitale, situé entre Ségou et
Kong, avait été pendant de longues années en relations très amicales
avec la Franco. Lorsque le drapeau tricolore vint à flotter sur les bords
du Niger, le fama de Sikasso, Tiéba, fut un des premiers chefs qui
sollicitèrent notre amitié.
En hostilités constantes avec Samory, il avait intérêt à marcher d'ac-
cord avec nous et il nous fut constamment fidèle. C'est grâce à l'assis-
tance précieuse que lui apporta, en 1890 et 1891, le capitaine Quiquan-
doB avec une simple escorte de tirailleurs, que Tiéba put triompher de
Samory, qui assiégea vainement Sikasso, et soumettre à son autorité
tous les petits chefs de Kénégoudou (1). Son influence était, par suite,
devenue très grande dans cette partie de la boucle du Niger.
Tiéba mort (1893), les relations devinrent plus froides. Babemba, son
successeur, subissant des influences hostiles, chercha à s'isoler le plus
possible. Un beau jour, il refusa le tribut de iOO bœufs qui nous était
payé annuellement. De plus, ses guerriers vinrent razzier de© villages
(1) Voir Revue Française, 15 nov., !•' déc. 1891, t. XIV, p. 528 et 577 Mission Qui-
guandon (arec carte).
i
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592 REVUE FRANÇAISE
du cercle de Bougouni et attaquèrent même des officiers en mission
topographique.
Avant de relever le gant comme il convenait, le gouverneur du Sou-
dan résolut d'avoir avec Babemba une explication claire et décisive et
de lui faire sentir les conséquences qu'entraînerait une rupture. Dans
ce but le capitaine Morisson fut chargé de se rendre à Sikasso. Parti de
Bougouni le 18 janvier 1898, le capitaine arriva le 27 dans la capitale
du fama. Après un accueil assez bienveillant, les palabres devinrent
difficiles et, finalement, le capitaine Morisson fut mis en demeure de
quitter Sikasso. Il partit le 1**^ février. Le 2, la mission tomba dans une
embuscade dressée par les sofas de Babemba et perdit tous ses bagages.
Ce ne fut que par une marche forcée de 90 kilomètres qu'elle put échap-
per à ses agresseurs. Cette nouvelle insulte ne pouvait rester impunie.
Le gouverneur du Soudan, colonel Audéoud, s'occupa alors, d'accord
avec le gouvernement, de former une colonne chargée d'infliger à Ba-
bemba un châtiment exemplaire.
Béunie à Bamako, la colonne expéditionnaire — d'après le Comité de
l'Afrique française auquel nous empruntons la majeure partie des ren-
seignements qui suivent — était placée sous les ordres du l'-colonel Au-
déoud, ayant pour chef d'élat-major le c* Pineau, et ainsi composée :
6^ et 15** compagnies de tirailleurs soudanais, S®, 6®, 7« et 8' compa-
gnies de tirailleurs auxiliaires, 1 escadron de spahis, 2 pièces d'artil-
lerie de 95, 2 de 80 et 4 pièces de 80 de montagne. Au total 32 officiers
européens et 1 indigène, 58 sous-officiers et soldats européens, 1.160
tirailleurs et 80 spahis. En outre, 250 conducteurs, des porteurs, des
bergers pour le troupeau de bœufs, suivaient le petit corps expédi-
tionnaire.
Le 1*^ avril, la colonne se mit en marche. Le 15, elle arrivait devant
Sikasso, après avoir eu, au passage du Bananko,^ un engagement dans
lequel elle perdit 6 tirailleurs tués et installait son camp sur des hau-
teurs dominant la ville au nord.
Avec sa grande étendue, ses 30.000 habitants, ses hautes murailles,
Sikasso présentait un aspect imposant. Son système de défense était
fortement développé et formait 3 enceintes : un premier mur extérieur
de 10 kilomètres de circonférence, 5 mètres de hauteur et 7 d'épais-
seur; un deuxième mur de même apparence à l'intérieur duquel se
trouvait un mamelon abrupt surmonté d'un donjon; enfin, le cUonfou-
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SOUDAN FRANÇAIS 593 1
tau, habitation du fama, entouré d'un mur de 6 mètres de haut, avec
le tata, dernière citadelle de Babemba. Tous ces ouvrages affectaient la
forme d'un fer à cheval et chacun d'eux avait vue directe sur la
plaine par le côté ouvert du fer à cheval le long duquel coulait \m
marigot.
Les nombreux défenseurs de la place, environ 10.000 fantassins et
2.000 cavalifîrs, étaient décidés à une lutte désespérée. Ils le montrèrent
tout de suite en essayant, dès le 16 avril, plusieurs attaques contre le
camp. Le 17, les 4 pièces de siège placées en avant du campement,
ouvrirent le feu contre la ville, ce qui provoqua une vigoureuse attaque
des assiégés, que le capitaine Pillivuyt, commandant Tartillerie, repoussa
non moins vigoureusement, mais non sans avoir eu un assez grand
nombre de blessés. Le 18, nouvelle attaque. Le 19, le colonel Audéoud
fit débroussailler les abords de la ville pendant que les spahis du ca-
pitaine Imbert attaquaient une reconnaissance des sofas et lui tuait
37 hommes.
Le 20 avril, le capitaine Coiffe parvint, sous le feu incessant de la
place, à construire une redoute sur un mamelon appelé le Tertre Rouge
et situé à 400 mètres sur le couronnement de Tenceinte. Les jours sui-
vants furent employés à reconnaître le terrain sur les autres côtés de la ^
ville et à repousser diverses attaques.
Au S.-E. du Tertre-Rouge et à 200 mètres de l'enceinte se trouvait le
village de Soukourani qui, aux mains de Tennemi au moment de Tas-
saut, pouvait inquiéter sérieusement les colonnes d'attaque. Le 2S avril,
les compagnies de Montguers et Benoît (6® et 8^) surprirent le village au
petit jour et le détruisirent rapidement. Mais les assiégés, qui n'avaient
cessé de diriger sur nos troupes un feu meurtrier, firent une sortie en
masse. Le capitaine de Montguers ordonna alors la retraite qui se fit
lentement, larrière-garde se repliant par échelons. C'est à ce moment
que tomba le lieutenant Gallet, mortellement frappé d'une balle au
front. Cette chaude affaire nous coûta 8 tués et 26 blessés.
Le colonel ayant tout préparé pour Tassant, fixa celui-ci au l*' mai.
La veille, l'artillerie avait recommencé le feu, rouvert deux brèches ré-
parées par les assiégés et en avait fait une troisième. A S heures du
matin, quand le signal de l'assaut est donné, trois colonnes s'élancent
au pas de course pendant que l'artillerie précipite son tir. La 1'® colonne
(capitaine Morisson), après avoir repoussé une attaque de flanc, se jette
xxni (Octobre 98). N» 238. 39
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5d4 REVUE FRANÇAISE
sur la brèche, où son chef arrive le premier. Vigoureusement attaqué
[ à la baïonnette, Tennemi cède peu à peu et, à 6 heures, le capitaine
I Morisson atteint le mamelon du donjon. Mais déjà la 2^ colonne (capi-
\ taine Truptil) y est arrivée. Son ardeur a été telle qu'elle a atteint le
y donjon 7 minutes seulement après avoir franchi la 2® brèche. La 3* co-
Sr lonne (capitaine (loiffé) a éprouvé la plus grande résistance, ayant eu
à lutter contre les meilleures troupes du fama. Après un combat de
rues acharné, elle arrive au donjon à 7 heures. En même temps, le
lieutenant Guillermin enlevait le viUage de Soukourani après un vif
engagement.
La 1" et la 2« enceintes sont franchies. Ordre est alors donné au
commandant Pineau de prendre le commandement des troupes char-
gées d'occuper la ville. Les compagnies régulières Coiffé et Marlelly
s'emparent de la partie est de la ville. Le capitaine Morisson marche
à l'ouest pour essayer d'isoler le tata. Il traverse la ville et poursuit
l'ennemi au delà des murs. Mais là une vive fusillade part du dion-
foutou, blesse mortellement le lieutenant Loury et grièvement le lieu-
tenant Hauët. Le capitaine Morisson rentre alors dans les murs. Il est
11 heures; le feu cesse et les troupes se reposent quelque temps avant
de donner l'assaut final.
Le dionfoutou, oh s'est renfermé Babemba avec l'élite de ses sofas,
est encore intact. A 2 heures, le combat reprend par une violente ca-
nonnade qui fait brèche dans le dernier asile du fama. Le conunandant
Pineau se lance alors à l'assaut à la tête des compagnies Benoît et de
Montguers. C'est en vain que Babemba et ses sofas font une résistance
désespérée ; rien n'arrête l'élan des tirailleurs qui culbutent tout ce
qu'ils rencontrent. Babemba et les derniers de ses défenseurs sont tués
les armes à la main. A 3 heures, Sikasso est complètement en notre
pouvoir,
L'affiaire a été chaude et nos pertes l'indiquent bien : 41 tués, dont
1 officier (P Loury) ; 102 blessés, dont 2 grièvement (1* Hauet et caporal
Broeder). Le capitaine Truptil et 4 sergents européens sont au nombre
des blessés.
La prise de Sikasso eut un grand retentissement. Depuis l'échec de
Samory sous ses murs, les moyens de défense de la ville avaient été
considérablement renforcés et elle était considérée comme imprenable
par les noirs. Le prestige du nom français sera sensiblement accru par
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MADAGASCAR 595
la défaite d'un chef puissant qui, s'il avait pu se joindre à Samory,
n'aurait pas manqué de nous causer de graves embarras. Le coup de
vigueur du colonel Àudéoud a prévenu cette éventualilé. Le Kéné-
dougou, complètement pacifié, est devenu aujourd'hui le cercle de
Sikasso.
Parmi les distinctions honorifiques accordées aux combattants de
Sikasso, citons les nominations au grade de chevalier de la Légion
d'honneur des capitaines Morisson, Truptil, du lieutenant Hauët
(27 mai). Un décret ultérieur (juillet) a également décerné la croix au
capitaine Coiffé. Et maintenant ces vaillantes troupes et leurs dignes
chefs sont partis à la conquête de nouveaux lauriers. Elles ont com-
mencé les opérations contre Samory, opérations qu'il y a tout lieu de
croire définitives.
j G. Vasco.
MADAGASCAR
LES ÉCOLES FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES {Suite ')
Écoles supérieures. — Les Malgaches, tout particutièrement les Hovas,
sont assez intelligents pour que les meilleurs élèves puissent devenir
instituteurs. L'action des missionnaires se multiplie par celle des ins-
tituteurs qu'ils ont formés. C'est ainsi qu'une centaine de missionnaires
étrangers avaient 1.719 écoles. Il est donc évident qu'il y a deux sortes
d'enseignement, dont on pourrait appeler l'un : enseignement pri-
maire supérieur (écoles normales) et l'autre : enseignement primaire
proprement dit (instituteurs indigènes).
U va sans dire que les écoles normales ne contiennent pas seulement
les futurs instituteurs, mais aussi les futurs pasteurs protestants indi-
gènes, les futurs administrateurs, officiers, tous ceux qui, par leur in-
telligence ou par la situation sociale de leurs parents, peuvent aspirer
à un poste un peu élevé.
On peut classer dans la même catégorie les écoles de filles, tenues
par des Européennes.
Un groupe de ces écoles primaires supérieures existe à Fianarantsoa
-(Frères des Écoles chrétiennes. L. M. S., Norvégiens). Un autre à Am-
(1) Voir Rev, Fr., 1898, p. 169.
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596 REVUE FRANÇAISE
bositra (Frères des Écoles chrétiennes, L. M. S.). Un autre au Vaki-
nankaratra, à Betafo et à Antsirabé (Norvégiens).
On se borne à les mentionner et à dire seulement que TÉcole supé-
rieure des Indépendants à Ambositra n'existe plus, et que celle des
mêmes missionnaires à Fianarantsoa est sur le point de disparaître. En
revanche, le service de Tinstruction publique a été en rapport cons-
ant avec le groupe le plus important, celui de Tananarive.
Avant la guerre, les L. M. S. avaient, outre une grande école de filles,
tenue par une Anglaise, trois grandes écoles primaires supérieures de
garçons, très florissantes, le Collège, la « Normal School », la « Palace
School ». Cette dernière fut délogée dès la prise de Tananarive parla
réquisition du local où elle était installée ; c'était un bâtiment appar-
tenant au gouverneur malgache, qu'on dut transformer en caserne
provisoire. Néanmoins, la « Palace School » continuer^ à exister dans
les Mtiments spacieux du Collège. De ces trois écoles sortaient annuel-
lement quarante instituteurs, une vingtaine de pasteurs et une ceolaioe
de jeunes gens se destinant à des carrières administratives, au com-
merce, etc.
Les t Amis », outre une grande école de filles, avaient la c High
School » d'Ambohijotovo (nom du quartier où elle se trouve).
Les L. H. S. et les c Amis » possédaient en commun l'hôpital de
Soavinandriana, où ils formaient des étudiants et conféraient des di-
plômes de docteurs.
Les Anglicans possédaient deux grandes écoles (une de filles, une de
garçons) à Ankorahotra (quartier de Tananarive). Mais surtout ils
avaient en dehors de la ville, à une vingtaine de kilomètres dans le
Nord, la grande école, très bien tenue, d'Ambatoharonana.
Les Pères Jésuites avaient leur collège d'Ambohipo. Les Frères des
Écoles chrétiennes, leur école unique. Les Sœurs, une grande école à
la place d'Andohalo.
Les étrangers avaient donc, à Tananarive, ou aux environs, en feit
d'écoles pouvant rentrer dans la catégorie d'enseignement primaire su-
périeur : 3 écoles de filles, 6 écoles de garçons, 1 école de médecine.
Les écoles françaises faisaient assez piètre figure : 2 écoles de gar-
çons et 1 école de filles.
Voilà quelle était la situation Tannée dernière ; aujourd'hui elle est
déjà bien changée.
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''^m^W^^'^j
MADAGASCAR 597
Parmi les grandes écoles des L. M. S., deux sont devenues des écoles
françaises et ont passé à la Société évangélique de Paris. La*« Normal
School » est devenue TÉcolc normale et la « Palace School « l'École du
Palais. Quant au Collège, après l'expropriation du bâtiment où il se
trouvait, transformé en palais de justice, il continue une existence pré-
caire dans une dépendance de la chapelle protestante d'Ampamarinana.
On peut, je crois, pronostiquer sa fin prochaine.
L'école des Jésuites est toujours à Ambohipo. Mais le général Galheni
a donné à la mission un terrain étendu, situé à proximité de la place
de Mahamasina, c'est-à-dire en plein Tananarive, à condition d'y cons
truire une école (arrêté n° 73, 1®' novembre 1896). Les Jésuites ont
commencé la construction et, à en considérer l'éteqdue, il n'est pas
douteux que cette école, destinée à remplacer Ambohipo, ne soit la
plus spacieuse et surtout la mieux aménagée de Tananarive.
D'autre part, tandis que la grande école des Frères des Écoles chré-
tiennes d'Andohalo, devenue insuffisante pour le nombre croissant des
élèves, s'agrandissait d'un nouveau bâtiment encore inachevé, le gou-
vernement achetait dans cinq quartiers difTérents de Tananarive, autant
d'emplacements, dont quelques-uns portent déjà des constructions.
C'est là que doivent être installées, au moins d'une façon provisoire,
dès le mois de novembre 1897, cinq écoles où enseigneront les nou-
veaux Frères des Écoles chrétiennes, attendus de France. L'arrêté 875,
mettant ces cinq terrains à la disposition des Frères, spécifie que les
futures écoles seront sous le contrôle du directeur de l'enseignement.
Par arrêté du 13 janvier, le général Gallieni a créé l'École le Myre
de Vilers, divisée en trois sections : école d'interprètes, école normale
destinée à former des instituteurs publics indigènes, école de droit don
nant accès aux fonctions de gouverneur et juge indigène. Par arrêté du
3 mars, l'École Le Myre de Vilers a été installée au Palais de la Paix,
devenu vacant par le départ de Ranavalona lU. Le 24 avril, l'école a
été inaugurée et depuis elle a fonctionné sans interruption, en donnant
des résultats très satisfaisants. Elle compte 230 élèves. Pendant les deux
premiers mois de son existence, elle a été dirigée par le chef du service
de l'enseignement. Depuis et après un court intérim de M. Jarzuel, elle
a passé sous la direction de M. Lavoipière.
Un arrêté du 10 février, a créé une Ecole de médecine. En même
temps, l'expropriation de l'hôpital anglais de Soavinandrina, transformé
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508 REVUE FHANÇAISE
en hôpital militaire, mettait fin à l'existence de Técole de médecine des
f Indépendants ». L'École de médecine officielle pourra seule, désor-
mais, délivrer des diplômes de docteur très recherchés par les Mal-
gaches. Installée dans les bâtiments confisqués, l'École de médecine où
les Malgaches sont hospitalisés est en plein fonctionnement sous la
direction du D*" Mestayer.
Des écoles de filles ont été créées.
Un certain, nombre de Sœurs ont été installées dans un bâtiment
confisqué où avait été logé d'abord le service des domaines.
Une école officielle de filles a été créée par arrêté du 29 avril, dans
un faubourg de Tananarîve, à Findanana, d'abord sous la direction
d'une sœur bourbonnaise. M"® Mahé, plus tard, sous la direction de
M"® Jarzuel, institutrive, nommée par le ministère. L'école fonctionne
bien et compte 40 élèves.
Le faubourg de Fiadanana était loin de la ville. Une nouvelle école
de filles vient d'être créée dans une dépendance du Palais, la Chapelle
de la Reine, sous la direction de M"*^ Mahé.
Voici donc aujourd'hui quelle est la situation des écoles primaires
^périeures à Tananarîve.
Ecoles étrangères : 4 écoles de garçons; 3 écoles de filles.
Écdes françaises libres : 9 écoles de garçons; 2 écoles de filles.
Ecoles officielles : i école de garçons (Le Myre de Vilers; ; 2 écoles de
filles; 1 école de médecine; 1 école de droit (faisant partie de TÉcole
Le Myre de Vilers).
Numériquement, la transformation et le progrès sont évidents. Ce
sont maintenant les écoles étrangères qui font assez piètre figure.
Mais surtout il a été créé, au-dessus des écoles privées, des écoles
officielles qui seules ont le droit de conférer des diplômes et qui seules
ouvrent la plupart des carrières. De cette façon, le gouvernement est
assuré de donner aux écoles primaires libres la direction qu'il lui con-
viendra.
Enfin, la neutralité religieuse des écoles officielles a été proclamée.
Elle a été marquée par la présence à l'École Le Myre de Vilers, de
deux professeurs bénévoles, l'un missionnaire protestant. M. Standing,
l'autre catholique, le P. Thomas.
École professionnelle. — Il y aurait un inconvénient évident d'encom-
brer à Madagascar ce que nous appelons en France les carrières
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MADAGASCAR 599
libérales et à créer des déclassés. L'instruction que nous donnons aux
Malgaches doit tendre surtout à en faire d'utiles auxiliaires de nos
colons, des artisans, des ouvriers, des comptables; l'instruction doit
être avant tout pratique. Aussi la création d'une école professionnelle
a-t-elle été par ordre de date (19 déc. 1896), et aussi par ordre d'im-
portance, la première des mesures de réorganisation scolaire, prises par
le général Galliéni. L'école professionnelle a été créée et organisée par
M. Jully, architecte des bâtiments civils, qui a déjà fourni dès rapports
sur son fonctionnement. Une seconde école professionnelle va ôtre créée
à Tamatave. 11 est à souhaiter, et il est certainement dans les intentions
du général, que d'autres soient créées un peu partout.
Écoles primaires, — Il a été apporté au recrutement des élèves un
gros changement qui a bouleversé les anciennes statistiques. L'ancien
gouvernement malgache avait depuis longtemps créé l'enseignement
obligatoire; ses prescriptions à ce sujet sont contenues dans le Code
de 1881, art. 266, etc. La circulaire du 11 novembre 1896 reprend
ces prescriptions et leur donne force de loi dans notre nouveUe colonie
en les modifiant sur certains points.
D'après la loi malgache, l'obligation de l'enseignement n'existait que
pour les enfants de parents libres. Il va sans dire que l'abolition de l'escla-
vage rend cette restriction caduque. Tous les enfants sans distinction
de caste sont donc astreints à suivre l'école de 8 à 14 ans. Chaque
école possède le registre de ces élèves, et tout enfant doit être inscrit sur le
registre d'une école. La circulaire recommande cependant « d'apporter
à l'application de la loi les tempéraments qui paraîtront nécessaires, afin
qu'elle ne constitue pas une charge trop lourde pour les populations,
qui, dans certaines circonstances (semailles, récoltes), peuvent avoir
un besoin pressant de leurs enfants ».
Mais la grande modification apportée à l'ancienne loi est la suivante :
la liberté dos parents dans le choix de l'école était, sous l'ancien gou-
vernement, sujette à une restriction importante. Au moment où l'enfant
atteignait l'âge d'aller à l'école, les parents choisissaient (?) une fois pour
toutes; et l'enfant devait de bon gré ou de force rester jusqu'à la fin de
ses études dans l'école où il était entré ; il n'avait pas le droit de
changer.
Quoique cette disposition eût l'avantage d'assurer aux maîtres sur
les élèves une autorité qui, d'ailleurs, allait quelquefois jusqu'à là
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600 REVUE FRANÇAISE
tyrannie, elle était à la fois contraire à nos principes de liberté et aux
intérêts de nos écoles françaises. Déjà M. Laroche avait fait publier par
le premier ministre hova un arrêté rendant aux parents la liberté du
choix, au moins dans une certaine mesure. Au commencement de
Tannée scolaire, mais à cette époque seulement, l'enfant pouvait, aux
termes de cet arrêté, passer dans une autre école; ce choix le liait pour
toute la durée de Tannée. C'était là une demi-mesure. Elle avait été
inspirée par la crainte de voir les enfants, en changeant d'école toutes
les semaines ou tous les mois, soit par versatilité, soit par calcul, se
soustraire effectivement à toute instruction suivie.
L'expérience a prouvé que cette crainte n'était pas justifiée et la cir-
culaire du 11 novembre 1896, complétée par une circulaire ultérieure,
donne aux élèves et à leurs parents la liberté absolue du choix, à quel-
que époque de Tannée que ce soit. Un très grand nombre en ont fait
usage. Le Malgache, très respectueux de l'autorité, envoyait jadis ses
enfants de préférence à Técole anglaise parce qu'elle était en quelque
sorte officielle. Dès que notre autorité a été enfin établie d'une façon
indiscutable, les élèves ont afflué dans les écoles françaises.
Un arrêté du général Galliéni réglemente la situation des instituteurs
indigènes libres. Il leur confère les privilèges dont ils jouissaient dans
l'ancien gouvernement, exemption de prestations et d'impôts, droit de
recevoir des cadeaux en nature ou en argent des élèves après en avoir
toutefois avisé le commandant du cercle.
Aux termes de l'arrêté, l'instituteur public a droit au logement, à une
rizière ou un champ, à un traitement de 30 francs par mois. U entre
dans la hiérarchie des fonctionnaires et si ses notes sont satisfaisantes
doit être nommé V honneur au bout d'un an. U jouit du reste des
mêmes prérogatives que l'instituteur libre. Les instituteurs pubUcssont
choisis parmi les anciens élèves de l'Ecole Le Myrede Vilers..,
Programmes. — L'Etat prenant à Madagascar la direction effective
de l'enseignement, pratiquement abandonné à lui-même sous l'ancien
gouvernement, la publication de programmes devenait nécessaire. Hle
était en même temps assez délicate.
Le général Galliéni donna dès le début des instructions générales sur
la façon dont Tenseignement devrait être compris (circulaire du
S oct. 1896). 11 insista sur la nécessité de franciser les programmes,
exigea que le système métrique fût enseigné à l'exclusion de tout autre
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MADAGASCAR 601
que rhistoire et la géographie de la France eussent une part prépon-
dérante ; et surtout qu'on consacrât une moitié du temps à renseigne-
ment de la langue française. Des soldats d'infanterie de marine furent
mis à la disposition des écoles supérieures étrangères comme répétiteurs
de français, et de Taveu des missionnaires y ont rendu de grands services.
On donna aux instituteurs indigènes un délai de six mois (prolongé
à un an pour certains d'entre eux) passé lequel ils devraient, non pas
naturellement savoir le français, mais être en état d'en enseigner les
éléments. Les instituteurs indigènes affluèrent par fournées successives
à Tananari ve, suivirent des cours de français dans les écoles supérieures,
et retournèrent à leurs écoles munis d'un permis provisoire d'enseigner
signé du chef du service de l'enseignement.
Le général Galliéni n'a pas perdu une occasion de faire sentir aux
Malgaches la nécessité d'apprendre notre langue. Il a donné un délai
d'un an aux fonctionnaires malgaches pour apprendre le français ou du
moins ce qu'il faut pour comprendre les ordres qu'on leur donne. Ses
efforls n'ont pas été perdus, et il faut avouer d'ailleurs que le terrain
était favorable.
La langue malgache s'écrit en caractères latins, on peut môme dire que
ses lettres sont prononcées à la française; on attribue généralement aux
missionnaires anglais l'honneur d'avoir créé l'alphabet malgache ; sans
vouloir diminuer leur mérite, ils n'ont fait que régulariser et codifier
des habitudes d'écriture implantées sur toute la côte Est par nos colons
créoles de Bourbon et de Maurice. Les premiers missionnaires anglais
auteurs de la première grammaire malgache en anglais, n'ont pas fait
de difficulté à reconnaître qu'ils ont traduit, en l'améliorant sans doute,
la grammaire inédite de M. de Prôberville, dont le manuscrit alors aux
archives de Maurice se trouve maintenant au British Muséum.
Un Malgache sachant lire et écrire sa langue, et c'est le cas de la plu-
part, connaît donc déjà notre alphabet et la prononciation de presque
toutes nos lettres (sauf u et /). Beaucoup de Malgaches parlaient déjà
l'anglais et la connaissance d'une langue européenne les préparait tout
naturellement à en apprendre une seconde. Enfin, et c'est là le grand
point, la langue malgache na pas de passé, pas de littérature, les indi-
gènes lui sont moins attachés peut-être que nos paysans à leur patois.
Aussi les résultats eu un an sont surprenants.
Les élèves de l'Ecole Le Myre de Vilers ont en six mois appris assez
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602 REVUE FRANÇAISE
de français pour faire une narration convenable sur le sujet suivant :
« Exposer vos impressions sur les embellissements de Tananarive >.
Cette narration était le sujet d'un concours à la suite duquel ont été
distribués un grand prix d'honneur offert par le général Galliéni,
quatre prix ofiFerts par V Alliance française. On peut prévoir que dans
un laps de temps assez bref nos colons, tout au moins à Tananarive,
pourront se passer d'interprètes.
Le chef du service de renseignement aurait voulu établir un pro-
gramme précis, portant non seulement sur les matières à étudier, mais
sur les livres à employer. Il a dû y renoncer provisoirement pour les
raisons suivantes : tous les livres scolaires actuellement en usage à
Madagascar, sont en malgache. Les missionnaires se sont efforcés de créer
le malgache écrit, de faire du malgache une langue. Ils ont créé une
bibliothèque scolaire considérable sortie, soit de la presse catholique»
soit des deux printing office anglais. Faut-il les suivre dans cette voie?
On peut d'abord mentionner l'impossibilité d'employer tels quels dans
nos écoles laïques et neutres, des livres qui ont presque toujours, et
jusque dans les exemples des grammaires, un caractère plus ou moins
confessionnel ; l'impossibilité de laisser dans les mains des enfants des
livres qui ont souvent une forte empreinte anglaise.
Créer de toutes pièces une littérature scolaire malgache présente,
d'autre part, des difficultés presque insurmontables. En admettant que
les instituteurs débarqués et ignorants du malgache, puissent assister,
dans cette tâche, le chef du service de l'enseignement, est-il possible
à trois ou quatre personnes de refaire, au pied levé, ce qui a été la tâche
lentement mûrie de deux cents missionnaires pendant trente ans.
Tout ce qui a pu être fait dans cette voie est une adaptation publiée
à l'imprimerie officielle du cours préparatoire fait par les Frères des
Écoles chrétiennes. Enfin, et c'est là la grave question, n'avons-nous
pas intérêt à nous proposer un but exactement contraire à celui des
missionnaires? Ils voulaient revivifier la langue malgache; n'avons-
nous pas intérêt, au contraire, à la détruire?
En d'autres pays, en pays de vieille civilisation, comme l'Algérie ou
rindo-Chine, il serait absurde d'espérer que notre langue pourra se
substituer à celle des indigènes. Ici, tous ceux qui connaissent le Mal-
gache et même des missionnaires anglais, M. Standing, par exemple,
ont cette espérance légitime.
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MADAGASCAR 603
En conséquence, voici comment le chef du service de renseignement
comprendrait les programmes à établir.
Écoles primaires, — Peu ou point de livres, sauf d'abord un syllabaire
et un petit livre de lecture en malgache qu'on peut, sans inconvénient,
mettre entre les mains des enfants puisque Talphabet en malgache est
le même que le nôtre...
Le français sera enseigné oralement d'abord. Dans les écoles où
l'instituteur indigène n'aurait pas une connaissance parfaite de la langue
française, c est-à-dire dans presque toutes, il serait indispensable que
le cours de français fut confié à un soldat français. Dès que les élèves
sauront lire un peu de français, et ce ne sera pas long, l'expérience l'a
établi, leur remettre de petits livres de lecture français, des arithmé-
tiques, histoires et géographies élémentaires ou du moins leur en con-
seiller l'achat. Tous ces ouvrages seraient choisis dans nos bibliothèques
scolaires françaises. Dans les écoles primaires, les jeunes Malgaches doi-
vent apprendre un français relatif, se composer un vocabulaire et savoir
s'en servir avec plus ou moins de correction. C'est du moins le seul but
auquel on puisse tendre maintenant.
Ecoles primaires supérieures, — Les élèves doivent y apprendre à
parler et à écrire correctement le français; ils doivent arriver à s'en
servir aussi facilement et aussi correctement que de la leur. L'usage de
la langue malgache doit être proscrit autant que faire se peut ; tous les
cours doivent se faire en français, c'est le cas déjà dans la première
division de l'Ecole Le Myre de Vilers. Tous les livres entre les mains
des élèves doivent être français.
Les programmes des cours sont nécessairement un peu plus relevés
que ceux des écoles primaires. Chaque élève devra donc avoir une
histoire, une géographie, une arithmétique, une géométrie, un ouvrage
de pédagogie, un livre de lectures...
Conclusion. — En résumé, en 1896, les écoles étrangères avaient
encore une supériorité marquée sur les écoles françaises. Aujourd'hui,
la situation est renversée.
Un enseignement officiel a été créé qui, par sa seule existence, par
les diplômes qu'il confère, imprime sa direction aux écoles libres, et
leur donne, par sa neutralité, un exemple de tolérance religieuse.
Un programme général d'enseignement a été ébauché, qui transforme
l'ancien enseignement anglo-mçilgache en un enseignement français.
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LA MISSION COMMERCIALE ALLEMANDE
EN EXTRÊME-ORIENT.
On a suivi avec intérêt en France, dans le monde colonial et com-
mercial, l'exploration delà mission lyonnaise en Chine, organisée parla
Chambre de commerce de Lyon. Suivant notre exemple, les Anglais et
les Allemands ont également envoyé une mission commerciale en Ex-
trême-Orient. La mission allemande avait été organisée au commence-
ment de 1897, sur l'initiative de la Chambre de commerce de Crefeld (*).
Voici le récit de son voyage que donne le Moniteur offlciel du Commerce
d'après les Berliner PolUische Nachrichten :
La mission commerciale allemande en Extrême-Orient vient de re-
venir en Allemagne après une absence de plus de treize mois. Ses prin-
cipaux centres d'opération étaient la Chine et le Japon où elleaséjoumé
environ dix mois, soit cinq mois pour chaque pays ; elle a également
parcouru la Corée et sur la fin du voyage, quelques membres ont fait
une courte visite aux Philippines, au Siam, à Java et dans une partie
de rinde.
Le premier terme du voyage fut Hong-Kong, où le consul d'Allemagne
à Canton prit la direction de la mission. La majeure partie des ports
chinois ouverts par traités au trafic étranger, depuis Canton, Soua-Tau,
Amoy etFou tchéou jusqu'à Tche-fou, Tien-tsin et Niou-tchouau furent
visités ; la mission fit un séjour plus long à Hong-Kong et à Chang-haî,
ces deux importantes places commerciales qui centralisent les mar-
chandises de toutes nations pour la Chine entière et accept^v l'offre du mi-
nistre d'Allemagne de visiter Pékin; elle pénétra ensuite dans l'intérieur
des terres en se servant seulement des deux routes qui permettent de s'y
rendre sans une trop grande perte de temps : ce sont les voies d'eau
praticables du Yang-tsé-Kiang, la plus grande artère commerciale du
tout le pays, et celle du fleuve de l'Ouest ou Si-Kiang, ouvert au com-
merce étranger depuis le mois de juin de l'année passée, à l'embouchure
riche et peuplée duquel se trouve Canton, la ville des millions.
I^ Yang-t5e-Kiang fut remonté pendant environ 1.100 milles anglais,
on visita les principales villes de ses rives, en particulier la populeuse
cité de Schasi, récemment ouverte, qui, comme centre de l'industrie
(1) Voir Revue Française I8ft7, U XxH, p. 389.
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i
LA MISSION COMMERCIALE ALLEMANDE 603
domestique chinoise, et comme point de jonction des principales routes
commerciales, prend une place imporlante dans la vie économique de la
Chine intérieure ; on fit aussi un court arrêt au district minier de
Tieschan.
Le Si-Kiang fut visité dans toute sa partie ouverte au commerce étran-
ger, ainsi que les villes qu'il traverse.
On ne poussa pas plus loin dans Tintérieur par les voies de terre ; la
Chine tout entière présente en effet une telle homogénéité et le Chinois
est partout si méfiant, à part quelques exceptions, qu'il ne constitue
qu'une source d'informations presque inabordable ; aussi sembla-t-il
que la dépense de temps et d'argent, que, indépendamment d'une grande
difliculté, présentait la pénétration dans la Chine intérieure, ne devait
pas être faite, alors qu'il n'y avait aucun but bien déterminé à suivre.
La commission étudia de plus près la riche province de Tche-Kiang
ainsi que le Sud de celle de Kiang-si au point de vue de l'utilisation des
canaux et visita les deux grandes villes d'antique renommée, Hangtschou
et Sutschou, qui sont encore aujourd'hui très importantes et venaient
d'être ouvertes au commerce étranger à l'issue de la guerre sino-japo-
naise. On fit diverses excursions dans les contrées séricicoles dont Can-
ton est le centre ; quelques membres de la commission firent aussi une
pointe de Tientsin à Niou-tchouan et environs. On renonça, après ré-
flexion, à une visite dans la Chine intérieure proprement dite, et spé-
cialement dans la province du Setchouan , située à l'Ouest, que parcou-
raient les missions anglaise et française, parce qu'elles ne présentaient
pas pour le commerce allemand une sphère d'action bien circonscrite*.
La mission devait, tout en tenant compte de sa lâche et de l'étendue
de l'empire chinois, s'imposer une limite dans son investigation ; le pe-
tit empire du Japon lui offrait un champ d'action à la fois facile à em-
brasser dans tout son ensemble et très profitable: il était souvent diffi-
cile en Chine d'obtenir sur les choses les plus insignifiantes le moindre
renseignement ; au Japon, au contraire, on trouvait des moyens d'in-
formation si complets que la seule peine qui pouvait résulter de leur
recherche était le soin de les recueillir.
Une uniformité et une stagnation étonnantes se manifestaient sur le
continent chinois en dépit de son développement immense; au contraire
une grande diversité dans les phénomènes économiques se rencontrait
dans l'espace restreint de l'empire insulaire du Soleil Levant comme si
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606 REVUE FRANÇAISE
l'on avait vu le pays à dififérentes périodes. On dut étendre, pour quel-
ques membres, à cinq mois, le temps de* séjour primitivement fixé à
trois mois.
Pendant cet espace de temps, le pays fut parcouru dans toute soo
étendue, de File du Nord Yéso jusqu'à celle du Sud Kiou-Siou et à cause
des très grandes différences qui se présentaient dans la vie économique,
les membres de la mission char#;és de travaux spéciaux jugèrent utile
de se séparer devant cette tâche encore plus considérable qu'en Chine;
on peut donc dire que la commission apprit à connaître le Japon en en-
tier, de la façon la plus complète avec une dépense et une difficulté
relativement moindres.
Le champ d'opération était en principe limité à la Chine et au Japon;
cependant on fit une tournée rapide en Corée, dont on visita Tchemul-
po, le principal port, et Séoul, la capitale ; vers la fin du voyage, le
champ d'investigation fut encore étendu, et chargés de missions spé-
ciales, deux membres visitèrent les Philippines ; un, le Siam et Java et
un autre une partie de l'Inde.
La plus grande partie des rapports spéciaux a déjà été présentée. Tous
ces rapprt-? spéciaux doivent, comme les échantillons, être seulement
communiqués aux cercles intéressés. On publiera d'ailleurs un rapport
général qui, utilisant ce qui est déjà connu d'autre part par les rapports
particuliers, permettra de prendre une vue d'ensemble, sur les r^ultat»
de la mission.
L'AVEN ARMAND
Nous avons, à plusieurs reprises, déjà fait coimaître les remarquables
résultats des explorations souterraines que M. E.-A. Martel poursuit
avec succès depuis une dizaine d'années. A l'étranger conune en France
le savant explorateur a répandu, en préchant d'exemple, le goût des
études spéléologiques. Mais nulle part ses découvertes n'ont été plus
bellt^s que dans la région des Causses, dans ce bassin du Tarn et de ses
affluents, théâtre de ses premiers succès. La campagne de 1897, dans
la vallée de la Jonte, lui a permis de reconnaître un aven, ou trou
profond, qui ne le cède en rien par sa beauté natureUe à la célèbre
grotte de Dargilan sa voisine.
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608 REVUE FRANÇAISE
Cet aven situé dans le causse Méjean, se trouve à 2 kilomètres et 1/2
au sud de La Parade et à 8 k, S.-E. de Meyrueis (Lozère). L'orifice
pai* lequel on y accède forme un entonnoir de 10 à 15 mètres de dia-
mètre, profond de 4 à 7 mètres. Au fond s'ouvre un puits de 73 m.,
dont la 1® partie est formée par une cheminée de 40 m. de long des-
cendant verticalement. Au bout de cette galerie se trouve une immense
grotte formant couloir de 100 m. de long sur SO de large el 35 de haut.
Cette grotte ovale, comme on le voit par le dessin ci-contre, est inclinée
fortement.
La 1® partie de la grotte est un amas de débris tombés par Torifice.
La 2® partie est recouverte d'une véritable forêt d'environ 200 stalag-
mites. Ces merveilleuses colonnes formées depuis des siècles, gouttelette
par gouttelette, diffèrent toutes les unes des autres. Il en est qui ont
jusqu'à 2 mètres de diamètre ; d'autres, au contraire, n'ont que
quelques centimètres de diamètre sur plusieurs mètres de hauteur. La
plus élevée, la Grande Slalagmite, atteint 30 mètres; la Grande colonne
en a 22; une trentaine arrivent à 18 et 20 m., jusqu'ici le record en ce
genre. Tous ces clochetons de cathédrale sont intapts et forment un
ensemble d'une beauté remarquable. Aucune grotte ne possède une
plus grande quantité de stalagmites. La plus haute connue, celle de la
caverne d'Aggtelek, en Hongrie, n'a que 20 m. d'élévation.
Au point le plus bas de la grotte s'ouvre un second puits vertical qui
descend à 87 mètres dans le sol. La profondeur totale est de 207 mètres
et même de 214 si l'on compte les 7 mètres de l'entonnoir extérieur.
C'est l'abîme le plus profond qui soit connu en France avec celui de
Rabanel, près Ganges, dans l'Hérault, que M. Martel explora en 1889
et qui a 212 métrés. Cette grotte a dû servir d'exutoire à un ancien lac
des Causses. Le nom d'aven Armand lui a été donné parce que sa
découverte est due à un serrurier de Rozier, nommé Louis Armand,
compagnon de M. Martel dans plusieurs de ses explorations de la région
des Causses.
Ces explorations souterraines ne s'accomplissent pas sans de nom-
breux préparatifs et demandent beaucoup de temps. C'est ainsi qu'il n'a
pas fallu moins de 3 jours (19, 20, 21 septembre) à M. Martel pour
descendre dans l'aven, admirer ses richesses, relever les altitudes, cal-
culer la hauteur de la voûte et des stalagmites à l'aide de montgolfières
en papier attachées à un fil, pousser l'exploration jusqu'au fond du
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Coupe transversale JK,
^.
Li- ixotiUiUe.
UXdltfUO .'iT-fl/tltl
tir / flrtjijcC' \
AVEN ARMAND
(près la Parade Causse Mej eau. Lozère)
E AMARTEL.A VIRÉ. L ARMAND
J3-21 Sept 189Î Pi or 20] met
ifAÏÏlcjMJI
Tous droiu tc^crvçf
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Aï
EXPLORATEURS ET VOYAGEURS ' 609
2*^ puits descendant à pic à une profondeur de 87 mètres, et faire toutes
les observations scientifiques qui sont habituelles.
Et l'attirail pour ces expéditions est aussi lourd qu'encombrant. Une
forte charrette était nécessaire pour transporter ce bagage qui ne pesait
pas loin d'une tonne. M. Martel emportait en effet : 140 mètres
d'échelles de corde, 500 mètres de câbles, les téléphones, échelles ex-
tensibles en bois, lits de camp, caisses de vêtements, de couvertures et
de bougies, pharmacies de poche, appareils photographiques, lampes
au magnésium, montgolfières, bonbonnes, le bateau démontable, la
tente de campement et les innombrables outils divers, les conserves et
provisions de bouche, etc. Outre M. Martel et ses compagnons d'explo-
ration, cinq ou six hommes de manœuvre devaient aider à poser et à
relever les échelles, cordes, téléphones, etc.
Comme on le voit, la reconnaissance d'jume grotte de 207 mètres de
profondeur n'est pas une petite affaire; mais on est amplement récom-
pensé par une découverte aussi remarquable que celle de Taven Armand.
Reste maintenant à rendre ce dernier accessible au public; 30 à
40.000 francs seront sans doute nécessaires pour permettre de visiter
facilement une des belles curiosités naturelles de la France.
V.
EXPLORATEURS ET VOYAGEURS
RÉGIONS POLAIRES : A LA RECHERCHE d'aNDRÉE
L'expédition suédoise Stadling, envoyée à la recherche de l'explora-
teur Andrée et de son ballon est arrivée à Buleen, à l'embouchure de
la Lena, d'où elle a pu faire porter une dépêche jusqu'à Irkoutsk.
Dans le courant de l'hiver, elle avait visité les îles de la N^*-Sibérie, les
fleuves Anabara et Yndigheikak sans trouver aucune trace d'Andrée.
L'expédition est partie de Buleen dans la direction de l'ouest afin de
visiter la presqu'île de Taimyr et de gagner l'Iénisséi.
Le steamer « Fridjof » portant l'expédition Wellmann, de retour du
Grônland est arrivée le i^' sept, à Tromso (Norvège), après avoir dé-
barqué une expédition au cap Tegethoff. sur la pointe sud de Tile
Hull. M. Wellmann a rencontré, à l'île Kœnigskar l'expédition du
d' Northerst à la terre François-Joseph et il a été informé que toutes
XXIII (Octobre 98). N* 238. 40
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ï
610 REVUE FRANÇAISE
les recherches faites pour découvrir quelques traces d'Afidrée et de son
ballon n'ont donné aucun résultat.
L'expédition allemande Lemer partie au printemps dernier à la re-
cherche A* Andrée est rentrée à Hammerfest sans avoir trouvé trace de
rext)lorateur; Si l'expédition du savant allemand n'a pas atteint son
but, elle a néanmoins fait des observations intéressantes et dragué )e
fond de la mer dans le voisinage de la terre du Roi-Charles, à une
profondeur de 1.100 mètres.
AFRIQUE
M. F, Four eau prépare à Biskra les éléments de sa 10*^ expédition
au Sahara. L'explorateur, arrêté jusqu'ici par la faiblesse de ses moyeDS
matériels, n'aura pas à redouter cette fois cette éventualité. En effet,
son escorte se composera de 180 tirailleurs algériens choisis volontaire-
ment, qui ont quitté Blida le 20 sept, pour se rendre à Biskra où sont
réunis les approvisionnements nécessaires. I^ colonne est placée sous
les ordres du c^ Lamy, un des organisateurs des troupes sahariennes,
du capitaine Reibell, de 4 lieutenants dont 1 indigène. Elle se dirigera
tout d'abord sur Ouargla, Fort-Mac Mahon et Fort-Miribel. Conmie précé-
demment l'objectif de M. Foureau est de se rendre d'Algérie au Soudan
par le Sahara. Les obstacles suscités par les Touareg ont seuls empêché
la réussite de ses précédentes expéditions. Avec une aussi forte cara-
vane le succès de M. Foureau est presque certain.
L'expédition belge Lcmatre(XXiIf, ...)se rendant au Katanga, était
à Chindé, bouche du Zambèze, au commencement de juin. Au cours
de sa roule, elle a été éprouvée par la mort de deux de ses membres :
MM. Devindt, géologue belge et Caysney, Anglais, se sont noyés dans le
Tanganika, leur bateau ayant sombré au cours d'une tempête dans la
nuit du 9 au 10 août.
AMÉRIQUE
Le d' Hermann. Meyer, frère de l'explorateur Hans Meyer qui, en
1896, avait effectué dans l'Amérique du Sud un voyage au cours du-
quel il découvrit l'Atelchu, une des sources du Xingu, a entrepris, en
août l89o, une nouvelle exploration de cette région où vivent des
|.ribus indiennes qui n'ont été visitées jusqu'ici par aucun voyageur.
U est accompagné par un naturaliste, un médecin et im photographe.
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NOUVELLES GEOGRAPHIQUES ET COLONIALES
AFRIQUE
Tunisie : Inauguration du chemin de fer de S fax à Gafsa. — Ce chemin
de fer a été construit avec une rapidité exceptionnelle et tout à fait inconnue
dans nos colonies.
Commencé en juin 1897, il a été inauguré le 18 septembre 1898. En mars,
la voie a été terminée, sur 206 kilomètres et la plate-forme sur 250» Il faut
ajouter que ce n'est point TÉtat, inais la C'® des phosphates, concessionnaire
du chemin de fer, qui a fait exécuter les travaux. Le relief du sol, fort peu
varié, a singulièrement facilité la construction; aussi est-on parvenu à poser
jusqu'à 1.800 mètres de rail par jour. Les travaux d'art sont très rares; le
principal est un pont de 300 mètres situé près de Gafsa, sur Toued Beïach,
généralement à sec. Le manque d'eau a causé des difficultés, la bonne eau
se trouvant seulement aux deux extrémités de la ligne, à Sfax et à Gafsa.
Comme cela n'arrive que trop souvent, la gare de Gafsa se trouve à 4 kil. de
la ville. La voie est.à écartement de 1 mètre, comme celles du sud de la
Tunisie (Tunis-Sousse-Kairouan). Il resle à achever 40 kil. au delà de Gafsa.
Outre les phosphates de la région de Gafsa, le chemin de fer pourra être
appelé à un trafic assez iiQportant, car le pays parait assez riche en gise-
ments miniers. Les études pour le prolongement de la ligne ont été poussées
jusqu'à Tozeur (à 84 kil. de Gafsa) et Nefta, à travers la région du Djerid
renommée pour ses tissus et surtout pour ses dattes. Gafsa, par son site
pittoresque et sa t)elle forêt de palmiers, est appelée à faire concurrence à
Biskra sous le rapport du tourisme.
Soudan français : Situation de Samory (XXIÎl, p. 552). — On connaît
maintenant les causes de la retraite de Samory vers l'arrière pays de Libéria
C'est à la suite des opérations dirigées contre lui que le vieil almamy battu
& al)andonné la baî?sin du Comoé et du Bandama. Après le coup d'éclat de
la prise de Sikasso, une colonne (capitaine Marchaise), sortie de cette ville
au commencement de mai, infligea un sérieux échec aux bandes de sofas
entre le Comoé et Kong. Une 2« colonne (capitaine Benoît) complétait l'œuvre
de la 1® et chassait les partisans de Samory de la région de Kong. Une autre
colonne (c* Pineau) partie de Sikasso le 20 mai, battait à Tioroniaradougou,
les débris des partisans de Babemba, renforcés par des sofas de Samory et
les pourchassait jusqu'au Bandama. Une 4« colonne (l^-colopel Bertin) venant
du sud chassait devant elle Bilali, lieutenant de Samory et arrivait à Tié-
naou à iOO kil. 0. de Kong.
Effrayé par cette marche concentrique, Samory a abandonné (12 juin) le
tata de Bandoura, sur le Bandamma, où il résidait et s'est dirigé vers le Li-
béria avec 3.000 soldats, 14.000 porteurs, femmes et enfants. Il a dû passer
le Sassandra à la fin de juin et se retirer dans la région inexplorée qui
forme l'hinierland du Libéria. Après son départ, de nombreuses tribus ont
fait leur {soumission. Le pays est en ruines, les cultures abandontiées et les
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612 REVUE FRANÇAISE
habitants emmenés en esclavage. Encore un effort et Samory, dont le prestige
est bien affaibli, verra sa puistance anéantie.
Défaite des sofas. — Un télégramme de Saint-Louis, 23 sept., annonce que
le 1* Wœlfel a attaqué le 9 les sofes au passage du Cavally à 60 kil. S. de
N'Zo. Rejetés dans un marigot, 2000 ont mis bas les armes. Le même jour,
Sara N'Tieni Mory, fils de Samory, fut battu après 6 h. de combat et Bilali
fut tué. Il a été fait 5000 prisonniers. Depuis cette victoire, 20000 indigènes
ont fait leur soumission. La colonne Wœlfel, qui a effectué sa jonctioo avec
celle du capitaine Gadeu est accueillie avec enthousiasme par les populations
terrorisées par Samory. Nous n'avons eu qu'un blessé.
Le massacre de la mission Caxemajou (XXIII, 530). — Un télégramme du
gouverneur du Soudan donne quelques détails sur le massacre de la mission.
Le capitaine Gazemajou et l'interprète Olive ont été assassinés à coups de
b&ton, le 5 mai. Sur les 33 indigènes de la mission, 6 tirailleurs ont été
tués, 9 autres et 5 employés blessés. La conduite des 18 tirailleurs de Tes-
corte a été héroïque et l'un deux a reçu 7 blessures; 3 seulement sont in-
tacts. Tous* sont arrivés à Dori et se sont dirigés sur Ségou. Les papiers et
l'armement de la mission ont été sauvés par l'interprète Radié Dara et remis
le 8 juillet au capitaine Chamberl. Le fanatisme et la crainte de voh* la
mission aider Rabah paraissent être les causes de^l'assassinat.
État du Ciongo : Redjaf attaqué par les Mahdistes. — Les chefs mah-
distes de Bor, situé sur le Nii au nord de Redjaf, ont attaqué dans la nuit du
3 au 4 juin, la garnison belge de Redjaf. Leur marche avait été tenue si se-
crète que leur présence ne fut décélôe que par l'attaque d'un poste avancé,
à 1 h. du matin. Les soldats se replièrent en toute hâte dans la Zériba, suivis
en quelque sorte sur leurs talons par les Derviches qui franchirent de toutes
parts les fossés semés d'épines. Un instant, ces derniers parvinrent à entourer
les maisons des blancs. Mais ceux-ci ayant pu se réunir et rallier leurs sol-
dats, réussirent à repousser les Derviches et à les mettre en déroute. Deux
officiers belges, MM. Desneux et Bartholi furent tués dans le combat et
4 autres Européens blessés, parmi lesquels M. Hanolet, commandant supé-
rieur. Toutes les blessures résultent de coups de lance. Les pertes en soldats
indigènes ont été assez sérieuses.
Les Derviches, commandés par Adhem Bouchara, ont fait preuve d'un cou-
rage fanatique. 42 d'entre eux ont été trouvés morts à l'intérieur de la Zériba
et un nombre au moins égal a été tué hors de la place; 6 ont été faits prison-
niers. On voit par ce fait que le petit corps de troupes congolaises qui occupe
l'enclave de Lado, est tenu de veiller avec soin à la garde de sa récente
conquête.
Les révoltés Batétélas (XXIII, 28). — Les troupes congolaises n'ont pu encore
avoir raison depuis plus d'un an des soldats révoltés de l'expédition Dhanis
en raison de l'immense étendue du territoire sur lequel elles opèrent. Les
rebelles Batétélas ont attaqué au sud de Kalloge, sur le Tanganika, un déta-
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 643
chement de 177 hommes sous les ordres du 1* Chargois. Celui-ci, écrasé
par le nombre, a dû se replier sur sa réserve à Kallogé. La jonction opérée,
les troupes de l*État ont repris Toffensive et, après i heure d'une lutte
acharnée, les rebelles ont été mis en déroute, perdant 25 tués et 50 blessés.
Les munitions étant épuisées, la poursuite n'a pas été possible. Bien que
grièvement blessé dans le 2« combat, le 1* Chargois a dirigé le combat jus-
qu'à la fin. Ses troupes ont eu 5 tués et 22 blessés.
Un autre engagement a été malheureux. Le 1* Dubois, parti avec 100 hom-
mes pour occuper Kivou, a été surpris dans sa marche par les révoltés et
tué avec 31 soldats. Les charges de la colonne, 36 fusils et une caisse de
cartouches sont tombés aux mains des rebelles. Cette alternative de succès
et d'échecs n'est pas faite pour amener la fin de la rébellion.
Sud-Ouest africain allemand : Colonisation. -- La colonie du sud-
ouest africain est, par son climat, la plus propre à la colonisation germa-
nique. Le chemin de fer en construction de Swakopmund à Windhock est
poussé activement. Jusqu'ici, les colons de la région étaient presque exclusi-
vement du sexe masculin. Mais l'empereur Guillaume II veut favoriser
rémigration des jeunes filles allemandes, afin de créer plus tard là-bas une
grande famille allemande. A Wiesbaden, les adhérents des Sociétés coloniales
ont réuni 1.060 marks destinés à la première Allemande qui émigrera au
sud-ouest africain.
Madagascar : Voyage du général Gallieni. — Le gouverneur général est
arrivé à Tamatave (2 sept.) après un voyage de 3 mois pendant lesquels il a
fait le tour de l'île. Visitant les principaux centres et postes du littoral, le
général Gallieni qui avait commencé sa tournée par le nord et l'ouest de
Vile sur le croiseur Lapérouse, a dû continuer son voyage par terre de Fort-
Dauphin à Tamatave par suite du naufrage de ce bâtiment. Ce voyage a été
long et pénible. Le général a été reçu avec enthousiasme par les colons et
par les indigènes. Les tribus de la côte E. lui ont exprimé leur reconnais-
sance pour les avoir délivrées de la domination ho va.
Naufrage du « Lapérouse ». — Le croiseur Lapérouse, portant le guidon du
c* Huguet, chef de la station navale, a été surpris en rade de Fort-Dauphin,
le 31 juillet à 8 h. du soir, par de violentes rafales du N.-E. et a vu se
rompre ses deux chaînes d'ancre. Il a été aussitôt jeté à la côte où déferlait
une mer furieuse. Ce n'est qu'au jour, après une nuit d'inquiétude mortelle
que l'on a pu jeter des amarres à terre et établir un va et vient à l'aide du-
quel tout le personnel a été sauvé avec une partie du matériel. Le bâtiment
est perdu malgré les efforts du c^ Huguet qui, par son sang-froid et son
énergie, a su éviter toute perte d'homme.
Le à'Estaing remplacera le Lapérouse dans les eaux de Madagascar.
Situation, — La pacification fait de grands progrès dans le sud. Dans la
province deTullear, la plupart des chefs de l'intérieur sont venus faire leur
soumission au général Gallieni. En dehors de l'attaque du poste d'Ambohibé,
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614 REVUE FRANÇAISE
il n'y a eu à signaler aucun acte d*hostilité. Néanmoins, on ne peut consi-
dérer encore la région comme pacifiée, car il existe encore plusieurs grou-
pements hostiles. A Fort-Dauphin, le général Gallieni a reçu tous les chefs
des Antanossy, Antantsimoet Antandroys qui ont juré obéi&sance et fidélité.
Le général a organisé la province avec les chefs indigènes placés sons notre
contrôle.
La situation est bonne dans le reste de Tîle. On travaille activement, pen-
dant la belle saison, aux travaux de routes, écoles, jardins d'essais. On
signale de nombreuses constructions faites par des colons nouvellement
arrivés à TuUear et à Fort-Dauphin.
Ifuiustries indigènes. — Le général Gallieni a constaté la disparition ou la
décadence de la plupart des industries indigènes qui florissaient en Emyme
sous l'ancien gouvernement malgache : notamment, la confection des ralmies
et des lambas, la vente des peaux de bœuf et des soies de porc, la récolte de
la cire, la fabrication des chapeaux. Aussi, dans une lettre adressée le
11 mai dernier à M. Rasanjy, gouverneur principal de TEmyme, le général
Gallieni adresse-t-il un pressant appel aux autorités pour encourager la
reconstitution de ces industries tombées, en propageant les moyens perfec-
tionnés pour transformer industriellement les produits bruts du pays. Le
général Gallieni a aussi nommé une commission chargée de présenter un
rapport sur Forganisation et les procédés des anciennes industries locales et
sur les moyens de provoquer leur reprise.
Il est bien évident que la mesure que vient de prendre le gouverneur gé-
néral sera favorable aux Hovas; mais il nous est permis de nous demander
si les sacrifices considérables d'argent et de sang que nous avons faits à Ma-
dagascar ont été consentis pour permettre aux seuls Hovas, nos ennemis
d'hier, de pouvoir, en paix, développer leurs industries, à l'aide de nos pro-
cédés. Il nous semble que la France a quelque peu le droit aussi d'espérer
que ses nationaux méritent, plus que les Hovas, d'être encouragés dans
leurs entreprises industrielles à Madagascar.
Mines, — Le colonel Guyot, chef du service des mines à Madagascar a
récemment inventorié les ressources minières de l'île.
L'or en dehors des exploitations de la C'« coloniale des mines d'or de
Suberbieville et de la côte ouest (Bouéni), a été exploité en Emyrne, près
du mont Hiaranandrianu ; sur le Kitsamby, au sud du mont Ivatavé ; sur le
Saomby, affluent du Kitsamby ; dans le Betsiléo, à Itoalana et à Aoasaha ;
dans l'Antsianaka ; à Antsevakcly, sur les affluents du Bemarivo à Marovato,
sur le Marijao; jusqu'ici les alluvions seules ont été traitées.
L'argent n'a pas encore été signalé.
Des pierres précieuses ont été trouvées dans le Beuéni, dans la région de
Bétafo, dans le pays des Aaras, dans les environs du mont Vahiposa et dans
les sables des rivières de l'intérieur. Ces pierres comprennent: la pierre de
lune, le quartz améthyste, les agates, la topaze d'Espagne, les grenats, les
zircons, les saphirs, les rubis, les corindons, l'aigue-marine, l'amazonide,
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 6^5
(prisme d'émeraude), les cornalines. De beaux échantillons de cristal de
poche ont été trouvés au sud de la province du Betsiléo.
Les mines de cuivre d'Ambatofanghena (district d'Ambositra, province du
Betsiléo) ont été exploitées pour le compte du gouvernement malgache,
ainsi que celles de Vohinana. La teneur varie de 10 à 45 0/0. On a signalé
des gisements de cuivre dans la région de Bétafo, au nord de l'île, dans le
Vonizongo.
Le plomb peut s'extraire de la galène d'Ambotofanghena ; mais cette
galène n'est pas argentifère.
Le zinc existe dans la région de Bétafo.
Le fer se trouve presque partout ; les indigènes l'exploitent dans TEmyrue
et le Betsiléo.
Le cinabre (minerai de mercure) existe dans Touest de File.
On n'a pas encore trouvé d'étain.
Le charbon de terre se trouve dans un bassin de la côte N.-O., près la
baie de Bevato-Bé. Les couches de houille sont peu épaisses et le gîte a été
jugé inexploitable.
Le lignite se rencontre dans la région de Ramainandro, au sud du Kit-
samby et de la vallée du Mangoro.
Ile Maurice : Commerce. — Il est toujours intéressant de suivre le déve-
loppement de l'île Maurice, d'abord à cause de son origine et de sa popula-
tion françaises, ensuite à cause de son voisinage de la Réunion et de Mada-
gascar.
En 1896, l'île Maurice a reçu pour 32.19 i.OOO roupies de produits étran-
gers et a exporté pour 31.894.000 roupies (1). Il y a une augmentation sur
1895, de 1.688.000 roupies à l'importation et de 2.097.000 à l'exportation,
due surtout à une excellente récolte en sucre.
Les importations de Maurice proviennent pour moitié de l'Inde
(16.329.000 r.) et pour un quart de l'Angleterre (7.412.000). La France vient
au 3« rang (près de 4 millions) et l'Australie au 4« (1.146.000).
Le i^ rang parmi les produits que la France, grâce au service bi-mensuel
des Messageries maiitimes, expédie à Maurice est tenu par les vins (30.246
hectol., sur une importation totale de 30.836 hectolitres). Les eaux-de-vie
viennent au 2® rang avec 99.800 litres.
Les exportations de Maurice sont, pour plus de moitié, dirigées vers l'Inde
et Ceylan (16.548.000 r.). Les meilleurs clients de l'île sont ensuite : les colo-
nies du Cap (près de 5 millions de r.), l'Australie (3 millions 1/2), les États-
Unis (1.815.000), Madagascar (1.142.000), la Réunion (1.093.000). La France
ne reçoit que pour 516.000 fr. de produits mauriciens. L'Australie, qui
était autrefois le plus grand débouché des sucres de Maurice, n'en reçoit plus
qu'un dixième. Les exportations vers le Cap augmentent au contraire sans
(1) La valeur nominale de la roupie est de 2 fr. 50, mais sa valeur réelle a oscillé*
en 1896, de 1 fr. 43 à 1 fr. 56.
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616 REVUE FRANÇAISE
cesse. Depuis vingt ans, les échanges avec TAngleterre et la France ne se
sont guère modifiés.
Maurice ne produit guère que du sucre. La colonie en exporte pour plus
de 28 millions de roupies et seulement 2 millions i/â d'autres articles.
Aussi tire-t-elle du dehors, les articles nécessaires à Talimentation, à l'habil-
lement et aux besoins divers de ses 375.000 habitants.
Navigation, -^ Le mouvement de la navigation à Port-Louis en 1896,
donne 391 navires jaugeant 394.370 tonnes, rentrée est un chiffre à peu
près égal à celui de la sortie. Les vapeurs sont représentés par 172 bâtiments
et 282.000 tonnes à l'entrée et par autant à la sortie. En totalisant les entrées
ei les sorties à Port-Louis, on trouve pour 1896 : 492 navires anglais avec
544.352 1. 160 navires français avec 163.182 1. Les autres pavillons ont peu d'im-
portance, l'Allemagne n'étant représentéeque par 27.762 tonnes et la Norvège
par 26.000 tonnes. En 1896, il y a eu une augmentation totale de 96 navires
et 95.813 tonnes, qui a profité surtout à l'Allemagne et à l'Angleterre.
ASIE
Turquie d'Asie : Le cyclisme à Smyme, — Depuis 5 ou 6 ans, le cy-
clisme a fait des progrès énormes à Smyme, où il a maintenant une vogue
immense, à tel point que la ville possède plus de 500 bicyclettes et fournit
l'intérieur et les îles voisines, conservant pour son usage les 3/4 des impor-
tations annuelles.
Celles-ci, qui provenaient d'abord d'Angleterre, viennent maintenant pour
moitié des États-Unis ; l'Angleterre en fournit encore 25 Vo, mais les bicy-
clettes américaines tendent & accaparer tout le marché et la proportion des
produits belges, allemands et français est très faible.
Le principal centre producteur est Boston, aux États-Unis ; les produits
anglais viennent surtout de Birmingham etCoventry. Les ports d'expédition
sont New-York, Londres, Hambourg et Anvers.
Le bas prix des machines américaines leur assurent un grand avenir, car
elles peuvent revenir, à Smyme, au prix de 160 à 180 fr., franco-bord. Le
Le mauvais entretien des routes décourage encore bien des amateurs de
cyclisme, mais les machines américaines sont, autant que possible, appro-
priées aux difficultés locales et, si elles manquent de finesse, elles sont solides
et d'un bon roulement. Les machines françaises sont très appréciées pour
le soin de la confection et de l'élégance, mais leur prix élevé les rend peu
abordables ; quant aux bicyclettes françaises solides et à bas prix, elles
font malheureusement défaut.
Inde : Figuiers gigantesques. — Parmi les arbres les plus curieux de
l'Inde figure incontestablement le figuier du Bengale, multipliant ou arbre
des Banians. Ces arbres donnent aux routes qui en sont plantées un aspect
des plus pittoresques, avec leurs longues chevelures de racines adventives
qui se dirigent vers le sol, tandis que d'autres enserrent le tronc initial.
Un des plus réputés de ces banians est celui du jardin botanique de Cal-
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONL\LES 647
cutta, qui n'a guère plus d'un siècle d'existence. Son extension est telle
aujourd'hui que la circonférence formée par son feuillage atteignait 300 mètres
en 1890. On croirait voir de loin un bois, tandis qu'en réalité il n'y a qu'un
arbre unique.
Au moyen de pots remplis de terre suspendus aux racines adventives et
de tiges creuses de bambous enserrant celles-ci, on a modelé ces racines et
obtenu des colonnades très élégantes. Tout cela constitue plus de 300 troncs.
Le tronc primitif et principal mesure plus de 15 mètres de circonférence.
Ce figuier du jardin de Calcutta continue d'ailleurs à se développer; on
ne peut donc dire où son extension s'arrêtera.
Singapore : Parasols. — A l'exemple des Chinois, les Indiens et les Ma-
lais font de plus en plhs usage des parasols de soie, d'alpaga, de coton, et
même de papier et d'osier. Le boô-toa, le parasol est devenu pour ces peu-
ples le complément de l'étiquette. Il est très utile dans un pays où la pluie
tombe plusieurs fois parj^ur et où, pendant le reste du temps, le soleil frappe
avec violence ; mais 1' « umbrelia » ajoute à la dignité de celui qui le porte
et, dans les fête» religieuses, le parasol maintenu au-dessus de la tête d'un
personnage indique un rang élevé.
Ces tendances sont f&vorables à l'extension des importations françaises de
ces produits à Singapore. La vente de l'article de soie de fabrication fran-
çaise accuse pour 1895 une hausse de 20.000 dollars, mais notre importation
(66.510 d.) est encore bien inférieure à celle du Japon (233.103 d.) et de
Hong-Kong (101.968 d.). Il serait facile d'étendre le commerce français des
parasols à Singapore, mais un fait étrange c'est que la Chine n'en fournit que
pour 17.864 d.
OCÉANIE
IiT^-Zélande : Le kéa ou perroquet des moutons. — La Revue française a
déjà signalé (1) ce perroquet de la N"^-Zélande qui se perche sur le dos des
moutons, arrache leur toison dans la région lombaire, leur déchire la peau
et dévore la graisse qui entoure leurs reins. Cette habitude bizarre, d'origine
récente, occasionne de tels dégâts que les éleveurs ont mis à prix la tête du
kéa pour en provoquer la destruction. On s'est demandé si cette habitude ne
venait pas de ce que le kéa avait pris goût à la viande en mangeant les
débris attachés aux peaux de mouton mises à sécher. Mais M. Godfrey, de
Melbourne a constaté que la N"«-Zélande renfermait une sorte de mousse ou
de lichen blanc, ressemblant beaucoup à la toison du mouton, et où les kéas
trouvent des graines, des vers et des larves. Il pense que ces oiseaux ont
confondu la laine avec cette mousse et que c'est de là que viendrait cette
habitude. D'ailleurs, comme la laine lui donne encore plus à manger que la
mousse, le kéa aurait persévéré dans son habitude. La plante fournissant
cette laine végétale appartient au genre Raoutia,
(1) Voir Rev, Fr. 1895, t. xx, p. 60.
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6i8 REVUE FRANÇAISE
N^^-CSglédonie : Colonisation libre. — Depuis 1893, grâce aux encoura-
gements et à la propagande de M. le gouverneur FejHet, la colonisation
libre s'est, on le sait, beaucoup développée en N"^-Calédonie. 415 propriétés
agricoles nouvelles ont été créées par des colons qui étaient déjà dans le
pays, par des militaires congédiés dans la colonie, par des fonctionoaires
ayant pris leur retraite ou par des émigrants nouveaux de France ou de
l'étranger. Le i^' groupe comptait 130 familles; le second 285 familles éta-
blies depuis juin 1895; sur ce nombre, il en est reparti 29, soil seulement
10 0/0 de déchet, a proportion de non-réussite la plus faible, dit M. Feillel,
parmi les expériences de colonisation française ».
L'administration dispose, en attendant la possibilité d'employer la Table-
Union, de nombreux terrains échelonnés sur les côtes et facilement acces-
sibles : Nakéty touchant Canala et la Négropo, et Amoa à la suite de Poin-
dimié (groupe de Ponérihouen). D'autres terrains seront prêts bientôt à
Gomen, sur le cours de la rivière du même nom, près de l'usine de con-
serves de viandes de MM. Prévet, et à Témala, près Voh. L'installation des
colons pourra se faire sous peu à Table-Union, où Ton a construit 3 roules.
De juin 1895 à janvier 1898, la l>n'«-Calédonie a reçu 195 familles d'émi-
grants de France. Depuis, sont venus d'ajouter : 17 Américains réunis en
une petite colonie appelée « La Fayette » et située sur la rive gauche du
Diahot, au nord de l'île; 30 militaires congédiés dans la colonie et 10 fonc-
tionnaires retraités qui ont obtenu des concessions gratuites.
La main-d'œuvre agricole ne manque guère. Il y a d'abord le condamné
assigné qui est le plus recherché à cause de la modicité du salaire (20 francs
par mois), puis le libéré, excellent pour les travaux à la lâche. La main-
d'œuvre de couleur est moins bonne. Les Javanais et Annamites sont peu
employés; les Canaques des N"^»-Hébrides sont bien plus demandés; un
convoi.de 80, arrivé en décembre 1897, a été aussitôt embauché. Enfin, il y
a les Canaques néo-calédoniens qui, considérés autrefois comme incapables,
ont montré depuis qu'ils pouvaient à peu près seuls exécuter la couverture
des cases et bien d'autres travaux ; leurs femmes font parfaitement la cueil-
lette du café, le sarclage, etc.
Tahiti : Chinois. •— L'immigration chinoise prend à Tahiti de telles pro-
portions que des mesures fiscaleis sont à la veille d'être prises pour arrêter
cette véritable invasion. Dès 1883, on avait réclamé des mesures contre le
Oot asiatique qui se compose surtout, dans les îles océaniennes, des plUs
basses classes de la population chinoise, ayant tous les vices : opium, jea
usure et le reste. L'influence démoralisatrice de cette tourbe, la concurrence
commerciale et le peu de scrupules de ces immigrants sont proverbiaux.
Les mesures actuelles viendront à temps pour empêcher la disparition
complète de Télément français de Tahiti, qui était à la veille de devenir
une véritable colonie chinoise. L'Australie et les États-Unis ont déjà pris
des mesures rigoureuses de protection contre les Chinois, de même que nos
colonies de l'Indo-Chine, de la Réunion et de Madagascar.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 619
Le conseil général de Papeete a émis un vœu, le !•»• décembre 1897, qui
équivaudrait, s'il était adopté, à empêcher la Chine de continuer à envahir,
au moyen de ses émigrants, les établissements français de FOcéanie. Ce ne
sont pas, en effet, les produits français qui prédominent à Tahiti, ni même
les négociants européens. Le commerce local est, en effet, presque entière-
ment accaparé par. les Chinois : Papeete ne compte que 43 magasins euro-
péens contre 53 magasins chinois et 74 patentés asiatiques. Le conseil géné-
ral propose d'appliquer à chaque Asiatique, à son débarquement dans la
colonie, une taxe de 25.000 francs. Les Asiatiques, seraient de plus, soumis à
un impôt annuel de 300 à 500 francs en plus de la patente ordinaire.
AMÉRIQUE
Terre-Neuve : Nouvelle préparation du poisson. — ^ Les Terre-Neu viens
n'ayant pas réussi à faire enlever aux pécheurs français le privilège dont ils
jouissent sur le French Shore — privilège qui, joint à la prime qui assure à
nos pêcheurs de morue la préférence sur les marchés européens — se dis-
posent à leur faire une concurrence acharnée. Le Bait Act étant resté sans effet
contre nos pêcheurs, les Terre-Neu viens ont cherché le moyen de préparer
le poisson de façon à lui donner des qualités supérieures à celui qui était
préparé pendant la campagne de pêche. Dans ce but, une société d'achat et
d'exportation du poisson va se fonder au capital de 250.000 dollars ; elle
achètera les produits de la pêche dans les havres du littoral et les vendra
après une préparation très soignée. Des essais ont été faits pour le séchage
de la morue, qui est ensuite enfermée dans des boîtes en bois, après Tenlève-
ment de la peau et des arêtes ; ce produit est déjà exporté en Amérique avec
succès.
Le procédé Whitman surtout est à craindre pour nos pêcheurs. Le système
de séchage naturel employé jusqu'ici ne donne qu'après un temps considé-
rable la siccité désirée. M. Thomas Sparr Whitman a inventé un appareil qui
enlève, en moins de 48 heures, l'humidité du poisson et l'amène ainsi au
point demandé. Plusieurs maisons de Saint John's et d'Halifax emploient
déjà avec avantage le nouveau procédé. H faut que nos pêcheurs se préoc-
cupent de l'utiliser, s'ils ne veulent pas voir péricliter leur industrie. Déjà
une maison de Granville se propose d'exploiter ce système à Saint-Pierre.
États-Unis : Extension commerciale, — Les États-Unis d'Amérique ont
l'Angleterre pour principal client, quoique la part de ce pays ait diminué. 11
y a 10 ans, les exportations américaines en Angleterre étaient de près de
1800 millions de francs, soit 50 0/0 du total. Pour 1897, la proportion n'est
plus que de 44 0/0, mais ce chiffre a cependant augmenté puisqu'il est de
Ï.413 millions de francs (soit (>13 millions d'augm^^ntation en 9 ans).
Les exportations totales des États-Unis ont, durant cette même période,
augmenté de 59 0/0. Les exportations pour l'Allemagne sont passées de 8 à
12 0/0, celles pour la France sont restées stationnaires à 6 0/0, celles de la
Hollande se sont élevées de 2 à 5,3 0/0. L'augmentation de Texportatioa
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620 REVUE FRANÇAISE
américaine a surtout porté sur les céréales (350 millions de fr.), le fer et
l'acier (70), les cycles (15), le cuivre (15), le bois et les objets en bois (27 mil-
lions).
Immigration européenne, — Plus de 16 millions d'Européens ont immigré
aux États-Unis de 1821 à 1895. De 1880 à 1890 seulement, l'immigration
a été de 5.246.000 individus. Depuis 10 ans, la moyenne annuelle de l'im-
migration a été de 435.000 personnes.
Avant 1870, les 3/4 des immigrants étaient anglais, irlandais, allemands,
français ou Scandinaves. En 1880, ces pays ne fournissaient plus que les Z/^
de l'immigration totale et en 1896 que les 2/5. Par contre, TAutriche-Hon-
grie, l'Italie, la Pologne, la Russie qui, en 1869, ne fournissaient que moins
de 1/100 de l'immigration aux États-Unis en fournissaient 1/10 en 1880 et
plus de la moitié en 1896.
Les immigrants sont souvent une charge pour les États-Unis. En 1890, il
y avait 80.000 étrangers dans les prisons, les asiles d'aliénés et les maisons
de charité. L'élément étranger fournit, aux États-Unis, 1 fois 1/2 plus de
criminels, 2 fois 1/3 plus de fous et 3 fois plus de pauvres que l'élément
indigène.
La qualité des immigrants que reçoivent les États-Unis actuellement paraît
donc bien moins bonne qu'autrefois. Ce ne sont plus en majorité des culti-
vateurs, de vrais colons, mais des manœuvres, des gens sans initiative.
Ile Tristan da Gunha. — L*île Tristan da Cunha est à mi-cbemin
entre le cap de Bonne-Espérance et l'Amérique du Sud ; elle a une trentaine
de kilomètres de tour ; elle est très rocheuse et montueuse ; au centre se
dresse un pic de 2.300 mètres.
Cette île, découverte en 1506 par des Portugais, fut occupée par les Anglais
en 1817 ; mais la garnison britannique en fut retirée en 1821. Le caporal et
ses deux compagnons qui y restèrent ont fondé, avec quelques baleiniers, la
colonie actuelle. En 1829, il y avait 27 habitants à Tristan da Cunha, 80 en
1873 et 97 en 1887. Une partie de l'île est fertile, et le village construit par
les colons a été appelé Edimbourg.
Pendant la guerre de sécession le Shenandoah y abandonna 40 prisonniers
de guerre fédéraux. En 1885, plusieurs habitants se noyèrent en tentant
d'aborder un bâtiment de passage. Un navire de l'Amirauté anglaise visite
l'île tous les ans. C'est ainsi qu'en novembre 1897, le Widgeon s'est rendu à
Tristan da Cunha, où il a laissé une chaloupe baleinière. L'Ile comptait 64
habitants, dont 16 adultes hommes, 19 femmes, 15 garçons et 12 filles.
La principale ressource est constituée par le bétail, qui y a beaucoup
prospéré. L'île renferme 800 à 900 têtes de bétail et 500 moutons, dont les
habitants cherchent à vendre l'excédent dans les États voisins. Par suite de
la multitude des oiseaux de mer, le guano se trouve en grande quantité.
Les habitants vivent dans de bonnes conditions dit la Revue scientifique;
îl ne leur manque que des graines potagères ; ils demandent particulièreraeni
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 621
de la graine de chou, de chou-fleur et d'oignon. La propriété est commu-
niste ; la terre est achetée en commun. La moralité est excellente, Tivrognerie
et les crimes sont inconnus.
EUROPE ET DIVERS
Allemagne : Émigration, — Uémigration allemande hors d'Europe a subi,
depuis 1871, de très curieuses fluctuations. De 129.736 en 1872, le nombre
des émigranU allemands s'abaissa ensuite chaque année pour n'être plus que
de 22.903 en 1877 ; mais aussitôt, il y eut une très rapide progression, à tel
point qu'on comptait 220.798 émigrants en 1881, maximum qui n'a jamais
été dépassé.
Une nouvelle décroissance continue conduit au chiffre de 83.218 en 1886,
puis le nombre varie de 103.918 en 1888 à 120.089 en 1891. Depuis lors, il
y a eu chaque année de moins en moins d'émigrants; on n'en comptait plus
que 87.677 en 1893, 37.479 en 1895 et 33.824 en 1896.
La moyenne des 5 dernières années (1891-95), qui est de 81.279, est moitié
moindre de la moyenne de 1881-85, qui était de 174.3G8.
La répartition des émigrants allemands par pays de destination s'est éga-
lement modifiée. Les États-Unis, qui recevaient en moyenne 74.737 émigrants
par an durant la période 1871-75, en recevaient 166.500 (ou 97 0/0) pendant
la période 1881-85; en 1896, ils en ont reçu 29.007. Le Canada, qui ne re-
cevait que 75 Allemands par an pendant la période 1876-80, en a reçu 2.256
pendant la période 1891-95 et 634 en 1896. Pour le Mexique et le,reste de
l'Amérique, la moyenne depuis 27 ans s'est à peu près maintenue, avec un
maximum de 3.742 pour la période 1886-90 et un minimum de 2.345 pour la
période 1876-80.
Grèce : Situation économique et financière. — Depuis la conclusion de la
paix avec la Turquie, la Grèce se recueille et cherche à mettre de l'ordre
dans ses aflaires intérieures. La question Cretoise, que des faits récents ont
rappelée À l'attention générale, ne passionne plus la Grèce qui attend, non
cependant sans quelque impatience, que les puissances la règlent comme
elles l'ont promis.
Les résultats de ces bonnes dispositions se manifestent déjà. Le contrôle
financier international, que l'on a eu quelque peine à faire admettre et
qui fonctionne officiellement depuis le mois de mai dernier, est maintenant
considéré par tout le monde, en Grèce, comme un bien, et l'une des causes
du relèvement du pays. D'aucuns même regrettent que le contrôle interna-
tional ait son action limitée au service desemprunts extérieurs, et beaucoup
de bons esprits auraient vu favorablement le contrôle international gérer
également le service des emprunts intérieurs. Le change qui, il y a un an,
dépassait 170, se trouve actuellement au-dessous de 145 et beaucoup de rai-
sons permettent de penser que la tendance â l'amélioration persiste. Les
rentrées des revenus affectés au service des emprunts extérieurs se font bien
et dans des proportions supérieures aux prévisions. Il est donc possible que.
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622 REVUE FRANÇAISE
même dès la première aonée, les créanciers touchent une petite plus-value
sur le montant réduit adopté pour les emprunts antérieurs.
Enûn, les dépenses générales du royaume sont couvertes par les recettes,
et Ton peut dire que, dès à présent, le budget est en équilibre. Cette silAïa-
tion, sur laquelle on ne comptait que dans 3 ou 4 ans, est due exclusive-
ment à rhabileté de M. Streit, miniâtre des finances, à qui Ton doit Cé-
ment que le contrôle international a pu s'établir dans de bonnes conditions.
Nous ajouterons que, d'autre part, la récolle du raisin a été cette année
très abondante ; Texportation dépassera sûrement 150.000 tonnes. Il est vrai
que les prix sont un peu faibles; mais la vente se fait, et il rentrera en
Grèce beaucoup d'argent. De plus, les impôts correspondants seront perças
dans de bonnes conditions.
En admettant que les Grecs qui, malheureusement pour eux, ont copié
beaucoup de nos défauts, surtout en matière d'administration intérieure,
conservent l'allure sage que leurs amis — dont nous sommes — sont heu-
reux de constater, il est certain que le moment est proche où Ton pourra
reprendre, en Grèce, la question des grands travaux publics dont l'exécution
a dû être suspendue, depuis quelques années, par suite d'une mauvaise ges-
tion financière.
De concert avec l'Angleterre et la Russie, la France a garanti le dernier
emprunt grec, placé à un taux inespéré, permettant de régler à la Turquie
le montant de l'indemnité de guerre et de couvrir les dettes flottantes; il est
donc naturel qu'en France on suive avec intérêt les améliorations se produi-
sant dans la situation générale de la Grèce, et il faut espérer que l'on saura
chez nous prendre à temps sa part des travaux d'utilité publique dont
l'exécution s'impose en Grèce.
Hollande : La langue française délaissée, — Les flamingants, dont l'in-
fluence, se fait sentir aussi en Hollande, se sont mis en tête de proscrire de
la langue néerlandaise tous les mots français ou d'origine française : Coif-
feurs, tailleurs, modes, confections qui se trouvent sur les enseignes des bou-
tiques, et, ces jours derniers, l'Académie flamande, effrayée du vocable
automobUe, proposait d'y substituer un mot authentiquement flamand :
Snelpaardelooszonderspoorwegpetroolrijtuig, un mot d'une telle longueur,
comme on voit, et qui veut dire : Voiture à pétrole sans chevaux et sans
rail. De ces manies, il est facile de rire ; ce qui est plus grave, c'est le pro-
jet qui vient d'être soumis au conseil municipal de Rottei*dam, au nom du
collège des bourgmestre et échevins, d'ouvrir une école primaire supé-
rieure où l'on enseignera comme langues étrangères l'allemand et l'anglais i
l'exclusion du français.
Jamais pareille chose ne s'était vue : dans toutes les écoles primaires supé-
rieures, le français était enseigné, même avant l'allemand et l'anglais, et on
y consacrait plus de temps. Toutes les autorités scolaires, la commission de
surveillance de l'instruction primaire et une grande majorité des inspec-
teurs d'arrondissement et du district ont tous déploré cet abandon de k
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONULES ^3
langue française; ils auraient consenti, pour la maintenir, à réduire le
nombre d'heures qui lui est accordé; mais la chambre de commerce, consul-
tée, a été d'un avis contraire. Estimant qu'il était très diflicile à des enfants
d'apprendre trois langues étrangères, elle a jugé qu'il valait mieux renoncer
à celle dont on avait le moins besoin pour le commerce, et le bourgmestre
et les échevins se sont rangés à cette opinion et proposent au conseil de tenter
l'expérience. Si on s'y résoud et si la tentative réussit, dans la nécessité où
l'on est d'alléger les programmes, on peut dire que c'en est fait de l'ensei-
gnement de la langue française dans les écoles primaires. Où est le temps
où les écoles primaires supérieures s'appelaient écoles françaises et où les
enfants appelaient leur instituteur « Monsieur »? Il a suffi de deux généra-
tions pour changer tout cela. Et ce qu'il ne faut pas oublier, dit le Journal
des Débats, c'est que cette décadence de notre langue est le résultat de la
diminution de notre commerce. On fait des affaires avec l'Allemagne, avec
l'Angleterre : on a besoin de savoir l'anglais et l'allemand ; on ne fait plus
d'affaires avec nous : on se passe du français. Voilà ce qu'on gagne à affecter
le parfait dédain de l'étranger.
Russie : Ouragans de poussière, — Le sud de la Russie est souvent éprouvé
par des ouragans de poussière, appelés chasse-poussière, q^i enlèvent la
couche supérieure du sol. En avril 1893, ces calamités ont été minutieuse-
ment observées par M. A. Klossovsky, professeur à l'Université d'Odessa. Les
tourbillons de terre se sont renouvelés, par poussées, à trois reprises. Ces
poussées prenaient naissance sur le littoral de la mer d'Azov et étaient accom-
pagnées de vents d'est très forts; à l'est de la Russie, le baromètre marquait
de hautes pressions; au sud, dans les parages de la mer Noire, un cyclone
avançait lentement. Les désastres ont surtout été signalés chez les Cosaques
du Don, dans les districts nord des gouvernements de Tauride, d'Iékatéri-
noslav et dans celui de Pultava. Partout, dit la Revue Scientifique, un vent
d'est sec, intense, arrachait le sol et chassait des masses de sable et de pous-
sière; les semailles jaunies étaient coupées à la racine; bientôt les racines
étaient arrachées; 18 centimètres de soi ont été ainsi enlevés. Le district de
Berdiansk (Tauride) fut un des plus éprouvés ; 500 kilomètres carrés de
céréales furent détruits. Mais une bande de terre de 4 à 5 verstes, le long de
la mer d'Azov, échappa au désastre. Dans certains endroits, les terres enlevées
s'amoncelaient sur des hauteurs de 3 mètres et les ravins étaient comblés.
Plus à l'ouest et au nord-ouest, l'ouragan fut moins intense ; il se traduisit
seulement en légers brouillards formés de poussières raréfiées, se perdant
jusqu'à Saint-Pétersbourg, la Finlande, la Suède et le Danemark, dans les
premiers Jours de mai. Ce brouillard de poussière ressemblait, dit M. Po-
proujenkO; à une comète dont le noyau aurait été formé des ouragans de
poussière, tandis que la queue aurait représenté les masses raréfiées. Le
brouillard de poussière apparaît surtout à l'est de l'horizon, vers 7 h. 40' du
matin; il atteint vers 1 ou 2 heures de l'après-midi sa plus grande intensité
et se dissipe vers 7 heures du soir. Dans le pays des Cosaques du Don, l'enlè-
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624 REVUE FRANÇAISE
vemeat de la terre par les ouragans s'effectuait eu bandes îrrégulières, ce
qui prouverait Texistence d'un mouvement tourbillonnaire. On a constaté
quatre zones de brouillards semblables séparées par des intervalles d'atmos-
phère sereine.
Petites nouvelles. ~ VOfficiel du 2 sept, publie un décret relatif au prix de h
main-d'cBuvre pénale aux coloûies et un décret concernant Tapplication du code pénal
métropolitain à Madagascar et autres colonies.
— Décret du 17 sept. {Officiel du 22), appliquant à V Algérie les dispositions de la
loi du 12 juil. 1898 étendant les pouvoirs financiers des conseils généraux.
— VOfficiel du 12 août publie 3 décrets du 8 août concernant VJndo-Chine, Le 1"
modifie le conseil supérieur et y crée une commission permanente. Le 2« supprime la
cour d'appel créée à Hanoï le 13 jany. 1894 et institue une cour d'appel d'Indo-Chioe
ayant 2 chambres à Saigon et 1 à Hanoï. Le 3* crée un conseil de protectorat près du
résident à Hanoï. Un 4* décret (9 août), crée un tribunal de commerce à Saïgon.
— Sont nommés gouverneurs des colonies {Officiel^ 13 sept.) : Guyane, M. Mouttet,
gouv. de la Cùte d'Ivoire ; CtHe d'Ivoire, M. Roberdeau.
Mémoires d'un aide-mai or sous le premier empire, par S. Blaze.
Flammarion, éditeur. — Cet ouvrage est certainement un des plus intéressants de la
collection des a Mémoires militaires ». L'auteur suivit en Espagne les premières ar.
mées de Napoléon. Après la capitulation de Baylen il fut fait prisonnier et emmené à
Cadix, où if fut interné sur les pontons. Trois années après il parvint é s'échapper.
Dans le récit de ses aventures S. Blaze montre partout sa joyeuse humeur, son esprit
fertile en ressources, lui permettent de devenir, pour adoucir sa captivité, ménétrier,
marmiton, professeur d'italien.... qu'il ne savait pas, etc. Les pages consacrées à son
évasion dramatique des pontons, sont saisissantes et en même temps pleines de sim-
plicité et de belle humeur.
M. E. GuÉNiN, l'auteur de 1' « Histoire de la Colonisation française >, vient de publier,
dans les biographies consacrées aux « Hommes d'action » par le Comité Dupleix, une
très remarquable étude sous ce titre : Monlcalmy après celle consacrée à Cavelier delà
Salle. L'ouvrage, précédé d'une préface de l'explorateur Bonvalot, est consacré aux
luttes si poignantes à la suite desquelles la suprématie nous a été enlevée dans l'Amé-
rique du Nord par l'Angleterre, malgré les victoires et l'héroïsme de Montcalm et
Lévis. Ce volume illustré de 130 pages est, par la modicité de son prix, 75 centimes,
à la portée de tous (Challamel éditeur).
M. C. Maorolle vient de publier chez Challamel une intéressante brochure sur
Les peuples et les langues de la Chine méridionale. Le sud et l'ouest de la Chine ren-
ferment beaucoup de populations autochtones et ce sont les parlers de quelques-unes
dont traite M. Madrolie. Une carte détaillée de l'île d'Haïnan et de Loui Tcheou accom-
pagne ce travail.
La question des limites Ghilo-argentines, par M. Dblachadx, étude sur
le tracé de la frontière dans les Andes, aujourd'hui encore l'objet d'une vive discos-
sion. A. Colin, éditeur.
U Gérant, Edouard MARBEAU.
IMPRIMERIE CBAIX. RUE BERQBRE, 20, PARIS, r- 20602-iH08. ~ (iMrt LwUInt).
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m^^
LA CHINE EN TRANSFORMATION
ET LES PRÉTENTIONS ANGLAISES
M. Archibald R. Colquhoun était, par ses voyages et ses écrits anté-
rieurs teodant à relier territorialement Tlnde à la Chine, mieux qualifié
que quiconque pour exposer, au point de vue britannique, la situation
actuelle du Céleste Empire et la compétition des puissances européennes
pour les zones d'influence en Extrême-Orient; c'est ce qu'il vient de
faire dans un ouvrage ayant pour titre : China in transformation (1).
Nous manquons tout à fait de publications françaises dans lesquelles
ces grandes questions asiatiques d'une si haute importance soient exposées
d'une manière approfondie et mises à la portée du public. Nous n'avons
rien de semblable à Problème of the Far East de Curzon, ou bien à The
Far East and its politics de Norman, ouvrages qui, ayant juste précédé
ou suivi la guerre sino-japonaise, n'ont pas manqué, par la notoriété
de leurs auteurs, d'attirer l'attention et de préparer la nation anglaise
à calculer ses prétentions. Ces ouvrages, toutefois, peuvent aussi nous
rendre service, et de même China in transfoi^mation^ à la condition,
cependant, de se tenir constamment en garde contre la partialité des
auteurs.
SOMMAIRE DE l'oUVRAGE DE M. COLQUHOUN
M. Colquhoun passe en revue successivement : la question géogra-
phique, — l'historique des relations extérieures, — la question écono-
micpie, — les voies de communications, — l'objectif de l'Angleterre er
Chine, — le développement commercial, — le gouvernement et l'adm.-
nistration, — la situation diplomatique, — la presse indigène, — le
peuple chinois, — la démocratie chinoise, — Hong-Kong, — la ques-
tion politique.
M. Colquhoun est le champion par excellence de la politique de
chemins de fer. Selon lui, les grandes artères à construire, les trunk
lines, telles que celles de Pékin à Hankéou, Canton et Hong-Kong, de
Pékin à Chin-Kiang, Shanghaï et au-delà, « galvaniseraient le com-
merce de l'intérieur » (p. 94). Comme, au moment où l'auteur écrivait,
la politique de lord Salisbury dite « de la porte ouverte 4, n'était pas
encore complètement abandonnée, M. Colquhoun désirait que ces che-
(1) 1 vol. Harper and brothers, Londres et New-York, 1898.
XXIII (NoTembre 98). N* 239. 41
1
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626 REVUE FRANÇAISE
mins de fer restassent le monopole de TÉtat (p. 99), mais à la condi-
tion, doit-on lire entre les lignes, qu'un sir Robert Hart soit placé à
la tète de cet important service, comme à la tété de celui des douaties,
pour l'accaparer au profit de TAngleterre.
Cependant, la Russie lui parait trop méthodiquement et irrésistiblemeDt
envahissante pour qu'il soit possible de lui disputer l'influence dans le
nord. Il se résigne aussi à tenir compte de la présence de l'AUanagne
au Shan-tung (1). Mais de la France il ne semble guère se préoccuper.
« L'Angleterre, dit-U, doit occuper effectivement la région du Yang-tzé
et la Chine méridionale, si elle a sérieusement l'intention de prendre
sa part d (p. 140) ; elle doit agir en partant de trois bases : Shang-haï,
Hong-Kong et la Birmanie (2), et revendiquer en conséquence le droit
de construire des voies ferrées jusqu'au Yangtzé et aussi jusqu'au Si-
Kiang.
LES PRÉTENTIONS BRITANNIQUES
M. Colquhoun est ainsi en quelque sorte plus royaliste que le roi. Le
gouvernement britannique paraît, en effet, n'avoir revendiqué, lors de
la concession de la voie Pékin-Han-Kéou à un syndicat franco-belge,
que la vallée du Yang-tzé comme zone d'influence; il abandonnerait
peut-être volontiers à la France les trois provinces limitrophes du Ton-
kin et même le Fo-Kien pour obtenir d'elle la reconnaissance de cette
zone (3). La différence entre les deux opinions n'est cependant pas
tout à fait aussi considérable qu'elle paraît tout d'abord; car, en pre-
mier lieu, une partie importante du Yunnan et la ville même de Yun-
nan-fou se trouve daus la vallée du Yang-tzé et serait donc réclamée ;
ensuile, le rayonnement commercial de Hong-Kong, snrtout avec l'ex-
tension de Kowloon et Mirs bay, est tellement prépondérant que, quelle
( I ) L'Angleterre s'est cependant taillé une certaine zone en arrière de Wei-haî-wei,
et cela malgré les assurances qui furent spontanément données à TAIlemagne qu^a-
cun empiétement ne serait fait sur sa sphère autour de Kiao-Tcbéou. Y. ci-dessoQs
le texte du traité.
(2) Ou plus exactement le Tenasserim; car, dit-il, la route de Bahmo au Yunnan i
des difficultés physiques insurmontables (p. 113); celle par Kunlon-Ferrj présente de
très sérieux obstacles (p. 114) ; la seule voie natureUe passe par le Siam (p. 113). Y. à
ce sujet : Rtv. Fr., août 189»^, p. 155. La pénétration anglaise dans la Chine du sud:
p. 160. Le Yunnan et la convention franco-anglaése de 4896.
(3) A plusieurs reprises, à l'occasion de démarches faites aupi^ de lui, lord Salis-
bury a plutôt découragé qu'encouragé les projets de voies ferrées de la Birmaot
vers le Yunnan, comme s'il ne voulait pas de ce côlé empiéter sur la zone française.
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I
LA CHINE EN TRANSFORMATION 621
que soit la puissance installée au Kouang-toung, il panUt impossible
que Canton et le Si-kiang inférieur soient entraînés dans une autre
orbite que celle de la colonie britannique.
Même limitée à la vallée du Yang tzé, les prétentions anglaises sont
exorbitantes. Il est difficile de les évaluer en population et en superficie
parce que plusieurs provinces appartiennent à des fleuves différents;
parce que le Tche-Kiang sera probablement englobé à cause de l'im-
portance des Chu-san comme station navale; parce qu'enfin le bassin
de la rivière Hoaï qui, par ses nombreux affluents, draine une grande
partie du Ho-nan et du Anh-hoei, provinces surpeuplées, et dont le
cours inférieur s'égare dans des lacs à écoulements multiples ou incer-
tains, peut être disputé entre le Hoang-ho et le Yang4zé. On peut ce-
pendant évaluer, en se servant des chiffres mêmes de M. Colquhoun à
environ 220 millions (1) le nombre des êtres humains qui viendraient
s'ajouter à celui déjà énorme des sujets britanniques. Et si l'on trace
sur une carte de l'ancien monde les limites du bassin du Yang-tzé, si
on les relie à l'Inde par le Thibet dont on ne parle pas aujourd'hui,
mais que les Anglais revendiqueront aussi par raison de mur mitoyen,
on est vraiment effrayé à la vue de la monstrueuse domination qui
prétend s'étendre de Sbang-baï au Caire comme du Caire au Cap de
Bonne-Espérance.
Sur quoi donc repose la prétention -à une aussi gigantesque zone
d'influence? M. Colquhoun n'invoque aucune autre raison que la grande
prépondérance commerciale actuelle de l'Angleterre; de ce que son
pays fait aujourd'hui plus des 4/S du commerce général extérieur de
la Chine, il conclut à l'accaparement de plus de 'la moitié de la popula-
tien et de la superficie du Céleste Empire. 11 ne songe même pas à
admettre aucune autre raison, si ce n'est la force ; il se résigne seulement
à abandonner la Mandchourie à la Russie, quoique le commerce russe
soit très faible, parce que... l'Angleterre se sent impuissante à expulser
sa rivale.
Notons ici l'évolution qu'à l'occasion des affaires d'Extrême-Orient.
l'Angleterre tâche de faire subir à l'idée de la zone d'infltwnce. Le
traité de Berlin avait donné pour base à ce principe, en Afrique, la
possession reconnue d'un littoral en arrière duquel la puissance occu-
(1) Sans compter le bas Si-Kiang, ni le Thibet.
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628 REVUE FRANÇAISE
pante était considérée à peu près comme maitresse; les limites étaient
imprécises; il y avait cependant un point de départ certain : la main-
mise sur la côte. Et dans cet état, ce principe, un de ces • principes
d'équité et de droit yi, que S M. Nicolas II voudrait grouper en un
puissant faisceau; a pu recevoir son application ef rendre aux nations
européennes l'immense service de les conduire au partage de F Afrique
sans conflit armé, jusqu'à ce jour.
En Chine, l'Angleterre, profitant de ce que l'Europe n'a pas encore
essayé de prévoir et régler les rivalités en jeu, invoque comme on
droit la suprématie de son négoce et s'adjuge la part du lion en chm*
sissant arbitrairement les morceaux. Le principe de la zone d'influence,
pour elle, de même que pour M. Colquhoun, se résumerait désormais
dans le brocard suivant : la domination politique suit la domination
commerciale.
Si encore l'Angleterre étendait la zone qu'elle réclame autour des
centres où sont établis ses marchands, elle serait conséquente avec
elle-même; mais il n'en e^t rien. M. Colquhoun remarque avec quelque
amertume que les négociants britanniques restent groupés dans les
villes et ports ouverts et qu'il n'y en a même pas dans toutes les loca-
lités; ce sont les Chinois eux-mêmes, seuls capables d'endurer toutes
les formalités des /tfcm, qui font à leurs frais la dispersion des mar-
chandises. Cela étant, l'Angleterre, en vertu du principe tel qu'elle
l'admet, devrait prétendre aux provinces littorales et à celles du bas
Yang^tzé, où sont situées des métropoles commerciales comme Hong-
Kong et Shang-haï et d'autres points, centres importants pour l'accu-
mulation de ses produits et de ceux de la Chine. Elle justifierait ainsi,
jusqu'à un certain point, des viséas sur le Kouang-toung, le Fo-kien, le
Tché-kiang, leKiang-su, l'An-huei, le Kiangsi, le Houpé. Mais elle ne
peut pas invoquer, quant à présent, son commerce pour se faire attri-
buer, dans la vallée du Yang-tzé ,1e Hou-nan, le Kouei-tcheou, le Szé-
tchouen, provinces qui, jusqu'à ce jour, sont restées à peu près impé-
nétrables, soit à cause de l'hostilité des lettrés et mandarins, soit par
suite de l'interposition des rapides d'I-chang. Elle les revendique de la
manière la plus arbitraire, simplement pour avoir des réserves d'avenir,
le Szé-tchouen surtout qui, aux yeux de M. Colquhoun, est c la pro-
vince-empire », bien faite, avec ses 60 millions d'habitants, pour cons-
tituer « l'objectif commercial et politique de l'Angleterre. »
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LA CHINE E\ TRANSFORMATION 629
NULLITÉ DES DROITS SUR LB YANG-TZÉ. TEXTE DU TRAITÉ.
Il est vrai que TADgleterre a tenté de faire reconnaître par Ja Chine
sa zone d'influence de la vallée du Yang-tzé; aussi longtemps que le
traité est resté secret, on a pu croire que, sous la pression britannique,
le Fils du Ciel avait pris quelque engagement limitant sa souveraineté
dans cette partie de son empire, ou l'abandonnant éventuellement par
la concession de quelque droit de préemption. Un tel acte eût donné
une base certaine aux' prétentions anglaises et eût été opposable aux
nations étrangères. Mais on connaît aujourd'hui les termes de ce docu-
ment; lord Salisbury a été amené à le publier, par les révélations du
Times qui, sur les questions chinoises, rivalise d'informations avec le
Foreign Office lui-môme, et se montrait rien moins que satisfait de la
politique trop effacée, à son gré, suivie par le cabinet britannique. Ledit
document est une simple lettre du Tsong-li-Yamen à sir Claude Mao-
Donald, ministre à Pékin, ainsi libellée :
« Kuang-Hsti, 24« année, l"^ lune, 21« jour (H février 1898). — Le
Yamen a l'honneur d'accuser réception au ministre britannique, de sa
dépêche du 9 février, constatant que le Yamen avait fait plus que lui
déclarer que le gouvernement chinois a bien connaissance de la grande
importance qui a toujours été attachée par la Grande-Bretagne, au main-
tien en possession chinoise de la région du Yang-tzé, aujourd'hui en-
tièrement sienne (1), parce que cet état de choses assure le libre exer-
cice et le développement du commerce. Le ministre britannique serait
heureux d'être en mesure de communiquer au gouvernement de Sa
Majesté l'assurance ferme que la Chine n'aliénera jamais (aucun terri-
toire) dans les provinces touchant au Yang-tzé au profit d'une autre
puissance, soit à titre de bail, de gage, soit sous toute autre désignation.
Le Yamen doit considéi'er que la région du Yang-tzé a la plus grande
importance pour la situation générale (ou les intérêts) de la Chine^ et il
est hors de question qu'un territoire (dans cette région) doive être donné
en gage^ à bail ou cédé à ujie autre puissance. Du moment que le gou-
vernement de Sa Majesté britannique a exprimé son intérêt (ou sa solli~
(1) 11 y a ici une faute grammaticale conforme au texte anglais de la réponse du
Yamen et de la lettre même de sir Claude, dans laquelle ker$, sienne, qui vise la
Chine, ne peut pas régulièrement se rapporter à ehineêe pouession et semble appli-
cable à la Grande-Bretagne. Cette faute a été signalée par toute la presse britannique*
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^ 630 REVUE FRANÇAISE
i- citude), il est du devoir du Yamen d'adresser cette note au ministre
britannique pour communication à son gouvernement (1) ».
La première partie de ce document reproduit les termes mômes de la
lettre de sir Claude Hac-Donald; seule, la troisième phrase que nous
I avons ici mise en italique, constitue la réponse du Yamen. Or, il n'y
I a là aucun engagement ou promesse; le Yamen constate un fait, l'im-
^ portance du Yang-tzé, et en déduit qu'il ne voit aucune raison pour cé-
-'. der quelque parcelle de ce bassin fluvial. Un gouvernement, aussi long-
I temps qu'il se considère comme dirigeant une nation indépendante, ne
M saurait répondre si ce n'est sur ce ton ironique à la question posée par
l' sir Claude Mac*Donald. Le Times du 5 août formulait la même appré-
^ cialion : « U n'y a là, disait-il, rieude plus que l'expression académique
p d'une opmUm qui n'engage à rien le gouvernement chinois. Celui-ci pour-
1' rait demain changer son opinion et céder la moitié de la vallée; et si
^' c'était là une transaction entre particuliers de nature à être portée de-
I vaut les tribunaux ordinaires, la Cour nous rirait simplement au nez si
f] nous prétendions baser une réclamation sur ce simulacre d'une assu-
rance. » II est d'ailleurs à présumer que les termes du soi-disant traité
obtenu par la France au sujet des provinces limitrophes du Tonkin, ne
sont pas plus constitutifs de droit. Aussi, devons-nous nous garder tout
h aussi bien de considérer notre zone d'influence comme reconnue et
^ limitée, que de croire intangible la vallée du Yàng-tzé que l'Angleterre
s'adjuge de sa seule autorité.
COMPARAISON AVEC LES TRAITÉS WBI-HAÏ-WKl ET DE HONG-KO.XG
i Bien autres sont les termes de la convention du 1®'' juillet 1898, en
vertu de laquelle l'Angleterre a obtenu le bail de Wei-haï-wei :
« Afin de procurer à la Grande-Bretagne un port militaire convenable
^ dans le nord de la Chine et lui permettre de mieux proléger le commerce
britannique dans les mers voisines, le gouvernement de S. M. TEmpereur
de la Chine consent à donner à bail à S. M. la Reine de Grande-Bretagne et
d'Irlande, Wel-hal-wei, dans la province de Shan-tung, et les eaux conligues
pour aussi longtemps que Port-Arthur restera occupé par la Russie.
9 Le territoire donné à bail comprendra l'île de Ling-Kung et toutes les
(1) Les mots entre parenthèses sont ainsi placés dans le texte anglais. V. ce texte
dans le Times^ édition hebdomadaire, 29 joillet 1899, p. 468, oa dans le livre Ueo
CAwia, n» «, 4898.
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LA CHINE EN TRANSFORMATION
631
autres îîes de la baie de Wei-haï-wei, ainsi qu'une bande de territoire large
de dix milles anglais, tout le long de la côte de la baie. Sur ce territoire, la
Grande-Bretagne seule, aura droit de juridiction.
» La Grande-Bretagne aura, en outre, le droit d'élever des fortifications,
d^ placer des troupes ou de prendre toute autre mesure dans un but défensif
à tous les points, sur ou près la côte de la région à Test du méridien 120<> 40'
S. de Greenwich, et d'acquérir, moyennant équitable compensation, sur ce
territoire, tels emplacements qui seraient nécessaires pour l'alimention
d'eau, les communications ou les hôpitaux. Dans cette zone, l'administration
f-
TUnBh^'^y
'ttritoin à lait cnna ^^
HtY.Fî. ti$$
UoTckéjûu jAlil
WEl HAI WËI : Zone d^inplubnce anglaise.
chinoise subsistera; mais il n'y sera pas admis d'autres troupes que les chi-
noises ou les anglaises ;
» Il est également convenu que dans la cité murée de Wei-haï-wei, les
fonctionnaires chinois continueront d'exercer leurs mandats, sauf incompa-
tibilité avec les nécessités navales ou militaires de la défense du territoire
donné à bail.
» Il est, en outre, convenu que les bâtiments de guerre chinois, dans la
situation de neutralité ou dans une autre, conserveront le droit de faire usage
des eaux qui sont par le présent acte cédés à bail à TAngleterre.
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632 REVUE FRANÇAISE
» Il est, en outre, entendu qu'il n'y aura ni expropriation, ni expulsion
des habitants du territoire ici spécifié et que les terrains nécessaires pour
des fortifications, des édifices publics ou pour tout autre usage ofiiciel ou pu-
blic, seront achetés à. un prix convenable...
» Signé : Claude M. Mac-Donald; Prince Ching, membre le plus âgé du
Tsung-li-Yamen ; Liao-Shou-Heng, président du comité des punitions s.
La Chine a pris ici des engagements précis; hors de Wei-haï-Wei,
l'Angleterre possède une zone d'influence qui englobe la moitié de la
presqu'île du Shan-tung, et son droit est incontestablement opposable à
l'Allemagne et à toute autre nation. Le rapprochement avec l'acte coq-
cernant la vallée du Yang-tzé fait bien ressortir l'inanité de ce dernier.
Le texte concernant Wei-haï-Wei n'a pas été publié par le gouverne-
ment de Londres, mais par le Times (éd. hebd., 19 août 1898, p. 515);
il n'était peut-être pas fait, au gré de lord Salisbury, pour être com-
muniqué au public dans son entier, car la partie qui constitue la zone
d'influence jusqu'au 120^40' Gr., est vraiment en contradiction trop
flagrante avec les assurances données à l'Allemagne au moment même
de l'occupation.
L'extension de Hong-Kong et Koowloon sur la terre ferme, s'est faite
dans des conditions analogues précises : bail de 99 ans, usage du nou-
veau terrain et des eaux de Mirs-bay à toutes Ans militaires, maintien
de la juridiction chinoise, etc. On y retrouve aussi, comme à Wei-haï-
Wei, une clause stipulant que la Chine conserve le droit d'user des eaui
maritimes du territoire cédé à bail, en sorte que si la Chine venait à
être en guerre contre mie autre nation, ses bâtiments pourraient venir
se réfugier à l'abri des canons anglais et s'y ravitailler sans engager la
responsabilité de l'Angleterre restant neutre I
LES PRÉTENTIONS ANGLAISES ET LE DÉSARMEMENT GÉNÉRAL
Ne serait-il pas permis de supposer que cette prétention de l'Angle-
terre à décider seule de la part qui lui revient en Chine, en n'admet-
tant d'autre droit que celui résultant des chifi*res commerciaux, soit
l'une des causes qui ont amené le tsar à faire rédiger la fameuse cir-
culaire sur les armements excessifs ou, comme on dit, sur le désarme-
ment. On ne paraît pas avoir remarqué la coïncidence de l'envoi de
ce grand document avec l'extrême acuité de la lutte d'influence à Pékin
à propos du contrôle russe sur la ligne ferrée de Pékin à Han-Kéoa
concédée à un syndicat franco-belge.
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LA CHINE EN TRANSFORMATION
633
Les forces navales anglaises venaient de se concentrer à Wei-haï-wei
et à Han-Kéou, prêtes à Taction contre la Chine ; dès lors, pour faire
respecter les engagements obtenus du Tsung-li-Yamen, la Russie allait
être obligée de protéger le Fils du Ciel contre l'agression britannique,
et c'était la guerre. S. M. Nicolas s'est ainsi trouvé acculé à a ce cata-
clysme môme qu'on tient à écarter et dont les horreurs font frémir à
l'avance toute pensée humaine ». Déjà sans doute acquis à la « grande
\^
30-
W 1? ï? IP'
P^RavJN.CC PU KOUANJ^ - TQitNG ^.^^^^^
^2 •//)'•
ConcessiûK <fg Kcwibun^liHùjnmn Cùnuision ^d^lï^^
Colonie de Hong-Kong.
conception de la paix universelle », il s'est soudain résolu à convoquer
les nations civilisées en assemblée générale.
Et on pourrait ainsi expliquer comment, le 12/24 août, le comte
Mouraviev remit cette communication si inattendue aux représentants
étrangers accrédités à S^-Pétersbourg, sans qu'aucun gouvernement, pas
même celui de la France alliée, ait été pressenti ; car les événements
pressaient. Aussitôt la circulaire publiée, l'orage, en Extrême-Orient,
s'est dissipé. La Russie paraît avoir fait toutes les concessions néces-
saires ; elle a déplacé son ministre à Pékin, M. Pavloff, envoyé en Co-
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rt^F
634 REVUE FRANÇAISE
rée : elle a accepté la diminution des pouvoirs de Li-hung-chang et,
sans doute, renoncé au contrôle de la ligne de Han-keou, afin de témoi-
gner de son réel désir de concorde et de paix, niais sans doute aussi en
attendant que la conférence projetée ait recherché et consacré les « prin-
cipes d'équité et de droit sur lesquels reposent la sécurité des États et le
bien-être des peuples » et qui, en ce qui concerne la Chine;^ permet-
traient de déterminer des zones d'influence plus ou moins précises,
mais assez nettes pour écarter les conflits armés.
Quoi qu'il en soit de la raison déterminante du rescrit désormais his-*
torique, il semble certain que la question chinoise sera examinée par
la conférence, comme la question africaine le fut naguère à Berlin. La
France ne devra-t-elle invoquer que son commerce pour faire déter-
miner la zone réservée à son influence ?
ZONE d'influence FRANÇiUSB A REVENDIQUER
Comme M. Colquhoun le remarque « ce sont surtout des mission-
naires français qui donnèrent à la Chine les premières notions sur les
pays d'Occident et inversement » (p. 43). Depuis des siècles, la France
étend sa protection sur les missions catholiques, quelle que soit la natio-
nalité des missionnaires; elle l'a fait, nonobstant les susceptibitités
qu'elle éveillait par là contre son influence pohtique, parce qu'elle con-
sidérait que les messagers d'une foi chrétienne étaient en même tei;nps
les messagers de la civilisation occidentale. M. Curzon a lui-même fait
valoir, dans ses Problems of the Far East, les inconvénients résultant de
la protection des missionnaires; or, sans doute, les missions catho-
liques sont, par le nombre des catéchistes, aux missions protestantes,
dans la proportion inverse du commerce français aa commerce anglais
en Chine. N'y aura-t-il pas lieu de faire valoir auprès de la conférence
ces services rendus à la civilisation, afin de faire étendre la zone mi-
nime que l'Anglais daignerait nous abandonner ?
D'autre part, la France n a-t-elle pas, autant que l'Angleterre, con-
tribué à ouvrir, par la force, le Céleste-Empire aux nations civilisées?
Les jours sont assurément bien loin où l'armée franco-anglaise occu-
pait le Petchili et marchait sur Pékin. Mais, en est-il moins vrai que
la France a, comme l'Angleterre, dépensé son or et versé le sang de
ses soldats pour renverser la muraille de la Chine et est-il juste, à la
face du mbnde, que notre ancienne alliée soit presque seule à se fé^
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LA CHINE EN TOANSFORMATÏON , 638
server aujourd'hui les conséquences profitables de ces lointains évène-
inenls 1
Il y aura, en outre, bien entendu, à faire valoir la contiguïté de rfndo-
Chine et des provinces méridionales de Tempire. Le Tonkin ne peut
pas s'accommoder de l'installation d'un pouvoir fort à Haïnan ou dans
la péninsule de Lien-tcheou, qui gardent l'accès de ses côtes, ni sur
les hauts plateaux du Yunnan qui dominent au N.-O. le delta. Vers le
Kouang-si, la frontière n'a aucune qualité stratégique. Elle est bien
moins encore ethnographique; car, des deux côtés, se retrouvent les
mêmes populations thos et nouns, différentes à la fois des Chinois et
des Annamites et qui doivent naturellement tendre à se grouper sous la
même domination. Sur les sommets escarpés du haut Tonkin vivent,
en outre, d'impo» tantes tribus mans apparentées, ditHDn, aux Lolos et
Miao-tzés, débris de quelque ancien peuple refoulé,, qui occupent di-
verses régions montagneuses du Kouang-si, du Kouei-tcheou et même
du Sïé-tchouen. La France est le seul .pays occidental qui ait pris le
contact des débris de cette race ; elle peut, de ce côté, chercher à exer-
cer une action très utile de nature à lui bénéficier.
Donc, par la môme raison qu'invoquera l'Angleterre pour faire placer
le Thibet dans sa zone d'influence, notre pays peut revendiquer le
Kouang-si, le Yunnan (moins les parties appartenant aux bassins de
llraouaddj et de la Salouen) et la partie S.-O. du Kouang-toung (Haï-
nan, Pakhoi, Lien-tcheou et quelques-uns des petits bassins côtiers à
Test de la presqu'île).
Notre diplomatie a jeté, il est vrai, son dévolu sur le Kouang-toung
entier ; on en a déjà vu l'inconvénient. A peine, en effet, avions- nous
obtenu de la Chine la promesse de non-cession, que l'Angleterre se
faisait céder pour 99 ans toute la presqu'île entre l'estuaire du Si-
Kiang et Mirs bay, afin de protéger, du côté de la terre ferme, Kow-
loon et Hong-kong. D'un autre côté, une demande de chemin de fer de
Hong-kong à Canton a été obtenue après avoir été tout d'abord re-
poussée.
Voici, au surplus, que les journaux anglais annoncent la concession,
à un syndicat américain, probablement anglais en sous-main, d'une
ligne ferrée de Canton à Han-Keou. Ce serait peut-être une faute de
protester, alors que l'Angleterre ne désire rien tant que de nous mettre
en conflit avec les États-Unis ; il est à désirer toutefois que le tracé en
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636 REVUE FRANÇAISE
soit fait, non par le N.-O. à travers le Hounan, mais par le N.-E., par
le Kiang-Si, d'où la voie pourrait diverger, d'un côté, vers Han-keou,
de l'autre, vers Shang-haï. Cela montre à quelles dangereuses compé-
titions nous exposerait la revendication du Kouang-toung entier, quoi-
qu'il ne se trouve point dans la vallée du Yang-tzé,
De môme, devons-nous abandonner à d'autres le Fo-Kien. On consi-
dère en Extrême-Orient que la France prend pied à Fou-Tchéou parce
que ce sont des ingénieurs français qui reconstruisent l'arsenal bom-
bardé par Courbet. Il est à souhaiter que ces on-dit soient inexacts. Cette
région, déjà pénétrée par les marcbaudises anglaises, doit échoir à la zone
britannique; ce serait, en outre, prendre une lourde charge, que d'assu-
mer la défense de cet énorme front de mer frangé de nombreuses
rades, baies et cachettes, exposé aux attaques de n'importe quel ennemi
extérieur.
Il semble meilleur d'avoir des vues continentales. Dès lors, en vertu
des raisons d'ordre commercial, civilisateur et militaire exposées ci-des-
sus (1), la France ne peut moins réclamer que le Kouei-tchéou et le
Hounan. La première province est aujourd'hui sans doute la plus isolée
des 18 de la Chine propre; nous n'y froisserons aucun droit acquis. La
seconde ne s'est ouverte à l'Europe que par le coup de force de la
canonnière française, le LiUin qui, en 1895, a pénétré dans le lac Tung-
Ting et a visité Chang-Sha, le foyer de l'opposition contre les barbares
de l'Occident (2) ; cet événement émut vivement la colonie anglaise de
Shang-Haï parce que, pensait-on, la France ne devait pas manquer
d'invoquer ce fait, au jour du partage de la Chine, comme un titre à
la possession du Hounan. Cela n'indique-t-il pas que cette colonie bri-
tannique avait conscience que l'Angleterre manquait pour cette province
de tout titre opposable au nôtre?
Quant au Szé-Tchouen, il doit être pour la France, comme pour l'An-
gleterre « l'objectif commercial et politique ». Mais il est aussi préma-
turé de l'attribuer à Tune ou l'autre, qu'il eût été prématuré, lors du
traité de Berlia, d'inclure les berges du Tchad dans l'une des zones
d'influence concurrentes.
(1) Le YuoQan, le Kouang-si et Haïoan-Lientchéou équilibrant, dans notre zone, le
Thibet mis dans la zone anglaise pour cause de mitoyenneté.
(2) Voir Rev. Fr. déc. 1895, p. 689 : I^ Français dans la Chine centrale.
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LA CHINE EN TRANSFORMATION 637
VOIES FERRÉES FRANÇAISES DE PÉNÉTRATION
Cela étant, avec le Tonkin comme base d^action, trois grandes lignes
ferrées de pénétration apparaissent comme nécessaires pour « galva-
niser », suivant l'expression de M. Colquhoun, les provinces chinoises
qui nous intéressent : Tune de la baie d'Âlong (HaYphong) vers le Yun-
nan et Cheng-tu au Szé-tchouen, l'autre vers Chung-king sur le Yang-
tzé au travers du Kouei-tcheou, la troisième qui, partant de Pakhoi,
toucherait à Tsien-kiang au confluent du Si-kiang et du Yu-kiang, pas-
serait au Hounan par le coi que franchit un canal et se dirigerait par
Chang-sha vers Han-Keou (1).
U nous semble que, de la sorte, la sphère attribuable à l'Angleterre
(Thibet compris) serait encore magnifique, et Hong-Kong entraînant
Canton dans son orbite, aurait la possibilité de communiquer à travers
le Kiang-si par une zone exclusivement britannique avec Shang-baï,
Han-keou et le nord.
Mais c'est un trop beau rêve de supposer l'Angleterre capable de dimi-
nuer, de son propre mouvement, ses exorbitantes prétentions. Espérons,
du moins, qu'à la conférence convoquée par le tsar, ses titres seront
examinés avant que l'Europe reconnaisse la vallée du Yang-tzé comme
sphère britannique.
Et nous souhaitons ici que ceux qui liront China in transformation
ne conservent pas l'impression qu'il existe en Chine une zone d'influence
anglaise intangible. L'Angleterre convoite la vallée du Yang-tzé; mais
rien jusqu'à ce jour, ni traité international, ni engagement de la Chine,
n'est venu consacrer son ambition.
A. Salaignac.
(1) La ligne de Hanoï à Lang-tcbéou prolongée par Nan-ning-fou jusqu'à Tsien Kian
servirait de raccord.
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SAMORY.
Notre vieil et insaisissable ennemi au Soudan, Talmamy Samory,
vient de tomber entre nos mains. Un télégramme de St-Louis, 12 oc-
tobre, fait connaître qu'il a été capturé par ie capitaine Gouraud avec
toute sa famille, ses chefs de bande, ses sofas. Le lieutenant Jacquin
s'est emparé lui-même de Samory à la course. Il a en outre élé pris
400 fusils, 90 caisses de cartouches et un canon.
Depuis la prise de Sikasso par le colonel Andéoud, Samory se sentait
menacé. Il avait abandonné la région de Kong et avait pris avec toutes
ses bandes et les populations qu'elles entraînaient la direction de la
rivière Cavally, Dans cette marche v^rs la frontière du Libéria, il avait
été assez mal accueilli par lés indigènes qui appréhendaient les actes de
pillage et de massacre auxquels se livraient ses bandes dévastatrices.
Celles-ci venaient d'ailleurs de subir un grave échec à Nzô (9 sept)
sur le haut Cavally, où le lieutenant Wœlffel avait capturé une colonne
de sofas et rendu à la liberté des milliers d'habitants traînés à sa suite.
Afin de diminuer entièrement le prestige, gravement atteint, de
Samory, le colonel Audéoud, lieutenant-gouverneur du Soudan avait
organisé sous la direction du commandant de Lartigue des colonnes
volantes chargées d'exécuter des raids contre Samory et ses sofas. C'est
dans un de ces raids que le capitaine Gouraud est tombé à Timproviste
sur le campement de Talgiamy et à enlevé celui-ci avec toute sa
smalah. Ce brillant fait d'armes, qui fait le plus grand honneur à nos
troupes d'Afrique, met fin aux opérations dans toute la région du
Soudan méridional.
Le vainqueur de Samory, est le fils d'un médecin de Thôpif^il Tenon
à Paris. Né le' 17 novembre 1867, Henri Gouraud sortit de St-Cyr, en
1890, sous-lieutenant au 21* bataillon de chasseurs. Envoyé au Soudan
en mars 1894, il commanda le cercle de Bougouni. Détaché à Tom-
bouctou, il fut cité à Tordre du jour (août 1893) pour avoir défait une
bande de Touaregs. Rentré en France après 3 années d'Afrique, il fit
sur le Soudan ses ressources, son avenir, des conférences fort remar-
quées. Promu capitaine (10 nov. 1897) il revint au Soudan, prit part
aux opérations sur la Voila et reçut 2 blessures à Bangasso (ISjanv.
1898). H participa ensuite à la délivrance du détachement assiégé à
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SAMORY 639
KoDg, puis fut chargé du commandement d'une colonne contre
Samory.
Le lieutenant Jacquin, né à Vassy (HP^-Marne) est âgé de 27 ans. Il
est le plus jeune de trois frères tous trois officiers d'artillerie de marine.
U se trouvait dans la région de Tombouctou lorsqu'il fut appelé à
prendre part aux opérations contre Samory.
Le commandant de Lartigue a été fait officier de la Légion d'hon-
neur, les capitaines Gouraud et Gaden chevaliers, à la suite de ce bril-
lant faitd*armes.
Un autre décret nomme chevaliers le lieutenant Jacquin, ainsi que le
lieutenant Wœlffel, qui ât si audacieusement mettre bas les armes à
plusieurs milliers de sofas.
Durant la lutte qu'il soutint d'une façon intermittente pendant plus
de 15 années contre nos armes, Samory reçut à trois reprises la visite
de Français envoyés près de lui en négociateurs. En 1887, le capitaine
Péroz se rendit à Bissandougou, sa capitale d'alors et, après de nom-
breux pourparlers, l'amena à signer un traité de protectorat qui ne
reçut pas d'exécution. L'année suivante le capitaine Binger lui rendit
visite à son camp, pendant les opérations qu'il dirigeait contre le
fama Tiéba devant Sikasso. Enfin, en 1897, M. Nebout, administra-
teur à la Côte d'Ivoire se rendit auprès de lui en vue d'entamer des
négociations qui n aboutirent pas (1). Voici le portrait que trace de
Samory le capitaine Binger :
« L'almamy est un grand bel homme d'une cinquantaine d'années ;
ses traits sont un peu durs, et contrairement aux hommes de sa race,
il a le nez long et* aminci, ce qui donne une impression de finesse à
l'ensemble de sa physionomie; ses yeux sont très mobiles; mais il ne
regarde pas souvent en face son interlocuteur.
Son extérieur m'a paru plutôt affable que dur ; très attentif quand
on lui fait un compliment, il sait être distrait et indifférent quand il
ne veut pas répondre catégoriquement à une question. Il parle avec
beaucoup de volubilité, et je le crois capable d'avoir la parole chaude et
persuasive quand l'occasion s'en présente.
Assis dans un hamac en coton rayé bleu et blanc, que son fils
Kararaoko lui a rapporté de Paris, il tient dans ses mains un gros
(1) Vpir la relation de cette mission, Rev. Fr. janv. 1S9S.
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640 REVUE FRANÇAISE
morceau de bois tendre avec lequel il se nettoie les dents. Il est vèiu
d'un grand doroké en florence mauve, de qualité inférieure, et porte
une culotte indigène en cotonnade rayée noir et rouge, de fabri-
cation européenne. Ses jambes, d'un brun chocolat plus clair que la
figure, sont enduites de beurre de ce. Il est chaussé de babouches indi-
gènes en cuir rouge.
Sa coiffure consiste en une chéchia rouge de tirailleur autour de
aquelle est enroulé un mince turban qui lui passe sur la bouche el
encadre sa figure noire. Sur les épaules, il porte négligemment un
haik de bas prix.
A ses pieds sont assis un vieux kosiki qui ne le quitte jamais, deux
marabouts, quelques griots et les quatre captifs préposés au hamac, à
la chaise, au plat de campement dans lequel il se lavé les mains et à
la bouillotte qui contient de Teau pour se rincer de temps en temps la
bouche. Ces objets le quittent rarement : partout où il va, cet attirail
le suit. Un des griots porte un parapluie rouge et l'autre une canne-
fusil détraquée. »
Samory est d'une origine très humble. C'est par son courage, son
intelligence et son opiniâtreté qu'il s'est fait lui-même. S'il faut en
croire les récits indigènes, voici comment Talmamy est arrivé à la haute
situation qui lui a permis d'être, pendant plus de 23 ans, un chef puissant
et redouté.
Vers 4860, étaient établis à Sanankoro, dans le Ouassoulou, un
dioula (marchaud) et sa femme, dont le fils aîné, Samory, âgé d'environ
i8 ans, faisait vivre ses parents du fruit de son travail, en colportant
des marchandises sur les marchés du pays. Un jour, au retour d'un
de ses voyages, Samory ne retrouva plus sa mère Sokhona: elle avait
été prise et emmenée en captivité par des pillards. Samory avait pour sa
mère un véritable culte, et sa douleur fut des plus vives; mais, homme
d'énergie et de volonté, il jura de la retrouver à tout prix et de la déU-
vrer. Jetant alors son fusil sur son épaule, il commença aussitôt ses
recherches. II apprit bientôt que la razzia qui avait enlevé sa mère était
l'œuvre d'un marabout en renom, Sori-Ibrahima, roi du Gankounaet
du Torokoto, dont la capitale. Médina, se trouvait à 7 jours de marche
de Sanankoro.
Lorsqu'après une marche fatigante, Samory, mourant de faim, les
traits amaigris, les vêtements en loques, se présenta devant Ibrabima
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SAMORY 644
pour lui demander la liberté de sa mère en échange de la sienne, le
marabout le considéra avec ^surprise. Il ne pensait pas pouvoir tirer
grand parti de ce jeune homme, tandis que Sokhona, vigoureuse et
forte, pouvait lui rendre de grands services. Aussi refusa-t-il, malgré
les supplications de Samory. 11 dit cependant ironiquement à ce dernier
que, s'U voulait racheter sa mère par son travail, il pouvait rester près
de lui, et que, quand il jugerait ses services suffisants, il leur rendrait
la liberté à tous deux, mais qu'il craignait bien qu'il ne succombât à
la tâche et lui conseilla plutôt de se retirer. Samory n'eut garde de
laisser échapper cette espérance et resta en demandant à servir comme
soldat.
Dès le lendemain, Ibrahima ordonna une expédition contre une ville
forte qui avait déjà repoussé plusieurs fois ses attaques. Samory en fit
partie. Arrivé au pied des remparts avec l'armée assaillante, il se pré-
cipita aussitôt sur la muraille et l'escalada au milieu d'une grêle de
balles. Ses compagnons, entraînés par son exemple, s'élancèrent sur ses
traces et arrivèrent près de lui au moment où il allait succomber sous
le nombre. La ville fut emportée. Suivant les usages du pays, un tiers
du butin revenait à Samory, bien plus qu'il ne lui en fallait pour
racheter sa mère. Mais Ibrahima, tout en le félicitant, lui déclara qu'il
était seul juge de la valeur des services rendus, et le garda pendant
7 ans, 7 mois et 7 jours.
Enfin, il lui <rendit la liberté, ainsi qu'à sa mère. 11 aurait bien voulu
garder à son service un guerrier qui avait acquis une aussi grande
renommée que Samory, et lui offrit, dans ce but, le commandement
en chef de son armée. Mais Samory refusa. Bien plus, abandonnant
tous les présents qu'il avait reçus à Médina, il reprit les vêtements en
loques qu'il avait 7 ans auparavant, ainsi que son mauvais fusil, et
regagna, aussi pauvre qu'à son arrivée, l'humble demeure paternelle.
Mais sa réputation s'était étendue au loin. Le roi du Toron, Bitiké,
lui offrit le commandement de ses troupes qu'il accepta. Bientôt devenu
tout puissant, il soumit Bitiké à toutes ses volontés. C'est alors qu'il
forma le projet de se constituer un vaste empire. Le roi du Kounadou-
gou fut sa première victime. Vaincu et tué à Bissandougou, sa capitale,
son royaume tomba au pouvoir de Samory. Cette victoire eut un reten-
tissement considérable, et l'armée de Samory se grossit peu à peu des
meilleurs sofas venant des royaumes voisins. Dès lors, rien ne résista
xxiu (Norembre 98). N" 239. 42
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642 REVUE FRANÇAISE
au jeune et heureux chef qui soumit le Ouassoulou divisé, porta ses
annes sur la rive gauche du Niger, s'empara de Kankan, après un siège
de 10 mois (1873) et, après une lutte de 3 jours, battit et fît prisonnier
son ancien maître Ibrahima (1874). C'est à ce moment qu'il prit le titre
d'almamy. Ses états confinaient alors à ceux du sultan xVhmadou de
Ségou, du roi bambara Tiéba, au nord; à Sierra-Leone et au Fouta-
Djalon, au sud.
Ce fut en 1882 que les troupes du colonel Borgnies-Desbordes prirent
contact avec Samory qui assiégeait Kéniéra. Cette ville avait demandé
notre protection; mais, quand nos troupes arrivèrent, la ville était en
ruines et Samory avait disparu. Ce dernier passa, en 1883, sur la rive
gauche du Niger, et alors commença une* lutte qui devait durer plus de
15 années, mais avec maintes interruptions. Les brillantes campagnes
des colonels Archinard, Humbert, Combes, Monteil, etc., ont été relatées
dans la Revue Française, ainsi que divers épisodes, comme la défense
héroïque de Niafadié (juin 188S), où, pendant 10 jours, un centaine de
tirailleurs commandés parles capitaines Louvel et Dargelos, abrités par
une faible muraille en pisé, n'ayant que peu de vivres et pas d'eau,
repoussèrent les plus furieux assauts de 10.000 hommes des meilleures
troupes de Samory.
La campagne de 188o, dirigée par le commandant Combes, est la
première où Samory ait éprouvé l'effet de nos armes. Battu, mais non
chassé de la rive gauche du Niger, il ne fut rejeté que l'année suivante,
sur la rive droite, par le colonel Frey. En 1887, le capitaine Péroz
signe le traité de Bissandougou, (jui nous reconnaît la rive gauche du
haut Niger et place les états de Samory sous le protectorat français.
Pendant 4 années un calme relatif règne sur la frontière des posses-
sions de Samory. Mais en 1891 les hostilités reprennent et le colonel
Archinard s'empare de Kankan. En 1892, la campagne est dirigée par
le colonel Humbert qui s'empare de Bissandougou et de Sanankoro.
Enfin, en 1893. le colonel Combes, dans un raid resté célèbre parmi les
noirs, bouscule les sofas de Samory, détruit ses postes et désorganise
complètement les forces de l'almamy. Depuis lors, une pénétration
méthodique refoule Samory vers l'est et coupe ses communications avec
Sierra-Leone par où les Anglais lui envoyaient des armes et des muni-
tions. Samory, qui est devenu un chef nomade, se rejette alors sur Kong,
Bondoukou et Thinterland de la Côte d'Ivoire. Une expédition partie
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SAMORY 643
de cette dernière coionie ne donne aucun résultat, le colonel Monteil,
qui la dirigeait, ayant été rappdé, malgré ses succès, au milieu de ses
opérations. Samory se heurte alors à nos troupes venant du nord, ainsi
qu'aux Anglais venant de la Côte d'Or et détruit un de leurs détache-
ments à Oua (1897). Le massacre, par son fils Sara TiéniMori, du capi-
taine^Braulot et du lieutenant Bunas, attirés dans un guet-apens à Bouna
(août 1897), n'a pas peu contribué à amener la reprise d'une campagne
qui vient de se terminer si brillamment pour nos armes.
La disparition de Samory fera pousser un immense soupir de soula-
gement aux population du Soudan méridional dont il était l'oppresseur
et le bourreau. Ne vivant que par laguerre, Samory était contraint, pour
entretenir ses 20.000 sofas, de piller les pays qu'il traversait, détruisant
les villes qui lui résistaient, emmenant les habitants en captivité et les
vendant comme esclaves, On estime à 100.000 individus par année le
nombre des victimes de ses redoutables incursions. Aussi, les territoires
compris entre le haut Niger et le Comoé, jadis riches et fertiles, ne
présentent-ils plus guère que l'image de la désolation et de la mort
Véritable forban, Samory a dépeuplé et ruiné cette partie de l'Afrique
pour plus d'un quart de siècle.
Au point de vue français, la boucle du Niger est délivrée de celui qui
fut son plus redoutable adversaire et peut être considérée, sauf sur
quelques points sans importance, comme entièrement pacifiée. D'autre
part, la délimitation des territoires respectifs de chaque nation euro-
péennes dans l'Afrique occidentale, est aujourd'hui achevée. Les grandes
opérations militaires terminées et les contestations territoriales réglées,
une ère nouvelle s'ouvre pour cette partie de l'Afrique. Désormais il
sera possible de réduire sensiblement les dépenses militaires de notre
vaste colonie soudanaise, d'y créer des voies de communication, et de
procéder à sa mise en valeur, trop longtemps retardée par la marche
des événements. Peu propre à la culture des fondionnaires civils, le
Soudan, sous une main ferme et intelligente, comme celle qui com-
mande à Madagascar, peut marcher sûrement dans la voie du relève-^
ment et du progrès.
G. Vasco*
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A PROPOS D'OMDURMAN ET DE FASCHODA
Une comparaison, — Voilà longtemps qu'on nous rabaisse et que
nous nous rabaissons nous-mêmes au bénéfice des Anglo-Saxons. Puis-
qu'ils viennent de remporter une victoire, comparons-la à celle des
Pyramides. En 1798, les carrés français étaient noyés au milieu delà
vaillante cavalerie mameluke. On se battait de près, les armes se res-
semblaient. Les bonnes dispositions de Bonaparte, la discipline et la
valeur de ses soldats décidèrent de la bataille.
Ces braves soldats sont coupés de toute communication avec la
mère patrie et ne s'en émeuvent pas. En deux ans ils font la conquête
de rÉgypte, battant les Turcs au Mont-Thabor, à Aboukir, à Héliopolis.
Leur chef les quitte, Kléber est assassiné et leur moral reste excellent.
Lorsque le commandement tomba en des mains incapables, ces braves,
qui regrettaient la France et ne désiraient pas rester dans un pays dont
ils n'abusaient pas, se laissèrent rapatrier par les navires anglais.
Les vaincus ne gardèrent pas mauvais souvenir de ces ccNiquéraDts
au caractère gai, sociable et désintéressé; plusieurs les suivirent;
Napoléon eut des Mamelucks dans sa garde. Lorsque les grandes guerres
furent terminées, les Français furent rappelés ^en Egypte par ceux qui
en devinrent les maîtres. On leur fit cet honneur de ne pas craindre
leur influence ; on savait qii'ayant occupé tant de lieux divers, sans
profit personnel, ils ne cherchaient pas à reprendre ce que la fortune
des armes leur avait enlevé après le leur avoir donné.
Les Anglais ont patiemment attendu que la puissance du Mahdi
commençât à décliner, puis ils ont mis trois ans pour l'atteindre. Un
chemin de fer se construisait en même temps qu'ils avançaient.
C'est certainement une nouveauté intéressante que cette armée pé-
nétrant en pleine barbarie et recevant chaque matin le Times avec un
retard d'une quinzaine seulement. Mais le fait devrait aussi montrer
les facilités singulières qu'ont rencontré les Anglais dans la création
de leur empire colonial. Outre qu'ils n'ont pas eu de concurrent jus-
qu'à ces derniers temps, le développement de cet empire a coïncidé
avec un merveilleux progrès des sciences appliquées.
Cette réflexion nous rendra peut-être plus justes pour ce qu'ont fait
nos pères, malgré l'ardente compétition des Hollandais, des Espagnols
et des Anglais, aux Antilles, dans l'Amérique du Nord, aux Indes et à
l'île de France.
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A PROPOS D'OMDURMAN ET DE FASCHODA 645
Comme les Français aux Pyramides, les Anglais à Omdurman avaient
à lutter contre une vaillante cavalerie. Lorsque celle-ci s'avança, elle
vint, sans hésiter, se faire faucher par la nappe des projectiles qui
s'échappaient à jet continu des canons anglais. Dix mille huit cents Sou-
danais, plus du quart des forces du Mahdi, tombèrent ainsi sans avoir
pu s'approcher de leurs adversaires. Los vingt-quatre mille hommes du
général Kitchener regardèrent de loin cette hécatombe, n'ayant ni à
attaquer ni à se défendre. Lorsque tout fut terminé, on envoya ces spec-
tateurs compter les cadavres.
Puisque le monde entier est, ou va être, partagé entre les puissances
européennes, • nous avons des chances de ne plus voir la rencontre,
comme à Omdurman, d'une puissance, dite civilisée, pourvue de tous
les progrès modernes avec des barbares forts seulement de leur hé-
roïque ou fanatique courage. Ceux qui ont souci de la dignité de l'es-
pèce humaine ne regretteront pas ces tristes boucheries.
Un journaliste français admirait dernièrement le physique du général
Kitchener, sa grosse moustache, son œil bleu d'acier ; il y voyait le
type de l'énergie; ne serait-ce pas, plutôt, comme chez beaucoup de
ses compatriotes, une physionomie volontaire et dure ? On se le repré-
sente laissant égorger les Mahdistes, ce qui, certainement, a simplifié
le service des ambulances, mais on s'imagine plus difficilement que
les populations où il opère lui décernent, comme à Desaix, avec les
témoignages de leur reconnaissance, le surnom de Sultan juste.
Le siècle, — Entre ces deux batailles, des Pyramides et d'Omdur-
man, il s'est écoulé juste un siècle, siècle façonné, pétri par la race an-
glaise, siècle qui est son œuvre et qu'on pourra appeler le siècle des
Anglo-Saxons. Commencé sur le ton de l'épopée, il s'achève dans le
triomphe de la force matérielle sur le courage de l'homme. Il laisse le
monde en proie à toutes les convoitises déchaînées, inquiet de son
lendemain, désenchanté, divisé, terrifié par la perspective des luttes
suprêmes dont personne ne veut et qu'on croit inéluctables. Siècle de
fer où la sécurité manqua à tous et où la consolation des masses est
l'espoir d'un bouleversement total ; siècle que caractérisent la spc'cula-
tion financière qui a jeté les Yankees sur l'Espagne et les monceaux de
Mahdistes qui pourrissent aux environs d'Omdurman.
Pendant ces cent années, les États-Unis sont devenus l'arbitre de
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646 REVUE FRANÇAISE
rAmérique entière et la menace de l'Europe. Pendant ces cent années,
l'Angleterre a pris, sur la surface du globe, tout ce qui était à prendre
et acheté presque tout le reste ; elle a peuplé des continents, répandu
partout les doctrines économiques qui lui étaient favorables; son in-
fluence s'est accrue de Tadmiration qu'excitaient ses institutions poli-
tiques et de leur maladroite imitation. Elle a pu ainsi s'arroger une
sorte d'hégémonie qui lui a permis d'opposer son veto lorsqu'il s'est
agi de réprimer les attaques des Siamois et qui l'autorise, sans qu'on le
trouve singulier, à donner ce qui ne lui appartient pas, comme l'Abys-
sinie aux Italiens.
Pendant ces cent années, tout a conspiré en faveur de l'Angleterre.
La France, dont la défaite avait commencé l'édifice de sa grandeur,
s'est efforcée de l'achever avec un entrain que ne s'expliqueront pas
nos descendants. Elle a propagé, mieux que les Anglais eux-mêmes, le
fétichisme pour le parlementarisme anglais, ce reste défiguré des belles
institutions du moyen âge, qui ne donne que l'apparence de la repré-
sentation et autorise la tyrannie, légale autant qu'anonyme, d'une
minorité sectaire et antipatriote.
Tandis qu'un faux libéralisme, venu de I^ndres en droite ligne, nous
poussait à entraver l'action du catholicisme, le protestantisme servait
partout de champion à la politique du cabinet de Çaint-James. Mais
rien ne l'a mieux servi que le cosmopolitisme révolutionnaire, juif et
maçonnique, qui a eu, de nos jours, une si merveilleuse fortune. Conser-
vatrice chez elle, l'Angleterre a soutenu la Révolution sur le continent
et la Révolution victorieuse lui a manifesté sa reconnaissance.
La juiverie s'est trouvée à Londres plus à Taise qu'ailleurs. Ayant
mêmes tendances et mi'^mes instincts, Anglais et Juifs devaient s'en-
tendre pour exploiter les autres peuples. Disra^'li est devenu premier
ministre, lord Roseberry, qui l'était hier, est gendre d'un Juif. Rien
donc d'étonnant si les Juifs de toutes nations, qui se sont donné rendez-
vous à Johannesburg pour y faire des coups de bourse sur les mines
d'or et provoquer des krachs, se sont de suite sentis Anglais, et ont si
bien compris Cecil Rhodes et Jameson. La parfaite insouciance du droit
des autres leur ont servi de trait d'union.
Quant à la franc-maçonnerie, qui vient d'Angleterre, elle a joué un
rôle considérable sous la Révolution de 1789 qui vengeait T Angleterre
des défaites de la guerre de l'indépendance américaine. Aujourd'hui
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A PROPOS D'OMDURMAN ET DE FASCHODA 647
encore, c'est dans les loges que se recrute la bande des politiciens qui
se sont opposés à Talliance russe et qui nous voudraient river à celle
de nos voisins. De l'autre côté de l'Atlantique, il en est de môme. Les
loges des rites d'York, et Écossais ont organisé à Mexico ce beau dé-
sordre, grâce auquel les États-Unis ont pu s'arrondir du Texas, de la
Californie, etc., c'est-à-dirô d'un peu plus de la moitié de Pancien
Mexique. Comment expliquer aussi, sans l'action des loges, les révoltes
des Tagals aux Philippines et l'étonnante capitulation de Santiago de
Cuba, par laquelle de braves soldats se sont rendus à un ennemi moins
nombreux, pataugeant dans la boue, dévoré par la fièvre, qu'une
chance, heureuse pour l'Espagne, avait acculé sous les défenses intactes
de la ville, comme pour y périr fatalement et misérablement.
* *
Les déviaiions. — I.,es rapports avec l'Angleterre n'ont jamais été très
sûrs et le droit des gens ne l'a jamais embarrassée, mais il y avait de la.
grandeur d'âme et de la noblesse chez ses hommes d'État. Le langage
du premier Pitt, pendant la guerre de l'indépendance américaine, n'est
pas ordinaire. Burke fut un homme de premier ordre. On entendait
alors, dans les Chambres anglaises, de ces cris d'indignation qui vont à
l'âme : « Le sang anglais n'a pas coulé à Quiberon, mais l'honneur an*-
» glais y a coulé par tous les pores ». La politique du cabinet de Saint-
James, au commencement, du siècle, pouvait manquer de logique, être
surtout intéressée, elle avait une remarquablestabilité. Enfin,le sentiment
religieux était général dans les classes élevées qui gouvernaient seules.
Tout cela est bien changé ; l'arbre est tombé du côté où il penchait
et les mauvaises influences dont l'Angleterre usait à l'extérieur ont réagi
sur elle-même. Ses hommes d'État, comme Disraeli, obéissent à leur
imagination, comme Gladstone, rompent avec le passé, comme Cham-
berlain, sont les ennemis de la forme politique qu'ils représentent,
comme Salisbury, s'attardent dans une francophobie qui n'a pas plus
de raison de subsister qu'en 1859 notre hostilité contre l'Autriche, hos-
tilité surannée qui nous a coûté si cher.
Sauf M. Labouchère, personne ne proteste plus contre les crimes
s'ils peuvent être de quelque profit pour Albion. Les flibustiers de Jame-
£on, que Kruger avait généreusement relâchés, ont été acclamés. Qu ac-
clamait-on donc ? Ce n'était pas les hauts faits de ces tristes gens, ils
avaient été battus comme on l'est rarement. Si on leur avait appliqué
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648 KEVUE raANÇAISE
les procédés d*Omdurman, il n'en serait pas revenu un seul. Ce qu*on
acclamait, c'était leurs convoitises ; la nation reconnaissait ses enfants.
D'aristocratique, la constitution est devenue démocratique et la dé-
mocratie anglaise est brutale, sans élévation, orgueilleuse, pleine de
mépris pour l'étranger. Les colonies qui devaient, d'après le plan pri-
mitif, se détacher de la mère patrie, comme les fruits d'un arbre quand
ils sont mûrs, formeront maintenant le grancl empire fédéral, maître
souverain des mers.
L'esprit de conquête est venu s'adjoindre à l'esprit conunercial, il
s'agit d'éterniser la suprématie due à des circonstances exceptionnelles
et qu'on sent s'effondrer. Les rapports avec les autres nations ont re-
vêtu des formes inusitées: l'ultimatum brutal avec les faibles, la plati-
tude avec les forts, des procédés d'intimidation sans dignité avec ceux
qu'on ne craint plus mais qui pourraient encore se défendre.
Et puis, ce sont des changements à vue et quelque chose d'atonique
qui enlève toute paix, toute sécurité. 11 y a trois ans, la guerre était
sur le point d'éclater avec les Américains à propos du Venezuela ; ce
sont aujourd'hui les meilleurs amis. Le marquis de Salisbury n'adresse
plus que des paroles aimables à l'empereur Guillaume, l'ennemi ab-
horré d'hier. L'isolement splendide, dans lequel on se complaisait Tan-
née dernière, est déjà passé de mode.
La Revue Françaisesi publié sur ces sujets plusieurs articles dont celui-
ci n'est que la suite (1). Aux causes de décadence déjà énumérées,
nous pouvons ajouter la baisse du protestantisme, qui aboutit à toutes
les négations, tandis que le catholicisme se relève; les progrès de l'anti-
sémitisme ; le discrédit du parlementarisme ; enfin la décomposition de
la franc-maçonnerie.
La franc-maçonnerie, pour ne parler que d'elle, n'a tenu aucune de
ses promesses, l'exercice du pouvoir l'a montrée telle qu'elle est, elle
ne se recrute plus que parmi de grotesques Homais ou parmi des am-
bitieux qui veulent s'en servir et non la servir. Les plus indifférents en
religion lui jettent la pierre et lui reprochent nos pertes morales et ma-
térielles. Or, la franc-maçonnerie par terre, c'est la France recouvrant
sa liberté d'action et se soustrayant à l'influence de l'Angleterre.
(1) La puissance maritime de V Angleterre (novembre 1895), France et Angleterre
(mai 1896), La décadence de V Angleterre et les conseils de M. Labouchère (novembre
1897), La future question d'Orient (août 1898).
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■Mi;^,!"'"' '.-'".^
*
* ^
Faschoda. — Est-il sage et prudent de forcer les Français à apprendre
la géographie ? Lorsqu'ils sauront combien le monde est grand et com-
ment on se le partage aujourd'hui, il leur viendra peut-être à l'esprit
que les petites querelles, qui les empêchent de se faire leur lot, sont
mesquines et nuisibles. Quoi qu'il en soit, cette histoire de Faschoda,
qui peut devenir très grave, n'est née que de nos fautes. Si l'abandon
de rÉgypte est le fait aussi bien des chambres que de l'opinion pu-
blique et du gouvernement, c'est à ce dernier que revient uniquement
le refus d'accepter le protectorat de l'Ouganda et de prendre un tiers du
Zanguebar. Dans ce dernier pays, nos missionnaires étaient les premiers
occupants, seuls, ils avaient des établissements sérieux ; les villages de
chrétiens, fondés par eux, s'échelonnaient de la côte au Nyanza et for-
maient comme un chemin pour aller dans l'Ouganda. Lorsque l'An-
gleterre et l'Allemagne se décidèrent à partager le Zanguebar, la France
n'était pas encore considérée comme une quantité négligeable, elle
n'avait qu'un mot à dire pour y avoir ime large bande contenant les
villages chrétiens. Les missionnaires adressèrent au consul un mémoire
demandant au gouvernement d'agir, et faisant remarquer qu'il n'y avait
aucune dépense à faire. Mais les francs-maçons étaient déjà les maîtres
et ce qui venait, soit des missionnaires du Saint-Esprit, soit des Pères
Blancs de l'Ouganda, fut regardé comme non avenu. C'est ainsi que
Ml
A PROPOS D'OMDURMAN ET DE FASCHODA 649
C'est ainsi qu'en Europe se prépare le xx« siècle. Il donnera sans
doute d'autant plus à la pauvre humanité qu'elle en attend moins et
il mettra fin à la suprématie de la race anglo-saxonne pour laquelle
l'engouement des peuples a cessé.
De l'autre côté de l'Atlantique, la race anglo-saxonne s'est aussi alté-
rée, la prospérité lui a aussi mal réussi. Elle est en train d'y fausser sa
constitution, de s'abandonner à l'esprit de conquête, d'introduire le mi-
litarisme chez elle sans nulle nécessité. J'ai connu l'Amérique espa-
gnole ressassant les vieux souvenirs de longues et cruelles luttes pour
l'indépendance et débordant d'admiration pour les États-Unis dont elle
appliquait partout, à tort et à travers, le système fédératif. Lors du der-
nier conflit, l'Amérique espagnole a manifesté sa sympathie pour la
mère patrie et sa réprobation des procédés Yankees. Quel changement î
Non, l'avenir n'est plus à une race qui abuse de sa puissance et qui
accumule, comme à plaisir, les animosités légitimes. '■j
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630 KEVUE FRANÇAISE
nous avons manqué de porteurs pour Texpédilion de Madagascar et que
nous ne sommes pas sur le Haul-Nil depuis bien des années. On ne
saura jamais ce que coûte la laïcisation d'un pays comme la France.
On a déjà suffisamment répondu aux réclamations des Anglais ; elles
n'ont pas d'autre base que le désir de ceux-ci de posséder l'Afrique do
Cap à Alexandrie. Reste à savoir quelle est l'importance de Faschoda.
Ce serait, d'abord, se faire une étrange illusion que de considérer comme
définitif le partage hâtif de l'Afrique. Le prochain siècle sera plein,
sans doute, des grosses questions qui se produiront là et en Chine. Le
passé nous donne, à cet égard, des leçons utiles. Nous avons été les
maîtres dans TAmérique du Nord, les Anglais nous en ont dépossédé,
puis un troisième, auquel on ne pensait pas, le Yankee, s'est approprié
le continent contesté. 11 en sera sans doute souvent ainsi dans l'avenir.
Faschoda nous permet d'établir des communications entre Djibouti,
' TAbyssinie et Brazzaville ; mais que seront ces communications? D'ici
bien longtemps, elles seront nulles. Au surplus, il ne faut pas se faire
d'illusion ; tant que nos forces vives se gaspilleront à fournir la masse
des fonctionnaires qui entravent tout, que notre système d'instruction
nous fabriquera nos bacheliers et nos intellectuels et que nos capita-
listes placeront leurs fonds en rentes sur TÉtat, nous ne recruterons pas
notre commerce, nous manquerons de colons et nous n'aurons pas
l'argent nécessaire pour mettre en valeur notre domaine colonial. A
Saigon, la plus prospère de nos \illes exotiques, les Anglais et les Alle-
mands ont des maisons florissantes ; il en serait de même à Faschoda.
Sous le bénéfice de cette observation, on peut reconnaître la haute
valeur géographique et stratc'^gique de Faschoda. Y génerons-nous beau>
coup les Anglais ? M. Yves Guyot prétend que nous empêcherons de
passer le fameux fil télégraphique promis par Cecil Rhodes ; mais ce
n'est là qu'une vue piirticulière à M. Yves Guyot. Il n'aurait certes pas
eu de ces méchancetés vis-h-vis des Anglais; pourquoi veut-il que nous
soyons plus désagréables que lui ?
Faschoda nous vaut déjà une réelle satisfaction : sur le U^rrain du fair
play les Anglais sont absolument battus; et cependant que de faciUtés
ils avaient pour arriver les premiers au but ! Cette déconvenue est peut-
être un peu cause de l'acrimonie de nos voisins ; mais il y a autre chose
et on ne distingue pas nettement ce que c'est. Tout le tapage qu'ils font
a-t-il pour but de dissimuler une vilaine opération, comme par exemple
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A PROPOS D'OMDDRMAN ET DE FASCHODA 651
rachat de la baie de Delagoa afin d'enfermer le Transvaal? N'est-ce
qu'une manœuvre du marquis de Salisbury pour ressaisir ses électeurs ?
Aurait-on la pensée de profiter des circonstances actuelles pour utiliser
de formidables armements et pour empêcher le développement de la
flotte française, la mise en défense de Bizerte, par une guerre brusquée
qui permettrait de résoudre bien des questions gênantes? Tout est
possible. La dernière hypothèse n'aurait rien d'étonnant de la part de
ceux qui ont si chaudement approuvé les procédés des Étals-Unis contre
l'Espagne; mais ce serait jouer gros jeu et on voudrait bien, comme en
1870, nous faire prendre l'apparence des torts. Le gros danger, pour le
moment, est dans l'opinion publique qu'une presse, en partie juive,
trompe et excite avec autant de violence que de mauvaise foi. Si, de
notre côté, l'attitude était la même on se battrait pour Faschoda, ce qui
serait fûcheux, d'autant plus qu^ nous n'aurions pas choisi précisément
notre moment.
Ce serait une étude curieuse que celle du mélange de sentiments
dont se compose l'état des esprits anglais lorsqu'ils parlent de notre
occupation d'un point du Nil. Il y a de l'hypocrisie et de la conviction
sincère, une avidité surexcitée, un mépris surtout de ceux qu'on croit
faibles. C'est sans rire qu'après avoir déclaré que la chute du Mahadi
serait le signal de l'évacuation de l'Egypte qui n'aurait plus rien à
appréhender, ils viennent nous dire que c'est le signal de notre évacua-
tion de Faschoda. 11 ne s'agit pas de plaisanter cette logique, elle est
dans la race. Les Yankees savent maintenant ce que valent les fameux
insultés de Cuba, ils savent aussi les honteux motifs qui les ont déter-
minés à atta(|uer l'Espagne et cependant M. Mac-Kinley court les États-
Unis en vantant la mission civilisatrice qu'ils viennent d'accomplir.
En temps ordinaire, la fierté française nous rendrait peu endurants
devant un tel débordement d'insolences et de mauvaise foi. Heureuse-
ment V affaire^ qui coûte aux juifs, à leurs amis, aux étrangers, aux
Anglais peut-t^tre aussi, des sommes si fortes, absorbe l'attention du
patriotisme réveillé. Le gouvernement, voué à la paix par situation et
anglomane par goût, est libre d'agir. S'il voulait bien nous écouter
nous lui demanderions de soumettre la question de Faschoda à un arbi-
trage, ou au moins de la réserver comme celle d'Egypte dont elle est
une conséquence; mais surtout nous le supplierions de ne pas nous lier
par un traité. Il n'y a pas été heureux dans le passé et nous n'avons
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652 lŒVUE FRANÇAISE
pas confiaDce. Quoi qu'il fasse, il restera de cet émoi une excellente
leçon, un discrédit trop mérité pour nos politiciens anglomanes et la
vue nette des précautions à prendre.
* *
Un peu de politique. — Il y a des succès qui sont pires que des dé-
faites. Si nous n'avions pas été vainqueurs en Crimée, nous n'aurions
vu ni Sadowa ni Sedan. La victoire d'Omdurman pourrait bien ressem-
bler, par ses conséquences, à celle de TAlma. Gordon disait que les
Allemands seuls pourraient réussir plus mal que les Anglais dans le
Soudan égyptien; qu'il y faudrait la cordialité française ou la bonhomie
russe. Est-ce un surcroît de puissance que d'avoir à maintenir dans la
paix ces populations si fières, si fanatiques ? Est-ce un succès que la
dispute entamée avec la France sur un ton si aigre, si blessant"!!
Le marquis de Salisbury a encore augmenté dernièrement la liste si
longue de ceux qui manqueront désormais de sympathie pour son
pays. L'avantage d'échanger des compliments avec les égoïstes et jaloux
Yankees ne vaut pas certes l'inconvénient d'avoir gratuitement froissé
l'Espagne. Va-t-il nous mettre définitivement dans la collection des
nations anglophobes ?
Par un phénomène bizarre, c'est la France, la France affaiblie, dimi-
nuée, mal gouvernée, divisée, bafouée môme qui tient aujourd'hui dans
ses mains le sort de l'Angleterre. Si elle se persuadait qu elle a tout à
craindre de celle-ci, elle serait bien forcée d'écouter les propositions de
ses vainqueurs, et la coalition serait faite aussitôt de Saint-Pétersboui^
à Madrid et à Constantinople. On a dit que cette éventualité était la
raison déterminante des mauvais procédés de l'Angleterre. On a affirmé
qu'une guerre, nous enlevant nos colonies, détruisant notre flotte, pré-
viendrait cette alliance du continent. C'est une erreur. Lorsqu'une coa-
lition est dans la force des choses contre une politique qui blesse tout
le monde on ne l'empêche qu'en changeant de politique En supposant
que l'Angleterre nous déclare la guerre et qu'elle nous écrase, elle ne
ferait que hâter son destin. Malgré l'Alsace-Lorraine, nous n'hésite-
rions plus un moment et TAngleterie, qui ne saurait donner à l'Italie,
dans la Méditerranée, la suprématie que celle-ci désire, perdrait Tunique
alliée qu'elle possède encore dans la lutte pour la vie qu'il lui faudrait
soutenir contre tous.
A. NOGUES.
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LA. MARCHE DE Lk MISSION MARCHAND
On aurait tort de croire en Angleterre, comme une presse animée
de sentiments anti-amicaux pour la France ne cesse de le répéter,
que l'expansion française dans le haut Oubangui et ie bassin du Nil
date de la marche des troupes anglaises sur Dongola, c est-à-dire de
l'ouverture de la campagne de 3 années contre le Mahdi. « C'est, disent
en substance les journaux britanniques, pour contrarier la marche sur
Kbarloum et enlever aux troupes anglaises le fruit de leur victoire
éventuelle que la mission Marchand a été lancée sur le Nil. » D suffit
pour démontrer le manque de fondement de cette assertion de rappeler
en quelques lignes que la marche de l'ouest à Test de l'Afrique, c'est-
à-dire du Congo proprement dit à l'Oubangui et au Bahr el Ghazal
remonte à plusieurs années déjà. Ce n'est point par provocation, mais
par pure coïncidence que la mission Marchand .est arrivée à Fachoda
2 mois avant les Anglais. Elle aurait même dû y être un an plus tôt,
si des difficultés inouïes de transport n'avaient causé à sa marche en
avant un retard considérable.
C'est de 1891, que date l'établissement du i)Oste français des Abiras,
fondé par M. Gaillard, au confluent du M'Bomou et de l'Oubangui .
Peu après M. Liotard, pharmacien des colonies, était envoyé dans la
région comme lieutenant-gouverneur, avec mission de reconnaître le
pays plus avant. Mais il ne put poursuivre tout d'abord la marche
vers l'est, car il fut arrêté pendant 2 années par les envahissements
des Belges. Ceux-ci, dépassant les frontières assignées à l'État du Congo,
lançaient des expéditions vers le nord, nous coupant entièrement la route
du Bahr el Ghazal. Dans cette région ils occupèrent même Dem Ziber.
Leurs prétentions étaient d'ailleurs nettement indiquées dans la conven-
tion du 12 mai 1894 par laquelle l'Angleterre, qui se regardait comme
souveraine maîtresse du bassin du Nil, cédait à bail au roi Léopold la
province du Bahr el Ghazal (12 mai 1894). Cette convention, qui avait
pour but d'arrêter notre marche vers le Bahr el Ghazal en faisant
occuper cette province par les Belges, était certes un acte anti-amical
de l'Angleterre vis-à-vis de la France. Bien qu'elle n'ait pas provoqué
en France les articles agressifd cl violents qui sont en usage de l'autre
côté de la Manche, le roi Léopold comprit vite le rôle qu'on voulait
lui faire jouer et renonça à cette clause de la convention.
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654 REVUE FRANÇAISE
En même temps, un accord intervenait entre k France et l'État du
Congo. Par une convention en date du 14 août 1894, le M*Bomou était
reconnu comme frontière nord de l'État du Congo, qui rétrocédait à
la France tous les postes établis au nord de cette rivière.
C'est de cette époque que date véritablement notre marche en avant
vers le Nil. Le lieutenant-colonel Monteil venait alors de débarquer à
Loango et se préparait à suivre avec une importante colonne la route
de Brazzaville et du haut Oubangui lorsqu'il fut rappelé, à la suite de
la convention du 14 août, qui rétablit Tharraonie entre Français et
Belge^, et envoyé à la Côte d'Ivoire contre Samory. Sans ce rappel
nos trois couleurs auraient flotté deux années plus tôt sur les rives du
Nil. Néanmoins quelques dtHachements de tirailleurs furent envoyés
sur le haut fleuve, où M. Liolard prit i>ossession des postes abandonnés
par les Belges. Cette opération accomplie et le contact pris avec les
tribus indigènes, M. Liotard poussa jusqu'à la ligne de séparation des
eaux des bassins du Congo et du Nil, la franchit, descendit dans le
Bahr el Ghazal et fonda un poste à Tamboura, en février 1896- Ainsi
dès le début de 181>6 un poste français était établi dans le bassin du
Nil, alors qu'il n'était pas encore question d'entreprendre contre le
Mahdi l'expédition qui ne fut décidée qu'un peu plus tard.
Mais M. Liotard île pouvait avec ses seules forces occuper le haut
Oubangui et pousser plus avant la pénétration dans le bassin du Nil.
C'est alors que lui fut envoyé le capitaine Marchand avec 9 officiers ou
assimilés, 12 sous-officiers européens et t compagnies de tirailleurs
sénégalais, pour continuer l'œuvre qu'il avait entreprise. Parti de Bor-
deaux le 20 juin 1896, débarqué à Loango le 23 juillet, le capitaine
Marchand eut à n'^primer une révolte d'indigènes avant de pouvoir
arriver à Brazzaville. Il n'en repartit que le 1®' mars 1897 et mit
plusieurs mois à transporter jusque sur le M'Bomou, le personnel et
surtout les approvisioimements de sa mission consistant en plusieurs
milliers de charges et 2 bâtiments à vapeur. La Revue Française
a déjà retracé les difficultés de cette première partie de l'expédition.
Nous nous contenterons donc de suivre la mission dans le passage
de la ligtie de faîte entre Congo et Nil et dans son installation
au Bahr el Ghazal, d'après le récit qu'en donne le Bulletin du Comité
de r Afrique française.
Le capitaine Marchand avait tout d*abord formulé le projet de se
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LA MARCHE DE LA MISSION MARCHAND 658
diriger de Rafaï et de Seinio vers le nord fi). Mais M. Liolard se trou-
vant à mi'^me d'occuper Dem-Ziber sans son concours, il prit alors la
route de Tamboura en suivant le M'Bomou. Ce fleuve est coupé dans
la partie inférieure de son cours par une série de chûtes et de rapides
qui le rendent absolument innavigable ; c'est ce que constatèrent les
olïiciers qui, en 20 jours (mai 1897), firent la reconnaissance du bas
fleuve. Il fallut utiliser tant bien que mal les petits biefs navigables qui
séparent les chûtes au nombre de plus de 30, en tournant celles-ci par
des sections de route construites ad hoc et sur lesquelles 1.700 à 1.800
indigènes tirèrent les embarcations avec des cordes. Le 20 juin, après
2 mois de cette fatigante corvée, le transport était heureusement efl*ectué
en amont de la série des chûtes. Pendant ce temps, les charges avaient
pris la voie de terr^ au nord du M'Bomou.
On était alors dans l'ignorance la plus complète de Tétat dans lequel
se trouvait le cours supérieur du M'Bomou. Était-il navigable? Ne l'élait-
il pas? Cette dernière opinion était généralement adoptée. 11 fallait
cependant reconnaître la partie supérieure comme on avait fait pour la
partie inférieure du fleuve. Ce fut l'œuvre du capitaine Baratier qui,
parti de Baguessé le 12 juin avec 3 pirogues, fut agréablement surpris
de ne pas rencontrer un seul obstacle ni dans le M'Bomou, ni dans son
affluent de droite, le Bokou, qu'il remonta jusqu'au confluentde laMéré,
où il arriva le 3 août. Ce'.le découverte d'un bief navigable, qui n'avait
pas moins de 800 kilomètres de développement, était d'une importance
considérable, car elle permettait de remonter à la vapeur jusqu'à 70 kilo-
mètres de Tamboura. La flottille se mit aussitôt en mouvement, et le
10 septembre elle arrivait à ce terminus de la navigation du bassin de
rOubangui, à 3.330 kilomètres de Brazzaville.
Pendant que ces événements s'accomplissaient, le capitaine Marchand
avait pénétré dans les bassins des rivières Tondj et Djaou, et occupé
Roumbek. Le chef de cette localité, Marbossi, se trouvait être un ancien
officier des baUiillons soudanais de l'Egypte, décoré, paraît-il, de la
Légion d'honneur à l'expédition du Mexique. Sur le bruit de l'approche
d'une mission venant du sud, le capitaine Marchand s'avança jusqu'à
80 kilomètres de Lado et, ne découvrant rien, rejoignit le gros de la
mission.
(1) Voir la carte du B«»hr el Ghazal, Hev. Fr, 1898, p. 81.
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^
656 REVUE FRANÇAISE
> Avant de continuer la marche en avant, il fallait donner une direc-
P lion ulile au transport des charges vers un point navigable du Bahrel
Ghazal. Dans ce but, Je capitaine Marchand, après avoir laissé le com-
mandement au capitaine Baratier, partit lui-même en reconnaissance
vers le Soueh. Après avoir reconnu et dépassé les chûtes qui encombrent
I la partie supérieure de cette rivière, il se laissa entraîner par le cou-
rant de Teau dans un tronc d'arbre creusé en pirogue qui portait avec
lui 4 tirailleurs, 4 Yakomas et 8 jours de farine de maïs. En 3 jours, il
arriva à Tembouchure du Vaou, ayant fait environ 120 kilomètres pr
jour. La rivière reconnue, il la remonta péniblement du 3 au 13 septem-
bre et rejoignit la mission.
Le Soueh était navigable à peu de distance de Tamboura ; il fallait
maintenant relier ce point à celui de Méré, sur Je Bokou, par un che-
min praticable de 160 kilomètres. Ce fut Taffaire d'un mois, pendant
J lequel 200 tirailleurs et un millier d'indigènes s'employèrent de leur
mieux en s'aidant de la hache, de la pioche et de la mélinite. Trois
points servirent alors de concentration et de basé d'opération à la
mission : kodjalo, au nord de Tamboura, sur le Soueh, où la flottille vint
se réparer et se monter ; Fort-Desaix, près de Koutchouk-Ali, au confluent
du Soueh et du Vaou, et, entre ces deux postes, celui des Rapides, situé
à mi-distance sur le Soueh. Les 2 canonnières Faidherbe et Aïi, une
dizaine de chalands en acier et en aluminium, composant la flottille,
furent alors transportés pièce à pièce à Kodjalé. Au mois de novembre
1897. la mission était installée sur la ligne de Soueh avec quartier
général à Fort-Desaix.
Le capitaine Marchand entra alors en relations avec les Dinkas, la
plus puissante tribu du Bahr el Ghazal. Ceux-ci se préparaient à s'op-
poser de vive force au passage de la mission qu'ils considéraient comme
l'alliée du sultan de Tamboura avec lecpiel ils étaient en guerre. Le
capitaine Marchand commen(;a par gagner les Djours, vassaux des
Dinkas, à l'aide desquels il transforma ces derniers en amis de la mis-
sion. Ce fut l'œuvre de l'hiver.
Dans le courant de février 1898, le bruit se répandit que des blancs
s'avançaient du sud vers Ayak. Ce fut le signal d'un mouvement de
troupes de l'ouest vers Test. Le lieutenant Gouly fut dirigé de Fort-
Hossingcr (Tamboura) sur M'Bia, à 2 jours d'Ayak ; le capitaine Germain
du poste des Rapides sur le Tondj, le capitaine Mangin de Fort-Desaix
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LA MARCHE DE LA MISSION MARCHAND 657
sur Djour-Ghattas. En même temps un détachement de 100 tirailleurs
auxiliaires armés du mousqueton Gras était envoyé de Dem-Ziber à Fort-
Desaix. La marche de ces corps de troupes, eflFectuée sans dijfflculté,
montrait combien était sérieuse et tranquille Toccupation française du
pays des Rivières. Celui-ci était d'ailleurs divisé, au point de vue
administratif, en 3 cercle : cercles du Bahr el Ghazal, du Rohl et du
Soueh.
La nouvelle de l'approche d'une troupe blanche était controuvée ; il
ne s'agissait, en effet, que des mouvements des Belges autour de Red-
jaf. Mais cette alerte coûta la vie au lieutenant Gouly qui, arrivant à
M'Bia après 4 jours de marche sans eau et une température de 41® cen-
tigrades à l'ombre, fut emporté en quelques jours par une fièvre bilieuse
hématurique.
Pendant ce temps, le capitaine Baratier et Tinterprète Landeroin,
partis en chaland pour reconnaître le cours inférieur du Soueh, son dé-
bouché dans le Bahr el Ghazal et le cours de celui-ci jusqu'au lac Nô,
rentraient à Fort-Desaix le 26 mars. Perdus au milieu des marécages,
n'apercevant ni un village ni un habitant pendant plusieurs semaines,
ils avaient failli mourir de faim. Leur exploration, qui avait été des
plus pénibles, démontrait cependant la possibilité d'atteindre le Nil en
bateau en suivant le cours du Soueh jusqu'à Meschra el Rek. Vers la
même époque, le lieutenant Largeau reconnaissait le cours du Vaou et
du Bahr el Homr.
Telle était la situation au mois d'avril 1898. Solidement installé
dans le Bahr el Ghazal, où régnait la plus grande tranquillité, le capi-
taine Marchand n'attendait plus que la crue des eaux pour descendre
jusqu'au Nil. On sait maintenant que la mission est arrivée, le 10 juil-
let, à Fachoda, où elle a été rencontrée, le 21 septembre, par les Anglais
vainqueurs des Derviches à Omdurman. A la suite des négociations ou-
vertes entre les gouvernements français et anglais, le capitaine Baratier
est arrivé de Facnoda en France par la voie du Nil.
Une lettre du capitaine Marchand dépeint d'une façon caractéristique
l'état d'âme de la mission : « J'ai maintenant, dit-il, dans le bassin du
Bahr el Ghazal, c'est-â-dire du Nil, une situation de toute puissance,
1 chalands ou boals d'acier, 1 vapeur sous pression, 15 pirogues creu-
sées par mes tirailleurs pouvant me conduire où je veux dans le bassin
du Nil. Il ne faudrait pas croire, pourtant, que tout est agréable dans
XXIII (Novembre 98). N« 239. 43
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658 REVUE FRANÇAISE
notre situation. Nous mourons de faim d'abord (1), et, depuis long-
temps, c'est la chasse, à peu près exclusivement, qui nous nourrit et
nous soutient. Vous savez que c'est la faim, l'horrible faim qui est h
cause du désastre de l'expédition Dhanis. Les sauterelles ont ravagé le
peu de plantations faites par les indigènes bongobarris, sur lesquels
nous nous appuyons, et mes propres plantaticwas sont ravagées.
fl Comment allons-nous atteindre le Nil? Serons-nous obligés de
manger l'embach des marécages ? Et, encore, s'il ne s'agissait que de
passer vite avec mes bateaux, ce serait peu. Mais le problème est bieo
autrement difQcile. Ici on ne passe pas. Le passage ne constitue pas un
droit sur le pays traversé. Il faut occuper 'effectiveinenl, et alors chaque
nouveau poste créé dans ces immenses régions presq«te dépeuplées»
chaque centaine de kilomètres en avant, constituent un travail colossal,
une lutte incessante contre l'impossible. Et partout, le triomphe final
est à ce prix. Et malgré tout, quelque obstacle nouveau qui se dresse
sur notre route, nous triompherons ; il le faut pour la grandeur de k
patrie. »
Une autre lettre, adressée par le capitaine Baratier à sa famille,
donne de curieux détails sur l'exploration qu'il fit au commencement
de 1898 dans les immebaes marécages du Bahr el GhazaI :
« Â midi, nous débouchons dans une succession de mares couvertes
de nénuphars. Il n'y a presque plus d'eau, les hommes tirent le boal
sur la vase dans laquelle ils enfoncent jusqu'aux aisselles, c'est le marais
à perle de vue ; de la vase se dégage une odeur effroyable*
A trois heures, il n'y a plus d'eau du tout ; je fais signe au Ûjinquis
que je m'arrête. Ils me font signe de leur c()té qu'ils reviendront demain,
que je puis coucher là.
Coucher, où? Un banc de vase à peu près asséché est à ISO mètres à
gauche; à grand'peine nous parvenons à décharger le boat sur ce banc
et nous couchons sur cette vase. Il nous reste 100 grammes de rie à
chacun par jour, et pour S jours.
Le 1®' février, les guides reviennent à 9 heures. Impossible d'obtenir
qu'ils nous apportent des vivres. Nous nous traînons sur la vase. Enfin,
à midi, nous débouchons dans un lac. De l'eau! de l'eau! et de l'Ouum
Souf, mais de terre, point. A 3 heures, les guides nous lâchent. J'essaye
(1) La mission n avait pas eacore été ravitaillée k ceUe époqve.
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MARCHE DE LA MISSION MARCHAND 659
de continuer seul, mais comment trouver le chenal, où crever »e8
barrages qui se montrent de tous côtés? A 5 heures, je m^arrête; nous
trouvons un morceau de vase à peu près sèche, et nous couchons là. Il
tait diablement faim !
Le 2 février, les guides reparaissent encore; le soir, nous ne trouvons,
pour passer la nuit, que le plancher d'herbes et nous restons assis sur
nos cantines. Pas de feu et pas de cuisine.
I^ 3, même navigation, nous trouvons un petit îlot, au moins nous
serons au sec, mais la faim ne diminue pas.
Le 4, à midi, nous débouchons dans une vraie mer, mais, hélas! à
S heures, nous rentrons dans les herbes. Campement sur les herbes.
Le 5, les herbes sont plus hautes et plus épaisses que jamais; elles
n'ont pas de racines, on ne peut plus se hâler dessus et il y a trop de
fond pour les perches. Qu'allons-nous devenir? Impossible de faire
approcher les guides. Exaspéré, je me mets à Teau, je veux aller à eux
leur faire comprendre que nous crevons de faim, mais il y a trop
d'herbes, on ne peut nager, et trop de fond, on n'a pas pied. Ma tenta-
tive n'a eu pour résultat que d'éloigner les guides.
A 6 heures du soir, nous avons fait mille trois cent cinquante mètres.
Même nuit qu'hier, il n'y a plus un gramme de vivres à bord.
Le 6, nous repartons. Qu'allons-nous devenir? Pas un oiseau ne se
montre. A 5 heures du soir, nous entrons dans une succession de
mares couvertes de nénuphars. Nous en arrachons des racines et les
dévorons. De loin, les Djinquis nous font signe que c'est parfait. Je les
tuerais, ces gens-là ! »
Voici, du môme, quelques liioies bien émouvantes ;
« Le 13 mars, perdu dans un marais immense, j'arrivais au point
où le chenal se rapproche un peu de la rive droite, quand je vois une
pirogue de Djinguis sur le marais. Ils font des signes. J'arrête, et ils me
lancent une lettre de Largeau. Le malheureux est à ma recherche de-
puis 12 jours, longeant la limite sud de ce marais qu'il voit sans en
connaître l'étendue ni la nature. H croit que le Soueh coule au milieu
et me supplie de m'arrêter pour l'attendre. Je lui écris que là où je
suis ou ne peut me rejoindre, qu'il m'attende à la sortie du marais.
Le 14, à 8 h. du soir, mon clairon sonne l'appel. « 0 I Largeau, en-
tends sa voix ! », s'écrie Landeroin ! Il n'a pas terminé sa phrase qu'un
coup de feu lui répond. C'est Largeau ! « Clairon sonne au drapeau ! »*
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660 KEVUE FRANÇAISE
Un nouveau coup de fusil répond. Largeau est tout près. Nous nous en-
tassons dans le boat ; nous sommes 53 à bord maintenant. J'ai pu re-
passer à travers le marais, sans guides, avec mon topo. J'étais sûr main-
tenant de pouvoir guider la mission. »
Un autre jour, un hippopotame crève l'embarcation. Pour tout outil,
il n'y avait qu'un marteau, t Alors, écrit le capitaine Baratier, j'arrive à
réparer l'avarie avec deux plaques de bois, une en dessous, une en des-
sus, serrées à force avec de la peau de notre hippopotame, et je calfate
le tout. »
Que ne feraitr-on pas avec de tels hommes que rien ne décourage et
que rien n'arrête I
Un décret a promu au grade de chef de bataillon dans le corps de
l'infanterie de marine, le capitaine Jean-Baptiste Marchand.
En outre, ont été promus dans la Légion d'honneur, au grade d'offi-
cier : M. Joseph-Marcel Germain, capitaine au 2® de l'artillerie de la ma-
rine (15 ans de services, 6 campagnes de guerre...).
M. Charles-Marie-Emmanuel Mangin, capitaine d'infanterie de la ma-
rine (13 ans de services, 7 campagnes, dont 5 de guerre, 3 blessures de
guerre, 3 citations à l'ordre du jour au Soudan...).
Au grade de chevaHer : M. Alfred Dyé, enseigne de vaisseau (8 ans
de services, dont 7 ans 6 mois à la mer...).
Un décret postérieur élève au grade d'officier le capitaine Baratier.
Ces distinctions honorifiques si bien gagnées ne sont sans doute que
le prélude de celles qui doivent échoir aux autres membres de la mis-
sion, car tous ont fait au delà de leur devoir.
A côté des récompenses décernées aux vivants, rendons hommage à
ceux qui sont morts là bas, pour la patrie. Ils sont déjà au nombre de
5 î le capitaine Hossinger, l'administrateur Comte, le lieutenant de vais-
seau Morin, le capitaine Simon et le Ueutenant Gouly. Que les noms de
ces nobles flls de France soient inscrits au Livre d'or de nos conquêtes
Coloniales î
A. MONTELL.
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MARCHAND ET KITCHENER A FACHODA
Ce fut par un vapeur mahdiste que le sirdar Kitchener apprit, au
lendemain de la victoire d'Omdurman, que Fachoda était occupé par
une troupe européenne. Il ne dut pas hésiter un instant à croire que
cette troupe fût l'expédition Marchand et se hâta, en conséquence de
remonter le Nil avec une colonne expéditionnaire embarquée sur plu-
sieurs vapeurs. Il y avait 600 kilomètres à franchir et peu d'ennemis à
rencontrer. Cependant un vapeur derviche, le Safia^ fut aperçu, canonné
et désemparé le 15 septembre.
Le 18, le sirdar arriva à Babiou, à 12 milles au nord de Fachoda,
et adressa le même jour la lettre suivante au chef de l'expédition euro-
péenne à Fachoda:
Monsieur,
« J'ai l'honneur de vous informer que le 2 septembre j'ai attaqué le
khalife àOmdurman et, ayant détruit son armée, j'ai réoccupé le pays.
Peu après j'ai quitté Omdurman avec une flottille de cinq canonnières
et une force considérable de troupes anglaises et égyptiennes pour me
rendre à Fachoda. En route, à Renkh, j'ai rencontré les Derviches, je
les ai attaqués et, après un combat léger, je me suis emparé de leur
campement et de leur bateau.
L'émir en chef a été fait prisonnier ; il m'a coniirmé que, conformé-
ment aux ordres du khalife, il était allé dernièrement à Fachoda pour
chercher du blé et que là il y a eu un combat entre ses gens et des
Européens quelconques; ensuite, il était revenu à Renkh d'où il avait
envoyé chercher des renfort d'Omdui*man, avec l'intention de chasser
les Européens de Fachoda. Pendant qu'il attendait leur arrivée, nous
l'avions attaqué.
Considérant comme probable la nouvelle de la présence des Euro-
péens à Fachoda, j'ai cru de mon devoir de vous écrire cette lettre pour
vous prévenir des événements qui ont eu lieu dernièrement et vous
informer de ma prochaine arrivée à Fachoda » .
Le jour suivant, le sirdar, continuant sa route vers Fachoda, rencontra
une embarcation portant pavillon français et montée par des noirs. Un
sergent indigène lui remit la réponse suivante du capitaine Marchand
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662 REVUE FRANÇAISE
empreinte d'une courtoisie légèrement ironique, et que reproduit le
i^ Livre bleu anglais :
Fachoda, 19 septembre.
Mon général,
« J*ai rhonneur de vous accuser réception de votre honorée, datée
de Babiou, 18 septembre.
J'ai appris avec le plus vif plaisir Toocupation d'Omdurman par
l'armée anglo-égyptienne, la destruction des bandes du khalife ei la
disparition définitive du madhisme dans la vallée du Mi. Je serai sans
doute le premier à présenter mes bien sincères félicitations françaises au
général Kitchener, dont le nom incarne depuis tant d'années la lutte
de la civilisation aujourd'hui victorieuse contre le fanatisme sauvage
des partisans du Mahdi.
Permettez-moi donc, mon général, de vous les présenter respectueuse-
ment pour vous d'abord, et pour la vaillante armée que vous com-
mandez.
Ce devoir bien agréable rempli, je crois devoir voub informer que
par ordre de mon gouvernement, j'ai occupé le Bahr-el-Ghazal jusqu'à
Meschra-el-Rek et au confluent du Balir-el-Djebel, puis le pays shillouk
de la rive gauche du Nil blanc jusqu'à Fachoda, oii je suis entré le
19 juillet dernier.
Le 25 août, j'ai été attaqué dans Fachoda par une expédition derviche
composée de deux vapeurs que je crois être le Chiben et le Kao Kae,
montés par 1 . 200 hommes environ avec de l'artillerie. Le combat engagé
à 6 heures 40 du matin s'est terminé à 5 heures du soir par la fuite des
deux vapeurs que le courant sauva avec ce qui restait de monde à bord.
La plupart des grands chalands remorqués furent coulés et le Chiben
fortement avarié.
A la suite de cette affaire dont la première conséquence comportait
la libération du pays shillouk, j'ai signé avec le sultan, le 3 septembre,
un traité plaçant le pays shillouk de la rive gauche du Nil blanc sous
le protectorat de la France, sauf ratification par mon gouvernement.
J'ai envoyé expédition du traité en Europe, d'abord par la voie du
Sobat et de l'Abyssinie, puis par le Bahr-el-Ghazal et Meschra-el-Reck,
où mon vapeur le Faidherbe se trouve actuellement, avec l'ordre
de m'apporler des renforts que je jugeais nécessaires pour défendre
Fachoda contre une seconde attaque des Derviches plus forte que la
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MARCHAND ET KITCHENER A FACHODA 663
première et que j'attendais vers le 23 courant. Votre arrivée l*a em-
pêchée.
Je vous présente donc mes souhaits de bienvenue dans le Haut-Nil
et prends bonne note de votre intention de venir à Fachoda, où je serai
heureux de vous saluer au nom de la France «.
Un officier anglais a i*aconté au DaUy Telegraph, dont nous repro-
duisons ci-dessous le récit, comment se fit la rencontre de Marchand et
de Kitchener à Fachoda.
« Le 21 septembre, à 10 h. du matin, nous étions en vue de Fachoda.
Le drapeau français flottait sur le village. Sous le drapeau, gardant les
trois couleurs, allait et venait une sentinelle sénégalaise. Nous pûmes
nous avancer sans ôtre inquiétés et nous nous rendîmes compte que la
place était bien fortifiée à la façon derviche. Les défenses se composaient
crune redoute assez forte, bâtie en terre et en forme de fer à cheval. La
redoute occupée par les Français était entourée de tranchéei. Au-dessus
de ces tranchées, nous avons pu apercevoir une ligne de visages noirs,
ceux de Sénégalais évidemment prêts au combat ; m^is aucun coup de
feu ne fut tiré.
Au bout de quelques instants, un canot, à l'arrière duquel flottait le
drapeau français, s'avança vers nous. 11 portait un Européen vêtu dé
blanc : c'était le c* Marchand. L'équipage était composé de Sénégalais.
Le c^ Marchand paraissait assez âgé et semblait fatigué. Il se fil appro-
cher du vapeur Dal et fut reçu à bord par le sirdar auquel il serra la main
ainsi qu'aux autres officiers.
La conversation s'engagea alors entre le c» Marchand et le sirdar. Ils
exposèrent leurs vues respectives relativement à la question Je Fachoda,
L'officier français demeura à bord du DcU et les 5 vapeurs s'avancèrent
ensuite aussi près de la rive que la végétation, très abondante en cet
endroit, le leur pennit. Puis le c* Marchand retourna à bord de son canot,
accompagné du colonel Wingate et d'un aide de camp. Ils firent le tour
des fortifications, en compagnie de 4 autres officiers français, tous vêtus
de blanc. Je pus apercevoir, en outre, 4 Français, sergents, je suppose :
en tout 9 Européens.
Toutes les troupes reçurent l'ordre de débarquer, et, après le retour
du colonel Wingate, nous débarquâmes à notre tour près de l'extrémité
nord du camp français et nous occupâmes une positron située derrière
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664 KEVUE FRANÇAISE
la position française. Le drapeau égyptien fut hissé le long d'un grand
mât au son de Thymne khédivial exécuté par les H« et 13* r^ments
soudanais, puis le sirdar ordonna de pousser trois vivats en Thonneur
du khédive. Aucun Français n'assistait à cette cérémonie. Dans l'après-
midi, les drapeaux anglais et égyptien flottaient sur Facboda.
Les Cameroon et le iS^ soudanais furent envoyés, à bord des canon-
nières, dans la direction du sud et atteignirent la rivière Sobat. Dans
l'après-midi du 22 septembre, ils n'aperçurent que quelques indigènes
fort étonnés de les voir. Le sirdar et son état-major débarquèrent avec
les Soudanais et la cérémonie du déploiement du drapeau égyptien fut
renouvelée. Les compagnies du 13* soudanais furent placées en garni-
son à cet endroit. Le jour suivant, dans la matinée, nous reprîmes le
chemin de Facboda où nous sommes arrivés le même jour. Tout était
tranquille et les deux drapeaux flottaient sur la place. »
D'autre part, le Livre Bleu publie le rapport adressé, le 21 septembre,
par sir H. Kitchener à lord Cromer. Le sirdar y raconte son entrevue
avec le capitaine Marchand, auprès duquel il protesta contre l'érection
du drapeau français. Il déclara qu'il avait l'ordre de rétablir l'autorité
du khédive à Facboda et demanda à Marchand s'il avait l'intention de
résister à ces ordres appuyés par des forces très supérieures. Finale-
ment, il lui offrit de mettre un vapeur à sa disposition pour descendre
le Nil, après avoir abandonné la place.
Marchand répondit que s'il était obligé de résister, lui et ses compa-
gnons mourraient à leur poste. Il pria le sirdar de considérer l'obliga-
tion où il était d'obéir aux ordres qu'il avait reçus et de référer la ques-
tion à son gouvernement. Le sirdar se contenta alors de faire occuper
une position voisine du poste français.
A. M.
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L'ABANDON ANGLAIS DU SOUDAN
On est véritablement confondu, à la lecture des journaux britan-
niques, de voir avec quelle habileté ou avec quelle inconscience, les
Anglais oublient ou travestissent Thistoire et font litière de leurs prin-
cipes, quand il y va de leui-s intérêts politiques ou commerciaux. Depuis
que la question de Fachoda est ouverte, la presse d'Outre-Manche n'a
cessé de revendiquer, avec une persistante vivacité, les droits de
rÉgypte sur les provinces du Soudan tombées au pouvoir du Mahdi.
C'est là le thème de toutes les polémiques, la base d'argumentation d^s
diplomates et, à en croire nos voisins, jamais droits n'ont été plus réels,
ni moins abandonnés que ceux-là.
Puisqu'il en est ainsi, un peu d'histoire rétrospective démontrera
nettement et clairement qu'après la défaite d'Arabi et la prise de posses-
sion de rÉgypte par les Anglais, tous les actes des gouvernements
anglais et égyptien n'ont tendu qu'à une seule et unique chose : aban-
donner le Soudan coûte que coûte. Sous ce rapport, toutes les instruc-
tions, proclamations, décrets, sont en parfait accord et ce sont des
documents anglais, que le Temps ressuscite fort à propos, qui en font foi.
Lorsque l'Angleterre intervint en Egypte et établit son autorité sur
les bords du Nil, une bonne partie du Soudan oriental était déjà tombée
au pouvoir du Mahdi; l'autre était menacée de subir prochainement
le même sort. Le Soudan était une lourde charge pour le Trésor égyp-
tien, déjà chargé d'uoe dette écrasante et l'Angleterre ne voulait à
aucun prix s'engager dans une aventure aussi risquée que celle qui
consistait à partir en guerre contre le Mahdi.
Afin de ménager l'amour-propre du Khédive, il ne fut pas question
tout d'abord d'un abandon complet. Mais, dès le mois d'avril 1883,
instruction était envoyée à Slatin-Bey, gouverneur du Darfour, de
« tâcher d'organiser un gouvernement sous quelques descendants des
anciens rois du territoire et d'évacuer le pays ». (Extrait de la notice
rédigée pour Gordon, à V Intelligence department.)
A la fin de cette même année 1863, survint le désastre de Kasghil,
au Kordofan (5 nov.). L'expédition de Hicks-Pacha, forte de i 0.000
hommes, fut entièrement détruite par les mahdistes, après 3 jours de
combat. Pas un soldat n'échappa et 42 canons tombèrent aux mains
des vainqueurs. Ce désastre ne contribua pas peu à maintenir le cabinet
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666 REVUE FRANÇAISE
de Londres dans ses projets d'abandon, et lord Granville, prescrivit à
sir E. Baring, son représentant au Caire, d'amener le gouvernement
égyptien à procéder le plus rapidement possible à l'évacuation complète
du Soudan.
Ce n'était pas une petite affaire d'opérer le retrait des garnisons et des
fonctionnaires égyptiens sur une ligne qui, en suivant les rives du Nil,
n'avait pas moins de 1.500 kilomètres d'étendue. Pour cette opération
difficile on choisit Gordon, qui avait autrefois servi au Soudan et y avait
laissé de bons souvenirs. Le flrman du Khédive qu'il reçut, en date du
27 janvier 1884, disait :
« Vous savez que l'objet de la mission de V. Excellence au Soudan
est 4*opérer V évacuation de ce pays par nos troupes et par nos fonction-
naires du gouvernement qui s'y trouvent... Après avoir réglé cette
affaire, vous prendrez les arrangements indispensables pour établir dans
ces provinces un gouvernement fort... »
Du moment qu'il n'y avait plus ni soldats, ni fonctionnaires du
Khédive, ce gouvernement ne pouvait être qu'indépendant de l'Egypte.
En outre, une proclamation était jointe au flrman. Le Khédive, parlant
de l'insurrection mahdiste, y disait :
« Cette rébellion a eu pour unique résultat des grandes pertes
d'hommes et d'argent et a été pour la terre d'Egypte un très lourd
fardeau. Aussi aL\ons-nous résolix de rendre l'indéperidanceaiix anciennes
familles des rois du Soudan,., Nous demandons en conséquence à ceux
qui ont pris les armes de les déposer, et de constituer en toute dili-
gence et en pleine tranquillité un gouvernement de leurchoiXj qui assure
la prospérité du pays et la sécurité des routes, de façon que les relations
commerciales puissent continuer entre nous, ce qui vous donnera la
richesse, w
Le gouvernement britannique voulait avant tout abandonner, au
meilleur compte possible, lés provinces occupées. Mais (îordon, envoyé
précipitamment à Khartoum, avait ses idées à lui. Il commença par
garder dans sa poche, la proclamation du Khédive, rétablir l'esclavage,
ce qui causa une profonde stupéfaction en Angleterre, et organiser par-
tout la résistance. Il demanda alors des troupes de renfort, des moyens
de subsistance, etc., mais se heurta toujours à des refus catégoriques.
Alors, bien résolu k ne pas abandonner Khartoum, il s'y laissa
bloquer.
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L'ABANDON ANGLAIS DU SOUDAN 661
En Angleterre, Topinion publique s'émut quand elle connut la posi*
tion de Gordon. Le gouvernement dut se résoudre à venir à son secours
et prépara une expédition dont le général Wolseley prit le commande-
ment. Il persista néanmoins dans son projet d'abandon, à peu près
complet du Soudan, ainsi qu'il résulte des instructions suivantes adressées
à lord Wolseley :
Cl La position des garnisons du Darfour, du Bahr el Ghazal et do
TÉquatoria nous rend impossible d'assurer leur retraite sans entre-
prendre des opérations dépassant de beaucoup la limite que s'impose le
gouvernement. Quant à la garnison de Sennaar, le gouvernement
anglais ne saurait approuver l'envoi d'une expédition anglaise pour lui
venir en aide... Quant au futur gouvernement du Soudan et particuliè-
rement de Khartoum, on voudrait le voir entièrement indépendant de
l'Egypte, en ce qui concerne les questions d'administration intérieures. »
Cette fois le Bahr el Ghazal est nommément désigné dans les pro-
vinces à abandonner. Quant à Fachoda, c'était déjà chose faite. Et pour
Khartoum, on s'en tenait à un espoir de protectorat purement nominal.
On sait qne l'armée de Wolseley arriva sous les murs de Khartoum
deux jours trop tard. La ville était prise et Gordon était mort (26 jan-
vier 1885). Les troupes britanniques rétrogadèrent alors jusqu'à Ouady-
Halfa, qui fut, jusqu'en 1890, la frontière méridionale de l'Egypte.
Les provinces éloignées, abandonnées à leur malheureux sort, ne
tardèrent pas à tomber au pouvoir du Mahdi. Slatin-Bey, gouverneur
du Darfour succomba le premier. Fait prisonnier et emmené à Omdur-
man, il parvint à s'échapper après une longue captivité. Peu après,
Lupton-Bey, gouverneur du Bahr el Ghazal, assiégé dans Roumbek, fut
forcé de se rendre et mourut chargé de fers à Omdurman. Quant à
Emin-Bey, gouverneur de l'Équatoria, il résistait encore, malgré les
échecs et la révolte d'une partie de ses troupes, quand Stanley arriva
dans la province. On sait que au lieu de le secourir et de le ravitailler,
Stanley l'emmena malgré lui à la côte en lui faisant abandonner sa
province.
Ainsi, des documents et faits ci -dessus résulte bien la preuve que
l'abandon du Soudan égyptien, et particulièrement des provinces du
Haut-Nil, a été préparé, ordonné et en partie effectué d'après les ins-
tructions du gouvernement britannique. Ce n'était pas d'ailleurs, à
l'époque, une chose mystérieuse et personne n'eût contesté la matéria-
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668 REVUE FRANÇAISE
lité du fait. Mais les évéDements ont marché, l'.Vngleleire s'est aperçue
qu elle avait fait fausse route, et la tactique de la presse est d'oublier
le passé.
Cependant Thistoire ne saurait être ainsi escamotée. L'Angleterre a
imposé à l'Egypte l'abandon du Soudan, cela est hors de doute. En
agissant ainsi elle a transformé ce pays en une res nullius, une chose
sans maître, que le premier venu avait le droit d'occuper. C'est ce qui
est arrivé. L'Angleterre a d'ailleurs donné lexemple ; l'Italie a suivi,
puis l'Abyssinie, le Congo et enfln la France. De quoi se plaint donc
l'Angleterre, puisque, au point de vue du droit international, la France
a agi exactement comme l'Angleterre a agi elle-même?
Faut-il donc rappeler toutes les occupations faites et le premier par-
tage des dépouilles dé l'ancien domaine de TÉgypte?
Zeila et Berbera, sur le golfe d'Aden, occupés par les Anglais ;
Le Harrar, tombé au pouvoir des Abyssins ;
Massaouah et la baie d'AdouIis, occupés par les Italiens, d'accord avec
l'Angleterre ;
L'Ounyoro et l'extrême Haut-Nil occupés par les Anglais ;
L'enclave de Lado-Redjaf prise par les Belges.
Et il y a lieu de remarquer qu'à Zeila-Berbera et à Massaouah-Adou-
lis. Anglais et Italiens n'ont point occupé une chose abandonnée et sans
maître. Ces villes avaient une garnison égyptienne. Les Mabdistes ne
les menaçaient point, ni aucun autre ennemi. Elles n'avaient, en outre,
aucun motif de cesser d'obéir directement au khédive. Malgré cela, par
le bon plaisir de TAngleterre, ces garnisons n'en furent pas moins in-
vitées à quitter les lieux et à laisser la place libre aux nouveaux occu-
pants.
Quand on a de pareils précédents contre soi, quand on a pris parce
que cela convenait de prendre, avec quelle autorité peut-on venir par-
ler sérieusement au nom des droits de l'Egypte?
Geoi^es Démanche.
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LA SITUATION ECONOMIQUE DU JAPON
(1)
L'aoïjée 1897 a été pour le Japon une des plus mauvaises qu*il ait
traversées depuis longtemps ; elle contraste donc, avec les années pré-
cédentes, qui avaient été excellentes et avaient accentué le progrès du
Japon sous toutes ses formes. Sans doute qu'en 1897, le commerce ex-
térieur de TEmpire du Soleil-Levant a encore progressé, mais il y a une
crise intérieure qui conmience à se manifester et qui pourra, très pro-
chainement, donner peut-être à réfléchir aux Japonais trop entrepre-
nants.
Situation financière. — Le vote par le Parlement japonais, en mars
1897, de la loi relative au nouveau système monétaire, avec étalon d'or,
fit croire à une reprise des affaires, mais il n'en fut rien et, après !a
mise en circulation du yen d'or, et le retrait du yen d'ai^ent. on ne
trouva plus que de la monnaie divisionnaire à bas titre.
a L'or est introuvable, dit M. Steenackers, consul de France à Naga-
saki, dans un récent rapport; aucun paiement ne s'effectue dans les
magasins, maisons de conmierce, etc., en pièces de 1, 5, 10, 20 yens
d'or. Au fur et à mesure que l'or en barre, importé principalement
d'Angleterre, sort de la monnaie d'Osaka transformé en pièces ayant
cours, il est accaparé par les grands établissements financiers étran-
gers. »
En conséquence, les transactions sont devenues très difficiles et ont
déterminé le renchérissement de la vie matérielle. Pendant le cours de
l'année 1897, les principaux articles du commerce ont subi une hausse
de prix de 23 0/0 en moyenne. Depuis dix ans, l'accroissement de prix
des principales denrées est de 72 0/0 !
La situation économique du Japon a été, en outre, grandement frappée
par l'accroissement rapide du chiffre du papier-monnaie en circulation,
émis par la Banque du Japon.
Le nouveau système monétaire, contre l'attente du pays, n'a apporté
aucune amélioration, et la crise s'est, au contraire, accentuée, aidée
par la diminution de la récolte du riz, détruite en partie par des inon-
dations, des typhons et des insectes ; de sorte que la production du riz
%
(1) Consulter les précédentes études publiées sur le commerce japonais, dans la
nwm française, notamment 1897, t. XXll, p. 143 et 1898, t. XXIII, p. 226.
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■T*' I
670 REVUE FRANÇAISE
subit une moins- value de 16 0/0 qui provoqua la hausse du prix de
cet aliment et des autres articles, car c*est le riz qui, au Japon, sert de
base d'évaluation pour les autres produits.
Quant au commerce extérieur au Japon en 1897, il a été de
163.135.000 yen pour les exportations et de 219.300.000 yen pour les
importations se soldant, en faveur de l'étranger, par 55.163.000 yen.
En dehors du riz, acheté au dehors en quantité importante, Taugmen-
tation des importations étrangères porte surtout sur les machines qu'on
fait venir d'Europe. Les succès des Japonais en sériciculture et l'écou-
lement facile de leur coton filé n'a été qu'une faible compensation à
leurs pertes d'un autre côté.
Les ressources extraordinaires du Japon au point de vue financier,
proviendront jusqu'à leur épuisement, de Tinden^nité de la guerre avec
fei Chine, en 1894. Cette indemnité est de 200 millions de taëls on
32.900.980 £ anglaises. De novembre 1895 à novembre 1897, les Japo-
nais ont touché sur ce total 19.192.238 £ en principal, 1.782.136 £
d'intérêts et 4.935.147 £ pour la rétrocession du Liao-Tong, soit en tout
25.909.521 £.
Le dépôt de ces diverses sommes à la Banque d'Angleterre a donné
un intérêt de 164.903 £, ce qui porte le total définitif à 26.078.016 £.
La classe la plus éprouvée par la crise japonaise, est celle des gens
d'affaires et des capitalistes, mais les classes laborieuses sont peu at-
teintes. En effet, les travaux publics sont très nombreux : chemins de
fer, installations d'usines et de manufactures, etc., et les ouvriers et
artisans de tous métiers ont facilement du travail.
Chemins de fer. — En 1897, il a été livré au Japon 500 milles envi-
ron de nouvelles voies ferrées. Au 18 avril 1898, l'Empire comptait eo
tout 3.093 milles de lignes exploitées. Les Japonais s'occup^at très
activement de compléter leur réseau ferré; beaucoup de pro\inces y
ont un grand intérêt, car leur éloignement de la mer sera compensé
par ces voies de communication rapides. 2.000 milles de chemin de fer
sont actuellement projetés," mais leur exécution complète se fera peut-
ùlre attendre plus qu'on aurait pu supposer, caries lignes déjà exploitées
n'ont pas donné aux C'^' les résultats attendus, le charbon étant très
cher.
Services inarilimes, — Les nouveaux services maritimes inaugurés
par la C'"" des paquebots-poste a Nippon Yusen Kaisha d n'ont pas eu
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i
LA SITUATION ÉCONOMIQUE DU JAPON 671
tout le succès prévu. Au point de vue fiûancier, les dépenses ont tou-
jours surpassé les recettes. Aussi, dès le 1" semestre de 1897, les fonds
de réserve de la O® ont-ils dû être entamés, afin que les actionnaires
puissent toucher des dividendes.
La C*® a un capital de 22 millions de yens et un fonds de réserve de
3.400.000 yens. Elle a pris la résolution de supprimer pour le 2® se-
mestre, la situation ne s'étant pas améliorée, les dividendes des action-
naires, malgré les réclamations de ces derniers.
La Nippon Yusm Kaisha, qni a fait d'énormes sacrifices pour créer
ess lignes, n'espère en être récupérée que dans plusieurs années ; toute
la question est de savoir si les circonstances lui permettront d'attendre.
La plupart des paquebots de la C® ont été commandés en Angleterre.
La O^ de navigation Shosen-Kwaisha-Osaka n'a pas été favorisée non
plus; elle n'a pu servir aucun dividende et a même dû réduire de pres-
que moitié son capital.
Commerce extéi^iew\ — Le commerce du Japon, nous l'avons déjà
dit ci-dessus, s'est soldé à l'avantage considérable des importations
étrangères. Les importations totales de 1897 sont en augmentation de
28 0/0 sur 1896, mais tes exportations japonaises sont en progrès en-
core plus sensible (38 0/0).
Les importations ont consisté surtout en coton brut (43.620.000 yens),
en riz (21.S28.000 yens), en sucres (20.003.000 yens), en machines
(12.291 .000 yens), etc.
lies exportations comprennent notamment, la soie (55.630.000 yens),
le coton filé (13.490.000 yens), le charbon (H .515.000 yens).
En résumé, et tout en continuant à marcher de l'avant, le Japon
conunence à se ressentir fortement de sa témérité, qui gagnerait, dans
l'intérêt de l'avenir du pays à être un peu calmée. Il ne ressort pas
évidemment que le Japon soit sérieusement atteint, et peut-être sor-
tira-t-il vigoureux et prospère de cette crise passagère. Il n'en est pas
moins vrai que les résultats tangibles des entreprises japonaises se fe-
ront sans doute attendre plus qu'on l'avait escompté à Tokio, et que
l'Europe cherche en ce moment, en Chine, à prendre la place que les
Japonais croyaient trop tôt acquérir. La c^ iNouvelle Angleterre » est
loin d'avoir contrebalancé, en Extrême-Orient, la «r vieille Europe* »
Paul BABttÉé
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CONVENTION FRANCO-ANGLAISE DU NIGER
Protocole.
Article premier. — La frontière séparant les colonies françaises de la Côte
dlvoire et du Soudan de la colonie britannique de la Côte d*Or partira du
point terminal Nord de la frontière déterminée par Tarrangement fraoco-
anglais du 12 juillet 1893, c'est-à-dire de Tintersection du thalw^delaVolta
noire avec le 9« degré de latitude Nord, et suivra le thalweg de cette rivière
vers le Nord jusqu'à son intersection avec le 11® degré de latitude Nord.
De ce point, elle suivra, dans la direction de TEst, ledit parallèle de lati-
tude jusqu'à Ja rivière qui est marquée sur la carte n«l annexée au présent
protocole, comme passant immédiatement à Test des villages de Souaga (Swaga)
et de Sébilla (Zébiila). Elle suivra ensuite le thalweg de la branche ocdden-
tate de cette rivière en remontant son cours jusqu'à son intersection avec le
parallèle de latitude passant par le village de Sapeliga. De ce point, la froo-
tière suivra la limite septentrionale du terrain appartenant à Sapeliga jus-
qu'à la rivière Nouhan (Nuhan) et se dirigera ensuite par le thalw^ de cettfi
rivière en remontant ou en descendant, suivant le cas, jusqu'à un point situé
à 3219 mètres (2 milles) à Test du chemin allant de Gambaga àTingourkou
(Tenkrugu) par Baukou (Bawku). De là, elle rejoindra en ligne droite le
point d'intersection du 11« degré de latitude Nord avec le chemin indiqué
sur la carte n« 1 comme allant de Sansanne-Mango à Gama par Djebiga
(Zebigu).
Art. 2. — La frontière entre la colonie française du Dahomey et la colonie
britannique de Lagos, qui a été délimitée sur le terrain par la commissioo
franco-anglaise de délimitation de 1895 et qui est décrite dans le rapport
signé, le 12 octobre 1896, par les commissaires des deux nations» sera désor-
mais reconnue comme la frontière séparant les possessions françaises et bri-
tanniques de la mer au 9* degré de latitude Nord.
A partir du point d'intersection de la rivière Ocpara avec le 9« degré de
latitude Nord tel qu'il a été déterminé par lesdits commissaires, la frontière
séparant les possessions françaises et britanniques se dirigera vers le Nord et
suivra une ligne passant à l'ouest des terrains appartenant aux localités
suivantes : Tabira, Okouta (Okuta), Boria, Téré, Gbani, Yassikera (Ashigere)
et Dekala.
De l'extrémité Ouest du terrain appartenant à Dekala, la frontière sera
tracée dans la direction du Nord, de manière à coïncider, autant que possible,
avec la ligne indiquée sur la carte n^ 1 annexée au présent protocole et at-
teindra la rive droite du Niger en un point situé à 16093 mètres (10 milles)
en amont du centre de la ville de Guiris (Géré) (port d'ilo), mesurés à vol
d'oiseau.
Art. 3. — Du point spécifié dans l'article 2, où la frontière séparant les
possessions françaises et britanniques atteint le Niger, c'est-à-dire d'un point
situé sur la rive droite de ce fleuve à 10 093 mètres (10 milles), en amoot
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CONVENTION FKASC0-ANGLAI8E DU NIGER
\
m
t-ww (.NtiveaiLi-ii HN). K* 3au
iî
674 KEVUE FRANÇAISE
• du centre de la ville de Guiris (Géré) (port d'ilo), la frontière suivra la per-
pendiculaire élevée de ce point sur la rive droite du fleuve jusqu'à son inter-
section avec la ligne médiane du fleuve. Elle suivra ensuite, en remontant la
ligne médiane du fleuve jusqu'à son intersection avec une ligne perpendicu-
laire à la rive gauche et partant de la ligne médiane du débouché de la dé-
pression au cours d'eau asséché qui, sur la carte u9 2 annexée au présent
protocole, est appelée Dallul Mauri et y est indiquée comme étant située à
une distance d'environ 27 359 mètres (17 milles), mesurés à vol d'oiseau,
d'un point sur la rive gauche, en face du village ci-dessus mentionné de
Guiris (Géré).
De ce point d'intersection, la frontière suivra cette perpendiculaire jusqu'à
sa rencontre avec la rive gauche du fleuve.
Art. 4. — A Test du Niger, la frontière séparant les possessions françaises
et britanniques suivra la ligne indiquée sur la carte n^ 2 annexée au présent
protocole.
Partant du point sur la rive gauche du Niger indiqué à l'article précédent,
c'est-à-dire la ligne médiane du Dallul Mauri, la frontière suivra cette lign^
médiane jusqu'à sa rencontre avec la circonférence d'un cercle décrit du
centre de la ville de Sokoto avec un rayon de 160932 mètres (100 milles). De
ce point, elle suivra l'arc septentrional de ce cercle jusqu'à sa seconde inter
section avec le 14« degré de latitude Nord. De ce second point d'intersection,
elle suivra ce parallèle vers l'Est, sur une distance de 112 652 mètres (70
milles), puis st. dirigera au Sud vrai jusqu'à sa rencontre avec le parallèle
43**20' de latitude Nord, puis vers l'Est, suivant ce parallèle, sur une dis-
tance de 402230 mètres (250 milles), puis au Nord vrai jusqu'à ce qu'elle
rejoigne le 14® parallèle de latitude nord, puis vers l'Est, sur ce parallèle,
jusqu'à son intersection avec le méridien passant à 35^ Est du centre de Ja
ville de Kuka, puis ce méridien vers le Sud jusqu'à son intersection avec la
rive Sud du lac Tchad.
Le gouvernement de la République française reconnaît comme tombant
dans la sphère britannique le territoire à l'Est du Niger compris entre la ligne
susmentionnée, la frontière anglo-allemande et la mer.
Le gouvernement de Sa Majesté britannique reconnaît comme tombant
dans la sphère française les rives Nord, Est et Sud du lac Tchad qui seront
comprises entre le point d'intersection du 14^ d^ré de latitude Nord avec la
rive occidentale du lac et le point d'incidence sur le lac de la frontière déter-
minée par la convention franco-allemande du 15 mars 1894.
Art. 5. — Les frontières déterminées par le présent protocole sont ins-
crites sur les cartes n^ 1 et 2 ci-annexées.
Les deux gouvernements s'engagent à désigner, dans le délai d'un an pour
les frontières à l'ouest du Niger, et de deux ans pour les frontières à Test de
ce même fleuve, à compter de la date de l'échange des ratifications de la
convention qui doit être conclue aux fins de confirmer le présent protocole,
des commissaires qui seront chargés d'établir sur les lieux des lignes de dé'
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CONVENTION FRANCO- ANGLAISE DU NIGER 675
marcation entre les possessions françaises et britanniques en conformité et
suivant Tesprit des stipulations du présent protocole.
En ce qui concerne la délimitation de la portion du Niger dans les envi-
ons d'Ilo et du Dallul-Mauri, visée à Tarticle 3, les commissaires chargés de
la délimitation, en déterminant sur les lieux la frontière fluviale, réparti-
ront équitablement entre les deux puissances contractantes les îles qui pour-
ront faire obstacle à la délimitation fluviale telle qu'elle est décrite à
Tarticle 3.
Il est entendu entre les deux puissances contractantes qu'aucun changement
ultérieur dans la position de la ligne médiane du fleuve n'afifectera les droits
de propriété sur les îles qui auront été attribuées à chacune des deux puis-
sances par le procès-verbal des commissaires, dûment approuvé par les deux
gouvernements.
Art. 6. — Les deux puissances contractantes s'engagent réciproquement à
traiter avec bienveillance (considération) les chefs indigènes qui, ayant eu
des traités avec l'une d'elles, se trouveront, en vertu du présent protocole,
passer sous la souveraineté de l'autre.
Art. 7. — Chacune des deux puissances contractantes s'engage à n'exercer
aucune action politique dans les sphères de l'autre telles qu'elles sont déû»
nies par les articles 1, 2, 3 et 4 du présent protocole. Il est convenu par là
que chacune des deux puissances s'interdit de faire des acquisitions territo-
riales dans les sphères de l'autre, d'y conclure des traités, d'y accepter des
droits de souveraineté ou de protectorat, d'y gêner ou d'y contester l'influence
de l'autre.
Art. 8. — Le gouvernement de Sa Majesté britannique cédera à bail au
gouvernement de la République française aux fins et conditions spécifiées
dans le modèle de bail annexé au présent protocole, deux terrains à choisir
par le gouvernement de Sa Majesté britannique, dont l'un sera situé en un
endroit convenable sur la rive droite du Niger, entre Léaba et le confluent
de la rivière Moussa (Mochi) avec ce fleuve, et l'autre sur l'une des embou-
chures du Niger.
Chacun de ces terrains sera en bordure sur le fleuve, sur une étendue de
400 mètres au plus et formera un tènement dont la superficie ne sera pas
inférieure à dix hectares ni supérieure à cinquante hectares. Les limites
exactes de ces terrains seront indiquées sur un plan annexé à chacun
des baux.
Les conditions dans lesquelles s'eflectuera le transit des marchandises sur
le cours du Niger, de ses aflïuenls, de ses embranchements et issues, ainsi
qu'entre le terrain ci-dessus mentionné, situé entre Léaba et le confluent de
la rivière Moussa (Mochi) et le point à désigner par le gouvernement de la
République française sur la frontière française feront l'objet d'un règle-
ment dont les détails seront discutés par les deux gouvernements immé^
diatement après la signature du présent protocole.
Le gouvernement do Sa Mnjesté britannique s'engage à donner avis quatre
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'^p^'\~'^-^iç::?*i-'^\
676 REVUE FRANÇAISE
mois à Tavance au gouvernement de la République française de toute mo-
dification dans le règlement en question, aûn de mettre ledit gouverne-
ment français en mesure d'exposer au gouvernement britannique toutes
représentations qu'il pourrait désirer faire.
Art. 9. — a rmtérieur des limites tracées sur la carte n« 2 annexée au
présent protocole, les citoyens français et protégés français, les sujets bri-
tanniques et protégés britanniques, pour leurs personnes comme pour leurs
biens, les marchandises et produits naturels ou manufacturés de la France
et de la Grande-Bretagne, de leurs colonies, possessions et protectorats res-
pectifs jouiront, pendant trente années à partir de réchange des ratifica-
I tions de la convention mentionnée à l'article 5, du même traitement pour
tout ce qui concerne la navigation fluviale, le commerce, le régime doua-
nier et fiscal et les taxes de toute nature.
Sous cette réserve, chacune des deux puissances contractantes conservera
la liberté de régler sur son territoire et à sa convenance le régime doua-
nier et fiscal et les taxes de toute nature.
Dans le cas où aucune des puissances contractantes n'aurait notifié douze
mois avant Téchéance du terme précité de trente années son intention de
faire cesser les effets du présent article, il continuera à être obligatoire
jusqu'à l'expiration d'une année à partir du jour où l'une ou l'autre des
puissances contractantes l'aura dénoncé.
En foi de quoi, les délégués soussignés ont dressé le présent protocole
p . et y ont apposé leurs signatures.
I Fait à Paris en double expédition, le quatorze juin mil huit cent quatro-
K vingt-dix-huit.
r Signé : René Lbcomte, Martin Gosseun,
^ G. BiNGER. William Everett.
EXPLORATEURS ET VOYAGEURS
M. Alfred Marche est mort le 31 août à Paris. Né à Boulogne-sur-
Seine en 1814, il avait été d'abord aide-naturaliste au Muséum. U alla
au Gabon et explora un des premiers TOgooué, d'abord seul ea 1872,
puis avec le marquis V. de Compiègne ; ils remontèrent ensemble le
fleuve jusqu'à Lopé, pénétrèrent chez les Okanda et parvinrent au con-
fluent de rivindo, où les Ossyéba les attaquèrent. Forcés de revenir
à la côte, ils regagnèrent Libreville en mai 1874. Marche repartit sur
rOgooué en septembre 1873, avec de Brazza et le D^ Ballay ; ensemble,
ils parvinrent au confluent de la Lékélé. Marche, épuisé de fatigue, dut
se séparer de ses compagnons à Doumé, sur l'Ogooué, en 1877, et ren-
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EXPLORATEURS ET VOYAGEURS 677
tra en Europe. Plus lard, il visita les Philippines (1879 à 1886 et 1888),
les îles Mariannes, etc.
MM. Fourneau et Pondère ont quitté Marseille : le premier, le 25 août,
le second, le 10 septembre pour explorer la région comprise entre le
Karoeroun, rOgooué, l'estuaire de Libreville et la Sanga et chercher le
meilleur tracé pour la création d'une route, d'un chemin de fer allant
de Libreville au fleuve Congo. De Loango, où ils se rejoindront, ils ga-
gneront Brazzaville et la Sanga. Ils seront accompagnés du 1* d'artillerie
Lucien Fourneau, de SO tirailleurs sénégalais et de 200 porteurs.
Le 1* de vaisseau Viclor Giraud est mort à Plombières (22 août), dans
sa 47® année. Explorateur de mérite, il avait visité, dans les années
1883 et 1884, la région des lacs Tanganika, Nyassa, Bangouélo et Moero
à peine connue à cette époque. Cette exploration, dont la Retme Fran^
çaise a relaté les résultats (juillet 188S), permettait déjà de se rendre
compte du travail d'approche des Anglais dans ces parages. M. Giraud
avait exposé, peu avant sa mort, le plan d'un nouveau voyage dans
l'Afrique méridionale. *
M. Ch'E. Boniny qui a entrepris un 2® grand voyage à Tintérieur de
la Chine, est arrivé à Tchung-King (Setchuen), d'où il écrit à la date du
30 mai 1898. 11 allait atteindre le point terminus de la navigation du
Fleuve Bleu et comptait se mettre en route par terre pour traverser les
régions limitrophes du Tibet, du Setchuen et du Yunnan. M. Bonin est
accompagné du capitaine de Vaulserre, de 15 miliciens annamites et de
2 interprèles chinois. Il comptait être à Tali (Yunnan), en septembre.
Le capitaine Sverdrup, second de Fr. Nansen dans sa dernière ex-
pédition polaire, est repartie sur son ancien navire le Fram, L'explora-
teur norvégien se propose d'hiverner sur la côte N.-O. du Groenland. Il
profitera de ce séjour pour étudier les phénomènes de la lumière arc-
tique et explorer les régions inconnues du Groenland. Le Fram, aujour-
d'hui propriété de l'État norvégien qui subventionne l'expédition a été
en partie refait par son constructeur. Afin de réduire la consommation
du charbon, on n'en fera emploi ni pour la cuisine ni pour la produc-
tion de la lumière électrique; 20 tonneaux de pétrole assureront le
chauffage et l'éclairage. Le Fram, qui a quitté Christiania le 25 juin
1898, a été rencontré le 14 juillet, par 62^ lat. N., par le baleinier nor-
végien Tiber,
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NOUVELLES GEOGRAPHIQUES ET COLONIALES
AFRIQUE
Sénégal : Commerce en 1897. — Le commerce extérieur du Sénégal, en
d897, a été de 29.179.937 francs aux importaUons et de 21.136.651 francs
aux exportations. En 1896, les chiffres avaient été respectivement de
26.175.726 francs et de 19.563.065 francs; il y a donc eu progrès très sensible.
La différence de plus de 8 millions en faveur des importations, en 1897, pro-
vient des envois faits aux troupes et à Tadministration, des fournitures de
matériaux pour travaux publics; en outre, les importations destinées au
Soudan transitent par le Sénégal, tandis qne les exportations soudanaises
tendent à reprendre la voie de la Guinée française.
Malgré une belle récolte d'arachides, l'exportation de cette graine a baissé
de 800.000 fr. en 1897. Par contre, les gommes sont en progrès de plus d'un
million. La disette du mil (principale nourriture des indigènes), par suite
des invasions de criquets, n'a pas provoqué une plus grande importation de
riz; au contraire, les chiffres ont baissé un peu.
En 1897, la France a importé au Sénégal pour 14.531.176 fr. de produits,
et les colonies françaises pour 2.321.390 fr.
Le Sénégal a vendu à la France pour 11.723.871 fr. et aux colonies fran-
çaises pour 2.505.545 fr. I^ France et ses colonies ont donc fourni plus de la
moitié des importations et acheté plus de la moitié des exportations du
Sénégal.
Soudan français : Agissements anglais au Mossi, — Avant la signature
de la convention du 14 juin dernier, la France, par l'extension du Soudan
vers le sud, et l'Angleterre, par l'extension de la Côte d'Or vers le nord,
avaient établi une série de postes s'enchevêtrant les uns dans les autres, sur
la frontière de Bouna et du Gourounsi. Par suite de la nouvelle convention,
les Anglais gardent Oua, mais évacuent Bouna, Dankita, Harimbara et Ga-
gouli, ce dernier poste sur le Koiodio (affluent de la Volta), dans le cercle de
Djebougou.
Avant l'entente franco-anglaise, les Anglais avaient fait de nombreuses
incursions sur nos territoires ; ils avaient môme incendié deux fois notre
poste de Bouna et avaient renvoyé nos soldats noirs à 8 kil. plus loin.
Aussi, le commandant Caudrelier avait-il dû confier ce poste à un sous-
officier indigène; mais dans la nuit du i^^ mai, un officier indigène anglais,
accompagné de 80 hommes, alla intimer à ce sous-officier l'ordre de se
retirer ; ce dernier refusa et noire poste fut maintenu. Dans le Lobi, il fallut
établir une ligne de postes tout le long de la frontière, ainsi que dans le
Gourounsi.
Mais le fait le plus important et qui ne transpira pas en Europe fut la
tentative des Anglais sur le Mossi. Une troupe commandée par un colonel et
4 officiers et composée de 100 hommes s'avança jusqu'à 28 kil. d'Ouagha-
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 679
dougouy dans le but de rétablir Bokary-Routon, naba du Mossi dépossédé
par nous. Mais nos officiers s^étant portés au devant des Anglais, les rencon-
trèrent à Kombosiguiri et leur firent connaître la nouvelle convention ; ils
se retirèrent alors. Ces faits n'ont plus d'intérêt actuel, mais il était curieux
de signaler cet envahissement subreptice du Mossi.
Tombouctou : Opérations contre les Touareg, — Le l*-colonel Klobb a
réussi à chasser les bandes insoumises qui infestaient les bords du Niger, en
aval de Tombouctou. Ces bandes comprenaient des Hoggar, des Kel-Antassar
et quelques Maures. Le 22 mai 1898, ces nomades fuyaient vers l'est, mais
les Kel-Antassar de la rive gauche, ainsi que les Igouadaren de la rive
droite, feisaient cause commune avec eux. Le colonel Klobb, passant alors
sur la rive gauche du Niger, poursuivait les Igouadaren du 25 au 31 mai,
jusqu'à Ha, à 30 kil. en aval de Bourroum ; il les atteignit de nouveau à Ha
(alors qu'ils traversaient le fleuve et se réfugiaient sur le territoire de Madi-
dou) et, les çanonnant à travers le fleuve, il les fit fuir vers Gogo. Le colo-
nel, revenu à Bourroum, surprit, le 5 juin, un groupe de Kel-Antassar resté
en arrière, sur la rive gauche. L'ordre paraît devoir persister depuis ces
vigoureuses opérations.
Le ravitaillement de Say, qui se fait actuellement de Ségou ou du Macina
par la voie de terre, gagnerait en rapidité à se Mre par la voie du fleuve,
malgré les rapides de Labezenga (qui ne nécessiteraient par terre qu'un par-
cours insignifiant) ; pour cela, il faudrait créer une ligne de postes de Tom-
bouctou à Say et notamment à Bamba, Bourroum, Ansongo, Zinder (du
Niger). Il ne faut pas oublier que le Niger, dont nous possédons 1 700 kilo-
piètres navigables, doit être notre grand véhicule commercial au Soudan.
Côte d'Ivoire : Siège (TAssikasso. — A la suite du mouvement de recul
de Samory, M. Clozel avait pu, dans le commencement de 1897, occuper la
vallée orientale du Comoé et fonder un poste français à Assikasso ; il avait
même mis une petite garnison à Bpndoukou. Cette région avait été très
agitée par les bandes de Samory, qui avaient pénétré un peu dans Thinter-
land de la Côte d'Or.
La tranquillité fut troublée en avril 1898 par Tincursion de nouvelles
bandes venant de cette colonie anglaise et commandées par Adjabo, ancien
dignitaire de la cour de Coumassie, avant 1873; leur effectif était de 3.000
hommes, et ces bandes portaient le pavillon anglais. Adjabo mit le siège
devant Assikasso, où étaient MM. Le Filiâtre, administrateur de Tlndénié,
et de Charlet du Rien, avec 13 miliciens. Averti, M. Clozel partit rapidement
de Grand-Bassam avec l'inspecteur de la milice et 30 miliciens sénégalais.
Le 9 mai, 12 jours après, cette petite troupe essaya de dégager les abords
d' Assikasso, mais le tiers de son effectif ayant été mis hors de combat et
M. Clozel ayant été blessé, elle dut rétrograder jusqu'à Yakassé, à 30 kilo-
mètres de là. Une ^ tentative pour débloquer Assikasso, faite par de nou-
veaux renforts venus de Grand-Bassam, échoua encore. Les indigènes n'en
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680 REVUE FRANÇAISE
eurent que plus d'audace. 5 à 6.000 noirs menacèrent Zaranou, sur la route
de Grand-Bassanc, à 130 kilomètres de la mer. Le commandant de Bon-
doukou, M. Lamblin, ayant envoyé un sergent sénégalais et i5 miliciens,
put cependant ravitailler Assikasso, avec le concours de populations restées
fidèles à la France.
Enfin, arriva du Sénégal le sous-lieutenant Laîrle, avec des tirailleurs séné-
galais; il débloqua Assikasso le 3 juillet, après 3 jours de combat MM» Le
Filiàtre et de Charlet avaient soutenu 63 jours de siège. Le calme a régné
dans la région depuis, grâce à la présence de 200 tirailleurs sénégalais sur
la frontière. La garnison de Bondoukou a été renforcée et on a occupé
Bouna, évacué par les Anglais en vertu de Taccord du 14 juin 1898.
Cette affaire d'Assikasso est certainement due à la complicité tacite des
Anglais de la Côte d'Or qui ont laissé préparer sur leur territoire cette
incursion. C'était l'époque où la question de frontière n'était pas encore
réglée de ce côté, et tout ce qui pouvait nous créer des obstacles était soi-
gneusement mis en œuvre de leur part. "-
Travaux publics. Télégraphes, — M. Mouttel, naguère gouverneur de la
Côte d'Ivoire, a donné quelques renseignements sur le développement de
cette colonie. I^s progrès de son commerce ont permis l'exécution d'une
série de travaux publics de grande importance.
Le wharf de Grand-Bassam sera bientôt construit, et on espère s'en servir
d'ici six mois. Un phare, de 20 milles de portée, sera édifié à San-Pedro.
Le réseau télégraphique comprend 550 kil. sur tout le littoral reliant
ainsi les principaux points d'escale de la côte d'Assinie à Fembouchure du
rio Cavally ; il va être étendu daus l'intérieur, et le matériel destiné à relier
télégraphiquement Grand-Bassam à Alépé, Bettié, Zaranou, Assikasso, Bon-
doukou et Bouna est arrivé. Cette ligne sera entreprise dès la fin de la saison
des pluies, ainsi que celle deDabou à Thiassalé ; l'an prochain, le tél^raphe
ira jusqu'à Kong et peu après à Ouaghadougou, se reliant ainsi au réseau
télégraphique du Soudan français. Le téléphone existe d'Assinie à Grand-
Bassam depuis le gouvernement Binger.
A Grand-Bassam, on construit entre autres un pont pour faire communi-
quer la langue de terre sur laquelle la ville est bâtie, avec l'autre rive de la
grande lagune. Enfin, en même temps qu'on s'occupe d'améliorer les routes
vers l'intérieur, on étudie un chemin de fer qui irait à Kong.
Madagascar : Repeuplement, — L'île de Madagascar ne renferme guère
que 4 millions d'habitants et pourtant elle est aussi grande que la France et
la Belgique ensemble; sa densité n'est donc que de 6,6 hab. par kil. carré.
Le plateau central, rÉmyrne et le Betsileo possèdent seuls une population
un peu dense. Dans tout le reste du pays, les habitants sont très clairsemés.
Le général Gallieni a résolu de modifier cet état de choses, afin que nos
compatriotes puissent trouver de la main-d'œuvre dans les diverses r^ons
malgaches. La race hova lui semble la mieux douée pour cette tâche ; aussi
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 681
Tarrélé qu'il vient de signer s'applique-t-il seulement à TÉrayme (qui au-
rait 780.000 habitants).
Le nouvel arrêté fait revivre la loi malgache, assurant la régularité des
réunions et la règle de droit coutumier attribuant à TÉtat les biens des
individus décédés sans héritiers directs. Par contre, les anciennes lois qui
interdisaient les mariages entre individus de castes différentes sont abolies.
Ces mesures sont complétées par une série d'immunités fiscales concernant
les chefs de nombreuses famille^.
Le manque d'hygiène, la syphilis répandue à raison de 60 à 75 0/0, l'ab-
sence de toute organisation médicale sont les causes principales de la dé-
croissance et de l'affaiblissement progressif de la race. Pour les combattre,
le général Gallieni vient de créer, dans chaque province ou cercle, un or-
phelinat et un dispensaire ou hôpital où les indigènes seront soignés; en
outre, on formera des praticiens malgaches, on célébrera dans l'île une fête
annuelle des enfants où des brevets d'honneur seront remis aux chefs de
famille les plus nombreuses.
Ces excellentes mesures porteront certainement leurs fruits.
Commerce en 4896, — Le commerce extérieur de Madagascar a été de
13.987.900 francs pour les importations dans l'île et de 3.605.950 fr. pour les
exportations. Plus de la moitié de la valeur des produits importés à Mada-
gascar est représentée par les tissus (7.142.900 fr.); viennent ensuite les
boissons (1.691.900 fr.), les métaux (938.300 fr.), les farineux alimentaires
(741.600 fr.), les ouvrages en métaux (651.500 fr.).
Les exportations de l'île (quatre fois moins importantes que ses achats)
sont constituées pour plus du tiers par les huiles et les sucres végétaux
(1.331.400 fr.); viennent ensuite : les filaments, tiges et fruits à ouvrer
(732.400 fr.), les produits et dépouilles d'animaux (620.300 fr.), les animaux
vivants (414.600 fr.j. etc.
Les importations viennent surtout de France (5.798,000 fr.j et d'Angle-
terre (4.681.000 fr.). Viennent ensuite : l'île Maurice (1.465.000 fr.), l'Alle-
magne (597.000 fr.), l'Amérique (7-24.000 fr.), les Indes anglaises (221.000 fr.),
la Réunion (199.000 fr.), les autres colonies françaises (144.000 fr.).
Par contre, les produits de Madagascar sont achetée pour près de la moitié
par l'Angleterre (1.551.700 fr.). La France n'en reçoit que pour 736.700 fr..
Viennent ensuite : l'Allemagne (643.600 fr.), la Réunion (481,000 fr.). l'île
Maurice (136.500 fr.), etc.
Chemins de fer, — Au lendemain de l'arrivée du corps expéditionnaire à
Tananarive, le service du génie, commandé par le colonel Marmier, reçut
l'ordre de reconnaître le terrain en vue de chercher le moyen de relier Tana-
narive à la mer par un chemin de fer. Plus tard, sur la demande du général
Gallieni, les études du chemin de fer furent précisées par le génie, sous la
direction du colonel Roques, et l'on est arrivé à étaolir l'avant- projet d'un
chemin de fer à voie d'un mètre devant relier Tananarive à Tamatave, sur
la côte est de l'île. Sur la base de cet avant-projet, la C'® Coloniale de Mada-
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682 REVUE FRANÇAISE
gascar, dont le sf^ge est à Paris, a passé avec le ministère des colonies, le
14 mars dernier, une convention que le Journal officiel de Madagcucar a re-
produite in-extenso et qui, pour devenir définitive, a besoin de la ratification
des Chambres.
En attendant, la C® Coloniale de Madagascar, qui a traité l'exécution avec
la régie générale des chemins de fer, a envoyé, comme son agent général à
Madagascar, M. Mercadier, et une mission d'ingénieurs dirigée par M. Dufour.
Cette mission a pour but de vérifier, en le perfectionnant si possible, le tracé
du génie, de déterminer les moyens d'exécution, enfin le coût du chemin de
fer. Tout cela est combiné d'accord avec les autorités locales; il y a doncliea
d'espérer que si les Chambres veulent bien s'occuper de cette affaire pendante
depuis plusieurs mois, la question d'exécution des chemins de fer à Mada-
gascar sera définitivement résolue pour les débuts de l'année prochaine.
ASIE
Indo-Chine : Chemins de fer, — M. Doumer, gouverneur général, qui
vient d'arriver en France, doit s'occuper, pendant son séjour à Paris, de la
question des chemins de fer à construire dans notre vasteempire indo-chinois.
Actuellement, la seule ligne de chemin de fer existante est celle de Saigon
à Mytho, de 70 kil . de longueur. La direction des travaux publics d'IndoChine
a élaboré un plan d'ensemble des lignes à construire en les classant en trois
catégories, suivant leur ordre d'urgence. Parmi les lignes de première urgence,
on voit celle de Haïphong à Hanoï et Laokaï vers la frontière de Chine, de
Hanoï à Nam-Dinh, au Tonkin, de Tourane à Hué en Annam. La Banque
de rindo-Chine, d'accord avec les principaux établissements financiers de
Paris, a envoyé sur les lieux une mission d'ingénieurs qui a élaboré des
avant-projets permettant de fixer les bases générales d'exécution des'diverses
lignes. La Banque étudie les ofl'res qu'elle a reçues de diverses maisons fran-
çaises pour l'exécution, de manière à préciser !a question et être en mesure
delà discuter utilement avec M. Doumer pour arriver enfin à la conclusion
d'un contrat de concession.
Kiao-Tchéou : Progrès allemands. — Les Allemands n'ont pas tardé à
s'installer solidement à Kiao-Tchéou, dont ils ont obtenu la c^sion par la
Chine cette année. Ils ont d'abord occupé ce point, puis l'ont aussitôt mis en
état de défense en établissant, sur les collines voisines, des ouvrages biai
armés. Le bourg de Tsing-Tou (3.000 habitants), s'est déjà transformé. Les
rues sont en bon état, des lanternes les éclairent, des plantations d'arbres
sont entreprises, partout les coolies travaillent sous la surveillance des sol-
dats. On élève des bâtiments destinés aux autorités ou devant servir de ma-
gasins militaires. On sait que les Allemands ont l'intention de créer à Kiao-
Tchéou un port de premier ordre, muni de tous les engins modernes. Des
mines de charbon importantes reliées à ce port par rails existent à moins
de 150 kil. et vont être exploitées par des capitaux allemands.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 683
Chine: Le réformateur Kang YuMei, — Les journaux anglais donnent des
détails biographiques sur Kang Yu Mei qui, à la suite de la révolution de
palais qui a fait passer le pouvoir des mains de Tempereur en celles de Tim-
pératrice douairière, a pris la fuite et s'est réfugié à Tabri du pavillon
anglais.
Kang Yu Mei, l'instigateur des réformes, a 50 ans. Né à Canton, il a reçu
une instruction libérale et cosmopolite. Il se signala bientôt parmi ce petit
groupe qu'on a appelé les progressistes de Canton et qui ont essayé de fami-
liariser leurs compatriotes avec l'idée d'une rénovation du Céleste Empire,
analogue à celle que le Japon a menée à bien. La puissaate opposition de
l'armée des mandarins a entravé jusqu'ici ce mouvement et, à diverses re-
prises, les principaux propagandistes ont dû s'enfuir en Europe pour échap-
per à la prison ou même à la mort.
Toutefois, le mérite de Kang Yu Mei était tel que ceux mêmes qui consi-
déraient ses doctrines comme un danger ne s'opposèrent pas, quand il fut
question de confier le jeune empereur à un lettré éminent, au choix de Kang
Y'u Mei qui avait donné une édition remarquable des classiques chinois. Le
progressiste devint donc non seulement le maître es lettres de l'empereur
Kouang Su, mais l'inspirateur des idées que le souverain vient d'essayer en
vain de réaliser.
C'est à l'influence de Kang Yu Mei, devenu de précepteur ministre, qu'est
dû l'envoi de ces missions d'études qui ont parcouru l'Europe pendant les
dernières années, et dont les membres sont devenus, rentrés dans leur pays,
des adhérents du progrès. Contre l'opinion des mandarins et des yamen offi-
ciels, il obtint de l'empereur l'établissement de grands conseils administra-
tifs chargés d'étudier les mesures de réorganisation de l'armée, de la marine,
des travaux publics, de la perception de l'impôt. On conçoit l'émotion des
gens en place. Ils firent intervenir une première fois la redoutable impéra-
trice douairière et arrachèrent à l'empereur un édit congédiant Kang Yu
Mei. Le progressiste jugea plus prudent de quitter la Chine, et il se rendit à
Londres. Toutefois, on le laissa rentrer sans obstacle, quand il jugea qu'il y
pouvait de nouveau vivre en sûreté.
Le récent retour aux affaires de cet homme d'État, connu pour ses sym-
pathies britanniques, avait été, selon toute apparence, l'œuvre du ministre
anglais, sir Claude Macdonald. La faveur accordée aux fonctionnaires étran-
gers pendant cette période où Kang Yu Mei fut au pouvoir, avait porté à leur
comble le ressentiment et les craintes des mandarins.
Un autre mandarin, qui a joué le second rôle dans le mouvement, Tchang
Y'anHuan, est également Cantonais de naissance. Nommé membre du Tsong-
li-Yamen en juin 1884, il fut disgracié dès septembre, à la chute du prince
Kung. Les années suivantes, il fut ministre de Chine à Madrid, Washington
et Lima. A son retour, en 1890, il rentra au Tsong-li -Yamen et appartint à
ce grand conseil des affaires étrangères jusqu'à son récent bannissement. Il
a représenté son pays au jubilé de 60 ans de rO'gne de la reine Victoria. C'est
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684 REVUE FRANÇAISE
Tchang Yan Huan qui a traité avec rAllemagne de la cession de Kiao-Tchéoo.
Il sera interné dans la province tarkestane chinoise de Kouldja.
Le Transsibérien à Irkoutsk. — Les travaux du Transsibérien ne
cessent de progresser. Les communications par chemin de fer entre Tomsk
et Irkoutsk ont été ouvertes le 14 septembre. Le \^' train de voyageurs est
arrivé à Irkoutsk le 5 octobre. La circulation est donc ouverte dans la moitié
occidentale de la Sibérie. Reste à poursuivre les travaux au delà du lac
Baîkal et sur le transmandchourien. Malgré les difficultés que présente le
terrain accidenté, la construction sera poussée activement.
Japon : Émigration, — Les Japonais, qui n'avaient fourni que 44.017
émigrants à l'étranger, de 1885 à 1889, en ont donné plus du double, soit
38.402 pendant la période 1890-94. Les îles Hawaï ont reçu plus de japonais
qu'aucun autre pays (21.625 de 1890 à 1894); viennent ensuite, pour cette
dernière période : la Corée (4.930), les États-Unis (3.789), la Russie (2.858),
r Australie (2.037), le Canada (1.716), la Chine (869), les AntiUes (517), etc.
AMÉRIQUE ET DIVERS.
États-Unis : Conséquences commerciales de la guerre avec PEspagne. —
Cuba et Porto-Rico étaient, avec Havaï, les seules sources d'approvisionnement
de sucre avant la guerre hispano-américaine. La situation critique de Cuba et
les primes à Texportation, accordées en Europe, ont contribué à enlever aux
Antilles leur ancienne prépondérance, en môme temps que les progrès de
l'industrie du sucre de betterave aux États-Unis et le développement de la
fabrication du sucre de canne dans l'Amérique du Sud ont joué un rôle im-
portant. Les États-Unis qui vont englober, commercialement du moins, Cuba et
Porto-Rico, pourront donc désormais se passer totalement des autres pays pour
le sucre. 11 en sera de même bientôt pour le café.
Les États-Unis sont le pays qui consomme le plus de café du monde, soil
la moitié de la production universelle, qui est de 1 600 millions de livres par
an. Les importations, depuis 1890, se sont élevées à une moyenne de 90 mil-
lions de dollars, dont les deux tiers proviennent du Brésil. Mais Porto-Rico
et Hawaf sont très favorables à la culture du caféier; les Américains vont la
développer de façon à s'assurer la production du café sur leur propre sol.
Le moment est donc proche où les États-Unis pourront se passer du reste
du monde, et leurs tarifs prohibitifs empêcheront la concurrence sur leors
marchés.
Chili et Pérou : La question des provinces de Tacna et d^Arica, — A la
suite de la guerre entre le Chili et la Bolivie, le Pérou étant venu, conformé-
ment à son traité d'alliance de 1873, défendre la Bolivie, dut subir, comme
son alliée, après la défaite, la loi du vainqueur.
Le traité d'Ancon (20 octobre 1883), ratifié le 21 mai 1884, imposa des condi-
tions humiliantes au Pérou, et l'armistice ou trêve indéfinie du 2 décem-
bre 1884 enleva à la Bolivie tout son littoral. La région située au sud do
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iNOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 685
3c lat. s. fut cédée à perpétuité par la Bolivie au Chili ; le pays situé entre
le 23«, d'une part, le volcan Tua et le rio Loa, d'autre part, fut concédé pro-
visoirement. Le Pérou dut céder au Chili, à perpétuité, les provinces de Tara-
paca et de Pisagua, au sud de la rivière Camarones; en outre, il concédait
pour 10 ans les provinces de Tacna et d'Arica, au sud du Sama; au bout de
ce temps^ les habitants de ces deux provinces devaient se prononcer, par un
vote, sur leur annexion définitive au Chili ou leur retour au Pérou. Dans ce
dernier cas, le Pérou devait payer au Chili 10 millions de piastres.
En 1894, à l'expiration des 10 ans, on ajourna le vote d'un commun accord.
En 1895, le Chili n'ayant pas voulu restituer à la Bolivie la partie comprise
entre le 23® parallèle et le rio Loa, concéda à la Bolivie le petit port de Mejil
lones-del-Norte, avec une petite bande de territoire donnant accès à ce port.
La convention de Santiago (16 avril 1898) entre le Chili et le Pérou a
soumis le litige chilo-péruvien à l'arbitrage de la reine-régente d'Espagne.
Cette dernière doit décidera qui appartient le droit de prendre part au plébis-
cite destiné à fixer la propriété et la souveraineté des provinces de Tacna et
d'Arica, en déterminant les conditions de nationalité, de sexe, d'âge, d'état
civil, de résidence ou autres à remplir par les votants. La reine-régente
doit décider aussi si le vote sera secret ou public. L*indemnité de 10 millions
de piastres, stipulée par le traité de 1883, sera payée par le pays qui gardera les
deux provinces ; un million sera payé 10 jours au plus après la promulgation
du résultat du publiciste, un autre million un an après et 2 millions à la fin
de chacune des 4 années suivantes.
Câble entre Brest et Ne-w-Tork. — Le 16 août 1898, on a achevé
la pose d'un nouveau câble français entre Brest et New- York (Cap Cod). G'est
le plus long et le plus gros de tous les câbles sous- marins en service, il
mesure 5.700 kilomètres de longueur. Son âme est formée d'un toron de
13 fils de cuivre pesant 300 kilogr. par mille marin. L'enveloppe isolante en
gutta-percha pèse 180 kilogr. par mille. Le poids total du câble de Brest â
New- York est de 9.250 tonnes. L'âme a été fabriquée â Bezons et l'armature
a été faite â l'usine de Calais.
Il n'y avait jusqu'alors qu'un seul câble français nous rattachant aux États-
Unis. Celui-ci, l'ancien câble Pouyer-Quertier, étant insuffisant, il fallut
chercher les moyens de le doubler et de le suppléer en cas d'accident. C'est
alors que la Compagnie française des câbles télégraphiques passa avec le
, gouvernement la convention du 2 juillet 1895, approuvée par la loi du 28 mars
1896. Cette convention assurant au câble, pendant 30 ans â dater de son ou-
verture, une subvention annuelle de 800.000 francs, permit d'entreprendre
les travaux qui viennent d'aboutir. Par suite, il ne sera sans doute plus né-
cessaire de recourir aux câbles britanniques pour nos relations télégraphiques
avec les États-Unis. Il reste maintenant à établir des communications /rançaises
avec nos principales colonies. La guerre hispano-américaine a démontré
combien il était important de pouvoir disposer de la libre communication
télégraphique et cette leçon ne doit pas élre perdue.
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686 REVUE FRANÇAISE
Les points d'appui de la flotte. — Une loi du 9 août 1897 a prescrit
l'exécution dans, un délai de 6 ans à partir de 4898, de travaux nécessaires
pour la création ou raniénagement de ports de refuge ou de bases d'opéra-
tions de la flotte. Ces bases ou points d'appui comportent un arsenal mari-
time doté d'un outillage complet avec bassins de radoub et une réserve
abondante de vivres, munitions et cbarbon. Un décret du 4 octobre fixe ces
points de la manière suivante :
Article premier. — Sont déclarés points d'appui de la flotte aux colonies:
Fort-de-France à la Martinique; Dakar, au Sénégal; Le cap Saint-Jacques,
en Cochinchine; Port-Courbet, dans la baie d'Along, au Tonkin ; Nouméa,
en Nouvelle-Calédonie; Diégo-Suarez, à Madagascar; Les Saintes, à la Gua-
deloupe; Port-Pbaéton, à Tabiti ; Libreville, au Congo; Obock.
Des décrets spéciaux, rendus sur la proposition des ministres de la marine
et des colonies, détermineront l'étendue des territoires nécessaires à la dé-
fense de ces points d'appui.
Art. 2. — Les commandants maritimes des points d'appui de la flotte aux
colonies, en ce qui concerne l'administration de leurs territoires de comman-
dement, sont placés sous l'autorité immédiate du gouverneur de la colonie.
Les commandants des points d'appui de la flotte relèvent, au même titre
que les autres commandants de la marine, du ministre de la marine.
Art. 3. — Les gouverneurs prennent, après s'être concertés avec eux, les
décisions que nécessitent la sécurité intérieure ou la défense des territoires
de commandement des points d'appui de la flotte. Ils leur en confient l'exé-
cution et rendent immédiatement compte aux ministres compétents des
décisions qu'ils ont prises.
Art. 4 . — En cas de guerre étrangère le gouvernement de la métropole a
seul la disposition des forces de terre et de mer des colonies où se trouvent
des ppints d'appui de la flotte.
On remarquera que les commandants des points d'appui relèvent tantôt
de la marine, tantôt des colonies. 11 y a là un malheureux enchevêtrement
d'attributions qui ne peut que trop facilement donner lieu à des conflits
d'administration et nuire à la défense. En outre, le décret ne mentionne pas
— sans doute par omission — Saint-Pierre-Miquelon parmi les points d'ap-
pui de la flotte établis.
Ile des Ours. — Une expédition allemande ayant pris possession d'une
partie de l'île des Ours, entre la Norvège et le Spitzberg, et le navire alle-
mand Olga ayant fait des sondages dans ces parages, le journal suédois Dagm
Nyheter fait remarquer que l'île des Ours possède les plus riches dépôts de
charbon des régions arctiques et est le seul port réellement utilisable de la
mer Glaciale. Le journal suédois ajoute que la nation qui posséderait ce port
serait maîtresse de toute la pêcherie des régions arctiques. Il termine en invi-
tant l'Angleterre, la Russie et la Norvège à régler, par une convention, la
situation de ces contrées au point de vue du droit international.
L'île des Ours, Beeren Eyland, est une petite île nue et déserte de Focéan
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 687
glacial arctique, à mi-distance du Spilzberg et du cap Nord, par 74^30* lati-
tude nord et i6^W longitude ouest. Elle a été découverte en 1596, puis revue
en 1603 par un explorateur anglais, qui crut Tavoir découverte et Tappela
Cherrie hland. De nos jours, File est visitée fréquemment par les pécheurs
norvégiens, car on trouve dans ses eaux un grand nombre de poissons, des
harengs et même des morues. Des ateliers de salaisons ont été fondés sur les
côtes de Tîle ; môme, une véritable maison s'élève dans sa partie septentrio-
nale. Jadis, les morses étaient également très communs dans les parages de
nie : on raconte qu'en 1608 un équipage de navire en tua près de mille en
sept heures.
L'île des Ours fut longtemps considérée comme étant de très faible étendue.
Encore en 1864, Nordenskiold et Dunerne lui attribuaient que 66 kilomètres
carrés. Mais des levés exacts en ont été faits en 1868, et ils ont donné comme
résultat, une superilcie de 670 kilomètres carrés, exactement décuple de celle
qu'on supposait. Une partie de l'île est formée de lacs et de marais, mais, au
sud-est, s'élèvent des collines dont l'une, que les Anglais ont nommée Mount
Misery, se dresse à 455 mètres au-dessus de la mer.
Lies plus grands paquebots. — On a procédé au lancement à Hambourg
du paquebot Pretoria qui, avec la Pennsylvania, sortie des chantiers de Belfast
en Î896, est le plus colossal navire de commerce du monde. Le déplacement
totale de la Pretoria est, en effet, de 23.500 tonnes ; celui de la Pennsylvania,
acquise aussi par Hambourg, est également de 23.500 tonnes. Ces bâtiments
peuvent transporter 325 passagei's de classe et 1.000 d'entrepont. Au besoin
le nombre de ces derniers pourrait être élevé à 3.500. Les plus gros navires
existants actuellement sont ensuite : le Kaiser Wilhem der Grosse de Brème,
qui déplace 20.500 tonnes ; la Lucania et la Campania, de Liverpool, dépla-
çant chacun 18.000 tonnes; VAugusta-Yicloria (15.260 tonnes). Rappelons
pourtant qu*il a existé un navire plus grand que ceux actuels, le Gréai-
Easlern, de Londres, aujourd'hui démoli, qui déplaçait 31.000 tonnes.
Voyage au pays des pagodes et des monastères. — Nous appelons tout particu-
lièrement Vattention de nos lecteurs sur un ouvrage que M. Eugène Gallois, membre
de la Société de Géographie, vient de faire paraître chez Delagrave. Cest une mono-
graphie bien documentée, agrémentée de notes personnelles, sur la Birmanie, un pays
relativement peu connu et cependant d'un intérêt tout particulier. L'auteur décrit
avec soin les sites pittoresques de Tlrraouaddy, cette grande artère fluviale qu'il dé-
nomme le « Nil birman », ainsi que les innombrables pagodes et monastères dont la
bizarre architecture ofifre un intérêt bien spécial. Des cartes, plans et de nombreuses
illustrations faites par Fauteur d'après ses clichés, ainsi que des reproductions directes
de ses photographies, agrémentent l'ouvrage, édité avec le plus grand soin sur papier
de Inxe. C'est un livre qui a sa place marquée dans les bibliothèques de voyage.
M. Gallois est aussi l'auteur de diverses études fort intéressantes sur divers pays
qu'il a parcourus et notamment sur l'île de Java ; il en décrit l'aspect général et les
beautés pittoresques dans Une visite à l'île de Java, comme il en a dépeint les mo-
numents dans Raines et antiquités javanaises, et étudié les volcans dans une étude
sommaire. Ces diverses brochures se trouvent à la Librairie Nouvelle, à Paris.
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688 REVUE FHANÇAISE
En territoire militaire, par le capitaine de Grandmaison. Pion, éditeur. — A o^té
de vues très justes sur Texpansion française au Tonkin et les essais de colonisation
qui, bien que fort timides, ne sont encore que trop entravés en haut lieu, M. de Grand-
maison expose comment la pacification s^est effectuée dans le haut pays. Frappé des
résultats obtenus par le colonel Gallieni dans le 1*' territoire militaire, M. de Lanes-
san s'employa à utiliser les talents d'organisateur du futur gouverneur de Madagascar
dans la région très troublée de Langson. Le procédé, que nous avons déjà décrit
d'après le livre du c^ Famin, consistait à frapper les bandes organisées, à les expulser
de leurs repaires, pour laisser aux petits détachements et aux villages armés le soio
de les chasser. Un poste solide était ensuite établi sur la principale voie de pénétra-
tion venant de Chine. Le pays pacifié, on procédait de même un peu plus loin, jus-
qu'à ce que la frontière fût atteinte.
M. de Grandmaison, qui a joué un rôle actif dans ces opérations, a pu étudier sur
le vif le pays, ses habitants, ses productions, son commerce. Il constate avec regret
que Ton ne colonise plus comme autrefois et que des insuccès de toute nature sont
trop souvent la résultante de nos entreprises coloniales. L'instabilité de notre poli-
tique, les incessants changements de direction ont amené ce résultat que, ni les indi-
gènes, ni les colons, ni les capitaux n'ont confiance. Changeons de procédés, dit très
justement l'auteur, et nous pourrons réussir comme d'autres nations.
L'année politique, par A. Daihibl. Fasquelle, éditeur. — Celte élude rétrospective,
qui en est à sa 24* année, forme une collection précieuse pour l'étude des événements
de chaque jour. Un index, une table chronologique, des documents, des pièces justifi-
catives rendent ce recueil facile à consulter et lui assurent une bonne place dans les
bibliothèques. La politique intérieure de la France est passée en revue sous tous ses
aspects et plus particulièrement au point de vue parlementaire. L'année 1896 est celie
qui vit la consécration de l'alliance franco-russe par la visite du tsar à Paris, et Tannée
1897 confirma cette alliance par la visite du président de la République à S^-Péters-
bourg. Notons encore qu'en 1897 il n'y eut pas de changement de ministère !
Manuel de l'explorateur, par Blim et Rollet de l'Isle. Gauthier-Villars, édi-
teur, Paris, 1899. 6 fr. — Voici un ouvrage destiné à rendre bien des services aux
explorateurs débutants, dont le nombre s'accroît à mesure que le goût des choses
coloniales se développe. Le but du Manuel est de donner sous une forme nette et pré-
cise les notions indispensables à celui qui veut retrouver sa direction et lever son
itinéraire. C'est ainsi que les auteurs traitent successivement des procédés de leven
rapides (mesure des altitudes, distances, etc.), de la détermination de la position géo-
graphique d'un point, des levers de détail, de la rédaction de la carte, des instru-
ments nécessaires à l'explorateur, de leur choix et de leur transport. C*est, comme on
le voit, un traité pratique qui sera fort apprécié par tous ceux qui, à un titre quel-
conque, auront l'occasion d'y recourir. De nombreuses %ure8 accompagnent le texte.
Le ministère de la marine à Lisbonne a publié récemment, par les soins de la Com-
missfto de Gartographia, dont les travaux hydrographiques sur les colonies portu-
gaises sont bien connus, les cartes suivantes : Feuille 4 (Zumbo-Tète) et 8 (Quelimane-
Sofala) de la carte au 1/1.000.000 du Mozambique: port de Dilly, rio Tombali et
Cacine ; rio Geba ; rio Cacben ; rio Mansoa ; rio Combal et Petu, en Guinée ; cours
inférieur et barre du Limpopo, barre et port d'Angache, au Mozambique.
Le Gérant Edouard M.^RBEAU.
IMPIIIUKRIB CHAIX. RUS BBRQÊnB, 20. PARIS. — 2iS74HO-08. — (HCT* UriUrU).
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AU LAC TCHAD
MISSION GENTIL
Le 18 novembre 1898, la Société de géographie de Paris a reçu en
séance solennelle Texploratear E. Gentil, enseigne de vaisseau démis-
sionnaire, le premier Européen qui ait pu naviguer sur le lac Tchad,
où il a fait flotter le pavillon tricolore à bord du vapeur Léon Blot. En
rappelant que cette exploration n*a pas duré moins de 3 années, M. A.
Milne-Edwards, président de la Société, a loué hautement les qualités
de patience, d'endurance et de persévérance qui ont été nécessaires à
l'explorateur pour mener à bien son audacieuse entreprise. Puis, faisant
allusion à la mission Marchand, il a prononcé les paroles suivantes,
saluées par les applaudissements unanimes et répétés de l'assistance :
« Vous aviez été préparé à votre difficile mission par Fadmirable école
de discipline et d'abnégation qui s'appelle l'armée française. Là, chacun
sans s'occuper de son intérêt propre, sans savoir si ce qu'il a fait au
prix de tant de fatigues et de tant de dangers* sera récompensé, sans
savoir même si ses conquêtes augmenteront le patrimoine de son pays
ou seront sacrifiées à de dures nt^ssités politiques, chacun, dis-je,
marche en avant, regardant comme un devoir sacré d'user ses forces et
sa vie dans l'intérêt de tous, sans souci de soi-même. Nous avons eu,
bien des fois déjà, à nous incliner devant ces dévouements absolus et
c'est avec un juste sentiment de fierté que nous saluons un de ceux
qui ont porté si loin — et avec tant de courage — le drapeau national. »
M. Milne-Edwards a annoncé ensuite à M. Gentil que la Société lui
décernait sa grande médaille d'or, la plus haute récompense dont elle
puisse disposer.
LA ROLTE DU TCHAD
Il y a seulement 8 années que les premières tentatives furent faites
pour atteindre le lac Tchad en partant du Congo français. L'initiateur
de cette poussée en avant vers le grand lac soudanais fut Crampel, qui
avait rêvé de prendre possession de ses rives, afin de rendre possible
l'unification de notre empire colonial africain par la jonction du Congo
et du Soudan avec l'Algérie à travers le Sahai;^. Ce rêve, qui n'est pas
encore devenu réalité, mais qui en approche, il ne lui fut pas donné
XXIII (Décembre 98). N« 240. 45
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r
690 REVUE FRANÇAISE
de le voir s'accomplir. On se rappelle comment il fut traîtreusement
massacré dans sa marche en avant au nord de TOubangui par les
émissaires du cheick Snoussi (1891). Dybowski, envoyé pour le ven-
ger, ne put s'avancer au delà de la région atteinte par Crampcl (1891).
Maistre,qui lui succéda, poussa plus avant, atteignit le Chari. jusqu'aux
frontières du Baguirmi, mais ne put s'avancer jusqu'au Tchad, faute
de marchandises, et revint par la Bénoué et le Niger (1892-1893).
Il y eut alors un temps d'arrêt dans la pénétration au nord par l'Ou-
bangui, pendant lequel M. de Brazza ouvrit la voie de la haute Sangha
dans le but de créer ime nouvelle route vers le Tchad. M. Gentil, qui
avait été un de ses collaborateurs, conçut alors, à sa rentrée en France
en 1894, le projet d'atteindre le Tchad par la Sangha. Ayant obtenu du
ministère des colonies les crédits nécessaires pour la constnictioD
d'un vapeur, il partit de France en avril 1895, accompagné de
MM. Huntzbiichler et Vival, avec le vapeur démontable Léon Bhi et
des ravitaillements pour 2 ans. Mais en arrivant à Libreville il reçut
des instructions modifiant son itinéraire. C'est par la voie de TOubangui
qu'il devait chercher la meilleure voie de pénétration dans le bassin du
Chari.
Arrivé de Loango à Brazzaville avec toutes ses charges en 44 jours,
après avoir surmonté les difficultés bien connues de la route de terre,
il repartit de ce point le 28 octobre, y laissant MM. Huntzbûchler et
Prins pour le service des ravitaillements. M. Vival, à peine âgé de 20 ans.
avait été enlevé près de Loango par une fièvre bilieuse hématurique. Le
20 novembre, M. Gentil était rendu à Ouadda, ainsi que M. Le Bihan,
avec son vapeur et 250 charges. La mission disposait alors de 42 tirail-
leurs sénégalais et de 80 porteurs, tous armés.
De Ouadda, M. Gentil remonta d'abord la Kémo, déjà visitée par
Dybowski ; mais cette rivière n'était navigable que sur un faible par-
cours. Il explora ensuite la Tomi et reconnut sa navigabiUté en piro-
gues jusqu'à Krébedjé. C'était un gain de 120 kilomètres sur les 300 en-
viron qui séparaient l'Oubangui du Gribingui. Là fut fondé un premier
poste bien palissade qui servit de dépôt au matériel de la mission. Puis
un 2* poste fut établi à 3 journées de marche au nord. Au mois de
juillet 1896, les charges de l'expédition y avaient été transportées et des
rapports amicaux avaient été noués avec la tribu des Mandjias, qui avait
attaqué Maistre.
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AU LAC TCHAD 691
Mais les perles de verre qui servaient aux échanges pour la nourriture
des hommes de la mission venant à manquer, M. Gentil dut revenir sur
rOubangui et remonter ce fleuve jusqu'à Mobaye, où il put trouver dans
une factorerie ce qui lui était nécessaire. C'était un déplacement de
800 kilomètres. A son retour il rencontra M. Prins qui lui amenait un
convoi de renfort.
Une reprise de la marche en avant porta M. Gentil sur les bords de
la Nana, au confluent d'une petite rivière appelée Goygou, où un 3^ poste
fut établi.
La ligne de partage des eaux des bassins du Congo et du Chari était
franchie. Cette ligne est peu sensible et ne se chiffre que par une alti
tude de 100 mètres au maximum. Au moment où il atteignait la Nana
(sept. 1896), M. Gentil avait été rejoint parM. Joulia, qui lui amenait
15 miliciens. Il avait alors SO Sénégalais et 36 porteurs. La Nana ayant
18 mètres de large et une profondeur suffisante pour recevoir le Léon Blot,
on installa des ateliers et un chantier de construction sur lequel le va-
peur fut mis, le 23 novembre seulement, le personnel étant insuffisant.
L'exploration de la Nana fit connaître que cette rivière, après un par-
cours d'environ 70 kilomètres, se jetait dans un important cours d'eau
nommé Guiroungou ou grande eau, qui n'était autre que le Gribingui
découvert par Maistre. Malheureusement des chutes s'étendaient sur un
parcours de 8 kilomètres, offrant une dénivellation d'une centaine de
mètres. Pendant que cette reconnaissance s'effectuait, M. Joulia rame-
nait un nouveau convoi accompagné de M. Mostuéjouls, mécanicien, et
de l'interprète Ahmed ben Medjkane.
Les rapides empochant la navigation du vapeur, il fallut fonder un
nouveau poste sur le bief navigable. Le 1"' février 1897, M. Gentil
quittait le poste de Nana A pour aller créer celui de Nana B . 11 fallut refaire
de nouveaux chantiers, construire d'autres abris, remettre la coque sur
cale, procéder au montage de la machine et de la chaudière, et monter
à côté une baleinière en acier. En avril, le Léon Blot faisait ses essais.
Mais, de nouveau, la faiblesse des moyens mis à la disposition de la mis-
sion se faisait sentir : on était sur le point de manquer de perlçs. Il
fallut encore organiser un convoi et renvoyer M. Prins à Ouadda pour
chercher de nouveaux subsides. Cet agent exécuta rapidement sa mission.
A Ouadda, il se rencontra avec le chef de station, Fredon, qui amenait
du matériel, des vivres et un premier détachement de 30 miliciens. Le
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692
REVUE FRANÇAISE
capitaine Marchand se trouvait également là; et, sachant les besoins de
la mission, spontanément, il mit à sa disposition 800 thalaris de Marie-
Thérèse.
Pendant que les préparatifs se poursuivaient pour la descente du
Chari, M. Gentil apprit avec une vive satisfaction que des renforts
allaient lui parvenir. En effet, le ^ août, M. de Kovera arrivait au cam-
pement du Gribingui avec 35 honmfies de renfort et des caisses de
perles. Ainsi ravitaillée la mission allait pouvoir descendre le Chari.
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I
RAPPORTS AVEC LES SNOUSSI
L'arrivée des Européens n'avait pas été sans inquiéter, les musulmans
de Snoussi, instigateurs du massacre de Crampel.
« Ayant appris notre présence dans le pays, dit M. Gentil» ils s'étaient
avancés jusqu'à deux joui-s et demi de marche de la station du Gri-
bingui et, ignorant nos intentions, se méfiant de représailles au sujet
du meurtre de .Crampel, ils s'étaient, eux aussi, solidement retranchés.
C'est de cet endroit nommé Yani Mandji qu'ils nous envoyèrent deux
émissaires escortés d'une trentaine de soldats. L'un nommé El Hadj
Tekour était un Haoussa ayant accompli plusieurs pèlerinages à la
Mecque, et l'autre un Tripolilain presque blanc nommé Salah. Ils étaient
porteurs d'une lettre exprimant, au milieu de compliments de bienve-
nue, l'appréhension d'hostilités de notre part. De l'affaire Crampd, pas
un mot. 11 nous apportaient quelques chevaux, des ânes et des bœufs
porteurs, moitié en cadeaux, moitié pour vendre.
Je répondis à ce message par une lettre dans laquelle j'exprimai nos
intentions pacifiques et notre désir d'entrer en relations commerciales
avec les musulmans. Dans ces circonstances, il fallait nous armer de
patience et nous résigner à ne pas bouger. La faiblesse de nos effectifs
ne nous permettait pas, en effet, de nous lancer sur la Chari en laissant
derrière nou^ des agents et des troupes en trop petit nombre pour être
en sécurité. »
a Les envoyés de Snoussi étant revenus, des relations s'étd)lirent cor-
diales. Malheureusement, en retournant chez eux, le Tripolitain Salah
fut assassiné, ses bagages pillés, à une journée de marche du poste, par
les païens Tambuco. Cet événement, qui aurait pu être gros de cwisé-
quences, car il fut un moment considéré comme les représailles du
meurtre de Crampel, n'eut heureusement pas de suites fâcheuses pour
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AU LAC TCHAI) 693
nous. Les gens de Snoussi se rendirent assez vite compte que nous
n'étions pas les instigateurs de ce crime, d'autant que je m'offris à
servir d'intermédiaire entre eux et les païens pour rentrer en possession
des objets volés. »
Si les gens de Snoussi n'avaient pas admis les explications qui leur
furent données» la mission était immobilisée pour longtemps. 300 kilo-
mètres, en effet, la séparaient de l'Oubangui — de i'^ST' jusqu'à 7°1'
nord — et il n'y avait pas à espérer le moindre appui des indigènes des
pays traversés. Faute de personnel, tous les postes intermédiaires, au
nombre de 6, avaient dû être successivement évacués. Et cependant les
bonnes relations établies avec les indigènes permettaient de faire passer
des courriers.
MOEURS ET TYPES INDIGÈNES
Les pays compris entre l'Oubangui et le Gribingui est généralement
plat (420 m. environ au-dessus du niveau de la mer). Dans les plaines,
les gommiers, raphias, borassus servent de pâturage à un gibier très
abondant. Les antilopes et les éléphants y vivent en troupes nombreuses.
Parmi les animaux féroces l'hyène et le léopard dominent.
Sauf dans les espaces séparant les tribus, la population est dense.
Toutes les peuplades, sauf les Mandjias, parlent un dialecte uniforme
avec quelques légères variantes» Elles sont en général peu intéressantes.
« Ce qu'on peut dire d'une de ces peuplades s'applique à toutes.
Leurs cases, très basses, sont rondes, construites en terre battue et cou-
vertes d'un toit rond en chaume. En guerre les unes avec les autres,
elles sont séparées par des zones assez vastes qui constituent des ter-
rains de chasse. Les environs des villages sont cultivés. On y trouve
en quantité du mil, du maïs, du coton et quelque peu de manioc. Les
animaux domestiques qu'ils élèvent sont peu variés : des chèvres, des
poules, et c'est tout. C'était néanmoins assez pour que nous pussions
nous approvisionner de vivres pour nous et notre personnel noir à des
prix très modiques. Nous achetions, en effet, une très belle chèvre pour
7 à 8 cuillers de perles, soit environ une valeur de 0 fr. 70.
Les hommes, de visage peu agréable, aux lèvres épatées, aux
narines larges, ont cependant un corps admirable. Quant aux femmes,
elles ne rappellent que de fort loin les types du beau créés par notre
^stbéti^ue. De bon^e heure assujetties aux durs labeurs de la terre, elles
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694 REVUE FRANÇAISE
vont à peine vêtues, objets de plaisir dans leur jeunesse tôt flétrie,
instruments de travail dans leur âge mûr. Le tissage du coton et la fabri-
cation du fil sont réservés aux hommes, qui savent «e confectionner dei
blouses assez grossières qu'ils revêtent rarement.
Si primitifs que soient ces gens, ils n'en furent pas moins pour nous
des auxiliaires précieux. I.,es séjours forcés que nous fîmes sur notre
trajet nous permirent de trouver parmi eux les 2.000 porteurs néces-
saires au transport de notre vapeur et de notre matériel. El si Ton songe
à la dc'Qance instinctive de tous ces pauvres gens en lutte continuelle
avec les razzieurs musulmans, on comprendra que le résultat était
appréciable. Et malgré ce concours c6 ne fut que deux ans après notre
départ de France que nous réussîmes enfin à mettre à flot le Léon Bfol
sur un affluent du Chari. »
DESCENTE DU CHARI
1^ 21 août 1897, le Léon Blot appareillait enfin, en route pour le
Tchad. Les eaux, très hautes, avaient une crue de 6 m. 50 et atteignaient
les branches des arbres surplombant la rivière, de sorte que, en certains
endroits, le passage avait à peine une dizaine de mètres de large. Le
paysage est peu varié. Les berges sont boisées; mais la pluie qui tombe
et les inondations éloignent les habitants des bords du fleuve.
Le 28 août, les vivres commencent à manquer.
« Heureusement, dit M. Gentil, que nous rencontrons sur les rives très
élevées deux indigènes surpris par la pluie que nous réussissons à foire
approcher. On leur donne quelques petits cadeaux. Malheureusement
ces gens parlaient une langue différente de celle que nous avions ren-
contrée jusqu'à ce jour. On dut remplacer la parole par le geste et on
finit par s'entendre. Ces indigènes, que nous sûmes plus tard être des
Alitou. parlent un dialecte sara. Ils portent le classique costume décrit
par Nachtigal et Maistre, c'est-à-dire, un tablier de cuir par derrière.
Nous nous approvisionnons de quelques vivres* et nous poursuivons
notre route. Le paysage change, les rives sont élevées et en maints en-
droits des collines boisées à pic succèdent aux falaises rougeâtres et aux
berges caillouteuses. »
Le 30 août, on débouche sur une grande rivière de plus de 100 mè*
très de largeur. C'est le Bamingui, ou Bahr el Abiod, ou plutôt le Chari.
Le Gribingui n'était donc qu'un affluent du Bamingui, leqael formait
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AU LAC TCHAD 695
bien réellement le cours supérieur du Chari. On était à 8** 35' de lati-
tude. M. Gentil s'arrêta au confluent des deux cours d'eau pour mesurer
la largeur du fleuve, qui était de 180 mètres. Il fallut en bâte poursuivre
la route, car les vivres manquaient de nouveau ; on avait partagé une
boîte de sardines entre 4 hommes I ''
« Après avoir noté 3 affluents importants, le 1**^ septembre, on aper-
çoit sur la rive gauche une plantation de mil. On s'approche; ceux qui
la surveillent se sauvent d'abord, puis finissent par s'amadouer. Bientôt
on vient vendre. On apporte en quantité du mil et des giraumons. Nous
sommes chez les Kaba Bodo. Le village de Mandjatezzi, où Maistre s'est
arrêté, est situé à 3 journées de marche dans l'intérieur. Les hommes
sont vêtus du classique tablier de cuir. Quant aux femmes, la plupart
sont nue». Quelques-unes ont une espèce de pagne en corde tressée ou
des colliers en perles de fer qui ne les voilent qu'imparfaitement. Ces
indigènes, qui possèdent des chevaux, des moutons et des chèvres, sont
aussi des pêcheurs. Ils nous vendent du poisson fumé à des prix très
modiques. Leurs pirogues sont petites, larges de 0 m. 60, longues de
5 mètres au maximum. Us ont comme ornements des bracelets de cuivre
coulé, dénotant de leur part un certain sens artistique.
<t Nos provisions faites, nous partons. A 2 ou 3 000 mètres le fleuve
s'agrandit, des îles nombreuses se montrent. Le pays est très peuplé,
des villages se dressent sur les rives ou sur les îles. La population entière
semble s'être donné rendez-vous sur les berges pour contempler cette
chose qui marche toute seule. Personne n'a l'air étonné. Le sifflet seul
de la chaudière les émeut. »
On traverse rapidement le pays des Tounia, où on s'approvisionne
de chèvres et de poules, et, le 3 septembre, on s'engage dans une zone
déserte. Bientôt on arrive chez les Niellim, les premiers païens soumis
au Baguirmi.
ËNTRËB AU BAGriRMI
Pendant deux jours, on vogue parmi les tribus païennes, très denses,
très nombreuses des Miltou, des Boas, des Saroua et le 7 septembre
on mouille au village deBousso.
« Nous étions dans le vrai Baguirmi. On demeure étonné en voyant
combien rapidement s'exerce l'action musulmane parmi les peuplades
païennes. Il y a 50 ans, les Boussoa n'étaient pas supérieurs aux autres
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païens que nous venions de traverser. Aujourd'hui, tous vêtus, ayant le
sentiment d'une hiérarchie, d'une autorité, tout ce monde semblait avoir
derrière lui des siècles de civilisation. Nous sortions de la barbarie,
nous tombions en plein moyen âge, et 50 ans à peine avaient suffi pour
faire franchir à ces primitifs une telle étape. Grâce à Ahmed, Taccueil,
d'hostile qu'il était au début, devint bientôt meilleur. Toutefois nous ne
réussîmes pas à faire porter un message au sultan du Baguirmi» dont
la résidence était située à cinq jours de marche de là. Force donc nous
fut de reprendre notre route. »
Les rives du Chari, assez élevées, sont très peuplées. Aux arrêts,
M. Gentil cherche à obtenir des détails sur le voyage de Nachtigall, qui
a franchi le Chari en ces parages. On lui répond que ses compagnons
et lui sont les premiers Européens qu'on voit dans la région, que tout
le pays est terrorisé par la vue de cette maison qui marche sur Feau.
« Certains même disent qu'ils nous ont vus descendre du ciel après un
orage très violent. » Bien que la partie intelligente de la population ait
entendu parler des vapeurs, par ceux d'entre eux qui ont accompli le
pèlerinage de la Mecque, on s'imagine aisément que l'impression pro-
duite par l'arrivée si soudaine de la mission ait été plutôt de la crainte.
A Monde, région commandée par Souleyman, beau frère du sultan
du Baguirmi, M. Gentil trouve un esclave qui veut bien se charger d'une
lettre pour le sultan Gaourang. Puis la mission continue sa route. Mais,
h Baleignéré, les nolables de l'endroit l'invitent à yattendre une réponse
du sultan. Une nouvelle lettre est alors confiée à un des Sénégalais les
plus intelligents, Boubakar, avec mission de la porter à Massenia, la
capitale.
Douzejours après Boubakar revient avec une réponse insignifiante,
mais accompagné par 3 conseillers du sultan, qui déclarent que celui-ci
consent à recevoir le chef des chrétiens. En môme temps ils apprennent
que le véritable meurtrier de Crampel était Rabah, qui avait dû ses pre-
miers succès aux 300 fusils modernes enlevés au malheureux explora-
teur. Attaqué par Babah, le Baguirmi avait beaucoup souffert et serait
heureux de trouver un allié contre ce chef. M. Gentil résolut aussitôt
de se rendre à Massenia. Il descendit le Chari jusqu'à Bougouman, re-
monta ensuite le Bahr Erguiez (rivière étroite), qui n'eM qu'un bras du
Chari, et en 5 jours parvint à Maggi, à une vingtaine de kilomètres de
Massenia.
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AU LAC TCHAD
697
CHEZ LE SULTAN DU BAGUIRMI
« Très bien accueillis à Maggi, nous attendons en ce point les messa-
gers du sultan qui viennent nous chercher deux jours après. Je pars
avec Ahmed et cinq ou six Sénégalais. On nous donne des chevaux.
Mais au heu de nous faire franchir d'une seule traite la distance de
Comité de l'Afrique française.
M. (jENTIL.
iMaggi à Massenia, on nous fait coucher au village arabe de Blane. Le
chef Youssef nous apporte du lait frais, du lait caillé et du beurre
tant que nous en pouvons souhaiter.
Le lendemain de bonne heure nous nous mettons en route. Nous
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698 REVUE FRANÇAISE
sommes bientôt rejoints par une magnifique escorte de cavaliers aux
vêtements de soie, montés sur de beaux chevaux richement harnacha,
qui augmente au fur et à mesure que nous nous rapprochons de Mas-
senia. On s'arrête au milieu d'une grande plaine et tout ce monde exé-
cute devant nous une brillante fantasia.
Nous arrivons enfin devant 1^ remparts de Massenia en partie détroits
par les Ouadaïens en 1870 ; ce qu'il en reste prouve l'importance qu'avait
Massenia au temps de Barth ; les murailles construites en briques sèches
n'ont pu être détruites par les Ouadaïens que grâce aux mines qu'ils
avaient pu faire placer secrètement par des tralU^.
Avant de pénétrer dans Massenia les cavaliers se rangent derrière nous.
Les fusiliers de la garde du sultan sortent de la ville et viennent défiler
devant nous en agitant leurs armes et en chantant sur un rythme bizarre :
« La Allah illah Allah Mohammed rassoul Allah. » Après cette tou-
chante manifestation, on nous invita à pénétrer dans la ville.
J'avoue avoir éprouvé un peu de désilluston, Massenia ressemble plu-
tôt à un immense campement qu'à une capitale, les maisons sont bien
moins jolies et moins bien construites qu'à Maïnfa ou à Baleignèré :
on dirait quelque chose de provisoire. Comme je faisais part de mon
étonnement à quelques personnages qui m'entouraient, on m'apprit
qu'après la lutte soutenue contre Rabah il y a cinq ans, on avait décidé
d'abandonner ce point. Mais peu à peu la sécurité étant revenue, on s'y
réinstallait définitivement. On avait déjà reconstruit une mosquée en
briques sèches et on allait refaire le palais du sultan, après quoi on ré-
installerait toute la ville.
Nous traversons les ruelles bordées de nattes en paille tressée et on
nous conduit chez notre hôte le schiromo, premier ministre et précep-
teur du fils du sultan. Nous avons un logis très confortable où nous
pouvons faire une toilette sommaire, après quoi on vient nous prendre
pour nous mener devant le palais du sultan, qui forme un véritable
village dans la ville.
Entouré de palissades de tous côtés, on n'aperçoit que des toits eu
forme de dômes en paille tressée très élégamment et se tenninant par
une pointe sur laquelle est enfilée un œuf d'autruche. Nous nous arrê-
tons devant l'entrée principale et durant une heure, sous un soleil de
plomb, nous dûmes assister à un nouveau défilé des troup», et à des
fantasias remarquablement exécutées. Les femmes, exclues de ces céré-
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AU LAC TCHAD ÔÔ9
montes, contemplent lés soldats derrière des abris en paille et mani-»
festent leur enthousiasme par des c you-you ï> perçants.
Enfin la porte s'ouvre ; le chef des esclaves, ayant derrière lui une
douzaine de serviteurs, s'avance vers nous et nous revêt de deux boubous,
Tun bleu, lautre blanc, et en donne un à Ahmed. Après quoi on nous
invite à nous retirer chez nous. Il n'y a pas que chez les nations euro-
péennes que les grands font faire antichambre. Nous rentrons donc
chez nous prendre un peu de repos que la chaleur du jour et les fatigues
de la réception rendaient indispensable, après qu'on nous eût prévenu,
que le sultan nous recevrait le lendemain en audience publique.
De bonne heure nous nous mettons en route. Comme j'étais plutôt
en assez piètre équipage, jSvais fait revêtir à Ahmed son plus beau cos-
tume. Après une attente de dix minutes sur la place, on nous intro-
duit.
Le sultan, installé dans un grand hall carré recouvert de draperies
multicolores, est â l'abri des regards indiscrets derrière une natte.
Devant le hall est 'une immense tente en poil de chameau sous laquelle
se tiennent assis les ministres et les notables. Avant de prendre place
à droite et à gaucho du sultan, tous s'agenouillent et mettent leur front
à terre. Debout au milieu de ce monde, je présente mes compliments au
sultan et, ne désirant pas me compromettre, je lui fis expliquer par
Ahmed le but pacifique de notre mission et notre désir d'établir des re-
lations commerciales avec le Baguirmi. Il nous répondit qu'il était heu-
reux de nous recevoir chez lui et qu'il verrait volontiers les Français
trafiquer dans son pays.
Nous nous retirons ensuite sans l'avoir vu. Dans l'après-midi je voulus
visiter la ville et je m'arn'^tai au marché. Malheureusement l'heure des
transactions importantes n'élait pas arrivée et comme on me fit com-
prendre que l'envoyé d'un grand pays ne pouvait, sans risques de
compromettre sa dignité, se mêler ainsi au vulgaire, je dus regagner
mon logis. J'en avais cependant assez vu pour me rendre compte qu'un
Européen pouvait trouver hà à [)eu près tout ce dont il pouvait avoir
'besoin, tant au point de vue vivres qu'au point de vue marchandises.
Rentré chez nous, nous recevons la visite de personnages importants,
de lettrés, et nous terminons la journée [)ar une causerie fort intéres-
sante qui me permit de réunir de nombreux documents géographiques,
historiques et politiques sur le pays. Vers 6 heures du soir, 50 esclaves
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700 REVUE FRANÇAISE
entrent chez nous et nous offrent de la part du sultan des vivres de toute
espèce, des friandises de toute sorte. Comme nous sommes trop peu
nombreux pour consommer le tout, nous nous attirons une grande popu-
larité en faisant distribuer notre superflu aux pauvres.
Ce ne fut que dans la nuit du lendemain que le sultan Gaourang me
donna une audience privée. Môme au Baguirmi le protocole a des exi-
gences. M'étant informé si je pourrais m'asseoir autrement qu'à terre en
présence du sultan, il me fut répondu que cela n'était pas possible. Je
dus déclarer que si je ne devais pas rester longtemps je consentais à
rester debout, mais que si l'audience se prolongeait je refusais, comme
envoyé d'un grand pays, de m'asseoir par terre. On fut obligé d'en
référer au sultan qui, très gracieusement, m'invita à faire apporter un
siège. Cette concession, minime en apparence, nous valut d'être traités
avec une grande considération par tout l'entourage du sultan.
Nous quittons donc notre demeure vers une heure et demie du matin
pour nous acheminer vers le palais. Ahmed et mon domestique m'ac-
compagnaient. On nous fit pénétrer dans une série de cours renfermant
de nombreuses habitations garnies de sentinelles en armes. Après quoi
on nous introduisit près du sultan.
Assis dans la môme salle où il nous avait reçus en audience publique
sur une espèce de trône en bois recouvert de tapis très épais, le sultan
nous reçut très cordialement. Il était vêtu d'un pantalon en gros dr^
bleu soutaché de broderies noires et de vêtements arabes très riches ; sa
tète était entourée d'un turban blanc brodé d'or. Auprès de lui, des
parfums brûlaient dans deux cassolettes en cuivre repoussé. La salle
était éclairée par la lumière d'une douzaine de bougies renfermées dans
des lanternes pliantes. Une vingtaine de sentinelles en armes se te-
naient derrière lui et, trouvant peut- être que c'était insuflisant, il avait
à portée de la main cinq fusils chargés. Si gracieux qu'ait été l'accueil,
j'avoue avoir éprouvé durant les premières minutes une certaine gêne
qui se dissipa bientôt en présence de la cordialité qui ne cessa de r^er
pendant cet entretien.
Agé de 32 ans le sultan Mohammed Abdel Rhaman Gaourang avait
un visage agréable quoique légèrement marqué par la variole. Le peu
d'exercice qu'il prend ^t cause qu'il est affligé d'un certain embonpoint
qui, suivant toute probabilité, ne fera que s'accroître. Fils du sultan
Abdel Kbader qui régnait sur le Baguirmi 4ll temp degafth. il ^ passé
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^'^^^^tiJhi^
Koui
12
JO /
4
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AU LAC TCHAD 701
presque toute sa jeunesse au Ouadaïoù illit toutes ses études. Très instruit et
1res juste envers son peuple, il est aimé de tous, d'autant que, pour cou-
ronner le tout, il jouit parmi les siens d'une grande réputation de bra-
voure.
Notre causerie ne dura pas moins de une heure et demie et roula sur
la France, sur Crampel, surRabah, et sur la politique générale à suivre.
C'est de cette nuit-là que fut décidé en principe la signature d'un traité
entre le Baguirmi et la France.
Notre séjour à Masseniase prolongea quinze jours. Je revis le sultan
presque tous les jours, une fois en audience publique où seul j'étais
assis sur un tapis et les autres fois pendant la nuit. Pendant les autres
entrevues, il ne s'entourait plus du même luxe de précautions. Nous
finîmes même par nous voir seul à seul avec Ahmed comme interprète
et comme témoin.
Outre cela, on sortait deux fois par semaine en grande pompe et on
allait faire une tournée aux environs. J'accomp.agnais naturellement
Gaourang dans toutes ses sorties et son grand plaisir était de faire ma-
nœuvrer devant nous ses soldats. »
ARRIVÉE AU TCHAD
Le 20 octobre, M. Gentil quittait le Baguirmi pour reprendre la route
du Tchad. A Bougouman, il rentrait dans le bras principal du Chari et
pénétrait bientôt dans les pays soumis à Rabah. Le 27, on arrivait au
confluent du Logone, fleuve d'une belle largeur, au courant rapide. C'est
sur le Logone, un peu en amont du confluent, que se trouve Koussouri,
la première localité où Rabah ait une garnison. Plus loin, une autre oc-
cupait Goulfeï, mais elle quitta la ville à rapproche, de la mission. Les
habitants, naguère sujets du Baguirmi, étaient massés sur les berges du
Chari pour saluer au passage le Léon Blot. En présence de cet accueil
sympathique, M. Gentil s'arrêta et fut amplement fourni de vivres.
En amont de Goulfeï, le Chari se divise en trois branches importantes
avant de se jeter dans le lac Tchad. C'est celle de Goulfeï que suivit
M. Gentil. Le 30 octobre 1897, il débouchait enfin dans ce mystérieux
lac Tchad, pour la conquête duquel Crampel avait fait le sacrifice de sa
vie. Une immense nappe d'eau s'étendait à perte de vue devant les ex-
plorateurs. Au loin apparaissait une série de petites îles et, sur la rive,
une hauteur s'élevant à 46S mètres. Après avoir effectué dans le lac un
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702 REVUE FRANÇAISE
parcours de 30 kilomètres, constaté que ses bords étaient accessibles et
point marécageux dans cette région, M. Gentil reprit la route du Chari.
Sa provision de bois, pour le chauffage de la machine, s'épuisait rapi-
dement et il n'y avait pas possibiUté de la renouveler à rembouchure
du Chari. En outre, Habah, déjà hostile, pouvait être amené à dispu-
ter à la mission la route du retour, et tous les résultats précédemment
acquis auraient pu être compromis.
M. Gentil revint donc rapidement sur ses pas. Au Baguirmi, il laissa
comme résident, avec quelques Sénégalais, M. Prins, qui revenait d'une
mission heureusement accomplie près du cheick Snoussi. Au poste de
Gribingui, où resta le Léon Blot, il reprit la route de TOubangui. Le
26 oiai 1896, il arrivait au Gabon et, le SO juillet, plus de trois années
après son départ, débarquait à Marseille avec les ambassadeurs baguir-
miens que le sultan envoyait en France.
L'exploration Gentil tiendra une des pr^ûéres places parmi toutes
celles qui ont eu pour objectif la pénétration au oceur de l'Afrique.
Conduite avec autant de prudence que de fermeté elle a pleimmeoi
réussi à atteindre son but : le lac Tchad. Le dévouement des collabora-
teurs de la mission a compensé largement l'insuffisance des moyens mis
à la disposition de l'explorateur. Malgré des fatigues de toute nature la
mission n'a perdu qu'un seul de ses membres européens, le jeune Vival,
enlevé à la ffeur de Tàge peu après son débarquement au Gabon.
L'exploration Gentil a nettement déterminé la situation géographique
du Chari et de ses affluents méridionaux voisins de l'Oubangui. Cq)en-
dant le cours du Logone et celui de la rivière Ouom, restent encore à
établir d'une façon précise.
En descendant le Chari, M. Gentil a constaté qu'un des aiQuents de
droite avait un débit d'eau considérable. Cet affluent ne serait-il pas le
véritable cours du Chari? Les reconnaissances que ne peuvent manqua*
d'effectuer les missions envoyées au Baguirmi, feront sans doute connaî-
tre quel est le véritable cours supérieur du plus grand tributaire du lac
Tchad.
Rabau au Baguirmi.
La situation s'est profondément modifiée au Baguirmi, depuis le retour
de M. Gentil, par suite des incursions de Rabah* Cet ancien esclave
devenu tout-puissant-dans la région du Tchad depuis qu'il a conquis le
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AU LAC TCHAD 703
Bornou, avait autrefois éprouvé une vive résistance en traversant le
Baguirmi, qu'il u avait pu réduire (1893). A cette époque, le sultan Gaou-
rang s'était fortifié à Maïnfa, sur le Chari, avec quelques centaines
d'hommes. Rabah vint l'y attaquer et l'assiégea pendant 5 mois. Déses-
pérant d'être secouru, Gaourang, avec loO hommes, fit une sortie im-
pétueuse, traversa les lignes des assiégeants et put rentrer dans Mas-
senia, sa capitale.
Renonçant à soumettre un adversaire aussi énergique, Rabah conti-
nua sa route sur le Tchad et le Bornou, dont il s'empara avec l'aide
d'Ayato, sultan de Belda, fils révolté du sultan du Sokoto. Puis il s'ins-
talla à Dikoua, dont il fit sa capitale. Cette ville, située au sud du lac
Tchad, se trouve dans la sphère allemande du Kameroun.
Lors de l'approche de la mission Gentil, les troupes de Rabah, éta-
blies à Goulfeï et sur le Chari, se retirèrent à l'intérieur, Rabah suppo-
sant que nous venions venger le meurtre de Crampel dont il avait été
l'instigateur. Mais après le départ de la mission, les troupes de Rabah
apparurent de nouveau et mirent au pillage les villes coupables seule-
ment de nous avoir fait bon accueil. Les habitants furent massacrés ou
emmenés en esclavage.
Enfin une note de M. Mercuri, membre de la mission de Béhagle,
datée du camp de Cza (9 août i898), sur le Ba-Bousso, branche princi-
pale du Chari, fait connaître que Rabah a attaqué le sultan Gaourang
et Ta chassé de sa capitale Massenia. Rabah, qui connaissait sans doute
le traité de protectorat que nous avions signé avec le sultan, a voulu
prévenir l'arrivée d'une autre mission en se débarrassant auparavant
du sultan du Baguirmi. Celui-ci, notablement inférieur en forces — il
n'avait que 400 fusils à opposer aux 8.000 dont dispose Rabah — n'a
pas voulu attendre le choc et a incendié sa capitale, qu'il ne pouvait
défendre.
n s'est ensuite retiré à Cza, où se trouvait l'avant-garde de la mission
de Béhagle, afin de s'appuyer sur son escorte. De son côté, M. Prins,
qui remplissait les fonctions de résident au Baguirmi, s'y trouvait égale-
ment avec ses 12 tirailleurs.
Depuis ce temps, M. Bonnel de Mézières, qui arrivait d'Europe avec
une troupe de renfort destinée à la mission de Béhagle, a dû quitter
Bangui, où il se trouvait, pour se porter sur le Gribingui et le Chari.
Enfin, M. Bretonnet, qui ramène de France les ambassadeurs du Baguir-^
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704 REVUE FRANÇAISE
mi et se trouve à la tête d'une importante mission, est en roule pour
rOubangui. Lorsque toutes ces forces seront réunies sur le Ghari, le
sultan Gaourang pourra défier les attaques de Rabah et sera même en
mesure de reconquérir les ruines de sa capitale.
Le Baguirmi se trouve en dehors des compétitions de TAnglelOT^
et de TAllemagne, et la France y a ses coudées franches. Il importe
donc de s'y installer d'une manière solide et sans plus tarder, afin de
prendre possession des rives nord et est du lac Tchad que nous rec(MJ-
naissent les traités passés avec l'Allemagne et l'Angleterre en 1894
et en 1898.
Tout récemment, des journaux britanniques, mis en goût d*extensi(»i
coloniale, ont lancé l'idée d'une ligne de possessions anglaises allant du
Niger au Nil, coupant ainsi en deux la ligne française d'Alger au Congo.
Bien que ce ne ne soit là qu'un ballon d'essai, que rende inexécutable
la convention franco-anglaise, assurant à la France la rive septentrionale
du Tchad, il n'en faut pas moins tenir compte de l'état d'esprit qui se
manifeste chez quelques-uns de nos voisins d'Outre*Manche, car on
connaîtieur insatiable appétit colonial. Une nous suffit donc pasd'avcHr
des droits, il faut occuper effectivement.
L'occupation du Tchad doit d'autant plus attirer notre attention, que
la question de création du Transsaharien se pose de nouveau avec une
actualité indiscutable. Le lac Tchad est le terminus indiqué d'un che-
min de fer à travers le Sahara, et ce chemin de fer n'est exécutal)leque
sur territoire français. La jonction des possessions françaises du Congo,
du Soudan et de l'Algérie existe sur les cartes en vertu des traités. H
faut maintenant qu'elle existe sur le terrain, consacrant ainsi la réunion
en un seul bloc, de toutes les colonies françaises de l'Afrique occi-
dentale.
A. MONTELL.
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■^.Tf
NECESSITE DU TRANSSAÏÏARIEN
Il n'est rien de tel que le temps et la marche naturelle des événe-
ments pour amener la solution des questions jugées les plus difficiles à
résoudre. La preuve en est dans cette question de chemin de fer trans-
saharien qui revient aujourd'hui à Tordredu jour après une éclipsedequel-
ques années. Et il n'est pas moins intéressantde constater en même temps
la conversion d'un publicisteéminent, M. Paul Leroy-Beaulieu, qui, nul-
lement favorable jadis à la construction de ce transafricain, en reconnaît
aujourd'hui la nécessité dans un article que nous reproduisons plus
loin.
La situation s'est, du reste, profondément modifiée. Lorsque — il y a
une vingtaine d'années — il fut question de créer le Transsaharien, on
n'était d'accord ni sur le point d'arrivée, ni môme sur le point précis
de départ, chacun des trois départements algériens voulant avoir celui-
ci sur son territoire. Mais un fait plus grave dominait le débat : que
le terminus^ du chemin de fer fût sur le Niger, sur le lac Tchad ou entre
les deux, aucun de ces points n'était territoire français et, sur la région
comprise entre le Niger et le Tchad, on ne possédait encore que des no-
tions assez values. Comment dans ces conditions faire aboutir une
voie ferrée au delà du Sahara sur un territoire qui pouvait tomber au
pouvoir d'une puissance européenne autre que la France?
A cette époque le drapeau tricolore flottait à peine sur le haut Niger ;
nous étions à une distance considérable du coude formé par la boucle
du Niger et à une distance bien plus grande encore du lac Tchad, qui
apparsdssait à nos esprits comme un but perdu dans un lointain mirage^
Depuis lors les événements ont marché, à la suite de nos explorateurs
et de nos soldats. Tombouctou est français depuis 1893 ; le Niger, re-
connu par la mission Hourst, en 1896, est sur le point d être occupé dans
tout le coude formé par son cours. Enfin le lac Tchad, est sorti du mys*
tère dans lequel il était enveloppé M. Gentil a fait flotter sur ses eaux le
premier bâtiment européen et ce bâtiment portait pavillon français*
Encore un peu de temps et de patience et les rives septentrionale et
orientale du Tchad, reconnues par la convention franco-anglaise du
14 juin 1898 (art 4) — et ce n'est pas là le moins important —
comme rentrant dans notre sphère d'influence, seront efleetivement
XXIII (Décembre 98). N^ 240. 46
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706 REVUE FRANÇAISE
occupées. Ce sera sans doute l'œuvre de plusieurs années, mais il n'en
faudra pas moins de temps pour amorcer et mettre en train la construc-
tion du Transsaharien.
Uuand un chemin de fer aura ainsi soudé rAIgérie au Soudan, un
pas énorme aura été fait pour la mise en valeur, la défense et la liberté
des communications de toutes les possessions françaises de l'Afrique
occidentale. En effet le Transsaharien, aboutissant soit au Niger soit au
Tchad, aura pour effet de relier directement et rapidement l'Algérie au
Soudan. Or, si l'on se place seulement au point de vue stratégique,
l'Algérie, par sa situation voisine de la métropole, par l'importance de
ses ressources, de sa population, de ses forces militaires, est le point
d'appui le plus naturellement indiqué pour le Soudan et les côtes de
Guinée, en cas de guerre maritime ou d'invasion. C'est par l'entremise
du Transsaharien que les corps de troupes, les ravitaillements en vivres
et en munitions pourront pénétrer facilement dans les régions du Niger
et du Tchad. D'Alger à Tombouctou ou au Tchad, 8 jours sufBront am-
plement, tandis qu'il faut aujourd'hui deB à 6 semaines pour atteindre
le premier point par la voie la plus rapide, et 2 mois pour arriver seu^
lement au coude de l'Oubangui, dans la direction du Tchad.
Enfin le télégraphe suivant le Transsaharien assurerait la liberté de
communication avec le Soudan et toutes nos possessions de la côte oixi-
dentale d'Afrique, les affranchissant de leur assujettissement aux câbles
britanniques, seule communication actuellement existante entre elles
et la métropole.
La guerre hispano-américaine a suffisamment démontré l'importance
des conmiunications télégraphiques. Si les Philippines avaient été
reliées au continent par un câble, le 12 août, jour de la signature des
préliminaires de paix, Manille n'aurait pas été attaquée et prise le 13,
et les Philippines seraient sans doute restées en grande partie âFEspagne.
Au point de vue strat^que, le seul envisagé en ce moment, il est
donc du plus haut intérêt d'avoir à bref délai, surtout sous le coup
d'une menace de guerre que nous fait miroiter l'Angleterre, la pleine
et entière liberté de communication avec nos possessions de l'ouest
africain. Et comme, en cas de guerre maritime, ces communications, qui
existent que par mer, nous seraient certainement coupées, c'e^t par
terre, c*eât-à-dire par le Sahara, qu'il faut à tout prix les établir.
Quand on a vu avec quelle facilité et avec quelle rapidité les Anglais
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NÉCESSITÉ DU TRANSSAHAKIEN 707
ont pu créer de toutes pièces, en moins d'un an, une voie ferrée de plus
de 500 kilomètres à travers le Sahara nubien d'Ouadi Halfa à Berber,
chemin de fer qu'ils vont prolonger rapidement de 300 kilomètres pour
arriver jusqu'à Karthoum, on se demande ce qui pourrait nous arrêter
pour notre Transsaharien. L'argent, les hommes, les dévouements, on
les trouvera. Ce qu'il faut, c'est peser de tout le poids de l'opinion publi-
que inquiète sur le gouvernement et les pouvoirs publics, pour les
décider, besogne ardue, à entreprendre cette grande œuvre d'intérêt
national. G. D.
Voici l'article, publié par les Débals et V Economiste français, dans
lequel M. Leroy-Beaulieu, après avoir critiqué notre méthode insuffi-
sante de pénétration en Afrique, préconise une méthode plus rationnelle
en s'appuyant sur Je Transsaharien :
« Cette méthode consiste à restituer à notre empire africain sa vraie
base, qui est l'Algérie et la Tunisie ; à faire maintenant de la pénétration
du Nord au Sud ; à unifier, par la construction du Transsaharien, notre
empire africain, dont l'unité n'existe actuellement que sur les cartes.
Quand l'ingénieur Duponchel, ily a plus de vingt ans, lança cette idée du
chemin de fer traussaharien ; quand, depuis lors, elle fut reprise et soute-
nue par un autre ingénieur, Georges Rolland, on ne se plaçait qu'au point
de vue commercial ; l'utilité de l'entreprise, dans ces conditions, pou-
vait être l'objet de contestations ; le trafic était bien difficile à évaluer :
quelques-uns affirmaient qu'il serait nul ; les promoteurs de l'affaire
tenaient qu'il aurait une grande importance ; il est probable que l'on
exagérait des deux côtés ; en tout cas, on n'avait aucune donnée qui
permit un calcul approximatif.
D'un autre côté, on ne savait pas alors, il y a vingt ans ou même dix
ans, en France du moins, construire des chemins de fer à bon marché.
Un chemin de fer d'environ 2.000 kilomètres, pour aboutir au lac Tchad
ou à un point mitoyen entre ce lac et le Niger paraissait devoir coûter
800 à 900 millions de francs. Quoique M. de Freycinet ait, il y a plus
de vingt ans, croyons-nous, constitué une commission pour étudier le
Transsaharien, on conçoit que ce chiflfre de 800 à 900 millions, pour un
trafic hy|>othétique, effrayât et ait fait reculer.
La situation est devenue tout autre aujourd'hui h tous les points de
vue. Le Transsaharien s'offre d'abord comme étant d'une absolue néces-
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708 REVUE FRANÇAISE
silé poliUque et militaire, si nous voulons que notre empire nord-
africain ne soit pas un vain mot. Il est de la plus manifeste absurdité de
faire dépendre le ravitaillement dans le Bahr-el-6hazal et sur le Nil
d'une marche excessivement longuç et lente sur le Congo, TOubangui,
à travers des pays marécageux et insalubres.
Nous avons en Algérie et en Tunisie une armée d'environ 60.000
hommes, pour les quatre cinquièmes européens ; le Sahara qui s'étend
jusqu'au Tchad est une contrée des plus saines ; à un train de 20 kilo-
mètres à l'heure, on pourrait le traverser en une centaine d'heures,
c'est-à-dire en quatre jours ; nous pourrions jeter, si besoin élait, sur
un point quelconque de notre empire africain, en un laps de temps de
quelques semaines, une troupe de 4.000 ou 5.000 même de 8.000 ou
10.000 hommes, qui se trouveraient rendus à destination, sinon abso-
lument sans fatigue, du moins sans mortalité sensible.
Il ne nous serait pas même indispensable d'être maîtres de la mer.
puisque notre eflfectif permanent en Algérie et en Tunisie est de 60.000
hommes et dépasse de beaucoup, dans les conditions présentes, ce qui
est nécessaire pour la garde de ces pays, et puisque, en outre, l'Algérie
et la Tunisie sont et deviennent chaque jour davantage des contrées
plantureuses, produisant abondamment le blé, le bétail, le vin et tout
ce qui est nécessaire à nos corps de troupes.
Ainsi, l'exécution du Transsaharien nous donnerait, dans l'Afrique
du nord et du centre, même en supposant que nous fussions coupés de
la mer, une position beaucoup plus fort;e que celle d'aucune autre puis-
sance européenne, quelle qu'elle soit, l'Angleterre même y comprise ;
voilà pour le point de vue stratégique.
Maintenant quel serait le coût de ce chemin de fer? Evidemment on
ne peut faire que des conjectures ; mais on a, à l'heure présente, des *
données beaucoup plus certaines et plus favorables qu'il y a vingt ans et
qu'il y a dix ans.
On sait aujourd'hui en France ce que c'est que des chemins de fer
africains et des chemins de fer à bon marché. î^es Anglais et beaucoup
d'autres peuples, d'ailleurs, nous taxent volontiers d'incapacité colo-
niale ; parfois nous justifions leurs sarcasmes, en ce qui concerne, par
exemple, le misérable tronçon de chemin de fer de 80 kilomètres, d'Aïn-
Sefra à Djénien-bou-Resq, dans le Sud-Oranais, qui, décidé en 1891 et
eiécuté depuis lors mi-partie par le génie, mi-partie par les travaux
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NÉCESSITÉ DU TRANSSAHARIEX 709
publics, n'e^t pas encore terminé au bout de sept ans. C'est là ce qu'on
appelle un comble.
Mais, d'autre part, nous donnons souvent aussi des exemples écla-
tants de succès. Au début de cette année, nous avions deux lignes fer-
rées africaines en construction. Tune et l'autre sans garantie de l'inté-
rêt et sans subvention aucune ; nous voulons parler des chemins de fer
éthiopiens, de Djibouti au Harrar et de la voie ferrée sud-tunisienne de
Sfax à Gafsa. Cette dernière ligne, qui a 200 kilomètres de long et qui,
avec son prolongement jusqu'aux mines de phosphates au delà de
Gafsa, en aura 280, vient d'être ouverte sur les deux cents premiers
kilomètres par le résident général adjoint en Tunisie. La Compagnie
du chemin de fer et des phosphates de Gafsa Ta fait construire avec la
plus grande rapidité, et en un an environ ; en ce qui concerne la pose
de la voie, on en faisait un kilomètre par jour, en terrain à peu près
désertique ; on n'a pas dépensé, y compris le matériel roulant, plus de
60.000 francs par kilomètre, et il s'agit d'une ligne destinée à trans-
porter plus de 300.000 tonnes de phosphates par an^ sinon davantage
même, c'est*à-dire à avoir un trafic relativement intensif.
Voilà, certes, une preuve que les Français ont appris dans ces der-
niers temps, car ils avaient besoin de l'apprendre, à faire des travaux
importants rapidement et à bon marché.
Les conditions dans lesquelles s'exécuterait le Transsaharien seraient
à peu près semblables à celles où s'est construit le chemin de fer de
Sfax à Gafsa et aux mines de phosphates ; c'est le môme terrain, le
môme climat, la même absence de population, la môme disette d'eaux
apparentes. A 60.000 francs par kilomètre, les 2.500 kilomètres allant
jusqu'au .Tchad, coûteraient loO millions, ce qui, pour assurer notre
empire africain, devait être regardé comme une bagatelle. Mettons
qu'il faille dépenser moitié plus par kilomètre que pour la voie ferrée
de Sfax à Gafsa, on arriverait à 225 millions, ce qui est encore un •
chiffre fort réduit.
Y aurait-ii du trafic pour ce Transsaharien ? Personne n'est en état
de le dire. Il y en aurait toujours assez pour payer les frais d'exploita-
tation, si celle-ci se faisait économiquement. En outre, il est possible
que Ton découvre dans ce désert d'abondantes sources de trafic. Qui se
serait attendu, il y a seulement dix ans, aux richesses des phosphates
de l'Algérie et de la Tunisie, lesquelles, si le débouché s'y prêtait, pour
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710 REVUE FRANÇAISE
raient fournir au monde un million de tonnes de phosphates par an?
Des naturalistes pensent qu'il existe, au beau milieu du Sahara, dans
TAïr, d'importants gisements de nitrates. Il est certain qu'il y a beau-
coup de rapports de constitution géologique entre le Sahara et le
fameux désert d'Atacama, au Chili, qui contient les célèbres nitratières.
Qui se serait attendu aussi, il y a vingt ans, à ce que la Tunisie con-
tînt de nombreux et riches gisements de calamine? En tout cas, il y a
tout au moins dans le Sahara des salines qui auraient un débouché
rémunérateur au S4)udan.
Les chemins de fer désertiques sont maintenant une œuvre connue
et aisée. L'Australie du Sud en a construit un dans le désert australien
nommé Northern Territory, et il couvre un peu plus que les frais de
Texploitation. Quasi tout le réseau de l'Australie de l'Ouest, long, en
1896, de 1.160 milles, ou près de 2.000 kilomètres, et qui a considéra-
blement augmenté depuis, est dans un désert sans eau.
Ainsi, Tœuvre du Transsaharien ne se présente nullement, à l'heure
actuelle, dans les conditions d'un travail sans précédent.
Il est, toutefois, une entreprise préalable à la construction du Trans-
saharien, c'est l'occupation des oasis du Touât pour dominer les Touar^.
Rien n'est plus aisé que cette occupation du Touât ; notre pusillanimité,
notre indolence la reculent, de la fa^on la plus fâcheuse, d'année en
année. Comme Caton ne se lassait pas de répéter : Delenda Carthago,
nous ne nous lassons pas, depuis vingt ans, de dire à chaque occasion:
il faut occuper le Touàt.
Que la leçon de l'incident de Fachoda nous profite ; mettons-nous en
situation de soutenir désormais nos colonnes avancées; faisons main-
tenant la pénétration de l'Afrique en partant du Nord et en allant vers
le Sud ; construisons rapidement, en sept ou huit ans, le Transsaharien,
en commençant immédiatement par le tronçon, depuis si longtemps
étudie, de Biskra à Ouargla. »
Paul Leroy' BnAtuBu.
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L'HUMILIATION DE FACHODA
Cédant à la mise en demeure du gouvernement britannique, qu'ap-
puyaient des armements précipités et les excitations d'un presse nette-
ment hostile à notre pays, le gouvernement français a décidé d'évacuer
Fachodaet de rappeler la mission Marchand.
Pour arriver à ce résultat, l'Angleterre, avec laquelle nous vivions en
bons rapports depuis près d'un siècle, et dont les soldats ont combattu
avec les nôtres sur les champs de bataille de plusieurs pays, aurait cer-
tainement pu nous éviter Taffiront de se refuser à toute négociation
avant l'évacuation préalable deFachoda. Elle ne l'a pas voulu et n'a pas
hésité à blesser dans sa dignité mie nation amie. C'est là une humilia-
tion, nous n'hésitons pas à le dire, et nous devons en prendre acte.
La France, avait pour elle les raisons de droit et la possession de fait.
Pour éviter une giierre, qui serait une calamité, elle a cédé aux exigen-
ces de l'Angleterre, qui n'avait aucune raison de droit à faire valoir,
mais qui avait fait pencher la balance de tout le poids de son épée.
En effet. l'Angleterre n'avait aucun droit — la Revtie Française l'a
démontré — à parler au nom de l'Egypte, et moins encore à revendi-
quer pour celle-ci les provinces soudanaises, qu'elle avait forcé le Khédive
à abandonner après Tell el Kébir.
Que pouvait-elle invoquer ? Ses appétits territoriaux insatiables et le
droit de conquête. Ce droit, la France le possédait au môme degré que
l'Angleterre. Opérant sur un territoire abandonné,. elle en prenait pos-
session et l'occupait eifectivement, conformément aux stipulations de
l'acte de Berhn. Dans ces conditions le pays convoité devait appartenir
au premier occupant. Nous avions devancé l'Angleterre à Fachoda et
nous avions joué le rôle de premier occupant. Toute la question
est là!
Le gouvernement français n'a pas cru devoir maintenir ses prétentions
devant la menace d'un casus helli et s'est vu dans la nécessité de reculer
devant l'Angleterre. C'est une humiliation de pi us à ajouter à celles qui,
dans l'histoire de ce siècle, portent le nom d'affaire Pritchard, à Tahiti,
et d'affaire Shaw à Madagascar. Ah ! il est loin le temps où la France
suivait une ligne politique étrangère nettement tracée et où elle possé-
dait des ministres de la trempe du b®" d'Haussez, remettant si bien à sa
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712 REVUE FRANÇAISE
I
l^ place l'ambassadeur d'Angleterre, qui avait commis Tacte ** anti-amical"
de vouloir s'opposer à Texpédition d'Alger.
Les incertitudes et les déboires de la politique, sont bien de nature à
amollir tous les cœurs et à briser tous les courages. « A quoi bon des
héros ! » faisait naguère remarquer le Soleil, dans un article plein d'à
propos. En effet, à quoi sert de lancer en avant, d'exposer aux effluves
d'un climat malsain, à des souffrances de toute nature, aux embuscades
et aux attaques de peuplades barbares, des officiers et des soldats dont
on doit paralyser les efforts et détruire l'œuvre édifiée, au prix de tant
de fatigues et de vies humaines bien inutileinent sacrifiées!
Ah! elle serait longue, la liste de nos officiers, depuis Francis Garnier,
au Tonkin — sans vouloir remonter plus haut — jusqu'au commandant
E Marchand, en passant par l'amiral Pierre, à Madagascar, et le colonel
Monteil, à la Côte-di voire, qui ont vu leurs actes désavoués, leur mission
r rappelée ou leur marche arrêtée brusquement au moment même où ils
allaient atteindre le but et avoir la profonde et douce satisfaction d'avoir
bien travaillé pour la patrie.
Il faut maintenant penser à lavenir. Il faut que la leçon de Fachoda
nous profite et nous rappelle que l'Angleterre, comme une gigantesque
pieuvre, se trouve en compétition avec la France et les autres puissances
coloniales sur tous les points du globe. Vis-à-vis des puissances faibles
elle est d'une brutalité tout américaine. Mais, en présence des forts, elle
s'arrête et s'incline. Soyons donc forts, c'est-à-dire occupons-nous
sans délai de mettre nos colonies en état de défense, de les munir de
troupes suffisantes pour les protéger, de les doter d'un armement propre
à les faire respecter.
N'oublions pas que l'Angleterre, qui a armé, ne désarme pas. Son
rêve serait de nous rayer du nombre des grandes puissances coloniales
et de nous faire subir un traitement analogue à celui que l'Amérique
a infligé à l'Espagne. Sa presse, après l'attitude agressive que l'on sait,
a vanté, qualid Marchand fut rappelé, la sagesse de la France, avec une
hjpocrite ironie. Aujourd'hui, pour mieux nous endormir, elle procla-
me que l'Angleterre est la meilleure amie de la France.
De leur côté, les ministres britanniques, dont l'éloquence, dans les
meetings et les banquets, est d'une abondance inaccoutumée, font en-
tendre en un langage sybiUin, que l'ère des déficultés n'est point close.
Attendons-nous donc d'autres exigences de la part de l'Angleterre.
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HAUT-ML 713
exigences qui seront d'autant plus grandes que nous avons déjà montré
notre faiblesse. Et comme les forts seuls sont respectés, préparons-nous
sans trêve à la guerre. Ce sera le meilleur moyen de la prévenir et de
Téviter.
Georges Démanche.
HAUT-NIL
M. LIOTARD A DEM-ZIBER
C'est grâce à M. Liotard, lieutenant-gouverneur de TOubangui, que
la mission Marchand a vu sa marche rendue relativement facile dans sa
descente au Bahr-el-Ghazal. Avec ses collaborateurs Paul Comte,
Hossinger (tous deux morts à la peine), Bobichon, administrateur colo-
nial, etc., il a préparé les voies à la pénétration dans le bassin du Nil,
en prenant possession de Dem-Ziber et en nouant les premières rela-
tions avec les indigènes de la région, notamment avec les Dinkas, la
plus puissante tribu du Bahr-el-Ghazal.
M. Liotard, qui est rentré récemment en France après 7 ans de
séjour au Congo (1891 à 1893 et 1894 à 1898;, s'était trouvé sur l'Ou-
bangui dans des conditions particulièrement délicates et dangereuses.
Son premier séjour lui permit seulement de se maintenir sur le haut
Oubangui. Les difficultés avec les Belges, une fois aplanies, il put oc-
cuper la région du M'Bomou et en faire sa base d'opération, ainsi que
Texpose le BiUletin du Comité de l'Afrique française.
Solidement établi à Sémio, M. Liotard, pour préparer sa marche sur
Dem-Ziber, envoya tout d'abord le P Mahieu, établir un poste à
Djemah, par 6® 3' lat N. Cette région était occupée par les Gabous, peu»
plade indépendante, qui avait fort mal reçu Junker et n'avait pas mieux
accueilli les chefs Rafaï et Sémio. M. Liotard eut l'habileté d'imposer son
influence à cette tribu et d*y établir le poste précité.
Ce point d'appui une fois établi, l'interprète militaire Grech, suivi à
peu de distance par un détachement commandé par le V Chapuis, fu
chargé de préparer les voies à l'occupation de Dem-Ziber. Parti de Sémio
le 2S mars 1897. M. Grech, fit sa jonction à Rabet avec le 1^ Chapuis.
H reçut alors une lettre du chef Nacer-Andel, lui disant que le pays
était en ruines, qu'il ne pourrait le recevoir présentement et que l'appro-
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714 REVUE FRANÇAISE
che des Français, mettait tout le pays en effervescence. M. Grech ne
vit, dans cette lettre, qu'un refus de le recevoir, mais il n'en continua
pas moins son chemin et donna rendez- vous au chef à Dem-Ziber.
C'est alors, qu'il reçut une seconde lettre de Nacer-Andel qui, ne
pouvant empêcher l'arrivée de la colonne, témoignait sa satisfaction de
l'approche des Français. Assuré désormais d'être bien reçu, M. Grech
arrivait à Dem-Ziber le 17 avril et arborait immédiatement le pavillon
français sur les ruines de la moudirieh.
Dem-Ziber s'élève sur un grand plateau sans arbres, mais le pays y est
sain et le sol fertile. Des bâtiments qui composaient l'ancienne capitale
de Lupton-bey, le dernier gouverneur égyptien, il ne reste plus que les
murs ; tout est en ruines, et la ville même était entièrement dépourvue
d'habitants. Un des premiers soins de M. Grech fut de faire dégager la
source qui alimentait la ville et les puits qui étaient obstrués. Dix Jours
après, le 27 avril, le V Chapuis prenait possession de la ville avec la
10^ compagnie de tirailleurs.
Des négociations étaient aussitôt engagées avec les populations voisi-
nes, car il importait, avant tout, de repeupler la ville et d'y attirer les
habitants des environs, afin de pouvoir se ravitailler en vivres.
Un des premiers, Nacer-Andel vint à Dem-Ziber et se mit à lentière
disposition du i^ Chapuis. Ce fut ensuite le tour des Dinkas qui, bien
reçus par M. Liotard, qui était arrivé à Dem-Ziber dans le courant de
juin, s'engagèrent à apporter à la petite garnison des- vivres et du
bétail. Peu à peu, l'heureuse influence de notre occupation se fit sentir,
et Dem-Ziber devenait une base d'opérations, destinée à protéger les
indigènes asservis par les Derviches et à servir de point d'appui effectif
aux expéditions effectuées dans le 6ahr-el-Ghazal. C'est à la prudence
et à l'habileté de M. Liotard qui, antérieurement déjà, avait fondé un
poste à Tamboura, dès 1896, que la mission Marchand doit d'avoir péné-
tré sans trop de difBcultés, dans le bassin du Nil et d'avoir pu s'y ins-
taller sans entrer en conflit un seul instant avec les indigènes.
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HAUT-NIL
715
LE RETOUR DE LA MISSION MARCHAISI)
PAR L ABYSSINIE
Par suite de la décision prise par le gouvernement français, la mission
Marchand doit abandonner Fachoda.
A la suite des pourparlers engagés entre la France et l'Angleterre,
le capitaine Baratier avait été envoyé de Fachoda en France pour mettre
Le Faidherhe, canonnière de la mission Marchand.
Comité de V Afrique française.
son gouvernement au courant de la situation sur le haut Nil. Accueilli
avec enthousiasme à Marseille et le même jour (26 oct.) à Paris, le capi-
taine Baratier avait été reçu froidement dans les hautes sphères, essuyant
ainsi, bien qu'il n'en fût nullement cause, la mauvaise humeur résul-
tant de la situation tendue de nos rapports avec l'Angleterre. Le 30 oc-
tobre, il se rembarquait en hâte à Marseille, pour porter à son chef un
ordre d'évacuation.
Mais, pendant ce temps, le c' Marchand, désireux de compléter les
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716 REVUE FRANÇAISE
renseignements fournis par son lieutenant, avait quitté Fachoda, lais-
sant ses hommes sous les ordres du capitaine Gennain, et était arrivé au
Caire le 3 novembre. La rencontre des deux officiers fut navrante. Ce
fut Tâme profondément déchirée que le c' Marchand reçut les ordres
qui anéantissaient tous les résultats d'une campagne poursuivie avec
une si indomptable énergie, au prix de tant de privations, de fatigues
et de souffrances 1 Quelques jours après (13 nov.) le c^ Marchand, suivi
du sergent Dat et de 3 trois tirailleurs sénégalais qui l'avaient accompa-
gné, quittait Je Caire avec le capitaine Baratier, en route pour Khar-
toum et Fachoda.
L'évacuation de ce point, dont le nom marquera désormais dans les
annales de notre politique étrangère, demandera quelque temps, car le
c* Marchand y avait amené peu à peu tous les approvisionnements de la
mission. D faudra, à l'aide du vapeur Faidherbe et des chalands, rem-
porter tout ce matériel jusqu'à Meschra-el-Rek, au point de la formation
du Bahr-el-Ghazal. Puis le c^ Marchand, conservant seulement ce qui
lui est nécessaire pour atteindre le plateau abyssin, se fera remorquer par
le Faidherbe jusqu'au confluent du Sobat et remontera ce fleuve jusqu'au
point où il cesse d'être facilement navigable, c'est-à-dire probablement
jusqu'à l'ancien poste de Nasser, au confluent du Djouba, point extrême
atteint par la mission de Bonchamps à la fin de décembre 1897 (1). On
sait que cette mission, qui avait pour objectif de rejoindre la mission
Marchand, fut arrêtée par le manque d'embarcations nécessaires pour
descendre le Sobat ou Baro. A la limite de la navigation, le Faidherbe
reprendra la route de Meschra-el-Rek et le c* Marchand continuera sa
route par terre.
La région qu'il lui faudra traverser tout d'abord est marécageuse, et
M. de Bonchamps eut grand'peine à faire passer tout son monde, par
les pistes difficilement praticables des indigènes. Mais si, comme il y a
lieu de le croire, les Abyssins ont depuis lors pris possession du pays,
la mission trouvera, dans les chefs dépendant deMéaélik,une assistance
qui pourra être fort précieuse.
Après les marais du Baro et la grande plaine qui les sépare des pre-
miers contreforts du plateau abyssin, la mission arrivera par Pokodi et
Finkéo, villages des Yambos, à Goré, où M. de Bonchamps fit un séjour,
que le mauvais vouloir des chefs abyssins prolongea outre mesure.
(1) Voir la carte-itinéraire de la mission Bonchamps, H. Fr., sept. i898, p.
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HAUT-NIL 717
De Goré à Addis Abbeba, il y a environ 600 kDomètres, que M. de Bon-
champs mit plus de 2 mois à franchir, à travers une région très acciden-
tée, tantôt boisée, tantôt dénudée et privée de voies de communication.
Mais depuis cette époque, l'itinéraire est connu et le trajet pourra
s'effectuer en un temps relativement court. Il y a tout lieu d'espérer que,
dès maintenant, des ravitaillements seront envoyés à la mission par la
voie de Djibouti, ainsi que des vêtements chauds. En effet, au sortir de
la plaine du Baro, on s'élève brusquement de 1.000 mètres pour atteindre
le rebord du grand plateau abyssin et Taltitude ne cesse de croître
jusqu'à Addis Abbeba (2.S00 m.). Passant presque sans transition d'une
température tropicale à un température souvent glaciale sur le plateau,
les membres de la mission, blancs comme noirs, seront cruellement
éprouvés par le froid si la prévoyance, trop souvent en retard de noije
gouvernement, ne vient à leur aide en temps opportun.
D'Addis Abbeba, où l'empereur Ménélik ne peut manquer de faire
à la mission une brillante réception, le c* Marchand pourra se rendre
à la côte soit par Ankober, Tadjoura et Obock, route diflBcile, dange-
reuse et fort peu suivie, soit plutôt par Baltchi, Boroma, Harrar, Djil-
dessa, dernier poste abyssin, et Djibouti, soit encore GOO kilomètres
environ. Peut-être même pourra-t-il utiliser en partie le chemin de fer
en construction de Djibouti à Harrar, qui, partant de la côte, est déjà
terminé jusqu'à Mordalé, à 120 kilomètres de Djibouti.
Quoi qu'il en soit, il s'écoulera enviroQ 6 mois entre le départ de
Fachoda, qui n'aura vraisemblablement lieu qu'au commencement de
1899, et le retour de la mission Marchand, qui, en 3 années, aura effec-
tué une des traversées les plus remarquables, mais aussi les plus difficiles
et les plus dures du continent africain.
G. Vasco.
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AU PAYS DES BA-ROTSI
Les voyages eu Afrique tendent à se répandre de plus en plus pour
ceux qui peuvent s'offrir le luxe d'un pareil déplacement. Parmi ceux
qui viennent d'effectuer un voyage de cette nature, se trouve M. Alfred
Bertrand, de Genèvq, qui était déjà préparé au métier d'explorateur
par un voyage qu'il fit autour du monde et par un autre voyage en
Cachemire et dans l'Himalaya (*).
Ayant appris qu'un de ses anciens compagnons de voyage dans cette
dernière région se proposait d'entreprendre une exploration sur le
Haut-Zambèze, M. Bertrand demanda à se joindre à l'expédition. Celle-
ci était organisée par le capitaine Gibbons, du 3® Yorkshire régiment.
Le 11 avril 1893, l'expédition débarquait au Cap. De là, elle se ren-
dait par chemin de fer jusqu'à Mafeking, traversait le pays des Mata-
bélès, arrivait au Zambèze, à Kazoungoula et, de ce point, entreprenait
une exploration de plusieurs mois dans le royaume des Ba-Rotsi, puis,
revenant sur ses pas, atteignait le Limpopo par Boulouwayo, traversait
le Transvaal peu de temps après le raid de Jameson et parvenait, le
24 janvier 1896, à Natal, où se termina le voyage.
Arrivée à Mafeking, terminus du chemin de fer venant du Cap, l'ex-
pédition forma sa caravane, il ne lui fallut pas moins de 64 jours pour
traverser péniblement, soit en chariot à bœufs, soit à cheval, le Betchua-
naland et le désert de Kalahari. Après avoir atteint le Zambèze, il fal-
lut abandonner les chariots et renoncer même aux chevaux de selle, la
mouche tsé-tsé exerçant partout ses ravages et faisant périr successive-
ment tous les animaux du convoi. Au pays des Ba-Rotsi, on entrait
bientôt dans un pays à peu près inconnu. M. Bertrand, faisant route
avec ses deux compagnons européens, remonta jusqu'à sa source le
cours de la rivière Machili, affluent du Zambèze, dont le tracé n'était
marqué que très approximativement sur les cartes.
Abandonnant ensuite ses compagnons, qui devaient suivre des itiné-
raires différents, M. Bertrand, ayant avec lui 23 indigènes, se dirigea
sur Lealouyi, la capitale de Lew^anika, roi des Ba-Rotsi. La marche
fut très difficile dans cette région inexplorée et la caravane dut passer
à travers d'affreux marécages, où la vase atteignait parfois jusqu'à la
(1) Au Pays des Ba-Rotsiy 1 vol. in-S", illusiré de 500 gravures et 2 cartes, relié
élégamment; 20 francs. — Hachette, éditeur.
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Ai: PAYS DES BA-ROTSI
719
ceinture. Arrivé enfin dans la capitale des Ba-Rotsi, M. Bertrand fut
J'hôte du pasteur français Coillard qui, venu du Basoutoland, s'est éta-
bli là depuis une quinzaine d'années et a réussi à fonder une naission
florissante; à Theure actuelle, elle ne compte pas moins de cinq stations
sur le Zambèze. C est grâce à ce missionnaire dévoué que les idées de
civilisation et de christianisme ont pu germer et déjà porter leurs fruits
chez les tribus barbares du. Zambèze.
M. Bertrand donne des renseignements intéressants sur les Ba-Rotsi.
« Si, au point de vue physique, dit-il, les types varient beaucoup
entre eux, il n'en est pas de même de Thabillement, dont la pièce prin-
cipale est un pagne retenu à la ceinture par une peau de serpent. Les
plus fortunés y ajoutent une dépouille de béte sauvage; ils se parent
volontiers de colliers, boucles d'oreilles, bracelets, etc. N'oublions pas
l'une des particularités, unique en son genre, de la toilette, cependant
Mouchoirs de poche indigènes.
si simple, des Ba-Rolsi : le mouchoir de poche. Celui-ci consiste en une
mince lamelle de fer finement travaillé, avec manche de même métal.
Le tout peut avoir 12 à 15 centimètres de longueur, sur 3 à 4 de lar-
geur; cet objet se porte suspendu au cou par des fibres végétales ou des
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720
KEVUE FRANÇAISE
nerfs. Us s'en servent pour se moucher comme d'un ressort, avec une
extrême dextérité, ce qui au feu de bivouac, j'en puis parler de wu,
n'est pas chose plaisante. Nous constatons que ces sauvages ont su
perfectionner le mode de se moucher que pratiquent encore, en pays
civilisés, certains habitants des campagnes. »
Presque tous les Ba-Rotsi sont armés de lances plus ou moins barbe-
lées; les transactions s'effectuent au moyen de la brasse de calicot blanc
qui est la monnaie courante. Dans les rencontres, on salue les voya-
geurs par le mot : Louméla, qui veut dire : au revoir. Lorsque les indi-
gènes sont armés, ils déposent leur lance à distance respectueuse jus-
qu'à ce qu'ils soient interpellés.
Les salutations souvent fort bizarres des indigènes varient à l'infini,
suivant la position de l'individu et le genre de relations que Ton a
Oreiller en bois sculpté.
Peigne en bols sculi>té.
avec lui. C'est ainsi que, dans une rencontre, l'un des hommes de la
caravane, cracha aimablement sur l'épaule d'un indigène qui passait,
marque d'amitié qui serait certainement peu appréciée en Europe.
Quand on visite une case, l'usage veut que les maîtres de la maison
saluent d'abord et cela seulement lorsque les visiteurs sont assis, s'ils
ont apporté leurs sièges, ou sinon accroupis par terre.
Dans une excursion chez les Ma-Totéla, qui s'arrachent souvent les
deux incisives centrales supérieures, M, Bertrand a remarqué particu-
lièrement la coiffure de ces indigènes^ « Voici près de moi, dit-il, des
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AU PAYS DES BA-HOTSI
721
hommes dont chaque touffe de cheveux est terminée par un cône ré-
gulier de pâte brune, composée d'arachides écrasées. C'est un moyen,
selon eux, de faire pousser leur chevelure; la préparation de cette coif-
fure demande 2 jours et doit durer plusieurs semaines; aussi, sacri-
fiant leurs aises à leur vanité, se servent-ils comme « oreiller » d'un
petit chevalet de bois qui rappelle celui qu'emploient les Japonais ».
Le costume est réduit à sa plus simple expression. Comme armes, les
Lovanika autrefois.
hommes portent, outre la lance barbelée, une l<ance plus fine et effilée
qui leur sert à prendre le poisson.
Dans le pays des Ba-Rotsi, Tordre hiérarchique est très sévère; c'est
ainsi que les huttes différent de grandeur suivant Timporlance des
chefs; il en est de même dans les relations de la vie; ainsi un inférieur
n'a pas le droit d'avoir des armes ou des plats aussi bien ornés que
ceux de son supérieur en grade.
M. Bertrand a été reçu en audience par le roi des Ba-Rotsi. Celui-ci
XXIII (Décembre 98). N« 240. ^"7
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REVUE FRANÇAISE
habite une grande hutte rectangulaire, dont les murs sont construits m
terre battue, mélangée de bouse de vache, laquelle tient lieu de chaux.
Dix-huit piliers de bois soutiennent un toit de chaume formant auvent.
Autour de la demeure de Lewanika se trouve le harem, grandes huttes
rondes hautes d'une dizaine de mètres. Le roi est polygame et c'est ce
qui Ta empêché jusqu'ici de se convertir au christianisme.
Le roi avait convoqué pour la réception quelques-uns de ses chefs
Levanika aujoiird'liui.
qui se tenaient accroupis dans la cour. Lorsqu'ils furent appelés, ils
s'avancèrent à genoux, s'inclinant profondément en frappant des mains,
puis s'accroupirent sur leurs mollets. Lorsque le roi adresse la parole
à l'une des personnes présentes, elle doit battre des mains. S'il éternue,
tout le monde bat des mains également : c'est là une coutume très
répandue.
Lorsque M. Bertrand eut présenté ses cadeaux au roi, notamment un
fusil Mannlicher, Lewanika lui donna quelques renseignements sur son
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AU PAYS DES BA-ROTSI 723
royaume par l'intermédiaire du pasteur Jalla, mais ces renseignements
furent très sommaires et Lewanika ne put indiquer, même approxima-
tivement, quel était le nombre de ses sujets.
Le roi rend la justice sur la place publique, au pied d'un arbre à
caoutchouc. Précédé d'un musicien et d'un porteur de siège, il se trans-
porte ainsi au milieu de ses sujets; les instruments de musique sont
figurés par des tambours, des serimbas, instruments composés de cale-
basses évidées surmontées de planchettes de bois sonores qui sont
frappées avec un petit marteau. Les serviteurs du roi, les membres de
sa famille, les dignitaires se rangent autour de lui. Les chefs et les
sujets se groupent suivant leur degré hiérarchique. Les femmes n'ont
Calebasse à boire et cuiUers indigènes.
pas le droit de paraître sur la place publique pendant la cérémonie.
Bientôt, plus de 200 hommes sont accroupis sur le sable; en arrivant,
ils se mettent tous à genoux et s'inclinent profondément en frappant
des mains. Les indigènes qui reviennent de voyage viennent faire des
salutations très compliquées, entremêlées de cris. L'un d'eux, qui
arrive de loin, demande à conserver une peau de béte sauvage qui lui
a été donnée ; sans ce consentement, le présent reviendra de droit au
souverain.
Le roi représente à lui seul le tribunal, la cour d'appel et la cour de
cassation; il n'est pas besoin de dire que rien n'y est écrit, et que
tout genre de procédure est absolument inconnu dans ces parages. La
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pr^' ;^'\^Wt?^'
r
724
REVUE FRANÇAISE
1^-
t,
justice est sommaire, prompte, expéditive et elle n'est pas toujours si
mal rençiue.
Après avoir séjourné pendant 6 semaines dan? la capitale d&s Ba-
Rotsi, M. Bertrand se mit en marche pour revenir à la côte. Il descendit
par le Zambèze et atteignit les célèbres chutes Victoria où il retrouva
le reste de sa caravane avec les chariots. 11 fallut ensuite franchir la
« piste de la soif » dont le nom indique suffisamment Teffroi qu'elle
inspire aux voyageurs. Ce ne fut pas sans peiné que M. Bertrand,
tombé gravement malade, put la franchir et arriver, après un mois de
Plat ruval eu bois sculplô.
vives souffrances, à Boulouwayo, la capitale de la Rhodesia. Là il était
sauvé, car il se trouvait en pays civilisé, et en mesure de recevoir tous
les soins que nécessitait son état de santé.
De Boulouwayo à Pretoria, le voyage se fît facilement dans un coach
traîné par huit paires de mules. Là où il y a 20 ans la terre n'était
occupée que par des bêtes fauves et des tribus sauvages, on trouve au-
jourd'hui des colons de jour en jour plus nombreux. L'Afrique australe
se peuple rapidement et, grâce aux mines d'or, de diamant et aux
autres richesses naturelles du sol, le chemin de fer pénètre apportant
partout le mouvement, la vie et la civilisation.
L.
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LES HABITANTS DU LAOS <*^
m. — Unité politique.
Il est à remarquer que malgré la multiplicité des races, malgré l'in-
vasion du pays par les Thaïs, qui le mangent petit à petit, les Hoa
Panh Tang Hoc ont toujours formé un tout qui a constamment subi le
même sort à travers les périodes nombreuses et longues de luttes.
Après les guerres avec le Vien Chan, avec le Siam et Luang Pra-
bang, pendant la domination de TAnnam, Toccupation du pays par
les Chinois, ses luttes intérieures contre les Khas, il n'a jamais été
porté atteinte à ce groupe d'unités qui constitue les Hoa Panh Tang Hoc.
On s'est tellement gardé d'aller à rencontre de ces coutumes qui font
marcher le pays ensemble, que môme à l'époque où ces régions étaient
tributaires de l'Annam, elles payaient le même impôt à Luang Pra-
bang. Sur les six hoa panh, au lieu de s'entendre pour en attribuer
par exemple trois à l'Annam et trois à Luang Prabang, chacun des
six payait à la fois des deux côtés, moitié aux Annamites, moitié au roi
de Luang Prabang. C'est un point essentiel qu'il est de notre intérêt de
continuer à respecter, si nous ne voulons nous attirer le mécontente-
ment des vrais maîtres du pays.
Cette faute-là a été commise en 1894. A ce moment-là, sous la pres-
sion, sans doute, et à la suite des démarches du Tong Doc de Thanh
Hoa, on a mis sous la dépendance du Thanh Hoa trois des Hoa Panh,
les autres continuant à dépendre de Luang Prabang. Cette mesure avait
été prise je ne sais pourquoi, mais dans tous les cas sans demander
aucun renseignement aux officiers qui se trouvaient dans le pays à ce
moment-là.
Depuis cette époque, m'a-t-on dit, à la suite sans doute d'observa-
tions de M. Pavie, à qui connaissance avait été donnée de cet état de
choses alors qu'il remontait la Rivière Noire (octobre 1894), la mesure
a été rapportée et tous les hoa panh dépendent à nouveau de Luang
Prabang; l'unité ancienne a été reconstituée.
Cette unité date de l'annexion des Hoa Panh Tang Hoc par le Vien
Chan . A ce moment, les chefs des Hoa Panh réunis à Vien Chan prê-
tèrent le serment devant le Pra bang « Bouddha en or très respecté »
(1) Voir Reo. Fr., sept., oct. 1898, p. 505 et 571.
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726 REVUE FRANÇAISE
de rester toujours unis, de marcher d'un commun accord contre un
ennemi qui se présenterait sur un point quelconque du territoire.
U m'a été donné, en octobre 1894, de rappeler cette promesse aux
chefs des divers hoa panh, alors que le hoa panh de Muong Sam Teu
commençait à être brûlé et dévasté par des Meos révoltés, et que je
n'avais pas de soldats à ma disposition ; tous ces chefs ont fourni ou
allaient fournir les contingents demandés suivant leur importance.
Divisions territoriales. — Les élargissements de vallée existant en
certains points du cours des rivières sont, en général, habités ou l'ont
été autrefois. Ce sont les seuls endroits où Ton puisse faire des rizières
de plaine et à elles seules, d'ailleurs, ces rizières donneraient des ré-
coltes insuffisantes pour les habitants.
Les rizières paraissent présenter un classement par étendue analogue
au classement par « maùs » usité en pays annamite. A l'origine, sans
doute, et cela se voit encore, d'ailleurs, dans quelques hoa panh
comme, par exemple, celui de Muong Het, les rizières étaient divisées
ainsi:
1^ Rizières de un a Kan La » (étendue de terrains pouvant rapporter
50 charges de riz, la charge étant constituée par deux paniers).
2** Rizières de un « Kan Kang » (étendue de terrains pouvant rap-
porter 75 charges de riz).
3** Rizières de un « Kan l)at » (étendue de terrains pouvant rapporter
150 charges de riz).
Ces divisions sont aussi dénommées a Phiek » et il y a trois espèces
de phiek comme il y a trois espèces de kan. Ils ont les valeurs respec-
tives des kan précédemment décrits.
n fallait dix phiek pour faire un hoa sib. Chaque hoa panh était
divisé en un certain nombre de hoa sib (probablement en cent, puisque
hoa sib, en laotien, signifie dix tètes, et hoa panh, mille têtes). E y
avait douze hoa sib dans le territoire proprement dit de Muong Het.
C'est sans doute de cette division par hoa sib que le pays a tiré le
nom sous lequel on le désigne actuellement « Hoa Panh Ha Tang Hoc,
cinq ou six milles têtes réunies ».
En ce moment, on divise les rizières en deux catégories :
i° Les rizièies dites « Na Khan sang » ou rizières communales. A
Torigine, elles ont été partagées en deux parties, l'une pour les no-
tables, l'autre pour les habitants. Ces rizières, dont le terrain est à
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LES HABITANTS DU LAOS 727
l'État» constituent les hoa sib ; une partie qui ne serait pas cultivée
par le détenteur serait donnée à un autre.
2^ Les rizières dites « Na Khan Ti », provenant de terrains incultes
qui sont affectés à celui qui les défriche et passent à ses héritiers. Ces
rizières, bien que le terrain appartienne à TÉtat, ne peuvent pas être
enlevées à celui qui les a défrichées, même s'il les laisse incultes. Dans
le cas seulement où il n'y a pas d'héritiers, on peut les faire passera
la première catégorie.
Les rizières dites « Khan Ti » payent la moitié seulement des pre-
mières.
Suivant le terrain sur lequel se trouvent les rizières, suivant la nature
de la terre qui peut avoir plus ou moins d'eau, on y cultive du riz qu'on
appelle :
1** Khaou Do, riz de première récolte. Il est cultivé dans les terrains
qui ont peu d'eau ; la récolte se fait après la saison des pluies ;
2** Khaou Kang, riz de 2® récolte, se fait dans les terrains moyens ;
3** Khaou Pi, riz de l'année, dans les terres qui conservent Teau.
C'est la dernière récolte.
Ce riz de l'année est en plus grande quantité que les autres ; il est
même défendu par le code de Luang Prabang, aux chefs ou à ceux qui
sont chargés de récolter l'impôt, de prendre du riz des deux premières
récoltes, qu'ils doivent laisser pour la nourriture des habitants : ils ne
doivent prendre que du riz dit de Tannée,
Le riz de l'impôt était autrefois ainsi perçu avant l'entrée des Chinois
dans le pays :
Pour les rizières de Khan bat (150 charges), on prenait deux piculs
ou poids de 320 barres d'argent.
Pour celles de Khan Kang (75 charges), on prenait un picul ou poids
de 160 barres d'argent.
Pour les rizièrcb de Khan la (50 charges), un demi-picul ou un poids
équivalent à 80 barres d'argent.
La division par hoa sib était suivie pour la répartition des corvées et
de l'impôt ; actuellement, elle n'est plus guère employée que dans le
hoa panh de Muong Het ; dans les autres, on semble appliquer la répar-
tition par muongs, suivant le nombre de familles qu'ils renferment.
Lorsqu'un chef vient à mourir, les rizières qui appartenaient à sa
famille avant sa nomination (Na Khan Ti) y font retour. B n'en est pas
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I
f
728 REVUE FRANÇAISE
de même des rizières communes Na Khan Sang qui sont données «o
nouveau chef.
Les villages qui se trouvaient sous les ordres de Tancien chef, qui
travaillaient pour lui, peuvent ne pas rester à sa famille; si les habi-
tants de ces villages le veulent, ils peuvent se mettre sous les ordres
d'un autre. C'est ce qui arrive généralement, ces gens-là ne voulant pas
s'attirer le mécontentement du nouveau maître.
Division du temps.
La journée, au Laos, se divise en douze veilles (Nham) de deux heures
chacune. Il y a six veilles de jour « Nham-Kang-ven » et six veilles de
nuit « Nham Kang Kun ».
A Luang Prabang, sur une petite hauteur qui est située au milieu
do la ville, se trouve un grand tam-tain servant à battre les veilles,
qui sont indiquées par une espèce de sablier ; les veilles de jour com-
mencent à 7 heures du matin.
On a le mois lunaire, qui se divise en quatre périodes correspondant
aux phases de la lune. Tous les trois ou quatre ans on ajoute à l'année
un treizième mois.
Les années, qui ont chacune un nom particulier, sont groupées par
périodes de 60 années qu'on appelle un cycle. Le dernier a commencé
eu 1864 et se terminera en 1923.
Voies de commumcation.
Pendant la saison des pluies (mai à septembre), il est excessivement
difficile de circuler dans le pays, les chemins étant coupés à chaque pas
par des ravins qui sont alors transformés en de véritables torrents.
I^s voies de communication par terre sont d'ailleurs tracées, comme
dans le Haut-Tonkin, en prenant au plus court, une portion de route
suivant le fond d'un ravin, la fraction d'après gravissant directement
la montagne sans un détour, sans un lacet, allant droit au but, depuis
le pied jusqu'au sommet.
Peu de routes peuvent, avec quelque vraisemblance, être dotées de
ce nom. On peut citer :
1** La route qui suit la vallée du Song Ma, de Muong Het à Muong
Hao;
2^ La route de Muong Ho à Muong Poun, dans le hao panh de Hoa
Muong,
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LES HABITANTS DU LAOS 729
Elles ont de 4 à 5 mètres de large environ ; la dernière surtout est
une belle route de crêtes, bien comprise et fort bien tracée.
Comme il n'y a, en fait de moyens de transport, que l'homme ou les
bœufs, il est difficile de faire comprendre aux habitants les avantages
de voies de communication telles que nous les entendons. Il est à re-
marquer, d'ailleurs, que, môme au Tonkin, dans les régions où nous
avons déjà fait construire des routes carrossables, les indigènes marchent
toujours à la file indienne, et bien rarement plusieurs de front; ils
finissent, à la longue, par tracer un sentier sur la route elle-même.
Les Laotiens sont aussi peu fixés que les Annamites sur les durées de
parcours. Ici, c'est le « pak » qui remplace le « theu » annamite et,
comme ce dernier, il est parfois de trois heures, parfois d'un quart
d'heure à peine, suivant qu'on se trouve en pays plat ou en pays acci-
denté, ou encore qu'on est plus ou moins éloigné du moment où le
ventre crie la faim. Ces « pak » ou haltes ont généralement lieu dans
lo voisinage d'un cours d'eau, grand ou petit; le laotien n'emporte
jamais sur lui de quoi étancher sa soif en route.
Animaux sauvages et domestiques.
Dans un pays boisé et montagneux comme le I^os, le tigre est com-
mun et, sur certaines voies de communication, les habitants ne s'aven-
turent jamais seuls. La route de Muong Liet à Muong Poua est celle où
l'on compte le plus de victimes du tigre. Un autre carnassier, de la
même famille, mais de taille plus petite, le chat-tigre, dévaste les pou-
laillers et vient chercher pâture, la nuit, jusque dans les villages, au-
dessous des maisons, parmi les chiens ou cochons qui y logent- On
trouve également l'éléphant à l'état sauvage, mais en petite quantité
dans cette partie du Laos, et l'ours à miel.
Parmi les autres animaux vivant dans la forêt, on peut citer le cerf,
en grande quantité, dont les habitants font boucaner la viande ; le paon
en abondance également, le faisan un peu plus rare, etc. Tout le long
du Song Ma on trouve la loutre.
Étant à Muong Het, j'ai eu l'occasion de me procurer une peau de
« Galéopithèque », espèce de « singe volant » ayant une membrane
analogue à celle des chauve-souris, qui lui permet de faire des bonds
de vingt à trente mètres. Le poil est assez long (un décimètre à cer-
taines parties du corps) et d'une finesse telle qu'on croirait toucher du
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730 REVUE FRANÇAISE
duvet. Cette espèce est assez rare et je n*ai eu que deux fois Toccasion
de la rencontrer.
Les animaux domestiques qui rendent le plus de services sont les
buffles. Comme partout où il y a des rizières, ici aussi le buffle est un
animal à peu près indispensable. Bien qu'il n'y ait que la dépense pre-
mière à effectuer, que cet animal ne demande pas de frais d'entretien,
on ne voit guère, comme propriétaires de buffles, en ce moment du
moins, que les gens de la haute classe ou les familles très aisées; pour
les autres, le prix est trop élevé. Un grand buffle se vend de 12 à
15 piastres et c'est une grosse somme pour ces gens-là.
Les bœufs aussi sont d'une grande utilité. Ils servent presque exclu-
sivement comme bêtes de somme. Le bœuf des Hoa Panh Tang Hoc est
de belle taille et présente une bosse sur le garrot. Dans ces régions
montagneuses, où il faut parcourir de longues distances pour se rendre
aux centres d'approvisionnement des choses indispensables à la vie,
comme le sel, par exemple, les bœufs porteurs (ngoua tang, bœuf de
route) rendent de réels services. De même que les buffles, ils ne de-
mandent presque pas de frais d'entretien.
Les buffles et les bœufs ont été massacrés en quantité du temps des
Chinois et de la révolte des Rhas. On trouvait les bœufs en troupeaux
assez nombreux autrefois dans la vallée du Nam Ma, du côté de Xieng
Kho. On les tire maintenant de la région de Nong Kay, où ils abondent.
Un bœuf porteur se paye, à Muong Het, de 60 à 80 dong Kœn, soit de
9 à 11 piastres.
Les chevaux ne sont pas très abondants. Jadis, paraît-il, quand le
pays était calme, ils n'étaient pas aussi rares qu'ils le sont maintenant.
Les chefs ont à peu près tous leur cheval, auquel ils tiennent beau-
coup. Ils s'en servent dans tous leurs déplacements, le palanquin étant
très rarement employé par eux comme moyen de transport.
Il faudra encore du temps pour que le pays se repeuple en chevaux.
Ces chevaux du Laos sont des bêtes solides ; de la même taille que ceux
du Tonkin, habitués aux pays de montagne et partant ayant bon pied
et bon œil, ils sont durs à la fatigue et faciles à nourrir.
On en trouve quelques-uns chez les meos de Muong Pouon, en dehors
des Hoa Panh, dans le Tranh ÎNinh. Ils se vendent de 28 à 33 piastres.
Les autres animaux domestiques que l'on trouve en abondance, co-
chons, chèvres, poulets, canards, etc., servent surtout aux nombreuses
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LES HABITANTS DU LAOS 731
petites fêtes que font à tout moment les habitants, et pour lesquelles
ils les tuent sans compter.
Produits du pays.
Dans les hoa panh de Sam Taï, Muong Yen, Sam Nua, Hoa Muong,
Muong Son, on trouve du benjoin. C'est une sorte de résine que Ton
récolte à époques fixes, vers le mois de janvier. Pour cela faire, on pra-
tique des entailles à Tarbre, en ayant soin de placer au-dessous un réci-
pient pour recueillir les parties qui ne se solidifieraient pas. Dans tous
les hoa panh, on récolte également de la « laque », principalement chez
les Khas. Un peu de cire est recueillie dans les différents hoa panh,
mais ce produit est spécialement réservé aux chefs. Elle sert, dans le
pays, à la fabrication de petites chandelles pour les jours de fête et de
cérémonie. C'est en benjoin, en laque et en cire que Tirapôt était payé
à Luang Prabang, tandis qu'à TAnnam on n'apportait exclusivement
que de l'argent.
Le « cardamum » ou « sanien » se trouve dans les hoa panh de Sam
Taï et de Muong Het ; il doit y en avoir également à Sam Nua. Il est de
qualité inférieure au « Sanien » annamite et est récolté par les Khas et
les P'ou P'aïs.
Le « cunao » est exporté de Muong Soi dans le Thanh Hoa, en des-
cendant le Song Ma. En général, ceux qui se livrent à ce petit corn-
merce ne descendent pas jusqu'à Thanh Hoa même. La vente ou
l'échange de ce produit se font avec les habitants du Quang Hoa, du
côté de Hoï Xuan.
On trouve du « vang sao », qui est vendu à des Chinois. C'est une
écorce d'arbre, couleur jonquille, qui servirait à la confection do re-
mèdes.
On élève des « vers à soie » un peu partout. La soie du pays n'est
pas très fine, les gens n'ayant que des outillages primitifs ; elle ne peut
pas lutter avec la soie annamite au point de vue du fini du travail. Cette
industrie pourrait être sérieusement développée et rapporter de jolis
bénéfices. Dans les alentours des villages, on trouve souvent des mû-
riers, en petit nombre, il est vrai, mais qui prouvent que l'arbre vien-
drait très bien.
n en est de même du coton, cultivé dans de faibles proportions,
pour les besoins de la famille à peine, mais dont la culture réussirait
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732 REVUE FRANÇAISE
sans nul doute. On n'exporte pas de coton, tandis que la soie, achetée
par quelques commerçants chinois établis dans le pays même, va vers
Luang Prabang et la Birmanie. Les Khas, P'ouocs et Pou P'aïs ne
s'adonnent pas à ces deux dernières cultures.
Le « tabac » est cultivé par tous, mais principalement par les Thaïs.
On voit, vers le mois d'avril, de fort belles étendues de ces plantations
de tabac sur les deux rives du Nani Ma, en aval de Xieng Kho.
Les Meos cultivent le « pavot » et vendent dans le pays même
Topium qu'ils fabriquent. Cette culture pourrait être développée dans
de grandes proportions.
Du côté de Muong Sam Taï, sur la frontière du Thanh Hoa, on trouve
de la « cannelle », mais de qualité inférieure à celle du Thanh Hoa.
Elle trouve son écoulement par le Thanh Hoa et la province de Vinh,
régions limitrophes de Sam Taï.
Beaucoup de variétés de fruits viennent sur les différents points du
pays : la pomme, de petite grosseur, du côté de Muong Senen; la prune,
du genre de la « reine-claude », mais plus petite, du côté de Hoa Xieng
(Sam Nua); la châtaigne, semblable à celle de France, du côté de
Muong Soï ; l'amande et la grenade, à Muong Het. Les autres fruits du
Tonkin viennent dans le pays.
En résumé, les cultures de grand rapport venant très bien seraient :
les vers à soie, le coton, la cannelle, le benjoin, la laque, le pavot.
Commerce.
L'esprit du commerce n'est pas très développé dans les Hoa Panh
Tang Hoc. Il y a, à cela, plusieurs raisons. Durant de longues années,
le pays n'a pas été tranquille ; Jes^ habitants allaient alors au plus
pressé, cultivant leurs terres pour avoir de quoi manger, mais se sou-
ciant peu de travailler pour obtenir des produits dont bien souvent ils
n'auraient pas profité eux-mêmes. De plus, le pays n'étant pas sûr,
les quelques rares individus qui se risquaient à sortir de chez eux pour
se rendre au loin se voyaient assez souvent dépouillés en route. Si Ion
ajoute à cela l'apathie des habitants poussée à un très haut degré, on
peut comprendre que le commerce ne se soit pas beaucoup étendu.
Un commerçant qui parcourrait le pays au bon moment pourrait
faire, rien qu'en laque et en benjoin, un chiffre d'affaires assez respec-
table. Pour la laque, il faudrait se rendre dans cette région vers la fin
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PROGRÈS INDUSTRIEL DE LA CHINE 733
d'octobre ; un peu plus tard, vers le mois de janvier ou février, pour le
benjoin.
Ces produits sont jusqu'ici achetés sur place aux prix suivants par
des commerçants venant de Luang Prabang : pour le benjoin de pre-
mière qualité, 30 piastres le picul français de 60 kilogs (soit 100 kilogs
annamites) ; pour le benjoin de seconde qualité, la moitié de ce prix.
La laque se vend 10 piastres le picuL
La soie filée est aussi vendue principalement à des Chinois établis
dans le pays même. Le « pong » de soie filée (poids de 100 dong Koen
d'argent) se vend de 3 à 4 dong Kœn (soit 0S4S à 0$ô5 environ). Des
Leus, qui viennent des Sib song Panh na, échangent aussi de Topium
contre cette soie filée qu'ils rapportent dans leur pays. Le commerce
avec les Chinois ou les Leus se fait beaucoup par échanges, surtout
contre de Topium, dont les Laos usent jusqu'à Texcès.
Ija laque est échangée principalement à Ta-Khoa ou du côté de Cho
Bo contre du sel, qui fait défaut aux gens des hoa panh. Un kilog. de
« laque » s'échange contre 4 kilogs de « sel » ou un poids de 2 dong
Kœn d'opium. Pour un kilog. de « vang sao ï>, on donne 5 kilogs de
sel; le « sanien » ou « cardamum » se vend OglO le kilog. anna-
mite, soit 10 $ le picul de 60 kilogs français, le môme prix que la laque.
C'est par échanges surtout qu'il faudrait procéder, au début, pour
étendre le commerce. Il serait de plus grand profit, aux gens qui vien-
draient ainsi commercer, de se servir de bœufs porteurs au lieu d'em-
ployer des coolies. En outre que les Laotiens, pas plus que les Thaïs, ne
font volontiers le métier de coolie, le prix de transport serait moins
élevé en se servant de bœufs porteurs, sur lesquels on peut mettre un
minimum de 80 à 60 kilogs français. Il n'y aurait qu'une mise de fonds
initiale à sacrifier.
Capitaine Bobo,
de Vïnfanterie de marine.
PROGRES INDUSTRIEL DE LA CHINE
L'ouverture de la Chine au commerce devient de plus en plus une
réalité. Les marchandises européennes pénètrent à l'intérieur du Céleste-
Empire, et les produits chinois en sortent ; les Européens s'installent
dans les grands centres, mais les Chinois se réveillent peu à peu de
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784 REVUE FRANÇAISE
leur torpeur et créent des usines et des manufactures. C'est là un symp-
tôme qui ne manque pas de gravité. On en jugera par le rapport de
M. Dautremer, consul de France à Hankéou, dont nous publions les
extraits suivants :
Il y a bientôt 7 ans, lorsque je suis arrivé pour la première fois à
Hankéou, en 1891, j'ai trouvé une ville un peu en décadence. Les mai-
sons anglaises qui jusque-là avaient été les seules à faire du commerce
dans ce port, s'en allaient les unes après les autres et j'ai assisté à de
nombreuses vente» aux enchères; de toutes les anciennes maisons une
seule était restée.
Je ne considère pas, en effet, comme maisons de commerce les
agences des compagnies de vapeurs qui font le service de la navigation
du Yangtse entre Sanghaï, Hankéou et Itchang. Les Russes, eux, se
confinant dans leur commerce de thé, continueraient leurs affaires avec
la Russie, sans essayer quoi que ce soit d'autre. Trois maisons alle-
mandes faisaient le commerce d'exportation de matières premières et
il n'existait aucune maison française. Les seuls Français résidant alors
à Hankéou étaient trois employés des douanes impériales.
Les choses ont beaucoup changé aujourd'hui : les Anglais n'ont pas
augmenté en nombre,' mais les Allemands ont pris une place consi-
dérable. Les 3 maisons existantes ont augmenté le nombre de leurs
employés ; deux nouvelles maisons se sont installées, et actuellement
trois autres Allemands vont installer une albuminerie.
Les Français se trouvent maintenant représentés par quatre maisons :
MM. Olivier, de Langenhagen et C'^ Racine, Ackermann et C*^; Seunet
frères; L. Vrard et C'®. Un syndicat marseillais vient s'établir dans deux
mois, ayant comme agent M. Grosjean,qui a fait partie de la mission
lyonnaise en 1896-97.
Les Russes enfin, se sonf accrus également : de nouvelles fabriques
de thé se sont élevées et le nombre des résidents s'est augmenté rapide-
ment; ils semblent vouloir s'occuper d'autres genres de négoce; quel-
ques-uns essayent.
Les Japonais sont représentés par deux maisons de commerce.
Quant aux indigènes^ ils ont marché de Vavant. Deux manufactures
de coton sont installées à Outchang, capitale de la province, en face de
Hankéou ; une manufacture de soie est en pleine activité et une asso-
ciation s'est formée qui a construit une manufacture d'allumettes, genre
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EXPLORATEURS ET VOYAGEURS 735
suédois, aujourd'hui en plein rapport. Les usines métallurgiques de
Hanyang, dont on avait presque désespéré lorsqu'elles se trouvaient
momentanément sous le contrôle allemand, sont également en bonùe
voie depuis qu'elles sont retombées dans les mains de leurs fondateurs,
les Belges. Elles fournissent déjà presque tous les rails pour les chemins
de fer du nord de la Chine, et les ingénieurs qui les dirigent espèrent
pouvoir fournir les rails pour le chemin de fer de Hankéou à Pékin. Ils
en font plusieurs millions de tonnes par mois.
Placé au centre de la Chine, sur la grande artère commerciale,
Hankéou ne peut manquer de prendre un essor considéi able, lorsque
les deux lignes de Hankéou-Pékin et de Hankéou-Canton seront
achevées. Là afflueront, en effet, toutes les marchandises des différentes
provinces et il est hors de doute que ce port deviendra le grand marché
de toute la Chine. Pénétrant au nord par les provinces du Honan et
du Tchéli, au sud par celles du Houman, du Kiangsi et du Kouang
tong, on peut dire que ce chemin de fer mettra en œuvre toutes les
forces latentes de la Chine, encore aujourd'hui endormies, sauf dans
les ports ouverts.
EXPLORATEURS ET VOYAGEURS
M. Foureau (XXIII, 619) a quitté Ouargla avec le commandant Lamy
se dirigeant par El Biodh sur Tiniassinin. Son escorte, placée sous les
ordres du capitaine Reibell» est forte de 180 tirailleurs algériens et pos-
sède 2 canons à tir rapide, afin de pouvoir défendre son convoi qui
compte de 900 à 1 000 chameaux et plusieurs centaines de chameliers,
contre les attaques des Touareg. Une autre colonne suit la mission
Foureau dans le but d'établir à Timassinin, un poste semblable à celui
de Fort Mac-Mahon. Timassinin se trouve à environ 450 kilomètres sud
d'Ouargla et 500 kilomètres d'In-Salah.
Le 1' Blondiaux (XXïil, 45), est rentré en France après 15 mois d'ex-
ploration dans les bassins du Cavally et du Sassandra. Les bandes de
Samory l'ont beaucoup gêné dans sa mission, ainsi que des peuplades
anthropophages comme les Diohas. Entouré par 500 de ces derniers
avec sa troupe qui ne comptait qu'une quarantaine d'hommes, il ne put
que difiBcilement continuer sa route. En rentrant au Sénégal, le 1* Blon-
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736 REVUE FRANÇAISE
diaux a pris pari au siège de Sikasso. Les documents qu'il rapporte
permettent d'établir la frontière franco-libérienne soit en suivant le
cours de la rivière Dionou, soit celui de la rivière Nuon, puis ensuite la
ligne de partage des eaux des rivières S^-Paul et Sassaudra.
M. Guillaume Grandidier (XXIII, 240), après avoir fait, à son arrivée
à Madagascar, des fouilles sur la côte (avril 1898), a poussé jusqu a
Mababo, ancienne capitale du Ménabé. Arrivé en mai à Tulléar, il a
essayé de pénétrer dans le pays des Mahafales, mais n*a pu y parvenir
en raison des troubles existants. Il a étudié alors le cours de la rivière
Onilahy,ou Saint-Augustin, et a fait d'importantes collections d^ fossiles
notamment de la grosse tortue et de Yœpyornis, Voiseau géant de Madas-
car. De Tulléar, il s'est rendu au poste de Berakcta, sur le Sakondry,
puis a remonté l'Onilahy et est arrivé au pays des Antanosses émigrés,
après avoir échappé à une bande de Mahafales. Après avoir traversé
pendant 5 jours un pays entièrement désert, il est arrivé à Ihosy, où il
a assisté à rinccndie du village et du poste militaire. Enfin, le 16 sep-
tembre, il entrait à Fianarantsoa. De là, après avoir visité Tlkongo, il
devait se rendre à Tananarive.
L'explorateur Cavendishy qui a renoncé au nouveau voyage qu'il de-
vait accomplir au pays des Somalis (XXIII, 173), s'est rendu au Zambèze,
et a commencé l'installation du télégraphe dans la région la plus septen-
trionale du territoire de la Rhudésia.
Dans une lettre adressée au ministre des afiFaires étrangères, le prince
Henri d* Orléans, déclare renoncer h son projet d'exploration en Abyssi-
nie. Son but était de tendre la main à la mission Marchand et de lui
porter des renforts sur le Nil, à travers l'Abyssinie. Mais, mal secondé
dans les sphères gouvernementales, il ne put réunir à temps les éléments
nécessaires au succès de la mission, et après 2 voyages en Abyssinie,
abandonne un projet rendu inutile par le rappel de l'expédition Marchand.
On annonce la mort du colonel Coe//o, président de la S**" de géogra-
phie de Madiid. Il avait été chargé, par son gouvernement, de la direc-
tion de tous les travaux géographiques, géodésiqueset géologiques. Son
œuvre la plus importante est l'atlas des provinces espagnoles en 65 feuil-
les, à l'échelle du 1. 200.000. Né en 1822, il avait fondé, en 1876. la
S^*^ de géographie de Madrid. Il fut le promoteur de plusieurs expédi-
tions en Afrique : au Maroc, au Rio de Oro et dans l'Adrar.
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NOUVELLKS GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES
AFRIQUE
Tunisie : Arsenal de Bizerte — A roccasion du voyage du ministre de la
marine, le Yacht indique les travaux en exécution à Bizerte. Le lac qui
communique par un goulet avec la baie de Sebra, est une vaste nappe d'eau
dans laquelle on peut décrire un cercle de 3 milles de diamètre ; on y trouve
des profondeurs de 10 mètres au moins. Sidi-Âbdallah, situé au fond du lac,
près du ruisseau qui le relie à une seconde nappe d'eau presque aussi étendue,
le lac Ishkel, dont l'eau est douce, a été choisi comme point d'établissement
d'un arsenal. Deux digues de 500 et 800 mètres y seront achevées sous peu.
Le fond sera creusé entre elles, à la profondeur de 10 mètres. Sur les 700 hec-
tares que la Marine s'est réservée à terre, on élèvera des ateliers, magasins
et dépôts de charbon ; un bassin de radoub de grandes dimensions y sera
creusé. Ces travaux qui devraient être exécutés depuis longtemps assureront à
Bizerte le rang qu'il doit avoir comme port de guerre. Il ne restera plus
qu'à le fortifier et à lui donner une garnison sérieuse. Près de Sidi-Abdallah,
on a fondé récemment une nouvelle cité baptisée du nom de Ferryville.
Bou Grara. —- Une grande nappe d'eau, le lac ou mer de Bou-Grara, s'étend,
au sud de la Tunisie, derrière la grande lie de Djerba, dont le point culmi-
nant est de 30 mètres au plus. Le meilleur chenal pour y pénétrer se trouve
près du village d'Adjim ; la navigation y est rendue difficile, même pour un
torpilleur, par les bancs de sable et de petits fonds, mais est facilitée aujour-
d'hui par un balisage. Le grand lac a, dans l'intérieur, des fonds de 15 et
16 mètres. En draguant les 2 chenaux qui y conduisent, on pourrait, à peu
de frais, y établir un excellent mouillage abrité.
Soudan français : IftMÎoii de Trentinian. — Le général de Trentinian,
qui a récemment occupé les fonctions de gouverneur du Soudan, s'est embar-
qué le 19 nov. pour y retourner au même titre, en remplacement du colonel
Audéoud. Pendant les 2 années de sa 1« administration, il a introduit dans
le budget de la colonie de sages mesures d'économie, tout en développant
avec succès la production et le mouvement commercial du Soudan. Son retour
sera d'autant plus apprécié qu'il emmène avec lui une mission d'hommes
techniques, chargés de faire connaître et de développer les productions delà
colonie. Parmi eux se trouvent : M. Coppolani, attaché aux affaires indigènes
de l'Algérie, particulièrement initié sur les relations des confréries musul-
manes; M. Jacquey, ingénieur agronome, chargé de l'étude du coton;
M. Fauque, connu par ses études sur le caoutchouc à Java et en Birmanie;
M. Hamet, ingénieur; M. Bastard, publiciste; un ingénieur électricien;
2 botanistes et un peintre. Grâce- à l'impulsion que le général de Trentinian
ne manquera pas de donner à ces spécialistes, le Soudan, aujourd'hui pacifié,
ne saurait manquer de devenir peu à peu une colonie productive.
Côte d'Ivoire : Étude de chemin de fer. — Une mission d'officiers du
génie, dirigée par le capitaine Houdaille, s'est embarquée le 25 nov. à Mar-
xxni (Décembre 98). N» 240. 48
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738 REVUE FRANÇAISE
seille pour la Côte dlvoire. Elle comprend les capitaines Cresson, Dnplessis,
Thomasset, le 1^ Macaire, Tadjudant Borne et une quinzaine de sous-officiers
et de sapeurs. Son but est d'étudier un avant-projet de voie ferrée allant de
la Côte d'Ivoire à l'intérieur. Aucune élude technique n'ayant encore été
faite, la mission reconnaîtra les trois voies suivantes : La 1"» allant de Grand
Bassam vers le nord par le Comoé, la 2« de Grand Lahou à Kong par Tias-
salé, la 3« passant entre le Comoé, et le Bandama.
La capture de Samory et la pacification qui en est la conséquence vont
permettre de développer la vie économique de ces riions.
Haut-Dahomey : Organisation en cercles. — Le Journal O/ficiel du Da-
homey du i5 août 1898 a publié un arrêté divisant en 4 cercles les territoire
du Haut-Dahomey compris entre le Niger, le Soudan français, la colonie
allemande du Togo, le 9^ parallèle et la colonie anglaise de Lagos.
Le cercle de Gourma (1) comprend les provinces de Fada N'Gourma, de
Pâma, de Matiacouali, de Kodiar, de Rotoa et dépendances; il est limité au
nord par le Soudan français et le Togo, à Test par le Zaberma ou Dendi et
la province indépendante de Baniquara, au sud par la province de Kouandé.
Le cercle de Djougou-Kouandé est formé par les royaumes de Rouandé,
de Djougou, les pays Kafîris et leurs dépendances; ce cercle est limité au
nord par le Gourma, à Test par les provinces de Bouay et Parakou, au sud
par le cercle de Savalou-Carnotville et à l'ouest par le Togo.
Le cercle du Borgou est formé par les provinces de Nikki et Parakou et
leurs dépendances; ce cercle est limité au nord par la province de Bouay, à
l'est par la colonie anglaise de Lagos, à louest par la province de Djougou et
au sud par le cercle de Savalou-Carnotville.
Le cercle du Moyen -Niger est formé par les provinces de Bouay et de Kan-
di, par le pays indépendant de Baniquara et les territonres du &benna ou
Dendi, situés sur les deux rives du Niger, et leurs dépendances; ce cercle
est limité au nord par le Soudan français et la frontière firasco-anglaise du
14 juin 1898, à Pest par cette même frontière, au sud par les provinces de
Nikki et de Parakou et à l'ouest par le Gourma et la province de Rouandé.
Ces 4 cercles sont administrés par des résidents placés sous la direction
du commandant supérieur du Haut-Dahomey.
Madagascar : Colonisation militaire . — Le général Gallieni a publié, le
9 juin, dans le Journal Officiel^ ujie circulaire prescrivant aux chefs de corps,
commandants de territoire et de cercle, de mettre les militaires qui ont
l'intention, une fois libérés, de devenir colons, à la tête, dès leur dernière
année de service, d'une exploitation agricole. Ils seront ainsi mis à même
de s'assimiler les procédés de culture et d'élevage qu'ils auront à appliquer
plus tard. Le général Gallieni enjoint aussi aux commandants de poste
d'aider les anciens soldats devenus colons à recruter la main-d'œuvre dont
ils ont besoin ; des avances de fonds pourront même leur être feites. Mais
- - - — ' I ^ —
il) Voir la carte de rHinterlmid dm Dahomey, Hei\ Ft. a?. 1808, p. 201.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES
739
a>ant cette circulaire, ces mesures d'encouragement avaient été appliquées
dans ]*!le et avaient donné d'excellents résultats.
Cultures. — Des expériences ont été faites au jardin d'essais de Nahanisana
sur un certain nombre de cultures. Il en résulte que le sarrazin pousse en
Érayrne avec la plus grande facilité. L'avoine a donné de moins bons ré-
sultats, mais cependant 2 des 6 variétés essayées paraissent réussir. Les
essais de maïs de fourrage n'ont réussi qu'à moitié. La patate indigène, dite
sihanaka, pourra être utilisée comme plante fourragère.
Port de Tulléar, — On éprouve une véritable satisfaction, dit une corres-
pondance du Temps du 4 octobre, après avoir longé, depuis Majunga, la c6te
ouest sans rades ni abris sérieux, avec des barres souvent impraticables, à
pénétrer dans l'excellent petit port de Tulléar, bien fermé par la terre et
une ligne de récifs qui le protège contre les vents du large, il n'a qu'un in-
convénient, c*est, à la basse mer, la grande laisse qui retient les embarca-
tions à 1.200 ou 4.500 mètres du rivage et oblige le voyageur à faire ce
trajet en filanzane ou sur les épaules des indigènes. Il iaudrait donc, si l'on
voulait profiter des grands avantages que présente ce merveilleux point de
débarquement, y construire un wharf; cette question est à l'étude.
Il faut ajouter que le port de Tulléar, le seul que l'on trouve sur la côte
occidentale après Majunga, a devant lui un brillant avenir. Autrefois, malgré
l'état troublé du pays, les traitants y faisaient un commerce assez important
de caoutchouc, bœufe, pois du Cap, tortues, etc. ; la pacification du pays ne
peut qu'en développer la prospérité. Toutes les maisons de commerce, tous
les colons établis dans l'île de Nossi-Vé, où ils trouvaient un refuge contre
les incursions des indigènes de Fintérienr, se sont transportés à Tulléar, et
il ne reste plus personne sur l'ilot de sabte qui fut le si^e d'une résidence,
Ouganda : Chemin de fer. — La constructioii du Chemin de fer de l'Ou-
ganda avance rapidement.. En mars dernier, le rail atteignait le kiloipètre
423. La pose de la voie a dépassé le deuxième parallèle sud et les travaux
préparatoires sont achevés sur la moitié de la distance, entre Monbassa et le
lac Victoria. Entre Monbassa et Toto-Andei (261 kil.), il n'y a que quatre en-
droits où l'on trouve de l'eau ; le sol est accidenté et couvert d'épines. La
section comprise entre la côte et Voi a été livrée à Texploitation le 15 dé-
cembre 1897 et le 20 août 1898, on a inauguré 100 autres kilomètres. Actuel-
lement, la ligne est exploitée entre Kilindini (près Monbassa) et Toto-Andei,
sur une longueur de 261 kil., qui comporte 13 stations, La station de Voi
est à 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il y a un train par jour en
chaque sens. On part de Kilindini à 8 h. m. et on arrive à Voi, où on passe
la nuit, à 5 h, s. On repart à 7 h. m., pour arriver à Toto-Andei à il h. du
matin.
Anglais au Nil. — L'expédition du major Macdonald ayant été arrêtée pen-
dant plus d'une année par la révolte des troupes soudanaises de l'Ouganda,
force lui avait été de renoncer à atteindre le Nil, pour prévenir la mission
Marchand à Fachoda. La rébellion de l'Ouganda étant considérée comme ter-
m
KM
' S
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740 REVUE FRANÇAISE
minée, les Anglais ont repris leur projet de descendre le Nil jusqu'au Sou-
dan. Le Times (23 nov.) a publié une lettre datée de Foweira-Fort (Unyoro),
20 août, donnant des détails sur une expédition qui était sur le point de par-
tir de cet endroit dans la direction du Nord^ en suiTant le Nil. La colonne
principale, sous les ordres du major Martyr, accompagné de 8 officiers an-
glais, devait partir de Fajao et se diriger vers Duûleh, en se servant du Nil.
L'autre colonne, commandée par le capitaine Carlelon, devait aller par terre
de Foweira-Fort, via Fatiko, à Dnfileh, d'où les deux colonnes réunies de-
vaient se rendre à Lado, pour s*y arrêter pendant un temps considérable, y
établir une station et y réunir des vivres et du matériel.
Soudan oriental : Service médical à Parfnée anglo^gyptienne, — Une
des causes de la parfaite réussite de Texpédition anglo-égyptienne de Kbar-
toum, a été incontestablement sa merveilleuse organisation sanitaire et médi-
cale. Un médecin était affecté à chaque bataillon, escadron et batterie.
Dans chaque bataillon, 32 hommes exercés étaient désignés d'avance, en cas
de besoin, pour donner les premiers soins aux blessés ou malade et assurer
leur transport dans les hôpitaux volants qui suivaient les brigades ; chaque
brigadedisposait de 5 hôpitaux de ce genre, avec médecin et 25 hommes
pour chacun, sous les ordres d'un médecin principal. Les blessés étaient
transportés, de ces hôpitaux volants, à des embarcations amarrées dans le
fleuve et pouvant recevoir 200 hommes. Deux installations pour la produc-
tion et l'utilisation des rayons Rœntgen, avaient été faites sur ces bateaux.
Entre Khartoumet Atbara, il y avait 8 lignes d'hôpitaux de communica-
tion de chacun 50 lits ; au camp d' Atbara, on avait édiGé un hôpital un peu
plus confortable pour 250 hommes, qui recevaient les soins de 6 médecins.
Enfin, l'hôpital d' Atbara était relié par des trains spéciaux à 2 autres hôpi-
taux construits en aval, l'un à Abadéahn, l'autre à une vingtaine de kilo-
mètres de Berber. Chaque canonnière avait son médecin. Les instruments et
les médicaments n'ont jamais manqué. Cette excellente installation ne
profita point aux blessés mahdistes ; car ceux-ci, ainsi que nous le confirme
une polémique entre journaux britanniques, furent égorgés de sang-froid
par les vainqueurs sur le champ de bataille d'Omdurman.
ASIE
Perse : Les Anglais à Bouchir, — Une note de Bombay, 26 octobre, adres-
sée aux Débais, dit qu'il y a environ six mois, l'Impérial Bank of Persia
s'était fait attribuer le contrôle des douanes de Bouchir, comme garantie
d'une avance de 1.250.000 fr., au gouvernement persan. C'était la mainmise
par les Anglais, en vertu d'une ligne de conduite dès longtemps suivie, sur
le port le plus important du golfe Persique, en môme temps que l'introduc-
tion de procédés d'administration plus honnêtes, sans doute, mais aussi plus
rigoureux. Cette mesure provoqua, de la part des marchands du lieu, une
opposition d'autant plus vive que le souci de leurs intérêts y avait autant de
part que le patriotisme.
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NOUVELI.es géographiques et coloniales 741
La population de Bouchir, ameutée, se souleva; mais les Anglais ayant
pris aussitôt prétexte de ces troubles pour débarquer des troupes de marine,
les adversaires de leur influence ont eu recours à d'autres moyens plus eOi-
caces, bien que moins bruyants. On est parvenu à se débarrasser de la Banque
en lui faisant rembourser purement et simplement son avance. Cest un
échec pour la politique anglaise d'intervention à outrance dans le golfe
Persique.
Hong-Kong : Renforcements, — Les Anglais ne se sont pas contentés
d'agrandir considérablement leur territoire de Hong-Kong aux dépens de la
Chine; ils ont, depuis plusieurs années, renforcé sans arrêt la défense de leur
possession, qui n'a, d'ailleurs, jamais cessé de se développer. Actuellement,
la colonie renferme 240.000 habitants, dont 12.000 blancs, soit 50 0/0 de plus
qu'en 1889.
Pour mettre Hong-Kong, dépôt de charbon, en état de défense, en plus des
batteries et des travaux de défense qui étaient en cours de construction en
1889, une grande quantité de canons se chargeant par la culasse, du calibre
de 23 c, a été installée sur l'île de Stonecutter et dans la passe de Lye Ee
Moon, ce qui s'oppose à toute entrée dans le port ou dans la rade. Ces pièces,
dit VEngineor, sont dans des casemates protégées par des plaques d'acier, et
s'ajoutent aux batteries de 15 c, aux lourdes pièces assez vieilles qui furent
installées à la suite du plan de défense de sir William Crossman. Au som-
met du Peak, à une altitude de 540 mètres^ une série de batteries de 23 c. est
en fin d'achèvement, et on y a joint des « chercheurs de position du système
Watkin » installés dans le roc. Ces dernières pièces pourront tirer par-des-
sus tout le Lamma Channel et les approches de la rivière Pearl. Le feu plon-
geant de canons de si gros calibres (pouvant lancer un projectile de 172 kg.),
effectué par des batteries possédant un si haut commandement, peut s'oppo-
ser à toute approche d'un ennemi venant de l'ouest. A l'est, la passe de Lye
Ee Moon, large d'un demi-mille seulement, est gardée de la même ma-
nière. »
L'approvisionnement, d'eau qui se trouve près de Tytam Took, au sud de
l'île, est assez précaire ; l'eau coule vers la ville de Victoria par une petite
galerie percée dans le roc sur une longueur de 2 milles. On travaille en ce
moment à la protection de cette source, et le réservoir actuel sera beaucoup
agrandi, pour tenir compte de l'énorme consommation d'eau de la colonie.
*Les docks d'Aberdeen ne sont couverts encore par aucune bouche à feu,
mais l'île de Stonecutter est hérissée de canons et protège le bassin d'échouage
et les immenses docks de Kowloon.
Mékong : Navigabilité. — MM. Ytier, 1^ de vaisseau, Desbos, ingénieur
des ponts et Morin, 1^ de la légion étrangère, ont fait un intéressant rapport
sur la navigabilité du Mékong, aux basses eaux, entre KratiéetStung-Treng.
Jusqu'en 1885, malgré les travaux de Doudart de Lagrée et de Francis
Garnier (qui avaient indiqué, dès 1865, la possibilité de remonter avec un
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742 HEVUE FRANÇAISE
bateiiu à vapeur jusqu'à Khône en franchissant les rapides de Sambor, de
Préapatang et de Rhondinh), la navigation à vapeur sur le Mékong ne dépas-
sait pas Kratié. Grâce aux travaux du commandant Réveillère et des 1*« de
vaisseau de Fésigny et Heurtel, de 1885 à 1889, la navigation à vapeur entre
Kratié et Khône fut réalisée aux hautes eaux.
La C^« des Messageries fluviales construisit, en 1892, un bateau, le Bassac,
assurant pendant les hautes eaux un service hebdomadaire entre Pnom-
Penh et Khône, le barrage de Khône étant infranchissable pour les vapeurs.
En 1893, le service des travaux publics de Cochinchine établissait dans
rUe de Khône, une voie ferrée destinée à transborder la canonnière La
Grandièrey commandée par le 1^ de vaisseau Simon, chargé d'étudier la navi-
gation du Mékong supérieur. Cette voie feri-ée, dont le tracé a été modifié en
i896, après le transbordement des bateaux de la C'^^des Messigeries fluviales,
le Garcerie et le Colombert, est mise à la disposition du commerce pour le
transbordement des marchandises de Khône ouest à Khône sud, distants de
6 kilomètres.
En 1894, le l^ de vaisseau Georges Rabaglia conclut à la possibilité de
remonter de Kratié à Khône au moment des basses eaux ; il descendit un
chenal sur Y Argus avec 1»" 20 de crue à Stung-treng correspondant à une
montée de 2»" 50 à Kratié.
En 1896, Tadministration du Laos a créé, avec le vapeur VArgus, un ser-
vice permanent reliant Khône à Stung-treng sur 60 kilom. En même temps,
M. Catoire était chargé d'exécuter des travaux pour améliorer la navigabilité
du Mékong au-dessus de Kratié. Il paraît inutile de baliser une ligne pré-
sentant des dangers, à Taide d'ouvrages distants de un mille environ; la
violence du courant, dont la direction varie d'un point à un autre, empêche
absolument la navigation d'un bateau suivant des ahgnements définis par
des points aussi éloignés.
La chaloupe à vapeur le Samhor est le 1«' bâtiment qui fit le trajet aux
basses eaux de Kratié à Stung-treng. Cette chaloupe calant J*»50, les 0"30
de tirant d'eau qu'elle a de plus que le bateau dont le type est donné par le
comité de navigation du Mékong, compensent largement les O"* 35 de diffé-
rence entre Tétiage de cette année et l'étiage des années précédentes. Le
Sambor ayant pu franchir tous les obstacles, la mission Ytier, Morin et
Desbos pense que le Mékong sera navigable entre Kratié et Slung-treng, aux
basses eaux, pour un bateau calant 1 mètre, aux conditions suivantes ;
1» Que le bateau donnera 12 nœuds aux essais; 2^ Qu'il y aura à bord un
pilote taïcon, connaissant la passe des basses eaux; Z^ Que les pacages diffi-
ciles, entre autres ceux de la Doucreacle, Sambor et Samboc auront été
dérochés et que de petites bouées baliseront la route lorsque le chenal ne
sera pas suflisamment indiqué.
L'extraction des roches est commencée sous la direction du capitaine
Denis, des Messageries fluviales de Cochinchine.
Chine : Massacre du P. Chanès, — Les Missions catholiques de Lyon ont
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 743
publié le récit du massacre d'un missionnaire et de 13 de ses catéchumènes
dans une chapelle située à Pak-Tong, sous-préfecture de Pok-Lo, préfecture
de Houi-Tchéou, à 35 lieues à Test de Canton.
Le P. Chanès, à la suite de tracasseries dont les chrétiens étaient victimes,
s'était rendu à Pak-Tong et avait pu obtenir une indemnité des mandarins.
Tout à coup, le 14 octobre, sur un mot d'ordre, un groupe de païens s'élance
vers la chapelle, située en dehors des murs de Pak-Tong. Il était 8 h. du
matin. Le P. Chanôs était là avec 20' chrétiens ou catéchumènes. Surpris par
cette masse d'individus armés ou menaçants, ils ont à peine le temps de fer-
mer les portes. A grands coups de hache, on essaye de les enfoncer. Ne réus-
sissant pas, les meneurs vont chercher quelques chaînes de paille, de bois et
du pétrole. Ils disposent le tout à la porte de la chapelle et y mettent le feu.
Bientôt les flammes s'élèvent de tous côtés. 11 était dix heures.
11 y avait dans l'église 7 catéchumènes. Le père les exhorta à la contrition
et au sublime sacrifice de leur vie, puis il les régénéra dans les eaux salu-
taires du baptême. Les chrétiens se confessent et tous reçoivent avec l'abso-
lution l'indulgence plénière. Ils étaient prêts. Us pouvaient mourir.
Leur tourment durait depuis 7 heures : le feu avait dévoré les portes : du
dehors les balles sifflaient dans la chapelle, lorsque tout à coup le mandarin
militaire de la localité, traversant les rangs des émeutiers, entre dans l'église.
Que vient-il faire? Un léger espoir se glisse dans le cœur des prisonniers...
Il ne dura pas longtemps. 11 venait sauver un de ses parents. Le P. Chanès
le connaissant, le prie de l'emmener avec tous ses chrétiens. Le mandarin
Wing Tching Tchong fut impitoyable et refusa net.
A peine ce haut fonctionnaire était-il sorti avec son parent que la foule
se précipite à l'intérieur. Le père était à genoux au pied de l'autel, offrant à
Dieu son sacrifice. Une balle l'atteint à la jambe, une autre en pleine poitrine
le traverse de part en part. Une 3® lui laboure la tempe droite. Malgré ses
blessures, le père était encore vivant. Les assassins se jettent sur lui à coups
de couteau, le frappent violemment au cœur et d'un coup de hache lui fen-
dent le crâne, d'où jaillit une partie de la cervelle. Le sacrifice était con-
sommé. En ce moment, quelques chrétiens se perdirent dans la foule et eu-
rent la vie sauve. Les 13 qui furent massacrés avec le père eurent presque
tous la tête tranchée. Ils étaient tellement défigurés que plusieurs d'entre
eux n'ont pu être reconnus. Il était 4 heures. La chapelle est pillée et dé-
molie de fond en comble.
U est à remarquer que, pendant le siège de la chapelle, qui a duré près
de 9 heures, aucun mandarin, aucun soldat n'est venu au secours du mis-
sionnaire. Les soldats, pourtant, n'étaient éloignés que de 2 li (800 mètres),
le mandarin militaire était à 30 pas et tous les autres à moins d'un kilo-
oiètre. Depuis, le sous-préfet a été révoqué. Se sentant coupable, il s'est fait
ustice en s'empoisonnant.
AMÉRIQUE ET DIVERS
État8-Uhis : Croisière du Saint-Louis. — Les Américains, qui manquaient
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744 REVUE FRANÇAISE
de navires légers et rapides dans la guerre contre l'Espagne, ont su tirer on
excellent parti de leurs vapeurs de commerce ou de plaisance transformés
en croiseurs auxiliaires. Les grands paquebots de V American Line à marche
rapide, ont rendu particulièrement de bons services. Le Moniteur maritime
retrace la croisière de Tun de ces paquebots, le Saint-Louis,
Réquisitionné le 24 avril i898, il sortait de New- York 6 jours après, avec
son artillerie en place, ses munitions et 4.000 tonnes de charbon disponible.
Les officiers et les matelots du paquebot avaient reçu simplement des com-
missions les tr^ansformant en soldats ; on leur avait seulement adjoint un
commandant, des officiers et des canonniers.
Ainsi transformé en croiseur auxiliaire, le Saint-Louis se rendit entre la
Guadeloupe et Haïti en vue d'observer le passage de l'escadre espagnole. Le
15 mai, il était chargé de couper les communications télégraphiques de Cuba.
Trois jours après, il était devant Santiago, cherchant à rompre le câble de
la Jamaïque. Après avoir, au lever du jour, ouvert le feu contre le fort de
Morro, il s'avança jusqu'à 3 milles de terre et jeta ses grappins dans l'espoir
de draguer le câble. Ce fut seulement vers midi, sous un feu txès vif mais
peu précis de l'ennemi qu'il l'accrocha, à un mille i/4 seulement de la côte.
Tout en travaillant à relever le câble et à le couper, les Américains couvraient
de projectiles les batteries espagnoles. Le Saint-Louis tira ainsi 172 coups de
canon et ne reçut que quelques boulets dans son gréement. Le 19 mai, il se
rendit à Guantanamo pour couper le câble touchant à Haïti; mais il fut
reçu par une canonnière espagnole dont les pièces, d'une portée supérieure
â celles du croiseur, ne permirent pas à celui-ci de couper le câble. Le Saint-
Louis se dirigea alors sur Haïti où il procéda à la section du câble c en deçà
de la limite de 3 milles des eaux territoriales neutres ». Plus tard, il servit
au transport des dépêches, au maintien du blocus de Cuba et captura
2 bâtiments espagnols. Enfin, il transporta les marins espagnols faits prison-
niers à Santiago et prit part au convoi des troupes envoyées à Puerto-Rico.
L'Amirauté américaine a reconnu l'utilité des grands paquebots transfor-
més en croiseurs; elle a du reste généreusement payé les services des 4 pa-
quebots de VAmerican Une a S*-Louis, S'-Paul, Yale et Harward », en don-
nant à celle-ci une indemnité de 7 milUons 1/2 de francs.
Allemagne : Expansion coloniale. — Les diverses colonies de l'Allemagne
en Afrique ont une superficie d'environ 2.133.000 kil. carrés et renfermaient,
au i^** janvier 1897, 3.913 résidents européens, dont 2.182 allemands.
La colonie du Togo est la seule qui se suffise à elle-même.
Les forces militaires allemandes en Afrique comprennent 962 officiers et
soldats allemands et 2.C50 soldats coloniaux, sans compter les forces de po-
lice. Les dépenses de la Métropole pour 1898-99 sont évaluées â 11 mil-
lions 1/2 de francs, en augmentation de 1.475.000 francs sur l'exercice
précédent.
Le commerce total a été. Tan dernier, de 41 millions de francs, dont 28
millions d'importations. L'Allemagne n'entre que pour 42 0/0 dans ce total.
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NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES ET COLONIALES 745
Presque toutes les exportations du sud-ouest africain vont en Angleterre et
un quart des importations vient de territoires anglais. Près de la moitié des
importations de l'Afrique orientale allemande provient des Indes et la plus
grande partie des exportations va à Zanzibar pour y être transbordée.
Colonies trançaises : Colons. —M. Franck Chauveau, dans son rapport
sur le budget colonial de 1898, au Sénat, a constaté que le total des colons
établis dans nos colonies était de plus de 4 300 (en i897), dont 1444, soit
environ le tiers, en Nouvelle-Galédoniey 1 032 à, Madagascar et dépendances,
447 au Tonkin et en Annam, 367 au Sénégal, 323 à Tahiti, 272 en Cochin-
chine et au Cambodge, 138 au Dahomey, 90 au Congo, 82 en Guinée, 52 à
la Côte d'Ivoire, 40 au Soudan, 21 à la côte des Somalis (Obock), 19 dans
rinde fitmçaise. On n'a pas les chifTres des colons établis à la Réunion, la
Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Saint-Pierre et Miquelon.
Sur les 4 300 colons, il y a environ 380 industriels, 950 agriculteurs ; les
commerçants forment le reste, c'est-à-dire environ 3 000.
Les agriculteurs se répartissent ainsi : 763 en Nouvelle-Calédonie, 105 à
Madagascar, 59 en Cochinchine et au Cambodge, 23 en Annam et au Tonkin,
1 à Tahiti. Il n'y en a aucun dans nos autres possessions, sauf nos colonies
séculaires qui sont de véritables départements français.
Il y a 210 industriels au Tonkin et en Annam, 49 en Nouvelle-Calédonie,
36 en Cochinchine et au Cambodge, 32 à Madagascar, 27 au Sénégal, 19 à
Tahiti, etc.
Les commerçants sont au nombre de 632 en Nouvelle-Calédonie, 340 au
Sénégal, 303 à Tahiti, 214 au Tonkin et en Annam, 177 en Cochinchine etau
Cambodge, 138 au Dahomey.
Il r<^.sulte de ces chiffres que la Nouvelle-Calédonie a seule jusqu'ici attiré
un nombre notable de colons et que Madagascar est en bonne voie à ce point
de vue ; on est surpris aussi de voir le rang supérieur qu'occupe dans cette
statistique notre petite colonie de Tahiti, mais on est attristé par les chiffres
dérisoires des colons établis au Soudan, par exemple. Il est vrai que les
communications y sont si difficiles !
Marine française : Construction rapide. — Les chantiers maritimes
français ont la réputation d'être fort longs pour achever la construction des
navires de guerre. Aussi considère-t-on, à bon droit, comme un vériable tour
de force le lancement (1" septembre) du cuirassé d'escadre léna^ qui avait
été mis en chantier le 15 janvier 1898, à Brest. On a donc mis 7 mois 1/2
seulement pour construire ce navire ; c'est un exemple unique, car il fallait
généralement 2 à 3 ans pour faire un travail semblable.
A titre de curiosité, rappelons qu'entre la mise en place de la l''^ pièce
et le lancement, il avait fallu 25 mois pour le Charles-Martel, 15 mois 1/2
pour le Charlemagne, 9 mois 1/2 pour le Gaulois qui détenait jusqu'alors le
second en vitesse.
Le délai compris entre Tordre de construction et le lancement a été de
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746 REVUE FRANÇAISE
36 mois pour le Charles-Martely de 24 mois i/2 pour le Charlemagne, de
ti mois pour le Gaulois, et de 17 mois pour Vléna. C'est un progrés considé-
rable si Ton songe qu'il a fallu 10 années pour construire des cuirassés
comme le Magenta, le Marceau, etc. Mais, ce qu'il faut ajouter, c'est que
Vléna ne sera complètement armé et n'aura terminé ses essais que dans 2 à
3 ans. C'est encore beaucoup.
Ce dernier cuirassé d'escadre terminé coûtera 28 millions 1/2 ; on a em-
ployé environ 1.000 hommes par jour aux travaux de construction.
Escadres françaises : Composition, — Par suite de l'envoi de la Médi-
terranée dans rOcéan, et vice-versâ, de divers bâtiments la composition des
escadres de la Méditerranée et du Nord, a été profondément modifiée.
L'escadre du Nord, vice-amiral Sallandrouze de la Mornaix, comprend
6 cuirassés : Formidable ^ Courbet, Amiral-Baudin, Amiral Duperré, Dévastation,
Redoutable; 1 croiseur cuirassé : Dupuy-de-T^ôme; 2 croiseurs : Caiinat,
Surœuf et plusieurs contre-torpilleurs et torpilleurs de haute mer.
L'esoadre de manœuvres de la Méditerranée, vice-amiral Fournier, com-
prend 6 cuirassés : Brennus, Masséna, Bouvet, Charles-Martel, Camot, Jauré-
guiberry ; 5 croiseurs cuirassés : Pothuau, LatoucheTréville, Chanwy, Chômer,
Bruix; 6 croiseurs : Cassarâ, du Chayla, d'Assas, Lvnois, Galilée, Lavoisier et un
certains nombre de contre-torpilleurs et de torpilleurs de haute mer.
3 cuirassés : Magenta, Marceau, Neptune, formant la divison d'instruction,
seraient prêts à suivre l'escadre dans les 48 heures.
En outre, une division de réserve comprenant les garde-côtes cuirassés :
Bouvines, Jemmapes, Valmy, Tréhouart, Caïman, et le croiseur transport de
torpilleurs la Foudre, se trouve en état de disponibilité armée.
Dans la Méditerranée, l'Angleterre possède une escadre permanente qui
est égale en forces à notre escadre de manœuvres. Elle a en outre actuelle-
ment à Gibratar, une 2** escadre qui ne compte pas moins de 8 cuirassés.
BIBLIOGRAPHIE
Le plus populaire des Almanachs : rAlxnanach Hachette, pour 1899,
vient de paraître. En ses 436 pages illustrées de 1081 figures et 10 cartes en
couleur, il renferme : d'abord des probabilités de temps, des conseils prati-
ques relatifs aux jardins, au ménage, à l'hygiène, le tableau des monnaies,
poids et mesures, un barème pour faire ses payements, et ce merveilleux
Agenda qui sert de calendrier, de mémento et de carnet de comptes.
Aux articles sur les ordres religieux de femmes, les Anglais au Soudan,
Madagascar, la guerre hispano-américaine, les peintres français, l'histoire de
l'habitation, etc., il faut ajouter : l'art de connaître, les bons et les mauvais
serviteurs, les chances qu'une femme a de se marier, les grandes découvertes»
l'automobilisme, les marines de guerre, etc.
Chaque acheteur de VAlmanach a droit d'utiliser des bons-primes qui lai
remboursent 50 fois les 30 sous que lui aura coûté l'exemplaire.
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TABLE DES MATIÈRES DU TOME XXIII - 1898
Livraisons de 229 à 240
Les articles de fonds sont en itaUqtte et les noms d'explorateurs en capitale»*
Abys8inie:LE0NTiEFr 496
— DE BoNCHAMPs {catie) . 306 435 548
— La mission de Bonchamps . . . 480
— DE PONCTNS 371
— H. d'Orléans . . 306 371 496 548
— (Le prince Henri iïOrléam en '. 151
— Lazaristes français 380
— Monnaies 248
— Traité avec TAngleterre {texte), 185
Adamaoua : Epaves mission iMizon. 183
Afrique : Traversée Ed. Foa . . 47 239
— Zintgrapf -j* 47
Afrique allemande : Budget . . . 120
Afrique aust. anglaise : Télégraphe. 53
— E. HoYOS 238
— Gibbons 238
— M. Rhodes, diret^teur 377
Afrique or*« anglaise : Delakerb. 240
— Cavendish 47 175
— Macdonald 122
(Voir Ouganda).
Alaska : Curieux lac 190
Algérie (Voir Sahara).
— Caravanes au Goura ra 550
— Contrebande du sud 437
— Gouverneur générai 497
— (ïouverneur (pouvoirs du). . . 241
— Huile et liège en Norvège. . . 180
— Naturalisations 241
— Réorganisation administrative. 551
— Vins 307
Allemagner : Emigration. . 253 444 621
— Expansion coloniale 744
— \j[* Kaher-Wilhelm 127
— Lignes rapides (paquebots). 126 252
— I^sporU de Hambourg et Brème. 98
— Marine marchande, progrès. . 252
— Sexennat naval 315
Amérique du sud : H. Meyeh . . .610
Andorre {La principauté cl') (carte). 130
Angleterre : Balles humanitaires an-
glaises {Dum-Dtim) 229
— Croiseurs auxiliaires anglais et
français 557
— Traité Abyssin (texte) 185
— Im Chine et les prétentions an-
glaises (cartes) 625
Angola : peste bovine 246
Annam : Debay 78
— P. DB Barthelkmy 78
— (M. Bel m) et au Laos . . 78 163
— L'empereur à Saigon 126
— Port de Tourane 311
— Famine 381
Arabie : l). Charnay 68
Arbre siffleur 318
Asie (Les explorations en 4897) . 65 160
— Chafpanjon (traversée) .... 72
— Massieu (M-) 48
Asie : G. Saint-Yves 4S
— M. Monnier 436
— SvEN Hedin (traversée) {carte).
— (Traversées de F)
Asie centrale : Olupsen. . . . 3(Hj
— Chemins de fer russes . . . ,
Asie mineure : Explorations. , . .
— Cyclisme à Smyrne
Australie : J. et P. Garnier. . 30fi
— Carnegie .• • ■
— Restriction de l'immigration .
Aven (L') Armand [plan] . . . . ,
Bahr-el-Ghazal (/>') et ses habitanU.
— Dem-Ziber 245
— Marchand. . . 53 79 245 56t
Balkans : de Cuverville
Balles humanitaires anglaises {Dum-
I>um)
Ba-Rotsi (Au pays des) (dessina) . .
Bibliographie . 61 128 191 254 319
383 446 503 559 624 687
Birmanie : Anglais
Bolivie : Frontières avec Chili . . .
Bonin (îles) : Situation
Brésil : Orton-Kbrbey
Câble entre Brest et New- York. . .
Galédonie (N"M : Etat de la colonisa^
tion libre 103
Cambodge : Accaparement chinois,
Cameroun : de Carnap
Canada : Exode au Klondyke. . . .
— Température au Klondyke. . *
— Chemins de fer
— Commerce et navigation, . . .
— Industrie du saumon(Colombie)
Caucase : Explorations
Chili : Question de Tacna et d^Aric^i,
Chine : P. Berthollet (massacre du)
— Ch. Bonin 14
— H. Brrnier {La mission lyon-
naise) 7ri
— M. Monnier ... 75 160 436
— Anglais à Weï-haï-Weï. 278 38;î
— Arbre à huile
— Chemins de fer 442
— Chemins de fer dcMandchourie
— Chemin (h') de fer de Pékin. .
— {La) en transformation et les
prétentions anglaises (carte).
— Français à Kouang-Tchéou. 28<i
— Future question d'Orient {La) ,
— Macao
— Mission américaine
— Missiim (La) commerciale alh-
mande
— P. Chanès (massacre du) . . .
— Prétentions japonaises ....
— Le i" partage (carte). 221 277
— (Progrès industriel de la) . . .
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748
REVUE FRANÇAISE
Chine : Prov** du Chan-Toung (carte) 263
— Le réformateur t[ang-Yu-Mei . 683
— Russes à Port-Arthur . 57 2i9 276
— Le Sykiang 154
— Satisfactions à rÂllemagne. 126 249
— Succès de la politique anglaise. 189
(Voir Hong-Kong, Kiao-Tchéou.)
Colombie : J. de Brbttbs 550
Colonies françaises. Colons .... 745
— {Le budget de 4898) 108
— Naturalisation 241
— Fraudes électorales 254
Colonisation ofiicielle française . . 191
Comores : Situation 440
Congo (Etat du Congo) : Budget . . 119
— Chemin de fer . . 244
— Ch. de fer du Ba«-Co«go (carte). 583
— Commerce 438
— En captivité cheM les rebelles. . 22
— JjjL défaUedes rebelles BatéUlas, 28
— Missions de Mpala et de Bau-
doinville 500
— Baassbur + 176
— Rbymans (Oubangui) 48
— Lbmaire 176 610
— Re4jafattaquéparlesMahdistes 612
— Révoltés Batétélas .... 308 6l2
Congo français : Commerce .... 438
— Haoussas 183
— Perdrizbt 238
— DE BÉHAGLE et B. DE MiziÈRES
238 371 435 547
— Gentil Tchad. 238 371 435 495 689
— Fourneau et FoNDèsB 677
(Voir Oubangui).
Congrès (Le) des Sociétés Savantes . 297
— National de géographie .... 559
Corée : Politique russe 250
— Traité russo- japonais {texte) . . 381
GAte-d'Ivoire : Commerce 552
— Chemin de fer (étude) .... 737
— Anglais et Français à Bondou-
kou 51 118
— La missionNebùutchesSamory. 15
— Jonction avec le Soudan. . . . 552
— Population 307
~ Siège d'Assikasso 679
— Travaux publics et télégraphes. 680
— Villages de liberté 499
Côte-d'Or ; Anglais à Bondoukou et
à Bouna 51 52
— Anglais à Salaga 118
— Villages de liberté 499
Coton : Production 317
Cuba : Les insurrections {carte) . . . 417
— Commerce avec l'Kspagne . . . 315
— Santiago (carte) 359
Cuivre : Production 317
Dahomey: La mission Baud et Ver-
MEERSGH au Gourma {carte) 193 257
— La mission B^fnonvET au Niger. 205
— Bretonnet, Vermeersch . . . 182
— Cercles 738
Dahomey : Commerce 553
— Conquête (La) du Borgou ... 257
— Convention (La) du Niger . 385 672
— Délimitation avec le Togo. . . 500
— Flèches empoisonnées 307
— Nos forces dans THlnterland. . 52
— Occupation de THinterland 119 182
— Occupation du Dendi 376
— Traités ratifiés 52
— Villages de liberté 499
Dupleix et le protectorat de Vlnde . 321
Ecole (L^) militaire de St-Cyr. . .339 401
Egypte : Silva White 496
Ephémérides pour 1897. . . . 144 177
Erythrée : Rétrocession de Kassala. 56
Espagne :F/oae(/>7)(des8in)291 347 411
— Guerre (La] avec les États-Unis
363 329 484 537
— Préliminaires de paix (/earfc) . 54 i
— Marine marchande 383
— Commerce avec Cuba etPuerlo-
Rico 315
Etats-Unis : Extension commerciale. 619
— {Développement des) 2«8
— Immigration européenne . . . 62A
— Flotte (La) (dessins) . 291 347 411
— Key-West 314
— Atmée { //) pendant la guerre de
Sécession 354
— Guerre {Li) avec l'Espagne. :i63 429
4«4 537
— Croisière du « St- Louis »... 743
— Origine du mot '* Jingo". . . 503
— Conséquences commerciales de
la guerre avec TEspagne . . 685
Europe : Populations 445
Explorateurs et Voyageurs {chro-
nique) 45 17.S 236 306
371 434 495 547 60S 676 735
Explorations (Les) en Asie en 1897
(carte) 65
Exposition (L') coloniale de 4900 . . 147
François-Joseph (Terre) : Jackson . 44
Gibraltar : Navigation 445
Gourma : Bai'd et Vermeersch ... 193
Grèce : Traité avec Turquie (texte) . 58
— Situation 621
Groenland : Peary 42 U
Guinée française : Baillt, Palxt 46 434
— Route Je Konakrj' au Niger . . 181
— Populations indigènes .... 243
— Konakry 243
— Télégraphes 498
Hollande : Langue française délais-
sée . . 622
Hong-Kong: Commerce navigation. 18x
— Extension anglaise {carte) . 443 643
— Renforcements 741
Houille : Production 316
Inde : Explorations 76
— Figuiers gigantesques 616
Inde française : Suppression des ci-
pahis 380
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TABLE DES MATIERES
749
indo-Chine française : Sanitorium. 311
— Aperçu général 123
— Décrets administratifs .... 624
— Chemins de fer 682
— (Voir : Annam, Tonkin, Laos)
Islande : Thoroddsbn 42
— D. Bruun 43
Japon : Traité de commerce avec la
France 189
— Emigration 502 684
— Commerce et progrès maritimes 226
— Nouveaux services maritimes. 382
— Situation économique 659
Java : Ghâillet-Bert 436
Kiao Tchéou (cartes] 213
— (Allemands à). 56 126 213 249 684
Klondyke 251 502
Langues : (Statistique des) 319
Laos : Mazeran 124
— Bryzinsri 306
— NangabiUté du Mékong 77 187 741
— (Les habitants du) . . 505 571 725
Légion d'honneur . . . . 128 446 503
Ligue coloniale de la jeunesse (Im) 5
Macao : Population et navigation . . 553
Madagascar : Cyclisme 440
— Chemins de fer. Commerce . . 681
— Colonisation 379 439
— Colonisation militaire . 121 247 738
— Concurrence allemande .... 379
— Cultures 739
— Dépenses militaires 247
— Ecoles 55 501
— Ecoles (Les) frani'aises et étran-
gèj-es 169 595
— Industries indigènes 614
— Justice française 184
— Mines 614
— Naufrage du " Lapérouse " . . 613
— Pénétration au Ménabé .... 54
— Pénétration dans le sud 121 246 378
— Port de Tulléar 739
— Prix de la vie à Tananarive . . 440
— Repeuplement 680
— Révolte sakalave 120 184
-- Route de Majunga 54
— Situation ... 54 121 184 439 613
— Soumission 246
— Tremblements de terre .... 56
— Voyage du général Gallieni . . 613
— G. Grandidier 240
Marine : Croiseurs auxiliaires anglais
et français 557
— Croiseurs cuirassés français et
la guerre hispano-américaine 459
— Construction rapide 745
— Escadres fr*" : composition . . 746
— Flottes espagnole et américaine
(dessins) 291 347 411
— Les plus grands paquebots . . 687
— Points d'appui de la flotte fr'*. 686
— Transatlantiques: rapidité . . 559
Maroc : G. Forret 236
Marshall (iles) : Situation 555
Marseille (Port de) 58
Maurice (île) : Commerce 615
Médaille coloniale 254
Mouche tsétsô 318
Natal: Annexion du Zoulouland . . 183
Nickel: Production 317
Niger: L' Brodie 548
— La mission Bretonnet (au)
(carte); 205
— Anglais 244
— Postes français. . 119 182 201 376
— (La Convention franco-anglaise)
(Texte, carte). ., ... 385 672
Nil : (Français et Anglais sur le) 561 661
-— Marchand à Fachoda. . • 566 653
— Marchand et Kiichenei- à Fa-
choda 661
— L'humiliation de Fachoda. . . 711
^ Le retour de Marchand . . . . 715
— M. Liotard à Dem Ziber. ... 713
Ocôanie : Annexion anglaise de Santa-
Cruz 555
Oubangui: Mission Marchand 53 79 245
435 567 653
— Ravitaillement par le chemin de
fer belge 244
Ouganda : Inofemnité aux P. Blancs. 247
— Révolte et déposition de Mouan-
ga 301 379
— Chemin de fer 553 739
— Anglais au Nil 739
Ours (iles des) 686
Pérou: Frontières avec Chili . . . . 684
Perse : Anglais à Bouchir 740
Petites nouvelles 319 446 624
Philippines : Coprah 443
— (Le Convenio des) 492
Pôles : (Les) Explorations en 4897 , 42
— deGERLACHE 176
— BORCHEGRBVINK 496
— A la recherche d'ANDRÉE . . . 609
— SVERDRUP 677
Population de TËurope 445
— Des Villes (augmentation de la) 559
Puerto-Rico : Commerce 315
Rhodésia : Rhodes rétabli directeur 377
Roumanie : Développement maritime 316
Russie : Mines d'émeraudes .... 253
— Pétrole à Bakou 445
— Ouragans de poussière .... 6i3
— (Voir: Sibérie, Turkestan, Asie.
Sahara: F. Foureau 610
— Assassins du W* d Mores ... 49
— Météorologie 437
— Mission Flatters 437
— Mission à In-Salah 497
— Longitude dln-Salah 551
— Caiemajou à Ghadamès. . . . 535
Santa-Gruz : Annexion anglaise. . . 555
Sénégal: Troubles électoraux ... 49
— Première exploration en 1686 . 297
— Commerce 678
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750
REVUE FRANÇAISE
Service postal: (Fm Déoadmcedu)
de rAUanlûiue 284
Siam : Expulsion 248
— Exploitation du bois de teak, . 544
Sibérie: Levât 73
— te liouriates de V Amour ... 38
— Climat de Yakoutsk 190
— Transsibérien 65 310 684
— Mines 66
— D'Omsk à Vierryi 329 390 467 517
Sierra-Leone : Chemins de fer. .'. 182
— Insurrection 375
— Commerce et navigation. . . . 498
Singapore : Parasols 617
Société (Une) créole 31
Société de géographie de Paris . 254
Somalie : (Côie ^« des) : Ch. de fer. 186
Soudan français : Blondiaux. ... 45
— Braulot f 12
— Fr. Dubois 237
— D' Maclaud 370
— Agissements anglais au Mossi . 678
— Anglais à Bouna 512
— Défaite des Sofas 612
— Convmtion franco-anglaise
(texte, carte) 385 672
— Enseignement indigène .... 307
— Guet-apens (Le) de Bouna. . . 12
— Jonction avec la Côte d'Ivoire . 552
— Massacre de la mission Caze-
MAJou 530 612
— Mission de Trentinian .... 737
— Navigabilité du Niger 117
— Occupation, siège de Kong. 242, 375
— L'Oussourou * . 181
— Prise de Sikasso .\ 374
— Samory (situation) .... 552 611
— Samory 638
— Sel du Sahel 181
— Siège et prise de Sikasso. ... 591
— Télégraphes 242
— Touareg battus . ^ . . 5U 242 679
— Traité avec les Aouélimiden. . 50
— Vicariat apostolique 242
— (Voir Niger.)
Soudan Or' : Défaite des Derviches. 309
Soudan Or' : Préparatifs contre les
Madhistes. 186
— Prise(La)deKharUmm . . 561 661
— A propos d'Omdurman et de
Fadioda 644
— Uabandsm anglais du Soudan. 665
— Service médioal à Tarmée ... 740
SpUsberg : Conway 44
Sud-0. africain aUemand: Colons. 613
Suez : Navigation en 1897 441
Suisse : Ch. de fer du Gornergrat . 556
Tahiti: Commerce 566
— Chinois 618
Tchad : Gentil . . 238 371 435 495 689
— (Au lac), (Miasion Gentil) (carte) 689
Terre-Neuve : Préparation du pois-
son 619
Togo : Pénétration 200
— Délimitation avec Dahomey. . 500
Tonkin: Charbons 125
— Soumission du dé Tham ... 125
~ Création du A* tirailleurs. . . 125
— Soulèvement de fanatiques . . 125
— Mortalité 553
Transsaharien iXécessitè du). . . . 705
Transvaal: Réélection Kruger. . . 183
— Commerce français 308
Tripolitaine : Commerce avec le
Soudan 187
Tristan da Gunha 620
Tunisie : Le commerce en 189€. . . 2-34
—- Bizerte, arsenal. Bou-Grara . . 737
— Naturalisation 241
— Vins 307
— Régime douanier 373
— Ch. de fer de la (loulette ra-
cheté 497
— Ch. de fer de Sfax à Gafsa. . . 611
Tnrkestan: Chemins de fer. . . 69 310
— Explorations 69
Turquie : Traité avec Grèce (texte; . 58
— Chemins de fer 123
— (Voir : Asie Mineure.)
Vasco de Gama : (4* Centenaire de) di6>l
Zélande (N"«) : Kéa ou perroquet des
moutons 617
TABLE DES EXPLORATEURS ET AUTEURS
(Les noms en italique sont ceux des explorateurs.)
AcflTE (Pi: Congo 22
.\LRiTTEh: Chine 155
vlndrec; POlenord 44 609
BaiUyf: Guinée f- 46 434
Barré (Paul): Hambourg et Brème. 98
— Indo-Chine française 122
— Japon 2i6 669
— Traversées de l'Asie 313
— 4" Cent" de Vasco de Gama . . 367
Barthélémy (P. de) : Annam .... 78
^attd: Dahomev-G( m nna. . . . 193 376
Bèhagle (dei : Congo-Tchad . . 238
435 371 547
BH: Xnmm 78 163
BerthoUHiP.): Chine "i- 44«
Bhndiaujc : Soudan 44 735
Bobo : Habitants du Laos . . 505 571 725
Bogdanoritch : Sibérie 66
Bonchamps {de) : Abyssinie. 306 435
480 548
Bonin : Chine 74 677
Bimnei de Méeières : Congo-Tchad . 371
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TABLE DES MATIÈRES
7M
Borchgrevink : Pôle sud 496
Brasseur f : Ck)ngo 176
Brott/otf .Soudan 12
Brenier : Chine 75 166
Bretonnel: Dahomey-Niger. . . 182 205
Brettes (J. de) : Colombie 550
Brodie: Sokolo 548
Bruun (D.) : Islande 43
Brysinski : Mékong 306
Camap (de) : Kameroun-Congo. . . 237
Carnegie : Australie 372
Cavendish: Est africain. . . 47 175 736
CoJiemajou : A Ghadamès 535
— Soudant 530 612
Chanès (P.) : | Chine 742
CharnayiU.}: Arabie 68
Chaffanjon: Asie 72
Chaaiey-Bert: Java 436
Cheviffné (de) : Soudan 50
Clozel: Côte-dl voire 118 679
Coeîloz-f (Espagne) 736
Cantenwn {de) : Asie Mineure ... 68
Conway : Spitzberg 44
Cuverinlle{ûe): Balkans 306
Debay : Annam 78
/>c/amere (lord) : Somaliî» 240
Démanche (G.): Mission Marchand^ . 79
— Hinlerland du Dahomey. . 193 257
— Convention du Niger 385
~ Français et Anglais sur le Nil . 561
— Abandon anglais du Soudan . . 665
— L'humiliation de Fachoda . . . 711
DoucHET (H.): Andorre 129
Dubois (V.): Soudan 237
ENGELHARDT(Ed.) : Duplcix et rinde. 321
Faovel (Ad.): Kiao-Tchéou .... 213
— Province du Chantoung. . . . 263
Foa (P:d0 : Traversée de TAfrique 47 239
Forret (Georgesj : Maroc 236
Foureau: Sahara 610 735
Fourneau : Congo 677
Gamier(3.) : Australie .... 306 550
Gomier (Pascal): + Australie. . . . 550
Gentil: Tchad. . . 238 371 435 495 689
Gerlache: (de) Pôle sud 45 176
Germain: In-Salah 497
GibbiJiis: Afrique 238
Giraud (V.):-): Afrique 677
Grandidier (G.) Madagascar. . 240 736
Eenry : Congo 28
Heymans: Oubangui 48
Houdaille : C.-d'Ivoire 737
Hoyo${E.) : Afrique australe .... 238
HuixîT : Explorations en Asie. ... 65
Jvens-j;': Afrique 239
/oc/tso/i (F.) : Pôle nord 44
Kerbey (Or Ion) : Amazone 240
Laperrifie: In-Salah 497
Lassallb (C. de) : Santiago de Cuba. 359
— Guerre hispano-américaine 363
429 485 537
Lemaire : Congo 176 610
Léantieff: Abyssinie 496
Ijemer : Pôle nord 610
L&vat : Sibérie 73
Macdonald: Est africain. ... 122 739
Madaud (D') : Fouta-Djallon .... 371
M ARBBAU (Ed.) : Ligue coloniale . . 5
— Exposition coloniale 147
Marchand: Oubangui-Nil 53 78 245
435 566 653 661
iVarcAe (Alf.) t : Congo 676
Massieu (M"") : Asie 48
Maxwel t : Côte d'Or 51
Mazeran: Mékong 77 124
Meyer{H.): Amérique sud 610
Mamier (M.) : Asie. . . 75 160 436 549
Montell (A.) : Abyssinie 151
— Partage de la Chine. ... 221 277
— Ch. de fer du Bas-Congo . . . 583
— Mission Marchand 653
Nebùut: Soudan 15
— Au lac Tchad 689
NoGUES (A.): La future question
d'Orient 449
— Omdurman et Fachoda .... 644
Oberhammer (D') : Asie mineure. . 67
Olufsen: Pamir 306 550
O'ZouxfL.): Société créole 31
Orléans (Henri d') : Abyssinie. . 151
30t) 372 496 548 736
Pauly-f: Guinée f^* 434
Peary: Groenland 42 444
Perdrizel: Sangha 238
Ponciiis (Ed. de) : Abyssinio .... 371
Pn>i.s (P.): Congo-T.îhad 495
Radiguet : Atlantique, serv. postal . 284
Raoul-f: Sumatra 371
Boborovski : Asie centrale 70
Saint-Yves (G.) : d*Omsk à Verniy .
329 390 467 517
— Asie centrale 48 73
Salaignac(A.): Chine et Anglais. . 625
Servigny (J.) : Bahr-el-Ghazal ... 89
Stadling: Pôle nord 609
Sven Hedin: Asie 70
Sverdrup: Pôle nord 677
Thoroddsen: Islande 42
Trenliniun (de) : Soudan 737
Vasco (G) : Soudan français 12
— Balles Dum-Dum 229
— Armée américaine 354
— Insurrection cubaine 417
— Mission Cazemajou 530
— Prise de Sikasso 591
— Samory 638
— Le retour de Marchand .... 715
Vermeersch: Dahomey . . 182 l93 257
W^c%: Tibet 76
Wellmann : Pôle nord 609
White (Silva) : Egypte 496
Ytier: Mékong 77 741
Zintgraff-\- Afrique 47
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7S2 REVUE FRANÇAISE
.. . CARTES
330 Asie Ci^ntraU^ ; Ilinérairo Sven Hediit, 7t
230 Le Bahr-oUGbazal gf
Sn PHndmiUé d'Andorre ,....,. 136-137
a3i Hinterlaud ila Dahomey : Itinéraires Baud^ Brelonnet îM
Î3â Chine : Kiao-TcW'ou. , . . , , . 217
233 — ProviDce du ChanLoung i67et im
Î33 — SphèiM-a d'inOuroce ,,....,,. Jgl
23^ Santiago de Cuba. , 361
SIlSô lie de Cttïiii : PtHitîon des belhgéranlA . . . , 42»
237 Abvssînie : Itinéraire de Bonchampa. 519
i3i* Chemin de fer du Bas-Cungo ,.,.... 584
2.18 Rt^au navigable du Co^|^> 589
i;^9 NVeï-Baï-Wei : Sphère anglaise . . *.-..,... fi3*
230 E?ileTisioft de Hotig-Kong 634
Îï39 (Convention fraiit^o-angiaise du Niger. . * * 673
i4Û Congo-Tchad : Itinéraire Gentil , . . , 701
DESSINS
229 Sibérie : Types et K)atamcjâ mongoU 39 H 41
231 Vue d'Andurre — Sceaux de La priiieipautê 145
234 Cuiraesésaméncaios (]>Ionï . 351-353
i35 Croiseurs américains vi espn^^nol (plan) 415- tî6
iSfi Cnn^uv Jftifiti*' d Arc :cmra3sù Ckfirhmagne (plan), . , . . , 465-4456
2^i8 L'Aven Armand (coupe tU plan) 607
238 VuedeMatadt^Congoi 5fô
240 Tvp»'3 et objets du fla-Rotsi (Afr. australej 719-71*
240 Portrait de M. Gentil $gT
^40 La canonnière Faidïierbe 715
DOCUMENTS DIPLOMATIQUES ET ST.VTISTIQUES
i29 Tta i lé entre la France et li^sTonar^K Aou*Hi m iden (teste) .... - 50
2f9 Turquie- GrM" : Traité de paiv ^;U'lte^ 1*1
230 et ^^l Eph(inj*ï rides coloniales et et rangûres pLîur 1897 tKÎ HT
Î31 Trniré !ïnglo-«bvt^sin de 1897 (texte) /, . , , , . . 18S
233 Î34 ï:^'* Flottes ei^pagnde lit américaine 191 347 411
%M\ Produelions de la houille, du cuivre, du niekel cl du coton . * , . 316
234 Coré*i : Trait*;* ruiiao-japonaîa (texte) ....,, 38Ï
2^J5 Navigation par Sue?: en 1897* * . . 441
235 Population des Klats-d'Kurope 445
237 Cftpitnlatioii de Manille (lexîe) 540
237 Es jw gn e- Etats -Lniîi ; Prélinuriains de jiatx. . 541
239 Traites a n':loH^hinois (1898) : \ang-Tsé; Weï-Haï-Wcï (lestes) . 620 63«
23 S Couveutioo frantîo-iinflaise du Niger (texte). .......,,,. 67î
CONCORDANCE bKS FASCICCLES
l|»i pJï^'L^s. îS"* Pa;;ea. N«» Pages
233 (mai). . . 257 n 3Î0
334 (juin). . . 321 à 384
2*5 (juillet) . . 385 à 44S
230 (afïûlL . , 449 ù 504
_J ^Tierj, . t à 64
4»(Svrierj, . 65 à 1S8
Î31 (mars) . . 129 a 192
23î iaTHl) : . 193 h 256
237 iseplemh.) fiOS à 560
338 (octobre. , 561 à 624
339 /novemb.). OiT» a t>8
*40 (décembO . 689 à 752
Im Gérant, Edouard MAKBEAU.
ijipnlHt;Kir i:nM%, JtDi PEDQEftE, 14Ï, PaHIS. — ï^^RA^H^^a. — Cltvi UfiUlU^
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