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Full text of "Revue francaise de l'etranger et des colonies et Exploration, gazette"

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IN  MEMORY  OF 


Archibald  Cary  Coolidge 

PHOrESSOR  OF  HISTORY 

DIRECTDR  or  THE  UNIVERSITY  UBRARY 

19 10- 192a 


CÏVEN  BY  A  FR|£N1> 


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Revue  Française 


DE  L'ÉTRANGER  ET  DES  COLONIES 


Exploration 

GAZETTE  GÉOGRAPHIQUE 


Tome  XXIII  -  1898 


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Revue  Française 

DE  L'ÉTRANGER  ET  DES  COLONIES 

ET 

Exploration 

GAZETTE   GÉOGRAPHIQUE 

(Fondée  en  i8j5. —  Vingt-deuxième  année,} 
Sous  la  aireclion  de  MM.  Georges  DEMANCHE  et  Éduuaud  MARBEAU 


if«4^4UiEL  DEL  a%usi^  L  L'txtiïirTJuir  ujiiviitSELLi  AB  uic:EUJ)|t  Db  iSSa 
MENTION     iJOKORABLE    A     l'eXI^OSITION     UMlVERSELU;    Dt    PARIS    Lli    \^ï^ 


Tome  XXIII  -  1898 


PARIS 

]Mt>BmEai£  ET  LIBRAIRIE  CENTRALES  DESCHEMJNS  DE  FER 
IMPRIMERIE  GHAiX 

SOC[|iT£  ANONYME  AU  CAPITAL  DE  ClKa  MiLLlOVS 

Hue  Bergère,  20 


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6IVEN  IN  MEN.uRY  OF 
ARCHIBALD  CARY  COOliOâS 

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Revue  Française 

DE  UÉTRANGER  ET  DES  COLONIES 

ET 

Exploration 

GAZETTE  GÉOGRAPHIQUE 


LA  LIGUE  COLONIALE  DE  LA  JEUNESSE 

La  propagande  coloniale  parait  entrer  dans  une  phase  nouvelle,  et  il 
faut  s'en  réjouir.  Celte  fois  ce  sont  les  jeunes  gens  qui  annoncent  leur 
intention  de  marcher.  Ils  apportent  les  qualités  de  leur  âge,  Télan,  la 
foi  dans  l'avenir.  Ceux  qui  ont  encore  entre  les  mains  les  premières  li- 
vraisons de  la  Revue  Française  y  retrouveront  notre  appel  à  la  jeunesse 
des  écoles.  Il  nous  avait  paru  que  rien  de  fécond,  de  solide,  de  durable 
ne  pouvait  se  créer,  si  on  ne  parvenait  à  conquérir  aux  idées  d'expansion 
coloniale  ceux  qui  doivent  avoir  l'enthousiasme  pour  les  grandes  choses 
et  qui  ont  devant  eux  le  temps  pour  les  accomplir. 

Au  lendemain  du  Congrès  de  géographie  de  1875,  nous  avons  tenté 
de  faire  des  prosélytes  en  faveur  des  colonies  dans  le  sein  de  ces  confé- 
rences  semi-politiques  où  s'exerçaient  à  la  parole  nombre  de  jeunes 
gens  qui  nourrissaient  l'espoir  de  forcer  tôt  ou  tard  l'entrée  du  parle- 
ment. L'heure  était  propice.  La  ferme  attitude  du  tsar  Alexandre  II  venait 
tout  récemment  de  dissiper  le  cauchemar  d'une  nouvelle  invasion  alle- 
mande; nos  fmances  publiques  se  reconstituaient,  la  prochaine  exposi- 
tion s'annonçait  comme  le  signal  du  relèvement  matériel  et  moral  de  la 
France;  l'Angleterre  continuait  en  silence  son  œuvre  de  lenle  absorption, 
l'Allemagne  se  préparait  une  flotte  militaire  et  convoitait  pour  son  com- 
merce les  grands  marchés  de  l'Extrême-Orient.  Il  n'y  avait  pas  un  instant 
à  perdre  et  la  France  devait  prendre  sa  double  revanche  de  sa  défaite 
coloniale  du  siècle  passé  et  de  sa  récente  défaite  continentale  en  occupant 


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H    •  REVUE  FRANÇAISE 

àuv  tous  les  points  du  globe  des  positions  qui  lui  permettraient  de  riva- 
liser avec  r Angleterre  et  l'Allemagne.  C'était  là  que  tous  les  efforts  de- 
vaienl  converger  ;  et  le  grand  programme  de  politique  générale,  digne 
*lij  U  nier  la  génération  qui  dirigerait  les  destinées  de  la  France  jiendant 
iv  iliTïiiiT  quart  de  siècle,  semblait  devoir  réunir  tous  les  patriotes  et 
former  nn  champ  d'action  commun  pour  tous  les  partis. 

Le  crnirait-on?  C'est  dans  ces  milieux,  où  tout  eût  dû  vibrer,  que  nous 
avoiis  *rouvé  le  plus  d'indifférence  et  parfois  môme  le  plus  d'hostilité, 
n  La  France  n'est  pas  une  nation  colonisatrice.  »  Telle  était  la  foimule 
qu'oii  nous  opposait  sans  cesse.  Formule  sans  réplique,  parce  qu'elle 
révélai l  clans  ces  jeunes  cervelles  une  lacune  irrémédiable.  Ces  jeunes 
gens  avaient  la  prétention  de  jouer  à  bref  délai  un  rôle  prépondérant 
dans  les  destinées  de  la  France,  ils  avaient  foi  en  eux  ;  lauréats  de  con- 
cours, diplômés  de  toutes  les  académies,  ils  avaient  tout  appris, 
cmyaieui  tout  savoir,  mais  leurs  maîtres  n'avaient  pas  su  leur  inspirer 
la  passion  pour  les  grandes  entreprises,  l'ambition  de  replacer  leur  patrie 
au  fM>in[  culminant  qu'elle  avait  occupé  dans  le  monde  aux  derniers 
s!6cla«.  fi'enseignement,  tel  qu'il  était  donné  dans  les  lycées,  ix)uvail 
foriiiei'  d'excellents  fonctionnaires,  des  magistrats  consciencieux;  mais 
s'il  y  eût  eu  parmi  ces  élèves  des  tempéraments  propi*cs  à  devenir  des 
rolnjis,  ils  eussent  été  regardés  comme  des  cerveaux  brûlés,  de  futurs 
aveiiiuiiiTs.  Il  <'*tait  admis  que  l'on  ne  partait  aux  colonies  que  si  l'on 
avail  (juelque  tare  à  cacher,  quelque  faute  à  faire  oublier. 

Oîriiment  admettre  qu'un  professeur  tant  soit  peu  clairvoyant  ait 
laisse  titis  élèves  arriver  au  terme  de  leurs  études  sans  leur  avoir  montré 
^ur  tous  les  points  du  globe,  les  quelques  milliers  de  Français,  mission- 
naires ou  religieux,  installés  depuis  des  siècles,  maintenant  parmi  les 
jiKliiîônes  la  tradition  de  l'amour  et  du  respect  pour  la  France,  ensei- 
gna ni  les  enfants  dans  les  écoles  du  Levant,  soignant  les  malades,  créant 
des  établissements  scientifiques  en  Extrême-Orient,  formant  jusque  dans 
TAsie  centrale  des  gîtes  d'étape  et  des  avant-postes  de  la  civilisation, 
î*em:mt  l'Indo-Chine  de  chrétientés  prêtes  à  accueillir  nos  explorateure, 
occupant  la  Nouvelle-Calédonie  pour  y  attendre  notre  drapeau.  Les 
jeunes  gens  auxquels'  nous  nous  adressions  n'avaient  jamais  entendu 
[Ktrler  de  ces  questions  qu'ils  qualifiaient  d'affaires  de  sacristie.  A  van- 
ter ces  leuvres  vraiment  nationales,  on  gagnait  d'être  traité  de  clérical, 
voir  uitïme  de  jésuite.  Un  professeur  qui  en  eût  parlé  eût  été  dénoncé 


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LA    LIGUE   COLONIALE   DE   LA   JEUNESSE  7 

et  eût  risqué  de  perdre  sa  chaire.  Gambetta  lui-même,  quand  il  com- 
prit la  réserve  de  force  qu*il  y  avait  pour  la  France  dans  ces  antiques 
congrégations,  se  heurta  aux  préjugés  de  ses  propres  partisans,  et  il  lui 
fallut  tout  son  passé  pour  ne  pas  être  traité  de  suspect,  le  jour  où  il 
s'écria  :  «  L'anticléricalisme  n'est  pas  un  article  d'exportation.  » 

Ce  fut  dans  les  années  qui  suivirent  une  véritable  révélation  pour  nos 
politiciens  que  l'existence  de  nos  missions  françaises.  Ceux  qui  eurent 
le  loisir  de  faire  une  tournée  dans  le  Levant  ou  que  les  circonstances 
égarèrent  sur  les  côtes  d'Afrique  revenaient  émerveillés  du  prestige  des 
établissements  religieux  français  et  remplis  de  disix)sitions  bienveillantes 
à  leur  égard.  Néanmoins  les  nécessités  de  la  politique  électorale  leur 
faisait  voter  (la  mort  dans  l'âme)  les  dispositions  qui  ruinaient  les  œuvres 
dont  ils  s'étaient  déclarés  partisans.  La  prétention  de  se  seiTir  des  gens 
sans  les  servir,  suivant  une  expression  restée  célèbre,  de  pouvoir  cam- 
battre  ici  ce  que  l'on  applaudissait  là-bas  ;  cette  ignorance  de  l'histoire  de 
nos  établissements  français,  des  sourdes  rivalités  contre  lesquelles  ils 
ont  à  lutter,  des  conditions  pécuni«aires  de  leur  existence,  des  nécessités 
de  leur  recrutement,  sont  pour  les  étrangers,  nos  concurrents,  absolu- 
ment inexplicables.  C'est  aussi  pour  eux  un  motif  de  légitime  allégresse 
parce  qu'ils  constatent  dans  la  classe  dite  dirigeante,  une  orientation 
qui  sert  à  merveille  leurs  intérêts,  puisqu'elle  paralyse  toutes  les  œuvres 
de  propagande  française. 

Nous  ne  croyons  pas  que  cette  façon  d'agir  vis-à-vis  de  nos  mission- 
naires soit  profitable  aux  colons  eux-mêmes,  négociants  ou  planteurs. 
Ces  derniers  ne  peuvent  être  respectés  à  l'étranger  et  dans  les  colonies 
qu'autant  qu'on  sera  habitué  à  voir  la  France  faire  respecter  ses  natio- 
naux et  surtout  ceux  qui,  par  leur  désintéressement  et  leur  caractère, 
paraissent  à  leurs  yeux  les  plus  dignes  de  l'appui  de  leur  patrie.  Ils  ne 
pourront  agir  avec  sécurité  que  s'il  s'établit  dans  la  métropole  une  opi- 
nion générale,  indiscutable,  d'après  laquelle  tout  Français,  qu'il  réside 
dans  nos  colonies  ou  sur  le  sol  étranger,  est  intangible,  et  que  la  pro- 
tection de  notre  drapeau  lui  est  acquise. 

C'est  bien  l'esprit  du  toast  que  vient  de  porter  l'empereur  d'Allemagne 
à  Kiel  ;  il  a  proclamé  au  profit  des  Allemands  la  doctrine  que  les  An- 
glais ont  de  tout  temps  appliquée  et  dont  ils  savent  même  largement 
abuser.  A  force  de  considérer  dans,  le  monde  politique  ou  gouverne- 
mental les  missionnaires  comme  suspects,  parce  qu'ils  étaient  des  reli- 


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8  REVUE  FRANÇAISE 

gieux,  01)  a  habitué  Tesprit  public  à  se  désintéresser  des  stations, 
posteî^,  comptoirs  de  nos  nationaux,  à  agir  vis-à-vis  d'eux  avec  une 
tjtraiïge  désinvolture.  L'affaire  Verdier  vient  d  en  donner  récemment  la 
preuve. 

Il  subâfste  encore  dans  lés  masses  un  état  d'âme,  comme  on  dit  au- 
jourd'hui, bien  fait  pour  décourager  ceux  qui  veulent  consacrer  leur 
existence  aux  entreprises  coloniales.  L'opinion  publique  sommeille  en- 
coi'e.  tlle  a  assisté  indifférente  au  massacre  de  Flatters,  resté  impuni, 
à  1  abandon  de  l'Egypte;  TOuganda,  la  clef  du  Nil,  a  été  traité  de  quan- 
litc^  négligeable;  Zanzibar  a  été  délaissé  ;  Madagascar  est  resté  dix  ans 
dans  l'oubli.  Il  n'a  tenu  qu'à  un  fil  que  le  Tonkin  ne  fût  aban- 
donné. 1  durant  quinze  années  ni  dans  le  pays,  ni  dans  le  parlement,  il 
n*y  a  eu  une  orientation  positive,  une  opinion  ferme,  un  programme 
nationaU  Et  pendant  cette  période  de  luttes  intestines,  l'Angleterre  et 
rAllema^e  exécutaient  avec  hardiesse  et  sûreté  un  merveilleux  plan 
d\'ny(  nible,  prenant  partout  position,  sauf  à  régler  ensuite  les  choses 
par  enlcîDle  diplomatique. 

Malgré  toutes  ces  vicissitudes  et  ces  inconséquences  de  notre  politique 
ctiloniale,  la  France  se  retrouve  à  la  fin  du  siècleen  possession  de  beaux 
domaines,  les  uns  achetés  par  le  sang  de  nos  soldats,  les  autres,  pro- 
dnils  (h-  conquêtes  pacifiques  de  nos  explorateurs.  C'est  qu'en  dépit  de 
l'indilTorence  générale,  officiers  de  terre  et  de  mer,  négociants  et  mis- 
sionnaires gardaient  la  foi  dans  le  réveil  national  et"  affirmaient  par 
lenr  vaillance  la  vitalité  de  notre  race.  Leur  témérilé  a  triomphé  de 
Tapât  hie  des  masses  et  a  obligé  les  plus  récalcitrants  à  confesser  que 
l'heure  était  enfin  venue  de  reprendre  nos  traditions  coloniales  des  temps 
passés.  Le  siècle  n'est  pas  fini  et  toutes  les  terres  inoccupées  ou  incon- 
nues en  1873  sont  définitivement  partagées.  Quelques  centaines  de 
mille  francs  de  crédits  votés  par  les  Chambres  il  y  a  vingt  ans,  et  dans 
cette  ardente  course  c'étaient  nos  couleurs  qui  l'emportaient  partout. 
Le  Niget'  eût  été  un  fleuve  français  de  ses  sources  à  son  embouchure. 
Nous  liominions  dans  le  Soudan  égyptien.  Mais  les  regrets  sont  stériles. 
Dans  le^  Sociétés  de  géographie,  d'études  coloniales,  dans  les  syndicats, 
Krcjupes  et  unions,  tous  les  bons  espiits  songent  à  tirer  le  meilleur 
parti  lIi^  ce  qui  constitue  notre  empire  colonial.  Il  ne  faut  pas  que  l'on 
puisse  répéter  indéfiniment  que  nous  avons  bien  des  colonies,  mais  que 
nous  n'avons  pas  de  colons. 


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LA    LIGUE   COLONIALE   DE   LA   JEUNESSE  9 

I.,es  jeunes  auxquels  nous  nous  adressions  en  <873  approchent  aujour- 
d'hui de  la  cinquantaine.  A  cet  âge  on  ne  part  plus  aux  colonies,  on  eiri 
revient.  D  faut  donc  retourner  à  la  source  des  énergies,  à  la  jeunesse. 
C'est  ce  qu'ont  bien  compris  Bonvalot,  qui  peut  dire  aux  jeunes  :  «  Je 
vous  ai  ouvert  les  grands  chemins  et  prouvé  que  rien  n'est  impossible 
à  une  volonté  tenace  »  ;  le  Père  Didon,  grand  éducateur  de  la  jeunesse, 
le  Pierre  l'Ermite  de  cette  nouvelle  croisade.  Et  avec  eux  toute  V  Union 
coloniale  fmnçaisCy  ce  groupe  récent  dont  M.  Chailley-Bert  est  le  puis- 
sant outil  de  propagande  et  M.  Mercet  le  président  si  autorisé. 

Il  y  a  dix  ans,  il  s'était  formé  à  Lyon  une  société  de  voyages  de  la 
jeunesse.  Elle  fonctionna  quelque  temps,  mais  elle  manquait  des  appuis 
et  des  hauts  patronages  que  la  Ligue  coloniale  de  la  Jeunesse  a  obtenus. 
Cette  fois  tout  porte  à  croire  que  nous  sommes  en  présence  d'une 
œuvre  d'avenir.  M.  Marcel  Dubois,  professeur  de  géographie  coloniale 
à  la  Faculté  des  lettres  de  l'Université  de  Paris,  présentait  dimanche 
19  décembre,  à  une  assemblée  nombreuse  réunie  44,  rue  de  Rennes, 
l'état  major  de  la  Ligue.  Il  racontait  comment  ce  groupement  avait 
germé  depuis  cinq  ans  dans  les  lycées  ou,  entre  camarades,  on  s'en- 
tretenait des  voyages  d'explorateurs  audacieux,  des  expéditions  mili- 
taires qui  nous  donnaient  le  Tonkin,  le  Dahomey,  Tombouctou  et 
Madagascar.  Ce  travail  silencieux,  connu  seulement  des  professeurs  qui 
s'applaudissaient  de  voir  leurs  élèves  se  passionner  pour  ces  nobles 
causes,  continua  d'orienter  les  esprits  vers  des  solutions  positives.  Ces 
jeunes  gens  emportèrent  avec  eux  hors  du  lycée  le  précieux  dépôt  de 
ces  souvenirs,  le  désir  de  profiter  des  e£forts  et  des  résultats  obtenus 
par  leurs  aînés  et  d'entrer  résolument  dans  le  mouvement  d'expansion 
coloniale.  Au  lieu  de' chanter  indéfiniment  en  chœur  :  «  Partons  I  Par- 
tons I  »,  ils  se  sont  décidés  à  ne  pas  chanter,-  mais  à  partir.  Leur  Ligue 
a  pris  pour  devise  :  Propagande  —  Éducation  —  Assistance.  Les  coti- 
sations ne  seront  pas  employées  à  faire  des  banquets  et  à  rédiger  une 
revue  d'admiration  mutuelle,  mais  à  subventionner  des  missions  d'études 
et  à  assister  ceux  qui  iront  s'installer  aux  colonies.  Les  ressources  doi- 
vent trouver  leur  affectation  au  dehors.  Maurice  Darchicourt  et  Louis 
Vaucheret  (élèves  de  l'École  coloniale),  sentirent  tout  d'abord  que  le 
groupement  de  jeunes  éléments  était  indispensable  pour  créer  la  soli- 
darité nécessaire  à  ceux  qui  cherchent  leur  voie  et  sont  dépourvus  de 
renseignements  précis.  Le  Comité  Dupleix,  l'Union  coloniale,  la  Société 


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40  REVUE  FRANÇAISE 

de  géographie  commerciale  étaient  bien  des  centres  d'information,  mais 
le  groupement  de  jeunes  gens  animés  d'une  vocation  coloniale  bien  dé- 
•finie  peut  faire  plus.  Elle  confirme  les  néophytes  dans  leur  foi,  o-éeune 
émulation  constante,  prépare  pour  l'avenir  des  amitiés  durables.  Elle 
fait  qu'on  se  connaît,  qu'on  se  juge  et  qu'on  s'apprécie  à  l'âge  où  la 
confiance  réciproque  peut  le  mieux  s'établir  et  où  les  caractères  sont 
encore  assez  impressionnables  pour  subir  l'heureuse  influence  des  tem- 
péraments les  mieux  trempés.  Que  de  belles  et  bonnes  choses  se  diront 
et  se  feront  dans  cette  pépinière  de  colons  î  que  de  sacrifices  désintéres- 
sés, de  concours  discrets,  de  sentiments  élevés  vont  jaillir  spontanément 
du  cœur  de  ces  jeunes  patriotes  qui  ont  remporté  sur  eux-mêmes  les. 
premières  victoires,  ont  su  dépouiller  les  préjugés  d'un  milieu  bour- 
geois et  rétrograde,  ont  su  imposer  à  leur  famille  l'idée  qu'un  fils  ne 
doit  pas  rester  indéfiniment  près  des  jupons  de  sa  maman. 

La  réunion  de  dimanche  était  présidée  par  M.  Roume,  directeur  au 
ministère  des  colonie,  représentant  M.  A.  Lebon,  ministre  des  colonies. 
M.  Marcel  Dubois,  dans  sa  conférence,  a  commenté  la  devise  de  la 
ligue  coloniale  de  la  Jeunesse.  Il  a  apporté  dans  son  allocution  la  verve 
et  la  chaleur  qui  convenaient  à  la  circonstance.  Il  a  fort  bien  exposé 
qu'il  ne  s'agissait  plus  pour  les  colons,  comme  aux  siècles  passés,  de  se 
transporter  dans  un  centre  où' ils  auraient  tout  le  loisir  de  chercher  les 
procédés  de  colonisation  les  plus 'favorables  et  de  faire  des  essais.  A 
l'heure  présente,  la  vie  marche  autrement.  Il  faut  partir  tout  armé, 
avec  une  éducation  complète  et  laborieuse  avant  le  départ,  savoir  où 
l'on  va,  ce  que  l'on  veut  faire,  et  entrer  immédiatement  en  action.  La 
vie  de  colon,  qu'on  soit  planteur  ou  négociant,  ne  se  comprend  plus 
comme  un  moyen  de  jouir  de  plus  de  liberté,  d'avoir  une  vie  plus  large 
et  plus  facile.  C'est,  au  contraire,  l'entier  sacrifice  de  sa  liberté  qu'il 
faut  faire  dans  l'intérêt  de  la  communauté  dans  laquelle  on  entrera 
comme  une  pièce  qui  doit  s'adapter  exactement  au  rouage  auquel  elle 
est  destinée* 

«  Vous  devez,  par  un  travail  commun,  a-t-il  dit,  vous  fondre  Ici 
même,  dans  la  mère  patrie,  dans  une  communauté  très  étroite  d'efforts, 
de  sentiments  et  d'aide  réciproque  ;  vous  affranchir  de  certains  préju- 
gés, trop  fréquents  chez  ceux  qui  se  destinent  aux  carrières  libérales,  à 
rencontre  des  professions  commerciales  ou  manuelles:  apprendre  de 
toute  main,  élargir  votre  curiosité,  et  par  un  échange  continuel  entre 


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LA  ijgif:  colomalf  de  la  jeunesse  h 

vous,  pénétrer  dans  les  domaines  les  plus  variés  et  dans  toutes  les  com- 
plexités d'instruction.  >> 

Ces  idées,  qui  certes  non  sont  pas  banales,  ont  été  fort  goûtées  par 
rassemblée  et  chaleureusement  applaudies  et  par  les  jeunes  ligueurs 
et  par  leurs  sœurs  et  cousines,  car,  malgré  le  programme  un  peu  sévère 
de  la  réunion,  on  comptait  dans  la  salle  tout  un  parterre  de  toilettes 
élégantes. 

M.  Charles  Noufllard,  président  de  la  Ligue,  a  ensuite  remercié  les 
représentants  de  plusieurs  ministres  qui  avaient  tenu  à  témoigner  leurs 
sympathies  à  la  nouvelle  assocation.  Puis  il  a  fait  comprendre  que  la 
Ligue  entendait  organiser  une  préparation  spéciale,  une  sorte  d'entraî- 
nement pour  la  vie  coloniale.  Il  a  constaté  que  le  premier  effort  consis- 
terait pour  les  futurs  colons  à  prendre  eux-mêmes  Tinitialive  de  leur 
propre  sort  et  h  obtenir  de  leurs  familles  le  consentement  au  choix  de 
cette  carrière.  C'est,  on  le  voit,  toute  une  révolution  dans  les  mœurs, 
A  force  de  couver  les  enfiints,  d'épargner  pour  eux,  d'écarter  les  moin- 
dres risques  sous  leurs  pas,  on  a  fini  môme  par  penser  pour  eux,  et  on 
a  énervé  leur  caractère  au  point  de  tuer  toute  spontanéité  et  toute  ini- 
tiative. Rendre  un  peu  plus  de  liberté  à  l'éducation  de  la  jeunesse, 
habituer  les  parents  à  l'idée  que  l'enfant  doit  se  préparer  à  devenir 
homme  et  à  agir  par  lui-même,  voilà  la  grande  réforme.  Pour  l'opérer 
ces  jeunes  gens  se  posent  en  liguenrs.  J'augure  pour  le  succès,  parce 
que  leur  première  manœuvre  a  consisté  à  se  créer  des  intelligences  dans 
la  place  et  à  faire  applaudir  par  leurs  élégantes  invitées  la  théorie  du 
départ  et  l'idée  de  l'éloignement.  11  n'y  a  que  le  premier  pas  qui  coûte 
et  rien  n'est  contagieux  comme  l'exemple.  Les  voyages  d'exploration 
sont  maintenant  presque  un  sport;  on  pousse  volontiers  sa  petite  pointe 
en  Afrique  ou  dans  le  Haut-Mekong.  C'est  devenu  passe  temps  princier. 
Le  jour  où  ce  sera  bien  porté  d'être  planteur  ou  chef  d'une  factorerie, 
les  amateurs  ne  manqueront  pas  et  les  familles  donneront  à  leurs  en- 
fants Yexeat.  Pour  une  fois  le  snobisme  aura  produit  un  heureux 
résultat. 

Edouard  Marbeau. 


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SOUDAN  FRANÇAIS 

LE  GUET-APENS   DE   BOUNA 

Les  nouvelles  reçues  du  Soudan  ne  permettent  plus  de  douter  de  la 
mort  du  capitaine  Braulot  et  de  ses  compagnons  européens,  le  lieute- 
nant Bunas  et  le  sergent  Myskiewicz,  tombés  dans  le  guet-apens  que 
leur  avait  tendu,  à  Bouna,  Sarakéni-Mory,  le  fils  de  Samory.  C'est  une 
perte  cruelle,  mais  qui  n'affecte  en  rien  Thonneur  de  nos  armes. 

Un  aperçu  rétrospectif  des  événements  qui  se  sont  déroulés  dans  cette 
partie  du  Soudan,  permettra  de  se  rendre  compte  de  la  situation  faite 
au  détachement  Braulot. 

Envoyé  en  mission  à  Sikasso  au  début  de  1897,  pour  se  rendre 
compte  d'une  manière  précise  des  sentiments  que  nourrissait  à  notre 
égard  le  fama  Babemba,  successeur  de  notre  allié  Tiéba,  le  capitaine 
Braulot  avait  pu  constater  que  le  fama  n'avait  contre  nous  aucune  pen- 
sée hostile,  mais  qu'il  ressentait  à  l'égard  de  Samory  une  terreur  non 
dissimulée.  Aussi  n'y  avait-il  pas  à  songer  à  l'engager  dans  une  cam- 
pagne contre  ce  dernier.  Le  capitaine  Braulot,  qui  s'était  rendu  de 
Bamako  à  Sikasso  par  Bougouni,  revint  au  Niger  par  Ségou,  ayant 
franchi  environ  703  kilomètres  en  un  mois,  avec  un  ariôt  de  8  jours 
seulement. 

En  rentrant  à  Ségou,  il  trouva  un  ordre  du  colonel  de  Trentinian 
le  désignant  comme  chef  d'état-major  de  la  colonne  de  la  Volta.  Il 
rejoignit  celle-ci  par  San  et  Sono,  en  même  temps  que  le  commandant 
Caudrelier,  son  nouveau  chef.  Le  3  mai,  ce  dernier  prenait  la  direction 
des  opérations  et  se  portait  avec  toute  la  colonne  sur  Boromo,  où  il 
avait  été  précédé  par  le  capitaine  du  génie  Cazemajou.  Là,  la  colonne 
fut  disloquée,  et  le  capitaine  Braulot  envoyé  en  avant  dans  le  Lobi, 
région  de  la  rive  droite  de  la  \olta  située  entre  Bobo  Dioulasso  et  Bou- 
na (I)  avec  une  force  de  iOO  fusils.  Il  établit  tout  d'abord  un  poste  à 
Diébougou,  dans  la  boucle  de  la  Voila,  à  2  jours  de  marche  environ 
des  bandes  de  Sarakéni-Mory.  Ce  dernier,  lors  de  l'arrivée  du  capi- 
taine Braulot  à  Diébougou  (26  mai),  se  trouvait  à  Bouna.  Quant  à 
Samory,  il  était  dans  le  Djimini,  sur  la  rive  droite  du  Comoé.  Après 
avoir,  suivant  l'expression  du  capitaine  Braulot,  «  cassé  »  Kong,  où  il 
ne  laissait  que  des  ruines,  il  avait  été  rejoint  par  les  bandes  de  Sara- 

(I)  Voir  Bev.  Fr.  nor.  1897.  p.  649,  la  carte  de  la  Haute- Voila. 


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SOUDAN  FRANÇAIS  13 

kéni-Mory.  C'est  alors  que  le  capitaine  Braulot  lui  envoya  une  lettre 
qu'un  tirailleur  s'offrit  à  porter  tout  seul  à  travers  ce  pays  bouleversé. 
Samory  le  fit  assurer  de  ses  intentions  pacifiques  et  lui  envoya  même, 
en  signe  d'amitié,  un  cadeau  important  en  or. 

I^endant  ce  temps,  le  capitaine  Braulot  était  obligé  de  guerroyer 
contre  les  Oulés,  tribu  sauvage  qui  avait,  dès  notre  arrivée,  fait  montre 
de  son  hostilité.^  Secondé  par  des  peuplades  amies  et  par  les  Dioulas  de 
Diébougou,  il  envoya  contre  eux  un  détachement  de  50  fusils  commandé 
par  le  lieutenant  Bunas.  Cette  petite  troupe  résista  à  une  attaque  vio- 
lente des  Oulés  et  les  repoussa  vivement,  mais  non  sans  avoir  perdu 
2  tués  et  9  blessés,  ce  qui  était  beaucoup» 

Ayant  reçu  l'autorisation  du  commandant  Caudrelier  de  descendre 
au  sud  dans  la  direction  de  Bouna,  —  250  kilomètres  de  pays  sauvage 
à  traverser  —  le  capitaine  Braulot  partit  de  Lokhoso  le  1**"  août  1897, 
avec  91  hommes.  Il  devait  prendre  possession  de  Bouna,  que  l'on 
croyait  ne  pas  être  occupé  par  les  Sofas  de  Samory.  Mais  bientôt  la 
situation  changea.  À  quelque  distance  de  Bouna,  un  groupe  de  Sofas 
refusa  de  laisser  passer  la  petite  troupe.  Après  de  longs  pourparlers,  le 
capitaine  Braulot  put  entrer  en  relations  avec  Sarakéni-Mory  qui  vint 
au-devant  de  lui  et  s'offrit  à  l'accompagner  à  Bouna.  Sarakéni  parais- 
sait sincère  dans  son  accueiL  Aussi,  le  détachement  français,  suivi 
d'une  colonne  de  Sofas,  se  mit-il  en  route  vers  Bouna,  que  Sarakéni 
devait  lui  remettre. 

Arrivé  le  19  août  en  face  de  la  ville,  Sarakéni  invita  le  capitaine 
Braulot  à  prendre  la  tête  de  la  colonne  avec  lui,  pour  faire  dans  la 
fille  une  entrée  solennelle.  Le  20  août  au  matin,  le  capitaine  Braulot, 
Sarakéni,  un  boy  et  un  clairon,  s'avançaient  vers  la  ville,  précédant, 
à  quelque  distance,  le  détachement  français  commandé  par  le  lieute- 
nant Bunas,  que  suivait  une  colonne  de  Sofas. 

Vers  10  heures,  des  coups  de  feu  se  faisaient  entendre  du  côté  de  la 
ville  et  en  même  temi)s  les  Sofas  qui,  peu  à  peu,  avaient  débordé  le 
détachement  français  de  chaque  côté,  entouraient  complètement  celui- 
ci  et  Tassaillaient  brusquement.  Le  lieutenant  Bunas  et  le  sergent  Mys- 
kiewicz  tombaient  aussitôt  pendant  que  les  Sofas  se  précipitaient  à  cinq 
ou  sixsur  chaque  tirailleur,  qu'ils  attaquaient  à  coups  de  sabre. Us  étaient 
si  serrés,  disent  les  tirailleurs,  qu'ils  n'auraient  pu  faire  usage  de  leurs 
armes  sans  se  toucher  entre  eux. 


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14  KEVUE   FRANÇAISE 

Malgré  le  désordre  qui  fut  la  conséquence  iuévilabledece  guet-apeiis, 
un  groupe  de  44  tirailleurs,  sur  les  97  présents,  parvint  à  percer  les 
rangs  des  Sofas  et  à  battre  en  retraite  en  combaltant.  D'autres  ont  pu 
s'échapper  après  avoir  été  pris,  ce  qui  porte  à  5S  le  nombre  des  survi- 
vants. Après  avoir  marché  pendant  5  jours  sans  manger,  ces  tirailleurs 
arrivaient  au  poste  de  Lokhoso,  apportant  la  nouvelle  du  désastre.  Au- 
cun des  tirailleurs  survivants  n'a  vu  tomber  le  capitaine  Braulot,  en 
raison  de  la  nature  du  terrain  qui  le  cachait  à  leurs  yeux,  mais  il  est 
hors  de  doute  qu'il  a  été  la  première  victime. 

On  n'a  pas,  dit  le  Bulletin  du  Comité  de  tAfnque  française ^  de  ren- 
seignements précis  sur  les  causes  de  cette  affaire  et  les  3  Européens  du 
détachement  ayant  été  tués,  il  ne  sera  sans  doute  jamais  possible  de 
savoir  la  vérité.  On  verra,  par  le  récit  rapporté  par  la  mission  Nebout, 
k  son  retour  du  camp  de  Samory,  que  Talmamy  reconnaît  le  massacre 
et  s'en  excuse;  mais  ce  récit  ne  fait  pas  la  lumière  sur  les  causes  qui 
ont  amené  le  guet-apens.  On  croit  cependant  que  Sarakéni  a  été  i)oussé 
par  les  marabouts  fanatiques  qui  l'entourent  et  qui,  depuis  la  défaite  de 
la  colonne  anglaise  Henderson,  n'ont  fait  qu'accentuer  leur  haine  fa- 
rouche contre  tout  ce  qui  est  européen. 

Le  capitaine  Braulot  était  né  à  Nancy  en  1861.  Sous-lieutenant  en 
1886,  après  s'être  engagé  volontairement,  il  fit  un  séjour  à  Madagascar, 
après  une  première  campagne  au  Sénégal.  En  1892,  il  fil  partie,  avec 
le  D^  Crozat  et  M.  Marcel  Monnier,  de  la  commission  de  délimitation  de 
la  frontière  orientale  de  la  côte  d'Ivoire,  que  dirigeait  M.  Binger,  gou- 
verneur de  cette  colonie.  Chargé  ensuite  d'une  mission  à  Kong,  il  fut 
forcé  de  s'arrêter  aux  portes  de  Bouna.  11  prit  ensuite  part  aux  opéra* 
tiens  de  la  colonne  de  Kong.  En  1896,  le  capitaine  Braulot  avait  été 
envoyé  à  la  Côte  d'Ivoire  avec  mission  d'entrer  en  pourpariers  avec 
Samory,  mais  la  réponse  que  lui  adressa  ce  dernier  rendit  toute  négo- 
ciation inutile.  Enlin^  il  avait  été  renvoyé  au  Soudan  a  la  fin  de  1896. 

Le  V  Bunas,  né  à  Cahors  en  1864,  s'ét;iit  engagé  également.  Après 
avoir  fait  campagne  au  Tonkin,  il  avait  été  nommé  sous-lieutenant  en 
1889.  11  avait  été  deux  fois  au  Sénégal,  avant  d'entreprendre  sa  dernière 
campagne  au  Soudan. 

L'acte  de  trahison  dont  ont  été  victimes  le  capitaine  Braulot  et  ses 
compagnons  api)elle  une  éclatante  réparation.  Déjà  les  noirs  se  disaient 
que  si  nous  n'attaquions  pas  Samory,  c'est  »|ue  nous  étions  moins  forts 


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LA  MISSION  NEBOUT  CHEZ  SAMOUY  Vd 

que  lui.  Que  vont-ils  penser  maintenant  si  nous  ne  savons  pas  venger 
nos  morts  ? 

n  n'y  a  pas  à  hésiter  :  si  nous  en  restons  là,  notre  prestige  auprès 
des  indigènes  est  sérieusement  compromis  ;  et  Ton  sait  que  c'est  bien 
plus  par  l'ascendant  que  nous  donnent  nos  victoires  que  par  les  4.000 
hommes  disséminés  sur  un  immense  territoire,  que  nous  maintenons 
Tordre  et  la  tranquillité  au  Soudan.  Il  faut  donc  agir  et  en  finir  avec 
Samory,  ce  qui  nous  permettra  de  nous  trouver  face  à  face  avec  les 
Anglais,  —  ces  Anglais  que  nous  trouvons  toujours  partout  —  qui, 
péchant  comme  d'habitude  en  eau  trouble,  viennent  d'occuper  ce  môme 

Bouna! 

G.  Vasco. 

LA  MISSION  NEBOUT  CHEZ  SAMORY 

La  politique  suivie  depuis  quinze  années  au  Soudan  à  l'égard  de  l'ai- 
mamy  Samory  n'est  certes  pas  marquée  au  coin  de  l'esprit  de  suite. 
Tantôt  ce  sont  des  colonnes  conduites  par  de  vaillants  chefs  :  Archinard, 
Uumbert,  Combes,  Monteil,  etc.,  que  l'on  dirige  contre  notre  insaisis- 
sable ennemi,  tantôt  ce  sont  des  missions  pacifiques  (Binger,  Péroz, 
Braulot,  Nebout)  qu'on  lui  envoie  en  vue  de  conclure  un  arrangement. 
Mais,  quel  que  soit  le  moyen  employé,  le  résultat  est  toujours  le  même: 
Samory  reste  notre  emiemi  irréductible  et,  ni  la  fortune  des  armes,  ni 
les  négociations  ne  peuvent  en  venir  à  bout. 

Pendant  que  du  Soudan  on  essayait  de  maintenir  ses  bandes  en  res- 
pect et  en  même  temps  de  gagner  du  terrain,  de  la  Côte  d'Ivoire  par- 
tait une  mission  chargée  d'entamer  de  nouvelles  négociations  avec  lui. 
Cette  mission  avait  pour  but  de  le  joindre  tout  d'abord  (ce  que  n'avait 
pu  faire  la  mission  Braulot)  et  de  l'amener  à  nous  laisser  occuper  Bon- 
doukou  et  Bouna,  ce  qui  permettrait  d'opérer  la  jonction,  par  une  chaîne 
de  postes,  de  nos  possessions  du  Soudan  et  de  la  Côte  d'Ivoire.  Enfin, 
s'il  était  possible,  on  devait  chercher  à  le  cantonner  dans  les  territoires 
s'étendant  du  Comoé  à  la  république  de  Libéria. 

La  mission  était  composée  de  MM.  Bonhoure,  secrétaire  général  de  la 
Côte  d'Ivoire,  Nebout,  l'ancien  compagnon  de  Crampel,  administrateur 
du  cercle  de  Baoulé  et  Le  Filliâlre,  administrateur  du  cercle  dellndénié. 
Partie  de  Grand-Bassam,  elle  remonta  le  Comoé  jusqu'à  Beltié,  se  rendit 


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16  REVUE  FRANÇAISE 

à  Zaranou  puis  à  Assikasso.  De  là  elle  gagna  Satama-Soukouro,  pre- 
mier poste  occupé  par  les  sofas  de  Samory.  Là  il  fallut  négocier  et 
attendre  pendant  deux  mois  afin  de  savoir  si  et  où  on  pourrait  voir  Sa- 
mory.  C'est  dans  cet  intervalle  que  Ton  apprit  le  massacre  de  trois 
Européens  à  Bouna;  mais  les  sofas  affirmèrent  à  la  mission  que  c'étaient 
des  Anglais.  Sur  ces  entrefaites,  M.  Bonhoure,  rappelé  à  la  Côte  d'Ivoire 
pour  exercer  Tintérim  du  gouvernement,  dut  laisser  la  direction  de 
la  mission  à  M.  Nebout  dont  la  haute  expérience  était  connue.  L'almamy 
étant  rentré  à  Dabhakala  fit  savoir  à  la  mission  qu'il  était  disposé  à  la 
recevoir.  Mais  M.  Nebout  ne  voulut  se  mettre  en  marche  que  muni 
d'une  lettre  de  Samory  revêtue  de  son  cachet.  L'almamy  la  lui  envoya 
aussitôt  avec  un  cadeau  de  deux  chevaux  destinés  à  faciliter  la  route 
aux  Européens,  ce  qui  impressionna  favorablement  la  mission. 

Voici  d'après  le  récit  envoyé  à  VÉclair  par  son  correspondant, 
M.  A.  Mévil,  qui  a  rencontré  la  mission  à  son  retour  à  la  Côte,  l'accueil 
que  fit  Samory  à  nos<x)mpatriotes: 

«  Ce  fut  exactement  le  2  octobre  1891  au  matin  que  MM.  Nebout  et 
Le  Filliâtre  arrivèrent  à  Dabhakala.  A  peine  étaient-ils  installés  que  Sa- 
mory leur  fit  demander  s'il  ne  leur  déplairait  point  de  voir  ses  sofas 
habillés  avec  les  dépouilles  du  détachement  de  tirailleurs  soudanais 
récemment  défait  à  Bouna.  Ils  lui  répondirent  immédiatement  que  cela 
leur  serait  tout  à  fait  odieux.  Par  la  suite,  ce  manque  complet  de  tact 
de  la  part  de  Samory  les  étonna  beaucoup.  On  leur  conta  alors  l'affaire 
Braulot,  et  ils  surent  que  les  trois  Européens,  dont  on  leur  avait  annoncé 
la  mort  à  Satama,  étaient  non  point  des  Anglais  mais  des  Français,  et 
qu'en  l'occurence  ils  avaient  été  trompés  avec  une  habileté  très  diplo- 
matique, décelant  de  la  part  de  Samory  un  savoîr-faire  dangereux. 

Cette  nouvelle  leur  causa  un  profond  chagrin.  De  plus,  ils  comprirent 
qu'il  était  désormais  impossible  de  songer  à  traiter  avec  Samory  après 
cette  récente  attaque.  Dès  lors,  le  but  de  leur  mission  était  fort  amoin- 
dri ;  il  n'en  restait  pas  moins  intéressant  :  l'entrevue  avec  Samory  ne 
pouvant  manquer  d'être  très  suggestive,  pleine  d'enseignement  et, 
somme  toute,  très  utile  à  notre  politique  future  vis-à-vis  de  lui. 

Le  jour  même  de  leur  arrivée,  à  deux  heures  de  l'après-midi,  MM.  Ne- 
bout  et  Le  Filliâtre  furent  reçus  par  Samory  qui  les  accueillit  très  aima- 
blement, vint  au  devant  d'eux,  leur  souhaita  le  bonjour  en  français,  et 
leur  présenta  ses  fils. 


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^7^^^ 


LA  MISSION  NEBOUT  CHEZ  SAMORY  17 

Samory  est,  paraît-il,  actuellement  un  homme  d'une  soixantaine  d'an- 
nées. Il  a  le  nez  épaté,»  les  lèvres  fines  et  porte  la  barbe  au  menton.  Ses 
joues  aux  pommettes  saillantes  —  caractéristique  de  la  race  Malinké  — 
sont  rasées.  Comme  signes  distinctifs,  il  a  une  cicatrice  prononcée  au 
sourcil  droit,  une  autre  au  mollet  gauche  et  ses  mains  ne  sont  point 
noires,  mais  d'un  jaune  assez  clair  et  d'apparence  ladre. 

Sa  physionomie  est  pleine  d'une  bonhomie  souriante  et  révèle  un 
homme  énergique  et  intelligent.  Alors  que  ses  fils,  ses  griots  et  certains 
de  ses  chefs  arborent  des  boubous  luxueux,  lui,  au  contraire,  est  de 
mise  simple  :  le  boubou  de  toile  blanche,  vêtement  habituel  des  mara- 
bouts, semble  seul  lui  convenir.  Il  tient  constamment  dans  sa  main  une 
queue  d'éléphant,  dont  l'extrémité  est  engainée  d'argent:  cet  objet 
bizarre  lui  sert  à  chasser  les  mouches  importunes. 

Les  premières  paroles  adressées  à  MM.  Nebout  et  Le  Filliâtre  par  Sa- 
mory, après  celles  de  bienvenue,  furent  des  excuses  pour  l'attaque  de 
la  colonne  Braulot  et  le  meurtre  de  nos  trois  compatriotes —  quHl  avoua. 
Personnellement,  dit-il,  il  estimait  beaucoup  Braulot  qu'il  avait  reçu  peu 
de  temps  auparavant  (1)  ;  il  déclara  être  resté  absolument  étranger  à  cette 
malheureuse  affaire.  D'après  lui,  la  colonne  Braulot,  en  arrivant  à  Bouna, 
trouva  le  village  inoccupé  et  s'en  empara.  Sarinké-Mory,  son  fils,  opé- 
rant dans  les  environs,  ne  tarda  pas  à  apprendre  la  nouvelle  de  l'occu- 
pation de  Bouna  par  un  détachement  français.  Il  accourut  en  hâte  à 
Bouna,  surprit  la  colonne  Braulot  et  la  défit  sans  que  celle-ci  eût  eu  le 
temps  de  se  défendre. 

Cette  version  ne  doit  être  acceptée  qu'avec  la  plus  extrême  réserve, 
d'autant  plus  que  l'envoyé  de  Samory,  Ali,  qui  s'était  fait  le  guide  de 
la  mission,  affirma  à  MM.  Nebout  et  Le  Filliâtre  que  la  colonne  Braulot 
ayant  rencontré  Sarinké-Mory  et  ses  troupes,  fit  route  avec  eux,  et, 
sans  qu'aucun  incident  no  fût  survenu  de  part  et  d'autre,  elle  se  vit 
brusquement  attaquée,  à  un  moment  où  elle  ne  s'y  attendait  nullement. 

Après  l'entrevue,  Samory  fit  défiler  devant  la  mission  ses  troupes  pré- 
sentes à  Dabhakala,  le  gros  de  ses  troupes  se  trouvant  à  Bouna  sous  le 
commandement  de  son  fils  Sarinké-Mory.  Ce  fut  d'abord  un  bataillon 
fort  d'un  millier  d'hommes  environ,  dont  830  pouvaient  être  armés  de 
fusils  à  tir  rapide.  Ce  bataillon  marchait  par  rangs  de  vingt,  et  il  était 

(1)  11  y  a  là  une  confusion,  Braulot  n'ayant  pas  vu  Samory. 

xxm  (Janvier  98).  N»  229.  2 


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M  REVUE  FRANÇAISE 

prt^éiié  d  un  clairon  qui  sonnait  très  correctement  une  de  nos  marches 
et  »[i»t,  disait-on,  n'était  autre  que  Je  clairon  de  Braulot.  Puis  vint  une 
trtjupe  de  cavaliers,  forte  d'un  millier  d'hommes,  dont  à  peine  200  pos- 
sédaient des  fusils  à  tir  rapide.  Le  défilé  de  cette  troupe  eut  lieu  par 
rangs  de  quatre,  —  et  au  pas. 

L'armée  de  Samory  offre,  paraît-il,  un  coup  d'oeil  peu  banal  :  tuniques, 
dolmans,  vestons,  redingotes,  habits,  chéchia,  képis,  chapeaux  et  cas- 
quelLea  divers  s'y  donnent  rendez-vous  et  forment  un  ensemble  dont  la 
vue  pour  un  Européen  ne  manque  pas  d'être  risible.  Cette  armée,  vêtue 
d  une  manière  si  bigarrée,  ne  manœuvre  pas  mal,  les  commandements 
La  plupart  du  temps  s'y  font  en  français  —  ce  qui  prouve  que  beaucoup 
de  nos  tirailleurs  soudanais  y  ont  trouvé  asile  et  s'y  sont  faits  instruc- 
tonr.s  (1).  Parade  et  revue  furent  suivies  d'une  fantasia  exécutée  par  45  lils 
dv  Samory,  tous  beaux  garçons  et  bons  cavaliers,  vêtus  richement  et 
coi  ffùin  d'une  haute  chéchia  enfermée  dans  une  gaine  d'argent  gaufré. 

Le  lendemain  Samory  reçut  MM.  Nebout  et  Le  Filliâtre  sans  apparat 
et  leur  parla  longuement  d'un  envoyé  du  Soudan  français  dont  on  ve- 
nait iJ*i  lui  signaler  l'arrivée  très  prochaine  à  Dabhakala.  Cette  nouvelle 
ne  manqua  pas  d'intriguer  beaucoup  nos  envoyés  de  la  Côte  d'Ivoire . 

Cv  Lie  fut  que  le  mardi  5  octobre  au  cours  d'une  troisième  entrevue, 
c|uHI  lïit  question  d'un  traité  possible  entre  nous  et  lui.  En  entendant 
iintî  telle  proposition,  Samory  esquissa  un  geste  significatif.  M.  Nebout 
ppoiiia  immédiatement  de  l'effet  produit  et  essaya  de  lui  démontrerque 
lo  nvn  le  des  européens  se  resserrait  de  jour  en  jour  autour  de  lui,  et 
qu'i'ii  cas  de  défaite  il  lui  serait  désormais  à  peu  près  impossible  de 
fuir.  Les  bases  d'un  traité  lui  furent  énoncées. 

Saniory  écouta  en  silence  cette  longue  démonstration,  qui  dura  plus 
d'uiif  heure;  il  ne  parut  pas,  ou,  mieux  peut-être,  il  ne  voulut  pas  en 
saisir  la  portée.  Il  répondit  qu*il  désirait  vivement  faire  la  paix  avec 
les  Français,  dont  il  connaissait  la  puiseance  et  qu'il  craignait  énormé- 
ment, mais  qu'il  lui  serait  bien  difficile  d'habiter  dans  un  territoire 
lirniu-,  tétant  un  nomade  à  qui  il  fallait  de  l'espace  pour  vivre.  Quant  à 
l'arguaient  du  cercle  d  Européens  se  rétrécissant  chaque  jour  autour  de 
lui,  et  pouvant  le  menacer,  il  ne  l'apprécia  nullement,  et  môme,  chose 
curieuse,  à  plusieurs  reprises  il  manifesta  son  profond  mépris  pour  les 

]\)  U  ei  conûniie  pleinement  ce  que  la  Revue  énonçait  dans  l'article  ^fos  forces  au 
h(mUiH  i*Jéc.  1897,  p.  721). 


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LA  MISSION  ?ŒBOUT  CHEZ  SAMORY  19 

Anglais:  il  ignore  leurs  forces  militaires  et  il  les  croit  de  vulgaires 
marchands  incapables  de  porter  un  fusil.  Cette  opinion  de  Samory  sur 
les  Anglais  est,  en  somme,  plutôt  regrettable,  car,  s'il  se  savait  partout 
entouré  d'adversaii'es  redoutables,  il  se  montrerait  plus  conciliant. 

A  ses  côtés  pendant  tous  ces  entreliens  se  trouvait  son  griot  favori, 
Mady  Findia,  le  seul  parmi  ses  griots  lui  parlant  librement  et  paraissant 
avoir  une  certaine  influence  sur  lui.  Une  de  ses  femmes  aussi,  dit-on, 
a  sa  confiance  et  lui  donne  de  fréquents  conseils.  Mady  Findia  a  semblé 
être  très  favorable  aux  Français. 

Il  paraît  qu'il  existe  un  autre  griotdu  nom  d'Amara,  vivant  aux  côtés 
de  Sarinké-Mory,  dont  il  est  le  grand  confident  Ce  griot  nous  est  hos- 
tile au  dernier  point.  C'est  lui  qui  aurait  conseillé  et  machiné  l'attaque 
de  la  colonne  Braulot.  MM.  Nebout  et  Le  Filliltre  ont  vu  cet  Amara, 
un  jour  qu'il  se  trouvait  de  passage  à  Dabhakala.  Samory  le  fit  venir 
auprès  de  lui,  et  le  força  à  dire  bonjour  et  à  tendre  la  main  à  nos  com- 
patriotes. On  leur  prétendit  ensuite  que  cet  Amara  avait  fait  tous  ses 
efforts  auprès  de  Samory  pour  les  faire  assassiner. 

Ce  qui  a  frappé  MM.  Nebout  et  Le  Filliâtre  durant  leur  séjour  à 
Dabhakala,  ce  sont  l'autorité  et  la  suprématie  absolues  exercées  par 
Samory  sur  ses  sujets.  Tout  se  fait  par  lui,  d'après  lui,  pour  lui.  Il  est 
le  seul  maître  devant  lequel  on  s'incline  sans  murmurer.  Il  règne  h 
Dabhakala  une  discipline  de  fer,  à  tel  point  même  que  personne  n'a  le 
droit  d'accepter  le  plus  petit  cadeau  sans  en  avoir  au  préalable  demandé 
la  permission  à,  l'îilmamy. 

MM.  Nebout  et  Le  Filliâtre  reçurent  plusieurs  fois  la  visite  de  Samo- 
ry. U  ne  négligea  rien  pour  leur  être  agréable;  il  eut  à  leur  égard  mille 
attentions  délicates.  Chaque  jour,  il  leur  faisait  apporter  de  l'eau  de 
sa  source,  chaque  jour  il  leur  envoyait  des  bananes,  du  lait,  des  o&ufs, 
des  poulets  et  maintes  autres  choses  encore,  chaque  jour  il  faisait  tuer 
un  bœuf  à  leur  intention,  et  par  ses  soins  leurs  hommes  recevaient 
jouroellement  trois  plats  de  viande  et  de  riz.  Il  se  montra  tyrannique 
même  jusque  dans  ses  amabilités;  c'est  ainsi  que,  lors  de  la  première 
entrevue,  le^  miliciens  qui  accompagnaient  nos  envoyés  étant  venus 
sans  armes,  il  les  renvoya,  en  disant  qu'il  savait  que  les  Français  n'ai- 
maient pas  à  avoir  autour  d'eux  leurs  hommes  sans  armes - 

Ayant  parlé  d'armes  européennes  fabriquées  par  ses  forgerons,  nos 
compatriotes  furent  intrigués,  et  lui  demandèrent  de  les  mener  voir  une 


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20  REVUE  FRANÇAISE 

chose  qui  leur  paraissait  si  curieuse.  Samory  se  rendit  très  volontiers  à 
leur  désir,  et  les  mena  auprès  de  ses  forgerons.  Ils  virent  effectivement 
fabriquer  sous  leurs  yeux  des  fusils  à  répétition,  modèle  Kropatchek, 
en  usage  dans  notre  marine.  Trois  fusils  environ  peuvent  être  fabriqués 
par  semaine. 

Un  de  ces  fusils  a  été  donné  par  Samory  au  gouverneur  de  la  Côte 
d'Ivoire,  et  a  été  rapporté  par  la  mission  Nebout.  J'ai  eu  l'occasion  de 
le  voir  à  Grand-Bassam  et  je  l'ai  examiné  longuement.  Voici  la  critique 
que  l'on  peut  en  faire  :  cette  arme  à  première  vue  est  une  copie  frap- 
pante du  fusil  Kropatchek,  mais  lorsqu'on  l'examine  de  près  on  s'a- 
perçoit vite  que  cette  copie  est  ignorante,  et  présente  nombre  d'imper- 
fections qui  la  rendent,  surtout  entre  les  mains  d'un  noir,  très  peu 
dangereuse. 

La  crosse  n'est  pas  d'aplomb  avec  le  canon,  l'obturation  se  fait  dans 
des  conditions  très  défectueuses,  l'âme  de  la  pièce  est  rayée  d'une  façon 
absolument  fantaisiste,  et  elle  présente  à  sa  sortie  une  ouverture  plus 
large  qu'à  l'entrée.  Il  est  néanmoins  extraordinaire  qu'un  noir,  muni 
d'outils  rudimentaii'es,,  soit  arrivé,  à  force  de  patience  et  d'adresse,  à 
fabriquer  une  telle  arme.  Il  faut  que  la  volonté  du  maître  se  fasse  bien 
rudement  sentir  pour  atteindre  un  pareil  résultat.  On  fabrique  égale- 
ment des  cartouches  à  Dabhakala  ;  les  capsules,  par  exemple,  n'ont  pu 
Jamais  y  être  fabriquées. 

Au  bout  de  quinze  jours,  MM.  Nebout  et  Le  Filliâtre,  considérant  leur 
mission  comme  terminée,  demandèrent  à  l'almamy  la  route,  afin  de 
s'en  retourner  à  Grand-Bassam.  C'est  à  ce  moment  seulement  qu'ils 
éprouvèrent  avec  lui  quelques  difiicultés.  Il  leur  demanda,  en  effet,  de 
retarder  leur  départ  jusqu'à  l'arrivée,  très  prochaine,  —  de  l'envoyé 
du  Soudan  français,  dont  la  venue  l'inquiétait  un  peu. 

Cette  attente  énerva  considérablement  nos  compatriotes  et  les  choses 
allaient  tourner  à  l'aigre  lorsque  l'envoyé  du  Soudan  arriva  à  Dabha- 
kala. Cet  envoyé  s'appelait  Yolol-Semba,  il  venait  du  poste  de  Siguiri 
et  était  porteur  d'une  lettre,  à  l'adresse  de  Samor}%  revêtue  du  cachet 
du  gouverneur  de  Kayes.  Dans  cette  lettre  on  demandait  à  Samory  des 
explications  au  sujet  d'une  attaque  projetée  par  lui  contre  le  village 
d'Odienné.  Samory  protesta  hautement  devant  les  envoyés  de  la  Côte 
d'Ivoire  contre  celte  accusation,  il  leur  dit  avoir  d'autant  moins  l'in- 
tention d'attaquer  ce  village  qu'il  y  compte  un  grand  nombre  de  parents. 


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LA  MISSION  NEBOUT  CHEZ  SAMORY  21 

Immédiatement  après  cette  entrevue,  MM.  Nebout  et  Le  Filliâtre 
quittèrent  Dabhakala;  ils  y  étaient  restés  exactement  vingt  jours.  Avant 
leur  départ  Samory  les  avertit  qu'il  envoyait  Tun  de  ses  marabouts 
porter  une  lettre  au  gouverneur  de  la  Côte  d'Ivoire  et  que,  dans  cette 
lettre,  il  exprimait  encore  tous  ses  regrets  pour  Fattaque  de  la  colonne 
Braulot,  qu'il  renouvelait  son  vif  désir  de  vivre  en  paix  avec  nous, 
qu'il  était  persuadé  de  la  bonne  foi  des  envoyés  delà  Côtedlvoire,  mais 
qu'il  redoutait  toujours  une  attaque  du  Soudan,  et  qu'il  n'aurait  véri- 
tablement confiance  que  le  jour  où  nous  lui  enverrions  cen/  fusils  Gras, 
comme  gage  de  paix. 

Il  fut  décidé  que  le  marabout,  escorté  d'Ali  et  d'un  autre  homme  de 
Dabhakala,  ferait  route  jusqu'à  Grand-Bassam  en  compagnie  de  la 
mission.  Avant  de  partir,  Samory  fit  offrir  soixante  bœufs  comme  ca- 
deau à  nos  compatriotes,  qui  n'en  acceptèrent  que  six  en  raison  des 
difficultés  du  transport.  Entouré  de  tous  ses  fils  à  cheval,  montant  lui- 
même  un  fort  joli  cheval,  il  accompagna  la  mission  jusqu'à  quatre  kilo- 
mètres de  Dabhakala.  Arrivé  à  un  marigot,  il  fit  signe  à  son  escorte  de 
rester  en  arrière,  et  seul  alors,  il  chemina  pendant  plus  d'un  kilomètre 
avec  les  envoyés  de  la  Côte  d'Ivoire.  Il  prit  très  aimablement  congé  d'eux, 
leur  renouvelant  encore  sa  satisfaction  de  les  avoir  vus,  et  leur  expri- 
mant une  dernière  fois  son  grand  désir  de  vivre  en  paix  avec  nous.  » 

La  mission  revint  sans  encombre  à  Grand-Bassam. 

Les  résultats  obtenus  par  la  mission  sont,  comme  on  le  voit,  abso- 
lument négatifs.  Samory  —  qui  n'est  pas  mort,  ainsi  que  le  bruit  en 
avait  couru  avec  persistance,  —  a  bien  reçu  les  envoyés,  s'est  môme 
montré  gracieux  envers  eux,  mais  n'a  rien  concédé  et  n'a  pas  paru  dis- 
posé à  traiter  et  surtout  à  se  cantonner  dans  un  territoire  délimité.  Et 
il  n'en  saurait  être  autrement.  Samory,  en  effel,  est  un  sultan  essen- 
tiellement nomade,  ne  vivant  que  de  pillage,  n'étant  riche  que  par  ses 
déprédations  et  le  nombre  de  ses  esclaves.  Or,  quand  une  région  est 
dévastée  et  ruinée,  il  lui  faut  absolument,  pour  vivre  avec  toutes  ses 
hordes,  passer  dans  une  autre.  C'est  pour  lui  une  fataliti^  à  laquelle  il 
ne  saurait  se  soustraire.  Espérer  le  contraire  est  une  pure  illusion. 

Il  ne  reste  donc  comme  solution  qu'à  réduire  Samory  par  la  force  ou 
tout  au  moins  à  le  rejeter  dans  des  régions  où  il  ne  puisse  pas  être  un 
obstacle  à  notre  développement  colonial.  Plus  on  tardera  et  plus  la  zone 
de  massacres  et  de  ruines  s'étendra  dans  cette  partie  de  l'Afrique. 


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ETAT  DU  CONGO 

EN  CAPTIVITÉ  CHEZ  LES  REBELLES 

Nous  avons  rendu  compte,  dans  un  précédent  fascicule  (nov.  1897, 
p.  637;  de  la  révolte  des  soldats  qui  formaient  la  colonne  Leroi  et  de  la 
fin  tragique  des  ofGciers  belges  qui  la  composaient.  B  s'en  fallut  de  peu 
que  les  rebelles,  dans  leur  haine  contre  tous  les  Blancs,  ne  fissent  une 
nouvelle  victime.  En  effet,  un  des  Pères  Blancs  de  l'Ouganda,  le  P.  Aclrte, 
qui  était  tombé  entre  leurs  mains,  n'échappa  à  la  mort  que  par  une 
circonstance  providentielle. 

Le  P.  Achte  était  parti  du  Toro,  au  nord  du  lac  Albert-Edouard,  le 
19  avril  1S97,  pour  visiter  quelques  catéchumènes  d'au  delà  de  la 
Semliki,  rivière  large  de  SO  à  60  mètres  et  profonde  de  7  à  8,  qu'il  fallut 
passer  sur  un  simple  tronc  d'arbre  creusé,  en  guise  de  [ûrogue.  Au  delà 
le  pays  est  encore  anglais,  mais  la  ligne  frontière,  que  n'indique  pas 
un  obstacle  naturel,  n'est  pas  toujours  respectée.  En  arrivant  à  Mutégo, 
gros  village  à  6  lieues  du  fleuve,  le  P.  Achte  se  trouva  tout  à  coup  en 
présence  de  30  soldats  qui  lui  dirent  qu'ils  étaient  envoyés  par  «  leur 
Blanc  »  pour  s'enquérir  de  la  route  menant  au  poste  belge  de  l'Uson- 
gdra.  La  nuit  approchait  et  le  P.  Achte  se  sentait  entouré  et  observé. 
Quels  étaient  ces  soldats?  Seraient -ce,  par  hasard,  les  révoltés  dont  il 
avait  entendu  parler?  Quoi  qu'il  en  fût,  la  retraite  était  maintenant 
impossible.  » 

ft  Le  lendemain,  vers  10  heures,  dit  le  P.  Achte,  dont  nous  repro- 
duisons le  récit  publié  par  les  Missioiis  catholiques,  après  avoir  gravi 
une  haute  montagne,  nous  débouchons  devant  une  plaine  couverte  de 
tentes  européennes,  de  huttes,  d'hommes,  de  femmes,  d'enfants  !  Nous 
sommes  perdus  !  Ce  sont  les  révoltés,  «  aussi  nombreux,  comme  ils  me 
te  diront  plus  tard,  que  l'herbe  des  champs.  » 

On  me  conduit  poliment  vers  la  tente  du  Blanc.  Elle  est  sur  une 
petite  hauteur:  sur  le  pignon  de  devant  flotte  un  drapeau  belge.  Au 
passage,  on  me  salue  en  français:  un  malin  vient  môme  me  compli- 
menter en  flamand.  Je  me  garde  bien  de  lui  répondre. 

J'arrive  auprès  d'un  hangar,  genre  kiosque,  où  l'on  fume  la  pipe  à 
l'ombre.  Une  vingtame  de  belles  chaises  européennes  attirent  mon 
attention  et  me  donnent  de  lugubres  pressentiments,  que  confirme  le 
spectacle  qui  s'offre  alors  à  mes  yeux.  J'aperçois  40  à  30  n^res,  babil - 


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ÉTAT  DU  CONGO  23 

lés  du  pantalon  d'officier  et  de  la  veste  à  deux  ou  trois  galons  d'or, 
coiflFés  de  képis  également  à  deux  ou  trois  galons  d'or;  un  revolver 
pend  à  leur  côté. 

Je  ne  sais  plus  quelle  contenance  piendre.  Mais,  on  ne  me  laisse  pas 
longtemps  dans  l'indécision.  Soudain,  vingt  mains  se  posent  violem- 
ment sur  moi  :  chapeau,  rosaire,  montre,  chapelet,  gandoura  même, 
tout  disparaît  en  un  clin  d'œil.  Les  cris  sauvages  :  Tuez-le  !  tuez-le  î  » 
retentissent;  de  nombreux  fusils  sont  braqués  sur  moi;  mais  ceux  qui 
m'entourent  de  plus  près  pour  me  dépouiller  crient  à  leurs  amis  :  «  Ne 
tirez  pas;  vous  allez  nous  atteindre.  Lions-le,  et  puis  nous  le  tuerons.  » 

Tout  cela  avait  duré  une  minute  à  peine.  Je  n'avais  plus  que  la  che- 
mise intacte  sur  le  corps.  De  tout  apur,  distinctement,  je  dis  :  «  Saintt» 
Vierge  Marie,  à  mon  secours  !  »  Et  je  crie,  tout  haut,  en  kisouahili  : 
'<  Je  suis  un  9  homme  de  Dieu  »,  laissez-moi  !  » 

Dieu,  qui  tient  dans  ses  mains  le  cœur  des  hommes,  changea  subite- 
ment les  dispositions  des  plus  acharnés.  A  l'instant,  plusieurs  se  mettent 
à  me  défendre;  l'un  ramasse  les  débris  de  ma  culotte  et  me  l'ajuste 
assez  convenablement  ;  un  autre  m'offre  son  chapeau  pour  le  poser  sur 
ma  tète  exposée  aux  ardeurs  d'un  soleil  de  feu.  Je  suis  tiré  en  tous 
sens.  Les  uns  veulent  me  tuer;  les  autres  me  protègent.  Ceux-là  per- 
sistent à  m'attacher  les  mains  et  les  coudes;  ceux-ci  s'efforcent  de  me 
les  délier.  Pendant  ce  temps,  deux  ou  trois  Nyamparas  avaient  trouvé 
des  bâtons  ;  ils  vinrent  faire  pleuvoir  les  coups  sur  mes  assaillants  et 
sur  mes  défenseurs  indistinctement  et  n^e  dégagèrent. 

On  me  conduit  alors  sous  le  hangar.  Je  m'assieds  sur  une  chaise 
longue  en  face  de  Mulamba,  leur  roi,  et  de  Kandolo,  leur  premier 
Nyampara.  Une  foule  énorme  m'entoure  et  le  silence  se  fait.  J'essaie 
d'expliquer  qui  je  suis  et  ce  qu'est  un  padri  français.  A  chaque  instant 
on  m'interrompt  : 

«  Nous  avons  tué  les  Belges  qui  nous  appelaient  des  animaux  et  qui 
tuaient  nos  chefs  et  nos  frères,  comme  on  tue  des  chèvres  I  » 

De  pareilles  exagérations  sont  naturelles  dans  la  bouche  des  noirs 
exaspérés.  Ayant  répété  vingt  fois  que  je  ne  suis  pas  Belge,  que  je  n'ai 
jamais  fait  de  mal  aux  noirs,  je  crois  plus  sage  de  laisser  ces  terribles 
enfants  de  la  nature  déverser  le  trop-plein  de  leur  bile  et  je  les  interroge 
h  mon  tour. . .  Je  fais  semblant  de  les  écouter  avec  intérêt. 
Voici  l'histoire  tragique  qu'ils  me  racontent  : 


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24  REVUE  FRANÇAISE 

Uavant-garde,  composé^  de  mille  soldats  et  conduite  par  neuf 
Blancs,  était  arrivée  sur  les  bords  du  Yabéli,  il  y  a  environ  quatre 
mois.  Deux  officiers  firent  donner  cent  coups  de  sikoli  (lanière  de  peau 
d'hippopotame)  à  un  Nyampara.  Les  trois  grands  Nyamparas,  Kandolo, 
Sadiki  et  Kalukula,  exaspérés  firent  alors  circuler  le  mot  d'ordre  de  la 
révolte.  Ils  veulent  échapper  au  Dieu  des  derviches,  au  bâton  et  à  la 
corde  des  Belges,  et  du  même.coup  se  venger  et  venger  leurs  compa- 
triotes battus,  pendus,  fusillés  depuis  des  années.  La  nuit  arrive  :  sou- 
dain, deux  Blancs  tombent  de  leur  chaise,  frappés  au  cœur;  cinq  autres 
tombent  aussi  sous  les  balles,  et  les  deux  autres  se  sauvent  à  la  faveur 
des  ténèbres.  Tout  est  pillé. 

Le  baron  Dhanis  poursuit  les  révoltés.  Il  a  mie  armée  de  4  à  o.OOO  sol- 
dats, commandés  par  de  nombreux  Blancs.  D  atteint  les  rebelles  sur  les 
bords  de  Tlturi.  Deux  de  ses  principaux  Nyamparas  manyémas  sont 
Mulamba  et  Almasi,  qu'il  croit  fidèles  et  dévoués.  «  Mais,  me  disait 
Mulamba,  il  y  a  trois  ans  que  j'amasse  et  que  j'étouff'e  dans  mon  cœur 
la  haine  des  Belges.  Quand  je  vis  Dhanis  en  face  de  mes  compatriotes 
révoltés,  je  tressaillis  de  bonheur;  c'était  le  moment  de  la  délivrance 
et  de  la  vengeance  !  » 

Le  baron  Dhanis  dispose  donc  son  armée,  place  les  sentinelles,  et 
les  Européens  s'en  vont  dormir,  comptant  sur  la  victoire  pour  le  lende- 
main. Vers  deux  heures  du  matin,  les  révoltés,  de  connivence  avec  les 
Manyémas  du  camp  de  Dhanis,  sont  aperçus  par  les  sentinelles  qui  leur 
tirent  dessus.  C'est  le  signal  que  tous  les  Manyémas  attendent.  Une 
fusillade  furieuse  commence  de  tous  les  côtés  à  la  fois.  Les  Belges 
sautent  de  leur  lit  et  veulent  donner  des  ordres.  Mais  où  est  l'ennemi? 
Où  est  le  soldat  fidèle?  La  révolte  est  partout. 

Le  soleil  se  lève  enfin  et  éclaire  un  bien  triste  désastre  :  les  cadavres 
de  plusieurs  centaines  de  Haoussas  jonchent  le  sol  ;  sept  Belges  gisent 
aussi  à  terre.  Tous  les  autres  ont  fui,  n'emportant  absolument  rien.  Le 
fusil  même  du  baron  Dhanis,  18  canons,  des  bombes,  toutes  les  muni- 
tions de  l'expédition,  toutes-  les  provisions,  les  tentes,  les  effets  des 
Blancs  :  tout  est  pris.  Il  y  a  de  cela  à  peu  près  trente  jours. 

Après  avoir  fêté  leur  victoire  par  de  copieuses  libations  de  vin  et  de 
cognac,  les  vainqueurs  choisissent  Mulamba  pour  leur  roi,  et  Almasi  et 
Kandolo  pour  leurs  deux  premiers  Nyamparas.  Ils  organisent  la  cara- 
vane pour  s'en   retourner  dans  leur  pays  où  ils  veulent  se  déclarer 


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ÉTAT  DU  CONGO  25 

îndépeiidaats.  Ils  se  disent  4.0()0.  Je  les  estime  2.000.  D'abord,  dans  le 
fol  orgueil  de  leur  triomphe,  ils  voulaient  déclarer  la  guerre  à  tous  les 
Blancs  et  se  constituer  les  vengeurs  de  la  race  noire;  ils  avaient  juré  de 
tuer  tous  les  Européens  qu'ils  rencontreraient.  C'est  pourquoi  ils  s'ap- 
prêtaient à  aller  au  Toro  massacrer  les  Anglais  de  Fort-Peller  et  les 
autres  Blancs,  pendant  qu'un  détachement  de  soldats  iraient  tout  droit 
au  poste  belge  de  TUsongora.  J'ai  usé  de  toute  mon  éloquence  pour 
les  détourner  d'un  tel  projet.  Aurai-je  réussi  ? 

Mais  revenons  à  mon  histoire  personnelle. 

J'avais  bu  lentement  le  café,  écoutant  les  récriminations  et  me 
demandant  comment  finirait  pour  moi  la  tragédie.  On  me  conduit  alors 
dans  une  hutte  ouverte  à  tous  les  vents  et  on  m'apporte  à  manger  du 
sorgho  cuit  en  forme  de  petits  pains  et  un  peu  de  beurre  sucré  (con- 
serves des  Belges).  Je  déclare  que  je  ne  mangerai  pas  avant  d'avoir 
revu  les  14  jeunes  gens  qu'on  m'a  enlevés.  Cette  résolution  excite  l'ad- 
miration des  femmes  et  l'une  d'elles,  s'approchant,  me  dit  : 

«  Toi,  Muzungu  (Blanc),  tu  ne  mourras  cerUiinement  pas.  » 

On  va  rapporter  à  Mulamba  mes  paroles.  Il  ordonne  de  me  rendre 
les  quatre  plus  jeunes  de  mes  catéchumènes  et  il  m'envoie  une  chèvre, 
en  me  faisant  dire  :  «  Tu  as  tes  hommes,  voici  une  chèvre,  mange.  » 

Je  réponds  que  je  veux  tous  mes  enfants,  qu'il  m'en  manque  encore 
dix  et  que  je  ne  mangerai  rien  avant  de  les  avoir. 

Le  soleil  se  couche  et  les  ténèbres  se  répandent  sur  le  camp.  Mu- 
lamba arrive  avec  une  trentaine  d'hommes,  tous  de^  Nyamparas.  Il  y 
a  eu  grande  contestation  à- mon  sujet.  Ils  ont  juré  autrefois  de  tuer 
tous  les  Blancs!  pourquoi  m'épargneraient-ils?  On  m'invite  à  sortir. 
Mulamba  fait  apporter  deux  chaises.  Il  s'assied  sur  l'une  d'elles  et  me 
présente  l'autre;  les  Nyamparas  sont  debout.  Mulamba  leur  explique 
pourquoi  il  ne  veut  pas  me  tuer  :  «  Je  n'ai  pas  de  fusil,  je  n'ai  jamais 
frapp('»  aucun  noir.  »  J'ai  su  après,  qu'on  avait  mis  à  la  torture  mes 
pîiuvres  enfants  pour  savoir  si  je  frappais. 

Un  Nyampara  répliqua.  Son  long  et  virulent  discours  peut  se  résu- 
mer en  ce  peu  de  mots  :  «  On  a  juré  de  tuer  tous  les  Blancs,  donc 
celui-ci  doit  être  tué.  Tous  les  Blancs  se  ressemblent,  tous  complotent 
l'asservissement  des  noirs  ! 

Ce  fougueux  tribun  me  prouva  qu'il  y  a  chez  les  Manyémas  des  gens 
intelligents  et  même  éloquents,  dont  on  pourrait  faire  de  fervents 


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26  KEVtîE  FRANÇAISE 

chrétiens.  Que  ne  leur  a-t-on  depuis  longtemps  envoyé  des  missionnaires  I 

Je  Tinterrompis  et  essayai  de  le  réfuter.  Alors  Mulamba  s'écria  d'une 
voix  irritée  : 

«  Moi,  je  défends  de  tuer  ce  Blanc.  Que  colui  qui  veut  le  tuer  prenne 
son  fusil  et  lui  envoie  une  balle;  le  voilà  assis  A  mes  côtés.  » 

Silence  de  mort. 

«  Personne  ne  tire  ?  »  cria-t-il  ! 

Silence. 

«  Blanc,  va,  tue  ta  chèvre,  mange  et  dors.  Tu  os  sauvé  !  » 

Je  rentrai  donc  dans  la  hutte.  Une  femme  m'apporte  à  manger.  Je 
prends  Tassiette  pleine  de  sorgho  cuit  et  la  passe  à  mes  quatre  caté- 
chumènes. Je  suis  bien  résolu  à  ne  pas  manger  tant  que  je  n'aurai  pas 
revu  tous  mes  jeunes  gens.  Comment  dormir,  du  reste?  Il  fait  froid 
et  je  n'ai  rien  pour  me  couvrir;  tout  m'a  été  enlevé.  Je  suis  toujours 
en  chemise  et  en  petit  pantalon  tout  déchiré.  Une  brave  femme  m'ap- 
porte un  morceau  d'étoffe;  une  autre  dit  à  son  mari,  un  chef,  de  me 
donner  sa  capote  (une  capote  imperméable  à  l'usage  dos  sentinelles). 
Il  s'exécute  et  je  puis  enfin  dormir  un  peu. 

Le  lendemain  24,  Mulamba  me  fait  appeler.  Il  demande  des  nouvelles 
du  lieutenant  Van  der  Wielen,  qui  est  dans  l'Usongora.  «  Il  faut  qu'il 
soit  tué  »,  dit-il  ! 

Je  lui  indique  un  sentier  impraticable,  afin  que  les  deux  lieutenants 
Van  der  Wielen  et  Sannaes  aient  le  temps  de  s'enfuir  vers  le  Toro.  Mais 
mon  avis  sur  le  chemin  à  prendre  est  violemment  combattu  par  des  • 
Wangwana  qui  ont  fait  partie  de  la  caravane  de  Stanley  en  1888. 

Comme  je  persiste  toujours  à  ne  pas  vouloir  manger,  Mulamba  or- 
donne de  me  rendre  tout  mon  monde.  Pourtant  Mukonjo,  jeune  homme 
de  n  ans,  manque  à  l'appel.  Mulamba  me  promet  de  me  le  faire 
rendre.  Je  rentre  dans  ma  hutte,  et  on  tue  la  chèvre.  De  braves  femmes 
m'apportent  de  leur  côté  quantité  de  shorgo  bien  cuit,  et  mes  pauvres 
catéchumènes  qui  venaient,  eux  aussi,  d'échapper  à  l'esclavage,  sinon 
à  la  mort,  oublient  vite  leurs  souffrances  devant  un  si  bon  régal. 

Désormais,  je  vais  être  traité  en  ami.  La  soirée  du  samedi  et  tout  le 
dimanche,  ma  hutte  ne  désemplit  pas  de  monde  :  chefs,  siinples  soldats, 
femmes,  enfants.  Beaucoup  me  font  promettre  d'aller  leur  enseigner  la 
religion  quand  le  pays  sera  pacifié.  Je  pense  que  ce  peuple,  quoique 
vicié  par  le  contact  des  Wangwana,  deviendrait  vite  catholique. 


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ÉTAT  DU  CONGO  27 

Actuellement,  les  Manyémas  révoltés  sont  de  terribles  sauvages 
mangeurs  de  chiens  et,  pour  certaines  tribus,  de  chair  humaine.  Avec 
les  Wangwana,  ils  ont  appris  à  fumer  le  chanvre,  (jui,  comme  on  le 
sait,  opère  à  Tinstar  de  l'opium  et  abrutit.  Dans  leurs  caravanes,  ils 
n*ont  aucune  discipline,  aucune  idée  de  respect  envers  leurs  chefs. 

Le  lundi  matin,  je  réclame  mon  jeune  Mukonjo,  et  je  demande  à 
partir  vers  midi.  De  bonne  heure,  7  à  800  hommes,  armés  de  fusils, 
ont  quitté  le  camp;  300  autres  étaient  déjà  allés,  dès  samedi,  paraît-il, 
à  la  recherche  des  Belges  de  TUsongora,  avec  ordre  de  les  tuer. 

Vers  midi,  Mulamba  et  plusieurs  Nyamparas  arrivent  dans  ma  hutte 
pour  me  congédier.  Je  demande  mon  âne.  On  me  le  refuse.  Pas  de 
chance  î  c'était  la  première  fois  depuis  1890  que  j'en  avais  un  à  ma 
disposition.  Je  réclame  ma  tente,  même  refus;  ma  montre,  mes  <30u- 
vertures,  etc. 

Mulamba  coupe  court  à  mes*  réclamations,  en  disant  •  «  Tu  n'auras 
rien  !  Ce  dont  un  Manyéma  s'est  une  fois  emparé,  il  ne  le  rend  plus. 
Mais,  pour  que  tu  n'écrives  pas  en  Europe  que  nous  t'avons  volé,  prends 
de  l'ivoire;  nous  ne  savons  qu'en  faire,  puisque  nous  n'avons  personne 
pour  l'emporter,  nous  tuons  les  éléphants  pour  la  viande  seulement.  » 

Et  il  ordonne  d'aller  chercher  dans  les  broussailles  les  défenses  de 
deux  éléphants  abattus  ces  jours  derniers.  Je  fis  encore  des  instances 
pour  avoir  ma  chapelle  portative,  cadeau  de  ma  famille.  Il  a  l'air  de 
vouloir  me  satisfaire  et  on  m'apporte...  le  missel  et  la  pierre  sacrée. 
Enfin  il  me  dit  : 

«  Blanc,  c'est  assez,  va-t'en,  voici  dix  soldats  pour  te  conduire  hors 
du  camp,  va-t'en  ! 

«  Et  mon  jeune  homme  qu'on  m'a  volé  ? 

«  Tu  l'auras,  il  est  là-bas,  va-t'en  !  » 

Le  P.  Achte  se  met  en  route  avec  ses  13  catéchumènes.  Au  moment 
de  dépasser  les  dernières  huttes,  il  redemande  encore  son  jeune  homme. 
Celui-ci  lui  est  enfin  rendu,  sans  pagne  il  est  vrai,  mais  il  est  sauvé. 
A  la  tombée  de  la  nuit,  la  petite  caravane,  qui  avait  hâté  sa  marche, 
était  déjà  à  4  lieues  du  camp  des  révoltés. 

Au  Toro,des  bruits  inquiétants  s'étaient  déjà  répandus  sur  le  compte 
du  missionnaire.  La  nouvelle  de  son  retour  combla  de  joie  les  habitants. 
Le  29  avril,  à  4  heures  du  soir,  le  P.  Achte,  considéré  comme  un  ressus- 
cité, faisait  une  entrée  vraiment  triomphale  dans  la  capitale  du  pays. 


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28  REVUE  FRANÇAISE 

LA  DÉFAITE  DES  REBELLES  BATÉTÉLAS 

Après  le  massacre  de  la  colonne  Leroi  et  Téchec  des  premières  troupes 
deFÉtat  du  Congo  envoyées  contre  les  rebelles,  le  lieutenant  Henry  avait 
été  appelé  au  commandement  d'une  colonne  de  700  hommes  destinée  à 
opérer  contre  les  révoltés.  Parti  d'Avakoubi,  sur  le  haut  Arrouhouimi, 
le  7  mai,  il  arrivait  le  18  au  poste  de  Mawambi,  situé  en  amont  du  con- 
fluent de  la  rivière  Ibina  dont  il  remonta  la  vallée  pour  atteindre  la 
rivière  Semliki  où  Ton  signalait  la  présence  des  révoltés.  Ceux-ci  après 
avoir  longé  vers  le  sud  la  grande  forêt  équatoriale  avaient  détruit  le 
poste  congolais  établi  à  Karimi,  et,  franchissant  la  frontière,  avaient  pé- 
nétré sur  le  territoire  anglais,  où  le  lieutenant  Sennaes,  avait  arrêté  leur 
marche  à  la  hauteur  du  fort  de  Katwé,  sur  la  rive  nord  du  lac  Albert- 
Edouard. 

1^21  juin,  le  lieutenant  Henry  quittait'Kisengé  et  arrivait  le  28  à  Béni, 
après  avoir  traversé  un  pays  riche  et  peuplé  situé  à  l'extrême  limite  du 
bassin  oriental  du  Congo. 

U  était  désormais  facile  de  suivre  la  trace  des  révoltés,  car  la  route 
qu'ils  avaient  prise  était  jalonnée  par  de  nombreux  cadavres  et  marquée 
par  leurs  empreintes.  En  outre,  des  vautours  et  des  oiseaux  de  proie 
planaient  sans  cesse  dans  la  direction  des  révoltés,  indiquant  ainsi  la 
route  à  suivre. 

Les  révoltés  continuaient  à  se  diriger  sur  Nyangoué  sous  la  conduite 
de  leur  chef  Mulamba;  l'étoile  de  celui-ci  ne  tarda  pas  à  pâlir.  Ses 
compagnons  lui  reprochaient  son  manque  d'égards,  et,  la  jalousie  aidant, 
un  complot,  dont  le  chef  était  un  nommé  Kandolo,  se  forma  pour  le 
tuer.  Il  fut  traîtreusement  assassiné  à  M'Bulia  et  son  cadavre  mangé  par 
ses  propres  frères.  Le  chef  du  complot,  Kandolo,  devint  dès  lors  le  chef 
de  la  révolte. 

Chaque  jour,  dit  le  commandant  Henry,  dans  un  rapport  adressé  au 
gouverneur  général,  nous  franchissions  deux,  trois  ou  quatre  campe- 
ments des  BatétélaS  et  nous  avions  l'espoir  de  les  rejoindre  sous  peu  de 
jours.  Malheureusement  les  difficultés  de  la  marche  grandissaient  au  fur 
et  à  mesure  que  nous  avancions.  De  Béni  à  Lulambi,  le  pays  des  Oua- 
nandès  est  très  riche,  très  peuplé  et  frès  fertile,  mais  àpartirdeLutambi, 
on  entre  en  plein  dans  le  massif  qui  forme  ia  limite  du  bassin  du  Nil  et 
du  Congo  et  où  l'Ibind  et  la  Lindi  prennent  leur  source;  ce  pays  n'est 


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CONGO  29 

qu'une  série  de  hautes  montagnes,  séparées  par  de  profonds  ravins,  et 
rhorizon  est  partout  hérissé  de  pointes  de  montagnes  qui  ne  font  que 
grandir,  plus  on  arrive  vers  le  sud.  Par  contre,  plus  on  avance  dans 
cette  direction  et  plus  les  vivres  et  les  indigènes  sont  rares  et  plus  aussi 
le  climat  froid  faisait  souflfrir  les  soldats.  Aussi  devenait-il  urgent  d'at- 
teindre les  révoltés. 

Les  42  et  13  juillet,  la  colonne  rencontra  quelques  abandonnés,  qui 
lui  apprirent  que  les  révoltés  ne  les  avaient  quittés  que  depuis  deux  ou 
trois  jours.  Le  14,  elle  tomba  sur  un  camp  abandonné  le  matin  même 
et  des  coups  de  feu  tirés  dans  les  montagnes  environnantes  furent  enten- 
dus. La  colonne  se  trouvait  ainsi  sur  les  talons  des  révoltés,  et  par  une 
marche  de  nuit,  par  une  nuit  claire,  elle  put,  le  14  juillet,  vers  minuit, 
se  poster  à  300  mètres  de  leur  camp,  derrière  une  petite  colline  dont  la 
crête  permit  de  cacher  les  troupes  de  l'État  pendant  quç  s'eifectuaient 
les  reconnaissances  préparatoires  de  l'attaque. 

Notre  but,  dit  le  commandant  Henry,  était  de  fondre  sur  lui  à  5  heures 
du  matin,  le  15  juillet.  La  chute,  d'au  moins  40  mètres,  d'une  rivière 
qui  doit  être  le  Lindi,  envoyait  à  tous  les  échos  un  bruit  sourd,  qui 
étouiîait  tous  ceux  que  nous  pouvions  faire  par  imprudence  ou  invo- 
lontairement. Pendant  la  nuit,  les  soldats  s'emparèrent  d'un  boy  des 
révoltés,  qui  nous  apprit  que  ceux-ci  avaient  campé  en  deux  fractions, 
séparées  par  ime  distance  d'environ  une  heure,  et  de  forces  à  peu  près 
égales. 

Celle  d'en  avant  avait  pour  chef  un  nommé  Kalula,  et  celle  qui  se 
trouvait  près  de  nous  était  commandée  par  le  chef  même  de  la  révolte, 
Kandolo  qui,  détail  important,  était  détenteur  de  la  réserve  des  car- 
touches des  révoltés. 

A  4  heures  30  du  matin,  nous  prîmes  nos  dispositifs  d'attaque.  Le 
lieutenant  Derclayeet  le  servent  Sauvage,  son  adjoint,  devaient  déployer 
leurs  300  soldats  le  long  de  la  lisière  même  du  camp  ennemi,  de  façon 
à  l'envelopper;  aucune  sentinelle  ne  le  gardait  et  pas  un  seul  révolté 
ne  .«te  doutait  de  notre  présence.  I^s  lieutenants  Sannaes  et  Friard  me 
suivaient  avec  le  reste  de  la  troupe  comme  réserve,  soit  environ 
230  hommes.  Le  sergent  Kimpe,  avec  quelques  hommes,  gardait  le  camp 
que  nous  avions  quitté  la  veille. 

L'attaque  conunença  à  5  heures  du  matin,  si  foudroyante  que  le  dé- 
fenseur ne  tint  pas  plus  d'un  quart  d'heure,  et  prit  la  fuite  dans  la 


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30  REVUE  FRANÇAISE 

direction  du  deuxième  camp,  en  nous  abandonnant  ses  femmes,  ses  ba- 
gages, sa  réserve  de  cartouches  et  un  grand  nombre  de  fusils  Albini  et 
à  piston.  Nous  rassemblâmes  ensuite  nos  troupes  sur  la  position  conquise, 
afin  d'éviter  d'être  surpris,  Nous  ne  pouvions  poursuivre,  parce  que 
le  jour  n'était  pas  encore  levé  et  que  nous  pouvions  tomber  dans  une 
embuscade.  -- 

A  7  heures,  nous  fûmes  attaqués  nous-mêmes  par  les  forces  du 
deuxième  camp  qui  avaient  rallié  les  fuyards  du  premier.  Cette  attaque, 
faite  par  des  troupes  beaucoup  supérieures  en  nombre,  fut  si  impétueuse 
que  notre  première  ligne  plia.  U  fallut  l'héroïque  exemple  de  tous  les 
blancs  et  de  nos  meilleurs  sous-ofBciers  noirs  pour  arrêter  l'assaillant  qui 
continuait  d'avancer  en  nombre  supérieur.  Je  saisis  cet  instant  pour 
faire  sonner  «  En  avant  »  par  tous  les  clairons.  A  ce  moment,  tous  les 
blancs  montrent  l'exemple  d'un  courage  et  d'un  dévouement  admirables, 
en  courant  sus  à  l'ennemi  et  en  entraînant  nos  soldats.  A  ce  moment 
aussi,  le  lieutenant  Sannaes  tombe  frappé  à  bout  portant  par  une  balle 
d'Albini  qui  lui  traverse  l'avant-bras  gauche,  ricoche  heureusement  sur 
des  cartouches  qu'il  portait  à  la  ceinture  et  entre  dans  la  hanche  gauche, 
où  elle  reste. 

Les  révoltés  perdent  pied  petit  à  petit,  pour  prendre  la  fuite  dans 
toutes  les  directions,  après  3  heures  d'un  combat  acharné.  La  poursuite 
ne  peut  durer  que  pendant  une  demi-heure,  car  les  troupes,  sur  pied 
depuis  30  heures,  étaient  harassées  et  la  plupart  n'avaient  pas  pris  de 
nourriture  depuis  48  heures.  De  plus,  les  blessés,  un  blanc  et  30  soldats» 
réclamaient  des  soins.  A  la  date  de  son  rapport  (31  juillet  1897),  le  com- 
mandant Henry  annonce  que  le  lieutenant  Sannaes,  dont  la  blessure  était 
grave,  est  heureusement  hors  de  danger. 

Le  commandant  Henry  estime  que  les  révoltés  attaqués,  qui  étaient 
environ  1.200,  ont  perdu  plus  de  400  hommes,  800  fusils  Albini, 
100  à  piston,  plus  10.000  cartouches  et  de  nombreuses  caisses  d'objets 
divers. 

M.  Henry  signale  qu'un  groupe  de  révoltés,  fort  au  maximum  de 
200  fusils  et  commandé  par  Saliboko,  lui  a  échappé.  Ce  groupe,  quia 
suivi  une  route  parallèle  et  très  proche  du  groupe  principal,  est  insufiB- 
sant  pour  ralier  les  fuyards.  Si  Saliboko  parvenait  à  ralier  les  débris 
de  la  révolte,  et  s'il  voulait  se  diriger  sur  Nyangoué,  la  chose  ne  lui  se- 
ra it  pas  possible,  d'abord  parce  qu'ils  n'ont  presque  plus  de  cartouches. 


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UNE  SOaÉTÉ  CRÉOLE  31 

et  ensuite,  parce  que  des  déchirements  intérieurs,  analogues  à  ceux  qui 
se  sont  déjà  produits,  ne  manqueront  pas  de  se  faire  jour  entre  les 
différentes  races  dont  se  composent  les  révoltés. 

Le  commandant  Henry  annonce  que  la  fatigue  de  ses  troupes  était 
telle  qu'il  n'a  pu  songer  à  poursuivre  Saliboko .  Il  estime  qu'au  bout 
de  trois  ou  quatre  étapes,  par  le  climat  froid  de  ce  pays  montagneux, 
et  après  les  nombreuses  fatigues  supportées  par  ses  troupes  depuis  leur 
départ  de  Mawambi,  il  aurait  risqué  de  perdre  les  trois  quarts  de  son 
effectif,  Dans  ces  conditit)ns,  il  s'est  décidé  à  rejoindre  le  Haut-Itouri 
pour  y  refaire  ses  hommes.  M.  Henry  estime,  du  reste,  que  les  révoltés 
subiront  de  grandes  pertes  dans  le  pays  où  ils  se  trouvent,  vont  se  mu- 
tiner, se  disperser  pour  pouvoir  vivre,  et  tomberont  petit  à  petit  de 
misère,  de  faim,  de  maladie,  et  sous  les  coups  des  indigènes. 

Sans  être  aussi  optimiste  que  le  commandant  Henry,  fait  remarquer 
le  Mouvement  anliesclavagiste  de  Bruxelles,  on  peut  néanmoins  admettre 
que  les  révoltés  n'ont  plus  une  force  suffisante  pour  constituer  un  grave 
danger  pour  l'État  du  Congo.  Toutefois,  par  mesure  de  prudence,  des 
ordres  ont  été  donnés  pour  que  d'autres  troupes  tirées  de  la  région  de 
iNyaugoué  se  mettent  à  la  poursuite  des  débris  des  révoltés  et  que  les 
opérations  soient  continuées  jusqu'à  extinction  complète  de  la  révolte. 


UNE   SOCIETE   CREOLE 

Ce  qu'une  classe  d'élite  demande  aux  littérateurs  et  aux  artistes,  le 
public,  dans  un  autre  ordre  d'idées,  l'exige  du  voyageur  :  c'est  de 
décrire  des  choses  vues,  de  rendre  des  impressions  ressenties,  de 
méditer  à  l'occasion  de  sujets  qui  lui  sont  familiers.  Et  parfois  le 
voyageur,  alors  même  qu'il  réunit  la  somme  d'aptitudes  suffissuites 
pour  satisfaire  à  sa  tâche,  ne  réussit  pas  pleinement,  tant  est  com- 
plexe et  délicate  la  perception,  l'explication  de  certains  phénomènes 
naturels  et  sociaux. 

A  quelles  erreurs  ne  se  vouèrent  donc  point  d'avance  ceux  qui, 
d'inspiration  et  se  fiant  à  leur  sensibilité  ou  à  la  force  de  leur  raison, 
ont  tenté  de  devenir  les  paysagistes  d'une  nature  différente  de  celle  où 
ils  vivaient,  et  ont,  d'une  seule  parole,  ironicjue  ou  méprisante,  con- 
damné un  peuple  !  Dans  Indiana,  c'est  pourtant  la  manière  de  G.  Sand; 


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32  REVUE  FRAi^ÇAlSE 

.  sa  description  de  Bourbon  et  d'une  gorge  de  montagne,  le  Bernica, 
qu'elle  prend  pour  un  lac  ou  un  gouffre,  étonne  par  ses  inexactitudes 
géographiques  et  révèle  une  complète  ignorance  des  lieux. 

L'amiral  Page  (1)  procède  de  même;  une  courte  station  devant  cette 
île  lui  suffît  pour  être  à  tout  jamais  «  dégoûté  »  de  «  ces  misérables 
créoles  »  qu'il  compare  à  des  «  lazaroni  et  léperos  »,  et  chez  lesquels, 
avant  lui,  on  avait  déjà  découvert  «  un  esprit  étroit  de  provinciaux  a . 
C'est  presque  de  l'invective,  mais  c'est  avant  tout  encore  de  l'ignorance. 
On  a  raison,  pour  ce  défaut,  d'oublier  des  pages  où  l'exotisme  ne  gagne 
rien  et  de  glisser  sur  des  jugements  dont  l'influence  est  au  demeurant 
malsaine  pour  l'opinion.  De  nos  jours,  qui  s'aviserait  ainsi  de  peindre 
une  contrée  lointaine,  sur  la  seule  foi  de  quelques  récits?  qui  oserait 
juger  une  société  sans  l'avoir  fréquentée  et  patiemment  observée  ?  La 
critique  est  trop  savante  et  subtile  pour  tolérer  une  pareille  œuvre  ; 
d'ailleurs,  la  recherche  de  l'exact  et  du  réel,  devenue  dans  tous  le^ 
esprits  une  idée  dominante,  est  aujourd'hui  un  gage  contre  l'imagina- 
tion et  l'erreur. 

Quand  il  s'agit  de  créoles,  il  faut  avant  tout  savoir  de  qui  l'on  parle 
et  s'entendre  sur  l'individu  dont  il  est  question.  La  précaution  est  utile, 
elle  a  préservé  quelques-uns  de  grossières  erreurs.  11  semble  que  la  na- 
ture sous  les  tropiques,  variée  et  prolifique  dans  ses  créations,  ait  imposé 
son  influence  aux  hommes  qui  l'exploitent.  Sur  une  terre  de  quelques 
*  kilomètres  carrés,  à  la  Réunion  en  effet,  vivent  et  s'agitent  dans  une 
promiscuité  partout  ailleurs  dangereuse,  des  races  aussi  opposées  par  le 
genre  de  vie  que  par  les  aspirations;  ces  races,  elles-mêmes,  se  com- 
posent de  familles  dissemblables  par  les  moeurs  et  par  les  idées;  et 
dans  ces  familles  on  peut  encore  découvrir  des  individus  de  même 
nom,  subissant  en  commun  les  influences  physiques  du  milieu  où  ils 
ont  pris  naissance,  mais  qui  possèdent  des  caractères  assez  nets  pour 
les  différencier  entre  eux.  C'est  ainsi  que  dans  la  grande  famille  créole,  on 
rencontre  trois  types  d'hommes  distincts  qu'on  a  très  souvent  confon- 
dus dans  une  même  appellation,  ce  sont  :  le  créole  noir,  le  mulâtre  et 
le  créole  blanc.  L'un  est  fils  indigène  de  deux  immigrants  nègres,  l'autre 
est  ordinairement  l'enfant  d'un  blanc  et  d'une  négresse,  car  dans  les 
climats  chauds,  la  blanche  a  le  dégoût  du  nègre  ;  le  dernier  descend 
directement  de  deux  Européens  ;  peut-être  son  corps  s'est-il  alangui, 

(1)  Impressions  familières  d'un  marin. 


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UNE  SOCIÉTÉ  CRÉOLE  33 

mais  son  sang  s'est  conservé  pur.  Celui-là  seul  adroit  au  titre  de  créole  ; 
il  est  seul  le  successeur  légitime  de  l'ancien  colon  que  les  Espagnols 
nommaient  criollo .  C'est  cette  classe  de  coloniaux  seulement  que  nous 
voulons  envisager. 

I/îs  créoles,  on  ne  Tignore  point,  eurent  surtout  comme  ancêtres  des 
émigrés  français.  Partis  de  Flandre,  de  Nonnandie,  de  Bretagne,  même 
de  riIe-de-France,  et  s'expatriant,  soit  par  des  motifs  politiques  ou  d'ar- 
gent, soit  par  goût  d'aventures,  ils  se  fixèrent  à  Bourbon,  souvent  après 
s'être  arrêtés  aux  Indes  ou  dans  d'autres  comptoirs. 

Ce  mouvement  d'émigration  s'effectua  lentement,  durant  le  xvii®  et 
le  xvni®  siècle,  mais  d'une  façon  à  peu  près  uniforme.  Cela  prouve 
une  fois  de  plus  que  les  pays  neufs  n'ont  pas  à  redouter  un  manque 
de  population;  à  l'expansion  d'une  nation  civilisée,  il  faut  attribuer  pour 
cause  première  la  volonté  d'un  chacun.  Des  influences  particulières  et 
variables  sollicitent  sans  doute  l'individu  ;  celui-ci  les  sent,  mais  s'il 
émigré,  c'est  qu'il  le  veut  bien,  c'est  qu'il  y  consent  librement.  Dans  ce 
cas,  l'individu  affirme  sa  volonté  et  provoque  un  fait  :  l'expansion  de 
sa  race.  Ce  fait  demeurerait  stérile  si  ces  actes  de  volonté  n'étaient  pas 
répétés  ou  ne  coïncidaient  point;  il  n'y  aura  pas  lieu  de  le  craindre 
tant  que  les  influences  qui  les  suggèrent,  prises  dans  leur  ensemble, 
subsisteront. 

Quand  on  peut  reconstituer  le  passé  de  ces  hommes,  les  suivre  dans 
la  lente  fondation  de  leur  fortune  et  de  leur  famille,  quand  on  peut 
se  rendre  compte  des  travaux  énormes  qu'ils  ont  exécutés,  on  est  obligé 
de  reconnaître  en  eux,  à  un  haut  degré,  l'esprit  colonisateur.  C'est  dans 
leur  correspondance  de  famille,  dans  leurs  mémoires  intimes,  sorte  de 
journal  écrit  au  jour  le  jour,  qu'ils  se  révèlent  à  nous  avec  leurs  qua- 
lités et  leurs  défauts.  Ils  y  notaient  les  résultats  de  leur  expérience  el 
établissaient  des  règles  de  conduite  que  leurs  enfants,  après  eux,  de- 
vaient appliquer  avec  succès,  ce  qui  ne  les  empêchait  pas  d'implorer, 
comme  leurs  pères,  a  l'aide  et  la  protection  de  la  Providence  » .  Mais 
ce  qui  faisait  d'eux  des  colons,  malgré  ce  reste  de  superstition,  c'était 
une  dose  de  hardiesse  mêlée  de  prudence,  celte  curiosité  de  l'incertain 
et  du  nouveau  qui  les  avait  presque  poussés  hors  de  chez  eux,  c'était 
leur  patience  inaltérable  dans  des  difficultés  imprévues,  contre  lesquelles 
ils  ne  pouvaient  aussitôt  réagir  et  auxquelles  ils  opposaient  un  tempé- 
rament de  fer,  un  calme  et  une  sérénité  vraiment  philosophiques. 
XXIII  (Janvier  98).  N*  229.        ^  3 


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34  HEVUE  FRANÇAISE 

Ces  hommes,  sous  le  coup  de  grosses  préoccupations  et  tout  entiers  à 
leur  entreprise,  ne  vécurent  longtemps  que  d'une  vie  corporelle.  Faute 
de  loisirs,  ils  n'avaient  pu  se  créer  avec  leurs  voisins  des  relations 
durables  d'amitié,  et  bien  moins  encore  se  délasser  l'esprit  dans  l'étude 
des  lettres  et  des  arts.  Un  moment  arriva  pourtant  où  le  but  vers 
lequel  ils  tendaient  fut  atteint  et  même  dépassé  :  la  certitude  pour  eux 
de  revenus  suffisants  et  la  constitution  d'un  intérieur.  Le  colon,  autrefois 
célibataire  et  presque  indigent,  se  vit  tout  à  coup,  grâce  à  ses  seuls 
efforts,  chef  de  famille  et  dans  l'aisance.  Ce  changement  de  situation 
fit  naître  ou  simplement  revivre  en  lui  des  tendances  nouvelles  et  des 
habitudes  momentanément  effacées  par  d'autres  plus  modestes  et  plus 
utiles.  On  put  dès  lors  l'étudier  sous  un  autre  aspect,  comme  homme 
du  monde. 

Ce  ne  fut  guère  qu'à  partir  de  1830  que  les  fils  de  ces  hobereaux  de 
province  devinrent  tout  à  fait  des  hommes  de  salon,  aux  manières  élé- 
gantes, au  langage  raffiné,  de  vrais  gentilshommes.  Cette  période  qui 
embrasse  la  fin  de  la  Restauration  et  les  premières  années  du  règne 
suivant,  fut,  a-t-on  écrit,  v(  une  période  de  fermentation  et  de  renou- 
vellement dans  le  génie  moderne.  »  Son  influence  s'élendit  jusqu'aux 
colonies.  Dès  ce  moment,  en  effet,  le  cercle  de  la  vie  mondaine  s'élar- 
git à  Bourbon  ;  les  salons  dionysiens  s'emplissent  chaque  soir  d'une 
jeunesse  turbulente  et  joyeuse  ;  les  bals,  les  soirées  musicales  et  litté- 
raires où  l'on  entend  parfois  des  lectures  d'auteurs^  se  succèdent  en  se 
multipliant  ;  l'on  joue  même  «  la  comédie  et  l'opérette  deux  fois  par 
mois  »  chez  certaines  dames,  non  pas  dans  un  salon,  mais  sur  un  vrai 
petit  théâtre  construit  au  fond  du  jardin  ombragé  et  fleuri  de  la  villa. 
Le  dimanche  est  réservé  aux  pique-niques  et  aux  parties  fines;  on 
émigré  en  masse  pour  la  campagne  :  jeunes  gens  et  jeunes  filles  à 
cheval,  les  pères  et  mères  en  voiture  ou  «  à  fauteuils  ».  Les  sages, 
ceux  auxquels  suffit  la  fatigue  des  affaires  restent  à  la  maison,  dans 
l'atelier  ou  le  cabinet  de  travail  ;  l'un  brosse  une  toile,  modèle  une 
statuette,  l'autre  «  s'exerce  à  la  poésie  en  traduisant  en  vers  les  plus 
beaux  passages  d'Horace  et  de  Virgile  ».  I^eur  vie  n'étant  pas  celle 
d'artistes,  ils  n'en  ont  ni  les  prétentions  ni  les  grandes  émotions  :  ils 
ne  pensent  qu'à  se  préserver  de  l'ennui  et  des  passions. 

Dans  cette  société  de  choix,  où  le  parvenu  se  sent  mal  à  l'aise,  la 
conversation   facilite  l'épanouissement    d'intelligences  qui  s'étiolaient 


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^1 


UNE  SOCIÉTÉ  CRÉOLE  35 

faute  de  sucs  régénérateurs,  Tesprit,  comme  des  fusées,  éclate  et  se 
répand  en  mille  étincelles  ;  la  femme  est  une  divinité  qu'on  adore  ; 
chacun  a  sa  déesse  préférée  et  dépose  à  ses  pieds  ses  tendres  hom- 
mages. La  galanterie  y  est  en  honneur,  mais  on  lui  a  fixé  des  limites  ; 
Tesprit  chevaleresque  y  excite  une  noble  ardeur  :  on  se  bat  pour  sa 
belle  aussi  allègrement  qu'on  danse  et  qu'on  aime. 

Autre  est  la  génération  actuelle  ;  une  transformation  due  à  des 
causes  variées  s'est  opérée  dans  l'esprit  créole.  Une  fois  encore  s'est  fait 
sentir  l'influence  des  idées  de  la  métropole.  Le  créole  de  la  troisième 
république  n'est  plus  le  créole  de  l'Empire  et  de  la  Restauration.  Son 
caractère  a  changé  avec  la  forme  du  gouvernement  :  l'un  a  perdu  en 
moralité  ce  que  l'autre  a  gagné  en  sérieux.  C'est  un  citoyen  dans  toute 
la  force  du  terme;  il  a  des  droits  et  les  revendique  énergiquement  à 
la  moindre  tentative  de  rapt.  La  commune  est,  à  son  avis,  le  milieu 
où  doit  se  déployer  l'activité  du  contribuable  et  il  entend  prendre  sa 
part  dans  la  gestion  des  intérêts  communs  ;  la  politique  le  passionne 
autant  qu'elle  ennuyait  ses  pères  ;  son  inquiétude  de  l'avenir  trouve  sa 
justification  dans  le  présent,  mais  l'esprit  de  parti,  reste  des  traditions 
de  famille,  nuit  à  l'impartialité  de  ses  opinions  et  limite  l'étendue  de 
ses  vues. 

C'est  un  mari  modèle  ;  il  s'acquitte  de  ses  fonctions  avec  une  rare 
facilité  et  dirige  son  intérieur  selon  la  règle  ;  sa  volonté  exprimée  ne 
soufire  pas  la  discussion  comme  ses  idées  la  critique.  L'enfant,  à  ren- 
contre de  la  loi,  demeure  sous  sa  tutelle  et  l'accepte  même  après  sa 
majorité.  L'épouse  a  liéanmoins  conservé  sur  lui  sa  puissance  morale  ; 
elle  l'exerce  par  la  force  de  sa  foi,  de  son  amour  et  de  la  tradition. 
C'est  un  artiste  par  tempérament;  un  système  nerveux  exagéré, 
transforme  par  malheur  sa  sensibilité  en  sensiblerie;  la  nature  le  tient 
sous  son  charme,  il  en  comprend  les  beaux  spectacles,  mais  le  choc 
des  impressions  en  est  si  rude  qu'il  ne  peut  les  exprimer.  Les  idées 
généreuses  trouvent  un  écho  dans  son  âme,  mais  cette  âme  vibre  si 
fort  qu'elle  en  fait  un  fanatique  ;  la  sensation  pour  lui  renaît  si  neuve 
et  intense  par  la  simple  reproduction  de  l'image  qu'elle  engendre  la 
vision  de  ce  qui  n'est  pas  :  l'hallucination.  En  lui  point  de  complète 
réflexion,  point  de  mûre  délibération  :  ce  n'est  pas  l'idée  seule  et  par 
elle-même  qui  se  réalise,  c'est  le  désir  dont  elle  s'enveloppe  qui  en 
fait  la  puissance  motrice. 


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36  REVUE  FRANÇAISE 

De  ces  ancêtres  le  créole  a  conservé  Tamour  et  le  respect  de  la 
femme,  une  grande  aptitude  au  commandement  et  une  certaine  gai  té 
toujours  prête  à  s'éveiller  et  aussitôt  suivie  d'une  arrière-pensée  de 
crainte.  Du  milieu  il  tient  un  peu  de  mélancolie  maladive,  une  imagina- 
tion créatrice  parente  de  l'aberration,  un  naturel  violent  joint  à  une 
susceptibilité  étonnante,  comme  aussi  une  lenteur  d'action  qui  s'^oppose 
parfois  à  la  brusquerie  de  son  geste  et  à  l'exubérance  de  sa  parole. 
Quant  à  la  France,  elle  lui  a  inculqué  des  goûts,  des  sentiments  et  des 
idées  modernes  qu'il  accepte  et  dont  il  lui  sait  gré,  mais  qui  heurtent 
singulièrement  ses  convictions  et  ses  préjugés  de  colon. 

Cette  société,  justement  parce  qu'une  autre  commence  à  l'absorber,  se 
désagrège  et  perd  de  son  caractère  aristocratique.  Elle  ne  dégénère 
peut-être  pas  ;  à  coup  sûr  elle  évolue  parce  qu  elle  a  porté  atteinte  à  la 
pureté  de  son  sang  ;  plus  la  corruption  se  propagera,  plus  cette  marche 
vers  la  démocratie  sera  progressive. 

Dans  une  colonie  où  l'Européen  a  vécu  en  oriental,  la  naissance  de 
métis  devenait  forcée  ;  les  premiers  membres  de  la  race  mulâtresse 
tirent  donc  leur  origine  du  concubinage  auquel  on  se  laisse  fatalement 
entraîner,  sous  les  climats  tropicaux  et  dans  des  conditions  d'existence 
uniques.  Un  autre  élément  rongeur  est  le  nombre  de  déclassés  que  cette 
société  a  produits.  Le  mariage  pour  le  créole  équivaut  à  une  nécessité; 
la  solitude  lui  pèse,  un  besoin  inné  d'affection  l'y  prédispose;  d'ailleurs 
la  tradition  a  établi  qu'à  tel  âge  on  se  marie  et  qu'il  faut  se  marier. 
Cette  aversion  du  célibat,  excellente  pour  la  perpétuation  de  l'espèce, 
a  ses  inconvénients  au  point  de  vue  social.  Le  couple  créole  ne  songe 
par  assez  à  l'avenir  de  ses  enfants  ;  il  est  trop  optimiste,  et,  si  fort 
qu'il  se  croie,  il  ne  parvient  pas  â  leur  assurer  toujours  une  existence 
médiocre  :  c'est  autant  de  déclassés  pour  l'avenir,  c'est  autant  de  taches 
pour  le  nom  de  famille.  Le  mariage  ne  devrait  pas  être  seulement,  à 
leurs  yeux,  la  communion  de  deux  âmes  et  le  rapprochement  de  deux 
corps,  mais  surtout  une  institution  sociale,  le  premier  instrument  de 
civilisation  d'un  peuple. 

Parmi  les  mulâtres  et  les  déclassés  il  s'en  trouve  d'intelligents  et 
d'actifs,  qui  se  font  vite  une  place  au  soleil  et  gagnent  beaucoup 
d'argent.  L'origine  des  premiers  et  le  passé  des  seconds  les  empêchent 
de  contracter,  dans  le  pays,  des  alliances  riches  ou  convenables  pour 
eux,  mais  qui  seraient  des  mésalliances  pour  celles  qui  les  accepteraient  ; 


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UNE  SOCIÉTÉ  CRÉOLE  37 

c'est  sur  les  familles  pauvres  ou  mulâtresses  qu'ils  se  rejettent.  De  son 
côté,  cela  se  conçoit  aisément,  la  jeune  fille  mulâtresse  ou  la  blanche 
pauvre  n'aspire  qu'au  mariage;  aussi,  rejetant  les  préjugés  courants  ou 
réprimant  des  sentiments  intimes,  elle  s'élève  ou  s'abaisse.  C'est  ainsi 
que  peu  à  peu,  par  atavisme  ou  croisement  simple,  l'élément  mulâtre 
prend  l'importance  que  lui  abandonne  l'élément  blanc.  Cette  fusion,  il 
faut  l'avouer,  est  en  outre  facilitée  par  un  perpétuel  contact,  une 
éducation  souvent  reçue  en  commun  et  les  relations  des  deux  classes 
avec  les  Européens  de  passage  qui,  pour  ainsi  dire,  servent  d'élément 
communicateur. 

Somme  toute,  il  est  curieux  de  constater  qu'une  colonie  d'exploitation 
où  la  richesse  fut  prompte,  mais  soumise  à  des  crises  violentes,  où 
l'égalité  de  condition  n'était  pas  admise  et  la  différence  de  caste  regardée 
comme  nécessaire,  se  soit  transformée  d'une  manière  insensible  en 
colonie  de  peuplement.  A  l'ancien  état  de  choses  s'est  substitué  le 
nouveau,  aussi  bien  sous  l'influence  de  la  politique  et  du  commerce, 
que  de  la  tradition  abandonnée  et  des  idées  modernes. 

La  Réunion  est  d'ores  et  déjà  une  colonie  démocratique  où  une 

aisance  moyenne  est  répartie  entre  le  plus  grand  nombre,  où  l'égalité 

des  droits  et  des  libertés  pour  tous  est  un  principe  établi.  La  race 

mulâtresse  cessera  sous  peu  d'élre  refoulée  par  le  mépris  qu'éprouve  à 

son  égard  la  classe  blanche  du  pays  et  l'envie  que  lui  portent  ses  parents 

plus  noirs  et  bien  moins  doués.  Elle  tient  certainement  à  rester  française  ; 

mais  elle  aura  des  besoins  nouveaux,  et  les  moyens  de  les  satisfaire  ne 

lui  manqueront  pas;  son  allure  semblera  plus  indépendante  et  à  l'avenir 

elle  ne  peut  que  garder  cette  attitude.  La  métropole  a  le  devoir  de  lui 

accorder  cette  liberté  relative  qu'une  fille  majeure  est  en  droit  de 

réclamer  ;  néanmoins,  en  bonne  mère,  elle  doit  toujours  exercer  une 

certaine  surveillance  et  conserver  comme  une  sorte  de  domination 

morale. 

Léon  O'Zoux. 


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SIBERIE 


LES  BOURIATES  DE  L'AMOUR 


Iakoute  à  renne. 


Les  bords  du  fleuve 
Amour  n*ont  vu  appa- 
raître lacolonisation  russe 
que  depuis  le  traité  d'Aï- 
goun,  en  18o8,  qui  recon- 
naissait à  l'empire  des 
tsars  la  possession  d'un 
vaste  territoire  donnant 
accès  à  la  mer  du  Japon. 
Mais,  en  raison  de  la  dis- 
tance et  des  difficultés  de 
pénétration,  les  Russes 
sont  encore  fort  clairse- 

\î^P%rf^^"'^       W  ^y  mes  dans  ces  régions  où 

^^"*  les  peuplades  indigènes 

sont  encore  restées  dans 
leur  état  primitif.  La  ci- 
vilisation n'a  pu  encore  s'infiltrer  que  partiellement  parmi  elles,  faute 
de  contact,  et  celles  qui  ont  embrassé  la  religion  orthodoxe  ne  l'ont  fait 
que  par  intérêt  et  sont  encore  vouées  au  culte  des  idoles. 

Dans  la  région  de  Transbaïkalie,  située  entre  le  lac  Baïkal  et  le  fleuve 
Amour,  habitent  des  peuples  pasteurs  appartenant  aux  Mongols  Bou- 
riates  et  aux  Tongouses  Solones.  Un  voyageur  russe,  M.  Chimkièvitch, 
a  donné  sur  ces  indigènes  de  curieux  renseignements  que  nous  trou- 
vons dans  le  Tour  du  Monde. 

A  l'époque  des  bouleversements  politiques  de  l'époque  de  Gengis  Khan, 
les  Bouriates,  qui  habitaient  la  Mongolie,  quittèrent  ce  pays  et  vinrent 
habiter  la  Transbaïkalie  actuelle  après  en  avoir  chassé  les  Iakoutes. 
Depuis  ce  temps  ils  n'ont  cessé  d'y  mener  avec  leurs  troupeaux  de 
chameaux,  chevaux,  vaches,  brebis,  une  existence  si  paisible  que  c'est  à 
grand  peine  que  les  Russes  ont  pu  former  quelques  régiments  parmi  eux. 

Essentiellement  nomades  et  n'ayant  pour  toute  richesse  que  leurs 
troupeaux,  les  Bouriates  n'habitent  que  rarement  des  maisons  qui  ne 


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SIBÉRIE  39 

sont  jamais  que  de  grandes  cabanes  en  bois.  Leur  logis  habituel  c'est 
la  tente  en  feutre  qu'on  trouve  chez  tous  les  peuples  pasteurs  ;  elle  est 
chaude  en  hiver  et  facile  à  transporter.  Elle  repose  sur  un  grillage  en 
bois,  laissant  au  sommet  une  ouverture  pour  cheminée.  Au  centre  est 
le  foyer  sur  lequel  est  placée  une  grande  marmite  en  fonte  servant  à  la 
cuisson  des  aliments.  Autour  de  la  tente  sont  installés  les  meubles.  Le 
côté  gauche  est  réservé  aux  hommes,  le  droit  aux  femmes.  En  face 
rentrée  se  dresse  un  autel  où  se  trouvent  les  idoles,  livres  saints,  instru- 
ments de  musique  et  bougies  parfumées.  L*odeur  de  la  fumée  est 
assez  désagréable,  car  le  coihbustible  employé  n'est  que  du  fumier  de 
vache  desséché. 

Aux  repas,  où  l'on  mange  dans  des  assiettes  en  bois,  on  sert  du  thé, 
préparé,  comme  la  soupe,  avec  du  lait,  du  beurre  et  salé.  Ce  breuvage 
a,  pour  des  Européens,  un  aspect  répugnant.  Puis  vient  une  soupe  de 
viande  de  mouton  coupée  en  menus  morceaux,  avec  le  mangir^  feuilles 
de  l'oignon  sauvage,  et  le  fameux  kirsen,  mouton  grillé.  Comme  dessert, 
du  lait  caillé  séché  en  morceaux,  une  espèce  de  fromage  et  un  verre 
d'eau-de-vie  de  lait.  Cette  araka  des  Mongols  a  un  goût  de  lait  aigre 
auquel  on  a  bien  de  la  peine  à  s'habituer. 

Chez  les  Bouriates  la  femme  est  aimée  et  respectée.  La  polygamie 
existe;  c'est  toujours  la  première  femme  qui  est  considérée  comme  la 
maîtresse  de  la  maison.  Les  enfants  sont  préposées  à  U  garde  des  trou- 
peaux et  vivent  dans  les  steppes  jusqu'à  17  ans,  âge  où  les  filles  com- 
mencent à  s'occuper  du  costume  et  de  la  coiffure.  Hommes  et  femmes 
portent  des  robes  chinoises  tombant  jusqu'à  terre.  Les  hommes  portent 
une  ceinture  en  étoffe  avec  le  couteau  mongol  et  un  chapeau  plat,  coni- 
que, à  hauts  bords.  Les  femmes  portent  comme  les  hommes  un  panta- 
lon et  une  blouse  ;  elles  ont  aussi  la  robe  chinoise  plus  large  et  sans 
ceinture.  Elles  se  distinguent  des  jeunes  filles  par  la  coiflFure  et  par  un 
gilet  sans  manches  porté  par-dessus  la  robe. 

Les  jeunes  filles  portent  souvent  sur  le  front  des  plaques  d'argent,  le 
plus  souvent  en  forme  de  cœur.  Leur  coiflFure  est  très  compliquée.  On 
leur  rase  d'abord  la  tête  jusqu'à  l'âge  de  7  ans,  puis  on  arrange  leurs 
cheveux  en  tresses.  Quand  la  fille  commence  à  porter  des  ornements, 
le  nombre  des  tresses  augmente  et  va  parfois  jusqu'à  22.  Dans  une 
coiffure  de  fiancée  toutes  les  tresses  sont  réunies  par  paires  au  moyen 
de  fils  de  corail  et  de  rubans. 


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40  lŒVUE  FRANÇAISE 

Les  femmes  bourlates  recherchent  beaucoup  les  ornemenis  et  s'en 
couvrent  la  tête,  la  poitrine  et  le  dos.  Sur  la  tête  elles  ont  une  couronne 
ornée  de  corail  d'où  pendent  des  filets  de  corail  tombant  sur  la  poitrine. 
Des  boucles  d'oreilles  en  argent  massif  sont  aussi  attachées  à  la  cou- 
ronne ou  pendent  de  chaque  côté  sur  la  poitrine.  Celle-ci  est  aussi  cons- 
tellée de  petites  boîtes  en  argent  contenant  des  prières,  des  herbes,  etc. 
Ce  sont  leurs  amulettes.  Les  femmes  portent  en  outre  des  épaulettes 
en  corail.  Le  costume  complet  est  très  beau  et  vaut  souvent  plus  de 
10.000  francs. 

Peu  accoutumés  aux  travaux  par  suite  de  leur  existence  nomade,  les 
Bouriates  sont  assez  paresseux.  Une  de  leurs  occupations  favorites  est  de 
monter  à  cheval  et  de  dresser  les  chevaux  sauvages,  exercice  auquel 
ils  sont  fort  habiles.  Les  chevaux  de  la  steppe  sont  petits,  mais  forts  et 
vigoureux.  Les  Mongols  ont  une  singulière  façon  de  les  préserver  du 
froid.  Quant  après  une  course  à  vive  allure  et  un  froid  de  30**  au-dessous 
de  zéro,  le  cheval  se  trouve  échauffe,  ils  lui  versent  de  l'eau  sur  le  dos, 
qui  se  cou\Te  aussitôt  d'une  couche  de  glace  conservant  la  chaleur. 
C'est  là  un  moyen  de  remplacer  les  étables  qu'ils  n'ont  point  et  les 
couvertures  dont  ils  ne  connaissent  pas  l'usage. 

Très  intelligents,  les  Mongols  savent  tous  écrire.  Us  apprennent  faci- 
lement le  russe  et  sont  très  aptes  à  l'assimilation.  Un  grand  nombre 
d'entre  eux  sont  arrivés  à  des  situations  importantes  comme  officiers, 
fonctionnaires,  etc.  La  Russie  a  laissé  à  ces  peuples  asiatiques  la  forme 
de  leur  gouvernement  qu'elle  se  contente  de  contrôler.  Le  peuple  est 
jugé  par  ses  chefs.  Le  pouvoir  appartient  à  la  douma  (conseil  des 
chefs)  et  au  taïcka  ou  prince  é\\x  à  vie.  Les  Bouriates  professent  la 
religion  boudhique,  venue  du  Tib»et,  et  connue  par  ses  prêtres,  les 
lamas. 

Les  Toungouses  Goldes  appartiennent  également  à  la  race  mongole. 
Ce  peuple,  qui  habite  le  bas  Amour  et  l'Oussouri,  est  le  plus  civihsé 
des  peuples  pécheurs  de  la  région.  Four  devenir  pêcheurs  les  Goldes 
ont  renoncé  à  la  vie  nomade  et  ont  créé  des  villages  sur  les  bords  des 
rivières.  Chaque  famille  a  son  bateau,  et  au  moins  une  dizaine  de  chiens 
En  hiver  ceux-ci  sont  attelés  en  traîneau  ;  en  été  ils  aident  au  halage 
des  bateaux. 

Les  Goldes  tirent  un  merveilleux  parti  des  peaux  de  poissons.  Ces 
peaux  travaillées  d'une  façon  remarquable,  tannées,  assouplies  et  cou- 


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SIBÉRIE 


41 


sues  forment  des  couvertures,  des  robes,  des  bottes,  des  petits  sacs  à 
provisions.  Les  femmes  comme  les  hommes  fument  sans  cesse. 
L'introduction  de  Topium  par  les  Chinois  est  une  cause  d'abrutisse- 
ment. 


Fiancé  golde. 


Le  mariage  chez  les  Goldes  est  assez  compliqué  comme  cérémonies. 
Le  mari  achète  sa  femme  ;  plus  il  est  riche  plus  le  mariage  se  fait  vite, 
le  paiement  ayant  lieu  aussitôt.  La  rencontre  des  fiancés  donne  Heu  à 


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42  REVUE  FRANÇAISE 

un  simulacre  de  lutte.  Le  mari  vêtu  d'un  riche  costume  de  chasse,  d'un 

chapeau  de  musc  avec  queue  de  zibeline  et  arc  et  flèche  dans  les  mains, 

est  prêt  à  tirer,  car  suivant  les  usages,  il  ne  peut  avoir  sa  femme  que 

prise  de  force.  Quand  le  cortège  de  la  fiancée  arrive  par  eau,  le  mari 

qui  attend  sur  la  rive  se  jette  dans  son  bateau  au  signal  qui  lui  est  donné 

et  se  dirige  comme  une  flèche  vers   le  bateau  qui  porte  sa  femme, 

car  il  doit  la  voler  à  ses  parents.  Alors  commence  une  véritable  lutte 

entre  les  deux  bateaux,  lutte  applaudie  par  la  foule  et  qui  se  termine 

toujours  à  l'avantage  du  mari. 

La  vie  de  ces  peuplades  est  remplie  de  superstitions;  les  peuplades 

agricoles  suivent  le  boudhisme,  tandis  que  les  chasseurs  et  pécheurs  du 

bas  Amour  sont  officiellement  orthodoxes,  mais  pratiquent  le  chama- 

nisme,  dont  le  nom  vient  des  prêtres,  les  chamanes,  intermédiaires 

entre  les  hommes  et  les  esprits,  bons  ou  mauvais. 

A.  M. 


LES  EXPLORATIONS  POLAIRES  EN  1897 

Les  explorations  polaires  n'ont  pas  eu,  en  1897,  l'intérêt  saisissant  de 
celles  de  l'année  précédente,  dans  laquelle  se  place  le  voyage  de  Nan- 
sen.  Néanmoins,  comme  M.  Ch.  Rabot  l'a  fait  remarquer  dans  une  inté- 
ressante élude  présentée  à  la  Société  de  Géographie  de  Paris,  dans  h^ 
vaste  secteur  compris  entre  le  détroit  de  Smith  et  la  N"**-2temble,  sept 
missions  ont  été  à  Tœuvre. 

Groenland.  —  Nous  avons  déjà  parlé  de  la  mission  Peary  (1),  qui,  en 
dehors  du  bloc  de  fer  natif  de  45  tonnes,  rapporté  du  cap  York,  non 
sans  peine,  n'a  point  fait  de  découverte  géographique. 

Une  mission  danoise,  composée'  du  lieutenant  Frode  Petersen,  de 
l'enseigne  Boi^  et  des  naturalistes  Kruse  et  Pjetursson  a  été  chargée 
de  faire  des  levés  dans  le  district  d'Egedesminde  (côte  ouest). 

Islande.  —  Le  d"^  Thoroddsen,  continuant  ses  précédents  travaux  géo- 
logiques, a  étudié  les  effets  du  tremblement  de  terre  qui  a  affecté  le 
sud  de  l'Islande,  du  26  août  au  iO  septembre  1896,  s'étendant  de  la 
côte  sud  au  talus  méridional  du  Hôiland  (Hocliland)  et  de  l'est  à  l'ouest. 
D'après  M.  Thoroddsen,  ce  tremblement  de  terre  a  produit  de  notables 

(1)  Voir  R.  F.,  t.  XXII,  pages  305  et  673. 


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m9^^ 


LES  EXPLORATIONS  POLAIRES  EN  4897  43 

modifications  dans  les  formes  du  terrain  et  affecté  le  régime  des 
sources.  D'énormes  avalanches  se  sont  séparées  des  montagnes.  Le 
grand  Geyser,  qui  ne  lançait  plus  depuis  longtemps  que  de  rares  co- 
lonnes d*eau,  en  projette  journellement  maintenant.  M.  Thoroddsen  a 
été  témoin  d'une  éruption  atteignant  40  mètres  de  haut.  Un  effet  in- 
verse a  été  produit  sur  le  Stokkr,  ce  geyser  formé  à  la  suite  du  trem- 
blement de  terre  de  i  789  et  que  les  touristes  s'amusaient  à  faire  jaillir 
en  jetant  dans  son  gouffre  des  mottes  de  gazon  et  des  pierres  en  guise 
d'émétique.  Ce  geyser  ne  fonctionne  plus  depuis  le  dernier  tremble- 
ment de  terre,  mais  sa  cheminée  reste  remplie  d'eau  à  une  tempéra- 
ture de  -f-  70**.  Par  contre,  le  Blesi,  qui  demeurait  inactif  depuis  1789, 
donne  maintenant  des  signes  d'agitation  et,  à  côté,  une  crevasse  adonné 
naissance  à  des  projections  d'eau. 

Après  avoir  visité  l'Islande  du  sud,  M.  Thoroddsen  s'est  rendu  dans 
le  nord,  au  district  d'Hunavatu,  où  il  a  trouvé,  parmi  les  basaltes,  des 
gisements  de  rhyolites.  E  ne  reste  plus  à  M.  Thoroddsen,  pour  achever 
le  refevé  du  gi-and  plateau  désert  du  centre  de  l'Islande,  qu'à  visiter 
la  partie  orientale.  Ce  sera  l'œuvre  de  1898  qui  verra  sans  doute  achever 
les  grands  travaux  géographiques  accomplis  en  Islande  par  M.  Tho- 
roddsen. 

Le  lieutenant  danois  David  Bruuriy  continuant  ses  recherches  archéo- 
logiques de  1896,  a  exploré  en  1897  les  régions  nord  et  sud  de  l'Is- 
lande, ainsi  que  le  plateau  central,  qu'il  a  traversé  deux  fois.  M.  Bruun 
n  a  pas  trouvé  trace  des  habitations  que  les  traditions  plaçaient  à  la 
base  des  Kjaellingfjeld.  Ses  explorations  ont  donné  de  nouvelles  preuves 
du  rétrécissement  progressif  de  la  zone  habitable  en  Islande,  par  suite 
des  pluies  de  cendres  volcaniques,  de  l'aggravation  du  climat,  du  dé- 
boisement du  pays.  C'est  ainsi  que  des  groupes  d'habitation  anciennes 
en  ruines  ont  été  retrouvées,  abandonnées  sans  doute  à  la  suite  de 
quelque  pluie  de  cendres  volcaniques.  Les  fouilles  de  M.  D.  Bruun 
ont  fait  découvrir  des  lampes  en  pierre,  des  bijoux  en  bronze,  etc., 
provenant  de  la  primitive  civilisation  Scandinave. 

Une  O^  anglaise  doit  poser,  en  1898,  un  câble  sous-marin  entre  le 
nord  de  l'Ecosse  et  le  Bernfjord,  sur  la  côte  sud-est  de  l'Islande.  Le 
télégraphe  se  prolongera  par  terre,  jusqu'à  Reykjavik.  La  pose  de  ce 
câble  sera  vivement  appréciée  par  no»  marins  qui  chaque  année  vont 
pêcher  la  morue  sur  les  côtes  dangereuses  de  l'Islande. 


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44  REVUE  FRANÇAISE 

Spitzberg.  —  Le  ballon  (hmen^  monté  par  Andrée  et  ses  2  compagnons, 
est  parti,  on  le  sait,  de  Tîle  des  Danois,  le  H  juillet  189"  (1).  On  est 
toujours  sans  nouvelles  des  explorateurs. 

Sir  Martin  W.  Conway.  Talpiniste  anglais  bien  connu  par  ses  ascen- 
sions dans  mimalaya,  a  continué  ses  explorations  dans  Tintérieur  du 
Spitzberg  occidental. 

Dans  une  première  excursion,  M.  Conway  a  parcouru  la  carapace  de 
glace  qui  recouvre  la  presqu'île  N.-E.  entre  le  StortQord,  et  la  Klaas 
Billen  Bay.  Partant  de  cette  baie,  il  s'est  avancé  jusqu'au  mont  Chyde- 
nins,  puis,  gagnant  par  mer  la  Kingsbay  (côte  ouest),  il  a  exploré  la 
région  glacée  à  Test.  Il  a  fait  Tascension  du  pic  central  des  Trois-Cou- 
ronnes,  un  des  sommets  les  plus  caractéristiques  de  l'archipel,  et  a  ter- 
miné son  exploration  par  l'escalade  du  Horn  Sounds  Tind,  point  cul- 
minant du  Spit2)>erg. 

Cette  seconde  exploration  dans  les  glaciers  n'a  pas  duré  moins  de 
trois  semaines. 

Signalons  en  passant  la  fondation,  au  Spitzbei^,  du  premier  journal 
publié  dans  ces  régions,  le  Spitbergen  Gazette,  dû  à  l'initiative  de 
M.  C.  Christensen,  professeur  au  collège  de  Tromso. 

Terre  François-Joseph.  —  Plusieurs  baleiniers  écossais  ont  chassé  les 
morses  et  les  ours  blancs,  abondants  à  la  terre  François-Joseph.  L'un 
d'eux,  le  Balsena,  a  découvert  sur  la  côte  sud  plusieurs  petites  îles. 

La  mission  anglaise  F,  Jackson,  envoyée  par  M.  Harmsworth  (2),  a 
hiverné  pour  la  troisième  fois  à  la  terre  François-Joseph.  En  1897,  elle 
a,  en  partant  d'Elmwood,  le  16  mars,  \youT  la  partie  occidentale,  pu  se 
rendre  compte  que  la  terre  de  Gillis  n'existe  pas  entre  le  Spitzberg  et 
l'archipel  François-Joseph.  La  terre  entrevue  en  1707  par  le  navigateur 
hollandais  est  sans  doute  l'extrémité  ouest  de  ce  dernier  archipel. 

Le  6  août,  Jackson  et  ses  compagnons  ont  quitté  la  région  en  laissant 
àElmwood  un  dépôt  de  vivres  et  de  charbon.  Le  navire  Windward  qui 
venait  chercher  M.  Jackson  s'est  avancé  à  50  milles  dans  le  nord-ouest 
à  travers  des  eaux  libres,  sans  découvrir  aucune  nouvelle  terre,  puis 
a  rapatrié  la  mission. 

Expéditions  projetées  vers  le  pôle  nord.  —  Pour  1898,  le  lieutenant 


(1)  Voir  R.  F.,  t.  XXII,  pages  305,  491  et  547. 

(2)  \o\r  Revue  Française^  tome  XXII,  page  602. 


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EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS  45 

Peary  se  propose  de  pousser  vers  le  pôle  en  établissant  une  station  qui 
servirait  de  point  de  départ  pour  une  série  de  campagnes  annuelles 
devant  laisser  chacune  un  poste  de  plus  en  plus  avancé.  M.  Peary 
espère  ainsi  qu'on  atteindrait  le  pôle  nord  au  bout  de  peu  d'années. 

Le  capitaine  Sverdrup,  le  compagnon  de  Nansen,  projette,  avec  le 
Framy  d'accomplir  le  périple  du  Groenland,  en  longeant  d'abord,  vers 
le  nord,  la  côte  ouest,  et  ensuite,  vers  le  sud,  la  côte  est. 

Trois  explorateurs  danois,  réprenant  le  projet  Ryder  (1895)  qui  avait 
pour  objectif  la  reconnaissance  de  la  côte  occidentale  du  Groenland, 
entre  le  70**  et  le  cercle  polaire  se  rendront  au  Groenland.  D'Angmagsa- 
lik,  la  station  récemment  installée  sur  la  côte  orientale,  où  ils  hiver- 
neront, ils  espèrent  s'avancer  en  4899  vers  le  Nord. 

Le  professeur  suédois  Nathorst,  enfin,  se  propose  d'explorer  le 
Spitzberg  oriental. 

Pôle  sud.  —  Le  16  août  dernier,  l'expédition  belge  A.  de  Gerlachee&i 
partie  vers  le  pôle  sud,  sur  la  Belgica.  Le  lieutenant  de  vaisseau  de 
Gerlache  est  accompagné  des  officiers  de  marine  Lecointe,  Melaerts  et 
Amudsen  (ce  dernier  norvégien),  du  lieutenant  d'artillerie  Danco,  des 
naturalistes  Racovitzaet  Arctowski. 

L'exploration  entrera  dans  les  régions  antarctiques  par  le  sud  du  cap 
Horn. 

Les  frais  ont  été  couverts  par  une  subvention  de  160.000  francs  du 
gouvernement  belge  et  par  une  souscription  nationale  de  140.000  francs. 

D'après  les  nouvelles  parvenues  récemment  de  Montevideo,  la  Belgica 
avait  quitté  ce  port  et  devait  actuellement  entrer  dans  la  zone  d'obser- 
vations polaires.  P.  B. 


EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS 

AFRIQUE 

Le  lieutenant  Blondiatix,  chargé  par  le  gouverneur  du  Soudan  d'ex- 
plorer la  région  comprise  entre  le  Soudan  français  et  la  C6te  d'Ivoire, 
dont  le  capitaine  Marchand  et  M.  Pobéguin  avaient  reconnu  une  partie 

où  M.  Eysseric  avait  été  arrêté,  partit  de  Beyla,  notre  poste  le  plus 
avancé  du  Soudan  dans  cette  direction,  le  6  février  1897,  avec  l'adjudant 
Not  et  22  tirailleurs.  La  mission  se  dirigea  sur  le  Mahou  pour  étudier 


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46  REVUE  FRANÇAISE 

le  cours  du  Férédougouba.  Le  24  février,  elle  campa  près  de  ce  fleuve, 
à  Dabala,  à  S  kil.  du  confluent  du  Tien-Bâ,  dans  le  Ouataradougou, 
naguère  dévasté  par  Samory.  Continuant  sa  marche  vers  Test,  M.  Blon- 
diaux  passa  à  Kani,  dans  le  Nigoui  (27  février),  à  Sakhala,  dans  le 
Ourodougou  (2  mars),  à  Kourousoudougou,  dans  le  Ténindiéri  (7 mars). 
Il  avait  ainsi  relié  par  un  itinéraire  le  poste  de  Beyla  avec  Titinéraire 
Marchand. 

La  mission  revint  alors  sur  ses  pas, le  pays  devenant  dangereux;  elle 
se  dirigea  plus  au  nord,  par  Boron,  Bafélétou,  passant  par  une  région 
dévastée  par  Samory.  Ayant  traversé  le  Tien-Bâ.  puis  le  Boa,  elle  arriva 
à  Koro  (visité  par  la  colonne  Combes  en  1893,  puis  par  M.  Vuillemot 
en  1896).  M.  Blondiaux  se  dirigea  ensuite  vers  le  sud  et  arriva  le  28  mars 
à  Gouentéguéla,  après  avoir  traversé  le  Férédougouba.  Le  1*'  avril,  il 
était  à  Dootou,  à  2  kil.  1/2  du  confluent  du  Bafing  et  du  Férédougouba 
ou  Bagoé.  Le  Férédougouba  et  le  Bafing,  à  leur  jonction,  ne  forment 
chacun  qu'un  seul  bras  ;  le  premier  a  250  mètres  et  le  second  150  de 
large.  Plus  bas,  le  fleuve  est  coupé  d'îlots  et  de  rochers.  Le  Férédou- 
gouba ne  serait  autre  que  le  prolongement  du  Sasandra  (rivière  S*-An- 
dré).  La  mission  se  dirigea  à  l'est  vers  Séguéla  (4  avril),  en  passant  par 
le  Gouaran  ;  elle  tenta  en  vain  de  pénétrer  chez  les  Lô,  où  Ton  trouve 
des  anthropophages.  N'ayant  pu  traverser  le  Férédougouba  par  suite 
de  l'hostilité  des  Lô  et  des  Onobés,  M.  Blondiaux  revint  en  arrière,  passa 
à  Doué  et  à  Touba.  Ayant  fait  une  nouvelle  tentative  infructueuse  de 
pénétration  par  le  pays  des  N'Guéré  anthropophages,  M.  Blondiaux  put 
pourtant  apprendre  que  le  Cavally  et  le  Diougou  ne  sont  qu'une  môme 
rivière,  qui  prend  sa  source  dans  les  monts  Niénimba  et  reçoit  sur  sa 
gauche  la  rivière  So.  De  N'Zo,  la  mission  retourna  vers  le  nord  par  Lola, 
Goueké  et  Boola  et  rentra  au  mois  de  juin  à  Touba  pour  y  passer  l'hi- 
vernage. Cette  exploration  a  permis  de  déterminer  le  bassin  supérieur 
du  Bandama  rouge,  de  fixer  le  cours  supérieur  de  Sassandra  et  de  re- 
connaître la  grande  route  de  Beyla  à  Kong. 

M.  Bailly,  accompagné  de  .^IM.  de  Boisé  et  H.  Pauly,  s'e^t  embarqué 
le  30  novembre  à  Marseille  à  destination  de  Konakry.  De  la  Guinée  il 
doit  remonter  vers  les  sources  du  Niger  et  chercher  à  gagner  la  Côte 
d'Ivoire  après  avoir  contourné  la  colonie  de  Sierra  Leone  et  le  Libéria, 
dont  l'hinterland,  habité  par  des  populations  sauvages,  est  encore  à 
peine  connu. 


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EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS  47 

M.  Edouard  Foa  (t.  XXI,  p,  745)  vient  de  traverser  l'Afrique,  des 
bouches  du  Zambèze  à  celles  du  Congo;  il  s'est  embarqué  le  10  décem- 
bre à  Loango  pour  rentrer  en  France,  après  une  absence  de  plus  de 
3  années  passées  en  grande  partie  dans  le  bassin  du  Zambèze.  Parti  de 
Tête,  sur  le  Zambèze  il  a  visité  les  régions  des  lacs  Nyassa  et  Tanga- 
nika,  ainsi  que  les  territoires  de  la  C*  du  Zambèze  et  de  la  G*®  du  Ka- 
tanga  (État  du  Congo).  Au  mois  d'août  i897  il  était  à  Oujidji,  sur  le 
Tanganika,  d'où  il  se  proposait  de  gagner  les  Stanley-Falls  par  une  route 
nouvelle. 

L'explorateur  allemand  Eugène  Zintgraff  a  succombé  le  5  décembre 
à  Ténériffe  aux  suites  d'un  accès  de  malaria.  Son  premier  voyage  en 
Afrique  s'était  effectué  au  Congo,  en  i884,  avec  le  D^  Cha vanne.  11  avait 
été  un  des  premiers  explorateurs  du  Kameroun,  en  1886.  En  1889  et 
1890  il  avait  atteint  la  région  de  la  Bénoué  après  avoir  franchi  la  zone 
que  forme  la  forêt  vierge.  D  visita  ensuite  l'Afrique  orientale  allemande 
et  portugaise,  ainsi  que  le  TransVaal.  En  1896  il  se  rendit  pour  la  3«  fois 
au  Kameroun  ;  il  s'y  occupait  en  dernier  d'entreprises  agricoles.  11  était 
né  à  Dusseldorf  en  18S8. 

L'expédition  anglaise  Cavendish,  dont  on  avait  annoncé  à  tort  le 
massacre,  est  rentrée  à  Londres,  L'expédition,  dirigée  par  M.  Cavendish, 
neveu  du  duc  de  Devonshire,  avait  pour  but  principal  la  chasse.  Elle 
comprenait  3  Européens,  90  Ascaris  et  130  chameaux.  Elle  quitta  Ber- 
bera  en  septembre  1896  et  arriva  en  novembre  à  Logh,  sur  rOuebbir 
Ganana,  ou  elle  rencontra  le  lieutenant  Mamini,  résident  italien  au 
Bénadir.  De  Logh,  M.  Cavendish  se  dirigea  vers  l'ouest  jusqu'à  l'extré- 
mité nord  du  lac  Stéphanie  ;  au  sud  du  lac,  il  reconnut  une  couche 
abondante  de  houille  qui  doit  s'étendre  assez  loin,  car  M.  Cavendish  en 
trouva  une  semblable  à  l'ouest  du  lac  Rodolphe.  Du  lac  Stéphanie,  la 
mission  se  dirigea  vers  le  lac  Rodolphe  qu'elle  contourna  par  le  nord. 
M.  Cavendish  reconnut,  dans  cette  partie  du  lac  l'existence  de  l'estuaire 
d'un  grand  fleuve  qu'il  croit  être  l'Omo  et  qu'avait  déjà  signalé  l'explo- 
rateur américain  Donaldson  Smith.  Dans  cette  région,  le  café  sauvage 
croît  en  abondance.  Le  pays,  situé  à  l'ouest  du  lac  Rodolphe,  forme  une 
masse  de  montagnes  inhabitées  et  d'un  accès  très  difficile.  M.  Cavendish 
a  relevé  tout  le  littoral  ouest  du  lac,  qui  ne  figurait  pas  encore  sur  les 
cartes.  Les  bords  du  lac  sont  tout  à  fait  plats,  sur  une  largeur  d'environ 
80  kilom.  ;  ils  sont  exposés  aux  inondations  résultant  de  la  crue  du  lac. 


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48  REVUE  FRANÇAISE 

M.  Cavendish  a  constaté  la  disparition  du  volcan  que  le  comte  Te- 
leki  avait  signalé  au  sud  du  Rodolphe;  sa  place  est  marquée  par  une 
plaine  de  laves.  Entre  les  lacs  Rodolphe  et  Baringo,  M.  Cavendish  a 
constaté  également  la  disparition  d'un  volcan  qui  se  trouvait  dans  un 
autre  lac.  La  mission  Cavendish  a  ensuite  traversé  le  Baringo  et,  pas- 
sant par  Kikouyou,  est  arrivée  à  Monbassa,  d'où  elle  s'est  rendue  à  Zan- 
zibar. Le  18  octobre,  M.  Cavendish  arrivait  à  Londres.    . 

M.  Cavendish  a  rapporté  en  Angleterre  un  certain  nombre  d'animaux 
vivants;  bien  que  sa  mission  n'ait  pas  eu  un  caractère  scientifique,  il 
n'en  a  pas  moins  dressé  des  cartes,  pris  des  photographies  et  relevé 
certaines  régions  encore  inconnues. 

Le  capitaine  belge  Heymans  a  remonté,  en  1897,  la  Lua,  affluent  de 
gauche  de  TOubangui,  jusqu'à  Bowara.  La  Lua  (75  à  100  mètres  de 
large  et  3  m.  de  profondeur)  se  confondrait  avec  le  Dekere,  qui  prend 
sa  source  près  de  Banzyville;  cette  nouvelle  voie  d'accès  vers  le  Congo 
oriental  permettrait  donc  d'éviter  le  coude  de  l'Oubangui,  encombré 
de  rochers.  Ce  serait  là  une  importante  découverte  au  point  de  vue  de 
la  pénétration  intérieure. 

ASIE 

M.  Georges  Saint-Yves,  parti  de  Moscou,  après  avoir  passé  par  Omsk 
et  gagné  Viemji  en  tarentass,  a  atteint,  en  juin  1897,  le  poste  de  Prje- 
valski  ou  Katakol,  que  baigne  le  lac  Issyk-Koul  sur  le  grand  plateau 
central  asiatique.  M.  Saint-Yves  ayant  ensuite  franchi  le  col  d'Oulakol, 
de  3.800  mètres  d'altitude  dans  les  monts  Tian-chan,  arriva  à  cheval 
à  Och  le  3  juillet,  puis  à  Marghilan.  L'explorateur,  après  avoir  poussé 
au  sud  dans  l'Alaï  et  exploré  la  frontière  du  Khanat  de  Boukara  est 
revenu  à  Marghilan.  11  est  rentré  en  Europe  par  Kokand,  Djizak,  Sa- 
markand, Merv,  Bakou  et  Batoum. 

M"®  Massieu  (XXII,  p.  304),  après  son  voyage  en  Indo-Chine  méri- 
dionale, s'est  rendue  à  Lao-Kay  et  a  parcouru  une  grande  partie  du 
Hautr-Tonkin  poussant  jusqu'aux  lacs  Ba-bé,  à  Cao-bang  et  à  la  porte 
de  Chine.  Elle  s'est  embarquée  ensuite  à  Haïphong(lOjuin)  pour  Hong- 
Kong.  De  là,  elle  s'est  rendue  dans  l'intérieur  de  la  Chine  pénétrant 
jusqu'à  I-chang  (province  de  Hou-pé)  à  1.600  kilomètres  de  la  mer.  sur 
le  Yang-Tsé.  Passant  ensuite  par  le  nord,  elle  est  entrée  en  Sibérie  et 
est  arrivée  en  décembre  1897  à  Tachkend,  dans  le  Turkestan,  après 
avoir  traversé  l'Asie  de  l'est  à  l'ouest. 


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NOUVELLES  GEOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 

AFRIQUE 

Sahara  :  Les  assassins  du  M^*  de  Mores.  —  Le  chef  du  poste  d'Ouargla, 
ayant  acquis  la  certitude  qu'un  dissident,  nommé  Elkheir  ben  Abd  el  Kader, 
un  des  assassins  du  m'»  de  Mores,  se  trouvait  campé  avec  une  tente  de  Toua- 
reg, à  quelques  kilomètres  de  la  zaouïa  de  Temassinin,  se  proposa  de  le  faire 
enlever.  Le  il  octobre,  le  caïd  Ali  ben  Braïm,  quittait  Ouargla,  à  la  tête 
d'un  goum  de  53  hommes  montés  sur  des  méhari.  En  arrivant  à  Temassinin, 
il  se  dirigea  vers  le  campement.  Deux  guides  pénétrèrent  seuls  dans  la  tente 
des  Touareg,  et  annoncèrent  que  des  Châamba,  recherchant  des  troupeaux 
volés,  désiraient  parler  à  Bl-Kheir.  Celui-ci,  qui  se  trouvait  dans  la  fente, 
mis  en  éveil,  sortit  précipitamment,  monta  sur  son  mehara  et  réussit  à 
prendre  la  fuite,  à  la  faveur  de  la  nuit  tombante.  Le  cald  disposa  alors  ses 
hommes  autour  de  la  tente,  attendant  le  retour  d'El  Kheir.  Il  revint,  en 
effet  bientôt,  tenant  en  main  son  méhara.  Mais  prévenu  qu'on  le  recherchait, 
il  lâcha  sa  béte  et  prit  la  fuite  de  nouveau. 

Dès  le  lendemain  malin,  la  poursuite  commença.  Les  cavaliers  apercevant 
El  Kheir  firent  feu  sur  lui  et  le  blessèrent  à  la  jambe.  Mais  il  put  cependant 
leur  échapper,  grâce  à  des  replis  de  terrain.  Les  recherches  sous  la  direction 
du  caïd,  continuèrent  sans  résultat  jusqu'au  soir,  où  les  cavaliers,  craignant 
de  s'égarer  dans  une  région  qui  leur  était  inconnue,  se  replièrent  vers  la 
zaouia.  Eu  arrivant,  le  caïd  se  fit  immédiatement  livrer  la  smala  d'El  Kheir, 
composée  de  sa  femme,  sa  belle-mère,  cinq  enfants,  et  prit  également  les 
objets  que  renfermait  sa  tente  :  un  méhara  et  treize  chamelles,  bêtes  qui, 
presque  toutes,  avaient  été  volées  par  El  Kheir.  Le  caïd  conduisit  le  tout  à 
Ouargla,  où  cette  famille  sera  gardée  comme  otage. 

La  conduite  du  caïd  Ali  est  à  remarquer,  bien  que  sa  mission  n'ait  pas  eu 
un  succès  complet.  Il  a  pu  obtenir  la  neutralité  des  Touareg  et,  bien  que 
ces  derniers  aient  probablement  favorisé  la  fuite  d'El  Kheir,  il  est  parvenu 
à  se  fîadre  livrer  par  eux  la  famille  du  fuyard. 

Sénégal  :  Troubles  e/ec(oraua;.— Les  élections  au  conseil  général  qui  vien- 
nent d'avoir  lieu  au  Sénégal  ont  été  la  cause  à  S^-Louis  de  désordres  em- 
preints d'un  caractère  de  gravité  qu'il  n'est  pas  possible  de  dissimuler.  Les 
noirs  «*e  sont  livrés  à  des  manifestations  tumultueuses  aux  cris  de  :  A  bas  la 
France,  et  ont  mis  à  sac  un  certain  nombre  de  maisons.  Ces  incidents  mon- 
trent une  fois  de  plus  le  mauvais  usage  que  les  indigènes  font  des  droits 
électoraux  qui  leurt)nt  été  octroyés  sans  raison,  et  fournissent  un  argument 
de  plus  aux  adversaires  du  système  représentatif  aux  colonies.  On  sait  qu'en 
Cochinchine  les  trois  quarts  des  électeurs  sont  des  fonctionnaires,  que  dans 
rinde  française  les  électeurs,  presque  tous  des  natifs,  sont  embrigadés  comme 
un  troupeau.  On  pourrait  multiplier  les  exemples  sans  pouvoir  mettre  en 
r^ard  les  avantages  que  les  colonies  tirent  du  suffrage  universel. 

XXIII  (Janvier  98).  N-  229.  4 


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50  REVUE  FRANÇAISE 

Les  Anglais,  autrement  pratiques  en  matière  coloniale,  s'ils  ont  doté  du 
self-govemment  leurs  colonies  à  population  blanche,  ont  eu  bien  garde  d'agir 
de  môme  pour  leurs  autres  possessions.  En  Sénégambie,  à  Sierra-Leone  où 
ils  sont  depuis  plus  d'un  siècle,  les  indigènes  ont  accès  aux  fonctions  pu- 
bliques, mais  ne  participent  point  à  la  gestion  des  affaires  de  la  colonie. 
Nous  autorisant  de  ces  exemples,  il  faut  avoir  la  volonté  de  revenir  en 
arrière  et  d'enlever  le  droit  de  suffrage  à  des  indigènes  qui  n'en  comprennent 
pas  la  valeur  et  en  font  si  mauvais  usage.  Les  manifestations  nettement 
antifrançaises  des  noirs  de  S'-Louis  appellent  une  réforme  radicale  sous  ce 
rapport.  Il  faut  éviter  avant  tout  que  les  passions  politiques  soient  une  cause 
de  décadence  pour  une  des  plus  françaises  de  nos  colonies.  Le  Sénégal,  en 
effet,  qui  fait  environ  45  millions  d'affaires  par  an,  a  son  commerce  presque 
exclusivement  aux  mains  des  Français,  fait  fort  rare  dans  nos  colonies.  Sur 
216  navires  entrés  dans  les  ports  sénégalais  en  1896,  144  portaient  pavillon 
français.  C'est  une  proportion  qu'on  ne  trouve  nulle  part  et  un  fait  qui 
mérite  d'être  signalé. 

Soudan  français  :  Touareg  battus.  —  La  mort  des  lieutenants  de  spahis 
de  Chevigné,  de  Latour  de  S*-Ygest,  et  des  spahis  tués  à  Rhergo,  par  les 
Touareg,  le  19  juin  1897,  est  aujourd'hui  vengée.  A  la  première  nouvelle  de 
cet  échec,  le  colonel  de  Trentinian  envoya  une  reconnaissance  vers  le  terri- 
toire des  Touareg  Rerabisch  et  Kel  Antassar.  Il  fit  former  une  colonne  com- 
prenant trois  compagnies  de  tirailleurs  soudanais,  de  l'artillerie  et  deux 
pelotons  de  spahis.  Cette  force  était  destinée  à  opérer  par  voie  de  terre,  con- 
curremment avec  une  autre  qui  agirait  par  le  Niger,  et  comprenait  une  com- 
pagnie de  tirailleurs  soudanais  embarqués  sur  les  chalands  de  la  flottille  du 
fleuve  et  appuyés  pai*  une  canonnière.  Ce  petit  corps  était  commandé  par  les 
chefe  de  bataillon  d'infanterie  de  marine  Goldschen  et  Klobb. 

La  colonne  prit  la  direction  de  Bamba,  situé  à  150  kil.  à  l'est  de  Tombouctou 
et  non  loin  de  la  rive  gauche  du  Niger.  La  colonne  prit  contact,  vers  le  mi- 
lieu de  septembre,  avec  plusieurs  partis  touareg  et  leur  infligea  une  déroute 
complète.  Nos  troupes  délivrèrent  300  prisonniers  faits  dans  les  derniers 
rezzous  et  dont  les  Touareg  se  servaient  comme  esclaves,  plus  d'autres  es- 
claves, en  grand  nombre,  affectés  à  la  garde  des  troupeaux.  Un  grand  butin 
tomba  en  même  temps  en  notre  possession.  La  médaille  militaire  a  été  con- 
férée aux  maréchaux  des  logis  Pichon  et  d'Abel  de  Libran  blessés  à  l'affaire 
de  Rhergo. 

Traité  avec  les  Aouélimiden,  —  Le  lieutenant  de  Chevigné,  tué  à  Rhergo, 
avait  signé  au  mois  de  mai  un  important  traité  de  protectorat  avec  les  Aoué- 
limiden. La  confédération  des  Touareg  Aouélimiden  est  très  importante. 
L'autorité  de  son  aménokal,  Madidou,  s'étend  du  Mossi  à  l'Aïr  et  du  massif 
Hoggar  jusqu'à  Sokoto.  Le  lieutenant  de  vaisseau  Hourst,  au  cours  de  sa  des- 
cente du  Nigei',  avait  engagé  des  relations  avec  Madidou  et  jeté  les  bases 
d'une  entente*  Madidou  acœptait  de  recevoir  nos  commerçauts  et  promettait 
de  se  rendre  dans  nos  postes  du  Soudan.  Chargé  de  mettie  à  profit  ces  bonnes 


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NOUVELLES  GÉOGRAPfflQUES  Et  COLONIALES  SI 

dispositions,  M.  de  Chevigné  rencontra,  le  13  mai,  à  Imentabomak,  le  repré- 
sentant de  l'améflokal,  ce  même  Djamarata  qui  avait  connu  le  lieutenant 
Hourst,  et  sifena  avec  lui  la  convention  suivante  : 

Art.  1^.  —  Les  Français  et  les  Aouélimiden  s'engagent  à  vivre  en  bonne 
et  solide  amitié. 

Les  Aozélimiden  s'engagent  à  ne  conclure  désormais  aucun  traité  d'alliance 
ou  de  commerce  avec  d'autres  nations  que  par  l'intermédiaire  des  autorités 
françaises. 

Art.  2.  —  Les  Français  s'engagent  à  respecter  les  usages,  lés  mœiirs  et  h 
religion  des  Aouélimiden. 

Art.  3.  —  Les  Français,  seuls,  pourront  circuler  librement  en  tout  temps, 
se  livrer  au  commerce  ou  à  leurs  études  dans  le  pays  dés  Aouélimiden  et  y 
seront  protégés  dans  leurs  personnes,  leurs  biens  et  leurs  usages  comme 
s'ils  appartenaient  à  la  tribu,  à  la  condition  de  ne  violer  en  rien  les  lois,  les 
coutumes  et  la  propriété. 

De  m(^me,  les  Aouélimiden  pourront  ciix^uler  et  commercer  sur  les  terri- 
toires soumis  à  l'action  de  la  France.  Ils  y  seront  protégés  comme  les  gens 
du  pays,  à  la  «condition  de  ne  violer  en  rien  les  lois,  les  coutumes  et  la 
propriété. 

Art.  4.  —  Nos  caravanes  pourront  circuler  librement  en  tout  temps  chez 
les  Aouélimiden  sans  être  molestées  en  quoi  que  ce  soit  ni  par  qui  que  ce  soit. 

Les  Aouélimiden,  leurs  vassaux  et  leurs  noirs  s'engagent  à  fournir,  contre 
rétribution,  des  guides,  des  vivres  et  des  moyens  de  transport  à  nos  caravanes. 

Art.  5.  —  Des  conventions  postérieures  pourront  être  faites  et  régleront 
les  questions  qui  ne  sont  pas  élucidées  dans  ce  traité,  ou  que  la  pratique  et 
le  développement  des  relations  viendraient  à  soulever. 

Art,  6.  —  Selon  l'usage,  le  présent  traité  sera  soumis  â  la  ratification  de 
qui  de  droit. 

Fait  et  signé  en  double  expédition,  à  Imentabomack,  le  quatorze  mai  1897. 
Lieutenant  U.  de  Chevigné,  Salah  Djamarata. 

Mohamed  ben  Saîd. 
Mohamed  ould  Bisrat. 

Le  21  mai,  M.  de  Chevigné  rentrait  à  Tombotictou, 

Ce  traité  a  une  grande  importance,  car  il  assure  le  libre  passage  dans 
toute  la  région  qui  forme  le  coude  du  Nifeer  enti^  Tombouctou  et  Say  et 
permet,  par  suite,  le  ravite^Uement  par  la  voie  dii  fleuve,  au  moins  jusqu'aux 
rapides  d'Ansongo,  de  la  r^on  au  nord  de  Say. 

Les  Anglais  à  Bondoukou,  —  Le  gouverneur  de  la  colonie  anglaise  de  la 
Côte  d'Or,  sir  William  Maxwell,  qui  vient  de  mourir,  avait  entrepris,  l'été 
dernier,  un  voyage  sur  les  confins  des  territoires  de  la  Côte  d'Ivoire  et  de 
Samory,  afin  de  surveiller  les  mouvements  de  ce  dernier  ainsi  que  ceux  des 
Français.  L'éxpéditioii  pénétra  par  deux  fois  dans  Bondoukou  qui  était 
inoccupé,  et  y  séjourna  pendant  3  semaines.  Après  avoir  parcouru  la  région 
sans  rencontrer  de  Français,  sir  Maxwell  quitta  Bondoukou  à  la  fin  d'octobre 


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-.-F 


52  REVUE  FRANÇAISE 

après  y  avoir  laissé  une  garnison  de  400  hommes  environ  sous  les  ordres  du 
capitaine  Montgomery  Campbell.  Une  protestation  ayant  été  adressée  contre 
Foccupation  de  Bondoukou,  qui,  à  la  suite  des  travaux  de  délimitation  de 
la  commission  franco-anglaise  que  dirigeait  le  capitaine  Binger,  avait  été 
reconnue  partie  intégrante  de  la  colonie  française  de  la  Côte  d'Ivoire,  les 
Anglais  ont  évacué  cette  ville  qui  a  été  occupée  par  Tadministrateur  Clozel 
avec  une  troupe  de  miliciens.  Il  est  difficile  d'expliquer  cette  incursion  des 
Anglais  à  Bondoukou,  ce  point  Ogurant  sans  conteste  sur  les  cartes  anglaises 
comme  situé  en  territoire  français. 

Les  Anglais  à  Bouna.  —  Une  dépêche  adressée  de  Kintampo,  dans  l'hin- 
terland  de  la.  Côte  d'Or  anglaise,  annonce  que  le  major  Jenkinson  a  occupé, 
le  17  novembre,  sans  résistance,  la  ville  de  Bouna,  où  le  capitaine  Braulot  a 
été  massacré. 

Bouna  est  située  entre  le  40*^  et  le  50*  méridien,  presque  exactement  sur 
le  8®  parallèle  nord,  à  plus  de  50  kilomètixîs  dans  Test  de  la  frontièi*e,  entre 
la  Côte  d*Or  et  notre  Cote  d'Ivoire,  en  plein  dans  les  limites  assignées  à 
celles-ci  par  une  commission  de  délimitation  franco-anglaise.  Les  cartes  an- 
glaises et  françaises  sont  parfaitement  d'accord  sur  ce  point.  Les  Anglais, 
dit  à  ce  propos  le  Tempsy  ont  renouvelé  la  tentative  qu'ils  avaient  précédem- 
ment faite  sur  Bondoukou,  autre  point  de  la  Côte  d'Ivoire,  qu'ils  durent 
évacuer  quand  on  leur  eut  fait  observer  qu'ils  s'installaient  sans  aucun  droit 
chez  nous.  Leur  coup  sur  Bouna  aura  certainement  les  mêmes  résultats,  car 
rien  ne  permet  de  contester  nos  droits. 

Dahomey  :  Nos  forces  dans  l'Hinterland.  —  D'après  un  arrêté  inséré  au 
journal  officiel  du  Dahomey  le  15  nov.  1897,  le  commandant  d'infanterie  de 
marine  Ricour  a  été  nommé  provisoirement  et  sauf  ratification  commandant 
supérieur  du  haut  Dahomey.  Cet  officier  supérieur  aura  sous  ses  ordres 
directs  les  résidents  du  moyen  Niger,  du  Borgou,  du  Gourma,  et  du  Djougou- 
Kouandé  et  comme  troupes,  la  7^  compagnie  de  tirailleurs  sénégalais  (capi- 
taine Chartrain),  la  8®  compagnie  (capitaine  Garnier),  la  1^  compagnie  de 
tirailleurs  auxiliaires  sénégalais  (capitaine  Dumoulin),  la  1«  compagnie  de 
tirailleurs  auxiliaires  haoussas  (capitaine  Duhalde),  la  ^^  compagnie  de 
gardes  indigènes  du  Dahomey  (inspecteur  Pan  nier)  et  la  3«  compagnie  (ins- 
pecteur de  Bournazel),  soit  en  tout  6  compagnies  représentant  moins  d'un 
millier  d'hommes.  On  voit  combien  ces  effectifs  sont  peu  de  chose  en  com- 
paraison des  3  à  4.000  indigènes  réguliers  que  les  Anglais  ont  rassemblé  au 
Lagos  et  au  Niger. 

Traités  ratifiés.  —  Le  Bulletin  officiel  du  ministère  des  colonies  pour  le 
mois  d'octobre  dernier  contient  la  ratification,  par  le  président  de  la  Répu- 
blique, des  traités  signés  avec  le  chef  du  Gourounsi  (Soudan),  le  19  sep- 
tembre 1896  par  le  lieutenant  Voulet;  avec  le  chef  de  Aseydou-Belelé  (au 
sud  du  Gourounsi),  le  20  mars  1897,  par  le  lieutenant  Chanoine;  avec  les 
chefs  de  Pabégou,  Birni,  Niéro,  Kouandé,  pays  au  nord  du  Dahomey,  pen- 
dant les  mois  de  février  et  mars  1897,  par  M.  Portes,  administrateur  colo- 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  53 

niai,  et  M.  Molex,  inspecteur  de  la  garde  civile  indigène  ;  avec  le  chef  de 
Baniguara,  au  nord  du  Dahomey,  le  20  mai  1897,  par  M.  Molex;  avec  les 
chefs  de  Guilmaro,  Lamboanti,  Namsougou,  Kodja,  pays  au  nord  du  Daho- 
mey, pendant  le  mois  de  mai  1897,  par  le  capitaine  Garnier. 

Oubangui  :  La  mission  Marchand  (t.  XXII,  p.  689).  —  Dans  les  premiers 
jours  de  décembre  une  dépêche  de  source  belge  annonçait  que  la  mission 
Marchand  avait  été  massacrée.  Des  avis  ultérieurs  de  même  source  précisaient 
la  nouvelle  en  disant  que  2  officiers  seulement  avaient  échappé  et  parmi  eux 
le  capitaine  Marchand.  En  France,  au  ministère  des  colonies,  on  ne  savait 
rien.  Le  gouverneur  du  Congo,  interrogé,  répondit  que  rien  ne  permettait 
de  considérer  la  nouvelle  comme  exacte.  Le  Mouvement  géographique  qui 
Pavait  lancée  ne  put  que  s'en  référer  à  une  dépêche  privée  qui  n'indiquait 
ni  le  lieu,  ni  la  date  du  désastre.  Depuis  bientôt  un  mois  rien  de  nouveau 
n'est  connu.  Mais  on  a  appris  que  la  rumeur  lancée  par  un  télégramme  de 
Bruxelles  était  connue  au  Congo  depuis  le  milieu  d'octobre  et  on  a  même 
publié  une  lettre  de  M.  de  Béhagle,  de  la  même  date,  sofFrant  avec  les 
150  fusils  de  sa  mission,  en  cas  de  désastre.  On  se  demande  alors  comment 
pareille  dépêche  a  pu  être  lancée  comme  nouvelle  alors  qu*il  s'agissait  d'un 
bruit  connu  depuis  plus  de  G  semaines. 

Un  incident  dans  la  marche  de  la  colonne  s'était  produit  le  7  mai  :  7  tirail- 
leurs et  13  pagayeurs  restés  en  arrière  avaient  été  tués  et  mangés  par  les 
indigènes.  C'est  peut-être  cet  événement  qui  a  donné  lieu  aux  bruits  sinistres 
qui  ont  été  répandus. 

Une  des  dernières  lettres  reçues  du  capitaine  Marchand  est  du  17  juin  4897. 
Dans  cette  lettre  il  annonce  son  arrivée  à  Semio  le  même  jour  ayant  amené 
avec  lui  ses  2.200  charges.  Une  partie  était  déjà  partie  en  avant  avec  le  pre- 
mier détachement,  arrivé  à  Tamboura,  dans  le  bassin  du  Nil.  Du  côté  du 
nord  Dem  Ziber  avait  été  occupé  le  l^f  juin  par  M.  Liolard  qui  préparaît 
depuis  18  mois  sa  marche  en  avant  et  qui  a  pu  réaliser  son  projet  grj\ce  aux 
3.000  charges  qui  lui  ont  été  amenées  par  le  capitaine  Marchand,  en  plus  de 
celles  de  ce  dernier.  Le  capitaine  Marchand  espérait  voir  flotter  le  drapeau 
tricolore  sur  Djour  Gattas  dans  le  milieu  de  juillet  et  sur  Meschra  el  Heck 
un  mois  plus  tard. 

Airique  australe  anglaise  :  Télégraphe.  —  La  ligne  télégraphique 
qui  part  du  Cap  et  que  les  Anglais  espèrent  prolonger  jusqu'au  Caire,  avait 
atteint  l'extrémité  méridionale  du  lac  Nyassa  le  20  juillet  1897.  Depuis  lors 
les  travaux  se  poursuivent  activement.  On  vient  de  tracer  et  de  préparer  le 
tronçon  entre  le  sud  du  Nyassa,  dernière  station  actuelle  et  la  rive  sud  du 
Tanganika,  en  longeant  le  Nyassa.  Les  ingénieurs  pensent  pouvoir  inaugurer 
cette  nouvelle  section  en  avril  1898  et  commencer  celle  qui  doit  aboutir  au 
Nyanza  (lac  Albert-Edouard)  au  sujet  duquel  des  pourparlers  spnt  entamés 
avec  rÉtat  limitrophe  du  Congo.  On  espère  ainsi  réunir  bientôt  le  Cap  à  l'Ou- 
ganda, par  le  télégraphe.  On  voit  que  les  Anglais,  qui  sont  tenaces  dans  leurs 


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H  REVUE  FRANÇAISE 

projets  n'ont  pas  abuidoimé  l'idée  de  créer  une  ligne  télégraphique  anglaise 
sur  le  territoire  de  l'État  du  Congo. 

Madagascar  :  Situation»  —  Sauf  dans  la  région  sakalave  de  l'ouest,  la 
situation  reste  satisfoisante.  A  la  suite  de  la  prise  du  rocher  presque  inac- 
cessible d'Ikongo,  sur  lequel  étaient  retranchées  les  tribus  rebelles  des 
Tanalas,  le  calme  a  reparu  dans  la  région.  Au  Qord,  le  l*-colonel  ^yautey  a 
organisé  la  liaison  entre  les  régions  paciflée§  du  plateau  central  et  celles  de 
Majunga. 

Les  travaux  de  la  route  de  T^j^arive  ù.  la  côte  est  avancent  de  plus  en 
plus;  les  voitures  circulent  sur  un  parcours  d'environ  150  kilomètres. 

Le  dernier  chef  rebelle  du  Bouéni,  Rainitavy,  a  fait  sa  soumission  le  23  no- 
vembre. La  prise  de  sa  résidence,  Mosokoamena,  coûta  la  vie  au  lieutenant 
Berge.  Pour  l'en  déloger  il  fallut  quelques  centaines  d'hommes  et  plusieurs 
jours  de  lutte,  mais  Rainitavy  réussit  à  s'enfuir. 

Au  sud,  les  communications  sont  ouvertes  entre  Fianarantsoa  et  Fort-Dau- 
phin. 

—  l^e  commandant  du  génie  Roques  est  arrivé  à  Marseille  le  23  décembre 
apportant  une  étude  complète  sur  le^  projets  de  chemin  de  fer  et  de  roule 
de  Tananarive  à  la  côte  orientale  et  d'amélioration  du  port  de  Tamalave. 

—  Par  décision  du  7  décembre,  le  c€^itaine  de  vaisseau  Huguet  a  été 
nommé  au  commandement  de  la  division  navale  de  l'Océan  Indien,  où  il 
succède  au  capitaine  de  vaisseau  Le  Dô. 

Route  de  Majunga,  —  On  a  été  fort  surpris,  à  Tananarive,  de  voir  arriver 
le  10  novembre,  sur  la  place  Jean-Laborde,  un  convoi  de  25  voitures  Lefèvre 
chargées;  c'est,  en  effet,  la  première  fois  que  des  voitures  parties  de  la  côte 
parviennent  [à  Tananarive.  Ces  véhicules,  traînés  par  des  mulets,  ont 
effectué  en  4  jours  le  trajet  d'Ankazobé  à  la  capitale  par  la  nouvelle  route. 
Amenés  de  Majunga  à  Suberbieville  par  des  chalands,  ils  ont  mis  8  jours 
pour  aller  de  Suberbieville  à  Andriba  et  6  d'Andriba  è  Ankazobé,  soit 
18  jours  de  Suberbieville  à  Tananarive.  100  de  ces  voitures  ont  déjà  atteint 
Andriba  et  50  sont  à  Ankazobé.  Cet  événement  démontre  la  viabilité  de  la 
nouvelle  route  de  Majunga.  C'est  grâce  au  l*-colonel  Lyautey  que  ce  résultat 
a  été  obtenu;  avec  des  crédits  insignifiants  et  quelques  mois  de  travail,  il  a 
prouvé  que  le  ravitaillement  de  Tananarive  était  autrement  facile  par  la 
côte  ouest  que  par  Tamatave. 

La  pénétration  au  Ménabé.  —  A  l'ouest  du  plateau  central  se  trouve  une 
vaste  contrée  connue  sous  le  nom  de  Betsiriry,  qui  présente  des  richesses 
aurifères  et  agricoles  considérables.  I^  partie  la  plus  riche  est  comprise 
entre  2  rivières,  le  Mahajilo  et  la  Mania  qui,  en  se  réunissant,  forment  la 
Tsiribihina.  Tout  le  cours  atteint  à  peine  une  longueur  de  110  kilomètres 
jusqu'à  la  mer.  Ensuite  commence  le  Ménabé. 

C'est  par  le  Betsiriry  que  la  pénétration  a  commencé.  Les  Sakalaves  de  la 
région  ayant  repoussé  nos  ouvertures  et  refusé  de  libérer  leurs  esclaves, 
furent  battus  le  14  août  et  firent  leur  soumission.  Nos  troupes  se  portèrent 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  55 

ensuite  dans  le  Ménabé.  Ce  pays  était  placé  sous  Tautorité  de  deux  rois  qui, 
quoique  firères,  étaient  en  lutte  continuelle.  L'un  d'eux,  Inguereza,  nous  fit  un 
accueil  conciliant.  L  autre,  Toéra.  se  montra  nettement  hostile.  Le  30  août, 
il  fut  tué  après  un  combat  assez  vif  à  Ambiki,  sa  capitale,  qui  tombait  entre 
nos  mains.  Le  Ménabé  fut  alors  organisé  et  des  postes  furent  établis  sur  les 
points  les  plus  importants. 

Le  commandant  Gérard,  chef  de  la  colonne  d'occupation,  quitta  ens^ite  Je 
Ménabé  pour  aller  organiser,  dans  le  sud,  la  région  de  Mahabo,  à  l'est  de 
Monrondava,  puis  il  se  rendit  par  mer  à  Benjavilo,  à  l'embouchure  du 
Manambolo,  et  y  organisa  un  nouveau  district.  C'est  alors  que  se  produisit 
la  révolte  des  Sakalaves  du  commencement  d'octobre. 

Le  chef,  Inguereza,  obéissant  aux  instigations  des  marchands  arabes  de 
rinde,  établis  sur  le  littoral,  fomenta  une  révolte  générale  des  Sakalaves 
de  la  région.  Presque  tous  les  postes  du  Ménabé  furent  attaqués  en  même 
temps.  Mais,  sur  les  25  établis  dans  la  contrée,  un  seul,  qui  ne  compre- 
nait qu'un  faible  détachement,  le  poste  d'Ankalalobé,  tomba  aux  mains  des 
Sakalaves.  Partout  ailleurs,  les  révoltés  furent  repoussés.  Le  l'  Chambaud, 
resté  seul  avec  quelques  hommes  à  Ankalalobé,  a  été  tué  ainsi  que  plusieurs 
de  ses  tirailleurs.  Ambiky,  où  commandait  le  capitaine  Mazillier,  a  repoussé 
toutes  les  attaques.  Mais  le  1^  Turquois  a  été  mortellement  frappé  (5  oct.). 

Ces  incidents  démontrent  combien  il  faut  se  méfier  des  Sakalaves  dont  la 
fourberie  et  l'amour  du  pillage  ne  sont  que  trop  connus.  Le  l*-colonel  Sep- 
tans,  récemment  arrivé  à  Majunga,  a  été  envoyé  avec  une  colonne  chaînée 
de  réduire  les  insurgés. 

Écoles  françaises.  —  Si  dans  plus  d'une  colonie  française  les  écoles  sont 
rares  et  les  élèves  peu  nombreux,  il  n'en  est  pas  de  même  à  Madagascar, 
Dans  sa  récente  tournée  à  l'ouest  de  Tananarive  et  au  Betsiléo,  le  général 
Gallieni  a  pu  constater  le  développement  que  prend  l'enseignement  de  la 
langue  française,  grâce  aux  nombreuses  écoles  dirigées  par  les  nc^issionnaires 
français.  Quelques  chiffres  vont  le  démontrer. 

A  Ambositra,  dans  son  unique  école,  le  Père  Fabre  ne  réunit  pas  moins 
de  800  élèves,  garçons  et  filles.  Le  P.  Fabre,  qui  est  à  Madagascar  depuis 
24  ans,  dirige,  à  lui  seul  Européen,  toutes  les  écoles  catholiques  du  district, 
c'est-à-dire  50  écoles  ne  comptant  pas  moins  de  18.000  élèves.  A  Ambohi- 
masoa,  le  P.  Fontainier  dirige  l'instruction  de  700  enfants  et  de  près  de 
45.000  dans  tout  le  district.  A  Fianarantsoa,  où  se  trouvent  des  écoles  de 
Frères  et  de  Sœurs,  les  résultats  obtenus  sont  remarquables.  A  Soavinan- 
driana,  l'école  catholique  est  dirigée  par  un  instituteur  malgache  qui  a  com- 
battu les  Sakalaves  dans  nos  rangs.  A  Arivonimemo,  le  P.  Gardes,  qui  n'a 
pas  fondé  moins  de  96  écoles,  fait  construire  une  école  normale.  Enfin,  à 
Tananarive,  les  Frères  des  écoles  chrétiennes  viennent  d'ouvrir  5  nouvelles 
écoles.  Grâce  à  l'arrivée  de  15  nouveaux  Frères,  le  nombre  des  élèves  des 
écoles  françaises  de  la  capitale  pourra  être  considérablement  augmenté. 

Partout  —  c'est  le  Journal  Officiel  de  Madagascar  qui  le  déclare  —  le  général 


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56  REVUE  FRANÇAISE 

Gallieni  s*est  montré  satisfait  des  résultats  obtenus  par  nos  missionnaires. 
Les  Malgaches  ^  hormis  les  Sakalaves  —  sont,  on  le  sait,  généralement 
studieux  et  désireux  d'apprendre.  En  multipliant  les  écoles  françaises,  on 
créera  parmi  eux  une  jeune  génération  sympathique  et  même  dévouée  à  la 
France. 

Tremblements  de  terre.  —  Le  mois  de  novembre  a  été  marqué  par  de  nom- 
breuses secousses  de  tremblements  de  terre,  qui  se  sont  produites  dans 
diverses  r^ons  de  Tile.  A  Tananarive,  elles  se  aont  fait  sentir  avec  une 
intensité  marquée  et  ont  occasionné  quelques  dégâts.  Dans  la  région  volca- 
nique du  lac  Itasy,  les  commotions  ont  été  si  violentes  que  les  indigènes  ont 
quitté  précipitamment  leurs  cases  au  milieu  de  la  nuit  et  sont  resti^  dehors 
jusqu'au  jour.  Le  Temps  donne,  à  ce  propos,  les  curieuses  explications  que 
fournissent  les  indigènes  sur  ces  phénomènes  souterrains.  Pour  certains,  ils 
proviennent  de  ce  qu'une  baleine  se  retourne  brusquement  sur  le  dos  dans 
la  mer.  D'autres  attribuent  ces  secousses  au  frétillement  puissant  et  joyeux 
d'une  béte  gigantesque  vivant  sous  terre  et  qui,  privée  d'eau  pendant  les 
7  mois  de  la  saison  sèche,  témoigne,  en  se  trémoussant,  de  sa  vive  satislac- 
tion  de  la  chute  des  premières  pluies,  grâce  auxquelles  il  lui  est  enfin  pos- 
sible de  boire  et  de  se  laver. 

Eiythrée  :  Rétrocession  de  Kassala,  —  Les  négociatiohs  entamées  entre 
l'Italie  et  l'Angleterre  au  sujet  de  la  rétrocession  à  l'Egypte  du  territoire  de 
Kassala  ont  abouti  à  un  arrangement  qui  a  été  mis  à  exécution.  Le  colonel 
Parsons,  gouverneur  anglais  de  Souakim,  a  débarqué  à  Massouah  avec  un 
corps  de  troupes,  et  s'est  dirigé  vers  Kassala  en  traversant  l'Erythrée.  1^ 
25  décembre,  Kassala  a  été  remis  aux  Anglo-Egyptiens.  450  Ascaris  régu- 
liers et  150  appartenant  à  diverses  bandes  ont  passé  au  service  des  Anglo- 
Egyptiens,  Les  officiers  italiens  ainsi  que  les  troupes  indigènes  restées  au 
service  de  l'Italie  ont  pris  la  route  de  Reren  et  du  littoral.  Une  indemnité 
sera  payée  à  l'Italie  pour  la  valeur  des  armes  et  des  approvisionnements  qui 
resteront  dans  la  place. 

La  ville  de  Kassala,  qui  était  autrefois  le  centre  d'un  commerce  important 
entre  le  Nil  et  la  mer  Rouge,  appartenait  à  l'Egypte  jusqu'au  moment  où  la 
révolte  du  Soudan  la  fit  tomber  au  pouvoir  du  mahdi.  Elle  avait  été  prise 
par  le  général  Baratieri  en  1894  et  les  Italiens  l'occupaient  depuis  cette 
époque. 

ASIE  ET  DIVERS 

Chine  :  Les  Allemands  à  Kiao-Tchéou  (XXII,  p.  743).  —  On  annonce  que 
le  gouvernement  chinois,  dans  l'espoir  de  hâter  l'évacuation  de  la  baie  de 
Kiao-Tchéou,  aurait  accepté  sans  conditions  et  avec  une  promptitude  Incon- 
nue à  la  cour  de  Pékin,  les  demandes  du  gouvernenrient  allemand,  à  savoir  : 
compensation  pour  les  familles  des  missionnaires  assassinés  au  Chan-Toung  ; 
érection  d'une  église  commémorative  à  Tsi-Ning-Tchéou  sur  le  grand  canal 
et  d'une  tablette  impériale  à  Kuye;  dégradation  du  gouverneur  Li-Ping- 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  57 

Hing,  qui  allait  devenir  vice-roi  du  Sé-Tchouen;  paiement  des  dépenses 
nécessitées  par  Toccupation  de  Kiao-Tchéou;  privilèges  de  mines  et  de  che- 
mins de  fer,  non  seulement  au  Chan-Toung,  mais  ailleurs,  et  pareils  à  ceux 
énoncés  dans  le  premier  paragraphe  de  l'article  5  de  la  convention  française 
da  mois  de  juin  1895. 

Mais  le  gouvernement  allemand  n'entend  pas  abandonner  ainsi  la  station 
navale  qu'il  vient  d'occuper  et  dont  le  massacre  des  missionnaires  lui  a 
fourni  le  prétexte.  Aussi  a-t-il  résolu  de  maintenir,  jusqu'à  nouvel  ordre, 
l'occupation  de  Kiao-Tchéou.  Bien  plus,  il  a  fait  partir,  malgré  la  soumis- 
sion de  la  Chine,  les  renforts  en  bâtiments  et  en  hommes  qu'il  préparait. 
Ces  renforts  comprennent  une  2®  division  navale  placée  sous  les  ordres  du 
prince  Henri  de  Prusse  et  600  hommes  d'infanterie  de  marine.  Le  16  décembre, 
en  présence  de  Guillaume  II,  qui  a  donné  à  ce  départ  une  pompe  théâtrale, 
le  prince  Henri  a  quitté  Kiel  avec  le  vieux  cuirassé  Deuischland,  de  7.676 
tonnes,  8.000  chevaux  et  14  nœuds,  que  suivait  le  croiseur  Gefion.  Lorsque 
le  prince  Henri  aura  rejoint  à  JKiao-Tchéou  la  division  navale  de  l'amiral 
Diederichs,  les  forces  navales  qui  seront  réunies  en  Extrême-Orient,  vers  la 
fin  de  janvier,  seront  ainsi  composées  :  3  navires  de  1®  classe  :  Kaiser, 
Deutschland,  Kœnig-Wilhelm ;  3  croiseurs  de  2®  classe  :  Kaiserin-Augusta, 
Prinz-Wilhelrriy  Irène;  2  croiseurs  de  3^  classe  :  Gefion^  Arcona;  2  croiseurs 
de  4*^  classe  :  Cormoran,  Geier.  Ces  dix  navires  ont  4.010  hommes  d'équipage 
et  de  troupes  et  134  canons  de  gros  calibre.  , 

Dans  cette  même  province  de  Chan-Toi\ng,  où  est  situé  Kiao-Tchéoii,  se 
trouvent  aussi  les  ports  de  Tchéfou  et  de  Weï-IIaï-Weï  que  détiennent  tou- 
jours les  Japonais  en  garantie  de  l'indemnité  de  16  millions  de  livres  sterling 
que  doivent  leur  payer  les  Chinois. 

Les  Russes  à  Port-Arthur.  —  Les  Allemands  avaient  à  peine  pris  possession 
de  Kiao-Tchéou  que  les  Russes  craignant  une  manifestation  du  même  genre 
d'une  autre  puissance  sur  les  cotes  de  la  Chine,  envoyaient  leur  flotte  prendre 
ses  quartiers  d'hiver  à  Port-Arthur,  mais  avec  cette  différence  que  cet  acte 
s'accomplissait  d'accord  avec  le  gouvernement  de  Pékin.  Il  est  probable 
que  cet  hivernage  prendra  les  caractères  d'une  occupation  provisoire  qui,  elle- 
même,  se  changera  sans  doute  en  occupation  permanente.  Il  n'y  a  là,  du  reste, 
rien  qui  doive  étonner,  Port-Arthur  se  trouvant  compris  dans  la  sphère  des 
intérêts  russes  et  un  traité  secret  autorisant,  dit-on,  les  Russes  à  agir  comme 
ils  l'ont  fait.  On  connaît  l'importance  de  la  position  de  Pori-Arthur  (1)  qui 
domine  complètement  du  côté  nord  l'entrée  du  golfe  de  Petchili. 

Les  événements  de  Kiao-Tchéou  et  de  Port-Arthur  ont  causé  une  vive 
émotion  dans  les  cercles  officiels  de  l'Angleterre  et  du  Japon.  Les  flottes  de 
ces  deux  pays  sont  en  mouvement  dans  les  mers  de  Chine  et  l'on  croit 
qu'elles  cherchent  une  «  compensation  »  à  prendre  à  l'embouchure  du  Yang- 
Tsé  et  sur  les  côtes  de  la  Corée. 

(1)  Voir  la  description  de  Port-Artliur,  Rev.  Fr,  1894,  t.  XiX,  p.  IbS. 


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58  REVUE  FRANÇAISE 

Le  port  de  Marseille.  —  Le  mouyement  général  du  port  de  Marseille 
en  1896  a  été,  d'après  la  chambre  de  commerce,  de  16.290  navires  jaugeant 
10.518.261  tonneaux,  dont  11.782  navires  français  avec  6.108.782  tonneaux 
et  4.508  navires  étrangers  avec  4:439.475  tonneaux.  Le^  navires  à  voiles  sont 
au  nombre  de  5.042  (766.142  tonneaux)  et  les  navires  à  vapeur  de  11.248 
(9.782.119  tonneaux).  Relativement  à  1895,  il  y  a  une  augmentation  totale 
de  332  navires  et  de  848.370  tonnes,  mais  cette  augmentation  a  profité  pour 
45  0/0  à  la  marine  étrangère.  La  proportion  du  pavillon  français  dans  le 
mouvement  du  port  de  Marseille,  qui  était  de  59  0/0  en  1895,  tombe  à 
58,50  0/0  en  1896.  ' 

Un  fait  important  pour  les  intérêts  du  port  de  Marseille  est  rétablissement 
dans  cette  ville,  à  dater  du  i^  février  189Ô,  delà  tête  de  ligne  de  la  PeniU' 
sular  and  Oriental  Company,  qui  renonce  à  Brindisi  comme  point  de  départ. 
Désormais  les  passagers  pour  l'Extrême-Orient  de  cette  grande  ligne  s'em- 
barqueront à  Marseille  ;  seule  la  malle  des  Indes  continuera  à  suivre  la  voie 
de  Brindisi.  Cet  événement  ne  pourra  qu'augmenter  le  mouvement  du  port 
de  Marseille,  mais  il  aura  aussi  pour  conséquence  de  prendre  une  partie  du 
trafic  revenant  aux  navires  français  et  de  diminuer  encore  la  proportion  du 
pavillon  français  dans  notre  grand  port  méditerranéen. 

Grôce-Torquie  :  Traité  de  paix,  —  Après  4  mois  de  négociations  pré- 
paratoires, il  a  fallu  encore  2  mois  1/2  de  négociations  pour  arriver  à  signer 
la  paix.  La  guerre  n'avait  duré  qu'un  mois.  Voici  le  texte  du  traité  : 

Traité  de  paix. 

Article  premier.  —  Identique  à  l'article  premier  du  traité  de  paix  préliminaire, 
contient  une  description  détaillée  de  la  nouvelle  frontière. 

Art.  2.  —  La  Grèce  payera  à  la  Turquie  une  indemnité  de  guerre  de  livres  turques 
quatre  millions,  conformément  aux  conditions  prévues  à  l'article  2  des  préliminaires 
de  paix. 

Art.  3.  —  L'évacuation  de  la  Thessalie  sWectuera  suivant  les  conditions  posées 
dans  l'article  4  des  préliminaires  de  paix  ;  elle  aura  lieu  dans  le  délai  d'un  mois  à 
partir  du  moment  où  les  puissances  auront  reconnu  comme  remplies  les  conditions 
prévues  aux  deux  derniers  alinéas  de  l'article  2  des  préliminaires  de  paix  et  où  l'é- 
poque de  la  publication  de  l'emprunt  pour  l'indemnité  de  guerre  aura  été  établie  par 
la  commission  internationale,  en  conformité  ave<;  les  dispositions  de  l'arrangement 
financier  mentionné  dans  cet  article. 

Le  mode  d'évacuation  et  de  remise  aux  autorités  helléniques  des  localités  évacuées 
sera  déterminé  par  les  délégués  des  deux  parties  intéressées  avec  le  concours  des  dé- 
légués des  grandes  puissances. 

Art.  4.  —  Les  prisonniers  de  guerre  seront  rendus  de  part  et  d'autre  immédiatement 
après  la  ratification  du  présent  traité. 

Art.  5.  —  Une  amnistie  pleine  et  entière  est  accordée  de  part  et  d'autre  à  toutes 
les  personnes  qui  ont  été  compromises  dans  les  événements  qui  ont  précédé  ou  suivi 
la  déclaration  de  guerre. 

Art.  6.  —  Les  sujets  de  chacun  des  deux  États,  dont  la  situation  est  régulière  de- 
vant la  loi,  pourront  séjourner  et  circuler  librement,  comme  par  le  passé,  sur  le  ter- 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  59 

ritoire  de  Tautre,  chacune  des  deux  autres  parties  contractantes  se  réser\^nt  la  faculté 
de  refuser  Faocès  de  son  territoire  à  ceux  des  sujets  de  l'autre  partie  qui  auraient 
subi  des  condamnations  judiciaires  d'ordre  pénal  ou  qui  auraient  été  Tobjet  d'un 
arrêté  d'expulsion  à  raison  de  leurs  antécédents  et  méfaits  de  droit  commun. 

Avis  préalable  en  sera  donné  aux  légations  respectives. 

Art.  7.  —  Les  musulmans  habitants  ou  originaires  de  Thessalie  qui,  en  vertu  de 
Tartide  13  de  la  convention  du  24  mai  1881,  avaient  acquis  ou  non  la  nationalité  hel- 
lénique, seront  libres  d'émigrer  ou  de  fixer^leur  nationalité  en  Turquie.  Ceux  qui  ont 
acquis  la  nationalité  hellénique  auront,  en  vertu  d'une  déclaration  préalable  à  faire  à 
l'autorité  compétente  dans  un  délai  de  trois  ans,  à  partir  de  l'échange  des  ratifications 
du  présent  acte,  la  faculté  d'opter  pour  la  nationalité  ottomane.  Tous  ces  émigrés 
continueront  à  jouir  pleinement  ht  sans  aucune  entrave,  conformément  à  ladite  con- 
vention, de  leurs  propriété  immobilières  sises  en  Grèce  et  à  les  administrer. 

Les  mêmes  avantages  seront  accordés  par  réciprocité  aux  habitants  ainsi  qu'aux 
individus  originaires  des  territoires  rétrocédés  à  la  Turquie  par  suite  de  la  nouvelle 
rectification  de  la  frontière,  ou  bien  actuellement  domiciliés  dans  ces  localités. 

Ces  mêmes  habitants  ou  bien  originaires  des  territoires  rétrocédés  à  la  Turquie 
ainsi  que  les  représentants  des  institutions  ou  communes  sises  dans  ces  localités  qui 
auraient  des  propriétés  immobilières  en  Thessalie  seront  libres  de  passer  la  frontière 
pour  les  cultiver,  comme  par  le  passé,  sans  qu'aucune  entrave  puisse  leur  être  sus- 
citée de  ce  chef. 

Des  avantages  identiques  sont  accordés  tant  aux  habitants  du  originaires  de  Thes- 
salie qu'aux  représentants  des  institutions  ou  communes  s'y  trouvant,  qui  posséde- 
raient des  propriétés  immobilières  dans  les  territoires  rétrocédés  à  l'empire  ottoman. 

Art.  8.  —  En  exécution  de  l'article  4  des  préliminaires  de  paix,  la  Grèce  payera  à 
la  Turquie,  pour  l'indemnisation  des  particuliers  en  raison  des  pertes  causées  par  les 
forces  grecques,  la  somme  de  100.000  livres  turques. 

Le  payement  de  cette  somme  sera  effectué  en  même  temps  que  l'indemnité  de 
guerre. 

Art.  9.  —  Sans  toucher  au  principe  des  immunités  et  privilèges  dont  les  Hellènes 
jouissaient  avant  la  guerre  sur  le  même  pied  que  les  nationaux  des  autres  États,  des 
arrangements  spéciaux  seront  conclus  entre  la  Grèce  et  la  Turquie  en  vue  de  prévenir 
l'abus  des  immunités  consulaires,  d'empêcher  les  entraves  an  cours  régulier  de  la 
justice,  d'asanrer  l'exécution  des  sentences  rendues  et  de  sauvegarder  les  intérêts  des 
sujets  ottomans  et  étrangers  dans  leurs  différends  avec  les  sujets  hellènes,  y  compris 
les  cas  de  faillite. 

Jusqu'à  la  conclusion  et  à  la  mise  en  vigueur  de  la  convention  prévue  par  l'article  5 
(paragraphe  B)  des  préliminaires  de  paix,  les  consuls  hellènes  en  Turquie  et  les  con- 
suls ottomans  en  Grèce  exerceront  leurs  fonctions  administratives  sur  les  mêmes 
bases  qu^avant  la  guerre. 

Quant  aux  affaires  judiciaires  entre  sujets  hellènes  et  sujets  ottomans,  celles  qui  on 
été  portées  par  devant  les  tribunaux  à  une  date  antérieure  à  la  déclaration  de  guerre 
continueront  à  être  traitées  en  Turquie  conformément  au  régime  en  vigueur  avant  la 
guerre;  les  affaires  qui  auront  surgi  postérieurement  à  la  déclaration  de  guerre  seront 
traitées  conformément  aux  principes  du  droit  européen,  sur  la  hase  de  la  convention 
turco-serbe  du  26  février/9  mars  1896. 

Art.  10.  —  Les  stipulations  de  la  convention  du  24  mai  1881  pour  la  cession  de  la 
Thessalie  à  la  Grèce  sont  maintenues,  sauf  celles  qui  sont  modifiées  par  1c  présent 
acte. 


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60  REVUE  FRANÇAISE 

La  Sublime-Porte  se  réserve  de  saisir  de  ses  propositions  pour  le  règlement  des 
questions  découlant  de  ladite  convention  les  puissances  qui  en  sont  signataires  et  doat 
les  décisions  doivent  être,  acceptées  par  la  Grèce. 

Art.  11.  —  Les  deux  hautes  parties  contractantes  conviennent  de  conclure,  dans  un 
délai  de  trois  mois,  à  partir  de  la  ratification  du  présent  traité,  les  arrangements 
suivants  : 

a)  Une  convention  réglant  les  questions  de  nationalités  contestées  sur  les  bases  du 
projet  négocié  en  1876,  entre  la  Grèce  et  la  Turquie; 

6j  Une  convention  consulaire  dans  les  conditions  prévues  au  premier  paragraphe 
de  Tarticle  9  (article  3  des  préliminaires  de  paix); 

c/  Un  traité  d'extradition  pour  la  remise  réciproque  des  criminels  de  droit  com- 
mun; et 

d)  Une  convention  pour  la  répression  du  brigandage  sur  les  frontières  communes. 

Les  deux  parties  se  réservent  de  conclure  ultérieurement  un  traité  de  commerce 
et  de  navigation. 

En  attendant  la  conclusion  de  ce  dernier  traité,  la  liberté  de  commerce  et  de  navi- 
gation est  rétablie  d'une  manière  réciproque. 

Art.  12.  —  Les  relations  postales  entre  la  Grèce  et  Tempire  ottoman,  qui  avaient 
été  interrompues  depuis  quelques  années,  seront  rétablies  conformément  aux  accords 
généraux  qui  règlent  la  matière  aussitôt  que  les  administrations  postales  des  deux 
pays  auront  conclu  une  convention  spéciale  à  ce  sujet. 

En  attendant,  les  deux  administrations  pourront  échanger  directement,  dans  les 
localités  qu*elles  désigneront  comme  siège  d'échange,  leurs  valises  et  colis  dûment 
scellés  et  expédiés  par  voie  de  terre  ou  de  mer  à  destination  des  deux  pays  ou  pour 
le  transit. 

Art.  13.  —  Les  administrations  des  télégraphes  des  deux  pays  devront  prendre 
les  mesures  nécessaires  pour  rétablir  les  communications  entre  leurs  réseaux  respec- 
tifs et  pour  entretenir  convenablement  leurs  lignes  télégraphiques  de  manière  à  im- 
primer un  cours  ininterrompu  et  rapide  aux  échanges  des  dépêches. 

Art.  14.  —  En  vue  d'assurer  le  maintien  des  rapports  de  bon  voisinage  entre  les 
deux  États,  les  gouvernements  de  la  Grèce  et  de  la  Turquie  s'engagent  à  ne  pas  tolé- 
rer sur  leur  territoire  des  agissements  de  nature  à  troubler  la  sécurité  et  Tondre  dans 
l'État  voisin. 

Art.  15.  —  En  cas  de  divergences  dans  le  cours  des  négociations  entre  la  Grèce  et 
la  Turquie,  les  points  contestés  pourront  être  soumis,  par  l'une  ou  l'autre  des  parties 
intéressées,  à  l'arbitrage  des  représentants  des  grandes  puissances  à  Constantinople, 
dont  les  décisions  seront  obligatoires  pour  les  deux  gouvernements. 

Cet  arbitrage  pourra  s'exercer  collectivement  ou  par  désignation  spéciale  des  inté- 
ressés et  soit  directement,  soit  par  l'entremise  de  délégués  spéciaux. 

En  cas  de  partage  égal  des  voix,  les  arbitres  choisiront  un  surarbitre. 

Art.  16.  —  Les  ratitications  du  présent  traité  définitif  de  paix  par  Sa  Majesté  le 
roi  des  Hellènes  et  par  Sa  Majesté  impériale  le  Sultan  seront  échangées  à  Constan- 
tinople  dans  le  délai  de  quinze  jours  à  partir  d'aujourd'hui,  si  faire  se  peut. 

En  foi  de  quoi  les  plénipotentiaires  respectifs  l'ont  signé  et  y  ont  apposé  le  sceau 
de  leurs  armes. 

Fait  en  double  à  Gonstantinople,  le  22  novembre/4  décembre  1897. 
L.  S.  Mavrocordatos,      L.  S.  Tevfik, 
L.  S.  Stephanos,  L.  S.  Hassan  Fehmy. 


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BIBLIOGR-A.PHIE 

La  librairie  Hachette,  dont  les  beaux  ouvrages  sont  si  apprécies,  publie 
sous  le  titre  de  Un  Parisien  à  Madagascar,  par  Etienne  Grosclaude  (magni- 
fique volume,  illustré  de  plus  de  iOO  gravures,  br.,  10  francs,  relié,  V*  francs) 
les  notes  et  impressions  du  plus  amusant  de  nos  chroniqueurs  parii>ieTis.  Se 
trouvant  à  Madagascar,  il  fut  en  effet  chargé,  avec  quelques  compactions,  de 
la  mission  quasi-officielle  de  «  prendre  contact  avec  les  populations  Sakakves 
du  Mohajilo  et  du  Manambolo!  C'est  dans  cette  région,  le  Ménabé,  <|iit'  \mii 
d'éclater  une  révolte  des  Sakalaves. 

Après  avoir  été  Tun  des  héros  de  l'expédition,  M.  Grosclaude  s'en  e^l  fait 
le  narrateur,  ou  plutôt  il  nous  communique  le  «  carnet  de  route  »  qu'il  rédi- 
geait là-bas  au  jour  le  jour.  Rien  n'est  piquant  comme  le  contraste  de  ces 
expériences  plutôt  redoutables  et  de  ce  style  «  bon  enfant  »,  émaillé  de  plai- 
santeries et  de  citations  impréMies  dont  l'effet  est  irrésistible. 

Voulez-vous  donner  à  nos  jeunes  Français  une  «  leçon  de  choses  »  intéres- 
sante et  peu  banale;  voulez- vous  leur  montrer  ce  que  c'est  que  Tesprit 
français  dans  la  vie  réelle,  dans  l'action,  dans  le  danger  :  faites-leur  lire  Je 
livre  de  Grosclaude. 

L'année  1897  du  Tour  du  Monde  (nouvelle  série,  3«  année),  contient  kn 
voyages  du  comte  de  Gœtzen,  à  travers  l'Afrique;  du  D*"  Hocquard,  à  Mada- 
gascar (Journal  de  l'expédition)  ;  de  MM.  Emile  Deschamps,  à  l'île  de  Chypiiî^ 
Emile  Roux,  aux  sources  de  l'irrouaddi  ;  Rabot,  en  Norvège  et  en  Suède  : 
Muntz,  en  Allemagne:  Nuremberg  et  Anspach;  Fournereau,  les  villes  mortes 
du  Siam;  E.  Mercié,  aux  terres  de  Kerguelen;  de  M"®  Marie-Anne  de  Bovet^ 
en  Ecosse;  de  MM.  Zacacci,  au  pays  de  Don  Quichotte;  Chimkièvilch,  rUez 
les  Boudâtes  de  l'Amour;  de  Longe,  à  la  Sierra  Nevada  de  Californîi!,  et  est 
illustrée  de  500 gravures,  d'après  les  meilleurs  dessins.  Elle  contient  en  outre 
416  pages  de  chroniques  hebdomadaires  sous  le  titre  :  A  travers  le  monde  et 
conseils  aux  voyageurs  y  avec  400  gravures  et  cartes.  Un  magnifique  volume  in-4* 
(br.,  25  francs,  relié,  32  fr.  50). 

La  maison  Hachette  publie  aussi  deux  nouveaux  ouvrages  de  sa  coUeclian 
de  voyages  illustrés  : 

Ascensions  et  ExplorcUions.  A  sept  mille  mètres  dans  l'Himalaya,  par  str  Con- 
way,  traduit  par  H.  Jacottet.  Ce  volume  renferme  le  récit  du  beau  voyn^^e 
accompli  par  sir  W.  Conway  dans  l'Himalaya  du  nord-ouest  et  dans  le  Kara- 
koroum.  Là  se  dressent,  au-dessus  d'immenses  glaciers,  les  plus  étf  ritJtJS  du 
globe  en  dehors  des  régions  polaires,  des  sommets  qui,  comme  le  pic  i  Jmhs  in- 
Austen,  sont  inférieurs  de  200  mètres  seulement  au  Gaurisankar.  Sii'\V,-M. 
Conway  a  réussi  à  s'élever  au  pic  des  Pionniers,  à  un  peu  plus  de  iMfO  mè- 
tres, détenant  ainsi  le  «  record  de  l'altitude  »  jusqu'à  l'ascension  de  l'Acon- 
cagua.  Le  récit  de  sa  pénible  escalade  et  de  ses  longues  marches  à  tnivctb  les 
glaciers  est  d'un  vif  intérêt  pour  les  personnes,  toujours  plus  nombreuï^es  à 
notre  époque,  que  passionnent  l'alpinisme  et  les  difficultés  de  la  moniagne* 


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6â  REVUE  FRANÇAISE 

Au  pays  d^AphrodiUy  voyage  à  l'île  de  Chypre  dans  lequel  M.  Emile  Des- 
champs nous  fait  visiter  Larnaka,  Famagouste,  Nicosie,  nous  décrit  les 
ruines  grandioses  qu'a  laissées  l'architecture  des  Croisés  et  nous  montre  l'état 
actuel  de  File  sous  le  régime  anglais,  établi  il  y  a  dix-neuf  ans.  Les  itinéraires 
de  M.  Deschamps  embrassent  l'Ile  entière,  et  il  n'en  a  négligé  aucun  recoin. 
Il  a  étudié  les  habitants  avec  une  attention  minutieuse,  et  il  a  rapporté 
beaucoup  de  détails  caractéristiques  sur  leur*  vie  privée  et  publique,  leurs 
coutumes,  leurs  fêtes,  leurs  croyances  et  leurs  superstitions.  On  peut  donc 
dire  que  ce  petit  volume  donne,  en  môme  temps  qu'un  résumé  de  l'histoire 
de  l'île,  révélée  par  ses  monuments  et  ses  ruines,  un  tableau  complet  de  la 
Chypre  d'aujourd'hui. 

Le  plus  populaire,  le  plus  répandu  des  almanachs,  VAlmanack  Hachette 
vient  de  paraître.  Que  nous  apporte-t-il  pour*  1898?  D'abord  les  probabilités 
du  temps,  200  nouvelles  recettes  de  cuisine,  le  tableau  des  monnaies,  poids 
et  mesures,  etc.,  et  ce  merveilleux  agenda  qu'on  peut  détacher  du  volume. 
11  publie  aussi  200  articles  nouveaux,  illustrés  de  1.452  figures  et  10  cartes. 
Parmi  ces  articles  citons  :  l'histoire  de  l'année,  les  cyclones,  l'habitation  hu- 
maine, l'histoire  de  Russie  en  tableau,  les  ordres  religieux,  les  voyageurs  au 
pôle,  l'insurrection  cubaine,  la  guerre  gréco-turque,  la  France  militaire, 
vinicole  ;  puis  l'art  de  se  marier,  nos  domestiques,  la  mode,  les  lots  non  ré- 
clamés, etc.  L'almanach  donne  65  primes  ou  bons  gratuits  remboursant 
70  fois  son  prix;  les  concours  représentent  48.100  francs.  Enfin,  par  l'achat 
d'un  timbre  on  est  assuré  contre  tout  accident  pour  une  somme  de 5.000 francs. 

Parmi  les  principales  nouveautés  que  la  librairie  Ch.  Delagrave  ajoute 
cette  année,  comme  livres  d'étrennes,  au  vaste  catalogue  dont  on  connaît 
déjà  l'extrême  richesse,  nous  citerons  : 

Les  Pirates  de  Venise,  par  L.  de  Caters,  récit  historique  fort  mouvementé 
et  fort  attachant,  où  nous  voyons  de  grands  personnages  de  l'illustrissime 
République  aux  prises  avec  ces  fameux  Uscosques  qui  ont  laissé  dans  les 
annales  de  l'Adriatique  de  si  pittoresques  souvenirs.  Des  deux  parts  s'agitent 
de  vaillants  héros,  les  uns  farouches  et  terribles,  les  autres  d'une  haute  et 
très  imposante  dignité:  ce  qui  donne  lieu  à  des  tableaux  d'une  saisissante 
originalité,  auxquels  de  nombreuses  compositions  d'Ed.  Zier,  le  très  habile 
dessinateur,  donnent  un  surcroît  de  relief  et  de  vie.  Br.,  iO  fr.;  relié,  13  fr. 

Dans  r illustration  et  les  Illustrateurs,  M.  Emile  Bayard  faitl'histoire  détaillée 
et  anecdotique  de  l'art  d'enjoliver  par  le  dessin  et  la  gi'avure  les  textes  litté- 
raires, et  nous  avons,  depuis  les  origines  jusqu'à  nos  jours,  une  galerie 
complète  de  toutes  les  notables  personnalités  qui  se  sont  distinguées  dans 
cette  brillante  carrière,  avec  une  suite  de  spécimens  originaux  de  nature  à 
bien  faire  saisir  les  caractères  qui  diversifient  le  talent  et  l'esprit  de  chacun 
de  ces  artistes.  Br.,  5  fr.  ;  relié,  6  fr.  50. 

Russes  et  Français,  par  F.  Bournand,  avec  un  grand  nombre  d'illustrations, 
«  A  différentes  reprises,  aux  siècles  passés,  dit  l'auteur  de  ce  livrer  les  Russes 


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filBLIOGRAPHIE  A3 

et  les  Français  se  sont  trouvés  en  rapport  et  alliés  môme  plusieurs  fois.  C'est 
rhistoire  anecdotique  de  ces  rapports  que  nous  avons  voulu  faire.  Nous  avons 
étudié  la  Russie  à  ses  premiers  débuts  sur  la  scène  du  monde,  depuis  le 
onzième  siècle  jusqu'à  nos  jours,  depuis  le  mariage  d'une  princesse  russe 
avec  un  Français,  jusqu'au  voyage  du  tsar  Nicolas  II  et  de  la  tsarine  en 
France  et  aux  événements  de  1897.  »  Br.,  3  fr.  90,  relié,  6  fr.  25. 

De  Marseille  à  Tamatave,  par  L.  Brunet.  L'auteur,  en  sa  qualité  de  député 
d'une  des  îles  françaises  qui  avoisinent  Madagascar,  était  mieux  que  personne 
désigné  pour  faire  sous  la  forme  d'un  simple  voyage,  l'histoire  et  la  descrip- 
tion du  pays  qu'il  s'agit  d'assimiler  le  plus  possible  à  la  métropole,  pour  le 
plus  grand  profit  de  la  civilisation  et  pour  les  bénéfices  moraux  et  matériels 
qui  peuvent  en  revenir  à  tous.  Très  amplement  illustré  par  un  ensemble  de 
gravures  dont  beaucoup  ont  un  caractère  documentaire,  l'étude  de  M.  Brunet 
est  évidemment  ce  qui  a  été  fait  de  plus  complet  et  de  plus  authentique  sur 
ce  sujet.  Br.  2  fr.  30,  relié,  3  fr.  90. 

Parmi  les  autres  ouvrages  illustrés  de  la  maison  Delagrave  citons,  à  l'usage 
des  enfants  :  S^-Nicolas,  le  charmant  périodique  illustré  qui  renferme  de  si 
attachants  récits  et  contient  toujours,  ce  qui  augmente  son  succès,  «  la  boîte 
aux  lettres  »,  et  annonce  des  concours  de  toutes  sortes,  avec  prix.  Un  an,  18  fr. 
Le  filleul  de  MuUe,  par  Pierre  du  Château,  est  la  touchante  histoire  d'un 
pauvre  petit  être  trouvé  abandonné  dans  la  cathédrale  de  Metz  et  à  qui  on 
donne  pour  marraine  Mutie^  la  grosse  cloche.  i?tp,  du  même  auteur,  met  en 
relief  une  légende  américaine  profondément  originale.  Le  Royaume  des  roses, 
de  Fornari,  nous  porte  dans  un  pays  idéal  où  n'arrivent  que  des  aventures 
extraordinaires.  Les  Voyages  de  Gulliver,  sommairement  racontés  aux  enfants 
par  tante  Nicole,  forment  un  album  dont  les  fantaisies  sont  vivement  appré- 
ciées. 

Rappelons  enfin  une  belle  i^uh\\caX\on,\àBibliothèque  des  arts  de  r ameublement, 
par  H.  Bavard,  en  12 petits  volumes  de  luxe  reliés  (2  fr,  50  le  vol.),  véritable 
encyclopédie  contenant  la  monographie  de  chacune  des  professions  relatives 
à  l'ameublement  :  ébénisterie,  orfèvrerie,  verrerie,  décoration,  styles,  etc. 

La  librairie  Hbtzel,  toujours  si  appréciée  de  la  jeunesse,  continue  par  le 
Sphinx  des  glaces  (br.  9  fr.,  cart.  12  fr.)  la  collection  des  voyages  extraordi- 
naires de  Jules  Verne.  On  ne  peut  vraiment  qu'admirer  la  fécondité  iné- 
puisable et  la  variété  d'invention  de  ce  maître  qui,  après  30  années  de  colla- 
boration ininterrompue  trouve  moyen  de  rendre  le  4o«  volume  de  sa  collection 
aussi  intéressant  que  les  précédents.  Le  pôle  est  toujours  un  objet  de  vive 
attention  pour  les  explorateurs  et  même  pour  les  héros  que  Jules  Verne 
lance  en  avant  dans  les  glaces  où  ils  subissent  de  telles  mésaventures  qu'il 
faut  aller  à  la  recherche  des  survivants  de  cette  expédition  antarctique. 

A  côté  de  Jules  Verne,  André  Laurie  tient  la  première  place  avec  Gérard  et 
Colette,  les  chercheurs  d'or  de  l'Afrique  australe  (br.  7  fr.,  cart.  10  fr.).  Là 
encore,  l'attention  est  portée  sur  cette  région  des  mines  d'or  ou  les  villes 


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REVUE  FRANÇAISE 


1*5 


semblent  sortir  de  terre  avec  tous  les  progrès  des  sciences  modernes,  au 
milieu  de  pays  déserts  ou  habités  par  des  peuplades  de  nègres  tantôt  féroces 
tantôt  bons  enfants.  C'est  une  véritable  étude  de  mœurs  à  la  fois  instructive 
et  morale.  L*attrait  de  ces  deux  ouvrages  est  encore  rehaussé  par  une  illus- 
tration abondante  et  soignée. 

La  librairie  Flammarion  publie  un  album  des  plus  curieux  et  des  plus 
intéressants  :  Les  grandes  journées  réwlutionnaires,  4830-4848,  par  Armand 
Dayot.  C'est  un  aperçu  très  vivant  des  événements  qui  marquèrent  cette 
période  si  agitée  de  notre  histoire.  Le  résumé  succinct  qu'en  fait  l'auteur 
rappelle  les  causes  qui  motivèrent  les  deux  révolutions.  Mais  si  le  texte  a  son 
intérêt,  les  gravures  ont  plus  d'attrait  encore.  Grâce  à  leur  nombre  considé- 
rable, à  leur  variété,  on  peut  suivre,  à  leur  seule  vue,  la  marche  des  événe- 
ments, scènes  parlementaires,  manifestations,  soulèvements  révolutionnai- 
res, etc.,  depuis  les  barricades  de  juillet  jusqu'à  l'avènement  du  prince 
Louis -Napoléon  et  au  rétablissement  de  l'ordre  dans  la  rue  et  dans  les  esprits. 
1  vol.  in-4«  oblong,  br.  10  fr.,  relié  15  fr. 

Les  héros  de  la  marine  française,  par  G.  Conlesse,  que  publie  la  maison 
FiRMiN-DiDOT,  est  un  bel  et  bon  ou\Tage  où  défilent  toutes  les  gloires  de  notre 
marine  depuis  Richelieu,  Duquesne  et  Tourville,  jusqu'au  commandant  Ri- 
vière et  Courbet,  sans  oublier  de  plus  modestes  marins  dont  les  exploits 
méritent  d'être  popularisés.  L'auteur  a  eu  le  bon  esprit  de  mettre  ses  récits, 
pleins  de  couleur  et  de  mouvement,  à  la  portée  de  tous  et  de  les  parsemer 
d'anecdotes  qui  en  augmentent  encore  l'intérêt.  M.  Conlesse,  l'auteur  de  la 
Marine  d'autrefois,  accompagne  son  livre,  édité  avec  luxe,  de  belles  illustra- 
tions en  couleurs  qui  ont  pour  auteurs  MM.  Léon  Couturier  et  E.  Courboin. 
Un  fort  volume,  br.  15  fr.,  cart.  20  fr. 

La  carrière  du  maréchal  Suchet,  que  retrace  M.  F.  Rousseau  d'après  des 
documents  inédits,  est  la  mise  en  lumière  d'une  des  gloires  les  plus  pures 
du  premier  Empire.  Longtemps  en  sous-ordre,  Suchet  ne  parvint  à  la  célébrité 
que  par  les  campagnes  d'Aragon  et  de  Valence  où  il  conquit  son  bâton  de 
maréchal.  Chef  heureux,  il  fut  aussi  un  administrateur  intègre,  habile,  cons- 
ciencieux, et  sut  même  conquérir  l'estime  des  Espagnols  qui  avaient  cepen- 
dant pour  la  domination  française  une  haine  avérée.  M.  Rousseau  s'est 
surtout  appliqué  à  faire  ressortir  ces  brillantes  qualités  du  maréchal  qui  lui 
permirent  d'assurer  à  la  région  nord-est  de  l'Espagne  une  tranquillité  que 
ne  connurent  jamais  les  autres  provinces  occupées  par  nos  troupes.  F.  Didot, 
éditeur,  3  fr.  50. 


Le  Gérant,  Edouard  MARBEAU. 


IMPRIMERIE  CHAIX.   ROB  BEROBRB,   20,   PARIS.  —   S5U2H2-97.  —  (iKn  UrUlNl). 


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LES  EXPLORATIONS  EN  ASIE  EN  1897 

Dans  son  très  consciencieux  et  très  complet  rapport  sur  les  progrès  des  sciences 
géographiques  en  1897,  M.  le  baron  Halot,  secrétaire  général  de  la  Société  de  géogra-  • 
phie  de  Paris,  fait  ressortir  Timportance  des  explorations  en  Asie  pour  cette  même 
année,  et  notamment  les  travaux  et  les  progrès  des  Russes.  Nous  devons  à  son  obli- 
geante communication  dz  pouvoir  reproduire  cette  partie  saillante  de  son  étude. 

Asie  ru>se.  —  En  Asie,  ratiention  se  porte  tout  d'abord  sur  le  plan 
gigantesque  dont  la  Russie  poursuit  l'exécution.  Il  est  figuré  sur  la  carte 
par  le  réseau  des  voies  ferrées  qui,  de  l'Oural  ou  de  la  mer  Caspienne, 
se  dirigent  vers  TEst,  soit  par  une  courbe  à  travers  le  Turkestan,  soit 
directement  à  travers  la  Sibérie  jusqu'à  la  frontière  chinoise,  qu'elle  tou- 
che ou  même  franchit. 

Tandis  que  les  grands  travaux  géodésiques  et  fopographiques,  entre- 
pris en  Sibérie  et  dans  le  Turkestan  depuis  une  cinquantaine  d'années, 
aboutissent  à  la  construction  d'une  carte  au  1/420.000  de  la  partie  occi- 
dentale de  l'Asie  russe,  sous  la  direction  du  général  Bolchefif,  et  d'une 
autre  au  1/630.000  de  la  Transbaïkalie,  sous  la  direction  du  général 
Koversky,  la  grande  artère  qui  doit  courir  de  l'Oural  à  la  mer  du  Japon 
acquiert  une  importance  nouvelle. 

Le  Transsibérien,  qui  se  complète  par  le  Transmandchourien,  créera 
■  la  voie  de  transport  la  plus  directe  d'Europe  en  Extrême-Orient  et  ou- 
vrira la  Chine  à  l'influence  de  l'Empire  du  Nord  (1).  Déjà,  la  ligne 
Transsibérienne  est  en  pleine  exploitation  de  Tcheliabinsk  à  Kansk 
(2.980  kilomètres);  sa  construction  est  même  terminée  jusqu'à  Nijni- 
Oudinsk,  à  130  lieues  au  delà  de  l'Yénissei.  Un  pont  a  été  jeté  sur  l'Ob; 
un  autre  s'édifie  sur  l'Yénissei  ;  les  rails  sont  posés,  à  l'ouest  du  Baïkal, 
sur  une  longueur  de  plus  de  3.000  kilomètres  depuis  les  monts  Oural, 
et  Ton  peut  prévoir  l'achèvement  prochain  de  la  voie  jusqu'à  Irkoutsk. 

Entre  cette  ville  et  Strétensk,  sur  la  Chilka,  il  fallut  entreprendre 
d'importants  levés  topographiques  avant  de  songer  à  tracer  la  ligne. 
Lorsque  cette  section,  dont  les  travaux  sont  très  avancés,  sera  construite, 
le  Transsibérien  s'étendra,  sur  une  longueur  de  4.500  kilomètres,  pour 
aboutir  au  point  de  départ  de  la  navigation  sur  la  Chilka,  laquelle, 
comme  on  sait,  réUnie  à  l'Argoun,  forme  le  fleuve  Amour.  Par  cette 
voie,  les  bateaux  à  vapeur  déboucheront  dans  le  détroit  de  Tartarie, 

(1)  Voir  Rev.  Fr,  t.  XXU,  p.  231  :  Le  Transsibérien  (avec  carte). 

xxm  (Février  Ô8).  N-  230.  & 


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66  REVUE  FRANÇAISE 

en  face  de  l'île  Sakhaline,  après  avoir  effectué  un  parcours  de  3.000  ki- 
lomètres environ  par  le  fleuve.  Dès  à  présent  le  trafic  tend  à  se  déve- 
lopper sur  cette  immense  artère  fluviale  de  TAmour,  où  nous  trouvons 
en  mouvement  plus  de  100  vapeurs. 

A  TExtrême-Orient,  dans  la  section  dite  du  Pacifique,  la  ligne  est  ou- 
verte sur  près  de  1.000  kilom.  entre  Khabarovka  970  kilom.  et  Vladi- 
vostok ;  en  outre,  les  travaux  sont  commencés  sur  le  transmandchou- 
rien,  qui  reliera  Vladivostok  à  Nertchinsk,  par  Tzouroukhaitou, 
Tzitzikar  et  Ningouta.  Ici  l'exploration  du  pays  a  débuté  par  des 
reconnaissances  de  M.  Strelbitzky  remontant  à  1894-93.  Elles  ont  per- 
mis d'établir  la  topographie  exacte  du  Grand  Khingan.  La  région  située 
à  TEst  de  cette  chaîne,  entre  le  Petit  Khingan  et  le  Sikhota-Alme,  a 
été  explorée  par  MM.  Anert  et  Komaroff. 

Plus  au  Nord,  les  recherches  dirigées  par  le  gouvernement  russe  ont 
amené  MM.  Bogdanovitch  et  Slemine  à  la  découverte  de  dépôts  auri- 
fères dans  les  montagnes  de  Djoukjour,  entre  Nikolaevsk  et  Okhotsk, 
Leur  enquête  se  poursuit  jusque  sur  la  côte  occidentale  du  Kamt- 
chatka. 

D'autres  recherches  géologiques,  ayant  pour  but  d'assurer  le  com- 
bustible à  la  grande  voie  transcontinentale,  ont  permis  de  signaler  la 
présence  de  bassins  houillers  dans  la  vallée  de  l'Amour,  de  l'Yénissei 
et  dans  les  steppes  kirghizes. 

Le  lac  Baïkal  a  été,  cette  année  môme,  l'objet  d'une  exploration  hy- 
drographique, qui  a  duré  de  mai  à  octobre  et  qui  se  répétera  pendant 
quatre  ou  cinq  ans. 

On  connaît  le  projet  audacieux  qui  consiste  à  transporter  les  trains 
d'un  bout  à  l'autre  de  ce  lac,  soit  une  distance  d'environ  40  kilomètres, 
6ur  des  bateaux  brise-glace,  immenses  ferry-boats,  qu'il  est  également 
question  d'utiliser  pour  la  navigation  dans  l'Océan  Boréal,  au  Nord  des 
embouchures  de  l'Ob  et  de  l'Yénissei. 

L'accès  à  ces  deux  fleuves  devient  d'ailleurs  de  plus  en  plus  facile, 
depuis  les  travaux  de  dragage  et  de  balisage  entrepris  dans  leurs 
estuaires  par  ordre  du  ministre  de  la  marine  russe.  Déjà  trois  navires 
commandés  par  le  capitaine  Wiggins  avaient  eflectué  un  certain  nombre 
d'observations  astronomiques  et  levé  la  côte  sur  une  étendue  de  2.S0O 
railles.  Le  délai  assigné  était  de  8  à  6  années,  et  l'état  d'avancement  de 
ces  travaux  a  permis,  durant  l'été  1897,  à  une  flotille  de  H  navires 


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LES   EXPLORATIONS   EN   ASIE  EN    1897  67 

anglais,  de  s'avancer  dans  Tinlérieur  de  la  Sibérie  et  d'en  sortir  sans 
aucune  avarie.  Les  recherches  magnétiques  et  hydrologiques  faites  dans 
ces  parages,  depuis  1893  jusqu'en  1898,  par  MM.  Wilkitzki  et  autres 
ont  prouvé  que  l'influence  du  Gulfstream  se  fait  sentir  jusqu'à  la  mer 
deKara.  Notamment  on  a  constaté  la  présence  à  la  côte  mourmane 
(portion  de  la  Laponie  russe  baignée  par  l'océan  Glacial)  d'un  courant 
d'eau  chaude  d'une  cinquantaine  de  kilomètres  dont  la  température 
varie  de  9**  à  11°  c.  Ce  courant  se  rétrécit  [et  sa  température  baisse  à 
mesure  qu'il  s'approche  de  la  mer  de  Kara. 

Le  cliemin  de  fer  ouralien,  qui  s'embranche  sur  le  prolongement  du 
Transsibérien  et  s'arrête  à  Perm,  est  actuellement  continué  dans  la  direc- 
tion de  la  Dvina  et  reliera,  par  ce  fleuve,  le  jport  d'Arkhangelsk  avec 
la  Sibérie  Occidentale  (1). 

Si  nous  quittons  le  Transsibérien  et  les  lignes  qui  s'y  rattachent  pour 
nous  transporter  dans  les  contrées  desservies  par  la  voie  qui,  du  Cau- 
case, par  de  là  la  Caspienne,  atteint  Samarkand,'  nous  avons  à  signaler 
de  nouvelles  conquêtes  géographiques  à  l'actif  de  la  Russie. 

Des  études  analogues  à  celles  que  poursuivent  dans  les  glaciers  des 
Alpes  le  prince  Roland  Bonaparte,  MM.  Forel  et  J.  Vallot,  ont  été  récem- 
ment entreprises  dans  le  Caucase.  Durant  le  deuxième  trimestre  de  1896, 
M.  N.  A.  Busch  parcourut  la  partie  Nord-Ouest  de  la  chaîne,  fixant 
l'altitude  et  examinant  le  mouvement  de  49  glaciers  dont  30  n'avaient 
encore  été  l'objet  d'aucune  observation.  Il  rapporte,  outre  des  collec- 
tions scientifiques  nombreuses,  une  carte  botanique  du  district  de 
Kouban. 

D  convient  peut-être  de  signaler,  à  cet  endroit,  le  phénomène  géolo- 
gique curieux  dont  cette  région  a  été  dernièrement  le  théâtre.  Probable- 
ment à  la  suite  d'un  tremblement  de  terre,  l'Araxe,  rivière  qui  sert  de 
frontière  entre  la  Russie  et  la  Perse,  et  qui  se  déversait  dans  la  Koura, 
a  changé  sa  direction  pour  se  jeter  dans  la  mer  à  vingt  kilomètres  au 
sud  de  son  ancien  cours.  Par  suite  de  cette  déviation  naturelle  de  l'Araxe, 
une  région,  autrefois  simple  marécage,  va  être  rendue  à  l'agriculture. 

Asie  mineure.  —  Avant  de  quitter  les  bords  occidentaux  du  continent 
asiatique,  notons  deux  voyages  importants,  accomplis  en  Asie  Mineure  : 
l'un  d'octobre  à  janvier  1896  par  MM.  le  D*"  Oberhummer  et  Zimmerer 

(1)  La  ligne  d'Arkhangelsk  à  Vologda  (Russie  d^Europe)  est  inaugurée;  Texploita- 
lion  a  été  commencée  au  mois  de  novembre  dernier. 


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68  REVUE  FRANÇAISE 

de  Munich;  l'autre  par  notre  collègue,  le  capitaine  breveté  de  Conten- 
son  et  Tabbé  Chabot,  en  1897. 

Après  un  séjour  en  Syrie,  les  voyageurs  allemands  se  dirigèrent  de 
Damas  vers  le  Nord,  franchirent  le  Taurus  cilicien,  atteignirent  les  rive* 
du  Kyzyl-Yrmak  qu'ils  remontèrent  d'abord  pour  explorer  le  mont  Ar- 
gée,  et  qu'ils  descendirent  ensuite  pour  relever  son  cours  moyen.  Telle 
est  la  partie  nouvelle  de  ce  voyage  dans  une  contrée  que  visita  Tchikha- 
tchef  en  1849,  Barth  en  1838  et  plus  récemment  Nauman. 

C'est  au  Sud-Est  de  ces  montagnes  que  se  porta  la  mission  archéolo- 
gique française.  Elle  put  utiliser  pour  upe  bonne  partie  de  son  parcours 
la  carte  de  Kiepert  (Beriin,  1890)  publiée  d'après  les  voyages  de  Humann, 
Puchstein,  etc.,  seul  document  à  peu  près  exact  de  la  région /comprise 
entre  la  Syrie  et  l'Arménie.  En  attendant  que  le  capitaine  de  Contensoa 
mette  au  net  ses  levés  de  détail  et  ses  observations  barométriques,  tra- 
çons seulement  le  chemin  parcouru  d'Alexandrette  à  l'Euphrate,  par 
les  passes  de  l'Amanus,  les  bassins  du  Kara-Sou,  de  l'Afrin,  du  Koveïk 
et  du  Sadjour,  suivant  une  ligne  circulaire  qui  touche  au  sommet  du 
djebel  Barakat  et  se  prolonge  par  la  reconnaissance  du  cours  du  fleuve, 
jusqu'au  massif  du  Kara  Dagh  et  à  la  partie  Sud  du  Taurus  Arménien 
après  une  pointe  sur  Orfa  en  Mésopotamie.  Le  retour  s*est  effectué 
par  Aintad  dans  une  direction  sud-ouest. 

M.  l'abbé  Chabot,  chargé  de  cours  à  l'Écple  des  Hautes  Études,  s'était 
muni  d'une  mission  de  l'instruction  publique,  a  J'avais  obtenu,  d'autre 
part,  nous  écrite!,  de  Contenson,  par  l'intermédiaire  de  l'ambassade  de 
France  à  Constantinople,  des  lettres  vizirielles  qui  nous  ont  été  indis- 
pensables pour  voyager  avec  quelque  apparence  de  sécurité  dans  ces 
pays  encore  fumants  du  sang  dès  massacres.  » 

Signalons  aussi  le  voyage  accompli  au  Yemen,  dans  la  pointe  sud- 
ouest  de  l'Arabie  par  M.  Désiré  Charnay,  le  vétéran  des  voyageurs 
français. 

Connu  par  ses  explorations  au  Mexique  et  dans  l'Amérique  centrale, 
M.  Charnay  a,  cette  fois,  pénétré  au  coeur  d'une  région  dangereuse 
par  le  fanatisme  de  ses  habitants.  Ses  recherches  archéologiques  pour- 
suivies dans  l'intérieur  de  l' Yemen,  à  Sanà,  à  Djerim,  à  Taes,  etc.,  lui 
ont  permis  de  reconstituer  la  physionomie  des  villes  sabéennes  du 
temps  de  la  reine  Belkis,  l'amie  de  Salomon. 

Asie  centrale.  —  Revenons  ensuite  aux  progrès  géographiques  dont 


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LES   EXPLORATIONS   EiN   ASIE   EX   1897  60 

les  graods  travaux  opérés  par  la  Russie  ont  été  Toccasion,  et  pénétrons 
dans  l'Asie  Centrale  par  le  chemin  de  fer  transcaspien. 

Le  trafic  se  fait  depuis  le  mois  de  février  dernier  entre  Samarkand 
el  Djizas,  dans  la  direction  du  Syr-Daria.  La  voie  est  construite  jusqu'à 
Kavas,  d*où  elle  bifurque,  à  gauche  vers  Tachkent,  à  droite  vers 
Khokand.  Grâce  à  rétablissement  d'une  route  d'Askhabad  à  Méchèd, 
les  Persans  peuvent  utiliser  le  Transcaspien  pour  Técoulement  de  leurs 
produits. 

Notons  encore  qu'un  embranchement  est  en  construction  depuis  le 
printemps  dernier,  de  Merv  pour  Kouck  dans  la  direction  de  Hérat.  Il 
s'arrête  à  la  frontière  de  l'Afghanistan. 

Le  Bokhara,  dont  la  population  et  la  vie  économique  restent  tou- 
jours intéressantes,  a  été  visité  cette  année  par  la  mission  du  colonel 
Kouznétzoff,  qui,  de  Kerminé,  ^station  du  Transcaspien,  prit  sa  route 
par  Karchi,  Gouzar  Chirabad,  Termez,  et  suivit  TAmou-Daria  sur  une 
longueur  de  près  de  300  kilomètres  à  travers  un  pays  désert. 

Plusieurs  missions  scientifiques  sont  parties  de  Samarkand  pour  en- 
treprendre l'étude  du  Rochan,  du  Chougnan  et  du  Vakhan,  qui  ap- 
partiennent, conmie  on  sait,  à  la  région  du  Pamir. 

L^  recherches  de  M.  Zahlman  [X)rtèrent  principalement  sur  les  dia- 
lectes taijiks.  Le  professeur  Korjinski  et  le  lieutenant  KoznakofF  prirent 
la  route  connue  du  Kizil-Art  ;  seul  M.  Ivanoff,  chargé  d'une  mission 
géologique,  réussit  à  pénétrer,  par  les  monts  Hissar  et  le  Darvaz,  au 
Rochan,  d'où  il  poursuivit  son  exploration  géologique  dans  le  Chou- 
gnan et  le  Vakhan  pour  monter  ensuite  vers  Och,  par  la  passe  de 
Taldjyk. 

Ces  différents  voyages  font  songer  à  pelui  d'un  •  officier  danois, 
iM.  Olufsen,  qui  traversa  le  Pamir  d'Och  à  Kalaï-Pandj,  releva  la  rive 
droite  du  Pandj,  qu'il  descendit  jusqu'à  Kalaï  Khoumo  et  se  porta  droit 
sur  le  Sourghab  dont  il  remonta  le  cours  pour  revenir  à  son  point  de 
départ.  L'itinéraire  du  voyageur  forme  une  boucle  complète  dont  le  tracé 
est  appuyé  sur  un  grand  nombre  de  positions  astronomiques. 

Une  expédition  scientifique,  sous  la  direction  de  M.  Fedtchenow, 
explore  les  montagnes  qui  séparent  la  vallée  du  Syr-Daria  de  celle 
du  Tchou.  On  y  étudie  surtout  les  glaciers,  assez  nombreux  dans 
le  pays. 

Quand.on  considère  les  travaux  des  Russes  en  Asie  Centrale,  les  noms 


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70  KEVUE  FRANÇAISE 

de  Pievlzof,  de  Potanine,  de  Prjevalski,  de  Groum-Grjimaïlo,  ouvriers 
de  la  première  heure,  se  présentent  forcément  à  Tesprit.  Cette  grande 
œuvre  de  pénétration  a  été  méditée,  élaborée  et  accomplie  sous  les  aus- 
pices et  par  les  soins  de  la  Société  impériale  russe  de  géographie. 

C'est  encore  sous  son  impulsion  directrice  que  fut  exécutée  la  belle 
exploration  de  M.  Roborovski,  qui  n*a  pas  duré  moins  de  trois  années, 
de  1893  à  1896.  Les  membres  de  la  Société  ont  pu  lire  le  rapport  sur 
cette  expédition,  pam  dans  Tun  des  derniers  comptes  rendus,  rapport 
que  l'explorateur  nous  a  directement  communiqué  par  la  gracieuse  en- 
tremise de  M.  le  général  Venukoff  (1). 

Les  travaux  de  M.  Roborovski  et  Kozloflf  embrassaient  :  les  diverses 
ramifications  du  Tian-Chan  au-dessous  desquelles  s'étend  une  dépres- 
sion de  plus  de  100  mètres  dont  il  fixa  la  position,  l'étude  détaillée  du 
Nan-Chan,  où  fut  découvert  un  lac  salé,  le  Kara-Nor,  le  Kouen-Loun, 
les  monts  Humboldt  et  Ritter,  le  cours  du  Tarim,  les  abords  du  Lob-Nor, 
le  bassin  du  Koukou-Nor.  Au  lieu  de  suivre  des  itinéraires  fixes,  ils 
procédèrent  par  excursions  circulaires  autour  de  stations  météorologi- 
ques établies  par  leurs  soins,  et  ils  purent  tracer  des  mailles  entre  les 
itinéraires  déjà  connus,  complétant  ainsi  l'œuvre  de  leurs  devanciers. 

Enfin,  nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  une  expédition  russe  en 
Asie,  conduite  par  M,  le  professeur  Krasnoif  et  ayant  pour  but  Tétude 
de  la  culture  du  thé  aux  Indes,  à  Ceylan,  à  Java,  en  Chine  et  au  Japon. 
C'est  peut-être  la  plus  importante  au  point  de  vue  de  la  géographie 
botanique  et  agricole,  La  relation  qu'en  publie  la  Revue  russe  «  Knijki 
NedaiU  »  aura  une  influence  sensible  sur  l'introduction  de  la  culture  du 
thé  dans  la  Transcaucasie,  où  MM.  Popoff  ont  déjà  fait  des  essais  fruc- 
tueux. 

Dans  la  dernière  partie  de  son  long  itinéraire,  le  voyageur  suédois 
Sven  Hedin.  auquel  la  Russie,  l'Angleterre  et  l'Allemagne  font  une  vé- 
ritable ovation,  a  pris  comme  champ  d'exploration  les  contrées  situées 
au  Nord  du  Tibet.  Nous  ne  reviendrons  pas  sur  ses  ascensions  dans  le 
Pamir,  ni  sur  ses  traversées  de  la  portion  occidentale  du  désert  de  Takia 
Makan;  ces  travaux  appartiennent  à  l'exercice  précédent.  En  janvier 
1896,  il  repartait  de  Khotan  vers  la  Keria  Daria,  trouvant  au  passage 
des  traces  de  villes  enfouies,  remontait  ce  cours  d'eau  jusqu'à  sa  perte 
dans  les  sables  à  environ  39**  30'  de  lat.  N.,  atteignait  le  Tarim,  le  Ba- 

(1)  Voir  Rw.  Fr.y  t.  XXII,  p.  598,  avec  carte. 


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Société  de  Géographie . 


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72  REVUE  FRANÇAISE 

gratch-Koul,  puis,  se  portant  à  TEst  de  la  rivière  Koutché,  découvrait, 
au  Nord  du  Lob-Nor,  reconnu  par  Prjevalski,  une  série  de  nappes 
d'eau  situées  à  l'emplacement  marqué  pour  ce  lac  sur  les  cartes  chi- 
noises, non  loin  des  nappes  que  èignala  Pe\1zofif. 

M.  Sven  Hedin  constata  que  le  régime  hydrographique  de  cette  région 
est  sounjiis  à  de  fréquents  changements.  De  retour  à  Kholan,  il  entreprit 
en  juin  1896  la  traversée  du  versant  septentrional  du  Tibet,  franchis- 
sant le  Kouen-Lun  et  TArka-Tagk,  puis,  se  tenant  dans  sa  marche  vers 
l'Est  entre  le  3S®  et  le  36®,  il  aboutit  à  un  vaste  plateau  semé  de  lacs 
sans  dégagement  ;  enfin,  par  le  Koukou-Nor  et  le  bassin  du  Hoang-Ho, 
il  gagna  Pékin.  Cet  itinéraire,  dans  sa  partie  la  plus  récente,  rappelle 
les  grandes  traversées  effectuées  du  Nord  au  Sud  par  les  missions  Bon- 
valot  et  Henri  d'Orléans,  Dutreuil  de  Rhins  et  Grenard.  Celles-ci  s'en- 
foncèrent plus  profondément  dans  l'intérieur  du  Tibet,  presque  jusqu'aux 
portes  de  Lhassa. 

Les  explorations  françaises  en  Asie.  —  Parmi  les  étrangers  qui  col- 
laborent à  l'œuvre  d'ensemble  entreprise  par  les  Russes  en  Asie,  qui 
dirigent  vers  ces  espaces  immenses  à  peine  éclos  à  la  civilisation  leur 
enquête  scientifique,  ou  qu'attire  seulement  le  spectacle  de  ces  transfor- 
mations grandioses,  les  Français  tiennent  une  place  honorable.  Pour 
ne  parler  que  de  ceux  qui,  cette  année,  sont  restés  en  contact  avec  la 
Société  de  Géographie,  nous  devons  signaler  d'abord  M.  Chaffanjon  (1). 

Sans  nous  arrêter  aux  études  scientifiques  diverses  auxquelles  s'est 
adonnée  la  mission  J.  Chaffanjon,  Louis  Gay  et  Mangini,  sur  tout  son 
parcours,  c'est-à-dire  du  Caucase  à  la  mer  du  Japon,  ni  môme  aux 
nombreuses  observations  astronomiques  qu'elle  fit,  franchissons  avec 
elle  l'Altaï,  arrivons  à  Kobdo,  l'une  des  plus  importantes  villes  de  la 
Mongolie  septentrionale»  et  cheminons  à  l'Est  vers  Ourga.  Par  le  col  de 
Dzaghistaï,  M.  Chafl'anjon  nous  conduit  dans  le  bassin  supérieur  de 
rÉder,  et  le  relevé  qu'il  en  fait  modifie  sensiblement  le  système  hydro- 
graphique de  cette  région  sur  une  étendue  de  400  kilomètres.  Ici  le  sol 
est  ingrat,  et  seules  des  ruines  telles  que  celles  de  Karakoroum  nous  ré- 
vèlent la  civilisation  des  grands  ka'an.  L'aspect  est  différent  sur  les  rives 
du  Keroulen,  où  le  précéda  (1894-189S)  la  mission  russe  de  M.  Stre- 
Hsky.  M.  Chaffanjon,  qui  s'attendait  à  pénétrer  dans  une  région  inha- 
bitée, se  vit  en  contact  avec  une  population  sédentaire  et  <)ut  porter 

(1)  Voir  Rev.  Fr.,  t.  XXII,  p.  239. 


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LES   EXPLORATIONS   EN   ASIE   EN   1897  73 

un  grand  nombre  de  localités  sur  la  carte.  La  vallée  du  Khailar  qu'il 
remonta  ensuite  pour  gagner,  par  delà  les  Khingan,  laNonni  et  l'Amour, 
fut  descendue  jusqu'à  TArgoun  vers  la  même  époque  par  M.  Franke. 
Celui-ci  était  parti  de  Pékin  parla  vallée  de  Tlssoun,  le  bassin  du  Chara 
Mouren  et  le  Gobi  Mongol,  suivant  un  itinéraire  qui  rappelle  la  route 
de  la  mission  Fritsche  de  1873.  Il  put  atteindre  le  Bouir  Nor  et  cons- 
tater que  les  P.  Jésuites,  Gerbillon  et  Pereira  en  avaient  exactement 
fixé  la  position  dès  le  xvu^  siècle. 

M.  Levât  entreprit,  dans  le  Sud-Est  de  la  Sibérie,  la  reconnaissance 
de  la  Zeia.  Il  en  détermina  les  cours  moyen  et  supérieur  sur  un  itiné- 
raire de  2.000  kilomètres  par  des  levés  à  la  boussole  et  des  observa- 
tions barométriques.  Ses  opérations  ont  pu  être  raccordées  à  celles  de 
M.  Kropotkine  et  de  Tétat-major  russe  dans  cette  partie  peu  connue  du 
bassin  de  l'Amour.  Pendant  ses  deux  missions  géologiques  de  189S  et 
1896  accomplies  avec  M.  Th.  Sabachnikofif,  M.  Levât  a  signalé  de  nom- 
breux gisements  aurifères,  et  s'est  incidemment  occupé  du  régime  des 
eaux  et  des  pluies  comme  des  conditions  climatériques  des  régions 
visitées. 

La  nécessité  où  nous  sommes  de  nous  en  tenir  aux  résultats  géogra- 
phiques ne  nous  permet  pas  d'insister  sur  la  traversée  de  l'Asie  russe, 
dont  M.  Lalo  nous  fît  un  récit  attachant,  ni  sur  les  voyages  de  M.  le 
baron  de  Baye  qui  nous  ont  valu  une  ample  moisson  de  documents  ar- 
chéologiques et  l'étude  de  populations  telles  que  les  Ostiaks  répartis 
dans  le  bassin  inférieur  de  l'Ob. 

"Même  remarque  en  ce  qui  touche  les  travaux  mûrement  préparés'  et 
toujours  fructueux  de  M.  Edouard  Blanc  en  Asie  Centrale,  les  observa- 
tions ethnologiques  que  M.  Paul  Labbé,  rentré  tout  récemment  en 
France,  recueillit  cet  été  sur  la  race  kirghize  et  les  études  économiques 
et  sociales  que  poursuit  avec  succès  M.  Pierre  Leroy-Baulieu  à  travers 
le  continent  asiatique. 

Au  cours  de  la  mission  que  lui  confia  le  ministère  des  colonies, 
M.  Saint>-Yves  reprit  en  sens  inverse  et  avec  quelques  variantes,  l'itiné- 
raire de  M.  Chaflfanjon  dans  le  Sémiretchié.  Sergiopol,  Kopal,  Vemiié, 
Prjevalski,  Narynsko^^,  Och,  jalonnent  le  tracé  principal,  qui  se  pro- 
longe dans  l'Alaï  et  le  Transalaï  par  le  Tengiz  Baï,  les  vallées  de  Mozar 
et  de  Taracha,  connus  des  Russes,  mais  qu'aucun  voyageur  français 
n'avait  encore  visités.  11  put,  au-dessus  de  l'Issyk-Koul,  observer  un 


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74  REVUE  FRANÇAISE 

type  très  curieux  de  perte  de  rivières,  puis,  en  lougeant  la  chaîne  qui 
sépare  le  Semiretchié  du  Ferganah,  il  découvrit  entre  les  cols  de  Terek 
et  de  Tchibbel  une  série  de  glaciers  très  caractéristiques,  dont  deux 
reçurent  les  noms  de  nos  collègues  MM.  Chaifanjon  et  Gay. 

Extrême-Orient.  —  L'année  1897  a  vu  s'achever  trois  importants 
voyages  français  en  Extrême-Orient.  Ce  sont,  .d  une  part,  les  missions 
Bonin  et  Marcel  Monnier,  de  Tautre  la  mission  lyonnaise  dirigée  par 
M.  Brenier. 

Les  deux  premières  se  rattachent  par  une  partie  de  leurs  itinéraires 
à  l'Asie  russe.  Elles  ont  pu  observer  le  Chinois  chez  lui  ou  bien  explo- 
rer ses  frontières,  puis,  au  cours  de  longues  chevauchées,  apprécier 
l'intensité  de  l'efifort  victorieusement  tenté  par  le  monde  slave  aux  con- 
fins du  monde  jaune.  La  dernière  mission  limite  sa  sphère  d'action  à 
la  Chine  même.  Son  ambition  est  d'évaluer  la  puissance  productrice  et 
l'avenir  économique  de  ce  marché  qui  s'ouvre  à  peine  et  de  ménager 
les  issues  par  lesquelles  s'établiront  les  grands  courants  commerciaux 
qui  font  les  colonies  fécondes. 

Les  8.000  kilomètres  que  parcourut  en  Chine  par  voie  de  terre  M.  Ch.- 
Eudes  Bonin,  vice-résident  de  France  en  Indo-Chine,  l'ont  conduit  des 
possessions  françaises  aux  possessions  russes.  Il  ilt  la  topographie  exacte 
des  sources  du  fleuve  Rouge,  signalées,  mais  non  relevées  par  l'explo-^ 
rateur  anglais  Colqhoun.  M.  C.  Madrolle  s'était  porté  dans  cette  direc- 
tion par  Lin-an-fou  et  Che-Pin  et  avait  fixé  le  cours  de  la  rivière  Song- 
koi,  mais  ses  travaux  appartiennent  à  l'année  précédente  et  nous  nous 
contentons  de  rappeler  dans  ce  rapport  qu'il  a  dressé  la  première  carte 
de  Hai-nan.  La  géographie  est  surtout  redevable  à  M.  Bonin  d'un 
itinéraire  nouveau  (800  kil.)  sur  la  frontière  du  Tibet,  de  Tali  à  Tat- 
sienlou;  sur  ce  parcours,  il  traversa  le  royaume  inexploré  de  Meli  et 
découvrit  la  boucle  du  Yang-Tsé  qui,  de  Li-kiang  à  Young-ning-tou- 
fou,  s'avance  à  près  d'un  degré  vers  le  Nord  pour  tourner  brusquement 
au  Sud  et  reprendre  vers  l'Est  son  cours  tortueux  (1).  C'est  de  Tatsien- 
lou  qu'un  missionnaire  catholique,  le  P.  Soulié,  partit  en  décembre  1894 
pour  se  porter  au  Sud-Ouest  par  une  route  nouvelle,  jusqu'au  point 
où  le  Mékong  pénètre  dans  le  TibeU  A  Tatsienlou,  M.  Bonin  prit  la 
route  que  suivit  Gill  en  1877,  et,  toujours  marchant  vers  le  Nord, 
il  coupa  en  plusieurs  points  les  tracés  de  Potanine,  atteignit  à  Lan- 

(1)  Voir  Rev,  Fr,,  t.  XXI,  p.  704  avec  carte. 


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LES   EXPLORATIONS   EN   ASIE   EN   1897  75 

tcheou  le  fleuve  Jaune  qu'il  descenditjusqu'à  l'endroit  où  commence  son 
coude  vers  le  Sud.  Cette  route  est  connue,  mais  la  reconnaissance  de 
M.  Bonin  dans  l'Ordos  est  nouvelle  et  son  tracé,  de  Koukou-Khoto  à 
Chara  Mouren,  c'est-à-dire  des  abords  du  Hoang-ho  h  la  route  postale 
menant  en  Sibérie,  n'a  été  coupé  que  sur  un  point,  par  Prjevalsky 
(1871-1873). 

Plusieurs  cartes  à  grande  échelle  ont  permis  de  tracer  avec  exactitude 
la  route  de  M.  Marcel  Monnier  dans  l'empire  du  Milieu.  Le  détail  de  ce 
voyage  oi^nisé  aux  frais  du  journal  Le  Temps,  est  en  partie  publié  et 
bientôt  l'explorateur,  après  trois  ans  d'absence,  nous  fera  lui-môme  le 
récit  de  ses  longues  pérégrinations  pendant  lesquelles  il  a  pénétré  la  vie 
chinoise,  Nous  nous  contenterons  donc  aujourd'hui  de  noter  les  levés 
au  1/50.000  qu'il  exécuta  en  1896,  d'Y-Tchang  au  Tonkin  à  travers  le 
Sé-Tchouen  et  le  Yunnan,  et  l'itinéraire  nouveau  qu'il  décrivit  cette 
année  en  Corée  entre.  Tche-Moul-Po,  Séoul  et  Gensan.  U  s'était  rendu 
dans  cette  presqu'île  par  Formose,  le  curieux  archipel  des  Liou  Kieou 
incorporé  depuis  peu  dans  le  domaine  du  Mikado  et  l'Ile  de  Kiou-Siou. 
Le  4  juillet,  il  était  à  Vladivostok  d'où  il  gagnait  par  l'Oussouri  la 
vallée  de  l'Amour,  le  Baïkal  et  Irkoutsk.  Rentré  en  territoire  chinois, 
il  toucha  Ourga  et,  par  un  itinéraire  se  rapprochant  de  celui  qu'effec- 
tua en  sens  inverse  M.  Chaffanjon,  il  visita  les  vestiges  de  Karakoroum, 
la  lamaserie  d'Erden-Zo,  puis  Kobdo.  ^Abandonnant  alors  la  route]  du 
Turkestan,  il  atteignit  au  delà  de  l'Altaï  les  sources  de  FOb.  C'est  l'iti- 
néraire suivi  au  xui^  siècle  par  un  moine  du  Brabant,  Guillaume 
Ruysbroek,  dit  Rubruquis,  que  le  roi  Louis  IX  envoya  en  Tartarie 
prêcher  TÉvangile.  Son  livre  à  la  main,  M.  Marcel  Monnier  suivit  sa 
trace.  Il  leva  soigneusement  la  route  à  la  boussole  comme  pour  ses 
explorations  précédentes  en  Chine  et  en  Corée.  Du  Turkestan  par  la 
Transcaucasîe  il  pensait  atteindre  le  nord  de  la  Perse  et  contourner  la 
Caspienne  pour  revenir  en  Europe  après  un  parcours  de  30.000  kilo- 
mètres. 

Du  voyage  de  M.  H.  Brenier,  directeur  de  la  mission  lyonnaise, 
rappelons  seulement  les  grandes  lignes  de  ce  vaste  itinéraire.  On  sait 
que  Bordeaux,  Lille,  Marseille,  Roanne  et  Roubaix  avaient  répondu  à 
l'appel  de  la  Chambre  de  commerce  de  Lyon.  La  mission,  dirigée  d'a- 
bord par  M,  le  consul  Rocher,  était  partie  sous  le  patronage  des  minis- 
tères des  affaires  étrangères,  des  colonies,  dvi  commerce,  et  elle  avait 


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76  REVUE  FRANÇAISE 

obtenu  de  la  marine  qu*un  médecin  de  1^  classe,  M.  Deblenne,  lui 
fût  adjoint.  Les  membres  qui  la  composaient,  prenant  comme  base 
notre  colonie  indo-chinoise,  étudièrent,  outre  ses  ressources  propres, 
ses  voies  de  pénétration  et  ses  éléments  d'échange  ;  puis  ils  exami- 
nèrent la  valeur  économique  et  commerciale  du  groupe  formé  par  le 
Yun-Nan,  le  Kouang-Si  et  le  Koui-Tchéou;  enfin  ils  procédèrent  à  l'ex- 
ploration commerciale  du  Se-ïchouen,  avec  Tchoung-King  comme 
centre  des  opérations.  Ils  ont  ajouté  à  ces  résultats  une  enquête  sur  le 
commerce  général  de  la  Chine,  qu'ils  ont  poursuivie  soit  le  long  du 
Yang-Tsé-Kiang  ou  du  Si-Kiang,  soit  en  se  rendant  par  mer  à  Pakhoi, 
à  Hong-Kong,  ^  Changhaï  et  à  Pékin. | 

La  mission  lyonnaise  a  à  son  actif  16.000  kilomètres  parcourus  en 
pleine  Chine,  plus  de  8.000  kilomètres  de  levés  de  route  à  la  bous- 
sole et  au  baromètre,  dont  près  de  4.000  en  terrain  nouveau,  les  études 
géologiques  de  M.  l'ingénieur  Duclos,  les  observations  botaniques  et 
médicales  du  docteur  Deblenne,  des  renseignements  ethnographiques 
et  linguistiques,  des  données  géographiques  générales  et  différentes 
découvertes  ou  constatations  intéressantes,  notamment  celle  de  la  véri- 
table branche  mère  du  Si-Kiang  qui  est  la  rivière  Lieou-Tchéou-Fou. 

L'exemple  donné  par  la  chambre  de  commerce  de  Lyon  fut  suivi  à 
un  an  de  distance  par  la  chambre  anglaise  de  Blackburn  et  par  les 
chambres  de  commerce  allemandes  de  Crefeld,  de  Gladbach,  de 
Brème,  etc.,  toutes  avec  l'appui  plus  ou  moins  officieux  de  leurs  gou- 
vernements respectifs.  On  peut  rattacher  à  ce  mouvement  d'enquête 
la  tournée  officielle  confiée  par  la  Grande-Bretagne  à  M.  le  consul  Byron 
Brenan  dans  tous  les  ports  ouverts  de  la  Chine  et  en  Corée.  Quant  à  la 
mission  japonaise  elle,  commença  sans  doute  à  fonctionner  en  même 
temps  que  la  mission  lyonnaise  et  la  précéda  à  Tchoung-King;  mais 
aucune  de  ces  entreprises  ne  présentait  l'envergure  de  la  nôtre. 

Nous  arrêtons  là  ces  indications  sans  aborder  la  question  des  chemins 
de  fer  de  pénétration  dont  les  puissances  occidentales  se  disputent  les 
concessions. 

Empire  i>e  l'Indk.  —  Ce  rapide  coup  d'œil  sur  les  explorations 
accomplies  en  1887  ne  comporte  pas  une  étude  sur  les  opérations  mi- 
litaires conduites  par  les  Anglais  au  Nord-Ouest  de  l'empire  de  l'Inde. 
Mais  il  faut  signaler  la  mission  de  MM.  Welby  et  Malcolm  qui  par- 
tirent du  Kachmir,  effectuèrent  la  traversée  du  nord  du  Tibet  entre  le 


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LES   EXPLORATlOiNS   EN   ASIE   EN    18^7  77 

38®  et  36°,  atteignirent  le  Tchou-Mar,  origine  du  Mouroussou,  par 
conséquent,  du  Yang-Lé,  et  par  le  Koukou-Nor  et  le  couvent  de 
Koumboum,  se  rendirent  à  Lan-Tchéou,  puis  à  Pékin!  MM.  Deasy  et 
Arnold  Pike  durent  limiter  Jeur  exploration  à  la  région  des  lacs  située 
à  Test  du  Ladak.  / 

Nous  ne  pouvons  nous  arrêter  aux  travaux  effectués  en  Birmanie,  où 
l'expédition  Pottinger  faillit  être  écharpée  (Georg.  Jal.,  août  1897);  ni 
même  aux  avantages  territoriaux  et  commerciaux  que  la  Grande-Bre- 
tagne recueillit  du  traité  de  Pékin  (5  juin  1897)  à  la  suite  des  négo- 
ciations de  sir  Claude  Macdonald  (cession  de  TÉtat  Chan  de  Kokang, 
installation  de  l'Angleterre  dans  le  territoire  situé  au  sud  de  la  rivière 
Nam^Ouam;  ouvertures  de  nouvelles  routes  commerciales  entre  la 
Chine  et  ]a  Birmanie,  et  faculté  de  construire  dans  le  Yunnan  un  che- 
min de  fer  se  reliant  à  cette  colonie). 

Nous  passerons  également  sur  les  résultats  appréciables  de  la  con- 
vention du  20  juin  1895  signée  par  la  France  et  la  Chine.  On  sait 
qn'elle  porte  principalement  sur  un  abornement  de  la  frontière  du 
Yunnan  et  sur  Tintroduction  de  nos  produits  dans  les  provinces  limi- 
trophes du  Tonkin. 

Indo-Chine  française. — L'ère  des  voyages  de  découvertes  est  terminée 
dans  rindo-Chine  française  ;  mais  il  importe  de  tirer  parti  du  domaine  que 
nous  avons  conquis.  C'est  à  ce  résultat  que  travaillent  deux  missions 
hydrographiques  chargées  d'établir  le  degré  de  navigabilité  du  Mékong: 
Tune  en  av^l  des  cataractes  de  Kong,  et  l'autre  en  amont  de  Luang  Pra-  . 
bang.  La  première,  confiée  à  MM.  le  lieutenant  de  vaisseau  Itier,  l'ingé- 
nieur Desbos  et  le  lieutenant  Morin,  a  franchi  les  rapides  du  fleuve,  de  ■ 
Sambor  à  Stung-Treng,  sans  subir  aucune  avarie,  complétant  ainsi 
l'œuvre  du  lieutenant  de  vaisseau'  Simon;  la  seconde,  dite  mission 
hydrographique  du  haut  Mékong,  sous  le  commandement  de  l'enseigne 
de  vaisseau  Mazeran,  est  parvenue,  en  août  dernier,  à  amener  la  ca- 
nonnière La  Gramfière  de  Tang-Ho  à  Xieng-Lap,  après  avoir  franchi 
cinq  rapides  réputés  infranchissables  Tang-Ho,  Tang-Lot,  Tang-Paken, 
Tang-Pho-Mulet,  Tang-Pang)  (1). 

La  partie  du  massif  montagneux  de  l'Annam,  comprise  entre  la  rivière 
de  Hué,  le  Quang-Tri,  Ai-Lao,  le  Se-Kong  et  le  Se-Lâ-Nong,  au  nord  des 
itinéraires  de  Malglaive  et  Bonin,  a  été  parcourue  non  sans  danger, 

(1)  Voir  plus  loin,  p.  124. 


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78  REVUE  FRANÇAISE 

de  jiïillet  à  septembre  1896,  puis  dans  les  premiers  mois  de  1897,  par 
M.  le  lieutenant  Debay  qui,  en  dépit  des  obstacles,  a  réussi  à  rassembler 
les  éléments  d'une  carte  de  cette  région. 

Pendant  le  cours  de  celte  année,  la  Société  de  Géographie  a  pu 
suivre  l'itinéraire  de  deux  voyages  accomplis  dans  le  Laos  et  TAnnam 
sous  les  auspices  du  ministre  de  l'instruction  publique. 

Le  premier  en  date  est  celui  de  M.  le  comte  Pierre  [de  Barthélémy 
qui,  accompagné  de  M.  Jean  de  Neufville  et  d'un  préparateur  pour  ses 
collections  d'histoire  naturelle,  remonta  le  cours  du  Song-Ca  et  se 
dirigea  sur  Luang-Prabang  en  reprenant  la  route  de  MM.  Cupet  et 
Massie.  Il  descendit  ensuite  le  Mékong  et  revint  à  la  côte  d'Annam  par 
le  passage  d'Ai-Lo.  De  ce  voyage,  le  troisième  qu'il  ait  accompli  dans 
rindo-Chine  française,  M.  de  Barthélémy  a  rapporté,  outre  ses  levés 
de  routes  et  ses  collections,  des  notes  ethnographiques  sûr  le  Tran- 
Ninh,  ancienne  principauté  de  la  province  annamite  de  Vinh. 

L'objet  de  la  mission  de  M.  Marc  Bel  était  la  poursuite  de  recherches 
minéralogiques,  géologiques  et  géographiques  dans  l'Annam  et  le 
Laos.  Débarqué  à  Qui  Nhon,  dans  la  province  de  Binh-Dinh,  il  explora 
le  massif  montagneux  dont  la  largeur  s'étend  du  littoral  à  la  plaine 
boisée  du  Mékong*  Par  Atlopeu,  sur  le  versant  S.-E.  du  plateau  de 
Boloven,  il  arriva  au  Sé-Kong  qu'il  descendit  ainsi  que  le  Mékong  pour 
atteindre  Kratié,  puis  Pnom  Penh,  relevant  toutes  les  altitudes  de  la 
route  et  recueillant  des  échantillons  qui  lui  permettront  de  fixer  quel- 
ques  traits  de  la  géologie  de  ces  régions.  On  lui  doit  la  découverte  des 
premiers  gîtes  filoniens  aurifères  du  Laos.  La  seconde  partie  de  son 
exploration  a  été  consacrée  à  l'étude  des  gisements  houillers,  des  gîtes 
aurifères  et  des  mines  de  cuivre  de  la  province  de  Quang-Nam. 

M*°®  Bel,  qui  accompagnait  son  mari  pendant  ce  voyage,  a  recueilli 
des  collections  pour  le  Muséum  d'histoire  naturelle. 

De  la  sorte,  nous  sommes  amenés  à  citer  le  beau  voyage  de  M°*®  Mas- 
sieu  à  travers  la  Birmanie,  nos  possessions  inda-chinoises,  la  Chine  et 
la  Russie  d'Asie;  celui  de  M"»*^  Cross  en  Indo-Chine  et  en  Chine,  deux 
Françaises  que  nous  pouvons  comparer  à  l'une  de  leurs  émules  an- 
glaises, M"**  Bishop,  qui,  par  le  Yang-Tsé-Kiang,  s'aventura  dans  le 
Se  Tchouen  et  jusqu'aux  confins  du  Tibet.  Ainsi  les  voyages  en  pays 
lointains,  et  particulièrement  en  Extrême-Orient,  ont  cessé  d'être  Tapa- 
nage  d'une  seule  moitié  du  genre  humain.  Holot. 


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LES  LETTRES  DE  LA  MISSION  MARCHAND 

Lorsque  fut  répandue,  au  commenœment  de  décembre  1897,  la 
nouvelle  du  massacre  de  la  mission  Marchand,  —  nouvelle  qui  depuis 
deux  mois  n'a  pas  été  confirmée  et  que  Ton  peut  considérer  comme 
fausse,  —  les  renseignements  récents  connus  sur  la  mission  ne  consis- 
taient qu'en  quelques  nouvelles  vagues  remontant  à  plus  de  cinq  mois. 
Depuis  lors  des  lettres  ont  surgi  de  tous  côtés,  donnant,  dans  les  jour- 
naux, des  renseignements  détaillés,  beaucoup  trop  même,  sur  la  marche 
de  la  mission,  son  but,  ses  intentions.  Si  la  nouvelle  du  massacre 
n'avait  été  lancée  que  dans  le  but  de  provoquer  la  publication  de 
correspondances  concernant  les  faits  et  gestes  de  la  mission  Marchand, 
il  faut  reconnaître  que  nos  rivaux  intéressés  sont  aujourd'hui  bien 
renseignés.  La  Revue  Française  qui  pendant  longtemps  s'était  imposé 
de  Conrart  le  silence  prudent,  n'a  plus  désormais  l^^aucune  raison  de 
se  tenir  sur  la  réserve. 

Le  capitaine  Marchand  s'était  embarqué  à  Bordeaux  le  20  juin  1896. 
Il  avait  sous  ses  ordres  12  Européens  :  les  capitaines  Mangin  et  Ger- 
main, le  lieutenant  Largeau,  de  l'infanterie  de  marine  ;  le  capitaine 
Baratier,  des  spahis  soudanais  ;  le  capitaine  d'mfanterîe  Simon,  qui, 
tombé  malade  en  remontant  l'Oubangui,  a  eu  encore  la  force  de  revenir 
en  Algérie  pour  y  mourir  en  décembre  dernier;  l'enseigne  de  vaisseau 
Dyé  ;  M.  Émily,  médecin  de  la  marine  ;  l'administrateur  Bobichon  ; 
l'interprète  Landetoin  ;  enfin,  4  sous-ofiSciers,  parmi  lesquels  les  ser- 
gents Nicolas  et  Dat,  encadrant  deux  compagnies  de  tirailleurs  indi- 
gènes. Afin  d'assurer  les  derrières  de  la  mission  Marchand,  le  capitaine 
Roulet  vient  d'être  désigné  })our  se  rendre  sur  le  haut  Oubangui. 
Tous  les  membres  de  la  mission  sont  de  vieux  Africains. 

Les  lettres  que  nous  publions  ci-dessous  font  ressortir  les  difficultés 
énormes  contre  lesquelles  la  mission  Marchand  a  eu  à  lutter.  Déjà  en 
exposant  la  marche  concentrique  qui  se  fait  de  trois  côtés  vers  le  haut 
Nil,  la  Revue  Française  (déc.  1897}  a  retracé  les  obstacles  que  la  mis- 
sion Marchand  dut  surmonter  de  Loango  à  Brazzaville  d'abord,  puis^ 
de  ce  point  au  confluent  du  M'Bomou  et  de  l'Oubangui.  Le  M'Bomou 
étant  sans  cesse  obstrué  par  des  obstables,  sur  son  parcours  de  100  kilo* 


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80  REVUE  FRANÇAISE 

mètres,  il  fallait  la  plupart  du  temps  suivre  1^  voie  de  terre  pour  trans- 
porter non-seulement  les  3.000  charges  de  la  mission,  mais  encore  deux 
vapeurs  démontés  et  partagés  en  tranches.  Grâce  aux  sultans  de  Rafaï 
et  de  Sémio,  qui  fournirent  des  porteurs,  souvent  remplacés  plutôt  de 
force  que  de  gré,  on  put  ainsi  avancer  lentement  et  prendre  pied  dans 
le  bassin  du  Nil,  après  un  portage  d'environ  90i)  kilomètres,  soit  la 
distance  de  Paris  à  Perpignan. 

Une  lettre  adressée  par  un  des  membres  de  la  mission  Marcliand  et 
publiée  par  le  Télégramme  de  Toulouse  donne  d'intéressants  détails 
sur  cette  pénible  marche.  Voici  cette  lettre,  date  de  M'Bima,  1®*^  août 
1897: 

«  Vous  pouvez,  mon  cher  ami,  par  la  situation  géographique  que  je 
vous  donne  (6®  latitude  nord,  24®, longitude  est),  vous  faire  une  idée 
approximative  de  Tendroit  d'où  je  vous  écris  et  du  chemin  que  nous 
avons  parcouru  depuis  le  13  avril  que  nous  avons  quitté  Banghi. 

Un  mois  de  pirogue  d'abord,  sous  le  soleil  ardent  .sous  les  averses 
diluviennes  et  au  milieu  de  tornades  épouvantables,  si  fréquentes  sous 
Téquateur. 

Notre  convoi,  le  dernier  de  la  mission,  est  composé,  de  72  pirogues 
et  de  1.200  pagayeurs  transportant  1.500  charges... 

...  Après  des  fatigues  sans  nombre,  nous  sommes  arrivés  à  Ouango, 
sur  le  M'Bomou  affluent  de  TOubanghi.  Nous  suivons  tout  le  temps  la 
rive  droite  de  TOubanghi  et  du  M'Bomou,  car  la  rive  gauche  appartient 
à  TEtat  indépendant  du  Congo.  Nous  voilà  à  plus  de  2.SO0  kilomètres 
de  Loango,  qui  est  le  port  de  la  côte  le  plus  rapproché. 

Nous  allons  continuer  notre  marche  vers  Test  par  voie  de  terre,  car 
Ouango  est  le  point  terminus  de  la  navigation.  Nous  devons  alors 
tracer  et  faire  une  route  de  quinze  mètres  de  largeur  à  travers  un  pays 
accidenté  comme  celui-ci,  où  les  obstables  surgissent  à  chaque  pas  : 
ici  un  ravin  rocailleux,  plus  loin  un  bourbier  vaseux,  partout  des 
brousses  épaisses,  de  hautes  herbes. 

Voilà  la  partie  la  plus  pénible  de  notre  mission  ;  nous  devons  explorer 
tous  les  cours  d'eau  navigables,  rivières  se  transformant  en  torrents 
rapides,  infranchissables.  A  chaque  instant  nous  devons  traîner  nos 
pirogues  à  terre  et  les  remettre  à  flot  au  delà  des  passages  dangereux. 
Nous  devons  enfin  faire  passer  du  bassin  du  Congo  dans-  celui  du  Nil 


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XXIII  (Février  98).  H"  230. 


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t' 


82  REVUE  FRANÇAISE 

deux  vapeurs  de  18  mètres  de  longueur  qu'il  nous  faudra  faire  porter 
à  dos  d'homme,  sur  un  parcours  de  i  .000  kilomètres,  de  Ouango  au 
Bahr-el-Ghazal,  affluent  du  Nil.  Un  de  nos  vai)eurs  a  déjà  franchi 
400  kilomètres,  et  à  l'heure  où  vous  aurez  ma  lettre  il  naviguera  dans 
les  eaux  du  Nil. 

L'énergie  et  la  volonté  d'un  homme,  le  capitaine  d'infanterie  de 
marine  Marchand,  secondé  par  une  dizaine  de  blancs,  appartenant 
comme  lui  à  cette  arme  d'élite,  ont  conçu  et  mis  à  exécution  ce  hardi 
projet. 

Et,  dans  cette  colonie  du  Haut-Oubanghi,  où  depuis  un  an  nous  ne 
mangeons  plus  de  viande  fraiche,  où  le  vin  manque  depuis  longtemps, 
où  les  privations  sont  sans  nombre  et  la  fatigue  continuelle,  sur  les 
douze  Européens  qui  composent  la  mission,  huit  officiers  et  quatre 
sous-officiers,  pas  un  n'est  malade  !... 

Nous  traversons   ainsi  Gozobaughi,   Bozoghi,   Bangasso,   Zemio... 

Nous  arrivons  à  Rafaï,  dont  le  territoire  touche  au  territoire  arabe  du 
Darfour  :  là,  nous  sommes  reçus  par  le  sultan  que  le  capitaine  Marchand 
comble  de  cadeaux. 

Trois  jours  après  notre  arrivée  à  Zemio,  je  reçois  l'ordre  de  par- 
courir, avec  2S0  porteurs  pour  former  en  quelque  sorte  l'avant-garde 
de  la  mission  ;  j'arrive  ainsi  à  M'Bima  d'où  je  vous  écris. 

Me  voilà  seul  blanc  à  iSO  kilomètres  du  poste  le  plus  voisin  et,  dans 
quelques  jours,  nous  serons  dans  le  bassin  du  Nil.,  Nous  serons  enfin 
à  Fachoda,  où  nous  pourrons  mettre  à  flot  nos  vapeurs.  Nous  espérons 
que  par  suite  de  notre  traité  avec  Ménélik,  nous  pourrons  gagner 
Djibouti  en  passant  par  TAbyssinie  ;  le  roi  des  rois  doit  envoyer  un  de 
ses  ras  à  notre  rencontre  pour  nous  faciliter  le  passage  et  ce  ne  sera 
pas  la  partie  la  moins  intéressante  de  notre  voyage.  Enfin,  encore 
deux  ans  à  peine  et  j'espère  qu'en  1899  nous  serons  définitivement 
rentrés  en  France  ». 

Un  an  sans  manger  de  viande  fraîche  et  encore  moins  de  pain,  ni 
boire  de  vin,  et  pas  un  malade  parmi  les  blancs  !  Il  faut  vraiment 
posséder  un  entraînement  remarquable  et  une  foi  puissante  dans  le 
succès  pour  arriver  à  de  pareils  résultats, 

D'autre  part,  un  sous-officier  aux  tirailleurs  sénégalais,  adresse  à  sa 
famille  deux  lettres,  que  publie  la  Dépêche  de  Toulouse  : 


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I^S  LETTHKS  DE   LA   MISSION   MARCHAND  83 

Nozzioby,  le  45  juillet  1897.  (25'55  est  et  5*33  Nord.) 
Cher  cousin, 

«  Je  suis  dans  la  haute  Egypte,  occupé  à  construire  un  nouveau  poste 
sur  le  bord  du  Soueh,  sous-affluent  du  Nil  Blanc.  C'est  une  étape  de 
plus  dans  cette  région  peu  connue  que  la  mission  Marchand  va  disputer 
aux  exploiteurs  anglais  et  belges. 

Si  nous  réussissons,  j'oublierai  de  bon  cœur  tous  les  dangei*s  et 
toutes  les  fatigues.  Mais  que  de  difficultés,  que  de  combats  à  surmonter 
OQQtre  la  nature  et  peut-être  les  hommes  !  Les  Derviches  ne  sont  pas 
commodes,  et  le  bateau  que  nous  traînons  depuis  Loango,  tantôt  par 
eau,  tantôt  par  terre  à  travers  les  forêts,  les  marécages  et  les  rochers  ne 
va  pas  seul  sur  le  Nil.  Ah  !  quand  nous  Taurons  lancé  sur  le  grand 
fleuve,  il  y  aura  en  Europe  des  gens  étonnés,  stupéfaits,  désappointés. 

Nous  n'avons  pas  im  jour  de  repos,  car  un  jour  de  retard,  rendrait 
tous  nos  efforts  inutiles  ;  tout  ce  que  nous  aurions  fait  le  serait  en  pure 
perte  si  lés  Anglais  ou  d'autres  occupaient  notre  route  quand  nous 
voudrons  passer.  Je  crois  au  succès  à  la  condition  de  bien  marcher  ; 
malgré  mon  espoir,  j'ai  une  crainte  secrète  d'arriver  trop  tard.  Quand 
tu  liras  cette  lettre,  nous  serons  sur  le  Nil  ou  bien  nos  os  blanchiront 
lentement  dans  la  brousse  d'Egypte,  sous  un  ciel  de  plomb.  Si  nous 
sommes  détruits,  je  crois  que  je  garderai  au  delà  de  la  mort  le  regret 
de  ne  pas  avoir  réussi.  Oui,  mon  seul  désir,  à  l'heure  actuelle,  est  de 
voir  le  Faidherbe  promener  nos  couleurs  entre  Khartoura  et  Gondokoro. 
Vous  devez  savoir  en  France  que*  le  Blot  est  arrivé  au  Tchad  ;  nous 
pouvons  en  être  fiers,  c'est  le  premier  bateau  français. 

Tambourah,  27  août  1897. 
Chers  parents, 

Nous  sommes  allés  dans  l'Oubanghi  pour  occuper  la  haute  Egypte, 
faire  connaître  nos  forces  aux  Derviches,  lancer  un  bateau  sur  le  Nil  et 
réunir,  si  c'est  possible,  notre  colonie  d'Obock,  sur  la  mer  Rouge,  à 
celle  du  Congo,  sur  l'Atlantique.  Nous  sommes  23  blancs  pour  ce 
travail  avec  500  tirailleurs  noirs.  Le  plus  pénible  est  pourtant  fait  ;  je 
viens  de  conduire  les  derniers  morceaux  du  bateau  au  bord  de  la 
rivière  du  Souch  où  on  va  le  monter...  » 

L'auteur  de  la  lettre,  qui  après  plus  d'une  année  de  fatigues  et  de 


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84  KEVUE  FRANÇAISE 

privations,  est  encore  animé  de  Tardeur  des  premiers  jours,  raconte 
ensuite  les  difficultés  que  rencontre  la  mission  pour  se  procurer  dos 
porteurs  et  surtout  pour  les  empêcher  de  déserler  chaque  nuit.  De  là 
des  mesures  de  rigueur  qu*expliquent  la  nécessité  d'avancer  et  surtout 
celle  de  ne  pas  mourir  de  faim. 

Mais  de  toutes  les  lettres  publiées  jusqu'ici  la  plus  iniéressante  est 
sans  contredit  celle  adressée  par  l'enseigne  de  vaisseau  Dyé  à  M.  A. 
Bernard,  professeur  à  l'école  des  lettres  d'Alger.  Voici,  d'après  la 
Dépêche  algérienne,  le  texte  de  cet  intéressant  document,  daté  de  Ban- 
gasso,  21  août  1897  : 

«  Je  viens  d'être  arrêté  dans  la  région  pendant  trois  semaines  par 
une  légère  atteinte  du  climat  et  j'en  profite  pour  penser,  la  plume  à  la 
main,  aux  amis  que  j'ai  laissés  là-bas,  au  pays  des  blancs% 

Le  pays  des  blancs!  le  pays  ties  étoffes,  des  perles,  du  cuivre, 
des  fusils  et  de  la  poudre;  c'est  pour  tous  les  noirs  d'ici,  une  terre 
fabuleuse. 

On  est  allé  un  peu  vile  en  disant  qu'en  mars  1897  notre  drapeau 
devait  flotter  sur  le  cours  même  du  Nil  ;  c'est  toiit  juste  si  en  novembre 
ou  décembre  1897  la  mission  Marchand  occupera  le  Bahr-el-Ghazal  et 
atteindra,  par  lui,  le  Nil  vénérable  grâce  à  une  flottille  dont  le  transport 
va  être  prochainement  achevé.  Dès  1896,  M.  Liotard  a  bien  planté  notre 
drapeau  dans  le  bassin  du  haut  Nil  en  établissant  un  poste  près  de  la 
résidence  du  grand  chef  azandé  Tamboura,  à  50  kilomètres  de  la  rive 
gauche  du  Soueh,  qui  a  accepté  notre  protectorat  comme  Sémio  et 
Rafaï,  mais  ensuite  le  manque  de  ravitaillement  de  denrées  d'échange 
a  paralysé  M.  Liotard. 

Fort  heureusement;  le  capitaine  Marchand,  avec  sa  mission  de 
17  blancs,  dont  9  officiers  de  toutes  armes  (artillerie,  cavalerie,  marine, 
bureaux  arabes),  arrivait  au  Congo  dans  la  seconde  moitié  de  1896.  A 
la  tête  de  ses  miliciens,  il  dégagea  énergiquemcnt  les  routes  de 
Brazzaville  à  Loango  et  de  Brazzaville  à  Manyanga,  imprima  une  (éner- 
gique impulsion  au  portage  par  la  route  des  caravanes,  le  Niari,  en 
utilisant  le  tronçon  du  chemin  de  fer  belge  et  il  réussit  à  lancer  de 
Brazzaville  sur  le  Haut-Oubanghi,  près  de  6.000  charges. 

Telle  fut  l'œuvre  de  la  mission  en  1896. 

Dès  l'arrivée  des  premières  charges  sur  le  M'Bomou,  M.  Liotard  put 


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LES   LETTRES   DE   LA   MISSION   MARCHAND  85 

reprendre  sa  marche  en  avant,  habile  et  prudente,  sur  le  poste  de 
Djénia,  au  nord  de  Séinio  et  de  là,  sur  Dem-Ziber,  où  un  poste  est 
fondé  et  où  il  s'abouche  depuis  plusieurs  mois  avec  les  populations 
avoisinantes.  Là,  comme  à  Tamboura,  on  trouve  des  chevaux,  des 
troupeaux  de  bœufs  et  de  moutons,  toutes  richesses  inconnues  au 
Congo.  De  son  côté,  le  capitaine  Marchand,  fait  procéder,  avec  ses 
Sénégalais,  à  l'occupation  du  Djour-Ghattas,  par  Tamboura. 

La  première  ipoitié  de  1897  a  été  employée  au  transport  des  charges 
depuis  Brazzaville  jusqu'à  Semio  et  Tamboura  et  à  la  mise  en  train 
du  transport  de  la  flottille  —  flottille  dont  je  suis  le  commandant.  Le 
transport  se  fait  par  vapeur  jusqu'à  Bangui,  par  pirogues  aux  eaux 
basses  jusqu'à  Bang&sso,  puis  encore  à  dos  d'hommes  au  delà. 

Les  gens  du  sultan  azandé  Semio  ,  se  montrent  récalcitrants  au 
portage  et  causent  encore  de  grosses  difiîcultés  entre  ce  poste  et  celui 
de  Tamboura,  en  dépit  des  gros  cadeaux  qui  leur  sont  faits. 

Pour  atteindre  le  Nil  même,  dedx  obstacles  se  présentent;  dans  les 
steppes  du  Nord,  les  Madhistes;  dans  le  Sud,  le  Bahr-el-Ghazal  et  tout 
son  réseau  de  marais.  C'est  pour  triompher  des  marais  que  le  transport 
d'une  flottille  par  le  haut  M'Bomou  a  été  décidé  par  le  capitaine 
Marchand. 

Aussitôt,  la  flottille  montée,  sans  doute  en  octobre,  la  descente  sur 
Meschra-el-Rek,  puis  sur  Sobat  et  Fachoda,  ne  sera  plus  qu'une 
question  de  jours. 

J'ai  reçu  de  bonnes  nouvelles  de  Gentil.  Sa  canonnière,  Léon-Blot,  a 
déjà  sillonné  le  Gribiûgui  (affluent  du  Chari),  en  juin  1897.  La  santé 
d'Ahmet  Medjekane  s'est  rétablie. 

Pendant  les  sept  derniers  mois  de  1897,  je  n'ai  cessé  de  sillonner  le 
haut  Oubanghi  entre  Bangui  et  M'Bomou,  d'abord  sur  ma  vaillante 
canonnière  Faidherbe,  puis  en  pirogue  au  moment  des  plys  basses 
eaux,  dirigeant  des  convois  chargés.  Votre  parent,  M.  Bruel,  dont  la 
résidence  de  Mobaye  était  située  au  milieu  de  ma  zone  de  parcours, 
m'a  toujours  fourni  la  plus  grande  aide  et  ce  fut  pour  moi  un  grand 
bonheur  de  pouvoir  sympathiser  avec  lui,  de  temps  à  autre,  dans  ces 
pays  perdus. 

D'ailleurs,  nous  avons  été  frères  d'armes  et  avons  reçu  ensemble  le 
baptême  du  feu,  dans  l'absurde  échaufiourée  du  21  janvier  dernier,  où 
les  noirs  du  poste  de  Banzyville  ont  ouvert  le  feu  sur  nous. 


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86  REVUE  FRANÇAISE 

Le  dernier  incident  de  rOubanghi  est  le  massacre,  par  les  Banziris, 
de  vingt  et  un  noirs  du  village  de  Yokola,  près  de  Banghi  (où  je  suis 
descendu  peu  après)  vers  le  10  mars.  Le  13  juillet,  M.  Comte,  admi- 
nistrateur de  Bangui,  périssait  noyé  en  attaquant  de  nuit  le  village 
rebelle.  Depuis  le  Jacques-d'Vzès,  commandé  par  le  lieutenant  de 
vaisseau  Morin,  est  enfln  arrivé  de  Brazzaville  et  a  infligé  à  ces  gens 
une  correction  exemplaire.  Ils  venaient  rôder  de  nuit  jusque  dans  le 
poste  prêts  à  sagayer. 

Quant  à  moi,  voici  le  résuiîié  de  mes  pérégrinations.  Après  avoir  été 
pendant  trois  jours  l'hôte  de  M.  de  Brazza  et  de  sa  charmante  femme, 
en  fin  octobre  1896,  me  voici  faisant  à  pied  la  dure  roule  de  Loango 
à  Brazzaville  avec  Ahmed  que  j'ai  soigné  chemin  ftiisant,  en  novembre. 
A  Brazzaville,  je  prends  le  commandement  du  Faidherbe,  qui  part 
aussitôt  jKDur  le  Haut^Oubanghi  et  arrive  à  Mobaye  le  30  décembre. 

Depuis,  j'ai  navigué  dans  la  rivière  en  amont  de  Bangui,  pour 
contribuer  aux  transports.  Fin  mai,  quoique  la  baisse  des  eaux  rendit 
encore  le  fleuve  à  peu  près  innavigable  j'ai  fait  franchir  au  Paidherhe 
les  derniers  rapides  et  l'ai  conduit  jusqu'à  l'entrée  du  M'Bomou.  Là  il 
a  été  coupé  en  morceaux  pour  être  transporté  sur  le  Soueh  en  piroglies 
et  à  dos  d'hommes.   » 

Enfin,  le  Lorrain^  de  Metz,  a  reçu  communication  d'une  lettre  éma- 
nant d'un  sous-oflicier  de  la  mission,  M.  Nicolas.  Cette  lettre,  la  plus 
récente  connue,  est  datée  de  Zémio,  12  septembre. 

«  Le  16  août,  je  quittais  le  poste  de  Zémio  avec  un  convoi  de  120 
porteurs  de  la  mission  Marchand,  à  destination  du  village  de  Ga- 
manzou,  qui  se  trouve  à  cinq  jours  de  marche  de  Zémio,  sur  la  route 
de  Tambourah.  Pour  conduire  ce  convoi,  je  n'avais  avec  moi  que  deux 
Sénégalais  et  un  caporal  ;  j'ai  eu  pas  mal  de  tracas  avec  mes  porteurs 
qui  se  sauvaient  dans  la  brousse,  abandonnant  leurs  charges.  Le  che- 
min, ou  plutôt  le  sentier,  est  très  mauvais  en  cette  saison  ;  car  nous 
sommes  en  ce  moment  en  pleine  saison  des  pluies.  Les  herbes  sont  très 
hautes  et  retombent  sur  le  sentier,  ce  qui  rend  la  marche  des  porteurs 
très  pénible.  Les  ruisseaux  sont  pleins,  débordent  même,  ce  (jui  forme 
des  bourbiers  avant  et  après  chaque  «  marigot  ».  Malgré  les  petits  tra- 
cas que  j'ai  eus  à  la  suite  des  fuites  nombreuses  de  mes  porteurs  pen- 
dant la  marche  et  au  gîte  d'étape  (pendant  la  nuit),  à  la  suite  aussi  de 


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LES   LETTRES   DE   LA   MISSION   MARCHAND  87 

la  chaleur  et  des  pluies  quotidiennes,  je  suis  arrivé  à  conduire  mon 
convoi  à  destination  et  sans  qu'il  me  manque  une  seule  charge. 

Je  suis  rentré  au  poste  de  Zémio,  hier,  11  septembre,  en  très  bonne 
santé,  où  j'ai  reçu  les  félicitations  de  mon  capitaine  pour  avoir  très  bien 
conduit  mon  convoi  et  surtout  pour  l'initiative  que  j'avais  prise  en  ré- 
quisitionnant des  porteurs  à  remplacer. 

Le  8  septembre,  pendant  que  je  retournais  sur  Zémio,  j'ai  eu  le 
plaisir  de  rencontrer  M.  Liotard,  commissaire  du  gouvernement  du 
Haut-Oubanghi,  retour  d'une  mission  dans  le  Bahr  el  Ghazal.  Nous 
avons  fait  route  ensemble  pendant  trois  jours  jusqu'à  Zémio.  » 

De  l'ensemble  de  ces  correspondances  se  détache  ce  fait  que  la  mis- 
sion, malgré  les  plus  grands  obstacles  matériels,  poursuit  heureusement 
sa  marche  en  avant.  M.  Liotard  qui,  depuis  le  l®'  juin  1897,  avait  pris 
possession  de  Dem  Ziber  (ou  Dem  Soliman)  et  y  avait  fait  faire  des 
plantations  de  mil  pour  assurer  la  nourriture  de  son  escorte,  n'a  pas 
poursuivi  sa  marche  en  avant,  attendant,  pour  cela,  la  concentration 
de  la  mission  Marchand,  n  n'a  donc  pas  occupé,  ainsi  qu'on  l'avait 
annoncé,  Meschra  el  Rek.  Comme  on  l'a  vu,  il  était  arrivé  le  11  sep- 
tembre, à  Zémio,  revenant  du  Bahr  el  Ghazal. 

Aux  dernières  nouvelles,  la  mission  Marchand  s'établissait  à  Tam- 
bourah,  y  construisant  des  magasins  pour  y  abriter  ses  nombreuses 
charges  et  préparant  activement  le  montage  de  la  flottille  qui  doit  être 
lancée  sur  le  Soueh.  Toutes  les  pièces  du  vapeur  Faidherbe  étaient  déjà 
arrivées  à  Tambourah  et  le  capitaine  Germain  se  préparait  à  revenir 
jusqu'à  Ouango,  sur  le  M'Bomou,  pour  y  charger  les  pièces  d'un  second 
vapeur,  le  Duc  d'Uzès^  et  les  amener  à  Tambourah. 

Tambourah,  qui  emprunte  son  nom  au  sultan  de  la  localité,  est  un 
vOlage  situé  dans  le  bassin  du  Nil,  non  loin  de  la  ligne  de  partage  des 
eaux  du  bassin  du  Congo.  Le  Soueh,  qui  porte  aussi  le  nom  de  Djour 
dans  la  partie  supérieure  de  son  cours,  est  une  des  rivières  qui  forment 
le  Bahr  el  Ghazal. 

Pendant  que  MM.  Germaio,  Dyé,  Bobichon  et  Nicolas  s'occupaient 
des  travaux  de  Tambourah,  le  capitaine  Marchand  procédait  à  la  recon- 
naissance du  pays.  Avec  le  capitaige  Baratier  et  l'interprète  Landeroin 
il  devait  se  diriger,  à  l'est,  vers  Roumbek.  En  même  temps,  les  lieute- 
nants Msuigin  et  Largeau  et  le  D^  Emily  devaient  se  diriger  au  nord, 
sur  Meschra  el  Rek  par  Djour  Ghattas.  Le  dernier  de  ces  deux  points 


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88  REVUE  FRANÇAISE 

serait  déjà  occupé,  d'après  la  lettre  de  M.  Dyé.  Il  est  donc  probable  que 
le  prochain  courrier  nous  apportera  la  nouvelle  de  l'occupation  de 
Meschra  el  Rek  qui  n'est  qu'à  cinq  étapes  de  Djour  Ghattas. 

La  publication  des  lettres  de  la  mission  Marchand  n'a  pas  été  sans 
éveiller  les  susceptibiliU's  de  certains  organes  de  la  presse  britannique. 

La  Pall  MaU  Gazette,  parlant  avec  dédain  du  capitaine  Marchand  et 
de  ses  vaillants  compagnons,  les  appelle  des  «  touristes  français  ». 

Le  Standard,  dont  les  attaches  gouyernementales  sont  connues,  est 
froidement  féroce  :  e  Si,  dit-il,  Texpr-dition  Marchand  est  autorisée 
par  le  Gouvernement  français,  l'Angleterre  aura  à  en  demander  raison 
à  la  France.  Si,  d'un  autre  côté,  rexptklition  est  une  entreprise  privée, 
nous  aurons  à  traiter  le  commandant  Marchand  et  sa  bande  comme  on 
traite  les  flibustiers.  » 

Il  est  assez  singulier  d'entendre  «ainsi  parler  de  flibustiers  dans  un 
pays  qui  a  produit  Jameson  et  ses  compagnons,  les  envahisseurs  à  main 
armée,  en  pleine  paix,  d'un  pays  civilisé. 

Mais  on  ne  voit  i)as  trop  ce  que  cette  expression  de  flibustiers  vient 
faire  ici.  Le  Bahr  el  Ghazal  n'est  pas  une  province  britaimique,  ni  même 
égyptienne.  Bien  qu'il  soit  teinté  aux  couleurs  nationales  sur  les  cartes 
géographiques  anglaises,  le  bassin  du  haut  Nil  ne  i)eut  encore  flgurer 
qu'au  chapitre  des  espt'Tances,  et  on  siût  qu'il  y  a  loin  de  la  coupe  aux 
lèvres.  Pour  le  moment,  il  est  reè  nullius,  n'appartenant  à  personne  et 
par  suite  à  la  discnUion  du  premier  occupant.  L'Angleterre  ne  saurait 
en  eflet  le  revendiquer  comme  |)ays  anglais.  Quant  à  l'Egypte,  elle  l'a 
bel  et  bien  abandonnt'  lors  de  sîi  renonciation  aux  provinces  du  Sou- 
dan, à  la  suite  de  l'invasion  mahdiste. 

Il  Testait  cependant  une  province  au  gouvernenient  égyptien,  celle 
d'Équatoria,  à  cheval  sur  le  haut  Nil,  où  Émin-Pacha  était  parvenu  à 
maintenir  l'autorité  du  Khédive.  Or,  n'est-ce  pas  Stanley  qui,  agis- 
sant sous  rem[)ire  d'une  inspiration  britannique,  est  parvenu  jusqu'à 
Emin  et,  sous  prétexte  de  le  sauver,  l'a  emmené,  malgré  sa  volonté, 
lui,  les  fonctionnaires  et  les  soldats  égyptiens,  jusqu'à  Zanzibar,  d'où 
ces  derniers  ont  été  rapatriés  dans  leur  [)ays. 

Après  cet  abandon  d'un  caractère  indiscutable,  sur  quels  droits 
TAngleterre  pourrait-elle  donc  s'api)uyer  pour  revendiquer,  ou  faire 
revendiquer  par  rÉgy[)te,  les  provinces  du  haut  Nil  ? 

Georges  Demai^che. 


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LE  BAHR  EL  GHAZAL  ET  SES  HABITANTS 

Les  territoires  où  vient  de  pénétrer  la  mission  Marchand,  au  sortir 
deTOubangui,  sont  connus  sous  la  désignation  de  Pays  des  Rivières, 
auquel  on  donne  aussi,  politiquement,  le  nom  de  Bahr  el  Ghazal.  C'est 
un  vaste  triangle  compris  entre  le  Nil  Blanc  ou  Bahr  el  Djebel,  le  Bahr 
el  Arab  et  la  ligue  de  partage  des  eaux  des  bassins  du  jN'il  et  du  Congo. 
Cette  région  est  arrosée  par  tous  les  cours  d'eau  qui  se  jettent  dans  le 
Nil  sur  sa  rive  gauche;  car,  de  ce  côté,  le  grand  fleuve  africain  ne  re- 
çoit pas  un  seul  affluent  pendant  toute  sa  traversée  de  la  Nubie  et  de 
rÉgypte,  c'est-à-dire  du  confluent  du  Bahr  el  Ghazal  jusqu'à  la  Médi- 
terranée, sur  une  longueur  de  3.100  kilomètres.  L'altitude  moyenne  de 
la  contrée  est  de  800  mètres  et  une  très  faible  différence  de  niveau 
sépare  les  tributaires  du  Nil  de  ceux  du  Congo. 

Le  Bahr  el  Arab  (fleuve  des  Arabes)  qui  forme  la  limite  septentrio- 
nale de  la  région,  est  aussi  en  quelque  sorte  une  limite  climatérique, 
établissant  un  contraste  frappant  entre  la  nature  du  sol,  la  faune,  la 
flore  et  les  habitants  des  deux  rives.  Au  sud  du  Bahr  el  Arab,  des 
pluies  abondantes  donnent  naissance  h  une  multitude  de  rivières  ayant 
toujours  un  débit;  au  nord,  les  lits  desséchés  des  cours  d'eau  ne  s'em- 
plissent, pour  un  mon)ent,  qu'à  l?i  suite  de  pluies  diluviennes.  Au  sud, . 
singes  et  éléphants  se  trouvent  en  abondance,  ainsi  que  la  mouche 
Isetsé,  au  nord,  on  ne  les  rencontre  pas.  Le  Bahr  el  Ghazal  est  le  pays 
des  nègres  et  des  botes  à  corne  ;  le  Kordofan  ainsi  que  le  Darfour  est, 
au  contraire,  celui  des  Arabes  et  des  chevaux. 

Les  Européens  peuvent  vivre  dans  celte  région  à  condition  d'éviter 
les  marécages  du  bas  pays.  Casati  et  Ëmin,  entre  autres,  y  passèrent 
plus  de  10  années,  au  milieu  des  circonstances  les  plus  difficiles. 

Le  sol  du  Bahr  el  Ghazal  est  généralement  fertile  et  les  récoltes  y 
sont  abondantes.  Dans  ce  pays  riche  en  produits  de  toute  nature  et,  avec 
ses  3SO.OO0  kilomètres  carrés,  grand  comme  les  2/3  de  la  France,  la 
population,  que  Reclus  évalue  à  3  millions  d'âmes,  serait  autrement 
nombreuse  si  elle  n'avait  pas  été  la  proie  des  négriers.  Les  marchands 
arabes  après  avoir  pillé  et  dévasté  une  zone  allaient  installer  plus  loin 
leur  zeriba  (station  fortifiée)  et  dirigeaient  sans  cesse,  vers  l'Egypte  et  la 
mer  Rouge,  de  longues  files  d'esclaves.  La  conquête  égyptienne  ne  mit 
pas  fia  à  cet  odieux  trafic,  qui  s'exerça  seulement  d'une  façon  moins 


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90  REVUE  FRANÇAISE 

ouverte.  Quand  ritalien  Gessi  Pacha,  nommé  gouverneur  du  Babr  el 
Ghazal,  voulut  empêcher  la  chasse  à  Thomme,  les  Arabes  soulevèrent 
le  pays  et  c'est  de  vive  force  qu'il  fallut  avoir  raison  du  grand  négrier 
Soliman,  fils  de  Zibebr.  Sa  capitale,  Dem  Soliman,  le  centre  le  plus 
important  du  Babr  el  Ghazal,  fut  prise  d'assaut  et  lui-même  fut  fusillé. 
La  tranquillité  était  revenue  dans  le  i>ays  lorsque  l'invasion  mahdiste 
vint  y  accumuler  de  nouvelles  ruines,  après  avoir  triomphé  de  Lupton 
bey,  le  successeur  de  Gessi,  qui  succomba  sous  les  coups  des  enva- 
hisseurs. 

Le  cours  du  Babr  el  Ghazal,  qui  forme  la  limite  orientale  du  Pays 
des  Rivières,  est  souvent  parsemé  d'obstacles  résultant  de  l'aggloméra- 
tion d'herbes  et  de  débris  qui  rendent  la  navigation  pénible  et  difficile. 
D'après  les  dires  des  explorateurs  ces  barrages  du  Nil  proviennent  de 
l'insuflisance  de  pente  qui  occasionne  d'immenses  débordements;  les 
eaux  du  fleuve  envahissent  les  terres  et  forment  des  lagunes  parsemées 
de  passes  libres.  Ces  lagunes,  qui  sont  appelées  meha  ou  /buta,  suivant 
leur  profondeur,  subsistent  même  pendant  la  saison  sèche.  A  l'époque 
des  pluies  elles  créent,  en  raison  de  leur  nombre  et  de  leurs  dimensions, 
des  obstacles  répétés  à  la  navigation. 

Par  suite  des  crues  et  des  orages  violents,  les  herbes  sont  arrachées 
et  charriées  vers  le  Nil.  Aux  points  de  rétrécissement  du  fleuve,  ces 
paquets  d'herbes  agglomérées  s'écoulent  difficilement  d'abord,  puis, 
peu  à  peu  s'amalgament  et  s  entassent  au  point  de  former  un  barrage 
complet  dont  l'épaisseur  et  la  résistance  sont  suffisantes  pour  porter 
rhomme. 

Parfois  les  masses  flottantes  qui  forment  ces  barrages  finissent  par 
se  consolider  et  se  couvrent  alors  d'une  végétation  arborescente.  Les 
eaux  coulent  en  dessous  ou  se  détournent  do  leur  cours.  Les  Nouers. 
tribu  qui  habite  la  région  marécageuse  située  au  confluent  du  Nil  et  du 
Babr  el  Ghazal  (fleuve  des  Gazelles)  s'établissent  sur  ces  barrages  et  se 
nourrissent  de  j)oissons  qu'ils  prennent  en  perçant  le  sol. 

Le  Nil  a  toujours  connu  ces  obstacles  et,  pendant  7  ans  (1870-1877^, 
une  partie  du  Babr  el  Djebel  fût  à  ce  point  barrée  que  la  navigation  ne 
put  être  tentée  que  par  la  branche  du  Babr  el  Zaraf  (fleuve  des  Girafes). 
En  1880,  Gessi  Pacha,  descendant  à  Khartoum  avec  500  soldats  et  des 
esclaves  libérés,  se  trouva  bloqué  avec  son  vapeur  sur  le  fleuve.  Trois 
mois  s'écoulèrent  avant  que  l'Autrichien  Marno  pût  parvenir  à  le  dé- 


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LE  BAHR  EL  GHAZAL  ET  SES  HABITANTS        91 

gager.  Pendant  ce  temps,  la  plupart  de  ses  hommes  étaient  morts  de 
maladie  ou  de  faim. 

Ces  obstacles  naturels  sont  plus  rares  dans  le  Bahr  el  Ghazal  qui,  à 
Tépoque  des  crues,  roule  une  masse  d'eau  assez  puissante  pour  balayer 
les  barrages  formés  par  le  ISil  en  aval  de  son  confluent. 

En  présence  de  ce  fourré  impénétrable,  que  les  indigènes  appellent 
un  êed,  les  barques  sont  obligées  de  s'arrêter  et  les  vapeurs  eux-mêmes, 
malgré  leur  force  d'impulsion,  ne  peuvent  arriver  à  se  frayer  un  pas- 
sage. Les  roues  sont  prises  dans  un  enlacement  d'herbes  et  le  bâti- 
ment est  en  quelque  sorte  prisonnier.  Alors  l'équipage  saute  à  l'eau  et, 
armé  de  faulx  —  car  le  cas  est  toujours  prévu  —,  se  met  à  couper  les 
herbes,  puis  s'efforce  de  remettre  le  bateau  en  mouvement  pendant 
que  les  hommes  restés  à  bord,  aident  à  la  manœuvre  avec  de  grandes 
perches,  en  accompagnant  leurs  efforts,  suivant  l'usage,  d'une  chanson 
cadencée. 

Ce  n'est  pas  en  vain  que  le  Bahr  el  Ghazal  porte  le  nom  de  Pays  des 
Rivières,  car  les  cours  d'eau  y  tiennent  une  large  place.  Les  principales 
rivières,  qui  ont  de  l'eau  pendant  toute  l'année,  ne  sont  guéables  que 
pendant  la  saison  sèche;  à  l'époque  des  pluies,  elles  ont  un  débit 
considérable  et  sortent  souvent  de  leur  lit.  Ce  sont,  en  se  dirigeant  de 
l'ouest  à  l'est  :  le  Pango,  le  Soueh  et  le  Djour.  qui  réunissent  leurs 
eaux  près  de  Meschra  el  Rek,  le  Djaou,  le  RohI,  le  Jeï.  Ces  cours  d'eau, 
qui  coulent  dan^  la  direction  sud-nord,  portent  plusieurs  noms  selon 
le  territoire  des  tribus  qu'ils  traversent. 

Les  prindpales  localités  du  Bahr  el  Ghazal  ont  suivi  les  vicissitudes 
politiques  du  pays  et  ont  été  tous  des  centres  importants  et  des  cités 
déchues.  Ayak  ou  Doufalla,  sur  le  RohI,  au  temps  florissant  de  la  traite, 
était  une  zériba  (village  fortifié)  fondée  par  des  marchands  arabes  et 
entourée  d'un  fossé  profond. 

Non  loin  de  là  se  trouve  Roumbeck,  appelé  aussi  Rohl,  comme  la 
rivière  et  la  tribu  de  ce  nom,  autre  zériba  importante  et  chef-lieu  d'une 
moudirieh  au  temps  de  l'occupation  égyptienne.  Dans  cette  ville,  le 
port  des  vêtements  était  un  signe  distinctif  de  religion;  à  l'exception 
des  femmes  des  Arabes,  aucune  autre  n'avait  le  droit  de  se  montrer 
vêtue.  Roumbek,  où  le  gros  de  la  population  appartient  à  une  branche 
de  la  grande  famille  Dinka,  faisait  autrefois  un  commerce  assez  impor- 
tant d'ivoire,  caoutchouc,  coton,  plumes  d'autruche. 


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92  REVUE  FRANÇAISE 

Au  nord-ouest  deRoumbek,  s'élève  Djour  Ghattas,  la  principale  zériba 
de  la  région,  située  dans  une  plaine  fertile,  dans  la  zone  intermédiaire 
entre  les  savanes  marécageuses  et  les  terrasses  couvertes  de  prairies 
et  de  bois.  C'est  un  marchand  grec  du  nom  de  Ghattas,  enrichi  dans 
le  commerce  de  Tivoiue  et  des  esclaves,  qui  a  donné  son  nom  à  cette 
localité  habitée  par  des  Djour  (Diour).  Une  rivière  qui  porte  aussi  Je 
nom  de  cette  tribu,  nrrose  le  pays.  Le  Djour  a  un  débit  assez  fort  pen- 
dant toute  l'année;  ses  eaux  sont  peuplées  d'innombrables  crocodiles. 
L'Italien  Gessi-Pacha,  lorsqu'il  était  gouverneur  du  Bahr  el  Ghazal, 
avait  ouvert  le  Djour  à  la  navigation  en  le  débarrassant  des  papyrus 
et  des  grandes  herbes  qui  en  obstruaient  le  cours, 

A  une  centaine  de  kilomètres  vers  le  nord,  près  du  confluent  du 
Djour  et  du  Momoul,  est  bâti  Meschra  el  Rek  (embarcadère  du  Rek). 
C'est  là  que  commence  la  navigation  du  Bahr  el  Ghazal  et  que  se 
forment  les  caravanes  qui  se  dirigent  vers  l'ouest  et  vers  le  sud.  La 
région  comprise  entre  Djour  Ghattas  et  Meschra  el  Rek  est  plate  et, 
en  raison  de  l'insufiBsance  des  pentes,  se  transforme  facilement  en  mare; 
cage  à  l'époque  des  pluies. 

Au  nord-ouest  de  Djour  Ghattas,  se  trouvent  Koutchouk-Ali,  où 
l'explorateur  Schweinfurth  avait  créé  de  beaux  jardins  de  bananiers,* 
citronniers  et  orangers;  Vaou,  dont  les  grandes  forêts  fournissent  les 
bois  de  construction  pour  les  bateaux  naviguant  sur  le  Djour. 

Elnfin,  à  Touest  de  Djour  Ghattas,  se  dresse  la  zériba  de  Dem  Ziber 
ou  Dem  Soliman,  créée  il  y  a  une  trentaine  d'années,  par  Ziber-Pacha 
et  résidence  de  son  fils  Soliman,  ces  deux  grands  trafiquants  d'esclaves 
que  Gessi-Pacha  dut  mettre  à  la  raison.Soliman  y  avait  construit  un 
palais  et  la  ville  était  la  seule  du  Bahr  el  Ghazal  qui  possédât  une  mos- 
quée. Les  Égyptiens  en  firent  la  capitale  de  la  province.  Elle  fut  alors 
une  grande  cité  populeuse,,  aux  nombreux  magasins  approvisionnés 
de  denrées  européennes  ;  ses  artisans  étaient  célèbres  par  leur  habileté. 
Aujourd'hui,  bien  que  située  au  croisement  des  routes  du  Kordofan, 
du  Darfour  et  du  Congo,  elle  est  presque  complètement  déserte,  n'ayant 
pour  habitants,  que  les  indigènes  Dinkas.  Lorsque  M.  Liotard  en  prit 
possession,  il  dut,  avant  tout,  y  attirer  des  habitants  et  se  préoccuper, 
tant  était  grande  la  pénurie  des  ressources  du  pays,  d'assurer  la  sub- 
sistance du  poste  qu'il  y  établissait. 

Les  indigènes,  en  présence  desquels  se  trouvent  actuellement  les 


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LE   BAHI<    KL   GHAZAL    ET   SES   HABITANTS  93 

missions  françaises  appartiennent  plus  particulièrement  à  deux  grandes 
familles  :  les  Asandés  et  les  Dinkas;  les  premiers  relevant  plutôt  du 
bassin  du  haut  Oubangui,  les  seconds  de  celui  du  Nil.  Voici  quelques 
détails  descriptifs  sur  les  peuplades  plus  ou  moins  sauvages  de  ces 
régions.' 

Les  Sandès  ou  Asandès/  qu'on  appelle  aussi  Niam  Niam  forment 
une  importante  famille  qui  occupe  toute  la  région  touchant  à  la  ligne 
de  partage  des  eaux  du  Nil  et  de  TOuellé-Makoua,  au  nord-est  de 
rÉtat  du  Congo. 

De  taille  moyenne,  ils  ont  la  peau  d'un  brun  rougeâtre.  Les  hommes 
attachent  leurs  cheveux  en  petites  tresses,  retombant  du  sommet  de  la 
télé.  Parfois  ils  se  tatouent,  mais  le  plus  souvent  ils  se  dessinent 
des  lignes  tracées  en  noir  avec  le  suc  du  gardénia.  Leur  vêtement  se 
compose  uniquement  d'un  morceau  d'écorce  battue  et  la  coiffure  d'un 
chapeau  d'herbe  tressée  ayant  tout  l'aspect  d'un  pot  de  fleurs.  Les 
femmes  enroulent  leurs  cheveux  à  l'aide  de  petits  paquets  d'herbe. 
Les  jeunes  filles  et  les  enfants,  ont  le  costume  le  plus  primitif  du 
monde.  Les  femmes  portent  seulement  une  bande  d'étoffe,  assez  petite 
en  géi^éral,  en  forme- de  ceinture.  Elles  ont  l'habitude  de  s'oindre 
le  corps  d'huile  de  palme  et  de  le  frotter  avec  de  la  poudre  de  bois 
rouge.  Les  hommes  comme  les  femmes  portent  des  anneaux  en  fer  au 
cou,  aux  poignets  et  aux  .chevilles  et  piquent  dans  leurs  cheveux  des 
épingles  en  ivoire  ou  en  os,  de  singe  ou  d'homme. 

Les  Asandés  sont  armés  de  lances,  de  boucliers,  d'arcs  et  de  flèches. 
Beaux  parleurs,  chasseurs  et  guerriers,  ils  sont  cependant  de  moeui^ 
hospitalières.  Ce  sont  les  femmes  qui  ont  soin  du  ménage  et  à  qui 
incombent  également  les  travaux  des  champ».  Les  hommes  —  quand 
ils  font  autre  chose  que  chasser  —  s'adonnent  aux  petits  métiers  et 
fabriquent  des  ornements  en  fer,  des  paniers  et  ceintures  en  paille,  etc. 
Leur  sauvagerie  ressort  pleinement  de  ce  fait  qu'ils  sont  anthropophages 
à  l'occasion. 

Les  Dinkas  sont  répandus  sur  tout  le  territoire  du  Bahr-el-Ghazal. 
On  en  trouve  même  sur  la  rive  droite  du  Nil.  Voici  comment  s'exprime 
sur  leur  compte  l'explorateur  italien  Casati  qui  vécut  pendant  dix 
années  dans  la  région  du  haut  Nil  : 

«  La  famille  Dinka  comprend  de  nombreuses  tribus,  trèà  diflérentes 
par  les  coutumes  et  les  mœurs,  mais  toutes  d'un  caractère  facile,  ne 


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94  REVUE  FRANÇAISE 

se  passionnaDt  que  pour  la  chasse  aux  animaux  sauvages.  Les  Dinkas 
sont  timides  quand  ils  entrent  en  relations  avec  des  étrangers.  D'un 
physique  agréable,  avec  des  membres  vigoureux  et  souples  ils  se 
montrent  d'une  grande  supériorité  à  la  course  et  manient  la  lance  et 
Tare  d*une  façon  remarquable  ;  ils  n'ont  aucune  constitution  politique 
à  proprement  parler  ;  le  gouvernement  est  tout  patriarcal  :  les  villages 
ont  à  leur  tête  des  chefs  jouissant  de  privilèges  héréditaires.  Les 
habitations  sont  en  paille  de  forme  conique,  d'une  propreté  admirable, 
relativement  spacieuses.  Les  hommes  se  couvrent  d'une  peau  de  chèvre 
attachée  aux  reins,  beaucoup  cependant  sont  complètement  nus  ;  les 
femmes  portent  constamment  deux  de  ces  peaux  qui  retoml)ent  à  la 
hauteur  du  genou  ;  elles  prennent  ce  costume  dès  qu'elles  sont  nubiles. 

D  Les  Dinkas  ont  l'habitude  de  dormir  sur  un  lit  de  cendres,  soit 
pour  se  mettre  ainsi  à  l'abri  des  myriades  d'insectes,  soit  pour  atténuer 
les  effets  de  l'abaissement  considérable  de  la  température  pendant  la 
nuit.  Rien  n'est  plus  étrange  qu'un  village  dinka  lorsque,  le  matin, 
tous  ces  fantômes  blanchâtres  se  lèvent. 

*  Ils  ont  ordinairement  les  oreilles  percées  de  plusieurs  trous  dans 
lesquels  ils  passent  de  petits  anneaux  en  fer  ;  les  hommes  portent  aux 
bras  des  cercles  d'ivoire  ;  les  femmes,  des  cercles  de  fer  aux  chevilles 
et  aux  poignets.  De  même  que  beaucoup  d'autres  races  nègres  ils 
s'arrachent  deux  des  incisives  inférieures. 

D  Lés  Dinkas  se  nourrissent  rarement  de  viande.  Us  ont  en  horreur  la 
chair  de  l'hippopotame  et  du  crocodile.  Leurs  alimente  préférés  sont  les 
laitages  et  les  farineux,  et  leur  boisson  est  une  bière  préparée  avec  le 
sorgho.  Us  estiment  tout  particulièrement  une  bouillie  faite  avec  du 
beurre,  du  miel  et  du  lait.  Tous  leurs  vases  simt  lavés  avec  de  l'urine 
de  vache  ;  ils  ne  connaissent  pas  le  sel.  Us  fabriquent  leur  beurre  d'une 
façon  particulière  :  le  lait  est  versé  dans  une  courge  que  l'on  bouche  et 
qu'une  personne  assise  sur  deux  petits  escabeaux  de  bois,  place  sur  ses 
genoux  et  secoue  à  droite  puis  à  gauche,  en  la  frappant  alternativement 
des  deux  mains,  par  coups  réguliers  et  cadencés  ;  l'opération  exige  un 
certain  temps  pour  séparer  le  beurre  du  lait  en  grumeaux  plus  ou  moins 
gros. 

»  Les  Dinkas  professent  im  culte  tout  particulier  pour  les  serpenis, 
il  n'est  pour  ainsi  dire  pas  de  case  qui  ne  renferme  quelque  reptile, 
un  python  le  plus   souvent.  Ces  animaux,  nourris  de  lait,  sont  si 


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LE  BAHR  EL  GHAZAL  ET  SES  HABITANTS        95 

familiers  qu'ils  obéissent  à  la  voix  de  la  maltresse  du  logis.  Comme 
les  Dinkas  professent  la  polygamie,  cette  maîtresse  est  la  première 
femme  épousée,  dans  le  cas  où  il  se  trouve  plusieurs  femmes.  La 
femme  s'achète  aux  parents  ;  le  nombre  des  épouses  d'un  citoyen 
dinka  est  donc  en  rapport  avec  la  fortune  de  celui-ci.  C'est  sous  la 
direction  et  la  surveillance  de  cette  maltresse  du  logis  que  les  autres 
vaquent  à  la  préparation  des  aliments,  à  l'approvisionnement  de  l'eau 
et  du  bois,  à  la  culture  des  champs,  à  l'entretien  des  élables  à  vaches 
et  à  chèvres.  Le  Dinka,  qui  possède  de  grands  troupeaux  est  presque 
toujours  absent  du  foyer;  quand  il  revient  au  village  il  plante  sa  lance 
devant  la  case  de  celle  de  ses  femmes  qu'il  favorise.  C'est  pour  elle  un 
honneur  en  échange  duquel  elle  a  à  pourvoir  aux  besoins  de  son 
seigneur  et  maître.  » 

Les  Dinkas,  dont  certaines  tribus  vivent  constamment  dans  les 
marais,  ne  sont  pas  sans  avoir  quelque  analogie  avec  les  échassiers 
qui  y  habitent.  Ils  ont  de  longues  jambes  décharnées  et  de  larges  pieds 
plats.  A  l'instar  des  cigognes,  ils  ont  pris  l'habitude  de  se  tenir  im- 
mobiles sur  une  jambe  et  d'appuyer  l'autre  au  dessus  du  genou.  Suivant 
Th.  von  Heuglin,  qui  rapporte  cet  usage,  ils  se  reposent  ainsi  durant 
une  heure  entière. 

Dans  les  plaines  fertiles  du  Bahr-el-Ghazal,  les  cultures  auxquelles  se 
Uvrent  les  indigènes,  comprennent  le  sorgho,  les  fèves,  les  courges,  le 
sésame  et  le  tabac.  On  y  rencontre  aussi  des  bananiers,  des  dattiers,  des 
citronniers»  des  orangers. 

Passionnés  éleveurs  de  bétail,  les  Dinkas  ont  pour  celui-ci  les  plus 
grandes  attentions.  Quand  un  de  leurs  animaux  tombe  malade  ils  le 
mettent  aussitôt  dans  une  étable  à  part  et  le  soignent  de  leur  mieux. 
Ils  ont  le  plus  grand  respect  pour  la  vache  dont  ils  recueillent  précieuse- 
ment, pour  tous  les  usages  domestiques,  la  bouse  et  l'urine.  Cette 
dernière,  qui  semble  jouer  un  rôle  assez  important  dans  leur  existence 
sert  à  teindre  la  chevelure  de  ceux  qui  ne  se  rasent  pas  la  tête.  Assez 
habiles  ouvriers,  les  Dinkas  ont  la  réputation  d'être  d'excellents 
cuisiniers  —  pour  les  indigènes. 

En  s'avançant  à  l'est  vers  le  Nil,  la  mission  Marchand  se  trouvera 
aussi  en  contact  avec  les  Bongos.  Ceux-ci  forment  une  importante  peu- 
plade établie  entre  les  Niam  Niam  et  les  Dinkas  dans  les  régions  supé- 
rieures du  Tondi  et  du  Djaou.  Us  ne  ressemblent  guère  aux  Dinkas  et 


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96  REVUE  FRANÇAISE 

s'en  distinguent  par  la  forte  musculature  de  leurs  membres,  au  lieu 
d'avoir  les  jambes  d'échassiers  des  tribus  du  marécage.  D*après  l'explo- 
rateur Schweinfurth,  les  hommes  ne  sont  pas  nus  comme  la  plupart 
des  indigènes  du  Bahr  el  Ghazal;  ils  portent  un  lambeau  d'étoffe  et  un 
grand  nombre  d'anneaux  de  fer  qui  forment  brassard.  «  Les -femmes 
n'ont  point  de  pagne;  elles  s'attachent  seulement  à  la  ceinture  une 
branche  feuillue  ou  des  touffes  d'herbes.  Pour  elles,  les  ornements  par 
excellence  sont  les  clous  ou  les  plaques  de  métal  qu'elles  se  passent  à 
la  lèvre  inférieure  ;  souvent  on  rencontre  des  femmes  ayant  la  lèvre 
pourvue  d'une  rondelle  assez  grande  pour  qu'elle  puisse  servir  dô  plat 
pour  la  nourriture.  En  outre, ,  les  élégantes  s'introduisent  des  chevilles 
dans  les  commissures  des  lèvres,  dans  les  narines,  sur  toutes  les  saillies 
et  dans  tous  les  plis  du  corps;  il  en  est  qui  se  sont  ainsi  épinglées  en 
cent  endroits  différents.  »  Les  femmes  s'affublent  aussi  d'une  queue 
qui,  en  se  balançant  dans  leur  marche  lourde,  leur  donne  une  allure 
d'animal. 

Les  Bongos  se  distinguent  par  leur  douceur  et  leur  amour  du  travail. 
Ils  sont  plus  cultivateurs  que  pasteurs  et,  non  seulement  les  femmes, 
mais  encore  les  hommes  s'adonnent  aux  travaux  de  la  terre  et  en 
retirent  d'abondantes  récoltes.  Leur  nourriture  se  cpmpose,  outre  les 
végétaux,  de  viandes  de  toutes  sortes  dont  quelques-unes  sont  assez 
répugnante^.  Ils  mangent  avec  délices  le^  vers  intestinaux  du  bœuf,  les 
scorpions,  les  larves  de  termite  et  autres  animaux  rampants.  Comme 
forgerons,  ils  jouissent  d'une  grande  réputation. lis  croient  à  la  métemp- 
sycose et  sont  convaincus  que  les  âmes  des  vieilles  femmes  passent 
dans  le  corps  des  hyènes;  aussi,  se  gardent-ils  bien,  d'après  Schwein- 
furth, de  tuer  ces  animaux,  de  peur  d'atteindre  quelque  membre  de 
leur  famille. 

Les  lettres  de  la  mission  Marchand  sont  moins  favorables  aux  indi- 
gènes que  les  récits  des  explorateurs.  L'une  d'elles,  datée  de  Tamboura, 
27  aQÛt,  et  publiée  par  rEclair^  contient  les  appréciations  suivantes  : 

•(  Les  populations  Azandés,  au  milieu  desquelles  nous  sonunes  depuis 
Rafaï,  sont  apathiques  et  indisciplinées,  mais  elles  ne  sont  pas  dange- 
reuses et  nous  les  tenons  par  leurs  sultans  Bangasso,  Rafaï,  Sémio, 
Tamboura.  Mais  Fort-Hossinger  est  sur  leur  extrême  limite;  à  quatre 
ou  cinq  jours  d'ici,  nous  aurons  affaire  avec  les  Dinkas,  qui  ne  sont 


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LE   BAHR   EL   GHAZAL   ET   SES   HABITANTS  97 

pius  les  populations  pacifiques  et  pastorales  dont  parlent  les  quelques 
explorateurs  qui  sont  allés  chez  eux.  Ce  sont  des  gens  cupides  et 
voleurs  qui,  braves  en  môme  temps  que  très  nombreux,  ont  le  plus 
grand  mépris  pour  les  armes  à  feu  et  ont  l'habitude  de  foncer  sur  leurs 
ennemis  en  se  bouchant  les  oreilles  avec  de  Tétoupe,  simplement  armés 
d'une  massue  en  bois. 

Nous  sonmies  en  pourparlers  avec  eux  depuis  longtemps,  désireux 
de  passer  en  amis  et  ne  nous  souciant  pas  d'avoir  à  leur  faire  la  guerre. 
Du  reste,  plusieurs  de  leurs  chefs  nous  ont  déjà  fait  les  meilleures  pro- 
messes et  je  pense  que  nous  pourrons  bientôt  nous  mettre  en  route  dans 
la  vallée  du  Soueh.  où  nous  sommes  déjà  depuis  deux  mois.  » 

On  remarquera  que  le  correspondant  qui  envoie  ces  nouvelles  n'avait 
pas  encore  pénétré  —  pas  plus  que  la  mission  Marchand  —  sur  le  ter- 
ritoire dinka.  Ses  appréciations  peuvent  donc  être  exagérées,  d'autant 
plus  que  M.  Liotard,  qui  a  pris  contact  à  Dem  Ziber  avec  les  Dinkas, 
se  contentait,  en  parlant  d'eux,  de  signaler  surtout  leur  odeur  nauséa- 
bonde (1). 

Mais  il  est  bien  certain  que  l'invasion  mahdiste  a  dû  modifier  les 
mœurs  précédemment  paisibles  des  indigènes.  Sous  ce  rapport,  il  ne 
sera  donc  pas  surprenant  de  constater  une  transformation  dans  les 
peuplades  qui  habitent  le  Bahr  el  Ghazal.  Dans  l'état  d'esprit  des  indi- 
gènes, une  surprise  sera  donc  toujours  à  redouter,  et  c'est  pai'  là  que 
les  expéditions  françaises  sont  pius  particuUèrement  vulnérables. 

J.    SeR VIGNY. 


(1)  Voir  Rem9  Frafiçaise,  déc.  1897,  t.  XXII,  p.  691. 


xiui  (Février  98).  N*  230. 


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LES  PORTS  DE  HAMBOURG  ET  BRÈME 

La  prospérité  sans  cesse  croissante  du  commerce  de  FAllemagne,  le 
développement  rapide  de  sa  marine  marchande,  appellent  de  plus  en 
plus  Tattention  sur  ses  ports,  notamment  sur  Hamboui^  et  Brème  qui 
tiennent  le  premier  rang  entre  tous. 

Par  sa  situation  à  une  faible  distance  de  l'embouchure  d'un  grand 
fleuve,  Hamboui^  se  trouve  dans  une  situation  particulièrement  favo- 
rable pour  le  commerce  maritime.  C'est,  en  effet,  là  où  se  trouve  son 
port  que  finit  la  navigation  maritime  et  que  commence  la  navigation 
fluviale.  Grâce  à  cotte  situation  privilégiée,  Hambourg  est  en  communi- 
cation directe  par  l'Elbe  et  par  les  canaux  qui  y  aboutissent  avec  la  plus 
grande  partie  de  l'Allemagne  et  une  partie  de  l'Autriche.  Les  voies 
ferrées  elles-mêmes  contribuent  à  lui  apporter  un  trafic  important.  On 
va  juger,  par  ce  qui  suit,  de  la  position  avantageuse  du  port  de  Ham- 
bourg et  de  l'importance  de  son  mouvement  commercial. 

A  son  embouchure,  l'Elbe  a  assez  de  profondeur  pour  accueillir  les 
navires  du  plus  grand  tirant  d'eau.  En  côtoyant  les  îles  hollandaises  et 
les  rives  allemandes  de  la  mer  du  Nord,  on  trouve  à  la  sonde,  de  12  à 
14  brasses  et,  jusqu'à  Gluckstadt,  à  70  kilomètres  après  l'embouchure, 
le  fleuve  conserve  une  profondeur  qu'aucun  fleuve  européen  ne  dépasse. 

C'est  près  de  Gluckstadt,  à  Brunsbuttel,  que  débouche  le  canal  de  la 
Baltique,  creusé  à  9  mètres  de  profondeur,  et,  en  face,  à  Cuxhaveo, 
enclave  hambourgeoise,  la  ville  libre  a  créé  un  port  de  marée  qui  ser- 
vira de  point  de  départ  aux  grands  paquebots  de  la  Hamburg-Amerika- 
Unie.  Ce  port  de  8  mètres  de  profondeur  à  marée  basse,  en  aura  10"*  8  à 
marée  haute.  En  remontant  l'Elbe,  les  plus  grands  bâtiments  peuvent 
parvenir  jusqu'à  la  rade  de  Brunshausen,  à  30  kilomètres  de  Hambourg. 
En  temps  normal,  les  navires  d'un  tirant  d'eau  de  plus  de  7°»  20  ne  peu- 
vent se  rendre  directement  à  Hamboui^.  Toutefois,  les  ports  et  bassins 
de  la  ville  ont  été  établis  à  une  profondeur  plus  considérable. 

A  Hambourg,  la  marée  moyenne  n'est  plus  que  de  1"80,  de  sorte 
que  tous  les  ports  maritimes  hambourgeois  ont  pu  être  établis  comme 
ports  de  marée  ouverte. 

C'est  à  Hambourg,  placé  à  une  centaine  de  kilomètres  de  l'embou- 
chure de  l'Elbe,  que  l'estuaire  se  transforme  en  fleuve  proprement  dit. 
Grâce  aux  facilités  de  pénétration  qu'offre  le  fleuve,  Hambourg  a  vu 


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LES   PORTS   DE   HAMBOURG   ET   BRÈME  99 

son  commerce  augmenter  dans  de  notables  proportions.  Dans  ces  30 
dernières  années,  le  jaugeage  des  navires  maritimes  a  passé  de  1.300.000 
à  6.200.000  tonnes.  Les  marchandises  parties  de  Hambourg  par  bateaux 
fluviaux  pour  des  lieux  de  destination  en  amont  de  la  ville,  ont  passé, 
en  30  ans,  de  330.000  à  2.400.000  tonnes.  Quant  à  celles  qui  arrivent 
de  rintérieur  de  Hambourg,  elles  représentent  actuellement  2  millions 
de  tonnes. 

Aussi  Hambouj^,  avec  son  tonnage  total  d'entrées  de  6.228.000  t. 
eo  1894,  dépasse-t-il  tous  les  ports  voisins  et  est-il  devenu  le  premier 
port  du  continent.  Anvers  n'a  que  5.002.000 1.,  Rotterdam,  4.143.S00 1., 
le  Havre,  2.860.500  t.,  Brème,  2.172.000  t.  Au  point  de  vue  du  trafic 
international,  Hambourg  était  parvenu  à  dépasser  Liverpool,  en  1894, 
avec  6.354  navires  et  5.699.000  t.  contre  5.873  navires  et  5.492.000  t., 
ne  se  laissant  devancer  que  par  Londres  avec  un  mouvement  de  10.834 
navires  et  8.301.000  tonnes. 

D'autre  part,  la  population  de  Hambourg  est  passée,  de  200.000  ha- 
Utanis  en  1862,  à  650.000  aujourd'hui,  sans  compter  les  150.000  ha- 
bitants d'Altona,  ville  juxtaposée. 

Sur  9.165  navires  entrant  à  Hambourg,  6.500,  soit  70  0/0,  sont  des 
bateaux  à  vapeur  qui  représentent  seuls  90  0/0  du  tonnage  total. 

La  majeure  partie  du  port  de  Hambourg  est  réservée  au  pori  libre, 
d'une  étendue  de  1.000  hectares.  Les  bassins,  dont  les  quais  ont  16  à 
17  kilomètres  de  long  et  dont  les  hangars  et  entrepôts  couvrent  175.640 
mètres  carrés,  aoiit  reliés  par  des  voies  ferrées  aux  gares  adjacentes  et 
possèdent  de  nombreuses  grues  pouvant  soulever  jusqu'à  150  tonnes 
De  grands  chantiers  de  construction,  ceux  de  Blohm  et  Voss  et  du  Rei- 
herstieg,  sont  étabUs  sur  le  territoire  du  port  libre. 

En  1895,  Hamboui^  a  vu  entrer  par  mer,  9.443  navires  jaugeant 
6.254.500  tonneaux  de  registre;  en  1896,  10.447  navires  et  6.445.000 
t.  ;  U  en  est  parti  9.446  jaugeant  6.279.700  t.  et  en|1896,  10.371  navires 
et  6.300.000  tonnes.  La  valeur  de  l'importation  par  mer  est  estimée  à 
1.661.433.000  m.  et,  en  1896,  à  1.713.071.000  m.  ;  celle  de  l'exporta- 
tion par  mer  à  1.336.773.290  m.,  et,  en  1896,  à  1.439.210.000  marks. 

Si  l'on  ajoute  les  arrivages  et  départs  par  l'Elbe  supérieur  (soit  28.485 
bateaux  fluviaux  en  1895,  et  31.833  en  1896,  valant  841.824.005  marks 
en  1895,  et  954.805.000  en  1896  et,  en  outre  les  arrivages  par  voie 
farée,  on  arrive,  pour  1895,  à  un  mouvement  commercial  total  repré- 


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100  REVUE  FRANÇAISE 

sentant  5.40Z.1H.00O  marks  et,  pour  1896,  5.793.194.000  m.  En 
somme,  la  valeur  des  marchandises  entrées  et  sorties  de  Hambourg  est 
de  7  milliards  de  francs,  en  sensible  progrès  sur  les  années  antérieures. 

Les  navires  entrés  à  Hambourg,  qui  ne  jaugeaient,  en  moyenne,  que 
461.770  tonnes  de  1816  à  18S0,  jaugeaient  2.206.254  tonnes  de  1871  à 
1880  et  6.264.500  en  1895. 11  faut  y  ajouter  266.704  I.  pour  Altona  et 
102.072  i.  pour  Harbourg  en  1895. 

La  flotte  maritime  de  Hambourg  ne  comprenait,  en  1845,  que  223 
navires  jaugeant  42.802  tonnes  ;  elle  possédait,  en  1880,  491  navires 
avec  244.280  t.  ;  en  1895,  650  navires  et  644.800  tonnes:  en  1896,  673 
navires  et  680.000  t. 

A  rentrée,  le  port  de  Hambourg  est  surtout  fréquenté  par  le  pavil- 
lon anglais.  Celui-ci  tenait  le  premier  rang  jusqu'en  1896  ;  mais,  cette 
année,  le  pavillon  allemand  lui  enleva  la  première  place  avec  2.914.900 1., 
ne  laissant  que  la  seconde  aux  Anglais  avec  2.734.500  t.  Les  autres 
pavillons  ont  peu  d'importance:  le  norvégien,  301.600  t.;  le  danois, 
136.600  t.  ;  le  néerlandais,  102.700  t.  ;  le  français,  62.900  t.  seulement 
(contre  67.000  t.  en  1893)  ;  le  suédois,  52.300  t.,  etc.  Tandis  que  pres- 
que tous  les  pavillons  sont  en  augmentation,  celui  de  France  marque 
une  diminution  de  plus  de  4.000  tonnes. 

Malgré  sa  prospérité  croissante,  la  ville  libre  de  Hambourg  fait  encore 
de  grands  eflbrts  pour  améliorer  ses  voies  d'accès  et  renforcer  son  outil- 
lage. Le  port  de  Hambourg  possède  12  bassins  et  de  nombreux  mouil- 
lages le  long  de  pieux  (ducs  d'Albe),  en  pleine  rivière.  L'encombrement 
est  tel  cependant,  à  certains  moments,  que  les  navires  venant  de  la  mer 
ont  parfois  peine  à  obtenir  un  emplacement.  Aussi  a-t-on  décidé  de 
créer  12  nouveaux  mouillages  (ducs  d'Albe),  au  milieu  du  grand  bas- 
sin, dit  India  Hafen.  Ces  travaux  coùtemnt  52.000  marks.  En  outre,  le 
Sénat  de  Hambourg  vient  de  soumettre  au  corps  législatif  un  plan  gé- 
néral d'agrandissement  du  port,  qui  consiste  à  creuser  à  Kuhwarder 
(rive  gauche),  3  grands  docks  et  à  prolonger  la  darse  actuelle.  Les  frais 
prévus  sont  de  11.159.000  marks  pour  le  seul  bassin  qui  serait  cons- 
truit immédiatement  et  achevé  dans  4  ou  6  ans. 

Le  port  de  Brème  n'a  pas  été  aussi  favorisé  par  la  nature  que  celui  de 
Hambourg.  Bien  que  situé  à  une  plus  grande  proximité  que  ce  dernier 
de  la  mer  du  Nord,  il  n'a  pas,  comme  lui,  cette  grande  artère  fluviale 


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LES   PORTS   DE   HAMBOURG   ET   BRÈME  101 

qui  draîne  sur  ses  quais  tout  le  commerce  de  Tintérieur.  Brème  n'a 
comme  mode  de  pénétration  dans  les  terres  que  les  chemins  de  fer  et 
c*est  là  une  voie  artificielle  et  coûteuse  à  laquelle  le  commerce  pré- 
fère, autant  que  possible  le  transport  par  eau.  Malgré  ces  causes  d'in- 
fériorité sur  sa  rivale,  Brome  a  su  tirer  un  remarquable  parti  de  la 
poussée  formidable  du  commerce  allemand. 

En  189S,  les  importations  dans  le  port  de  Brème  ont  été  d'une  valeur 
de  806.306.000  marks,  soit  une  augmentation  de  111.821.000  m.  sur 
1894.  Les  exportations  ont  été  en  1895  d'une  valeur  de  76o.8o2.000  m., 
soit  93.743.000  m.  de  plus  qu'en  1894.  Le  commerce  total  a  augmenté 
en  un  an  de  10,  12  0/0  sur  la  quantité  et  de  6,6i  0/0  sur  la  valeur. 

Cette  augmentation  sans  précédent  correspond  d'ailleurs  à  celle  du 
commerce  total  de  l'Allemagne,  dont  l'exportation  a  attemt  3.318  mil- 
lions de  marks  en  1895,  soit  356  millions  de  m.  de  plus  qu'en  1894. 
L'activité  s'est  exercée  surtout  dans  les  industries  textiles,  les  mines, 
les  métaux,  les  machines,  la  céramique. 

En  1896,  le  progrès  commercial  de  Brème  s'est  encore  accentué.  Les 
importations  ont  été  d'une  valeur  de  821.473.000  marks  et  les  exporta- 
tions d'une  valeur  de  809.365.000  marks. 

A  Brème,  l'importation  des  objets  manufacturés  (articles  en  coton, 
laine,  soie  et  demi-soie,  jute,  etc.)  a  passé  de  76  millions  de  m.  en 
189i  à  106  en  1895;  à  l'exportation,  ces  mêmes  marchandises  qui  don- 
naient, en  1894,  72  millions  de  m.,  ont  atteint  en  1895,  102  millions 
de  marks. 

Les  importations  de  Brème  proviennent  surtout  de  l'Empire  allemand 
(287.635.000  m.)  et  des  États-Unis  (228.174,000  m.);  les  autres  puis- 
sances ne  suivent  que  de  bien  loin;  les  principales  sont  l'Angleterre 
(46.697.000  m.),  la  République  argentine  (44.000.000  m.),  la  Russie 
(27.846.000  m.),  l'Australie  (27.400.000  m.);  la  France  n'envoie  à 
Brème  que  pour  3.222,000  marks. 

Les  exportations  brèmoises  sont  dirigées  pour  plus  de  la  moitié  sur 
l'Empire  aljemand  (425.338.000m.  en  1895);  viennent  ensuite:  les 
États-Unis  (141.000.000  m.),  l'Autriche  (42.500.000  m.),  l'Angleterre 
(32.700.000  m.);  la  France  no  reçoit  de  Brème  que  pour  1.160.000 
marks. 

Les  importations  à  Brème  consistent  surtout  en  coton  (181 .325.000  m.) , 
laine  (83.320.000  m.),  tabac  et  cigares  (47.166.000  m.),  etc.  Les  expor 


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lOÎ  REVUE  FRANÇAISE 

tations  de  ce  port  comprennent  avant  tout  le  coton  brut  (174.Î23.000  m.), 
la  laine  (83.283.000  m.),  le  tabac  et  les  cigares  (54.600.000  m.).  On 
voit  donc  par  la  comparaison  de  ces  chiffres  que  les  produits  ne  font 
qne  traverser  Brème,  qui  leur  sert  de  port  de  transit. 

Le  commerce  générai  de  Brème  avec  la  France  est  tombé  de 
10.207.703  fr.  en  1894  à  5.477.295  fr.  en  1895,  à  cause  des  prix  trop 
élevés  de  nos  vins. 

La  navigation  des  ports  du  Weser  a  été  de  4.083  navires  et 
2.183.200  tonneaux  à  rentrée  et  de  4.448  navires  et  2.200.200  t.  à  la 
sortie  en  1895  ;  au  total,  c'est  une  diminution  de  252  navires,  mais  une 
augmentation  de  58.027  t.  sur  1894.  Le  tonnage  à  l'entrée  comprend 
784.000  tonnes  provenant  des  États-Unis,  296.500  tonnes  allemandes, 
295.700  t.  anglaises,  202.700  t.  russes,  49.300  t.  Scandinaves,  27.845  t. 
espagnoles  et  portugaises,  29.794  t.  hollandaises  et  belges,  seulement 
7.908  t.  françaises.  A  la  sortie,  les  chiffres  sont  à  peu  près  les  mômes. 
On  constate  une  grande  augmentation  des  relations  avec  l'Amérique  du 
sud  (186.800  t.  en  1895,  soit  47.000  t.  de  plus  qu'en  1894),  principale- 
ment avec  la  République  Argentine  et  le  Brésil. 

Pour  1896,  les  chiffres  totaux  des  navires  ont  progressé  mais  le  ton- 
nage a  baissé.  A  l'entrée,  on  compte  4.494  navire  et  2.011.663  tonnes  ; 
à  la  sortie  4.781  navires  et  2.008.866  tonnes. 

Cet  aperçu  du  commerce  maritime  des  deux  principaux  ports  alle- 
mands amène  cette  conclusion  que  la  part  du  pavillon  français  y  va  de 
plus  en  plus  en  diminuant  pendant  que,  d'autre  part,  les  navires  alle- 
mands qui  fréquentent  les  ports  français  et  viennent  y  enlever  le  fret, 
vont  sans  cesse  en  augmentant.  C'est  là  une  constatation  de  plus  de  la 
décadence  de  notre  marine  marchande.  Et  tandis  que,  de  4891  à  1896, 
Hambourg  voit  augmenter  son  tonnage  de  700.000  t.  à  l'entrée,  Dun- 
kerque  et  le  Havre,  nos  deux  principaux  ports  du  nord,  voient  dimi- 
nuer leur  tonnage,  le  premier  de  20.000  tonneaux,  le  second  de  34.000. 
Les  défectuosités  de  l'outillage  de  nos  ports  et  les  facilités  que  l'on 
trouve  à  l'étranger  sont  une  des  causes  de  cette  décadence. 

Paul  Barré. 


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NOUVELLE-CALÉDONIE 

ÉTA.T  DE  LA  COLONISATION  LIBRE 

La  France,  disent  les  étrangers,  a  des  colonies,  mais  n'a  pas  de  colons  ; 
et  chacun  de  disserter  sur  la  répugnance  qu'ont  les  Français  à  aller 
chercher  fortune  hors  de  la  métropole.  L'amour  d'un  bien-être  relatif, 
même  dans  une  perpétuelle  médiocrité;  l'ignorance  des  conditions 
d'existence  que  Ton  trouverait  au  loin;  la  résistance  des  parents  à  voir 
leurs  enfants  aux  prises  avec  les  difficultés  sans  nombre  et  hors  de 
portée  d'être  conseillés  ou  soutenus;  la  facilité  de  s'abriter  dans  un 
emploi  quelconque  ou  de  devenir  fonctionnaire  :  tels  sont  les  motifs  qui 
sont  le  plus  souvent  mis  en  avant.  Sans  doute,  il  y  a  vingt  ans,  ils  ont 
pu  retarder  l'expansion  coloniale,  mais  depuis,  bien  des  préjugés  sont 
tombés.  Le  manque  de  débouchés  pour  le  nombre  tpujours  croissant  de 
gens  en  quête  de  positions,  la  connaissance  de  plus  en  plus  répandue 
des  affaires  coloniales,  l'extension  rapide  de  notre  domaine  extérieur, 
la  propagande  à  outrance  faite  par  des  hommes  comme  Bonvalot  ou 
des  sociétés  comme  l'Union  coloniale,  la  part  de  plus  en  plus  grande 
donnée  par  la  presse  aux  colonies,  le  va-et-vient  continuel,  des  posses- 
sions d'outre-mer  à  la  métropole,  des  soldats  qui  ont  opéré  depuis 
quinze  ans  au  Tonkin,  au  Soudan,  à  Madagascar.  Toutes  ces  causes 
n'ont  pas  été  sans  amener  une  transformation  dans  notre  manière  de 
voir. 

C'est  ainsi  que  dans  toutes  les  familles  on  s'est  familiarisé  avec  l'idée 
que  celui  des  enfants  qui  part  aux  colonies  n'est  pas  nécessairement 
un  enfant  perdu  pour  toujours.  Les  préjugés  anciens  sont  tombés,  on 
suppute  les  chances  de  succès,  on  cite  les  exemples  de  ceux  qui  ont 
réusAi.  f  Si  tu  étais  parti  avec  lui  il  y  a  dix  ansi  dit  le  père  à  son  fils 
qui  végète  dans  une  position  sans  avenir,  tu  nous  reviendrais  mainte- 
nant fortune  faite.  »  —  «  C'est  possible,  répond  le  fils,  mais  un  de  mes 
camarades  qui  revient  de  Nouvelle-Calédonie,  m'a  dit  la  vérité  là-des- 
sus. Le  tout  est  de  choisir  l'endroit.  On  est  encore  plus  tracassé  par 
l'administration  dans  les  colonies  qu'on  ne  l'est  en  France.  On  vous 
dore  la  pilule  pour  vous  attirer  et  une  fois  là,  il  faut  déchanter.  Fina- 
lement on  revient  plus  pauvre  qu'on  n'est  parti.  » 

Cela  donne  l'état  d'âme  d'un  grand  nombre  de  gens  rebelles  à  toute 


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104  REVUE  FRANÇAISE 

idée  d'émigration.  Une  famille  qui  rentre  en  France  éprouvée  par  le 
climat,  n'ayant  plus  de  ressources,  retombant  à  la  charge  de  ceux  qui, 
tout  en  restant  au  pays  avaient  partagé  les  illusions  de  Theure  du 
départ,  c'est  la  propagande  à  rebours,  et  la  Nouvelle-Calédonie  nous  en 
donne  malheureusement  de  trop  fréquents  exemples. 

En  i884,  dix-sept  familles  s'installaient  à  Koné  (côte  ouest).  Une 
seule  a  résisté  et  tient  actuellement  un  débit  de  boissons.  Deux  mois 
après  leur  arrivée,  toutes  les  autres  avaient  renoncé  à  leur  tentative. 
En  1887  on  y  installe  dix  nouvelles  familles,  et  les  immigrants  viennent 
peu  à  peu  jusqu'en  1891  ;  à  partir  de  cette  date  le  mouvement  cesse 
complètement.  En  résumé,  sur  80  colons  la  moitié  a  abandonné  la  po- 
sition, l'autre  moitié  cherche  tant  bien  que  mal  à  tirer  parti  du  terrain. 

Si  on  consulte  une  carte  de  la  colonisation,  on  voit  sur  la  côte  est  six 
centres  :  Canala  (Négropo  et  Ciu),  Monéo,  Ponérihouen  et  ses  environs, 
Ina,  Poindémien,  Tiéti.  Sans  compter  le  centre  de  Thio  qui  est  aliéné 
mais  n'est  pas  occupé.  Sur  la  côte  ouest,  on  distingue  cinq  centres  : 
Koné,  Voh,  Onégoa,  Oubatche  et  Hienghène.  Ces  trois  derniers  figurent 
pour  mémoire,  car  l'effort  n'a  pcMrté  que  sur  Koné  et  Voh. 

Il  est  incontestable  que  c'est  le  premier  groupe,  celui  de  la  côte  est, 
qui  doit  donner  les  meilleurs  résultats  à  raison  des  vents  d'est  et  aussi  à 
cause  de  la  qualité  du  sol. 

Les  colons  qui  ont  su  persévérer  sont-ils  sur  le  chemin  deja  fortune? 
Se  constituent-ils  des  exploitations  qui  en  feront  dans  un  temps  donné 
de  puissantes  et  riches  familles? 

Sur  les  470.000  caféiers  actuellement  plantés,  300.000  appartiennent 
à  un  capitaliste  de  la  colonie,  M.  Leconte;  30,000  à  M.  I^aujolle,  anciai 
géomètre;  140.000  se  répartissent  entre  une  trentaine  de  familles.  A  Voh, 
150.000  caféiers  se  répartissent  entre  43  familles.  Si  l'on  prend  les  résul- 
tats en  masse,  on  peut  dire  que  la  plupart  des  petits  colons  ont  épuisé  le 
pécule  beaucoup  trop  maigre  de  5.000  francs  qu'ils  avaient  apporté  sur 
l'assurance  qu'on  leur  avait  donnée  qu'ils  pouvaient,  avec  cette  réserve, 
vivre  à  l'aise  pendant  les  cinq  premières  années. 

Sauf  quelques  exceptions,  les  colons  se  soutiennent  par  le  crédit  que 
leur  fait  la  maison  Ballande  qui  prend  hypothèque  au  fur  et  à  mesure. 
Les  moins  endettés  doivent  de  600  à  1.000  francs,  et  la  sécheresse 
absolue  que  subit  la  région  les  mettra  bientôt  à  la  merci  des  préteurs. 
Au  moment  où  ils  ne  pourront  plus  payer  les  intérêts  du  capital  prêté, 


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NOUVFXLE-CALÉDONIE  105 

Us  seront  bien  forcés  d'abandonner  leurs  concessions  aux  capitalistes. 

Les  colons  arrivent  avec  Tidée  fixe  que  le  café  pousse  comme  la 
pomme  de  terre  et  doit  donner  bon  an  mal  an  1  franc  de  renie  par 
pied  après  5  années  de  culture.  Or,  cela  n'existe  que  dans  Timagi- 
Dation  de  ceux  qui  écrivent  des  brochures  pour  amorcer  le  colon.  Ils 
n*ont  pas  craint  d'annoncer  qu'avec  5.000  francs  et  5  ans  de  travail  on 
devait  se  faire  annuellement  5.000  francs  de  rente.  Il  ne  leur  est  pas  venu  à 
la  pensée  de  faire  des  traités  populaires  sur  la  culture  du  café  telle  qu'elle 
est  comprise  dans  les  centres  producteurs,  de  propager  l'emploi  des 
engrais  qui  peuvent  donner  au  sol  calédonien  la  vigueur  qui  lui 
manque.  On  n'a  pas  prévenu  ces  braves  gens  qu'ils  se  trouveraient 
loin  des  centres  importants  et  sans  communications  faciles.  Il  leur 
est  impossible  de  vivre  du  seul  produit  de  la  terre  en  attendant  que  le 
café  donne  des  résultats.  Il  faut  bien  qu'ils  fassent  venir  vin,  farine, 
sel,  etc.,  qu'ils  portent  au  marché  volailles,  cochons,  etc.  Comment 
faire  s'il  n'y  a  pas  de  routes? 

On  ne  s'explique  donc  pas  que  le  gouverneur,  M.  Feillet,  puisse  avoir 
ridée  de  créer  un  grand  centre  au  milieu  de  l'île,  à  35  kilomètres  de 
chaque  côte,  au  col  d'Amien,  ce  qui  exige  la  construction  d'une  route 
qui  coûtera  plus  de  100.000  francs,  sans  compter  l'entretien  ultérieur. 
Les  colons  auront  plus  de  deux  jours  de  charrette  à  bœufs;  ce  n'est 
pas  fait  pour  les  encourager. 

Le  conseil  général  a  conscience  de  cette  situation;  il  n'est  pas  disposé 
à  entrer  dans  les  vues  du  gouverneur,  car  il  sent  qu'il  lui  incomberait 
une  lourde  responsabilité  si.  comme  tout  le  fait  prévoir,  on  allait  au- 
devant  d'un  insuccès.  Il  y  a  dans  ce  conseil  des  hommes  expérimentés, 
qui  ont  une  notion  juste  des  mesures  susceptibles  d'enrayer  le  mal.  11 
faudrait  assurer  le  sauvetage  des  colons  déjà  installés,  aider  les  plus 
courageux,  ralentir  le  mouvement  d'immigration  jusqu'au  moment  où 
la  nature  du  sol  sera  suffisamment  étudiée  et  où  les  chemins  d'accès 
auront  été  faits. 

D'après  quelques-uns,  le  gouverneur  ne  paraît  pas  comprendre  que 
surtout  dans  la  période  de  début  d'une  colonisation,  il  faut  inspirer  à 
tous,  fonctionnaires  ou  colons,  la  conviction  qu'on  ne  leur  demande  pas 
de  penser  comme  le  gouverneur  et  de  lui  plaire  en  se  faisant  ses  agents 
électoraux,  mais  de  faire  les  uns  de  l'administration  et  les  autres  de  la 
culture.  Le  régime  de  la  peur  n'a  jamais  réussi  à  faire  de  la  colonisa- 


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06  REVUE  FRAISÇAISE 

tion  libre,  et  ceux  qui  trouvent  dans  une  colonie  que  le  caprice  du 
gouverneur  fait  loi  estiment  que  ce  n'était  pas  la  peine  de  quitter  la 
métropole  pour  aller  aux  antipodes  risquer  leur  santé  et  leur  pécule. 


Un  Colon  libre. 


Fidèle  à  sa  tradition,  la  Retme  Française  ne  manque  jamais  d'exposer 
les  deux  faces  des  questions  en  laissant  le  lecteur  juger  lui-même  où 
se  trouve  la  juste  doctrine;  aussi  tenons-nous  à  rapprocher  de  la  cor- 
respondance qu'on  vient  de  lire  l'extrait  suivant  de  la  Quinzaim  colo- 
niale (10  janvier  1898)  que  dirige  M.  Chailley-Bert,  secrétaire  général 
de  r  Union  coloniale  française  : 

Le  ministère  des  colonies  a  reçu,  d'un  haut  fonctionnaire  chargé 
spécialement  d'étudier  ce  qui  se  rattache  à  la  situation  économique  et 
à  l'avenir  de  la  Nowelle-Calédonie,  un  rapport  du  plus  haut  intérêt. 
Ce  fonctionnaire  attribue  l'insuccès  des  anciennes  tentatives  do  coloni- 
sation libre  à  ce  que  les  a  premiers  émigrants  avaient  été  mal  recrutés, 
étaient  dépourvus  des  aptitudes  professionnelles  et  surtout  des  res- 
sources indispensables  pour  la  mise  en  valeur  d'une  concession  agri- 
cole ».  Nous  n'avons  cessé,  en  ce  qui  nous  concerne,  de  nous  élever 
contre  les  théories  d'après  lesquelles  la  colonisation  ne  devrait  être 
qu'un  nouveau  mode  d'assistance;  cette  constatation  très  nette  vient 
grossir  le  nombre  de  celles  qui  établissent  ce  qu'a  de  dangereux  et  de 
chimérique  une  manière  de  voir  dont  s'inspirent  diverses  propositions 
de  loi  dues  à  l'initiative  parlementaire,  actuellement  soumises  à  la 
Chambre  des  députés. 

Après  avoir  fiait  allusion  aux  résultats  du  mouvement  d'émigration 
déterminé  par  le  gouverneur  actuel  avec  le  concours  de  l*  Union  colo- 
niale  française^  le  rapport  s'occupe  du  service  de  l'immigration  qui 
fonctionne  à  Nouméa  :  «  Le  nouveau  venu  trouve,  à  son  débarquement, 
un  local  mis  gratuitement  à  sa  disposition  pendant  la  durée  de  son 
séjour  à  Nouméa.  11  est  reçu  par  le  gouverneur,  et  une  société,  qui 
s'est  donné  la  mission  de  guider  les  colons,  1*  «  Union  agricole  calédo- 
*  nienne  »,  lui  donne  toutes  les  indications  qui  peuvent  lui  être  utiles. 

•  L'émigrant  est  ensuite  conduit,  par  un  agent  de  l'administration, 
dans  le  canton  oh  se  trouvent  les  lots  entre  lesquels  il  fera  choix  de  sa 
concession.  Il  existe  généralement  des  abris  provisoires  qui  sont  utilisés 


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NOUVELLE-CALÉDONIE  107 

jusqu'au  moment  où  le  colon  a  pu  se  construire  ou  se  faire  construire 
une  maison.  C'est  ordinairement  une  habitation  en  torchis,  recouverte 
de  feuilles  de  cocotiers  ou  d'écorce  de  miaoulis  ». 

Depuis  trois  ans,  le  mouvement  d'émigration  vers  la  Nouvelle-Calé- 
donie a  donné  ces  résultats  :  les  territoires  concédés  comprennent 
8.830  hectares,  le  nombre  des  familles  qui  les  mettent  en  valeur  est  de 
171  ;  enfin,  les  plantations  réunissent  610.000  pieds  de  café. 

Le  rapport  de  la  mission  traite  ensuite  un  point  important  et  sa  con- 
clusion est  conforme  à  la  recommandation  qael'Union  coloniale  française 
renouvelle  avec  insistance  sous  toutes  les  formes.  Le  capital  de 
5.000  francs  exigé  constitue-t-il  des  ressources  suffisantes  pour  mener 
à  bien  la  mise  en  valeur  de  la  concession?  «  Oui,  si  le  colon  est  un 
cultivateur  de  profession,  un  paysan  décidé  à  se  livrer  lui-même  aux 
travaux  de  culture  et  à  s'imposer,  au  début,  de  réelles  privations.  — 
Non,  s*il  appartient  à  la  catégorie  des  professions  manuelles  urbaines 
et  surtout  à  celles  des  personnes  auxquelles  le  travail  manuel  est  étran- 
ger. Fixer  un  chiffre  exact  par  catégorie  est  impossible  ;  mais  pour 
l'élément  non  cultivateur,  on  peut  considérer  que  le  minimum  des 
ressources  doit  être  considérablement  élevé  ». 

Les  doléances  des  émigrants  portent  seulement  sur  deux  points  :  la 
pénurie  de  la  main-d'œuvre  et  le  manque  de  voies  de  communication. 
D'après  la  mission,  la  main-d'œuvre  pénale,  la  main-d'œuvre  mdigëne 
et  celle  des  libérés  ne  donnent  et  ne  donneront  jamais  que  des  résul- 
tats très  médiocres,  c  Les  Annamites  et  les  Javanais  introduits  en 
Nouvelle-Calédonie  sont,  au  contraire,  des  travailleurs  appréciés,  les 
Javanais  surtout,  en  raison  de  la  connaissance  qu'ils  ont  de  la  culture 
du  café.  C'est  à  l'Indo-Chine  et  à  Java  que  devront  être  empruntés  les 
véritables  auxiliaires  de  la  colonisation.  » 

Quant  à  l'amélioration  des  voies  de  communication,  ce  sera  surtout 
l'œuvre  du  temps  ;  toutefois,  l'administration  y  applique  la  plus  grande 
diligence.  C'est  ainsi  que  le  plan  de  campagne  élaboré  par  le  gouver- 
neur comprend,  pour  l'accès  des  centres  créés,  l'ouverture  de  1.734  ki- 
lomètres de  routes  charretières  de  deux  mètres  de  largeur  et  de 
768  kilomètres  de  pistes  ou  sentiers  d'exploitation. 

En  ce  qui  concerne  la  situation  économique  de  la  colonie,  voici 
.'exposé  de  la  mission  :  la  progression  des  exportations  de  café  est 
constante,  de  32.800  kilogrammes  en  1890,  elle  passe  à  212.S96  kilo- 


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108  REVUE  FRANÇAISE 

grammes  en  1896,  pour  atteindre  le  chiflfre  de  98.534  kilogrammes 
pendant  les  six  premiers  mois  de  Tannée  1897.  Lorsque  les  centres 
nouvellement  crôés  seront  en  plein  rapport,  la  production  actuelle 
sera  presque  doublée  :  on  peut  considérer  qu'elle  atteindra  près  de 
400.000  kilogrammes  avec  une  valeur  de  1. 800.000  francs.  D'autre 
part,  la  valeur  delà  propriété  territoriale  s'est  considérablement  accrue. 
Le  rapport  en  mentionne  deux  exemples  topiques  :  6  hectares  plantés 
en  café,  acquis  pour  6.000  francs  en  juin  1893,  se  sont  vendus 
11.500  franco  le  23  novembre  1893;  3  hectares  également  plantés  en 
café,  achetés  en  1896,  pour  le  prix  de  1.225  francs,  vendus  le  24  oc- 
tobre 1896,  14.000  francs. 


LE  BUDGET  DES  COLONIES  POUR  1898 

Le  budget  du  ministère  des  colonies  ne  cesse  d'augmenter  chaque 
année,  ainsi,  du  reste,  que  le  domaine  colonial  de  la  Franco.  Le  bud- 
get présenté  par  le  gouvernement  pour  1898  s'élevait  à  la  somme 
totale  de  88.030.868  fr.,  présentant  une  augmentation  de  plus  de  4 
millions  sur  le  chiffre  de  1897,  qui  était  de  83.874.RiO  fr.  Mais  par 
suite  d'augmentations  survenues,  la  commission  du  budget  propose  le 
chiffre  de  91.564.240  fr.  se  décomposant  ainsi:  dépenses  communes, 
2.360.000  fr.  ;  dépenses  civiles,  13.157.868  fr.  ;  dépenses  militaires, 
66.626  872  fr.  ;  services  pénitentiaires,  9.419.500  fr. 

Si  l'on  déduit  de  cet  ensemble  les  contingents  et  receltes  que  les  co- 
lonies paient  à  la  métropole  et  qui  s'élèvent  à  9.546.914,  le  chiffre  des 
dépe/ises  réelles  descend  à  82.017.326  fr.  Encore  est-il  bon  de  faire 
remarquer  que  les  9  millions  et  demi  du  service  pénitentiaire  ne  sont 
point  précisément  des  dépenses  coloniales,  et  pourraient  être  rattachés 
î\  tout  autre  ministère. 

Voici  de  quelle  façon  M.  Riotteau,  rapporteur,  après  avoir  constaté 
que  nos  anciennes  colonies  de  la  Réunion,  Martinique,  Guadeloupe 
souffrent  de  la  crise  sucrière  et  de  l'élévation  du  change  (30  0/0  à  la 
Guadeloupe),  expose  la  situation  de  nos  autres  possessions  : 

«  Au  Sénégal,  la  baisse  des  arachides  a  fait  diminuer  également  les 
transactions  commerciales.  Le  chiffre  des  importations  s'est  pourtant 


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LE   BUDGET   DES   COLONIES   POUR  1898  109 

accru  au  profit  de  la  métropole.  La  France  a  pour  sa  part  les  2/3  des 
importations  contre  1/3  au  profit  de  Tétranger. 

A  Ja  Guyane,  on  constate  également  une  baisse  sur  le  total  des  im- 
portations et  des  exportations,  mais  la  proportion  du  trafic  reste  la 
même  entre  la  métropole  et  l'étranger. 

La  situation  est  sensiblement  identique  à  Saint-Pierre  et  Miquelon, 
dans  rinde,  à  la  Nouvelle-Calédonie,  à  Tahiti.  Les  importations  et 
exportations  avec  la  France  sont  peu  importantes.  Elles  diminuent  avec 
Tétranger. 

Pour  la  première  fois,  le  Soudan  apparaît  avec  un  commerce  de 
14.712.314  fr.  à  Timportation  et  13.483.611  fr.  à  [rexportalion.  Les 
.renseignements  parvenus  sont  encore  trop  incomplets  pour  faire  la  part 
exacte  de  la  France  et  de  l'étranger  dans  ces  transactions.  On  peut  dire 
cependant  que  notre  commerce  y  a  une  situation  prépondérante.  La 
Guinée  française  est  en  progression.  Mais  les  transactions  de  la  métro- 
pole, aussi  bien  à  l'importation  qu'à  l'exportation,  ne  s'accroissent 
qu'avec  lenteur.  Il  en  est  de  môme  à  la  Côte  d'Ivoire.  Au  Dahomey,  au 
contraire,  les  importations  de  la  métropole  progressent  plus  rapidement, 
alors  que  celles  de  l'étranger  dimiouent...  Au  Congo,  l'importation  de 
la  France  est  en  progrès  faible,  il  est  vrai,  mais  l'exportation  a  diminué 
de  plus  de  moitié.  L'importation  étrangère  a  augmenté  de  500.000  fr. 
environ.  L'exportation  à  l'étranger  a  diminué,  mais  dans  une  propor- 
tion moindre  que  celle  de  la  France, 

En  ce  qui  concerne  Madagascar,  par  suite  de  la  situation  troublée  de 
l'île  les  informations  sont  incomplètes. 

La  Cochinchine  et  le  Cambodge  réunis  présentent  une  diminution  de 
4  millions  environ  sur  les  importations  de  France  et  de  7  millions  pour 
le  commerce  étranger.  L'exportation  est  en  diminution  de  6  millions 
pour  la  métropole  et  de  3  millions  pour  l'étranger.  L'Annam-Tonkin  est 
en  augmentation  de  près  d'un  million  pour  l'importation  de  France  ; 
l'étranger  subit  une  diminution  de  près  de  3  millions  à  l'importation. 
L'exportation  de  la  colonie  sur  la  France  remonte  d  un  million.  Celle  de 
l'étranger  s'abaisse  de  200.000  fr.  environ. 

D'une  manière  générale,  nous  avons  importé  pour  près  de  104  mil- 
lions dans  nos  colonies,  alors  que  l'étranger  y  importait  123  millions. 
Elles  nous  ont  envoyé  pour  107  millions  de  produits,  alors  que  l'é- 
tranger en  absorbait  118  millions.  Le  commerce  général  des  colonies. 


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110  R£VUB  FRANÇAISE 

tant  avec  la  France  qu'avec  rétrangar»  a'est  élevé  à  417  millions  contre 
510  millions  constatés  9U  budget  de  1887.  Les  causes  de  cette  dimi- 
nution de  trafic  sont  complexes.  Dans  rindo-Chine»  elles  proviennent 
de  la  mauvaise  récolte  du  riz  ;  dans  nos  cdonies  sucrière»,  de  la  baisse 
du  prix  du  sucre  ;  dans  nos  colonies  d'Afrique,  de  la  baiise  des  ara- 
chides et  des  graines  oléagineuses  similaires  ». 

Le  personnel  de  l'administration  centrale  des  colonies  coûtera,  en 
1898,  690.000  fr.,  alors  que  Ton  consacre  seulement  la  somme  déri- 
soire de  75.000  fr.  pour  Témigration  des  travailleurs  aux  colonies.  U 
est  vrai  que  cette  somme  sera  relevée  à  100.000  fr.,  chiffre  encore  bien 
insufflsant  quand  il  s'agit,  comme  pour  la  Nouvelle-Calédonie  d'aider 
au  transport  d'émigrants  ayant  déjà  un  petit  capital. 

La  subvention  au  Congo  français  est  de  2.353.000  fr.  depuis  1887,  la 
France  a  dépensé  pour  cette  colonie  17*286.320  fr.,  pendant  que  les 
dépenses  locales  ont  été  de  20.135.296  fr. 

Les  recettes  étant  fort  au-dessous  des  dépenses,  il  y  a  donc  eu  de  ce 
côté  un  déficit  constant.  M.  de  Lamothe,  le  nouveau  gouverneur,  a 
pour  instructions  spéciales  de  mettre  plus  d'ordre  et  d'économie  dans 
les  dépenses  de  la  colonie. 

La  subvention  au  budget  local  de  Madagascar  est  diminuée  pour 
1898  de  200.000  fr.,  mais  ce  n'est  là  qu'un  trompe-l'œil,  car  pour  1897, 
il  a  été  demandé  17  millions  de  crédits  supplémentaires  par  suite  de 
l'insurrection,  et  les  dépenses  militaires  ont  dû  être  élevées  de  13.710.000 
fr.  à  18.276.000  pour  1898. 

Les  frais  d'occupation  du  Soudan  français  sont  fixés  à  6.180.000  fr.  ; 
les  crédits  votés  pour  1897  étaient  de  6.312.000  fr.  et  les  dépenses  de 
l'exercice  1895  avaient  été  de  9.707.153  fr.  Grâce  à  l'heureuse  admi- 
nistration du  colonel  de  Trentinian,  les  dépenses  du  budget  local  ont 
été  réduites  de  2  millions  environ  (1).  Une  somme  de  600.000  fr.  est 
consacrée  aux  travaux  d'avancement  du  chemin  de  fer  de  Kayes  au 
Niger.  Avec  des  ressources  aussi  insufiisantes  il  faudra  30  ans,  dit  le 
rapporteur,  pour  atteindre  le  but. 

En  Guinée,  une  somme  de  100.000  fr.  contre  300.000  fr.  pour  1897, 
est  affectée  aux  travaux  de  prolongation  de  la  route  de  Konakry  au 
Niger,  pour  lesquels  la  colonie  accorde  une  subvention  annuelle  de 

(1)  Voir  Bev.  Fr.  sept.  1S97,  p.  505  :  la  Situation  au  Soudan  français. 


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LE   CHEMIN   DE   FER   DE   PÉKIN  ill 

30.000  fr.  Là  encore  le  crédit  est  insuffisant,  car  si  les  colonies  doivent 
se  développer,  c'est  par  les  travaux  publics  qui  les  mettront  en  valeur. 

Les  crédits  affectés  aux  services  militaires  de  TAnnam  et  du  Ton- 
kin  ont  été  ramenés  par  la  commission  de  24.640.000  fr.  à  23.2SO.000. 
Parmi  les  réductions  proposées  la  commission  demande  la  diminution 
des  médecins  militaires.  C'est  là  une  détestable  économie,  car  on  sait 
que  bien  des  petits  postes  sur  la  frontière  manquent  de  médecins,  et 
c'est  toujours  par  les  maladies  que  les  expéditions  coloniales  françaises 
ont  le  plus  souffert. 

Enfin  les  crédits  de  défense  des  colonies  sont  élevés  d'une  année  sur 
lautre  de  800.000  à  1.200.000  fr.  C'est  sur  cette  somme  que  sont 
soldés  les  travaux  entrepris  à  la  Martinique,  à  Dakar,  à  Saigon  et  à 
Madagascar  pour  la  défense  des  points  d'appui  de  la  flotte. 

Terminons  en  r^rettant  que  le  rapport  de  M.Kiotteau  ne  contienne 
pas,  comme  celui  de  son  prédécesseur,  le  tableau  des  budgets  de  chaque 
colonie  ainsi  que  celui  de  leur  mouvement  commercial. 

G.  V. 


LE  CHEMIN  DE  FER  DE  PEKIN 

VEoonomiste  français  a  publié  récemment  une  intéressante  lettre  de  M.  Pierre 
Leroy-Beaulieu,  dont  les  correspondances  sont  très  remarquées,  sur  Pékin  et  les  cbe 
mins  de  fer  de  la  Chine.  En  voici  le  passage  le  plus  saillant  : 

Depuis  trois  mois,  on  se  rend  à  Pékin  en  chemin  de  fer.  La  première 
ville  de  l'intérieur  que  les  Chinois  se  soient  décidés  à  relier  à  la  côte 
par  le  nouveau  moyen  de  locomotion  importé  d'Occident  est  leur  sacro- 
sainte  capitale  et  le  petit  réseau  de  chemin  de  fer  de  la  province  du 
Tchili  est  encore  le  seul  qui  existe  dans  Fempire,  Il  comprend  en  tout 
467  kilomètres  en  exploitation  :  127  de  Pékin  à  Tientsin,  43  de  Tientsin 
à  Tangkou,  un  peu  au-dessus  des  forts  de  Takou  qui  défendent  Tembou- 
chure  du  Peï-Ho,  233  de  Tangkou  à  Shan-Haï-Kwan,  point  où  la 
Grande  Muraille  de  Chine  aboutit  à  la  mer,  et  enfin  un  prolongement 
de  64  kil(»nètre.s  au  delà  de  cette  Grande  Muraille  vers  le  Nord-Est. 

Le  premier  tronçon  de  ce  chemin  de  fer,  construit  par  les  soins  de 
Li-Hong-Chang|  reliait  ses  mines  de  charbon  de  Kaïpesig  à  la  rivière 
Petang,  située  un  peu  au  nord  du  Peï-Ho  ;  il  fut  ensuite  étendu,  par 


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"H 


412  REVUE  FRANÇAISE 

les  soins  du  même  vice-roi,  d'une  part,  jusqu'à  Tientsin  ;  de  Tnutre, 
jusqu'à  Shan-Haï-Kwan.  Si  on  Tavait  poussé  avec  plus  d'activité  de  ce 
côté,  il  aurait  pu  rendre  de  sérieux  services  pendant  la  guerre  sino- 
japonaise.  On  projette  de  le  prolonger  jusqu'à  Moukden  en  Mandchourie 
méridionale  avec  embranchement  sur  Newchwang,  port  ouvert  du  Pet- 
Chili  septenirional,  occupé  par  les  Japonais  en  1895.  Mais  les  travaux 
avancent  fort  lentement  de  ce  côté  ;  la  ligne  de  Tientsin  à  Pékin,  au 
contraire,  a  été  construite  en  un  an. 

Sur  tous  ces  chemins,  le  trafic  est  déjà  actif,  conmie  on  était  en  droit 
de  s'y  attendre.  11  y  a  quatre  trains  par  jour  dans  chaque  sens  entre 
Tientsin  et  Tangkou,  deux  de  Tangkou  à  Shan-Haï-Kwan  (trois  et 
quatre  même  sur  les  sections  de  cette  ligne),  deux  enfin  de  Tientsin  à 
Pékin,  depuis  le  1^^  octobre  :  lorsque  je  suis  venu  ici,  quelques  jours 
avant  cette  date,  il  n'en  existait  encore  qu'un  qui  franchissait  la  distance 
entre  les  deux  villes  en  cinq  heures,  à  raison  de  25  kilomètres  à  l'heure. 
L'  «  express  »  quotidien  ne  met  plus  maintenant  que  3  heures  53  minu- 
tes et  marche  à  32  kilomètres  à  l'heure.  Les  recettes  de  la  ligue  de 
Pékin  à  Tientsin  atteignent  ea  moyenne  3,000  taëls  par  jour,  c'est-à- 
dire  10,000  francs  au  cours  actuel  du  change.  Cela  fait  30,000  francs 
par  kilomètre  et  par  an.  C'est  un  magnifique  résultat  ;  aussi  est-on  déjà 
en  train  de  poser  une  seconde  voie  sur  c^tte  ligne  à  peine  terminée  et 
où  des  aflBches  annonçaient  encore  dernièrement  que  les  voyageurs 
n'étaient  transportés  qu'à  leurs  risques  et  périls  sans  responsabiUté  de 
l'administration. 

La  construction  est  cependant  fort  bien  faite,  à  la  laideur  normale  de 
la  voie  européenne  ;  le  ballast  est  excellent,  composé  de  pierres  concas- 
sées et  non  de  terre  ou  de  sable,  comme  on  le  fait  parfois  dans  les  pays 
neufs.  Les  difficultés  techniques  à  surmonter  n'ont  pas  été  grandes, 
quoique  la  traversée  de  terrains  périodiquement  inondés  sur  une  nota- 
ble pallie  de  la  ligne  ait  nécessité  des  remblais  peu  élevés,  mais  solide- 
ment construits.  Le  Peï-Ho  et  un  ou  deux  autres  cours  d'eau  sont  fran- 
chis par  des  ponts  aux  piles  de  pierre  qui  ne  sont  pas  tous  achevés  ;  on 
passe  alors  à  côté  sur  des  passerelles  provisoires  en  bois.  Le  chemin  de 
fer,  —  qui  appartient  à  l'Etat  chinois,  —  a  été  exécuté  par  des  ingé^ 
nieurs  anglais  et  américains  ;  ce  sont  encore  eux  qui  en  dirigent  l'exploi- 
tation au  point  de  vue  technique  et  les  mécaniciens  sont  aussi  des 
Européens  ;  mais  tout  le  reste  du  personnel,  employés  dans  les  gares, 


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LE   CHEMIN  DE   FER  DE   PEKIN  413 

coDtrôIeurs  et  autres,  est  chinois,  comme  aussi  radmiDistralion  finan- 
cière. Le  matériel  est  peu  luxueux,  mais  suffisant  pour  un  voyage  de 
courte  durée  et  les  bancs  cannés  des  vagons  de  première  sont  peut-être 
préférables,  en  ce  pays  de  malpropreté,  à  des  sièges  plus  rembourrés  ; 
les  voitures  de  seconde  n'ont  que  des  bancs  de  bois  tout  simples  ;  beau- 
coup de  Chinois  voyagent  aussi  dans  des  vagons  de  marchandises. 
Quant  aux  bagages,  que  les  Européens  sont  seuls  à  avoir  en  grande 
quantité,  on  les  met  tout  bonnement  dans  le  même  compartiment  que 
leur  propriétaire.  Les  prix  sont  modérés:  2  piastres  80  cents  de  Tientsin 
à  Pékin,  soit  6  fr.  30  ou  5  centimes  par  kilomètre  en  première  et  moitié 
moins  en  seconde. 

On  descend  de  vagons  à  3  liy  ou  1,S00  mètres,  des  murailles  de  Pékin 
au  milieu  d'un  grand  nombre  de  spectateurs  attirés  tous  les  jours  par 
Farrivée  du  train  et  l'on  passe  brusquement  du  plus  perfectionné  à  l'un 
des  plus  barbares  moyens  de  transport  que  l'humanité  ait  à  sa  disposi- 
tion. Le  tarantass  sibérien  parait  le  plus  doux  des  véhicules  si  on  le 
compare  à  la  charrette  de  Pékin.  Deux  grandes  roues  aux  jantes  énor- 
mes reconvertes  de  fer  et  garnies  d'un  triple  cercle  de  clous,  reliées  pai* 
un  essieu  très  fort,  supportent  cet  informe  appareil  que  recouvre  une 
bâche  bleue.  Une  ou  deux  mules  attelées  en  flèche  le  traînent  ;  le  char- 
retier s'assied  en  avant  de  la  partie  abritée  sous  la  bâche  sous  laquelle 
s'insinue  le  malheureux  voyageur;  il  n'y  a  pas  assez  de  place  pour 
s'étendre  et  il  faut  rester  assis,  les  jambes  allongées  ;  à  peine  est-ou  en 
marche  qu'on  est  violemment  projeté  à  droite,  à  gauche,  en  arrière, 
contre  l'armature  de  bois  de  la  voiture  qui  prend,  elle,  les  inclinaisons 
les  plus  variées  ;  on  regarde  avec  angoisse  la  boue  profonde  du  chemin 
où  l'on  craint  à  chaque  instant  d'être  précipité,  soit  parce  que  le  véhi- 
cule aura  versé,  soit  parce  qu'il  aura  été  brisé  par  un  cahot  plus  violent 
que  les  autres;  il  n'en  est  rien  pourtant  et  au  bout  d'une  demi-heure  on 
se  trouve  sain  et  sauf  devant  une  muraille  crénelée  de  25  pieds  de 
haut,  précédée  d'un  fossé  boueux  aux  trois  quarts  comblé  ;  on  la  suit 
quelques  instants,  puis  on  tourne  à  droite  sur  un  pont  d'où  une  porte 
donne  accès  dans  une  demi-lune  tout  entourée  de  murs  ;  on  franchi 
par  une  seconde  porte  le  rempart  proprement  dit  et  vous  voici  dans 
Pékin. 


X  XIII  (Février  98).  N*230. 


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ÉPHÉAlÉRIDES  ÉTRANGÈRES  ET  COLONIALES  POUR  L*ANNÉE  1897 


FRANCE 

Mort  à  Paris  d'Antoine  d'Abbadie,  explorateur  en  Ethiopie  (20  mars  4897). 

Mort  à  Grenoble  du  1^  de  vaisseau  Boiteux,  conquérant  de  Tombouctoa 
(22  sept.). 

Algérie.  —  M.  Lépine  est  nommé  gouverneur  général  (1*  oct.).  !l  succède  à 
M.  Jules  Ombon  qui  était  resté  6  ans- en  fonctions, 

Tunisie.  —  Convention  signée  à  Paris  avec  TAngleterre,  mettant  fin  au  traité 
perpétuel  conclu  en  1875  entre  la  Tunisie  et  l'Angleterre  (18  sept.). 

AMqae  occ^  française.  —  Décret  supprimant  le  commandement  supérieur 
des  troupes  (8  janv.). 

Gninée  française.  —  Décret  établissant,  à  dater  du  1"*  juin,  des  droits  de 
douane  (4  av.). 

Sondin  français.  —  Décret  supprimant  le  ^  escadron  de  spahis  soudanais 
(25  fév.). 

I^a  mission  Voulet,  qui  avait  occupé  Ouagadougou  {i^  sept.  1896)  et  établi  le 
protectorat  français  sur  la  Mossi  et  le  (jourounsi,  effectue  sa  réunion  avec 
la  mission  Baud  venant  du  (lourma,  réalisant  ainsi  la  jonction  du  Soudan 
avec  le  Dahomey  (16  fév.). 

Traité  de  protectorat  signé  avec  les  Touareg  Aouélimiden  (14  mai). 

Occupation  de  Say  (19  mai). 

Un  détachement  de  spahis,  sous  les  ordres  du  1^  de  (^hevigné,  est  massacré 
par  les  Touar^,  près  de  Rhergo  (19  juin). 

Le  capitaine  Braulot  attiré  dans  un  guet-apens  par  les  Sofas  de  Samory,  est 
massacré  à  Bouna  avec  une  partie  de  son  escorte  (20  août). 

M.  A.  Lebon,  ministre  des  colonies,  débarque  à  Dakar  (17  oct.),  visite  le  Sé- 
négal et  va  jusqu'à  Kayes.  C'est  la  i^  visite  d'un  ministre  aux  colonies. 

Côte-dlTOire.  —  Le  Conseil  d'État  annule  l'arrêté  de  déchéance  de  la  conces- 
sion Verdier  (5  mars). 

Dahomey.  —  Convention  signée  à  Paris  avec  l'Allemagne  délimitant  le  Daho- 
mey et  le  Togo.  Celte  convention  reconnaît  le  Gourma  à  la  France  et  San- 
sanné  Mango  à  l'Allemagne  (23  juil.). 

Occupation  de  Boussa  (Niger)  par  le  1*  de  vaisseau  Bretonnet  (5  fév.). 

Occupation  de  Nikki,  capitale  du  Borgou  (nov.). 

Congo.  —  Le  Conseil  d'État  annule  l'arrêté  de  déchéance  de  la  concession 
Dauraas  (5  mars). 

Décret  modifiant  l'organisation  du  Congo  français  et  nommant  M.  H.  de  La- 
mothe  commissaire  général  (28  sept.).  M.  de  Brazza^  qui  rentre  en  France^ 
était  le  premier  gouverneur  du  Congo. 

UOfficiel  publie  un  décret  modifiant  l'organisation  judiciaire  (3  oct.)* 

Onkangui.  —  M.  Liotard^  l^^gouverneur,  occupe  Dem  Ziber,  dans  le  bassin 
du  haut  Nil  (1«"  juin). 


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ÉPHÉMÉRIDES  POUR  L'ANNÉE  1897  14« 

La  mission  Marchand  arriTe  à  Tamboara,  an  Bahr  el  Ghazal  (juil.). 

Madagascar.  —  Le  général  Gallieni  restitue  aux  provinces  non  hovas  leur  au- 
tonomie administrative  (janv.). 

Le  général  Gallieni  prononce  la  déchéance  de  la  reine  Ranavalo  (27  fév.). 
Celle-ci  est  internée  à  la  Réunion,  où  elle  arrive  le  14  mars. 

Un  poste  français  est  créé  à  Ihosy,  en  pays  bara  (fév.),  et  une  communica- 
tion par  ce  point  est  établie  entie  Tullear  et  le  Betsileô. 

La  révolte  des  Hovas  est  apaisée  et  Tlmenna  paciûée  (av.)* 

L'Officiel  de  Paris  promulgue  la  loi  portant  application  à  Madagascar  du  tarif 
général  des  douanes  (17  av.). 

Décret  réglementant  le  régime  des  mines  (20  juil.). 

VOfficiel  publie  un  décret  réglementant  le  régime  de  la  propriété  (23  juil.). 

Les  derniers  grands  chefs  hovas  insurgés  font  leur  soumission  (29  juil.). 

Décret  supprimant  le  titre  de  résident  général  et  le  remplaçant  par  celui  de 
gouverneur  général  (31  juil.), 

VOfficiel  publie  un  décret  créant  un  2^  régiment  de  tirailleurs  malgaches 
(12  oct.). 

Le  pavillon  français  est  arboré  sur  les  îles  Juan  de  Nova(S*-Christophe),  Eu- 
ropa  et  Bassas  de  India,  dépendances  de  Madagascar. 

Soulèvement  des  Sakalaves  du  Ménabé  (oct.). 

Mo-Chise.  ^  Décret  supprimant  le  poste  de  secrétaire  général  du  gouverne- 
ment créé  en  1895  et  rétablissant  celui  de  résident  supérieur  au  Tonkin 
(8  juin). 

L'enseigne  de  vaisseau  Mazeran  franchit  avec  le  La  Grandière  les  rapides  de 
TangHo,  reculant  ainsi  jusqu'à  Xien  Lap,  la  navigation  du  (Mékong  (août). 

Sappression  des  fonctions  de  vice-roi  à  Hanoï. 

ModWcations  du  protectorat  en  Annam  à  l'avantage  de  la  France* 

L'emperiiir  d'Ânnam  quittant  Hué  pour  la  1'^  fois  depuis  la  conquête  rend 
visite  au  giuyemeur  général  à  Saïgon  (4  déc.). 

I^MSalédonie.  -^  Décret  fixant  le  régime  du  domaine  et  des  concessions 
(10  av.). 

Voir  :  Chine. 

ALLEMAGNE 

Le  Reichstag  ayant  rejeté  la  phipart  des  crédits  demandés  pour  l'augmenta- 
tion de  la  flotte,  l'amiral  Hollmaim  donne  sa  démission  de  ministre  de  la 
marine.  L'amiral  Tlrpitz  est  nommé  à  sa  place  (31  mars  1897). 

Le  Reichstag  vote  l'abolition  de  la  loi  contre  le  séjour  des  jésuites  (3  av.). 

Le  Reichsanzeiger  publie  la  nomination  de  M.  de  Bulow  comme  secrétaire 
d'État  aux  affaires  étrangères,  où  il  remplace  M.  Marschall  (28  oct.). 

Bfort  à  Ténériffe  de  l'explorateur  Zintgrafif  au  retour  du  Kameroun  (5  déc). 

Le  prince  Henri  de  Prusse  quitte  Riel  avec  les  navires  envoyés  en  Chine 
(16  déc.). 

Voir  :  Dahomey,  Chine. 


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H6  REVUE  FRANÇAISE 

AUTRICHE 

ÉlectioiîB  au  Reichsralh  (9  mars  1897). 

M.  Lueger,  chef  des  antisémistes,  est  élu  bourgmestre  de  Vienne  (8  av.). 

Ordonnances  mettant  l'emploi  de  la  langue  tchèque  sur  le  pied  d*^alité  avec 
la  langue  allemande  en  Bohême  (6  av.)  et  en  Moravie  (22  av.). 

Le  Reichsrath  repousse  la  demande  de  mise  en  accusation  du  cabinet  Badeni, 
formée  par  les  libéraux  allemands,  au  sujet  des  ordonnances  bilingues 
(8  mai). 

Le  Reichsrath  rejette  une  nouvelle  demande  de  mise  en  accusation  du  cabi- 
net (20  oct.). 

A  la  suite  d'incidents  violents  et  d'actes  d'obstruction  suscités  au  Reichsralh 
par  la  minorité  allemande  et  de  désordres  dans  différentes  villes,  le  mi- 
nistère Badeni  donne  sa  démission  (28  nov.).  M.  Gautsch  devient  chef  du 
cabinet  (1  déc.). 

Troubles  graves  entre  Tchèques  et  Allemands  à  Prague  (4,  2  déc.). 

ESPAGNE 

Assassinat  à  Santa  Agueda,  par  un  anarchiste,  de  M.  Canovas  del  Gastilio, 
chef  du  cabinet  (8  août).  Chef  du  parti  conservateur,  plusieurs  fois  premier 
ministre,  cet  homme  d'État  avait  puissamment  contribué  à  la  restauration 
de  la  monarchie  en  1875.  Le  général  Azcarraga  devient  chef  du  cabinet. 

Formation  du  cabinet  libéral  Sagasta,  succédant  au  cabinet  conservateur 
(4  oct.). 

Cufca.  —  Le  maréchal  Blanco  est  nommé  capitaine  général  à  Cuba  en  rem- 
placement du  général  Weyler  dont  les  mesures  de  répression  ont  été  sans< 
effet  sur  l'insurrection  (8  oct.). 

La  Gacela  publie  des  décrets  accordant  un  gouvernement  autonome  à  Cuba  et 
à  Porto-Rico  (25,  26  nov.). 

PUlippines.  —  Les  chefs  insurgés  et  leurs  bandes  font  leur  soumission  (déc). 
L'insurrection  durait  depuis  2  ans. 

GRANDE-BRETAGNE 

60^  anniversaire  de  l'avènement  de  la  reine  Victoria  (20  juin  1897). 
L'Angleterre  dénonce  les  traités  de  commerce  conclus  avec  la  Belgique  et 

l'Allemagne  (30  juil.). 
Bénin.  ~  A  la  suite  du  massacre  d'une  mission  anglaise  près  de  Bénin  (janv.), 

une  expédition  anglaise  s'empare  de  Bénin  (fév.) 
Miger.  —  Les  troupes  de  la  C*«  du  Niger  s'emparent  de  Bida,  capitale  de  l'émir 

du  Noupé  (27  janv.). 
Côte  d'Or.  —  L'expédition  Henderson  est  battue  et  dispersée  à  Oua  par  les 

sofas  de  Samory  (av.), 
Rhodesia.  —  Inauguration  du  chemin  de  fer  de  Boulouwayo  (4  nov.). 
ZSùuibar.  --  Décret  abolissant  l'esclavage  (av.)« 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  117 

Eft  afiricain.  —  L'expédition  Macdonald  envoyée  vers  le  Haut-Nil  est  arrêtée 
dans  sa  marche  par  la  révolte  de  ses  soldats  soudanais  (nov.). 

Canada.  —  Élections  au  Parlement  de  Québec  (11  mai).  49  libéraux  et 
25  conservateurs  remplacent  les  46  conservateurs  et  les  23  libéraux  sor- 
tants. M.  Marchand  succède  à  M.  Flynn  comme  premier  ministre  de  la 
province. 

laies.  —  Une  colonne  anglaise  est  assaillie  par  les  Ouaziris  à  Maïza,  sur  le 
Tochi  (N.-O.)  et  subit  un  grave  échec  (juin  1897.) 

A  la  suite  du  soulèvement  des  Mohmands,  le  campement  anglais  de  Malakhan 
a  à  repousser  de  vives  attaques  (27-30  juil.). 

Les  Afridis  prennent  les  armes  contre  les  Anglais  et  s'emparent  des  postes 
fortifiés  du  défilé  de  Khyber. 

La  brigade  anglaise  Jefifreys,  assaillie  par  les  Mohmands,  subit  un  échec  sé- 
rieux (16  sept.). 

Les  Anglais  après  avoir  infligé  plusieurs  échecs  aux  Mohmands  occupent 
Jarobi,  centre  du  soulèvement.  Les  Mohmands  font  leur  soumission  (oct). 

Le  général  Lockhart,  nommé  au  commandement  en  chef  de  l'armée  d'opé- 
rations, après  avoir  pénétré  dans  la  vallée  de  Tirah,  met  en  fuite  les  Afri- 
dis à  Ghagra  Kotal  après  un  sanglant  combat  (20  oct.). 

L'armée  d'opérations  n'ayant  pu  réduire  les  Afridis  bat  en  retraite,  après 
une  série  d'escarmouches  meurtdères,  pour  prendre  ses  quartiers  d'hiver 
près  de  Pechawer  (déc.) 

Voir  :  Tunisie,  Chine.  (A  suivre,) 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 

AFRIQUE 

Soudan  français  :  Navigabilité  du  Niger.  —  £n  descendant  le  Niger,  la 
mission  Hourst  avait  trouvé  ce  fleuve  libre  de  Koulikoro  (en  aval  de  Bam- 
mako)  jusqu'à  AnsongO.  Les  rapides  ne  commençaient  qu'en  ce  point  et  ren- 
daient la  navigation  des  plus  pépibles  jusqu'au-dessous  de  Boussa. 

Mais  la  mission  Hourst  avait  parcouru  le  Niger  à  la  saison  des  hautes 
eaux.  Il  fallait  donc  se  rendre  compte  des  conditions  de  navigabilité  aux 
basses  eaux  et  de  la  possibilité  de  ravitailler,  par  Tombouctou,  notre  poste  de 
Say,  sur  le  Niger. 

Le  chef  de  bataillon  Goldschen,  commandant  de  la  région  de  Tombouctou, 
confia,  en  mai  1897,  au  lieutenant  de  Chevigné  la  mission  de  reconnaître 
cette  partie  du  fleuve. 

Partie  de  Koriumé  (7  mai),  avec  5  pirogues  calant  de  20  à  28  centimètres, 
la  mission  était  le  11  mai  à  Rhergo,  le  15  mai  à  Imentabonack  et  rentrait 
le  21  mai  à  Tombouctou. 

De  Tombouctou  à  Imentabonack,  les  pirogues  ont  eu  beaucoup  de  peine 


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ils  REVDB  FRANÇAISE 

à  passer  ;  il  y  eut  de  nombreQx  échouages  sur  des  bancs  de  saUe  qui,  en 
certains  points,  forment  des  barrages  dans  toute  la  largeur  du  fleuve^ 

Le  niveau  du  fleuve  descend,  aux  basses  eaux,  très  rapidement.  A  Bofa, 
à  54  kil.  en  aval  de  Koriumé,  M.  de  Ghevigné  trouve  ce  fleuve  entièrement 
coupé  par  des  bancs  de  vase,  alors  que  R  jours  ayant,  le  lieutenant  Mejnier 
avait  passé  facilement  en  pirogue.  A  Imentabonack,  en  48  heures,  les  16-17 
mai,  M.  de  Ghevigné  constata  un  abaissement  de  niveau  de  10  centimètres. 
A  cette  saison,  le  passage  de  Kefna,  à  26  kil.  de  Imentabonack,  put  être 
considéré  comme  infranchissable  car  le  lit  du  fleuve  est  hérissé  de  roches 
aiguës. 

D'après  M.  Vuillot,  le  Niger  peut  être  considéré  comme  navigable  de  Tom- 
bouctou  à  Ansongo,  m^isaux  hautes  eaux  seulement.  En  aval  d'Ansongo,  les 
o)wtaCiles  rocheux  et  les  rapides  rendent  la  navigation  difficile  à  toute  épo- 
que, et  dangereuse  sinon  impossible  neuf  mois  sur  douze. 

CSÔte  dlvoire  :  Réoccupation  de  Bondoukou,  —  On  se  rappelle  que  Bon- 
doukou  avait  été  placé  dans  la  sphère  des  intérêts  français,  en  1890,  par  le 
capitaine  Binger,  dans  son  grand  voyage  dans  la  boucle  du  Niger.  Une 
convention  franco-anglaise  Ta  formellement  reconnu.  Toutefois,  les  autorités 
anglaises  de  la  Gôte  d*Or,  redoutant  une  invasion  des  sofas  de  Samory,  à  la 
suite  du  désastre  de  la  mission  Henderson,  envoyèrent  des  troupes  au  N.-O. 
de  rhinterland  de  leur  colonie.  Un  de  ces  corps  s'installa  à  Boualé,  puis  à 
Bouna,  tandis  qu'un  autre  occupa  Bondoukou  et  Kammala,  au  N.-E.  Le 
gouvernement  français,  dit  le  Temps,  fit  remarquer  que  des  troupes  anglaises 
ne  pouvaient  rester  dans  une  irille  reconnue  française  et  le  gouvernement 
anglais  donna  des  ordres  pour  l'évacuation  de  Bondoukou. 

Pour  empêcher  Samory  de  rentrer  à  Bondoukou,  le  ministre  des  colonies 
donna  des  instructions  au  gouverneur  de  la  Côte  d'Ivoire  afin  qu'il  fît  procé- 
der à  l'occupation  de  ce  point.  A  la  fin  de  noveriibre  dernier,  M.  Glozel  quit- 
tait le  poste  d'Assikasso,  dans  le  bassin  du  Gomoé,  à  220  kilomètres  de 
Grand-Bassam,  accompagné  de  M.  Lamblîn,  commis  aux  affaires  indigènes, 
et  de  25  miliciens.  Le  5  décembre  1897,  M.  Glozel  entrait  à  Bondoukou.  La 
ville,  grande  et  bien  bâtie,  qui  a  plus  d'un  kilomètre  de  l'est  à  Touest,  a  été 
pillée  par  Samory.  La  population  a  dû  s'enfuir.  Vingt  crânes,  blanchissant 
au  soleil  sur  la  route  de  Dadiani,  indiquent  que  le  Napoléon  noir,  comme  on 
l'appelle  parfois,  a  des  procédés  sommaires  de  gouvernement, 

Bondoukou  est  à  300  kilomètres  de  Grand-Bassam.  Au  nord,  un  détache- 
ment du  commandant  Gaudrelier  est,  depuis  quelques  semaines,  à  une  petite 
distance  de  Bouna.  De  Bondoukou  à  Bouna,  la  distance  est  d'environ  120 
kilomètres.  Du  cêté  de  la  frontière  anglaise,  la  jonction  de  nos  établissements 
du  Soudan  et  de  la  Gôte  d'Ivoire  est  donc  près  de  la  réalisation  effective. 

Côte  d'Or  :  An^lai$  à  StUaga.  —  En  vertu  d'une  convention  de  1888,  les 
gouvernements  anglais  et  allemand  s'étaient  engagés  à  neutraliser  un  terri- 
toire, situé  dans  la  vallée  de  la  Volta.  En  novembre  et  décembre  1897,  pen- 


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NOUVELLES  GÉOGfiAPHIQUBS  BT  COLONIALES  ^i^ 

dant  que  des  missions  anglaises  organisées  par  le  gouvernement  de  la  Côte 
d'Or,  allaient  à  Bouna  dans  le  N.-E.,  à  proximité  de  la  région  où  se  trouvent 
les  troupes  françaises,  d'autres  se  dirigeaient  vers  le  nord  et  le  N.-O.,  c'est- 
à-dire  vers  la  <c  zone  neutre  »  anglo-allemande.  Elles  ont  occupé  Salaga  et 
Yendi,  puis  ont  renforcé  la  garnison  de  Gambaka,  capitale  du  Mampoursi 
(au  nord  de  la  zone  neutre)  où  les  Anglais  résident  depuis  mai  1897.  Cette 
occupation  d'un  territoire  neutralisé  a  soulevé  en  Allemagne  une  émotion 
non  dissimulée. 

Le  gouvernement  anglais  aurait  décidé^  de  construire  une  voie  ferrée 
allant  de  la  côtQ  au  bassin  intérieur  de  la  Volta. 

Daliomey-Niger  :  Occupation  de  rhinterland.  —  L'occupation  fran- 
çaise au  Boi*gou  et  dans  tout  l'hinterland  du  Dahomey,  est  aujourd'hui  par- 
tout effectuée.  A  Nikki,  où  le  roi  cédant,  dit  le  Temps,  à  des  excitations  du 
dehors,  s'était  soulevé  et  fut  tué,  est  installée  une  garnison  de  200  hommes. 
A  Kandi,  Kouandé,  Kayoma  se  trouvent  des  garnisons  de  100  hommes.  A 
Bouflsa,  200  hommes  ont  été  installés  par  le  1^  de  vaisseau  Bretonnet.  Le  ca- 
pitaine Baud  a  fait  occuper  la  rive  droite  du  Niger  et  a  placé  des  postes  de 
50  hommes  à  Roufia,  Gomba,  Ilo,  Madécali  et  Karimama.  Près  de  Say,  l'îlot 
de  Fort  Archinard,  où  s'était  établi  le  1^  de  vaisseau  Uourst,  a  été  occupé  par 
300  hommes.  Enfin,  deux  nouvelles  compagnies  de  tirailleurs  de  150  hom- 
mes chacune,  doivent  partir  de  Dakar  pouc  renforcer  les  troupes  du  Borgou. 

Le  chef  de  bataillon  Ricourt,  qui  réside  â  Nikki,  commande  à  toutes  ces 
troupes.  MM.  Bretonnet  et  Baud  devant  s'embarquer  le  25  février  pour  ren- 
trer en  France,  sont  remplacés,  le  premier,  par  le  capitaine  Chabert  à  Boussa, 
le  second,  par  le  capitaine  Dqhalde  à  Ilo.  A  Kouandé  commande  le  capitaine 
Diimoulin.  Enfin,  le  Gourma  est  placé  sous  les  ordres  de  l'administrateur 
Molex. 

Afin  de  faciliter  les  communications,  trois  routes  partent  de  Carnotville 
vers  l'intérieur  :  l'une  sur  Ilo,  par  Nikki  et  Boussa;  une  autre  sur  Ouaga- 
dougou par  Kouandé  et  Fada  N'Gourma;  une  3«  sur  Say,  s'embranchant  sur 
la  précédente  à  Koncobiri.  Le  télégraphe  qui,  deKotonou,  desservait  Abomey 
et  Carnotville,  atteignit  Ouangara  en  décembre  1897.  Il  doit  être  actuellement 
à  Kouandé  et  arrivera  sans  doute  à  Ouagadougou  dans  6  mois.  Ainsi,  sous 
l'énergique  impulsion  du  gouverneur  du  Dahomey,  M.  Ballot,  l'hinterland 
est  aujourd'hui  bel  et  bien  français. 

État  dn  Ciongo  :  Budget,  —  Le  roi  Léopo|d  vient  d'approuver  le  projet 
de  bu4get  du  Congo  pour  1898.  Les  dépensai  s'élèvent  à  17.251.000  fr.,  les 
recettes  à  14.765.000  fir.  ;  le  déficit  prévu  est  |e  2,500,000  fr.  Le  crédit  pour 
la  force  publique  est  augmenté  de  près  de  ^  millions,  celui  de  la  marine 
l'est  de  1  million,  celui  des  travaux  publics  est  doublé.  Le  service  des  trans- 
ports (route  des  caravanes  et  chemins  de  fer),  coûtera,  en  1898,  8.600.000  fr. 
Dans  ce  chiffre  sont  compris  les  firais  de  tran3port  à  dos  d'homme  de  presque 
toutes  1^  marohundises  importées  ou  exportées  pour  le  compte  des  Sociétés 


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n 


iîO  REVUE  FRANÇAISE 

commerciales.  Gomme  précédemment,  le  déficit  budgétaire  préYU  sera  cou> 
vert  par  Temprunt.  On  sait  que  l'Etat  indépendant  émet,  à  mesure  de  ses 
besoins  et  avec  l'autorisation  du  gouvernement  belge,  les  titres  non  encore 
mis  en  circulation  de  l'emprunt  de  130  millions  de  francs  autorisé  par  la 
loi  de  1887. 

Afrique  allemande  :  Budget.  —  Le  budget  des  quatre  colonies  alle- 
mandes d'Afrique  se  balance  en  recettes  et  dépenses  par  une  somme  do 
12.909.900  marks.  Dans  ce  chiffre,  5.965.200  marks  forment  la  part  de  l'A- 
frique orientale,  1.394.100  marks  sont  affectés  au  Kameroun,  550.000  au 
Togo  et  5.000.600  au  Sud-Ouest  africain. 

Les  subsides  votés  par  l'Empire  se  répartissent  de  la  façon  suivante  : 
Afrique  orientale,  3.805.200  marks  (soit  une  diminution  de  534.000  marks 
sur  1897)  ;  Kameroun,  814.000  marks  (123.800  d'augmentation)  ;  Sud-Ouest 
africain  4.600.000  marks  (1.585.600  en  plus)  ;  soit  au  total  une  augmentation 
de  1.175.200  marks.  Seul,  le  Togo,  ne  reçoit  aucun  subside  impérial. 

Au  point  de  vue  militaire,  une  augmentation  de  100  hommes  et  jugée 
nécessaire  aux  troupes  destinées  à  asssurer  la  tranquillité  du  Kameroun, 
troupes  qui  ne  comprennent  que  quelques  centaines  d'hommes,  tous  indi- 
gènes, à  l'exception  d'une  partie  des  cadres  qui  sont  européen>.  Au  Togo, 
il  est  question  de  transformer  le  corps  de  police  en  une  troupe  militaire, 
mais  cette  opération  ne  s'effectuera  qu'après  la  rectification  définitive  des 
frontières. 

Dans  le  Sud-Ouest  africain,  on  a  entrepris  la  construction  d'une  voie  fer- 
rée qui  part  de  Swakopmund  et  pénètre  dans  l'intérieur. 

Une  somme  d'environ  un  million  de  marks  est  affectée  â  ces  travaux  pour 
1898.  Une  autre  somme  de  250.000  marks  va  être  consacrée  à  l'amélioration 
du  port  de  Swakopmund  et  une  somme  de  40.000  marks  pour  compléter 
l'artillerie  qui  défend  ce  point. 

Madagascar  :  Révolte  takalave,  —  La  situation  militaire  continue  à 
s'améliorer  dans  l'ouest.  La  ligne  de  communication  entre  le  plateau  central 
et  le  canal  de  Mozambique  est  complètement  occupée  par  nos  troupes.  La 
tranquillité  parait  se  rétablir,  mais  il  faut  l'imputer  pour  une  part  au 
retour  des  pluies,  qui  rendent  le  terrain  absolument  impraticable.  Il  résulte 
des  renseignements  recueillis  que  les  Anglo-Indiens  de  la  côte  se  sont  livrés 
et  se  livrent  encore  à  une  propagande  active  pour  nous  présenter  auprès  des 
tribus  sakalaves  comme  des  envahisseurs  résolus  à  réduire  le  pays  en  escla- 
vage et  à  dépouiller  les  indigènes  de  leurs  biens.  On  ne  saurait  prendre  de 
mesures  trop  sévères  contre  ces  marchands  de  l'Inde  et  des  Comores  qui  sont 
les  véritables  promoteurs  de  l'insurrection. 

Afin  de  faciliter,  lors  de  la  reprise  de  la  campagne,  la  pénétration  et  la 
police  à  l'intérieur,  des  canonnières  doivent  être  commandées  en  France 
pour  renforcer  l'action  de  nos  troupes  et  exercer  sur  les  indigènes  une  salu- 
taire influence.  Ces  petits  bâtiments  pourront  rendre  de  grands  services,  car 


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NOUVELLES  GÉOGRAPfflQUES  ET  COLONLiLES  121 

la  Tsiribihîna,  le  plus  importaDt  des  fleuves  de  la  région  ouest,  peut  être 
rendue  facilement  navigable  sur  près  de  200  kilomètres.  Grâce  aux  mesures 
prises,  l'année  1896  verra  sans  doute  ouvrir  effectivement  à  la  colonisation 
le  Ménabé,  qui  nourrit  les  plus  beaux  troupeaux  de  Madagascar,  possède  de 
riches  forêts  et  récèle  des  gisements  aurifères. 

Pénétration  dans  le  sud,  —  L'extension  de  notre  influence  dans  le  sud  a 
motivé  la  création  d'une  nouvelle  circonscription  qui  a  pris  le  nom  de  cercle 
des  Baras  et  des  Tanalas.  La  direction  en  a  été  confiée  au  commandant  Cléict 
et  le  chef-lieu  a  été  installé  à  Ivohibé.  Le  roi  des  Baras  d'Ivohibé,  à  la  suite 
des  échecs  qui  lui  ont  été  infligés,  a  fait  sa  soumission  à  l'administrateur 
Cardeneau. 

Dans  la  province  de  Tullear,  grâce  à  l'envoi  d'une  compagnie  de  la  légion 
étrangère,  les  progrès  sont  considérables.  L'administrateur  Estèbe  et  le  capi- 
taine Génin  ont  amené  la  soumission  des  chefs  de  la  vallée  de  l'Onilahy  et 
ceux-ci  doivent  payer  un  impôt  annuel.  Ces  régions  passent  pour  fertiles  et 
le  climat  y  est  très  supportable. 

A  Fort-Dauphin,  le  capitaine  Brulart  élargit  de  jour  en  jour  son  cercle 
d'action.  De  ce  côté,  la  pénétration  est  laborieuse,  car  les  Antandroys  s'oppo- 
sent avec  persistance  à  la  marche  de  nos  reconnaissances.  Néanmoins,  le 
capitaine  Brulart  a  déjà  obtenu  un  résultat  important  dans  l'établissement 
d'une  ligne  de  communication  régulière  entre  le  chef-lieu  de  sa  province  et 
Fianarantsoa  en  passant  par  Tamotamo,  Bebroky  et  Ihosy,  pays  riches  par 
leurs  forêts  à  caoutchouc.  Behara,  chez  les  Antandroys,  a  été  enlevé  de  vive 
force.  Un  poste  a  été  établi  en  ce  lieu  qui  est  le  point  de  passage  obligé  des 
caravanes  venant  de  l'ouest.  Des  écoles  ont  été  ouvertes  dans  le  cercle,^  un 
service  postal  installé  et  des  travaux  d'assainissement  eotrepris  à  Fort- 
Dauphin. 

CoiorUsation  militaire  indigène,  —  Sur  la  route  de  Majunga  le  mouvement 
commercial  augmente,  grâce  aux  efforts  du  lieutenant-colonel  Lyautey,  pour 
peupler  la  partie  déserte  de  la  route  (environ  130  kil.)  entre  Ankazobé  et 
Andriba.  Quatre  villages  militaires,  distants  de  25  à  30  kil.,  ont  ét^  créés 
pour  servir  de  gîtes  d'étapes.  Les  tirailleurs  malgaches  y  ont  amené  leurs 
£unilles  qui  ont  reçu  du  bétail,  des  instruments  aratoires  et  des  approvision- 
nements pour  aider  à  leur  établissement.  Les  bons  résultats  obtenus  jusqu'ici 
permettront  sans  doute  d'adopter  cette  mesure  pour  la  pénétration  au  Ménabé 
et  en  d'autres  provinces. 

Situation,  —  Les  travaux  de  la  route  de  Tamâtave  ont  bien  résisté  jus- 
qu'ici aux  pluies  torrentielles  qui  n'empêchent  pas  la  continuation  des  tra- 
vaux. Les  convois  par  voiture  sont  aujourd'hui  presque  exclusivement 
employés  de  Tamâtave  à  Andevourante  et  de  Mahatsara  à  Santaravy  qui  se 
trouve  à  environ  40  kilomètres  à  l'intérieur. 

A  Tamâtave,  l'état  sanitaire  s'est  considérablement  amélioré  depuis  que 
divers  travaux  d'assainissement  ont  été  exécutés  et  que  les  services  publics. 


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in  REVUE  FRANÇiUSE 

fort  maltraités  jusqu'à  présent  au  point  de  yuQ  de  Thygiène,  ont  ^té  installés 
dans  des  maisons  démontables. 

Le  capitaine  Rossi,  successeur  du  résident  Pradon  dans  la  province  de 
Marsantsétsa,  a  complètement  pacifié  cette  région  dans  laquelle  la  rébellion 
s'était  montrée  particulièrement  tenace.  La  liaison  de  cette  province  avec 
les  cercles  voisins  est  aujourd'hui  un  fait  accompli,  et  des  routes  sont  tracées 
de  tous  côtés  afin  de  faciliter  les  communications. 

Un  indice  de  la  pacification  générale  consiste  dans  un  arrêté  publié  le 
9  décembre,  au  Journal  officiel  de  Tananarive,  par  lequel  l'état  de  siège  est 
levé  dans  Flmérina  et  le  Betsiléo,  où  il  avait  été  établi  au  mois  de  sep- 
tembre 1896.  Ce  régime,  qui  n'a  jamais  été  l'occasion  de  mesures  de  rigueur 
vis-à-vis  des  Européens,  avait  été  établi  uniquement  dans  le  but  d'atteindre 
les  fauteurs  et  les  chefe  de  l'insurrection. 

Le  gouverneur  général  a  également  distrait  les  affaires  civiles  de  l'état- 
major  et  les  a  fait  ressortir  d'un  bureau  spécial  relevant  directement  de 
son  autorité.  Le  commissaire  des  colonies,  Lsdlier  Ducoudray,  en  prendra  la 
direction  dès  son  arrivée  à  Tananarive. 

Le  général  Gallieni  va  rendre  applicable  l'acte  de  navigation  réservant  aux 
navires  battapt  pavillon  français  le  cabotage  sur  les  côtes  de  Madagascar. 
Cette  mesure  aura  une  grande  importance  parce  qu'elle  diminuera  les  impor- 
tations étrangères,  et  qu'elle  permettra  de  fermer  la  côte  ouest  à  la  plupart 
des  boutres  indiens  et  arabes  dont  on  connaît  le  rôle  joué  lors  de  la  révolte 
sakalave. 

La  récole  du  riz  s'annonce  bien  et  promet  d'être  abondante. 

A  Tananarive  la  vie  commence  à  devenir  moins  monotone  ;  les  sports  y 
sont  en  honneur  :  lawn-tennis,  cyclisme  et  même  réunions  hippiques. 

Afrique  orientale  anglaise:  Expédition  Macdonald.  —  Les  soldats 
soudanais  révoltés  de  l'expédition  que  dirigeait  le  major  Macdonald,  sont 
assises  à  Lubwas-Usoga.  Plusieurs  combats  ont  eu  lieu  entre  les  troupes 
du  major  et  les  rebelles,  mais  sans  que  ces  derniers  aient  pu  être  délogés  de 
leurs  positions.  D'après  une  dépêche  de  Zanzibar  (10  janvier),  les  nouvelles 
du  m£^or  Macdonald  envoyées  de  l'Usoga,  le  19  décembre,  annoncent  qu'un 
nouveau  combat  a  été  livré.  Le  1*  Macdonald,  frère  du  major,  et  un  mis- 
sionnaire ont  été  tués.  Des  renforts  ont  été  expédiés  de  la  côte.  Déjà,  le 
mois  précédent,  le  gouvernement  britannique  avait  envoyé  à  Mombassa,  un 
contingent  important  de  troupes  de  l'Inde.  Ces  soldats  étaient  destinés  à 
renforcer  l'expédition  Macdonald ,  mais  les  événements  de  l'Ouganda  où 
I^usieurs  des  postes  soudanais  ont  fait  cause  commune  avec  les  révoltés,  a 
nécessité  tout  d'abord  leur  envoi  dans  ce  pays.  Il  a  été  décidé,  en  outre, 
que  des  sous-offîciers  de  l'armée  régulière  seraient  envoyés  pour  encadrer 
les  troupes  indigènes  de  l'Ouganda. 

M.  Jackson,  commissaire  du  gouvernement,  qui  avait  été  grièv^oimit 
blessé  dans  le  premi^  combat  livré  par  les  rebdles,  est  actuellement  en 
t)onne  voie  de  guérison. 


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NOUVELLES  i^OGRAPHIQUBS  ET  COLONULES  133 

ASIE 

CaieminB  de  1er  turcs.  —  Ainsi  que  nous  le  laissions  prévoir  (oct. 
1897,  p.  616),  le  prolongement  du  chemin  de  fer  de  Cassabaaété  terminé  en 
1897.  La  seconde  section  a  été  livrée  à  l'exploitation  le  27  octobre  et  la  der- 
nière le  20  décembre. 

Les  stations  sont  les  suivantes  rapportées  comme  distàiicès  à  Torigine  de 
la  nouvelle  ligne,  c'est-à-dire,  Alacheir,  Kapaklar  (134  km.),  Banaz  (158  km.), 
Atourak  (176  km.),  Toumloupounar  (18Skm.),  Kutchukeui  (203  km.),  Balmali- 
moud  (226  km.)  et  Aflon  Karakissar  (251  km.). 

La  jonction  entre  cette  ligne  et  lembranchement  Eskicheir  Konia  du  grand 
réseap  d'Anatolie  n'est  pas  encore  réalisée  à  Afion  Karahissar,  par  suite  de 
difficultés  locales  qui  seront  aplanies  prochainement.  De  sorte  que  l'on  pourra 
bientôt  aller  de  Smyrne  à  Constantinople  en  chemin  de  fer  sans  change- 
ment de  wagon,  comme  cela  a  lieu  déjà  entre  Salonique  et  Constantinople. 

Indo-Cîhiiie  françalBe  :  Aperçu  général,  —  Notre  collaborateur,  M.  Paul 
Barré  a  fait,  le  18  décembre  dernier,  une  conférence  sur  l'Indo-Ghine  fran- 
çaise, à  Boui^es,  sous  les  auspices  de  la  Société  de  Géographie  du  Cher.  Nous 
en  extrayons  les  données  suivantes  : 

Notre  empire  indo-chinois,  qui  comprend  1.900  kilomètres  de  cdtes,  s'étend, 
en  j  comprenant  les  territoires  qui  rentrent  dans  notre  action  en  vertu  de 
la  convention  franco-anglaise  de  janvier  1896,  sur  une  superficie  dç 
800.000  kilomètres  carrés  environ.  La  population  totale  y  est  d'au  moins 
21  millions  d'habitaqts,  dont  12  pour  le  Tonkin,  2.100.000  pour  la  Cochin- 
chine,  1.500.000  pour  le  Cambodge  et  5.400.000  pour  l'Annam  et  le  Laos.  On 
compte  environ  6.000  Européens.  Il  n'y  a  encore  que  deux  chemins  d^  fer 
exploités,  celui  de  Saigon  à  Mytho  en  Cochinchine,  inauguré  en  1885 
(114  kilom.)  et  celui  de  Phu-lang-Thuong  à  Lang-Son,  au  Tonkin  (101  ^il.), 
dont  la  l^*^  section  fut  ouverte  en  1891.  La  soudure  de  ce  dernier  chemin  de 
fer  se  prépare  avec  le  sud  de  la  Chine  d'une  part,  avec  le  fleuve  Rouge  d'autre 
part. 

Le  commerce  extérieur  total  de  l'Indo-Chine  française  est  d'au  moins 
110  millions  de  francs.  Dans  le  Tonkin  et  l'Annam  seuls,  les  progrès  ont  été 
considérables,  le  trafic  extérieur  ayant  passé  de  2  millions  de  francs  en  1875 
à  19  en  1885  et  à  40  en  1894.  Les  importations  ont  été,  en  1894,  de  27  mil- 
lions, soit  le  double  des  exportations  (13  millions).  En  1896,  l'Annam  et  le 
Tonkin  ont  acheté  pour  plus  de  12  millions  de  francs  de  produits  français, 
soit  la  moitié  de  leurs  importations.  En  1886,  la  France  n'y  vendait  que  pour 
4  millions  1/2.  Les  recettes  locales  (droits  de  douane  et  taxes  sur  les  habi- 
tants) progressent  beaucoup;  elles  sont  passées  de  9 millions  1/2  de  francs  en 
1890,  à  21  millions  en  1896. 

En  résumé,  grâce  à  ses  nombreuses  ressources  agricoles  (surtout  le  rfz), 
aniipales  et  ipinières  (surent  la  houille),  grâce  à  son  voisinage  de  la  Chine, 
rindo-Chine  française  est  appelée  à  un  grand  avenir,  le  jour  où  la  piraterie 


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124  REVUE  FRANÇAISE 

en  aura  été  extirpée  et  le  jour  où  la  France  y  aura  envoyé  assez  de  capitaux, 
de  chefe  d'exploitation  et  de  contre  maîtres  pour  mettre  le  pays  en  valeur. 

Mékong  :  Exploration  Maxeran.  —  On  sait  que  renseigne  de  vaisseau  Maze- 
ran,  commandant  la  mission  hydrographique  du  haut  Mékong,  est  parvenu 
à  amener,  le  6  août»  la  canonnière  La  Grandière  à  XiengLap. 

Voici  les  détails  que  donne  le  Temps  sur  cette  montée  que  Ton  regardait 
généralement  commme  impraticable  : 

De  Tang-Ho  à  Xieng-Lapp,  le  Mékong  présente  les  rapides  de  Tang-Ho, 
Tang-Lot,  Tang-Paken,  Tang-Pho-Mulet  et  Tang-Pang.  Le  La  Grandière  appa- 
reilla le  19  juillet  et  franchit  Iç  Tang-Ho,  puis  le  Tang-Lot.  Mais  alors  que  le 
bâtiment  était  parvenu  dans  le  chenal,  réchauffement  d'un  coussinet  vint 
immobiliser  sa  machine  et  le  laissa  à  la  merci  d'un  courant  de  près  de 
cinq  nœuds,  qui  lui  Ût  redescendre  le  rapide,  exposé  à  tout  instant  à  être 
écrasé  sur  les  rochers  dont  le  fleuve  se  trouve  hérissé.  Quelques  chocs  se  pro- 
duisirent, en  effet,  sans  causer  heureusement  de  graves  avaries  à  la  coque. 

Le  31  juillet,  après  avoir  changé  le  gouvernail  cassé  dans  la  bagarre,  dé- 
part pour  Pa-Leo.  Gourant  très  fort  jusqu'au  Nam-Lène.  Le  Mékong  charrie 
en  grande  quantité  des  arbres  morts  et  des  débris.  Le  Tang-Paken,  signalé 
coomie  périlleux,  est  remonté  sans  trop  de  peine,  grâce  à  la  forte  pression  do 
la  chaudière. 

Au-dessus  du  Nam-Lène,  la  machine  stoppe  brusquement,  un  tronc  d'arbre 
s'étant  engagé  dans  la  cage  de  l'hélice.  La  canonnière  est  en  plein  dans  le 
grand  chenal,  étroit  de  50  mètres,  avec  des  rochers  de  tous  les  bords.  Le  cou- 
rant est  d'au  moins  six  nœuds.  Une  première  ancre  mouillée  casse  aussitôt. 
Heureusement  la  deuxième  tient  bon  et  permet  de  dégager  l'hélice  et  de 
reprendre  la  marche. 

De  Pa-Leo  à  Tang-Pang,  la  navigation  ne  rencontra  de  sérieuses  difficultés 
qu'au  Tang-Pho-Muet,  les  roches  étant  insuffisamment  couvertes.  Le  2  août, 
la  canonnière  s'amarrait  au  pied  du  Tang-Pang,  au-dessus  du  Nam-Pha. 

Le  rapide  du  Tang-Pang,  d'une  longueur  de  plusieurs  kilomètres,  est 
l'obstacle  le  plus  difficile  du  Mékong.  Le  fleuve,  resserré  entre  des  collines  à 
pic,  possède  une  largeur  d'à  peine  80  mètres.  En  plusieurs  endroits,  des 
roches  encombrent  le  chenal.  Le  courant,  très  violent,  se  précipite  sur  ces 
obstacles  et  soulève  l'eau  en  vagues  puissantes.  La  pente  est  des  plus  raides. 
Le  Tang-Pang,  en  outre,  se  divise  en  cinq  rapides  trop  rapprochés  les  uns 
des  autres  pour  que  la  chaudière  puisse  conserver  assez  de  pression  pour  les 
franchir  tous.  Le  La  Grandière  a  mis  une  heure  pour  avoir  raison  du  Tang- 
Pang  et  il  a  fallu,  à  plusieurs  reprises,  injecter  du  pétrole  dans  les  four- 
neaux, pour  conserver  à  la  machine  une  force  de  propulsion  suffisante.  A 
partir  de  Xieng-Kok,  le  fleuve  se  présente  superbe  jusqu'à  Xieng-Lap. 

Au  moment  où  le  La  Grandière  arrivait  à  Xieng-Lap,  des  désordres  graves 
avaient  éclaté  chez  les  Sip  Song  Pannas.  Notre  intervention  était  demandée 
de  la  façon  la  plus  pressante  par  une  partie  de  la  population  en  vue  de  réta- 
blir sur  le  trône  de  Xieng-Hong  notice  protégé  le  prince  Morne  Tiome  Muong 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  425 

Maha,  frère  ennemi  du  roi  actuel.  Il  semble  que  Tétat  troublé  de  ces  parages 
rende  plus  particulièrement  utile  la  présence  des  canonnières  à  Xieng-Hong. 

Tonkin  :  Soumission  du  dé  Tham.  —  Le  dé  Tham,  le  plus  important  chef 
de  pirates  du  Tonkin,  s*e8t  soumis  avec  toute  sa  bande.  Cette  bande  conti- 
nuait les  méfaits  des  Baky,  du  doc  Nhuong,  du  doc  Ngy,  de  Lun-Ky,  etc. 
Retranchée  dans  les  brousses  du  Yen-Thé,  la  bande  du  dé  Thani  était  traquée 
par  nos  miliciens  depuis  plusieurs  mois  et  menaçait  toujours  le  chemin 
de  fer  de  Lang-Son  à  Pha-Lang-Thuong.  Sa  soumission  ouvre  à  la  colonisa- 
tion l'immense  région  entre  le  Song-Thuong,  la  rivière  Claire  et  la  rivière 
de  Cao-Bang.  Cette  région  est  plus  vaste  que  le  Delta  et  son  climat,  grdce 
à  son  altitude,  est  moins  chaud  et  bien  plus  favorable  aux  Européens,  qui 
peuvent  s*y  adonner  aufx  exploitations  agricoles,  forestières  ou  minières. 

Création  du  4«  ttrailleurs.  —  Un  décret  du  10  décembre  1897  porte  création 
d'un  4«  régiment  de  tirailleurs  tonkinois  à  3  bataillons.  Le  3®  régiment,  qui 
comptait  4  bataillons  est  réduit  à  3.  Toutefois  ces  deux  corps  pourront  être 
portés  ultérieurement  à  4  bataillons  et  avoir  la  même  composition  que  les 
2  premiers  régiments  par  une  simple  décision  du  ministre  de  la  marine.  Le 
4*  tirailleurs  sera  formé  par  1  bataillon  créé  en  1896  et  rattaché  provisoire- 
ment au  l^'  régiment,  1  bataillon  du  3«  régiment,  par  2  compagnies  créées 
en  1896  et  par  2  compagnies  à  créer. 

La  création  du  4«  tonkinois  n*est  qu'un  retour  en  arrière.  En  effet  ce  régi- 
ment avait  déjà  été  constitué  par  décret  du  19  février  1886.  Mais  un  autre 
décret  du  26  juin  1890  en  avait  décidé  la  suppression,  par  mesure  d'économie. 
La  Revue  Française  avait  alors  critiqué  cette  mesure  comme  tout  à  fait  inop- 
portune et  la  soi-disant  économie  qui  devait  en  résulter  comme  mal  placée. 
Aujourd'hui  on  reconnaît  la  nécessité  de  ce  rétablissement  et  l'intérêt  qu'il 
y  a  à  renforcer  les  effectifs  insuffisants  de  notre  empire  indo-chinois.  Il  y  a 
longtemps  que  la  piraterie  aurait  été  extirpée,  si  Ion  avait  consenti  à  faire 
en  temps  utile  les  dépenses  nécessaires. 

Charbons.  —  Les  charbonnages  de  Hon^hsd  et  de  Kébao  prennent  chaque 
jour  une  plus  grande  importance  et  l'on  peut  espérer  pour  eux  un  grand 
avenir.  En  effet,  la  vente,  à  Hong  Kong,  des  charbons  et  briquettes  du  Tonkin,. 
qui  était  de  42.4^  tonnes  en  1895,  est  montée  à  75.700  tonnes  en  1896.  Si 
la  production  des  mines  du  Tonkin  pouvait  être  quintuplée,  il  est  probable 
que  les  charbons  qui  en  proviennent  pourraient  facilement  se  vendre  à  Hong- 
Kong,  sans  qu'il  s'en  suive  un  abaissement  sensible  de  prix.  A  Honeghaî  la 
progression  de  l'exportation  suit  une  marche  très  satisfaisante;  c'est  ainsi 
que  les  charbons  exportés  rien  que  dans  le  mois  de  septembre  dernier,  ont 
atteint  le  joli  chiffre  de  24.000  tonnes. 

Souièvement  de  fanatiques.  — -  Dans  le  courant  de  1897,  un  Annamite 
nommé  Kydong,  ami  de  l'ex-roi  Ham-Nghi,  après  avoir  été  élevé  en  Algérie, 
était  revenu  au  Tonkin.  D'un  caractère  vaniteux,  il  se  crut  appelé  à  jouer 
un  grand  rôle  et  commença,  en  se  faisant  passer  pour  un  être  surnaturel, 
une  agitation  qui  avait  pour  but  la  restauration  de  l'ex-roi  exilé.  Il  fut 


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126  REVUE  PRANÇAkSE 

bientôt  arrêté  et  envoyé  au  pénitencier  de  Poulo-Condor.  Mais  ses  prédica- 
tions avaient  porté  leurs  fruits  auprès  des  crédules  indigènes.  Excités  par 
les  légendes  que  Ton  répandait  sur  son  compte,  ceux-ci  formèrent  des  bandes 
en  pleip  Delta,  qui  pillèrent  et  incendièrent  les  environs  d'Halphong,  Haî- 
dzuong,  Thaî-Binb.  Dans  la  nuit  du  15  décembre  1897,  SOOfttnatiques  assail- 
lirent les  babitations  des  environs  d'Haïpbong,  mais  ils  fuient  vigotreuse- 
ment  repoussés.  La  répression  fût  vigoureuse,  et  ceux  qui  furent  convaincus 
d'avoir  pris  part  à  la  révolte  furent  passés  par  les  armes.  Le  calme  est  réta- 
bli partout,  mais  il  règne  encore  une  certaine  effervescence  parmi  différents 
groupes  indigènes. 

Atttiiiw^  :  Uempereur  à  Saigon.  ~  Le  4  décembre,  M.  Doumer,  gouver- 
neur général,  recevait  à  Saigon  la  visite  de  Tempereur  d'Annam.  Cet  acte 
aofviari  «ne  haute  importance  par  le  fait  que  le  souverain  venait,  pour  la 
première  fois  depû  la  conquête,  rendre  hommage  à  son  vainqueur.  Mais 
aux  yeux  des  vieux  Annamite»  «à  des  mandarins  si  attachés  aux  rites  du 
pays^  ce  voyage  ne  peut  que  déconsidérer  lit  nonarchie  qui  tirait  une  bonne 
part  de  son  prestige  du  mystère  qui  entourait  la  ceMur  éà  Hué. 

CShine.  —  SaHsfat^ùmê  à  V Allemagne  (XXIII,  p.  56). ^  M.  de  Babw  a  fiût 
connaître  au  Parlement  allemand  les  satisfactions  accordées  par  la  CMift 
pour  le  massacre  des  missionnsdres  du  Chan-Toung  : 

1<>  Le  gouverneur  de  la  province  de  Chan-Toung  a  été  révoqué  et  déclaré 
inapte  à  jamais  remplir  une  fonction  supérieure.  De  plus,  six  fonctionnaires 
supérieurs  de  la  province  de  Chan-Toung,  désignés  par  TAUemagne,  ont  été 
déplacés  et  punis.  Une  instruction  judiciaire  a  été  ouverte  contre  les  auteurs 
ou  eompUoes  de  l'assassinat. 

â9  Le  gouvernement  chinois  a  promis  de  payer  3.000  taèls  dlndenmité 
pour  les  dommages  causés  à  la  mission  et  par  elle  réclamés. 

3<>  Trois  cluq[)elles  expiatoires,  auxquelles  seront  appliquées  les  armes  im- 
périales, en  signe  de  protection,  seront  érigées  à  Tsinnig,  à  Tsao-Tchou-Fou, 
et  sur  lies  lieux  du  crime.  Le  gouvernement  chinois  ouvre  un  crédit  de  66000 
taêls  pour  chaque  ^lise  et  donne  gratuitement  les  terrains,  plus  un  crédit 
de  7.000  taëls,  pour  des  habitations  solides,  et  pour  la  préfecture  apostolique 
de  Tsao-Tchou  fou,  ^000  taêls.  Tous  les  payements  devront  être  effectués 
aux  mains  de  l'ambassade  allemande. 

40  Un  édit  impérial  spécial  sera  publié,  visant  la  protection  de  la  mission 
allemande. 

La  Chine  aurait  cédé  à  bail  à  l'AUemagne,  la  baie  de  Kiao  Tchéou  pour  une 
période  de  99  ans  et  aurait  concédé  à  cette  puissance  tous  ses  droits  de  adii- 
veraineté  sur  ce  territoire. 

Allemagne  :  Lignes  rapides  de  paquebots,  —  Depuis  quelques  annéeé  tés 
lignes  allemandes  de  paquebots  ont  pris  une  extension  considérable.  Le  pre- 
mier service  allemand  de  vapeurs  à  grande  vitesse  fut  installé  en  1881  sur 
l'Amérique.  Jusque-là,  on  avait  effectué  les  relattons  par  des  vapeurs  ayant 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  127 

au  plus  une  vitesse  de  14  milles  marins  à  l'heure.  VBlbe,  du  Lloyd,  de 
Brome,  en  1881,  développa  une  vitesse  de  16  milles.  Bientôt,  en  1883,  on 
atteignit  New-York  en  9  à  10  jours,  avec  le  Weser  et  la  Fuîda. 

La  flotte  allemande  s'accrut  de  VEider  en  1884  et  de  3  autres  vapeurs  en 
1886,  ayant  une  vitesse  de  17  noeuds  1/2.  En  1887,  on  arriva  à  18  1/2  avec 
le  Hahn.  En  1889,  on  construisit  le  Kaiser-Wilhelm,  En  1897,  on  a  achevé  le 
Kaiser''Wilheim''der'Gros$e  et,  en  1898,  ce  sera  le  tour  du  Kaiser-Friedrich' 
der-GroêSêy  qui  complétera  la  flotte  du  Nord-Deutscher  Lloyd,  de  Brème. 

Hamboui^,  entré  en  scène  en  1889,  établit  une  ligne  de  vapeurs  rapides 
sur  New-York,  avec  VAugusta-Vickma  et  la  Columbia.  En  1896,  Hambourg 
mit  en  service  le  Narmannia  et  Brème  la  Sprée,  En  1891,  Brème  lança  le  ' 
Havel  et  Hambourg  le  Fûrst-Bismarck,  qui  fût  alors  le  plus  rapide  des  va- 
peurs de  commerce  allemands.  Par  suite,  en  1891,  un  service  régulier 
h^omadaire  est  ouvert  entre  Hambourg  et  New- York.  Avec  les  2  nou- 
veaux vapeurs  de  Brème,  la  flotte  des  transports  à  grande  vitesse  se  trouve 
portée  à  16  bâtiments,  dont  12  partant  de  Brème  et  4  de  Hambourg.  La 
vitesse  réalisée  est  passée  de  16  milles  marins  en  1881  à  22  actuellement.  La 
durée  du  trajet  n'est  plus  que  de  6  à  8  jours,  tandis  que  les  bateaux-poste 
m  exigent  10  à  12.  Le  FUrê^Bitmarck  a  plusieurs  lois  fait  la  traversée  de 
rOcéan  en  6  jours  et  demi. 

Le  Kaiser-Wilhelm.  —  Le  record  de  la  vitesse  appartient  aujourd'hui  au 
Kaiser-WUhelm^der'Grosse,  qui  a  éclipsé,  dans  sa  l"»  traversée,  de  Brème  à 
New- York  (sept.  1897),  tous  les  autres  paquebots  interocéaniques.  En  effet, 
sa  traversée  de  Southampton  à  New-York  s'est  effectuée  en  5  jours,  22  heures, 
45  minutes.  Ce  qui  donne,  pour  les  3.060  milles  parcourus  depuis  les  Needles 
jusqu'à  Sandy-Hook,  une  vitesse  moyenne  de  21  nœuds  39.  Plus  rapide 
encore  a  été  le  trajet  de  retour  qui  s'est  effectué  en  5  jours,  15  h.  et  10  min., 
œ  qui  £ùt  une  vitesse  moyenne  de  21  n.  91  de  Sandy-Hook  au  phare 
d'Eddystone.  La  plus  belle  journée  (de  midi  à  midi  en  tenant  compte  du 
changement  de  longitude)  a  été  de  564  milles  à  l'aller  et  de  519  au  retour, 
ce  qui  donne  pour  ces  deux  journées  une  vitesse  moyenne  de  22  n.  56.  Le 
Kaiter-Wilhelm  est  non  seulement  le  plus  rapide  paquebot  (ceux  de  la 
C^  Cunard  n'ayant  pas  dépassé  21  n.  75),  mais  aussi  le  plus  grand,  avec  ses 
13.800  tonneaux  de  jauge  brute.  Sa  longueur  totale  est  de  196»  50,  son 
tirant  d'eau  de  7>°  93  et  son  déplacement  de  20.500  tonnes.  Il  possède  2  ma- 
chines a  triple  expansion  et  2  hélices. 

Il  importe  de  signaler  ce  &it,  peu  ordinaire,  que  le  Kaiser-Wilhelm  a  donné 
à  son  premier  voyage  sa  plus  grande  vitesse.  Gelle-ci,  en  effet,  n'a  pu  se 
maintenir  dans  les  traversées  suivantes  et  est  même  descendue  à  18  n.  56* 

Cette  course  à  la  vitesse  a  pour  conséquence  d'augmenter  le  mépris  que 
les  grands  paquebots  affectent  pour  la  vie  humaine.  Le  tribunal  maritime 
de  Brème  a  en  effet  constaté  que,  le  19  septembre,  une  femme  s'étant  jetée 
par-ëesBiis  bord,  le  commandant  du  Kaiser-Wilhelm  n'a  pas  jugé  utile  de 
mettre  une  chaloupe  à  la  mer  afin  de  conserver  sa  vitesse  I 


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128  REVUE  FRANÇAISE 

Ijégion  d*honneur.  —  Parmi  les  nominatioDS  faites  à  Toccasion  du  1"  janvier, 
signalons  les  suivantes.  Commandeurs  :  le  colonel  Combes;  M.  Harmand,  ministre  de 
FrancQ  au  Japon.  Chevaliers  :  le  1^  de  vaisseau  Bretonnet,  résident  au  Niger;  M.  Hen- 
ric,  médecin  de  2*  classe  de  la  marine,  membre  de  la  mission  du  1*  (aujourd'hui  ca]ii- 
taine)  Voulet  au  Soudan;  M.  Gentil,  administrateur  des  afifoires  indigènes  au  Congo; 
M.  Bonin,  vice-résident  au  Tonkin;  M.  Georges  Rolland,  ingénieur  des  mines. 

BIBLIOGRAPHIE 

Une  fort  intéressante  publication  que  nous  sommes  heureux  de  signaler  â  nos  lec- 
teurs, France- Album ,  vient  de  faire  paraître  les  fascicules  consacrés  au  Pays  du 
Soleil.  Le  n"*  45,  relatif  à  la  Côte  d'Asur^  contient  31  vues  de  Nice,  Villefrancbe, 
Beaulieu,  Eze,  La  Turbie,  Monaco  et  Menton,  une  notice  de  M.  H.  Moris.  archiviste 
du  département,  et  une  carte.  Avec  le  précédent  (n"*  44),  qui  va  de  la  Napoule  à 
Pembouchure  du  yar,et  celui  (n*  48),  qui  va  paraître),  du  littoral  compris  entre  Hyèr«6 
et  Agay,  Tillustration  de  la  Côte  d'Azur  est  complète.  L'intérieur  dès  départements 
du  Yar  et  des  Alpes-Maritimes  fait  Tobjet  du  fascicule  beaucoup  plus  importan  t 
(n**  46-47,  88  pages),  qui  donne  81  vues  choisies  parmi  les  points  les  plus  intéressants 
du  réseau  des  chemins  de  fer  du  Sud,  lignes  de  Nice  à  Grass?,  Draguignan  à  Meyrar- 
gnes  et  Nice  à  Puget-Théniers  et  Digne.  Cette  région,  trop  peu  connue,  est  des  plus 
pittoresques  et  cause  une  agréable  surprise  au  touriste  qui  croit  jusqu'à  un  certain 
point  découvrir  ses  gorges  magnifiques,  ses  raines,  ses  villages  perchés  sur  des  rocs 
presque  inaccessibles. 

Ces  quatre  fascicules  donnent  ensemble  plus  de  ^00  vues  que  chacun  peut  se  pro- 
curer moyennant  2  fr.  50  contre  lesquels  France- Albumf  51,  cité  des  Fleurs,  Paris, 
adresse  franco  les  quatre  fascicules  Pays  du  Soleil.  Chaque  album  séparé,  n<*'  44,  45, 
48,  franco  0  fr.  60  —  46-47  1  fr.  15. 

Ghampollion  inconnu,  par  L.  de  la  Brière.  Pion  éditeur.  —  Ce  ne  sont  pas 
seulement  des  <  lettres  inédites  »  que  publie  M.  de  la  Brière,  mais  une  véritable  cor- 
respondance  qu'il  était  mieux  à  même  que  personne  de  connaître  et  de  mettre  au  jour 
avec  ce  style  délicat  d'un  lettré  qui  a  fait  ses  preuves.  Connu  comme  savant,  comme 
archéologue,  Champollion  était  en  effet  <c  inconnu  »  comme  poète  et  comme  auteur 
dramatique  d'un  «  Bajazet  »  qui  fut  joué  à  Grenoble  en  1814.  Grâce  à  M.  de  la  Brière^ 
voici  une  lacune  comblée  dans  la  vie  d'un  grand  homme. 

Ija  mission  Hourst,  par  le  1^  Hourst.  Pion  éditeur.  La  belle  exploration  de  U 
mission  Hourst  est  encore  présente  à  tous  les  esprits.  Mais  ce  que  l'on  ne  connaissail 
pas  ^t  ce  que  ce  livre  nous  révèle,  ce  sont  le  smille  détails  et  épisodes  de  Texpédition,  la 
1*  qui  ait  descendu  le  Niger  sur  tout  son  parcours.  Avec  beaucoup  d'humour,  qui 
n'exclut  pas  un  fin  esprit  d'observation,  M.  Hourst  raconte  les  difficultés  qui  entra- 
vèrent la  mise  en  route  de  là  mission,  les  négociations  avec  les  Touareg,  les  mœurs 
de  ces  derniers,  le  saut  des  rapides  avec  la  flottille  et  le  passage  de  ceux-ci,  pavillon 
déployé,  à  travers  les  établissements  anglais  du  bas  Niger.  Nous  aurons  à  revenir  sur 
ce  magnifique  volume  in-8'*,  édité  avec  soin  et  enrichi  de  190  gravures  et  d'une  beUe 
carte  du  Niger  au  1/1.000.000-. 


Le  Gérant,  Edouard  MARBEAU. 


IMPRIXIRIE  CUAIX.  BDI  BUOiai,  19,  FAMS.  —  -tSeDH-OS.  —  (iKn  UriUMX). 


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LA  PRINCIPAUTE  D'ANDORRE 


ET 


LA  QUESTION  ANDORRANE 


^M:^ 


Le  conseil  d'arrondissement  de  Prades,  réuni 
le  20  septembre  dernier,  «  considérant  que  l'An- 
dorre coûte  annuellement  et  sans  aucun  profit, 
une  centaine  de  mille  francs  à  la  France,  que  les 
Andorrans  n'ont  aucune  affection  pour  notre  pays, 
malgré  tous  les  bienfaits  dont  nous  les  gratifions  d, 
a  émis  le  vœu  que  la  France  renonce  à  ses  droits 
sur  l'Andorre  et  cède  ce  pays  à  l'Espagne,  moyen- 
nant une  compensation  territoriale. 
La  solution  proposée  par  le  conseil  d'arrondissement  de  Prades  est 
d'une  application  moins  facile  qu'elle  le  paraît  à  première  vue.  L'étude 
approfondie  et  impartiale  des  droits  respectifs  de  la  France  et  de  l'Espagne 
sur  ce  territoire  suflQrait  à  le  démontrer. 

Cest  une  erreur  assez  généralement  accréditée  que  l'Andorre  est  une 
république  placée  sous  le  protectorat  de  la  France  et  de  l'Espagne 
représentées  respectivement  par  le  préfet  des  Pyrénées-Orientales  et 
l'évoque  d'UrgeJ.  Dans  ce  cas,  les  véritables  souverains  de  ce  pays 
seraient  le  Président  de  la  République  Française  et  le  roi  d'Espagne.  La 
théorie  qui  fait  de  l'Andorre  une  seigneurie  appartenant  «  par  indivis  > 
à  l'évoque  d'Urgel  et  au  préfet  des  Pyrénées-Orientales  n'est  pas  plus 
exacte.  En  réalité,  l'Andorre  est  une  principauté  souveraine,  bien  que 
n'usant  pas  de  ce  que  l'on  nomme  en  droit  international  la  souveraineté 
extérieure,  L'évêque  d'Urgel  s'intitule  «  Prince  souverain  des  Vallées 
d'Andorre  »,  ou,  en  catalan  «  Princep Sobera  de  los  Valls  de  Andorra  ». 
Ce  serait,  je  crois,  du  mauvais  chauvinisme  que  de  se  refuser  à  lui 
reconnaître  de  bonne  grâce  ce  titre,  s'il  est  réellement  le  sien,  d'autant 
plus  que,  de  l'aveu  même  des  populations  françaises  intéressées  à  la 
question,  la  France  aurait  plus  d'avantages  à  faire  abandon  de  ses 
droits  qu'à  contester  ceux  de  l'évoque. 

uni  (Mars  98).  N*  231.  9 


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130  REVUE  FRANÇAISE 


Pour  faire  la  part  des  prétentions  de  chacun  des  deux  États  yoisins 
sur  le  territoire  d'Andorre,  il  est  indispensable  de  remonter  aux  origines 
de  ce  pays  et  de  suivre  attentivement  les  diverses  modifications  sur- 
venues dans  sa  situation  politique. 

La  charte  d'organisation  en  communauté  de  la  population  indigène 
remonterait,  paraît-il  à  805  et  serait  due  à  Charlemagne,  mais,  dès 
799,  Louis  le  Débonnaire,  à  qui  son  père  avait  donné  le  royaume 
d'Aquitaine  en  partage,  avait  déjà  arraché  ce  pays  aux  Sarrazins  et 
s'était  même  avancé  au-delà  de  Lérida  et  de  Tarragone.  Cette  conquête 
fut  solennellement  reconnue,  à  Aix-la-Chapelle,  en  8i2,  par  le  Khalife 
Al-Hakem,  lors  du  traité  de  paix  conclu  entie  lui  et  Charlemagne. 
Elle  forma  d'abord  la  marche  de  Golhie  et  fut  l'origine  du  comté  de 
Barcelone. 

En  820,  Louis  le  Débonnaire  détacha  l'Andorre  du  domaine  de  la 
couronne  et  en  fit,  à  l'occasion  de  la  consécration  de  l'église  cathé- 
drale d'Urgel,  don  pur  et  simple  et  sans  restriction  à  l'évoque  de  cette 
ville.  Cette  donation  n'a  pu  être  faite  au  comte  d'Urgel  puisque  le 
pays  d'Urgel  n'était  pas  encore  organisé  en  comté.  La  formule  de  l'acte 
de  donation  est  trop  précise  pour  ne  pas  mériter  d'être  rapportée  : 

»  Jussis  eorum  atque  dominio  subjungimus  atque  perpetuo  manci- 
pamus,  ut  pleniter  ordinent  atque  disponant  et  cum  Dei  adjutorio  illis 
sit  detinendum  et  possidendum  et  Dei  cum  timoré  dispensandum  atque 
regendum  sine  cujuspiam  inquietatione  ac  contradictione;  ita  ut  nullus 
comes,  nullus  princeps,  nullus  judex,  neque  uUa  parva  magnaque 
persona  aliquam  vim  aut  invasionem  facere  valeat,  aut  unquam  io 
eodem  episcopo  facere  proesumat.  » 

Cette  donation  fut  faite  la  sixième  année  du  r^ne  de  Louis-le-Dé- 
bonnaire  succédant  comme  empereur  à  son  père  Charlemagne.  Ce  n'est 
donc  pas  au  roi  d'Aquitaine,  vassal  de  son  père  mais  bien  à  TEmpe- 
reur  d'Occident  lui-même  usant  de  toute  la  plénitude  de  la  souveraineté 
que  la  Mitre  d'Ui^el  est  redevable  de  cette  donation. 

U  ressort  du  texte  cité  plus  haut  que  l'évêque  d'Urgel  était  seul  sou- 
verain des  Vallées  d'Andorre.  Sa  situation  politique  ne  saurait  être  plus 
exactement  comparée  qu'à  celle  du  pape  Etienne  II  recevant  60  ans  plus 


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LA  PRINCIPAUTÉ  D  ANDORRE  131 

tôt  des  mains  de  Pépin  le  Bref,  les  cinq  villes  lombardes  qui  furent 
Torigine  des  États  de  l'Église.  Le  comte  d'Urgel  pouvait  bien  plus  tard 
relever  du  comte  de  Barcelone,  vassal  lui-même  dans  la  suite  du 
royaume  d*Aragon,  Tévéque  et  ses  successeurs  n'en  étaient  pas  moins 
seuls  suzerains  absolus  de  TAndorre,  et  sans  être  tenus  à  aucun  hom- 
mage. D'ailleurs,  il  ne  faut  pas  s'étonner  de  voir  des  évêques  successi- 
vement de  nationalité  franque  puis  espagnole,  ou,  pour  employer  des 
expressions  de  nos  jours,  sujets  français  puis  espagnols,  exercer  avec 
toutes  les  prérogatives  qu'elle  comporte,  la  souveraineté  sur  TAndorre. 
A  cette  époque,  Ton  était  aux  débuts  de  la  féodalité  et  les  lois  et  usages 
lie  cette  période  sesont  perpétués  jusqu'à  nos  jours  plus  qu'on  ne  saurait 
rimaginer.  Entre  autres  exemples,  il  convient  de  citer  les  Pays-Bas  et 
le  grand-duché  de  Luxembourg  dont  les  couronnes  se  trouvaient,  jusqu'à 
la  mort  du  roi  Guillaume  III,  réunies  sur  une  même  tête.  Le  récent 
avènement  au  trône  grand-ducal  d'un  prince  étranger  à  la  famille 
royale  de  Hollande  a  démontré  que  le  Luxembourg,  bien  que  gouverné 
par  le  même  prince  que  les  Pays  Bas,  avait  cependant  maintenu  dans 
sa  constitution  l'application  de  la  loi  salique  qui  ne  régit  pas,  en  Hol- 
lande, la  succession  au  trône  et  avait,  par  conséquent,  une  existence 
politique  indépendante. 

Il  est  évident  que,  dans  la  mise  en  pratique  des  principes  du  droit 
international,  la  diplomatie  ne  saurait  contester  à  l'Andorre  les  privi- 
lèges qu'elle  reconnaît  à  d'autres  pays. 

* 
*  * 

Cette  unité  dans  l'administration  temporelle  de  l'Andorre  ne  s'est 
pas,  il  est  vrai,  perpétuée  jusqu'à  nos  jours  et  la  période  des  complica- 
tions commença  pour  l'évêchô  d'Urgel  à  une  époque  qu'il  n'est  pas 
facile  de  préciser,  mais  qui  eut  pour  point  de  départ  une  de  ces  alliances 
offensives  et  défensives  comme  les  seigneurs  en  concluaient  à  cette 
époque.  Les  évoques  donnèrent  c  en  fief  »,  c'est-à-dire  en  s'en  réservant  la 
suzeraineté,  les  vallées  d'Andorre  aux  seigneurs  de  Caboets.  Il  existe, 
parait-il,  de  très  nombreuses  preuves  de  ce  mode  de  donation,  en  consé- 
quence duquel  les  seigneurs  de  Caboets  se  considéraient  comme  les 
vassaux  de  l'évêque  d'Urgel  et  reconnaissaient  ce  dernier  pour  leur 
suzerain.  Miron  Guitardo  de  Caboets,  notanmient,  déclare  que  lui,  son 
père,  son  aïeul  et  ses  ancêtres  ont  toujours  tenu  la  vallée  pro  episœpo, 


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132  REVUE  FRANÇAISE 

c'est-à-dire  «  à  fief  ».  Il  invite  ses  héritiers  et  notamment  son  fils  Ramon 
à  reconnaître  cette  suzeraineté. 

Plus  tard,  par  le  mariage  d'Axnalda  de  Caboets  avec  Arnold  de  Cas- 
telbon,  ce  fief  passa  dans  la  famille  de  ce  dernier,  mais  comme  cette 
alliance  n'avait  pas  eu  l'agrément  de  l'évêque,  en  H85,  trente  hommes 
de  chacune  des  paroisses  d'Andorre,  délégués  par  leurs  concitoyens, 
prêtèrent  serment  à  l'évêque  et  s'engagèrent  à  ne  jamais  reconnaître 
pour  leur  seigneur  Arnold  de  Castelbon.  Toutefois,  l'année  suivante,  et 
cédant  aux  instances  d'Amalda  de  Caboets,  l'évêque  consentit  à  donner 
à  son  mari  l'investiture  de  ce  fief,  «  salvis  omnibus  convenientiis  quœ 
scripta  sunt  inter  nos  et  homines  vallis  Andorrae  »  et  en  réservant  pour 
lui-même  et  ses  successeurs  la  souveraineté  en  toutes  choses,  «  integrum 
dominium  et  seniorium.  i> 

Pendant  une  période  d'agitation  et  de  luttes  perpétuelles  comme  celle 
du  moyen-âge,  la  seigneurie  d'Andorre  ne  pouvait  échapper  au  sort 
commun  et  il  fallait  s'attendre  à  voir  des  contestations  s'élever  entre  la 
maison  de  Castelbon  et  la  mitre  d'Urgel.  C'est  à  cette  occasion  que  l'on 
voit,  pour  la  première  fois,  intervenir  les  comtes  de  Foix.  A  la  suite 
d'une  de  ces  querelles  de  vassal  à  suzerain,  l'évêque,  par  un  accord 
conclu  en  1201,  renouvelle  à  Amalda  l'investiture  du  fief  des  vallées 
d'Andorre  et,  en  retour,  Arnold  de  Castelbon,  Amalda  de  Caboets  et 
leur  fiJle  Ermesinde  s'engagent,  tant  en  leur  nom  qu'en  celui  de  leurs 
successeurs,  à  reconnaître  à  perpétuité  la  suzeraineté  de  la  Mître.  Pen- 
dant cette  seconde  période  de  l'histoire  d'Andorre,  l'évêque  et  les  sei- 
gneurs de  Caboets  ou  de  Castelbon  se  partagent  la  souveraineté  de 
l'Andorre,  mais  le  premier  nous  apparaît,  sans  contestation  possible, 
comme  le  seul  souverain  direct  et  suprême,  tandis  que  les  derniers  sont 
seulement  ses  feudataires,  en  tout  soumis  à  son  autorité. 


* 
*  * 


Malgré  les  termes  positifs  de  l'accord  cité  précédemment  et  par  lequel 
il  était  notamment  stipulé  qu'Ermesinde  ne  se  marierait,  qu'après  avis 
et  consentement  de  l'évêque,  Arnold  de  Castelbon  accorda  la  main  de 
sa  fille  à  Raymond  Roger,  comte  de  Foix,  pour  son  fils  Bernard  Roger. 
Par  le  fait  de  cette  union,  la  terre  d'Andorre  passait  à  la  maison  de 
Foix.  Cette  alliance  fut  pour  l'évêché  d'Urgel  et  le  comté  de  Foix  la  cause 
d'une  source  de  discordes  qui  se  terminèrent  par  la  fameuse  sentence 


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LA  PRINCIPAUTÉ   D  ANDORRE  133 

des  pariatges  ou  paréages.  Ce  traité  ou  plutôt  cette  sentence  arbitrale 
(ut  scellée  par  Tévêque  Pedro  de  Urgio  et  Roger  Bernard  III,  comte  de 
Foix,  le  8  septembre  1278  et  confirmée  onze  ans  après  par  le  pape 
Martin  IV. 

Les  termes  de  cette  sentence  réglaient  le  tribut  que  pouvaient  perce- 
voir en  Andorre  Tévêque  d'Urgel  et  le  comte  de  Foix,  stipulaient  que  les 
viguiers  de  Tun  et  de  l'autre  rendraient  en  commun  la  haute,  moyenne 
ou  basse  justice,  que  Févêque  et  le  comte  pourraient  lever  des  troupes 
en  Andorre,  mais  sans  pouvoir  en  faire  usage  Tun  contre  l'autre,  enfin 
que  le  comte  rendrait  l'hommage  à  l'évêque  pour  la  seigneurie. 

En  raison  de  l'importance  de  ce  dernier  point,  il  ne  serait  pas  sans 
intérêt  de  le  transcrire  ici  intégralement.  L'article  en  question  est  ainsi 
conçu  : 

«  ...Item  ha sido  pronunciado  y  ordenado  por  los susodichos  amigables 
componedores  que  el  susodicho  conde  de  Foix  y  sus  sucesores  tengan 
nempre  en  feudo  para  el  Obispo  de  Urgel  y  sus  sucesores  todo  lo  que 
tiene  y  recibe  o  debe  recibir  en  el  valle  o  valles  y  hombres  de  Andorra, 
y  tengan  estas  cosas  para  la  Iglesia  de  Urgel,  y  que  el  mismo  Conde 
y  sus  sucesores  tengan  siempre  en  feudo  el  valle  de  S.  Juan  y  el  Cas- 
tillo  de  Ahos  con  todas  sus  pertenencias  para  el  Obispo  y  sus  sucesores 
y  la  Iglesia  de  Urgel,  excepto  el  Castillo  de  Ter,  el  cual  jamas  se  en- 
tiende  ser  comprendido  en  feudo  ;  y  por  los  susodichos  valles  neutros 
de  Andorra  y  de  S.  Juan,  desde  ahora  el  mismo  conde  hace  homenaje 
al  dicho  seôor  Obispo,  y  que  lo  mismo  esten  obligados  hacer  todos  sus 
sucesores  al  Obispo  y  a  sus  sucesores  por  las  cosas  susodichas.  » 

A  propos  de  cet  article,  une  remarque  importante  s'impose  naturel- 
lement. L'Évêque  donne  ou  confirme  au  comte  de  Foix  la  possession 
de  fiefs  représentant  une  superficie  supérieure  à  celle  qu'occupe  ac- 
tuellement l'Andorre.  De  plus,  on  voit  figurer  dans  cette  donation 
comme  franc-alleu  le  château  de  Tor.  Bien  que  ce  soit  s'écarter  un  peu 
de  la  question,  je  crois  devoir  faire  remarquer  qu'en  agissant  ainsi, 
l'évoque  d'Urgel  disposait  d'une  conquête  et  non  du  territoire  donné  par 
Louis  le  Débonnaire.  En  effet,  nous  voyons  dans  J.  F.  Bladé  (1),  que  le 
3  des  noues  de  juillet  11S9,  Bernât  Sanz,  évéque  de  la  Seù  et  ses  deux 
frères  conclurent  un  traité  en  vue  de  la  conquête  de  la  vallée  de  San 

(1)  Éludes  géographiques  sur  la  vallée  d'Andorre. 


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134  REVUE  FRANÇAISE 

Joan  qui  appartenait  alors  à  Arnal  de  Caboets.  D'ailleurs,  la  charte  de 
donation  est  positive  en  ce  qui  concerne  les  limites  de  l'Andorre  et  elle 
énumère  chacune  des  six  paroisses  actuelles,  plus  celle  de  Santa  Coloma 
aujourd'hui  supprimée. 

Indépendamment  de  cet  article,  il  convient  aussi  de  citer  la  formule 
du  serment  d  allégeance  qui  termine  ce  document.  La  voici  : 

«  Y  los  Santos  Evangelios  y  Cruz  de  Nuestro  Seûor  delante  de  noso- 
tros  puestas  y  tocadas  :  Nos,  por  la  gracia  de  Dios,  Roger  Bernardo, 
Conde  de  Foix  y  Visconde  de  Castellbô,  hacemos  desde  ahora  homenage 
à  vos,  Pedro,  Obispo  de  Urgel,  por  la  gracia  de  Dios,  con  la  boca  y  las 
manos,  segun  el  uso  de  Barcelona.  » 

Ce  serment  ne  fut  pas  le  seul  prêté,  Ermesinde  suivit  ainsi  que  ses 
fils  l'exemple  de  son  mari  et,  de  leur  côté,  les  Andorrans  représentés 
par  30  hommes  de  chacune  de  leurs  paroisses  prêtèrent,  en  1131,  ser- 
ment de  fidélité  à  l'Évêque. 

Les  successeurs  de  Bernard  III  continuèrent  naturellement  à  prêter 
serment  de  fidélité  à  la  Mître.  En  1560,  alors  que  le  comté  de  Foix  ap- 
partenait à  Jeanne  d'Albret,  fille  de  Henri  II  de  Navarre  et  mère  de 
Henri  IV  roi  de  France,  le  fiscal  d'Andorre  ayant  occasion  de  signaler 
à  l'évêque  certains  empiétements  du  viguier  du  comte  de  Foix  traite  ce 
dernier  de  vassal,  rappelant  qu'il  doit  Thommage  à  l'évêque  dont  il 
est  le  fendataire  (facU  et  facere  solitus  est  hommagium),  et,  en  effet,  à 
cette  occasion,  l'évêque  s'intitule  :  PHnceps  Supremus  et  Direclus  An- 
dorrœ.  C'est,  du  reste,  le  titre  que  lui  donnaient  les  Andorrans  qui  se 
reconnaissaient  eux-mêmes  ses  sujets  et  ses  vassaux  en  1419  lorsqu'ils 
s'adressèrent  à  lui  pour  solliciter  la  constitution  d'un  conseil  général 
avec  ses  prudhommcs  et  ses  syndics.  Cette  demande,  agréée  par  l'évêque, 
fut  l'origine  de  l'organisation  administrative  qui  s'est  perpétuée  jusqu'à 
nos  jours,  mais  il  est  évident  que  si  la  sanction  épiscopale  fut  indispen- 
sable en  cette  circonstance,  c'est  une  preuve  que  ce  conseil  général  ne 
constituait  nullement  le  pouvoir  supérieur  dans  les  vallées  et  qu'il 
serait  hors  de  propos  d'assimiler  les  conseillers  à  des  députés  ou  leur  pré- 
sident à  un  chef  d'état  républicain. 

Ainsi  finit  la  troisième  période  de  l'histoire  d'Andorre  pendant  la- 
quelle l'évêque  partageait  la  souveraineté  sur  l'Andorre  avec  la  maison 
des  comtes  de  Foix  dans  les  mêmes  conditions  que  ses  prédécesseurs 
l'avaient  partagée  avec  les  seigneurs  de  Caboets  et  de  Castelbon.  Cette 


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LA  PRINCIPAUTÉ  D'ANDORRE  135 

période  diffère  de  la  précédente  par  le  pacte  des  paréages  solennelle- 
ment conclu  par  les  deux  parties  et  sanctionné  par  Tautorité  papale. 

* 
*  * 

En  1589,  par  suite  de  Tavènement  au  trône  de  France  du  fils  d'An- 
toine de  Bourbon  et  de  Jeanne  d'Albret,  la  terre  d'Andorre,  qui  était 
déjà  passée,  en  1560,  de  la  maison  des  comtes  de  Foix  à  celle  des  rois 
de  Navarre,  devient  le  fief  des  chef»  de  TÉlat  français.  Henri  IV  était  déjà 
entré  en  possession  de  ce  fief  en  1672  à  la  mort  de  Jeanne  d'Albret,  mais 
il  est  bien  certain  qu'à  cette  époque,  le  roi  de  Navarre,  absolument  indé- 
pendant pour  ce  qui  concernait  ses  possessions  du  Béarn  et  de  la  Na- 
varre ainsi  que  pour  le  comté  de  Foix  qui  ne  relevait  plus  que  de  lui- 
même,  se  trouvait,  quant  à  la  seigneurie  d'Andorre,  le  vassal  de  l'évêché 
d'Urgel  comme  il  était  également  le  feudataire  du  roi  de  France  pour 
ses  possessions  de  Gascogne,  de  Périgord  et  de  Limousin.  Son  avène- 
ment au  trône  de  France  modifia,  il  est  vrai,  la  situation  en  ce  qui  con- 
cerne ses  possessions  françaises  qui,  suivant  l'usage,  furent  réunies  au 
domaine  royal,  mais  son  royaume  de  Navarre,  qui  était  absolument  in- 
dépendant, ne  fut  pas  considéré  comme  incorporé  dans  le  royaume  de 
France  et  Henri  IV  conserva  le  titre  de  roi  de  Navarre  qu'il  fit  seule- 
ment précéder  de  celui  de  roi  de  France.  Quant  à  la  seigneurie  d'An- 
dorre qui,  en  droit  féodal,  ne  dépendait  d'aucun  de  ces  deux  royaumes, 
elle  continua  naturellement  à  rester  le  fief  de  Henri  IV  et  de  ses  succes- 
seurs et  à  relever  directement  de  l'évêque  d'Ui^el.  Il  était,  il  est  vrai, 
peu  admissible  qu'un  modeste  souverain  comme  ce  dernier  exigeât 
d'un  vassal  devenu  si  puissant,  l'accomplissement  de  la  formule  d'hom- 
mage personnel,  mais  le  principe  de  la  dépendance  d'Andorre  vis-à-vis 
de  la  Mître  ne  s'en  trouvait  pas  pour  cela  diminué.  D'ailleurs,  cette 
époque  fut  peut-être  celle  où  les  évêques  d'Ui^el  eurent  le  moins  de 
contestations  avec  les  comtes  de  Foix  et  leurs  successeurs  et  où  ils 
purent  exercer  dans  la  plus  large  mesure  leurs  droits  de  suzeraineté. 

Cette  quatrième  période  de  l'histoire  de  l'Andorre  dure  environ  deux 
siècles  pendant  lesquels  l'évêque  se  donne  le  titre  de  Prince  Souverain 
d'Andorre,  réglemente  en  toute  indépendance  de  la  France,  fixe  la  valeur 
de  la  monnaie,  règle  le  mode  des  transactions  commerciales,  la  chasse, 
la  pêche,  les  droits  politiques  de  ses  sujets,  se  réserve  le  droit  de  grâce 
pour  la  peine  de  mort  et  concède  des  privilèges  aux  Andorrans  et  cela 


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CARIE 
OE  LA  PRINaPAUTËI 

D'ANDORRE 


^^ 


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138  REVUE  FRANÇAISE 

sans  coDtesiation  de  la  part  de  la  France.  Pendant  ces  deux  siècles,  la 
France  peut,  il  est  vrai,  opposer  quelques  privilèges  accordés  à  l'An- 
dorre  pur  Louis  XIII  et  Louis  XIV,  mais  ces  deux  rois,  en  pareille  cir- 
oiiit^lfince,  agissaient  non  comme  souverains  deTAndorre,  mais  comme 
rois  de  France  et  ne  pouvaient  accorder  de  franchises  que  comme  sei- 
gru^urs  feudataires  de  l'Andorre  ou  comme  chefs  d'un  puissant  état 
voisin  Jisjîosés  à  entretenir  des  relations  cordiales  avec  un  territoire 
pourvu  d'une  organisation  politique  spéciale.  L'on  pourrait  en  dire  au- 
tant (Je  la  défense  faite  aux  Andorrans  par  Louis  XIV  de  tuer  les  bes- 
tiaux appartenant  à  ses  sujets  français  et  qui  seraient  surpris  paissant 
indùtiieiit  sur  la  Solane  d'Andorre  (1).  En  conséquence,  ces  mesures  de 
blenvcillafice  ou  de  restriction,  loin  d'être  un  argument  susceptible  de 
prouver  une  absorption  de  l'Andorre  dans  le  domaine  royal  ne  peuvent, 
au  contraire,  que  démontrer  la  réalité  d'une  existence  politique  abso- 
luiiieal  indépendante. 

Celte  situation  s'est  prolongea  jusqu'à  l'époque  de  la  Révolution  fran- 
çais' et  il  ne  tenait  qu'aux  Bourbons  d'ajouter  à  leurs  titres  de  «  rois  de 
Frîince  et  de  Navarre  »,  celui  plus  modeste  de  «  seigneurs  d'Andorre  ». 

[|  ctuivieat  ici  de  faire  ressortir  un  point  qui  paraît  avoir  échappé 
aux  difTerentes  personnes  qui  se  sont  occupées  de  recherches  sur  les 
vulièes  d'AndoiTe. 

Le  10  .ii>ut  {"iOâ,  l'Assemblée  Législative,  en  décrétant  la  déchéance 
du  roi,  et  Je  21  septembre,  la  Convention  en  proclamant  la  République 
ne  {Xïuvaient  évidemment  prendre  aucune  décision  en  ce  qui  concernait 
l*jVndorre,  Composées  exclusivement  des  députés  des  deux  royaumes 
de  Fiance  et  de  Navarre,  ces  deux  assemblées  ne  pouvaient  assimiler 
les  N'allées  aux  provinces  françaises  puisqu'elles  ne  faisaient  pas  partie 
jntr^ranli*  du  domaine  de  la  couronne.  Elles  ne  pouvaient  davantage 
les  Irailer  comme  une  colonie  fondée  ou  conquise  directement  par  la 
mefro[H>]i;!  et  ne  relevant  que  de  cette  dernière,  et  en  substituant  le 
principe  de  la  volonté  nationale  au  régime  du  droit  divin,  elles  ne 
pouvaiejiL  espérer  donner  force  de  loi  à  leur  décision  que  dans  les  pays 
qu*elles  représentaient.  L'évêque  d'Urgel  aurait  pu  seul,  à  défaut  du 
peuple  aTidorran,  qui  n'avait  pas  le  système  représentatif,  confirmer  le 
roi  Loui.^  \VI  dans  ses  droits  «  personnels  »  sur  l'Andorre,  ou  transférer 

|f  I  J  .-t\  15]adé,  Études  géographiques  sur  les  vallées  dt Andorre. 


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LA   PRINCIPAUTÉ  D'ANDORRE  139 

ceux-ci  au  gouvernement  républicain.  Il  avait,  en  un  mot,  le  droit  strict 
de  maintenir  en  possession  d'un  fief  relevant  excliisivement  de  lui  seul 
un  vassal  qui  ne  le  tenait  que  comme  héritier  des  seigneurs  de  Caboets. 
Cette  théorie  peut  paraître  un  peu  hardie,  et  Ton  se  représente  mal 
l'évoque  d'Urgel  protestant  d'une  façon  efficace  contre  le  nouvel  état 
de  choses.  Au  point  de  vue  du  droit  politique  il  n*eût  fait,  il  est  vrai, 
que  suivre  l'exemple  de  Philippe-Auguste  déclarant  vassal  rebelle  le 
roi  Jean-Sans-Terre,  et  confisquant  ses  fiefs  de  Normandie,  d'Anjou,  de 
Touraine  et  de  Poitou,  mais  il  convient  d'ajouter  que  le  roi  de  France 
avait  à  sa  disposition,  pour  appuyer  cette  décision,  des  forces  mili- 
taires qui  manquaient  totalement  au  suzerain  de  l'Andorre.  Il  ne  fau- 
drait pas,  d'ailleurs,  conclure  de  cette  remarque  que  les  héritiers  directs 
de  Louis  XVI  fussent  en  droit  de  revendiquer  la  possession  de  la  sei- 
gneurie d'Andorre.  Les  évoques  de  la  Seu,  en  reconnaissant  les  pré- 
tentions de  la  République  Française  et  en  traitant  avec  elle,  ont  bien 
démontré  que  leur  intention  était  de  transférer  au  chef  de  l'État 
français,  quel  qu'il  fût,  les  droits  personnels  des  premiers  seigneurs 
d'Andorre.  Il  convient  même  d'ajouter  que  cette  concession  était  toute 
naturelle  par  suite  de  la  disparition  en  France  de  l'organisation  féodale 
et  le  remplacement  des  grands  feudataires  par  des  gouverneurs  de 
province.  Le  viguier  français  nommé  par  le  gouverneur  du  comté  de 
Foix  pouvait  facilement  demeurer  en  fonctions,  lorsqu'à  leur  tour  les 
préfets  de  départements  eurent  remplacé  les  gouverneurs  de  province. 
Si,  au  moment  de  la  chute  de  la  royauté,  il  y  eut  dans  les  rapports  de 
la  France  et  de  l'Andorre  une  modification  notable  au  point  de  vue 
du  droit  international,  il  n'y  eut,  du  moins,  aucun  changement  dans  les 
rapports  administratifs. 

Il  était  nécessaire  de  donner  à  l'histoire  des  Vallées  d'Andorre  les 
développements  qui  précèdent,  pour  montrer  que  la  possession  de  ce 
territoire  était,  en  droit,  absolument  précaire  pour  les  premiers  seigneurs 
de  Caboets  et  leurs  successeurs,  y  compris  les  rois  de  France,  et  subor- 
donnée expressément  au  bon  vouloir  du  suzerain  et  que,  de  plus,  elle 
n'avait  été  continuée  à  la  France,  après  1792,  qu'en  vertu  d'un  consen- 
tement tacite  des  évéques.  Depuis  la  Révolution,  l'histoire  d'Andorre 
offre  peu  d'événements  saillants  car  il  importe  peu  que  le  délégué  fran- 
çais soit  le  préfet  de  l'Ariège,  le  sous-préfet  de  l'arrondissement  de 
Prades,  ou  le  préfet  des  Pyrénées-Orientales*  En  revanche,  cette  période 


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140  REVUE  FRANÇAISE 

a  été  fertile  en  contestatioDs  de  part  et  d'autres,  ainsi  qu'en  dissensions 
intérieures,  et  c'est  à  cette  situation  pénible  que  le  vote  du  conseil 
d'arrondissement  de  Prades  a  pour  but  de  mettre  fin. 

II 

Après  avoir  établi  les  droits  de  la  France  sur  l'Andorre,  il  y  a  lieu 
d'examiner  quels  peuvent  être  ceux  de  l'Espagne  sur  ce  pays.  La  situa- 
tion de  ce  côté  est  bien  claire.  Les  droits  de  l'Espagne  sont  nuls,  abso- 
lument nuls  en  tant  que  droits  acquis.  Quant  au  droit  des  nations,  il 
est  le  même  dans  tous  les  cas  et  pour  tous  les  pays  et  l'Espagne,  comme 
d'ailleurs  la  France,  pourrait  s'opposer  à  l'aliénation  des  Vallées  à  aussi 
juste  titre  que  l'Allemagne,  par  exemple,  à  l'aliénation  du  Danemark 
au  profit  de  la  Suède  ou  à  celle  de  la  Suisse  au  profit  de  la  France  ou 
de  l'Italie. 

La  qualité  de  sujets  espagnols  dont  sont  revêtus  les  évêques  d'Ui^el 
ne  saurait  conférer  à  l'Espagne  aucun  droit  sur  la  principauté  souve- 
raine de  ces  derniers,  pas  plus  que  la  suzeraineté  des  rois  de  France 
sur  le  duché  de  Normandie  ne  pouvait  en  attribuer  à  ces  monarques 
sur  les  possessions  extérieures  de  leurs  vassaux.  Il  existe,  il  est  vrai,  un 
accord  entre  les  évoques  de  la  Seu  et  le  gouvernement  espagnol,  mais 
cet  accord  ne  préjuge  en  rien  de  la  question,  il  est  le  résultat  de  la 
nécessité  dans  laquelle  se  trouvaient  les  évoques  d'Urgel  de  chercher 
par  des  alliances  un  appui  séculier  assez  fort  pour  contrebalancer  l'in- 
fluence d'un  vassal  devenu  plus  puissant  que  son  suzerain,  et  les 
rapports  de  l'évêque  avec  l'Espagne  ressemblent  un  peu  à  l'investiture 
donnée  aux  premiers  seigneurs  de  Caboets  pour  assurer  à  la  Mître 
d'Urgel,  l'administration  temporelle  des  Vallées  et  surtout  pour  la 
garantir  contre  les  contestations  armées  des  seigneurs  voisins.  L'Espagne 
peut  bien  prêter  ses  bons  ofiîees  pour  l'exercice  de  la  justice,  la  police 
intérieure,  l'instruction  publique,  cela  ne  saurait  constituer  une  sorte 
de  main-mise  sur  le  territoire  des  Vallées.  D'ailleurs,  la  France  rend 
les  mêmes  bons  oflices  à  la  principauté  de  Monaco,  ce  qui  ne  porte 
nulle  atteinte  aux  droits  de  souveraineté  du  prince  r^ant.  J'ajouterai 
même  que  si  les  Andorrans,  conmde  peuple,  ne  jouissent  pas  de  la 
souveraineté  extérieure  et  ne  peuvent  accréditer  d'agents  diplomatiques 
auprès  des  puissances  voisines,  cela  tient  à  ce  qu'ils  sont  en  la  dépeu- 


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LA   PRINaPAUTÉ  D'ANDORRE  141 

dance  exclusive  du  prince-évèque  à  qui  ce  droit  de  souveraineté  ne 
semble  pas  pouvoir  être  contesté  s'il  lui  plaisait  d'en  faire  usage. 

m 

Je  pense  avoir  exposé  la  question  sous  son  véritable  point  de  vue  et 
établi  les  droits  respectifs  des  deux  puissances  voisines.  Avant  de  pro- 
poser une  solution  que  je  crois  possible,  il  serait  utile  d'exposer  rapi- 
dement ce  qu'est  l'Andorre,  et  quels  seraient  pour  la  France  les  avan- 
tages à  recueillir  en  échange  de  l'abandon  de  ses  droits  de  seigneurie 
sur  ce  territoire. 

Les  Vallées  d'Andorre,  d'une  superficie  d'environ  800  kilomètres 
carrée,  se  trouvent,  pour  la  majeure  partie,  situées  sur  le  versant  méri- 
dional des  Pyrénées.  Elles  comprennent  presque  entièrement  le  bassin 
des  différentes  rivières  formant  TEmbalire,  jusqu'au  confluent  du 
Riuner;  c'est-à-dire  qu'à  part  quelques  exceptions,  la  frontière  andor- 
ranne  pourrait  se  trouver  limitée  par  la  chaîne  principale  des  Pyré- 
nées et  par  quelques  contreforts  espagnols^  Les  exceptions  à  cette 
délimitation  naturelle  sont  les  suivantes  : 

L  Versant  français.  —  En  s'en  tenant  aux  termes  généraux  du  traité 
de  1659  qui  stipulait  que  «  les  monts  Pyrénées,  qui  avaient  ancienne- 
ment divisé  les  Gaules  des  Espagnes,  seraient  aussi  dorénavant  la  limite 
des  deux  royaumes  »,  la  France  pourrait  revendiquer  la  possession 
d'une  portion  nord-est  du  territoire  andorran  si  l'Andorre  était  inter- 
venue dans  le  traité  des  Pyrénées  comme  partie  contractante.  La  France 
pourrait,  en  outre,  ne  pas  borner  là  ses  prétentions,  mais,  par  contre, 
l'Espagne  pourrait  aussi  être  appelée  à  faire  valoir  les  siennes,  comme 
nous  le  verrons  plus  loin.  La  France  conteste,  en  efiet,  à  la  principauté 
cette  portion  de  territoire  que  Ton  nomme  la  Solane  d'Andorre  et  qui 
se  trouve  limitée  au  nord  par  la  chaîne  principale  des  Pyrénées,  du  pic 
de  la  Gabanette  au  Saut  du  Taureau,  puis  par  une  ligne  droite  partant 
de  ce  point  pour  aboutir  au  confluent  du  rio  de  la  Palomera  avec  l' Ariège, 
à  l'est  par  le  cours  supérieur  de  l'Ariège,  à  l'ouest  par  une  ligne  de 
partage  des  eaux  commençant  au  pic  de  la  Gabanette  et  se  prolongeant 
dans  la  direction  sud-ouest  jusqu'au  port  de  Saldeu,  puis  par  une 
seconde  ligne  partant  de  ce  port  et  se  continuant  vers  le  sud-est  jusqu'au 


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m  REVUE  FRANÇAISE 

pic  d'Embalire,  au  sud  par  quelques  hauteurs  allant  du  pic  d'Embalire 
au  pie  de  la  Font  Nègre  où  FAri^e  prend  sa  source.  Les  limites  nord 
et  est  de  ce  canton  font  partie  de  la  frontière  franco-andorranne.  Logi- 
quement, cette  frontière  devrait  être  reculée  jusqu'aux  limites  ouest  et 
sud,  laissant  ainsi  à  la  France  le  cours  supérieur  de  TAriège  et  les 
affluents  de  la  rive  gauche. 

II.  Verseau  espagnol,  —  A  cet  égard,  la  principauté  d'Andorre  a  beau- 
coup à  gagner  et  peu  à  perdre.  Le  rio  de  Vexesarri  prend  sa  source 
dans  la  coma  de  Seturia  (territoire  andorran),  il  débouche  ensuite  sur 
le  territoire  de  la  commune  espagnole  d'Os  de  Balaguer  où  il  reçoit  le 
rio  de  Saloria  et  rentre  ensuite  sur  le  territoire  des  Vallées  un  peu  au 
nord  du  village  andorran  de  Vexesarri.  Une  partie  de  son  cours  et  le 
cours  complet  de  son  affluent  sont  donc  à  tort  espagnols  et  arrosent  un 
territoire  sensiblement  égal  en  superficie  à  celui  que  la  France  conteste 
à  TAndorre. 

L'Espagne,  de  son  côté,  pourrait  réclamer  aux  Vallées  une  légère 
rectification  de  frontière  qui  lui  donnerait  les  sources  du  rio  Grimau. 

La  population  des  Vallées  est  portée,  suivant  certains  auteurs,  à  12  et 
môme  20.000  habitants,  mais  d'autres  calculs  plus  modérés  et  proba- 
blements  plus  exacts  ne  lui  donnent  au  maximum  que  6  à  7.000  habi- 
tants, répartis  entre  6  bourgs  ou  chefs-lieux  de  paroisse,  9  villages  de 
100  habitants  et  au-dessus  et  30  ou  40  hameaux. 

Les  principales  ressources  du  pays,  après  la  contrebande,  sont  la 
culture,  et  en  particulier  celle  du  tabac  et  l'élevage  des  bestiaux.  Il  y  a 
aussi  quelques  petites  industries,  mines  de  fer,  moulins  de  foulon, 
scieries,  etc...  En  somme,  le  territoire  des  Vallées  ne  saurait  tenter 
l'ambition  d'un  grand  conquérant  et  l'importance  de  ce  petit  État  réside 
surtout  dans  sa  position  stratégique  et  dans  les  difficultés  qu*il  crée  sans 
cesse  à  ses  voisins,  par  la  facilité  qu'il  ofiûre  à  la  contrebande.  Située  à 
peu  de  distance  de  la  trouée  des  Pyrénées  formée  par  la  vallée  de  la 
haute  Ségre  et  défendue  contre  l'Espagne  par  le  fort  de  Montlouis  et 
ses  batteries  avancées  et  contre  la  Franco  par  celui  de  Puycerda,  l'An- 
dorre, par  sa  position  à  cheval  sur  la  chaîne  principale,  pourrait  favo- 
riser un  mouvement  tournant  au  profit  de  l'adversaire  qui  en  serait 
maître.  Grâce  à  cette  considération,  il  y  a  de  fortes  raisons  pour  que 
son  indépendance  soit  encore  longtemps  respectée. 


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LA   PRINCIPAUTÉ   D'ANDORRE  143 


La  contrebande  exercée  par  les  Andorrans  étant  pour  les  régions 
Toisines  un  sujet  de  griefs  très  sérieux  et  la  population  des  Vallées 
n'apportant  à  la  France  que  des  charges  sans  compensation,  le  vote  du 
conseil  d'arrondissement  de  Prades  semble  assez  logique.  Cependant, 
tout  en  cherchant  à  lui  donner  satisfaction,  il  ne  faudrait  pas  perdre  de 
vue  le  côté  militaire  ni  renoncer  bénévolement  à  des  droits  d'immixtion 
qui  paraissent  sérieux,  puisque  pendant  plus  d'un  siècle  les  évéques  de 
la  Seû  les  ont  reconnus  au  gouvernement  français  prenant  les  lieu  et 
place  des  rois  de  Navarre. 

La  même  nécessité  d'en  terminer  une  fois  pour  toutes  avec  la  contre- 
bande pratiquée  sur  divers  points  de  notre  frontière  méridionale  pour- 
rait être  invoquée  en  ce  qui  concerne  la  petite  enclave  espagnole  de 
Llivia.  Située  à  un  peu  plus  d'un  kilomètre  de  la  frontière  espagnole, 
cette  petite  localité,  oubliée  lors  du  traité  de  1689,  est  réunie  à  l'Espagne 
par  un  chemin  neutre  qui  aboutit  à  l.SOO  mètres  de  Puycerda  et  sert 
presque  exclusivement  à  favoriser  la  fraude  en  matière  de  douane. 

La  cession  à  la  France  du  territoire  de  Llivia  semble  toute  indiquée. 
L'on  y  ajouterait  le  territoire  contesté  aux  Vallées  d'Andorre.  La  prin- 
cipauté recevrait  en  compensation  le  quadrilatère  formé  par  la  portion 
du  bassin  du  rio  de  Vexesarri  demeurée  territoire  espagnol,  mais  céde- 
rait à  l'Espagne  les  sources  du  rio  Grimau. 

De  cette  façon,  l'Andorre  se  trouverait  enserré  dans  une  ceinture  de 
montagnes  qui  rendrait  la  fraude  non  pas  impossible  mais  certainement 
plus  difficile.  La  neutralité  du  chemin  de  Llivia  à  la  frontière  étant 
supprimée,  l'on  diminuerait  ainsi  l'importance  des  deux  principaux 
foy^^  de  contrebande. 

Le  territoire  d'Andorre,  bien  que  modifié  dans  sa  forme,  conserverait 
la  même  superficie,  mais  bénéficierait  d'un  léger  accroissement  de 
population  et  la  France  aurait,  de  ce  côté,  sa  frontière  naturelle.  Je  sais 
bien  que  si  l'on  voulait  appliquer  à  la  lettre  la  théorie  des  frontières 
de  montagnes,  l'Espagne,  au  lieu  de  céder  Llivia  serait  en  droit  de 
réclamer  le  territoire  environnant,  soit  à  peu  près  600  kilomètres  carrés^ 
ainsi  que  la  forêt  d'Iratydans  les  Basses-Pyrénées  et  quelques  points 
sans  importance  le  long  de  la  frontière,  mais  nous  pourrions  aussi 
revendiquer  les  sources  de  l'Ugarrana  et  de  TYchura,  et  celles  des  deux 


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144  REVUE  FRANÇAISE 

Nives  dans  le  département  cité  plus  haut  et  le  Val  d'Aran  tout  entier. 
Un  remaniemeot  si  complet  de  la  frontière  serait  d'une  application  si 
di£Scile  et  léserait  tant  d'intérêts  qu'il  est  douteux  qu'il  puisse  jamais 
y  être  procédé  sans  que  le  sort  des  armes  se  soit  préalablement  pro- 
noncé en  faveur  de  l'un  ou  l'autre  des  deux  États  intéressés,  et  la  bonne 
harmonie  qui  existe  entre  les  deux  pays  fait  rejeter  bien  loin  cette 
éventualité. 

Sans  aller  d'ailleurs  si  loin,  la  cession  d'Os  à  Andorre  et  de  Llivia  à 
la  France  semble  présenter  peu  de  difficultés,  mais,  en  retour  de  ces 
concessions  territoriales,  l'Espagne  serait  en  droit  d'exiger  une  com- 
pensation. Ne  la  trouverait-elle  pas  suffisamment  large  dans  la  substi- 
tution pure  et  simple  de  son  gouvernement  au  gouvernement  français 
dans  l'exercice  de  l'administration  intérieure  des  Vallées?  Que  le  roi 
d'Espagne  devienne,  à  son  tour,  le  vassal  de  son  sujet  1  evêque  d'Ui^el, 
cela  serait  certainement  une  nouveauté  piquante,  mais  il  n'y  aurait 
là  rien  d'illogique  et,  au  point  de  vue  du  droit  public,  il  importe  peu 
que  la  Mître  soit  suzeraine  de  la  France  ou  de  l'Espagne.  L'influence 
espagnole  se  substituerait  dans  les  Vallées  à  l'influence  française,  et  à 
ce  point  de  vue  nous  aurions  peu  à  perdre  :  la  langue,  les  mœurs,  les 
idées  religieuses,  l'intérêt  public  ou  privé,  les  moyens  de  communica- 
tion, tout  pousse  les  Andorrans  dans  les  bras  de  l'Espagne  et  tente  de 
les  éloigner  de  la  France.  L'Espagne  pourrait  se  charger,  soit  exclusi- 
vement, soit  de  concert  avec  l'évéque,  de  l'instruction  publique,  de 
l'administration  intérieure,  de  la  police  et  de  la  représentation  à  l'étran- 
ger des  sujets  andorrans.  Toutefois,  le  droit  de  souveraineté  extérieure 
paraissant  difficilement  contestable  à  l'évéque  d'Urgel,  celui-ci  pourrait 
accréditer  auprès  du  gouvernement  français  un  représentant  qui  aurait 
spécialement  pour  objet  de  veiller  à  l'exécution  des  mesures  garantis- 
sant la  neutralité  de  la  principauté.  La  France  devrait  naturellement 
exiger  l'engagement  qu'il  ne  serait  pas  élevé  de  fortifications  dans  le 
pays,  et  que  les  troupes  espagnoles  ne  pourraient  s'y  trouver  qu'en 
quantité  suffisante  pour  suffire  aux  besoins  de  la  police  intérieure. 

Le  territoire  qui  serait  cédé  par  l'Andorre  à  la  France,  se  composant 
de  pâturages  inhabités,  il  n'y  aurait  pas  lieu  de  s'occuper  du  principe 
des  nationalités.  Il  ne  parait  pas  douteux  que  les  habitants  dOs  de 
Balaguer  acceptent  avec  satisfaction  la  proposition  qui  leur  serait  faite 
de  devenir  Andorrans.  Quant  aux  Lliviens,  s'ils  avaient  des  objec- 


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GommuQiqué  par  le  Club  Alpin  Franriiis. 
XXIII  (Mars  98).  N<»  231. 


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146 


REVUE  FRANÇAISE 


tions  sérieuses  à  présenter,  il  serait  toujours  loisible  de  leur  accoitier 
le  maintien  de  leurs  usages  locaux,  la  dispense  du  service  militaire, 
une  administration  autonome  et  la  faculté  de  faire  juger  les  crimes  ou 
délits  par  les  tribunaux  de  Tune  ou  l'autre  dos  deux  puissances  voisines, 
mais  il  serait  indispensable  de  mettre  un  terme  aux  immunités  doua- 
nières dont  ils  jouissent.  A  cela  près,  s'il  leur  prenait  la  fantaisie  de 
se  proclamer  en  république  ou  d'élire  un  roi,  voire  même  un  em[)ereur, 
le  mal  ne  serait  pas  grand  et  depuis  la  disparition  du  grand-duché  de 
Gérolstein  et  la  mort  de  l'empereur  Soulouque.  les  occasions  de  s'égayer 
aux  dépens  des  principicules  se  font  trop  rares  pour  que  l'on  se  prive 
de  cette  satisfaction  lorsqu'il  est  donné  de  la  rencontrer. 

Cette  enclave  se  compose  d'un  gros  village  Llivia  et  de  deux  hameaux 
Gorguja  et  Sareja. 


On  voit  que  pour  être  moins  importante  que  la  question  d'Orient,  la 
question  andorranne  présente  cependant  quelques  dilUcultés.  Espérons 
que  la  diplomatie  européenne  ne  fera  pas  encore  une  fois  banqueroute 
lK)ur  si  peu  de  chose. 

H.  DOUCHET. 


(Sceau  de  la  Principauté.) 


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L'EXPOSITION    COLONIALE  DE  1900 


L'emplacement  définitif  de  TExposition  coloniale  fait  encore  ques- 
tion. D'après  le  projet  du  commissariat  général,  ce  sont  les  pentes  du 
Trocadéro  qui  doivent  recevoir  l'ensemble  des  constructions  formant 
cette  exposition  spéciale.  On  a  réservé  aux  étrangers  le  côté  du  levant 
et  aux  colonies  françaises  le  côté  du  couchant.  Les  plantations  et  les 
massifs  subsisteront,  si  bien  que  ce  n'est  que  sur  les  pelouses  que 
pouiTont  être  élevés  les  édicules  variés  tant  asiatiques  qu'africains.  De 
là  un  entassement,  un  fouillis  presque  inextricable,  un  pêle-mêle  de 
pagodes  massives  surplombant  les  fines  et  délicates  constructions  d'ar- 
chitecture mauresque,  des  paillottes  faisant  piteuse  mine  auprès  des 
merveilleux  morceaux  de  l'art  indien.  Ni  ordre,  ni  méthode,  ni  sys- 
tème. Rien  qui  aide  le  visiteur,  qui  l'incite  à  s'instruire  et  le  prépare 
au  milieu  où  il  est  subitement  transporté.  Des  heurts  et  des  contrastes 
hors  de  nature,  tel  serait  le  résultat  d'une  pareille  exposition.  On  n'au- 
rait pas  même  la  place  de  produire  les  types  de  la  faune  et  de  la 
flore  spéciales  aux  diverses  régions.  C'est  renoncer  d'avance  à  tout 
caractère  scientifique,  c'est  nous  ramener  aux  errements  anciens  de  la 
danse  du  ventre,  et  faire  résider  toute  l'attraction  dans  une  série  de 
petites  boutiques,  formant  un  bazar  sans  originalité,  et  faisant  concur- 
rence aux  arcades  de  la  rue  de  Rivoli. 

n  pouvait  en  être  ainsi  en  1867  et  même  en  1818,  alors  que  dans 
tous  les  milieux,  au  Parlement  et  ailleurs,  on  se  plaisait  à  répéter  que 
la  France  n'avait  pu  faire  de  colonies  parce  que  nous  n'étions  pas  un 
peuple  colonisateur.  En  1889,  il  n'en  était  déjà  plus  de  même.  Il 
s'était  déjà  formé  un  groupe  de  fanatiques.  Le  patriotisme  s'en 
mêla;  on  était  justement  fier  de  notre  récente  installation  en  Tunisie. 
La  politique  se  mit  aussi  de  la  partie,  et  ceux  qui  avaient  rompu  tant 
de  lances  au  Parlement  pour  maintenir  notre  prise  de  possession  au 
Toakin,  tinrent  à  affirmer  l'existence  de  notre  nouvel  empire  colonial 
d'Indo-Chine.  Aussi  on  ne  lésina  pas  et  on  consacra  aux  colonies  un 
emplacement  suffisant  sur  l'esplanade  des  InvaUdes. 

On  s'attendait  à  ce  qu'on  fit  mieux  encore  en  1900.  Il  est  incontes- 
table que,  dans  ces  dix  dernières  années,  l'orientation  de  tous  les 
esprits,  en  France,  est  tournée  vers  les  pays  d'outre-mer.  Il  n'est  plus 


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148  REVUE  FRANÇAISE 

nécessaire  de  prêcher  la  croisade  coloniale.  C'est  à  qui  tiendra  le  record 
de  l'exploration.  11  y  a  une  véritable  concurrence  parmi  les  civils  et 
les  militaires  pour  arriver  bon  premier  sur  les  routes  de  pénétration 
commerciale,  aussi  bien  en  Asie  qu*en  Afrique. 

Les  journaux  remplissent  leurs  colonnes  de  rubriques  qui  ne  s'y 
introduisaient  il  y  a  dix  ans  que  furtivement.  La*  masse  des  lecteurs, 
bien  qu'insuffisamment  documentée  en  matière  géographique,  a  pour- 
tant la  notion  très  précise  que  l'explorateur  éclaire  les  routes  que  sui- 
vront bientôt  nos  voyageurs  de  commerce.  Le  haut  négoce  de  Paris  a 
euGn  senti  que  la  baisse  graduelle  des  exportations  n'était  jkis  un  mal 
accidentel  mais  venait  d'une  concurrence  qui  nous  fermerait  dans  un 
temps  donné  nos  meilleurs  débouchés.  A  l'instar  des  Anglais  et  des 
Allemands,  il  s'est  décidé  à  préparer  des  champs  nouveaux  d'activité 
pour  les  échanges. 

Dans  l'ordre  de  la  politique  générale,  Madagascar  a  pris  dans  les 
préoccupations  du  monde  des  affaires  une  place  à  peine  soupçonnée 
en  1889.  Cette  expédition  si  tardive  a  soudainement  conquis  une  po- 
pularité qu'on  était  loin  de  prévoir  quelques  années  avant,  aloi's  que 
l'expédition  du  Dahomey,  si  glorieuse  pour  nos  troupes,  s'était  faite  au 
milieu  de  l'indifférence  générale  du  grand  public  de  la  métropole. 
Depuis  la  dernière  exposition,  nous  avons  ajouté  à  nos  territoires  le 
Dahomey,  une  partie  du  Soudan  occidental  avec  le  cours  du  moyen 
•Niger  et  Tombouctou,  Madagascar  est  devenu  terre  française.  Voici 
que  nous  pénétrons  dans  la  vallée  du  haut  ISil.  Notre  situation  en 
Indo-Chine  s'est  consolidée.  Ce  sont  là  des  événements  considérables, 
et  ce  qui  domine  surtout  ce  mouvement  d'expansion,  c'est  le  souci 
constant  que  le  peuple  de  France  a  pris  de  ses  intérêts  coloniaux.  L'o- 
pinion désormais  est  faite.  La  politique  coloniale  n'est  plus  le  mono- 
pole de  quelques  maniaques,  comme  on  nous  appelait  jadis,  de  gens 
à  idée  fixe,  hantés  pai'  le  souvenir  de  Dupleix,  mais  elle  est  bien  un 
des  articles  du  programme  national.  Les  colonies  sont  déflnitivement 
considérées  comme  le  })rolongement  de  la  mère-patrie,  comme  la  res- 
source suprême  des  générations  futures  quand  le  revenu  des  capitaux 
ne  permettra  phis  à  personne  de  vivre  de  ses  renies  et  que  tout  le 
monde  s^a  obligé  de  produire. 

Aussi  bien  tous  les  groupes  coloniaux  s'imaginaient  que  l'Exposition 
coloniale  allait  être  le  clou  de  la  grande  manifestation  de  1900  et  quo. 


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T;KXP0SITI0N  coloniale  de  1900  149 

le  gouvernement  représenté  par  les  ministres  du  commerce  et  celui  des 
colonies,  s'entendrait  avec  le  commissaire  général  de  FExposition  pour 
faire  la  part  du  lion  aux  colonies  françaises.  Cette  entente  a  bien  eu 
lieu,  mais  le  résultat  a  causé  une  profonde  déception  à  toutes  les 
Sociétés  géographiques  et  coloniales  et  en  particulier  à  l'Union  coloniale 
française,  qui  depuis*  plusieurs  années  sous  la  remarquable  impulsion 
de  M.  Chailley-Bert,  a  pris  la  haute  direction  du  mouvement  commer- 
cial dans  nos  colonies.  Les  autorités  supérieurs  n'ont  rien  trouvé  de 
mieux  que  de  parquer  notre  exposition  coloniale  dans  l'espace  restreint 
et  tout  à  fait  insuffisant  de  la  partie  occidentale  du  Trocadéro.  M.  Ch.  Roux, 
député,  s'est  fait  l'écho  des  plaintes  des  coloniaux  dans  le  dernier  ban- 
quet mensuel  de  l'Union  coloniale.  C'est,  en  effet,  du  côté  où  l'on  était  en 
droit  de  trouver  le  plus  actif  concours  pour  donner  à  l'Exposition  coloniale 
toute  sa  splendeur  que  l'on  a  rencontré  l'accueil  le  plus  réfrigérant.  La 
notion  de  l'œuvre  immense  accomplie  par  la  France  dans  ces  vingt 
dernières  années  paraît  avoir  échappé  aux  dirigeants.  La  découverte 
bien  réelle  de  l'Afrique  centrale  par  l'Europe  civilisée  et  la  mainmise 
de  la  France  sur  une  partie  de  ce  continent  est  un  fait  historique  qui, . 
dans  l'histoire  de  la  civilisation,  sera  la  marque  caractéristique  du  siècle 
passé.  La  participation  de  la  France  à  cette  grande  entreprise  devait 
apparaître  dans  l'Exposition  de  1000  sous  un  relief  qui  frappât  l'esprit 
de  tous  les  visiteurs  et  fût  un  légitime  sujet  de  fierté  pour  nos  compa- 
triotes. Nos  rivaux  savent  bien  tirer  partie  de  ces  grandes  manifesta- 
tions pour  donner  du  prestige  à  leurs  œuvres;  et  leurs  efforts  constants 
dans  ce  sens  ne  sont  pas  étrangers  au  développement  excessif  de  leur 
commerce  extérieur. 

Pour  répondre  à  toutes  ces  préoccupations,  on  avait  proposé  d'instal 
1er  l'Exposition  coloniale  à  Saint-Cloud,.  depuis  la  Seine  jusqu'au  pla- 
teau, au-dessus  de  la  Cascade.  De  son  côté,  la  ville  de  Meudon,  d'accord 
avec  le  directeur  de  l'Observatoire  d'astronomie  physique,  avait  pré- 
senté au  ministre  des  colonies  une  proposition  pour  l'utilisation  de  la 
r.uperbe  orangerie  du  château  de  Meudon,  de  la  vaste  pièce  d'eau  de 
Bel-Air  et  des  pelouses  où  fut  organisé  le  camp  pendant  les  aimées  qui 
suivirent  la  guerre  de  1870.  Ces  offres  séduisantes  furent  écartées  par 
la  question  préalable.  Le  concours  financier  de  la  Ville  de  Paris  a  été, 
paraît-il,  subordonné  à  la  condition  expresse  que  l'Exposition  tout  en- 
tière fût  dans  la  Ville  de  Paris.  D'autre  part,  des  engagements  ont  été 


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160  REVUE  FRANÇAISE 

pris  vis-à-vis  des  exposants  étrangers.  On  leur  a  annoncé  qu'ils  occupe- 
raient une  partie  du  Trocadéro.  Se  trouvant  ainsi  au  centre  du  mouve- 
ment des  visiteurs,  ils  ne  paraissent  pas  disposés  à  renoncer  à  cet 
avantage  et  à  être  transférés  ailleurs.  Une  solution  mixte  a  donc  été 
cherchée.  Elle  consisterait  à  laisser  au  Trocadéro  l'Exposition  coloniale 
étrangère  dans  la  partie  qui  lui  a  été  réservée,  et  à  développer,  dans 
l'autre  portion  du  Trocadéro,  les  colonies  françaises  d'Asie  ;  ^  puis  à  faire, 
sur  la  grande  pelouse  de  la  Muette,  à  l'entrée  du  Bois  de  Boulogne-, 
l'exposition  africaine  formant  un  tout  complet,  une  Afrique  indivisible. 
L'Algérie  et  la  Tunisie  seraient  là,  comme  pour  le  continent  noir,  la 
brillante  et  luxueuse  devanture  de  l'Afrique  française.  La  Tunisie  est 
acquise,  d'ores  et  déjà,  à  ce  projet.  Pour  l'Algérie,  ce  n'est  qu'une 
question  d'argent.  Son  budget  ne  lui  permettant  pas  de  faire  le  moindre 
sacrifice  pour  l'installation  de  son  exposition,  elle  est  à  la  disci'étion 
de  l'administration  supérieure. 

La  question  se  pose  maintenant  dans  les  termes  les  plus  simples. 

Ou  bien  l'Exposition  coloniale  de  1900  sera  réduite  à  l'emplacement 
.  prévu  au  Trocadéro  et  elle  ne  sera  alors  qu'une  exposition  officielle 
dans  laquelle  les  ministères  du  commerce  et  des  colonies  suivront  leurs 
propres  inspirations,  disposant  le  tout  à  leur  gré.  Les  colons  paraissent 
on  effet,  pour  la  plupart,  résolus,  dans  ce  cas,  à  refuser  toute  partici- 
pation à  cette  entreprise  restreinte  et  peu  flatteuse  pour  la  France.  Ou 
bien  la  combinaison  qui  consiste  à  séparer  l'exposition  africaine  et  k 
la  faire  émigrer  vers  la  Muette  sera  adoptée  en  haut  lieu  et  c'est  avec 
empressement  que  les  colons  viendront,  sons  le  pavillon  et  dans  l'en- 
ceinte de  leurs  colonies  respectives,  apporter  le  tribut  de  leurs  efforts 
et  concourir  au  succès  de  cette  grande  manifestation  nationale.  Il 
n'est  que  temps  que  cette  question  soit  réglée.  Nous  estimons,  qu'en 
présence  du  refus  absolu  du  Conseil  municipal  de  Paris  de  laisser  faire 
une  grande  exposition  coloniale  aux  abords  de  la  capitale  soit  à  Meudon 
soit  à  Saint-Cloud,  la  solution  du  transfert  de  l'exposition  africaine  à  la 
Muette  est  préférable  à  tous  égards  et  nous  espérons  que  le  conseil 
municipal,  le  gouvernement  et  le  commissariat  général  de  l'Exposition 
trancheront  la  difficulté  en  ce  sens. 

EDOUARD  MaRBBAU. 


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LE  PRINCE  HENRI  D'ORLÉANS  EN  ABYSSINÏE 

C'est  avec  un  vif  intérêt  que  l*on  suivra  Texpédition  que  le  prince 
Henri  d'Orléans  va  entreprendre  dans  les  provinces  méridionales  de 
l'Abyssinie  avec  le  conote  Léontief.  Cette  expédition  n'a  pas  pour  but 
de  donner  la  main  aux  missions  Liotard  et  Marchand,  qui  arrivent  de 
rOubangui  sur  le  haut  Nil,  ni  même  d'appuyer  la  mission  de  Bon- 
champs  qui,  elle,  marche  à  la  rencontre  des  deux  précédenlA.  Mais  son 
objectif  n  en  est  pas  moins  fort  important,  car  en  prenant  possession 
des  provinces  méridionales  de  TAbyssinie,  que  Ménélik  revendique 
comme  faisant  partie  intégrante  de  l'empire  éthiopien,  elle  aura  pour 
résultat  de  prendre  contact  avec  le  cours  du  Nil  Blanc  et  d'établir  dans 
la  région  du  lac  Rodolphe  une  barrière  à  Tenvahissement  britannique. 

Dans  un  banquet  qui  lui  a  été  oflfert  le  4  février  dernier,  à  Thôtel 
Continental,  à  Paris,  le  prince  Henri  a  déclaré  qu'il  ne  ferait  pas  part 
du  détail  de  ses  plans  suivant  la  règle  que  s'impose  tout  voyageur  de 
ne  pas  exposer  tous  ses  projets.  «  Mais,  a-t-il  ajouté,  vous  save«  dans 
quelle  contrée  nous  nous  rendons.  Les  provinces  équatoriales  de  l'Ethio- 
pie s'étendent,  au  sud  de  celle-ci,  jusqu'au  2*»  lat.  N.  et,  à  Touest,  jus- 
qu'à l'Albert-Nyanza  et  au  Nil  Blanc.  Traversés  par  deux  voyageurs 
anglais  et  plusieurs  italiens,  les  plateaux  gallas  nous  ont  été  décrits 
comme  riches  et  de  grand  avenir.  S.  M.  l'empereur  Ménélik  nous  a 
chargés  de  l'organisation  de  l'immense  province  qui  formera,  comme 
ses  confins  militaires,  son  propre  état-tampon.  Il  est  inutile  de  vous 
dire  par  qui  sera  pressé  le  tampon  au  sud.  Avec  les  concours  moraux 
et  matériel  de  nos  frères  russes,  avec  mon  ami  M.  le  comte  de  Léontief, 
investi  par  son  nouveau  titre  de  la  confiance  de  Ménélik,  en  travaillant 
pour  l'empereur,  nous  savons  que  nous  travaillerons  de  notre  mieux 
pour  les  intérêts  de  la  France.  Au  milieu  de  nos  efforts,  nous  aurons 
constamment  les  yeux  tournés  à  l'ouest,  vers  cette  vallée  du  haut  Nil 
qui,  menacée  de  se  trouver  enserrée  dans  l'étau  britannique,  verra 
bientôt,  grâce  aux  expéditions  hardies  de  nos  explorateurs  d'un  côté,  à 
la  volonté  de  Ménélik  de  l'autre,  flotter  sur  ses  rives  les  drapeaux  aux 
trois  couleurs,  abyssin  à  droite,  français  à  gauche,  représentant  le  droit 
et  la  liberté  >. 

Le  prince  Henri  s'embarquera  à  Marseille,  le  10  mars,  avec  ses  com- 
pagnons européens,  au  nombre  de  16.  Parmi  ceiix-ci  se  trouvent  le 


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i52  RI-VUE  FRANÇAISE 

comte  Léonlief,  MM.  Mourichon,  Espéret,  d'Origny,  docteur  Levassor, 
quelques  sous-officiers  et  quelques  cosaques.  Uue  centaine  de  Sénéga- 
lais destinés  à  former  Tescorte^  sont  déjà  rassemblés  à  Djibouti. 

Dans  un  entretien  avec  un  correspondant  du  Temps,  le  prince  Henri 
a  donTié  quelques  détails  sur  l'organisation  et  le  fonctionnement  pro- 
bable de  son  expédition.  Son  premier  soin,  une  fois  la  caravane  formée 
à  Djibouti,. sera,  non  de  descendre  vers  les  provinces  méridionales  de 
TAbyssinie,  mais  de  se  rendre,  avec  le  comte  Léontief,  auprès  de  Méné- 
lik,  afin  de  s'entendre  avec  le  négus  sur  la  campagne  à  entreprendre  et 
de  bien  connaître  ses  intentions.  Ménélik,  qui  est  un  homme  fort  in- 
telligent, est  aussi  un  diplomate  fort  avisé,  soucieux  avant  tout  des 
intérêts  de  son  empire  et  des  revenus  qu'il  pourra  se  procurer.  Il  se 
montre  reconnaissant  envers  ceux  qui  lui  ont  rendu  service  et  accueil- 
lant enverê  les  nouveaux  venus,  tout  en  sachant  bien  distinguer  ceux 
qui  arrivent  les  mains  vides  dans  le  but  unique  de  faire  fortune  et  ceux 
qui  amènent  avec  eux  une  pacotille  commerciale,  ou  les  éléments  néces^  . 
saires  à  la  création  d'une  exploitation  ou  d'une  industrie.  Ménélik  n'i- 
gnore pas  qu'il  en  tirera  certainement  profit  pour  lui  et  pour  son  pays. 

Comme  les  cadeaux  sont  toujours  fort  appréciés  et,  qu'en  Abyssinie 
notamment,  ils  constituent  une  entrée  en  matière  -^  peu  près  obliga- 
toire pour  être  considéré,  le  prince  Henri  et  le  comte  Léontief  apportent 
à  Ménélik  de  beaux  et  nombreux  présents  provenant  de  l'empereur  de 
Russie,  du  sultan  et  quelques-uns  réunis  en  France. 

L'expédition  emporte  avec  elle  pour  plus*de  200.000  francs  de  mar- 
chandises destinées  aux  échanges  avec  les  peuples  indigènes  de  l'Ethiopie 
méridionale,  et  à  des  cadeaux  pour  les  chefs  dont  il  est  bon  de  s'assurer 
les  bonnes  grâces.  Et  c'est  là  chose  facile  :  avec  une  pièce  d  etoflfe  et 
quelques  verroteries  le  noir  est  vite  satisfait,  et  un  cadeau  bien  placé 
sera  toujours,  pour  le  voyageur  européen,  le  meilleur  des  passeports. 

Le  programme  d'occupation  des  provinces  équatoriales  variera  selon 
les  ressources  et  les  troupes  que  Ménélik  fournira  à  l'expédition.  Si  les 
effectifs  sont  suffisants  pour  former  deux  groupes  différents,  le  comte 
Léontief  et  le  prince  Henri  prendront  chacun  le  commandement  de  l'un 
d'eux  et  agiront  parallèlement.  Les  provinces  à  occuper  ont  une  super-, 
fîcie  considérable,  et  c'est  avec  de  grandes  précautions  que  l'expédition 
devra  s'avancer,  ménageant  les  populations,  les  traitant  avec  douceur, 
évitant  avant  tout  les  conflits  armés  et  cherchant  à  imposer  son  autorité 


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LE  PRINCE  HENRI  D'ORLÉANS  EN  ABYSSINIE  153 

plus  par  la  persuasion  que  par  la  force.  La  région  des  Somalis  pourrait 
seule  présenter  quelques  obstacles  en  raison  du  caractère  pillard  de  ses 
habitants.  Mais  cette  zone  une  fois  franchie,  sous  la  protection  de 
l'escorte  et  avec  la  distribution  de  quelques  cadeaux,  la  caravane  arri- 
vera sans  obtacle  dans  les  États  de  Ménélik. 

Le  comte  Leontief  est  ofiBciellement  investi  par  le  négus  du  titre  de 
gouverneur  des  provinces  équatoriales.  Le  prince  Henri  est  son  colla- 
borateur, sans  titrer  et  sans  subordination.  Leur  mission  consiste  à 
reculer  jusqu'au  Nil  à  Touest,  jusqu'au  parallèle  passant  par  le  lac 
Albert-Nyanza  au  sud,  les  frontières  de  l'empire  éthiopien,  selon  les 
constantes  revendications  de  Ménélik. 

Ce  n'est  pas,  en  effet,  comme  on  pourrait  le  croire,  depuis  ses 
victoires  sur  les  Italiens,  que  le  négus  réclame  pour  TAbyssinie  ses 
anciennes  limites.  Déjà  en  1891,  peu  de  temps  après  son  avènement 
et  au  moment  où  il  voyait  se  dessiner  de  plus  en  plus  le  partage  de 
l'Afrique  entre  les  grandes  puissance  européennes,  Ménélik  adressait  à 
la  reine  d'Angleterre,  ainsi  qu'aux  autres  souverains  d'Europe  une 
lettre  datée  d'Addis-Abbeba  «lel4Miazia  l'an  1883  de  la  miséricorde 
du  Seigneur»  (10  avril  1891),  dans  laquelle  il  exprimait  le  désir  «de 
faire  connaître  les  limites  de  l'Ethiopie  à.  ses  amies  les  puissances  de 
l'Europe  ».  Apriès  une  description  géographique  de  ces  limites,  le  roi 
des  rois  d'Ethiopie  ajoutait  : 

«  En  indiquant  aujourd'hui  les  limites  actuelles  de  mon  empire,  je 
tâcherai,  si  le  bon  Dieu  veut  bien  m'accorder  la  vie  et  la  force,  de  réta- 
blir les  anciennes  frontières  de  l'Ethiopie  jusqu'à  Khartoum  et  jusqu'au 
lac  Nyanza  avec  tous  les  pays  Gàllas.  Je  n'ai  point  l'intention  d'être 
spectateur  indiffèrent,  si  des  puissances  lointaines  se  présentent  avec 
lldée  de  se  partager  l'Afrique,  l'Ethiopie  ayant  été  pendant  plus  de 
14  siècles  une  île  des  chrétiens  au  milieu  de  la  merdes  païens.  » 

Ménélik  a  suffisamment  montré  depuis  qu'il  savait  ne  pas  rester 
indifférent,  quand  le  partage  était  applicable  à  l'Abyssinie.  Il  est  peu 
probable  que  les  Anglais,  qui  sont  à  la  porte  de  Khartoum,  lui  per- 
mettent d'étendre  jusque-là  les  liniites  de  son  empire.  Mais  par  contre 
il  paraît  vraisemblable  que,  grâce  à  l'expédition  du  comte  Leontief  et 
du  prince  Henri,  l'ÉtRiopie  retrouvera,  en  bonne  partie  du  moins,  sa 
frontière  méridionale  d'autrefois. 

A.  MONTELL. 


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^ 


CHINE  :  LE  SYKIANG 

On  nous  écrit  de  Chine  : 

Je  viens  de  lire,  dans  le  n"  de  juin  1897  de  votre  Revue  si  française, 
l'annonce  de  Touvertare  du  Sykiang  (West  FUver)  au  commerce  européen. 
4  Le  traité  qui  ouvre  le  fleuve  de  Canton  jusqu'à  la  ville  de  Outchéou- 
fou  a  été  signé  le  4  féviîer  et  entrera  en  vigueur  le  4  juin.  L'Angleterre 
veut  donner  une  grande  solennité  à  cet  événement,  à  cause  de  son 
importance  pour  le  commerce  de  Hong-Kong.  Jusqu'ici,  ajoute  la  Revue 
FrançaUe,  il  n'a  pas  été  question  d'y  faire  figurer  le  drapeau  français, 
bien  que  la  nouvelle  voie  de  communication  ouverte  aux  Européens 
doive  amener  un  détournement  des  marchandises- chinoises  transitant 
par  le  Tongking  ».  —  Et,  plus  loin  :  «  On  assure,  d'après  la  Quinzaine 
cohnmle,  que  les  Anglais  demandent  l'ouverture  de  la  navigation  jusqu'à 
Nan-nin-fou  et  Pose  ». 

Que  le  drapeau  français  doive  flotter  ou  plutôt  ait  flotté  le  jour  de 
l'ouverture  de  la  navigation  à  côté  du  drapeau  anglais,  c'est  là  une 
question  de  peu  d'importance,  quoique  d'ordinaire  on  ne  fasse  figurer 
le  drapeau  du  vaincu  au  triomphe  du  vainqueur  que  comme  trophée, 
pour  rehausser  la  victoire  de  l'un  et  aggraver  l'humiliation  des  vaincus. 
Or,  c'est  bien  une  victoire  sur  nous,  que  l'ouverture  de  ce  fleuve  au 
commerce  européen  ou  plutôt  anglais.  Je  me  hâte  d'ajouter  que  la 
victoire  n'est  pas  complète,  et  si  la  France  s'oppose  énergiquement  à  ce 
que  demandent  encore  les  Anglais,  c'est-à-dire  à  l'ouverture  totale  du 
Sykiang  même  jusqu'à  Nan-nin  et  Pë-së,  elle  peut  encorer  parer  le  coup 
gui  menace  les  intérêts  commerciaux  de  sa  jeune  colonie  du  Tongking. 

Peut-être,  bien  des  lecteurs  de  votre  intéressante  Revue  ne  voient-ils 
pas  l'importance  de  cette  question  et  se  demandent  pourquoi  la  Chine, 
qui  a  ouvert  le  Sykiang  dans  la  moitié  de  son  parcours,  ne  l'ouvrirait 
pas  jusqu'aux  points  terminus  de  la  navigation  de  ses  différents  affluents, 
c'est-à-dire  jusqu'à  Pë-së  au  Kouangsy,  Pokio,  Pëhen  et  Sankio  dans 
la  province  du  Kouy tchéou  ? 

Cette  concession  faite  à  la  demande  de  l'Angleterre  serait  une  viola- 
tion de  droits  certains  de  la  France,  à  qui  la  Chine  a  concédé  par  te 
traité  de  i895  des  avantages  commerciaux  de  préférence  aux  autres 
nations  dans  les  provinces  limitrophes  du  Tongkin.  Ce  serait  une  colos- 


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CHINE  :  LE  SYKIANG  155 

sale  chinoiserie,  jointe  aune  noire  ingratitude;  car  c'est  bien  la  France, 
et  non  TAngleterre,  qui  Ta  tirée  du  danger  où  les  victoires  japonaises 
l'avaient  mise.  La  Russie,  en  retour  de  ce  service,  ne  s'implante-t-elle 
pas  solidement  en  Corée?  La  France,  pour  garantir  le  présent  et  l'avenir 
commercial  du  Tongking,  doit  donc  s'opposer,  aussi  longtemps  que 
pos^ble,  à  l'ouverture  du  Sy-Kiang  en  amont  de  Outchéou-fou. 

Pour  mieux  mettre  en  lumière  ce  point  important,  il  faut  reprendre 
la  question  d'un  peu  plus  haut.  Tout  le  monde  sait  que  le  point  de 
départ  de  notre  installation  en  Cochinchine  est  le  traité  signé  en  no- 
vembre 1787  sur  la  proposition  de  l'évoque  d'Adran,  M^  Pigneaux  de 
Béhaine.  Or,  une  des  raisons  qui  déterminèrent  alors  les  ministres  de 
Louis  XVI  à  la  signature  de  ce  traité  fut  de  trouver  en  Cochinchine  un 
dédommagement  à  la  perte  des  Indes. 

Pour  atteindre  ce  but,  l'occupation  de  Saigon  et  des  provinces  mari- 
times ne  suffisait  pas;  il  fallait  trouver  des  voies  de  pénétration  pour 
amener  nos  produits  commerciaux  dans  les  provinces  méridionales  de 
l'empire  chinois.  L'expédition  du  Mëkong  en  1866-67,  sous  la  conduite 
de  Doudart  de  Lagrée,  eut  pour  objet  de  chercher  une  route  commer- 
ciale. Le  Mëkong  n'étant  pas  jugé  navigable,  la  mission  se  dirigea  par 
terre  vers  Semao,  et  c'est  avec  une  vive  joie  qu'en  débouchant  à  travers 
de  hautes  montagnes,  ses  membres  saluèrent  le  Songhoï,  roulant  majes- 
tueusement ses  eaux  dans  une  spacieuse  vallée  qui  s'étendait  à  leurs 
pieds.  Dès  le  premier  moment,  ils  devinèrent  qu'ils  avaient  devant  eux 
le  fleuve  du  Tongking,  le  fleuve  Rouge,  la  voie  commerciale  cherchée 
pouvant  remplacer  ou  compléter  le  Mëkong.  Au  premier  moment  d'en- 
thousiasme, ils  déployèrent  un  drapeau  français  et  le  saluèrent  par  une 
détonation  générale  de  leurs  armes,  «  car  nous  sommes  les  premiers 
Français,  écrivirent-ils  au  premier  moment,  qui  foulons  les  rives  de  ce 
fleuve  ». 

Ce  cri  poussé  explique  la  satisfaction  d'avoir  atteint  le  but  à  la  suite 
de  bien  des  jours  de  marche  fatigante.  Cependant  les  voyageurs  n'étaient 
pas  les  premiers  Français  qui  eussent  parcouru  ces  pays  et  cherché  un 
chemin  facile  de  communication  entre  la  mer  et  l'Europe.  Sans  citer 
d'autres  noms  et  remonter  trop  haut,  je  me  contenterai  de  signaler  le 
nom  de  deux  compatriotes.  En  1781,  le  vén.  Moye,  un  lorrain,  cherchait 
à  ouvrir  une  voie  de  communication  par  la  Birmanie,  11  ne  se  contenta 
pas  d'écrire  dans  ce  but  un  long  mémoire,  mais  donna  même  à  ses 


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1.-S6  REVUE  FRANÇAISE 

projets  un  commencement  d'exécution  en  établissant  quelques  familles 
de  néophytes  du  Setchouan  dans  Ja  ville  de  Ten-ni^tchéou,  ville  où 
Mai^ary,  poursuivant  le  même  projet,  fut  massacré  en  1875. 

Un  Français,  Vachal,  après  un  premier  séjour  au  Laos  en  1842,  vint 
au  Yunnan  pour  ouvrir  une  route  de  communication  par  le  Mëkong.  Il 
mourut  asphyxié,  après  une  privation  totale  de  nourriture,  dans  les 
prisons  de  Kai-hoa-fou,  le  H  avril  1851. 

Plus  tard,  un  alsacien,  Millier,  essaya  par  trois  fois  d'atteindre  la  pro- 
vince du  Kouytchéou  en  remontant  le  Tongking  et  le  Sykiang.  Trois 
fois  il  fut  reconduit  par  la  police  chinoise,  qui  Tintema  quelques  mois 
dans  la  prison  de  Canton,  n'accordant  pour  sa  nourriture  à  ce  vil  bar-, 
bare  que  du  riz  cru  non  écossé,  à  Tégal  des  bêtes  de  somme. 

Il  fut  plus  heureux  à  la  quatrième  tentative,  mais  ce  fut  pour  venir 
mourir  dans  la  bonne  ville  de  Hin  y  fou,  percé  par  les  lances  musul- 
manes, en  1862. 

Cette  digression  étant  nécessaire  pour  montrer  que,  bien  avant  Lagrée, 
Garnier  et  leurs  compagnons,  des  Français  avaient  parcouru  ces  pays. 
Ce  n'est  pas  à  dire  que  leur  enthousiasme  ne  fût  légitime;  car  s'ils 
ne  furent  pas  les  premiers,  ils  eurent  le  mériie  de  comprendre  qu'ils 
ne  devaient  pas  être  les  derniers  à  fouler  les  rives  du  Songhoï  et  que  ce 
fleuve  devait  rouler  ses  eaux  a  l'ombre  du  drapeau  français.  Les  tenta- 
tives faites  pour  commercer  sur  ce  fleuve  en  1872,  par  Jean  Dupuis,  et 
l'occupation  définitive  du  Tongking  firent  rentrer  cet  le  idée  dans  le 
donmine  des  faits.  Le  commerce  du  sud  de  la  Chine  allait  donc  appar- 
tenir à  la  France.  La  Cochinchine  allait  être  pour  nous,  ce  que  sont  les 
Indes  à  l'Angleterre. 

«  Partout  où  la  France  fait  un  pas  l'Angleterre,  qui  ne  la  perd  pas  de 
vue,  cherche  à  en  faire  un  à  côté,  quand  ce  n'est  pas  en  avant  ».  (Reine 
Française,  juillet  1897,  page  44o.) 

L'Angleterre  qui  sait  temporiser,  sait  aussi  agir  énergiquement  quand 
ses  intérêts  commerciaux  sont  en  jeu.  On  Ta  vu  par  l'occupation  de  la 
Birmanie,  dont  les  chemins  de  fer  drçiineront  le  commerce  vers  Bahmo 
et  les  Indes.  Le  Mëkong  deviendra  inutile,  si  tant  est  qu'il  puisse  ser\ir 
au  développement  du  commerce  de  Saïgon.  L'ouverture  du  Sykiang,  à 
la  demande  de  l'Angleterre,  détournera  les  marchandises  chinoises  au 
grand  détriment  du  fleuve  du  Tongking,  qui  ne  rendra  plus  le  service 
qu'en  espérait  le  commerce  français  de  Hanoï. 


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CHINE  :  LE  SYKIANG  157 

Aussi  longtemps  qu'on  posj^  à  la  Chambre  française  la  qaeslioii  de 
savoir  si  on  garderait  ou  si  Ton  abandonnerait  le  Tongking,  et  que  la 
prise  de  possession  fut  plus  nominale  que  réelle,  on  ne  songea  guère  au 
Sykiang.  Mais  la  pacification  et  Toccupation  effective  de  ces  dernières 
années  mirent  la  question  de  la  navigation  de  ce  fleuve  à  Tordi-e  du 
jour.  Plusieurs  voyageurs,  surtout  des  Anglais,  le  remontèrent  môme 
jusqu'à  Pé-?ë.  Il  y  a  deux  ans,  un  français,  M.  Madrolle,  prit  de  nom- 
breuses informations  à  ce  sujet  et  projeta  même  un  voyage  pour  étudier 
■  le  Sykiang. 

Mais  ce  qui  devait  surtout  allirerTattention  delà  di}>loma(ic  franraisc 
sur  cette  question,  ce  fut  la  mission  commerciale  lyonnaise,  la  Chambre 
(le  commerce  de  Lyon  ayant  résolu  d'envoyer  une  mission  au  Yunnaii 
pour  essayer  de  nouer  des  relations  commerciales.  Le  choix  des  mem- 
bres fut  heureux.- Les  Chambres  de  Bordeaux,  Roubaix,  Roanne,  Lille, 
Marseille  y  prirent  part,  et  de  lyonnaise  qu'elle  était  d'abord,  elle 
devint  mission  presque  française. 

Je  dis  presque  française,  car  tout  en  louant  comme  elle  le  mérite 
rinitialive  privée  des  Chambres,  il  est  regrettable  que  les  organisateurs 
aient  eu  trop  à  cœur  de  se  passer  de  tout  concours  du  gouvernement  et 
d'avoir  trop  insisté  sur  le  caractère  exclusivement  commercial.  Ce  man- 
que de  tout  caractère  officiel,  malgré  la  distinction  personnelle  des 
membres  de  la  mission,  ne  contribua  pas  peu  à  les  exposer  à  un  certain 
dédain  de  la  part  des  autorités  chinoises,  qui  affectèrent  trop  de  ne  voir 
en  eux,  conrormément  à  leurs  passeports,  que  de  simples  commerçants. 

C>ette  déconsidération  fut  d'autant  plus  frappante,  qu'en  môme  temps 
voyageait  dans  nos  contrées  la  mission  anglaise.  M.  Burnes  se  présenta 
en  costume  consulaire  et  se  fit  partout  recevoir  avec  les  honneurs  dus  à 
son  uniforme.  M.  Burnes  parlait  aussi .  couramment  le  chinois,  et  il 
aurait  été  à  désirer  que  les  membres  de  la  mission  lyonnaise  eussent  pu 
se  préparer  à  leur  voyage;  car  on  ne  peut  nier  que  l'ignorance  de  la 
langue  d'un  pays  rend  peu  propre  à  le  bien  étudier,  ce  dont  pourtant 
ils  montraient  le  plus  vif  dési)'. 

Heureusement,  ils  trouvèrent  partout  le  long  de  la  route  des  compa- 
triotes dévoués,  qu'un  long  séjour  dans  le  pays  rendait  admirablement 
aptes  à  leur  fournir  les  renseignemente  désirés.  La  mission  lyonnaise 
remonta  au  Yunnan  par  le  Tongking  et  de  là  se  rendit,  en  traversant 
le  Kouytchéou,  à  Tchongkin,  pour  redescendre  le  fleuve  Bleu. 


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158  REVUE  FRANÇAISE 

Ses  membres  ne  semblaieut  pas  avoir  songé  au  Sykiang.  Un  Français, 
qui  avait  séjourné  vingt  ans  dans  le  pays,  attira  là-dessus  leur  attention 
en  répondant  à  leurs  questionnaires  par  une  lettre  de  500  pages.  Il  leur 
soumit  le  projet  de  conserver  à  la  France  le  commerce  de  trois  pro- 
vinces chinoises  :  le  Kouangsy,  le  Rouytchéou  et  <m  partie  le  Yunnan, 
en  reliant  le  cours  supérieur  du  Sykiang  au  Tongking  par  quelques 
tronçons  de  chemin  de  fer  français.  Preuves  à  l'appui,  il  démontra  que 
ce  projet  assurait  l'influence  commerciale  de  la  France  sur  une  popula- 
tion de  25  à  30  millions  d'habitants. 

Ils  avouèrent,  en  pesant  ces  raisons,  que  cette  question  était  pour 
eux  d'une  imi>ortance  capitale.  Ils  félicitèrent  leur  compatriote  d'être 
leur  collaborateur,  joignant  une  étude  si  consciencieuse  des  int<?rèts 
commerciaux  fhmçais  à  ses  multiples  occupations. 

Après  un  échange  de  lettres  et  télégrammes  avec  laFi-ance  et  Pëking, 
ils  reçurent  pour  instruction  de  rebrousser  chemin  et  de  revwir  sur  le 
Sykiang.  Ils  repartirent  de  Tchôngking  le  10  novembre  <896.  Le 
29  avril  ils  n'étaient  qu'à  deux  jours  de  Loly,  près  Pé-s<\  Le  massacae 
d'un  missionnaire  français,  M.  Mezel,  eut  lieu  le  lendemain  du  jour  où 
ils  seraient  arrivés,  s'ils  n'avaient  eu  à  temps  la  prudence  de  revenir  sur 
leurs  pas.  Le  bruit  de  leur  mort  s'était  même  répandu,  et  ce  fut  ce  qui 
détermina  M.  Bûmes  à  remonter  vers  la  capitale  de  la  province  au  mois 
de  mai.  Depuis,  on  annonce  la  visite  de  la  mission  allemande  qui,  elle 
aussi,  veut  étudier  les  populations  qui  habitent  le  Sykiang.  Comme  on 
le  voit,  la  question  de  la  navigation  de  ce  fleuve  est  à  l'ordre  du  jour. 

La  mission  lyonnaise  a  fait  des  tentatives  pour  entrer  en  rapports 
d'affaires  avec  les  Chinois.  Un  jour  son  chef  sonda  un  gros  mandarin 
du  Yunnan  en  vue  d'obtenir  l'autorisation  pour  les  ingénieurs  ft'ançais 
d'exploiter  les  mines. 

Le  refus  fut  catégorique  et  voici  la  réponse  motivée,  bien  chinoise 
par  son  caractère,  qui  lui  fût  faite  :  »  Nous  devons  vous  protéger  et 
nous  ne  pouvons  le  faire  qu'en  ville,  où  est  le  prétoire.  Or,  comme 
d'ordinaire,  les  mines  ne  sont  pas  dans  les  villes...  »  Le  fait  n'étant  pas 
niable,  on  voit  la  conclusion  du  syllogisme. 

La  mission  lyonnaise  a  cependant  bien  mérité  de  la  France  en  atti- 
rant l'attention  sur  la  question  du  Sykiang.  La  France  pourra  conserver 
une  zone  dlnfluence  au  Tongking,  un  vaste  hinterland  commercial, 
pourvu  qu'on  s'oppose  énergiquement  à  tout  empiétement  sur  nos  droits 


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CHINE  :  LE  SYRIANG  159 

certains,  reconnus  par  un  traité,  et  qu'on  poursuive  énergiquement  Je 
projet  de  relier  le  Sykiang  au  Tongking  en  amont  de  Outchéou-fou 
par  des  tronçons  de  chemin  de  fer  français.  C'est  par  ce  moyen  et  par 
ce  moyen  seulement  que  Tavenir  commercial  de  notre  colonie  du  Tong- 
king sera  à  Tabri  de  toute  atteinte  étrangère. 

Le  Sykiang  est,  comme  on  Ta  dit,  un  fleuve  Tchong-Kia-tse,  c  est- 
à-dire  que  c'est  cette  race  qui  habite  ses  bords  en  villages  serrés  presque 
surtout  son  parcours.  Qu'est-ce  que  ce  peuple  Tchong-Kia?Tchong-Kia, 
d'après  leur  langue,  signifie  peuple  frères.  Ce  sont  les  Pou-y  du  Kouang- 
sy,  les  Pou  dhoï,  Tchoui  des  voyageurs  anglais,  les  Thos  duJTongking, 
les  Thaï  de  Siam.  Ils  portent  le  môme  nom  malgré  la  prononciation 
difiérente. 

C'est  le  même  peuple  frère,  sans  compter  les  Cham,  les  Shans,  les 
Stiengs.  les  Mois,  etc.  qui,  s'ils  ne  sont  pas  leurs  frères,  peuvent  être 
leurs  cousins  ou  leurs  beaux-frères.  La  langue  tchong-kia  est  un  dia- 
lecte de  la  lange  thaï,  qui,  d'après  M.^  Pallegoix,  autorité  en  cette 
matière,  dériverait  du  paly  comme  le  latin  et  le  grec.  Si  ces  langues 
sont  sœurs,  les  peuples  qui  les  parlent  sont  frères,  de  la  grande  famille 
indo-germanique. 

Si  la  Chine  est,  comme  le  prétendent  de  savants  ethnographes,  comme 
Jones  et  Klaproth,  peuplée  en  partie  par  des  émigrations  de  la  famille 
européenne,  on  en  trouverait  les  traces  dans  ces  Tchong-Kla  et  les  Thos. 
Les  Thos,  d'après  le  commandant  P.  Famin,  forment  10  0/0  de  la 
population  du  haut  Tongking.  M.  de  Cerné,  dans  son  livre  de  la  Mobili- 
sation au  Tongking,  dit  que  le  Thos  est  de  sang  aryen,  franc,  loyal, 
énergique;  il  a  gardé  son  antique  organisation  féodale.  Tous  ces  traits 
peuvent  s'appliquer  au  Tchong-Kia  habitant  les  bords  du  Sykiang. 

L'importance  du  Sykiang  étant  démontrée  pour  la  nation  qui  possède 
le  Tongking,  on  se  demande  pourquoi  la  France  n'aurait  pas  de  consulats 
aux  points  terminus  de  la  navigation  du  Sykiang  comme  Pësë,  Hingfou, 
près  Pokio-port,  Tchenfong,  près  du  port  de  Petsen,  etc.  «  A  nous,  me 
disait  un  jour  un  voyageur  français,  on  nous  demande  des  rapports;  les 
Anglais,  eux,  agissent  d'abord  qnand  leurs  intérêts  sont  en  jeu  ». 

Alrittbr. 


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EXPLORATIONS   EN    ASIE 

M.  MARCEL  MONNIER  EN  CHL\E 

M.  Marcel  Monnier,  qui  fait  le  «  tour  d'Asie  »,  a  adressé  à  la  Société 
de  géographie  de  Paris  une  série  de  letlres  dont  nous  extrayons  les 
principaux  passages  : 

«  Après  avoir  occupé  lautomne  1896  et  le  début  de  l'hiver  à  par- 
courir la  Mongolie  orientale  sur  une  distance  d'environ  400  lieues,  des 
confins  du  Slian-Si  à  la  frontière  mandchoue  ;  par  les  ruines  de  Chan- 
Tou  (l'ancienne  capitale  dite  des  Yuén),  Dolo  Nor,  etc.,  j'ai  regagné 
le  sud.  De  fin  décembre  (1896)  au  iO  février,  j'ai  voyagé  dans  le  Fô- 
kiôn,  prenant  pour  point  de  départ  le  port  militaire  de  Pou-Tchéou, 
visitant  la  haute  vallée  du  Min  et  quelques-uns  de  ses  principaux 
affluents,  notamment  l'admirable  vallée  arrosée  par  le  Ou-Lou-Kiang 
(rivière  du  Dragon-Noir). 

Après  quoi  j'ai  passé  la  mer,  vu  le  nord  de  Forinose  et  surtout, 
avec  le  plus  vif  intérêt,  l'archipel  des  Liou-Kiéou,  ce  très  curieux 
royaume  insulaire,  longtemps  tributaire  de  la  Chine,  incorporé  depuis 
quelques  années  dans  les  domaines  du  Mikado,  mais  dont  les  populations 
d'un  type  très  tranché  et  très  personnel,  la  flore  et  la  faune  d'un 
caractère  tout  spécial,  ne  présentent  que  de  très  vagues  afiinités  avec 
ce  que  l'on  observe  sur  le  continent  ou  dans  les  Iles  voisines.  Cela 
n'est  ni  chinois,  ni  japonais.  C'est  un  coin  de  terre  bien  étrange  dont  il 
n'existe  point  encore,  que  je  sache,  oc  monographie  tant  soit  peu 
complète.  Cependant  la  chose  en  vaudrait  la  peine,  et  c'est  là  un  champ 
d'études  de  nature  à  passionner  les  ethnographes. 

Des  Liou-Kiéou  je  suis  remonté  vers  la  baie  de  kagoshima,  et  J'ai 
traversé  de  bout  en  bout,  non  sans  faire  décrire  à  mon  itinéraire 
d'innombrables  zigzags,  cetie  belle  île  de  Kiou-Siou,  délaissée,  je  ne 
sais  trop  pourquoi  par  les  touristes  japonisants,  bien  que  la  nature  et 
les  phénomènes  volcaniques  y  soient  d'une  grandeur  incomparable  et 
qne  les  mœurs  et  coutumes  du  vieux  Japon  y  persistent,  sur  nombre 
de  points,  dans  leur  intégrité  première. 

Me  voici  enfin  depuis  quelques  jours  en  Corée.  J'ai  repris  définitive- 
ment pied  sur  le  continent  et  ne  le  quitterai  plus  jusqu'au  jour,  lointain 
encore,  où  j'aurai  la  joie  de  toucher  les  fronti^'res  de  France.  Mon 


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J 


EXPLORATIONS  EN  ASIE  161 

projet  immédiat  est  de  traverser  la  péninsule  coréenne,  de  Séoul  k 
Wou-San,  en  décrivant  un  détour  assez  prononcé  dans  l'est  et  Test- 
sud-est  par  la  province  de  Kang-Ouen-To  et  le  massif  du  Keum-Kang- 
San  (montagnes  de  Diamant),  où  le  bouddhisme,  importé  de  Chine  en 
Corée  vers  le  iv®  siècle  de  notre  ère,  a  fondé  ses  plus  mystérieuses  et. 
paraît-il,  ses  plus  majestueuses  retraites.  Je  vais  voir  ce  qu'il  y  a  de 
vrai  dans  les  magnificences  de  cette  Suisse  coréenne,  célébrées  à  Tenvi 
par  les  vieux  poètes  et  les  vieux  peintres  chinois,  mais  que  bien  peu 
d'Européens  ont  entrevues  (trois  seulement  à  ma  connaissance,  et  non 
de  nos  compatriotes). 

De  Wou-San  Je  songe  à  remonter  vers  la  frontière  de  Mandchourie 
par  la  région  boisée  et  très  sauvage  encore  du  Ham-Yeng-Tô  jusqu'au 
Pêk-Tou-San  (la  montagne  blanche)  d'où  s'épanchent,  d'une  part,  les 
eaux  du  Ya-Lou,  de  l'autre  celles  du  Tiû-Mén.  Par  cette  dernière  rivière 
je  rejoindrai  la  côte,  puis  Vladivostok.  De  Vladivostok,  soit  par  la 
Mandchourie,  Kirin  et  Tsitsikar  (si  toutefois  la  saison  pluvieuse  me 
permet  cette  voie),  soit  par  le  fleuve  Amour,  j'atteindrai  la  Trans- 
Baïkalic,  puis  Irkoutsk.  De  là  je  compte  quitter  la  route  de  Sibérie  et 
obliquer,  par  les  contreforts  de  l'Altaï,  vers  le  Turkeslan.  Là,  j'aurai  le 
choix  entre  deux  itinéraires,  deux  des  grandes  routes  des  invasions: 

1®  La  route  de  Saraï,  passant  par  le  nord  de  la  mer  d'Aral  et  de  la 
Caspienne,  pour  alteindre  le  Volga,  le  Don,  Azow  et  la  Crimée.  C'est 
la  voie  suivie  par  les  Huns,  lors  de  leur  grande  invasion  en  375  de 
notre  ère,  et  plus  tard  par  les  missionnaires,  Jean  de  Plan  Carpin  et 
Rubruquis.  Elle  a  été  très  rarement  parcourue  depuis  le  xm^  siècle  et 
j'aimerais  à  le  suivre,  si  les  ciiconstances  et  surtout  la  saison  ne  s'y 
opposent  point; 

2**  La  route  qui  contourne  au  sud  de  la  Caspienne,  la  route  de 
l'invasion  arabe,  et  du  christianisme  nestorien.  Plus  étudiée  que  la 
précédente,  elle  n'en  est  pas  moins  du  plus  haut  intérêt,  et  je  l'adopterai 
sans  regret  si  la  saison  tardive  m'y  oblige.  En  ce  cas  mon  itinéraire 
sera,  dans  ses  grandes  lignes  :  le  Ferganah,  Tachkent,  Samarcand, 
Bokhara,  Merv,  Méched,  Téhéran,  Tauris,  Erivan  et  Tiflis.  De  toutes 
façons  cette  traversée  de  l'Asie  en  diagonale,  de  la  vallée  de  l'Amour 
à  la  mer  Noire,  aura  été  une  belle  promenade.  Mais  je  ne  suis  pas 
au  bout,  et  j'aurais  tort  d'en  parler  comme  d'une  chose  faite.  J'ai 
cependant  bonne  espérance  Pt  compte,  si  tout  réussit  au  gré  de  mes 
xxni(Mar8  98}.  N«23l.  11 


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162  REVUE  FRANÇAISE 

désirs,  me  retrouver  parmi  vous  dans  le  courant  de  Thiver,  peut-être 
même  avant  que  la  présente  année  soit  défunte.  » 

Une  nouvelle  lettre  de  Sémipalatinsk  de  M.  Marcel  Monnier,  com- 
plète ces  renseignements  sur  la  suite  de  son  voyage. 

Après  avoir  visité  Vladivostock  il  s'est  rendu  par  TOussouri  et  la 
vallée  de  TAmour  au  lac  BaYkal  et  à  Irkoutsk. 

De  là,  rentrant  sur  le  territoire  chinois  par  Kiakhla,  il  arrive  à  Ourga, 
au  moment  des  grandes  fêtes  religieuses  que  les  Mongols  célèbrent  tous 
les  3  ans  dans  leur  ville  sainte.  80  à  60  000  fidèles,  dans  leurs  costumes 
de  fête,  se  pressaient  pour  recevoir  la  bénédiction  du  Bogdo  ou  Bouddha 
vivant  d'Ourga,  qui,  après  le  Dalaï-Lama  de  Lhassa,  est  Tun  des  plus 
grands  personnages  du  monde  bouddhique.  Il  y  avait  des  pèlerins 
venus,  non  seulement  du  Nord  de  TEmpire,  mais  encore  des  Kalmoucks 
bouddhistes  des  steppes  d'Astrakan.  Ces  foules  bariolées,  avec  leur 
immense  camp  de  tentes  de  feutre,  offraient  un  spectacle  extraordinaire. 

D'Ourga  à  Kobdo  M.  Marcel  Monnier  suivit  à  peu  près  Titinéraire  de 
la  mission  Chaffanjon,  Il  visita  les  ruines  de  la  vallée  de  l'Orkhon,  les 
vestiges  de  la  capitale  de  Gengis-Khan,  Kara-Koroum  et  sa  citadelle, 
ainsi  que  la  grande  lamaserie  d'Erden-Zo,  le  sanctuaire  le  plus  en 
renom  de  la  Mongolie,  que  la  mission  Chaffanjon  n'avait  pu  visiter.  Ce 
qui  fait  rintérêt  de  ce  sanctuaire,  c'est  qu'on  y  a  réuni  nombre  d'objets 
jadis  disséminés  dans  d'autres  monastèfes  et  remontant  à  la  période  de 
la  dynastie  de  Gengis-Khan. 

Après  cette  curieuse  visite,  M.  Monnier  se  dirigea  sur  Oulia-Soutaï, 
en  traversant  le  massif  des  monts  Tsa-Kindava,  dont  les  profondes 
dépressions  sont  séparées  par  des  colsde  2  800  à  3200  mètres.  Deux  jours 
avant  d'arriver  à  Oulia-Soutaï,  la  neige  commença  à  tomber  abondam- 
ment (6  septembre  1897),  retardant  considérablement  la  marche. 

De  Kobdo,  le  voyageur,  voulant  rentrer  sur  le  territoire  russe  par 
une  route  nouvelle,  se  dirigea  sur  Biisk,  à  travers  l'Altaï,  au  milieu 
d'un  paysage  grandiose.  «  Ce  fut,  dit  M.  Monnier,  la  route  de  Rubru- 
quis  nous  a  laissé  de  son  voyage  une  relation  saisissante  et  d'une  exac- 
titude très  appréciable  encore  à  l'heure  actuelle.  Il  y  m'a  paru  intéres^ 
sant  de  reprendre,  en  sens  inverse  son  livre  à  la  main,  la  route 
parcourue  jadis  par  le  i)auvre  moine  qu'un  roi  de  France  improvisa 
son  ambassadeur  extraordinaire  ». 

Grâce  au  passeport  fourni  par  les  soins  de  la  légation  de  France  à 


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EXPLORATIONS  EN  ASIE  1G3 

Pékin,  et  à  la  faveur  de  pouvoir  prendre  des  chevaux  de  relais  dans 
tous  les  campements  mongols,  droit  réservé  d'ordinaire  aux  mandarins, 
celte  traversée  de  la  Mongolie  put  se  faire  rapidement.  Accompagné 
par  un  mandarin  à  boutons  bleus,  M.  Monnier  a  pu  ainsi  franchir  en 
moins  de  2  mois,  un  trajet  qui  en  eût  demandé  5  ou  6  pour  une  cara- 
vane conservant  les  mêmes  montures.  Chaque  camp  mongol  fournit 
aussi  de  13  à  20  chevaux,  avec  des  cavaliers  ne  servant  qu'à  caracoler. 
1  Si  j'ajoute,  poursuit  M.  Monnier,  que  ces  relais,  rien  que  sur  le  terri- 
toire chinois,  ont  été  au  nombre  de  16,  vous  aurez  une  idée  de 
l'effectif  de  cavalerie  mobilisé  à  mon  intention  dans  la  Chine  du  nord  : 
onze  à  douze  cents  chevaux  pour  le  moins  ».  Parti  d'Ourga  le  25  août, 
M.  Monnier  arrivait  à  Sémipalatinsk  le  16  octobre,  ayant  effectué  un 
parcours  de  3  123  kilomètres,  depuis  son  passage  de  la  frontière  à 
Kiakhta. 

M.  Monnier  se  dirigera  ensuite  sur  Samarkand,  puis  il  gagnera  la 
Transcaucasie  et  Tiflis,  par  le  nord  de  la  Perse,  en  contournant  la  mer 
Caspienne.  Son  retour  se  fera  après  3  années  d'absence  et  environ 
30000  kilomètres  parcourus  en  tous  sens  sur  la  terre  asiatique. 

M.  BEL  EN  ANNAM  ET  AU  LAOS 

La  région  encore  mal  connue,  surtout  au  point  de  vue  des  richesses 
et  des  produits  du  sol.  qui  sVtend  entre  la  chaîne  de  montagnes  de 
l'Amour  et  le  Mékong,  est  l'objet  d'explorations  de  plus  en  plus  fré 
quenies.  Un  ingénieur  des  mines,  M.  Marc  Bel,  vient  de  la  parcourir 
entre  Tourane  et  Khong  et  a  relevé  dans  la  province  de  Quang-Nam 
Hes  gisements  aurifères,  jadis  exploités,  qui  n'avaient  été  signalés 
dernièrement  que  comme  mines  dé  zinc  !  Charge  par  le  ministre  de 
rinstruclion  publique  d'une  mission  géographique  et  minéralogique  en 
Annam  et  au  Laos,  M.  Bel  avait  quitté  Marseille  le  20  décembre  1896. 
Le  20  janvier  1897  il  débarquait  à  Qui-Nhon,  dans  la  province  de 
Binh-Dinh  (Annam),  et  commençait  son  exploration  en  compagnie  de 
«1  femme,  la  première  Européenne  qui  ait  visité  ces  régions  et  traversé 
la  chaîne  annamite. 

Dans  une  lettre  écrite  à  bord  du  Salazie,  29  septembre  1891,  M.  Bel 
a  adressé  à  la  Société  de  géographie  de  Paris  la  relation  suivante  de 
son  voyage  : 

«  C'est  de  Qui-Nhon  que  j'ai  commencé  mes  explorations  ;  elles  on 


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164  REVUE   FRANÇAISE 

surtout  porté  sur  le  massif  montagneux  dont  la  largeur  s'étend  du 
littoral  annamite  aux  forêts  claires  de  la  plaine  du  Mékong,  massif 
qu'habitent  les  populations  autochtones  appelées  Moïs  par  les  Anna- 
mites, Khas  par  les  Laotiens  et  par  elles-mêmes. 

Il  n'y  a  que  la  différence  du  langage  ou  du  dialecte  qui  donne  à 
ces  indigènes  des  désignations  différentes,  permettant  de  les  diviser  en 
plusieurs  groupes,  parmi  lesquels  nous  avons  visité  :  les  Moïs,  en 
réduisant  ce  terme  aux  populations  limitrophes  de  TAnnam,  —  les 
Bahnai-8  Rongao,  —  les  Djaraïs,  —  les  Salangs,  —  les  Halangs,  — 
les  Lové,  —  les  Soés  ou  Sepoun,  —  les  Souks,  —  les  Braos.  J*ai 
séjourné  chez  eux  cinq  mois  en  suivant  un  itinéraire  allant  de  Qui- 
Nhon  à  Atlopeu,  où  nous  sommes  arrivés  le  14  avril. 

Attopeu  est  le  premier  village  que  nous  ayons  rencontré  qui  soit 
habité  par  des  Laotiens.  De  là,  j'ai  remonté  la  Sekong  jusqu'à  la  limite 
de  la  province  d*  Atlopeu,  puis  nous  l'avons  descendue  jusqu'à  Siempang 
d'où  nous  sommes  allés  à  Khong  par  voie  terrestre  en  passant  par 
quelques  villages  habités  par  des  Cambodgiens. 

De  Khong,  nous  avons  descendu  le  Mékong  jusqu'à  Stung-Treng, 
d'où  nous  avons  remonté  la  Sésane  en  pirogues  jusqu'à  Ban-Kong- 
Sedam,  excursion  qui  a  demandé  douze  jours  et  demi,  du  14  au  26  juin, 
durant  lesquels  la  saison  des  pluies  s'était  franchement  déclarée.  Puis 
nous  sommes  revenus  en  quatre  jours  par  la  même  voie  à  Stung-Treng, 
grâce  aux  nombreux  rapides  qui  nous  ont  permis  d'aller  très  vite.  A 
Stung-Treng  le  service  à  vapeur  des  Messageries  fluviales  de  Cochin- 
chine  ne  fonctionnant  pas  encore,  bien  que  les  eaux  fussent  en  crue, 
M.  Frébault,  commissaire  du  gouvernement,  voulut  bien  nous  conduire 
avec  la  chaloupe  de  l'État,  VAf^guSy  jusqu'à  Kratié,  où  nous  avons  pris 
une  des  chaloupes  chinoises  à  service  journalier  qui  drainent  à  peu  près 
tout  le  trafic  du  fleuve.  Elle  nous  a  conduits  à  Pnom-Penh,  et  de  là,  sur 
le  Battambang,  nous  sommes  arrivés  le  14  juillet  à  Saïgon. 

J'ai,  durant  ce  voyage,  constaté  que  la  cartographie  de  la  région 
habitée  par  les  Khas  est  très  insuffisante;  j'ai  rapporté  de  nombreux 
échantillons  minéraux  qui  me  permettront  de  tracer  quelques  traits  de 
la  géologie  de  ces  régions.  J'ai  également  relevé  toutes  les  altitudes 
de  la  route  que  je  remettrai  au  ministère  dans  mon  rapport  de  mission. 
M"®  Bel  a  recueilli,  pour  le  Muséum  de  Paris,  des  collections  d'histoire 
naturelle. 


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EXPLORATIONS  EX  ASIE  165 

Au  cours  de  cette  campagne  j'ai  eu  la  grande  satisfaction  de 
reconnaître  les  premiers  gîtes  filoniens  aurifères  connus  au  Laos  ;  on  ne 
connaissait  en  effet  jusqu'ici  au  Laos  que  des  gîtes  alluvionnaires.  Ce 
fait  minéralogique  pourra  avoir  une  grande  importance  pour  l'avenir 
minier  du  pays,  si,  comme  je  crois  pouvoir  Tespérer,  des  découvertes 
se  répètent,  et  si  ces  gîtes  présentent  quelque  continuité  en  profondeur. 

Le  15  juillet,  nous  retournions  en  Annam,  à  bord  du  paquebot  la 
Tamise,  et  le  18  juillet,  nous  débarquions  à  Tourane,  d'où,  deux  jours 
après,  nous  partions  pour  une  courte  exploration  minérale  de  la 
province  de  Quang-Nam.  J'y  ai  consacré  un  mois  entier  à  l'étude  des 
gisements  aurifères  qui  s'y  trouvent.  Ces  gisements,  connus  des 
Européens  seulement  depuis  deux  ans  environ,  ont  fait  l'objet  d'ex- 
ploitations anciennes  importantes,  dues  aux  Annamites,  mais  qui 
auraient  été  interrompues  depuis  le  règne  du  roi  Minh-Mang.  Jusqu'en 
ces  dernières  années,  les  Européens  les  ignoraient  ou  plutôt  on  les  leur 
avait  signalées  comme  mines  de  zinc  !  Actuellement  une  Société 
française  s'occupe  de  la  reprise  de  ces  exploitations. 

Il  y  a  dar)s  la  même  province  d'autres  gîtes  minéraux:  du  cuivre  et 
du  charbon.  Le  cuivre  a  aussi  fait  l'objet  d'exploitations  anciennes  dues 
aux  Annamites  ;  une  Société  française  a  également  repris  ces  gisements 
depuis  quelque  temps,  mais,  lors  de  mon  passage,  les  travaux  y  étaient 
interrompus.  Quant  aux  gîtes  de  charbon,  le  temps  m'a  fait  défaut 
pour  les  visiter;  ils  ont  d'ailleurs  fait  l'objet  de  rapports  de  divers 
ingénieurs  des  mines  et  sont  par  conséquent  bien  connus. 

En  dehors  de  ces  gisements  minéraux,  mes  excursions  en  Annam, 
tant  dans  la  province  de  Binh-Dinh  que  dans  celle  du  Quang-Nam, 
m'ont  laissé  l'impression  d'un  pays  extrêmement  riche  au  point  de 
vue  agricole,  susceptible  des  cultures  tropicales  les  plus  variées  ;  la 
population  y  est  nombreuse,  intelligente,  travailleuse  et  très  soumise. 
Il  n'est  malheureusement  pas  assez  connu,  et  mérite  d'attirer  la  plus 
sérieuse  attention  en  vue  d'une  colonisation  florissante. 

Le  massif  montagneux  de  l'Annam  et  du  Laos,  qui  est  immense,  se 
prêtera,  en  dehors  de  la  culture  du  riz  que  les  sauvages  y  font  partout, 
aux  cultures  tropicales  les  plus  variées,  le  jour  il  jouira  de  voies  de 
pénétration  praticables  ;  actuellement  on  ne  peut  y  aller  que  par  des 
sentiers  de  montagne,  et  le  transport  ne  peut  s'y  eflfectuer  que  par  portage 
à  dos  d'homme  et  en  partie  avec  des  éléphants.  J'ai  conduit  de  Qui- 


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166  REVUE  FRANÇAISE 

Nhon  à  Attopeu  la  première  caravane  un  peu  considérable  ayant 

pénétré  dans  ce  pays,  mais  au  prix  de  retards  et  de  difficultés  que  la 

colonisation  ordinaire  ne  pourrait  pas  supporter.  A  mon  départ  de 

rindo-Chine,  le  gouverneur  général  faisait  procéder  à  l'étude  des 

chemins  de  fer  de  pénétration  dans  ces  régions. 

Après  quelques  jours  passés  à  Hué  et  consacrés  à  la  visite  des  environs 

où  se  trouvent  les  magnifiques  Champs  Élyséens,  peut-être  uniques  en 

leur  genre,  où  reposent  les  rois  d'Annam.   nous  sommes  rentrés  à 

Tourane,  par  le  col  des  Nuages,  le  30  août,  et  nous  arrivons  aujourd'hui 

à  Marseille  par  le  paquebot  des  Messageries  maritimes  Salazie,  d'où  j'ai 

tenu  à  vous  écrire  ces  notes  sommaires  résumant  l'ensemble  de  mon 

voyage. 

J.-M.  Bel.  » 


CHINE 

LE  RAPPORT  DE  LA  MISSION  LYONNAISE 

Nous  avons  reçu  de  la  Chambre  de  commerce  de  Lyon,  le  rapport 
de  la  mission  commerciale  envoyée  dans  la  Chine  méridionale  pour  y 
rechercher  des  débouchés  à  notre  industrie  et  à  notre  commerce. 

On  se  rappelle  que,  sur  l'initiative  de  la  Chambre  de  commerce  de 
Lyon,  qui  a  supporté  la  majeure  partie  des  frais  du  voyage,  une  mis- 
sion d'études  commerciales  fut  envoyée  en  Chine,  en  189S,  sous  la 
direction  de  M.  Rocher,  puis  de  M.  Brenier.  I^s  Chambres  de  com- 
merce de  Marseille,  Roanne,  Roubaix,  Bordeaux,  Lille,  prirent  part  à 
cette  mission  qui  dura  2  ans  et  dont  la  Revue  Française  a  suivi  la 
marche  étape  par  étape  (1). 

Ce  fut  le  15  septembre  1895,  que  la  mission  commerciale,  qui  comp- 
tait 13  membres,  s'embarqua  à  Marseille.  Arrivée  au  Tonkinen  octobre, 
elle  y  séjourna  environ  un  mois,  puis  pénétra  en  Chine,  et  se  dirigea 
sur  Yunnan  Fou,  où  elle  parvint  à  la  fin  de  l'année.  Là  elle  se  divisa  en 
plusieurs  tronçons  :  une  partie  se  rendit  à  Tchoung-King,  par  le  Kouei- 
Tchéou,  tandis  que  l'autre,  qui  se  subdivisa  à  son  tour,  se  dirigeait  vers 

(1)  Voir  i-éeominont  (fév.  t898,  p.  75)  le  rapport  de  M.  Hulot  sur  les  oiplorations 
en  Asie,  et  dans  ce  n"  p.  757. 


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CHINE  167 

cette  grande  ville  par  deux  itinéraires  différents  à  travers  le  Sé-Tchouen, 
Cette  province  fut  visitée  par  plusieurs  groupes  au  cours  de  Tété  4896. 
Puis  des  membres  de  la  mission  descendirent  une  partie  du  fleuve 
Bleu,  pendant  que  d'autres,  parcourant  le  Kouang-Si,  arrivaient  à  Can- 
too  et  visitaient  les  principaux  points  du  littoral  de  la  Chine. 

Le  3  septembre  1997,  M.  Brenier  débarquait  à  Marseille. 
Nous  analysons  ci-dessous  les  conclusions  que  M.  Brenier  tire  de  son 
rapport  au  point  de  vue  de  l'intérêt  qu'il  y  a  pour  les  Européens  à 
atoir  leur  part  dans  les  immenses  richesses  que  renferme  la  Chine. 

M.  Brenier,  dans  ses  conclusions,  donne  tout  d'abord  un  aperçu  d'en- 
lemble  concernant  l'attitude  des  Chinois  et  le  commencement  d'évo- 
lution qui  se  fait  dans  leur  esprit. 

Le  mandarin  est,  en  principe,  hostile  à  l'Européen,  surtout  parce 
qu'il  a  sa  situation  à  défendre.  C'est  cependant  lui  avec  qui  l'on  peut 
seulement  traiter  certaines  affaires.  Le  lettré,  qui  n'a  rien  à  conserver, 
est  bien  plus  hostile  encore,  car,  par  son  hostilité  même,  il  peut  arriver 
à  se  faire  une  situation,  en  montrant  son  mauvais  vouloir  vis-à-vis 
des  barbares  de  l'Occident.  Le  grand  commerçant,  lui,  est  tout  disposé 
à  faire  des  affaires  avec  les  Européens;  une  fois  la  convention  conclue, 
il  n  y  a  généralement  pas  de  crainte  à  avoir  sur  son  accomplissement. 

Dans  son  parcours  de  16.000  kilomètres,  en  pleine  Chine,  la  mission 
n'a  jamais  perdu  quoi  que  ce  fût  appartenant  à  ses  caravanes.  Quant 
au  peuple,  paysan  ou  petit  bourgeois,  il  ne  nous  est  pas  sympathique; 
mais  on  n'a  à  lui  reprocher  qu'une  curiosité  véritablement  insup- 
portable. 

Au  fond,  les  Chinois  n'ont  été  souvent  jugés  que  sur  quelques  points, 
ceux  avec  lesquels  on  s'est  trouvé  en  contact  sur  le  littoral.  L'immense 
majorité  des  Chinois  ne  connaît  ni  l'Européen,  ni  les  produits  euro- 
péens. Mais  le  jour  viendra  où  une  pénétration  plus  complète  saura 
faire  accepter  ces  produits  dont  les  Chinois  n'éprouvent  pas  le  besoin, 
mais  qu'ils  apprécieront  un  jour  à  leur  juste  valeur. 

La  création  de  grandes  industries,  l'exploitation  des  mines,  qui  for- 
ment une  des  richesses  les  plus  considérables  de  la  Chine,  l'extraction 
de  la  houille,  qui,  suivant  l'explorateur  allemand  de  Richtofen,  suffi 
rait  à  la  consommation  du  monde,  opéreront,  chez  les  Chinois,  une 
véritable  transformation.  Cette  évolution  a  déjà  commencé  et  les  che- 
mins de  fer  lui  en  ont  donné  le  branle.  Il  y  en  a  déjà  deux  en  activité 


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168  REVUE  FRANÇAISE 

dans  le  nord  de  la  Chine  :  Tun  de  Tien-Tsin  à  Chang-Haï-Kouan  et 
par  delà  la  Grande  Muraille  en  Mandchourie,  où  il  est  destiné  à  se 
relier  un  jour  avec  le  chenoin  de  fer  russe;  Fautre,  de  Tien-Tsin  à 
Pékin.  Deux  projets  sont  concédés  :  Tun  aux  Belges,  de  Pékin  à  Han- 
Kéou;  l'autre  aux  Américains,  de^Shanghaï  à  Nankin  par  Sou-tchéou, 
avec  un  embranchement  de  Sou-tchéou  sur  Hang-tchéou.  Le  succès  de 
ces  chemins  de  fer  est  certain,  quand  on  se  rend  compte  de  l'énorme 
circulation  intérieure  de  la  Chine,  malgré  la  primitivité  des  moyens 
actuels.  C'est  ainsi  que  le  thé  de  Pou-Eul,  qui  vient  du  voisinage  du 
Laos  tonkinois,  s'en  va  à  Pékin  à  travers  le  Yunnam.  On  trouve  des 
ailerons  de  requins  et  des  nids  d'hirondelles  à  Tchen-Fou,  c'est-à-dire 
à  une  distance  considérable  de  la  mer.  Enfin,  on  rencontre  des  Chi- 
nois de  toutes  les  provinces,  à  des  distances  très  grandes  de  leur  pays 
d'origine. 

L'introduction  des  chemins  de  fer  n'est  pas  le  seul  progrès  matériel 
que  l'on  puisse  constater.  Ainsi,  des  filatures  et  tissages  de  coton  exis- 
tent à  Han-Kéou,  à  Shang-haï,  à  Ning-po.  Les  Allemands,  qui  devien- 
nent pour  les  Anglais  de  redoutables  rivaux  en  Extrême-Orient  se  sont 
lancés  dans  la  création  d'usines  et  de  manufactures.  On  voit  donc  que 
la  Chine  songe  à  se  transformer  peu  à  peu.  Malgré  cela,  M.  Brenier 
paraît  profondément  convaincu  de  la  supériorité  que  doit  conserver 
la  vieille  Europe.  Selon  lui,  ce  n'est  pas  «  le  péril  jaune  »  qu'il  fau- 
drait dire,  mais  «  l'illusion  jaune  ». 

Au  point  de  vue  pratique,  il  y  a  nécessité,  avant  tout,  de  coordonner 
nos  efforts,  afin  de  savoir  ce  qu'il  faut  faire  avant  de  vouloir.  Ensuite, 
il  est  urgent  d'agir,  afin  de  profiter  de  la  situation  qui  nous  a  été  créée 
par  les  derniers  événements  en  Extrême-Orient.  Le  voyage  de  la  mis- 
sion lyonnaise  a  été  très  fécond;  il  importe  que  les  résultats  n'en 
soient  pas  perdus  et  que  le  rapport  de  M.  Brenier  ne  demeure  pas  une 
œuvre  sans  sanction  et  sans  profit  pour  notre  commerce  et  notre 

industrie. 

G.  V. 


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MADAGASCAR 

LES  ÉCOLES  FRANÇMSES  ET  ÉTRANGÈRES. 

Le  bulletin  de  janvier  1898  de  riZ/tance/ran^awe  contient  un  rapport 
fort  instructif  du  secrétaire  général  du  comité  de  ï Alliance  à  Tanana- 
rive,  sur  la  situation  des  écoles  françaises  et  étrangères  à  Madagascar. 
Ce  document  est  un  véritable  exposé  de  la  situation  des  écoles  avant  et 
après  l'occupation,  ainsi  que  du  programme  d'enseignement  qui  doit 
implanter,  dans  la  grande  île,  la  langue  et,  par  suite,  la  prépondérance 
matérielle  et  morale  de  la  France.  En  voici  les  parties  principales  : 

Importance  de  Peyiseîgnement  libre  avant  notre  arrivée,  —  Madagascar 
a,  depuis  trois  quarts  de  siècle,  des  écoles  privées  et  confessionnelles. 
Parmi  ces  écoles,  les  unes  étaient  françaises,  les  autres  étrangères. 

Les  statistiques  des  missions  étrangères  donnent  pour  1894  et  1893  et 
pour  rimérina  les  chiffres  de  861  écoles  et  de  36.468  élèves.  (L'une  des 
missions  (anglicane)  n'ayant  pas  fourni  de  statistique,  ces  chiffres  sont 
inférieurs  à  la  réalité.)  Ces  mêmes  statistiques  donnent  pour  les  mômes 
années  et  pour  le  reste  de  Madagascar  88.139  élèves  (I),  soit  au  total 
94.607  élèves. 

La  mission  française  en  accusait  à  la  même  époque,  dans  Tlmérina 
17.240  élèves,  dans  le  reste  de  Madagascar,  10.17S,  soit  au  total:  27.415, 

Dans  rimérina  seule  (en  n'y  comprenant  pas  le  Wakinankoratra),  il  y 
a  donc  autant  d'écoles  et  d'élèves  que  dans  tout  le  reste  de  l'île.  L'Imérina, 
pour  une  population  de  6  à  700.000  habitants,  fournit  un  contingent 
de  SO  à  60.000  élèves.  Le  pourcentage  du  Hova  sachant  lire  et  écrire, 
n'a  jamais  été  établi;  mais  il  est  certainement  très  élevé;  il  pourrait 
bien  n'être  pas  inférieur  à  celui  de  certains  pays  européens. 

Il  y  avait  donc  là  une  œuvre  considérable,  dont  la  France  avait  le 
devoir  d'assurer  la  continuation,  mais  aussi  qu'il  était  impossible  de  ne 
pas  contrôler  et  diriger. 

(1)  Ce  chiffre  doit  être  faussé  par  les  données  de  la  mission  norvégienne  qui  semblent 
exagérées  :  36.808  élèves  pour  505  écoles  seulement,  soit  72  élèves  par  école  au  lieu 
de  49  en  Imérina.  L'écart  provient  probablement  de  ce  que  les  statistiques  norvégiennes 
donnent  le  nombre  des  élèves  inscrits.  Celles  de  PImérina,  le  nombre  des  élèves  pré- 
sents et  examinés. 


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i"0  BEVUE  FRANÇAISE 

Hostilité  de  beaucoup  de  ces  écoles.  —  Il  est  incontestable,  en  effet, 
que,  dans  beaucoup  de  ces  écoles,  les  maîtres  étaient  animés  d'un 
esprit  hostile  à  la  France.  Ce  fait  pourrait  n'avoir  pas  besoin  de  démons- 
tration. L'hostilité  det  missionnaire»  anglais  à  notre  politique  est  trop 
naturelle  pour  qu'on  ne  l'admette  pas  sans  discussion.  Elle  a  été  con- 
testée cependant  par  quelques  nnssionnaires  français,  mais  leur  bonne 
foi  a  été  surprise... 

Missions  étrangères.  —  I^es  écoles  étrangères  se  divisaient,  il  y  a  un 
an  à  peine,  en  3  catégories. 

A.  —  Les  écoles  norvégiennes  forment  un  groupe  important  :  85  mis- 
sionnaires, 50o  écoles,  36.808  élèves.  Mais  elles  sont  presque  toutes  en 
dehors  de  l'Imérina.  Le  centre  de  la  mission  norvégienne  n'est  même 
pas  à  Tananarive,  quoique,  naturellement,  le  chef  de  la  mission  y  ré- 
side, à  titre  d'ambassadeur  en  quelque  sorte,  et  y  dirige  une  petite  école. 
Les  écoles  normales,  le  véritable  centre  scolaire,  sont  à  Antsirabé  et  à 
Betafo,  capitales  du  Vakinankaratra.  C'est  au  Vakinankaratra  et  au 
Betsiléo  que  sont  la  majorité  des  écoles  et  des  élèves  de  la  mission  nor- 
végienne. Les  autres  sont  chez  les  Sakalaves  et  dans  les  tribus  du  sud. 

En  concentrant  leurs  efforts  sur  les  provinces  excentriques,  les  Norvé- 
giens  ont  renoncé  à  exercer  une  action  sur  la  politique  générale.  Dans 
les  parties  de  l'ile  où  ils  sont  établis,  en  particulier  au  Vakinankaratra, 
leur  influence  ne  s'exerce  pas  dans  un  sens  hostile  à  la  France. 

B.  --  liCs  écoles  anglicanes  (Eglise  établie  d'Angleterre)  forment  un 
groupe  à  part,  s'entendent  fort  mal  avec  les  autres  écoles  anglaises, 
évitant  même  toute  relation  avec  elles;  à  ce  point  que  la  partie  la  plus 
naïve  de  la  population  malgache  ne  considère  pas  les  Anglicans  comme 
Anglais  et  leur  donne  le  nom  fantastique  au  point  de  vue  ethnografdii- 
que,  de  a  Besopy  «  (Bishop^  évéque).  En  im  mot,  les  membres  de 
l'Église  établie  d'Angleterre  professent  pour  les  indépendants  les  mêmes 
sentiments  à  Madagascar  qu'en  Angleterre.  Les  anglicans  sont  peu 
nombreux,  44  missionnaires  seulement,  dont  un  évêque  (le  poste  est 
actuellement  vacant). 

Quels  que  puissent  être  leurs  sentiments  à  notre  égard,  il  est  incon- 
testable que,  depuis  le  traité  de  1892,  par  lequel  l'Angleterre  a  reconnu 
notre  protectorat,  les  missionnaires  anglicans,  sans  doute  à  cause  de 


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MADAGASCAR  171 

leur  caractère  officiel,  ont  modifié  leur  attitude  à  notre  égard.  Depuis 
cette  date,  par  exemple,  ils  se  sont  mis  à  renseignement  du  français. 

C.  —  Un  troisième  groupe  de  missionnaires  étrangers  est  celui  des 
Indépendants,  que  Ton  appelle  incorrectement  en  France  les  Méthodistes, 
Encore  convient-il  d'y  distinguer  deux  sous-groupes.  Le  moins  impor- 
tant est  celui  de  la  Société  des  Amis  (Frinds  Foreign  Mission  Associa- 
tion) :  ces  missionnaires  appartiennent  à  la  secte  des  quakers  :  ils  sont 
au  nombre  de  20  seulement;  au  recensement  de  1894,  ils  accusaient 
147  écoles  et  9. 468  ôlèves. 

Relativement  nouveaux  venus  à  Madagascar,  et  pour  ne  pas  entrer 
en  lutte  avec  les  premiers  arrivés,  ils  ont  renoncé  à  toute  propagande 
religieuse  et  se  sont  confinés  dans  leur  rôle  pédagogique.  Leurs  écoles 
sont  les  mieux  tenues  des  écoles  anglaises.  L'un  d'eux,  M.  Standing,  le 
chef  de  la  mission,  parle  français  avec  correction  et  facilité.  Les  «  Amis  », 
depuis  l'arrivée  du  général  Gallieni,  ont  montré  une  grande  docilité  et 
une  réelle  intelligence  de  la  situation. 

Il  n'en  a  pas  été  de  même  des  autres  indépendants  appartenant  &  la 
Société  des  Missions  de  Londres  (Lcmdon  Missionary  Society,  par  abré- 
viation L.  M.  S.)- 

Les  L.  M.  S.  sont  arrivés  à  Madagascar  dès  1820;  plus  profondément 
qu'aucune  autre  Société  de  missionnaires,  ils  ont  pris  racine  dans  le 
pays;  dès  le  premier  jour,  sous  la  direction  de  sir  Robert  Farquhar  et 
de  son  agent  Hastié,  ils  ont  eu  à  jouer  un  rôle  politique,  et  jusqu'à  la 
fin  ils  ont  été  dominés  par  la  préoccupation  de  compter  au  nombre  de 
leurs  élèves  les  membres  de  la  famille  royale,  les  fils  des  principaux 
personnages,  tous  les  enfants  en  un  mot  qui,  par  le  rang  social  des 
parents,  semblaient  appelés  plus  tard  à  diriger  les  affaiies  du  pays. 
Leurs  efforts  ont  de  tout  temps  porté  sur  l'imérina,  centre  politique  de 
l'île.  Ils  étaient  nombreux,  36  missionnaires,  et  leurs  recensements  ac- 
cusent pour  l'ensemble  de  l'île  environ  50.000  élèves;  ils  s'étaient  ma- 
gnifiquement installés  à  Tananariveet  un  quartier,  celui  de  Faravohitra, 
était  presque  tout  entier  dans  leurs  mains.  Habitués  par  leur  passé  à 
être  les  conseillers  des  souverains  malgaches,  Ie3  maîtres  occultes  de 
l'imérina  et  comptant  fermement  que  Madagascar  deviendrait  colonie 
anglaise,  ils  nous  ont  vu  arriver  avec  un  profond  dépit  qu'actuellement 
encore  ils  ne  savent  pas  dissimuler. 


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172  KEVUE  FRANÇAISE 

Modifications  dans  le  groupement  des  missions  étrangères,  —  La  situa- 
tion des  Indépendants  de  la  L.  M.  ^.  a  été  profondément  ébranlée  de- 
puis un  an.  Ds  ont  été  atteints  à  la  fois  dans  leur  situation  matérielle  et 
dans  leur  prestige  par  la  réquisition  et  Tachât  de  leurs  plus  beaux  édi- 
fices, rhôpital  de  Soavinandriana,  devenu  hôpital  militaire,  le  Collège 
devenu  le  Palais  de  Justice,  et  la  «  Normal  School  ». 

En  même  temps,  ils  ont  expérimenté  l'ingratitude  des  Malgaches; 
beaucoup  de  leurs  élèves  et  anciens  élèves  les  ont  abandonnés;  eux  qui 
de  tous  les  missionnaires  protestants  avaient  le  caractère  officiel  le  plus 
marqué,  ils  ont  particulièrement  souffert  de  la  chute  de  l'ancien  gou- 
vernement. Ils  semblent  avoir  compris  eux-mêmes  que  leur  situation 
était  fausse  et  intenable.  Déjà  une  moitié  des  missionnaires  L.  M.  S.  ont 
quitté  Madagascar  sans  esprit  de  retour,  dit-on.  On  peut  affirmer  au 
moins  que  la  vieille  puissance  de  cette  Société  à  Madagascar  est  brisée. 

Dan»  le  courant  de  cette  année  1897,  le  groupement  des  Sociétés  de 
missionnaires  étrangers  s'est  donc  modifié.  On  commence  à  distinguer 
ceux  qui  s'accommoderont  à  notre  domination  et  ceux  qui,  au  contraire, 
ont  déjà  commencé  l'exode. 

Protestants  français,  —  En  même  temps  que  la  principale  Société 
des  missionnaires  anglais  renonçait  à  la  lutte  et  commençait  à  quitter 
Madagascar,  la  Société  évangélique  de  Paris  envoyait  à  Paris  des  mis- 
sionnaires protestants  français. 

Les  protestants  français  paraissent  destinés  à  recueillir  la  succession 
des  L.  M.  S.  Déjà  le  gouverneur  général  leur  a  donné  la  «  Normal 
School  »  achetée  aux  missionnaires  anglais  et  la  maison  confisquée  de 
Rasendranoro  où  ils  rétablissent,  sous  le  nom  d'École  du  Palais,  l'an- 
cienne «  Palace  School  j  des  L.  M.  S.  Toutes  les  écoles  primaires  des 
L.  M.  S.  sont  désormais  sous  leur  direction.  Malheureusement  ils  sont 
encore  peu  nombreux,  et  la  mort  vient  de  diminuer  encore  leur  nombre. 
Il  ne  reste  plus  que  quatre  missionnaires  et  leur  famille.  Si  peu  nom- 
breux qu'ils  soient,  leur  présence  pourra  préparer  les  voies  à  une  poli- 
tique d'apaisement. 

Missionnaires  français.  —  Les  Écoles  libres  françaises,  avant  la 
guerre,  appartenaient  en  théorie  toutes  aux  Jésuites.  Mais  il  y  avait  une 
fiction  de  discipline  ecclésiastique;  et  en  réalité,  les  Frères  des  Écoles 
chrétiennes,  tout  subordonnés  qu'ils  fussent  aux  Jésuites  au  point  de 


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MADAGASCAR   .  173 

vue  religieux  et  financier,  avaient  des  écoles  bien  à  eux,  animées  d'un 
caprit  spécial.  On  peut  en  dire  autant  des  écoles  de  filles  dirigées  par 
les  Soeurs  de  Saint-Joseph  de  Cluny. 

Les  Pères  Jésuites  étaient  au  nombre  de  43.  Les  Frères  des  Écoles 
chrétiennes  au  nombre  de  i7.  Les  Sœurs  au  nombre  de  27.  Le  chiffre 
de  leurs  élèves  ne  dépassait  pas  30.000  dans  Madagascar  entier. 

Il  serait  injuste  de  ne  pas  rendre  justice  à  Tesprit  d'abnégation  des 
Jésuites  et  aux  services  qu'ils  ont  rendus  à  la  cause  française  par  le 
simple  fait  de  leur  présence  et  de  leur  origine  française.  Mais  au  point 
de  vue  enseignement,  il  est  incontestable  que  les  Jésuites,  qui  sont  des 
maîtres  excellents  dans  l'enseignement  secondaire,  ne  son  t  ni  outillés  pour 
se  charger  de  l'enseignement  primaire,  ni  même  disposés  à  le  faire.  Ce 
sont  exclusivement  les  Frères  des  Écoles  chrétiennes  qui  se  sont  occu- 
pés d'enseigner  aux  Malgaches  la  lecture,  l'écriture  et  la  langue  fran- 
çaise. 

Les  Pères  Jésuites  n  ont  dans  tout  Madagascar  qu'une  école  réellement 
dirigée  par  eux,  et  qu'ils  appellent  collège;  mais  les  jeunes  Malgaches, 
qui  y  entrent  en  petit  nombre,  ont  déjà  reçu  à  l'École  des  Frères  une 
instruction  complète.  Leur  passage  au  collège  des  Pères  a  moins  pour 
but  de  les  pousser  plus  loin  encore,  que  de  leur  inspirer  un  esprit  de 
docilité  et  de  dévouement  aux  intérêts  de  la  Compagnie.  Le  collège  a 
été  jusqu'îci  en  dehors  de  la  ville;  les  élèves  y  sont  internes,  soumis 
par  conséquent  à  une  surveillance  constante  et  entraînés  à  des  exercices 
de  piété. 

Les  Frères,  au  contraire,  ne  sont  pas  prêtres,  et  sont  avant  tout  des 
éducateurs  ;  leur  seule  école  de  Tananarive  contient  un  millier  d'élèves 
(le  collège  n'en  a  qu'une  centaine),  et  jusque  dans  ces  derniers  mois, 
de  tous  les  Malgaches  parlant  un  peu  le  français,  il  n'en  était  pas  un 
seul  qui  ne  l'eût  appris  chez  les  Frères. 

Il  y  avait  donc,  d'une  part,  nécessité  de  venir  au  secours  des  écoles 
libres  françaises;  d'autre  part,  il  est  indispensable  de  modifier  l'orga- 
nisation existante;  au  point  de  vue  enseignement,  les  Frères  des  Écoles 
chrétiennes  étaient  seuls  intéressants;  or,  ils  n'avaient  pas  d'existence 
ofiîcielle;  ils  n'étaient  pas  venus  à  Madagascar  en  qualité  de  société 
indépendante,  mais  amenés  par  les  Jésuites  qui  se  chargeaient  de  leur 
nourriture  et  de  leur  entrelien.  Seuls,  par  conséquent,  les  Jésuites 
étaient  et  pouvaient  être  subventionnés  par  le  Gouvernement.  Augmen- 


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174  REVUE  FRANÇAISE 

ter  purement  et  simplement  cette  ancienne  subvention,  c'était  s'exposer 
à  en  voir  la  plus  grande  partie  employée  à  toute  autre  chose  qu'à  l'en- 
seignement. 

M.  le  général  Gallieni  a  proposé  au  ministère  des  colonies  de  sub- 
ventionner nommément  les  Frères,  ce  qui  a  pu  se  faire  en  passant  un 
traité  avec  le  directeur  de  la  Société  à  Paris.  Celui-ci  s'est  engagé, 
moyennant  une  subvention  annuelle  de  25.000  francs,  à  envoyer  et  à 
entretenir  à  Madagascar  quinze  Frères  qui  se  consacreront  exclusive- 
ment à  renseignement  et  se  conformeront  aux  programmes  en  vigueur 
dans  la  colonie.  Dix  sont  déjà  arrivés  à  Tamatave. 

Situation  numérique  actuelle  du  penonnel  de  renseignement  libre,  — 
Xnm  renseignement  privé  a  subi  une  double  modification. 

Tandis  que  le  nombre  des  missionnaires  étrangers  était  diminué  par 
Teffacement,  on  pourrait  presque  dire  la  disparition  des  L.  M.  S.,  le 
nombre  des  instituteurs  libres  français  s'augmentait  dans  une  notable 
proportion  par  l'arrivée  de  quinze  Frères  des  Écoles  chrétiennes  et  de 
quatre  envoyés  par  la  Société  évangélique. 

Encore  faudrait-il  mentionner  l'arrivée  à  Fort-Dauphin  de  misiion* 
naires  lazaristes,  qui  y  ont  déjà  créé  des  écoles  florissantes. 

Les  modifications  apportées,  depuis  l'arrivée  du  général  Gallieni,  au 
personnel  de  l'enseignement  libre  peuvent  donc  se  résumer  ainsi  :  dé- 
part d'une  vingtaine  de  professeurs  libres  anglais,  arrivée  d'une  ving- 
taine de  professeurs  libres  français. 

Grâce  à  cette  modification,  le  nombre  de  nos  professeurs  hbres  égale 
à  peu  près  celui  de  leurs  concurrents  étrangers  ;  une  centaine  de  part 
et  d'autre,  soit  200  en  tout  (les  Lazaristes  de  Fort-Dauphin  mis  à  part). 
En  voici  le  relevé: 

Écoles  françaises.  Écoles  étraBgères, 

Jésuites 43  Nonégiens .      r>5 

Soeurs  S.  J.  Clmiy *7  Amis 10 

Frère»  des  Écoles  chrétiennes  (an-  AngUcarii^ 11 

ciens) 15  (Après  l'exode)  [L.  M.  S.  > 16* 

Frères  des  Écoles  cliré'.ionnes  (nou- 
veaux) (1) •  15* 

Mietion  évangéliqiH' 4 

Total 106 

(1)  Les  chiffres  uiodiliés  au  cours  de  cette  année  sont  suivis  d'un  astcrique. 


Total 102 


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'1 

EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS  175  ^ 

Il  y  a  eu  un  déplacement  de  40  environ  et,  Tannée  dernière,  on  au- 
rait eu  à  peu  près:  écoles  françaises,  80;  étrangères,  120. 

Enseignement  officiel.  Personnel..  —  L'enseignement  officiel  a  été  créé 
par  le  général  Gallieni.  Depuis  cpielques  mois  à  peine,  sont  arrivés  de 
France  deux  intUtuteurs  et  une  institutrice.  D'autre  part,  une  institu- 
trice bourbonnaise,  venue  à  ses  frais,  a  été  mise  à  la  tête  d'une  école 
officielle,  ce  qui  porte  à  S  les  membres  du  corps  e&seignant,  en  com-^ 
prenant  le  chef  de  service. 

L'existence  d'une  organisation  puissante  de  l'enseignement  privé,  la 
division  de  cet  enseignement  en  deux  camps  adverses,  dont  les  discus- 
sions religieuses  sont  une  gêne  perpétuelle  pour  le  gouvernement, 
rendent  inévitable  la  création  d'écoles  officielles,  sans  l'existence  des- 
quelles il  serait  bien  difficile  d'établir  des  examens  et  de  faire  respecter 

des  programmes. 

(A  suivre.) 


EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS 

AFRIQUE 

L'explorateur  anglais  Cavendish,  à  peine  de  retour  de  l'Afrique  orien- 
tale, se  propose  de  repartir  prochainement  pour  la  même  région.  L'ex- 
pédition durera  2  ou  3  ans,  très  nombreuse,  elle  comprendra  une  dizaine 
d'officiers,  2  armuriers  d'artillerie,  1  cartographe  et  quelque»  autres 
Européens.  Elle  disposera  de  350  carabines  Lee-Metfort-Martini  et  sera 
accompagnée  de  380  Somalis  armés.  Son  convoi  comprendra  400  cha- 
meaux, 80  chevaux  et  80  mulets.  «  La  région  que  nous  allons  parcou- 
rir, a  dit  M.  Cavendish,  est  une  des  rares  parties  de  l'Afrique  dont  la 
carte  n'a  pas  été  faite.  On  ne  sait  presque  rien  au  sujet  du  territoire 
d'une  superficie  de  400  milles  qui  s'étend  entre  le  lac  Rodolphe  et  le 
Nil,  sinon  qu'il  est  peuplé  par  de  puissantes  tribus.  L'expédition  par- 
tira de  Kismayou  pour  se  diriger  en  ligne  droite  sur  le  lac  Rodolphe.  Il 
se  peut  qu'au  début  de  notre  marche,  nous  ayons  à  lutter  contre  les  So- 
malis ;  mais,  ensuite,  la  route  est  libre  et  nous  serons  bien  reçus  par  les 
tribus  Borans  et  Rendile,  à  cause  du  bon  souvenir  laissé  par  l'explora- 
teur américain  Chandler.  Nous  arriverons  en  3  mois  au  lac  Rodolphe. 

Nous  portant  ensuite  à  l'oiiest  de  ce  lac,  nous  ferons  la  carte  de  tout 


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176  REVUE  FRANÇAISE 

le  pays  jusqu'au  Nil.  Nous  remonterons  jusqu'à  la  source  du  Sobat  et 
nous  explorerons  tous  les  affluents  de  la  rive  droite  du  Nil  ». 

Bien  que  M.  Cavendish  ne  le  dise  pas,  sa  mission,  scientifique  au 
début,  pourra  facilement  se  transformer  en  une  mission  politique,  char- 
gée d  appuyer  les  prétentions  britanniques  sur  le  haut  Nil. 

Le  commandant  Clément  Brasseur  a  été  tué  le  10  novembre  1897,  au 
moment  où,  à  la  tête  des  troupes  congolaises,  il  attaquait  le  borna  de 
Chiwala,  un  chef  arabe  pillard,  établi  sur  le  haut  Louapoula,  près  du 
lac  Bangouélo.  Le  c'  Brasseur  était  parti  pour  la  ^^  fois  au  Congo 
en  1890,  comme  s.-lieutenant.  A  un  second  voyage,  en  1892,  il  était 
désigné  pour  commander  la  station  de  Luluabourg,  d'où  il  se  rendit 
au  Katanga  en  1893.  C'est  de  là  qu'il  partit  pour  la  belle  exploration  au 
cours  de  laquelle  il  reconnut  le  système  de  lagunes  du  Kamolondo  et 
Je  cours  inconnu  du  Louapoula  inférieur.  Né  en  1863,  dans  la  province 
de  Namur,  le  c'  Brasseur  était  un  officier  et  un  explorateur  de  haute 
valeur. 

Le  gouvernement  de  l'État  du  Congo  organise  une  importante  mis- 
sion scientifique  sous  la  direction  du  l' Lemaire,  ancien  commissaire  du 
district  de  l'Equateur.  Cette  mission  ne  comprendra  pas  moins  de 
6  blancs,  parmi  lesquels  un  géologue,  un  photographe,  un  dessinateur. 
Les  Iterriloires  sud  du  Congo  seront  le  but  de  la  mission,  qui  se  rendra 
au  Katanga,  par  le  Zambèze,  le  lac  Nyassa  et  le  Tanganika.  Lofoï  sera 
le  centre  de  ses  opérations.  Si  la  chose  est  possible,  la  mission  reviendra 
par  la  côte  occidentale,  en  coupant  diagonalement  le  cours  supérieur 
du  Kassaï.  M.  Lemaire  emporte  un  important  bagage  d'instruments 
scientifiques  et  2  pirogues  démontables  en  aluminium.  M.  de  Windt 
sera  le  commandant  en  second  de  l'expédition. 

RÉGIONS   POLAIRES 

M.  de  GerJache,  chef  de  l'expédition  belge  au  Pôle  sud,  a  envoyé  de 
ses  nouvelles  par  pigeon  voyageur.  A  son  départ  de  Punta-Arenas,  il 
avait  emporté  2  pigeons  qui  lui  avaient  été  offerts  par  un  Français, 
M.  Pante.  Après  avoir  relâché  à  Ushuaia,  point  civilisé  extrême  de  la 
Terre  de  Feu,  où  il  s'élait  arrêté  pour  faire  du  charbon,  M.  de  Gerlache 
avait  encore  ses  pigeons  à  bord.  C'est  donc  au  large  du  cap  Horn  que 
le  lâcher  a  eu  lieu.  Un  des  pigeons  est  arrivé  à  Punta-Arenas,  annon- 
çant que  tout  allait  bien  à  bord  et  que  la  Belgica,  tenant  bien  la  mer, 
se  dirigeait  droit  vers  le  Sud. 


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■I 


ÉPBÉMÉRTOES  ÉTRANGÈRES  ET  COLONIALES  POUR  L'ANNÉE  1897  ^^> 

GRÈCE 

En  raison  des  affaires  de  Crète,  l'armée  grecque  est  mobilisée  (mars  1897). 
A  Ja  suite  des  incursions  de  bandes  grecques  en  Thessalie,  la  Turquie  déclare 

la  guerre  à  la  Grèce  (18  av.). 
Les  Turcs  s'emparent  de  la  passe  de  Melouna  (19  av.)- 
Les  Grecs  sont  battus  à  Mati  (23  av.). 
Edhem-Pacha  occupe  Larissa,  évacué  par  le  prince  royal  de  Grèce  (25  av.).  \^ 

Le  colonel  Manos  qui  avait  envahi  l'Epire  est  battu  à  Pente  Pighadia  (Bech  ) 

Pounar)  (24  av.),  | 

Le  générai  Smolenski  repousse  les  attaques  des  Turcs  à  Veiestino  (30  av.). 
Le  cabinet  Ralli  remplace  le  cabinet  Delyannis  (30  av.). 
L'armée  grecque  est  battue  à  Pharsale  (5  mai). 
Les  Turcs  occupent  Volo  (8  mai). 

La  Grèce,  après  avoir  rappelé  de  Crète  le  colonel  Vassos,  demande  la  média- 
tion des  grandes  puissances  (8  mai). 
Les  Grecs,  qui  ont  envahi  une  deuxième  fois  l'Epire,  sont  battus  à  Gribovo 

après  un  combat  acharné  (14  mai). 
Les  Grecs  sont  battus  à  Domokos  (17  mai). 
Sur  la  demande  du  tsar  le  sultan  donne  l'ordre  de  suspendre  les  hostilités 

(18  mai). 
Signature  à  Coustaniinople,  après  de  laborieuses  négociations  entre  la  Porto 

et  les  grandes  puissances,  des  préliminaires  de  paix  (18  sept.). 
La  Chambre  des  députés  ayant  refusé,  par  93  voix  contre  30  et  43  abslen- 

tions,  sa  confiance  au  cabinet  Halli  (30  sept.)  celui-ci  donne  sa  démission. 

Formation  du  cabinet  Zaïmis.  Pour  la  première  fois  un  catholique  devient 

ministre  (2  oct.). 
Signature  à  Constantinople  du  traité  de  paix  entre  la  Grèce  et  la  Turquie 

(4  déc.).  Une  légère  rectification  de  frontière  est  accordée  à  la  Turquie,  à 

qui  la  Grèce  paiera  une  indemnité  de  guerre. 
Voir  :  Turqute-Crète. 

ITALIE 

Décret  de  dissolution  de  la  Chambre  des  députés  (3  mars  1897). 

Élections  législatives  (21  mars). 

Ouverture  du  nouveau  parlement  (5  avril). 

Le  cabinet  di  Rudini  est  reconstitué  avec  l'adjonction  de  M.  Zanardelli  (14 

déc.). 
Brytlurée.  —  A  la  suite  d'un  accord  avec  l'Angleterre,  l'Italie  remet  la  place 

de  Kassala  aux  Anglo-Égyptiens  (25  déc). 
Somalis.  —  La  mission  Bottego  est  en  partie  massacrée  près  de  Gabo  (17  mars). 

Deux  de  ses  membres  italiens  sont  recueillis  par  les  Abyssins.  Partie  de 

(1)  Voir  Rev,  Fr.,  fév.  1898.  p  113. 

XXIII  (Mars  98).  N-231.  12 


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178  REVUE  FRANÇAISE 

la  côte  des  Somalis  le  22  fév.  1895,  la  mission  Bottogo  explorait  la  r^on 
du  lac  Rodolphe. 

PAYS-BAS 

Élections  législatives  faites  d'après  la  nouvelle  loi  électorale  (ii  juin  189"). 
Le  nombre  des  électeurs  qni  était  jusqu'alors  de  350.000  est  plus  que  dou- 
blé. Sont  élus  :  45  libéraux,  22  catholiques,  21  protestants  orthodoxes, 
4  chrétiens  historiques,  4  radicaux,  4  socialistes.  Faible  majorité  libérale. 
La  Chambre  sortante  comptait  56  libéraux,  25  catholiques,  15  protestants 
et  3  radicaux. 

Formation  du  cabinet  libéral  progressite  Pierson  (26  janv.). 

PORTUGAL 

Le  cabinet  Hintze  Ribeiro  est  remplacé  par  le  cabinet  progressiste  Luciano 

de  Castro  (7  fév.). 
Dissolution  des  Cortés  (9  fév.). 
Élections  législatives  (25  av.). 
Ouverture  des  Certes  (10  juin). 

ROUMANIE 

Le  cabinet  libéral  Demètre  Stourdza  succède  au  cabinet  Aurélian,  du  même 
parti  (12  av.  1897). 

RUSSIE 

Le  c**  Mouravief  est  nommé  gérant  du  ministère  des  affaires  étrangères  (12 

janvier  1897).  11  succède  au  prince  Lobanof  mort  en  1896. 
Arrivée  à  Cronstadt  du  président  de  la  République  Félix  Faure  (23  août). 
La  flotte  russe  prend  ses  quartiers  d'hiver  à  Port-Arthur  (Chine)  (18  déc.). 
Voir  :  Corée, 

SERBIE 

Élections  à  la  Skoupchtina  (4  juil.  1897).  Sont  élus  188  radicaux  et  4  libé- 
raux. Les  61  membres  nommés  par  la  couronne  comptent  12  libéraux, 
12  progressistes,  3  indépendants  et  4  radicaux. 

Le  cabinet  Simitch  ayant  donné  sa  démission,  un  nouveau  cabinet,  sans  cou- 
leur politique  bien  tranchée,  est  formée  sous  la  présidence  de  M.  Vladan 
Georgevitch  (23  oct.). 

SUÈDE  ET   NORVÈGE 

Saède.  —  L'explorateur  suédois  Sven  Hedin  revient  en  Suède  après  une  ex- 
ploration de  près  de  4  années  dans  l'Asie  centrale. 

L'expédition  Andrée  quitte  le  Spitzberg  se  dirigeant  vers  le  pôle  en  ballon 
(Il  juil.). 

KiWège.  —  Élections  législatives  (nov.).  Sont  élus  75  membres  de  la  gauche 
et  35  de  la  droite.  La  précédente  Chambre  contenait  59  memhres  de  gau^ 
che  et  55  de  droite. 

SUISSE 

Entrée  en  fonctions  du  président  Deucher  (i^^  janv*  1897)* 


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ÉPHÉMÉRroES  POUR  L' ACTIVÉE  1897  i7d 

TURQUIE 

Crète.  —  Des  troubles  graves  entre  chrétiens  et  Turcs  éclatent  en  Crète  {i^ 
fév.  1897). 

Le  quartier  chrétien  de  la  Canée  est  incendié  par  les  musulmans  (6  fév.). 
L«8  navires  étrangers  débarquent  des  détachements  de  marins.  Les  chré- 
tiens prennent  les  armes  dans  tout  Tile. 

Un  corps  de  troupes  grecques  débarque  en  Crète  (15  fév.).  Le  colonel  Vassos 
prononce  l'annexion  de  File  à  la  Grèce.  Les  navires  des  grandes  puissances 
débarquent  des  troupes  dans  les  principales  villes  de  Crète. 

A  la  suite  d'un  mouvement  en  avant  des  insurgés  crétois  vers  La  Canée,  les 
navires  des  puissances  ouvrent  le  feu  sur  les  Crétois  (21  fév.). 

Remise  à  la  Grèce  d'une  note  des  puissances  demandant  le  rappel  des  trou- 
pes grecques  débarquées  en  Crète,  déclarant  l'annexion  de  cette  île  à  la 
Grèce  actuellement  impossible,  mais  assurant  son  autonomie  effective  sous 
la  suzeraineté  du  sultan  (2  mars). 

La  Grèce,  dans  sa  réponse,  se  déclare  prête  à  rappeler  sa  flotte,  mais  ne  peut 
retirer  ses  troupes  par  suite  du  traitement  auquel  les  Crétois  seraient 
soumis  de  la  part  des  Turcs.  Elle  demande  que  les  Crétois  soient  appelés 
à  se  prononcer  sur  leur  sort  (8  mars). 

Blocus  de  la  Crète  par  la  flotte  des  puissances  (21  mars). 

La  Grèce  rappelle  le  colonel  Vassos  ;  les  dernières  troupes  grecques  quittent 
la  Crète  (26  mai). 

Les  puissances  et  la  Porte  ne  peuvent  s'accorder  pour  donner  un  gouverneur 
à  la  Crète  ;  l'occupation  mixte  subsiste. 

Voir    Grèce. 

AFRIQUE 

Etat  du  Congo.  —  Le  c*  Chaltin  chargé  d'occuper  l'enclave  concédée  au  Congo 

sur  le  Nil,  s'empare  de  Redjaf  sur  les  Madhistes  (14  fév.  1897). 
Les  soldats  indigènes  delà  colonne  Leroi,  marchant  vers  le  Nil,  se  révoltent 

et  massacrent  leurs  ofliciers  (14  fév.).  Ils  infligent  un  échec  à  la  colonne 

Dhanis  à  Ekvraoga  (18  mars),  mais  sont  complètement  battus  par  le  1^ 

Henry  (15  juil.). 
Transfaal.  —  Traité  d'alliance  signé  à  Bloemfontein  avec  l'État  d'Orange  (17 

mars  1897). 
iByssiiiie.  —  Convention  commerciale  conclue  avec  la  France  (27  janv.). 

Traité  conclu  avec  l'Angleterre  (14  mai  1897). 
Egypte.  —  L'expédition  anglo-égyptienne  au  Soudan,  interrompue  après  l'oc- 

capation  de  Dongolaj,  en  1896,  est  reprise.  Prise  d'Abou-Hamed  (7  août 

1897). 
Occopatloû  de  Berber  (sept).  L'expédition  est  de  nouveau  suspendue. 

ASIE 

layon.  —  Arrivée  en  Angleterre  du  i^  paquebot  inaugurant  une  ligne  de 
navigation  japonaise  0»^^^- 1897). 


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180  REVUE  FRANÇAISE 

Corée.  —  Conventions  signées  à  Séoul  (2  mai  1897)  et  à  Moscou  (28  mai) 
entre  la  Russie  et  le  Japon,  réglant  la  situation  de  ces  puissances  en  Corée. 

Chine.  —  Convention  signée  à  Pékin  avec  TAngleterre  ouvrant,  à  dater  du 
4  juin  1897,  le  Si-Kiang  au  commerce  (4  fév.). 

Convention  signée  à  Pékin  avec  l'Angleterre  modifiant  à  Tavantage  de  celle- 
ci  la  frontière  sino-birmane  et  conférant  à  la  Grande-Bretagne  divers 
avantages  dans  les  provinces  méridionales  de  la  Chine  (5  juin). 

Retour  en  France  de  M.  Brenier,  chef  de  la  mission  commerciale  lyonnaise 
qui,  pendant  â  ans,  a  parcouru  la  Chine  méridionale  (3  sept.). 

A  la  suite  du  massacre  (l^*"  nov.)  de  missionnaires  catholiques  allemands, 
dans  le  Chan-Toung,  TAllemagne  occupe  la  baie  de  Kiao-Tchéou  (14  nov.). 

L'escadre  russe  prend  ces  quartiers  d'hiver  à  Port-Arthur  avec  l'assentiment 
du  gouvernement  chinois  (18  déc.). 

OCÉANIE 

Hawaï.  —  Traité  portant  annexion  volontaire  d'ilawaï  aux  États-Unis 
(17  juin  1897). 

AMÉRIQUE 

États-Unis.  —  M.  Mac-Kinlcy,  républicain,  succède  à  la  présidence  à  M.  Cle- 

veland,  démocrate  (4  mars  1897). 
Venexnela.  —  Reprise  des  relations  diplomatiques  avec  l'Angleterre  (15  mars 

1897).  Elles  avaient  été  rompues  au  sujet  du  territoire  contesté  de  la 

Guyane. 
Uruguay.  —  Assassinat  du  président  de  la  République,  Idiarte  Borda  (nov 

1897).  Le  pouvoir  est  confié  au  président  du  Sénat,  Cuestas. 
Brésil.  •—  Prise  de  Canudos  et  mort  d'Antonio  Conselheiro,  chef  des  insurgés 

fanatiques  qui  résistaient  depuis  6  mois  à  toutes  les  expéditions  (sept.  1897). 


NOUVELLES  GEOGRAPHIQUES  ET  COLONULES 

AFRIQUE 

Algérie  :  Huilei  et  liège  en  Norvège.  —  La  Norv^  reçoit  par  an  276.850 
kg.  d'huile  d'olive  ;  contrairement  à  l'opinion  courante,  cette  huile  provient 
surtout  de  pays  qui  n'en  produisent  pas.  L'Allemagne  en  fournit  66.820  kg., 
l'Angleterre  67.270,  la  Hollande  40.680,  etc.  L'Algérie  et  la  France  réunies 
ne  fournissent  à  la  Norvège  que  42.000  kg.  d'huile  d'olive  ! 

Pour  les  li^es,  même  surprise  :  la  France  et  l'Algérie  ne  donnent  que 
4.680  kg.,  alors  que  l'Allemagne  en  fournit  227.830  kg.  et  l'Angleterre 
59.7iO.  La  part  de  la  France  et  de  l'Algérie  ne  représente  ainsi  que  0,7  «/o- 

Comme  le  £edt  remarquer  tort  justement  la  Quinzaine  coloniale,  ce  sont  les 
pays  non  producteurs  qui  nous  concurrencent  d'une  façon  inexplicable. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  iSi 

U  est  donc  du  plus  haut  intérêt  pour  l'Algérie,  d'entrer  directement  en 
relations  avec  la  Norvège,  afin  de  pouvoir  lui  fournir  la  majeure  partie  de 
ses  huiles  et  de  son  liège. 

Soudan  français  :  VOussourou.  —  L'Oussourou  est  la  redevance  de 
douane  payée  par  les  caravanes  maures  en  pénétrant  dans  le  Sahel  français* 
D'après  la  Revue  Coloniale,  cet  impôt,  perçu  autrefois  par  un  intendant 
d'Ahmadou,  est  aujourd'hui  réglementé  par  les  postes  de  douanes  français 
établis  sur  la  frontière  du  Sahel.  Les  percepteurs  sont  des  sous-officiers  euro- 
péens ou  des  indigènes  capables,  assistés  de  cavaliers  indigènes. 

Les  caravanes  paient  le  dixième  de  la  valeur  de  leurs  marchandises  en 
guinées,  mais  on  s'efforce  d'en  faire  payer  un  tiers  en  espèces.  Muni  du  reçu 
coupé  dans  un  registre  à  souches,  la  caravane  peut  alors  circuler  lib-ement 
dans  tout  le  Soudan  français.  L'Oussourou  a  donné  400.000  fr.  en  1896. 

Sel  du  Sahel,  — -  Le  Sahel,  vaste  région  au  nord  de»  bassins  du  Sénégal  et 
du  Niger  habitée  par  des  tribus  maures,  est  surtout  impoitant  à  cause  du 
sel  qu'on  extrait  principalement  à  la  sebkha  el  Rhadera,  au  sud  de  Chin- 
guette,  et  aux  mines  de  Taodeni,  au  nord  de  Tombouctou. 

La  sebkha  el  Khadera  est  une  profonde  dépression  dans  une  région  déser- 
tique. Une  mare  de  50  kilom.  en  occupe  le  centre;  elle  reçoit  toutes  les  eaux 
du  pays;  dès  le  mois  d'octobre,  elle  est  à  sec  et  on  peut  en  extraire  le  sel. 
Il  faut  d'abord  enlever  0™,50  de  sable  apporté  par  les  vents  pour  arriver  à 
la  couche  du  sel,  qu'on  taille  en  barres  de  1  mètre  de  long,  à  l'aide  d'un 
instrument  en  fer  à  dents  de  scie  (sebadri).  Lorsque  le  sel  devient  plus  blanc, 
on  arrête  l'extraction,  car  on  approche  de  l'eau;  cette  couche  de  sel  s'appelle 
tenormcU  dans  la  langue  des  Maures.  Lorsqu'un  point  de  la  mare  a  été  épuisé, 
on  passe  à  un  autre.  L'eau  des  pluies  et  les  infiltrations  remplissent  les  trous 
et,  en  2  ou  3  ans,  les  puits  peuvent  être  de  nouveau  exploités  en  sel.  Ce  sel 
est  porté  à  Ghinguette,  à  10  jours  de  marche,  puis  dirigé  sur  'Tichit,  d'où  il 
est  répandu  dans  tout  le  Soudan.  La  barre  de  sel  de  25  kilog.  est  vendue  14 
à  16  fr.  à  Nioro,  15  à  16  fr.  à  Goumbou,  20  à  25  fr.  à  Sokolo. 

Quinée  française  :  Houte  de  Konakry  au  Niger,  —  La  mission  du  capi- 
taine Salesses  poursuit  l'étude  de  la  route  de  Konakry  au  Niger.  La  campagne 
de  1897,  grâce  au  garde  d'artillerie  Leprince,  a  fait  atteindre  le  14«  kilo- 
mètre, franchir  le  plateau  de  Tangbaïa  et  pousser  jusqu'à  Rouria.  Le  per- 
sonnel indigène  guinéen,  recruté  parmi  les  Sousous,  a  donné  un  bon  travail.  j 
Le  prix  du  kilomètre,  qui  était  Fan  dernier  de  7.000  fr.,  est  tombé  à  5.000  fr. 
La  route  étant  terminée  jusqu'à  Koura,  les  Européens  de  Konakry  ont  pu  j 
en  profiter  et  des  chevaux  ainsi  que  des  bicyclettes  ont  déjà  sillonné  cette  i 
voie.  Le  15  novembre,  les  travaux  ont  repris  vers  Sémenta,  Béreiré  et  Fri-  -"i 
gniagbé.  Les  15  kilomètres  qui  suivent  la  rivière  Gousira  seront  faciles  à  exé-  ^ 
cuter.  La  rivière  Tahili  une  fois  traversée,  la  route  se  continuera  jusqu'à  j 
Béreiré,  au  pied  des  monts  Auloum;  on  compte  atteindre  le  100*  kilomètre 
en  1898.                                                                                                                                     ^ 


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«e  REVUE  FRANÇAISE 

Sierra-Leone  :  Chemins  de  fêr.  —  Les  travaux  du  chemin  de  fer  de 
Sierra-Leone  ont  été  commencés  à  la  fin  de  1895  et  on  y  a  dépensé  déjà 
4  millions.  La  ligne  part  de  Freetown,  qui  compte  30.000  habitants,  près 
du  collège  de  Fourah-Bay  ;  elle  est  à  0"»  76  d'écartement  et  les  locomotives 
sont  prévues  pour  une  vitesse  de  30  à  40  kilomètres  à  Theure. 

Le  tracé  est  du  à  M.  Bradford.  A  partir  de  Fourah-Bay,  deux  embranche- 
ments conduisent,  Tun  vers  la  jetée  de  Fourah-Bay,  où  Ton  débarque  le  ma- 
tériel de  la  ligne,  Fautre  vers  la  jetée  du  port  de  Freetown.  La  ligne  suit  la 
rive  gauche  de  la  Rokelle  ;  les  rails  atteignaient  le  village  de  Rokelle  le 
25  octobre  1897,  et  ils  ont  dû  atteindre  celui  de  Waterloo  en  février  1898 
(à  32  kilom.  de  Fourah-Bay). 

Le  piquetage  de  la  voie  est  achevé  jusqu'à  Songotown  (Prince  AUredtown) 
et  Ton  espère  exploiter  la  ligne  jusqu'à  ce  point  (48®  kil.)  en  juin  1898.  Il 
est  ^  peu  près  certain  que  la  ligne  sera  prolongée  ensuite  de  Songotown  vers 
rintérieur;  les  dépenses  imputables  à  ce  prolongement  sont  estimées  à 
12  millions  et  demi. 

Hinterland  du  Dabomey  :  Bretonnet  et  Verm^rsch,  —  Le  1^  de  vais- 
seau Bretonnet  qui,  il  y  a  un  an,  avait  occupé  Boqstia,  où  il  exerçait  les 
fonctions  de  résident,  est  rentré  en  France  le  13  février.  Grâce  à  l'occupation 
de  Boussa,  toute  la  rive  droite  du  Niger,  de  Say  à  Boussa  est  française.  Par- 
tout M.  Bretonnet  a  été  parfaitement  reçu  comme  représentant  des  blancs 
de  Porto-Novo.  Il  a  étendu  le  protectorat  français  jusqu'à  Kayoma  et  KJssi, 
sur  la  demande  des  rois  de  ce  pays  qui  réclamaient  la  protection  de  la  France 
et  rétablissement  de  voies  de  communications  avec  la  côte.  La  situation  dans 
ces  régions  est  satisfaisante,  grâce  à  l'énergie  du  1*  de  vaisseau  Bretonnet  et 
de  MM.  Cuman,  de  Bernis  et  Veyssière  qu'il  a  laissés  comme  résidents  à  Ho, 
Boussa  et  Parakou.  D'après  un  télégramme  récent,  le  maréchal  des  logis  de 
Bernis  vient  d'être  tué  dans  une  éch^ufifourée  avec  des  indigènes. 

Peu  de  temps  avant,  M.  Bretonnet,  le  capitaine  d'inf"*^  de  marine  Ver- 
meersch  était  rentré  en  France.  D'abord  adjoint  au  capitaine  Baud  pour  roccu- 
pation  du  Gourma,  il  avait  été  envoyé  au  Borgou  en  juillet  1897,  au  moment 
où  les  Baribas  venaient  de  se  soulever  et  d'attaquer  le  poste  de  Kouandé, 
vigoureusement  défendu  par  le  P  Aymès;  nommé  alors  résident  au  Borgou, 
il  rejoignit  en  toute  hâte  le  siège  de  son  commandement.  Des  renforts  ayant 
dû  être  envoyés  dans  le  pays,  le  capitaine  Ganier  prit  le  commandement 
des  troupes,  et,  avec  l'aide  du  capitaine  Vermeersch  comme  chef  d'état-major, 
réussit  à  pacifier  le  pays.  Cette  région,  où  la  population  est  dense,  est  fort 
riche  et  possède  de  vastes  pâturages.  Le  capitaine  Vermeersch  a  fait  de  nom- 
breux relevés  géographiques  de  cette  contrée  à  peine  connue  jusqu'ici. 

Des  incidents  se  sont  produits  à  diverses  reprises  sur  les  confins  du  Lagos 
et  du  Borgou,  par  suite  des  tentatives  des  Anglais  d'occuper  divers  points 
en  dedans  de  notre  ligne  de  postes.  Des  officiers  et  sous-ofiQciers  arrivent  sans 
cesse  au  Niger  et  au  Lagos  et  la  création  de  nouvelles  compagnies  de  haoussas 
sous  leurs  ordres  se  poursuit  de  plus  en  plus. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  483 

Adaxnaoua  :  Les  épaves  de  la  mission  Mizon,  —  Lorsque  la  mission  Mizon 
fut  brusquement  interrompue  par  la  C*®  anglaise  du  Niger,  un  de  ses  bateaux, 
le  Sergent  MalanUne,  fut  saisi  par  celle-ci  et  confisqué.  Mais  les  tirailleurs 
laissés  à  Yola,  près  du  sultan  de  FAdamaoua,  y  restèrent  longtemps  encore 
sous  la  conduite  du  sergent  Ahmed.  Une  correspondance  adressée  au  Temps 
nous  fait  connaître  le  sort  de  ces  épayes  de  la  mission  Mizon.  La  Royal  Niger 
Company  a  toujours  un  ponton  à  Yola,  mais  elle  n'a  pas  pu  réussir  à  établir 
une  résidence  à  terre.  A  force  d'intrigues  et  de  cadeaux,  elle  a  fini  par  obte- 
nir du  sultan  le  renvoi  du  sergent  Abmed.  Les  tirailleurs  qui  raccompa- 
gnaient entrèrent  alors  au  service  du  sultan.  Quant  aux  marchandises  du 
Sergent  Malamine,  elles  ont  été  vendues  au  plus  grand  profit  de  la  R.  N.  Cy, 
Celle-ci  a  également  fait  détruire  le  bateau  qui  a  été  transformé  en  1897,  en 
bois  à  brûler. 

n  faut  vraiment  la  mansuétude  inaltérable  du  quai  d'Oroay  pour  ne  pas 
avoir  appuyé  plus  vigoureusement  auprès  de  FAngleterre  la  demande  d'in- 
demnité réclamée  pour  la  mission  Mizon.  Il  en  est  de  même,  du  reste,  pour 
les  Pères  Blancs  de  l'Ouganda.  Les  uns  et  les  autres  auront  bien  gagné  — 
quand  ils  l'obtiendront  un  jour  —  la  réparation  qui  leur  est  due  et  qui  leur 
e8t  depuis  si  longtemps  promise. 

Congo  français  :  Haoussas.  —  Les  convois  d'indigènes  haoussas,  origi- 
naires des  environs  du  Niger  et  du  lac  Tchad,  descendent  parfois  dans  le 
bassin  de  la  haute  Sangha  pour  y  trafiquer  avec  les  blancs  et  les  noirs.  Ces 
Haoussas,  excellents  commerçants,  viennent  du  nord,  par  terre  jusqu'à  Nola, 
d'où  le  gouvernement  français  les  fait  transporter  par  pirogues  jusqu'à 
Bayanga.  Jusqu'en  ces  derniers  temps,  ils  achetaient  des  produits  dans  la 
haute  Sangha,  la  haute  Goko  et  retournaient  chez  eux.  A  Yola,  sur  la 
Bénoué,  ils  vendaient  leur  ivoire  aux  Anglais  de  la  O^  du  Niger.  Le  Gou- 
vernement français  a  cherché  à  fixer  les  Haoussas  dans  notre  région.  Déjà, 
plusieurs  colonies  de  ces  indigènes  se  «^ont  créées  à  Carnot,  Bania  et  Nola, 
et  vont  donner  un  grand  essor  au  commerce  local. 

Natal  :  Annexion  du  Zoulouland.  —  Le  Parlement  de  la  colonie  de  Natal 
vient  de  voter,  malgré  une  vive  opposition,  l'acte  d'incorporation  du  Zoulou- 
land  à  la  colonie,  dont  la  frontière  va  être  ainsi  reportée  à  la  limite  méridio- 
nale des  possessions  portugaises.  L'opposition  était  motivée  par  l'énorme 
accroissement  de  population  indigène  qui  en  résultera  pour  la  colonie. 

Le  Natal  agrandi  aura  environ  600.000  habitants  noirs  contre  seulement 
45.000  blancs,  soit  13  contre  1.  Au  Cap,  sur  1.500.000  habitants,  on  compte 
1.100.000  individus  de  couleur  contre  près  de  400.000  blancs,  soit  environ 
1  blanc  sur  3  noirs.  Les  possessions  françaises  de  l'Afrique  du  Nord,  les  seuls 
pays  d'Afrique  qui  puissent  se  comparer  au  Cap  et  au  Natal,  ont  un  peu 
plus  de  550.000  Européens  sur  moins  de  6  millions  d'habitants. 

Transvaal  t  Réélection  du  président  Kruger.  •—  Les  élections  à  la  prési- 
dence^  qui  viennent  de  se  terminer  au  commencement  de  février»  ont  amené 


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184  HEVUE  FRANÇAISE 

la  réélection  pour  5  ans  du  président  Paul  Kruger,  qui  a  obtenu  12.764  suf- 
frages, contre  3.716  donnés  à  M.  Schalk  Bui^r,  candidat  préféré  de  la  popu- 
lation industrielle,  et  1.943  au  général  Joubert.  Cette  majorité  considérable 
témoigne  de  l'influence  que  V  a  oncle  Paul  >  exerce  sur  ces  compatriotes. 
Élu  pour  la  1"  fois  président  en  1882,  M.  Kruger  fut  réélu  en  1888  et  en 
1893.  Né  en  1825,  à  Colesberg,  près  de  TOrange,  il  fit  partie  des  premiers 
Boêrs  qui  quittèrent  la  colonie  du  Cap  pour  conserver  leurs  franchises  et 
leurs  lois,  et  vinrent  se  fixer  avec  Prétorius,  au-delà  du  Vaal. 

Madagascar  :  Situation.  —  La  tranquillité  la  plus  complète  règne  sur 
le  plateau  central  ;  mais  Faction  de  la  justice  française  ne  peut  avoir  raison 
des  vols  et  déprédations  commis  par  les  Malgaches,  et  la  nécessité  d'une 
législation  spéciale  se  fait  de  plus  en  plus  sentir. 

Les  querelles  religieuses  sont  en  voie  d*apaisement.  La  Société  des  missions 
évan^liques  de  Paris  a  ouvert  la  li^  école  protestante  française  à  Tananarive. 

Dans  le  sud  le  roi  des  Baras,  Isambo,  a  fait  sa  soumission.  Les  Baras  et  les 
Antanosses  ont  demandé  à  être  protégés  contre  les  Mahafales  qui  restent 
absolument  hostiles  à  toute  idée  de  progrès  et  de  pénétration. 

Les  progrès  de  la  pacification  ont  permis  le  rapatriement  de  2  compagnies 
de  tirailleurs  algériens  ;  une  3^  sera  rapatriée  en  février,  la  4®  et  dernière  en 
mars.  Les  effectif  des  troupes  d'infanterie  vont  être  réduits  et  une  compagnie 
de  conducteurs  sera  supprimée,  en  vue  de  réduire  les  dépenses  militaires. 

Révolte  sakalave.  —  Le  colonel  Septans  s'occupe  activement  de  la  création 
de  postes  en  vue  de  couper  les  Sakalaves  de  la  mer.  A  la  suite  des  dernières 
opérations,  l'occupation  du  port  de  Tamboharono,  centre  important  du 
commerce  comorien  et  indien,  a  été  efifectuée  le  4  janvier.  Par  suite  les  Saka- 
laves du  Mahilaka  vont  être  privés  de  leur  principale  base  de  ravitaillement 
en  poudre  et  en  armes.  Les  inondations  des  vallées  de  Tsiribihina  et  du 
Manambolo  maintiennent  le  statu  quo.  Toutefois,  des  soumissions  isolées  se 
produisent.  Les  Sakalaves  sont  surtout  dispersés  en  petites  bandes  de  pillards 
qu'il  sera  facile  de  réduire  peu  à  peu. 

La  justice  française  et  les  Malgaches,  —  Une  correspondance  adressée  au 
Journal  des  Débats,  signale  les  graves  inconvénients  que  comporte  l'applica- 
tion aux  Malgaches,  par  le  tribunal  de  Tananarive,  des  lois  françaises.  Dans 
toutes  les  colonies  il  est  admis  en  principe  que  l'annexion  ne  peut  conférer 
d'emblée  aux  indigt^nos,  les  mêmes  droits  qu'aux  Européens.  Ainsi  les  indi- 
gènes continuent  à  être  régis  par  leur  ancien  statut  personnel  et  leur  situa- 
tion ne  peut  être  modifiée  que  par  une  autorisation  du  pouvoir  souverain. 
Or  les  magistrats  de  Tananarive  professent  une  opinion  diamétralement 
opposée,  qui  ne  tend  rien  moins  qu'à  proclamer  l'égalité  juridique  des  Mal- 
gaches et  des  Français  et,  par  suite,  à  remettre  en  cause  indirectement  bien 
des  questions  tranchées  par  l'autorité  supérieure.  Que  l'assimilation  se  fisisse 
un  jour  et  graduellement  est  une  chose  vraisemblable.  Mais  il  n'est  pas 
admissible  qu'au  sortir  d'une  insurrection  des  plus  graves,  dans  un  pays  où 
notre  domination  est  à  peine  établie,  les  Malgaches  puissent  se  soustraire»  en 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  185 

s'abritant  derrière  rarseoal  des  lois  françaises,  au  code  indigène  qui  les  régit 
et  à  tous  les  arrêtés  concernant  la  réglementation  du  travail,  la  justice  indi- 
gène, renseignement,  etc.  En  Algérie,  les  indigènes,  si  différents  des  Euro« 
péens  par  leurs  mœurs  et  leurs  usages,  sont  régis  encore  aujourd'hui  par 
une  législation  qui  leur  est  propre,  ont,  en  un  mot,  leur  statut  personnel. 
Pourquoi  n*en  serait-il  pas  de  même  à  Madagascar  où  la  conquête  ne  date 
que  d'hier?  Agir  autrement  serait  paralyser  toute  notre  administration, 
enlever  leur  efficacité  aux  mesures  propres  à  assurer  la  tranquillité  des 
indigènes  et  rendre  presque  impossible  la  colonisation  française  à  Mada- 
gascar et  l'exploitation  des  richesses  naturelles  de  la  grande  île. 

Traité  anglo-abyssin.  —  Le  traité  que  la  mission  anglaise  en  Abys^ 
sinie  avait  conclu  avec  Ménélik,  en  1897,  vient  seulement  d'être  publié.  On 
verra,  par  le  texte  ci-dessous,  que  le  négus,  loin  de  faire  alliance  avec  les 
Mahdistes,  s'engage  à  interdire  le  passage  des  armes  et  munitions  qui  leur 
seraient  destinées. 

La  frontière  du  Somali  britannique  est  délimitée  par  une  convention  an- 
nexe. Mais  le  traité  publié  est  muet  sur  Textension,  prématurément  annoncée, 
de  la  frontière  d'Abyssinie  jusqu'au  Nil  et  à  l'Albert  Nyanza. 

Voici,  d'après  le  Livre  bleuy  le  texte  du  traité  signé  à  Addis-Abeba,  le  14  mai 
1897,  par  M.  Rennel  Rodd,  représentant  de  l'Angleterre. 

Article  premier.  -^  Les  sujets  ou  personnes  protégées  par  chacune  des 
deux  parties  contractantes  ont  pleine  liberté  d'entrer,  de  sortir  et  commercer 
dans  les  territoires  réciproques  et  jouiront  de  la  protection  du  gouvernement 
du  pays  où  ils  se  trouvent;  mais  il  est  défendu  à  chacune  des  parties  contrac- 
tantes de  passer  la  frontière  de  ces  pays  avec  des  forces  armées,  sous  quelque 
prétexte  que  ce  soit,  sans  avoir  obtenu  d'avance  l'autorisation  des  autorités 
compétentes. 

Art.  2.  —  La  frontière  du  protectorat  britannique  sur  la  côte  des  Somalis 
reconnue  par  l'empereur  Ménélik,  sera  déterminée  plus  tard  par  l'échange 
de  notes  entre  James  Rennell  Rodd,  représentant  S.  M.  la  Reine,  et  le  roi 
Makonnen,  représentant  S.  M.  l'empereur  Ménélik,  à  Harrar.  Ces  notes  seront 
annexées  au  présent  traité,  avec  lequel  elles  formeront  partie  intégrante, 
aussitôt  qu'elles  auront  reçu  l'approbation  dos  hautes  parties  contractantes; 
on  attendant,  le  sttUu  quo  sera  maintenu. 

Art.  3.  —  La  route  des  caravanes  entre  Zeyla  et  Harrar  via  Gildessa  sera 
ouvel^te,  dans  toute  sa  longueur,  au  commerce  des  deux  nations. 

Art.  4.  —  S.  M.  l'empereur  de  l'Ethiopie,  d'une  part,  accorde  à  la 
Grande-Bretagne  et  à  ses  colonies,  en  ce  (jui  concerne  les  droits  d'entrée  et 
les  taxes  locales,  tous  les  avantages  qu'elle  accordera  aux  sujets  d'autres 
nations; 

D'autre  part,  tout  le  matériel  destiné  exclusivement  au  service  de  l'État 
éthiopien  aura  le  droit  de  passer  par  Zeïla  pour  entrer  en  Ethiopie  en  tran- 
chise  de  douane. 

Art.  5.  —  Le  transit  de  tous  les  engins  de  guerre  et  munitions  destinés 


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tes  REVUE  FRANÇAISE 

à  S.  M.  l'empereur  de  TÉthiopie  est  autorisé  à  trayers  les  territoires  britan- 
lùques,  dans  les  conditions  prescrites  dans  Tacte  général  de  Bruxellfô,  signé 
le  2  juillet  1890. 

A  HT.  6.  —  S.  M.  Tempereur  Ménélik  II,  roi  des  rois  d'Ethiopie,  s'engage 
vis-i\-vis  du  gouvernement  de  S.  M.  Britannique  de  faire  tout  en  son  pouvoir 
pour  empêcher  le  passage  à  travers  son  empire  des  armes  et  munitions  à 
dt^li  nation  des  mahdistes,  qu'il  déclare  les  ennemis  de  son  empire. 

Le  présent  traité  doit  entrer  en  vigueur  aussitôt  que  sa  ratification  par 
S,  M.  Britannique  aura  été  notifiée  à  l'empereur  d'Ethiopie;  mais  il  est 
ent*indu  que  les  prescriptions  de  l'article  6  seront  applicables  à  partir  du 
jour  de  sa  signature. 

En  foi  de  quoi,  etc. 

hiit  à  Addis  Abeba,  le  14  mai  1897. 

Lfi  document,  rédigé  en  anglais  et  en  amhara,  outre  une  traduction  fran- 
çaise, contient  plusieurs  annexes.  L'une  d'entre  elles  se  rapporte  aux  fron- 
tières du  protectorat  anglais  dans  le  pays  des  Somalis,  dont  la  limite  est 
T\\(*€^  comme  suit  dans  une  lettre  du  ras  Makonnen,  gouverneur  du  Harrar  : 

*>  Elle  part  de  la  côte  en  face  d'Adou.  Elle  suit  la  route  des  caravanes  par 
AbltfiH-Sones,  jusqu'au  mont  Somadou,  d'où  elle  touche  les  monts  Sou  et 
Ef^ii  :  puis  elle  se  dirige  sur  Mogamedin,  d'où  elle  va  en  ligne  droite  jusqu'à 
Aimn-Arche,  à  l'intersection  du  44«  degré  est  de  Greenwich  avec  le  9«  degré 
nord.  Une  ligne  droite  est  tirée  de  ce  point  jusqu'à  l'intersection  du  47*  degré 
est  de  Greenwich  et  du  8«  degré  nord.  Là,  la  frontière  suit  le  tracé  indiqué 
ilana  le  protocole  anglo-italien  du  8  mai,  jusqu'à  la  mer.  » 

Côte  française  des  Somalis  :  Chemin  de  fer  de  Djibouti,  —  Les  tra- 
vaux du  chemin  de  fer  de  Djibouti  à  Harrar,  commencés  dans  le  courant  de 
181>7,  sont  poussés  avec  activité.  Le  tracé  de  la  ligne  est  terminé  de  Djibouti 
au  50®  kilomètre  et  la  construction  se  fait  sur  tout  ce  secteur.  La  plate-forme 
est  préparée  sur  une  longueur  de  10  kil.  et  prête  à  recevoir  le  rail.  Le  tracé 
dû  ]ii  voie  part  du  point  où  sont  construits  les  grands  magasins  des  Message- 
ries Maritimea.  C'est  dans  la  baie  naturelle  d'où  part  la  ligne  que  sera  établi 
le  port  projeté.  Une  jetée  de  200  mètres,  avec  appontement  à  son  extrémité, 
H  éW'  construite  par  la  O®  du  chemin  de  fer  pour  faciliter  le  débarque- 
nïciil  de  son  matériel.  Les  bâtiments  servant  de  magasins  sont  déjà  édifiés 
i4  une  petite  locomotive  dessert  les  chantiers  de  la  voie  en  construction.  Les 
ï^unmiis  employés  aux  travaux  de  terrassement  font  preuve  de  bon  vouloir 
suns  la  direction  d'ouvriers  français.  Des  brigades  d'études  sont  échelonnées 
du  kil.  50  au  kil.  130  afin  de  préparer  la  construction  de  la  voie  après 
riiitiiWement  des  50  premiers  kilomètres.  Les  ingénieurs  estiment  que  la 
1'  î^<^cition,  de  Djibouti  à  Mordalé  (120  kil.),  pourra  être  terminée  et  livrée  à 
Iri  iin  de  1898.  Le  l^*"  tronçon  est  en  territoire  français  sur  80  kil. 

Soudan  oriental  :  Préparatifs  contre  les  Mahdistes,  —  Les  nouvelles  de 
la  marche  des  explorateurs  français  sur  le  haut  Nil  ont  eu  pour  conséquence 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  187 

de  précipiter  les  préparatifs  que  font  1^  Anglais  pour  marcher  sur  Khartoum. 
3  bataillons  anglais  qui  tenaient  garnison  en  Egypte  sont  partis  pour  le 
Soudan,  où  n'opéraient  jusqu'alors  que  des  troupes  ég}T)tiennes.  Ces  batail- 
lons ont  été  remplacés  par  3  autres  provenant  de  la  Méditerranée  et  par 
2  qui  rentraient  de  Tlnde  en  Angleterre.  Actuellement,  le  corps  expédition- 
naire comprend  18.000  soldats  égyptiens,  3  bataillons  anglais,  plus  la  flottille 
des  canonnières  du  Nil.  Les  troupes  anglaises  sont  commandées  par  le  général 
Gatacre,  mais  placées  sous  la  haute  direction  du  sirdar  de  Tarmée  égyptienne, 
sir  Kitchener. 

En  attendant  le  retour  de  la  saison  favorable  pour  les  opérations,  quelques 
légères  escarmouches  ont  lieu  de  temps  à  autre  avec  les  Mahdistes.  Les  canon- 
nières ont  poussé  une  reconnaissance  sur  le  Nil  jusqu'à  180  kilom.  en  amont 
de  Berber  et  ont  capturé  un  certain  nombre  de  bateaux  chargés  de  grain, 
après  avoir  passé  sans  difficulté  devant  les  campements  mahdistes  de  Chendy 
et  de  Métemmeh.  Le  poste  le  plus  avancé  des  Anglo-Égyptiens  sur  le  Nil  est 
à  El-Damer,  au  confluent  de  TAtbara. 

Entre  ce  point  et  Kassala,  les  troupes  indigènes  de  Fltalie,  enrégimentées 
sous  le  drapeau  anglais,  après  la  cession  de  Kassala  (déc.  1897),  se  sont  em- 
parées das  petits  postes  derviches  d'Osobri,  Mougatta  et  Soufieh.  Enfin,  un 
service  postal  relier  a  été  établi  entre  Souakim,  Berber  et  Kassala,  et  pro- 
chainement le  télégraphe  sera  établi  entre  ces  trois  villes. 

Quant  aux  derviches,  dont  on  avait  annoncé  la  marche  sur  Berber,  au 
nombre  de  30  à  40.000,  ils  n'ont  pas  quitté  leurs  retranchements,  où  ils 
attendent  sans  doute  qu*on  les  attaque.  Démoralisés,  mal  commandés  et 
n'ayant  point  Tardeur  fanatique  de  ceux  qui  résistèrent  à  l'expédition  Wol- 
seley,  ils  ne  seront  sans  doute  pas  un  ennemi  bien  redoutable  pour  l'armée 
anglo-égyptienne. 

TripoUtaine  :  Commerce  avec  le  Soudan,  -^  Le  commerce  entre  Tripoli, 
Benghazi,  Ghadamès,  Rhat  et  le  Soudan  a  atteint,  dans  les  meilleures  an- 
nées, 10  et  11  miUions  de  francs,  importations  et  exportations  totalisées.  En 
1895,  le  chiffre  n'a  été  que  de  7  millions  et  en  1896  que  de  5.700.000  fr. 

L'état  troublé  du  Soudan  et  la  situation  précaire  du  Bomou  sont  les  prin- 
cipales causes  de  cet  abaissement  d'environ  moitié.  Mais  il  faut  aussi  tenir 
compte  de  la  concurrence  des  ports  des  autres  régions  d'Afrique,  car  Tripoli 
et  Zanzibar  ne  sont  plus  comme  autrefois,  les  seules  portes  ouvertes  à  l'Eu- 
rope sur  le  centre  africain. 

ASIE  ET  DIVERS 

Laos  :  Navigabilité  du  Mékong.  —  M.  P.  de  Barthélémy  a  fait  connaître 
à  la  S*^  de  géographie  de  Paris,  ses  observations  relatives  à  l'utilisation  du 
Mékong.  Entre  Luang-Prabang  et  Vien-Tiane,  les  rapides  ne  paraissent  pas 
pratiquement  franchissables.  La  seule  partie  du  fleuve  réellement  utilisable 
actuellement  est  le  grand  bief  de  650  kilomètres  compris  entre  Vien-Tiane 
et  Savannakhek.  On  tombe  ensuite  dans  les  rapides  de  Kemmarat  qui  ne 


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488  REVUE  FRANÇAISE 

sont  praticables  que  pour  des  transports  par  pirogues,  auxquelles  on  préfère 
généralement  les  caravanes.  Vient  ensuite  le  court  bief  de  Bassac,  navigable 
la  plus  grande  partie  de  l'année  pour  des  vapeurs  de  faible  tirant  d'eau  jus- 
qu'à Rhong.  De  Khong  à  Khône,  les  pirogues  redeviennent  nécessaires.  Enfin, 
l'île  de  Rh6ne  barre  la  route  et,  plus  bas,,  on  ne  peut  franchir  par  vapeur  les 
rapides  de  Préapatang,  de  Sambor  et  de  Samboc  qu'à  la  saison  des  pluies 
(cinq  mois  environ).  Le  service  des  vapeurs  redevient  r^ulier  de  Kratié 
à  Pnompenh. 

Le  régime  du  Mékong  le  rend  inapte,  suivant  M.  de  Barthélémy,  à  tout 
transport  fluvial  rapide  et  régulier  au-dessus  de  Kratié,  sauf  sur  le  bief  de 
Savannakhek  à  Vien-Tiane.  C'est  pour  ces  motifs  que  le  commerce  du  Laos 
appartient  actuellement  au  Siam  pour  la  majeure  partie. 

Hong-Kong  :  Commerce  et  navigation  en  4896,  —  L'année  1896  a  été  des 
plus  favorables  pour  Hong-Kong.  Sur  un  total  de  333.671.000  taels  hatkwan  (1) 
qui  représente  le  commerce  extérieur  total  de  la  Chine,  43  0/0,  soit 
145.409.000  taëls  de  marchandises,  sont  entrés  ou  sortis  par  le  port  anglais 
de  Hong-Kong.  Aucun  autre  port  n'atteint  ce  chiflfre.  Cette  prospérité  tient  à 
la  magnifique  position  géographique  de  Hong-Kong,  à  Tabsence  de  douanes 
et  aux  facilités  de  toutes  sortes  offertes  au  commerce. 

11  a  été  transporté  en  1896,  par  les  navires  européens,  6.677.500  tonnes  de 
marchandises  à  Hong-Kong.  Les  importations  proviennent  surtout  de  la  Chine 
et  de  Formose  (787.000  tonnes),  du  Japon  (561.000  t.),  de  la  Cochinchine 
(418.600  t.),  du  Siam  (325.000  t.),  de  l'Inde  et  de  Singapour  (261.000  t.),  de 
l'Angleterre  (159.000  t.),  des  Indes  néerlandaises  (153.000  t.),  des  ÉlaU- 
Unis  (145.000  t.),  d'Haïnan  et  du  Tonkin  (124.000  t.),  des  Philippines 
(106.000  t.),  etc. 

Les  exportations  d'Hong-Kong  ont  été  dirigées  surtout  vers  la  Chine  et  For- 
mose (1.500.000  t.),  rinde  et  Singapour  (282.500  t.),  le  Japon  (213.500  t.). 
Haïnan  et  le  Tonkin  (104.000  t.),  etc. 

En  1896,  les  entrées  et  les  sorties  du  port  de  Hong-Kong  ont  porté  sur 
80.463  navires  jaugeant  16.516.000  tonnes,  dont  6,454  navires  anglais  jaugeant 
8.758.000  t.  (le  mouvement  maritime  de  Liverpool  a  été,  en  1896,  de 
40.200  navires  et  17.585.000 1.).  Le  tonnage  total  a  dépassé  de 883.840 1.,  soit 
5,65  0/0,  celui  de  1895.  Les  augmentations  portent  uniquement  sur  les  pa- 
villons anglais,  allemand,  japonais  et  chinois.  Le  tonnage  des  navires  alle- 
mands (2™«  rang)  entrés  à  Hong-Kong  a  été  de  857.000  t.  contre  seulement 
165.000  tonnes  françaises.  La  France  ne  vient  même  qu'au  A^  rang,  la  Chine 
la  dépassant  avec  248.000  tonnes  à  l'entrée. 

Depuis  1889,  aucun  voilier  français  n'est  entré  à  Hong-Kong.  Mais  tandis 
que  la  progression  d'une  année  sur  l'autre  a  été  de  5,50  0/0  pour  le  pavillon 
anglais,  de  23  0/0  pour  le  pavillon  allemand,  elle  s'est  élevée  à  195  0/0  pour 
le  pavillon  japonais.  Ce  dernier,  qui  ne  tenait  qu'une  place  infime  avant  la 

(1)  1  taël  haïkwan  valail4fr.  20  en  1896. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  189 

guerre  si  no-japonaise,  arrive  aujourd'hui  au  5®  rang  (146.000  t.)  et  doit  son 
augmentation  principalement  aux  nouvelles  lignes  de  navigation  créées  par 
le  Japon. 

Chine  :  Succès  de  la  politique  anglaise.  —  Un  événement  des  plus  impor- 
tants vient  de  se  produire  dans  la  lutte  d'influence  que  se  livrent  depuis 
longtem/ps  TAngleterre  et  la  Russie  à  la  cour  de  Pékin.  La  Chine  vient,  en 
effet,  de  décider  que  toutes  les  voies  navigables  de  l'empire  seraient  ouvertes 
au  commerce  étranger.  Cet  avantage,  bien  qu'applicable  à  toutes  les  nations, 
est  particulièrement  favorable  au  commerce  anglais,  puisque  celui-ci  repré- 
sente les  4/S*»  du  mouvement  commercial  étranger  en  Chine.  En  outre,  la 
Chine  assure  à  un  Anglais  la  succession  de  sir  Robert  Hart,  dans  cette  ma- 
gnifique position  d'inspecteur  général  des  douanes  qui  donne  à  son  titulaire 
une  si  haute  part  d'influence.  Enfin,  au  point  de  vue  politique,  l'Angleterre, 
qui  a  toujours  eu  des  visées  sur  le  riche  bassin  du  Yang-lsé-Kiang,  ne  pou- 
vant absorber  ce  uiorceau  un  peu  gros  du  Céleste  empire,  obtient  de  la  Chine 
(le  ne  jamais  céder  ou  donner  à  bail  une  partie  quelconque  de  cette  région. 
C'est  là  une  imitation  de  la  convention  franco-anglaise  du  Siam  relativement 
au  bassin  du  Ménam.  Voici  comment  une  dépêche  de  Londres  du  22  lévrier 
annonce  ces  nouvelles  : 

Le  Foreign  Office  fait  savoir  que  le  ministre  anglais  à  Pékin  a  obtenu  ds 
la  Chine  les  concessions  suivantes  : 

!♦*  Les  cours  d'eau  navigables  de  l'intérieur  de  la  Chine  seront  ouverts, 
dans  le  courant  du  mois  de  juin  prochain,  aux  vapeurs  britanniques  et 
autres,  de  telle  sorte  que,  partout  où  des  traités  permettent  actuellement 
l'emploi  d'embarcations  indigènes,  les  étrangers  auront  également  le  droit 
de  se  servir  de  vapeurs  ou  de  chaloupes  à  vapeur  appartenant  soit  à  des 
Chinois,  soit  à  des  étrangers; 

2^  La  Chine  s'engage  formellement  vis-à-vis  de  la  Grande-Bretagne  à  ne 
donner  à  bail,  ni  à  hypothéquer,  ni  à  vendre  à  quelque  puissance  que  ce 
soit,  des  territoires  de  la  vallée  et  de  la  région  du  Yang-Tsé  ; 

30  La  Ciiine  s'engage  à  confier  toujours  à  un  Anglais  les  fonctions  d'ins- 
pecteur général  des  douanes,  tant  que  le  commerce  anglais  avec  les  ports  de 
la  Chine  continuera  à  dépasser  celui  d'une  autre  puissance  quelconque; 

4*>  Un  port  sera  ouvert  avant  deux  ans  dans  la  province  de  Hou-Nan. 

Enfin,  comme  couronnement  de  ce  succès  diplomatique,  l'emprunt  de 
16  millions  de  livres  sterling,  qui  doit  servir  à  payer  le  dernier  acompte  dû 
au  Japon  sur  l'indemnité  de  guerre,  sera  émis  en  commun  par  une  banque 
anglaise  et  une  banque  allemande. 

Japon  :  Traité  de  commerce  avec  la  France.  —  Le  Journal  Officiel  du 
15  janvier  1898  a  promulgué  une  loi  du  13  du  même  mois  approuvant  le 
traité  de  commerce  et  de  navigation  signé  à  Paris  le  4  août  4896  par 
M.  Hanotaux  et  le  ministre  plénipotentiaire  du  Japon.  Nous  avons  eu  sou- 
vent à  signaler  les  progrès  considérables  de  l'empire  du  Soleil-Levant.  Ce 


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i90  REVUE  FRANÇAISE 

traité  ne  peut  que  donner  un  nouvel  essor  à  son  développement  commer- 
cial. Si  nos  négociants  doivent  bénéficier  des  taxes  réduites  appliquées  aux 
autres  puissances,  par  contre,  les  produits  japonais  seront  admis  dans  le 
délai  de  3  ans  au  droit  de  notre  tarif  minimum. 

L'une  de»  clauses  les  plus  importantes  de  ce  traité  est  la  renonciation  de 
la  France,  suivant  en  cela  celles  d'autres  nations  européennes,  à  la  juridic- 
tion consulaire  pour  ses  nationaux.  Ceux-ci  seront  désormais  justiciables  des 
tribunaux  japonais.  Il  sera  intéressant  de  voir,  par  l'application  qui  en  sera 
faite,  si  cette  concession,  faite  à  la  demande  expresse  du  Japon,  n'est  pas 
prématurée. 

Sibérie  :  Climat  de  Yakoutsk,  —  Nous  avons  indiqué  (R.  F.  t.  \X1, 
p.  685)  la  basse  température  qui  régnait  à  Verkhoîansk.  La  ville  de 
Yakoutsk  est  dotée  d'une  température  aussi  rode,  car  il  y  gèle  sans  inter- 
ruption du  15  septembre  au  15  mai,  et  le  thermomètre  oscille  entre 
—  68**  et  —  48».  La  température  moyenne  de  Thiver  est  de  —  55^. 

Du  15  mai  au  15  septembre,  la  gelée,  devenue  rare,  disparait.  Une  tempé- 
rature douce  lui  succède,  et,  en  moins  de  100  jours,  les  céréales  peuYent 
être  semées,  germer  et  mûrir.  L'été,  la  température  moyenne  dépasse  22^. 

11  faut  à  peine  80  jours  pour  que  le  blé  noir  de  Koubao  mis  en  terre 
puisse  être  récolté;  les  blés  tendres  n'exigent  que  77  jours^  le  seigle,  l'orge, 
l'avoine,  que  71. 

Alaska  :  Un  curieux  lac.  —  La  Revue  française  a  signalé  (t.  XXII,  1897, 
p.  682)  l'existence,  dans  l'Alaska,  d'un  lac  extraordinaire  qui  ne  gèle  pas,  et 
dont  les  eaux  sont  plus  froides  en  été  qu'en  hiver,  M.  Féret,  dans  le  Cosmos 
(8  janvier  1898)  propose  quelques  explications  relatives  à  ces  phénomènes. 
On  ne  connaît  pas,  dit-il,  de  communication  du  lac  Salawick  avec  la  mer 
mais  il  doit  en  exister  une  par  un  canal  souterrain  sinueux,  car  le  niveau 
moyen  de  la  mer  est  aussi  sensiblement  celui  du  lac.  Or,  il  doit  se  produire 
dans  le  lac  un  phénomène  semblable  à  celui  de  la  marée  pénétrant  dans 
les  rivières.  La  marée  montante  s'oppose  à  lecouïement  des  eaux  de  la 
rivière  qui  se  gonfle.  Au  contraire,  la  marée  descendante  laisse  écouler  les 
eaux  qui  alimentent  la  rivière,  et  celle-ci  baisse. 

Si  le  canal  de  communication  supposé  est  assez  long,  le  lac  peut  se  trouver 
à  un  point  du  régime  des  eaux  où  les  mouvements  sont  sensibles,  sans  qu'il 
y  ait  aucun  mélange  apparent  des  eaux  salées  et  douces. 

Pour  expliquer  l'élévation  de  la  température  des  eaux  du  lac  en  hiver  et 
son  abaissement  en  été,  M.  Féret,  dit  ceci:  u  Si  le  lac  est  alimenté  par  quel- 
ques sources  souterraines  et,  par  conséquent,  assez  chaudes  et  d'une  tempé- 
rature constante,  le  degré  de  la  température  doit  s'y  élever  pendant  l'hiver, 
puisque  le  lac,  en  cette  saison,  n'est  alimenté  que  par  elles.  Quand  arrive  la 
saison  chaude,  les  glaciers  voisins  entrent  en  fusion  et  fournissent  des  tor- 
rents d'eau  dont  la  température  est  aux  environs  de  0».  Ce  puissant  apport 
&it  baisseï^  la  température  du  lac  jusqu'au  jour  où  les  torrents,  taris  dan» 


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NOUVELLES  GÉOGRAPfflQUES  ET  COLONULES  491 

leur  source  par  les  gelées  de  Thiver,  laissent  le  lac  s'alimenter  des  seules 
sources  à  température  plus  élevée.  » 

Colonisation  officielle  française.  —  Le  nombre  total  des  colons  fran- 
çais transportés  dans  nos  colonies  aux  frais  du  gouvernement  métropolitain 
depuis  trois  ans,  n'a  été  que  de  830  (275  en  1895,  i28i  en  1896,  274  en  1897). 
La  ÎS"«-Calédonie  en  a  reçu  le  plus  grand  nombre;  457  (115  en  1895,  179  en 
1896, 163  en  1897);  l'Indo-Chine  vient  aussitôt  après,  avec  308  colons  (129  en 
1895,  90  en  1896,  89  en  1897).  Les  autres  colonies  n'ont  reçu,  pendant  tr(ws 
années  que  les  nombres  suivants  de  colons  :  Sénégal,  14;  Guyane,  10; 
Madagascar,  8  (tous  en  1897);  Diego-Suarez  6  (tous  en  1895);  Nossi  6é,  5; 
k  Réunion  5;  Tahiti  3;  N"««-Hébrides  3;  Côte  d'Ivoire  2;  Martinique  2; 
ObociL  1;  Guadeloupe  1. 

BIBLIOGRAPHIE 

L'année  cartographique,  par  F.  Schrader,  Hachette  éditeur.  —  Le  7«  supplé- 
ment à  Tatlas  Schrader  vient  de  paraître.  U  contient  :  la  carie  de  la  population  de  la 
Russie;  les  itinéraires  Nansen,  Cbaflanjon,  Bonin,  Foureau,  Donaldsoû  Smith;  le 
cours  du  Niger  levé  par  la  mission  Hourst;  la  route  de  Konakry  au  Niger;  la  Somalie 
occidentale;  le  lac  Victoria  et  l'Ouganda;  le  réseau  ferré  mexicain;  la  région  monta- 
gneuse nord  du  Venezuela,  etc.  Ces  cartes  exécutées  et  reproduites  avec  le  plus  grand 
soin,  sont  accompagnées  d'un  texte  explicatif  et  d'un  résumé  des  principales  explora- 
tions. La  publication  de  Tannée  cartographique  permet  de  se  tenir  au  conrant  de 
toutes  les  découvertes  géographiques. 

Paris,  le  bombardement,  Buzenval,  par  Ddqubt,  avec  2  cartes  des  opéra- 
lions,  Charpentier  éditeur.  —  Ce  volume  forme  le  7*  de  l'œuvre  considérable  de  Fau- 
teur sur  la  guerre  de  1870.  Sa  partie  saillante  est  le  récit  de  la  bataille  de  Buzeuval 
ainsi  que  des  opérations  qui  la  préparèrent.  M.  Duquet  démontre  avec  sa  netteté 
habituelle  quelles  furent  les  fautes  qui  annihilèrent  complètement  les  efforts  et  les 
sacrifices  de  cette  dernière  grande  journée  du  siège.  Dans  un  autre  chapitre  il  expose 
les  résnltats,  insignifiants  au  point  de  vue  miUtaire,  du  bombardement^  qui  oe  fut 
qu'un  acte  barbare  de  la  part  des  vainqueurs.  Enfin  le  dernier  épisode  du  siège  est 
cette  journée  du  22  janvier  où  les  gardes  nationaux  qui  n'avaient  pas  sa  combattre 
tentèrent  de  renverser  un  gouvernement  aussi  incapable  que  maladroit.  Un  dernier 
volume  sera  consacré  aux  négociations  pour  la  paix. 

Le  comte  Ch.  de  Kinsky  vient  de  publier  un  ouvrage  fort  documenté  :  La  Conti- 
nent airicain,  Manuel  du  Diplomate^  qui  comble  une  lacune  dans  les  études 
parues  jusqu'alors  sur  le  continent  que  se  partagent  en  ce  moment  les  grands  états 
européens.  Il  donne  en  effet,  sous  une  forme  synoptique  et  très  claire,  la  situation 
politique  exacte  de  l'Afrique  à  l'heure  actuelle,  et  par  un  historique  indispensable, 
mais  réduit  avec  discernement,  il  nous  conduit  à  la  partie  pratique  :  Production  et 
Commerce,  traitée  à  fond  d'après  les  dernières  statistiques.  L'ensemble  de  ce  volume 
constitue  donc  un  vade-mecum  des  plus  utiles  à  qui  possède  ou  veut  avoir  des  inté- 
rêts eu  Afrique.  A.  Challamel,  éditeur,  17,  rue  Jacob. 

Les  expédUions  anglaises  en  Afrique,  par  le  l^-colonel  Septans,  1  fort 
vol.  gr.  in-S"  avec  29  cartes  ou  croquis,  7  fr.  Lavauzelle  éditeur.  —  Le  consciencieux 
ouvrage  du  colonel  Septans,  qui  est  à  la  fois  récit  historique,  travail  didactique  et  de 


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192  REVUE  FRANÇAISE 

critique,  retrace  les  dernières  campagnes  des  Anglais  en  Afrique.  Le  remarquable 
esprit  de  suite  qui  caractérise  la  politique  eitérieore  de  nos  voisins  est  sans  doute 
pour  quelque  chose  dans  leurs  succès.  Mais  on  n^est  pas  surpris  du  résultat  obtenu 
quand  on  constate  leur  habileté  dans  l'organisation  d'une  campagne  coloniale. 

Le  colonel  Septans  étudie  successivement  les  deux  expéditions  contre  les  Aschantis 
(1873  et  1896)  qui  sont  des  modèles  sous  le  rapport  de  la  préparation  et  de  Thygiène; 
la  guerre  contre  les  Zoulous  (1879)  marquée  tout  d'abord  par  un  désastre;  la  campagne 
d'Egypte  contre  Arabi  (1881)  et  celle  du  Soudan  qui  ne  put  arriver  à  Khartoum  au 
secours  de  Gordon.  Au  moment  où  les  Anglais  vont  reprendre  la  marche  sur  Khar- 
toum, le  récit  de  la  campagne  de  1884-1885  est  de  toute  actualité. 

Annuaire  illustré  de  Tarmée  coloniale.  —  Almanach  du  Marsouin 
pour  1808  (5*  année),  par  Ned-Noll.  1  Vol.  in-4'',  imprimé  avec  luxe,  contenant 
10  cartes  et  40  photogravures  teintées;  franco,  2  fr.  60.  Lav^uzelle,  éditeur.  —  Cesl 
le  type  le  plus  parfait  sous  tous  les  rapporta  qu'on  puisse  imaginer  dans  les  ouvrages 
de  ce  genre;  le  livre  classique  des  bibliothèques  pour  tout  ce  qui  a  trait  à  Tannée 
œloniale.  Dans  ce  siècle  d'informations  à  outrance,  il  importe  de  donner  à  l'actualité 
l'importance  qui  lui  revient  légitimement.  Aussi  l'auteur  fait-il  large  place  au  cha- 
pitre intitulé  «  L'Année  militaire  coloniale  i>,  dont  le  développement  augmente  tous 
les  ans.  M.  Ned  Noil  qui  est,  on  le  sait,  un  de  nos  bons  officiers  géographes,  a  égale- 
ment multiplié  les  cartes  coloniales,  augmenté  leur  degré  de  précision  et  tracé  des 
croquis  provisoires  permettant  de  suivre  la  marche  des  colonnes  et  des  reconnaissan- 
ces outre-mer.  La  partie  historique  est  traitée  avec  un  développement  œnsidérable. 
une  compétence  hors  pair,  et  se  complète  de  la  façon  la  plus  heureuse  de  photogra- 
phies inédites  rapportées  par  nos  officiers  renln's  récemment  de  mission. 

Encore  l'armée  coloniale,  ))ar  Ë.  de  Ouzman.  Broch.  in-S".  Lavauzelle,  (>di- 
leur.  —  L'organisation  proposée  par  M.  de  Guzman  paraît  fort  simple  et  peu  coû- 
teuse. L'armée  coloniale,  absolument  indépendante  de  l'armée  expéditionnaire,  doit 
avoir  pour  objet  la  garde  et  la  défense  des  colonies;  or,  l'artillerie  et  l'infanterie  dr 
marine  et  ses  succédanés  indigènes  suffisent  pour  la  constituer.  11  n'y  aurait  donc  qu'à 
compléter  et  réorganiser  ces  deux  armes,  qui  ont,  depuis  longtemps  déjà,  donné  leur 
mesure. 

Un  séjour  dans  111e  de  Java,  par  Jules  Leclercq.  Pion  éditeur.  —  Le  pays 
que  raconte  ce  livre,  c'est  Java,  l'tle  merveilleuse,  qui  rivalise  avec  l'Italie  par  ses 
paysages,  avec  la  Suisse  par  ses  beautés  alpestres,  avec  le  Brésil  par  ses  forêts  vierges, 
avec  l'Inde  par  ses  monum(!nts  et  ses  vestiges  de  civilisation  disparus.  C'est  une  des 
plus  belles  contrées  de  la  terre,  quoiqu'elle  soit  peu  connue  à  défaut  d'ouvrages  en 
langue  f^rançaise.  L'auteur  décrit  les  villes,  les  ruines  et  les  volcans  de  Java.  11  raconte 
quelques  épisodes  d'an  intérêt  captivant,  un  bal  à  Batavia,  une  réception  à  la  cour  de 
l'empereur  de  Java,  une  expédition  de  nuit  à  travers  la  foi-ét  vierge  du  Gédé.  A  une 
époque  où  les  questions  coloniales  sont  au  premier  plan,  on  lira  avec  intérêt  les  pages 
où  l'auteur  montre  comment  les  Hollandais  ont  su  organiser  une  possession  qoi  passe 
pour  la  plus  belle  du  monde.  Cette  étude,  sur  le  système  colonial  des  Hollandais,  est 
une  instructive  leçon  pour  les  peuples  colonisateurs. 


le  Gérant,  Edouard  BIARBEAU. 

IMPUMUII  CHAIX.  RDI  BEROÎM,  S0«  PAKIS.  —  4S34-S-98.  —  (IMT*  UrlIkU). 


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flINTERLAND  DU  DAHOMEY 

LA  MISSION  BAUD-VERMEERSCH  AU  GOLRMA 

Le  mouvement  colonial  qui  s'est  [iroduit  en  France  il  y  a  quelques 
années  n'a  éU»  nulle  part  plus  actif  que  dans  l'Afrique  occidentale.  Par 
plusieurs  points  du  littoral  la  France  cherchait  à  pénétrer  au  Soudan 
et  à  constituer  dans  le  bassin  du  ^iger  un  empire  des  Indes  noires  sem- 
blable à  celui  qu'avait  rêvé  Dupleix,  quoique  infiniment  moins  riche. 
C/est  par  le  Sénégal  et  le  Haut-Niger  que  la  marche  en  avant  s'effec- 
tuait avec  lo  plus  de  rapidité,  lorsque  la  conquête  du  Dahomey  vint 
nous  ouvrir  une  nouvelle  voie  d'accès  vers  la  boucle  du  Niger, 

Reserré  à  l'est  par  la  frontière  anglaise  de  Lagos,  à  l'ouest  par  la 
frontière  allemande  du  Togo,  le  Dahomey  n'était  qu'un  couloir  limité 
au  sud  par  la  mer.  Il  importait  donc  au  plus  haut  degré,  pour  ne  pas 
voir  ce  passage  se  transformer  en  impasse,  de  lui  donner  du  côté  du 
nord,  seul  côté  où  l'extension  fût  possible,  l'air  qui  lui  manquait  par- 
tout ailleurs.  Au  delà  du  O»' parallèle  les  frontières  allemande  et  anglaise 
n'étaient  plus  délimitées  et  un  vaste  champ  d'exploration  était  ouvert, 
dans  cette  région  presque  inconnue,  au  plus  entreprenant  et  au  plus 
actif. 

S'il  n'était  pas  facile  de  dire  exactement  quel  était  le  programme  colo- 
nial suivi  à  cette  époque  dans  les  hautes  sphères  gouvernementales, 
par  contre  il  n'en  était  pas  de  môme  parmi  les  «  coloniaux  »  français 
et  ceux-ci  avaient  pris  pour  but  de  leurs  efforts  de  réunir  les  unes  aux 
autres  nos  diverses  colonies  de  l'Afrique  occidentale  pour  en  faire  un 
seul  bloc. 

Nous  avons  déjà  exposé  comment,  par  la  con(|uète  du  Mossi,  la  mis- 
sion Voulet-Chanoine  avait  rivé  le  dernier  anneau  soudanais  à  la  chaîne 
de  nos  postes  s'étendant  du  Sénégal  au  Dahomey  (').  Nous  allons  cxjioser 
maintenant  les  efforts  non  moins  grands  et  non  moins  couronnés  de 
succès  tentés  par  la  voie  du  Dahomey. 

C'est  vers  la  région  nord  de  notre  nouvelle  possession  que  se  porta 
l'attention  du  gouverneur  du  Dahomey,  M.  Victor  Ballot,  auquel  la 
colonie  est  redevable  de  toutes  les  mesures  prises  pour  son  développe- 
ment et  sa  prospérité.  Il  fallait  tout  d'abord  reconnaître  le  haut  Daho- 

(li  Voir  Hevue  Française^  l.  Wll.  août  1897,  p.  /iHI,  nuv.  p.  GU. 

xiin(A\nl  U8).  N- iî32.  13 


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r 

1^ 


194  REVUE  FRANÇAISE 

mey  sur  lequel  on  n'avait  encore  que  de  vagues  données  géographiques. 
Ce  fut  l'alfaire  d'une  campagne  et  le  posle  de  Carnotville  fut  fondé 
('sept.  1894)  sur  la  limite  du  9^  parallèle.  C*estde  là  que  devaient  partir 
presque  toutes  les  missions  à  destination  de  Thinterland  du  Dahomey. 
Pendant  que  nous  reculions  notre  occupation  vers  le  nord  les  Anglais 
et  les  Allemands  en  faisaient  autant  dans  Thinterland  de  leurs  possessions 
maritimes  du  Togo  et  du  Lagos,  et  Ton  pouvait  prévoir  le  moment  où 
dépassant  les  limites  tracées  par  la  diplomatie,  les  missions  lancées  au 
nord  du  9*^  parallèle  allaient  se  trouver  en  conllit  d'intérêts  dans  la 
région  s'étendant  jusqu'au  Niger  et  qu'aucune  puissance  européenne  ne 
pouvait  revendiquer  à  la  suite  de  traités. 

Ce  fut  à  la  fin  de  1894  que  se  produisit  ce  grand  mouvement  d'explo- 
ration qui  porta  presque  à  la  fois,  Français,  Allemands  et  Anglais  jus- 
qu'au Niger.  La  première,  la  mission  dirigée  par  le  commandant  Decu^ur, 
pénétra  dans  l'hinterland  du  Dahomey  et,  après  avoir  visité  le  Borgou 
et  signé  un  traité  à  Nikki,  se  dirigea  sur  le  Gourma  et  Say,  qu'elle 
plaça  sous  protectorat  français,  suivit  le  Niger  jusqu'à  Léaba,  au  delà  de 
Boussa,  précédant  constamment  la  nnssion  allemande  Griiner  qui  crui 
assurer  le  Gourma  à  l'Allemagne  en  signant  un  traité  avec  un  chef  qui 
n'était  que  le  vassal  du  roi  de  Gourma.  Peu  après  le  gouverneur  Ballot 
se  rendait  à  Nikki  et  à  Boussa,  pendant  que  le  capitaine  Toutée  attei- 
gnait le  Niger  près  de  Badjibo  et  le  remontait  jusqu'au  delà  de  Say, 
après  avoir  fondé  le  poste  d'Arenberg,  qu'un  ordre  ministériel  lit 
évacuer  par  la  suite,  sur  les  réclamations  de  Compagnie  anglaise  du 
Niger.  Enfin  les  lieutenants  Baud  et  Vermeersch,  qui  avaient  dt»jà  ac- 
compagné M.  Dccœur,  se  rendaient  du  Dahomey  à  la  Côte  d'Ivoire  en 
contournant  les  possessions  anglaises  de  la  Cote  d'Or,  par  Sansaimé 
Mango,  Gambaka  et  Oua. 

A  la  même  époque,  la  mission  anglaise  Lugard  visitait  le  Borgou  cl 
la  mission  allemande  Grùner  et  de  Carnap  suivait  à  peu  près  le  même 
itinéraire  que  la  mission  Decœur.  Toutes  ces  missions  avaient  passé 
des  traités  avec  de  nombreux  chefs  indigènes.  Tel  fut  le  résultat  de  la 
campagne  1894-1895. 

L'année  suivante  fut  marquée  par  une  abstention  complète  du  côté 
des  Français.  Aux  efforts  vigoureux  tentés  par  une  série  d'explorateurs 
succéda  une  apathie  des  plus  regrettables.  Ce  n'était  cependant  pas 
tout  que  de  visiter  de  vastes  régions  et  de  passer  des  traités,  il  fallait 


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HIMERLAND   DU   DAHOMEY  195 

donner  une  sanction  à  ceux-ci  et  procéder  à  roccupation  effective  du 
pays.  Cest  ce  dont  se  préoccupaient  nos  rivaux  qui  avançaient  lente- 
ment et  sans  bruit  dans  l'intérieur  pendant  que  nous  cherchions  à  dé- 
brouiller par  voie  diplomatique  Técheveau  fort  obscur  des  traités  indi- 
gènes. Les  Allemands  occupèrent  ainsi  Timportante  position  de  Sansanné 
Mango  pour  servir  de  point  d'appui  à  la  marche  en  avant  qu*ils  pro- 
jetaient au  Gourma. 

Enfin,  une  réaction  se  produisit  en  France  au  moment  où  M.  Lebou 
prit  la  direction  de  nos  affaires  coloniales.  On  comprit  vite  en  haut  lieu 
ce  que  Toecupation  du  Gourma  par  les  Allemands  pouvait  avoir  de 
grave  et  on  résolut  de  rattraper  rapidement  le  temps  perdu.  A  la  fin 
de  1896,  deux  missions  étaient  formées  au  Dahomey  :  Tune,  sous  les 
ordres  du  capitaine  d'infanterie  de  marine  Baud,  avait  pour  but  de  pro- 
céder à  Foccupalion  effective  du  Gourma  afin  d'assurer  la  jonction  du 
Dahomey  au  Soudan  ;  l'autre  sous  les  ordres  du  lieutenant  de  vaisseau 
Brelonnet,  ancien  membre  de  la  seconde  mission  Mizon,  devait  occuper 
toute  la  région  comprise  entre  le  Borgou  et  le  moyen  Niger  jusqu'à 
Boussa. 

Nous  allons  suivre  dans  leur  marche  ces  deux  missions  auxquelles 
vint  s'ajouter  par  la  suite  l'expédition  qui  s'empara  de  Mkki,  la  capitale 
du  Borgou. 

DU   DAHOMEY   AU    GOUKMA 

I^  mission  placée  sous  les  ordres  du  capitaine  Baud  comprenait  :  le 
le  lieutenant  d'infanterie  de  marine  Vermeerseh,  le  garde  principal  de 
l*""  classe  Combes,  de  la  milice  du  Dahomey,  trente  anciens  tirailleurs 
siinégalais,  armés  du  mousqueton  modèle  1892,  cinquante  gardes  du 
Dahomey,  munis  du  fusil  Gras  et  100  porteurs. 

Le  6  janvier  1897,  la  mission  qui  était  partie  de  Porto-Novo  au  coui- 
niencement  de  décembre  18î)6,  quittait  Bafilo,  dernier  poste  français  au 
nord-ouest  du  Dahomey  (*),  se  dirigeant  sur  Sansanné-Mango  et  le 
Gourma.  Si  la  route  était  libre  en  1895,  elle  avait  cessé  de  l'être  deux 
ans  plus  tard,  car  les  Allemands,  plus  persistants  que  nous,  avaient 
occupé  Sansanné-Mango  à  titre  permanent,  et,  par  l'envoi  de  reconnais- 
sances, principalement  dans  la  direction  du  nord,  cherchaient  à  s'im- 
planter dans  le  Gourma. 

Pour  réussir  dans  sa  tâche,  la  mission  devait  éviter  de  donner  l'éveil 


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196  REVUE  FRANÇAISE 

et  dissimuler  sa  marche.  Dans  ce  but,  elle  s'arrêta  à  une  demi-journée 
de  marche  de  Sansanné-Mango  et  décrivit,  à  Touest  de  cette  ville,  un 
dcmi-cerele  qui  la  mettait  hors  de  la  vue  du  poste  allemand  et  lui  per- 
mettait ainsi,  en  retardant  le  moment  où  elle  serait  signalée,  de  prendre 
Tavance  qui  lui  était  nécessaire. 

Le  20  janvier,  MM.  Baud  et  Vermeersch  entraient  à  Pâma,  première 
localité  importante  du  Gourma. 

Le  Gourma  forme  un  royaume  de  74.000  kilomètres  carrés  de  super- 
ficie, soit  deux  fois  et  demie  la  grandeur  de  la  Belgique.  Il  est  borné 
au  N.  par  le  Libtako,  lé  Yaga,  le  Torodi  et  le  Gueladjo;  au  N.-E.  par  le 
Dendi  ;  à  l'E.  et  au  S.-E.  par  le  Borgou  ;  au  S.  par  le  Sansannc^Mango  ; 
au  S.-O.  par  le  Gambaka;  à  10.  par  le  Mossi.  La  capitale  est  Fada 
A'Gourma.  Le  royaume  est  formé  de  plusieurs  provinces  ayant  chacune 
à  leur  tête  un  fama  ou  hato,  choisi  par  les  notables,  mais  dont  l'élec- 
tion doit  être  approuvée  par  le  roi.  Les  habitants  appartiennent  à  la 
race  malinké  comme  les  Bambaras.  On  rencontre,  cependant,  un  assez 
grand  nombre  de  Peulhs,  les  pasteurs  de  toute  cette  partie  de  TAfrique. 
Les  sujets  du  roi  de  Gourma  sont  fétichistes;  mais  il  y  a  parmi  eux  des 
musulnians,  dont  les  imans,  par  suite  de  leur  culture  intellectuelle 
plus  élevée,  exercent  une  influence  reconnue. 

\jQ  roi  du  Gourma  était,  il  y  a  peu  de  temps  encore,  un  puissant 
monarque  et,  plusieurs  des  États  qui  l'entourent  aujourd'hui,  tels  que 
le  LibUko,  le  Gambaka,  reconnaissaient  sa  suzeraineté.  Mais,  peu  à  peu, 
certains  chefs  parvinrent  à  se  soustraire  à  l'autorité  qu'il  exerçait  sur 
eux,  niais  faiblement,  et  se  rendirent  indépendants.  Bilanga  se  souleva 
tout  d'abord,  bientôt  suivi  par  Tibga  et  Toucouna.  C  est  au  siège  de 
cette  dernière  place  que  fut  tué  l'oncle  et  prédécesseur  du  roi  actuel, 
en  voulant  la  faire  rentrer  dans  l'obéissance.  Cet  échec  fut  le  signal 
de  la  désagrégation  du  royaume  du  Gourma,  chaque  provirice  essayant 
de  se  soustraire  à  l'autorité  du  roi  de  Fada  N'Gourma.  Plus  audacieux 
que  les  autres,  Adama  Tourintouriba,  chef  de  Matiacouali,  non  content 
(le  se  rendre  indépendant,  allait  méni(i  jusiju'à  envahir  le  territoire  de 
Fada  N'Gourma  et  en  pillait  les  villages.  Aussi,  la  mission  allemande 
tirihier-de  Carnap,  s'autorisa-t-elle  de  ce  fait  pour  prétendre  qu'Adama 
était  le  véritable  souverain  du  Gourma. 

Lors  du  passage  de  la  mission  Decœur  au  Gourma,  en  janvier  1895, 
le  roi  Bantchandé  avait  fait  à  celle-ci  un  sympathique  accueil  et  avait 


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HIMEHLAND   DU   DAHOMEY  *  107 

sigiié  avec  empressement  le  traité  de  protectorat  qui  lui  avait  été  pré- 
senté. Se  débattant  au  milieu  de  nombreuses  difficultés,  il  avait  espén» 
que  la  mission  lui  donnerait  un  sérieux  appui  contre  ses  vassaux 
révoltés.  Mais  le  commandant  Decœur,  pressé  d'atteindre  le  Niger,  et 
n'ayant  pas  assez  de  monde  pour  établir  des  postes  sur  ses  derrières, 
ne  put  que  lui  promettre  pour  Tavenir  le  secours  qu'il  attendait  de 
notre  présence. 

Deux  années  venaient  de  s'écouler  depuis  le  passage  de  M.  Decœur, 
lorsque  la  mission  Baud-Vermeersch  arriva  au  Gourma.  Dans  ce  laps 
de  temps,  la  situation  de  Bantchandé  avait  empiré.  Le  roi  avait  même 
quitté  sa  capitale,  où  il  ne  se  sentait  plus  en  sûreté,  pour  aller  établir 
son  camp  à  Diabo,  près  d'un  chef  qui  lui  était  resté  fidèle. 

De  Pâma,  où  il  avait  appris  ces  nouvelles,  M.  Baud  sentit  la  nécessiti'î 
de  se  rendre  rapidement  auprès  de  Bantchandé.  Laissant  un  poste  de 
quelques  hommes  à  Pâma,  pour  assurer  ses  communications,  il  partit 
pour  Diabo  où  il  arrivâtes  février.  Bantchandé  fit,  à  ceux  qu'il  revoyait 
au  bout  do  deux  années,  une  réception  enthousiaste  et  les  aceueiHit 
comme  des  «  sauveurs  venus  du  ci(^l  ». 

Le  traité  de  protectorat  de  18î)5  et  les  événements  qui  Pavaient  suivi 
dictaient  à  la  mission  son  devoir.  Celui-ci  était  avant  tout  de  rendre 
rtVI  le  protectorat,  d'accorder  à  Bantchandé  l'appui  qui  lui  avait  été 
promis,  le  mettant  ainsi  à  môme  de  recouvrer  son  autorité  et  de  sou- 
mettre ses  vassaux  révoltés.  Le  roi  du  Gourma  comprit  vite  que  ses  inté- 
rêts et  ceux  de  la  France  étaient  intimement  liés,  et  que  cette  union  était 
pour  lui  l'unique  moyen  de  venir  à  bout  des  chefs  de  Pâma  et  de  Matia- 
couli.  Ces  derniers,  qui  sympathisaient  avec  les  Allemands,  menaçaient 
de  lui  faire  perdre,  s'ils  étaient  victorieux,  les  deux  tiers  de  son  royaume 
et  peut-être  même  sa  couronne. 

Pour  mener  à  bien  la  campagne  qui  allait  s'ouvrir,  il  ne  fallait  pas 
perdre  un  instant.  Aussi  le  4  février,  c'est-à-dire  deux  jours  seulement 
après  son  arrivée  à  Diabo,  la  mission  quittait-elle  cette  ville  avec  ses 
70  fusils,  accompagnée  par  le  roi,  qui  n'avait  pu  réunir  autour  de  lui 
que  300  cavaliers  et  à  peine  un  millier  de  fantassins. 

Les  hostilités  commencèrent  aussitôt.  Le  S  au  matin,  la  ville  de  Tou- 
couna,  devant  laquelle  avait  été  tué  le  prédécesseur  de  Bantchandé, 
était  attaquée  et  enlevée  après  une  lutte  de  3  heures,  grâce  à  l'escorte 
de  la  mission  qui  entraîna  les  continjjents  indigènes  hésitants,  La  ville 


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198  REVUE  FRANÇAISE 

^  ('lait  protégée  par  une  épaisse  haie  d'arbustes  épineux,  qui  avait  arrêté 

jusqu'ici  toutes  les  attaques  des  assaillants.  I^  chute  de  cette  place 
d*armes  de  la  rébellion  eut  un  grand  retentissement  parmi  les  indigènes, 
et,  comme  rien  n'attire  conmie  le  succès,  Bantchandi'  vit  s'accroître 
rapidement  le  nombre  de  ses  partisans. 
Le  6  février,  la  ville  forte  de  Barga  est  attaquée  et  prise. 

^  *  Le  7,  l'expédition  entre  à  Tibga,  poursuivant  Yorombato,  le  chef 

vaincu  de  Toucouna.  Cje  dernier  offre  de  faire  sa  soumission;  mais 

y  comme  Bantchandé  exige  sa  tête,  les  pourparlers  sont  rompus.  Le  12, 

un  rassemblement  ennemi  est  attaqué  à  Tantiaka,  entre  Toucouna  et 

-j  Tibga,  et  dispersé. 

^  JONCTION    ou   DAHOMEY   AU   SOUDAN. 

^;  A  ce  moment  les  indigènes  firent  connaître  qu'une  colonne  française 

venant  du  Mossi  devait  se  trouver  à  peu  de  distance  de  la  mission  Baud. 

^  Ce  ne  pouvait  être  que  l'expédition  Voulet  dont  l'entrée  à  Ouagadougou 

^  avait  été  connue  de  la  mission  au  moment  de  son  départ  du  littoral 

K-  dahoméen.  Le  15  février  M.  Baud  recevait  en  effet  une  lettre  de  M.  Vou- 

^^  let  adressée  à  «  un  Européen  »  et  faisant  connaître  sa  présence  en 

Uîrmes  comminatoires,   car  on  croyait,  au  Mossi,  avoir  affaire  à  une 

*  mission  allemande,  que  l'on  ne  voyait  pas  apparaître  sans  quelque 

inquii'tude  à  côté  d'une  mission  anp;laise.    Grande   fut   la  joie  de 

MM.  Voulet,  Chanoine  et  le  d"^  Henric,  qui  dirigeaient  l'expédition  du 

Mossi,  lorsque  la  réponse  parvint  avec  cette  signature  :  «  Capitaine 

Baud,  résident  de  France  au  Gourma.  » 

Dès  que  le  campement  de  la  mission  Voulet  fut  connu,  le  capitaine 
Vermeersch  partit  avec  10  cavaliers  pour  Ouede^o,  où  se  trouvait  son 
bivouac,  et  le  lendemain,  17  février,  il  l'amenait  à  Tibga,  où  elle  était 
reçue  triomphalement. 

La  jonction  des  deux  missions  n'avait  pas  seulement  le  caractère 
d'une  concentration  de  deux  forces  militaires  victorieuses,  ayant  su 
renverser  les  ennemis  de  la  France  et  rétablir  l'autorité  de  ses  alliés,  ce 
qui  était  déjà  un  résultat  considérable  aux  yeux  des  indigènes.  Elle 
faisait  aussi  sur  les  populations  une  impression  profonde  en  leur  démon- 
trant que  la  puissance  de  la  France  était  grande,  puisque  ses  soldats 
arrivaient  à  la  fois  du  sud  et  du  couchant. 
Elle  avait  enfin  un  caractère  d'une  haute  portée  politique  en  ce  qu'elle 


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HINTERLAND   DU   DAHOMEY  199 

consacrait  d'une  façon  effective  la  jonction  de  nos  deux  possessions  du 
Dahomey  et  du  Soudan,  jonction  qui  n'était  encore  tracée  que  sur  les 
cartes  géographiques.  Gnlce  à  la  chaîne  de  postes  s'étendant  de  Bandia- 
içara  au  Macina,  à  Carnotville  au  Dahomey,  en  passant  par  Ouagadou- 
i;ou  et  Fada  N'Gourma,  toute  la  partie  orientale  de  la  boucle  du  Niger 
était  assurée  d'avoir  un  débouché  sur  le  littoral  par  territoire  exclusive- 
ment français.  Ce  sera  l'honneur  des  missions  Voulet  et  Baud  d'avoir 
assuré  cet  important  résultat  qu'une  convention  diplomatique  avec 
l'Allemagne  devait  reconnaître  quelques  mois  plus  tard. 

Les  missions  du  Mossi  et  du  Gourma  firent  route  ensemble,  le  18  fé- 
vrier, jusqu'à  Bilanga.  MM.  Voulet  et  Chanoine  reprirent  ensuite  la 
route  de  Ouagadougou,  tandis  que  MM.  Baud  et  Vermeersch  se  diri- 
geaient vers  le  sud-est  en  longeant  la  frontière  du  Mossi.  A  Toucouna, 
Bantchandé  s'arrêta  pour  passer  les  fêtes  du  rhamadan.  La  mission  en 
profita  pour  goûter  un  repos  bien  gagné,  tout  en  ne  négligeant  rien  pour 
mener  à  bien  l'accomplissement  de  sa  lâche. 

Les  fêtes  de  Toucouna  donnèrent  lieu  à  de  nombreux  palabres  où  les 
chefe  des  provinces  parcourues  vinrent  renouveler  leur  acte  de  sou- 
mission en  apportant  on  guise  de  tribut  de  nombreux  cadeaux  consis- 
tant souvent  en  chevaux,  bœufs  et  moulons.  Le  fils  du  chef  Yocombato 
vainement  poursuivi  depuis  le  début  de  la  cariipagne,  vint  annoncer 
que  son  père  s'était  donné  la  morl  de  désespoir,  et,  en  faisant  sa  sou- 
mission, fit  un  cadeau  de  chevaux  pour  obtenir  son  pardon.  Ce  ifut  l'oc- 
casion pour  la  mission  de  se  constituer  un  sérieux  troupeau  et  de  pou- 
voir montet  une  partie  de  ses  tirailleurs  sénégalais. 

Comme  aucun  renfort  n'était  aiinoncé  à  la  mission,  un  certain  nombre 
de  porteurs  furent  choisis  pour  remplir  les  vides  survenus  parmi  les 
tirailleurs,  et  rapidement  instruits  en  conséquence.  D'autre  part,  le 
prestige  du  nom  finançais  que  la  jonction  opérée  à  tibga  avait  élevé  au 
plus  haut  t)oint,  valait  aussi  à  Bantchandé  une  influence  qll'll  n'avait  ' 
jamais  connue;  environ  7.000  hommes,  parmi  lesquels  2.000  cavaliers, 
se  trouvaient  actuellement  réunis  sous  ses  éteridards.  Tel  était  lé  résul- 
tat de  trois  semaines  de  succès. 

PRÉTENtlONS   ALLEMANDES 

Pendant  que  la  mission  se  trouvait  à  Toucouna,  elle  apprit  qîje  le  fama 
de  Matiacouali  avait  envoyé  des  chevaux  au  commandant  du  poste 


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21)0  HEVUE   FRANÇAISE 

«illeinand  de  Sansann(''-Mani;o,  lui  deiiiandaiU  son  assistance  dans  nno 
{guerre  qu'il  avait  à  soutenir  contre  les  Peulhs  du  Torodi.  En  i*éponse, 
le  commandant  allemand  lui  avait  annoncé  l'envoi  d'une  mission. 

Il  y  avait  là  un  sérieux  danger,  et  Rantchandé  n'eut  pas  de  peine 
à  comprendre  que  si  les  Allemands  réalisaient  leur  projet,  son  royaume 
étiiit  partagé  en  deux  tronçons,  et  que  la  région  de  Matiacouali,  dont 
Adama  élait  le  chef,  lui  échapperait  inévitablement,  pour  être  incor- 
porée dans  le  protectorat  allemand.  Il  fut  décidé  que  la  mission,  accom- 
pagnée de  Bantchandé,  se  rendrait  sur-le-champ  au  pays  d'Adama. 

De  Toucouna,  la  mission  arrive  le  31  mars  à  Fada  N'Gourma,  où 
Bantchandé  sacrifie  un  taureau  blanc  pour  se  rendre  les  augures  favo- 
rables. Le  o  avril  aile  arrive  à  Ouguerou,  où  elle  rencontre  des  envoyés 
d'Adama.  Ceux-ci  déclarent  que  leur  maître  se  couvre  la  tête  de  pous- 
sière devant  son  roi  et  devant  les  Français,  qu'il  n'ose  se  présenter  lui- 
même,  mais  qu'il  envoie  un  tribut  de  quatre  chevaux  et  de  vin^^t 
bœufs. 

Fendant  son  séjour  à  Ouguerou,  la  mission  reçoit  des  nouvelles  quel- 
que peu  inquiétantes  relativement  aux  progrès  des  Allemands.  Sur  la 
nouvelle  que  le  chef  de  Pâma,  Countouma,  auprès  duquel  un  petit  poste 
avait  été  laissé,  prenait  depuis  peu  une  attitude  hostile,  le  capitaine  Baud 
avait  envoyé  à  Pâma  un  sergent  et  huit  hommes  pour  renforcer  notre  occu- 
pation. Cette  démonstration  avait  produit  un  heui'eux  effet  sur  le  chef, 
qui,  pour  témoigner  de  sa  soumission,  avait  envoyé  au  poste  un  bœuf 
et  deux  chevaux. 

Sur  ces  entrefaites,  le  commandant  allemand  de  Sansanné-Mango, 
lieutenant  Gaston  Thierry,  avait  annoncé  son  arrivée  à  Pâma  et  s'était 
fait  précéder  par  quelques  hommes.  Cette  nouvelle  était  grave  et  le 
capitaine  Baud  résolut  de  partir  aussitôt  pour  Pâma,  pendant  que  le 
capitaine  Vermeersch  achèverait  de  régler  la  question  de  Matiacouali, 
dont  le  chef,  au  lieu  de  venir  en  personne  faire  sa  soumission,  s'était 
enfui  à  Kankantchari. 

Il  est  désormais  certain  qu'Adama  ne  se  soumettra  pas  et  appellera 
les  Allemands  à  son  aide.  Lorsque  ceux-ci  vinrent  pour  la  première 
fois  au  Gourma,  en  1895,  c'est  à  Adama  et  non  à  Bantchandé  qu'ils 
rendirent  visite,  et  c'est  le  premier,  qui,  étant  alors  à  Kankantchari. 
leur  déclara  qu'il  était  le  véritable  roi  du  Gourma  et  plaça  le  pays 
sous  leur  protection. 


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202         .  HEVUE   FRANÇAISE 

SOITMISSION    PES    CHEFS 

La  situation  exigeait  une  prompte  solution.  D'accord  avec  le  capi- 
taine Vermeersch,  Bantchandé  convoque  d'urgence  les  notables  de 
Matiacouali.  Ceux-ci  arrivent  dans  la  nuit.  Le  lendemain  grand  pala- 
bre. Bantchandé  déclare  aux  notables  qu*Adama,  rebelle  contre  son 
roi,  doit  être  destitué  et  que  d'ailleurs  il  a  laissé  la  place  libre  par  sa 
fuite.  Les  notables  élisent  alors  comme  chef  un  vieillard  nommé  Kou- 
adou,  et  Bantchandé,  sous  forme  de  consécration  de  son  élection,  lui 
donne  un  bonnet  blanc.  Tous  les  rites  établis  pour  de  semblables 
cérémonies  ont  été  ponctuellement  suivis,  le  nouveau  chef  a  été  coiffé  du 
bonnet  par  le  personnage  sacré  ayant  seul  pouvoir  d'agir  ainsi,  puis  il 
a  été  soulevé  à  bras  par  les  notables  et  hissé  au-dessus  de  leurs  têtes. 

Toutes  ces  formalités  une  fois  accomplies,  la  mission  part  pour 
Matiacouali  avec  le  nouveau  chef  pour  Tinstaller  dans  ses  fonctions. 
Afin  de  rassurer  la  population,  M.  Vermeersch  fait  proclamer 
que  les  Français  ne  font  pas  la  guerre  à  la  population,  mais  seule- 
ment à  Adama  qui  a  appelé  les  Allemands  dans  le  pays  et  pouvait 
faire  naître  la  guerre  civile.  Les  habitants  pourront  désormais  circuler 
sans  crainte  et  les  caravanes  ne  seront  plus  exposées  à  être  rançonnées. 

Cette  proclamation  produit  aussitôt  son  effet  sur  les  partisans 
d'Adama  qui  abandonnent  en  grand  nombre  son  camp  pour  se  rallier 
au  nouvel  ordre  de  choses.  Resté  presque  seul,  Adama  s'enfuit  à  I)ia- 
paga,  dans  le  but  de  se  réfugier  à  Sansanné-Mango.  Sans  perdre  de 
temps  des  émissaires  et  des  cavaliers  de  Bantchandé  sont  envoyés 
dans  tous  les  points  importants  de  la  province,  Bozougou,  Madjori, 
Sabalga,  Mali,  avec  des  lettres  écrites  en  arabe  invitant  les  chefs  h  faire 
leur  soumission  au  roi. 

Tous  ces  émissaires  rejoignent  la  mission  à  Diapaga,  le  30  avril, 
rapportant  de  partout  des  cadeaux,  en  signe  do  soumission.  Le  chef  de 
Bozougou,  Yando,  arrive  en  grande  pompe  le  jour  suivant  pour  saluer 
le  roi  du  Gourma. 

La  cérémonie  qui  eut  lieu  alors  ne  manqua  par  d'originalité.  Pour 
recevoir  les  hommages  de  ses  sujets,  Bantchandé  s'assit,  avec  les  chefs 
de  la  mission  française  sous  un  apatam,  sorte  de  dais  fabriqué  avec 
des  paillassons,  les  tirailleurs  en  demi-cercle  à  droite  et  à  gauche,  les 
partisans  du  roi  derrière. 


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HLXTEBLAM)    !)('    DAHOMEY  20a 

Quatre  tad  de  poussière  avaient  été  préparés  sur  le  chemin  qu'il 
fallait  suivre  pour  arriver  aux  pieds  de  Bantchandé.  Le  chef  s'avance 
lentement,  se  prosternant  à  chaque  tas  pour  prendre  do  la  poussière  h 
(leiix mains  et  s'en  couvrir  la  tète.  Arrivé  au  dernier  tas,  il  fait,  toujours 
prosterné,  un  long  discours,  se  déclarant  esclave  du  roi.  Puis  il  se 
relève,  prend  son  bouclier  d'une  main,  son  casse-téte  de  l'autre,  et 
exécute  une  danse  guerrière  au  son  d'une  flûte  dont  joue  un  de  ses 
hommes.  Il  témoigne  ainsi  sa  volonté  de  combattre  pour  son  roi. 

Il  fait  ensuite  apporter  10  sacs  do  cauris  et,  los  mettant  successive- 
ment sur  sa  tète,  afin  de  démontrer  cju'il  ferait  niiHior  de  porteur  pour 
le  roi,  il  les  dépose  aux  pieds  de  Bantchandé.  Enfin  les  bœufs  offerts 
en  tribut  sont  amenés. 

Le  roi  invita  Yando  à  le  suivre  dans  sa  compagnie  et  ses  guerriers 
vinrent  grossir  les  forces  déjà  respectables  de  Bantchandé. 

La  mission,  quittant  Diapaga,  contirme  la  poursuite  commencée 
contre  Adama.  Elle  traverse  une  petite  chaîne  diî  montagnes  et  arrive 
à  Madaga  au  pied  d'une  falaise  de  50  mètres  de  hauteur.  Bien  que  le 
village  soit  fortifié,  les  habitants  n'osent  pas  résister  et  l'abandonnent 
dès  qu'ils  aperçoivent  la  tête  de  la  colonne.  On  fait  cependant  quelques 
prisonniers  qui  apprennent  qu' Adama  s'est  enfui  jusqu'il  Sansannc'*- 
Mango.  La  poui-suite  n'a  dès  lors  plus  d'objet.  La  mission  reste  seule- 
ment quelques  jours  à  Madaga  (^t  les  chefs  des  environs,  de  Mali, 
.Sabalga,  Madjori,  qui  n'avaient  pus  encore  apporté  leur  soumission, 
viennent  faire  acte  de  vasselage. 

Le  10  mai,  M.  Vermeersch  apprend,  par  une  lettre  venue  du  Dahomey, 
qu'une  compagnie  de  tirailleurs,  partie  de  Porto-Novo,  est  arrivée  à 
Konkobiri  (ou  Nagon-Kaouri),  à  90  kilomètres  de  Madaga.  Laissant 
alors  son  camp  sous  les  ordres  de  l'inspecteur  Combes,  il  part  avec 
30  cavaliers  à  la  rencontre  de  la  colonne  et  la  rejoint  le  soir  môme. 
Cette  colonne,  placée  sous  les  ordres  du  capitaine  Ganier,  que  secon- 
daient le  lieutenant  Drot,  le  médecin  de  la  marine  Bartet,  l'inspecteur 
delà  garde  indigène  Molex,  avait  pour  objectif  Kodjar  (ou  Kotchari), 
près  de  Madaga,  où  elle  devait  s'établir  provisoirement,  afin  de  relier 
les  forces  de  la  mission  Baud  à  celles  de  la  mission  Bretonnet  qui 
opérait  sur  le  Niger.  Pour  atteindre  son  but,  elle  avait  suivi  et  ouvert 
une  nouvelle  voie  de  communication  avec  le  Dahomey,  par  Djougou 
(Ouangara)  et  Kouandé,  où  elle  avait  fondé  un  poste. 


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"JfiA  lŒVUE  FRANÇAISE 

M.  N'ormeerscli  rainona  la  colonne  à  Mada^a,  où  Banlchandé  donna 
i'ïi  son  honneur  une  grande  fête  militaire,  moulant  lui-même  à  cheval 
ri  4'xécutant  un  grande  fantasia  à  la  tête  de  ses  cavaliers.  Lorstiue  lo 
i,i[)îlainc  Ganier  quitta  Madaga,  le  17  mai,  pour  aller  prendre  posses- 
su  m  de  son  poste,  le  roi  du  Gourma  charg(^a  M.  \'crmeersch  de  remettre 
a  cliaque  officier  un  cheval  harnaché  et  envoya  un  troupeau  de  bœufs 
[inur  la  nourriture  des  tirailleurs. 

Tous  les  villages  de  la  région  ayant  fait  leur  soumission  et  payé 
tribut,  la  mission  qu'accompagne  toujours  Banlchandé  se  met  en  route 
jiour  \»isiter  les  provinces  de  Madjori  et  de  Pâma,  les  seules  restant  à 
l^ircourir  dans  tout  le  Gourma,  que  la  mission  aura  alors  visité  en 
ions  sens.  Après  avoir  longé  le  pied  de  la  chaîne  de  montagnes  jusqu'à 
Ltt^obou,  on  s'engage  dans  une  grande  plaine  très  giboyeuse,  où  cerfs. 
Iiippopotaraes  et  éléphants  se  trouvent  en  abondance.  Sur  les  bords  de 
la  Sabori,  rivière  de  Sansanné-Mango,  qui  traverse  la  plaine,  les  indi- 
t;*>iies  constatent  les  effets  foudroyants  du  mousqueton  modèle  1892 
sur  les  hippopotames  de  la  rive.  C'est  là  que  le  capitaine  Baud  rejoignit 
la  mission. 

Appelé  à  Pâma  par  suite  de  l'arrivée  d'un  <lélachen)ent  allemand 
tlans  cette  ville,  M.  Baud  s'y  était  rencontré  avec  le  commandant  de 
Sansanné-Mango  qui  revendiquait,  au  nom  de  lAllemagne,  Panja  et 
Maliacouali.  Pendant  deux  jours,  les  pourparlers  continuèrent  entre  les 
deux  officiers  sans  aboutir  à  un  résultat.  Cependant,  il  fut  convenu  que 
-i  J^ama  et  Matiacouali  reconnaissaient  réellement  l'autorité  de  Bant- 
chandé,  elles  devaient  rentrer  dans  la  sphère  d'inffuence  de  la  France. 

Countouma.  chef  de  Pâma,  fut  alors  sonnné  de  déclarer  si,  oui  ou 
nnn,  il  relevait  du  roi  de  Fada  N'Gourma.  Il  répondit  que  Banlchandé 
I  lait  le  roi  de  tout  le  Gourma  et  que  Pâma  et  Matiacouli  en  dépendaient. 
Tr-icès- verbal  de  cette  déclaration  fut  aussitôt  dressé,  et  le  lieutenant 
alhmand  Thierry  y  apposa  sa  signature,  avant  de  rentrer  à  Sansanné- 
^lango. 

La  question  de  Pâma  ainsi  tranchée,  le  capitaine  Baud  rejoignit 
VL  Vermeersch  et  ses  compagnons  et,  après  avoir  passé  à  Tamargua, 
près  de  Madjori,  revint  avec  eux  à  Pâma. 

Le  but  de  la  mission  était  atteint.  Le  roi  Bantchandé,  notre  protégé, 
avait  été  consolidé  sur  son  trône,  ses  adversaires  battus  avaient  fui  ou 
fait  leur  soumission,  les  prétentions  allemandes  avaient  été  annihilées 


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HINTEHL-ViXD   Dl     DAHOMKY  205 

pr  suite  de  l'occupation  effective  du  pays  et  le  (iourina,  entièrement 
pacifié,  ajoutait  un  nouveau  fleuron  à  la  couronne  coloniale  de  la 
France,  fleuron  qui,  par  sa  position  géographique  même,  était  d*unc 
haute  importance.  Pendant  toute  la  durée  de  la  campagne,  les  chefs  de 
la  mission  avaient  constamment  payé  de  leur  personne,  tout  préparé  et 
tout  dirigé,  souvent  par  une  température  de  35"  à  40"  degrés  centigrades. 
Aussi,  était-ce  bien  à  eux  que  revenait  tout  l'honneur  de  la  campagne. 
Bantchandé  voulant  envoyer  une  ambassade  à  Porto-Novo  pour 
témoigner  sa  reconnaissance  au  gouvernement  français,  il  fut  convenu^ 
que  M.  Vermeersch  accompagnerait  celle-ci  au  Dahomey  et  que 
M.  Baud  rentrerait  à  Fada  N'Gourma  avec  le  roi.  Le  12  juin  1897, 
l'ambassade  quittait  Pâma  et  arrivait  le  9  juillet  à  Porto-Novo,  en 
passant  par  Madjori,  Konkobiri,  Kouandé  et  Djougo.  M.  Ballot, 
gouverneur  du  Dahomey,  reçut  solennellement  les  envoyés  du  roi  de 
Gourma  et  donna  des  fêtes  en  leur  honneur. 

LA  MISSION  BRETONNET  AU  NRIER 

Pendant  que  la  mission  Baud  prenait  la  route  du  Gourma,  le  lieute- 
nant de  vaisseau  Bretonnet  se  dirigeait  vers  le  Niger.  Son  but  était  de 
prendre  possession  de  tous  les  points  de  la  rive  droite  du  fleuve  non 
encore  aux  mains  des  Anglais,  et  d'occuper  solidement  au-dessous  des 
cataractes  de  Boussa,  un  point  qui  fût  accessible  à  la  navigation  pro- 
venant du  bas  fleuve,  afin  de  pouvoir  assurer  dans  Tavenir  la  libre 
communication  par  eau  entre  Thinterland  du  Dahomey  et  la  mer. 

Nous  résumons,  d'après  le  Bulletin  de  l'Afrique  Française  et  d'autres 
communications,  le  récit  des  opérations  de  la  mission. 

Dr  DAHOMEY  AU  Nlf.Ell 

1-e  28  décembre  181)0,  M.  Bretonnet  quittait  Carnotville,  à  la  tète  de 
^i  c<jlonne.  Celle-ci  comprenait  :  MM.  (>arron,  inspecteur  de  l"^*'  classe 
de  la  garde  indigène,  second  de  la  mission  ;  de  Bcrnis,  maréchal  des 
logis  de  chasseurs,  chef  d'escorte  ;  Çarrérot.  inspecteur  de  la  garde 
indigène  ;  3  interprètes,  100  miliciens  et  tirailleurs  auxiliaires  séné- 
galais et  100  porteurs  recrutés  à  Porto-Novo. 

La  mission  se  rendit  d'abord  à  Para-Kou,  d'où  elle  partit  le  1^^'^jan- 
vier  1897,  laissant  sur  sa  droite  la  roule  qui  mène  à  Nikki,  la  capitale 
du  Borgou.  pour  se  diriger  sur  Bouay,  après  avoir  traversé  Bori  et 


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206  REVUE  FRANÇAISE 

Saoré,  où  elle  établit  uii  poste  à  la  demadde  des  chefs  de  ces  deux 
localités.  Le  roi  de  Bouay  la  reçut  avec  des  marques  de  vive  sympathie 
et  lui  donna  un  terrain  pour  la  construction  d'un  poste.  Cet  accueil 
favorable  permit  à  M.  Bretonnet  de  poursuivre  aussitôt  sa  marche  sur 
Kandi. 

En  traversant  ainsi  les  paysbaribas  dans  leur  plus  grande  largeur,  la 
mission  devait  se  trouver  aux  prises  avec  de  sérieuses  difiîcultés.  Les 
chefs  baribas  de  quelque  importance  sont  assez  nombreux  et  en  cons- 
tante rivalité  les  uns  avec  les  autre>.  Ils  semblent  être  en  quelque  sorte 
•indépendants  du  roi  de  Nikki;  mais  c(*  dernier  exerce  sur  eux  une  crainte 
non  dissimulée.  Les  Baribas  sont  généralement  pillards  ;  aussi  leur 
pays  est-il  rien  moins  que  sûr.  Cependant  la  région  que  traversait  la 
nûssion  était  mohis  agitée  que  celle  de  Nikki,  carlesPeulhs  parvenaient 
à  y  élever  des  troupeaux  et  des  caravanes  la  traversaient  parfois  en 
en  payant  toutefois  une  redevance  et  en  s'entourant  d'une  escorte  de 
cavaliers  baribas. 

Un  incident  qui  se  produisit  dans  la  marche  de  Bouay  sur  Kandi, 
faillit  compromettre  le  succès  de  la  mission.  Le  1 1  janvier,  à  la  chute 
du  jour,  celle-ci  était  assaillie  à  Timproviste  par  les  habitants  de  Gou- 
narou  qui  la  crib'èrent  de  tlèches  et  lui  blessèrent  deux  hommes. 
M.  Bretonnet,  avant  d'attaquer  le  village,  résolut  d'entrer  en  pourpiir- 
1ers  avec  les  habitants,  ne  sachant  à  quel  motif  attribuer  cette  agression 
que  rien  n'avait  pu  motiver.  Bien  lui  en  prit,  car,  avec  l'aide  des  chefs 
indigènes  qui  l'accompagnaient,  il  apprit  que  l'attaque  dont  il  avait  été 
l'objet  était  le  résultat  d'une  mé[)rise,  les  indigènes  croyant  avoir  eu 
affaire  à  une  caravane  haoussa.  Afin  de  ne  pas  compromettre  la  mar- 
che de  sa  colonne,  qui  aurait  pu  se  ressentir  de  la  j)résence  sur  ses 
derrières  d'un  centre  hostile,  M.  Bretonnet  se  contenta  d'une  satisfaction 
pacifique  de  la  part  des  habitants  et  n'eut  qu'à  se  louer  dans  la  suite  de 
celte  détermination. 

Après  la  création  d'un  poste  à  Kandi,  la  mission  poursuivant  sa 
marche  vers  le  nord,  atteignit,  le  20  janvier,  Ilo,  inuntmse  ville  de  10  à 
12.000  habitants  située  sur  le  .Niger.  Le  roi  et  les  habitants  firent  un 
accueil  chaleureux  à  la  mission  dont  la  présence  était  pour  eux  une 
garantie  de  tranquillité.  Un  poste  fut  créé  à  Ho;  l'inspecteur  Carrérot 
fut  placé  à  sa  tête  et  chargé  en  même  temps  des  fonctions  de  résident. 

M.  Bretonnet,  après  avoir  passé  cinq  jour-^  h  Ho  c{  rempli  le  but  pre- 


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HrNTERL\i\D   DU    DAHOMEY  207 

mier  de  sa  mission  qui  était  de  prendre  pied  au  Niger,  se  remit  en  route 
en  suivant  le  cours  du  Niger  dans  le  but  de  se  rendre  à  Boussa.  U  ne 
savait  pas  encore  d'une  façon  certaine  dans  quelle  situation  se  trouvait 
cette  ville.  Ce  fut  seulement  à  Lafagou  qu'il  apprit  que  Boussa  n'était 
pas  occupé  par  les  Anglais,  bien  que  ceux-ci  eussent  fait  peu  de  temps 
auparavant  une  infructueuse  tentative  d'occupation.  Le  chef  de  Djebé, 
homme  de  confiance  du  roi  de  Boussa  qui  l'envoyait  à  la  rencontre  de 
la  mission  annonça  à  celle-ci  qu'elle  était  impatiemment  attendue 
depuis  le  dernier  passage  des  Français  dans  ces  parages  (mission  Hourst). 
Hâtant  sa  marche  M.  Bretonnet  arrivait  à  Boussa  le  5  février  et  y  arbo- 
rait aussitôt  le  drapeau  tricolore. 

Le  roi  de  Boussa  fit  à  la  mission  française,  une  rtkeption  enthousiaste 
et  lui  donna  aussitôt  un  terrain  pour  la  construction  d'un  poste  et  d'une 
résidence,  M.  Bretonnet  devant  choisir  Boussa  pour  son  centre  d'action. 
Les  habitants  s'associèrent  pleinement  aux  sentiments  de  leur  roi  .envers 
les  Français,  car  la  présence  de  ceux-ci  était  un  gage  de  protection 
contre  leurs  ennemis  et  une  garantie  pour  les  transactions  commerciales. 

Comme  on  devait  s'y  attendre,  la  Royal  Niger  Company,  qui  reven- 
dique pour  elle  seule  le  Niger  jusqu'à  Say,  ne  manqua  pas  de  protester 
contre  l'occupation  de  Boussa,  qu'elle  comidérait,  prenant  son  désir 
pour  une  réaUté,  comme  partie  intégrante  de  son  empire.  Le  lieutenant 
de  vaisseau  Bretonnet,  résident  de  France  au  moyen  Niger,  ne  put  que 
recevoir  la  protestation,  mais  n'eut  pas,  naturellement,  à  en  tenir 
compte.  II  savait  trop  bien  que,  quand  on  évacue  un  point  contesté  — 
comme  Fort  d'Arenberg,  par  exemple  —  les  Anglais  ont  vite  fait  de 
s'en  saisir  et  de  le  transformer  en  Fort  Taubman  Goldie. 

ÛPÉRATlOiNS    AUTOUR   DE   HOUSSA 

\jH  majeure  [>artie  de  la  tâche  de  la  mission  était  accomplie  et 
M.  Bretonnet  s'occupait  activement  fie  l'organisation  de  son  gouverne- 
ment, lorsque  pris  naissimce  une  agitation  qui  pouvait  avoir  de  graves 
conséquences.  Un  chef  indigène  nommé  (^ora.  qui  était,  depuis  peu, 
arrivé  du  Noupé,  son  ancienne  résidence,  avait  choisi  pour  capitale,  la 
ville  fortifiée  de  Ouaoua,  à  environ  3o  kilomètres  au  sud  de  Boussa.  Se 
posant  en  compétiteur  du  roi  de  Boussa,  il  avait  résolu  de  le  détrôner 
et  avait  profité  de  l'arrivée  des  Français  pour  exciter  contre  eux  les  Ba- 
ribas.  dont  les  instincts  pillards  allaient  être  singulièrement  contrariés 


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n 


ii08  REVUE  FHANÇAISE 

par  la  nouvelle  occupation.  Gaj^née  par  le  mouvement  insurrectionnel, 
la  ville  de  Sagonou,  située  à  peu  de  distance  au  nord  de  Boussa,  se 
déclarait  en  faveur  de  Cora,  qui  se  préparait  à  s'y  rendre  avec  toutes 
ses  forces  et  avait  envoyé,  le  15  mars,  sa  déclaration  de  guerre  à 
Boussa. 

M.  Bretonnet  résolut  aussitôt  d'empêcher  la  jonction  des  forces  enne- 
mies. Secondé  par  le  roi  de  Boussa  et  ses  troupes,  il  marcha  contre 
(^ora  et  l'atteignit  à  la  chute  du  jour  au  village  fortifié  de  Zali,  où  il 
venait  de  s'installer.  Un  combat  s'engagea,  mais  la  nuit  ne  jjermit  pas 
de  donner  l'assaut  au  village  qui  était  entouré  de  murailles.  De  part  et 
d'autre,  on  resta  sur  le  qui-vive  et  les  combattants,  fort  rapprochés  les 
uns  des  autres,  ne  cessèrent  de  se  provoquer,  à  l'instar  des  héros  d'Ho- 
mère. Mais,  lorsque  le  jour  parut,  la  place  était  évacuée,  abandonnée 
par  rennemi,  dont  le  chef  ^k)ra  avait  été  sérieusement  blessé.  M.  Bre- 
tonnet se  dirigea  aussitôt  sur  Sagonou  qui  fit  sa  soumission. 

Mais  si  l'ennemi  était  l)atlu  et  dispersé  au  nord  de  Boussa,  il  n'en 
était  pas  de  môme  au  sud,  où  le  chef  de  Kayoma,  notre  allié,  menacé 
par  les  Baribas,  demandait  l'installation  d'un  poste.  Un  rassemblement 
tl'environ  2.000  guerriers  avait  eu  lieu  à  Ouaoua,  et,  pour  prévenir 
l'attaque  dont  Boussa  était  menacé,  il  fallait  frapper  l'ennemi  avant  que 
toutes  ses  forces  fussent  réunies.  Bien  que  n'ayant  (|ue  43  hommes 
sous  la  main,  M.  Bretonnet,  accompagné  de  MM.  Carron  et  de  Bernis, 
du  roi  de  Boussa  et  de  ses  troupes  (environ  600  hommes)  partit  pour 
Bessigboué,  d'où  il  tenta  d'arriver  à  un  accommodement  avec  le  chef  de 
Ouaoua.  Mais  celui-ci,  prenant,  sans  doute,  cette  démarche  pour  un 
un  acte  de  faiblesse,  fit  une  réponse  arrogante  qui  ne  laissait  point  de 
doute  sur  ses  intentions.  Le  14  avril;  l'attaque  était  décidée  sans  atten- 
dre l'arrivée  des  contingents  de  Kayoma. 

La  ville  de  Ouaoua  était  entourée  de  hautes  murailles  et,  en  l'absence 
de  toute  artillerie  pour  les  battre  en  brèche,  il  fallut  donner  l'assaut  à 
tout  prix.  Ce  fut  M.  de  Bernis  qui,  à  la  tête  de  30  Sénégalais,  entraîna 
les  combattants  et,  après  des  prodiges  de  valeur,  resta  maître  delà 
position.  La  lutte  avait  ('té  chaude  et  nous  coûtait  3  tués  et  1:2  blessés. 

L'effet  produit  fut  considérable,  et  le  chef  d'Ouaoua  vint  faire  sa  sou- 
mission au  roi  de  Boussa.  Celui-ci  s'était  retiré  à  Bessigboué,  suivant 
l'usage  du  pays^  qui  veut  que  le  vainqueur,  désireux  de  faire  la  paix, 
se  retire  à  quehpie  dislance  de  la  ville  conquise. 


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HLXTERLAM)    Dl    DAHOMEY  200 

Le  16  avril,  le  roi  de  Kayomà  arriva  à  Bessigboué,  demandant  avec 
insistance  un  résident  blanc  pour  sa  capitale.  Mais  le  peu  de  force  dont 
disposait  M.  Bretonnet  ne  lui  permettait  pas  de  créer  un  poste  à  Kayoma, 
et  encore  moins  de  se  séparer  de  Tun  des  deux  blancs  qui  lui  étaient  si 
nécessaires.  Si  plusieurs  chefs  avaient  fait  leur  soumission,  d'autres 
tenaient  encore  la  campagne  et  il  fallait  être  en  mesure  de  prévenir 
toute  surprise. 

.La  situation  étant  devenue  plus  calme,  M.  Bretonnet,  qui  était  rentré 
à  Boussa,  entreprit  une  tournée  vers  le  nord  dans  le  but  de  visiter  les 
postes  établis  au  début  de  son  expédition.  Parti  de  Boussa  le  4  juin,  il 
se  trouvait  à  Ilo  lorsqu'il  apprit  que  le  chef  Cora  soulevait  contre  nous 
les  petits  chefs  de  la  région  nord  du  Borgou  dont  notre  présence  gênait 
les  habitudes  invétérées  de  pillage.  C'était  sur  le  poste  de  Kandi,  où 
se  trouvait  un  sous-officier  blanc,  que  devait  porter  Tattaque,  avec  la 
complicité  des  habitants  de  ce  village.  Laissant  à  Ilo  M.  Carrérot, 
M.  Bretonnet  se  dirigea,  avec  M.  de  Bernis  et  45  hommes,  sur  les  2  à 
3.000  indigènes  rassemblés  à  quelque  distance  de  Kandi.  Le  21  juin, 
Tennemi  attaqué  avec  vigueur  fut  rejeté  sur  Kandi  et  la  ville  prise. 
M.  de  Bernis  avait  été  légèrement  blesàé  dans  ce  combat  où  il  avait 
chargé  Tennemi  avec  son  entrain  habituel. 

Fort  dépourvu  de  munitions,  M.  Bretonnet  se  rendit  alors  à  Kodjar, 
sur  les  confins  du  Gourma,  pour  renouveler  ses  approvisionnements 
auprès  de  la  compagnie  de  tirailleurs  Ganier,  qui  avait  été  placée  en 
ce  point  afin  de  servir  de  trait  d'union  entre  les  postes  du  Gourma  et 
ceux  du  Niger.  Une  fois  ravitaillée  la  mission  partit  <lc  Kodjar,  au  com- 
mencement de  juillet,  pour  se  rendre,  à  travers  une  brousse  maréca- 
geuse peuplée  d'éléphants,  à  Carimama  et  à  Madecali,  localités  du  Dendi 
situées  sur  le  Niger,  dont  les  chefs  sollicitèrent  l'établissement  d'un 
poste.  Elle  revint  ensuite  à  Ilo  (6  juillet)  d'où  elle  partit  en  toute  hâte 
le  22,  à  la  nouvelle  d'un  mouvement  offensif  dirigé  contre  Boussa. 

Le  chef  Cora  avait  en  effet  repris  les  armes,  et  voulant  profiter  de 
l'absence  de  M.  Bretonnet,  rassemblait  ses  forces  à  Ouaoua.  Bien  que 
n'ayant  avec  lui  que  23  miliciens  et  les  gens  du  roi  de  Boussa,  sur  les- 
quels il  était  difficile  de  compter  beaucoup,  M.  Carron  ne  s'en  porta 
pas  moins  à  la  rencontre  de  l'ennemi.  Le  23  juillet,  un  vif  combat  fut 
livré  à  Kakodji,  à  2  heures  seulement  de  Boussa.  Le  chef  Cora  y  fut 
mortellement  blessé  et  ses  partisans,  sérieusement  éprouvés  par  notre 

xxîii  (Avril  98).  N-  232.  14 


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^210  HEVUE  FRANÇAISE 

feu,  se  retirèrent  dans  le  plus  grand  désordre.  Mais  avec  sa  petite  troupe 
M.  Carron  n'était  pas  en  état  de  les  poursuivre. 

M.  Bretonnet,  qui  n'avait  mis  que  7  jours  pour  se  rendre  d'Ilo  à 
Boussa,  arriva  le  28  Juillet  et  s'empressa  de  tirer  parti  de  la  défaite  de 
l'ennemi.  Ouaoua  était  abandonné  ainsi  que  les  villages  voisins  de  la 
vallée  de  l'Oly;  mais  les  habitants  revinrent  peu  à  peii  et  firent  l^ir 
soumission  qui,  cette  fois,  fut  définitive. 

Cependant  les  échecs  essuyés  par  les  indigènes,  et  que  les  faibles 
forces  de  la  mission  ne  permettaient  pas  de  rendre  décisifs,  ne  rebutaient 
pas  les  petits  chefs  baribas.  Menacé  par  le  soulèvement  que  préparait 
une  partie  de  ses  sujets,  le  roi  de  Kayoma  invoqua  encore  notre  assis- 
tance (7  août).  Le  lieutenant  de  vaisseau  Bretonnet  lui  envoya  alors 
MM.  Carron  et  Carrérot  avec  60  hommes.  A  leur  approche  les  révoltés 
prirent  la  fuite,  et  M.  Carrérot  fut  installé  comme  résident  à  Kayoma 
avec  30  hommes.  Un  poste  fut  également  établi  à  Kissi  à  la  demande 
du  roi. 

Enfin,  l'orage  qui  s'amoncelait  depuis  longtemps  du  côté  de  Nikki 
éclata  sérieusement.  Les  chefs  baribas  de  cette  région  rassemblèrent 
leurs  forces  à  More  et  Barou  en  vue  d'une  attaque  décisive  sur  Kayoma 
et  Boussa.  M.  Bretonnet,  laissant  dans  cette  dernière  ville  comme  rési* 
dent  provisoire  le  garde  principal  Moussa  Touré,  partit  le  i^  septembre 
pour  Kayoma,  d'où  il  essaya  de  négocier  avec  ses  adversaires  ;  mais 
ceux-ci  répondirent  par  une  déclaration  de  guerre. 

Décidé  alors  à  brusquer  J'attaque  avant  que  toutes  les  forces  enne- 
mies fussent  concentrées,  M.  Bretonnet,  ayant  avec  lui  MM.  Carron 
Carrérot,  de  Bernis,  90  hommes,  les  gens  de  Boussa  et  de  Kayoma, 
partit  de  cette  dernière  ville  le  12  juillet.  Le  13,  il  arrivait  devant  More, 
village  fortifié  de  fortes  palanques,  derrière  lesquelles  environ  1.300 
hommes  se  tenaient  abrités.  A  3  heures  le  signal  de  l'assaut  fut  donné. 
Nos  soldats  se  comportèrent  vaillamment  et  enlevèrent  rapidement  la 
position.  Mais  l'inspecteur  Carrérot  fut  frappé  par  une  flèche  empoi- 
sonnée et  succomba  1  heure  i/2  après.  C'était  une  perte  sérieuse  pour 
la  mission  au  service  de  laquelle  il  n'avait  cessé  un  instant  de  mettre 
son  activité  et  son  dévouement. 

Battu,  l'ennemi  n'était  cependant  pas  détruit.  Il  le  prouva  une  fois 
de  plus  en  faisant,  dès  le  14  au  matin,  un  vigoureux  retour  ofiensif, 
ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'essuyer  un  nouvel  écbec.  Décidé  à  profiter 


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HINTERLAWD   DU   DAHOMEY  -211 

de  sa  victoire,  M.  Bretonnet  commença  aussitôt  la  poursuite.  Le  15  au 
matin  il  se  trouvait  devant  le  village  fortifié  de  Barou,  dans  lequel 
l'ennemi  s'était  fortement  retranché.  Celui-ci  fit  une  résistance  des  plus 
opiniâtres  et  il  fallut  la  vigueur  et  la  ténacité  de  nos  soldats  et  de  leurs 
chefs  pour  en  avoir  raison.  Enfin  le  chef  de  la  révolte,  Bio  Yorouma, 
lomba  frapppé  à  mort  et  sa  chute  entraîna  la  fuite  désordonnée  de  ses 
partÎMtns.  Ce  coup  de  vigueur  produisit  une  impression  salutaire 
(lans  le  pays,  et  assura  enfin  la  tranquillité  des  régions  de  Boussa  et  de 
Kayoma. 

Le  28  septembre  1897,  la  mission  rentrait  à  Kayoma.  ayant  mené  à 
boone  fin  la  répression  du  dernier  mouvement  et  la  pacification  du 
pays.  La  campagne  avait  été  rude  et  avait  coûté  à  la  petite  colonne 
%  tués  dont  Tinspecteur  Carrérot,  et  30  blessés.  Hommes  et  chefs  étaient 
surmenés,  et  il  n'était  que  temps  de  les  renforcer  et  de  leur  permettre 
de  prendre  un  repos  bien  gagné  A  Kayoma,  M.  Bretonne!  trouva  le 
lieutenant  Brot,  mis  à  sa  disposition.  Il  envoya  comme  résident  à 
Boussa  M.  Caron,  et  à  Do  M.  de  Bemis  qui  vient  d'y  être  assassiné  dans 
des  circonstances  encore  inconnues,  au  moment  où  il  se  préparait  h 
rentrer  en  Franco  et  à  recevoir  la  récompense  de  ses  actions  d'éclat  et 
des  brillants  services  rendus  à  la  mission. 

Après  avoir  ainsi  complètement  atteint  le  but  de  son  expédition,  le 
lieutenant  de  vaisseau  Bretonnet  reprit  la  route  du  Dahomey  et  s'em- 
barqua à  Kotonou  pour  Marseille  où  il  arriva  en  février  1898.  La 
colonne  Gasnier-Vermeersch  devait  achever  son  œuvre  à  l'intérieur  par 
la  prise  de  Nikki  et  l'écrasement  des  derniers  Baribas. 

Par  suite  de  l'heureuse  issue  de  la  mission  Bretonnet,  la  France  avait 
pris  possession  de  la  rive  droite  du  Niger  au-dessus  de  Boussa  et  y 
avait  établi  une  chaîne  de  postes,  afin  d'en  rendre  l'occupation  effective. 
L'hinterland  du  Dahomey  était  donc  assuré  de  s'étendre  jusqu'au 
Niger  et  d'avoir  une  porte  ouverte  à  Boussa  sur  le  fieuve  navigable. 

Tous  ces  événements  ne  se  passèrent  pas  sans  les  vives  protestations 
de  la  presse  anglaise.  Les  organes  inspirés  par  la  C'*"  du  Niger,  le  Times 
notamment,  ne  nous  ménagèrent  pas  les  attaques.  L'occupation  de  Boussa 
ainsi  qu'on  l'a  vu  (*),  donna  lieu  à  des  récriminations  sans  fin.  iMais  la 
C*  du  Niger,  dont  l'appétit  est  plus  grand  que  l'estomac,  ne  pouvait 
nous  prévenir  partout  dans  cette  course  au  premier  occupant,  car  ses 

{\)Rev.  Fr.  t.  xxii,  p.  208,  avril  1897. 


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Q|2 


REVUE  FRANÇAISE 


forces  à  peine  suffisantes  pour  maintenir  son  autorité  là  où  elle  était 
établie,  ne  lui  permettaient  pas  de  prendre  possession  des  régions 
qu'elle  convoitait. 

Depuis,  la  situation  s'est  modifiée.   Les  envois   considérables  eo 

hommes  et  en  officiers,  faits  dans  Fintérieur  de  la  colonie  de  Lagosel 

au  Niger,  ont  permis  aux  Anglais  d'établir  leurs  postes  juste  en  face  des 

nôtres  cl  même  de  les  tourner  pour  s'installer  sur  leurs  derrières, 

copime  ils  l'ont  fait  pour  lé  poste  de  Kissi,  en  venant  s'établir  à  Béria, 

à  Ilesha,  à  Okoulo.  C'est  là  un  procédé  fort  peu  correct,  au  moment 

surtout  où  les  plénipotentiaires  des  deux  nations  examinent  loyalement 

les  droits  et  la  situation  des  deux  pays.  Ce  n'est  pas  en  cherchant  à 

susciter  dà  incidents,  en  intimidant  nos  postes  indigènes,  en  essayant 

de  tourner  les"^mdigènes  contre  nous  que  les  Anglais  arriveront  à 

aplanir  les  difficultés'^istantes. 

Nos  voisins  d'outre-MaoSISl^'^i^^'^^^®'^*  '®s  premiers  en  expansion 
coloniale,  se  sont  laissés  devaiSQ^^  sur  cette  terre  d'Afrique.  Grâce  à 
l'activité  de  nos  explorateurs,  de  nK^  officiers,  nous  sommes  devenus 
les  beaU  possidenies  de  ces  régions  sai^v"^*^*^®-  ï^  Anglais  ont  perdu 
la  partie  ;  pour  une  fois,  qu'ils  sachent  dfc'^^  '^  reconnaître,  même  de 
mauvaise  grâce. 

Georges  Démanche. 


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KIAO-TGHEOU 

Les  Allemands  viennent  d'obtenir  la  concession  à  bail  de  la  baie  ilo 
Kiao-Tchéou  et  de  ses  environs.  Comme  cela  pourrait  fort  bien  devenir 
une  occupation  définitive,  ainsi  qull  en  sera  sans  doute  de  celle  des 
Russes  à  Port-Arthur  et  à  la  baie  de  Ta-liène-ouane,  il  est  intéressant 
d'étudier  la  valeur  de  ce  point  du  territoire  chinois. 

La  baie  de  Kiao-Tchéou,  située  sur  la  côte  sud  de  la  province  du  Chan- 
toung,  est  le  seul  port  de  refuge  praticable  pour  de  gros  navires  entre 
Chang-haï  et  Tchéfou.  Les  Russes,  qui  cherchaient  depuis  quelques 
années  un  port  d'hivernage  pour  leur  flotte  sur  les  côtes  de  Chine,  s'en 
étaient  rendu  compte  et  avaient  obtenu  du  gouvernement  chinois,  il  y  a 
un  peu  plus  d'un  an,  Tautorisation  d'y  faire  hiverner  leurs  navires.  Les 
Allemands  ayant  eu  quelques  démêlés  avec  le  fils  du  Ciel,  au  sujet  de 
leurs  missionnaires  catholiques  au  Chan-loung,  dont  deu&  ont  été  assas- 
sinés, s'empressèrent  d'exiger  de  la  Chine  la  cession  à  bail  de  Kiaotchéou 
et  de  ses  environs  comme  compensation. 

La  baie  de  Kiao-tchéou  prend  son  nom  de  la  ville  de  ce  nom  qui  se 
trouve  située  à  3  1/2  milles  du  fond  du  havre  dans  une  plaine  arrosée 
par  plusieurs  rivières  se  jetant  dans  la  baie.  La  plus  importante  est  le 
Ta-Kou,  qui  prend  sa  source  près  de  Houang-hsien,  à  huit  milles  de 
la  côte  nord  du  Chan-toung,  dont  il  traverse  ainsi  toute  la  partie  pénin- 
sulaire. Dans  l'antiquité,  un  canal  reliant  l'un  de  ses  affluents,  le  Pai- 
aha-ho,  au  Kiao-laï-peï-ho,  qui  se  déverse  dans  le  golfe  du  Pé-tché-li, 
formait  une  île  de  toute  la  partie  orientale  de  la  province. 

A  l'est  du  Ta-kou-ho,  le  Tchang-tchi-ho  et  le  Nan-ta-ho  se  jettent 
aussi  à  la  mer.  Le  dernier  passe  à  peu  de  distance  des  murs  deTsi-mei- 
hsien.  Enfin  au  sud  de  Kiao-Tchéou  deux  autres  rivières  apportent  en- 
core à  la  baie  leurs  eaux  et  leurs  sables.  Grâce  à  ces  alluvions  la  ligne 
des  rivages  change  continuellement  et  l'hydrographie  en  est  assez  mal 
faite.  Les  bas-fonds  s'étendent  très  loin  de  la  limite  des  hautes  mers  et 
des  navires  calant  seulement  quelques  mètres  doivent  jeter  l'ancre  non 
loin  de  l'entrée  du  havre  dans  7  à  8  brasses  d'eau.  On  ne  peut  donc 
guère  utiliser  comme  port  de  refuge  que  la  partie  sud,  qui  n'en  constitue 
pas  moins,  suivant  l'expression  des  instructions  nautiques  anglaises, 
I  l'un  des  ports  Jes  mieux  abrités  de  U  côte  Est  de  Chine,  ^ 


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^ 


214  .  REVUE  FRANÇAISE 


.  A  haute  mer,  la  surface  du  havre  ne  mesure  pas  moins  de  140  milles 
carrés  et  le  mouillage  paraît  entièrement  fermé  par  les  hautes  terres  de 
rentrée,  dont  les  deux  pointes  :  le  cap  Evelyn  au  sud  et  le  Yu-nui-shan 
au  nord,  ne  laissent  entre  elles  qu'un  goulet  de  deux  milles  à  peine 
de  large  avec  une  profondeur  de  10  a  20  brasses.  La  ligne  des  sondes 
de  5  brasses  ne  s'étend  qu'à  5  milles  de  l'entrée.  Or,  comme  le  fond  de 
la  baie  en  est  à  17  milles,  on  voit  le  peu  d'espace  utile  laissé  par  les  hauts 
fonds  dans  ce  vaste  bassin.  Il  a  u'ailleurs  l'inconvénient  grave  de  geler 
en  partie  pendant  les  hivers  rigoureux,  et  ils  y  sont  assez  fréquents, 
bien  qu'on  se  trouve  là  sur  le  36<»  de  latitude,  c'est-à-dire  à  la  même 
hauteur  de  l'équateur  que  Malte  et  Athènes. 

Le  froid  qui  commence  en  décembre  dure  jusqu'en  mars  et  les  habi- 
tants affirment  que  la  glace  est  quelquefois  assez  épaisse  pour  qu'on 
puisse  traverser  la  baie  à  pied  sec,  de  l'île  Polato  dans  le  nord,  à  l'île 
Tchi-po-saft  près  de  l'entrée.  C'est  sans  doute  à  cause  de  cela  que  les 
Russes  ont  préféré  s'installer  à  Port-Arthur  et  à  Ta-liène-ouane,  qui, 
bien  que  beaucoup  plus  au  nord,  sont  rarement  pris  par  les  glaces. 

Par  un  temps  clair  l'entrée  de  la  baie  est  facilement  reconnaissable 
du  large,  à  17  milles  de  distance,  grâce  à  l'élévation  de  l'île  To-lo-shan 
(563  pieds  de  haut)  qui  forme  un  excellent  amer  et  à  celle  des  côtes 
où  l'on  aperçoit  des  montagnes  telles  que  le  Loung  shan  et  le  Ta-mo- 
shan  (ou  haute  montagne  double)  qui  ne  mesurent  pas  moins  de 
1146  pieds  et  2249  pieds  de  hauteur  respective. 

La  division  française  des  mers  de  Chine,  qui  a  visité  ce  point  en 
1896,  a  reconnu  que  les  Chinois  avaient  établi  trois  batteries  sur  les 
hauteurs  de  Tching-tao-ko  et  de  Fou-shan-so,  qni  forment  la  partie 
nord  de  la  passe.  On  a  relevé  aussi  l'existence  d'une  jetée  de  débarque- 
ment, récemment  construite  dans  l'anse  de  Tching-tao-ko,  près  de 
l'entrée  et  du  village  de  ce  nom  (aussi  appelé  Tsin-tao-fou). 

Pour  assurer  la  défense  de  leur  concession,  les  Allemands  ont  pris 
également  possession  des  îles  To-lo-shan,  Tcha-lien-tao  et  Ka-tl-miao, 
situées  respectivement  à  18,  29  et  33  milles  au  large  de  l'entrée,  ainsi 
que  d'un  certain  nombre  d'autres  plus  rapprochées  telles  que  l'île  Ronde, 
Taï-koung-tao,  etc. 

Le  journal  anglais  Standard  publiait  dès  le  17  janvier  dernier  une 
carte  de  la  concession  et  une  note  traduite  des  documents  oflBciels 
çtllemands.  D'après  ces  renseignements,  l'Allemagne  obtenait  la  surface 


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KÏAO-TCHÉOU  21?) 

eotière  de  la  baie,  jusqu'à  la  limite  des  hautes  mers  ;  les  terrains  situés 
au  nord  et  au  sud  de  la  passe  jusqu'au  sommet  des  montagnes,  ainsi 
que  les  îles  situées  dans  la  baie  et  au  large.  Le  territoire  concédé  est 
entouré  d'une  zone  neutre  à  Tinlérieur  de  laquelle  aucune  mesure  admi- 
nistrative ne  peut  être  prise  par  les  autorités  chinoises  sans  le  consen- 
tement de  FAllemagne.  Le  pays  ainsi  soumis  aux  Allemands  est  limité 
comme  suit  : 

Une  ligne  droite  allant  à  l'ouest,  tirée  du  rivage  près  de  la  colline  de 
l'est,  à  un  point  qui,  au  moment  des  hautfes  mers,  se  trouve  à  7  milles 
de  Kiao-tchéou.  De  là,  elle  va  droit  au  nord  jusqu'au  point  dit  station 
ielAkinàe  Ta-po-teur,  puis  elle  revient  au  sud-est  jusqu'au  confluent  des 
rivières  Kiao-ho  et  Ta-kou-ho.  Elle  se  dirige  alors  directement  vers  l'est 
jusqu'au  rivage  de  la  baie  de  Lao-shan,  en  un  point  où  aboutit  la  ligne 
fictive  venant  de  l'île  Ka-ti-miao  au  Sud-Est.  Elle  prend  là  une  direction 
S.  S.-O.  vers  l'île  de  Tcha-lien-Tao,  d'où  elle  va  à  l'O.  S.-O.  sur  l'île  de 
To-lo-shan.  Elle  rejoint  la  terre  ferme  dans  l'O.  S.-O.  un  peu  au  delà 
du  120*  de  longitude  E.  de  Greenwich,  d'où  elle  revient  au  point  de 
départ. 

Les  Allemands  n'ont  point  perdu  de  temps  et  nous  avons  déjà  sous 
les  yeux  une  belle  carte  de  la  province  du  Chan-toung  intitulée  : 
t  Deutschland  in  Ostasien  »  dessinée  d'après  le  baron  von  Richtoffen  et 
sur  laquelle  l'établissement  géographique  de  Dietrich  Reimer  à  Berlin 
a  marqué  la  concession  à  bail  (Pachtgebiet)  et  tout  autour,  à  une  dis- 
tance de  30  kilomètres,  la  zone  neutre.  Quant  à  la  zone  d'influence  ou 
hmterland  elle  s'étend  sans  doute  dans  l'esprit  de  nos  voisins  à  toute 
la  province  même  du  Chan-toung.  On  voit  en  effet,  figurer  déjà  sur 
cette  carte  le  tracé  des  lignes  de  chemin  de  fer  dont  l'Allemagne  espère 
obtenir  la  concession  et  qui  sont  destinées  à  drainer  vers  Kiao-tchéou 
les  richesses  minières  et  les  produits  de  ragriculture  pour  les  détourner 
du  port  de  Tchéfou  et  de  la  grande  ligne  ferrée  projetée  (»ntre  Tientsin 
etHankéou,  concédée  aux  Belges,  paraît-il,  s'il  faut  en  croire  les  dernières 
nouvelles  de  source  anglaise. 

Le  réseau  ferré  projeté  par  l'Allemagne  comprend  une  ligne  princi- 
pale partant  de  Kiao-Tchéou  pour  atteindre  à  l'O.  N.-O.  la  capitale  de 
la  province  Tchi-nan-fou  en  passant  par  les  villes  de  Kao-mi-hsien,  de 
Weï-haien  et  Tchang-lo-hsien,  riches  en  mines  de  houille,  comme  celle 
de  Po-chan-hsien  qu'on  dessert  par  un  embranchement  partant  des  envi- 


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216  REVUE  FRANÇAISE 

rons  de  Tchang-shan-hsien  et  passant  par  Tsi-tchouane-hsien.  De 
Tchi-nan-fou,  la  ligne  va  à  Tsi-ho-hsien  sur  le  fleuve  Jaune,  d'où  une 
autre  ligne  principale  se  dirige  au  S.-E.  sur  Yi-Tchéou-fou  en  suivanl 
les  bords  du  Grand-Canal.  Elle  desservira  un  pays  riche  en  soie  et  en 
productions  agricoles,  ainsi  que  les  villes  de  Tai-ngan-fou,  Hsin-tai-hsien 
et  Mong-Tin-hsieu.  Un  embranchement  a  été  prévu  depuis  pour  i-elier 
Yi-tchéou-fou  et  ses  importants  gisements  houillers  avec  Kiao-Tchéou.  11 
n'est  pas  encore  marqué  sur  la  carte,  mais  il  est  mentionné  par  le  Lmdon 
and  China  Express  du  mois  dernier. 

Si  l'Allemagne  arrive  à  obtenir  la  concession  de  ce  vaste  réseau  qui 
ne  mesure  pas  moins  de  825  kilomètres,  elle  pourra  drainer  vers 
Kiao-Tchéou,  presque  tous  les  produits  de  la  partie  occidentale  de  la 
province  très  riche  en  minéraux  utiles,  et  où  il  existe  même  des  métaux 
précieux  tels  que  l'or,  la  galène  argentifère,  le  fer  magnétique  et  non 
loin,  à  l'ouest  de  Yi-tcheou-fou  dans  les  montagnes  du  King-Kang-Hn, 
d&s  gisements  diamantifères  peu  connus  et  inexploités  dont  nous  avons 
établi  l'existence  dès  1876  pendant  une  résidence  de  quatre  aimées  et 
demie  dans  la  province  (*). 

Kiao-Tchéou  (latitude  36»  10'  long.  E.  de  Greenwich  120^  10')  était 
autrefois  le  centre  le  plus  important  du  commerce  dans  le  Cbantoung 
oriental.  Elle  recevait  ses  provisions  du  sud  par  la  mer  et  distribuait 
des  marchandises  dans  tout  le  pays.  Grâce  à  l'ensablement  de  la  baie 
et  surtout  à  l'ouverture  du  port  de  Tchéfou,  en  1838,  le  commerce  a 
grandement  diminué.  Le  port  actuel  de  la  ville  se  trouve  à  5  milles 
au  sud  à  un  endroit  nommé  Ta-po-teur,  sur  une  crique,  à  13  milles  par 
eau  de  la  mer  et  qui  est  presque  à  sec  à  marée  basse.  Les  jonques  de 
Ning-Po  et  du  Fo-Kien  jettent  l'ancre  dans  la  rade  et  leurs  chargements 
sont  apportés  par  des  bateaux  à  fond  plat  dont  oO  à  60  attendent  sur 
la  boue  le  retour  de  la  marée.  Le  pays  tout  autour  aussi  loin  qne  la 
vue  peut  s'étendre  est  absolument  plat  ;  près  de  la  mer,  il  devient 
marécageux  et  par  suite  malsain,  surtout  pendant  les  fortes  chaleurs 
de  l'été.  Le  gouvernement  chinois  eût  préféré  voir  ce  port  ouvert  au 
commerce  plutôt  que  celui  de  Tchéfou,  mais  il  fut  alors  considéré 
comme  beaucoup  moins  approprié  au  mouillage  des  navires  à  vapeur. 


(1)  La  province  chinoise  du  Chan-toung^  géographie  et  histoire  natureltey  Revue  de» 
questions  scion tiri(|uos  de  Bruxelles  1890-91-9?. 


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KiAo-'n  infini: 


m 


Des  coDsîdératiOTis  politiques  trulilèrent  d  ailleurs  en  faveur  deTchéfou 
laieux  placé  au  point  dt:^  vutj  ^Lratéf^ique,  sinon  au  point  di'  vue 
ixïmiiiercial. 

La  ville  de  Kii^i-TcJu'OU  porU'  î;i  [raee  6vklenle  dt*  son  ancienne 
riches!^\  Presque  toutes  les  rues  sont  lravi:*rsce&  par  de  nombreux  ait^ 


TLRRI  TÛIRÉ    de: 

JCfAO-TCHÉOU 


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1 


de  triomphe  en  i^Tanit  et  ^rt\s.  dont  les  îjculptiirea  pn/hcntent  uiie 
yariété  iutinie.  Lus  itiaisnns  e;i  briquns  -ri.-ses  cl  ((iirre  dr  lailli^  snii^ 
bien  coïistiujtes.  l'iusinirs  ruîivr*^rjL  mw  vasie  é[uudae  de  ti^rrain  (*l 
possèdent  deë  mur-^  de  30  pinis  iréltWatioïu  îni^M  i^oigucuserm.^il  iiiir 
solidement  construits.  iJr  li;nHs  uuUs  dr  |Kivilh)(i  peints  tiii  iim^u  i^i 


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218  REVUE  FRANÇAISE 

disposés  par  paire  devant  la  porte  d'un  certain  nombre  d'édifices, 
indiquent  la  résidence  officielle  des  nombreux  mandarins. 

Si  la  ville  n'est  pas  grande,  les  faubourgs,  par  contre,  couvrent  un 
espace  considérable  ;  c'est  surtout  dans  les  quartiers  de  l'ouest  que  se 
fait  le  commerce.  La  population  était,  il  y  a  quelques  années,  fort 
hostile  aux  étrangers  et  les  missionnaires  anglais  y  ont  été  insultés  à 
diverses  reprises.  C'était  autrefois  le  principal  marché  de  la  partie 
orientale  du  Chan-toung.  Les  environs  produisent  encore  des  grains, 
des  fruits,  des  légumes. 

Le  petit  port  de  Tching-tao-ko,  à  Test  de  l'entrée  du  havre,  ne  pos- 
sède que  peu  de  maisons.  On  y  fait  cependant  un  commerce  important 
de  cochons  salés,  de  choux  du  Chan-toung  frais  ou  conservés,  de 
radis,  d'arachides  et  de  coton.  Tout  cela  est  exporté  par  jonques  sur 
Shang-Haï. 

Sur  la  partie  est  de  la  baie  de  Kiao-Tchéou  se  trouvent  de  grands 
établissements  de  pêcherie,  ressemblant  à  nos  madragues.  Le  pays,  aux 
environs,  est  stérile  à  l'extrême,  le  sol  consistant  en  argile  jaune  est 
semé  de  blocs  de  granit  descendus  des  sommets  voisins  du  Lao-Shan. 
Ces  montagnes  sont,  dit-on,  riches  en  minéraux  divers.  Les  annales  de 
la  province  y  mentionnent  l'existence  de  l'or,  de  l'argent,  de  l'améthyste 
et  surtout  du  cristal  de  roche  blanc  ou  enfumé.  Les  moines  des  nom- 
breux monastères  des  environs  exploitent  ce  cristal  dont  ils  fabriquent 
des  verres  de  lunettes  ou  d'autres  objets  de  luxe,  tels  que  des  petites 
bouteilles  plates  servant  de  tabatières.  Ils  cultivent  aussi  la  rhubarbe 
et  de  nombreuses  plantes  médicinales.  La  soie  du  chêne  ou  pongée  est 
produite  en  abondance  dans  les  environs  par  le  bombyx  à  demi 
sauvage  du  Quercus  sinerisis, 

La  recherche  de  l'or  est  défendue  par  la  loi,  ce  qui  n'empêche  pas 
les  paysans  de  laver  en  secret  le  sable  des  rivières  dans  presque  toute 
la  partie  orientale  du  Chan-toung.  Ils  se  livrent  à  cette  opération  pendant 
les  mois  d'hiver,  alors  que  les  moissons  étant  rentrées  ils  n'ont  pas 
autre  chose  à  faire.  On  a  découvert,  récemment,  l'or  dans  la  roche 
elle-même  aux  environs  de  Ping-tou,  à  IS  lieues  au  nord  de  Kiao- 
Tchéou.  Une  compagnie  a  été  formée  pour  l'exploitation,  avec  l'autori- 
sation de  rËtat,  mais  la  mauvaise  administration  des  mandarins  en  a 
bientôt  causé  la  ruine.  Il  n'y  a  pas  de  doute,  cependant,  qu'avec  une 
organisation  honnête  dirigée  par  des  européens,  on  pourrait  exploiter 


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KlAO-TCHÉOU  219 

avec  succès  les  diverses  mines  de  la  province  et  tout  particulièrement 
les  houillères  de  Weï-hsien,  Po-shan-hslen  et  Yi-tchéou-fou  où  Ton 
rouve  un  charbon  valant  celui  de  Cardiflf.  11  est  probable  que  les 
Allemands  obtiendront  la  concession  de  ces  mines  dont  les  produits 
pourront  venir  à  la  côte  au  moyen  des  chemins  de  fer  projetés. 

Non  loin  du  Lao-shan,  à  9  lieues  à  TE.-N.-E.  de  Kiao-Tchéou,  se 
trouve  la  ville  de  Tsi-mi-hsien,  dont  les  rues  sont  ornées  d'une  série 
d'arcs  de  triomphe  en  pierre  sculptée.  Elle  ne  compte  cpie  18.000  habi- 
tants environ.  Son  commerce,  qui  est  peu  important,  s'approvisionne 
par  le  port  voisin  (2  lieues  1/2)  de  Niu-kou-ko,  petite  ville  située  sur 
la  rive  orientale  du  havre  de  Kiao-Tchéou  et  entièrement  peuplée  de 
pêcheurs.  On  y  trouve  de  vastes  magasins  remplis  de  coton  cultivé  aux 
environs,  de  gâteaux  de  pois  provenant  des  fabriques  d'huile  de 
Ddichos  soya.  Ces  tourteaux  sont  très  employés  comme  engrais.  Le 
pays  fournit  encore  de  la  cire  d'insectes  ou  Péhx,  des  poires,  des 
pommes  et  des  kakis,  ainsi  que  des  noix  et  des  amandes  d'abricot 
douces  ou  amères. 

De  Kiao-Tchéou  une  route  va  au  N.-O.  à  Weï-hsien  en  passant  par 
Kao-mi-hsien,  à  6  lieues  de  distance,  par  conséquent  dans  la  zone 
neutre  allemande.  Cette  route  était  autrefois  une  magnifique  chaussée 
dallée  de  quarante  pieds  de  largeur.  Elle  n'est  plus  maintenant  qu'une 
série  de  fondrières  infranchissables  pendant  la  saison  des  pluies  (juin  et 
juillet).  Elle  traverse  plusieurs  rivières  qui  vont  se  jeter  au  nord  dans 
un  lac  aujourd'hui  à  peu  près  complètement  desséché,  le  Paï-mai-hou. 
Les  ponts  étaient  autrefois  de  superbes  échantillons  de  Tarchitec- 
ture  chinoise.  Malheureusement,  ils  n'ont  pas  été  entretenus  et  les 
immenses  dalles  de  granit  qui  les  constituaient  sont  aujourd'hui  rem- 
placés par  des  fagots  de  tiges  de  sorgho  recouverts  de  terre.  La  plaine, 
est  semée  de  nombreux  et  gracieux  villages  bâtis  à  l'ombre  des  pins, 
des  peupliers,  et  dont  les  jardins  sont  plantés  de  poiriers,  pommiers, 
pêchers,  abricotiers,  noyers  et  châtaigniers.  Les  champs  produisent  le 
blé,  le  sorgho,  le  maïs,  les  arachides,  le  tabac  et  une  quantité  de 
légumes  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer.  On  sait,  en  effet,  que  les 
Chinois  sont,  avant  tout,  végétariens.  Au  Chan-toung,  ils  élèvent  des 
porcs  et  des  volailles  dont  ils  sont  aussi  friands.  Ds  mangent  bien 
encore  de  la  chèvre  et  de  l'àne,  mais  jamais  de  bœuf,  cet  animal  étant 
spécialement  consacré  à  l'agriculture. 


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n 


220  l{EVUE   FRANÇAISE 

Kao-mi-hsien  est  une  petite  viUe  entourée  de  murs  comme  toutes 
les  villes  chinoises.  Ses  murs,  bien  entretenus,  ont  trois  milles  de  tour 
et  renferment  une  population  d'environ  10.000  âmes.  Il  se  fait  dans 
cet  endroit  un  grand  commerce  d'un  tabac  blond  et  léger  ressemblant 
au  labac  turc  et  que  Ton  exporte  en  quantité  sur  Tchéfou,  d'où 
il  gagne  jusqu'à  l'Europe  et  l'Amérique  où  il  sert  à  la  fabrication  du 
Maryland. 

Tels  sont  les  environs  immédiats  de  Kiao-Tchéou.  On  voit,  par  cette 
courte  description,  que  le  pays  est  assez  riche  en  productions  diverses 
et  que  la  province  de  Chan-toung  pourra  devenir,  dans  des  mains 
expérimentées,  une  source  certaine  de  richesses.  Les  Allemands  s'en 
sont  très  adroitement  saisis  et  ils  ont  la  bonne  fortune  d'avoir  su 
décider  Herr  Delring,  l'un  de  leurs  compatriotes  qui  connaît  le  mieux 
la  Chine  du  Nord,  où  il  a  été  commissaire  des  Douanes  impériales  mari- 
times, tant  à  Tchéfou  qu'à  Tientsin  depuis  1875,  à  quitter  le  service 
chinois  et  son  ami  Li-Houng-tchang,  dont  il  était  aussi  le  conseiller 
intime,  pour  venir  prendre  la  direction  de  leurs  affaires  à  Kiao-Tchéou. 
Sans  perdre  de  temps,  ils  ont  organisé  aussitôt  un  service  postal  de 
quinzaine  sous  pavillon  allemand  entre  Shang-haï  et  leur  nouvelle 
colonie,  car  tel  est  bien  le  nom  qu'ils  entendent  donner  à  leur 
Pachgebiet,  Voici  donc  encore  les  Russes  à  Port-Arthur  et  les  Japonais 
à  Weï-haï-weï,  les  Anglais  à  Kowrloun  près  Hong-Kong  ;  que  va  faire 
la  Franco,  That  is  the  question. 

A.-A.  Fauvel, 
Ancien  offijder  des  Douanes  chinoises  au  Chan-4oung. 


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LE  PREMIER  PARTAGE  DE  LA  CHINE 

Les  événements  se  déroulent  en  Extrême-Orient  avec  une  rapidité 
qui  contraste  singulièrement  avec  Timmobilité  traditionnelle  du  Céleste 
empire.  Cela  tient  du  reste  à  la  situation  particulière  de  la  Chine  qui, 
vaincue  dans  sa  lutte  avec  le  Japon,  n'ayant  plus  de  flotte,  presque 
plus  d'armée  et  pas  d'alliée,  se  trouve  à  la  discrétion  absolue  des  gran- 
des puissances  européennes.  Celles-ci  n'ont  eu  garde  de  laisser  échap- 
per une  si  belle  occasion  pouvant  servir  leurs  intérêts  et  viennent  de 
procéder  à  Tattribution,  en  quelque  sorte  pour  chacune  d'elles,  d'une 
partie  de  la  Chine  et  à  un  premier  partage  de  son  territoire. 

Lorsque  le  traité  de  Simonoseki  eut  donné  au  Japon  la  presqu'île  de 
Liao-Tong,  où  se  trouve  le  port  de  guerre  chinois  de  Port-Arthur,  la 
Russie,  qui  ne  pouvait  admettre  l'établissement  du  Japon  sur  le  conti- 
nent, et  précisément  en  un  point  où  elle  avait  jeté  ses  vues,  adressa  au 
gouvernement  du  Mikado,  de  concert  avec  la  France  et  l'Allemagne, 
une  note  demandant  au  Japon  de  renoncer  à  l'annexion  de  la  pres- 
qu'île de  Liao-Tong.  Une  élévation  de  l'indemnité  de  guerre  devait 
compenser  ce  sacrifice.  Le  Japon,  ne  se  sentant  pas  en  état  d'entamer 
une  lutte  qui  pouvait  lui  faire  perdre  entièrement  le  prix  de  ses  vic- 
toires, céda,  et  le  Liao-Tong  resta  chinois. 

Mais  le  Céleste  empire  avait  une  dette,  de  reconnaissance  à  payer. 

La  Russie,  la  plus  intéressée  de  toutes  les  grandes  puissances  dans 
les  affaires  d'Extrême-Orient,  obtint  de  faire  passer  à  travers  la  Mand- 
chourie  le  chemin  de  fer  transsibérien,  obligé  par  son  tracé  primitif  a 
un  coude  très  accentué  vers  le  nord  pour  atteindre  l'océan  Pacifique. 
D  en  résultait  une  économie  de  tracé  de  plus  de  60O  kilomètres,  l'au- 
torisation d'établir  des  postes  militaires  pour  protéger  les  travaux  et  la 
main-mise  en  quelque  sorte  sur  la  Mandchourie  septentrionale.  De  plus, 
la  Russie  obtenait  du  gouvernement  de  Pékin,  l'autorisation  de  faire 
hiverner,  en  cas  de  besoin,  sa  flotte  dans  un  port  chinois  libre  de  glaces. 

Plus  modeste  dans  ses  prétentions,  la  France  n'avait  profité  de  la 
situation  que  pour  obtenir  d'insignifiantes  rectifications  dans  la  délimi- 
tation, encore  inachevée  à  cette  époque,  de  la  frontière  du  Tonkin  et 
quelques  avantages  pour  son  commerce  dans  les  provinces  méridionales 
de  la  Chine. 

L'Allemagne  n'avait  rien  demandé.  Elle  se  réservait,  étudiait  le  ter- 


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222  REVUE  FRANÇAISE 

rain  et  allait  faire  ses  premiers  pas  sur  le  territoire  chinois  en  débutant 
par  ua  coup  d'éclat. 

Dans  les  premiers  jours  de  novembre  1897,  on  apprenait  que  deux 
missionnaires  catholiques  allemands,  avaient  été  massacrés  dans  le 
Chan-Tong,  le  jour  de  la  fête  de  la  Toussaint.  Sans  perdre  un  instant, 
le  gouvernement  allemand  adresse  à  la  Chine  une  demande  de  répa- 
ration catégorique,  et  donne  ordre  à  sa  flofte  de  se  saisir  d'un  gage  en 
mettant  ia  main  sur  la  baie  de  Kiao-Tchéou,  excellent  mouillage  situé 
aux  portes  du  golfe  de  Petchili.  Le  14  novembre  les  navires  allemands 
prenaient  possession  de  la  baie  de  Kiao-Tchéou,  et  des  détachefments» 
s'avançant  dans  l'intérieur,  occupaient  ensuite  la  ville  de  ce  nom.  En 
vain  la  Chine,  pour  se  débarrasser  de  ce  voisinage,  s'empressa-t-elle, 
contrairement  à  toutes  ses  habitudes,  à  donner  inmiédiatement  à  FAlle- 
magne  toutes  les  satisfactions  qu'elle  demandait.  Celle-ci  ne  voulut  pas 
entendre  parler  de  l'évacuation  de  Kiao-Tchéou  et  demanda  au  gouver- 
nement de  Pékin  de  lui  céder  la  baie  et  une  bande  de  territoire  adja- 
cent, mais  seulement  à  bail,  afin  de  permettre  aux  Chinois  de  sauver 
la  face.  Devant  les  instances  réitérées  du  gouvernement  allemand  et  en 
présence  de  l'orage  qui  semblait  s'amonceler,  le  Tsung^li-Yamen  fil 
droit,  le  6  mars  dernier,  aux  exigenœs  germaniques. 

Voyant  l'Allemagne  s'installer  à  Kiao-Tchéou,  et  ne  sachant  pas  jus- 
qu'où pourraient  aller  ses  prétentions,  le  gouvernement  russe  avait  t«iu 
à  faire  connaître  ses  intentions  pour  éviter  d'être  prévenu.  B  avait, 
d'accord  avec  la  Chine,  envoyé  sa  flotte  hiverner  à  Port-Arthur.  Le  18 
décembre  1897,  quatre  navires  russes  entraient  dans  le  grand  port  chi- 
nois. La  démonstration  était  significative  et  indiquait  bien  uù  commen* 
cément  d'abdication  de  la  part  de  la  Chine.  Ce  commencement  n'allait 
pas  tarder  à  avoir  une  suite,  car  les  événements  allaient  se  prëdpiter. 

Obhgée  de  payer  au  Japon  une  importante  indemnité  de  guerre^  la 
Chine  n'était  pas  en  mesure  de  se  libérer  par  ses  propres  ressoorees.  Il 
lui  fallait  donc  pour  pouvoir  s'acqiiitter  et  mettre  les  Japonais  en  de- 
meure d'évacuer  Weï-Haï-Weï,  qu'ils  détenaient  comme  gage,  reeotirir 
à  l'emprunt.  Cet  emprunt  qui  le  souscrirait  ? 

C'est  ici  que  les  perplexités  duTsung  li  Yamen  prirent  des  proportions 
9axi9  cesse  grandissantes.  Prêter  de  l'argent  à  la  Chine,  personne  ne 
s'y  refusait;  mais  il  fallait  avoir  des  garanties.  Ces  garanties  devaiefil 
consister  dans  le  contrôle  de  certains  revenus  el  oe  coolr^  devait 


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LE   PREMIER   PARTAGE   DE   LA   CHINE  233 

donner  une  sérieuse  influence  à  celui  qui  Texercerait.  L'emprunt  de- 
vait donc  amener  une  lutte  d'influences  entre  les  puissances  en  rivalité 
d'influence  en  Extrême-Orient. 

Après  avoir  oscillé  entre  un  emprunt  d'État  souscrit  par  la  Russie, 
puis  par  l'Angleterre,  le  Tsung  li  Yamen  se  décida  à  traiter  avec  deux 
banques,  l'une  anglaise,  l'autre  allemande,  pour  l'émission  d'un  em- 
prunt de  16  millions  de  livres  sterling. 

C'était  au  fond  im  succès  pour  l'Angleterre  qui  obtenait  en  inéme 
temps  d'autres  avantages  fort  importants  :  l'ouverture  des  cours  d'eau 
navigables  de  la  Chine  au  commerce  européen,  l'engagement  de  tou- 
jours confier  à  un  Anglais  le  poste  important  de  directeur  général  des 
douanes,  enfin  rengagement  de  ne  céder  sous  aucune  forme  un  terri- 
toire du  bassin  du  Yang  Tsé  Kiang  —  sauf  à  V Angleterre,  aurait  pu 
ajouter  la  convention.  Mais  ce  qui  n'était  pas  dit  était  sous  entendu  et 
la  presse  britannique  n'a  pas  caché  la  nécessité  pour  l'Angleterre  d'oc- 
cuper quelque  forte  position  stratégique  dans  les  parages  du  Yang  Tsé, 
et  de  se  réserver  une  influence  prépondérante  dans  le  bassin  d'un 
fleuve  qui  a  plus  de  3.000  kilomètres  de  cours  et  où  l'ensemble  de  la 
population  n'est  pas  évalué  à  moins  de  200  millions  d'habitants,  c'est- 
à-dire  à  plus  de  cinq  fois  le  chiffre  atteint  par  la  Grande-Bretagne  et 
llrlande. 

Cette  attribution  à  l'Angleterre  d'uue  énorme  sphère  d'influence  au 
cœur  de  la  Chine,  les  avantages  qu'elle  tenait  de  l'emprunt  et  d'autres 
concessions,  et  les  tentatives  qu'elle  avait  faites  pour  avoir  accès  à 
Taliea  Wao,  port  incontestablement  placé  dans  la  sphère  des  intérêts 
russes,  ne  pouvaient  laisser  la  Russie  indifférente.  Il  importait  en 
effet  au  gouvernement  du  tsar  de  ne  pas  laisser  s'affaiblir,  même  mo* 
meataaémennt,  son  influence  toute  puissante  à  Pékin.  Aussi  dans  les 
premiers  jours  de  mars  une  note  était-elle  adressée  au  Tsung  li  Yamen 
par  le  i^^nistre  russe  à  Pékin,  M.  Pawlof,  demandant  la  cession  à  bail 
de  Port-Arthur  et  de  Talien  Wan,  ainsi  que  le  droit  de  raccorder  Port- 
Arthur  au  chemin  de  fer  en  construction  à  travers  la  Mandchourie  et 
dans  les  mêmes  conditions.  C'était  une  réponse  indirecte  mais  non 
dissimulée  aux  demandes  anglaises.^ 

La  situation  était  grave  pour  la  Chine,  qui,  suivant  ses  habitudes, 
essaya  de  gagner  du  temps.  Mais,  après  avoir  cédé  à  l'Allemagne,  après 
avoif  cédé  à  l'Angleterre,  comment  résister  à  la  Russie,  dont  la  puis- 


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224  REVUE   FRANÇAISE 

saace  était  autrement  redoutable?  Mise  en  demeure  de  donner  sa  ré- 
ponse à  bref  délai,  la  Chine  vient  d'accéder  à  toutes  les  demandes  de 
la  Russie,  et  de  signer  le  27  mars  une  convention  conforme. 

Le  succès  de  la  Russie  était  de  beaucoup  plus  éclatant  que  celui  de 
TAngleterre  qui,  n'ayant  pu  faire  prévaloir  le  principe  d'intégrité  terri- 
toriale de  la  Chine,  va  sans  doute  prendre  un  «  gage  »  • 

Mais,  se  demandera-t-on,  quel  a  été  dans  tous  ces  événements  le 
rôle  joué  par  la  France  ? 

Il  faut  reconnaître  que  jusqu'ici  la  France  est  restée  en  arrière  des 
autres  puissances.  En  fidèle  alliée,  elle  a  tout  d'abord  appuyé  les  de- 
mandes de  la  Russie.  Puis,  lorsque  les  avantages  obtenus  par  d'autres 
puissances  eurent  détruit  l'équilibre  existant  en  Extrême-Orient,  elle 
adressa  à  son  tour  une  note  au  Tsung  li  Yamen  en  vue  de  faire  va- 
loir certaines  revendications.  D'après  les  journaux  anglais  —  car,  en 
France,  aucune  nouvelle  précise  n'a  transpiré  à  ce  sujet  —  la  France 
demande  à  la  Chine  :  la  cession  à  bail  du  port  de  Laï  Chau,  dans  les 
mêmes  conditions  que  Kiao  Tchéou  a  été  cédé  à  l'Allemagne  ;  le  droit 
de  construire  un  chemin  de  fer  jusqu'à  Yunnan  Fou;  l'attribution  à  un 
Français  de  la  direction  générale  des  postes  et  télégraphes;  enfin  l'en- 
gagement par  la  Chine  de  ne  céder  à  aucun  titre  un  territoire  situé 
dans  les  provinces  de  Yunnan,  Kouang  Si  et  Kouang  Tong.  Le  port  de 
Laï  Chau  ou  Lei  Tchéou  qui  se  trouve  sur  la  partie  orientale  de  la  pres- 
qu'île située  en  face  de  l'île  d'Haïnan,  possède  un  excellent  mouillage» 
comme  on  est  loin  d'en  trouver  dans  tout  le  golfe  du  Tonkin. 

Il  n'en  a  pas  fallu  davantage  pour  éveiller  la  mauvaise  humeur  que 
les  principaux  organes  de  la  presse  britannique  ne  cessent  de  témoigner 
à  la  France  lorsipie  celle-ci  cherche  à  faire  un  mouvement  sur  un  point 
du  globe  où  ses  voisins  d'outre-Manche  ont  des  prétentions,  ou  pour- 
raient en  avoir.  La  presse  anglaise  a  trouvé  naturel  que  la  Russie  fît 
tous  ses  efforts  pour  obtenir  un  port  libre  de  glaces  sur  les  ipers  de 
Chine  ;  elle  a  reconnu  que  la  Handchourie  devait  fatalement  être  en- 
traînée dans  l'orbite  de  la  politique  russe.  Mais  quand  il  s'agit  de  la 
France,  et  quand  celle-ci  s'avise  d'émettre  quelque  prétention,  les  ap- 
préciations sont  alors  bien  différentes  ! 

Le  Tintes,  qui  se  distingue  comme  toujours  par  son  peu  d'aménité 
à  notre  égard,  ne  manque  pas  de  s'élever  contre  les  propositions  de  la 
France.  Il  trouve  fort  mauvais  que  la  France  demande  à  la  Chine  de 


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fn^^ 


LE   PREMIER  PARTAGE  DE   LA   CHINE  2:25 

ne  rien  céder  de  ses  trois  provinces  méri'iionales.  Tout  d'abord  une 
partie  du  Yunnan  appartient  au  bassin  du  Yang  Tsé  et  la  Chine  s'est 
déjà  engagée  à  ce  sujet.  Le  Kouang  Tong  se  trouve  vis-à-vis  de  Hong- 
Kong;  par  suite  les  intérêts  anglais  sont  en  jeu  de  ce  côté.  Quant  à  Laï 
Chau.  il  se  trouverait  quelque  peu  sur  la  route  de  Singapore  à  Hong- 
Kong»  et  il  paraît  que  cette  route  est  intangible  aux  yeux  des  Anglais. 
A  entendre  pareil  langage  on  dirait  vraiment  que  tout  ce  qu'il  y  a  de 
bon  sur  la  surface  du  globe  doit  être  la  propriété  des  seuls  fils  d'Albion 
ou  n'appartenir  à  d'autres  nations  que  suivant  leur  bon  vouloir.  Cette 
théorie  n'a  heureusement  plus  cours  et  on  devrait  comprendre,  de  l'autre 
côté  du  détroit,  qu'il  y  a  d'autres  intérêts  au  monde  que  les  intérêts 
britanniques,  et  qu'ils  doivent  être  défendus  à  l'égal  de  ces  derniers. 

N'est-ce  pas  du  reste  l'Angleterre  qui  a  été  l'inspiratrice  de  tous  les 
procédés  politiques  qui  viennent  d'être  appliqués  en  Chine?  j 

N'a-t-elle  pas  la  première  inventé  la  cession  "à  bail,  en  cédant  pour 

un  temps  au  souverain  du  Congo  un  territoire  sur  le  haut  Nil,  qui  ne 

lui  appartenait  pas  d'ailleurs? 

Hong-Kong  n'explique- t-il  pas  toutes  les  créations  de  dOpôl  de  charbon? 

La  demande  de  non  cession  des  provinces  du  sud  de  la  Chine  n'est- 

clle  pas  décalquée  sur  celle  de  l'Angleterre  relative  au  Yang-Tsé? 

Et  si,  à  un  autre  point  de  vue,  l'Angleterre  touche  à  la  Chine  d'un 
côté  par  Hong-Kong,  de  l'autre  par  la  Birmanie,  la  France  en  est  aussi 
limitrophe  par  le  Tonkin  et  ce,  sur  une  longueur  de  plus  de  2.000  kilo- 
mètres. Il  faudrait  aussi,  sous  prétexte  que  la  Birmanie  touche  au  Yun- 
nan, que  la  France  renonçât  à  construire  un  chemin  de  fer  du  Ton- 
kin à  Yunnan  Fou?  L'Angleterre  s'est  attribuée  en  Chine  la  part  du 
lion;  qu'elle  laisse  donc  les  autres  nations  faire  rentrer  dans  leurs 
sphères  d'intérêt  les  territoires  qui  avoisinent  leurs  possessions.  Les 
négociations  entre  la  France  et  la  Chine  suivent  d'ailleurs  leur  cours  et 
il  faut  espérer  que  nos  négociateurs  auront  assez  de  fermeté  pour  ne 
pas  se  laisser  influencer  à  notre  détriment. 

Nous  ne  pouvons  que  nous  estimer  heureux  de  voir  écarter  pour  la 
France  toute  idée  de  grande  extension  territoriale  en  Chine.  Nous  n'avons 
nul  besoin  d'annexer  une  population  qui  deviendrait  vite  un  élément 
ruineux  de  concurrence  pour  notre  commerce  et  pour  notre  colonie 
d'Iodo-Chine  en  particulier.  Il  y  a  déjà  trop  de  Chinois  dans  cette  colo- 
nie; n'en  augmentons  pas  encore  le  nombre.  A.  Montell. 

xxni  (Avril  98).  N»  232.  15 


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JAPON  ' 

COMMERCE  ET  PROGRÈS  MARITIMES  EN  1896 

Le  commerce  extérieur  du  Japon  a  continué,  en  1696,  à  s'accroître 
comme  les  années  précédentes.  Les  importations  au  Japon  ont  atteint 
la  valeur  de  171.675.000  yens  (2) en  1896et  les  exportations  japonaises, 
117.843.000  yens,  soit  un  trafic  total  de  289.S18.000  yens. 

Les  importations  dépassent  donc  les  exportations  de  53.832.000  yens. 
Cette  difiTérence  sans  précédent  n'est  pas  due  à  l'extension  générale  des 
affaires,  mais  à  la  diminution  de  13,4  0/0  subie  par  le  commerce 
d'exportation,  et  à  l'augmentation  de  32,8  0/0  en  faveur  deTimporration 
étrangère,  par  rapport  à  l'année  précédente. 

Comparativement  à  1895,  on  constate  en  effet  que  les  importations 
ont  progressé  de  42  millions  de  yens,  alors  que  les  exportations  ont 
subi  un  recul  de  18  millions,  Néanmoins,  le  commerce  total  a  augmenté 
de  24  millions  de  yens  en  1896. 

La  diminution  des  exportations  japonaises  en  1896,  contrastant  avec 
leur  progression  constante  depuis  plusieurs  années,  a  une  cause  toute 
locale  et  temporaire.  Les  États-Unis,  principaux  acheteurs  de  produits 
japonais,  ont,  en  effet,  par  suite  de  leur  situation  politique  et  de  leur 
régime  économique  rendu  incertain  par  laltente  de  l'élection  pré- 
sidentielle, restreint  beaucoup  leurs  achats  en  1896,  surtout  en  soie 
grège.  Les  récoltes  des  soies  s'étant,  de  plus,  trouvées  inférieures 
aux  années  précédentes,  il  en  est  résulté  une  diminution  notable  des 
exportations  du  Japon,  mais  c'est  là,  nous  le  répétons,  un  simple 
accident,  sans  conséquence  pour  l'avenir. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  États-Unis  tiennent  toujours  la  tête  des  pays 
vers  lesquels  s'exportent  les  produits  japonais.  Us  figurent  pour 
31.533.000  yens  (contre  54.029.000  y.  en  1895).  Le  2«  rang  passe  à 
Hong-Kong  avec  19.966.000  y.  La  France  descend  du  2*^  au  3«  rang, 
avec  19.028.000  y.  en  1896  (contre  22.007.000  en  1895).  La  Chine 
devient  de  plus  en  plus  tributaire  des  produits  japonais,  dont  elle 
achète  pour  13.824.000  y.  (contre  9. 135.000  y.  en  1895).  Les  pays  qui 

(1)  Voir  les  précédentes  études  publiées  sur  le  Japon  dans  la  Bevtie  Française^ 
notamment  t.  XXII,  p.  143. 

(2)  l  yen--  2  fr.  72  environ  en  1896. 


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I 


JAPON  ^27 

Yiennent  ensuite  sont:  TAngleterre  (9.013.000  y.),  les  Indes  anglaises 
(4.538.000  y.),  la  Corée  (3.368.000  y.),  TAllemagne  (2.972.000  y.), 
l'Italie  (2.(>69,000  y  .),  la  Russie  (1.323.000  y.),  etc. 

L'Angleterre  est  toujours  la  nation  qui  vend  le  plus  au  Japon.  En  1896, 
Jes  produits  anglais  qui  y  ont  été  introduits  ont  atteint  la  valeur  de 
59.282.000  y.  (contre  45.172.000  y.  en  1895).  Les  Indes  anglaises 
passent  du  4*  rang  au  2*  avec  22.518.000  y.  d'importations  au  Japon, 
doublant  presque  le  chiffre  de  1885  (12.002.000  y.).  La  Chine  perd  un 
rang  avec  21.345.000  y.  (contre  22.986.000  y.).  L'Allemagne  perd  aussi 
un  rang,  quoique  en  sensible  progrès  avec  17.184.000  y.  (contre 
12.233.000  y.).  Les  États-Unis  doublent  presque  leurs  importations 
16.374.000  y.  en  1896  contre  9.277.000  y.  en  1893).  Hong-Kong 
progresse  aussi  avec  9.134.000  y.  (contre  8.078.000  y.),  La  France 
monte  de  5.180.000  y.  en  1895  à  7.682.000  y.  en  1896,  mais  llndo- 
Chine  française  baisse  de  plus  de  moitié  (1.673.000  y.  en  1896  contre 
3.383.000  y.  en  1895). 

Ainsi  que  le  fait  remarquer,  dans  le  rapport  publié  au  Moniteur 
officiel  du  Ck)mmerce,  M.  Goudareau,  gérant  du  consulat  de  France, 
«  les  commissions  payées  annuellement  par  certains  de  nos  industriels 
et  commerçants  à  des  intermédiaires  anglais,  suisses  ou  allemands,  suf- 
firaient amplement  aux  frais  d'une  agence  française...  D'une  façon 
générale,  à  l'entrée  comme  à  la  sortie,  les  4/5  de  nos  transactions 
conmierciales  avec  le  Japon  sont  encore  effectués  par  des  maisons 
étrangères  ». 

Compagnies  de  navigation  japonaises.  —  L'année  1896  a  été  signalée 
au  Japon  par  l'extension  de  la  navigation  maritime  nationale. 

En  mâts,  on  a  inauguré  une  ligne  de  Yokohama  à  Londres,  en 
août  une  de  Kobé  à  Seatle  (États-Unis)  avec  escale  à  Honolulu  (Hawaï). 
En  octobre,  le  service  avec  l'Australie  (Yokohama  à  Melbourne)  a  été 
oj^anisé  définitivement.  Ces  lignes,  qui  sont  mensuelles,  sont  desser- 
vies par  les  plus  grands  paquebots  de  la  «  Nippon  Yusen  Kwaisha  », 
que  remplaceront  bientôt  des  bâtiments  nouveaux.  La  Nippon  Yusen 
Kwaisha  »  possède  en  tout  10  lignes  qui  unissent  respectivement 
Yokohama  à  Melbourne,  à  Seatle  (via  Honolulu),  à  Londres,  à  Shan- 
ghaï, à  Manille  (via  Hong-Kong),  à  Bombay  (par  Hong-Kong,  Singa- 
pore  et  Colombo)  ;  Kobé  à  Vladivostok  (via  Gensan),  âTientsin,  à  New- 


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228  REVUE  FRANÇAISE 

Chang,  Sanghaï  à  Vladivostok.  11  y  a  pour  ces  diverses  lignes  1  à  6 
départs  par  mois. 

En  outre,  la  «  Toyo  Kiseo  Kwaisha  »  va  inaugurer  l 'itinéraire  de 
Yokohama  à  San  Francisco,  et  la  «  Shosen  Hwarsha  »  dessert  les  poiis 
de  Chine,  de  Corée  et  de  Formose. 

L'Angleterre  a  fourni  tous  les  nouveaux  paquebots  japonais,  au 
nombre  de  23,  jaugeant  de  2.000  à  6.000  tonnes,  et  munis  de  perfec- 
tionnements leur  permettant  des  vitesses  supérieures  aux  paquebots 
européens  ou  américains  qui  naviguent  entre  l'Europe,  les  États-Unis 
et  le  Japon. 

On  ne  peut  que  regretter  que  les  constructeurs  de  navires  français  ne 
cherchent  pas  à  attirer  les  commandes  du  Japon. 

Au  l*''^  janvier  1897,  il  existait  au  Japon  810  vapeurs  jaugeant 
363.000  tonnes  et  16S  voiliers  jaugeant  27.000  tonnes. 

Les  deux  principales  C'^  japonaises  sont  la  «  Nippon  Yusen  Kwaisha  », 
qui  possède  3i  vapeurs  représentant  97.000  tonnes,  et  la  «  Osaka  Shosen 
Kwaisha  t,  qui  possède  57  vapeurs  avec  27.000.  Ces  compagnies  sont 
fortement  subventionnées  par  le  gouvernement  du  Mikado. 

La  concurrence  des  lignes  japonaises  s'est  fait  rapidement  sentir  pour 
les  lignes  étrangères.  Les  compagnies  nationales  prenant  25  0/0  de 
moins  que  celles  de  l'étranger,  chargent  énormément  de  marchan- 
dises, surtout  au  retour  ;  mais  les  prix,  beaucoup  trop  bas  pour  les 
dépenses  à  supporter,  leur  ont  déjà  fait  subir  des  pertes  considérables. 
Aussi  des  pourparlers  se  sont-ils  engagés  pour  l'établissement  d'un  tarif 
uniforme.  Le  personnel  des  compagnies  japonaises  est  complètement 
japonais,  à  l'exception  du  commandant. 

Le  pavillon  français  n'est  représenté  dans  les  eaux  japonaises  que 
par  la  C®  des  Messageries  maritimes  qui  relie,  tous  les  15  jours,  l'Eu- 
rope au  Japon.  Il  y  a,  en  outre,  2  comp^nies  américaines,  3  anglaises 
(avec  4  départs  par  mois  pour  l'une),  2  allemandes  et  une  autri- 
chienne, pour  ne  parler  que  des  services  réguliers. 

Paul  Barré. 


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BALLES  HUMANITAIRES  ANGLAISES 

(DUM  DUM) 

Les  dernières  ex|)é(iitions  coloniales  ont  surabondamment  démontré 
rinsuflttsance,  au  point  de  vue  de  Teffet  produit,  des  fusils  de  petit 
calibre,  que  Ton  a  surnommés  les  fusils  «  qui  ne  tuent  pas  ».  En  effet 
les  balles  de  ces  fusils^  quand  elles  n'atteignent  pas  un  organe  essentiel, 
ne  font  que  des  blessures  insignifiantes  ou  qui  ne  produisent  leur  effet 
que  plusieurs  heures  après,  n'empêchant  pas  par  conséquent,  celui  qui 
est  atteint  de  continuer  à  se  battre  et  de  produire  son  effort  comme  s*ii 
n'avait  pas  été  atteint. 

Les  effets,  fort  peu  meurtriers,  des  balles  de  petit  calibre  furent  cons- 
tatés indépendamment  de  toute  provenance  d'armement.  Dans  leurs 
campagnes  contre  les  tribus  montagnardes  du  Nord-Ouest  de  llnde  et 
notamment  dans  l'expédition  du  Tchitral,  les  Anglais  remarquèrent 
combien  peu  était  efficace  le  tir  de  leurs  fusils  Lee-Metford.  Lors  de 
la  campagne  d'Abyssinie  les  Italiens  furent  à  même  de  juger  l'insuffi- 
sance de  leurs  armes  à  petit  calibre  sur  les  Abyssins.  A  la  bataille 
d'Adoua,  les  soldats  du  général  Baratieri  dirigeaient  un  feu  des  plus 
nourris  contre  les  innombrables  phalanges  qui  les  assaillaient.  Mais  les 
Abyssins,  quand  ils  n'étaient  que  légèrement  atteints,  continuaient  à 
marcher  et  à  se  battre,  comme  s'ils  n'avaient  pas  été  touchés,  et  il  fal- 
lait les  «  tuer  plusieurs  fois  »  pour  les  faire  tomber. 

Les  mêmes  observations  ont  été  faites  dans  nos  expéditions  coloniales. 
Le  capitaine  Toutée,  a  propos  des  engagements  qu'il  eut  avec  les  Toua- 
reg sur  le  Niger,  reconnaissait  que  la  balle  du  dernier  modèle,  qui 
transperce  tout  ce  qu'elle  frappe,  ne  produit  pas  le  môme  effet  de  com- 
motion foudroyante  que  les  anciens  projectiles.  «  Les  gros  fusils  à  pis- 
ton, dit-il,  donnaient  un  tir  fort  lent,  mais  ih  abattaient  leur  homme. 
Les  200  coups  tirés  par  les  tirailleurs  dahoméens  ont  jeté  bas  plus  de 
monde  que  les  3.500  cartouches  tirées  par  les  laptots  avec  leurs  armes 
perfectionnées  ». 

Mais  ce  fut  surtout  dans  l'Inde  que  l'inefDcacité  des  balles  de  petit 
calibre  produisit  un  fâcheux  effet.  «  Les  régiments  anglais,  engagés 
dans  l'expédition  du  Tchitral,  avaient  quelque  peu  perdu  confiance  dans 


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230  REVUE  FRANÇAISE 

leur  fusil  Lee-Metford.  Les  gens  des  tribus  ne  semblaient  pas  s'aperce- 
voir des  balles  perfectionnées  qui  les  traversaient  de  part  en  part.  A  la 
première,  un  adversaire  civilisé  se  fût  déclaré  pleinement  satisfait  et  se 
serait  replié  sur  la  prochaine  ambulance;  les  Afghans,  soutenus  par  leur 
fanatisme  et  leur  extraordinaire  endurance  physiqiie  (on  en  a  vu  conti- 
nuer à  se  battre  avec  une  lance  au  travers  du  corps),  poussaient  leur 
charge  à  l'arme  blanche  comme  si  de  rien  n'était;  il  fallait  les  tuer  à 
plusieurs  reprises;  c'était  déconcertant  et  peu  sûr.  Parfois  même,  ils  en 
réchappaient;  c'est  un  fait  bien  connu  sur  la  frontière  du  Nord-Ouest 
que  l'exemple  de  cet  Afghan  qui  avait  reçu  sept  balles  Lee-Metford 
dontpne  dans  la  tète,  et  qui,  ramassé  dans  les  lignes  anglaises,  se  porte 
à  présent  comme  vous  et  moi.  Bref  le  département  de  TOrdnance  dut 
s'occuper  de  fournir  au  fusil  de  petit  calibre  une  balle  capable  d'arrêter 
une  charge  de  ghazis,  comme  on  appelle  les  soldats  de  la  guerre 
sainte.  » 

Toutefois  il  faut  dire  que  la  balle  Lee-Hetford  n'était  inefficace  qu'à 
petite  distance.  Dans  cette  même  campagne  du  Tchitral,  on  a  constaté, 
d'après  des  observations  chirurgicales,  qu'à  longue  distance  elle  faisait 
des  blessures  susceptibles  de  mettre  un  homme  hors  de  combat.  Ainsi 
à  i.300  mètres  les  blessures  étaient  fort  graves  et  la  balle  pulvérisait 
les  os  traversés.  «  Mais,  fait  observer  le  Journal,  aux  courtes  distances 
la  blessure  était  petite,  nette,  elle  prenait  à  travers  les  os  la  forme 
ronde  d'une  balle  tirée  à  travers  une  feuille  de  papier  et  ne  se  déchirait 
pas.  D'où  il  résultait,  d'après  le  livre  du  major  Thompson,  que  l'on  ne 
pouvait  compter  sur  la  balle  du  Lee-Metford  pour  arrêter,  dans  sa 
course,  un  honmie  qui  charge.  Itcannot  be  dependedupon  to  stop  aman 
in  his  charge.  C'est  ainsi  qu'au  conmiencement  de  la  dernière  campa- 
gne, des  Afridis,  traversés  de  part  en  part,  continuaient  à  courir  au 
devant  des  troupes  anglaises  et  à  combattre  comme  s'ils  n'eussent  pas 
été  atteints.  » 

On  eut  alors  recours  à  un  procédé  pratique  pour  faire  rendre  à  la 
cartouche  Lee-Metford  le  plein  effet  qu'on  en  attendait.  Ces  cartouches 
ont  une  balle  en  plomb  enveloppée  d'une  chemise  en  nickel.  On  coupa 
le  «  nez  «  à  la  balle,  ou  bien  on  la  lima,  on  l'usa  par  frottement,  de 
façon  à  en  adoucir  la  pointe  par  la  disparition  d'une  partie  de  l'enve- 
loppé en  nickel.  De  cette  façon  la  balle  s'aplatissait  au  premier  choc, 
faisant  immédiatement  une  grave  blessure.  Les  résultats  ainsi  obtenus 


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— =^*  -i» 


BALLES   HUMANITAIRES  ANGLAISES  !23i 

par  les  troupes  britanniques  fiireni  si  concluants  que  Ton  modifia 
aussitôt  le  système  de  fabrication. 

t  Désormais,  dit  le  Temps^  au  lieu  de  fabriquer  des  balles  entière- 
ment enveloppées  de  nickel,  on  fabriqua  des  a  balles  à  nez  mou  » 
{soft-nos&tjy  c'est-à-dire  des  balles  qui  ne  sont  entourées  de  nickel  que 
sur  les  côtés  et  à  la  base  ;  à  la  pointe,  le  nickel  disparaît  et  le  plomb 
seul  se  montre  au  «  nez  ».  L'effet  des  cartouches  ainsi  armées,  comme 
des  cartouches  préparées  par  les  soldats,  dans  le  Tchitral,  est  facile  à 
prévoir.  La  balle  pénètre  dans  les  chairs,  mais  tandis  que  la  partie 
périphérique  est  arrêtée,  la  partie  centrale,  en  plomb,  grâce  à  sa 
masse,  continue  à  avancer  ;  ]e  plomb  sort  du  nickel,  s'étale  en  disque, 
et  forme  même  des  éclaboussures.  d*où  —  d'après  un  chirurgien 
anglais,  M.  Davis,  qui  en  a  observé  les  effets  —  «  une  blessure  très 
cruelle  » .  Les  tissus  sont  déchirés,  lacérés  selon  un  plan  beaucoup  plus 
étendu  que  le  plan  de  la  balle  même:  les  artères,  les  veines,  les  nerfs 
sont  broyés  à  distance,  et  les  blessures  ont  une  gravité  exceptionnelle.  » 

Cette  balle,  horriblement  meurtrière,  porte  le'  nom  de  dum-dum. 
Son  appellation,  assez  bizarre,  ne  lui  a  pas  été  donnée,  ainsi  qu'il  a 
été  dit,  par  les  indigènes  à  cause  du  bruit  qu'elle  fait.  Elle  provient, 
tout  simplement  d'une  petite  localité  des  Indes,  Dum-Dum,  située 
dans  la  banlieue  de  Calcutta,  où  se  trouve  une  importante  nianuEac- 
ture  d'armes. 

La  balle  dum-dum  se  présente  encore  sous  une  autre  forme,  avec 
un  nez  dur,  en  nickel,  et  sur  les  côtés  des  fentes  par  où  le  plomb  peut 
s'étaler  dans  la  plaie.  Le  résultat  est  toujours  le  même  et  la  dum-dum, 
en  entrant  dans  la  plaie,  s'ouvre  comme  les  branches  d'un  parapluie, 
ou,  suivant  l'expression  d'un  témoin,  comme  un  accordéon,  en  faisant 
d'efifroyables  blessures.  Au  choc  elle  s*écrase  sur  elle-même  dans  les 
tissus^  le  plomb  s'étale  comme  un  disque  a  produisant  une  blessure  si 
atroce,  dit  le  major  Davis,  que,  selon  toute  probabilité  elle  serait  inter- 
dite dans  une  guerre  européenne  ».  L'aveu  du  major  Davis  mérite  d'être 
noté. 

Ainsi  donc,  il  est  avéré  que  les  Anglais,  qui  se  piquent  si  souvent  de 
sentiments  humanitaires  et  s'apitoyent  si  habilement  sur  le  sort  des 
esclaves  des  autres  nations  ^  n*hésitent  pas  à  employer  contre  des 
peuplades  guerrières,  qui  ont  le  tort  grave  de  défendre  leur  indépen- 
dance avec  une  énergie  farouche,  un  engin  primitivement  destiné  à  la 


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232  REVUE  FRANÇAISE 

chasse  des  bêtes  féroces^  et  qui  cause  d'horribles  blessures,  semblables 
à  celles  des  balles  explosibles  dont  la  convention  internationale  de 
Saint-Pétersbourg,  du  11  septembre  1868,  a  interdit  l'emploi. 

Questionné  à  ce  sujet  et  simultanément  dans  les  deux  Chambres,  le 
24  février  dernier,  le  gouvernement  britannique  n'a  pas  nié  le  fait. 
A  la  Chambre  des  communes,  lord  (jeorge  Hamilton,  répondant  à  une 
question  de  M.  Dillon,  a  reconnu  que  les  balles  appelées  dum-dum 
faisaient  partie  de  l'armement  des  troupes  anglaises.  Mais,  a-t-il  ajouté, 
ces  balles  ne  sont  pas  des  balles  explosibles  et  aucune  loi  ne  s'oppose 
à  leur  usage. 

A  la  Chambre  haute,  lord  Stanley  d'Alderley  adressait  une  questioo 
analogue  au  gouvernement.  Il  expliqua  à  la  Chambre  que  ces  balles 
avaient  été  inventées  pour  les  tigres  et  rien  que  pour  les  tigres  ;  que  le 
colonel  Wyhé,  envoyé  au  Népaul,  ayant  vanté  dans  un  journal  l'effel 
de  ces  balles  sur  les  tigres,  les  commerçants  anglais  s'étaient  mis 
immédiatement  à  en  fabriquer.  Ces  balles  explosibles,  dit-il,  méritaient 
d'être  condamnées  et  leur  usage  prohibé  dans  les  armées  civilisées. 

Mais  ce  qui  avait  produit  le  plus  d'eiïet  sur  lord  Stanley  d'Alderley. 
c'était  le  fait  que  des  soldats  anglais  avaient  éié  blessés  par  ces  balles, 
les  Afridis,  entre  les  mains  desquels  il  en  était  tombé  un  certain 
nombre  dans  cette  meurtrière  campagne  de  Tirab,  ayant  jugé  à  propos 
de  les  retourner  par  la  bouche  de  leurs  fusils  contre  les  envahisseurs  de 
leurs  montagnes.  Et  lord  Stanley  de  citer  le  cas  de  deux  joueurs  de 
cornemuse  blessés  le  même  jour,  l'un  «  par  une  honnête  et  sphérique 
balle  lee-metford  »,  l'autre  par  une  balle  dum-dum.  Le  pri»mier,  celui 
qui  a  été  blessé  par  «  l'honnête  balle  »  peut  encore  écrire  qu'il  a  la 
poitrine  transpercée,  mais  qu'il  n'est  pas  en  danger  de  mort  et  pourra 
bientôt  jouer  à  nouveau  de  la  cornemuse.  L'autre,  au  contraire,  a  été  si 
horriblement  blessé  que  les  deux  chevilles  et  les  os  des  jambes  ont  été 
réduits  en  pâte. 

Comme  à  la  Chambre  des  communes,  le  représentant  du  gouverne- 
ment britannique  répondit  que  les  balles  dum-dum  n'étaient  pas 
explosibles  du  tout  et  que  leur  usage  n'était  contraire  à  l'esprit  d'aucune 
convention  ni  coutume  de  guerre.  Par  suite,  il  n'y  avait  besoin 
d'aucune  sanction  particulière  pour  pouvoir  faire  usage  de  ces  balles. 

En  faisant  une  réponse  en  ce  sens,  les  représentants  du  gouvernement 
britannique  ont  méconnu  complètement  l'esprit  de  la  convention  de 


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I 


BALLES   HUMANITAIRES   ANGL.AISES  233 

1868  interdisant  remploi  des  projectiles  explosifs  avec  les  armes  à  la 
main.  Sans  doute,  les  balles  dum-dum  ne  sont  pas  explosives,  mais 
elles  produisent  des  blessures  aussi  effroyables,  et  c'est  ce  que  la  con- 
vention internationale  a  entendu  prohiber,  que  les  balles  employées 
fussent  explosibles  ou  non.  En  un  mot,  c'est  le  résultat  anti-humani- 
taire que  la  convention  a  voulu  atteindre  bien  plus  que  la  cause  qui 
devait  le  produire.  On  ne  saurait  mieux  s'en  rendre  compte  qu'à  la 
lecture  des  considérants  suivants  de  la  convention  de  Saint-Pétersbourg. 

«  Considérant  que  les  progrès  de  la  civilisation  doivent  avoir  pour 
effet  d'atténuer  au  tant  que  possible  les  calamités  de  la  guerre  ;  que  le 
seul  but  légitime  que  les  Etats  doivent  se  proposer  durant  la  guerre  est 
l'affaiblissement  des  forces  militaires  de  l'ennemi  ;  qu'à  cet  effet,  il 
suffit  de  mettre  hors  de  combat  le  plus  grapd  nombre  d'hommes  pos- 
sible ;  que  ce  but  serait  dépassé  par  l'emploi  d'armes  qui  aggraveraient 
inutilement  les  souffrances  des  hommes  mis  hors  de  combat  ou  rendraient 
leur  mort  inévitable  ;  que  l'emploi  de  pareilles  armes  serait,  dès  lors, 
contraire  aux  lois  de  l'humanité,  les  parties  contractantes  s'engagent  à 
renoncermutuellement,  en  cas  de  guerre  entre  elles,  à  l'emploi,  pour  leurs 
troupes  de  terre  ou  de  mer,  de  tout  projectile  d'un  poids  inférieur  à 
400  grammes,  qui  serait  ou  explosible  ou  chargé  de  matières  fulminantes 
ou  inflammables.  » 

A  la  Chambre  française,  un  député  des  Ardennes,  M.  Hubert  a  ques- 
tionné à  son  tour  le  ministre  des  affaires  étrangères  sur  l'emploi  des 
balles  dum-dum,  rappelant  le  sens  de  la  convention  de  Saint-Péters- 
ïxmrg  et  les  questions  posées  au  cabinet  britannique.  M.  Hanotaux  a 
répondu  qu'il  manquait  de  renseignements  précis  et  authentiques,  ajou- 
tant seulement  que  «  ces  questions  pourraient,  le  cas  échéant,  donner 
lieu  k  an  échange  de  vues  entre  les  puissances  ».  Nous  espérons  que 
rhis(orien  et  successeur  de  Richelieu  ne  s'en  tiendra  pas  à  cette  vague 
promesse.  Il  serait  un  peu  tard  d'attendre  «  le  cas  échéant  »  d'upe  guerre 
où  l'Angleterre  serait  engagée. 

Jusque  dans  ces  derniers  temps  les  balles  dum-dum  n'avaient  été  em- 
ployées qu'aux  Indes  où  les  Anglais  avaient  pu  en  apprécier  sur  eux- 
mêmes  les  effets.  Mais  voici  qu'un  télégramme  de  Londres,  33  mars,  nous 
apprend  que  les  troupes  anglaises  employées  au  Soudan  oriental  dans 
l'expédition  contre  Khartoum  sont  également  approvisionnées  de  balles 
dum-flum.  Bientôt  sans  doute  il  en  sera  de  même  pour  le  Soudan  oc- 


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234  REVUE  FRANÇAISE 

cidental  et  le  fougueux  colonel  Lugard,  qui  ne  cherche  que  Toccasion 
de  faire  éclater  un  conflit  sur  le  Niger,  voudra  probablement  savoir  si 
les  effets  de  la  dum-dum  sont  aussi  démonstratifs  que  ceux  des  canons 
Maxim  de  l'Ouganda. 

Mais  ici  la  situation  change  sensiblement  de  caractère.  Au  lieu  de 
n'avoir  affaire  qu'à  des  Asiatiques  où  à  des  noirs,  le  colonel  Lugard  peut 
se  trouver  —  si  par  malheur  ses  agissements  amenaient  une  collision 
sanglante  —  en  présence  d'officiers  français.  Emploierait-il  alors  contre 
eux  ces  balles  destinées  aux  foétes  fauves  et  aux  sauvages?  Qui  nous 
assure  du  contraire  après  la  déclaration  de  lord  G.  Halmilton  ?  Ge  serait 
monstrueux  et  ce  serait  donner  à  la  guerre  un  caractère  de  cruauté 
digne  des  temps  barbares. 

n  importe  donc  au  plus  |iaut  degré,  pendant  que  nous  sommes  en- 
core en  paix,  que  la  question  fasse  l'objet  d'un  examen  attentif  de  la  p^irt 
des  gouvernements  civilisés,  afin  de  donner  à  la  convention  interna- 
tionale de  1868  la  sanction  que  les  Anglais  ne  paraissent  pas  disposés 

lui  reconnaître. 

G.  Vasco. 


LE  COMMERCE  DE  LA  TUNISIE  EN  1896 

Il  est  toujours  intéressant  de  suivre  le  développement  d'une  possession 
jeune  et  pleine  d'avenir  comme  la  Tunisie.  Les  progrès  réalisés  jus- 
qu'ici y  ont  été  considérables,  et,  s'il  reste  encore  beaucoup  à  faire, 
on  peut  avoir  foi  dans  la  vitalité  du  pays  qui  suffit  à  ses  charges  et 
trouve  encore  moyen  d'avoir  d'importantes  réserves. 

L'année  1896  n'a  pas  été  une  année  aussi  prospère  que  ses  devancières, 
le  commerce  extérieur  de  la  Tunisie  a  été  de  80.952.000  francs  .dont 
46.444.500  fr.  aux  importations  et  34.S07.500  fr.  aux  exportations. 
On  constate,  sur  1895,  une  diminution  totale  de  4.380.700  fr.  En  1893, 
les  importations  tunisiennes  avaient  été  de  38.383.000  fr.  et  les  expor- 
tations de  29.685.000  francs. 

Les  exportations  tunisiennes  ont  diminué  de  6.739.000  fr.  en  1896, 
par  suite  des  mauvaises  récoltes  résultant  d'une  sécheresse  prolongée. 

Les  principaux  produits  exportés  sont  :  les  huiles  d'olive  (4  millions 
au  lieu  de  6.237.000  fr.  en  1895),  les  vins  ordinaires  (1.553.000  fr.  au 


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LE    COMMERCE    DE    LA    TUNISIE    EX   1896  235 

lieu  de  2.552.000  fr.  ).  l'orge  (2.964.000  fr.  au  lieu  de  3.764.000 
fr.),  etc. 

75  Vo  des  exportations  tunisiennes  vont  en  France  et  en  Algérie,  11  **/<► 
en  Italie,  8  %  en  Angleterre  et  à  Malte. 

D  y  a  une  légère  augmentation  pour  la  France  et  TAlgérie,  TAngle- 
lerre  et  Malte  et  une  légère  diminution  pour  Tltalie.  La  part  de  tous  les 
autres  pays  réunis  ne  s'élève  qu'à  environ  6  Yo .  Parmi  ceux-ci,  la 
Belgique  est  en  sensible  diminution,  Tripoli,  l'Egypte  et  la  Grèce  pré- 
sentent au  contraire  une  augmentation  appréciable  ;  tous  les  autres 
pays  n'entrent  que  pour  une  part  insignifiante  dans  le  commerce  d'ex- 
portation de  la  Tunisie. 

Si  les  exportations  ont  sensiblement  baissé  en  1896,  les  importations 
en  Tunisie  ont,  au  contraire,  montré  en  .1896,  une  augmentation  de 
2.358.600  fr.,  qui  s'explique  par  le  manque  de  récolte  en  Tunisie,  ce 
qui  a  nécessité  l'importation  de  grains  étrangers. 

Un  fait  saillant  a  été  la  diminution  de  près  de  2  millions  1/2  cons- 
tatée en  1896  dans  l'importation  des  tissus  de  coton.  L'indigène,  qui 
est  le  principal  acheteur  de  ces  tissus,  n'ayant  que  peu  de  ressources, 
par  suite  du  manque  de  récoltes,  ne  peut  se  procurer  que  difficilement 
ces  produits  manufacturés,  et  comme  l'Angleterre  fournit  presque  à  elle 
seule  ces  tissus,  on  comprend  facilement  que  cette  branche  d'im~ 
portation  britannique  soit  en  diminution  de  près  de  3  millions  sur  1895. 

Un  autre  fait  a  été  l'augmentation  à  l'importation  des  huiles  et  des 
vins.  La  cause  en  est  dans  l'insuffisance  des  récoltes,  qui  a  amené  une 
dimiDution  de  2.200.000  fr.  dans  l'exportation  des  huiles  et  de  1  million 
dans  celle  des  vins.  Ce  sont  les  Italiens  et  les  Maltais  qui  consomment 
surtout  les  vins  étrangers  ayant  quelque  peine  à  s'habituer  à  ceux  que 
fournit  le  pays. 

Le  développement  constant  de  la  population  est  une  des  causes  prin- 
cipales de  l'augmentation  des  importations.  Pour  divers  produits  la 
construction  de  nouvelles  voies  ferrées  explique  l'augmentation  des 
importations,  comme  celles  des  bois  et  des  rails. 

Le  classement  des  importations  par  pays  de  provenance  se  fait  de  la 
façon  suivante  :  France  25.563.000  fr.,  Algérie  1.536.000  fr.  (soit  en- 
semble, plus  de  27  millions)  ;  Angleterre  3.832.000  fr . ,  Malte  2.483.000 
fr.  (soit  au  total  6.315.000  fr.)  Italie  5.284.000  fr.,  Russie  2.011.000 
fr.etc. 


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236  REVUE  FRANÇAISE 

La  Fi-ance  et  TAIgérie  figurent  pour  88  Vo  àes  importations  totales, 
(contre  56  *»/o  en  189S) .  L'Angleterre  et  Malte,  qui  entraient  pour  21  % 
en  1895,  tombent  à  13  Vo ,  ^ette  différence  étant  due  à  la  diminution 
de  3  millions  sur  les  tissus  de  coton.  Lltalie  arrive  au  3"*^  rang  avec 
11  **/o,  sans  modification  appréciable.  La  Russie  vient  ensuite  avec  4  ^'o 
doublant  son  chiffre  de  Tannée  précédente,  jmr  suite  des  entrées  de 
céréales.  Par  contre,  la  Belgique  descend  de  4  à  3  V© ,  rArtriche  se  re- 
lève de  1  Vo  en  1895  à  3  Vo  en  1896,  par  suite  des  achats  en  sucre, 
café  et  bois  faits  àTrieste.  Tripoli  vient  au  1™*  rang  avec  11/2  Vo,  en 
légère  augmentation. 

En  résumé  s'il  y  a  une  diminution  sensible  des  exportations  en  1896, 
la  part  de  la  France  est  cependant  plus  considérable  que  précédem- 
ment dant  les  échanges  avec  la  Tunisie.  Le  chiffre  de  1896  est  en  effet 
le  plus  élevé  qui  ait  été  atteint  jusqu'ici.  Ces  constatations  sont  conso- 
lantes, car  elles  établissent  péremptoirement  qu'en  Tunisie,  à  l'inverse 
de  ce  qui  se  produit  dans  beaucoup  d'autres  de  ses  possessions,  l'en- 
semble des  transactions  commerciales  de  la  France  vient,  non  seule- 
ment au  premier  rang,  mais  encore  en  s'accroîssanl  normalement  d'une 
année  à  l'autre. 

Le  projet  de  budget  de  la  Régence  pour  1898  s'élève,  en  recettes 
ordinaires,  à  24.061.000  fr.,  en  augmentation  de  385.000  fr.  sur  l'année 
précédente.  Les  dépenses  ordinaires  sont  prévues  pour  240.60.000  fr.  ; 
on  voit  donc  que,  malgré  une  série  de  mauvaises  récoltes,  le  budget 
de  la  Régence  peut  être  facilement  équilibré  sans  augmentation 
d'impôts.  '  M. 


EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS 

AFRIQUE 

M.  Georges  Farrei  explore  actuellement  la  région  méridionale  du 
Maroc.  Parti  pour  ce  pays  en  avril  1897,  il  fit  d'at)ord  le  levé  des  envi- 
rons de  Tanger,  puis  après  6  mois  de  séjour  à  Rabat-Salé,  se  dirigea  le 
i4  décembre  vers  Meknès  et  Fez,  à  travers  les  tribus  berbères  des 
Zemmour  et  des  Guerouan,  qui  assassinèrent  le  capitaine  français 
Schmidt,  il  y  a  environ  lo  ans.  M.  Forrel  se  propose  d'explorer  ensuite 
les  montagnes  au  sud  de  Fez  et  le  grand  Atla«. 


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*   EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS  237 

M.  Félix  DuboiSy  l'auteur  de  Tombouctou  la  Mystérieuse,  est  débarqué 
à  Marseille,  dans  le  milieu  de  mars,  revenant  d'un  2**  voyage  au  Sou- 
dan français.  M.  Dubois  a  traversé  de  part  en  part  la  boucle  du  Niger 
du  haut  Niger  à  Say,  puis  est  descendu  au  Dahomey,  où  il  s'est  embar- 
qué après  avoir  visité  le  Mossi  et  le  Gourma. 

L'explorateur  allemand  de  CafTtap,  qui  fut  le  second  du  D^  Gruner 
dans  Texpédition  que  conduisit  celui-ci  du  Togo  à  Say  et  aux  bords  du 
Niger,  vient  de  traverser  Thinterland  du  Kameroun  jusqu'à  la  Sangha  et 
de  revenir  en  descendant  le  Congo.  Le  capitaine  de  Carnap-Quernheimb 
quitta  dans  le  milieu  de  septembre  1897  la  station  delaunde,  dans  lehautde 
lacolonie  allemande,  dans  le  but  de  reconnaître  la  région  situéeài'est  du 
Kameroun,  près  du  confluent  du  Goko  et  de  la  Sangha.  La  caravane 
était  composée  de  200  soldais  et  porteurs  commandés  par  un  sous- 
ofiBcier  blanc.  La  région  qu'il  s'agissait  de  traverser  était  complètement 
ioconnue.  L'expédition  franchit  sans  grande  difficulté  la  ligne  de  par- 
tage des  eaux  du  bassin  de  l'Atlantique  et  du  Congo  et  parvint  à  des 
altitudes  où  les  membres  de  la  caravane  eurent  vivement  à  souffrir  du 
froid;  2  porteurs  succombèrent  même  par  suite  de  la  basse  température. 
Franchissant  des  régions  où  jamais  blanc  n'avait  été  vu  des  populations, 
M.  de  Camap  fut  arrêté  dans  sa  marche  par  les  habitants,  comme 
l'avait  été  précédemment  le  1'  Tappenbeck.  Ne  voulant  pas  se  frayer  un 
passage  par  la  force  afin  de  ne  pas  s'aliéner  les  populations  pour  l'avenir, 
ctnepouvant  arriver  à  convaincre  celles-ci  de  ses  bonnes  intentions, 
H.  de  Carnap  fit  un  détour  dans  la  direction  du  nord,  et,  sans  avoir  eu 
à  tirer  uu  coup  de  fusil,  arriva  assez  facilement  à  Koundé  (6^  lat.  N.   et 
14<»  40'  long.  E. 

Se  trouvant  alors  en  territoire  français,  M.  de  Carnap  écrivit  à 
M.  Biom,  commissaire  français  dans  la  Sangha,  pour  lui  faire  part  de 
son  arrivée  et  lui  demander  la  permission  de  traverser  avec  sa  troupe 
le  territoire  français.  Sur  son  autorisation,  M.  de  Carnap  se  rendit  àTen- 
dira-Camot  pour  rendre  visite  à  M.  Blom  ;  il  congédia  alors  son  escorte 
qui  retourna  à  laundé  avec  son  adjoint,  puis  continuant  sa  route  le  long 
de  la  Sangha,  il  arriva  le  24  décembre  à  la  factorerie  établie  à  Ouesso  par 
la  S*^  belge  du  Haut-Congo  où  il  séjourna  23  jours  en  attendant  l'arrivée 
d'un  vapeur  pour  le  conduire  au  Stanley-Pool.  Le  17  janvier,  il  s'em- 
barquait sur  un  steamer  hollandais  à  destination  de  Brazzaville  et  de 
LéopoldviUe.  Le  8  février,  il  prenait  le  train  à  la  station  de  Kimuenza 


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238  RKVUE  FRANÇAISE 

pour  Matadi,  où  il  arrivait  le  11.  De  là,  il  s'embarquait  pour  retouroer 
au  KamerouD  et  arrivait  le  22  février  au  chef- lieu  de  la  colonie 
allemande. 

M.  Perdrizet,  agent  français  dans  la  haute  Sangha,  vient  d'explorer 
une  région  inconnue  au  nord  de  cette  rivière.  Parti  de  Tendira-Camot, 
il  s'est  dirigé  vers  le  nord,  suivant  un  itinéraire  à  peu  près  semblable 
à  celui  de  M.  Clozel,  et  est  arrivé  à  la  rivière  Ouom  découverte  par  cet 
explorateur.  Il  en  a  suivi  le  cours  sur  une  certaine  distance,  en  aval  du 
point  atteint  par  M.  Clozel. 

M.  de  Béhagle  (XXII,  672)  â  quitté  Brazzaville  le  8  janvier,  pour 
continuer  sa  ma.che  vers  le  lac  Tchad.  Bien  secondé  par  son  collabo- 
rateur M.  Toussaint  Mercuri,  il  a  pu,  non  sans  peine,  réunir  ses  mar- 
chandises et  ses  porteurs.  Son  second,  M.  Bonnel  de  Mézières,  qui  était 
revenu  en  France  pour  chercher  du  renfort  à  la  mission,  doit  s'em- 
barquer prochainement  pour  retrouver  son  chef,  avec  4  Européens  et 
une  escorte  de  25  noirs.  Il  espère  rejoindre  M.  de  Béhagle  à  la  station 
de  Bangui,  située  au  coude  formé  pur  TOubangui. 

Un  membre  de  la  mission  Gentil  (XXII,  608)  M.  Pierre  Prins,  a  donné 
dans  une  lettre  datée  du  24  août  1897,  des  nouvelles  de  l'expédition  qui 
poursuivait  sa  marche  avec  un  plein  succès  dans  la  direction  du  Tchad. 
M.  Prins,  qui  était  resté  sur  le  Gribingui,  se  dirigeait  alors  surEl-Kouti 
(Dar-Rouna),  qui  figure  sur  les  cartes  par  8**  lat.  N.  et  18**  long.  E.  C'est 
dans  ces  parages  que  fut  tué  Crampel  et  que  s'avança  Dybowski,  pour 
retrouver  les  traces  de  la  mission  de  son  prédécesseur. 

Le  comte  Ernest  Hoyos  vient  de  rentrer  à  Vienne,  de  retour  de  son 
3e  voyage  en  Afrique.  En  1896,  il  avait  déjà  parcouru  l'Etat  d'Orange 
et  le  Transvaal  pour  revenir  par  Delagoa.  Dans  son  récent  voyage,  le 
comte  Hoyos,  qui  avait  pour  compagiion  son  cousin,  le  comte  Geza 
Szechenyi,  se  rendit  du  Cap  à  Kimberley,  puis  à  Boulouwayo,  avant  de 
s'enfoncer  dans  l'intérieur  du  pays  des  Matabélés.  Les  voyageurs  entre- 
prirent alors  une  expédition  de  chasse  qui  dura  deux  mois.  De  retour  à 
Boulouwayo,  ils  se  rendirent  ensuite  par  Charter,  Fort-Salisbury  et 
Oumtalo,  dans  le  Mozambique,  arrivant  à  l'océan  Indien  par  le  chemin 
de  fer  de  Beïra.  De  là,  ils  rentrèrent  en  Europe,  en  visitant  les  princi- 
paux points  de  la  côte  orientale  d'Afrique. 

On  annonce  le  prochain  départ  d'une  expédition  transafricaine, 
dirigée  par  le  major  Gibbons^  avec  7  autres  Européens,  et  qui  traversera 


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EXPLORATCURS  ET  VOYAGEURS  239 

le  continent  noir  de  Capetown  à  Alexandrie.  Cette  expédition  est 
entreprise  sous  les  auspices  de  la  Société  de  géographie  et  du  gouver- 
nement britanniques.  Elle  emportera  avec  die  des  chaloupes  et  des 
chalands  en  aluminium  démontables,  chaque  secUon  pesant  120  livres 
anglaises.  Une  des  chaloupes  a  40  pieds  de  long  et  aura  double 
machine,  ce  qui  permettra,  à  l'occasion,  d'en  faire  2  chaloupes  à 
vapeur  de  30  pieds  diacune.  De  cette  manière,  l'expédition  pourra, 
toutes  les  fois  qu'elle  le  jugera  nécessaire,  se  dédoubler  en  deux 
expéditions  distinctes.  J^es  explorateurs  sont  armés  de  fusils  Mauser 
et  emporteront  5.000  cartouches. 

L'expédition  s'écartera  de  sa  route  naturelle  pour  découvrir  les 
sources  du  Congo,  après  quoi  elle  arrivera  dans  l'Ouganda  probable- 
ment au  mois  de  juillet  1899.  Si  la  puissance  des  Derviches  est  détruite 
à  cette  époque,  les  bateaux  en  aluminium  laissés  sur  le  Niger  et 
taisant  70  milles  par  jour  atteindront  le  Caire.  Si,  par  hasard,  la  route 
lui  était  barrée  par  les  Derviches  l'expédition  se  replierait  et  marcherait 
vers  la  côte  occidentale  d'Afrique,  en  suivant  le  Congo.  Le  major 
Gibbons  estime  que  son  expédition  du  Cap  au  Caire  durera  18  mois. 

Le  cspiisâne  Roberto  Ivens  est  décédé  à  Lisbonne,  le  29  janvier,  à 
l'âge  de  48  ans.  Il  avait  effectué,  en  1884-85,  avec  Brito  Capello,  une 
traversée  africaine  de  Mossamedès,  dans  l'Angola,  à  Quilimane  au 
Mozambique,  pour  laquelle  la  S^  de  géographie  de  Paris  lui  avait 
décerné  sa  grande  médaille  d'or. 

M.  Edouard  Foa  a  entretenu  la  Société  de  Géographie  de  son  dernier 
voyage  en  Afrique,  où  il  vient  de  passer  38  mois,  d'août  1894  à  no- 
vembre 1897.  Chargé  d'une  mission  scientifique,  il  débarquait  au  Mo- 
zambique dans  le  but  d'explorer  la  région  comprise  entre  le  Zambèze 
et  le  lac  Nyassa  et  de  s'y  livrer  à  la  grande  chasse  des  fauves,  fort  abon- 
dants dans  ces  parages.  M.  Foà  avait  pour  compagnons  MM.  Edmond 
de  Borely  et  Camille  Bertrand.  Le  1"  l'accompagna  jusqu'au  Nyassa, 
le  2^  jusqu'au  Tanganyka.  La  caravane  comprenait  380  hommes,  dont 
25  armés.  M.  Foa  remonta  le  Zambèze,  jusqu'à  l'Aroangoa,  son  affluent 
de  gauche  dans  la  Rhodésia.  Il  resta  plus  d'un  an  dans  la  région  qui 
s'étend  du  Zambèze  au  lac  Bangouéolo  et  y  fit  de  nombreux  levés  d'iti- 
néraires. C'est  là  qu'il  recueillit  ses  plus  précieuses  collections  d'his- 
toire naturelle. 

Remontant  au  nord,  au  Nyassa  et  au  Tanganyka,  M.  Foa  reconnut 


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240  REVUE  FRANÇAISE 

les  rivières  Tchozi  et  Tchambézi,  qui  se  jettent  dans  le  lac  BaDgouéolo 
et  sont,  d'après  lui,  les  véritables  sources  du  Congo.  Empêché  par  Télat 
de  guerre  des  tribus  de  gagner  le  Kassaï,  il  revint  vers  le  Tanganyka, 
mais  ne  put  davantage  se  diriger  vers  le  haut  Quelle  par  suite  de  la 
révolte  des  Batélélas  contre  la  colonne  belge  Dhanis.  Il  gagna  alors  le 
fleuve  Congo  par  la  voie  la  plus  directe  et  arriva  à  Nyangoué  30  mois 
après  son  départ  de  la  côte.  De  là  il  descendit  en  pirogue  jusqu'à  la 
Nouvelle  Anvers,  en  vapeur  jusqu'au  Stanley  Pool  et,  par  le  chemin  de 
1er,  arriva  à  l'embouchure  du  Congo,  où  il  s'embarqua  pour  rentrer  en 
France. 

M.  GuUllaume  Grandidiery  fils  de  Texplorateur  dont  le  nom  est  insé- 
parable de  celui  de  découvertes  géographiques  à  Madagascar,  vient  i\c 
s'embarquer  pour  cette  île,  afin  de  s'y  livrer  à  des  travaux  d'études 
géographiques. 

Lord  Delamere  (XXII,  490),  attendu  à  la  côte  orientale  d'Afrique, 
s'achemine  vers  Lugh,  ayant  franchi  la  Djouba,  près  du  lac  Rodolphe. 
L'arrêt  de  l'expédition  Macdonald  est  la  cause  de  ce  revirement  d'itiné- 
raire. Son  compagnon,  le  D""  Alkinsa,  s'est  rendu  à  Zanzibar  pour  y 
prendre  12  mois  de  provisions.  Lord  Delamere,  qui  accomplit  sa 
5®  exploration,  a  bâti,  à  Hai'rgueRsa,  à  cinq  étapes  de  Barbara,  sur  la 
route  du  Harrar,  une  maison  qui  est  la  première  construction  euro- 
péenne au  pays  somali. 

AMÉRIQUE 

Le  major  Or  ton  Kerbey  vient  d'accomplir  un  voyage  des  souixîcs  de 
l'Amazone  à  Tembouchure  de  ce  fleuve.  Parti  de  Cuzco,  en  vue  de 
rechercher  des  territoires  encore  inconnus  et  propres  à  l'exploitation  de 
la  gomme  élastique  et  du  caoutchouc,  M.  Kerbey  parvint,  en  suivant 
rUrubamba  et  l'Ucayali,  jusqu'au!^  confluent  de  cette  rivière  avec  le 
Maraûon.  Il  pense  être  le  premier  blanc  ayant  exécuté  ce  trajet,  en 
suivant  le  cours  des  rivières  et  sans  l'assistance  des  Indiens.  Aux 
rapides  de  Pongo  de  Mainiké,  il  perdit  ses  canots  et  ses  bagages,  mais 
parvint,  malgré  de  nombreuses  difficultés,  à  continuer  son  voyage 
jusqu'au  Para.  Il  estime  que  la  véritable  branche  mère  de  l'Amazone 
est  l'Ucayali,  et  non  le  Maranon.  Quant  à  la  source  de  l'Urubamba,  elle 
serait  de  1.000  milles  plus  éloignée  de  celle  du  confluent  que  celle  du 
Maranon  lui-même.  M.  Kerbey  a  découveil  une  région  éminemment 
propre  à  la  cultnre  du  caoutchouc. 


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^^7fr^  ^ 


NOUVELLES  GEOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 

AFRIQUE 

Algérie  :  Pmu^rtf  du  gouverneur  général,  —  VOfficiel  du  6  mars  1898  a 
publié  deux  décrets  du  23  février  relatifs  aux  pouvoirs  du  gouverneur  géné- 
ral. L'un  dispose  que  le  gouverneur  aura,  en  matière  de  police,  les  mêmes 
attributions  que  le  ministre  de  1  intérieur  en  France  et  nommera  les  com- 
missaires de  police.  L'autre  place  sous  son  autorité  les  préfets,  sous-préfets, 
secrétaires  généraux  et  conseillers  de  préfecture.  Le  gouverneur  accordera 
désormais  les  congés.  Les  promotions  de  classe  auront  lieu  d'après  son 
rapport. 

Tn  autre  décret  du  16  mars  {Officiel  du  23)  donne  au  gouverneur  général 
la  haute  main  sur  le  service  des  postes  et  télégraphes. 

Ces  décrets  seront  bien  accueillis  et  donnei'ont  au  gouverneur  général  un 
peu  de  l'autorité  qui  lui  manquait. 

Algérie  et  Tunisie  :  Naturalisations.  —  Le  nombre  des  naturalisations 
en  Algérie  s>st  élevé,  en  1897,  à  1.607,  en  augmentation  de  276  sur  1896. 
Oo  chififre  comprend  701  militaires  et  906  civils  (632  hommes  et  274  fem- 
mes). Parmi  les  632  hommes,  141  étaient  mariés  à  des  Françaises,  275  à  des 
étrangères  ;  199  étaient  nés  en  Algérie.  Au  point  de  vue  professionnel,  453 
appartenaient  à  l'agriculture  au  commerce  et  à  l'industrie,  134  à  la  pèche 
maritime.  Les  enfants  des  naturalisés  civils  sont  au  nombre  de  804,  parmi 
lesquels  45,  majeurs,  étaient  déjà  Français.  La  nationalité  des  632  hommes 
civils  se  décompose  ainsi  :  Italiens  258  ;  Espagnols  205  ;  indigènes  algériens 
75  ;  Maltais  47  ;  Marocains  12  ;  Alsaciens- Lorrains  9  ;  Suisses  9  ;  Allemands 
7  ;  divers  10.  Quant  aux  701  naturalisés  militaires,  on  compte  parmi  eux 
330  Alsaciens-Lorrains,  121  Allemands,  99  Belges,  66  Suisses,  29  Italiens,  16 
Autrichiens,  8  Espagnols,  7  Russes,  6  Luxembourgeois,  2  Hongrois  et  17  de 
nationalités  diverses. 

En  Tunisie,  le  nombre  des  naturalisations  s'est  élevé  en  1897  â  28.  11 
était  de  29  en  1896.  Le  classement  par  nationalité  donne:  14  Italiens,  6  indi- 
gènes tunisiens,  3  Maltais,  2  Suisses,  1  Espagnol,  1  Russe  et  1  individu  de 
nationalité  inconnue. 

.  CSolonies:  Naturalisations»  —  Les  naturalisations  accordées  aux  autres 
colonies  ou  protectorats  ont  été  de  62  au  lieu  de  414  en  1896. 

La  Cocfainchine  a  fourni  20  naturalisations  accordées  à  un  même  nombre 
d'indigènes. 

A  la  Guadeloupe  et  à  la  Martinique  il  n'y  a  eu  aucune  naturalisation. 

A  la  Réunion,  3  naturalisations  ont  été  accordées, 

A  la  Nouvelle-Calédonie,  2  Anglais  ont  obtenu  la  naturalisation. 

A  Tahiti,  1  Allemand  et  1  Danois  ont  obtenu  le  bénéfice  des  nouvelles 
dispositions  du  décret  du  7  février  1897. 

xxui  (Avril  98).  N*  232.  16 


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242  REVUE  FRANÇAISE 

En  Annam  et  au  Tonkin  il  y  a  eu  35  naturalisations  au  lieu  de  63  en 
i896,  42  en  1895,  35  en  1894.  Parmi  les  35  naturalisés  on  compte  23  iDdi- 
gènes,  1  Suisse  et  1  Espagnol. 

Ajoutons,  qu'en  France,  le  chifihre  des  naturalisations  s*est  abaissé  à  3.2ri2, 
en  diminution  de  330  sur  1896.  C'est  le  chiffre  le  plus  bas  depuis  la  loi  du 
26  juin  1889  qui  ayait  amené  une  notable  augmentation  dans  le  nombre  des 
naturalisations,  [.es  naturalisés  les  plus  nombreux  sont:  les  Italiens  831, 
(34  0/0)  ;  les  Alsaciens-Lorrains  515,  (21  0/0)  ;  les  Belges  500,  (20 1/2  0/0)  ; 
les  AUemands  153,  (6  0/0). 

Soudan  français  :  Touareg.  ~  Plusieurs  rezzous  ont  été  opérés  depuis 
quelque  temps  par  les  Touareg  d'Arinda,  dont  les  terrains  de  parcours  sont 
situés  sur  la  rive  droite  du  Niger,  à  une  centaine  de  kilomètres  de  Tombouc- 
tou.  Le  commandant  de  la  région  fit  former  une  colonne  qui  atteignit  le 
campement  des  Touareg  à  Goursgai  et  livra  bataille.  50  Touart^  furent  tués. 
Nous  n*avons  eu  ni  tué  ni  blessé  parmi  les  nôtres.  La  colonne  est  rentrée  à 
Tombouctou,  dit  le  Temps,  à  la  fin  de  novembre,  amenant  avec  elle  une 
députation  des  vaincus  qui  sollicitaient  Taman  et  venaient  en  discuter 
les  conditions  avec  le  commandant  (jodschœu-  chargé  de  la  région  de  Tom- 
bouctou. 

Peu  après,  on  apprenait  la  mort  du  chef  des  Maures,  Oulad  Allouch,  à 
Bassikhounou.  Ce  chef  négociait  avec  le  commandant  de  la  région  du  Nioro 
la  soumission  complète  de  ses  hommes  et  on  devait  créer  un  poste  à  Hain, 
point  extrême  de  notre  pénétration  vers  le  Nord.  Mais  Tanarchie  a  suivi  dans 
ce  pays  la  mort  du  chef;  les  incursions  et  les  pillages  ont  recommencé.  H  a 
fallu  rompre  les  n^ociations  et,  depuis,  les  postes  français  voisins  de  Oulad 
Allouch  se  tiennent  sur  la  défensive. 

Vicariat  apostolique,  —  Le  R.  P.  Augustin  Hacquard,  des  missions  d'Alger, 
a  été  nommé  titulaii*e  de  vicariat  apostolique  du  Sahara  récemment  créé. 
Explorateur  dans  toute  la  force  du  terme,  il  avait  fait  partie  de  la  mission 
d'Attanoux  chez  les  Touareg  Azdjar  et  plus  récemment  de  la  mission  Uourst 
sur  le  Niger.  Les  Pères  Blancs  ont  un  établissement  à  Ségou  et  à  Tombouctou. 

Télégraphes.  —  Un  bureau  télégraphique  et  postal  a  été  ouvert  le  12  février 
à  Ouagadougou,  au  Mossi,  pour  le  senice  officiel  et  privé.  Ce  bureau  est  le 
point  terminus  actuel,  au  Soudan,  de  la  ligne  télégraphique  destinée  à  relier 
le  Sénégal  et  le  Dahomey.  Cette  ligne,  partant  de  Saint-Louis,  passe  ixir 
Kayes,  Segou-Sikoro,  Sansono,  Yako  et  Ouagadougou  et  doit  rejoindre,  à  Fada- 
N'Gourma,  la  ligne  que  le  Dahomey  établit  de  son  côté  par  Camotville, 
Kouande  et  Pâma.  Il  reste  à  relier  Fada-N'Gourma  à  Pâma,  d'une  part,  et 
à  Ouagadougou  de  Fautre. 

Kong  assiégé  par  Samory.  —  Les  tentatives  d'aiTangement  avec  Samorj' 
n'ont  pas  réussi  et  la  lutte  vient  de  recommencer.  Les  intérêts  en  présence 
étaient  trop  divergents  pour  qu'une  entente  pût  intervenir.  Un  télégramme 
du  gouverneur  général  de  l'Afrique  occidentale  informe  que  la  garnison  de 


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_^.^aJ^ 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  243 

Kong,  commandée  par  le  lieutenant  d'artillerie  Demars-Méchet,  a  été  assiégée 
pendant  quinze  jours  par  plus  de  2.000  sofas  de  Samory.  Elle  leur  a  opposé, 
quoique  les  ouvrages  de  défense  aient  dû  être  improvisés,  une  résistance 
héroïque  sans  subir  de  pertes  sensibles  :  3  indigènes  ont  été  tués,  11  blessés. 
Elle  a  été  délivrée  le^27  février  par  la  colonne  du  commandant  Caudrelier 
qui,  après  plusieurs  engagements  victorieux  où  il  n'a  pas  perdu  un  seul 
homme,  a  réussi  à  dégager  Kong  et  ses  environs. 

Guinée  française  :  Pojjulations  indigènes,  -:-  Le  D*"  Maclaud,  de  retour 
de  la  Guinée  fran«:aise,  a  exposé,  à  la  Société  de  Géographie,  les  beaux  résul- 
tats de  Tœuvre  de  son  gouverneur  M.  Ballay.  La  colonie  possède  une  route 
carrossable  qui  bientôt  atteindra  le  Niger,  une  ligne  télégraphique  de  la  côte 
au  Soudan  qu'un  chemin  de  fer  suivra  bientôt.  Elle  a  un  port  accessible  aux 
grands  navires  et  sa  capitale,  Konakry,  salubre  et  bien  bàlie,  prospère  tous 
le^  joues. 

La  Guinée  fran<;aise  comprend  3  régions,  d'après  M.  Maclaud.  La  zone  côtière 
est  le  pays  fertile;  on  y  trouve  la  Kola,  les  palmiers  à  huile,  le  riz;  les  plaines 
sont  basses,  marécageuses  et  constituées  par  des  bans  d'alluvions  oes  grands 
fleuves.  La  région  des  vallées  est  coupée  par  une  multitude  de  cours  d'eau. 
EnÛn,  le  pays  des  hauts  plateaux^  le  Fouta-Djalon,  a  un  climat  tempéré  et 
salubre,  excellent  pour  les  Européens  anémiés;  les  pâturages,  malgré  l'igno- 
rance des  indigènes,  nourrissent  tout  le  bétail  utilisé  en  Afrique  occidentale. 

Près  de  la  côte,  vivent  les  Baga,  chassés  du  haut  pays  par  les  inva«îions  des 
Soussou  et  des  Foula  ;  cette  famille  comprend  les  Tymné,  les  Baga,  les  Baga- 
foré,  les  Landouraan,  les  Yola  et  les  Nalou.  Les  Tymné  sont  guerriers  et  clms- 
sent  encore  les  esclaves.  Les  Baga  vivent  de  la  mer  et  de  leurs  jardins  de 
kola.  Les  Bagaforé  s'habillent,  tandis  que  leurs  femmes  vont  nues;  ils  pra- 
tiquent encore  dans  les  baies  des  cérémonies  sanglantes.  Les  Landouman  sont 
voleurs  et  pratiquent  le  culte  des  morts. 

Dans  les  vallées  sont  les  Soussou  musulmans,  vivant  de  leurs  cultures,  au 
milieu  de  leurs  esclaves;  ils  sont  doux  et  hospitaliers. 

Les  Foula  habitent  le  Fouta-Djalon,  ce  sont  des  Peulh  ;  ils  ont  de  nombreux 
esclaves  qui  sont  surtout  des  Bambara.  Les  Foula  comprennent  les  Alfeïa  et 
les  Souriaqui,  tour  à  tour,  donnent  au  pays  son  chef  suprême;  ils  sont 
fanatiques,  menteurs  et  ont  longtemps  repoussé  l'influence  française.  Depuis 
plus  d'un  an,  l'administrateur  colonial  Noirot  a  beaucoup  développé  l'agri* 
culture  du  pays. 

Développement  de  Konakry.  —  Le  développement  de  la  ix)pulation  du  port 
de  Konakry  augmente  rapidement,  du  fait  surtout  de  l'immigration  de  la 
colonie  anglaise  de  Sierra-Leone.  l-ln  1890,  il  y  avait  200  habitants  à  Kona- 
kry; on  en  compte  3.600  actuellement,  par  suite  de  l'extension  du  commerce 
local.  Le  mouvement  commercial  qui  était  de  7.344.000  francs  en  1890  s'est 
élevé,  en  1896,  à  10.420.000  francs  (4.633.000  francs  à  l'importation  et 
5.787.000  francs  à  l'exportation)  et  les  résultats  déjà  acquis  du  premier  se-' 


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244  REVDE  FRANÇAISE 

mestre  1897  annoncent  une  augmentation  de  plus  d'un  million  et  demi.  Le 
commerce  est  donc  dans  un  état  satisfaisant  et  le  trafic  du  caoutchouc,  no- 
tamment, se  développe  dans  de  fortes  proportions.  Les  travaux  de  recon- 
naissance en  vue  de  créer  une  voie  ferrée  ont  été  repris  par  le  capitaine  Sa- 
lasses. La  route  carrossable  commencée  il  y  a  deux  ans  a  aujourd'hui  plus 
de  60  kilomètres  confortablement  établis.  Lorsqu'une  voie  ferrée  aura  été 
créée  vers  le  Niger  ~  et  il  importe  d'y  procéder  à  bref  délai  en  vue  de  sou- 
tenir la  concurrence  que  ne  manquera  pas  de  faire  le  chemin  de  fer  en 
construction  de  Sierra-Leone  —  la  ville  de  Konakry  deviendra  certainement 
l'entrepôt  principal  du  Soudan  français  méridional  et  le  point  d'escale  de  la 
plupart  des  paquebots  desservant  l'Afrique  occidentale. 

Anglais  au  Niger.  —  Bien  que  les  négociations  anglo-françaises  suivent 
une  marche  lente  mais  régulière,  les  Anglais  ne  cessent  d'envoyer  au  Lagos 
et  au  Niger,  officiers,  soldats,  armes  et  munitions.  Le  colonel  Lugard,  nommé 
commandant  des  forces  britanniques  dans  ces  parages,  s'est  embarqué  ^  5 
mars  à  Liverpool  pour  rejoindre  son  poste.  Le  colonel  Willcoks  commandant 
en  second,  l'accompagne.  Le  quartier  général  est  fixé  à  Lokodja,  au  confluent 
du  Niger  et  de  la  Bénoué.  Etant  donnés  le  passé  de  Lugard  dans  l'Ouganda, 
et  les  sentiments  nettement  hostiles  à  la  France  qu'il  n'a  cessé  de  mani- 
fester, on  doit  considérer  son  départ  comme  un  acte  essentiellement  anti- 
amical du  gouvernement  britannique.  Avec  le  oolonel  Lugard  un  conflit  est 
toujours  à  craindre  dans  une  région  où  les  postes  anglais  et  français  sont 
quelque  peu  enchevêtrés. 

Etat  du  Congo  :  Achèvement  du  chemin  de  fer,  —  Les  Belges  viennent 
de  mener  à  bonne  fin  l'œuvre  grandiose  du  chemin  de  fer  du  bas  Congo.  On 
annonce  en  effet  que  la  i^  locomotive  est  arrivée  le  12  mars  à  Dolo,  sur  le 
Stanley  Pool,  au  terminus  de  la  ligne.  C'est  un  résultat  qui  fait  grand 
honneur  à  ceux  qui  l'ont  entrepris  et  dirigé,  et  qui  ouvre  de  nouvelles 
et  brillantes  perspectives  d'avenir  au  développement  commercial  de  l'Afrique 
centrale. 

C'est  le  31  juillet  1889  que  se  constitua  la  C'*'  de  construction,  qui,  dt's  le 
début  poussa  les  travaux  avec  activité.  Le  21  mars  1891  un  premier  tronçon 
était  inauguré  de  Matadi  à  Ravin  Léopold.  Le  17  juin  1895,  lexploitalion 
arrivait  à  la  Lufu  (82  kil.);  le  20  juillet  1896,  elle  atteignaitTumba  (188  kiL) 
et  le  15  novemboe  1897  le  kil.  340.  L'inauguration  officielle  aura  lieu  en 
juillet  1898,  en  grande  solennité • 

Oubangui  :  Ravitaillenient  par  le  chemin  de  fer  belge.  —  Lors  de  son 
voyage  fait  au  Stanley-Pool,  avec  le  major  Thys,  M.  de  Lamothe,  commissaire 
général  du  Congo  français  s'est  occupé  de  la  question  du  ravitaillement  du 
haut  Oubangui.  Maintenant  que  le  chemin  de  fer  du  Congo  belge  est  terminé, 
les  officiers,  fonctionnaires  et  agents  français  se  rendront  dans  le  haut  Ouban- 
gui par  la  voie  ferrée  qui  les  transportera  en  2  jours  de  Matadi  à  Léopoldviile, 
au  lieu  des  30  à  40  jours  que  nécessite  la  voie  des  caravanes,  qui   laissait 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  245 

souvent  même  les  agents  incapables  de  continuer  au-delà  de  Brazzaville. 
M.  Fouque  a  déjà  conduit,  par  le  chemin  de  fer  belge,  un  premier  convoi 
destiné  au  haut  Oubangui.  Le  chemin  de  fer  sera  très  avantageux  aussi  pour 
le  transport  des  vins  et  liquides,  qui  souffraient  beaucoup  du  transport  à  dos 
d'hommes,  transport  qui  était  excessivement  onéreux. 

Bahr-el-Ghazal  :  Dem-Ziber.  —  M.  Colmant,  qui  a  exploré  la  région  de 
Dem-Ziber  en  décembre  1894,  a  communiqué  au  Mouvement  géograpMqûe  se& 
notes  sur  ce  pays  en  ruines,  où  flotte  actuellement  le  drapeau  français  et  où 
flotta  autrefois  le  pavillon  égyptien,  avant  le  soulèvement  mahdiste. 

Dem-Ziber,  où  M.  Liotard  a  établi  un  poste  en  1897,  a  i  kilomètre  de 
côté  et  comprend  50  à  60  bâtiments,  s'étalant  au  milieu  des  hautes  herbes. 
«  Ces  bâtiments  sont  fort  élevés,  dit  M.  Colmant,  et  semblent  avoir  eu  des 
toits  en  terrasse;  le  feu  et  la  ruine  en  ont  enlevé  les  traces.  Les  murailles, 
d'une  épaisseur  75  centimètres,  en  briques  gris  jaunâtre,  non  cuites,  sauf 
celles  des  corniches,  pouvaient  certainement  résister  à  de  rudes  attaques. 
On  retrouve  des  poutres  de  50  à  60  centimètres  d'équarrissage  et  des 
débris  noircis  de  formidables  fermes.  Les  briques  ont  48  centimètres  de 
long,  io  de  large  et  4  d'épaisseur.  Les  murs,  pour  la  plupart,  sont 
recouverts  d'une  légère  couche  de  terre,  mais  la  pluie  a  décollé  ce  plâtrage. 
Toutes  les  grandes  ouvertures  sont  bouchées  à  l'aide  de  briques  entassées.  » 

On  compte  à  Dem-Ziber  60  maisons  à  peu  près  intactes.  Au  milieu  des 
herbes  en  friche,  il  y  a  quelques  borassus,  des  citronniers,  des  cactus,  des 
papayers.  Dans  un  ruisseau  fangeux,  les  éléphants  prennent  leurs  ébats.  Les 
animaux  de  la  région  sont  les  merles,  les  pintades,  les  ramiers,  les  milans. 

Miêsion  Marchand,  —  (1)  Les  dernières  nouvelles  de  la  mission  Marchand 
sont  favorables.  En  novembre  1897,  la  mission  était  au  complet  à  Tambou- 
rah,  et  les  dernières  charges  étaient  réunies  en  ce  point.  La  marche  vers  le 
Nil  allait  commencer.  La  moitié  de  la  mission  était  échelonnée  sur  le  Soueh 
et  on  allait  occuper  Koutchouk-Ali,  près  du  confluent  de  la  Vaou  et  du  Soueh, 
qui  devait  servir  de  port  d'embarquement.  Les  chalands  et  beats  en  fer 
étaient  déjà  sur  le  Soueh  et  la  canonnière  Faidherbe  était  presque  complète- 
ment montée.  Koutchouk-Ali  avait  été  une  des  résidences  de  l'explorateur 
Schweinfurth  qui  y  avait  créé  de  beaux  jardins. 

D'après  le  Mouvement  géographique,  la  mission  commandée  par  le  U  Fouc- 
ques,  ayant  sous  ses  ordres  plusieurs  sous-ofliciers  et  une  compagnie  de 
tirailleurs  sénégalais  a  quitté  le  Stanley  Pool  à  bord  du  steamer  Antoinette, 
de  la  maison  hollandaise.  Le  25  janvier  dernier  elle  passait  à  Liranga,  au 
confluent  de  l'Oubangui  et  s'apprêtait  à  remonter  cette  rivière  jusqu'aux 
rapides  de  Zongo. 

D'autre  part  le  Daily  Chronicle  annonce,  d'après  un  télégramme  de  Londres 
29  mars,  que  le  paquebot  français  Stamboul  est  arrivé  le  25  fév.  à  Matadi 
avec  150  tirailleurs  sénégalais,  8  officiers,  4  sous-ofliciers  et  un  prêtre.  Ces 

(1)  Voir  la  carte  du  Balip  cl  Gliazal  publiée  dans  la  Bev.  Fr.  fév.  1898,  p.  81. 


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246  REVUE  FRANÇAISE 

forces  ont  pris  le  chemin  de  fer  pour  se  rendre  à  Léopold ville  puis  à  Brazza- 
ville. Par  cette  voie  elles  ont  abrégé  leur  marche  de  plus  d'un  mois.  Ces 
troupes  sont  destinées  à  servir  de  soutien  aux  missions  Liotard  et  Marchand. 
Le  capitaine  Roulet,  arrivé  le  6  mars  à  Libreville  prendra  le  commande- 
ment de  ces  troupes  de  relève. 

Angola  :  Peste  bovine.  —  La  région  du  Cunône,  la  partie  la  plus  méri- 
dionale des  possessions  portugaises  d'Angola,  est  actuellement  ravagée  par 
une  peste  bovine  épouvantable.  Importée  en  Abyssiniepar  un  navire  italien, 
en  1893,  cette  redoutable  épidémie  a  parcouru  toute  l'Afrique  du  nord  au  sud 
et  de  Test  à  l'ouest.  Au  plateau  de  Huilla,  où  elle  est  arrivée  récemment,  écrit 
aux  Missions  catholiques  le  P.  Antunès,  supérieur  des  Pères  du  Saint-Esprit 
au  Cunène,  elle  a  détruit  en  un  mois  près  de  12.000  bœufs.  Le  bétail  cons- 
tituant l'unique  richesse  du  pays,  il  en  est  résulté  un  véritable  désastre  pour 
les  habitants.  Les  indigènes,  qui  n'ont  souvent  pas  de  cultures,  qui  tiraient 
des  bœufs  toute  leur  nourriture  et  tous  leurs  vêtements,  sont  réduits  à  ia 
famine.  Déjà,  il  y  a  trois  ans,  la  sécheresse,  les  sauterelles  et  les  gelées 
avaient  produit  la  famine  dans  cette  même  région.  La  peste  n'épargne  guère 
que  1  à  2  0/0  du  bétail  qu'elle  attaque.  Avant  qu'on  puisse  élever  de  nou- 
veaux troupeaux,  il  faudra  de  15  à  20  années.  On  jugera  des  difficultés  où  se 
trouvent  les  colons  et  les  missions  par  suite  de  ce  fléau,  quand  on  saura  que 
tous  les  transports  du  littoral  à  Huilla  (environ  300  kilomètres),  se  faisaient 
par  wagons  traînés  par  des  bœufs,  et  que  le  labourage  et  le  fumage  des 
terres,  deviennent  impossibles  faute  de  bétail. 

Madagascar  :  Soumissions,  —  Le  dernier  et  le  plus  important  chef  de 
l'insurrection  hova,  Rabozaka,  qui,  depuis  longtemps,  était  obligé  de  se 
cacher  dans  la  forêt  impénétrable,  a  fait  sa  soumission,  le  20  février,  au 
c^  Pourrai,  du  cercle  d'Anjozorobé.  Après  la  campagne  de  1895,  où  il  montra 
une  réelle  énergie,  il  se  jeta  dans  les  forêts  du  nord,  entraînant  avec  lui  une 
partie  des  troupes  hovas.  Il  joua  ensuite  le  principal  rôle  dans  la  rébellion 
du  nord-est  de  l'Imérina.  Battu  et  traqué  par  le  colonel  Combes,  il  parvint 
longtemps  à  dépister  toutes  les  poursuites.  Sur  le  point  d'être  cerné  par  le 
l'-colonel  Gouttenègre,  commandant  le  1^"^  territoire,  il  s'est  rendu  avec  pro- 
messe d'avoir  la  vie  sauve.  Ses  derniers  partisans  avaient  livré  quelques 
jours  avant  3  canons  de  campagne  enfouis  dans  la  forêt,  l'étole  et  la  chasuble 
du  P.  Berthieu  assassiné  par  les  rebelles  en  1896. 

Pénétration  dans  le  Sud,  —  Le  capitaine  Flayelle,  commandant  les  troupes 
de  la  région  de  Tullear,  poursuit  de  plus  en  plus  l'élargissement  du  cercle 
d'occupation.  Le  poste  d'Ankolofotsy,  créé  sur  la  rive  droite  de  l'Onilahy,  a 
été  ravitaillé,  le  23  décembre,  par  un  convoi  de  37  pirogues,  escorté  par  un 
détachement  de  légionnaires.  Le  poste  de  Vorondreo,  sur  les  rives  de  la 
Fierenana,  a  été  renforcé  en  prévision  d'un  retour  offensif  du  roi  sakalave 
Tompomanana,  qui  a  établi  son  campement  dans  les  environs  d'Andemba. 

Dans  la  province  de  Fort  Dauphin,  la  pénétration  se  poursuit  méthodique- 


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NOUVELLES  GÉOGRAPfflQUES  ET  COLONIALES  247 

ment,  mais  la  résistanée  des  Antandroys  ne  permet  d'avancer  que  lentement. 
Chaque  pas  avant  est  accompagné  d'engagements  parfois  très  vifs.  Cette 
région  de  Madagascar  est  celle  qui  renferme  le&  tribus  les  plus  guerrières  et 
les  plus  sauvages  de  Vue, 

—  Le  colonel  Combes,  rentrant  en  France,  a  débarqué  à  Marseille  le 
16  mars,  ainsi  que  le  capitaine  de  vaisseau  Le  Dô,  qui  a  remis,  le  13  février, 
au  c'  Huguet,  le  commandement  de  la  division  navale  de  la  mer  des  Indes. 

Dépen$e$  militaires.  —  L'exercice  budgétaire  1897  porte  ouverture  de 
17.200.000  francs  de  crédits  supplémentaires  pour  dépenses  militaires  à 
Madagascar.  Ces  dépenses  avaient  tout  d'abord  été  prévues  pour  9850000 
francs,  mais  l'insurrection  a  nécessité  des  efforts  imprévus  qui  ont  presque 
triplé  le  chiffre  primitif.  Sauf  dans  quelques  points  de  la  côle:  Diégo-Suarez, 
Vohémar,  Sainte-Marie,  Vatomandry,  Mahanoro,  Mananjary,  ou  dans  nos 
postes  armés  de  l'intérieur  :  Fianarantsoa,  Ambositra,  Bétafo,  Babay,  Anlta- 
zobé,  Ambatondrazaka,  il  y  avait  partout  des  troubles,  en  juillet  1806,  date 
de  l'arrivée  du  général  Gallieni. 

Le  !«'"  janvier  1897,  notre  zone  de  pénétration  formait  un  quadrilatère 
s'étendant  sur  la  côte  est  de  Tamatave  à  Mahanoro,  au  sud  de  Mahanoro  à 
Analaidirano,  à  Touest  de  Analaidirano  à  Suberbieville,  en  côtoyant  Tlkopa,  et 
s'avançant,  au  nord,  jusqu'au  lac  Alaotra.  Le  nord  était  soumis  à  notre 
domination,  de  même  que  le  sud  (Mananjary,  Fianarantsoa  et  Farafangana). 
De  nouveaux  territoires  militaires  furent  alors  créés  et,  en  juillet  1897,  le 
général  Gallieni  put  réduire  l'effectif  européen  pour  le  remplacer  par  des 
tirailleurs  malgaches.  Mais  ces  réductions  n'ont  pas  été  ce  qu'on  aurait 
désiré  et,  à  la  fin  de  1897,  le  corps  d'occupation,  prévu  pour  5.940  hommes, 
en  comprenait  encore  13.720,  Européens  ou  indigènes. 

D'autres  frais  ont  été  occasionnés  par  des  mesures  sanitaires,  la  mise  en 
état  des  voitures  Lefebvre,  l'achat  de  fusils  et  munitions,  le  remplacement 
des  mulets  épuisés  par  la  campagne  de  1895  et  presque  entièrement  détruits 
par  les  maladies  et  notamment  la  morve.  1.359  mulets  et  30  juments  ont 
été  acquis  depuis  le  !«'' janvier  1897. 

Colonisation  militaire.  —  Dans  le  but  d'encourager  les-  militaires  libérés  à 
s'établir  à  Madagascar,  pour  y  créer  une  exploitation  agricole,  le  général 
Gallieni  a  publié  une  circulaire  insérée  à  VOfficiel  de  la  colonie  du  3  février 
1898,  dans  laquelle  il  est  dit  que  la  colonie  met  gratuitement  à  la  disposition 
de  tout  Français  une  concession  de  100  hectares.  Pour  ceux  qui  possèdent  un 
petit  capital  leur  permettant  de  faire  face  aux  premières  dépenses  d'instal- 
lation, cette  concession  pourra  être  le  point  de  départ  d'une  exploitation 
avantageuse.  En  outre,  afin  d'engager  davantage  les  militaires  à  se  fixer  dans 
l'île,  le  général  Gallieni  a  obtenu  que  le  délai  de  rapatriement  gratuit,  qui 
n'était  que  d'un  an  à  partir  de  la  libération  sur  place,  fût  porté  à  2  ans. 

Ouganda  :  Indemnité  aux  Pères  Blancs.  —  Le  gouvernement  britannique 
s'est  enfin  décidé  à  procéder  au  règlement  de  l'indemnité  due  aux  Pères 


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248  REVUE  FRANÇAISE 

Blancs  pour  les  pertes  qu'ils  onl  subies  dans  les  ti-oublcs  de  l'Ouganda,  où  le 
capitaine  Lugard  conquit  une  triste  célébrité  en  janvier  1892,  —  il  y  six  ans! 
Interrogé  par  sir  Ch.  Dilke,  M.  Curzon  a  expliqué  qu'aux  demandes  de  la 
France  le  gouvernement  anglais  avait  répondu  qu'une  indemnité  était  réelle- 
ment due  et  que,  si  cette  indemnité  n'était  pas  payée  par  la  C'*  de  l'Est  afri- 
cain, le  gouvernement  la  payerait  : 

«  En  1894,  en  effet,  lord  Rosebery  déclara  que  le  gouvernement  indemni- 
serait les  missionnaires  fran(,*ais  simplement  pour  faire  acte  d'amitié  et  de 
courtoisie  envers  la  France.  La  question  du  montant  de  l'indemnité  fut  alors 
soulevée,  et,  quelque  temps  après,  les  négociations  fui*ent  commencées  en  vue 
du  règlement  général  de  tous  les  litiges  entre  la  France  et  l'Angleterre  en 
Afrique.  C'est  au  cours  de  ces  négociations  que  lord  Kimberley,  ministre 
libéral  des  affaires  étrangères,  proposa  de  payer  10.000  livres  sterling.  Le 
gouvernement  actuel  croit  donc  qu'il  est  de  son  devoir  d'accorder  cette  somme 
aux  missionnaires  français.  x> 

Sur  ces  déclarations,  la  Chambre  a  voté  (3  mars)  malgré  l'opposition  do 
quelques  radicaux,  le  crédit  de  250.000  francs  d'indemnité  aux  Pères  Blancs. 

R^te  encore  à  régler  l'indemnité  réclamée  par  la  mission  Mizon. 

Abyssinie  :  Monnaies.  —  L'Abyssinie  n'a  eu  longtemps  comme  monnaie 
courante  que  le  thaler  levantin,  à  l'effigie  de  Marie-Thérèse  d'Autriche,  le- 
quel a  continué  à  être  frappé  à  Vienne  et  à  Rremnitz,  au  millésime  de  1780. 
Comme  sous-multiple,  les  Abyssins  ont  employé  le  lingot  de  sel  (amulet)  et 
la  poignée  de  blé.  M.  Crispi  avait  essayé  d'introduire  en  1890  le  talaro eritreo 
italien  ;  le  négus  n'en  a  pas  voulu  et  vient  de  créer  un  talari  à  son  eflSgie, 
avec  le  concours  d'un  Français,  M.  Léon  Chefneux.  La  Monnaie  de  Paris  a 
été  désignée  pour  frapper  ces  nouvelles  pièces  blanches  et  leurs  subdivisions 
en  argent  ou  en  cuivre.  L'empereur  Ménélik  a  même  adopté  le  système  déci- 
mal .  Le  talari  éthiopien,  porte  d'un  côté  le  buste  et  le  profil  du  négus,  avec 
la  tiare;  au  rêvera  est  le  lion  de  Juda.  Sur  la  tranche  est  inscrite  la  devise:  • 
L'Ethiopie  ne  tend  la  main  qu'à  Dieu . 

ASIE 

Siam  :  Expulsion.  —  On  annonce  de  Bangkok  que  le  gouvernement  sia- 
mois a  expulsé  M.  Lillie,  directeur  du  Siam  Free  Press ,  et  on  ajoute  que  le 
minisitre  d'Angleterre  à  Bangkok  aurait  reçu  l'ordre  de  ne  point  s'opposer 
à  l'exécution  de  cette  mesure.  On  a  lieu  de  s'étonner  tout  d'abord  de  l'impas- 
sibilité de  l'Angleterre  dans  cette  affaire,  mais  on  la  comprendra  mieux 
quand  on  saura  que  M.  Lillie,  bien  que  sujet  anglais,  prenait  surtout,  dans 
son  journal,  la  défense  des  intérêts  français  au  Siam.  De  plus,  M.  Lillie  était 
irlandais  et  c'est  ce  qui  explique  ses  sympathies  à  notre  égard.  Mais  étant 
donnée  la  situation  particulière  du  directeur  du  Siam  Free  Press,  il  y  aura 
lieu  de  s'étonner  de  ce  que  la  France  ait  laissé  passer  sans  protester  ce  nou- 
vel acte  de  provocation  du  gouvernement  siamois.  Nos  protégés  sont  toujours 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  249 

l'objet  de  persécutions  de  la  part  des  mandarins  et  Ton  se  demande  pour 
quel  lîïotif  inexplicable  le  gouvernement  frauijais  ne  sait  pas  parler  haut  et 
ferme  à  Bangkok  et  exiger  des  Siamois  les  satisfactions  qui  lui  sont  dues. 
Un  tel  abandon  de  tous  nos  droits  ne  peut  avoir  que  le  plus  déplorable  effet 
pour  le  prestige  du  nom  français  en  Indo-Chine. 

Cambodge  :  Accaparements  chinois,  —  On  a  vu  récemment  toutes  les 
rizeries  de  Cochinchine  tomber  entre  les  mains  chinoises.  Une  autre  indus- 
trie, créée  par  des  Français  au  Cambodge,  vient  de  subir  un  sort  identique. 
Il  s'agit  des  usines  à  égrener  le  coton,  que  MM.  Praire  et  C'«  avaient  fondé  à 
Ksach-Kandal,  en  y  adjoignant  une  huilerie  pour  la  distillation  de  la  graine. 
La  production  du  coton  qui  n'était  que  de  25.000  piculs  en  1890,  était  par 
suite  montée  à  120.000  en  1895. 

En  1896,  les  droits  d'entrée  sur  les  cotons  au  Japon  ayant  été  supprimés, 
'administration  décida  d'augmenter  la  taxe  de  sortie  sur  ce  produit  au  Cam- 
bodge, afin  d'empêcher  les  Japonais  d'accaparer  le  coton  du  pays.  Mais  le 
Conseil  d'Etat,  que  la  loi  oblige  de  consulter  dans  ce  cas,  ayant  refusé  de 
sanctionner  la  taxe,  la  vente  des  usines  de  Ksach-Kandal  dut  être  effectuée. 
Ce  sont  des  Chinois  qui  sont  devenus  acquéreurs  et  qui  pourront  se  tirer 
d'affaire  grâce  à  leur  sobriété,  leur  endurance  et  à  leur  peu  d'exigences  dans 
la  vie  matérieUe. 

Il  semble  qu'il  y  a  là  un  nouveau  fait  qui  doive  appeler  sérieusement 
l'attention  des  pouvoirs  publics,  car  il  est  vraiment  bien  inutile  que  des 
Français  mettent  en  œuvre  des  capitaux  importants  pour  fonder  des  indus- 
tries dans  leurs  colonies,  pour  arriver  à  voir  des  étrangers  se  substituer  à 
eux,  uniquement  par  ce  que  la  métropole  n'encourage  pas  les  efforts  de  ses 
nationaux. 

Chine  :  Cession  de  Kiao  Tchéou  à  l'Allemagne,  —  Les  négociations  enta- 
mées entre  la  Chine  et  l'Allemagne  à  la  suite  de  l'occupation  par  cette  puis- 
sance, de  la  baie  de  Kiao  Tchéou,  ont  abouti  à  une  convention  signée  à  Pékin 
le  6  mars.  En  vertu  de  cette  convention,  la  Chine  cède  à  bail  à  l'Allemagne  la 
baie  de  Kiao  Tchéou  avec  une  bande  de  territoire  environnant.  Elle  lui  ac- 
corde, en  outre  des  concessions  de  chemin  de  fer  ou  de  mines  et  le  droit  de 
préférence  pour  les  travaux  publics  à  entreprendre  dans  la  province  de 
Chang-Tong.  En  vertu  des  stipulations  du  traité,  les  troupes  allemandes  ont 
reçu  ordre  d'évacuer  les  villes  de  Kiao-Tchéou  et  de  Tsimo,  qui  sont  situées 
dans  la  zone  neutre,  en  dehors  du  territoire  affermé  à  l'Allemagne. 

Cession  de  Port-Arthur  à  la  Russie,  —  Les  demandes  de  la  Russie  à  la  Chine 
ont  été  acceptées  par  celle-ci  après  de  rapides  négociations.  Le  Messager  offi- 
ciel de  Saint-Pétersbourg  publie,  à  ce  sujet,  le  communiqué  suivant  : 

«  Les  représentants  de  la  Russie  et  de  la  Chine,  dûment  autorisés  à  cet 
effet,  ont  signé  à  Pékin,  à  la  date  du  15/27  mars  courant,  un  arrangement 
spécial  en  vertu  duquel  Port- Arthur  et  Talien-Wan,  avec  les  territoires  y 
attenant  et  les  eaux  territoriales  qui  en  dépendent,  ont  été  cédés  en  usufruit 


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?50  REVUE  FRANÇAISE 

au  gouvernement  impérial  pour  un  terme  de*25  ans,  lequel  pourra  éive  pro- 
longé ensuite  d'un  commun  accord.  De  plus,  la  Chine  a  conçue  à  la  Russie 
le  droit  de  construire  une  ligne  de  chemin  de  fer  destinée  à  relier  ces  ports 
à  la  grande  ligne  transsibérienne. 

Cet  arrangement  est  une  conséquence  directe  et  naturelle  des  relations 
amicales  qui  existent  entre  les  deux  vastes  États  voisins,  dont  tous  les  efforts 
doivent  tendre  à  maintenir  la  tranquillité  sur  toute  l'immense  étendue  de 
leurs  possessions  limitrophes,  pour  le  bien  de  leurs  peuples. 

L'ouverture  du  port  de  Talien-Wan  aux  bâtiments  de  commerce  de  toutes 
les  nations  étrangères  créera  en  Extrême-Orient,  pour  le  commerce  et  l'in- 
dustrie, un  nouveau  marché  très  étendu  grâce  à  la  grande  ligne  transsibé- 
rienne, appelée  désormais,  par  suite  de  l'accord  conclu  entre  la  Russie  et  la 
Chine,  à  relier  les  points  extrêmes  de  deux  continents  du  vieux  monde. 
L'arrangement  signé  à  Pékin  a  donc  pour  la  Russie  une  haute  valeur  histo- 
rique et  doit  être  accueilli  comme  un  heureux  événement  par  tous  ceux  aux- 
quels tiennent  à  cœur  les  bienfaits  de  la  paix  et  le  développement  des  bonnes 
relations  entre  les  peuples.  » 

Chemins  de  fer  de  Mandchourie,  —  Les  gouvernements  russe  et  chinois  ont 
conclu  un  accord  en  vertu  duquel  le  chemin  de  fer  de  l'Est  chinois  sera  relié 
aux  chemins  de  fer  russes  par  deux  lignes  de  jonction,  l'une  de  440  kil., 
aboutissant  à  la  station  d'Onou,  près  du  Transbaïkal,  et  l'autre  de  95  kil., 
aboutissant  à  Nikolskoé,  sur  la  ligne  de  l'Oussouri. 

Par  suite  de  la  cession  de  Port-Arthur,  un  nouvel  embranchement  se  dé- 
tachera de  la  ligne  de  Mandchourie  près  de  Redonné  (Tsin-Tcheng),  pour 
aboutir  à  Port-Arthur. 

Corée.  —  Revirement  de  la  politique  russe.  —  La  Russie  vient  de  faire, 
d'elle-même  en  Corée  certaines  concessions  au  Japon,  dans  le  but  apparent 
de  prévenir  une  opposition  de  ce  dernier  à  l'installation  de  la  Russie  à  Porl- 
Arthur.  Elle  a  rappelé  son  conseiller  financier  et  ses  instructeurs  militaires. 
Voici  en  quels  termes  le  Messager  officiel  de  St-Pétersbourg,  annonce  ce 
rappel  qui  n'est  probablement  que  temporaire. 

«  Dans  les  derniers  temps,  des  nouvelles  sont  arrivées  de  Séoul  montrant 
qu'une  fermentation  politique  se  produisait  tant  parmi  le  gouvernement  que 
le  peuple  coréen.  Il  s'est  formé  entre  les  hommes  d'Etat  de  ce  pays  un  parti 
qui  est  animé  d'hostilité  contre  les  étrangers  en  général,  et  déclare  que  la 
Corée  est  déjà  entrée  dans  la  voie  de  l'indépendance,  et  que  son  gouverne- 
ment n'a  plus  besoin  d'étrangers  dans  l'administration  intérieure  du  pays. 

Ces  circonstances  ont  entièrement  rendu  difficile  l'activité  des  instructeurs 
mihtaires  et  des  conseillers  financiers  envoyés  à  Séoul  sur  la  prière  instante 
de  l'empereur  Li  de  Corée  et  de  son  gouvernement.  Ces  fonctionnaires  se 
heurtaient  tous  à  des  obstacles  dans  l'accomplissement  régulier  et  conscien- 
cieux dos  devoirs  qui  leur  incombaient.  Un  pareil  état  de  choses  ne  pourrait 
pas  répondre  aux  bonnes  intentions  de  la  Russie.  Aussi  notre  représentant 


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^'vm^mam^'T^!' 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  254 

à  Séoul  a  reçu  l'ordre  de  demander  à  l'empereur  et  à  son  gouvernement  : 
Considérez- vous  comme  nécessaires  notre  secours,  la  protection  du  Palais, 
les  instructeurs  militaires  et  le  conseiller  de  l'administration  financière  ? 

A  cette  demande  il  a  été  répondu  au  chargé  d'affaires  de  Russie  à  Séoul 
que  le  gouvernement  coréen,  tout  en  exprimant  à  1  empereur  de  Russie  ses 
remercîments  profonds  à  propos  des  secours  acordés,  à  temps,  à  la  Corée, 
trouve  que  le  pays  pourrait  maintenant  se  tirer  d'affaire  sans  aucun  appui 
dans  les  affaires  politiques  et  financières. 

En  présence  de  ces  nouvelles,  le  gouvernement  impérial  a  chargé  son  re- 
présentant à  Séoul  de  déclarer  à.l'empereur  de  Corée  et  à  ses  ministres  que, 
si  de  leur  avis,  la  Corée  n'a  plus  besoin  en  ce  moment,  d'un  secours  étran- 
ger, et  se  trouve  en  état  par  sa  propre  force,  de  maintenir  son  indépendance 
dans  son  administration  intérieure,  la  Russie  n'hésitera  pas  d'ordonner  le 
rappel  du  conseiller  financier  russe.  Quant  à  ce  qui  concerne  les  militaires 
russes,  ceux-ci  en  présence  de  la  situation  incertatne  de  l'état  de  choses  en 
Corée,  resteront,  après  leur  sortie  de  l'armée  coréenne,  à  la  disposition  de 
la  mission  russe.  » 

AMÊRIQOE 

Canada  :  Exode  aux  mines  d'or  du  Klondyke.  —  Malgré  la  rigueur  du  cli- 
mat et  les  immenses  difficultés  d'accès,  la  région  aurifère  du  Klondyke,  sur 
le  territoire  canadien,  est  sans  cesse  le  point  de  mire  d'une  foule  de  mineurs, 
principalement  américains.  6.000  individus,  conduisant  3.200  chevaux  char- 
gés de  provisions,  ont  tenté,  l'automne  dernier,  de  traverser  les  montagnes 
au-delà  de  Juneau.  200  à  peine  ont  pu  franchir  la  passe  Blanche  et  700  la 
passe  de  Chilkoot  ;  ils  otit  dû  camper  tout  l'hiver  près  du  lac  Bennett,  à  75 
jours  de  Klondyke.  Des  3.200  chevaux,  200  seulement  restaient  en  octobre, 
et  les  sentiers  étaient  jonchés  de  cadavres  et  de  tombes.  De  nombreux  aven- 
turiers avaient  préféré  retourner  en  arrière.  A  Dawson-City,  un  grand  nom- 
bre de  mineurs  sont  dans  un  dénument  absolu.  Malgré  cela,  on  se  précipite 
avec  une  véritable  furia  sur  la  région  nouvelle.  On  signale  aussi  de  l'or  à 
Fort-Selkirk,  à  280  kilomètres  à  Test  de  Dawson-City  ;  on  en  a  trouvé  aussi 
sur  les  bords  du  Mackenzie. 

Dans  l'Alaska,  en  territoire  américain,  M.  Fritz  Behnson  aurait,  dans  les 
crevasses  d'un  rocher,  ramassé  250.000  francs  d'or  en  un  jour,  sur  les  bords 
du  Youkon. 

On  s'occupe  activement  de  venir  au  secours  des  malheureux  mineurs,  en- 
fermés presque  sans  vivres,  dans  les  glaces  aurifères.  Un  détachement  d'in- 
fanterie, emportant  200  tonnes  de  vivres,  a  quitté  Portland,  dans  l'État  amé- 
ricain d'Or^on,  en  février,  pour  se  rendre  au  Klondyke.  Le  gouvernement 
canadien  a  défendu  aux  Américains  de  fidre  pénétrer  des  troupes  sur  son 
territoire,  dont  la  frontière  d'ailleurs  est  indécise  en  plus  d'un  point.  Mais 
l'entente  se  fera  entre  les  deux  gouvernements. 

De  divers  côtés  d'ailleurs,,  des  expéditions  de  secours  s'orçanisent  pour  le 


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252  REVUE  FRANÇAISE 

Klondyke.  Un  Anglais.  M.  Lewis,  aurait  engagé  dans  ce  but  six  Lapons  et 
acheté  114  rennes.  A  Winnipc^,  on  a  signalé  l'arrivée  de  3  wagons  conlenaol 
chacun  115  chiens  de  Terre-Neuve,  qui  vont  être  dirigés  vers  le  Klondyke. 

Chemin  de  fer  au  Klondyke.  —  D*autre  part  le  gouvernement  canadien  a 
soumis  au  parlement  d'Ottawa,  un  projet  de  loi  portant  création  d'un  che- 
min de  fer  d'environ  150  milles  de  longueur,  allant  de  la  rivière  Slikeon  au 
lac  Teslin.  De  ce  point  à  Dawson,  les  communications  auront  lieu  par  les 
voies  fluviales.  Les  travaux,  dit  le  Paris-Canada,  doivent  commencer  un 
mois  après  le  vote  du  projet  et  être  terminés  en  septembre.  La  Compagnie 
s'engage  à  établir  en  six  semaines  une  route  par  traîneau  de  Glenora  au  lac 
Teslin.  Elle  doit  aussi  assurer  les  transports  par  bateau  du  lac  Teslin  à  Daw- 
son. Elle  reçoit  en  retour  comme  subvention  25.000  acres  de  terre,  par  mille 
de  voie  ferrée  à  construire.  Mais  les  rivières  et  cours  d'eau  aboutissant  au 
Klondyke  sont  exceptés  de  la  concession.  Le  coût  total  des  travaux  est 
.estimé  à  5  millions  de  dollars. 

EUROPE  ET  DIVERS 

Allemagne  :  Progrès  de  la  marine  marchande,  —  On  se  rendra  compte  de 
l'immense  développement  de  la  marine  marchande  allemande  si  l'on  considère 
que,  de  150  navires  à  vapeur  avec  82000  tonnes  et  4350  voiliers  de  900000  t. 
en  1871,  cette  marine  est  passée  à  1 125  vapeurs  avec  900000  t.  et  2500  voi- 
liers avec  600000  t.  en  1897.  Les  vapeurs  sont  aujourd'hui  6  fois  plus  nom- 
breux et  le  tonnage  a  décuplé.  Un  tonneau  de  vapeur  valant  environ  3  ton- 
neaux de  voilier,  la  capacité  de  transport  de  la  marine  marchande  allemande 
est  donc  de  plus  de  3  300  000  tonnes. 

Depuis  1888,  époque  où  Hambourg,  Altona  et  Brome  sont  entrées  dans 
l'union  douanière,  ces  villes  ont  constitué  de  vastes  ports.  Hambourg  a  volé 
pour  cela  378  milions  de  francs.  Brome,  Vegesack  et  Bremerhaven 
143  640000  fr.,  Altona  11340  000  fr.,  Geestemund  20160000  fr.,  Dantzig 
10080000  fr.  et  Stettin  35540000  fip. 

Le  mouvement  dans  les  ports  qui  était  en  1873  de  94  700  navires  entrés  et 
déchargés  avec  12300000  t.,  s'est  élevé  en  1895  à  133800  navires  et 
30500000  t.  Le  commerce  étranger,  qui  était  représenté  en  1873  par 
50650  navires  entrés  et  déchargés,  a  été  de  52700  navires  en  1895,  soit  seu- 
lement 4  0/0  d'augmentation,  mais  le  tonnage  est  passé,  pendant  ces  22  ans, 
de  10  400  000  à  24  millions  de  tonnes.  Le  mouvement  entre  les  ports  alle- 
mands et  les  ports  hors  d'Europe  est  passé  de  2  200  000  t.  en  1873  à  7  mil- 
lions de  tonnes  en  1895.  On  voit  par  ces  chiffres  les  progrès  accomplis  par 
la  marine  allemande,  qui  est  aujourd'hui  la  2^  du  monde,  et  qui  vise  à 
atteindre  la  marine  anglaise. 

Nouvelle  ligne  de  navigation  vers  V Extrême-Orient.  —  La  C'*'  Hambourg- 
Amsrika-Liaie  a  résolu  d'établir  un  service  sur  la  Chine  et  le  .lapon.  Les  dé- 
parts auront  lieu  de  Hambourg  les  25  de  chaque  mois  pour  Penang,  Singa- 
pore,  Hong-Kong,  Shanghaï,  Yokohama  et  Hiogo.  Les  navires  affectés  à  cette 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  253 

ligne  peuvent  embarquer  8.000  tonnes  et  ont  une  Yi'cisc  de  12  nœuds.  Le 
1""  départ  a  eu  lieu  le  25  janvier  1898. 

La  Hcmbourg-Amerika-Linie  a  confié  aux  chantiers  Blohm  et  Vos,  de  Ham- 
i)ourg,  la  construction  de  3  grands  paquebots,  dont  2  destinés  à  la  ligne 
d'Exlréme-Orient;  ils  compteront  500  pieds  de  long,  02  de  large  et  40  de 
profondeur.  Ces  commandes  portent  à  7  le  nombre  des  paquebots  transatlan- 
tiques demandés  par  la  C'*'  allemande. 

Il  y  avait  déjà  deux  C'*' allemandes  qui  desservaient  régulièrement  la  Chine 
et  Je  Japon  :  le  Nord-Deulsdier  Lloyd,  de  Brème,  et  la  King-sin-Linie,  de  Ilam- 
boUrg.  On  n'ignoi^e  pas  que,  malgré  les  intérêts  que  nous  avons  en  Extrême- 
Orient,  une  seule  ligne  française^  celle  des  Messageries  Maritimes,  dessert  ces 


Émigration.  —  L'émigration  allemande  a  sans  cesse  décru  depuis  quel- 
ques années.  Alors  qu'il  y  avait  115.392  émigrants  allemands  en  1891,  il  n  y 
en  avait  plus  que  33.566  en  1894,  29.226  en  1895  et  25.771  en  189t). 

Cette  décroissance  a  pour  cause  principale  les  lois  sévèi'es  édictées  aux 
Étals-Unis  contre  les  émigrants.  Il  en  est  résulté  que  les  indigents,  les  illet- 
trés et  leurs  familles  ont  été  repoussés  des  ports  américains  ou  même  rete- 
nus dans  les  ports  allemands  au  moment  où  ils  voulaient  s'embarquer. 
Avant  1894,  95  0/0  des  émigi-ants  allemands  allaient  aux  États-Unis;  il  n'y 
en  a  plus  que  82  0/0  qui  y  ont  été  en  1896.  Les  autres  directions  des  émi- 
grants sont  surtout  le  Brésil,  le  Canada,  TAfrique  et  la  République  Argen- 
tine. L'émigration  allemande  au  Brésil  et  en  Afrique  australe  (Transvaal, 
etc.),  augmente  sans  cesse.  Les  émigrants  s'embarquent  surtout  à  Hambourg 
et  à  Brème. 

Russie  :  Mine$  d'émeraudes.  —  On  a  annoncé  la  concession  pour  24  ans 
de  mines  d'émeraudes  dans  TOural,  faisant  partie  des  propriétés  du  cabinet 
impérial.  Ces  mines  célèbres  ont  une  histoire  assez  curieuse.  Elles  forment 
une  enclave  dans  le  territoire  de  Reft  (Oural).  D'après  Pylaieff  on  y  trouvait 
déjà  au  XVII®  et  au  xviii*^  siècle  des  émeraudes  et  des  topazes,  pierres  prêt 
cieuses  avec  un  reflet  lilas;  elles  fournissaient  donc  des  pierres  dès  Tépoque 
où  Catherine  la  Grande  fit  venir  des  ouvriers  florentins  pour  créer  des  ate- 
Kers  impériaux  de  taille  de  pierres  fines  et  de  pierres  dures  qui  existent 
encore  à  Ekaterinbourg.  Mais  olïiciellement  on  n'a  commencé  Texploitation 
des  mines  d'émeraudes  qu'en  1841. 

C*est  pendant  un  voyage  que  l'empereur  Alexandre  1  lit,  comme  grand-duc 
héritier,  dans  TOural  et  la  bibérie  que  furent  découverles  les  alexandrites, 
ainsi  nommées  en  son  honneur.  La  légende  raconte  mémo  que  c'est  un  coup 
de  pic  donné  par  l'illustre  visiteur  qui  découvrit  la  première  alexandrite. 
L'exploitation  se  faisait  par  le  gouvernement,  la  taille  des  pierres  était  exé- 
cutée à  Ekaterinbourg,  et  les  émeraudes,  aussi  bien  que  les  alexandrites, 
talent  portées  au  Trésor  impérial  à  Saint-Pétersbourg,  où  on  les  employait  à 


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254  REVUE  FRANÇAISE 

la  fabrication  de  joyaux  dont  une  partie  est  restée  au  Trésor,  tandis  que  ia 
généralité  a  servi  à  faire  des  cadeaux  impériaux. 

On  raconte  que,  se  trouvant  à  Vienne,  Nicolas  I  fut  surpris  d'apprendre 
que  des  émeraudes  qu*il  avait  remarquées  chez  un  bijoutier  provenaient  de 
ses  mines  de  TOural,  qui  ne  devaient  jamais  rien  vendre  au  public.  Le 
détournement  était  manifeste  et  une  enquête  devait  en  être  la  suite.  Mais  un 
incendie  arriva  fort  à  propos,  détruisit  les  bâtiments,  et  les  aménagements 
des  puits  d'extraction  qui  se  trobvèrent  dès  lors  inondé.  L'exploitation  ne  fut 
jamais  reprise  par  le  gouvernement. 

Les  fraudes  électorales  aux  colonies.  —  La  Revue  Française^  a  eu 
Toccasion  de  signaler  les  troubles  électoraux  qui  ont  eu  lieu  dernièrement 
au  Sénégal  (t.  XXIII  p.  49).  Disons  à  ce  propos  que  les  fraudes  électorales 
constatées  dans  les  colonies  françaises,  sont  très  nombreuses  et,  dans  le  nom- 
bre, il  y  en  a  de  vraiment  incroyables. 

A  la  Réunion,  entre  autres,  on  a  appris  qu'un  individu  vient  d'être  con- 
damné à  huit  mois  de  prison  pour  avoir,  lors  des  dernières  élections  au 
conseil  général,  voté  sous  le  nom  de  l'évéque  de  S'-Denis.  Aucun  membre 
du  bureau  n'avait  songé  à  mettre  en  doute  l'identité  de  cet  élecleur. 

Dans  rinde  française,  ainsi  que  le  fait  remarquer  la  Quinzaine  coloniale, 
on  a  constaté  que,  dans  certaines  circonscriptions,  on  avait  inscrit  plus  d'é- 
lecteurs qu'il  n'y  avait  d'adultes  de  plus  de  14  ans  î  Ainsi,  à  Bahour,  il  n'y 
a  que  8.443  adultes  et  on  a  trouvé  9.643  électeurs  inscrits  !  Par  des  exem- 
ples de  cette  nature  on  peut  se  demander  de  quelle  autorité  jouissent  bien 
des  mandats  coloniaux. 

Société  de  géographie  :  Prix.  —  La  Société  a  attribué  les  prii  suivants  :  Grande 
Médaille  d  or  :  D'  Sven  Uedin.  —  Grande  médaille  d'or  :  M.  Edouard  Foa.  —  Prix 
Dewez,  c'  Jouan.  —  Prix  H.  Fournet  :  Pèi-es  Roblci  et  Colin.  —  Prix  Duveyrier  :  capi- 
taine Salesses.  —  Pères  L"  Bourbonnaud  :  capitaine  Passaga.  Prix  Barbie  du  Bocage  : 
M.  Grenard.  —  Prix  A.  de  Monthérot  :  M.  Levât.  —  Prix  W.  Huber  :  M.  Ch. 
Durier.  —  Prix  Grad  :  M.  G.  Saint-Yves.  —  Prix  Jansen  :  capitaine  Cayrad. — 
Prix  Jomard  :  M.  C.  Guy. —  Prix  F.  Fournier  :  M.  Delbecque. 

Médaille  ooloniale.  —  Par  décret  du  28  février  ,  le  droit  à  l'obtention  de  la 
médaille  coloniale  est  acquis  aux  militaires  et  marins  qui  ont  pris  part  aux  opérations 
du  haut  Oubanjîui,  du  l"*"  janvier  au  31  décembre  1897.  Cette  distinction  déjà  awor- 
dée  les  années  précédentes  pour  TOubangiû,  devait  revenir  naturellement  aux 
membres  des  missions  Liotard  etMai-chand. 

BIBLIOGRAPHIE 

La  Bulgarie  chrétienne,  par  M.  le  B^"  A.  d'Avril,  ministre  plénipo- 
tentiaire (chez  Challamel  et  chez  E.  Leroux).  —  Nos  lecteurs  connaissent  la 
compétence  toute  spéciale  de  M.  d'Avril,  collaborateur  de  la  Revue  Française, 
dans  les  questions  orientales.  Il  a  publié  au  cours  de  sa  carrière  une  séné 
d'études  très  documentées  sur  les  communautés  religieuses  des  populations 


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BIBLIOGRAPHIE  255 

chrétiennes  de  rOrienl.  Son  nouvel  ouvrage  contient  l'exposé  des  premières 
églises  bulgdres.  Lors  de  la  destruction  par  les  Turcs  des  états  serbe,  bulgare 
et  grec,  le  choix  de  Conslantinople  comme  capitale  de  Tempire  ottoman  aug- 
menta l'autorité  du  patriarche  de  Conslantinople.  11  fut  reconnu  par  les  Turcs 
comme  chef  civil  de  tous  les  chrétiens  de  rite  grec  et  ce  .patriarche  exerça  de 
fait  une  véritable  suprématie  sur  les  sièges  plus  anciens  d'An tioche,  d'Alexan- 
drie  et  de  Jérusalem.  Les  populations  chrétiennes  soumises  aux  Turcs  jouis- 
rent  d'une  grande  autonomie  en  ce  qui  concerne  la  désignation  des  digni- 
taires religieux,  les  mariages,  les  sacrements,  l'enseignement  et  la  perception 
des  contributions  locales.  La  répartition  des  chrétiens  en  .groupes  séparés 
n'eut  pour  base  ni  la  division  géographique,  ni  la  différence  de  langue  ou  de 
race.  Chaque  chef  religieux  devint  le  chef  civil  de  ses  ouailles  formant  une 
miletû  Tous  les  orthodoxes  furent  placés  sous  la  juridiction  civile  du  patriar- 
che orthodoxe  de  Conslantinople  qui  eut  ainsi  la  suprématie  sur  les  Bulgares, 
englobés  sous  la  désignation  de  Roumiy  c'est-à-dire  Grecs.  L'auteur  retrace 
toute  la  série  de  conflits  qui  aboutirent  en  1861  à  la  formation  du  groupe 
des  Bulgares  unis  à  l'Église  romaine  et  au  schisme  de  l'Église  bulgare  qui 
fut  affranchie  de  la  suprématie  grecque  par  le  firman  de  1870  et  définitive- 
ment séparée  par  le  concile  ou  plus  exactement  par  le  synode  de  1872. 

Cette  étude  montre  une  des  faces  de  la  question  d'Orient,  explique  com- 
ment dans  la  dernière  guerre  gréco-turque,  les  Bulgares  eurent  une  attitude 
plus  bienveillante  à  l'égard  des  Grecs  ;  elle  jette  un  jour  sur  les  procédés 
de  la  diplomatie  russe  oscillant  entre  les  Grecs  et  les  Bulgares. 

La  France  ne  peut  se  désintéresser  complètement  de  ces  questions,  car  nous 
avons  plusieurs  points  de  contact  avec  les  Bulgares  unis  par  les  Lazaristes 
établis  à  Constanti.nople,  Salonique  et  Monastir  et  les  Augustins  de  l'Assomp- 
tion à  Philippopoli.  Il  faut  signaler  aussi  les  Résurreclionnistes  polonais  à 
Andrinople.  Les  écoles  fondées  par  ces  religieux  sont  l'objet  de  la  bienveil- 
lance de  l'Alliance  française  qui  leur  facilite  la  propagation  de  notre  langue. 

Atlas  Larousse  illustré.  —  La  publication  de  ce  bel  atlas  constitae  une  véri- 
table ianovation  dans  la  science  géographique.  11  y  a  peu  de  temps  encore,  la  géo- 
graphie ne  se  présentait  que  sous  un  aspect  sec  et  passablement  rebutant.  Depuis 
quelques  années,  on  s'efforce  de  la  rendre  plus  aimable  et,,  sous  ce  rapport,  TAtlas 
Larousse  réussit  au  delà  de  toute  espérance.  Les  nombreuses  photographies  qu'il  ren- 
ferme sur  les  paysages  et  les  monuments  de  la  France  en  font  à  la  fois  nn  ouvrage 
d'étude  et  un  ouvrage  de  récréation.  Par  son  caractère  artistique,  il  prend  rang  parmi 
les  ouvrages  de  luxe  et  a  sa  place  marquée  sur  la  table  des  salons. 

Au  point  de  vue  cartographique,  l'Atlas  Larousse  se  distingue  par  la  netteté  de  son 
dessin  et  la  facilité  qu'il  offre  à  la  lei-ture.  L'absence  de  surcharges  de  noms  géogra- 
phiques, la  multiplicité  des  couleurs  sont  des  plus  appréciables  pour  l'examen  des 
cartes.  Le  texte  qui  accompagne  n'est  pas  une  nomenclature  sèche  et  aride;  il  pré- 
sente, au  contraire,  un  réel  intérêt,  çrâce  à  ses  aperçus  extrêmement  variés.  Mais  ce 
qai  fait  surtout  le  succès  de  la  publication,  ce  sont  les  gravures  au  nombre  d'un  mil- 
lier, véritables  documents  pris  sur  le  vif  et  repnxiuits  directement  d'après  des  photo- 
graphies. Grâce  au  véritable  album  que  forme  1  atlas,  plus  d'un  projet  de  voyage  sera 


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256  REVUE  FRANÇAISE 

conçu  au  vu  des  merveilles  naturelles  et  artistiques  que  présente  ce  romaniuable  en- 
semble lie  gravures. 

L'Atlas  Lan)usse'  illustré  comprendra  40  fascicules  h  0  fr.  60,  paraissant  chaqu»' 
semaine.  Le  l'""  \olumo  comprenant  la  France  et  ses  colonies  est  paru:  le  2*  est  en 
cours  de  publication.  Les  2  vol.  relitis  en  toile,  30  francs. 

France- Album,  cité  des  Fleurs,  Paris,  dont  nous  avons  signalé  déjà  les  jolis 
fascicules  Consiicrés  au  pays  du  soleil,  la  spleiidide  côte  d'Azur,  d'Hyén»s  à  MenU>n, 
vient  de  compléter  cette  collection  par  son  48*  n«»  consacré  à  la  région  des  Maures  et 
à  TEsterel,  Hyères,  S'-Tropez,  Fréjus,  S»-Raphaël,  etc.  Ses  dessins  variés  foQt  res- 
sortir FattractioD  qu'exerce  sur  ses  visiteurs  ce  séduisant  pa\s. 

Mon  9*  voyage  au  Sahara  et  au  pays  touareg,  par  F.  Foureau.  —  C'est 
le  réiMt,  publié  à  la  Société  de  géographie,  du  voyage  que  la  Hevue  a  déjà  raconté. 

Les  Anglais  en  Egypte,  par  le  ¥»•  de  Noailles,  A.  Charles,  éditeur.  —Dans 
cette  suggestive  brochure,  M.  de  Noailles  fait  voir  les  Anglais  prenant  pied  de  pliis 
en  plus  profondément  en  Éypte.  Les  demandes  du  ministre  anglais  sont  toujours 
impératives.  S'il  reste  quelques  Français  dans  les  fonctions  publiques,  leur  influence 
est  annihilée.  Dans  les  écoles  la  langue  anglaise  remplace  peu  à  peu  le  français, 
naguère  dominant  et  que  les  missions  catholiques  propagent  de  leur  mieux.  Grande  a 
été  notre  faute  en  nous  isolant  en  1882  ;  nous  en  portons  la  peine  aujourd'hui. 

Golonias  Portuguezas,  par  E.  de  Vasconcellos,  C''  N*'  Editora,  Lisbonne.  — 
L'éminent  auteur  bien  connu  par  ses  travaux  géographiques,  a  fait  une  œuvre  utile 
en  présentant  sous  une  forme  de  vulgarisation,  une  étude  intéressante  des  colonies 
portugaises,  Cap  Vert,  S.  Thomé,  Angola  Mozauibique,  Goa  ,  Macao,  Timor.  Jadis, 
le  Portugal  fut  la  !'•  puissance  coloniale  du  monde.  Bien  que  l'Angleterre  lui  ait  eu- 
levé  un  large  territoire  qu'il  n'avait  pas  su  occuper,  le  Portugal  possède  enœre  de 
belles  colonies.  Comme  Latins,  nous  \oyons  avec  plaisir,  M.  de  Vasconcellos  secouer 
la  torpeur  trop  grande  de  ses  compatriotes,  au  moment  où  tous  les  peuples  se  taillent 
un  empire  colonial. 

La  Corée  indépendante,  russe  ou  japonaise,  par  Villetard  de 
Laguérie.  Un  vol.  in-Ki,  avec  50  illustrations,  4  fr.  (Hachette  et  C',  Paris).  —  Au  mo- 
ment où  de  graves  événements  s'accomplissent  en  Kxtréme-Orient,  cet  ouvrage  ne 
saui-ait  venir  plus  à  propos.  L'auteur  a  visité  la  Corée  en  1895,  au  moment  où  le  Japon 
venait  de  trancher  à  coups  de  sabre  le  lien  de  vassalité  qni  la  rattachait  de  temps 
immémorial  à  la  Chine.  11  l'a  vue  aussi  en  peine  de  s'acquitter  des  devoirs  virils  de 
sa  i-écente  liberté,  que  le  serait,  jK)ur  trouver  sa  vie,  un  oiseau  né  dans  une  cage, 
brusquement  lâché  en  pleins  champs.  Politiquement,  elle  n'était  plus  chinoise;  elle 
l'était  toujours  moralement  et  voulait  demeui*er  telle,  mais  elle  le  voulait  passivement. 
Seule,  une  femme,  la  Reine,  pensa,  voulut  et  agit  comme  les  hommes  ne  surent  pas 
le  faire.  Elle  succomba  ;  et  la  Corée  aux  abois,  ne  voyant  pas  d'autre  moyen  d'écarter 
d'elle  le  joug  abhoré  des  Japonais,  chercha  son  salut  sous  l'égide  de  l'empire  russe 


Le  Gérant,  Edouard  MAI\BEAL\ 


mPRIMKRIB  CHAIX.   RCB  BBROBRK.   SO.   P4RIS.  —   4234-2-98.  —  {tMtUt  Urillf«l). 


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J 


ÏÏINTERLAND  DU  DAHOMEY 

LA  CONQUÊTE  DU  BORGOU 

Le  Gourma  une  fois  pacifié  par  la  mission  Baud-Vermeersch  et  la  ré- 
gion du  Niger  occupée  par  la  mission  Bretonnet  (1),  restait  à  soumettre 
le  pays  compris  entre  ces  deux  régions  et  le  Dahomey,  le  Bourgou  ou 
pays  des  Baribas. 

Jadis  réunis  sous  la  domination  d*un  roi  résidant  à  Nikki,  les  pays 
Baribas  n'étaient  pas,  comme  aujourd'hui,  partagés  entre  plusieurs 
chefs  à  peu  près  indépendants  les  uns  des  autres.  Formant  un  vaste 
plateau  d'environ  80.000  kilomètres  carrés  de  superficie,  traversé  par  de 
nombreuses  rivières,  leBorgou  est  riche,  fertile,  et  produit  même  jus- 
qu'à deux  récoltes  par  an.  Les  chevaux  sont  nombreux  et  les  troupeaux 
constituent  ta  principale  richesse  des  habitants. 

La  population  du  Borgou  comprend  trois  races  distinctes  :  les  Bari- 
bas, les  maîtres  du  pays,  cultivateurs,  guerriers  et  pillards  de  profes- 
sion; les  Peulhs,  les  pasteurs  par  excellence  du  Soudan,  possesseurs  de 
grands  troupeaux;  les  Haoussas,  qui  forment  la  population  marchande, 
et  s'adonnent  presque  exclusivement  au  commerce.  Plus  instruits  que 
les  autres  races,  les  Haoussas  parlent  et  écrivent  Tarabe  et  sont  les  inter- 
médiaires des  chefs  dans  leurs  relations.  Opprimés  par  les  Baribas,  ils 
étaient  alors  les  seuls  à  nous  témoigner  quelque  sympathie.  Les  Baribas 
dédaignent  les  armes  à  feu  et  se  servent  pour  combattre,  les  fantassins 
de  Tare  et  de  la  flèche  empoisonnée  avec  le  suc  du  strophantus,  les  ca- 
valiers de  ^a  lance  ou  de  la  sagaie.  Hardis,  entreprenants  et  braves,  ils 
ont  su,  avec  ces  armes  primitives,  non  seulement  résister  aux  invasions 
de  leurs  voisins  mieux  armés,  mais  encore  porter  chez  ces  derniers  le 
pillage  et  la  dévastation. 

Au  moment  où  le  Gourma  venait  d'être  pacifié,  la  situation  prenait 
un  carçuîtère  assez  grave  dans  le  Borgou.  Le  lieutenant  de  vaisseau 
Bretonoet  avait  toujours  à  lutter  contre  les  chefs  baribas  très  remuants 
de  la  région  de  Boussa  et  de  Kayoma  (2).  D'autre  part,  les  postes  établis 
entre  Carnotville  et  Ilo  par  la  mission  Bretonnet  n'avaient  pu  résister  au 
soulèvement  qui  gagnait  tout  le  Borgou.  C'est  ainsi  que  Chori,  Bon, 

(1)  Voir  Rev.  Fr.  avril  1898,  p.  193. 

(2)  Voir  la  carte  page  201  (avril  1898j. 

x«n(Mai98).  N*  233.  17 


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258  REVUE  FRANÇAISE 

Saoi*é,  Bouay,  Kaodi  ne  se  trouvant  plus  en  élat  de  réBister,  avaient  été 
évacués.  Kouandé,  où  commandait  le  lieutenant  Aymès,  se  trouvait 
dans  de  meilleures  conditions  et  repoussait  toiis  les  assauts  desBaribas. 
A  Parakou,  Tinspecteur  de  la  mUice  Yeisseyre  se  maintenait  ferme  à 
son  poste. 

En  présence  de  ce  soulèvement,  qui  menaçait  de  prendre  des  pro. 
portions  coilsidérables  et  de  couper  les  communications  du  Dahomey 
avec  le  Gourmad'un  côté  et  la_  mission  Bretonnet  de  Taulre,  M.  Ballot, 
gouverneur  du  Dahomey,  résolut  d*agir  énergiquemenl  et  nomma  rési- 
dent du  Bourgou  le  capitaine  Vermeersch,  le  chargeant  de  rétablira 
tout  prix  la  tranquillité  dans  le  pays  et  d'y  établir  notre  domination.  H 
importait  en  effet  au  plus  haut  degré  d'assurer  l'exécution  du  traité  qui 
nous  conférait  le  protectorat  du  Bourgou  et,  en  même  temps,  de  venger 
le  meurtre  des  inspecteurs  Forget  et  Carré  en  donnant  une  sévère  leçou 
aux  pillards  Baribas. 

Mais  avant  de  marcher  sur  Nikki^  la  capitale  des  Biribas,  il  fallait 
tout  d'abord  déblayer  le  terrain  autour  de  nos  postes.  Le  23  juillet  1897 
le  capitaine  Vermeersch  quittait  Porto-Novo,  n'ayant  avec  lui  qu'uoe 
cinquantaine  d'hommes.  Le  20  août  il  arrivait  à  Kouandé,  après  une 
marche  rendue  extrêmement  pénible  par  suite  du  débordement  des  ri- 
vières, car  on  était  en  pleine  saison  des  pluies.  A  ce  moment,  la  con- 
vention franco-allemande  fixant  les  limites  du  Togo  et  du  Dahomey, 
qui  venait  d'être  signée  tout  récemment,  permettait  de  dégarnir  un 
certain  nombre  de  postes.  C'est  ainsi  que  2o  hommes  purent  rejoindre 
le  capitaine  Vermeersch  à  Djougou.  Doux  inspecteur  de  la  garde  indi- 
gène, MM.  de  Lavilléon  et  de  Bournazel,  et  un  garde  principal,  M.  Lan, 
y  arrivèrent  de  leur  côté.  D'autre  part.  60  porteurs  dahoméens,  dont  les 
services  n'étaient  plus  utiles,  furent  équipés  et  armés  en  tirailleurs  et 
rendirent  par  la  suite  de  réels  service^.  L'effectif  de  la  petite  colonne  fut 
ainsi  porté  à  140  hommes,  la  plupart  à  peine  instruits  eau  métier  des 
armes.  A  Kouandé,  se  trouvait  le  lieutenant  Ayniès,  un  sergent  euro- 
péen, 55  tirailleurs  sénégalais  et  15  miliciens. 

Avant  de  commencer  les  opérations,  il  fallait  nous  assurer  l'appui  de 
chefs  fidèles.  Ouro-Ali,  qui  était  notre  adversaire,  fut  remplacé  à  Kouandé 
par  Yarou-Bori,  riche,  intelligent  et  le  plus  capable  de  nous  rallier  la 
population.  Grâce  h  lui,  les  habitants  furent  vite  rassurés  et  les  chefs 
des  villages  voisins  vinrent  faire  leur  soumission. 


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HINTERLAND  DU   DAHOMEY  259 

OPÉRATIONS   AUTOUR    DE   KOUANDÉ 

Le  manque  de  cartouches  ne  permettait  pas  de  marcher  immédiate* 
ment  en  avant,  car  il  fal'ait  attendre  l'arrivée  des  approvisionne- 
ments envoyés  du  Dahomey  par  M.  Ballot.  Mais  les  Baribas,  enhardis 
par  notre  inaction,  se  préparaient  à  nous  attaquer.  Ouro-Ali,  allié  au 
chef  de  Ouassa,  Sinagt)rigui»  avait  rassemblé  une  petite  armée  et  se 
dirigeait  sur  Kouandé. 

Afin  de  prévenir  Tattaque  des  Baribas,  le  capitaine  Vermeersch  se 
décida  à  marcher  conti^e  les  deux  chefs,  avant  qu'ils  eussent  opéré  leur 
jonction.  Ouro-Ali  fut  attaqué  le  premier  et,  après  un  léger  engage- 
ment, rejeté  vers  le  N-E.  Aussitôt  a[)rès,  la  colonne  se  dirigea  sur 
Ouassa.  La  marche  de  la  colonne  fut  pénible,  car,  outre  les  accidents 
de  terrain  et  Tépaiss  ur  de  la  brousse,  il  fallait  franchir  deux  rivières 
démesurément  grossies  par  les  piuies.  Le  l^sepœmnre,  la  coionne  arri 
vait  sur  les  bords  de  la  Mékrou.  Il  fallut  ti  heures  de  travail  sous  une 
pluie  torrentielle  pour  jeter  une  mauvaise  passerelle  sur  la  rivière  et  la 
franchir.  Le  14,  la  même  opération  fut  nécessaire  pour  passer  la  Bérou, 
dont  les  rives  étaient  transformées  en  marécages.  Les  chevaux  devant 
traverser  à  la  nage,  il  fallut  en  outre  débarmsser  le  lit  de  la  rivière 
d'une  multitude  de  branches  d'arbres  que  Tennenii  y  avait  jetées  pour 
retarder  notre  marche. 

En  raison  de  la  proximité  de  l'ennemi,  la  colonne  est  serrée  et  massée 
en  deux  groupes,  couvrant  le  convoi.  Les  cavaliers  Zaberniabés, 
qui  forment  l'avant-garde,  se  rapprochent  de  plus  en  plus  de  la 
colonne,  lennemi  ayant  été  signalé.  Celui-ci,  dissimulé  dans  un  ravin, 
et  caché  par  les  hautes  herbes,  fait  retentir  une  grande  clameur  dès  que 
les  troupes  prennent  le  contact  et  leur  envoie  une  volée  de  flèches.  wSe 
t)récipitant  alors  en  avant,  il  se  jette  sur  la  colonne,  l'entoure  et  l'attaque 
de  tous  côtés  à  la  fois.  Surpris  parce  bïusque  mouvement,  les  tirailleurs 
hésitent  un  moment;  mais  bietitôl,  encourages  par  leurs  officiers,  ils 
ré[>ondent  par  un  feu  nourri  à  l'attaque  des  Baribas.  Prenant  ensuite 
Toffensive,  ils  se  précipitent  sur  l'ennemi,  qui  s'enfuit  en  laissant  OU 
hommes  sur  le  terrain  du  combat.  De  notie  côté,  8  tirailleurs  f^taifnt 
tués  et  8  blessés. 

Le  capitaine  Vermeersch  poursuit  vivement  les  Baribas  et  traverse 
plusieurs  villages  qui  sont  tous  abandonnés,  mais  où  l'on  trouve  en 


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260  REVUE  FRANÇAISE 

abondance  des  vivres  et  du  bétail.  Quelques  Peulhs  y  restent  seuls;  ils 
apportent  des  provisions  et  les  offrent  avec  une  joie  non  dissimulée, 
mais  beaucoup  d'entre  eux  jouent  un  double  jeu,  et  après  avoir  observé 
le  passage  de  la  colonne,  reprennent  leurs  arcs  et  leurs  flèches  pour 
aller  rejoindre  Tennemi. 

Le  17,  au  matin,  la  marche  en  avant  est  reprise.  Des  Peulhs  font  coq- 
naître  que  Tennemi,  qui  avait  fui  jusqu'à  Tobré,  a  reçu  des  renforts  et 
va  renouveler  son  attaque.  Pour  parer  à  toute  surprise,  la  colonne  se 
forme  en  carré  pour  continuer  sa  marche.  Au  centre  est  placé  le  convoi, 
suivant  le  sentier  frayé  par  les  tirailleurs.  En  tête,  en  avant  du  carré 
marchent  2  sections  en  file  indienne  ;  de  chaque  côté  du  carré,  3  autres 
sections  marchent  dans  la  brousse  à  hauteur  du  convoi,  formant  les 
faces  droite  et  gauche  du  carré.  Enfin,  ^  autres  sections  ferment  la 
marche,  derrière  le  convoi  et  forment  la  face  arrière  du  carré.  Tout 
en  avant  et  sur  les  côtés,  les  cavaliers  auxiliaires  Zabermabés  explorent 
la  brousse  afin  d'empêcher  toute  surprise  et  de  donner  le  temps,  en  cas 
d'attaque,  de  former  en  ligne  les  sections  qui  encadrent  le  convoi. 

Bientôt  les  cavaliers  se  serrent  de  plus  en  plus  autour  de  la  colonne, 
n'avançant  qu'avec  une  extrême  prudence  par  crainte  d'une  embuscade. 
Les  herbes  sont  si  hautes  en  ce  moment  qu'un  homme  à  cheval  y  dis- 
paraît entièrement.  La  saison  des  pluies,  jointe  aux  précautions  inces- 
santes qu'il  faut  prendre,  rend  la  marche  des  plus  pénibles. 

Tout  à  coup,  les  cavaliers  se  rejettent  précipitamment  sur  la  culonne, 
car  le  contact  vient  d'être  pris  avec  l'ennemi  ;  les  guerriers  baribas,  tout 
couverts  de  gris-gris  qui  doivent  avoir  le  pouvoir  de  les  mettre  à  l'abri 
de  nos  balles,  se  précipitent  sur  les  tirailleurs  en  poussant  de  grands 
cris.  Leur  nombre  est  considérable,  et  en  quelques  instants,  la  colonne 
est  enveloppée  de  toutes  parts.  Le  combat  est  très  difficile,  cardes  deux 
côtés,  on  s'attaque  presque  sans  se  voir,  à  cause  de  l'épaisseur  de  la 
brousse.  Les  Baribas  couvrent  le  carré  d'une  grêle  de  flèches  et  s'appro- 
chent de  si  près  que  les  otticiers  sont  obligés  de  prendre  leur  revolver 
en  main  et  de  s'en  servir  pour  se  défendre. 

Des  deux  côtés,  le  tam-tam  bat  avec  rage,  chez  les  Baribas  et  chez 
nos  contingents  indigènes,  Des  4  faces  du  carré,  un  feu  violent  est 
dirigé  sur  les  assaillants.  Le  combat  est  très  vif,  et  à  plusieurs  reprises, 
le  capitaine  Vermeersch  est  obligé  de  porter  en  avant,  sur  les  points  les 
plus  menacés,  les  Sénégalais  du  lieutenant  Aymés,  qui  font  partout 


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HINTERLAND   DU   DAHOMEY  264 

reculer  I  ennemi.  Celui-ci,  qui  ne  voit  pas  ses  pertes,  en  raison  de 
Tépaisseurde  la  brousse,  renouvelle  ses  assauts  pendant  2  heures  consé- 
cutives. Enfin,  une  dernière  décharge  le  met  en  fuite  et  il  abandonne 
le  lieu  du  combat,  qui  est  jonché  de  morts  et  de  blessés.  La  colonne  se 
porte  alors  en  avant  et  poursuit  Tennemi  qui  s'enfuit  dans  toutes  les 
directions. 

Mais  il  faut  bientôt  arrêter  la  poursuite  car  les  munitions  font  défaut. 
D'ailleurs  Tennemi,  complètement  démoralisé,  n'est  plus  à  craindre  pour 
le  moment.  La  colonne  revient  sur  ses  pas  et  le  29  septembre  au  soir, 
rentre  à  Kouandé,.  où  elle  apprend  peu  de  jours  après  la  mort  d'Ouro- 
Ali. 

MARCHE   SUR   NIKKI 

Les  opérations  entreprises  autour  de  Kouandé  avaient  donné  le  temps 
aux  approvisionnements  envoyés  du  Dahomey  d'arriver  à  destination . 
D'autre  part,  M.  Ballot,  prévoyant  une  assez  vive  résistance  de  la  part 
des  Baribas,  dans  la  marche  qui  allait  être  entreprise  sur  Nikki,  avait 
jugé  nécessaire  de  renforcer  la  colonne  d'opération.  Une  compagnie 
d'auxiliaires  sénégalais  et  une  compagnie  d'auxiliaires  haoussas  avaient 
été  dirigées  de  Porto-Novo  sur  Parakou.  D'un  autre  côté,  le  capitaine 
Ganier,  qui  avait  été  envoyé  au  Gourma  pour  servir  de  Irait  d'union 
entre  ce  pays  et  les  postes  du  Niger,  rejoignait  le  capitaine  Vermeersch 
avec  le  médecin  de  la  marine  Bartet  et  40  tirailleurs. 

La  concentration  de  toutes  ces  troupes  devant  s*opérér  à  Parakou,  le 
capitaine  Vermeersch  laissa  le  poste  de  Koaandé  à  la  garde  du  lieutenant 
Drot  et  se  dirigea  vers  le  sud.  Le  l^**  novembre,  il  arriva  à  Parakou.  Le 
capitaine  Ganier,  se  trouvant  être  le  plus  ancien  officier,  prit  le  com- 
mandement de  la  colonne.  Le  capitaine  Vermeersch  devint  son  chef 
d'élat-major,  tout  en  gardant  les  fonctions  de  résident  des  pays  baribas. 

La  colonne  expéditionnaire,  forte  de  410  fusils,  et  divisée  en  trois 
groupes  commandés  parles  capitaines  Dumoulin,  Duhalde  et  Chambert 
quitta  Parakou  le  4  novembre,  se  dirigeant  sur  Bégourou,  où  a  lieu  un 
premier  engagement.  Partout  l'ennemi  évacue  les^villages.  La  concen- 
tration doit  se  faire  à  Chori,  où  sont  attendus  tous  les  guerriers  de  la 
région  centrale  du  Borgou.  Le  chef  Chaco-Yérouma,  de  Péréré,  la  ville 
la  plus  importante  de  la  région,  est  à  la  tète  des  Baribas.  Dan«  la  nuit 
du  Tau  8,  une  alerte  est  donnée  par  une  reconnaissance  ennemie.  La 
8,  la  colonne  se  remet  en  marche,  adoptant  la  formation  en  carré,  afin 


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WSi  REVUE  FRANÇAISE 

de  prévenir  toute  surprise  et  de  pouvoir  repousser  rapidement  toute 
attaque. 

De  son  côté,  l'ennemi  s'avançait  en  plusieurs  colonnes  parallèles  ;  la 
principale  commandée  par  Chaco-Yérouma,  suivait  le  sentier,  pendant 
que  les  autres  se  frayaient  un  passage  en  suivant  les  pistes  qui  sillon- 
naient la  brousse.  Ce  fut  entre  Guinagourou,  où  la  colonne  v«aait  de 
camper,  et  les  ruines  de  Tiraré,  que  le  choc  se  produisit. 

Les  cavaliers  zabermabès  qui  marchaient  en  éclairenrs,  se  replièrent 
précipitamment  dès  qu'ils  entendirent  le  bruit  formé  par  la  masse  de 
l'armée  ennemie,  forte  d'environ  10,000  hommes.  Au  oommanderoenl 
qui  est  donné,  les  sections  qui  se  trouvent  en  tête,  se  forment  rapide- 
ment en  ligne,  malgré  l'épaisseur  de  la  brousse,  et  ouvrent  un  feu  nourri 
sur  l'ennemi,  qui  est  arrivé  à  30  pas  de  la  colonne  sans  avoir  vu  les 
tirailleurs.  Ceux-ci  font  des  feux  de  salve,  abattant  tous  les  ennemis  qui 
se  présentent  devant  eux.  Surpris  et  complètement  désorganisés  par 
cette  fusillade,  les  Baribas  se  retirent  en  désordre,  laissant  sur  le  terrain 
un  grand  nombre  de  cavaliers  et  de  fantassins.  Le  drapeau  de  Ghaco- 
Yérouma  tombe  en  notre  pouvotr. 

Mais  ce  n'était  là  que  le  premier  acte  du  combat.  En  effet,  séparés  les 
uns  des  autres  par  une  brousse  épaisse,  les  différents  groupes  de  l'année 
ennemie  marchaient  en  avant  parallèlement,  mais  sans  se  voir.  Le 
premier  groupe,  qui  avait  donné  et  venait  d'être  mis  en  fuite  était  celui 
des  gens  de  Péréré.  Les  autres  étaient  accourus  au  feu  successivement 
et  avaient  enveloppé  le  carré  sur  toutes  ses  faces.  Mais  l'absence  com- 
plète de  cohésion  dans  l'attaque  des  Baribas  facilitait  singulièrement  la 
tâche  de  nos  tirailleurs;  aussi,  après  une  lutte  d'une  heure  et  demie, 
l'ennemi  fuyait-il  en  désordre  de  tous  côtés. 

La  colonne  se  met  alors  vivement  à  la  poursuite  des  Banbas,  traverse 
Chori,  Péréré,  Darou-Para  et  le  13  novembre,  à  9  heures  du  matin, 
fait  son  entrée  à  Nikki. 

La  ville  est  complètement  déserte,  seul  un  notable  musulman  est 
resté  pour  recevoir  tes  Français,  chargé  par  le  roi  de  négocier  sa  sou- 
mission. Siré-Torou,  le  roi  de  Nikki,  après  avoir  envoyé  tout  d'abord 
deux  de  ses  fils  pour  faire  agréer  sa  soumission,  se  présenta  en  personne 
le  19  novembre;  il  signa  alors,  avec  les  principaux  chefs  baribas,  un 
acte  constatant  sa  soumission  et  portant  annexion  de  son  royaume  au 
Dahomey. 


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CHINE  963 

Quelques  jours  apr^,  les  chefs  des  villages  voisins  suivaient  son 
exemple  et  venaient  faire  leur  soumission  complète.  Le  dernier  acte  de 
la  lutte  fut  la  destruction  de  Yj^ssikéra  et  {^tay,  ou  avaient  éié  assas'» 
sinés  les  inspecteurs  Forgetet  Carré. 

Le  capitaine  Vermeersch,  rentrant  en  France,  le  capitaine  Dumoulin 
fut  désigné  pour  le  remplacer  comme  résident  à  Nikki.  Depuis  lors, 
l'occupation  du  Borgou  a  été  complétée  (  t  le  commandant  Ricour  a  pris 
la  direction  de  tout  lo  pays  bariba,  depuis  les  confins  du  Dahomey  jus- 
qu'au Niger, 

Menée  avec  entrain  et  résolution  par  le  capitaine  Ganier  et  son  chef 

d'état-major,  le  capitaine  Vermeersch,  la  campagne  de  Nikki  a  été  le 

dernier  acte  de  la  prise  de  possession  de  Thinterland  du  Dahomey  et  a 

assuré  l'occupation  elTective  des  pays  sur  lesquels  la  France  avait  h  Atire 

valoir  ses  droits  de  souveraineté, 

Georges  Démanche. 


CHINE 

LA  PROVINCE  DU  CHAN-TOUNO 

La  prise  de  possession  du  port  de  Kiao-Tchéou  et  de  ses  environs  par 
r  Allemagne,  doit  forcément  amener  la  province  entière  du  Chan-toung, 
au  sud  de  laquelle  ils  se  trouvent,  dans  la  sphère  d'influence  allemande, 
ou  pour  employer  une  expression  allemande  Ykintet^land  de  la  nouvelle 
concession  temporaire.  |1  est  en  effet  plus  que  probable  que  le  Pach- 
gebiet  conclu  entre  TEmpire  du  Milieu  et  l'Empipe  des  Roheniollern 
finira  par  devenir  une  véritable  colonie,  drainant  ^  son  profit  toute  |i 
province,  si  elle  ne  finit  pas  môme  par  Tabsorber  tout-à-fait. 

Il  est  donc  fort  intéressant  d'étudier  la  valeur  de  cette  provinpe  du 
Chan-toung  fort  peu  connue  en  Europe. 

Ayant  eu  la  bonne  fortune  de  Thabiter  pendant  prés  de  cinq  ans, 
nous  sommes  4  même  de  donner  wx  lecteurs  4e  la  Revue  f^rançai^e 
un  résumé  des  renseigriements  que  nous  avons  déjà  publiés  iuHBxtenso 
dans  la  R&oue  ies  Questiom  Scientifiques  de  Bruxellç^  de  \^QQ  à  1893, 
en  nous  aidant  de  la  carte  que  nous  avons  dressée  dès  1876, 

BiitQire.  —  Gr^ce  à  son  histoire  et  ^  sa  position  géographique,  elle 
est  Tune  de?  plus  intéressai^tes  de  la  Chine.  Au  point  de  vue  historique. 


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264  HEVUE  FRANÇAISE 

elle  fut  le  berceau  de  la  race  chinoise.  La  dynastie  de  Tchéou  (i^  au 
111^  siècle  av.  J.-C.)  eu  est  originaire.  Elle  adonné  naissance  à Confuchts 
et  à  ses  deux  disciples  Laotzeu  et  Mengztzeu.  Au  point  de  vue  géogra- 
phique, sa  forme  péninsulaire  lui  donne  402  lieues  de  côtes,  semées  de 
baies  et  de  ports  importants,  tels  que  Tchéfou,  Weï-haï-weï  et  Kiao- 
Ichéou.  Elle  est  traversée  par  le  Fleuve  Jaune  et  le  Grand  Canal  ainsi 
que  par  deux  grandes  routes  impériales.  Enfin  Tindustrie  de  la  soie  y  a 
pris  naissance  en  780  av.  J.-C.  à  Yen-tchéou-fou.  Elle  fut  visitée  dans 
sa  partie  ouest  par  Marco-Polo,  en  1276,  et  le  missionnaire  franciscain 
Odoric  de  Pordenone  en  1320.  Elle  possède  Tun  des  sanctuaires  les  plus 
vénérés  du  Confucianisme,  la  montagne  sacrée  du  Taï-^han  et  fut  le 
berceau  de  nombreux  poètes  et  savants. 

Géographie.  —  La  population  est  estimée  à  plus  de  30  millions  ré- 
pandus sur  121,130  kilomètres  carrés.  Cette  province  est,  après  celle  du 
Tchéli,  la  plus  peuplée  de  toute  la  Chine.  Sa  partie  occidentale,  qui 
appartient  à  la  grande  plaine  formée  par  les  alluvions  du  Hoang-ho  et 
comprend  la  moitié  de  la  province,  est  considérée  à  juste  titre  comme 
Tun  des  pays  les  plus  fertiles  du  monde.  Elle  est  aussi  la  plus  cultivée, 
aussi  est-ce  là  que  Ton  trouve  le  plus  grand  nombre  de  villes  et  les  plus 
florissantes.  La  partie  orientale  est  montagneuse  et  moins  peuplée,  ayant 
moinsde  terres  cultivables;  par  contre,  elle  est  riche  en  minéraux  et 
Ton  peut  mettre  au  premier  rang  des  mines  d'or  et  de  plomb  argen- 
tifère. La  partie  centrale  comprend  trois  importants  bassins  houillers,  à 
savoir  :  Weï-hsien,  Po-chan-hsien  et  Yi-tchéou-fou,  dont  les  produits 
peuvent  rivaliser  avec  le  Cardiff,  comme  qualité,  tandis  que  l'extrême 
bon  marché  de  la  inain-d'œuvre  indigène  permettra  de  faire  au  char- 
bon anglais  et  mêmB  japonais  une  concurrence  redoutable,  quand  réta- 
blissement des  voies  ferrées,  actuellement  projetées  par  les  Allemands, 
permettra  d'apporter  à  Kiao-tchéou  les  houilles  chinoises. 

Une  petite  ligne  ferrée  en  projet  part  du  petit  port  de  Niu-kou-ko,  dans 
la  partie  orientale  de  la  baie  de  Kiao-tchéou,  passe  par  la  ville  de  ce  nom, 
puis  monte  au  N-0  par  Kiao-mi-hsien,  à  Weï-hsien,  d'où  elle  se  dirige 
à  l'ouest  en  faisant  une  courbe  vefs  le  nord,  passant  par  Tchang-lo- 
hsien,  Tyiaûg-chan-bsien  (au  sommet  de  la  courbe),  Tchang-Tchéou- 
lisien,  T^i-nan-fou,  la  capitale,  pour  aboutir  à  Tsi-ho-hsien,  sur  le 
Fleuve  jaune;  de  là  elle  descend  au  S.O  en  suivant  le  tracé  de  la 
grande  wmte  impériale,  die  passe  près  de  TaY-an-fou,  Hsin-tai-hsien  et 


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CHINE  265 

Mong-yin-hsien.  Elle  atteint  enfin  Yi-ichéou-fou  dont  les  charbons 
seront  apportés  à  Kiao-tchéou  par  une  ligne  ferrée  de  190  kilomètres 
de  développement,  passant  par  Tchii-tchéou  et  Tchii-tcheng-hsien. 

Les  charbonnages  de  Weï-hsien  seront  desservis  directement,  tandis 
que  ceux  de  Po-chan-hsien  le  seront  par  un  embranchement  de  50  kil. 
partant  du  village  de  Tchang-tien  à  13  kil.  àTestdeTchang-shan-hsien. 
La  ligne  fermant  le  triangle  entre  Yi-tchéou-fou  et  Kiao-tchéou,  bien 
que  mentionnée  dans  les  journaux  anglais,  n*est  pas  tracée  sur  la  carte 
récemment  publiée  par  Tinstitut  géographique  de  Dietrich  Reîmer  à 
Berlin.  L'ensemble  de  ces  lignes  représente  un  développement  de 
816  kilomètres  environ.  Elles  contournent  tout  le  massif  montagneux 
du  chanloung  central  sans  y  pénétrer,  ce  qui  évitera  la  construction  de 
tunnels  et  de  viaducs  importants.  Les  rivières  à  traverser  sont  d'ailleurs 
peu  considérables  et  n'ont  guère  d'eau  qu'en  été. 

La  province  possède  10  villes  principales  ou  fou,  dont  la  capitale 
Tchi-nan-fou ;  11  villes  de  second  ordre  ou  tchéou  et  96  villes  de 
3«  ordre  oxxhsien.  Plusieurs  de  ces  villes  sont  célèbres  dans  l'histoire. 
Marco-Polo  se  rendant  de  Pékin  à  Yang-tchéou  en  127G-77,  visita  Chi- 
nangli,  aujourd'hui  Tchi-nan-fou,  puis  Tadinfu,  la  Y'en-tchéou-fou 
actuelle,  où  il  trouva  «  abondance  de  soie  merveilleuse  et  des  jardins 
riches  en  fruits  de  grande  taille  »  ce  qui  qui  est  encore  vrai  de  nos 
jours,  comme  ce  qu'il  dit  de  Sinjumatu  «  une  place  riche  et  belle  avec 
un  commerce  prospère  et  une  nombreuse  population.  »  En  13^24-2r>, 
Odoric  de  Pordenone  se  rendant  en  mission  vers  le  grand  Kan  de  Tarlarie 
àCambalik  (Pékin),  la  traversa  à  son  tour  et  dit  :  «  En  cette  cité  a  plus 
grande  quantité  de  soye  que  en  nulle  part  du  monde,  car  quand  la  soie 
y  est  la  plus  chère  si  en  y  a  on  bien  plusieure  livres  pesans  pour  quatre 
gros,  on  y  trouve  grand  plante  de  biens  et  de  marchandises».  C'est  la 
Tchi-ning-tchéou  de  nos  jours  située  sur  le  Grand  Canal.  Rien  ne 
changeant  en  Chine,  tout  cela  est  encore  vrai  aujourd'hui. 

Confucius  naquit  à  Tchu-fou-hsien  où  se  trouve  encore  son  tombeau 
comme  celui  de  l'empereur  Shao-hao  (2597  av.  J.-C),  le  quatrième  de 
la  Chine.  A  Tsou-hsien  se  voit  le  tombeau  de  Mencius.  La  montagne 
sacrée  du  Taï-shan  (1545  m.  de  haut),  à  9  kilomètres  au  N.  de  Taï-an- 
fou,  est  un  lieu  de  pèlerinage  célèbre  dès  le  x\®  siècle  avant  J.-C.  Il 
s'y  trouve  une  pagode  en  fer  élevée  par  l'empereur  Shao-Kang  en  2079 
av.  J.-C  et  une  statue  de  40  pieds  de  hauteur  de  l'impératrice  Min 


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266  REVUE  FRANÇAISE 

(2146  avant  J.-C).  I^s  tumuli  recouvrant  les  restés  «les  anciens  rois  des 
tribus  autochtones  el  non  chinoises,  les  barbares  Laï,  sont  encore 
visibles  à  2  lieues  i/i  à  l'ouest  de  Tching-tchéou-fou. 

La  partie  occidentale  de  la  province  traversée  par  le  «  chagrin  de 
la  Chine  »  ou  le  «  Fléau  des  fils  de  Han  »  comme  les  Chinois  appellent 
souvent  le  Fleuve  Jaune,  a  été  constamment  dévastée  par  les  formi- 
dables inondations  de  ce  fleuvn.  La  première,  suivant  la  tradition,  re- 
monte à  3100  av.  J.-C.  Le  célèbre  empereur  Yi'i  construisit,  vers 
2205  av,  J.-C,  un  certain  nombre  de  canaux  très  étendus  pour  drainer 
le  pays,  ce  qui  n*empôcba  pas  le  Hoang-ho  de  changer  constamment  de 
Ut  allant  se  jeter  à  la  mer,  tantôt  au  sud,  tantôt  au  nord  de  la  pro- 
vincs  du  Chan-toung  et  détruisant  lo  grand  canal  en  le  rcn^plissant  de 
son  limon.  Si  chacune  de  ses  grandes  inondations  cause  la  mort  de 
millions  d'hommes  (1),  elle  n'en  enrichit  pas  moins  le  pays  tout  comme 
les  crues  régulières  du  Nil.  La  grande  plaine  formée  par  ces  alluvions 
donne  en  eflet  plusieurs  récoltes  par  an  sans  le  moindre  engrais,  H  est 
vrai,  par  contre,  que  l'entretien  constant  des  digues  ruine  le  trésor  pro- 
vincial. Conmie  on  ne  trouve  pas  une  pierre  sur  une  étendue  de  près 
de  mille  lieues  carrée»,  ces  digues  ne  peuvent  être  construites  qu'en 
terre  battue  et  en  fagots  de  tiges  de  sorgho  (le  bois  faisant  également 
défaut,  les  Chinois  ayant  détruit  depuis  longtemps  toutes  les  forêts).  Il 
en  résulte  qu'à  chaque  nouvelle  crue  importante  elles  sont  emportées 
par  le  courant  qui  atteint  plusieurs  milles  à  l'heure,  et  il  faut  chaque 
fois  réquisitionner  toute  la  population  riveraine  pour  les  relever  à 
grands  frais. 

En  1888,  plusieurs  ingénieurs  européens  (surtout  anglais)  ont  pro- 
posé au  gouvernement  chinois  d'entreprendre  l'endiguement  du  Fleuve 
Jaune,  moyennant  une  dépense  d'environ  40  millions  de  fra^ncs.  On 
refusa  leurs  services,  car  chaque  inondation  permet  aux  mandarins  de 
pressurer  le  peuple  et  de  garder  dans  leurs  poches  la  plus  grande  partie 
des  subsides.  En  1831,  le  gouvernement  n'avait  pas  dépensé  moins  de 
13  millions  de  taëls,  soit  envifon  78  millions  de  francs.  On  peut  se 
demander  combien  de  millions  furent  dilapidés.  Est-il  possible  de  ré- 
gulariser le  cours  du  Fleuve  Jaune  en  l'endiguant  et  en  le  draguant?  La 

(1)  En  1888,  le  gouvernement  accusa  dans  ses  rapports  oflBciels  la  perte  de  2,500,000 
hommes  noyés  dang  Tinondatlon  du  mois  de  novembre.  Ces  ohiffret  sont  certainement 
au-dessous  de  )a  vérité,  et  on  peut  estimer  à  3  niiUiops  le  nombre  d9i  m^ts. 


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CHINE 


367 


science  des  ingénieurs  dit  oui  ;  nous  en  doutons  un  peu.  Si  les  Alle- 
mands y  arrivent,  ils  rendront  à  Thun^anité  un  service  tel  qu'on  pourra 
les  remercier  d'avoir  mis  la  main  sur  cette  province. 

Ils  poun'aient  aussi  restaurer  le  Grand  Canal  qui  traverse  du  ]\.0. 
au  S.Ë  toute  la  partie  occidentale  de  la  province  faisant  partie  de  la 
grande  plaine  en  passant  par  les  villes  importantes  de  Te-tchéou,  Wou- 
tcheng-hsien,  Lin-tohing-tchéou,  Toung-tchang-fou,  Toung-ping-tchéou 
et  Tchi-niog-tchéou.  Soit  une  longueur  d'un  peu  plus  de  140  lieues  qui, 
ajoutées  aux  94  parcourues  dans  la  province  par  le  Hoang-ho,  donnerait 
un  total  de  205  lieues  de  voies  navigables  sur  ces  deux  grandes  artères 


commerciales.  Le  Chan  toung  ainsi  pénétré  par  les  chemins  de  fer  dans 
sa  partie  centrale,  par  le  fleuve  Jaune  et  le  Grand  Canal  à  l'ouest  et 
desservi  par  ses  ports,  sur  sa  longue  ligne  côtière  orientale,  serait  la 
province  de  Chine  la  mieux  outillée  pour  le  commerce  d'importation  et 
d'exportation.  Les  Allemands  toujours  pratiques  et  bien  renseignés  s'en 
sont  certainement  rendu  compte  quand  ils  ont  mis  la  main  sur  ce  pays. 
Mais  la  restauration  du  Grand  Canal  nous  semble  aussi  difficile  que 
Tendiguement  du  fleuve  Jaune,  étant  donné  que  celui-ci  traverse  le 
canal  et  que  son  lit  s'exhaussant  toujours  se  trouve  âiyourd'hui  à  plus 
de  16  pieds  au-dessus  du  niveau  de  celui-ci. 


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2G8  REVUE  FRANÇAISE 

Climat.  —  Bien  que  les  moussons  ne  dépassent  guère  la  côle  sud, 
leur  influence  se  fait  encore  sentir  sur  la  côte  nord.  Elles  partagent 
l'année  en  deux  saisons  bien  distinctes,  suivant  que  les  vents  soufflent 
du  S.S.E.,  ou  du  N.N.O.,  Les  premiei-s  amènent  une  chaleur  assez 
forte,  qui  monle  quelquefois  jusqu'à  40**  c,  bien  que  la  moyenne  se 
maintienne  entre  25<*  et  28**  c.  Les  vents  froids  font  par  contre  tomber 
le  thermomètre  jusqu'à  près  de  30**  au-dessous  de  zéro.  L'hiver  est 
long,  il  commence  en  octobre  pour  fmir  fin  avril.  Le  maximum  du 
froid  a  lieu  vers  février  et  le  maximum  de  chaleur  en  juillet.  On  passe 
rapidement  de  l'hiver  à  l'été  et  réciproquement,  les  saisons  intermé- 
diaires n'existant  pour  ainsi  dire  pas. 

L'isotherme  moyenne  de  la  province  est  celle  de  11*>77  c.  qui  passe 
par  Tchéfou,  Vérone,  Turin  et  Bordeaux,  bien  que  la  latitude  moyenne 
soit  celle  de  3&*30  passant  par  Guelma,  Blidah  et  Cadix.  Le  climat  est 
très  sec,  surtout  en  hiver  ;  ce  n'est  qu'en  juin  et  juillet  qu'on  observe 
quelques  pluies.  Il  nous  est  arrivé  de  passer  à  Tchéfou  neuf  et  même 
dix  mois  de  suite  sans  une  goutte  de  pluie.  On  y  compte  en  moyenne 
lo  jours  de  pluie  par  an.  La  neige  est  parfois  abondante  mais,  vu  la 
sécheresse  de  l'atmosphère,  elle  disparait  par  évaporation,  sans  presque 
mouiller  le  terrain.  Au  printemps  et  à  l'automne,  les  brouillards  sont 
fréquents  sur  les  côtes,  surtout  au  voisinage  du  cap  Chan-toung. 

I^  cause  de  l'inégale  répartition  des  pluies  et  des  sécheresses  pro- 
longées dans  la  province  est  due,  sans  doute,  au  déboisement  complet. 
On  ne  trouve  plus  au  Chan-toung  une  seule  forôl,  par  suite  les  sources 
y  sont  rares,  surtout  dans  la  plaine.  Aussi  les  famines  causées  par  la 
sécheresse  sont-elles  fréquentes.  Celle  de  1876-187"  y  fit  périr  près  de 
3  millions  d'habitants.  Le  rétablissement  des  routes  et  la  construction 
des  voies  fériées  sera  le  meilleur  moyen  de  lutter  contre  le  retour  de 
ce  fléau. 

Le  pays  est  sain,  les  maladies  épidémiques  y  sont  rares,  sauf  la  petite 
vrrole  qui  est  endémique  par  toute  la  Chine.  Les  étrangers  vivant  pro- 
prement et  à  part  des  Chinois,  en  sont  rarement  atteints.  II  en  est  de 
même  de  la  lèpre  et  du  goitre  communs  parmi  la  population  la  plus 
pauvre.  - 

Habitants,  —  Les  habitants  sont  forts  et  robustes,  sans  doute  parce 
que  le  climat  tempéré  leur  permettant  de  cultiver  le  blé,  l'orge  et  les 
autres  céréales  des  pays  du  nord,  ils  sont  mieux  nourris  que  les  popu- 


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270  REVUE  FRANÇAISE 

lations  du  sud  vivant  de  riz  et  de  poisson  et  qui  sont  anémiées  par  Jes 
chaleurs  des  tropiques,  l^s  Chautounais  sont  d'excellents  cultivateurs  el 
de  robustes  travailleurs.  Un  grand  nombre  d'entre  eux  vont  chaque 
année  faire  le  métier  de  coolies  ou  hommes  de  peine  pour  le  charge- 
ment ou  le  déchargement  des  navires  à  Tchéfou  et  à  Tientsin.  D'autres 
vont  jusque  sur  les  côtes  de  la  Sibérie  et  du  Japon  faire  la  récolte  des 
herbes  marines  comestibles  qui  constituent  un  article  dimportation 
considérable  en  Chine.  Sauf  quelques-uns  qui  s'y  sont  fixés,  tous  ren- 
trent au  pays  natal  avec  leurs  économies.  Les  classe*  supérieures  four- 
nissent un  grand  nombre  de  lettrés  et  de  mandaiins,  et  le  doyen  de 
Tacadémic  ou  des  Han-lin  (forêt  de  pinceaux)  a  souvent  été  un  lettré 
du  Chan-toung. 

Les  femmes  sont  plutôt  au-d^^ssous  de  la  taille  moyenne.  Beaucoup 
travaillent  dans  les  champs  où  nous  les  avons  vues  plus  d'une  fois 
attelées  à  la  charrue  à  côté  d'un  âne  ou  d'un  bœuf  et  cela  malgré  leurs 
pieds  déformés  par  la  pratique  des  bandages  de  compression. 

Selon  l'usage  établi,  on  ne  leur  apprend  qu'à  coudre  et  à  broder, 
à  faire  les  souliers  et  les  vêtements,  moudre  le  grain,  cultiver  la  terre  et 
vaquer  à  tous  les  soins  du  ménage.  Dans  les  classes  pauvres,  elles  sont 
toutes  illettrées.  On  n  en  trouve  pas  une  sur  mille  qui  sache  lire.  Elles 
sont  par  suite  tristes  et  abruties  comme  la  plupart  de  leurs  sœurs  dans 
toute  la  Chine.  Mariées  de  fort,  bonne  heure  et  généralement  mères  de 
nombreux  enfants,  elles  sont  rarement  jolies  et  toujours  fanées  de 
bonne  heure. 

Les  habitants  du  Chan-toung  sont  généralement  polis  et  affables, 
surtout  dans  la  campagne.  Us  sont  curieux  comme  des  enfants  et  fort 
superstitieux,  par  suite  déliants  et  souvent  vindicatifs.  Il  est  dangereux 
de  les  exciter  et  la  moindre  provocation  peut  amener  une  révolution 
fort  difficile  à  apaiser.  Comme  tous  leurs  compatriotes,  ils  sont  très, 
âpres  au  gain,  d'une  moralité  douteuse  et  d'une  patience  remarquable. 
Us  jouiraient  certainement  d'une  excellente  santé  s'ils  n'avaient  un 
mépris  par  trop  grand  de  l'hygiène  et  de  la  propreté,  car  ils  sont  extrê- 
memc'it  sobres. 

Dans  la  partie  orientale  du  Chan-toung  (à  Tong-tchéou-foii)  se  trou- 
vent des  gens  plus  belliqueux  et  moins  religieux  que  ceux  de  la  majorité 
de  la  province.  Ce  sont  les  descendants  d'immigrants  du  Houpè,  qui 
vinrent  au  nornbi-e  d'environ  200,000  s'établir  dans  le  pays  vers  la  fin 


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CfflNE  271 

de  la  dynastie  des  Yuan  (1341)  sous  la  conduite  d'un  général  nommé 
Chang-Iiang-pi. 

Religion.  —  La  plus  grande  partie  des  habitants  sont  Confucianistes, 
Boudhisles  ou  Taoïstes;  mais  on  trouve  aussi  un  bon  nombre  de  Maho- 
métans  (3  millions)  et  quelques  Juifs.  Les  disciples  de  Confucius  sont 
surtout  nombreux  dans  les  déparlements  de  Yen-tehéou-fou  et  de 
Tchi-nan-fou.  On  trouve  cependant  deux  mosquées  dans  cette  capitale 
de  la  province  et  une  autre  à  Tchi-ning-lchéou.  Les  missionnaires  catho- 
liques ont  aujourd'hui  près  de  21,000  chantounais  dans  leurs  églises  et 
chapelles  tandis  que  les  protestants  des  différentes  dénominations  comp- 
tent 7,000  adhérents. 

Les  premiers  missionnaires  qui  ont  évangélisé  la  province  furent 
sans  doute  des  jésuites.  Le  célèbre  Mathieu  Ricci  traversa  la  partie 
occidentale  de  la  province  sur  le  Grand  Canal  en  1598,  puis  en  1600, 
date  à  laquelle  il  visita  Tsi-niug-tchéou  et  y  fut  l'hôte  du  vice-roi. 

Géologie.  —  Toute  la  partie  occidentale  du  Chan-toung  située  entre 
le  golfe  du  Pçtchili,  le  massif  central  et  les  provinces  voisines  du 
Tchéli  et  du  Ho-nan,  est  formée  par  les  alluvions  du  fleuve  Jaune  et  la 
terre  jaune  de  la  grande  plaine  appelée  Loess  par  les  géologues  allemands, 
qui  lui  attribuent  une  origine  sub-aérienne.  Elle  provient  de  la  des- 
truction des  montagnes  de  la  Chine  du  nord  et  atteint  souvent  des 
épaisseurs  de  180  pieds.  Le  Loess  forme,  avec  l'alluvion  quaternaire  et 
moderne»  les  terres  de  culture  les  plus  riches  qu'on  connaisse,  puis- 
qu'elles donnent  chaque  année  3  et  4  récoltes  sans  jamais  avoir  besoin 
d'engrais.  Les  eaux  le  traversant  sans  y  séjournera  cause  de  sa  porosité, 
les  sources  y  sont  aussi  inconnues  que  les  lacs  et  marais. 

Le  centre  de  la  province  est  constitué  par  un  massif  montagneux  où 
la  plus  haute  cime,  le  Taï-chan,  atteint  l.o45  nièlres.  On  y  trouve  les 
roches  primitives  le  gneiss,  les  grès  et  calcaires  carbonifères  dont  les 
couches  sont  inclinées  sensiblement  vers  le  nord. 

La  partie  orieiitale  et  péninsulaire  est  formée  par  deux  séries  de 
soulèvement  ;  Tune  formée  de  gneiss,  de  schistes  cristallins  et  de 
granits,  l'autre  plus  récente  présente  les  grès,  calcaires  et  argiles  du 
cambrien  chinois.  Çà  et  là,  surtout  pWs  de  Teng-tchéou-fou  et  dans 
les  îles  Miao-tao,  eu  face,  on  observe  des  coulées  de  l}asaltes  et  des 
porphyres. 
Miiiéralogie*  —  Les  sables  des  torrents  du  Chin-kang-ling  (chaîne 


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272  REVUE  FRANÇAISE 

des  Diamants)  à  40  lieues  au  S.E.  de  Yi-tchéou-fou  contiennent  des  dia- 
mants. Nous  avons  récolté  de  nombreux  grenats  pyropes  dans  les  ba- 
saltes décomposés  de  Teng-tchéou-fou  et  les  schistes  micacés  de  Tchéîoo. 
Les  quartzites  du  Lao-Chan,  à  Test  de  la  baie  de  Kiao-tchéou,  renfer- 
ment du  cristal  de  roche  et  de  Faméthyste.  On  parle  aussi  de  cornalines 
près  de  Tchi-nan-fou. 

Aux  environs  de  Teng-tchéou-fou  l'amiante  est  utilisé  pour  la  fabri- 
cation de  creusets  et  de  petits  fourneaux  réfraciaires  légers  comme  du 
carton.  Près  de  Laï-tchéou-fou,  on  exploite  des  mines  de  sléatite  on 
pierre  à  savon. 

Les  argiles  de  Po-chan-hsien  servent  à  la  confection  de  poteries 
renommées  dans  tout  le  nord  de  la  Chine.  Ccst  aussi  près  de  celte  ville, 
à  Yen-tching-hsien,  que  Ton  prépare  la  matière  première  des  fameux 
émaux  cloisonnés  de  Pékin,  au  moyen  de  grès  spéciaux  dont  on  fabrique 
aussi  quantité  de  petits  objets  en  verre.  Une  montagne  de  gypse  est 
(ncore  exploitée  près  de  Tching-tchéou-fou.  Les  terres  salines  du  N.-O. 
donnent  par  Icxivialion  les  sels  de  soude  et  de  potasse  employés  dans 
Tinduslrie. 

Ainsi  que  nous  Tavons  déjà  dit  dans  une  précédente  élude  sur  Kiao- 
tchéou,  on  trouve  au  Chantoung  trois  centres  importants  pour  la  produc- 
tion de  la  houille.  Ce  sont  les  charbonnages  de  Weï-hsien,  à  l'est  du 
massif  central,  ceux  de  Po-chan-hsien,  au  centre,  cl  enfin  ceux  de 
Yi-tchéou-fou,  au  sud  de  la  province.  Tous  trois  ne  sont  exploités  que 
superficiellement  au  moyen  de  procédés  fort  rudimentaires.  Les  Chinois 
n'ayant  pas  de  pompes  d'épuisement,  sont  obligés  d'abandonner  les 
puits  dès  qu'ils  arrivent  à  la  couche  aquifère,  ce  qui  arrive  infaillible- 
ment à  une  profondeur  de  quelques  mètres.  La  houille  varie  de  qualité 
et  de  nature,  suivant  les  mines  ;  les  unes  donnent  de  l'anthracite,  les 
autres  un  charbon  bitumineux  de  première  qualité. 

Dans  la  partie  orientale  de  la  province,  presque  tous  les  torrents 
charrient  de  l'or.  On  ne  l'a  encore  trouvé  dans  la  roche  qu'à  Ping-tou- 
tchéou,  à  13  lieues  au  N.  de  Kiao-tchéou.  Jusqu'ici*,  le  gouvernement 
n'a  autorisé  la  recherche  du  métal  précieux  qu'en  cet  endroit,  et  seule- 
mement  par  une  compagnie  chinoise  qui  fit  bientôt  banqueroute  é 
cause  de  la  mauvaise  administration  des  directeurs. 

L'argent  ne  se  trouve  au  Chan-toung  que  combiné  au  plomb  dans  la 
galène  argentifère  dont  on  a  trouvé  un  gisement  non  loin  de  Tchéfou. 


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CHINE  273 

Il  n'est  d'ailleurs  pas  plus  exploité  que  ceux  qui  existent  près  de  Tchi- 
nan-fou. 

Le  cuivre  paraît  inconnu,  bien  que  les  Chinois  en  signalent  Texistence 
en  plusieurs  endroits.  Quant  au  fer  il  se  trouve,  paraît-  il,  en  un  grand 
nombre  d'endroits,  et  nous  en  avons  trouvé,  aux  environs  de  Tchéfou  et 
de  Tchi-nan-fou,  sous  forme  d'oxyde  magnétique  et  de  fer  spéculaire. 

Les  livres  chinois  parlent  encore  du  mercure  et  du  soufre,  mais  nous 
n'avons  pu  en  constater  l'existence. 

Végétaux  et  cultures.  —  Les  forêts  ont  complètement  disparu  dans 
celte  partie  de  la  Chine,  mais  on  trouve  des  bouquets  d'arbres  dans  les 
villages  et  surtout  dans  les  cimetières  où  ils  sont  protégés  par  le  respect 
religieux.  Les  principales  essences  cultivées  au  Chantoung  sont  le  pin 
chinois,  le  chêne  à  feuilles  de  châtidgnier,  le  chêne  de  Mongolie,  trois 
espèces  de  peupliers,  beaucoup  de  saules  et  de  cyprès.  Le  mûrier  à  »oie 
et  le  mûrier  à  papier,  le  sophora  du  Japon  et  plusieurs  variétés  d'aca- 
cias, puis  l'ailanle  du  Japon  qui,  comme  le  chêne,  noumt  un  ver  à 
soie.  On  trouve  encore  l'acajou  chinois  Cedrela  sinmsis  et  le  Sterculia 
à  feuilles  de  platane  dont  on  fabrique  des  instruments  de  musique. 

Les  arbres  fruitiers  sont  nombreux  et  les  poires  de  Lai-Yang-hsien 
sont  exportées  dans  toute  la  Chine,  comme  les  châtaignes,  les  pommes, 
les  noix,  les  jujubes  et  les  kakis,  à  l'état  frais  ou  à  l'état  sec.  L'abri- 
cotier, le  pécher  et  le  pininier  donnent  de  bons  fruits  dont  les  amandes, 
douces  ou  amères,  sont  aussi  exportées  en  quantité  par  le  port  de 
Tchéfou.  La  vigne  fournit  plusieurs  variétés  d'excellent  raisin,  mais  la 
fabrication  du  vin  est  inconnue  des  Chinois  depuis  qu'un  décret  impé- 
rial Ta  prohibée.  Le  thé  ne  poussant  point  dans  la  province,  on  y  boit 
du  vin  de  riz  et  de  millet,  ainsi  qu'une  sorte  de  bière  et  de  l'alcool 
retiré  de  ces  grains  et  du  blé  fermenté. 

Le  riz^  ne  pousse  que  dans  la  partie  la  plus  méridionale.  Les 
Chantonnais  cultivent  partout  le  froment,  l'orge,  le  sorgho  et  le  petit 
millet,  ainsi  que  le  maïs.  La  paille  de  blé  sert  à  fabriquer  des  tresses 
exportées  en  immense  quantité  jusqu'en  Angleterre,  sous  le  nom  de 
Strawbraid. 

Après  les  céréales,  les  plantes  économiques  les  plus  cultivées  sont  les 
légumineuses,  fèves  et  féverolles,  et  parmi  elles  le  fameux  Dolichos  soya 
qui  fournit  de  l'huile  et  une  sauce  fermenlée  dite  Soye.  L'arachide,  cul- 
W\ée  dans  tous  les  terrains  sablonneux,  donne  une  excellente  huile 

XXIII  (Mai  98).  N-  233.  18 


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274  REVUE  FRANÇAISE 

comestible  qui  sert  souvent,  en  Europe,  à  falsifier  l'huile  d'olive.  Uoe 
phaséole  donne  un  petit  pois  vert  dont  la  farine  sert  à  fabriquer  un 
vermiœlle  dur  et  transparent  qui  forme  un  important  article  d'expor- 
tation. 

Les  plantes  textiles  cultivées  sont  le  coton  et  le  chanvre.  De  très 
bonnes  teintures  sont  fournies  par  Torcanette,  le  carUiame,  l'indigotier, 
le  tournesol,  une  rhamnée  et  les  graines  de  sophora.  U  n'existe  pas  de 
prairies  naturelles  ou  artificielles  ;  aussi  le  bétail  est-il  nourri  avec  de 
la  paille  hachée  ou  avec  de  la  luzerne. 

Les  plantes  médicinales  sont  extrêmement  nombreuses  et  donneot 
lieu  à  un  grand  commerce  d'exportation  ;  les  plus  importantes  sont  la 
réglisse,  le  faux  ginseng,  la  rhubarbe  et  le  pavot  à  opium  que  Ton  ren- 
contre assez  fréquemment,  bien  que  la  culture  en  soit  prohibée. 

Les  Chantonnais  sont  passés  maîtres  dans  la  culture  maraîchère.  Les 
choux  du  Chantoung,  dits  Paï-tsaî,  sont  connus  dans  toute  la  Chine  et 
Ton  trouve  dans  les  jardins  une  variété  infinie  de  (dantes  potagères: 
navels,  radis  énormes  genre  Daïkon,  épinards,  concombres,  melons  et 
pastèques.  Les  racines  du  lotus  sont  employées  dans  l'alimentation, 
unsi  que  les  ignames  et  les  patates  douces,  de  même  que  les  rhyzonDes 
de  Caladium,  des  crosnes  et  les  jeunes  pousses  de  bambou.  Les  jardi- 
niers cultivent  en  serre  et  en  pleine  terre  des  quantités  d'arbustes  à 
tleurs  odorantes  ou  gracieuses.  Les  plus  à  la  mode  sont  les  camélias, 
les  pêchers  et  pruniers,  les  chrysanthèmes,  les  gardénias  et  le  jasmin 
du  (Ap. 

La  flore  des  champs  est  très  riche  et  il  serait  trop  long  d'énumérer 
toutes  les  fleurs  sauvages  qui  ornent  les  montagnes  au  printemps, 
citons  seulement  les  anémones,  les  tulipes,  les  lis  rouges  et  jaunes,  les 
campanules  et  les  œillets. 

Faune,  —  La  faune  n'est  pas  moins  riche  que  la  flore.  Parmi  les 
principaux  animaux,  il  faut  citer  le  sanglier,  le  loup,  le  chien  sauvage 
et  le  renard,  l^uis  viennent  les  loutres  et  putois.  Le  lapin  n'existe  pas, 
il  est  remplacé  par  le  lièvre  chinois.  Les  écureuirs  sont  communs,  ainsi 
que  de  nombreuses  variétés  de  petits  rongeurs,  rats  et  hamsters.  Notre 
souris  ne  semble  pas  y  être  connue. 

Sur  les  côtes,  on  trouve  des  phoques  de  plusieurs  variétéa. 

Les  animaux  domestiques  sont  :  le  petit  cheval  importé  de  la  Mon- 
golie, le  poney  du  Sze-tchouen,  les  chevaux  du  Chan-toung;  les  ânes 


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CHINE  275 

et  les  mulets;  ces  derniers  sont  renommés  pour  leur  force  et  leur  rus- 
ticité. Les  chameaux  sont  communs  dans  Touest  et  le  centre,  ils  appaf- 
tieoneat  à  Tespèce  à  double  bosse  dite  de  bactriane. 

Les  chèvres  sont  plus  communes  que  les  moutons  qui  sont  importés 
du  nord,  et  qui  appartiennent  à  la  race  à  grosse  queue.  Les  porcs  sont 
de  la  race  dite  tonkinoise.  Xîuant  aux  chiens,  41s  sont  à  demi  sauvages, 
on  en  trouve  cependant  dans  toutes  les  maisons  où  les  chats,  emblème 
de  la  pauvreté,  sont  plus  rares. 

I.es  boeufs  sont  de  petite  taille  et  ne  servent  qu'au  labouiuge.  Dans 
la  partie  sud  on  trouve  aussi  le  buiQe. 

Les'  oiseaux  domestiques  sont  représentés  par  les  canards,  les  oies, 
les  poulets  et  les  pigeons.  Quant  aux  oiseaux  sauvages  on  en  compte 
det  centaines  d*espèces  parmi  lesquelles  se  distinguent  surtout  les  oi- 
seaux aquatiques.  Beaucoup  sont  revêtus  du  plus  brillant  plumage. 
Grâce  à  la  dialeur  de  Tété,  il  en  vient  jusque  des  tropiques,  tandis  que 
les  grands  froids  de  Thiver  amènent  au  Chan-toung  les  hôtes  emplumés 
de  la  Sibérie.  Cependant  sur  les  204  espèces  que  nous  avons  reconnues 
dans  la  province,  44,  soit'  plus  d'un  cinquième  sont  indigènes. 

Les  poissons  présentent  une  variété  un  peu  moins  grande  que  les 
oiseaux  ;  nous  en  avons  trmivé  une  cinquantaine  d'espèces,  presque 
toutes  péchées  et  mangées  par  tes  Chinois.  La  plupart  sont  communes 
aux  mers  d'Asie  et  Ton  compte  parmi  eux  fort  peu  d'espèces  euro- 
péennes. La  truite  et  le  saumon  sont  inconnus  au  Cban-toung  où  les 
eaux  sont,  sans  doute,  trop  bourbeuses.  On  y  trouve  par  contre  le  silure, 
le  cyprin  doré,  la  carpe  et  le  grand  esturgeon. 

Ia  classe  des  insectes  est  largement  représentée,  et  Ton  élève  pour 
ieur  soie  plusieurs  espèces  de  bombyx  ou  d'attacus  vivant  sur  le  mû- 
rier, le  chêne  et  Tailante  et  fournissant  les  fameux  pongées  ou  soies 
écrues  du  nord  de  la  Chine  que  Ton  exporte  de  Tchéfou  en  quantités 
importantes.  Les  Abeilles  sont  aussi  élevées  pour  leur  miel.  Les  insectes 
nuisibles  sont  représentés  entre  autres  par  les  scorpions  et  les  scolopen- 
dres ou  mille  pattes.  Les  moustiques  sont  rares  et  la  punaise  des  lits 
également;  par  contre  les  habitants,  vu  leur  malpropreté  sont  trop 
souvent  couverts  de  puces,  poux  et  autres  parasites  humains.  Un  petit 
ooecus  vivant  sur  le  frêne  fournit  la  fameuse  cire  d'insectes  dite  Pei-la. 

Parmi  les  mollusques  marins,  les  huîtres  sont  fameuses^  les  rivières 
nourrissent  de  grands  moules  perlières. 


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276  liEVUE  FRANÇAISE 

Depuis  que  cet  article  a  été  écrit,  les  Anglais  se  sont  assurés  de  la 
possession  du  port  de  Weï-haï-weï  non  loin  de  Tchéfou,  qui  a  été  décrit 
autrefois  dans  cette  Revue.  C'est  une  position  de  première  importance 
qui  leur  permettra  de  lutter  d'influence  contre  TAiiemagne  moins  bien 
postée  à  Kiao-tchéou  et  la  Russie  admirablement  installée  à  Port-Arthur 
et  à  Ta-lien-ouane.  L'Angleterre  prendra  possession  temporaire  de  Wei- 
haï-weï  vers  le  mois  de  mai,  quand  les  Japonais,  ayant  reçu  le  dernier 
acompte  de  Tindemnité  de  guerre  chinoise,  se  retireront  définitivement 
du  territoire  de  l'Empire  du  Milieu.  Naturellement  rien  n'étant  stable 
coiiinie  le  provisoire,  les  fameux  baux  temporaires  russes,  allemands  et 
anglais  deviendront  des  occupations  définitives  et  le  partage  de  la 
Chine  peut-être  considéré  d'ore  et  déjà  comme  commencé. 

Que  va  obtenir  la  France?  Elle  arrive  bonne  dernière  et  Ton  parle 
d'un  port  à  charbon  à  Kwan-tchéou  en  face  Haïoan;  d'une  concession 
pour  dépôt  de  charbon  à  rentrée  de  la  rivière  de  Fou-lchéou  de  cou- 
cessions  diverses  dans  le  Yunnan,  Kouang-sî  et  Kouangtong. 

En  tout  cas,  on  négocie  toujours,  tandis  que  l'Allemagne  agit  et  en- 
fonce le  coin  dans  le  bois  vermoulu  en  faisant  recevoir  officiellement 
le  prince  Henri  au  Palais  d'Été  à  la  table  môme  de  l'Empereur  contrai- 
rement à  l'étiquette  multiséculaire  et  jusqu'ici  intangible  des  Fils  du 
Ciel.  L'Angleterre  rugit,  mais  elle  agit  elle  aussi,  après  la  Russie  qui 
manœuvre  sans  bruit  et  avec  succès. 

A.-A.  Fauvel, 
Ancien  officier  de  Douanes  chinoises  au  Chan-toung, 


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LE  PREMIER  PARTAGE  DE  LA  CHINE 

(Suilejii). 

Le  i)arUige  de  la  Chine  continue  avec  une  régularité  presque  mathé- 
matique et  une  docilité  que  Ton  aurait  jamais  pu  supposer  chez 
les  Chinois.  Nous  avons  vu  que  l'Allemagne,  TAngleterre  et  la  Russie 
avaient  obtenu  du  Tsung  li  Yamen  des  concessions  de  diverses  natures. 

L'Allemagne,  la  cession  à  l>ail  pour  99  ans  de  la  baie  de  Kiao-Tchéou 
et  des  concessions  de  chemins  de  fer  et  de  mines  dans  la  province  de 
Chantoung  ; 

L'Angleterre,  la  promesse  de  non-aliénation  d'aucune  partie  de  la 
vallée  du  Yang-Tsé,  le  maintien  d'un  Anglais  à  la  tète  de  la  direction 
générale  des  douanes,  Touverture  de  tous  les  cours  d'eau  et  de  3  ports 
au  commerce  européen,  la  concession  (de  concert  avec  une  banque  alle- 
mande) d'un  emprunt  de  400  millions  de  francs  ; 

La  Russie,  la  cession  à  bail  fK)ur  25  ans  de  Port-Arthur  et  de  Talien- 
Wan  et  le  droit  de  raccorder  ces  ports  par  un  chemin  de  fer  au  trans- 
roandchourien. 

Cet  important  succès  de  la  Russie,  s'installant  à  l'entrée  du  golfe  du 
Petchili  avait  vivement  surexcité  l'opinion  publique  en  Angleterre.  I^ 
gouvernement  britannique,  qui  avait  toujours  déclaré  jusqu'alors  que  sa 
politique  n'était  pas  une  politique  d'annexion,  mais  une  politique  de 
pofie  ouverte  en  Chine,  se  trouvait  dans  l'alternative  de  ne  pas  donner 
satisfaction  à  l'opinion  publique  ou  d'agir  d'une  façon  contraire  à  ses 
déclarations.  Son  hésitation  ne  fut  pas  longue,  les  principes,  chez  nos 
voisins  d'Outre- Manche,  fléchissant  toujours  rapidement  devant  les  inté- 
rêts. En  compensation  de  la  cession  de  Port- Arthur —  car  c'est  toujours 
à  titre  de  compensation  qu'une  demande  est  adressée  à  la  Chine  — 
l'Angleterre  exigea  l'occupation  d'un  point  stratégique  etjeta  son  dévolu 
sur  Weï-Haï-Weï. 

A  la  séance  de  la  Chambre  des  communes  du  5  avril.  M.  Balfour, 
chaîné  de  l'intérim  du  Foreign  Office  en  l'absence  de  lord  Salisbury, 
a  fait  connaître  le  résultat  des  négociations  avec  la  Chine.  Lorsque  le 
gouvernement  anglais  apprit  que  la  Russie  négociait  pour  l'acquisition 
de  Port- Arthur,  il  proposa  à  cette  puissance  de  s'abstenir  de  cette  ac- 

(1)  Voir  la  Rev.  Fr.,  avril  1898  p.  2il. 


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278  REVUE  FRANÇAISE 

quisiliod,  s'engageant  de  son  côté  à  ne  prendre  possession  d'aucun  port 
dans  le  golfe  de  Petchili.  La  Russie  déclina  cette  proposition.  Le  cabinet 
britannique  informa  alors  la  Russie  qu'il  se  considérait  comme  libre  de 
prendre  des  mesures  pour  la  protection  des  intérêts  anglais.  Il  demanda 
en  même  temps  à  la  Chine  de  lui  céder  à  bail  le  port  de  Weï-Haï-Wei 
dans  les  mêmes  conditions  que  Port-Arthur  était  cédé  à  la  Russie.  La 
Chine  ne  put  faire  autrement  que  de  consentir  à  cette  demande  et  céda 
Weï-Haï- Weï  dont  l'Angleterre  prendra  possession  lorsque  le  Japon,  qui 
occupe  cette  place  jusqu'au  paiement  intégral  de  l'indemnité  chinoise, 
aura  procédé  à  son  évacuation.  Il  faut  ajouter  que  le  gouvernement  du 
Mikado,  pressenti  par  l'Angleterre,  avait  donné  son  adhésion  à  cette 
combinaison,  en  échange,  sans  doute,  d'autres  avantages. 

H  reste  maintenant  à  savoir  quand  le  Japon  évacuera  Weï-Haï- Weï, 
car  si  l'indemnité  due  par  la  Chine  peut  être  payée,  après  l'emprunt 
qu'elle  vient  de  contracter,  en  une  seule  fois  et  à  bref  délai,  elle  peut 
aussi  n'être  réglée  que  par  versements  partiels,  dont  le  dernier,  d'après 
le  traité  de  Simonoseki,  peut  être  retardé  jusqu'en  1002. 

C'est  certainement  en  vue  de  faire  pièce  à  la  Russie  que  l'Angleterre 
a  jeté  son  choix  sur  Weï-Haï- Weï.  Cette  place,  située  presque  en  face  de 
Port-Arthur,  commande  la  partie  sud  de  l'entrée  du  golfe  du  Petchili, 
comme  Port- Arthur  en  commande  la  partie  nord.  Assiégée  par  les  Japo- 
nais pendant  la  dernière  guerre,  elle  fit  une  vigoureuse  résistance  avec 
l'appui  de  la  flotte  chinoise.  Cette  dernière  dut  cependant  se  rendre 
lorsque  les  Japonais,  qui  avaient  attaqué  la  place  par  terre  pour  en 
prendre  à  revers  les  défenses,  l'eurent  mise  entre  deux  feux.  L'île  qui 
commande  l'entrée  du  port  est  bien  fortifiée  et  en  mesure  de  résister  à 
toutes  les  attaques  si  elle  est  appuyée  par  les  batteries  de  terre. 

Au  point  de  vue  stratégique,  les  Anglais  ont  donc  eu  la  main  heu- 
reuse en  se  faisant  céder  Waï-Haï- Weï.  Mais  cette  place  demandera  des 
travaux  de  réfection  considérables  (les  batteries  de  terre  ayant  é4é 
détruites)  et  la  présence  d'une  nombreuse  garnison  en  raison  de  Fim- 
porlance  des  ouvrages  à  défendre.  En  outre,  elle  ne  vaut  pas  Port- 
Arthur. 

A  un  autre  point  de  vue  il  faut  remarquer  que  Weï-Haï- Weï  se  trouve 
à  peu  de  distance  de  Kiao-Tchéou  et  dans  cette  même  province  de 
Chantoung  où  l'Allemagne  a  acquis  des  droits  privil^és  et  qu'elle 
considère  comme  rentrant  dans  sa  sphère  d'influence.  Bien  que  M.  Bal- 


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LE   PREMIER   PARTAGE   DE   LA   CHINE  279 

four  ait  déclaré  que  «  les  intérêts  anglais  étaient  identiques  aux  inté- 
rêts allemands  et  que  l'Angleterre  travaillait  avec  TAllemagne  la  main 
dans  la  main,  dans  un  but  commefcial  général  »  —  ce  qui  a  quelque 
peu  surpris  les  Allemands  —  un  conflit  est  toujours  possible. 

Le  cession  de  Weï-Haï-Weï  n'aurait  cependant  pas  satisfait  entière- 
ment TAngleterre  et  on  assure  que  les  négociations  se  poursuivent  en 
vue  de  la  cession  des  îles  Chusaîn,  près  de  Tembouchure  du  Yang-Tsé, 
ou  d'un  territoire  sur  le  continent  en  face  de  Hong-Kong.  Ce  n'était 
vraiment  pas  la  peine  de  faire  entendre  bien  haut  que  la  politique  an- 
glaise n'avait  pas  pour  but  des  ambitions  territoriales  et  le  démembre- 
ment de  la  Chine,  pour  en  arriver  à  un  pareil  résultat.  Il  est  vrai  que 
certains  journaux  prétendent  que  c'est  une  façon  de  soutenir  le  gouver- 
nement de  Pékin  contre  des  influences  rivales.  Le  Daily  Graphie  a 
même  l'air  de  développer  sérieusement  cette  thèse  qu'en  prenant  Weï- 
Haï-Weï  «  le  gouvernement  de  la  reine  donne  une  expression  pratique 
de  son  attachement  au  principe  de  l'indépendance  chinoise  »  l 

L'Allemagne,  la  Russie,  l'Angleterre  une  fois  satisfaites,  le  gouver- 
nement  de  Pékin  a  bien  voulu  donner  son  adhésion  aux  demandes  de 
la  France,  qui  arrive  bonne  dernière,  n'ayant  pas  employé  vis-à-vis  du 
Tsung  li  Yamen,  les  procédés  expéditifs  et  comminatoires  des  autres 
puissances.  Aussi  le  gouvernement  chinois,  qui  est  devenu  d'une  bonne 
composition  vraiment  extraordinaire,  remerciait-il  en  quelque  sorte  la 
France  de  ses  bons  procédés.  Dans  le  télégramme  par  lequel  il  annon- 
çait, dans  les  premiers  jours  d'avril,  son  adhésion  aux  propositions 
françaises,  il  ajoutait  :  «  Nous  espérons  que  votre  Excellence  nous  saura 
gré  d'avoir  mis  toute  notre  bonne  volonté  dans  les  négociations  et  de 
la  diligence  avec  laquelle  nous  en  avons  hâté  la  conclusion.  Votre 
Excellence  pourra  déclarer  au  gouvernement  français  que  la  France  a 
obtenu  toutes  ses  demandes  par  des  négociations  amicales,  sans  qu'elle 
ait  eu  â  user  de  démonstrations  navales  ni  d'ultimatum.  »  On  ne  saurait 
être  plus  accommodant  ! 

On  se  rappelle  que  la  France,  en  vue  de  maintenir  l'équilibre  entre 
les  diverses  puissances  en  Extrême-Orient  avait  demandé  à  la  Chine  : 
l**  la  non-cession  à  une  autre  puissance  des  provinces  chinoises  limi- 
trophes du  Tonkin  :  Yunnan,  Kouang-Si,  Kouang-Toung  ;  2<*  La  con- 
cession d'un  chemin  de  fer  du  Tonkin  à  Yunnan  Fou  ;  3^  La  nomination 
d'un  Français  à  la  direction  des  postes  chinoises;  4®  La  cession  à  bail 


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280  REVUE  FRANÇAISE 

d'une  baie  sur  les  côtes  méridionales  de  la  Chine,  qui  est  la  baie  de 
Kouang  Tchéou. 

La  Chine  a  fait  droit  à  toutes  ces  demandes.  Déjà  par  un  arrangement 
antérieur  —  du  12  juin  1897  —  elle  avait  pris  rengagement,  envers  la 
France,  de  ne  pas  céder  à  d'autres  puissances  l'île  d'Haïnan,  qui  ferme, 
du  côté  de  la  Chine,  le  golfe  du  Tonkin.  C'est  là  un  réel  succès  pour 
notre  diplomatie,  suivant  de  près  les  avantages  remportés  par  les  autres 
puissances. 

Par  l'inaliénabilité  des  provinces  chinoises  voisines  du  Tonkin,  la 
France  entoure  cette  colonie  d'un  rideau  protecteur,  qui  forme,  en 
quelque  sorte,  un  véritable  tampon.  Par  la  concession  du  chemin  de  fer 
de  Yunnan,  qui  se  raccordera  avec  celui  de  Langson,  elle  s'assure  de 
la  pénétration  commerciale  au  Kouangsi  et  au  Yunnan  et  peut  attirer 
par  là,  dans  la  vallée  du  fleuve  Rouge,  le  transit  commercial  de  cette 
partie  de  la  Chine.  Par  la  cession  de  la  baie  de  Kouang  Tchéou,  dans 
la  presqu'île  de  Lei  Tchéou,  elle  s'assure  la  possession  d'un  abri  silr 
et  d'un  centre  de  ravitaillement  pour  sa  flotte  ainsi  que  d'un  poste  d'ob- 
servation important  à  l'entrée  des  mers  de  Chine  (1).  Située  dans  la 
presqu'île  de  Lei  Tchéou  et  séparée  seulement  par  un  détroit  de  l'île 
d'Haïnan,  la  baie  de  Kouang  Tchéou  se  trouve  à  proximité  du  golfe  du 
Tonkin  dont  elle  garde  l'entréedu  côté  de  l'Orient.  Elle  est,  en  quelque 
sorie,  la  clef  du  détroit  et  assure  à  la  France  la  suprématie  dans  les  eaux 
du  golfe  du  Tonkin.  La  valeur  de  cette  position  est  encore  accrue  par 
son  voisinage  de  Tîle  d'Haïnan,  qui  rentre  dans  la  sphère  dlnfluence 
de  la  France. 

Il  y  a  seulement  lieu  de  regretter  que  le  gouvernement  français  n'ait 
pas  demandé  à  la  Chine  la  cession  d'un  port  quelconque  de  cette  île, 
deux  fois  grande  comme  la  Sardaigne,  afin  de  bien  établir  sa.  volonté  de 
ne  pas  laisser  s'y  constituer  une  influence  autre  que  celle  de  la  France. 
La  chose  eût  été  d'autant  plus  facile  que  le  gouvernement  de  Pékin  ne 
sait  rien  refuser  aujourd'hui  à  ceux  qui  lui  demandent  un  morceau  de 
territoire  et  qu'il  a  mis  une  bonne  grâce  particulière  à  accéder  aux  de- 
siderata de  la  France. 

Nous  avons  déjà  signalé  la  mauvaise  humeur  témoignée  par  les  jour- 
naux anglais  lorsque  ceux-ci  apprirent  que  la  France  allait  tout  bonne- 

(1)  Voir  page  312  la  description  de  la  baie  de  Kouang  Tchéou. 


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LE    PREMIER   PARTACÎE   DE   LA    CHINE 


281 


ment  imiter  en  Chine  la  ligne  de  conduite  de  T Angleterre.  Lorsqu'il 
apprit  que  la  France  demandait  la  cession  d'une  baie  dans  la  Chine 


CHINE 


Wr^^ 


méridionale,  le  Times,  par  habitude  sans  doute,  ne  nous  ménagea  pas 
sa  désapprobation.  «  Cette  nouvelle,  disait-il,  semble  si  étonnante  que 


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282  REVUE  FBANÇAISE 

nous  hésitons  à  y  ajouter  foi,  ayant  plus  ample  confirmation.  En  effet, 
toutes  les  puissances  commerciales  intéressées  dans  le  commerce  avec 
la  Chine,  verraient  d'un  très  mauvais  œil  que  la  France  agît  ainsi  et  ne 
manqueraient  pas  de  faire  de  très  sérieuses  représentations ...»  Cest 
toujours  la  mise  en  avant  de  cette  théorie  que  ce  qui  est  permis  à  l'An- 
gleterre est  défendu  à  la  France. 

Cependant,  rassuré  par  la  modération  des  prétentions  françaises,  le 
Times  —  rendons-lui  cette  justice,  et  d'autant  plus  volontiers  que  l'occa- 
sion en  est  plus  rare  —  voulut  bien  se  montrer  plus  équitable  dans  ses 
appréciations.  «  Kouang  Tchéou,  dit-il  ultérieurement,  est  situé  dans 
une  sphère  où  la  France  a  déjà  des  intérêts  considérables  et  nous  ne  vou- 
lons pas  nous  opposer  aux  demandes  légitimes  de  la  France,  mais  il  ne 
faut  pas  qu'elle  imite  la  Russie  et  prenne  notre  consentement  pour  pré- 
texte à  des  demandes  exorbitantes.  »  Le  Times  peut  être  tranquille  :  ja- 
mais l'ambition  de  la  France  n'arrivera  à  la  hauteur  de  celle  de  l'An- 
gleterre, qui  vient  de  se  réserver  un  morceau  de  mattre  dans  le  gâteau 
chinois. 

Bien  que  l'on  prête  à  l'Angleterre  l'intention  d'occuper  encore  quelque 
position  stratégique,  on  peut  considérer  aujourd'hui  le  premier  partage 
de  la  Chine  comme  accompli.  Ce  n'est  pas  que  les  positions  effective- 
ment occupées  aient  enlevé  à  la  Chine  un  territoire  important.  Non, 
car  ces  positions  ne  sont  toutes  que  des  points  stratégiques  d'étendue 
très  restreinte.  Mais  ce  qui  est  beaucoup  plus  grave  pour  l'avenir,  c'est 
l'indication  que  chaque  nation  a  faite  de  la  zone  dans  laquelle  elle  en- 
tend faire  prédominer  son  influence.  Sous  ce  rapport,  il  y  a  eu  une 
réelle  attribution  de  la  Chine. 

I\os  voisins  d'outre-Rhin  ont  été  les  premiers,  dans  cette  occasion,  à 
prendre  part  à  la  curée.  Bs  n'ont  pas,  il  est  vrai,  stipulé  que  le  Chan- 
toung  où  se  trouve  Kiao  Tchéou,  serait  inaliénable.  Mais  les  privilèges 
qu'ils  ont  obtenus  sous  le  rapport  des  mines,  chemins  de  fer,  etc.,  leur 
assure  une  situation  prépondérante  et  Ton  peut  dire  que  la  province  de 
Chantoung  est  placée  dans  leur  sphère  d'influence.  Par  ses  richesses 
naturelles,  sa  population  de  30  millions  d'habitants,  sa  position  stra- 
tégique à  l'entrée  du  Petchili,  le  Chantoung  est  un  morceau  de  choix. 

Mais  ce  n'est  rien  à  côté  de  la  part  que  l'Angleterre  s'est  réservée  :  la 
vallée  du  Yang-Tsé,  la  région  la  plus  peuplée  de  la  Chine  (  environ  SOO 
millions  d'habitants),  la  plus  riche,  la  plus  fertile  et  la  plus  industrieuse. 


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LE    PREMIER   PARTAGE    DE    LA    CHINE  283 

Il  se  passera  du  lemps  avant  que  les  Anglais  aient  pënélré  dans  cet  im- 
mense bassin,  qu'ils  ont  placé,  en  quelque  sorte,  dans  leur  sphère  d'in- 
fluence. Mais  quand  ils  auront  fini  par  initier  à  tous  les  secrets  de  Tin- 
dustrie  européenne  cette  race  intelligente,  souple,  travailleuse  et  presque 
sans  besoins  qui  peuple  Tempire  du  Milieu,  ils  se  trouveront  en  présence 
d'une  concurrence  commerciale  des  plus  redoutables.  Car  II  ne  faut 
pas  Toublier,  ce  n'est  pas  par  les  armes,  mais  par  la  concurrence  à  bon 
marché  que  le  Chinois  sera  redoutable  un  jour. 

Nous  avons  vu  que  la  part  de  la  France  était  plus  modeste  et  que  sa 
sphère  d'influence  se  bornait  aux  provinces  limitrophes  du  Tonkin. 
Celle  du  Yunnan  appartient,  il  est  vrai,  mais  pour  une  petite  partie, 
au  bassin  du  Yang-Tsé  et  les  Anglais  ne  manquent  pas  de  revendiquer 
cette  portion  dé  teTritoire.  Il  n'y  a  vraiment  pas  là  matière  à  contes- 
tation. 

Quant  à  la  Russie,  sa  sphère  d'influence  directe  est  naturellement  in- 
diquée par  les  travaux  du  chemin  de  fer  transsibérien  traversant  la 
Mandchourie  et  devant  se  rattacher  d'un  côté  à  Vladivostok  et  de  l'autre 
à  Port-Arthur,  par  Bedouna.  Ici,  l'absorption  sera  plus  prompte.  L'exé- 
cution des  travaux  amène  un  nombreux  personnel  russe,  avec  des 
troupes  de  protection,  des  escortes  de  Cosaques,  etc.  Aussi  la  Mand- 
chourie est-elle  considérée  par  tous  comme  devant  être,  à  un  jour  assez 
proche,  rattachée  à  l'empire  des  tsars. 

De  tous  les  intéressés  dans  les  affaires  d'Extrême-Orient,  un  seul  pays 
s'est  ténu  sur  la  réserve.  Le  Japon,  en  effet,  le  récent  vainqueur  du 
Céleste  empire,  n'a  pas  eu  sa  part  des  dépouilles  et  n'a  même  pas  tendu 
la  main.  Il  y  a  là  de  quoi  surprendre.  Mais  peut-être  un  accord  secret 
a-t-il  fkit  la  part  de  ceux  dont  le  silence  paraît  être,  à  première  vue, 
une  véritable  énigme. 

A.    MONTELT.. 

P.-S.  —  D'après  un  télégramme  de  Pékin,  26  avril,  le  Japon  a  ob- 
tenu de  la  Chine  que  la  province  de  Fo  Kien,  située  en  face  de  Formose 
ne  serait  jamais  cédée  à  une  puissance  étrangère.  C'est  donc  la  région 
de  Fou  Tchéou  que  le  Japon  a  choisi  comme  rentrant  dans  sa  sphère 
d'influence.  Il  ne  reste  donc  plus  guère  que  la  Mongolie  avec  Pékin,  le 
Tibet  et  le  Turkestan  chinois  dont  le  Céleste  empire  puisse  disposer. 


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LA   DÉCADENCE 

DE    NOTRE 

SERVICE    POSTAL  DE  L'ATLANTIQUE 

Si  la  Chambre  des  députés,  arrivée  au  terme  de  son  mandai,  a  cru 
devoir  donner  raison  aux  vieux  errements  liés  à  de  puissants  intérêts 
privés,  défendus  avec  une  énergie  digne  d'une  meilleure  cause,  par 
MM.  Brindeau  et  Charles  Roux,  on  doit  lui  savoir  gré  d'avoir  su  con- 
sacrer les  trois  séances  des  24,  25  et  29  mars  à  écouter  les  discours  si 
remarquables  et  si  documentés  de  MM.  Louis  Pichon,  Viviani  et  Char- 
ruyer. 

Dans  son  rapport  sur  le  budget  du  ministère  du  commerce,  conçu  à 
un  point  de  vue  général,  M.  Charles  Roux  s'exprimait  bien  ainsi  :  «  Nous 
laissons  à  notre  barbe  les  ports  de  Hambourg,  d'Anvers,  de  Rotterdam, 
de  Brème,  au  fond  de  leurs  ancrages  souvent  inaccessibles,  obstrués 
fréquemment  par  les  glaces,  reculés  dans  des  mers  périlleuses,  con- 
currencer Bordeaux,  Nantes,  Brest,  Cherbourg,  le  Havre,  Dunkerque, 
Bayonne,  Cette,  Marseille,-toutes  ces  portes  ouvertes  sur  l'Océan  et  la 
Méditerranée  par  tous  les  temps  et  dans  toutes  les  saisons.  » 

Pourquoi  le  distingué  député  de  Marseille  a-t-il  omis  dans  cette  énu- 
mération,  le  port  de  Saint-Malo,  déjà  en  l'état  actuel,  autrement  impor- 
tant que  Brest,  Cherboui^  et  Bayonne,  et  dont  un  appontement  facile  à 
établir,  en  eau  profonde  sous  la  cité  de  Saint-Servan,  pourrait  refaire, 
du  jour  au  lendemain,  le  premier  port  de  commerce  et  de  trafic  postal 
de  la  France,  à  proximité  de  l'Atlantique?  Si  dans  son  discours  du 
29  mars,  M.  Charles  Roux  a  pu  dire  au  sujet  de  Brest  —  ce  qui  n'est 
d'ailleurs  pas  un  argument  au  point  de  vue  du  trafic  postal,  tel  que  le 
comprennent  et  le  pratiquent  nos  concurrents  étrangers:  «  Comme 
port  de  guerre,  Brest  nous  a  rendu  déjà  d'éminents  services  et  nous  en 
rendra  certainement  encore  ;  mais,  comme  centre  commercial  il  n'existe 
pas,  et  il  est  bien  difficile.  Messieurs,  de  créer  du  jour  au  lendemain 
un  centre  commercial.  Il  faut  des  siècles.  »  Saint-Malo  et  la  rade  de  la 
Rance  sont  restés  un  centre  commercial  latent,  auquel  la  nature  et  la 
géographie  ont  assuré  une  supériorité  sur  le  Havre,  dont  l'évidence 
se  serait  imposée  à  un  peuple  moins  détaché  que  les  Français,  de  la 
grande  lutte  pour  la  production  de  la  richesse.  Alors  que,  sous  prétexte 


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DÉCADENCK  1)K  NOTIIK  SKIlVia:  POSTAL  1)K  L'ATLANTIOUE     :>85 

de  débarquer  ou  d'embarquer,  à  proximité  de  Paris,  les  passagers 
d'Amérique,  ou  a  enfoui  des  centaines  de  millions  dans  les  sibles 
mouvants  de  Testuaire  de  la  Seine,  sans  arriver  à  doter  les  abords  des 
bassins  factices  du  Havre,  de  la  profondeur  nécessaire,  et  de  Taccessi- 
bililé  à  toute  heure  et  en  tout  état  de  marée,  il  suffirait  de  savoir 
dépenser  intelligemment  et  pratiquement  trois  ou  quatre  millions  sous 
Saint-Servan,  ou  entrent  et  évitent  les  plus  gros  cuirassés  d'escadre,  pour 
mettre  en  valeur,  au  point  de  vue  du  grand  traiic,  la  rade  profonde,  à 
proximité  de  l'Atlantique,  qui  se  prêterait  le  mieux  ù  la  distribution  et 
à  la  concentration  des  passagers  et  des  dépêches  sur  le  continent. 

Au  point  de  vue  de  la  logique  du  débat  transatlautique  à  la  Chambre, 
le  discours  de  M.  Viviani,  du  29  mars,  montrant  la  décadence  de  la 
ligne  postale  française,  tombée  depuis  le  contrat  de  1883  au  septième 
rang  entre  ses  concurrentes,  aurait  dû  précéder  le  discours  prononcé 
par  M.  l-iouis  Pichon,  à  la  séance  du  2o,  pour  exposer  les  conditions 
indispensables  du  relèvement  de  notre  service  postai.  Le  parti  pris  bien 
arrêté  de  la  majorité  du  Palais-Bourbon  de  conserver  quand  même 
au  Havre  le  bénéfice  de  la  tête  de  ligne  du  service  postal  de  l'Atlan- 
lique-Nord,  devait  dispenser  le  rapporteur  de  la  commission  du  budget 
elle  ministre  du  commerce,  d'engager  la  discussion  sur  le  terrain  où 
lesavaientconviés  les  adversaires  du  projet  du  gouvernement,  substituant 
arbitrairement  le  combat  de  gré  à  gré  au  principe  légal  de  l'adjudication 
ouverte. 

Si  M.  Viviani  a  su  réfuter  avec  beaucoup  de  talent  et  de  netteté  les 
aliments,  en  contradiction  avec  toutes  les  idées  reçues  dans  les  milieux 
maritimes,  auxquels  M.  Charles  Roux  et  le  ministredu  commerce  se  sont 
raccrochés,  pour  tenter  d'expliquer  ce  maintien  de  la  tête  de  ligne  de 
notre  service  postal  au  Havre,  équivalant  à  une  abdication  définitive 
devant  nos  concurrents,  le  jeune  député  de  la  Seine  aurait  peut-être  pu 
exposer  d'une  façon  un  peu  plus  synthétique,  ces  causes  de  la  déca- 
dence du  commerce  maritime  de  la  France,  parmi  lesquelles  une  con- 
ception officielle  autant  qu'erronée  du  fonctionnement  des  grandes 
lignes  postales  joue  un  rôle  considérable. 

Dans  une  brochure  des  plus  intéressantes  sur  la  marine  marchande, 
publiée,  il  y  a  peu  de  temps,  par  M.  Roger  Lambelin,  et  lors  des  dis- 
cussions du  dernier  congrès  de  la  «  Loire  navigable  »,  on  s'est  chargé 
d'indiquer  à  M.  Charles  Roux,  l'une  des  causes  principales  pour  les- 


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m  REVUE  FRANÇAISE 

quelles  nous  décimons,  alors  que  les  AUemauds  progressent  tous  les 
jours,  en  nous  concurrençant  à  notre  barbe,  avec  nos  propres  ports. 
Aussi  bien  que  les  Belges  et  les  Hollandais,  les  Allemands  ont  compris 
que  les  transports  à  bas  prix  devaient  se  faire  avec  les  fleuves  et  les 
canaux  :  ces  voies  qui  marchent,  et  ils  ont  su  développer  leur  iiystème 
de  communications  intérieures  par  eau,  de  façon  à  amener  directeoml 
le  fret  aux  convoyeurs  de  mer  dans  des  ports  comme  Hambourg  et  Brème. 
A  la  place  des  Français,  les  Allemands  auraient  créé  Paris  port  de  mer,  et 
entretenir  Nantes,  au  lieu  de  chercher  à  développer,  au  bénéfice  exclusif 
des  grandes  compagnies  de  chemins  de  fer,  des  ports  de  tonnage  aussi 
excentriques  que  le  Havre  et  Saint^Nazaire.  Par  contre,  le  jour  où»  la 
lutte  des  vitesses  s'est  dessinée  enire  les  grandes  compagnies  de  paque- 
bots-postes de  FAtlantique-Nord,  ces  mêmes  Allemands  —  qui  sont 
d'ailleurs  venus  exploiter  pour  leur  compte,  les  avantages  de  la  situation 
géographique  dé  Cherbourg  —  se  seraient  empressés  de  lâcher  le  Havre 
pour  chercher  en  baie  de  la  Rance,  ou  en  rade  de  Brest,  les  ports  du 
littoral  permettant  de  réduire  à  leur  minimum,  les  voyages  de  mer,  avec 
les  risques  et  les  inconvénients  qu'ils  comportent. 

Par  exemple,  M.  Viviani  a  admirablement  réfuté  l'argument  fonda- 
mental de  MM.  Brindeau,  Charles  Koux  et  Boucher,  en  faveur  du 
maintien  du  Havre  comme  seul  port  d'attache  du  service  postal  de 
TAtlantique-Nord  :  «  Et  si  la  Compagnie  Transatlantique  insiste,  si  die 
prétend  qu'elle  ne  peut  pas  mettre  les  marchandises  sur  ses  navires, 
comme  nous  n'avons  pas  int^êt  en  passant  un  contrat  avec  elle  à  lui 
faire  perdre  cet  élément  de  trafic,  je  demande  si  nous  ne  pourrions  pas 
laisser  à  cette  compagnie,  le  soin  de  dédoubler  ses  services,  d'appliquer 
cette  idée  familière  à  M.  Dupuy  de  Lôme  qui  était,  j'imagine,  un  homme 
compétent  et  qui  a  toujours  demandé  qu'on  laissât  les  compagnies  libres 
d'avoir  deux  sortes  de  navires,  d'abord  des  navires  de  2S  nœuds,  uni- 
quement réservés  aux  voyageurs,  et  des  navires  de  12  à  13  nodudfi,  uni- 
quement destinés  au  transport  des  marchandises.  » 

Bien  que,  ainsi  que  l'a  rappelé  M.  Charruyerà  la  séance  du  24mai^, 
d'après  les  dispositions  de  la  Igi  du  Id  mars  1895,  pendant  un  certain 
nombre  d'années  encore,  le  seul  port  du  Havre  absorbera,  au  plus  grand 
détriment  de  tous  les  autres,  la  presque  totalité  des  crédits  ouvris  au 
ministère  des  travaux  publics,  il  semble  démontré  que,  jamais  on  ae 
pourra  utiliser  commodément  et  pratiquement  dans  ce  port  des  types 


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DÉCADENCE  DE  NOTUE  SERVICE  POSTAL  DE  LATLANTIQUE     287 

steamers  analogues  aux  paquebots  monstres  que  les  grandes  compagnies 
concurrentes  mettent  en  exploitation  sur  leurs  lignes,  entre  TAmérique 
elles  ports  du  continent  ou  du  Royaume  Uni  à  proximité  de  l'Atlan- 
tique, où  les  passagers,  les  sacs  de  dépèches  et  les  colis  postaux  viennent 
de  plus  en  plus,  chercher  les  traversées  de  mer  les  plus  rapides,  en 
délaissant  Liverpool  aussi  bien  que  le  Havre. 

Pendant  les  dix  ans  que  la  convention  postale  ratifiée  par  la  Chambre 
va  retenir  au  Havre,  en  dehors  du  mouvement  des  passagers  et  des 
dépêches,  notre  ligne  indigène  subventionnée,  tout  porte  à  croire  que  le 
trafic  rapide  entre  l'Europe  continentale  et  le  Nord-Amérique,  s'établira 
par  les  grands  ports  bretons  qui  sont  encore  plus  rapprochés  de  l'Atlan- 
tique que  la  rade  de  Cherbourç  et  qui  se  prêtent  mieux  pour  organiser 
rembarquement  et  le  débarquement  à  quai.  Mais  dans  cette  course  à  la 
vitesse  qui  semble  devoir  s'accélérer  jrfutôt  que  se  ralentir  —  quoiqu'en 
pense  M.  Charles  Roux,  —  qui  sait  si  Tesprit  d'entreprise  des  Anglo- 
Saxons,  des  Ecossais  et  des  Irlandais  ne  viendra  pas  disputer  la  clien- 
tèle du  continent  à  nos  ports  voisins  de  l'Atlantique,  en  amenant,  par 
les  tunnels  futurs  sous  le  Pas-de-Calais  et  sous  le  détroit  entre  l'Ecosse 
et  le  nord-irlandais,  les  trains  éclairs  d'Europe  jusqu'à  Londonderry- 
Moville.  d'où  une  ligne  rapide  sur  Halifax,  réaliserait  un  gain  de 
i.OOO  milles  marins,  sur  les  traversées  actuelles  entre  nos  ports  de 
l'Atlantique  et  New- York.  Voilà  déjà  un  an  que  la  Chambre  de  com- 
merce de  Belfast  a  entamé  sérieusement  l'élude  d'un  projet  d'établis- 
sement de  communication  sous-marine  entre  l'Ecosse  et  l'Irlande,  et, 
pour  qui  connaît  la  persévérance  et  la  force  de  volonté  de  cette  grande 
communauté  de  l'Ulster,  il  ne  peut  y  avoir  de  doute  qu'elle  réussira  à 
triompher  de  tous  les  obstacles.  Ce  sont  d'ailleurs  les  chantiers  de  Bel- 
fast qui  vont  mettre  prochainement  à  l'eau  pour  la  White-Siar  S.^S  C« 
le  nouvel  «  Oceanic  »,  ce  steamer  de  210  mètres,  plus  grand  que  le 
«  Great  Eastern  »,  qui  construit  par  le  Righthon.  H.  Pirrie,  Téminent 
successeur  du  grand  architecte  naval  Sir  William  Harland,  enlèvera 
sans  doute  à  la  Norddeutscher  Uoydy  la  suprématie  du  tonnage  et  de 
la  vitesse  qu'elle  avait  momentanément  conquise  avec  son  «  Kaiser 
Wilhem  der  Grosse.  » 

Et  pendant  que  les  compagnies  concurrentes  renforceront  leurs  flottes 
avec  des  nouve»ix  navires  de  ce  type,  notre  service  postal  immobilisé 
au  Havre,  pourra^  à  peine  conserver  le  septième  rang,  auquel  la  pré-* 


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288  REVUE  FRANÇAISE 

pondérance  des  intérêts  particuliers  sur  l'intérêt  national  et  une  fausse 
conœption  des  lois  du  trafic  maritime  l'ont  laissé  descendre. 

En  1900,  quand  l'attraction  spéciale  de  V Exposition  du  Génie  Celtique 
à  Rennes  pour  les  nations  qui  doivent  y  participer,  induira  les  Gallois, 
les  Ecossais,  les  Irlandais,  les  Celtes  du  Nouveau-Monde  et  deTAustra- 
lie  à  passer  par  la  Bretagne,  pour  se  rendre  à  l'Exposition  de  Paris,  ou 
en  revenant,  ce  seront  des  compagnies  étrangères  qui  bénéBcieront  de 
ce  mouvement  par  les  ports  bretons,  tandis  que  la  ligne  postale  fran- 
çaise du  Havre,  continuera  à  transporter  les  passagers  de  cabine  que  les 
lignes  concurrentes  se  verront  obligées  de  refuser. 

IjONKL    RADIGUtT. 


LE    DEVELOPPEMENT    DES    ETATS-UNIS 

Sous  ce  titre,  le  Scottish  Geographicat  Magasine  An  mois  d'avril  publie 
un  intéressant  travail  de  démographie  et  de  statistique  dû  à  M.  Henri 
Garnell  du  département  de  l'inspection  archéologique  aux  États-Unis, 
dont  l'analyse  intéressera  sans  doute  les  lecteurs  de  fa  Revue  Française, 

Partant  du  lendemain  de  la  paix  qui  mit  fin  à  la  guerre  de  rindéi)en- 
dance  entre  les  colonies  de  la  Nouvelle  Angleterre  et  la  mère  patrie, 
M.  H.  Garnett  nous  montre  les  États-Unis  d'Amérique  délimités,  en 
l'î90,  par  le  Mississipi,  parle  Canada  et  par  l'Atlantique,  passant  d'une 
superficie  initiale  de  900,000  milles  carrés,  à  un  domaine  territorial 
de  3,600,000  milles  carrés,  par  les  acquisitions  et  annexions  successives 
de  la  Louisiane,  en  1803;  de  TOrégon;  des  Florides,  en  1821  ;  du  Texas, 
en  1847;  de  la  Californie,  du  Nevada,  de  l'Utah,  de  TArizona,  du  Colo- 
rado, du  Nouveau  Mexique,  puis  en  dernier  lieu  de  l'Alaska,  acheté  à  la 
Russie  en  1867. 

Comme  système  orographique,  deux  grandes  arêtes  :  la  Cordillère 
à  l'ouest,  la  chaîne  des  Apalaches  à  l'ouest,  avec  trois  vallées. 

Quel  a  été  le  développement  de  la  population  parallèlement  à  celui 
de  l'habitat  de  la  nation  américaine  ? 

Le  premier  recensement  officiel  aux  États-Unis  en  1790,  accuse  une 
population  de  3,900,000  habitants  occupant  surtout  la  bande  étroite  du 
littoral  atlantique  du  Maine  à  la  Géorgie  etc'estàpeine  si  la  pénétration 
vers  l'ouest  avait  atteint  le  pied  des  monts  Apalaches,  avec  trois  ou 


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LI-:    I)ÉVKL(M»I»KAII:M   DKS   ÉTATS-LMS  289 

quali*e  centres  de  colonisation  dans  cette  région  alors  lointaine.  Depuis 
1790,  le  développement  de  la  population  a  été  phénoménal,  elle  s'est 
multipliée  seize  fois  et,  pendant  le  siècle  qui  s*est  écoulé  la  proportion 
de  l'accroissement  a  varié  de  230/0  à  26  0/0  par  décade.  La  proportion 
initiale  de  cinq  habitants  par  mille  carré  —  tombée  à  quatre  en  1810 
par  suite  de  l'acquisition  de  la  Louisiane  —  atteignait  dix-sept  au  mille 
carré  en  1890.  La  population  des  différents  états  en  1890  variait  de 
6,000,000  pour  celui  de  New^York  à  45,000  pour  celui  du  Nevada  et  la 
densité  de  la  population  de  318  par  mille  carré  dans  le  Rhode-Island 
à  moins  de  1/2  dans  le  Nevada. 

En  ce  qui  concerne  les  sexes,  en  raison  surtout  de  Timmigration  de- 
puis 1830,  les  mâles  se  sont  trouvés  en  plus  grand  nombre,  surtout 
dans  l'ouest.  Le  nombre  des  têtes  par  foyer  a  diminué  de  o,So'"^*  per- 
sonnes à  4,99'®°'**  aujourd'hui,  où  les  familles  les  moins  nombreuses  ont 
jHHir  habitat  les  états  du  nord-ouest,  le  New-Hampshire  spécialement. 

Quelles  sont  les  différentes  races  qui  ont  contribué  à  former  cette  po- 
pulation des  États-Unis  qui  atteignait  en  1890  le  chiffre  de  63,000,000 
d'habitants  ? 

Comme  première  distinction  essentielle  au  point  de  vue  de  la  for- 
mation ethnique  du  peuple  américain,  il  y  a  celle  entre  la  race  blanche 
et  la  race  africaine  avec  les  métis  qui  s'y  rattachent.  En  1790,  la  pro- 
portion était  de  3,172,000  blancs  pour  737,208  nègres,  tandis  qu'en 
1890  elle  est  devenue  de  34,938,890  blancs  pour  7,i70,040  noirs. 

D'où  sont  venus  les  éléments  d'immigration  qui,  depuis  un  demi- 
siècle,  ont  considérablement  contribué  à  l'accroissement  de  la  population 
des  États-Unis? 

Les  quinze  millions  et  plus  d'Européens  qui,  durant  cette  période  ont 
émigré  aux  États-Unis,  peuvent  se  répartir  de  la  fagon  suivante  en 
tant  que  provenance  :  6,230,000  originaires  du  Royaume-Uni  dont 
3,500,000  Irlandais;  4,300,000 /MIeraands:  1,000,000  de  Scandinaves: 
400,000  Austro-Hongrois  et  autant  d'Italiens,  etc.,  etc.  Donc,  dans 
l'immigration  totale,  le  Royaume  Uni  et  l'Allemagne  viennent  en  tête 
avec  les  proportions  de  40  et  30  0  0. 

Lors  du  recensement  de  183i),  la  population  des  lltats-Unis  comptait 
20,9i7,274  personnes  nées  en  Amérique  et  2,244,602  immigrés,  tandis 
quen  1890  la  proportion  était  de  33,372,703  personnes  nées  en  Amé- 
rique et  de  9,249,3i7  immigrés. 

xxiii  (Mai  98).  N^  233.  19 


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îv 


^^  i90  REVUE  FRANÇAISE 

¥  11  n'existe  pas  d'Église  d'État  dans  la  grande  république,  où  les  ca- 

p  Iholiques  romains,  les  méthodistes  et  les  baptistes  forment  les  commu- 

^  nautés  confessionnelles  les  plus  imj)ortanles,  comptant  chacune  ud 

I  '  *  sixième  de  l'ensemble  de  la  population. 

f:  Les  illettrés  au-dessus  de  dix  ans  d'âge  sont  dans  les  proportions  de 

I  8,7  0/0  de  lensemble  de  la  population,  de  12  0/0  chez  les  immigrants 

et  de  70  0/0  parmi  la  jiopulalion  de  couleur, 

Quelles  sont  les  professions,  les  productions,  les  industries  et  les 
exportations  des  Etats-Unis? 
Comme  valeur  nette,  c'est  l'industrie  de  transformation,  représen- 
i  tant  quatre  milliards  de  dollars,  qui  marche  en  tête  des  éléments  de 

.  richesse  des  Etats-Unis,  avant  l'agriculture,  les  industries  de  transport 
et  les  mines. 

Au  point  de  vue  aj^ricole,  le  nombre  des  exploitations  ou  fermes  qui 
atteignait  1,500,000  en  1850,  avait  tripl<:'  en  1890,  tandis  que  la  super- 
f^  ficie  des  terres  cultivées  augmentait  pendant  la  même  période  de 

113,000,000  acres  à  358,000,000  acres,  et  la  proportion  des  terres  cul- 
[  livées atteignait  le  cinquième  du  territoire  de  l'Union. 

Le  capital  engagé  dans  les  différentes  industries  est  monté  do 
:)33,000,0OO  de  dollars  en  18S0  à  6  milliards  et  demi  de  dollars  en 
1890  avec  Itis  augmentations  correspondantes  de  957,000  à  4,712,000 
pour  les  personnes  employées  et  de  237,000,000  à  2  milliards  de  dollars 
pour  les  salaires  payés, 
f^  La  valeur  totale  des  produits  du  sous-sol  des  Etats-Unis  a  été  en  1896 

-  de  662,000,000  de  dollars  se  répartissant  entre  la  houille,  le  minoiû 

de  fer,  le  pétrole,  l'argent,  le  cuivre,  le  plomb,  etc.,  etc. 
l  Au  point  de  vue  des  échanges  intérieurs,  en  plus  d'un  immense  sys- 

\..  lème  de  voies  navigables,  les  Etats-Unis  disposent  de  réseaux  ferrés 

[-  couvrant  180,000  milles  et  le  commerce  du  transport  atteignait  eo  1890 

l'  un  déplacement  de  808,000,000  de  tonnes. 

^  Le  commerce  extérieur  des  Etats-Unis  est  encore  à  l'heure  actoelte 

p  insignifiant  (juand  on  le  compare  à  l'immense  mouvement  des  affaires 

^  intérieures.  La  moitié  des  exportations  et  les  deux  tiers  des  importa- 

tions passent  par  New- York. 

La  richesse  d*  s  Etats-Unis,  estimée  à  7  milliards,  de  dollars  en  18o0, 
représentait  en  1890  63  milliards  de  dollars. 

L.  R. 


e* 


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FLOTTES  ESPAdNOLE  ET  AMÉRICAINE 

• 

La  guerre  qui  vieal  d'éclaler  entrai  l'Espagne  et  les  Étals-Unis,  — 
i(uerre  qui  a  pour  cause  la  violente  envie  qu'ont  les  Américains  de 
(iiettre  la  main  sur  Cuba,  la  «  Perle  des  AntilFes  w,  —  met  aux  prises 
deux  gnindes  nations  ayant  une  marine  importante.  A  l'actif  des  Amé- 
ricains, il  faut  placer  une  énorme  supériorité  de  population  (70  millions 
contre  17), de  ressources  naturelles,  industrielles,  et  surtout,  en  énorme 
abondance,  l'argent,  ce  nerf  de  la  guerre.  C'est  là  le  côté  faible  de 
l'Espagne,  dont  les  finances  ont  presque  toujours  été  en  mauvais  état 
et  dont  les  ressources  sont  limitées.  Mais  les  Espagnols  ont  une  armée 
solide,  disciplinée,  aguerrie  par  trois  aimées  de  guerre  civile  à  Cuba  et 
prèle  à  tous  les  sacrifices.  Par  contre,  l'armée  des  États-Unis  n'existe 
qu'à  l'état  d'embryon  (2o.()00  hommes  en  temps  de  paix)  et  les  levées 
d'hommes  qui  se  font  aétuellement  ne  pourront,  avant  longtemps,  lui 
donner  un  autre  caractère  que  celui  d'une  milice  armée.  Sous  ce  rap- 
port, l'armée  espagnole  de  Cuba  lui  est  incontestablement  supérieure. 

Les  deux  pays  en  guerre  n'ayant  point  de  frontières  terrestres  limi- 
trophes, c'est  sur  mer  que  se  décidera  le  sort  de  la  lutte.  Maîtresse  de  la 
raer,  la  flotte  espagnole  pourra  ruiner  le  commerce  américain  et  ravi- 
tailler sans  cesse  Cuba  en  hommes  et  en  approvisionnements.  Rien 
alors  ne  pourra  faire  prévoir  la  fin  de  la  lutte.  Si,  au  contraire,  la 
flotte  américaine  l'emporte  d'une  façon  décisive,  la  perte  dé  Cuba 
est  certaine,  mais  pourra  toutefois  se  faire  encore  longtemps  attendre. 
Depuis  la  victoire  des  Autrichiens  à  Lissa  (1866),  aucune  bataille 
navale  n'a  été  livrée,  à  l'exception  de  celle  du  Yalou  pendant  la 
p:uerre  sino  japonaise.  C'est  donc  avec  un  vif  intérêt  que  Ton  suivra 
la  lutte  du  canon,  de  la  cuirasse  et  de  la  torpille  entre  deux  flottes 
munies  de  tous  les  perfectionnements  modernes. 

La  flotte  espagnole  pèche  sous  le  rapport  des  gros  cuirassés,  mais  elle 
possède  un  beau  groupe  de  croiseurs  cuirassés  qui,  par  leur  grande 
vitesse,  sont  en  mesure  de  refuser  le  combat  en  cas  d'infériorité.  Les 
croiseurs  ordinaires  sont  en  nombre  insuffisant  et  d'une  valeur  relative. 
Par  contre,  le  groupe  des  contre-torpilleurs,  composé  de  navires  neufs 
et  à  très  grande  vitesse  (6  filent  de  28  à  30  nœuds)  rendra  sans  douter 
de  grands  services  pour  la  coursiî  des  navires  ennemis  et  pour  forcei-  le 


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2'>2  REVUE  FRANÇAISE 

l>l(xus  établi  à  Cuba.  Les  Américaius  n'ont  point  de  bâtiments  de  ce 
^eure.  Les  torpilleurs  sont  peu  nombreux. 

La  Hotte  des  Élats-Unis  se  compose  de  navires  très  modernes,  rUnion 
ayant  procédé,  depuis  peu  d'années  seulement,  à  la  reconstitution  de 
sa  flotte.  Les  cuirassés  ont  un  puissant  armement  et  une  forte  protec- 
tion, mais  présentent  dlassez  graves  défauts  en  raison  de  la  hâte  avec 
laquelle  ils  ont  été  construits  et  de  Tinexpérience  des  chantiers  amé- 
ricains qui  n'en  avaient  pas  encore  eu  à  exécuter.  Ses  croiseurs  cui- 
rassés sont  peu  nombreux ,  mais  ses  croi.  eurs  corsaires  réalisent  de 
belles  vitesses.  Ils  sont,  par  coutrc,  faiblement  armés  et  font  une 
énorme  consommation  de  charbon .  Les  Américains  ne  sont  que  faible- 
ment représentés  en  torpilleurs. 

Au  point  de  vue  du  matériel,  l'avantage  est  du  côté  des  Étals-lnis. 
II  n'en  est  pas  de  même  au  point  de  vue  du  personnel.  Les  Espagnols 
so^it  d'excellents  marins,  présentant  des  qualités  de  résistance  et  d'endu- 
rance à  toute  épreuve.  Leur  marine  compte  2i  officiers  généraux,  870 
officiers  de  tout  gr.ide  et  14.000  sous-officicrs  et  matelots,  auxquelles  il 
faut  ajouter  7.000  soldats  d'infanterie  de  marine  et  1.500  d'ailillerie. 
En  outre,  l'inscription  maritime  donne  une  réserve  de  16.000  hommes. 

La  marine  des  États-Unis  compte  18  offliciers  généraux,  703  officiers 
de  tout  grade  et  12.000  matelots.  Les  équipages  se  recrutent  par  enga- 
gements volontaires.  Les  États-Unis  n'ont  ni  inscrij)tion  maritime,  iii 
réserve. 

Voici  quelle  est  la  composition  des  doux  flottes,  en  défalquant  les 
non-valeurs  : 

Espagne.  —  3  cuirassés,  5  croiseurs  cuirassés,  10  croiseurs,  7  canon- 
nières-torpilleurs, 18  contre-torpilleurs,  14  torpilleurs,  1  sous-marin. 

États-Unis.  —  5  cuirassés,  6  garde-côtes  cuirassés,  2  croiseurs  cui- 
rassés, 17  croiseurs,  18  torpilleurs,  3  sous  marins. 

Examinons  maintenant  la  composition  de  la  flotte  espagnole  : 

3  cuirassés:  Pelayo,  ^umancia,   Viltoria. 

Le  Pdayo  —  9.900  tonneaux  et  16  nœuds,  —  construit  à  la  Seyne  et 
lancé  en  1887,  vient  d'être  transformé  et  muni  d'une  artillerie  à  tir 
rapide  et  abritée.  Son  armement  comprend  4  canons  de  gros  calibre, 
10  de  moyen  et  18  de  petit  calibre.  C'est  un  l)on  bâtiment. 

La  Numancia  et  la  Vittoria  sont  deux  vieilles  frégates  cuirassées  de 
7.300  t.  remontant  à  1863  et  1869.  Ces  bâtiments  viennent  d'être  refon- 


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^UM 


LES  FLOTTES  ESPAGNOLE  ET  AMÉRICAINE  ^293 

dus  à  la  Seyne  et  pourvus  d'un  armement  moderne  ;  mais  ils  ne  filent 
que  10  à  11  nœuds.  Leur  caractéristique  est  un  cuirassement  total, 
variant  de  11  à  14  centimètres  dans  toutes  leurs  œuvres  mortes. 

5  croiseurs  cuirassés:  Carlos  F.  Cristobal-Colo/iy  Almirante-Oquendo, 
Infante- Maria-Teresa,  Vizcaya. 

Ces  trois  derniers,  d'un  type  unique  de  7.000 1.,  13,000  ch.  et  20  n., 
sont  armés  de  2  canons  de  27  centimètres,  10  de  14  c,  sans  compler 
rartillerie  de  petit  calibre.  Ils  possèdent  une  ceinture  blindée  et  un  pont 
cuirassé.  Trois  navires  semblables,  Principe  de  Asturias,  C.-Cisneros, 
C^iialuHa,  sont  en  construclion. 

Le  C. -Colon  —  6.840 1.,  1  i.OOOchev.,  20  n.,  —  acheté  en  1897  à  l'Italie. 
ej4  armé  de  2  canons  de  23  centimètres,  8  de  lo  centimètres  à  tir  rapide 
et  26  pièces  de  petit  calibre,  loutcs  protégées  par  des  masques.  C'est  un 
des  medleurs  bâtiments  de  la  flotte  espagnole.  Deux  croiseurs  sembla- 
bles sont  en  construction  à  Gènes. 

Le  Carlos  F—  9.235  t.,  1«.500  ch.  et  20  n.  —  a  un  pont  cuirassé 
et  une  ceinture  blindée  de  30  centimètres  ne  protégeant  que  la  partie 
centrale  du  navire.  Son  artillerie  comprend  2  pièces  de  28  c,  10  de  14 
à  tir  rapide,  4  de  12  et  10  de  pelit  calibre.  C'est  le  plus  moderne  et  le 
plus  important  de  la  flotte. 

Ces  cinq  navires  forment  avec  le  Pelayo  une  bonne  escadre  de  haute 
mer. 

10  croiseurs.  —  Les  deux  plus  rapides  sont  :  VAlfonso  XIII —  5.000 1. 
et  20  n.  —  et  le  Lepanto  —  4.300  t.  et  20  n.  Les  autres  sont  de  faible 
tonnage  et  de  vitesse  insuflisante  :  A/fonso  XII,  3.090  t.,  17  n.  ;  Aragon, 
CasiiUa,  Savarra.  3.340  t.,  14  n.  ;  Heina- Mercedes,  3,020  t.,  20  n. 
A  ces  derniers.  Il  faut  ajouter  3  [)etits  croiseurs  protégés  :  Marqv^s  de 
la  Emenada,  Isla  de  Cuba.  Isla  de  Luzon,  de  1 .050  t.  et  d'une  vitesse 
ne  dépassant  pas  16  n. 

7  canonnières-torpilleurs,  presque  sans  protection,  dont  l'une,  Terne- 
rario,  file  20  n.  et  les  autres  18. 

18  contre-torpilleurs  ou  «  destroyers  »  d'un  tonnage  variant  de  380 
à  Soi)  t.  et  d'une  vitesse  de  18  à  30  n.  VAiidnz.  ÏOsado,  le  Pluton,  et 
la  Proserp^na,  filent  30  n.  :  le  Furor  et  le  Terror,  28.  Les  autres  ne 
dépassent  pas  22  n.  1/2. 

14  torpilleurs  dont  quelques-uns  sont  déjà  vieux  et  dont  aucun  no 
dépafse  20  nœuds. 


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^ 


294  REVUE  FRANÇAISE 

Un  bateau  sous-marin  le  Peral. 

Enfin  un  certain  nombre  de  petits  croiseurs,  canonnières,  etc.,  de 
plus  ou  moins  de  valeur  militaire.  A  Cuba,  il  y  a  40  canonnières  de 
40  t.  de  date  récente. 

Comme  navires  propres  à  êlre  armés  en  course,  TEspagne  ne  peul 
guère  prendre  dans  sa  marine  marchande  que  les  36  paquebots  de  la 
a  rx)mpania  transatiantica  ».  Sous  ce  rapport  elle  se  trouve  dans  un 
grand  état  d'infériorité  vis-à-vis  des  États-Unis.  Mais  elle  vient  d'acheler 
les  magnifiques  paquel)0ts  allemands  Nomiania  et  Columbia  filant21n. 
qui  pourront  lui  rendre  de  signalés  services. 

Passons  maintenant  à  la  flotte  de  TUnion. 

5  cuirassés  :  lowa,  Itidiana,  Massachusetts,  Oregm,  Texas. 
Vlowa  —  11.400  t.,  17  n.  8  —  est  arnu»  de  4  pièces  de  30  cent. 

accouplées  dans  2  tourelles-barbettes  d'acier,  de  8  pièces  de  20  placées 
par  paires  dans  4  barbettes,  de  4  canon»  de  10  à  tir  rapide.  L'armement 
est  complété  par  20  canons  de  petit  calibre  à  tir  rapide.  Vlowa  n'a 
qu'une  ceinture  cuirassés  partielle  de  3o  centimètres,  couvrant  seule- 
ment la  partie  centrale  du  bâtiment,  le  reste  n'est  pas  protégé. 

MIndiana,  le  Massachusetts,  VOregon  sont  de  même  type —  10.300 1.. 
16  n.  1/2.  —  l/artillerie  comprend  i  canons  de  33  cent,  placés  par 
paires  dans  2  barbettes,  8  de  20,  4  de  13  à  tir  rapide  et  20  de  petit  ca- 
libre à  tir  rapide.  Une  ceinture  de  4S  cent,  protège  les  4/S  du  bâti- 
ment. Une  cuirasse  de  127  millimètres  protèg^e  le  reste  de  la  coque. 

Le  Texas  —  7.300  t.,  16  n.  —  est  armé  de  2  pièces  de  30  en  tourelles. 
6  de  15  et  12  de  petit  calibre.  Son  cuirassement  ne  couvre  que  le  tiers 
du  bâtiment.  Le  Marne  qui  a  sauté  à  la  Havane  était  du  même  type. 

Deux  autres  cuirassés  récemment  lancés  mais  qui  sont  loin  d'être  prêt», 
le  Kearsage  et  le  Kenlucky,  offrent  cette  particularité,  qu'on  ne  trouve 
que  chez  les  Américains,  grands  amateurs  de  constructions  étagées,  de 
posséder,  à  l'avant  et  à  l'arrière,  2  tourelles  superposées  armées  de  ca- 
nons de  gros  calibre. 

6  gardes-côtes  cuirassés  :  Monterey,  Katahdin,  Puritan,  Amphitrile^ 
Miantonomahj  Monadnock,  Terror. 

Les  4  derniers,  de  i.OoO  t.,  ont  une  vitesse  variant  de  10  n.  o  à  14, 
Ils  sont  de  peu  de  valeur.  Le  Puritan  déplace  6,130  t.  et  donne  13  iii 
Le  Katahdin  est  un  navire  à  éperon,  très  bas  sur  l'eau,  filant  16  u,  \A 
Monlerey  —  4.200  t.  16  n.  —  est  relativement  récent.  Sa  ceinture  cul- 


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LES  FLOTTES  ESPAGNOLE  ET  AMÉRICAJNE  295 

rassée,  de  33  cent.,  est  complète.  Il  est  armé  de  4  pièces  de  )I0  accou- 
plées dans  2  tourelles  et  de  6  pièces  de  petit  calibre. 

2  croiseurs  cuirassés  :  Brooklyn^  New-York. 

Le  Brooklyn  —  9.270  t.,  21  n.  —  a  un  rayon  d'action  de  IS.OOO  mil- 
les. Il  possède  une  ceinture  partielle  d'acier  de  98  millimètres  et  un 
pont  cuirassé  de  7i^  à  180  mil.  Il  est  armé  de  8  pièces  de  20  accouplées 
dans  4  tourelles  et  de  24  canons  à  tir  rapide.  Le  New-York  —  8.280  t. 
et  21  n.  —  est  protégé  par  une  ceinture  complète  de  10  cent.  Sa  grosse 
artillerie  ne  compte  que  6  pièces  de  20,  plus  les  pièces  à  tir  rapide.  Ces 
navires,  de  type  analogue,  sont  les  meilleurs  croiseurs  de  la  flotte. 

3  croiseurs  protégés  :  Columbia,  Minneapolis,  Olympia, 

Ce»  bâtiments  appelés  «  commerce  destroyer  »  (destructeurs  du  com- 
merce) ou  croiseurs  corsaires,  ont  les  premiers  7460  t.  le  3*  SS80  t.  ; 
ils  ont  donné  22  n.  8,  23  n.  et  21  1/2.  Mais  ces  vitesses  ne  peuvent 
se  maintenir  longtemps  et  le  ColumMa,  dans  une  traversée  de  TAtlan- 
tique  à  grande  vitesse  n'a  atteint  que  18  n.  40  en  moyenne.  Le  pont 
est  en  acier.  L'armement  est  faible  pour  les  2  premiers  :  1  pièce  de  20, 
2  de  18,  8  de  12,  plus  12  de  petit  calibre,  à  tir  rapide.  VOlympia  est 
mieux  armé  :  2  pièces  de  20,  10  de  12  et  14  de  petit  calibre,  à  tir 
rapide. 

6  croiseurs  ordinaires  :  Baltirmre^  4800  t.,  20  n.  6  ;  San  Francisco  y 
4080  t.,  20n.2;  Philadelphia,  4410  t.,  19n.  7  ',Newark,Mmi.  19n.  f 
Chicago,  4800  t.,  18  n.  ;  Charleston,  4040  1. 18  n.  7  ;  et  7  de  moindre 
importance  :  Cincinnati  et  Raleigh,  3180  t.,  19  n.  ;  Atlanta,  3190  t., 
16  n,  ;  Boston,  3190  t.,  18  n.  ;  Détroit,  Marblehead  et  Montgomery, 
2000  t.  18  n.  7.  Ces  bâtiments  n'ont  qu'une  valeur  militaire  restreinte, 
plusieurs  manquent  de  stabilité.  1  croiseur-torpilleur,  le  Vesuvius  de 

21  n.  6. 

Enfin  si  l'on  ajoute  10  vieux  monitors  à  tourelles,  survivants  de  la 
guerre  de  Sécession  ;  28  canonnières,  18  torpilleurs,  3  sous-marins  et 
divers  autres  petits  bâtiments,  on  a  l'ensemble  de  la  flotte  des  États- 
Unis. 

Depuis  la  probabilité  d'une  guerre  avec  l'Espagne,  le  gouvernement 
de  Washington  a  acheté  au  Brésil  les  2  croiseurs  Amasonas  et  Abreu, 
devenus  New  Orléans  et  Albany.  Le  l^*"  est  prêt  ;  le  2^  encore  en  cons- 
truction en  Angleterre.  Tous  deux  déplacent  3  430  t.  et  doivent  donner 

22  n.  Ils  sont  armés  de  4  pièces  de  18c..  4  de  12,  20  de  petit  calibre 


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2î)G  REVUE  FRANÇAISE 

et  10  mitrailleuses.  Un  autre  croiseur  acheté  en  AHemagne.  a  reçu  le 
nom  de  Topeka  et  est  parti  pour  les  États-Unis. 

La  flotte  auxiliaire  américaine  possède  de  puissants  navires.  Uami- 
rauté  avait  reçu,  peu  avant  Touverture  des  hostilités,  l'offre  de  63 
navires  à  vapeur,  les  plus  grands  de  la  marine  des  États-Unis.  Parmi 
eux,  4  seulement  ont  une  grande  valeur  ;  ce  sont  les  beaux  paquel)ols 
de  r  0  American  line  »  :  Saint-Paul,  Saint-Lotm,  de  11630  t.,  Paris, 
New  York,  de  10670  t.,  donnant  une  vitessse  de  20  n.  Tous  les  autres 
varient  entre  1500  et  4600  t.  et  un  seul  atteint  16  n. 

Ni  TEspagne,  ni  les  États-Unis  n'ont  adhéré  à  la  convention  de  1856 
abolissant  la  course;  ils  pourront  donc  armer  des  corsaires.  Le  gouver- 
nement américain  a  laissé  entendre  au  début  des  hostilités  qu'il  renon- 
cerait à  la  course  si  TEspagne  prenait  le  même  engagement.  Mais,  celte 
puissance  a  maintenu  son  droit,  et  avec  raison,  car  la  course  est  à  son 
avantage  et  elle  aurait  bien  tort  d*y  renoncer.  La  flotte  marchande 
américaine  est,  en  effet,  bien  supérieure  à  celle  de  TEspagne  et,  par 
suite,  bien  plus  exposée  que  cette  dernière  à  souffrir  de  la  guerre.  Les 
Étals-Unis  possèdent  483  vapeurs  et  3  785  voiliers,  tandis  que  TEspagne 
n'a  que  355  vapeurs  et  1  108  voiliers.  La  disproportion  du  tonnage  est 
encore  plus  forte  :  les  vapeurs  et  voiliers  américains  représentent 
2.105.000  tonnes,  tandis  que  ceux  de  TEspagnc  n'arrivent  qu'à  ♦îoO.OOO. 
Dajisces  conditions,  la  course  doit  donc  profiter  surtout  à  l'Espagne. 

Mais  il  ne  faut  rien  exagérer  à  ce  sujet,  car  la  vapeur  a  changé  bien 
des  choses.  Il  ne  saurait  être  question,  en  effet,  de  faire  la  course  avec 
des  navires  à  voile;  or,  les  vapeurs  sont  rares  et  les  plus  susceptibles 
de  remplir  cet  office,  en  raison  notamment  de  leur  vitesse,  ont  été  incor- 
porés dans  la  marine  de  guerre  sous  le  nom  de  croiseurs  auxiliaires.  Il 
ne  reste  donc  que  des  vapeurs  de  petit  tonnage  et  de  faible  vitesse,  et 
ceux-là  ne  sauraient  rendre  de  grands  services.  La  course,  on  le  voit, 
ne  ressemblera  guère  à  celle  qui  a  illustré  Robert  Surcouf  et  bien  d'au- 
tres de  nos  compatriotes. 

Les  flottes  des  deux  nations  n'ont  pas  encore  fait  parler  d'elles,  car, 
de  chaque  côté,  on  n'était  pas  prêt.  La  principale  escadre  américaine, 
commandant  Sampson,  concentrée  à  Key-West,  à  l'extrémité  de  la 
Floride  a  immédiatement  entrepris  le  blocus  de  l'ouest  de  Cuba,  ce  qui 
est  aller  un  peu  vite  quand  on  n'est  pas  maître  absolu  de  la  mer.  Une 
deuxième  escadre,  commandant  Schley,  composée  de  croiseurs  rapides 


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CONGRÈS  DKS  SOCIÉTÉS  SAVANTES  297 

et  de  paquebots  armés  a  grande  vitesse,  semble  avoir  pour  mission  de 
surveiller  l'escadre  espagnole  qui  était  concentrée  aux  îles  du  cap  Vert. 
La  composition  de  ces  escadres  de  l'Atlantique  varie  sans  cesse  en  raison 
des  opérations  à  exécuter. 

Il  n'en  est  pas  de  même  dans  le  Pacifique,  où,  à  cause  des  distances, 
le  groupement  des  forces  varie  peu.  L'escadre  américaine,  commandant 
Devey,  concentrée  dernièrement  à  Hong-Kong,  se  compose  des  croiseurs 
Olympia^  Boston,  RcUeigh,  des  canonnières  Concord,  Pétrel,  et  de  trois 
transports.  Elle  est  supérieure  à  l'escadre  espagnole  des  Philippines, 
commandant  Montojo,  qui  ne  se  compose  que  de  faibles  unités  :  les 
croiseurs  Ca^tilla,  Don  Juan,  Ma  de  Cuba,  Isla  de  Luzon,  Reina-Cris- 
tina,  quatre  bâtimenls  de  peu  d'importance  et  sept  petites  canonnières. 
Les  croiseurs  américains  sont  modernes,  tandis  que  ceux  de  l'Espagne 
n'ont  que  peu  de  valeur  militaire. 

La  guerre  qui  vient  d'éclater  peut  être  longue,  très  longue  môme,  si 
aucune  intervention  ne  se  produit.  Les  deux  adversaires  ne  peuvent,  en 
effet,  se  porter  de  coup  mortel  et  chacun  d'eux  est  tenace  et  opiniâtre 
au  suprême  degré.  La  perte  môme  de  Cuba  par  les  Espagnols,  que  les 
Américains  escomptent  beaucoup  trop  rapidement,  ne  terminerait  pas 
nécessairement  la  guerre.  D. 

COiNGRÈS  DES  SOCIÉTÉS  SAVANTES 

1^  congrès  des  sociétés  savantes  de  Paris  et  des  départements  s'est 
ouvert  le  12  avril,  dans  le  grand  amphithéâtre  de  la  nouvelle  Sorbonne 
sous  la  présidence  de  M.  Alexandre  Bertrand.  Voici,  parmi  les  commu- 
nications, un  résumé  de  celles  ayant  un  caractère  géographique  : 

M.  H.  Froidevaux  a  recherché  quel  est  le  l^""  voyageur  européen 
ayant  remonté  le  Sénégal  jusqu'au  point  où  il  cesse  d'être  navigable, 
c'est-à-dire  à  la  chute  du  Félou.  On  croyait  jusqu'ici  qu'André  Bruë 
avait  été  le  !**•'  à  pénétrer  au  pays  de  Galam  et  à  s'avancer  jusqu'à  la 
chute  du  Félou,  C'est  à  un  autre  voyageur,  Chambonneau,  que  doit  re- 
venir cet  honneur.  Dans  un  mémoire  adressé  à  Seignelay  en  1688,  il 
raconte  avoir  pénétré  au  pays  de  Galam  en  1686  et  avoir  envoyé 
en  1687  une  expédition  qui  paivint  au  pied  de  la  chute  du  Félou  et  en 
dressa  une  carte  qui  est  conservée  dans  les  archives  du  dépôt  des  cartes 
et  plans  de  la  marine.  Cette  mission  ne  put  pénétrer  plus  avant  dans  le 


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298  REVUE  FRANÇAISE 

pays,  mais  elle  en  rapporta,  outre  delà  poudre  d'or,  d'intéressants  ren- 
seignements géographiques. 

M.  HANTftKux  donne  communication  d'un  mémoire  sur  les  courants 
de  l'Atlanlique  nord  déterminés  par  les  épaves  flottantes.  Les  carcasses 
de  navires,  les  bouteilles  flottantes  et  les  glaces  montrent  que  les  eaux 
de  l'Atlantique  nord  forment,  sous  l'impulsion  des  vents,  deux  vastes 
circuits  se  mouvant  en  sens  contraire  et  imitant  les  mouvements  de 
l'atmosphère  dans  ces  régions.  En  10  années  les  parcours  de  300  car- 
casses ont  permis  d'analyser  050  trajets  partiels.  Dans  le  même  laps  de 
temps,  750  bouteilles  ont  aussi  été  recueillies  sur  différents  rivages. 

M.  Thoulet  rappelle  à  ce  propos  qu'il  a  depuis  longtemps  préconisé 
l'emploi  d'épaves  artiticiolles  peintes  de  couleurs  voyantes  qui  rempla- 
ceraient avantageusement  les  autres  flotteurs. 

M.  MouHLOT,  professeur  au  lycée  de  Caen,  lit  un  mémoire  sur  le 
groupe  des  îles  Chausey.  Cet  archipel,  situé  à  Test  du  Cotentin,  com- 
prend environ  300  ilôts  et  écueils  dont  53  seulement  découverts  à  marée 
haute.  Un  chenal  large  et  profond  le  sépare  en  deux  parties.  I^  plus 
grande  de  ces  îles  a  une  longueur  de  2  kilomètres  et  une  largeur  très 
variable.  Elle  possède  un  sol  fertile  et  des  carrières  de  granit;  elle  est 
entourée  de  prairies  flottantes  de  varech  qui  reliant  entre  eux  tous  les 
îlots.  Les  Chausey  sont,  depuis  la  fin  du  wni*"  siècle  la  propriété  d'un 
lord  des  îles  qui  les  fait  exploiter  par  un  fermier  et  loue  des  cabines 
aux  pécheurs  de  Normandie  qui  y  font  des  séjours  temporaires. 

Le  gouvernement  français  prit  officiellement  possession  des  îles  au 
xvni^  siècle  dans  un  but  fiscal  :  pour  faire  cesser  la  contrebande  qui  se 
faisait,  par  les  îles,  entre  Jersey  et  la  France.  En  1736,  une  caserne  y 
fut  bâtie.  Cassini  publia  l'archipel  dans  sa  carte  de  France.  En  1755, 
un  fort  fut  construit,  mais  une  flotte  anglaise  le  détruisit  presque 
aussitôt.  Plus  tard  l'archipel  devint  propriété  privée.  Grâce  aux  ar- 
chives départementales  du  Calvados,  on  peut  se  rendre  compte  des  pré- 
cautions avec  lesquelles  les  ministres  de  Louis  XV  renouèrent,  au  len- 
demain de  chaque  traité  de  paix,  le  fil  de  la  possession  française,  de 
manière  à  ménager  les  susceptibilités  anglaises. 

M.  Froide  VAUX  appelle  l'attention  sur  le  projet  de  voyage  que  le  duc 
de  Choiseul  avait  chargé  Adanson  d'exécuter  en  Guyane  et  qui,  s'il 
avait  été  réalisé,  aurait  avancé  d'un  siècle  nos  connaissances  sur  les 
richesses  des  colonies  américaines. 


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CONGRES  DES  SOCIÉTÉS  SAVANTES  299 

M.  Emile  Belloc  fait  connaître  un  projet'de  percement  des  Pyrénées 
au  port  de  la  Pez  (vallée  de  Louron)  qui  aurait  pour  but  de  mettre  en 
con^rnunication  directe  la  vallée  de  TAure  avec  la  vallée  espagnole  de 
Gistain.  Ce  projet,  approuvé  en  176i,  ne  reçut  qu*un  commencement 
d'exécution.  M.  Belloc  signale,  à  propos  des  ports  de  la  Ojère  et  de 
Vénasque,  les  difficultés  qu'éprouvèrent  nos  soldats  au  commencement 
du  siècle  dernier  pour  amener  en  Espagne  rarlillerie  destinée  à  faire  le 
siège  de  Vénasque  (Aragon)  et  de  Castel-Léon  (val  d'Aran). 

Une  note  de  M.  Flmot,  archiviste  du  Nord,  fait  connaître  que  la 
pêche  de  la  morue  et  du  hareng  était  déjà  en  pleine  activité  à  Dun- 
kerque  au  xui^  siècle.  Dès  la  fin  du  xw®  siècle,  des  traités  furent  con- 
clus avec  l'Angleterre  à  ce  sujet.  I-.es  Dunkerquois  péchèrent  d'abord 
la  morue  sur  le  Dogger-Bank,  entre  l'Angleterre,  la  Hollande  et  le 
Danemark.  Puis  ils  s'avancèrent  plus  au  nord  et  poursuivirent  la  ba- 
leine sur  les  côtes  d'Islande  et  de  Groi'*nIand.  Au  xvn®  siècle  ils  fré- 
quentèrent Terre-Neuve,  mais  ce  ne  fut  qu'exceptionnellement.  A  partir 
du  xvHi®  siècle,  l'Islande  fut  toujours  l'objectif  de  la  flottille  de  pèche 
dunkerquoise. 

MM.  G.  Saint- Yves  et  J.  Fournier  ont  envoyé  un  mémoire  sur  le 
voyage  de  François  de  Lopès,  marquis  de  Montdevergues,  de  la  Ro- 
chelle à  Madagascar  (1660- 16(37).  On  y  trouve  des  lettres  inédites  ra- 
contant en  détail  le  voyage  jusqu'à  Fort-Dauphin  de  ce  gouverneur  qui 
tomba  bientôt  en  disgrâce  et  fut  incarcéré,  à  son  retour  en  France,  au 
château  de  Saumur  où  il  mourut  en  1672. 

M.  E.  Chantre  expose  les  résultats  de  ses  recherches  sur  les  popu- 
lations de  la  vallée  du  Nil.  La  race  égyptienne  serait  due  à  la  juxtapo- 
sition et  peut-être  au  mélange  d'un  peuple  envahisseur  asiatique  avec 
des  autochtones  de  race  lybique.  Cette  race  a  peu  varié  depuis  ses  ori- 
gines malgré  les  immigrations  multiples  de  peuples  très  différents. 
Ainsi  l'Égyptien  de  nos  jours  —  copte  citadin  ou  fellah  laboureur  — 
n'est  pour  ainsi  dire  pas  mêlé  avec  le  Perse,  l'Arabe  ou  le  Turc.  Les 
Grecs  et  les  Romains  n'ont  pas  influé  non  plus  sur  son  type  primitif. 

M.  C.  Guy  fait  une  communication  sur  la  perte  de  St-Domingue 
d'après  divers  mémoires  (jui  se  trouvent  aux  archives  du  ministère  des 
colonies.  Il  en  résulterait  que  St-Domingue  n'aurait  peut-être  pas  été 
perdu  pour  la  France  si  le  général  Leclerc,  chef  de  lexpédition  envoyée 
par  le  premier  Consul,  n'avait  pas  été  enlevé  par  la  maladie.  Son  suc- 


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:m  lŒVUE   hHANÇAISE 

cesseur  eut  à  lutter  contre  un  ennemi  redoutable,  le  n<^gre  Dessalines, 
qui  se  fit  depuis  proclamer  empereur  et  sur  le  couronnement  duquel 
M.  Guy  donne  de  curieux  détails.  Un  fait  à  remarquer,  aujourd'hui 
plus  spécialement,  est  Tinlervention  constante  des  États-Unis  d'Amé- 
rique, et  même  de  TAngleterre  (en  guerre  alors  avec  la  France),  en  fa- 
veur des  noirs  de  St-Domingue.  (les  derniers  firent  en  premier  lieu 
usage  de  leur  liberté  pour  massacrer  systématiquement  tous  les  blancs 
qui  se  troiivèrent  dans  l'ile.  Aussi  la  population  qui  comptait  670,000 
habitants  avant  la  guerre,  ne  s'élevait  plus  qu'à  180,000  après  Tavèm^ 
ment  de  Dessalines. 

M.  E.  A.  Martel  expose  les  résultats  de  10  années  d'exploration 
elïectuéesdans  les  gouffres,  cavernes  etrivières  souterraines  (1888-1897). 
Les  gouffres  et  abîmes  ont  surtout  occupé  M.  Martel.  Leur  profondeur 
avait  été  exagérée;  ils  atteignent  cependant  210  mètres  en  France  et 
300  à  820  en  Autriche,  ce  qui  suffit  à  rendre  difficile  et  dangereuse 
l'exploration  de  ces  puits  naturels. 

Les  abîmes  sont,  en  principe,  les  affluents  des  rivières  souterraines 
vers  lesquelles  ils  conduisent  les  eaux  de  pluie  par  des  voies  plus  ou 
moins  détournées.  Ces  rivières  souterraines  tirent  généralement  leur 
origine  de  ruisseaux  superficiels  engloutis  sur  des  points  plus  ou  moins 
nombreux.  Elles  sont  en  réalité  des  fausses  sources.  Très  rarement  il  y 
a  communication  directe,  visible  du  moins,  entre  une  perte  et  une 
fausse  source.  En  France  on  cite  Bramabiau,  la  plus  longue  caverne 
de  France  (6,300  mètres  de  développement  total  dont  700  pour  le  cours 
direct  de  l'eau  i;  le  Mas  d'Azil,  etc.  Le  Laos  et  le  Tonkin  paraissent  pos- 
séder en  ce  genre  les  plus  remanjuables  percées  de  part  en  part  (Nam- 
Hin-Boun,  Sé-Bang-Faï,  grottes  de  Pung). 

La  loi  presque  générale  est  l'existence,  sur  le  cours  des  rivières  sou- 
terraines, de  véritables  siphons  d'aqueduc  qui  jouent  le  rôle  de  vannes 
fixes  et  retiennent  les  eaux  en  amont.  Les  siphons  sont  placés  par- 
fois à  la  sortie  de  la  fausse  source  qui  alors  est  complètement  impé- 
nétrable. C'est  le  cas  des  fontaines  de  Vaucluse,  de  la  Touvre,  de 
rOmbla  (Dalmatiej,  etc, 

Les  explorations  de  M.  Martel  ont  i>ermis  de  se  rendre  compte  des 
dangers  de  pollution  des  eaux  souterraines.  Ce  danger  provient  de  la 
funeste  habitude  qu'ont  les  paysans  de  jeter  dans  les  gouffre?,  réputés 
à  tort  insondables,  les  cadavres  des  animaux  morts.  Les  pluies  qui 


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^^^^F- 


■ii^^.* 


UlGANDA  301 

lonibcnt  par  dessus  chargent  les  cours  d'eau  de  microbes  nocits  dont 
l'absorbtion  provfX[ue  de  graves  épidémies. 

Si  l'hygiène  a  profilé  des  explorations  souterraines,  l'agriculture  a  eu 
aussi  sa  part.  Les  Katavothres,  de  Grèce  et  les  perles  du  Karst  ont  été 
l'objet  de  quelques  travaux  de  désobstruction  qui  ont  fait  disparaître 
dans  certaines  vallées  des  inondations  périodiques  désastreuses. 

On  a  reconnu  aussi  que  les  stalactites  des  cavernes  se  formaient  aussi 
bien  sous  les  voûtas  épaisses  et  sous  Jes  minces.  Les  plus  belles  concré- 
tions reconnues  par  M.  Martel  sont  celles  de  la  grotte  du  Dragon  à  Ma- 
jorque, sous  une  voûte  de  5  à  30  mètres  d'épaissseur  seulement  et  de 
l'aven  Armand  (Lozère)  sous  un  plafond  de  plus  de  100  mètres  d'épais- 
seur. Cet  aven,  immense  puits  de  207  mèlres,  découvert  en  1H97,  ren- 
ferme les  plus  belles  stalagmites  connues,  car  il  a  une  véritable  foret 
de  200  colonnes  atteignant  jusqu'à  10  mètres  d'élévation,  offrant  un 
sjx^clacle  féerique  sans  rival.  Enfin  dans  la  rivière  souterraine  de  Pa- 
dirac  (Lot)  qui,  cette  année,  sera  rendue  accessible  au  public,  on  a  fait 
de  sérieuses  découvertes  zoologiques.  La  science  des  aivernes  ou  spé- 
léologie a  donc  le  droit  de  revendiquer  une  place  propre  parmi  les 
branches  du  savoir  humain. 

M.  P.  Barhé  fait,  sur  les  traversées  de  l'Asie  une  communication  que 
nous  rapportons  plus  loin. 


OUGANDA 

RÉVOLTE  ET  DÉPOSITION  DE  MOUANGA 

Dans  le  courant  de  l'été  1897  une  révolte  éclatait  dans  l'Ouganda. 
Le  roi  Mouanga,  fils  du  célèbre  Mtésa,  qui  n'avait  pas  oublié  l'éclat  et 
rautorité  dont  la  royauté  de  son  père  était  entourée,  tentait  de  secouer 
le  joug  de  la  domination  anglaise  que  le  capitaine  Lugard  avait  réussi 
à  implanter  à  coups  de  canons  Maxim.  Le  Bouddou,  province  du  sud- 
ouest  de  l'Ouganda,  d'où  était  partie  la  prise  d'armes,  renfermant  la 
majeure  partie  des  catholiques  indigènes,  on  avait  cru  tout  d'abord  que 
le  soulèvement  avait  un  caractère  confessionnel.  Cela  n'avait  pas  surpris. 
Mouanga  ayant  été  tour  à  tour  catholique  et  protestant.  Mais  il  n'en 
était  rien,  et  Mouanga  manifestait  son  hostilité  contre  tous  les  Européens 
indifféremment. 


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L._.- 


302  BEVUE  FRANÇAISE 

Les  Missions  catfioliqttes  ont  publié  dernièrenieni  des  correspondances 
émanant  des  Pères  Blancs  qui  donnent  le  détail  des  événements  qui  ont 
abouti  au  remplacement  de  Mouanga,  roi  de  rOuganda,  par  son  fils 
Choua,  âgé  de  quelques  mois. 

Mouanga,  dont  le  royaume  avait  été  placé  dans  la  zone  anglaise  en 
189Ô,  accepta  à  contre-cœur  le  protectorat  britannique,  avec  le  désir 
secret  de  secouer  un  jour  ce  joug.  Mouanga  chercha  donc  à  se  faire 
des  partisans;  il  attira  à  sa  cour,  en  quaFité  de  pages,  l'élite  de  la  jeu- 
nesse et  eut  ainsi  bientôt  3.000  pages.  Les  deux  premiers  ministres 
représentant,  Tun  les  catholiques,  l'autre  les  protestants,  prirent 
ombrage  de  ce  fait  et  obtinrent  du  représentant  de  l'Angleterre  à  Kam- 
pala la  réduction  à  800  des  favoris  du  roi. 

Mais  Mouanga  s'éiait  fait  de  nombreux  amis,  soit  par  des  cadeaux 
aux  païens,  soit  par  des  promesses  de  toutes  sortes  aux  musulmans, 
aux  catholiques  et  aux  protestants.  Lorsque  le  pays  fut  ainsi  gagné  à  sa 
cause,  Mouanga  quitia  furtivement  sa  capitale  Mengo  et  se  rendit 
près  de  la  frontière  allemande  dans  le  Bouddou,  où  il  concentra  ses 
troupes. 

M.  Wilson,  sous-commissaire  anglais  et  gouverneur  elfectif.  fut  aus- 
sitôt averti.  Il  fit  donner  à  Gabriel  Mujasi,  le  chef  le  plus  turbulent  du 
Bouddou,  l'ordre  de  venir  dans  la  capitale  pour  en  repartir  avec  le 
major  Ternan,  commissaire  anglais  chargé  de  visiter  le  Bouddou. 

Gabriel  refusa  et  le  28  janvier  1897,  MM.  Wilson  et  Ternan  partirent 
pour  le  Bouddou,  qu'ils  quittèrent  sans  rien  y  faire;  en  avril  ils  partirent 
avec  600  Nubiens  pour  une  expédition  à  Test  du  Nyanza.  Ils  ne  laissèrent, 
pour  défendre  le  pays,  que  120  soldats  au  fort  de  Kampala. 

Le  28  avril,  les  deux  kalikiro  catholique  et  protestant,  étonnés  de 
rindifférence  de  M.  Wilson,  se  rendirent  auprès  de  lui;  ce  fut  peine 
perdue,  comme  les  divers  avertissements  donnés  par  M^""  Sireicher. 
Cependant,  le  4  mai,  le  roi  Mouanga  alla  à  Kampala  avec  ses  partisans 
à  la  réception  de  M.  Wilson,  mais  n'osa  pas  encore  agir;  accuse  même 
d'idée  conspiratrice,  il  s'en  défendit  si  bien  que  les  Anglais  ne  crai- 
gnirent plus  rien. 

Sur  ces  entrefaites,  M.  Wilson,  ayant  appris  le  massacre  des  officiers 
belges  de  l'expédition  Dhanis  par  leurs  soldats  mutinés  décida  une 
levée  de  tous  les  Baganda  pour  aller  au  secours  du  capitaine  Sitwell, 
commandant  du  fort  Gerry.  Le  roi  Mouanga  aida  en  apparence  au 


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CANADA  303 

recrutement  et,  de  fait,  une  armée  importante  de  Baganda  quitta  Mengo 
le  7  juin  pour  marcher  vers  Je  Toro.  Elle  s'arrêta  au  pays  de  Kawaoga, 
où  elle  apprit  que  le  capitaine  Sitwell,  dont  le  fort  était  à  15  jours  de 
là,  n'avait  besoin  de  rien,  L'armée  était  de  retour  à  Mengo  le  3  juillet. 

Mouanga  le  lendemain  a*enfuit  la  nuit  de  la  capitale  et  alla  au  Boud- 
dou,  par  le  lac.  Il  ap[}ela  ses  partisans,  qui  accoururent  de  tous  côtés  et 
bientôt  il  put  disposer  de  2.800  fusils  et  plusieurs  milliers  de  lances. 

M.  Wilson,  malgré  la  fuite  du  roi,  resta  encore  optimiste;  ne  voulant 
pas  écouter  les  conseils  de  M*'  Streicher,  il  se  contenta  d'envoyer  au 
Bouddou  68  Nubiens  pour  y  protéger  les  missionnaires  et  en  ramener 
le  roi.  Fort  heureusement  le  major  Teman  rentra  le  10  juillet  de  son 
expédition  à  l'est  du  lac  Victoria;  il  comprit  la  gravité  de  la  situation 
et  se  mit  en  marche  sur  le  Bouddou  avec  toutes  les  troupes  disponibles. 

Les  missionnaires  se  réfugiaient  déjà  dans  la  capitale  de  TOuganda. 
Le  20  juillet,  le  major  Ternan  atteignit  le  Bouddou.  Après  un  comhal 
acharné  qui  ne  dura  pas  moins  de  trois  heures,  il  mit  les  insurgés  en 
déroute  et  les  poursuivit  jusqu'à  l'Oussagara.  Mouanga  se  sauva  aussitôt 
au  Kibombiro,  en  territoire  allemand.  Le  lieutenant  von  Wùlfen  le  con- 
duisit au  Kiziba,  puis  à  Bukoba,  où  il  lui  fît,  devant  la  menace  d'un 
eaoon  Krupp,  remettre  ses  5!J  fusils;  on  le  relégua  ensuite  à  la  station 
allemande  de  Mouaqza,  au  sud  du  lac  Victoria. 

Le  1  i  août,  le  major  Ternan  prononçait  la  déchéance  de  Mouanga, 
et  proclamait  roi  son  fils  Choua,  né  d'une  protestante.  La  régence  a  été 
confiée  aux  deux  katikiro.  protestant  et  catholique,  et  au  protestant 
Kangaro.  Les  troubles  dans  l'Ouganda  ont  néanmoins  continué  contre 
les  Anglais,  et  la  révolte  des  Soudanais  semble  donner  un  élément 
nouveau  à  la  rébellion. 


CANADA  :  COMMKKCl!;  ET  xNAVIGATION 

Le»  rapports  commerciaux  entre  la  France  et  le  Canada  ont  éti'  ren* 
dus  assez  difficiles  jusqu'à  ce  jour  j>ar  suite  de  Talisence  d'une  ligne  de 
paquebots  reliant  directement  les  deux  pays.  Cette  lacune  dans  nos  re- 
lations serait  à  la  veille  de  disparaître.  On  annonce,  en  etiét,  que  M. 
Laurier,  premier  ministre  canadien,  consacrerait  à  subventionner  une 
ligne  de  navigation  directe  une  somme  de  80.000  piastres  et  égale  à 


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304  liEVUE  FHANÇAISE 

celle  de  400.000  francs  que  la  France  destine^-ait  à  cette  ligne.  Si  rac- 
cord financier  est  fait,  la  ligne  est  bien  près  d'être  créée. 

Les  échanges  entre  les  deux  pays,  fort  peu  considérables  jusqu'ici, 
prendraient  rapidement  un  nouvel  essor,  c'est  ce  qui  résulte  du  rapport 
sur  le  commerce  du  Canada  de  M.  Kleczkowski,  consul  général  de  France 
à  Montréal,  dont  nous  donnons  un  aperçu. 

Eu  189  j-96,  le  commerce  tolal  du  Canada  a  été  de  121 .013.000  dol- 
lars (ou  piastres)  aux  exportations  et  de  118.011.000  aux  importations. 
Les  exportations  n*avaienl  été  que  de  113.638.000  dollars  en  1894-93 
et  que  de  o7.o68.000  en  1867-68  ;  les  importations  avaient  été  de 
i  10.781.000  dollars  en  1894-9o  et  de  73.4o9.000  en  1867-68. 

Depuis  celle  époque  —  dale  de  la  créaton  de  la  Confédération  —  la 
progression  du  mouvement  commercial  a  été  constante  et  presque  tou- 
jours régulière. 

Les  exportations  canadiennes  se  dirigent  surtout  vers  l'Angleterre 
(1)6  millions  de  dollars)  et  les  Élats-Unis  (44  millions).  Les  autres  pays 
n'ont  que  des  chiffres  insigniliânts.  La  France  n'a  reçu  en  189o-96  que 
pour  581  540  dollars  de  produits  canadiens,  contre  i^i.lSi  en  1890-91 
( minimum  )  et  823.573  en  1881-8:2  (maximum).  Terre-Neuve  a  reçu 
poui*  1.782.000  dollars  de  produits  canadiens,  en  forte  diminution, 
l'Allemagne  pour  737.000. 

Les  im])ortations  au  Canada  proviennent  surtout  des  États-Unis  (68 
millions  de  dollars)  et  de  l'Angleterre  (32. 980.000).  L'Allemagne  vient 
ensuite  (5.930.000),  puis  la  France  (2.810.942).  Malgré  le  souvenir  du 
passé  et  les  sympathies  vivaces  de  la  France  au  Canada,  notre  com- 
merce y  est  infime  et  n'y  progresse  guère;  nos  importations  y  ont  at- 
teint leur  maximum  en  1892-93  (2.832.000)  et  leur  minimum  en  1879- 
80(1.110  841). 

11  n'est  pas  sans  intérêt  de  remarquer  que  les  ventes  anglaises  au  Ca- 
nada sont  sans  cesse  en  décroissance,  tandis  que.  les  achats  anglais  au 
Canada  ont  presque  doublé  depuis  1872.  Cela  tient  au  progrès  du  Ca- 
nada, au  point  de  vue  agricole,  progrès  qui  ont  provoqué  la  marche 
ascendante  des  expéditions  des  produits  agricoles  (l)eurre,  fromages, 
héliiil,  etc.). 

Signalons  aussi  qu'en  l'absence  d'une  ligne  de  navigation  directe 
entre  la  France  et  le  Canada,  un  grand  nombre  de  produits  français, 
sortant  d'Europe  par  des  ports  étrangers  (Anvers  ou  Liverpoolj  arrivent 


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CAiN.\DA  30o 

au  Caaada  sous  pavillon  anglais  et  y  sont  inscrits  comme  produits  an- 
glais. II  y  aurait  donc  lieu,  pour  être  exact  de  majorer  sensiblement  les 
importations  françaises.  Ainsi,  la  France  fournit  au  Canada  pour  1  mil- 
lion 900.000  dollars  de  soieries,  alors  que  les  douanes  canadiennes 
n'en  accusent  que  105.000.  L'Angleterre  ne  produit  pas  de  vins  de 
Champagne  et  les  douanes  indiquent  qu'elle  en  fournit  au  Canada  pour 
12.900  dollars.  La  statistique  est  souvent  instructive  et  cette  fois  bien 
démonstrative. 

Une  autre  cause  du  peu  d'importation  au  Canada  de  produits  français 
tient  à  Télévation  de  certains  tarifs  douaniers.  Les  produits  français 
sont  aussi  le  plus  souvent  des  articles  de  luxe  et  par  cela  môme  soumis 
à  des  tarifs  élevés.  Ainsi  les  eaux-de-vie,  dont  la  France  importe 
presque  la  totalité,  sont  soumises  à  des  droits  qui  excèdent  le  prix  delà 
marchandise  elle-même  :  leur  valeur  déclarée  est  de  235.000  piastres 
et  les  droits  perçus  de  339.000  !  Pour  les  vins,  qui  constituent  encore 
un  des  éléments  les  plus  considérables  de  l'importation  française,  les 
droits  perçus  équivalent  au  tiers  ou  au  2/S^*  de  la  valeur  du  produit. 

L'année  1897  a  été  bonne  pour  le  Canada.  Les  recettes  locales  ont 
augmenté.  La  plus-value  résultant,  pour  les  blés  du  Manitoba,  de  Tin- 
suffisance  de  la  récolte  en  Europe,  a  continué  à  rendre  l'argent  plus 
abondant  dans  le  pays. 

Navigation.  —  Le  mouvement  de  la  navigation  maritime  dans  les 
ports  canadiens,  a  été  en  1895-96,  de  15.291  navires  et  3.895.000  tonnes 
à  l'entrée,  et  de  14.511  navires  et  5.363.000  t.  à  la  sortie. 

En  se  plaçant  au  point  de  la  nationalité  des  bâtiments,  on  trouve 
16.688  navires  anglais  (avec  6.526.0Ô0  tonnes),  11.568  navires  des 
États-Unis  (avec  2.683.000  t.)  et  seulement  862  navires  norvégiens  et 
suédois  (76i.000t.),  85  navires  allemands  (119.000  t.)  ^3  navires  ha- 
waïens (84.000  t.),  244  navires  français  (70.860  t.),  etc. 

La  part  du  pavillon  anglais  est  si  considérable  qu'elle  dépasse  tous 
les  autres  réunis.  La  part  du  pavillon  français,  déjà  si  faible,  est  encore 
plus  infime  si  Ton  tient  compte  de  ce  que  le  tonnage  porté  provient  en 
grande  partie  du  Pro  Patria,  bateau  postal  de  737  tonnes  de  notre  co- 
lonie de  Saint-Pierre  et  Miquelon,  qui  fait  tous  les  15  jours  escale  dans 
les  ports  de  Sydney  et  d'Halifax.  Le  surplus  du  tonnage  français  s'ap- 
plique à  quelques  voiliers  venus  de  France  pour  charger  du  bois  ou  à 
quelques  navires  de  pêche  de  la  région  de  Terre-Neuve. 

xxiii(Mai98).  N*333.  *       iO 


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306  REVUE  FRANÇAISE 

Uûe  grande  partie  du  trafic  intérieur  du  Canada  se  fait  encore  paries 
rivières  et  les  lacs  et  donne  lieu  à  un  mouvement  de  18.138  navires 
d'un  tonnage  de  S.323.000  t.  La  majorité  des  bâtiments  porte  le  pavillon 
des  États-Unis  ;  mais,  sous  le  rapport  du  tonnage,  l'avantage  appartient 
aux  Canadiens. 


EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS 

Le  vicomte  /.  de  Cuverville  a  rendu  compte  de  son  voyage  à  travers 
la  péninsule  balkanique  (1897).  Parti  du  Monténégro,  il  traversa  la 
région  montagneuse  des  Berda,  se  rendit  en  Albanie,  par  le  lac  de 
Scutari,  parcourut  le  pays  des  Mirdites  (Albanais  catholiques  qui  ont 
conservé  l'usage  de  la  vendetta,  ce  qui  cause  70  Vo  des  décès).  Après 
avoir  traversé  la  Bosnie  et  l'Herzégovine,  le  voyageur  entra  en  Serbie, 
puis  en  Bulgarie,  où  il  parcourut  le  pays  des  Pomac.  dans  les  monts 
Rhodope.  M.  de  Cuverville  termina  son  voyage  par  la  Roumanie. 

Le  prince  Henri  d'Orléans^  dont  nous  avoijs  fait  connaître  le  projet 
d'exploration  en  Abyssinie  {XXIII,  p.  151),  s'est  embarqué  le  10  avril  à 
Marseille,  avec  le  comte  Léontieff,  pour  Djibouti,  où  il  forme  la  cara- 
vane qui  doit  le  conduire  auprès  de  Ménélick. 

M.  ds  Bonchamps,  chargé  de  conduire  une  expédition  sur  le  haut 
Nil  {KXn,  652)  est  de  retour  auprès  de  Ménélick. 

L'enseigne  de  vaisseau  Bryzimki  a  été  chargé  d'explorer  le  haut 
Mékong,  il  doit  partir  deMuong-Sin,  sur  le  La  Grandière,  et  remonter 
le  fleuve  aussi  haut  que  possible. 

Le  1^  danois  Olufsen  vient  de  partir  pour  une  nouvelle  exploration  au 
Pamir.  11  formera  à  Och  une  caravane,  en  vue  d'aller  à  Kachgar,  à 
Yarkand,  au  lac  Yachil  Koul,  à  Ouakhan,  etc.  Plus  tard,  il  visitera  le 
lac  d'Aral. 

M.  Jules  Garnie)',  dont  les  travaux  d'ingénieur  sur  la  N"®-Calédonie 
sont  bien  connus,  s*est  embarqué  avec  son  fils,  M.  Pascal  Garnier,  dans 
le  but  d'accomplir  lin  voyage  scientifique  et  industriel  en  Australie, 
Débarqués  à  Albany  (King  George's  Sound),  à  la  pointe  S.-O.  du  conti- 
nent austral,  les  voyageurs  remonteront  la  côte  ouest,  puis  se  dirigeront 
sur  Coolgardie  et  rayonneront  aussi  loin  que  possible  autour  de  cette 
station. 


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■'"^ 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 

AFRIQUE 

Algérie  et  Tunisie  :  Vins.  —  La  production  des  vins  en  Algérie,  en 
1897,  a  été  de  4.367.758  hectolitres  pour  118.823  hectares  cultivés.  Le  dépar- 
lement d'Alger  a  donné  2.186.829  hectolitres  pour  45.668  hectares,  celui 
d'Oran  1.418.  657  h^.  pour  54.480  h.  et  celui  de  ConslanUne  762.812  hi  pour 
18.675  h.  En  1896,  la  production  vinicole  de  l'Algérie  n'avait  été  que  de  \ 

4.050.000  hectolitres.  Pendant  les  dix  derniers  mois  de  i897,  sur  5.837.583 
hectolitres  de  vins  importés  en  France,  2.924.000  h»  provenaient  d'Algérie 
et  40.424  h^  de  Tunisie. 

La  Tunisie  a  produit  90.000  hectolitres  de  vins  en  1897  contre  95.200  en 
1896;  il  y  a  donc  une  légère  diminution. 

Comme  point  de  comparaison,  rappelons  que  la  France,  en  1897,  a  produit 
32.350.722  hectolitres  de  vin  pour  1.688.931  hectares  cultivés.  Le  rende- 
ment moyen  à  l'hectare  est  de  20  hectolitres  en  France  (contre  26  en  1896) 
et  de  38  hectolitres  en  Algérie. 

Soudan  français  ;  Enseignement  des  indigènes.  —  On  compte  actuel- 
lement au  Soudain  français  30  écoles  ayant  plus  de  700  élèves.  En  1895,  il  ne 
restait  plus  des  écoles  créées  par  le  général  Gallieni  que  l'école  des  otages  de 
Kayes.  Le  colonel  de  Trentinian  a  transformé  cette  école,  qui  est  devenue 
l'école  des  fils  de  chefs.  On  y  a  installé  un  instituteur  européen,  un  institu- 
teur indigène,  un  moniteur  européen  et  un  marabout  ;  elle  compte  50  élè- 
ves. Un  instituteur  européen  est  attaché  à  l'école  de  Kayes,  récemment  créée, 
et  fait  des  cours  du  soir.  11  y  a,  à  Médine,  une  école  dirigée  par  un  institu- 
teur indigène.  Enfin,  on  trouve  les  écoles  de  cercles  où  ce  sont  des  sous-ofiBcierss 
qui  enseignent  le  français  aux  indigènes.  Dans  certains  cercles  existent  des 
école»  fondées  par  les  Pères  du  S'  Esprit  et  les  Pères  Blancs. 

On  a  créée  aussi  deux  écoles  d'enseignement  professionnel,  une  à  Kayes, 
confiée  aux  directions  de  l'artillerie  et  du  génie,  l'autre  à  Koulikoro,  où  sont 
les  ateliers  de  réparations  de  la  flottille  du  Niger,  Les  élèves  de  ces  écoles 
reçoivent  25  centimes  par  jour  ;  quand  ils  sont  assez  instruits  pour  devenir  i 

apprentis,  on  les  augmente.  | 

Côte  d'Ivoire  :  Population.  —  On  vient  de  procéder  au  recensement  ,| 

approximatif  de  la  population  qui  atteindrait  en  bloc  2.250.000  habitants.  | 

Celte  population  serait  répartie  sur  le  territoire  compris  entre  le  littoral,  la  / 

colonie  anglaise  de  la  Côte  d'Or,  la  république  de  Libéria  et  le  9«  de  latitude  â 

nord.  Cette  superficie  peut  être  évaluée  à  250.000  kilomètres  carrés.  La  co-  j 

lonie  aurait  donc  une  moyenne  de  9  habitants  par  kil.  carré.  % 

Daiiomey  :  Flèches  empoisonnées.  —  Les  flèches  empoisonnées  sont  de  <% 

moins  en  moins  usitées  en  Afrique,  car  les  indigènes  leur  préfèrent  de  plus  j 

en  plus  les  armes  à  feu  européennes.  Sur  les  côtes  où  sont  des  factoreries  j 


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308  REVUE  FRANÇAISE 

européennes,  l'usage  des  flèches  a  complètement  disparu.  Dans  Thinterland 
du  haut  Dahomey,  où  les  indigènes  n'ont  pas  eu  de  relations  avec  les 
blancs,  et  ignorent  même  Texistence  du  fusil,  MM.  Le  Danlec,  Bojé  et 
Béreni  ont  constaté,  disent  les  Archives  de  médecine  navale,  que  les  Tcha- 
béens,  les  Baribaset  les  Bokos  n*emploient  pas  d'autres  armes  que  les  flèches 
empoisonnées. 

La  base  du  poison  est  Textrait  de  stropliantus,  connu  dans  presque  tout  l'in- 
térieur de  l'Afrique  sauf  vers  le  sud  où  on  utilise  le  venin  de  serpent.  Le 
poison  est  préparé  avec  les  graines  ou  les  racines  de  strophantus  sous  tonne 
d'extrait  aqueux. 

L'homme  atteint  d'une  de  ces  flèches  est  pris,  8  à  10  minutes  après  la  pé- 
nétration daos  les  tissus,  de  mouvements  convulsifs  ;  il  se  couche  sur  le 
ventre  et  gratte  le  sol  de  ses  ongles,  puis  la  respiration  et  le  cœur  s'arrê- 
tent, au  bout  de  13  minutes,  la  mort  survient.  Les  antidotes  des  indigènes 
sont  ordinairement  sans  efficacité.  En  cas  de  blessure,  il  faut,  pour  essayer 
de  se  soigner,  faire  le  plus  tôt  possible  une  ligature  à  la  racine  du  membre, 
afin  d'empêcher  le  poison  de  se  répandre  dans  l'organisme.  On  enlève  la 
flèche,  on  lave  la  plaie  avec  une  solution  d's^cide  tannique  ou  avec  une 
décoction  d'une  écorce  riche  en  tannin  ou  avec  du  vin  de  Champagne.  Le 
chloral  diminue  la  rapidité  de  l'intoxication,  et  il  est  bon  d'administrer  une 
potion  chloralée  après  la  neutralisation  du  poison  dans  la  blessure. 

État  du  Congo  :  Les  révoltés  Batétélas.  —  Les  soldats  révoltés  de  la  mis- 
sion Dhanis  (t.  XXII,  p.  037),  après  leur  défaite  par  lel^  Henry  (15  juil.  1897) 
étaient  réduits  aux  2/3  de  leur  effectif,  soit  1.000  Batétélas  environ.  Us  se 
divisèrent  alors  en  bandes.  Le  l' Henry,  après  une  poursuite  inutile,  perdit  leur 
trace  et  se  consolida  sur  les  rives  de  l'Arouhimi.  De  son  côté,  le  baron  Dha- 
nis s'était  rendu  au  Manyéma,  après  la  dislocation  de  son  avant-garde,  et 
s'y  était  retranché,  envoyant  des  troupes  contre  les  révoltés.  L'une  de  ces 
colonnes,  celle  du  capitaine  Door me,. rencontra,  le  20  décembre  1897,  entre 
les  rivières  Lowa  et  Oso,  près  Saliboko,  une  partie  des  rebelles  qui  furent 
littéralement  taillés  en  pièces.  Le  sous-lieutenant  Malaerls  fut  tué  dans  l'action. 

Les  commandants  Long  et  Debergh,  d'autre  part,  ont  opéré  dans  la  région 
limitée  par  le  28«  méridien  est  de  Greenwich,  le  sud  du  lac  Albert  -  Edouard 
et  le  nord  du  lac  Tanganika.  Le  1*  Henry,  à  son  tour,  vient  de  marcher  de 
nouveau  contre  les  rebelles  et  le  baron  Dhanis  tient  encore  en  réserve  une 
forte  colonne  qui  pourra,  espère-t-on,  anéantir  totalement  ces  derniers. 

Trcmsvaal  :  Commerce  français.  —  Les  maisons  françaises  sont  rares  à 
Johannesburg,  et  celles  qui  s'y  sont  fondées  ont  presque  toutes  périclité  ou 
fait  faillite,  alors  que  les  maisons  anglaises  ou  allemandes  sont  prospère. 

D'après  M.  G.  Aubert  (1),  les  maisons  françaises  créées  au  Transvaal  sont 
tombées  parce  qu'elles  se  sont  combattues  au  lieu  de  se  soutenir.  Les  pre- 
mières maisons  françaises  tinrent  des  articles  d'alimentation,  mais  des  naai- 

tli  L'Afrique  du  sud,  par  G.  Aubert.  1  vol.  Flammarion  éditeur. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  309 

sons  concurrentes,  pour  attirer  vers  elles  les  clients,  avilirent  tellement  les 
prix  que  les  bénéfices  arrivèrent  à  être  à  peu  près  nuls.  Aussi  le  commerce 
d'alimentation  est-il  passé  aux  mains  des  Anglais  et  des  Allemands.  La 
maison  Rolfes  et  Nebel  est  une  des  principales.  Ces  deux  Allemands,  simples 
commissionnaires  à  Paris  en  1885,  partirent  pour  Kimt)erley,  avec  peu  de 
ressources,  dans  le  but  d'y  créer  une  maison  d'alimentation;  leur  champ 
d'action  s'agrandit  sans  cesse  et  ils  purent  fonder  des  magasins  à  Port-Eli- 
sabeth, Durban  et  Johannesburg;  ils  ont  expédié  Tannée  dernière  pour 
35  millions  de  francs  de  marchandises  et  ont  entre  leurs  mains  la  plupart 
des  maisons  de  détail  et  les  bars  de  Johannesburg.  Il  est  impossible  de  lutter 
contre  ces  négociants  qui  ont  une  organisation  admirable.  Il  est  bien  loin 
d'en  être  de  même  parmi  les  négociants  français. 

Cependant  l'industrie  française  lutte  parfois  avec  succès.  Ainsi  la  C'«  du 
Creusot  a  obtenu  du  gouvernement  du  Transvaal  des  commandes  impor- 
tantes en  canons  et  munitions.  La  C'*'  de  Fives-Lille  a  un  ingénieur  qui 
s'occupe  sur  place  des  machines  pour  les  mines  et  a  entrepris  divers  travaux 
notamment  l'installation  des  conduites  d'eau  à  Johannesburg.  Quelques 
autres  manufactures  françaises  ont  envoyé  là-bas  des  représentants.  Mais 
les  usines  allemandes  et  anglaises  ont  fait  de  plus  grands  efforts  :  elles  ont 
de  nombreux  ingénieurs  ou  agents  capables  de  faire  sur  place  tous  devis  pour 
machines,  mines,  etc.,  alors  que  les  maisons  françaises  demandent  beaucoup 
plus  de  temps,  devant  faire  ce^  études  à  Paris  ! 

Le  Transvaal  consomme  pourtant  beaucoup  d'articles  français,  de  même 
que  le  Cap  et  Natal  ;  on  peut  estimer  leur  valeur  à  40  millions  de  francs 
pour  1896,  consistant  en  armes  et  munitions,  constructions  métallurgiques, 
vins,  cognacs,  champagnes,  vinaigres,  conserves  alimentaires,  beurre, 
ciment,  légumes  conservés,  confitures,  articles  pour  électricité,  huiles, 
sucres.  Mais  tant  que  la  France  n'aura  pas  sur  place  des  maisons  de  détail  ou 
de  gros  chargées  de  répandre  ses  produits,  le  commerce  sera  toujours  aux 
mains  de  nos  concurrents  bien  plus  pratiques. 

Soudan  oriental  :  Défaite  des  derviches,  —  L'armée  anglo-égyptienne, 
depuis  longtemps  inactive,  vient  de  remporter  un  brillant  succès.  Le  madhi 
ayant  fait  établir  un  camp  fortifié  près  de  Dakheïla,  sur  l'Atbara,  le  sirdar 
Kitchener  résolut  de  s'en  emparer.  Le  8  avril,  après  une  marche  de  nuit, 
l'armée  anglo-égyptienne  arriva  à  4  heures  du  matin  à  portée  du  camp  der- 
viche. On  s'arrêta  et  la.  marche  ne  fut  reprise  qu'à  six  heures  moins  vingt. 
A  ce  moment,  24  canons,  placés  à  la  droite,  et  12  mitrailleuses  Maxim  com- 
mencèrent à  tirer  sur  le  camp  derviche  qui  fut  énergiquement  bombardé  : 
en  outre,  des  fusées  incendiaires  étaient  lancées  dans  les  rangs  des  Derviches. 
Pendant  ce  temps,  les  oflRciers  anglais  adressaient  d'ardentes  allocutions  à 
leurs  hommes. 

Après  une  heure  d'un  bombardement  qui  avait  infligé  des  pertes  sérieuses 
aux  Derviches,  les  trompettes  sonnèrent  la  charge.  Au  centre  étaient  les 
régiments  anglais  ;  en  avant,  les  Cameron  highlanders  chargés  de  trouer  la 


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340  REVUE  FRANÇAISE 

palissade  ;  derrière  eux  suivaient  lesrégiments  de  Lincolnshire,  de  Warwicks- 
hire  et  les  Seaforth  highlauders.  Les  Cameron  highlauders  eurent  quelque 
peine  à  percer  des  brèches  dans  le  camp  des  Derviches  et  c'est  tandis  qu'ils 
y  travaillaient  qu'ils  y  perdirent  plusieurs  des  leurs.  Le  général  Gatacre  fut 
le  premier  à  franchir  les  retranchements  ennemis  avec  un  simple  soldat  qui 
tua  d'un  coup  de  baïonnette  un  Derviche  qui  allait  tirer  à  bout  portant  sur 
le  général  A  9  h.  1/4  tout  était  fini. 

La  cavalerie  égyptienne  a  poursuivi  les  Madhistes  dont  plus  de  3000  ont 
été  faits  prisonniers  avec  leur  chef,  l'émir  Mahmoud.  12  émirs  et  environ 
2000  Derviches  ont  été  tués.  Les  Egyptiens  ont  eu  51  soldats  tués,  14  oflQciers 
et  319  soldats  blessés.  Les  Anglais  ont  eu  10  tués  dont  2  officiers  et  90  bles- 
sés. Le  gros  de  l'armée  égyptienne  est  ensuite  revenu  à  Berber.  La  marche 
sur  Khartoum  ne  sera  reprise  qu'après  la  crue  du  Nil. 

ASIE 

Asie  centrale  :  Chemins  de  fer  russes,  —  Les  Russes  ont  commencé  les  tra- 
vaux préliminaires  d'établissement  d'un  chemin  de  fer  de  Merv,  sur  la  ligne 
Iranscaspienne,  au  poste  de  Kouchk,  près  de  la  frontière  a%hane.  Cette  ligne, 
de  235  kilom. ,  sera  achevée  en  3  ans  et  s'appellera  la  «  branche  du  Mourghab  ». 
Elle  aura  7  stations  :  Sarg-Yazy,  Kapterkan,  Sultan-Bend,  Imam-Caba,  Fâsh- 
Kupri,  Kalch-i-mov  et  Kouchk.  La  dépense  est  prévue  pour  8  millions  1/î 
de  roubles.  Les  Russes  ne  désespèrent  pas  de  pousser  plus  tard  le  chemin  de 
fer  de  Kouchk  à  Hérat,  â  travers  la  chaîne  du  Paropamise.  Hérat  est  à  900  kil. 
de  Pechawer,  terminus  des  chemins  de  fer  de  l'Inde  anglaise. 

D'autre  part,  le  chemin  de  fer  transcaspien  va  être  prolongé  au  cœur  de 
l'Asie.  La  voie  est  déjà  construite  de  Samarkand  à  Djizak  et  Kavas  (140 
verstes).  M.  G.  Saint- Yves  est  le  premier  Français  qui  soit  passé  par  ce  che- 
min de  fer,  qui  traverse  le  Zarafchan  sur  un  pont. 

A  Kavas,  la  ligne  bifurquera  à  gauche  sur  Tachkent  et  à  droite  sur  Khod- 
jend,  Kokan,  Marghilan  et  Andidjan.  La  ligne  qui  ira  à  Tachkent  franchira 
le  Syr-Daria  sur  un  pont  de  240  mètres.  —  On  compte  achever  ces  deux 
lignes  en  1898. 

Travaux  du  Transsibérien.  —  Une  dépêche  de  Tomsk  annonce  que 
le  1^  train  direct,  qui  était  parti  de  S'-Pétersbourg  le  1^  avril  à  9  h.  du 
matin,  est  arrivé  à  Tomsk,  le  7  à  5  h.  de  l'après-midi.  C'est  le  seul  express 
qui  roule  sans  interruption  pendant  6  jours  et  6  quits.  Les  voitures  sont 
construites  de  manière  à  rendre  le  roulement  presque  imperceptible.  L'éclai- 
rage est  électrique.  Il  y  a  un  restaurant,  une  bibliothèque,  des  pianos,  et 
même  des  appareils  de  gymnastique. 

La  ligne  sibérienne  centrale,  avec  embranchement  à  Tomsk,  est  aujour- 
d'hui achevée,  ce  qui  permet  d'aller  d'une  seule  traite  jusqu'à  Krasnoiarsk. 
Les  travaux  avancent  aussi  sur  la  ligne  Irkoutsk-Balkal,  la  ligne  transbaikale, 
la  ligne  de  rOussouri  et  la  ligne  de  Perm-Kotlas.  2.000  acres  de  bois  ont  été 
abattus;  30  millions  de  mètres  cubes  de  terrassements,  un  million  \/Aàe 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  3ii 

mètres  carrés  de  remblais  en  tranchées  et  près  de  130.000  mètres  cubes  de 
travaux  de  maçonnerie  ont  été  exécutés.  Sur  630  verâtes,  des  ponts  en  bois 
et  fer  ont  été  construits  sur  la  seconde  portion  de  la  ligne  centrale  et  sur  la 
ligne  de  TOussouri.  Sur  la  ligne  transbaïkale,  241  ponts  çont  achevés.  En 
tout»  1.002  gai^  et  cabanes  d'entretien  ont  été  élevées.  47  stations  ont  été 
approvisionnées  d'eau.  1.163.000  traverses  ont  été  livrées,  ainsi  que 
4.498.000  tonnes  de  rails,  boulons  et  matériel,  32  machines  et  756  wagons 
ou  plates-formes  ont  été  expédiés. 

Depuis  3  ans,  on  a  exécuté  sur  la  ligne  transsibérienne  :  100  millions  de 
mètres  cubes  de  terrassements,  2.959  verstes  de  rails,  305  verstes  de  ballast. 
La  rigueur  du  climat  retarde  singulièrement  les  travaux;  ceux-ci,  en  effet, 
doivent  être  suspendus  pendant  7  mois  de  l'année  et  les  travaux  de  maçon- 
nerie ne  peuvent  être  exécutés  qu'en  été. 

Indo-Ghlne  française  :  Sanitorium  à  créer,  —  L^s  Européens  établis 
en  Indo-Chine  ne  peuvent  se  remettre  des  fetigues  du  climat  qu'en  allant  au 
Japon  ou  en  revenant  en  France,  ce  qui  est  bien  loin. 

Le  cap  Saint-Jacques  et  la  pointe  de  Doson  seront  surtout  des  stations  bal- 
néaires et  non  des  sanitoria  pour  les  malades.  Il  y  a  donc  lieu  de  chercher 
installer  dans  la  colonie  un  établissement  analogue  à  celui  du  D^  Mècre 
Yokohama. 

Les  Français  de  la  Guadeloupe  ont  bâti  sur  les  hauteurs  de  Matouba  et  du 
cap  Jacob  des  maisons  où  ils  peuvent  se  reposer.  Le  même  but  est  atteint  à 
la  Réunion  par  le  bourg  de  Salazie.  Les  Anglais  ont  créé  dans  Tlnde  de  véri- 
tables villes  sur  plusieurs  points  élevés,  à  Simba,  à  Dardjiling,  à  Outaca- 
camound,  à  Març,  à  Mont-Abou,  etc.  A  Sumatra,  les  HollandaisJ[envoient  les 
convalescents  sur  le  plateau  de  Menangkabao  (hautes  terres  de  Padangj.  A 
Java,  le  sanitonum  est  à  Sindang-Laja,  à  1,070  mètres  d'altitude.  Les  Espa- 
gnols en  Amérique,  le  Brésil  ont  fait  rechercher  dans  les  montagnes  des  ré- 
gions à  température  plus  douce  et  à  climat  plus  sain. 

L'Indo*Chine  renferme  tout  ce  qu'il  faut  pour  y  créer  un  sanitorium. 
MM.  Neis,  Humann  et  Yersin  ont  trouvé,  dans  la  région  arrosée  par  le  haut 
Dong-Naï,  des  vallées  et  plateaux  situés  entre  800  et  1,200  mètres  d'altitude, 
où  les  forêts  de  conifères  alternent  avec  des  clairières  couvertes  d'une  herbe 
à  pâturages.  Cette  région  est  à  proximité  du  port  de  Nha-Trang,  à  l'est,  et  de 
celui  de  Phan-Hi,  au  sud.  L'occupation  de  cette  région,  dit  le  Courrier  de 
Saigon  située  sur  les  conûns  non  délimités  de  la  Cochinchine,  de  l'Annam  et 
du  Laos  serait  facile;  on  la  relierait  à  la  côte  par  une  route  et  on  n'aurait 
qu'à  y  transporter  des  c(\nstructions  démontables. 

Une  mission  vient  d'être  envoyée  dans  le  bassin  du  haut  Dông-Naï  pour 
étudier  la  question  de  l'installation  d'un  sanitorium,  notammeut  dans  les 
environs  d'Yum  et  de  Melone. 

Atinnuf^  :  Port  de  Tourane.  —  Un  arrêté  de  M.  Doumer,  gouverneur  gé- 
néral, en  date  du  29  janvier  1898,  a  loué  à  MM.  Ulysse  Pila  et  J.  B.  Malon, 
Vilot  de  l'Observatoire,  à  l'entrée  du  port  de  Tourane,  (à  Texceplion  dune 


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312  REVUE  FRANÇAISE 

surface  de  d.OOO  mètres  carrés,  au  nord),  en  vue  de  l'exploitation  des  houil- 
iières  et  des  docks  de  Tourane.  Le  bail  aura  une  durée  de  20,  30,  40,  50  ou 
60  ans  à  dater  du  i^'  mars  1898. 

Sur  les  terrains  loués  moyennant  une  redevance  de  100  piastres  par  an,  les 
concessionnaires  s'engagent  à  exécuter  ou  installer  à  leurs  frais  :  un  appon- 
tement  de  115  mètres,  300  mètres  de  quais,  des  magasins  clos  d'une  surface 
d'au  moins  1.000  mètres,  etc.,  en  un  mot  tout  l'outillage  nécessaire  pour  la 
navigation  et  le  commerce,  Les  travaux ,  qui  ne  coûteront  rien  au  protecto- 
rat, devront  être  commencés  dans  6  mois  et  finis  dans  2  ans.  La  rénuméra- 
tion des  concessionnaires  consistera  simplement  dans  la  perception  de  taxes 
minimes. 

Ces  travaux  permettront  au  port  de  Tourane,  le  seul  de  TAnnam,  de  prendre 
le  développement  auquel  sa  situation  l'appelle  ;  les  mines  de  houille  de  Nong- 
Son  pourront  aussi,  par  des  communications  faciles,  voir  augmenter  beau- 
coup leur  chif]^  d'exploitation. 

La  baie  de.  Kouang-Tchéou.—  Lbl  Hong-Kong  Weekly  Press  donne  quel- 
ques détails  sur  la  baie  de  Kouang-Tchéou  (ouang  que  l'on  ajoute  au  nom 
de  la  ville,  veut  dire  baie  en  chinois), 

Kouang-Tchéou  est  situé  à  environ  200  milles  à  l'O-S-O  de  Hong-Kong:  la 
baie  est  excellente  aussi  bien  pour  faire  un  port  de  guerre  qu'un  port  de  com- 
merce, et  les  Français  ont,  en  choisissant  ce  point  comme  base  d'opération, 
Mt  preuve  d'un  grand  sens  de  ce  qu'il  leur  faut  et  de  la  manière  de  se  l'as- 
surer. Le  port  est,  à  certains  égards,  égal  à  celui  de  Hong-Kong,  supérieur 
même,  à  certains  points  de  vue,  quoique  bien  des  avantages  du  port  anglais 
lui  fassent  défaut;  c'est  en  tous  cas,  un  point  sur  lequel  il  vaut  la  peine  de 
mettre  la  main.  On  accède  par  deux  étroites  entrées  au  havre  qui  a  20  milles 
de  longueur  et  est  complètement  dans  l'intérieur  des  terres;  la  profon- 
deur en  est  de  6"  50  à  20  m.  environ,  le  fonds  est  de  bonne  tenue.  L'entrée 
orientale,  qui  a  une  largeur  d'à  peu  près  un  demi-mille  (un  peu  plus  de 
800  m.),  est  bordée  au  large  par  plusieurs  bancs  de  sable  qui  en  rendent 
l'accès  directement  impossible  du  côté  de  la  haute  mer;  mais  il  y  a  un 
bon  chenal  qui  suit  à  quelque  distance  la  plage  en  venant  du  Sud,  avec 
une  profondeur  moyenne  de  13  m.  environ,  bien  qu'elle  s'abaisse  en  un 
point  à  10  m.  environ.  A  l'entrée  même  de  la  baie,  la  profondeur  est  d'à  peu 
près  16  mètres. 

La  partie  la  plus  large  de  la  baie  a  environ  10  milles  de  l'E.  à  TO.  et  en- 
viron 6  ou  7  du  N.  au  S.  donnant  ainsi  un  ancrage  sûr  à  une  immense  flotte 
du  plus  fort  tirant  d'eau.  Le  courant  de  marée  est  très  fort  à  l'entrée  du  port, 
comme  on  doit  s'y  attendre,  vu  l'immensité  du  bassin  qui  s'emplit  et  se  vide 
au  flux  et  au  reflux  et  l'élroitesse  du  goulet.  Une  rivière  de  quelque  impor- 
tance tombe  dans  la  baie  de  Kouang-Tchéou  et  sur  cette  rivière  se  trouve  la 
ville  de  Iché-Komé,  centre  d'un  commerce  important  avec  Macao  et  Kong- 
Moun  sur  la  rivière  de  l'Ouest  ou  Si-Kiang. 

L'amiral  de  la  Bédollière  vient  de  prendre  possession  de  la  baie. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  313 

Les  traversées  de  l'Asie. —^  Notre  collaborateur,  M.  Paul  Barré,  a 
fait  au  congrès  des  sociétés  savantes,  à  Paris,  le  15  avril  1898,  une  commu- 
nication sur  les  traversées  de  TAsie,  qui  complète  le  travail  quil  avait  déjà 
publié  ici  (1).  11  en  a  compté  29  principales,  dont  12  françaises.  7  russes, 
5  anglaises,  2  italiennes,  1  hollandaise,  1  allemande,  1  suédoise. 
En  voici  la  liste  : 

10  Plan  Carpin  (italien)  d'Européen  Chine  (1246). 
2°  Ruysbroeck  (hollandais),  d'Europe  en  Chine  (1253). 
3»  Marco-Polo  (italien),  d'Europe  au  Japon  (1271-1290). 
4»  E.  Bouza  (russe),  traverse  la  Sibérie  (1635). 
5®  M^pylof  (russe),  traversée  de  la  Sibérie  (1639). 
6<*  Stadoukhim  et  Ignaiief  (russes),  traversée  de  la  Sibérie  (1644). 
7°  Dejnef  (russe),  d'Europe  à  la  mer  de  Behring  (1648). 
go  Bagkof  (russe),  d'Europe  à  Pékin  (1651). 
9>  Pallas  (allemand),  traversée  de  la  Sibérie  (1769-1774). 
IQo  B.  de  Lesseps  (français),  du   Kamchatka  à  Saint-Pétersbourg  (1785- 
1788).  (2) 
110  Ney  Elias  (anglais),  des  Indes  en  Europe  par  le  Pamir  (1872-1873). 
120  }£ac  Carthy  (anglais),  de  Sanghaï  a  la  cAte  birmane  (1876-1878. 
130  Ed,  Cotteau  (français),  d'Europe  au  Japon  à  travers  la  Sibérie  (1881). 
14<>  Joseph  Mçurtin  (français),  traversée  de  la  Sibérie  ((1879-1881). 
150  B.  Méchain  et  de  Mailly  Chalon  (français),  de  Pékin  en  Russie  (1883). 
160  Joseph  Martin  (français),  traversée  de  la  Sibérie  (1882-1886). 
170  Younghusband  (anglais),  de  Pékin  aux  Indes  (1887). 
I80  G.  Bonvalot,  Henri  (TOrléans  (français)  et  de  Decken  (belge),  de  la  Si- 
bérie au  Tonkin  (1889-1890). 
190  Bower  (anglais),  des  Indes  à  Shanghai  (1890-1892). 
200  Radloff  (russe),  de  Saint-Pétersbourg  à  Pékin  (1891-1892). 
2I0  LitUedale  (anglais)  et  sa  femme,  de  la  mer  (^pienne  à  Pékin  (1893). 
220  P.  Grenard  (français),  de  Russie  à  Shanghaï  (1892-1895). 
230  Menkhadjino/f  et  Oulanoff  (kalmouks   russes).  d'Astrakhan  à  Pékin 
(1893-1894). 

24«  Levât  (français)  et  Sabachnikof  (russe),  d'Europe  à  Vladivostok  (1895- 
1896). 

^o  /.  Cha/fanjon,  Mangini  et  Gay  (français),  du  Turkestan  à  Vladivostock 
par  la  Mongolie  (1894-1896). 

260  Ch.  Bonin  (français),  du  fonkin  à  Ourga  (Mongolie)  et  à  Pékin  (1895- 
1896). 
270  Sven  Hedin  (suédois),  du  Turkestan  russe  à  Pékin  (1896-1897). 
280  Marcel  Monnier  (français),  de  Tlndo-Chine  à  Vladivostok  par  la  Chine 
puis  de  là  en  Perse  par  le  lac  Baïkal  (1895-1898). 

(i)  Voir  R.  F.,  1891,  tome  xiii,  page  476. 

(if  Un  certain  nombre  de  traversées  de  la  Sibérie  ont  été  omises  dao»  cette  liste  où 
M.  Paul  Barré  n'a  fixé  qae  les  voyages  présentant  un  réel  intérêt  de  découvertes. 


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314  REVUE  FRANÇAISE 

29<>  M"*<»  Isabelle  Massieu  (française),  de  Hong-Kong  au  Turkeslsn  roise 
1896-1897), 

Dans  la  région  sibérienne  tout  au  moins,  la  traversée  de  l'Asie  n'aura 
bientôt  plus  de  mérite,  puisqu'on  pourra  la  faire  en  chemin  de  fer. 

AMÉRIQUE  ET  DIVERS. 

Canada:  U industrie  du  saumon  en  Colombie,  —  Une  grande  partie  des 
saumons  en  bottes  que  l'on  consomme  en  France,  provient  du  Canada  occi- 
dental. Le  saumon  conservé  est,  en  effet,  une  industrie  qui  constitue,  avec 
l'exploitation  des  mines  et  des  forêts,  une  des  principales  ressources  de  la 
Colombie  britannique.  Le  premier  établissement  fut  fondé  en  1875  à  Inver- 
ness,  par  MM.  Turner  et  Breton.  En  1876,  deux  autres  furent  créés  sur  la 
rivière  Fraser,  dans  l'île  Dease  et  dans  l'Ile  du  Lion.  Une  fabrique  fut  établie 
en  1877  sur  la  rivière  Lulu.  En  1878,  une  usine  et  une  fabrique  furent 
construites.  En  1879,  un  nouvel  établissement  fut  installé.  Actuellement,  on 
compte  34  maisons  «'occupant  des  conserves  de  saumon  sur  la  rivière  Fraser 
et  22  sur  les  autres  rivières  de  la  province. 

Les  saumons,  décapités,  débarrassés  de  leurs  arêtes  et  écailles,  sont  diri- 
gés vers  une  roue  à  aubes  qui  les  distribue  à  une  série  de  couteaux  qui  les 
coupent  à  la  dimension  des  bottes.  Les  morceaux  sont  ensuite  placés  dans 
les  boîtes,  qui  passent  dans  des  nettoyeurs  automatiques,  où  un  jet  de  vapeur 
et  un  rouleau  de  caoutcbouc  enlèvent  les  petits  morceaux  qui  pourraient 
encore  adhérer  aux  parois  extérieures.  Les  couvercles  sont  ensuite  posés  à  la 
main  et  soudés  à  la  machine.  Les  bottes,  après  fermeture,  sont  soumises, 
pendant  45  minutes,  à  un  bain  de  vapeur  chauflfé  à  256  degrés. 

États-Unis  :  Key  West.  —  Le  port  de  Key  West,  où  se  trouve  concentrée 
la  flotte  des  États-Unis  opérant  contre  Cuba,  est  situé  à  l'extrémité  des  nom- 
breuxf  îlots  qui  forment  le  prolongement  de  la  Floride.  Les  cayes  ou  récifs 
de  la  Floride  sont  une  chaîne  d'îles  basses,  couvertes  de  palétuviers  et  ayant 
une  étendue  du  N.-E.  au  S.-O.  de  200  milles  (370  kil.).  Ce  nom  de  caye,  dit 
le  Cosmos,  provenant  de  l'espagnol  cayos,  s'applique  aux  îlots  sablonneux 
ou  rocheux  (madréporiques)  que  Ton  trouve  dans  la  mer  des  Antilles.  Les 
Anglais  en  ont  fait  cay  et  les  américains  key.  Quelques-unes  seulement  de  ces 
cayes  sont  habitées  par  des  pêcheurs.  Elles  sont  bordées  à  une  distance  de 
8  à  12  kil.  par  des  récifs  de  corail  étroits  qui  sont  accores  et  dangereux.  Les 
passes  qui  existent  conduisent  dans  un  canal  intérieur  navigable  pour  les 
plus  grands  navires  jusqu'à  Key  West.  Mais  ce  canal  est  dangereux  pour  la 
navigation. 

Key  West  (ou  la  caye  de  l'Ouest)  est  File  la  plus  importante  du  groupe. 
Elle  a  6.500  mètres  de  long  sur  1  kil.  de  large.  Elle  est  très  basse,  bordée 
d'une  plage  de  sable  et  généralement  couverte  de  mangliers  très  serrés.  La 
ville,  avec  ses  maisons  entourées  de  cocotiers,  est  situte  au  N.-O.  de  l'ile; 
elle  est  protégée  par  le  fort  Tayior.  Key  West,  dont  le  mouillage  est  excellent, 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  315 

commande  le  canal  de  la  Floride,  à  proximité  de  la  Havane  située  de  l'autre 
côté,  à  90  milles  (160  kil.). 

L'importance  de  Key  West  est  encore  accrue  par  suite  de  la  guerre  avec 
l'Espagne.  L'amirauté  américaine  y  a  depuis  longtemps  un  arsenal  et  un 
dépôt  de  charbon  ;  mais  il  y  manque  un  dock,  tandis  qu'il  en  existe  un  à  la 
Havane.  On  trouve  à  Key  West  des  approvisionnements  de  toutes  sortes,  eau, 
provisions  fraîches  et  même  de  la  glace.  La  ville  est  reliée  par  cable  à  la 
Havane  et  aux  États-Unis.  La  population  s'élevait,  en  1890,  à  3.000  âmes,  en 
grand  nombre  pécheurs. 

CSaba  et  Porto-Rioo  :  Commerce  avec  r Espagne.  —  La  situation  particu- 
lière de  Cuba  n'a  que  peu  influé  jusquici  sur  son  mouvement  commercial 
avec  la  métropole.  En  1895,  l'Espagne  a  vendu  à  Cuba  (à  l'exclusion  de  l'or 
et  de  l'aident)  pour  119.345.000  pesetas  ou  piécettes,  alors  que  l'Ile  n'a  fourni 
à  sa  métropole  que  pour  33.944.000  piécettes.  Pour  1896,  l'Espagne  a  vendu 
à  Cuba  pour  131.428.000  p.,  soit,  malgré  l'état  d'insurrection  de  l'île,  une 
plus-value  sensible  de  15  millions  alors  qu'elle  ne  lui  a  plus  acheté  que  pour 
ii .928.000  p.,  bien  moins  encore  que  l'année  précédente. 

Les  exportations  espagnoles  ont  augmenté  surtout  pour  les  armes  à  feu, 
la  iarine  de  blé,  le  riz  et  le  maïs,  les  sandales.  Les  importations  de  Cuba  en 
Espagne  ont  diminué  surtout  pour  le  tabac  et  le  sucre,  ce  qui  s'explique  par 
la  ruine  d'une  partie  des  plantations. 

Les  principaux  produits  achetés  par  Cuba  à  l'Espagne,  en  1896,  sont  :  la 
fîmne  de  blé  (20.327.000  p.),  les  tissus  de  coton  (18.721.000  p.),  les  sandales 
(13.433.000  p.),  armes  à  feu  (9.361.000  p.),  le  vin  ordinaire  (7.347.000  p.). 

Les  principales  ventes  de  Cuba  à  sa  métropole  sbnt  constituées  par  le  tabac 
(9.362.000  p.),  le  sucre  (6.590.000  p.),  le  cacao  (3.048.000  p.),  etc. 

Pour  Porto-Rico,  les  marchandises  provenant  d'Espagne  ont  atteint  en 
1896  la  valeur  de  37.604.000  p.  soit  une  augmentation  de  10  millions  1/2 
sur  l'année  précédente,  portant  pour  5  millions  sur  les  tissus  de  coton.  Quant 
aux  produits  importés  de  Porto-Rico  en  Espagne  ils  ont  atteint  la  valeur 
de  27.772.000  p.  présentant,  à  l'inverse  de  ce  qui  a  eu  lieu  à  Cuba,  une  plus- 
value  de  plus  de  5  millions.  Si  le  tabac  était  en  décroissance  de  1  million,  le 
sucre  présentait  une  augmentation  de  3  millions  et  le  café  également. 

Allemagne  :  Sexennat  naval,  —  Le  projet  soumis  depuis  plusieurs  mois 
au  Reichstaget  relatif  à  l'augmentation  de  la  flotte,  a  finalement  été  adopté. 
Après  une  asseï  vive  discussion,  le  Reichstag  a  voté  en  2®  lecture  (25  mars), 
par  212  voix  contre  439  l'art.  1**^  —  qui  constituait  l'essence  môme  du  pro- 
jet —  fixant  le  nombre  des  bAtiments  qui  doivent  être  toujours  prêts  à  entrer 
en  campiignç  et  la  période  pendant  laquelle  seront  construits  les  nouveaux 
navires.  Le  vote  du  projet  en  3®  lecture  a  eu  lieu  le  28  mars  presque  sans 
débats. 

D'après  la  nouvelle  loi  dite  du  sexennat,  l'Allemagne  aura  dans  6  ans  une 
belle  flotte  de  guerre  composée  de  17  cuirassés  de  i^  rang,  8  garde-côtes  cui- 


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316  REVUE  FRANÇAISE 

rassés,  9  croiseurs  de  l®""  rang,  26  croiseurs  dé  2«  rang,  avec  une  réserve  de 
2  cuirassés,  3  grands  croiseurs  et  4  petits,  ce  qui  lui  donnera  une  force  navale 
comparable  à  celle  de  la  France.  La  loi  fixe  pour  6  années  (1898-1904)  les 
dépenses  extraordinaires  s'élevant  à  471  millions  de  marks  et  à  4«2ÛO.000 
msitks  Taugmentation  des  dépenses  courantes. 

Roumanie  :  Développement  maritime,  —  La  Roumanie,  qui  ne  possédait, 
jusqu'au  traité  de  Dorlin  de  1878,  que  les  bouches  du  Danube  comme  terri- 
toire maritime,  a  annexé,  par  ce  traité,  le  territoire  de  la  Dobrutscha,  surla 
mer  Noire,  et  y  a  créé  de  toutes  pièces  le  port  de  Constanza,  l'ancienne  Kus- 
tendjé.  Par  suite,  la  navigation  sous  pavillon  roumain  sur  le  Danube  et  la 
mer  Noire,  qui  n'existait  pour  ainsi  dire  pas,  a  pris  depuis  peu  un  dévelop- 
pement assez  rapide.  Il  y  a  5  ans,  ce  service  ne  comprenait  que  2  remor- 
queurs et  quelques  schlepps.  En  1895,  la  C'«  danubienne  vendait  au  gouver- 
nement roumain  ses  2  plus  beaux  vapeurs,  ainsi  que  ses  chantiers  de 
construction  de  Turnu-Sevérin.  Ces  chantiers  ont  déjà  construit  un  joli  ba- 
teau fluvial  et  le  gouvernement  a  acquis  2  autres  navires  assurant  le  service 
postal  entre  Constanza  et  Constantinople.  En  1896,  ce  service  roumain<*écla- 
mant  un  nouveau  vapeur,  l'État  acheta  un  paquebot  de  la  C'«  italienne  Flo- 
rio.  Avec  ces  bateaux,  le  gouvernement  desservait  les  lignes  de  Braïla-Galatz- 
Constanza-Constantinople  et  de  Constanza-Constantinople,  le  premier  avec  un 
voyage,  le  second  avec  3  voyages  par  semaine.  Un  3®  service  vient  d'être  ins- 
tallé entre  Londres-Marseille  et  Galalz-Braïla,  au  moyen  de  3  vapeurs  cons- 
truits à  Kiel. 

Pour  accaparer  le  commerce  danubien,  la  Roumanie  est  décidée  à  créer  un 
¥  service  entre  ses  ports  et  les  Indes.  Mais  les  Roumains  auront  fort  à  foire 
pour  lutter  contre  la  concurrence  des  pavillons  étrangers.  Voici,  en  effet, 
quels  sont  les  services  réguliers  qui,  en  1897,  ont  fréquenté  leurs  ports. 

C*^  marseillaise  Fraissinet  (3  vapeurs,  service  bi-mensuel  de  Marseille  i 
Galatz-Braïla)  : 

Lloyd  autrichien  (service  hebdomadaire  de  Galatz  à  Constantinople  et  à 
Batoum)  ; 

S*^  russe  de  navigation  sur  la  mer  Noire  et  le  Danube  (cinq  services  heb- 
domadaires ; 

C'®  privilégiée  austro-hongroise  de  navigation  sur  le  Danube  (service  quo- 
tidien de  Galatz  à  Toultcha,  etc.)  ; 

0«  générale  de  navigation  italienne  (service  hebdomadaire)  ; 

C*^  allemande  Deulsche-Donau-Linie  (3  voyages  par  semaine)  ; 

S^  hongroise  de  navigation  fluviale  et  maritime  (3  voyages  par  semaine^ 

En  outre,  des  services  irréguliers  sont  faits  par  les  MessagerFes  maritimes 
françaises,  la  C'«  anglaise  Johnston,  les  S""»  anglaisée  Johnson  et  Wilson,  la 
C'e  belgo-roumaine,  la  Deutsche  Levante  Linie,  etc.  Soit  un  total  de  8  ser- 
vices réguhers  et  de  5  lignes  à  services  irréguliers. 

Houille  :  Production.  —  La  production  de  la  houille  sur  le  globe,  qui 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  317 

n'était  en  1865  que  de  174  millions  de  tonnes,  s*est  élevée,  en  1895,  à 
578.818.000.  L'Angleterre  reste  encore  le  pays  qui  produit  le  plus  de  houille, 
mais  les  États-Unis  et  l'Allemagne,  les  premiers  surtout  ne  tarderont  pas 
sans  doute  à  la  dépasser,  si  leur  progression  persiste.  La  production  anglaise 
reste  presque  stationnaire,  tandis  que  celle  de  l'Allemagne  a  triplé  depuis 
30  ans.  En  1895,  la  production  houillère  de  l'Angleterre  a  été  de  192.700,000 
tonnes,  celle  des  États-Unis  de  175.î201.000,  celle  de  l'Allemagne  de 
104,000,000.  Les  autres  pays  ont  des  productions  bien  moindres  :  France 
28.0-20.000  tonnes,  Belgique  20.458.000,  Autriche  26.907.000,  Hongrie 
4.589.000.  La  production  des  houillères  du  Pas-de-Calais,  qui  progresse 
loujoui's,  a  été  de  44  millions  de  tonnes,  soit  la  moitié  de  la  production  fran- 
(.'aise.  La  France  est  obligée  de  consommer  encore  31  0/0  de  houilles  étran- 
gères. Les  houilles  anglaises  entrent  en  France  pour  4.434.000  tonnes,  les 
houilles  allemandes  pour  1.037.000  t.  et  les  houilles  belges  pour  4.888.000  t. 

Cuivre  :  Production.  —  En  1896,  le  monde  entier  a  produit  387.207 
tonnes  de  cuivre,  contre  339.699  en  1895.  L'augmentation  provient  surtout 
de  TAmérique.  Les  États-Unis,  qui  avaient  donné  175.294  tonnes  de  cuivre 
en  1895,  en  ont  fourni212.112t.  en  1896.  L'état  de  Montana,  seul,  a  produit 
183.966  l.  de  cuivre  raffiné  et  les  seules  usines  d'Anaconda  56.910  t.  (dont 
48.580  t.  expédiées  en  Europe  sous  forme  d'anodes  de  cuivre  noir  pour  le 
raffinage  par  Téleclrolyse).  En  Europe,  c'est  l'Allemagne  qui  produit  le  plus 
de  cuivre  :  20.306  t.  en  1896.  L'Angleterre  en  a  donné  seulement  508  t.  (dis- 
trict de  Swansea),  et  la  Suède  à  peu  près  autant. 

Nickel  :  Production.  —  En  1896,  la  production  du  nickel  et  de  ses  com- 
posés métalliques  (oxyde,  sulfure,  sulfate,  etc.),  a  été  de  6.280  t.  contre 
5,617  t.  en  1895  et  0.634  t.  en  1894.  La  production  la  plus  importante  est  celle 
de  la  Nouvelle-Calédonie  (2.972  t.  en  1896,  2.548  en  1895,  2.422  en  1894)  ;  la 
production  néo-calédonienne  augmente  donc  sans  cesse,  alors  que  celle  du 
Canada  diminue  (2.226  t.  en  1894,  1.764  en  1895  et  1.542  en  1896)  et  que 
celle  d€s  États-Unis  a  aussi  la  même  tendance  (1 .677 1.  en  1896  contre  1.215  t. 
en  1895  et  1.916 1.  en  1894).  La  Norvège  produit  par  an  90  t.  de  nickel.  La 
consommation  étant  inférieure  à  la  production,  il  doitdoncy  avoir  en  ce  mo- 
ment une  accumulation  de  stocks. 

Coton  :  Production.  —  La  protluclion  totale  du  coton  sur  le  globe  a  étt', 
en  1889-90,  de  15.235.000  balles  de  iOO  livres.  Sur  ce  total,  plus  de  la  moitié 
est  à  l'actif  des  États-Unis  qui  ont  produit  à  eux  seuls  8.520.000  balles ,  soit 
35,92  0/0 du  total. 

Le  second  rang  appartient  aux  Indes  anglaises  (3.280.000  balles),  puis  vient 
la  Chine  (1.450.000  b.).  Les  autres  pays  ont  des  productions  cotonnières  bien 
moins  importantes.  Voici  leur  énumération  :  Egypte  750.000  ;  Amérique  du 
Sud  et  Antilles  400.000  ;  Afrique  (sauf  l'Egypte)  37o.0ô0  ;  Asie  russe  200.000; 
Turquie  120.000;  Japon  115.000  ;  Grèce,  Italie,  etc.  25.000  balles. 

L'Egypte  exporte  une  grande  partie  du  coton  qu'elle  produit  et  en  envoie 


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318  REVUE  FRAI^iÇAISE 

même  aux  États-Unis  ;  Texportation  du  coton  égyptien,  qui  n'était  que  de 
4.550  bàUes  en  1884-85,  atteint  23.790  balles  en  1890-91  et  59.118  b.  en  1894- 
95.  Le  coton  égyptien  est  aussi  très  apprécié  en  Europe. 

Après  rinde  et  TÉgypte ,  l'Asie  russe  est  un  pays  destiné  à  faire  concur- 
rence aux  États-Unis  pour  le  coton.  Le  coton  américain  des  régions  élevées  a 
été  mtroduit  au  Turkestan  en  1884  et,  dès  1894,  cette  région  en  produisait 
120  millions  de  pounds. 

Arbre  sifflear.  —  U  existe  un  arbre  bien  curieux,  rencontré  par 
Scbweinfurth  en  Afrique.  Cet  arbre,  connu  des  indigènes  sous  le  nom  de 
tsofarj  produit  une  gomme  appelée  gedarefy  très  recherchée  des  traitants  arabes. 
Cette  gomme  sert  de  nourriture  à  un  insecte  qui,  pour  la  découvrir,  creuse 
les  branches  et  les  perfore  de  part  en  part.  Quand  le  vent  vient  à  souffler,  il 
s'engage  dans  ces  petits  tuyaux,  ce  qui  produit  des  sifiQements,  d'où  le  nom 
d'arbre  sifiïeur  donné  à  ce  végétal. 

Mouche  tsétsé.  —  La  mouche  tsétsé,  Glosinia  morsUanSy  fléau  du  bétail 
dans  l'Aû'ique  australe,  est  un  insecte  ailé,  de  15  millimètres  de  long,  de 
couleur  brun  foncé  et  brun  clair.  Elle  est  armée  d'un  aiguillon  acéré  de  7  à 
8  millimètres,  au  moyen  duquel  elle  distille  son  venin.  Ce  venin  est  mortd 
pour  le  chiea,  le  bœuf,  le  mouton  et  le  cheval;  il  est  inofifensif  pour  les  ani- 
maux sauvages  et  pour  le  mulet,  Tâne  et  la  chèvre.  En  volant,  la  tsétsé  pro- 
duit un  bourdonnement,  appelé  par  les  indigènes  chant  de  la  tsétsé,  qui  rap- 
pelle le  celui  de  la  guêpe  ;  il  s'entend  à  près  de  50  mètres. 

Le  venin  de  cette  mouche  ne  produit  d'efifet  chez  l'animal  atteint  que 
24  heures  après  la  piqûre.  L'animal  a  de  l'anxiété,  de  l'inappétence;  il  est 
agité  de  mouvements  convulsifs,  l'œil  devient  brillant,  la  pupille  se  dilate; 
cette  première  phase  dure  de  10  à  15  heures.  Puis  le  poil  se  hà'isse, 
les  yeux  pleurent,  une  mucosité  sanguinolente  s'échappe  des  narines;  l'ani- 
mal bêle  ou  hennit  et  n'avance  plus  qu'en  chancelant.  Au  bout  de  24  heures 
les  lèvres  s'enflent  et  se  tuméfient,  l'abdomen  et  les  flancs  s'excavent,  l'amai- 
grissement survient,  l'animal  tombe  dans  le  coma  et  meurt  Parfois  aussi, 
ranimai  semble  fou,  se  précipite  sur  tous  les  objets  en  poussant  de  grands 
cris,  les  mord,  se  roule,  gratte  la  terre  et  finit  par  s'abattre  sur  le  sol  où  il 
meurt.  Il  n'y  a  jusqu'ici  qu'un  seul  i*emède  contre  ce  fléau  :  c'est  de  fuir  le 
lieu  où  la  première  tsétsé  a  été  signalée.  Ces  mouches  préfèrent  les  endroits 
humides,  quelque  peu  boisés,  n'en  sortent  que  pour  aller  piquer  le  bétail  qui 
passe  dans  leur  voisinage  et  y  reviennent  aussitôt. 

La  mouche  tsétsé,  d'après  la  Revue  scientifique,  ne  se  rencontre  pas  dans 
toute  l'Afrique  équatoriale.  Stanley  émit  cette  opinion,  sans  doute  pour 
éloigner  les  autres  explorateurs  et  réserver  au  roi  des  Belges  le  bassin  do 
Congo  qu'il  venait  de  révéler. 

M.  H.  Chastrey,  par  ses  recherches  et  ses  renseignements,  est  convainco 
que  la  mouche  tsétsé  n'existe  pas  dans  les  bassins  du  Congo,  du  Kassaf,  de 
la  Sangha  et  de  TOubanghi,  ni  dans  la  région  des  grands  lacs.  On  peut  donc 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  349 

parCutement  maltiplier  le  bétail  européen  dans  ces  vastes  plaines.  Le  gouver- 
nement français  a  fait  d'ailleurs,  à  Brazzaville  et  à  Loudima,  des  essais  d'ac- 
climatation qui  sont  très  encourageants  :  commencés  en  1889,  ces  essais 
avaient  produit  deux  ans  après  une  trentaine  de  bétes. 

La  tsétsé  ne  vit  que  dans  le  bassii»  du  Zambèze  moyen  jusqu'aux  iron- 
tières  du  Transvaal,  du  côté  du  sud.  On  en  aurait  cependant  rencontré  au 
Natal,  dans  la  région  de  Durban. 

Langues  :  Statistique,  —  1^  congrès  postal  de  Washington  a  constaté 
que  les  2/3  des  lettres  confiées  aux  diverses  postes  du  monde  sont  écrites 
en  anglais. 

Sur  500  millions  dlndividus  parlant  Tune  des  langues  modernes,  125  mil- 
lions, soit  le  quart,  parlent  Tanglais,  90  millions  le  russe,  75  millions  Talle- 
mand,  55  millions  le  français,  45  millions  l'espagnol,  35  millions  l'italien 
12  millions  le  portugais, 

L'écart  entre  le  chiffre  de  la  population  parlant  anglais  et  la  proportion 
des  correspondances  de  cette  langue  provient  de  l'usage  très  répandu  de 
l'anglais  dans  le  commerce.  Ainsi,  aux  Indes,  les  300  millions  de  lettres  et 
paquets  expédiés  ou  reçus  par  an  sont  surtout  en  anglais,  bien  que,  sur 
300  millions  d'habitants,  300.000  à  peine  parlent  l'anglais. 

Mnsèaxn  :  Cours  pour  les  voyageurs.  —  Voici  le  programme  de  ces  cours  : 
liai,  3,  M.  Vaillant,  reptiles  et  poissons;  5,  M.  de  Rochebrune,  mollusques;  7, 
M.  Perrier,  vers;  10,  M.  Bouvier,  crustacés;  12,  M.  Brongniart,  insectes  ;  14,  M.  Filbol, 
anatomie;  17,  21,  24,  MM.  Bureau,  Morot,  Bois,  plantes;  26,  M.  St.  Meunier,  géo- 
l(^ie;  28,  M.  Lacroix,  minéralogie;  31,  M.  Boule,  paléontologie;  Juin,  2,  M.  Gréhaut, 
hygiène;  4,  M.  Becquerel,  météorologie;  7,  M.  Bigourdan,  topographie;  9,  M.  Da- 
\anne,  photographie;  11,  O  Javary,  cartes  par  photographie. 

'  Petites  nouvelles.  —  L'exposition  des  collections  de  M.  le  b**"  de  Baye  vient 
d*être  ouverte  au  musée  Cfuimet.  On  sait  que  M.  de  Baye  a  rapporté  de  Russie,  de 
Sibérie,  du  Caucase,  de  précieux  documents  ethnographiques  et  scientitiques. 

—  Une  autre  exposition  non  moins  intéressante  est  celle  que  M.  le  C*''  U,  de  La 
Vaulx  Tient  d'ouvrir  un  Muséum,  où  se  trouvent  les  collections  scientifiques  qu'il  a 
recueillies  lors  de  son  voyage  d'exploration  en  Patagonie. 

-^  La  24*  caravane  scolaire  des  Dominicains  d'Arcueil  aura  lieu,  cette  année,  du 
21  juil,  au  3  sept.,  en  Egypte,  Palestine,  Syrie,  Turquie.  Voilà  qui  n'est  pas  banal 
pour  des  jeunes  gens  et  on  ne  peut  qu'applaudir  à  un  programme  d'éducation  aussi 
pratique. 

BIBLIOGRAPHIE 

L'Insurrection  crétoise  et  la  guerre  Gréco-Turque,  par  Henri  Turot. 
Un  vol.  in-16,  avec  gravures  et  cartes.  Hachette,  éditeur.  —  Pendant  plus  de  trois 
mois,  M.  Turot  a  suivi  pas  à  pas  les  événements  qui,  l'an  dernier,  se  déroulèrent  en 
Orient.  L'auteur  assiste  tour  à  tour  aux  lugubres  péripéties  de  l'insurrection  crétoise; 
puis  dès  que  la  guerre  éclate,  il  se  rend  en  Thessalie,  ensuite  en  Épire  pour  noter  au 
jour  le  jour  les  luttes  passionnantes  qui  mettent  aux  prises  musulmans  et  hellènes. 
Son  récit,  très  impartial,  est  dune  précieux  à  recueillir  par  tous  deux  —  et  ils  sont 


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320  REVUE  FRANÇAISE 

nombreux  —  qui  ont  suivi  avec  angoisse  les  diftérentes  phases  de  la  guerre  gréco- 
turque,  qui  ont  douloureusement  pris  part  aux  souflVances  de  la  Grèce  et  qui  cher- 
chent à  se  former  une  opinion  éclairée  sur  les  faits  et  siir  leurs  causes. 

La  olef  de  Paris.  —  Quel  monde  colossal  et  curieux  que  Paris,  et  combien 
ignoré  des  Parisiens  eux-mêmes,  avec  25y000  habitants,  ses  182000  étrangers,  ses 
2  800  fabriques  et  manufactures,  ses  74  000  maisons,  ses  6  624  rues  et  1 500  édifices! 
Comment  apprendre  à  connaître  dans  tous  ses  détails,  cet  organisme  colossal,  qui 
éveille  la  curiosité  et  Tadmiration  du  monde  entier?  Où  trouver  le  fil  pour  se  con- 
duire dans  ce  dédale  immense? 

Dans  cent  volumes  coûteux  à  acheter,  longs  à  lire,  mais  qu'a  résumés  en  un  seul 
Pans- Hachette^  qui  est  le  dictionnaire  et  le  miroir  de  Paris,  avec  800  portraits,  125 
vues  d'édifices,  67  plans,  27  statistiques  illustrées,  en  tout  plus  de  1 000  gravures, 
4000  articles  et  100000  adresses.  Pour  3  fr.  75  Paris- Hachette  donne  en  ses  1 650  pa- 
ges, la  valeur  de  34  volumes  in-18;  à  3  fr.  50.  C'est  le  livre  indispensable  à  tous. 

Ije  roman  d*an  capitaine  de  navire,  par  G.  Dojarric,  A.  Lemerre,  éditeur. 
—  C'est  un  roman  bien  sentimental  qui  nous  montre  en  même  temps  les  particularités 
de  la  vie  en  mer.  On  sent  bien  que  l'auteur,  M.  G.  Dujarric,  a  été  lui-même  un  pro- 
fessionnel de  Tocéan.  Ce  livre  attachant  et  simple  a  le  mérite  de  pouvoir  être  lu  par 
tout  le  monde.  La  mélancolie  qui  s'en  dégage  n'a  rien  de  factice,  car  c'est  an  roman 
vrai. 

L'Afrique  du  Sud,  par  G.  Aubert,  1  fort  vol.  avec  cartes  et  gravures,  Flamma- 
rion, éditeur.  —  Fondateur  d'une  grande  maison  de  commerce  au  Transvaal,  l'auteur 
était  mieux  à  même  que  qui  que  ce  fut  pour  faire  connaître  l'état  de  commerce 
français  dans  r.\frique  du  sud,  son  insuffisance  et  la  cause  de  ses  échecs.  L'ensemble 
que  nous  citons  plus  haut,  tiré  du  livre  de  l'auteur,  est  absolument  topiqne 
(V.  page  308  u 

L'armée  de  Bonaparte  en  Egypte,  par  le  c*  (iuitry.  —  Un  volume  in-S* 
avec  reliure  souple.  —  (^e  volume,  qui  fait  partie  de  la  collection  des  mémoires  mi- 
litaires édité  par  la  maison  Flammar'on,  renferme  un  ensemble  de  documents  bien 
intéressants  à  consulter  :  lettres  d'officiers  et  de  soldats,  mémoires,  rapports  offi- 
ciels, etc.  C'est  la  vie  intime,  anecdotique  de  l'armée  d'ÉgAple  qui  apparaît  dans  ces 
pages,  aussi  intéressante  qu'un  épisode  de  roman  et  peut-être  une  des  plus  riches 
en  enseignements.  L'armée  d'I^pte  a  beaucoup  souffert,  mais  elle  a  conquis  une 
page  immortelle  dans  l'histoire.  Les  Pyramides,  Aboukir,  S'  Jean  d'Acre  sont  là  pour 
en  témoigner.  On  lira  toujours  a\ec  plaisir  ce  qui  se  rattache  à  cette  brillante 
période. 

Lee  rivalités  européennes  en  Extrême-Orient,  par  J.  Joubkrt,  brochure 
où  l'auteur  fait  ressortir  l'importance  des  intérêts  français  dans  le  sud  de  la  Chine. 

-Les  hommes  et  les  choses  néfastes,  par  Ed.  Gibert,  2*  édition,  brochure 
où  l'auteur  retrace  ren\ahissement  de  la  France  par  le  cosmopolitisme  israélite. 

M^  Macaire,  par  le  y^'  de  Noailles,  brochure  dans  laquelle  Fauteur  expose  la 
mission  de  M^*^  Macaire  auprès  de  Ménélik  et  la  création  en  Egypte  du  patriarcit 
copte  catholique  en  1895. 


Le  Gérant,  Edouard  MARBEAU. 

IHPRIULIIIE  CHAIX.   RDB  BBROÈRB,   20,  PARIS.  ~   8874-2-98.  —  (bCTC  UriOcu). 


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Dl]PLEIX  ET  LE  PROTECTORAT  DE  L'INDE 

Rome  n'assujétit  Tltalie  qu'après  une  lutle  cinq  fois  séculaire  et, 
comme  je  l'ai  marqué  dans  Texposé  qui  précède  Thistoire  des  protec- 
loraU  européens,  (1)  Tincorporalion  lente  des  peuples  de  la  Péninsule 
fut  une  œuvre  méthodique  de  division  et  d'isolement  qui  laissait  tout 
d'abord  aux  vaincus  leurs  franchises  et  leurs  distinctions  originelles. 

Ce  ne  fut  qu'au  prix  de  deux  siècles  de  guerre  et  de  diplomatie  que  le 
Sénat  soumit  à  sa  suprématie  l'Afrique  du  nord  et  l'Asie  occidentale, 
observant  à  l'égard  des  États  maintenus  ou  formés  dans  ces  régions, 
cette  même  politique  d'attente  qui  respectait  dans  des  mesures  di- 
verses les  lois  et  les  institutions  nationales.  (1  ) 

Il  est  arrivé  au  xvni*  siècle  qu'en  moins  de  vingt-cinq  ans  un  simple 
gouverneur  de  comptoirs  coloniaux  crées  en  Extrême-Orient  a  établi 
l'hégémonie  de  sa  nation  sur  un  territoire  aussi  vaste  que  l'Asie  ro- 
maine et  ce  prodige  invraisemblable,  il  l'a  accompli  presque  seul  par 
les  mêmes  procédés  qui  ont  fait  de  la  Cité  de  Romulus  la  «  maîtresse 
du  mopde.  » 

Dupleix  occupe  une  place  émiuente  dans  les  annales  des  conquêtes 
asiatiques;  il  y  figure  comme  la  démonstration  vivante  de  celte  vérité 
«  que  dans  le  sort  des  destinées  humaines  le  caractère  est  d'un  plus 
grand  poids  que  Tespril,  la  volonté  que  l'intelligence,  la  ténacité  que 
le  génie.  »  (i). 

J 

L'anarchie  régnait  dans  l'immense  empire  fondé  au  xvi''  siècle  par 
Mohammed  Babour,  arrière  petit-fils  de  Tamerlan.  Des  provinces  succes- 
sivement démembrées  s'étaient  érigées  en  royaumes,  se  subdivisant  à 
leur  tour  en  Etats  subordonnés  d'inégale  puissance  et  soubabs,  nababs 
et  rayas,  à  l'exemple  des  ducs,  comtes  et  autres  «  a^^ents  royaux  »  de 
lepoque  féodale,  s'étaient  insensiblement  substitués  au  pouvoir  sou- 
verain dont  ils  restaient  nominalement  dépendants. 

Dupleix  eut  l'intuilion  du  parti  qu'un  gouvernement  civilisé  pourrait 

ri»  V.  Ed  Engelbardt, les  protectorats  anciens  ol  modernes  1.  introduction. 
(%)  Discours  de  M.  A  Lebon  prononcé  au  Centenaire  de  Dupleix  en  1897. 
xxni  (Juin  98).  N*  234.  21 


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322  REVUE  FRANÇAISE 

tirer  de  cette  décomposition  et  des  conflits  intérieurs  qu'elle  suscitait;  il 
entrevit  à  la  lumière  des  expériences  acquises  au  cours  de  ses  premières 
missions  Tédifice  grandiose  qu'une  main  habile  et  entreprenante  ferait 
sortir  de  ce  chaos. 

La  compagnie  fran<;aise  dont  il  était  devenu  le  mandataire  général 
en  1741,  n'avait  dans  la  pensée  de  Colbert,  son  fondateur,  eonmie  dans 
celle  de  ses  membres,  aucun  but  politique.  Créée  au  capital  modeste 
d'un  miUion  et  demi  de  livres  tournois  et  affranchie  de  toute  redevance 
fiscale,  elle  devait  uniquement  se  vouer  au  trafic  de  l'Inde  dont  le 
monopole  lui  était  garanti  sous  l'égide  de  la  marine  et  de  l'arcnée 
nationales. 

Dumas  fut  le  premier  gouverneur  des  comptoirs  échelonnés  sur 
la  c()te  orientale  de  la  péuinsule  gangétique  que  les  circonstances  ame- 
nèrent à  s'immiscer  dans  les  affaires  des  soubabies  et  nababies  voisines; 
il  y  fut  convié  par  les  intéressés  eux-mêmes  et  se  fit  payer  par  des  ces- 
sions cotières  le  prix  de  ses  services.  Le  grand  Mogol  le  décora  même 
du  titre  de  nabab  qui  lui  conférait  une  sorte  d'indigénat  et  légitimait 
aux  yeux  des  populations  son  intervention  et  ses  acquisitions  territoriales. 

Telle  fut  l'origine  des  protectorats  qui  devaient  bientôt  couvrir  la 
majeure  partie  de  l'Hindoustan. 

Dès  le  début  de  sa  carrière»  active,  Dupleix,  revêtu  comme  son  prédé- 
cesseur de  la  dignité  de  nabab,  entreprit  un  voyage  au  Bengale  en  s'en- 
tourant  de  tout  l'appareil  d'un  prince  asiatique.  11  se  fit  reconnaître 
comme  nabab  de  Chandemagor  et  pour  flatter  la  race  dominante  du 
pays,  il  alla  en  grande  pompe  rendre  visite  au  gouverneur  musulman 
de  l'Hougli  qui,  occupant  un  rang  inférieur  au  sien,  lui  prêta  publi- 
quement foi  et  hommage  comme  un  humble  vassal. 

Cette  mise  en  scène  ne  laissa  pas  de  porter  ombrage  à  la  compagnie 
anglaise  qui  possédait,  elle  aussi,  plusieurs  factoreries  sur  la  même 
côte  de  l'Inde  et  qui  se  sentait  menacée  par  le  prestige  nsûssant  de  sa 
rivale  et  de  son  nouveau  représentant. 

L'Angleterre  et  la  France  étaient  alors  en  guerre  pour  la  succession 
d'Autriche  et  les  hostilités  ne  tardèrent  pas  à  éclater  entre  les  deux  co- 
lonies d'bxtrême-Orieut;  elles  eurent  un  dénouement  glorieux  pour  les 
Français  :  la  prise  de  Madras  par  Mahé  de  La  Bourdonnais. 

Notons  incidemment  qu'au  cours  de  cette  première  lutte  le  gouver- 
nement de  Louis  XV  avait  proposé  au  cabinet  de  Londres  de  neutra** 


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1)1  PLEIX  ET  LE  PROTECTORAT  DE  L'INDE  323 

liser  les  possessions  indiennes  respectives,  ce  que  l'Angleterre  avait  net- 
tement refusé.  On  se  rappelle  qu'en  188o  le  plénipotentiaire  des  États- 
Unis  délégué  à  la  conférence  africaine  de  Berlin,  a  particulièrement 
insisté  pour  qu'une  disposition  semblable  fût  appliquée  aux  terrilx)ires  du 
bassin  du  Congo.  Sa  motion  qu'il  supposait  peut-être  sans  précédent 
dans  l'histoire  du  droit  international  fut  partiellement  adoptée.  (1) 

A  la  suite  de  la  reddition  de  Madras,  Anaverdi  Khan,  nabab  du 
Garnate,  se  détacha  de  Talliance  anglaise  et  traita  au  nom  du  Grand 
Mogol  avec  son  adversaire  victorieux.  Muni  d'un  paravana  spécial  à 
cet  effet  (2)  il  transféra  à  la  France  la  suzeraineté  de  Pondichéry  et  de 
Madras,  enclaves  de  sa  nababie  qui  relevaient  comme  elle  du  pouvoir 
impérial.  Dupleix  se  vit  confirmé  dans  sa  qualité  de  prince  indien  et 
autorisé  à  prétendre  à  toutes  les  prérogatives  de  ce  rang. 

Quoique  le  grand  comptoir  conquis  sur  les  Anglais  leur  eût  été  rendu 
à  la  paix  d'Aix-la-Chapelle  (1748),  le  succès  des  armées  françaises  avait 
singulièrement  grandi  l'homme  d'action  qui  l'avait  si  résolument  préparé. 
Les  circonstances  permirent  bientôt  à  Dupleix  d'exercer  son  rôle  d'ar- 
bitre et  de  protecteur  sur  une  plus  vaste  scène. 

Nizam  el-Molouk,  soubab  du  Dekkan.  le  plus  considérable  des  Etats 
méridionaux  de  l'empire  mogol,  venait  de  mourir.  Trois  compétiteurs 
se  disputaient  sa  succession,  Nazer  Singh,  l'héritier  naturel,  Mozafer 
Singh,  l'héritier  testamentaire  et  Chanda-Saïb,  descendant  des  anciens 
souverains  autochthones  du  pays. 

Chacun  d'eux  se  réclamait  de  l'appui  de  la  France. 

Les  .deux  derniers,  après  s'être  assurés  du  consentement  de  l'empe- 
reur, conclurent  une  alliance  avec  Dupleix  et  lui  offrirent  pour  prix  de 
sa  coopération  les  territoires  de  Villenour,  de  Valdour  et  de  Bahour 
compris  dans  sa  soubabie.  Soutenue  par  un  corps  de  2,000  hommes 
sous  la  conduite  successive  du  comte  d'Autheuil  et  du  marquis  de 
Bussy,  la  cause  de  l'héritier  désigné  par  Nizam  el-Molouk  l'emporta  et 
Mozafer  Singh  fut  reconnu  comme  soubab  du  Dekkan,  tandis  que 
C|ianda-Saïb  prit  possession  du  Carnate. 

Ce  fut  à  Pondichéry  même,  au  siège  du  gouvernement  de  la  com- 

(1)  V.  Ed.  Engelhapdt,rapport  officiel  au  ministère  des  Affaires  étrangères  sur  Taffaire 
du  Congo.  —  Livre  Jaune  de  1885. 
(i)  Lettres  patentes  de  l'empereur. 


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324  REVUE  FRANÇAISE 

pagnie  française  que  iMozafer  Singh  revêtit  sa  dignité  et  qu'il  reçut  des 
mains  de  son  allié  les  insignes  du  commandement. 

Il  ne  se  contenta  pas  de  celte  marque  extérieure  de  soumission  et 
de  reconnaissance.  Le  15  janvier  17SI  un  traité  fut  signé  par  lequel 
le  nouveau  soubab  se  déclarait  protégé  de  la  France  et,  comme  les 
chefs  des  peuples  clients  de  Rome,  simple  tenancier  des  domaines 
composant  ses  Etals.  11  s'engageait  à  ne  faire  aucune  concession  à  quel- 
que puissance  ou  société  que  ce  fut  sans  lagrément  du  gouvernement 
français;  un  tribut  annuel  prélevé  sur  les  revenus  de  l'ancien  royaume 
d'Arcate  devait  être  payé  à  la  compagnie  et  la  monnaie  frappée  à 
Pondichéry  aurait  cours  dans  llnde  méridionale  comme  monnaie 
d'État.  La  France  acquérait  la  suzeraineté  sur  Mazulipalam  et  Yanaon; 
le  nabab  du  Carnate  qui  tenait  son  investiture  du  Dekkaa  devenait 
vassal  direct  de  la  puissance  protectrice.  Enfin,  Mozafer  Singh  voulant 
«  que  les  Français  fussent  plus  considérés  chez  lui  que  ses  propres 
'^sujets  »  s'en  remettait  du  choix  de  son  premier  ministre  au  gouverneur 
général  de  Pondichéry.  Dupleix  confia  cette  haute  charge  qui  répondait 
à  celle  de  grand  vizir  au  brahme  Ragnoldas  formé  à  son  école  et  qui  lui 
était  personnellement  dévoué. 

Ajoutons  que  Dupleix  fut  proclamé  nabab  de  toute  la  région  située 
entre  la  Khrisna  et  le  cap  Comorin  (1)  avec  le  titre  de  Zapher  Singh 
Bahadour  qui  signifiait  a  toujours  brave  et  victorieux.  » 

Une  garde  de  300  Français  pourvue  de  six  canons  s'établit  dans  la 
capitale  de  la  soubabie  et  le  marquis  de  Bussy,  qui  la  commandait, 
assuma  dans  le  pays  le  rôle  et  les  fonctions  de  résident. 

IjC  protectorat  qui  plaçait  sous  la  dépendance  de  la  France  l'immense 
Dekkan  et  le  Carnate  reposait  ainsi  sur  les  conventions  les  plus  so- 
lennelles et  les  plus  régulières, 

II 

Le  pacte  de  1750  était  à  peine  conclu  que  Mozafer  Singh  périt  daus 
une  émeute.  Cet  événement,  bien  loin  de  compromettre  la  situation 
prépondérante  de  la  compagnie  française,  fut  pour  Dupleix  Toccasion 
d'aflirmer  son  autorité  et  ses  droits. 

'  \)  ('omprenaiil  9O0  kil.  do  cOle. 


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DIPLEIX  ET  LK  PROTEGTOHAT  DK  LINDK        32.) 

L'an  des  prétendants  à  la  soubabie,  Salabet  Singh,  Taîné  des  trois  fils 
de  Nazer  Singh  qui  avait  aspiré  à  Théritage  de  Nizam  el-Molouk,  se 
ménagea  une  entrevue  avec  le  marquis  de  Bussy  et  lui  exposa  en  ces 
termes  ses  intentions  :  «  Dupleix  regardait  Mozafer  Singh  comme 
son  frère  ;  le  soubab  était  mon  oncle  ;  je  suis  donc  le  neveu  de  Dupleix. 
S'il  cessait  d'être  généreux,  je  voudrais  moi-même  renoncer  aux  titres 
que  je  tiens  de  ma  naissance.  Dupleix  saura  que  nous  n'avons  trempé 
en  rien  dans  le  complot.  Il  autorisera  les  marques  d'amitié  que  vous 
pourrez  me  donner.  S'il  vous  rappelle,  mes  frères  et  moi  nous  vous  sui- 
vrons. Nous  ne  voulons  recevoir  le  pouvoir  que  de  lui  et  des  Français.  » 
Le  gouverneur  général  prit  résolument  le  parti  du  prince  dont  le 
fidèle  Ragnoldas  lui  garantissait  la  sincérité,  Salabet  Singh  souscrivit  à 
toutes  les  clauses  du  traité  de  Pondichéry;  il  y  ajouta  des  concessions 
territoriales  nouvelles  du  côté  de  Mazulipatam  et  abandonna  en  propre 
à  la  compagnie  la  province  du  Carnate. 

Le  18  février  1751  l'élu  de  la  France  fut  proclamé  à  Aurengabad 
soubab  du  Dekkan  et  roi  de  Golconde  en  présence  du  O®  de  Kerjean, 
délégué  spécial  de  Dupleix.  «  Le  jeune  soubab,  écrivait  alors  le  marquis 
de  Bussy  au  gouverneur,  n'est  que  votre  esclave...;  tout  le  Dekkan 
vous  appartient...  tout  le  pays  en  deçà  de  la  Krishna  est  à  vous  et 
encore  une  fois  le  soubab  ne  se  regarde  que  comme  votre  fermier.  »  (1) 
Si  le  lieutenant  de  Dupleix  dans  ses  communications  intimes  repré- 
sentait le  nouveau  prince  comme  une  sorte  de  pupille,  il  n'avait  garde 
d'affecter  vis-à-vis  de  lui  l'attitude  d'un  tuteur  imposant  ses  volontés; 
d'après  les  constantes  instructions  de  son  chef,  il  ne  donnait  ses  ordres 
que  sous  forme  de  conseils  et  laissait  au  protégé  toutes  les  apparences 
de  l'autorité  souveraine. 

A  cette  époque  les  Mahrrates,  peuple  guerrier  et  pillard,  formaient 
au  centre  de  l'indoustan  une  fédération  qui  avait  occupé  autrefois  une 
partie  du  Dekkan  et  devait  plus  tard  menacer  le  Grand  Mogol  jusque 
dans  sa  propre  capitale.  En  1751  ils  s'allièrent  avec  Mehemet  Ali,  rajah 
du  Mysore  et  envahirent  le  nord  de  la  soubabie  de  Salabet  Singh.  Ils 
furent  défaits  en  deux  rencontres  par  le  marquis  de  Bussy  qui  conclut 


(1)  Le  jonr  de  son  couronnement,  Salabet  Singh  envoya  à  madame  Dupleix  an  para  - 
vana  qui  lui  octroyait  à  perpétuité  pour  elle  et  pour  ses  descendants  la  80u\erainelé 
de  TAldée  de  Cadapa;  c'était  un  petit  royaume. 


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326  REVUE  FRANÇAISE 

avec  eux,  au  commencement  de  1752,  un  armistice  au  nom  du  prince 
du  Dekkan. 

«  Je  serai,  dit  Dupleix,  en  ratifiant  l'acte  du  résident,  l'arbitre  de 
tous  les  différends  entre  Salabet  et  ses  ennemis.  »  Et  de  fait,  une  con- 
testation s'étant  élevée  peu  après  entre  le  Dekkan  et  le  Mysore  limi- 
trophe, Dupleix  eut  à  prononcer  entre  les  deux  États  qui  s'en  étaient 
remis  à  sa  décision.  Il  attribua  le  pays  de  Trichinopoly  au  rajah  du 
Mysore  en  l'obligeant,  en  tant  qu'acquéreur  de  ce  territoire,  à  l'hom- 
mage de  vassalité  envers  Salabet  Singh,  son  propre  vassal. 

A  la  suite  de  cet  arrangement  le  rajah  du  Mysore  se  plaça  spontané- 
ment sous  le  protectorat  français  en  s  engageant  à  payer  à  la  compagnie 
royale  un  tribut  annuel  de  quinze  lakhs  de  roupies  et  à  lui  fournir  un 
contingent  armé  de  800  hommes. 

Un  second  traité  avec  le  Dekkan  fut  conclu  en  1753;  il  portait  la  si- 
gnature de  Saïd  Lasker  Khan,  successeur  de  Ragnolbas  et  régent  effectif 
de  l'Etat,  à  défaut  dti  souverain  qu'une  maladie  incurable  éloignait  des 
affaires.  Ce  traité  dit  d'Aurengabud,  tout  en  confirmant  les  droits  anté- 
rieurement acquis  à  la  France,  attribuait  à  cette  puissance  quatre  nou- 
velles provinces,  parmi  lesquelles  la  magnifique  région  d'Ellorah:  il 
contenait  en  outre  une  clause  d'après  laquelle  le  gouvernement  de  la 
soubabie  promettait  «  de  ne  rien  entreprendre  sans  l'amiable  concours 
de  la  Compagnie  royale.  » 

Dupleix  était  à  l'apogée  de  sa  puissance  :  il  pouvait  légitimement  se 
dire,  comme  l'avait  précédemment  déclaré  Salabet  Singh  «  protecteur 
du  prince  du  Dekkan,  de  ses  sujets  et  de  toute  l'Inde  intérieure.  » 

m 

Je  n'ai  pas  à  poursuivre  l'histoire  de  la  colonisation  française  aux 
Indes  dans  la  période  de  sa  décadence  politique;  l'étude  qui  nous  inté- 
resse peut  rester  étrangère  à  la  douloureuse  fin  du  grand  patriote  qui 
l'avait  si  glorieusement  personnifiée. 

Un  gouvernement  frivole  s'était  alarmé  de  quelques  revers  et  redou- 
tait, sinon  les  périls,  du  moins  les  conséquences  diplomatiques  d'une 
lutte  d'outre-mer  dont  la  portée  échappait  à  la  clairvoyance  de  ses  pusil- 
l.inimes  conseillers. 

L'Inde  française  qu'un  simple  contingent  de  troupes  métropolitaines 


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DUPLEIX  ET  LE  PROTECTORAT  DE  L'INDE  327 

aarait  reculés  jusqu'au  pied  de  l'Himalaya,  fut  abandonnée  aux  Anglais  ! 

Résumons  en  peu  de  mots  Tentreprise  de  Dupleix  au  point  de  vue 
spécial  qu*indique  le  titre  de  cet  écrit. 

Si  les  alliances  franco-indiennes  affectent  les  formes  féodales  qui 
répondent  aux  traditions  indigènes,  elles  présentent  les  caractères 
essentiels  des  gouvernements  mixtes  que  nous  qualifionsde  protectorats. 

Les  soubabies  et  les  nababies  dont  les  princes  héréditaires  traitent 
avec  la  compagnie  royale,  sont  des  Etats  plus  ou  moins  régulièrement 
organisés  qui,  tout  en  relevant  nominalement  de  l'empire  mogol,  jouis- 
sent de  la  plus  complète  autonomie  intérieure  et  entretiennent  des 
relations  directes  avec  leurs  voisins. 

Leur  droit  public  n'est  pas  sans  analogie  avec  celui  des  grande  feu- 
dataires  de  la  an  du  moyen  âge,  tels  que  les  ducs  de  Bourgogne  et  de 
Bretagne  qui  avaient  non  seulement  leur  administration  propre,  mais 
encore  leur  diplomatie;  il  rappelle  aussi  la  situation  des  principautés 
allemandes  qui  depuis  les  traités  de  Westphalie  possédaient  tous  les  attri- 
buts du  Selfgavemment  et  prêtaient  néanmoins  hommage  à  l'Empereur. 

Quand  à  l'autorité  étrangère  à  laquelle  soubabs,  nababs  et  rayas  se 
subordonnaient  conventionnellement,  elle  était  représentée  par  le  man- 
dataire général  d'une  société  qui  dépendait  elle-même  d'une  puissance 
souveraine.  Les  forces  terrestres  et  maritimes  dont  disposait  cette  société 
et  sans  lesquelles  elle  ne  pouvait  se  maintenir,  appartenaient  à  l'armée 
et  à  la  flotte  de  cette  puissance. 

L'on  est  ainsi  en  présence  d'entités  politiques  distinctes,  condition 
primordiale  de  tout  protectorat. 

En  considérant,  comme  exemple  typique,  la  nature  des  liens  qui 
s'établissent  entre  la  monarchie  de  Louis  XV  et  le  plus  considérable  des 
Etats  méridionaux  de  la  péninsule  gangétique,  l'on  constate  que  le 
Dekkan  accepte  ou  plutôt  recherche  la  tutelle  française  et  se  soumet  à 
ses  directions  non  seulement  dans  ses  affaires  intérieures  mais  aussi 
dans  ses  rapports  extra-territoriaux.  Son  prince  se  dit  tenancier  du  sol 
dont  il  abandonne  le  dcnninium  au  protecteur  et  cette  relation  se  traduit 
par  l'obligation  d'un  tribut  et  d'un  concours  armé.  Le  vectigal  et  le 
tribulum  que  les  Romains  exigeaient  de  leurs  alliés  avaient  exactement 
la  même  signification  (1). 


(1)  Gaius,  Inst.  ii,  7. 


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328  KEVUE  FRANÇAISE 

L'administration  proprement  dite  reste  sans  doute  aux  mains  du 
chef  indigène,  mais  elle  n'est  pas  soustraite  à  l'action  indirecte  de  l'au- 
torité de  l'Etat  supérieur.  Celui-ci,  indépendamment  de  la  garnison 
permanente  et  du  résident  qu'il  entretient  dans  la  capitale  de  son  allié 
participe  au  choix  du  haut  fonctionnaire  auquel  le  pouvoir  est  confié. 
Le  vizir  est  l'organe  de  ses  conseils  et  obéit  à  son  orientation. 

D'autre  part  le  soubab  abdique  en  partie  son  autonomie  extérieure 
en  se  soumettant  à  l'arbitrage  du  protecteur  dans  ses  conflits  avec  ses 
voisins  et  en  renonçant  ainsi  au  libre  exercice  du  droit  de  guerre  et  de 
paix.  Il  s'interdit  môme  tout  pacte  stipulant  une  concession  que  la 
puissance  prééminente  n'aurait  point  approuvée. 

Des  conditions  analogues,  sinon  identiques,  président  aux  relations 
du  protecteur  avec  les  princes  du  Carnate,  du  Mysore  et  de  l'Arcate  et 
la  suprématie  efîeclive  de  la  monarchie  française  rayonne  jusqu'au 
cœur  de  l'Indoustan. 

Cette  conquête,  plus  digne  de  l'épopée  que  les  exploits  des  Fernand 
Cortez  et  des  PizaiTe,  n'est  point  une  œuvre  de  violence  ou  de  surprise. 
Les  peuples  de  l'Inde  se  sont  plutôt  donnés  que  rendus  au  vainqueur 
des  Anglais.  Eblouis  par  son  prestige,  séduits  par  sa  fortune,  ils  lui 
ont  pour  ainsi  dire  confié  leurs  destinées  et  par  leurs  rivalités  intestines, 
ils  se  sont  inconsciemment  prêtés  à  l'accomplissement  de  ses  desseins. 

Telle  est,  je  crois,  la  vraie  caractéristique  de  l'entreprise  extraordi- 
naire qui,  sans  les  défaillances  d'un  gouvernement  faible  et  insouciant, 
aurait  doté  la  France  de  la  première  colonie  du  monde. 

Ed.  Engelhardt, 
ministre  plénipotentiaire. 


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D'OMSK  A  VIERNIY 

M.  G.  Saint-Yvos,  chargé  d'une  mission  scientifique,  vient  d'arcoraplir  une  inté- 
ressante exploration  dans  TAsie  russe.  Voici  la  relation  d*une  partie  de  ce  voyage, 
d'Omak,  en  Sibérie,  à  Vierniy,  sur  le  plateaa  central  asiatique,  qu'il  adresse  à  la 
Revue  Française. 

I 

Parus-Omsk  par  train  transsibérien.  —  En  route  pour  le  Thian-Shan.  — 
La  navigation  sur  V Irtych.  —  Le  pont  du  chetnin  de  fer  transsibérien, 
—  Escales  et  villages  cosaque^i.  —  Le  bon  chef  de  district.  —  l  ne  tem- 
pête fluviale,  —  Arrivée  à  SemipcUatinsk. 

Blanc,  fusiforme,  avec  des  allures  de  torpilleur  de  haute  mer,  le 
sieamboat  les  Trois  Apôtres  attend  dans  le  port  miniature  d'Omsk, 
rbeure  du  départ ,  une  heure  à  la  fois  tardive  et  matinale  qui  nous 
permet  d'apprécier  l'excessive  modestie  de  Téclairage  de  la  cité  sibé- 
rienne. 

La  lune  rappelle  plutôt  un  gros  fromage  de  Hollande  que  la  chaste 
Phœbé  (si  on  nous  permet  cette  comparaison  peu  po(Hique).  Quelques 
rayons  indécis,  interm(^diaires  entre  un  gris  bleu  et  un  gris  orange, 
glissent  sur  l'Om  qui  conduit  ses  eaux  jaunâtres  aux  eaux  jaunâtres  de 
rirtych.  Là-bas,  à  Textrémité  du  port,  un  feu  à  éclipses...  involon- 
taires, falot  hissé  à  un  màt  pour  indiquer  le  confluent  des  deux  rivières 
et  auquel  le  vent  imprime  de  réguliers  balancements. 

De  temps  à  autre,  le  steam-boat  lance  des  appels  sonores;  ils  riva- 
lisent comme  harmonie  avec  le  cri  d'un  chameau  en  détresse  et  troublent 
seuls  le  silence  de  la  nuit. 

Deux  heures  du  matin  ;  le  moment  solennel  approche  :  dernières 
étreintes  des  parents,  des  amis  ;  quelques  uns  de  ceux  qui  partent  vont 
à  1.000,  l.oOO,  2.000  kilomètres  ;  la  Sibérie  est  si  grande  !  quand  se 
reverra- t-on?  dans  un  an,  dans  deux,  et  les  distances  donnent  à  ce  dé- 
part Témotion,  les  angoisses  poiguantes  d'un  départ  de  long  courrier. 

Le  ponton  qui  relie  notre  maison  flottante  à  la  terre  ferme  est  retiré  ; 
un  dernier  coup  de  sifflet,  quelques  tours  de  roue  ;  bientôt  on  est  sorti 
de  rOm  et  on  navigue  sur  l'Irtych.  De  rares  et  indécises  lumières,  bien 
clairsemées,  trahissent  sur  la  rive,  le  voisinage  de  la  ville,  d'où  il  ne 
monte  aucune  rumeur  ;  rien  ne  vient  répondre  au  clapotis  dos  vague- 


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:m  REVUE  FRANÇAISE 

lettes  boueuses  du  fleuve  et  au  brouhaha  de  la  machine.  Eu  avant, 
d'autres  lumières,  celles  de  la  gare  du  chemin  de  fer  transsibérien  et 
do  ses  annexes,  groupement  récemment  venu  au  monde  et  qui  fera  vivre 
la  ville  son  aînée. 

Toutefois,  avant  de  vous  entraîner  plus  loin,  il  serait  peut-être  utile  de 
vous  dire  qui  nous  sommes,  d'où  nous  venons  et  où  nous  allons  sur  ce 
vapeur  qui  ahane  parmi  les  brouillards  d'un  grand  fleuve  sibérien. 

Quatre  compagnons  de  voyage ,  tout  au  moins  pour  une  partie  de  la 
route.  D'abord  le  lieutenant  d'artillerie  Dmitri  lakovlef,  un  lieutenant 
d'artillerie  sibérien,  en  garnison  àPrjevalski,  frontière  de  Chine;  grand, 
mince,  élégant,  excellent  valseur,  belle  voix  de  baryton  :  objet  du  voyage: 
rojoint  sa  garnison  à  1.500  kilomètres  d'Omsk.  Ensuite,  le  baron  de 
Munck.  d'Helsingfors ,  membre  de  la  noblesse  de  Finlande,  riche  pro- 
priétaire, passionné  chasseur  et  non  moins  passionné  Finlandais,  voyage 
un  peu  pour  son  agrément,  un  peu  pour  contribuer  de  sa  personne  et 
(le  sa  fortune  à  une  œuvre  scientifique  ;  ne  parlant  pas  le  russe  —  par- 
ticularité curieuse  —  mais  parlant  fort  bien  le  français  ;  aussi  bon  qu'ai- 
mable, aussi  grand  que  fort;  se  rend  actuellement  à  Kapal  et  accompagne 
leprofesseurWallenius.  En  troisième  lieu,  le  susdit  professeur  Wallenius, 
magister  philosophiœ  d'après  sa  carte  de  visite  ;  malgré  ses  allures  la- 
tines, il  n'est  pas  échappé  de  Pompéï,  mais  vient  en  droite  ligne  de  la 
Finlande;  est  petit,  blond,  avec  la  barbe  en  pointe,  s'enveloppe  dans 
une  très  ample  bourka  (manteau  du  Caucase)  où  disparaîtrait  une  famille 
entière  ;  parle  le  finnois,  le  suédois,  le  danois,  le  russe,  le  polonais,  l'an- 
glais, le  turc,  le  kirghise,  le  sarte,  le  tatar,  etc. ,  une  tour  de  Babel  en 
chair  et  en  os;  il  est  parti  à  la  recherche  d'inscriptions  en  turc  ancien, 
et  fera  dix  mille  kilomètres  au  besoin  pour  recueillir  une  fructueuse 
moisson.  Enfin,  le  quatrième  voyageur  est  l'auteur  de  ce  récit,  chargé 
par  M.  André  Lebon,  ministre  des  colonies,  sur  la  bienveillante  recom- 
mandation de  notre  éminent  explorateur  asiatique — j'ai  nommé  Ga- 
briel Bonvalot  —  d'une  mission  dans  la  Sibérie  Occidentale  et  au  Tur- 
kestan  pour  y  étudier  la  colonisation  russe. 

Le  chemin  de  fer  transsibérien  m'a  permis  de  me  rendre  rapidement 
u  Omsk,  capitale  du  gouvernement  général  des  steppes,  c'est-à-dire  des 
trois  provinces  de  Semipalatinsk,  d'Akmolinsk  et  de  Semiretché.  Pour- 
quoi ne  pas  vous  raconter  par  le  menu  tous  les  détails  de  ce  voyage  en 
chemin  de  fer?  Parce  que  vous  les  avez  déjà  lus  ailleurs  et  que  vous 


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D'OMSK  A  VIERNIY  331 

êtes  comme  moi  pressés  de  vous  mettre  en  route  pour  lesThian-shan, 
en  remontant  Tlrtych  sur  le  vapeur  les  Trois  Apôtres, 

Installation  rudimentaire  que  celle  de  nos  Trois  Apôtres;  une  cabine 
de  \^  classe  pour  deux  passagers,  cabine  dont  se  sont  emparés  les  Fin- 
landais ;  un  salon  également  de  i^^  classe  où  s'entassent  les  retardataires 
sur  d'étroites  banquettes  recouvertes  d'un  velours  somptueux...,  mais 
usé;  devant,  derrière,  en  haut,  en  bas,  sous  la  tête,  entre  les  jambes, 
des  bagages,  encore  des  bagages,  si  bien  qu'il  est  difficile  de  se  remuer 
sans  faire  écrouler  quelque  colis  en  ^uilibre  instable.  Heureusement 
les  flots  de  l'Irtych  sont  plus  cléments  que  ceux  de  la  Manche  ou  de 
rOcéan  ;  et  la  bataille  des  bagages  détachés  ne  vient  pas  rivaliser  avec 
la  bataille  des  éléments  déchaînés. 

La  partie  du  pont  réservée  aux  passagers  de  3®  classe  est  recouverte 
d'une  toiture  métallique  qui  donne  au  steam-boat  la  physiono- 
mie du  Nautilus  du  capitaine  Nemo.  Ici,  le  capitaine  Nemo  est  repré- 
senté par  un  brave  sibérien,  porteur  d'une  casquette  galonnée;  depuis 
son  enfance,  il  se  promène  de  Tobolsk  à  Omsk,  d'Omsk  à  Semipala- 
tinsk  et  vice-versâ^  ce  qui  lui  permet  de  connaître  comme  l'alphabet 
tous  les  îlots  de  son  fleuve,  tous  les  bancs  de  sable,  car  la  navigation 
de  l'Irtych  n'est  pas  précisément  facile.  A  l'avant,  un  homme  sonde 
continuellement  avec  une  longue  perche  ;  sur  le  flanc  du  vapeur,  une 
échelle  à  carrés  blancs  et  noirs  indique  les  profondeurs  nécessaires 
pour  le  tirant  d'eau  du  navire.  Chaque  fois  qu'il  retire  la  perche,  le 
sondeur  crie  le  chiffre  relevé  ou  un  «  tout  va  »  satisfaisant. 

Certains  navigateurs  en  Irtych  ont  eu  la  joie  d'un  naufrage,  particu- 
lièrement à  l'époque  des  basses  eaux.  Comme  en  plus  d'un  point  les 
rives  sont  désertes,  l'accident  n'est  pas  des.  plus  gais;  si  les  secours 
tardaient,  on  pourrait  jouer  au  radeau  de  la  Méduse,  à  moins  de  faire 
son  Robinson  Crusoë  ou  son  Robinson  suisse,  dans  l'un  des  îlots  de 
llrtych. 

A  cinq  verst^s  environ  du  confluent  de  l'Om  et  de  l'Irtych,  nous  pas- 
sons sous  le  pont  du  chemin  de  fer  transsibérien,  impressionnante  pas- 
serelle d'acier  lancée  d'une  rive  du  fleuve  à  l'autre  par  d'audacieux  in- 
génieurs. De  nuit,  sur  notre  minuscule  vapeur,  comme  perdu  entre  ces 
deux  géants,  le  fleuve  et  le  pont,  on  est  subjugué,  écrasé  par  tant  de 
force.  Les  formes  géométriques  ont  leur  beauté,  leur  poésie  et  ces  en- 
chevêtrements réguliers  procurent  en  même  temps  une  vive  et  réelle 


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332  REVUE  FRANÇAISE 

sensation  d*art.  Le  peu  de  largeur  du  pont,  proportionhellemenl  à  la 
longueur  —  un  couloir,  une  ruelle  plutôt  qu'un  pont  —  accroît  Tin- 
lensité  de  Timpre^ion. 

Et  longtemps  encore,  on  contemple  la  silhouette  sombre  dont  la  Inné 
illumine  ou  estompe  doucement  les  dentelures;  peu  à  peu,  celte  sil- 
houette s'évanouit  à  l'horizon,  se  fond  dans  la  nuit  avec  les  dernières 
lueurs  vacillantes  delà  ville  d'Omsk,  maintenant  points  imperceptibles 
d'un  paysage  vague,  indéterminé. 

Avec  le  jour  naissant,  se  distinguent  plus  nettement  les  deux  rives, 
Tune  haute,  rongée  sans  cesse  par  les  flots,  Fautre  plate,  accrue  sans 
cesse  par  ces  mêmes  flots.  Rien  ne  se  perd,  tout  ce  qui  est  pris  à  Tune 
des  rives  est  apporté  à  Tautre,  et  cela,  à  tour  de  rôle,  suivant  les  coudes 
du  fleuve.  Ainsi  se  forme,  se  transforme  le  modelé  terrestre,  masque 
chaque  jour  modifié  d'un  monde  en  travail. 

12  mai.  —  A  huit  heures  du  matin,  en  vue  du  village  de  Pokrovs- 
kaia,  sur  la  rive  droite.  Du  reste,  il  est  difficile  de  se  tromper,  car  il 
n'existe  aucun  village  sur  la  rive  gauche.  Le  thermomètre  marque!'*: 
la  température  est  douce,  partout  la  nature  s'éveille,  secoue  Tengour- 
dissement  du  long  sommeil  hivernal.  A  l'abri  de  quelques  l)ouleaux 
fleurissent  les  premières  anémones  toutes  blanches  (anenione  paiens). 

Si  la  rive  droite  est  seule  peuplée  d'une  façon  permanente,  ce  n'est 
pas  l'eflfet  d'un  hasard.  Au  x\iii®  siècle,  lorsque  la  Sibérie  occidentale 
était  loin  d'avoir  au  Sud  son  extension  actuelle,  on  avait  dû  se  proté- 
ger contre  les  incursions  des  Kirghises,  peu  batailleurs  sans  doute, 
mais  pillards  incorrigibles.  On  créa  en  conséquence  la  ligne  fortifiée  de 
l'Irtych:  sur  la  rive  droite,  de  2S  verstes  en  2o  verstes,  un  poste  de 
cosaques  ;  les  villages  actuels,  tous  des  villages  cosaques  ont  succédé  à 
ces  postes.  D'Omsk  à  Semipalatinsk,  on  compte  six  stanitzas  cosaque 
avec  leurs  six  chefs-lieux^  et  39  posoloks  ou  villages  moins  importants 
qui  en  dépendent,  dont  i5  dans  le  gouvernement  d'Akmolinsk  et 
24  dans  le  gouvernement  de  Semipalatinsk. 

Ce  sont  des  villages  construits  entièrement  en  bois,  les  autres  maté- 
riaux de  construction  faisant  défaut  dans  la  steppe  ;  une  église  au  clo- 
cher généralement  peint  en  vert  ;  quelques  rues  à  peine  esquissées  où 
se  complaît  la  boue  en  hiver  et  la  poussière  en  été  ;  autour  des  mai- 
sons, des  enclos  palissades  qui  rappellent  les  kraals  de  l'Afrique  aus- 
trale et  où  on  enferme  le  bétail  ;  des  tas  monumentaux  de  fumier  or- 


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[PW?^ 


D'OMSK  A   VlKliNlY  333 

nanlde  ci  de  là  les  coins  des  rues,  avec  des  poules  qui  picorent;  une 
demeure  enjolivée  de  peintures  multicolores,  celle  de  Tatanian  ou  chef 
du  village  ;  tel  est  l'aspect  invariable  sous  lequel  se  présentent  les  vil- 
lages cosaques  de  la  rive  droite  de  l'Irtych. 

Pokrovskaia  est  d'origine  relativement  récente,  car  le  village  n'exis- 
lait  pas  à  l'époque  du  passage  de  Pallas  en  1171 .  D'Omsk  à  Tcherla- 
kofskaia,  il  cite  les  postes  d'Oust  Zaoslrofskoi,  d'Atschaïtskoï,  de 
Kisilbachskoï  et  de  Solianoï-Porovotou,  ainsi  que  le  village  de  colons 
appelé  Sonina,  du  nom  d'un  moujik  tué  par  les  Kirçhises. 

Quelques  bois  de  bouleaux  viennent,  de  temps  à  autre,  interrompre 
la  monotonie  de  cette  rive  plate:  squelettes  d'arbres,  à  la  silhouette 
blafarde,  qui,  trop  souvent  vus,  imprègnent  Tàme  de  tristesse.  Partout, 
à  droite,  à  gauche,  la  steppe,  planche  mal  rabotée,  mais  sans  aucune 
bosselure,  aucune  boursouflure  un  peu  accentuée,  la  terre  à  l'état  simple, 
en  supprimant  tout  relief.  De  minuscules  moulins  à  vent  agitent  parfois 
leurs  bras  décharnés.  Rares  sont  les  cultures  ;  ces  villages  indiquent 
plutôt  des  emplacements  de  colonisation  qu'une  colonisation  sérieuse. 

A  midi,  le  thermomètre  placé  au  soleil  sur  le  pont  marque  21<*  :  c'est 
satisfaisant  pour  la  saison.  On  déjeune  dans  un  petit  salon  situé  sur  le 
pont,  —  je  devrais  dire  un  tout  petit  salon,  —  car,  si  les  passagers  sont 
tant  soit  peu  nombreux,  on  prend  ses  repas  par  escouades  successives. 
Nous  mangeons  avec  d'autant  plus  d'appétit  qu'un  séjour  prolongé  à 
table  devient  une  occupation  en  cet  insipide  pays  où  tout  sue  l'ennui. 

Nous  passons  devant  Tcherlakofskaia,  gros  bourg  cosaque,  chef-lieu 
d'une  stanitza  du  district  d'Omsk  ;  de  cette  stanitza  dépendent  les  vil- 
lages que  nous  avons  successivement  aperçus  sur  la  rive  droite. 

Tcherlakofskaia  doit  son  nom  à  un  bras  de  l'Irtych,  formé  à  4  versles 
du  bourg  et  qui  vient  s'y  rejoindre  au  cours  d  eau  principal  ;  ce  bras 
est  appelé  Tcherlak.  Le  village  fut  fondé  par  Springer,  gouverneur 
d'Omsk,  au  xvni^  siècle  ;  il  avait  60  maisons  en  1771. 

A  5  heures,  voici  Talarskii  ;  un  orage  éclate  et  la  pluie  tombe  violem- 
ment; les  gouttelettes  cinglent  avec  fracas  la  carapace  métallique  de 
notre  bateau.  Une  heure  plus  tard,  nous  sortons  du  district  d'Omsk  et 
du  gouvernement  d'Akmolinsk  pour  entrer  dans  le  district  de  Pavlodar 
et  le  gouvernement  de  Semipalatinsk.  Changement  tout  administratif... 
et  invisible,  car  la  contrée  n'a  pas  changé  d'aspect  et  est  toujours  aussi 
monotone. 


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334  REVUE  FRANÇAISE 

Le  vapeur  est  chauffé  au  bois  ;  il  doit  s'arrêter  chaque  soir  pour 
renouveler  sa  provision  de  combustible.  On  marche  depuis  17  heures 
environ;  aussi,  à  7  heures,  le  capitaine  donne-t-il  Tordre  d'accoster  au 
village  d'Ourlioutioupskii.  Deux  ou  trois  coups  de  sifflet  stridents,  qui 
font  accourir  les  indigènes  ;  on  frôle  une  berge  argileuse  ;  une  planche 
vite  jetée  sert  de  ponton  et  bientôt  nous  sommes  à  terre  en  quête  d'im- 
prévu. Hélas  !  le  bagage  d'impressions  sera  léger  ! 

Le  long  de  la  rive,  des  tas  de  bois  alignés  en  bon  ordre  ;  ce  sont  les 
approvisionnements;  dfs  hommes,  revêtus  de  leur  touloupe  graisseuse, 
s'agitant  lourdement  dans  des  bottes  en  feutre,  chargent  les  bûches  sur 
des  civières  et  les  portent  au  bateau.  Tout  ce  mouvement  sans  bruit, 
sans  cris,  sans  interpellations  :  des  ombres  accompUssant  une  mysté- 
rieuse besogne,  si  des  ombres  peuvent  accomplir  quelque  chose.  La 
nuit  est  venue  ;  deux  de  nos  mariniers  tiennent  des  falots,  dont  la  lueur 
timide  accroît  Tétrangelé  de  ce  va  et  vient.  Après  une  périlleuse  navi- 
gation entre  des  tas  de  bois,  nous  allons  buter  contre  des  tas  de  fumier; 
ce  choc  nous  décide  à  une  prudente  retraite  et  nous  réservons  au  len- 
demain une  plus  ample  interview  avec  les  villages  cosaques. 

13  mai.  —  Morphée  a  réservé  suffisamment  de  soDges  heureux  et  de 
doux  sommeil  aux  passagers  des  Trois  Apôiresy  car  celte  nuit,  personne 
ne  s'est  douté  que  nous  passions  devant  des  villages  aux  noms  harmo- 
nieux de  Bachliatchnoï,  de  Jelisinskaïa,  chef-lieu  d'une  stanitza,  de 
de  Piatorii^k.ii  et  de  Bobrovskii.  Halte  du  matin,  à  8  heures,  pour  un 
nouvel  approvionnement  de  bois  au  \illage  d'Osmorichskii  ;  cette  fois, 
1  escale  sera  plus  intéressante  que  celle  de  la  veille  ;  au  moins,  la  diurne 
lumière  nous  permettra  de  voir  quelque  chose. 

A  peine  notre  vapeur  a-t-il  été  signalé  que  de  tous  les  coins  du  village 
sont  accourus  femmes,  jeunes  filles,  garçons  et  garçonnets  ;  les  femmes 
trottent  la  jupe  retroussée,  laissant  voir  leurs  bottes  de  cuir  ;  les  fillettes 
et  les  garçons  pataugent  jambes  nues  et  pieds  nus  dans  la  boue,  la 
douceur  du  cUmat  permettant  déjà  cette  économie  de  chaussures.  Les 
uns  portent  des  paniers  d'œufs  frais,  d'autres  des  jarres  de  lait  ou  des 
pots  de  beurre.  Tout  ce  monde  vient  s'aligner  le  long  de  la  berge  et 
attend  la  clientèle  avec  une  impassibilité  orientale.  Pêle-mêle  de  châles 
rayés,  de  fichus  à  couleurs  voyantes,  avec  de  ci  de  là  quelques  frais 
minois. 

Moins  empressés,  plus  placides  si  possible,  les  hommes  arrivent 


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D'OMSK  A  VIERNIY  335 

derrière.  La  pèche  est  leur  principale  occupation  et  ils  ne  rougissent 
pas  de  laisser  plus  d'une  fois  les  femmes  labourer  la  terre.  A  vrai  dire, 
l'Irtych  n'est  pas  parcimonieux  à  leur  égard  ;  le  poisson  y  abonde. 
Pour  quelques  kopecks,  40  à  oO  centimes  de  noire  monnaie,  on  peut 
s'offrir  un  repas  copieux. 

De  forts  gaillards  que  ces  cosaques,  bâtis  à  la  hache  ;  une  large  tête 
sur  un  cou  de  taureau  ;  des  traits  mongoloïdes  ;  une  barbe  de  «  fleuve 
antique  »  toute  embroussaillée.  Ils  portent  des  bottes  de  feutre,  un 
pantalon  de  grosse  étoffe,  une  chemise  de  couleur  à  petits  pois  ou  à 
carreaux  ;  comme  coiffure,  la  casquette  plate  chère  aux  Russes,  celle 
que  Ton  trouve  —  plus  ou  moins  galonnée  ou  ornemenlée  —  à  tous  les 
de^és  de  la  hiérarchie  sociale. 

Le  marché  est  vite  improvisé  et  les  transactions  commencent.  Pen- 
dant que  quelques-uns  de  nos  compagnons  de  route  s'approvisionnent... 
en  prévision  sans  doute  d'une  navigation  au  long  cours,  nous  nous 
risquons  dans  le  village. 

Toujours  les  éternelles  maisons  en  bois,  ces  primitifs  chalets  dont  le 
profil,  si  peu  géométrique,  vous  obsède  l'imagination  d'une  extrémité 
de  l'empire  russe,  à  l'autre.  En  voici  une  ornée  de  sculptures  plus  ou 
moins  naïves,  bariolées  de  vert,  de  jaune,  de  rouge;  à  travers  les  dou- 
bles vitres,  on  distingue  à  l'intérieur  quelques  plantes  des  pays  tropi- 
caux :  c'est  la  demeure  du  richard  de  l'endroit  ou  de  l'atamau.  Des  rues 
larges  comme  les  plus  larges  de  nos  boulevards,  mais  où  les  ingénieurs 
des  ponts  et  chaussées  ni  le  service  de  la  voirie,  n'ont  jamais  eu, 
certes,  de  grands  travaux  à  exécuter;  en  cette  saison,  au  lendemain  de 
la  débâcle  du  fleuve  et  de  la  fonte  des  neiges,  elles  ressemblent  plutôt 
à  des  rivières  de  boue  coulant  entre  les  maisons  de  cette  Venise  sibé- 
rienne. Et  partout,  une  odeur  de  fumier  qui  vous  pénètre;  sur  une 
place  plus  vaste,  l'église  peinte  en  vert,  isolée  de  toute  construction; 
elle  est  l'indice  de  l'importance  du  village,  le  porte-drapeau  de  la  colo- 
oisalion  russe.  En  un  endroit  plus  sec,  quelques  vaches  efilanquées 
broutent  béatement  Therbe  appétissante. 

Vite,  on  regagne  le  bord  du  fleuve  et  on  s'amuse  des  transactions  en 
le  marché  improvisé,  né  de  l'arrivée  du  steainboat.  Un  moujik  dépe- 
naillé, pieds  nus,  ce  qui  est  rare  en  ce  pays  où  l'homme  naît  botté, 
offre  une  corbeille  de  superbes  poissons,  de  fins  sterlets  ;  des  passagers 
marchandent  et,  après   une  résistance  vite  lassée,   le  pauvre  diable 


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336  lŒVUE  FRANÇAISE 

diminue  ses  prix.  Enfin,  le  produit  de  sa  pêche  est  acquis  pour  une 
somme  dérifoire  de  quelques  kopecks,  il  verse  sur  le  pont  les  poissons 
tout  frétillants  et,  prenant  ses  jambes  à  son  cou,  s'enfuit  à  toute  vit^se, 
sans  dire  un  mot,  comme  s*il  avait  peur  d'être  poursuivi  et  forcé  de 
restituer  son  misérable  buiin. 

Le  chargement  de  bois  est  terminé;  les  Trois  Apôtres  annoncent  leur 
départ  par  trois  coups  de  sifflet,  un  sans  doute  en  Thonneur  de  chaque 
apôtre,  et  nous  reprenons  notre  navigation  fluviale,  suivis  quelque 
temps  du  regard  par  les  villageois  immobiles  sur  la  berge.  Les  arrivées 
et  les  départs  des  sleam-boats  pendant  la  belle  saison,  constituent  les 
seuls  événements  de  leur  existence  où  les  jours  se  suivent  et  se  res- 
semblent. 

J'oubliais  de  vous  dire  que  nous  avions  à  notre  bord,  le  natchalnik. 
chef  du  district  de  Pavlodar,  le  district  que  nous  traversons.  Cet  excel- 
lent fonctionnaire,  ayant  appris,  avant  son  départ,  qu'il  ferait  route 
avec  moi  et  craignant,  par  suite  de  son  ignorance  de  la  langue  fran- 
çaise de  ne  pouvoir  entretenir  une  conversation  suivie,  avait  fait  pré- 
parer par  sa  fille  un  véritable  questionnaire  en  français  et  en  russe. 
Manifestation  touchante  de  la  sympathie  des  deux  peuple  ! 

Par  le  natchalnick,  j'apprends  que  d'importants  gisements  de  houille 
ont  été  découverts  à  une  centaine  de  kilomètres  de  Pavlodar,  sur  la 
rive  gauche  de  l'Irtych,  à  un  point  nommé  lékibaslous.  Des  ingénieurs 
fi-ançais  en  ont  fait  l'étude  et  une  Société  franco-russe  se  propose  d'ex- 
ploiter ces  gisements.  Si  la  tentative  réussit,  la  contrée  presque  déserte 
pourrait  à  bref  délai  se  transformer. 

L'Irtych,  par  sa  largeur  est  une  petite  mer;  aussi  se  permet-il 
d'avoir  ses  tempêtes.  A  trois  heures,  branle-bas  de  combat  :  roulements 
de  tonnerre  à  travers  la  steppe  avec  des  tonalités  de  tonnerre  d'opéra  ; 
éclairs  pâles,  blafards,  sur  un  fond  de  nuages  très  noirs  ;  des  vagues, 
de  vrais  vagues,  avec  simulacre  de  roulis  et  de  tangage;  une  personne 
sensible  aurait  presque  le  mal  de  mer...  d'Irtych.  Et  la  pluie  se  met  de 
nouveau  à  claquer  contre  notre  carapace  métallique,  sur  laquelle  les 
gouttelettes  s'écrasent  avec  fracas.  Puis,  lorsque  l'orage  est  passé,  nous 
naviguons  dans  un  fleuve  de  bronze  doré  en  liquéfaction. 

14  mai.  —  A  une  heure  du  matin,  nous  arrivons  à  Pavlodar;  l'ai- 
mable natchalnik  nous  quitte.  Pavlodar  est  le  chef-lieu  d'un  vaste  dis- 
trict du  gouvernement  de  Semipalatinsk;  le  natchalnik  attribue  à  la 


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D'OMSK  A  VIERMY  337 

ville  une  population  d'environ  7.500  habitants.  Le  district  est  peuplé 
de  Cosaques,  groupés  dans  onze  villages,  dix  sur  la  rive  droite  de 
rirtych  et  un  àTonesldu  fleuve,  le  village  de  Baïan-Aoul.  Toujours 
d'après  le  natclialnik,  la  population  de  ces  onze  villages  serait  de 
iO.OOO  habiUnts. 

Comme  dans  toute  la  Sibérie  occidentale,  les  villages  cosaques  sont 
groupés  en  stanitzas;  il  y  a  trois  stanitzas  dans  le  district  de  Pavlodar  : 
Pavlodar,  Jelesinskaia  et  Baïan-aoul.  Pavlodar,  le  chef-lieu  du  district, 
est  désigné  par  Pallas  sous  le  nom  de  Korjakofskoi  et  par  Rose  sous 
celui  de  Koràkovsk.  En  1771 ,  Pallas  le  considère  déjà  comme  «  lo. poste  le 
plus  peuplé  et  le  mieux  bâti  de  la  ligne  de  Tlrtych  ».  En  dehors  du  fort 
et  des  habitations  des  officiers,  il  y  avait  alors  deux  faubourgs  peuplés 
de  Cosaques,  de  militaires  réformés  et  de  voituriers;  le  poste  devait  sa 
prospérité  aux  salines  du  voisinage. 

A  côté  des  Cosaques,  le  reste  de  la  population  du  district  est  formé 
par  le&  Kirghises  qui  occupent  23.622  iourtes  et  sont  par  conséquent 
au  nombre  de  94.488  ou  à  peu  près. 

D'Omsk  à  Pavlodar,  l'une  ou  l'autre  rive  était  toujours  caractérisée 
par  de  hautes  berges  de  loess;  au  delà  de  Pavlodar,  en  amont,  le  fleuve 
s'étale  en  de  vastes  plaines  et  atteint  des  dimensions  exagérées.*,  pour 
un  fleuve  aucune  falaise  pour  le  limiter,  pas  même  le  plus  faible  repli 
de  terrain.  Nous  faisons  la  rencontre  d'un  grand  vapeur  de  la  Compa- 
gnie Botakof,  V Alexandre  Newski^  qui  rentre  à  Omsk;  on  se  hèle  d'un 
vapeur  à  lautre  et  cette  rencontre  est  une  distraction  de  quelques 
instants. 

C'est  à  5  heures  du  matin  que  nous  avons  quitté  Pavlodar  ;  à  midi, 
nous. passons  devant  un  village,  lamichovskaia,  et  une  heure  après, 
nous  sortons  du  district  de  Pavlodar  pour  entrer  dans  le  district  de 
Semipalatinsk.  Toujours  des  rives  plates,  à  demi  submergées,  avec  des 
îles  éparses,  basses,  qui  ressemblent  à  des  radeaux  de  verdure.  Parmi 
les  passagers  de  2«  classe,  quelques  négociants  tatars,  originaires  de 
Kazan,  qui  vont  jusqu'à  la  frontière  de  Chine  ;  le  professeur  Wallenius 
lie  conversation  avec  eux.  Ces  Tatars  de  Kazan  sont  les  grands  négo- 
ciants de  la  Sibérie  occidentale  ;  on  les  trouve  partout  où  il  est  possible 
de  gagner  de  l'argent  et  on  ne  peut  qu'apprécier  en  ces  contrées 
d'indolents,  leur  esprit  entreprenant  et  leur  activité.  Nous  ne  faisons 
halte  pour  renouveler  notre  provision  de  bois  qu'à  1*  heures  du  soir,  au 

XXIII  (Juia  98).  N»  234.  22 


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338  REVUE  FRANÇAISE 

village  de  Podpousknoï.  Inutile  de  dire  que  cette  fois  encore,  les  traD- 
sactions  s'effectuent  à  la  lueur  des  lanternes. 

15  mai.  —  L'Irtych  diminue  de  largeur,  les  berges  de  lœss  repa- 
raissent. Depuis  Podpousknoï,  à  cause  des  inondations,  la  route  postale 
s'est  écartée  du  fleuve  ;  elle  s'en  rapproche  à  Seraiarskaia,  gros  village 
cosaque.  En  amont  de  Semiarskaia,  de  véritables  collines  se  montrent 
sur  la  rive  gauche  ;  elles  forment  les  derniers  contreforts  de  la  chaîne 
du  Tarbagatai  ;  l)ientôt  Tlrtych  evSt  contraint  d'accepter  le  lit  rétréci 
d'un  vulgaire  cours  d'eau  européen.  Il  est  4  heures  de  l'après-midi 
lorsque  Jious  nous  arrêtons  à  Dolonskaia  pour  faire  notre  dernière  pro- 
vision de  bois,  nous  serons  cette  nuit  à  Semipalatinsk. 

Sur  la  gauche,  se  profile  la  silhouette  d'une  chaîne  de  quelques 
centaines  de  mèU^s  d'élévation  tout  au  plus  ;  au  sortir  des  intermi- 
nables steppes  que  nous  avons  traversées,  elle  nous  produit  l'impres- 
sion des  Alpes  ou  des  Pyrénées,  ce  qui  prouve  une  fois  de  plus  que 
tout  est  relatif  sur  la  machine  ronde .  On  nomme  cette  chaîne  «  Semitau  » 
«  les  sept  montagnes  »,  accouplement  original  d'un  mot  russe  «  sem  • 
(sept)  et  d'un  mot  kirghise  «  tau  »  montagne,  (prononcez  laau). 

Je  consacre  toute  la  soirée  au  développement  et  au  fixage  des  clichés 
photographiques  pris  pendant  notre  navigation  sur  l'Irtych,  opération 
quelque  peu  délicate  dans  un  salon  de  steam-boat.  Enfin,  après  des 
efforts  plus  ou  moins  couronnés  de  succès,  je  m'endors  à  côté  de  mes 
clichés  qui  en  vaillants  clichés  qu'ils  sont,  tâchent,  mais  inutilement  de 
sécher  rapidement.  Je  comptais  ne  débarquer  qu'à  7  heures  du  matin  ; 
hélas  I  l'homme  propose. . .  et  le  gouverneur  dispose.  Prévenu  par 
dépêche  de  notre  arrivée,  le  gouverneur  de  Semipalatinsk  a  envoyé  un 
officier  de  police  nous  attendre  sur  la  berge  avec  trois  landaus.  A  3  heures 
du  matin,  bon  gré,  mal  gré,  il  me  faut  empaqueter  mes  clichés  encore 
humides  (pauvres  clichés  !  )  et  faire  mon  entrée  solennelle,  bien  que 
matinale,  en  la  bonne  cité  de  Semipalatinsk,  «  la  ville  des  sept  Palais.» 


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L'ECOLE  MILITAIRE  DE  SAINT-CYR 

d'apri^s  lk  (:ol<»nel  Titeux(I). 

(7cst  le  seigneur  de  La  Nour,  le  compagnon  d'Henri  IV,  qui  eut  le 
premier  Tidée  de  l'institution  d'écoles  spéciales  pour  les  jeunes  gens 
qui  se  vouaient  à  l'armée.  Il  avait  tracé  le  plan  de  quatre  académies 
réparties  sur  différents  points  du  territoire,  et  avait  indiqué  de  pré- 
férence :  Fontainebleau,  châteaux  de  Moulins,  de  Plessis-les-Tours  et 
de  Cognac.  Il  fut  tué  au  siège  de  Lîunballe,  en  io91,  sans  avoir  pu 
ftdre  adopter  son  projet. 

Le  collège  delà  Flèche,  fondé  en  IG07,  n'était  pas  une  école  spéciale- 
ment militaire,  l'éducation  des  officiers  continua  à  se  faire  dans  les 
régiments*  C'est  à  Richelieu  que  Ton  doit  la  première  école  militaire, 
créée  en  1636,  puis  IWcadémie  royale  des  exercices  de  guerre,  en  1639 
pour  former  des  instructeurs  pour  les  soldats. 

A  partir  de  1678,  les  gentilshommes  de  la  noblesse  de  cour  firent 
leur  éducation  dans  les  deux  belles  compagnies  de  mousquetaires  de  la 
maison  du  roi. 

En  1662,  I^uvois  avait  pris  la  direction  do  l'administration  militaire; 
il  constata  que  le  d('isordre  était  à  son  comble,  que  bien  souvent  Taisent 
destiné  aux  soldats  était  dissipé  par  les  chefs.  Préoccupé  du  bien  de 
Tarmée,  il  réprima  ces  désordres  avec  une  impitoyable  rigueur.  U 
comprit  que  le  mal  Résultait  des  conditions  déplorables  dans  lesquelles 
les  officiers  avaient  fait  leur  noviciat  militaire.  Pour  procurer  aux  cadets 
de  petite  noblesse  le  bienfait  d'une  boime  éducation  militaire  dont  jouis- 
saient, aux  mousquetaires,  les  jeunes  seif^iieurs  de  haute  naissance, 
Louvois  les  réunit  en  compagnies  au  lieu  de  les  disséminer  dans  les 
régiments.  Us  vivaient  en  soldats,  mais  entre  eux,  et  recevraient  une 
éducation  capable  de  relever  leurs  sentiments  et  leur  caractère.  En  juin 
1682,  un  édit  crée  deux  compagnies  de  cadets-gentilshommes  à  xMetz  et  à 
Tournay.  Bientôt  il  fallut  en  porter  le  nombre  à  neuf,  elles  furent 
établies  dans  les  places  frontières.  Dès  1683,  les  compagnies  de  cadets 
fournirent  près  de  deux  mille  officiers  iK)ur  la  guerre  d'Espagne* 

A  la  mort  de  Louvois,   dans  le  but  unique  de  détruire  l'œuvre  du 

(1)  S^'Cyr,  par  Eugène  Tileux  (8^W  pages,  107  reproductions  en  couleurs,  2G4  grav., 
26  plans  d'après  les  aquarelles  et  dessins  d»»  Fauteur.  Firmin  Didot,  éditeur,  Paris,  1898. 


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340  REVUE  FRANÇAISE 

ministre  intègre  si  longtemps  redouté,  ses  ennemis  persuadèrent  à 
Louis  XIV  de  supprimer  les  compagnies  et  de  répartir  les  cadets  dans 
les  anciens  régiments.  Les  puissances  rivales  de  la  France,  au  contraire, 
adoptèrent  le  système  de  Louvois,  le  prince  d'Orange  le  transplantait  en 
Hollande  et  Télecteur  de  Brandeboui^  en  Allemagne.  L'institution  dis- 
paraissait en  France  au  moment  où  allait  s'ouvrir  la  guerre  néfaste  de 
la  succession  d'Espagne,  dont  les  désastres  furent  dus  aux  mauvais 
officiers,  indisciplinés,  vantards,  ignorants. 

En  1726,  Claude  Le  Blanc,  secrétaire  d'État  de  la  guerre,  reprit  le 
prc^ramme  de  Louvois,  mais  en  17^i3  on  saisit  le  prétexte  de  la  guerre 
})Our  la  succession  de  Pologne  pour  licencier  la  dernière  compagnie  de 
cadets.  Au  même  moment,  Frédéric  II  or^çanisait  une  armée  qui  fut  la 
base  de  la  puissance  allemande;  la  Russie  confiait  à  des  officiers  prus- 
siens l'organisation  d'une  école  de  cadets.  Eu  France  il  n'y  avait  plus 
ni  académie,  ni  école  militaire. 

!*àris-Duverney,  se  servant  de  l'inlluence  de  madame  de  Pompadour. 
obtint  de  Louis  XV  l'édit  du  13  janvier  1751,  qui  créait  VÉcole  mili- 
taire. L'emplacement  fut  un  fief  nommé  Grenelle,  voisin  de  l'hôtel 
des  Invalides.  En  1770  on  aménagea  le  champ  de  mars  pour  les  exer- 
cices des  élèves. 

En  1776,  l'École  militaire  est  supprimée  à  cause  des  frais  d'entretien 
et  les  élèves  sont  répartis  dans  des  collèges  de  province  :  Sorrère, 
Brienne,  Rebais,  Beaumont,  Pont-le-Voy...  à  raison  de  50  à  60  élèves, 
dits  Élèves  du  Roi.  En  1777  une  ordoimancedu  roi  rétablit  l'École  mili- 
taire de  Paris  pour  y  recevoir  dans  une  compagnie  de  cadets-gefUils- 
hommes,  outre  les  cadets,  les  meilleurs  élèves  des  écoles  militaires  de 
province. 

Tel  était  le  système  en  vigueur  quand  Bonaparte  entra,  en  1779,  à 
l'âge  de  dix  ans,  au  collège  de  Brienne,  ayant  Pichegru  comme  maître 
(le  quartier.  M.  de  Kéralio,  sous-directeur  de  l'École  militaire  de  Paris, 
faisant  l'inspection  à  Brienne,  dit  qu'il  avait  remarqué  en  lui  «  une  étin- 
celle qu'on  ne  saurait  trop  cultiver  »  et  le  fil  entrer  à  l'école  de  Paris  le 
^^  octobre  1784.  On  lit  entre  autres  choses  dans  ses  notes  d'inspection 

a  ....•  caractère  soumis assez  faible  dans  les  exercices  d'agrément 

et  le  latin ce  sera  un  excellent  marin »  Bonaparte  ne  reste  qu'un 

an  à  Paris  et  reçut  sa  lettre  de   nomination  de  sous-lieutenant  le 
15  août  178o.  Il  quitta  l'École  pour  le  ré{^iment  d'artillerie  de  La  Fère. 


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LKCOLK  MILITAIHK  DE  SAL\T-CYR  :U1 

In  règlement  royal  du  9  octobre  1787  supprima  TÉcoIe  de  Paris  et 
la  compagnie  des  cadets-gentilshommes  à  cause  du  luxe  et  delà  magni- 
ficence en  disproportion  avec  le  luxe  des  élèves,  et  on  augmenta  le 
uombre  des  élèves  des  écoles  [de  province.  L'hôtel  de  l'École  militaire 
fut  donné  par  Louis  XVI  à  la  ville  de  Paris  qui  en  fit  un  magasin  de  blé, 

puis  des  ateliers  pour  le  tailleur  de  la  garde  nationale La  Convention 

nationale  supprima  en  1793  les  écoles  militaires.  L'École  de  Mars,  ins- 
tiuée  sous  le  régime  de  la  Terreur,  compta  3293  élèves.  Elle  occupait 
la  plaine  des  Sablons,  des  Ternes  à  la  porte  Maillot.  On  lui  donna  pour 
directeur  Bretèche,  le  héros  de  Jemmapes. 

Pour. cette  école,. comme  pour  les  cadets  de  1683,  de  1727,  pour  les 
élèves  de  Técole  royale  militaire  de  1757  et  1763,  pour  Bonaparte  en 
1784,  le  colonel  Titeux  donne  la  reproduction  des  uniformes  des  élèves 
On  sait  que  Tuniforme  d'une  élégance  extrême  avait  été  dessiné  par 
David.  La  série  de  ces  costumes  reproduits  par  l'auteur  lui-même,  offre 
une  gamme  des  plus  séduisantes.  Les  vues  du  camp  des  Sablons  et  de  la 
fête  militaire,  extraites  de  la  Bibliothèque  nationale,  ainsi  que  la  fête 
des  Victoires  donnent  à  ce  chapitre  un  vif  relief.  Cette  école  n'eut 
qu'une  courte  durée,  et  le  camp  des  Sablons  fut  levé  en  octobre  1794, 
Elle  avait  été  à  peu  près  nulle  sous  le  rapport  de  l'instruction. 

Une  des  préoccupations  du  Premier  Consul  fut  d'organiser  l'instruc- 
lion  publique  et  de  créer  une  école  spéciale  militaire.  11  l'établit  à  Fon- 
laipebleau  le  l^*"  mai  1802  où  elle  fonctionna  jusqu'en  1808,  époque  à 
laquelle  Napoléon  la  transféra  à  Saint-Cyr. 

Le  commandement  de  l'école  de  Fontainebleau  fut  donné  au  général 
Bellavène.  Le  Premier  Consul  se  réservait  les  nominations  ;  le  concours 
n'y  avait  aucune  part.  Le  régime  y  était  des  plus  rudes.  La  nourriture  et 
l'existence  du  soldat,  les  études  spéciales  en  plus.  On  travaillait  peu  à 
Fontainebleau,  et  l'Empereur  faisait  une  telle  consommation  dofTiciers 
qu'au  lieu  de  rester  deux  ans  à  l'école,  les  élèves  y  restaient  à  peine 
une  année.  Les  élèves  savaient  fort  bien  qu'à  la  Grande  Armée  on  ne 
ferait  pas  grand  cas  de  leurs  connaissances  en  sciences  et  en  belles- 
lettres. 

Avant  d'introduire  le  lecteur  dans  l'École  de  St-Cyr,  le  colonel  Titeux 
expose  l'origine  de  cette  maison  royale,  création  de  M™®  de  Maintenon. 
L'œuvre  de  cette  illustre  femme  est  narrée  dans  les  plus  grands  détails. 
C'est  une  reconstitution  complète  de  cette  maison  de  St-Louis  où  la 


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342   '  REVUE  FRANÇAISE 

fondatrice  put  réaliser  l'idéal  de  ses  conceptions  pour  l'éducation  des 
jeunes  filles.  Les  portraits  de  M"**  de  Maintenon  par  Mignard  et  de 
Louis  XIV  par  Pliilippe  de  Champagne,  font  Tobjet  de  magnifiques 
reproductions  par  le  pinceau  môme  du  colonel  Titeux.  On  voit  passer 
successivement  tous  les  portraits  de  la  fondatrice  aux  diverses  époques 
et  de  charmantes  physionomies  des  demoiselles  de  la  classe  bleue  en 
1686,  de  la  classe  jaime,  des  dames  en  habit  de  chœur  et  sœurs  con- 
verses, les  vues  et  perspectives  de  la  maison  roj'ale  sous  tous  ses 
aspects.  L'attrait  qu'offre  ce  chapitre  explique  que  l'auteur  tout  en  ayant 
l'ficole  spéciale  militaire  en  vue,  se  soit  attardé  à  donner  cette  impor- 
tance à  l'élude  de  la  fondation  de  M"*  de  Maintenon.  L'École  militaire 
ayant  été  définitivement  transférée  à  St-Cyr  et  i)endant  près  d'un  siècle 
toutes  les  générations  d'officiers  ayant  passé  par  cette  maison,  il  était 
naturel  de  penser  que,  dans  un  ouvrage  de  cette  importance,  rien  de  ce 
qui  touchait  les  origines  de  la  maison  ne  devait  être  passé  sous  silence. 

Le  lecteur  saura  gré  au  colonel  Titeux  d'avoir  pensé  ainsi  et  nous 
devons  à  cette  façon  d'avoir  compris  son  rôle  d'historien  le  document 
le  plus  complet  sur  cette  œuvre  magistrale  de  Louis  XIV,  qui  sera  pour 
certains  la  partie  la  plus  attachante  de  ce  volume.  Ici  encore  un  sou- 
venir curieux. 

Le  16  août  1792,  l'Assemblée  législative  ordonna  le  départ  des  pen- 
sionnaires de  St-Cyr.  La  deuxième  demoiselle  qui  sortit  de  St-Cyr,  fut 
Marie-Anne  de  Buonaparte,  plus  connue  sous  le  nom  d'Elisa.  Elle 
épousa  en  1797  le  capitaine  d'infanterie  Bacciocchi,  et  devint,  en  1803, 
princesse  de  Lucques  et  de  Piombino,  puis  grande  duchesse  de  Tos- 
cane ;  elle  mourut  en  1820.  —  Elle  était  entrée  dans  la  maison  de 
St-Louis,  le  22  juin  1784  à  l'Age  d(^  sept  ans.  Son  frère  Napoléon  de 
Buonaparte,  capitaine  en  deuxième  au  4*^  régiment  d'artillerie  depuis 
le  6  février  1792,  et  nommé  lieutenant-colonel  du  1^*^  bataillon  des  volon- 
taires de  la  Corse,  était  venu  à  Paris  pour  se  justifier  de  son  attitude 
à  Ajaccio  pendant  une  émeute.  H  alla  voir  sa  sœur  à  Saint-Cyr  au  mois 
de  juin  et  y  retourna  au  commencement  d'août.  Il  se  disposait  à  re- 
gagner la  Corse  pour  y  reprendre  son  commandement,  lorsque  la  jour- 
née (lu  10  août  vint  modifier  ses  résolutions. 

Le  1®*^  septembre  1792,  le  jeune  officier  se  présenta  à  St-Cyr  pour  y 
prendre  sa  sœur  ;  comme  elle  ne  pouvait  sortir  sans  un  ordre  de  la  muni- 
cipalité, il  se  mit  à  la  recherche  du  maire.  C'était  un  épicier,  Aubrun, 


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L'ECOLE  MILITAIRE  DE  SAINT-CYR  343 

dont  la  boutique  se  trouvait  en  face  de  la  porte  du  cimetière  de  St-Louis. 
Malgré  sa  carte  de  civisme,  le  futur  maître  du  monde  dut  parlementer 
longuement  pour  amener  Aubrun  à  lui  donner  le  certificat  demandé.  U 
écrÎTit  enfin  au  dos  de  la  pétition  de  Napoléon,  un  certificat  établissant 
ridentité  du  requérant  et  de  sa  sœur  et  la  nécessité  d'accorder  Tin- 
demnité  de  20  sols  par  lieue  jusqu'à  .\jaccio.  Quelques  heures  après  son 
arrivée  à  Versailles,  Bonaparte  toucha  un  mandat  de  352  livres.  Il 
revint  à  St-Cyr  avec  une  mauvaise  voiture  de  louage  et  le  soir  même, 
en  compagnie  de  sa  sœur  et  portant  ses  hardes,  il  franchissait  cette 
porte  de  Tantique  maison  devant  laquelle  il  devait  se  présenter  le 
28  juin  1805,  Empereur  des  Français  et  Roi  d'Italie. 

Tous  les  biens  de  la  maison  de  St-Cyr  avaient  été  mis  en  vente  dès  les 
premiers  jours  d'avril  1791.  Ils  trouvèrent  facilement  des  acquéreurs. 
Les  paysans  du  village  achetèrent  les  champs  entourant  le  mur  de  clô- 
ture; on  n'excepta  de  la  vente  que  la  maison,  le  jardin  et  le  clos  y  atte- 
nant. Le  16  mars  1793,  la  convocation  nationale  décida  la  suppression 
de  la  maison  de  St-Louis  et  ordonna  qu'elle  serait  évacuée  dans  le  délai 
d'un  mois. 

Le  Prytanée  français,  organisé  par  le  Premier  Consul  en  1801,  fut 
essentiellement  destiné  à  fournir  une  éducation  gratuite  aux  enfants  des 
militaires  tués  au  champ  d'honneur,  et  des  fonctionnaires  civils,  vic- 
times de  leurs  fonctions.  Il  se  divisait  en  quatre  sections.  Paris  (Louis- 
le-Grand),  Saint-Cyr,  Saint-Germain,  Compiègne.  En  1803,  le  nom  de 
Prytanée  français  fut  réservé  au  collège  de  Saint-Cyr,  qui  compta  bien- 
tôt près  de  800  élèves.  A  la  suite  de  la  visite  qu'il  y  fit  le  28  juin  1805, 
Napoléon  décida  sa  transformation  en  Prytanée  militaire.  Lorsqu'ils 
avaient  terminé  leurs  études,  les  élèves  du  Prytanée  subissaient  un 
examen  pour  entrer  à  l'École  de  Fontainebleau,  à  moins  que  les 
nécessités  de  la  guerre,  comme  c'était  souvent  le  cas,  ne  les  fissent 
diriger  directement  vers  les  régiments.  En  1808,  l'Empereur  ayant 
repris,  pour  l'usage  de  sa  cour,  une  partie  des  bâtiments  du  palais  de 
Fontainebleau,  l'École  militaire  fut  transférée  à  Saint-Cyr  et  le  Pry- 
tanée de  Saint-Cyr  à  La  Flèche. 

Saint-Cyr  avait  déjà  presque  complètement  perdu  à  l'intérieur  sa 
physionomie  ancienne.  Le  colonel  Titeux  reproduit  l'inventaire  remis 
au  général  Bellavène.  C'est  le  point  de  départ  de  toutes  les  transforma- 
tions qui  seront  opérées  durant  ce  siècle.  Quand  Napoléon  vint  visiter 


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344  REVUE  FRANÇAISE 

rÉcole  le  7  mars  1809,  il  éprouva  un  très  vif  mécontentement  qu'il  tra- 
duisit dans  sa  lettre  au  général  Clarke  ;  «  Les  élèves,  écrit-il,  ont 
moins  d'expérience  et  sont  plus  jeunes  que  le  dernier  homme  de  la 
compagnie  qu'ils  sont  appelés  à  commander.  »  La  parole  du  maître  fut 
entendue  et  en  quelques  semaines  l'École  fut  réformée  et  redevint  ce 
qu'elle  était  à  Fontainebleau.  «  Les  écoles,  dit  le  général  Trochu,  ne 
furent  que  des  centres  de  fabrication  d'officiers  et  de  sous-officiers,  en 
état  d'incessante  et  fiévreuse  activité,  où  la  quantité  passa  toujours 
avant  la  qualité  des  produits...  Mais  le  pays  épuisé,  les  familles  déci- 
mées, les  cadres  vides,  les  établissements  d'éducation  surmenés,  toutes 
les  institutions  militaires  restées  provisoires  et  devenues  improductives 
à  force  d'avoir  produit,  disaient  assez  aux  hommes  de  bon  sens  et 
d'expérience  de  ce  temps,  que  la  France  allait  payer  ses  gloires  par 
une  catastrophe  nationale.  » 

L'École  deSaint-Cyr  fournissait  aussi  bien  des  officiers  à  la  cavalerie 
qu'à  l'infanterie,  mais  on  n'y  apprenait  pas  les  manœuvres  de  cavalerie  et 
Napoléon  se  décida  à  combler  cette  lacune  en  créant  à  Saint-Germain, 
en  1809,  une  École  spéciale  de  cavalerie  où  il  espérait  attirer  les  jeunes 
gens  des  grandes  familles  restées  hostiles  à  »on  gouvernement.  Ce 
chapitre  présente  le  château  de  Saint-Germain  sous  toutes  ses  faces. 
Le  colonel  Titeux  s'y  est  livré  avec  complaisance  à  son  penchant 
favori.  La  galerie  des  costumes  de  la  campagne  d'Italie,  la  reproduction 
du  tableau  exécuté  en  1810  et  représentant  le  baron  de  la  Roncière 
commandant  de  l'École  de  Saint-Germain,  les  diverses  tenues  des 
élèves  ;  tout  cet  ensemble  est  exécuté  par  le  colonel  Titeux  avec  une 
conscience  et  une  extrême  finesse  de  touche. 

L'École  de  Saint-Germain  fut  loin  de  répondre  à  ce  qu'on  en  espérait 
L'indiscipline,  les  tracasseries  des  anciens  vis-à-vis  des  conscrits,  les 
duels  fréquents...  tous  les  écarts  qui  étaient  la  plaie  de  Saint-Cyr  s'y 
retrouvaient  avec  plus  d'intensité.  Le  général  de  Béllavène,  désigné 
pour  remplacer  à  la  tête  de  l'École  le  général  de  la  Roncière  ne  fut 
guère  plus  heureux  que  son  prédécesseur.  Le  1*^"*  août  1814,  les  élèves 
de  Saint-Germain  passèrent  à  Saint-Cyr.  L'École  spéciale  de  cavalerie 
avait  duré  cinq  ans  à  peine. 

Après  la  chute  de  Napoléon,  on  était  encombré  d'anciens  officiers 
disponibles,  la  France  et  l'Europe  entière  aspiraient  au  repos;  il  n'était 
plus  question  de  former  des  officiers  pour  le  présent,  mais  seulement 


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LÉCOLE   MILITAIRF:  DR  SAINT-CVH  345 

de  sauvegarder  l'avenir.  Après  une  série  d'ordonnances  qui  traduisent 
les  hésitations  du  gouvernement  eu  18H  et  1815,  le  maréchal  de 
Gouvion  Saint-Cyr  dressa  le  programme  de  la  réorganisation,  a  désor- 
mais la  pratique  devait  céder  le  pas  à  la  science  ».  En  1818,  le  système 
arrêté  fut  mis  à  exécution  ;  à  La  Flèche,  TÉcole  militaire  préparatoire  ; 
à  Saint-Cyr,  TÉcole  spéciale  militaire. 

Dans  la  magistrale  préface  que  le  général  du  Barail  a  consacré  à  cet 
ouvrage,  cet  ancien  ministre  de  la  guerre  signale  le  chapitre  qui 
embrasse  lapériodedel8i8à  1830  comme  un  des  plus  intéressants:  «  11 
fourmille,  écrit-il,  de  faits  importants,*  oubliés  ou  méconnus  depuis 
longtemps.  »  Le  général  du  Barail  attire  spécialement  l'attention  sur  la 
Odélité  au  .devoir  que  montra  le  bataillon  de  Saint-Cyr  durant  les  jour- 
nées de  juillet  1830;  alors  qu'il  vint  spontanément  à  Saint-Cloud  offrir 
ses  services  au  Roi. 

Mafgré  le  régime  très  sévère  appliqué  à  St-Cyr  sous  la  Restauration, 
les  brimades  qui  avaient  disparu  dans  les  premières  années,  s'étaient  peu 
à  peu  rétablies.  En  1828,  une  véritable  révolte  avait  éclaté.  Dès  l'installa- 
tion du  gouvernement  de  Louis-Philippe,  le  maréchal  Gérard  ministre 
de  la  guerre,  proposa  la  suppression  de  l'école  de  la  Flèche  et  le  recru- 
tement de  celle  de  St-Cyr  parmi  de  jeunes  soldats  qui,  après  deux  ans 
d'études,  rentreraient  dans  les  corps  comme  sous-officiei*s.  L'ordon- 
nance de  1830  prise  dans  ce  sens  fut  rapportée  en  1831  par  l'influence 
du  maréchal  Soult.  Le  général  du  Barail  estime  que  si  la  réforme  pré- 
conisée par  le  maréchal  Gérard  était  exagérée,  il  n'y  avait  pas  moins 
quelque  chose  de  bon  à  emprunter  au  système  allemand  pour  le  recru- 
tement des  officiers. 

l^e  système  de  vexations  ou  brimades  inauguré  à  Fontainebleau, 
développé  à  St-Cyr,  battit  son  plein  sous  la  monarchie  de  Juillet.  Le 
colonel  Titeux  raconte  dans  le  détail  ces  procédés  barbares  indignes  de 
jeunes  gens  destinés  à  fraterniser  dans  la  vie  et  appelés  à  représenter  le 
dévouement  et  la  générosité  de  caractère  dans  sa  plus  noble  expression. 
En  1838,  le  général  Baraguay  d'Hilliers  essaya  d'y  mettre  un  terme  en 
séparant  complètement  les  anciens  et  les  nouveaux.  C'était  une  illusion, 
elles  devaient  encore  durer  trente  ans.  Cxî  n'est  que  le  1*^'  juin  1861, 
qu'on  revint  à  l'ancien  système,  la  fusion  des  anciens  et  des  recrues. 

A  mesure  que  l'auteur  avance  et  se  rapproche  de  la  période  contem- 
poraine, du  temps  où  se  formèrent  à  St-Cyr,  la  génération  d'officiers 


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r 


346  REVOE  FRANÇAISE 

qui  eurent  en  mains  le  commandement  de  notre  armée  de  1870,  iJ 
entre  dans  des  développements  plus  étendus  sur  les  progranunes  et  les 
méthodes  d'enseignement.  La  commission  d'inspection,  en  1834,  renou- 
velle ses  critiques  des  années  précédentes.  Elle  demande  une  instruction 
f  plus  restreinte,  mais  réelle,  au  lieu  de  celle  qui  existe  dans  les  pro- 

^;  grammes  bien  plus  que  chez  les  élèves.  —  Le  travail  et  l'instruction, 

dit- elle,  ne  recueillent  aucun  avantage  et  n'établissent  aucun  droit  à 
l'avancement  sur  les  camarades  plus  instruits.  En  1842,  le  rapport  fait 
par  la  commission  au  ministre  contient  ce  passage  :  t  On  apprend  à 
St-Cyr  de  tout  un  peu,  mais  si  peu  de  chaque  chose  qu'au  bout  de  six 
[^  mois  on  ne  sait  plus  rien  du  tout.  A  peine  quelques  jeunes  gens  d'élite 

;*  font  exception,  et  encore  si,  après  leur  sortie  de  l'École,  ils  n'ont  pas  la 

f.  ferme  volonté  de  travailler  et  de  refaire  eux-mêmes  leur  instruction,  ils 

1^  retombent  bientôt  dans  la  classe  de  ceux  qui  ne  savent  rien.  »  Pendant 

r  des  pages  entières  ce  sont  les  mêmes  lamentations.  Aussi  le  colonel 

r  Titeux  fait  cette  douloureuse  réflexion  :«  Chose  à  peine  croyable,  il 

'  fallut  attendre  trente  ans  et  la  leçon  terrible  de  revers  sans  exemple, 

fy  pourvoir  s'accomplir,  en  partie  seulement,  «des  réformes  d'ime  aussi 

^  évidente  nécessité.  »  Le  général  Trochu  dans  son  ouvrage,  Varmk 

i,  française  en  /<S7P,  parlant  du  fonctionnement  des  écoles  militaires  de 

i  1830  à  1870  dit  :  «  Comme  toutes  nos  institutions  militaires,  alors  que 

t,  les  voies  et  moyens  de  la  guerre  se  transformaient  profondément  autour 

l  de  nous,  à  l'étranger,  par  le  travail  silencieux,  dont  les  eflorts  devaient 

^  être  un  jour  irrésistibles,  elles  restèrent  immobiles  un  demi-siècle  dans 

I  l'indifférence,  peut-être  même  dans  l'ignorance  de  ce  menaçant  travail, 

[  dans  la  contemplation  de  la  légende,  dans  l'application  obstinée  des 

\  méthodes  vieillies  de  la  tradition.  » 

;  ('.4  suivre,) 


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FLOTTES  ESPAGNOLE  ET  AMERICAINE 

(Suite.)  (l) 
II 

VITESSE  ET   RAYON    d'aCTION 

Le  principal  facteur  de  la  guerre  navale  moderne  est  la  vitesse.  L'es- 
cadre qui  possédera  la  plus  grande  vitesse  sera  maîtresse  d'accepter  ou 
de  refuser  le  combat  à  sa  volonté.  Et  si  elle  joint  à  la  vitesse  un  impor- 
tant rayon  d'action,  sa  supériorité  sur  l'escadre  ennemie  ne  fera  que 
s'accroître.  La  question  de  l'approvisionnement  de  charbon  présente, 
en  effet,  un  haut  intérêt.  Le  charbon,  dit  M.  Leflaive  (2),  est  une  pro- 
tection, en  ce  sens,  qu'il  permet  d'éviter  un  ennemi  plus  puissamment 
armé;  il  est  aussi  un  élément  de  la  puissance  offensive  puisqu'il  permet 
de  porter  l'artillerie  là  où  celle-ci  est  nécessaire.  Enfin,  pour  certains 
navires,  il  peut  être  considéré,  en  quelque  sorte,  comme  un  élément 
d'information. 

Les  événements  qui  se  déroulent  actuellement  dans  la  mer  des 
Antilles  sont  la  démonstration  évidente  de  ces  principes.  L'escadre 
espagnole  de  l'amiral  Cervera,  grâce  à  la  supériorité  de  sa  vitesse,  a  pu 
dépister  toutes  les  recherches  de  la  flotte  américaine.  Ce  résultat  pro- 
vient non  seulement  de  sa  vitesse,  mais  de  l'homogénéité  de  ses  grands 
croiseurs  cuirassés  pouvant  tous  soutenir  la  môme  allure.  11  ne  faut 
pas  oubher  que  la  vitesse  d'une  flotte  est,  non  pas  celle  de  son  bâtiment 
le  plus  rapide,  mais  celle  de  son  bâtiment  le  plus  lent.  Quand  l'amiral 
Sampson  se  rendit  de  Key-West  à  Puerto-Rico  pour  bombarder  San 
Juan,  il  dût  marcher  à  la  vitesse  de  son  navire  le  plus  lent,  le  garde- 
côtes  de  10  nœuds  Ampkitritey  qui  filait  6  à  7  nœuds  de  moins  que  le 
groupe  des  cuirassés,  et  H  de  moins  que  le  vaisseau  amiral,  le  croiseur 
cuirassé  Neiv-York, 

Dans  le  tableau  des  vitesses  que  nous  donnons  ci-dessous,  ce  n'est 

(1)  Voir  Rev,  Fr..  mai  1898,  p.  291. 

[t)  Développement  des  marines  de  guerre^  publié  par  1'  a  Association  technique  ma- 
ritime »  à  qui  nous  devons  la  (communication  des  dessins  ci-contre. 


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348  HEVUE  FRANÇAISE 

pas  la  vitesse  ordinaire,  mais  la  plus  grande  vitesse  aux  essais  qui  est 
indiquée.  Cette  vitesse  maxima  pourrait  être  atteinte  quelque  temps  en 
cas  de  nécessité;  mais  les  navires  ne  la  donnent  plus  en  service  ordi- 
naire et  il  ne  faut  compter  habituellement  que  les  3/  o^^  ou  les  4/o*^*  du 
maximum  atteint  aux  essais.  Un  exemple  est  celui  du  croiseur  corsaire 
Columbia,  descendu  de  22  nœuds  1/2,  aux  essais,  à  18  nœuds  1  /2  en 
service  courant  dans  la  traverse^  rapide  qu'il  fit  de  rAllantique. 

Pour  le  classement  des  vitesses,  une  distinction  a  été  faite  entre  les 
cuirassés  et  les  non  cuirassés.  Cette  distinction  est  nécessaire-,  car  il  est 
admis  que  des  navires,  sans  protection  sérieuse  pour  leur  artillerie  et 
leurs  machines,  ne  peuvent  songer  à  lutter  avec  quelque  chance  de 
succès  contre  des  cuirassés  ayant  leurs  œuvres  vives  à  Tabri.  Led(^sastre 
de  l'escadre  espagnole  à  Cavité,  où  les  navires  en  bois  et  sans  pro- 
tection de  lamiral  Montojo  ont  été  incendiés  et  coulés  par  les  navires 
en  acier  et  seulement  protégés  du  commodore  Dewey,  est  une  confir- 
mation de  ce  principe.  Le  cuirassé  est  le  seul  type  de  bâtiment  qui  ne 
puisse  être  vaincu  —  sauf  le  cas  de  surprise  —  que  par  un  autre 
cuirassé.  Aussi  est-il  logique  de  le  classer  à  part. 

On  verra  par  l'énumération  des  vitesses  respectives  des  flottes  amé- 
ricaine et  espagnole  que,  pour  les  cuirassés,  les  Espagnols  ont  Tavan- 
tage.  Ils  possèdent,  en  effet,  6  croiseurs  cuirassés  de  20  et  21  nœuds, 
formant  un  groupe  bien  homogène,  contre  2  croiseurs  cuirassés  améri- 
cains de  même  vitesse.  Il  est  vrai  que,  sous  le  rapport  des  gros  cuirassés 
il6  et  17  nœuds),  les  États-Unis  ont  Tavantage;  mais  cet  avantage  ne 
peut  leur  servir  pour  forcer  au  combat  des  bâtiments  qui  ont  une 
vitesse  supérieure  de  4  nœuds. 

Par  contre,  les  Américains  possèdent  20  croiseurs  de  15  à  23  nœuds 
en  présence  desquels  les  5  croiseurs  espagnols  de  15  à  20  nœuds  fe- 
raient piètre  figure.  Mais,  excellents  pour  la  capture  des  paquebots  et 
bâtiments  marchands  ennemis,  ces  croiseurs  ne  sauraient  songer  à 
soutenir  avantageusement  le  combat  contre  les  croiseurs  cuirassés 
espagnols.  L'avantage  restera  donc  à  ces  derniers,  tant  qu'ils  pourront 
éviter  la  rencontre  des  cuirassés  américains. 

Enfin,  au  point  de  vue  des  bâtiments  éclaireurs,  l'Espagne  possède 
une  excellente  flottille  de  6  contre-torpilleurs  de  28  à  30  nœuds,  0 
canonnières  torpilleurs  de  20  nœuds  et  6  de  18  nœuds  contre  lesquels 
les  Américains  n'ont  rien  encore  à  opposer. 


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LES  FLOTTKS  ESPAGNOLi:  ET  AMEIMCALNE 

États-Unis.  Espagne. 

Flotte  cuirassée. 


:m 


il  n.    Brooklyn,  New- York,  croii. 

20  n 

17  n.    Texas,  lowa^  cuir. 

16  II.    Oregon,    IndianOy   Massachusetts  y 

cuir.  :    Katahditif    Monterey , 

<^.  côtes. 


Carlos  F,  crois. 

C.  Colon,  A,  OquendOf  Mariu-Teresa, 

Vizcaya,  Princ.  de  Aslurias,  crois. 

PelayOj  cuir. 


Flolle  non  cuirassée  (croiseurs). 


23  n.    MinneapoUs. 

ii  n.    Columbia. 

21  n.    Olympia  (Océan   Pacifique),    Ve- 

suvius. 
20  n .    Baltimore (  0 .  Pac .),San  Francisco, 

New-Orléans, 
19  Q.    Philadelphia,  Newark,  Cincinnaii. 
18  n.    Raleigh  (0.  Pac),  Ùëlrott,  MaHile- 

head,  Montgomery,  Charleston 

(0.  Pac),  Chicago,  Buffalo. 
16  n.     Topeka,  Atlanta. 
15  n.    Boston iO.  Pac). 


Alfonso  XIII,  Lepanlo, 


Alfonso  XII,  R.  Mercedes,  M,  de  la  Ensc- 
nada. 


Canonnières  et  contre'4orpilleurs. 


30  o. 
28  n. 
±2n. 
20  n. 


18  n. 


17  n.   Bennington,   Concord   {().   Pac.  >, 

Yorklown,  can. 
16  D.    NashviUe,  Castine,  cao. 
1 5  n .     Machias,  Helena,  Wilmington,  can . 


Audas,  Osado,  Pluton,  Proserpina,  c.-t. 

Furor,  Terror,  c.-t. 

ûestructor,  c.-t. 

Temerario,  Filipinas,  Maria  de  Molina, 

M,  de  la  Victoria,  Alvaro  de  Bazan, 

can. -t. 
Galicia,  Rapide,  M,  de  Molitis,   Nueva 

Espana,  M.  Alonso  Pinson,   V.  Yanes 

Pinson,  eau. -t. 


Dans  ce  tableau  sont  compris  tous  les  bâtiments,  sauf  les  tor[)iI leurs, 
lilant  lo  nœuds  et  plus.  Les  navires  en  service  y  figurent  seuls. 

Le  rayon  d'aclion  d'un  navire  de  guerre  n'est  pas  facile  à  déterminer 
d'une  manière  bien  précise.  Il  dépend  naturellement  de  l'approvision- 


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^ 


350 


REVUE  FRANÇAISE 


nement  de  combustible  et  aussi  de  la  consommation  faite  par  les  ma- 
chines auxiliaires,  bouilleurs,  servo-moteurs,  etc.  Le  charbon  qui  esl 
ainsi  brûlé  varie  selon  le  nombre  et  l'utilisation  de  ces  machines.  L  ap- 
provisionnement normal  peut  aussi  Hre  doublé,  quadruplé  même,  en 
logeant  du  charbon  un  peu  partout,  même  sur  le  pont.  Le  rayon  d'ac- 
tion en  est,  par  suite,  augmenté  sensiblement.  C'est  ainsi  que  Tappro- 
visionnement  normal  de  T /nrf/ana  peut  être  porté  de  4<)0  à  1.800  t^; 
celui  du  Brooklyn,  de  900  à  1.800  ;  celui  du  Minneapolis  et  du  Colum- 
bia,  de  760  à  2.000. 

La  distance  de  Cadix  à  la  Havane  étant  de  4.000  milles,  les  bàlimenls 
ayant  cette  endurance  peuvent  effectuer  le  trajet  sans  avoir  à  renou- 
veler leur  charbon.  Voici  un  état  des  rayons  d'action  à  10  nœuds. 


États-Unis. 


Espagne. 


Flotte  cuirassée. 

15.000  m. 

Brooklyn j  cr.  c. 

12.000  m. 

Carlos  Vy  C.  Colon,  cr.  c. 

13.500 

New-Yorky  cr.  c. 

9.700 

A.  OquendOy  Maria- Teresa, 

6.700 

loway  cuir. 

Vizcaya,  P.deAsluiias,  cr.  c. 

6.600 

Indianaj  MassachusettSf  Oré- 

6.000 

PelayOy  cuir. 

goTij  fuir. 

3.400 

Numanciaj  cuir. 

2.700 

Mord&'ey,  g.  c. 

1.800 

Puritan^  Amphitritej  Mianto- 
nomoh,  Monadnok,  Terror^ 
Katahdin^  g.  c. 

Flotte  non 

cuirassée. 

16.000  m. 

Minneapolis. 

12.000  m. 

Alfonso  Xlilj  Upanto. 

13.000 

Olympia, 

5.000 

Destructory  c.-torp. 

11.000 

Columbia, 

4.700 

R.  Mercedes,  Legazpi. 

10.700 

Sewark,  San  Francisco. 

4.200 

Alfonso  XII, 

7.400 

Charleston. 

:j.400 

TemerariOf  c.-lorp. 

7.000 

Baltimore^  Philadelphia. 

4.500 

Raleigh,  Cincinnati, 

4.000 

Atlantay  Boston, 

Les  chiffres  des  rayons  d'action  ne  sauraient  être  d'une  exactitude 
absolue,  les  auteurs  n'étant  pas  d'accord  sur  l'endurance  de  plusieurs 
navires. 

Voici  maintenant  une  description,  avec  dessins,  de  navires  améri- 
cains. 


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Cuirassé  américain  lovoa. 


■^     r>7  UT- 


S7f.R. 


Longueur  entre  perp*""  . .  i  10"  H 

Largeur 21™  87 

Tirant  d'eau  arrière  ...       7"^  90 
Déplacement 11.322  tx. 


Puissance  maxima  .   .  H.iSâchx. 

Vitesse  maxima  ...  17n. 

ApproY^  norma)  de  charbon     .  635  tx. 

Rayon  d'action  à  10  n .  6.000mil. 


Armement. 

i  canons  de  305  mm.  en  2  tourelles-barbettes  d'acier  de  35()  mm. 
8     —     de  203  mm.  en  4  —  —    de  203  mm. 

6     —     de  iOl  mm.  tir  rapide  en  encorbellements  blindés. 
20     —     de   57  mm.  t.  r. 
4     —     de    37  mm.  t.  r. 
4  gatlings.  —  6  tubes  lance- torpilles. 

Comme  l'indique  le  dessin  ci-dessus,  Ylotoa,  n'a  qu'une  ceinture  cui- 
rassée partielle  (7/10®^)  de  356  mm.,  sur  â^^HÔ  de  hauteur.  Le  pont  blindé 
a  de  70  à  120  mm. 

Mis  sur  chantier  à  Philadelphie  en  février  1893et  lancé  le  28  mars  1896, 
Ylowa,  qui  a  coûté  3  millions  de  dollars,  non  compris  l'armement,  a 
2  hélices  et  436  hommes  d'équipage.  C'est  le  plus  puissant  des  cuiras- 
sés américains  en  service.  Il  peut  être  comparé  au  Cartiot. 


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Cuirassé  américain  Kearsat/e,  (Même  type  :  le  KerUucky.) 


ï^^, 


57        S7        S7        S7 


Longueur 112  m. 

Largeur  . 24  m. 

Tirant  d'eau  arrière  .   .        7"  60 
Déplacement.    .    .   .  11.500  tx. 


Puissan^® maxi"' (prévoe)  ll.OOOcfex. 
Vitesse  maxima  (  prévue)  17°  5 

Approv^  normal  de  charbon  .    .        410  Ix. 
Ravon  d'action  à  10  n .    O.OOOmil. 


Armement. 

\  canons  de  330  mm.  en  2  tourelles  d'acier  de  381  nmi. . 

4    —     de  203  mm .  en  2  tourelles  superposées  aux  précédentes  de  279  mm . 
14    —     de  127  mm.  tir  rap.  en  batterie. 
20    —     de  7omm.t.  r. 

4    —      de   37  mm.  t.  r. 

4 mitrailleuses.  —  o  tubes  lance-torpilles.. 

La  ceinture  cuirassée  n'est  pas  complète;  elle  n'existe  pas  à  rarrière. 
Elle  atteint  418  mm.  Le  pont  blindé  a  de  70  à  120  mm.  Mis  sur  chan- 
tier à  Nevvport  en  janv.  1890,  le  hearsage  a  été  lancé  le  24  mars  1898 
et  n'a  pas  encore  fait  ses  essais.  Il  a  2  hélices.  Sa  caractéristique  est 
d'avoir  2  tourelles  superposées  tournant  ensemble;  les  4  pièces  de  cha- 
que tourelle  sont,  par  suite,  dirigées  du  même  côté. 


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Monitor  américain  Monterey. 


« 


Longueur 79"  60 

Largeur 17"  98 

Tirant  d'eau  moyen  .    .  4'"  42 

Déplacement i.204lx. 


Puissance  maxima    .  .  o.474cbx. 

Vitesse  maxi ma.   .    .  .        16 n. 

Appm^noriial  de  cbirboii  .  .      203  tx. 

Rayon  d'action  à  9  n .  .  2.700  mil. 


Armemeint. 

2  canons  de  305  mm.  en  tourelle  avant  de  305  mm. 
2     —     de  2S4  mm.  en  tourelle  arrière  de  292  mm. 
G  de    57  mm.  tir  rap. 

4     —      de   37  mm.  t.  r. 
4  mitrailleuses. 

La  ceinture  cuirassée  en  acier  est  complèteet  a32omm.  d'épaisseur. 

Lancé  à  San-Francisco,  le 28  avril  1891,  le  Monterey  se  trouve  toujours 
dans  l'océan  Pacifique.  Il  est  actionné  par  2  hélices.  Avec  le  navire  cà 
éperon  Katahdin,  le  Monterey  est  le  plus  moderne  des  gardes-côtes  cui- 
rassés américains.  Seul  de  ceux-ci  il  est  en  acier. 


D. 


xxiii  (Juin  98).  N«  234. 


23 


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L'ARMÉE  AMÉRICAINE 

PENDANT  LA  GUERRE  DE  SÉCESSION 

Lorsque  le  Conjurés  américain  eut  décidé  d'en  appeler  aux  armes,  on 
se  basant  sur  la  morale  du  grand  fabuliste  Lafontaine  : 

La  raison  du  plus  fort  est  toujours  la  meilleut-e  : 
Nous  Talions  montrer  tout  à  Theure, 

la  presse  des  États-Unis  faisait  entendre  sur  tous  les  tons  que  la  guerre 
était  Tallaire  de  (juinze  jours,  un  mois  au  plus,  que  la  flotte  espajioole 
n'oserait  même  [)as  lutter,  qu  on  allait  débarquer  SO.OOO  hommes  — 
100.000  disait-on  même  —  à  Cuba,  etc.  Beaucoup  d'Américains  sem- 
blaient ajouter  foi  à  ces  pronostics,  et,  parmi  eux,  il  y  avait  sans  doute 
nopibre  de  membres  du  Congrès.  Or,  aujourd'hui  que  la  flotte  espagnole 
dépiste  partout  celle  des  États-Unis,  que  Cuba  n'est  ni  soumis,  ni  af- 
famé par  un  blocus  plus  apparent  que  réel,  que  l'on  n'a  débarqué  ni 
30.000  hommes,  ni  même  10.000,  ou  déchante,  paraît-il,  de  l'autrecôté 
de  l'Atlantique  et  on  commence  à  accuser  le  pouvoir  d'incapacité. 

Il  faut  avoir,  en  vérité,  l'ignorance  la  plus  élémentaire  des  lois  de  la 
guerre,  la  présomption  et  Tinfatuation  des  Américains,  ainsi  que  l'oubli 
de  leur  propre  histoire,  pour  avoir  pu  œncevoir  un  seul  instant  uue 
idée  aussi  fausse  de  la  situation.  L'armée  régulière  n'étant  que  de  25.000 
hommes,  le  Président  Mac  Kinley  a  appelé  aussitôt  100.000  hommes 
sous  les  drapeaux.  Mais  ces  hommes  n'ont  jamais  été  soldats  ;  il  faut  les . 
équiper,  les  armer,  les  instruire  et  surtout  —  ce  qui  est  le  plus  diflicile 
—  leur  inculquer  les  idées  de  discipline.  Tout  cela  n'est  l'affaire  ni  de 
15  jours,  ni  d'un  mois,  et  il  s'écoulera  bien  encore  trois  mois  avant  que 
cette  masse  d'hommes  soit  quelque  peu  transformée  en  soldats. 

D'ailleurs  les  instructeurs  manquent,  les  armes,  les  uniformes  font 
défaut.  Tout  dernièrement,  une  corresj)ondance  relevait  ce  fait,  qu'au 
camp  de  Tampa,  les  volontaires  n'avaient  qu'un  fusil  pour  cinq  et  que 
l'uniforme  d'une  milice  n'était  constitué  que  par  un  foulard.  Enfin, 
l'indiscipline  est  assez  grande,  certains  cori)s  n'obéissant  pas  à  leurs 
chefs,  les  volontaire^  en  prenant  à  leur  fantaisie,  témoin  ce  soldat  nègre 
qui  tue  à  coups  de  poing  un  coiffeur  qui  n'a  pas  voulu  le  r^r.  Eo 
outre,  les  fièvres  commencent  à  faire  des  ravages  sous  le  chaud  climat 
de  la  Floride  ;  il  y  aura  du  déchet,  même  avant  le  débarquement  à  Cuba. 


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L  ARMEE  AMÉRICAINE  355 

Et  quand  celui-ci  aura  été  effectué  d'autres  appels  de  volontaires  seront 
indispensables  (I). 

On  peut  dire  que  Tecofe  que  fontaujourd'hui  les  États-Unis  n  est  qu'une 
répétition  de  celle  qu'ils  firent  au  début  de  la  guerre  de  Sécession.  Aussi 
est-il  intéressant  de  rappeler  ce  qui  se  passa  à  cette  époque,  d'après  le 
récit  et  les  commentaires  du  général  de  Chanal  sur  l'armée  américaine. 

Les  forces  militaires  des  États-Unis  se  divisent  en  deux  parties  dis- 
tinctes :  l'armée  régulière,  qui  est  l'armée  fédérale  proprement  dite, 
recrutée  au  moyen  d'engagements  volontaires  et  les  milices  des  États 
qui,  en  temps  de  guerre,  forment  Tarmée  volontaire.  Cette  organisation 
résulte  de  la  constitution  politique  de  la  confédération  formée  d'États 
souverains  ayant  chacun  leur  autonomie.  Aussi  l'armée  volontaire  est- 
ellc  levée,  organisée  et  encadrée  par  les  États  avant  d'entrer  au  service 
de  l'Union.  Les  milices  des  États,  véritables  gardes  nationales,  peuvent 
être  paiement  appelées  à  un  service  actif  pendant  un  temps  déter- 
miné en  cas  d'invasion  ou  d'insurrection. 

Avant  la  guerre  de  Sécession  Farmée  régulière  comprenait  1.098  olTi- 
ciers  et  15.304  soWats  répandus  sur  tout  le  territoire  ;  mais  cet  effectif 
n'était  pas  complet,  surtout  parmi  les  officiers,  dont  un  tiers  environ 
manquait  sous  les  drapeaux.  Lorsque  les  hostilités  éclatèrent,  les  né- 
cessités de  la  guerre  amenèrent  le  gouvernement  fédéral  à  une  véritable 
loi  de  conscription  annihilant  jusqu'à  un  certain  point  les  droits  des 
États  pour  la  levée  des  forces  militaires. 

Le  12  avril  1864,  le  Président  Lincoln  appela  73.000  hommes  sous  le 
armes,  pour  une  durée  de  S  mois.  On  croyait  alors  à  Washington  que 
ce  serait  suffisant  pour  étouffer  la  prise  d'armes  du  Sud.  Mais  bientôt, 
le  d  mal,  le  président  fut  obligé  de  faire  un  nouvel  appel  de  82.000 
hommes,  dont  18.000  pour  la  marine  et  42.000  pour  l'armée  volontaire, 
avec  service  obligatoire  de  3  ans.  Le  Nord  répondit  avec  enthousiasme 
et,  au  l^' juillet,  on  avait  pu  organiser  71  régiments  d'infanterie,  1  de 
grosse  artillerie  et  10  batteries  de  campagne  (rartillerie  légère  n'étant 
pas  organisée  habituellement  en  régiments). 

La  bataillede  BuH8-Run(21  juillet),  où  l'armée  fédérale  commandée 
par  Mac-Dowel,  fut  complètement  défaite  par  les  confédérés  sous  les 
ordres  de  Beauregard,  vint  bouleverser  tous  les  projets  des  hommes  du 

(1}  Uq  appel  de  75(100  hommes  a  eu  lieu  le  25  mai. 


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356  REVUE  FRANÇAISE 

jNord  qui  pensaient  avoir  promptemeot  raison  des  forces  militaires  du 
Sud.  Pour  parer  aux  éventualités  d'une  guerre  qui  semblait  devoir 
prendre  des  proportions  gigantesques,  le  Président  fut  alors  autorisé 
à  faire  des  appels  jusqu'à  concurrence  d'un  million  d'hommes,  pour 
une  durée  de  service  variant  de  6  mois  à  trois  ans. 

Les  échecs  de  l'armée  fédérale  ne  firent  qu'augmenter  les  manifes- 
tations du  patriotisme  et  les  États,  les  sociétés  et  même  des  particuliers 
levèrent  et  équipèrent  des  régiments  ou  des  compagnies.  Chacun  agis- 
sant de  sa  propre  initiative,  il  en  résulta  un  certain  désordre.  Aussi  ud 
ordre  du  ministre  de  la  guerre  (il  février  18()2),  fixa-t-il  pour  l'avenir 
le  quantum  de  chaque  État.  L'armée  comptait  alors  637.000  hommes. 
C'était  encore  insuffisant  ;  aussi,  en  1862,  1863  et  1864,  six  nouveaux 
appels  eurent-ils  lieu,  de  300.000  ou  500.000  hommes  chaque.  Au  total, 
2.759.000  hommes  furent  appelés  sous  les  drapeaux  pendant  la  durée 
de  la  guerre,  d'avril  1861  à  avril  1865. 

Les  cadres  furent  augmentés  en  proportion,  et  Ion  compta  70  majors 
généraux  et  275  brigadiers  généraux.  Quant  aux  régiments  créés  et  dis- 
sous selon  lés  besoins  et  les  événements  et,  n'ayant  pas  cette  perpétuité 
qui  existe  dans  les  vieux  pays  militaires,  ils  atteignirent  le  chiffre  de 
900  pour  l'infanterie,  ^20  pour  la  cavalerie  et  30  pour  rartillerie. 
Chaque  État  créant  se»  régiments  sans  s'inquiéter  de  ce  qui  se 
passait  à  côté,  il  y  eut,  par  exemple,  un  10''  d'infanterie  Illinois  et 
un  10*"  d'infanterie  New- York.  Les  premières  levées  résultèrent  d'en- 
gagements volontaires,  sans  primes  d'abord,  puis  avec  une  prime  de 
100  dollars  par  homme  pour  un  engagement  de  3  années.  Mais  les  con- 
fédérés avaient  adopté  dès  1861,  le  service  obligatoire.  Le  Nord  dut 
alors  les  suivre  dans  cette  voie  et  deux  lois  de  1863  et  1864  établirent  le 
service  obligatoire  déterminé  par  le  tirage  au  sort  pour  subvenir  à  l'in- 
suffisance des  engagements  volontaires.  Le  remplacement  d'abord  auto- 
risé contre  paiement  de  300  dollars,  ne  fut  plus  admis  que  dans  certains 
cas  par  la  loi  de  1864.  Eu  1863,  le  remplacement  porta  sur  35.000 
hommes  et  donna  10.318.000  dollars  (32  millions  et  1/2  de  francs). 

La  prime  de  100  dollars  donnée  tout  d'abord  aux  engagés,  fut  élevée 
dans  la  suite  par  le  congrès  et,  grâce  au  dons  des  États  ou  des  parti- 
cu  liera,  portée  à  300  et  330  dollars.  Dans  certains  régiments  de  l'armée  du 
Potomac,  chaque  soldat  avait  reçu  même  jusqu'à  600  dollars.  Ces  primes 
ne  furent  pas  sans  nuire  à  l'application  de  la  loi,  car  les  hommes  les  voj'ant 


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L'ARMÉE  AMÉRICAINE  357 

augmenterde  plus  en  plus  attendaient  pour  s'engager  un  taux  encore  plus 
élevé.  D'autres,  après  un  premier  engagement  désertaient,  puis  se  ren- 
gageaient sous  un  autre  nom,  afin  de  toucher  la  prime  une  fois  déplus. 
En  février  1864,  les  souscriptions  destinées  à  augmenter  les  primes  du 
gouvernement  fédéral  avaient  atteint  le  chiffre  énorme  de  936  millions 
de  francs. 

La  formation  des  listes  de  recrutement  rencontra  de  grandes  diffi- 
cultés en  raison  de  la  mauvaise  tenue  des  registres  de  Tét^t  civil.  Les 
inscrits  formèrent  deux  classes  :  de  20  à  3o  ans  et  de  35  à  45.  L  en- 
semble xles  listes  fournit  un  total  de  3.113.000  hommes,  soit  environ 
19  Vo  de  la  population. 

Dans  les  premiers  temps  de  la  guerre  les  hommes  de  couleur  n'étaient 
pas  compris  sur  les  listes  de  recrutement.  La  loi  de  1804  les  y  fit  figurer, 
ainsi  que  les  esclaves. 

L'établissement  de  la  conscription,  en  1863,  ne  fut  pas  sans  occasion- 
ner des  émeutes  dans  plusieurs  grandes  villes.  Les  scènes  les  plus  vio- 
lentes eurent  lieu  à  New- York,  où  l'émeute  aidée  par  la  populace  cosmo- 
polite, resta  maîtresse  de  la  ville  pendant  2  jours,  brûla  des  bureaux 
de  recrutement  et  égorgea  des  gens  de  couleur. 

Au  i*'  mai  1864,  Tarmée  fédérale  comptait  662.000  hommes  sous  les 
drapeaux,  109.000  détachés  dans  les  divers  départements  militaires, 
in.OOO  malades  ou  blessés,  66.000  en  congé  ou  prisonniers  et  lo.OOO 
déserteurs,  ce  qui  représente  un  effectif  nominal  de  940.000  hommes. 
En  mars  1863,  le  totalde  l'armée  était  de  965.000  hommes,  mais  on 
n  en  comptait  plus  que  602.000  sous  les  drapeaux. 

Les  pertes  éprouvées  pendant  la  guerre  se  montèrent,  pour  Tarmée 
fédérale,  à  280.000  hommes,  dont  90.000  périrent  sur  le  champ  de 
bataille  ou  des  suites  de  leurs  blessures  et  183.000  moururent  de  mala- 
die. Dans  le  total  des  pertes  le  nombre  d'officiers  ligure  pour  7.600. 
Ces  chiffres  ne  sont  relativement  pas  élevés,  si  Ton  remarque  que  la 
guerre  a  duré  4  années  (ce  qui  ferait  une  moyenne  de  70.000  par 
année  et  que  des  batailles  acharnées  ont  été  livrées,  comme  celle  de  la 
Weldemess  (mai  1864)  qui  dura  3  jours  et  coûta  4S.000  hommes  aux 
fédéraux  sur  un  effectif  de  1 40.000. 

Un  chiffre  qui  retient  l'attention  est  celui  des  désertions,  car  il  ne 
s'élève  pas  à  moins  de  189.000,  parmi  lesquels  216  officiers.  Ce  dernier 
chiffre  ne  surprendra  pas  autrement,  la  plupart  des  grades  étant  dus  à 


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388  REVUE  FRANÇAISE 

la  faveur  ou  au  hasard.  lie  nombre  énorme  des  désertions  doit  être 
attribué  pour  une  partie  à  la  faiblesse  du  président  Lincoln  qui  ne  pou- 
vait approuver  une  condamnation  à  mort  (7  exécutions  seutero^t 
eurent  lieu  pendant  la  durée  de  la  guerre),  et  surtout  à  la  fadlitr 
qu'éprouvait  le  déserteur  h  se  soustraire  à  toute  recherche,  en  raisonde 
l'étendue  considérable  du  pays  et  de  l'absence  d'une  bonne  police.  Pour 
remédier  à  ce  mal,  le  gouvernement,  qui  savait  quelle  est  l'inSueoce 
de  l'argent  dans  un  pays  où  tout  est  une  affaire,  institua  une  prime  dfi 
30  dollars  pour  l'arreslation  des  déserteurs.  L'effet  produit  fut  TGam- 
quable  :  rien  que  pendant  une  durée  de  6  mois  (1863),  22.000 déserteurs 
furent  amenés  au  bureau  de  recrutement  I 

L'armée  fédérale  acceptait  dans  ses  rangs  tous  les  engagements 
étrangers.  Ceux-ci,  autant  qu'il  a  été  possiblç  de  le  savoir  dans  un  pays 
recevant  une  importante  immigration,  furent  à  peu  près  proportioaaéa 
au  nombre  d'étrangers  établis  à  demeure  sur  le  territoire  de  l'Union. 
En  m»i  1864,  sur  940.000  hommes,  U  y  avait  188.000  Américaius 
d'origine  européenne.  Au  début  des  hostilités  on  avait  essayé  de  former 
des  corps  composés  uniquement  d'Allemands  et  d'Irlandais  (les  immi- 
grants les  plus  groupés  dans  les  États-Unis),  mais  on  y  renonça  bientôt 
en  raison  des  inconvénients  nombreux  que  présentait  cette  formation. 
Les  étrangers  enrôlés  sous  les  drapeaux  de  l'Union  et  dont  le  nombre 
atteignit  environ  3  %»  ^^^  furent  pas  précisément  ses  meilleurs  soldats. 

On  sait  tous  les  préjugés  contre  les  hommes  de  couleur  qui,  aujour- 
d'hui encore,  ont  cours  aux  États-Unis.  À  une  époque  où  rësclavage 
existait,  le  fossé  qui  séparait  les  blancs  des  noirs  était  encore  plus  pro- 
fond. Aussi  au  début  de  la  guerre,  les  nègn^s  étaient-ils  exclus  de 
l'armée.  Mais  le  besoin  d'hommes  qui  se  fit  peu  à  peu  sentir  modifia  les 
idées  existantes  et  un  vote  du  17  juillet  186â  autorisa  l'armée  à  recevoir 
dans  ses  rangs  des  hommes  de  couleur.  Ce  fut  la  Louisiane  qui  organisa 
le  premier  régiment  noir.  Dans  le  courant  de  1863,  18  régiments 
d'hommes  de  couleur,  commandés  par  des  officiers  blancs,  avaient 
été  créés.  Lorsque  la  guerre  se  termina,  en  1868,  on  comptait  123.000 
noirs  sous  les  drapeaux  ;  186.000  avaient  été  enrôles  au  cours  de  la 
lutte.  Ils  avaient  formé  un  ensemble  de  120  régiments  d'infanterie,  7  de 
cavalerie,  12  de  grosse  artillerie  et  10  batteries  d'artillerie  de  campMpc. 
Les  nègres,  surtout  ceux  qui  étaient  libres,  firent  vite  de  bons  soldats 
et  rendirent  d'aussi  utiles  services  que  les  blancs,  car  ils  avaient  une 


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SANTHGO  DE  CUBA 


SANTIAGO  DE   CUBA 

Dans  cette  grande  île  de  Cuba  qui,  d'une  extrémité  à  l'autre,  ne  me- 
sure pas  moins  de  1 4^0  kilomètres  —  la  distance  de  Paris  à  Madrid  — 
la  partie  orientale  est  de  beaucoup  la  plus  accidentée.  Sur  la  côte  mé- 
ridionale s'étend  une  v^Titable  chaîne  de  montagnes,  la  sierra  Maestra 
(ou  chaîne  maîtresse)  qui,  s'éievant  brusquement  sur  le  littoral,  produit 
l'effet  d'une  imposante  muraille  dressée  contre  les  flots.  Des  pics  élevés 
surgissent  de  cette  masse  et  le  principal,  qui  porte  le  nom  de  pico  di 
Tarquino  atteint  une  hauteur  qui  varie,  selon  les  évaluations,  de  9.000 
à  2.500.  mètres. 

Cette  région,  presque  inhabitée,  sans  voies  de  communication,  cou- 
verte en  partie  de  forêts  et  de  marécages  dans  le  voisinage  des  rivières, 
a  été  de  tout  temps  la  terre  favorite  des  insurrections.  Le  soulèvement 
de  1868,  qui  amena  une  guerre  civile  de  10  années,  y  prit  naissance  et 
s'y  fortifia  ;  celui  de  1895,  qui  a  amené  la  guerre  avec  les  États-Unis, 
y  a  trouvé  un  refuge  à  peu  près  impénétrable  contre  les  colonnes  des 
troupes  régulières  espagnoles. 

La  sierra  Maestra,  au  milieu  de  son  développement  sur  la  cote  méri- 
dionale, décrit  une  légère  courbe  vers  le  nord  et  forme  un  large  cirque 
sur  les  dernières  ramifications  duquel  s'élève  doucement  la  ville  de  San- 
tiago de  Cuba,  à  l'extrémité  d'une  magnifique  rade  sûre  et  profonde, 
capable  d'abriter  toutes  les  flottes  de  guerre.  C'est  laque  l'escadre  espa- 
gnole commandée  par  l'amiral  Cervera,  a  établi  son  centre  d'action. 


1 
■A 


endmrance  supérieure.  Ils  manœuvraient  avec  justesse  sous  les  ordres  i 

de  leurs  officiers  blancs,  aimaient  le  métier  des  armes  et  se  condui-  J 

saient  bravement  au  feu.  } 

Ces  souvenirs  sont  restés  présents  dans  la  mémoire  des  Américains  ^ 

d'aujourd'hui.  Aussi  le  général  en  chef  Miles,  qui  est  un  vétéran  de  la  ^ 

guerre  de  Sécession,  n'a-t-il  eu  garde  d'oublier  les  troupes  noires.  '5 

Celles-ci  se  trouvent  au  premier  rang  parmi  les  corps  réunis  à  Tampa 
et  à  la  Nouvelle-Orléans,  et  figureront  sans  doute  en  tôte  du  corps  expé- 
ditionnaire destiné  à  débarquer  à  Cuba.  Mais  ce  temps  ne  viendra  pas 
tout  de  suite,  car  les  États-Unis  éprouvent  à  former  une  armée  véritable 

autant  de  difficultés  qu'il  y  a  37  ans. 

G.  Vasgo. 


1 


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360  REVUE  FRANÇAISE 

Santiago,  que  l'on  appelle  aussi  Cuba,  est,  après  la  Havane,  la  ville  la 
plus  importante  de  File.  Sa  population  est  évaluée,  depuis  le  dernier 
recensement,  à  70  000  habitants.  Sous  le  rapport  de  l'activité  commer- 
ciale, elle  n'arrive  cependant  qu'au  3^  rang,  Cienfuegos  Itii  ayaet  depuis 
quelques  années,  ravi  la  2*  place  qu'elle  ne  semble  pas  en  état  de  pou- 
voir reconquérir. 

Santiago  a,  en  effet,  le  défaut  de  n'avoir  que  des  communications 
difficiles  avec  l'intérieur  de  l'île,  par  suite  de  la  barrière  que  forme  le 
massif  montagneux  de  la  sierra  Maestra  et  c  est  là  un  obstacle  sérieux 
à  son  développement  commercial. -Plusieurs  lignes  de  chemins  de  fer 
partent  bien  de  Santiago,  mais  ces  lignes  ne  sont  pas  rattachées  au  ré- 
seau général  de  l'île  et  n'ont  qu'un  caractère  local  comme  celle  d'El 
Câney,  petite  localité  à  l'est  de  la  ville  où  les  riches  habitants  vont  en 
villégiature,  celle  d'El  Cobre  qui  dessert  les  mines  de  cuivre  de  celte 
région  et  n'aboutit  mêm(î  pas  à  Santiago,  mais  au  petit  port  de  Julian 
situé  sur  la  rive  occidentale  de  la  rade.  La  phis  importante  est  la  ligue 
qui  traverse  la  sierra  Maestra  et  servira'un  jour  de  voie  de  pénétration 
à  l'intérieur  de  l'île  ;  mais  cette  ligne  s'arrête  à  San  Luis,  à  une  faible 
distance  au  nord  de  Santiago. 

La  ville,  dit  Elisée  Reclus,  s'est  nichée  à  l'extrémité  nord-orientale  de 
la  rade,  dans  une  combe  circulaire  et  s'élève  en  encorbellement  sur  les 
pentes  des  montagnes.  Ses  maisons  basses  et  multicolores,  ses  prome- 
nades,  ses  jardins,  l'horizon  superbe  des  monts  environnants  font  de 
Cuba  l'une  des  cités  les  plus  belles  des  merveilleuses  Antilles  ;  mais  la 
chaleur  extrême  qui  s'amasse  dans  l'air  presque  immobile  du  cirque 
'  profond  donne  à  son  climat  un  caractère  d'insalubrité  par  trop  accusé. 

L'accès  de  la  rade  est  formé  par  un  goulet  sinueux  et  resserré  qui, 
dans  sa  partie  la  plus  étroite,  ne  mesure  que  160  mètres  de  largeur,  ce 
qui  ne  permet  guère  à  un  bâtiment  de  fort  tonnage  de  se  retourner. 
Quand  on  arrive  de  la  haute  mer,  l'entrée  de  la  passe  apparaît  comme 
une  brèche  faite  dans  la  muraille  de  rochers  escarpés  qui  s'élève  du 
littoral  ;  mais  cette  brèche  semble  elle-même  n'être  qu'un  couloir  sans 
issue,  car  une  haute  paroi  de  rochers,  formant  un  immense  écran,  cache 
absolument  la  vue  de  l'intérieur.  Ce  n'est  qu'une  fois  dans  le  goulet 
que  le  passage  se  découvre  sur  la  gauche,  le  long  de  la  caye  Smith, 
laissant  sur  la  droite  la  petite  baie  de  Nispero.  De  tous  côtés  se  présen- 
tent de  ces  petites  baies  (ensenadas),  vivement  échancrées  dans  les  terres 


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362  REVUE  FRANÇAISE 

et  dont  quelques-unes  peuvent  fort  bien,  en  raison  de  leur  profondeur, 
recevoir  de  gros  navires. 

Sauf  le  petit  village  de  la  Socapa,  avec  ses  toitures  inclinées  et  ses 
tuiles  rouges,  que  Ton  aperçoit  au  premier  tournant  de  la  passe,  les 
abords  inférieurs  de  la  rade  sont  presque  sans  habitants.  Sur  le  côté 
oriental,  les  rives  sont  généralement  escarpées,  présentant  d'excellenles 
positions  pour  la  défense  de  la  passe.  Sur  le  côté  occidental,  les  rives, 
d'abord  relevées,  s'abaissent  bientôt  et  restent  à  peu  près  plates.  Des 
fourrés  de  mangliers  bordent  le  rivage  et  lui  font  comme  une  ceinture  à 
peu  près  infranchissable. 

Quand  on  a  franchi  la  pointe  Gorda,  qui  s'avance  fièrement  dans  la 
mde  avec  sa  masse  de  rochers,  le  fond  du  magnifique  bassin  apparaît 
alors  avec  son  amphithéâtre  de  montagnes  et  la  ville  de  Santiago  à  ses 
pieds.  D'une  extrémité  à  l'autre  la  rade  a  une  longueur  de  plus  de 
8  kilomètres  et  la  passe  1  kilomètre  et  demi. 

La  défense  de  la  passe  n'était  autrefois  assurée  que  par  le  vieux  fort 
Morro  avec  ses  hautes  murailles  peu  en  rapportavec  rarlillerie  moderne, 
situé  à  rentrée  même  du  goulot,  à  70  //*  de  hauteur.  Plus  loin,  à  l'inlr- 
rieur  de  la  passe,  se  trouvaient  les  batteries  de  la  Cueva,  d'Estrella  et  de 
Santa  Catalina.  Depuis  les  événements  qui  se  sont  produits  à  Cuba  dans 
ces  dernières  années,  les  défenses  ont  été  i*enforcées.  I^  fort  Morro  a 
subi  des  transformations  qui  l'ont  mis  en  meilleure  postui*e  pour  nîsis- 
ter  à  la  grosse  artillerie.  Des  travaux  de  défense  ont  été  exécutés  et  gar- 
nis de  canons  près  de  la  Socapa  sur  la  pointe  opposée  de  l'entrée  du 
goulet.  A  l'intérieur  de  la  passe  et  hors  de  la  vue  de  la  haute  mer.  un 
fort  a  été  construit  sur  la  caye  Smith,  cet  îlot  escarpé  qui  forme  une 
excellente  position  stratégique.  D'autres  travaux  de  fortification  sont  en 
voie  d'exécution,  afin  de  renforcer  encore  la  défense  de  ce  que  les 
Américains  appellent  te  «  goulot  de  bouteille  »  de  Santiago,  la  rade 
représentant  la  bouteille  où  l'escadre  espagnole  se  trouve  «  bouchée  ». 

C'est  ainsi  qu'une  batterie,  enfilant  la  passe,  a  été  établie  à  la  pointe 
Gorda. 

L'entrée  do  la  rade  se  trouve  donc  bien  protégée  et  si  les  Espagnols 
ont  pu  armer  leurs  fortifications  d'un  nombre  suffisant  de  pièces  de 
grosse  artillerie  et  surtout  organiser  d'une  façon  sérieuse  la  défense 
sous-marine,  la  passe  peut  être  regardée  comme  infranchissable.  Avec 
ses  gros  cuirassés,  bien  protégés  et  munis  d'une  puissante  artillerie,  la 


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GIKRRE   HISPANO-AMÉRICAINE  363 

flotte  américaioe  pourrait,  sans  doute,  avoir  raison  du  vieux  fort  Morro 
et  des  batteries  du  littoral.  Peut-être  même  pourrait-elle  forcer  la  passe 
en  faisant  le  sacrifice  d'un  grand  nombre  de  ses  navires.  Mais  que  l'un 
de  ses  gros  bâtiments  soit  coulé  dans  la  partie  étroite  du  goulet,  celui-ci 
serait  alors  totalement  obstrué  ;  les  navires  entrants  ne  pourront  plus 
avancer  et  ceux  qui  auraient  déjà  pénétré  dans  la  rade  ne  pourront  plus 
en  sortir.  La  destruction  de  l'escadre  de  l'amiral  Cervera  dans  la  rade 
de  Santiago  vaut-elle  la  peine  de  courir  d'aussi  gros  risques? 

C.  DE  Lassalle. 

GUERRE   HISPANO-AMÉRICAINE 

C'est  une  guerre  essentiellement  coloniale  que  celle  qui  a  lieu  entre 
l'Espagne  et  les  États-Unis.  Elle  a  pour  enjeu  les  colonies  espagnoles  des 
Antilles  et  même  celles  de  l'Océanie,  Aussi  intéresse-t-elle  vivement  les 
puissances  coloniales  par  les  conséquences  qu'elle  peut  avoir  et  les 
enseignements  qu'elle  comporte.  A  ce  titre  la  Revue  FrançaUe  en  retra- 
cera les  événements  sous  une  forme  succincte. 

Sans  remonter  aux  origines  du  conflit,  qui  a  pour  cause  l'ingérence 
clandestine  des  Américains  en  faveur  des  insurgés  cubains,  l'explosion 
du  cuirassé  américain  Maine  dans  le  port  de  la  Havane  et  les  injonctions 
du  gouvernement  de  Washington  à  l'Espagne,  rappelons  seulement  que 
les  hostilités  prirent  naissance  le  21  avril  1898,  à  la  suite  du  refus  par 
le  gouvernement  espagnol  de  recevoir  l'ultimatum  des  États-Unis  lui 
enjoignant  d'avoir  à  retirer  ses  troupes  de  Cuba. 

Sans  attendre  que  la  déclaration  de  guerre  ait  été  faite  officiellement, 
les  Américains  se  lancèrent  à  la  poursuite  des  navires  marchands  espa- 
gnols et  en  capturèrent  une  vingtaine,  parmi  lesquels  trois  paquebots 
transatlantiques.  Un  seul  navire  américain,  chargé  de  charbon,  fut  pris 
par  les  Espagnols,  aux  Philippines. 

OPÉRATIONS   AUX    PHILIPPINES. 

C'est  en  Extrême  Orient  que  se  livra  le  premier  combat.  L'escadre 
américaine  qui  se  trouvait  à  Hong-Kong  sous  les  ordres,  du  commodore 
Dewey  reçut  l'ordre  de  se  diriger  sur  Manille  pour  y  combattre  l'escadre 
espagqola.  Elle  se  composait  des  croiseurs  Olympia,  Raleigh,  Baltimore, 
Bosionj  des  canonnières  Concorda  Pétrel,  de  l'aviso  Mac  Culloch,  des 
transports  Zafiro  et  Xawshan.  Ses  bâtiments  de  combat  étaient  modernes 


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364  RFVDE  FHANÇAISE 

et  bien  armés.  Il  n'en  était  pas  de  même  de  l'escadre  espagnole  de 
l'amiral  Montojo  ;  ses  navires  étaient  démodés,  en  bois  pour  la  plupart, 
sans  vitesse  et  sans  armement  moderne.  Elle  se  composait  des  croiseurs 
Reina-CtHstina,  Castilla,  Ma  de  Cuba,  Isla  de  Luzon,  Don  Antonio  de 
Ulloa,  Don  Juan  d'Austria^  VelaacOy  Marques  del  Ducro,  des  canon- 
nières Génial  Ltzo,  Argos,  du  transport  Isla  de  Mindanao. 

Le  l*^*"  mai,  dans  la  nuit,  l'escadre  américaine  pénétrait  dans  la  baie 
de  Manille  et  n'était  signalée  qu'après  avoir  franchi  l'entrée.  A  la  pointe 
^  du  jour  elle  attaquait  l'escadre  espagnole  protégée  par  le  feu  des  bal- 

I'  teries  de  l'arsenal  de  Cavité.  En  deux  heures  de  combat  cette  escadre 

était  détruite  après  une  défense  héroïque  :  deux  de  ses  navires  étaient 
incendiés,  les  autres  coulés  par  le  feu  de  l'ennemi  ou  par  les  Espagnols 
eux-mêmes  pour  les  empêcher  de  tomber  aux  mains  des  Américains. 
Ces  derniers  n'avaient  eu  que  8  blessés  et  quelques  légères  avaries  à 
I  leurs  navires,  tandis  que  les  Espagnols  perdaient  600  tués  ou  blessés. 

I  Les  défenses  de  Cavité  avaient  été  réduites  rapidement  au  silence  ;  les 

I  fortifications  mal  entretenues,  les  pièces  d'artillerie  d'ancien  et  trop 

I  faible  modèle,  les  batteries  sans  protection,  n'avaient  pu  résister  lonfi;- 

I  temps  à  l'artillerie  à  tir  rapide  et  à  longue  portée  des  Américains.  L'ar- 

I  senal  lui-môme  était  occupé  par  ceux-ci  peu  après  le  combat. 

I  i^  désastre  est  dû  à  l'incurie  du  gouvernement  espagnol  qui,  s'il  ne 

|:  pouvait  transformer  des  navires  démodés  en  une  flotte  moderne,  pou- 

^  vait  au  moins  leur  assurer  une  protection  efficace  par  l'établissement  à 

|r  terre  de  puissantes  batteries  convenablement  i>ix)tégées,  et  par  l'instal- 

I  lation  do  sérieuses  défenses  sous-marines  qui  eussent  pu  tenir  à  dis- 

I  lance  les  navires  américains  et  même  les  empêcher  de  pénétrer  dans  la 

I  baie.  Rien  de  tout  cela  n'a  été  fait.  Dans  combien  de  colonies  françaises 

I  un  pareil  désastre,  engendré  par  les  mêmes  causes,  ne  se  produirait-il 

I  pas  si  la  guerre  venait  à  éclater  ? 

I  Quelques  jours  après  le  combat  de  Cavité,  la  canonnière  espagnole 

V.  Cnllao  venait  se  faire  prendre  dans  la  baie  de  Manille.  La  canonnière 

;  Leyte  a  été  aussi  captui'ée  depuis. 

t  Embarrassé  par  sa  victoire,  faute  d'avoir  des  troupes  de  débarque- 

"f-  ment,  l'amiral  Dewey  s'est  contenté  de  bloquer  Manille  tout  en  cher- 

p  chant  à  soulever  de  nouveau  les  indigènes  contre  les  Espagnols. 

'f  Sans  la  révolte  qui  ensanglanta,  pendant  deux  ans,  les  Philippines, 

^  ces  îles  auraient  été  presque  dégarnies  de  troupes  et  auraient  été  la 


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GlERRE  HISPANO-AMERICAINE  365 

proie  certaine  des  Américains.  La  conquête  que  ces  derniers  vont 
entreprendre  sera  autrement  dillicile,  car  le  général  Augustin,  capitaine 
général,  a  sous  ses  ordres  environ  15.000  soldats  espagnols,  hommes 
aguerris,  sans  compter  les  troupes  indigènes.  Les  3.000  hommes  qui 
viennent  de  partir  de  San  Francisco  ne  sont  que  Tavant-garde  des 
lo.OOO  annoncés.  Mais  la  grande  majorité  se  compose  de  volontaires 
et,  si  une  nouvelle  insurrection  n'éclate  pas,  leurs  efforts  seront,,  sans 
doute,  infructueux. 

OPÉRATIONS   AUX    ANTILLES. 

Lorsque  le  président  Mac-Kinley  déclara  la  guerre  les  Américains'ue 
pouvaient  songer  à  envahir  Cuba  avec  les  2o.000  hommes  de  leur 
armée  régulière.  Ils  n'étaient  pas  prêts.  Un  décret  du  23  avril  appela 
tOO.OOO  hommes  sous  les  drapeaux.  Ce  sont  ces  hommes  que  Ton 
arme  et  que  Ton  instruit,  et  comme  cela  ne  semble  pas  suffisant  —  les 
Espagnols  ne  paraissant  pas  le  moins  du  monde  disposés  à  évacuer 
Cuba  —  un  décret  du  2o  mai  a  appelé  encore  75,000  hommes. 

Un  des  premiers  actes  du  gouvernement  de  l'Union  fut  de  déclarer 
le  blocus  de  la  partie  ouest  de  Cuba  comprise  entre  Malanzas  et  Cien- 
fuegos.  Mais  ce  blocus  n'est  pas  toujours  très  effectif,  plusieurs  navires 
ayant  pu  le  forcer.  Les  forces  navales  américaines  furent  divisées  en 
deux  escadres  ;  Tune,  appelée  escadre  volante,  sous  les  ordres  du  Com- 
modore Schley,  avait  pour  objectif  de  surveiller  l'escadre  espagnole 
venant  des  îles  du  cap  Vert;  l'autre,  sous  les  ordres  de  l'amiral  Samp- 
son,  était  chargée  du  blocus  de  Cuba.  Les  hostilités  ont  été  à  peu  près 
nulles  jusqu'ici,  les  Américains  étant  dans  l'impossibilité  d'effectuer  un 
débarquement,  leur  armée  n'étant  encore  que  dans  la  période  d'orga- 
nisation. 

Quelques  escarmouches  ont  cependant  eu  lieu.  Les  premiei's  engage- 
ments so  produisirent  devant  Malanzas,  à  l'est  de  la  Havane,  où  les 
canons  des  navires  américains  firent  peu  de  dégâts.  Le  11  mai,  les 
canonnières  Wilmington  .et  Hudson,  le  torpilleur  Winslow,  bombar- 
daient Cacdenas,  non  loin  de  la  Havane.  Mais  ces  bâtiments  s'étant  trop 
rapprochés  des  batteries  espagnoles,  reçurent  des  avaries  graves.  Le 
Winslow,  désemparé  par  un  boulet,  dut  être  pris  à  la  remorque  après 
avoir  eu  un  officier  et  plusieurs  hommes  tués.  Ce  furent  les  premières 
victimes  de  la  guerre  du  côté  des  Américains.  Le  même  jour  d'autres 


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366  KEVUE  FRANÇAISE 

bâtiments  tentaîeot  de  débarquer  des  armes  pour  les  insurgés,  près  de 
Oenfuegos,  mais  étaient  repoussés  par  les  Espagnols.  Le  17,  plusieurs 
navires  essayaient  une  descente  à  Caïbarien,  sur  la  côte  septentrionale, 
mais  étaient  repoussés  également.  Même  résultat  à  Cabanas. 

Pendant  que  ces  petits  bâtiments  faisaient  ainsi  le  coup  de  feu  sur 
les  cotes  de  Cuba,  Tamiral  Sampson  avec  ses  cuirassés,  apparaissait  le 
12,  à  la  pointe  du  jour,  devarit  San  Juan  de  Puerio-Rico,  et  sans  aver- 
tissement préalable,  commençait  aussitôt  le  bombardement.  Après  trois 
heures  de  combat,  la  flotte  américaine  se  retirait  sans  résultat,  ayant 
subi  quelques  avaries  et  causé  des  dommages  peu  importants  à  San-Juan 
et  au  fort  Morro,  qui  a  vivement  riposté.  Les  Américains  eurent  i  tué  et 
7  blessés,  les  Espagnols,  4  soldats  tués  et  quelques  blessés. 

Sur  ces  entrefaites,  Tescadre  espagnole  de  Tamiral  Cervera  arrivait 
aux  Antilles.  Composée  des  quatre  croiseurs  cuirassés,  Almimnle 
Oquendo,  Ma7*ia  Teresa,  Vizcaya,  Christobal  ^'olon,  d*égale  vitesse,  des 
contre-torpilleure  Terror,  Furor,  Pluton,  formant  un  tout  très  homo- 
gène, elle  était  partie  des  îles  du  cap  Vert  le  29  avril  ;  naviguant  à 
petite  vitesse,  elle  arrivait  à  hauteur  de  la  Martinique  le  11  mai  et 
détachait  à  Saint  Pierre  le  Terror  qui  avait  quelques  avaries  à  réparer. 
Poursuivant  sa  marche,  elle  inclinait  au  sud,  touchait  le  15  à  File  de 
Curaçao,  et,  le  19  mai  au  matin,  entrait  dans  la  rade  de  Santiago  de 
Cuba,  sans  avoir  c'té  i^enconlrée  par  Tennemi.     ' 

A  la  nouvelle  de  Tarrivée  près  de  la  Martinique  de  la  flotte  espagnole, 
contrairement  au  bruit  qui  avait  été  répandu  de  son  retour  à  Cadix, 
l'escadre  volante  quittait  Hampton  Hoads  le  12^  mai,  se  dirigeant  en 
toute  hâte  vers  la  Havane,  afin  de  barrer  la  roule  à  Tamiral  Cervera  du 
côté  du  Yucatan,  tandis  (jue  l'escadre  Sampson  allait  prendre  position 
entre  Cuba  et  Haïti.  Mais  pendant  que  les  éclaireurs  cherchaient  vaine- 
ment en  tous  sens  l'escadre  espagnole,  celle-ci  entrait  tranquillement  à 
Santiago,  où  le  commodore  Schley  venait  la  bloquer,  après  avoir  croisé 
pendant  dsux  jours  devant  Cienfuegos  où  il  la  croyait  entrée  tout  d'abord. 
Néanmoins,  les  Américains  ne  paraissaient  pas  encore  bien  convaincus  de 
sa  présence  en  ce  port  et  leurs  navires  battiiient  les  mers  de  tous  côtés  ; 
67  d'entre  eux  sont  actuellement  dans  les  mers  des  Antilies,  parmi 
lesquels  23  yachts  ou  remorqueurs  armés,  que  Ton  appelle  la  flotte  des 
moustiques,  à  cause  des  piqûres  qu'elle  doit  occasionner. 

Le  cuirassé  Orégon  et  la  canonnière  Jfar/W/a,  venant  de  San-Francisco 


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Ql^VTRIÈW:  CENTENAIRR  DE  VASO»  DE  0  VMA       ,         367 

par  le  cap  Horn,  ont  rejoint  heureusement  Tescadre  après  avoir  été 
rejoints  eux-mùmes  à  Rio-de-Janeiro  par  le  croiseur  Nictkeroy,  racheté 
au  Brésil  et  qui  prend  le  nom  de  Buffalo, 

A  part  l'affaire  de  ('avile,  aux  Philippines,  il  n'y  a  eu  jusqu'ici 
aucun  engagement  sérieux.  Des  deux  côtés  on  n'est  pas  prêt.  En  Espagne, 
l'escadre  de  réserve  commandée  par  l'amiral  de  la  Camara,  continue  à 
s'organiser  à  Cadix.  Aux  États-Unis,  l'armée  se  forme  avec  lenteur.  On 
commencé  enfin  à  comprendre  que  la  guerre  peut  durer  longtemps. 

Il  est  bon  de  signaler  l'hostilité  suscitée  aux  États-Unis  contre  la 
France  par  la  presse  qui  a  poussé  à  la  guerre,  la  presse  jaune,  comme 
on  l'appelle.  Capture  du  paquebot  fran(^^ais  Lafayclte,  accusé  d'avoir 
voulu  forcer  le  blocus  de  la  Havane,  puis  relâché  et  autorisé  à  entrer 
dans  ce  port,  au  début  des  hostilités;  accusation  d'y  avoir  débarqué 
des  officiers  d'artillerie  français  pour  venir  en  aide  aux  Espagnols  ; 
retard  mis  par  les  employés  du  çàble  français  de  la  Martinique  de  trans- 
mettre un  télégramme  américain,  —  qui  n'a  même  pas  été  déposé,  — 
toutes  fausses  nouvelles  qui  ont  été  démenties,  mais  qui  n'en  ont  pas 
moins  produit  une  fâcheuse  impression  contre  la  France.  Il  importail 
de  faire  ressortir  cet  état  d'esprit  (jue  l'on  ne  peut  que  regretter  en 

France. 

C.  DE  Lasallr. 


QUATRIÈME  CENTENAIRE  DE  VA8C0  DE  6AMA 

Le  Portugal  a  brillamment  fêté,  du  17  au  20  mai  1S9«,  le  400^  an- 
niversaire de  la  découverte  de  la  roule  des  Indes  par  Vasco  de  Gama, 
qui  fut  l'origine  de  la  puissance  maritime  et  coloniale  du  Portugal,  la- 
quelle ne  dura  d'ailleurs  qu'un  siècle. 

Cette  grande  découverte  eut  une  répercussion  considérable  dans  le 
bassin  de  la  Méditerranée.  L'Europe  faisait  alors,  par  la  voie  de  l'isthme 
de  Suez  et  de  la  mer  Rouge,  tout  le  commerce  avec  l'Inde  et  l'Extrême- 
Orient.  La  route  du  Cap,  que  les  navires  marchands  adoptèrent  [leu  à 
peu,  porta  un  coup  mortel  à  celle  de  la  mer  Rouge,  qui  ne  devait  recou- 
vrer sa  suprématie  que  plus  de  trois  siècles  après.  Venise  surtout,  fut 
gravement  atteinte.  Mais  les  Portugais  ne  surent  pas  conserver  leur  pré- 
pondérance en  Extrême-Orient.  Les  Hollandais,  puis  les  Anglais,  qui 


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368  REVUE  FRANÇAISE 

les  suivirent  de  près,  ne  tardèrent  pas  à  se  substituer  à  eux  et  à  édifier 
des  empires  coloniaux  encore  puissants  à  l'heure  actuelle. 

C'est  en  1497,  que  le  roi  de  Portugal  chargea  le  grand  navigateur  de 
tenter  cette  entreprise,  que  Barthélémy  Diaz  n'avait  pu  mener  à  son  but. 
tout  en  découvrant  cependant  le  cap  des  Tempêtes,  devenu  presque 
aussitôt  cap  de  Bonne-Espérance  (1487). 

Précédemment ,  les  Canaries  avaient  été  découvertes  par  les  I*orlugais 
en  1341,  les  Açores  en  1330,  Madère  en  1420,  le  cap  Bojador  en  1433, 
le  cap  Vert  en  144S.  L'embouchure  du  Congo  fut  découverte  par  Diego 
Cam  en  1482. 

11  est  intéressant  de  noter  aussi  qu'en  1486,  I^ierre  de  Covilham  fut 
envoyé  en  Egypte,  d'où  il  gagna  la  mer  Rouge,  Aden  et  les  Indes,  par 
la  route  que  suivaient  alors  les  Vénitiens  et  les  Arabes  ;  il  se  rendit  en 
suite  de  Goa  à  Sofala,  puis  revint  à  Aden,  au  Caire,  puis  en  Abyssinie  où 
il  disparut . 

Le  4  juillet  Hî>7,  Vasco  de  Gama  partait  de  Belem,  près  Lisbonne, 
avec  trois  vaisseaux  de  guerre,  un  navire  chargé  de  provisions  et  148 
hommes.  Il  y  avait  à  bord  10  condamnés  à  mort  destinés  à  être  mis  eu 
avant  en  cas  de  conflit.  Après  avoir  essuyé  une  violente  tempête  sur  les 
côtes  de  l'Afrique  méridionale,  Vasco  de  Gama  eut  à  comprimer  une 
révolte  à  bord  ;  il  fit  mettre  le  pilote  aux  fers  et  prit  lui-même  la  barre. 
Le  20  novembre,  il  doubla  le  cap  de  Bonne-Espérance,  après  une  relâche 
à  Sainte-Hélène,  puis  arriva  le  jour  de  Mot^l  au  pays  qu'il  nomma 
Natal. 

Bientôt,  on  dut  sacrifier  le  navire  qui  portait  les  provisions,  car  il  ne 
pouvait  plus  tenir  la  mer.  Puis,  le  scorbut  éclata  à  bord.  Au  bout  d*un 
mois  de  relâche,  l'expédition  reprit  sa  marche,  reconnut  l'embouchure 
du  Zambèze  et  arriva  à  Mozambique.  Bien  que  l'accueil  des  indigènes 
eût  été  quelque  peu  hostile,  on  repartit  sans  difficulté  et  on  arriva  à 
Mombassa,  puis  à  Mélinde  le  ir>  avril  1498,  jour  de  Pâques. 

Un  pilote  ayant  consenti  à  conduire  l'expédition  vers  le  littoral  de 
l'Inde,  l'expédition  repartit  le  20  avril  et  aborda  à  Calicut,  port  de  flnde 
méridionale,  sur  la  côte  du  Malabar,  le  20  mai  1498. 

Deux  des  condamnés  furent  débarqués.  Les  curieux  les  entourèrent 
aussitôt  et  des  marchands  tunisiens  leur  demandèrent  leur  natio- 
nalité; ils  se  déclarèrent  Portugais.  Les  marchands  tunisiens  qui  avaiœt 
trafiqué  avec  les  Espagnols,  les  accueillirent  avec  bienveillance  et  des 


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yi  ATHIÈME  CENTJ:NA1HK  DE  VASCO  I)E  GAMA  'M) 

relations  amicales  s'établirent  aussitôt  avec  les  indigènes.  Mais,  par  suite 
de  la  perfidie  des  Maures  et  autres  trafiquants,  qui  craignaient  la  con- 
currence commerciale  portugaise,  les  autorités  se  montrèrent  plus  hos- 
tiles et  finalement,  les  habitants  s'emparèrent  des  marchandises  et  se 
saisirent  des  gardes  qu'ils  violentèrent.  Vàsco  dé  Gaina  fit  à  son  tour 
plusieurs  prisonniers  qu'il  ne  rendit  qu'en  échange  de  ce  qu'on  lui  avait 
pris.  Il  cingla  ensuite  vers  Cananor  et  Goa. 

Mais  il  fallait  partir.  Vasco  de  Gama  fit  voile  vers  l'Afrique,  aborda 
en  octobre  à  Magadoxo,  puis  à  Mélinde,'  où  il  dut  brûler  un  deuxième 
navire  hors  d'usage.  On  continua  vers  le  Cap  avec  les  deux  navires  res- 
tants, mais  la  tempête  les  sépara.  La  mort  du  frère  de  Vasco  de  Gania 
qui  fut  enseveli  à  l'île  de  Terceire  (A(;ores),  retarda  encore  l'expédition. 

Vasco  de  Gama  dut  brûler  son  propre  navire  et  ne  rentra  à  Lisbonne  . 
que  le  30  août  1499.  Nicolas  Coelho,  son  lieutenant,  qui  commandait 
le  seul  navire  sauvé,  était  rentré  avant  lui,  le  10  juillet,  deux  ans  après 
le  départ  de  la  flottille.  53  hommes  seulement  sur  148  qui  étaient  par- 
tis, revirent  le  Portugal. 

Vasco  de  Gama,  en  récompense  de  sa  découverte,  fut  nommé  amiral 
des  Indes. 

De  nombreux  voyages  vinrent  bientôt  compléter  celui  de  Gama. 
Alvarez  Cabrai  parti  en  mars  1500,  descendit  jusqu'au  Mozambique, 
visita  Mélinde  et  Calicut. 

Vasco  de  Gama  lui-mome,  repartit  en  février  1S02,  avec  20  navires 
et  des  forces  considérables.  Arrivé  aux  Indes,  il  traita  avec  les  radjahs 
de  Cananor,  de  Cochin  et  de  CoUam,  qui  s'engagèrent  à  ne  faire  de 
commerce  qu'avec  le  Portugal,  il  revint  à  Lisbonne  en  février  1503, 
après  avoir  laissé  dans  les  eaux  de  l'Inde,  une  escadre  qui  y  périt. 

En  1504,  Albuquerque  partit  de  Lisbonne  pour  les  Indes.  11  cons- 
truisit le  premier  fort  portugais  dans  l'Inde,  à  Cochin,  ce  qui  ruina  le 
commerce  que  les  Arabes,  les  Egyptiens  et  les  Vénitiens  faisaient  dans 
la  mer  des  Indes. 

En  1503,  François  d'Almeida  partit  d'Europe  avec  20  navires  et  des 
troupes,  il  construisit  en  route  des  forts  à  Quiloa,  Mombassa,  Goa, 
Onor  et  Cananor.  En  février  lo09,  il  battit  les  Arabes  à  Diu  et  assura 
au  Portugal  la  suprématie  dans  l'Inde.  Albuquerque  qui  était  toujours 
dans  rinde,  se  querella  avec  d'Almeida  ;  ce  dernier  repartit  pour  l'Eu- 
rope, mais  s'étant  arrêté  au  Cap,  il  y  fut  tué  par  les  Cafres. 

xxni  (Juin  98).  N-  234.  24 


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370  REVUE  FRANÇAISE 


Albuquerque  resté  seul,  prit  l'île  de  Socotora  en  1307,  pour  com- 
mander la  route  de  la  mer  Rouge  et  imposa  la  suzeraineté  portugaise 
aux  ports  de  TArabie.  Il  détruisit  Mascate  en  grande  partie,  s'empara 
d'Ormuz  et  y  établit  un  fort.  Goa,  qu'il  prit  eu  1310,  devint  le  œntre 
des  Indes  portugaises.  Albuquerque  s'empara  encore  de  Malacca,  puis 
d'Ormuz  une  ^  fois  (1513),  il  mourut  à  Goa  la  même  année. 

Le  Portugal  était,  par  ces  conquêtes,  devenu  la  première  puissance 
maritime  et  coloniale  du  monde.  Vasco  de  Gama,  nommé  en  1524 
vice-roi  des  Indes  y  repartit,  mais  y  mourut  peu  après  à  Cocbin  (1525). 

Les  princes  indiens  se  révoltèrent  alors  contre  les  Portugais.  En 
^  1383,  le  roi  d'Espagne  étant  devenu  maitre  du  Portugal,  les  colonies 

de  rinde  furent  laissées  à  elles-mêmes  et  la  Hollande  put  facilement 
s'en  emparer. 

Entre  temps,  en  1337,  les  Portugais  avaient,  les  premiers,  noué  des 
relations  avec  la  Chine  et  s'étaient  installés  à  Macao.  En  1326,  Georges 
de  Menezes  atteignait  la  N''*^  Guinée,  Sumatra,  Bornéo,  etc.  En  1329  de 
Souza  Tavares  allait  àBassorah  et  Estevam  daGama  pénétrait,  en  1341. 
au  fond  de  la  mer  Rouge.  En  1342,  Mendez  Pinto  abordait  au  Japon. 

En  loli  Albuquerque  avait  fait  explorer  les  iles  Moluques  ;  en  1317, 
Perez  d'Andrade  avait  vu  Poulo  Condor  et  en  1318,  il  s'était  arrêté  à 
Canton,  mais  dans  tous  ces  pays,  les  Portugais  n'avaient  fondé  aucun 
établissement. 

Il  faut  donc  rendre  au  Portugal  cette  justice  cpie  c'est  lui  qui  a  montré 

^  le  chemin  dont  les  autres,  et  surtout  les  Anglais  ont  largement  profité. 

On  ne  peut  donc  que  s'associer  à  la  glorification  de  cette  brillante 

période  qu'a  été  pour  la  géographie  et  pour  le  Portugal,  la  fin  du  15' 

siècle  et  le  commencement  du  10*,  période  dans  laquelle  le  nom  de 

Vasco  de  Gama  domine  tous  les  autres. 

Paul  Barré. 


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EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS 

Le  d'  Maclaud  est  chargé  d*une  nouvelle  mission  en  Guinée  française. 
D  se  rend  à  Konakry,  puis  au  Fouta-Djallon,  pour  y  étudier  à  fond  les 
ressources  agricoles.  Son  enquête  durera  au  moins  48  mois.  Il 
part  seul,  sans  escorte.  Il  avait  accompagné  Braulot  à  Kong,  en  1893. 

La  mission  Gentil  (XXIII,  238)  est  heureusement  arrivée  au  lac  Tchad. 
Partie  de  France  en  avril  1895,  il  ne  lui  a  pas  fallu  moins  de  3  années 
pour  accomplir  ce  voyage.  En  septembre  1896,  M.  Gentil,  qui  avait 
remonté  TOubanghi  jusqu'à  son  confluent  avec  la  Kémo,  établissait  un  • 

poste  sm*  un  sous-affluent  du  Chari.  En  avril  1897  il  s'intallait  sur  un  \\ 

affluent  du  Gribingui,  par  7*^  de  lat,  et  16*»40,  long.  E.  C'est  là  qu'il  a 
monté  son  vapeur  démontable  le  Léon-Blot,  et  d'où  il  est  parti  pour  .| 

atteindre  le  lac  Tchad,  où  il  entrait  le  1^"^  novembre  après  avoir  séjourné 
2  mois  au  Baguirmi.  Pour  arriver  jusqu'au  lac  M.  Gentil  dut  tra- 
verser des  territoires  occupés  par  Rabah,  le  conquérant  du  Bornou, 
l'instigateur  du  massacre  de  la  mission  Crampel.  A  Goulfeï,  une  de  ses 
places  d'armes,  sur  la  rive  gauche  d'une  des  branches  du  Chari,  il  fut 
cependant  bien  reçu  et  la  population  lui  off'rit  gratuitement  des  vivres 
en  abondance.  En  revenant  du  lac  Tchad,  il  s'arrêta  de  nouveau  au 
Baguirmi,  dont  le  sultan  est  indépendant  et  ramena  de  sa  capi- 
tale, Massinia,  une  ambassade  qui  doit  venir  en  France,  M.  Gentil 
rapporte  d'importants  résultats  géographiques.  Le  Gribingui  n'est  qu'un 
affluent  du  Chari  et  non  une  de  ses  branches.  Quant  au  Logone  il 
ne  serait  qu'une  branche  du  Chari. 

M.  Bonnel  de  Mézières,  second  de  la  mission  de  Béhagle  (XXIII,  238), 
qui  était  revenu  en  Europe  pour  constituer  une  mission  de  renfort,  s'est 
embarqué  le  8  mai  à  Anvers,  pour  se  rendre  au  Congo  et  y  rejoindre 
M.  de  Béhagle,  qui  se  dirige  sur  la  région  du  Tchad.  Il  est  accompagné 
de  MM.  Louis  Martel  et  G.  Boui^eau  qui  ont  déjà  séjourné  dans  la  région 
du  haut  Congo,  Charles  Pierre  et  Raymond  Colrat,  plus  spécialement 
chargés  des  études  topographiques  et  scientifiques  de  la  mission. 

M.  de  Poncins.  a  écrit  du  camp  d'Aliou,  près  d'Ankober,  13  janvier. 
Depuis  le  8  novembre  1897,  il  a  vécu,  tantôt  chez  les  Somalis  Issa, 
tantôt  chez  les  Adals.  Il  a  suivi  un  itinéraire  en  pays  neuf,  qui  l'a  mené 
à  un  point  d'eau  très  écarté,  dans  un  désert  brûlé.  Ce  point  est  Abako, 


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37-2  REVUE  FRANÇAISE 

repaire  des  nomades  Somalis,  et  qui  se  trouve  sur  la  route  entre  Harrar 
et  le  Choa. 

Le  prince  Henri  d'Orléans  (XXIII,  306)  est  parti  le  30  mai  de  Djibouti, 
avec  les  Français  qui  l'accompagnent  et  son  escorte  de  Sénégalais.  11  se 
rend  à  Addis-Abbeba  par  une  route  directe  et  encore  inexplorée  à  tra- 
vers le  désert.  Ce  voyage  ne  laissera  pas  que  de  présenter  des  difficultés 
assez  sérieuses  en  raison  de  l'état  de  guerre  existant  entre  tribus  doui 
on  traversera  le  territoire.  Le  c^^  Léontieff,  qui  est  parti  seul  de  Djibouti, 
précédant  la  caravane,  est  arrivé  à  Harrar. 

M.  Raoul,  pharmacien  en  chef  de  1'^  classe  des  colonies,  est  mort  à 
I^annilis,  près  de  Brest,  des  suites  d'une  maladie  qu'il  avait  contractée 
à  Sumatra,  au  cours  de  sa  dernière  mission  scientifique,  d'où  il  avait 
rapporté  de  précieux  renseignements  au  point  de  vue  de  racclimatalion 
das  plantes  coloniales.  Il  était  âgé  de  53  ans. 

M.  D.-W.  Caimegie  a  rendu  compte  du  voyage  de  13  mois  qu'il 
. ,  accompli,  en  1896-1897,  dans  l'Australie  occidentale.  Parti  de  Coolgardie, 

le  9  juillet  4896,  avec  3  compagnons,  MM.  T. -A.  Breaden,  G.  Massie  et 
C.  Stansmore,  9  chameaux  et  des  provisions  pour  5  mois,  M.  Carnegie 
s'engagea  dans  un  désert  où  les  chameaux  restèrent  13  jours  1/2  sans 
boire.  Les  rares  populations  rencontrées  sont  des  nomades  vivant  de 
i  rats  et  de  lézards.  Les  puits  sont  rares  et  vite  taris.  Les  habitants  sont 

noirs  et  se  badigeonnent  de  graisse  et  de  cendres  ;  ils  sont  petits,  laids 
et  vont  absolument  nus.  Ils  ne  construisent  pas  de  maisons,  n'ont  pas 
de  villages  et  s'installent  dans  des  cavités  qu'ils  creusent  dans  le  sol. 
Quoique  sauvages,  ils  ne  sont  pas  méchants.  La  vu^  des  chameaux 
les  a  beaucoup  étonnés.  M.  Carnegie  a  constaté  que  la  région  cotre 
Coolgardie  et  les  mines  de  Kimberley  est  un  désert  hihabitable,  où  il 
n\Y  a  pas  trace  d'or.  La  mission  est  passée  à  Doyie's  VVell,  à  325  kil. 
de  Coolgardie,  au  mont  Woi*snop,  à  Alexandre  Springs,  aux  monts 
Alfred  et  Maria.  Le  point  extrême  atteint  fut  Hall's  Creek,  par  1845' 
et  127<»,46'.  Le  retour  de  l'expédition  eut  lieu  par  les  lacs  White  et  Mac 
Donald,  les  monts  Rawiinson,  Blyth  Creek,  les  lacs  Wells  et  Darlot. 
La  mission  revint  à  Coolgardie  en  août  1897,  ayant  perdu  M.  Stansmore. 


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NOUVELLES  GEOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 


AFRIQUE 

Tunisie  :  Régime  douanier.  —  Le  Journal  officiel  tunisien  a  publié  une 
série  de  décrets  relatifs  au  régime  économique  de  la  Tunisie.  Depuis  le 
l*"^  janvier  1898,  l'obligation  pour  le  gouvernement  beylical  de  maintenii*  le 
tarif  uniforme  de  8  0/0,  en  vertu  de  la  clause  de  la  nation  la  plus  favorisée, 
a  disparu  du  fait  de  la  suppression  de  l'ancien  traité  anglo-tunisien.  La  publi- 
cation d'un  nouveau  tarif  douanier  ne  pouvait  plus  être  ajournée  davantage 
et  cVst  pour  y  pourvoir,  au  moins  à  titre  provisoire,  que  les  décrets  précités 
ont  été  rendus.  Ces  décrets  assuient  au  commerce  français  des  avantages 
importants,  conformément  aux  engagements  pris  par  M.  Hanotaux  devant  la 
Chambre  des  députés. 

On  se  rappelle  que  la  loi  du  19  juillet  1890,  votée  par  les  Chambres  dans 
IMntérét  des  colons  français  établis  en  Tunisie,  accordait  l'entrée  en  fran- 
chise, en  France,  des  céréales,  du  bétail,  du  vin,  etc.,  dans  des  quantités 
déterminées  chaque  année.  Mais,  par  contre,  les  produits  français  continuaient 
à  acquitter  à  leur  entrée  en  Tunisie  la  taxe  de  8  0/0  comme  les  autres  mar- 
chandises. Les  anciens  traités  qui  liaient  la  Régence  aux  nations  étrangères 
ayant  cessé  d'exister  et  ayant  été  remplacés  par  des  conventions  qui  lui 
laissaient  sa  liberté  d  action,  il  en  est  résulté  la  possibilité  d'accorder  aux 
produits  français  un  traitement  privilégié.  Désormais,  les  principales  indus- 
tries françaises,  primées  encore  par  la  concurrence  étrangère  sur  le  marché 
tunisien,  telles  que  celles  des  fers,  tissus  de  laine,  métaux,  machines,  ma- 
tériel des  travaux  publics,  sont  assurées  d'approvisionner  exclusivement 
la  Régence  par  la  double  combinaison  de  la  franchise  accordée  aux  produits 
français  de  l'espèce  et  de  l'application  aux  produits  similaires  étrangers  du 
tarif  protecteur  établi  en  France.  La  France  acrpiiert,  en  outre,  le  monopole 
de  la  vente  de  produits  d'importante  consommation  qu'elle  peut  fournir,  tels 
que  le  sucre  et  l'alcool  qui  sont  frappés  à  l'importation  étrangère  d'un  droit 
protecteur  sufiBsant  pour  atteindre  ce  but.  Exception  est  faite  seulement 
pour  les  cotonnades,  qui  d'après  la  dernière  convention  avec  l'Angleterre, 
ne  devront  pas,  jusqu'en  1913,  être  taxées  <\  plus  de  5  0/0  de  leur  valeur. 
Cette  importation  britannique  représente  une  valeur  annuelle  de  4  A  5 
millions  de  francs. 

Aiûsi  que  le  faisait  remarquer  dernièrement  la /î^'uue  Française  {diVviMSdSy 
p.  234),  75  0/0  des  exportations  tunisiennes  prenaient  le  chemin  de  la 
France  et  de  l'Algérie,  tandis  que  58  0/0  seulement  des  importations  en 
Tunisie  provenaient  de  France  et  d'Algérie.  La  suppression  de  la  taxe  de 
8  0/0  qui  frappait  les  produits  français  élèvera  certainement  d'une  façon 
sensible  le  quantum  des  importations  françaises. 

La  diminution  produite  par  le  nouveau  régime  douanier  sur  les  recettes 
au  Trésor  tunisien  est  compensée  ps^r  la  surélévation  des  droits  sur  les  den- 


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374  REVUE  FRANÇAISE 

rées  coloniales  et  d'une  taxe  de  consommation  sur  Talcool  et  le  sucre.  Ces 
dix)its  équivalent  à  l'octroi  de  mer  appliqué  en  Algérie. 

Dans  sa  séance  du  4  mai,  la  Conférence  consultative,  appelée  à  donner  son 
avis  sur  ces  mesures,  s'y  est  complètement  ralliée. 

Dès  l'ouverture  dés  Chambres,  celles-ci  seront  saisies  de  certaines  modifi- 
cations à  apporter  à  la  loi  de  juillet  1890,  en  vue  d'amener  le  plein  dévelop- 
ment  de  la  colonisation  tunisienne. 

Soudan  français  :  Prise  de  Sikasso.  —  A  la  suite  de  l'attitude  hostile 
du  fama  de  Sikasso,  une  colonne  de  1  500  hommes  a  été  organisée  et  placée 
sous  les  ordres  du  l'-colonel  Audéoud,  ^-gouverneur  du  Soudan  français. 
Arrivée  devant  Sikasso  l'assaut  a  été  donné  le  1^^  mai.  L'attaque,  commencée 
au  point  du  jour,  ne  s'est  terminée  qu'à  3  h.  du  soir  par  la  prise  de  la  ville.  Le 
fama  Babemba  s'est  fait  tuer  après  une  résistance  acharnée.  Nos  pertes  ont  été 
sensibles  :  2  ofliciers  tués,  les  V^  Gallet  et  Loury,  4  officiers  blessés,  50  indi- 
gènes tués  et  13o  blessés,  soit  au  total  195  tués  ou  blessés.  On  évalue  à  un 
millier  le  nombre  des  ennemis  tués  ou  blessés.  Des  approvisionnements  im- 
portants en  armes,  munitions  et  vivres  ont  été  trouvés  dans  la  place. 

La  ville  de  Sikasso,  située  dans  la  boucle  du  Niger,  un  peu  au  nord  du  H*^ 
parallèle,  est  la  capitale  du  Kénédougou.  L'ancien  roi  de  ce  pays,  Tiéba,  avait 
depuis  longtemps  contracté  un  traité  d'amitié  avec  nous  et,  comme  ses  inté- 
rêts étaient  opposés  à  ceux  de  notre  adversaire  Samory,  il  nous  fut  toujours 
fidèle.  Tiéba  mourut  en  189^  et  fut  remplacé  par  son  fils  Babemba.  Ce  der- 
nier n'a  jamais  paru  désireux  de  conserver  avec  nous  les  bonnes  relations  de 
son  père.  Aussi,  quand,  en  1897,  le  colonel  de  Trentinian  envoya  dans  le  bas- 
sin de  la  Volta  une  colonne  d'occupation,  il  tint  à  s'assurer  des  dispositions 
exactes  de  Babemba  et  il  envoya  le  capitaine  Braulot,  qui  fut  tué  plus  tard 
à  Bouna  par  les  gens  de  Samory.  Effrayé  sans  doute  par  la  concentration  de 
nos  troupes  àSégou,  Babemba  fit  au  capitaine  Braulot  un  accueil  chaleureux, 
se  porta  en  personne  à  sa  rencontre  et  le  retint  huit  jours  dans  sa  ville.  Ses 
bonnes  dispositions  étaient  certaines. 

Mais,  récemment,  on  apprit  que  Babemba  était  en  relations  suivies  avec  Sa- 
mory. Une  mission  fut  alors  envoyée  à  Babemba.  Elle  était  commandée  par 
le  capitaine  Morrisson  et  comprenait  une  vingtaine  d'hommes.  Cette  fois, 
l'accueil  réservé  à  notre  envoyé  par  le  fama  de  Sikasso  fut  plutôt  hostile.  Il 
importait  de  briser  de  suite  cette  résistance. 

C'est  dans  ce  but  que  fut  formée  la  colonne  expéditionnaire  qui  vient  de 
prendre  la  ville,  après  un  combat  qui  a  dû  être  assez  vif>  car  Sikasso  était 
entouré  de  «  tatas  »  assez  solides  et  il  a  fallu  du  canon  pour  ouvrir  la  brèche. 
Il  est  à  prévoir  qu'un  poste  solide  sera  établi  à  Sikasso  afin  de  servir  dépeint 
d'appui  contre  Samory.  Voici  la  description  que  le  capitaine  Braulot  don- 
nait de  Sikasso  : 

»  Sikasso  est  une  très  grande  ville.  Elle  s'est  augmentée  de  moitié  depuis 
le  voyage  de  Péroz  en  1891.  Elle  est  entourée  de  deux  tatas  très  solides  sé- 
parés par  un  chemin  de  ronde  de  50  à  60  mètres  de  large.  Le  périmètre  du 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  375 

tata  extérieur  est  d'au  moins  8  ou  9  kilomètres.  L'ancienne  ville  qui  domine 
au  N.  Ja  nouvelle  est  séparée  de  cette  dernière  par  un  ruisseau  qui  coule  du 
S.-O.  au  N.-E.  Ce  ruisseau  arrose,  dans  sa  partie  N.-E.,  près  de  Thabitation 
du  fama  qui  domine  sur  la  campagne,  une  bananerie  immense. 

En  somme,  vue  du  plateau  qui  commande  la  ville  à  i  200  mètres  au  N., 
Sikasso  a  grand  air.  De  toutes  parts,  des  maisons  à  étage  couronnées  de  clo- 
chetons s'élèvent  au-dessus  des  terrasses  et  des  toits  en  paille.  Dans  la  partie 
haute,  se  dresse  une  butte  qui  est,  en  petit,  la  butte  Montmartre  de  la  capi- 
tale du  Kénédougou,  Ce  n'est  pas  laid  comme  ensemble.  J'estime  la  popula- 
tion à  12000  habitants  ».  ^ 

Occupation  et  siège  de  Kong,  —  La  réoccupation  de  Kong,  effectuée  par  le 
lieutenant  Demars  avec  80  tirailleurs,  puis  par  le  commandant  Caudrelier,  a 
donné  lieu  à  de  brillants  faits  d'armes  que  rapporte  une  correspondance 
adressée  à  V Eclair. 

Les  1»»  Demars  et  Méchet,  partis  le  21  janvier  1898  de  notre  dernier  poste, 
sur  le  Comoé,  s'avancèrent  jusqu'à  8  kil.  de  Kong  et  apprirent  que  quelques 
sofas  seulement  gardaient  cette  ville.  Ils  résolurent  aussitôt  de  l'attaquer. 
300  sofas  à  peine  sortirent  de  leurs  santés  (retranchements),  mais  furent  vite 
repoussés  par  quelques  feux  de  salve.  Samory,  informé  de  l'occupation  de 
Kong  par  une  faible  troupe,  fit  aussitôt  investir  Kong,  du  li  au  27  février, 
par  2.000  à  3.0<)0  sofas,  qui  tirèrent  60.000  cartouches  de  fusil  à  tir  rapide  et 
lancèrent  plusieurs  projectiles  pleins  de  0"  60  de  longueur  sur  0"»  10  de  diamè 
tre.Un  de  ces  projectiles  tomba  au  milieu  du  poste  mais  n'atteignit  personne. 

La  résistance  héroïque  de  la  petite  garnison  des  1*»  Demars  et  Méchet  est 
digne  d'admiration.  Les  diflicultés  de  défense  d'un  posls  improvisé  furent 
grandes.  L'eau  vint  bientôt  à  manquer.  Les  puits  intérieurs  étaient  insuffi- 
sants et  les  puits  extérieurs  dangereux  à  aborder.  Pendant  les  premiers  jours 
des  corvées  parvinrent  à  se  glisser  la  nuit  hors  du  poste  pour  chercher  un 
peu  d'eau.  Mais  les  sofas  s'en  aperçurent  et  déjouèrent  la  manœuvre.  Il  fal- 
lut alors  se  rationner  strictement;  tous  les  animaux  et  plusieurs  porteurs 
périrent  de  soif.  Toutes  les  nuits  les  griots  de  Samory  venaient  insulter  les 
tirailleurs  et  les  exciter  à  abandonner  le  poste. 

Le  commandant  Caudrelier,  prévenu,  quitta  le  poste  deKhomhokodianiri- 
koro,  le  24  février.  Les  sofas  l'attaquaient  le  lendemain ,  à  2  kil.  au  sud  de 
Nasian,  Victorieuse,  la  colonne  fut  attaquée  encore  le  26,  sans  succès. 

Près  de  Kong,  la  colonne  essuya,  sans  pertes,  les  feux  de  2.000  à  3.000 
sofas,  mais  au  bout  de  quelques  heures  de  combat,  la  place  était  dégagée  et 
le  c*  Caudrelier  faisait  sa  jonction  avec  les  1'»  Demars  et  Méchet  (27  fév.  1898). 

Sierra-Leone  :  Insurrection.  —  Une  grave  révolte  a  éclaté  contre  l'An- 
gleterre à  Sierra-Leone.  Les  noirs  se  sont  soulevés  parce  que  les  Anglais 
voulaient  percevoir  un  impôt  de  6  fr.  25  par  cabane,  chiffre  considéré  comme 
beaucoup  trop  élevé  pour  les  ressources  des  indigènes. 

La  révolte  prit  naissance  dans  le  pays  de  Kassi  ou  Kareni,  au  N.  E.  de 
Port-Lokko,  à  23  milles  de  Freetown,  près  la  frontière  française,  où  aux 


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376  REVUE  FRANÇAISE 

griefs  provoqués  par  l'impôt  sur  les  huttes  se  joignait  la  nomination  d'un 
roi  impopulaire  par  les  Anglais.  Ce  dernier  a  été  fait  prisonnier  par  son 
rival  Bé-Boury  qui  Ta  fait  égorger. 

Dans  le  courant  de  février  4808,  le  capitaine  Sharpe  requit  la  force  de 
police  pour  arrêter  Bé-Boiiry;  l'échec  fut  complet.  Le  major  Norris  ne  réussit 
pas  mieux.  Le  commandant  Tarbet  fut  repoussé,  puis  cerné  dans*  Karéné. 
Une  compagnie  du  «  West-India  régiment  »,  envoyée  pour  le  dégager,  n'y 
a  réussi  qu'après  3  jours  de  combats  acharnés.  A  la  fin  d'avril,  le  colonel 
Marshall  déclara  avoir  traversé  le  district  de  Karéné  sans  trop  de  difficultés. 
Mais  de  nouveaux  troubles  éclatèrent  à  Kambia  (district  de  Bandjama)  le 
17  avril,  puis  dans  le  district  de  Romietta  en  mai. 

La  situation  s'est  aggravée  depuis  et  il  est  très  diflicile  de  trouver  des  por- 
teurs pour  accompagner  les  troupes  britanniques.  La  rébellion  a  même 
gagné  le  sud  de  la  colonie  ;  des  factoreries  européennes  ont  été  brùléçs  daus 
l'île  Sherbro  et  des  négociants  ont  été  massacrés  ou  faits  prisonniers.  Le  ré- 
vérend Humphrey  a  eu  sa  tète  piquée  en  haut  d'une  perche.  Deux  factoreries 
de  la  Compagnie  française  de  l'Afrique  occidentale  ont  été  incendiées  à 
Manho  et  plusieurs  traitants  noirs  y  ont  été  massacrés. 

Les  Anglais  ont  expédié  des  troupes  de  Lagos  et  6  navires  à  destination 
de  Sierra-Leone,  et  il  faudra  un  f;rand  effort  pour  écraser  ce  soulèvement. 

Le  territoire  de  Sierra-Leone  comprend  la  colonie  proprement  dite  et  l'Ain- 
terland.  La  colonie  comprend  la  péninsule  de  Freetown  (ville  de  40.000  hab.), 
l'île  de  Sherbro,  quelques  autres  îles  et  une  bande  côtière  de  180  milles  de 
large  sur  20  milles  de  profondeur  (en  tout  4.000  milles  carrés).  L'arrière- 
pays  s'étend  sur  30.000  milles  carrés, 

Depuis  la  convention  franco-anglaise  de  délimitation  de  1895,  le  gouver- 
neur sir  Frédéric  Carde w  a  entrepris  la  pénétration  dans  l'intérieur,  rendue 
difficile  par  les  luttes  intestines  des  petits  chefs  et  par  le  trafic  des  esclaves. 
Le  pays  de  protectorat  a  été  divisé  en  6  districts,  dirigés  chacun  par  un  com- 
missaire. Le  budget  est  de  250.000  fr.  qu'on  voulait  alimenter  par  un  impùt 
sur  les  liqueurs  et  un  autre  sur  les  huttes.  C'est  ce  dernier  impôt  qui  a  pro- 
voqué la  révolte. 

Hlnterland  du  Dahomey  :  Occupation  du  Dendi,  —  Les  heureux  ré- 
sultats obtenus  par  les  missions  Baud-Vermeersch,  au  Gourma,  et  Bretonne!, 
au  Niger,  n'assuraient  pas  la  soumission  complète  des  régions  voidnes  du 
grand  fleuve  au  nombre  desquelles  se  trouvait  le  Dendi.  M.  Ballot,  gouver- 
neur du  Dahomey,  chargea  alors  le  capitaine  Baud  d'occuper  ce  pays,  proche 
voisin  du  Gourma  (*).  Bien  que  n'ayant  sous  ses  ordres  que  de  faibles  forces, 
le  capitaine  Baud  quitta  Kodjar  et  occupa  Carimania  (14  octobre  1897)  sur  le 
Niger  après  avoir  eu  à  traverser  une  région  d'une  brousse  épaisse  et  la  rinère 
Mekrou, rendue  difficile  à  franchir  par  la  hauteur  des  eaux.  De.Carimama, 
M.  Baud  se  rendit  à  Ilo.  où  il  apprit  que  les  habitants  de  Madécali  avaient 

(1)  Voir  la  l'arte,  p.  201  (avril  1898). 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  377 

attaqué  nos  alliés.  Il  résolut  alors,  bien  que  n'ayant  qu'une  trentaine  de  ti- 
railleurs, de  marcher  sur  cette  ville  pour  en  punir  les  habitants. 

L'ennemi,  qui  comptait  environ  2.000  hommes,  fantassins  ou  cavaliers  ar- 
més d'arcs  et  de  flèches,  de  lances  et  de  javelots,  s'avança  à  sa  rencontre.  Le 
choc  se  produisit  dans  une  plaine  couverte  d'une  herbe  si  épaisse  et  si  haute 
que  l'on  avait  peine  à  apercevoir  un  homme  à  dix  pas.  L'ennemi  se  préci- 
pita sur  la  petite  troupe  et  la  couvrit  de  flèches;  mais  les  tirailleurs  ripostèrent 
vivement  en  envoyant  des  feux  de  salve  qui  brisèrent  l'élan  des  assaillants. 
Ceux-ci  reculèrent  alors,  pendant  que  les  tirailleurs,  se  formant  en  colonne, 
s'élançaient  à  la  baïonnette  sur  l'ennemi  qui  s'enfuit  en  laissant  200  hommes 
sur  le  champ  de  bataille.  Au  fort  de  l'action,  le  capitaine  Baud  reçut  au  bras 
gaoche  une  flèche  empoisonnée  qui  le  fit  cruellement  soufTrir  et  ne  lui  per- 
mit de  se  rétablir  qu'après  un  assez  long  temps.  De  retour  à  llo,  il  put, 
grâce  à  quelques  renforls,  pacifier  enliorement  le  Dendi  et  procéder  à  son 
oi-ganisation . 

Rhodésia  :  M,  Rhodes  rétabli  directeur,  —  L'Assemblée  générale  des  action- 
naires de  la  Chartered  a  adopté,  le  21  avril,  des  modifications  dans  son  orga- 
nisation intérieure  et  a  rétabli  M.  Cecil  Hhodes  dans  ses  fonctions  de  directeur. 
On  n'a  pas  oublié  les  causes  de  sa  chute. 

Premier  ministre  du  Cap,  directeur  de  la  Chartered,  Thomme  le  plus 
inlluent  de  l'Afrique  australe  anglaise,  \L  Cecil  Rhodes  n'avait  trouvé  sur 
sa  route,  pour  contrecarrer  sa  politique,  que  les  Boêrs  du  Transvaal.  Le 
coup  de  main  tenté  par  le  D^  Jameson,  qui  aurait  pu  assurer  à.  M.  Cecil 
Rhodes  la  toute-puissance,  faillit  un  moment  causer  sa  perte.  Blâmé  dans 
toute  l'Europe,  en  Angleterre  môme  —  du  moins  en  apparence,  —  M.  Rhodes 
dut  abandonner  son  poste  de  premier  ministre  et  la  direction  de  la  Charte- 
red. Mais,  bien  que  n'étant  plus  rien,  il  parvint  néanmoins  à  maintenir  son 
influence  dans  le  pays  qui  porte  son  nom,  à  réprimer  la  révolte  des  Mata- 
béiès  et  à  poursuivre  le  chemin  de  fer  du  Cap  jusqu'à  Boulouwayo.  Les 
Anglais,  qui  n'oublient  pas  les  services  rendus,  et  qui  savent  apprécier  les 
hommes  de  valeur,  ont  assuré  à  M.  Rhodes  une  rentrée  quasi-triomphale 
et  vont  lui  permettre  de  consacrer  ses  talents  incontestés  à  la  cause  de  TEin- 
pire  britannique. 

Les  modifications  introduites  dans  l'organisation  de  la  Chartered  sont  la 
conséquence  des  derniers  événements  qui  avaient  déjà  amené  l'institution 
d'un  représentant  du  gouvernement  britannique  auprès  de  la  puissante 
C'«.  Désormais,  un  commissaire-résident  assistera  à  tous  les  conseils  de  la 
Chartered  et  devra  autoriser  les  expéditions  militaires.  Le  commandant  des 
troupes  de  la  C'*"  sera  nommé  par  la  couronne.  En  outre,  un  droit  de  veto 
absolu  sur  toutes  les  décisions  des  directeurs  sera  conféré  au  Secrétaire 
d'Etat  des  colonies,  à  Londres.  Par  suite  de  ces  modifications,  la  Chartered 
sera  ainsi  placée  sous  le  contrôle  du  Gouvernement. 

Dans  le  discours  qu'il  a  prononcé  en  prenant  possession  de  ses  fonctions, 
M.  Cecil  Rhodes  a  confirmé  ce  que  l'on  savait  déjà  sur  le  caractère  de  sa 


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378  REVUE  FRANÇAISE 

politique  envahissante.  On  n*a  pas  oublié,  qa*au  moment  de  l'invasion 
Jameson,  M.  Cecil  Rhodes  avait  déclaré  que  sa  carrière  commençait  à  peine. 
Son  programme  semble  justiûer  cette  parole. 

Emporté  par  la  grandeur  de  ses  projets,  M.  Cecil  Rhodes  ne  se  contente 
plus  de  rétablissement  d'un  télégraphe  transafricain  du  Cap  à  Alexandrie, 
il  veut  encore  le  faire  suivre  par  un  chemin  de  fer.  Il  se  propose  dès  main- 
tenant de  poursuivre  Textension  de  la  ligne  de  Boulouwayo  jusqu'au  lac 
Tanganika,  sur  une  distance  d'environ  800  milles,  ce  qui  coûterait  environ 
2  millions  de  £.  De  là,  il  serait  possible  de  la  relier  avec  celui  qui  est  ac- 
tuellement en  construction  dans  l'Ouganda.  M.  Rhodes,  qui  voit  les  choses 
de  loin,  envisage  déjà  le  chemin  de  fer  du  Nil  prolongé  jusqu'à  Khartoum 
et  remontant  de  là  jusque  dans  l'Ouganda. 

On  voit  combien  est  audacieuse  la  politique  de  Cecil  Rhodes  ;  son  ambi- 
tion n'a  pas  de  limites  puisqu'il  lui  faut  TAfrique  entière,  mais  ce  qui  est 
plus  grave,  c'est  que  cette  politique  est  le  rêve  de  beaucoup  d'Anglais. 

Madagascar  :  Pénétration  dans  le  sud.  —  Bien  que  la  saison  sèche  ne 
soit  pas  définitivement  revenue,  les  troupes  ont  recommencé  leurs  opérations 
contre  les  peuplades  insoumises.  Dans  le  sud,  une  bande  de  Baras  s'était  ins- 
tallée dans  le  massif  boisé  du  Vohinghezo,  sur  la  rive  gauche  du  Mangoky, 
coupant  les  communications  entre  Tullear  et  le  cercle  des  Baras  et  des 
Tanalas.  Un  détachement  de  150  hommes  de  la  légion  étrangère  et  des  tirail- 
leurs avec  1  pièce  de  canon,  sous  les  ordres  du  capitaine  Flayelle  fut  char- 
gée d'enlever  la  position. 

La  colonne  se  heurta  le  12  mai^  à  des  escarpements  boisés  occupés  par  les 
rebelles  qui  raccueillirent  par  un  feu  très  nourri.  Aux  premiers  coups  de 
feu,  le  capitaine  Flayelle  et  le  1'  Montagnole  qui  marchaient  à  l'avant^garde 
tombèrent  mortellement  blessés.  Le  1'  Defer  prit  alors  le  commandement  et 
donna  des  ordres  pour  l'enlèvement  de  la  position  qui  fut  aussitôt  effectué, 
grâce  à  un  mouvement  tournant  vigoureusement  conduit  par  le  sous-1*  Ga- 
renne et  malgré  les  énormes  difficultés  du  terrain  et  la  résistance  déployée 
par  les  rebelles  abrités  par  les  retranchements  derrière  lesquels  ils  laissèrent 
de  nombreux  cadavres.  Indépendamment  de  la  perle  si  sensible  du  capitaine 
Flayelle  et  du  1*  Montagnole,  l'expédition  a  perdu  un  soldat  de  la  légion 
étrangère  et  un  tirailleur  malgache.  Les  blessés  ont  été  assez  nombreux.  On 
assure  qu'un  certain  nombre  a  succombé  faute  de  soins,  aucun  médecin  ni 
aucune  ambulance  de  campagne  n'accompagnant  la  colonne.  C'est  là  un  M 
qui  ne  se  produit  que  trop  souvent.  L'insouciance  avec  laquelle  nous  sacri- 
fions la  vie  de  nos  soldats  aux  colonies,  contraste  avec  les  soins  dont  on 
entoure  ceux  des  Anglais  et  des  Hollandais,  par  exemple. 

—  Les  opérations  faites  dans  les  régions  côtières,  éprouvent  singulièrement 
les  tirailleurs  malgaches  originaires  du  plateau  central  qui  sont  plus  sensi- 
bles encore  que  les  Européens  aux  fièvres  paludéennes.  Aussi  est-il  indis- 
pensable de  maintenir  à  Madagascar  les  tirailleurs  sénégalais,  qui  ont  rendu 
jusqu'ici  de  si  grands  services  et  supportent  fort  bien  le  climat. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  379 

—  Le  général  Gallieni  est  nommé  grancj-offlcier  de  la  Légion  d'honneur,  juste 
témoignage  de  haute  satisfaction  auquel  tout  le  monde  applaudira.  Le 
général  doit  entreprendre  une  tournée  d'inspection  de  3  à  4  mois  sur  la  côte 
de  Madagascar. 

Colonisation,  —  Un  courant  d'émigration  se  dessine  de  la  Réunion  â  Ma- 
dagascar. D'après  V Avenir  de  Madagascar,  le  premier  noyau  de  la  future 
colonie  bourbonnaise  est  arrivé  au  Betsiléo  sous  la  conduite  de  M.  Babet.  Ce 
dernier  était  accompagné  de  sa  famille  et  l'ensemble  du  groupe  se  compose 
de  70  personnes.  La  région  choisie  pour  leur  Installation  est  à  moitié  route 
de  Fianarantsoa.  Chacun  des  nouveaux  arrivants  est  possesseur  d'un  pécule 
variant  de  quelques  centaines  à  quelques  milliers  de  francs.  L'administra- 
tion locale  leur  assure  de  quoi  attendre  la  premiôi-e  récolte.  C'est  la  pre- 
mière tentative  de  grande  colonisation  qu'il  y  ait  à  signaler. 

Dans  le  nord  de  l'île  une  maison  française  a  prévenu  le  résident  de  Vohé- 
mar  qu'elle  allait  bientôt  installer  une  usine  de  conserves  dans  cette  ville. 
Cette  industrie,  qui  emploiera  plus  de  300  ouvriers  européens  ou  créoles, 
:       sera  une  source  de  prospérité  pour  la  région.  D'autre  part,  une  maison  de 

I  commission  de  Paris  a  l'intention  de  prendre  Yohémar  comme  centre 
d'achats  pour  l'exportation  en  grand  du  bétail  sur  le  Transvaal.  Cette  entre- 
■f  prise  sera  suivie  avec  intérêt  par  tous  ceux  qui  considèrent  Madagascar 
^       comme  devant  être  l'un  des  greniers  d'abondance  du  Transvaal. 

;  Concurrence  allemande.  —  On  se  demande  si  la  pacification  de  l'île  va 

;  attirer  à  Madagascar  autant  de  trafiquants  et  de  navires  étrangers  qu'on  en 
rencontre  dans  la  plupart  de  nos  autres  colonies.  A  Tamatave,  malgré  les 
services  des  lignes  françaises  régulières,  le  pavillon  anglais  se  montre  aussi 
souvent  que  le  pavillon  français.  Dernièrement  est  arrivé  un  navire  alle- 

I  mand,  le  Zanzibar,  portant  plusieurs  milliers  de  sacs  de  sel,  balles  de  toiies, 
caisses  de  man^ites,  colis  de  provisions  et  de  toute  nature.  On  se  demande 
ce  que  font  les  exportateurs  et  les  armateurs  de  Marseille  pour  que  les  Alle- 
mands viennent  de  Hambourg  leur  enlever  un  fret  qui  devrait  leur  apparte- 
nir sans  conteste.  Le  Zanzibar  a  relevé  ensuite  pour  Vatomandry  avec  des 
passagers  et  de  la  marchandise.  Peut-être  le  jour  n'est-il  pas  éloigné  où  les 
.\llemands,  qui  ont  considérablement  augmenté  leurs  envois  de  navires  sur 

r       les  côtes  voisines  du  Transvaal,  établiront  une  ligne  régulière  jusqu'à  Mada- 

igascar  et  louchant  aux  ports  de  France.  Aurons-nous  donc  encore  une  fois 
travaillé  pour  l'étranger  ? 

r  Ouganda  :  Révolte  (XXIII,  p.  301).  —  Depuis  la  révolte  d'une  partie  des 
troupes  soudanaises  de  l'Ouganda  (expédition  Macdonald)  contre  l'Angle- 
terre, le  roi  de  l'Ounyoro,  Kabarega,  sans  cesse  vaincu,  mais  jamais  réduit, 
n'a  cessé  d'inspirer  des  inquiétudes.  Quant  à  Mouanga,  le  roi  détrôné  de 
l'Ouganda,  il  est  dans  le  S.-O.  de  ce  pays  avec  de  nombreuses  bandes. 

1^  23  février  dernier,  le  capitaine  Harrisson  rejoignait,  au  sud  de  Mrouli, 
les  rebelles  sortis  du  fort  de  Loubouas;  il  forçait  leurs  retranchements  et 


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380  REVUE  FRANÇAISE 

leur  tuait  SO  à  60  hommes.  Les  Anglais  avaient  10  tués  et  âO  blessés,  dont 
l'un,  le  capitaine  Molony,  a  succombé.  Aux  dernières  nouvelles  remontant 
au  21  mars,  la  rébellion  était  considérée  comme  terminée!  Les  derniers 
révoltés  ont  disparu  vers  le  nord  par  delà  de  la  frontière  des  Ouakedis. 
Ce  soulèvement,  depuis  son  origine,  en  septembre  1897,  a  coûté  aux  An- 
glais 7  Européens  (i  missionnaire  et  6  officiers),  300  chrétiens  Bagandas, 
100  Souahélis  et  20  soldats  des  troupes  hindoues  envoyées  de  Mombassa  au 
major  Macdonald. 

Abyvsinie  :  Lazaristes  français,  —  Les  Lazaristes  français  viennent  de 
s'établir  de  nouveau  en  Abyssinie.  Ils  avaient  évangélisé  TErythrée  et  le  nord 
du  Tigré  dès  1839,  époque  où  le  P.  de  Jacobis  avait  fondé  la  mission  de 
Keren;  le  cardinal  Guglielmo  Massaja.  capucin  italien,  y  vint  en  1846  et  y 
resta  35  ans  ;  il  y  consacra  évéque  le  père  de  Jacobis,  visita  le  premier. 
Bonga  dans  le  Kafifa  en  1835,  et  écrivit  une  grammaire  galla. 

En  1891,  les  Lazaristes  français  furt^nt  contraints  par  les  Italiens  de  quitter 
le  pays  où  les  Pères  capucins  do  Florence  les  remplacèrent. 

En  1897,  le  Pape  autorisa  les  Lazaristes  français  à  regagner  TAbyssinie. 
Les  Italiens  lour  ayant  refusé  le  passage  par  Massaouah,  ils  partirent  de  Dji- 
bouti, d'où  ils  ont  atteint  Harrar  en  décembre  1897,  après  avoir  rencontré  en 
route  la  mission  française  de  M.  de  Poncins.  Les  lazaristes  ont  été  reçus  à 
Harrar  par  Tévéquo  fr&nçais  du  pays  galla,  Mgr  Taurin  ;  qui  est  installé  là  de- 
puis 1881.  De  Harrar,  les  Lazaristes  se  sont  dirigés  sur  Addis-Abeba,  et  au 
nord  sur  le  Tigré  et  TAgamé. 

ASIE 

Inde  IrEUlçaise  :  Suppression  des  cipahis,  —  Un  décret  vient  de  décider 
la  suppression  du  corps  des  cipahis  ou  cipayes  de  Tlnde  française  et  son  rem- 
placement par  une  milice.  Le  licenciement  s*effectuera  à  Pondichér>  le 
le^  juin  1898. 

Le  corps  des  cipahis  (de  sipahiy  homme  de  guerre),  fut,  d'après  VAlmanaeh 
du  Marsouin,  créé  par  Dupleix  qui,  avec  cette  troupe  hindoue,  soutint  la 
lutte  contre  les  Anglais,  défendit  Pondichéry  et  conquit  le  Dekkan.  L'ordon- 
nance du  12  novembre  1878  réorganisa  le  corps  des  cipayes,  qui  forma  il 
compagnies.  En  1778,  la  guerre  avec  les  Anglais  fit  augmenter  leur  effectif. 
Mais,  après  la  paix  de  1783,  ils  furent  réduits  de  5  bataillons  de  10  compa- 
gnies (à  100  hommes)  à  un  bataillon  de  600  hommes.  Lorsque  nos  comploii-s 
furent  pris  par  les  Anglais,  le  corps  des  cipayes  fut  dissous.  Le  Premier 
consul  le  réorganisa  après  la  paix  d*Amiens,  et  plus  tard  les  cipaves  sou- 
tinrent le  5^  siège  de  Pondichéry  contre  les  Anglais. 

i\os  comptoirs  nous  ayant  été  rendus  en  1814,  on  ne  laissa  subsister  que 
4  compagnies  de  cipayes  qui  furent  réduites  à  2  en  1867.  Ces  modestes  com- 
pagnies, dernier  vestige  de  notre  ancienne  puissance  aux  Indes,  portaient, 
I>araît-il,  ombrage  aux  Anglais  qui  obtinrent,  en  1889,  que  le  corps  fut  réduit 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  J81 

à  une  seule  compagnie.  En  1891,  elle  eut  môme  été  supprimée  sans  Toppo- 
sition  du  Sénat.  C'est  cette  compagnie,  qui  comprenait  1  capitaine,  2  lieu- 
tenants d'infanterie  de  marine,  !2  lieutenants  indigènes  et  150  soldais  indi- 
gènes que  les  nécessités  budgétaires  viennent  de  conduire  à  supprimer.  Ces 
«  nécessités  »  sont  biejx  incompréhensibles  pour  un  pays  dont  le  budget 
dépasse  3  milliards. 

ATinam  :  Famine,  —  La  Ikmine  exerce  actuellement  ses  ravages  dans 
plusieurs  provinces  de  TAnnam  et  ses  désasti-eux  effets  se  feront  sans 
doute  sentir  jusqu'à  la  prochaine  récolte.  A  Hué,  des  distributions  gratuites 
de  riz  ont  été  organis(^es,  mais  elles  ont  eu  des  résultats  bien  inattendus. 
Tout  -d'abord,  les  affamés  de  toute  la  province  sont  accourus  et  la  capitale  a 
été  transformée  en  une  espèce  de  cour  des  miracles.  Ensuite,  ces  affamés  se 
sont  jetés  sur  le  riz  qu'ils  ont  dévoré  et  sont  morts  peu  après.  En  différents 
endroits,  on  a  entrepris  des  travaux  afin  d'assurer  quelque  nourriture  aux 
indigènes  pouvant  encore  travailler.  Malgré  l'affreuse  misère  qui  règne,  les 
Annamites  qui  sont  fatalistes  ont  observé  partout  le  plus  grand  calme;  il  n'y 
a  eu  ni  soulèvement  ni  pillage,  et  les  magasins  des  Chinois  qui  contenaient 
un  peu  de  riz,  n'ont  été  l'objet  d'aucune  menace. 

'  Corée  :  Trailé  russo- japonais,  ■—  Le  Messager  officiel  de  SainL-Pélersbourg 
(11  mai)  a  publié  le  communiqué  suivant  : 

Depuis  la  fin  de  la  guerre  sino-japonaise,  le  gouvernement  impérial  n'a 
cessé  de  mettre  tous  ses  soins  à  assurer  l'intégrité  complète  et  l'indépendance 
de  l'État  coréen.  Au  début,  lorsqu'il  s'est  agi  de  poser  les  bases  solides  de 
l'organisation  financière  et  militaire  du  jeune  État,  il  était  naturel  que 
celui-ci  ne  put  se  passer  d'un  soutien  étranger.  C'est  pourquoi,  en  1896,  le 
souverain  de  Corée  avait  adressé  à  l'empereur  la  demande  instante  d'envoyer 
à  Séoul  des  instructeurs  et  un  conseiller  militaire  russes. 

Grâce  à  Fassistance  que  la  Russie  lui  a  témoignée  en  temps  utile,  la  Corde 
est  entrée  maintenant  dans  une  voie  où  elle  peut  se  sulïire  à  elle-même  sous 
le  rapport  administratif.  Cette  circonstance  a  donné  à  la  Russie  et  au  Japon 
la  possibilité  de  procéder  à  un  échange  d'idées  amical  pour  déterminer  d'une 
manière  claire  et  précise  les  relations  réciproques  des  deux  États  en  pré- 
sence de  la  situation  nouvellement  créée  dans  la  péninsule  coréenne. 

Les  pourparlers  en  question  ont  abouti  à  la  conclusion  de  l'arrangement 
ci-dessous,  destiné  à  compléter  le  protocole  de  Moscou,  et  qui  a  été  signé 
d'ordre  de  l'empereur  par  notre  ministre  à  Tokio. 

Par  stipulation  essentielle  de  cet  arrangement ,  les  deux  gouvernements 
confirment  définitivement  la  reconnaissance  par  eux  de  la  souveraineté  et  de 
l'entière  indépendance  de  l'empire  coréen,  et  prennent  en  même  temps  l'en- 
gagement mutuel  de  s'abstenir  de  toute  ingérence  dans  les  affaires  intérieures 
de  ce  pays.  Dans  le  cas  où  la  Corée  aurait  besoin  de  l'assistance  d'un  des 
Étals  contractants,  la  Russie  et  le  Japon  s'engagent  à  ne  prendre  aucune 
mesure,  concernant  la  CoréO)  sans  accord  préalable  entre  eux. 


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382  REVUE  FRANÇAISE 

PROTOCOLE 

Le  conseiller  d'État  et  chambellan,  baron  de  Rosen,  envoyé  extraordinaire 
et  le  minisire  des  affaires  étrangères  du  Japon,  afin  de  donner  suite  à  Tar- 
ticle  4  du  protocole  signé  à  Moscou  le  28  mai/9  juin  1896 ,  entre  le  prince 
Lobanof  et  le  marquis  Yamagata,  dûment  autorisés  à  cet  effet,  ont  convenu 
les  articles  suivants  : 

Article  l*^^  Les  gouvernements  impériaux  de  Russie  et  du  Japon  recon- 
naissent définitivement  la  souveraineté  et  l'entière  indépendance  de  la  Corée, 
et  s'engagent  mutuellement  à  s'abstenir  de  toute  ingérence  directe  dans  les 
affaires  intérieures  de  ce  pays. 

Art.  2.  Désirant  écarter  toute  cause  possible  de  malentendu  dans  Tavenir 
les  gouvernements  impériaux  de  la  Russie  et  du  Japon  s'engagent  mutuelle- 
ment, dans  le  cas  où  la  Corée  aurait  recours  au  conseil  et  à  l'assistance  soit 
de  la  Russie ,  soit  du  Japon ,  à  ne  prendre  aucune  mesure  pour  la  nomina- 
tion d'instructeurs  militaires  et  de  conseillers  financiers,  sans  arriver  préa- 
lablement  à  un  accord  mutuel  à  ce  sujet. 

Art.  3.  Vu  le  large  développement  pris  par  les  entreprises  commerciales 
et  industrielles  du  Japon  en  Corée,  ainsi  que  le  nombre  considérable  de  su- 
jets japonais  résidant  dans  ce  pays,  le  gouvernement  russe  n'entravera  point 
le  développement  des  relations  commerciales  et  industrielles  entre  le  Japon 
et  la  Corée. 

Fait  à  Tokio,  en  double,  le  13/2r)  avril  1898. 

ROSKN-NISHI . 

L'acte  diplomatique  ci -dessus  témoigne  que  les  deux  États  ont  reconnu 
tout  naturellement  la  nécessité  d'assurer  réciproquement  la  tranquillité  dans 
la  péninsule  voisine,  en  sauvegardant  l'indépendace  politique  et  Tordre  in- 
térieur du  jeune  empire  coréen. 

A  la  suite  de  la  conclusion  de  cet  arrangement  amical,  la  Russie  se  trouve 
à  même  de  diriger  tous  ses  efforts  vers  l'accomplissemet  de  la  tâche  histo- 
rique et  essentiellement  pacifi(iue  qui  lui  incombe  sur  les  l3ords  du  grand 
Océan. 

Japon  :  Nouveaux  services  maritimes,  —  Le  Japon  ne  cesse  de  poursuivre 
son  extension  commerciale  et  maritime.  La  Compagnie  de  navigation 
«  Osaka  Shoser  Kvaisha  »  vient  de  créer  deux  nouvelles  lignes.  La  première 
met  Kobé  en  relations  avec  Hong-Kong  et  fait  escale  à  Moji  et  à  Formose  ; 
on  se  propose  de  la  prolonger  jusqu'à  Saïgon  pour  y  créer  une  nouvelle 
concurrence  aux  produits  français.  Le  service  est  fait  par  2  paquebots  de 
1.700  tonneaux  et  de  10  nœuds  de  vitesse,  auxquels  va  bientôt  s'ajouter  un 
3®  bâtiment;  les  départs  ont  lieu  tous  les  20 jours. 

La  2e  ligne  dessert  les  ports  du  Yang-tsé-Kiang,  de  Shanghaï  à  Hankéou  ; 
elle  ne  comprend  encore  que  2  bateaux,  qui  vont  être  remplacés  par 
5  vapeurs,  dont  3  iront  de  Shanghaï  â  Hankéou  et  les  2  autres  de  Hankéou 
à  Tchung-King,  dans  la  province  de  Sé-Tchuen.  Ces  derniers,  comme  ceux 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  383  I 

! 

de  Sibérie,  seront  à  fond  plat  et  mus  par  des  roues  placées  à  Tarrière.  Les  | 

trois  compagnies  de  navigation  qui  se  partageaient  jusqu'ici  le  trafic  du 
Yang-tsé  Kiang,  et  dont  les  actionnaires  sont  surtout  Chinois,  bien  que  deux 
d'entre  elles  battent  pavillon  anglais;  voient  d'un  mauvais  œil  cette  concur- 
rence japonaise  au  cœur  même  du  Céleste  empire. 

Weï-Hfid-Weï  :  Occupation  anglaise.  —  On  se  rappelle  que,  par  l'un  | 

des  derniers  traités,  la  Chine  cédait  à  bail  à  l'Angleterre  le  port  Weï-Haï-  I 

Weï.  Mais  cette  place  était  encore  occupée  par  les  Japonais  et  l'occupation 
pouvait  se  prolonger  assez  longtemps  si  l'indemnité  de  guerre  chinoise 
n'était  payée  que  par  fractions.  Mais,  sous  l'inspiration  britannique,  l'em- 
prunt chinois  a  été  rapidement  souscrit  et  le  paiement  intégral  du  restant 
de  l'indemnité  effectué  très  peu  de  temps  après.  11  ne  restait  donc  plus  au 
Japon  qu'à  s'exécuter  ;  c'est  ce  qu'il  vient  de  faire.  Les  Chinois  ont  occupé 
la  place  le  16  mai,  aussitôt  après  le  départ  des  Japonais  et  les  Anglais  ont 
opéré  leur  débarquement  le  17.  Les  drapeaux  chinois  et  anglais  flotteront 
ensemble  jusqu'à  ce  que  la  remise  complète  des  forts  ait  été  effectuée.  Le 
drapeau  chinois  sera  alors  retiré. 

Espagne  :  Marine  marchande,  -*•  La  marine  marchande  espagnole  com* 
prenait  au  l^»"  janvier  1898,  562  vapeurs  de  plus  de  50  tonneaux,  avec  un  ton- 
nage total  de  499.200  t.  et  une  force  de  93.775  chevaux;  191  de  ces  navires 
ont  plus  de  i.OOO  t.  c'est  la  province  de  Bilbao  qui  possède  le  plus  de  navires 
(151  vapeurs  avec  200.052  t.);  celle  de  Barcelone  ne  vient  qu'au  2®  rang 
avec  97.738  t.  pour  75  navires.  La  Havane  (Cuba)  vient  au  5®  rang  avec 
21.400  t.  Manille  (Philippines)  au  8^;  Cienfuegos  (Cuba)  au  9®. 

La  flotte  marchande  à  voiles  de  l'Espagne  se  compose  de  1.125  voiliers  de 
plus  de  50  t.  jaugeant  158.700  t.  La  province  de  Manille  est  celle  qui  possède 
le  plus  de  voiliers  (306);  viennent  ensuite  les  provinces  de  Barcelone  (150), 
de  la  Havane  (108)  et  de  Majorque  (102). 

Le  port  de  Bilbao  prend  chaque  jom*  une  importance  croissante;  pour 
1897-98,  son  augmentation  a  été  de  13  navires  et  do  21.900  t.  ;  dans 
le  courant  de  l'année  le  nombre  des  navires  à  voiles  a  diminué  de  334  (avec 
32.800  t),  tandis  que  celui  des  vapeurs  s'est  augmenté  de  i8,  quoique  le 
tonnage  ait  là  aussi  diminué  (de  62.300  t.).  Barcelone  a  subi  une  perte 
sérieuse  de  18  vapeurs  (78.900 1.)  et  83  voiliers  (21.ÎK)0  t.).  La  province  de  la 
Havane  a  perdu  aussi  47  navires  et  10.170  t. 

BIBLIOGRAPHIE  | 

Au  oap  Nord,  par  Cn.  Rabot,  1  \ol.  avec  gravures  et  4  cartes,  Hachette,  éditeur. 
—  M.  Ch.  Rabot  dont  le  nom  fait  autorité  pour  tout  ce  qui  concerne  les  régions 
boréales  et  glaciaires,  publie  sous  ce  titre  un  ouvi-age  qui  est  à  la  fois  un  récit  de  ses 
voyages  (on  sait  que  M.  Rabot  connaît  à  fond  la  Norvège  et  la  Laponie)  et  un  guide 
pour  les  touristes  qui,  chaque,  été  visitent  en  grand  nombre  les  pays  Scandinaves.  Cesi 
de  la  Norvège  septentrionale  et  de  la  Finlande  qu'il  est  question  ici,  en  attendant  la 


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384  UEVUE  FRANÇAISE 

publication  du  deuxième  volume.  La  région  des  fjords,  des  glaciers,  des  £orél8  défile 
tour  à  tour  sous  les  yeux  du  lecteur  ainsi  que  les  chapitres  relatifs  à  la  chasse  et  à  la 
pêche,  même  celle  de  la  baleine.  Nous  ne  saurions  donc  trop  recommander  cet  ouvrage 
qui  n'a  pas  son  similaire  en  France. 

Aux  Indes  (MadraSy  Nizam^  Cashmire^  Bengale),  par  Georges  Noblemaire. 
Un  vol.  in-16.  Hachette,  éditeur.  —  Diversité,  c'était  la  devise  du  poète,  et  c'est 
celle  aussi,  semble- l-il,  de  l'aimable  auteur  de  ce  journal  de  voyage.  Du  petit 
peuple  indigène  rencontré  sur  les  routes  au  grand  monde  des  fonctionnaires  et  officiers 
anglais,  et  de  l'échoppe  du  marchand  au  palais  du  maharajab,  scènes  de  la  rue,  de  la 
vie  de  salon,  courses  à  travers  la  jungle  et  sports  élégants,  danse  des  bayadères,  céfé- 
raonies  du  culte,  chasses  émouvantes  ou  d'une  imprévue  drôlerie,  curiosités  artistiques 
et  magnificences  de  la  nature,  notre  voyageur  a  tout  observé,  tout  décrit.  Le  style  de 
cet  écrivain,  qui  ne  veut  pas  être  «  un  auteur  »  mais  «  un  homme  »,  est  aussi  varié 
que  les  sujets  dont  il  traite. 

Alerte  et  spirituel,  instructif,  généreux  et  charmant  —  par  endroit,  une  pointe  de 
sensibilité,  un  graih  de  satire,  —  Irt^s  impartial  envei*s  l'étranger,  tout  pénétré  cepen- 
dant de  l'amour  contenu,  mais  vivace,  de  la  patrie  lointaine,  jeune,  en  un  mot,  tel 
est  ce  livre  qu'il  faut  lire,  ce  récit  d'un  voyage  aux  Indes,  par  un  officier  français. 

Un  voyage  au  Laos,  par  le  Docteur  Lefèvue.  1  vol.  jn-18,  Pion,  éditeur. 
—  Membre  de  la  2»  mission  Pavie  en  Indo-Chine,  M.  le  D'  Lefèvre  vient  de  faire 
paraître  un  très  intéressant  Voyage  au  Laos,  L'auteur  a  pris  part  aux  travaux  de 
la  Commission  franco-anglaise  chargée,  en  vertu  du  protocole  signé  à  Paris  en 
1894,  de  délimiter  les  frontières  des  possessions  de  la  France  et  de  l'Angleterre  sur 
les  rives  du  Mékqng,  dans  la  région  de  Muong-Sing,  là  où  ne  put  être  créé  un  État 
tampon.  C'est  au  cours  de  ses  voyages  que  M.  le  D'  Lefèvre  a  reeueilli  les  notes  qu'il 
livre  aujourd'hui  à  la  publicité,  l-^rites  chaque  soir  à  l'étape,  avec  l'impression  tonte 
fraîche  des  choses  vues,  ces  pages  constituent  un  guide  précis  et  détaillé  qui  nous  fait 
connaître  à  fond  le  haut  Laos  de  la  frontière  chinoise  à  Luang-Prabang  et  à  Hanoï. 
Cet  ouvrage  est  accompagné  d'un  très  grand  nombre  de  gravures  fort  curieuses  et 
d'une  carte  de  ces  territoires  mal  connus. 

Voyage  au  pays  des  Fjords,  par  Antoine  Salles,  1  vol.  Ln-18,  Pion,  édi- 
teur. — La. Suède  et  laNorw^e  sont  à  la  modp.  Les  productions  littéraires,  picturale* 
et  musicales  des  pay^  Scandinaves  sont  plus  goûtés  que  jamais.  Mais  si  nous  aimons 
les  écrivains  et  les  artistes,  nous  ignorons  trop  le  pays,  pourtant  si  original  et  si 
pittoresque.  M.  Antoine  Salles,  que  le  ministère  de  l'instruction  publique  avait 
chargé  de  mission,  répare  cette  lacune  en  publiant  ses  notes  de  voyage:  Au  pays 
des  fjords.  Vue  carte  et  de  nombreuses  phototypies  illustrent  fort  agréablement  ce 
livre,  qui  nous  fait  connaître  les  merveilles  de  la  nature  du  Nord.  C'est  à  roccasioo 
de  l'exposition  de  Stockholm  que  l'auteur  a  visité  la  péninsule  Scandinave  qu'il  tra- 
verse de  part  en  part,  de  Stockholm  à  Trondjem  et  de  Trondjem  à  Christiania, 
avant  de  suivre  tout  le  littoral  norvvégien  de  Bergen  au  cap  Nord. 


Le  Gérant,  Edouard  MAKBËAO. 


IMPRIUERtE  CUAIX,   RUB  BEROÈRK,   SO,   PARIS.  —    H72S-5-98.  —  (IlCn  UrflkU). 


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LA  CONVENTION  DU  NIGER 

Après  de  longues  et  laborieuses  négociations,  la  France  el  l'Angleterre 
sont  arrivées  à  se  mettre  d'accord  sur  la  fixation  de  leurs  frontières 
respectives  dans  le  bassin  du  Niger.  Une  première  commission  composée 
des  représentants  des  deux  pays  et  réunie  à  Paris  au  début  de  1896, 
n'avait  pu  aboutir  par  suite  des  prétentions  exagérées  de  l'Angleterre. 
Mais  nos  explorateurs  et  nos  soldats  gagnant  de  plus  en  plus  du  terrain 
dans  la  boucle  du  Niger  au  détriment  des  visées  britanniques,  le  cabi- 
net de  Saint-James  crut  prudent  de  reprendre  les  négociations,  avec  la 
pensée  de  chercher  à  gagner  au  moins  du  temps,  s'il  ne  pouvait  arriver 
à  un  accord. 

C'est  dans  ce  but  que  les  pourparlers  reprirent  entre  les  nouveaux 
commissaires,  MM.  Binger  et  R.  Lecomte,  pour  la  France,  M.  Gosselin 
et  le  colonel  Everett,  pour  l'Angleterre,  désignés  par  leurs  gouverne- 
ments. Nos  plénipotentiaires,  au  talent  et  à  l'expérience  desquels  on  ne 
peut  que  rendre  hommage,  se  demandèrent  pendant  assez  longtemps, 
en  présence  des  lenteurs  calculées  de  leurs  collègues  britanniques,  si  tous 
leurs  efforts  ne  seraient  pas  vains.  Après  bien  des  difficultés  et  9  mois 
de  négociations,  ils  viennent  enfin  d'aboutir,  grâce  à  l'esprit  conci- 
liant du  premier  ministre  britannique  lord  Salisbury,  et  de  nos  ministres 
des  affaires  étrangères  et  des  colonies,  MM.  Hanotaux  et  André  Lebon. 
Voici  les  grandes  lignes  de  la  convention,  qui  a  été  signée  à  Paris  le  14  juin 
et  dont  le  texte  officiel  n'a  pas  encore  été  publié. 

Le  différend  entre  les  deux  pays  portait  sur  deux  régions  bien  dis- 
tinctes :  l'hinterland  des  colonies  de  la  Côte  d'Ivoire  et  de  la  Côte  d'Or 
d'une  part;  celui  du  Dahomey  et  du  Lagos  de  l'autre.  Dans  la  première 
r^on,  les  Anglais  revendiquaient  une  importante  partie  du  bassin  de 
la  Volta  et  leurs  atlas  allaient  même  jusqu  à  comprendre  dans  leur  sphère 
d'influence  le  Mossi,  bien  que  ce  pays  n'ait  jamais  été  parcouru  ni  par 
un  explorateur  ni  par  un  soldat  britanniques. 

Dans  la  région  du  Niger,  les  prétentions  des  Anglais  étaient  encore 
plus  grandes.  Ils  revendiquaient  en  elïet  tout  le  pays  à  l'est  d'une  ligne 
droite  prolongeant  la  frontière  franco-anglaise  du  Dahomey,  à  partir  du 
9^  parallèle  jusqu'à  Say,  sur  le  Niger.  Ils  se  basaient  pour  cela  sur  l'in- 
terprétation de  la  convention  de  1891),  interprétation  qui  n'a  jamais  été 
xiiii  (Juillet  98).  N-  235.  25 


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386 


REVUE  FRANÇAISE 


admise  en  France,  la  convention  étant  absolument  muette  sur  ce  point. 
De  notre  côté  nous  revendiquions  cette  région  jusques  et  y  compris 
Boussa,  afin  d'avoir  accès  au  bas  Nij^er  navigable.  Nous  avions  pour 
nous,  outre  des  traités,  une  occupation  effective,  conformément  aux 
principes  reconnus  en  matière  d'extension  territoriale  en  Afrique. 

Peu  à  peu  les  niîgociateurs  des  deux  pays  finirent  par  abandonner 
leurs  prétentions  extrêmes  et  quatre  points  importants  restèrent  seuls, 
mais  fort  longtemps,  en  discussion.  C'étaient  Houna  et  Oua  sur  la  Volta, 
Nikki  et  Boussa  au  Niger.  Bref,  pour  arriver  à  une  solution  on  fit  une 
cote  mal  taillée  :  Bouna  qui  était  Toccupépar  les  Anglais  depuis  le  guet- 
apens  où  périt  le  capitaine  Braulot  et  Oua,  où  nous  avions  un  poste, 
faisaient  Tobjet  d'un  échange.  Sur  le  Niger,  l'Angleterre  nous  i-econnais- 
sait  Nikki  et  nous  lui  abandonnions  Boussa  et  l'accès  du  bas  Niger, 

Ces  concessions  arrivaient-elles  à  se  compenser?  11  faut  reconnaître 
que  non,  que  Ton  se  place  au  point  do  vue  des  traités  signés  avec  les 
indigènes  ou  de  l'occupation  effective.  En  nous  abandonnant  Bouiia, 
TAngleterre  nous  reconnaît  une  frontière  naturelle,  le  cours  de  la  Volta, 
rivière  importante  en  ce  qu'elle  est  navigable  pour  des  pirogues  pen- 
dant toute  l'année.  En  revanche,  nous  lui  abandonnons  non  seulement 
Oua,  mais  encore  une  importante  portion  du  Gourounsi,  où  notre 
frontière  naturelle  paraissait  devoir  être  le  Poplogon,  après  les  explora- 
tions Voulet  et  Chanoine  et  Toccupation  qui  en  avait  été  la  consé- 
quence. 

Au  Niger,  les  concessions  faites  à  l'Angleterre  ont  une  valeur  plus 
considérable  encore.  Les  divers  traités  passés  à  Nikki  et  à  Boussa  par 
les  explorateurs  des  deux  nations  ne  laissaient  pas  que  de  susciter  de 
vives  controverses.  Et  si  les  négociateurs,  pour  sortir  des  difficultés 
qui  en  résultaient,  ont  pris  le  parti  de  partager  le  différend,  ils  l'ont  fait 
dans  un  sens  bien  favorable  à  TAngleterre.  En  effet  la  ligne  fron- 
tière qui  part  du  Dahomey  au  9*  degré  et  passe  plus  près  de  Nikki  que 
de  Boussa,  ne  va  pas  aboutir  directement  au  Niger.  Elle  décrit  une 
courbe  vers  le  N.  0.  et  n'atteint  le  Niger  qu'à  10  milles  en  amont 
d'ilo. 

On  sait  que  le  Niger  forme  au-dessus  de  Boussa  une  série  de  cata- 
ractes qui  rendent  la  navigation  absolument  impraticable.  En  occupant 
un  point  situé  au-dessous  de  Boussa,  la  France  pouvait  avoir  accès  à  la 
mer  par  le  bas  Niger,  qui  est  navigable.  La  convention    nous  enlève 


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LA  CONVENTION  DU  NIGER  ,  387 


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cet  avantage,  que  les  sacrifices  faits  par  la  France  semblaient  devoir  lui 
accorder  et  nous  rejette  dans  Tintérieur  des  terres. 

Mais  ce  n*est  pas  tout.  La  convention  en  accordant  à  l'Angleterre  le  ^ 

cours  du  Niger  jusqu'en  amont  dllo  nous  coupe  de  la  route  des  cara- 
vanes se  rendant  du  Gando.  du  Sokoto  et  de  la  région  du  Tchad  sur 
la  rive  droite  du  Niger.  En  effet  c'est  à  Guiris,  le  port  d'IIo,  que  ces 
caravanes  franchissent  ordinairement  le  fleuve.  Ces  localités  étimt  de-  i^j 

venues  anglaises  bien  qu'il  n'y  ait  eu  ni  occupation  effectuée,  ni  même 
de  traité  signé  par  nos  voisins,  les  caravanes  seront  naturellement  in- 
duites à  prendre  la  route  qui  mène  à  Lagos  et  à  abandonner  celle  du 
Dahomey. 

Là  comme  aUleurs,  les  Anglais  ont  su  se  faire  attribuer  la  meilleure 
part,  car  les  caravanes,  importantes  par  le  nombre  des  personnes  et  la 
valeur  des  marchandises,qui  apportent  les  produits  du  nord  de  l'Afrique  : 
sel,  cuirs,  bœufs,  chevaux,  etc.,  pour  les  échanger  contre  ceux  de  la 
zone  tropicale,  font  un  commerce  très  rémunérateur.  Ilo,  qui  est  îa  plus 
grosse  ville  des  bords  du  Niger,  compte  environ  20  000  habitants  et 
son  marché  ordinaire  est  très  fréquenté. 

Pour  la  mise  en  valeur  de  nos  possessions  du  Niger,  Ilo  avait  encore 
une  autre  importance  pour  la  France:  c'était  le  terminus  naturel  du 
chemin  de  fer  qui,  partant  du.  Dahomey,  devait,  par  Carnotville  et 
Nikki,  aboutir  au  Niger.  Il  faudra  désormais  reporter  plus  au  nord  ce 
chemin  de  fer,  qui  n'aura  plus  pour  terminus  que  des  villages  sans  po- 
pulation et  sans  trafic,  car  on  ne  déplace  pas  ainsi  les  courants  com- 
merciaux étabhs. 

La  convention  du  14  juin  ne  règle  pas  seulement  les  frontières  de 
la  boucle  du  Niger,  elle  détermine  aussi  celles  comprises  entre  la  rive 
gauche  de  ce  fleuve  et  le  lac  Tchad. 

La  convention  du  5  août  1890  avait  établi  une  ligne  frontière  allant 
de  Say  sur  le  Niger  à  Barroua  sur  le  lac  Tchad.  Cette  convention  avait 
été  très  diversement  interprêtée  des  deux  côtés  de  la  Manche.  En  France, 
à  cette  époque  où  il  était  beaucoup  question  de  créer  un  chemin  de  fer 
transsaharien  aboutissant  au  lac  Tchad,  on  avait  été  surtout  préoccupé 
du  désir  de  s'assurer  l'accès  du  lac.  On  considérait  donc  la  ligne  Say- 
Barroua  comme  la  limite minima  de  l'hinterland,  de  l'Algérie  et  delà 
Tunisie,  nous  laissant  toute  liberté  d'action  dans  la  région  du  Niger  et 
et  de  la  Bénoué,  à  l'exception  du  Sokoto  que  nous  reconnaissions  ap- 


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388  REVUE  FRANÇAISE 

partenir  à  la  âphère  d'influence  anglaise,  en  vertu  d'im  traité  passé  par 
la  C'*^  du  Niger,  traité  qui  n'a  jamais  existé  et  dont  les  négociateurs 
français  ont  été  dupes.  En  Angleterre  au  contraire,  on  considérait  le 
pays  compris  entre  la  ligne  Say-Barroua  et  la  mer  comme  rentrant 
dans  la  zone  de  la  C'**  anglaise  du  Niger. 

La  question  est  aujourd'hui  tranchée.  La  France,  par  la  convention 
du  14  juin,  reconnaît  formellement  le  territoire  en  question  comme 
rentrant  dans  la  sphère  anglaise,  la  rive  nord  et  est  du  lac  Tchad,  entre 
Barroua  et  la  frontière  allemande,  rentrant  dans  la  sphère  française. 

Mais  en  même  temps  le  tracé  de  la  ligne  Barroua-Say  est  sensible- 
ment modifié.  Au  lieu  de  partir  de  Say,  la  frontière  de  la  rive  gauche 
du  Niger  prend  son  point  de  départ  à  10  milles  en  amont  dllo,  où  aboutit 
le  tracé  du  Dahomey,  décrit  un  demi-cercle  avec  un  rayon  de  100  milles 
au  nord  de  Sokoto,  redescend  du  14*  parallèle  jusqu'au  parallèle  H'^SO, 
formant  ainsi  une  vaste  territoire  autour  de  Zinder.  reconnu  comme 
sphère  française,  et,  après  avoir  rejoint  à  nouveau  le  14*  parallèle, 
vient  aboutir  à  Barroua. 

Au  point  de  vue  commercial  la  convention  établit  l'égalité  de  traite- 
ment pour  les  produits  des  deux  nations  dans  les  colonies  françaises  et 
anglaises  délimitées  pour  une  durée  de  trente  années,  chaque  puis- 
sance restant  cependant  maîtresse  de  ses  tarifs.  Le  commerce  français 
pourra  ainsi  bénéficier  des  possessions  anglaises  du  golfe  de  Guinée, 
mais  il  est  probable  qu'il  n'en  usera  guère.  La  réciproque  existera  au 
profit  du  commerce  anglais  dans  nos  possessions  de  la  Côte  d'Ivoire  et 
du  Dahomey,  et  il  ne  manquera  pas  d'en  profiter. 

Enfin,  pour  rendre  possible  la  navigation  sur  le  Niger,  l'Angleterre 
donne  à  bail  à  la  France  pour  une  durée  de  30  ans,  deux  enclaves  à 
déterminer  sur  le  Niger:  Tune  entre  Léaba  et  la  rivière  Mossi  (ou 
Moussa),  l'autre  sur  l'une  des  bouches  du  Niger.  Chacime  de  cfô 
enclaves  ne  pouri-a  avoir  plus  de  400  mètres  de  rives  et  plus  de  30  hec- 
tares de  superficie. 

On  sait  comment  la  Royal  Niger  Company  a  réussi  à  rendre  impos- 
sible la  navigation  du  fleuve  à  tous  autres  qu'à  ses  associés,  grâce  à  un 
règlement  draconien  et  à  des  vexations  de  toute  nature.  Le  gouverne- 
ment britannique,  s'engage,  dans  un  protocole  annexe,  à  examiner 
immédiatement  avec  le  gouvernement  français  le  règlement  en  question 
en  vue  d'écarter  les  dispositions  restrictives  pour  la  navigation.  Ce  ne 


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I.A  CONVENTION  DU  NIGER  389 

sera,  en  somme,  que  se  conformer  aux  dispositions  de  TacLe  de  Berlin, 
Si  le  cabinet  anglais  est  ferme  dans  ses  intentions,  on  peuf  prédire  la 
transformation  prochaine  de  la  Compagnie  du  Niger  et  peut-être  même 
sa  complète  disparition,  ce  dont  personne  ne  se  plaindra  en  France 
comme  en  d'autres  pays. 

Si  Ton  dégage  maintenant  la  convention  de  ses  aperçus  partieuliera, 
on  doit  s'estimer  heureux  de  sa  conclusion  en  ce  sens  qu'elle  met  un 
terme  aux  nombreux  différends  qui  avaient  surgi  entre  la  France  et 
TAngleterre  dans  l'Afrique  occidentale,  différends  qui,  à  plus  d'une 
reprise,  avaient  pris  un  caractère  aigu.  Elle  clôt  ainsi  la  série  des  traités 
qui  ont  délimité  successivement  la  Gambie,  la  Guinée*  Sierra  Leone  et 
le  Dahomey.  Vis  à  vis  des  autres  puissances  (Portu^^il,  Ailemagne, 
Congo),  notre  situation  est  également  réglée.  Seule  la  frontière  entre  le 
Togo  et  la  Côte-d'Or  fait  encore  l'objet  d'une  discussion  entre  l'Alle- 
magne et  l'Angleterre. 

Aujourd'hui  toutes  nos  possessions  du  nord  etdelouesL  de  l'Afrique 
peuvent  communiquer  entre  elles  par  leur  hinterland.  La  convention  du 
14  juin  n'établit  pas  le  fait,  car  même  sans  sa  conclusion  la  Côtedlvoirc 
et  le  Dahomey  n'en  avaient  pas  moins  effectué  leur  jonction  avec  le  Soudan, 
mais  elle  le  consacre  et  le  garantit.  A  nous  maintenant  de  savoir  lin^^ 
parti  de  cet  immense  empire  colonial,  huit  fois  graiid  comme  le 
territoire  de  la  France  si  l'on  y  comprend  le  vaste  désert  tUï  Sahiira. 

Une  seule  question  reste  encore  à  régler  en  Afrique  mire  la  France 

et  l'Angleterre,  mais  c'est  la  plus  délicate  et  la  plus  dillicile  :  celle  de 

l'Egypte  et  du  bassin  du  Nil. 

Georges  Dh:MÂ!>fCHK^ 


1 

I 


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D'OMSK  A  VIERNIY 


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(1) 


Semipalatinsky  «  la  ville  des  Sept  Palais  ».  —  Églises  et  mosquées,  — 
Promenade  dans  les  lies  de  r Irtych.  —  Première  entrevue  avec  les 
Kirghises,  —  Une  représentation  d'amateurs  au  Cercle.  —  Dépari 
matinal.  —  Oit  on  fait  connaissance  avec  le  moelleux  tarentass. 

Lorsque  Pallas,  au  cours  de  son  mémorable  voyage  à  travers  la  Sibé- 
rie, arriva  à  Semipalatinsk  (qu'il  appelle  Semipalatnaia),  il  fut  bien 
embarrassé  de  retrouver  les  sept  Palais  qui  avaient  donné  leur  nom  à  la 
cité.  Son  prédécesseur  Gmelin  avait  été  plus  heureux  :  «  Les  Russes, 
dit-il,  dans  sa  relation,  ont  nommé  ^cet  endroit  Sempalat,  parce  que 
Ton  y  voit  les  restes  de  sept  maisons  bâties  en  pierre  ;  on  les  appelle  en 
langue  kalmoucke,  le  couvent  de  darchan  Ifortchi.  C'est  une  espèce  de 
couvent  que  ce  Kalmouck  idolâtre  fit  bâtir  et  qu'il  habita  ;  U  se  com- 
pose de  six  maisons  élevées  sans  symétrie  l'une  auprès  de  Tautre  ;  on 
voit  encore  dans  Tune  de  ces  maisons  deux  'idoles  de  bois  qui  repré- 
sentent des  ours.  »  Pallas  ne  vit  les  maisons,  ni  les  ours  ;  à  plus  forte 
raison  ne  les  cherclierons-nous  pas  aujourd'hui. 

A  l'époque  du  voyage  de  Pallas,  Semipalatinsk  était  une  importante 
forteresse  de  la  ligne  fortifiée  de  l'Yrtych  et  en  môme  temps  le  princi- 
pal marché  des  Russes  au  sud  de  leurs  possessions  de  la  Sibérie  occi- 
dentale, «  L'ancienne  forteresse,  écrit  Pallas,  forme  un  carré  revêtu  de 
remparts  de  charpente,  contre  lesquels  on  a  construit  des  casernes  dans 
Hntérieur.  Elle  est  entourée  d'un  fossé  ;  deux  tours  servent  de  porte.  On 
y  voit  une  vieille  église  de  bois,  deux  maisons  pour  les  commandants, 
le  bâtiment  de  la  chancellerie,  un  magasin  à  poudre  et  un  autre  pour 
les  vivres.  Elle  a  un  faubourg  au-dessus  et  un  second  au  dessous  ;  ils 
renferment  deux  cents  maisons.  Le  plus  grand  nombre  des  habitants 
est  composé  de  Cosaques  et  de  dragons  réformés.  On  remarque 
cependant  parmi  eux  beaucoup  de  négociants  et  de  marchands.  Le  lieu 
d'échange  avec  les  nomades  est  à  12  verstes  de  la  forteresse  ;  la  plupart 
des  marchands  étrangers  viennent  de  Tachkent  et  de  la  petite 
Boukharie.  » 

Le  fort  de  Semipalatinsk  a  été  fondé  en  1718  ;  la  ville  devint  ensuite 

(1)  Voir  Rev,  Fr.,  juin  1898,  p.  329. 


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D'OMSK  A  VIERNIY  391 

un  chef-lieu  de  cercle  du  gouvernement  de  Kolivan,  pour  retomber  en 
1804  au  rang  de  simple  cité.  Elle  est  le  chef-lieu  d'un  gouvernement 
de  la  Sibérie  occidentale  depuis  1854. 

Semipalatinsk  n  a  pas  eu  jusqu'à  ce  jour  une  bonne  presse  géogra- 
phique ;  la  plupart  des  voyageurs  —  particulièrement  les  explorateurs 
français  —  qui  y  ont  séjourné  quelques  heures  en  allant  en  Chine  ou 
en  revenant  du  Turkestan,  lui  ont  fait  la  plus  déplorable  réputation  : 
climat  polaire  en  hiver,  climat  torride  en  (Jté,  ville  à  demi  envahie  par 
les  sables  et  destinée  à  disparaître  à  bref  délai,  etc.  Un  peu  la  résultante 
de  Tétat  psychique  du  voyageur.  En  réalité  Semipalatinsk  n'est  ni 
pire  que  les  autres  villes  de  la  Sibérie  occidentale  :  c'est  une  cité  sibé- 
rienne et  ces  deux  mots  disent  tout. 

Son  climat  ne  diffère  guère  de  celui  d'Omsk  où  on  est  gratifié  d'un 
écart  de  37"  degrés  au-dessus  de  zéro,  à  40*  au-dessous  ;  ses  environs 
valent  les  environs  d'Omsk,  et  la  ville  n'est  pas  encore  disparue  sous 
les  sables  puisqu'elle  tend  au  contraire  à  s'accroître.  Beaucoup  de  boue 
en  hiver;  beaucoup  de  poussière  en  été  :  mais  c'est  le  lot  de  tous  les 
centres  habités  du  pays  sibérien.  Evidemment  pour  nous  autres  occi- 
dentaux accoutumés  à  notre  confort,  un  séjour  prolongé  à  Semipala- 
tinsk semblerait  le  plus  cruel  des  exils;  croyez- vous  toutefois  qu'Omsk 
ou  que  Tobolsk  soient  des  lieux  d'agrément,  des  stations  balnéaires? 
Les  maisons  de  Semipalatinsk  sont  en  bois;  les  rues,  les  places  affec- 
tent des  proportions  démesurées,  pas  le  moindre  pavage,  pas  le  moin- 
dre dallage;  s'il  en  était  autrement,  Semipalatinsk  constituerait  la  plus 
heureuse  des  exceptions.  Ne  médisons  donc  pas  trop  de  Semipalatinsk, 
qui  ne  mérite  certes  pas  tous  les  anathèmes  des  voyageurs.  J'ajouterai 
même  qu'au  printemps,  l'Irtych,  avec  ses  îles  toutes  vertes,  boisées, 
émaillées  de  fleurs  multicolores,  offre  un  gracieux  panorama. 

En  outre,  Semipalatinsk  a  un  cachet  beaucoup  plus  asiatique  que  les 
villes  du  gouvernement  de  Tobolsk  ou  du  gouvernement  d'Akmolinsk. 
A  côté  des  églises  aux  clochetons  et  aux  coupoles  bariolés  de  vert,  se 
dressent  les  flèches  élégantes  des  minarets  mu>ulmans;  le  turban  des 
mollahs  y  voisine  avec  la  robe  des  popes,  et  de  ce  contact  de  plusieurs 
races,  de  plusieurs  civilisations,  naît  une  variété  d'édifices  et  de  cos- 
tumes qui  intéresse  le  voyage  et  le  prépare  aux  surprises  de  l'Asie  cen- 
trale. Il  ne  faut  pas  voir  Semipalatinsk  en  revenant  du  Turkestan,  il 
faut  le  voir  en  y  allant. 


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392  KEVUE  FRANÇAISE 

La  majeure  partie  de  la  populatioa  musulmane  est  composée  de 
Talars  de  Kazan  et  de  Tatars  d'Orenbourg,  venus  dans  ces  contrées 
pour  s*y  livrer  au  commerce.  Au  bazar,  simple  réunion  de  pavillons  en 
bois,  de  boutiques  peu  profondes  alignées  le  long  d'une  rue  que  de 
larges  flaques  d'eau  transforment  actuellement  en  marécage,  on  trouve 
beaucoup  de  produits  qui  proviennent  de  la  Chine  par  Kobdo  et  Altais- 
kaya  Stanitza  ou  de  Djarkent;  si  Semipalatmsk  était  en  relations  conti- 
nuelles avec  le  reste  de  la  Sibérie  et  avec  TEurope,  son  mouvement 
commercial  atteindrait  certainement  d'importantes  proportions.  La  navi- 
gation fort  active  sur  Tlrtych  ne  dure  que  du  mois  de  mai  au  mois  d'oc- 
tobre. Sur  la  place  principale,  le  bureau  de  police  avec  la  haute  tour 
où  veille  sans  cesse  un  guetteur  pour  annoncer  les  incendies,  ce  terrible 
fléau  des  cités  sibériennes. 

Par  extraordinaire,  la  gaslinitza  (hôtel  ou  auberge...  à  votre  choix), 
où  nous  ont  conduit  les  aimables  envoyés  du  gouverneur  est  presque 
convenable;  elle  est  même  ornée  dans  la  vaste  salle  à  manger  de  l'une 
de  ces  monumentales  boîtes  à  musique  conçues  par  le  génie  artistique 
des  Allemands.  Après  avoir  procédé  à  l'installation  de  nos  bagages, 
nous  nous  préparons  à  la  visite  classique  chez  le  gouverneur,  cette 
visite  en  tenue  de  cérémonie  que  l'étiquette  russe  réclame  jusque  sur 
les  confins  de  TOcéan  Glacial  arctique.  A  dix  heures,  un  landau  attelé 
de  trois  superbes  chevaux  s'arrête  devant  notre  hôtel  ;  c'est  le  gouver- 
neur, toujours  bienfaisant,  qui  nous  l'envoie  pour  nous  promènera 
travers  la  ville  et  aussi  pour  nous  conduire  à  son  palais.  Le  cocher,  de 
rouge  et  de  noir  habillé,  avec  de  nobles  plumes  de  paon  sur  un  petit 
chapeau  aplati  (tel  un  haut  de  forme  occidental  qui  pendant  cinq  mi- 
nutes aurait  servi  de  coussin),  a  un  air  de  gravité  qui  sied  bien  à  ses 
hautes  fonctions.  En  même  temps,  arrive  le  maître  de  police  qui  nous 
souhaite  la  bienvenue  et  se  met  à  notre  disposition  ;  un  observateur  et 
un  curieux;  il  donne  force  renseignements  au  professeur  Wallenius 
sur  diverses  inscriptions  dans  les  environs  de  Kapal,  et  le  professeur 
est  aux  anges  en  l'écoutant. 

Après  avoir  fait  la  joie  des  badauds  —  il  y  en  a  même  dans  les  villes 
sibériennes  —  notre  majestueux  équipage  nous  dépose  à  la  porte  du 
palais  du  gouverneur,  belle  construction  presque  neuve,  à  l'aspect  mo- 
numental, et  dont  les  pierres  blanches  tranchent  sur  les  bâtisses  de 
bois  environnantes.  S.  Ex.  le  générai  Karpoff,  gouverneur  de  la  pro- 


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D'OMSK  A  VIEHNIY  393 

vince  de  Semipalatinsk,  a  é,té  prévenu  télégraphiquement  de  notre  arri- 
vée prochaine  par  S.  Ex.  le  général  baron  Taubé,  gouverneur  générai 
des  Sleppes;  il  nous  reçoit  avec  une  grande  amabilité  et  nous  invite  à 
une  petite  fête  intime  qui  doit  avoir  lieu  le  lendemain.  Nous  prenons 
congé  de  lui,  enchantés  de  son  accueil  cordial. 

Ce  jour-là,  la  gastinitza  retentit  des  flons-flons  sonores  de  son  orgue 
de  Barbarie,  à  la  grande  joie  des  Asiatiques,  tandis  que  le  professeur 
Wallenius  pour  nous  prouver  ses  talents  de  linguiste,  abreuve  de  phrases 
tatars...  et  de  verres  de  café  fortement  mélangeas  d'eau-de-vie,  un  mal- 
heureux négociant  tatar,  qui  finit  par  s'aifaisser  lourdement  sur  la 
table  et,  vaincu  par  cette  double  éloquence,  par  s'y  endormir  du  som- 
meil du  juste. 

La  journée  est  belle  et  une  promenade  à  travers  la  ville  nous  permet 
d en  admirer  les  beautés...  rares;  après  avoir  rencontré  quelques  so- 
lennels mollahs  qui,  grâce  aux  extraordinaires  turbans  dont  leur  chef 
est  coiffé,  semblent  avoir  passé  la  tête  à  travers  une  citrouille,  nous 
arrivons  sur  la  rive  de  Tlrtych.  Ces  quelques  îles,  qui  étalent  leur  ver- 
dure au  milieu  du  fleuve,  nous  séduisent  ;  on  hèle  une  barque  et  nous 
voilà  partis.  Quelle  barque,  mon  dieul  elle  est  faite  pour  porter  des 
âmfô  comme  celles  de  la  barque  à  Carou  et  non  des  êtres  en  chair  et 
en  os;  à  chaque  instant,  je  tremble  de  faire  un  naufrage  en  Irtych;  un 
jeune  tatar  pagaye  à  Tarrière  et  peu  à  peu  nous  approchons  de  l'île. 
Christophe  Colomb  ne  fut  pas  plus  ému  lorsque  la  vigie  lui  signala  la 
terre.  Malheureusement,  toute  médaille  à  son  revers,  et,  comme  nous 
sommes  dans  l'île,  il  nous  faudra  retourner  par  la  même  voie  périlleuse. 

En  attendant,  nous  galopons  comme  des  enfants  à  travers  les  belles 
prairies  qui,  comme  les  papillons  sortant  de  leurs  chrysalides,  viennent 
à  peine  de  dépouiller  leur  manteau  de  neige.  Ici  une  théorie  de  blanches 
anémones,  plus  loin  un  bouquet  de  renoncules  dorées  ou  une  couronne 
de  primevères  mauves.  Taches  grises  sur  ce  tapis  aux  couleurs  tendres, 
deux  ou  trois  tentes  de  feutre,  des  wartesy  d'où  s'échappe  une  bande- 
role de  fumée  dessinant  de  fines  volutes  :  sans  doute,  le  campement 
printanier  de  quelques  Kirghises  qui,  attirés  par  l'herbe  savoureuse  et 
le  frais  ruisseau  comme  l'agneau  de  la  fable,  ont  transporté  dans  cet 
islet  leurs  pénates  et  leurs  troupeaux.  Allons. 

Les  Kirghises  nous  accueillent  gracieusement,  et,  avec  la  dignité  de 
bons  maîtres  de  maison,  nous  offrent  de  pénétrer  dans  leur  portatif 


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394  REVUE  FRANÇAISE 

logis.  Le  sol  est  recouvert  partout  de  tapis,  sauf  au  milieu,  où  un 
espace  laissé  vide  représente  le  fourneau  de  cuisine  ;  dans  un  vase  en 
métal,  de  forme  élégante,  le  traditionnel  koungan,  le  thé  chauffe,  tandis 
que,  sur  un  large  foulard,  Thôte  éparpille  quelques  baoursaks.  gâteaux 
de  la  dimension  d'un  domino  et  d'une  pâte  à  peu  près  semblable  à 
celle  de  nos  beignets.  L'un  des  Kirghises  possède  un  accordéon  —  Bon- 
valot  a  déjà  dépeint  l'amour  inné  et  profond  des  Asiatiques  pour  cet 
instrument  aussi  facile  que  peu  encombrant  —  et,  après  l'absorption 
de  plusieurs  tasses  de  thé,  nous  faisons  le  tour  de  l'île,  précédés  de 
notre  joueur  d'accordéon,  suivis  d'une  quinzaine  de  Kirghises  grands 
et  petits  :  telle  une  noce  de  village. 

Sur  la  plage  sablonneuse  du  fleuve,  Wallenius  harangue  les  popula- 
tions et  nous  nous  rembarquons  dans  notre  frôle  esquif.  Jje  soir,  pour 
terminer  une  journée  si  bien  remplie,  représentation  d'amateurs  au 
cercle  :  programme,  un  monologue  et  un  vaudeville  russe. 

Le  lendemain,  réception  et  fête  chez  le  gouverneur;  on  improvise  un 
bal  joyeux  ;  comme  contraste,  afin  d'être  prêts  à  partir  à  la  première 
heure,  nous  allons  coucher  à  la  station  de  poste.  Dura.,,  lex,  sed  lex. 

18  mai.  —  Réveil  matinal,  cinq  heures;  il  va  falloir  perdre,  parsdt-il, 
les  bonnes  habitudes  de  quitHude  et  de  paresse  prises  sur  le  vapeur  les 
Trois'ApôtreSj  ou  pendant  notre  séjour  à  Semipalatinsk.  Ne  croyez  pas 
toutefois,  avec  une  naïveté  égale  à  la  mienne,  qu'heure  de  réveil 
signifie  heure  de  départ  ;  ce  n'est  pas  pour  rien  que  nous  sommes  en 
Asie.  L'opération  la  plus  compliquée  est  le  chargement  des  bagages  ; 
de  leur  amarinement  dépend  le  plus  ou  moins  de  meurtrissure  de  votre 
échine  pendant  la  durée  du  voyage.  Je  ne  vous  décrirai  pas  le  tarentass; 
sa  description  vous  est  déjà  familière  et  je  ne  vous  souhaite  pas  de 
faire  du  reste  plus  ample  et  plus  personnelle  connaissance  avec  cette 
horrible  machine,  dont  on  n'a  jamais  dit  et  dont  on  ne  dira  jamais  assez 
de  mal. 

Nous  avons  retenu  deux  tarentass  :  dans  le  premier,  le  baron  de 
Munck  et  le  professeur  Wallenius;  dans  le  second,  le  lieutenant 
Sakovlef  et  votre  serviteur.  Les  cochers  sont  des  cochers  kirghises  ;  la 
tête  enfouie  dans  leur  bonnet  de  fourrure  aux  ailes  rabattues,  nos  auto- 
médons  ne  manquent  pas-  de  pittoresque  ;  le  Kirghise  n'apprécie  que 
les  métiers  qui  le  mettent  en  contact  permanent  avec  le  cheval;  con- 
duire Encéphale  —  je  ne  parlerai  pas  de  Pégase  —  soit  attelé,  soit 


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D'OMSK  A  VIERNIY  395 

autrement,  est  l'unique  travail  auquel  consentent  ces  vaillants  de  la 
steppe. 

Le  maître  de  poste  —  le  staroste  —  nous  a  délivré  nos  coupons  jus- 
qu'à Sergiopol,  c'est-à-dire  pour  une  distance  de  2"!  verstes  1/2,  soit 
289  kilomètres  419  mètres  ;  nous  payons  par  voiture  15  roubles  54 
(41  francs  85),  dont  12  roubles  24  reviennent  au  maître  de  poste  et 
3  roubles  30  à  la  couronne.  En  outre,  il  faut  compter  un  pourboire  au 
cocher,  pourboire  qui  est  normalement  de  20  kopecks  par  station 
(50  centimes). 

On  ouvre  toutes  grandes  les  portes  de  la  sianziq  et  nous  voilà  partis 
au  galop  à  travers  la  ville.  Les  joyeuses  clochettes  de  la  douga  (le 
collier  de  milieu)  ont  été  attachées,  et  on  ne  les  détachera  que  lorsque 
nous  serons  sortis  de  la  ville  ;  il  n*ya  que  les  voitures  des  pompiers 
qui,  dans  les  villes,  aient  le  droit  de  faire  entendre  ce  réjouissant 
carillon,  devenu  pour  les  populations  Tannonce  d'un  terrible  danger. 

Voici  la  rive  droite  de  llrtych  ;  une  île  toute  verte,  avec  quelques 
bâtiments  en  bois  que  Ton  distingue  à  travers  le  feuillage,  partage  le 
fleuve  en  deux  bras.  Pas  de  pont  ;  un  simple  bac,  et  le  bac  arrive  à 
peine  à  l'autre  rive.  Il  faut  attendre  son  retour  et  nous  attendons  long- 
temps. Le  vent  est  glacial  ;  la  contemplation  de  llrtych  avec  de  pareils 
coups  d'éventail  ne  porte  pas  à  la  méditation:  mais  inutile  de  tempêter, 
de  protester;  en  certains  pays,  la  lenteur  est  un  devoir  professionnel. 
Enfin  le  bac  tant  désiré  accoste  notre  rive  ;  les  cochers  sont  descendus 
de  leur  siège  ;  ils  conduisent  doucement  leurs  lourds  équipages  sur  le 
ponton  de  bois,  et  bientôt  nous  glissons  sur  le  fleuve.  On  traverse  rapi- 
dement l'île,  où  sont  établis  les  chantiers  de  réparation  des  bacs  et  on 
remonte  sur  un  second  bac,  qui  conduit  de  l'île  à  la  rive  gauche  ;  heu- 
reusement celui-là  est  à  quai  de  notre  côté  et  nous  ne  perdons  pas  trop 
de  temps. 

Sur  la  rive  gauche  une  nouvelle  ville  se  forme  autour  des  hangars 
de  la  Compagnie  de  navigation  Botakof  ;  nouvelle  ville  née  de  la  pros- 
périté de  la  navigation  sur  l'Irtych,  qui  se  développe  de  plus  en  plus 
depuis  la  construction  du  chemin  de  fer  transsibérien.  Quelques  habita- 
tions de  mariniers,  des  magasins  où,  sans  traverser  le  fleuve,  le  Kir- 
ghise  de  la  steppe  peut  se  procurer  les  objets  qu'il  demande  à  l'indus- 
trie européenne,  et  aussi  l'inévitable  traktir,  l'assommoir  russe.  Non 
loin,  le  cimetière  kirghise  :  des  monuments  en  terre  affectant  les  formes 


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L 


396  REVUE  FRANÇAISE 

les  plus  diverses,  simple  quadrilatère  de  basses  murailles  avec  des 
boules  aux  angles,  imitation  de  chapelles  avec  des  coupoles  déjà  bran- 
lantes ;  sur  ces  édifices  en  terre,  l'action  du  temps  est  rapide  ;  bientôt 
ils  se  lézardent,  s'effritent,  puis  s'écroulent  un  beau  jour  d'un  seul 
coup,  et  la  poussière  retourne  à  la  poussière. 

Maintenant  les  clochettes  ont  été  détachées  ;  elles  vibrent,  elles 
chantent  à  travers  l'espace  et  nos  chevaux  galopent  fiévreusement. 
L'air  frais  du  matin  nous  fouette  le  visage  ;  on  a  comme  une  sensation 
intense  de  liberté  en  cette  immensité,  au  sortir  de  cette  prison,  la 
ville.  Derrière  nous,  les  dernières  maisons  presque  imperceptibles  en  la 
brume  cotonneuse  ;  en  avant,  à  perte  de  vue,  la  steppe  ;  pas  un  arbre 
dressant  ses  grands  bras  verdoyants,  pas  même  un  arbrisseau  accroupi, 
recroquevillé,  se  faisant  bien  petit  devant  le  vent  niveleur.  Non,  rien 
qu'une  vaste  table  toute  verte,  constellée  de-ci  de-là,  de  fleurs  jaunes 
ou  d'absinthes  à  feuillage  blanchâtre  et  luisant  qui  lui  font  comme  un 
fin  et  soyeux  tapis,  une  délicate  résille. 

A  l'horizon,  quelques  ondulations  gazonnées,  d'abord  à  peine  dis- 
tinctes, puis  prenant  forme  à  mesure  que  nous  marchons  au  sud.  Le 
soleil  a  enfin  ouvert  le  rideau  de  brouillard  ;  la  journée  sera  belle  et  ma 
première  entrevue  avec  messire  tarentass  ne  me  paraît  pas  trop  dés- 
agréable. J'accuserais  presque  d'exagération  mes  prédécesseurs  en 
Sibérie  ;  hélas  !  je  ne  reviendrai  que  trop  vite  sur  cette  favorable  im- 
pression ;  mais  le  proverbe  ne  dit-il  pas  :  «  Tout  nouveau,  tout 
beau  j)  ?  La  première  station,  celle  d'Oulougouz,  est  à  26  kilomètres  de 
Semipalatinsk  et  nous  mettons  trois  heures  et  demie  pour  parcourir 
cette  distance  :  une  moyenne  de  7  kilomètres  500  à  l'heure  ;  c'est 
faible  ;  il  est  vrai  que  nous  avons  perdu  beaucoup  de  temps  au  passage 
de  l'Irtych. 

Au  pied  des  premières  collines,  une  maisonnette  en  bois  autour  de 
laquelle  sont  groupées  trois  ou  quatre  iourtes  kirghises,  les  demeures 
des  cochers  et  de  leurs  familles  ;  à  l'entrée,  deux  poteaux  bariolés  de 
noir  et  de  blanc,  surmontés  d'un  écriteau  qui  porte  le  nom  de  la 
station,  la  distance  qui  la  sépare  de  la  station  précédente  et  de  la 
station  suivante  ;  à  l'intérieur  :  d'un  côté  le  logement  du  siaroste  ou 
chef  de  station  ;  de  l'autre,  son  bureau  et  la  pièce  réservée  aux  voya- 
geurs. L'ameublement  de  cette  dernière  pièce  est  simple  :  une  grande 
table,  deux  canapés  qui,  la  nuit,  servent  de  hts  ;  im  portrait  de  Tempe- 


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J 


DOMSR  A  VIERNIY  397 

reur  et  les  règlements  de  poste  suspendus  le  long  des  murs  blanchis  à 
la  chaux  *  dans  un  coin,  une  image  sainte,  un  icône,  avec  la  veilleuse 
toujours  allumée.  Derrière  la  station,  une  vaste  cour  et  les  écuries.  Telle 
est  la  station  d'Oulougouz  ;  telles  sont  toutes  les  stations  sur  la  route 
de  Vierniy  à  Semipalatinsk. 

Nous  ne  changerons  pas  de  tarentass,  jusqu'à  Sergiopol,  ce  qui  nous 
évitera  d'ennuyeux  transbordemenls  de  bagages  ;  mais  il  nous  faut 
naturellement  changer  de  chevaux  à  chaque  station  ;  or  la  poste  vient 
de  passer,  et  nous  ne  pourrons  avoir  des  chevaux  qu'à  2  heures  de 
l'après-midi  :  cinq  heures  de  séjour  forcé  à  la  station  d'Oulougouz.  Les 
déjeuners  sont  rudimentaires  dans  une  stanzia  :  du  thé,  des  œufs  à  la 
coque,  du  lait,  ou  du  lait,  des  œufs  à  la  coque  et  du  thé;  on  ne  fait  que 
modifier  Tordre  des  facteurs  ;  dans  ces  conditions,  le  repas  ne  saurait 
constituer  une  occupation  suffisante  pour  remplir  cinq  heures  d'arrêt. 
Le  lieutenant  Sakovief  est  malade  ;  le  professeur  Wallenius  trouve  que 
son  sommeil  de  la  nuit  a  été  insuffisant  ;  laissant  malade  et  paresseux 
à  la  station,  je  pars  donc  à  la  découverte  avec  le  baron  de  Munk  plus 
vaillant. 

Le  thermomètre  ne  marqueque6  degrés  au-dessus  de  zéro  mais  en  mar- 
chant^ la  température  semble  printanière.  Un  ruisselet  gazouille,  non 
loin  de  la  station  entre  des  renoncules  jaunes  d'or,  des  primevères  aux 
couleurs  tendres,  des  spirées  enrubannées  de  blanches  fleurettes.  Nous 
nous  acheminons  vers  les  collines  ;  deux  superbes  outardes  partent 
devant  nous.  La  station  de  poste  est  à  une  altitude  de  220  mètres  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer  ;  ces  collines  atteignent  300  mètres  ;  elles 
forment  le  prolongement  vers  l'Irtych  de  la  chaîne  de  Bel-Merek  et  de 
la  chaîne  d'Arkalyk. 

A  la  descente,  en  nous  dirigeant  vei's  la  route  —  si  on  peut  appeler 
route  cette  simple  piste  tracée  à  travers  la  steppe  par  le  pas  des  chevaux 
et  le  sillage  des  voitures,  — nous  trouvons  dans  une  ravine  une  pointe 
de  flèche  en  silex  de  l'époque  de  la  pierre  taillée  ;  il  y  a  eu  dans  ces 
parages  une  station  préhistorique,  et  notre  trouvaille  réjouira  le  profes- 
seur Wallenius. 

Ding  !  ding  !  le  carillon  des  clochettes  de  la  douga  ;  les  tarentass  ne 
sont  pas  loin  ;  nos  amis  ont  en  effet  quitté  la  station,  bientôt  ils  nous 
rejoignent  ;  nous  reprenons  dans  les  voitures  nos  places  respectives,  et 
en  route  !  Toujours  le  même  tableau  :  la  steppe  avec  des  ondulations, 


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L. 


398  KEVUE  FRANÇAISE 

des  moutonnements,  des  croupes  ;  la  nature  a  épuisé  tout  le  vert  de  sa 
palette  pour  en  teindre  les  crêtes  de  toutes  ces  vagues  ;  de-ci  de-là, 
dans  les  creux,  quelques  flaques  de  jaune,  les  renoncules  se  groupant 
en  bataillons  serrés.  Pas  d'arbres  :  seuls,  les  poteaux  télégraphiques 
fusent  vers  le  ciel  et  tranchent  de  leur  silhouette  décharnée  de  choses 
mortes  sur  le  paysage  uniforme. 

A  rhorizon,  une  nouvelle  ligne  de  collines,  les  collines  d'Arkalyk, 
qui,  sur  la  gauche  se  soudent  au  Semi-tau  (prononcez  Semi-laau), 
aperçu  de  Tlrtych  en  arrivant  à  Semipalatinsk  :  ce  sont  des  ondula- 
lations  sans  caractère,  gazonnées  comme  les  premiers  plans  et  privée 
de  végétation  arborescente.  Nous  arrivons  à  4  heures  45  à  la  station 
d'Arkalyk,  355  mètres.  Cette  fois,  nous  n'attendrons  pas  les  chevaux; 
il  y  en  a  un  nombre  suffisant  de  disponibles  ;  néanmoins,  afin  de  ne 
pas  perdre  les  bonnes  habitudes,  le  staroste  et  ses  cochers  kirghises 
mettent  encore  45  minutes  pour  atteler. 

Nous  repartons  à  5  heures  30.  Presque  en  sortant  de  la  station,  nous 
passons  la  rivière  Kartasanai-doul  sur  un  pont  qui  domine  majestueu- 
sement les  deux  rives  de  ce  cours  d'eau...  sans  eau,  alfluent  théorique 
(pour  le  inoment  du  moins)  de  l'Irtych.  Les  rivières  à  régime  variable, 
comme  les  oueds  de  l'Algérie  et  de  la  Tunisie,  sont  très  fréquentes  dans 
ces  régions;  à  sec,  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année,  elles  de- 
viennent après  la  fonte  des  neiges  ou  après  les  pluies  abondantes,  des 
torrents  furieux,  roulant  des  masses  d'eau  considérables,  et  lorsque  les 
ingénieurs  ont  oublié  d'y  construire  des  ponts  pareils  à  celui  que  nous 
venons  de  franchir,  tarentass  et  voyageurs  risquent  fort  de  se  promener 
mélancoliquement  pendant  des  heures  sur  leurs  rives  désertes,  sans 
pouvoir  passer. 

Voici  une  nombreuse  caravane  kirghise,  venant  de  la  frontière  de 
Chine,  qui  fait  la  halte  du  soir;  une  soixantaine  de  petites  voitures 
sont  rangées  en  bon  ordre  dans  la  steppe  ;  les  chevaux  dételés  paissent 
en  liberté  et  mâchonnent  à  belles  dents  cette  herbe  qui.  est  à  tout  Je 
monde;  les  hommes  accroupis  autour  d'un  grand  feu  écoutent  chanter 
l'eau  qui  bout  dans  les  kounganes  aux  formes  artistiques.  Avec  les 
demi-teintes  crépusculaires,  quel  joli  tableau  de  genre  1 

A  une  dizaine  de  verstes  de  la  station,  nous  franchissons  les  collines 
d'Arkalyk  en  un  point  dont  l'altitude,  d'après  Finsch,  est  de  390  mètres; 
les  sonmiets  varient  entre  450  et  500  mètres.  Le  chemin  est  devenu 


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D'OMSK   A  VIERNIY  399 

très  mauvais;  nos  tarentass  roulent  entre  les  cailloux,  s'enfoncent  dans 
les  ornières,  se  relèvent  brusquement  arrachés,  emportés  par  le  triple 
effort  des  chevaux  et  le  supplice  de  la  dislocation  commence;  j'estimo 
maintenant  cfue  le  tarentass  mérite  sa  déplorable  réputation,  à  moins 
qu'il  ne  faille  faire  retomber  le  premier  tort  sur  le  réseau  vicinal  de  la 
Sibérie.  Nous  nous  arrêtons  à  8  heures  35  du  soir  devant  la  statiun 
d'Achi-koul.  la  troisième  depuis  Semipalatinsk  ;  notre  vitesse  moyenne 
depuis  ce  malin  a  été  de  9  kilomètres  à  Theure.  xMon  baromètre  indique 
une  altitude  de  330  mètres  ;  Finsch  dit  320. 

Beaucoup  de  voyageurs  —  ceux  qui  ne  sont  pas  pressés  —  s'arrêtent 
la  nuit  dans  les  stations  de  poste  et  interrompent  leur  voyage  jusqu'au 
lendemain,  afin  de  prendre  quelques  heures  de  repos.  Mes  compagnons 
sont  pressés,  paraît-il,  car  ils  décident  de  marcher  toute  la  nuit.  Aprrs 
un  de  ces  repas  de  Lucullus  qui  nous  sont  familiers,  nous  repart<uis 
d'Achi-koul  à  10  heures  30  du  soir.  Le  sommeil  est  impossible  à  causi? 
des  horribles  cahots  de  la  voilure,  de  secousses  brutales,  inattendut:'s, 
qui  vous  projettent  brusquement  en  avant  ou  vous  renvoient  en  arrièi  e 
avec  non  moins  de  violence.  La  nuit  est  sombre;  on  distingue  vague- 
ment la  région  parcourue;  tout  ce  que  je  puis  constater,  c'est  le  déplu- 
rable  état  des  chemins.  Il  y  a  une  pente  légère,  mais  sensible,  et  la  sta- 
tion de  Djertar,  où  nous  arrivons  à  minuit  30,  se  trouve  à  une  altitudii 
de  420  mètres  (400  d'après  Finsch). 

19  mai.  —  Toujours  au  galop,  dans  la  nuit,  avec  les  mêmes  dislo- 
cations. Au  petit  jour,  la  station  de  Kizil-Mouiinskii,  490  mètres  (44**, 
d'après  Finsch).  Il  fait  presque  froid  (3"),  et  nous  absorbons  avec  un 
indicible  plaisir  force  tasses  de  thé.  Le  staroste  ne  fournit  que  le  samn- 
var,  l'eau  et  les  verres;  le  voyageur  doit  emporter  avec  lui  sa  proviaii>ii 
de  thé  et  de  sucre.  On  profite  généralement  de  l'eau  chaude  du  samo- 
var pour  y  faire  cuire  des  œufs,  si  on  en  trouve  à  la  station.  Autour  d*'^ 
bâtiments  rôdent  des  chiens  faméliques,  hirsutes,  aussi  hargneux  qiiv 
les  chiens  des  douars  arabes;  l'hospitalité  n'est  pas  précisément  leur 
vertu,  et  ils  ne  se  prêtent  nullement  aux  méditations  et  aux  contempla- 
tions du  voyageur  paysagiste  :  gare  aux  crocs  de  ces  empêcheurs  do 
rêverie  !  Sur  la  gauche,  quelques  collines  de  500  à  520  mètres. 

Le  jour  est  venu  :  nous  sommes  sur  un  plateau  herbeux,  parsemé  dt» 
flaques  d'eau,  bosselé  de-ci  do-là  de  quelques  croupes  au  dessin  indécis  ; 
à  l'horizon,  au  contraire,  un  profU  hardi,  étrange,  fascinant;  une  scw 


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400  REVUK  FRANÇAISE 

immense  aux  dents  ébréchées;  quelque  chose  comme  la  chaînette 
des  Baumes  de  Venise,  dans  le  Comtat,  qui  fait  une  collerette  de 
dentelle  au  grand  Ventoux  ;  en  cette  nature  jusque-là  si  calme,  si  pla- 
cide, il  y  a  un  déchirement,  et,  du  sol  éventré,  ont  surgi  menaçantes 
ces  pointes  déchiquetées,  comme  usées  par  cet  éventrement  de  la  terre. 
A  mesure  que  nous  galopons  dans  la  steppe,  nous  nous  rapprochons 
de  cette  chaîne  d'Arkat,  vraiment  bien  originale.  Malgré  sa  faible  alii- 
tude,  7  à  800  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  340  à  4O0  mèlres 
au-dessus  du  niveau  de  la  steppe,  elle  vous  impressionne,  vous  étonne.  Ac- 
cumulation d'aiguilles,  de  pointes  effilées  qui  semblent  vouloir  poignarder 
le  ciel, de  tourelles,  de  clochetons,  de  fiers  donjons,  de  créneaux,  de  minus- 
cules coupoles  de  marabouts  ;  chaos  de  rochers  dépenaillés,  loqueteux, 
auxquels  la  nature  n'a  pas  fait  l'aumône  du  plus  petit  manteau  de  ver- 
dure ;  et  tout  cela,  grimaçant,  fantastique,  dominant  d'une  masse  som- 
bre, noirâtre  ou  grisâtre,  la  steppe  bien  verte  où  le  vent  fait  onduler  les 
herbes  et  frissonner  les  anémones.  Quel  regret  de  ne  pouvoir  s'arrêter, 
passer  quelques  jours  dans  ces  montagnes  étranges,  perchoirs  d'aigles 
et  de  vautours,  où  l'on  ne  doit  entendre  que  le  fracas  des  rocs  qui  s'é- 
boulent, les  rumeurs  de  la  montagne  en  travail  I 

Geoi^es  Saint-Yves. 


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L'ECOLE  MILITAIRE  DE  SAINÏ-CYR^^^ 

u 

Nous  allons  entrer  dans  la  partie  de  Thistoire  de  St-Cyr  où  le  colonel 
Titeux  n'aura  plus  besoin  de  fouiller  les  archives,  de  compulser  les  mé- 
moires privés  des  familles,  de  rassembler  les  témoignages  et  de  faire 
appel  aux  souvenirs  des  vétérans.  Il  n'aura  qu'à  relater  les  choses  qu'il 
a  vues,  les  faits  dont  il  a  été  le  propre  témoin.  U  était  autorisé  à  parler 
de  rÉcole,  si  on  en  juge  par  le  tableau  des  élèves  sortis  avec  le  n®  1. 
M.  Eugène  Titeux  y  figure  pour  Tannée  1859.  Autour  de  lui  ont  vécu 
de  la  même  vie,  mangé  à  la  même  table,  travaillé,  souffert,  combattu 
et  professé  des  camarades  par  centaines.  Us  sont  encore  là  pour 
approuver  ou  critiquer  son  œuvre.  Quelques-uns,  les  incorrigibles, 
diront  sans  doute  que  toute  vérité  n'est  pas  bonne  à  dire.  Le  général 
du  Barail  n'est  pas  de  cet  avis.  La  première  ligne  de  sa  préface  est  digne 
de  son  grand  caractère  et  est  le  plus  bel  éloge  qu'un  écrivain  puisse 
envier. 

«  Voici  un  livre  admirable  de  sincérité  et  de  bonne  foi,  » 

La  guerre  d'Afrique  devait  atteindre  profondément  Tarmée  dans  son 
esprit,  dans  ses  habitudes  professionnelles.  En  apprenant  les  avance- 
ments rapides  à  raison  de  la  bravoure,  sans  préoccupation  aucune  de 
l'instruction,  les  élèves  de  Saint-Cyr  s'habituaient  à  considérer  l'étude 
comme  une  fastidieuse  et  inutile  corvée.  Si  Ton  obtenait  d'être  envoyé 
en  Afrique,  on  ne  serait  pas  en  peine  pour  montrer  qu'il  n'est  nullement 
besoin  d'instruction  pour  faire  un  vigoureux  et  brillant  officier.  Et  c'est 
ce  que  firent,  eu  effet,  un  grand  nombre  d'élèves  de  l'École  spéciale  mi- 
litaire, qui  devinrent  les  généraux  de  1870.  Dédaigner  toute  instruction 
n'empêchait  nullement  d'être  un  brillant  officier,  et  le  général  ChoUeton 
qui  commandait  Saint-Cyr,  en  1880,  se  prononça  officiellement  dans  ce 
sens  :  «  Sorti  le  dernier  de  ma  promotion  et  toujours  le  plus  puni, 
dit-il  aux  élèves,  cela  ne  m'a  pas  empêché  d'être  général  le  premier  de 
tous  mes  camarades  ».  i 

En  1861,  une  commission,  nommée  par  le  ministre  de  la  guerre, 
avait  nettement  formulé  son  sentiment  au  sujet  de  l'altération  toujours 

(1)  Voir  Hw.  Fr„  juin  1898,  p.  339. 

xxïn  (Juillet  98).  N»  235.  26 


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402  REVUE  FRANÇAISE 

croissante  dans  les  produits  de  TEcole  militaire  de  Saint-Cyr.  Le  rap- 
port conclut  ainsi  :  «  Les  conséquences  de  cet  état  de  choses  sont  mena- 
çantes pour  l'avenir  de  Tarmée  ». 

En  1867,  le  général  Trochu  écrivait  :  «  La  composition  de  Tétat-ma- 
jor  général  français  dépend  le  plus  ordinairement  des  relations  créées 
par  la  fortune  des  situations  ».  Si  la  distribution  de  ravancement, 
«  pierre  angulaire  de  l'édifice  militaire  »,  ajoute  le  colonel  Titeux,  est 
surtout  une  affaire  de  chance,  de  relations,  peut-on  compter  voir  le§ 
élèves  d'une  école  militaire  chercher  à  se  faire  remarquer  par  des  ef- 
forts qui  sont  généralement  sans  influence  sérieuse  sur  leur  carrière? 

Le  général  Hanrion  eut  le  commandement  de  TÉcole  de  1871  à  1880. 
11  eut  pour  successeur  le  général  Cholleton.  Le  passage  du  général  Haii- 
rion  fut  marqué,  en  1873,  par  une  réforme  vainement  réclamée  depuis 
trente  ans.  Les  cours  de  première  année,  au  lieu  d'être  une  répétition 
de  ceux  du  lycée,  devinrent  professionnels.  Cours  élémentaires  pour 
la  premiëre  année,  cours  supérieurs  pour  la  seconde  année.  En  1877, 
le  cours  d'art  et  d'histoire  militaire  comprit,  pour  les  examens  de  sor- 
tie, l'établissement  d'un  méiboire  sur  l'ensemble  du  cours,  permettant 
d'apprécier  les  connaissances  générale  de  l'élève.  En  1879,  le  général 
Trochu,  en  rendant  hommage  au  progrès  considérable  dû  à  la  réorga- 
nisation de  l'enseignement  par  le  général  Hanrion,  n'hésitait  pas  à  dé- 
clarer que  Saint-Cyr  était  un  mauvais  instrument,  qu'il  n'est  pas  d'en- 
seignement possible  pour  un  professeur  qui  s'adresse  en  même  temps 
â  plusieurs  centaines  d'élèves  ;  qu'un  tel  mode  d'enseignement  à  la  vo- 
lée ne  peut  offrir  aucune  solidité.  Le  4  février  1880  Je  général  Haurion, 
ûuque!  l'Ecole  de  Saint-Cyr  devait  sa  renaissance,  fut  brusquement 
relevé  de  son  commandement;  le  prétexte  de  sa  disgrâce  fut  que  l'esprit 
de  l'Ecole  était  trop  clérical.  Le  général  avait  précisé,  dans  Tinstruc- 
tion  sur  le  senice  intérieur,  le  nMe  et  le  devoir  des  élèves  dans  les  réu- 
nions pour  la  chapelle.  Il  ne  faisait  que  réglementer  ce  qui  se  prati- 
quait à  l'Ecole  depuis  sa  fondation.  De  1803  à  1880  la  messe  fut  de  ri- 
gueur à  Saint-Cyr,  et  c'est  Napoléon  qui  la  rendit  obligatoire  alors 
qu'il  était  encore  premier  consul. 

Le  général  Cholleton,  dans  son  ordre  du  jour  de  prise  de  possession 
du  commandement,  invite  les  professeurs  et  les  officiers  à  l'aider  pour 
que  l'Ecole  soit  uniquement  nationale  et  spécialement  militaire.  Le  colo- 
nel Titeux  dit  que  l'on  s'est  demandé  ce  que  cela  pouvait  bien  signifier. 


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L'ÉCOLE  MIUTAIRE  DE  SAL\T-CYH  403 

car  Saint-Cyr  est  une  école  française  qui  ne  forme  pas  d'officiers  sur 
commande  pour  l'étranger;  elle  est  spécialement  militaire  puisque  tous 
les  jeunes  gens  qui  sortent  sont  voués  à  la  profession  des  armes.  Le  nou- 
veau commandant  ne  parla  pas  de  travail  cette  fois,  mais  visitant  peu 
après  une  étude  d'anciens,  il  déclara  qu'il  ne  se  montrerait  pas  exigeant; 
au  sujet  des  matières  enseignées  à  l'école,  qu'il  n'y  attachait  pas  d'im- 
portance, qu'il  importait  surtout  d'avoir  des  qualités  militaires.  Il  sup- 
primâtes moyennes  qui  avaient  réglé  l'obtention  des  sorties.  Les  élèves, 
déjà  enclins  à  la  paresse,  accueillirent  ce  régime  nouveau  par  le  cri  : 
a  Conspuez  la  Pompe!  »  La  Pompe ^  comme  l'explique  l'auteur  dans  partie 
des  Annexes  qui  contient  Y  Argot  à  Saint-Cyr  (vocabulaire  ancien  et  mo- 
derne), est  synonyme  dés  cours  d'instruction  générale,en  opposition  avec 
le  mi/t,  synonyme  d'instruction  militaire. 

La  messe  devint  facultative,  et  le  piquet  qui  rendait  les  honneurs  dans 
le  chœur  fut  supprimé. 

Cettr  satisfaction  à  donner  à  l'esprit  antireligieux  qui  dominait  dans 
les  pouvoirs  publics  avait  été  le  véritable  motif  du  remplacement  du 
général  Hanrion.  Le  général  Deffis,  la  même  année,  remplaça  le  général 
Cholleton. 

En  1886,  le  commandement  passa  au  général  Tramond,  bien  connu 
par  ses  études  sur  le  fusil  actuellement  en  usage  dans  l'armée.  Cette 
même  année,  un  décret  modifia  l'organisation  delaseciiou  de  cavalerie. 

C'est  en  1863  que  le  maréchal  Saint- Arnaud  avait  repris  l'organisa- 
tion de  l'École  en  établissant  à  Saint-Cyr  une  section  de  cavalerie  à  la- 
quelle les  jeunes  gens  se  destinant  à  cette  arme ,  étaient  reçus  après  un 
examen  portant  exclusivement  sur  leur  talent  en  équitation.  Le  géné- 
ral du  Barail  croit  que  c'est  une  erreur,  que  cela  constitue  un  privilège 
pour  les  jeunes  gens  qui,  sans  grande  vocation  militaire,  ont  pu  appren- 
dre dès  l'enfance  à  monter  à  cheval.  Il  proposerait  qu'on  dédoublât 
Saint-Cyr  et  que  l'on  reformât  une  École  spéciale  de  cavalerie  comme 
celle  instituée  à  Saint-Germain  en  1809. 

En  1886,  le  ministre  de  la  guerre  exposa  que  le  système  pratiqué 
éoartait  de  la  cavalerie  les  ^lèves  qui,  n'ayant  pas  eu  le  temps  de  se 
préparer,  peuvent  néanmoins  avoir  des  aptitude  et  une  instruction  gé- 
nérale. Le  décret  fit  en  sorte  que  la  sélection  ne  fût  opérée  que  lorsque 
les  leçons  d'équitation  auraient  pu  replacer  tous  les  élèves  dans  des  con- 
ditions à  peu  près  égales. 


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404  HEVUE  FRANÇAISE 

Sur  la  demande  du  général  Tramond,  à  parlir  de  1887,  les  élèves 
furent,  chaque  année,  conduits  au  camp  de  Châlons.  Une  caisse  d'as- 
^^  sociation  mutuelle  de  prévoyance  fut  créée  entre  les  élèves  le  26  no- 

Ç  vembre  1887. 

K  On  reconnaît  universellement  que  notre  seule  École  spéciale  militaire 

c  est  trop  nombreuse  pour  un  bon  enseignement   et  que  rinstructioo 

p  gagnerait  à  être  donnée  dans  plusieurs  établissements.  L'augmentation 

j.  '  rapide  des  promotions  rend  cette  réforme  tout  à  fait  urgente.  Après 

?  1870,  l'effectif  s'était  maintenu  longtemps  entre  350  à  400  élèves  par 

i':  division.  Toute  l'École  ne  comptait  en  1882  que  613  élèves;  en  1883, 

^  740  ;  bientôt  après,  800. 

^  En  1894,  950  élèves.  En  1895,  1.150.  Il  est  vraisemblable  que  le 

1}  nombre  ne  descendra  pas  au-dessous  de  1 .100. 

f  La  partie  relative  spécialement  à  la  vie  des  élèves  de  TÉcole,  à  leurs 

;  souvenirs  et  à  leurs  traditions,  se  termine  par  une  série  de  chants  qui 

traduisent  les  tourments  et  les  espérances  de  cette  jeunesse  parfois  tur- 
l  bulente,  mais  toujours  animée  du  souffle  patriotique  le  plus  ardent. 

La  Muse  de  Saint-Cyr  contient  tous  ces  essais  poétiques,  autant  de 
refrains  qu'ont  chantés  à  l'unisson  tous  ceux  qui  se  sont  voués  depuis 
un  siècle  à  la  carrière  des  armes,  et  que  les  vieux  aiment  à  redire  pour 
évoquer  1  âge  où  la  gloire  à  conquérir  était  leur  rêve  quotidien. 

Le  colonel  Titeux  pouvait  terminer  son  ouvrage  à  celte  place.  Nous 
venons  de  feuilleter  676  pages,  avec  107  reproductions  en  couleurs, 
264  gravures  et  26  plans.  C'était  déjà  un  véritable  monument.  Des- 
criptions, anecdotes,  documents  officiels,  citations  empruntées  aux  géné- 
raux les  plus  illustres,  appréciations  des  programmes,  études  eoqscien- 
cieuses  des  costumes  et  des  équipements  à  toutes  les  époques.  Ce  la- 
beur est  immense,  et  bien  d'autres  auraient  limité  là  leur  tâche.  M.  Ti- 
teux a  pensé  qu'il  devait  plus  à  son  pays.  Il  appartient  à  cette  génération 
qui  a  vu  disparaître  les  restes  de  notre  dernière  grande  armée,  celle  de 
Crimée.  Il  quittait  l'École  de  Saint-Cyr  en  18o9,  l'aimée  même  où  nos 
succès  en  Italie  avaient  aveuglé  le  gouvernement  de  l'Empire  sur  notre 
véritable  état  militaire.  Il  est  de  ceux  qui  ont  vu  s'effondrer  la  puissance 
de  la  France  .en  ayant  la  parfaite  connaissance  des  fautes  cemmises,  et 
il  éprouve  la  douleur  de  constater  que  depuis  28  ans,  on  n'a  pas  fait  ce 
qu'on  devait  pour  éviter  de  nouvelles  humiliations.  Au  lieu  de  propo- 
ser tout  d'une  pièce  un  plan  de  réformes,  il  a  cru  qu'il  atteindrait  plus 


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L'ÉCOLE  MILITAIRE  DE  SAINT-CYR  m\ 

sûrement  son  but  en  faisant  passer  sous  les  yeux  des  vrais  patriotes  le 
tableau  de  ce  qui  s'est  fait  en  Allemagne  depuis  un  siècle  ;  quMls  y  ver- 
raient avec  la  formation  de  l'armée  prussienne,  le  système  d'éducation 
militaire  du  corps  d'officiers  et  le  recrutement  du  haut  commandement. 
En  face  de  ce  tableau,  il  a  placé  le  système  pratiqué  en  France,  puis  il 
conclut.  En  Allemagne,  tout  est  donné  au  mérite,  à  la  science  prouvée. 
Eu  France,  c'est  la  chance  et  la  faveur  qui  priment  tout.  Les  résultais 
des  deux  systèmes  sont  connus  depuis  1870.  A  dater  de  nos  désastres, 
les  deux  peuples  ont  continué  dans  les  mêmes  errements.  Qu'advien- 
drait-il si  les  deux  nations  venaient  de  nouveau  à  se  trouver  aux  prises? 

Plaise  à  Dieu  que  cet  avertissement  du  colonel  Titeux  s'adressant  à 
l'opinion,  reçoive  ua  meilleur  accueil  que  celui  fait  à  la  fin  du  second  Em- 
pire aux  célèbres  et  véridiques  rapports  du  colonel  Stoffel!  Tout  espoir 
n'est  pas  perdu,  quand  on  voit  un  ancien  ministre  de  la  Guerre,  de  la 
valeur  du  général  du  Barail  prendre  sous  son  haut  patronage  le  livre 
que  nous  venons  d'analyser  rapidement.  Sa  préface  tout  entière  devrait 
être  reproduite.  Nous  nous  bornerons  à  présenter  aux  lecteurs  de  la 
Revue  Française  le  résumé  qu'il  fait  lui-même  du  chapitre  qui  concerne 
loi^^anisation  de  l'enseignement  militaire  en  Prusse. 

«  Le  chapitre  le  plus  intéressant  et  le  plus  important  peut-être  du  très 
remarquable  ouvrage  du  colonel  Titeux,  celui  qui  en  est  pour  ainsi  din»- 
le  couronnement  superbe  et  qui  appelle  les  plus  graves  méditations,  e^t 
le  chapitre  où  le  colonel,  avec  une  1res  grande  hauteur  de  vues,  déve- 
oppant  les  méthodes  employées  en  Allemagne  pour  le  meilleur  recru- 
tement possible  du  corps  d'officiers,  les  met  en  regard  de  celles  actueil- 
lement  en  usage  en  France  pour  le  même  objet.  La  conclusion  peut  eu 
être  résum('*e  en  deux  mol^  :  Comparer;  ei  jugez. 

C'est  rhistoire  la  plus  exacte  des  agrandissements  successifs  de  la 
Prusse  depuis  l'époque  où,  vassale  de  la  Pologne,  elle  ne  comptait  eu 
Enroi)e  que  par  l'excellence  de  son  armée,  dispro|>oi:tioimée  avec  h* 
chiffre  de  sa  population,  jusqu'au  moment  où,  toujours  grâce  à  son  ar- 
mée, elle  devint  une  des  plus  puissantes  nations  du  monde. 

C'est  donc  son  armée  qu'il  faut  étudier  dans  ses  moindres  détails,  et 
c'est  ce  qu'a  fait  le  colonel  Titeux,  avec  le  plus  grand  talent  et  la  plus 
grande  précision.  Il  montre  comment  cette  armée,  préparée  de  longue 
main,  s'est  formée  laborieusement,  sûrement,  avec  une  immuable  cons- 
ance,  pour  en  arriver  au  point  où  elle  est  parvenue  aujourd'hui. 


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i06  REVUE  FRANÇAISE 

Sans  aucun  doute,  les  événements  ont  laidement  contribué  au  déve- 
loppement rapide  et  extraordinaire  de  la  Prusse.  Mais  c'est  l'honneur 
de  ses  hommes  d'État  et  de  ses  grands  patriotes  d'avoir  su  profiter  de 
toutes  les  circonstances,  même  des  plus  critiques,  même  de  l'effondre- 
ment du  pays  en  1806,  pour  faire  naître  dans  le  cœur  de  tous  un  ardent 
désir  d'indépendance,  et,  dans  ce  sentiment  si  élevé  e(  si  noble,  d'avoir 
su  militariser  toute  la  nation.  11  n'est,  en  effet,  possible  d'avoir  une 
grande  et  puissante  armée,  que  si  le  i)euple  tout  entier  est  fortement 
imbu  de  l'esprit  militaire,  s'il  se  passionne  iK)ur  tout  ce  qui  regainie  l'ar- 
m('e,  et  si  les  classes  supérieures  se  portent  vers  la  carrièin?  des  ariTies. 
qui  doit  être  la  profession  la  plus  honorée  et  la  plus  considérée. 

Depuis  la  création  de  Tannée  permanente  en  Prusse,  chaque  prince 
de  la  maison  de  Hohenzollern,  en  montant  sur  le  trône,  a  apporté  sa 
pieiTe  à  l'édifice  militaire;  mais  le  véritable  réformateur  de  l'armée,  qui 
aujourd'hui  sert  de  modèle  à  toute  l'armée  allemande,  c'est  l'empereur 
Guillaume  P**,  avec  la  puissante  collaboration  du  prince  de  Bismarck. 
Eclairé  par  les  événements  de  1848  et  de  1830,  il  se  rendit  parfaitement 
compte  des  vices  d'une  organisation  qui  datait  encore  de  1815  et  qui 
avait  produit  une  année  lourde,  pesante,  se  mobilisant  lentement  et  dif- 
ficilement, n  s'appliqua  à  y  remédier,  et,  en  lui  donnant  une  plus  grande 
puissance  offensive,  à  faire  une  armée  vive,  alerte  et  toujours  prête  à 
entrer  en  campagne. 

Déjà  depuis  longtemps,  FtUat-major  prussien  passait  pour  le  plus  ins- 
truit de  l'Europe  ;  et,  un  fait  bien  digne  de  remarque  et  de  profondes 
réflexions,  c'est  qu'au  sein  d'une  paix  profonde,  des  officiers  formés  dans 
les  écoles  de  guerre  et  à  l'Académie  de  Berlin,  aient  pu  acquérir,  sans 
autre  préparation  que  leurs  études,  la  science  nécessaire  pour  conduire 
des  armées  dans  de  grandes  guerres,  avec  une  rapidité,  une  décision  et 
des  succès  dont  on  ne  trouve  d'exemples  que  sous  Napoléon. 

La  Prusse  s'est  attachée  à  former  un  corps  d'officiers  ])arfaitement  ho- 
mogène. —  Deux  principes  dominent  cette  question  si  imiK)rtanle  de  la 
constitution  des  cadres  :  la  communauté  d'origine  pour  tous  les  officiers 
sans  exception,  et  l'avancement  à  l'ancienneté,  qui  est  même,  autant 
que  possible,  respecté  en  campagne,  où  Ton  réserve  les  distinctions  ho- 
norifiques pour  les  officiers  qui  se  distinguent  par  quelque  trait  de  bra- 
voure ou  quelque  action  d'éclat. 

Nul  ne  peut  être  officier  s'il  ne  sort  d'une  des  onze  écolas  de  guerre 


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L'ÉCOLE  MILITAIRE  DE  SAINT^CYH  W 

existant  aujourd'hui  en  Allemagne,  et  s'il  n'a  subi  avec  succès  l'exanien 
de  sortie,  dit  examen  d'officier.  —  Dans  ces  onze  écoles  de  guerre,  Tins- 
traction  est  identique;  elle  est  la  même  pour  tous  les  officiers  deFarmée. 
Le  nombre  des  élèves  est  réglé  de  telle  sorte  qu'un  professeur  n'en  ait 
jamais  plus  de  vingt-cinq  à  instruire.  —  En  sortant  de  l'Ecole  de  guerre, 
qu'il  ne  fimt  pa^s  confondre  avec  l'Académie  de  Berlin  réservée  à  l'en- 
seignement supérieur  des  officiers  du  grand  étal-major  et  où  les  cours 
ont  une  durée  de  trois  ans,  en  sortant,  dis-je,  de  l'Écoh*  de  gueri-e,  les 
officiers. qui  se  destinent  aux  armes  spéciales,  vont  passer  deux  ans  dans 
une  école  d'application  et  sont  classés  dans  l'artillerie  ou  le  génie,  s'ils 
ont  répondu  avec  succès  aux  examens  de  sortit?.  Dans  le  cas  contraire, 
ils  rentrent  avec  leur  gi^ade  dans  l'infanterie. 

Nul  n'est  admis  à  concourir  pour  l'Ecole  de  guerre,  s'il  n'est  passé  par 
une  école  de  cadets,  ou  s'il  n'a  été  accepté  dans  un  régiment  avec  le  titre 
d'Avantageur.  Le  souî^olTiciér  provenant  du  rang  ne  peut  aspirer  à 
Tépaulette.  Le  Cadet  et  l'Avantageur  sont  admis  exactement  dans  les 
mêmes  conditions  aux  examens  de  l'Ecole  de  guerre,  après  avoir  égale- 
ment exercé  pendant  six  mois  les  diverses  fonctions  d'  «  ap}7ointé  »,  de 
caporal  et  de  sous-oflîcier.  L'égalité  en  tout  est  donc  absolue,  et  le  mé- 
rite et  l'instruction  seuls  décident  du  sort  des  jeunes  gens. 

L'avancement  à  l'ancienneté  est  la  porte  hermétiquement  fermée  à  la 
plaie  mortelle  du  favoritisme.  Elle  empêche  la  masse  des  officiers  de  pré- 
tendre aux  hauts  grades  de  l'armée,  réservés,  en  dehors  des  princes  des 
maisons  souveraines,  aux  officiers  dont  la  haute  valeur  intellçctuelle,  le 
mérite  transcendant  et  la  science  étendue,  ont  été  maintes  et  maintes 
fois  passés  au  crible  et  indiscutablement  constatés. 

Un  très  grand  nombre  d'officiers  ne  dépassent  pas  le  grade  de  major 
et  se  retirent  satisfaits  de  leur  sort,  parce  qu'ils  trouvent  une  suffisante 
compensation  dans  la  grande  considération  dont  ils  jouissent  et  dans  les 
avantages  qui  leur  sont  accordés.  —  C'est  ainsi  qu'une  nation  jalouse  de 
son  indépendance  et  de  sa  sécurité,  honore  et  respecte  les  hommes  qui 
lui  en  garantissent  le  mieux  la  conservation. 

Comparons  donc  la  simplicité  et  l'uniformité  des  méthodes  d'ensei- 
gnement militaire  en  usage  en  Prusse,  avec  le  système  compliqué  adopt('* 
enFranceet  impuissante  donner  cette  homogénéité  et  cette  solidarité  du 
corps  d'officiers,  considérées  à  juste  titre  comme  un  des  principaux  élé- 
ments deforcede  l'armée  I 


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408  REVUE  FRANÇAISE 

Les  écoles  militaires  allemandes  comprennent  quatre  grandes  classes 
bien  distinctes  : 

1®  Les  écoles  de  Cadets,  au  nombre  de  dix,  dont  une  supérieure, 
sorte  d'école  préparatoire  où  les  jeunes  gens  se  destinant  à  l'étal  mili- 
taire acquièrent  Tinstniction  nécessaire  pour  ôtre  admis  aux  écoles  d  of- 
ficiers, dites  écoles  de  guerre,  et  dont  sont  seuls  dispensés  les  «  Avanta- 
geurs  »  possédant  déjà  cette  instruction  indispensable. 

2**  Les  écoles  de  guerre,  au  nombre  de  onze,  dont,  sans  aucune  excep- 
tion, sortent  tous  les  officiers  de  l'armée,  qui  y  reçoivent  une  instruction 
absolument  semblable. 

3®  L'école  spéciale  de  Charlottenbourg,  où  les  officiers  se  destinant  à 
l'artillerie  ou  au  génie  vont  suivre  un  cours  de  deux  ans. 

4°  L'Académie  de  guerre  de  Berlin,  qui  est  le  couronnement  de  cette 
remarquable  organisation  d'instruction  et  d'éducation  militaires.  Les 
cours  y  ont  une  durée  de  trois  ans.  Le  but  de  l'institution  est  de  former 
et  de  diriger  dans  les  branches  les  plus  élevées  des  sciences  militaires, 
un  certain  nombre  d'officiers  de  choix,  d'une  haute  culture  intellectuelle 
et  possédant  déjà  l'instruction  nécessaire  et  l'application  désirable  pour 
tirer  un  grand  profit  de  cet  enseignement  supérieur. 

Le  colonel  Titeux  dit  excellemment  bien  :  «  Avec  un  pareil  système, 
le  corps  d'officiers  prussien  forme  un  tout  homogène,  compact,  où  le 
particularisme  d'arme  est  tout  à  fait  inconnu.  Commun  enseignement, 
communs  principes,  commun  esprit  cimenté  par  la  camaraderie  sco- 
laire. » 

Voyons  donc  si  l'éducation  militaire,  telle  qu'elle  est  répartie  en 
France,  est  susceptible  de  donner  les  mômes  résultats.  —  11  est  d'abord 
un  fait  indiscutable,  c'est  que  sous  le  rapport  des  établissements  d'ins- 
truction nous  sommes  infiniment  moins  bien  dotés  que  l'Allemagne. 

En  vérité,  quelles  sont  donc  nos  écoles  militaires?  Me  faut-il  d'abord 
citer  notre  première,  notre  savante  école,  l'Ecole  polytechnique?  L'ins- 
truction que  les  jeunes  gens  y  acquièrent,  sous  l'enseignement  des  plus 
grands  savants  de  France,  est  au-dessus  de  toute  critique,  c'est  certain; 
mais  malgré  le  titre  qu'elle  porte,  est-elle  bien  une  véritable  école  mili- 
taire? Est-ce  bien  une  école  militaire  celle  où  notoirement  règne  un  es- 
prit antimilitaire  encouragé  par  les  professeurs  eux-mêmes,  dit-on,  où 
les  services  de  l'armée  prerment  rang  après  les  emplois  dans  les  tabacs 
ou  la  téléphonie,  où  les  candidats  n  entrent  qu'avec  le  ferme  désir  d'en 


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L'ÉCOLE  MILITAIRE  DE  SAINT-CYR  409 

sortir  dans  les  services  civils,  où  enfin  les  officiers  d'artillerie  et  du  génie 
sont,  en  général,  classés  dans  les  deux  derniers  tiers  de  la  promotion. 

Faut-il  donc  tant  de  sciences  mathématiques  pour  tirer  le  canon  sur 
un  champ  de  bataille,  ou  faire  un  bon  service  de  sapeur  ou  de  mineur? 
Sous  l'Empire,  les  grands  généraux  de  ces  armes  savantes,  les  Eblé,  les 
Haxo,  les  Lariboisière,  les  Chasseloup-Laubat  ne  sortaient  pas  de  l'Ecole 
polytechnique  et  ne  s'en  sont  pas  moins  acquis  im  grand  renom. 

J'aimerais  mieux,  je  l'avoue,  peut-être  un  peu  moins  de  science,  et 
des  carctères  plus  façonnés  à  la  discipline  et  à  la  subordination,  et  une 
vocation  plus  décidée. 

Notre  seule  école  purement  militaire  est  l'Ecole  de  Saint-Cyr;  mais 
elle  est  bien  nombreuse,  et  il  est  difficile  d'admettre  qu'un  professeur 
qui  s'adresse  à  trois  ou  quatre  cents  auditeurs,  dont  trop  souvent  l'esprit 
est  parti  ailleurs  et  l'attention  distmite,  soit  éxîoutépar  tous,  et  son  cours 
fructueusement  suivi. 

En  Allemagne,  on  pousse  le  souci  de  l'instruction  et  le  scrupule  jus- 
qu'à diviser  en  trois  ou  quatre  groupes  de  même  valeur  un  auditoire  de 
vingt-cinq  élèves,  afin  que  les  plus  intelligents  et  les  plus  capablas  ne 
soient  pas  retardés  dans  leurs  études  par  des  camarades  moins  bien  par- 
tagés. 

Beaucoup  de  bons  e.sprits  pensent  que  l'instruction  générale  de  lar- 
mée  gagnerait  beaucoup  à  multiplier  le  nombre  des  écoles  militaires,  en 
attribuant  chacune  d'elles  au  recrutement  d'un  certain  nombre  de  corps 
d'armée. 

Après  Saint-Cyr,  il  n'y  a  plus  que  des  écoles  de  sous-officiers,  d'une 
création  relativement  récente  :  Saumur,  pour  la  cavalerie;  Saint-Maixent, 
pour  l'infanterie  :  Versailles  pour  l'artillerie  et  le  génie.  Sans  doute,  ces 
créations  sont  un  progrès  sur  ce  qui  existait  autrefois,  puisque  c'était  le 
néant  ;  mais  que  d'observations  il  y  aurait  à  faire  encore  !  D'abord,  il 
est  évident  que  des  officiers  de  provenances  aussi  différentes  ne  peuvent 
pas  former  un  bloc  aussi  uni,  aussi  compact,  aussi  homogène  que  celui 
qui  est  la  conséquence  d'une  communauté  absolue  d'origine,  d'instruc- 
tion et  de  sentiments,  comme  cela  a  lieu  en  Allemagne.  Et  puis,  c'est 
entretenir  sinon  la  rivalité  entre  les  différentes  armes,  du  moins  leur 
particularisme. 

Ce  sont  toutes  ces  questions  vitales  pour  l'armée  que  le  colonel  Titeux 
traite  magistralement  dans  son  magnifique  ouvrage,  dont  je  ne  puis  que 


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410  REVUE  FRANÇAISE 

recommauder  la  lecture  attentive  à  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'avenir 
de  la  France,  si  intimement  lié  à  Texistence  de  son  armée,  i 

Le  général  du  Barail,  qui  a  écrit  les  passages  que  nous  venons  de  citer, 
a,  comme  c'était  son  rôle,  envisagé  spécialement  le  point  de  \ue  mili- 
taire dans  l'œuvre  du  colonel  Titeux;  il  a  laissé  aux  lecteurs  la  surprise 
de  découvrir  chez  lui,  outre  les  talents  de  l'artiste,  ceux  d'un  puissant 
écrivain.  Les  dernières  pages  de  ses  conclusions  ont  une  chaleur  corn- 
munîcative,  une  allure  magistrale.  U  adjure  tous  les  patriotes  de  songer 
au  duel  final  où  l'une  des  deux  nations  rivales  aura  le  sort  deCarthage.Il 
fait  appel  à  l'union  de  toutes  les  intelligences  et  de  tous  les  cœurs  pour 
le  salut  de  la  patrie. 

<ï  Réclamons  donc  instamment,  dit-il,  pour  l'armée,  la  justice  qui  ren- 
dra la  France  invincible.  Apprenons  à  ces  belles  générations  de  jeunes 
gens  dont  Saint-Cyr  fait  des  officiers,  qu'il  n'y  a  pas  d'autre  grande^ir 
que  celle  du  devoir  accompli,  ni  d'honneurs  enviables  que  ceux  qu'on 
a  vraiment  mérités,  ni  d'autre  droit  à  lavancement  que  dans  la  supé- 
riorité du  mérite  par  le  travail,  l'instruction,  l'intelligence  et  l'abn^- 
tion.  Inspirons  à  cette  fière  jeunesse  l'horreur  de  ce  débrouillage  qui 
mène  si  facilement  à  l'égoïsme,  au  mensonge,  à  l'oubli  de  la  \Taie  cama- 
raderie ;  et  hâtons,  de  toutes  nos  forces,  le  moment  où  notre  chère  patrie, 
retrempée  dans  la  vérité  et  la  justice,  reprendra  sa  marche  radieusedans 
le  monde,  à  la  tête  des  nations.  » 

Ed.  M. 


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FLOTTES  ESPAGNOLE  ET  AMERICAINE"' 

III 

NOUVEAUX   NAVIRES 

I 

Au  moment  où  les  hostilités  semblèrent  inévitables  avec  TEspagne, 
le  gouvernement  des  États-Unis  chercha  à  acheter  de  tous  cotés  les 
navires  de  guerre  que  les  autres  nations  auraient  à  lui  vendre.  Il  en 
trouva  peu  et  ce  fut  le  Brésil  qui  lui  céda  les  meilleurs.  Ce  furent  les 
croiseurs  :  Almirante  Abreu,  AmazonaSj  Nichteroy^  Topeka  et  les  torpil- 
leurs Somers  et  Manley. 

LAbreu  (devenu  YAlbany)  est  encore  sur  chantiers  à  Newcastle  et  le 
Somers  n'ayant  pu  quitter  l'Angleterre  par  suite  d'avaries,  a  été  dé-  . 
sarmé  ;  ces  deux  bâtiments  ne  comptent  donc  pas. 

VAmazonas  que  les  Américains  ont  baptisé  New-Orléans  a  été  cons- 
truit à  Elswick  (Angleterre).  Lancé  le  4  déc.  1896,  il  achevait  son 
armement  au  début  des  hostilités.  D'un  déplacement  de  34S0  t.,  il  file 
de  20  à  22  n.  Son  armement  consiste  en  4  canons  de  1 S  c,  4  de  12, 
10  de  57  mm.  10  plus  petits,  tous  à  tir  rapide,  10  mitrailleuses  Maxim 
et  3  tubes  lance-torpilles.  Le  Neio-Orléans  fait  partie  de  Tescadre  de 
Tamiral  Sampson. 

Le  Nichteroy,  appelé  par  les  Brésiliens  El  Cid  et  baptisé  Buffalo  par 
les  Américains,  avait  été  acheté  aux  Etats-Unis  par  le  Brésil  pendant 
la  guerre  civile  de  1894.  C'est  un  ancien  paquebot  de  oOOO  t.  qui  avait 
été  armé  d'artillerie  légère  et  possédait  2  canons  pneumatiques  à  la 
dynamite. 

Le  Topeka.  ex-Diogenes,.  a  porté  plus  d'un  pavillon.  Construit  en 
Allemagne  pour  le  Pérou,  au  moment  de  la  guerre  du  Chili,  et  non 
livré,  puis  revendu  au  Japon  lors  de  la  guerre  de  Chine  et  non  livré,  il 
était  resté  en  Angleterre  où  les  États-Unis  en  ont  pris  cette  fois  livraison- 
D'un  déplacement  de  1 800  t.  et  d'une  vitesse  de  16  n.,  ce  croiseur  est 
armé  de  6  canons  de  12  c.  et  de  10  de  petit  calibre. 

Si  les  Américains  n'ont  que  peu  renforctî  leur  flotte  par  des  acquisi- 
tions de  la  dernière  heure,  ils  ont  par  contre  en  chantiers  ou  en  achè- 
vement, un  nombre  très  important  de  navires  de  guerre.  Parmi  ceux-ci 

(1)  Voir  Rev.  Fr.  mai,  juin  1898,  p.  291,  347. 


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M2  REVUE  FRANÇAISE 

se  trouvent  S  cuirassés  :  Kearsage,  Kmiuckyy  Alabama,  lUirm, 
Wisconsin, 

Les  deux  premiers,  dont  nous  avons  donné  la  description  dans  le 
précédent  n*»  (p.  352),  ont  été  lancés  à  Newport,  le  ti  mars  1898.  On 
travaille  à  leur  achèvement  avec  la  plus  grande  rapidité  et  ils  doivent 
être  prêts  à  la  fin  de  Tannée. 

VAlabama,  mis  sur  chantiers  à  Philadelphie  à  la  fin  de  1896,  a  été 
lancé  le  18  mai  dernier.  D'un  déplacement  de  H  S25  t.  il  doit  don- 
ner 10000  chx  et  filer  16  n.    Son  artillerie    comporte  4  pièces  de 

32  c.  en  tourelles  par  2,  14  de  15  c,  16  de  57  mm.,  4  de  3"  mm., 

4  mitrailleuses  et  4  lubes  lance-torpilles.  L Illinois  et  le  Wisœnsin,  de 
même  type,  ont  été  commandés  en  1897  et  soLt  encore  sur  chantiere,  le 
dernier  à  San-Francisco. 

Au  moment  de  la  déclaration  de  guerre,  les  Américains  n'avaienl 
point  de  croiseurs  en  construction.  Comme  contre-torpilleurs,  3  seule- 
ment, se  trouvaient  sur  chantiers,  ainsi  que  quelques  torpilleurs. 

Le  contre-torpilleur  Bailey^  type  du  genre,  a  été  mis  en  construction 
au  commencement  de  cette  année.  D'une  longueur  de  61  m.  d*un  tirant 
d*eau  moyen  de  2  m.  45,  il  déplacera  265  t.  Ses  deux  machines  action- 
nant 2  hélices  doivent  développer  5.600  chev.  et  donner  une  vitesse  de 

33  n.  aux  essais  et  de  30  n.  en  service.  Le  rayon  d'action  sera  de 
3.000  milles  à  la  vitesse  économique  de  14  à  15  n.  L'armement  com- 
prend 4  canons  de  57  "/"  à  tir  rapide  et  3  tubes  lance-torpilles.  Le  bâ- 
timent doit  être  prêt  à  la  fin  de  Tannée. 

Deux  autres  contue-torpilleurs  semblables  Stringham  et  Goldsborcmg 
sont  en  construction  à  Wilmington,  et  à  Seattle  (Pacifique). 

Ces  contre-torpilleurs  inachevés  étaient,  avec  18  torpilleurs,  les  seuls 
que  possédât  la  flotte  américaine.  Avant  Touvertiuv  des  hostilités  le 
gouvernement  avait  déjà  décidé  la  construction  de  6  contre-torpilleurs 
de  350  t.  et  6  contre-torpilleurs  de  150  t.  à  marche  très  rapide.  En 
même  temps  devaient  être  construits  3  cuirassés  de  11.000  t.  dont  un 
prendra  le  nom  de  Maine.  La  guerre  une  fois  commencée  on  s'aper- 
çut vite  de  la  faiblesse  de  la  flotte  en  petits  bâtiments  en  présence  des 
contre-torpilleurs  de  28  et  30  n.  dont  disposait  la  flotte  espagnole. 

Le  gouvernement  commanda  aussitôt  30  contre-torpilleurs  de  330  t. 
et  30  n.  et  70  torpilleurs  de  100  t.  et  22  n.  à  livrer  dans  le  délai  de 3  à 

5  mois.  Avec  la  merveilleuse  activité  qui  règne  dans  les  chantiers  amé- 


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LES  FLOTTES  ESPAGNOLE  ET  AMÉRICAINE  413 

ricains  et  largenlqui  est  dépensé  presque  sans  compter,  les  États-Unis 
vont  avoir  incessamment  une  remarquable  flottede  petits  navires  rapides 
qui  établiront  autour  de  Cuba  un  blocus  hermétique  et  s'en  empareront 
par  la  famine  s'ils  ne  peuvent  le  faire  de  vive  force. 

En  attendant  Tachèvement  de  cette  flottille,  les  Américains  ont  trans- 
formé en  torpilleurs  un  certain  nombre  de  yachts  qui  ont  reçu  les  noms 
de  Mayflowery  Hornet,  EaglCj  Wctëp,  Accomac,  Scojyion,  Solace,  Salurn. 

Enfin  un  projet  de  loi  a  été  déposé  pour  la  construction  par  les  chan- 
tiers américains  de  S  croiseurs  cuirassés  de  H. 800  t.  revenant  chacun  à 
4  millions  de  dollars  sans  Tarmement;  de  13  canonnières  de  2.000  t. 
revenant  à  650.000  dollars  chacune  ;  de  15  contre-torpilleurs  de  400  t. , 
de  300.000  dollars  chacun  ;  et  de  10  torpilleurs  de  150  t.,  de  200.000 
dollars  chacun.  En  outre,  il  est  question  de  construire  4  et  peut-être 
6  monitors  de  2.500  t.  à  faible  tirant  d'eau  pouvant  naviguer  dans  des 
canaux  étroits  et  peu  profonds. 

A  en  juger  par  les  efforts  considérables  qu'ils  font,  les  États-Unis  vont 
posséder  d'ici  peu  une  flotte  de  guerre  remarquable  par  le  nombre,  la 
vitesse  et  la  puissance  des  bâtiments,  flotte  qui  viendra  peut-être  au 
2-  rang  des  flottes  du  monde,  et  sera  la  plus  redoutable  après  celle  de 
l'Angleterre.  Ce  sera  le  résultat  le  plus  clair  de  la  guerre  actuelle. 

En  Espagne  la  situation  est  bien  différente.  On  pousse  avec  activité 
les  travaux  d'achèvement  des  navires  à  flots,  mais  une  fois  ceux-ci 
armés,  la  réserve  en  bâtiments  neufs  sera  presque  épuisée.  En  1897,  on 
a  mis  sur  chantiers,  1  cuirassé,  1  croiseur -cuirassé,  5  croiseurs  et  2  con- 
tre-torpilleurs. Mais  on  ne  peut  prévoir  l'époque  d'achèvement  de  ces 
bâtiments.  Quant  à  ceux  en  construction  à  l'étranger  comme  le  Pedro 
d'Aragona  qui  se  trouve  à  Gênes,  il  n'y  a  plus  a  y  compter,  en  raison 
des  lois  de  neutralité.  L'EspagTie  n'a  acheté  aucun  navire  do  guerre 
étranger  avant  l'ouverture  des  hostilités. 

Actuellement  on  achève  l'armement  des  croiseurs-cuirassés  Princessa 
de  Asturias  et  Cardinal  Cisneros,  de  7,000  t.  14.000  ch.  et  20  n.,  lancés, 
le  1^"^  le  17  oct.  1890,  le  2"  le  19  mars  1897.  Ces  croiseurs,  du  type  Vis- 
caya,  ont  un  cuirassement  un  peu  plus  fort  que  ceux  de  l'amiral  Cervera. 
Un  3''  croiseur  du  même  type,  Cataluna  se  trouve  encore  en  chantier  à 
Carthagène.  On  a  mis  en  construction  au  Ferrol,  à  la  place  du  Cisneros. 
le  croiseur  Reina-Regente  de  5.000  t.  6.500  ch.  et  20  n.  A  Cadix,  aussi 
en  1897,  a  été  mis  sur  chantier  le  croiseur  Isabel  la  Calolica,  de  300  t.. 


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414  REVUE  FRANÇAISE 

Les  canonnières-torpilleurs  Dona  Maria  de  Molinay  Marquer  de  la 
Victoriay  Don  Alvaro  de  Bazaru  de  830  t.  et  20  n.,  mises  à  l'eau  au 
Ferrol  en  1896  et  1897,  sont  à  peu  près  en  état  de  prendre  la  mer.  Enfin 
quelques  torpilleurs  sont  en  construction. 

On  voit  que  les  ressources  futures  de  rEspafi:ne,  qui  faisait  construire 
à  l'étranger  une  partie  de  sa  flotte,  sont  assez  réduites.  Aussi,  plus  la 
lutte  se  prolongera  et  plus  TEspagne  se  trouvera  en  état  d'infériorité, 
n'ayant  ni  TactÎTilé,  ni  les  ressources,  ni  surtout  la  force  de  production 
des  Etats-Unis.  Ceux-ci  an  contraire,  trouvent  dans  la  guerre  un  puissant 
levier  qui  les  rend  de  plus  en  plus  redoutables  et  ne  laisse  plus  aucun 
doute  sur  l'issue  de  la  lutte. 

Ceux  qui  suivent  avec  attention  les  péripéties  de  la  guerre,  se  deman- 
dent si  la  marine  espagnole  n'est  pas  frappée  d'une  paralysie  générale. 
Ei^  effet,  depuis  le  désastre  de  Cavité,  ses  navires  sont  d'une  prudeBce^ 
d'une  timidité  vraiment  inconcevables.  Ses  beaux  croiseurs  cuirass<^ 
n'ont  pas  tiré  un  coup  de  canon,  et  ne  savent  même  pas  tirer  parti  de  la 
supériorité  de  leur  marche.  Ses  contre-torpilleurs,  doués  eux  aussi 
d'une  vitesse  remarquable,  bien  supérieure  a  celle  des  navires  amé- 
ricains, restent  tranquillement  au  port,  ne  cherchant  même  pas  à 
accomplir  ces  prouesses  légendaires  qui,  dans  toutes  les  dernières 
guerres,  au  Danube  et  sur  la  mer  Noire,  à  Fou-Tchéou  et  à  Sheïpo  avec 
Courbet,  au  Chili,  à  Weï-Haï-Weï,  ont  illustré  de  hardis  marins.  De  ses 
torpilleurs  ont  n'entend  même  pas  parler.  Quant  à  ces  croiseurs  et  à  ces 
corsaires  qui  devaient  ruiner  par  leurs  prises  le  commerce  américain, 
il  n'en  est  plus  question. 

On  reste  confondu  de  voir  des  marins  aussi  braves,  aussi  aventureux, 
aussi  aguerris  que  les  marins  espagnols,  faire  preuve  d'une  inertie  que 
rien  n'explique.  Tandis  que  les  bâtiments  américains  dé  toute  nature 
battent  les  mers  des  Antilles  et  se  font  assaillants,  avec  une  hardiesse 
que  n'autorise  pas  toujours  leur  armement,  les  navires  espagnols  qui  se 
trouvent  dans  ces  parages  se  renferment  dans  une  stricte  défensive,  et 
ne  tirent  un  coup  de  canon  que  lorsqu'ils  sont  attaqués.  Il  faut 
croire  que  cette  attitude  passive  est  imposée  par  des  considérations 
d'ordre  supérieur,  car  rien  dans  le  caractère  espagnol  ne  justifie  une 
pareille  pusillanimité.  Mais  ce  que  l'on  ne  peut  s'expliquer,  c'est  que 
l'on  ne  se  serve  pas  de  ses  atouts  quand  on  en  a  dans  son  jeu. 


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Croiseur  cuirassé  américain  Brooklyn. 


76  "y» 


Longueur  à  la  flottaison.  122"*  27 

Laideur 19^56 

Tirant  d'eau  arrière  .    .  7""  80 

Déplacement 9.375tx. 


Puissance  maxima  .  .  17.134  <h\. 
Vitesse  maxima  ...  21  n,  01 
Approv^ oormal  de  charbon.  .  911  tv. 
Rayon  d'action  à  10  n .  15.000  mil 


Armement. 

8  canons  de  203  mm.  en  4  tourelles. 
12     —     de  127  mm.  tir  r.  en  encorbellements  blindés. 
12     —     de    57  mm.  t.  r. 

4     —     de   37  mm.  t.  r. 

4  mitrailleuses.  —  6  tubes  lance-torpilles. 

La  ceinture  cuirassée  en  acier  harveyé  a  une  épaisseur  de  76  mm. 
Elle  ne  s'étend  que  sur  la  moitié  (59  m)  de  la  longueur  ;  elle  rè^^nv. 
sur  une  hauteur  de  1  m.  20  au-dessus  et  au-dessous  de  la  flottaisoQ.  Lr 
pont  blindé  aune  épaisseur  de  76  mm.  qui  est  doublé  en  certaines  par- 
ties. Le  blindage  des  tourelles  est  de  203  mm.  dans  la  partie  barbel  Le 
et  de  140  pour  le  reste.  La  hauteur  de  comm'îndement  de  ^r< 
pièces  de  chasse  (10  m.)  lui  est  précieuse  pour  pouvoir  se  servir  de  ^i'.a 
canons  par  grosse  mer. 

Mis  en  chantier  en  janvier  1895,  le  Brooklyn  a  été   lancé  le  2  oc- 
tobrel895.  C'est  un  excellent  croiseur  de  combat»  L'étendue  di^  <f>ii 
rayon  d'action  lui  permet  d'aller  facilement  de  New- York  à  San-Ki'îui 
cisco  sans  faire  de  charbon. 


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Croiseur  cuirasse  espagnol  Emperadiyr  Carlos  V, 


Longueur  entre  perp*^**' . .  liS»"82  Puissance  maxima  .   .  18.500ehx. 

Largeur 20"  42  Vitesse  maxima  ...  21  n. 

Tirant  d'eau  arrière  .    .    .       8  ni.  Approv^  oornal  de  charbon .    .  l.TOOtx. 

Déplacement 9.089  tx.  Rayon  d'action  à  10  n .  la.OOOiil. 

Armement. 

2  canons  Hontoria  de  28  c.  en  2  tourelles. 
10     —         —        de  14  c.  tir  rap. 
4     —         —        de  10  c.  t.  r. 
4     —      de  57  mm.  t.  r. 
6  mitrailleuses.  —  6  tubes  lance-torpilles  (torpilles  Schwartzkopff). 

La  ceinture  cuirassée,  qui  n'a  plus  que  très  peu  de  hauteur  à  cha- 
que extrémité,  a  une  épaisseur  de  50  mm.  Le  pont  blindé  a 50 mm. 
Les  tourelles  ont  une  protection  de  254  mm.  dans  la  partie  fixe  et  de 
102    dans  la  partie  mobile. 

Mis  en  construction  à  Cadix  on  1893,  le  Carlos  T  a  été  lancé  le 
12  mars  1895.  Il  a  été  armé  au  Havre  (F.  et  Ch.).  Son  artiUerie  est 
puissante,  mais  par  contre  son  cuirassement  est  faible.  Sa  vitesse  et 
son  rayon  d'action  lui  donnent  une  réelle  valeur.  Il  peut  aller  facile- 
ment de  Cadix  aux  Philippines  sans  faire  de  charbon.  D. 


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L'INSURRECTION  CUBAINE 

La  guerre  civile  qui  depuis  3  années  désole  Tile  de  Cuba  va  changer 
de  caractère  par  suite  de  l'intervention  des  États-Unis.  A  la  guerre  de 
guérillas,  à  la  lutte  de  surprises  et  de  coups  de  main,  succédera  la 
guerre  régulièi'e  avec  ses  batailles  rangées  et  ses  sièges  quand  les  troupes 
américaines  auront  débarqué  en  nombre  à  Cuba.  Mais  il  est  peu 
probable  que  cette  éventualité  se  réalise  d'une  façon  sérieuse  avant 
l'automne,  car  la  saison  des  pluies  paralyserait  toutes  les  opérations. 
Il  faut  excepter  cependant  le  coup  de  force  que  les  Américains  vont 
tenter  d'exécuter  contre  Santiago-de-Cuba. 

LES   PREMIÈRES   INSURRECTIONS. 

La  lutte  soutenue  par  les  Espagnols  contre  les  insurgés,  que  la 
nature  du  pays  bien  plus  que  leur  nombre  rend  insaisissables,  n'est  pas 
la  première  qui  ait  lieu  à  Cuba.  Quand  les  colonies  espagnoles  du  con- 
tinent américain  se  détachèrent  de  la  métropole,  au  commencement  de 
ce  siècle,  et  proclamèrent  successivement  leur  indépendance,  Cuba 
resta  calme.  Mais  bientôt  des  conspirations  et  des  tentatives  insurrec- 
tionnelles se  produisirent,  en  1823,  1826,  1828.  Elles  n'eurent  alors 
qu'un  faible  écho  dans  le  pays,  ne  trouvèrent  pas  de  chefs  capables 
pour  se  mettre  à  leur  tête  et  furent  promptement  étouffées. 

En  1850  et  1851,  des  tentatives  plus  sérieuses  se  produisirent.  Un 
général  espagnol,  Lopez,  gagné  au  parti  des  mécontents,  essaya  de 
soulever  les  Cubains  après  avoir  débarqué  dans  l'île  à  la  tête  d'une 
expédition  de  flibustiers  venant  de  la  Floride  —  car  déjà  les  États- 
Unis  prêtaient  secrètement  aide  et  assistance  à  tous  ceux  qui  avaient 
pour  but  de  combattre  les  Espagnols  à  Cuba.  Battu  et  fait  prisonnier, 
Lopez  fut  exécuté. 

En  1853  et  183i,  nouvelles  et  vaines  conspirations. 

Enfin  la  révolution  espagnole  de  septembre  1868,  qui  renversa  de 
son  trône  la  reine  Isabelle  II,  sembla  une  occasion  propice  aux  mé- 
contents cubains  pour  prendre  les  armes.  Le  10  octobre  1868,  un  sou- 
lèvement éclatait  à  Yara,  dans  la  [)rovince  de  Santiago,  aux  cris  de  : 
^  Vive  Cuba  libre  !  »  Manuel  de  Cespeffes  prenait  la  tête  du  mouve- 
ment avec  147  hommes.  Un  mois  après  les  insurgés  étaient  4.000,  et 
leur  nombre  atteignait  10.000  deux  ans  plus  tard. 

XXIII  (Juillet  98).  N»  235.  27 


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418  REVUE  FRANÇAISE 

Paralysée  par  suite  de  la  révolution»  puis  par  la  guerre  cantonaliste 
et  la  guerre  carliste  qui  absorbèrent  presque  toutes  ses  forces  vives, 
TËspagne  ne  put,  pendant  longtemps,  que  se  tenir  sur  la  défensive  à 
Cuba.  Aussi  les  insurgés  gagnaient-ils  peu  à  peu  du  terrain  et  se  ren- 
daient maîtres  des  villes  de  Bayamo,  Holguin,  Mayari.  En  1874,  Gespedes 
fut  tué  ;  Maximo  Gomez  le  remplaça.  Mais  l'horizon  s'assombrissait  pour 
les  insurgés.  L'Espagne  qui  avait  rétabli  la  monarchie  et  vaincu  Don 
Carlos  portait  maintenant  tous  ses  efforts  sur  Cuba.  Le  maréchal 
Martinez  Çampos,  envoyé  à  Cuba  comme  gouverneur  général,  mit  tout 
en  œuvre  pour  amener  la  pacification  de  Tîle.  La  difiBculté  de  se  pro- 
curer des  armes  et  des  munitions,  la  discorde  qui  régnait  dans  le  camp 
révolutionnaire,  les  défections  qui  se  produisaient  avaient  jeté  le  décou- 
ragement paimi  les  insurgés  cubains.  Martinez  Campos  profita  habile- 
ment de  la  situation  pour  amener  leur  soumission  par  le  convenio  de 
Zanjon  (10  fév.  1878). 

En  vertu  de  ce  pacte,  l'Espagne  s'était  engagée  à  accomplir  des 
réformes.  Cuba  avait  été  jusqu'alors  un  vaste  champ  d'exploitation  et 
une  source  de  profits  considérables  pour  la  Métropole  qui  lui  fournis- 
sait à  peu  près  tout.  Le$  fonctionnaires,  les  employés  étaient,  presque 
sans  exception,  originaires  d'Espagne  et  venaient  à  Cuba  pour  faire 
fortune.  Seuls  les  insulaires  payaient,  n'étaient  rien  et  ne  pouvaient 
même  pas  faire  entendre  leur  doléances.  C'est  cet  état  de  choses  que  le 
pacte  de  Zanjon  devait  changer.  Malheureusement  il  resta  lettre  morte, 
l'Espagne  ayant  vite  oublié  que  l'insurrecUon  lui  avait  coûté  près  de 
100.000  hommes  et  1  milliard  de  francs.  Un  sérieux  mécontentement  m 
résulta  et,  dans  les  campagnes,  une  propagande  habilement  dirigée  par 
les  chefs  de  la  précédente  insurrection  prépara  tout  pour  une  nouvdle 
prise  d'armes,  lorsque  le  moment  d'agir  serait  venu. 

l'insukrection  de  1895. 

Le  24  février  1895,  dit  M.  Espinasse-Secondat  (1),  Tiusurrectioii 
éclata  à  Baire  (province  de  Santiago)  aux  cris  de  :  «  Vive  Cuba  libre!  * 
Le  général  Calleja,  capitaine  général,  décréta  aussitôt  l'état  de  siège  et 
chargea  le  général  Lachambre  des  opérations  contre  les  insurgés.  Mais 
ceux-ci  avaient  déjà  soulevé  u^e  partie  de  la  province  de  Santiago, 
occupé  et  piJlé  plusieui-s  boui^ades,  et  cerné  un  petit  fort  qui  fut  obligt^ 

.    (1)  V Insurrection  ctibainey  fév.  1895  à  mai  1896,  par  P.  Espiaasse-SecoDdati 


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L7NSURRECTI0N  CUBAINE  419 

de  se  rendre.  Aussi,  malgré  quelques  succès,  le  général  Lachambre  se 
vitril  dans  Timpossibilité  de  réprimer  le  mouvement. 

A  la  nouvelle  de  la  révolte,  le  gouvernement  espagnol  aVait  envoyé 
à  Cuba,  comme  capitaine  général,  le  maréchal  Martinez  Campos,  sur  le 
nom  duquel  on  comptait  beaucoup  pour  pacifier  Tîle.  ; 

Le  16  avril,  le  nouveau  général  en  chef  débarquait  à  Guanfanamo.  l 

Sa  ligne  de  conduite  devait  avoir  pour  but  d  amener  les  rebelles  à  se  ^ 

soumettre  et,  pour  obtenir  ce  résultat,  le  maréchal  voulut  se  contenter  ■ 

d'une  guerre  défensive.  Mais  les  chefs  cubains,  Gomez,  Maceo,  Marti,  ^ 

tbsso,  ne  se  prêtèrent  pas  à  cette  combinaison  et  menèrent  vivement  i 

la  campagne.  Marti  fut  tué  le  19  mai  à  Dos  Rios,  dans  un  vif  combat 
et  son  corps  resta  aux  mains  des  Espagnols  qui  le  transportèrent  à 
Santiago. 

Après  avoir  organisé  ses  forces  dans  la  province  de  Santiago,  Marti- 
nez Campos  entreprit  la  visite  des  principales  garnisons.  Près  de  Baya- 
rao  il  faillit  être  enlevé  par  Maceo  qui.  avec  3.000  hommes,  attaqua  sa  ' 
colonne,  de  moitié  inférieure  en  nombre,  dans  un  passage  difficile. 
M.  Campos  dut  charger  à  la  tète  de  ses  soldats  et,  pour  se  dégager  de 
la  mêlée,  fut  obligé  de  tuer  les  insurgés  qui  le  serraient  de  trop  près 
(iO  juil.).  La  colonne  eut  25  tués,  parmi  lesquels  le  généml  Santocildes, 
et  93  blessés. 

Cette  audacieuse  attaque  enhardit  singulièrement  les  insurgés  qui, 
malgré  plui^ieurs  échecs,  s'étendaient  de  province  en  province  par  suite 
de  la  sympathie  qu'ils  rencontraient  et  de  la  terreur  qu'ils  inspiraient. 
Déjà  les  provinces  de  Puerto-Princi[)e  et  de  Santa-Clara  renfermaient 
de  nombreux  groui>es  d'insurgés.  Une  marche  en  avant  allait  porter  la 
?:uerre  jusqu'à  l'extrémité  occidentale  de  l'île. 

Partis  de  la  province  de  Puerto-Principe  au  commencement  de  décem-. 
bœ  189o,  Maximo  Gomez  et  Antonio  Maceo  traversaient  successivement 
les  j>rovinces  de  Santa-Clara  et  de  Matanzas,  battus  à  diverses  reprises 
lîiais  ne  reculant  que  pour  mieux  avancer,  et  arrivaient,  Gomez  jusqu^à 
20  kilomètres  de  la  Havane,  Maceo  jusque  dans  la  province  de  Pinar- 
del-Rîo  après  une  marche  de  600  kilomètres  (1).'  Gomez  fut  obligé  de 
rétrograder,  maïs  Maceo  put  se  maintenir  solidement  à  Pînar-del-Rio, 
mettaDt  ainsi  File  entière  en  état  d'insurreetlon. 

(1)  Voir  sur  cette  marche,  la  Revue  Française  d'octobre  1896,  t.  XXI,  p.  5iB6. 


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I 


i2()  REVUE  FRANÇAISE 


h'  C'est  alors  que  Martioez  Caiiipos  fut  rappelé  et  remplacé  par  le  géiié- 

k  rai  Weyler  (janv.  1896).  Celui-ci  commença  par  promettre  ramoislie 

5  aux  insurgés  qui  déposeraient  les  armes  (23  avril).  Mais  ces  mesures  de 

t'  clémence  qui  n'amenaient  i)oint  de  réformes  avec  elles,  ne  produisireni 

^  aucun  effet. 

jf  La  lutte  continuait  toujours.  Six  coloimes  concentrèrent  leurs  efforts 

y  contre  Maceo  afin  de  le  chasser  de  ses  positions.  Battu  à  Cacarajicara,à 

V  Cîmdelaria,  à  Consolacion-del-Sur,  le  chef  insurgé  reste  insaisissable, 

'  ■  trouvant  toujours  un  refuge  dans  les  montagnes  abruptes  de  Pinar-del- 

l  Rio.  Mais  s'il  ne  peut  en  être  délogé  il  n'en  peut  plus  sortir  que  difTici- 

iS.  lement,  la  Irocha  (ligne  fortifiée)  qui  travei^se  l'île  dans  sa  partie  la  plus 

'  étroite,  de  Mariel  à  Majana,  et  derrière  laquelle  sont  répartis  25.000 

l  hommes,  le  coupant  de  Tintérieur  de  l'île.  Une  auti*e  trocha.  établie  de 

i  Moron  à  Jucaro,  dans  la  province  de  Puerto-Principe,  ne  peut,  par 

f  contre,  arrêter  les  incursions  des  insurgés  venant  de  l'est. 

Ne  pouvant  triompher  de  vive  force  des  révoltés,  le  général  Weyler 
veut  user  de  rigueur  et  les  réduire  par  la  famine  et  le  manque  de  res- 
sources. Dans  ce  but  il  ordonne  à  tous  les  habitants  des  campagnes  de 
se  réfugier  dans  les  villes  avec  leurs  bestiaux  et  leurs  approvisionne- 
ments. C'est  la  ruine  des  habitants  devenus  ainsi  des  reconcerUrados 
malgré  eux  ;  mais  le  général  Weyler  espère  par  ce  moyen  enlever  aux 
insurgés,  tout  moyen  de  recrutement  et  les  amener  à  la  soumission  par 
la  misère  et  la  faim.  La  misère  sévit  en  effet  dans  leurs  rangs,  mais  les 
éléments  de  subsistance  que  l'île  offre  naturellement,  leur  donent  encore 
de  quoi  vivre,  tandis  que  les  armes  et  les  munitions,  que  des  navires 
leur  apportent  de  temi)s  à  autre  des  États-Unis,  leur  doiment  les  moyens 
de  combattre.  Aux  mesures  de  rigueur  du  généml  Weyler,  ils  ré[K)n- 
dent  en  brûlant  les  villages  et  en  faisant  sauter  à  la  dynamite  les  trains 
de  chemins  de  fer. 

Pendant  la  saison  des  pluies,  de  juin  à  septembre,  les  opérations, 
rendues  presque  impraticables,  furent  suspendues  des  deux  côtés.  Mais 
au  retour  de  la  saison  sèche,  le  général  Weyler  résolut  d'eu  finir 
avec  Maceo.  Dans  les  premiers  jours  de  novembre  1896,  40.000 
hommes  furent  réunis  sous  les  ordres  du  général  en  chef  qui  dirigea  en 
personne  les  opérations.  Après  de  vifs  engagements,  les  villages  de  Ma- 
liôhta  et  de  Lechuza,  perdus  dans  la  manigua  (la  brousse  de  Cuba),  et 
les  escarpements  de  la  montagne,  fuient  enlevés  d'assaut.  C'étaient  les 


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L'INSURRECTION  CUBAINE  421 

principaux  points  de  refuge  des  insurgés  dans  la  province  de  Pinar- 
del-Rio. 

Mais  battues  d'un  côté,  les  bandes  de  Maceo  reparaissaient  de  l'autre, 
inquiétant  les  convois  des  colonnes  d'opération,  tenant  celles-ci  sans 
cesse  en  halaine,  épuisant  officiers  et  soldats.  Quant  à  Maceo  il  demeu- 
rait insaisissable  ;  au  point  qu'on  se  demandait  même  s'il  était  encore 
dans  la  province.  Soudain  le  bruit  se  répandit,  dans  le  milieu  de  décem- 
bre, que  le  chef  mulâtre  venait  d'être  tué.  La  nouvelle  était  vraie. 

Le  5  décembre,  le  commandant  Cirujeda  avait  attaqué,  avec 
200  hommes,  une  bande  d'insurgés  qui  s'approchait  de  la  Havane.  Cette 
bande,  qui  s'était  divisée  en  petits  détachements  pour  mieux  franchir  la 
trocha  de  Mariel,  était  celle  de  Maceo.  Le  chef  mulâtre  étant  tombé,  ses 
hommes  prirent  la  fuite  abandonnant  sou  corps  et  celui  de  son  aide  de 
camp  le  lieutenant  Gomes;,  fils  du  généralissime  cubain.  Mais  bientôt, 
revenus  de  leur  panique,  ils  se  jetèrent  sur  les  Espagnols  et  parvinrent 
à  reprendre  le  corps  de  Maceo. 

La  mort  d'Antonio  Maceo,  suivie  presque  aussitôt  de  celle  de  son 
frère  José,  tué  dans  un  combat  avec  les  troupes  de  la  partie  orientale  de 
l'île,  causa  une  joie  immense  en  Espagne,  où  l'on  entrevoyait  déjà  la 
fin  de  l'insurrection.  La  pacification  fit  de  grands  progrès  dans  Pinar- 
del-Rio,  mais  le  général  Weyler  ne  put  atteindre  quelques  bandes  qui 
perpétuèrent  la  révolte  dans  la  province. 

Moins  heureux  étaient  les  Espagnds  dans  l'est  de  l'île.  Le  17  octobre. 
Gomez,  avec  5.000  hommes  et  3  canons,  mettait  le  siège  devant  la 
petite  ville  de  Guaimaro.  Cette  place,  qui  n'avait  qu'une  très  faible  gar- 
nison, capitula  le  onzième  jour.  Le  3  novembre,  la  colonne  du  général 
Castellanos,  forte  de  4  bataillons  avec  artillerie  et  cavalerie,  partait  de 
Minas  pour  ravitailler  Cascorro.  Assaillie  par  les  insurgés  dans  une 
région  des  plus  accidentées  et  couverte  de  brousse  elle  repoussait  8  at^ 
taques  de  l'ennemi  et  parvenait  le  lendemain  à  Cascorro.  Au  retour, 
elle  fut  encore  harcelée  à  chaque  pas  par  un  adversaire  presque  invi- 
sible. Elle  ne  rentra  à  Minas,  qu'après  avoir  eu  30  tués  et  118  blessés. 

Ayant  reçu  d'Espagne  des  renforts  qui  comblaient  les  pertes  occa- 
sionnées par  le  feu  et  bien  plus  encore  par  les  maladies,  le  général  Weyler, 
pressé  d'agir,  s'était  décidé  à  entreprendre,  au  début  de  1897,  une  cam- 
pagne, qu'il  croyait  devoir  être  fructueuse  en  résultats,  contre  Maximo 
Gomez.  Mais  le  généralissime  cubain,  grâce  à  sa  mobilité  et  à  sa  pro- 


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422  REVUE  FRANÇAISE 

fonde  connaissanoe  du  terrain,  sut  échapper  constamment  à  b^  adver- 
saires, et  la  saison  des  pluies  arriva  sans  ique  le  général  Weyler  ait 
obtenu  d'autre  résultat  qu'une  pacification  incomplète  des  provinces  de 
la  Havane  et  de  Matanzas.  Malgré  le  puissant  effort  qu'avaient  fait  la 
Espagnols,  Tinsurrection  entretenue  et  alimentée  parles  expéditions  de 
flibustiers  des  États-Unis — il  n'y  en  eut  pas  moins  de  70  en  trois  années 
—  restait  vivace,  surtout  dans  le  centre  et  dans  Test.  Le  général  Weyler 
n'avait  pas  plus  réussi  à  la  dompter  que  ses  prédécesseurs. 

Sur  ces  entrefaites,  le  retour  au  pouvoir  du  parti  libérai  après  la 
mort  de  M.  Canovas  amena  d'importants  changements  dans  la  politique 
coloniale.  Le  général  Weyler  fut  d'abord  rappelé  et  remplacé  par  le 
maréchal  Blanco  (8  oct.  1897).  Puis  des  décrets  des  25  et  26  novembre 
établirent  l'autonomie  à  Cuba  et  à  Puerto-Rico,  accordant  à  ces  îles  un 
parlement,  des  ministres  responsables,  etc.  Le  1*'  janvier  1898,  le 
premier  cabinet  cubain  était  installé  à  la  Havane  par  le  maréchal  Blanco. 

La  métropole  se  décidait  enfin  à  accorder  les  réformes  depuis  si  long- 
temps demandées.  Mais  ces  réformes  arrivaient  trop  tard  et  les  insorgés, 
qui  auraient  pu  s'en  contenter  au  début,  n'en  voulurent  pas  entendre 
parler,  n'attendant  de  satisfaction  que  de  la  reconnaissance  de  l'indé- 
pendance de  rile.  Le  maréchal  Blanco,  qui  avait  vainement  essayé  de 
négocier  avec  les  révoltés,  dut  reprendre  les  hostilités.  C'est  alore  que 
se  produisit  l'explosion  du  Maine  et  les  incidents  qui  ont  amené  l'inter- 
vention des  États-Unis. 

PERTES  ET  FORCES  RESPECTIVES  DES  BELLIGÉRANTS 

Les  trois  années  de  lutte  qui  viennentde  s'écouler  ont  coûté  bien  des 
sacrifices  à  l'Espagne.  On  évalue  à  500  millions  de  pesetas  par  an  les 
dépenses  auxquelles  elle  devait  faire  face  et  à  15.000  hommes  les  pertes 
qu'elle  subissait.  Par  les  chiffres  de  la  l*"»  année,  qui  n'ont  fait  qu'aug- 
menter par  la  suite,  on  peut  se  rendre  compte  des  pertes  essuyées  de 
chaque  côté.  Au  31  mars  1896  les  insurgés  avaient  eu,  d'après  des 
rapports  officiels,  4.338  morts  et  1 .988  blessés  (ces  chiffres  sont  trop 
précis  pour  être  exacts,  les  morts  et  blessés  étant  très  difficiles  à  cons- 
tater). De  leur  côté,  les  Espagnols  avaient  eu  5.196  morts  dont  304  offi- 
ciers. Les  blessés  et  surtout  les  malades  étaient  en  nombre  considérable. 

A  la  fin  de  juin  1896,  il  y  avait  6.000  hommes  dans  42  hôpitaux  el 
il  en  mourait  250  à  300  par  mois.  Au  mois  d'octobre,  après  la  saison  des 


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L'INSURRECTION  CUBAINE  423 

pluies,  le  nombre  des  blessés  et  malades  s*élevait  à  13.600,  avec  81  mé- 
dedûs  seulement.  Ce  chiffre  de  malades  qui  progresse  sans  cesse, 
g'eiplique  par  le  fait  que  la  plupart  des  envois  de  troupes  à  Cuba  sont 
composés  de  jeunes  soldats  du  contingent.  Or,  on  sait  j^ar  Texemple  de 
l'expédition  de  Madagascar,  combien  peu  de  résistance  ceux-ci  offrent  à 
la  fatigue  et  au  climat. 

D'après  les  dernières  statistiques  officielles  espagnoles,  2.135  officiers 
et  soldats  ont  été  tués  ou  sont  déjà  morts  de  leurs  blessures;  8,627  ont 
reçu  des  blessures  entraînant  leur  réforme.  Autrement  considérables 
ont  été  les  pertes  résultant  de  maladies  :.  plus  de  45.000  hommes  sont 
morts  de  la  fièvre  jaune  ou  d'autres  épidémies;  47.000  ont  été  ren- 
voyés en  Espagne  comme  impropres  au  service  par  suite  de  dyssenterie, 
fièvres  paludéennes,  etc.  Actuellement  il  y  a  encore  plus  de  40.000  ma- 
lades répartis  en  56  hôpitaux.  Si  l'on  ajoute  à  ces  pertes  celles  des 
insurgés,  des  habitants  victimes  de  la  guerre  et  des  reconcentrados,  on 
peut  bien  dire  sans  exagération  que  200.000  êtres  humains  dorment  de 
leur  dernier  sommeil  dans  la  vaste  nécropole  de  Cuba.  A  quel  chiffre 
arrivera-t-on  quand  sera  terminée  la  guerre  que  les  États-Unis  viennent 
d'entreprendre  t  au  nom  de  l'humanité  »  I 

On  comprend  facilement,  qu'en  présence  de  cette  énortoe  déperdition 
d'hommes,  les  troupes  espagnoles  soient  sensiblement  réduites.  Et 
cependant,  la  métropole  n'a  pas  marchandé  les  renforts!  Au  moment  où 
éclata  l'insurrection,  l'Espagne  avait  21.700  hommes  à  Cuba.  Le  8  mars 
1895  furent  embarqués  les  premiers  renforts.  Les  envois  de  troupes  ne 
discontinuèrent  pas  et,  à  la  fin  de  l'année,  86.000  hommes  avaient  déjà 
été  envoyés  à  Cuba.  Lorsque  le  général  Weyler  remplaça  le  maréchal  M. 
Campos,  de  nouvelles  troupes  quittèrent  enœre  la  péninsule,  et,  au  1^ 
mars  1897,  le  chiffre  des  renforts  expédiés  aux  Antilles  s'élevait  à  192.109 
hommes  dont  4.827  à  destination  dePuerto-Rico.  A  la  fin  de  1897,  il  fallut 
encore  combler  les  vides  qui  s'étaient  produits  et  25.000  hommes  vinrent 
s'ajouter  aux  précédents.  En  résumé,  233.000  hommes  ont  quitté  la 
péninsule,  à  destination  de  Cuba.  En  outre,  environ  100.000  volontaires 
ont  été  levés  et  armés  dans  toute  l'ile  pour  appuyer  les  troupes  régulières. 
Habituées  au  climat,  ces  troupes  insulaires  ont  présenté  une  force  de 
résistance  autrement  considérable  que  les  jeunes  soldats  du  contingent. 
Bonnes  pour  la  guerre  de  guérillas,  elles  n'ont  cependant  pas,  en  raison 
de  leur  composition  variée,  la  valeur  militaire  de  l'armée  régulière. 


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424  REVUE  FRANÇAISE 

Que  reste- 1- il  aujourd'hui  de  cet  immense  effort  fait  par  l'Espagne? 
L'armée  régulière  compte  environ  100.000  hommes  ;  mais  si  Ton  fait  la 
déduction  des  indisponibles  et  des  n©n-valeurs,  le  chiffre  réel  des  com- 
battants effectifs  ne  dépasse  pas  75.000  hommes.  Il  faut  y  ajouter  envi- 
ron 80.000  volontaires  qui,  s'ils  résistent  au  climat,  n'en  sont  pas  moins 
éprouvées  par  les  fatigues  et  les  privations.  Le  chiffre  des  disponibles 
peut  donc  être  ramené  à  65.000  hommes.  11  est  vrai  que  de  nouveaux 
enrôlements  ont  eu  lieu  parmi  la  population  insulaire  depuis  la  décla- 
ration de  guerre  ;  mais  ces  nouvelles  levées  ne  sont  pas  encore  aptes  a 
rendre  de  réels  services. 

Le  maréchal  Blanco  ne  peut  donc  disposer  que  de  140.000  hommes 
environ,  toutes  forces  comprises.  Ce  sont  pour  la  plupart  des  hommes 
aguerris;  mais  comment  avec  si  peu  de  troupes,  le  maréchal  pourra-t-il 
défendre  une  île  qui  a  près  de  1.500  kilomètres  d'une  extrémité  à  l'autre, 
soutenir  la  lutte  contre  les  insurgés  cubains,  et  faire  faceaux  Américains 
quand  ils  débarqueront.  Jusqu'au  mois  d'octobre,  il  aura  pour  lui  la 
mauvaise  saison  et  le  vomito  negro  qui  seront  ses  plus  utiles  auxiliaires 
contre  les  Américains.  Mais  après? 

L'armée  espagnole  est  formée  de  trois  corps  d'armée,  commandés  par 
des  lieutenants  généraux.  Le  1*^'*  corps  a  son  quartier  général  à  Santiago; 
le  2«  àPuerto-Principe;  le  3^  à  la  Havane.  Les  régiments  d'infanterie 
sont  à  3  bataillons  ;  mais  la  véritable  unité  de  combat  est  le  bataillon, 
formé  à  4  compagnies,  sous  les  ordres  d'un  lieutenant-colonel.  Il  >  a,en 
outre,  une  guérilla  montée  de  60  hommes  attachée  à  chaque  régimeol 
d'infanterie  et  à  chaque  bataillon  de  cazadores  (chasseurs). 

S'il  est  assez  facile  d'établir  un  état  des  forces  espagnoles,  il  n'en  est 
pas  de  môme  en  ce  qui  concerne  les  insurgés.  D'après  les  renseignements 
de  source  cubaine,  ceux-ci  seraient  de  35  à  40.000  ;  mais  dans  ce  nom- 
bre il  y  a  environ  10.000  honmies  qui  ne  sont  par  armés.  Comme 
chez  les  Espagnols,  le  bataillon  représente  l'unité  de  combat;  mais  beau- 
coup d'insurgés  ne  sont  groupés  qu'en  bandes  d'effectif  très  variable. 
L'organisation  militaire  est  sommaire  et  la  discipline  n'est  que  très  rela 
tive.  La  cavalerie  des  insurgés  est  bien  montée, et  nombreuse;  on  l'éva- 
lue à  une  douzaine  de  mille  hommes,  ce  qui  leur  'donne  une  grande 
mobilité.  C'est  ainsi  qu'une  bonne  partie  des  forces  qui  traversa  l'île 
jusqu'à  Pinar-del-Rio  avec  Maceo,  était  montée.  Par  contre,  l'artillerie 
est  insignifiante. 


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426  REVUE  FRANÇAISE 

N'ayant  pour  ainsi  dire  pas  d'uniforme,  Tannée  insurgée  présente  un 
aspect  assez  bizarre.  Si  un  certain  nombre  de  soldats  portent  la  veste  et  le 
pantalon  coutil,  d'autres  ne  possèdent  qu'un  pantalon  et  une  chemise.  lien 
est  môme,  comme  les  noirs  de  Lacret  et  de  Quintin  Banderas,  qui  n'ont 
pour  unique  costume,  qu'un  morceau  de  toile  autour  des  reins  ou  un 
sac  percé  d'ouvertures  pour  laisser  passer  la  tête  et  les  bras.  Le  «  colonel  » 
I^acret,  qui  exerçait  la  profession  de  lampiste  avant  la  guerre,  est  d'ori- 
gine française,  descendant  sans  doute  des  Français  qui,  après  la  perte  de 
Saint-Domingue,  vinrent  s'établir  dans  la  province  de  Santiago. 

L'armement  des  insurgés  présente  autant  de  variété  que  l'habille- 
ment. L'infanterie  possède  des  fusils  de  plusieurs  systèmes  :  Mauser, 
Remington,  Coll,  Winchester,  etc.  ;  elle  est  aussi  armée  du  machete,  qui 
est  cependant  l'arme  ordinaire  de  la  cavalerie.  Sur  divers  points  reculés 
des  forêts  ou  des  montagnes,  les  Cubains  ont  établi  des  dépôts  d'armes 
et  d'approvisionnement,  des  ateliers  de  réparations.  C'est  dans  ces 
refuges,  généralement  peu  accessibles  aux  troupes  espagnoles,  qu'ils  vont 
se  refaire  de  leur  fatigues.  Le  service  de  santé  n'existe  pour  ainsi  dire 
pas,  de  même  que  celui  de  l'intendance.  Le  Cubain  se  nourrit  des  fruits 
tropicaux  :  Tigname,  la  banane,  etc.  Le  complémentde  nourriture,  comme 
celui  d'habillement,  il  le  trouve  dans  la  capture  des  convois  ou  dans  le 
pillage  des  villages. 

Bien  que  la  guerre  de  Cuba  soit  une  guerre  de  races,  en  même  temps 
qu'une  guerre  politique,  le  nombre  des  blancs  dans  les  rangs  des  insur- 
gés est  plutôt  supérieur  à  celui  des  noirs. 

La  répartition  des  forces  des  insurgés  peut  être  établie  approximati- 
vement de  la  façon  suivante.  C'est  dans  la  province  de  Santiago,  foyer 
de  toutes  les  insurrections,  que  les  révoltés  sont  en  plus  grand  nombre, 
12  à  15.000  répandus  principalement  dans  le  triangle  compris  entre 
Santiago,  Holguin  et  Manzanillo.  Us  sont  sous  les  ordres  de  Galixto 
Garcia,  un  des  vétérans  de  la  précédente  insurrection. 

Dans  la  partie  centrale  de  l'île  se  trouve  le  généralissime  Maximo 
Gomez,  avec  6.000  hommes.  Son  quartier  général  se  trouve  près  de 
Santi-Spiritus,  dans  la  province  de  Santa-Clara.  U  n'a  généralement, 
autour  de  sa  personne,  que  très  peu  de  monde,  sa  tactique  consistant  à 
toujours  refuser  le  combat,  et  à  inquiéter  sans  cesse  son  adversaire  pour 
l'user  en  détail. 

Entre  Santa-Clara  et  Santiago,  un  autre  groupe  d'insurgés  est  établi 


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L'INSURRECTION  CUBAINE  427 

dans  la  province  de  Puerto-Principe.  C'est  là  que  se  trouve  la  région 
du  Camaguey,  le  maquis  par  excellence  de  Cuba,  refuge  assuré  des 
bandes  insurrectionnelles. 

Dans  la  partie  occidentale  de  l'île  les  insurgés  sont  répartis  en  trois 
groupes  principanx.  Mayia  Rodrigues  a  le  commandement  des  forces 
qui  évoluent  entre  la  Havane  et  Matanzas.  Betancourt  se  tient  dans  la 
région  de  Matanzas  avec  2.000  à  2.500  hommes.  Avec  des  forces  à  peu 
près  égales  Pedro  Diaz  a  son  centre  d'action  dans  la  province  de 
Pinar-del-Rio. 

Telles  sont  les  forces  insurgées.  Elles  ne  manqueront  certainement 
pas  de  s'accroître,  lorsque  la  misère  se  sera  fait  sentir  encore  davan- 
tage dans  toute  Tîle  et  lorsque  les  Américains  seront  en  mesure  de 
distribuer,  à  tous  ceux  qui  en  attendent,  des  armes  et  des  munitions, 

LES   CHEFS   CUBAINS. 

Un  des  premiers  soins  des  insurgés  cubains  a  été  d'organiser  un 
gouvernement  provisoire  dont  le  fonctionnement  est  plus  apparent 
que  réel  ;  il  n'a  pas,  en  effet,  de  résidence  fixe,  ses  membres  étant  aussi 
errants  que  les  bandes  révoltées  qui  ne  possèdent  pas  une  place  de 
sûreté. 

Le  Président  de  la  République  cubaine  est  M.  Bartolomé  Masso,  assisté 
de  MM.  Mendez  Capote,  vice-président,  José  Aleman,  ministre  de  la 
guerre,  d'un  secrétaire  d'État  et  d'un  ministre  des  finances  dont  les 
fonctions  sont  des  plus  simplifiées.  Des  représentants  du  gouvernement 
provisoire  sont  établis  dans  les  principaux  pays  d'Amérique  et  d'Europe. 
En  France  ces  fonctions  sont  dévolues  au  D^  Betancès.  A  New-York  est 
oi^anisée  une  junte  centrale. 

Le  Président  Masso,  qui  est  né  à  Manzanillo  en  1832,  a  pris  part  à 
l'insurrection  de  1868.  Le  18  septembre  1895  il  fut  choisi  comme  vice- 
président  et  le  29  octobre  1896  comme  Président  du  gouvernement 
provisoire,  fonction  dans  laquelle  il  a  succédé  au  marquis  de  Santa- 
Lucia.  n  a,  en  outre,  le  grade  dégénérai  de  division.  Vieillard  maladif 
et  exalté  il  passe,  cependant,  pour  être  un  des  rares  cabedllas  partisans 
d'une  guerre  humanitaire. 

Le  vice-président  Mendez  Capote  est  né  à  Cardenas.  Avocat-conseil 
au  chemin  de  fer  de  l'Ouest,  il  se  démit  de  sa  charge  pour  prendre  le 
commandement  d'une  troupe  d'insurç:és.  11  a  le  grade  de  général  de 
brigade. 


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428  REVUE  FRANÇAISE 

Le  ministre  de  la  guerre,  général  de  brigade,  José  Aleman,  est  né 
à  Santa-Clara.  II  est  âgé  de"34  ans;  avant  Tinsurrection  il  était  dinectenr 
d-un  journal  et  adjoint  au  maire  de  Santa-Clara. 

VEjercito  libertador  (armée  libératrice)  comprend  un  état-major 
général  qui,  ainsi  qu'il  arrive  toujours  en  Amérique,  est  très  fortement 
galonné.  Le  chef  suprême  est  Maximo  Gomez.  Voici  le  [>orlrait  qu'en 
trace  M.  Espinasse-Secondat  : 

«  Un  front  large,  des  yeux  étincelants,  une  forte  moustache  blanche 
tombante  —  ce  qui  lui  a  valu  de  la  part  des  Espagnols  le  sobriquet  de 
Chvw  viejo  (vieux  chinois),  —  telle  est  la  physionomie  du  généralissime 
de  l'armée  séparatiste.  Né  à  Saint-Domingue  en  1836,  Gomez,  après 
avoir  lutté  contre  l'occupation  espagnole  de  1861  à  1864  comme  olTi- 
èier,  se  range  parmi  les  insurgés  cubains  de  1868.  Le  Président  Cespe- 
dès  le  choisit  pour  son  chef  d'état-major.  Gomez  révèle  ses  aplitudt^ 
pour  la  guerre  de  partisans  dans  la  province  de  Santiago,  dans  h 
Camaguey,  dans  le  territoire  des  Villas;  il  y  gagne  le  grade  de  généml. 
Un  ulcère  à  la  jambe  Toblige  à  restreindre  son  activité  et  nécessite  la 
présence  constante  de  deux  médecins  à  ses  côtés;  il  ne  peut  montera 
cheval  qu'à  l'amazone.  Astucieux,  réfléchi,  audacieux  le  généralissime 
séparatiste  jouit  d'une  réputation  de  tacticien  remarquable.  C'est  après  les 
généraux  Sherman  et  Lee  que  le  maréchal  de  Moltke  cite  Gomez  dans 
ses  mémoires.  Gomez,  est  d'ailleurs,  la  seule  figure  vraiment  militaire 
des  insurgés  ». 

A  côté  de  Gomez,  le  mulâtre  Antonio  Maceo,  tué  en  décembre  1895, 
exerçait  une  grande  influence  sur  l'élément  de  couleur.  Muletier  de  pro- 
fession, entreprenant  et  ambitieux  il  avait  toutes  les  ([ualités  du  cabe- 
cilla.  A  part  Calixto  Garcia,  les  autres  chefs  insurgés  sont  restés  jus- 
(pi'ici  au  second  plan. 

On  s'est  demandé  de  quels  secours  les  insurgés  pourraient  être  aux 
Américains.  Pour  les  reconnaissances,  les  combats  d'avant-garde,  les 
coups  de  main,  ils  seront  de  précieux  auxiliaires;  mais  il  n'en  sera  sans 
doute  pas  de  même  pour  les  opérations  régulières.  Malgré  leur  bravoure 
ils  ne  rendraient  pas.  en  bataille  rangée,  les  services  que  l'on  parait 
attendre  d'eux.  Leur  caractère  indépendant,  leur  genre  de  vie,  leur 
tactique  de  combat  ne  les  porteront  que  diflicilement  à  se  plier  à  une 
coopération  régulière. 

Bien  que  toutes  les  avances  des  Espagnols  pour  les  amener,  moyen- 


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GlERRE   HlSPANO-AMERICAfNE  45>0 

nantde  grandes  mais  tardives  concessions,  à  déposer  les  armes  en  pré- 
sence de  l'invasion  américaine,  aient  totalement  échoué,  les  Cubains 
n'en  auraient  pas  moins  préféré  ne  devoir  qu'à  eux-mêmes  le  soin  de 
conquérir  leur  indépendance  et  se  passer  du  concours  de  Tamiée  amé- 
ricaine. Des  secours  en  armes,  munitions,  approvisionnements  leur 
auraient  suffi.  Néanmoins,  par  haine  de  l'Espagne,  ils  n'en  prêteront 
])as  moins  une  assistance  effective  à  leurs  alliés.  Mais,  au  lieu  de  jouer 
le  rôle  principal  comme  ils  Tespéraient,  ils  ne  figureront  que  comme 
comparses.  Et  lorsque  les  Américains  auront  déversé  à  Cid^a  un  flot 
d'hommes  en  armes,  les  Cubains  seront  noyés  dans  la  masse  des  com- 
battants. Ils  s  apercevront  alors  —  trop  tard  aussi  —  qu'ils  n'ont  fait 
que  changer  de  maître.  Le  joug  sera  différent,  mais  ils  ne  gagneront 

rien  au  change. 

G.  Vasco. 


GUERRE   HISPANO-AMERICAINE 


(1) 


opérations  a  cuba 

Malgré  la  mauvaise  saison,  les  opérations  militaires  sérieuses  viennent 
de  commencer  à  Cuba.  Ayant  acquis  la  certitude  que  l'escadre  de  l'ami- 
ral Cervera  se  trouvait  réellement  à  Santiago,  les  Américains  se  mirent 
en  devoir  de  reconnaître  le  terrain  aux  alentours  de  la  rade  afin  de 
tenter  un  coup  de  force  pour  pénétrer  à  rintérieur  ou  de  tourner  les 
défenses  de  la  passe  par  un  débarquement.  Bloquer  l'escadre  espagnole 
ne  leur  suffisait  pas,  il  fallait  encore  la  capturer  ou  la  détruire. 

Le  31  mai,  le  conwnodore  Schley  ouvrit  une  sérieuse  canonnade 
contre  les  positions  fortifiées  de  la  Socapa,  du  Morro,  d'Estrella,  de  Ca- 
talina  et  de  la  Punta  Gorda  constituant  la  défense  de  la  rade  (').  De  part 
et  d'autre  les  per'es  ont  été  insignifiantes.  Cette  affaire  permit  aux 
Américains  de  constater  qu'ils  avaient  à  combattre  un  ennemi  bien  for- 
tifié. 

L'amiral  Sampson,  qui  avait  rejoint  la  flotte,  résolut  alors  d'obstruer  la 
passe  afin  de  rendre  impossible  la  sortie  de  l'amiral  Cervera.  Dans  ce 
ce  but,  il  fit  embarquer  sur  un  bateau  charbonnier,  le  Merrimac,  Tin- 
génieur  Hobson  avec  sept  hommes,  juste  ce  qu'il  fallait  pour  le  diriger, 

(1)  Voir  Revue  Française^  t.  XXIII,  p.  363. 

(2)  Voir  la  carte  de  Santiago,  Revue  Française^  juin  1898. 


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430  flBVII&  FRANÇAISE 

et  le  chargea  d'aller  couler  ce  bâtiment  dans  la  partie  la  plus  étroite  du 
chenal.  Le  3  juin  avant  le  jour,  le  Merrimac  parrkrt  à  s'avancer  jus- 
qu'à rentrée  du  goulet  et  à  s'y  engager.  Accueilli  alors  parone  canon- 
nade nourrie,  le  navire  ne  tarda  pas  à  sauter  et  à  couler,  mais  noa 
dans  la  partie  la  plus  étroite  du  chenal  qui  resta  libre  pour  la  naviga- 
tion» L'ingénieur  Hobson  et  ses  hommes,  qui  avaient  pu  sauter  dans 
une  embarcation,  furent  faits  prisonniers.  Parmi  les  auteurs  de  cet  acte 
de  dévouement  pour  lequel  ils  s'étaient  spontanément  offerts,  on  ne 
compte  que  trois  Américains;  les  cinq  autres  sont  étrangers  et  parmi 
eux  un  Canadien-Français,  Georges  Charette. 

Le  6  juin,  nouveau  bombardement  des  forts  de  Santiago  contre  les- 
quels Tamiral  Sampson  lance  1.500  projectiles.  Cette  fois  les  pertes  des 
Espagnols  sont  plus  sérieuses  :  7  morts  et  39  blessés,  dont  5  officiers, 
tant  dans  les  forts  que  sur  le  croiseur  Reina  Mercedes  servant  de  bat- 
terie flottante.  Suivant  Tusage  les  Américains  déclarent  n'avoir  eu  que 
des  pertes  et  des  avaries  insignifiantes.  Ou  les  artilleurs  espagnols  sont 
bien  peu  au  courant  de  leur  métier,  ou  leurs  munitions  sont  de  fort 
médiocre  qualité,  ce  qui  parait  plus  vraisemblable. 

En  vue  de  préparer  le  débarquement  d'un  corps  expéditionnaire 
chargé  d'enlever  Santiago  de  vive  force,  la  flotte  américaine  bombarde 
à  plusieurs  reprises  les  diverses  positions  occupées  par  les  Espagnols 
surleUttoral  environnant  Santiago.  Plusieurs  navires  pénètrent  dans 
la  baie  extérieure  de  Guantanamo  à  l'est  de  Santiago  et  débarquent  à 
Gaimanera  800 hommes  de  troupes  de  la  marine  (7  juin).  Ceux  ci  sont 
assaillis  par  les  forces — volontaires  pour  la  plupart —  que  les  Espagnols 
ont  dans  ces  parages,  et  forcés  de  reculer  après  une  longue  lutte  qui 
ne  leur  coûte  cependant  que  quelques  tués,  mais  beaucoup  de  malades 
d'insolation.  Cependant  l'artillerie  des  navires  de  guerre  arrête  les  Espa- 
gnols et  permet  aux  Américains  de  camper  sur  le  rivage. 

Le  16  juin,  nouvelle  et  violente  canonnade  des  Américains  contre  les 
forts  de  Santiago.  Les  Espagnols  ont  3  morts  et  18  blessés.  Un  obus 
espagnol  atteint  le  cuirassé  Texas,  tue  1  homme  et  en  blesse  8. 

Pendant  que  l'amiral  Sampson  tâtait  ainsi  les  positions  des  Espagnols- 
le  corps  d'armée  rassemblé  à  Tampa  (Floride)  sous  Jes  ordres  du  géné- 
ral Shafter,  prenait  la  mer  sur  Si  transports  escortés  par  des  navires  de 
^^uerre.  Ce  corps  expéditionnaire  compte  773  officiers,  et  14  S64  hommes 
presque  tous  réguliers,  ainsi  répartis  : 


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GUERRE  HISPANO-AMÉRICAINE  431 

Infanterie  :  17  régiments  de  réguliers  et  1  de  volontaires,  soit  11  ^27<i 
officiers  et  soldats; 

Cavalerie  :  2  escadrons  de  réguliers  et  2  de  volontaires  non  montés, 
soit  3.034  officiers  et  soldats  parmi  lesquels  les  rough-riders  (ehevau- 
légers)  de  New- York  des  colonels  Wood  et  Roosejrelt.  Un  escadron  de 
9  officiers  et  280  hommes  est  seul  monté,  le  transport  dès  chevaux 
ayant  présenté  de  grandes  difficultés; 

Artillerie  :  4  batteries  légères  et  2  de  siège  avec  18  officiers,  et  4^>t} 
hommes; 

Génie  et  télégraphistes  :  11  officiers  et  245  hommes. 

Afin  de  faciliter  le  débarquement,  4.000  insurgés  sous  les  ordres  iW. 
Calixto  Garcia  ont  été  embarqués  à  Asserraderos,  à  l'ouest  de  Santiago 
et  transportés  par  mer  près  de  Baiquiri  où  se  trouvait  déjà  le  ciief 
insurgé  Castillo  avec  1.200  hommes. 

Un  nouveau  corps  de  troupes,  s'élevaut  à  10.000  hommes,  doit  s  i.nj- 
barquer  à  Tampa  pour  renforcer  le  général  Shafter. 

Pour  résister  à  Tattaque  les  Espagnols  disposent  de  10.000  homrrres 
à  Santiago  même  sous  les  ordres  du  général  Linarès.  Entre  Sajiti;igu 
et  Guantanamo  se  trouvent  8.000  hommes  commandés  parle  gênerai 
Luque.  Enfin  dans  l'intérieur  de  la  province  il  y  a  environ  lO.OOU 
hommes  avec  le  général  Pando,  commandant  le  corps  d'armée  de  l'e.^l 
qui  marche  au  secours  de  Santiago. 

La  flotte  expéditionnaire  partie  de  Tampa  le  14  juin,  se  trouva  réunie 
le  20  devant  Santiago.  Deux  jours  se  passèrent  encore  en  conférences 
entre  l'amiral  Sampson,  le  général  Shafter  et  le  chef  Calixto  Garcia 
pour  le  choix  du  point  de  débarquement.  On  se  décida  pour  Baiqiiiri. 
à  environ  24  kilomètres  à  l'est  de  Santiago,  où  se  trouve  une  petite  baie 
et  un  débarcadère  servant  à  une  exploitation  minière.  Le  22  juin  le 
débarquement  commençait,  sans  obstacle  de  la  part  des  Espagnols. 
Quelques  escarmouches  ont  eu  lieu  avec  les  troupes  espagnoles  «jiii  se 
concentrent  autour  de  Santiago.  Entre  Jaragua  et  Sevilla  les  /vif^ft 
ridersy  qui  s'avançaient  sans  précaution  à  travers  la  brousse,  sont  imn- 
bés  dans  une  embuscade  et  ont  eu  22  tués  dont  2  officiers  et  enTir*»»! 
80  blessés.  Les  Espagnols  ont  perdu  8  tués  et  23  blessés.  La  chaleur  e^^t 
intense  et  les  pluies  rendent  les  chemins  impraticables. 


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i;J2  REVUE  FRANÇAISE 

SOULÈVEMENT  DES  PHILIPPINES 

Obligé,  faute  de  troupes  de  débarquement,  de  rester  sur  la  défensive 
après  son  succès  de  Cavité,  Tamiral  auiéricain  Dewey  en  attendant  Var- 
rivée  des  troupes  qui  lui  étaient  annoncées,  fournissait  à  Aguinaido,  le 
chef  de  la  dernière  insurrection  des  Tagals,  les  moyens  de  soulever  de 
nouveau  les  indigènes  contre  les  Espagnols  et  mettait  à  sa  disposition, 
argent,  armes  et  munitions. 

Dans  les  derniers  jours  de  mai,  l'insurrection  éclatait  partout  &  la  fois 
dans  Tîle  de  Luçon,  surprenant  les  Espagnols  par  l'impétuosité  de  son 
mouvement.  Les  communications  étaient  coupées  de  tous  côté,  et  le 
général  Augustin  à  Manille  était  séparé  de  plusieurs  de  ses  lieutenants. 
La  province  de  Cavité,  centre  de  la  dernière  insurrection,  s'était  soulevée 
en  masse.  Les  villes  de  Bacolor,  Imus,  Vieux  Cavité,  tombaient  succes- 
sivement au  pouvoir  des  insurgés.  Les  petites  garnisons  espagnoles 
étaient  obligées  de  capituler.  Quand  aux  soldats  indigènes,  qui  avaient 
cependant  fait  preuve  de  fidélité  dans  la  précédente  insurrection,  ils 
passaient  à  Tennemi  avec  armes  et  bagages,  et  tiraient  même  avant  sur 
les  officiers  et  sous-officiers  espagnols  qui  les  encadraient.  Cette  désertion 
des  troupes  indigènes  met  dans  la  situation  la  plus  critique  les  troupes 
espagnoles,  qui,  épuisées  par  la  chaleur  du  climat,  ont  été  obligées  de 
se  replier  sous  les  murs  de  Manille.  Les  insurgés  bloquent  complètement 
la  ville,  mais  ne  peuvent  attaquer  avant  l'arrivée  des  troupes  américaines 
faute  d'artillerie.  Le  nombre  de  ceux  qui  sont  annés  de  fusils  est  éva- 
lué à  30.000  par  le  général  Augustin. 

Après  le  départ  pour  les  Philippines  des  2  500  hommes  qui,  sous  les 
ordres  du  général  Anderson,  ont  quitté  San-Francisco  le  2S  mai,  sur 
les  transports  City  of-Pekin,  CHy-of-Sydncy  et  Austrcdia^  les  Américains 
ont  organisé  un  2^  convoi  de  troupes  d'égale  force.  Celui-ci  s*est  embarqué 
le  13  juin  à  San-Francisco,  sur  les  transports  CAtna,  ZelandiaeiSenetor, 
Une  3*^  expédition,  forte  de  4.000  hommes,  est  partie  le  27  juin  sur  les 
transports  OAto,  City-of-Para,  Morgan-City  et  Indiana.  Le  29,  le  géné- 
ral Meritt,  commandant  en  chef,  s'est  embarqué  sur  le  Newpori.  Enfin, 
une  4^  expédition  est  en  préparation. 

D'autre  partie  monïiov Monter ey,  qui  est  puissamment  armé  et  file  16 
nœuds(l)a  été  envoyé  à  l'amiral  Dewey.  Ce  bâtiment  a  quitté  San-Fran- 

(1)  Voir  Rev.  Fr.  juin  1898  p.  363,  dessin  et  description  de  Monkrey. 


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GUERRE  HISP.\.\0-AMERICA1NE  433 

cisco  le  6  juin,  accompagné  d'un  navire  charbonnier.  Enfin,  apprenant  le 
départ  d'une  escadre  espagnole  pour  les  Phillippines,  le  gouvernement 
de  Washington,  a  fait  partir,  le  23  juin,  le  monitor  Monadnock  pour 
Manille,  avec  un  charbonnier.  Le  Monadnock  qui  est  un  mauvais  mar- 
cheur (il  n'a  pu  donner  que  13  n.)  ne  sera  pas  rendu  à  destination  avant 
fin  juillet.  Ces  deux  cuirassés  sont  armés  de  pièces  de  tir  gros  calibre. 

Après  avoir  perdu  un  temps  considérable  depuis  le  désastre  de  Cavité 
({'^  mai),  sans  avoir  seulement  tenté  d'envoyer  le  moindre  renfort  aux 
Philippines,  le  gouvernement  espagnol  s'est  décidé  tardivement,  à  faire 
partir  pour  TExtrôme-Orient,  un  corps  expéditionnaire  de  4  à  3000  hom- 
mes et  l'escadre  de  réserve  en  formation  à  Cadix,  sous  les  ordres  de 
Tamiral  Camara.  Prise  il  y  a  un  mois,  avant  le  développement  de  Tin- 
surrection,  cette  décision  aurait  sans  doute  produit  d'excellents  résul- 
tats. Mais  aujourd'hui  la  tâche  de  l'amiral  Camara  est  des  plus  difficiles. 
Il  lui  faudra  combattre  l'escadre  américaine,  débarquer  ses  troupes  et 
essayer,  avec  des  fosces  insuffisantes,  de  reconquérir  l'île  de  Luçon  qui 
sera  sans  doute  perdue  pour  l'Espagne,  au  moment  de  son  arrivée,  car 
la  situation  de  Manille  est  très  critique  et  la  place  ne  pourra  résister 
longtemps  aux  attaques  combinées  des  insui^és  et  des  troupes  améri- 
caines débarquées. 

Parti  de  Cadix,  le  16  juin,  l'escadre  espagnole  marchant  à  petite  vi- 
tesse, a  mis  10  jours  pour  traverser  la  Méditerranée,  car  elle  n'est  arrivée 
à  Port-Saïd  que  le  26.  Il  est  probable  qu'elle  ne  parviendra  pas  à  des- 
tination avant  la  fin  do  juillet.  La  distance  de  Cadix  à  Manille  étant  de 
plus  de  8.000  inilles,  il  faut  pour  la  franchir,  42  jours  à  la  vitesse  de  8  n. 
et  34  jours  à  la  vitesse,  de  10  nœuds. 

L'escadre  comprend  12  bâtiments  :  le  cuirassé  Pelayo  (16  nœuds) 
vaisseau  amiral,  le  croiseur  cuirassé  Emperador  Carlos  V  (21  u.)  (1)  les 
contre-torpilleurs  Audaz,  Osado,  Proserpina  (de  30  n.),  7  transports 
chaînés  de  troupes  et  de  charbon,  afin  de  permettre  à  l'escadre  de  se 
ravitailler  par  ses  propres  moyens. 

Parmi  les  transports  figurent  les  magnifiques  paquebots  Patriota  et 
Rapide  (anciens  Columbia  et  Normannia  achetés  à  la  C'^  hambourgeoise) 
de  7.600  et  8.700  t.,  filant  21  n..  Ces  navires,  transformés  en  croiseurs 
auxiliaires,  portent  chacun  6  canons  de  203  mm.  et  6  de  plus  petit 

(1)  Voir  p.  416,  dessin  et  description  da  Carlos  V, 

xxui  (JuiUet  98).  N-  235.  28 


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434  REVUE  FRANÇAISE 

calibre.  Les  autres  transports  sont  des  transatiantiques  :  Buenos-Aim 
(8.200  t.  U  n.)  ayant  10  canons,  Ma  de  Panay  (3.630  t.  13  n.)  armé 
de  2  canons,  Covadonga,  navire  charbonnier,  San-Franciaco  et  Colon 
portant  des  approvisionements  et  du  charbon.  L'escadre  a  4.437  hom- 
mes d'équipage. 

Le  secret  gardé  sur  la  composition  de  Tescadre,  permettait  de  croire 
au  dépai't  d'un  corps  expéditionnaire  important.  Or,  le  passage  dans  le 
canal  de  Suez  ne  révèle  la  présence  à  bord,  que  de  2.147  honunes  de 
troupe.  Le  Rapido  et  le  Fatria,  qui  transportiiient  facilement  en  Amé- 
rique 1.200  à  1.5<K)  passagers,  n'auraient  à  leur  bord  que  200  soldats 
chacun.  On-  se  demande  alors  quel  est  le  but  de  l'expédition,  si  de 
nouveaux  transports  ne  suivent  pas  prochainement.  Ce  n'est  évidem- 
ment pas  avec  2,000  hommes,  que  l'Espagne  prétend  reconquérir  les 
Philippines  et  lutter  contre  les  troupes  américaines? 

Telle  qu'elle  est  composée,  l'escadre  espagnole,  sans  compter  les  navires 
auxiliaires  qui  ne  sont  que  des  navires  sans  grande  valeur  pour  le  com- 
bat, est  en  mesure  de  lutter  avec  avantage  contre  l'escadre  américaine, 
qui  n'a  pas  de  cuirassé.  Mais  l'amiral  Dewey  sera  difficile  à  vaincre 
lorsque  le  monitor  Motiterey  et  plus  tard  le  Monadnock,  l'auront  rejoint 
devant  Manille.  Il  est  possible  alors  que  l'amiral  Camara  évite  le  combat 
et  cherche  plutôt  à  tromper  et  à  fatiguer  son  adversaire. 

G.  DE  Lasalle. 


EXPLORATEUÏÎS  ET  VOYAGEURS 

AFRIQUE 

Deux  explorateurs  français  MM.  Bailly- For  filière  et  PatUy^  ont  été 
massacrés,  le  16  mai  dernier  à  Zolou,  entre  les  rivières  Loffa  et  Saint- 
Paul,  dans  le  nord  de  la  république  de  Libéria.  Cette  r^on,  jusqu'ici 
inexplorée,  était  peuplée  de  tribus  belliqueuses  sur  lesquelles  aucune 
puissance  n'exerçait  d'influence.  Les  explorateurs  étaient  des  jeunes 
gens,  qui  s'étaient  épris  des  questions  coloniales  et  de  la  vie  d'explo- 
rateur.  L'un  d'eux,  Adrien  Pauly,  avait  fait  en  1894,  à  peine  âgé  de 
21  ans,  un  voyage  dans  le  haut  Sénégal.  Partie  de  Konakry  à  la  fin  de 
décembre  1897j  la  mission  Bailly  se  rendit  à  Farannah,  où  elle  était  le 


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EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS  435 

28  janvier  1898.  Avec  ses  70  porteurs,  elle  traversa  Benty,  la  Melkcorée, 
Pharmoréa,  Ouessou  et  Kaba,  ou  passe  le  télégraphe  venant  de  la  côte 
et  allant  au  Niger.  Le  pays  ainsi  parcouru  est  très  fertile  en  orangers, 
citronniers,  bananiers,  kolatiers,  caféiers. 

Après  Farannah,  M.  Bailly  entra  dans  le  Kissi,  pays  montagneux,  oiî 
Ton  cultive  presque  exclusivement  les  kolas.  Après  une  marche  de 
120  kil.  au  sud  de  Farannah,  les  sources  du  Niger  furent  atteintes  à 
une  attitude  de  850  m.  Partant  alors  pour  Kissidougou,  M.  Bailly  ren- 
contra dans  ce  poste,  le  commandant  du  cercle  M.  Moreau,  et  deux  autres 
Français.  Le  23  février,  il  repartit  pour  une  direction  S.  0.,  en  vue  de 
traverser  Thinterland  de  Libéria. 

Le  13  mars,  les  deux  explorateurs  étaient  à  Sapouyébara^  dans  la 
partie  basse  de  rOuaou.  C'est  de  ce  point  qu'est  partie  leur  dernière 
lettre  datée  du  26  mars  ;  ils  se  proposaient  alors  d'entrer  dans  le  pays 
des  Tomas,  puis  d'atteindre  la  rivière  Loffa,  de  la  descendre  jusqu'à 
Barkoma,  de  là  sur  le  Cavally,  enûn  d'arriver  à  Grand-Bassam.  C'est 
dans  ce  voyage  que  les  deux  explorateurs  ont  trouvé  la  mort  dans  des 
conditions  qui  ne  sont  pas  encore  connues. 

M.  de  Béhagle  (XXIII,  371),  dans  une  lettre  en  date  de  Bangui, 
2  mars  1898,  annonce  son  arrivée  dans  cette  localité.  Son  second,  M. 
Mercury,  doit  conduire  jusqu'à  Ouadda  les  approvisionnements  de  la 
mission.  Lorsque  tout  sera  prêt,  l'expédition  s'enfoncera  vers  le  nord, 
dans  la  direction  du  lac  Tchad.  M.  de  Béhagle  constate  Tinaction  des 
fonctiomiaires  du  Congo  et  le  développement  de  l'État  belge  au  détriment 
de  tous  les  intérêts  français. 

M.  Gentil  (XXIII,  371)  revenant  du  lac  Tchad,  est  arrivé  au  Gabon 
le  26  mai.  Il  s'est  embarqué  dans  le  milieu  de  juin  jiour  rentrer  en 
France.  Il  est  accompagné  de  l'ambassade  que  le  sultan  du  Baguirmi 
envoie  en  France. 

Une  lettre  du  capitaine  Marchand  (XXIII,  245),  en  date  de  Souhé,  l^*^ 
décembre  1897,  fait  connaître  qu'à  cette  date,  l'embarquement  du  maté- 
riel sur  le  Nil  était  en  train  de  s'effectuer.  Les  inembres  de  l'expédition 
étaient  dans  un  état  de  santé  aussi  bon  que  possible. 

M.  de  Bonchamps  est  arrivé  à  Mai*seille  le  25  juin,  après  s'être  embar- 
qué à  Djibouti,  au  retour  de  son  expédition  sur  le  haut  Nil.  A  son 
départ  d'Addis-Abeba,  sa  mission  secomposait  de  120  hommes.  Au  cours 


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436  REVUE  FRANÇAISE 

de  son  voyajïe,  il  a  eu  20  morts  ou  tués  et  20  déserteurs;  par  6  fois,  il 
a  dû  reformer  les  cadres  de  son  expédition.  Il  a  pu  s'approcher  à  un 
degré  du  Nil  Blanc,  après  avoir  traversé  des  pays  encore  inconuus  cl 
déserts.  Se  voyant  dans  Tinipossibilité  de  se  procurer  des  vivres,  il  a 
dû  revenir  sur  ses  pas,  se  trouvant  à  400  kil.  de  la  frontière  de  TAbys- 
sinie.  S'il  avait  eu  quelques  embarcations  légères,  il  aurait  pu  les  lan- 
cer sur  le  fleuve  Baro  et  se  rapprocher  ainsi  de  la  mission  Marchand. 
Au  cours  de  son  exploration,  M.  de  Bonchamps  a  signé  des  traités  avec 
plusieurs  chefs,  étendant  ainsi  Tinfluence  de  Ménélik  jusqu'au  Nil. 

ASIE  ET  OCÉANIE 

M.  Marcel  Monnier  (XXÎII,  160)  est  arrivé  à  Paris  le  26  juin,  à  la 
suite  du  tour  d'Asie  qu'il  vient  d'effectuer.  Parti  de  France  à  la  fin  de 
1894,  il  a  plus  particulièrement  visité  l'Indo-Chine  et  la  Chine.  Traver- 
sant ensuite  la  Sibérie,  il  a  parcouru  le  Turkestan,  le  nord  de  la  Perse, 
la  Transcaucasie  et  est  rentré  en  Europe  par  la  Russie. 

M.  ChaiUey-Bert  a  rendu  compte  de  sa  mission  à  Java.  Il  a  constaté 
combien  les  Hollandais  savaient  modeler  le  système  administratif  de 
leurs  colonies  aux  nécessités  imposées  par  la  nature  des  pays  et  le 
caractère  des  habitants.  Les  fonctionnaires  sont  recrutés  avec  un  grand 
soin,  et  continuent,  retraités,  à  vivre  dans  la  colonie.  Il  y  a  à  Java  plu- 
sieurs milliers  de  fonctionnaires  qui  vivent  de  leur  retraite  dans  les 
localités  situées  ta  500  et  700  mètres  d'altitude.  Les  colons  hollandais 
vont  là-bas  sans  esprit  de  retour  et  s'adonnent  à  la  culture  du  café,  du 
thé,  du  poivre,  de  la  cannelle,  du  tabac.  Les  terres,  propriétés  des 
villages,  sont  réparties  entre  les  familles,  tous  les  â,  3  ou  S  ans.  Mais 
certaines 'terres  ont  été  vendues  aux  Européens  ou  aux  Chinois, 


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NOUVELLES  GEOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 

AFRIQUE 

Algérie  :  La  cunirebande  du  sud.  —  La  création  de  marchés  francs  dans 
le  sud  de  l'Algérie,  réclamée  par  les  uns,  blâmée  par  d'autres,  vient  finale- 
ment d'avoir  des  résultats  opposés  à  ceux  qu'on  en  attendait.  Non  seule- 
ment le  trafic  n'a  pas  réussi,  mais  l'Algérie  elle-même  est  l'objet  d'an  transit 
actif  par  le  Maroc.  Le  président  de  la  Chambre  de  commerce  d'Alger,  dans 
une  lettre  adressée  au  préfet,  appelle  l'attention  sur  la  contrebande  et  les 
transactions  illicites  qui  s'effectuent  dans  tout  le  M'Zab  ;  il  réclame  l'appli- 
cation,  à  Djelfa,  Laghouat  et  au  M'Zab,  des  mesures  de  répression  appliquées 
déjà  à  Boghari  et  â  Médéa.  La  même  situation  est  constatée  à  Bou-Saâda  et 
partout  la  contrebande  s'exerce  surtout  sur  les  sucres  de  provenance  anglaise, 
qui  arrivent  du  Maroc  par  Figuig,  et  non  seulement  se  vendent  à  très  bas 
prix  dans  le  sud,  mais  encore  sont  expédiés  avec  bénéfice  sur  le  nord  de 
l'Algérie. 

Sahara  :  Météorologie,  —  M.  F.  Foureau,  au  cours  de  ses  8  voyages  au 
Sahara  algérien,  de  1883  à  18%,  a  fait  une  série  d'observations  météorolo- 
giques dont  nous  donnons  quelques  résultats  d'après  son  dernier  ouvrage  (1). 

Les  vents  les  plus  communs  au  Sahara  sont  ceux  de  N.-O.  et  de  S-.E- 
Chaque  soir,  presque  en  même  temps  que  le  soleil,  le  vent  se  couche,  disent 
lesChaambas;  un  seul  vent  fait  exception,  c'est  celui  du  N.-E.,  appelé  el 
dùtâne  (le  diable)  par  les  Arabes,  parce  qu'il  persiste  la  nuit.  Le  chihili  est 
un  vent  chaud  du  S.-O.,  soulevant  beaucoup  de  sable;  il  affole  les  boussoles. 

Les  chutes  de  grêle  ne  sont  pas  rares,  et  sont  toujours  accompagnées  de 
pluie. 

La  neige  tombe  tous  les  hivers  sur  les  hauts  sommets  du  Tassili  des  Azdjer 
(plus  de  1 500  mètres  d'altitude).  Duveyrier  avait  déjà  signalé  la  neige  au 
Ahaggar  et  M.  Erwin  von  Bary  au  Tassili  des  Azdjer  en  1876. 

En  janvier  1893,  à  une  altitude  de  300  à  400  mètres,  M.  Foureau  vit, 
pendant  plus  d'une  semaine,  le  thermomètre  descendre  chaque  nuit  à 
—  6<>C.;  le  vent  soufflait  fortement  du  N.-O.;  le  matin,  l'eau  exposée  à 
l'air  était  recouverte  d'une  épaisse  couche  de  glace. 

Les  fulguritas,  fragments  de  verre  grossier  produits  par  la  fusion  du  sable 
sous  le  choc  de  la  foudre,  ont  été  rencontrés  au  Sahara  par  M.  Foureau  et 
par  M.  Bernard  d'Attanoux. 

La  mission  Flatters,  —  Le  Bulletin  du  Comité  de  C Afrique  française  publie 
la  note  suivante  qui  met  fin  à  la  légende  des  survivants  de  la  mission  Flatters  : 

On  se  rappelle  l'émotion  très  vive  produite  en  France  par  Tex-interprète 
arabe  Djebari  qui  prétendait  avoir  rencontré,  au  cours  d'un  voyage  qu'il 
aurait  fait  en  Afrique  occidentale  et  centrale,  des  survivants  de  la  mission 

(1)  Mon  9"  voyage  au  Sahara^  mars-juin  1897.  Cballeroel  éditeur,  1898. 


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438  REVUE  FRANÇAISE 

Flatters  gardés  en  captivité  dans  une  oasis  de  TAdar.  Un  comité  spécial  s'était 
même  constitué  pour  aviser  aux  moyens  de  secourir  et  de  délivrer  ces 
Français.  Un  rapport  du  capitaine  du  génie  Cazemajou,  envoyé  par  le  mi- 
nistère des  colonies  et  le  Comité  de  l'Afrique  française  pour  reconnaître  la 
ligne  Say-Barroua,  établit  que  les  assertions  de  M.  Djebari  sont  absolument 
fantaisistes.  Les  conclusions  de  ce  rapport  sont  les  suivantes: 

i^  n  n'y  a  jamais  eu  de  survivants  de  la  mission  Flatters  ni  à  Thaoua,  ni 
sur  aucun  autre  point  de  TAdar  ; 

29  M.  Djebari  n'est  jamais  venu  dans  l'Adar. 

Congo  Iranç€d8  :  Commerce  en  48%.  ->  L'administration  coloniale  a  été 
jusqu'ici  fort  sobre  de  renseignements  sur  la  situation  commerciale  du  Congo 
français.  Elle  se  décide  à  donner  dans  la  Revue  coloniale  une  statistique  qui 
remonte,  il  est  vrai,  â  1896,  mais  qui  n'en  est  pas  moins  instructive  par  ses 
cbifiPres.  En  1896,  les  importations  au  Congo  français  ont  atteint  une  valeur 
totale  de  4.796.000  fr.,  dont  1.502.000  fr.  seulement  de  produits  irançaig. 
L'Angleterre  a  vendu  à  notre  colonie  consulaire  pour  1.795.000  ir.,  soit  sen- 
siblement plus  que  la  métropole;  l'Allemagne  lui  a  vendu  pour  800.000  fr., 
la  Hollande  pour  203.000  fr.,  l'État  du  Congo  pour  325.000  fr.,  etc. 

Les  principaux  produits  importés  au  Congo  français  sont  :  les  fils  et  tissus 
(1.506.000  fr.),  les  boissons  (716.800  fr.),  les  ouvrages  en  métaux  (561.000  fr.) 
les  armes,  poudres  et  munitions  (263.000  fr.),  les  produits  et  dépouilles  d'a- 
nimaux (202.600  fr.). 

Pendant  la  même  année  1896,  les  exportations  du  Congo  français  ont  été 
de  4.746.000  fr.  (c'est-à-dire  presque  égales  aux  importations)  dont  4  mil- 
lions 570.000  fr.  de  marchandises  du  cru  de  la  colonie.  La  France  a  reçu 
pour  583.400  fr.  de  produits  de  sa  colonie,  tandis  que  l'Angleterre  en  a  ab- 
sorbé près  de  4  fois  plus  (1.910.000  fr.),  l'Allemagne  621.000  fr.,  l'État  du 
Congo  725.600  fr„  etc.  La  France  n'arrive  donc  qu'au  4«  rang. 

Les  exportations  du  Congo  finançais  consistent  notamment  en  huiles  et 
sucs  végétaux  (2.085.000  fr.),  matières  dures  à  travailler  (1.772.300  fr.),  bois 
exotiques  (456.000  fr.),  fruiU  et  graines  (209.000). 

Le  Congo  est  encore  une  de  nos  colonies  où  la  plus  grosse  par t^ du  trafic  se 
trouve  être  aux  mains  des  étrangers.  Ce  résultat  contraste  étrangement  avec 
celui  du  Congo  belge  où  73  0/0  des  produits  importés  sont  de  provenance 
belge. 

État  du  Congo  :  Commerce  en  4897  (t.  XXII,  p.  613).  —  Toujours 
remarquable  dans  ses  résultats,  le  commerce  général  total  de  l'État  du 
Congo  a  atteint,  en  1897,  40.884.000  francs,  dont  17.457.000  fr.  pour  les 
exportations  et  23.427.000  fr.  pour  les  importations.  Comparé  à  l'année 
précédente,  il  y  a  une  plus-value  globale  de  31  0/0,  et  si  on  compare  1897 
à  1893,  on  trouve  en  4  ans  une  progression  de  140  0/0. 

Les  importations  au  Congo  consistent  surtout  en  tissus  de  coton,  denrées 
alimentaires,  conserves,  articles  en  métal,  machines,  etc. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONULES  439 

Les  quantités  d'alcool  importées  ont  Congo  ont  fort  heureusement  baissé 
de  1.465.500  litres  en  1895  à  1.138.000  litres  en  1897. 

Les  recettes  de  TEtat  du  Ck)ngo,  qui  n'étaient  que  de  74.000  fr.  en  1886,  se 
sont  élevées  suecessivement  à  1.319.000  fr.  en  1891,  à  5.887.000  en  1896,  et  à 
9.183.000  en  1897  ;  les  recettes,  qui  n'atteignaient  que  4,87  0/0  des  dépenses 
en  1886,  28,97  0/0  en  1891,  ont  atteint  en  1897  68,21  0/6  des  dépenses.  Il  y 
a  donc  amélioration  sensible. 

Les  produits  exportés  par  l'Etat  du  Congo  sont  surtout,  pour  1897,  le 
caoutchouc  (1.785.000  kg.,  valant  8.927.000  fr.,  contre  242.000  kg.  seule- 
ment en  1893);  l'ivoire  (245.800  kg.,  valant  4.916.500  fr.);  le  café,  le  cacao, 
l'huile  de  palme,  les  noix  palmistes.  La  Belgique  seule  a  acheté  en  tout  pour 
12.88^^.000  fr.  de  produits  congolais  en  1897,  soit  plus  des  2/3  des  produits 
exportés. 

Sous  le  rapport  des  importations,  la  part  de  la  Belgique  est  plus  brillante 
encore,  car  elle  est  de  73  0/0  —  16  millions  sur  23.  11  y  à  5  ans  elle  n'était 
que  de  48  0/0.  On  voit  par  là  quel  merveilleux  parti  les  Belges  savent  tirer 
du  Congo  et  quel  exemple  ils  nous  donnent. 

Madagascar  :  Situation.  —  La  un  de  la  saison  des  pluies  va  permettre 
de  reprendre  les  opérations  contre  les  Sakalaves  du  Ménabé.  Des  tirailleurs 
sénégalais,  dont  l'endurance  a  été  particulièrement  remarquée,  vont  être 
.  spécialement  employés,  dès  leur  arrivée,  à  ces  opérations.  Quant  à  la  péné- 
tration chez  les  Mahafales,  Antandroys  et  autres  tribus  situées  entre  Fort- 
Dauphin  et  TuUéar,  la  réduction  du  corps  d'occupation  ne  permettra  d'agir 
de  ce  côté  qu'après  la  complète  pacification  du  Ménabé. 

Le  Journal  officiel  de  Tananarive  a  publié  un  arrêté  en  vertu  duquel  tout 
indigène  âgé  de  21  ans  et  originaire  de  l'Imérina  doit  le  service  militaire 
pour  5  années,  conformément  à  la  loi  malgache  du  25  mars  1879.  Mais 
l'exonération  sera  admise  moyennant  un  versement  variant  de  50  à  150  fr., 
selon  le  nombre  des  années. 

Colonisation,  —  Le  général  Gallieni,  dans  son  voyage  au  N.-E.  de  l'Emyrne 
et  dans  la  vallée  de  la  Mananara,  a  pu  constater  les  progrès  de  la  colonisa- 
tion. A  Ambatomainty,  village  arrosé  par  le  Sahasarotra,  le  Père  Crâne  con- 
tinue à  développer  les  rizières,  les  pépinières  d'arbres  et  les  jardins  potagers. 

La  concession  obtenue,  dans  la  vallée  de  Mananara,  par  M.  Sauton,  archi- 
tecte, fils  de  l'ancien  président  du  conseil  municipal  de  Paris,  est  très  fer- 
tile, surtout  pour  les  céréales.  M.  Sauton  se  propose  de  se  livrer  en  grand 
à  la  culture  du  blé,  afin  de  fournir  la  farine  à  Tananarive  â  un  prix  très  bas.  Il 
compte  aussi  cultiver  l'avoine  de  la  même  façon  (afin  de  remplacer  le  paddy 
pour  la  nourriture  des  animaux  de  selle  et  de  trait). 

M.  Bontemps,  géomètre,  qui  opère  dans  le  cercle  de  Anjozorobé,  délimite 
ane  concession  de  2.500  hectares  attribuée  à  M.  Souhaité,  sur  la  rive  droite 
de  la  Mananara.  La  pacification  trop  récente  du  pays  n'a  pas  encore  permis 
à  l'agriculture  indigène  de  prendre  tout  son  développement,  mais  chaque 
our  amène  de  nouveaux  progrès. 


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iiO  REVUE  FRANÇAISE 

Dans  le  secteur  de  Manankasina  (cercle  d'Ankazobé)  10  lots  de  colonisation 
ont  été  reconnus,  sur  les  rives  de  llkopa;  ils  ont  de  l'eau  et  de  la  tourbe 
en  abondance.  Dans  le  secteur  d'Ambohimanjaka,  3  lots  ont  été  reconnus. 

La  vallée  de  la  Mananara  est  une  des  régions  les  plus  favorables  à  la  colo- 
nisation. L'eau  y  est  abondante,  les  pâturages  sont  excellents,  le  terrain  esl 
très  bon  et  le  pays  salubre.  Les  indigènes  cultivent  le  riz,  les  patates,  le 
manioc,  le  maïs,  les  pommes  de  terre,  les  haricots,  le  tabac,  les  arbres  frui- 
tiers. Tous  les  légumes  d'Europe  viennent  bien,  ainsi  que  le  blé  et  Tavoine. 
L'élevage  peut  très  bien  réussir. 

Prix  de  la  vie  à  Tananarive.  —  La  vie  matérielle  est  chère  à  Tananarive» 
par  suite  des  difficultés  de  transport  entre  la  côte  et  Tintérieur  et  aussi  à 
cause  de  Taffluence  des  nouveaux  colons.  Une  pension  au  restaurant  vaut  de 
100  à  180  fr.  par  mois  ;  le  loyer  d'une  maison  d^habitation  coûte  de  60  à 
180  fr.,  celui  d'un  magasin  sur  une  rue  fréquentée  coûte  jusqu'à  450  fr. 
Un  repas  d'hôtel  se  paie  3  à  4  fr.  Le  vin  ordinaire  vaut  2  fr.  50  à  3  fr.  le 
litre  et  le  pain  1  fr.  50  le  kilogr.  On  sait,  par  contre,  que  les  produits  do 
pays  sont  à  très  bon  marché. 

Cyclisme,  —  Il  est  assez  curieux  de  constater  l'extension  du  cyclisme  dans 
un  pays  qui  ne  possède  encore  pas  de  roules,  car  la  circulation  à  bicyclette 
n'est  quelque  peu  praticable  que  dans  les  environs  de  la  capitale.  Ce  sport  a 
du  succès,  non  seulement  chez  les  Européens,  mais  encore  chez  les  Mal- 
gaches. Le  47  avril  a  eu  -lieu  sur  la  place  Mahamasina,  autrefois  réservée 
au  couronnement  des  souverains,  une  brillante  réunion  organisée  par  le 
Sport-Club  de  Tananarive  et  présidée  par  le  général  Gallieni.  Des  courses 
ont  eu  lieu  pour  Européens  et  pour  Malgaches.  La  réunion  a  pris  fin  sur  un 
défilé  auquel  ont  participé  M"«  Rasanjy,  fille  du  gouverneur  hova,  gracieuse- 
ment costumée  aux  couleurs  françaises,  et  la  plupart  des  coureurs.  Le  Jour- 
nal officiel  a  tiré  très  habilement  la  conclusion  pratique  de  cette  réunion  en 
faisant  ressortir  l'intérêt  qu'il  y  aurait,  une  fois  le  réseau  des  routes  com- 
plété, à  i-ecruter  parmi  les  Malgaches  des  coureurs  à  bicyclettes  pour  tous 
les  services  et  notamment  pour  les  communications  postales. 

Goxnores  :  SUtialion,  —  La  résidence  des  Comores  a  été  successivement 
occupée,  dans  ces  dernières  années,  par  MM.  Humblot,  le  commandant 
Decazes,  et  M.  Pobéguin,  titulaire  actuel.  Ce  dernier  a  changé  tout  ce  qui 
existait  à  son  arrivée  ;  comme  son  prédécesseur  avait  fait  avant  lui.  On  veut 
appliquer  le  Code  civil  aux  Comoriens,  ce  qui  n'empêche  pas  de  vendre  des 
esclaves  publiquement  par  permission  des  cadis.  L'impôt  a  été  élevé,  cette 
année,  de  33  0/0.  Les  fonctionnaires,  qui  n'existaient  pas  du  temps  de 
M.  Humblot,  qui  étaient  5  au  temps  de  M.  Decazes,  sont  9  cette  année.  Un 
progrès  à  signaler  pourtant  :  un  paquebot  des  Messageries  Maritimes  touche 
à  la  Grande  Comore  le  24  de  chaque  mois.  Il  y  dépose  le  courrier,  y  prend 
les  passagers,  mais  n'accepte  ni  colis  ni  marchandises. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  44i 

Navigation  par  Suez  en  1897.  —  D'après  les  statistiques  eoncernant 
le  canal  de  Suez,  la  uavigation  en  1897  s'est  chiffrée  par  2.986  navires 
(3.409  en  1896)  représentant  un  tonnage  net  de  7.899.373  tonnes  (8.560.283 
en  1896).  Voici  la  répartition  du  transit  en  1897  (*)  par  nationalité,  nombre 
de  navires  et  tonnage  net  : 

Pavillons.  Navires.    Tonn.  net.  Pavillons.  Navires.    Tonn.  net. 

Anglais 1.905  5.319.136t             Ottoman 7  5.557 1 

Allemand  ....  325  858  685               Chinois 3  4.067 

Français 202  519.605  Américain     ...  3  3.7U 

Néerlandais  ...  206  382.248  Egyptien    ....  3  3.411 

Austro-Hongrois  .  78  184.037               Siamois 2  2.559 

Russe 44  144.439              Suédois 1  1.225 

Espagnol    ....  48  137.831               Danois 2  1.043 

Italien 71  129.464  Mexicain    ....  1  531 

Japonais 36  114.435  Portugais  ....  1  195 

Norvégien.   ...  48  87.186 

Le  pavillon  anglais  supporte  une  large  part  de  la  diminution  totale  du 
transit  et  voit  son  tonnage  baisser  de  près  de  500.000  tonnes.  Le  pavillon 
allemand  gagne,  par  contre,  52.000 1.  Le  pavillon  français  baisse  de  13.000 1. 
Le  pavillon  néerlandais  gagne  un  rang,  quoique  ne  s'augmentant  que  de 
2.()00  t.  C'est  que  le  pavillon  italien,  dont  laugmentation  de  1896  n'était 
due  qu'à  une  cause  temporaire  (la  guerre  d'Abyssinie),  perd  en  1897 
263.000  t.  et  tombe  du  4^  au  8«  rang  (chiffre  inférieur  encore  de  17.000  t.  à 
celui  de  1895).  Le  pavillon  austro- hongrois  gagne  26.000  t.,  celui  de  la 
Russie  10.000  t.,  tandis  que  celui  de  l'Espagne  en  perd  45.000  t.  Le  pavillon 
japonais,  dont  les  progrès  avaient  déjà  été  considérables  en  1896,  progresse 
encore  de  84.000  t.  en  1897,  c'est-à-dire  qu'il  devient  4  fois  plus  fort.  Le 
pavillon  norvégien  s'augmente  de  14.000  t.,  celui  de  la  Turquie  perd 
36.000 1  et  son  tonnage  n'est  plus  que  le  1/8  de  celui  de  189i).  Les  pa- 
villons chinois,  américain,  danois  et  suédois,  qui  avaient  disparu  Tannée 
précédente,  reparaissent  cette  année.  Le  pavillon  égyptien  reste  à  peu  près 
insignifiant.  Le  pavillon  belge  disï)araîl,  tandis  qu'on  voit  apparaître  les 
pavillons  siamois  et  mexicain.  Enfin,  le  pavillon  portugais  arrive  au  der- 
nier rang  et  perd  les  29/30  de  son  chiffre. 

La  proportion  par  tonnage  est  la  suivante  :  anglais,  67,3  0/0;  allemand, 
10,8;  français,  0,6;  néerlandais,  4,8;  austro-hongroiîs,  2,3;  russe,  1,8;  es- 
pagnol, 1,7;  italien,  1,6;  japonais,  1,4,  etc.  En  comparant  avec  les  chiffres 
de  1896,  il  y  a  diminution  de  0,7  0/0  pour  le  pavillon  anglais  et  augmenta- 
tion de  1,4  pour  le  pavillon  allemand,  de  0,4  pour  le  pavillon  français,  et 
de  0,4  pour  le  pavillon  néerlandais. 

Par  rapport  au  tirant  d'eau,  1.78!2  navires  calaient  7  mètres  ou  au-des- 
sous; 1.595  avaient  un  tirant  supérieur  à  7  mètres,  et  parmi  ceux-ci  391 

(1)  Voir  le  transit  en  1896,  R(W.  Fr.y  t.  XXII,  p.  441,  juillet  1897. 


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442  REVUE  FRANÇAISE 

dépassaient  7",50.  Ca  dernier  chifiFre,  supérieur  de  31  à  1896,  indique  une 
nouvelle  progression  dans  le  nombre  des  gros  navires. 

Le  nombre  des  passagers,  qui  était  de  308.241  en  1896,  est  tombé  â 
191.224  en  1897.  Dans  ce  nombre,  on  compte  14.743  passagers  spéciaux 
(pèlerins,  émigrants,  transportés),  83.833  passagers  civils  et.  92.639  mili- 
taires. C'est  ce  dernier  chiffre  surtout  qui  a  beaucoup  baissé,  car  il  était  de 
198.5i0  en  1896.  Parmi  les  militaires,  on  compte  30.647  Anglais,  15.302 
Français,  13.254  Russes,  11.789  Espagnols,  10.384  Italiens,  etc. 

ASIE 

CShine  :  Massacre  du  P.  Berthollet,  —  Les  Missions  catholiques  de  Lyou 
publient  une  lettre  du  préfet  apostolique  du  Kouang-Si  annonçant  le  mas- 
sacre du  P.  Berthollet.  Celui-ci  était  parti  le  25  mars  pour  visiter  les  chré- 
tientés des  sous-préfectures  de  Ly-Pou-Hien  et  de  Yun-Ngan-Tchéou.  Grâce 
à  la  protection  de  quelques  soldats,  le  voyage  s'effectua  sans  incidents  et  le 
mandarin  de  Yun-Ngan  accueillit  parfaitement  le  P.  Berthollet.  Le  21  avril, 
le  missionnaire  quitta  Yun-Ngan  avec  quelques  chrétiens.  A  une  lieue  el 
demie  de  la  ville  la  caravane  venait  de  passer  un  pont  quand  une  quinzaine 
d'individus  de  mauvaise  mine  l'arrêtèrent.  A  un  signal  donné  les  tam-tam 
et  les  conques  marines  sonnèrent  le  rappel  et  plusieurs  centaines  de  forcenés 
armés  de  fusils,  de  lances ,  de  piques  s'avancèrent  contre  le  P.  Berthollet 
Celui-ci  voulut  se  réfugier  dans  un  village,  mais  toutes  les  portes  se  fer- 
mèrent devant  lui.  Il  rebroussa  alors  chemin,  mais  cerné  de  tous  côtés,  cri- 
blé de  coups  de  lance  il  s'affaissa  et  expira.  Deux  chrétiens  indigènes  furent 
tués,  d'autres  emmenés  captifs. 

Le  sous-préfet  averti  accourut  avec  40  hommes,  mais  il  ne  put  que  rele- 
ver les  cadavres  et  les  fit  ensevelir.  Il  manda  aussitôt  l'auteur  du  crime, 
mais  celui-ci  étant  arrivé  entouré  de  sa  bande  armée,  le  sous-préfet  n'osa 
le  faire  arrêter.  Les  jours  suivants  on  pilla  les  maisons  des  chrétiens.  Le 
gouverneur  du  Kouang-Si  est  animé  de  sentiments  différents  de  ceux  du  sous 
préfet.  Vingt  jours  après  le  crime,  il  n'avait  pris  aucune  mesure  de  répres- 
sion et  son  hostilité  pour  les  Européens  n'est  pas  douteuse. 

Dès  que  la  nouvelle  de  l'assassinat  du  P.  Berthollet  a  été  connue,  le  mi- 
nistre de  France  à  Pékin  a  exigé  des  satisfactions  du  gouvernement  chinois. 
Celui-ci  a  accordé  ce  qu'on  lui  demandait  :  condamnation  des  coupables; 
châtiment  des  autorités;  indemnité  de  100.000  fr.  et  construction  d'une 
chapelle  commémorative.sur  le  point  où  le  crime  a  été  commis. 

Chemin  de  fer  de  Pakhoï.  —  En  même  temps  qu'il  accordait  salisfeclion 
à  la  France,  le  gouvernement  chinois,  par  acte  séparé,  lui  donnait  la  con- 
cession d'une  ligne  de  chemin  de  fer  reliant  Pakhoï,  dans*  le  golfe  de  Ton- 
kin,  à  la  vallée  du  Si-Kiang  et  à  Nang-Ningfou.  On  ne  voit  pas  l'intérêt  qu'il 
peut  y  avoir  pour  la  France  à  détourner,  en  dehors  du  Tonkio  —  car  Pa- 
khoï est  en  Chine  —  le  courant  commercial  du  Kouang-Si,  que  Ton  s'efforce 
d'attirer  vers  Lang-son.  Il  faut  plutôt  croire  que  cette  concession  n'a  été 


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NOUVELLES  GÉOGRAPfflQl^SS  ET  COLONIALES  443 

demandée  par  la  France  que  pour  empêcher  son  attribution  à  TAngleteiTe 
qui  y  serait  plutôt  intéressée  et  qu'elle  n'entrera  pas  dans  la  période  d'exé- 
cution. 

Hong-Kong  :  Cession  d'un  hinterland.  —  Par  une  convention  signée  à 
Pékin  le  9  juin  1898,  la  Grande-Bretagne  obtient  la  concession  à  bail,  pour 
une  durée  de  99  ans,  de  territoires  situés  en  face  de  Hong-Kong.  La  super- 
ficie totale  de  ces  territoires  est  de  200  milles  carrés.  La  Chine  garde  la  côte 
nord  de  la  baie  de  Mirs  et  de  la  baie  de  Deep,  mais  elle  cède  à  bail  à  l'Angle- 
terre les  eaux  de  ces  deux  baies.  Les  Anglais  obtiennent  ainsi  un  agrandis- 
sement sérieux  de  territoire,  puisqu'il  s'agit  de  SOO  kilomètres  carrés.  L'avan- 
lafçe  n'est  pas  seulement  stratégique  (le  territoire  cédé  contient  des  hauteurs 
qui  commandent  la  ville  de  Hong-Kong)  ;  mais  ce  territoire  peut  devenir  le 
point  de  départ  d'un  chemin  de  fer,  soit  vers  Canton  (ce  qui  peut  paraître 
superflu),  soit  vers  l'intérieur,  et  môme,  éventuellement,  vers  le  Yang-Tsé 
(Han-Kéou).  . 

On  peut  se  demander  dans  quelle  mesure  ce  nouveau  succès  des  Anglais 
se  concilie  avec  l'engagement  formel  que  la  Chine  a  pris  d  notre  égard  de  la 
non-cession  à  d'autres  puissances  d'avantages  territoriaux  dans  les  provinces 
avoisinant  le  Tonkin. 

OCÉANIE 

Philippines  :  Le  coprah,  —  Le  cocotier  commun,  qui  croit  surtout 
dans  les  terrains  voisins  de  la  mer  et  imprégnés  de  substances  salines,  est 
un  des  principaux  arbres  des  Philippines.  Son  fruit,  le  coco,  a  une  amande 
qui  est  un  aliment  agréable  lorsque  le  fruit  n'est  pas  parvenu  à  maturité  ; 
plus  lard,  l'amande  devient  dure  et  acre  ;  concassée  alors  et  séchée,  on  en 
tire  l'huile  de  coco  ou  le  coprah. 

Cette  huile  a,  pendant  longtemps,  été  l'objet  d'une  grande  consommation 
aux  Philippines;  mais  depuis  l'introduction  du  pétrole  anglais  et  américain, 
on  l'exporte.  Les  provinces  de  la  Laguna  et  de  Visayas  sont  celles  qui  pro- 
duisent le  plus  de  coprah.  M.  Edouard  Vidal,  négociant  français,  a  perfec- 
tionné la  fabrication  de  cette  huile  dès  1882,  et  a  été  l'un  des  promoteurs  de 
son  exportation.  En  1883,  418  piculs  de  coprah  étaient  vendus  en  Europe  ; 
on  en  vendait  4.783  en  1885  ;  enfin,  en  1894,  on  en  a  vendu  pour  2.349.(K)0 
piastres,  représentant  un  poids  de  34. 810. (KX)  kilogrammes.  La  France  est 
le  pays  qui  en  a  acheté  le  plu»  (1 062  000 piastres). 

Voici  comment  on  fabrique  le  coprali  :  Dans  la  province  de  Misamis,  quand 
le  fruit  est  mûr,  on  le  divise  en  deux  et  on  le  met  au  soleil.  En  quelques 
heures,  la  chair  du  coco  se. contracte  et  se  détache  de  la  coque.  On  ramasse 
ces  morceaux  de  noix  et  on  les  laisse  au  soleil  pendant  plusieurs  jours, 
jusqu'à  ce  que  l'eau  do  l'amande  soit  évaporée.  Le  coprah  est  bon  à  être 
vendu  lorsque  en  voulant  le  plier,  il  se  rompt.  Le  coprah  de  deuxième  (|ualilé 
s'obtient  en  séchant  les  amandes  à  la  fumée.  Les  Cliinois  ont  les  premiers 
employé  ce  moyen  détestable  pour  produire  plus  vite,  et  les  indiens  les  ont 


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444  REVUE  FRANÇAISE 

I  )  imités.  L'industrie  du  coprah,  née  il  y  a  14  ans  aux  Pliilippines,  est  une  de 

1*  celles  qui  paraissent  avoir  le  plus  d'avenii*  dans  l'archipel, 

Australie  :  Restriction  de  l'immigration,  —  Le  gouvernement  de  l'Aus- 
tralie occidentale  vient  de  mettre  en  vigueur  une  loi  interdisant  l'accès  de 
la  colonie  aux  personnes  ne  sachant  ni  lire  ni  écrire,  aux  indigents,  aux 
personnes  atteintes  de  maladies  contagieuses,  aux  individus  ayant  été  depuis 
moins  de  3  ans  condamnés  pour  crimes,  aux  prostituées  et  aux  personnes 
vivant  de  la  prostitution  d*autrui. 

Les  capitaines  et  propriétaires  des  navires  ayant  débarqué  des  immigrants 
appartenant  aux  catégories  précédentes  sont  passibles  d'une  amende  de  2500 
à  12500  francs  par  immigrant,  et  le  navire  pourra  être  saisi  jusqu'au  paie- 
ment de  l'amende,  et  au  dépôt  d'une  provision  destinée  à  couvrir  les  frais 
de  renvoi,  hors  de  la  colonie,  des  immigrants  en  question. 

Comme  on  le  voit,  l'Australie  entre  dans  la  voie  tracée  par  les  États-Unis. 
Ce  système,  qui  a  du  bon,  devrait  bien  être  appliqué,  dans  une  certaine 
mesure,  dans  plusieurs  de  nos  colonies,  notamment  en  Algérie  et  en  Tunisie, 
pour  nous  protéger  du  rebut  de  population  que  l'Espagne  et  surtout  l'Italie 
nous  envoient  chaque  année. 

EUROPE  ET  DIVERS 

'^  Allemagne  :  Direction  de  rémigration.  —  Les  colonies  que  l'Allemagne 

^  a  acquises  dans  ces  dernières  années  n'ont  pas  re<:u  et  ne  sont  guère  suscep- 

^  tibles  de  recevoir  une  forte  proportion  de  colons  européens.  Aussi  la  grande 

masse  des  émigrants  allemands  continue-t-elle  à  se  diriger  sur  des  pays  où 
ne  flotte  pas  le  drai)eau  germanique.  Le  même  cas  se  présente  aussi  pour 
l'Italie. 

Une  nouvelle  loi  allemande,  mise  en  vigueur  le  l^*"  janvier  1898,  vient 
précisément  de  régler  Témigration,  Cette  loi  veut  empêcher  que  les  émi- 
grants ne  soient  les  victimes  des  agences  qui  entreprennent  de  les  trans- 
porter au  loin  :  elle  soumet  donc  ces  agences  à  un  contrôle  très  étroit. 

Le  gouvernement  allemand  cherche  aussi  à  créer,  dans  les  pays  étrangers 
des  centres  compacts  de  population  germanique,  de  manière  à  y  former  des 
colonies  réelles  et  d'éviter  Téparpillement  des  émigrants.  L'émigration  alle- 
mande dépasse  généralement  100000  individus  par  an  et  se  porte  surtout 
vers  les  États-Unis,  où  les  Allemands  tendent  à  se  perdre  dans  la  grande 
masse  anglo-saxonne  ;  se  faisant  très  rapidement  naturaliser  Américains, 
leurs  enfants  ne  se  distinguaient  plus  guère  des  vrais  Américains. 

Le  gouvernement  allemand  pour  éviter  cette  perte  sèche,  veut  diriger 
l'émigration  vers  des  pays  où  il  y  a  encore  de  la  place  et  pour  cela,  la  nou- 
velle loi  spéciûe  que  la  création  d'agences  d'émigration  ne  sera  autorisée  que 
si  ces  agences  ont  pour  but  de  transporter  les  émigrants  vers  les  pays  que  le 
gouvernement  allemand  juge  aptes  à  la  colonisation  nationale.  On  ne  sait 
pas  encore  quelles  seront  les  régions  préférées  du  gouvernement  de  Berlin, 
mais  l'application  de  cette  loi  modifiera  certainement  sensiblement  le  cou- 
rant du  flot  allemand  à  l'étranger. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  443 

Gibraltar  :  Navigation,  —  Le  port  franc  de  Gibraltar,  dont  le  mouvement 
commercial  est  intéressant  à  suivre,  en  comparaison  avec  celui  d'Alger,  a 
reçu,  en  1897,  la  visite  de  4.307  navires  jaugeant  4.373.784  tonnes.  Le  pavillon 
anglais,  à  lui  seul,  est  représenté  par  2.652  navires  et  3.316.162 1.  Viennent 
ensuite  les  pavillons  allemand  (383.632  t.),  espagnol  (164.8i5t.),  suédo-nor- 
végien  (133.375 1.),  français  (130.478  t.) 

En  1897,  il  y  aeu  pour  les  vapeurs  entrés  à  Gibraltar,  une  diminution  de 
36  vapeurs  et  une  augmentation  de  37.248  t.  La  diminution  des  naviree  pro- 
vient de  la  suspension  de  quelques  petits  services  de  caboteurs.  Quant  à  l'aug- 
Dienlation  du  tonnage,  elle  provient  de  la  relâche  des  grands  paquebots  de  la 
ligne  hambourgeoise-américaine,  desservant  l'Italie  et  TAmérique,  qui  font 
r^ulièrement  escale  à  Gibraltar,  depuis  le  printemps  1897. 

Pour  les  voiliers,  la  diminution  est  de  31  bâtiments  et  3.682  t.  En  réunis- 
sant les  vapeurs  et  les  voiliers,  il  y  a  une  diminution  de  107  navires  et  une 
augmentation  de  33.566 1. 

Le  commerce  du  charbonnage  des  navires,  qui  avait  décru,  de  1889 
(562.000  t.),  â  1896  (262.000  t.),  au  grand  avantage  d'Alger,  qui  avait  su 
attirer  dans  son  port  les  navires  ayant  à  relâcher  pour  faire  du  charbon,  a 
repris  sa  marche  en  avant,  en  1897  (283.000  t.).  Cette  reprise  résulte 
des  droits  de  quai  établis  au  port  d'Alger,  dont  le  résultat  a  été  l'éloignement 
d'un  certain  nombre  de  navires.  Les  charbons  de  Gibraltar  sont  tous  de  pro- 
venance britannique. 

Russie  :  Pétrole  à  Bakou.  —  Le  port  de  Bakou  est  devenu  le  premier 
centre  commercial  de  la  mer  Caspienne,  grâce  au  voisinage  des  gisements  de 
naphte  et  à  sa  situation  sur  ies  routes  entre  la  Russie,  l'Asie  centrale  et  la 
Perse.  On  ne  rencontre  plus  autant  de  puits  jaillissant  spontanément  qu'autre- 
fois dans  la  péninsule  d'Apcheron,  mais  la  production  de  l'huile  pourrait  être 
presque  illimitée,  et  les  puits  donnant  jusqu'à  5.000  tonnes  par  jour  sont 
encore  nombreux.  Une  de  ces  sources  avait  un  débit  de  10.000  tonnes  par 
jour  et  procurait  150.000  fr.  par  jour  à  son  propriétaire  ;  cet  énorme  débit 
n'a  pas  duré,  mais  en  deux  mois,  le  puits  a  fourni  pi  us  de  300.000  tonnes  d'huile 
valant  près  de  4  millions  de  fr.  Dans  les  districts  avoisinantle  Volga,  lepétrole 
sert  comme  combustible. 

Bakou  possède  de  nombreuses  rafllneries  transformant  Thuilo  brute  en  di- 
vers produits  expédiés  â  Astrakan  et  sur  le  Volga,  aux  ports  russes  et  per- 
sans de  la  Caspienne,  ou  envoyés  par  chemin  de  fer  à  Batoum,  pour  être 
transportés  par  la  mer  Noire.  Le  commerce  de  pétrole  a  développé  la  naviga- 
tion sur  la  Caspienne,  et  l'industrie  de  la  construction  et  de  la  réparation 
des  navires  est  une  des  principales  de  Bakou. 

Les  populations  de  l'Europe,  —  La  population  totale  de  l'Europe  en 
1897  serait  de  380  millions  d'habitants,  alors  qu'elle  n'était  que  de  343  mil- 
lions en  1887.  En  dix  ans,  la  densité  ar  kilomètre  carré  est  donc  montée  de 
33  à  39. 


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446  REVDE  FRANÇAISE 

La  Russie  d'Europe  (avec  la  Finlande),  renferme  à  elle  seule  106300000 
habitants,  soit  près  du  tiers  du  total.  La  plus  forte  population  existe  ensuite 
en  Allemagne  (52300000  hab.),  puis  en  Autriche-Hongrie  (43  500  000  hab.) 
Le  Royaume-Uni  (G^®  Rretagne)  vient  au  4«  rang  (39  800  000  hab.)  et  la 
France  au  5»  (38  500  000  hab.).  L'Italie  (31  300  000  hab.)  et  TEspagne  18  mil- 
lions sont  ensuite  les  seuls  autres  états  qui  dépassent  10  millions  d'habitants. 

Les  autres  états  européens  se  classent  ainsi  :  Belgique  6  500  000  habitants; 
Turquie  d'Eurdpe  5  800000;  Roumanie  5600000;   Portugal  5  millions 
Suède  5  millions  ;  Pays-Bas  4  900  000;  Bulgarie  3  300  000  ;  Suisse  3  millions 
Grèce  2  400  000  ;  Danemark  2  300  000  ;  Serbie  2  300  000  ;  Norvège  2  millions 
etc. 

La  plus  forte  densité  de  population  est  celle  de  la  Belgique,  qui  compte 
220  hab.  par  kOom.  carré,  viennent  ensuite  :  Tltalie  (169),  les  Pays-Bas  (149) 
la  Gd«  Bretagne  (126),  TAllemagne  (97).  La  Suisse  a  73  et  la  France  72  hab. 
par  kilom.  carré  ;  TAutriche-Hongrie  en  a  69  :  parmi  les  états  importants. 
TEspagne  n*en  a  que  36,  la  Russie  d'Europe  que  20  par  kilom.  carré. 

Depuis  10  ans,  c'est  la  Russie  qui  a  vu  sa  population  augmenter  le  plus 
(17  800000  hab.  de  plus  qu'en  1887.  soit  1,45  Vo  P&i*  ^)-  L'Allemagne  vient 
ensuite  avec  1.15  Vo>  P"is  l'Autriche  avec  0,96  Vo»  l'Angleterre  avec  0,58Vf, 
l'Italie  avec  0,45  <>/o.  En  France,  le  coefficient  tombe  à  0,08  Vo- 

En  tenant  compte  de  ces  taux  d'augmentation,  la  Russie  d'Europe  aurait  k 
la  fin  du  20e  siècle  228  millions  d'hab.,  l'Allemagne  106  Vj,  l'Autridie- 
Hongrie  79,  l'Angleterre  65,  l'Italie  44  V4.  La  France  n'aurait  que  40  mil- 
lions V,  !  Ce  tableau  très  suggestif  montre  donc  quel  rang  inférieur  la  France 
occupera  dans  un  siècle  si  la  natalité  ne  progresse  et  si  celle  des  autres  puis- 
sances ne  subit  pas  un  temps  d'arrêt  sérieux. 

Petites  aouTelles.  —  Ua  décret  du  21  mai,  porte  sappression  des  fonctions  de 
directeur  de  Tintérieur  et  de  secrétaire  général  des  directions  de  Tintérieur  aux  colo- 
nies. Les  attributions  de  ces  fonctionnaires  sont  dévolues  au  gouverneur,  qui  sera 
assisté  d'un  secrétaire  général. 

—  Par  décrets  du  28  juin,  sont  nommés  (cabinet  Brisson)  :  M.  Delcassé,  député, 
ministre  des  affaires  étrangères;  M.  Trouillot,  député,  minrstre  des  colonies. 
M.  Trouillot  est  avocat  à  Lons-le-Saulnier  ! 

Liégion  d'honneur.  —  Par  divers  décrets  ont  été  nommés  :  chevalier,  MM.  E.-A. 
Martel,  explorateur,  et  L.  Rousselet;  M.  Morisson,  Truptil,  capitaines,  Hanet,  lieut*, 
blessés  à  la  prise  de  Sikasso  ;  commandeur,  M.  Binger,  pour  la  part  importante  prise 
aux  négociations  du  Niger. 

La  question  d'Orient  depuis  le  traité  de  Berlin,  par  Max  Chou- 
BLiER,  1  vol.  in-8«.  A.  Rousseau,  éditeur.  Paria.  —  La  question  d'Orient  est 
de  celles  qui,  malgré  certaines  éclipses,  sont  toujours  l'objet  des  préoccupa- 
tions du  monde  politique.  Aussi,  M.  Choublier  a  t-il  cru  utile  de  réunir  en 
un  volume  fortement  documenté  et  écrit  d'un  style  sobre,  les  éléments  néces- 
saires êi  l'histoire  des  vingt  années  écoulées  depuis  le  traité  de  Berlin.  U  eipne 
tout  d'abord  la  situation  et  les  aspirations  des  populations  chrétiennes  encore 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  447 

sous  la  domination  turque,  les  rivalités  des  petites  puissances  balkaniques 
avant  et  depuis  cette  époque,  et  les  courants  politiques  qui  amènent  le  heurt 
diplomatique  des  grandes  puissances  sur  les  rives  du  Bosphore.  La  Grèce,  la 
Crète,  rArménie  figurent  dans  cette  étude  à  côté  des  nationalités  slaves. 

Le  dogme  de  l'intégrité  de  l'empire  ottoman  n'a  pas  empêché  la  Turquie 
d'être  démembrée.  Il  en  sera  sans  doute  de  même  dans  l'avenir.  La  Russie 
modère  aujourd'hui  toutes  ses  prétentions  et  se  pose  en  amie  de  la  Turquie  ; 
mais  celle-ci  ne  peut  pas  compter  sur  son  amitié.  L'Angleterre  ne  s'oppose 
que  modérément  à  la  marche  des  Russes,  si  elle  peut  garder  l'Egypte.  L'Au- 
triche est  poussée  en  Orient  par  ses  populations  slaves.  L'Allemagne  est 
l'amie  de  la  Turquie,  mais  cherche  surtout  des  avantages  commerciaux.  La 
France  est  la  protectrice  naturelle  de  la  Turquie,  ses  intérêts  dans  le  Levant 
lui  commandent  d'assurer  l'intégrité  de  l'empire  turc,  mais  sa  politique  est 
par  trop  flottante.  Quant  à  la  Turquie  sa  réforme  n'est  guère  possible,  car 
elle  devrait  reposer  sur  la  laïcisation  de  l'Étal  et  l'émancipation  des  chré- 
tiens, préceptes  en  opposition  avec  la  loi  de  l'Islam. 

Guide  Jeanne  :  Espagne  et  Portugal,  Hachette,  éditeur.  —  On  croirait 
peut-être  mal  venu  le  moment  de  voyager  en  Espagne.  Il  n'en  est  rien  ;  car  outre  que 
TEspagne  n'a  pas  changé  depuis  la  guerre  avec  TAmérique,  les  sympathies  à  notre 
égard  sont  devenues  plus  vives  et  le  change,  qui  a  monté  prodigieusen^ent,  oscille 
entre  80  et  100  "/<,.  Quelle  occasion  plus  favorable  de  voyager  i  moitié  prix? 

Cette  nouvelle  édition  du  Guide,  qui  a  été  entièrement  refaite,  se  divise  en  4  bro- 
chures que  Ton  peu  détacher  et  utiliser  séparément.  Outre  les  renseignements  ordinai- 
res sur  les  hôtels,  modes  de  transport,  etc.,  qui  sont  réunis  à  part,  et  des  conseils  pra- 
tiques pour  les  voyageurs,  elle  contient,  chose  fort  agréable,  un  petit  vocabulaire  con- 
tenant les  mots  et  phrases  les  plus  utiles  en  voyage.  Sa  partie  cartographique  et  parti- 
culièrement soignée  et  ne  renferme  pas  moins  de  51  cartes  et  plans  de  villes  ou  de  monu- 
ments, dont  un  grand  nombre  coloriées.  11  y  a  là  un  réel  progrès  sur  les  précédentes 
éditions  dont  il  faut  féliciter  les  auteurs  du  guide,  et  que  les  touristes  ne  manqueront 
pas  d'apprécier.  Le  Guide  Espagne-Portugal,  qui  comprend  aussi  Gibraltar  et  Tanger, 
marquera  sa  place  dans  la  collection  si  renommée  des  Guides  Joanne. 

L'expédition  de  Formoee,  par  le  comm'  Tairion,  Lavauzelle,  éditeur.  — 
Les  a  Souvenirs  d'un  soldat  v  donnent  une  notion  exacte,  sous  une  forme  attachante, 
de  Texistence  que  mena  à  Kelung,  pendant  9  long  mois,  le  régiment  d'infanterie  de 
marine.  L'expédition  de  Formose,  en  1884-85,  est  encore  fort  peu  connue,  et  le  commt 
Tbirion,  qui  a  pris  part  aux  opérations  était  bien  qualifié  pour  mettre  en  relief  le 
courage  et  l'abnégation  de  nos  \  aillants  soldats.  Cette  brochure  (avec  1  carte)  sera 
précieuse  à  consulter  pour  l'histoire  de  nos  guerres  coloniales. 

Les  surprises  dans  la  guerre  iS70,  traduit  de  l'allemand,  par  le  colonel 
E.  Girard.  LavauzeUe.  —  Un  journal  allemand,  la  Gazette  des  cavaUeriy  a  publié  une 
étude  des  surprises  qui  eurent  lieu  en  1870-71.  Cette  brochure  est  instructive  par  ses 
exemples  et  par  les  enseignements  qu'elle  comporte.  46  surprises  ont  été  tentées  contre 
les  troupes  allemandes  et  6  seulement  ont  été  repoussées.  Du  côté  des  Allemands  6  coups 
de  main  seulement  ont  été  tentés. 

LVlnsurrection  Cubaine,  par  Espinasse-Secondat.  Lavauzelle.  —  Cette  bro< 
chure,  toute  d'actualité^  est  le  récit  des  causes  qui  ont  amené  Tinsurrection  actuelle  à 


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448  KEVUE  FRANÇAISE 

Cuba,  et  des  opérations  qui  eurent  lieu  de  1895  à  1897.  Elle  renferme  d'intéressants 
renseignements  sur  les  forces  des  deux  partis  en  présence.  Nous  en  parlons  plus  liaut. 

De  rimportance  du  fleuve  Rouge,  par  le  capit.  Franquet.  Lavauzelle.  — 
On  sait  que  c'est  en  vue  de  posséder  le  fleuve  Rouge,  comme  voie  de  pénétration  en 
Chine,  que  nous  avons  conquis  le  Tonkin.  Ce  fleuve  constitue-t-il  la  meilleure  voie  de 
pénétration  au  sud  de  la  Chine?  C'est  ce  que  M.  Franquet  étudie  en  le  comparant  aox 
autres  fleuves  ayant  acct^'s  dans  la  Chine  méridionale  depuis  l'iraouaddi  jusqu'au  Yang> 
Tsé.  Celte  brochure  Ir^'s  documentée,  sera  consultée  avec  fruit,  par  tous  ceux  que  la 
question  intéresse.  Elle  contient  aussi  une  notice  sur  le  cercle  de  Lao-Kay,  ses  habi- 
lants,  ses  produits,  son  commerce.  Des  cartes  et  documents  diplomatiques  y  sont 
annexés. 

Les  Français  d'aujourd'hui,  par  Ed.  Demolins,  1  vol.  in-18,  F.  Didot 
éditeur.  —  «  J'entreprends  d'expliquer,  écrit  l'auteur,  les  divers  types  sociaux  dont 
l'ensemble  forme  la  société  française  ;  je  voudrais  faire  comprendre  comment,  —  de 
science  certaine,  —  se  fabriquent  par  exemple,  un  Auvergnat  ou  un  Normand,  un 
Provençal  ou  un  Lorrain,  etc.  ;  comment  et  pourquoi  ils  diffèrent.  On  verra  qa'ili 
sont  le  produit  de  causes  constantes  qu'il  est  possible  d'analyser  exactement  et  dont 
la  principale,  la  plus  profondément  agissante,  est  la  nature  du  lieu  et  du  travail.  • 

Ce  volume  paraît  devoir  soulever  autant  de  discussions  que  le  précédent  :  A  qttoi  tient 
la  supériorité  des  Anglo-Saxons  ?  «  Vous  serez  aussi  combattu  pour  ce  livro  et  vousserei 
plus  loué  encore  que  pour  le  premier  »,  écrit  M.  R.  Bazin  à  l'auteur.  L'opinion  de 
M.  E.  Reclus,  le  célèbre  géographe,  n'est  pas  moins  explicite  :  c  L'intérêt  que  j'y  ai 
trouvé,  dit-il,  n'a  pas  faibli  un  instant  et  certaines  descriptions,  notamment  celle  de 
l'Auvergnat,  marchand  de  bœufs,  mont  paru  de  véritables  chefs-d'œuvre...»  Alphonse 
Daudet,  qui  avait  lu  ces  études  dans  la  Science  sociale^  exprima  son  opinion  en  ces 
termes  catégoriques  :  t  Cette  nouvelle  géographie  de  la  France  me  transporte.  »  Le 
grand  public  ne  peut  que  ratifier  de  pareils  jugements  ;  il  fera  à  cet  ouvrage  le  grand 
succès  qu'il  mérite. 

Le  volume  se  termine  par  des  Appendices.  M.  Demolins  y  expose  la  Méthode  scien- 
tifique qu'il  a  suivie  et  fait  appel  aux  collaborateurs  locaux  qui  voudraient  l'aider  à 
établir  avec  plus  de  détails  la  carte  sociale  des  diverses  régions  de  la  France. 

France- Album  (51,  cité  des  Fleurs,  Paris),  continue  la  série  de  ses  intéressantes 
publications.  C'est  au  Mont-Saint-Michel  qu'est  consacré  son  49*  fascicule.  Une 
notice  approfondie  due  à  la  plume  autorisée  du  R.  P.  Lévêque,  complète  avantageu- 
sement les  nombn^uses  illustrations  que  contient  cet  album,  digne  de  ses  devanciers, 
par  les  difl'érents  aspects  de  ce  merveilleux  bijou  d'architecture,  unique  au  monde. 

Sous  le  n"  49  biSj  un  fascicule  est  réservé  à  l'illustration  de  Granvllle  et  ses  en 
virons,  Saint-Pair,  Jullou ville,  Carolles,  etc.,  sites  pittoresques  encore  plus  agréables 
pour  les  amateurs  de  bon  air  et  de  villégiature. 

La  librairie  Garnier  met  en  Nente,  pour  suivre  la  guerre  en  Amérique,  une  grande 
carte  de  l'île  de  Cuba,  d'après  les  derniers  documents,  contenant  en  outre  fen  car- 
touches) la  carte  de  l'Atlantique,  le  golfe  du  Mexique,  la  mer  des  Antilles,  Cuba  oro- 
graphique et  minéralogique  et  une  carte  de  l'île  de  Puerto-Rico.  Cette  carte  est  tirée 
en  plusieurs  couleurs.  2  francs. 

Le  Gérant,  Edouard  MARBEAU. 

IMPRIMBRII  CHAIX,   RDB  BEROBRI,   30,  PARIS.  ^   1 4034'6-98> -' (Ucn  LtrOlMl). 


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LA  FUTURE  QUESTION  D'ORIENT 

Le  inonde  devient  petit  par  ce  temps  de  rapides  communications  qui, 
-déplus  en  plus,  suppriment  les  distances.  Les  nations  les  plus  éloignées 
sont  mises  en  contact  et  le  xx®  siècle  verra  se  poser  des  problèmes  re- 
doutables vers  lesquels  nous  aurons  couru  en  aveugles.  C'est  un  de  ces 
problèmes  que  je  me  propose  d'envisager. 

Voir  l'avenir  dans  le  présent,  a  dit  Donoso  Cortes,  c'est  voir  le  pré- 
sent mieux  que  les  autres.  A  ce  compte,  bien  présomptueux  serait 
celui  qui  parlerait  d'une  question  future.  Mais  on  sera  plus  indulgent 
si  on  songe  que  le  présent  n'existe  pas,  qu'il  s'évanouit  dans  le  passé 
à  mesure  qu'on  l'élue  et  qu'il  n'est  que  le  résultat  des  époques  anté- 
rieures. Tout  homme,  donc,  assez  âgé  pour  avoir  vu  une  partie  de  ce 
passé,  assez  réfléchi  pour  se  rendre  compte  des  faits,  pourra  émettre 
une  opinion  plus  raisonnée  que  celle  du  public  trompé  par  l'actualité 
et  par  les  téégrammes.  C'est  à  ces  deux  titres  que  j'aborde  la  question 
chinoise.  Elle  a,  d'ailleurs,  appelé  l'attention  de  plusieurs  publicistes  et 
on  n'a  pas  tout  à  fait  oublié  le  cri  d'alarme  poussé  par  M.  d'Estournelles 
dans  la  Revtie  des  Deux  Mondes. 

I 

I^s  récents  projets  de  partage  de  la  Chine,  l'espèce  d'acquiescement 
qu'y  donne  le  gouvernement  de  ce  grand  empire,  la  cession  bénévole 
de  Kiao-Tchao  à  l'Allemagne  et  la  façon  gracieuse  avec  laquelle  le  Tsung- 
li-Yarnen  s'efforce,  par  des  concessions  analogues,  de  satisfaire  les  ja- 
louses convoitises  des  autres  peuples  ont  inspiré  une  sorte  de  pitié  mé- 
prisante pour  celte  vieille  nation  de  400  millions  d  âmes.  Ce  sentiment 
durera-t-il  ?  11  faut  avouer  que  nos  jugements  sur  la  Chine  ont  été  très 
divers.  Les  physiocrates  en  avaient  fait  le  pays  modèle;  puis  on  n'y  a 
vu  que  des  magots  grotesques  auxquels  les  Anglais,  par  philanthropie, 
sans  doute,  imposaient,  avec  quelques  coups  de  canon,  leur  opium  de 
rinde. 

EUisuite,  la  terrible  révolte  des  Taïpings  changeait  le  rire  en  horreur 
par  ses  prodigieux  massacres  de  millions  de  créatures  humaines.  Elle 
était  à  peine  terminée  qu'une  poignée  de  soldats  français  et  anglais  pé- 
nétraient en  vainqueurs  jusqu'à  Pékin  et  nous  nous  leurrions  d'une 
confiance  sans  borne  dans  la  supériorité  militaire  des  Européens.  Aussi 
quand  M.  Challemel-Lacour,  ministre  des  affaires  étrangères,  déclara, 
à  la  tribune,  que  la  Chine  était  une  quantité  négligeable,  l'opinion  pu- 
XXIII  (Août  »8).  W  236.  29 


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m)  REVUE  FRANÇAISE 

blique  prit  au  sérieux  celte  singulière  affirmation.  11  est  vrai  que,  peu 
après,  l^affaire  de  I^ngson  effarait  les  esprits  et  les  portait  à  Textréme 
oppose.  Les  Célestes,  sans  s'en  douler,  précipitaient  du  pouvoir  Tiûa- 
movible  Jules  Ferry  et  passaient  pour  être  une  puissance  militaire  de 
premier  ordre. 

Depuis,  les  victoires  des  Japonais  ont  amené  dans  les  idées  un  uou- 
veau  revirement  qui  ne  sera  probablement  pas  le  dernier.  El  pourtant, 
au-dessus  de  ces  jugements  divers,  contradictoires  même,  un  mot  pbuc 
qui  se  retrouve  dans  toutes  les  bouches  et  qui  semble  donner  la  note 
d*un  accord  général  :  la  Chine  est  immuable.  Qu'est-elle?  On  Tignore, 
mais  tout  le  monde  sait  qu'elle  ne  change  jamais.  C'est,  tout  d^abord, 
ce  qu*il  serait  bon  d'examiner. 

Les  mots,  dans  la  réalité.  n*ont  guère  le  sens  absolu  que  nous  leur 
donnons.  Pour  juger  de  leur  vraie  signification,  il  faut  analyser  ce  qu'ik 
prétendent  i^eprésenter.  L'immobilité  e«t,  dans  un  certain  sens,  le  fait 
de  toutes  les  races.  Chacune  garde  en  elle  quelque  chose  d*indeslruc- 
tible  qui  est  sa  caractéristique.  Le  Français  a  un  fonds  de  générosité, 
d'enthousiasme  que  l'abus  des  jouissances  et  le  culte  du  veau  d'or  ne 
parviennent  pas  à  étouffer,  qui  se  réveille  et  se  manifeste  au  moment 
où  on  s'y  attend  le  moins  et  qui  bouleverse  tous  les  calculs. 

Le  Juif  a  aussi  ses  traits  moraux  et  physiques  qui  ne  changent  pas. 
Humble  et  sordide  dans  ses  ghettos  ou  éclaboussant  ses  victimes  de  son 
luxe  arrogant,  traqué  partout  ou  maître  de  tout,  ignoré  ou  trônant 
dans  les  académies,  il  est  toujours  l'être  souple  capable  de  s*élever  de 
rien  à  la  plus  haute  fortune,  parasite  des  nations,  faisant  son  bien  du 
mal  des  autres  et  cachant  sous  des  dehors  trompeurs  son  étemelle 
perfidie. 

L'Arabe,  aujourd'hui  chasseur  d'esclaves  en  Afrique  a  gardé  les 
mœurs  et  jusqu'au  costume  des  brillants  et  fanatiques  cavaliers  qui  éle- 
vèrent les  califats  poétiques  de  Bagdad  et  de  Cordoue. 

Le  farouche  Mongol,  coupeur  de  tètes,  qui  submeiçeait  l'Asie  au 
temps  de  Tamerlan,  revit  avec  son  même  métier  et  ses  habitudes  pa* 
Iriarcales  dans  le  pasteur  hospitalier  errant  dans  la  steppe  en  rêvant  au 
Nirvana. 

11  fallait  rappeler  ces  vicissitudes  pour  faire  entrevoir  combien  les 
Chinois  ont  pu  se  transformer  et  combien  encore  ils  sont  encore  sus- 
ceptibles d'évoluer.  Eux  aussi  ils  ont  leur  caractéristique,  le  culte  des 


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LA   Fim  HK   QUESTION    DOHIKNT  ^  451 

ancêtres,  qui  peut  causer  leur  faiblesse  actuelle  en  s'opposant  aux 
changements  rapides  et  brusques,  mais  qui  est  aussi  leur  force. 

C'est  que,  malgré  certaines  théories  à  la  mode  qui  prétendent  tout 
expliquer  par  le  lieu,  le  genre  de  travail,  Vorigine  communautaire  ou 
particulariste,  les  idées  mènent  le  monde,  le  métamorphosent  lentement 
ou  rapidement,  unissent  les  volontés  pour  une  puissante  action  com- 
mune ou  les  divisent  au  point  d'annihiler  les  races  les  mieux  douées. 
Toute  l'histoire  s'explique  par  ces  grands  courants  et  si  nous  venons 
de  traverser,  en  France,  une  longue  période  stagnante,  la  cause  en  est 
dans  le  manque  absolu  d'idées  directrices  correspondant  à  nos  besoins, 
dans  notre  attachement  aux  vieux  dogmes  épuisés  de  89. 

La  Chine  n'échappe  pas  à  cette  règle  générale  ;  notre  ignorance  nous 
ennpêche  d'y  suivre  le  mouvement  des  idées,  mais  les  manifestations 
en  sont  écrites  dans  les  faits.  Elle  a  eu  ses  époques  de  gloire  guerrière, 
de  conquêtes  et  d'expansion.  Elle  a  connu  les  crises  économiques  et  a 
subi  des  systèmes  qui  valaient  ceux  des  Smith,  des  Ricardo  et  des  Say. 
La  question  sociale  s'est  posée,  pour  elle,  il  y  a  des  siècles  et  elle  a 
osé  plus  que  nous  puisqu'elle  a  fait,  officiellement,  l'essai  du  socialisme 
pur  sous  l'inspiration  d'un  homme  qu'on  regardait  comme  un  génie. 
L'essai,  il  est  vrai,  n'a  pas  été  heureux.  Elle  vient  de  passer  dans  l'iso- 
lement voulu  comme  par  un  long  sommeil,  mais  tout  annonce  un  réveil 
dont  l'Europe  imprudente  donne  le  signal.  Non,  malheureusement,  la 
Chine  n'est  pas  immuable.  Je  l'ai  vue,  il  y  a  trente-cinq  ans  et  je  ne  la 
reconnais  plus  ;  elle  se  transforme  à  vue  d'oeil  et  noué  n'avons  pas  â 
nous  en  applaudir. 

Ce  serait  une  grave  erreur  de  prendre  pour  une  décom[X)sition  sa 
désoi^nisation  actuelle.  Plus  qu'aucun  peuple,  elle  a  gardé  intactes 
deux  des  cellules  essentielles  à  la  construction  du  corps  social  :  la  famille 
et  la  commune.  Plus  qu'aucun  peuple,  elle  a  des  promesses  de  durée 
puisque^  mieux  que  tout  autre,  elle  a  su  pratiquer  le  quatrième  com- 
mandement :  Tes  pères  et  mères  honoreras  afin  que  tu  vives  lon- 
guement. 

II 

En  présence  des  nations  européennes  prêtes  à  armer,  comme  aux 
temps  barbares,  tous  les  hommes  valides,  la  première  question  qu'on  se 
jx>se  est  relative  à  la  puissance  militaire  que  peut  un  jour  représenter  le 
Céleste-Empire.  Pour  y  répondre,  il  est  nécessaire  de  consulter  le  passé, 


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454  REVUE  FRANÇAISE 

de  rechercher  les  causes  de  Télat  actuel,  d'examiner  le  caractère,  l'eu- 
durance>  les  qualités  de  la  race. 

Des  cliercheui*s  nous  ont  raconté  Tétonnanle  histoire  de  ce  général  tic 
Geugis  Khan,  Tilluslre  Saboutay,  qui  coininanda  des  arraée^s  dès  ï-à^v 
de  17  ans  et  niourul,  toujoui-s  combattant,  à  Tàge  de  65  ans,  sans  avoir 
jamais  été  vaincu.  Son  champ  de  bataille  s'élendait  de  Pékin  à  Buda- 
pest. Tacticien  et  stratégiste,  ayant  établi  parmi  ses  troupes  un  ordi-c 
admii-able  et  une  bureaucratie  savante,  il  conquit  le  Turkeslan  en  peu 
de  mois,  envahit  avec  une  rapidité  qui  n'a  jamais  été  égalée,  la  Russie 
méridionale  et  défit  coup  sur  coup  trois  grandes  armées  hongroise,  d- 
lemande  et  polonaise.  La  Chine  lui  offrit  une  toute  autre  résistance;  le 
grand  général  lutta  vingt-cinq  ans  avant  de  la  dompter.  Et  cepeodani, 
en  1865,  quatre  matelots,  baïonnette,  au  bout  du  canon,  traversaient 
l'immense  ville  d'Han  Kéou,  semant  l'épouvante  parmi  les  habitants, 
pour  aller  reprendre  de  force  un  de  leurs  camarades  que  les  mandarius 
avaient  mis  en  prison. 

Les  observateurs  superficiels  s'ysont  trom[)é5:  ils  ont  cru  que  l'horreur 
de  la  violence,  le  mépris  pour  l'état  militaire,  qui  ne  laisse  aller  dans 
les  troupes  que  la  lie  de  la  population,  étaient  le  dernier  mot  d'un  peu- 
ple jadis  si  grand  par  les  armes.  Depuis,  nous  a^ons  vu  les  Chinois  au 
Tonkin,  à  Tuyen-Quan  ;  nous  avons  trouvé  dans  les  Pavillons  Noirs  des 
adversaires  sérieux  ;  à  Formose,  ils  nous  ont  tenu  tète. 

Les  Japonais,  qui  apportaient  avec  eux  les  vertus  de  dévouement, 
d'abnégation,  développées  par  le  régime  fé(xlal,  qui  s'étaient  imbus  de 
la  science  militaire  européenne,  ont  vaincu  fiicilemeut  les  Chinois  mal 
commandés,  se  battant  sans  ardeur  contre  des  jaunes  et  i>our  une  dy- 
nastie qui  n'est  pas  nationale.  Mais  ce  n'est  là  qu'un  épisode  qui  cons- 
tate plus  l'affaissement  des  emi>ereurs  mandchoux  et  de  leur  adminis- 
tration que  l'incapacité  de  la  race  chinoise  dans  les  arts  de  la  guerre.  Les 
armées  sont  dt*s  corps  vivants,  elles  ont  leurs  maladies  pendant  lesquel- 
les les  désastres  saccunmlent.  L'armée  prussienne,  au  moment  de  la 
révolution  de  1848,  en  était  là  et  se  faisait  battre  par  les  Danois.  Ce  qui 
importe,  c'est  le  caractère  de  la  race.  Il  en  est  de  pusillanimes  dont  ou 
ne  tirera  toujours  que  des  soldats  inférieurs,"  les  habillerait-on,  selon  uite 
parole  célèbre,  de  bleu,  de  vert  ou  de  rouge.  Tels  sont  les  Coptes  de 
l'Egypte,  quelques  populations  de  l'bide,  etc.  Mais  le  Chinois  n'est  |Wi^ 
cela.  Il  a,  plus  qu'aucun  autre,  l'indifférence  devant  la  mort.  Il  est  res- 


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LA    F[îTCRE   QUESTION   DORIENT  45:3 

peclueux  et  discipliné  par  son  éducation.  Son  adresse  manuelle,  sa  pa- 
tience, son  intelligence  lui  permettront  de  se  servir  des  armes  perfec- 
tionnées de  la  façon  la  plus  redoutable.  Il  est  sobre  et  plus  endurant  que 
qui  que  ce  soit.  Le  climat  extrême  de  son  pays  le  rend  insensible  aux 
plus  grands  changements  de  température.  Son  système  nerveux  peu  dé- 
veloppé lui  permet  de  vivre  dans  des  conditions  hygiéniques  que  l'Eu- 
ropéen ne  supporterait  pas.  Ceux  qui  ont  vu,  lors  de  la  prise  de  Canton, 
les  coolies  que  nous  avions  recrutés,  placer  les  échelles  pour  l'assaut, 
sous  un  feu  meurtrier,  n'ont  pas  oublié  leur  beau  sang-froid.  Ceux, 
aussi,  qui  ont  transporté  des  Chinois  savent  toutes  les  précautions  qu'il 
fallait  prendre  contre  les  révoltes  de  ce  dangereux  chargement. 

La  guerre  sino-japonaise  n'est  pas  non  plus  sans  nous  apporter  son 
contingent  d'indications  peu  rassurantes.  Elle  nous  a  montré  les  cer- 
velles jaunes  parfaitement  capables  de  s'approprier  nos  procédés  tacti- 
ques et  stratégiques.  Ce  qu'un  Japonais  a  pu  faire,  un  Chinois  le  fera 
certainement.  Les  leçons  que  les  officiers  Européens  donnent  avec  tant 
d'empressement  aux  enfants  du  Céleste  Empire  porteront  leur,  fruits. 
Reste  à  savoir  ce  que  ferait  de  sa  science  un  grand'général  à  longue  queue. 

Il  y  a  quelijues  années,  un  humoristique,  qui  avait  l'intuition  de  ces 
choses,  nous  racontait  la  future  grande  invasion  chinoise.  L'armée 
russe  était  anéantie,  l'Allemagne  appelait  au  secours,  et  l'Angleterre, 
fidèle  à  ses  traditions,  tél^raphiait  pour  avertir  qu'elle  coupait  le  pont 
sur  la  Manche.  L'ingénieux  écrivain  ne  semble  pas  s'être  douté  que  les 
jaunes  pourraient  avoir  une  marine  dont  un  pont  coupé  ne  mettrait 
pas  à  l'abri.  Depuis,  le  Japon,  avec  sa  belle  flotte  de  guerre  et  ses  lignes 
multipliées  de  grands  vapeurs,  a  dû  inquiéter  cet  auteur  même  sur  la 
sécurité  des  peuples  de  race  blanche  vivant  dans  des  îles. 

Ces  perspectives,  qui  font  sourire  en  Europe,  sont  prises  plus  au 
sérieux  dans  la  Chine  elle-même.  En  4867,  Le  Play,  qui  avait  organisé 
l'exposition  universelle,  se  mit  en  rapport  avec  les  exposants  chinois. 
Il  leur  montra  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  les  merveilles  de  notre 
civilisation  et  ne  les  étonna  pas.  «  Oui,  dirent- ils,  vous  avez  une  grande 
puissance  matérielle,  mais  vous  n'avez  pas  la  famille  et  vous  bâtissez 
sur  la  sable.  »  Au  moment  de  leur  départ,  ils  vinrent  en  grande  céré- 
monie, apporter  à  Le  Play  un  petit  éventail  sans  valeur  sur  lequel  ils 
avaient  tracé  quelques  caractères.  C'était,  assuraient-ils,  un  précieux 
talisman  qu'il  fallait  garder  soigneusement.  Plus  tard,  un  sinologue 


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454  REVUE  FRANÇAISE 

déchiffra  TiDscription.  EUe  signifiait  :  <  M.  Le  Play  a  été  bienveillant 
pour  nous,  il  ne  nous  a  pas  traités  en  barbares.  Nous  prions  nos  com- 
patriotes, lorsqu'ils  feront  la  conquête  de  cette  contrée,  de  Tépargoer 
lui  et  ses  descendants.  » 

L'illustre  Le  Play,  quand  il  racontait  ce  fait,  ne  manquait  pas  d'a- 
jouter :  «  Laissons  les  jaunes  tranquilles,  moins  nous  aurons  de  rap- 
ports avec  eux,  mieux  cela  vaudra.  » 

L'Europe,  de  tout  temps,  a  lutté  avec  l'Asie  occidentale;  des  succès 
actuels  lui  font  oublier  qu'elle  a  vu  les  armées  de  ce  continent  arriver 
jusqu'à  Poitiers  et  jusqu'à  Salzbourg.  L'Asie  orientale  ne  s'est  encore 
manifestée  que  par  deux  poussées  brusques,  sous  Gengis-Khan  et  sous 
Tamerlan.  L'effroi  qu'elles  ont  causé  revit  dans  les  mémoires  du 
temps.  D'une  seule  chevauchée,  les  jaunes  s'étendirent  de  Moscou  à 
Delhi  et  laissèrent  pour  des  siècles,  comme  marque  de  leur  soudain 
passage,  la  horde  d'or  en  Russie  et  le  grand  Mogol  dans  l'Inde.  Puisse 
rhistmre  ne  pas  se  répéter  ! 

Reste  à  savoir  si  le  chemin  de  fer  transsibérien  ne  permettra  pas  plus 
de  venir  chez  nous  que  d'aller  chez  les  Chinois. 

m 

On  a  déjà  beaucoup  écrit  sur  les  conséquences  économiques  de  la 
prochaine  entrée  sur  la  scène  du  monde  de  ces  400  millions  d'hommes 
qui  savent  si  bien  s'expatrier  pourvu  qu'ils  puissent  retourner,  à  l'état 
de  cadavres,  reposer  près  de  leurs  ancêtres.  Merveilleusement  doués, 
ils  accaparent  irrésistiblement  le  petit  commerce  partout  où  on  les  laisse 
s'implanter.  Disciplinés  dès  le  bas  âge,  ils  ont  toutes  les  qualités  qui 
permettent  les  associations  puissantes  et  ils  en  usent.  Leurs  congréga- 
tions sont  redoutables  dans  notre  Cochinchine.  Us  monopolisent  cer- 
taines branches  commerciales  et,  grâce  à  des  sacrifices  considérables 
faits  en  temps  opportun,  ils  empêchent  de  naître  toute  concurrence. 
Lorsque  leur  intérêt  s'en  mêle  ils  sont  même  capables  d'être  honnêtes. 

Le  bas  prix  de  leur  main-d'œuvre  fait  baisser  les  salaires  si  bien  que 
les  États-Unis  leur  ont  interdit  de  venir  travailler  chez  eux  ;  qu'à  Ma- 
nille et  en  Australie  on  leur  a  couru  sus  et  on  les  a  massacrés. 

n  y  aurait  un  moyen  d'amortir  le  choc.  Nous  avons  sur  les  Chinois 
une  grande  avance  :  nous  avons  les  capitaux  sans  lesquels  la  grande 
industrie  ne  peut  s'établir.  La  justice  devrait  s'opposer  à  TexportatioD 
de  ces  capitaux,  possession  légitime  de  ceux  qui  les  détiennent,  mais 


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LA    FUTURE    QUESTION    D'ORIENT  45o 

qui  ne  sont  formés  qu'avec  le  concours  de  la  société.  Malheureusement, 
notre  organisation  financière  et  nos  préjugés  économistes  sur  la  liberté 
du  capital  sont  un  obstacle  insurmontable  à  toutes  les  mesures  qu'on 
voudrait  prendre  dans  cette  voie.  Bien  mieux,  on  se  dispute,  en  ce 
moment,  entre  nations,  pour  savoir  qui  prêtera  à  la  Chine.  Nous  ver- 
rons donc,  avant  peu,  de  grandes  enti^prises  industrielles  se  fonder 
dans  l'Exlrôme-Orient,  avec  les  capitaux  d'Europe,  pour  utiliser  le  pa- 
tient, l'adroit,  l'infatigable  du  Céleste  F^mpire,  qui  se  contente  d'un  sa- 
laire de  quatre  sous. 

Les  nations,  aujourd'hui  si  fières  de  s'être  outillées  et  organisées  pour 
fournir  le  monde  de  produits  fabriqués,  traverseront  alors  une  crise  . 
terrible.  Leurs  capitalistes  toucheront  de  beaux  dividendes  qui  leur 
viendront  de  l'Extrôme-Orient,  mais  leurs  ouvriers  sans  travail  ne  se 
laisseront  probablement  pas  mourir  de  faim  avant  d'avoir  tout  cham- 
bardé comme  dit  élégamment  M.  J.  Reioach.  La  justice  immanente  des 
choses,  pour  employer  encore  une  expression  à  la  mode,  s'accommode- 
rait assez  de  voir  l'Angleterre  obligée  de  défendre  son  marché  intérieur 
contre  la  concurrence  chinoise  en  s'entourant  d'une  muraille  de  Chine. 

Mais  elle  a  montré  qu'on  peut  forcer  des  murailles  de  cette  espèce 
pour  empoisonner  lucrativement  ceux  qui  sont  derrière.  C'est  un  dan- 
gereux exemple.  On  ne  saurait  blâmer  sévèrement  ceux  qui  le  suivront 
dans  le  seul  but  de  vendre  de  loyales  marchandises  aux  partisans  du 
libre-échange. 

Quant  à  la  France,  qui  doit  à  sa  désorganisation  et  à  son  apathie 
de  perdre  peu  à  peu  ses  débouchés  extérieurs,  elle  serait  probablement 
plus  épargnée  que  ses  rivales  dans  cette  évolution  ikx)nomique  déchaînée 
par  la  cupidité.  Ajoutons  que,  si  on  en  juge  par  le  petit  Japon,  cette 
évolution  désastreuse  se  fera  en  quelques  années. 

IV 

Si  nous  nous  élevons  plus  haut,  si  nous  envisageons  les  conditions 
morales  dans  lesquelles  s'établit  le  contact  de  l'Europe  et  de  la  Chine 
nous  n'aurons  pas  non  plus  grandes  raisons  de  nous  réjouir. 

Le  Chinois,  nous  dit  Le  Play,  a  conservé  beaucoup  du  décalogue,  ce 
qui  explique  la  vigueur  et  la  persistance  de  sa  civilisation,  mais  le  fait 
certain,  c'est  qu'il  est  profondément  immoral.  Que  M.  Zola  fasse  tra- 
duire ses  romans  pour  le  nombre  prodigieux  de  lecteurs  qu'il  y  a  en 
Chine,  et  il  fera  une  meilleure  aflEaire  qu'en  se  mettant  à  la  solde  du 


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456  REVUE  FRANÇAISE 

syndicat  Dreyfus;  de  plus,  là-bas,  il  n'effarouchera  personne.  La  ques- 
tion est  de  savoir  si  nous  sommes  de  force  à  affronter  celte  immoralité 
sans  y  perdre  le  peu  de  vertus  qui  nous  restent  encore.  Une  telle  con. 
sidération  ne  touche  guère  aujourd'hui,  et  cependant  ceux  qui  ont  été 
en  Chine  la  prendront  au  sérieux.  J'ai  vu,  il  y  a  35  ans,  un  oflBcierde 
grande  intelligence,  hostile  au  christianisme,  il  est  vrai,  et,  par  suite. 
à  sa  civilisation,  se  passionner  pour  la  civilisation  chinoise  dont  il  dé- 
montrait, avec  une  ardeur  communicative,  la  supériorité.  Le  curieux 
livre  de  M.  Simon,  sur  la  Cité  chinoise,  livre  si  lu  et  si  admiré,  n'a  pas 
fait  autre  chose  que  de  développer  cette  thèse. 

La  Chine  a  l'habitude  d'absorber  ses  vainqueurs  qu'elle  méprise  et 
qu'elle  coule  dans  son  moule.  Ceux  qui  se  sont  si  facilement  enjuivés. 
qu'on  les  suppose  vainqueurs  de  la  Chine,  peuvent-ils  jurer  qu'ils  évi- 
teront le  sort  de  tous  leurs  prédécesseurs,  qu'ils  ne  se  chinoiserontpas? 
Ils  répondront  en  parlant  de  notre  glorieuse  civilisation.  Mais  qu'est-ce 
bien  qu'une  civihsation  ?  Si  c'est  un  ensemble  de  principes  religieux 
et  sociaux  —  et  que  serait-ce  si  ce  n'était  pas  cela  ?  —  il  faut  bien 
avouer  que  leur  confiance  n'a  pas  des  bases  solides. 

Nous  avons  contre  nous  nos  haines  nationales;  il  y  a  longtemps  que 
la  République  chrétienne  du  moyen  âge  et  des  croisades  est  morte  et 
enterrée.  Nous  avons  contre  nous  nos  divisions  profondes ,  nos  partis 
irréconciliables,  nos  guerres  intestines  d'intérêts,  notre  prolétariat,  notre 
socialisme,  nos  sans-patrie.  Les  Chinois,  malgré  l'égoïsme  profond  qui 
les  ronge,  ne  font  qu'un  par  les  mœurs,  par  les  traditions,  par  la  ré- 
pulsion que  nous  leur  inspirons.  Ils  ont  entre  eux  un  lien  très  fort: 
l'orgueil  de  leur  civilisation,  l'amour  de  leurs  caractères  qu'ils  lisent 
tous  peu  ou  prou.  Il  est  curieux  d'anal j^er  ce  sentiment.  Il  est  préci- 
sément le  même  que  celui  de  nos  intellectuels.  On  dirait  que  le  sys- 
tème des  examens  doit  partout  produire  des  résultats  identiques.  Le 
Chinois,  lui  aussi,  est  très  fier,  très  satisfait  de  sa  formation  cérébrale, 
mais  cela  ne  lui  a  pas  enlevé  le  sens  des  intérêts  de  la  coUectivilé  à 
laquelle  il  appartient.  Ce  n'est  pas  un  destructeur,  un  sans-patrie.  Le* 
Chinois  est  un  intellectuel  nationaliste, 

La  race  chinoise  est  homogène,  autre  avantage.  On  dit  qu'elle  ne 
peut  s'élever  très  haut,  mais  il  y  règne  une  vivacité  d'intelligence, 
généralement  répandue,  qui  frappe  tous  les  étrangers. 

Lorsque  je  me  promenais  dans  les  environs  de  Canton,  je  m'exta- 


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LA   FUTURE   QUESTION   D'ORIENT  457 

siais  devant  les  nombreux  villages,  bâtis  en  brique,  soignés,  ayant  un 
air  d'aisance  qui  parsemaient  la  campagne.  Des  champs  admirablement 
cultivés  les  entouraient  et  les  paysans  que  je  rencontrais  avaient  un  air 
vif,  dégourdi,  qui  reportait  ma  pensée  avec  tristesse  vers  certaines  par- 
ties de  la  chère  France  où  la  paresse,  Tapathie,  la  misère  et  Tabrutis- 
sèment  sont  encore  fréquents. 

Comme  en  Angleterre  au  siècle  dernier,  comme  chez  nous  malheu- 
reusement aujourd'hui,  la  population  est  à  peu  près  stationnaire  en 
Chine.  Il  n'en  a  pas  toujours  été  ainsi  et  on  peut  être  assuré  que  le 
changement  dans  les  conditions  économiques,  résultant  de  la  demande 
de  main-d'œuvre,  fera  reprendre  à  cette  population,  déjà  si  considé- 
rable, sa  progression  normale.  Que  deviendra  l'excédent?  C'est  encore 
là  un  danger  qu'on  ne  peut  négliger. 

Encore  si  nous  avions  abordé  ce  monde  étranger  et  inquiétant  à 
l'époque  où  l'Europe  était  chrétienne,  où  ses  nations  étaient  capables 
de  s'unir  pour  un  but  commun,  généreux. et  noble,  il  eût  été  possible 
de  conjurer  bien  des  périls.  Nous  aurions  donné  l'exemple  d'une  mo- 
ralité supérieure,  la  propagation  de  l'Évangile  aurait  établi  un  point 
de  contact  entre  la  pensée  chinoise  et  la  nôtre,  les  bienfaits  de  la  cha- 
rité chrétienne  auraient  impressionné,  le  respect,  au  moins,  eût  à  la 
longue  entouré  les  barbares  de  l'Occident. 

Quel  spectacle,  au  contraire,  donnons-nous  à  ces  masses  méprisantes 
et  narquoises  qui  nous  détestent  en  se  moquant  de  nous  plus  que  nous 
ne  nous  sommes  jamais  moqué  d'eux?  Celui  des  plus  honteuses  cupi- 
dités, des  rivalités  implacables,  de  l'abus  de  la  force,  de  la  violation 
du  droit  des  gens.  Les  Chinois  ont  un  sens  critique  très  fin,  ils  sai- 
sissent de  suite  les  travers,  les  défauts,  les  vices.  Leurs  caricatures  po- 
pulaires sur  les  étrangers  et  sur  la  façon  dont  ceux-ci  les  exploitent 
sont  souvent,  avec  une  forme  risible,  pleines  d'une  poignante  amer- 
tume. Quelle  opinion  peuvent-ils  avoir  pour  des  gens,  comme  les 
Anglais,  qui  les  servent  tant  qu'ils  les  croient  les  plus  forts  et  qui 
prennent  parti  pour  leurs  ennemis  les  Japonais  dès  que  ces  derniers 
ont  remporté  des  victoires  ?  Ils  cèdent  sur  toute  la  ligne  en  ce  moment 
où  il  se  sentent  faibles,  mais  ils  comptent  sur  le  temps,  ils  sont  patients 
et  ils  croient  dans  leur  foi-ce.  Comment  les  empôchera-t-on  d'abuser 
de  celle-ci  lorsqu'elle  leur  sera  revenue? 
Mais  déjà,  rien  que  le  contact  avec  la  Chine  inerte  risque  de  faire 


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458  REVUE  FRANÇAISE 

éclater  la  guerre  entre  nous.  Et  la  guerre  menace  d'être,  dans  ootre 
époque,  par  rapport  aux  guerres  du  passé,  comme  des  luttes  d'hommes 
à  des  jeux  d'enfants. 

L'Angleterre  est  furieuse  de  n'avoir^  dans  son  lot,  que  les  200  mil- 
lions d'hommes  qui  habitent  la  yallée  du  Vang-tsé-Kiang.  Elle  se 
répand  en  menaces,  s'arme  tant  qu'elle  peut,  cherche  des  alliances  et 
regrette  les  beaux  jours  où  son  or  jetait  les  unes  contre  les  autres 
les  nations  du  continent.  Un  tel  début  promet  pour  le  siècle  qui  va 
commencer. 

Notre  France,  dans  ces  circonstances,  peut  se  féliciter  de  son  heu- 
reuse étoile.  Ses  missionnaires  l'ont  dignement  représentée  et  ont  M 
ce  qu'ils  ont  pu  pour  atténuer  les  maux  à  venir.  La  faiblesse  de  ses 
gouvernants  l'a  servie  ;  elle  n'a  pris  qu'une  part  minime  dans  la 
curée  et  pourra  continuer  à  se  préserver,  jusqu'à  un  certain  point,  de 
l'invasion  des  Chinois  dans  nos  colonies  et  en  France.  C'était  essentiel. 
Nous  avons,  en  effet,  des  façons  de  voir  qui  nous  contraignent  à  traiter 
les  nègres  de  nos  colonies  comme  citoyens  français.  Nos  sentiments 
égalitaires  ne  connaissent  qu'un  poids  et  qu'une  mesure.  Refuser  la 
nationalisation,  même  par  mesure  de  prudence,  nous  semble  impos- 
sible et  nous  l'accordons  aux  Juifs,  qui  nous  ont  fait  tant  de  mal,  nous 
la  leur  avons  même  donnée  en  Algérie  sans  qu'ils  aient  eu  la  peine  de 
la  demander.  Que  serions-nous  donc  devenus  si  nous  avions,  comme 
sujets,  quelques  millions  de  Chinois  qui  ne  se  seraient  pas  fait  faute 
de  réclamer,  tôt  ou  tard,  cette  nationalisation  regardée  par  nous 
comme  un  droit  leur  revenant? 

V 

La  question  d'Orient,  envenimée  par  la  rivalité  des  puissances,  a  pesé 
très  lourd  sur  notre  siècle.  Elle  avait  cependant  commencé  par  des 
accords  plus  ou  moins  généreux,  par  la  bataille  de  Navarin,  par  des 
affranchissements;  de  plus,  la  décrépitude  de  l'empire  turc  et  le  nombre 
des  chrétiens  qu'il  contient  la  rendaient,  par  elle-même,  chaque  jour 
moins  dangereuse.  C'est  une  autre  question  d'Orient,  mille  fois  plus 
grave,  mille  fois  plus  délicate,  mêlée  de  problèmes  économiques  et 
moraux,  que  nous  laissons  à  nos  enfants.  Que  penseront-ils  de  leurs 
pères  quand  l'histoire  leur  apprendra  qu'au  moment  où  elle  se  pose 
dans  toute  sa  troublante  angoisse,  nous  ne  nous  occupons  que  des  luttes 
ministérielles  entre  MM.  Méline  et  Bourgeois?  A.  Nogubs. 


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LES  CROISEURS  CUIRASSES  FRANÇAIS 

ET  LA  GUERRE  HISPANO- AMÉRICAINE. 

Le  duel  maritime  entre  les  États-Unis  et  l'Espagne  n'a  pas  doimé 
jusqu'ici  les  enseignements  que  Ton  pouvait  en  attendre  au  point  de 
vue  des  guerres  navales  de  l'avenir.  Depuis  trois  mois  il  n'y  a  eu  que 
deux  combats  navals  et  tous  deux  se  sont  produits  dans  des  conditions 
telles  que  l'un  des  deux  adversaires  était  considéré  comme  vaincu 
avant  même  d'avoir  engagé  la  lutte. 

A  Cavité  l'escadre  en  bois  de  l'amiral  Montojo  était  sacrifiée  d'avance 
à  l'escadre  en  acier  américaine,  qui  lui  était,  en  outre,  supérieure  en 
vitesse,  en  artillerie,  en  tonnage,  ainsi  que  par  l'adresse  de  ses  canon- 
niers.  A  Santiago  l'escadre  de  l'amiral  Cervera  se  trouvait  dans  les 
mêmes  conditions  d'infériorité,  sauf  au  point  de  vue  de  la  vitesse,  — 
on  le  croyait,  du  moins. 

On  fondait  de  grandes  espérances  sur  les  4  beaux  croiseurs  cuirassés 
qui  composaient  cette  escadre  très  homogène  et  que  Ton  croyait  eji 
mesure  de  tenir  en  haleine  pendant  longtemps  l'escadre  américaine, 
grâce  à  sa  vitesse  et  à  d'habiles  manœuvres.  Et  cependant  cette  escadre 
a  été  entièrement  détruite  après  une  courte  lutte. 

Faut-il  conclure  de  cet  événement  que  les  croiseurs  cuirassés  ne 
peuvent  pas  répondre  aux  espérances  que  l'on  fondait  sur  eux?  On  ne 
saurait  le  dire,  car  l'expérience  qui  vient  de  se  produire  n'est  rien 
moins  que  concluante.  En  effet,  l'escadre  espagnole  était  loin  de  dis- 
poser de  tous  ses  moyens  d'action.  Sa  vitesse  — -  cette  vitesse  de  20  et 
21  nœuds  que  ses  croiseurs  avaient  donné  aux  essais  et  qui  faisait 
sa  principale  force,  —  avait  subi  une  telle  dépréciation  qu'elle  n'était 
plus  supérieure,  ni  même  égale,  à  celle  des  cuirassés  américains.  Son 
armement  défectueux  et  incomplet,  l'inhabileté  de  ses  canonniers  en 
faisaient  en  outre  une  proie  facile  pour  l'artillerie,  bien  supérieure  à 
tous  les  points  de  vue,  des  gros  cuirassés  américains.  Dans  de  telles 
conditions  d'infériorité  sa  destruction  était  inévitable. 

Et  cependant,  si  l'escadre  Cervera  avait  mieux  choisi  le  moment  de 
sa  sortie,  si  elle  avait  effectué  celle-ci  de  nuit,  ou  par  une  de  ces  tem- 
pêtes —  comme  celle  qui  sévit  trois  jours  après,  —  qui  rendent  le  tir 
difficile  et  très  incertain  même  pour  les  cuirassés,  elle  eût  sans  doute 


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460  REVUE  FRANÇAISE 

échappé,  au  moins  en  partie,  à  la  destruction  causée  par  l'artillerie 
américaine.  Avec  une  vitesse  qu'elle  eût  pu  maintenir  à  18  ou 
10  nœuds,  presque  toutes  les  chances,  dans  les  conditions  ci-dessus, 
étaient  en  sa  faveur. 

La  destruction  de  Tescadre  de  l'amiral  Cervera  ne  diminue  pas  l'im- 
portance du  rôle  que  peu  vent  jouer  les  croiseurs  cuirassés.  Elle  démontre 
seulement  que  les  navires  espagnols  étaient  en  mauvais  état  et  ne  pos- 
sédaient pas  la  vitesse  qu'on  était  en  droit  d'exiger  d'eux.  Elle  n'indique 
pas  non  plus  que  les  cuirassés  doivent  être  préférés  à  tout  autre  type  de 
bâtiment.  Sans  doute  dans  le  combat  leur  prépondérance  est  indiscu- 
table, mais  dans  l'ensemble  des  opérations  navales,  surtout  à  grande 
distance,  leur  supériorité  est  trop  facilement  amoindrie. 

La  meilleure  leçon  qui  découle  actuellement  de  la  guerre  hispano- 
américaine  est  qu'il  faut  plus  que  jamais  être  prêt  au  cas  d'une  guerre 
coloniale  et  qu'il  ne  faut  pas  attendre  la  déclaration  de  guerre  pour 
armer  ses  escadres,  envoyer  ses  troupes  aux  colonies,  approvisionner 
celles-ci  en  vivres  et  en  munitions.  Les  Américains  qui  depuis  loogtemp> 
pressentaient  la  tournure  que  devaient  prendre  les  événements  avaienl 
une  flotte  devant  la  Havane  24  heures  après  la  déclaration  de 
guerre.  Les  Espagnols  qui,  plus  encore  peut-être,  devaient  avoir  le 
même  pressentiment  et  que  deux  révoltes  coloniales  auraient  dû  mettre 
en  éveil,  n'avaient  pas  une  escadre  réellement  en  état  de  tenir  la  mer. 
Leurs  meilleurs  bâtiments  étaient  en  réparation,  comme  le  Pelayo,  ou 
n'avaient  pas  leur  armement  au  complet,  comme  le  Christobal  Cohti 
et  le  Carlos  Y.  En  outre,  pour  cp.use  d'économie,  les  bâtiments  navi- 
guaient peu  et  les  canonniers  ne  faisaient  pas  d'exercices  de  tir, 
économie  trompeuse  que  l'Espagne  paie  bien  cher  aujourd'hui. 

On  ne  saurait  reprocher  à  la  France  de  faire  des  économies  pour  sa 
marine.  Le  budget  de  celle-ci  est  le  plus  gros  qui  existe,  après  celui  de 
l'Angleterre;  mais  les  dépenses  que  le  parlement  vole  généralement  sans 
compter  sont-elles  appropriées  aux  conditions  d'une  guerre  coloniale  1 
Notre  marine  est-elle  en  mesure  de  lutter  dans  de  bonnes  conditions 
dans  les  mers  lointaines?  Nos  colonies  sont-elles  en  bon  état  de  défense, 
suffisamment  pourvues  de  troupes  et  d'approvisionnements  ?  Sur  ce 
dernier  point  il  y  aura  beaucoup  à  dire. 

La  France  peut  être  exposée  à  combattre  sur  mer  une  puissance  mari- 
time égale  en  forces  ou  supérieure.  Dans  le  premier  cas  nos  cuirassés 


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LKS   CROÏSEIJKS   CUIRASSÉS   FRANÇAIS  mi 

pourront  jouer  un  rôle  important  et  chercher  à  devenir  ou  à  rester 
maîtres  de  Ja  mer.  Dans  Je  second  cas  ils  seront  sans  doute  obligés  de 
demeurer  sur  la  défensive  pour  éviter  un  désastre.  Seuls  les  bâtiments  à 
marche  rapide,  c'est-à-dire  les  croiseurs,  pourront  aJors  se  risquer  en 
haute  nier.  Ce  seront  également  les  seuls  bâtiments  susceptibles  de  por- 
ter la  guerre  dans  les  mers  lointaines,  en  cas  de  conflit  avec  une  puis- 
sance non  européenne,  nos  cuirassés  devant  être  gardés  en  Europe  pour 
des  causes  d'ordre  politique  et  ne  pouvant  d'ailleurs  s'éloigner  beau- 
coup des  ports  de  ravitaillement  par  suite  de  rinsuflisance  de  leurs 
moyens.  Plusieurs  d'entre  eux,  en  effet,  ne  sauraient  aller  d'un  bout  de 
la  Méditerranée  à  l'autre  sans  se  trouver  à  court  de  charbon.  Un  autre 
obstacle,  la  puissance  de  leur  tirant  d'eau,  les  mettrait  dans  Timpossi- 
bilité  de  franchir  le  canal  de  Suez. 

C'est  donc  sur  les  croiseurs  que  doit  retomber  tout  le  poids  d'une 
guerre  maritime  coloniale.  Or  les  croiseurs  sont  de  3  catégories  :  les 
croiseurs  non  protégés,  bons  pour  la  course,  mais  incapables  desoutenir 
la  lutte  dans  une  rencontre  avec  des  bâtiments  autres  que  leurs  simi- 
laires ;  les  croiseurs  protégés,  encore  très  vulnérables  en  pareille  occu- 
rence  ;  enûn  les  croiseurs  cuirassés.  Ceux-ci,  par  la  protection  que  leur 
assure  leur  cuirasse,  par  leur  vitesse  et  par  l'importance  de  leur  artil- 
lerie ne  redoutent  que  les  Cuirassés.  Et  encore,  en  cas  de  surprise  de  la 
part- de  ces  derniers,  sont-ils  en  état  de  résister  à  quelques  coups  de 
canon,  le  temps  de  se  mettre  hors  d'atteinte.  Leur  vitesse  leur  permet 
de  toujours  refuser  le  combat,  sauf  contre  leurs  similaires  ennemis,  et 
leur  armement  les  met  en  mesuré  de  lutter  contre  l'artillerie  de  terre. 
Aux  Antilles,  les  croiseurs-cuirassés  New-York  et  Brooklyn  ont  pris 
part  aux  bombardements  de  Puerto-Rico  ou  de  Santiago  sans  éprouver 
plus  d'avaries  que  les  cuirassés. 

Le  croiseur-cuirassé  étant  le  navire  de  combat  le  mieux  adapté  aux 
guerres  coloniales,  on  est  en  droit  de  se  demander  do  combien  de  ces 
bâtiments  peut  disposer  la  marine  française.  Leur  nombre  n'est  que  de 
6,  c'est-à-dire  qu'il  n'est  pas  supérieur  à  celui  dont  disposait  l'Espagne 
avant  ses  récents  désastres.  Ces  croiseurs  sont  :  le  Charner,  le  Chanzy, 
le  Bruix,  le  Latouche-Trévllle,  tous  4  du  même  type  ;  le  Dupu^-cfe-Ldme, 
le  Polhuau. 

Les  4  premiers,  de  4.750  tonneaux  de  déplacement,  ont  une  ceinture 
de  90  millimètres  et  un  pont  cuinissé  de  SO  mm.  Leur  vitesse  maxima 


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462  BEVUE  FBANÇAISE 

n'est  que  de  19  nœuds  et  leur  approvisionnement  normal  de  charbon 
n'est  que  de  400  tx.  L'artillerie  comprend  2  pièces  de  19  centimètres 
et  6  de  14. 

Le  Pothuau  est  d'un  type  analogue  un  peu  agrandi.  D  déplace 
5.330  Ix  et  porte  2  canons  de  14  c.  de  plus  que  les  précédents.  Au 
point  de  vue  de  la  vitesse  et  de  l'approvisionnement  de  charbon,  le 
Pothuau  n'est  pas  plus  favorisé. 

Plus  ancien  comme  construction,  le  Dupuy-de-Lôme  est  cependaul 
plus  rapide  et  mieux  protégé  que  les  cinq  autres  croiseurs.  U  est  en  effet 
cuirassé  à  100  mm.  sur  toute  son  étendue  et  son  pont  cuirassé  a  50  mm. 
Sa  grosse  artillerie  comprend  2  pièces  de  19  c.  et  6  de  16  c,  en  tou- 
relles. Le  blindage  de  ces  tourelles  est  de  100  mm.  tandis  qu'il  n'est 
que  de  50  sur  les  autres  croiseurs.  Le  Dupuy-de-lAme  file  20  n.,  mais 
son  approvisionnement  n'est  que  de  900  tx  de  charbon,  ce  qui  ne  lui 
donne  qu'un  rayon  d'action  insuffisant  pour  un  croiseur. 

Six  croiseurs  cuirassés  en  service,  c'est  donc  tout  ce  que  possède  «i 
bâtiments  de  ce  genre  la  2®  puissance  maritime  et  la  2*  puissance  colo- 
niale du  monde.  C'est  d'autant  plus  insuffisant  que  5  de  ces  croiseurs, 
n'ayant  qu'un  rayon  d'action  très  limité,  ne  sauraient  s'éloigner  à  trop 
grande  dislance  d'un  port  de  ravitaillement.  Ils  pourraient,  il  est  vrad, 
se  faire  suivre  de  navires  charbonniers,  pour  ne  pas  être  obligés  de  » 
jeter,  comme  l'escadre  de  l'amiral  Cervera,  dans  le  premier  port  venu 
et  de  s'y  laisser  bloquer.  Mais  ici  se  piésente  une  autre  difficulté.  Pour 
ne  pas  être  retardés  et  gênés  dans  leur  marche,  les  croiseurs  devraient 
être  suivis  de  transports  ayant  une  vitesse  au  moins  égale.  Or  il  n'existe 
dans  la  marine  française  que  4  paquebots  (de  la  C'®  Transatlantique) 
pouvant  fournir  une  vitesse  de  18  à  19  n.  —  et  encore!  —  tandis  qu'en 
Angleterre,  en  Allemagne,  aux  États-Unis  des  paquebots  faisant  uo 
service  analogue  donnent  couramment  20,  21  et  22  nœuds.  Pénurie  eo 
bons  croiseurs  cuirassés,  pénurie  en  transports  rapides,  telle  est  doncb 
situation  présente. 

n  faut  reconnaître  toutefois  que  7  autres  croiseurs  cuirassés  sont  en 
construction.  Ce  sont  :  la  Jeanne-d^Arc,  magnifique  croiseur  de  11.300 
t.,  les  croiseurs  Montcalm,  Amiral-Gueydon,  du  Petit^Thouars,  de 
9.500  t.,  Kléber,  Desaix,  Dupleix  de  7.700  t. 

La  Jeanne-d'ÀT'C^  dont  nous  donnons  le  dessin  d*api*ès  Y  Association 
technique  maintime^  présente  le  même  tonnage  de  déplacement  que  Je 


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LES   CROISEIÎPS   CUIRASSÉS    FRANÇAIS  463 

cuirassé  Charlemagfne.  C'est  un  puissant  navire  non  seulement  par  sa 
masse,  sa  ceinture  cuirassée  de  150  mm  d*épaisseur  et  son  artillerie  qui 
compte  âO  pièces  de  moyen  calibre  et  24  de  petit  calibre,  mais  encore  par 
sa  vitesse,  prévue  à  23  n.  et  son  rayon  d'action  —  Ô.OOO  milles  à  10  n. 
—qui  lui  permet  de  se  rendre  de  Toulon  à  Shanghaï  sansavoir  à  renou- 
\-eler  son  approvisionnement  normal  de  charbon  qui  est  de.  1.400  tx. 
En  surcharge  il  sera  possible  d'ajouter  encore  900  Ix.  de  charbon  ce  qui 
liorlera  le  rayon  d'action  à  13.500  milles.  Avec  ces  approvisionnements 
la  Jeanne-d'Arc  pourrait  marcher  à  toute  vitesse  pendant  55  et  83  heures 
consécutives.  C'est  là  un  résultat  d*autant  plus  remarquable  que  les 
bâtiments  de  guerre  français  pèchent  en  général  par  leur  rayon  d'action. 

Malgré  cette  belle  endurance  la  Jeanne-dWrc  sera  encore  dépassée 
par  les  navires  anglais  Hecla,  d'un  rayon  d'action  de  26.000  milles, 
Power  fui  et  Terrible  de  25.000  m.,  le  croiseur  russe  /Jun*  de  ÎO.OOO  m., 
sans  parler  des  grands  croiseurs  américains.  Mais  on  sait  par  l'expé- 
rience du  Potverful,  obligé  de  renouveler  plusieurs  fois  son  charbon  en 
se  rendant  d'Angleterre  en  Extrême-Orient  par  le  Cap,  combien  ces 
chiffres  sont  sujets  à  réduction. 

La  Jeanne 'd'Arc  pourra  sans  doute  détenir  le  record  de  la  vitesse  en 
son  genre.  Mais  déjà  la  marine  anglaise  lui  prépare  une  sérieuse  con- 
currence. Dans  les  crédits  demandés  tout  récemment  à  la  chambre  des 
communes  pour  l'augmentation  de  la  flotte,  M.  Goschen  a  fait  valoir 
que  la  construction  d'un  croiseur  comme  la  Jextnne-d'Arc,  obligeait 
l'Angleterre  à  mettre  en  chantier  2  nouveaux  grands  croiseurs  cuirassés 
de  14.000  t.  devant  donner  23  n. 

La  Jeamte-d'Arc  a  été  mise  en  construction  à  Toulon  en  1895. 

Les  3  croiseurs  du  même  type  de  9.300  t.  sont  eu  contruction  ;  le 
de  Gtieydon  à  Lorient,  le  du  Petit-Thouars  à  Toulon  et  le  Monlcalm  à 
la  Seyne.  Ces  bâtiments  ont  138  mètres  de  long  et  7  m.  50  de  tirant 
d'eau  arrière.  Leur  artillerie  comprend  :  2  pièces  de  194  mm.  en 
tourelle  blindée,  8  de  164  mm.  à  tir  rapide,  4  de  100  mm.  à  tir 
rapide,  '16  de  47  mm.  et  6  de  37  à  tir  rapide.  La  ceinture  cuirassée 
atteint  ISO  mm.  dans  son  milieu  et  diminue  vers  les  extrémités. 
L'épaisseur  du  pont  cuirassé  varie  entre  30  et  50  nnu .  L'approvision- 
nement normal  de  charbon  est  de  1.023  t.  ce  qui  donne  un  rayon 
d'action  à  10  n.  de  6.300  milles,  soit  exactement  la  distance  de  Toulon 
à  Singapore.  Avec  un  approvisionnement  en  surcharge  l'endurance 


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464  REVUE  FRANÇAISE 

peut  être  portée  à  10.300  m.,  ce  qui  représente  la  dislance  de  Brest  au 
Japon.  La  vitesse  minima  prévue  est  de  21  n.  A  cette  allure  et  avec 
approvisionnement  en- surcharge  le  rayon  Jaction  sera  de  1.900  m.,  la 
distance  qui  sépare  Cherbourg  de  Toulon,  laquelle  pourra  être  franchie 
en  90  heures. 

Quoique  étant  un  peu  moins  rapides  que  la  Jeanne-d^Arc  et  ayant 
un  rayon  d'action  inférieur,  les  croiseurs  du  type  Montcalm  ont  à 
peu  près  la  môme  valeur  comme  armement  et  comme  protection.  Ds 
formeront  sans  doute  un  ensemble  d'excellents  bâtiments. 

11  faut  être  plus  réservé  sur  les  3  croiseurs  du  même  type  de  7.700 1.: 
Kléber,  Desaiœ,  Dupldx  qui  sont  des  réductions  du  type  précédent.  La 
diminution  du  tonnage,  tout  en  conservant  la  même  vitesse,  21  n.  et 
un  armement  analogue,  a  amené  une  réduction  de  la  ceinture  cuirassée 
en  hauteur  et  en  épaisseur;  cette  dernière  n'est  plus  que  de  100  mm. 
au  lieu  de  150  sur  les  croiseurs  précédents.  L'approvisionnement  de 
charbon  est  ramené  à  900  t.  Et  comme  dans  u  n  espace  réduit  il  faut 
donner  la  même  force  de  chevaux  et  la  même  vitesse,  il  s'en  suivra 
une  plus  grande  fragilité  dans  les  machines  et  par  suite  une  diminution 
dans  la  force  de  résistance  des  bâtiments. 

Quand  ces  divers  croiseurs  seront  entrés  en  service,  c'est-à- 
dire  pas  avant  le  siècle  prochain,  la  marine  française  possédera 
7  croiseurs  cuirassés  neufs  et  6  autres  plus  anciens,  ces  derniers  im- 
propres, à  cause  de  leur  faible  rayon  d'action,  à  faire  campagne  dans 
les  mers  lointaines.  Il  est  donc  urgent  de  mettre  en  construction  de 
nouveaux  croiseurs  cuirassés  aptes  à  remplir  leur  mission  aux  colonies, 
c'est-à-dire  à  en  rendre  possible  le  ravitaillement  ainsi  que  la  défense  à 
grande  distance.  D. 


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XJUïI  (Août  98).  H'  236, 


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?t*7^^m^?^ 


Cuirassé  Charleitiagne. 


Longueur  entre  perp"» . .  1 17"  SO 

Laideur 20^26 

Tirantd'eau  moyen  .    .   .       7™  90 
Déplacement 11.260  tx. 


Puissance  maxima  .   .  IS.SOOdn. 

Vitesse  maxima  .   .    .  18n. 

IpproY^  Horaial  de  charlMui  69011. 

Rayon  d'action  à  10  n .  4.300ri. 


Armement. 

4  canons  de  305  mm.  en  2  tourelles. 
10     —     de  139  mm.  tir  rap.  en  réduits  blindés. 

8  —  de  100  mm.  t.  r. 
16  —  de  47  mm.  t.  r. 
18     —     de   37  mm.  t.  r.  et  rev. 

4  tubes  lance-torpilles,  dont  2  sous-marins. 

La  ceinture  cuirassée,  d'une  hauteur  totale  de  2  m .,  a  une  épaisseur  au 
milieu,  de  400  mm.  et  va  en  diminuant  jusqu'aux  extrémités.  Le  pont 
blindé  a  70  mm.  La  grosse  artillerie  est  bien  protégée,  mais  la  moyenne 
artillerie  est  plus  exposée  aux  obus  à  grande  capacité  d'explosif.  Le  Char- 
témoigne,  mis  en  chantiers,  à  Brest,  le  30  sept,  1893,  a  fait  ses  essais 
officiels,  en  juin  1898.  Il  a  donné  17  ri.  2S  au  tirage  naturel,  et  18  n. 
13  au  tirage  activé  avec  lo.29S  ch.  Il  formera  avec  ses  similaires,  le 
Gaulois  et  le  St-Louis,  en  achèvement  à  Brest  et  Lorient,  une  belle 
division  à  18  n. 


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D^OMSK  A  VIERNIY 


(1) 


III 

La  chaine  ftmtoêtique  d'Arkat,  —  Notre  entrée  dans  le  Semiretché,  — 
La  chaine  du  Tarbagataï,  —  SergiopoL  —  Passage  à  gué  de  la  fivière 
Aiagousi,  —  Accident  de  tarentass,  —  Les  steppes  salines  du  Balkach. 
—  .1m  pied  de  VAlatau  dzoungare. 

Partis  à  7  h.  20  du  matin  de  Kizil-Moulinsk,  nous  sommes  arrivés  à 
9  h,  35  à  Arkat  (26  verstes  1/2,  28  kilomètres.)  A  mesure  que  nous 
galopions  dans  la  steppe,  nous  nous  rapprochions  de  cette  chaîne  d'Ar- 
kat,  vraiment  bien  originale  ;  malgré  sa  faible  altitude,  7  à  800  mètres 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  350  à  400  mètres  au-dessus  de  la  steppe, 
elle  vous  impressionne,  vous  étonne.  Accumulation  d'aiguilles,  de  pointes 
effilées  qui  semblent  vouloir  poignarder  le  ciel,  de  tourelles,  de  cloche- 
tons, de  fiers  donjons,  de  créneaux,  de  minuscules  coupoles  de  mara- 
bouts, chaos  de  rochers  déchiquetés,  dépenaillés,  loqueteux,  auxquels 
la  nature  n'a  pas  fait  l'aumône  d'un  beau  manteau  de  verdure  ;  et  tout 
cela,  grimaçant,  fantastique,  dominant  d'une  masse  sombre,  verdâtre 
ou  grisâtre,  la  steppe  bien  verte  où  le  vent  fait  onduler  les  herbes 
et  frissonner  les  anémones.  Quel  regret  de  ne  pouvoir  s'arrêter  pour 
passer  quelques  jours  dans  ces  montagnes  étranges,  perchoirs  d'aigles 
et  de  vautours,  solitude  où  l'on  ne  doit  entendre  que  le  fracas  des  rocs 
qui  s'éboulent,  les  rumeurs  de  la  montagne  en  travail. 

A  peine  30  minutes  d'arrêt  à  Arkat  ;  le  staroste  est  expéditif,  et  nous 
voici  en  route  vers  Alidjan.  Nous  courons  dans  une  dépression  gazonnée, 
sorte  de  col  ou  plutôt  de  rigole,  qui  sépare  les  monts  Arkat  des  monta 
Alidjan  ;  à  notre  droite,  les  premiers  :  à  gauche,  les  seconds.  Le  paysage 
est  maintenant  sans  intérêt.  Toujours  même  absence  de  végétation  arbo- 
rescente. Rencontré  un  loup  qui  se  sauve  à  toutes  jambes  ;  décidément, 
rien  ne  fait  peur  à  un  fauve  comme  la  rencontre  d'un  bipède  civilisé  ! 
Nous  croisons  également  une  caravane  de  voitures  en  route  pour  Semi- 
palatinsk  ;  les  chevaux  marchent  béatement  à  petits  pas,  tandis  que  le« 
conducteurs  kirghises  sommeillent. 

Midi  :  nous  stoppons  devant  la  station  d' Alidjan  (24  verstes,  26  kilo- 
mètres 000.)  En  entrant  dans  la  station,  tandis  que  le  lieutenant 

(!)  Voir  hev,  Fr.  1898,  juin  p.  329,  juil.  p.  390. 


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468  REVUE  FJKANÇAISE 

Sakovief  présente  au  btaroste  notre  coupon  et  règle  le  pourboire  du 
cocher,  je  pousse  les  trois  cris  sacramentels  qui  constituent  ruoiforme 
discours  que  je  prononce  dan»  chaque  station  :  du  lait  !  du  pain  !  des 
œufs!  L'absence  d'autres  denrées  alimentaires  et  ma  très  faible  connais- 
sance de  la  langue  russe  justifient  ce  laconisme.  Quant  à  Walteniuset 
au  baron  de  Munek,  ils  se  ptéoccupent  de  l'installation  du  samovar  et 
de  la  préparation  du  thé  ;  le  starosle  ne  fournit  que  le  samovar  et  l'eau 
chaude;  nous  apportons  le  thé  et  le  sucre.  En  général,  autant  de 
repas  de  ce  genre  que  de  haltes  dans  des  stations. 

C'est  à  midi  30  que  nous  quittons  Alidjan;  la  steppe  est  plus  aiide 
maintenant;  le  sol  n'est  pas  partout  recouvert  de  cette  belle  nappe  de 
verdure  que  nous  admirions  depuis  Semipalatinsk.  Devant  nous,  une 
ligne  de  hauteurs,  la  dernière  que  nous  rencontrerons  dans  la  province. 
Arrêt  très  court  à  la  station  d'Ouzoun-BouIak  (26  kilomètres).  Nous 
franchissons  la  chaîne  d'Inrekei,  ondulation  semblable  aux  monts 
Arkalyk  et  aux  monts  Alidjan.  Encore  une  caravane;  celle-là  est  déjà 
au  campement  et  se  repose.  Successivement  passent  trois  tarentass 
venant  en  sens  inverse;  peut-être  n'auronsi-nous  pas  de  chevaux  à  la 
station  suivante,  mes  compagnons  sont  inquiets;  quant  à  moi,  cette 
perspective  d'un  repos  forcé  est  loin  de  me  àéplaire. 

La  soirée  est  superbe  :  pas  un  nuage,  pas  même  un  flocon  de  vapeur, 
et  l'atmosphère,  dans  ces  vastes  espaces  presque  inhabités,  est  d'une 
extraordinaire  pureté.  Une  nouvelle  caravane,  celle-là  d'une  centaine 
de  voitures,  donne  une  certaine  animation  à  la  steppe.  Plus  loin,  quatre 
chameaux  enveloppés  de  manteaux  de  feutre;  ces  manteaux  ont  des 
trous  par  lesquels  on  a  passé  les  pattes  ;  ainsi  habillés  messieurs  les 
chameaux  ont  une  mine  bien  drôle.  Nous  passons  devant  un  aoul  grouil- 
lant de  vie;  aux  appels  des  hommes,  se  mêlent  les  cris  variés  des  trou- 
peaux, bêlements  des  moutons,  mugissements  des  bœufs,  hennissements 
des  chevaux  :  concert  étrange  où  les  sons  se  heurtent,  s'entre-choquent. 
Un  Kirghise  à  cheval...  sur  un  bœuf,  qu'il  guide  au  moyen  de  corde? 
passées  dans  les  naseaux,  rentre  à  l'aoul. 

A  la  station  d'Inrekeiskia.  contrairement  à  mon  espérance,  nous 
trouvons  des  chevaux  et  nous  pouvons,  à  7  heures  du  soir,  continuer 
notre  route  vers  le  sud.  Nous  sortons  maintenant  du  gouvernement 
de  Semipalatinsk  pour  entrer  dans  le  gouvernement  de  Semiretché.  U 
première  station  appartenant  à  ce  gouvernement  est  celle  d'Atyn-Kala- 


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D'OMSK   A   VIERNIY  469 

kskaïa  où  nous  arrivons  à  8  heures  30  du  soir.  Mes  compagnons  de  route  , 

ont  enfin  pitié  de  moi.  et  il  est  décidé  que  nous  y  passerons  la  nuit.  U  y 

a  près  de  38  heures  que  nous  marchons  sans  avoir  pris  de  repos,  nous 

avons  franchi  260  kilomètres  ;  on  a  bien  droit  après  une  pareille  course 

à  une  nuit  de  sommeil.  | 

Naturellement  dans  les  stations,  il  ne  faut  pas  parler  de  lits,  on  s'im-  J 

provise  une  couchette  avec  des  couvertures  et  des  pelisses  sur  les  cana-  | 

pés  et  on  dort,  comme  on  dormirait  dans  Tune  des  salles  d'attente  de  ^ 

nos  gares.  Au  sortir  du  tarentass,  vous  vous  croyez  dans  le  plus  moelleux  | 

des  lits.  i 

20  mai  —  Départ  à  6  heures  40  du  matin.  Temps  aussi  beau  que  la  \ 

veille  ;  le  thermomètre  marque  6**5.    Le  panorama  est  presque  gran-  j 

diose  avec  le  profil  neigeux  des  monts  Tarbagataï  qui  strie  Thorizon  ,^ 

d'une  ligne  blanche,  étincelante,  sous  le  miroitement  deis  rayons  du 
soleil  levant.  Cette  fois,  nous  sommes  en  présence  de  véritables  mon-  '^ 

tagnes,  le  tronc  d'où  proviennent  toutes  les  branches,  Semi-taou,  Arka-  j 

lyk,  Alidjan,  Arkat,  Inrikei,  que  nous  avons  successivement  rencon-  \ 

trées.  Le  système  fort  important  et  encore  peu  connu  du  Tarbagataï  ] 

se  termine  à  l'ouest,  vers  l'Irtych,  par  un  éventail  de  collines  dont  les  ■ 

plus  basses  descendent  jusqu'à  une  altitude  de3S0  mètres;  ces  colhnes 
font  de  la  steppe  du  sud  de  la  province  de  Semipalatinsk  une  steppe 
ondulée  ayant  un  caractère  spécial  et  où,  la  colonisation,  surtout  avec 
des  irrigations,  trouverait  un  domaine  de  valeur. 

Le  système  du  Tarbagataï  est  incliné  du  S.-E  au  N.-O.  Il  a  son  origine 
en  Chine,  dans  la  Dzoungarie,  au  nordnouest  du  désert  dzoungare,  et 
son  massif  original,  les  monts  Saour,  est  le  plus  élevé  de  tout  le  sys- 
tème. Les  monts  Saour  s'étendent  entre  la  ville  chinoise  de  Bouloun- 
TokhoY  et  la  ville  russe  de  Zaïsansk;  le  Mont-Blanc  des  Saour  est  le 
Mouz  taou,  situé  sur  le  territoire  chinois,  qui  porte  à  3.400  mètres  sa 
tête  couronnée  de  neiges  éternelles.  Vers  le  milieu  des  monts  Saour,  le 
Tarbagataï  proprement  dit  se  soude  au  premier  massif,  et  s'il  n'atteint 
pas  sa  hauteur,  il  le  dépasse  beaucoup  en  longueur.  Le  Tarbagataï 
sépare  d'abord  le  territoire  russe  du  territoire  chinois,  puis  la  province 
de  Semipalatinsk  de  la  province  de  Semiretché.  Un  peu  avant  d'attein- 
dre Sergiopol,  il  s'éparpille  en  cinq  chaînes  qui  forment  l'éventail  dont 
j'ai  parlé.  D'après  Schrenck,  la  limite  des  neiges  persistantes  dans  le 
Tarbagataï,  est  à  2.760  mètres;  le  point  culminant  de  la  chaîne  est  le 


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470  REVUE  FRANÇAISE 

Tas-taou  (la  montagne  de  pierre),  d'une  altitude  de  2.958  mètres,  qui 
a  été  gravi  plusieurs  fois;  je  ne  pense  pas  que  l'ascension  du  Mouz-taoo 
ait  jamais  été  faite.  L'étude  géologique  du  système  du  Tarbagataï  serût 
très  intéressante  ;  un  minéralogiste  polonais  que  j'ai  vu  à  Mias  et  qui 
connaît  bien  ces  contrées,  prétendait  même  qu'un  jour  le  Tarbagaiai 
serait  une  nouvelle  Californie.  Par  les  chaînes  d'Ourkatchar  et  du  Djair 
qui  bordent  le  désert  dzoungare,  le  Tarbagataï  est  en  rapport  avec  les 
Thian-shan.  On  peut  considérer,  à  la  suite  d'un  examen  attentif,  le  Tar- 
bagataï comme  l'un  des  plissements  du  système  des  Thian-shan. 

Tout  en  faisant  ces  réflexions  géographiques,  nous  nous  laissons  em- 
porter à  travers  la  steppe  au  triple  galop  des  chevaux  de  notre  taren- 
tass,  et,  après  le  repos  de  la  nuit,  le  trajet  semble  moins  pénible.  Voici 
justement  des  malheureux  qui  accomplissent  ce  long  voyage  dans  dfô 
conditions  qui  nous  font  apprécier  plus  favorablemeût  notre  relatif  com- 
fort  :  un  convoi  de  prisonniers,  la  plupart  Kirghises,  marchant  à  pied, 
par  groupes  de  deux  ou  de  trois  entre  une  haie  de  soldats  qui  les  escor- 
tent le  fusil  sur  l'épaule;  ils  iront  ainsi  jusqu'à  Semipalatinsk  où  onles 
embarquera  sur  des  barges  qui,  remorquées  par  les  bateaux  à  vapeur, 
les  amèneront  à^Omsk;  d'Omsk  à  Krasnoïarsk,  en  chemin  de  fer;  puis 
au  delà,  de  nouveau  à  pied  jusqu'aux  lointains  pénitenciers  de  la  Sibé- 
rie orientale.  Le  temps  n'est  rien  pour  les  Orientaux;  mais  l'espace! 
après  un  semblable  itinéraire,  ils  doivent  en  connaître  la  valeur  et  la 
signification.  Derrière,  suivent  dans  des  chariots,  juchés  sur  une  masse 
confuse  de  ballots,  d'ustensiles  de  ménage,  les  femmes  et  les  enfants. 
Et  le  convoi  continue  sa  marche  lente,  tandis  que  nous  courons  en  sem 
inverse  vers  ces  éblouissantes  cimes  qui  maintenant  flamboient,  ruti- 
lent, se  grisent  de  l'or  du  soleil. 

Une  petite  tache  de  verdure  devant  nous,  les  premiers  arbres  depuis 
Semipalatinsk;  un  groupement  de  dés  blanchâtres,  une  coupole  verte 
qui  d'ici  semble  une  minusculecoupe renversée;  autour quelqueschamp, 
bien  peu;  mais  enfin  tout  cela  indique  l'approche  d'une  a^lomération 
humaine;  nous  n'avons  vu  pendant  deux  journées  déroute  que  des  sta- 
tions de  poste.  Enfin,  les  arbres,  les  maisons  grandissent;  rensemWe 
du  paysage  devient  plus  distinct.  C'est  Sergiopol,  et,  joyeux,  nous  y 
faisojQs  notre  entrée,  à  9  heures  20  du  matin. 

Sergiopol,  ainsi  nommé  en  l'honneur  du  grand-duc  Serge,  car  son 
ancien  nom  kirghiz  est  Aiagouz,  ne  saurait  être  considéré  comme  une 


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D'OMSK    A   VÎERÎVIY  471 

Véritable  cité  :  village  de  1.302  habitants  (782  hommes  etSSO  femmes), 
aux  oonfins  des  gouvernements  de  Semipalatinsk  et  de  Semiretchê, 
Sergiopol  doit  son  origine  à  un  poste  cosaque  ;  on  en  a  fait  une  slanitza 
de  cosaques  du  Semiretchê  avec  le  poselok  d*Oudjarskaïa  comme 
dépendance.  A  nos  yeux,  après  les  trois  cettts  kilomètres  de  steppes 
que  nous  venons  de  traverser,  c'est  presque  une  grande  ville.  D*abord 
la  station  de  poste  est  vaste,  t>ien  aménagée  (Sergiopol  se  trouvant  au 
croisement  de  la  route  de  Vierniy  et  de  la  route  de  Bakty)  ;  ensuite, 
nous  y  ferons  un  véritable  déjeuner,  avec  des  assiettes,  des  cuillers,  des 
fourchettes,  un  potage,  un  ragoût  de  mouton,  un  menu  d'empereur, 
m^me  une  bouteille  de  Champagne  que  le  baron  de  Munck  en  allant  à 
la  recherche  d'une  antique  et  noble  (bien  qu'informe)  statue,  a  dénichée 
dans  un  traktir.  Je  ne  répondrai  pas  de  l'âge  du  susdit  Champagne  et 
je  serais  bien  en  peine  de  narrer  les  extraordinaires  aventures  à  la  suite 
desquelles  il  est  venu  échouer  à  Sei^iopol  ;  mais  enfin  l'étiquette  y  est 
et  il  n'y  a  que  la  tbi  qui  sauve...  particulièremetit  en  matière  de  vins 
de  Champagne. 

Malgré  les  heui^eiix  effets  d'un  bon  déjeuner  qui  contribuent  géné- 
ralement à  faire  voir  tout  en  rose,  je  suis  obligé  de  reconnaître  que 
Sergiopol  n'est  pas  précisément  un  séjour  enchanteur.  Les  arbres  qui 
de  loin  nous  réjouissaient  le  regard,  sont  rabougris,  poussiéreux  ;  la 
terre  semble  leur  reprocher  le  peu  d'espace  qu'elle  offre  à  leurs  racines. 
Beaucoup  de  poussière  dans  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  des  rues; 
un  climat  caractérisé  par  le  contact  des  extrêmes,  froids  excessifs, 
chaleurs  non  moins  excessives.  Des  environs  dénudés,  déserts  ;  c'est 
un  point  d'occupation,  une  étape  marquée  vers  le  sud,  un  poste  militaire 
qui  peut,  ou  tout  au  moins  a  pu  avoir  sa  raison  d'être,  mais  voilà  tout. 
Il  y  a  du  reste  une  petite  garnison  de  5  ofliciers  et  171  hommes; 
effectif  plus  que  suffisant  pour  maintenir  le  bon  ordre  à  des  centaines 
de  verstes.  L'importance  de  Sergiopol  ne  consiste  que  dans  sa  situation 
âti  croisement  de  la  route  du  Turkestan  et  de  la  route  qui  mène  â 
Bakty,  sur  la  frontière  chinoise.  Une  autre  garnison  de  7  officiers  et  de 
132  hommes  a  été  établie  à  Bakty,  faisant  face  au  poste  chinois  de 
Tchougoutchak,  par  lequel  on  communique  avec  Chilko,  Manas, 
Oufoumtoi  et  Tourfan,  où  la  Russie  a  récemment  créé  un  vice-consulat. 

Si  nous  examinons  la  région  que  nous  venons  de  parcourir,  ce 
n'est  pas  autour  de  Sergiopol  que  la  colonisation  pourra  trouver  un 


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472  REVUE  FRANÇAISE 

nouveau  domaine  susceptible  de  fructifier,  c'est  plutôt  sur  la  riye 
gauche^  de  Tlrtych  et  entre  le  fleuve  et  les  monts  Arkat.  Sergiopol,  il 
est  vrai,  est  arrosé  par  un  cours  d'eau  assez  considérable,  l'Aïagouz, 
qui  se  jette  dans  le  lac  Balkach,  mais  son  régime  d'eau  est  très 
variable,  et  au  sud  de  Sergiopol  seulement  les  terres  seraient  favorables. 

J'ai  parlé  de  la  statue  que  le  baron  de  Munck  et  le  professeur 
Wallenius  avaient  examinée  et  qui  orne  une  des  rues  de  Sergiopol; 
cette  statue  se  rattache  au  groupe  des  œuvres  d'art  (?)  appelées  Baba 
Kamene  par  les  Kirghises  ;  un  bloc  de  pierre  enfoncé  dans  le  sol  et 
dont  la  partie  supérieure  a  été  plus  ou  moins  dégrossie,  avec  l'intention 
fort  louable  de  représenter  une  figure  humaine  ;  le  résultat  n'est  géné- 
ralement pas  proportionnel  à  l'effort,  et  le  talent  de  l'artiste  indigène 
paraît  inférieur  à  sa  bonne  volonté.  Parfois  on  peut  relever  sur  ces  Ba6a 
Kamene  des  inscriptions  offrant  quelque  intérêt. 

Avant  de  quitter  Sergiopol,  un  fait  caractéristique:  les  maisons  en 
bois  sont  plutôt  en  minorité  ;  on  remarque  déjà  .beaucoup  de  maisons 
en  terre,  blanchies  à  la  chaux,  ayant  la  forme  rectangulaire,  avec  la 
terrasse  orientale  se  substituant  au  toit,  ce  qui  indique  l'approche  du 
Turkestan  et  de  l'Asie  centrale. 

A  midi,  nous  quittons  Sergiopol  ;  la  ville  est  rapidement  traversée,  et 
nos  chevaux  s'engagent  dans  le  cours  de  l'Aïagouz  ;  c'est  notre  premier 
passage  à  gué.  Nous  allons  renouveler  souvent  cette  opération  qui  à 
l'époque  des  hautes  eaux  est  parfois  dangereuse.-  En  ce  moment,  il  y  a 
peu  d'eau,  juste  de  quoi  éclabousser  les  chevaux  et  laver  un  peu  le 
tarentass.  L'Aïagouz  est  une  des  sept  rivières,  une  de  celles  qui  donnent 
leur  nom  à  la  province  :  «  Semiretché  ».  «  sept  rivières  ».  On  n'est  pas 
d'accord  sur  les  sept  rivières  ;  l'opinion  la  plus  vraisemblable  est  celte 
qui  considère  comme  «  les  sept  rivières  »  :  l'Aïagouz,  le  Karatal,  le 
Bien^  l'Aksou,  le  Sarkan,  le  Baksan  et  la  Lepsa. 

L'eau  limpide  de  l'Aïagouz  court  sur  les  cailloux  en  murmurant; 
quelques  roseaux  bordent  les  rives.  Aussitôt  on  gravit  la  berge  droite 
qui  est  élevée  et  on  s'engage  dans  les  collines  qui  dominent  Sergiopol 
au  sud.  On  m'a  communiqué  les  résultats  du  nivellement  très  précis 
fait  l'année  dernière  par  les  officiers  de  l'état-major  russe  entre  Omdt 
et  Vierniy.  Omsk  est  à  84  mètres  915  au-dessus  du  niveau  de  la  mer; 
Pavlodar,  à  126  mètres  S20  ;  Semipalatinsk  (égUse),  à  205  mètres  675; 
Sergiopol,  à  632  mètres  387.  Mon  baromètre  m'indiquait  600  mètres 


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D'OMSK   A   VIERNIY  473  >| 


pour  l'altitude  de  Sei^iopol  (sans  les  corrections)  ;  iJ  me  donne  sur  la 
berge  droite  une  cote  de  640 'mètres. 

La  région  a  un  aspect  plus  désertique  ;  les  plantes  sont  plus  sèches  ; 
la  flore  n'a  pas  la  même  physionomie  qu'entre  Semipalatinsk  et 
Sergiopol.  Les  oiseaux  se  font  plus  rares  ;  la  vie  est  moins  intense  ;  et 
sur  ce  paysage ^  morne,  un  soleil  implacable  darde  des  rayons  qui 
grillent  les  plantes,  brûlent  le  sol.  Ce  sont  des  ondulations  de  terrain 
qui  font  songer  à  d'anciennes  dunes  aujourd'hui  fixées.  Nous  ne 
sommes  pas  encore  dans  la  steppe  saline,  mais  nous  en  approchons. 

Nous  traversons  une  seconde  fois  à  gué  l'Aïagouz  ;  je  laisse  passer 
le  tarentass  du  baron  de  Munck  et  du  professeur  Wallenius,  afin  d'en 
prendre  la  photographie  au  moment  où  il  sera  engagé  au  milieu  de  la, 
rivière.  La  rive  droite  est  plus  élevée  que  la  rive  gauche;  elle  forme  une 
berge  sablonneuse  ;  la  rivière  est  large,  mais  peu  profonde;  l'eau,  très 
claire,  très  pure,  court  sur  un  lit  de  cailloux  ;  les  chevaux  qui  piaffent  font 
retomber  les  gouttelettes  en  blanches  cascatelles,  et,  en  la  sérénité  de 
cette  calme  et  resplendissante  journée  de  printemps,  l'image  de  la 
voiture  se  reflète  à  la  surface  de  la  rivière  comme  dans  un  miroir. 
C'est  avec  peine  que  l'on  gravit  la  berge,  puis,  on  repart  au  galop. 
L'étape  est  longue,  près  de  33  kilomètres  de  Sergiopol  à  la  première 
station,  celle  d'Aïagouzki,  où  nous  arrivons  à  3  heures.  De  nouveau, 
de  simples  stations  de  poste,  sans  aucun  village,  sans  aucune  agglo- 
mération humaine  autour  ;  de  simples  relais  pour  ce  long  et  pénible 
voyage. 

On  ne  cesse  de  suivre  la  rivière  AYagouz  que  l'on  traverse  une 
troisième  fois;  partout  des  spirées  en  fleurs,  quelques  tulipes  au  calice 
orangé  avec  des  taches  rouges  et  brunes.  La  température  est  plus 
chaude;  nous  marchons  en  effet  toujours  au  sud.  Malgré  cela,  la  végé- 
tation tend  à  devenir  plus  rare  ;  nous  commençons  à  apercevoir  une 
poussière  blanche  mêlée  à  l'argile  ou  au  sable,  c'est  du  sel.  Encore  un 
long  plateau  gazonné,  quelques  ondulations,  puis,  au  delà,  apparaît  à 
perte  de  vue  la  steppe  du  Balkach,  striée  de  lignes  rougeâtres,  avec  de 
hautes  colonnes  de  poussière  qui  tourbillonnent  dans  l'espace  comme 
des  trombes,  des  vapeurs  blanches,  grises,  montant  du  sol  embrasé, 
incendié  par  ce  soleil  dont  rien  n'arrête  les  radiations.  Le  panorama 
est  saisissant,  mais  l'impression  est  plutôt  désagréable  :  on  pressent  les 
fatigues  du  lendemain,  lorsqu'il  faudra  parcourir  cette  zone  désertique. 


.V 


.  V  * 


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474  REVUE  FRANÇAISE 

La  station,  où  nous  nous  arrêtons  à  6  heures  du  soif,  porte  un  nom, 
cTaldy  Koudouk  r ,  qui  nous  indique  du  reste  que  nous  sommes  presque 
dans  le  désert:  Koudouk  est  un  mot  kirghise  signifiant  «  puits  ».  La  jour- 
née a  été  chaude;  le  thermomètre  est  monté  à  19^;  nous  ne  pensons  plus 
aux  nègres  d'Omsket  deKourgan.  Nous  repartons  de  Taldy  à  7  heures  du 
soir;  en  tous  sens,  une  steppe  plate,  sans  arbres,  sans  arbrisseaux,  sans 
broussailles,  où  la  végétation  est  représentée  par  des  plantes  sèches, 
imprégnées  de  sel,  jaunâtres,  se  confondant  avec  le  sol,  parfois  épi- 
neuses, ou  bien  étalant  au  ras  de  la  terre  de  larges  feuilles.  De-ci  de-là, 
de  longues  tratnées  blanches,  des  couches  de  sel  qui  craquent  sous  le 
pas  des  chevaux.  Et  les  tarentass  ne  se  distinguent  de  loin  qu'au  nuage 
de  poussière  qu'ils  soulèvent  autour  d'eux.  Les  vêtements,  la  peau  s'im- 
prègnent de  sable,  de  sel  ;  on  en  respire,  on  en  mange  ;  une  Invasion  à 
laquelle  aucune  résistance  ne  saurait  être  opposée. 

La  nuit  vient.  A  notre  droite,  une  caravane  d'émigrants  fait  la  halte 
du  soir  ;  les  voitures  sont  rangées  en  ordre  de  bataille  ;  elles  serviront 
de  chambre  à  coucher  ;  les  hommes  attachent  les  chevaux,  tandis  que 
les  femmes  font  la  cuisine  en  plein  vent  ;  les  enfants  à  demi  nus  ramas- 
sent les  brindilles  desséchées,  les  ronces  pour  entretenir  le  feu.  Une 
émigration  vers  le  Par  East  comme  celle  qui,  dans  le  milieu  de  ce  siècle 
a  entraîné  un  torrent  humain  vers  le  Far  West.  L  année  dernière,  plus 
de  200.000  émigrants  en  Sibérie,  et  on  ne  sait  quand  s'arrêtera  cet  exode. 

Quelques  arbres  chétifs.nous  indiquent  que  nous  rejoignons  l'Alagouz, 
dont  nous  nous  étions  écartés  en  débouchant  de  la  région  des  collines. 
A  8  heures  20  du  soir,  arrivée  à  la  station  de  Kizil  Hiiskaia,  à  89  kilo- 
mètres de  Sergiopol,  franchis  en  8  heures;  notre  marche  a  été  très 
rapide.  Les  deux  premières  stations  étaient  à  une  altitude  approximative 
de  870  mètres,  890  mètres  ;  je  trouve  pour  celle-ci  480. 

On  ne  se  reposera  pas  celte  nuit,  bien  que  nous  n'ayons  certes  pas 
perdu  de  temps  depuis  notre  départ  de  Semipalatinsk  ;  après  le  dtoer, 
nous  continuons  donc  notre  route.  Nuit  sombre,  trajet  monotone  ;  som- 
meil impossible;  beaucoup  d'ornières  profondes  et  aussi  de  buttes  de 
sable  que  doit  escalader  la  voiture,  ce  qui  ne  se  fait  pas  sans  de  véri- 
tables secousses.  Une  heure  après  notre  départ  de  Kizil-Kiiskaia,  en  gra- 
vissant l'une  de  ces  buttes,  notre  tarentass  perd  réquiUbre  et  nous  cha- 
virons sur  le  côté  droit  ;  nous  voilà  roulant  dans  là  steppe  avec  nos 
bagages.  Heureusement,  rien  de  cassé,  ni  dans  nos  personnes,  ni  dans 


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D'OMSK   A   VIEBNIY  475 

notre  matériel  ;  seulement,  Tune  des  roues  de  devant,  celle  de  droite, 
qui  s'est  détachée.  Malgré  nos  objurgations  et  nos  protestations,  les 
cochers  ne  veulent  pas  accepter  d'aller  chercher  une  autre  voiture  à  la 
station  :  «  Nitchevo  !  Nitchevo  !  »  t  Ce  n  est  rien  !  Ce  n'est  rien  !  »  s'ex- 
claiôent  à  qui  mieux  mieux  nos  compagnons  russes  et  on  remet  en 
place  la  roue  fugitive  en  la  faisant  tenir  avec  de  mauvaises  ficelles. 

Je  pars  à  contre-cœur,  car  je  prévois  une  nouvelle  culbute.  Elle  ne  se 
fait  pas  attendre.  A  trois  kilomètres  plus  loin,  le  tarentass  s'affale 
encore  une  fois  du  côté  droit  :  nous  recevon^J  tous  nos  bagages  sur  le 
corps,  et  pour  ma  part,  je  viens  buter  contre  une  hache,  qui  m'entaille 
—  superficiellement  par  bonheur  —  le  front*  Eu  me  voyant  tout  ensan- 
glanté et  plus  que  furibond,  le  lieutenant  Sakovlef  se  contente  de  répé- 
cer  son  éternel  «  Nitchevo!  ».  Quel  fatalisme  exaspérant...  surtout  pour 
un  écopché  qui  se  lamente  I 

On  remet  les  bagages  dans  le  tarentass,  on  replace  la  roue  récalci- 
trante, et,  tant  bien  que  mal,  nous  arrivons  à  la  station  de  Malaia- 
gouzki  ;  j'en  garderai  un  mauvais  souvenir  de  cette  station-là.  Enfin, 
je  panse  plus  ou  moins  rudimentairement  ma  blessure,  et,  comme 
mes  compagnons  tiennent  à  ne  pas  s'arrêter  cette  nuit,  je  suis  forcé  de 
continuer  le  voyage,  mais  vous  ne  vous  étonnerez  pas  si  je  ne  vous  dis 
rien  de  la  station  de  Dochus-Agatsch,  ni  de  celle  d'Oukounin-Katchkoï, 
où  nous  arrivons  à  5  heures  du  matin;  j'étais  dans  de  telles  dispositions 
physiques  et  morales  que  les  pages  de  mon  carnet  de  route  sont  restées 
blanches.  Tout  ce  que  je  puis  vous  indiquer,  c'est  que  toute  la  nuit 
nous  avons  couru  dans  une  steppe  uniformément  plate  et  que  mainte- 
nant nous  sommés  à  la  hauteur  de  l'embouchure  de  l'Aïagouz  dans  le 
lac  Balkach  ;  le  lac  est  à  notre  droite,  c'est-à-dire  à  l'ouest,  à  quelques 
kilomètres. 

21  mai.  —  Devant  nous,  une  ligne  de  colUnes  barre  l'horizon  et 
rompt  enfin  la  monotonie  de  la  steppe  :  ce  sont  les  collines  d'Arga- 
naty  ou  d'Arganalinsk.  qui  partagent  en  doux  parties  la  vaste  steppe 
orientale  du  Balkach  ;  la  première  partie,  celle  que  nous  venons  de 
traverser,  a  des  collines  de  l'Aïagouz  aux  collines  d'Arganaty  une  lon- 
gueur de  116  kilomètres. 

La  station  d'Arganatinsk  se  blottit  dans  un  cirque  de  ces  collines 
fort  curieuses.  Elles  sont  constituées  par  des  roches  noires,  polies,  assez 
semblables  à  du  marbre  et  qui  étincellent  sous  le  soleil.  Les  bâtiments 


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476  REVUE  FRANÇAISE 

de  la  station  forment  le  centre  d'un  petit  village  kirghise  qui  est  venu 
se  grouper  autour,  et  les  roches  abruptes  dominent  menaçantes  les 
constructions  européennes  comme  les  tentes  de  feutre.  L'altitude  de  la 
station  d'Arganatinsk  est  de  450  mètres.  Les  collines  environnantes 
s'élèvent  approximativement  à  600  et  à  6S0  mètres.  Entre  ArganafSnsk 
et  Achi-Boulak,  on  franchit  assez  rapidement  cette  petite  chaîne  et  de 
nouveau  recommence  la  steppe,  une  steppe  légèrement  ondulée,  d'où 
montent  d'insupportables  nuages  de  poussière  qui  forment  dans  l'at- 
mosphère comme  de  longues  colonnes  de  fumées.  Cette  steppe  est 
moins  fatiguante  toutefois  que  la  steppe  du  nord,  car  elle  est  limitée  au 
sud  par  une  puissante  chaîne  neigeuse,  dont  la  vue  distrait  le  regard  : 
c'est  l'Alataou  dzoungare,  le  second  plissement  des  Thian-Shan.  Elle 
ne  forme  encore  qu'une  ligne  blanche,  indécise,  se  confondant  avec  les 
nuages;  mais,  à  mesure  qu'on  avance,  elle  grandit,  grandit  toujours  et 
bientôt  elle  écrase  le  paysage  de  sa  masse  énorme,  d'autant  plus  puis- 
sante qu'elle  s'élève  directement  au-dessus  d'une  plaine  rase  comme  une 
table,  tant  les  reliefs  dans  leur  ensemble  y  sont  insignifiants. 

Avant  d'atteindre  la  station  d' Achi-Boulak,  nous  croisons  une  impor- 
tante caravane  ;  toutes  ces  charrettes  sont  chargées  de  fourrures  et  par- 
ticulièrement de  ces  fourrures  de  l'Asie  centrale  que  l'on  appelle  en 
France  mongolines  (Mongolies).  En  quittant  Àchi-Boulak,  c'est  encore 
une  autre  caravane  que  nous  apercevons,  mais  celle-là  d'ëmigrants. 
Ces  rencontres  donnent  un  peu  d'animation  au  désert  et  rendent  le 
trajet  moins  fastidieux;  à  moitié  route,  les  tarentass  font  toujours 
une  halte  de  quelques  instants,  et  le  «  palavine  »  des  cochers  est  salué 
d'un  soupir  de  soulagement,  presque  d'un  cri  de  joie.- 

Une  petite  pente  gazonnée  à  franchir  et  on  aperçoit  la  vaste  dépres- 
sion où  coule  la  Lepsa,  une  des  sept  rivières,  L'Alataou  dzoungare 
paraît,  d'ici,  un  nuage  noir  que  couronnerait  un  nuage  blanc.  Il  donne 
une  excellente  idée  de  ce  que  sont  ces  plissements  du  sol  appelés  mon- 
tagnes. Le  soleil  est  ardent  et  rien  n'en  tamise  les  rayons  ;  aussi,  dans 
les  sillons  du  chemin,  courent  à  Tenvi  de  petits  lézards  aussi  gris  que 
la  poussière  dans  laquelle  ils  s'ébattent  ;  en  ces  steppes  arides,  du  reste, 
tout  est  gris,  le  sol,  les  plantes,  les  animaux,  la  couleur  des  représen- 
tants de  la  vie  végétale  et  de  la  vie  animale  s'adaptant  à  la  couleur  de 
la  terre. 

Aussi  a-t-on  une  agréable  surprise  lorsqu'en  s'arrétaht  à  la  station  de 


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D'OMSK  A  VIERNIY  477 

KaDdjiga-Boulaky  on  contemple  à  rentrée  de  la  station  quelques  arbres, 
quelques  arbrisseaux  presque  verts,  dont  on  avait  oublié  l'existence 
depuis  le  départ  de  Semipalatinsk  ;  c'est  une  véritable  joie  que  de  se 
trouver  en  présence  d'autre  chose  qu'une  végétation  herbacée,  si  inté- 
ressante fût-elle.  La  station  de  Kanjiga-Boulak  est  déjà  un  commence- 
ment d'oasis  et  désormais  nous  marcherons  de  surprise  en  surprise. 

Une  ligne  de  hauteurs  qui  s'étend  sur  la  droite,  à  l'ouest,  borde  la 
Lepsa;  elle  se  rattache  aux  collines  d'Arganaty;  on  la  contourne  en 
traversant  une  plaine  sablonneuse.  Voici  un  nombreux  troupeau  de 
chameaux  qui  paissent  tranquillement,  broutant  des  herbes  imprégnées 
de  sel;  des  chevaux  vont  boire  à  un  petit  ruisselet.  Puis,  c'est  un  pont  en 
bois  tout  neuf,  la  preuve  que  les  ingénieurs  de  la  Sibérie  occidentale  font 
quelque  chose,  ce  dont  nous  commencions  à  douter;  il  sert  à  franchir 
un  ravin  en  ce  moment  à  sec,  mais  qui,  à  l'époque  des  crues,  sert  de 
déversoir  à  la  Lepsa. 

On  débouche  enfin  dans  la  vallée  de  la  Lepsa,  une  véritable  rivière 
à  l'eau  limpide  et  abondante  ;  une  île  toute  verte  la  partage  en  deux  bras  ; 
l'une  des  rives  est  complètement  dénudée  et  formée  par  des  dunes  d'un 
sable  très-fin,  mouvant,  l'autre,  au  contraire,  s'est  embellie  d'une  trace 
d'arbustes.  Sur  la  rive  gauche,  s'est  créé  un  village,  Lepsinskoi,  mélange 
de  constructions  en  bois,  de  constructions  en  terre  avec  des  toits  en 
chaume,  et  de  tentes  de  feutre;  Lepsinskoi  est  à  246  kilomètres  de 
Sergiopol  ;  entre  ces  deux  points  pourtant  éloignés,  nous  n'avons  trouvé 
aucun  centre  de  populali4)n.  De  même  que  Sergiopol,  Lepsinskoi  fait 
parlie  du  district  de  Lepsinsk  ;  c'est  une  importante  stanitza  cosaque; 
son  attitude  est  de  430  mètres. 

Nous  sommes  arrivés  à  S  heures  du  soir  à  Lepsinskoi,  nous  en  repar- 
tons à  6  heures.  Toujours  la  steppe,  légèrement  gazonnée  mainten^t. 
Dans  celte  région,  une  nombreuse  population  kirghise;  on  distingue  à 
droite  et  à  gauche  des  aouls  que  trahit  la  fumée  du  repas  du  soir;  sur 
la  route,  une  caravane  de  34  chariots  traînés  par  des  bœufs.  Ces  chariots 
sont  chargés  de  ballots  de  poils  de  chameau.  Plus  loin,  un.  troupeau  d'une 
centaine  de  chevaux  en  liberté  que  garde  un  Kirghise  à  cheval  :  le 
berger  est  armé  d'une  longue  perche,  à  l'extrémité  de  laquelle  est 
attachée  une  corde  formant  une  boucle,  dont  il  se  sert  pour  attraper  les 
chevaux  par  le  cou,  variante  moins  pratique  et  moins  élégante  du  lazzo 
des  gauchos  de  l'Amérique  du  Sud.  De  nouveau  une  caravane  qui  vient 


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478  REVUE  FRANÇAISE 

de  s'arrêter  pour  le  campement  :  les  chariots  sont  rangés  par  escadrons, 
trois  escadrons  de  quarante  chariots  chacun;  autour  les  boBufs  ;  devant 
leurs  escadrons  respectifs,  les  conducteurs  accroupis  près  d*un  grand 
feu  alimenté  avec  les  broussailles. 

Sur  un  pont  de  bois,  nous  franchissons  la  rivière  Baskan,  la  troisième 
des  Sept-Rivières  et  nous  faisons  notre  entrée  triomphale  dans  le  village 
de  Baskansk,  qui  aligne  ses  maisons  sur  les  deux  rives  du  vivifiant 
cours  d'eau.  Une  halte  est  décidée  à  l'unanimité  des  voix  ;  nous  cou- 
cherons à  Baskansk,  sage  décision  à  laquelle  j  applaudis  des  deux 
mains.  D'AU)!!  Kalatskaia  à  Baskansk  nous  avons  marché  38  heures 
sans  dormir,  en  parcourant  ^83  kilomètres.  Baskansk  est  un  village 
cosaque  qui  dépend  de  la  stanitza  de  Sarkansk  ;  sa  population  est  de 
112  habitants  (oo  hommes  et  57femmes);  en  France  nous  rappellerions 
un  hameau  ;  mais  dans  la  steppe,  on  n'est  pas  difficile,  et  nous  le  con- 
sidérons presque  comme  une  ville.  Altitude  :  440  mètres. 

22  mai.  —  Au  réveil,  lever  de  soleil  superbe  sur  TAlataou  dzoungare  ; 
les  premiers  rayons  tombent  obliquement  sur  les  sommets  couverts  de 
neige  qui  les  renvoient  en  tous  sens  comme  de  gigantesques  diamants  ; 
des  lueurs  rouges  font  une  longue  traînée  de  cime  en  cime,  et  tout  cela 
étincelle  alors  que  la  plaine  est  encoi'e  dans  la  pénombre.  Entre  Bas- 
kansk et  Aksinsk,  la  station  suivante,  toujours  la  steppe  ;  on  monte 
cependant  insensiblement.  De  nouveau,  des  caravanes  en  marche, 
chariots  traînés  par  des  bœufs  ;  Tune  des  caravanes  est  de  42  voitures, 
l'autre  de  41  ;  le  mouvement  commercial  pawiît  assez  actif  sur  cette 
route.  Avant  d'arriver  à  Aksinsk,  on  passe  la  rivière  Aksou  sur  un 
pont  du  même  type  que  les  précédents.  Au-dessus  du  pont,  un  petit 
plateau  où  sont  groupées  les  maisons  d'un  village  naissant  ;  partout  où 
il  y  a  de  l'eau,  des  centres  de  population  se  forment.  Aksinsk  est  ud 
hameau  cosaque  de  la  stanitza  de  Sarkansk  :  83  habitants  (38  hommes, 
45  femmes,  plus  de  femmes  que  d'hommes  !  )  Vu  du  petit  plateau, 
l'Alataou  dzoungare  est  absolument  grandiose  ;  comme  la  montagne 
vous  saisit,  vous  impressionne  après  une  traversée  de  ces  interminables 
steppes.  Nous  avons  monté  de  30  mètres  depuis  Baskansk  ;  mon  barO' 
mètre  indique  470  mètres  pour  l'altitude  d'Aksinsk. 

En  quittant  la  station,  nous  partons  au  grand  galop  dans  la  steppe 
herbeuse.  Plus  on  avance  vers  le  sud,  plus  les  sommets  de  TAiataou 
dzoungare  se  détachent  nettement  sur  le  fond  bleu  du  ciel.  La  chaîne 


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D'OMSK   A   VIERNIY  S79 

s'étend  sur  une  longueur  de  plus  de  250  kilomètres  ;  elle  constitue  une 
formidable  barrière,  placée  entre  Tempire  russe  et  la  Chine  ;  elle  se  hé- 
risse de  centaines  de  sommets,  sommets  pyramidaux  surchargés  de 
neiges,  tandis  que  le  premier  plan  sombre,  noir,  contrastant  avec  le 
blanc  des  hautes  cimes,  est  formé  de  massifs  moins  élevés  et  dénudés. 
La  station  et  le  village  d'Abakoumovsk  se  trouvent  au  pied  de  ce  pre- 
mier plan.  C'est  à  Abakouraovsk  que  se  détache  sur  la  gauche,  la  route 
qui  conduit  à  ï^psinsk,  chef-lieu  du  district.  Le  village d'Abakoumovsk, 
iiui  se  rattache  comme  Aksinsk  et  Baskansk  à  la  stanitza  de  Sarkansk, 
est  peuplé  de  1S4  habitants  (81  hommes,  73  femmes).  La  stanitza  est  à 
quelques  kilomètres  sur  la  route  deLepsinsk, 

Abakoumovsk  est  bien  le  plus  joli  village  que  nous  ayons  rencontré 
depuis  Semipalatinsk  ;  des  arbres  verts,  bien  verts,  des  sources  d'eau 
vives,  de  la  fraîcheur,  une  oasis  dans  le  déseîrt,  et,  dominant  cet  Eden, 
la  muraille  abrupte  de  la  première  chaîne  de  TAlataou  dzoungare. 
D'après  les  nivellements  de  l'état-major  russe,  Abakoumovsk  est  à 
624  mètres  493,  presque  la  même  altitude  que  Sergiopol  ;  en  me  rap- 
portant à  cette  base,  je  dois  donc  considérer  les  chiffres  fournis  par 
mon  baromètre  comitie  trop  faibles. 

C'est  par  le  col  de  Gasfort  que  l'on  franchit  la  première  chaîne  de 
l'Alataou  ;  il  a  été  ainsi  nommé  en  l'honneur  du  général  Gasfort, 
gouverneur  général  des  steppes.  L'ascension  commence  au  départ 
même  du  village  d'Abakoumovsk  ;  on  ne  s'est  pas  préoccupé  d'adoucir 
les  rampes,  et  la  montée  est  si  rapide,  si  dure  pour  les  chevaux  que 
nous  préférons  descendre  des  tarentass.  Nous  cheminons  dans  une 
gorge  encaissée  entre  des  schistes  gris  bleu,  lie  de  vin,  entremêlés  de 
quartzite  ;  avec  la  réverbération  du  soleil  sur  ces  roches,  la  chaleur  est 
excessive.  Le  long  de  la  roule  court  un  petit  ruisselet  ;  la  végétation 
s'est  réfugiée  sur  ses  rives  minuscules,  et  il  chante  sa  petite  chanson 
parmi  un  parterre  de  fleurs  de  toutes  couleurs  ;  elles  sont  loin,  bien 
loin  les  plantes  grises  et  desséchées  de  la  steppe  ;  un  monde  végétal 
nouveau  commence  et,  autour  de  ces  clochettes  bleues,  de  ces  boutons 
jaunes,  lourds  de  pollen,  de  ces  digitales  tigrées  s'agitent  bourdon- 
nantes les  guêpes,  les  abeilles,  joyeuses  de  ce  régal  de  reines.  Les 
parois  se  resserrent,  les  rocs  affectent  des  formes  étranges  ;  ici  c'est 
une  véritable  porte  taillée  parmi  les  blocs  de  pierre,  et  un  poteau  télé- 
graphique,  ô  ironie  I  est  venu  se  camper  au  beau  milieu.   Près  de 


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480  REVUE  FRANÇAISE 

8  verstes  de  montée.  Soudain,  avant  d'arriver  au  col,  on  découvre,  à 
perle  de  vue,  la  steppe  que  Ton  laisse  derrière  soi,  mer  immense  sans 
vagues,  une  mer  des  jours  de  grand  calme,  avec  seulement  les  faibles 
rides  des  sables  mouvants  que  caresse  la  brise. 

(A  suivre,)  Georges  Saint-Yves. 


ABYSSINIE 

LA  MISSION  DE  BONCHAMPS 

M.  de  Bonchamps  est  rentré  en  France  le  25  juin,  sans  avoir  pu 
atteindre  le  but  de  sa  mission,  qui  consistait  à  se  rendre  d*Ab}8sinie  au 
Nil  et  à  tendre  la  main  à  la  mission  Marchand,  arrivant  de  TOubangui. 
Malgré  cet  insuccès,  M.  de  Bonchamps  rapporte  des  renseignements 
importants  sur  la  région  comprise  entre  TAbyssinie  proprement  dite  et 
le  Sobat,  cet  important  affluent  du  Nil. 

M.  de  Bonchamps,  qui  avait  quitté  la  France  le  2S  janvier  1897,  se 
trouvait  10  jours  après  à  Djibouti.  De  là,  il  gagnait  Harrar,  puis  Addis- 
Ababa.  La  Revm  Française  a  déjà  retracé  (déc.  1897)  les  débuts  de  la 
mission;  nous  n'y  reviendrons  donc  que  rapidement.  Organisée  dans  la 
capitale  de  Ménélik,  par  les  soins  de  M.  Bonvalot,  qui  en  confia  la  direc- 
tion à  M.  de  Bonchamps,  jusqu'alors  son  second;  la  mission  compre- 
nait, outre  son  chef,  3  Européens,  MM.  Michel,  Bartholin  et  Potter,  une 
cinquantaine  d'Abyssins  et  de  Gallas,  50  chameaux  et  des  mulets.  Le 
17  mai  elle  quittait  Addis-Ababa,  se  dirigeant  en  droite  ligne  sur 
l'ouest.  A  la  fin  de  juin  elle  était  à  Goré,  à  600  kilomètres  de  la  capi- 
tale. Là  commandait,  au  nom  de  Ménélik,  le  dedjaz  Thessama,  à  l'ex- 
trémité de  la  frontière  abyssine.  Au  delà  de  ce  point,  le  plateau  éthio- 
pien s'abaisse  vers  le  Baro,  gros  affluent  du  Sobat,  Les  habitants  de  la 
plaine  ne  sont  plu»  des  Abyssins  et  Ménélik  n'exerce  sur  eux  que  de 
droits  de  suzeraineté,  ses  troupes  ne  dépassant  pas  la  limite  du 
plateau. 

A  Goré  se  trouvait  déjà  une  autre  expédition,  celle  du  capitaine 
Clochette,  qui  avait  également  pour  but  d'atteindre  le  Nil  et  de  rejoindre 
la  mission  Marchand.  Mais  son  chef  était  malade  et  ne  paraissait  pas  en 


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ABYSSLNIE  481 

mesure  de  continuer  sa  route.  D'ailleurs,  les  difficultés  à  vaincre  pour 
les  deux  expéditions  ne  provenaient  plus  seulement  du  sol  et  du  cli- 
mat :  les  Abyssins  avaient  une  répugnance  instinctive  à  quitter  leurs 
montagnes,  surtout  pendant  la  saison  des  pluies,  qui  avait  amené  la 
perte  d'un  certain  nombre  de  mulets  et  de  chameaux. 

«  D'autre  part,  dit  le  Temps,  auquel  nous  empruntons  ce  qui  suit,  les 
autorités  abyssines  n'étaient  pas  des  mieux  disposées.  Les  lettres  don- 
nées par  Ménélik  à  M.  de  Boncbamps  étaient  formelles  ;  un  concours 
entier  était  dû  aux  explorateurs  français  :  seulement,  à  600  kilomètres 
de  la  capitale,  un  fonctionnaire  avisé,  ou  croyant  l'être,  sait  souvent 
mal  comprendre  les  ordres  qu'on  lui  donne.  Toute  tergiversation  pou- 
vant paraître  de  la  faiblesse,  M.  de  Boncbamps  décida,  au  bout  d'un 
mois,  de  se  rendre  à  Bouré,  sur  le  plateau  abyssin,  à  80  kilomètres  au 
nord-ouest  de  Goré.  Le  village  de  Bouré,  qui  est  à  30  kilomètres  du 
Baro,  est  un  centre  commercial  où  les  noirs  de  la  vallée  du  Sobat 
viennent  vendre  leurs  produits,  troquant  surtout  l'ivoire  contre  les 
verroteries  européennes. 

La  mission  séjourna  un  mois  à  Bouré,  recueillant  assez  difficilement, 
par  les  marchands  noirs  de  la  plaine,  quelques  renseignements  que  les 
chefs  abyssins  ne  voulaient  pas  faire  connaître.  C  est  ainsi  que  M.  de 
Boncbamps,  sur  des  données  obtenues  des  nègres  yambos,  envoya 
MM.  Michel  et  Bartholin  reconnaître  une  passe  permettant  de  descendre 
facilement  du  plateau  de  Bouré  (1,800  mètres)  à  la  plaine  de  Sobat, 
qui  est  à  1,300  mètres  plus  bas.  Sous  prétexte  de  chasser  le  buffle,  les 
deux  explorateurs  descendirent  peu  à  peu,  mais,  au  moment  où  ils 
allaient  franchir  la  frontière,  les  chefs  abyssins  les  arrêtèrent  et  cer- 
nèrent leur  camp  avec  un  millier  de  Gallas. 

Nos  deux  compatriotes  furent  ramenés  à  Bouré  et  M.  de  Boncbamps 
les  envoya  tout  de  suite  à  Addis-Ababa  protester  auprès  de  Ménèlik 
contre  la  mauvaise  volonté  de  ses  chefs  de  frontière.  Malgré  les  difficul- 
tés de  la  route,  MM.  Michel  et  Barlholin  firent  le  trajet  aller  et  retour 
en  six  semaines,  et  quand  ils  furent  revenus,  avec  les  autorisations  en 
règle  que  M.  Lagarde  avait  obtenues  du  négus,  ils  trouvèrent  à  Goré 
M.  de  Boncbamps  réorganisant  sa  mission  avec  le  personnel  placé  sous 
les  ordres  du  capitaine  Clochette,  qui  était  mort  dans  les  derniers  jours 
du  mois  d'août.  Deux  Français  prêtèrent  ainsi  leur  concours  à  M .  de 
xxm  (Août  98).  N*  236.  31 


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482  REVUE  FRANÇAISE 

Bonchamps  et  à  ses  compagnons  :  c'étaient  MM.  Véron  et  Febvre.  Con- 
cours fort  utile,  car  le  personnel  noir  de  la  mission  Clochette,  malgré 
ses  défections,  combla  les  vides  survenus  dans  la  mission  Bonchamps. 
Les  montagnards  africains  ont,  invétérée,  Fhorreur  de  la  plaine. 

Quoi  qu'il  en  soit,  dans  les  première}  jours  de  novembre,  cinq  Frau- 
çais,  un  Suisse  (M.  Potter),  140  Abyssins  et  Gallas,  avec  40  chameaux 
et  130  mulets,  partaient  de  Bouré,  accompagnés  par  les  autorités  abys- 
sines Jusqu'à  la  frontière.  Cette  fois,  personne  ne  fut  arrêté;  on  passa 
le  Baro  sur  un  radeau  formé  de  fagots  et  de  bidons  de  campemeûl. 
en  constatant  que  cette  rivière,  aux  hautes  eaux,  a  le  courant  impé- 
tueux de  notre  Rhône. 

Les  Yambos  habitent  les  deux  rives  du  Baro  :  Tarrivée  de  la  mission 
les  effraya,  ne  sachant  pas  si  ces  nouveaux  venus  ne  venaient  pas  faire 
ou  tenter  une  razzia  d'esclaves.  Au  bout  de  quelques  jours,  la  confiance 
revint  parmi  eux  et  le  chef  de  Pokodi  déclara  aux  blancs  qu'il  avait 
entendu  dire  que  d'autres  blancs  étaient  venus  dans  le  pays  du  cou- 
chant et  avaient  navigué  sur  le  Sobat  avec  un  bateau  à  vapeur.  C'est 
celle  déclaration  du  chef  de  Pokodi  qui  a  fait  croire  à  Tarrivée  de  la 
mission  Marchand  sur  le  Nil...  On  continua  à  cheminer  sur  la  rive 
gauche  du  Baro,  sur  une  sorte  de  digue  naturelle  formée,  le  long  du 
fleuve,  par  les  sédiments  déposés' par  lui.  A  très  peu  de  distance  de  la 
berge,  le  pays  était  inondé  et  c'est  sur  de  petits  tertres  que  les  Yambos 
édifient  leurs  cases,  faites  de  pisé  et  de  chaume;  cases  très  propres, 
d'ailleurs.  Les  Yambos,  de  race  très  noire,  sont  polygames,  mais  n'ont 
pas  d'esclaves.  Le  métal  est  rare  chez  eux,  aussi  font-ils  l'extrémité  de 
leurs  flèches  avec  des  tibias  de  girafes,  qui  abondent  dans  le  pays, 
comme  les  éléphants,  les  crocodiles  et  les  boas.  Faune  de  brousse  et  de 
marécages,  comme  on  le  voit, 

Après  avoir  traversé  deux  importants  aflluents  de  gauche  du  Baro, 
l'Alouorou  et  le  Guilo,  qui  prennent  leur  source  dans  le  plateau  duMot- 
cha,  entre  l'Ethiopie  et  le  lac  Rodolphe,  la  mission  arriva,  à  la  fio  du 
mois  de  novembre,  à  une  plaine  immense,  marécageuse  et  déserte.  ?eù- 
dant  iO  jours,  à  l'allure  de  20  kilomètres,  on  marche  sans  rencontrer 
personne.  Il  faut  se  frayer  un  chemin  à  travers  les  grandes  herbes  qui 
poussent  sur  la  digue  naturelle  du  Baro  et  où  parfois,  fort  heureuseoient, 
les  éléphants  ont  préparé  une  piste.  Pas  de  bois,  pas  de  vivres,  rien  que 
la  brousse  humide,  Les  montagnards  subissent  la  déplorable  influ^ce 


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ABYSSINIE  488 

du  climat.  Beaucoup  sont  malades,  quelques-uns  meurent  et  leurs 
cadavres  s'entre-môlent  avec  ceux  des  cliameaui^  et  des  mulets,  désha- 
bitués du  sol  rocailleux  de  TÉthiopie. 

Au  10*  jour,  on  rencontre  un  village  à  l'abandon  depuis  un  an. 
Quelques  Abigars  qui  Thabitaient  s'étaient  empressés  de  traverser  le 
Baro.  M.  de  Bonchamps  laisse  à  cet  endroit  son  camp  et  ses  malades 
et  part  en  reconnaissance  avec  les  plus  valides,  dans  le  nord-ouest. 
Après  deux  jours  de  marche,  la  mission  fut  arrêtée  par  un  grand  lac 
bordé  de  marais,  le  tout  formé  par  la  rencontre  du  Baro  avec  le  Jubaou 
Sobat  supérieur. 

lie  Juba,  que  Ton  put  joindre  en  amont,  avait  150  mètres  de  large, 
une  profondeur  considérable  et  un  courant  violent.  Pas  de  barques  :  la 
mission  n'en  avait  pas  rencontré  depuis  qu'elle  avait  quitté  le  pays  des 
Yambos.  Pas  de  bois  pour  faire  un  radeau.  Quant  à  traverser  â  la 
nage,  il  n'y  fallait  pas  compter  :  outre  la  rapidité  du  courant,  il  y  avait 
à  se  prémunir  contre  de  nombreux  crocodiles. 

Après  avoir  aperçu  au  loin  un  gros  village  que  M.  Bonchamps  pensa 
être  Nasser,  le  principal  centre  des  Abigars,  il  fallut  songer  au  retour. 
On  était  au  24  décembre.  Le  personnel  était  exténué.  Le  dernier  cha- 
meau était  mort  près  de  Juba;  il  ne  restait  que  27  mulets  sur  130  ;  aussi 
la  caravane  comptait-elle  des  traînards  que  les  Abigars  «  zigouyaient  » 
de  leur  mieux.  Les  villages  yambos,  de  leur  côté,  étaient  en  efferves- 
cence. A  Taller,  ils  n'avaient  été  d'aucun  secours  à  la  mission,  car,  en 
Afrique,  là  où  il  n'y  a  pas  de  commerce,  on  ne  produit  que  le  strict 
nécessaire  à  la  consommation  locale.  Au  retour,  ce  fut  bien  pis,  car  ils 
s'étaient  excités  à  propos  du  premier  passage  et  ils  témoignèrent  presque 
toujours  d'une  hostilité  évidente.  On  n'eut  de  sécurité  que  dans  les 
villages  situés  à  proximité  de  la  frontière  abysssine. 

Là,  M.  de  Bonchamps  trouva  des  pirogues  et  pensa  reprendre  sa  route 
vers  le  Nil  en  utilisant  la  voie  d'eau.  Mais  le  personnel  abyssin,  revenu 
au  pied  de  ses  montagnes,  ne  voulut  connaître  d'autre  chemin  que  celui 
du  retour. 

Les  autorités  abyssines,  devenues  très  prévenantes,  ravitaillèrent  lar- 
gement la  mission,  qui  était  à  Goré  au  commencement  du  mois  de 
février  1898.  Là,  le  dedjaz  Thessama  déclara  que  Ménélick  lui  avait 
donné  l'ordre  de  pousser  l'occupation  effective  des  Abyssins  jusqu'à 
l'extrémité  du  haut  plateau.  M.  de  Bonchamps  allait  l'accompagner, 


\'4 

.-s 


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484  REVUE  FRANÇAISE 

mais  un  accès  de  fièvre  bilieuse  hématurique  Tempêcha  de  donner 
suite  à  ses  projets.  » 

Le  S  avril  1898,  M.  de  Bonchamps  (lait  de  retour  à  Addis-Ababa  avec 
MM.  Michel,  Bartholin  et  Véron.  Mais  deux  autres  de  ses  compagnons, 
M.  Febvre  et  Potter,  qui  étaient  restés  à  Goré,  ont  suivi  Tannée  abys- 
sine se  dirigeant  vers  le  sud-ouest.  Peut-éti'e  pourront-ils,  profitant  de 
la  marche  en  avant  des  Abyssins,  s'avancer  assez  loin  vers  le  Nil  ^ 
obtenir,  par  suite  de  meilleures  circonstances,  des  résultats  auxquels 
M.  de  Bonchamps  a  dû  renoncer. 

Le  moment  n'est  pas  venu  d'envisager  les  critiques  qui  ont  é(é  for- 
mulées à  rencontre  de  la  mission.  M.  de  Bonchamps,  qui  a  si  heureu- 
sement ramené  à  la  côle  orientale  d'Afrique  Texpèdition  congolaise 
Stairs,  désorganif?ée  au  Katanga  par  suite  de  la  mort  de  son  chef,  a  un 
passé  qui  répond  pour  lui.  Il  ne  faut  pas  oublier  aussi  qu'en  Abyssinie 
à  l'heure  actuelle  toutes  les  inûuences  sont  mises  en  jeu,  toutes  les  riva- 
lités se  donnent  cours.  Aussi  n'est-il  pas  surprenant  de  ne  pas  voir 
aboutir  une  mission  qui  ne  renfermait  pas  en  elle-même  les  éléments 
qui  étaient  indispensables  pour  sa  réussite. 

Au  point  de  vue  géographique,  la  mission  de  Bonchamps  a  permis 
de  reconnaître  une  région  sur  la  configuration  de  laquelle  on  était  mal 
fixé.  Le  plateau  d'Abyssinie  se  termine  brusquement  à  l'ouest  par  une 
figne  de  falaises  dominant  de  plus  de  1(K)0  mètres  la  grande  plaine  du 
Nil.  Cette  plaine  s'étend  alors  à  perte  de  vue  et  n'est  coupée  en  quelque 
sorte  que  par  les  puissants  cours  d'eau  qui  se  jettent  dans  le  Nil,  comme 
le  Sobat  et  le  Bahr  el  Ghazal.  La  rive  droite  du  Nil  se  transforme,  comme 
la  rive  gauche  en  amont  de  Fachoda,  en  un  immense  marécage  pen- 
dant la  saison  des  pluies  et  est  alors  totalement  impraticable  pour  une 
expédition  par  terre.  Si  la  mission  de  Bonchamps  avait  pu  disposer  d'un 
matériel  Ûuvial  et  surtout  d'un  personnel  habitué  à  naviguer  sur  les 
rivières  el  mieux  façonné  au  climat,  elle  serait  très  probablement  arrivée 
jusqu'au  Nil.  Souhaitons  que  la  mission  Marchand,  conduite  avec  une 
sage  lenteur  n'ait  pas  à  regretter  son  absence. 

V. 


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GUERRE   HISPANO-AMÉRICAINE  '" 

OPÉRATIONS  A   CUBA 

Le  mois  de  juillet  a  été  signalé  par  deux  graves  événements  :  la  des- 
truction de  Tescadre  espagnole  et  la  prise  de  Santiago. 

Le  général  Shafter,  ayant  concentré  ses  forces  devant  Santiago,  réso- 
lut de  brusquer  Tattaque  de  la  place  avant  l'arrivée  des  renforts  espa- 
gnols venant  de  ^Vanzanillo.  Le  1*^  juillet  au  matin,  le  combat 
commença  sur  un  front  de  8  à  9  kilomètres,  formant  la  !*;«  ligne 
de  défense  des  Espagnols.  L'aile  droite  américaine,  sous  les  ordres  du 
général  Lawton,  appuyée  par  la  cavalerie  montée  et  non  montée  des 
généraux  Wheeler  (qui,  malade,  était  porté  en  litière)  et  Young,  se 
porta  sur  El  Caney,  à  7  kil.  N.-E.  de  Santiago.  Le  centre  et  la 
gauche,  sous  les^  ordres  des  généraux  Hawkins  et  Kent,  s'avancJi'ent 
sur  les  positions  de  San  Juan  et  d'Aguadores.  Cette  dernière,  qui  forme 
l'extrémité  de  la  ligne  de  défense  espagnole,  est  dominée  par  le  fort 
Morro.  Après  plusieurs  heures  d'un  combat  acharné,  les  Espagnols, 
inférieurs  en  nombre,  commencèrent  à  faiblir  au  centre  et  abandon- 
nèrent les  positions  de  San  Juan  et  de  Loraas.  I^  général  Linarès,  qui 
les  commandait,  put  emmener  toute  son  artillerie,  ne  cédant  le  terrain 
que  pied  à  pied,  en  combattant  sans  casse. 

Du  côté  d'El  Caney,  les  Espagnols,  qui  n'avaient  que  quelques  com- 
pagnies à  opposer  au  général  Lawton  et  aux  insurgés  cubains,  durent 
battre  en  retraite  après  une  résistance  héroïque.  xMais  du  côté  d'Agua- 
dores,  les  Américains  ne  firent  aucun  progrès,  malgré  Tappui  de  l'es- 
cadre de  l'amiral  Sampson,  ayant  été  arrôt(''S  par  un  ravin  profond 
qu'ils  ne  réussirent  pas  à  franchir.  Pendant  toute  la  durée  du  combat, 
les  navires  américains  canonnèrent  les  fortifications  espagnoles  proté- 
geant l'entrée  de  la  rade.  De  son  côté,  l'escadre  de  l'amiral  Cervera 
trouvant  enfin  l'occasion  de  sortir  de  son  inaction,  appuya  efficacement 
par  son  artillerie  et  des  compagnie  de  débarquement  la  défense  des 
lignes  espagnoles. 

La  journée  du  l^*"  juillet  était  un  succès  pour  les  Américains,  mais  un 
succès  chèrement  acheté.  Le  2,  le  général  Shafter  reprit  l'attaque  dans 
la  matinée,  principalement  du  côte  d'El  Caney.  Le  général  Torral,  qui 
avait  succédé  au  général  Linarès  blessé,  résista  partout  avec  l'énergie  du 
désespoir,  bien  qu'obligé  d'accentuer  son  mouvement  de  recul  du  côté 

(1)  Voir  Jletme  Françane,  l.  XXIII,  p.  363,  429. 


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486  REVUE  FRANÇAISE 

d*El  Caney.  Les  progrès  faits  par  les  Américains  dans  la  matinée  n'ayant 
été  que  peu  sensibles,  le  général  Shafler  fit  suspendre  le  combat,  renon- 
çant po ar  le  moment  à  enlever  Santiago  de  vive  force.  Ses  soldats, 
comme  les  Espagnols,  avaient  admiraj)lement  combattu;  mais  affaiblis 
par  ces  efforts  sans  cesse  renouvelés,  épuisés  par  la  marche  au  milieu  de 
terrains  détrempés  par  les  pluies,  commençant  à  manquer  de  vivres  et 
de  munitions  que  les  routes  défoncées  ne  permettaient  pas  d*emmener, 
ils  étaient  hors  d'état  d'enlever  d'assaut  des  positions  fortifiées  aussi 
opiniâtrement  défendues. 

Les  Américains  avaient  subi  des  perles  sensibles  dans  ces  deux  jour- 
nées :  230  tués,  dont  22  officiers,  1284  blessés,  dont  81  officiers,  et  79 
disparus  ;  soit  en  tout  1.S93  hommes.  A  ces  chiffres  il  faut  ajouter  le 
nombre  des  malades  s'accroissant  de  jour  en  jour  en  raison  de  Tiosalu- 
brité  du  climat.  Les  généraux,  déjà  vieux  pour  la  plupart,  avaient  été 
fort  éprouvés  :  le  général  Hawkins  était  blessé  et  3  autres  étaient 
malades. 

De  leur  côté  les  Espagnols  étaient  presque  à  bout  de  forces.  Leurs 
pertes  avaient  été  cruelles.  Outife  le  général  lânarès  blessé,  le  général 
Vara  de  Rey  avait  été  tué  en  défendant  El  Caney  et  le  colonel  Ordoriez 
rinventeur  du  canon  de  ce  nom,  qui  avait  déjà  été  blessé  lors  du  l*' bom- 
bardement par  Tamiral  Sampson,  était  atteint  une  2^  fois.  Les  Espa- 
gnols, dont  les  forces  étaient  évaluées  de  6  à  8.000  hommes  et  qui 
avaient  eu  à  tenir  tête  à  un  ennemi  près  de  3  fois  supérieur  en  nombre, 
ne  voyaient  pas  arriver  les  secours  annoncés  de  l'intérieur  et  leur  situa- 
tion serait  devenue  très  critique  si  le  général  Shafler  avait  pu  continuer 
Tattaque.  C'est  alors  que  Tamiral  Cervera,  qui  connaissait  la  faiblesse  de 
la  garnison,  mais  ignorait  la  situation  très  difficile  de  l'armée  assiégeante, 
crut  qu'il  ne  lui  restait  plus  qu'à  tenter  une  sortie  désespérée  pour  éviter 
à  son  escadre  d'être  prise  dans  une  souricière. 

DESTRUCTION   DE   l'eSCADRE   CERVERA. 

Le  3  juillet,  à  9  h.  1/2  du  matin,  VlnfarUa  Maria-Teresa^  battant  pa- 
villon de  l'amiral  Cenera,  débouche  à  toute  vitesse  de  la  passe  de  San- 
tiago. En  face  de  l'entrée  de  la  rade  croisait  le  cuirassé  américain  h- 
diana  qui  ouvre  aussitôt  le  feu  pendant  qu'une  partie  de  l'escadre 
américaine  se  rapproche  en  toute  hâte  de  la  côte  pour  couper  la  route 
aux  navires  espagnols.  La  Maria-Teresa,  que  suit  îmmédiatemejot  le 


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GUERRE  HISPANO-AMÉRICAINE  487 

Colon,  parvient,  avec  ce  dernier,  h  doublet  Y Indiana;  mais  les  deux 
croiseurs  se  trouvent  alors  aux  prises  avec  les  cuirassés  lowa  et  Texas, 
qui  les  criblent  d'obus  avec  leur  puissante  artillerie  et  leurs  pièces  à 
tir  rapide.  Pendant  ce  temps,  VOquendo  sort  à  son  tour,  suivi  du  Vis- 
caya  et  des  ^  contre-torpilleurs  Furor  et  Pluton,  Le  Brooklyn  et  le  Texas 
s'attachent  à  VOquendo,  pendant  que  Ylowa  et  YIndiana  se  chaînent  de 
la  Vîzcaya,  appuyés  par  les  croiseurs  auxiliaires  Gloucester  et  Harward. 

Tout  en  ripostant  vivement,  l'escadre  espagnole  s'avance  vers  Touest 
de  toute  la  vitesse  possible,  suivie  à  hauteur  par  l'escadre  américaine, 
à  qui  le  peu  de  distance  qui  sépare  les  combattants  (1.000  à  1.500  m.), 
permet  de  faire  feu  de  toutes  ses  pièces,  bien  supérieures  en  nombre 
et  en  puissance  à  ceUes  des  Espagnols.  Profitant  de  la  fumée  qui  couvre 
le  champ  de  bataille,  les  contre-torpilleurs  se  lancent  à  toute  vapeur 
sur  r//îrftawa  pour  le  torpiller.  Mais,  reçus  par  les  décharges  meurtrières 
des  pièces  à  tir  rapide,  ils  sont  obligés  de  battre  en  retraite.  Le  Furor 
se*  jette  à  la  côte,  non  loin  de  la  passe  ;  le  Terror  s'échoue  et  saute, 
abandonné  par  son  équipage. 

Pendant  cette  course  désespérée,  les  cuirassés  américains  couvrent  de 
mitraille  les  croiseurs  espagnols  dont  le  pont  devient  bientôt  intenable. 
Les  canonniers  ne  peuvent  plus,  sous  ce  feu  meurtrier,  faire  le  service 
des  pièces,  l'incendie  éclate  sur  plusieurs  points  et  un  obus  fait  sauter 
une  des  torpilles  de  la  Vizcaya  qui  tue  20  hommes  et  couvre  de  débris  et 
de  sang  le  pont  du  bâtiment.  A  10  h.  4S,  VOquendo  est  en  flammes  et 
se  jette  à  la  côte,  suivi  de  près  par  la  Vizcaya  qui  fait  explosion  peu 
après.  A  son  tour,  la  Maria-Teresa,  harcelée  comme  un  sanglier  par 
une  meute,  se  lance  sur  les  rochers  à  20  milles  environ  de  Santiago. 
Toutes  les  embarcations  ayant  été  détruites,  l'amiral  Cervera,  blessé,  se 
jette  à  la  mer  et  est  sauvé  par  son  fils.  Les  embarcations  des  navires 
américains  sauvent  une  grande  partie  des  marins  espagnols. 

Cependant  le  Colon,  grâce  à  ses  machines  françaises  en  meilleur  état, 
avait  pu  prendre  la  tôle  de  l'escadre  et  distancer  les  cuirassés  améri- 
cains. Mais,  gravement  atteint  dans  sa  fuite  et  toujours  sous  le  feu  de 
YOrégon,  du  Massachusetts,  ainsi  que  du  Brooklyn  dont  la  marche  su- 
périeure ne  lui  laisse  plus  d'espoir,  il  finit  par  se  jeter  à  la  côte  après 
S  heures  de  combat,  ayant  effectué  depuis  sa  sortie  un  parcours  de  60 
milles.  Sa  coque  portait  la  trace  de  80  trous  d'obus. 

La  conduite  héroïque  des  marins  espagnols  qui  marchaient  à  la  mort 


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488  REVUE  FRANÇAISE 

avec  un  courage  admirable,  n'avait  pu  préserver  l*escadre  d'une  des- 
truction complète  :  les  4  beaux  croiseurs  et  les  2  conlreTtorpUleurs  qui 
la  composaient  étaient  anéantis,  mais  aucun  d'eux  ne  s'était  rendu.  Les 
Espagnols  perdirent  environ  300  hommes  tués  ou  noyés  et  1 .300  prison 
niers  ;  2  à  300  hommes  qui  avaient  pu  gagner  la  terre  revinrent  seuls  à 
Santiago.  Les  Américains,  qu'une  bonne  fortune  e.xtraordinaire  protège 
jusqu'ici,  n'eurent  qu'un  tué  et  2  blessés  et  fort  peu  d'avaries,  par  suite 
de  l'inhabileté  des  canonniers  espagnols  et  du  désarroi  dans  lequel 
ceux-ci  se  trouvèrent  aussitôt  sous  cette  pluie  de  feu. 

11  es!  difficile  de  comprendre  conmient  l'amiral  Cervera  s'est  jeté  en 
plein  jour  sur  la  flotte  américaine,  au  lieu  de  tenter  une  sortie  la  nuit, 
ou  par  une  de  ces  tempêtes,  fréquentes  à  cette  époque,  qui  n'eussent 
pas  manqué  d'enlever  aux  Américains  une  notable  partie  de  leurs  avan- 
tages. On  en  est  d'autant  plus  surpris  qu'on  sait  aujourd'hui  que  les 
croiseurs  ne  pouvaient  plus  donner  une  vitesse  supérieure  à  celle  des 
Américains,  leur  seule  chance  de  salut,  que  les  mécaniciens  étaient  in- 
suffisants, les  canonniers  inexpérimenté:^  et  que  l'un  des  hâtinnents,  le 
Colon,  avait  été  envoyé  aux  Antilles  sans  ses  pièces  de  grosse  artillerie  ! 
Si  l'on  constate,  en  outre,  que  les  4  croiseurs  espagnols  qui  eurent  à 
lutter  contre  5  cuirassés  et  1  croiseur,  ne  pouvaient  mettre  ^en  ligne  que 
6  pièces  de  gros  calibre  contre  58,  on  se  demande  encore  quel  mobile 
ou  quel  ordre  impératif  a  pu  pousser  à  cette  héroïque  folie, 

REDDITION  DE  SANTIAGO. 

La  destruction  de  l'escadre  Cervera  rendit  confiance  en  se&  forces  au 
général  Shafter  qui  somma  Santiago  de  se  rendre.  Mais,  au  même  mo- 
ment entrait  dans  la  place  la  colonne  de  secours  du  colonel  Escariodont 
l'arrivée  2  ou  3  jours  plus  tôt  eût  peut-être  changé  le  cours  des  événe- 
men  s.  Amsi  renforcé,  le  général  Torral  refuse  toute  capitulation  sans 
condition  et,  pour  rendre  la  passe  plus  difficile  en  vue  d'une  attaque 
de  l'amiral  Sampson,  y  fait  couler  le  croiseur  désarmé /Ima-iferoédei 
dans  la  nuit  du  3  au  4  juillet.  De  son  côté,  le  général  Shafter  ayant  aussi 
reçu  des  troupes  de  renfort,  recommençait  le  feu  contre  les  lignes  espa- 
gnoles, et  l'e.scadre  américaine  parvenait  à  lancer  quelques  obus  jusque 
dans  la  ville  môme  de  Santiago,  qui  est  à  8  kilomètres  de  la  passe.  Dfô 
pourparlers  engagés  pour  la  sortie  de  Santiago  des  femmes  et  des  en- 
fants amenèrent  la  conclusion  d'une  trêve  entre  les  belligérants»  Sur 


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■■A 

GUERRE  HISPANO-AMÉRICAINE  489  ^   ^^ 

'   'à 

âne  nouvelle  demande  de  reddiliori,  le  général  Torral  se  montra  disposé  J 

â  entrer  en  négociations  si  on  accordait  à  ses  troupes  le  droit  de  se  re-  ; 

tirer  avec  leurs  armes.  Bien  que  renforcés,  les  Espagnols  ne  pouvaient  | 

espérer  résister  longtemps,  n'ayant  plus  do  vivres,  et  leurs  soldats  étant  1 

depuis  longtemps  privés  de  pain  et  de  viande.  | 

Après  des  n^ociations  qui  durèrent  plusieurs  jours,  les  préliminaires  "1 

de  la  capitulation  furent  signées  le  17  juillet  à  1  h.  du  matin.  A  midi,  | 

le  drapeau  étoile  était  arboré  sur  la  ville.  Les  troupes  devaient  rendre  4 

la  place  et  remettre  leurs  armes,  mais  le  gouvernement  américain  s'en-  | 

gageait  à  les  faire  transporter  en  Espagne.  La  capitulation  s'étendait  à  .1 

toute  la  partie  méridionale  de  la  province  de  Santiago,  Manzanillo,  ;| 

Bayamo  et  Holguin  restant  aux  Espagnols.  Il  est  difficile  de  comprendre  | 

comment  le  général  Torral  n'a  pas  même  essayé  de  se  retirer  à  Tinté"              .  | 
rieur  de  l'île  pour  y  rejoindre  les  autres  garnisons.  Mais  ce  qui  s'ex-                   .'  -^ 

plique  moins  encore,  c'es  qu'il  ait  capitulé  pour  d'autres  garnisons  qui  ^ 

n'étaient  même  pas  attaquées  par  les  Américains.  | 

Si,  jusqu'à  ce  jour,  les  insuccès  de  l'Espagne  sur  mer  étaient  com-  | 

préhensibles,  on  croyait  du  moins  que,  sur  terre,  ses  soldats  auraient  J 

facilement  raison  des  troupes  américaines.  Or,  sur  terre  comme  sur  1 

mer,  la  direction  générale  des  opérations  et  le  commandement  semblent  : 

bien  au-dessous  de  leur  tâche.  En  effet,  il  s'est  écoulé  un  mois  entre  le  ^] 

départ  de  Tampa  de  l'expédition  américaine  et  la  capitulation  de  San-  ii 

tiago.  Quinze  jours  avant,  le  but  de  l'expédition  n'était  un  secret  pour  ^ 

personne.  Or,  pendant  ces  6  semaines,  le  maréchal  Blanco  n'a  pas  su  ' 

faire  parvenir  à  Santiago  les  troupes  nécessaires  à  empêcher  le  débar-  c 

quement  des  Américains,  à  défendre  la  ville  et,  sans  doute,  à  sauver  ^ 

l'escadre  Cervera.  Une  seule  colonne  est  arrivée  à  Santiago,  juste  à  .^ 

temps 'pour  se  faire  comprendre  dans  la  capitulation.  En  secourant  uti-  -i 

l^fnent  Santiago,  le  maréchal  Blanco  obligeait  les  Américains  à  un  long  S 

siège  qui  décimait  leurs  troupes  par  le  feu  et  les  maladies  (1)  ;  il  arrêtait  t 

l'expédifion  contre  Puerto- Rico  et  donnait  à  son  pays  l'occasion  de  ^ 
conclure  une  paix  rendue  plus  facile  et  plus  honorable  par  l'opiniâtre 

résistance  de  la  place.  c 

A  quoi  servent  les  60  ou  80.000  hommes  concentrés  près  de  la  Ha-  j 

vane,  attendant  un  siège  qui  ne  viendra  peut-être  pas?  Libres  dans  ^ 

(1)  Un  télégramme  du  général  Shafler,  22  juillet,  accuse  déjà  1.350  malades  de  fièvre  .   1 

et  150  du  vomito  negro  ;  un  autre,  du  28^  3.770  malades,  dont  2.924  de  fièvre. 


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490  REVUE  FRANÇAISE 

leurs  mouvementâ,  les  Amëricains  vont  sans  doute  occuper  les  princi- 
paux ports  de  Tîle  et  cueillir  les  unes  après  les  autres  toutes  les  garni- 
sons espagnoles.  Déjà  Tunas-Sasa  a  été  attaquée  ;  4  bâtiments  sont 
entrés  dans  la  baie  de  Nipe,  au  nord  de  Santiago,  ont  coulé  la  canon- 
nière Jorge-Juan  et  réduit  au  silence  les  forts  qui  ont  amené  le  pavillon 
espagnol  (21  juillet)  :  enfin  Manzanillo  a  été  attaqué  à  2  reprises. 

Trois  petits  bâtiments  appartenant  à  la  flotte  auxiliaire,  But,  Hornel 
et  Wompatuk  Font  assailli  le  30  juin;  mais  ils  ont  été  reçus  par  une 
flottille  espagnole  plus  nombreuse  appuyée  par  des  batteries  de  terre. 
Le  Homet  a  été  désemparé  et  a  été  remorqué  au  laige;  le  Hiftt  a  reçu 
H  coups  de  canon.  Les  Américains  ont  dû  se  retirer.  Le  18  juillet, 
Manzanillo  a  de  nouveau  été  bombardé.  Les  Espagnols  ont  eu  3  tués  et 
45  blessés,  dont  3  ofliciers  ;  3  de  leurs  canonnières,  Qentinala,  Delgado, 
Pat^jo  ont  été  détruites,  ainsi  que  le  paquebot  transatlantique  Purwttma 
Concepcion  qui,  peu  auparavant,  avait  réussi  à  débarquer  un  chai^- 
ment  de  vivres.  La  théorie  des  petits  paquets  que  les  Espagnols  pra- 
tiquent â  Cuba,  sauf  pour  la  Havane,  leur  ménage  plus  d'une  surprise. 

OPÉRATIONS   AUX  PHILIPPINES 

La  1®  expédition  américaine,  partie  le  iH  mai  de  San  Francisco  sur 
3  paquebots,  est  arrivée  le  30  juin  dans  la  baie  de  Manille  et  a  com- 
mencé le  lendemain  à  débarquer  à  Cavité.  En  route  Texpédition  s'est 
arrêtée  aux  îles  des  Larrons  appelées  aussi  Mariannes,  où  elle  est  arrivée 
le  20  juin.  Le  gouverneur  espagnol  de  ce  coin  perdu  de  TOc^anie  igno- 
rait l'existence  de  Tétat  de  guerre  et  prit  pour  un  salut  les  quelques 
coups  de  canon  tirés  un  peu  au  hasard  par  les  Américains.  D  ne  put 
faire  autrement  que  de  se  rendre  avec  les  6  officiers  et  les  54  hommes 
qui  composaient  la  garnison.  Le  22,  les  Américains  ont  pris  posses- 
sion des  îles  et  y  ont  laissé  un  détachement  en  garnison. 

La  2®  expédition,  partie  de  San  Francisco  le  15  juin  est  arrivée  devant 
Manille  un  mois  après.  La  4®  expédition  a  quitté  San  Francisco  le  16 
juillet  sur  les  transports  Peru  et  City  of  Puebla. 

La  situation  dans  Tîle  de  Luçon  reste  à  peu  près  la  même.  Les  insur- 
gés ne  cessent  d  augmenter  en  nombre  et  de  serrer  de  plus  en  plus 
étroitement  les  positions  espagnoles  de  Manille.  Plusieurs  engagements 
sans  grand  résultat  ont  eu  lieu.  Les  Espagnols,  qui  ont  perdu  encore 
quelques  postes  dans  l'intérieur,  semblent  résolus  à  résister  à  Manille 
jusqu'à  la  dernière  extrémité.  Les  îles  du  sud  de  l'archipel,  peuplées 


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GUERRE  HISPANO-AMÉRICAINE  491 

en  partie  de  musulmans,  ne  sympathisent  nullement  avec  les  insurgés 
tagols,  et  restent  fidèles  à  l'Espagne.  Aguinaldo,  qui  a  proclamé  le 
12  juin  l'indépendance  de  la  république  philippine,  vient  de  constituer 
un  ministère,  pour  bien  montrer  qu'il  n'admet  pas  l'annexion  aux 
États-Unis.  Une  certaine  tension  règne  entre  les  insurgés  et  les  Améri- 
cains. Ceux-ci  restent  toujours  dans  l'inaclion. 

L'escadre  de  l'amiral  Camara,  destinée  à  secourir  les  Philippines,  qui 
était  arrivée  le  26  juin  à  Port-Saïd,  y  a  perdu  10  jours  à  attendre  des 
navires  charbonniers,  le  gouvernement  égyptien,  à  l'instigation  de  l'An- 
gleterre lui  ayant  refusé  toute  permission  de  s'approvisionner.  Le  6  juil- 
let elle  arrive  à  Suez,  avant  traversé  le  canal.  Là,  nouvelle  attente  de 
3  jours.  Enfin  un  ordre  de  Madrid  rappelle  l'escadre,  qui  retraverse  le 
canal  le  9  et  part  le  11  de  Port-Saïd  pour  arriver  à  Carthagène.  Ce 
rappel,  qui  semble  avoir  été  motivé  par  la  destruction  de  l'escadre  Cer- 
vera  et  l'envoi  en  Espagne  d'une  escadre  américaine,  a  soulevé  des  cri- 
tiques qui  paraissent  fondées.  En  effet,  l'escadre  Camara  ne  peut  songer 
à  combattre  l'escadre  américaine  autrement  nombreuse  et  puissante. 
Dans  le  bombardement  des  ports  elle  ne  peut  s'exposer  qu'à  se  faire 
détruire.  Envoyée  au  contraire  aux  Philippines  sans  perdre  de  temps, 
elle  aurait  pu  soutenir  matériellement  et  moralement  les  troupes  espa- 
gnoles, inquiéter  l'escadre  américaine  et  peut-être  lutter  contre  elle  avec 
avantage,  tandis  qu'en  Espagne  son  rôle  ne  saurait  être  que  secondaire, 
à  moins  qu'elle  ne  soit  envoyée  avec  des  troupes  et  des  approvisionne- 
ments à  Cuba  ou  à  Puerlo-Rico.  En  ce  cas,  il  serait  temps  de  se  hâter, 
surtout  pour  cette  dernière  île  sérieusement  menacée. 

Comme  on  le  voit,  le  gouvernement  espagnol,  qui  ne  sait  pas  tirer 
parti  des  forces  importantes  de  terre  et  de  mer  qu'il  possède  encore, 
se  tient  sur  une  défensive  aussi  obstinée  que  malheureuse.  S'il  attend 
les  coups  sans  essayer  de  les  rendre,  ni  môme  de  les  parer,  les  désastres 
vont  succéder  aux  désastres.  Manille,  maintenant  sans  espoir  de  secours, 
ne  peut  que  succomber.  Puerto-Rico  aura  le  sort  de  Santiago,  si  les 
Espagnols  ne  sont  pas  en  nombre  comme  dans  cette  dernière  ville.  Dans 
ces  conditions,  mieux  vaut  traiter  de  la  paix  au  plus  vite  quand  on  n'a 
pas  su  préparer  la  guerre.  C.  de  Lasalle. 

P.  S.  —  Ces  lignes  étaient  écrites  loisqu'est  arrivée  la  nouvelle  que 
l'Espagne  demande  la  paix.  En  même  temps  Puerto-Rico  est  envahi,  le 
général  Miles  ayant  débarqué  sans  résistance  eu  S.-O.  de  l'île. 


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LE  GONVENIO  DES  PHILIPPINES 

L'insurrection  qui  a  éclalé  tout  à  coup  aux  Philippines  et  qui  met 
les  Espagnols  dans  la  situation  la  plus  critique  n'a  pas  éié  sans  causer 
quelque  surprise.  On  croyait  en  effet  dans  les  sphères  espagnoles,  le 
pays  pacifi'  c(  (raaquille,  et  cette  conviction  était  assez,  forte  pour 
faire  ordonner  prématurément  le  rappel  en  Espagne  d'une  partie  des 
forces  qui  avaient  combattu  l'insurrection. 

La  prise  d'armes  qui  vient  de  s'effectuer  a  deux  causes  :  le  prestige 
que  les  Américains  victorieux  exercent  sur  les  indigènes  qui  ont 
vu  détruire  sous  leurs  yeux  la  flotte  espagnole  à  Cavité  et  le  mécon- 
tentement qui  règne  parmi  tous  les  indigènes  contre  la  domination 
espagnole. 

La  raison  qui  a  motivé  la  dernière  insurrection  des  Philippines, 
comme  la  présente,  comme  l'iusurrection  de  Cuba,  est  toujours  la 
même:  la  mauvaise  administration  de  l'Espagne.  Ce  sont  en  effet  les 
exactions  des  fonctionnaires  venus  pour  remplir  leurs  poches  dans  le 
plus  bref  délai  possible,  les  dénis  de  justice,  l'éloignement  des  indi- 
gènes —  comme  celle  des  créoles  à  Cuba  —  des  situations  tant  soit 
peu  lucratives,  l'exploitation,  en  un  mot,  de  l'archipel  au  lieu  de  son 
administration,  qui  ont  amené  la  domination  espagnole  au  bord  du 
précipice.  Si  au  moins  le  gouvernement  de  la  péninsule,  instruit  par 
l'expérience  de  l'insurrection  que  le  maréchal  Primo  de  Rivero  par- 
vint à  apaiser,  avait  exécuté  à  la  lettre  les  engagements  pris  dans  le 
pacte  qui  amena  la  fin  de  la  lutte,  la  situation  serait  sans  doulebien 
différente.  Mais  hl  encore,  l'Espagne  n'a  pas  compris  qu'il  fallait  faire 
des  concessions  et  elle  court  le  risque  de  perdre  ainsi  toutes  ses  belles 
colonies. 

Après  deux  années  de  lutte  contre  les  indigènes,  les  Espagnols, 
malgré  de  brillants  succès,  n'amvaient  pas  à  triompher  de  l'insurrec- 
tion. Le  maréchal  Primo  de  Rivera,  envoyé  comme  capitaine  géné- 
ral aux  Philippines  dans  le  courant  de  l'année  1897,  en  remplace- 
ment du  général  Polavieja,  avait  demandé,  ainsi  qu'il  vient  de  le  dé- 
clarer à  la  tribune  des  Corlès,  l'envoi  de  20  bataillons  à  effectifs 
renforcés.  L'Espagne,  engagée  conrmie  elle  l'était  à  Cuba,  ne  se  trou- 
vait pas  en  état  de  les  lui  fournir.  Le  maréchal  fut  alors  autorisé  à 
employer  d'autres  moyens  que  la  force  pour  amener  la  pacification  du 


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LE   COiWEMO   DES   PHILIPPINES  493 

pays.  Les  circonstances  vinrent  le  servir  à  souhait  sous  ce  rapport. 

Au  mois  d*août  1897,  un  avocat  connu  de  Manille,  d'origine  espa- 
gnole, M.  Pedro  A.  Paterno,  se  rendit  spontanément  auprès  d'Agui- 
naldo,  le  chef  de  TiûsurrecUon,  sur  la  montagne  de  Biac-na-Bato,  où 
celui-ci  s'était  fortifié  après  l'occupation  de  Cavité  par  les  Espagnols. 
M.  Paterno  fit  valoir  les  sentiments  libéraux  bien  connus  du  capitaine 
général  des  Phiiippihes  et  son  désir  d'introduire  dans  l'administration 
du  pays  des  réformes  de  nature  à  donner  satisfaction  aux  indigènes. 

«  Aguiualdo,  dit  le  Temps  auquel  nous  empruntons  les  renseigne- 
ments qui  suivent,  accepta  les  bons  offices  de  M.  Paterno  et  lui  donna 
de  pleins  pouvoirs  pour  arrêter  avec  le  gouverneur  général  les  termes 
d'une  convention  pour  le  rétablissement  de  la  paix.  Les  négociations 
furent  laborieuses;  elles  devaient  cependant  aboutir:  le  13  novembre 
1897,  le  général  Primo  de  Rivera  et  M.  Pedro  A.  Palerno  signèrent,  au 
palais  de  iMalacagnany,  un  traité  en  vertu  duquel  D.  Emilio  Âguinaido, 
chef  suprême  de  tous  les  Philippins  en  insurrection  contre  le  gouver- 
nement légitime,  Mariano  Llanera  et  Baldomero  Âguinaido,  ses  lieute- 
nants, en  leur  nom  et  au  nom  de  tous  ceux  qui  les  avaient  choisis  pour 
chefs,  renonçaient  à  leur  attitude  hostile,  déposaient  les  armes  qu'ils 
avaient  prises  contre  leur  patrie  et  déclaraient  se  soumettre  aux  auto- 
rités légitimes.  Us  revendiquaient  en  échange  la  mise  en  possession  de 
tous  les  droits  et  avantages  de  citoyens  espagnols  ;  ils  s'engageaient 
enfin  à  faire  remise  de  leurs  armes  aux  autorités  miliiaires  tel  jour  et 
en  tel  lieu  qu'il  plairait  au  gouverneur  général  de  désigner. 

La  présentation  des  rebelles  devait  être  faite  par  leurs  chefs  ;  aussitôt 
après  l'accomplissement  de  cette  formalité,  chaque  insurgé  recevrait 
soit  un  passeport,  soit  un  sauf-conduit  pour  se  rendre  où  il  lui  plairait 
de  s'établir  ;  les  déserteurs  de  l'armée,  les  étrangers  et  les  Espagnols  de 
la  péninsule  étaient  seuls  privés  de  ce  droit  et  devaient  s'éloigner  de 
l'archipel. 

L'article  9  de  ce  document,  appelé  pacte  de  Biac-na-Bato,  est  ains 
conçu  :  «  Pour  atténuer  l'horrible  dénuement  où  vont  se  trouver  ceux 
qui  ont  pris  part  à  la  guerre  civile,  le  gouverneur  général  assurera  des 
moyens  d'existence  aux  rebelles  qui  feront  leur  soumission  avant  l'expi- 
ration du  délai  fixé  par  la  convention  ;  la  répartition  des  secours  sera 
faite  par  l'intermédiaire  de  M.  Paterno,  d'après  les  indications  d'Emilio 
Aguinaido.  » 


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494  REVUE  FRANÇAISE 

Les  réformes  que  le  générai  Primo  de  Rivera  s'engageait  à  intro- 
duire dans  le  régime  politique  en  vigueur  aux  Philippioes  $0Dt  les 
suivantes  : 

Expulsion,  ou  tout  au  moins  sécularisation,  des  ordres  monastiques; 

Reconnaissance  des  droits  individuels  des  indigènes  et  en  particulier 
de  rinviolabilité  du  domicile  ; 

Liberté  de  la  presse,  d'association  et  de  réunion  ; 

Représentation  des  Philippines  dans  les  Cortès  espagnoles; 

Unité  de  législation  civile  et  pénale  pour  les  mélropolitains  et  les 
natifs  ; 

Droits  pour  les  indigènes  d'occuper  la  moitié  des  emplois  de  toute 
catégorie  dans  les  administrations  publiques 

Organisation  des  municipalités  philippines  sur  le  modèle  des  ayuuta- 
mientos  de  la  métropole  ; 

Révision  des  états  de  contribution  personnelle,  industrielle  et 
foncière  ; 

Restitution  à  leurs  propriétaires  légitimes  de  tous  les  biens  antérieu- 
rement confisqués; 

Reconnaissance  aux  indigènes  du  droit  de  gropriété  qui  leur  avait 
été  contesté  jusq'aloi*s. 

Une  convention  secrète  était,  paraît-il,  jointe  à  ce  traité  ;  elle  stipu- 
lait, au  profit  d'Aguinaldo  et  des  chefs  de  l'insurrection  obligés,  par  le 
gouverneur  général  à  s'éloigner  de  l'archipel,  une  indemnité  pécuniaire 
de  4  millions  de  pesetas,  dont  3  millions  en  un  chèque  sur  une  maison 
de  banque  de  Hong*  Kong  payable  au  moment  de  leur  débarquement  et 
un  million  au  mois  davril  si  toutes  les  petites  bandes  d  insurgés  encore 
en  armes  étaient  dissoutes. 

Ces  projets  de  convention  furent  proposés  au  gouvernement  par  le 
général  Primo  de  Rivera  le  13  décembn}  1897  ;  le  lendemain,  une  dépê- 
che de  M.  Sagasta,  président  du  conseil,  autorisait  le  gouverneur  général 
à  recevoir  la  soumission  des  rebelles  aux  conditions  stipulées  et  le  féli- 
citait même,  au  nom  de  la  reine  et  de  la  nation,  de  cet  heureux  événe- 
ment. 

Les  adversaires  du  marquis  d'Estella  lui  reprochent  aujourd'hui 
d'avoir  accepté  de  pareilles  conditions  et  d'avoir  humiUé  l'Espagne  ea 
donnant  aux  insurgés  les  gages  qu'ils  lui  demandaient,  car  Aguinaldo 
et  ses  compagnons  n'avaient  pas  oublié  la  mort  de  Louis  Padai^,  peivlu 


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EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS  495 

par  les  Espagnols  après  sa  soumission,  malgré  la  foi  jurée,  ni  celle  de 
Camerino,  admis  dans  Tarmée  avec  le  grade  de  colonel  et  qui  fut  pris 
et  fusillé  quand  éclatèrent  les  troubles  de  Cavité  auxquels  il  n'avait  pris 
aucune  part.  En  garantie  de  l'exécution  loyale  de  ces  conventions,  le 
lieutenant-colonel  Primo  de  Rivera,  neveu  du  gouverneur  général,  dut 
accompagner,  en  eflet,  les  chefs  de  l'insurrection  à  Hong-Kong,  et  les 
généraux  Tefeiro  et  Monet  restèrent  dans  le  camp  des  insurgés  jusqu'au 
jour  où  parvint  l'avis  du  débarquement  d'Aguinaldo  et  de  ses  amis. 

La  pacification  defe  Philippines  semblait  donc  assurée;  le  29  janvier 
la  reine  régente  conférait  au  général  Primo  de  Rivera  la  grand'croix  de 
l'ordre  de  San-Fernando,  pour  avoir,  disait  le  décret,  obtenu  la  pacifi- 
cation de  l'archipel,  résultat  glorieux  qui  était  une  preuve  nouvelle  de 
son  habileté.  » 

11  faut  croire  que  les  engagements  du  convenio  de  Biac-na-Balo  n'ont 
pas  été  exécutés,  pour  qu'Aguinaldo  ait  réussi  à  soulever  avec  une  telle 
rapidité  et  un  tel  succès  les  indigènes  tagals  contre  la  domination  es|)a- 
gnole.  Ce  n'est  pas  en  effet  le  concours  matériel  des  Américains,  immo- 
bilisés sur  leurs  navires  faute  de  troupes  de  débarquement,  qui  a  été  la 
cause  des  désastres  successifs  essuyés  par  les  troupes  espagnoles.  Leur 
.appui  n'a  consisté  qu'en  quelques  livraisons  d'armes,  et  il  a  fallu  la  désaf- 
fection générale  pour  amener  une  telle  levée  de  boucliei*s.  La  leçon 
de  la  précédente  insurrection  avait  cependant  été  bonne.  Faut-il  que 
l'Espagne  n'en  ait  pas  profité  I 


EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS 

AFRIQUE 

M.  GentUy. dont  nous  avons  annoncé  (p.  371)  l'heureuse  arrivée  au 
lac  Tchad,  a  débarqué  à  Marseille  le  20  juillet,  avec  la  mission  du  sul- 
tan du  Baguirmi  qu'il  amène  en  France.  M.  Gentil  avait  quitté  la  France 
pour  accomplir  sa  mission  depuis  avril  1895. 

M.  Pierre  Prins,  membre  de  la  mission  Gentil  (qui  a  atteint  le  lac 
Tchad),  resté  d'abord  avec  M.  Fredon  au  poste  fondé  sur  un  affluent  du 
Gribingui,  par  7^  de  lat.  et  16°  40'  de  long.  E.,  en  repartit  bientôt  pour 
devenir  résident  de  France  auprès  du  cheik  Mohamed  es  Senoussi,  chef 


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496  REVUE  FHANÇAISE 

du  Dar  Rounga,  au  pays  d'Ei-Kouli.  On  se  rappelle  que  Crampel  el 
Biscarrat  furent  assassinés  à  El-Kouii  en  1891  ;  aujourd'hui  les  musul- 
mans du  pays  sont  devenus  accueillants,  lis  consentirent  à  vendre  à  la 
mission  des  chevaux,  des  bœufs,  des  moutons,  des  ânes.  Le  2i  nov^n- 
bre  1897,  M.  Prins  était  encore  au  poste  de  Giibingui;  il  en  partait 
2  jours  après  avec  2  Sénégalais  et  une  escorte  pour  EI-Kouti,  où  il  vit 
le  cheik  Mohamed  es  Senoussi,  un  des  auteurs  du  massacre  de  Cram- 
pel ;  il  vit  ce  chef  le  6  janvier  1898,  à  15  jours  de  marche  du  Gribin- 
gui.  Il  repartit  bientôt,  M.  Gentil  rappelant  comme  résident  au  Baguir- 
mi  et  rentra  à  Gribingui  le  29  janvier.  Malgré  sou  bon  accueil,  il  faut 
considérer  ce  chef  d'El-Kouti  comme  très  suspect. 

Le  prince  Henri  d'Orléans,  revenant  d'Abyssinie,  s'embarque  le 
2  août  à  Djibouti  pour  rentrer  en  France. 

Le  &^  Léontief  est  arrivé  à  Marseille  le  24  juillet,  venant  d'Abyssi- 
nie. Blessé  accidentellement  par  une  balle  à  Harrar,  le  30  mai,  il  a  dû 
revenir  en  Europe  pour  se  faire  soigner. 

M.  A,  Silva  White  est  parti  le  15  mars,  dans  l'intention  de  pénétrera 
Yarboub,  oasis  située  atix  confins  de  l'Egypte  et  de  la  Tripolitaine,  et  où 
résident  les  chefs  de  la  secte  musulmane  des  Senoussi. 

Malgré  le  mystère  dont  la  mission  était  entourée,  M.  Silva  White  n'a 
pas  réussi  et  a  dû  s'arrêter  à  l'oasis  de  Siouali  (ancienne  oasis  de  Jupiter  * 
Ammon).  Il  a  trouvé  là  une  monnaie  en  cuivre  de  Ptolémée  1*"^  Saler 
(311-305  av.  J.-C.)  et  a  rapporté  des  inscriptions  de  tombeaux  très 
curieuses. 

POLES 

M.  Borchgrevink  doit  partir  pour  le  pôle  Sud  avec  une  expédition 
anglaise  organisée  aux  frais  de  sir  Georges  Newnes;  il  se  dirigera  vers 
l'Australie  et  la  terre  Victoria  du  Sud,  à  bord  d'un  navire  analogue  au 
Fram;  ce  navire,  le  Southeim-Cross,  quitterait  Londres  avec  65  chieus 
et  des  traîneaux.  L'expédition  doit  se  munir  de  3  ans  de  vivres  et  de 
pigeons  voyageurs. 

L'expédition  allemande  du  1^  Krech  se  mettra  en  roule  dans  le  cou- 
rant d'août  pour  le  pôle  Sud.  Le  Vaidivia,  qui  la  porte,  se  rwidra 
d'abord  à  l'embouchure  du  Congo,  puis  aux  îles  Kerguelen.  L'expédi- 
tion compte  coopérer  indirectement  à  l'œuvre  scientifique  de  l'expédi- 
tion belge  dirigée  par  M.  A.  de  Gerlache. 


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NOUVELLES  GEOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 

AFRIQUE 

Tunisie  :  Chemin  de  fer  de  la  Gouletle  racheté.  -^  On  annonce  le  rachat 
par  la  C'«  française  Bône-Guelma  du  chemin  de  fer  de  Tunis  à  la  Goulette 
qui  appartenait  à  la  C'«  italienne  Rubaltino.  La  concession  de  cette  petite  ligne 
avait  été  primitivement  accordée  à  la  O^  Bône-Guelma.  Mais  elle  ne  sut  pas 
Putiliser  et  se  vit  substituer  la  O^  Rubattino,  poussée  par  le  gouvernement 
italien  qui  avait  des  vues  sur  la  Tunisie.  Cet  incident  faillit  amener  un  con- 
flit entre  la  France  et  Tltalie.  Il  eut  en  tous  cas  pour  résultat  d'ouvrir  les 
yeux  sur  la  politique  italienne  en  Tuûisie  et  d'amener  la  France  à  accentuer 
son  action  sur  la  Régence.  Quelques  années  après  (1881)  le  traité  de  Ka«r- 
Sald  établissait  le  protectorat  français  en  Tunisie. 

Mais  les  Italiens  ne  cessaient  pas  de  ùAve  une  vive  opposition  au  nouvel 
ordre  de  choses  et,  par  le  chemin  de  fer  de  la  Goulette,  étaient  maîtres  des 
communications  et  des  tarifs  entre  Tunis  et  la  mer.  C'est  alors  que  fut  conçu 
le  projet  de  rendre  navigable  par  rétablissement  d'un  chenal,  le  lac  maré- 
cageux qui  sépare  la  Goulette  de  Tunis  et  de  créer  dans  cette  ville  même  un 
port  maritime.  Les  tra\aux,  commencés  en  1888,  durèrent  cinq  années.  Le 
28  mai  1893,  le  port  de  Tunis  était  inauguré.  Depuis  cette  époque  l'impor- 
tance du  chemin  de  fer  de  la  Goulette  était  singulièrement  diminuée,  et  Tin* 
fluence  politique  que  l'Italie  pouvait  en  tirer  avait  cessé  par  suite  de  la  recon- 
naissance du  protectorat  français  en  Tunisie  (1897).  C'est  ce  qui  a  déterminé 
la  Q^  Rubattino  à  se  dé&ire  de  sa  concession.  Ainsi  tombent  successivement 
les  entreprises  qui  combattirent  autrefois  Tinfluence  française  dans  la  Régence. 

Algérie  :  Gouverneur  général,  —  Un  décret  inséré  à  Y  Officiel  du  27  juillet 
nomme  gouverneur  général  M.  Laferrière,  vice-président  du  Conseil  d'État, 
en  remplacement  de  M.  Lépine.  Ce  dernier,  qui  avait  succédé  à  M.  J.  Cambon 
(ieroct.  1897),  avait  eu  l'existence  très  difficile  par  suite  des  troubles  antisé- 
mites qui  ont  eu  lieu  depuis  le  commencement  de  1898,  à  Alger  particuliè- 
rement. M.  Laferrière,  qui  est  né  en  1846,  a  tait  presque  toute  sa  carrière  au 
Conseil  d'État  dont  il  était  vice-président  depuis  1886. 

Sahara  :  Mission  à  In-Salah,  —  MM.  Laperrine  et  Germain,  officiers  en 
garnison  au  fort  Mac-Mahon,  renouvelant  le  raid  du  commandant  Godron 
vers  le  Gourara,  se  sont  rendus  dans  les  premiers  jours  d'avril  1898  à  In- 
S:ilah  avec 40  spahis.  Ils  rapportent  de  cette  mission  accomplie  pacifiquement 
un  itinéraire  complet  de  662  kil.  qui  passe  par  Aïn-el-Adrek,  Oued-Aflissès,^ 
Aïn-Souf,  Maader-Souf,  Hassi  Meylagh  et  Aouïnet-Sissa.  La  position  d'In-Sa- 
lah,  déjà  rectifiée  par  M.  Foureau,  tomberait,  d'après  cet  itinéraire,  à  52  kil, 
à  Test  (légèrement  sud)  de  la  position  actuellement  supposée  d'In-Salah.  Cette 
pointe  poussée  à  In-Salah  montre  une  fois  de  plus  combien  il  serait  facile 
de  prendre  possession  des  oasis  du  Gourara  et  du  Touar  qui  sont  indispen- 
sables à  la  sécurité  du  Sahara  algérien. 

xzin  (Août  88).  N»  23d»  3i 


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498  HEVUE  FRANÇAISE 

Guinée  française  :  Télégraphes.  —  Le  Journal  officiel  du  Sénégal, 
annonce  l*ouverture  prochaine  d'un  bureau  télégraphique  à  Bofifa,  sur  le  rio 
Ponge.  Ce  point  est  situé  entre  Dubreka  (sur  le  Koukourai)  et  Doké  (sur  le 
rio  Nunez),  qui  ont  été  récemment  reliés  Tun  à  Tautre  par  une  ligne  télé- 
graphique ainsi  que  nous  l'avons  annoncé.  L'intention  du  gouverneur  géné- 
ral, d'accord  avec  le  gouverneur  de  la  Guinée  française,  est  de  relier  cette 
ligne  par  N'Dama  à  la  ligne  actuelle  de  la  Casamance  et  créer  ainsi  un  nou- 
veau réseau  court  et  commode  pour  assurer  les  communications  du  Sénégal 
avec  les  rivières  du  Sud  et  Konakry,  leur  capitale.  D'ailleurs,  sur  le  parcours  de 
N'Dama  au  Sénégal,  un  bureau  a  été  ouvert  le  26  mai  dernier,  à  Niakhar.  gro6 
centrede  Sine,  droit  au  nojrd  de  Foundioungue  et  de  Fatik,  centres  de  Saloun. 

Sierra-Leone  :  Commerce  (4896),  —  L'insurrection  qui  a  ruiné  tout  Tin- 
térieur  de  Sierra-Leone  va  jeter  une  grande  perturbation  dans  leç  aflÎBLires  de 
la  colonie  qui  n'avaient  cessé  de  prospérer  jusqu'à  ce  jour.  Le  commerce  de 
Sierra-Leone,  en  1896,  s'est  élevé  à  494.688  £  ou  12.491.000  fr.  pour  les 
importations  et  à  449.033  £  ou  11.338.000  fr.  pour  les  exportations.  En  1895, 
les  importations  n'avaient  été  que  de  427.338  £  et  lesex  portations,  au  con- 
traire, s'étaient  élevées  à  452.604  £.  Les  importations  ont  donc  progressé  de 
plus  de  67.000  £,  alors  que  les  exportations  ont  baissé  de  3.600  £. 

Sierra-Leone,  jusqu'à  la  création  de  la  Guinée  française,  était  le  centre 
comndercial  de  l'Afrique  occidentale,  depuis  la  Guinée  portugaise  jusqu'au 
Libéria.  Mais,  depuis  la  fondation  de  Konakry  et  surtout  depuis  la  délimi- 
tation franco-anglaise  de  janvier  1895,  le  commerce  de  Freetov^n  a  souffert 
de  cette  nouvelle  concurrence.  Mais,  cependant,  la  colonie  anglaise  de  Sierra- 
Leone  et  la  Guinée  française  peuvent  se  développer  parallèlement  et  cela  est 
si  vrai  que  le  commerce  total  de  Sierra-Leone  en  1896  est  supérieur  de  un 
million  à  celui  de  1894  et  de  plus  de  3  millions  à  celui  de  1893. 

Les  importations  à  Sierra-Leone  en  1896  proviennent  surtout  d'Angleterre 
(403.000  £),  qui  représente  plus  des  4/5  du  total.  Les  États-Unis  viennent 
ensuite,  mais  bien.après,  avec  36.187  £  et  l'Allemagne  avec  26.365  £.  La 
France,  avec  ses  colonies,  ne  vend  que  pour  10.199  £  (dont  7.301  £  pour  la 
métropole).  Il  ne  faut  pas  oublier  que  la  France  occupait  autrefois  une  place 
prépondérante  dans  le  commerce  de  Sierra-Leone  et  qu'elle  est  tombée  au 
4«  rang. 

Les  exportations  de  Sierra-Leone  sont  dirigées  surtout  vers  l'Angleterre 
(203.495  £,  soit  près  de  la  moitié  du  total)  et  l'Allemagne  (103.210  £).  La 
France  n'en  reçoit  que  pour  27.000  £  et  le  Sénégal  pour  17.586  £• 

Navigation.  —  En  1896,  la  colonie  de  Sierra-Leone  a  vu  entrer  391  vap^^us 
(avec  526.963  tonnes)  et  384  voiliers  (avec  11.697  t.).  Le  pavilbn  an^^ 
absorbe  à  lui  seul  près  des  4/5  du  total  (301  vapeurs  avec  400.580  t.  et  191 
voiliers  avec  3.362  t.).  La  France  n'a  que  35  vapeurs  (avec  44.424  t:)  et  168 
voiliers  (avec  2.820  t.)  L'Allemagne  vient  ensuite  avec  29  vapeurs  et  30.691 1. 
Le  mouvement  des  bateaux  français  ne  donne  lieu  qu'à  des  opérations  mari- 
times dérisoires. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONLVLES  499 

Dahomey,  Côte  d'Or  et  Côte  d'Ivoire  :  Villages  de  liberté,  —  L'abbé 
A.  Planque,  supérieur  des  Missions  africaines  dont  le  siège  est  à  Lyon,  nous 
adresse  des  renseignements  précis  sur  les  villages  de  liberté.  Cette  congré- 
gation a  fondé  depuis  longtemps  au  Bénin  le  village  de  Tocpo  qui,  dans  la 
pensée  des  missionnaires,  doit  servir  de  type.  Au  Dahomey,  il  y  a  le  village 
de  Zagnanado.  Le  gouverneur,  M.  Ballot,  nous  verrait  avec  grande  satisfac- 
tion en  créer  d'autres. 

La  Côte  d'Or  a  un  établissement  de  ce  genre  dans  le  voisinage  d'Elminaet, 
en  outre,  celui  de  Sait-Pont  dont  parle  le  P.  Albert  dans  le  rapport  qui  a  été 
communiqué  à  la  Société  antîesclavagisle  de  France.  Ce  qu'il  faudrait  sur- 
tout, c'est  pouvoir  s'installer  au  centre  des  Achantis.  A  la  Côte  d'Ivoire,  nous 
avons  Nemni.  La  création  d'autres  centres  dépendra  de  Taide  que  nous  rece- 
vrons du  gouvernement. 

Dans  la  préfecture  du  Haut  Niger,  si  nous  n'avons  pas,  à  proprement  par- 
ler, de  villages  de  liberté,  il  est  juste  de  dire  que  toutes  nos  stations  rendent 
des  services  à  la  cause  antiesclavagiste  en  recueillant  les  enfants  et  en  ra- 
massant les  vieux  et  les  vieilles  quand  on  les  jette  à  la  brousse,  parce  qu'ils 
ne  peuvent  plus  rien  faire.  La  préfecture  du  Haut  Niger  est  en  plein  pays  de 
sacrifices  humains  et  d'esclavage. 

Le  P.  Zappa  a  obtenu  déjà  des  résultats  importants,  mais  les  ressources 
lui  font  dé&ut. 

Les  Missions  afHcaines  de  Lyon  ne  font  pas  beaucoup  de  bruit,  mais  font 
beaucoup  de  besogne.  Elles  sont  postées  du  cap  des  Palmes  jusqu'au  Niger, 
sur  cette  côte  qui,  pendant  deux  siècles,  a  été  le  grand  marché  central  où 
les  nations  européennes  allaient  recruter  les  esclaves  afin  de  pourvoir  de  tra- 
vailleurs leurs  colonies  intertropicales.  Une  partie  du  littoral  a  conservé  le 
nom  de  côte  des  Esclaves. 

Quant  au  Dahome}r,  il  évoque  les  souvenirs  les  plus  répugnants  de  la  traite 
des  noirs.  Les  Missions  africaines  de  Lyon  ont  pris,  dès  1860,  la  charge  de 
la  mission  du  Dahomey.  Il  n'était  pas  alors  question  en  France  de  propa- 
gande antiesclavagiste.  Ainsi,  trente  ans  avant  qu'on  prêchât  la  croisade  an- 
tiesdavagiste,  nos  missionnaires  de  Lyon  faisaient  œuvre  de  civilisation  sur 
le  point  d'Afrique  où  l'esclavage  sévissait  avec  le  plus  d'intensité.  Le  champ 
d'action  de  cette  congrégation  comprend  les  préfectures  apostoliques  de  la 
Côte  d*lvovre,  de  la  Côte  d'Or,  du  Dahomey^  le  vicariat  apostolique  du  Bénin, 
la  préfecture  apostolique  du  Niger.  Dans  ces  cinq  missions,  il  y  a  un  évéque, 
80  prêtres  aidés  par  quelques  frères,  d'assez  nombreux  catéchistes  et  63  sœurs 
réparties  en  14  établissements. 

Nous  devons  à  M.  l'abbé  Planque  le  tableau  ci-dessous  que  nous  publions 
d'autant  plus  volontiers  que  c'est  un  document  statistique  précieux  pour 
rhistoire  de  cette  région. 
Côte  d^Ivoire  :  6  stations  de  pères,  1  ferme. 

Côie'(fOr  :  4  stations  de  pères,  2  stations  de  sœurs,  7  stations  de  caté- 
chistes, 2  fermes. 


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500  REVUE  FRANÇAISE 

ùahamey  :  6  stations  de  pères,  2  stations  de  sœurs,  8  stations  de  ctté* 
cbistes,  1  ferme. 

Bénin  :  8  stations  (fe  pères,  7  stations  de  sœurs,  42  stations  de  catéchistes, 
1  ferme. 

Niger  :  6  stations  de  pères,  3  stations  de  sœurs,  9  stations  de  catéchistes. 

Dahomey-Togo  :  Délimitation,  —  Le  Journal  officiel  publie  le  décret  qui 
rend  exécutoire  la  convention  conclue  à  Paris,  le  23  juillet  1897  et  ratifiée 
le  12  janvier  1898,  entre  la  France  et  TAllemagne,  en  vue  de  délimiter  les 
possessions  françaises  du  Daliomey  et  du  Soudan  et  les  possessions  allemandes 
du  Togo.  Le  texte  en  a  été  publié  par  la  Revue  (déc.  1897,  p.  726). 

L'enseigne  de  vaisseau  Brisson  et  le  médecin  de  2^  classe  Ruelle  ont  été 
mis  à  la  disposition  du  ministre  des  colonies  pour  être  actjoints  au  capitaine 
James  Plé,  appelé  à  diriger  les  opérations  de  la  commission  française  qui  va, 
de  concert  avec  une  commission  allemande,  établir  sur  le  terrain  la  frontière 
du  Togoland. 

État  du  Congo  :  Misiions  de  Mpala  et  de  BaudouinvUle.  —  Les  P^^ 
Blancs  ou  missionnaires  d'Alger,  auxquels  le  vicariat  apostolique  du  haut 
Congo  a  été  réservé,  ont  fondé  plusieurs  établissements  importants  sur  les 
rives  du  lac  Tanganika.  Le  centre  en  est  à  Mpala,  station  fondée  il  y  a  près 
de  20  ans  par  M.  Storms,  sur  la  rive  gauche  du  lac,  et  qui  fut  remise  aux 
Pères  Blancs,  en  1885,  par  le  nouvel  Étal  du  Congo. 

Kirunga  ou  Baudouinville  a  été  fondée  en  1894  pour  abriter  les  chrétiens 
de  Kibanga,  station  du  N.-O.  du  lac,  abandonnée  à  cause  de  son  insalubrité. 
Ceôt  la  résidence  de  M«^  Rœlens,  vicaire  apostolique.  D'après  la  Belgique 
coloniale,  elle  renferme  1.200  habitants,  dont  800  catholiques  et  400  qui  se 
disposent  à  le  devenir  ;  de  nombreux  villages  sont  venus  se  mettre  tout 
autour  sous  la  protection  des  missionnaires. 

Les  plateaux  de  Kirunga  sont  au-dessus  des  premiers  contreforts  soutenant 
les  hauts  plateaux  du  Marungu.  Si  l'on  quitte  la  plaine  basse  de  Saint-Louis 
de  Mrambi,  résidence  du  capitaine  Joubert,  on  escalade  une  montagne  de 
200  mètres  par  un  sentier  de  chèvre.  De  la  crête  de  la  i^  chaîne  de  mon- 
tagnes, on  voit  un  immense  plateau  ondulé,  sillonné  de  ruisseaux  dont  les 
rives  sont  très  fertiles  ;  au  sud  se  dresse  le  mont  Mrumbi  (1.700  mètres)  et 
derrière  lui  sont  de  hautes  montagnes. 

Baudouinville  est  construite  sur  une  large  colline  dont  le  sommet  a  150  m. 
de  large,  600  m.  de  long  et  350  à  400  m.  au-dessus  du  lac  (soit  1 200  m.  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer). 

La  population  est  dense  ;  dans  une  circonférence  de  2  kilomètres  autour  de 
la  colline,  on  compte  plus  de  12  villages  indigènes;  au  sud,  sur  12  à  16  lun. 
on  trouve  plus  de  50  villages  et  au  nord  de  la  plaine  de  Kaloudja,  il  y  en  a  41 
La  population  est  divisée  en  quartiers  ayant  chacun  un  président  chargé  de 
veiller  à  l'ordre  public  ;  les  chefs  de  quartiers  sont  soumis  à  uq  nyampara, 
sorte  de  maire  qui  est  lui-même  soumis  aux  ordres  des  missionnaires.  Deux 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  Ml 

résidences,  une  pour  les  religieux,  l'autre  pour  les  sœurâ,  sont  construites 
eo  briques;  elles  sont  entourées  de  murs  solides,  au  centre,  est  une  cathédrale, 
autour  sont  des  habitations,  des  dortoirs  pour  enfants,  des  ateliers,  des  étables, 
un  dispensaire,  un  hôpital,  etc.  C'est  une  véritable  petite  ville  au  centre  du 
continent  noir. . 

Les  Pères  Blancs  ont  créé  dans  cette  région  des  briqueteries,  des  ateliers 
de  charpenterie  et  de  menuiserie,  ouvert  des  carrières,  établi  une  distillerie, 
défriché  les  terres  incultes,  etc.  On  a  réussi  à  former  des  ouvriers  indigènes 
qui  ont  pu  édifier  de  véritables  monuments,  tels  que  l'église  de  Mpala.  15 
missionoaires,  4  sœurs  et  des  catéchistes  évangélisent  les  5  stations  et  les 
villages  chrétiens  de  Tanganika. 

Madagascar  :  Écoles.  —  On  lit  dans  le  Bulletin  de  VAlliance  Française 
du  lo  juillet  {n9  70)  :  Grâce  à  l'admirable  activité  de  M.  le  général  Gallieni» 
l'œuvre  scolaire  s'étend  à  Madagascar  dans  des  proportions  dont  nous  ne  sau" 
rions  que  nous  réjouir.  L'école  de  médecine  indigène,  crée  il  y  a  un  an,  est 
fréquentée  par  de  nombreux  élèves,  et  la  distribution  des  prix  a  eu  lieu  sous 
la  présidence  du  gouverneur  général,  avec  un  éclat  qui  a  frappé  la  population. 
A  l'école  Le  Myre  de  Vilers  ont  été  adjoints  des  cours  de  droit  dont  Ont  été 
chargés  M.  Duchesne,  substitut  du  procureur  général,  et  Hesling,  chancelier 
de  résidence. 

De  toutes  parts  s'ouvrent  des  écoles  officielles.  Dans  le  seul  cercle  de  Tsia- 
fahy,  on  relève  18  créations  de  cette  nature  en  novembre  1897.  Tous  les  gros 
villages  de  l'Emyrneen  sont  actuellement  pourvus.  Là  où  les  ressources  finan- 
cières ne  permettent  pas  d'installer  des  instituteurs  venus  de  France,  des 
sous-officiers  sont  chargés  d'enseigner  aux  enfants  la  langue  et  l'histoire  fran- 
çaises, les  éléments  de  calcul,  de  géographie,  etc.  A  côté  de  ces  écoles  s'ouvrent 
des  asiles  et  des  ouvroirs.  En  mars  dernier,  a  été  inauguré  solennellement 
l'ouvroir  de  Fiadana.  Les  élèves  pauvres  qui  montrent  des  aptitudes  parti- 
culièrement intéressantes,  sont  l'objet  de  la  sollicitude  du  gouvernement,  qui 
vient  de  créer  40  bourses  à  l'école  Le  Myre  de  Vilers. 

Dans  les  écoles  confessionnelles,  on  peut  signaler  aussi  une  activité  consi- 
dérable. Les  écoles  de  la  mission  protestante  française  sont  au  nombre  de  900. 
Les  écoles  des  Pères  et  des  Frères  sont  aussi  nombreuses  et  aussi  prospères* 
A  Tananarive  s'est  fondée  une  Société  des  anciens  élèves  des  Frères  qui  a 
inauguré  le  théâtre  malgache,  à  l'occasion  de  sa  d*îrnière  fôte  par  la  repré- 
sentation en  français  d'un  drame  tiré  de  l'histoire  de  l'île. 

Le  conseil  d'administration  de  VAlliance  Française,  désireux  de  venir  en 
aide  dans  toute  la  mesure  du  possible  à  l'œuvre  si  patriolique  du  général 
Galtiéoi,  président  du  comité  de  VAlliance  Française  à  Tananarive,  lui  a  voté 
dans  sa  dernière  réunion  une  somme  de  5,000  francs,  dont  il  assurera  la 
répartition  lui-même  entre  toutes  les  écoles  de  la  colonie. 

ASIE  ET  AMÉRIQUE 

Chine  :  Chemxns  de  fer,  —  La  Chine  possède  actuellement  en  exploitation 


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502  REVUE  FRANÇAISE 

les  lignes  suivantes  :  i^  La  ligne  de  TienUin,  Tongkou,  ShanhaîkwHD,  de 
270  kilomètres,  qui  doit  se  relier  au  Transsibérien  ;  2*>  La  ligne  de  Ta-Yek 
(28  kil.)  ;  3^  La  ligne  Tientsin-Pékin  (120  kil.).  Toutes  ces  lignes  sont  à  voie 
normale,  les  trains  y  circulent  à  la  vitesse  de  30  à  50  kil.  à  Theure.  Le  reo* 
dément  moyen  de  Texploitation  donne  5  Vo  environ  d'intérêt  du  capital. 
Ces  lignes  ont  été  construites  avec  des  fonds  exclusivement  chinois  et  par 
ordre  du  gouvernement  ;  seule  la  ligne  Tientsin-Shanhaïkwan  a  donné  lieu 
à  un  appel  de  capitaux  privés,  exclusivement  chinois  d'ailleurs. 

Sont  en  outre  projetées  les  lignes  de  Hankéou-Pékin  (1 400  kil.)  et  de 
Woosung-Shanghaï  —  Suchou-Nankin,  avec  2  embranchements  (500  kil.) 
Pour  la  ligne  de  Hankéou-Pékin,  la  Chine  n'a  fourni  qu'une  partie  des  capi- 
taux (100  millions),  le  reste  provient  d'un  emprunt  à  l'étranger  ;  la  con- 
cession a  été  obtenue  par  un  syndicat  franco-belge.  La  ligne  de  Woosung  è 
Nankin  est  aux  mains  des  Allemands;  elle  a  été  étudiée  par  les  frères  Hil- 
debrand,  ingénieurs  prussiens  ;  les  travaux  sont  si  a%'ancés  que  le  tronçon 
Shanghaï-Woosung  sera  mis  en  exploitation  au  printemps  ;  c'est  ce  tronçon 
qui,  établi  une  première  fois  en  1875,  avait  été  détruit  par  la  population.  On 
sait  en  outre  que  la  Russie  a  obtenu  de  faire  pénétrer  son  transsibérien  en 
Mandchourie  et  de  le  rattacher  à  Talien-Wan  et  à  Port-Arthur  ;  que  la 
France  et  l'Angleterre  ont  obtenu  de  feire  pénétrer  au  Yunnan  etauKonang- 
Si,  les  lignes  du  Tonkin  et  de  la  Rirmanie  ;que  les  Allemands,  de  leur  côté, 
ont  obtenu  la  concession  des  chemins  de  fer  à  créer  de  Kiao-Tchéou  dans  le 
Chantoung.  Le  chemin  de  fer  sera  le  meilleur  mode  de  pénétration  en 
Chine,  mais  aussi  le  meilleur  moyen  pour  sortir  les  Chinois  de  leur  toi^ieur 
et  les  faire  sortir  de  la  Chine. 

Japon:  Émigration.  ~-  Les  Japonais  commencent  à  émigrer  dans  de 
grandes  proportions.  Alors  que,  de  1885  à  1889, 15.017  Japonais  avaient  émi- 
gré à  l'étranger,  ce  nombre  s'est  élevé  à  38.402  dans  la  période  1890-94.  Ce 
sont  les  îles  Hawaï  qui  ont  reçu  le  plus  de  Japonais  :  12.221  de  1885  à  1889 
et  21.625  de  1890  à  1894.  Pour  la  dernière  période  de  4  ans,  les  pays  de  des- 
tination se  classent  ainsi  :  Corée,  4.930;  États-Unis,  3.789;  Russie,  2.858; 
Australie,  2.037  ;  Canada,  1.716;  Chine,  869;  Antilles,  517;  Mers  du  Sud, 
89  ;  Indes,  33. 

De  1885  à  1895,  près  de  69.000  Japonais  ont  émigré  aux  Hawaî,  mais  dans 
le  reste  de  l'Océanie  ils  se  rendent  peu,  par  la  crainte  surtout  du  climat.  En 
effet,  sur  305  Japonais  arrivés  aux  îles  Fidji  en  mai  1892,  106  étaient  morts 
des  fièvres  quelques  mois  après. 

Canada  :  Température  au  Klondyke.  —  La  r^on  canadienne  da  Klon- 
dyke,  proche  voisine  de  l'Alaska  américain,  renferme,  on  le  .sait,  des  pépites 
d'or  dont  certaines  pèsent  jusqu'à  22  kg.  et  valent  70000  fr.  La  séparation 
de  l'or  des  graviers  et  des  sables  se  fait  par  un  courant  d'eau  entraînant  les 
impuretés,  l'or,  très  lourd,  restant  au  fond  et  s'amalgamant  avec  du  me^ 
cure,  d'où  on  le  sépare  facilement  ensuite. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONULES  SOS 

Le  fh)id  au  Rlondyke  étant  très  grand,  la  belle  saison  qui  donne  de  Teau 
courante  ne  va  guère  que  du  i^'  juin  au  1^  novembre  (5  mois).  En  juillet, 
le  jour  dure  20  heures,  tandis  qu'en  hiver  on  ne  voit  le  soleil  que  durant 
2  heures.  En  1896,  la  température  moyenne  observée  a  été  de  —  37o,6  en 
janvier  (mois  le  plus  froid),  de  — 10<*,7  en  avril,  de  +  i3<>,9  en  juillet  (mois 
le  plus  chaud),  de  —  3**,9  en  octobre.  La  température  la  plus  élevée  a  été  de 
+  27®,2,  certains  jours  de  juin  et  juillet,  et  la  plus  basse  a  été  de  —  55<>,8, 
pendant  le  mois  de  janvier.  Le  mois  de  juillet  est  le  seul  de  Tannée  pendant 
lequel  il  n'a  pas  gelé. 

Ëtats-Unis  :  Origine  du  mot  «  Jingo  ».  —  Tous  les  journaux  du  monde 
parlent  couramment,  à  cette  heure,  à  propos  du  conflit  américain-espagnol, 
des  jingos  pour  désigner  les  chauvins,  les  fanatiques  belliqueux  aux  États- 
Unis.  Voici  quelle  serait  Torigine  de  ce  mot  étrange  : 

—  Jingo,  c'^t  un  mot  d'argot,  venu  on  ne  sait  comment  dans  le  langage  ; 
ce  mot  dont  on  abuse,  et  qui  correspond  au  mot  a  chauvin  i>  ou  «  cocardier  », 
n'est  guère  en  usage  que  depuis  dix  ans  à  peu  près. 

Dans  une  des  crises  de  la  politique  extérieure  de  l'Angleterre,  vers 
1887-88  environ,  il  y  avait  comme  un  enthousiasme  guerrier  parmi  la  foule; 
dans  un  music-hall  du  Strand,  à  Londres,  un  chanteur  patriote  obtint  un 
succès  prodigieux  en  scandant  sur  un  air  de  marche  le  couplet  suivant,  que 
les  assistants  reprenaient  en  chœur  avec  accompagnement  de  cannes  et  du 
pied  sur  le  plancher  : 

We  don't  want  to  fight 

But,  by  jingo,  if  we  do 

We'  ve  got  the  men, 

We'  ve  got  the  ships 

And  we'  ve  got  the  monney  too. 

Ce  qui  voulait  dire  en  substance  :  «  Nous  n'attaquons  personne,  mais 
€  by  jingo  »,  qu'on  ne  s'y  frotte  pas,  nous  avons  tout  ce  qu'il  faut  pour  lut- 
ter ».  Et  de  ce  petit  juron  sacramentel  :  «  by  jingo  »,  on  fit  le  jingo,  le 
jingolsme  ! .  • .  Une  chanson  de  café-concert  créa,  à  l'aide,  de  ce  petit  vocable 
innocent,  un  mot  symbolique  national,  un  mot  de  ralliement  patrio- 
tique, un  mot  qui  fut  tour  à  tour  comme  la  crête  de  coq  de  la  vanité  anglo- 
américaine. 

Légion  d'honneur.  —  Parmi  les  explorateurs  nommés  dans  les  dernières  pro- 
motions, citons  :  officier,  le  capitaine  Baud  qui  explora  et  occupa  Thinterland  du 
Dahomey  ;  M.  Liolard,  explorateur  et  l<-gouverneur  du  haut  Onbangui;  chevalier, 
MM.  Pob^in,  explorateur  de  la  côte -d'Ivoire;  Félix  Dubois,  qui  a  traversé  la  boucle 
du  Niger  de  Tombouctou  au  Dahomey. 

Vosges  et  Alsace,  Guides  Joanne.  Hachette  éditeur.  —  La  nouvelle  édition  de 
06  guide  est  une  refonte  complète  de  Tancienne.  Il  est  publié  au  moment  même  od  se 
forment  les  projets  de  voyage  dans  les  villes  d'eaux  et  les  stations  de  montagnes  qui 
se  nomment  :  Plombières,  Vittel,  Bussang,  Contrexéville,  Gérardmer,  le  Ballon  d'Al- 
sace, la  Schluchty^tc.  Enfin^  l'Alsace-Lorraiiie  y  tient  une  large  place.  Beaucoup  de 


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504  REVUE  FRANÇAISE 

personnes  ne  yeulent  pas  franchir  la  frontière  et  voyager  dans  les  provinces  anneiées. 
11  faut  dire  qu'il  n'y  a  rien  i  redouter  des  autorités  allemandes  ;  il  n'y  a  plus  de  pas- 
seport à  la  frontière,  et  Taccueil  des  habitants  est  toujours  cordial. 

Suivant  Timpulsion  donnée  le  guide  des  Vosges  est  orné  de  nombreux  plans  e* 
cartes.  Les  renseignements  pratiques,  hôtels,  itinéraires,  avis  et  conseils  aax  touristes 
sont  des  plus  utiles.  Les  amateurs  photographes  apprendront  avec  plaisir  que  dei 
chambres  obscures  sont  instillées  dans  nombre  d'hôtels. 

Aux  Fjords  de  Norvège  et  aux  Forêts  de  Suéde,  par  Ch.  Rabot.  1  yuI. 
in-16,  illustré,  avec  4  cartes.  Hachette,  éditeur.  —  Les  excursions  en  Suède,  Norvège, 
et  même  au  Spitzberg,  prennent  de  jour  en  jour  plus  d'extension.  Nous  avons  déjà 
signalé  un  !•'  volume  :  Au  Cap  Nord,  de  M.  Rabot,  sur  ces  régions.  Avec  celui  dont 
nous  annonçons  la  publication,  Tétude  si  complète  des  pays  Scandinaves  est  désor- 
mais entière.  Et  ce  n'est  pas  là  un  mince  service  rendu  aux  voyageurs  de  toute 
nature,  car  fis  y  trouveront  les  renseignements  les  plus  intéressants  et  les  récits  les 
plus  variés,  comme  sait  les  présenter  M.  Rabot,  à  qui  sa  profonde  connaissance  du 
pays,  de  la  langue  et  des  mœurs  des  habitants  donne  une  autorité  incontestable. 

.  L'auteur  conduit  tour  à  tour  le  lecteur  dans  les  régions  les  plus  grandioses  de  ce 
pays  incomparable,  sur  les  fameux  fjords  et  glaciers  qui  s'ouvrent  comme  des  cre- 
vasses au  milieu  des  montagnes,  sur  la  mer  de  glace  de  Jostedal,  puis  au  milieu  des 
forêts  poétiques  enveloppées  des  mythes  de  la  légende  et  de  la  poésie.  Kristiaoia, 
Bergen,  Stockholm  et  la  Dalécarlie  sont  les  principales  étapes  de  cet  itinéraire  à  tra- 
vers la  Scandinavie.  Le  livre  de  M.  Rabot  n'est  pas  seulement  une  relation  de  voyage, 
c'est  aussi  un  exposé  du  fécond  mouvement  intellectuel  et  politique  qui  agite  la  patrie 
d'Ibsen,  en  même  temps  qu'un  Guide  indispensable  au  touriste. 

GoUeotion  des  Guides  Flammarion,  publiés  sous  la  direction  de  H.  A.Siu- 
VBRT.  —  C'est  certainement  une  collection  bien  séduisante  que  celle  qu'entreprend 
l'éditeur  Flammarion.  Ces  guides  artistiques,  très  finement  illustrés  en  couleurs  et 
malgré  cela  bon  marché  (1  fr.),  réunissent  les  avantages  pratiques  les  plus  divers  qu'on 
ne  trouvait  pas  groupés  jusqu'ici  dans  les  ouvrages  similaires.  Une  ingénieuse  dispo- 
sition des  cartes  spécialement  dressées  pour  les  cyclistes  et  les  automobiles,  permet  de 
se  rendre  compte  des  moindres  accidents  de  terrain  dont  les  pentes  sont  marquées  par 
des  cotes  sur  profils  des  routes,  dessinés  au-dessus  des  plans.  Les  Guides  Flammarion 
permettent  aussi  au  touriste  qui,  au  cours  d'une  excursion,  renonce  à  la  route  pour 
le  chemin  de  fer,  de  rentrer  chez  lui  en  «  simple  wagon  capitonné  »  ;  des  cartes  de  la 
voie  ferrée  indiquent  au  voyageur  le  chemin  à  parcourir  et  un  horaire  le  renseigne 
sur  la  marche  des  trains. 

La  1"  série  de  ces  guides,  revêtus  d*aa  cartonnage  souple,  se  compose  des  itinéraires 
suivants  :  Paris  à  Fontainebleau  ;  Paris  à  Beauvais  ;  Paris  à  Chartres  ;  Paris  à  Yemon; 
Paris  à  Étampes  ;  Paris  à  La  Ferté-sous-Jouarre. 

France- Album.  —  Le  n°  50  de  cette  publication  est  consacré  â  l'illustration  des 
belles  plages  de  la  Loire-Inférieure  :  Pornichet,  Le  Pouliguen,  La  Baule,  Le  Bourg  de 
Batz,  Le  Croisic,  qui  se  suivent  presque  sans  interruption  depuis  Saint-Nazaire.  Les 
56  vues,  notice  et  carte  de  l'Album  les  reproduisent  fidèlement  ainsi  que  les  costumes 
très  curieux  de  Batz  et  l'ancienne  ville  de  Guérande  qui  a  conservé  presque  intact 
son  caractère  du  moyen-àge. 

Le  Gérant,  Edouard  MARBEAU. 

^  IM^RUIKUI  OUU,  BUB  V/ÊêÈÊM,  M«  PAMSÈ.  —  ieiT6-'^'t8.  —  (IMN  UdHW). 


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LES  HABITANTS  DU  LAOS 

L'étude  très  documentée  que  la  Revue  publie  ci-dessous,  concerne  plus  particu- 
lièrement la  région  des  Hoa  Panh,  située  entre  Loang  Prabang  et  le  Tonkin  méri^ 
dional,  mais  elle  est  aussi  applicable  à  la  ms^eure  partie  du  Laos. 

1.  —  Laotiens  ou  Laos.  —  Moburs  et  Coutumes. 
On  trouve  une  grande  diversité  de  races  dans  les  Hoa  Panli.  On  y 
voit:  les  Laotiens  ou  Laos,  les  Thaïs,  les  Khas,  les  Meos,  tes  Jaos,  les 
Phou-Phaïs,  les  Phouocs. 

Les  Laotiens  ou  Laos  se  divisent  en  deux  grandes  catégories  :  les 
Laos  ventre  blanc  (Lao  Thong  Kao)  et  les  Laos  ventre  noir  (I^ao  Thong 
Dam),  ainsi  dénommés  suivant  qu'ils  ont  ou  non  des  tatouages  sur  cette 
partie  du  corps.  Ce  sont  des  Laos  ventre  blanc  qui  habitent  les  Hoa 
Panb;  ceux-là  aussi  se  tatouent,  comme  tous  les  Laotiens,  mais  aux 
jambes  et  aux  cuisses  seulement. 

Le  tatouage  est  considéré  comme  une  marque  de  supériorité  dans  ce 
pays-là,  et  à  Luang  Prabang,  d'après  ce  qui  m'a  été  dit,  lorsque  les  gens 
vont  se  baigner  à  la  rivière,  les  femmes  font  mettre  en  aval  d'elles  les 
jeunes  gens  en  train  de  se  baigner  qui  n'ont  pas  de  tatouages,  comme 
s'ils  étaient  indignes  de  recevoir  avant  elles  la  caresse  des  eaux. 

Dans  le  Hoa  Panh,  ce  sont  surtout  des  Leus  venant  de  la  Birmanie, 
grands  maîtres  en  tatouages,  qui  opèrent  lorsqu'une  de  leurs  caravanes 
vient  dans  la  conti^e  pour  faire  du  commerce.  Us  ont,  pour  cela  faire, 
des  plaques  métalliques  percées  de  trous,  dont  l'ensemble  représente 
des  variétés  de  dessins.  Ces  plaques  étant  appliquées  sur  la  peau,  on 
pique  avec  une  aiguille  le  patient  par  chacun  de  ces  trous,  on  met 
ensuite  par  dessus  les  piqûres  ainsi  faites  une  composition  renfermant 
du  jus  de  tabac.  Un  onguent  est  après  cela  passé  sur  le  tout,  pour 
diminuer  la  douleur  et  activer  la  dessiccation.  Le  tatouage  ne  disparait 
qu'avec  la  peau. 

Jjes  femmes  laotiennes,  elles  aussi,  ont  des  petits  tatouages  soit  sur 
la  main,  soit  sur  le  poignet;  ils  consistent  en  général  en  une  petite 
étoile.  Quant  aux  Leus,  ils  sont,  pour  la  plupart,  tatoués  depuis  le  cou- 
de-pied jusque  par-dessus  les  épaules;  on  les  croirait  habillés  d'un 
vêtenieiit  à  dessins,  alors  même  qu'ils  n'ont  rien  sur  eux. 

Les  Lfaos  sont  d'une  taille  supérieure  à  celle  de  l'Annamite.  La  femme 
laotienne  est  plus  grande  que  la  femme  annamite,  bien  constituée  phy- 
siquement, bonne  pour  la  reproduction.  Elle  est  relativement  plus  forte 
xxni  (Septembre  98).  N*  237.  33 


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506  REVUE  FRANÇAISE 

que  l'homme  :  celte  particularité  tient  beaucoup,  sans  doute,  à  Fabus 
que  les  homme»  font  de  Topium.  Tous  ceux  qui  peuvent  m  payer  ce 
luxe,  et  par  conséquent  les  chefs  principalement,  arrivent  à  fumer  une 
quantité  considérable  de  pipes  d'opium.  Il  leur  est  vendu  en  partie  par 
des  négociants  chinois  qui  vont  Tacheter  à  Luang  Prabang,  en  partie 
par  les  Birmans  qui  s'en  servent,  quand  ils  viennent,  comme  mar- 
chandise d'échange. 

11  y  a  également  de  l'opium  fabriqué  dans  le  pays  même  parles  Meos, 
qui  cultivent  le  pavot,  en  particulier  du  côté  de  Muong  Son.  Cet  opiom 
des  Meos  est  évidemment  de  qualité  inférieure,  ceux-ci  ne  se  servan 
que  de  procédés  primitifs  de  fabrication.  D'une  façon  générale,  tous  les 
Laos  des  Hoa  Panh  fument  l'opium.  J'ai  même  vu  des  coolies  laos  qei, 
n'ayant  pas  le  temps  en  marche  de  préparer  leur  pipe,  avalaient  des 
boulettes  d'opium.  Cet  ingrédient  leur  devient  indispensable  au  boat 
d'un  certain  temps,  quand  ils  font  le  moindre  travail  sortant  de  lears 
habitudes.  Quelques  femmes  de  chef  fument  également  l'opium,  mais 
ce  sont  des  exceptions;  encore  m'ont-elles  dit  que  c'était  pour  elles  un 
remède  contre  les  douleurs  du  ventre  plutôt  qu'un  besoin. 

I^s  Laotiens  ont  les  yeux  un  peu  bridés.  De  même  que  les  Annamites, 
ils  ne  gardent  ni  la  moustache,  ni  la  barbe  :  ils  s'épilent  ou  se  rasent. 
Les  exceptions  sont  rares,  et  seulement  parmi  les  vieux.  Ils  portent  te 
cheveux  en  brosse  sur  le  milieu  de  la  tête,  tout  le  pourtours  étant  rasé. 
Ce  qui  les  différencie  des  Siamois,  comme  port  de  cheveux,  c'est  que 
ces  derniers  ont  bien  les  cheveux  en  brosse  au  milieu,  mais  sur  le  poor- 
tewr  de  la  tête,  ils  ont  les  cheveux  coupés  court  au  lieu  d'être  rasés  :  tes 
Laotiens  ont  en  somme  lacoiflîire  contraire  à  celle  dite  «  aux  enfants 
d'Edouard  ». 

Les  femmes  ont  leur  chevelure  rassemblée  au-dessus  de  la  tête,  sur 
le  devant,  en  tronc  de  cône.  Elle  est  retenue  par  une  épingle  à  chevew 
piquée  transversalement,  qui  a  la  forme  d'une  pyramide  quadrangulaire 
de  3  centimètres  environ  de  base  sur  18  à  20  centimètres  de  hauteur. 
Cette  épingle  à  cheveux  est  en  bois  ou  en  argent.  Dans  ce  dernier  câs. 
elle  est  creuse,  et  sa  base  fermée  par  un  bouchon  carré  en  argent  égale- 
ment :  c'est  le  porte-monnaie  de  la  Laotienne;  c'est  ià-dedans  qu'elfe 
met  ses  morceaux  d'argent  pour  les  menues  dépenses,  ou  les  économies 
qu'elle  emploiera  à  faire  fabriquer  des  bagues  ou  des  bracelets. 

Chez  les  Laos^  la  naissance  d'un  enfant  ne  donne  lieu  à  aocutte  ftte. 


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LES   HABITANTS   DU  LAOS  901 

Après  les  couches,  la  femme  reste  tout  un  mois  dans  son  intérieur,  sans 
sortir.  Durant  tout  oe  temps,  aucun  étranger  n'est  admis  dans  la  maison  : 
la  prë6enc6  d'un  étranger  dans  la  maison  serait,  d'après  eux,  un  malheur 
pour  la  mère  et  Tenfant.  Pendant  la  grossesse,  la  femme  se  nourrit,  en 
partie  du  moins,  de  riz  non  encore  arrivé  à  maturité,  qui  est  très  délicat 
au  manger.  On  le  fait  cuire  dans  des  bambous. 

L'enfant,  dans  son  jeune  âge,  est  rstrement  habillé;  la  mère  le  porte 
soit  à  califourchon  sur  le  côté,  soit  sur  le  dos,  dans  une  écharpe  qui 
vient  se  nouer  sur  le  devant.  La  mère  est  vraiment  mère,  à  ce  moment- 
là,  et  il  n'est  pas  de  caresses  qu'elle  ne  prodigue  à  son  rejeton. 

Pour  les  mariages,  au  contraire,  il  y  a  une  grande  fête,  qui  dure  de 
un  à  quatre  jours^  suivant  la  position  sociale  et  la  richesse  des  époux. 
Le  mariage  se  divise  en  deux  périodes,  qu'on  peut  désigner,  la  V^  sous 
le  nom  de  fiançailles,  et  la  2*"  sous  le  nom  de  mariage  proprement  dit. 

Le  fiancé  est  tenu  de  donner  aux  parents  de  sa  future .  une  certaine 
dot  dont  l'importance  varie  avec  la  situation.  Ces  chiffres  sont  d'ailleurs 
fixés  par  des  coutumes  écrites,  et  il  est  défendu  aux  parents  de  la  fille, 
sous  ceriattes  peines,  de  demander  au  delà  du  chiffre  fixé.  Mais  il  est 
rare  qu'on  se  conforme  à  ces  prescriptions,  et  la  dot  est  généralement 
supérieure. 

A  partir  du  jour  des  fiançailles,  le  garçon  s'installe  dans  la  maison  de 
ses  beaux-parents  et  travaille  pour  eux  pendant  un  temps  souvent  très 
long,  jusqu'à  3,  4  et  5  ans,  à  moins  qu*il  puisse  payer  de  suite  la 
somme  fixée,  ce  qui  est  assez  rare,  auquel  cas  il  f^eut  emmener  sa 
femme  une  fois  le  mariage  fait  :  son  travail  sert  en  somme  à  racheter 
la  dot  qu'il  ne  peut  payer.  Dès  qu'il  s'est  Kbéré  de  sa  dette,  il  peut 
s'installer  à  part  et  emmener  s^  femme  :  cet  événemeni  est  encore 
marqué  par  une  fôte,  mais  moins  importante  que  ceHe  des  fiançailles. 

Le  jour  du  mariage,  les  parents  et  les  chefs  sont  invités.  Pendant  le 
repas  de  cérémonie,  chacun  des  futurs  vient  se  présenter  aux  parents  et 
aux  chefs,  lui  faisant  part  do  l'acte  qui  va  s'accomphr  et  offrent  à  chacun 
des  petites  bougies  avec  des  fleurs,  et  aussi  un  petit  cadeau  en  ai^gent 
dissimulé  au  milieu.  <'>eux-ci  répondent  par  quelques  exhortations  aux 
nouveaux  conjoints. 

A  la  fin  du  repas,  si  les  époux  n'habitent  pas  la  maison  même  où  a 
eu  lieu  le  festin,  on  les  accompagne  en  jurande  pompe  chez  eux.  I^e 
mari  va  devant,  seul,  suivi  de  la  partie  masculine  de  l'assemblée  qui  se 


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508  REVUE  FRANÇAISE 

livre  à  des  chants  et  des  danses  durant  le  parcours.  Derrière^  vient  la 
femme,  accompagnée  de  la  môme  façon.  On  se  sépare  après  avoir  donné 
un  petit  concert  qui  clôture  la  fête.  U  n'y  a  aucune  cérémonie  religieuse 
à  ce  sujet. 

Les  Laos  enterrent  ou  brûlent  leurs  morts  suivant  leur  position  de 
fortune.  Tout  décès  donne  lieu  à  une  fête  :  les  ix)nzes  viennent  dire  des 
prières,  qui  sont  plus  ou  moins  longues,  plus  ou  moins  compliquées, 
selon  qu'on  les  paie  plus  ou  moins.  Le  prix  varie  de  3  piastres  ï 
S  ou  6. 

Les  notables  qui  viennent  à  mourir  sont  à  peu  près  toujours  incinérés  : 
les  dépenses  d'incinération  sont  relativement  assez  élevées  pour  ce  pay» 
où  Tor  est  inconnu,  et  où  l'argent  est  si  rare.  Tout  le  monde  ne  peut 
pas  s'offrir  un  bûcher.  Les  frais  d'incinération  reviennent  à  environ 
o  taëls,  ou  7  piastres  et  demie  :  cet  argent  est  destiné  à  payer  les  ^ens 
qui  vont  chercher  le  bois,  qui  entretiennent  le  feu  et  ramassent  les 
cendres.  L'opération  dure  une  demi-journée.  Un  bonze  attache  un 
turban  au  cercueil  et  le  tire  jusqu'à  l'endroit  où  l'on  brûle.  C^  se  passe 
en  plein  air,  dans  le  cimetière  même,  et  le  cadavre,  revêtu  de  ses  effets, 
est  placé  au-dessus  du  bûcher. 

Ce  n'est  pas  un  spectacle  bien  divertissant  que  de  voir  ces  lambeaux  de 
chairs  grésillants  se  détacher  petit  à  petit;  la  fumée  à  odeur  caractéris- 
tique qui  s'en  dégage  empoisonne  bientôt  l'atmosphère  environnante.  D 
m'a  été  donné  d'assister  à  la  crémation  d'une  vidlle  femme  de  famiUe 
de  notable;  le  dégoût  m'a  fait  évacuer  la  place  avant  la  fin  de  la 
cérémonie. 

Les  cendres  et  débris  qui  restent,  une  fois  le  corps  consumé,  sont 
recueillis  et  enfermés  dans  une  petite  urne  qu'on  enfouit  à  un  endroit 
généralement  retiré,  [>our  qu'elle  ne  soit  pas  foulée  aux  pieds  par  le:^ 
passants  ou  les  animaux  domestiques  qui  errent  toujours  en  liberté. 
Une  petite  case  de  dimensions  très  restreintes,  comme  peuvent  en  faire 
les  enfants  eu  s  amusant,  est  d'ordinaire  construite  au-dessus  de  ces 
emplacements.  Le  jour  de  la  fête  des  morts,  les  parents  vont  y  dépo^r 
quelques  chandelles,  des  prières  écrites  et  quelques  légers  alinients 
pour  les  mânes  qui  reposent  là. 

HabiUemeni.  —  L'habillement  consiste,  pour  les  hommes,  en  une 
blouse  descendant  jusqu'à  mi-corps,  et  un  pantalon  large,  à  la  mode 
annamite.  Ils  ont  quelquefois  un  chapeau  de  paille,  fabriqué  dans  le 


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LKS    HABITANTS   DU    f.AOS  509 

pays  méme^  aux  ailes  très  larges.  Pour  les  femmes,  c'est  un  jupon  avec 
une  broderie  de  25  centimètres  environ  de  large  vers  le  bas  :  ce  jupon 
est  simplement  croisé  au  milieu  des  seins.  Un  petit  veston  en  toile, 
jusqu*à  la  taille,  avec,  pour  les  riches,  des  broderies  et  des  boutons  en 
aident  sur  toutes  les  bordures,  à  la  façon  bretonne. 

Les  Laotiennes  sont  assez  coquettes,  et  les  jours  de  fête,  leur  costume 
est  embelli  par  un  turban  en  soie  multicolore,  roulé  autour  de  la  tète, 
avec  des  franges  pendantes  sur  Tarrière.  Une  écharpe  en  soie  bariolée 
complète  leur  hatûllement  les  jours  de  grande  fête.  Elles  aiment  beau- 
coup, ces  jours-là,  faire  parade  de  leurs  bijoux,  presque  exclusivement 
en  ai^nt.  D'aucunes  ont  jusqu'à  huit  et  dix  bracelets  autour  de  leurs 
poignets,  des  bagues  en  quantité  et  quelquefois  des  bracelets  autour  de 
leur  cou-de-pied.  Les  enfants  portent  des  colliers  en  argent,  avec  des 
pièces  de  monnaie  étrangères  suspendues  sur  le  devant.  Tous  ces  bijoux 
sont  fabriqués  dans  le  pays  môme;  leur  travail  est  forcément  grossier, 
vu  les  outils  primitifs  dont  disposent  les  ouvriers  en  argent. 

Les  habitants  ne  portent  généralement  pas  de  chaussures;  parfois 
cependant  on  leur  voit  des  sandales  chinoises  en  toile. 

Ils  aiment  beaucoup  tout  ce  qui  est  costume  européen.  On  les  voit  se 
pavaner  avec  des  gilets  bl.eus,  avec  des  chapeaux  mous  :  ce  sont  en  gé- 
néral des  gens  qui  sont  allés  à  Luang  Prabang,  et  qui  en  ont  profité  pour 
rapporter  des  objets  dont  ils  font  montre  à  leur  rentrée  dans  le  village. 
Le  chef  de  Muong  Het  ne  manquait  jamais  de  mettre  son  chapeau  de 
feutre  quand  il  venait  voir  pour  affaires  le  commandant  du  poste.  Si,  se 
trouvant  indisponible  ou  absent,  son  fils  venait  à  le  remplacer,  le  même 
couvre-chef  reparaissait  avec  le  représentant  de  l'autorité.  On  aurait  pu 
croire  que  c'était  pour  eux  un  insigne  de  commandement. 

Dans  chaque  famille,  l'habillement  est  confectionné  dans  la  maison 
même.  Les  habitants  cultivent  le  coton  et  élèvent  des  vers  à  soie  en 
quantité  suffisante  pour  leurs  besoins  personnels  et  même  pour  l'expor- 
taiioa.  Ils  fabriquent  eux-mêmes  leurs  métiers  à  égrener  le  coton,  à  dé- 
vider les  cocons;  le  rouet  est  d'un  usage  familier  aussi  bien  que  le  dévi- 
doir. Les  métiers  à  tisser,  avec  la  navette,  n'ont  pas  de  secrets  pour  la 
ménagère  laotienne,  qui  fait  des  étoffes  de  tous  genres,  des  écharpes, 
des  turbans,  des  couvertures  en  soie,  des  biais  pour  le  bas  des  jupes. 

On  aime  les  couleurs  voyantes  dans  ce  pays;  on  s'en  procure  auprès 
des  quelques  commerçants  chinois  qui  viennent  apporter  leur  opium. 


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5i0  REVUE  FRANÇAISE 

I.,es  métiers  à  tissor  sont  généralement  installés  à  Tex teneur  de  la 
maison,  sur  la  tenrasse  qui  fait  suite  au  corps  de  bâtiment.  C'est  surtout 
le  soir,  à  la  veillée,  que  la  femme  fait  marcher  le  rouet  :  femmes  el 
jeunes  filles,  mais  ces  dernières  principalement,  se  réunissent  aprè* 
dîner,  en  dehors  de  leurs  maisons,  par  groupe  de  quatre,  cinq,  six.  In 
fèu  de  bambous  éclaire  de  ses  faibles  lueurs  le  rouet  qui  marche 
marche,  mais  tout  de  même  pas  aussi  vite  que  les  langues.  Des  jeunes 
gens  viennent  leur  tenir  compagnie  et,  pour  égayer  la  soirée,  apportent 
leurs  instruments  de  musique.  Les  virtuoses  y  vont  de  leur  petit  mor- 
ceau de  flûte  ou  de  guitare,  et  le  loustic  d'à  côté  profite  de  Tatlenlion 
que  chacun  prête  au  musicien  pour  chatouiller  le  dos  de  sa  voisine.  Ce 
sont  alors  des  cris  aigus,  ^es  «  Bak.  na  ma  »,  qui  arrêtent  pour  un  mo- 
ment, et  le  travail  et  l'inspiration  de  l'artiste. 

La  Laotienne  a  le  rire  de  la  Française.  Que  de  fois  ne  m'est-ii  pas 
arrivé,  le  soir,  de  faire  le  tour  des  feux,  en  dehors  de  la  vue  de  leus. 
pour  jouir  complètement  de  ces  scènes  qui  rappelaient  en  plein  W 
soirées  analogues  du  village  natal  !  Il  me  semblait,  à  entendre  ces  rire> 
perlés,  qu'un  de  ces  esprits  si  nombreux  dans  le  pays  me  transportait 
dans  le  pays  de  France,  au  milieu  de  gens  de  connaissance.  Je  n'éfais 
plus  au  Laos,  à  ces  moments-là;  mon  esprit.  vagat)ondait  alors  à  des 
milUers  de  lieues,  jusqu'au  moment  où  mon  arrivée  à  côté  de  ces  jeunes 
fous  rompait  le  charme. 

Habitations.  —  Les  Laos  construisent  leurs  maisons  élevées  du  sol  de 
1  *"  50  environ.  Les  supports  ou  fermes  sont  en  bois,  la  toiture  en  paille, 
et  les  côtés  et  planchers  en  bambous  écrasés  ou  tressés  ;  le  dessous  sert 
à  loger  les  buffles,  bœufs,  cochons  ou  volailles. 

Dans  chaque  maison  est  toujours  réservé  un  petit  coin  pour  les 
ancêtres.  A  cet  endroit  se  trouvent  généralement  des  bâtons  d'enmis 
ou  des  papiers  dorés  avec  des  sentences. 

Les  maisons  sont  d'ordinaire  orientées  en  longueur  dans  le  sens  dn 
cours  d'eau  qui  coule  à  côté  :  aux  deux  extrémités  sont  deux  petites 
terrasses,  l'une  couverte,  qui  sert  pourainsi  dire  d'antichambre;  l'autre, 
découverte,  servant  aux  travaux  de  propreté.  Un  homme  se  croirait 
déshonoré  de  passer  au-dessous  de  cette  dernière.  Les  jours  de  fête,  par 
exemple,  les  filles  s'amusent  à  un  jeu  consistant  à  se  lancer  un  petit 
oreiller,  le  camp  adverse  devant  l'arrêter  dans  sa  course;  lorsque  ce 
dernier  vient  à  !t)uler  sous  cette  terrasse,  et  que  le  tour  revient  A  un 


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LES   HABITANTS  DU   LAOS  5ii 

garçon  d'aller  le  prendre,  il  refuse  énergiquetnent  et  c'est  une  des  filles 
qui  doit  se  dévouer  pour  aller  le  prendre  là  où  il  est  tombé. 

Il  existe  toujours  deux  petites  échelles  pour  monter  à  la  maison, 
entre  chacune  de  ces  terrasses  et  le  corps  môme  de  la  maison  :  on  np 
doit  jamais  prendre  que  celle  à  côté  de  la  terrasse  couverte,  l'autre  est 
destinée  aux  domestiques  ou  esclaves. 

Tout  autour  ou  à  côté  des  habitations  sont  de  petits  jardinets  avec 
arbres  fruitiers  :  bananiers,  cocotiers,  pommes  cannelle,  cpielques  pieds 
de  cannes  à  sucre,  parfois  des  amandiers. 

Il  n'y  a  guère  d'alignement  observé  dans  les  groupes  qui  constituent 
les  villages,  on  ne  sait  pas  ce  que  c'est  une  rue  ;  les  villages  sont  toujours 
très  sales.  Dans  chaque  maison,  les  eaux  ménagères  étantjetées  à  même, 
il  se  forme  bientôt  des  cloaques  où  viennent  se  vautrer  les  animaux 
domestiques  logeant  au-dessous  :  c'est  certainement  là  la  source  de 
beaucoup  de  maladies  dans  le  pays.  Il  est  difficile  de  réagir,  au  début 
du  moins,  avec  des  gens  qui  vous  répondent  de  suite  que  tout  chan- 
gement dans  leurs  habitudes  déplairait  aux  mânes  des  ancêtres.  Les 
constructions,  faites  à  peu  près  toujours  avec  des  matériaux  encore  verts, 
ne  durent  guère  que  de  deux  à  trois  ans  ;  elles  sont  à  refaire  complète- 
ment au  bout  de  ce  laps  de  temps. 

Nourriture.  —  Le  riz  cuit  à  l'étouflfée  est  la  base  de  l'alimentation 
des  habitants;  le  peuple  peut  quelquefois  y  ajouter  du  poisson.  Il  est 
rare  de  voir  les  gens  se  servir  de  baguettes  pour  manger  leur  riz,  ainsi 
que  le  font  les  Annamites  et  les  Chinois  ;  presque  toujours  ils  le  prennent 
à  poignées,  le  roulent  en  boule  entre  leurs  mains  et  piquent  leur  boule 
ainsi  formée  dans  un  condiment  fait  de  sel  et  de  piment  haché.  Le 
jardin  leur  fournit  quelques  herbages  qu'ils  mangent  toujours  cuits. 

Les  jours  de  fête  seulement  ils  ajoutent  à  cette  nourriture  un  peu  de 
viande  de  buffle^  de  porc  ou  de  poulet.  Les  chefs,  en  sus  de  ces  variétés 
d'aliments,  ont  encore  les  produits  de  la  chasse,  dont  ils  daignent  par- 
fois laisser  quelques  bribes  à  ceux  qui  les  leur  apportent. 

Langue.  —  La  langue  laotienne  est  presque  analogue  à  la  langue 
Ihai,  et  autrefois,  sans  doute,  ces  deux  peuples  furent  d'origine  com- 
mune. Il  y  a  cependant  assez  de  diflférences  actuellement  dans  les  deux 
écritures  pour  qu'un  Laotien  qui  sait  lire  et  écrire  sa  langue,  mais  qui 
n'aura  pas  étudié  le  Thaï,  ne  sache  ni  lire  ni  écrire  le  Thaï,  et  récipro- 
quement. Le  langage  courant  est  plus  compréhensible  par  les  uns  et  par 


I 

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512  REVUE  FRANÇAISE 

les  autres,  et  cela  s'explique  par  les  relations  journalières  qui  existent 
entre  eux.  se  confondant  parfois  dans  le  même  village. 

Instruction.  —  L'instruction  n'est  pas  très  répandue.  11  n'y  a  guère 
que  les  chefs  et  les  membres  de  leur  famille  qui  sachent  lire  et  écrire, 
et  encore  parmi  les  Laos  et  les  Thaïs. seulement;  leurs  connaissances  oe 
sont  pas  très  étendues.  On  ne  voit  pas,  comme  en  Annam  et  au  Tookin 
chez  les  Annamites,  des  écoles  fréquentées  par  tous  les  en£aaxt6.  Leur 
façon  de  calculer  est  encore  très  primitive  et  reneioble  beaucoup  à  celle 
qu'emploient  nos  jeunes  enfants  à  leurs  débuts  dans  les  écoles  de  vil- 
lage :  des  petits  cailloux  ou  des  grains  de  maïs  sont  les  bases  de  toutes 
leurs  opérations,  qui  ne  sont  d'aillleurs  jamais  bien  compliquées. 

A  l'instar  de  ce  qui  se  passait  en  France  au  moyen  âge,  ce  sont  les 
représentants  de  la  religion  qui  détiennent  ce  peu  d'instruction  et  li 
donnent  aux  favorisés  de  la  vie.  Les  feomies  qui  savent  lire  et  écrire 
sont  excessivement  rares,  et  durant  mon  séjour  je  n'en  ai  connu  qu'une 
seule,  la  femme  du  Phia  hoa  panh  de  Sam  Nua. 
Religion.  —  Crotamges. 

Tous  les  fils  de  familles,  vers  l'âge  de  11  à  12  ans,  revêtent  la  rc^ 
jaune  des  bonzes  qu'ils  gardent  jusqu'à  l'âge  de  17  à  SO  ans  en  gén^l. 
Durant  tout  ce  temps  ils  restent  à  la  bonzerie,  qui  n'est  pour  eux  qu'une 
école.  Le  laotien  est  la  seule  langue  qu'ils  apprennent;  quelques-uns. 
très  rares,  arrivent  à  connaître  un  peu  de  po/t,  la  langue  sacrée. 

Les  élèves-bonzes  ont  le  même  costume  que  les  bonzes  eux-mêmes  : 
pantalon  en  toile  jaune,  grand  manteau  jaune,  en  toile  également, 
drapé  à  l'espagnole;  ils  ont  la  tête  complètement  rasée.  Us  vont  d'ordi- 
naire tète  nue,  celle-ci  complètement  rasée;  quelquefois,  mais  bien 
rarement,  ils  ont  comme  coiffure  une  espèce  de  bonnet  en  toile  jaune, 
formant  pain  de  sucre. 

Il  n'est  pas  que  les  notables  qui  peuvent  envoyer  leurs  enfants  à  la 
pagode,  les  simples  habitants  peuvent  aussi  se  payer  ce  luxe  :  en 
principe,  les  bonzes  sont  pris  dans  la  population,  sans  distinction  de 
classe. 

Les  bonzes  choisissent  leur  voie  de  plein  gré;  ils  ne  pouvait  être 
contraints  à  se  faire  bonzes  si  telle  n'est  pas  leur  vocation.  A  la  pagode, 
le  chef  des  bonzes  leur  apprend  les  prières  et  les  divers  exercices  du  culte. 
Bonzes  et  élèves  ont  les  mêmes  obligations,  les  mêmes  devoirs;  ils 
doivent  suivre  la  même  règle.  Il  leur  est  défendu  de  tuer  n'importe  quel 


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Ï.ES   HABITANTS   DU   LAOS  M3 

animal  ou  insecte;  en  aucune  circonstance  le  mensonge  ne  leur  est  per- 
mis. En  principe,  il  leur  est  défendu  de  fumer  l'opium  et  de  boire  de 
l'alcool;  mais,  dans  cette  région  surtout  où  ils  se  trouvent  en  dehors  du 
contrôle  de  leurs  chefs  propres,  ces  derniers  préceptes»  principalement, 
sont  loin  d'être  observés.  Le  chef  des  bonzes  de  Muong  Het,  qui  avait 
sa  pagode  dans  le  poste  même,  ne  faisait  guère  que  cela  toute  la 
journée  :  il  ne  pouvait  en  conséquence  empêcher  ses  élèves  d'en  faire 
autant. 

Toute  relation  avec  la  femme  leur  est  interdite  ;  ils  ne  peuvent  même 
lui  prendre  la  main.  H  y  a  cependant  une  exception  dans  l'année,  le 
jour  de  Tan,  où  il  leur  est  toléré  de  prendre  part  comme  les  autres 
aux  réjouissances,  et  de  batifoler  avec  les  jeunes  iilles  comme  ne 
manquent  pas  de  le  faire  les  autres  garçons,  mais  seulement  en 
réponse  à  des  avances  de  la  femme. 

Les  bonzes  ne  doivent  faire  que  deux  repas  par  jour,  uu  le  matin 
à  8  heures,  et  l'autre  à  midi.  Leurs  prières  sont  dites  le  matin  avant  le 
jour,  et  après  le  premier  repas.  Ils  ne  peuvent  pas  sortir  la  nuit,  et  le 
jour  ils  sont  tenus  d'en  demander  l'autorisation  au  chef  des  bonzes.  De 
temps  en  temps,  si  leurs  parents  habitent  un  village  autre  que  celui  où 
ils  se  trouvent,  on  les  autorise  à  aller  les  voir. 

Les  élèves  peuvent,  après  consentement  du  chef  des  bonzes,  cesser 
leurs  études  et  se  retirer  :  dans  ce  cas,  les  parents  de  l'élève  apportent 
un  habit  neuf  pour  qu'on  puisse  reconnaître  que  leur  enfant  sort  de 
récole  des  bonzes  ;  l'habit  jaune  est  laissé  à  la  pagode. 

Us  peuvent  être  nommés  bonzes  à  l'âge  de  20  ans  s'ils  ont  acquis 
toutes  les  connaissances  nécessaires  et  s'ils  sont  jugés  dignes  de  cette 
faveur  :  c'est  le  chef  des  bonzes  de  la  pagode  qui  fait  la  nomination . 
Les  chefs  des  bonzes  des  pagodes  voisines  assistent  à  la  fête  qui  est 
donnéeà  cette  occasion,  de  même  que  les  parents  et  amis  de  l'élève. 
La  fête  dure  de  i  à  3  jours  :  ce  sont  les  parents  et  connaissances  du 
nouveau  promu  qui  en  font  les  frais.  Un  bonze  qui  vient  d'être  nommé 
peut,  s'il  le  désire,  changer  de  pagode. 

En  plus  des  obligations  imposées  aux  élèves,  les  bonzes  doivent  se 
rendre  à  la  pagode  deux  fois  par  mois,  le  18^  et  le  30^  jour,  pour 
demander  à  Bouddha  le  pardon  des  fautes  commises.  Les  autres  jours, 
les  prières  sont  dites  dans  leur  logement  même,  sans  qu'ils  soient 
astreints  à  se  rendre  à  la  pagode. 


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514  REVUE  FRANÇAISE 

Quatre  fois  par  mois,  jour  de  repos  correspondant  au  premier  jour 
de  chaque  quartier  de  la  lune,  les  habitants  peuvent  venir  chez  les 
bonzes  battre  le  tam-tam  et  écouter  les  prières,  Ils  passent  la  soirée  chez 
ceux-ci  :  après  leur  départ,  les  bonzes  continuent  leurs  prières  qui  durent 
une  partie  de  ta  nuit. 

A  heures  fixes  ils  battent,  le  tam-tam,  ce  qui  est  très  désagréable  et 
procure  des  insommies  à  ceux  qui  n'y  sont  pas  habitués. 

Au  commencement  de  Tannée,  les  statues  sont  descendues  de  la 
pagode,  placées  sous  une  petite  caï-nha  improvisée,  et  lavées  tous  les 
jours  par  les  habitants  pendant  quinze  jours. 

Durant  tout  ce  temps,  les  bonzes  sortent  avec  leur  tam-tam  et,  aocom- 
oagnés  des  habitants,  ils  vont  tantôt  à  un  endroit,  tantôt  à  un  autre, 
sur  les  bords  de  la  rivière.  Les  habitants  ont  préparé  là  des  petits  autels 
en  terre,  sur  lesquels  on  place  des  bougies,  des  petits  drapeaux  eo 
papier  blanc;  les  bonzes  disent  des  prières  pour  que  Tannée  soit  pros- 
père et  les  habitants  heureux.  Les  jeunes  femmes  s'amusent  à  faire  des 
petits  bonshommes  en  terre  et  demandent  à  Bouddha  d'exaucer  leurs 
vœux  en  leur  donnant  une  nombreuse  famille.  Chaque  jour  un  autel 
nouveau  est  construit  en  un  point  différent  :  autant  d'occasions  de  faire 
la  fête,  car  pendant  ces  quinze  jours,  les  habitants  ne  font  juste  que  ee 
qui  est  indispensable;  les  jeunes  gens  et  les  jeunes  filles  s'en  donnent  à 
coeur  joie. 

Tous  les  jours,  en  temps  ordinaire,  Tun  des  bonzes  va  dans  le.  village, 
une  corbeille  en  bandoulière,  et  reçoit  là-dedans  ce  que  les  habitants 
veulent  bien  y  mettre  pour  sa  nourriture  :  du  riz  cuit,  des  ceufs,  dos 
bananes,  etc 

D'après  ce  que  j'ai  pu  tirer  d'un  ancien  bonze,  voici  Tidée  qu'ils  se 
font  de  Bouddha,  leur  dieu  :  C'est  Bouddha  qui  protège  le  monde,  qui 
fait  du  bien  aux  habitants,  qui  fait  monter  au  ciel  Tàme  des  bons 
quaûd  ils  viennent  à  mourir.  Ils  croient  que  le  monde  est  renouvdé 
tous  les  8000  ans.  D'après  les  croyances  qui  leur  sont  enseignées. 
Bouddha  aurait  fait  son  apparition  déjà  quatre  fois,  à  5  000  ans  de  dis- 
tance chaque  fois. 

Toutes  les  fois  il  a  eu  un  nom  différent  :  le  1*^  s'appelait  :  Khou  khou 
San  Tho;  le  2*  Kho  na  Kha  mano;  le  8*  Khatsahpo;  le  4«  Kho  Tha  Mah: 
le  8*^,  qui  d'après  eux  devrait  venir  dans  3742  ans,  puisqu'ils  sont 
actuellement  (1896)  en  Tan  1258,  devrait  avoir  nom  AU  Nha  Mé  Toi, 


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LKS    HABITANTS    DV    LAOS  518 

D'après  leurs  croyances,  ce  sont  les  «  esprits  »  qui  président  aux  dif- 
férents actes  de  leur  vie.  11  y  en  a  de  toute  espèce  :  esprits  des  forêts 
(esprits  errants  «  Phi  pâ  »),  provenant  de  gens  disparus  pnr  mort  vio- 
lente, soit  qu'ils  aient  été  dévorés  par  le  tigre,  soit  qu'ils  aient  été  assas- 
sinés ;  esprits  des  rizières  «  Phi  nd  »,  ceux  qui,  les  premiers,  ont  cultivé 
des  rizières;  esprits  de  l'eau  «  Phi  nam  »,  provenant  des  hommes 
noyés.  Dans  les  rivières,  quand  il  y  a  un  rapide,  d'après  eux,  c'est  un 
serpent  «  Ngùôc  »  qui  se  tient  là,  prêt  à  engloutir  ceux  qui  s'y 
aventurent. 

Jl  y  a  encore  les  esprits  du  hoa  panh,  du  Mvong,  du  han^  de  la 
famille,  etc...,  anciens  chefs  du  hoa  panh,  du  muong,  du  ban,  etc., 
qui  veillent  sur  leurs  anciens  pays. 

Dans  chaque  village,  il  y  a  le  «  père  des  esprits  (Chao  Cham  »  et  la 
ce  mère  des  esprits  Mo  mot)  »  ;  ils  sont  choisis  et  nommés  par  les  no- 
tables. Ce  sont  eux  qui  sont  chargés  d'évoquer  les  esprits.  Au  commen- 
cement de  chaque  fête,  avant  le  repas,  les  mets  sont  placés  sur  un  petit 
autel  et  les  esprits  devant  présider  à  la  fête  sont  évoqués. 

ï^  «  Chao  Cham  »  d'un  côté,  la  «  Mê  mot  »  de  l'autre,  prennent 
deux  plaquettes  de  bambou  qu'ils  font  sauter  à  la  main  :  dès  qu'elles 
tombent  en  même  temps  du  même  côté,  les  esprits  sont  servis,  ils  ont 
déjà  mangé.  lU  se  contentent  de  l'odeur,  comme  m'ont  réi)ondu  les 
notables  auxquels  je  demandais  comment  ils  pouvaient  bien  s'y  prendre 
pour  manger. 

Quand  il  y  a  un  malade,  le  Chao  Cham  dit  des  prières  pour  savoir 
quel  est  l'esprit  qui  est  cause  de  la  maladie.  L'esprit  des  prières,  qui 
e>t  invoqué,  demande  à  l'esprit  du  mal  ce  qu'il  lui  faut.  En  général,  le 
Chao  Cham,  qui  est  l'interprète  des  e>prits,  répond  qu'il  est  nécessaire 
de  tuer  un  poulet,  un  cochon  ou  un  buffle,  suivant  l'importance  de  la 
situation  qu'occupe  le  malade.  Il  va  sans  dire  que  le  Chao  Cham  a  sa 
part  des  ripailles  qui  sont  faites  en  cette  circonstance.  Il  est  bon  de  ne 
pas  être  malade  dans  ce  pays-là,  car  sous  prétexte  de  chasser  la  maladie 
il  y  a  des  chanteurs  qui  crient  toute  la  nuit  et  toute  la  journée  et  rendent 
malades  ceux-là  même  qui  ne  le  sont  pas. 

Les  gens  croient  fermement  à  la  métempsycose,  comme  riiKli(|iie  la 
formule  du  serment  ci-dessous  dont  on  se  sert  dans  le  pays  : 
Formule  du  serment  chez  les  Laos, 

«  Moi,  J£...  ,  demeurant  à  ,  Hoa  Panh  de  ,  dt'Hîlare 


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M6  REVUE  FRANÇAISE 

comparaître  devant  pour  prêter  le  serment 

Devant  Pra  Pout  Ha  Chao  (Bouddha),  Pra  Tham  Ha  Chtio  (esprit  des 
prières),  Pra  Sang  Ha  Chao  (esprit  des  bonzes  représentants  de  la 
religion),  je  viens  boire  l'eau  du  serment  pour  afiSrmer  que  mes  paroles 
sont  l'expression  de  la  vérité.  Si  je  mens,  si  je  ne  tiens  pas  les  promesses 
faites  (spécifier  suivant  le  cas),  je  demande  aux  trois  divinités  et  à  Thep 
Pha  You  da  Chao  Tang  Powmg  (esprits  de  la  justice),  descendus  du  ciel 
dans  Teau  consacrée  comme  témoins,  de  me  rendre  cette  eau  néfaste. 
Après  l'avoir  bue,  je  mériterai  d'être  puni  de  mort,  ou  affligé  de  toutes 
les  calamités  durant  toute  mon  existence.  Quand  je  quitterai  ce  monde, 
j'aurais  mérité  que  mon  âme  descende  aux  enfers,  dans  le  puits  du  feu, 
et  y  reste  tant  que  les  divinités  voudront  me  faire  expier  ma  faute  par 
le  supplice  du  feu.  Ma  punition  terminée  aux  enfers,  si  je  retourne  sur 
la  terre,  je  mériterai  d'être  proscrit  par  la  religion  et  par  les  honnêtes 
gens,  d'appartenir  à  une  race  d'êtres  repoussés  par  les  dieux  et  maudits 
de  tous  ». 

«  Si  je  dis  la  vérité  (spécifier  suivant  le  cas),  je  demande  aux  trois 
divinités  et  à  Thep  Pha  You  da  Chao  Tang  Pouong  (esprit  de  la  justice) 
de  me  rendre  cette  eau  favorable  ;  qu'après  l'avoir  bue,  la  protection 
des  dieux  se  manifeste  pour  moi  d'une  façon  visible  ;  que  les  esprits  du 
ciel  et  de  la  terre  me  protègent  et  m'épargnent  les  maladies  et  les  mal- 
heurs jusqu'à  la  fin  de  mon  existence.  Je  demande  enfin  qu'après  ma 
mort,  .mon  âme  soit  admise  au  paradis  pour  y  goûter  les  bonheurs 
divins,  et  qu'après  mon  séjour  au  ciel,  si  je  reviens  sur  la  terre,  je 
jouisse  de  la  protection  des  dieux  et  des  esprit^,  et  obtienne  la  faveur 
d'appartenir  à  une  race  favorisée,  où  je  pourrai  trouver  le  bien-être  el 
l'aisance  ». 

Ce  serment  est  en  usage  encore  actuellement,  et  je  m'en  suis  servi 
moi-même  en  certaines  circonstances  pour  tâcher  de  découvrir  la 
vérité.  La  cérémonie  se  fait  à  la  pagode,  en  présence  d'un  bonze  qui 
dit  des  prières. 

Les  I^os  me  paraissent  croire  assez  à  son  efficacité,  et  certains  d'entre 
eux  qui  ne  me  semblaient  pas  très  francs  dans  leurs  dires,  invités  par 
moi  ù  prêter  ce  serment,  s'y  sont  refusés  par  peur  sans  nul  doute  de  ce 
qui  pourrait  leur  arriver  ultérieurement. 

(A  suivre.)  Capitaine  Bobo, 

de  l'Infanterie  de  marine^ 


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D'OMSK  A  VIERNIY 


IV 


(i) 


Le  col  de  Gdsfort.  —  Paysages  de  rAlalaôu  dzoungare,  —  La  ville  de 
Kapal.  —  Séparation,  —  La  vallée  de  Vlli  et. les  sables,  —  Arrivée  à 
Viemiy. 

Le  sommet  du  col  de  Gasfortest  atteint —  1065  mètres  —  les  chevaux 
soufllent  longuement;  ils  ont  bien  mérité  ce  temps  d'arrêt.  Le  col 
forme  un  vaste  plateau  gazonné,  dépression  à  peine  marquée,  creusée 
entre  des  cimes  qui  dépassent  de  quelques  mètres  tout  au  plus  son 
niveau.  I<e  premier  gradin  où  nous  nous  sommes  arrêtés  nous  mas(|ue 
en  partie  la  steppe,  mais  devant  nous  s'étendent  les  massifs  neigeux  de 
TAIataou  dzoungare.  Sur  Tautre  versant,  une  descente,  si  courte,  si 
peu  accentuée  que  ce  col  ne  ressemble  guère  aux  cols  typiques  des 
Alpes  et  des  Pyrénées.  Presque  aussitôt  on  conmience  à  gravir  de  nou- 
velles croupes  recouvertes  d'une  belle  végétation  herbacée  et  on  arrive 
ainsi  à  la  station  d'Arasansk  qui  est  plus  élevée  que  le  col,  1115  mètres. 
Le  village  d'Arasansk  fait  partie  du  district  de  Kapal  et  de  la  stanitza 
cosaque  du  même  nom  ;  on  y  compte  une  population  de  491  habitants 
(223  hommes,  268  femmes).  Nous  étions  partie  d'Abakoumovsk  à 
10  heures  30  du  matin  ;  nous  ne  sommes  rendus  à  Arasansk  qu'à 
1  heure  30  de  l'après-midi,  et  pourtant  entre  les  deux  stations,  il  n'y 
a  qu'une  distance  de  22  kilomètres, 

Arasansk  est  un  joli  petit  village,  relativement  propre,  avec  de  jeunes 
arbres  autour  des  maisons,  jeunes  arbres  qui  dans  quelques  années 
formeront  une  ceinture  d'épaisse  verdure.  On  sent  la  richesse,  la 
bonne  colonisation  ;  c'est  la  rivière  Bien,  une  des  sept  rivières,  qui  fer- 
tilise la  contrée.  Elle  contourne  la  chaîne  de  montagnes  que  nous  avons 
franchie  au  col  de  Gasfort  et  qui  est  la  première  ligne  de  l'Alataou 
dzoungare,  son  avant-poste  vers  le  nord. 

Au  delà  d'Arasansk,  on  continue  à  monter  à  travers  des  pàtui-agcs  où 
pourraient  paître  à  Taise  des  milliers  de  troupeaux.  Décidément,  l'Ala- 
taou dzoungare  perd  à  être  vu  de  près  ;  il  ne  nous  semble  plus  jnainte- 
Dant  aussi  grandiose.  Pas  d'arbres,  pas  de  forêts  sur  les  pentes,  de  ces 
forêts  qui  font  un  si  heureux  contraste  avec  le  vert  plus  tendre  des 

(1)  Voir  Hev.  Fr.  1898,  juin  p.  329  ;  juil.  p.  390  ;  août  p.  467. 


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548  REVUE  FRANÇAISE 

prairies  et  le  blanc  éclatant  des  glaciers  ;  pas  de  neiges  éternelles,  seu- 
lement des  neiges  temporaires  trahissant  déjà  par  une  fonte  partielle 
leur  future  défaite  ;  des  croupes»  des  mamelons,  aucun  pic  hardi» 
aucune  dentelure,  nen  qui  empoigne,  qui  subjugue;  ces  montagnes 
ont  Taltilude  des  Pyrénées  ;  elles  n'en  ont  ni  la  sveltesse,  ni  les  char- 
mes ;  ce  sont  de  bonnes  petites  bourgeoises  de  montagnes  I 

En  s'élevant  toujours  par  des  pentes  douces,  on  arrive  â  un  point 
d  où  on  découvre  toute  la  plaine  de  Kapal,  il  serait  plus  juste  de  dire 
le  plateau.  Des  émigrants  se  sont  arrêtés;  les  hommes  dorment  sans 
doute  dans  les  chariots,  car  on  ne  voit  que  les  femmes  qui  profitent  de 
la  halte  pour  bavarder  ;  le  commérage  ne  perd  jamais  ses  droits.  Ceux- 
là  font  de  l'émigration  en  sens  inverse  ;  ils  ne  vont  pas  du  nord  au 
sud,  mais  au  contraire  du  sud  au  nord,  ce  qui  indique  que  les  terres 
qu'ils  ont  trouvées  dans  le  Semiretché  n*ont  pas  été  à  leut  convenance. 
Le  fait  est  fréquent  dans  l'histoire  de  l'émigfation  russe  en  Sibérie. 

L' Alataou  dzoungare,  comme  presque  toutes  les  chaînes  asiatiques  est 
constitué  par  une  série  de  terrasses.  Quand  on  examine  superficiellement 
le  panorama  contemplé  du  point  où,  en  venant  d'Arasansk  on  aperçoit 
pour  la  première  fois  Kassal,  il  semble  que  réellement  où  va  commen- 
cer à  descendre  et  que  le  col  de  Gasfort  mériterait  plutôt  de  s'appeler 
le  col  d'Arasansk,  Arasansk  étant  le  sommet  du  col  et  Kapal  se  trou- 
vant dans  une  vallée  en  contre-bas  qui  sépare  le  premier  chaînon  de 
TAlataou  du  second  chaînon  ou  de  la  chaîne  centrale.  Il  n'en  est  rien 
cependant,  puisque  Kapal  est  plus  élevé  qu' Arasansk  ;  la  descente  esl 
apparente,  ou  plutôt  temporaire,  car  utte  fois  arrivé  dans  ce  que  Ton 
prend  pour  une  dépression,  on  monte  un  long  plateau  en  pente,  incliné 
du  sud  au  noi*d.  Nous  avons  le  col  de  Gasfort  à  1065  mètres,  Arasansk 
à  1145  mètres  et  Kapal  à  1234  mètres.  O  sont  trois  gnidins  d'un  même 
escalier:  Gasford,  V^  terrasse;  Arasansk,  2*  terrasse;  Kapal,  3®  ter- 
rasse, et  nous  monterons  de  terrasse  en  terrasse  jusqu'à  la  crête  de  la 
chaîne  pour  descendre  de  la  môme  façon. 

L'approche  de  la  ville  de  Kapal  est  annoncée  par  une  longue  -  avenue 
d'arbrisseaux  (\m  ont  reviMu  leur  parure  printanière,  les  maisons^  se 
cachent  toulos  dans  im  petit  massif  arborescent:  la  première  impres- 
sion esl  excellente  et  on  se  sent  reposé  de  la  steppe.  D  y  a  même  un 
hôtel,  ou  tout  au  moins  un  établissement  décoré  de  ce  nom,  le  baron 
de  Munck  et  le  professeur  Wallenius  y  installent  leur  quartier  gâaéral, 


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B'OMSK  A   VIERNIY  '  819 

tandis  que  le  lieutenanl  lakovlef  et  moi,  nous  ûous  cônteijtxMw  de  la 
sfalioD  de  ptvste.  Nous  devons,  en  effet,  nous  séparer  le  leîidemaîn  de 
nos  deux  compagnons  de  voyage;  nous  n'entendrons  plus  derrière  nous 
le  carillon  des  clochettes  de  leur  tarentass  ;nous  n'aurons  plus  à  chaque 
station  la  gaieté  de  leur  conversation,  nous  ne  jouirons  plus  de  leur 
entrain  endiablé,  de  leur  bonne  humeur  persévérante.  Le  tempérament 
finlandais  est  beaucoup  plus  occidental,  par  suite  beaucoup  plus  rap- 
proché du  tempérament  français  que  le  tempérament  russe.  Les  sympa- 
thies pour  la  France  sont  du  reste  très  vives  en  Finlande  et  un  grand 
nombre  de  travaux  scienlifiques  des  professeurs  finlandais  sont  publiés 
dans  notre  langue.  Avant  la  séparation,  nous  nous  réunissons  le  soir 
au  somptueux  hôtel  de  Kapal,  en  un  dîner  que  Ton  s'efforce  de  fairo 
non  moins  somptueux,  mais  qui  ne  Test  que  par  la  franche  gaieté  des 
convives;  cette  fois,  le  baron  n'a  pas  découvert,  œmmeà  Sergiopol, 
une  bouteille  de  Champagne,  il  s'est  contenté  d'une  bouteille  de  ces 
vins  sucrés  du  Turkestan,  qu'après  cette  première  entrevue  jecommeice 
à  trouver  tout  simplement  détestables.  Le  baron  de  Alunck  et  le  pro- 
fesseur Wallenius  vont  rester  quelques  jours  à  Kapal  pour  organiser 
leur  expédition,  puis  ils  exploreront  au  point  de  vue  archéologique  la 
région  entre  Kapal  et  le  lac  Balkach  ;  de  retour  à  Kapal,  ils  li>ngeront 
l'Alataou  dzoungare  jusqu'à  I^psinsk,  gagneront  Baksy  par  la  steppe 
de  TAk-Koul,  franchiront  le  Barbagasti  et  reviendront  à  Semipala- 
tinsk  par  Zaïssansk  et  l'Altaï. 

La  ville  de  Kapal  est  le  chef-lieu  de  l'un  des  six  districts  du  ji:ouver- 
nement  de  Semiretché;  sa  population  est  de  2.499  habitants  (4.509 
hommes  et  990  femmes);  c'est  la  ville  la  plus  importante  que  nous  ayons 
trouvée  depuis  Semipalatinsk.  Le  district  est  peuplé  de  103.927  habi- 
tants ;  ils  est  le  moins  peuplé  de  la  province.  On  y  compte  93.293  Kir- 
ghises.  Quant  à  la  garnison  de  Kapal,  elle  se  composant  au  moment  de 
notre  passage  d'une  compagnie  d'infanterie  forte  de  3  oiTiders  et  de 
237  bommes  ;  depuis,  je  crois  que  te  bataillon  qui  se  trouvait  à  Prje- 
valski  a  été  envoyé  à  Kapal,  qui  n'est  séparé  d(*  la  frontière  chinoise 
que  par  une  distancée  d'une  quarantaine  de  kilomètres. 

Après  le  dîner,  le  baron  et  Wallenius  nous  accompagnent  jusqu'à  la 
station  de  poste,  ce  qui  n^est  pas  précisément  faate,  la  ville  étant 
dénuée  de  tout  éclairage.  Enfin  nous  arrivons  à  bon  port  sans  accident 
et  on  se  sépare  après  une  dernière  poignée  de  main. 


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520  REVUE  FRANÇAISE 

23  mai.  —  A  la  pointe  du  jour,  en  route  pour  Vierniy.  Le  târentass 
galope  le  long  des  montagnes  gazonnées;  la  route  est  accidentée,  mais 
sans  poussière.  On  descend  toujours  jusqu'à  la  station  d'Ak-itâchkeo. 
De  temps  à  autre,  on  franchit  des  torrentelets  qui  desc^ident  de  la 
montagne  en  mui:murant  ;  partout  où  passent  ces  torrentelets,  il  y  a 
quelque  ferme  russe  ou  quelque  iourte  kirghise  ;  le  sol  est  bon  et  la 
présence  de  Teau  suffit  pour  permettre  la  culture;  les  environs  deKapal 
se  prêteront  à  la  colonisation.  Lorsque  la  voiture  doit  franchir  uoe 
ravine,  comme  il  n'y  a  pas  dé  frein,  le  cocher  emploie  la  méthode 
homœopathique  ;  il  lance  le  tarentass  à  fond  de  train  et  par  la  force 
acquise  on  remonte  l'autre  versant  ;  cette  opération  quelque  peu  émou- 
vante fait  songer  aux  a  montagnes  russes  ». 

Malgré  les  petits  incidents,  le  trajet  est  intéressant.  De  jolis  oiseaux 
rouges  et  oranges,  ou  bien  verts  avec  de  longs  becs  fins  voltigent,  cou- 
rant après  les  guêpes  qui  se  cachent  dans  le  calice  des  fleurs  ;  des  aigles 
monstrueux  sont  posés  au  sommet  des  poteaux  télégraphiques  et  contem- 
plent le  paysage  avec  la  gravité  d'un  sénateur  romain  ;  ils  ne  se  déran- 
gent même  pas  au  passage  du  tarentass  et  d'effrontés  moineaux  s'enfuient 
entre  les  jambes  des  chevaux.  Parfois,  nous  croisons  sur  la  route  des 
femmes  kirghises  à  cheval,  montées  comme  des  hoounes,  bottées,  Ja 
figure  empaquetée  dans  leur  coifife  blanche. 

Ak-Itchken  n'est  qu'une  simple  station,  à  28  kilomètres  de  Kapai  et 
à  une  altitude  de  650  mètres  ;  elle  est  assez  coquette  et  je  l'ai  photogra- 
phiée. Pour  éviter  les  massifs  trop  élevés,  de  Kapal  à  Ak-itchken,  nous 
avons  marché  du  S.-E.  au  N.-O.  ;  maintenant  nous  prenons  une  direc- 
tion N.-E.,  S.-O. 

Entre  Ak-itchken  et  Sari-Boiilak,  la  végétation  devient  plus  rare; 
aussi  la  poussière  reparatt-elle  ;  nos  chevaux  en  galopant  en  soulèvent 
de  véritables  nuages  ;  on  ne  se  voit  plus  ;  la  poussière  vous  entre  dans 
la  bouche,  dans  les  narines,  dans  les  oreilles  ;  elle  vous  aveugle.  En 
outre,  comme  une  voiture  particulière  suit  la  même  route  t[ue  nous, 
notre  cocher  kirghise  ne  veut  pas  àe  laisser  dépasser;  une  lutte  homé- 
rique s'engage  entre  les  deux  cochers  au  risque  de  nous  faire  verser  et 
la  poussière  ne  s'en  accroît  que  de  plus  belle.  Enfin,  au  milieu  de 
toutes  ces  émotions,  nous  arrivons  à  Sari-Boulak  (la  fontaine  jaune  ou 
verte).  A  quelque  distance  de  la  station,  on  aperçoit  un  gros  vill^e, 
Gavrilovskoï.  C'est  un  des  deux  villages  créés  dans  le  district  de  Kapal 


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D'OMSK   A   VlEKiMY  6^i 

par  des  émigranls  ;  sa  population  est  de  2566  habitaots  (1305  hommes, 
126i  femmes);  il  a  été  fondé  en  187i,  et  possède  une  église  et  une 
école  ;  ses  terres  sont  fertilisées  par  la  rivière  Karatal. 

Nouveau  changement  de  direction  à  partir  de  San-Boulak,  nous  mar- 
chons N.-O.,  S.-E.  Traversé  successivement  plusieurs  petits  com's  d'eau, 
avant  d'atteindre  le  Karatal  qui  est  une  véritable  rivière,  impétueuse, 
roulant  des  eaux  boueuses  qui  proviennent  de  la  fonte  des  masses  nei- 
geuses de  la  chaîne  principale  del'Alataou.  Nous  la  franchissons  sur 
un  très  beau  pont  de  bois,  artistement  construit  el  qui  donne  une 
excellente  idée  des  travaux  des  ingénieurs  du  Semiretché.  Le  village  de 
Kara-Boulak  (la  frontière  noire)  est  fort  coquet,  verdoyant;  toutes  ses 
rues  sont  des  avenues  ;  au  centre  du  village,  une  église  miniature, 
toute  blanche  avec  son  petit  dôme  argenté,  et  dans  le  fond  du  tableau,  • 
une  cime  puissante  dominant  le  massif  de  son  imposante  masse  pyra- 
midale. 

Le  village  de  Kaia-Boulak  est  un  village  cosaque  de  la  stanitza  de 
Koksni8k,peuplé  de  778 habitants (389  hommes,  386  femmes).  Je  trouve 
pour  son  altitude  700  mètres  ;  nous  remontons,  après  avoir  descendu 
de  Kapal  à  Sari-Boulak. 

'  C'est  à  quatre  heures  du  soir,  que  notre  tarentass  nous  emporte  loin 
f  de  ce  coquet  et  gracieux  village.  La  route  devient  très  pittoresque.  Les 
montagnes  sont  proches  et  on  distingue  très  nettement  le  massif  central 
de  la  haute  vallée  du  Koksou,  le  plus  élevé  de  FAlataou  dzoungare. 
La  plaine  de  Kai-a-Boulak  est  fertile,  bien  arrosée  et  on  pourrait  y  faire 
de  riches  cultures.  Puis  on  monte,  passant  d'une  colline  gazonnée  à 
une  avitre  colline  ;  les  plissements  se  sont  resserrés,  au  lieu  d'être  étalés 
comme  avant;  la  montagne  a  une  physionomie  plus  imposante,  le 
paysage  y  gagne  en  grandeur.  Toujours  pas  d'arbres,  mais  des  herbages 
partout,  en  aucun  point  les  rochers  ne  sont  à  nu.  De  distance  en  distance, 
des  troupeaux  de  moutons  gardés  par  des  bergers  à  cheval  ;  les  moutons 
s'écartent  tumultueusement  au  passage  de  notre  tarentass.  Après  avoir 
franchi  ainsi  23  kilomètres,  on  descend  vers  Djangis-Agatsch,  hameau 
cosaque  de  117  habitants,  enfoui  dans  un  nid  de  verdure,  non  loin  du 
Koksou  qui  draine  les  eaux  de  montagnes  élevées,  Dijangis-Agatsch  est 
à  590  mètres  d'altitude. 

En  quittant  Djangis-Agatsch,  on  commence  aussitôt  à  gravir  aes 
pentes  assez  accentuées  entre  des  montagnes  vertes  aux  formes  plus 

xxui  (Septembre  98).  N*  337.  34 


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52«  BEVUE  FHANÇAISE 

vigoureusement  dessinées.  Le  paysage  a  maintenant  un  caractère 
alpestre.  Nous  rencontrons  souvent  des  caravanes  qui  marchent  ensuis 
inverse;  aussi  est-ce  tout  un  travail  pour  passer;  j'ai  grand'peur  de 
verser,  lorsqu'il  nous  faut  monter  sur  les  talus  du  cbemio  pour  ne  pas 
nous  jeter  dans  quelque  chariot.  A  côté  des  bœufs  ou  des  chevaux, 
marchent  des  conducteurs  de  toutes  tes  races,  des  Sartes,  des  Dounga- 
nés,  des  Tarantchis,  plus  déguenillés,  plus  loqueteux  les  uns  que  les 
autres;  ils  vont,  traînant  la  jambe,  mais  tout  de  même  satisfsdts  de 
leur  vie  errante. 

L'Alataou  s'éparpille,  se  digite  comme  une  feuille  de  palmier  el  à 
peine  avons-nous  fini  de  voir  une  de  ses  branches  qu'une  autre  apparaît. 
Celle-ci  semble  plus  imposante  que  les  autres,  pas  de  cime  altière,  mais 
une  louMe  et  formidable  masse,  pesamment  assise  sur  sa  base  lai^ge, 
étalée.  Après  une  montée  suit  une  descente  et^n  voici  une  qui  e8tpa^ 
ticulièrement  vertigineuse  ;  on  attache  deux  des  roues  avec  des  cordes 
pour  que  la  voiture  ne  soit  pas  entraînée  et  pour  remplacer  le  frein 
absent;  j'avoue  que  je  préfère  descendre  à  pied.  On  arrive  ainsi  i 
Tsaritsin,  autre  bourgade  cosaque  de  159  habitants;  mon  baromètre  vû» 
donne  une  cote  de  1070  mètres  ;  elle  est  plutôt  trop  faible.  La  nuit  csl 
venue  et  de  la  station  nous  entendons  le  glouglou  sonore  d'un  petit 
torrent,  chanson  de  la  vraie  montagne.  Depuis  le  matin,  nous  avoDs 
franchi  une  distance  de  125  kilomètres,  plus  de  10  kilomètres  à  l'heure, 
en  comptant  les  arrêts. 

Nous  partons  de  Tsaritsin  à  9  h.  30  du  soir;  nous  suivons  la  route 
directe  qui  franchit  les  monts  Kotourkaï  ;  l'hiver  on  fait  un  détour  par 
Koksuisk,  le  chef -lieu  de  la  stanitza  (639  habitants)  et  par  LougovoT. 
l'autre  village  créé  dans  le  district  par  les  émigrants  (362  habitants), 
C'est  la  partie  la  plus  élevée  du  trajet  et  la  station  de  Kougalinsk  (vil- 
lage cosaque,  205  habitants)  où  nous  sommes  à  minuit,  se  trouve  à  une 
altitude  de  1320  mètres.  De  Kougalinsk  à  Allyn-Imel  (la  selle  d'or)  où 
nous  arrivons  au  petit  jour,  on  commence  à  descendre  ;  Altyn-Imel  n'est 
déjà  plus  qu'à  1190  mètres.  Altyn-Imel  n'est  qu'une  simple  station 
avec  quelques  misérables  cahutes  autour , au  fond  d'une  gorge  brûlée,aride, 
d'où  la  vie  végétale  est  presque  absente.  La  2one  de  la  colonisatioû 
dans  le  district  de  Kapal  qui  s'étend  d'Arasansk  à  Kougalinsk  est  finie; 
de  nombreux  villages,  pourraient,  il  est  vrai,  être  créés  dans  la  haute 
vallée  du  Koksou.  et  dans  celle  du  Karata'h 


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D  OMSK   A   VIERNIY  523 

A  Altyn-Imel  se  détache  la  route  qui  conduit  à  Djarkent  et  de  là,  à 
Kouldja,  sur  le  territoire  chinois.  C^est  par  cette  route  que  se  sont 
dirigés  M.  Gabriel  Bonvalot  et  le  prince  Henri  d'Orléans,  lors  de  leur 
beau  voyage  au  Thibet.  Nous  laissons  cette  route  à  notre  gauche  et  nous 
descendons  au  sud  vers  Vierniy  par  un  vaste  plateau  recouvert  d'une 
végétation  à  physionomie  déjà  steppienne.  Puis,  se  succèdent  une  série 
d'ondulations  qu'il  faut  gravir  et  ensuite  redescendre,  ce  sont  les  con- 
treforts de  la  chaîne  la  plus  méridionale  de  TAlataou  dzoungare.  Der- 
rière les  lignes  neigeuses  et  massives  des  chaînes  centrales  ;  devant  tout 
au  sud-ouest,  bien  loin,  un  pic  hardi  qui  surgit  tout  blanc  en  l'azur 
du  ciel. 

Bientôt  on  s'enfonce  dans  des  replis  de  terrain,  le  pic  étincelant  dis- 
paraît, l'attirante  vision  s'évanouit.  Comme  compensation,  toute  une 
série  de  tableaux  de  ^enre  :  des  Kirghises  qui  labourent,  de  primitives 
cbamies  que  traîne  ici  une  paire  de  chevaux,  plus  loin  un  chameau, 
excellente  leçon  de  choses  qui  prouve  que  l'animal  bossu  est  utilisable 
pour  le  trait;  puis  c'est  la  station  au  nom  harmonieux  de  Kouian- 
Kouzskaïa,  simple  baraque  sur  les  bords  d*un  petit  ruisselet,  avec 
quelques  iourtes  comme  cortège.  Plus  loin,  une  troupe  de  femmes 
Kirghises  à  cheval,  portant  dans  leurs- bras  leurs  petits  garçons;  les 
gamins  tout  souriants  ont  comme  coiffure  une  petite  calotte  fourrée  que 
surmonte  majestueusement  une  plume  de  paon  se  balançant  au  gré  du 
pas  du  cheval. 

On  descend  toujours;  l'Alataou  dzoungare  s'enfonce  dans  le  lointain, 
les  détails  du  relief  s'unifient,  et  on  a  de  nouveau  l'aspect  d'une  bar- 
rière rectiligne  comme  sur  le  versant  nord.  Par  rapport  à  la  steppe  de 
nii,  l'extrémité  occidentale  de  l'Alataou  dzoungare  ressemblerait  aux 
cinq  doigts  d'une  large  et  forte  main  qui  se  seraient  enfoncés  pesamment 
dans  la  glaise.  La  carte  de  région  de  l'Alataou  a  été  en  grande  partie 
levée  par  les  topographes  de  Vétat-major  russe.  Les  cotes  d'altitudes 
que  j'ai  vues  sur  les  minutes  de  leurs  travaux  (non  encore  publiés;  sont 
peu  nombi-euses  ;  mais  Elisée  Reclus,  dans  son  admirable  géographie 
étant  peu  explicite  sur  ce  premier  pli  des  Thian-Shan,  j'en  reproduirai 
quelques  unes  :  f^psinsk,  chef-lieu  de  district,  au  nord  de  l'Alataou, 
915  m.  931  ;  Topolne,  sur  la  route  de  Lepsinsk  à  Abakansk,  834  m.  435; 
le  lac  Djassil  Koul,  au  sud  de  Lepsinsk,  1S6S  m.  392. 

A  midi,  nous  arrivons  à  Kara-Tchikinskaïa;  nous  avons  rencontré 


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524  REVUE  FRANÇAISE 

une  iourte  qui  déménageait  ou  que  l'on  déménageait,  car  le  mot  iourte 
signifie  à  la  fois  le  contenant  et  le  contenu.  Sur  un  premier  cheval,  la 
mère  et  son  petit  garçon  ;  sur  deux  chameaux,  les  montants  de  la  ioarte, 
les  feutres,  la  rudimentaire  batterie  de  cuisine,les  tapis  qui  représentent 
avec  quelques  coffres  ornés  de  lamelles  de  cuivre,  le  mobilier;  enfin  à 
l'arrière-garde,  le  père  sur  le  second  cheval,  portant  tendrement  un  mou- 
ton noir.  C'est  ainsi  qu'en  Asie  centrale,  on  change,  non  de  logement, 
car  la  maison  se  promène  avec  vous,  mais  d'emplacement. 

La  chaleur  est  excessive...  et  la  poussière  non  moins  excessive. 
A  Tchingildinskaïa  nous  sortons  de  la  région  des  collines  par  lesquelles 
vient  mourir  au  sud  la  dernière  chaîne  de  l'Alataou  dzoungare,  pour 
entrer  dans  la  steppe  sablonneuse  de  FUi,  ancien  golfe  du  lac  Balkach. 
lorsque,  à  une  époque  relativement  récente  ses  eaux  venaient  jusqu'au 
pied  des  Thian  Shan  ;  à  cette  époque  il  recouvrait  presque  entièrement 
les  districts  de  Lepsinsk  et  de  Djarkent.  Toute  la  vallée  de  TUi  est 
bordée  de  dunes  mourantes,  de  bourrelets  de  sable  tin,  où  les  cbevaox 
enfoncent  et  où  la  marche  est  pénible.  Le  long  du  fleuve  se  pressent 
des  roseaux  élevés  et  touffus,  où  les  tigres,  surtout  dans  la  partie  infé- 
rieure, près  du  Balkach,  trouvent  des  gîtes  k  leur  convenance.  On  me 
raconte  à  ce  propos  l'histoire  d'un  officier  russe  qui  était  allé  chasser 
les  oiseaux  marins  près  de  l'embouchure  de  llli  dans  le  lac  Balkacb, 
au  cours  d'une  mission  topographique.  NotreNemrod  s'avançait  roreiUe 
au  guet  parmi  les  roseaux,  se  frayant  non  sans  peine  un  passage: 
soudain,  à  quelques  pas  de  lui,  il  voit  onduler  les  roseaux  et  il  entend 
comme  le  bruit  d'un  legerfroissement.il  s'arrête  prêt  à  tirer,  supposant 
que  quelque  superbe  volaille  allait  s'envoler  ;  les  roseaux  s'écartent  et, 
doucement,  avec  des  allures  caressantes  de  chat,  un  superbe  tigre  (ail 
son  apparition.  L'histoire  ne  dit  pas  qui  eut  le  plus  peur  du  fauve  ou 
de  l'homme;  en  tout  cas  la  peur  paralysa  le  bras  du  chasseur  qui  heu- 
reusement pour  lui  ne  tira  pas  et  le  tigre  court  encore. 

Nous  avons  atteint  l'Ili  et  nous  suivons  longtemps  sa  rive  droite 
avant  d'atteindre  le  grand  pont  en  bois  d'Ililsk  où  nous  le  franchissctti.<î. 
La  végétation  a  un  aspect  tout  particulier,  elle  diffère  de  celle  des  steppes 
septentrionales  du  Balkach  ;  la  modification  est  due  sans  doute  à  la 
température  plus  élevée  et  au  voisinage  d'un  puissant  cours  d'eau 
comme  rili. 

A  lliisk,  rili  est  déjà  fort  large  ;  on  le  franchit  sur  un  long  pont  en 


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DOMSK   A   VIERNIY  5-25 

bois,  fort  bien  construit  et  qui  est  le  plus  remarquable  de  toute 
la  province.  Je  voulais  en  prendre  une  photographie,  mais  la  poussière 
que  soulève  sans  cesse  le  vent  a  pénétré  dans  mon  appareil  et  il  m'est 
impossible  de  le  faire  fonctionner  ;  c'est  encore  là  un  des  agréments 
d'un  voyage  en  Asie  centrale.  Une  longue  caravane  de  chameaux  s'est 
engagée  sur  le  pont,  venant  de  la  rive  opposée,  et  ils  ne  manifestent  au- 
cune velléité  de  se  déranger  au  passage  de  notre  tareniass  ce  qui  amène 
un  véritable  encombrement.  Enan,  tant  bien  que  mal,  nous  parvenons 
à  la  station  de  poste.  La  petite  ville  d'Iiiisk  est  construite  sur  la  rive 
gauche  de  Flli,  elle  appartient  au  district  de  Vierniy  et  a  pour  origine 
un  poste  de  Cosaques  ;  sa  population  n'est  encore,  malgré  sa  situation 
commerciale  de  premier  ordre,  que  de  520  habitants  ;  il  est  vrai  que  les 
environs  semblent  peu  fertiles  et  qu'elle  est,  pour  ainsi  dire,  construite 
au  milieu  des  dunes  de  sable.  Après  le  terrible  tremblement  de  terre 
qui  détruisit  Vierniy,  on  songea  à  transporter  la  capitale  du  gouverne- 
ment, sinon  à  Iliisk,  du  moins  à  quelques  kilomètres  de  l'emplacement 
actuel  de  cette  ville  ;  on  renonça,  nous  ignorons  pour  quelles  raisons, 
à  cet  intéressant  projet.  Le  jour  où  une  voie  ferrée  réunira  le  Semiret- 
cbé  au  Turkestan  pour  se  diriger  ensuite  soit  vers  la  Dzoungarie  chinoise, 
soit  vers  la  Sibérie  occidentale,  Iliisk  deviendra  Tune  des  principales 
gares  de  cette  ligne.  D'après  le  nivellement  de  l'état-major,  Iliisk  se 
trouve  à  une  altitude  de  444  mètres  420. 

C'est  à  7  heures  du  soir  que  nous  quittons  Iliisk.  Comme  nous  som- 
mes très  fatigués  lakovlef  décide  que  nous  n'irons  pas  jusc[u'à  Vierniy 
ce  soir,  mais  que  nous  coucherons  à  la  seconde  station  après  Iliisk, 
celle  de  Karasouikskaïa  ;  nous  y  arrivons  à  11  heures  30  du  soir.  Depuis 
Kapal,  nous  avons  parcouru  sans  consacrer  quelques  heures  au  sommeil 
354  kilomètres  en  39  heures. 

25  mai.  —  Ravissant  lever  de  soleil.  Les  quelques  maisons  du  petit 
village  de  Karasuisk  créé  par  desémigrants  (112  habitants)  sont  comme 
enfouies  au  milieu  des  arbres,  et  ces  arbres  sont  noirs  de  corbeaux,  vé- 
ritable armée  ailée  qui  a  envahi  leurs  branches  et  salue  de  mille  chants 
hanùonieux  (!)  l'astre  dieu.  En  tout  autre  pays,  ou  en  tout  autre  temps, 
maître  corbeau  serait  considéré  comme  nn  animai  absolument  msup- 
portable,  mais  après  ces  steppes  arides  il  est  l'emblème  de  la  reappa- 
rition de  la  verdure  et  on  lui  fait  un  accueil  joyeux.  Puis,  à  travers  les 
éclaircies  des  arbres,  on  a  la  vision  maintenant  plus  nelte  d'une  admi- 


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526  REVUE  FRANÇAISE 

rable  chaîne  toute  neigeuse  qui  barre  Tborizon,  comme  rAlataou  dzourt< 
gare  le  barrait  à  Baskansk  ;  c'est  au  pied  de  TAlataou  transilien  que 
la  ville  de  Viemiy  est  construite  ;  en  deux  heures  de  galop  nous  y  seroos 
facilement  rendus. 

Le  village  de  Karasouisk  a  été  créé  en  1871  ;  il  devrait  avoir  73  co- 
lons et  il  n'en  a  encore  que  63  ;  celui  de  Nikolawskoï,  que  nous  avoDs 
traversé  hier  en  venant  de  Diisk  est  d'origine  plus  récente  ;  il  remonte 
à  1874  ;  il  pouvait  contenir  49  colons  et  il  en  a  87  ;  sa  population  totale, 
en  comptant  les  femmes  et  les  enfants,  s'élève  à  158  habitants.  Ce  sont 
les  deux  seuls  villages  situés  entre  Viemiy  et  l'Ili. 

A  9  heures  du  matin,  nous  arrivons  enfin  à  Vierniy  ;  c'est  par  une 
superbe  avenue  de  grands  et  beaux  arbnjs,  des  peupliers,  que  l'on  fait 
son  entrée  dans  la  capitale  du  Semiretché. 

Viemiy,  la  capitale  de  la  province  du  Semiretché,  est  la  création  du 
général  Kolpakovsky,  l'ancien  gouverneur  du  pays  des  sept  rivières, 
puis  du  gouvernement  général  des  steppes  ;  et  on  peut  dire  que  le  créa- 
teur a  eu  pour  sa  création  tout  l'amour  d'un  père  pour  son  en&nt.  Sa 
vie  entière  a  été  consacrée  à  l'embellissement  de  Vierniy  et  la  ville  est 
considérée  à  juste  titre  comme  l'une  des  plus  belles  de  l'empire  russe. 
Dans  son  œuvre,  l'éminent  administrateur  fut  puissamment  secondé 
par  un  Français,  venu  en  1868  au  Turkestan,  M.  Paul  Gourdet,  qui  sut 
être  à  la  fois,  aux  côtés  du  gouverneur,  un  ingénieur,  un  architecte,  un 
professeur.  La  nouvelle  cité  s'embellit  d'édifices  somptueux,  consbvits 
entièrement  en  pierre  ;  de  larges  avenues  bien  aérées  fur^t  percées 
dans  tous  les  sens  ;  des  essences  arborescentes  furent  partout  plantées 
et  Viemiy  eut  l'aspect  d'un  vaste  parc  anglais,  où  circuleraient  en  tous 
sens  des  ruisselets  d'eau  vive,  avec  ce  fond  de  tableau  toujours  impres- 
sionnant, grandiose  de  l'Alataou  transilien  que  Ton  aperçoit  de  toutes 
les  avenues:  quelque  chose  comme  Bagnères-de-Luchon  et  les  allées 
d'Etigny  transportés  dans  l'Asie  centrale. 

Malheureusement,  on  avait  compté  sans  là  nature  et  la  nature  ne 
voulut  sans  doute  pas  permettre  aux  Russes  cette  infraction  à  leur  règle 
invariable  des  constructions  en  bois.  Un  terrible  tremblement  de  terre 
anéantit  en  un  jour  l'œuvre  du  général  Kolpakovsky  et  de  ses  auxi- 
liaires. L'enquête  géologique  prouva  que  la  ville  de  Viemiy  était  étaUie 
sur  un  terrain  de  glissement  et  qu'elle  aurait  toujours  à  redouter  l'ac- 
tion destructive  des  tremblements  de  terre  fréquents  dans  une  partie 


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D'OMSK   A   VIERNIY  5â7 

d66  Thian-shan.  On  songea  à  cette  époque,  puisqu'il  fallait  tout  recons- 
truire, à  reconstruire  ailleurs.  Mais  le  général  Kolpakovsky  ne  pouvait 
abandonner  cette  région  où  il  avait  vu  son  œuvre  dans  tout  son  épa- 
nouissement, dans  la  beauté  de  son  aclièvement  ;  il  n'eut  pas  le  courage 
de  s'éloigner  de  ce  soi  auquel  il  avait  donné  le  meilleur  de  sa  vie  de 
vaillant  soldat  et  d'habile  organisateur,  et  c'est  ainsi  que  Viemiy  est 
toujours  Viemiy.  Il  y  a  bien  des  tremblements  de  terre,  mais  le  mal 
étant  chronique,  la  population  s'y  est  habituée,  et  l'année  même  lui 
semblerait  incomplète  si  elle  n'était  pas  diversifiée  par  un  petit  trem* 
blement  de  terre. 

On  a  peu  à  peu  reconstruit,  d'abord  seulement  en  bois,  puis  la  pierre 
est  reparue  timidement,  malgré  les  objurgations  des  pessimistes  et  des 
esprits  chagrins,  et  aujourd'hui  encore  on  peut  admirer  quelques  beaux 
édifices  surgissant  au  beau  milieu  d'un  fouillis  de  verdure  qui  charme 
le  regard.  Une  élégante  chapelle  commémoralive,  qui  est  l'œuvre  de  M. 
Gourdet,  rappelle  le  tremblement  de  terre.  Parmi  les  constructions  les 
plus  remarquables,  il  faut  citer  aussi  les  écoles.  Mais  ce  que  Viemiy 
possède  surtout  d'incomparable  ce  sont  ses  boulevards,  ses  environs 
et  ces  majestueuses  montagnes  que  l'on  ne  se  lasse  d'admirer. 

La  ville  de  Viemiy  est  peuplée  de  28.197  habitants,  dont  18.692 
hommes  et  12.505  femmes.  Au  point  de  vue  des  races  on  compte  sur 
cette  population  24.243  Russes,  1.018  Kirghises,  1.234  Tarantchis, 
1.065  Sartes  du  Turkestan  msse,  242  Sartes  deKachgar,  3  Dounganes, 
300  Tatars,  18  Chinois,  74  personnes  de  nationalités  diverses.  Au 
point  de  vue  religieux,  nous  trouvons  la  répartition  suivante  :  19.419 
chrétiens  orthodoxes,  8.380  musulmans.  245  juifs,  61  raskolniks, 
40  catholiques,  21  luthériens. 

La  garnison  de  la  ville  est  importante;  elle  se  compose  de  2  géné- 
raux, 120  oflaciers,  1.865  soldats.  Elle  est  formée  des  divers  états- 
majors  du  gouvernement,  du  district,  etc.,  du  4^  bataillon  d'infanterie 
de  la  Sibérie  occidentale  (24  ofiBciers,  424  soldats,  7  chevaux)  ;  du 
2*  bataillon  d'infanterie  de  la  Sibérie  occidentale  (22  officiers,  447  sol- 
dats, 9  chevaux);  d'une  compagnie  de  sapeurs  (4  officiers,  128  soldats) 
et  du  1*'  régiment  de  cosaques  du  Semiretché  (34  officiers,  625  soldats, 
647  chevaux). 

A  l'époque  de  mon  arrivée  à  Viemiy,  la  gamlson  devait  justement 
quitter  la  ville  pour  se  transporter  au  pied  des  montagnes,  à  9  kilo- 


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528  REVUE  FRANÇAISE 

mètres  de  Vierniy,  au  camp  créé  par  le  général  Kolpakovsky  et  fort 
améliroré  par  le  gouverneur  actuel,  le  général  Ivanof,  qui  en  a  fait 
son  œuvre  favorite.  Ce  départ  est  l'un  des  événements,  annuels  à 
Vierniy;  il  attire  toujours  un  grand  nombre  de  curieux. 

Le  jour  de  notre  arrivée  nous  nous  étions  installés  avec  le  lieutenant 
lakovlef  à  Tune  des  deux  auberges  de  la  ville;  mais  Iakovief  devait 
se  rendre  à  cheval  avec  des  amis  à  la  cérémonie  militaire,  tauidis  que 
j'étais  convenu  d'y  aller  avec  notre  compatriote  M.  Gourdet,  la  proïi- 
dence  des  voyageurs  à  Vierniy.  Comme  toutes  les  cérémonies  militaires 
en  Russie,  le  départ  des  troupes  est  précédé  d'un  service  religieux.  Sur 
Tune  des  jplus  vastes  places  de  la  ville,  les  troupes  scmt  formées  en 
carré,  d'un  côté  les  cosaques,  sur  les  trois  autres  côtés,  les  deux  ba- 
taillons d'infanterie  et  la  compagnie  de  sapeurs.  Au  milieu  une  tente, 
où  sera  célébré  par  Farchevéque  Nikon,  primat  du  Turkestan,  le  service 
religieux;  devant  la  tente,  le  général  Ivanof,  gouverneur  du  Semiretché, 
entouré  de  son  état-major  et  de  tous  les  hauts  fonctionnaires  du  gou- 
vernement. 

Le  ciel  est  souverainement  bleu,  le  soleil  resplendissant,  trop  res- 
plendissant même,  car  il  faut  rester  tête  nue,  et  si  la  cérémonie  dure 
longtemps,  gare  aux  insolations.  Les  montagnes  toutes  blanches,  avec 
de  sombres  forêts  de  conifères  un  peu  au-dessous  de  la  ligue  étin- 
celante  des  cimes,  puis,  plus  bas,  le  vert  clair  des  pommiers  sauvages, 
forment  un  merveilleux  fond  à  cet  impressionnant  tableau.  L'arche- 
vêque arrive,  accompagné  de  son  clergé  ;  aussitôt  les  soldats  se  dé- 
couvrent, tenant  leur  casquette  dans  la  main  gauche,  le  fusil  appuyé 
dans  le  creux  du  bras  gauche  replié,  la  crosse  contre  la  pointe  du  pied 
droit,  la  main  droite  libre  pour  faire  les  nombreux  signes  de  aroix  qui 
caractérisent  les  prières  russes.  L'office  dure  environ  trente  minutes. 
Des  qu'il  est  terminé,  l'archevêque  monte  dans  sa  voituie  et  se  relire. 

Le  général  Ivanof  passe  successivement  devant  chaque  corps  de 
troupes;  les  musiques  des  bataillons,  puis  celle  des  cosaques  jouent: 
les  soldats  présentent  les  armes.  Puis,  le  général  revient  au  centre  du 
carré  et  prononce  une  courte  allocution;  la  musique  des  cosaques  joue 
l'hymne  national,  tandis  que  les  soldats  poussent  sans  discontinuer  d€> 
hurrahs  assourdissants.  Enfin,  après  la  présentation  des  drapeaux,  la 
petite  colonne  se  met  en  marche.  Malgré  le  soleil,  la  chaleur,  la  poa^ 
sière,  les  bataillons  avancent  avec  une  grande  rapidité:  lorsque  la 


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D'OMSK   A   VIERNIY  529 

musique  cesse  de  jouer,  des  chanteurs  placés  en  tête  de  chaque  compa- 
gnie entonnent  une  chanson  militaire  dont  tous  les  soldats  reprennent 
en  chœur  le  refrain.  A  2  heures,  on  arrive  au  camp  ;  beaucoup  de  fonc- 
tionnaires, de  dames,  de  jeunes  filles  ont  suivi  à  cheval  la  colonne,  et 
toutes  ces  toilettes  claires  donnent  un  cachet  extraordinaire  à  la  prai- 
rie où  les  troupes  s'arrêtent,  le  front  face  au  camp.  Le  camp  disparait 
au  milieu  d'un  véritable  fouillis  de  verdure;  ce  ne  sont  partout  que 
grands  arbres,  vertes  avenues,  entre  lesquels  se  cachent  les  tentes 
toutes  blanches.  En  venant  de  Vierniy  on  trouve  d'abord  le  camp  des 
cosaques,  puis  les  camps  des  bataillons  et  tout  près  de  la  montagne 
le  camp  de  la  compagnie  des  sapeurs.  A  l'arrière,  sont  les  tentes  ou 
les  maisonnettes  des  officiers.  Chaque  tente  ne  repose  pas  directement 
sur  le  sol,  mais  sur  un  petit  talus  de  forme  carré.  Tout  est  tenu  très 
proprement;  on  a  même  sarclé  les  allées  qui  ressemblent  aux  allées 
d'un  vaste  parc  anglais.  Lorsque  les  troupes  ont  regagné  leurs  quar- 
tiers respectifs,  je  rentre  à  Vierniy  dans  la  voiture  du  général  Ivanof, 
et,  à  i  heures,  soixante  convives  sont  réunis  au  palais  du  gouverneur 
où  force  toasts  sont  portés  à  la  France  tandis  que  la  musique  des 
cosaques  joue  la  Marseillaise. 

En  dehors  de  s<m  chef-lieu,  le  district  de  Vierniy  comprend  deux 
stanitzas  cosaques,  la  stanitza  d'Ahnatinskaïa  avec  3  poseloks  et  la 
stanitza  de  Sophiiskaïa  avec  un  seul  poselok;  en  tout  six  villages  co- 
saques, peuplés  de  12.649  habitants.  Six  villages  ont  été  créés  dans  le 
district  de  Vierniy  par  les  émigrants;  ils  comptent  aujourd'hui 
0.788  habitants. 

Quant  aux  indigènes,  les  Kirghises  sont  répartis  entre  19  volosts, 
avec  une  population  de  108.908  habitants,  dont  62.251  hommes  et 
46,657  femmes;  les  Tarantchis,  au  nombre  de  20.468  forment  13  vil- 
lages. La  population  totale  du  district  est  de  176.226  habitants,  dont 
98.787  hommes  et  77.469  femmes. 

Trop  courtes  furent  les  heures  charmantes  que  je  passai  à  Vierniy 
et  je  conserverai  longtemps  le  souvenir  du  général  Ivanof,  de  notre 
compatriote  Gourdet  et  de  mes  amis  les  officiers  russes  ;  mais  les  mon- 
tagnes —  ces  invincibles  sirènes  —  étaient  là  qui  m'appelaient  et 
bientôt  je  dus  m'élôigner  vers  de  nouvelles  contrées,  à  la  recherche  de 
nouveaux  paysages  et  de  nouvelles  amitiés. 

Georges  Saint- Yves. 


'I 


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SOUDAN  FRANÇAIS 

MASSACRE  DE  LA  MISSION  CAZEMAJOU. 

Il  ne  se  passe  pour  ainsi  dire  pas  d'année  que  le  mystérieux  conti- 
nent africain  ne  réclame  une  victime  parmi  les  vaillants  fils  de  France, 
qui  se  risquent  audacieusement  pour  la  patrie  et  pour  la  science  dans 
ses  redoutables  profondeurs. 

Aujourd'hui  c*est  le  capitaine  Cazemajou  qui,  avec  une  faible  escorte 
et  suivant  les  traces  de  Bii^r  et  de  Monteil,  vient  de  succomber  entre 
le  Niger  et  le  Tchad,  dans  la  région  du  Sokoto.  Un  câblegramroe  du 
gouverneur  intérimaire  du  Dahonney,  M.  Pascal,  annonce  que  le  capi- 
taine Cazemajou,  l'interprète  Olive  et  6  tirailleurs  de  son  escorte,  ont 
été  tués  à  Zinder  le  6  mai.  Les  survivants  de  la  mission  sont  arrivés  à 
Ilo,  sur  le  Niger,  rapportant  avec  eux  les  bagages  de  la  mission. 

Le  capitaine  Cazemajou  dirigeait  une  mission  qui  avait  été  organisée 
par  les  soins  du  Comité  de  l'Afrique  française,  à  l'heureuse  initiative 
duquel  ont  doit  une  bonne  part  des  succès  de  la  France  dans  l'Afrique 
occidentale.  Le  but  de  la  mission  était  de  reconnaître  les  pays  traversés 
par  la.'^igne  frontière  Say-Barroua,  de  rechercher  s'il  existait  dans  TA- 
dar  des  survivants  de  la  mission  Flatters,  puis  de  visiter  les  régions 
situées  k  l'ouest  du  lac  Tchad,  vers  le  haut  Oubangui  et  enfin  de  rentrer 
en  France  par  le  haut  Nil  et  l'Abyssinie  si  les  circonstances  le  per- 
mettaient. 

Le  capitaine  Cazemajou  était  parti  pour  le  Soudan  en  octobre  1S96. 
Avant  d'entreprendre  sa  mission,  dont  le  point  de  départ  devait  être 
le  moyen  Niger,  il  fit  partie  de  la  colonne  Caudrelier  envoyée  sur  la 
haute  Volta  pour  contenir  Samory  et  arrêter  les  tentatives  d'expaosicm 
des  Anglais  vers  le  nord  de  la  Côte  d'Or,  Dans  ce  but  il  avait  pris  contact, 
dans  les  premiers  mois  1897,  avec  la  colonne  du  lieutenant  Chanoine, 
opérant  dans  le  même  but  en  Gourounsi.  Il  revint  ensuite  à  Sono,  où  le 
matériel  de  sa  mission,  qui  avait  été  fourni  par  le  Comité  de  l'Afrique 
française,  lui  fut  amené  par  l'explorateur  Félix  Dubois,  M.  Olive,  inter- 
prète judiciaire  à  Mostaganem,  et  le  sergent  du  génie  Doutrelong.  Le  11 
août  la  mission  quitte  Sono  et,  après  avoir  traversé  Ouahigouya  le  32, 
arrive  au  mois  d'octobre  à  Say,  sur  le  Niger.  M.  F.  Dubois  qui  devait 
visiter  le  Gourmaet  l'hinterland  du  Dahomey,  se  sépare  alors  de  la  mis- 
sion et  le.sei^nt  Doutrelong,  malade,  revient  en  France. 


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SOUDAN  FRANÇAIS  58i 

Les  détails  font  encore  défaut  sur  les  circonstances  qui  ont  amené  le 
massacre  de  la  mission  ;  mais  nous  trouvons  dans  le  Bulletin  du  Comité 
de  r Afrique  française,  des  lettres  du  capitaine  Cazemajou  qui  font 
connaître  les  préparatifs  d'organisation  de  la  mission  et  la  marche  de 
celle-ci  vers  Ai^oungou,  Sokoto,  Konni,  dernier  point  d'où  on  ait  reçu 
de  ses  nouvelles  directes  par  lettres.  Le  capitaine  rencontra  de  grandes 
difficultés  pour  organiser  la  caravane  dans  la  région  de  Say«  En  outre, 
il  se  trouvait  là  dans  un  voisinage  trop  rapproché  de  notre  étemel  en- 
nemi Ahmadou,  Tex-sultan  de  Ségou,  dont  la  surveillance  même  loin- 
taine pouvait  entraver  ses  projets.  Il  descendit  donc  le  Niger  jusqu'à 
Carimama  puis  jusqu'à  Do,  où  il  se  rencontra  avec  le  capitaine  Baud. 
Le  capitaine  Cazemajou  traversa  le  Niger  dans  les  derniers  jours  de  dé< 
cembre  1897  et  se  dirigea  sur  Argoungou  où  il  arriva  à  la  fin  de  janvier 
1898.  Voici  ses  lettres  qui  contiennent  d'intéressants  détails  sur  sa  mar- 
che et  sur  les  pays  traversés.  La  première  est  de  Say  29  octobre  1897  : 

«  Je  n'ai  pu  trouver  ici,  dit  le  capitaine  Cazemajou,  tous  les  bœufs 
porteurs  nécessaires  à  la  réorganisation  de  mon  convoi  et  je  vais  à 
Carimama,  dans  le  Dahomey,  où  j'espère  être  plus  heureux.  C'est  là 
que  je  passerai  le  Niger  pour  me  diriger  sur  Argoungou  à  travers  le 
Dendi.  C'est  donc  le  projet  que  M.  le  lieutenant  de  vaisseau  Hourst 
avait  indiqué  à  M.  le  secrétaire  général  que  je  vais  exécuter. 

Si  à  Argoungou,  où  je  compte  sur  un  bon  accueil,  j'apprends  que  la 
route  de  Gober  est  sûre,  c'est  par  là  que  je  passerai  pour  me  rendre  à 
Zinder,  sinon,  je  serai  forcé  d'aller  à  Sokoto,  puis  à  Katséna. 

Il  me  reste  M.  Olive  pour  me  seconder.  C'est  un  sujet  absolument 
remarquable.  Olive  étonne  tous  les  musulmans;  il  connaît  mieux  qu'eux 
le  Coran  et  les  rites  de  leur  religion,  et  leur  indique  les  fautes  qu'ils 
conmiettent  souvent  quand  ils  font  la  prière.  Il  avait  une  grande  in- 
fluence ici  sur  les  marabouts  et  c'est  à  lui  qu'on  amenait  les  gens  malades 
et  non  au  commandant  du  poste  ni  à  moi.  Olive,  par  son  caractère  très 
bon,  sa  modestie  et  ses  connaissances  très  variées  est  bien  Taide  que  je 
rêvais.  » 

Dans  une  autre  lettre  datée  de  Carimama,  28  décembre,  M.  Caze- 
majou dit  : 

«  J'ai  l'honneur  de  vous  rendre  compte  que  j'ai  dû  me  transporter  a 
Ilo  pour  trouver  les  bœufs  porteurs  qui  me  manquaient  pour  réorga- 
niser mon  convoi.  A  Theure  actueOe,  j'ai  tous  les  animaux  qui  me  sont 


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532  REVUE  FRANÇAISE 

nécessaires  ;  je  termine  aujourd'hui  le  passage  du  Niger  et  la  mission 
se  mettra  demain  en  route  pour  Argoungou.  où  je  suis  presque  sûr  d'être 
bien  accueilli. 

D'Ilo  à  Carimama,  j'ai  suivi  en  partie  la  route  de  la  rive  gauche;  j*ai 
passé  dans  quelques  villages  du  Kabbi,  j'y  ai  été  fort  bien  reçu.  Tenda, 
village  habité  par  des  gens  de  famille  dendi,  n'est  pas  indépendant;  il 
se  réclame  du  serky  N'Kabbi.  Le  chef  du  village  m'a  montré  le  drapeau 
que  M.  le  lieutenant  Hourst,  lui  avait  donné,  Tan  dernier,  lors  de  son 
passage.  Le  village  d'Âlbarcaïzé,  situé  sur  la  rive  gauche  et  sur  le  bord 
du  Niger,  en  face  Carimama,  est  habité  par  des  gens  du  serky  N'Kabbi. 

Pendant  mon  séjour  à  Uo,  il  est  arrivé  une  caravane  commercial  ha- 
oussa,  composée  de  600  personnes  environ  qui  venait  essayer  de  renouer 
des  relations  commerciales  avec  Do,  interrompues  par  suite  du  peu  de 
sécurité  que  trouvaient  autrefois  les  commerçants  sur  cette  place.  Elle 
était  commandée  par  le  fils  du  chef  d'Yéga  (le  plus  grand  marché  du 
Gando),  qui  est  venu  me  voir  deux  fois,  qui  paraissait  enchanté  du  bon 
accueil  qu'il  avait  reçu  à  Ho  et  qui  me  disait  avoir  fait  sur  le  marché 
d'excellentes  opérations.  De  nos  conversations,  il  résulte  que  j'ai  quelques 
chances  de  pénétrer  dans  le  Sokoto. 

Il  est  inutile,  je  crois,  que  j'essaye  de  pénétrer  pacifiquement  dans 
l'Adar  sans  avoir  vu  le  sultan  de  Sokoto,  car  TAdar,  quoique  indé- 
pendant du  Sokoto,  marche  toujours  volontiers  contre  les  ennemis  que 
lui  désigne  le  Lam  Dioulbé,  et  passer  à  Argoungou  en  évitant  Sokoto 
serait  se  déclarer  ouvertement  l'ennemi  du  Sokoto.  Il  est  donc  probable 
que  j'essayerai  d'aller  à  Sokoto;  mais  c'est  à  Argoungou  que  >je  déciderai 
définitivement,  et  en  meilleure  connaissance  de  cause  quel  sera  mon  iti- 
néraire ultérieur.  J'espère  pouvoir  vous  envoyer  un  courrier  d' Argoun- 
gou vers  la  fin  janvier  1898. 

M.  Olive,  qui  était  resté  à  Carimama  pendant  que  j'étais  à  Ilo,  a  pu 
s'employer  utilement  dans  ce  poste  pendant  mon  absence.  Il  est  en  par- 
faite santé,  et  je  me  porte  aussi  très  bien.  Nous  nous  remettons  en  route 
dans  de  très  bonnes  conditions...» 

Le  26  janvier  1898,  le  capitaine  Cazemajou,  écrivait  d' Argoungou  : 

«  J'ai  l'honneur  de  vous  rendre  compte  que  la  mission  a  quitté  Cari- 
mama, le  29  décembre  dernier,  et  est  arrivée  à  Argoungou  le  15  du 
mois  courant.  Le  roi  du  Kabbi  avait  donné  partout  des  ordres  pour 
qu'on  nous  accueille  bien  et  pour  qu  on  facilite  notre  voyage.  .Aussi, 


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SOUDAN  FRANÇAIS  533 

c^est  saiis  la  moindre  difficulté  que  nous  sommes  arrivés  à  Argoungou. 
Ici  nous  avons  été  fort  bien  reçus  et  quand  j'ai  parlé  d'un  traité  au  serky 
?î*Kabbi,  c'est  avec  empressement  qu'il  l'a  accepté.  J'adresse  par  ce 
courrier  au  ministre  des  colonies  une  des  expéditions  de  ce  traité; 
j'y  ai  joint  mi  croquis  pour  l'intelligence  du  texte. 

Les  habitants  du  Djerma  et  du  Maouri  font  un  peu  de  conunerce  avec 
l'ouest  (sel  du  dalhol  Fogha,  natron  du  dalhol  Bono,  bœufs,  moutons); 
mais  ceux  du  Kabbi  proprement  dit  vivent  surtout  de  rapines.  Cette 
population  et  celle  d'Argoungou  en  particulier  est  guerrière  ;  mais  je 
ne  crois  pas  qu'avant  longtemps,  il  y  aura  lieu  d'agir  ici  par  la  force  : 
tout  le  monde  craint  les  Français  et  demande  à  être  leur  ami. 

I^  mission  quittera  demain  Argoungou  et  se  dirigera  sur  Sokoto  en 
suivant  la  rive  gauche  du  fleuve  d'Argoungou.  Je  ne  suis  pas  encore 
sûr  du  bon  accueil  du  chef  de  Sokoto;  mais  je  ne  crois  pas  qu'il  m'em- 
pêche de  j)énélrer  sur  son  territoire.  Je  serai  probablement  à  Sokoto  le 
1*^  février  et  en  partirai  du  6  au  10  en  prenant  soit  la  route  du  Gober, 
soit  la  route  du  Katséna.  Tout  dépendra  des  événements.  L'Adar  est 
en  excellents  termes  avec  Sokoto  et  en  mauvais  termes  avec  Argoungou 
et  le  Gober.  Je  suis  donc  absolument  forcé  de  passer  par  Sokoto.  Le 
roi  d'Argoungou  m'a  donné  une  lettre  pour  le  roi  de  Gober;  ce  papier 
que  j'ai  lu  me  permettra,  peut-être  de  pénétrer  dans  cette  région  dont 
on  dit  l'accès  difficile.  Tout  le  persoiuiel  de  la  mission  est  en  bonne 
santé  et  le  matériel  en  bon  état.  J'espère  pouvoir  vous  envoyer  de  nos 
nouvelles  de  Sokoto  ». 

Aucune  lettre  du  capitaine  Cazemajou  n'est  arrivée  de  Sokoto  et  cela 
ne  surprend  pas.  Mais  son  passage  dans  cette  ville  a  été  connu  par  les 
débats  qui  ont  eu  lieu  à  la  Chambre  des  communes.  La  0^  du  Niger 
avait  fini  par  apprendre  le  passage  de  la  mission  dont  l'organisation,  le 
départ  et  la  marche  avaient  été  tenus  secrets  pendant  très  longtemps. 
Gomme  on  pouvait  s'y  attendre,  la  C'^  du  Niger  donna  à  cet  événement 
des  proportions  extraordinaires  et  ne  parla  rien  moins  que  de  la  con- 
quête du  Sokoto  par  les  Français,  malgré  les  traités.  Un  càblegramme 
envoyé  d'Akassa  (aux  bouches  du  Niger)  le  20  février  1898,  annonçait 
la  marche  de  deux  expéditions  françaises  vers  Sokoto  et  la  présence  de 
6  officiers  français  et  de  200  hommes  à  Argoungou  !  Selon  son  habitude 
d'exagération,  la  G'**  du  Niger  avait  mis  un  zéro  de  trop  et  doublé  la 
modeste  mission  Camezajou  qui  ne  contenait  qu'une  vingtaine  de  fusils 


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«34  REVUE  FRANÇAISE 

A  la  Chambre  des  Communes,  M.  Chamb^rlaia»  ministre  des  colonies, 
se  fit  Técho  de  ces  bruits,  et  ce  ne  fut  qu'après  plusieurs  démarches  de 
Tambassadeur  d'Angleterre  au  quai  d'Orsay  et  les  assurances  formelles 
de  M.  Hanotaux  que  l'opinion  se  calma  de  l'autre  côté  de  la  Manche. 

Pendant  cette  agitation  des  coloniaux  britanniques  la  mission  Gaze- 
majou  se  mettait  en  marche  sur  Zinder.  La  dernière  lettre  du  capHûoe 
est  datée  de  Konni,  au  N.-E.  de  Sokoto,  5  mars  1898.  En  voici  les  pas- 
sages les  plus  importants  : 

«  J'ai  l'honneur  de  vous  rendre  compte  que  la  mission  quittera  Konni 
demain  et  se  dirigera  sur  le  Goulbi  N'Sokoto,  qu'elle  suivra  jusqu'à  Sa- 
bobimi. 

Marafa,  le  chef  d'une  partie  du  tenitoire  de  l'Adar,  aobteim  du  Lam- 
Dioulbé  que  je  puisse  prendre  si  je  le  désire,  la  route  de  Katséna  ;  c'est 
celle-là  que  je  suivrai  si  je  vois  que  je  n'ai  aucune  chance  de  pouvoir 
traverser  le  Gober... 

Dernièrement  j'ai  reçu,  en  communication  du  chef  du  village  de  Konni 
une  lettre  d'un  chef  d'une  des  fractions  importantes  des  Kel-Gress  disant 
qu'il  ne  me  recevrait  pas  dans  son  pays.  D'autre  part,  j'ai  appris  qu'un 
envoyé  du  cheik  Senoussi  de  Koufra  parcourt  le  pays  des  Touar^  du 
Sud.  Il  est  actuellement  à  Guédambadou,  village  situé  à  70  kilomètres 
au  nord-est  de  Konni.  Marafa,  chef  d'une  partie  de  l'Adar  m'a  confirmé 
ce  renseignement  et  m'a  annoncé  que  cet  envoyé  poussait  les  Touareg 
à  m'attaquer.  Je  suis  en  relations  avec  El  Hadj  Bello,  un  marabout  des 
Touareg  Aouloumaden;  El  Hadj  Bello  est  allé  à  la  rencontre  de  cet 
envoyé.  Par  lui  j'espère  avoir  des  renseignements  sur  les  projets  des 
Touareg.  D'ailleurs  Marafa,  qui  est  toujours  bien  renseigné  m'infor- 
mera  de  ce  qu'il  apprendra. 

Tout  le  personnel  de  la  mission  est  en  bonne  santé  et  le  matériel  en 
bon  état.  Je  vous  écrirai  de  Sinder  si  je  puis. 

J'adresse  aujourd'hui  à  M.  le  ministre  des  colonies  un  rapport  relatif 
à  la  question  des  survivants  de  la  mission  Flatters  et  un  croquis  de  la 
région  de  l'Adar.  Les  conclusions  du  rapport  sont  les  suivantes  :  1°  D 
n'y  a  jamais  eu  de  survivants  de  la  mission  Flatters  ni  à  Thaoua  ni 
dans  aucun  autre  point  de  l'Adar;  2^  Djebari  n'est  jamais  venu  dans 
l'Adar  ». 

Les  circonstances  dans  lesquelles  nos  compatriotes  ont  trouvé  la 
mort  seront  connues  à  l'arrivée  des  survivants  de  la  mission.  On  saura 


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SOUDAN  FRANÇAIS  535 

alors  sî  c'est  à  un  guet-apens  des  indigènes  ou  aux  Touareg  qu'il  faut 
attribuer  le  massacre.  La  région  qui  s'étend  au  nord  de  Sokoto  et  de 
Kano  est  fort  peu  sûre  et,  en  s'engageant  de  ce  côté,  la  mission  devait 
se  savoir  fort  exposée.  On  voit  par  suite  quelles  diflBcultés  rencontrera 
l'établissement  de  la  ligne  frontière  que  les  Anglais  ont  bien  voulu 
nous  laisser  sur  les  coniSns  méridionaux  du  Sahara. 

Le  capitaine  du  génie  Casemajou  était  né  à  Marseille  le  10  décembre 
1894.  Sorti  de  l'École  polytechnique,  il  fit  campagne  au  Tonkin  avec  le 
général  Boi^nis-Desbordes.  Capitaine  en  1889,  il  fut  envoyé  dans  le  sud 
de  la  Tunisie  et  accomplit  alors  avec  le  lieutenant  de  spahis  Dumas 
une  reconnaissance  hardie  sur  Ghadamès.  Décoré  en  1894  et  rentré  en 
France,  il  avait  été,  sur  sa  demande,  envoyé  au  Soudan  en  1896* 

Nous  rappelons  ici  le  raid  audacieux  poussé  par  le  capitaine  Cazema- 
jou  sur  Ghadamès. 

L'EXPLORATION  CAZEMAJOU  A  GHADAMÈS     ' 

La  pénétration  au  Sahara  a  toujours  préoccupé  les  oflBciers  placés 
aux  postes-frontières  du  sud  algérien  et  tunisien.  Le  capitaine  du  génie 
Cazemajou  n'échappa  pas  à  cette  préoccupation.  Accompagné  du  lieu- 
tenant au  4®  spahis  A.  Dumas  il  exécuta  en  1893,  avec  ses  propres 
ressources,  un  raid  du  sud  de  la  Tunisie  sur  Ghadamès  par  Nefta  et 
une  route  non  suivie  jusqu'ici,  à  travers  l'Erg  oriental. 

Ghadamès  avait  été  visité  par  la  mission  Mircher  en  1862,  par 
M.  Cometz  en  1891  (venant  de  Douirat),  par  M.  Kaddour  en  1892 
(venant  de  Douz). 

Le  3  mars  1893,  MM.  Cazemajou  et  A.  Dumas  arrivaient  à  Nefta,  où 
ils  organisèrent  leur  caravane  composée  de  3  chameliers- guides  de  la 
tribu  des  Rebaya,  d'un  interprète  et  de  3  chameaux  ;  ils  emportaient 
des  provisions  de  bouche.  Le  départ  eut  lieu  le  6  mars  de  Nefta.  Après 
la  traversée  du  Chott-el-Djerid,  la  caravane  atteignit  Bir-er-Ressof- 
cherf  (lî  mars),  à  23  kilomètres  à  l'est  du  nouveau  poste  français  de 
Bir-Berresof. 

Pendant  que  les  chameliers  se  procuraient  3  nouveaux  chameaux 
pour  compléter  la  caravane,  nos  oflBciers  firent  une  reconnaissance 
jusqu'à  ce  poste  ou  bordj  (Bir-er-Ressof-Jeraou),  où  ils  rencontrèrent 


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'536  REVUE  FRANÇAISE 

le  lieutenant  Sureau,  du  bureau  arabe  d'El-Oued.  Le  13  niars«  ils  ren- 
traient à  Bir-er-Ressof-cherf.  Le  lendemain  14,  accompagnés  de 
6  chameaux,  ils  se  remirent  en  route,  emportant  700  litres  d*eau. 
Le  20,  ils  rencontrèrent  une  caravane  qui  avait  eu  connaissance  des 
récentes  tentatives  de  pénétration  de  MM.  Gaston  Méry  et  Femand 
Foureau.  Ils  durent  ensuite  abandonner,  pour  s'alléger,  une  grande 
partie  de  leurs  provisions  sur  la  route  (1)  et  le  22  traversèrent  des 
dunes  de  90  mètres  de  hauteur.  Le  même  jour,  la  mission  entrait  dans 
la  Sebkah-el-Melah  et  arrivait  à  la  Zaouya  de  Sidi-Maabet,  dont  les 
notables  déclarèrent  que,  malgré  leur  désir,  ils  ne  pou  valait  laisser 
pénétrer  les  Européens  sans  Tautorisation  du  caïmacan  ou  fonction- 
naire turc  de  Ghadamès.  Les  ofliciers  écrivirent  donc  immédiatement 
au  caïnuuxin. 

Ce  fonctionnaire  envoya  un  membre  de  la  Djemaa  (conseil  de  la 
ville)  prévenir  les  officiers  que,  n'ayant  pas  de  firman  du  sultan,  ils 
devaient  quitter  le  territoire  de  la  Tripolitaine  au  lever  du  jour  et 
qu'au  cas  contraire  on  les  conduirait  sous  escorte  à  Tripoli.  Ghadamès 
n'était  qu'à  2  kilomètres  du  lieu  où  s'étaient  arrêtés  les  explorateurs  ; 
mais  ces  derniers,  par  crainte  d'être  arrêtés,  partirent  sur  le  champ. 
Le  24  mars,  ils  retrouvaient  les  bagages  qu'ils  avaient  laissés  à  l'aller, 
et,  sans  rencontrer  aucune  bande  de  Touareg,  car  cette  route  leur  est 
inconnue,  ils  passèrent  le  l^"*  avril  au  Djebbanet-Moghoth  (cimetière  du 
Rebaya),  atteignirent  le  Bir-Sfara  et  rentrèrent  le  3  à  Nefla.  Le 
4  avril,  ils  étaient  à  Gafsa. 

MM.  Gazemajou  et  A.  Dumas  avaient  ainsi  parcouru  la  distance  entre 
Sidi-Maabet  et  Nefta  en  11  jours,  ayant  marché  pendant  près  de 
123  heures.  A  l'aller,  ils  n'avaient  marché  que  120  heures  1/2,  mais 
leur  trajet  avait  duré  17  jours.  La  longueur  de  cette  route,  mesurée 
suivant  les  pentes,  est  de  560  kilomètres. 

G.  Vasco. 

[i)  Ils  les  retrouvèrent  intactes  au  retour,  comme  cela  leur  était  déjà  arrivé  prét*ê- 
demment.  H.  Duveyrier,  Bonnemain,  Bou-Derba  avaient  déjà  constaté  cette  honnêteté 
saharienne. 


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GUERRE   HISPANO-AMERICAINE 


OPÉRATIONS   A   PUBRTO-HICO   ET  A   CUBA. 


(1) 


La  prise  de  possession  de  Santiago-de-Cuba  par  les  Américains  était 
à  peine  accomplie,  que  le  général  Miles,  commandant  en  chef  des 
troupes  de  TUnion,  quittait  Cuba  avec  3.500  hommes,  six  batteries, 
hait  transports  et  une  partie  de  la  flotte,  pour  commencer  les  opérations 
contre  Puerto-Rico.  En  même  temps,  d'autres  corps  de  troupes  partaient 
de  Tampa  et  de  divers  ports  du  littoral  aifin  de  porter  d*abord  à 
10.000  hommes,  puis  à  20.000  les  forces  du  corps  expéditionnaire.  Au 
lieu  d'attaquer  directement  San-Juan,  capitale  de  Tile,  dont  les  défenses 
avaient  été  augmentées  depuis  le  bombardement  effectué  par  Tamiral 
Sampson,  et  où  se  trouvaient  groupées  les  principales  forces  du  général 
Macias,  capitaine  général  de  l'île,  le  général  Miles  préféra  débarquer 
tranquillement  ses  troupes  à  Guanica  (25  juillet),  à  l'autre  extrémité  de 
rîle.   L'attaque  directe  de  la  capitale  et  sa  chute  auraient  amené  la 
soumission  presque  complète  de  l'île,  car  les  Américains  n'ignoraient 
pas  que  les  Espagnols  étaient  encore  moins  aptes  à  la  résistance  qu'à 
Santiago.  Le  général  Macias  ne  disposait,  paraît-il,  que  de  10.000  hom- 
mes de  troupes  régulières  et  de  quelques  milliers  de  volontaires  qui 
n'avaient  jamais  tiré  un  coup  de  feu.  Comment  défendre  avec  ces  faibles 
forces  une  île  d'une  superficie  de  9.300  kilomètres  carrés,  c'est-à-dire 
plus  grande  que  la  Corse,   et  peuplée  d'une  façon  très  dense  par 
800.000  habitants  ?  On  ne  s'explique  pas  comment  l'Espagne,  depuis  la 
déclaration  de  guerre,  n'a  pas  su  envoyer  dans  l'île  troupes  et  moyens 
de  défense,  le  blocus  de  San-Juan  n'ayant  été  sérieusement  établi 
que  tardivement  et  les  autres  points  de  l'île  étant  d'un  accès  libre,  sinon 
facile,  pour  de  grands  navires.  Fatalement  donc,  Puerto-Rico,  où  il 
n'existait  cependant  pas  d'insurgés  et  où  la  défense  eût  été  facile  à 
organiser,  devait  tomber  aux  mains  des  Américains. 

Le  23  juillet,  le  général  Miles  débarquait  à  Guanica,  au  S.-O.  de 
l'île,  à  120  kilomètres  de  San-Juan  par  l'intérieur.  Les  Esp^nols  sur- 
pris, et  qui,  d'ailleurs,  n'étaient  pas  en  forces,  n'opposèrent  qu'une  légère 
résistance  et  se  retirèrent  ayant  eu  seulement  quatre  blessés.  Profitant 
de  la  négligence  des  autorités  espagnoles  qui  lui  laissaient  le  champ 

(J)  Voir  Revue  Française,  t.  XXIU,  p.  363,  429,  485. 

xxni  (Septembre  98).  N«  237.  35 


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538  REVUE  FRANÇAISE 

libre,  le  général  Miles  marcha  sur  Ponce,  ville  importante  du  sud  de 
l'île,  qu'il  occupa  sans  résistance,  les  Espagnols  l'ayant  évacuée  à  son 
approche.  Mais  avant  de  s'avancer  dans  l'intérieur  de  Tile,  le  géoéral 
Miles  s'occupa  de  réunir  autour  de  lui  les  forces  qui  arrivaient  des  États- 
Unis.  10.000  hommes  ayant  été  ainsi  concentrés,  Tavant-garde  améri- 
caine marcha  en  avant.  Les  Espagnols  abandonnant  le  littoral  sud  de 
Tile  s'étaient  retirés  à  Aibonito,  bonne  position  stratéjiique  qui  couTre 
la  route  de  San-Juan.  Pour  attacjuer  cette  position  de  deux  côtés  difié- 
rents,  le  général  Miles  fit  débarquer  à  Arroyo,  la  division  du  général 
Brooke,  qui  s'empara  de  Guayamo  (5  août),  après  une  faible  résislauce 
de  lagarnison.  Le  9,  un  engagement  eut  lieu  à  Coamo  qui  fut  pris  par 
les  Américains  avec  une  perte  de  7  blessés.  L'attaque  d'Aibonito 
n'avait  pas  encore  eu  lieu  lorsque  survint  la  conclusion  des  prélimi- 
naires de  paix.  Un  engagement  eut  lieu  à  Cabezas  de  San-Juan,  où  les 
Américains  avaient  occupé  le  phare  que  les  Espagnols  essayèrent  de 
reprendre.  Le  dernier  combat  s'est  livré  à  Mayaguez  où  les  Américains 
ont  eu  1  tué  et  IS  blessés. 

.  Comme  on  le  voit,  la  campagne  de  Puerto-Rico  n'a  donné  lieu  qu'à 
des  escarmouches.  Mais  en  présence  du  désarroi  des  Espagnols,  de 
l'accueil  souvent  sympathique  des  habitants,  le  succès  des  Américains 
n  était  pas  douteux.  A  la  date  du  22  août,  il  y  avait  parmi  leurs  troupes 
près  de  1.000  cas  de  malaria,  dysenterie,  fièvre  typhoïde.  Le  chiffre  est 
significatif. 

A  Cuba,  il  n'y  a  pas  eu  d'opérations,  depuis  la  reddition  de  Santiago. 
Cependant  le  12  août,  les  Américains  ont  de  nouveau  bombardé  par 
mer  Manzanillo,  que  les  insurgés  attaquaient  par  terre.  Sommée  de  se 
rendre  après  six  heures  de  canonnade,  la  place  a  refusé. 

L'état  sanitaire  de  l'armée  américaine  (jui  occupe  tranquillement 
Santiago  de  Cuba  est  fort  peu  satisfaisant.  Le  nombre  des  malade> 
qui  était  de  L500  au  22  juillet,  avait  atteint  4.279,  le  28,  et  était 
encore  de  3.25S  au  10  août,  malgré  des  rapatriements  et  le  départ 
d'une  partie  des  troupes  pour  Puerto-Rico,  Quel  chiffre  effrayant  n'eût 
pas  atteint  l'armée  du  général  Shafter,  si  le  siège  avait  contiDué  !  D'un 
relevé  officiel,  il  résulte  que  du  débarquement  à  la  capitulation,  les 
Américains  ont  eu  240  tués,  dont  21  officiers,  \  .384  blessés  dont  98  offi- 
ciers, 84  disparus,  soit  1.914. 

Les  relations  entre  Américains  et  insurgés  cubains  sont  très  tendues. 


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GUERRE  HISPANO-AMÉRICAINE  539 

le  général  Shafter  n'ayant  pas  voulu  remettre  l'administration  de  San- 
tiago aux  insurgés,  ni  même  autoriser  leur  entrée  en  troupe  armée 
dans  la  ville.  Le  chef  Calixto  Garcia  s'est  retiré  dans  Tintérieur.  Les 
insurgés  qui  n'ont  prêté  aux  Américains  qu'un  concours  peu  efficace  et 
que  ceux-ci  traitent  avec  mépris,  ne  sont  sans  doute  qu'au  début  des 
surprises  qui  les  attendent. 

Les  Américains  qui  avaient  déjà  capturé  et  retenu  le  paquebot  fran- 
çais Lafayette  au  début  des  hostilités,  ont  encore  saisi  les  paquebots 
Olinde-Rodrigues  et  Manoubia  qui  passaient  près  de  Puerto-Rico,  hors 
de  la  ligne  de  blocus.  Ces  procédés  vexatoires  ne  laissent  pas  que  de 
surprendre  et  on  est  étonné  en  France  de  la  mollesse  du  Gouvernement 
à  en  demander  réparation. 

PHILIPPINES.    CAPITULATION    DE  MANILLE 

Depuis  le  combat  naval  de  Cavité  aucun  engagement  n'avait  eu  lieu 
aux  Philippines  entre  Espagnols  et  Américains.  Ceux-ci,  qui  recevaient 
peu  à  peu  leurs  troupes  de  terre,  s'avançaient  cependant  graduellement 
sur  Manille,  que  les  insurgés  bloquaient  toujours  étroitement.  Afm  de 
d^ager  les  abords  de  la  place,  les  Espagnols  résolurent  d'attaquer  les 
troupes  du  général  Greene  qui  établissaient  des  batteries  près  de  Malate. 
Dans  la  nuit  du  31  juillet  au  l*"^  août,  3  000  Espagnols  profitant  d'un 
orage  violent  et  d'un  pluie  torrentielle  qui  cachaient  leur  marche,  as- 
saillirent l'aile  droite  des  Américains.  Ces  derniers  surpris,  reculèrent 
d'abord,  ne  se  rendant  pas  compte  de  la  situation  au  milieu  de  la  nuil 
noire,  et  les  Espagnols  s'emparèrent  des  premiers  retranchements  enne- 
mis. Mais  le  général  Greene  ayant  reçu  des  renfoils  et  ayant  rétabli  le 
combat,  les  Espagnols  se  replièrent  sur  Manille.  Les  pertes  des  Américains 
ont  été  de  H  tués  et  46  blessés.  Les  Espagnols,  dont  les  pertes  sont  in- 
connues, ont  pu  emporter  leurs  morts.  Commencé  à  11  h.  i/i  du  soir  le 
combat  était  terminé  à  3  h.  du  matio.  Les  insurgés,  dont  les  rapports 
avec  les  Américains  sont  très  tendus,  n'ont  pas  bougé  de  leurs  retran- 
chements. Dans  la  nuit  du  1^'  au  2  août  les  Espagnols  ont  fait  une 
nouvelle  sortie  ;  mais  les  Améri(5aiiis,  qui  avaient  renforcé  leurs  lignes, 
se  tenaient  cette  fois  sur  leurs  gardes. 

La  4^  expédition  américaine,  composée  de  o  navires  est  arrivée  dans 
la  baie  de  Manille  le  4  août,  ainsi  que  le  monitor  Monterey.  L'amiral 
Dewey  et  le  général  Merritt  ayant  ainsi  réuni  leurs  forces  devant  Manille 


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540  REVUE  FRANÇAISE 

résolurentd'attaquerlaplace.Le  i3  août,rainiral  Dewey,somma  legéûéral 
Augustin  de  capituler  dans  le  délai  d'une  heure,  et  sur  son  refus,  ouvrit 
le  feu  avec  son  escadre  à  9  h.  du  matin.  Les  batteries  de  la  côte,  n'ayant 
pas  répondu,  Tamiral  fit  cesser  le  feu  au  bout  d'une  heure,  le  tir  ayant 
surtout  porté  sur  les  ouvrages  défensifs  du  littoral.  Pendant  ce  temps  les 
troupes  de  terre  attaquaient  les  lignes  espagnoles.  Celles-ci  s'étendaient 
jusqu'à  une  distance  variant  entre  4  et  7  kilomètres  du  corps  de  la 
place.  Mais  le  nombre  des  défenseurs  (environ  S.OOO)  étant  insuffisant, 
les  Espagnols  se  replièrent  sur  le  corps  de  la  place  q)rès  une  courte 
défense,  qui  ne  fut  énergique  que  sur  la  droite  des  Américains.  Ceax- 
ci  eurent  46  tués  et  iOO  blessés.  A  1  h.  30  le  drapeau  blanc  ^ait  arboré 
et  le  général  Jaudenez,  commandant  la  place,  capitulait.  Le  générai 
Augustin,  capitaine  général,  remplacé  le  S  août,  était  parti  sur  le 
navire  de  guerre  allemand  Kaiserin  Augmta  pour  Hong-Kong,  où  il 
arrivait  le  18. 
Voici  le  texte  de  la  capitulation  : 

Les  soussignés,  ifiommés  commissaires  pour  le  règlement  des  détails  de  la 
capitulation  de  la  ville  et  des  ouvrages  de  d^ense  de  Manille  et  de  ses  &a- 
bourgs,  ainsi  que  des  forces  espagnoles  y  statioqnées,  conformément  à  un 
accord  survenu  la  veille  entre  le  major  général  Wesley  Merritt,  commandant 
en  chef  des  forces  des  Etats-Unis  aux  Philippines,  et  S.  Exe.  Don  Fermin  Jaa- 
denès,  faisant  fonctions  de  général  en  chef  de  l'armée  espagnole  aux  Philip- 
pines^ ont  convenu  ce  qui  suit  : 

1^  Les  troupes  espagnoles,  tant  européennes  qu*indigènes,  capitulent  ainsi 
que  la  ville  et  les  ouvrages  de  défense  avec  tous  les  honneurs  de  la  guerre. 

Elles  déposeront  leurs  armes  aux  endroits  qui  seront  désignés  par  les  au- 
torités des  Etats-Unis. 

Elles  resteront  dans  les  quartiers  qui  leur  seront  affectés  sous  la  garde  de 
leurs  officiers,  et  seront  soumises  au  contrôle  des  susdites  autorité  des  Etats- 
Unis  jusqu'à  la  conclusion  d'un  traité  de  paix  entre  les  deux  nations  bel- 
ligérantes. Toutes  les  personnes  non  comprises  dans  la  capitulation  restent  en 
liberté. 

Les  officiers  resteront  dans  leurs  domiciles  respectifs,  et  seront  respectés 
aussi  longtemps  qu'ils  observeront  les  règlements  qui  les  régissent  et  les  lois 
en  vigueur. 

2®  Les  officiers  conserveront  leurs  armes  blanches,  leurs  chevaux  et  les 
objets  leur  appartenant  en  propre. 

Les  chevaux  et  objets  appartenant  en  commun,  de  quelque  autre  nature 
qu'ils  soient,  seront  remis  à  des  officiers  d'état-major  désignés  par  ks 
Etats-Unis. 

Z°  Un  état  d'effectifs  complets  des  hommes  par  corps  on  services  et  une  liste 


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GUERRE  HISPANO-AMÉRICAINE  541 

complète  du  matériel  et  des  approvisionnements  seront  remis  en  double  ex- 
pédition aux  Etats-Unis  dans  un  délai  de  dix  jours  à  compter  du  présent  jour. 

4^  Toutes  les  questions  relatives  au  rapatriement  des  officiers  et  des  soldats 
des  forces  espagnoles  et  de  leurs  familles  ainsi  qu*aux  dépenses  que  ledit  ra- 
patriement peut  occasionner  seront  déférées  au  gouvernement  des  Etats-Unis, 
à  Washington. 

Les  familles  espagnoles  pourront  quitter  Manille  à  tous  les  moments  qu'il 
leur  conviendra*    > 

lA  remise  des  armes  rendues  par  les  forces  espagnoles  aura  lieu  quand  ces 
forces  évacueront  la  ville,  ou  quand  Tannée  américaine  y  entrera. 

5°  Les  officiers  et  soldats  compris  dans  la  capitulation  seront  pourvus  par 
les  Etats-Unis,  conformément  à  leur  rang,  des  vivres  nécessaires,  attendu 
qu'ils  seront  prisonniers  de  guerre  jusqu'à  la  conclusion  d'un  traité  de  paix 
entre  les  Etats-Unis  et  l'Espagne. 

Tous  les  fonds  qui  se  trouvent  à  la  Trésorerie  espagnole  et  dans  toutes  les 
autres  caisses  publiques  seront  versés  aux  autorités  des  Etats-Unis. 

6^  La  ville  de  Manille,  ses  habitants,  ses  églises,  ses  édifices  religieux,  ses 
établissements  d'éducation  et  ses  propriétés  privées  de  toute  nature  seront 
placés  sous  la  sauvegarde  de  la  foi  et  de  l'honneur  de  l'armée  américaine. 

Suivent  les  signatures  des  7  commissaires,  4  américains  et  3  espagnols. 

La  capitulation  de  Manille,  à  rencontre  de  celle  de  Santiago,  n'affecte 
que  la  ville  même.  Bien  que  survenue  le  lendemain  de  la  signature 
des  préliminaires  de  paix,  elle  garde  toute  sa  valeur  sous  le  rapport  des 
conséquences  aux  yeux  des  Américains,  le  général  Merritt  ayant  ignoré 
la  cessation  des  hostilités.  Les  Américains  devaient  du  reste  occuper 
Manille,  d'après  les  préliminaires  de  paix  ;  mais  ils  y  entrent  en  vain- 
queurs et  cette  occupation  ne  sera  sans  doute  pas  sans  conséquence  sur 
le  sort  de  File  de  Luçon  dont  les  Américains  demandent  Tanhexion. 
Si  Manille  avait  pu  tenir  jusqu'à  la  connaissance  des  préliminaires  de 
paix,  c'est-à-dire  48  heures  de  plus,  —  et  cela  serait  certainement 
arrivé  si  l'escadre  Camara,  bien  inutilement  rappelée,  avait  poursuivi 
sa  route  sur  les  Philippines  —  la  situation  de  l'Espagne  serait  bien 
meilleure  pour  la  discussion  de  sa  domination  dans  l'archipel. 

Manille  commençait  à  souffrir  de  la  famine  ;  la  provision  de  riz  tou- 
chait à  sa  fin.  On  brûlait  les  portes  et  les  châssis  des  fenêtres  faute  de 
combustible.  Les  pluies,  la  famine,  la  mauvaise  qualité  des  eaux 
avaient  produit  une  épidémie  qui  fit  de  nombreuses  victimes. 

Comme  à  Santiago,  les  insurgés  n'ont  pas  été  autorisés  à  entrer  en 
armes  dans  la  ville.  Les  Américains  les  tiennent  à  l'écart  ;  aussi  Agui- 
naldo  et  les  siens  ne  cachent-ils  pas  leur  mécontentement.  Sans  tenir 


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548  REVUE  FRANÇAISE 

compte  de  l'armistice  ils  vont  attaquer  les  îles  Yisayas  et  Oo-Do,  où 
commaDde  le  général  Rios. 

Préliminaires  de  paix. 

Vaincue  sur  terre  et  sur  mer,  ayant  conscience  de  rimpuissance  de 
sa  marine,  du  manque  de  direction  de  ses  forces  de  terre,  de  son  isole- 
ment en  présence  des  États-Unis  ainsi  que  de  son  propre  abandon, 
TEspagne  s'est  décidée  à  demander  la  paix.  Maintenant  que  Ton  com- 
mence à  connaître  la  situation  réelle  du  pays,  on  se  demande  comment 
le  cabinet  Sagasta  a  pu  attendre  si  longtemps  avant  de  foire  cette 
démarche  suprême.  Partout  où  il  a  fallu  se  battre  les  Espagnols  ont  été 
héroïques,  mais  partout  les  ordres  supérieurs,  la  faiblesse  du  comman- 
dement, ou  rimpuissance  matérielle  ont  paralysé  les  belles  vertus  du 
peuple  espagnol  :  courage,  dévouement,  abnégation.  Combiea  de 
soldats  et  d'officiers  laissent  leurs  os  sous  le  ciel  de  feu  des  tropiques? 
n  serait  difficile  de  le  dire  ;  mais  ce  qui  est  profondément  triste,  c'est 
que  ces  sacrifices  ont  été  trop  souvent  sans  utilité  pour  la  patrie. 

Les  négociations  entamées  à  Washington  le  36  juillet  par  l'intermé- 
diaire de  M.  Jules  Cambon,  ambassadeur  de  France,  chargé  par  l'Es- 
pagne des  pouvoirs  nécessaires^  ont  abouti,  le  12  août,  à  la  signature 
des  préliminaires  de  paix  dont  voici  le  texte  : 

S.  Exe.  M.  Cambon,  ambassadeur  extraordinaire  et  ministre  plénipoten- 
tiaire de  la  République  française  à  Washington,  et  M.  William  Day,  secn* 
taire  d*Etat  aux  Etats- Unis,  ayant  reçu  respectivement  à  cet  effet  pleins  pou- 
voirs du  gouvernement  espagnol  et  du  gouvernement  des  Etats-Unis,  ont 
établi  et  signé  les  articles  suivants,  qui  précisent  les  termes  sur  lesquels  les 
deux  gouvernements  se  sont  mis  d'accord  relativement  aux  questions  ci-des- 
sous énumérées  et  qui  ont  pour  objet  l'établissement  de  la  paix  entre  le^ 
deux  pays,  à  savoir  : 

Art.  1^.  L'Espagne  renoncera  à  toute  prétention  à  sa  souveraineté  et  à  tous 
ses  droits  sur  Tile  de  Cuba. 

Art.  2.  L'Espagne  cédera  aux  Etats-Unis  l'Ile  de  Porto-Rico  et  les  autres 
îles  qui  se  trouvent  actuellement  sous  la  souveraineté  de  l'Espagne  aux  An- 
tilles, ainsi  qu'une  île  dans  l'archipel  des  Ladrones,  au  choix  des  Etats-Unis. 

Art.  3.  Les  Etats-Unis  occuperont  et  conserveront  la  ville,  la  baie  et  le  port 
de  Manille  en  attendant  la  conclusion  d'un  traité  de  paix  qui  devra  déter- 
miner le  contrôle  et  le  genre  de  gouvernement  des  Philippines. 

Art.  4.  L'Espagne  évacuera  inmiédiatement  Cuba,  Porto-Rico  et  les  auUts 
Mes  qui  se  trouvent  actuellement  sous  la  souveraineté  de  l'Espagne  aux  An- 
tilles. A  cet  effet,  chacun  des  deux  gouvernements  choisira  des  commissaires 


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GUERRE  HISPANO-AMÉRICAINE  543 

dans  les  dix  jours  qui  suivront  la  signature  de  ce  protocole,  et  les  commis- 
saires ainsi  choisis  devront,  dans  les  trente  jours  qui  suivront  la  signature 
du  protocole,  se  réunir  à  la  Havane,  dans  le  but  de  convenir  et  d'arriver  à 
Texécution  des  détails  de  Tévacuation,  ci-dessus  mentionnée,  de  Cuba  et  des 
îles  espagnoles  adjacentes,  et  chacun  des  deux  gouvememeqts  nommera 
également,  dans  les  dix  jours  qui  suivront  celui  delà  signature  du  protocole, 
d'autres  commissaires  qui  devront,  dans  les  trente  jours  qui  suivront  la  si- 
gnature de  ce  protocole,  se  réunir  à  San-Juan  de  Porto-Rico,  pour  s'entendre 
sur  les  détails  de  l'évacuation  de  Porto-Rico  et  des  autres  îles  qui  se  trouvent 
actuellement  sous  la  souveraineté  de  TEspagne  aux  Antilles. 

Art.  5.  L'Espagne  et  les  Etats-Unis  nommeront  pour  traiter  delà  paix,  cinq 
commissaires  au  plus  pour  chaque  pays.  Les  commissaires  ainsi  nommés  de-  - 
vront  se  réunir  à  Paris,  le  i"  octobre  1898  au  plus  tard,  et  procéder  à  la  né- 
gociation et  à  la  conclusion  d'un  traité  de  paix.  Ce  traité  devra  être  ratifié 
conformément  aux  lois  constitutionnelles  des  deux  pays. 

Art.  6.  Une  fois  terminé  et  signé  ce  protocole,  les  hostilités  devront  être 
suspendues  et,  à  cet  effet,  dans  les  deux  pays  des  ordres  devront  être  donnés 
par  chaque  gouvernement  aux  chefs  de  leurs  forces  de  terre  et  de  mer  aussi 
rapidement  que  possible. 

Fait  double  à  Washington,  en  français  et  en  anglais,  par  les  soussignés 
qui  apposent,  au  bas  de  l'acte  leur  signature  et  leur  sceau. 

Le  12  août  1898. 

D  faut  avant  tout  faire  remarquer  que  c'est  la  France,  puissance 
amie  des  deux  belligérants  qui  a  été  choisie  comme  négociatrice.  C'est 
là  un  hommage  rendu  à  notre  influence. 

Ainsi  qu'il  résulte  des  termes  du  protocole,  l'Espagne  perd  tout  ce 
qui  lui  restait  de  ses  colonies  d'Amérique  et  une  des  îles  Ladrones,  en 
Océanie.  Le  sort  des  Philippines  sera  réglé  par  les  négociations  qui 
vont  s'ouvrir.  On  prête  aux  États-Unis  l'intention  d'exiger  la  cession 
non  seulement  de  Manille  mais  de  toute  Tîle  de  Luçon,  ce  qui  porterait 
on  coup  sérieux  à  la  domination  espagnole  dans  l'archipel.  Les  Améri- 
cains laissent  entrevoir  une  soif  de  conquêtes  qu'on  ne  leur  soupçon- 
nait pas  et  nul,  en  Europe,  n'ose  risquer  envers  le  nouvel  astre  naissant 
au  point  de  vue  colonial,  la  moindre  observation  —  qui  sérail  d'ail- 
'eurs  fort  mal  accueillie. 

Partis  pour  la  délivrance  de  Cuba,  dans  un  but  purement  humani- 
taire, les  États-Unis  dépouillent  l'Espagne  de§  3/4  de  son  empire 
colonial.  A  part  les  sacrifices  en  hommes  et  en  aident,  on  se  demande 
ce  que  l'Espagne  aurait  pu  perdre  davantage,  si  elle  avait  lutté  jusqu'à 
ce  que  les  colonies  qu'elle  cède  eussent  été  conquises,  Cuba  notamment. 


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544  KEVUE  FRANÇAISE 

Jusqu'à  ce  jour  il  fallait  conquérir  un  pays  pour  pouvoir  le  posséder; 
souvent  même  le  vainqueur  restituait  au  vaincu  une  large  part  de  ce 
qu'il  avait  pris.  De  l'autre  côté  de  l'Atlantique  les  règles  sont  reover- 
sées^  car  les  États-Unis  demandent  non  seulement  ce  qu'ils  ont  pris, 
mais  surtout  ce  qu'ils  auraient  pu  conquérir.  Les  Américains  peavent 
être  un  peuple  supérieur  à  bien  des  points  de  vue,  mais  ils  ne  sont  pas 
accessibles  aux  sentiments  qui  font  la  grandeur  d'âme  et  la  générosité 
envers  le  vaincu.  Leur  politique  est  avant  tout  celle  des  affaires  ;  elle 
se  résume  toute  en  ce  mot  :  Business. 

C.  DE  Lasalle. 


SIAM 

L'EXPLOITATION   DU    BOIS   DE   TEAK 

Les  forêts  de  bois  de  teak  se  rencontrent  surtout  dan»  le  nord  du  Siam, 
notamment  aux  environs  de  Nan,  de  Chieng-Maï,  de  Lampoon  et  sur  la 
rive  droite  du  Meï-Ping. 

Dès  1860,  la  Bornéo  Company  avait  des  agents  dans  ces  régions,  mais 
c'est  seulement  depuis  iO  ans  que  le  commerce  du  bois  de  teak  a  pris 
une  grande  importance,  qui  date  de  l'époque  de  la  création  d'un  vice- 
consulat  d'Angleterre  à  Chieng-Maï. 

Presque  tous  les  locataires  des  forêts  de  ce  bois  sont  Birmans  en 
apparence,  Anglais  en  réalité.  Le  locataire  birman  a,  en  effet,  fort  peu 
de  ressources,  et  lorsqu'il  a  obtenu  la  concession  d'une  forêt,  il  est  obligé, 
pour  l'exploiter,  d'emprunter  des  capitaux  aux  maisons  anglaises  de 
Bangkok.  Ces  capitaux  lui  sont  fournis  à  gros  intérêts,  à  condition  en 
outre  que  le  bois  de  teak  soi  1 1  i  vré  sur  telle  rivière  et  à  un  prix  fixé  d'avance. 

La  moitié  du  capital  emprunté  est  consacrée  à  l'achat  des  éléphants. 
Cela  n'est  pas  surprenant,  car  un  éléphant  ordinaire  coûte  1.000  roupies 
et  un  éléphant  de  choix  3.000.  Or,  il  en  faut  parfois  50  pour  des  forêts 
éloignées  ou  d'accès  difficile.  Le  reste  est  destiné  à  faire  des  avances  aux 
coolies  sur  leurs  gages  et  à  subvenir  aux  dépenses  d'exploitation  pen- 
dant les  3  ou  4  ans  qu'il  faut  attendre  avant  qu'aucun  pied  de  bois  de 
teak  arrive  sur  le  marché. 

La  V^  année,  on  fait  à  l'arbre,  à  1  mètre  du  sol,  une  entaille  circu- 
laire par  laquelle  la  sève  s'écoule.  A  la  suite  de  cette  saignée,  l'arbre 


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SIAM  545 

sèche  et  meurt:  cette  opération  est  nécessaire,  car  l'arbre  vert  ne  pour- 
rait pas  flotter.  La  2®  année,  on  abat  l'arbre  et  on  l'élague.  La  3®  année, 
lorsqu'il  est  tout  à  fait  sec,  l'arbre  est  transporté  par  les  éléphants  jus- 
qu'aux ruisseaux,  d'où  il  descend  jusqu'à  Bangkok,  à  l'aide  du  courant. 

Pour  que  l'arbre  flotté  arrive  à  bon  port,  il  ne  faut  pas  qu'il  y  ait 
trop  peu  d'eau,  ni  trop. 

Lorsqu'il  y  a  trop  d'eau,  le  pays  étant  inondé,  les  radeaux  s'aventu- 
rent au  delà  des  berges  normales  et,  en  cas  de  baisse  des  eaux,  les  bois 
restent  échoués  au  milieu  des  terres  et  sont  perdus.  Lorsqu'il  n'y  a  pas 
assez  d'eau,  ii  n'y  a  qu'à  attendre  à  l'année  suivante. 

On  met  sur  les  bois  la  marque  de  la  C'«.  Une  fois  arrivés  à  la  rivière, 
les  bois  sont  réunis  au  nombre  d'environ  130  pieds  et  constituent  des 
radeaux,  qui  se  forment  en  juin  à  Raheng,  sur  le  Meï-Ping,  et  à  Soko- 
tai,  sur  le  Me-Yom.  Des  bateliers  sont  ensuite  engagés  à  raison  de  7  ou 
8  par  radeau  et,  se  bâtissant  une  hutte  dessus,  ils  descendent  avec  lui 
le  cours  du  fleuve.  Il  faut  15  jours  à  un  train  de  bois  pour  descendre 
de  Raheng  à  Paknampoh;  10  jours  de  Sawankalok,  sur  le  Me-Yom,  à 
Paknampoh;  3  jours  de  là  à  Cheï-Mat,  où  l'on  paie  la  taxe  à  l'admi- 
nistration siamoise;  10  jours  après,  on  atteint  Bangkok. 

Avant  d'atteindre  une  de  ces  3  rivières,  à  l'aide  des  éléphants  ou 
par  les  ruisseaux,  il  faut  parfois  de  longs  mois,  et  c'est  ainsi  que  cer- 
tains trains  de  bois  mettent  un  an  pour  arriver  à  destination,  sans  comp- 
ter qu'en  route  de  nombreux  vols  sont  commis,  souvent  môme  par  les 
domestiques  et  coolies  du  locataire  de  la  forêt. 

Le  régime  des  forêts  est  très  variable,  suivant  les  provinces.  Les 
concessions  sont  données  directement  par  les  gouverneurs  dans  les 
provinces  de  Chieng-Maï,  Raheng  et  Lakhon;  elles  ont  une  durée  limi- 
tée, le  plus  souvent  3  ans.  Aussi,  le  concessionnaire  dévaste-t-il  le 
plus  vite  possible  sa  concession,  saignant,  abattant  même  les  jeunes 
tailles,  sans  scrupule  pour  l'avenir.  Il  faudrait,  conmie  les  Anglais  l'ont 
fait  en  Birmanie,  réglementer  cette  exploitation  et  attendre,  pour  couper 
un  arbre,  qu'il  ait  atteint  une  certaine  circonférence. 

On  estime  à  6.600.000  francs  la  valeur  du  bois  de  teak  tiré  par  an 
des  forêts  du  Siam.  Comme  il  faut  compter  dans  ce  commerce  sur  un 
espace  de  4  ans  avant  de  retirer  un  bénéfice,  on  peut  dire  que  le  capi- 
tal engagé  dans  ce  commerce  du  bois  de  teak  est  de  26.400.000  fr., 
et  l'on  évalue  à  4.700.000  fr.  le  revenu  annuel  retiré  par  le  gouver- 


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546  REVUE  FRANÇAISE 

nement  siamois,  au  moyen  des  taxes  perçues  sur  les  bois  de  teak.  Ce 
revenu  sera  doublé  le  jpur  où  Ton  exploitera  les  forêts  de  Nan  et  du 
nord  de  Luang-Prabang. 

La  Bornéo  Company  et  la  Bombay  Burmah  Trading  Corporation 
achètent  plus  de  la  moitié  du  bois  de  teak  provenant  du  Siam.  Tokay 
Lam  Sam,  Chinois  protégé  Français,  vient  ensuite  comme  acheteur. 

Le  marché  principal  de  bois  de  teak  est  à  Londres  ;  on  le  paie  envi- 
ron 200  fr.  par  stère.  Fn  1895,  l'importation  de  ce  bois  à  Londres  a  été 
de  20.280  tonnes,  contre  9.720  t.  en  1894.  Les  envois  totaux  du  Siam 
et  de  la  Birmanie  en  Europe  ont  été,  en  1895,  de  70.800  tonnes,  contre 
51.400  t.  en  i894. 

Il  serait  intéressant  de  savoir  quelle  est  la  quantité  de  bois  de  teak 
importée  en  France.  C'est  là  une  question  de  douane,  car  le  marché 
du  teak  se  trouvant  à  Londres,  c'est  de  ce  point  que  sont  expédiés 
tous  les  chargements  à  destination  de  France.  Il  faut  cependant  excep- 
ter les  achats  faits  pour  notre  marine,  qui  sont  envoyés  en  France 
par  Saïgon.  Ce  n'est  que  depuis  peu  que  la  marine  a  compris  l'avantage 
de  s'approvisionner  directement  à  Bangkok.  Elle  profite  aussi,  pour  ses 
transports  en  France,  des  gros  vapeurs  de  la  C'®  Nationale,  qui  amènent 
périodiquement  en  Indo-Chine  troupes  et  approvisionnements  et  revien- 
nent parfois  à  vide.  Le  premier  achat  direct  remonte  à  mars  1893;  il 
a  dû  être  satisfaisant,  car  depuis  cette  époque,  les  achats  n'ont  fait  que 
progresser. 

L'industrie  du  teak  amène  tout  naturellement  à  parler  de  ses  prin- 
cipaux ouvriers,  les  Khamous,  dont  le  rôle  est  très  important  dans  les 
travaux  d'exploitation  des  forêts. 

Les  Khamous  constituent  la  tribu  des  «  Kas  Khamous  »  de  la  région 
du  Nam-Hon  et  relèvent  de  Luang-Prabang.  Ils  sont  fétichistes  et  ont 
un  idiome  spécial.  Sous  le  régime  siamois,  ils  étaient  durement  exploi- 
tés; on  leur  envoyait  des  mandarins  qui,  sous  prétexte  de  prélever 
l'impôt  du  riz,  se  livraient  à  de  telles  concussions,  que  les  Khamous 
émigraient  en  grand  nombre  sur  la  rive  droite  du  fleuve.  Depuis  21  ans, 
40.000  Khamous  auraient  ainsi  émigré,  sous  la  conduite  de  chefs  ap- 
pelés naï-roï.  En  arrivant  dans  les  principautés  dç  Chieng-Maï,  de  La- 
kon,  de  Preh  et  de  Nan,  ces  riahroï  passaient  des  contrats,  pour  l'ex- 
ploitation des  forêts  de  teak,  avec  les  Birmans,  qui  en  sont  pour  ainsi 
dire  les  seuls  concessionnaires» 


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EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS  547 

Les  travaux  des  forêts  se  font  pendant  les  pluies,  de  juin  à  novembre, 
et  les  Khamous  sont  d'excellents  ouvriers  pour  ce  travail;  pendant  la 
saison  sèche,  ils  sont  employés  aux  travaux  domestiques  chez  les  con- 
cessionnaires 

Depuis  le  traité  franco-siamois  de  1893,  les  Khamous,  placés  sous 
une  administration  plus  régulière,  n*ont  plus  les  mêmes  tendances  à 
émigrer  ;  déjà  même  beaucoup  d'anciens  émigrants  reviennent  de  la 
rive  droite  sur  la  rive  gauche  (française)  du  Mékong,  de  sorte  que  la 
naain-d'œuvre  des  Khamous,  si  bon  marché  et  si  précieuse  pour  les 
bois,  menace  de  devenir  plus  rare. 

Aussi,  les  O^  anglaises  songent-elles  à  s*adresser  aux  Karènes  de  la 
rive  gauche  de  la  Salouen  ;  mais  avec  eux,  le  salaire  et,  par  suite,  le 
prix  du  bois  de  teak  augmenteront  certainement. 

En  raison  de  cette  migration,  il  ne  serait  pas  impossible  de  détour- 
ner, en  partie  du  moins,  le  courant  commercial  du  bois  de  teak  de 
Bangkok  sur  Pnom-Penh,  par  la  voie  du  Mékong.  Mais  il  n'y  faut  pas 
songer  pour  le  moment,  après  l'exploration  hydrographique  du  Mékong 
par  le  lieutenant  de  vaisseau  G.  Simon.  Plus  tard,  quand  le  fleuve  aura 
été  balisé,  quand  ses  rapides  auront  été  rendus  praticables,  à  la  suite 
de  travaux  qui  ne  peuvent  être  que  Fœuvre  du  temps,  il  sera  possible 
d'utiliser  ses  magnifiques  biefs  et  de  rendre  navigables  au  conmaerce 
les  passages  difficiles  qui  les  séparent.  Déjà,  les  vapeurs  de  la  C'*'  des 
Messageries  fluviales  naviguent  sur  le  Mékong  central,  non  sans  diffi- 
cultés, il  est  vrai.  Ce  résultat  inespéré  est  plein  de  promesses  pour 

l'avenir  et  de  bon  augure  pour  le  développement  du  Laos. 

B. 


EXPLORATEURS  ET  VOYAQEURS 

AFRIQUE 

M.  de  Béhagle  (XXIII,  435),  se  trouvait,  à  la  fin  de  mai,  sur  le  haut 
Oubangui,  attendant  les  dernières  charges  envoyées  de  Brazzaville  à  sa 
mission.  U  ne  lui  a  pas  fallu  moins  de  9  mois  pour  monter  de  la  côte  à 
rOubangui  et  au  Gribingui.  A  Bangui,  il  a  utilisé  son  séjour  forcé  à  la 
répression  des  cannibales  et  à  la  reconnaissance  des  vallées  de  la  Kémo 
et  de  la  Toumi,  d'où  il  a  rapporté  de  nouvelles  observations  géogra- 


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548  REVUE  FRANÇAISE 

pliiques.  Les  données  anciennes  sur  ces  rivières  doivent  être  changées, 
car  la  Kémo,  après  une  direction  N.-N.-E.,  s'infléchit  vivement  à  i*E., 
se  rapproche  de  TOubangui  à  moins  d'une  heure  de  marche  et  à  âO  kil. 
à  Test  de  son  confluent.  Au  contraire,  la  Toumi  vient  du  N.  sur  tout 
son  parcours  navigable.  M.  de  Béhagie,  une  fois  ses  chaires  reçues, 
ralliera  aussitôt  la  tète  de  sa  caravane  sur  le  Gribingui.  Dès  que  les 
eaux  de  cette  rivière  seront  hautes,  c'est-à-dire  dans  le  milieu  de  juin, 
il  se  mettra  en  route  et  descendra  au  Baguirmi  où  il  compte  arriver  aa 
commencement  de  juillet.  En  août,  il  reviendra  sur  TOubangui  prendre 
de  nouveaux  approvisionnements  et  sera  de  retour  au  Baguirmi  en 
octobre. 

Le  1^  anglais  Brodie  est  arrivé  en  Angleterre  au  retour  d'une  mission 
politique  au  Gando  et  au  Sokoto.  11  était  accompagné  d'une  centaine  de 
haoussas  commandés  par  le  capitaine  Carroll.  Le  1'  Brodie  croit  â  l'in- 
vasion du  Sokoto  central  par  Rabah,  le  conquérant  du  Bornou. 

Le  prince  Heiu^i  d'Orléans  est  arrivé  à  Marseille  le  12  août,  revenant 
d'Abyssinie  où  la  saison  des  pluies  arrête  actuellement  toute  explora- 
tion. Sitôt  l'hivernage  terminé,  le  prince  compte  repartir  pour  rejoindre 
sa  caravane  et  son  convoi.  Ses  projets  sont  quelque  peu  modifiés.  Au 
lieu  de  marcher  conjointement  avec  le  c*"  Leontief,  il  se  propose  d'agir 
séparément,  quoique  dans  le  même  sens,  les  intérêts  français  ne  pou- 
vant que  gagner  à  une  action  complètement  libre  et  indépendante. 

M.  de  Bonchamps,  dont  nous  avons  fait  connaître  l'exploration  (XXDI, 
480),  a  donné  à  la  Société  de  géographie  de  Paris  quelques  renseigne- 
ments complémentaires  sur  son  itinéraire.  On  sait  que  son  but  était  de 
rejoindre  la  mission  Marchand  et  qu'il  n'a  pu  arriver  jusqu'au  Nil.  L'ex- 
ploration proprement  dite  commencée  à  la  rivière  Didessa,  se  continue 
par  Goré  et  Bouré.  M.  de  Bonchamps  franchit  ensuite  le  Baro  (le  Sobal 
des  Arabes)  près  de  son  confluent  avec  le  Birbir.  Il  fallut  pour  cela  fa- 
briquer des  radeaux  avec  du  bois  mort,  quelques  piquets  et  de  grands 
bidons  de  campement,  la  mission  ne  disposant  d'aucune  embarcation. 

M.  de  Bonchamps  longea  ensuite  la  rive  gauche  du  Baro.  Aux  mon- 
tagnes succédèrent  les  vallées,  puis,  à  Pomolé,  la  région  marécageuse 
et. la  plaine  qui  s'étend  jusqu'au  Nil.  Au  delà  de  l'Alouorou  on  ne  ren- 
contre plus  d'habitants,  les  indigènes  ne  s'aventurant  pas  dans  ce  pays 
de  la  fièvre.  Le  30  décembre  1897,  la  mission  arrivait  au  confluent  du 
Djouba  et  du  Baro.  Elle  n'avait  pas  d'embarcations,  soufi'rait  de  la  faim 


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EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS 


549 


et  de  la  fièvre.  Dans  ces  conditions,  M.  de  Bonchamps  crut  devoir  reve- 
nir en  arrière,  à  marches  forcées.  En  février  1898,  il  était  de  retour  à  la 
frontière  abyssine.  Un  accès  de  fièvre  bilieuse  le  mit  hors  d'état  de  re- 
commencer sa  tentative  avec  un  des  ras  de  Ménélik,  mais  deux,  de  ses 
compagnons  se  joignirent  à  ce  chef. 

M.  de  Bonchamps  est  le  premier  Européen  qui  ait  pénétré  dans  ces 
régions.  Seul,  Bottego  avait  traversé  le  Baro,  en  coupant  Titinéraire  de 


■wMy^i,:^\ 


Bonchamps.  La  partie  inférieure  du  Sobat,  à  partir  de  Nasser,  avait  été 
explorée  par  Junker  il  y  a  près  de  26  ans.  Mais  l'exploration  de  la  partie 
supérieure  est  l'œuvre  de  la  mission  de  Bonchamps. 

ASIE 

M.  Marcel  Monnier  (XXIII,  436),  dont  nous  avons  annoncé  le  retour 
à  Paris  le  26  juin,  après  ses  traversées  de  l'Asie,  a  donné  quelques  ren- 
seignements sur  la  dernière  partie  de  son  voyage.  iVprès  avoir  heureu- 
sement traversé  la  steppe  kirghize,  l'exploration  arrivait  à  Bagdad  le 
25  mars  1898  et,  quelques  jours  plus  tard,  à  Babylone,  ayant  ainsi  em- 
ployé 10  mois  dans  la  traversée  de  l'Asie  en  diagonale,  de  la  mer  Jaune 
au  golfe  Persique,  dont  7  mois  passés  sur  l'itinéraire  parcouru  par  les 


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550  REVUE  FRANÇAISE 

invasions  mongoles.  Depuis  les  ruines  de  Karakoroum  et  Karabal- 
Gassoun,  il  ne  s'est  guère  écarté  de  la  route  suivie  par  les  hordes  de 
Gengis-Khan.  Le  l^""  juin,  M.  Monnier  passait  la  frontière  persane  et  ar- 
rivait le  4  à  Tiflis. 

Le  lieut'  danois  Olufsm,  qui  a  exploré  le  Pamir  en  1896  (XXD,  H4), 
est  parti,  le  14  juin,  de  Och,  dans  le  Ferçhana,  à  la  tête  de  la  2*  expé- 
dition danoise  au  Pamir.  Sa  caravane,  qui  compte  10  hommes  annés 
et  16  chevaux,  est  approvisionnée  pour  un  an.  L'expédition  doit  passer 
une  partie  de  Tété  aux  environs  du  Yachil-Koul  et  du  Gas-Koul  où  eUe 
se  livrera  à  des  travaux  t(»pographiques,  à  des  observations  météorolo- 
giques et  à  des  recherches  botaniques  et  zoologiques.  Pendant  Tau- 
tomne,  elle  séjournera  dans  le  Vakhan  sur  la  frontière  d'Afghanistan. 
Elle  hivernera  ensuite  dans  le  Chougnan.  Au  printemps  1899,  dès  que 
les  passes  pourront  être  franchies,  M.  Olufsen  se  dirigera  au  nord  vers 
le  Turkestan.  Le  d' Paulen  s'occupera  des  récoltes  botaniques  et  le  prof 
Hjuler  des  observations  physiques. 

OCÉAME   ET   AMÉRIQUE. 

M.  Jules  Gamier,  après  avoir  parcouru  l'Australie  occidentale,  s'est 
embarqué  à  Albany  le  23  mai  et  est  rentré  en  France  avec  de  nombreux 
documents  sur  la  géologie,  la  linguistique.  Son  fils,  M.  Pascal  Garmer 
qui  l'accompagnait,  mais  avait  prolongé  son  séjour  en  Australie,  a  été 
emporté  par  la  fièvre  à  Coolgardie,  à  Tâge  de  26  ans.  Il  avait  effectué 
d'importants  voyages  au  Transvaal  et  en  N^^*^-Zélande. 

M.  /.  de  Brettes  est  arrivé  à  Bordeaux  (17  juil.),  après  de  nouvelles 
explorations  en  Colombie  et  en  N^^'-Grenade.  De  1892  à  1893,  puis  de 
1897  à  1898,  il  a  suivi  l'itinéraire  du  conquérant  espagnol  Quesada 
dans  les  marécages,  les  forèls  et  les  savanes  de  la  Colombie.  Il  a  traversé 
les  territoires  inexplorés  des  tribus  goagires,  le  Santander,  les  territoires 
aurifères  de  Soto,  les  miues  d'émeraude  de  Leïva.  Outre  ses  notes  de 
voyage,  M.  de  Brettes  rapporte  de  curieuses  collections  d'armes,  d'idoles, 
d'objets  de  toute  nature. 


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NOUVELLES  GEOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 

AFRIQUE 

Algérie  :  Réorganisatwn  administrative  (XXllI,  p.  241).  —  VOfficiel,  du 
25  août  a  publié  4  décrets  du  23  août  modifiant  Torganisation  administrative 
de  l'Algérie. 

Le  !«'  précise  et  fortifie  sur  certains  points  les  pouvoirs  du  gouverneur 
général. 

Le  2®  institue  sous  le  nom  de  <(  délégations  financières  algériennes  »  des 
corps  électife  nouveaux,  où  les  trois  grandes  catégories  de  contribuables  al- 
gériens sont  représentées  par  des  délégués  élus  qui  devront  être  consultés 
sur  toutes  les  questions  d'impôts.  Les  délégations  sont  au  nombre  de  trois, 
représentant  :  i^  les  colons  ;  2«  les  contribuables  des  villes  et  villages  autres 
que  les  colons;  3»  les  indigènes  musulmans. 

Le  3«  décret  modifie  l'organisation  du  conseil  supérieur.  La  principale 
innovation  consiste  dans  l'introduction  de  seize  nouveaux  membres  élus  qui 
sont  des  membres  des  délégations  désignés  par  leurs  pairs. 

Le  4«  décret  rendu  sur  le  rapport  du  ministre  des  cultes  réforme  l'orga- 
nisation des  consistoires  Israélites  algériens  et  les  renferme  dans  des  attribu 
tiens  d'ordre  purement  ecclésiastique,  en  transférant  aux  bureaux  de  bien- 
faisance la  distribution  des  secours  provenant  de  certaines  perceptions 
destinées  au  soulagement  des  Israélites  indigents. 

Les  Caravanes  au  Gowrara,  —  Cinq  caravanes  se  sont  rendues  au  Gourara 
pendant  la  campagne  1897-1898  : 

La  caravane  du  cercle  d'Aïn-Sefra  de .Tiout  avant  un  effectif  de  123  hommes, 
18  femmes,  300  chameaux  ; 

La  caravane  du  cercle  de  Mécheria,  qui  se  composait  d'indigènes  de  toutes 
les  tribus  des  Hamyan  et  avait  un  effectif  de  259  hommes,  26  femmes, 
8  enfants,  1  082  chameaux. 

Les  indigènes  du  cercle  de  Géryville  ont  formé  deux  caravanes:  l'une,  celle 
des  Ouled-SidiCheikh-Cheraga,  ayant  un  effectif  de  116  hommes,  82  femmes, 
40  eoÊBiQts,  428  chameaux  ;  l'autre,  celle  des  Trafis  et  des  Ksour  qui  compre- 
nait 757  hommes,  329  femmes,  20  enfants,  2  319  chameaux  ; 

La  caravane  de  l'annexe  de  Saïda  comprenait  des  indigènes  de  toutes  les 
tribus  établies  sur  ce  territoire,  vavec  un  effectif  de  288  hommes,  98  femmes, 
3  enfants,  1 063  chameaux.  Au  total,  d'Algérie  se  sont  rendus  au  Gourara 
1  543  hommes,  553  femmes,  291  enfants  et  5  282  chameaux. 

Sahara.  —  Longitude  dln-Salah.  —  M.  F.  Foureau  pensait  déjà,  en  1893, 
que  la  longitude  d'In-Salah  devait  être,  sur  les  cartes,  reportée  beaucoup 
vers  l'est.  Il  y  avait,  sur  la  position  de  ce  point  une  «  confusion  inexplicable  », 
comme  le  disait  Hassenstein,  certaines  cartes  plaçaient  In-Salah  à  0^,5'  0.  de 
Paris,  d'autres  à  0,29'  0.  ;  M.  Foureau,  enfin,  pensait  que  cette  ville  était,  au 
contraire,  à  0^3'  E.  du  méridien  de  Paris.  Les  deux  hypothèses  extrêmes 
oscillaient  entre  28'  et  52'. 


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552  REVUE  FPANÇAISE 

En  1893,  M.  Foureau  avait  constaté  que  la  masse  des  oasis  du  Touat  et  la 
région  de  TOuad-Saoura  occupaient  sur  les  cartes  une  position  bien  trop  occi- 
dentale. Jusqu'ici  les  positions  des  divers  points  environnants  avaient  toutes 
été  déterminées  en  prenant  In-Salah  pour  base.  Or,  M.  Flamand,  dans  sa  mis 
sion  au  Gourara,  en  1896,  a  trouvé,  par  des  déterminations  astronomiques, 
pourTabelkoza  la  longitude  de  l^ySi^SO"  0.  de  Paris,  alors  qu'on  supposait  ce 
point  à  38'iO''  davantage  vers  Touest.  MM.  Foureau  et  Flamand  sont  donc 
d'accord  pour  reporter  Tln-Salah  et  toute  la  région  environnante  à  28'  vers 
Test,  ce  qui  donne  pour  In-Salah  la  longitude  de  0o,23'  à  Test  de  Paris. 

Soudan  français  :  Situation  de  Samory.  —  La  colonne  du  c^  Pineau, 
qui  poursuivait  les  fugitifs  de  Sikasso,  a  pris  cx)ntact  avec  les  avant-postes 
de  Samory,qui  ont  battu  en  retraite  vers  le  Libéria.  Le  vieil  Almamy,  voyant 
se  resserrer  de  plus  en  plus  notre  ligne  de  postes  et  se  voyant  couper  les 
communications  avec  les  Anglais  de  la  Côte-d'Or,  a  jugé  prudent  de  reculer 
et,  se  dirigeant  vers  louest,  seule  route  ouverte,  a  franchi  le  Bandama  pour 
gagner  le  Sassandra.  La  voie  est  donc  libre  entre  le  Soudan  et  la  Côte  d'Ivoire 
et  la  retraite  de  Samory  produira,  sous  ce  rapport,  le  plus  heureux  effet 

Jonction  avec  la  Côte  d* Ivoire.  —  La  colonne  Pineau,  après  avoir  parcouru 
le  Djimini  et  le  Diamala,  a  laissé  une  garnison  à  Bouaké  qui  va  être  relié  à 
Kouadiokofi,  poste  occupé  par  les  troupes  de  la  Côte  d'Ivoire.  D'autre  part, 
les  troupes  envoyées  dans  la  région  d'Assikasso  ont  renforcé  la  garnison  de 
fiondoukou  et  procédé  à  Voccupation  de  Bouna  évacué  par  les  Anglais.  Par 
suite,  une  double  jonction  existe  actuellement  entre  nos  possessions  du  Sou- 
dan et  de  la  Côte  d'Ivoire.  Une  des  lignes  de  communication  suit  le  Bandama, 
par  Tiassalé,  Toumodi,  Kouadiokofi,  Bouaké,  Kong  et  Khemokodianikoro. 
L'autre  ligne,  celle  du  Comoé,  part  de  Grand  Bassam  et  passe  par  Assikasso, 
Bondoukou,  Bouna  et  Lokhoso. 

Côte  d'Ivoire  :  Commerce  en  4896  et  4897,  -—  Les  exportations  et  les 
importations  de  la  Côte  d'Ivoire  ont  été  à  peu  près  égales  en  1896.  Les  expor- 
tations de  la  colonie  ont  atteint  4.400.000  fr.  et  les  importations  4.639.000  fr., 
accusant  une  progression  sur  1895.  L'exploitation  des  bois  surtout,  s  est 
beaucoup  accrue  et  les  exportations  forestières  ont  doublé  en  un  an.  L'expor- 
tation des  dents  d'éléphants  est  passée  de  390  kg.  en  1892  à  près  de  1.500  kg. 
en  1894.  I^  caoutchouc  voit  aussi  s'agrandir  son  marché. 

La  France  reçoit  la  maiorité  des  produits  exportés  (St.236.000  fr.),  puis  vient 
l'Angleterre  (2.116.000  fr.).  Malheureusement  l'Angleterre  importe  à  la  Côte 
d'Ivoire  pour  3.130.000  fr.  de  marchandises,  soit  les  2/3  du  total,  alors  que 
la  France  (métropole  et  colonies),  ne  lui  en  vend  que  pour  822.000  fr. 

En  1897,  il  y  a  peu  de  changement.  La  colonie  de  la  Côte  d'Ivoire  a  reçu 
pour  4.693.800  fr.  de  produits  importés  soit  55.000  fr.  de  plus  qu'en  1896. 
L'augmentation  porte  surtout  sur  les  combustibles  minéraux  et  les  matériaux 
venant  de  France. 

Lese^qwrtationsde  la  colonie  ont  été  en  1897  de  4.718.600  fr.,  soit318.800fr. 
de  plus  qu'en  1896;  l'augmentation  porte  surtout  sur  l'acajou  (8  millions  de 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  m 

kgi  en  1896  et  plus  âe  18  millions  1/2  de  kg.  en  1897,  valant  1.485.000  fr.) 
et  le  caoQtchouc.  Sur  le  total  des  exportations  la  France  vient  au  i^  rang,  en 
recevant  près  de  la  moitié  (2.236.800  fr.).  Elle  est  suivie  de  très  près  par  l'An- 
glelerre  (2.228.700  fr.).  L'ensemble  du  mouvement  commercial  présente,  sur 
1896,  une  légère  augmentation  de  374  000  francs. 

Dahomey  :  Commerce  en  4897.  —  Les  importations  totales  du  Dahomey, 
en  1897,  ont  été  de  8  243  000  francs,  et  les  exportations  de  5  779  000  francs. 
Parmi  les  produits  importés  au  Dahomey,  citons  les  boissons  (3677  000  fr.), 
les  denrées  coloniales  de  consommation  (1 159  000  fr.),  les  tissus  de  coton 
(1 095  000  fr.),  etc.  Parmi  les  exportations  du  pays,  signalons  les  fruits  et 
graines  (3085000  fr.)  et  les  huiles  et  sucs  végétaux  (1 745000  fr.). 

Le  Dahomey  a  reçu,  en  1897,  pour  2  939000  fr.  de  produits  français  et  a 
vendu  à  la  France  pour  1 515  000  fr.  de  marchandises.  Le  Dahomey  a  reçu, 
par  contre,  des  pays  étrangers,  pour  5  304  000  fr.  de  produits  et  leur  a  vendu 
des  marchandises  pour  4  251 000  fr. 

Si  l'on  compare  ces  résultats  avec  ceux  de  1896  (R.  F.,  t.  XXII,  p.  438), 
on  constate  une  sensible  décroissance  :  1  million  1/2  sur  les  importations  et 
plus  de  3  millions  sur  les  exportations.  La  proportion  des  importations 
française  et  étrangère  n'a  que  peu  varié  en  1897. 

Afrique  oi^^  anglaise  :  Chemin  de  fer  de  [^'Ouganda,  —  Les  travaux  ;du 
chemin  de  fer  entre  Mombassa,  sur  l'Océan  Indien,  et  l'Ouganda,  continuent 
sans  relâche.  Les  Anglais  viennent  de  livrer  à  l'exploitation,  pour  les  voya- 
geurs, la  ligne  jusqu'à  Voi,  au  nord  des  monts  Dara,  à  160  kil.  de  la  côte. 
On  compte  9  stations,  y  compris  celle  du  terminus.  11  y  a  trois  classes  de 
voitures.  Le  tarif  est  de  60,  30  et  5  centimes  par  mille  anglais  (1,6  kilom.). 
Sauf  le  dimanche,  il  existe  un  train  par  jour  dans  chaque  direction.  Partant 
de  Kilindini,  port  de  Mombassa,  à  7  h.  20  du  matin,  les  trains  arrivent  à 
Voi  à  A  heures  de  l'après-midi  et  parcourent  donc  les  160  kilom.  en 
8  heures. 

ASIE 

Tonkin  :  Mortalité.  —  Sur  706  fonctionnaires  constituant  les  services  civils 
du  protectorat  du  Tonkin  on  a  compté,  en  1897,  21  décès  (dont  1  suicide  et 
1  accident),  soit  une  proportion  de  3  0/0,  alors  que  cette  proportion  s'élève  à 
4  ou  5  0/0  pour  certains  pays  d'Europe.  Encore  faut-il  observer,  ajoute  la 
Quinzaine  coloniale,  que  si  on  est  arrivé  au  chiffre  de  21  décès  au  Tonkin  en 
1897,  c'est  que  la  mortalité  a  été  exceptionnellement  élevée  cette  année  parmi 
les  surveillants  des  télégraphes  du  haut  Mékong.  Sept  de  ceux-ci  sont  en  effet 
décédés  depuis  le  i"  janvier.  Cette  simple  statistique  démontre  donc  que  le 
climat  du  Tonkin  est  très  supportable  aux  Européens. 

Macao  :  Population  et  Navigation.  —  La  superficie  de  la  presqu'île  de  Ma- 
cao  est  de  330  hectares.  En  1878,  il  y  avait  68.086  habitants  dont  63.532  Chi- 
nois et  4.476  de  nationalité  portugaise.  En  1896,  on  y  a  compté  78.627  habi- 
tants dont  74.568  Chinois  et  3.898  Portugais.  On  constate  donc  une  diminution 
xxni  (Septembre  98).  N*  237.  36 


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554  REVUE  FRANÇAISE 

de  578  Portugais  et  une  augmentation  de  11.036  Chinois.  La  population  chU 
noise  comprend,  à  Maeao,  45,037  indigènes  du  sexe  masculin  contre  2d4S3l 
seulement  du  sexe  féminin. 

Le  nombre  des  navires  entrés  et  sortis  a  augmenté  depuis  1880,  mais  cette 
augmentation  porte  exclusivement  sur  les  jonques  chinoises  et  les  steamers 
à  faible  tirant  d'eau.  Les  principales  causes  de  la  diminution  constante  de 
navires  de  haut  bord  irr^uliers  tiennent  à  Tenvasement  progressif  do  port 
qui  les  oblige  à  mouiller  au  large  dans  une  baie  ouverte  où  ils  manquent 
d*abri  et  à  la  perception  de  droits  d'ancrage  de  50  reis  par  tonneaux  de  jauge. 
Mais  les  Portugais  ont  aboli  récemment  les  droits  de  tonnage  (R.  F.  1897, 
t.  XXII,  p.  498)  et  cette  mesure  pourra,  sans  doute,  arrêter  quelque  peu  la 
décadence  de  Macao. 

Chine  :  Mission  américaine.  —  Après  la  mission  lyonnaise  française,  après 
la  mission  allemande  et  la  mission  anglaise,  voici  venir  la  mission  améri- 
caine charçée  d'explorer  commercialement  l'Extrôme-Orient.  Le  conseil 
d'administration  du  musée  commercial  de  Philadelphie  a  décidé,  en  eiïet,d'en- 
voyer  une  mission  de  3  membres  chargée  d'étudier  les  marchés  chinois;  ce  sont 
MM.  C.  A.  Green,  Sheridan  P.  Read  et  le  d"^  Gustave  Niederlein.  La  mission 
dont  l'initiateur  est  M.  William  Harper  qui  vient  de  faire  un  voyage  autour 
du  monde,  se  rendra  d'abord  à  Hong-Kong,  puis  à  Shanghaï  et  restera  10  à 
12  mois  en  Chine.  Elle  rayonnera  dans  le  bassin  du  Yang-Tsé  et  dans  le  nord 
de  l'empire.  Elle  étudiera  en  route  les  moyens  de  développer  le  commerce 
américain  dans  les  régions  traversées  et  les  industries  locales. 

Arbre  à  huile,  —  VAleurites  cordata  ou  arbre  à  huile  chinois,  existe  ai 
Chine  depuis  très  longtemps.  Les  feuilles,  l'écorce  et  les  fleurs  de  certaines 
variétés  sont  employées  en  médecine.  L'une  d'elles  donne  une  huile  très 
appréciée  des  Chinois  ;  elle  est  cultivé  dans  le  Szé-Tchouen,  le  Hoanan  et 
le  Houpé.  Cet  arbre,  dit  la  Revue  Scientifique  atteint  7  à  8  mètres  de  haut 
Les  feuilles  sont  grandes  et  belles  ;  les  fleurs  sont  petites  et  roses.  Le  fruit 
est  vert  et  ressemble  à  la  pomme.  C'est  des  graines  qu'on  tire  l'huile.  Ces 
graines  se  récoltent  en  août  et  septembi*e  et  sont  écrasées  au  moyen  de  presses 
en  bois.  L'huile  fournie  est  claire,  ressemble  à  de  l'huile  de  lin,  mais  répand 
une  odeur  désagréable.  On  emploie  cette  huile  pour  la  peinture  et  le  vernis 
pour  rendre  imperméables  le  papier  et  les  étoffes,  pour  l'éclairage.  Son  ^n- 
ploi  le  plus  usuel  est  dans  la  construction  des  bateaux  dont  elle  bouche  les 
fentes  entre  les  planches,  qu'elle  rend  imperméables.  On  applique  Fhuiie 
après  l'avoir  fait  chauffer,  et  on  en  badigeonne  la  carène  une  ou  deux  fois 
par  mois.  La  suie  de  l'huile  brûlée  sert  à  préparer  l'encre  de  Chine.  Par 
Hankow  on  a  exporté,  en  1893,  pour  près  de  6  millions  d'huile  ;  mais  cette 
exportation  se  fait  presque  exclusivement  sur  les  porls  chinois. 

OCÉANIE 

ne*  Bonin  :  Situation.  —  Les  îles  Bonin  (Ogasawarajima),  situées  pir 
270  lat.  N.  et  par  140»  long.  £.,  ont  été  visitées  récemment  par  des  ingé- 
nieurs. La  population  a  doublé  depuis  10  ans  par  l'immigratioiu  Les  halntanb 


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NOUVELLES  GfiOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  m 

cultivent  la  canne  à  Sucre,  élèvent  du  bétail,  mais  négligent  la  pèche  qui 
pourtant  serait  fructueuse.  Les  habitants  sont  :  des  aborigènes  d'origine 
malaise  vivant  en  sauvages  et  se  logeant  dans  des  cavernes,  des  Japonais  im- 
migrés qui  font  du  commerce  et  de  la  culture,  des  métis  asiatiques.  Chinois. 
Tagals,  Coréens  et  Nippons,  des  Européens  de  toutes  nationalités.  Ces  der- 
niers, ignorés,  déclassés,  attirés  par  Tabsence  dlmpôt  et  de  gouvernement, 
ont  adopté  une  vie  libre  et  facile,  dans  ces  lies  fertiles.  Ils  sont  régis  plus  ou 
moins  par  la  loi  du  plus  fort  et  ont  d'assez  bons  rapports  avec  les  indigènes; 
ils  s'allient  souvent  avec  des  femmes  du  pays. 

Quatre  écoles  sont  dirigées  par  des  missionnaires  européens  et  reçoivent 
beaucoup  d'enfants.  Le  gouvernement  du  Japon  paye  à  la  C'«  Nippon- Yusçn- 
Raisha  6.000  yens  de  subvention  pour  relâcher  aux  lies  Bonin  6  fois  par  an. 
L'intervention  de  l'administration  japonaise  est  à  la  veille  d'avoir  lieu  dans 
cet  archipel  ;  elle  est  paraît-il  peu  enviée  par  les  aventuriers  européens  qui 
y  ont  cherché  l'absence  de  toute  sujétion. 

Iles  Marshall.  —  M.  Sleinbach,  médecin  allemand,  a  étudié  récemment 
cet  archipel  fort  peu  connu,  qui  est  possession  allemande  depuis  1886. 

Les  îles  Marshall  sont  basses  et  forment  deux  rangées  parallèles  nommées 
Ratak  et  Ralik.  Elles  sont  situées  entre  les  4<»  et  IS*»  latitude  nord  et  les  loi* 
et  173<»  long.  E.  Il  y  a  34  îles  d'une  surface  totale  de  450  kilom.  carrés.  Ces 
îles  de  corail  ont  la  forme  d'atolls.  Le  Lai  atoll  n'a  qu'un  diamètre  de  7  à  9 
kilom.,  tandis  que  celui  de  Kwajelin,  a  plus  de  ilO  kilom.  de  long  sur37dô 
lai^. 

Le  climat,  quoique  tropical,  est  supportable.  La  moyenne  de  la  tempéra- 
ture, à  Yaluit,  est  de  27<>  centigrades.  La  température  la  plus  haute  observée 
a  été  de  33^8  et  la  plus  basse  de  21o,5.  L'humidité  est  très  grande.  La  quan- 
tité de  pluie  qui  tombe  par  an  est  de  4.500  millimètres.  Le  temps  est  très 
nuageux  aux  îles  Marshall  ;  en  1893,  on  n'a  eu  que  6  jours  parfaitement 
clairs.  Les  îles  ne  contiennent  pas  d'eau  douce.  Les  indigènes  conservent  l'eau 
dans  des  fossés  et  les  Européens  recueillent  l'eau  de  pluie  sur  le  toit  de  leurs 
habitations. 

L'abondance  des  pluies  donne  une  belle  végétation.  La  flore  comprend  plus 
de  cent  espèces  de  plantes.  La  faune  par  contre  est  peu  variée.  Le  rat  et  la 
souris  sont  les  seuls  mammifères.  Comme  oiseaux,  il  n'y  a  que  des  pigeons 
et  des  coucous.  De  petites  baleines  pénètrent  parfois  dans  les  lagunes  de 
Tarchipel,  qui  est  riche  en  poissons. 

nés  Santa-Gruz  :  Annexion  anglaise.  —  On  annonce  de  Sydney  qu'un 
croiseur  britannique  a  procédé  à  l'annexion  des  archipels  Santa-Cruz  et  Duff, 
dans  le  Pacifique. 

Les  îles  de  la  Reine-Charlotte,  qui  forment  l'archipel  de  Santa-Cruz,  cou- 
vrent une  superficie  totale  de  938  kilomètres  carrés,  entre  les  Nouvelles- 
Hébrides  et  les  îles  Salomon;  elles  sont  au  nombre  d'une  quinzaine.  I^e  nom 
de  Duff  (ou  de  Taoumako)  s'applique  au  petit  groupe  de  onze  îles  tout  voisin 
de  Santa  Cruz  et  occupant  environ  30  kil.  carrés.  . 


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556  REVUE  FRANÇAISE 

C'est  dans  cet  archipel  que  se  trouve  rilot  de  Vanikoro,  connu  par  le  nau- 
frage de  La  Pérouse  et  de  ses  compagnons. 

La  population  est  d*environ  5.000  habitants.  Les  indigènes  sont  agricul- 
teurs ou  pécheurs.  Leur  industrie  consiste  à  construire  des  canots  et  à  dabri- 
quer  des  nattes,  des  étoffes  en  écorce,  etc.  Gomme  aux  Nouvelles-Hébrides, 
leurs  armes  sont  l'arc  et  les  flèches,  la  lance,  la  massue. 

L'archipel,  découvert  en  1595  par  Mendana,  fut  retrouvé  près  de  2  siècles 
plus  tard  par  l'Anglais  Chartered  qui  lui  donna  le  nom  d*iles  de  la  Reine- 
Charlotte.  Les  habitants  ont  eu  souvent  maille  à  partir  avec  les  Anglais  qui 
ont  usé  de  représailles  à  plusieurs  reprises. 

Tahiti  :  Commerce,  —  La  situation  conmierciale  de  Tahiti,  la  plus  éloi- 
gnée de  toutes  nos  possessions,  présente  une  caractéristique  particuli^e.  Les 
importations  totales  à  Tahiti  et  dépendances  ont  été,  en  1897,  d'après  la 
Revue  Coloniale,  de  3  745140  fr.  (dont  737600  fr.  de  tissus,  448000  fir.  d'ou- 
vrages en  métaux,  426  000  fr.  de  farineux  alimentaires,  259  000  fr.  de  pro- 
duits et  dépouilles  d'animaux,  etc.). 

Les  exportations  de  Tahiti,  en  1897,  ont  été  de  3 150  660  fr.)  dont  1  mOOOfr. 
de  matières  dures  à  tailler,  904  000  fr.  de  denrées  coloniales  de  consom- 
mation, 769  000  fr.  de  fruits  et  graines,  etc.). 

La  France  a  importé  directement  à  Tahiti  pour  258 123  fr.  de  marchan- 
dises, auxquelles  il  faut  ajouter  131 989  fr.  de  marchandises  françaises 
importées  par  voies  étrangères.  Les  exportations  de  la  colonie,  en  France, 
atteignent  310811  fr.  Les  importations  de  l'étranger  à  Tahiti  sont  de3354i38fr. 
(soit  9  fois  supérieures  à  celles  de  la  France)  et  les  exportations  de  la  colonia 
pour  l'étranger  de  2  510  334  ff. 

De  toutes  les  colonies  françaises,  Tahiti  est  celle  où  le  commerce  étranger 
a  la  plus  grosse  part  et  ce  sont  les  États-Unis  qui  font  le  trafic  le  plus  impor- 
tant. Cela  s'explique  facilement  par  le  voisinage  de  l'Amérique  et  par  Téloi- 
gnement  de  la  France.  Il  faut  dire  aussi  qu'un  service  régulier  de  voiliers 
existe  entre  Tahiti  et  San-Francisco,  tandis  qu'il  n'y  en  a  pas  avec  la  France. 
Le  conseil  général  a  déjà  réclamé  la  création  d'une  marche  régulière  de 
vapeurs  avec  San-Francisco  d'un  côté  et  Nouméa  de  l'autre.  Il  a  môme  voté 
une  subvention  de  200000  fr.  en  faveur  de  cette  dernière  ligne,  la  seule  que 
la  France  ait  intérêt  à  créer  pour  son  commerce.  Si  la  métropole  votait  à 
son  tour  une  subvention,  la  ligne  de  Nouméa  â  Tahiti  pourrait  ainsi  se 
créer  et  vivre.  Ce  serait  un  moyen  eflicace  pour  arrêter  la  décadence  de  nos 
établissements  d'Océanie. 

EUROPE  ET  DIVERS 

Suisse  :  Chemin  de  fer  da  Gornergrat.  —  Le  20  août,  on  a  ouvert  en 
Suisse  le  chemin  de  fer  le  plus  élevé  de  l'Europe,  celui  qui  conduit  de  Zer- 
matt  au  Gornergrat.  Ce  n'est  pas  seulement  parce  qu'il  détient  le  record  de 
l'altitude  que  ce  chemin  de  fer  nouveau  est  une  œuvre  extraordinaire.  Ce 
qui  le  met  hors  pair  dans  un  pays  où  abondent  les  lignes  de  montagne,  c'est 
la  beauté  et  la  variété  des. paysages  devant  lesquels  il  passe;  c'est  aussi  la 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  557 

douoear  et  la  régularité  de  la  traction  électrique  qui  prend  le  voyageur  à 
l'altitude  de  1.067  mètres,  à  Zermatt,  pour  le  déposer  une  heure  plus  tard  à 
3.018  mètres,  en  face  du  panorama  justement  fameux  du  Gornergi*at,  à 
quinze  minutes  au-dessous  de  Thi^tel  qui  enlaidit  et  encombre  le  sommet 
(3.136  mètres)  de  cette  inoffensive  montagne.  Le  chemin  de  fer  du  Gorner- 
grat  n*a  pas,  comme  celui  delà  Jungfrau,  la  prétention  de  faire  concurrence 
à  Talpinisme.  11  se  borne  à  substituer  au  mulet  un  mode  de  transport  plus 
rapide,  plus  confortable  et  m*^me  plus  économique.  Un  mulet  coûtait  15  fr. 
<Je  location  et  2  fr.  de  pourboire  au  muletier  ;  et  on  ne  l'utilisait  guère  que 
pour  la  HK^ntée,  la  descente  en  selle  étant  fatigante.  Dès  aujourd'hui»  on 
monte  au  Gornergrat  pour  12  fr.  et  la  double  course  se  paie  18  fr.  En  outre, 
le  trajet  en  chemin  de  fer  est  trois  fois  plus  rapide  que  l'autre. 

L'énergie  électrique  est  fournie  à  la  locomotive  par  des  trolleys  qui  la  re- 
çoivent de  deux  fils  suspendus  au-dessus  de  la  voie  ;  la  locomotive  elle  même 
est  d'un  système  assez  nouveau  qui,  essayé  d'abord  avec  succès  par  les  tram- 
ways de  Lugano,  a  été  appliqué  ensuite  sur  la  ligne  d'Engelberg  et  sera  pro- 
bablement adopté  par  le  petit  chemin  de  fer  de  la  Jungfrau. 

Croiseurs  auxiliaires  anglais  et  français.  —  Depuis  quelques 
années,  la  durée  des  traversées  de  l'océan  Atlantique  a  été  abrégée  de 
moitiés  La  vitesse  des  paquebots  n'est  pas  restée  en  arrière  de  celle  des 
navires  de  guerre.  Aussi  ces  bâtiments  marchands,appelés  lévriers  de 
l'Océan  (greyhounds),  sont-ils  susceptibles,  à  cause  de  leur  grande  vitesse, 
de  rendre  des  services  signalés,  en  cas  de  guerre,  comme  croiseurs  auxi- 
liaires. Il  esWdonc  intéressant  de  comparer  entre  eux  les  bâtiments  mar- 
chands de  la  France  et  de  l'Angleterre.  Le  tableau  suivant  indique  le  nombre 
des  navires  français  et  anglais  de  plus  de  3.000  t.  classés  suivant  les  vitesses 
présumées,  à  partir  de  16  nœuds  : 

Bâtiments  de  19  nœads  ou  plus 7  anglais.         1  français. 

-  18 5      -  »      - 

-  17 1/2 6      -  8      — 

-  17 13      -  1      - 

-  16 1/2  . 8      —  2      - 

-  16 16      --  1      - 

55  anglais.       13  français. 

L'Angleterre  a  donc  4  fois  plus  de  bâtiments  de  ces  classcb  supérieures 
que  la  France*  Le  tonnage  des  bâtiments  anglais  de  plus  de  100  t.  est  do 
12.969.951 1.,  alors  que  celui  des  bâtiments  français  n'est  que  de  1.089.540 1., 
soit  12  fois  moins. 

L'amirauté  anglaise  n'a  que  4  bâtiments  subventionnés,  classés  comme 
croiseurs  de  réserve,  de  plus  de  19  nœuds  :  VEtruria  et  VUmbria  (Cunard),  le 
MajesUc  et  le  Teutonic  (White  Star)  :  on  peut  leur  adjoindre  la  Campania  et 
la  Lucanta  (Cunard)  et  la  Caledonia  (C^  Péninsulaire  et  Orientale).  La 
France  n'a  qu'un  navire  comparable  à  ceux-là  :  la  Touraine  (O^  Transatlan- 
tique). L'Allemande  en  a  7  de  5.000  à  9.000 1.  ayant  18  1/2  à  19  nœuds  de 


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558  REVUE  FRANÇAISE 

vitesse.  Aucun  navire  anglais  de  18  nœuds  n'est  à  la  disposition  de  l'Ami- 
rauté, mais  il  en  est  ainsi  de  la  Britanniaf  de  VOceana,  du  Victoria  et  de 
VArcadia  (17  n.  1/i,  O^  P.  et  0.),  qui  sont  subventionnés,  sauf  le  dernier. 
C'est  dans  les  navires  de  cette  vitesse  que  la  France  a  ses  meilleures  forces 
auxiliaires  avec  des  déplacements  de  6.000  à  7.0 '0 1.;  tels  sont:  V  Armand- 
BéhiCy  Y  Australien,  le  Polynésien  et  la  Vilie-de-la-Ciotat  (Messageries  Blari- 
times),  la  Bourgogne,  la  Gascogne,  la  Bretagne  et  la  Champagne  (Q^  Transat- 
lantique). 

Parmi  les  navires  de  moindre  vitesse,  en  descendant  jusqu'à  15  nœuds, 
sont  à  la  disposition  de  TAmirauté  anglaise,  '  sans  subvention  :  Rome,  Mat- 
silia,  Valeita,  Ballarat,  Paramatta  et  Carthage  (P.  0.),  Servia  et  Gallia 
(Cunard),  Britonnic,  Germanie  elAdriatic  (White  Star),  de  même  que  Emprm 
oflruUa,  Empress  of  China  et  Empress  of  Japan  (C'«  du  Pacifique  Canadien) 
qui  sont  subventionnés. 

La  France  n'a  que  5  navires  marchands  de  17  n.  1/2  :  ùvc-de-Bragance, 
Eugène- Pereire^  Général-Chanzy,  Maréchal- Bngeaud  et  Ville-d'Alger  qui  sont 
affectés,  par  la  C»«  Transatlantique  aux  services  de  Marseille  à  Alger.  On 
voit  donc  que  l'infériorité  de  la  France,  sous  ce  rapport,  est  énorme,  puis- 
qu'elle n'a  que  5  bâtiments  à  mettre  en  ligne  contre  83  anglais. 

La  France  possède  encore  la  Navarre  (6.959 1.),  le  Brésil  (5.810  i.),LaPlata 
(5.677  t.)  et  la  Normandie  (6.283  t.).  Il  existe  encore  un  grand  nombre  de 
navires  marchanda  anglais  d'égale  vitesse,  mais  ayant  moins  de  3.000  t.  de 
déplacement  ;  de  faible  valeur  de  combat,  ils  peuvent  cependant  servir  d'é- 
claireurs  de  guerre.  Le  tableau  suivant  indique  le  nombre  des  navires  mar- 
chands anglais  de  moins  de  3.000  t.  et  ayant  plus  de  16  nœuds  de  vitesse  : 

Bâtiments  de  19  nœuds  ou  plus 4  à  hélice.  12  à  rouef . 

-  181/2 »  —  4  - 

-  18. 5  -  15  - 

17 1/2 »  - .  3  - 

-  17 6  -  *  10  - 

-  16 1/2 1  -  8 

-  16  . 5  -  9  - 

21  à  hélice.       61  à  roaes. 

L'exposé  qu'on  vient  de  lire  remonte  à  4  années. 

Si  nous  l'avons  publié,  c'est  afin  d'établir  que  la  situation  de  la  France  n* 
pour  ainsi  dire  pas  changé  depuis  ce  temps.  En  effet,  la  Touraine  est  toujour 
avec  ses  19  nœuds  notre  plus  rapide  grand  paquebot  susceptible  d'être  armé 
en  guerre.  Et,  tandis  que  la  France  reste  stationnaire,  l'Angleterre,  l'Alle- 
magne, les  Etats-Unis  voient  leur  flotte  marchande  s'augmenter  sans  cesse 
de  paquebots  à  grande  vitesse  donnant  en  service  courant  une  moyenne  de 20 
à  22  nœuds.  Vienne  une  guerre  avec  une  de  ces  trois  puissances,  et  la  France 
sera  sous  ce  rapport  en  état  d'infériorité  notoire.  La  guerre  hispano-améri- 
caine est  pour  nous  un  enseignement  dont  nous  devons  savoir  profiler  en 
constituant  à  bref  délai  une  flotte  marchande  de  paquebots  à  grande  vitesse. 


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i-***-    B 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  559 

Traverfléee  transatlantiques  :  Rapidité  exagérée.  *-  On  entend  sou- 
Tent  répéter  que  cerlainô  steamers  viennent  de  réaliser  le  parcours  d'Aogle- 
terre  à  New-York  en  5  et  6  jours,  et  Ton  a  même  annoncé  la  possibilité  de 
ftiire  bientôt  ce  trajet  en  4  jours.  Il  y  a  là  beaucoup  d'exagération  et  en  réa- 
lité, il  faut  8  et  9  jours  au  moins.  En  effet,  les  O^»  ont  Ihabilude  de  laisser 
en  dehors  de  leurs  calculs  une  grande  étendue  du  parcours,  ce  qui  explique 
la  différence.  Non  seulement  le  temps  passé  pour  se  rendre  de  Londres 
à  Liverpool  n'est  pas  compté,  mais  il  en  est  de  même  pour  le  trajet  de  Li  ver- 
pool  à  Queensown  (22  heures)  et  celui  du  phare  de  Sandy  Hook  à  New- 
York  (21  heures).  Celte  façon  inexacte  de  compter  les  traversées  montre  qu'il 
ne  faut  pas  trop  attacher  d'importance  au  temps  indiqué  par  les  C'^»  pour 
les  traversées  transatlantiques,  temps  qui  doit  être  majoré  d'environ  2  jours. 

Augmentation  de  la  population  des  villes.  —  Les  villes  continuent, 
dans  le  monde  entier,  à  progresser  aux  dépens  des  campagnes  ;  mais  un  fait 
généralement  peu  connu  et  que  M.  Ripley  a  mis  récemment  en  évidence, 
c'est  qu^  plusieurs  cités  d'Europe  s'accroissent  plus  rapidement  que  la  plu- 
part de  celles  d'Amérique. 

Berlin  a  dépassé  New- York  en  moins  d'une  génération  ;  depuis  21  ans,  sa 
population  s'est  accrue  autant  que  celle  de  Chicago  et  2  fois  plus  que  celle 
de  Philadelphie.  Hambourg  a  gagné  2  fois  autant  d'habitants  que  Boston, 
depnis  1875.  Stockholm  a  doublé  sa  population,  Copenhague  l'a  augmentée 
2  fois  1/2,  Christiania  l'a  triplée  en  une  seule  génération.  A  Rome,  la  popu- 
lation est  passée  de  184.000  en  1860  à  450.000  en  1893.  A  Vienne,  elle  a 
triplé  pendant  la  même  période,  avec  ses  faubourgs.  Paris  a  absorbé,  de 
4881  à  1891,  les  4/5  de  l'augmentation  totale  de  la  France. 

En  Angleterre,  plus  de  la  moitié  des  vTlles  comptant  plus  de  25.000  habi- 
tants, sont  nées  durant  le  xii«  siècle  ;  60  même  des  105  villes  dans  ce  cas 
sont  nées  depuis  1825.  8  0/0  à  peine  des  habitants  des  villes  sont  des  enfants 
de  citadins,  en  prenant  pour  base  une  résidence  prolongée  pendant  3  géné- 
rations. A  Londres  et  à  Paris,  les  immigrants  forment  plus  du  tiers  de  la 
population.  Pour  40  des  principales  villes  d'Europe,  un  5*  seulement  est  dû 
aax  habitants  de  la  ville. 

Congrès  national  de  géographie.  —  C'est  à  Marseille  qae  se  tiendra  le  con- 
grès en  1898,  du  18  au  25  septembre,  sous  ta  présidence  du  prince  A.  d'Arenberg. 

Parmi  les  nombreuses  communicatiojis  annoncées  signalons,  au  point  de  vue  exté- 
rieur, celles  de  MM.  Brenier,  sur  la  Mission  lyonnaise  en  Chine  ;  Gourdet,  sur  le 
chemin  de  fer  en  Asie  centrale;  J.  Borelli,  sur  la  rivière  Omo  ;  Besson,  sur  la  France 
à  Zanzibar,  etc.  Des  conférences  seront  faites,  en  outre,  par  M"«  Massieu,  MM.  Bon- 
valot,  M.  Dubois,  capitaine  Baud,  etc. 

Guides  Joanne  :  Londres  et  ses  environs  —  C'est  un  guide  entièrement  nou- 
veau que  la  maison  Hachette  offre  aujourd'hui  aux  voyageurs,  toujours  nombreux,  qui 
vont  visiter  Londres.  Et  comme  la  plupart  du  temps  ceux-ci  ne  savent  pas  l'anglais 
elle  a  eu  soin,  tout  d'abord,  de  placer,  en  feuillets  séparéf»,  un  petit  interprète  de  la 
langue  anglaise  avec  les  phrasas  les  plus  essentielles.  Gomment  peut-on  se  rendre  de 


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«60  REVUE  FRAI^ÇAISE 

France  eni  Angleterre  ;  quels  sont  les  moyens  de  transport  à  Londres,  les  liôtels,  les 
monnaies,  la  vie  de  tous  les  jours  en  un  mot  ;  tel  est  le  côté  pratique.  Puis  Tient  uns 
élude  descriptive  et  historique  de  Londres,  les  particularités  souvent  originales  de  la 
vie  anglaise,  les  monuments,  les  musées,  les  grands  établissements  de  la  capitale.  Eofia 
une  3*  partie  est  consacrée  aux  environs  et  aux  principales  villes  sur  le  détroit. 

Ce  qui  augmente  la  valeur  de  ce  guide  ce  sont  les  nombreux  plans  et  cartes  qui 
raccompagnent  et  ne  sont  pas  moins  de  40,  en  noir  ou  en  couleurs  et  rendront  aux 
touristes  des  services  fort  appréciés. 

Gavelier  de  la  Salle  :  par  E.  Guénin,  Cliallamel,  éditeur.  —  Le  Comité  Du- 
pleix  inaugure  une  série  de  notices  sur  «  les  hommes  d'action  »,  par  une  biographie 
de  Cavelier  de  la  Salle,  un  de  ces  audacieux  explorateurs  à  qui  la  France  d^autrefois 
devait  la  possession  de  tant  de  belles  colonies  aujourd'hui  perdues.  Cette  étude  se  dis- 
tingue par  un  style  sobre,  alerte  et  vivant,  comme  il  convient  à  celui  qu'elle  met  ca 
lumière.  Si  courte  qu'elle  soit  (71  pages),  elle  fait  bien  connaître  l'homme  et  son 
œuvre,  auxquels  le  lecteur  s'attache  dès  les  premières  lignes  et  qu'il  suit  jusqu'à  la 
fin  avec  une  émotion  mêlée  de  tristesse.  Cavelier  de  la  Salle  fut,  en  effet,  de  ces  bons 
serviteurs  auxquels  on  rend  justice  quand  ils  ont  disparu,  et  dont  le  sort  semble  fait 
pour  déconcerter  les  dévouements  et  paralyser  les  initiatives.  Grâce  à  Dieu  cependant 
la  race  n'en  est  pas  encore  épuisée  pour  nous,  et  le  généreux  appel  de  H.  Bonvalot,  dans  la 
remarquable  préface  qu'il  a  écrite  pour  le  livre  de  M.  Guénin,  trouvera,  nous  l'espé- 
rons, écho  dans  cette  jeunesse  française  à  qui  le  grand  explorateur  demande  de  con- 
tinuer les  a  Gesta  Dei  per  Francos  ». 

Le  Désastre,  par  Paul  et  Victor  Maroueritte.  Pion,  éditeur.  ^  L'accueil  cha- 
leureux fait  à  cet  ouvrage  qui,  depuis  le  commencement  de  Vannée  atteint  presque 
sa  60*  édition  est  pleinement  justifié.  Sous  forme  de  roman  les  auteurs,  fils  du  bril- 
lant général  Marguerilte  tué  à  Sedan,  ont  retracé  le  pénible  calvaire  que  suivit  Tar- 
mée  de  Metz.  Ils  ont  su  faire  vibrer  dans  leur  récit  toutes  les  cordes  du  patriotisme, 
exaltant  les  sentiments  de  devoir,  de  dévouement  et  de  sacrifice.  C'est  là  une  œnvi^ 
autrement  méritoire  que  celle  qui  consiste  à  mettre  au  premier  plan  toutes  les  défail- 
lances, les  lâchetés,  les  trahisons. 

Mémoiree  du  g*>  b*"  de  Marbot,  3  vol.  in-16.  Pion,  éditeur.  — LMmmense 
succès  de  ces  mémoires  a  été  si  vif,  si  universel,  qu'il  a  remis  en  vogue  tous  les  son- 
venirs  sur  ce  premier  Empire.  Cette  édition  à  3  fr.  50  le  volume,  aussi  complète  qae 
la  grande  édition  in-8*  popularisera  encore  d'avantage  par  son  bon  marché  l'oravre 
immortelle  du  brillant  général.  Tout  le  monde  pourra  lire  aussi  les  captivants  récits 
de  l'un  des  héros  les  plus  sympathiques  de  l'épopée  impériale  et  sentir  vibrer  rame 
du  soldat,  la  fièvre  du  patriotisme  et  de  l'enthousiasme  dans  ces  pages  d'une  fran- 
chise toute  militaire,  d'une  furia  toute  française.  La  lecture  de  ces  mémoires  est  récon- 
fortante surtout  pour  les  jeunes.  C'est  faire  œuvre  saine  et  patriotique  que  de  leur 
donner  le  plaisir  de  les  lire. 

Dieppe.  Tel  est  le  titre  d'un  élégant  album  que  le  comité  dieppois  de  pnblidté 
vient  de  faire  paraître.  Les  monuments  de  la  vieille  cité,  ses  beautés  naturelles,  se$ 
environs  pittoresques  qui  y  attirent  nombre  de  baigneurs,  sont  reproduits  par  des 
illustrations  d'une  grande  finesse. 

Le  Gérant,  Edouard  MARBEAU. 

IMPRlIIXRn  CHAIX.  RUB  BBBOBRB,  IQ,  PARIS.  »   178S8-8-9S.  —  (IMN  UritttU). 


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FRANÇAIS  ET  ANGLAIS  SUR  LE  NIL 

I.  —  LA  PRISE  DE  KHARTOUM 

Tandis  qu'en  France  les  esprits,  hypnotisés  en  quelque  sorte  par  les 
passions  et  les  surexcitations  d'un  procès  de  trahison  transformé  en 
brandon  de  discorde,  semblent  ne  pas  s'apercevoir  qu'il  y  a  au  dehors 
d'autres  questions  autrement  graves  que  celle  qui  absorbe  toutes  leurs 
pensées  et  dirige  tous  leurs  actes,  des  événements  d'une  haute  impor- 
tance se  déroulent  sur  les  rives  du  INil.  Les  Anglais,  sous  le  couvert  du 
gouvernement  égyptien,  ont  repris  Khartoum  après  avoir  entièrement 
défait  le  Mahdi,  et  l'expédition  française  Marchand,  partie  du  haut 
Oubangui,  a  occupé  Fachoda,  sur  le  Nil,  coupant  ainsi  aux  Anglais  la 
route  du  centre  africain  qu'ils  s'apprêtaient  à  suivre.  Ces  deux  événe- 
ments étaient  prévus  depuis  longtemps  et  on  ne  s'explique  l'émotion 
que  le  second  cause  en  Angleterre,  que  par  la  vivacité  de  la  déception 
éprouvée  par  nos  bons  voisins,  toujours  heureux  de  nous  jouer  un  mau- 
vais tour,  mais  plus  grincheux  encore  qu'un  joueur  qui  a  perdu  quand 
on  leur  rend  la  pareille. 

Treize  années  se  sont  écoulées  depuis  Tépoque  où  Gordon-Pacha, 
après  avoir  héroïquement  défendu  Khartoum  pendant  un  an,  est  tombé 
avec  la  ville  sous  les  coups  des  Mahdistes  (26  janv.  188S).  A  cette 
é{)oque^  l'empire  du  Mahdi,  dont  nous  avons  retracé  récemment  la 
formation  et  les  progrès  (1)  était  à  son  apogée.  Le  gouvernement  du 
Khédive  Tewfick  soumis  docilement  à  toutes  les  instructions  du  cabinet 
britannique,  avait  abandonné  au  khalife  toutes  ses  possessions  du 
Soudan  et  de  la  Nubie  et  n'avait  maintenu  sa  domination  que  jusqu'aux 
frontières  de  l'ancienne  Egypte. 

Cet  état  de  choses  dura  jusqu'en  1896,  sans  qu'aucun  traité  de  paix 
eut  été  conclu  avec  le  Mahdi,  mais  aussi  sans  actes  d'hostilité  autres 
qu'un  échange  de  coups  de  feu  ou  une  razzia  sur  la  frontière  établie, 
événements  qui,  par  une  coïncidence  extraordinaire,  ne  manquaient 
pas  de  se  produire  lorsque  la  diplomatie  remettait  sur  le  tapis  la  ques- 
tion de  l'évacuation  de  l'Egypte  par  les  Anglais.  Ceux-ci  avaient  alors 
bien  soin  d'agiter  le  spectre  du  péril  mahdiste  et  de  déclarer  que  la 
sécurité  de  l'Egypte  dépendait  du  maintien  de  leur  occupation.  Et  les 
choses  en  restaient  là, 

(1)  Voir  Rev.  Fr,  avril  189G,  t.  XXI,  p.  231,  le  Mahdisme  au  Soudan  (a>ec  carte). 
XX11I  (Octobre  98).  N*  238.  37 


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à 


562  REVUE  FRANÇAISE 

Cependant  le  gouveraement  britannique  reconnaissait  qu'il  avait 
commis  une  grave  faute  en  abandonnant  le  Soudan  au  Mahdi.  Peuà 
peu  un  courant  d'opinion  favorable  à  la  reprise  de  Khartoum  se  iorma 
et  cela  d'autant  plus  facilement  que  le  projet  de  M.  Cecîl  Rhodes 
d'établir  une  ligne  ininterrompue  de  postes  anglais  du  Cap  au  Caire, 
était  fort  en  faveur  dans  lempire  britannique.  On  n'attendait  plus 
qu'une  occasion  pour  agir.  Les  événements  d'Abyssinie  la  firent  bientôt 
naître. 

Malheureusement  engagée  dans  une  lutte  sanglante  avec  Ménélik,  en 
conflit  permanent  avec  les  Derviches  à  Kassala,  l'Italie  se  demandait  si 
l'Angleterre,  à  laquelle  elle  avait  fait  tant  d'avances,  ne  l'aiderait  pas 
à  sortir  du  guêpier  où  elle  était  tombée.  Le  gouvernement  britannique 
comprit,  et  saisit  l'occasion  de  venir  en  aide  à  une  nation  amie,  mais 
non  alliée,  en  attaquant  les  Mahdistes  à  l'autre  extrémité  de  leur  empire, 
à  la  frontière  d'Egypte,  à  1,200  kilomètres  de  Kassala!  C'était  une  nou- 
velle conquête  du  Soudan  qui  commençait. 

La  V^  campagne  (1896)  conduisit  les  troupes  anglo-égyptiennes  à 
Dongola  dont  elles  s'emparèrent  sans  grande  difficulté.  La  faible  résis- 
tance des  Derviches,  comparée  à  celle  qu'ils  opposèrent  en  1883  à 
l'armée  anglaise  du  général  Wolseley,  indiquait  bien  l'état  de  décadence 
dans  lequel  était  tombé  l'empire  mahdiste.  Aussi  dès  ce  moment  la 
reprise  de  Khartoum  fut-elle  fermement  arrêtée.  Elle  se  serait  sans 
doute  accomplie  dans  la  2^  campagne  (1897)  si  la  sérieuse  prise  d'armes 
qui  se  produisit  à  la  frontière  nord-ouest  de  l'Inde  n'avait  obligé  le 
gouvernement  britannique  à  mobiliser  60.000  hommes  pour  entre- 
prendre l'infructueuse  campagne  dirigée  contre  les  Afridis  et  à 
différer  par  suite  l'envoi  de  troupes  destiné  au  Soudan  oriental.  Tout  se 
borna  à  l'occupation  presque  sans  résistance  d'Abou-Hamed  et  de 
Berber,  et  à  la  construction  d'un  chemin  de  fer  de  Ouadi-Halfa  à  Abou- 
Hamed  afin  de  faciliter,  à  aussi  grande  distance,  le  ravitaillemail 
du  corps  expéditionnaire. 

Les  Derviches  qui  n'avaient  plus  l'ardeur  et  le  fanatisme  d'antan, 
n'inquiétaient  nullement  les  envahisseurs.  Es  se  contentèrent  d'établir 
un  camp  fortifié  près  de  Dakheïla  sur  TAtbara,  position  d'où  on  pou- 
vait assaillir  sur  ses  derrières  une  armée  remontant  le  Nil.  Voulant 
écarter  cette  éventualité  le  sirdar.  ou  généralissime,  sir  Herbert  Kit- 
chener  résolut  de  le  détruire.  Le  8  avril  1898  les  positions  des  Dervidies 


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FRANÇAIS  ET  AiNGLAIS  SUR  LE   NIL  563 

furent  attaquées  au  point  du  jour  et  enlevées  d'assaut.  Les  Derviches 
perdirent  2.000  tués  et  3.000  prisonniers  parmi  lesquels  leurs  chefs 
Témir  Mahmoud.  Les  anglo-égyptiens  eurent  60  tués  et  420  blessés. 
Après  cette  victoire  le  sirdar  revint  à  Berber,  attendant  la  crue  du  Nil, 
en  août,  pour  poursuivre  sa  marche  en  avant. 

Dans  rintervalle  rien  ne  fut  négligé  pour  assurer  le  succès  de  Texpé- 
dition.  Le  chemin  de  fer,  qui  depuis  Ouadi-Halfa  suit  pas  à  pas  Texpé- 
dition,  fut  prolongé  jusqu'à  TAtbara,  rendant  faciles  et  rapides  les  com- 
munications avec  le  Caire,  à  1.900  kilomètres  de  distance.  La  célérité 
des  moyens  de  locomotion  a  permis  à  des  officiers  de  se  rendre  en 
12  jours  de  liOndres  au  camp  du  sirdar.  Munitions,  vivres  et  approvi- 
sionnements de  toute  sorte,  dont  les  soldats  anglais  sont  toujours  gra- 
tifiés avec  un  soin  poussé  à  Textrême,  ont  pu  ainsi  être  facilement 
concentrés. 

Afin  de  rendre  décisive  cette  3®  can^pagne  le  corps  expéditionnaire 
fut  encore  renforcé  de  troupes  britanniques.  Son  effectif  fut  porté  à 
24.000  hommes  dont  moitié  environ  de  soldats  anglais.  Sur  le  Nil 
10  canonnières  et  4  autres  vapeurs  devaient  appuyer  la  marche  en 
avant.  Quant  aux  Mahdistes  le  nombre  de  leurs  soldats  était  évalué 
à  40.000. 

Le  14  août,  Tavant-garde  du  sirdar  quitta  le  camp  situé  au  confluent 
de  TAtbara.  On  croyait  qu'un  combat  sérieux  aurait  lieu  près  de 
Chablouka,  à  la  6®  cataracte,  où  le  chenal  du  Nil  est  torrentueux  et  de 
nature  à  entraver  le  passage  des  canonnières  et  où,  sur  terre,  de  hautes 
falaises  forment  une  série  de  défilés  propres  à  une  action  défensive. 
Les  Mahdistes  n'avaient  point  manqué  de  construire  des  retranchements 
et  d'élever  des  batteries  à  cet  endroit  ;  mais  lorsque  les  troupes  anglaises 
y  arrivèrent  elles  trouvèrent  le  passage  abandonné.  Le  Mahdi  avait 
préféré  concentrer  toutes  ses  forces  sous  les  murs  de  sa  capitale, 
Omdurman,  en  face  de  Khartoum  qui  n'est  plus  qu'une  ruine.  C'est  là 
que  devait  avoir  lieu  le  choc  décisif,  le  vendredi  2  septembre.  En  voici 
le  récit  télégraphié  d'Omdurman  après  la  bataille  : 

«  Des  patrouilles  de  cavalerie,  lancées  le  matin  dans  la  direction 
d'Omdurman,  découvrirent  l'armée  derviche  avançant  en  ligne  de  ba- 
taille sur  une  étendue  de  3  ou  4  milles.  Des  fanions  innombrables  flot- 
taient au  vent,  au-dessus  des  masses  de  cavalerie  et  d'infanterie  des 
Derviches  qui  chantaient  des  chants  de  guerre. 


'M 


^ 


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564  REVUE  FRANÇAISE 

L'infanterie  anglaise  prit  alors  position  au  dehors  du  camp  de  Agaïza, 
ayant  à  droite  les  Soudanais,  puis  les  Égyptiens.  Entre  chaque  brigade 
était  une  batterie  de  mitrailleuses  Maxim.  La  ligne  des  bataillons  était 
flanquée  à  droite  et  à  gauche  de  fortes  batteries  Maxim-Nordenfeldt.  En 
arriéré,  %  brigades  égyptiennes  formaient  la  réserve. 

A  7  h.  20  du  matin,  les  Uerviches  se  massaient  sur  les  hauteurs  qui 
dominent  leur  camp  et  s  avançaient  délibérément  en  formation  enve- 
loppante. A  7  h.  40,  l'artillerie  anglaise  ouvrait  le  feu,  auquel  riposta 
la  mousqueterie  derviche.  L'ennemi,  se  portant  sur  la  gauche  de  la  ligne 
anglaise,  commençait  une  charge  vigoureuse;  mais  cette  charge  fut 
arrêtée  par  le  feu  général  de  toute  la  ligne  anglaise,  feu  qui  dora  un 
quart  d'heure. 

Pendant  ce  temps,  les  deux  brigades  de  réserve  avaient  reçu  Tordre 
de  se  porter  en  soutien  sur  la  gauche.  Les  Derviches,  ne  pouvant  appro- 
cher, firent  alors  une  attaque  déterminée  sur  le  centre  ;  mais  leurs  ca- 
valiers furent  de  nouveau  maintenus  à  distance  et  balayés  par  une 
grêle  de  projectiles.  L'armée  derviche  se  retira,  laissant  le  sol  couvert 
de  cadavres.  La  bravoure  de  ces  barbares  avait  été  incroyable.  Leurs 
émirs  à  cheval  et  leurs  porte-drapeaux,  avec  un  superbe  mépris  de  la 
mort,  s'efforçaient  d'avancer  et  arrivaient  môme  jusqu'à  quelques  cen- 
taines de  mètres  de  notre  ligne. 

Le  colonel  Rhodes,  frère  de  M.  Cécil  Rhodes,  qui  agissait  conune  cor- 
respondant du  Tirnes,  et  plusieurs  autres  officiers  anglais,  ont  été  blessés. 
Un  lieutenant  et  un  capitaine  ont  été  tués. 

Au  moment  où  les  Derviches  battaient  en  retraite,  l'armée  anglo-^yp- 
tienne  quitta  le  camp  en  échelons  de  bataille,  se  dirigeant  dans  la  direc- 
tion d'Omdurman.  Les  brigades  venaient  d'atteindre  le  sommet  des 
hauteurs  voisines  du  Nil,  lorsque  les  Soudanais  de  l'aile  droite  rencon- 
trèrent l'ennemi  qui  s'était  reformé  dans  les  rochers  à  deux  milles  du 
camp  anglais  autour  de  l'étendard  du  khalife  pour  tenter  une  supréœ 
attaque.  15.000  Derviches  attaquèrent  les  Soudanais  qui,  soutenus  par 
les  mitrailleuses  Maxim,  résistaient  pendant  que  le  général  Kitcheno" 
ordonnait  à  la  gauche  et  au  centre  d'opérer  une  conversion. 

En  10  minutes,  avant  que  les  Derviches  eussent  pu  réussir  dans  leur 
attaque,  les  Anglais  s'emparaient  des  rochers,  et  l'ennemi  surpris  dans 
la  dépression  de  terrain  était  fauché  par  des  feux  croisés  d'artillerie  et 
de  mousqueterie.  Tous  ses  efforts  furent  vains.  L'armée  derviche  était 


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1 


FRANÇAIS   ET   ANGLAIS   SUR    LE   NIL  565 

réduite  graduellement  à  des  groupes  épars  et  le  sol  jonché  de  cadavres 
enveloppés  de  burnous,  ne  ressemblait  plus  qu*à  un  pré  couvert  de  fla- 
ques de  neige. 

Parmi  les  incidents  de  la  bataille,  on  signale  une  charge  de  lanciers 
qui,  interceptés  par  une  masse  de  Derviches,  purent  la  traverser  en  se 
taillant  un  passage  à  coups  de  sabre  et  de  pistolet.  Us  eurent  le  lieute- 
nant Grenfell  tué  et  4  officiers  blessés  ;  40  lanciers  furent  tués  ou 
blessés. 

Sur  Taile  droite,  ]a  cavalerie  égyptienne  lutta  toute  la  journée  contre 
les  cavaliers  Baggaras  et  reprit  aux  Derviches  un  canon  dont  ceux-ci 
s'étaient  emparés.  La  conduite  des  Derviches  a  été  simplement  héroïque. 
Ail  heures  un  quart,  le  général  Kitchener  ordonna  l'avance  géné- 
rale. Les  débris  des  Derviches  furent  repoussés  dans  le  désert,  pendant 
que  la  cavalerie  leur  coupait  la  retraite  surOmdurman.  A  midi  un 
quart,  la  colonne  anglaise  se  portait  sur  Omdurman,  ayant  à  sa  tête  le 
général  Kitchener,  porteur  de  Tétendard  noir  pris  au  khalife.  Omdurman 
était  occupé  à  4  h.  après  une  courte  lutte.  » 

Cette  brillante  victoire,  due  à  la  supériorité  de  la  tactique  et  surtout 
de  l'armement  des  Anglais,  ne  coûta  que  peu  de  monde  aux  vainqueurs  : 
23  sous-olticiers  et  soldats  anglais  tués,  dont  19  du  21®  lanciers  et  99 
blessés,  dont  12  ofiiciers;  21  égyptiens  ont  été  tués  et  230  blessés.  Quant 
aux  Madhistes,  le  recensement  de  leurs  pertes  fait  sur  le  champ  de  ba- 
taille accuse  10.800  tués.  Plus  de  3.000  ont  été  faits  prisonniers.  Un  ^ 
courrier,  parti  d'Omdurman  après  la  victoire,  est  arrivé  au  Caire  en 
87  heures. 

La  cavalerie,  après  avoir  poursuivi  les  fuyards  pendant  50  kilomètres 
en  suivant  les  bords  du  Nil,  découvrit  que  le  mahdi  Abdullah  s'était 
dirigé  à  l'ouest  vers  le  Kordofan,  avec  une  poign,ée  de  cavaliers.  Elle  i 

cessa  alors  la  poursuite  rendue  d'ailleurs  impossible  par  l'épuisement  ^ 

des  chevaux  qui  avaient  été  montés  pendant  48  heui'es  sans  inter-  ^ 

ruption.  ^ 

Khartoum  reconquis,  l'empire  du  mahdi  brisé,  que  va  faire  l'An- 
gleterre? 

C'est  au  nom  du  khédive  que  le  Soudan  est  reconquis,  mais  c'est 
aussi  et  surtout  dans  l'intérêt  de  l'Angleterre.  C'est  avec  le  concours  de 
l'armée  égyptienne,  mais  c'est  aussi  avec  l'assistance  des  foi'ces  anglaises 
et  la  direction  d'un  général  anglais.  C'est  aux  frais  des  contribuables 


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566  HËVUE  Française 

égyptiens,  mais  c*est  aussi  avec  l'aide  du  Trésor  britannique  ;  et  le  ca- 
binet de  S^-James,  qui  avait  avancé  à  TÉgypte  la  somme  de  798.000 
livres  sterling,  a  déclaré,  et  la  Chambre  des  communes  Ta  approuvé 
(juin  4898),  que  ce  prêt  ne  devait  jamais  être  remboursé. 

La  conversation  diplomatique  engagée  de  temps  à  autre  pour  bien 
établir  qu'il  ne  faut  pas  compter  sur  la  prescription,  va  sans  doute  re- 
commencer entre  la  France  et  l'Angleterre,  sur  la  question  de  l'occu- 
pation. Le  cabinet  britannique  ne  pourra  plus  invoquer  le  péril  mahdiste, 
ni  la  nécessité  d'assister  le  gouvernement  du  khédive,  car,  jamais  peut- 
être,  l'Egypte  n'a  été  plus  tranquille  ni  plus  prospère. 

Certains  organes  de  la  presse  britannique,  partisans  avérés  du  main- 
tien permanent  de  l'occupation,  annoncent  que  le  moment  est  venu 
pour  l'Angleterre  de  déclarer  qu'elle  restera  en  Egypte.  Il  est  encore 
douteux  que  l'Angleterre  fasse  une  déclaration  en  aussi  flagrante  con- 
tradiction avec  ses  engagements  antérieurs,  car  elle  n'y  a  pas  d'intérêt 
évident  ni  immédiat.  Mais  on  peut  considérer  comme  certain  qu  elle  y 
restera  sans  le  déclarer.  Au  surplus,  l'arrivée  de  la  mission  Marchand, 
à  Pachoda,  va  donner  une  autre  tournure  à  la  conversation. 

IL  —  LA  MISSION  MARCHAND  A  FACHODA 

A  peine  la  presse  britannique  avait-elle  eu  le  temps  de  savourer  la 
bonne  nouvelle  venue  de  Kh^rtoum  et  d'escompter  les  immenses  résul- 
tats qu'allait  produire  la  victoire,  que  sa  satisfaction  et  son  apparente 
quiétude  ont  été  profondément  troublés  par  une  grave  nouvelle  :  la 
mission  Marchand  a  devancé  les  Anglais  sur  le  haut  Nil  !  Voici  comment 
la  nouvelle  est  parvenue  à  Omdurman,  d'après  un  télégramme  de  cette 
ville  en  date  du  7  septembre. 

Quelques  jours  avant  l'arrivée  de  l'armée  anglo-égyptienne,  le  Mahdi 
ayant  été  informé  que  Fachoda  avait  été  occupé  par  une  troupe  blanche 
avait  envoyé  deux  vapeurs  s'assurer  du  fait.  Un  des  vapeurs,  revenu  à 
Omdurman,  après  la  prise  de  la  ville,  s'est  rendu  au  sirdar.  Son  capi- 
taine raconte  qu'en  arrivant  à  Fachoda  une  troupe  blanche,  qui  occu* 
pait  la  place,  ouvrit  le  feu  sur  ses  navires  et  qu'il  put  échapper  à  grand 
peine.  Les  balles  trouvées  dans  la  coque  du  navire  paraissent  avoir  été 
tirées  par  des  fusils  français. 

A  cette  nouvelle,  le  sirdar  Kitchener  a  formé  aussitôt  un  petit  corps 


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FRANÇAIS   ET   ANGLAIS   SUR   LE   NIL  567 

expéditionnaire  et  a  quitté  Ondurman  avec  3  vapeurs  se  dirigeant  sur 
Faelioda,  qui  est  à  environ  600  kilomètres, 

Est-il  besoin  de  dire  qu'à  Tannonce  de  la  présence  de  la  mission 
Marchand  à  Fachoda,  la  presse  anglaise,  avec  une  presque  unanimité 
touchante,  est  partie  en  guerre  contre  la  France,  sortant  de  ses  tiroirs 
toutes  les  expressions  de  mauvaise  humeur  ou  les  insinuations  hai- 
neuses qui  y  avaient  été  rengainées  depuis  les  affaires  du  Niger  ou  qui 
y  attendaient  leur  tour  de  sortie.  En  voici  quelques  échantillons  : 

Le  Globe  annonce  la  nouvelle  sous  ce  titre  «  L'agression  française  ». 
Le  News  of  the  World  dit  que  le  gouvernement  ne  doit  pas  hésiter  ; 
«  Il  y  a  quelque  temps  le  gouvernement  a  informé  le  cabinet  français 
que  la  moindre  tentative  pour  entraver  la  marche  des  Anglais  sur  le 
Nil  serait  considérée  comme  un  casus  belli.  L'occupation  de  Fachoda 
par  une  mission  française  rentrerait  dans  cette  catégorie.  »  Le  Moming 
Post  estime  que  l'occupation  de  Fachoda  par  la  France  serait  une  cala- 
niité.  Le  Daily  Telegraph  dit  :  «  S'il  s'agit  de  la  mission  Marchand  et 
que  celle-ci  prétende,  au  nom  de  son  gouvernement,  nous  barrer  le 
chemin,  il  faudra  l'inviter  poliment,  mais  fermement  à  se  retirer,  et  si 
elle  s'y  refuse,  l'expulser  avec  le  moins  de  violence  possible  ». 

Le  TiiTies  fait  remarquer  que  si  Fachoda  était  un  territoire  ouverte- 
ment abandonné  la  France  pourrait  se  baser  sur  ce  fait;  il  n'en  est  rien. 
Fachoda  a  été  incorporé  au  Soudan  égyptien  en  1870  et  l'Egypte  est 
aujourd'hui  en  mesure  d'exercer  sur  ce  territoire  ses  droits  qu'elle  a 
toujours  affirmés.  Le  Times  ajoute  que  le  gouvernement  agira  confor- 
mément à  la  déclaration  faite  par  sir  Grey  le  28  mars  1895,  à  savoir 
que  l'arrivée  des  Français  à  Fachoda  constituerait  un  acte  presque 
hostile. 

Tout  d'abord  faisons  remarquer  qu'il  n'y  aurait  là  aucun  acte  hostile. 
Dire  que  nous  sommes  à  Fachoda  pour  être  agréable  à  l'Angleterre 
serait  évidemment  une  exagération.  Il  n'y  a  là  qu'une  question  de 
concurrence  entre  deux  nations  en  rivalité  pour  leurs  zones  d'influence. 

D'où  vient  le  ton  acerbe  de  la  presse  britannique  ?  De  ce  que  nous 
serions  arrivés  les  premiers.  Mais  si  les  Anglais  nous  avaient  devancés 
à  Fachoda  ne  trouveraient-ils  pas  cela  parfait?  Ils  invoquent  aujourd'hui 
les  droits  et  les  revendications  de  l'Egypte.  Mais  que  faisait  donc  Stanley 
quand  il  emmenait  malgré  lui  Emin  Pacha  et  lui  faisait  abandonner  la 
province  équatoriale  où  seul  il  avait  pu  maintenir  contre  les  Mahdistes 


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868  REVUE  FRANÇAISE 

le  drapeau  égyptien  ?  Les  Anglais  se  souciaient  alors  fort  peu  des  droits 
de  l'Egypte.  En  amenant  l'abandon  de  l'Equatoria,  ils  poursuivaient  un 
but  :  faire  de  celte  province  une  res  nuUius  que  l'I.  B.  E.  A.  —  la  O 
anglaise  de  l'Est  africain  —  ferait  entrer  peu  à  peu  dans  sa  sphère 
d'action  par  l'Ouganda  et  qui  deviendrait  ensuite,  par  la  force  des 
choses,  territoire  britannique.  Le  projet  a  échoué  et  c'est  pour  cela  que 
les  Anglais  sont  aujourd'hui  si  forts  partisans  des  droits  de  l'Egypte.  La 
suite  des  événements  justifie  d'ailleurs  pleinement  cette  manière  de  voir. 

Est-ce  que  dans  la  convention  anglo-allemande  du  l**^  juillet  1890, 
le  territoire  soumis  à  l'influence  anglaise  n'est  pas  indiqué  comme  étant 
situé  entre  l'Abyssinie  et  la  sphère  italienne  à  lest,  la  frontière  du 
Congo  et  la  ligne  de  faîte  du  bassin  du  Nil  à  l'ouest  fart.  1*^  §  3)  (1) 
comprenant  ainsi  les  provinces  équatoriales  ? 

Est-ce  que  dans  la  convention  anglo-belge  du  12  mai  1894  l'Angle- 
terre ne  cède  pas  à  bail  au  roi  Tiéopold  le  Bahr  el  Ghazal  dont  la  limite 
septentrionale  est  marquée  par  le  10*  parallèle  jusqu'  à  un  point  à  dé- 
déterminer «  au  nord  de  Fachoda  »  (art.  2)  (2)? 

Est-ce  que  plus  récemment  encore  FiVngleterre,  dans  le  traité  conclu 
avec  Ménélik,  n'a  pas  cédé  à  l'Abyssinie  la  rive  droite  du  Nil  précisé- 
ment à  la  hauteur  de  Fachoda?  Comment  l'Angleterre,  après  avoir 
cédé  à  la  Belgique;  à  l'Abyssinie  les  anciennes  provinces  égyptiennes 
qui  ne  lui  ont  jamais  appartenu,  vient-elle  se  prévaloir  aujourd'hui  de 
l'intégrité  de  l'empire  égyptien?  Au  surplus,  c'est  une  thèse  qui  n'est 
pais  pour  nous  déplaire.  Que  l'Angleterre  respecte  cette  intenté  en 
évacuant  l'Egypte  et  nous  évacuerons  Fachoda. 

Mais  la  présence  à  Fachoda  de  la  mission  Marchand  est-elle  possible? 

Voici  plus  de  2  années  que  l'expédition  Marchand,  dont  nous  avons 
retracé  l'origine  et  suivi  la  marche  (3)  a  quitté  la  France  (juin  1896). 
Après  une  pénible  montée  de  Loango  à  Brazzaville  et  une  longue  re- 
monte de  rOubangui,  la  mission  dût  entreprendre  le  passage  du  bassin 
du  Congo  dans  celui  du  Nil.  Il  fallut  faire  environ  1.000  kilomètres 
dans  un  pays  sans  routes,  tantôt  sous  un  soleil  ardent,  tantôt  sous  des 
pluies  torrentielles,  faire  porter  à  dos  d'hommes  à  travers  la  brousse 
plusieurs  milliers  de  chaînes  et  traîner  à  travers  les  forêts,  les  maré- 

(1)  Voir  le  texte  du  traité,  Rev,  Fr..  1«'  août  1890,  p.  170. 

(2)  Voir  le  texte  du  traité,  Rev,  Fr.,  juin  1894,  p.  333. 

(3)  Voir  Rev.  Fr,,  déc.  1897,  p.  689,  fév.  1898,  p.  79. 


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FRANÇAIS   ET   ANGLAIS   SUR   LE   NIL  569 

cages  et  les  rochers,  les  machines  de  deux  bateaux  à  vapeur.  Enfin, 
après  des  fatigues  sans  nombre  la  mission  arrivait  à  Tamboura,  sur  le 
Soueh,  affluent  du  Bahr  el  Ghazal  et  s'y  concentrait  dans  le  courant  de 
1897  (1).  Il  fallut  ensuite  lancer  et  équiper  les  deux  vapeurs,  puis  at- 
tendre la  saison  favorable  des  hautes  eaux  pour  descendre  le  Soueh 
jusqu'à  Messhra  el  Rek,  suivre  le  cours  du  Bahr  el  Ghazal  jusqu'à  son 
confluent  avec  le  Nil  et  descendre  ce  fleuve  jusqu'à  Fachoda. 

Surprise  par  la  baisse  des  eaux  survenue  plus  tôt  que  d'habitude,  la 
mission  avait  dû  arrêter  sa  marche  en  avant  au  moment  d'entreprendre 
la  descente  du  Soueh.  Après  avoir  établi  un  poste  à  Koutschouk  Ali  et 
obtenu  d'autre  part  du  sultan  de  Djour  Ghattas  le  passage  sur  son  ter- 
ritoire, elle  établit  son  campement  à  Fort  Desaix. 

Le  capitaine  Marchand  chai^ea  alors  le  capitaine  Baratier,  l'inter- 
prète Landeroin  et  20  hommes  d'aller  reconnaître  en  pirogues  le  cours 
inférieur  du  Soueh  et  du  Bahr  el  Ghazal.  Parti  le  12  janvier  1898,  le 
capitaine  Baratier  dut  naviguer  au  prix  de  mille  difiicultés  à  travers  des 
marais  se  suivant  à  l'infini  et  couverts  presque  partout  d'herbes  gigan- 
tesques. Pendant  un  mois  et  demi  il  fut  en  quelque  sorte  perdu  dans 
ce  vaste  marécage,  n'ayant  pas  aperçu  un  habitant  et  n'ayant  pour 
vivre  que  le  produit  de  sa  chasse.  Enfin  il  trouva  un  courant  rapide,  le 
Bahr  el  Ghazal,  qui  le  conduisit  en  quelques  jours  au  lac  Nô.  Sa  mis- 
sion terminée,  il  revint  trouver  son  chef. 

Entre  le  poste  du  haut  Soueh,  où  campa  la  mission,  et  le  confluent 
du  Vaou,  en  aval  de  lancienne  Zériba  de  Koutschouk  Ali,  il  y  a  envi- 
ron 250  kilomètres  et,  de  là  à  Meschra  el  Rek,  175.  C'est  en  ce  point, 
dont  le  nom  signifie  «  embarcadère  du  Rek  »  que  commence  la  naviga- 
tion du  Bahr  el  Ghazal. 

A  ses  débuts,  l'expédition  Marchand  comprenait  12  officiers,  12  sous- 
ofiiciers  européens  et  environ  500  indigènes  sénégalais  ou  autres.  Bien 
qu'un  seul  officier,  le  capitaine  Simon,  ait  quitté  la  mission  pour  re- 
venir mourir  en  Algérie,  le  groupe  principal,  qui  suit  le  capitaine 
Marchand,  a  dû  être  sensiblement  réduit  par  les  maladies  et  par  suite 
de  l'établissement  de  divers  postes  dans  le  Bahr  el  Ghazal  pour  assurer 
les  communications.  Au  commencement  de  1898,  une  colonne  de  se- 
cours et  de  ravitaillement  lui  fut  envoyée  sous  les  ordres  du  capitaine 

(1)  Voir  la  carte  du  Bahr  el  Ghazal,  Rev.  Fr,,  fév.  1898,  p.  81. 


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570  REVUE  FRANÇAISE 

Ed.  Roulet.  Celui-ci,  parti  de  Libreville  (Gabon)  le  20  mars  avec  2 offi- 
ciers, MxM.  Berger  et  Thorel,  et  120  tirailleurs  ou  laptols  sénégalais, 
prit  à  Matadi  le  chemin  de  fer  qui  venait  d'être  terminé  et  arriva  ainsi 
rapidement  à  Brazzaville  où  il  s*embarqua  pour  remonter  l'Oubangui. 
A  rheure  actuelle  il  doit  être  dans  le  bassin  du  Nil. 

On  annonce  qu'une  autre  expédition  chargée  de  ravitailler  la  mission 
a  quitté  la  France  le  iO  septembre  sous  les  ordres  du  capitaine  Delà- 
fond,  assisté  des  1^  Durand-Autier,  Galland,  Perrot,  de  Sassel,  1  mé- 
decin et  1 1  autres  Européens.  Après  avoir  embarqué  à  Dakar  un  déta- 
chement de  tirailleurs  sénégalais,  elle  prendra  à  Matadi  le  chemin  de 
fer  du  Congo  et  sera  embarquée  à  Brazzaville  pour  TOubangui  et  le 
Bahr  el  Ghazal.  Mais  cette  mission,  qui  emporte  une  grande  quantité 
d'approvisionnements,  ne  sera  rendue  à  destination  qu'au  commence- 
ment de  1899. 

Les  dernières  nouvelles  révélées  de  la  mission  —  et  depuis  son  pré- 
tendu massacre  nous  ne  pouvons  qu'approuver  ceux  qui  font  le  silence 
sur  sa  marche  —  faisaient  part  de  sa  présence  à  Meschra  el  Rek  en  mars 
^898.  II  est  donc  probable  qu'elle  a  eu  tout  le  temps  et  la  possibilité 
d'arriver  à  Fachoda. 

Cependant,  deux  autres  troupes  blanches  pourraient  s'y  trouver. 
D'abord  l'expédition  anglaise  Macdonald  ;  mais  celle-ci,  retenue  long- 
temps par  la  révolte  de?  Soudanais  dans  l'Ouganda,  n'avait  pas  encore 
quitté  ce  pays  au  commencement  de  juillet  1898.  Ensuite,  l'expédition 
belge  de  Redjaf  sur  le  haut  Nil  ;  mais  une  récente  attaque  des  Mahdistes 
contre  Redjaf  donne  peu  de  vraisemblance  à  la  nouvelle  de  la  marche 
des  Belges  vers  Fachoda.  Enfin,  les  Abyssins  descendant  le  Sobat  au- 
raient pu  atteindre  Fachoda. 

P.  S.  —  Le  sirdar  Kitchener  de  retour  à  Omdurman  annonce  qu'il  a 
rencontré  à  Fachoda  le  c*^  Marchand  et  l'a  invité  à  se  retirer.  Celui-ci 
ayant  refusé,  le  sirdar  a  établi  une  garnison  à  côté  du  poste  français 
et  a  redescendu  le  Nil.  La  mission  serait  arrivée  à  Fachoda  le  10  juillet 
avec  8  otïiciers  et  120  hommes. 

Georges  Démanche. 


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LES  HABITANTS  DU  LAOS  <*^ 

IL  —  Autres  races. 

Pendant  les  nombreuses  périodes  de  trouble  auxquelles  ce  pays  a  été 
en  butte,  beaucoup  d'autres  races  sont  venues  s*y  implanter.  Celle  qui 
s'est  étendue  le  plus  rapidement  est  celle  des  Thaïs  rouges,  que  certains 
dénomment  parfois  Moïs,  mais  qui  ne  sont  que  des  Thaïs.  Ces  Thaïs 
rouges  sont  originaires  de  Mon  Caya  (Chu  Ha  ou  Maï  Ha),  dans  la  ré- 
gion entre  le  Song  Ma  et  la  Rivière  Noire,  sur  la  route  ue  Phu-Lé  à 
Cho-Bo.  Ils  ont  envahi  les  territoires  voisins  des  leurs  et  la  vallée  du 
Nam  Ma,  de  Muong  Het  à  la  hmite  du  Xieng-Kho,  se  trouve  peuplée 
en  très  grande  majorité  par  ces  Thaïs  rouges.  Le  Hoà  panh  de  Muong 
Sam  Teu  en  compte  également  beaucoup;  ils  se  sont  même  introduits 
dans  le  territoire  de  Muong  Son,  qui  est  cependant  le  plus  occidental 
des  Hoa  Panh  Tang  Hoc,  et  telle  région  de  Muong  Son,  comme  Muong 
Khao,  ne  renferme  plus  du  tout  de  Laos. 

Mais  là  surtout  où  ils  sont  devenus  !es  maîtres,  c'est  dans  le  hoa  panh 
de  Muong  Soï,  d'où  ils  ont  chassé  les  Laos  avec  l'aide  des  Chinois,  il  y 
a  une  dizaine  d'années.  Ce  hoa  panh  ne  compte  guère  que  des  Thaïs 
rouges,  et  ils  disent  le  pays  à  eux,  bien  que  j'aie  pu  m'assurer  par  les 
renseignements  pris  dans  toute  la  région  que  Muong  Soï  est  bien  un 
pays  lao. 

Les  Thaïs  de  Muong  Soï  qui  s'étaient  infiltrés  petit  à  petit  dans  ce 
pays  y  habitaient  d'abord  eu  même  temps  que  les  Laos;  l'entente 
n'existait  pas  entre  les  deux  races.  Les  Thaïs  furent  chassés  du  pays 
une  première  fois,  il  y  a  une  trentaine  d'années,  y  revinrent  peu  à  peu 
el,  finalement,  soutenus  par  les  Pavillons  Jaunes,  ils  chassèrent  à  leur 
tour  les  maîtres  du  sol.  Aujourd'hui  encore,  les  Laos  de  Muong  Soï 
habitent  presque  tous  le  hoa  panh  de  Hoa  Muong. 

Au  mois  d'avril  1894,  les  chefs  thaïs  de  Muong  Soï  et  les  anciens 
chefs  laos  qui  en  avaient  été  chassés  ont  été  mis  en  présence,  à  Muong 
Het,  par  le  lieutenant  Bobo,  commandant  le  cercle,  pour  essayer  d'une 
entente  qui  permettrait  aux  Laos  de  Muong  Soï  de  rentrer  dans  le  pays 
de  leurs  pères.  Tous  ces  chefs  réunis  ont  signé  un  accord  par  lequel  les 
Thaïs  permettent  aux  Laos  de  se  réinstaller  dans  leurs  anciens  villages. 

Les  corvées  et  charges  du  pays  devront  ètrô  partagées  entre  eux  ;  les 

(1)  Voir  Rei>.  Fr.,  sept.  1898,  p.  505. 


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572  REVUE  FRANÇAISE 

chefs  thaïs  et  laos  pourront,  comme  par  le  passé,  domier  des  ordres  aux 
habitants  sous  leurs  ordres,  sans  distmction  de  race.  Thaïs  et  Laos  oat 
prêté  serm.ent  de  se  conformer  à  Taccord  signé  par  eux. 

Les  Thaïs  blancs  sont  en  très  petit  nombre,  une  cinquantaine  de  fa- 
milles à  peine,  toutes  dans  lehoapanh  de  Muong  Het  ou  celui  de  Xieng- 
Kho.  Es  doivent  venir  du  haut  bassin  de  la  Rivière  Noire,  du  côté  de 
Dien  Bien  Phu. 

Après  les  Thaïs  viennent  les  Khas,  par  ordre  d'importance,  comme 
chiffre  de  population.  Les  Khas  sont  considérés  comme  étant  de  race 
inférieure  par  les  Laos  et  par  les  Thaïs.  Le  mot  Kha,  ou  xa,  signifie 
d'ailleurs  a  esclave  »,  mais  esclave  d'un  degré  inférieur  encore  aux 
«  Khoë  »,,qui  sont  plutôt  des  esclaves  domestiques. 

Trop  opprimés,  sans  doute,  à  un  moment  donné  ils  levèrent  l'éten- 
dard de  la  révolte  et  luttèrent  pendant  onze  ans  pour  obtenir  quelques 
libertés  :  on  ne  put  les  soumettre  qu'en  leur  faisant  des  concessions. 

Du  côté  de  Luang  Prabang,  les  Khas  ont  leurs  chefs  propres  qui  attei- 
gnent même  le  grade  de  «  Pha  Nhia  ».  Dans  les  Hoa  Panh  Tang  Hoc, 
les  libertés  qu'on  leur  a  laissé  prendre  sont  moindres  ;  il  n'y  a  que 
quelques  Phias  Khas,  et  encore  les  autres  chefs  ne  les  reconnaissent-ils 
pas  comme  tels.  On  a  limité  leurs  titres  à  celui  de  «  xen  ».  Un  xen  ne 
peut  commander  que  deux  taos  au  maximum  :  un  «  tao  »  est  la  réu- 
nion de  dix  maisons.  Au-dessous  du  xen  est  le  thao,  chef  d'un  tao. 

Les  Khas  n  ont  pas  d'écriture.  Lorsqu'ils  veulent  faire  parvaiir  un 
renseignement  ou  un  orare  à  un  village  Kha,  les  chefs  se  servent  de 
tablettes  de  bambou  sur  lesquelles  ils  font  des  encoches  qui  ne  sont,  en 
somme,  que  des  signes  conventionnels.  Leur  langage  est  différent  du  lao 
et  du  thaï.  Ils  subissent  le  nom  de  Kha,  mais  se  disent  P'ou  Tings  quand 
on  leur  demande  leur  race.  Pou  Ting  veut  dire  habitant  des  sommets. 

Les  Khas  sont  répartis  un  peu  partout  dans  le  pays. 

Viennent  ensuite  les  Meos,  qui  se  divisent  en  trois  catégories  :  blancs, 
noirs  et  à  carreaux.  Ces  différents  noms  leur  viennent  de  la  diversité  de 
couleurs  de  leurs  vêtements,  qui  se  trouve  surtout  chez  la  femme. 

Les  Meos  ont  encore  un  langage  différent  des  trois  précédents  et  qui 
se  rapproche  plutôt  du  chinois.  Les  Meos  sont,  d'ailleurs,  d'origine 
chinoise. 

Il  existe  des  Jaos  en  petite  quantité,  vingt  familles  à  peine,  dans  les 
Hoa  Panh  Tang  Hoc.  Ils  ne  sont  qu'une  variété  des  Meos. 


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LES  HABITANTS   DU   LAOS  573 

Les  Meos  ont  la  tête  rasée,  comme  les  Chinois,  ne  conservant  qu'une 
touffe  de  cheveux  au  milieu  de  la  tête,  ces  cheveux  formant  queue  ; 
leur  tresse  est  beaucoup  plus  courte  que  celle  des  Chinois.  Les  Jaos 
ont  cette  touffe  ramenée  en  corne  au-dessus  de  la  tête. 

A  des  races  si  diverses  viennent  encore  s'ajouter  les  Phou  Phais  et 
les  P*ouocs.  Ces  derniers  sont  considérés  comme  peuplade  sauvage  et 
tenus  en  parfait  mépris.  A  Torigine,  Phou  PhaYs  et  P'ouocs  auraient 
été  de  même  race  ;  les  P'ouocs  ne  seraient,  en  somme,  que  des  Phou 
Phaïs  tombes  en  esclavage  à  la  suite  de  dettes  qu'ils  ne  pouvaient  payer. 

On  commence  à  compter  un  peu  plus  avec  les  Phou  Phaïs  ;  ils  sont 
gens  assez  résolus  et  dans  tel  endroit,  comme  Muong  Sam  Ten,  par 
exemple,  les  Phou  Phaïs  font  trembler  les  gens  du  pays. 

Esclavage. 

En  dehors  des  ravages  exercés  par  les  invasions  et  guerres  diverses, 
une  autre  plaie  existait,  qui  contribuait  pour  le  moins  tout  autant  à  la 
dépopulation  dp.  pays.  Je  veux  parler  de  l'esclavage,  du  trafic  des  gens 
qui  a  eu  lieu  jusqu'à  ces  dernières  années. 

Il  faut  reconnaître  que  les  Siamois  avaient  beaucoup  fait  non  seule- 
ment pour  améliorer  la  position  des  esclaves,  mais  encore  pour  faire 
disparaître  cette  coutume  barbare. 

Il  suffit,  pour  s'en  rendre  compte,  de  lire  les  deux  documents  sui- 
vants, que  j'ai  trouvés  en  fouinant  un  peu  partout,  et  que  les  chefs 
s'étaient  toujours  bien  gardés  de  porter  à  ma  connaissance.  Connue  on 
pourra  le  voir,  on  avait  réglementé  les  conditions  pour  que  chacun  pût 
recouvrer  la  liberté  :  un  salaire  était  attribué  à  l'esclave  en  plus  de  la 
nourriture  journalière,  pour  cnacune  des  journées  passées  chez  le 
maître.  La  liberté  était  acquise  dès  le  jour  où  le  travail  avait  permis 
d'amasser  une  somme  suffisante  pour  éteindre  la  dette,  cause  de  l'as- 
servissement. Les  esclaves  redevenaient  des  hommes  :  des  lois  réglaient 
leur  existence  et  établissaient  leurs  droits. 

Circulaire  du  roi  de  Luang  Prabang  au  sujet  des  esclaves, 

«  Le  Phan  hia  Muong  Chan  et  les  divers  mandarins  de  la  cour  de  Luang 
Prabang  informent  le  Pha  nhia,  Phia  boa  panh,  Phia  palat,  Lassa,  et 
autres  notables  du  hoa  panh  de  Muong  Het,  que  les  malheurs  des 
peuples  du  Laos  (soit  à  Luang  Prabang,  soit  dans  les  contrées  environ- 


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874  REVUE  FRANÇAISE 

oantes),  causés  par  les  pillages  des  bandes  chinoises,  sont  arrivés  à  la 
connaissance  du  roi  de  Siam,  de  même  que  le  peu  de  tranquillité  dont 
jouit  ce  pays. 

Le  roi  de  Siam  a  envoyé  alors  le  Phraya  Sourisak  Mon  Try,  man- 
darin militaire,  et  le  Phra  Palat  Sada,  colonel,  avec  des  troupes  sia- 
moises, à  Luang  Prabang,  pour  chasser  ces  bandes  de  notre  pays  el 
permettre  aux  habitants  de  rentrer  chacun  dans  son  village  et  y  re- 
prendre tranquillement  son  travail.  Actuellement,  ces  bandes  sont  déjà 
chassées  du  pays  et  les  habitants  doivent  faire  rentrer  leurs  famille? 
chacun  dans  son  village  ;  ils  n'ont  plus  rien  à  craindre. 

Les  1«%  2®,  3*  rois  de  Luang  Prabang  ont  tenu  conseil  avec  le  man- 
darin militaire  et  le  colonel  siamois,  et  ont  pris  une  décision  sur  la 
façon  d'organiser  le  pays  pour  que  les  habitants  soient  heureux  à 
l'avenir  ;  il  faut  pour  cela  que  les  notables  traitent  bien  les  habitants. 
Quant  aux  anciennes  coutumes,  on  ne  doit  suivre  que  celles  qui  sont 
bonnes;  il  faut  abandonner  les  mauvaises.  Pour  les  esclaves,  par 
exemple,  il  y  en  a  de  plusieurs  catégories  : 

1**  Il  y  a  des  esclaves  qui  ne  sont  pas  payés  :  ce  sont  les  gens  qui, 
voulant  rester  sous  les  ordres  d'un  notable,  sont  pris  comme  esdaves 
par  celui-ci,  qui  les  garde  avec  lui  et  qui  les  fait  travailler  sans  qu'ib 
gagnent  rien  de  toute  leur  vie. 

2**  Il  y  a  les  esclaves  payés  :  quelqu'un  achète  un  homme  ou  une 
femme  20  roupies  et  le  revend  à  un  autre  40  roupies  pour  en  tirer 
des  bénéfices  (dans  le  pays  même).  En  dehors  de  cela,  il  y  a  des  gens 
qui  font  le  commerce  d'esclaves  pour  gagner  leur  vie,  prenuent  des 
habitants  dans  un  pays  pour  aller  les  revendre  dans  un  autre,  comme 
du  bétail.  Ces  gens-là  ne  pensent  pas  que  ce  soient  des  hommes  comme 
eux.  Cette  coutume  est  un  malheur  pour  les  habitants  ;  elle  serait  de 
nature,  si  elle  continuait  à  s'exercer,  à  dépeupler  vite  le  pays. 

Le  roi  de  Luang  Prabang  et  le  mandarin  militaire  siamois  se  sont 
constitués  en  tribunal  spécialement  affecté  à  la  question  des  esclaves 
(San  Croma  thah),  qui  délivrera  des  certificats  constatant  que  tel 
homme  ou  telle  femme  sont  Tesclaved'un  tel  ou  d'un  tel.  Les  deux  inté- 
ressés seront  convoqués,  et  une  fois  le  maître  et  l'esclave  d'accord,  les 
juges  remettront  un  papier  (San  Croma  thali  nah)  avec  le  cachet  du 
tribunal  au  maître.  Ce  papier  stipulera  la  somme  d'arsçent  versée  par 
le  maître,  somme  sur  laquelle  le  maître  et  l'esclave  sont  d'accord.  D  est 


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LES  HABITANTS  DU  LAOS  571J 

formellement  interdit  au  maître  de  prendre  plas  que  la  somme  ins- 
crite sur  ce  billet,  quand  Tesclave  pourra  se  racheter. 

Actuellement,  dans  la  ville  de  Luang  Prabang  et  dans  toutes  les  pro- 
vinces voisines  la  question  des  esclaves  est  déjà  réglée  :  tous  ceux  qui 
ont  des  esclaves  payés  ont  reçu  un  papier  du  tribunal.  La  même  chose 
reste  à  faire  dans  les  Hoa  Panh  Tang  Hoc. 

De  la  conférence  tenue  entre  le  1",  2«  et  3®  rois  et  le  mandarin  sia- 
mois, il  résulte  que  tous  les  gens  vendus  en  ce  moment  à  Luang  Pra- 
bang ou  les  pays  avoisinants  ne  sont  que  des  gens  des  Hoa  Panh,  Lao- 
tiens, Thaïs  ou  Khas  :  c'est  pour  ce  motif  qu'on  envoie  dans  ce  pays 
des  mandarins  chargés  de  liquider  les  affaires  d'esclaves.  Les  notables 
et  les  habitants  se  conformeront  à  la  règle  prescrite. 

Le  roi  a  désigné  le  Satkouk  Oun  Keo,  Sathou  Chakavat  et  le  Pha 
nhia  Xieng  Nua,  mandarins  de  Luang  Prabang,  pour  circuler  dans  tou- 
les  Hoa  Panh  Tang  Hoc  et  prendre  note  du  nombre  d'habitants  et  d'es- 
claves. 

Le  roi  donne  l'ordre  au  Pha  nhia  et  aux  notables  du  hoa  panh  de 
Muong  Het  de  faire  rassembler  à  Muong  Het  les  habitants  ainsi  que  les 
esclaves  payés  ou  volontaires  de  tous  les  villages,  afin  de  les  inscrire. 
Défense  est  faite  aux  notables  de  cacher  des  hommes  ;  ils  doivent  indi- 
quer le  nombre  exact  des  familles  habitant  leurs  villages  respectifs. 

Dès  qu'on  aura  pris  note  du  nombre  de  ces  familles,  les  mandarins 
pourront  régler  la  question  des  esclaves. 

D  est  interdit  au  maître  de  l'esclave,  dès  que  celui-ci  pourra  se  ra- 
cheter, de  prendre  une  somme  supérieure  à  celle  portée  sur  le  papier 
du  tribunal.  Il  ne  pourra  être  acheté  ou  vendu  des  hommes  sans  un 
papier  de  ce  tribunal. 

Que  tout  le  monde  se  conforme  également  à  ces  ordres  et  suive  les 
prescriptions  de  la  circulaire  envoyée  en  même  temps  que  celle-ci. 

Le  Pha  nhia  doit  prévenir  les  notables  et  les  habitants  que  si  le  roi  a 
envoyé  des  mandarins  pour  régler  ces  affaires  d'esclaves,'  c'est  dans  le 
but  de  rendre  le  bonheur  aux  habitants,  de  permettre  à  chacun  de 
vivre  libre,  sans  que  désormais  les  uns  soient  les  esclaves  des  autres. 
Les  notables  et  habitants  n'ont  à  fournir  aux  mandariiis  que  le  riz  ; 
quant  au  restant  de  la  nourriture,  ils  ne  doivent  rien  donner  sans  être 
remboursés  :  les  mandarins  ont  tous  des  appointements.  » 


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576  REVUE  FRANÇAISE 

Auti^e  circulaire  du  roi  de  Luang  Prabang  sur  la  suppression 
de  la  traite  des  esclaves. 

«  Luang  Prabang,  le  20^  jour  du  6®  mois  de  Tannée  Kat  Pao  1251 
(1889  de  l'ère  chrétienne). 

Par  ordre  du  roi  de  Luang  Prabang,  les  mandarins  de  la  Cour  infor- 
ment les  habitants  et  notables  de  toutes  races  des  pays  soumis  à  son 
autorité,  que,  de  concert  avec  le  Phraya  Sourisak  Mon  Ty,  mandarin 
militaire  et  le  Phra  Palat  Sada,  colonel  siamois,  le  roi  a  pris  une  déci- 
sion sur  Torganisation  du  pays  pour  qu'il  soit  prospère  et  peuplé  à 
l'avenir,  ce  qui  est  le  désir  de  S.  M.  le  roi  de  Siam. 

Pour  les  diverses  coutumes  du  pays,  on  ne  doit  suivre,  parmi  les 
anciennes,  que  celles  qui  sont  bonnes,  celles  qui  permettent  aux  habi- 
tants de  vivre  tranquillement.  Quant  aux  mauvaises,  qui  font  le  mal- 
heur des  habitants,  il  faut  les  abandonner.  Considérons  la  question  des 
esclaves. 

L'ancienne  loi  reconnaissait  sept  sortes  d'esclaves  : 

l**  Esclave  payé,  acheté  ; 

2^  Enfant  d'esclave,  qui  est  né  dans  la  maison  du  mdtre  ; 

3**  Esclave  de  famille,  c'est-à-dire  qui  appartient  à  une  famille  d'es- 
claves, depuis  ses  grands  parents,  et  que  le  maître  passe  à  ses  enfants  ; 

4^  Esclave  donné,  c'est-à-dire  celui  qui,  restant  avec  un  individu 
quelconque,  est  envoyé  par  celui-ci  pour  servir  un  autre  maître,  cama- 
rade bu  parent; 

5**  Esclaves  provenant  de  ce  que  des  gens,  sous  le  coup  d'une  puni- 
tion quelconque,  sont  allés  demander  à  rester  sous  les  ordres  d'un  man- 
darin ou  d'un  notable,  qui  leur  donne  protection  et  les  prend  comme 
esclaves  ; 

6**  Esclaves  provenant  de  ce  que,  en  temps  de  famine,  de  pauvres 
gens  n'ayant  rien  à  manger,  sont  venus  demander  à  rester  sous  les 
ordres  d'un  notable  quelconque  ou  d'un  simple  habitant  qui  les  nourrit 
et  les  prend  comme  esclaves  ; 

7*»  Esclaves  provenant  des  hommes,  femmes  ou  enfants  prisonniers  de 
guerre  et  mis  en  esclavage. 

Ces  sept  sortes  d'esclaves  s'appellent  «  That  doï  Kabine  »  :  ce  sont 
des  esclaves  à  perpétuité,  selon  l'ancienne  loi  du  pays. 

Il  n'est  pas  possible  qu'on  garde  ainsi  ces  gens-là  esclaves  jusqu'à  ce 


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LES   HABITANTS   DU   LAOS  577 

qu'ils  aient  ac(|uitlé  leur  dette,  car  personne  n'ignore  qu'ils  ne  pourront 
jamais  trouver  l'argent  nécessaire  pour  payer  leurs  maîtres,  puisqu'ils 
ne  travaillent  que  pour  celui-ci  toute  leur  vie  durant,  et  puis,  s'ils 
leur  viennent  à  manquer,  on  prend  leurs  enfants  à  la  place,  ea  com- 
pensation de  la  somme  due.  . 

C'est  là  une  coutume  très  mauvaise  :  le  père  et  la  mère  étaient  es- 
claves, il  est  vrai,  mais  la  somme  qu'ils  devaient  au  maître  doit  se 
trouver  acquittée  par  le  travail  qu'ils  lui  ont  fourni  pendant  toute  leur 
existence.  Et  cependant  les  enfants  restent  esclaves,  sans  connaître  la 
liberté  depuis  leur  naissance  jusqu'à  la  fin  de  leur  vie  :  on  les  vend,  on 
les  achète  tant  qu'on  veut,  comme  des  bétes  ;  ils  ne_  sont  pas  considérés 
comme  des  hommes. 

11  y  a  des  individus  qui,  sachant  que  leur  esclave  va  s'acquitter,  s'em- 
pressent de  le  vendre  ;  d'autres  qui  se  rendent  dans  un  pays,  y  achètent 
des  hommes  pour  40  ou  15  roupies,  les  emmènent  et  les  revendent 
100  ou  200  roupies  chacun  ;  il  y  en  a  qui  emmènent  les  malheureux 
sans  parents  et  les  vendent  ailleurs.  Des  individus  vont  attaquer  un  vil 
la^e,  arrêtent  hommes  et  femmes  et  vont  les  vendre  ;  d'autres  enfin  qui, 
ayant  échangé  de  l'opium  ou  du  sel  contre  des  hommes,  sont  allés 
revendre  ces  derniers  pour  en  tirer  des  bénéfices. 

De  plus,  lorsque  des  esclaves  qui  ont  réaHsé  des  économies  soit  en 
argent,  soit  en  marchandises,  soit  en  bestiaux,  viennent  à  mourir,  le 
maître  s'empare  de  tout,  sans  rien  laisser  soit  à  la  femme,  soit  aux  en- 
fants du  défunt  ;  et  femmes  et  enfants  restent  toujours  esclaves  jus- 
qu'à la  fin  de  leur  vie. 

Conformément  à  l'ancienne  loi  du  pays,  tout  ce  que  gagnaient  les 
différents  esclaves  devait  revenir  au  maître,  jusqu'aux  petites  sommes 
provenant  de  la  vente  des  cordes  et  fils  fabriqués  avec  l'écorce  d'arbre 
que  l'esclave  allait  chercher  :  ainsi,  si  quelqu'un  tombe  en  esclavage, 
il  pourra  rarement  se  racheter. 

C'est  d'ailleurs  pour  ce  motif  qu'il  y  a  presque  un  tiers  d'esclaves  sur 
la  population  totale  du  pays.  En  continuant  à  suivre  cette  coutume, 
ni  ces  malheureux,  ni  leurs  descendants  ne  pourraient  recouvrer  leur 
liberté  jusqu'à  la  fin  du  monde. 

Le  roi,  le  mandarin  militaire,  le  colonel  siamois  et  les  mandarins  de 
la  cour  ont  résolu  de  supprimer  cette  coutume. 

Dorénavant,  on  ne  doit  plus  prendre  comme  esclaves  les  fils,  petits 
XXIII  (Octobre  98).  N»  238.  38 


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678  REVUE  FRANÇAISE 


fils  ou  arrière  petits-fils  d'esclaves;  on  ne  doit  pas  revendre  les  esclaves 
un  prix  supérieur  au  prix  d'achat;  on  ne  doit  pas  prendre  les  biens 
R  amassés  par  Tesclave. 

Que  ^ut  le  monde  se  conforme  à  cette  loi  nouvelle,  car  si  rancienne 

coutume  continuait  à  prévaloir,  le  pays  deviendrait  de  jour  en  jour  plus 

.  désert.  Comme  dit  le  proverbe  laotien  :  c  Tha  nam  yeu  Thi  deu  pa 

k  ^         Khong  Khon,  tha  nam  hon  Thi  deu  pa Khong  si  »,  «  les  poissons  aiment 

I  mieux  rester  dans  les  endroits  où  il  y  a  de  l'eau  fraîche,  que  dans  ceux 

où  il  y  a  de  l'eau  chaude  ».  Si  le  commerce  des  esclaves  continuait  à  se 

faire,  les  habitants  abandonneraient  certainement  leur  pays  pour  aller 

s'installer  ailleurs.  Si  cette  coutume,  au  contraire,  est  abandonnée,  le 

^  pays  sera  probablement  de  jour  en  jour  plus  animé. 

Dans  le  royaume  de  Siam,  la  loi  de  la  libération  des  esclaves  date  de 
Tannée  de  Marong  (1230).  Voici  comment  on  a  procédé: 

On  a  pris  le  montant  de  l'achat  pour  l'esclave  ;  puis,  suivant  que 
c'était  un  homme  ou  une  femme,  qu'il  était  jeune  ou  vieux,  on  lui  a 
alloué  une  certaine  somme  par  jour  et  on  a  retranché  du  prix  d'achat 
le  produit  du  nombre  de  journées  que  l'esclave  a  passées  chez  le 
maître  par  l'allocation  d'une  journée. 
Comme  le  royaume  de  Luang  Prabang  dépend  du  roi  de  Siam,  on 
l  doit  se  conformer  à  ses  lois. 

[r  Le  jour  où  il  a  été  décidé  que  la  traite  des  esclaves  était  abolie,  le  roi 

avait  mandé  à  la  cour  tous  les  chefs  des  bonzes,  mandarins,  notables, 
fonctionnaires  et  chefs  de  villages  présents  à  Luang  Prabang  et  leur  a 
demandé  s'ils  étaient  de  cet  avis.  Tous  ont  répondu  au  roi  qu'ils  étaient 
[^  très  contents  de  voir  supprimer  cette  coutume.  Alors  le  roi  a  chargé  les 

I  mandarins  de  la  cour  d'écrire  cette  ordonnance  pour  informer  les  man- 

L  darins,  notables  et  habitants  de  toute  race  des  diflérents  pays  soumis  à 

^  son  autorité  d'avoir  à  se  conformer  à  cette  loi. 

1**  Il  est  défendu  aux  geng  qui  ont  des  esclaves  non  payés,  c'est-à-dire 
des  esclaves  leur  venant  des  aïeux,  grand-père  ou  père,  de  les  garder 
comme  esclaves  ;  ils  doivent  les  rendre  à  la  liberté. 

2"  11  est  défendu  de  prendre  comme  esclaves  les  enfants  qui  naii*senl 

dans  la  maison  du  maître,  à  partir  du  jour  où  les  parents  ont  été  mis 

en  esclavage,  et  dont  le  nom  ne  figure  pas  sur  le  San  Cromalhan,  billet 

du  tribunal. 

[  Ds  doivent  être  Ubres  de  partir  s'ils  veulent;  s'ils  désirent  habiter chei 


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LES   HABITANTS  DU  LAOS  579 

le  maître  de  leurs  parents,  celui-ci  peut  les  faire  travailler  de  temps  en 
temps,  en  compensatisn  de  la  nourriture  qui  leur  est  fournie;  mais  on 
doit  les  traiter  comme  le  feraient  leurs  parents  :  on  ne  doit  ni  les  forcer 
à  travailler,  ni  les  frapper,  ni  les  punir  comme  les  vrais  esclaves  qu'on 
a  achetés. 

Si  le  maître  ne  se  conforme  pas  à  cette  loi,  les  parents  des  enfants 
pourront  adresser  leurs  plaintes  au  «  san  »  (tribunal),  comme  les  autres 
habitants,  afin  qu'on  puisse  juger  selon  la  loi.  Dans  le  cas  où  ces  en- 
fants veulent  aller  habiter  ailleurs,  le  maître  des  parents  ne  doit  pas 
leur  faire  payer  le  prix  de  leur  nourriture. 

3**  Si  quelqu'un  vient  demander  un  esclave,  garçon  ou  fille,  au  maître, 
pour  en  faire  son  mari  ou  sa  femme,  le  maîlre  ne  doit  rien  faire  payer 
pour  le  mariage  :  il  doit  se  faire  rembourser  le  prix  d'achat  seulement 
si  l'esclave  a  été  acheté. 

Si  ce  sont  des  esclaves  non  achetés,  le  maître  ne  doit  rien  demander 
et  il  ne  doit  pas  leur  faire  payer  d'amende,  puisque  avant  le  mariage 
l'autorisation  lui  a  été  demandée  conformément  à  l'habitude  du  pays. 

La  fête  du  mariage  pourra  se  fêter  chez  le  maître  si  celui-ci  y  con- 
sent ;  sinon  on  la  fera  ailleurs. 

4°  Si  un  garçon  prend  une  esclave  sans  prévenir  le  maître  et  qu'il 
la  débauche,  le  maître  pourra  faire  payer  l'amende  au  garçon  d'après 
la  loi  du  pays.  Si  le  garçon  n'a  pas  de  quoi  payer,  le  maître  doit  venir 
réclamer  au  tribunal,  qui  jugera  et  ordonnera  au  jeune  homme  d'aller 
servir  le  maître  de  l'esclave  à  raison  de  trois  ticaux  par  mois,  jusqu'à 
quittance  de  la  somme  due. 

5®  Si  un  esclave  vient  à  mourir,  il  est  défendu  au  maître  de  prendre 
ses  biens,  qui  doivent  revenir  soit  à  la  femme,  soit  aux  enfants,  soit 
aux  parents.  Le  maître  ne  peut  tout  prendre  que  dans  le  cas  où  son 
esclave  ne  laisse  pas  d'héritiers. 

6^  Si  un  esclave  a  de  l'argent  pour  se  racheter,  ou  bien  va  demander 
de  rester  sous-  les  ordres  d'un  nouveau  maître  qui  paye  [X)ur  lui,  l'an- 
cien maître  ne  doit  pas  l'empêcher  de  partir;  il  ne  doit  pas  non  plup 
faire  payer  au  delà  de  la  somme  portée  sur  le  billet  du  San  Cromathan 
donné  par  le  tribunal.  En  même  temps  qu'il  reçoit  l'argent,  le  maître 
doit  donner  à  l'esclave  le  billet  du  San  Cromathan. 

Si  le  maître  ne  veut  pas  accepter  la  somme  qu'on  lui  rend,  Tesclave 
doit  apporter  la  somme  au  (San)  tribunal,  qui  appelle  le  madtre,  lui 


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580  REVUE  FRANÇAISE 

fsdt  aeœpter  l'argent  et  rendre  le  billet  du  San  Cromathan  à  l'esclave. 
On  retient  au  maître,  sur  la  somme,  2  roupies  pour  10  au  proflt  do 
trésor  du  roi,  en  punition  de  son  refus  d'accepter  l'argent. 

7**  Il  est  absolument  défendu  aux  mandarins,  notables  ou  simples 
habitants  d'acheter  des  gens  qui,  esclaves  avant,  avaient  pu  se  racheter. 
Celui  qui  n'obéirait  pas  à  ces  ordres  se  verrait  enlever  l'esclave  ach^ 
et  ne  serait  pas  remboursé  en  punition  de  sa  désobéissance  à  la  loi. 

8®  Si  quelqu'un  a  acheté  un  esclave  avec  l'autorisation  du  tribunal, 
muni  d'un  billet  du  San  Cromathan  portant  ]e  cachet  du  tribunal,  billet 
où  sont  inscrits  le  prix  d'achat,  le  nom  du  maître  et  celui  de  l'esclave, 
et  que  tôt  ou  tard  cet  esclave  veuille  aller  avec  un  autre  maître,  l'an- 
cien maître  ne  doit  faire  payer  que  la  somme  inscrite  sur  le  billet  du 
San  Cromathan  fait  par  le  tribunal.  Il  ne  doit  remettre  l'esclave  et  le 
billet  au  nouveau  maître  que  lorsqu'il  aura  reçu  son  argent.  Ceci  doit 
se  passer  devant  le  chef  du  «  Tasseng  »  (réunion  de  deux  ou  trois  Bans 
à  Luang  Prabang  ;  peut  être  comparé  au  Phong  dans  les  Boa  Panh 
tang  Hoc),  pour  que  celui-ci  inscrive  sur  le  billet  du  San  Cromathan  la 
date,  les  noms  et  domiciles  des  deux  maîtres  et  de  l'esclave,  la  somme 
payée  et  les  noms  des  témoins,  hommes  ou  femmes,  qui  ont  assisté  à 
l'achat. 

9®  Lorsqu'un  esclave  s'est  racheté  en  payant  au  maître  la  somme  due 
et  que  celui-ci  lui  a  rendu  le  billet  du  San  Cromathan  devant  le  chef 
du. Tasseng,  il  est  défendu  au  maître  de  racheter  son  esclave  par  force; 
le  chef  du  Tasseng  doit  l'en  empêcher.  Si  quelqu'un  commet  cette  fiiule, 
l'esclave  a  le  droit  de  réclamer  au  tribunal  qui  punit  le  coupable:  on 
garde  l'argent  payé  pour  l'esclave,  auquel  on  rend  la  liberté. 

10**  Lorsqu'un  esclave  a  volé  n'importe  quoi  à  son  maître,  celui-ci 
ne  doit  pas  le  punir  lui-même,  mais  le  conduire  au  (San)  tribunal,  qui 
le  jugera  et  punira  d'après  la  loi. 

11*»  Il  est  également  défendu  à  qui  que  ce  soit  de  revendre  en  dehors 
de  leur  pays  les  esclaves  achetés,  ou  d'aller  vendre  en  dehors  du  pays 
soumis  au  roi  de  Luang  Prabang  les  gens  du  pays. 

Si  quelqu'un  ne  se  conforme  pas  à  ces  ordres,  les  chefs  du  village  où 
il  habite,  ou  bien  les  parents  de  l'esclave,  devront  venir  réclamer  au 
(San)  tribunal,  qui  obligera  le  vendeur  à  aller  racheter  l'esclave  pour 
le  ramener  à  ses  parents.  Mais  au  moment  où  cet  esclave  est  racheté, 
on  doit  faire  le  compte  à  tant  par  journées  passées  chez  le  nouveau 


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LES   HABITANTS   DU   LAOS 

maître  ;  on  ne  doit  rembourser  à  celui-ci  que  le  prix  d'achat  diminué 
du  prix  de  ces  journées. 

Si,  par  exemple,  le  nouveau  maître  avait  payé  cent  roupies,  on  ne 
lui  rend  pas  la. somme,  puisque  l'esclave  a  travaillé  pour  lui  ;  le  prix 
des  journées  est  versé  à  Tesclave  et  l'ancien  maître  est  condamné  sui- 
vant la  loi. 

12«  La  loi  des  esclaves  date  du  20«  jour  du  6^  mois  de  l'année  Kat 
Pao  (mai  1889).  Les  mandarins,  notables,  fonctionnaires  ou  simples 
habitants  doivent  se  conformer  à  ce  qui  est  dit  dans  cette  circulaire  à 
dater  du  jour  de  la  promulgation  de  la  loi.  » 

En  résumé,  on  voit  d'après  ces  circulaires  que  deux  catégories  d'es- 
claves devaient  être  mis  en  liberté  immédiatement  sans  compensation 
aucune  : 

1®  Les  esclaves  non  payés,  c'est-à-dire  provenant  des  aïeux,  grands- 
pères,  etc....; 

2^  Les  enfants  d'esclaves  nés  dans  la  maison  du  maître  à  partir  du 
jour  où  les  parents  avaient  été  pris  comme  esclaves. 

Pour  tous  les  autres,  les  conditions  de  libération  étaient  établies.  Ces 
réformes  avaient  déjà  reçu  exécution  partielle  :  la  nouvelle  loi  avait  été 
appliquée  à  Luang  Prabang,  où  tous  les  gens  employés  au  service  de 
quelqu'un  reçoivent  un  salaire  dont  le  maximum  m'a  semblé  devoir 
être  4  pfoen  (environ  8  0,06)  en  plus  de  la  nourriture. 

Dans  certaines  régions  des  Hoa  Panh  Tang  Hoc,  la  même  loi  était 
appliquée,  et  elle  allait  l'être  partout  lorsque  les  événements  ont  obligé 
les  Siamois  à  quitter  le  pays.  On  est  donc  à  peu  près  certain  de  ne  pas 
éprouver  de  grandes  difficultés  dans  l'application  de  cette  loi  bienfai- 
sante. Nous  ne  saurions,  d'ailleurs,  sur  une  question  pareille,  rester  en 
arrière  des  Siamois. 

Il  faut  bien  distinguer  entre  les  diverses  catégories  d'esclaves  citées 
précédemment  et  les  villages  qui  sont  sous  les  ordres  directs  d'un  chef: 
les  premiers  sont  la  chose  de  l'individu,  qui  peut  les  vendre  d'après 
l'ancienne  loi  ;  tandis  que  les  seconds  ne  sont,  en  quelque  sorte,  que 
les  vassaux,  qui  doivent  certaines  redevances  aux  chefs,  mais  qui  ont 
le  droit  de  cultiver  des  terres  pour  eux  et  leur  famille,  de  faire  du 
commerce  à  leurs  risques  et  périls,  les  gains  aussi  bien  que  les  pertes 
restant  pour  eux  seuls.  Tel  village  dont  les  habitants  ne  sont  pas  con- 


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i 


882  REVUE  FRANÇAISE 

tents  de  leur  chef  peut  demander  et  obtenir  de  se  mettre  sous  les  ordres 
d'un  autre  dont  ils  se  croiront  mieux  traités. 

Il  ne  faudrait  cependant  pas  croire  que  ces  esclaves  soient  bien  mal- 
heureux: leur  situation,  dans  les  Hoa  Panh  du  moins,  n'attire  pas  la 
pitié  iitimédiate,  spontanée;  ils  sont  un  peu  de  la  famille,  et  bien  rare- 
ment les  voit-on  maltraités  par  leurs  maîtres.  Ce  sont,  à  proprement 
parler,  des  domestiques  à  vie  et  non  payés,  qui  contribuent  à  aug- 
menter par  leur  travail  les  ressources  du  maître  sans  en  tirer  aucun 
profit.  Les  hommes  cultivent  les  rizières,  vont  à  la  poche,  préparent 
les  matériaux  pour  les  cai-nhas,  accompagnent  le  maître  dans  ses  dé- 
placements pour  porter  ses  vivres  ou  ses  eflTets,  vont  au  loin  chercher 
la  provision  de  sel  si  rare  en  ce  pays  ;  les  femmes  s'occupent  des  tra- 
vaux de  propreté  et  de  ménage,  vont  chercher  le  bois  à  la  forêt,  pré- 
parent les  matières  (coton  ou  soie)  qui  serviront  à  la  confection  des 
effets  d'habillement,  décortiquent  le  riz,  etc  ... 

Il  faut  savoir  que  tel  individu  est  esclave  pour  le  reconnaître.  Il 
n'en  est  pas  moins  vrai  que  l'esclavage  existe  encore  en  partie. 

(A  suivre,)  Capitaine  Bobo, 

de  V Infanterie  de  marine. 


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LE  CHEMIN  DE  FER  DU  BAS  CONGO 

L'inauguration  solennelle  du  chemin  de  fer  du  Congo  et  son  ouver- 
ture au  trafic,  de  Tembouchure  du  grand  fleuve  africain  jusqu'au 
Stanley  Pool,  marquent  le  point  de  départ  d'une  ère  nouvelle  dans  a 
pénétration  du  continent  noir  et  l'exploitation  des  nombreuses  richesses 
naturelles  que  celui-ci  enveloppait  naguère  de  ses  ténèbres.  Grâce  au 
ruban  d'acier  qui  se  déroule  sur  près  de  400  kilomètres,  le  Stanley 
Pool,  c'est-à-dire  l'extrémité  de  l'immense  réseau  navigable  du  bassin 
du  Congo,  ne  se  trouve  plus  qu'à  48  heures  du  littoral,  —  au  lieu  d'un 
mois  par  le  sentier  des  caravanes,  —  et  Brazzaville,  le  chef-lieu  des 
possessions  françaises  du  Congo,  se  trouve  ramené  à  une  distance  de 
18  jours  des  côtes  de  France.  Ce  n'est  pas  sans  difficultés,  sans  dé- 
penses, ni  sans  efforts  que  la  petite  et  industrieuse  Belgique  est  venue 
à  bout  de  cette  œuvre  remarquable,  que  la  grande  mais  peu  cons- 
tante France  n'a  pas  su  ou  voulu  entreprendre  sur  la  rive  opposée  du 
fleuve.  La  ténacité,  l'esprit  de  suite,  la  persévérance  de  la  C'®  belge  du 
chemin  de  fer  ont  triomphé  de  tous  les.  obstacles,  et  cependant,  comme 
nous  allons  le  voir,  les  débuts  étaient  loin  d'être  encourageants  ! 

Lorsque  Stanley,  dans  sa  magnifique  mais  sanglante  traversée  du 
continent  noir  (1875-1877),  eut  descendu  le  majestueux  fleuve  du 
Congo  jusqu'au  lac  qui  porte  aujourd'hui  son  nom,  il  fut  arrêté  par 
une  succession  de  rapides  et  de  chutes  s'étendant  sur  un  parcours 
d'environ  323  kilomètres  jusqu'à  l'embouchure  du  fleuve.  Rendre 
navigable  cette  partie  du  Congo,  il  n'y  fallait  pas  songer,  en  raison  de 
la  quantité  d'obstacles  accumulés  et  de  la  multiplicité  des  chutes.  Ia 
route  de  terre,  même  si  elle  pouvait  être  créée  dans  un  temps  assez 
rapproché,  présenterait  toujours  de  grosses  difficultés  à  cause  du  grand 
nombre  de  cours  d'eau  ou  ravins  qu'il  faudrait  franchir  et  de  la  série 
de  hauteurs  qu'il  faudrait  escalader  par  le  travers.  De  plus,  elle  de- 
manderait de  longues  étapes  et  ne  serait  pas  apte  au  transport  des 
produits  lourds  et  encombrants.  Aussi,  lorsque  les  résultats  du  voyage 
de  Stanley  furent  connus,  l'idée  de  construire  une  voie  ferrée  pour 
atteindre  facilement  le  grand  réseau  navigable  du  centre  africain  ne 
fut-elle  pas  longue  à  faire  son  chemin. 

Au  commencement  de  1878,  le  roi  Léopold  II,  qui  portait  un  vif 
intérêt  aux  découvertes  africaines,  provoqua  la  création  d'un  syndicat 


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'  '-^-^ 


Le  CHExn  a 
(D'après  commuiucaii4 


(c  Bas-Congo. 
wrment  Géographique. 


l'ÉRALE    DE   MaTADI. 


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fm  REVUE  FRANÇAISE 

qui  envoya  au  Congo  une  mission  d'études  chargée  de  recueillir  sur  la 
question  un  ensemble  de  données  qui  faisait  absolument  défaut.  Le 
t.H  novembre  de  la  même  année  était  créée  la  société  en  participation, 
qui  donna  naissance  un  peu  plus  tard  à  TAssociation  internationale 
utricaine  d'où  est  sorti  à  son  tour  TÉtat  indépendant  du  Congo. 

Eu  1880,  Stanley  retourna  au  Congo  pour  le  c  -mpte  des  intérêts 
belges  et  y  étudia  pendant  plusieurs  années  les  voies  d'accès  vers 
llfitérieur  et  la  valeur  des  produits  susceptibles  d\^tre  amenés  à  la 
crue  par  la  voie  du  Congo.  Ses  conclusions  aboutirent  à  la  possibilité 
de  construire  un  chemin  de  fer  dont  il  évaluait  le  coût  à  la  somme  très 
niuiléri^  de  37  millions  de  francs.  Le  s  déclarations  de  Stanley  produi- 
sirent leur  effet  en  Angleterre  et,  en  novembre  1888,  un  syndicat 
lintannique  se  formait  et  demandait  la  concession  du  chemin  de  fer 
(lu  lias  Congo.  Mais  les  garanties  furent  insuffisantes  pour  pouvoir  faire 
appel  aux  capitaux  et  le  syndicat  dut  se  dissoudre  en  septembre  188(5. 

C*est  alors  qu'entra  en  scène  le  capitaine  Thys,  sur  l'initiative  duquel 
lafTaire  fut  reprise  à  Bruxelles,  par  la  création  de  la  «  C**  du  Congo 
pour  le  commerce  et  l'industrie  ».  Celle-ci,  constituée  définitivement 
i*ri  février  1887,  se  proposait  de  poursuivre  dans  des  conditions  plus 
moLlii?tes,  l'étude  et  la  construction  d'un  chemin  de  fer.  Elle  ne  perdit 
point  de  temps.  En  effet,  le  8  mai  de  la  même  année,  le  capitaine  Thys 
s'embarquait  pour  le  Congo  à  la  tête  d'une  troupe  d'ingénieurs,  bientôt 
suivi  d'un  second  groupe.  1-es  opérations  se  poursuivirent  jusqu'en 
décembre  1887  et  furent  alors  suspendues  par  suite  de  la  saison  des 
pluios.  Reprises  en  mai  <888,  elles  étaient  définitivement  terminées  le 
4  novembre.  Les  ingénieurs  rapjportaient  avec  eux  le  levé,  au  1/5000*, 
du  tracé  sur  une  longueur  de  433  kilomètres.  Ces  travaux  de  recon- 
naissance ne  se  firent  pas  sans  peine,  car  il  fallut  partout  débrousser 
le  terrain  un  peu  à  l'aventure  dans  une  région  qui  était  presque  entiè- 
lenit^nt  inconnue  des  Européens.  Le  rapport  concluait  à  la  possibilité 
de  construire  une  voie  ferrée,  à  l'écartement  de  75  centimètres  et  d'ac- 
quôrir  le  matériel  roulant  moyennant  une  dépense  de  35  millions. 

Le  31  juillet  1889  la  «  C®  du  chemin  de  fer  du  Congo  »  était  cons- 
titut^e  à  Bruxelles  au  capital  de  85  millions.  Le  gouvernement  belge 
souscrivit  10  millions. 

Le  premier  groupe  d'ingénieurs  quitta  Anvers  le  11  octobre.  En  jan- 
vier 1890,  lorsque  commencèrent  les  travaux  d'installation  à  Matadi, 


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LE  CHEMIN  DE  FER  DU  BAS  CONGO         587 

tête  de  ligne  de  la  voie  à  construire,  environ  800  noirs,  parmi  lesquels 
200  Zanzibarites,  se  trouvaient  réunis  sut  les  chantiers. 

Ce  fut  en  mars  <890  que  commencèrent  les  travaux  de  terrassement 
proprement  dits.  Cette  première  période  de  Texécution  des  travaux  fut 
particulièrement  dure  et  meurtrière.  On  s'en  rendra  compte  quand  on 
saura  que  le  Congo  roule  ses  eaux  à  Matadi  entre  deux  rangées  de  hau- 
teurs. Pour  sortir  du  creux  où  est  bâti  Matadi,  il  faut  donc  s'élever  for- 
tement, et  assez  brusquement  si  l'on  veut  rester  en  territoire  congolais 
(la  frontière  portugaie  passe  à  1.800  mètres  de  la  voie).  Au  col  de  Pa- 
labala,  le  tracé  atteint  280  mètres  d'altitude.  Et  comme  à  ce  point  on 
n'est  qu'à  16  kilomètres  de  Matadi,  il  faut  donc  racheter  sur  un  aussi 
petit  parcours  la  différence  d'altitude  de  254  m.,  la  tête  de  ligne  ne  se 
trouvant  qu'à  26  m.  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Dure  besogne,  qui 
demandera  3  ans  et  sera  une  rude  école  pour  les  ingénieurs  et  une 
meurtrière  campagne  pour  les  travailleurs. 

Pendant  cette  période  de  mise  en  train  les  travaux  marchent  avec 
une  lenteur  désespérante.  Il  semble,  en  effet,  que  l'on  ne  puisse  pas 
sortir  du  bas-fond  d'oti  émerge  Matadi.  Mais  il  faut  reconnaître,  comme 
le  dit  M.  A.-J.  Wauters,  dans  le  Mouvement  géographique^  que  «  le  tra- 
vail y  est  des  plus  pénible,  notamment  au  passage  des  Échelles,  ainsi 
désigné  parce  qu'on  n'y  peut  avancer  qu'en  se  servant  d'échelles,  au 
risque  d'être  précipité  dans  les  rapides  du  Congo,  et  au  point  dit  de 
rÉboulement  (kil.  6),  où  les  mineurs  travaillent  dans  le  vide  suspendus 
par  une  corde  au-dessus  des  chutes  de  la  Mpozo.  « 

Aussi,  au  30  juin  1891Ja  voie  n'est-elle  achevée  que  jusqu'au  kil.  2:6, 
tandis  que  la  dépense  s'élève  à  6  millions.  Au  30  juin  1892,  le  kil.  9 
est  seulement  atteint  et  le  capital  social  (25  millions)  est  déjà  entamé 
de  11  millions  et  demi.  Le  kilomètre  de  voie  revient  ainsi  à  plus  de 
1.250.000  francs,  au  lieu  de  60.000  francs,  chiffre  prévu  I  Les  obsta- 
cles qu'il  faut  sans  cesse  surmonter  et  la  lenteur  d'exécution  des  tra- 
vaux amènent  le  découragement  parmi  les  travailleurs,  que  les  mala- 
dies déciment  d'ailleurs.  La  mauvaise  nourriture,  une  installation  défec- 
tueuse, une  température  torride  dans  des  ravins  chauffés  à  blanc  par  le 
soleil  engendrent  tout  un  cortège  de  maladies  contagieuses  :  dysenterie, 
fièvres  paludéennes,  béri-béri,  etc.  En  30  mois,  de  janvier  1890  à  mai 
1892,  900  hommes  sur  4.500  travailleurs  employés  ont  succombé.  Le 
nombre  des  malades  est  considérable.  Aussi  est-ce  avec  une  peine 


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588  REVUE  FRANÇAISE 

inouïe  que  ron  parvient  à  recruter  des  travailleurs  sur  la  côte  occiden- 
tale, car  ceux  qui  ont  été  rapatriés  ou  ont  déserté,  font  un  tableau  dé- 
plorable des  chantiers  du  chemin  de  fer.  Il  faut  aller  jusqu'aux  Bar- 
bades,  à  Zanzibar,  et  môme  jusqu'à  Hong-Kong,  d'où  on  ramène  500 
coolies,  pour  trouver  des  terrassiers. 

Cependant,  malgré  le  décourgement  presque  général,  la  direction  des 
travaux  ne  faiblit  pas  un  instant.  Enfin,  au  commencement  de  1893, 
le  col  de  Palabala  (kil.  16)  est  atteint.  C'est  là  un  résultat  important,  car 
désormais,  le  terrain  sersl  moins  accidenté,  la  température  moins  brû- 
lante, la  vie  plus  facile.  Aussi  l'état  des  travailleurs  s'améUore  t-il  rapi- 
dement au  moral  comme  au  physique  ;  chacun  reprend  courage  et  les 
travaux  avancent  avec  une  rapidité  inaccoutumée.  Au  mois  de  juillet, 
le  rail  atteint  le  kil.  29  et,  le  4  décembre,  la  première  section,  de  Ma- 
tadi  à  Kengé,  soit  42  kil.,  est  inaugurée  par  le  gouverneur  général.  La 
construction  est  désormais  bien  lancée  :  h  la  fin  de  1894,  on  atteint  le 
kil.  82;  à  la  fin  de  1895,  le  kil.  142. 

Mais,  pendant  que  les  travaux  prennent  une  tournure  aussi  encoura- 
geante, une  grave  crise  financière  éclate  en  Belgique.  En  effet,  la  0*  du 
chemin  de  fer  a  déjà  dépensé  la  majeure  partie  de  son  capital  et  c'est  à 
peine  si  le  cinquième  de  la  longueur  de  la  voie  est  construit.  Alors 
commence  contre  l'entreprise  du  chemin  de  fer  une  violente  campagne 
qui,  au  Parlement  et  dans  la  presse,  doit  durer  2  ans  (1894-1896).  Le 
Parlement,  pour  sortir  d'embarras,  nomme  une  commission  technique 
chargée  d'examiner  l'état  des  travaux  et  la  possibilité  de  les  mener  à 
bien.  Cette  commission  s'embarque  pour  le  Congo  en  août  1893  et  en 
revient  avec  un  rapport  favorable,  fixant  à  l'année  1900  l'époque  de 
l'achèvement  de  la  voie  et  à  130.000  fr.  le  coût  du  kilomètre  restant  à 
construire.  Éclairés  par  l'enquête,  la  Chambre,  à  une  faible  majorité, 
le  Sénat,  à  une  très  forte,  approuvent  (mai  1896),  une  convention  de 
l'État  belge  élevant  de  10  à  IS  millions  sa  souscription  et  garantissant 
une  émission  d'obligations  de  10  n?illions.  On  voit  que,  si  les  opposi- 
tions aux  grandes  entreprises  coloniales  sont  souvent,  les  mêmes  en 
notre  Europe,  il  y  a,  par  contre,  des  parlements  qui,  soucieux  avant 
tout  des  intérêts  commerciaux  de  leur  pays,  ont  à  cœur  d'encourager 
ces  entreprises  et  de  les  mener  à  bien. 

Encouragée  par  les  bonnes  nouvelles  venant  de  Belgique,  la  direction 
des  travaux  du  chemin  de  fer  redouble  d'efforts.  En  1892,  un  ingénieur 


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LE  CHEMIiN  DE  FEU  DU  BAS  CONGO 


589 


français,  M.  Espanel,  a  été  chargé  de  la  direction  de  Tensemble  des 
services.  En  1894,  M.  GoHin  le  remplace  et,  depuis  cette  époque,  cha- 
cun d'eux,  à  tour  de  rôle  pendant  un  an,  reste  chargé  de  la  direction 
des  travaux.  Sous  cette  impulsion,  la  construction  avance  rapidement. 
Le  22  juillet  1896,  le  chemin  de  fer  est  inauguré  jusqu'à  Tumba 


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J' 

Ibembo     J 
Lf^           <3         y  ^  Stanley  FallE 

^akoma/       /v^T 

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^Kwanu^ 

Wamba 

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STANLEY  POOL 

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mBKÊià 

LDOLO 

^1^  Tomba 

• 
port  maritime 

L  Manduau  det 

RÉSEAU  FLUVIAL  NAVIGABLE  DU  C  JNGO   (I80JO  kll.). 

(kil.  189).  En  janvier  1897,  il  arrive  au  point  culminant  de  la  ligne, 
745  m.  d'altitude,  au  col  de  Zona-Gongo  et,  le  1«'  août,  le  service  pu- 
blic est  ouvert  jusqu'à  Tlnkisi  (kil.  264),  que  Ton  franchit  sur  un  beau 
pont  de  100  mètres.  En  même  temps,  la  G'**  commence  à  entrer  dans 
la  période  des  recettes  de  quelque  importance,  car  celles-ci  montent  à 
400.000  fr.  par  mois,  après  l'ouverture  jusqu'à  Inkisi. 


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590  REVUE  F1UNÇAISE 

M.  Espanet  avait  poussé  les  travaux  au  point  de  construire  100  kilo- 
mètres en  un  an.  M.  Goflin,  à  son  tour,  ne  voulut  pas  rester  en  arrière 
et  atteignit  10  kilomètres  par  mois  pendant  la  dernière  campagne.  Avec 
un  personnel  bien  entraîné  et  8.000  travailleurs  sur  les  chantiers,  ricB 
n'était  impossible  sous  ce  rapport.  Le  IS  septembre  1897,  le  ch^nin  de 
fer  atteignait  Tampa  (kil.  336),  à  l'altitude  de  635  m.  et  commençait  la 
grande  descente  vers  le  Pool.  Au  mois  de  décembre,  il  arrivait  à  la 
mission  des  jésuites  à  Kimuenza.  Enfin,  le  16  mars  1898,  après  huit 
années  de  travaux,  le  sifllet  de  la  locomotive  retentissait  sur  les  bords 
du  Stanley-Pool,  à  Dolo,  terminus  de  la  ligne,  situé  à  388  kil.  de  Ma- 
tadi.  Deux  années  avaient  été  gagnées  sur  le  laps  de  temps  prévu  parla 
commission  d'enquête,  la  longueur  de  la  ligne  ayant  été  ramenée  de 
435  kil.  à  388  et,  dans  la  dernière  campagne,  le  coût  du  kilomètre 
s'était  abaissé  à  100.000  fr.  La  dépense  totale  s'élevait  à  65  millions,  ce 
qui  établit  à  environ  155.000  fr.  le  prix  de  revient  du  kilomètre. 

Le  6  juillet  la  ligne  était  déclarée  ouverte  au  public,  après  une  inau- 
guration solennelle  faite  en  présence  d'un  grand  nombre  d'invités  ame- 
nés par  le  l*-colonel  Thys  et  des  délégués  des  puissances  voisines  du 
Congo.  M.  de  Lamothe,  gouverneur  du  Congo  français,  représentait  la 
France  et  recevait,  à  son  tour,  les  invités  à  Brazzaville. 

La  misç  en  communication  facile  et  rapide  du  vaste  bassin  du  (k)ngo 
avec  l'Océan  ouvre  un  champ  immense  à  la  pénétration  fluviale  dans 
l'État  du  Congo.  Ce  n'est  pas  seulement  le  Congo,  sur  ses  1.300  kil. 
navigables  sans  interruption  du  Pool  aux  Stanley-Falls,  qui  est  ouvert  à 
la  navigation,  ce  sont  aussi  ses  nombreux  affluents,  dont  quelques-uns 
sont  presque  aussi  importants  que  le  grand  fleuve  lui-même  :  le  Kassaï, 
qui,  avec  le  Sankourou,  est  praticable  jusqu'au  delà  de  Lusambo,  sur 
un  parcours  de  plus  de  1.500  kil.  ;  l'Oubangui,  accessible  aux  vapeurs 
jusqu'après  Yakoma  sur  1.200  kil.  ;  la  Sangba,  navigable  jusqu'à  Bania, 
sur  900  kil.  En  groupant  tous  les  cours  d'eau  jusqu'ici  reconnus,  on 
n'arrive  pas  à  moins  de  18.000  kilomètres  I 

Les  Belges  recueillent  aujourd'hui  le  fruit  des  sacrifices  qu'ils  n'ont 
cessé  de  faire,  sur  l'intelligente  initiative  de  leur  roi,  pour  ouvrir  à  leur 
commerce  le  cœur  de  l'Afrique,  ils  en  sont  déjà  bien  récompensés.  An- 
vers, où  naguère  l'ivoire  était  peu  connu,  est  devenu  le  premier  mar- 
ché du  monde  pour  ce  précieux  article  ;  l'importation  du  caoutchouc 
qui  y  était  nulle  il  y  a  10  ans,  s'élève  actuellement  à  1.600.000  kilo- 


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SOUDAN  FRANÇAIS  mi 

grammes.  Les  recettes  de  TÉtat  du  Congo,  qui  n'étaient  que  de  74.000  fr. 
en  1886,  dépassent  actuellement  9  millions.  Enfin,  le  mouvement 
commercial  s'élève  à  plus  de  40  millions  et  les  importations  de  la  Bel- 
gique au  Congo  entrent  en  ligne  de  compte  pour  73  0/0.  Quelle  est, 
parmi  les  colonies  françaises  créées  depuis  20  ans,  celle  qui  approche 
d'un  pareil  développement  et  qui  fasse  aux  produits  de  la  métropole 
un  aussi  brillant  accueil? 

A.  MONTELL. 


SOUDAN  FRANÇAIS 

SIÈGE   ET  PRISE    DE   SIKASSO 

La  conquête  du  Soudan  français,  accomplie  par  nos  officiers  d'infan- 
terie et  d'artillerie  de  marine  à  la  tête  d'une  poignée  d'hommes,  est 
marquée,  presque  à  chaque  page  de  son  histoire,  par  un  brillant  fait 
d'armes.  Un  des  derniers  —  car  il  ne  reste  plus  que  Samory  à  mettre  à 
la  raison  dans  la  vaste  boucle  du  Niger  —  est  la  prise  de  Sikasso. 

Le  Kénédougou,  dont  Sikasso  est  la  capitale,  situé  entre  Ségou  et 
Kong,  avait  été  pendant  de  longues  années  en  relations  très  amicales 
avec  la  Franco.  Lorsque  le  drapeau  tricolore  vint  à  flotter  sur  les  bords 
du  Niger,  le  fama  de  Sikasso,  Tiéba,  fut  un  des  premiers  chefs  qui 
sollicitèrent  notre  amitié. 

En  hostilités  constantes  avec  Samory,  il  avait  intérêt  à  marcher  d'ac- 
cord avec  nous  et  il  nous  fut  constamment  fidèle.  C'est  grâce  à  l'assis- 
tance précieuse  que  lui  apporta,  en  1890  et  1891,  le  capitaine  Quiquan- 
doB  avec  une  simple  escorte  de  tirailleurs,  que  Tiéba  put  triompher  de 
Samory,  qui  assiégea  vainement  Sikasso,  et  soumettre  à  son  autorité 
tous  les  petits  chefs  de  Kénégoudou  (1).  Son  influence  était,  par  suite, 
devenue  très  grande  dans  cette  partie  de  la  boucle  du  Niger. 

Tiéba  mort  (1893),  les  relations  devinrent  plus  froides.  Babemba,  son 
successeur,  subissant  des  influences  hostiles,  chercha  à  s'isoler  le  plus 
possible.  Un  beau  jour,  il  refusa  le  tribut  de  iOO  bœufs  qui  nous  était 
payé  annuellement.  De  plus,  ses  guerriers  vinrent  razzier  de©  villages 

(1)  Voir  Revue  Française,  15  nov.,  !•'  déc.  1891,  t.  XIV,  p.  528  et  577  Mission  Qui- 
guandon  (arec  carte). 


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592  REVUE  FRANÇAISE 

du  cercle  de  Bougouni  et  attaquèrent  même  des  officiers  en  mission 
topographique. 

Avant  de  relever  le  gant  comme  il  convenait,  le  gouverneur  du  Sou- 
dan résolut  d'avoir  avec  Babemba  une  explication  claire  et  décisive  et 
de  lui  faire  sentir  les  conséquences  qu'entraînerait  une  rupture.  Dans 
ce  but  le  capitaine  Morisson  fut  chargé  de  se  rendre  à  Sikasso.  Parti  de 
Bougouni  le  18  janvier  1898,  le  capitaine  arriva  le  27  dans  la  capitale 
du  fama.  Après  un  accueil  assez  bienveillant,  les  palabres  devinrent 
difficiles  et,  finalement,  le  capitaine  Morisson  fut  mis  en  demeure  de 
quitter  Sikasso.  Il  partit  le  1**^  février.  Le  2,  la  mission  tomba  dans  une 
embuscade  dressée  par  les  sofas  de  Babemba  et  perdit  tous  ses  bagages. 
Ce  ne  fut  que  par  une  marche  forcée  de  90  kilomètres  qu'elle  put  échap- 
per à  ses  agresseurs.  Cette  nouvelle  insulte  ne  pouvait  rester  impunie. 
Le  gouverneur  du  Soudan,  colonel  Audéoud,  s'occupa  alors,  d'accord 
avec  le  gouvernement,  de  former  une  colonne  chargée  d'infliger  à  Ba- 
bemba un  châtiment  exemplaire. 

Béunie  à  Bamako,  la  colonne  expéditionnaire  —  d'après  le  Comité  de 
l'Afrique  française  auquel  nous  empruntons  la  majeure  partie  des  ren- 
seignements qui  suivent  —  était  placée  sous  les  ordres  du  l'-colonel  Au- 
déoud, ayant  pour  chef  d'élat-major  le  c*  Pineau,  et  ainsi  composée  : 
6^  et  15**  compagnies  de  tirailleurs  soudanais,  S®,  6®,  7«  et  8'  compa- 
gnies de  tirailleurs  auxiliaires,  1  escadron  de  spahis,  2  pièces  d'artil- 
lerie de  95,  2  de  80  et  4  pièces  de  80  de  montagne.  Au  total  32  officiers 
européens  et  1  indigène,  58  sous-officiers  et  soldats  européens,  1.160 
tirailleurs  et  80  spahis.  En  outre,  250  conducteurs,  des  porteurs,  des 
bergers  pour  le  troupeau  de  bœufs,  suivaient  le  petit  corps  expédi- 
tionnaire. 

Le  1*^  avril,  la  colonne  se  mit  en  marche.  Le  15,  elle  arrivait  devant 
Sikasso,  après  avoir  eu,  au  passage  du  Bananko,^  un  engagement  dans 
lequel  elle  perdit  6  tirailleurs  tués  et  installait  son  camp  sur  des  hau- 
teurs dominant  la  ville  au  nord. 

Avec  sa  grande  étendue,  ses  30.000  habitants,  ses  hautes  murailles, 
Sikasso  présentait  un  aspect  imposant.  Son  système  de  défense  était 
fortement  développé  et  formait  3  enceintes  :  un  premier  mur  extérieur 
de  10  kilomètres  de  circonférence,  5  mètres  de  hauteur  et  7  d'épais- 
seur; un  deuxième  mur  de  même  apparence  à  l'intérieur  duquel  se 
trouvait  un  mamelon  abrupt  surmonté  d'un  donjon;  enfin,  le  cUonfou- 


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SOUDAN  FRANÇAIS  593  1 

tau,  habitation  du  fama,  entouré  d'un  mur  de  6  mètres  de  haut,  avec 
le  tata,  dernière  citadelle  de  Babemba.  Tous  ces  ouvrages  affectaient  la 
forme  d'un  fer  à  cheval  et  chacun  d'eux  avait  vue  directe  sur  la 
plaine  par  le  côté  ouvert  du  fer  à  cheval  le  long  duquel  coulait  \m 
marigot. 

Les  nombreux  défenseurs  de  la  place,  environ  10.000  fantassins  et 
2.000  cavalifîrs,  étaient  décidés  à  une  lutte  désespérée.  Ils  le  montrèrent 
tout  de  suite  en  essayant,  dès  le  16  avril,  plusieurs  attaques  contre  le 
camp.  Le  17,  les  4  pièces  de  siège  placées  en  avant  du  campement, 
ouvrirent  le  feu  contre  la  ville,  ce  qui  provoqua  une  vigoureuse  attaque 
des  assiégés,  que  le  capitaine  Pillivuyt,  commandant  Tartillerie,  repoussa 
non  moins  vigoureusement,  mais  non  sans  avoir  eu  un  assez  grand 
nombre  de  blessés.  Le  18,  nouvelle  attaque.  Le  19,  le  colonel  Audéoud 
fit  débroussailler  les  abords  de  la  ville  pendant  que  les  spahis  du  ca- 
pitaine Imbert  attaquaient  une  reconnaissance  des  sofas  et  lui  tuait 
37  hommes. 

Le  20  avril,  le  capitaine  Coiffe  parvint,  sous  le  feu  incessant  de  la 
place,  à  construire  une  redoute  sur  un  mamelon  appelé  le  Tertre  Rouge 
et  situé  à  400  mètres  sur  le  couronnement  de  Tenceinte.  Les  jours  sui- 
vants furent  employés  à  reconnaître  le  terrain  sur  les  autres  côtés  de  la  ^ 
ville  et  à  repousser  diverses  attaques. 

Au  S.-E.  du  Tertre-Rouge  et  à  200  mètres  de  l'enceinte  se  trouvait  le 
village  de  Soukourani  qui,  aux  mains  de  Tennemi  au  moment  de  Tas- 
saut,  pouvait  inquiéter  sérieusement  les  colonnes  d'attaque.  Le  2S  avril, 
les  compagnies  de  Montguers  et  Benoît  (6®  et  8^)  surprirent  le  village  au 
petit  jour  et  le  détruisirent  rapidement.  Mais  les  assiégés,  qui  n'avaient 
cessé  de  diriger  sur  nos  troupes  un  feu  meurtrier,  firent  une  sortie  en 
masse.  Le  capitaine  de  Montguers  ordonna  alors  la  retraite  qui  se  fit 
lentement,  larrière-garde  se  repliant  par  échelons.  C'est  à  ce  moment 
que  tomba  le  lieutenant  Gallet,  mortellement  frappé  d'une  balle  au 
front.  Cette  chaude  affaire  nous  coûta  8  tués  et  26  blessés. 

Le  colonel  ayant  tout  préparé  pour  Tassant,  fixa  celui-ci  au  l*'  mai. 
La  veille,  l'artillerie  avait  recommencé  le  feu,  rouvert  deux  brèches  ré- 
parées par  les  assiégés  et  en  avait  fait  une  troisième.  A  S  heures  du 
matin,  quand  le  signal  de  l'assaut  est  donné,  trois  colonnes  s'élancent 
au  pas  de  course  pendant  que  l'artillerie  précipite  son  tir.  La  1'®  colonne 
(capitaine  Morisson),  après  avoir  repoussé  une  attaque  de  flanc,  se  jette 
xxni  (Octobre  98).  N»  238.  39 


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5d4  REVUE  FRANÇAISE 

sur  la  brèche,  où  son  chef  arrive  le  premier.  Vigoureusement  attaqué 
[  à  la  baïonnette,  Tennemi  cède  peu  à  peu  et,  à  6  heures,  le  capitaine 

I  Morisson  atteint  le  mamelon  du  donjon.  Mais  déjà  la  2^  colonne  (capi- 

\  taine  Truptil)  y  est  arrivée.  Son  ardeur  a  été  telle  qu'elle  a  atteint  le 

y  donjon  7  minutes  seulement  après  avoir  franchi  la  2®  brèche.  La  3*  co- 

Sr  lonne  (capitaine  (loiffé)  a  éprouvé  la  plus  grande  résistance,  ayant  eu 

à  lutter  contre  les  meilleures  troupes  du  fama.  Après  un  combat  de 
rues  acharné,  elle  arrive  au  donjon  à  7  heures.  En  même  temps,  le 
lieutenant  Guillermin  enlevait  le  viUage  de  Soukourani  après  un  vif 
engagement. 

La  1"  et  la  2«  enceintes  sont  franchies.  Ordre  est  alors  donné  au 
commandant  Pineau  de  prendre  le  commandement  des  troupes  char- 
gées d'occuper  la  ville.  Les  compagnies  régulières  Coiffé  et  Marlelly 
s'emparent  de  la  partie  est  de  la  ville.  Le  capitaine  Morisson  marche 
à  l'ouest  pour  essayer  d'isoler  le  tata.  Il  traverse  la  ville  et  poursuit 
l'ennemi  au  delà  des  murs.  Mais  là  une  vive  fusillade  part  du  dion- 
foutou,  blesse  mortellement  le  lieutenant  Loury  et  grièvement  le  lieu- 
tenant Hauët.  Le  capitaine  Morisson  rentre  alors  dans  les  murs.  Il  est 
11  heures;  le  feu  cesse  et  les  troupes  se  reposent  quelque  temps  avant 
de  donner  l'assaut  final. 

Le  dionfoutou,  oh  s'est  renfermé  Babemba  avec  l'élite  de  ses  sofas, 
est  encore  intact.  A  2  heures,  le  combat  reprend  par  une  violente  ca- 
nonnade qui  fait  brèche  dans  le  dernier  asile  du  fama.  Le  conunandant 
Pineau  se  lance  alors  à  l'assaut  à  la  tête  des  compagnies  Benoît  et  de 
Montguers.  C'est  en  vain  que  Babemba  et  ses  sofas  font  une  résistance 
désespérée  ;  rien  n'arrête  l'élan  des  tirailleurs  qui  culbutent  tout  ce 
qu'ils  rencontrent.  Babemba  et  les  derniers  de  ses  défenseurs  sont  tués 
les  armes  à  la  main.  A  3  heures,  Sikasso  est  complètement  en  notre 
pouvoir, 

L'affiaire  a  été  chaude  et  nos  pertes  l'indiquent  bien  :  41  tués,  dont 
1  officier  (P  Loury)  ;  102  blessés,  dont  2  grièvement  (1*  Hauet  et  caporal 
Broeder).  Le  capitaine  Truptil  et  4  sergents  européens  sont  au  nombre 
des  blessés. 

La  prise  de  Sikasso  eut  un  grand  retentissement.  Depuis  l'échec  de 
Samory  sous  ses  murs,  les  moyens  de  défense  de  la  ville  avaient  été 
considérablement  renforcés  et  elle  était  considérée  comme  imprenable 
par  les  noirs.  Le  prestige  du  nom  français  sera  sensiblement  accru  par 


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MADAGASCAR  595 

la  défaite  d'un  chef  puissant  qui,  s'il  avait  pu  se  joindre  à  Samory, 
n'aurait  pas  manqué  de  nous  causer  de  graves  embarras.  Le  coup  de 
vigueur  du  colonel  Àudéoud  a  prévenu  cette  éventualilé.  Le  Kéné- 
dougou,  complètement  pacifié,  est  devenu  aujourd'hui  le  cercle  de 
Sikasso. 

Parmi  les  distinctions  honorifiques  accordées  aux  combattants  de 
Sikasso,  citons  les  nominations  au  grade  de  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur  des  capitaines  Morisson,  Truptil,  du  lieutenant  Hauët 
(27  mai).  Un  décret  ultérieur  (juillet)  a  également  décerné  la  croix  au 
capitaine  Coiffé.  Et  maintenant  ces  vaillantes  troupes  et  leurs  dignes 
chefs  sont  partis  à  la  conquête  de  nouveaux  lauriers.  Elles  ont  com- 
mencé les  opérations  contre  Samory,  opérations  qu'il  y  a  tout  lieu  de 

croire  définitives. 

j G.  Vasco. 

MADAGASCAR 

LES  ÉCOLES  FRANÇAISES  ET  ÉTRANGÈRES  {Suite  ') 

Écoles  supérieures.  — Les  Malgaches,  tout  particutièrement  les  Hovas, 
sont  assez  intelligents  pour  que  les  meilleurs  élèves  puissent  devenir 
instituteurs.  L'action  des  missionnaires  se  multiplie  par  celle  des  ins- 
tituteurs qu'ils  ont  formés.  C'est  ainsi  qu'une  centaine  de  missionnaires 
étrangers  avaient  1.719  écoles.  Il  est  donc  évident  qu'il  y  a  deux  sortes 
d'enseignement,  dont  on  pourrait  appeler  l'un  :  enseignement  pri- 
maire supérieur  (écoles  normales)  et  l'autre  :  enseignement  primaire 
proprement  dit  (instituteurs  indigènes). 

U  va  sans  dire  que  les  écoles  normales  ne  contiennent  pas  seulement 
les  futurs  instituteurs,  mais  aussi  les  futurs  pasteurs  protestants  indi- 
gènes, les  futurs  administrateurs,  officiers,  tous  ceux  qui,  par  leur  in- 
telligence ou  par  la  situation  sociale  de  leurs  parents,  peuvent  aspirer 
à  un  poste  un  peu  élevé. 

On  peut  classer  dans  la  même  catégorie  les  écoles  de  filles,  tenues 
par  des  Européennes. 

Un  groupe  de  ces  écoles  primaires  supérieures  existe  à  Fianarantsoa 
-(Frères  des  Écoles  chrétiennes.  L.  M.  S.,  Norvégiens).  Un  autre  à  Am- 

(1)  Voir  Rev,  Fr.,  1898,  p.  169. 


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596  REVUE  FRANÇAISE 

bositra  (Frères  des  Écoles  chrétiennes,  L.  M.  S.).  Un  autre  au  Vaki- 
nankaratra,  à  Betafo  et  à  Antsirabé  (Norvégiens). 

On  se  borne  à  les  mentionner  et  à  dire  seulement  que  TÉcole  supé- 
rieure des  Indépendants  à  Ambositra  n'existe  plus,  et  que  celle  des 
mêmes  missionnaires  à  Fianarantsoa  est  sur  le  point  de  disparaître.  En 
revanche,  le  service  de  Tinstruction  publique  a  été  en  rapport  cons- 
ant  avec  le  groupe  le  plus  important,  celui  de  Tananarive. 

Avant  la  guerre,  les  L.  M.  S.  avaient,  outre  une  grande  école  de  filles, 
tenue  par  une  Anglaise,  trois  grandes  écoles  primaires  supérieures  de 
garçons,  très  florissantes,  le  Collège,  la  «  Normal  School  »,  la  «  Palace 
School  ».  Cette  dernière  fut  délogée  dès  la  prise  de  Tananarive  parla 
réquisition  du  local  où  elle  était  installée  ;  c'était  un  bâtiment  appar- 
tenant au  gouverneur  malgache,  qu'on  dut  transformer  en  caserne 
provisoire.  Néanmoins,  la  «  Palace  School  »  continuer^  à  exister  dans 
les  Mtiments  spacieux  du  Collège.  De  ces  trois  écoles  sortaient  annuel- 
lement quarante  instituteurs,  une  vingtaine  de  pasteurs  et  une  ceolaioe 
de  jeunes  gens  se  destinant  à  des  carrières  administratives,  au  com- 
merce, etc. 

Les  t  Amis  »,  outre  une  grande  école  de  filles,  avaient  la  c  High 
School  »  d'Ambohijotovo  (nom  du  quartier  où  elle  se  trouve). 

Les  L.  H.  S.  et  les  c  Amis  »  possédaient  en  commun  l'hôpital  de 
Soavinandriana,  où  ils  formaient  des  étudiants  et  conféraient  des  di- 
plômes de  docteurs. 

Les  Anglicans  possédaient  deux  grandes  écoles  (une  de  filles,  une  de 
garçons)  à  Ankorahotra  (quartier  de  Tananarive).  Mais  surtout  ils 
avaient  en  dehors  de  la  ville,  à  une  vingtaine  de  kilomètres  dans  le 
Nord,  la  grande  école,  très  bien  tenue,  d'Ambatoharonana. 

Les  Pères  Jésuites  avaient  leur  collège  d'Ambohipo.  Les  Frères  des 
Écoles  chrétiennes,  leur  école  unique.  Les  Sœurs,  une  grande  école  à 
la  place  d'Andohalo. 

Les  étrangers  avaient  donc,  à  Tananarive,  ou  aux  environs,  en  feit 
d'écoles  pouvant  rentrer  dans  la  catégorie  d'enseignement  primaire  su- 
périeur :  3  écoles  de  filles,  6  écoles  de  garçons,  1  école  de  médecine. 

Les  écoles  françaises  faisaient  assez  piètre  figure  :  2  écoles  de  gar- 
çons et  1  école  de  filles. 

Voilà  quelle  était  la  situation  Tannée  dernière  ;  aujourd'hui  elle  est 
déjà  bien  changée. 


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MADAGASCAR  597 

Parmi  les  grandes  écoles  des  L.  M.  S.,  deux  sont  devenues  des  écoles 
françaises  et  ont  passé  à  la  Société  évangélique  de  Paris.  La*«  Normal 
School  »  est  devenue  TÉcolc  normale  et  la  «  Palace  School  «  l'École  du 
Palais.  Quant  au  Collège,  après  l'expropriation  du  bâtiment  où  il  se 
trouvait,  transformé  en  palais  de  justice,  il  continue  une  existence  pré- 
caire dans  une  dépendance  de  la  chapelle  protestante  d'Ampamarinana. 
On  peut,  je  crois,  pronostiquer  sa  fin  prochaine. 

L'école  des  Jésuites  est  toujours  à  Ambohipo.  Mais  le  général  Galheni 
a  donné  à  la  mission  un  terrain  étendu,  situé  à  proximité  de  la  place 
de  Mahamasina,  c'est-à-dire  en  plein  Tananarive,  à  condition  d'y  cons 
truire  une  école  (arrêté  n°  73,  1®'  novembre  1896).  Les  Jésuites  ont 
commencé  la  construction  et,  à  en  considérer  l'éteqdue,  il  n'est  pas 
douteux  que  cette  école,  destinée  à  remplacer  Ambohipo,  ne  soit  la 
plus  spacieuse  et  surtout  la  mieux  aménagée  de  Tananarive. 

D'autre  part,  tandis  que  la  grande  école  des  Frères  des  Écoles  chré- 
tiennes d'Andohalo,  devenue  insuffisante  pour  le  nombre  croissant  des 
élèves,  s'agrandissait  d'un  nouveau  bâtiment  encore  inachevé,  le  gou- 
vernement achetait  dans  cinq  quartiers  difTérents  de  Tananarive,  autant 
d'emplacements,  dont  quelques-uns  portent  déjà  des  constructions. 
C'est  là  que  doivent  être  installées,  au  moins  d'une  façon  provisoire, 
dès  le  mois  de  novembre  1897,  cinq  écoles  où  enseigneront  les  nou- 
veaux Frères  des  Écoles  chrétiennes,  attendus  de  France.  L'arrêté  875, 
mettant  ces  cinq  terrains  à  la  disposition  des  Frères,  spécifie  que  les 
futures  écoles  seront  sous  le  contrôle  du  directeur  de  l'enseignement. 

Par  arrêté  du  13  janvier,  le  général  Gallieni  a  créé  l'École  le  Myre 
de  Vilers,  divisée  en  trois  sections  :  école  d'interprètes,  école  normale 
destinée  à  former  des  instituteurs  publics  indigènes,  école  de  droit  don 
nant  accès  aux  fonctions  de  gouverneur  et  juge  indigène.  Par  arrêté  du 
3  mars,  l'École  Le  Myre  de  Vilers  a  été  installée  au  Palais  de  la  Paix, 
devenu  vacant  par  le  départ  de  Ranavalona  lU.  Le  24  avril,  l'école  a 
été  inaugurée  et  depuis  elle  a  fonctionné  sans  interruption,  en  donnant 
des  résultats  très  satisfaisants.  Elle  compte  230  élèves.  Pendant  les  deux 
premiers  mois  de  son  existence,  elle  a  été  dirigée  par  le  chef  du  service 
de  l'enseignement.  Depuis  et  après  un  court  intérim  de  M.  Jarzuel,  elle 
a  passé  sous  la  direction  de  M.  Lavoipière. 

Un  arrêté  du  10  février,  a  créé  une  Ecole  de  médecine.  En  même 
temps,  l'expropriation  de  l'hôpital  anglais  de  Soavinandrina,  transformé 


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508  REVUE  FHANÇAISE 

en  hôpital  militaire,  mettait  fin  à  l'existence  de  Técole  de  médecine  des 
f  Indépendants  ».  L'École  de  médecine  officielle  pourra  seule,  désor- 
mais, délivrer  des  diplômes  de  docteur  très  recherchés  par  les  Mal- 
gaches. Installée  dans  les  bâtiments  confisqués,  l'École  de  médecine  où 
les  Malgaches  sont  hospitalisés  est  en  plein  fonctionnement  sous  la 
direction  du  D*"  Mestayer. 

Des  écoles  de  filles  ont  été  créées. 

Un  certain,  nombre  de  Sœurs  ont  été  installées  dans  un  bâtiment 
confisqué  où  avait  été  logé  d'abord  le  service  des  domaines. 

Une  école  officielle  de  filles  a  été  créée  par  arrêté  du  29  avril,  dans 
un  faubourg  de  Tananarîve,  à  Findanana,  d'abord  sous  la  direction 
d'une  sœur  bourbonnaise.  M"®  Mahé,  plus  tard,  sous  la  direction  de 
M"®  Jarzuel,  institutrive,  nommée  par  le  ministère.  L'école  fonctionne 
bien  et  compte  40  élèves. 

Le  faubourg  de  Fiadanana  était  loin  de  la  ville.  Une  nouvelle  école 
de  filles  vient  d'être  créée  dans  une  dépendance  du  Palais,  la  Chapelle 
de  la  Reine,  sous  la  direction  de  M"*^  Mahé. 

Voici  donc  aujourd'hui  quelle  est  la  situation  des  écoles  primaires 
^périeures  à  Tananarîve. 

Ecoles  étrangères  :  4  écoles  de  garçons;  3  écoles  de  filles. 

Écdes  françaises  libres  :  9  écoles  de  garçons;  2  écoles  de  filles. 

Ecoles  officielles  :  i  école  de  garçons  (Le  Myre  de  Vilers;  ;  2  écoles  de 
filles;  1  école  de  médecine;  1  école  de  droit  (faisant  partie  de  TÉcole 
Le  Myre  de  Vilers). 

Numériquement,  la  transformation  et  le  progrès  sont  évidents.  Ce 
sont  maintenant  les  écoles  étrangères  qui  font  assez  piètre  figure. 

Mais  surtout  il  a  été  créé,  au-dessus  des  écoles  privées,  des  écoles 
officielles  qui  seules  ont  le  droit  de  conférer  des  diplômes  et  qui  seules 
ouvrent  la  plupart  des  carrières.  De  cette  façon,  le  gouvernement  est 
assuré  de  donner  aux  écoles  primaires  libres  la  direction  qu'il  lui  con- 
viendra. 

Enfin,  la  neutralité  religieuse  des  écoles  officielles  a  été  proclamée. 
Elle  a  été  marquée  par  la  présence  à  l'École  Le  Myre  de  Vilers,  de 
deux  professeurs  bénévoles,  l'un  missionnaire  protestant.  M.  Standing, 
l'autre  catholique,  le  P.  Thomas. 

École  professionnelle.  —  Il  y  aurait  un  inconvénient  évident  d'encom- 
brer à  Madagascar  ce  que  nous  appelons  en    France  les  carrières 


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MADAGASCAR  599 

libérales  et  à  créer  des  déclassés.  L'instruction  que  nous  donnons  aux 
Malgaches  doit  tendre  surtout  à  en  faire  d'utiles  auxiliaires  de  nos 
colons,  des  artisans,  des  ouvriers,  des  comptables;  l'instruction  doit 
être  avant  tout  pratique.  Aussi  la  création  d'une  école  professionnelle 
a-t-elle  été  par  ordre  de  date  (19  déc.  1896),  et  aussi  par  ordre  d'im- 
portance, la  première  des  mesures  de  réorganisation  scolaire,  prises  par 
le  général  Galliéni.  L'école  professionnelle  a  été  créée  et  organisée  par 
M.  Jully,  architecte  des  bâtiments  civils,  qui  a  déjà  fourni  dès  rapports 
sur  son  fonctionnement.  Une  seconde  école  professionnelle  va  ôtre  créée 
à  Tamatave.  11  est  à  souhaiter,  et  il  est  certainement  dans  les  intentions 
du  général,  que  d'autres  soient  créées  un  peu  partout. 

Écoles  primaires,  —  Il  a  été  apporté  au  recrutement  des  élèves  un 
gros  changement  qui  a  bouleversé  les  anciennes  statistiques.  L'ancien 
gouvernement  malgache  avait  depuis  longtemps  créé  l'enseignement 
obligatoire;  ses  prescriptions  à  ce  sujet  sont  contenues  dans  le  Code 
de  1881,  art.  266,  etc.  La  circulaire  du  11  novembre  1896  reprend 
ces  prescriptions  et  leur  donne  force  de  loi  dans  notre  nouveUe  colonie 
en  les  modifiant  sur  certains  points. 

D'après  la  loi  malgache,  l'obligation  de  l'enseignement  n'existait  que 
pour  les  enfants  de  parents  libres.  Il  va  sans  dire  que  l'abolition  de  l'escla- 
vage rend  cette  restriction  caduque.  Tous  les  enfants  sans  distinction 
de  caste  sont  donc  astreints  à  suivre  l'école  de  8  à  14  ans.  Chaque 
école  possède  le  registre  de  ces  élèves,  et  tout  enfant  doit  être  inscrit  sur  le 
registre  d'une  école.  La  circulaire  recommande  cependant  «  d'apporter 
à  l'application  de  la  loi  les  tempéraments  qui  paraîtront  nécessaires,  afin 
qu'elle  ne  constitue  pas  une  charge  trop  lourde  pour  les  populations, 
qui,  dans  certaines  circonstances  (semailles,  récoltes),  peuvent  avoir 
un  besoin  pressant  de  leurs  enfants  ». 

Mais  la  grande  modification  apportée  à  l'ancienne  loi  est  la  suivante  : 
la  liberté  dos  parents  dans  le  choix  de  l'école  était,  sous  l'ancien  gou- 
vernement, sujette  à  une  restriction  importante.  Au  moment  où  l'enfant 
atteignait  l'âge  d'aller  à  l'école,  les  parents  choisissaient  (?)  une  fois  pour 
toutes;  et  l'enfant  devait  de  bon  gré  ou  de  force  rester  jusqu'à  la  fin  de 
ses  études  dans  l'école  où  il  était  entré  ;  il  n'avait  pas  le  droit  de 
changer. 

Quoique  cette  disposition  eût  l'avantage  d'assurer  aux  maîtres  sur 
les   élèves  une  autorité  qui,  d'ailleurs,  allait  quelquefois  jusqu'à  là 


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600  REVUE  FRANÇAISE 

tyrannie,  elle  était  à  la  fois  contraire  à  nos  principes  de  liberté  et  aux 
intérêts  de  nos  écoles  françaises.  Déjà  M.  Laroche  avait  fait  publier  par 
le  premier  ministre  hova  un  arrêté  rendant  aux  parents  la  liberté  du 
choix,  au  moins  dans  une  certaine  mesure.  Au  commencement  de 
Tannée  scolaire,  mais  à  cette  époque  seulement,  l'enfant  pouvait,  aux 
termes  de  cet  arrêté,  passer  dans  une  autre  école;  ce  choix  le  liait  pour 
toute  la  durée  de  Tannée.  C'était  là  une  demi-mesure.  Elle  avait  été 
inspirée  par  la  crainte  de  voir  les  enfants,  en  changeant  d'école  toutes 
les  semaines  ou  tous  les  mois,  soit  par  versatilité,  soit  par  calcul,  se 
soustraire  effectivement  à  toute  instruction  suivie. 

L'expérience  a  prouvé  que  cette  crainte  n'était  pas  justifiée  et  la  cir- 
culaire du  11  novembre  1896,  complétée  par  une  circulaire  ultérieure, 
donne  aux  élèves  et  à  leurs  parents  la  liberté  absolue  du  choix,  à  quel- 
que époque  de  Tannée  que  ce  soit.  Un  très  grand  nombre  en  ont  fait 
usage.  Le  Malgache,  très  respectueux  de  l'autorité,  envoyait  jadis  ses 
enfants  de  préférence  à  Técole  anglaise  parce  qu'elle  était  en  quelque 
sorte  officielle.  Dès  que  notre  autorité  a  été  enfin  établie  d'une  façon 
indiscutable,  les  élèves  ont  afflué  dans  les  écoles  françaises. 

Un  arrêté  du  général  Galliéni  réglemente  la  situation  des  instituteurs 
indigènes  libres.  Il  leur  confère  les  privilèges  dont  ils  jouissaient  dans 
l'ancien  gouvernement,  exemption  de  prestations  et  d'impôts,  droit  de 
recevoir  des  cadeaux  en  nature  ou  en  argent  des  élèves  après  en  avoir 
toutefois  avisé  le  commandant  du  cercle. 

Aux  termes  de  l'arrêté,  l'instituteur  public  a  droit  au  logement,  à  une 
rizière  ou  un  champ,  à  un  traitement  de  30  francs  par  mois.  U  entre 
dans  la  hiérarchie  des  fonctionnaires  et  si  ses  notes  sont  satisfaisantes 
doit  être  nommé  V  honneur  au  bout  d'un  an.  U  jouit  du  reste  des 
mêmes  prérogatives  que  l'instituteur  libre.  Les  instituteurs  pubUcssont 
choisis  parmi  les  anciens  élèves  de  l'Ecole  Le  Myrede  Vilers.., 

Programmes.  —  L'Etat  prenant  à  Madagascar  la  direction  effective 
de  l'enseignement,  pratiquement  abandonné  à  lui-même  sous  l'ancien 
gouvernement,  la  publication  de  programmes  devenait  nécessaire.  Hle 
était  en  même  temps  assez  délicate. 

Le  général  Galliéni  donna  dès  le  début  des  instructions  générales  sur 
la  façon  dont  Tenseignement  devrait  être  compris  (circulaire  du 
S  oct.  1896).  11  insista  sur  la  nécessité  de  franciser  les  programmes, 
exigea  que  le  système  métrique  fût  enseigné  à  l'exclusion  de  tout  autre 


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MADAGASCAR  601 

que  rhistoire  et  la  géographie  de  la  France  eussent  une  part  prépon- 
dérante ;  et  surtout  qu'on  consacrât  une  moitié  du  temps  à  renseigne- 
ment de  la  langue  française.  Des  soldats  d'infanterie  de  marine  furent 
mis  à  la  disposition  des  écoles  supérieures  étrangères  comme  répétiteurs 
de  français,  et  de  Taveu  des  missionnaires  y  ont  rendu  de  grands  services. 

On  donna  aux  instituteurs  indigènes  un  délai  de  six  mois  (prolongé 
à  un  an  pour  certains  d'entre  eux)  passé  lequel  ils  devraient,  non  pas 
naturellement  savoir  le  français,  mais  être  en  état  d'en  enseigner  les 
éléments.  Les  instituteurs  indigènes  affluèrent  par  fournées  successives 
à  Tananari  ve,  suivirent  des  cours  de  français  dans  les  écoles  supérieures, 
et  retournèrent  à  leurs  écoles  munis  d'un  permis  provisoire  d'enseigner 
signé  du  chef  du  service  de  l'enseignement. 

Le  général  Galliéni  n'a  pas  perdu  une  occasion  de  faire  sentir  aux 
Malgaches  la  nécessité  d'apprendre  notre  langue.  Il  a  donné  un  délai 
d'un  an  aux  fonctionnaires  malgaches  pour  apprendre  le  français  ou  du 
moins  ce  qu'il  faut  pour  comprendre  les  ordres  qu'on  leur  donne.  Ses 
efforls  n'ont  pas  été  perdus,  et  il  faut  avouer  d'ailleurs  que  le  terrain 
était  favorable. 

La  langue  malgache  s'écrit  en  caractères  latins,  on  peut  môme  dire  que 
ses  lettres  sont  prononcées  à  la  française;  on  attribue  généralement  aux 
missionnaires  anglais  l'honneur  d'avoir  créé  l'alphabet  malgache  ;  sans 
vouloir  diminuer  leur  mérite,  ils  n'ont  fait  que  régulariser  et  codifier 
des  habitudes  d'écriture  implantées  sur  toute  la  côte  Est  par  nos  colons 
créoles  de  Bourbon  et  de  Maurice.  Les  premiers  missionnaires  anglais 
auteurs  de  la  première  grammaire  malgache  en  anglais,  n'ont  pas  fait 
de  difficulté  à  reconnaître  qu'ils  ont  traduit,  en  l'améliorant  sans  doute, 
la  grammaire  inédite  de  M.  de  Prôberville,  dont  le  manuscrit  alors  aux 
archives  de  Maurice  se  trouve  maintenant  au  British  Muséum. 

Un  Malgache  sachant  lire  et  écrire  sa  langue,  et  c'est  le  cas  de  la  plu- 
part, connaît  donc  déjà  notre  alphabet  et  la  prononciation  de  presque 
toutes  nos  lettres  (sauf  u  et  /).  Beaucoup  de  Malgaches  parlaient  déjà 
l'anglais  et  la  connaissance  d'une  langue  européenne  les  préparait  tout 
naturellement  à  en  apprendre  une  seconde.  Enfin,  et  c'est  là  le  grand 
point,  la  langue  malgache  na  pas  de  passé,  pas  de  littérature,  les  indi- 
gènes lui  sont  moins  attachés  peut-être  que  nos  paysans  à  leur  patois. 

Aussi  les  résultats  eu  un  an  sont  surprenants. 

Les  élèves  de  l'Ecole  Le  Myre  de  Vilers  ont  en  six  mois  appris  assez 


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602  REVUE  FRANÇAISE 

de  français  pour  faire  une  narration  convenable  sur  le  sujet  suivant  : 
«  Exposer  vos  impressions  sur  les  embellissements  de  Tananarive  >. 
Cette  narration  était  le  sujet  d'un  concours  à  la  suite  duquel  ont  été 
distribués  un  grand  prix  d'honneur  offert  par  le  général  Galliéni, 
quatre  prix  ofiFerts  par  V Alliance  française.  On  peut  prévoir  que  dans 
un  laps  de  temps  assez  bref  nos  colons,  tout  au  moins  à  Tananarive, 
pourront  se  passer  d'interprètes. 

Le  chef  du  service  de  renseignement  aurait  voulu  établir  un  pro- 
gramme précis,  portant  non  seulement  sur  les  matières  à  étudier,  mais 
sur  les  livres  à  employer.  Il  a  dû  y  renoncer  provisoirement  pour  les 
raisons  suivantes  :  tous  les  livres  scolaires  actuellement  en  usage  à 
Madagascar,  sont  en  malgache.  Les  missionnaires  se  sont  efforcés  de  créer 
le  malgache  écrit,  de  faire  du  malgache  une  langue.  Ils  ont  créé  une 
bibliothèque  scolaire  considérable  sortie,  soit  de  la  presse  catholique» 
soit  des  deux  printing  office  anglais.  Faut-il  les  suivre  dans  cette  voie? 

On  peut  d'abord  mentionner  l'impossibilité  d'employer  tels  quels  dans 
nos  écoles  laïques  et  neutres,  des  livres  qui  ont  presque  toujours,  et 
jusque  dans  les  exemples  des  grammaires,  un  caractère  plus  ou  moins 
confessionnel  ;  l'impossibilité  de  laisser  dans  les  mains  des  enfants  des 
livres  qui  ont  souvent  une  forte  empreinte  anglaise. 

Créer  de  toutes  pièces  une  littérature  scolaire  malgache  présente, 
d'autre  part,  des  difficultés  presque  insurmontables.  En  admettant  que 
les  instituteurs  débarqués  et  ignorants  du  malgache,  puissent  assister, 
dans  cette  tâche,  le  chef  du  service  de  l'enseignement,  est-il  possible 
à  trois  ou  quatre  personnes  de  refaire,  au  pied  levé,  ce  qui  a  été  la  tâche 
lentement  mûrie  de  deux  cents  missionnaires  pendant  trente  ans. 

Tout  ce  qui  a  pu  être  fait  dans  cette  voie  est  une  adaptation  publiée 
à  l'imprimerie  officielle  du  cours  préparatoire  fait  par  les  Frères  des 
Écoles  chrétiennes.  Enfin,  et  c'est  là  la  grave  question,  n'avons-nous 
pas  intérêt  à  nous  proposer  un  but  exactement  contraire  à  celui  des 
missionnaires?  Ils  voulaient  revivifier  la  langue  malgache;  n'avons- 
nous  pas  intérêt,  au  contraire,  à  la  détruire? 

En  d'autres  pays,  en  pays  de  vieille  civilisation,  comme  l'Algérie  ou 
rindo-Chine,  il  serait  absurde  d'espérer  que  notre  langue  pourra  se 
substituer  à  celle  des  indigènes.  Ici,  tous  ceux  qui  connaissent  le  Mal- 
gache et  même  des  missionnaires  anglais,  M.  Standing,  par  exemple, 
ont  cette  espérance  légitime. 


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MADAGASCAR  603 

En  conséquence,  voici  comment  le  chef  du  service  de  renseignement 
comprendrait  les  programmes  à  établir. 

Écoles  primaires,  —  Peu  ou  point  de  livres,  sauf  d'abord  un  syllabaire 
et  un  petit  livre  de  lecture  en  malgache  qu'on  peut,  sans  inconvénient, 
mettre  entre  les  mains  des  enfants  puisque  Talphabet  en  malgache  est 
le  même  que  le  nôtre... 

Le  français  sera  enseigné  oralement  d'abord.  Dans  les  écoles  où 
l'instituteur  indigène  n'aurait  pas  une  connaissance  parfaite  de  la  langue 
française,  c  est-à-dire  dans  presque  toutes,  il  serait  indispensable  que 
le  cours  de  français  fut  confié  à  un  soldat  français.  Dès  que  les  élèves 
sauront  lire  un  peu  de  français,  et  ce  ne  sera  pas  long,  l'expérience  l'a 
établi,  leur  remettre  de  petits  livres  de  lecture  français,  des  arithmé- 
tiques, histoires  et  géographies  élémentaires  ou  du  moins  leur  en  con- 
seiller l'achat.  Tous  ces  ouvrages  seraient  choisis  dans  nos  bibliothèques 
scolaires  françaises.  Dans  les  écoles  primaires,  les  jeunes  Malgaches  doi- 
vent apprendre  un  français  relatif,  se  composer  un  vocabulaire  et  savoir 
s'en  servir  avec  plus  ou  moins  de  correction.  C'est  du  moins  le  seul  but 
auquel  on  puisse  tendre  maintenant. 

Ecoles  primaires  supérieures,  —  Les  élèves  doivent  y  apprendre  à 
parler  et  à  écrire  correctement  le  français;  ils  doivent  arriver  à  s'en 
servir  aussi  facilement  et  aussi  correctement  que  de  la  leur.  L'usage  de 
la  langue  malgache  doit  être  proscrit  autant  que  faire  se  peut  ;  tous  les 
cours  doivent  se  faire  en  français,  c'est  le  cas  déjà  dans  la  première 
division  de  l'Ecole  Le  Myre  de  Vilers.  Tous  les  livres  entre  les  mains 
des  élèves  doivent  être  français. 

Les  programmes  des  cours  sont  nécessairement  un  peu  plus  relevés 
que  ceux  des  écoles  primaires.  Chaque  élève  devra  donc  avoir  une 
histoire,  une  géographie,  une  arithmétique,  une  géométrie,  un  ouvrage 
de  pédagogie,  un  livre  de  lectures... 

Conclusion.  —  En  résumé,  en  1896,  les  écoles  étrangères  avaient 
encore  une  supériorité  marquée  sur  les  écoles  françaises.  Aujourd'hui, 
la  situation  est  renversée. 

Un  enseignement  officiel  a  été  créé  qui,  par  sa  seule  existence,  par 
les  diplômes  qu'il  confère,  imprime  sa  direction  aux  écoles  libres,  et 
leur  donne,  par  sa  neutralité,  un  exemple  de  tolérance  religieuse. 

Un  programme  général  d'enseignement  a  été  ébauché,  qui  transforme 
l'ancien  enseignement  anglo-mçilgache  en  un  enseignement  français. 


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LA  MISSION  COMMERCIALE  ALLEMANDE 

EN  EXTRÊME-ORIENT. 

On  a  suivi  avec  intérêt  en  France,  dans  le  monde  colonial  et  com- 
mercial, l'exploration  delà  mission  lyonnaise  en  Chine,  organisée  parla 
Chambre  de  commerce  de  Lyon.  Suivant  notre  exemple,  les  Anglais  et 
les  Allemands  ont  également  envoyé  une  mission  commerciale  en  Ex- 
trême-Orient. La  mission  allemande  avait  été  organisée  au  commence- 
ment de  1897,  sur  l'initiative  de  la  Chambre  de  commerce  de  Crefeld  (*). 
Voici  le  récit  de  son  voyage  que  donne  le  Moniteur  offlciel  du  Commerce 

d'après  les  Berliner  PolUische  Nachrichten  : 

La  mission  commerciale  allemande  en  Extrême-Orient  vient  de  re- 
venir en  Allemagne  après  une  absence  de  plus  de  treize  mois.  Ses  prin- 
cipaux centres  d'opération  étaient  la  Chine  et  le  Japon  où  elleaséjoumé 
environ  dix  mois,  soit  cinq  mois  pour  chaque  pays  ;  elle  a  également 
parcouru  la  Corée  et  sur  la  fin  du  voyage,  quelques  membres  ont  fait 
une  courte  visite  aux  Philippines,  au  Siam,  à  Java  et  dans  une  partie 
de  rinde. 

Le  premier  terme  du  voyage  fut  Hong-Kong,  où  le  consul  d'Allemagne 
à  Canton  prit  la  direction  de  la  mission.  La  majeure  partie  des  ports 
chinois  ouverts  par  traités  au  trafic  étranger,  depuis  Canton,  Soua-Tau, 
Amoy  etFou  tchéou  jusqu'à  Tche-fou,  Tien-tsin  et  Niou-tchouau  furent 
visités  ;  la  mission  fit  un  séjour  plus  long  à  Hong-Kong  et  à  Chang-haî, 
ces  deux  importantes  places  commerciales  qui  centralisent  les  mar- 
chandises de  toutes  nations  pour  la  Chine  entière  et  accept^v  l'offre  du  mi- 
nistre d'Allemagne  de  visiter  Pékin;  elle  pénétra  ensuite  dans  l'intérieur 
des  terres  en  se  servant  seulement  des  deux  routes  qui  permettent  de  s'y 
rendre  sans  une  trop  grande  perte  de  temps  :  ce  sont  les  voies  d'eau 
praticables  du  Yang-tsé-Kiang,  la  plus  grande  artère  commerciale  du 
tout  le  pays,  et  celle  du  fleuve  de  l'Ouest  ou  Si-Kiang,  ouvert  au  com- 
merce étranger  depuis  le  mois  de  juin  de  l'année  passée,  à  l'embouchure 
riche  et  peuplée  duquel  se  trouve  Canton,  la  ville  des  millions. 

I^  Yang-t5e-Kiang  fut  remonté  pendant  environ  1.100  milles  anglais, 
on  visita  les  principales  villes  de  ses  rives,  en  particulier  la  populeuse 
cité  de  Schasi,  récemment  ouverte,  qui,  comme  centre  de  l'industrie 

(1)  Voir  Revue  Française  I8ft7,  U  XxH,  p.  389. 


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LA   MISSION   COMMERCIALE   ALLEMANDE  603 

domestique  chinoise,  et  comme  point  de  jonction  des  principales  routes 
commerciales,  prend  une  place  imporlante  dans  la  vie  économique  de  la 
Chine  intérieure  ;  on  fit  aussi  un  court  arrêt  au  district  minier  de 
Tieschan. 

Le  Si-Kiang  fut  visité  dans  toute  sa  partie  ouverte  au  commerce  étran- 
ger, ainsi  que  les  villes  qu'il  traverse. 

On  ne  poussa  pas  plus  loin  dans  Tintérieur  par  les  voies  de  terre  ;  la 
Chine  tout  entière  présente  en  effet  une  telle  homogénéité  et  le  Chinois 
est  partout  si  méfiant,  à  part  quelques  exceptions,  qu'il  ne  constitue 
qu'une  source  d'informations  presque  inabordable  ;  aussi  sembla-t-il 
que  la  dépense  de  temps  et  d'argent,  que,  indépendamment  d'une  grande 
difliculté,  présentait  la  pénétration  dans  la  Chine  intérieure,  ne  devait 
pas  être  faite,  alors  qu'il  n'y  avait  aucun  but  bien  déterminé  à  suivre. 

La  commission  étudia  de  plus  près  la  riche  province  de  Tche-Kiang 
ainsi  que  le  Sud  de  celle  de  Kiang-si  au  point  de  vue  de  l'utilisation  des 
canaux  et  visita  les  deux  grandes  villes  d'antique  renommée,  Hangtschou 
et  Sutschou,  qui  sont  encore  aujourd'hui  très  importantes  et  venaient 
d'être  ouvertes  au  commerce  étranger  à  l'issue  de  la  guerre  sino-japo- 
naise.  On  fit  diverses  excursions  dans  les  contrées  séricicoles  dont  Can- 
ton est  le  centre  ;  quelques  membres  de  la  commission  firent  aussi  une 
pointe  de  Tientsin  à  Niou-tchouan  et  environs.  On  renonça,  après  ré- 
flexion, à  une  visite  dans  la  Chine  intérieure  proprement  dite,  et  spé- 
cialement dans  la  province  du  Setchouan ,  située  à  l'Ouest,  que  parcou- 
raient les  missions  anglaise  et  française,  parce  qu'elles  ne  présentaient 
pas  pour  le  commerce  allemand  une  sphère  d'action  bien  circonscrite*. 

La  mission  devait,  tout  en  tenant  compte  de  sa  lâche  et  de  l'étendue 
de  l'empire  chinois,  s'imposer  une  limite  dans  son  investigation  ;  le  pe- 
tit empire  du  Japon  lui  offrait  un  champ  d'action  à  la  fois  facile  à  em- 
brasser dans  tout  son  ensemble  et  très  profitable:  il  était  souvent  diffi- 
cile en  Chine  d'obtenir  sur  les  choses  les  plus  insignifiantes  le  moindre 
renseignement  ;  au  Japon,  au  contraire,  on  trouvait  des  moyens  d'in- 
formation si  complets  que  la  seule  peine  qui  pouvait  résulter  de  leur 
recherche  était  le  soin  de  les  recueillir. 

Une  uniformité  et  une  stagnation  étonnantes  se  manifestaient  sur  le 
continent  chinois  en  dépit  de  son  développement  immense;  au  contraire 
une  grande  diversité  dans  les  phénomènes  économiques  se  rencontrait 
dans  l'espace  restreint  de  l'empire  insulaire  du  Soleil  Levant  comme  si 


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606  REVUE  FRANÇAISE 

l'on  avait  vu  le  pays  à  dififérentes  périodes.  On  dut  étendre,  pour  quel- 
ques membres,  à  cinq  mois,  le  temps  de* séjour  primitivement  fixé  à 
trois  mois. 

Pendant  cet  espace  de  temps,  le  pays  fut  parcouru  dans  toute  soo 
étendue,  de  File  du  Nord  Yéso  jusqu'à  celle  du  Sud  Kiou-Siou  et  à  cause 
des  très  grandes  différences  qui  se  présentaient  dans  la  vie  économique, 
les  membres  de  la  mission  char#;és  de  travaux  spéciaux  jugèrent  utile 
de  se  séparer  devant  cette  tâche  encore  plus  considérable  qu'en  Chine; 
on  peut  donc  dire  que  la  commission  apprit  à  connaître  le  Japon  en  en- 
tier, de  la  façon  la  plus  complète  avec  une  dépense  et  une  difficulté 
relativement  moindres. 

Le  champ  d'opération  était  en  principe  limité  à  la  Chine  et  au  Japon; 
cependant  on  fit  une  tournée  rapide  en  Corée,  dont  on  visita  Tchemul- 
po,  le  principal  port,  et  Séoul,  la  capitale  ;  vers  la  fin  du  voyage,  le 
champ  d'investigation  fut  encore  étendu,  et  chargés  de  missions  spé- 
ciales, deux  membres  visitèrent  les  Philippines  ;  un,  le  Siam  et  Java  et 
un  autre  une  partie  de  l'Inde. 

La  plus  grande  partie  des  rapports  spéciaux  a  déjà  été  présentée.  Tous 
ces  rapprt-?  spéciaux  doivent,  comme  les  échantillons,  être  seulement 
communiqués  aux  cercles  intéressés.  On  publiera  d'ailleurs  un  rapport 
général  qui,  utilisant  ce  qui  est  déjà  connu  d'autre  part  par  les  rapports 
particuliers,  permettra  de  prendre  une  vue  d'ensemble,  sur  les  r^ultat» 
de  la  mission. 


L'AVEN  ARMAND 

Nous  avons,  à  plusieurs  reprises,  déjà  fait  coimaître  les  remarquables 
résultats  des  explorations  souterraines  que  M.  E.-A.  Martel  poursuit 
avec  succès  depuis  une  dizaine  d'années.  A  l'étranger  conune  en  France 
le  savant  explorateur  a  répandu,  en  préchant  d'exemple,  le  goût  des 
études  spéléologiques.  Mais  nulle  part  ses  découvertes  n'ont  été  plus 
bellt^s  que  dans  la  région  des  Causses,  dans  ce  bassin  du  Tarn  et  de  ses 
affluents,  théâtre  de  ses  premiers  succès.  La  campagne  de  1897,  dans 
la  vallée  de  la  Jonte,  lui  a  permis  de  reconnaître  un  aven,  ou  trou 
profond,  qui  ne  le  cède  en  rien  par  sa  beauté  natureUe  à  la  célèbre 
grotte  de  Dargilan  sa  voisine. 


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608  REVUE  FRANÇAISE 

Cet  aven  situé  dans  le  causse  Méjean,  se  trouve  à  2  kilomètres  et  1/2 
au  sud  de  La  Parade  et  à  8  k,  S.-E.  de  Meyrueis  (Lozère).  L'orifice 
pai*  lequel  on  y  accède  forme  un  entonnoir  de  10  à  15  mètres  de  dia- 
mètre, profond  de  4  à  7  mètres.  Au  fond  s'ouvre  un  puits  de  73  m., 
dont  la  1®  partie  est  formée  par  une  cheminée  de  40  m.  de  long  des- 
cendant verticalement.  Au  bout  de  cette  galerie  se  trouve  une  immense 
grotte  formant  couloir  de  100  m.  de  long  sur  SO  de  large  el  35  de  haut. 
Cette  grotte  ovale,  comme  on  le  voit  par  le  dessin  ci-contre,  est  inclinée 
fortement. 

La  1®  partie  de  la  grotte  est  un  amas  de  débris  tombés  par  Torifice. 
La  2®  partie  est  recouverte  d'une  véritable  forêt  d'environ  200  stalag- 
mites. Ces  merveilleuses  colonnes  formées  depuis  des  siècles,  gouttelette 
par  gouttelette,  diffèrent  toutes  les  unes  des  autres.  Il  en  est  qui  ont 
jusqu'à  2  mètres  de  diamètre  ;  d'autres,  au  contraire,  n'ont  que 
quelques  centimètres  de  diamètre  sur  plusieurs  mètres  de  hauteur.  La 
plus  élevée,  la  Grande  Slalagmite,  atteint  30  mètres;  la  Grande  colonne 
en  a  22;  une  trentaine  arrivent  à  18  et  20  m.,  jusqu'ici  le  record  en  ce 
genre.  Tous  ces  clochetons  de  cathédrale  sont  intapts  et  forment  un 
ensemble  d'une  beauté  remarquable.  Aucune  grotte  ne  possède  une 
plus  grande  quantité  de  stalagmites.  La  plus  haute  connue,  celle  de  la 
caverne  d'Aggtelek,  en  Hongrie,  n'a  que  20  m.  d'élévation. 

Au  point  le  plus  bas  de  la  grotte  s'ouvre  un  second  puits  vertical  qui 
descend  à  87  mètres  dans  le  sol.  La  profondeur  totale  est  de  207  mètres 
et  même  de  214  si  l'on  compte  les  7  mètres  de  l'entonnoir  extérieur. 
C'est  l'abîme  le  plus  profond  qui  soit  connu  en  France  avec  celui  de 
Rabanel,  près  Ganges,  dans  l'Hérault,  que  M.  Martel  explora  en  1889 
et  qui  a  212  métrés.  Cette  grotte  a  dû  servir  d'exutoire  à  un  ancien  lac 
des  Causses.  Le  nom  d'aven  Armand  lui  a  été  donné  parce  que  sa 
découverte  est  due  à  un  serrurier  de  Rozier,  nommé  Louis  Armand, 
compagnon  de  M.  Martel  dans  plusieurs  de  ses  explorations  de  la  région 
des  Causses. 

Ces  explorations  souterraines  ne  s'accomplissent  pas  sans  de  nom- 
breux préparatifs  et  demandent  beaucoup  de  temps.  C'est  ainsi  qu'il  n'a 
pas  fallu  moins  de  3  jours  (19,  20,  21  septembre)  à  M.  Martel  pour 
descendre  dans  l'aven,  admirer  ses  richesses,  relever  les  altitudes,  cal- 
culer la  hauteur  de  la  voûte  et  des  stalagmites  à  l'aide  de  montgolfières 
en  papier  attachées  à  un  fil,  pousser  l'exploration  jusqu'au  fond  du 


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Coupe  transversale  JK, 


^. 


Li-  ixotiUiUe. 

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AVEN    ARMAND 

(près  la  Parade  Causse  Mej eau. Lozère) 

E  AMARTEL.A  VIRÉ. L  ARMAND 
J3-21  Sept  189Î    Pi  or  20]  met 


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Tous  droiu  tc^crvçf 


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Aï 


EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS    '        609 

2*^  puits  descendant  à  pic  à  une  profondeur  de  87  mètres,  et  faire  toutes 
les  observations  scientifiques  qui  sont  habituelles. 

Et  l'attirail  pour  ces  expéditions  est  aussi  lourd  qu'encombrant.  Une 
forte  charrette  était  nécessaire  pour  transporter  ce  bagage  qui  ne  pesait 
pas  loin  d'une  tonne.  M.  Martel  emportait  en  effet  :  140  mètres 
d'échelles  de  corde,  500  mètres  de  câbles,  les  téléphones,  échelles  ex- 
tensibles en  bois,  lits  de  camp,  caisses  de  vêtements,  de  couvertures  et 
de  bougies,  pharmacies  de  poche,  appareils  photographiques,  lampes 
au  magnésium,  montgolfières,  bonbonnes,  le  bateau  démontable,  la 
tente  de  campement  et  les  innombrables  outils  divers,  les  conserves  et 
provisions  de  bouche,  etc.  Outre  M.  Martel  et  ses  compagnons  d'explo- 
ration, cinq  ou  six  hommes  de  manœuvre  devaient  aider  à  poser  et  à 
relever  les  échelles,  cordes,  téléphones,  etc. 

Comme  on  le  voit,  la  reconnaissance  d'jume  grotte  de  207  mètres  de 
profondeur  n'est  pas  une  petite  affaire;  mais  on  est  amplement  récom- 
pensé par  une  découverte  aussi  remarquable  que  celle  de  Taven  Armand. 
Reste  maintenant  à  rendre  ce  dernier  accessible  au  public;  30  à 
40.000  francs  seront  sans  doute  nécessaires  pour  permettre  de  visiter 

facilement  une  des  belles  curiosités  naturelles  de  la  France. 

V. 


EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS 

RÉGIONS   POLAIRES  :  A  LA  RECHERCHE  d'aNDRÉE 

L'expédition  suédoise  Stadling,  envoyée  à  la  recherche  de  l'explora- 
teur Andrée  et  de  son  ballon  est  arrivée  à  Buleen,  à  l'embouchure  de 
la  Lena,  d'où  elle  a  pu  faire  porter  une  dépêche  jusqu'à  Irkoutsk. 
Dans  le  courant  de  l'hiver,  elle  avait  visité  les  îles  de  la  N^*-Sibérie,  les 
fleuves  Anabara  et  Yndigheikak  sans  trouver  aucune  trace  d'Andrée. 
L'expédition  est  partie  de  Buleen  dans  la  direction  de  l'ouest  afin  de 
visiter  la  presqu'île  de  Taimyr  et  de  gagner  l'Iénisséi. 

Le  steamer  «  Fridjof  »  portant  l'expédition  Wellmann,  de  retour  du 
Grônland  est  arrivée  le  i^'  sept,  à  Tromso  (Norvège),  après  avoir  dé- 
barqué une  expédition  au  cap  Tegethoff.  sur  la  pointe  sud  de  Tile 
Hull.  M.  Wellmann  a  rencontré,  à  l'île  Kœnigskar  l'expédition  du 
d'  Northerst  à  la  terre  François-Joseph  et  il  a  été  informé  que  toutes 
XXIII  (Octobre  98).  N*  238.  40 


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ï 


610  REVUE  FRANÇAISE 

les  recherches  faites  pour  découvrir  quelques  traces  d'Afidrée  et  de  son 
ballon  n'ont  donné  aucun  résultat. 

L'expédition  allemande  Lemer  partie  au  printemps  dernier  à  la  re- 
cherche A* Andrée  est  rentrée  à  Hammerfest  sans  avoir  trouvé  trace  de 
rext)lorateur;  Si  l'expédition  du  savant  allemand  n'a  pas  atteint  son 
but,  elle  a  néanmoins  fait  des  observations  intéressantes  et  dragué  )e 
fond  de  la  mer  dans  le  voisinage  de  la  terre  du  Roi-Charles,  à  une 
profondeur  de  1.100  mètres. 

AFRIQUE 

M.  F,  Four  eau  prépare  à  Biskra  les  éléments  de  sa  10*^  expédition 
au  Sahara.  L'explorateur,  arrêté  jusqu'ici  par  la  faiblesse  de  ses  moyeDS 
matériels,  n'aura  pas  à  redouter  cette  fois  cette  éventualité.  En  effet, 
son  escorte  se  composera  de  180  tirailleurs  algériens  choisis  volontaire- 
ment, qui  ont  quitté  Blida  le  20  sept,  pour  se  rendre  à  Biskra  où  sont 
réunis  les  approvisionnements  nécessaires.  I^  colonne  est  placée  sous 
les  ordres  du  c^  Lamy,  un  des  organisateurs  des  troupes  sahariennes, 
du  capitaine  Reibell,  de  4  lieutenants  dont  1  indigène.  Elle  se  dirigera 
tout  d'abord  sur  Ouargla,  Fort-Mac  Mahon  et  Fort-Miribel.  Conmie  précé- 
demment l'objectif  de  M.  Foureau  est  de  se  rendre  d'Algérie  au  Soudan 
par  le  Sahara.  Les  obstacles  suscités  par  les  Touareg  ont  seuls  empêché 
la  réussite  de  ses  précédentes  expéditions.  Avec  une  aussi  forte  cara- 
vane le  succès  de  M.  Foureau  est  presque  certain. 

L'expédition  belge  Lcmatre(XXiIf,  ...)se  rendant  au  Katanga,  était 
à  Chindé,  bouche  du  Zambèze,  au  commencement  de  juin.  Au  cours 
de  sa  roule,  elle  a  été  éprouvée  par  la  mort  de  deux  de  ses  membres  : 
MM.  Devindt,  géologue  belge  et  Caysney,  Anglais,  se  sont  noyés  dans  le 
Tanganika,  leur  bateau  ayant  sombré  au  cours  d'une  tempête  dans  la 
nuit  du  9  au  10  août. 

AMÉRIQUE 

Le  d'  Hermann.  Meyer,  frère  de  l'explorateur  Hans  Meyer  qui,  en 
1896,  avait  effectué  dans  l'Amérique  du  Sud  un  voyage  au  cours  du- 
quel il  découvrit  l'Atelchu,  une  des  sources  du  Xingu,  a  entrepris,  en 
août  l89o,  une  nouvelle  exploration  de  cette  région  où  vivent  des 
|.ribus  indiennes  qui  n'ont  été  visitées  jusqu'ici  par  aucun  voyageur. 
U  est  accompagné  par  un  naturaliste,  un  médecin  et  im  photographe. 


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NOUVELLES  GEOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 

AFRIQUE 

Tunisie  :  Inauguration  du  chemin  de  fer  de  S  fax  à  Gafsa.  —  Ce  chemin 
de  fer  a  été  construit  avec  une  rapidité  exceptionnelle  et  tout  à  fait  inconnue 
dans  nos  colonies. 

Commencé  en  juin  1897,  il  a  été  inauguré  le  18  septembre  1898.  En  mars, 
la  voie  a  été  terminée,  sur  206  kilomètres  et  la  plate-forme  sur  250»  Il  faut 
ajouter  que  ce  n'est  point  TÉtat,  inais  la  C'®  des  phosphates,  concessionnaire 
du  chemin  de  fer,  qui  a  fait  exécuter  les  travaux.  Le  relief  du  sol,  fort  peu 
varié,  a  singulièrement  facilité  la  construction;  aussi  est-on  parvenu  à  poser 
jusqu'à  1.800  mètres  de  rail  par  jour.  Les  travaux  d'art  sont  très  rares;  le 
principal  est  un  pont  de  300  mètres  situé  près  de  Gafsa,  sur  Toued  Beïach, 
généralement  à  sec.  Le  manque  d'eau  a  causé  des  difficultés,  la  bonne  eau 
se  trouvant  seulement  aux  deux  extrémités  de  la  ligne,  à  Sfax  et  à  Gafsa. 
Comme  cela  n'arrive  que  trop  souvent,  la  gare  de  Gafsa  se  trouve  à  4  kil.  de 
la  ville.  La  voie  est.à  écartement  de  1  mètre,  comme  celles  du  sud  de  la 
Tunisie  (Tunis-Sousse-Kairouan).  Il  resle  à  achever  40  kil.  au  delà  de  Gafsa. 

Outre  les  phosphates  de  la  région  de  Gafsa,  le  chemin  de  fer  pourra  être 
appelé  à  un  trafic  assez  iiQportant,  car  le  pays  parait  assez  riche  en  gise- 
ments miniers.  Les  études  pour  le  prolongement  de  la  ligne  ont  été  poussées 
jusqu'à  Tozeur  (à  84  kil.  de  Gafsa)  et  Nefta,  à  travers  la  région  du  Djerid 
renommée  pour  ses  tissus  et  surtout  pour  ses  dattes.  Gafsa,  par  son  site 
pittoresque  et  sa  t)elle  forêt  de  palmiers,  est  appelée  à  faire  concurrence  à 
Biskra  sous  le  rapport  du  tourisme. 

Soudan  français  :  Situation  de  Samory  (XXIÎl,  p.  552).  —  On  connaît 
maintenant  les  causes  de  la  retraite  de  Samory  vers  l'arrière  pays  de  Libéria 
C'est  à  la  suite  des  opérations  dirigées  contre  lui  que  le  vieil  almamy  battu 
&  al)andonné  la  baî?sin  du  Comoé  et  du  Bandama.  Après  le  coup  d'éclat  de 
la  prise  de  Sikasso,  une  colonne  (capitaine  Marchaise),  sortie  de  cette  ville 
au  commencement  de  mai,  infligea  un  sérieux  échec  aux  bandes  de  sofas 
entre  le  Comoé  et  Kong.  Une  2«  colonne  (capitaine  Benoît)  complétait  l'œuvre 
de  la  1®  et  chassait  les  partisans  de  Samory  de  la  région  de  Kong.  Une  autre 
colonne  (c*  Pineau)  partie  de  Sikasso  le  20  mai,  battait  à  Tioroniaradougou, 
les  débris  des  partisans  de  Babemba,  renforcés  par  des  sofas  de  Samory  et 
les  pourchassait  jusqu'au  Bandama.  Une  4«  colonne  (l^-colopel  Bertin)  venant 
du  sud  chassait  devant  elle  Bilali,  lieutenant  de  Samory  et  arrivait  à  Tié- 
naou  à  iOO  kil.  0.  de  Kong. 

Effrayé  par  cette  marche  concentrique,  Samory  a  abandonné  (12  juin)  le 
tata  de  Bandoura,  sur  le  Bandamma,  où  il  résidait  et  s'est  dirigé  vers  le  Li- 
béria avec  3.000  soldats,  14.000  porteurs,  femmes  et  enfants.  Il  a  dû  passer 
le  Sassandra  à  la  fin  de  juin  et  se  retirer  dans  la  région  inexplorée  qui 
forme  l'hinierland  du  Libéria.  Après  son  départ,  de  nombreuses  tribus  ont 
fait  leur  {soumission.  Le  pays  est  en  ruines,  les  cultures  abandontiées  et  les 


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612  REVUE  FRANÇAISE 

habitants  emmenés  en  esclavage.  Encore  un  effort  et  Samory,  dont  le  prestige 
est  bien  affaibli,  verra  sa  puistance  anéantie. 

Défaite  des  sofas.  —  Un  télégramme  de  Saint-Louis,  23  sept.,  annonce  que 
le  1*  Wœlfel  a  attaqué  le  9  les  sofes  au  passage  du  Cavally  à  60  kil.  S.  de 
N'Zo.  Rejetés  dans  un  marigot,  2000  ont  mis  bas  les  armes.  Le  même  jour, 
Sara  N'Tieni  Mory,  fils  de  Samory,  fut  battu  après  6  h.  de  combat  et  Bilali 
fut  tué.  Il  a  été  fait  5000  prisonniers.  Depuis  cette  victoire,  20000  indigènes 
ont  fait  leur  soumission.  La  colonne  Wœlfel,  qui  a  effectué  sa  jonctioo  avec 
celle  du  capitaine  Gadeu  est  accueillie  avec  enthousiasme  par  les  populations 
terrorisées  par  Samory.  Nous  n'avons  eu  qu'un  blessé. 

Le  massacre  de  la  mission  Caxemajou  (XXIII,  530).  —  Un  télégramme  du 
gouverneur  du  Soudan  donne  quelques  détails  sur  le  massacre  de  la  mission. 
Le  capitaine  Gazemajou  et  l'interprète  Olive  ont  été  assassinés  à  coups  de 
b&ton,  le  5  mai.  Sur  les  33  indigènes  de  la  mission,  6  tirailleurs  ont  été 
tués,  9  autres  et  5  employés  blessés.  La  conduite  des  18  tirailleurs  de  Tes- 
corte  a  été  héroïque  et  l'un  deux  a  reçu  7  blessures;  3  seulement  sont  in- 
tacts. Tous*  sont  arrivés  à  Dori  et  se  sont  dirigés  sur  Ségou.  Les  papiers  et 
l'armement  de  la  mission  ont  été  sauvés  par  l'interprète  Radié  Dara  et  remis 
le  8  juillet  au  capitaine  Chamberl.  Le  fanatisme  et  la  crainte  de  voh*  la 
mission  aider  Rabah  paraissent  être  les  causes  de^l'assassinat. 

État  du  Ciongo  :  Redjaf  attaqué  par  les  Mahdistes.  —  Les  chefs  mah- 
distes  de  Bor,  situé  sur  le  Nii  au  nord  de  Redjaf,  ont  attaqué  dans  la  nuit  du 

3  au  4  juin,  la  garnison  belge  de  Redjaf.  Leur  marche  avait  été  tenue  si  se- 
crète que  leur  présence  ne  fut  décélôe  que  par  l'attaque  d'un  poste  avancé, 
à  1  h.  du  matin.  Les  soldats  se  replièrent  en  toute  hâte  dans  la  Zériba,  suivis 
en  quelque  sorte  sur  leurs  talons  par  les  Derviches  qui  franchirent  de  toutes 
parts  les  fossés  semés  d'épines.  Un  instant,  ces  derniers  parvinrent  à  entourer 
les  maisons  des  blancs.  Mais  ceux-ci  ayant  pu  se  réunir  et  rallier  leurs  sol- 
dats, réussirent  à  repousser  les  Derviches  et  à  les  mettre  en  déroute.  Deux 
officiers  belges,  MM.  Desneux  et  Bartholi  furent  tués  dans  le  combat  et 

4  autres  Européens  blessés,  parmi  lesquels  M.  Hanolet,  commandant  supé- 
rieur. Toutes  les  blessures  résultent  de  coups  de  lance.  Les  pertes  en  soldats 
indigènes  ont  été  assez  sérieuses. 

Les  Derviches,  commandés  par  Adhem  Bouchara,  ont  fait  preuve  d'un  cou- 
rage fanatique.  42  d'entre  eux  ont  été  trouvés  morts  à  l'intérieur  de  la  Zériba 
et  un  nombre  au  moins  égal  a  été  tué  hors  de  la  place;  6  ont  été  faits  prison- 
niers. On  voit  par  ce  fait  que  le  petit  corps  de  troupes  congolaises  qui  occupe 
l'enclave  de  Lado,  est  tenu  de  veiller  avec  soin  à  la  garde  de  sa  récente 
conquête. 

Les  révoltés  Batétélas  (XXIII,  28).  —  Les  troupes  congolaises  n'ont  pu  encore 
avoir  raison  depuis  plus  d'un  an  des  soldats  révoltés  de  l'expédition  Dhanis 
en  raison  de  l'immense  étendue  du  territoire  sur  lequel  elles  opèrent.  Les 
rebelles  Batétélas  ont  attaqué  au  sud  de  Kalloge,  sur  le  Tanganika,  un  déta- 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  643 

chement  de  177  hommes  sous  les  ordres  du  1*  Chargois.  Celui-ci,  écrasé 
par  le  nombre,  a  dû  se  replier  sur  sa  réserve  à  Kallogé.  La  jonction  opérée, 
les  troupes  de  l*État  ont  repris  Toffensive  et,  après  i  heure  d'une  lutte 
acharnée,  les  rebelles  ont  été  mis  en  déroute,  perdant  25  tués  et  50  blessés. 
Les  munitions  étant  épuisées,  la  poursuite  n'a  pas  été  possible.  Bien  que 
grièvement  blessé  dans  le  2«  combat,  le  1*  Chargois  a  dirigé  le  combat  jus- 
qu'à la  fin.  Ses  troupes  ont  eu  5  tués  et  22  blessés. 

Un  autre  engagement  a  été  malheureux.  Le  1*  Dubois,  parti  avec  100  hom- 
mes pour  occuper  Kivou,  a  été  surpris  dans  sa  marche  par  les  révoltés  et 
tué  avec  31  soldats.  Les  charges  de  la  colonne,  36  fusils  et  une  caisse  de 
cartouches  sont  tombés  aux  mains  des  rebelles.  Cette  alternative  de  succès 
et  d'échecs  n'est  pas  faite  pour  amener  la  fin  de  la  rébellion. 

Sud-Ouest  africain  allemand  :  Colonisation.  --  La  colonie  du  sud- 
ouest  africain  est,  par  son  climat,  la  plus  propre  à  la  colonisation  germa- 
nique. Le  chemin  de  fer  en  construction  de  Swakopmund  à  Windhock  est 
poussé  activement.  Jusqu'ici,  les  colons  de  la  région  étaient  presque  exclusi- 
vement du  sexe  masculin.  Mais  l'empereur  Guillaume  II  veut  favoriser 
rémigration  des  jeunes  filles  allemandes,  afin  de  créer  plus  tard  là-bas  une 
grande  famille  allemande.  A  Wiesbaden,  les  adhérents  des  Sociétés  coloniales 
ont  réuni  1.060  marks  destinés  à  la  première  Allemande  qui  émigrera  au 
sud-ouest  africain. 

Madagascar  :  Voyage  du  général  Gallieni.  —  Le  gouverneur  général  est 
arrivé  à  Tamatave  (2  sept.)  après  un  voyage  de  3  mois  pendant  lesquels  il  a 
fait  le  tour  de  l'île.  Visitant  les  principaux  centres  et  postes  du  littoral,  le 
général  Gallieni  qui  avait  commencé  sa  tournée  par  le  nord  et  l'ouest  de 
Vile  sur  le  croiseur  Lapérouse,  a  dû  continuer  son  voyage  par  terre  de  Fort- 
Dauphin  à  Tamatave  par  suite  du  naufrage  de  ce  bâtiment.  Ce  voyage  a  été 
long  et  pénible.  Le  général  a  été  reçu  avec  enthousiasme  par  les  colons  et 
par  les  indigènes.  Les  tribus  de  la  côte  E.  lui  ont  exprimé  leur  reconnais- 
sance pour  les  avoir  délivrées  de  la  domination  ho  va. 

Naufrage  du  «  Lapérouse  ».  —  Le  croiseur  Lapérouse,  portant  le  guidon  du 
c*  Huguet,  chef  de  la  station  navale,  a  été  surpris  en  rade  de  Fort-Dauphin, 
le  31  juillet  à  8  h.  du  soir,  par  de  violentes  rafales  du  N.-E.  et  a  vu  se 
rompre  ses  deux  chaînes  d'ancre.  Il  a  été  aussitôt  jeté  à  la  côte  où  déferlait 
une  mer  furieuse.  Ce  n'est  qu'au  jour,  après  une  nuit  d'inquiétude  mortelle 
que  l'on  a  pu  jeter  des  amarres  à  terre  et  établir  un  va  et  vient  à  l'aide  du- 
quel tout  le  personnel  a  été  sauvé  avec  une  partie  du  matériel.  Le  bâtiment 
est  perdu  malgré  les  efforts  du  c^  Huguet  qui,  par  son  sang-froid  et  son 
énergie,  a  su  éviter  toute  perte  d'homme. 

Le  à'Estaing  remplacera  le  Lapérouse  dans  les  eaux  de  Madagascar. 

Situation,  —  La  pacification  fait  de  grands  progrès  dans  le  sud.  Dans  la 
province  deTullear,  la  plupart  des  chefs  de  l'intérieur  sont  venus  faire  leur 
soumission  au  général  Gallieni.  En  dehors  de  l'attaque  du  poste  d'Ambohibé, 


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614  REVUE  FRANÇAISE 

il  n'y  a  eu  à  signaler  aucun  acte  d*hostilité.  Néanmoins,  on  ne  peut  consi- 
dérer encore  la  région  comme  pacifiée,  car  il  existe  encore  plusieurs  grou- 
pements hostiles.  A  Fort-Dauphin,  le  général  Gallieni  a  reçu  tous  les  chefs 
des  Antanossy,  Antantsimoet  Antandroys  qui  ont  juré  obéi&sance  et  fidélité. 
Le  général  a  organisé  la  province  avec  les  chefs  indigènes  placés  sons  notre 
contrôle. 

La  situation  est  bonne  dans  le  reste  de  Tîle.  On  travaille  activement,  pen- 
dant la  belle  saison,  aux  travaux  de  routes,  écoles,  jardins  d'essais.  On 
signale  de  nombreuses  constructions  faites  par  des  colons  nouvellement 
arrivés  à  TuUear  et  à  Fort-Dauphin. 

Ifuiustries  indigènes.  —  Le  général  Gallieni  a  constaté  la  disparition  ou  la 
décadence  de  la  plupart  des  industries  indigènes  qui  florissaient  en  Emyme 
sous  l'ancien  gouvernement  malgache  :  notamment,  la  confection  des  ralmies 
et  des  lambas,  la  vente  des  peaux  de  bœuf  et  des  soies  de  porc,  la  récolte  de 
la  cire,  la  fabrication  des  chapeaux.  Aussi,  dans  une  lettre  adressée  le 
11  mai  dernier  à  M.  Rasanjy,  gouverneur  principal  de  TEmyme,  le  général 
Gallieni  adresse-t-il  un  pressant  appel  aux  autorités  pour  encourager  la 
reconstitution  de  ces  industries  tombées,  en  propageant  les  moyens  perfec- 
tionnés pour  transformer  industriellement  les  produits  bruts  du  pays.  Le 
général  Gallieni  a  aussi  nommé  une  commission  chargée  de  présenter  un 
rapport  sur  Forganisation  et  les  procédés  des  anciennes  industries  locales  et 
sur  les  moyens  de  provoquer  leur  reprise. 

Il  est  bien  évident  que  la  mesure  que  vient  de  prendre  le  gouverneur  gé- 
néral sera  favorable  aux  Hovas;  mais  il  nous  est  permis  de  nous  demander 
si  les  sacrifices  considérables  d'argent  et  de  sang  que  nous  avons  faits  à  Ma- 
dagascar ont  été  consentis  pour  permettre  aux  seuls  Hovas,  nos  ennemis 
d'hier,  de  pouvoir,  en  paix,  développer  leurs  industries,  à  l'aide  de  nos  pro- 
cédés. Il  nous  semble  que  la  France  a  quelque  peu  le  droit  aussi  d'espérer 
que  ses  nationaux  méritent,  plus  que  les  Hovas,  d'être  encouragés  dans 
leurs  entreprises  industrielles  à  Madagascar. 

Mines,  —  Le  colonel  Guyot,  chef  du  service  des  mines  à  Madagascar  a 
récemment  inventorié  les  ressources  minières  de  l'île. 

L'or  en  dehors  des  exploitations  de  la  C'«  coloniale  des  mines  d'or  de 
Suberbieville  et  de  la  côte  ouest  (Bouéni),  a  été  exploité  en  Emyrne,  près 
du  mont  Hiaranandrianu  ;  sur  le  Kitsamby,  au  sud  du  mont  Ivatavé  ;  sur  le 
Saomby,  affluent  du  Kitsamby  ;  dans  le  Betsiléo,  à  Itoalana  et  à  Aoasaha  ; 
dans  l'Antsianaka  ;  à  Antsevakcly,  sur  les  affluents  du  Bemarivo  à  Marovato, 
sur  le  Marijao;  jusqu'ici  les  alluvions  seules  ont  été  traitées. 

L'argent  n'a  pas  encore  été  signalé. 

Des  pierres  précieuses  ont  été  trouvées  dans  le  Beuéni,  dans  la  région  de 
Bétafo,  dans  le  pays  des  Aaras,  dans  les  environs  du  mont  Vahiposa  et  dans 
les  sables  des  rivières  de  l'intérieur.  Ces  pierres  comprennent:  la  pierre  de 
lune,  le  quartz  améthyste,  les  agates,  la  topaze  d'Espagne,  les  grenats,  les 
zircons,  les  saphirs,  les  rubis,  les  corindons,  l'aigue-marine,  l'amazonide, 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  6^5 

(prisme  d'émeraude),  les  cornalines.  De  beaux  échantillons  de  cristal  de 
poche  ont  été  trouvés  au  sud  de  la  province  du  Betsiléo. 

Les  mines  de  cuivre  d'Ambatofanghena  (district  d'Ambositra,  province  du 
Betsiléo)  ont  été  exploitées  pour  le  compte  du  gouvernement  malgache, 
ainsi  que  celles  de  Vohinana.  La  teneur  varie  de  10  à  45  0/0.  On  a  signalé 
des  gisements  de  cuivre  dans  la  région  de  Bétafo,  au  nord  de  l'île,  dans  le 
Vonizongo. 

Le  plomb  peut  s'extraire  de  la  galène  d'Ambotofanghena  ;  mais  cette 
galène  n'est  pas  argentifère. 

Le  zinc  existe  dans  la  région  de  Bétafo. 

Le  fer  se  trouve  presque  partout  ;  les  indigènes  l'exploitent  dans  TEmyrue 
et  le  Betsiléo. 

Le  cinabre  (minerai  de  mercure)  existe  dans  Touest  de  File. 

On  n'a  pas  encore  trouvé  d'étain. 

Le  charbon  de  terre  se  trouve  dans  un  bassin  de  la  côte  N.-O.,  près  la 
baie  de  Bevato-Bé.  Les  couches  de  houille  sont  peu  épaisses  et  le  gîte  a  été 
jugé  inexploitable. 

Le  lignite  se  rencontre  dans  la  région  de  Ramainandro,  au  sud  du  Kit- 
samby  et  de  la  vallée  du  Mangoro. 

Ile  Maurice  :  Commerce.  —  Il  est  toujours  intéressant  de  suivre  le  déve- 
loppement de  l'île  Maurice,  d'abord  à  cause  de  son  origine  et  de  sa  popula- 
tion françaises,  ensuite  à  cause  de  son  voisinage  de  la  Réunion  et  de  Mada- 
gascar. 

En  1896,  l'île  Maurice  a  reçu  pour  32.19 i.OOO  roupies  de  produits  étran- 
gers et  a  exporté  pour  31.894.000  roupies  (1).  Il  y  a  une  augmentation  sur 
1895,  de  1.688.000  roupies  à  l'importation  et  de  2.097.000  à  l'exportation, 
due  surtout  à  une  excellente  récolte  en  sucre. 

Les  importations  de  Maurice  proviennent  pour  moitié  de  l'Inde 
(16.329.000  r.)  et  pour  un  quart  de  l'Angleterre  (7.412.000).  La  France  vient 
au  3«  rang  (près  de  4  millions)  et  l'Australie  au  4«  (1.146.000). 

Le  i^  rang  parmi  les  produits  que  la  France,  grâce  au  service  bi-mensuel 
des  Messageries  maiitimes,  expédie  à  Maurice  est  tenu  par  les  vins  (30.246 
hectol.,  sur  une  importation  totale  de  30.836  hectolitres).  Les  eaux-de-vie 
viennent  au  2®  rang  avec  99.800  litres. 

Les  exportations  de  Maurice  sont,  pour  plus  de  moitié,  dirigées  vers  l'Inde 
et  Ceylan  (16.548.000  r.).  Les  meilleurs  clients  de  l'île  sont  ensuite  :  les  colo- 
nies du  Cap  (près  de  5  millions  de  r.),  l'Australie  (3  millions  1/2),  les  États- 
Unis  (1.815.000),  Madagascar  (1.142.000),  la  Réunion  (1.093.000).  La  France 
ne  reçoit  que  pour  516.000  fr.  de  produits  mauriciens.  L'Australie,  qui 
était  autrefois  le  plus  grand  débouché  des  sucres  de  Maurice,  n'en  reçoit  plus 
qu'un  dixième.  Les  exportations  vers  le  Cap  augmentent  au  contraire  sans 

(1)  La  valeur  nominale  de  la  roupie  est  de  2  fr.  50,  mais  sa  valeur  réelle  a  oscillé* 
en  1896,  de  1  fr.  43  à  1  fr.  56. 


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616  REVUE  FRANÇAISE 

cesse.  Depuis  vingt  ans,  les  échanges  avec  TAngleterre  et  la  France  ne  se 
sont  guère  modifiés. 

Maurice  ne  produit  guère  que  du  sucre.  La  colonie  en  exporte  pour  plus 
de  28  millions  de  roupies  et  seulement  2  millions  i/â  d'autres  articles. 
Aussi  tire-t-elle  du  dehors,  les  articles  nécessaires  à  Talimentation,  à  l'habil- 
lement et  aux  besoins  divers  de  ses  375.000  habitants. 

Navigation,  -^  Le  mouvement  de  la  navigation  à  Port-Louis  en  1896, 
donne  391  navires  jaugeant  394.370  tonnes,  rentrée  est  un  chiffre  à  peu 
près  égal  à  celui  de  la  sortie.  Les  vapeurs  sont  représentés  par  172  bâtiments 
et  282.000  tonnes  à  l'entrée  et  par  autant  à  la  sortie.  En  totalisant  les  entrées 
ei  les  sorties  à  Port-Louis,  on  trouve  pour  1896  :  492  navires  anglais  avec 
544.352 1. 160  navires  français  avec  163.182 1.  Les  autres  pavillons  ont  peu  d'im- 
portance, l'Allemagne  n'étant  représentéeque  par  27.762  tonnes  et  la  Norvège 
par  26.000  tonnes.  En  1896,  il  y  a  eu  une  augmentation  totale  de  96  navires 
et  95.813  tonnes,  qui  a  profité  surtout  à  l'Allemagne  et  à  l'Angleterre. 

ASIE 

Turquie  d'Asie  :  Le  cyclisme  à  Smyme,  —  Depuis  5  ou  6  ans,  le  cy- 
clisme a  fait  des  progrès  énormes  à  Smyme,  où  il  a  maintenant  une  vogue 
immense,  à  tel  point  que  la  ville  possède  plus  de  500  bicyclettes  et  fournit 
l'intérieur  et  les  îles  voisines,  conservant  pour  son  usage  les  3/4  des  impor- 
tations annuelles. 

Celles-ci,  qui  provenaient  d'abord  d'Angleterre,  viennent  maintenant  pour 
moitié  des  États-Unis  ;  l'Angleterre  en  fournit  encore  25  Vo,  mais  les  bicy- 
clettes américaines  tendent  &  accaparer  tout  le  marché  et  la  proportion  des 
produits  belges,  allemands  et  français  est  très  faible. 

Le  principal  centre  producteur  est  Boston,  aux  États-Unis  ;  les  produits 
anglais  viennent  surtout  de  Birmingham  etCoventry.  Les  ports  d'expédition 
sont  New-York,  Londres,  Hambourg  et  Anvers. 

Le  bas  prix  des  machines  américaines  leur  assurent  un  grand  avenir,  car 
elles  peuvent  revenir,  à  Smyme,  au  prix  de  160  à  180  fr.,  franco-bord.  Le 
Le  mauvais  entretien  des  routes  décourage  encore  bien  des  amateurs  de 
cyclisme,  mais  les  machines  américaines  sont,  autant  que  possible,  appro- 
priées aux  difficultés  locales  et,  si  elles  manquent  de  finesse,  elles  sont  solides 
et  d'un  bon  roulement.  Les  machines  françaises  sont  très  appréciées  pour 
le  soin  de  la  confection  et  de  l'élégance,  mais  leur  prix  élevé  les  rend  peu 
abordables  ;  quant  aux  bicyclettes  françaises  solides  et  à  bas  prix,  elles 
font  malheureusement  défaut. 

Inde  :  Figuiers  gigantesques.  —  Parmi  les  arbres  les  plus  curieux  de 
l'Inde  figure  incontestablement  le  figuier  du  Bengale,  multipliant  ou  arbre 
des  Banians.  Ces  arbres  donnent  aux  routes  qui  en  sont  plantées  un  aspect 
des  plus  pittoresques,  avec  leurs  longues  chevelures  de  racines  adventives 
qui  se  dirigent  vers  le  sol,  tandis  que  d'autres  enserrent  le  tronc  initial. 

Un  des  plus  réputés  de  ces  banians  est  celui  du  jardin  botanique  de  Cal- 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONL\LES  647 

cutta,  qui  n'a  guère  plus  d'un  siècle  d'existence.  Son  extension  est  telle 
aujourd'hui  que  la  circonférence  formée  par  son  feuillage  atteignait  300  mètres 
en  1890.  On  croirait  voir  de  loin  un  bois,  tandis  qu'en  réalité  il  n'y  a  qu'un 
arbre  unique. 

Au  moyen  de  pots  remplis  de  terre  suspendus  aux  racines  adventives  et 
de  tiges  creuses  de  bambous  enserrant  celles-ci,  on  a  modelé  ces  racines  et 
obtenu  des  colonnades  très  élégantes.  Tout  cela  constitue  plus  de  300  troncs. 
Le  tronc  primitif  et  principal  mesure  plus  de  15  mètres  de  circonférence. 
Ce  figuier  du  jardin  de  Calcutta  continue  d'ailleurs  à  se  développer;  on 
ne  peut  donc  dire  où  son  extension  s'arrêtera. 

Singapore  :  Parasols.  —  A  l'exemple  des  Chinois,  les  Indiens  et  les  Ma- 
lais font  de  plus  en  plhs  usage  des  parasols  de  soie,  d'alpaga,  de  coton,  et 
même  de  papier  et  d'osier.  Le  boô-toa,  le  parasol  est  devenu  pour  ces  peu- 
ples le  complément  de  l'étiquette.  Il  est  très  utile  dans  un  pays  où  la  pluie 
tombe  plusieurs  fois  parj^ur  et  où,  pendant  le  reste  du  temps,  le  soleil  frappe 
avec  violence  ;  mais  1'  «  umbrelia  »  ajoute  à  la  dignité  de  celui  qui  le  porte 
et,  dans  les  fête»  religieuses,  le  parasol  maintenu  au-dessus  de  la  tête  d'un 
personnage  indique  un  rang  élevé. 

Ces  tendances  sont  f&vorables  à  l'extension  des  importations  françaises  de 
ces  produits  à  Singapore.  La  vente  de  l'article  de  soie  de  fabrication  fran- 
çaise accuse  pour  1895  une  hausse  de  20.000  dollars,  mais  notre  importation 
(66.510  d.)  est  encore  bien  inférieure  à  celle  du  Japon  (233.103  d.)  et  de 
Hong-Kong  (101.968  d.).  Il  serait  facile  d'étendre  le  commerce  français  des 
parasols  à  Singapore,  mais  un  fait  étrange  c'est  que  la  Chine  n'en  fournit  que 
pour  17.864  d. 

OCÉANIE 

IiT^-Zélande  :  Le  kéa  ou  perroquet  des  moutons.  —  La  Revue  française  a 
déjà  signalé  (1)  ce  perroquet  de  la  N"^-Zélande  qui  se  perche  sur  le  dos  des 
moutons,  arrache  leur  toison  dans  la  région  lombaire,  leur  déchire  la  peau 
et  dévore  la  graisse  qui  entoure  leurs  reins.  Cette  habitude  bizarre,  d'origine 
récente,  occasionne  de  tels  dégâts  que  les  éleveurs  ont  mis  à  prix  la  tête  du 
kéa  pour  en  provoquer  la  destruction.  On  s'est  demandé  si  cette  habitude  ne 
venait  pas  de  ce  que  le  kéa  avait  pris  goût  à  la  viande  en  mangeant  les 
débris  attachés  aux  peaux  de  mouton  mises  à  sécher.  Mais  M.  Godfrey,  de 
Melbourne  a  constaté  que  la  N"«-Zélande  renfermait  une  sorte  de  mousse  ou 
de  lichen  blanc,  ressemblant  beaucoup  à  la  toison  du  mouton,  et  où  les  kéas 
trouvent  des  graines,  des  vers  et  des  larves.  Il  pense  que  ces  oiseaux  ont 
confondu  la  laine  avec  cette  mousse  et  que  c'est  de  là  que  viendrait  cette 
habitude.  D'ailleurs,  comme  la  laine  lui  donne  encore  plus  à  manger  que  la 
mousse,  le  kéa  aurait  persévéré  dans  son  habitude.  La  plante  fournissant 
cette  laine  végétale  appartient  au  genre  Raoutia, 

(1)  Voir  Rev,  Fr.  1895,  t.  xx,  p.  60. 


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6i8  REVUE  FRANÇAISE 

N^^-CSglédonie  :  Colonisation  libre.  —  Depuis  1893,  grâce  aux  encoura- 
gements et  à  la  propagande  de  M.  le  gouverneur  FejHet,  la  colonisation 
libre  s'est,  on  le  sait,  beaucoup  développée  en  N"^-Calédonie.  415  propriétés 
agricoles  nouvelles  ont  été  créées  par  des  colons  qui  étaient  déjà  dans  le 
pays,  par  des  militaires  congédiés  dans  la  colonie,  par  des  fonctionoaires 
ayant  pris  leur  retraite  ou  par  des  émigrants  nouveaux  de  France  ou  de 
l'étranger.  Le  i^'  groupe  comptait  130  familles;  le  second  285  familles  éta- 
blies depuis  juin  1895;  sur  ce  nombre,  il  en  est  reparti  29,  soil  seulement 
10  0/0  de  déchet,  a  proportion  de  non-réussite  la  plus  faible,  dit  M.  Feillel, 
parmi  les  expériences  de  colonisation  française  ». 

L'administration  dispose,  en  attendant  la  possibilité  d'employer  la  Table- 
Union,  de  nombreux  terrains  échelonnés  sur  les  côtes  et  facilement  acces- 
sibles :  Nakéty  touchant  Canala  et  la  Négropo,  et  Amoa  à  la  suite  de  Poin- 
dimié  (groupe  de  Ponérihouen).  D'autres  terrains  seront  prêts  bientôt  à 
Gomen,  sur  le  cours  de  la  rivière  du  même  nom,  près  de  l'usine  de  con- 
serves de  viandes  de  MM.  Prévet,  et  à  Témala,  près  Voh.  L'installation  des 
colons  pourra  se  faire  sous  peu  à  Table-Union,  où  Ton  a  construit  3  roules. 

De  juin  1895  à  janvier  1898,  la  l>n'«-Calédonie  a  reçu  195  familles  d'émi- 
grants  de  France.  Depuis,  sont  venus  d'ajouter  :  17  Américains  réunis  en 
une  petite  colonie  appelée  «  La  Fayette  »  et  située  sur  la  rive  gauche  du 
Diahot,  au  nord  de  l'île;  30  militaires  congédiés  dans  la  colonie  et  10  fonc- 
tionnaires retraités  qui  ont  obtenu  des  concessions  gratuites. 

La  main-d'œuvre  agricole  ne  manque  guère.  Il  y  a  d'abord  le  condamné 
assigné  qui  est  le  plus  recherché  à  cause  de  la  modicité  du  salaire  (20  francs 
par  mois),  puis  le  libéré,  excellent  pour  les  travaux  à  la  lâche.  La  main- 
d'œuvre  de  couleur  est  moins  bonne.  Les  Javanais  et  Annamites  sont  peu 
employés;  les  Canaques  des  N"^»-Hébrides  sont  bien  plus  demandés;  un 
convoi.de  80,  arrivé  en  décembre  1897,  a  été  aussitôt  embauché.  Enfin,  il  y 
a  les  Canaques  néo-calédoniens  qui,  considérés  autrefois  comme  incapables, 
ont  montré  depuis  qu'ils  pouvaient  à  peu  près  seuls  exécuter  la  couverture 
des  cases  et  bien  d'autres  travaux  ;  leurs  femmes  font  parfaitement  la  cueil- 
lette du  café,  le  sarclage,  etc. 

Tahiti  :  Chinois.  •—  L'immigration  chinoise  prend  à  Tahiti  de  telles  pro- 
portions que  des  mesures  fiscaleis  sont  à  la  veille  d'être  prises  pour  arrêter 
cette  véritable  invasion.  Dès  1883,  on  avait  réclamé  des  mesures  contre  le 
Oot  asiatique  qui  se  compose  surtout,  dans  les  îles  océaniennes,  des  plUs 
basses  classes  de  la  population  chinoise,  ayant  tous  les  vices  :  opium,  jea 
usure  et  le  reste.  L'influence  démoralisatrice  de  cette  tourbe,  la  concurrence 
commerciale  et  le  peu  de  scrupules  de  ces  immigrants  sont  proverbiaux. 

Les  mesures  actuelles  viendront  à  temps  pour  empêcher  la  disparition 
complète  de  Télément  français  de  Tahiti,  qui  était  à  la  veille  de  devenir 
une  véritable  colonie  chinoise.  L'Australie  et  les  États-Unis  ont  déjà  pris 
des  mesures  rigoureuses  de  protection  contre  les  Chinois,  de  même  que  nos 
colonies  de  l'Indo-Chine,  de  la  Réunion  et  de  Madagascar. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  619 

Le  conseil  général  de  Papeete  a  émis  un  vœu,  le  !•»•  décembre  1897,  qui 
équivaudrait,  s'il  était  adopté,  à  empêcher  la  Chine  de  continuer  à  envahir, 
au  moyen  de  ses  émigrants,  les  établissements  français  de  FOcéanie.  Ce  ne 
sont  pas,  en  effet,  les  produits  français  qui  prédominent  à  Tahiti,  ni  même 
les  négociants  européens.  Le  commerce  local  est,  en  effet,  presque  entière- 
ment accaparé  par.  les  Chinois  :  Papeete  ne  compte  que  43  magasins  euro- 
péens contre  53  magasins  chinois  et  74  patentés  asiatiques.  Le  conseil  géné- 
ral propose  d'appliquer  à  chaque  Asiatique,  à  son  débarquement  dans  la 
colonie,  une  taxe  de  25.000  francs.  Les  Asiatiques,  seraient  de  plus,  soumis  à 
un  impôt  annuel  de  300  à  500  francs  en  plus  de  la  patente  ordinaire. 

AMÉRIQUE 

Terre-Neuve  :  Nouvelle  préparation  du  poisson.  — ^  Les  Terre-Neu viens 
n'ayant  pas  réussi  à  faire  enlever  aux  pécheurs  français  le  privilège  dont  ils 
jouissent  sur  le  French  Shore  —  privilège  qui,  joint  à  la  prime  qui  assure  à 
nos  pêcheurs  de  morue  la  préférence  sur  les  marchés  européens  —  se  dis- 
posent à  leur  faire  une  concurrence  acharnée.  Le  Bait  Act  étant  resté  sans  effet 
contre  nos  pêcheurs,  les  Terre-Neu  viens  ont  cherché  le  moyen  de  préparer 
le  poisson  de  façon  à  lui  donner  des  qualités  supérieures  à  celui  qui  était 
préparé  pendant  la  campagne  de  pêche.  Dans  ce  but,  une  société  d'achat  et 
d'exportation  du  poisson  va  se  fonder  au  capital  de  250.000  dollars  ;  elle 
achètera  les  produits  de  la  pêche  dans  les  havres  du  littoral  et  les  vendra 
après  une  préparation  très  soignée.  Des  essais  ont  été  faits  pour  le  séchage 
de  la  morue,  qui  est  ensuite  enfermée  dans  des  boîtes  en  bois,  après  Tenlève- 
ment  de  la  peau  et  des  arêtes  ;  ce  produit  est  déjà  exporté  en  Amérique  avec 
succès. 

Le  procédé  Whitman  surtout  est  à  craindre  pour  nos  pêcheurs.  Le  système 
de  séchage  naturel  employé  jusqu'ici  ne  donne  qu'après  un  temps  considé- 
rable la  siccité  désirée.  M.  Thomas  Sparr  Whitman  a  inventé  un  appareil  qui 
enlève,  en  moins  de  48  heures,  l'humidité  du  poisson  et  l'amène  ainsi  au 
point  demandé.  Plusieurs  maisons  de  Saint  John's  et  d'Halifax  emploient 
déjà  avec  avantage  le  nouveau  procédé.  H  faut  que  nos  pêcheurs  se  préoc- 
cupent de  l'utiliser,  s'ils  ne  veulent  pas  voir  péricliter  leur  industrie.  Déjà 
une  maison  de  Granville  se  propose  d'exploiter  ce  système  à  Saint-Pierre. 

États-Unis  :  Extension  commerciale,  —  Les  États-Unis  d'Amérique  ont 
l'Angleterre  pour  principal  client,  quoique  la  part  de  ce  pays  ait  diminué.  11 
y  a  10  ans,  les  exportations  américaines  en  Angleterre  étaient  de  près  de 
1800  millions  de  francs,  soit  50  0/0  du  total.  Pour  1897,  la  proportion  n'est 
plus  que  de  44  0/0,  mais  ce  chiffre  a  cependant  augmenté  puisqu'il  est  de 
Ï.413  millions  de  francs  (soit  (>13  millions  d'augm^^ntation  en  9  ans). 

Les  exportations  totales  des  États-Unis  ont,  durant  cette  même  période, 
augmenté  de  59  0/0.  Les  exportations  pour  l'Allemagne  sont  passées  de  8  à 
12  0/0,  celles  pour  la  France  sont  restées  stationnaires  à  6  0/0,  celles  de  la 
Hollande  se  sont  élevées  de  2  à  5,3  0/0.  L'augmentation  de  Texportatioa 


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620  REVUE  FRANÇAISE 

américaine  a  surtout  porté  sur  les  céréales  (350  millions  de  fr.),  le  fer  et 
l'acier  (70),  les  cycles  (15),  le  cuivre  (15),  le  bois  et  les  objets  en  bois  (27  mil- 
lions). 

Immigration  européenne,  —  Plus  de  16  millions  d'Européens  ont  immigré 
aux  États-Unis  de  1821  à  1895.  De  1880  à  1890  seulement,  l'immigration 
a  été  de  5.246.000  individus.  Depuis  10  ans,  la  moyenne  annuelle  de  l'im- 
migration a  été  de  435.000  personnes. 

Avant  1870,  les  3/4  des  immigrants  étaient  anglais,  irlandais,  allemands, 
français  ou  Scandinaves.  En  1880,  ces  pays  ne  fournissaient  plus  que  les  Z/^ 
de  l'immigration  totale  et  en  1896  que  les  2/5.  Par  contre,  TAutriche-Hon- 
grie,  l'Italie,  la  Pologne,  la  Russie  qui,  en  1869,  ne  fournissaient  que  moins 
de  1/100  de  l'immigration  aux  États-Unis  en  fournissaient  1/10  en  1880  et 
plus  de  la  moitié  en  1896. 

Les  immigrants  sont  souvent  une  charge  pour  les  États-Unis.  En  1890,  il 
y  avait  80.000  étrangers  dans  les  prisons,  les  asiles  d'aliénés  et  les  maisons 
de  charité.  L'élément  étranger  fournit,  aux  États-Unis,  1  fois  1/2  plus  de 
criminels,  2  fois  1/3  plus  de  fous  et  3  fois  plus  de  pauvres  que  l'élément 
indigène. 

La  qualité  des  immigrants  que  reçoivent  les  États-Unis  actuellement  paraît 
donc  bien  moins  bonne  qu'autrefois.  Ce  ne  sont  plus  en  majorité  des  culti- 
vateurs, de  vrais  colons,  mais  des  manœuvres,  des  gens  sans  initiative. 

Ile  Tristan  da  Gunha.  —  L*île  Tristan  da  Cunha  est  à  mi-cbemin 
entre  le  cap  de  Bonne-Espérance  et  l'Amérique  du  Sud  ;  elle  a  une  trentaine 
de  kilomètres  de  tour  ;  elle  est  très  rocheuse  et  montueuse  ;  au  centre  se 
dresse  un  pic  de  2.300  mètres. 

Cette  île,  découverte  en  1506  par  des  Portugais,  fut  occupée  par  les  Anglais 
en  1817  ;  mais  la  garnison  britannique  en  fut  retirée  en  1821.  Le  caporal  et 
ses  deux  compagnons  qui  y  restèrent  ont  fondé,  avec  quelques  baleiniers,  la 
colonie  actuelle.  En  1829,  il  y  avait  27  habitants  à  Tristan  da  Cunha,  80  en 
1873  et  97  en  1887.  Une  partie  de  l'île  est  fertile,  et  le  village  construit  par 
les  colons  a  été  appelé  Edimbourg. 

Pendant  la  guerre  de  sécession  le  Shenandoah  y  abandonna  40  prisonniers 
de  guerre  fédéraux.  En  1885,  plusieurs  habitants  se  noyèrent  en  tentant 
d'aborder  un  bâtiment  de  passage.  Un  navire  de  l'Amirauté  anglaise  visite 
l'île  tous  les  ans.  C'est  ainsi  qu'en  novembre  1897,  le  Widgeon  s'est  rendu  à 
Tristan  da  Cunha,  où  il  a  laissé  une  chaloupe  baleinière.  L'Ile  comptait  64 
habitants,  dont  16  adultes  hommes,  19  femmes,  15  garçons  et  12  filles. 

La  principale  ressource  est  constituée  par  le  bétail,  qui  y  a  beaucoup 
prospéré.  L'île  renferme  800  à  900  têtes  de  bétail  et  500  moutons,  dont  les 
habitants  cherchent  à  vendre  l'excédent  dans  les  États  voisins.  Par  suite  de 
la  multitude  des  oiseaux  de  mer,  le  guano  se  trouve  en  grande  quantité. 

Les  habitants  vivent  dans  de  bonnes  conditions  dit  la  Revue  scientifique; 
îl  ne  leur  manque  que  des  graines  potagères  ;  ils  demandent  particulièreraeni 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  621 

de  la  graine  de  chou,  de  chou-fleur  et  d'oignon.  La  propriété  est  commu- 
niste ;  la  terre  est  achetée  en  commun.  La  moralité  est  excellente,  Tivrognerie 
et  les  crimes  sont  inconnus. 

EUROPE  ET  DIVERS 

Allemagne  :  Émigration,  —  Uémigration  allemande  hors  d'Europe  a  subi, 
depuis  1871,  de  très  curieuses  fluctuations.  De  129.736  en  1872,  le  nombre 
des  émigranU  allemands  s'abaissa  ensuite  chaque  année  pour  n'être  plus  que 
de  22.903  en  1877  ;  mais  aussitôt,  il  y  eut  une  très  rapide  progression,  à  tel 
point  qu'on  comptait  220.798  émigrants  en  1881,  maximum  qui  n'a  jamais 
été  dépassé. 

Une  nouvelle  décroissance  continue  conduit  au  chiffre  de  83.218  en  1886, 
puis  le  nombre  varie  de  103.918  en  1888  à  120.089  en  1891.  Depuis  lors,  il 
y  a  eu  chaque  année  de  moins  en  moins  d'émigrants;  on  n'en  comptait  plus 
que  87.677  en  1893,  37.479  en  1895  et  33.824  en  1896. 

La  moyenne  des  5  dernières  années  (1891-95),  qui  est  de  81.279,  est  moitié 
moindre  de  la  moyenne  de  1881-85,  qui  était  de  174.3G8. 

La  répartition  des  émigrants  allemands  par  pays  de  destination  s'est  éga- 
lement modifiée.  Les  États-Unis,  qui  recevaient  en  moyenne  74.737  émigrants 
par  an  durant  la  période  1871-75,  en  recevaient  166.500  (ou  97  0/0)  pendant 
la  période  1881-85;  en  1896,  ils  en  ont  reçu  29.007.  Le  Canada,  qui  ne  re- 
cevait que  75  Allemands  par  an  pendant  la  période  1876-80,  en  a  reçu  2.256 
pendant  la  période  1891-95  et  634  en  1896.  Pour  le  Mexique  et  le,reste  de 
l'Amérique,  la  moyenne  depuis  27  ans  s'est  à  peu  près  maintenue,  avec  un 
maximum  de  3.742  pour  la  période  1886-90  et  un  minimum  de  2.345  pour  la 
période  1876-80. 

Grèce  :  Situation  économique  et  financière.  —  Depuis  la  conclusion  de  la 
paix  avec  la  Turquie,  la  Grèce  se  recueille  et  cherche  à  mettre  de  l'ordre 
dans  ses  aflaires  intérieures.  La  question  Cretoise,  que  des  faits  récents  ont 
rappelée  À  l'attention  générale,  ne  passionne  plus  la  Grèce  qui  attend,  non 
cependant  sans  quelque  impatience,  que  les  puissances  la  règlent  comme 
elles  l'ont  promis. 

Les  résultats  de  ces  bonnes  dispositions  se  manifestent  déjà.  Le  contrôle 
financier  international,  que  l'on  a  eu  quelque  peine  à  faire  admettre  et 
qui  fonctionne  officiellement  depuis  le  mois  de  mai  dernier,  est  maintenant 
considéré  par  tout  le  monde,  en  Grèce,  comme  un  bien,  et  l'une  des  causes 
du  relèvement  du  pays.  D'aucuns  même  regrettent  que  le  contrôle  interna- 
tional ait  son  action  limitée  au  service  desemprunts  extérieurs,  et  beaucoup 
de  bons  esprits  auraient  vu  favorablement  le  contrôle  international  gérer 
également  le  service  des  emprunts  intérieurs.  Le  change  qui,  il  y  a  un  an, 
dépassait  170,  se  trouve  actuellement  au-dessous  de  145  et  beaucoup  de  rai- 
sons permettent  de  penser  que  la  tendance  â  l'amélioration  persiste.  Les 
rentrées  des  revenus  affectés  au  service  des  emprunts  extérieurs  se  font  bien 
et  dans  des  proportions  supérieures  aux  prévisions.  Il  est  donc  possible  que. 


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622  REVUE  FRANÇAISE 

même  dès  la  première  aonée,  les  créanciers  touchent  une  petite  plus-value 
sur  le  montant  réduit  adopté  pour  les  emprunts  antérieurs. 

Enûn,  les  dépenses  générales  du  royaume  sont  couvertes  par  les  recettes, 
et  Ton  peut  dire  que,  dès  à  présent,  le  budget  est  en  équilibre.  Cette  silAïa- 
tion,  sur  laquelle  on  ne  comptait  que  dans  3  ou  4  ans,  est  due  exclusive- 
ment à  rhabileté  de  M.  Streit,  miniâtre  des  finances,  à  qui  Ton  doit  Cé- 
ment que  le  contrôle  international  a  pu  s'établir  dans  de  bonnes  conditions. 

Nous  ajouterons  que,  d'autre  part,  la  récolle  du  raisin  a  été  cette  année 
très  abondante  ;  Texportation  dépassera  sûrement  150.000  tonnes.  Il  est  vrai 
que  les  prix  sont  un  peu  faibles;  mais  la  vente  se  fait,  et  il  rentrera  en 
Grèce  beaucoup  d'argent.  De  plus,  les  impôts  correspondants  seront  perças 
dans  de  bonnes  conditions. 

En  admettant  que  les  Grecs  qui,  malheureusement  pour  eux,  ont  copié 
beaucoup  de  nos  défauts,  surtout  en  matière  d'administration  intérieure, 
conservent  l'allure  sage  que  leurs  amis  —  dont  nous  sommes  —  sont  heu- 
reux de  constater,  il  est  certain  que  le  moment  est  proche  où  Ton  pourra 
reprendre,  en  Grèce,  la  question  des  grands  travaux  publics  dont  l'exécution 
a  dû  être  suspendue,  depuis  quelques  années,  par  suite  d'une  mauvaise  ges- 
tion financière. 

De  concert  avec  l'Angleterre  et  la  Russie,  la  France  a  garanti  le  dernier 
emprunt  grec,  placé  à  un  taux  inespéré,  permettant  de  régler  à  la  Turquie 
le  montant  de  l'indemnité  de  guerre  et  de  couvrir  les  dettes  flottantes;  il  est 
donc  naturel  qu'en  France  on  suive  avec  intérêt  les  améliorations  se  produi- 
sant dans  la  situation  générale  de  la  Grèce,  et  il  faut  espérer  que  l'on  saura 
chez  nous  prendre  à  temps  sa  part  des  travaux  d'utilité  publique  dont 
l'exécution  s'impose  en  Grèce. 

Hollande  :  La  langue  française  délaissée,  —  Les  flamingants,  dont  l'in- 
fluence, se  fait  sentir  aussi  en  Hollande,  se  sont  mis  en  tête  de  proscrire  de 
la  langue  néerlandaise  tous  les  mots  français  ou  d'origine  française  :  Coif- 
feurs, tailleurs,  modes,  confections  qui  se  trouvent  sur  les  enseignes  des  bou- 
tiques, et,  ces  jours  derniers,  l'Académie  flamande,  effrayée  du  vocable 
automobUe,  proposait  d'y  substituer  un  mot  authentiquement  flamand  : 
Snelpaardelooszonderspoorwegpetroolrijtuig,  un  mot  d'une  telle  longueur, 
comme  on  voit,  et  qui  veut  dire  :  Voiture  à  pétrole  sans  chevaux  et  sans 
rail.  De  ces  manies,  il  est  facile  de  rire  ;  ce  qui  est  plus  grave,  c'est  le  pro- 
jet qui  vient  d'être  soumis  au  conseil  municipal  de  Rottei*dam,  au  nom  du 
collège  des  bourgmestre  et  échevins,  d'ouvrir  une  école  primaire  supé- 
rieure où  l'on  enseignera  comme  langues  étrangères  l'allemand  et  l'anglais  i 
l'exclusion  du  français. 

Jamais  pareille  chose  ne  s'était  vue  :  dans  toutes  les  écoles  primaires  supé- 
rieures, le  français  était  enseigné,  même  avant  l'allemand  et  l'anglais,  et  on 
y  consacrait  plus  de  temps.  Toutes  les  autorités  scolaires,  la  commission  de 
surveillance  de  l'instruction  primaire  et  une  grande  majorité  des  inspec- 
teurs d'arrondissement  et  du  district  ont  tous  déploré  cet  abandon  de  k 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONULES  ^3 

langue  française;  ils  auraient  consenti,  pour  la  maintenir,  à  réduire  le 
nombre  d'heures  qui  lui  est  accordé;  mais  la  chambre  de  commerce,  consul- 
tée, a  été  d'un  avis  contraire.  Estimant  qu'il  était  très  diflicile  à  des  enfants 
d'apprendre  trois  langues  étrangères,  elle  a  jugé  qu'il  valait  mieux  renoncer 
à  celle  dont  on  avait  le  moins  besoin  pour  le  commerce,  et  le  bourgmestre 
et  les  échevins  se  sont  rangés  à  cette  opinion  et  proposent  au  conseil  de  tenter 
l'expérience.  Si  on  s'y  résoud  et  si  la  tentative  réussit,  dans  la  nécessité  où 
l'on  est  d'alléger  les  programmes,  on  peut  dire  que  c'en  est  fait  de  l'ensei- 
gnement de  la  langue  française  dans  les  écoles  primaires.  Où  est  le  temps 
où  les  écoles  primaires  supérieures  s'appelaient  écoles  françaises  et  où  les 
enfants  appelaient  leur  instituteur  «  Monsieur  »?  Il  a  suffi  de  deux  généra- 
tions pour  changer  tout  cela.  Et  ce  qu'il  ne  faut  pas  oublier,  dit  le  Journal 
des  Débats,  c'est  que  cette  décadence  de  notre  langue  est  le  résultat  de  la 
diminution  de  notre  commerce.  On  fait  des  affaires  avec  l'Allemagne,  avec 
l'Angleterre  :  on  a  besoin  de  savoir  l'anglais  et  l'allemand  ;  on  ne  fait  plus 
d'affaires  avec  nous  :  on  se  passe  du  français.  Voilà  ce  qu'on  gagne  à  affecter 
le  parfait  dédain  de  l'étranger. 

Russie  :  Ouragans  de  poussière,  —  Le  sud  de  la  Russie  est  souvent  éprouvé 
par  des  ouragans  de  poussière,  appelés  chasse-poussière,  q^i  enlèvent  la 
couche  supérieure  du  sol.  En  avril  1893,  ces  calamités  ont  été  minutieuse- 
ment observées  par  M.  A.  Klossovsky,  professeur  à  l'Université  d'Odessa.  Les 
tourbillons  de  terre  se  sont  renouvelés,  par  poussées,  à  trois  reprises.  Ces 
poussées  prenaient  naissance  sur  le  littoral  de  la  mer  d'Azov  et  étaient  accom- 
pagnées de  vents  d'est  très  forts;  à  l'est  de  la  Russie,  le  baromètre  marquait 
de  hautes  pressions;  au  sud,  dans  les  parages  de  la  mer  Noire,  un  cyclone 
avançait  lentement.  Les  désastres  ont  surtout  été  signalés  chez  les  Cosaques 
du  Don,  dans  les  districts  nord  des  gouvernements  de  Tauride,  d'Iékatéri- 
noslav  et  dans  celui  de  Pultava.  Partout,  dit  la  Revue  Scientifique,  un  vent 
d'est  sec,  intense,  arrachait  le  sol  et  chassait  des  masses  de  sable  et  de  pous- 
sière; les  semailles  jaunies  étaient  coupées  à  la  racine;  bientôt  les  racines 
étaient  arrachées;  18  centimètres  de  soi  ont  été  ainsi  enlevés.  Le  district  de 
Berdiansk  (Tauride)  fut  un  des  plus  éprouvés  ;  500  kilomètres  carrés  de 
céréales  furent  détruits.  Mais  une  bande  de  terre  de  4  à  5  verstes,  le  long  de 
la  mer  d'Azov,  échappa  au  désastre.  Dans  certains  endroits,  les  terres  enlevées 
s'amoncelaient  sur  des  hauteurs  de  3  mètres  et  les  ravins  étaient  comblés. 

Plus  à  l'ouest  et  au  nord-ouest,  l'ouragan  fut  moins  intense  ;  il  se  traduisit 
seulement  en  légers  brouillards  formés  de  poussières  raréfiées,  se  perdant 
jusqu'à  Saint-Pétersbourg,  la  Finlande,  la  Suède  et  le  Danemark,  dans  les 
premiers  Jours  de  mai.  Ce  brouillard  de  poussière  ressemblait,  dit  M.  Po- 
proujenkO;  à  une  comète  dont  le  noyau  aurait  été  formé  des  ouragans  de 
poussière,  tandis  que  la  queue  aurait  représenté  les  masses  raréfiées.  Le 
brouillard  de  poussière  apparaît  surtout  à  l'est  de  l'horizon,  vers  7  h.  40'  du 
matin;  il  atteint  vers  1  ou  2  heures  de  l'après-midi  sa  plus  grande  intensité 
et  se  dissipe  vers  7  heures  du  soir.  Dans  le  pays  des  Cosaques  du  Don,  l'enlè- 


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624  REVUE  FRANÇAISE 

vemeat  de  la  terre  par  les  ouragans  s'effectuait  eu  bandes  îrrégulières,  ce 
qui  prouverait  Texistence  d'un  mouvement  tourbillonnaire.  On  a  constaté 
quatre  zones  de  brouillards  semblables  séparées  par  des  intervalles  d'atmos- 
phère sereine. 

Petites  nouvelles.  ~  VOfficiel  du  2  sept,  publie  un  décret  relatif  au  prix  de  h 
main-d'cBuvre  pénale  aux  coloûies  et  un  décret  concernant  Tapplication  du  code  pénal 
métropolitain  à  Madagascar  et  autres  colonies. 

—  Décret  du  17  sept.  {Officiel  du  22),  appliquant  à  V Algérie  les  dispositions  de  la 
loi  du  12  juil.  1898  étendant  les  pouvoirs  financiers  des  conseils  généraux. 

—  VOfficiel  du  12  août  publie  3  décrets  du  8  août  concernant  VJndo-Chine,  Le  1" 
modifie  le  conseil  supérieur  et  y  crée  une  commission  permanente.  Le  2«  supprime  la 
cour  d'appel  créée  à  Hanoï  le  13  jany.  1894  et  institue  une  cour  d'appel  d'Indo-Chioe 
ayant  2  chambres  à  Saigon  et  1  à  Hanoï.  Le  3*  crée  un  conseil  de  protectorat  près  du 
résident  à  Hanoï.  Un  4*  décret  (9  août),  crée  un  tribunal  de  commerce  à  Saïgon. 

—  Sont  nommés  gouverneurs  des  colonies  {Officiel^  13  sept.)  :  Guyane,  M.  Mouttet, 
gouv.  de  la  Cùte  d'Ivoire  ;  CtHe  d'Ivoire,  M.  Roberdeau. 

Mémoires  d'un  aide-mai  or  sous  le  premier  empire,  par  S.  Blaze. 
Flammarion,  éditeur.  —  Cet  ouvrage  est  certainement  un  des  plus  intéressants  de  la 
collection  des  a  Mémoires  militaires  ».  L'auteur  suivit  en  Espagne  les  premières  ar. 
mées  de  Napoléon.  Après  la  capitulation  de  Baylen  il  fut  fait  prisonnier  et  emmené  à 
Cadix,  où  if  fut  interné  sur  les  pontons.  Trois  années  après  il  parvint  é  s'échapper. 
Dans  le  récit  de  ses  aventures  S.  Blaze  montre  partout  sa  joyeuse  humeur,  son  esprit 
fertile  en  ressources,  lui  permettent  de  devenir,  pour  adoucir  sa  captivité,  ménétrier, 
marmiton,  professeur  d'italien....  qu'il  ne  savait  pas,  etc.  Les  pages  consacrées  à  son 
évasion  dramatique  des  pontons,  sont  saisissantes  et  en  même  temps  pleines  de  sim- 
plicité et  de  belle  humeur. 

M.  E.  GuÉNiN,  l'auteur  de  1'  «  Histoire  de  la  Colonisation  française  >,  vient  de  publier, 
dans  les  biographies  consacrées  aux  «  Hommes  d'action  »  par  le  Comité  Dupleix,  une 
très  remarquable  étude  sous  ce  titre  :  Monlcalmy  après  celle  consacrée  à  Cavelier  delà 
Salle.  L'ouvrage,  précédé  d'une  préface  de  l'explorateur  Bonvalot,  est  consacré  aux 
luttes  si  poignantes  à  la  suite  desquelles  la  suprématie  nous  a  été  enlevée  dans  l'Amé- 
rique du  Nord  par  l'Angleterre,  malgré  les  victoires  et  l'héroïsme  de  Montcalm  et 
Lévis.  Ce  volume  illustré  de  130  pages  est,  par  la  modicité  de  son  prix,  75  centimes, 
à  la  portée  de  tous  (Challamel  éditeur). 

M.  C.  Maorolle  vient  de  publier  chez  Challamel  une  intéressante  brochure  sur 
Les  peuples  et  les  langues  de  la  Chine  méridionale.  Le  sud  et  l'ouest  de  la  Chine  ren- 
ferment beaucoup  de  populations  autochtones  et  ce  sont  les  parlers  de  quelques-unes 
dont  traite  M.  Madrolie.  Une  carte  détaillée  de  l'île  d'Haïnan  et  de  Loui  Tcheou  accom- 
pagne ce  travail. 

La  question  des  limites  Ghilo-argentines,  par  M.  Dblachadx,  étude  sur 
le  tracé  de  la  frontière  dans  les  Andes,  aujourd'hui  encore  l'objet  d'une  vive  discos- 
sion.  A.  Colin,  éditeur. 


U  Gérant,  Edouard  MARBEAU. 

IMPRIMERIE  CBAIX.  RUE  BERQBRE,  20,  PARIS,  r-  20602-iH08.  ~  (iMrt  LwUInt). 


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LA  CHINE  EN  TRANSFORMATION 

ET  LES  PRÉTENTIONS  ANGLAISES 

M.  Archibald  R.  Colquhoun  était,  par  ses  voyages  et  ses  écrits  anté- 
rieurs teodant  à  relier  territorialement  Tlnde  à  la  Chine,  mieux  qualifié 
que  quiconque  pour  exposer,  au  point  de  vue  britannique,  la  situation 
actuelle  du  Céleste  Empire  et  la  compétition  des  puissances  européennes 
pour  les  zones  d'influence  en  Extrême-Orient;  c'est  ce  qu'il  vient  de 
faire  dans  un  ouvrage  ayant  pour  titre  :  China  in  transformation  (1). 

Nous  manquons  tout  à  fait  de  publications  françaises  dans  lesquelles 
ces  grandes  questions  asiatiques  d'une  si  haute  importance  soient  exposées 
d'une  manière  approfondie  et  mises  à  la  portée  du  public.  Nous  n'avons 
rien  de  semblable  à  Problème  of  the  Far  East  de  Curzon,  ou  bien  à  The 
Far  East  and  its  politics  de  Norman,  ouvrages  qui,  ayant  juste  précédé 
ou  suivi  la  guerre  sino-japonaise,  n'ont  pas  manqué,  par  la  notoriété 
de  leurs  auteurs,  d'attirer  l'attention  et  de  préparer  la  nation  anglaise 
à  calculer  ses  prétentions.  Ces  ouvrages,  toutefois,  peuvent  aussi  nous 
rendre  service,  et  de  même  China  in  transfoi^mation^  à  la  condition, 
cependant,  de  se  tenir  constamment  en  garde  contre  la  partialité  des 
auteurs. 

SOMMAIRE   DE   l'oUVRAGE  DE  M.    COLQUHOUN 

M.  Colquhoun  passe  en  revue  successivement  :  la  question  géogra- 
phique, —  l'historique  des  relations  extérieures,  —  la  question  écono- 
micpie,  —  les  voies  de  communications,  —  l'objectif  de  l'Angleterre  er 
Chine,  —  le  développement  commercial,  —  le  gouvernement  et  l'adm.- 
nistration,  —  la  situation  diplomatique,  —  la  presse  indigène,  —  le 
peuple  chinois,  —  la  démocratie  chinoise,  —  Hong-Kong,  —  la  ques- 
tion politique. 

M.  Colquhoun  est  le  champion  par  excellence  de  la  politique  de 
chemins  de  fer.  Selon  lui,  les  grandes  artères  à  construire,  les  trunk 
lines,  telles  que  celles  de  Pékin  à  Hankéou,  Canton  et  Hong-Kong,  de 
Pékin  à  Chin-Kiang,  Shanghaï  et  au-delà,  «  galvaniseraient  le  com- 
merce de  l'intérieur  »  (p.  94).  Comme,  au  moment  où  l'auteur  écrivait, 
la  politique  de  lord  Salisbury  dite  «  de  la  porte  ouverte  4,  n'était  pas 
encore  complètement  abandonnée,  M.  Colquhoun  désirait  que  ces  che- 

(1)  1  vol.  Harper  and  brothers,  Londres  et  New-York,  1898. 

XXIII  (NoTembre  98).  N*  239.  41 


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626  REVUE  FRANÇAISE 

mins  de  fer  restassent  le  monopole  de  TÉtat  (p.  99),  mais  à  la  condi- 
tion, doit-on  lire  entre  les  lignes,  qu'un  sir  Robert  Hart  soit  placé  à 
la  tète  de  cet  important  service,  comme  à  la  tété  de  celui  des  douaties, 
pour  l'accaparer  au  profit  de  TAngleterre. 

Cependant,  la  Russie  lui  parait  trop  méthodiquement  et  irrésistiblemeDt 
envahissante  pour  qu'il  soit  possible  de  lui  disputer  l'influence  dans  le 
nord.  Il  se  résigne  aussi  à  tenir  compte  de  la  présence  de  l'AUanagne 
au  Shan-tung  (1).  Mais  de  la  France  il  ne  semble  guère  se  préoccuper. 
«  L'Angleterre,  dit-U,  doit  occuper  effectivement  la  région  du  Yang-tzé 
et  la  Chine  méridionale,  si  elle  a  sérieusement  l'intention  de  prendre 
sa  part  d  (p.  140)  ;  elle  doit  agir  en  partant  de  trois  bases  :  Shang-haï, 
Hong-Kong  et  la  Birmanie  (2),  et  revendiquer  en  conséquence  le  droit 
de  construire  des  voies  ferrées  jusqu'au  Yangtzé  et  aussi  jusqu'au  Si- 
Kiang. 

LES   PRÉTENTIONS  BRITANNIQUES 

M.  Colquhoun  est  ainsi  en  quelque  sorte  plus  royaliste  que  le  roi.  Le 
gouvernement  britannique  paraît,  en  effet,  n'avoir  revendiqué,  lors  de 
la  concession  de  la  voie  Pékin-Han-Kéou  à  un  syndicat  franco-belge, 
que  la  vallée  du  Yang-tzé  comme  zone  d'influence;  il  abandonnerait 
peut-être  volontiers  à  la  France  les  trois  provinces  limitrophes  du  Ton- 
kin  et  même  le  Fo-Kien  pour  obtenir  d'elle  la  reconnaissance  de  cette 
zone  (3).  La  différence  entre  les  deux  opinions  n'est  cependant  pas 
tout  à  fait  aussi  considérable  qu'elle  paraît  tout  d'abord;  car,  en  pre- 
mier lieu,  une  partie  importante  du  Yunnan  et  la  ville  même  de  Yun- 
nan-fou  se  trouve  daus  la  vallée  du  Yang-tzé  et  serait  donc  réclamée  ; 
ensuile,  le  rayonnement  commercial  de  Hong-Kong,  snrtout  avec  l'ex- 
tension de  Kowloon  et  Mirs  bay,  est  tellement  prépondérant  que,  quelle 

(  I  )  L'Angleterre  s'est  cependant  taillé  une  certaine  zone  en  arrière  de  Wei-haî-wei, 
et  cela  malgré  les  assurances  qui  furent  spontanément  données  à  TAIlemagne  qu^a- 
cun  empiétement  ne  serait  fait  sur  sa  sphère  autour  de  Kiao-Tcbéou.  Y.  ci-dessoQs 
le  texte  du  traité. 

(2)  Ou  plus  exactement  le  Tenasserim;  car,  dit-il,  la  route  de  Bahmo  au  Yunnan  i 
des  difficultés  physiques  insurmontables  (p.  113);  celle  par  Kunlon-Ferrj  présente  de 
très  sérieux  obstacles  (p.  114)  ;  la  seule  voie  natureUe  passe  par  le  Siam  (p.  113).  Y.  à 
ce  sujet  :  Rtv.  Fr.,  août  189»^,  p.  155.  La  pénétration  anglaise  dans  la  Chine  du  sud: 
p.  160.  Le  Yunnan  et  la  convention  franco-anglaése  de  4896. 

(3)  A  plusieurs  reprises,  à  l'occasion  de  démarches  faites  aupi^  de  lui,  lord  Salis- 
bury  a  plutôt  découragé  qu'encouragé  les  projets  de  voies  ferrées  de  la  Birmaot 
vers  le  Yunnan,  comme  s'il  ne  voulait  pas  de  ce  côlé  empiéter  sur  la  zone  française. 


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I 


LA   CHINE   EN  TRANSFORMATION  621 

que  soit  la  puissance  installée  au  Kouang-toung,  il  panUt  impossible 
que  Canton  et  le  Si-kiang  inférieur  soient  entraînés  dans  une  autre 
orbite  que  celle  de  la  colonie  britannique. 

Même  limitée  à  la  vallée  du  Yang  tzé,  les  prétentions  anglaises  sont 
exorbitantes.  Il  est  difficile  de  les  évaluer  en  population  et  en  superficie 
parce  que  plusieurs  provinces  appartiennent  à  des  fleuves  différents; 
parce  que  le  Tche-Kiang  sera  probablement  englobé  à  cause  de  l'im- 
portance des  Chu-san  comme  station  navale;  parce  qu'enfin  le  bassin 
de  la  rivière  Hoaï  qui,  par  ses  nombreux  affluents,  draine  une  grande 
partie  du  Ho-nan  et  du  Anh-hoei,  provinces  surpeuplées,  et  dont  le 
cours  inférieur  s'égare  dans  des  lacs  à  écoulements  multiples  ou  incer- 
tains, peut  être  disputé  entre  le  Hoang-ho  et  le  Yang4zé.  On  peut  ce- 
pendant évaluer,  en  se  servant  des  chiffres  mêmes  de  M.  Colquhoun  à 
environ  220  millions  (1)  le  nombre  des  êtres  humains  qui  viendraient 
s'ajouter  à  celui  déjà  énorme  des  sujets  britanniques.  Et  si  l'on  trace 
sur  une  carte  de  l'ancien  monde  les  limites  du  bassin  du  Yang-tzé,  si 
on  les  relie  à  l'Inde  par  le  Thibet  dont  on  ne  parle  pas  aujourd'hui, 
mais  que  les  Anglais  revendiqueront  aussi  par  raison  de  mur  mitoyen, 
on  est  vraiment  effrayé  à  la  vue  de  la  monstrueuse  domination  qui 
prétend  s'étendre  de  Sbang-baï  au  Caire  comme  du  Caire  au  Cap  de 
Bonne-Espérance. 

Sur  quoi  donc  repose  la  prétention  -à  une  aussi  gigantesque  zone 
d'influence?  M.  Colquhoun  n'invoque  aucune  autre  raison  que  la  grande 
prépondérance  commerciale  actuelle  de  l'Angleterre;  de  ce  que  son 
pays  fait  aujourd'hui  plus  des  4/S  du  commerce  général  extérieur  de 
la  Chine,  il  conclut  à  l'accaparement  de  plus  de 'la  moitié  de  la  popula- 
tien  et  de  la  superficie  du  Céleste  Empire.  11  ne  songe  même  pas  à 
admettre  aucune  autre  raison,  si  ce  n'est  la  force  ;  il  se  résigne  seulement 
à  abandonner  la  Mandchourie  à  la  Russie,  quoique  le  commerce  russe 
soit  très  faible,  parce  que...  l'Angleterre  se  sent  impuissante  à  expulser 
sa  rivale. 

Notons  ici  l'évolution  qu'à  l'occasion  des  affaires  d'Extrême-Orient. 
l'Angleterre  tâche  de  faire  subir  à  l'idée  de  la  zone  d'infltwnce.  Le 
traité  de  Berlin  avait  donné  pour  base  à  ce  principe,  en  Afrique,  la 
possession  reconnue  d'un  littoral  en  arrière  duquel  la  puissance  occu- 

(1)  Sans  compter  le  bas  Si-Kiang,  ni  le  Thibet. 


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628  REVUE  FRANÇAISE 

pante  était  considérée  à  peu  près  comme  maitresse;  les  limites  étaient 
imprécises;  il  y  avait  cependant  un  point  de  départ  certain  :  la  main- 
mise sur  la  côte.  Et  dans  cet  état,  ce  principe,  un  de  ces  •  principes 
d'équité  et  de  droit  yi,  que  S  M.  Nicolas  II  voudrait  grouper  en  un 
puissant  faisceau;  a  pu  recevoir  son  application  ef  rendre  aux  nations 
européennes  l'immense  service  de  les  conduire  au  partage  de  F  Afrique 
sans  conflit  armé,  jusqu'à  ce  jour. 

En  Chine,  l'Angleterre,  profitant  de  ce  que  l'Europe  n'a  pas  encore 
essayé  de  prévoir  et  régler  les  rivalités  en  jeu,  invoque  comme  on 
droit  la  suprématie  de  son  négoce  et  s'adjuge  la  part  du  lion  en  chm* 
sissant  arbitrairement  les  morceaux.  Le  principe  de  la  zone  d'influence, 
pour  elle,  de  même  que  pour  M.  Colquhoun,  se  résumerait  désormais 
dans  le  brocard  suivant  :  la  domination  politique  suit  la  domination 
commerciale. 

Si  encore  l'Angleterre  étendait  la  zone  qu'elle  réclame  autour  des 
centres  où  sont  établis  ses  marchands,  elle  serait  conséquente  avec 
elle-même;  mais  il  n'en  e^t  rien.  M.  Colquhoun  remarque  avec  quelque 
amertume  que  les  négociants  britanniques  restent  groupés  dans  les 
villes  et  ports  ouverts  et  qu'il  n'y  en  a  même  pas  dans  toutes  les  loca- 
lités; ce  sont  les  Chinois  eux-mêmes,  seuls  capables  d'endurer  toutes 
les  formalités  des  /tfcm,  qui  font  à  leurs  frais  la  dispersion  des  mar- 
chandises. Cela  étant,  l'Angleterre,  en  vertu  du  principe  tel  qu'elle 
l'admet,  devrait  prétendre  aux  provinces  littorales  et  à  celles  du  bas 
Yang^tzé,  où  sont  situées  des  métropoles  commerciales  comme  Hong- 
Kong  et  Shang-haï  et  d'autres  points,  centres  importants  pour  l'accu- 
mulation de  ses  produits  et  de  ceux  de  la  Chine.  Elle  justifierait  ainsi, 
jusqu'à  un  certain  point,  des  viséas  sur  le  Kouang-toung,  le  Fo-kien,  le 
Tché-kiang,  leKiang-su,  l'An-huei,  le  Kiangsi,  le  Houpé.  Mais  elle  ne 
peut  pas  invoquer,  quant  à  présent,  son  commerce  pour  se  faire  attri- 
buer, dans  la  vallée  du  Yang-tzé  ,1e  Hou-nan,  le  Kouei-tcheou,  le  Szé- 
tchouen,  provinces  qui,  jusqu'à  ce  jour,  sont  restées  à  peu  près  impé- 
nétrables, soit  à  cause  de  l'hostilité  des  lettrés  et  mandarins,  soit  par 
suite  de  l'interposition  des  rapides  d'I-chang.  Elle  les  revendique  de  la 
manière  la  plus  arbitraire,  simplement  pour  avoir  des  réserves  d'avenir, 
le  Szé-tchouen  surtout  qui,  aux  yeux  de  M.  Colquhoun,  est  c  la  pro- 
vince-empire »,  bien  faite,  avec  ses  60  millions  d'habitants,  pour  cons- 
tituer «  l'objectif  commercial  et  politique  de  l'Angleterre.  » 


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LA   CHINE   E\  TRANSFORMATION  629 

NULLITÉ   DES   DROITS   SUR   LB  YANG-TZÉ.  TEXTE   DU   TRAITÉ. 

Il  est  vrai  que  TADgleterre  a  tenté  de  faire  reconnaître  par  Ja  Chine 
sa  zone  d'influence  de  la  vallée  du  Yang-tzé;  aussi  longtemps  que  le 
traité  est  resté  secret,  on  a  pu  croire  que,  sous  la  pression  britannique, 
le  Fils  du  Ciel  avait  pris  quelque  engagement  limitant  sa  souveraineté 
dans  cette  partie  de  son  empire,  ou  l'abandonnant  éventuellement  par 
la  concession  de  quelque  droit  de  préemption.  Un  tel  acte  eût  donné 
une  base  certaine  aux'  prétentions  anglaises  et  eût  été  opposable  aux 
nations  étrangères.  Mais  on  connaît  aujourd'hui  les  termes  de  ce  docu- 
ment; lord  Salisbury  a  été  amené  à  le  publier,  par  les  révélations  du 
Times  qui,  sur  les  questions  chinoises,  rivalise  d'informations  avec  le 
Foreign  Office  lui-môme,  et  se  montrait  rien  moins  que  satisfait  de  la 
politique  trop  effacée,  à  son  gré,  suivie  par  le  cabinet  britannique.  Ledit 
document  est  une  simple  lettre  du  Tsong-li-Yamen  à  sir  Claude  Mao- 
Donald,  ministre  à  Pékin,  ainsi  libellée  : 

«  Kuang-Hsti,  24«  année,  l"^  lune,  21«  jour  (H  février  1898).  —  Le 
Yamen  a  l'honneur  d'accuser  réception  au  ministre  britannique,  de  sa 
dépêche  du  9  février,  constatant  que  le  Yamen  avait  fait  plus  que  lui 
déclarer  que  le  gouvernement  chinois  a  bien  connaissance  de  la  grande 
importance  qui  a  toujours  été  attachée  par  la  Grande-Bretagne,  au  main- 
tien en  possession  chinoise  de  la  région  du  Yang-tzé,  aujourd'hui  en- 
tièrement sienne  (1),  parce  que  cet  état  de  choses  assure  le  libre  exer- 
cice et  le  développement  du  commerce.  Le  ministre  britannique  serait 
heureux  d'être  en  mesure  de  communiquer  au  gouvernement  de  Sa 
Majesté  l'assurance  ferme  que  la  Chine  n'aliénera  jamais  (aucun  terri- 
toire) dans  les  provinces  touchant  au  Yang-tzé  au  profit  d'une  autre 
puissance,  soit  à  titre  de  bail,  de  gage,  soit  sous  toute  autre  désignation. 
Le  Yamen  doit  considéi'er  que  la  région  du  Yang-tzé  a  la  plus  grande 
importance  pour  la  situation  générale  (ou  les  intérêts)  de  la  Chine^  et  il 
est  hors  de  question  qu'un  territoire  (dans  cette  région)  doive  être  donné 
en  gage^  à  bail  ou  cédé  à  ujie  autre  puissance.  Du  moment  que  le  gou- 
vernement de  Sa  Majesté  britannique  a  exprimé  son  intérêt  (ou  sa  solli~ 

(1)  11  y  a  ici  une  faute  grammaticale  conforme  au  texte  anglais  de  la  réponse  du 
Yamen  et  de  la  lettre  même  de  sir  Claude,  dans  laquelle  ker$,  sienne,  qui  vise  la 
Chine,  ne  peut  pas  régulièrement  se  rapporter  à  ehineêe  pouession  et  semble  appli- 
cable à  la  Grande-Bretagne.  Cette  faute  a  été  signalée  par  toute  la  presse  britannique* 


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^  630  REVUE  FRANÇAISE 

i-  citude),  il  est  du  devoir  du  Yamen  d'adresser  cette  note  au  ministre 

britannique  pour  communication  à  son  gouvernement  (1)  ». 

La  première  partie  de  ce  document  reproduit  les  termes  mômes  de  la 
lettre  de  sir  Claude  Hac-Donald;  seule,  la  troisième  phrase  que  nous 
I  avons  ici  mise  en  italique,  constitue  la  réponse  du  Yamen.  Or,  il  n'y 

I  a  là  aucun  engagement  ou  promesse;  le  Yamen  constate  un  fait,  l'im- 

^  portance  du  Yang-tzé,  et  en  déduit  qu'il  ne  voit  aucune  raison  pour  cé- 

-'.  der  quelque  parcelle  de  ce  bassin  fluvial.  Un  gouvernement,  aussi  long- 

I  temps  qu'il  se  considère  comme  dirigeant  une  nation  indépendante,  ne 

M  saurait  répondre  si  ce  n'est  sur  ce  ton  ironique  à  la  question  posée  par 

l'  sir  Claude  Mac*Donald.  Le  Times  du  5  août  formulait  la  même  appré- 

^  cialion  :  «  U  n'y  a  là,  disait-il,  rieude  plus  que  l'expression  académique 

p  d'une  opmUm  qui  n'engage  à  rien  le  gouvernement  chinois.  Celui-ci  pour- 

1'  rait  demain  changer  son  opinion  et  céder  la  moitié  de  la  vallée;  et  si 

^'  c'était  là  une  transaction  entre  particuliers  de  nature  à  être  portée  de- 

I  vaut  les  tribunaux  ordinaires,  la  Cour  nous  rirait  simplement  au  nez  si 

f]  nous  prétendions  baser  une  réclamation  sur  ce  simulacre  d'une  assu- 

rance. »  II  est  d'ailleurs  à  présumer  que  les  termes  du  soi-disant  traité 
obtenu  par  la  France  au  sujet  des  provinces  limitrophes  du  Tonkin,  ne 
sont  pas  plus  constitutifs  de  droit.  Aussi,  devons-nous  nous  garder  tout 
h  aussi  bien  de  considérer  notre  zone  d'influence  comme  reconnue  et 

^  limitée,  que  de  croire  intangible  la  vallée  du  Yàng-tzé  que  l'Angleterre 

s'adjuge  de  sa  seule  autorité. 

COMPARAISON  AVEC   LES  TRAITÉS  WBI-HAÏ-WKl  ET  DE  HONG-KO.XG 

i  Bien  autres  sont  les  termes  de  la  convention  du  1®''  juillet  1898,  en 

vertu  de  laquelle  l'Angleterre  a  obtenu  le  bail  de  Wei-haï-wei  : 

«  Afin  de  procurer  à  la  Grande-Bretagne  un  port  militaire  convenable 
^  dans  le  nord  de  la  Chine  et  lui  permettre  de  mieux  proléger  le  commerce 

britannique  dans  les  mers  voisines,  le  gouvernement  de  S.  M.  TEmpereur 
de  la  Chine  consent  à  donner  à  bail  à  S.  M.  la  Reine  de  Grande-Bretagne  et 
d'Irlande,  Wel-hal-wei,  dans  la  province  de  Shan-tung,  et  les  eaux  conligues 
pour  aussi  longtemps  que  Port-Arthur  restera  occupé  par  la  Russie. 
9  Le  territoire  donné  à  bail  comprendra  l'île  de  Ling-Kung  et  toutes  les 

(1)  Les  mots  entre  parenthèses  sont  ainsi  placés  dans  le  texte  anglais.  V.  ce  texte 
dans  le  Times^  édition  hebdomadaire,  29  joillet  1899,  p.  468,  oa  dans  le  livre  Ueo 
CAwia,  n»  «,  4898. 


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LA   CHINE   EN   TRANSFORMATION 


631 


autres  îîes  de  la  baie  de  Wei-haï-wei,  ainsi  qu'une  bande  de  territoire  large 
de  dix  milles  anglais,  tout  le  long  de  la  côte  de  la  baie.  Sur  ce  territoire,  la 
Grande-Bretagne  seule,  aura  droit  de  juridiction. 

»  La  Grande-Bretagne  aura,  en  outre,  le  droit  d'élever  des  fortifications, 
d^  placer  des  troupes  ou  de  prendre  toute  autre  mesure  dans  un  but  défensif 
à  tous  les  points,  sur  ou  près  la  côte  de  la  région  à  Test  du  méridien  120<>  40' 
S.  de  Greenwich,  et  d'acquérir,  moyennant  équitable  compensation,  sur  ce 
territoire,  tels  emplacements  qui  seraient  nécessaires  pour  l'alimention 
d'eau,  les  communications  ou  les  hôpitaux.  Dans  cette  zone,  l'administration 


f- 


TUnBh^'^y 


'ttritoin  à  lait  cnna       ^^ 
HtY.Fî.  ti$$ 


UoTckéjûu  jAlil 


WEl  HAI  WËI  :  Zone  d^inplubnce  anglaise. 

chinoise  subsistera;  mais  il  n'y  sera  pas  admis  d'autres  troupes  que  les  chi- 
noises ou  les  anglaises  ; 

»  Il  est  également  convenu  que  dans  la  cité  murée  de  Wei-haï-wei,  les 
fonctionnaires  chinois  continueront  d'exercer  leurs  mandats,  sauf  incompa- 
tibilité avec  les  nécessités  navales  ou  militaires  de  la  défense  du  territoire 
donné  à  bail. 

»  Il  est,  en  outre,  convenu  que  les  bâtiments  de  guerre  chinois,  dans  la 
situation  de  neutralité  ou  dans  une  autre,  conserveront  le  droit  de  faire  usage 
des  eaux  qui  sont  par  le  présent  acte  cédés  à  bail  à  TAngleterre. 


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632  REVUE  FRANÇAISE 

»  Il  est,  en  outre,  entendu  qu'il  n'y  aura  ni  expropriation,  ni  expulsion 
des  habitants  du  territoire  ici  spécifié  et  que  les  terrains  nécessaires  pour 
des  fortifications,  des  édifices  publics  ou  pour  tout  autre  usage  ofiiciel  ou  pu- 
blic, seront  achetés  à. un  prix  convenable... 

»  Signé  :  Claude  M.  Mac-Donald;  Prince  Ching,  membre  le  plus  âgé  du 
Tsung-li-Yamen  ;  Liao-Shou-Heng,  président  du  comité  des  punitions  s. 

La  Chine  a  pris  ici  des  engagements  précis;  hors  de  Wei-haï-Wei, 
l'Angleterre  possède  une  zone  d'influence  qui  englobe  la  moitié  de  la 
presqu'île  du  Shan-tung,  et  son  droit  est  incontestablement  opposable  à 
l'Allemagne  et  à  toute  autre  nation.  Le  rapprochement  avec  l'acte  coq- 
cernant  la  vallée  du  Yang-tzé  fait  bien  ressortir  l'inanité  de  ce  dernier. 
Le  texte  concernant  Wei-haï-Wei  n'a  pas  été  publié  par  le  gouverne- 
ment de  Londres,  mais  par  le  Times  (éd.  hebd.,  19  août  1898,  p.  515); 
il  n'était  peut-être  pas  fait,  au  gré  de  lord  Salisbury,  pour  être  com- 
muniqué au  public  dans  son  entier,  car  la  partie  qui  constitue  la  zone 
d'influence  jusqu'au  120^40' Gr.,  est  vraiment  en  contradiction  trop 
flagrante  avec  les  assurances  données  à  l'Allemagne  au  moment  même 
de  l'occupation. 

L'extension  de  Hong-Kong  et  Koowloon  sur  la  terre  ferme,  s'est  faite 
dans  des  conditions  analogues  précises  :  bail  de  99  ans,  usage  du  nou- 
veau terrain  et  des  eaux  de  Mirs-bay  à  toutes  Ans  militaires,  maintien 
de  la  juridiction  chinoise,  etc.  On  y  retrouve  aussi,  comme  à  Wei-haï- 
Wei,  une  clause  stipulant  que  la  Chine  conserve  le  droit  d'user  des  eaui 
maritimes  du  territoire  cédé  à  bail,  en  sorte  que  si  la  Chine  venait  à 
être  en  guerre  contre  mie  autre  nation,  ses  bâtiments  pourraient  venir 
se  réfugier  à  l'abri  des  canons  anglais  et  s'y  ravitailler  sans  engager  la 
responsabilité  de  l'Angleterre  restant  neutre  I 

LES   PRÉTENTIONS   ANGLAISES  ET  LE  DÉSARMEMENT  GÉNÉRAL 

Ne  serait-il  pas  permis  de  supposer  que  cette  prétention  de  l'Angle- 
terre à  décider  seule  de  la  part  qui  lui  revient  en  Chine,  en  n'admet- 
tant d'autre  droit  que  celui  résultant  des  chifi*res  commerciaux,  soit 
l'une  des  causes  qui  ont  amené  le  tsar  à  faire  rédiger  la  fameuse  cir- 
culaire sur  les  armements  excessifs  ou,  comme  on  dit,  sur  le  désarme- 
ment. On  ne  paraît  pas  avoir  remarqué  la  coïncidence  de  l'envoi  de 
ce  grand  document  avec  l'extrême  acuité  de  la  lutte  d'influence  à  Pékin 
à  propos  du  contrôle  russe  sur  la  ligne  ferrée  de  Pékin  à  Han-Kéoa 
concédée  à  un  syndicat  franco-belge. 


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LA   CHINE   EN   TRANSFORMATION 


633 


Les  forces  navales  anglaises  venaient  de  se  concentrer  à  Wei-haï-wei 
et  à  Han-Kéou,  prêtes  à  Taction  contre  la  Chine  ;  dès  lors,  pour  faire 
respecter  les  engagements  obtenus  du  Tsung-li-Yamen,  la  Russie  allait 
être  obligée  de  protéger  le  Fils  du  Ciel  contre  l'agression  britannique, 
et  c'était  la  guerre.  S.  M.  Nicolas  s'est  ainsi  trouvé  acculé  à  a  ce  cata- 
clysme môme  qu'on  tient  à  écarter  et  dont  les  horreurs  font  frémir  à 
l'avance  toute  pensée  humaine  ».  Déjà  sans  doute  acquis  à  la  «  grande 


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30- 


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P^RavJN.CC     PU     KOUANJ^  -  TQitNG   ^.^^^^^ 


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ConcessiûK  <fg  Kcwibun^liHùjnmn         Cùnuision  ^d^lï^^ 

Colonie  de  Hong-Kong. 

conception  de  la  paix  universelle  »,  il  s'est  soudain  résolu  à  convoquer 
les  nations  civilisées  en  assemblée  générale. 

Et  on  pourrait  ainsi  expliquer  comment,  le  12/24  août,  le  comte 
Mouraviev  remit  cette  communication  si  inattendue  aux  représentants 
étrangers  accrédités  à  S^-Pétersbourg,  sans  qu'aucun  gouvernement,  pas 
même  celui  de  la  France  alliée,  ait  été  pressenti  ;  car  les  événements 
pressaient.  Aussitôt  la  circulaire  publiée,  l'orage,  en  Extrême-Orient, 
s'est  dissipé.  La  Russie  paraît  avoir  fait  toutes  les  concessions  néces- 
saires ;  elle  a  déplacé  son  ministre  à  Pékin,  M.  Pavloff,  envoyé  en  Co- 


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rt^F 


634  REVUE  FRANÇAISE 

rée  :  elle  a  accepté  la  diminution  des  pouvoirs  de  Li-hung-chang  et, 
sans  doute,  renoncé  au  contrôle  de  la  ligne  de  Han-keou,  afin  de  témoi- 
gner de  son  réel  désir  de  concorde  et  de  paix,  niais  sans  doute  aussi  en 
attendant  que  la  conférence  projetée  ait  recherché  et  consacré  les  «  prin- 
cipes d'équité  et  de  droit  sur  lesquels  reposent  la  sécurité  des  États  et  le 
bien-être  des  peuples  »  et  qui,  en  ce  qui  concerne  la  Chine;^  permet- 
traient de  déterminer  des  zones  d'influence  plus  ou  moins  précises, 
mais  assez  nettes  pour  écarter  les  conflits  armés. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  raison  déterminante  du  rescrit  désormais  his-* 
torique,  il  semble  certain  que  la  question  chinoise  sera  examinée  par 
la  conférence,  comme  la  question  africaine  le  fut  naguère  à  Berlin.  La 
France  ne  devra-t-elle  invoquer  que  son  commerce  pour  faire  déter- 
miner la  zone  réservée  à  son  influence  ? 

ZONE  d'influence   FRANÇiUSB  A   REVENDIQUER 

Comme  M.  Colquhoun  le  remarque  «  ce  sont  surtout  des  mission- 
naires français  qui  donnèrent  à  la  Chine  les  premières  notions  sur  les 
pays  d'Occident  et  inversement  »  (p.  43).  Depuis  des  siècles,  la  France 
étend  sa  protection  sur  les  missions  catholiques,  quelle  que  soit  la  natio- 
nalité des  missionnaires;  elle  l'a  fait,  nonobstant  les  susceptibitités 
qu'elle  éveillait  par  là  contre  son  influence  pohtique,  parce  qu'elle  con- 
sidérait que  les  messagers  d'une  foi  chrétienne  étaient  en  même  tei;nps 
les  messagers  de  la  civilisation  occidentale.  M.  Curzon  a  lui-même  fait 
valoir,  dans  ses  Problems  of  the  Far  East,  les  inconvénients  résultant  de 
la  protection  des  missionnaires;  or,  sans  doute,  les  missions  catho- 
liques sont,  par  le  nombre  des  catéchistes,  aux  missions  protestantes, 
dans  la  proportion  inverse  du  commerce  français  aa  commerce  anglais 
en  Chine.  N'y  aura-t-il  pas  lieu  de  faire  valoir  auprès  de  la  conférence 
ces  services  rendus  à  la  civilisation,  afin  de  faire  étendre  la  zone  mi- 
nime que  l'Anglais  daignerait  nous  abandonner  ? 

D'autre  part,  la  France  n  a-t-elle  pas,  autant  que  l'Angleterre,  con- 
tribué à  ouvrir,  par  la  force,  le  Céleste-Empire  aux  nations  civilisées? 
Les  jours  sont  assurément  bien  loin  où  l'armée  franco-anglaise  occu- 
pait le  Petchili  et  marchait  sur  Pékin.  Mais,  en  est-il  moins  vrai  que 
la  France  a,  comme  l'Angleterre,  dépensé  son  or  et  versé  le  sang  de 
ses  soldats  pour  renverser  la  muraille  de  la  Chine  et  est-il  juste,  à  la 
face  du  mbnde,  que  notre  ancienne  alliée  soit  presque  seule  à  se  fé^ 


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LA    CHINE   EN   TOANSFORMATÏON  ,  638 

server  aujourd'hui  les  conséquences  profitables  de  ces  lointains  évène- 
inenls  1 

Il  y  aura,  en  outre,  bien  entendu,  à  faire  valoir  la  contiguïté  de  rfndo- 
Chine  et  des  provinces  méridionales  de  Tempire.  Le  Tonkin  ne  peut 
pas  s'accommoder  de  l'installation  d'un  pouvoir  fort  à  Haïnan  ou  dans 
la  péninsule  de  Lien-tcheou,  qui  gardent  l'accès  de  ses  côtes,  ni  sur 
les  hauts  plateaux  du  Yunnan  qui  dominent  au  N.-O.  le  delta.  Vers  le 
Kouang-si,  la  frontière  n'a  aucune  qualité  stratégique.  Elle  est  bien 
moins  encore  ethnographique;  car,  des  deux  côtés,  se  retrouvent  les 
mêmes  populations  thos  et  nouns,  différentes  à  la  fois  des  Chinois  et 
des  Annamites  et  qui  doivent  naturellement  tendre  à  se  grouper  sous  la 
même  domination.  Sur  les  sommets  escarpés  du  haut  Tonkin  vivent, 
en  outre,  d'impo»  tantes  tribus  mans  apparentées,  ditHDn,  aux  Lolos  et 
Miao-tzés,  débris  de  quelque  ancien  peuple  refoulé,,  qui  occupent  di- 
verses régions  montagneuses  du  Kouang-si,  du  Kouei-tcheou  et  même 
du  Sïé-tchouen.  La  France  est  le  seul  .pays  occidental  qui  ait  pris  le 
contact  des  débris  de  cette  race  ;  elle  peut,  de  ce  côté,  chercher  à  exer- 
cer une  action  très  utile  de  nature  à  lui  bénéficier. 

Donc,  par  la  môme  raison  qu'invoquera  l'Angleterre  pour  faire  placer 
le  Thibet  dans  sa  zone  d'influence,  notre  pays  peut  revendiquer  le 
Kouang-si,  le  Yunnan  (moins  les  parties  appartenant  aux  bassins  de 
llraouaddj  et  de  la  Salouen)  et  la  partie  S.-O.  du  Kouang-toung  (Haï- 
nan, Pakhoi,  Lien-tcheou  et  quelques-uns  des  petits  bassins  côtiers  à 
Test  de  la  presqu'île). 

Notre  diplomatie  a  jeté,  il  est  vrai,  son  dévolu  sur  le  Kouang-toung 
entier  ;  on  en  a  déjà  vu  l'inconvénient.  A  peine,  en  effet,  avions- nous 
obtenu  de  la  Chine  la  promesse  de  non-cession,  que  l'Angleterre  se 
faisait  céder  pour  99  ans  toute  la  presqu'île  entre  l'estuaire  du  Si- 
Kiang  et  Mirs  bay,  afin  de  protéger,  du  côté  de  la  terre  ferme,  Kow- 
loon  et  Hong-kong.  D'un  autre  côté,  une  demande  de  chemin  de  fer  de 
Hong-kong  à  Canton  a  été  obtenue  après  avoir  été  tout  d'abord  re- 
poussée. 

Voici,  au  surplus,  que  les  journaux  anglais  annoncent  la  concession, 
à  un  syndicat  américain,  probablement  anglais  en  sous-main,  d'une 
ligne  ferrée  de  Canton  à  Han-Keou.  Ce  serait  peut-être  une  faute  de 
protester,  alors  que  l'Angleterre  ne  désire  rien  tant  que  de  nous  mettre 
en  conflit  avec  les  États-Unis  ;  il  est  à  désirer  toutefois  que  le  tracé  en 


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636  REVUE  FRANÇAISE 

soit  fait,  non  par  le  N.-O.  à  travers  le  Hounan,  mais  par  le  N.-E.,  par 
le  Kiang-Si,  d'où  la  voie  pourrait  diverger,  d'un  côté,  vers  Han-keou, 
de  l'autre,  vers  Shang-haï.  Cela  montre  à  quelles  dangereuses  compé- 
titions nous  exposerait  la  revendication  du  Kouang-toung  entier,  quoi- 
qu'il ne  se  trouve  point  dans  la  vallée  du  Yang-tzé, 

De  môme,  devons-nous  abandonner  à  d'autres  le  Fo-Kien.  On  consi- 
dère en  Extrême-Orient  que  la  France  prend  pied  à  Fou-Tchéou  parce 
que  ce  sont  des  ingénieurs  français  qui  reconstruisent  l'arsenal  bom- 
bardé par  Courbet.  Il  est  à  souhaiter  que  ces  on-dit  soient  inexacts.  Cette 
région,  déjà  pénétrée  par  les  marcbaudises  anglaises,  doit  échoir  à  la  zone 
britannique;  ce  serait,  en  outre,  prendre  une  lourde  charge,  que  d'assu- 
mer la  défense  de  cet  énorme  front  de  mer  frangé  de  nombreuses 
rades,  baies  et  cachettes,  exposé  aux  attaques  de  n'importe  quel  ennemi 
extérieur. 

Il  semble  meilleur  d'avoir  des  vues  continentales.  Dès  lors,  en  vertu 
des  raisons  d'ordre  commercial,  civilisateur  et  militaire  exposées  ci-des- 
sus (1),  la  France  ne  peut  moins  réclamer  que  le  Kouei-tchéou  et  le 
Hounan.  La  première  province  est  aujourd'hui  sans  doute  la  plus  isolée 
des  18  de  la  Chine  propre;  nous  n'y  froisserons  aucun  droit  acquis.  La 
seconde  ne  s'est  ouverte  à  l'Europe  que  par  le  coup  de  force  de  la 
canonnière  française,  le  LiUin  qui,  en  1895,  a  pénétré  dans  le  lac  Tung- 
Ting  et  a  visité  Chang-Sha,  le  foyer  de  l'opposition  contre  les  barbares 
de  l'Occident  (2)  ;  cet  événement  émut  vivement  la  colonie  anglaise  de 
Shang-Haï  parce  que,  pensait-on,  la  France  ne  devait  pas  manquer 
d'invoquer  ce  fait,  au  jour  du  partage  de  la  Chine,  comme  un  titre  à 
la  possession  du  Hounan.  Cela  n'indique-t-il  pas  que  cette  colonie  bri- 
tannique avait  conscience  que  l'Angleterre  manquait  pour  cette  province 
de  tout  titre  opposable  au  nôtre? 

Quant  au  Szé-Tchouen,  il  doit  être  pour  la  France,  comme  pour  l'An- 
gleterre «  l'objectif  commercial  et  politique  ».  Mais  il  est  aussi  préma- 
turé de  l'attribuer  à  Tune  ou  l'autre,  qu'il  eût  été  prématuré,  lors  du 
traité  de  Berlia,  d'inclure  les  berges  du  Tchad  dans  l'une  des  zones 
d'influence  concurrentes. 


(1)  Le  YuoQan,  le  Kouang-si  et  Haïoan-Lientchéou  équilibrant,  dans  notre  zone,  le 
Thibet  mis  dans  la  zone  anglaise  pour  cause  de  mitoyenneté. 

(2)  Voir  Rev.  Fr.  déc.  1895,  p.  689  :  I^  Français  dans  la  Chine  centrale. 


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LA   CHINE   EN   TRANSFORMATION  637 

VOIES  FERRÉES  FRANÇAISES   DE  PÉNÉTRATION 

Cela  étant,  avec  le  Tonkin  comme  base  d^action,  trois  grandes  lignes 
ferrées  de  pénétration  apparaissent  comme  nécessaires  pour  «  galva- 
niser »,  suivant  l'expression  de  M.  Colquhoun,  les  provinces  chinoises 
qui  nous  intéressent  :  Tune  de  la  baie  d'Âlong  (HaYphong)  vers  le  Yun- 
nan  et  Cheng-tu  au  Szé-tchouen,  l'autre  vers  Chung-king  sur  le  Yang- 
tzé  au  travers  du  Kouei-tcheou,  la  troisième  qui,  partant  de  Pakhoi, 
toucherait  à  Tsien-kiang  au  confluent  du  Si-kiang  et  du  Yu-kiang,  pas- 
serait au  Hounan  par  le  coi  que  franchit  un  canal  et  se  dirigerait  par 
Chang-sha  vers  Han-Keou  (1). 

U  nous  semble  que,  de  la  sorte,  la  sphère  attribuable  à  l'Angleterre 
(Thibet  compris)  serait  encore  magnifique,  et  Hong-Kong  entraînant 
Canton  dans  son  orbite,  aurait  la  possibilité  de  communiquer  à  travers 
le  Kiang-si  par  une  zone  exclusivement  britannique  avec  Shang-baï, 
Han-keou  et  le  nord. 

Mais  c'est  un  trop  beau  rêve  de  supposer  l'Angleterre  capable  de  dimi- 
nuer, de  son  propre  mouvement,  ses  exorbitantes  prétentions.  Espérons, 
du  moins,  qu'à  la  conférence  convoquée  par  le  tsar,  ses  titres  seront 
examinés  avant  que  l'Europe  reconnaisse  la  vallée  du  Yang-tzé  comme 
sphère  britannique. 

Et  nous  souhaitons  ici  que  ceux  qui  liront  China  in  transformation 
ne  conservent  pas  l'impression  qu'il  existe  en  Chine  une  zone  d'influence 
anglaise  intangible.  L'Angleterre  convoite  la  vallée  du  Yang-tzé;  mais 
rien  jusqu'à  ce  jour,  ni  traité  international,  ni  engagement  de  la  Chine, 
n'est  venu  consacrer  son  ambition. 

A.  Salaignac. 

(1)  La  ligne  de  Hanoï  à  Lang-tcbéou  prolongée  par  Nan-ning-fou  jusqu'à  Tsien  Kian 
servirait  de  raccord. 


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SAMORY. 

Notre  vieil  et  insaisissable  ennemi  au  Soudan,  Talmamy  Samory, 
vient  de  tomber  entre  nos  mains.  Un  télégramme  de  St-Louis,  12  oc- 
tobre, fait  connaître  qu'il  a  été  capturé  par  ie  capitaine  Gouraud  avec 
toute  sa  famille,  ses  chefs  de  bande,  ses  sofas.  Le  lieutenant  Jacquin 
s'est  emparé  lui-même  de  Samory  à  la  course.  Il  a  en  outre  élé  pris 
400  fusils,  90  caisses  de  cartouches  et  un  canon. 

Depuis  la  prise  de  Sikasso  par  le  colonel  Andéoud,  Samory  se  sentait 
menacé.  Il  avait  abandonné  la  région  de  Kong  et  avait  pris  avec  toutes 
ses  bandes  et  les  populations  qu'elles  entraînaient  la  direction  de  la 
rivière  Cavally,  Dans  cette  marche  v^rs  la  frontière  du  Libéria,  il  avait 
été  assez  mal  accueilli  par  lés  indigènes  qui  appréhendaient  les  actes  de 
pillage  et  de  massacre  auxquels  se  livraient  ses  bandes  dévastatrices. 
Celles-ci  venaient  d'ailleurs  de  subir  un  grave  échec  à  Nzô  (9  sept) 
sur  le  haut  Cavally,  où  le  lieutenant  Wœlffel  avait  capturé  une  colonne 
de  sofas  et  rendu  à  la  liberté  des  milliers  d'habitants  traînés  à  sa  suite. 
Afin  de  diminuer  entièrement  le  prestige,  gravement  atteint,  de 
Samory,  le  colonel  Audéoud,  lieutenant-gouverneur  du  Soudan  avait 
organisé  sous  la  direction  du  commandant  de  Lartigue  des  colonnes 
volantes  chargées  d'exécuter  des  raids  contre  Samory  et  ses  sofas.  C'est 
dans  un  de  ces  raids  que  le  capitaine  Gouraud  est  tombé  à  Timproviste 
sur  le  campement  de  Talgiamy  et  à  enlevé  celui-ci  avec  toute  sa 
smalah.  Ce  brillant  fait  d'armes,  qui  fait  le  plus  grand  honneur  à  nos 
troupes  d'Afrique,  met  fin  aux  opérations  dans  toute  la  région  du 
Soudan  méridional. 

Le  vainqueur  de  Samory,  est  le  fils  d'un  médecin  de  Thôpif^il  Tenon 
à  Paris.  Né  le'  17  novembre  1867,  Henri  Gouraud  sortit  de  St-Cyr,  en 
1890,  sous-lieutenant  au  21*  bataillon  de  chasseurs.  Envoyé  au  Soudan 
en  mars  1894,  il  commanda  le  cercle  de  Bougouni.  Détaché  à  Tom- 
bouctou,  il  fut  cité  à  Tordre  du  jour  (août  1893)  pour  avoir  défait  une 
bande  de  Touaregs.  Rentré  en  France  après  3  années  d'Afrique,  il  fit 
sur  le  Soudan  ses  ressources,  son  avenir,  des  conférences  fort  remar- 
quées. Promu  capitaine  (10  nov.  1897)  il  revint  au  Soudan,  prit  part 
aux  opérations  sur  la  Voila  et  reçut  2  blessures  à  Bangasso  (ISjanv. 
1898).  H  participa  ensuite  à  la  délivrance  du  détachement  assiégé  à 


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SAMORY  639 

KoDg,  puis  fut  chargé  du  commandement  d'une  colonne  contre 
Samory. 

Le  lieutenant  Jacquin,  né  à  Vassy  (HP^-Marne)  est  âgé  de  27  ans.  Il 
est  le  plus  jeune  de  trois  frères  tous  trois  officiers  d'artillerie  de  marine. 
U  se  trouvait  dans  la  région  de  Tombouctou  lorsqu'il  fut  appelé  à 
prendre  part  aux  opérations  contre  Samory. 

Le  commandant  de  Lartigue  a  été  fait  officier  de  la  Légion  d'hon- 
neur, les  capitaines  Gouraud  et  Gaden  chevaliers,  à  la  suite  de  ce  bril- 
lant faitd*armes. 

Un  autre  décret  nomme  chevaliers  le  lieutenant  Jacquin,  ainsi  que  le 
lieutenant  Wœlffel,  qui  ât  si  audacieusement  mettre  bas  les  armes  à 
plusieurs  milliers  de  sofas. 

Durant  la  lutte  qu'il  soutint  d'une  façon  intermittente  pendant  plus 
de  15  années  contre  nos  armes,  Samory  reçut  à  trois  reprises  la  visite 
de  Français  envoyés  près  de  lui  en  négociateurs.  En  1887,  le  capitaine 
Péroz  se  rendit  à  Bissandougou,  sa  capitale  d'alors  et,  après  de  nom- 
breux pourparlers,  l'amena  à  signer  un  traité  de  protectorat  qui  ne 
reçut  pas  d'exécution.  L'année  suivante  le  capitaine  Binger  lui  rendit 
visite  à  son  camp,  pendant  les  opérations  qu'il  dirigeait  contre  le 
fama  Tiéba  devant  Sikasso.  Enfin,  en  1897,  M.  Nebout,  administra- 
teur à  la  Côte  d'Ivoire  se  rendit  auprès  de  lui  en  vue  d'entamer  des 
négociations  qui  n  aboutirent  pas  (1).  Voici  le  portrait  que  trace  de 
Samory  le  capitaine  Binger  : 

«  L'almamy  est  un  grand  bel  homme  d'une  cinquantaine  d'années  ; 
ses  traits  sont  un  peu  durs,  et  contrairement  aux  hommes  de  sa  race, 
il  a  le  nez  long  et*  aminci,  ce  qui  donne  une  impression  de  finesse  à 
l'ensemble  de  sa  physionomie;  ses  yeux  sont  très  mobiles;  mais  il  ne 
regarde  pas  souvent  en  face  son  interlocuteur. 

Son  extérieur  m'a  paru  plutôt  affable  que  dur  ;  très  attentif  quand 
on  lui  fait  un  compliment,  il  sait  être  distrait  et  indifférent  quand  il 
ne  veut  pas  répondre  catégoriquement  à  une  question.  Il  parle  avec 
beaucoup  de  volubilité,  et  je  le  crois  capable  d'avoir  la  parole  chaude  et 
persuasive  quand  l'occasion  s'en  présente. 

Assis  dans  un  hamac  en  coton  rayé  bleu  et  blanc,  que  son  fils 
Kararaoko  lui  a  rapporté  de  Paris,  il  tient  dans  ses  mains  un  gros 

(1)  Vpir  la  relation  de  cette  mission,  Rev.  Fr.  janv.  1S9S. 


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640  REVUE  FRANÇAISE 

morceau  de  bois  tendre  avec  lequel  il  se  nettoie  les  dents.  Il  est  vèiu 
d'un  grand  doroké  en  florence  mauve,  de  qualité  inférieure,  et  porte 
une  culotte  indigène  en  cotonnade  rayée  noir  et  rouge,  de  fabri- 
cation européenne.  Ses  jambes,  d'un  brun  chocolat  plus  clair  que  la 
figure,  sont  enduites  de  beurre  de  ce.  Il  est  chaussé  de  babouches  indi- 
gènes en  cuir  rouge. 

Sa  coiffure  consiste  en  une  chéchia  rouge  de  tirailleur  autour  de 
aquelle  est  enroulé  un  mince  turban  qui  lui  passe  sur  la  bouche  el 
encadre  sa  figure  noire.  Sur  les  épaules,  il  porte  négligemment  un 
haik  de  bas  prix. 

A  ses  pieds  sont  assis  un  vieux  kosiki  qui  ne  le  quitte  jamais,  deux 
marabouts,  quelques  griots  et  les  quatre  captifs  préposés  au  hamac,  à 
la  chaise,  au  plat  de  campement  dans  lequel  il  se  lavé  les  mains  et  à 
la  bouillotte  qui  contient  de  Teau  pour  se  rincer  de  temps  en  temps  la 
bouche.  Ces  objets  le  quittent  rarement  :  partout  où  il  va,  cet  attirail 
le  suit.  Un  des  griots  porte  un  parapluie  rouge  et  l'autre  une  canne- 
fusil  détraquée.  » 

Samory  est  d'une  origine  très  humble.  C'est  par  son  courage,  son 
intelligence  et  son  opiniâtreté  qu'il  s'est  fait  lui-même.  S'il  faut  en 
croire  les  récits  indigènes,  voici  comment  Talmamy  est  arrivé  à  la  haute 
situation  qui  lui  a  permis  d'être,  pendant  plus  de  23  ans,  un  chef  puissant 
et  redouté. 

Vers  4860,  étaient  établis  à  Sanankoro,  dans  le  Ouassoulou,  un 
dioula  (marchaud)  et  sa  femme,  dont  le  fils  aîné,  Samory,  âgé  d'environ 
i8  ans,  faisait  vivre  ses  parents  du  fruit  de  son  travail,  en  colportant 
des  marchandises  sur  les  marchés  du  pays.  Un  jour,  au  retour  d'un 
de  ses  voyages,  Samory  ne  retrouva  plus  sa  mère  Sokhona:  elle  avait 
été  prise  et  emmenée  en  captivité  par  des  pillards.  Samory  avait  pour  sa 
mère  un  véritable  culte,  et  sa  douleur  fut  des  plus  vives;  mais,  homme 
d'énergie  et  de  volonté,  il  jura  de  la  retrouver  à  tout  prix  et  de  la  déU- 
vrer.  Jetant  alors  son  fusil  sur  son  épaule,  il  commença  aussitôt  ses 
recherches.  II  apprit  bientôt  que  la  razzia  qui  avait  enlevé  sa  mère  était 
l'œuvre  d'un  marabout  en  renom,  Sori-Ibrahima,  roi  du  Gankounaet 
du  Torokoto,  dont  la  capitale.  Médina,  se  trouvait  à  7  jours  de  marche 
de  Sanankoro. 

Lorsqu'après  une  marche  fatigante,  Samory,  mourant  de  faim,  les 
traits  amaigris,  les  vêtements  en  loques,  se  présenta  devant  Ibrabima 


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SAMORY  644 

pour  lui  demander  la  liberté  de  sa  mère  en  échange  de  la  sienne,  le 
marabout  le  considéra  avec  ^surprise.  Il  ne  pensait  pas  pouvoir  tirer 
grand  parti  de  ce  jeune  homme,  tandis  que  Sokhona,  vigoureuse  et 
forte,  pouvait  lui  rendre  de  grands  services.  Aussi  refusa-t-il,  malgré 
les  supplications  de  Samory.  11  dit  cependant  ironiquement  à  ce  dernier 
que,  s'U  voulait  racheter  sa  mère  par  son  travail,  il  pouvait  rester  près 
de  lui,  et  que,  quand  il  jugerait  ses  services  suffisants,  il  leur  rendrait 
la  liberté  à  tous  deux,  mais  qu'il  craignait  bien  qu'il  ne  succombât  à 
la  tâche  et  lui  conseilla  plutôt  de  se  retirer.  Samory  n'eut  garde  de 
laisser  échapper  cette  espérance  et  resta  en  demandant  à  servir  comme 
soldat. 

Dès  le  lendemain,  Ibrahima  ordonna  une  expédition  contre  une  ville 
forte  qui  avait  déjà  repoussé  plusieurs  fois  ses  attaques.  Samory  en  fit 
partie.  Arrivé  au  pied  des  remparts  avec  l'armée  assaillante,  il  se  pré- 
cipita aussitôt  sur  la  muraille  et  l'escalada  au  milieu  d'une  grêle  de 
balles.  Ses  compagnons,  entraînés  par  son  exemple,  s'élancèrent  sur  ses 
traces  et  arrivèrent  près  de  lui  au  moment  où  il  allait  succomber  sous 
le  nombre.  La  ville  fut  emportée.  Suivant  les  usages  du  pays,  un  tiers 
du  butin  revenait  à  Samory,  bien  plus  qu'il  ne  lui  en  fallait  pour 
racheter  sa  mère.  Mais  Ibrahima,  tout  en  le  félicitant,  lui  déclara  qu'il 
était  seul  juge  de  la  valeur  des  services  rendus,  et  le  garda  pendant 
7  ans,  7  mois  et  7  jours. 

Enfin,  il  lui  <rendit  la  liberté,  ainsi  qu'à  sa  mère.  11  aurait  bien  voulu 
garder  à  son  service  un  guerrier  qui  avait  acquis  une  aussi  grande 
renommée  que  Samory,  et  lui  offrit,  dans  ce  but,  le  commandement 
en  chef  de  son  armée.  Mais  Samory  refusa.  Bien  plus,  abandonnant 
tous  les  présents  qu'il  avait  reçus  à  Médina,  il  reprit  les  vêtements  en 
loques  qu'il  avait  7  ans  auparavant,  ainsi  que  son  mauvais  fusil,  et 
regagna,  aussi  pauvre  qu'à  son  arrivée,  l'humble  demeure  paternelle. 

Mais  sa  réputation  s'était  étendue  au  loin.  Le  roi  du  Toron,  Bitiké, 
lui  offrit  le  commandement  de  ses  troupes  qu'il  accepta.  Bientôt  devenu 
tout  puissant,  il  soumit  Bitiké  à  toutes  ses  volontés.  C'est  alors  qu'il 
forma  le  projet  de  se  constituer  un  vaste  empire.  Le  roi  du  Kounadou- 
gou  fut  sa  première  victime.  Vaincu  et  tué  à  Bissandougou,  sa  capitale, 
son  royaume  tomba  au  pouvoir  de  Samory.  Cette  victoire  eut  un  reten- 
tissement considérable,  et  l'armée  de  Samory  se  grossit  peu  à  peu  des 
meilleurs  sofas  venant  des  royaumes  voisins.  Dès  lors,  rien  ne  résista 
xxiu  (Norembre  98).  N"  239.  42 


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642  REVUE  FRANÇAISE 

au  jeune  et  heureux  chef  qui  soumit  le  Ouassoulou  divisé,  porta  ses 
annes  sur  la  rive  gauche  du  Niger,  s'empara  de  Kankan,  après  un  siège 
de  10  mois  (1873)  et,  après  une  lutte  de  3  jours,  battit  et  fît  prisonnier 
son  ancien  maître  Ibrahima  (1874).  C'est  à  ce  moment  qu'il  prit  le  titre 
d'almamy.  Ses  états  confinaient  alors  à  ceux  du  sultan  xVhmadou  de 
Ségou,  du  roi  bambara  Tiéba,  au  nord;  à  Sierra-Leone  et  au  Fouta- 
Djalon,  au  sud. 

Ce  fut  en  1882  que  les  troupes  du  colonel  Borgnies-Desbordes  prirent 
contact  avec  Samory  qui  assiégeait  Kéniéra.  Cette  ville  avait  demandé 
notre  protection;  mais,  quand  nos  troupes  arrivèrent,  la  ville  était  en 
ruines  et  Samory  avait  disparu.  Ce  dernier  passa,  en  1883,  sur  la  rive 
gauche  du  Niger,  et  alors  commença  une*  lutte  qui  devait  durer  plus  de 
15  années,  mais  avec  maintes  interruptions.  Les  brillantes  campagnes 
des  colonels  Archinard,  Humbert,  Combes,  Monteil,  etc.,  ont  été  relatées 
dans  la  Revue  Française,  ainsi  que  divers  épisodes,  comme  la  défense 
héroïque  de  Niafadié  (juin  188S),  où,  pendant  10  jours,  un  centaine  de 
tirailleurs  commandés  parles  capitaines  Louvel  et  Dargelos,  abrités  par 
une  faible  muraille  en  pisé,  n'ayant  que  peu  de  vivres  et  pas  d'eau, 
repoussèrent  les  plus  furieux  assauts  de  10.000  hommes  des  meilleures 
troupes  de  Samory. 

La  campagne  de  188o,  dirigée  par  le  commandant  Combes,  est  la 
première  où  Samory  ait  éprouvé  l'effet  de  nos  armes.  Battu,  mais  non 
chassé  de  la  rive  gauche  du  Niger,  il  ne  fut  rejeté  que  l'année  suivante, 
sur  la  rive  droite,  par  le  colonel  Frey.  En  1887,  le  capitaine  Péroz 
signe  le  traité  de  Bissandougou,  (jui  nous  reconnaît  la  rive  gauche  du 
haut  Niger  et  place  les  états  de  Samory  sous  le  protectorat  français. 

Pendant  4  années  un  calme  relatif  règne  sur  la  frontière  des  posses- 
sions de  Samory.  Mais  en  1891  les  hostilités  reprennent  et  le  colonel 
Archinard  s'empare  de  Kankan.  En  1892,  la  campagne  est  dirigée  par 
le  colonel  Humbert  qui  s'empare  de  Bissandougou  et  de  Sanankoro. 
Enfin,  en  1893.  le  colonel  Combes,  dans  un  raid  resté  célèbre  parmi  les 
noirs,  bouscule  les  sofas  de  Samory,  détruit  ses  postes  et  désorganise 
complètement  les  forces  de  l'almamy.  Depuis  lors,  une  pénétration 
méthodique  refoule  Samory  vers  l'est  et  coupe  ses  communications  avec 
Sierra-Leone  par  où  les  Anglais  lui  envoyaient  des  armes  et  des  muni- 
tions. Samory,  qui  est  devenu  un  chef  nomade,  se  rejette  alors  sur  Kong, 
Bondoukou  et  Thinterland  de  la  Côte  d'Ivoire.  Une  expédition  partie 


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SAMORY  643 

de  cette  dernière  coionie  ne  donne  aucun  résultat,  le  colonel  Monteil, 
qui  la  dirigeait,  ayant  été  rappdé,  malgré  ses  succès,  au  milieu  de  ses 
opérations.  Samory  se  heurte  alors  à  nos  troupes  venant  du  nord,  ainsi 
qu'aux  Anglais  venant  de  la  Côte  d'Or  et  détruit  un  de  leurs  détache- 
ments à  Oua  (1897).  Le  massacre,  par  son  fils  Sara  TiéniMori,  du  capi- 
taine^Braulot  et  du  lieutenant  Bunas,  attirés  dans  un  guet-apens  à  Bouna 
(août  1897),  n'a  pas  peu  contribué  à  amener  la  reprise  d'une  campagne 
qui  vient  de  se  terminer  si  brillamment  pour  nos  armes. 

La  disparition  de  Samory  fera  pousser  un  immense  soupir  de  soula- 
gement aux  population  du  Soudan  méridional  dont  il  était  l'oppresseur 
et  le  bourreau.  Ne  vivant  que  par  laguerre,  Samory  était  contraint,  pour 
entretenir  ses  20.000  sofas,  de  piller  les  pays  qu'il  traversait,  détruisant 
les  villes  qui  lui  résistaient,  emmenant  les  habitants  en  captivité  et  les 
vendant  comme  esclaves,  On  estime  à  100.000  individus  par  année  le 
nombre  des  victimes  de  ses  redoutables  incursions.  Aussi,  les  territoires 
compris  entre  le  haut  Niger  et  le  Comoé,  jadis  riches  et  fertiles,  ne 
présentent-ils  plus  guère  que  l'image  de  la  désolation  et  de  la  mort 
Véritable  forban,  Samory  a  dépeuplé  et  ruiné  cette  partie  de  l'Afrique 
pour  plus  d'un  quart  de  siècle. 

Au  point  de  vue  français,  la  boucle  du  Niger  est  délivrée  de  celui  qui 
fut  son  plus  redoutable  adversaire  et  peut  être  considérée,  sauf  sur 
quelques  points  sans  importance,  comme  entièrement  pacifiée.  D'autre 
part,  la  délimitation  des  territoires  respectifs  de  chaque  nation  euro- 
péennes dans  l'Afrique  occidentale,  est  aujourd'hui  achevée.  Les  grandes 
opérations  militaires  terminées  et  les  contestations  territoriales  réglées, 
une  ère  nouvelle  s'ouvre  pour  cette  partie  de  l'Afrique.  Désormais  il 
sera  possible  de  réduire  sensiblement  les  dépenses  militaires  de  notre 
vaste  colonie  soudanaise,  d'y  créer  des  voies  de  communication,  et  de 
procéder  à  sa  mise  en  valeur,  trop  longtemps  retardée  par  la  marche 
des  événements.  Peu  propre  à  la  culture  des  fondionnaires  civils,  le 
Soudan,  sous  une  main  ferme  et  intelligente,  comme  celle  qui  com- 
mande à  Madagascar,  peut  marcher  sûrement  dans  la  voie  du  relève-^ 
ment  et  du  progrès. 

G.  Vasco* 


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A  PROPOS  D'OMDURMAN  ET  DE  FASCHODA 

Une  comparaison,  —  Voilà  longtemps  qu'on  nous  rabaisse  et  que 
nous  nous  rabaissons  nous-mêmes  au  bénéfice  des  Anglo-Saxons.  Puis- 
qu'ils viennent  de  remporter  une  victoire,  comparons-la  à  celle  des 
Pyramides.  En  1798,  les  carrés  français  étaient  noyés  au  milieu  delà 
vaillante  cavalerie  mameluke.  On  se  battait  de  près,  les  armes  se  res- 
semblaient. Les  bonnes  dispositions  de  Bonaparte,  la  discipline  et  la 
valeur  de  ses  soldats  décidèrent  de  la  bataille. 

Ces  braves  soldats  sont  coupés  de  toute  communication  avec  la 
mère  patrie  et  ne  s'en  émeuvent  pas.  En  deux  ans  ils  font  la  conquête 
de  rÉgypte,  battant  les  Turcs  au  Mont-Thabor,  à  Aboukir,  à  Héliopolis. 
Leur  chef  les  quitte,  Kléber  est  assassiné  et  leur  moral  reste  excellent. 
Lorsque  le  commandement  tomba  en  des  mains  incapables,  ces  braves, 
qui  regrettaient  la  France  et  ne  désiraient  pas  rester  dans  un  pays  dont 
ils  n'abusaient  pas,  se  laissèrent  rapatrier  par  les  navires  anglais. 

Les  vaincus  ne  gardèrent  pas  mauvais  souvenir  de  ces  ccNiquéraDts 
au  caractère  gai,  sociable  et  désintéressé;  plusieurs  les  suivirent; 
Napoléon  eut  des  Mamelucks  dans  sa  garde.  Lorsque  les  grandes  guerres 
furent  terminées,  les  Français  furent  rappelés  ^en  Egypte  par  ceux  qui 
en  devinrent  les  maîtres.  On  leur  fit  cet  honneur  de  ne  pas  craindre 
leur  influence  ;  on  savait  qii'ayant  occupé  tant  de  lieux  divers,  sans 
profit  personnel,  ils  ne  cherchaient  pas  à  reprendre  ce  que  la  fortune 
des  armes  leur  avait  enlevé  après  le  leur  avoir  donné. 

Les  Anglais  ont  patiemment  attendu  que  la  puissance  du  Mahdi 
commençât  à  décliner,  puis  ils  ont  mis  trois  ans  pour  l'atteindre.  Un 
chemin  de  fer  se  construisait  en  même  temps  qu'ils  avançaient. 

C'est  certainement  une  nouveauté  intéressante  que  cette  armée  pé- 
nétrant en  pleine  barbarie  et  recevant  chaque  matin  le  Times  avec  un 
retard  d'une  quinzaine  seulement.  Mais  le  fait  devrait  aussi  montrer 
les  facilités  singulières  qu'ont  rencontré  les  Anglais  dans  la  création 
de  leur  empire  colonial.  Outre  qu'ils  n'ont  pas  eu  de  concurrent  jus- 
qu'à ces  derniers  temps,  le  développement  de  cet  empire  a  coïncidé 
avec  un  merveilleux  progrès  des  sciences  appliquées. 

Cette  réflexion  nous  rendra  peut-être  plus  justes  pour  ce  qu'ont  fait 
nos  pères,  malgré  l'ardente  compétition  des  Hollandais,  des  Espagnols 
et  des  Anglais,  aux  Antilles,  dans  l'Amérique  du  Nord,  aux  Indes  et  à 
l'île  de  France. 


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A    PROPOS   D'OMDURMAN   ET   DE   FASCHODA  645 

Comme  les  Français  aux  Pyramides,  les  Anglais  à  Omdurman  avaient 
à  lutter  contre  une  vaillante  cavalerie.  Lorsque  celle-ci  s'avança,  elle 
vint,  sans  hésiter,  se  faire  faucher  par  la  nappe  des  projectiles  qui 
s'échappaient  à  jet  continu  des  canons  anglais.  Dix  mille  huit  cents  Sou- 
danais, plus  du  quart  des  forces  du  Mahdi,  tombèrent  ainsi  sans  avoir 
pu  s'approcher  de  leurs  adversaires.  Los  vingt-quatre  mille  hommes  du 
général  Kitchener  regardèrent  de  loin  cette  hécatombe,  n'ayant  ni  à 
attaquer  ni  à  se  défendre.  Lorsque  tout  fut  terminé,  on  envoya  ces  spec- 
tateurs compter  les  cadavres. 

Puisque  le  monde  entier  est,  ou  va  être,  partagé  entre  les  puissances 
européennes,  •  nous  avons  des  chances  de  ne  plus  voir  la  rencontre, 
comme  à  Omdurman,  d'une  puissance,  dite  civilisée,  pourvue  de  tous 
les  progrès  modernes  avec  des  barbares  forts  seulement  de  leur  hé- 
roïque ou  fanatique  courage.  Ceux  qui  ont  souci  de  la  dignité  de  l'es- 
pèce humaine  ne  regretteront  pas  ces  tristes  boucheries. 

Un  journaliste  français  admirait  dernièrement  le  physique  du  général 
Kitchener,  sa  grosse  moustache,  son  œil  bleu  d'acier  ;  il  y  voyait  le 
type  de  l'énergie;  ne  serait-ce  pas,  plutôt,  comme  chez  beaucoup  de 
ses  compatriotes,  une  physionomie  volontaire  et  dure  ?  On  se  le  repré- 
sente laissant  égorger  les  Mahdistes,  ce  qui,  certainement,  a  simplifié 
le  service  des  ambulances,  mais  on  s'imagine  plus  difficilement  que 
les  populations  où  il  opère  lui  décernent,  comme  à  Desaix,  avec  les 
témoignages  de  leur  reconnaissance,  le  surnom  de  Sultan  juste. 

Le  siècle,  —  Entre  ces  deux  batailles,  des  Pyramides  et  d'Omdur- 
man,  il  s'est  écoulé  juste  un  siècle,  siècle  façonné,  pétri  par  la  race  an- 
glaise, siècle  qui  est  son  œuvre  et  qu'on  pourra  appeler  le  siècle  des 
Anglo-Saxons.  Commencé  sur  le  ton  de  l'épopée,  il  s'achève  dans  le 
triomphe  de  la  force  matérielle  sur  le  courage  de  l'homme.  Il  laisse  le 
monde  en  proie  à  toutes  les  convoitises  déchaînées,  inquiet  de  son 
lendemain,  désenchanté,  divisé,  terrifié  par  la  perspective  des  luttes 
suprêmes  dont  personne  ne  veut  et  qu'on  croit  inéluctables.  Siècle  de 
fer  où  la  sécurité  manqua  à  tous  et  où  la  consolation  des  masses  est 
l'espoir  d'un  bouleversement  total  ;  siècle  que  caractérisent  la  spc'cula- 
tion  financière  qui  a  jeté  les  Yankees  sur  l'Espagne  et  les  monceaux  de 
Mahdistes  qui  pourrissent  aux  environs  d'Omdurman. 

Pendant  ces  cent  années,  les  États-Unis  sont  devenus  l'arbitre  de 


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646  REVUE  FRANÇAISE 

rAmérique  entière  et  la  menace  de  l'Europe.  Pendant  ces  cent  années, 
l'Angleterre  a  pris,  sur  la  surface  du  globe,  tout  ce  qui  était  à  prendre 
et  acheté  presque  tout  le  reste  ;  elle  a  peuplé  des  continents,  répandu 
partout  les  doctrines  économiques  qui  lui  étaient  favorables;  son  in- 
fluence s'est  accrue  de  Tadmiration  qu'excitaient  ses  institutions  poli- 
tiques et  de  leur  maladroite  imitation.  Elle  a  pu  ainsi  s'arroger  une 
sorte  d'hégémonie  qui  lui  a  permis  d'opposer  son  veto  lorsqu'il  s'est 
agi  de  réprimer  les  attaques  des  Siamois  et  qui  l'autorise,  sans  qu'on  le 
trouve  singulier,  à  donner  ce  qui  ne  lui  appartient  pas,  comme  l'Abys- 
sinie  aux  Italiens. 

Pendant  ces  cent  années,  tout  a  conspiré  en  faveur  de  l'Angleterre. 
La  France,  dont  la  défaite  avait  commencé  l'édifice  de  sa  grandeur, 
s'est  efforcée  de  l'achever  avec  un  entrain  que  ne  s'expliqueront  pas 
nos  descendants.  Elle  a  propagé,  mieux  que  les  Anglais  eux-mêmes,  le 
fétichisme  pour  le  parlementarisme  anglais,  ce  reste  défiguré  des  belles 
institutions  du  moyen  âge,  qui  ne  donne  que  l'apparence  de  la  repré- 
sentation et  autorise  la  tyrannie,  légale  autant  qu'anonyme,  d'une 
minorité  sectaire  et  antipatriote. 

Tandis  qu'un  faux  libéralisme,  venu  de  I^ndres  en  droite  ligne,  nous 
poussait  à  entraver  l'action  du  catholicisme,  le  protestantisme  servait 
partout  de  champion  à  la  politique  du  cabinet  de  Çaint-James.  Mais 
rien  ne  l'a  mieux  servi  que  le  cosmopolitisme  révolutionnaire,  juif  et 
maçonnique,  qui  a  eu,  de  nos  jours,  une  si  merveilleuse  fortune.  Conser- 
vatrice chez  elle,  l'Angleterre  a  soutenu  la  Révolution  sur  le  continent 
et  la  Révolution  victorieuse  lui  a  manifesté  sa  reconnaissance. 

La  juiverie  s'est  trouvée  à  Londres  plus  à  Taise  qu'ailleurs.  Ayant 
mêmes  tendances  et  mi'^mes  instincts,  Anglais  et  Juifs  devaient  s'en- 
tendre pour  exploiter  les  autres  peuples.  Disra^'li  est  devenu  premier 
ministre,  lord  Roseberry,  qui  l'était  hier,  est  gendre  d'un  Juif.  Rien 
donc  d'étonnant  si  les  Juifs  de  toutes  nations,  qui  se  sont  donné  rendez- 
vous  à  Johannesburg  pour  y  faire  des  coups  de  bourse  sur  les  mines 
d'or  et  provoquer  des  krachs,  se  sont  de  suite  sentis  Anglais,  et  ont  si 
bien  compris  Cecil  Rhodes  et  Jameson.  La  parfaite  insouciance  du  droit 
des  autres  leur  ont  servi  de  trait  d'union. 

Quant  à  la  franc-maçonnerie,  qui  vient  d'Angleterre,  elle  a  joué  un 
rôle  considérable  sous  la  Révolution  de  1789  qui  vengeait  T Angleterre 
des  défaites  de  la  guerre  de  l'indépendance  américaine.  Aujourd'hui 


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A  PROPOS  D'OMDURMAN   ET  DE   FASCHODA  647 

encore,  c'est  dans  les  loges  que  se  recrute  la  bande  des  politiciens  qui 
se  sont  opposés  à  Talliance  russe  et  qui  nous  voudraient  river  à  celle 
de  nos  voisins.  De  l'autre  côté  de  l'Atlantique,  il  en  est  de  môme.  Les 
loges  des  rites  d'York,  et  Écossais  ont  organisé  à  Mexico  ce  beau  dé- 
sordre, grâce  auquel  les  États-Unis  ont  pu  s'arrondir  du  Texas,  de  la 
Californie,  etc.,  c'est-à-dirô  d'un  peu  plus  de  la  moitié  de  Pancien 
Mexique.  Comment  expliquer  aussi,  sans  l'action  des  loges,  les  révoltes 
des  Tagals  aux  Philippines  et  l'étonnante  capitulation  de  Santiago  de 
Cuba,  par  laquelle  de  braves  soldats  se  sont  rendus  à  un  ennemi  moins 
nombreux,  pataugeant  dans  la  boue,  dévoré  par  la  fièvre,  qu'une 
chance,  heureuse  pour  l'Espagne,  avait  acculé  sous  les  défenses  intactes 
de  la  ville,  comme  pour  y  périr  fatalement  et  misérablement. 

*  * 

Les  déviaiions.  —  I.,es  rapports  avec  l'Angleterre  n'ont  jamais  été  très 
sûrs  et  le  droit  des  gens  ne  l'a  jamais  embarrassée,  mais  il  y  avait  de  la. 
grandeur  d'âme  et  de  la  noblesse  chez  ses  hommes  d'État.  Le  langage 
du  premier  Pitt,  pendant  la  guerre  de  l'indépendance  américaine,  n'est 
pas  ordinaire.  Burke  fut  un  homme  de  premier  ordre.  On  entendait 
alors,  dans  les  Chambres  anglaises,  de  ces  cris  d'indignation  qui  vont  à 
l'âme  :  «  Le  sang  anglais  n'a  pas  coulé  à  Quiberon,  mais  l'honneur  an*- 
»  glais  y  a  coulé  par  tous  les  pores  ».  La  politique  du  cabinet  de  Saint- 
James,  au  commencement,  du  siècle,  pouvait  manquer  de  logique,  être 
surtout  intéressée,  elle  avait  une  remarquablestabilité.  Enfin,le  sentiment 
religieux  était  général  dans  les  classes  élevées  qui  gouvernaient  seules. 

Tout  cela  est  bien  changé  ;  l'arbre  est  tombé  du  côté  où  il  penchait 
et  les  mauvaises  influences  dont  l'Angleterre  usait  à  l'extérieur  ont  réagi 
sur  elle-même.  Ses  hommes  d'État,  comme  Disraeli,  obéissent  à  leur 
imagination,  comme  Gladstone,  rompent  avec  le  passé,  comme  Cham- 
berlain, sont  les  ennemis  de  la  forme  politique  qu'ils  représentent, 
comme  Salisbury,  s'attardent  dans  une  francophobie  qui  n'a  pas  plus 
de  raison  de  subsister  qu'en  1859  notre  hostilité  contre  l'Autriche,  hos- 
tilité surannée  qui  nous  a  coûté  si  cher. 

Sauf  M.  Labouchère,  personne  ne  proteste  plus  contre  les  crimes 
s'ils  peuvent  être  de  quelque  profit  pour  Albion.  Les  flibustiers  de  Jame- 
£on,  que  Kruger  avait  généreusement  relâchés,  ont  été  acclamés.  Qu  ac- 
clamait-on donc  ?  Ce  n'était  pas  les  hauts  faits  de  ces  tristes  gens,  ils 
avaient  été  battus  comme  on  l'est  rarement.  Si  on  leur  avait  appliqué 


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648  KEVUE  raANÇAISE 

les  procédés  d*Omdurman,  il  n'en  serait  pas  revenu  un  seul.  Ce  qu*on 
acclamait,  c'était  leurs  convoitises  ;  la  nation  reconnaissait  ses  enfants. 

D'aristocratique,  la  constitution  est  devenue  démocratique  et  la  dé- 
mocratie anglaise  est  brutale,  sans  élévation,  orgueilleuse,  pleine  de 
mépris  pour  l'étranger.  Les  colonies  qui  devaient,  d'après  le  plan  pri- 
mitif, se  détacher  de  la  mère  patrie,  comme  les  fruits  d'un  arbre  quand 
ils  sont  mûrs,  formeront  maintenant  le  grancl  empire  fédéral,  maître 
souverain  des  mers. 

L'esprit  de  conquête  est  venu  s'adjoindre  à  l'esprit  conunercial,  il 
s'agit  d'éterniser  la  suprématie  due  à  des  circonstances  exceptionnelles 
et  qu'on  sent  s'effondrer.  Les  rapports  avec  les  autres  nations  ont  re- 
vêtu des  formes  inusitées:  l'ultimatum  brutal  avec  les  faibles,  la  plati- 
tude avec  les  forts,  des  procédés  d'intimidation  sans  dignité  avec  ceux 
qu'on  ne  craint  plus  mais  qui  pourraient  encore  se  défendre. 

Et  puis,  ce  sont  des  changements  à  vue  et  quelque  chose  d'atonique 
qui  enlève  toute  paix,  toute  sécurité.  11  y  a  trois  ans,  la  guerre  était 
sur  le  point  d'éclater  avec  les  Américains  à  propos  du  Venezuela  ;  ce 
sont  aujourd'hui  les  meilleurs  amis.  Le  marquis  de  Salisbury  n'adresse 
plus  que  des  paroles  aimables  à  l'empereur  Guillaume,  l'ennemi  ab- 
horré d'hier.  L'isolement  splendide,  dans  lequel  on  se  complaisait  Tan- 
née dernière,  est  déjà  passé  de  mode. 

La  Revue  Françaisesi  publié  sur  ces  sujets  plusieurs  articles  dont  celui- 
ci  n'est  que  la  suite  (1).  Aux  causes  de  décadence  déjà  énumérées, 
nous  pouvons  ajouter  la  baisse  du  protestantisme,  qui  aboutit  à  toutes 
les  négations,  tandis  que  le  catholicisme  se  relève;  les  progrès  de  l'anti- 
sémitisme ;  le  discrédit  du  parlementarisme  ;  enfin  la  décomposition  de 
la  franc-maçonnerie. 

La  franc-maçonnerie,  pour  ne  parler  que  d'elle,  n'a  tenu  aucune  de 
ses  promesses,  l'exercice  du  pouvoir  l'a  montrée  telle  qu'elle  est,  elle 
ne  se  recrute  plus  que  parmi  de  grotesques  Homais  ou  parmi  des  am- 
bitieux qui  veulent  s'en  servir  et  non  la  servir.  Les  plus  indifférents  en 
religion  lui  jettent  la  pierre  et  lui  reprochent  nos  pertes  morales  et  ma- 
térielles. Or,  la  franc-maçonnerie  par  terre,  c'est  la  France  recouvrant 
sa  liberté  d'action  et  se  soustrayant  à  l'influence  de  l'Angleterre. 

(1)  La  puissance  maritime  de  V Angleterre  (novembre  1895),  France  et  Angleterre 
(mai  1896),  La  décadence  de  V Angleterre  et  les  conseils  de  M.  Labouchère  (novembre 
1897),  La  future  question  d'Orient  (août  1898). 


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■Mi;^,!"'"'  '.-'".^ 


* 
*  ^ 


Faschoda.  —  Est-il  sage  et  prudent  de  forcer  les  Français  à  apprendre 
la  géographie  ?  Lorsqu'ils  sauront  combien  le  monde  est  grand  et  com- 
ment on  se  le  partage  aujourd'hui,  il  leur  viendra  peut-être  à  l'esprit 
que  les  petites  querelles,  qui  les  empêchent  de  se  faire  leur  lot,  sont 
mesquines  et  nuisibles.  Quoi  qu'il  en  soit,  cette  histoire  de  Faschoda, 
qui  peut  devenir  très  grave,  n'est  née  que  de  nos  fautes.  Si  l'abandon 
de  rÉgypte  est  le  fait  aussi  bien  des  chambres  que  de  l'opinion  pu- 
blique et  du  gouvernement,  c'est  à  ce  dernier  que  revient  uniquement 
le  refus  d'accepter  le  protectorat  de  l'Ouganda  et  de  prendre  un  tiers  du 
Zanguebar.  Dans  ce  dernier  pays,  nos  missionnaires  étaient  les  premiers 
occupants,  seuls,  ils  avaient  des  établissements  sérieux  ;  les  villages  de 
chrétiens,  fondés  par  eux,  s'échelonnaient  de  la  côte  au  Nyanza  et  for- 
maient comme  un  chemin  pour  aller  dans  l'Ouganda.  Lorsque  l'An- 
gleterre et  l'Allemagne  se  décidèrent  à  partager  le  Zanguebar,  la  France 
n'était  pas  encore  considérée  comme  une  quantité  négligeable,  elle 
n'avait  qu'un  mot  à  dire  pour  y  avoir  ime  large  bande  contenant  les 
villages  chrétiens.  Les  missionnaires  adressèrent  au  consul  un  mémoire 
demandant  au  gouvernement  d'agir,  et  faisant  remarquer  qu'il  n'y  avait 
aucune  dépense  à  faire.  Mais  les  francs-maçons  étaient  déjà  les  maîtres 
et  ce  qui  venait,  soit  des  missionnaires  du  Saint-Esprit,  soit  des  Pères 
Blancs  de  l'Ouganda,  fut  regardé  comme  non  avenu.  C'est  ainsi  que 


Ml 


A   PROPOS   D'OMDURMAN    ET  DE   FASCHODA  649 

C'est  ainsi  qu'en  Europe  se  prépare  le  xx«  siècle.  Il  donnera  sans 
doute  d'autant  plus  à  la  pauvre  humanité  qu'elle  en  attend  moins  et 
il  mettra  fin  à  la  suprématie  de  la  race  anglo-saxonne  pour  laquelle 
l'engouement  des  peuples  a  cessé. 

De  l'autre  côté  de  l'Atlantique,  la  race  anglo-saxonne  s'est  aussi  alté- 
rée, la  prospérité  lui  a  aussi  mal  réussi.  Elle  est  en  train  d'y  fausser  sa 
constitution,  de  s'abandonner  à  l'esprit  de  conquête,  d'introduire  le  mi- 
litarisme chez  elle  sans  nulle  nécessité.  J'ai  connu  l'Amérique  espa- 
gnole ressassant  les  vieux  souvenirs  de  longues  et  cruelles  luttes  pour 
l'indépendance  et  débordant  d'admiration  pour  les  États-Unis  dont  elle 
appliquait  partout,  à  tort  et  à  travers,  le  système  fédératif.  Lors  du  der- 
nier conflit,  l'Amérique  espagnole  a  manifesté  sa  sympathie  pour  la 
mère  patrie  et  sa  réprobation  des  procédés  Yankees.  Quel  changement  î 

Non,  l'avenir  n'est  plus  à  une  race  qui  abuse  de  sa  puissance  et  qui 
accumule,  comme  à  plaisir,  les  animosités  légitimes.  '■j 


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630  KEVUE  FRANÇAISE 

nous  avons  manqué  de  porteurs  pour  Texpédilion  de  Madagascar  et  que 
nous  ne  sommes  pas  sur  le  Haul-Nil  depuis  bien  des  années.  On  ne 
saura  jamais  ce  que  coûte  la  laïcisation  d'un  pays  comme  la  France. 

On  a  déjà  suffisamment  répondu  aux  réclamations  des  Anglais  ;  elles 
n'ont  pas  d'autre  base  que  le  désir  de  ceux-ci  de  posséder  l'Afrique  do 
Cap  à  Alexandrie.  Reste  à  savoir  quelle  est  l'importance  de  Faschoda. 
Ce  serait,  d'abord,  se  faire  une  étrange  illusion  que  de  considérer  comme 
définitif  le  partage  hâtif  de  l'Afrique.  Le  prochain  siècle  sera  plein, 
sans  doute,  des  grosses  questions  qui  se  produiront  là  et  en  Chine.  Le 
passé  nous  donne,  à  cet  égard,  des  leçons  utiles.  Nous  avons  été  les 
maîtres  dans  TAmérique  du  Nord,  les  Anglais  nous  en  ont  dépossédé, 
puis  un  troisième,  auquel  on  ne  pensait  pas,  le  Yankee,  s'est  approprié 
le  continent  contesté.  11  en  sera  sans  doute  souvent  ainsi  dans  l'avenir. 

Faschoda  nous  permet  d'établir  des  communications  entre  Djibouti, 
'  TAbyssinie  et  Brazzaville  ;  mais  que  seront  ces  communications?  D'ici 
bien  longtemps,  elles  seront  nulles.  Au  surplus,  il  ne  faut  pas  se  faire 
d'illusion  ;  tant  que  nos  forces  vives  se  gaspilleront  à  fournir  la  masse 
des  fonctionnaires  qui  entravent  tout,  que  notre  système  d'instruction 
nous  fabriquera  nos  bacheliers  et  nos  intellectuels  et  que  nos  capita- 
listes placeront  leurs  fonds  en  rentes  sur  TÉtat,  nous  ne  recruterons  pas 
notre  commerce,  nous  manquerons  de  colons  et  nous  n'aurons  pas 
l'argent  nécessaire  pour  mettre  en  valeur  notre  domaine  colonial.  A 
Saigon,  la  plus  prospère  de  nos  \illes  exotiques,  les  Anglais  et  les  Alle- 
mands ont  des  maisons  florissantes  ;  il  en  serait  de  même  à  Faschoda. 

Sous  le  bénéfice  de  cette  observation,  on  peut  reconnaître  la  haute 
valeur  géographique  et  stratc'^gique  de  Faschoda.  Y  génerons-nous  beau> 
coup  les  Anglais  ?  M.  Yves  Guyot  prétend  que  nous  empêcherons  de 
passer  le  fameux  fil  télégraphique  promis  par  Cecil  Rhodes  ;  mais  ce 
n'est  là  qu'une  vue  piirticulière  à  M.  Yves  Guyot.  Il  n'aurait  certes  pas 
eu  de  ces  méchancetés  vis-h-vis  des  Anglais;  pourquoi  veut-il  que  nous 
soyons  plus  désagréables  que  lui  ? 

Faschoda  nous  vaut  déjà  une  réelle  satisfaction  :  sur  le  U^rrain  du  fair 
play  les  Anglais  sont  absolument  battus;  et  cependant  que  de  faciUtés 
ils  avaient  pour  arriver  les  premiers  au  but  !  Cette  déconvenue  est  peut- 
être  un  peu  cause  de  l'acrimonie  de  nos  voisins  ;  mais  il  y  a  autre  chose 
et  on  ne  distingue  pas  nettement  ce  que  c'est.  Tout  le  tapage  qu'ils  font 
a-t-il  pour  but  de  dissimuler  une  vilaine  opération,  comme  par  exemple 


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A  PROPOS  D'OMDDRMAN  ET  DE  FASCHODA       651 

rachat  de  la  baie  de  Delagoa  afin  d'enfermer  le  Transvaal?  N'est-ce 
qu'une  manœuvre  du  marquis  de  Salisbury  pour  ressaisir  ses  électeurs  ? 
Aurait-on  la  pensée  de  profiter  des  circonstances  actuelles  pour  utiliser 
de  formidables  armements  et  pour  empêcher  le  développement  de  la 
flotte  française,  la  mise  en  défense  de  Bizerte,  par  une  guerre  brusquée 
qui  permettrait  de  résoudre  bien  des  questions  gênantes?  Tout  est 
possible.  La  dernière  hypothèse  n'aurait  rien  d'étonnant  de  la  part  de 
ceux  qui  ont  si  chaudement  approuvé  les  procédés  des  Étals-Unis  contre 
l'Espagne;  mais  ce  serait  jouer  gros  jeu  et  on  voudrait  bien,  comme  en 
1870,  nous  faire  prendre  l'apparence  des  torts.  Le  gros  danger,  pour  le 
moment,  est  dans  l'opinion  publique  qu'une  presse,  en  partie  juive, 
trompe  et  excite  avec  autant  de  violence  que  de  mauvaise  foi.  Si,  de 
notre  côté,  l'attitude  était  la  même  on  se  battrait  pour  Faschoda,  ce  qui 
serait  fûcheux,  d'autant  plus  qu^  nous  n'aurions  pas  choisi  précisément 
notre  moment. 

Ce  serait  une  étude  curieuse  que  celle  du  mélange  de  sentiments 
dont  se  compose  l'état  des  esprits  anglais  lorsqu'ils  parlent  de  notre 
occupation  d'un  point  du  Nil.  Il  y  a  de  l'hypocrisie  et  de  la  conviction 
sincère,  une  avidité  surexcitée,  un  mépris  surtout  de  ceux  qu'on  croit 
faibles.  C'est  sans  rire  qu'après  avoir  déclaré  que  la  chute  du  Mahadi 
serait  le  signal  de  l'évacuation  de  l'Egypte  qui  n'aurait  plus  rien  à 
appréhender,  ils  viennent  nous  dire  que  c'est  le  signal  de  notre  évacua- 
tion de  Faschoda.  11  ne  s'agit  pas  de  plaisanter  cette  logique,  elle  est 
dans  la  race.  Les  Yankees  savent  maintenant  ce  que  valent  les  fameux 
insultés  de  Cuba,  ils  savent  aussi  les  honteux  motifs  qui  les  ont  déter- 
minés à  atta(|uer  l'Espagne  et  cependant  M.  Mac-Kinley  court  les  États- 
Unis  en  vantant  la  mission  civilisatrice  qu'ils  viennent  d'accomplir. 

En  temps  ordinaire,  la  fierté  française  nous  rendrait  peu  endurants 
devant  un  tel  débordement  d'insolences  et  de  mauvaise  foi.  Heureuse- 
ment V affaire^  qui  coûte  aux  juifs,  à  leurs  amis,  aux  étrangers,  aux 
Anglais  peut-t^tre  aussi,  des  sommes  si  fortes,  absorbe  l'attention  du 
patriotisme  réveillé.  Le  gouvernement,  voué  à  la  paix  par  situation  et 
anglomane  par  goût,  est  libre  d'agir.  S'il  voulait  bien  nous  écouter 
nous  lui  demanderions  de  soumettre  la  question  de  Faschoda  à  un  arbi- 
trage, ou  au  moins  de  la  réserver  comme  celle  d'Egypte  dont  elle  est 
une  conséquence;  mais  surtout  nous  le  supplierions  de  ne  pas  nous  lier 
par  un  traité.  Il  n'y  a  pas  été  heureux  dans  le  passé  et  nous  n'avons 


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652  lŒVUE   FRANÇAISE 

pas  confiaDce.  Quoi  qu'il  fasse,  il  restera  de  cet  émoi  une  excellente 
leçon,  un  discrédit  trop  mérité  pour  nos  politiciens  anglomanes  et  la 
vue  nette  des  précautions  à  prendre. 

*  * 

Un  peu  de  politique.  —  Il  y  a  des  succès  qui  sont  pires  que  des  dé- 
faites. Si  nous  n'avions  pas  été  vainqueurs  en  Crimée,  nous  n'aurions 
vu  ni  Sadowa  ni  Sedan.  La  victoire  d'Omdurman  pourrait  bien  ressem- 
bler, par  ses  conséquences,  à  celle  de  TAlma.  Gordon  disait  que  les 
Allemands  seuls  pourraient  réussir  plus  mal  que  les  Anglais  dans  le 
Soudan  égyptien;  qu'il  y  faudrait  la  cordialité  française  ou  la  bonhomie 
russe.  Est-ce  un  surcroît  de  puissance  que  d'avoir  à  maintenir  dans  la 
paix  ces  populations  si  fières,  si  fanatiques  ?  Est-ce  un  succès  que  la 
dispute  entamée  avec  la  France  sur  un  ton  si  aigre,  si  blessant"!! 

Le  marquis  de  Salisbury  a  encore  augmenté  dernièrement  la  liste  si 
longue  de  ceux  qui  manqueront  désormais  de  sympathie  pour  son 
pays.  L'avantage  d'échanger  des  compliments  avec  les  égoïstes  et  jaloux 
Yankees  ne  vaut  pas  certes  l'inconvénient  d'avoir  gratuitement  froissé 
l'Espagne.  Va-t-il  nous  mettre  définitivement  dans  la  collection  des 
nations  anglophobes  ? 

Par  un  phénomène  bizarre,  c'est  la  France,  la  France  affaiblie,  dimi- 
nuée, mal  gouvernée,  divisée,  bafouée  môme  qui  tient  aujourd'hui  dans 
ses  mains  le  sort  de  l'Angleterre.  Si  elle  se  persuadait  qu  elle  a  tout  à 
craindre  de  celle-ci,  elle  serait  bien  forcée  d'écouter  les  propositions  de 
ses  vainqueurs,  et  la  coalition  serait  faite  aussitôt  de  Saint-Pétersboui^ 
à  Madrid  et  à  Constantinople.  On  a  dit  que  cette  éventualité  était  la 
raison  déterminante  des  mauvais  procédés  de  l'Angleterre.  On  a  affirmé 
qu'une  guerre,  nous  enlevant  nos  colonies,  détruisant  notre  flotte,  pré- 
viendrait cette  alliance  du  continent.  C'est  une  erreur.  Lorsqu'une  coa- 
lition est  dans  la  force  des  choses  contre  une  politique  qui  blesse  tout 
le  monde  on  ne  l'empêche  qu'en  changeant  de  politique  En  supposant 
que  l'Angleterre  nous  déclare  la  guerre  et  qu'elle  nous  écrase,  elle  ne 
ferait  que  hâter  son  destin.  Malgré  l'Alsace-Lorraine,  nous  n'hésite- 
rions plus  un  moment  et  TAngleterie,  qui  ne  saurait  donner  à  l'Italie, 
dans  la  Méditerranée,  la  suprématie  que  celle-ci  désire,  perdrait  Tunique 
alliée  qu'elle  possède  encore  dans  la  lutte  pour  la  vie  qu'il  lui  faudrait 
soutenir  contre  tous. 

A.  NOGUES. 


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LA.  MARCHE  DE  Lk  MISSION  MARCHAND 

On  aurait  tort  de  croire  en  Angleterre,  comme  une  presse  animée 
de  sentiments  anti-amicaux  pour  la  France  ne  cesse  de  le  répéter, 
que  l'expansion  française  dans  le  haut  Oubangui  et  ie  bassin  du  Nil 
date  de  la  marche  des  troupes  anglaises  sur  Dongola,  c  est-à-dire  de 
l'ouverture  de  la  campagne  de  3  années  contre  le  Mahdi.  «  C'est,  disent 
en  substance  les  journaux  britanniques,  pour  contrarier  la  marche  sur 
Kbarloum  et  enlever  aux  troupes  anglaises  le  fruit  de  leur  victoire 
éventuelle  que  la  mission  Marchand  a  été  lancée  sur  le  Nil.  »  D  suffit 
pour  démontrer  le  manque  de  fondement  de  cette  assertion  de  rappeler 
en  quelques  lignes  que  la  marche  de  l'ouest  à  Test  de  l'Afrique,  c'est- 
à-dire  du  Congo  proprement  dit  à  l'Oubangui  et  au  Bahr  el  Ghazal 
remonte  à  plusieurs  années  déjà.  Ce  n'est  point  par  provocation,  mais 
par  pure  coïncidence  que  la  mission  Marchand  .est  arrivée  à  Fachoda 
2  mois  avant  les  Anglais.  Elle  aurait  même  dû  y  être  un  an  plus  tôt, 
si  des  difficultés  inouïes  de  transport  n'avaient  causé  à  sa  marche  en 
avant  un  retard  considérable. 

C'est  de  1891,  que  date  l'établissement  du  i)Oste  français  des  Abiras, 
fondé  par  M.  Gaillard,  au  confluent  du  M'Bomou  et  de  l'Oubangui . 
Peu  après  M.  Liotard,  pharmacien  des  colonies,  était  envoyé  dans  la 
région  comme  lieutenant-gouverneur,  avec  mission  de  reconnaître  le 
pays  plus  avant.  Mais  il  ne  put  poursuivre  tout  d'abord  la  marche 
vers  l'est,  car  il  fut  arrêté  pendant  2  années  par  les  envahissements 
des  Belges.  Ceux-ci,  dépassant  les  frontières  assignées  à  l'État  du  Congo, 
lançaient  des  expéditions  vers  le  nord,  nous  coupant  entièrement  la  route 
du  Bahr  el  Ghazal.  Dans  cette  région  ils  occupèrent  même  Dem  Ziber. 
Leurs  prétentions  étaient  d'ailleurs  nettement  indiquées  dans  la  conven- 
tion du  12  mai  1894  par  laquelle  l'Angleterre,  qui  se  regardait  comme 
souveraine  maîtresse  du  bassin  du  Nil,  cédait  à  bail  au  roi  Léopold  la 
province  du  Bahr  el  Ghazal  (12  mai  1894).  Cette  convention,  qui  avait 
pour  but  d'arrêter  notre  marche  vers  le  Bahr  el  Ghazal  en  faisant 
occuper  cette  province  par  les  Belges,  était  certes  un  acte  anti-amical 
de  l'Angleterre  vis-à-vis  de  la  France.  Bien  qu'elle  n'ait  pas  provoqué 
en  France  les  articles  agressifd  cl  violents  qui  sont  en  usage  de  l'autre 
côté  de  la  Manche,  le  roi  Léopold  comprit  vite  le  rôle  qu'on  voulait 
lui  faire  jouer  et  renonça  à  cette  clause  de  la  convention. 


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654  REVUE  FRANÇAISE 

En  même  temps,  un  accord  intervenait  entre  k  France  et  l'État  du 
Congo.  Par  une  convention  en  date  du  14  août  1894,  le  M*Bomou  était 
reconnu  comme  frontière  nord  de  l'État  du  Congo,  qui  rétrocédait  à 
la  France  tous  les  postes  établis  au  nord  de  cette  rivière. 

C'est  de  cette  époque  que  date  véritablement  notre  marche  en  avant 
vers  le  Nil.  Le  lieutenant-colonel  Monteil  venait  alors  de  débarquer  à 
Loango  et  se  préparait  à  suivre  avec  une  importante  colonne  la  route 
de  Brazzaville  et  du  haut  Oubangui  lorsqu'il  fut  rappelé,  à  la  suite  de 
la  convention  du  14  août,  qui  rétablit  Tharraonie  entre  Français  et 
Belge^,  et  envoyé  à  la  Côte  d'Ivoire  contre  Samory.  Sans  ce  rappel 
nos  trois  couleurs  auraient  flotté  deux  années  plus  tôt  sur  les  rives  du 
Nil.  Néanmoins  quelques  dtHachements  de  tirailleurs  furent  envoyés 
sur  le  haut  fleuve,  où  M.  Liolard  prit  i>ossession  des  postes  abandonnés 
par  les  Belges.  Cette  opération  accomplie  et  le  contact  pris  avec  les 
tribus  indigènes,  M.  Liotard  poussa  jusqu'à  la  ligne  de  séparation  des 
eaux  des  bassins  du  Congo  et  du  Nil,  la  franchit,  descendit  dans  le 
Bahr  el  Ghazal  et  fonda  un  poste  à  Tamboura,  en  février  1896-  Ainsi 
dès  le  début  de  181>6  un  poste  français  était  établi  dans  le  bassin  du 
Nil,  alors  qu'il  n'était  pas  encore  question  d'entreprendre  contre  le 
Mahdi  l'expédition  qui  ne  fut  décidée  qu'un  peu  plus  tard. 

Mais  M.  Liotard  île  pouvait  avec  ses  seules  forces  occuper  le  haut 
Oubangui  et  pousser  plus  avant  la  pénétration  dans  le  bassin  du  Nil. 
C'est  alors  que  lui  fut  envoyé  le  capitaine  Marchand  avec  9  officiers  ou 
assimilés,  12  sous-officiers  européens  et  t  compagnies  de  tirailleurs 
sénégalais,  pour  continuer  l'œuvre  qu'il  avait  entreprise.  Parti  de  Bor- 
deaux le  20  juin  1896,  débarqué  à  Loango  le  23  juillet,  le  capitaine 
Marchand  eut  à  n'^primer  une  révolte  d'indigènes  avant  de  pouvoir 
arriver  à  Brazzaville.  Il  n'en  repartit  que  le  1®'  mars  1897  et  mit 
plusieurs  mois  à  transporter  jusque  sur  le  M'Bomou,  le  personnel  et 
surtout  les  approvisioimements  de  sa  mission  consistant  en  plusieurs 
milliers  de  charges  et  2  bâtiments  à  vapeur.  La  Revue  Française 
a  déjà  retracé  les  difficultés  de  cette  première  partie  de  l'expédition. 
Nous  nous  contenterons  donc  de  suivre  la  mission  dans  le  passage 
de  la  ligtie  de  faîte  entre  Congo  et  Nil  et  dans  son  installation 
au  Bahr  el  Ghazal,  d'après  le  récit  qu'en  donne  le  Bulletin  du  Comité 
de  r Afrique  française. 
Le  capitaine  Marchand  avait  tout  d*abord  formulé  le  projet  de  se 


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LA   MARCHE   DE   LA    MISSION    MARCHAND  658 

diriger  de  Rafaï  et  de  Seinio  vers  le  nord  fi).  Mais  M.  Liolard  se  trou- 
vant à  mi'^me  d'occuper  Dem-Ziber  sans  son  concours,  il  prit  alors  la 
route  de  Tamboura  en  suivant  le  M'Bomou.  Ce  fleuve  est  coupé  dans 
la  partie  inférieure  de  son  cours  par  une  série  de  chûtes  et  de  rapides 
qui  le  rendent  absolument  innavigable  ;  c'est  ce  que  constatèrent  les 
olïiciers  qui,  en  20  jours  (mai  1897),  firent  la  reconnaissance  du  bas 
fleuve.  Il  fallut  utiliser  tant  bien  que  mal  les  petits  biefs  navigables  qui 
séparent  les  chûtes  au  nombre  de  plus  de  30,  en  tournant  celles-ci  par 
des  sections  de  route  construites  ad  hoc  et  sur  lesquelles  1.700  à  1.800 
indigènes  tirèrent  les  embarcations  avec  des  cordes.  Le  20  juin,  après 
2  mois  de  cette  fatigante  corvée,  le  transport  était  heureusement  efl*ectué 
en  amont  de  la  série  des  chûtes.  Pendant  ce  temps,  les  charges  avaient 
pris  la  voie  de  terr^  au  nord  du  M'Bomou. 

On  était  alors  dans  l'ignorance  la  plus  complète  de  Tétat  dans  lequel 
se  trouvait  le  cours  supérieur  du  M'Bomou.  Était-il  navigable?  Ne  l'élait- 
il  pas?  Cette  dernière  opinion  était  généralement  adoptée.  11  fallait 
cependant  reconnaître  la  partie  supérieure  comme  on  avait  fait  pour  la 
partie  inférieure  du  fleuve.  Ce  fut  l'œuvre  du  capitaine  Baratier  qui, 
parti  de  Baguessé  le  12  juin  avec  3  pirogues,  fut  agréablement  surpris 
de  ne  pas  rencontrer  un  seul  obstacle  ni  dans  le  M'Bomou,  ni  dans  son 
affluent  de  droite,  le  Bokou,  qu'il  remonta  jusqu'au  confluentde  laMéré, 
où  il  arriva  le  3  août.  Ce'.le  découverte  d'un  bief  navigable,  qui  n'avait 
pas  moins  de  800  kilomètres  de  développement,  était  d'une  importance 
considérable,  car  elle  permettait  de  remonter  à  la  vapeur  jusqu'à  70  kilo- 
mètres de  Tamboura.  La  flottille  se  mit  aussitôt  en  mouvement,  et  le 
10  septembre  elle  arrivait  à  ce  terminus  de  la  navigation  du  bassin  de 
rOubangui,  à  3.330  kilomètres  de  Brazzaville. 

Pendant  que  ces  événements  s'accomplissaient,  le  capitaine  Marchand 
avait  pénétré  dans  les  bassins  des  rivières  Tondj  et  Djaou,  et  occupé 
Roumbek.  Le  chef  de  cette  localité,  Marbossi,  se  trouvait  être  un  ancien 
officier  des  baUiillons  soudanais  de  l'Egypte,  décoré,  paraît-il,  de  la 
Légion  d'honneur  à  l'expédition  du  Mexique.  Sur  le  bruit  de  l'approche 
d'une  mission  venant  du  sud,  le  capitaine  Marchand  s'avança  jusqu'à 
80  kilomètres  de  Lado  et,  ne  découvrant  rien,  rejoignit  le  gros  de  la 
mission. 

(1)  Voir  la  carte  du  B«»hr  el  Ghazal,  Hev.  Fr,  1898,  p.  81. 


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^ 


656  REVUE  FRANÇAISE 

>  Avant  de  continuer  la  marche  en  avant,  il  fallait  donner  une  direc- 

P  lion  ulile  au  transport  des  charges  vers  un  point  navigable  du  Bahrel 

Ghazal.  Dans  ce  but,  Je  capitaine  Marchand,  après  avoir  laissé  le  com- 
mandement au  capitaine  Baratier,  partit  lui-même  en  reconnaissance 
vers  le  Soueh.  Après  avoir  reconnu  et  dépassé  les  chûtes  qui  encombrent 
I  la  partie  supérieure  de  cette  rivière,  il  se  laissa  entraîner  par  le  cou- 

rant de  Teau  dans  un  tronc  d'arbre  creusé  en  pirogue  qui  portait  avec 
lui  4  tirailleurs,  4  Yakomas  et  8  jours  de  farine  de  maïs.  En  3  jours,  il 
arriva  à  Tembouchure  du  Vaou,  ayant  fait  environ  120  kilomètres  pr 
jour.  La  rivière  reconnue,  il  la  remonta  péniblement  du  3  au  13  septem- 
bre et  rejoignit  la  mission. 

Le  Soueh  était  navigable  à  peu  de  distance  de  Tamboura  ;  il  fallait 
maintenant  relier  ce  point  à  celui  de  Méré,  sur  Je  Bokou,  par  un  che- 
min praticable  de  160  kilomètres.  Ce  fut  Taffaire  d'un  mois,  pendant 
J  lequel  200  tirailleurs  et  un  millier  d'indigènes  s'employèrent  de  leur 

mieux  en  s'aidant  de  la  hache,  de  la  pioche  et  de  la  mélinite.  Trois 
points  servirent  alors  de  concentration  et  de  basé  d'opération  à  la 
mission  :  kodjalo,  au  nord  de  Tamboura,  sur  le  Soueh,  où  la  flottille  vint 
se  réparer  et  se  monter  ;  Fort-Desaix,  près  de  Koutchouk-Ali,  au  confluent 
du  Soueh  et  du  Vaou,  et,  entre  ces  deux  postes,  celui  des  Rapides,  situé 
à  mi-distance  sur  le  Soueh.  Les  2  canonnières  Faidherbe  et  Aïi,  une 
dizaine  de  chalands  en  acier  et  en  aluminium,  composant  la  flottille, 
furent  alors  transportés  pièce  à  pièce  à  Kodjalé.  Au  mois  de  novembre 
1897.  la  mission  était  installée  sur  la  ligne  de  Soueh  avec  quartier 
général  à  Fort-Desaix. 

Le  capitaine  Marchand  entra  alors  en  relations  avec  les  Dinkas,  la 
plus  puissante  tribu  du  Bahr  el  Ghazal.  Ceux-ci  se  préparaient  à  s'op- 
poser de  vive  force  au  passage  de  la  mission  qu'ils  considéraient  comme 
l'alliée  du  sultan  de  Tamboura  avec  lecpiel  ils  étaient  en  guerre.  Le 
capitaine  Marchand  commen(;a  par  gagner  les  Djours,  vassaux  des 
Dinkas,  à  l'aide  desquels  il  transforma  ces  derniers  en  amis  de  la  mis- 
sion. Ce  fut  l'œuvre  de  l'hiver. 

Dans  le  courant  de  février  1898,  le  bruit  se  répandit  que  des  blancs 
s'avançaient  du  sud  vers  Ayak.  Ce  fut  le  signal  d'un  mouvement  de 
troupes  de  l'ouest  vers  Test.  Le  lieutenant  Gouly  fut  dirigé  de  Fort- 
Hossingcr  (Tamboura)  sur  M'Bia,  à  2  jours  d'Ayak  ;  le  capitaine  Germain 
du  poste  des  Rapides  sur  le  Tondj,  le  capitaine  Mangin  de  Fort-Desaix 


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LA   MARCHE   DE   LA   MISSION   MARCHAND  657 

sur  Djour-Ghattas.  En  même  temps  un  détachement  de  100  tirailleurs 
auxiliaires  armés  du  mousqueton  Gras  était  envoyé  de  Dem-Ziber  à  Fort- 
Desaix.  La  marche  de  ces  corps  de  troupes,  eflFectuée  sans  dijfflculté, 
montrait  combien  était  sérieuse  et  tranquille  Toccupation  française  du 
pays  des  Rivières.  Celui-ci  était  d'ailleurs  divisé,  au  point  de  vue 
administratif,  en  3  cercle  :  cercles  du  Bahr  el  Ghazal,  du  Rohl  et  du 
Soueh. 

La  nouvelle  de  l'approche  d'une  troupe  blanche  était  controuvée  ;  il 
ne  s'agissait,  en  effet,  que  des  mouvements  des  Belges  autour  de  Red- 
jaf.  Mais  cette  alerte  coûta  la  vie  au  lieutenant  Gouly  qui,  arrivant  à 
M'Bia  après  4  jours  de  marche  sans  eau  et  une  température  de  41®  cen- 
tigrades à  l'ombre,  fut  emporté  en  quelques  jours  par  une  fièvre  bilieuse 
hématurique. 

Pendant  ce  temps,  le  capitaine  Baratier  et  Tinterprète  Landeroin, 
partis  en  chaland  pour  reconnaître  le  cours  inférieur  du  Soueh,  son  dé- 
bouché dans  le  Bahr  el  Ghazal  et  le  cours  de  celui-ci  jusqu'au  lac  Nô, 
rentraient  à  Fort-Desaix  le  26  mars.  Perdus  au  milieu  des  marécages, 
n'apercevant  ni  un  village  ni  un  habitant  pendant  plusieurs  semaines, 
ils  avaient  failli  mourir  de  faim.  Leur  exploration,  qui  avait  été  des 
plus  pénibles,  démontrait  cependant  la  possibilité  d'atteindre  le  Nil  en 
bateau  en  suivant  le  cours  du  Soueh  jusqu'à  Meschra  el  Rek.  Vers  la 
même  époque,  le  lieutenant  Largeau  reconnaissait  le  cours  du  Vaou  et 
du  Bahr  el  Homr. 

Telle  était  la  situation  au  mois  d'avril  1898.  Solidement  installé 
dans  le  Bahr  el  Ghazal,  où  régnait  la  plus  grande  tranquillité,  le  capi- 
taine Marchand  n'attendait  plus  que  la  crue  des  eaux  pour  descendre 
jusqu'au  Nil.  On  sait  maintenant  que  la  mission  est  arrivée,  le  10  juil- 
let, à  Fachoda,  où  elle  a  été  rencontrée,  le  21  septembre,  par  les  Anglais 
vainqueurs  des  Derviches  à  Omdurman.  A  la  suite  des  négociations  ou- 
vertes entre  les  gouvernements  français  et  anglais,  le  capitaine  Baratier 
est  arrivé  de  Facnoda  en  France  par  la  voie  du  Nil. 

Une  lettre  du  capitaine  Marchand  dépeint  d'une  façon  caractéristique 
l'état  d'âme  de  la  mission  :  «  J'ai  maintenant,  dit-il,  dans  le  bassin  du 
Bahr  el  Ghazal,  c'est-â-dire  du  Nil,  une  situation  de  toute  puissance, 
1  chalands  ou  boals  d'acier,  1  vapeur  sous  pression,  15  pirogues  creu- 
sées par  mes  tirailleurs  pouvant  me  conduire  où  je  veux  dans  le  bassin 
du  Nil.  Il  ne  faudrait  pas  croire,  pourtant,  que  tout  est  agréable  dans 
XXIII  (Novembre  98).  N«  239.  43 


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658  REVUE  FRANÇAISE 

notre  situation.  Nous  mourons  de  faim  d'abord  (1),  et,  depuis  long- 
temps, c'est  la  chasse,  à  peu  près  exclusivement,  qui  nous  nourrit  et 
nous  soutient.  Vous  savez  que  c'est  la  faim,  l'horrible  faim  qui  est  h 
cause  du  désastre  de  l'expédition  Dhanis.  Les  sauterelles  ont  ravagé  le 
peu  de  plantations  faites  par  les  indigènes  bongobarris,  sur  lesquels 
nous  nous  appuyons,  et  mes  propres  plantaticwas  sont  ravagées. 

fl  Comment  allons-nous  atteindre  le  Nil?  Serons-nous  obligés  de 
manger  l'embach  des  marécages  ?  Et,  encore,  s'il  ne  s'agissait  que  de 
passer  vite  avec  mes  bateaux,  ce  serait  peu.  Mais  le  problème  est  bieo 
autrement  difQcile.  Ici  on  ne  passe  pas.  Le  passage  ne  constitue  pas  un 
droit  sur  le  pays  traversé.  Il  faut  occuper  'effectiveinenl,  et  alors  chaque 
nouveau  poste  créé  dans  ces  immenses  régions  presq«te  dépeuplées» 
chaque  centaine  de  kilomètres  en  avant,  constituent  un  travail  colossal, 
une  lutte  incessante  contre  l'impossible.  Et  partout,  le  triomphe  final 
est  à  ce  prix.  Et  malgré  tout,  quelque  obstacle  nouveau  qui  se  dresse 
sur  notre  route,  nous  triompherons  ;  il  le  faut  pour  la  grandeur  de  k 
patrie.  » 

Une  autre  lettre,  adressée  par  le  capitaine  Baratier  à  sa  famille, 
donne  de  curieux  détails  sur  l'exploration  qu'il  fit  au  commencement 
de  1898  dans  les  immebaes  marécages  du  Bahr  el  GhazaI  : 

«  Â  midi,  nous  débouchons  dans  une  succession  de  mares  couvertes 
de  nénuphars.  Il  n'y  a  presque  plus  d'eau,  les  hommes  tirent  le  boal 
sur  la  vase  dans  laquelle  ils  enfoncent  jusqu'aux  aisselles,  c'est  le  marais 
à  perle  de  vue  ;  de  la  vase  se  dégage  une  odeur  effroyable* 

A  trois  heures,  il  n'y  a  plus  d'eau  du  tout  ;  je  fais  signe  au  Ûjinquis 
que  je  m'arrête.  Ils  me  font  signe  de  leur  c()té  qu'ils  reviendront  demain, 
que  je  puis  coucher  là. 

Coucher,  où?  Un  banc  de  vase  à  peu  près  asséché  est  à  ISO  mètres  à 
gauche;  à  grand'peine  nous  parvenons  à  décharger  le  boat  sur  ce  banc 
et  nous  couchons  sur  cette  vase.  Il  nous  reste  100  grammes  de  rie  à 
chacun  par  jour,  et  pour  S  jours. 

Le  1®'  février,  les  guides  reviennent  à  9  heures.  Impossible  d'obtenir 
qu'ils  nous  apportent  des  vivres.  Nous  nous  traînons  sur  la  vase.  Enfin, 
à  midi,  nous  débouchons  dans  un  lac.  De  l'eau!  de  l'eau!  et  de  l'Ouum 
Souf,  mais  de  terre,  point.  A  3  heures,  les  guides  nous  lâchent.  J'essaye 

(1)  La  mission  n  avait  pas  eacore  été  ravitaillée  k  ceUe  époqve. 


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MARCHE   DE   LA   MISSION  MARCHAND  659 

de  continuer  seul,  mais  comment  trouver  le  chenal,  où  crever  »e8 
barrages  qui  se  montrent  de  tous  côtés?  A  5  heures,  je  m^arrête;  nous 
trouvons  un  morceau  de  vase  à  peu  près  sèche,  et  nous  couchons  là.  Il 
tait  diablement  faim  ! 

Le  2  février,  les  guides  reparaissent  encore;  le  soir,  nous  ne  trouvons, 
pour  passer  la  nuit,  que  le  plancher  d'herbes  et  nous  restons  assis  sur 
nos  cantines.  Pas  de  feu  et  pas  de  cuisine. 

I^  3,  même  navigation,  nous  trouvons  un  petit  îlot,  au  moins  nous 
serons  au  sec,  mais  la  faim  ne  diminue  pas. 

Le  4,  à  midi,  nous  débouchons  dans  une  vraie  mer,  mais,  hélas!  à 
S  heures,  nous  rentrons  dans  les  herbes.  Campement  sur  les  herbes. 

Le  5,  les  herbes  sont  plus  hautes  et  plus  épaisses  que  jamais;  elles 
n'ont  pas  de  racines,  on  ne  peut  plus  se  hâler  dessus  et  il  y  a  trop  de 
fond  pour  les  perches.  Qu'allons-nous  devenir?  Impossible  de  faire 
approcher  les  guides.  Exaspéré,  je  me  mets  à  Teau,  je  veux  aller  à  eux 
leur  faire  comprendre  que  nous  crevons  de  faim,  mais  il  y  a  trop 
d'herbes,  on  ne  peut  nager,  et  trop  de  fond,  on  n'a  pas  pied.  Ma  tenta- 
tive n'a  eu  pour  résultat  que  d'éloigner  les  guides. 

A  6  heures  du  soir,  nous  avons  fait  mille  trois  cent  cinquante  mètres. 
Même  nuit  qu'hier,  il  n'y  a  plus  un  gramme  de  vivres  à  bord. 

Le  6,  nous  repartons.  Qu'allons-nous  devenir?  Pas  un  oiseau  ne  se 
montre.  A  5  heures  du  soir,  nous  entrons  dans  une  succession  de 
mares  couvertes  de  nénuphars.  Nous  en  arrachons  des  racines  et  les 
dévorons.  De  loin,  les  Djinquis  nous  font  signe  que  c'est  parfait.  Je  les 
tuerais,  ces  gens-là  !  » 
Voici,  du  môme,  quelques  liioies  bien  émouvantes  ; 
«  Le  13  mars,  perdu  dans  un  marais  immense,  j'arrivais  au  point 
où  le  chenal  se  rapproche  un  peu  de  la  rive  droite,  quand  je  vois  une 
pirogue  de  Djinguis  sur  le  marais.  Ils  font  des  signes.  J'arrête,  et  ils  me 
lancent  une  lettre  de  Largeau.  Le  malheureux  est  à  ma  recherche  de- 
puis 12  jours,  longeant  la  limite  sud  de  ce  marais  qu'il  voit  sans  en 
connaître  l'étendue  ni  la  nature.  H  croit  que  le  Soueh  coule  au  milieu 
et  me  supplie  de  m'arrêter  pour  l'attendre.  Je  lui  écris  que  là  où  je 
suis  ou  ne  peut  me  rejoindre,  qu'il  m'attende  à  la  sortie  du  marais. 

Le  14,  à  8  h.  du  soir,  mon  clairon  sonne  l'appel.  «  0  I  Largeau,  en- 
tends sa  voix  !  »,  s'écrie  Landeroin  !  Il  n'a  pas  terminé  sa  phrase  qu'un 
coup  de  feu  lui  répond.  C'est  Largeau  !  «  Clairon  sonne  au  drapeau  !  »* 


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660  KEVUE  FRANÇAISE 

Un  nouveau  coup  de  fusil  répond.  Largeau  est  tout  près.  Nous  nous  en- 
tassons dans  le  boat  ;  nous  sommes  53  à  bord  maintenant.  J'ai  pu  re- 
passer à  travers  le  marais,  sans  guides,  avec  mon  topo.  J'étais  sûr  main- 
tenant de  pouvoir  guider  la  mission.  » 

Un  autre  jour,  un  hippopotame  crève  l'embarcation.  Pour  tout  outil, 
il  n'y  avait  qu'un  marteau,  t  Alors,  écrit  le  capitaine  Baratier,  j'arrive  à 
réparer  l'avarie  avec  deux  plaques  de  bois,  une  en  dessous,  une  en  des- 
sus, serrées  à  force  avec  de  la  peau  de  notre  hippopotame,  et  je  calfate 
le  tout.  » 

Que  ne  feraitr-on  pas  avec  de  tels  hommes  que  rien  ne  décourage  et 
que  rien  n'arrête  I 

Un  décret  a  promu  au  grade  de  chef  de  bataillon  dans  le  corps  de 
l'infanterie  de  marine,  le  capitaine  Jean-Baptiste  Marchand. 

En  outre,  ont  été  promus  dans  la  Légion  d'honneur,  au  grade  d'offi- 
cier :  M.  Joseph-Marcel  Germain,  capitaine  au  2®  de  l'artillerie  de  la  ma- 
rine (15  ans  de  services,  6  campagnes  de  guerre...). 

M.  Charles-Marie-Emmanuel  Mangin,  capitaine  d'infanterie  de  la  ma- 
rine (13  ans  de  services,  7  campagnes,  dont  5  de  guerre,  3  blessures  de 
guerre,  3  citations  à  l'ordre  du  jour  au  Soudan...). 

Au  grade  de  chevaHer  :  M.  Alfred  Dyé,  enseigne  de  vaisseau  (8  ans 
de  services,  dont  7  ans  6  mois  à  la  mer...). 

Un  décret  postérieur  élève  au  grade  d'officier  le  capitaine  Baratier. 

Ces  distinctions  honorifiques  si  bien  gagnées  ne  sont  sans  doute  que 
le  prélude  de  celles  qui  doivent  échoir  aux  autres  membres  de  la  mis- 
sion, car  tous  ont  fait  au  delà  de  leur  devoir. 

A  côté  des  récompenses  décernées  aux  vivants,  rendons  hommage  à 
ceux  qui  sont  morts  là  bas,  pour  la  patrie.  Ils  sont  déjà  au  nombre  de 
5  î  le  capitaine  Hossinger,  l'administrateur  Comte,  le  lieutenant  de  vais- 
seau Morin,  le  capitaine  Simon  et  le  Ueutenant  Gouly.  Que  les  noms  de 
ces  nobles  flls  de  France  soient  inscrits  au  Livre  d'or  de  nos  conquêtes 
Coloniales  î 

A.  MONTELL. 


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MARCHAND  ET  KITCHENER  A  FACHODA 

Ce  fut  par  un  vapeur  mahdiste  que  le  sirdar  Kitchener  apprit,  au 
lendemain  de  la  victoire  d'Omdurman,  que  Fachoda  était  occupé  par 
une  troupe  européenne.  Il  ne  dut  pas  hésiter  un  instant  à  croire  que 
cette  troupe  fût  l'expédition  Marchand  et  se  hâta,  en  conséquence  de 
remonter  le  Nil  avec  une  colonne  expéditionnaire  embarquée  sur  plu- 
sieurs vapeurs.  Il  y  avait  600  kilomètres  à  franchir  et  peu  d'ennemis  à 
rencontrer.  Cependant  un  vapeur  derviche,  le  Safia^  fut  aperçu,  canonné 
et  désemparé  le  15  septembre. 

Le  18,  le  sirdar  arriva  à  Babiou,  à  12  milles  au  nord  de  Fachoda, 
et  adressa  le  même  jour  la  lettre  suivante  au  chef  de  l'expédition  euro- 
péenne à  Fachoda: 

Monsieur, 

«  J'ai  l'honneur  de  vous  informer  que  le  2  septembre  j'ai  attaqué  le 
khalife  àOmdurman  et,  ayant  détruit  son  armée,  j'ai  réoccupé  le  pays. 
Peu  après  j'ai  quitté  Omdurman  avec  une  flottille  de  cinq  canonnières 
et  une  force  considérable  de  troupes  anglaises  et  égyptiennes  pour  me 
rendre  à  Fachoda.  En  route,  à  Renkh,  j'ai  rencontré  les  Derviches,  je 
les  ai  attaqués  et,  après  un  combat  léger,  je  me  suis  emparé  de  leur 
campement  et  de  leur  bateau. 

L'émir  en  chef  a  été  fait  prisonnier  ;  il  m'a  coniirmé  que,  conformé- 
ment aux  ordres  du  khalife,  il  était  allé  dernièrement  à  Fachoda  pour 
chercher  du  blé  et  que  là  il  y  a  eu  un  combat  entre  ses  gens  et  des 
Européens  quelconques;  ensuite,  il  était  revenu  à  Renkh  d'où  il  avait 
envoyé  chercher  des  renfort  d'Omdui*man,  avec  l'intention  de  chasser 
les  Européens  de  Fachoda.  Pendant  qu'il  attendait  leur  arrivée,  nous 
l'avions  attaqué. 

Considérant  comme  probable  la  nouvelle  de  la  présence  des  Euro- 
péens à  Fachoda,  j'ai  cru  de  mon  devoir  de  vous  écrire  cette  lettre  pour 
vous  prévenir  des  événements  qui  ont  eu  lieu  dernièrement  et  vous 
informer  de  ma  prochaine  arrivée  à  Fachoda  » . 

Le  jour  suivant,  le  sirdar,  continuant  sa  route  vers  Fachoda,  rencontra 
une  embarcation  portant  pavillon  français  et  montée  par  des  noirs.  Un 
sergent  indigène  lui  remit  la  réponse  suivante  du  capitaine  Marchand 


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662  REVUE  FRANÇAISE 

empreinte  d'une  courtoisie  légèrement  ironique,  et  que  reproduit  le 
i^  Livre  bleu  anglais  : 

Fachoda,  19  septembre. 
Mon  général, 
«  J*ai  rhonneur  de  vous  accuser  réception  de  votre  honorée,  datée 
de  Babiou,  18  septembre. 

J'ai  appris  avec  le  plus  vif  plaisir  Toocupation  d'Omdurman  par 
l'armée  anglo-égyptienne,  la  destruction  des  bandes  du  khalife  ei  la 
disparition  définitive  du  madhisme  dans  la  vallée  du  Mi.  Je  serai  sans 
doute  le  premier  à  présenter  mes  bien  sincères  félicitations  françaises  au 
général  Kitchener,  dont  le  nom  incarne  depuis  tant  d'années  la  lutte 
de  la  civilisation  aujourd'hui  victorieuse  contre  le  fanatisme  sauvage 
des  partisans  du  Mahdi. 

Permettez-moi  donc,  mon  général,  de  vous  les  présenter  respectueuse- 
ment pour  vous  d'abord,  et  pour  la  vaillante  armée  que  vous  com- 
mandez. 

Ce  devoir  bien  agréable  rempli,  je  crois  devoir  voub  informer  que 
par  ordre  de  mon  gouvernement,  j'ai  occupé  le  Bahr-el-Ghazal  jusqu'à 
Meschra-el-Rek  et  au  confluent  du  Balir-el-Djebel,  puis  le  pays  shillouk 
de  la  rive  gauche  du  Nil  blanc  jusqu'à  Fachoda,  oii  je  suis  entré  le 
19  juillet  dernier. 

Le  25  août,  j'ai  été  attaqué  dans  Fachoda  par  une  expédition  derviche 
composée  de  deux  vapeurs  que  je  crois  être  le  Chiben  et  le  Kao  Kae, 
montés  par  1 .  200  hommes  environ  avec  de  l'artillerie.  Le  combat  engagé 
à  6  heures  40  du  matin  s'est  terminé  à  5  heures  du  soir  par  la  fuite  des 
deux  vapeurs  que  le  courant  sauva  avec  ce  qui  restait  de  monde  à  bord. 
La  plupart  des  grands  chalands  remorqués  furent  coulés  et  le  Chiben 
fortement  avarié. 

A  la  suite  de  cette  affaire  dont  la  première  conséquence  comportait 
la  libération  du  pays  shillouk,  j'ai  signé  avec  le  sultan,  le  3  septembre, 
un  traité  plaçant  le  pays  shillouk  de  la  rive  gauche  du  Nil  blanc  sous 
le  protectorat  de  la  France,  sauf  ratification  par  mon  gouvernement. 

J'ai  envoyé  expédition  du  traité  en  Europe,  d'abord  par  la  voie  du 
Sobat  et  de  l'Abyssinie,  puis  par  le  Bahr-el-Ghazal  et  Meschra-el-Reck, 
où  mon  vapeur  le  Faidherbe  se  trouve  actuellement,  avec  l'ordre 
de  m'apporler  des  renforts  que  je  jugeais  nécessaires  pour  défendre 
Fachoda  contre  une  seconde  attaque  des  Derviches  plus  forte  que  la 


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MARCHAND  ET  KITCHENER  A  FACHODA  663 

première  et  que  j'attendais  vers  le  23  courant.  Votre  arrivée  l*a  em- 
pêchée. 

Je  vous  présente  donc  mes  souhaits  de  bienvenue  dans  le  Haut-Nil 
et  prends  bonne  note  de  votre  intention  de  venir  à  Fachoda,  où  je  serai 
heureux  de  vous  saluer  au  nom  de  la  France  «. 

Un  officier  anglais  a  i*aconté  au  DaUy  Telegraph,  dont  nous  repro- 
duisons ci-dessous  le  récit,  comment  se  fit  la  rencontre  de  Marchand  et 
de  Kitchener  à  Fachoda. 

«  Le  21  septembre,  à  10  h.  du  matin,  nous  étions  en  vue  de  Fachoda. 
Le  drapeau  français  flottait  sur  le  village.  Sous  le  drapeau,  gardant  les 
trois  couleurs,  allait  et  venait  une  sentinelle  sénégalaise.  Nous  pûmes 
nous  avancer  sans  ôtre  inquiétés  et  nous  nous  rendîmes  compte  que  la 
place  était  bien  fortifiée  à  la  façon  derviche.  Les  défenses  se  composaient 
crune  redoute  assez  forte,  bâtie  en  terre  et  en  forme  de  fer  à  cheval.  La 
redoute  occupée  par  les  Français  était  entourée  de  tranchéei.  Au-dessus 
de  ces  tranchées,  nous  avons  pu  apercevoir  une  ligne  de  visages  noirs, 
ceux  de  Sénégalais  évidemment  prêts  au  combat  ;  m^is  aucun  coup  de 
feu  ne  fut  tiré. 

Au  bout  de  quelques  instants,  un  canot,  à  l'arrière  duquel  flottait  le 
drapeau  français,  s'avança  vers  nous.  11  portait  un  Européen  vêtu  dé 
blanc  :  c'était  le  c*  Marchand.  L'équipage  était  composé  de  Sénégalais. 
Le  c^  Marchand  paraissait  assez  âgé  et  semblait  fatigué.  Il  se  fil  appro- 
cher du  vapeur  Dal  et  fut  reçu  à  bord  par  le  sirdar  auquel  il  serra  la  main 
ainsi  qu'aux  autres  officiers. 

La  conversation  s'engagea  alors  entre  le  c»  Marchand  et  le  sirdar.  Ils 
exposèrent  leurs  vues  respectives  relativement  à  la  question  Je  Fachoda, 
L'officier  français  demeura  à  bord  du  DcU  et  les  5  vapeurs  s'avancèrent 
ensuite  aussi  près  de  la  rive  que  la  végétation,  très  abondante  en  cet 
endroit,  le  leur  pennit.  Puis  le  c*  Marchand  retourna  à  bord  de  son  canot, 
accompagné  du  colonel  Wingate  et  d'un  aide  de  camp.  Ils  firent  le  tour 
des  fortifications,  en  compagnie  de  4  autres  officiers  français,  tous  vêtus 
de  blanc.  Je  pus  apercevoir,  en  outre,  4  Français,  sergents,  je  suppose  : 
en  tout  9  Européens. 

Toutes  les  troupes  reçurent  l'ordre  de  débarquer,  et,  après  le  retour 
du  colonel  Wingate,  nous  débarquâmes  à  notre  tour  près  de  l'extrémité 
nord  du  camp  français  et  nous  occupâmes  une  positron  située  derrière 


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664  KEVUE  FRANÇAISE 

la  position  française.  Le  drapeau  égyptien  fut  hissé  le  long  d'un  grand 
mât  au  son  de  Thymne  khédivial  exécuté  par  les  H«  et  13*  r^ments 
soudanais,  puis  le  sirdar  ordonna  de  pousser  trois  vivats  en  Thonneur 
du  khédive.  Aucun  Français  n'assistait  à  cette  cérémonie.  Dans  l'après- 
midi,  les  drapeaux  anglais  et  égyptien  flottaient  sur  Facboda. 

Les  Cameroon  et  le  iS^  soudanais  furent  envoyés,  à  bord  des  canon- 
nières, dans  la  direction  du  sud  et  atteignirent  la  rivière  Sobat.  Dans 
l'après-midi  du  22  septembre,  ils  n'aperçurent  que  quelques  indigènes 
fort  étonnés  de  les  voir.  Le  sirdar  et  son  état-major  débarquèrent  avec 
les  Soudanais  et  la  cérémonie  du  déploiement  du  drapeau  égyptien  fut 
renouvelée.  Les  compagnies  du  13*  soudanais  furent  placées  en  garni- 
son à  cet  endroit.  Le  jour  suivant,  dans  la  matinée,  nous  reprîmes  le 
chemin  de  Facboda  où  nous  sommes  arrivés  le  même  jour.  Tout  était 
tranquille  et  les  deux  drapeaux  flottaient  sur  la  place.  » 

D'autre  part,  le  Livre  Bleu  publie  le  rapport  adressé,  le  21  septembre, 
par  sir  H.  Kitchener  à  lord  Cromer.  Le  sirdar  y  raconte  son  entrevue 
avec  le  capitaine  Marchand,  auprès  duquel  il  protesta  contre  l'érection 
du  drapeau  français.  Il  déclara  qu'il  avait  l'ordre  de  rétablir  l'autorité 
du  khédive  à  Facboda  et  demanda  à  Marchand  s'il  avait  l'intention  de 
résister  à  ces  ordres  appuyés  par  des  forces  très  supérieures.  Finale- 
ment, il  lui  offrit  de  mettre  un  vapeur  à  sa  disposition  pour  descendre 
le  Nil,  après  avoir  abandonné  la  place. 

Marchand  répondit  que  s'il  était  obligé  de  résister,  lui  et  ses  compa- 
gnons mourraient  à  leur  poste.  Il  pria  le  sirdar  de  considérer  l'obliga- 
tion où  il  était  d'obéir  aux  ordres  qu'il  avait  reçus  et  de  référer  la  ques- 
tion à  son  gouvernement.  Le  sirdar  se  contenta  alors  de  faire  occuper 

une  position  voisine  du  poste  français. 

A.  M. 


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L'ABANDON  ANGLAIS  DU  SOUDAN 

On  est  véritablement  confondu,  à  la  lecture  des  journaux  britan- 
niques, de  voir  avec  quelle  habileté  ou  avec  quelle  inconscience,  les 
Anglais  oublient  ou  travestissent  Thistoire  et  font  litière  de  leurs  prin- 
cipes, quand  il  y  va  de  leui-s  intérêts  politiques  ou  commerciaux.  Depuis 
que  la  question  de  Fachoda  est  ouverte,  la  presse  d'Outre-Manche  n'a 
cessé  de  revendiquer,  avec  une  persistante  vivacité,  les  droits  de 
rÉgypte  sur  les  provinces  du  Soudan  tombées  au  pouvoir  du  Mahdi. 
C'est  là  le  thème  de  toutes  les  polémiques,  la  base  d'argumentation  d^s 
diplomates  et,  à  en  croire  nos  voisins,  jamais  droits  n'ont  été  plus  réels, 
ni  moins  abandonnés  que  ceux-là. 

Puisqu'il  en  est  ainsi,  un  peu  d'histoire  rétrospective  démontrera 
nettement  et  clairement  qu'après  la  défaite  d'Arabi  et  la  prise  de  posses- 
sion de  rÉgypte  par  les  Anglais,  tous  les  actes  des  gouvernements 
anglais  et  égyptien  n'ont  tendu  qu'à  une  seule  et  unique  chose  :  aban- 
donner le  Soudan  coûte  que  coûte.  Sous  ce  rapport,  toutes  les  instruc- 
tions, proclamations,  décrets,  sont  en  parfait  accord  et  ce  sont  des 
documents  anglais,  que  le  Temps  ressuscite  fort  à  propos,  qui  en  font  foi. 

Lorsque  l'Angleterre  intervint  en  Egypte  et  établit  son  autorité  sur 
les  bords  du  Nil,  une  bonne  partie  du  Soudan  oriental  était  déjà  tombée 
au  pouvoir  du  Mahdi;  l'autre  était  menacée  de  subir  prochainement 
le  même  sort.  Le  Soudan  était  une  lourde  charge  pour  le  Trésor  égyp- 
tien, déjà  chargé  d'uoe  dette  écrasante  et  l'Angleterre  ne  voulait  à 
aucun  prix  s'engager  dans  une  aventure  aussi  risquée  que  celle  qui 
consistait  à  partir  en  guerre  contre  le  Mahdi. 

Afin  de  ménager  l'amour-propre  du  Khédive,  il  ne  fut  pas  question 
tout  d'abord  d'un  abandon  complet.  Mais,  dès  le  mois  d'avril  1883, 
instruction  était  envoyée  à  Slatin-Bey,  gouverneur  du  Darfour,  de 
«  tâcher  d'organiser  un  gouvernement  sous  quelques  descendants  des 
anciens  rois  du  territoire  et  d'évacuer  le  pays  ».  (Extrait  de  la  notice 
rédigée  pour  Gordon,  à  V Intelligence  department.) 

A  la  fin  de  cette  même  année  1863,  survint  le  désastre  de  Kasghil, 
au  Kordofan  (5  nov.).  L'expédition  de  Hicks-Pacha,  forte  de  i  0.000 
hommes,  fut  entièrement  détruite  par  les  mahdistes,  après  3  jours  de 
combat.  Pas  un  soldat  n'échappa  et  42  canons  tombèrent  aux  mains 
des  vainqueurs.  Ce  désastre  ne  contribua  pas  peu  à  maintenir  le  cabinet 


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666  REVUE  FRANÇAISE 

de  Londres  dans  ses  projets  d'abandon,  et  lord  Granville,  prescrivit  à 
sir  E.  Baring,  son  représentant  au  Caire,  d'amener  le  gouvernement 
égyptien  à  procéder  le  plus  rapidement  possible  à  l'évacuation  complète 
du  Soudan. 

Ce  n'était  pas  une  petite  affaire  d'opérer  le  retrait  des  garnisons  et  des 
fonctionnaires  égyptiens  sur  une  ligne  qui,  en  suivant  les  rives  du  Nil, 
n'avait  pas  moins  de  1.500  kilomètres  d'étendue.  Pour  cette  opération 
difficile  on  choisit  Gordon,  qui  avait  autrefois  servi  au  Soudan  et  y  avait 
laissé  de  bons  souvenirs.  Le  flrman  du  Khédive  qu'il  reçut,  en  date  du 
27  janvier  1884,  disait  : 

«  Vous  savez  que  l'objet  de  la  mission  de  V.  Excellence  au  Soudan 
est  4*opérer  V évacuation  de  ce  pays  par  nos  troupes  et  par  nos  fonction- 
naires du  gouvernement  qui  s'y  trouvent...  Après  avoir  réglé  cette 
affaire,  vous  prendrez  les  arrangements  indispensables  pour  établir  dans 
ces  provinces  un  gouvernement  fort...  » 

Du  moment  qu'il  n'y  avait  plus  ni  soldats,  ni  fonctionnaires  du 
Khédive,  ce  gouvernement  ne  pouvait  être  qu'indépendant  de  l'Egypte. 
En  outre,  une  proclamation  était  jointe  au  flrman.  Le  Khédive,  parlant 
de  l'insurrection  mahdiste,  y  disait  : 

«  Cette  rébellion  a  eu  pour  unique  résultat  des  grandes  pertes 
d'hommes  et  d'argent  et  a  été  pour  la  terre  d'Egypte  un  très  lourd 
fardeau.  Aussi  aL\ons-nous  résolix  de  rendre l'indéperidanceaiix  anciennes 
familles  des  rois  du  Soudan,.,  Nous  demandons  en  conséquence  à  ceux 
qui  ont  pris  les  armes  de  les  déposer,  et  de  constituer  en  toute  dili- 
gence et  en  pleine  tranquillité  un  gouvernement  de  leurchoiXj  qui  assure 
la  prospérité  du  pays  et  la  sécurité  des  routes,  de  façon  que  les  relations 
commerciales  puissent  continuer  entre  nous,  ce  qui  vous  donnera  la 
richesse,  w 

Le  gouvernement  britannique  voulait  avant  tout  abandonner,  au 
meilleur  compte  possible,  lés  provinces  occupées.  Mais  (îordon,  envoyé 
précipitamment  à  Khartoum,  avait  ses  idées  à  lui.  Il  commença  par 
garder  dans  sa  poche,  la  proclamation  du  Khédive,  rétablir  l'esclavage, 
ce  qui  causa  une  profonde  stupéfaction  en  Angleterre,  et  organiser  par- 
tout la  résistance.  Il  demanda  alors  des  troupes  de  renfort,  des  moyens 
de  subsistance,  etc.,  mais  se  heurta  toujours  à  des  refus  catégoriques. 
Alors,  bien  résolu  k  ne  pas  abandonner  Khartoum,  il  s'y  laissa 
bloquer. 


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L'ABANDON   ANGLAIS  DU   SOUDAN  661 

En  Angleterre,  Topinion  publique  s'émut  quand  elle  connut  la  posi* 
tion  de  Gordon.  Le  gouvernement  dut  se  résoudre  à  venir  à  son  secours 
et  prépara  une  expédition  dont  le  général  Wolseley  prit  le  commande- 
ment. Il  persista  néanmoins  dans  son  projet  d'abandon,  à  peu  près 
complet  du  Soudan,  ainsi  qu'il  résulte  des  instructions  suivantes  adressées 
à  lord  Wolseley  : 

Cl  La  position  des  garnisons  du  Darfour,  du  Bahr  el  Ghazal  et  do 
TÉquatoria  nous  rend  impossible  d'assurer  leur  retraite  sans  entre- 
prendre des  opérations  dépassant  de  beaucoup  la  limite  que  s'impose  le 
gouvernement.  Quant  à  la  garnison  de  Sennaar,  le  gouvernement 
anglais  ne  saurait  approuver  l'envoi  d'une  expédition  anglaise  pour  lui 
venir  en  aide...  Quant  au  futur  gouvernement  du  Soudan  et  particuliè- 
rement de  Khartoum,  on  voudrait  le  voir  entièrement  indépendant  de 
l'Egypte,  en  ce  qui  concerne  les  questions  d'administration  intérieures.  » 

Cette  fois  le  Bahr  el  Ghazal  est  nommément  désigné  dans  les  pro- 
vinces à  abandonner.  Quant  à  Fachoda,  c'était  déjà  chose  faite.  Et  pour 
Khartoum,  on  s'en  tenait  à  un  espoir  de  protectorat  purement  nominal. 

On  sait  qne  l'armée  de  Wolseley  arriva  sous  les  murs  de  Khartoum 
deux  jours  trop  tard.  La  ville  était  prise  et  Gordon  était  mort  (26  jan- 
vier 1885).  Les  troupes  britanniques  rétrogadèrent  alors  jusqu'à  Ouady- 
Halfa,  qui  fut,  jusqu'en  1890,  la  frontière  méridionale  de  l'Egypte. 

Les  provinces  éloignées,  abandonnées  à  leur  malheureux  sort,  ne 
tardèrent  pas  à  tomber  au  pouvoir  du  Mahdi.  Slatin-Bey,  gouverneur 
du  Darfour  succomba  le  premier.  Fait  prisonnier  et  emmené  à  Omdur- 
man,  il  parvint  à  s'échapper  après  une  longue  captivité.  Peu  après, 
Lupton-Bey,  gouverneur  du  Bahr  el  Ghazal,  assiégé  dans  Roumbek,  fut 
forcé  de  se  rendre  et  mourut  chargé  de  fers  à  Omdurman.  Quant  à 
Emin-Bey,  gouverneur  de  l'Équatoria,  il  résistait  encore,  malgré  les 
échecs  et  la  révolte  d'une  partie  de  ses  troupes,  quand  Stanley  arriva 
dans  la  province.  On  sait  que  au  lieu  de  le  secourir  et  de  le  ravitailler, 
Stanley  l'emmena  malgré  lui  à  la  côte  en  lui  faisant  abandonner  sa 
province. 

Ainsi,  des  documents  et  faits  ci -dessus  résulte  bien  la  preuve  que 
l'abandon  du  Soudan  égyptien,  et  particulièrement  des  provinces  du 
Haut-Nil,  a  été  préparé,  ordonné  et  en  partie  effectué  d'après  les  ins- 
tructions du  gouvernement  britannique.  Ce  n'était  pas  d'ailleurs,  à 
l'époque,  une  chose  mystérieuse  et  personne  n'eût  contesté  la  matéria- 


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668  REVUE  FRANÇAISE 

lité  du  fait.  Mais  les  évéDements  ont  marché,  l'.Vngleleire  s'est  aperçue 
qu  elle  avait  fait  fausse  route,  et  la  tactique  de  la  presse  est  d'oublier 
le  passé. 

Cependant  Thistoire  ne  saurait  être  ainsi  escamotée.  L'Angleterre  a 
imposé  à  l'Egypte  l'abandon  du  Soudan,  cela  est  hors  de  doute.  En 
agissant  ainsi  elle  a  transformé  ce  pays  en  une  res  nullius,  une  chose 
sans  maître,  que  le  premier  venu  avait  le  droit  d'occuper.  C'est  ce  qui 
est  arrivé.  L'Angleterre  a  d'ailleurs  donné  lexemple ;  l'Italie  a  suivi, 
puis  l'Abyssinie,  le  Congo  et  enfln  la  France.  De  quoi  se  plaint  donc 
l'Angleterre,  puisque,  au  point  de  vue  du  droit  international,  la  France 
a  agi  exactement  comme  l'Angleterre  a  agi  elle-même? 

Faut-il  donc  rappeler  toutes  les  occupations  faites  et  le  premier  par- 
tage des  dépouilles  dé  l'ancien  domaine  de  TÉgypte? 

Zeila  et  Berbera,  sur  le  golfe  d'Aden,  occupés  par  les  Anglais  ; 

Le  Harrar,  tombé  au  pouvoir  des  Abyssins  ; 

Massaouah  et  la  baie  d'AdouIis,  occupés  par  les  Italiens,  d'accord  avec 
l'Angleterre  ; 

L'Ounyoro  et  l'extrême  Haut-Nil  occupés  par  les  Anglais  ; 

L'enclave  de  Lado-Redjaf  prise  par  les  Belges. 

Et  il  y  a  lieu  de  remarquer  qu'à  Zeila-Berbera  et  à  Massaouah-Adou- 
lis.  Anglais  et  Italiens  n'ont  point  occupé  une  chose  abandonnée  et  sans 
maître.  Ces  villes  avaient  une  garnison  égyptienne.  Les  Mabdistes  ne 
les  menaçaient  point,  ni  aucun  autre  ennemi.  Elles  n'avaient,  en  outre, 
aucun  motif  de  cesser  d'obéir  directement  au  khédive.  Malgré  cela,  par 
le  bon  plaisir  de  TAngleterre,  ces  garnisons  n'en  furent  pas  moins  in- 
vitées à  quitter  les  lieux  et  à  laisser  la  place  libre  aux  nouveaux  occu- 
pants. 

Quand  on  a  de  pareils  précédents  contre  soi,  quand  on  a  pris  parce 
que  cela  convenait  de  prendre,  avec  quelle  autorité  peut-on  venir  par- 
ler sérieusement  au  nom  des  droits  de  l'Egypte? 

Geoi^es  Démanche. 


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LA  SITUATION  ECONOMIQUE  DU  JAPON 


(1) 


L'aoïjée  1897  a  été  pour  le  Japon  une  des  plus  mauvaises  qu*il  ait 
traversées  depuis  longtemps  ;  elle  contraste  donc,  avec  les  années  pré- 
cédentes, qui  avaient  été  excellentes  et  avaient  accentué  le  progrès  du 
Japon  sous  toutes  ses  formes.  Sans  doute  qu'en  1897,  le  commerce  ex- 
térieur de  TEmpire  du  Soleil-Levant  a  encore  progressé,  mais  il  y  a  une 
crise  intérieure  qui  conmience  à  se  manifester  et  qui  pourra,  très  pro- 
chainement, donner  peut-être  à  réfléchir  aux  Japonais  trop  entrepre- 
nants. 

Situation  financière.  —  Le  vote  par  le  Parlement  japonais,  en  mars 
1897,  de  la  loi  relative  au  nouveau  système  monétaire,  avec  étalon  d'or, 
fit  croire  à  une  reprise  des  affaires,  mais  il  n'en  fut  rien  et,  après  !a 
mise  en  circulation  du  yen  d'or,  et  le  retrait  du  yen  d'ai^ent.  on  ne 
trouva  plus  que  de  la  monnaie  divisionnaire  à  bas  titre. 

a  L'or  est  introuvable,  dit  M.  Steenackers,  consul  de  France  à  Naga- 
saki, dans  un  récent  rapport;  aucun  paiement  ne  s'effectue  dans  les 
magasins,  maisons  de  conmierce,  etc.,  en  pièces  de  1,  5,  10,  20  yens 
d'or.  Au  fur  et  à  mesure  que  l'or  en  barre,  importé  principalement 
d'Angleterre,  sort  de  la  monnaie  d'Osaka  transformé  en  pièces  ayant 
cours,  il  est  accaparé  par  les  grands  établissements  financiers  étran- 
gers. » 

En  conséquence,  les  transactions  sont  devenues  très  difficiles  et  ont 
déterminé  le  renchérissement  de  la  vie  matérielle.  Pendant  le  cours  de 
l'année  1897,  les  principaux  articles  du  commerce  ont  subi  une  hausse 
de  prix  de  23  0/0  en  moyenne.  Depuis  dix  ans,  l'accroissement  de  prix 
des  principales  denrées  est  de  72  0/0  ! 

La  situation  économique  du  Japon  a  été,  en  outre,  grandement  frappée 
par  l'accroissement  rapide  du  chiffre  du  papier-monnaie  en  circulation, 
émis  par  la  Banque  du  Japon. 

Le  nouveau  système  monétaire,  contre  l'attente  du  pays,  n'a  apporté 
aucune  amélioration,  et  la  crise  s'est,  au  contraire,  accentuée,  aidée 
par  la  diminution  de  la  récolte  du  riz,  détruite  en  partie  par  des  inon- 
dations, des  typhons  et  des  insectes  ;  de  sorte  que  la  production  du  riz 
% 

(1)  Consulter  les  précédentes  études  publiées  sur  le  commerce  japonais,  dans  la 
nwm  française,  notamment  1897,  t.  XXll,  p.  143  et  1898,  t.  XXIII,  p.  226. 


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■T*'  I 


670  REVUE  FRANÇAISE 

subit  une  moins- value  de  16  0/0  qui  provoqua  la  hausse  du  prix  de 
cet  aliment  et  des  autres  articles,  car  c*est  le  riz  qui,  au  Japon,  sert  de 
base  d'évaluation  pour  les  autres  produits. 

Quant  au  commerce  extérieur  au  Japon  en  1897,  il  a  été  de 
163.135.000  yen  pour  les  exportations  et  de  219.300.000  yen  pour  les 
importations  se  soldant,  en  faveur  de  l'étranger,  par  55.163.000  yen. 
En  dehors  du  riz,  acheté  au  dehors  en  quantité  importante,  Taugmen- 
tation  des  importations  étrangères  porte  surtout  sur  les  machines  qu'on 
fait  venir  d'Europe.  Les  succès  des  Japonais  en  sériciculture  et  l'écou- 
lement facile  de  leur  coton  filé  n'a  été  qu'une  faible  compensation  à 
leurs  pertes  d'un  autre  côté. 

Les  ressources  extraordinaires  du  Japon  au  point  de  vue  financier, 
proviendront  jusqu'à  leur  épuisement,  de  Tinden^nité  de  la  guerre  avec 
fei  Chine,  en  1894.  Cette  indemnité  est  de  200  millions  de  taëls  on 
32.900.980  £  anglaises.  De  novembre  1895  à  novembre  1897,  les  Japo- 
nais ont  touché  sur  ce  total  19.192.238  £  en  principal,  1.782.136  £ 
d'intérêts  et  4.935.147  £  pour  la  rétrocession  du  Liao-Tong,  soit  en  tout 
25.909.521  £. 

Le  dépôt  de  ces  diverses  sommes  à  la  Banque  d'Angleterre  a  donné 
un  intérêt  de  164.903  £,  ce  qui  porte  le  total  définitif  à  26.078.016  £. 

La  classe  la  plus  éprouvée  par  la  crise  japonaise,  est  celle  des  gens 
d'affaires  et  des  capitalistes,  mais  les  classes  laborieuses  sont  peu  at- 
teintes. En  effet,  les  travaux  publics  sont  très  nombreux  :  chemins  de 
fer,  installations  d'usines  et  de  manufactures,  etc.,  et  les  ouvriers  et 
artisans  de  tous  métiers  ont  facilement  du  travail. 

Chemins  de  fer.  —  En  1897,  il  a  été  livré  au  Japon  500  milles  envi- 
ron de  nouvelles  voies  ferrées.  Au  18  avril  1898,  l'Empire  comptait  eo 
tout  3.093  milles  de  lignes  exploitées.  Les  Japonais  s'occup^at  très 
activement  de  compléter  leur  réseau  ferré;  beaucoup  de  pro\inces  y 
ont  un  grand  intérêt,  car  leur  éloignement  de  la  mer  sera  compensé 
par  ces  voies  de  communication  rapides.  2.000  milles  de  chemin  de  fer 
sont  actuellement  projetés,"  mais  leur  exécution  complète  se  fera  peut- 
ùlre  attendre  plus  qu'on  aurait  pu  supposer,  caries  lignes  déjà  exploitées 
n'ont  pas  donné  aux  C'^'  les  résultats  attendus,  le  charbon  étant  très 
cher. 

Services  inarilimes,  —  Les  nouveaux  services  maritimes  inaugurés 
par  la  C'""  des  paquebots-poste  a  Nippon  Yusen  Kaisha  d  n'ont  pas  eu 


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i 


LA   SITUATION   ÉCONOMIQUE   DU   JAPON  671 

tout  le  succès  prévu.  Au  point  de  vue  fiûancier,  les  dépenses  ont  tou- 
jours surpassé  les  recettes.  Aussi,  dès  le  1"  semestre  de  1897,  les  fonds 
de  réserve  de  la  O®  ont-ils  dû  être  entamés,  afin  que  les  actionnaires 
puissent  toucher  des  dividendes. 

La  C*®  a  un  capital  de  22  millions  de  yens  et  un  fonds  de  réserve  de 
3.400.000  yens.  Elle  a  pris  la  résolution  de  supprimer  pour  le  2®  se- 
mestre, la  situation  ne  s'étant  pas  améliorée,  les  dividendes  des  action- 
naires, malgré  les  réclamations  de  ces  derniers. 

La  Nippon  Yusm  Kaisha,  qni  a  fait  d'énormes  sacrifices  pour  créer 
ess  lignes,  n'espère  en  être  récupérée  que  dans  plusieurs  années  ;  toute 
la  question  est  de  savoir  si  les  circonstances  lui  permettront  d'attendre. 
La  plupart  des  paquebots  de  la  C®  ont  été  commandés  en  Angleterre. 

La  O^  de  navigation  Shosen-Kwaisha-Osaka  n'a  pas  été  favorisée  non 
plus;  elle  n'a  pu  servir  aucun  dividende  et  a  même  dû  réduire  de  pres- 
que moitié  son  capital. 

Commerce  extéi^iew\  —  Le  commerce  du  Japon,  nous  l'avons  déjà 
dit  ci-dessus,  s'est  soldé  à  l'avantage  considérable  des  importations 
étrangères.  Les  importations  totales  de  1897  sont  en  augmentation  de 
28  0/0  sur  1896,  mais  tes  exportations  japonaises  sont  en  progrès  en- 
core plus  sensible  (38  0/0). 

Les  importations  ont  consisté  surtout  en  coton  brut  (43.620.000  yens), 
en  riz  (21.S28.000  yens),  en  sucres  (20.003.000  yens),  en  machines 
(12.291 .000  yens),  etc. 

lies  exportations  comprennent  notamment,  la  soie  (55.630.000  yens), 
le  coton  filé  (13.490.000  yens),  le  charbon  (H  .515.000  yens). 

En  résumé,  et  tout  en  continuant  à  marcher  de  l'avant,  le  Japon 
conunence  à  se  ressentir  fortement  de  sa  témérité,  qui  gagnerait,  dans 
l'intérêt  de  l'avenir  du  pays  à  être  un  peu  calmée.  Il  ne  ressort  pas 
évidemment  que  le  Japon  soit  sérieusement  atteint,  et  peut-être  sor- 
tira-t-il  vigoureux  et  prospère  de  cette  crise  passagère.  Il  n'en  est  pas 
moins  vrai  que  les  résultats  tangibles  des  entreprises  japonaises  se  fe- 
ront sans  doute  attendre  plus  qu'on  l'avait  escompté  à  Tokio,  et  que 
l'Europe  cherche  en  ce  moment,  en  Chine,  à  prendre  la  place  que  les 
Japonais  croyaient  trop  tôt  acquérir.  La  c^  iNouvelle  Angleterre  »  est 
loin  d'avoir  contrebalancé,  en  Extrême-Orient,  la  «r  vieille  Europe*  » 

Paul  BABttÉé 


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CONVENTION  FRANCO-ANGLAISE  DU  NIGER 

Protocole. 

Article  premier.  —  La  frontière  séparant  les  colonies  françaises  de  la  Côte 
dlvoire  et  du  Soudan  de  la  colonie  britannique  de  la  Côte  d*Or  partira  du 
point  terminal  Nord  de  la  frontière  déterminée  par  Tarrangement  fraoco- 
anglais  du  12  juillet  1893,  c'est-à-dire  de  Tintersection  du  thalw^delaVolta 
noire  avec  le  9«  degré  de  latitude  Nord,  et  suivra  le  thalweg  de  cette  rivière 
vers  le  Nord  jusqu'à  son  intersection  avec  le  11®  degré  de  latitude  Nord. 

De  ce  point,  elle  suivra,  dans  la  direction  de  TEst,  ledit  parallèle  de  lati- 
tude jusqu'à  Ja  rivière  qui  est  marquée  sur  la  carte  n«l  annexée  au  présent 
protocole,  comme  passant  immédiatement  à  Test  des  villages  de  Souaga  (Swaga) 
et  de  Sébilla  (Zébiila).  Elle  suivra  ensuite  le  thalweg  de  la  branche  ocdden- 
tate  de  cette  rivière  en  remontant  son  cours  jusqu'à  son  intersection  avec  le 
parallèle  de  latitude  passant  par  le  village  de  Sapeliga.  De  ce  point,  la  froo- 
tière  suivra  la  limite  septentrionale  du  terrain  appartenant  à  Sapeliga  jus- 
qu'à la  rivière  Nouhan  (Nuhan)  et  se  dirigera  ensuite  par  le  thalw^  de  cettfi 
rivière  en  remontant  ou  en  descendant,  suivant  le  cas,  jusqu'à  un  point  situé 
à  3219  mètres  (2  milles)  à  Test  du  chemin  allant  de  Gambaga  àTingourkou 
(Tenkrugu)  par  Baukou  (Bawku).  De  là,  elle  rejoindra  en  ligne  droite  le 
point  d'intersection  du  11«  degré  de  latitude  Nord  avec  le  chemin  indiqué 
sur  la  carte  n«  1  comme  allant  de  Sansanne-Mango  à  Gama  par  Djebiga 
(Zebigu). 

Art.  2.  —  La  frontière  entre  la  colonie  française  du  Dahomey  et  la  colonie 
britannique  de  Lagos,  qui  a  été  délimitée  sur  le  terrain  par  la  commissioo 
franco-anglaise  de  délimitation  de  1895  et  qui  est  décrite  dans  le  rapport 
signé,  le  12  octobre  1896,  par  les  commissaires  des  deux  nations»  sera  désor- 
mais  reconnue  comme  la  frontière  séparant  les  possessions  françaises  et  bri- 
tanniques de  la  mer  au  9*  degré  de  latitude  Nord. 

A  partir  du  point  d'intersection  de  la  rivière  Ocpara  avec  le  9«  degré  de 
latitude  Nord  tel  qu'il  a  été  déterminé  par  lesdits  commissaires,  la  frontière 
séparant  les  possessions  françaises  et  britanniques  se  dirigera  vers  le  Nord  et 
suivra  une  ligne  passant  à  l'ouest  des  terrains  appartenant  aux  localités 
suivantes  :  Tabira,  Okouta  (Okuta),  Boria,  Téré,  Gbani,  Yassikera  (Ashigere) 
et  Dekala. 

De  l'extrémité  Ouest  du  terrain  appartenant  à  Dekala,  la  frontière  sera 
tracée  dans  la  direction  du  Nord,  de  manière  à  coïncider,  autant  que  possible, 
avec  la  ligne  indiquée  sur  la  carte  n^  1  annexée  au  présent  protocole  et  at- 
teindra la  rive  droite  du  Niger  en  un  point  situé  à  16093  mètres  (10  milles) 
en  amont  du  centre  de  la  ville  de  Guiris  (Géré)  (port  d'ilo),  mesurés  à  vol 
d'oiseau. 

Art.  3.  —  Du  point  spécifié  dans  l'article  2,  où  la  frontière  séparant  les 
possessions  françaises  et  britanniques  atteint  le  Niger,  c'est-à-dire  d'un  point 
situé  sur  la  rive  droite  de  ce  fleuve  à  10  093  mètres  (10  milles),  en  amoot 


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CONVENTION  FKASC0-ANGLAI8E  DU  NIGER 


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t-ww  (.NtiveaiLi-ii  HN).  K*  3au 


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674  KEVUE  FRANÇAISE 

•  du  centre  de  la  ville  de  Guiris  (Géré)  (port  d'ilo),  la  frontière  suivra  la  per- 
pendiculaire élevée  de  ce  point  sur  la  rive  droite  du  fleuve  jusqu'à  son  inter- 
section avec  la  ligne  médiane  du  fleuve.  Elle  suivra  ensuite,  en  remontant  la 
ligne  médiane  du  fleuve  jusqu'à  son  intersection  avec  une  ligne  perpendicu- 
laire à  la  rive  gauche  et  partant  de  la  ligne  médiane  du  débouché  de  la  dé- 
pression au  cours  d'eau  asséché  qui,  sur  la  carte  u9  2  annexée  au  présent 
protocole,  est  appelée  Dallul  Mauri  et  y  est  indiquée  comme  étant  située  à 
une  distance  d'environ  27  359  mètres  (17  milles),  mesurés  à  vol  d'oiseau, 
d'un  point  sur  la  rive  gauche,  en  face  du  village  ci-dessus  mentionné  de 
Guiris  (Géré). 

De  ce  point  d'intersection,  la  frontière  suivra  cette  perpendiculaire  jusqu'à 
sa  rencontre  avec  la  rive  gauche  du  fleuve. 

Art.  4.  —  A  Test  du  Niger,  la  frontière  séparant  les  possessions  françaises 
et  britanniques  suivra  la  ligne  indiquée  sur  la  carte  n^  2  annexée  au  présent 
protocole. 

Partant  du  point  sur  la  rive  gauche  du  Niger  indiqué  à  l'article  précédent, 
c'est-à-dire  la  ligne  médiane  du  Dallul  Mauri,  la  frontière  suivra  cette  lign^ 
médiane  jusqu'à  sa  rencontre  avec  la  circonférence  d'un  cercle  décrit  du 
centre  de  la  ville  de  Sokoto  avec  un  rayon  de  160932  mètres  (100  milles).  De 
ce  point,  elle  suivra  l'arc  septentrional  de  ce  cercle  jusqu'à  sa  seconde  inter 
section  avec  le  14«  degré  de  latitude  Nord.  De  ce  second  point  d'intersection, 
elle  suivra  ce  parallèle  vers  l'Est,  sur  une  distance  de  112  652  mètres  (70 
milles),  puis  st.  dirigera  au  Sud  vrai  jusqu'à  sa  rencontre  avec  le  parallèle 
43**20'  de  latitude  Nord,  puis  vers  l'Est,  suivant  ce  parallèle,  sur  une  dis- 
tance de  402230  mètres  (250  milles),  puis  au  Nord  vrai  jusqu'à  ce  qu'elle 
rejoigne  le  14®  parallèle  de  latitude  nord,  puis  vers  l'Est,  sur  ce  parallèle, 
jusqu'à  son  intersection  avec  le  méridien  passant  à  35^  Est  du  centre  de  Ja 
ville  de  Kuka,  puis  ce  méridien  vers  le  Sud  jusqu'à  son  intersection  avec  la 
rive  Sud  du  lac  Tchad. 

Le  gouvernement  de  la  République  française  reconnaît  comme  tombant 
dans  la  sphère  britannique  le  territoire  à  l'Est  du  Niger  compris  entre  la  ligne 
susmentionnée,  la  frontière  anglo-allemande  et  la  mer. 

Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  britannique  reconnaît  comme  tombant 
dans  la  sphère  française  les  rives  Nord,  Est  et  Sud  du  lac  Tchad  qui  seront 
comprises  entre  le  point  d'intersection  du  14^  d^ré  de  latitude  Nord  avec  la 
rive  occidentale  du  lac  et  le  point  d'incidence  sur  le  lac  de  la  frontière  déter- 
minée par  la  convention  franco-allemande  du  15  mars  1894. 

Art.  5.  —  Les  frontières  déterminées  par  le  présent  protocole  sont  ins- 
crites sur  les  cartes  n^  1  et  2  ci-annexées. 

Les  deux  gouvernements  s'engagent  à  désigner,  dans  le  délai  d'un  an  pour 
les  frontières  à  l'ouest  du  Niger,  et  de  deux  ans  pour  les  frontières  à  Test  de 
ce  même  fleuve,  à  compter  de  la  date  de  l'échange  des  ratifications  de  la 
convention  qui  doit  être  conclue  aux  fins  de  confirmer  le  présent  protocole, 
des  commissaires  qui  seront  chargés  d'établir  sur  les  lieux  des  lignes  de  dé' 


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CONVENTION  FRANCO- ANGLAISE  DU  NIGER  675 

marcation  entre  les  possessions  françaises  et  britanniques  en  conformité  et 
suivant  Tesprit  des  stipulations  du  présent  protocole. 

En  ce  qui  concerne  la  délimitation  de  la  portion  du  Niger  dans  les  envi- 
ons d'Ilo  et  du  Dallul-Mauri,  visée  à  Tarticle  3,  les  commissaires  chargés  de 
la  délimitation,  en  déterminant  sur  les  lieux  la  frontière  fluviale,  réparti- 
ront équitablement  entre  les  deux  puissances  contractantes  les  îles  qui  pour- 
ront faire  obstacle  à  la  délimitation  fluviale  telle  qu'elle  est  décrite  à 
Tarticle  3. 

Il  est  entendu  entre  les  deux  puissances  contractantes  qu'aucun  changement 
ultérieur  dans  la  position  de  la  ligne  médiane  du  fleuve  n'afifectera  les  droits 
de  propriété  sur  les  îles  qui  auront  été  attribuées  à  chacune  des  deux  puis- 
sances par  le  procès-verbal  des  commissaires,  dûment  approuvé  par  les  deux 
gouvernements. 

Art.  6.  —  Les  deux  puissances  contractantes  s'engagent  réciproquement  à 
traiter  avec  bienveillance  (considération)  les  chefs  indigènes  qui,  ayant  eu 
des  traités  avec  l'une  d'elles,  se  trouveront,  en  vertu  du  présent  protocole, 
passer  sous  la  souveraineté  de  l'autre. 

Art.  7.  —  Chacune  des  deux  puissances  contractantes  s'engage  à  n'exercer 
aucune  action  politique  dans  les  sphères  de  l'autre  telles  qu'elles  sont  déû» 
nies  par  les  articles  1,  2,  3  et  4  du  présent  protocole.  Il  est  convenu  par  là 
que  chacune  des  deux  puissances  s'interdit  de  faire  des  acquisitions  territo- 
riales dans  les  sphères  de  l'autre,  d'y  conclure  des  traités,  d'y  accepter  des 
droits  de  souveraineté  ou  de  protectorat,  d'y  gêner  ou  d'y  contester  l'influence 
de  l'autre. 

Art.  8.  —  Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  britannique  cédera  à  bail  au 
gouvernement  de  la  République  française  aux  fins  et  conditions  spécifiées 
dans  le  modèle  de  bail  annexé  au  présent  protocole,  deux  terrains  à  choisir 
par  le  gouvernement  de  Sa  Majesté  britannique,  dont  l'un  sera  situé  en  un 
endroit  convenable  sur  la  rive  droite  du  Niger,  entre  Léaba  et  le  confluent 
de  la  rivière  Moussa  (Mochi)  avec  ce  fleuve,  et  l'autre  sur  l'une  des  embou- 
chures du  Niger. 

Chacun  de  ces  terrains  sera  en  bordure  sur  le  fleuve,  sur  une  étendue  de 
400  mètres  au  plus  et  formera  un  tènement  dont  la  superficie  ne  sera  pas 
inférieure  à  dix  hectares  ni  supérieure  à  cinquante  hectares.  Les  limites 
exactes  de  ces  terrains  seront  indiquées  sur  un  plan  annexé  à  chacun 
des  baux. 

Les  conditions  dans  lesquelles  s'eflectuera  le  transit  des  marchandises  sur 
le  cours  du  Niger,  de  ses  aflïuenls,  de  ses  embranchements  et  issues,  ainsi 
qu'entre  le  terrain  ci-dessus  mentionné,  situé  entre  Léaba  et  le  confluent  de 
la  rivière  Moussa  (Mochi)  et  le  point  à  désigner  par  le  gouvernement  de  la 
République  française  sur  la  frontière  française  feront  l'objet  d'un  règle- 
ment dont  les  détails  seront  discutés  par  les  deux  gouvernements  immé^ 
diatement  après  la  signature  du  présent  protocole. 

Le  gouvernement  do  Sa  Mnjesté  britannique  s'engage  à  donner  avis  quatre 


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676  REVUE  FRANÇAISE 

mois  à  Tavance  au  gouvernement  de  la  République  française  de  toute  mo- 
dification dans  le  règlement  en  question,  aûn  de  mettre  ledit  gouverne- 
ment français  en  mesure  d'exposer  au  gouvernement  britannique  toutes 
représentations  qu'il  pourrait  désirer  faire. 

Art.  9.  —  a  rmtérieur  des  limites  tracées  sur  la  carte  n«  2  annexée  au 
présent  protocole,  les  citoyens  français  et  protégés  français,  les  sujets  bri- 
tanniques et  protégés  britanniques,  pour  leurs  personnes  comme  pour  leurs 
biens,  les  marchandises  et  produits  naturels  ou  manufacturés  de  la  France 
et  de  la  Grande-Bretagne,  de  leurs  colonies,  possessions  et  protectorats  res- 
pectifs jouiront,  pendant  trente  années  à  partir  de  réchange  des  ratifica- 

I  tions  de  la  convention  mentionnée  à  l'article  5,  du  même  traitement  pour 

tout  ce  qui  concerne  la  navigation  fluviale,  le  commerce,  le  régime  doua- 
nier et  fiscal  et  les  taxes  de  toute  nature. 

Sous  cette  réserve,  chacune  des  deux  puissances  contractantes  conservera 
la  liberté  de  régler  sur  son  territoire  et  à  sa  convenance  le  régime  doua- 
nier et  fiscal  et  les  taxes  de  toute  nature. 

Dans  le  cas  où  aucune  des  puissances  contractantes  n'aurait  notifié  douze 
mois  avant  Téchéance  du  terme  précité  de  trente  années  son  intention  de 
faire  cesser  les  effets  du  présent  article,  il  continuera  à  être  obligatoire 
jusqu'à  l'expiration  d'une  année  à  partir  du  jour  où  l'une  ou  l'autre  des 
puissances  contractantes  l'aura  dénoncé. 
En  foi  de  quoi,  les  délégués  soussignés  ont  dressé  le  présent  protocole 

p     .  et  y  ont  apposé  leurs  signatures. 

I  Fait  à  Paris  en  double  expédition,  le  quatorze  juin  mil  huit  cent  quatro- 

K  vingt-dix-huit. 

r  Signé  :  René  Lbcomte,  Martin  Gosseun, 

^  G.  BiNGER.  William  Everett. 


EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS 

M.  Alfred  Marche  est  mort  le  31  août  à  Paris.  Né  à  Boulogne-sur- 
Seine  en  1814,  il  avait  été  d'abord  aide-naturaliste  au  Muséum.  U  alla 
au  Gabon  et  explora  un  des  premiers  TOgooué,  d'abord  seul  ea  1872, 
puis  avec  le  marquis  V.  de  Compiègne  ;  ils  remontèrent  ensemble  le 
fleuve  jusqu'à  Lopé,  pénétrèrent  chez  les  Okanda  et  parvinrent  au  con- 
fluent de  rivindo,  où  les  Ossyéba  les  attaquèrent.  Forcés  de  revenir 
à  la  côte,  ils  regagnèrent  Libreville  en  mai  1874.  Marche  repartit  sur 
rOgooué  en  septembre  1873,  avec  de  Brazza  et  le  D^  Ballay  ;  ensemble, 
ils  parvinrent  au  confluent  de  la  Lékélé.  Marche,  épuisé  de  fatigue,  dut 
se  séparer  de  ses  compagnons  à  Doumé,  sur  l'Ogooué,  en  1877,  et  ren- 


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EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS  677 

tra  en  Europe.  Plus  lard,  il  visita  les  Philippines  (1879  à  1886  et  1888), 
les  îles  Mariannes,  etc. 

MM.  Fourneau  et  Pondère  ont  quitté  Marseille  :  le  premier,  le  25  août, 
le  second,  le  10  septembre  pour  explorer  la  région  comprise  entre  le 
Karoeroun,  rOgooué,  l'estuaire  de  Libreville  et  la  Sanga  et  chercher  le 
meilleur  tracé  pour  la  création  d'une  route,  d'un  chemin  de  fer  allant 
de  Libreville  au  fleuve  Congo.  De  Loango,  où  ils  se  rejoindront,  ils  ga- 
gneront Brazzaville  et  la  Sanga.  Ils  seront  accompagnés  du  1*  d'artillerie 
Lucien  Fourneau,  de  SO  tirailleurs  sénégalais  et  de  200  porteurs. 

Le  1*  de  vaisseau  Viclor  Giraud  est  mort  à  Plombières  (22  août),  dans 
sa  47®  année.  Explorateur  de  mérite,  il  avait  visité,  dans  les  années 
1883  et  1884,  la  région  des  lacs  Tanganika,  Nyassa,  Bangouélo  et  Moero 
à  peine  connue  à  cette  époque.  Cette  exploration,  dont  la  Retme  Fran^ 
çaise  a  relaté  les  résultats  (juillet  188S),  permettait  déjà  de  se  rendre 
compte  du  travail  d'approche  des  Anglais  dans  ces  parages.  M.  Giraud 
avait  exposé,  peu  avant  sa  mort,  le  plan  d'un  nouveau  voyage  dans 
l'Afrique  méridionale.  * 

M.  Ch'E.  Boniny  qui  a  entrepris  un  2®  grand  voyage  à  Tintérieur  de 
la  Chine,  est  arrivé  à  Tchung-King  (Setchuen),  d'où  il  écrit  à  la  date  du 
30  mai  1898.  11  allait  atteindre  le  point  terminus  de  la  navigation  du 
Fleuve  Bleu  et  comptait  se  mettre  en  route  par  terre  pour  traverser  les 
régions  limitrophes  du  Tibet,  du  Setchuen  et  du  Yunnan.  M.  Bonin  est 
accompagné  du  capitaine  de  Vaulserre,  de  15  miliciens  annamites  et  de 
2  interprèles  chinois.  Il  comptait  être  à  Tali  (Yunnan),  en  septembre. 

Le  capitaine  Sverdrup,  second  de  Fr.  Nansen  dans  sa  dernière  ex- 
pédition polaire,  est  repartie  sur  son  ancien  navire  le  Fram,  L'explora- 
teur norvégien  se  propose  d'hiverner  sur  la  côte  N.-O.  du  Groenland.  Il 
profitera  de  ce  séjour  pour  étudier  les  phénomènes  de  la  lumière  arc- 
tique et  explorer  les  régions  inconnues  du  Groenland.  Le  Fram,  aujour- 
d'hui propriété  de  l'État  norvégien  qui  subventionne  l'expédition  a  été 
en  partie  refait  par  son  constructeur.  Afin  de  réduire  la  consommation 
du  charbon,  on  n'en  fera  emploi  ni  pour  la  cuisine  ni  pour  la  produc- 
tion de  la  lumière  électrique;  20  tonneaux  de  pétrole  assureront  le 
chauffage  et  l'éclairage.  Le  Fram,  qui  a  quitté  Christiania  le  25  juin 
1898,  a  été  rencontré  le  14  juillet,  par  62^  lat.  N.,  par  le  baleinier  nor- 
végien Tiber, 


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NOUVELLES  GEOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 

AFRIQUE 

Sénégal  :  Commerce  en  1897.  —  Le  commerce  extérieur  du  Sénégal,  en 
d897,  a  été  de  29.179.937  francs  aux  importaUons  et  de  21.136.651  francs 
aux  exportations.  En  1896,  les  chiffres  avaient  été  respectivement  de 
26.175.726  francs  et  de  19.563.065  francs;  il  y  a  donc  eu  progrès  très  sensible. 
La  différence  de  plus  de  8  millions  en  faveur  des  importations,  en  1897,  pro- 
vient des  envois  faits  aux  troupes  et  à  Tadministration,  des  fournitures  de 
matériaux  pour  travaux  publics;  en  outre,  les  importations  destinées  au 
Soudan  transitent  par  le  Sénégal,  tandis  qne  les  exportations  soudanaises 
tendent  à  reprendre  la  voie  de  la  Guinée  française. 

Malgré  une  belle  récolte  d'arachides,  l'exportation  de  cette  graine  a  baissé 
de  800.000  fr.  en  1897.  Par  contre,  les  gommes  sont  en  progrès  de  plus  d'un 
million.  La  disette  du  mil  (principale  nourriture  des  indigènes),  par  suite 
des  invasions  de  criquets,  n'a  pas  provoqué  une  plus  grande  importation  de 
riz;  au  contraire,  les  chiffres  ont  baissé  un  peu. 

En  1897,  la  France  a  importé  au  Sénégal  pour  14.531.176  fr.  de  produits, 
et  les  colonies  françaises  pour  2.321.390  fr. 

Le  Sénégal  a  vendu  à  la  France  pour  11.723.871  fr.  et  aux  colonies  fran- 
çaises pour  2.505.545  fr.  I^  France  et  ses  colonies  ont  donc  fourni  plus  de  la 
moitié  des  importations  et  acheté  plus  de  la  moitié  des  exportations  du 
Sénégal. 

Soudan  français  :  Agissements  anglais  au  Mossi,  —  Avant  la  signature 
de  la  convention  du  14  juin  dernier,  la  France,  par  l'extension  du  Soudan 
vers  le  sud,  et  l'Angleterre,  par  l'extension  de  la  Côte  d'Or  vers  le  nord, 
avaient  établi  une  série  de  postes  s'enchevêtrant  les  uns  dans  les  autres,  sur 
la  frontière  de  Bouna  et  du  Gourounsi.  Par  suite  de  la  nouvelle  convention, 
les  Anglais  gardent  Oua,  mais  évacuent  Bouna,  Dankita,  Harimbara  et  Ga- 
gouli,  ce  dernier  poste  sur  le  Koiodio  (affluent  de  la  Volta),  dans  le  cercle  de 
Djebougou. 

Avant  l'entente  franco-anglaise,  les  Anglais  avaient  fait  de  nombreuses 
incursions  sur  nos  territoires  ;  ils  avaient  môme  incendié  deux  fois  notre 
poste  de  Bouna  et  avaient  renvoyé  nos  soldats  noirs  à  8  kil.  plus  loin. 
Aussi,  le  commandant  Caudrelier  avait-il  dû  confier  ce  poste  à  un  sous- 
officier  indigène;  mais  dans  la  nuit  du  i^^  mai,  un  officier  indigène  anglais, 
accompagné  de  80  hommes,  alla  intimer  à  ce  sous-officier  l'ordre  de  se 
retirer  ;  ce  dernier  refusa  et  noire  poste  fut  maintenu.  Dans  le  Lobi,  il  fallut 
établir  une  ligne  de  postes  tout  le  long  de  la  frontière,  ainsi  que  dans  le 
Gourounsi. 

Mais  le  fait  le  plus  important  et  qui  ne  transpira  pas  en  Europe  fut  la 
tentative  des  Anglais  sur  le  Mossi.  Une  troupe  commandée  par  un  colonel  et 
4  officiers  et  composée  de  100  hommes  s'avança  jusqu'à  28  kil.  d'Ouagha- 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  679 

dougouy  dans  le  but  de  rétablir  Bokary-Routon,  naba  du  Mossi  dépossédé 
par  nous.  Mais  nos  officiers  s^étant  portés  au  devant  des  Anglais,  les  rencon- 
trèrent à  Kombosiguiri  et  leur  firent  connaître  la  nouvelle  convention  ;  ils 
se  retirèrent  alors.  Ces  faits  n'ont  plus  d'intérêt  actuel,  mais  il  était  curieux 
de  signaler  cet  envahissement  subreptice  du  Mossi. 

Tombouctou  :  Opérations  contre  les  Touareg,  —  Le  l*-colonel  Klobb  a 
réussi  à  chasser  les  bandes  insoumises  qui  infestaient  les  bords  du  Niger,  en 
aval  de  Tombouctou.  Ces  bandes  comprenaient  des  Hoggar,  des  Kel-Antassar 
et  quelques  Maures.  Le  22  mai  1898,  ces  nomades  fuyaient  vers  l'est,  mais 
les  Kel-Antassar  de  la  rive  gauche,  ainsi  que  les  Igouadaren  de  la  rive 
droite,  feisaient  cause  commune  avec  eux.  Le  colonel  Klobb,  passant  alors 
sur  la  rive  gauche  du  Niger,  poursuivait  les  Igouadaren  du  25  au  31  mai, 
jusqu'à  Ha,  à  30  kil.  en  aval  de  Bourroum  ;  il  les  atteignit  de  nouveau  à  Ha 
(alors  qu'ils  traversaient  le  fleuve  et  se  réfugiaient  sur  le  territoire  de  Madi- 
dou)  et,  les  çanonnant  à  travers  le  fleuve,  il  les  fit  fuir  vers  Gogo.  Le  colo- 
nel, revenu  à  Bourroum,  surprit,  le  5  juin,  un  groupe  de  Kel-Antassar  resté 
en  arrière,  sur  la  rive  gauche.  L'ordre  paraît  devoir  persister  depuis  ces 
vigoureuses  opérations. 

Le  ravitaillement  de  Say,  qui  se  fait  actuellement  de  Ségou  ou  du  Macina 
par  la  voie  de  terre,  gagnerait  en  rapidité  à  se  Mre  par  la  voie  du  fleuve, 
malgré  les  rapides  de  Labezenga  (qui  ne  nécessiteraient  par  terre  qu'un  par- 
cours insignifiant)  ;  pour  cela,  il  faudrait  créer  une  ligne  de  postes  de  Tom- 
bouctou à  Say  et  notamment  à  Bamba,  Bourroum,  Ansongo,  Zinder  (du 
Niger).  Il  ne  faut  pas  oublier  que  le  Niger,  dont  nous  possédons  1 700  kilo- 
piètres  navigables,  doit  être  notre  grand  véhicule  commercial  au  Soudan. 

Côte  d'Ivoire  :  Siège  (TAssikasso.  —  A  la  suite  du  mouvement  de  recul 
de  Samory,  M.  Clozel  avait  pu,  dans  le  commencement  de  1897,  occuper  la 
vallée  orientale  du  Comoé  et  fonder  un  poste  français  à  Assikasso  ;  il  avait 
même  mis  une  petite  garnison  à  Bpndoukou.  Cette  région  avait  été  très 
agitée  par  les  bandes  de  Samory,  qui  avaient  pénétré  un  peu  dans  Thinter- 
land  de  la  Côte  d'Or. 

La  tranquillité  fut  troublée  en  avril  1898  par  Tincursion  de  nouvelles 
bandes  venant  de  cette  colonie  anglaise  et  commandées  par  Adjabo,  ancien 
dignitaire  de  la  cour  de  Coumassie,  avant  1873;  leur  effectif  était  de  3.000 
hommes,  et  ces  bandes  portaient  le  pavillon  anglais.  Adjabo  mit  le  siège 
devant  Assikasso,  où  étaient  MM.  Le  Filiâtre,  administrateur  de  Tlndénié, 
et  de  Charlet  du  Rien,  avec  13  miliciens.  Averti,  M.  Clozel  partit  rapidement 
de  Grand-Bassam  avec  l'inspecteur  de  la  milice  et  30  miliciens  sénégalais. 

Le  9  mai,  12  jours  après,  cette  petite  troupe  essaya  de  dégager  les  abords 
d' Assikasso,  mais  le  tiers  de  son  effectif  ayant  été  mis  hors  de  combat  et 
M.  Clozel  ayant  été  blessé,  elle  dut  rétrograder  jusqu'à  Yakassé,  à  30  kilo- 
mètres de  là.  Une  ^  tentative  pour  débloquer  Assikasso,  faite  par  de  nou- 
veaux renforts  venus  de  Grand-Bassam,  échoua  encore.  Les  indigènes  n'en 


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680  REVUE  FRANÇAISE 

eurent  que  plus  d'audace.  5  à  6.000  noirs  menacèrent  Zaranou,  sur  la  route 
de  Grand-Bassanc,  à  130  kilomètres  de  la  mer.  Le  commandant  de  Bon- 
doukou,  M.  Lamblin,  ayant  envoyé  un  sergent  sénégalais  et  i5  miliciens, 
put  cependant  ravitailler  Assikasso,  avec  le  concours  de  populations  restées 
fidèles  à  la  France. 

Enfin,  arriva  du  Sénégal  le  sous-lieutenant  Laîrle,  avec  des  tirailleurs  séné- 
galais; il  débloqua  Assikasso  le  3  juillet,  après  3  jours  de  combat  MM»  Le 
Filiàtre  et  de  Charlet  avaient  soutenu  63  jours  de  siège.  Le  calme  a  régné 
dans  la  région  depuis,  grâce  à  la  présence  de  200  tirailleurs  sénégalais  sur 
la  frontière.  La  garnison  de  Bondoukou  a  été  renforcée  et  on  a  occupé 
Bouna,  évacué  par  les  Anglais  en  vertu  de  Taccord  du  14  juin  1898. 

Cette  affaire  d'Assikasso  est  certainement  due  à  la  complicité  tacite  des 
Anglais  de  la  Côte  d'Or  qui  ont  laissé  préparer  sur  leur  territoire  cette 
incursion.  C'était  l'époque  où  la  question  de  frontière  n'était  pas  encore 
réglée  de  ce  côté,  et  tout  ce  qui  pouvait  nous  créer  des  obstacles  était  soi- 
gneusement mis  en  œuvre  de  leur  part.  "- 

Travaux  publics.  Télégraphes,  —  M.  Mouttel,  naguère  gouverneur  de  la 
Côte  d'Ivoire,  a  donné  quelques  renseignements  sur  le  développement  de 
cette  colonie.  I^s  progrès  de  son  commerce  ont  permis  l'exécution  d'une 
série  de  travaux  publics  de  grande  importance. 

Le  wharf  de  Grand-Bassam  sera  bientôt  construit,  et  on  espère  s'en  servir 
d'ici  six  mois.  Un  phare,  de  20  milles  de  portée,  sera  édifié  à  San-Pedro. 

Le  réseau  télégraphique  comprend  550  kil.  sur  tout  le  littoral  reliant 
ainsi  les  principaux  points  d'escale  de  la  côte  d'Assinie  à  Fembouchure  du 
rio  Cavally  ;  il  va  être  étendu  daus  l'intérieur,  et  le  matériel  destiné  à  relier 
télégraphiquement  Grand-Bassam  à  Alépé,  Bettié,  Zaranou,  Assikasso,  Bon- 
doukou et  Bouna  est  arrivé.  Cette  ligne  sera  entreprise  dès  la  fin  de  la  saison 
des  pluies,  ainsi  que  celle  deDabou  à  Thiassalé  ;  l'an  prochain,  le  tél^raphe 
ira  jusqu'à  Kong  et  peu  après  à  Ouaghadougou,  se  reliant  ainsi  au  réseau 
télégraphique  du  Soudan  français.  Le  téléphone  existe  d'Assinie  à  Grand- 
Bassam  depuis  le  gouvernement  Binger. 

A  Grand-Bassam,  on  construit  entre  autres  un  pont  pour  faire  communi- 
quer la  langue  de  terre  sur  laquelle  la  ville  est  bâtie,  avec  l'autre  rive  de  la 
grande  lagune.  Enfin,  en  même  temps  qu'on  s'occupe  d'améliorer  les  routes 
vers  l'intérieur,  on  étudie  un  chemin  de  fer  qui  irait  à  Kong. 

Madagascar  :  Repeuplement,  —  L'île  de  Madagascar  ne  renferme  guère 
que  4  millions  d'habitants  et  pourtant  elle  est  aussi  grande  que  la  France  et 
la  Belgique  ensemble;  sa  densité  n'est  donc  que  de  6,6  hab.  par  kil.  carré. 
Le  plateau  central,  rÉmyrne  et  le  Betsileo  possèdent  seuls  une  population 
un  peu  dense.  Dans  tout  le  reste  du  pays,  les  habitants  sont  très  clairsemés. 
Le  général  Gallieni  a  résolu  de  modifier  cet  état  de  choses,  afin  que  nos 
compatriotes  puissent  trouver  de  la  main-d'œuvre  dans  les  diverses  r^ons 
malgaches.  La  race  hova  lui  semble  la  mieux  douée  pour  cette  tâche  ;  aussi 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  681 

Tarrélé  qu'il  vient  de  signer  s'applique-t-il  seulement  à  TÉrayme  (qui  au- 
rait 780.000  habitants). 

Le  nouvel  arrêté  fait  revivre  la  loi  malgache,  assurant  la  régularité  des 
réunions  et  la  règle  de  droit  coutumier  attribuant  à  TÉtat  les  biens  des 
individus  décédés  sans  héritiers  directs.  Par  contre,  les  anciennes  lois  qui 
interdisaient  les  mariages  entre  individus  de  castes  différentes  sont  abolies. 
Ces  mesures  sont  complétées  par  une  série  d'immunités  fiscales  concernant 
les  chefs  de  nombreuses  famille^. 

Le  manque  d'hygiène,  la  syphilis  répandue  à  raison  de  60  à  75  0/0,  l'ab- 
sence de  toute  organisation  médicale  sont  les  causes  principales  de  la  dé- 
croissance et  de  l'affaiblissement  progressif  de  la  race.  Pour  les  combattre, 
le  général  Gallieni  vient  de  créer,  dans  chaque  province  ou  cercle,  un  or- 
phelinat et  un  dispensaire  ou  hôpital  où  les  indigènes  seront  soignés;  en 
outre,  on  formera  des  praticiens  malgaches,  on  célébrera  dans  l'île  une  fête 
annuelle  des  enfants  où  des  brevets  d'honneur  seront  remis  aux  chefs  de 
famille  les  plus  nombreuses. 

Ces  excellentes  mesures  porteront  certainement  leurs  fruits. 

Commerce  en  4896,  —  Le  commerce  extérieur  de  Madagascar  a  été  de 
13.987.900  francs  pour  les  importations  dans  l'île  et  de  3.605.950  fr.  pour  les 
exportations.  Plus  de  la  moitié  de  la  valeur  des  produits  importés  à  Mada- 
gascar est  représentée  par  les  tissus  (7.142.900  fr.);  viennent  ensuite  les 
boissons  (1.691.900  fr.),  les  métaux  (938.300  fr.),  les  farineux  alimentaires 
(741.600  fr.),  les  ouvrages  en  métaux  (651.500  fr.). 

Les  exportations  de  l'île  (quatre  fois  moins  importantes  que  ses  achats) 
sont  constituées  pour  plus  du  tiers  par  les  huiles  et  les  sucres  végétaux 
(1.331.400  fr.);  viennent  ensuite  :  les  filaments,  tiges  et  fruits  à  ouvrer 
(732.400  fr.),  les  produits  et  dépouilles  d'animaux  (620.300 fr.),  les  animaux 
vivants  (414.600  fr.j.  etc. 

Les  importations  viennent  surtout  de  France  (5.798,000  fr.j  et  d'Angle- 
terre (4.681.000  fr.).  Viennent  ensuite  :  l'île  Maurice  (1.465.000  fr.),  l'Alle- 
magne (597.000  fr.),  l'Amérique  (7-24.000  fr.),  les  Indes  anglaises  (221.000  fr.), 
la  Réunion  (199.000  fr.),  les  autres  colonies  françaises  (144.000  fr.). 

Par  contre,  les  produits  de  Madagascar  sont  achetée  pour  près  de  la  moitié 
par  l'Angleterre  (1.551.700  fr.).  La  France  n'en  reçoit  que  pour  736.700  fr.. 
Viennent  ensuite  :  l'Allemagne  (643.600  fr.),  la  Réunion  (481,000  fr.).  l'île 
Maurice  (136.500  fr.),  etc. 

Chemins  de  fer,  —  Au  lendemain  de  l'arrivée  du  corps  expéditionnaire  à 
Tananarive,  le  service  du  génie,  commandé  par  le  colonel  Marmier,  reçut 
l'ordre  de  reconnaître  le  terrain  en  vue  de  chercher  le  moyen  de  relier  Tana- 
narive  à  la  mer  par  un  chemin  de  fer.  Plus  tard,  sur  la  demande  du  général 
Gallieni,  les  études  du  chemin  de  fer  furent  précisées  par  le  génie,  sous  la 
direction  du  colonel  Roques,  et  l'on  est  arrivé  à  étaolir  l'avant- projet  d'un 
chemin  de  fer  à  voie  d'un  mètre  devant  relier  Tananarive  à  Tamatave,  sur 
la  côte  est  de  l'île.  Sur  la  base  de  cet  avant-projet,  la  C'®  Coloniale  de  Mada- 


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682  REVUE  FRANÇAISE 

gascar,  dont  le  sf^ge  est  à  Paris,  a  passé  avec  le  ministère  des  colonies,  le 
14  mars  dernier,  une  convention  que  le  Journal  officiel  de  Madagcucar  a  re- 
produite in-extenso  et  qui,  pour  devenir  définitive,  a  besoin  de  la  ratification 
des  Chambres. 

En  attendant,  la  C®  Coloniale  de  Madagascar,  qui  a  traité  l'exécution  avec 
la  régie  générale  des  chemins  de  fer,  a  envoyé,  comme  son  agent  général  à 
Madagascar,  M.  Mercadier,  et  une  mission  d'ingénieurs  dirigée  par  M.  Dufour. 
Cette  mission  a  pour  but  de  vérifier,  en  le  perfectionnant  si  possible,  le  tracé 
du  génie,  de  déterminer  les  moyens  d'exécution,  enfin  le  coût  du  chemin  de 
fer.  Tout  cela  est  combiné  d'accord  avec  les  autorités  locales;  il  y  a  doncliea 
d'espérer  que  si  les  Chambres  veulent  bien  s'occuper  de  cette  affaire  pendante 
depuis  plusieurs  mois,  la  question  d'exécution  des  chemins  de  fer  à  Mada- 
gascar sera  définitivement  résolue  pour  les  débuts  de  l'année  prochaine. 

ASIE 

Indo-Chine  :  Chemins  de  fer,  —  M.  Doumer,  gouverneur  général,  qui 
vient  d'arriver  en  France,  doit  s'occuper,  pendant  son  séjour  à  Paris,  de  la 
question  des  chemins  de  fer  à  construire  dans  notre  vasteempire  indo-chinois. 

Actuellement,  la  seule  ligne  de  chemin  de  fer  existante  est  celle  de  Saigon 
à  Mytho,  de  70  kil .  de  longueur.  La  direction  des  travaux  publics  d'IndoChine 
a  élaboré  un  plan  d'ensemble  des  lignes  à  construire  en  les  classant  en  trois 
catégories,  suivant  leur  ordre  d'urgence.  Parmi  les  lignes  de  première  urgence, 
on  voit  celle  de  Haïphong  à  Hanoï  et  Laokaï  vers  la  frontière  de  Chine,  de 
Hanoï  à  Nam-Dinh,  au  Tonkin,  de  Tourane  à  Hué  en  Annam.  La  Banque 
de  rindo-Chine,  d'accord  avec  les  principaux  établissements  financiers  de 
Paris,  a  envoyé  sur  les  lieux  une  mission  d'ingénieurs  qui  a  élaboré  des 
avant-projets  permettant  de  fixer  les  bases  générales  d'exécution  des'diverses 
lignes.  La  Banque  étudie  les  ofl'res  qu'elle  a  reçues  de  diverses  maisons  fran- 
çaises pour  l'exécution,  de  manière  à  préciser  !a  question  et  être  en  mesure 
delà  discuter  utilement  avec  M.  Doumer  pour  arriver  enfin  à  la  conclusion 
d'un  contrat  de  concession. 

Kiao-Tchéou  :  Progrès  allemands.  —  Les  Allemands  n'ont  pas  tardé  à 
s'installer  solidement  à  Kiao-Tchéou,  dont  ils  ont  obtenu  la  c^sion  par  la 
Chine  cette  année.  Ils  ont  d'abord  occupé  ce  point,  puis  l'ont  aussitôt  mis  en 
état  de  défense  en  établissant,  sur  les  collines  voisines,  des  ouvrages  biai 
armés.  Le  bourg  de  Tsing-Tou  (3.000  habitants),  s'est  déjà  transformé.  Les 
rues  sont  en  bon  état,  des  lanternes  les  éclairent,  des  plantations  d'arbres 
sont  entreprises,  partout  les  coolies  travaillent  sous  la  surveillance  des  sol- 
dats. On  élève  des  bâtiments  destinés  aux  autorités  ou  devant  servir  de  ma- 
gasins militaires.  On  sait  que  les  Allemands  ont  l'intention  de  créer  à  Kiao- 
Tchéou  un  port  de  premier  ordre,  muni  de  tous  les  engins  modernes.  Des 
mines  de  charbon  importantes  reliées  à  ce  port  par  rails  existent  à  moins 
de  150  kil.  et  vont  être  exploitées  par  des  capitaux  allemands. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  683 

Chine:  Le  réformateur  Kang  YuMei,  —  Les  journaux  anglais  donnent  des 
détails  biographiques  sur  Kang  Yu  Mei  qui,  à  la  suite  de  la  révolution  de 
palais  qui  a  fait  passer  le  pouvoir  des  mains  de  Tempereur  en  celles  de  Tim- 
pératrice  douairière,  a  pris  la  fuite  et  s'est  réfugié  à  Tabri  du  pavillon 
anglais. 

Kang  Yu  Mei,  l'instigateur  des  réformes,  a  50  ans.  Né  à  Canton,  il  a  reçu 
une  instruction  libérale  et  cosmopolite.  Il  se  signala  bientôt  parmi  ce  petit 
groupe  qu'on  a  appelé  les  progressistes  de  Canton  et  qui  ont  essayé  de  fami- 
liariser leurs  compatriotes  avec  l'idée  d'une  rénovation  du  Céleste  Empire, 
analogue  à  celle  que  le  Japon  a  menée  à  bien.  La  puissaate  opposition  de 
l'armée  des  mandarins  a  entravé  jusqu'ici  ce  mouvement  et,  à  diverses  re- 
prises, les  principaux  propagandistes  ont  dû  s'enfuir  en  Europe  pour  échap- 
per à  la  prison  ou  même  à  la  mort. 

Toutefois,  le  mérite  de  Kang  Yu  Mei  était  tel  que  ceux  mêmes  qui  consi- 
déraient ses  doctrines  comme  un  danger  ne  s'opposèrent  pas,  quand  il  fut 
question  de  confier  le  jeune  empereur  à  un  lettré  éminent,  au  choix  de  Kang 
Y'u  Mei  qui  avait  donné  une  édition  remarquable  des  classiques  chinois.  Le 
progressiste  devint  donc  non  seulement  le  maître  es  lettres  de  l'empereur 
Kouang  Su,  mais  l'inspirateur  des  idées  que  le  souverain  vient  d'essayer  en 
vain  de  réaliser. 

C'est  à  l'influence  de  Kang  Yu  Mei,  devenu  de  précepteur  ministre,  qu'est 
dû  l'envoi  de  ces  missions  d'études  qui  ont  parcouru  l'Europe  pendant  les 
dernières  années,  et  dont  les  membres  sont  devenus,  rentrés  dans  leur  pays, 
des  adhérents  du  progrès.  Contre  l'opinion  des  mandarins  et  des  yamen  offi- 
ciels, il  obtint  de  l'empereur  l'établissement  de  grands  conseils  administra- 
tifs chargés  d'étudier  les  mesures  de  réorganisation  de  l'armée,  de  la  marine, 
des  travaux  publics,  de  la  perception  de  l'impôt.  On  conçoit  l'émotion  des 
gens  en  place.  Ils  firent  intervenir  une  première  fois  la  redoutable  impéra- 
trice douairière  et  arrachèrent  à  l'empereur  un  édit  congédiant  Kang  Yu 
Mei.  Le  progressiste  jugea  plus  prudent  de  quitter  la  Chine,  et  il  se  rendit  à 
Londres.  Toutefois,  on  le  laissa  rentrer  sans  obstacle,  quand  il  jugea  qu'il  y 
pouvait  de  nouveau  vivre  en  sûreté. 

Le  récent  retour  aux  affaires  de  cet  homme  d'État,  connu  pour  ses  sym- 
pathies britanniques,  avait  été,  selon  toute  apparence,  l'œuvre  du  ministre 
anglais,  sir  Claude  Macdonald.  La  faveur  accordée  aux  fonctionnaires  étran- 
gers pendant  cette  période  où  Kang  Yu  Mei  fut  au  pouvoir,  avait  porté  à  leur 
comble  le  ressentiment  et  les  craintes  des  mandarins. 

Un  autre  mandarin,  qui  a  joué  le  second  rôle  dans  le  mouvement,  Tchang 
Y'anHuan,  est  également  Cantonais  de  naissance.  Nommé  membre  du  Tsong- 
li-Yamen  en  juin  1884,  il  fut  disgracié  dès  septembre,  à  la  chute  du  prince 
Kung.  Les  années  suivantes,  il  fut  ministre  de  Chine  à  Madrid,  Washington 
et  Lima.  A  son  retour,  en  1890,  il  rentra  au  Tsong-li -Yamen  et  appartint  à 
ce  grand  conseil  des  affaires  étrangères  jusqu'à  son  récent  bannissement.  Il 
a  représenté  son  pays  au  jubilé  de  60  ans  de  rO'gne  de  la  reine  Victoria.  C'est 


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684  REVUE  FRANÇAISE 

Tchang  Yan  Huan  qui  a  traité  avec  rAllemagne  de  la  cession  de  Kiao-Tchéoo. 
Il  sera  interné  dans  la  province  tarkestane  chinoise  de  Kouldja. 

Le  Transsibérien  à  Irkoutsk.  —  Les  travaux  du  Transsibérien  ne 
cessent  de  progresser.  Les  communications  par  chemin  de  fer  entre  Tomsk 
et  Irkoutsk  ont  été  ouvertes  le  14  septembre.  Le  \^'  train  de  voyageurs  est 
arrivé  à  Irkoutsk  le  5  octobre.  La  circulation  est  donc  ouverte  dans  la  moitié 
occidentale  de  la  Sibérie.  Reste  à  poursuivre  les  travaux  au  delà  du  lac 
Baîkal  et  sur  le  transmandchourien.  Malgré  les  difficultés  que  présente  le 
terrain  accidenté,  la  construction  sera  poussée  activement. 

Japon  :  Émigration,  —  Les  Japonais,  qui  n'avaient  fourni  que  44.017 
émigrants  à  l'étranger,  de  1885  à  1889,  en  ont  donné  plus  du  double,  soit 
38.402  pendant  la  période  1890-94.  Les  îles  Hawaï  ont  reçu  plus  de  japonais 
qu'aucun  autre  pays  (21.625  de  1890  à  1894);  viennent  ensuite,  pour  cette 
dernière  période  :  la  Corée  (4.930),  les  États-Unis  (3.789),  la  Russie  (2.858), 
r Australie  (2.037),  le  Canada  (1.716),  la  Chine  (869),  les  AntiUes  (517),  etc. 

AMÉRIQUE  ET   DIVERS. 

États-Unis  :  Conséquences  commerciales  de  la  guerre  avec  PEspagne.  — 
Cuba  et  Porto-Rico  étaient,  avec  Havaï,  les  seules  sources  d'approvisionnement 
de  sucre  avant  la  guerre  hispano-américaine.  La  situation  critique  de  Cuba  et 
les  primes  à  Texportation,  accordées  en  Europe,  ont  contribué  à  enlever  aux 
Antilles  leur  ancienne  prépondérance,  en  môme  temps  que  les  progrès  de 
l'industrie  du  sucre  de  betterave  aux  États-Unis  et  le  développement  de  la 
fabrication  du  sucre  de  canne  dans  l'Amérique  du  Sud  ont  joué  un  rôle  im- 
portant. Les  États-Unis  qui  vont  englober,  commercialement  du  moins,  Cuba  et 
Porto-Rico,  pourront  donc  désormais  se  passer  totalement  des  autres  pays  pour 
le  sucre.  11  en  sera  de  même  bientôt  pour  le  café. 

Les  États-Unis  sont  le  pays  qui  consomme  le  plus  de  café  du  monde,  soil 
la  moitié  de  la  production  universelle,  qui  est  de  1 600  millions  de  livres  par 
an.  Les  importations,  depuis  1890,  se  sont  élevées  à  une  moyenne  de  90  mil- 
lions de  dollars,  dont  les  deux  tiers  proviennent  du  Brésil.  Mais  Porto-Rico 
et  Hawaf  sont  très  favorables  à  la  culture  du  caféier;  les  Américains  vont  la 
développer  de  façon  à  s'assurer  la  production  du  café  sur  leur  propre  sol. 

Le  moment  est  donc  proche  où  les  États-Unis  pourront  se  passer  du  reste 
du  monde,  et  leurs  tarifs  prohibitifs  empêcheront  la  concurrence  sur  leors 
marchés. 

Chili  et  Pérou  :  La  question  des  provinces  de  Tacna  et  d^Arica,  —  A  la 
suite  de  la  guerre  entre  le  Chili  et  la  Bolivie,  le  Pérou  étant  venu,  conformé- 
ment à  son  traité  d'alliance  de  1873,  défendre  la  Bolivie,  dut  subir,  comme 
son  alliée,  après  la  défaite,  la  loi  du  vainqueur. 

Le  traité  d'Ancon  (20  octobre  1883),  ratifié  le  21  mai  1884,  imposa  des  condi- 
tions humiliantes  au  Pérou,  et  l'armistice  ou  trêve  indéfinie  du  2  décem- 
bre 1884  enleva  à  la  Bolivie  tout  son  littoral.  La  région  située  au  sud  do 


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iNOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  685 

3c  lat.  s.  fut  cédée  à  perpétuité  par  la  Bolivie  au  Chili  ;  le  pays  situé  entre 
le  23«,  d'une  part,  le  volcan  Tua  et  le  rio  Loa,  d'autre  part,  fut  concédé  pro- 
visoirement. Le  Pérou  dut  céder  au  Chili,  à  perpétuité,  les  provinces  de  Tara- 
paca  et  de  Pisagua,  au  sud  de  la  rivière  Camarones;  en  outre,  il  concédait 
pour  10  ans  les  provinces  de  Tacna  et  d'Arica,  au  sud  du  Sama;  au  bout  de 
ce  temps^  les  habitants  de  ces  deux  provinces  devaient  se  prononcer,  par  un 
vote,  sur  leur  annexion  définitive  au  Chili  ou  leur  retour  au  Pérou.  Dans  ce 
dernier  cas,  le  Pérou  devait  payer  au  Chili  10  millions  de  piastres. 

En  1894,  à  l'expiration  des  10  ans,  on  ajourna  le  vote  d'un  commun  accord. 

En  1895,  le  Chili  n'ayant  pas  voulu  restituer  à  la  Bolivie  la  partie  comprise 
entre  le  23®  parallèle  et  le  rio  Loa,  concéda  à  la  Bolivie  le  petit  port  de  Mejil 
lones-del-Norte,  avec  une  petite  bande  de  territoire  donnant  accès  à  ce  port. 

La  convention  de  Santiago  (16  avril  1898)  entre  le  Chili  et  le  Pérou  a 
soumis  le  litige  chilo-péruvien  à  l'arbitrage  de  la  reine-régente  d'Espagne. 
Cette  dernière  doit  décidera  qui  appartient  le  droit  de  prendre  part  au  plébis- 
cite destiné  à  fixer  la  propriété  et  la  souveraineté  des  provinces  de  Tacna  et 
d'Arica,  en  déterminant  les  conditions  de  nationalité,  de  sexe,  d'âge,  d'état 
civil,  de  résidence  ou  autres  à  remplir  par  les  votants.  La  reine-régente 
doit  décider  aussi  si  le  vote  sera  secret  ou  public.  L*indemnité  de  10  millions 
de  piastres,  stipulée  par  le  traité  de  1883,  sera  payée  par  le  pays  qui  gardera  les 
deux  provinces  ;  un  million  sera  payé  10  jours  au  plus  après  la  promulgation 
du  résultat  du  publiciste,  un  autre  million  un  an  après  et  2  millions  à  la  fin 
de  chacune  des  4  années  suivantes. 

Câble  entre  Brest  et  Ne-w-Tork.  —  Le  16  août  1898,  on  a  achevé 
la  pose  d'un  nouveau  câble  français  entre  Brest  et  New- York  (Cap  Cod).  G'est 
le  plus  long  et  le  plus  gros  de  tous  les  câbles  sous- marins  en  service,  il 
mesure  5.700  kilomètres  de  longueur.  Son  âme  est  formée  d'un  toron  de 
13  fils  de  cuivre  pesant  300  kilogr.  par  mille  marin.  L'enveloppe  isolante  en 
gutta-percha  pèse  180  kilogr.  par  mille.  Le  poids  total  du  câble  de  Brest  â 
New- York  est  de  9.250  tonnes.  L'âme  a  été  fabriquée  â  Bezons  et  l'armature 
a  été  faite  â  l'usine  de  Calais. 

Il  n'y  avait  jusqu'alors  qu'un  seul  câble  français  nous  rattachant  aux  États- 
Unis.  Celui-ci,  l'ancien  câble  Pouyer-Quertier,  étant  insuffisant,  il  fallut 
chercher  les  moyens  de  le  doubler  et  de  le  suppléer  en  cas  d'accident.  C'est 
alors  que  la  Compagnie  française  des  câbles  télégraphiques  passa  avec  le 
,  gouvernement  la  convention  du  2  juillet  1895,  approuvée  par  la  loi  du  28  mars 
1896.  Cette  convention  assurant  au  câble,  pendant  30  ans  â  dater  de  son  ou- 
verture, une  subvention  annuelle  de  800.000  francs,  permit  d'entreprendre 
les  travaux  qui  viennent  d'aboutir.  Par  suite,  il  ne  sera  sans  doute  plus  né- 
cessaire de  recourir  aux  câbles  britanniques  pour  nos  relations  télégraphiques 
avec  les  États-Unis.  Il  reste  maintenant  à  établir  des  communications /rançaises 
avec  nos  principales  colonies.  La  guerre  hispano-américaine  a  démontré 
combien  il  était  important  de  pouvoir  disposer  de  la  libre  communication 
télégraphique  et  cette  leçon  ne  doit  pas  élre  perdue. 


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686  REVUE  FRANÇAISE 

Les  points  d'appui  de  la  flotte.  —  Une  loi  du  9  août  1897  a  prescrit 
l'exécution  dans,  un  délai  de  6  ans  à  partir  de  4898,  de  travaux  nécessaires 
pour  la  création  ou  raniénagement  de  ports  de  refuge  ou  de  bases  d'opéra- 
tions de  la  flotte.  Ces  bases  ou  points  d'appui  comportent  un  arsenal  mari- 
time doté  d'un  outillage  complet  avec  bassins  de  radoub  et  une  réserve 
abondante  de  vivres,  munitions  et  cbarbon.  Un  décret  du  4  octobre  fixe  ces 
points  de  la  manière  suivante  : 

Article  premier.  —  Sont  déclarés  points  d'appui  de  la  flotte  aux  colonies: 

Fort-de-France  à  la  Martinique;  Dakar,  au  Sénégal;  Le  cap  Saint-Jacques, 
en  Cochinchine;  Port-Courbet,  dans  la  baie  d'Along,  au  Tonkin  ;  Nouméa, 
en  Nouvelle-Calédonie;  Diégo-Suarez,  à  Madagascar;  Les  Saintes,  à  la  Gua- 
deloupe; Port-Pbaéton,  à  Tabiti  ;  Libreville,  au  Congo;  Obock. 

Des  décrets  spéciaux,  rendus  sur  la  proposition  des  ministres  de  la  marine 
et  des  colonies,  détermineront  l'étendue  des  territoires  nécessaires  à  la  dé- 
fense de  ces  points  d'appui. 

Art.  2.  —  Les  commandants  maritimes  des  points  d'appui  de  la  flotte  aux 
colonies,  en  ce  qui  concerne  l'administration  de  leurs  territoires  de  comman- 
dement, sont  placés  sous  l'autorité  immédiate  du  gouverneur  de  la  colonie. 

Les  commandants  des  points  d'appui  de  la  flotte  relèvent,  au  même  titre 
que  les  autres  commandants  de  la  marine,  du  ministre  de  la  marine. 

Art.  3.  —  Les  gouverneurs  prennent,  après  s'être  concertés  avec  eux,  les 
décisions  que  nécessitent  la  sécurité  intérieure  ou  la  défense  des  territoires 
de  commandement  des  points  d'appui  de  la  flotte.  Ils  leur  en  confient  l'exé- 
cution et  rendent  immédiatement  compte  aux  ministres  compétents  des 
décisions  qu'ils  ont  prises. 

Art.  4 .  —  En  cas  de  guerre  étrangère  le  gouvernement  de  la  métropole  a 
seul  la  disposition  des  forces  de  terre  et  de  mer  des  colonies  où  se  trouvent 
des  ppints  d'appui  de  la  flotte. 

On  remarquera  que  les  commandants  des  points  d'appui  relèvent  tantôt 
de  la  marine,  tantôt  des  colonies.  11  y  a  là  un  malheureux  enchevêtrement 
d'attributions  qui  ne  peut  que  trop  facilement  donner  lieu  à  des  conflits 
d'administration  et  nuire  à  la  défense.  En  outre,  le  décret  ne  mentionne  pas 
—  sans  doute  par  omission  —  Saint-Pierre-Miquelon  parmi  les  points  d'ap- 
pui de  la  flotte  établis. 

Ile  des  Ours.  —  Une  expédition  allemande  ayant  pris  possession  d'une 
partie  de  l'île  des  Ours,  entre  la  Norvège  et  le  Spitzberg,  et  le  navire  alle- 
mand Olga  ayant  fait  des  sondages  dans  ces  parages,  le  journal  suédois  Dagm 
Nyheter  fait  remarquer  que  l'île  des  Ours  possède  les  plus  riches  dépôts  de 
charbon  des  régions  arctiques  et  est  le  seul  port  réellement  utilisable  de  la 
mer  Glaciale.  Le  journal  suédois  ajoute  que  la  nation  qui  posséderait  ce  port 
serait  maîtresse  de  toute  la  pêcherie  des  régions  arctiques.  Il  termine  en  invi- 
tant l'Angleterre,  la  Russie  et  la  Norvège  à  régler,  par  une  convention,  la 
situation  de  ces  contrées  au  point  de  vue  du  droit  international. 

L'île  des  Ours,  Beeren  Eyland,  est  une  petite  île  nue  et  déserte  de  Focéan 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  687 

glacial  arctique,  à  mi-distance  du  Spilzberg  et  du  cap  Nord,  par  74^30*  lati- 
tude nord  et  i6^W  longitude  ouest.  Elle  a  été  découverte  en  1596,  puis  revue 
en  1603  par  un  explorateur  anglais,  qui  crut  Tavoir  découverte  et  Tappela 
Cherrie  hland.  De  nos  jours,  File  est  visitée  fréquemment  par  les  pécheurs 
norvégiens,  car  on  trouve  dans  ses  eaux  un  grand  nombre  de  poissons,  des 
harengs  et  même  des  morues.  Des  ateliers  de  salaisons  ont  été  fondés  sur  les 
côtes  de  Tîle  ;  môme,  une  véritable  maison  s'élève  dans  sa  partie  septentrio- 
nale. Jadis,  les  morses  étaient  également  très  communs  dans  les  parages  de 
nie  :  on  raconte  qu'en  1608  un  équipage  de  navire  en  tua  près  de  mille  en 
sept  heures. 

L'île  des  Ours  fut  longtemps  considérée  comme  étant  de  très  faible  étendue. 
Encore  en  1864,  Nordenskiold  et  Dunerne  lui  attribuaient  que  66  kilomètres 
carrés.  Mais  des  levés  exacts  en  ont  été  faits  en  1868,  et  ils  ont  donné  comme 
résultat,  une  superilcie  de  670  kilomètres  carrés,  exactement  décuple  de  celle 
qu'on  supposait.  Une  partie  de  l'île  est  formée  de  lacs  et  de  marais,  mais,  au 
sud-est,  s'élèvent  des  collines  dont  l'une,  que  les  Anglais  ont  nommée  Mount 
Misery,  se  dresse  à  455  mètres  au-dessus  de  la  mer. 

Lies  plus  grands  paquebots.  —  On  a  procédé  au  lancement  à  Hambourg 
du  paquebot  Pretoria  qui,  avec  la  Pennsylvania,  sortie  des  chantiers  de  Belfast 
en  Î896,  est  le  plus  colossal  navire  de  commerce  du  monde.  Le  déplacement 
totale  de  la  Pretoria  est,  en  effet,  de  23.500  tonnes  ;  celui  de  la  Pennsylvania, 
acquise  aussi  par  Hambourg,  est  également  de  23.500  tonnes.  Ces  bâtiments 
peuvent  transporter  325  passagei's  de  classe  et  1.000  d'entrepont.  Au  besoin 
le  nombre  de  ces  derniers  pourrait  être  élevé  à  3.500.  Les  plus  gros  navires 
existants  actuellement  sont  ensuite  :  le  Kaiser  Wilhem  der  Grosse  de  Brème, 
qui  déplace  20.500  tonnes  ;  la  Lucania  et  la  Campania,  de  Liverpool,  dépla- 
çant chacun  18.000  tonnes;  VAugusta-Yicloria  (15.260  tonnes).  Rappelons 
pourtant  qu*il  a  existé  un  navire  plus  grand  que  ceux  actuels,  le  Gréai- 
Easlern,  de  Londres,  aujourd'hui  démoli,  qui  déplaçait  31.000  tonnes. 

Voyage  au  pays  des  pagodes  et  des  monastères.  —  Nous  appelons  tout  particu- 
lièrement Vattention  de  nos  lecteurs  sur  un  ouvrage  que  M.  Eugène  Gallois,  membre 
de  la  Société  de  Géographie,  vient  de  faire  paraître  chez  Delagrave.  Cest  une  mono- 
graphie bien  documentée,  agrémentée  de  notes  personnelles,  sur  la  Birmanie,  un  pays 
relativement  peu  connu  et  cependant  d'un  intérêt  tout  particulier.  L'auteur  décrit 
avec  soin  les  sites  pittoresques  de  Tlrraouaddy,  cette  grande  artère  fluviale  qu'il  dé- 
nomme le  «  Nil  birman  »,  ainsi  que  les  innombrables  pagodes  et  monastères  dont  la 
bizarre  architecture  ofifre  un  intérêt  bien  spécial.  Des  cartes,  plans  et  de  nombreuses 
illustrations  faites  par  Fauteur  d'après  ses  clichés,  ainsi  que  des  reproductions  directes 
de  ses  photographies,  agrémentent  l'ouvrage,  édité  avec  le  plus  grand  soin  sur  papier 
de  Inxe.  C'est  un  livre  qui  a  sa  place  marquée  dans  les  bibliothèques  de  voyage. 

M.  Gallois  est  aussi  l'auteur  de  diverses  études  fort  intéressantes  sur  divers  pays 
qu'il  a  parcourus  et  notamment  sur  l'île  de  Java  ;  il  en  décrit  l'aspect  général  et  les 
beautés  pittoresques  dans  Une  visite  à  l'île  de  Java,  comme  il  en  a  dépeint  les  mo- 
numents dans  Raines  et  antiquités  javanaises,  et  étudié  les  volcans  dans  une  étude 
sommaire.  Ces  diverses  brochures  se  trouvent  à  la  Librairie  Nouvelle,  à  Paris. 


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688  REVUE  FHANÇAISE 

En  territoire  militaire,  par  le  capitaine  de  Grandmaison.  Pion,  éditeur.  —  A  o^té 
de  vues  très  justes  sur  Texpansion  française  au  Tonkin  et  les  essais  de  colonisation 
qui,  bien  que  fort  timides,  ne  sont  encore  que  trop  entravés  en  haut  lieu,  M.  de  Grand- 
maison  expose  comment  la  pacification  s^est  effectuée  dans  le  haut  pays.  Frappé  des 
résultats  obtenus  par  le  colonel  Gallieni  dans  le  1*'  territoire  militaire,  M.  de  Lanes- 
san  s'employa  à  utiliser  les  talents  d'organisateur  du  futur  gouverneur  de  Madagascar 
dans  la  région  très  troublée  de  Langson.  Le  procédé,  que  nous  avons  déjà  décrit 
d'après  le  livre  du  c^  Famin,  consistait  à  frapper  les  bandes  organisées,  à  les  expulser 
de  leurs  repaires,  pour  laisser  aux  petits  détachements  et  aux  villages  armés  le  soio 
de  les  chasser.  Un  poste  solide  était  ensuite  établi  sur  la  principale  voie  de  pénétra- 
tion venant  de  Chine.  Le  pays  pacifié,  on  procédait  de  même  un  peu  plus  loin,  jus- 
qu'à ce  que  la  frontière  fût  atteinte. 

M.  de  Grandmaison,  qui  a  joué  un  rôle  actif  dans  ces  opérations,  a  pu  étudier  sur 
le  vif  le  pays,  ses  habitants,  ses  productions,  son  commerce.  Il  constate  avec  regret 
que  Ton  ne  colonise  plus  comme  autrefois  et  que  des  insuccès  de  toute  nature  sont 
trop  souvent  la  résultante  de  nos  entreprises  coloniales.  L'instabilité  de  notre  poli- 
tique, les  incessants  changements  de  direction  ont  amené  ce  résultat  que,  ni  les  indi- 
gènes, ni  les  colons,  ni  les  capitaux  n'ont  confiance.  Changeons  de  procédés,  dit  très 
justement  l'auteur,  et  nous  pourrons  réussir  comme  d'autres  nations. 

L'année  politique,  par  A.  Daihibl.  Fasquelle,  éditeur.  —  Celte  élude  rétrospective, 
qui  en  est  à  sa  24*  année,  forme  une  collection  précieuse  pour  l'étude  des  événements 
de  chaque  jour.  Un  index,  une  table  chronologique,  des  documents,  des  pièces  justifi- 
catives rendent  ce  recueil  facile  à  consulter  et  lui  assurent  une  bonne  place  dans  les 
bibliothèques.  La  politique  intérieure  de  la  France  est  passée  en  revue  sous  tous  ses 
aspects  et  plus  particulièrement  au  point  de  vue  parlementaire.  L'année  1896  est  celie 
qui  vit  la  consécration  de  l'alliance  franco-russe  par  la  visite  du  tsar  à  Paris,  et  Tannée 
1897  confirma  cette  alliance  par  la  visite  du  président  de  la  République  à  S^-Péters- 
bourg.  Notons  encore  qu'en  1897  il  n'y  eut  pas  de  changement  de  ministère  ! 

Manuel  de  l'explorateur,  par  Blim  et  Rollet  de  l'Isle.  Gauthier-Villars,  édi- 
teur, Paris,  1899.  6  fr.  —  Voici  un  ouvrage  destiné  à  rendre  bien  des  services  aux 
explorateurs  débutants,  dont  le  nombre  s'accroît  à  mesure  que  le  goût  des  choses 
coloniales  se  développe.  Le  but  du  Manuel  est  de  donner  sous  une  forme  nette  et  pré- 
cise les  notions  indispensables  à  celui  qui  veut  retrouver  sa  direction  et  lever  son 
itinéraire.  C'est  ainsi  que  les  auteurs  traitent  successivement  des  procédés  de  leven 
rapides  (mesure  des  altitudes,  distances,  etc.),  de  la  détermination  de  la  position  géo- 
graphique d'un  point,  des  levers  de  détail,  de  la  rédaction  de  la  carte,  des  instru- 
ments nécessaires  à  l'explorateur,  de  leur  choix  et  de  leur  transport.  C*est,  comme  on 
le  voit,  un  traité  pratique  qui  sera  fort  apprécié  par  tous  ceux  qui,  à  un  titre  quel- 
conque, auront  l'occasion  d'y  recourir.  De  nombreuses  %ure8  accompagnent  le  texte. 

Le  ministère  de  la  marine  à  Lisbonne  a  publié  récemment,  par  les  soins  de  la  Com- 
missfto  de  Gartographia,  dont  les  travaux  hydrographiques  sur  les  colonies  portu- 
gaises sont  bien  connus,  les  cartes  suivantes  :  Feuille  4  (Zumbo-Tète)  et  8  (Quelimane- 
Sofala)  de  la  carte  au  1/1.000.000  du  Mozambique:  port  de  Dilly,  rio  Tombali  et 
Cacine  ;  rio  Geba  ;  rio  Cacben  ;  rio  Mansoa  ;  rio  Combal  et  Petu,  en  Guinée  ;  cours 
inférieur  et  barre  du  Limpopo,  barre  et  port  d'Angache,  au  Mozambique. 

Le  Gérant  Edouard  M.^RBEAU. 

IMPIIIUKRIB  CHAIX.    RUS   BBRQÊnB,    20.    PARIS.  —    2iS74HO-08.  —  (HCT*  UriUrU). 


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AU  LAC  TCHAD 

MISSION  GENTIL 

Le  18  novembre  1898,  la  Société  de  géographie  de  Paris  a  reçu  en 
séance  solennelle  Texploratear  E.  Gentil,  enseigne  de  vaisseau  démis- 
sionnaire, le  premier  Européen  qui  ait  pu  naviguer  sur  le  lac  Tchad, 
où  il  a  fait  flotter  le  pavillon  tricolore  à  bord  du  vapeur  Léon  Blot.  En 
rappelant  que  cette  exploration  n*a  pas  duré  moins  de  3  années,  M.  A. 
Milne-Edwards,  président  de  la  Société,  a  loué  hautement  les  qualités 
de  patience,  d'endurance  et  de  persévérance  qui  ont  été  nécessaires  à 
l'explorateur  pour  mener  à  bien  son  audacieuse  entreprise.  Puis,  faisant 
allusion  à  la  mission  Marchand,  il  a  prononcé  les  paroles  suivantes, 
saluées  par  les  applaudissements  unanimes  et  répétés  de  l'assistance  : 

«  Vous  aviez  été  préparé  à  votre  difficile  mission  par  Fadmirable  école 
de  discipline  et  d'abnégation  qui  s'appelle  l'armée  française.  Là,  chacun 
sans  s'occuper  de  son  intérêt  propre,  sans  savoir  si  ce  qu'il  a  fait  au 
prix  de  tant  de  fatigues  et  de  tant  de  dangers*  sera  récompensé,  sans 
savoir  même  si  ses  conquêtes  augmenteront  le  patrimoine  de  son  pays 
ou  seront  sacrifiées  à  de  dures  nt^ssités  politiques,  chacun,  dis-je, 
marche  en  avant,  regardant  comme  un  devoir  sacré  d'user  ses  forces  et 
sa  vie  dans  l'intérêt  de  tous,  sans  souci  de  soi-même.  Nous  avons  eu, 
bien  des  fois  déjà,  à  nous  incliner  devant  ces  dévouements  absolus  et 
c'est  avec  un  juste  sentiment  de  fierté  que  nous  saluons  un  de  ceux 
qui  ont  porté  si  loin  —  et  avec  tant  de  courage  —  le  drapeau  national.  » 

M.  Milne-Edwards  a  annoncé  ensuite  à  M.  Gentil  que  la  Société  lui 
décernait  sa  grande  médaille  d'or,  la  plus  haute  récompense  dont  elle 
puisse  disposer. 

LA  ROLTE  DU  TCHAD 

Il  y  a  seulement  8  années  que  les  premières  tentatives  furent  faites 
pour  atteindre  le  lac  Tchad  en  partant  du  Congo  français.  L'initiateur 
de  cette  poussée  en  avant  vers  le  grand  lac  soudanais  fut  Crampel,  qui 
avait  rêvé  de  prendre  possession  de  ses  rives,  afin  de  rendre  possible 
l'unification  de  notre  empire  colonial  africain  par  la  jonction  du  Congo 
et  du  Soudan  avec  l'Algérie  à  travers  le  Sahai;^.  Ce  rêve,  qui  n'est  pas 
encore  devenu  réalité,  mais  qui  en  approche,  il  ne  lui  fut  pas  donné 

XXIII  (Décembre  98).  N«  240.  45 


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690  REVUE  FRANÇAISE 

de  le  voir  s'accomplir.  On  se  rappelle  comment  il  fut  traîtreusement 
massacré  dans  sa  marche  en  avant  au  nord  de  TOubangui  par  les 
émissaires  du  cheick  Snoussi  (1891).  Dybowski,  envoyé  pour  le  ven- 
ger, ne  put  s'avancer  au  delà  de  la  région  atteinte  par  Crampcl  (1891). 
Maistre,qui  lui  succéda,  poussa  plus  avant,  atteignit  le  Chari.  jusqu'aux 
frontières  du  Baguirmi,  mais  ne  put  s'avancer  jusqu'au  Tchad,  faute 
de  marchandises,  et  revint  par  la  Bénoué  et  le  Niger  (1892-1893). 

Il  y  eut  alors  un  temps  d'arrêt  dans  la  pénétration  au  nord  par  l'Ou- 
bangui,  pendant  lequel  M.  de  Brazza  ouvrit  la  voie  de  la  haute  Sangha 
dans  le  but  de  créer  ime  nouvelle  route  vers  le  Tchad.  M.  Gentil,  qui 
avait  été  un  de  ses  collaborateurs,  conçut  alors,  à  sa  rentrée  en  France 
en  1894,  le  projet  d'atteindre  le  Tchad  par  la  Sangha.  Ayant  obtenu  du 
ministère  des  colonies  les  crédits  nécessaires  pour  la  constnictioD 
d'un  vapeur,  il  partit  de  France  en  avril  1895,  accompagné  de 
MM.  Huntzbiichler  et  Vival,  avec  le  vapeur  démontable  Léon  Bhi  et 
des  ravitaillements  pour  2  ans.  Mais  en  arrivant  à  Libreville  il  reçut 
des  instructions  modifiant  son  itinéraire.  C'est  par  la  voie  de  TOubangui 
qu'il  devait  chercher  la  meilleure  voie  de  pénétration  dans  le  bassin  du 
Chari. 

Arrivé  de  Loango  à  Brazzaville  avec  toutes  ses  charges  en  44  jours, 
après  avoir  surmonté  les  difficultés  bien  connues  de  la  route  de  terre, 
il  repartit  de  ce  point  le  28  octobre,  y  laissant  MM.  Huntzbûchler  et 
Prins  pour  le  service  des  ravitaillements.  M.  Vival,  à  peine  âgé  de  20  ans. 
avait  été  enlevé  près  de  Loango  par  une  fièvre  bilieuse  hématurique.  Le 
20  novembre,  M.  Gentil  était  rendu  à  Ouadda,  ainsi  que  M.  Le  Bihan, 
avec  son  vapeur  et  250  charges.  La  mission  disposait  alors  de  42  tirail- 
leurs sénégalais  et  de  80  porteurs,  tous  armés. 

De  Ouadda,  M.  Gentil  remonta  d'abord  la  Kémo,  déjà  visitée  par 
Dybowski  ;  mais  cette  rivière  n'était  navigable  que  sur  un  faible  par- 
cours. Il  explora  ensuite  la  Tomi  et  reconnut  sa  navigabiUté  en  piro- 
gues jusqu'à  Krébedjé.  C'était  un  gain  de  120  kilomètres  sur  les  300  en- 
viron qui  séparaient  l'Oubangui  du  Gribingui.  Là  fut  fondé  un  premier 
poste  bien  palissade  qui  servit  de  dépôt  au  matériel  de  la  mission.  Puis 
un  2*  poste  fut  établi  à  3  journées  de  marche  au  nord.  Au  mois  de 
juillet  1896,  les  charges  de  l'expédition  y  avaient  été  transportées  et  des 
rapports  amicaux  avaient  été  noués  avec  la  tribu  des  Mandjias,  qui  avait 
attaqué  Maistre. 


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AU  LAC  TCHAD  691 

Mais  les  perles  de  verre  qui  servaient  aux  échanges  pour  la  nourriture 
des  hommes  de  la  mission  venant  à  manquer,  M.  Gentil  dut  revenir  sur 
rOubangui  et  remonter  ce  fleuve  jusqu'à  Mobaye,  où  il  put  trouver  dans 
une  factorerie  ce  qui  lui  était  nécessaire.  C'était  un  déplacement  de 
800  kilomètres.  A  son  retour  il  rencontra  M.  Prins  qui  lui  amenait  un 
convoi  de  renfort. 

Une  reprise  de  la  marche  en  avant  porta  M.  Gentil  sur  les  bords  de 
la  Nana,  au  confluent  d'une  petite  rivière  appelée Goygou,  où  un  3^  poste 
fut  établi. 

La  ligne  de  partage  des  eaux  des  bassins  du  Congo  et  du  Chari  était 
franchie.  Cette  ligne  est  peu  sensible  et  ne  se  chiffre  que  par  une  alti 
tude  de  100  mètres  au  maximum.  Au  moment  où  il  atteignait  la  Nana 
(sept.  1896),  M.  Gentil  avait  été  rejoint  parM.  Joulia,  qui  lui  amenait 
15  miliciens.  Il  avait  alors  SO  Sénégalais  et  36  porteurs.  La  Nana  ayant 
18  mètres  de  large  et  une  profondeur  suffisante  pour  recevoir  le  Léon  Blot, 
on  installa  des  ateliers  et  un  chantier  de  construction  sur  lequel  le  va- 
peur fut  mis,  le  23  novembre  seulement,  le  personnel  étant  insuffisant. 

L'exploration  de  la  Nana  fit  connaître  que  cette  rivière,  après  un  par- 
cours d'environ  70  kilomètres,  se  jetait  dans  un  important  cours  d'eau 
nommé  Guiroungou  ou  grande  eau,  qui  n'était  autre  que  le  Gribingui 
découvert  par  Maistre.  Malheureusement  des  chutes  s'étendaient  sur  un 
parcours  de  8  kilomètres,  offrant  une  dénivellation  d'une  centaine  de 
mètres.  Pendant  que  cette  reconnaissance  s'effectuait,  M.  Joulia  rame- 
nait un  nouveau  convoi  accompagné  de  M.  Mostuéjouls,  mécanicien,  et 
de  l'interprète  Ahmed  ben  Medjkane. 

Les  rapides  empochant  la  navigation  du  vapeur,  il  fallut  fonder  un 
nouveau  poste  sur  le  bief  navigable.  Le  1"'  février  1897,  M.  Gentil 
quittait  le  poste  de  Nana  A  pour  aller  créer  celui  de  Nana  B .  11  fallut  refaire 
de  nouveaux  chantiers,  construire  d'autres  abris,  remettre  la  coque  sur 
cale,  procéder  au  montage  de  la  machine  et  de  la  chaudière,  et  monter 
à  côté  une  baleinière  en  acier.  En  avril,  le  Léon  Blot  faisait  ses  essais. 
Mais,  de  nouveau,  la  faiblesse  des  moyens  mis  à  la  disposition  de  la  mis- 
sion se  faisait  sentir  :  on  était  sur  le  point  de  manquer  de  perlçs.  Il 
fallut  encore  organiser  un  convoi  et  renvoyer  M.  Prins  à  Ouadda  pour 
chercher  de  nouveaux  subsides.  Cet  agent  exécuta  rapidement  sa  mission. 
A  Ouadda,  il  se  rencontra  avec  le  chef  de  station,  Fredon,  qui  amenait 
du  matériel,  des  vivres  et  un  premier  détachement  de  30  miliciens.  Le 


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692 


REVUE  FRANÇAISE 


capitaine  Marchand  se  trouvait  également  là;  et,  sachant  les  besoins  de 
la  mission,  spontanément,  il  mit  à  sa  disposition  800  thalaris  de  Marie- 
Thérèse. 

Pendant  que  les  préparatifs  se  poursuivaient  pour  la  descente  du 
Chari,  M.  Gentil  apprit  avec  une  vive  satisfaction  que  des  renforts 
allaient  lui  parvenir.  En  effet,  le  ^  août,  M.  de  Kovera  arrivait  au  cam- 
pement du  Gribingui  avec  35  honmfies  de  renfort  et  des  caisses  de 
perles.  Ainsi  ravitaillée  la  mission  allait  pouvoir  descendre  le  Chari. 


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RAPPORTS  AVEC   LES   SNOUSSI 

L'arrivée  des  Européens  n'avait  pas  été  sans  inquiéter,  les  musulmans 
de  Snoussi,  instigateurs  du  massacre  de  Crampel. 

«  Ayant  appris  notre  présence  dans  le  pays,  dit  M.  Gentil»  ils  s'étaient 
avancés  jusqu'à  deux  joui-s  et  demi  de  marche  de  la  station  du  Gri- 
bingui et,  ignorant  nos  intentions,  se  méfiant  de  représailles  au  sujet 
du  meurtre  de  .Crampel,  ils  s'étaient,  eux  aussi,  solidement  retranchés. 
C'est  de  cet  endroit  nommé  Yani  Mandji  qu'ils  nous  envoyèrent  deux 
émissaires  escortés  d'une  trentaine  de  soldats.  L'un  nommé  El  Hadj 
Tekour  était  un  Haoussa  ayant  accompli  plusieurs  pèlerinages  à  la 
Mecque,  et  l'autre  un  Tripolilain  presque  blanc  nommé  Salah.  Ils  étaient 
porteurs  d'une  lettre  exprimant,  au  milieu  de  compliments  de  bienve- 
nue, l'appréhension  d'hostilités  de  notre  part.  De  l'affaire  Crampd,  pas 
un  mot.  11  nous  apportaient  quelques  chevaux,  des  ânes  et  des  bœufs 
porteurs,  moitié  en  cadeaux,  moitié  pour  vendre. 

Je  répondis  à  ce  message  par  une  lettre  dans  laquelle  j'exprimai  nos 
intentions  pacifiques  et  notre  désir  d'entrer  en  relations  commerciales 
avec  les  musulmans.  Dans  ces  circonstances,  il  fallait  nous  armer  de 
patience  et  nous  résigner  à  ne  pas  bouger.  La  faiblesse  de  nos  effectifs 
ne  nous  permettait  pas,  en  effet,  de  nous  lancer  sur  la  Chari  en  laissant 
derrière  nou^  des  agents  et  des  troupes  en  trop  petit  nombre  pour  être 
en  sécurité.  » 

a  Les  envoyés  de  Snoussi  étant  revenus,  des  relations  s'étd)lirent  cor- 
diales. Malheureusement,  en  retournant  chez  eux,  le  Tripolitain  Salah 
fut  assassiné,  ses  bagages  pillés,  à  une  journée  de  marche  du  poste,  par 
les  païens  Tambuco.  Cet  événement,  qui  aurait  pu  être  gros  de  cwisé- 
quences,  car  il  fut  un  moment  considéré  comme  les  représailles  du 
meurtre  de  Crampel,  n'eut  heureusement  pas  de  suites  fâcheuses  pour 


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AU  LAC  TCHAI)  693 

nous.  Les  gens  de  Snoussi  se  rendirent  assez  vite  compte  que  nous 
n'étions  pas  les  instigateurs  de  ce  crime,  d'autant  que  je  m'offris  à 
servir  d'intermédiaire  entre  eux  et  les  païens  pour  rentrer  en  possession 
des  objets  volés.  » 

Si  les  gens  de  Snoussi  n'avaient  pas  admis  les  explications  qui  leur 
furent  données»  la  mission  était  immobilisée  pour  longtemps.  300  kilo- 
mètres, en  effet,  la  séparaient  de  l'Oubangui  —  de  i'^ST'  jusqu'à  7°1' 
nord  —  et  il  n'y  avait  pas  à  espérer  le  moindre  appui  des  indigènes  des 
pays  traversés.  Faute  de  personnel,  tous  les  postes  intermédiaires,  au 
nombre  de  6,  avaient  dû  être  successivement  évacués.  Et  cependant  les 
bonnes  relations  établies  avec  les  indigènes  permettaient  de  faire  passer 
des  courriers. 

MOEURS   ET  TYPES  INDIGÈNES 

Les  pays  compris  entre  l'Oubangui  et  le  Gribingui  est  généralement 
plat  (420  m.  environ  au-dessus  du  niveau  de  la  mer).  Dans  les  plaines, 
les  gommiers,  raphias,  borassus  servent  de  pâturage  à  un  gibier  très 
abondant.  Les  antilopes  et  les  éléphants  y  vivent  en  troupes  nombreuses. 
Parmi  les  animaux  féroces  l'hyène  et  le  léopard  dominent. 

Sauf  dans  les  espaces  séparant  les  tribus,  la  population  est  dense. 
Toutes  les  peuplades,  sauf  les  Mandjias,  parlent  un  dialecte  uniforme 
avec  quelques  légères  variantes»  Elles  sont  en  général  peu  intéressantes. 
«   Ce  qu'on  peut  dire  d'une  de  ces  peuplades  s'applique  à  toutes. 
Leurs  cases,  très  basses,  sont  rondes,  construites  en  terre  battue  et  cou- 
vertes d'un  toit  rond  en  chaume.  En  guerre  les  unes  avec  les  autres, 
elles  sont  séparées  par  des  zones  assez  vastes  qui  constituent  des  ter- 
rains de  chasse.  Les  environs  des  villages  sont  cultivés.  On  y  trouve 
en  quantité  du  mil,  du  maïs,  du  coton  et  quelque  peu  de  manioc.  Les 
animaux  domestiques  qu'ils  élèvent  sont  peu  variés  :  des  chèvres,  des 
poules,  et  c'est  tout.  C'était  néanmoins  assez  pour  que  nous  pussions 
nous  approvisionner  de  vivres  pour  nous  et  notre  personnel  noir  à  des 
prix  très  modiques.  Nous  achetions,  en  effet,  une  très  belle  chèvre  pour 
7  à  8  cuillers  de  perles,  soit  environ  une  valeur  de  0  fr.  70. 

Les  hommes,  de  visage  peu  agréable,  aux  lèvres  épatées,  aux 
narines  larges,  ont  cependant  un  corps  admirable.  Quant  aux  femmes, 
elles  ne  rappellent  que  de  fort  loin  les  types  du  beau  créés  par  notre 
^stbéti^ue.  De  bon^e  heure  assujetties  aux  durs  labeurs  de  la  terre,  elles 


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694  REVUE  FRANÇAISE 

vont  à  peine  vêtues,  objets  de  plaisir  dans  leur  jeunesse  tôt  flétrie, 
instruments  de  travail  dans  leur  âge  mûr.  Le  tissage  du  coton  et  la  fabri- 
cation du  fil  sont  réservés  aux  hommes,  qui  savent  «e  confectionner  dei 
blouses  assez  grossières  qu'ils  revêtent  rarement. 

Si  primitifs  que  soient  ces  gens,  ils  n'en  furent  pas  moins  pour  nous 
des  auxiliaires  précieux.  I.,es  séjours  forcés  que  nous  fîmes  sur  notre 
trajet  nous  permirent  de  trouver  parmi  eux  les  2.000  porteurs  néces- 
saires au  transport  de  notre  vapeur  et  de  notre  matériel.  El  si  Ton  songe 
à  la  dc'Qance  instinctive  de  tous  ces  pauvres  gens  en  lutte  continuelle 
avec  les  razzieurs  musulmans,  on  comprendra  que  le  résultat  était 
appréciable.  Et  malgré  ce  concours  c6  ne  fut  que  deux  ans  après  notre 
départ  de  France  que  nous  réussîmes  enfin  à  mettre  à  flot  le  Léon  Bfol 
sur  un  affluent  du  Chari.  » 

DESCENTE   DU   CHARI 

1^  21  août  1897,  le  Léon  Blot  appareillait  enfin,  en  route  pour  le 
Tchad.  Les  eaux,  très  hautes,  avaient  une  crue  de  6  m.  50  et  atteignaient 
les  branches  des  arbres  surplombant  la  rivière,  de  sorte  que,  en  certains 
endroits,  le  passage  avait  à  peine  une  dizaine  de  mètres  de  large.  Le 
paysage  est  peu  varié.  Les  berges  sont  boisées;  mais  la  pluie  qui  tombe 
et  les  inondations  éloignent  les  habitants  des  bords  du  fleuve. 

Le  28  août,  les  vivres  commencent  à  manquer. 

«  Heureusement,  dit  M.  Gentil,  que  nous  rencontrons  sur  les  rives  très 
élevées  deux  indigènes  surpris  par  la  pluie  que  nous  réussissons  à  foire 
approcher.  On  leur  donne  quelques  petits  cadeaux.  Malheureusement 
ces  gens  parlaient  une  langue  différente  de  celle  que  nous  avions  ren- 
contrée jusqu'à  ce  jour.  On  dut  remplacer  la  parole  par  le  geste  et  on 
finit  par  s'entendre.  Ces  indigènes,  que  nous  sûmes  plus  tard  être  des 
Alitou.  parlent  un  dialecte  sara.  Ils  portent  le  classique  costume  décrit 
par  Nachtigal  et  Maistre,  c'est-à-dire,  un  tablier  de  cuir  par  derrière. 
Nous  nous  approvisionnons  de  quelques  vivres*  et  nous  poursuivons 
notre  route.  Le  paysage  change,  les  rives  sont  élevées  et  en  maints  en- 
droits des  collines  boisées  à  pic  succèdent  aux  falaises  rougeâtres  et  aux 
berges  caillouteuses.  » 

Le  30  août,  on  débouche  sur  une  grande  rivière  de  plus  de  100  mè* 
très  de  largeur.  C'est  le  Bamingui,  ou  Bahr  el  Abiod,  ou  plutôt  le  Chari. 
Le  Gribingui  n'était  donc  qu'un  affluent  du  Bamingui,  leqael  formait 


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AU  LAC  TCHAD  695 

bien  réellement  le  cours  supérieur  du  Chari.  On  était  à  8**  35'  de  lati- 
tude. M.  Gentil  s'arrêta  au  confluent  des  deux  cours  d'eau  pour  mesurer 
la  largeur  du  fleuve,  qui  était  de  180  mètres.  Il  fallut  en  bâte  poursuivre 
la  route,  car  les  vivres  manquaient  de  nouveau  ;  on  avait  partagé  une 
boîte  de  sardines  entre  4  hommes  I  '' 

«  Après  avoir  noté  3  affluents  importants,  le  1**^  septembre,  on  aper- 
çoit sur  la  rive  gauche  une  plantation  de  mil.  On  s'approche;  ceux  qui 
la  surveillent  se  sauvent  d'abord,  puis  finissent  par  s'amadouer.  Bientôt 
on  vient  vendre.  On  apporte  en  quantité  du  mil  et  des  giraumons.  Nous 
sommes  chez  les  Kaba  Bodo.  Le  village  de  Mandjatezzi,  où  Maistre  s'est 
arrêté,  est  situé  à  3  journées  de  marche  dans  l'intérieur.  Les  hommes 
sont  vêtus  du  classique  tablier  de  cuir.  Quant  aux  femmes,  la  plupart 
sont  nue».  Quelques-unes  ont  une  espèce  de  pagne  en  corde  tressée  ou 
des  colliers  en  perles  de  fer  qui  ne  les  voilent  qu'imparfaitement.  Ces 
indigènes,  qui  possèdent  des  chevaux,  des  moutons  et  des  chèvres,  sont 
aussi  des  pêcheurs.  Ils  nous  vendent  du  poisson  fumé  à  des  prix  très 
modiques.  Leurs  pirogues  sont  petites,  larges  de  0  m.  60,  longues  de 
5  mètres  au  maximum.  Us  ont  comme  ornements  des  bracelets  de  cuivre 
coulé,  dénotant  de  leur  part  un  certain  sens  artistique. 

<t  Nos  provisions  faites,  nous  partons.  A  2  ou  3  000  mètres  le  fleuve 
s'agrandit,  des  îles  nombreuses  se  montrent.  Le  pays  est  très  peuplé, 
des  villages  se  dressent  sur  les  rives  ou  sur  les  îles.  La  population  entière 
semble  s'être  donné  rendez-vous  sur  les  berges  pour  contempler  cette 
chose  qui  marche  toute  seule.  Personne  n'a  l'air  étonné.  Le  sifflet  seul 
de  la  chaudière  les  émeut.  » 

On  traverse  rapidement  le  pays  des  Tounia,  où  on  s'approvisionne 
de  chèvres  et  de  poules,  et,  le  3  septembre,  on  s'engage  dans  une  zone 
déserte.  Bientôt  on  arrive  chez  les  Niellim,  les  premiers  païens  soumis 
au  Baguirmi. 

ËNTRËB  AU   BAGriRMI 

Pendant  deux  jours,  on  vogue  parmi  les  tribus  païennes,  très  denses, 
très  nombreuses  des  Miltou,  des  Boas,  des  Saroua  et  le  7  septembre 
on  mouille  au  village  deBousso. 

«  Nous  étions  dans  le  vrai  Baguirmi.  On  demeure  étonné  en  voyant 
combien  rapidement  s'exerce  l'action  musulmane  parmi  les  peuplades 
païennes.  Il  y  a  50  ans,  les  Boussoa  n'étaient  pas  supérieurs  aux  autres 


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696  REVUE  FRANÇAISE 

païens  que  nous  venions  de  traverser.  Aujourd'hui,  tous  vêtus,  ayant  le 
sentiment  d'une  hiérarchie,  d'une  autorité,  tout  ce  monde  semblait  avoir 
derrière  lui  des  siècles  de  civilisation.  Nous  sortions  de  la  barbarie, 
nous  tombions  en  plein  moyen  âge,  et  50  ans  à  peine  avaient  suffi  pour 
faire  franchir  à  ces  primitifs  une  telle  étape.  Grâce  à  Ahmed,  Taccueil, 
d'hostile  qu'il  était  au  début,  devint  bientôt  meilleur.  Toutefois  nous  ne 
réussîmes  pas  à  faire  porter  un  message  au  sultan  du  Baguirmi»  dont 
la  résidence  était  située  à  cinq  jours  de  marche  de  là.  Force  donc  nous 
fut  de  reprendre  notre  route.  » 

Les  rives  du  Chari,  assez  élevées,  sont  très  peuplées.  Aux  arrêts, 
M.  Gentil  cherche  à  obtenir  des  détails  sur  le  voyage  de  Nachtigall,  qui 
a  franchi  le  Chari  en  ces  parages.  On  lui  répond  que  ses  compagnons 
et  lui  sont  les  premiers  Européens  qu'on  voit  dans  la  région,  que  tout 
le  pays  est  terrorisé  par  la  vue  de  cette  maison  qui  marche  sur  Feau. 
«  Certains  même  disent  qu'ils  nous  ont  vus  descendre  du  ciel  après  un 
orage  très  violent.  »  Bien  que  la  partie  intelligente  de  la  population  ait 
entendu  parler  des  vapeurs,  par  ceux  d'entre  eux  qui  ont  accompli  le 
pèlerinage  de  la  Mecque,  on  s'imagine  aisément  que  l'impression  pro- 
duite par  l'arrivée  si  soudaine  de  la  mission  ait  été  plutôt  de  la  crainte. 

A  Monde,  région  commandée  par  Souleyman,  beau  frère  du  sultan 
du  Baguirmi,  M.  Gentil  trouve  un  esclave  qui  veut  bien  se  charger  d'une 
lettre  pour  le  sultan  Gaourang.  Puis  la  mission  continue  sa  route.  Mais, 
h  Baleignéré,  les  nolables  de  l'endroit  l'invitent  à  yattendre  une  réponse 
du  sultan.  Une  nouvelle  lettre  est  alors  confiée  à  un  des  Sénégalais  les 
plus  intelligents,  Boubakar,  avec  mission  de  la  porter  à  Massenia,  la 
capitale. 

Douzejours  après  Boubakar  revient  avec  une  réponse  insignifiante, 
mais  accompagné  par  3  conseillers  du  sultan,  qui  déclarent  que  celui-ci 
consent  à  recevoir  le  chef  des  chrétiens.  En  môme  temps  ils  apprennent 
que  le  véritable  meurtrier  de  Crampel  était  Rabah,  qui  avait  dû  ses  pre- 
miers succès  aux  300  fusils  modernes  enlevés  au  malheureux  explora- 
teur. Attaqué  par  Babah,  le  Baguirmi  avait  beaucoup  souffert  et  serait 
heureux  de  trouver  un  allié  contre  ce  chef.  M.  Gentil  résolut  aussitôt 
de  se  rendre  à  Massenia.  Il  descendit  le  Chari  jusqu'à  Bougouman,  re- 
monta ensuite  le  Bahr  Erguiez  (rivière  étroite),  qui  n'eM  qu'un  bras  du 
Chari,  et  en  5  jours  parvint  à  Maggi,  à  une  vingtaine  de  kilomètres  de 
Massenia. 


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AU  LAC  TCHAD 


697 


CHEZ  LE  SULTAN  DU  BAGUIRMI 


«  Très  bien  accueillis  à  Maggi,  nous  attendons  en  ce  point  les  messa- 
gers du  sultan  qui  viennent  nous  chercher  deux  jours  après.  Je  pars 
avec  Ahmed  et  cinq  ou  six  Sénégalais.  On  nous  donne  des  chevaux. 
Mais  au  heu  de  nous  faire  franchir  d'une  seule  traite  la  distance  de 


Comité  de  l'Afrique  française. 


M.    (jENTIL. 


iMaggi  à  Massenia,  on  nous  fait  coucher  au  village  arabe  de  Blane.  Le 
chef  Youssef  nous  apporte  du  lait  frais,  du  lait  caillé  et  du  beurre 
tant  que  nous  en  pouvons  souhaiter. 
Le  lendemain  de  bonne  heure  nous  nous  mettons  en  route.  Nous 


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698  REVUE  FRANÇAISE 

sommes  bientôt  rejoints  par  une  magnifique  escorte  de  cavaliers  aux 
vêtements  de  soie,  montés  sur  de  beaux  chevaux  richement  harnacha, 
qui  augmente  au  fur  et  à  mesure  que  nous  nous  rapprochons  de  Mas- 
senia.  On  s'arrête  au  milieu  d'une  grande  plaine  et  tout  ce  monde  exé- 
cute devant  nous  une  brillante  fantasia. 

Nous  arrivons  enfin  devant  1^  remparts  de  Massenia  en  partie  détroits 
par  les  Ouadaïens  en  1870  ;  ce  qu'il  en  reste  prouve  l'importance  qu'avait 
Massenia  au  temps  de  Barth  ;  les  murailles  construites  en  briques  sèches 
n'ont  pu  être  détruites  par  les  Ouadaïens  que  grâce  aux  mines  qu'ils 
avaient  pu  faire  placer  secrètement  par  des  tralU^. 

Avant  de  pénétrer  dans  Massenia  les  cavaliers  se  rangent  derrière  nous. 
Les  fusiliers  de  la  garde  du  sultan  sortent  de  la  ville  et  viennent  défiler 
devant  nous  en  agitant  leurs  armes  et  en  chantant  sur  un  rythme  bizarre  : 
«  La  Allah  illah  Allah  Mohammed  rassoul  Allah.  »  Après  cette  tou- 
chante manifestation,  on  nous  invita  à  pénétrer  dans  la  ville. 

J'avoue  avoir  éprouvé  un  peu  de  désilluston,  Massenia  ressemble  plu- 
tôt à  un  immense  campement  qu'à  une  capitale,  les  maisons  sont  bien 
moins  jolies  et  moins  bien  construites  qu'à  Maïnfa  ou  à  Baleignèré  : 
on  dirait  quelque  chose  de  provisoire.  Comme  je  faisais  part  de  mon 
étonnement  à  quelques  personnages  qui  m'entouraient,  on  m'apprit 
qu'après  la  lutte  soutenue  contre  Rabah  il  y  a  cinq  ans,  on  avait  décidé 
d'abandonner  ce  point.  Mais  peu  à  peu  la  sécurité  étant  revenue,  on  s'y 
réinstallait  définitivement.  On  avait  déjà  reconstruit  une  mosquée  en 
briques  sèches  et  on  allait  refaire  le  palais  du  sultan,  après  quoi  on  ré- 
installerait toute  la  ville. 

Nous  traversons  les  ruelles  bordées  de  nattes  en  paille  tressée  et  on 
nous  conduit  chez  notre  hôte  le  schiromo,  premier  ministre  et  précep- 
teur du  fils  du  sultan.  Nous  avons  un  logis  très  confortable  où  nous 
pouvons  faire  une  toilette  sommaire,  après  quoi  on  vient  nous  prendre 
pour  nous  mener  devant  le  palais  du  sultan,  qui  forme  un  véritable 
village  dans  la  ville. 

Entouré  de  palissades  de  tous  côtés,  on  n'aperçoit  que  des  toits  eu 
forme  de  dômes  en  paille  tressée  très  élégamment  et  se  tenninant  par 
une  pointe  sur  laquelle  est  enfilée  un  œuf  d'autruche.  Nous  nous  arrê- 
tons devant  l'entrée  principale  et  durant  une  heure,  sous  un  soleil  de 
plomb,  nous  dûmes  assister  à  un  nouveau  défilé  des  troup»,  et  à  des 
fantasias  remarquablement  exécutées.  Les  femmes,  exclues  de  ces  céré- 


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AU  LAC  TCHAD  ÔÔ9 

montes,  contemplent  lés  soldats  derrière  des  abris  en  paille  et  mani-» 
festent  leur  enthousiasme  par  des  c  you-you  ï>  perçants. 

Enfin  la  porte  s'ouvre  ;  le  chef  des  esclaves,  ayant  derrière  lui  une 
douzaine  de  serviteurs,  s'avance  vers  nous  et  nous  revêt  de  deux  boubous, 
Tun  bleu,  lautre  blanc,  et  en  donne  un  à  Ahmed.  Après  quoi  on  nous 
invite  à  nous  retirer  chez  nous.  Il  n'y  a  pas  que  chez  les  nations  euro- 
péennes que  les  grands  font  faire  antichambre.  Nous  rentrons  donc 
chez  nous  prendre  un  peu  de  repos  que  la  chaleur  du  jour  et  les  fatigues 
de  la  réception  rendaient  indispensable,  après  qu'on  nous  eût  prévenu, 
que  le  sultan  nous  recevrait  le  lendemain  en  audience  publique. 

De  bonne  heure  nous  nous  mettons  en  route.  Comme  j'étais  plutôt 
en  assez  piètre  équipage,  jSvais  fait  revêtir  à  Ahmed  son  plus  beau  cos- 
tume. Après  une  attente  de  dix  minutes  sur  la  place,  on  nous  intro- 
duit. 

Le  sultan,  installé  dans  un  grand  hall  carré  recouvert  de  draperies 
multicolores,  est  â  l'abri  des  regards  indiscrets  derrière  une  natte. 
Devant  le  hall  est 'une  immense  tente  en  poil  de  chameau  sous  laquelle 
se  tiennent  assis  les  ministres  et  les  notables.  Avant  de  prendre  place 
à  droite  et  à  gaucho  du  sultan,  tous  s'agenouillent  et  mettent  leur  front 
à  terre.  Debout  au  milieu  de  ce  monde,  je  présente  mes  compliments  au 
sultan  et,  ne  désirant  pas  me  compromettre,  je  lui  fis  expliquer  par 
Ahmed  le  but  pacifique  de  notre  mission  et  notre  désir  d'établir  des  re- 
lations commerciales  avec  le  Baguirmi.  Il  nous  répondit  qu'il  était  heu- 
reux de  nous  recevoir  chez  lui  et  qu'il  verrait  volontiers  les  Français 
trafiquer  dans  son  pays. 

Nous  nous  retirons  ensuite  sans  l'avoir  vu.  Dans  l'après-midi  je  voulus 
visiter  la  ville  et  je  m'arn'^tai  au  marché.  Malheureusement  l'heure  des 
transactions  importantes  n'élait  pas  arrivée  et  comme  on  me  fit  com- 
prendre que  l'envoyé  d'un  grand  pays  ne  pouvait,  sans  risques  de 
compromettre  sa  dignité,  se  mêler  ainsi  au  vulgaire,  je  dus  regagner 
mon  logis.  J'en  avais  cependant  assez  vu  pour  me  rendre  compte  qu'un 
Européen  pouvait  trouver  hà  à  [)eu  près  tout  ce  dont  il  pouvait  avoir 
'besoin,  tant  au  point  de  vue  vivres  qu'au  point  de  vue  marchandises. 

Rentré  chez  nous,  nous  recevons  la  visite  de  personnages  importants, 
de  lettrés,  et  nous  terminons  la  journée  [)ar  une  causerie  fort  intéres- 
sante qui  me  permit  de  réunir  de  nombreux  documents  géographiques, 
historiques  et  politiques  sur  le  pays.  Vers  6  heures  du  soir,  50  esclaves 


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700  REVUE  FRANÇAISE 

entrent  chez  nous  et  nous  offrent  de  la  part  du  sultan  des  vivres  de  toute 
espèce,  des  friandises  de  toute  sorte.  Comme  nous  sommes  trop  peu 
nombreux  pour  consommer  le  tout,  nous  nous  attirons  une  grande  popu- 
larité en  faisant  distribuer  notre  superflu  aux  pauvres. 

Ce  ne  fut  que  dans  la  nuit  du  lendemain  que  le  sultan  Gaourang  me 
donna  une  audience  privée.  Môme  au  Baguirmi  le  protocole  a  des  exi- 
gences. M'étant  informé  si  je  pourrais  m'asseoir  autrement  qu'à  terre  en 
présence  du  sultan,  il  me  fut  répondu  que  cela  n'était  pas  possible.  Je 
dus  déclarer  que  si  je  ne  devais  pas  rester  longtemps  je  consentais  à 
rester  debout,  mais  que  si  l'audience  se  prolongeait  je  refusais,  comme 
envoyé  d'un  grand  pays,  de  m'asseoir  par  terre.  On  fut  obligé  d'en 
référer  au  sultan  qui,  très  gracieusement,  m'invita  à  faire  apporter  un 
siège.  Cette  concession,  minime  en  apparence,  nous  valut  d'être  traités 
avec  une  grande  considération  par  tout  l'entourage  du  sultan. 

Nous  quittons  donc  notre  demeure  vers  une  heure  et  demie  du  matin 
pour  nous  acheminer  vers  le  palais.  Ahmed  et  mon  domestique  m'ac- 
compagnaient. On  nous  fit  pénétrer  dans  une  série  de  cours  renfermant 
de  nombreuses  habitations  garnies  de  sentinelles  en  armes.  Après  quoi 
on  nous  introduisit  près  du  sultan. 

Assis  dans  la  môme  salle  où  il  nous  avait  reçus  en  audience  publique 
sur  une  espèce  de  trône  en  bois  recouvert  de  tapis  très  épais,  le  sultan 
nous  reçut  très  cordialement.  Il  était  vêtu  d'un  pantalon  en  gros  dr^ 
bleu  soutaché  de  broderies  noires  et  de  vêtements  arabes  très  riches  ;  sa 
tète  était  entourée  d'un  turban  blanc  brodé  d'or.  Auprès  de  lui,  des 
parfums  brûlaient  dans  deux  cassolettes  en  cuivre  repoussé.  La  salle 
était  éclairée  par  la  lumière  d'une  douzaine  de  bougies  renfermées  dans 
des  lanternes  pliantes.  Une  vingtaine  de  sentinelles  en  armes  se  te- 
naient derrière  lui  et,  trouvant  peut- être  que  c'était  insuflisant,  il  avait 
à  portée  de  la  main  cinq  fusils  chargés.  Si  gracieux  qu'ait  été  l'accueil, 
j'avoue  avoir  éprouvé  durant  les  premières  minutes  une  certaine  gêne 
qui  se  dissipa  bientôt  en  présence  de  la  cordialité  qui  ne  cessa  de  r^er 
pendant  cet  entretien. 

Agé  de  32  ans  le  sultan  Mohammed  Abdel  Rhaman  Gaourang  avait 
un  visage  agréable  quoique  légèrement  marqué  par  la  variole.  Le  peu 
d'exercice  qu'il  prend  ^t  cause  qu'il  est  affligé  d'un  certain  embonpoint 
qui,  suivant  toute  probabilité,  ne  fera  que  s'accroître.  Fils  du  sultan 
Abdel  Kbader  qui  régnait  sur  le  Baguirmi  4ll  temp  degafth.  il  ^  passé 


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AU  LAC  TCHAD  701 

presque  toute  sa  jeunesse  au  Ouadaïoù  illit  toutes  ses  études.  Très  instruit  et 
1res  juste  envers  son  peuple,  il  est  aimé  de  tous,  d'autant  que,  pour  cou- 
ronner le  tout,  il  jouit  parmi  les  siens  d'une  grande  réputation  de  bra- 
voure. 

Notre  causerie  ne  dura  pas  moins  de  une  heure  et  demie  et  roula  sur 
la  France,  sur  Crampel,  surRabah,  et  sur  la  politique  générale  à  suivre. 
C'est  de  cette  nuit-là  que  fut  décidé  en  principe  la  signature  d'un  traité 
entre  le  Baguirmi  et  la  France. 

Notre  séjour  à  Masseniase  prolongea  quinze  jours.  Je  revis  le  sultan 
presque  tous  les  jours,  une  fois  en  audience  publique  où  seul  j'étais 
assis  sur  un  tapis  et  les  autres  fois  pendant  la  nuit.  Pendant  les  autres 
entrevues,  il  ne  s'entourait  plus  du  même  luxe  de  précautions.  Nous 
finîmes  même  par  nous  voir  seul  à  seul  avec  Ahmed  comme  interprète 
et  comme  témoin. 

Outre  cela,  on  sortait  deux  fois  par  semaine  en  grande  pompe  et  on 
allait  faire  une  tournée  aux  environs.  J'accomp.agnais  naturellement 
Gaourang  dans  toutes  ses  sorties  et  son  grand  plaisir  était  de  faire  ma- 
nœuvrer devant  nous  ses  soldats.  » 

ARRIVÉE   AU   TCHAD 

Le  20  octobre,  M.  Gentil  quittait  le  Baguirmi  pour  reprendre  la  route 
du  Tchad.  A  Bougouman,  il  rentrait  dans  le  bras  principal  du  Chari  et 
pénétrait  bientôt  dans  les  pays  soumis  à  Rabah.  Le  27,  on  arrivait  au 
confluent  du  Logone,  fleuve  d'une  belle  largeur,  au  courant  rapide.  C'est 
sur  le  Logone,  un  peu  en  amont  du  confluent,  que  se  trouve  Koussouri, 
la  première  localité  où  Rabah  ait  une  garnison.  Plus  loin,  une  autre  oc- 
cupait Goulfeï,  mais  elle  quitta  la  ville  à  rapproche,  de  la  mission.  Les 
habitants,  naguère  sujets  du  Baguirmi,  étaient  massés  sur  les  berges  du 
Chari  pour  saluer  au  passage  le  Léon  Blot.  En  présence  de  cet  accueil 
sympathique,  M.  Gentil  s'arrêta  et  fut  amplement  fourni  de  vivres. 

En  amont  de  Goulfeï,  le  Chari  se  divise  en  trois  branches  importantes 
avant  de  se  jeter  dans  le  lac  Tchad.  C'est  celle  de  Goulfeï  que  suivit 
M.  Gentil.  Le  30  octobre  1897,  il  débouchait  enfin  dans  ce  mystérieux 
lac  Tchad,  pour  la  conquête  duquel  Crampel  avait  fait  le  sacrifice  de  sa 
vie.  Une  immense  nappe  d'eau  s'étendait  à  perte  de  vue  devant  les  ex- 
plorateurs. Au  loin  apparaissait  une  série  de  petites  îles  et,  sur  la  rive, 
une  hauteur  s'élevant  à  46S  mètres.  Après  avoir  effectué  dans  le  lac  un 


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702  REVUE  FRANÇAISE 

parcours  de  30  kilomètres,  constaté  que  ses  bords  étaient  accessibles  et 
point  marécageux  dans  cette  région,  M.  Gentil  reprit  la  route  du  Chari. 
Sa  provision  de  bois,  pour  le  chauffage  de  la  machine,  s'épuisait  rapi- 
dement et  il  n'y  avait  pas  possibiUté  de  la  renouveler  à  rembouchure 
du  Chari.  En  outre,  Habah,  déjà  hostile,  pouvait  être  amené  à  dispu- 
ter à  la  mission  la  route  du  retour,  et  tous  les  résultats  précédemment 
acquis  auraient  pu  être  compromis. 

M.  Gentil  revint  donc  rapidement  sur  ses  pas.  Au  Baguirmi,  il  laissa 
comme  résident,  avec  quelques  Sénégalais,  M.  Prins,  qui  revenait  d'une 
mission  heureusement  accomplie  près  du  cheick  Snoussi.  Au  poste  de 
Gribingui,  où  resta  le  Léon  Blot,  il  reprit  la  route  de  TOubangui.  Le 
26  oiai  1896,  il  arrivait  au  Gabon  et,  le  SO  juillet,  plus  de  trois  années 
après  son  départ,  débarquait  à  Marseille  avec  les  ambassadeurs  baguir- 
miens  que  le  sultan  envoyait  en  France. 

L'exploration  Gentil  tiendra  une  des  pr^ûéres  places  parmi  toutes 
celles  qui  ont  eu  pour  objectif  la  pénétration  au  oceur  de  l'Afrique. 
Conduite  avec  autant  de  prudence  que  de  fermeté  elle  a  pleimmeoi 
réussi  à  atteindre  son  but  :  le  lac  Tchad.  Le  dévouement  des  collabora- 
teurs de  la  mission  a  compensé  largement  l'insuffisance  des  moyens  mis 
à  la  disposition  de  l'explorateur.  Malgré  des  fatigues  de  toute  nature  la 
mission  n'a  perdu  qu'un  seul  de  ses  membres  européens,  le  jeune  Vival, 
enlevé  à  la  ffeur  de  Tàge  peu  après  son  débarquement  au  Gabon. 

L'exploration  Gentil  a  nettement  déterminé  la  situation  géographique 
du  Chari  et  de  ses  affluents  méridionaux  voisins  de  l'Oubangui.  Cq)en- 
dant  le  cours  du  Logone  et  celui  de  la  rivière  Ouom,  restent  encore  à 
établir  d'une  façon  précise. 

En  descendant  le  Chari,  M.  Gentil  a  constaté  qu'un  des  aiQuents  de 
droite  avait  un  débit  d'eau  considérable.  Cet  affluent  ne  serait-il  pas  le 
véritable  cours  du  Chari?  Les  reconnaissances  que  ne  peuvent  manqua* 
d'effectuer  les  missions  envoyées  au  Baguirmi,  feront  sans  doute  connaî- 
tre quel  est  le  véritable  cours  supérieur  du  plus  grand  tributaire  du  lac 
Tchad. 

Rabau  au  Baguirmi. 

La  situation  s'est  profondément  modifiée  au  Baguirmi,  depuis  le  retour 
de  M.  Gentil,  par  suite  des  incursions  de  Rabah*  Cet  ancien  esclave 
devenu  tout-puissant-dans  la  région  du  Tchad  depuis  qu'il  a  conquis  le 


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AU  LAC  TCHAD  703 

Bornou,  avait  autrefois  éprouvé  une  vive  résistance  en  traversant  le 
Baguirmi,  qu'il  u  avait  pu  réduire  (1893).  A  cette  époque,  le  sultan  Gaou- 
rang  s'était  fortifié  à  Maïnfa,  sur  le  Chari,  avec  quelques  centaines 
d'hommes.  Rabah  vint  l'y  attaquer  et  l'assiégea  pendant  5  mois.  Déses- 
pérant d'être  secouru,  Gaourang,  avec  loO  hommes,  fit  une  sortie  im- 
pétueuse, traversa  les  lignes  des  assiégeants  et  put  rentrer  dans  Mas- 
senia,  sa  capitale. 

Renonçant  à  soumettre  un  adversaire  aussi  énergique,  Rabah  conti- 
nua sa  route  sur  le  Tchad  et  le  Bornou,  dont  il  s'empara  avec  l'aide 
d'Ayato,  sultan  de  Belda,  fils  révolté  du  sultan  du  Sokoto.  Puis  il  s'ins- 
talla à  Dikoua,  dont  il  fit  sa  capitale.  Cette  ville,  située  au  sud  du  lac 
Tchad,  se  trouve  dans  la  sphère  allemande  du  Kameroun. 

Lors  de  l'approche  de  la  mission  Gentil,  les  troupes  de  Rabah,  éta- 
blies à  Goulfeï  et  sur  le  Chari,  se  retirèrent  à  l'intérieur,  Rabah  suppo- 
sant que  nous  venions  venger  le  meurtre  de  Crampel  dont  il  avait  été 
l'instigateur.  Mais  après  le  départ  de  la  mission,  les  troupes  de  Rabah 
apparurent  de  nouveau  et  mirent  au  pillage  les  villes  coupables  seule- 
ment de  nous  avoir  fait  bon  accueil.  Les  habitants  furent  massacrés  ou 
emmenés  en  esclavage. 

Enfin  une  note  de  M.  Mercuri,  membre  de  la  mission  de  Béhagle, 
datée  du  camp  de  Cza  (9  août  i898),  sur  le  Ba-Bousso,  branche  princi- 
pale du  Chari,  fait  connaître  que  Rabah  a  attaqué  le  sultan  Gaourang 
et  Ta  chassé  de  sa  capitale  Massenia.  Rabah,  qui  connaissait  sans  doute 
le  traité  de  protectorat  que  nous  avions  signé  avec  le  sultan,  a  voulu 
prévenir  l'arrivée  d'une  autre  mission  en  se  débarrassant  auparavant 
du  sultan  du  Baguirmi.  Celui-ci,  notablement  inférieur  en  forces  —  il 
n'avait  que  400  fusils  à  opposer  aux  8.000  dont  dispose  Rabah  —  n'a 
pas  voulu  attendre  le  choc  et  a  incendié  sa  capitale,  qu'il  ne  pouvait 
défendre. 

n  s'est  ensuite  retiré  à  Cza,  où  se  trouvait  l'avant-garde  de  la  mission 
de  Béhagle,  afin  de  s'appuyer  sur  son  escorte.  De  son  côté,  M.  Prins, 
qui  remplissait  les  fonctions  de  résident  au  Baguirmi,  s'y  trouvait  égale- 
ment avec  ses  12  tirailleurs. 

Depuis  ce  temps,  M.  Bonnel  de  Mézières,  qui  arrivait  d'Europe  avec 
une  troupe  de  renfort  destinée  à  la  mission  de  Béhagle,  a  dû  quitter 
Bangui,  où  il  se  trouvait,  pour  se  porter  sur  le  Gribingui  et  le  Chari. 
Enfin,  M.  Bretonnet,  qui  ramène  de  France  les  ambassadeurs  du  Baguir-^ 


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704  REVUE  FRANÇAISE 

mi  et  se  trouve  à  la  tête  d'une  importante  mission,  est  en  roule  pour 
rOubangui.  Lorsque  toutes  ces  forces  seront  réunies  sur  le  Ghari,  le 
sultan  Gaourang  pourra  défier  les  attaques  de  Rabah  et  sera  même  en 
mesure  de  reconquérir  les  ruines  de  sa  capitale. 

Le  Baguirmi  se  trouve  en  dehors  des  compétitions  de  TAnglelOT^ 
et  de  TAllemagne,  et  la  France  y  a  ses  coudées  franches.  Il  importe 
donc  de  s'y  installer  d'une  manière  solide  et  sans  plus  tarder,  afin  de 
prendre  possession  des  rives  nord  et  est  du  lac  Tchad  que  nous  rec(MJ- 
naissent  les  traités  passés  avec  l'Allemagne  et  l'Angleterre  en  1894 
et  en  1898. 

Tout  récemment,  des  journaux  britanniques,  mis  en  goût  d*extensi(»i 
coloniale,  ont  lancé  l'idée  d'une  ligne  de  possessions  anglaises  allant  du 
Niger  au  Nil,  coupant  ainsi  en  deux  la  ligne  française  d'Alger  au  Congo. 
Bien  que  ce  ne  ne  soit  là  qu'un  ballon  d'essai,  que  rende  inexécutable 
la  convention  franco-anglaise,  assurant  à  la  France  la  rive  septentrionale 
du  Tchad,  il  n'en  faut  pas  moins  tenir  compte  de  l'état  d'esprit  qui  se 
manifeste  chez  quelques-uns  de  nos  voisins  d'Outre*Manche,  car  on 
connaîtieur  insatiable  appétit  colonial.  Une  nous  suffit  donc  pasd'avcHr 
des  droits,  il  faut  occuper  effectivement. 

L'occupation  du  Tchad  doit  d'autant  plus  attirer  notre  attention,  que 
la  question  de  création  du  Transsaharien  se  pose  de  nouveau  avec  une 
actualité  indiscutable.  Le  lac  Tchad  est  le  terminus  indiqué  d'un  che- 
min de  fer  à  travers  le  Sahara,  et  ce  chemin  de  fer  n'est  exécutal)leque 
sur  territoire  français.  La  jonction  des  possessions  françaises  du  Congo, 
du  Soudan  et  de  l'Algérie  existe  sur  les  cartes  en  vertu  des  traités.  H 
faut  maintenant  qu'elle  existe  sur  le  terrain,  consacrant  ainsi  la  réunion 
en  un  seul  bloc,  de  toutes  les  colonies  françaises  de  l'Afrique  occi- 
dentale. 

A.  MONTELL. 


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■^.Tf 


NECESSITE  DU  TRANSSAÏÏARIEN 

Il  n'est  rien  de  tel  que  le  temps  et  la  marche  naturelle  des  événe- 
ments pour  amener  la  solution  des  questions  jugées  les  plus  difficiles  à 
résoudre.  La  preuve  en  est  dans  cette  question  de  chemin  de  fer  trans- 
saharien qui  revient  aujourd'hui  à  Tordredu  jour  après  une  éclipsedequel- 
ques  années.  Et  il  n'est  pas  moins  intéressantde  constater  en  même  temps 
la  conversion  d'un  publicisteéminent,  M.  Paul  Leroy-Beaulieu,  qui,  nul- 
lement favorable  jadis  à  la  construction  de  ce  transafricain,  en  reconnaît 
aujourd'hui  la  nécessité  dans  un  article  que  nous  reproduisons  plus 
loin. 

La  situation  s'est,  du  reste,  profondément  modifiée.  Lorsque — il  y  a 
une  vingtaine  d'années  —  il  fut  question  de  créer  le  Transsaharien,  on 
n'était  d'accord  ni  sur  le  point  d'arrivée,  ni  môme  sur  le  point  précis 
de  départ,  chacun  des  trois  départements  algériens  voulant  avoir  celui- 
ci  sur  son  territoire.  Mais  un  fait  plus  grave  dominait  le  débat  :  que 
le  terminus^  du  chemin  de  fer  fût  sur  le  Niger,  sur  le  lac  Tchad  ou  entre 
les  deux,  aucun  de  ces  points  n'était  territoire  français  et,  sur  la  région 
comprise  entre  le  Niger  et  le  Tchad,  on  ne  possédait  encore  que  des  no- 
tions assez  values.  Comment  dans  ces  conditions  faire  aboutir  une 
voie  ferrée  au  delà  du  Sahara  sur  un  territoire  qui  pouvait  tomber  au 
pouvoir  d'une  puissance  européenne  autre  que  la  France? 

A  cette  époque  le  drapeau  tricolore  flottait  à  peine  sur  le  haut  Niger  ; 
nous  étions  à  une  distance  considérable  du  coude  formé  par  la  boucle 
du  Niger  et  à  une  distance  bien  plus  grande  encore  du  lac  Tchad,  qui 
apparsdssait  à  nos  esprits  comme  un  but  perdu  dans  un  lointain  mirage^ 

Depuis  lors  les  événements  ont  marché,  à  la  suite  de  nos  explorateurs 
et  de  nos  soldats.  Tombouctou  est  français  depuis  1893  ;  le  Niger,  re- 
connu par  la  mission  Hourst,  en  1896,  est  sur  le  point  d  être  occupé  dans 
tout  le  coude  formé  par  son  cours.  Enfin  le  lac  Tchad,  est  sorti  du  mys* 
tère  dans  lequel  il  était  enveloppé  M.  Gentil  a  fait  flotter  sur  ses  eaux  le 
premier  bâtiment  européen  et  ce  bâtiment  portait  pavillon  français* 
Encore  un  peu  de  temps  et  de  patience  et  les  rives  septentrionale  et 
orientale  du  Tchad,  reconnues  par  la  convention  franco-anglaise  du 
14  juin  1898  (art  4)  —  et  ce  n'est  pas  là  le  moins  important  — 
comme  rentrant  dans  notre  sphère  d'influence,   seront  efleetivement 

XXIII  (Décembre  98).  N^  240.  46 


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occupées.  Ce  sera  sans  doute  l'œuvre  de  plusieurs  années,  mais  il  n'en 
faudra  pas  moins  de  temps  pour  amorcer  et  mettre  en  train  la  construc- 
tion du  Transsaharien. 

Uuand  un  chemin  de  fer  aura  ainsi  soudé  rAIgérie  au  Soudan,  un 
pas  énorme  aura  été  fait  pour  la  mise  en  valeur,  la  défense  et  la  liberté 
des  communications  de  toutes  les  possessions  françaises  de  l'Afrique 
occidentale.  En  effet  le  Transsaharien,  aboutissant  soit  au  Niger  soit  au 
Tchad,  aura  pour  effet  de  relier  directement  et  rapidement  l'Algérie  au 
Soudan.  Or,  si  l'on  se  place  seulement  au  point  de  vue  stratégique, 
l'Algérie,  par  sa  situation  voisine  de  la  métropole,  par  l'importance  de 
ses  ressources,  de  sa  population,  de  ses  forces  militaires,  est  le  point 
d'appui  le  plus  naturellement  indiqué  pour  le  Soudan  et  les  côtes  de 
Guinée,  en  cas  de  guerre  maritime  ou  d'invasion.  C'est  par  l'entremise 
du  Transsaharien  que  les  corps  de  troupes,  les  ravitaillements  en  vivres 
et  en  munitions  pourront  pénétrer  facilement  dans  les  régions  du  Niger 
et  du  Tchad.  D'Alger  à  Tombouctou  ou  au  Tchad,  8  jours  sufBront  am- 
plement, tandis  qu'il  faut  aujourd'hui  deB  à  6  semaines  pour  atteindre 
le  premier  point  par  la  voie  la  plus  rapide,  et  2  mois  pour  arriver  seu^ 
lement  au  coude  de  l'Oubangui,  dans  la  direction  du  Tchad. 

Enfin  le  télégraphe  suivant  le  Transsaharien  assurerait  la  liberté  de 
communication  avec  le  Soudan  et  toutes  nos  possessions  de  la  côte  oixi- 
dentale  d'Afrique,  les  affranchissant  de  leur  assujettissement  aux  câbles 
britanniques,  seule  communication  actuellement  existante  entre  elles 
et  la  métropole. 

La  guerre  hispano-américaine  a  suffisamment  démontré  l'importance 
des  conmiunications  télégraphiques.  Si  les  Philippines  avaient  été 
reliées  au  continent  par  un  câble,  le  12  août,  jour  de  la  signature  des 
préliminaires  de  paix,  Manille  n'aurait  pas  été  attaquée  et  prise  le  13, 
et  les  Philippines  seraient  sans  doute  restées  en  grande  partie  âFEspagne. 

Au  point  de  vue  strat^que,  le  seul  envisagé  en  ce  moment,  il  est 
donc  du  plus  haut  intérêt  d'avoir  à  bref  délai,  surtout  sous  le  coup 
d'une  menace  de  guerre  que  nous  fait  miroiter  l'Angleterre,  la  pleine 
et  entière  liberté  de  communication  avec  nos  possessions  de  l'ouest 
africain.  Et  comme,  en  cas  de  guerre  maritime,  ces  communications,  qui 
existent  que  par  mer,  nous  seraient  certainement  coupées,  c'e^t  par 
terre,  c*eât-à-dire  par  le  Sahara,  qu'il  faut  à  tout  prix  les  établir. 

Quand  on  a  vu  avec  quelle  facilité  et  avec  quelle  rapidité  les  Anglais 


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NÉCESSITÉ   DU   TRANSSAHAKIEN  707 

ont  pu  créer  de  toutes  pièces,  en  moins  d'un  an,  une  voie  ferrée  de  plus 
de  500  kilomètres  à  travers  le  Sahara  nubien  d'Ouadi  Halfa  à  Berber, 
chemin  de  fer  qu'ils  vont  prolonger  rapidement  de  300  kilomètres  pour 
arriver  jusqu'à  Karthoum,  on  se  demande  ce  qui  pourrait  nous  arrêter 
pour  notre  Transsaharien.  L'argent,  les  hommes,  les  dévouements,  on 
les  trouvera.  Ce  qu'il  faut,  c'est  peser  de  tout  le  poids  de  l'opinion  publi- 
que inquiète  sur  le  gouvernement  et  les  pouvoirs  publics,  pour  les 
décider,  besogne  ardue,  à  entreprendre  cette  grande  œuvre  d'intérêt 
national.  G.  D. 

Voici  l'article,  publié  par  les  Débals  et  V Economiste  français,  dans 
lequel  M.  Leroy-Beaulieu,  après  avoir  critiqué  notre  méthode  insuffi- 
sante de  pénétration  en  Afrique,  préconise  une  méthode  plus  rationnelle 
en  s'appuyant  sur  Je  Transsaharien  : 

«  Cette  méthode  consiste  à  restituer  à  notre  empire  africain  sa  vraie 
base,  qui  est  l'Algérie  et  la  Tunisie  ;  à  faire  maintenant  de  la  pénétration 
du  Nord  au  Sud  ;  à  unifier,  par  la  construction  du  Transsaharien,  notre 
empire  africain,  dont  l'unité  n'existe  actuellement  que  sur  les  cartes. 

Quand  l'ingénieur  Duponchel,  ily  a  plus  de  vingt  ans,  lança  cette  idée  du 
chemin  de  fer  traussaharien  ;  quand,  depuis  lors,  elle  fut  reprise  et  soute- 
nue par  un  autre  ingénieur,  Georges  Rolland,  on  ne  se  plaçait  qu'au  point 
de  vue  commercial  ;  l'utilité  de  l'entreprise,  dans  ces  conditions,  pou- 
vait être  l'objet  de  contestations  ;  le  trafic  était  bien  difficile  à  évaluer  : 
quelques-uns  affirmaient  qu'il  serait  nul  ;  les  promoteurs  de  l'affaire 
tenaient  qu'il  aurait  une  grande  importance  ;  il  est  probable  que  l'on 
exagérait  des  deux  côtés  ;  en  tout  cas,  on  n'avait  aucune  donnée  qui 
permit  un  calcul  approximatif. 

D'un  autre  côté,  on  ne  savait  pas  alors,  il  y  a  vingt  ans  ou  même  dix 
ans,  en  France  du  moins,  construire  des  chemins  de  fer  à  bon  marché. 
Un  chemin  de  fer  d'environ  2.000  kilomètres,  pour  aboutir  au  lac  Tchad 
ou  à  un  point  mitoyen  entre  ce  lac  et  le  Niger  paraissait  devoir  coûter 
800  à  900  millions  de  francs.  Quoique  M.  de  Freycinet  ait,  il  y  a  plus 
de  vingt  ans,  croyons-nous,  constitué  une  commission  pour  étudier  le 
Transsaharien,  on  conçoit  que  ce  chiflfre  de  800  à  900  millions,  pour  un 
trafic  hy|>othétique,  effrayât  et  ait  fait  reculer. 

La  situation  est  devenue  tout  autre  aujourd'hui  h  tous  les  points  de 
vue.  Le  Transsaharien  s'offre  d'abord  comme  étant  d'une  absolue  néces- 


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708  REVUE  FRANÇAISE 

silé  poliUque  et  militaire,  si  nous  voulons  que  notre  empire  nord- 
africain  ne  soit  pas  un  vain  mot.  Il  est  de  la  plus  manifeste  absurdité  de 
faire  dépendre  le  ravitaillement  dans  le  Bahr-el-6hazal  et  sur  le  Nil 
d'une  marche  excessivement  longuç  et  lente  sur  le  Congo,  TOubangui, 
à  travers  des  pays  marécageux  et  insalubres. 

Nous  avons  en  Algérie  et  en  Tunisie  une  armée  d'environ  60.000 
hommes,  pour  les  quatre  cinquièmes  européens  ;  le  Sahara  qui  s'étend 
jusqu'au  Tchad  est  une  contrée  des  plus  saines  ;  à  un  train  de  20  kilo- 
mètres  à  l'heure,  on  pourrait  le  traverser  en  une  centaine  d'heures, 
c'est-à-dire  en  quatre  jours  ;  nous  pourrions  jeter,  si  besoin  élait,  sur 
un  point  quelconque  de  notre  empire  africain,  en  un  laps  de  temps  de 
quelques  semaines,  une  troupe  de  4.000  ou  5.000  même  de  8.000  ou 
10.000  hommes,  qui  se  trouveraient  rendus  à  destination,  sinon  abso- 
lument sans  fatigue,  du  moins  sans  mortalité  sensible. 

Il  ne  nous  serait  pas  même  indispensable  d'être  maîtres  de  la  mer. 
puisque  notre  eflfectif  permanent  en  Algérie  et  en  Tunisie  est  de  60.000 
hommes  et  dépasse  de  beaucoup,  dans  les  conditions  présentes,  ce  qui 
est  nécessaire  pour  la  garde  de  ces  pays,  et  puisque,  en  outre,  l'Algérie 
et  la  Tunisie  sont  et  deviennent  chaque  jour  davantage  des  contrées 
plantureuses,  produisant  abondamment  le  blé,  le  bétail,  le  vin  et  tout 
ce  qui  est  nécessaire  à  nos  corps  de  troupes. 

Ainsi,  l'exécution  du  Transsaharien  nous  donnerait,  dans  l'Afrique 
du  nord  et  du  centre,  même  en  supposant  que  nous  fussions  coupés  de 
la  mer,  une  position  beaucoup  plus  fort;e  que  celle  d'aucune  autre  puis- 
sance européenne,  quelle  qu'elle  soit,  l'Angleterre  même  y  comprise  ; 
voilà  pour  le  point  de  vue  stratégique. 

Maintenant  quel  serait  le  coût  de  ce  chemin  de  fer?  Evidemment  on 
ne  peut  faire  que  des  conjectures  ;  mais  on  a,  à  l'heure  présente,  des  * 
données  beaucoup  plus  certaines  et  plus  favorables  qu'il  y  a  vingt  ans  et 
qu'il  y  a  dix  ans. 

On  sait  aujourd'hui  en  France  ce  que  c'est  que  des  chemins  de  fer 
africains  et  des  chemins  de  fer  à  bon  marché.  î^es  Anglais  et  beaucoup 
d'autres  peuples,  d'ailleurs,  nous  taxent  volontiers  d'incapacité  colo- 
niale ;  parfois  nous  justifions  leurs  sarcasmes,  en  ce  qui  concerne,  par 
exemple,  le  misérable  tronçon  de  chemin  de  fer  de  80  kilomètres,  d'Aïn- 
Sefra  à  Djénien-bou-Resq,  dans  le  Sud-Oranais,  qui,  décidé  en  1891  et 
eiécuté  depuis  lors  mi-partie  par  le  génie,  mi-partie  par  les  travaux 


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NÉCESSITÉ  DU  TRANSSAHARIEX  709 

publics,  n'e^t  pas  encore  terminé  au  bout  de  sept  ans.  C'est  là  ce  qu'on 
appelle  un  comble. 

Mais,  d'autre  part,  nous  donnons  souvent  aussi  des  exemples  écla- 
tants de  succès.  Au  début  de  cette  année,  nous  avions  deux  lignes  fer- 
rées africaines  en  construction.  Tune  et  l'autre  sans  garantie  de  l'inté- 
rêt et  sans  subvention  aucune  ;  nous  voulons  parler  des  chemins  de  fer 
éthiopiens,  de  Djibouti  au  Harrar  et  de  la  voie  ferrée  sud-tunisienne  de 
Sfax  à  Gafsa.  Cette  dernière  ligne,  qui  a  200  kilomètres  de  long  et  qui, 
avec  son  prolongement  jusqu'aux  mines  de  phosphates  au  delà  de 
Gafsa,  en  aura  280,  vient  d'être  ouverte  sur  les  deux  cents  premiers 
kilomètres  par  le  résident  général  adjoint  en  Tunisie.  La  Compagnie 
du  chemin  de  fer  et  des  phosphates  de  Gafsa  Ta  fait  construire  avec  la 
plus  grande  rapidité,  et  en  un  an  environ  ;  en  ce  qui  concerne  la  pose 
de  la  voie,  on  en  faisait  un  kilomètre  par  jour,  en  terrain  à  peu  près 
désertique  ;  on  n'a  pas  dépensé,  y  compris  le  matériel  roulant,  plus  de 
60.000  francs  par  kilomètre,  et  il  s'agit  d'une  ligne  destinée  à  trans- 
porter plus  de  300.000  tonnes  de  phosphates  par  an^  sinon  davantage 
même,  c'est*à-dire  à  avoir  un  trafic  relativement  intensif. 

Voilà,  certes,  une  preuve  que  les  Français  ont  appris  dans  ces  der- 
niers temps,  car  ils  avaient  besoin  de  l'apprendre,  à  faire  des  travaux 
importants  rapidement  et  à  bon  marché. 

Les  conditions  dans  lesquelles  s'exécuterait  le  Transsaharien  seraient 
à  peu  près  semblables  à  celles  où  s'est  construit  le  chemin  de  fer  de 
Sfax  à  Gafsa  et  aux  mines  de  phosphates  ;  c'est  le  môme  terrain,  le 
môme  climat,  la  même  absence  de  population,  la  môme  disette  d'eaux 
apparentes.  A  60.000  francs  par  kilomètre,  les  2.500  kilomètres  allant 
jusqu'au  .Tchad,  coûteraient  loO  millions,  ce  qui,  pour  assurer  notre 
empire  africain,  devait  être  regardé  comme  une  bagatelle.  Mettons 
qu'il  faille  dépenser  moitié  plus  par  kilomètre  que  pour  la  voie  ferrée 
de  Sfax  à  Gafsa,  on  arriverait  à  225  millions,  ce  qui  est  encore  un  • 
chiffre  fort  réduit. 

Y  aurait-ii  du  trafic  pour  ce  Transsaharien  ?  Personne  n'est  en  état 
de  le  dire.  Il  y  en  aurait  toujours  assez  pour  payer  les  frais  d'exploita- 
tation,  si  celle-ci  se  faisait  économiquement.  En  outre,  il  est  possible 
que  Ton  découvre  dans  ce  désert  d'abondantes  sources  de  trafic.  Qui  se 
serait  attendu,  il  y  a  seulement  dix  ans,  aux  richesses  des  phosphates 
de  l'Algérie  et  de  la  Tunisie,  lesquelles,  si  le  débouché  s'y  prêtait,  pour 


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710  REVUE  FRANÇAISE 

raient  fournir  au  monde  un  million  de  tonnes  de  phosphates  par  an? 
Des  naturalistes  pensent  qu'il  existe,  au  beau  milieu  du  Sahara,  dans 
TAïr,  d'importants  gisements  de  nitrates.  Il  est  certain  qu'il  y  a  beau- 
coup de  rapports  de  constitution  géologique  entre  le  Sahara  et  le 
fameux  désert  d'Atacama,  au  Chili,  qui  contient  les  célèbres  nitratières. 

Qui  se  serait  attendu  aussi,  il  y  a  vingt  ans,  à  ce  que  la  Tunisie  con- 
tînt de  nombreux  et  riches  gisements  de  calamine?  En  tout  cas,  il  y  a 
tout  au  moins  dans  le  Sahara  des  salines  qui  auraient  un  débouché 
rémunérateur  au  S4)udan. 

Les  chemins  de  fer  désertiques  sont  maintenant  une  œuvre  connue 
et  aisée.  L'Australie  du  Sud  en  a  construit  un  dans  le  désert  australien 
nommé  Northern  Territory,  et  il  couvre  un  peu  plus  que  les  frais  de 
Texploitation.  Quasi  tout  le  réseau  de  l'Australie  de  l'Ouest,  long,  en 
1896,  de  1.160  milles,  ou  près  de  2.000  kilomètres,  et  qui  a  considéra- 
blement augmenté  depuis,  est  dans  un  désert  sans  eau. 

Ainsi,  Tœuvre  du  Transsaharien  ne  se  présente  nullement,  à  l'heure 
actuelle,  dans  les  conditions  d'un  travail  sans  précédent. 

Il  est,  toutefois,  une  entreprise  préalable  à  la  construction  du  Trans- 
saharien, c'est  l'occupation  des  oasis  du  Touât  pour  dominer  les  Touar^. 
Rien  n'est  plus  aisé  que  cette  occupation  du  Touât  ;  notre  pusillanimité, 
notre  indolence  la  reculent,  de  la  fa^on  la  plus  fâcheuse,  d'année  en 
année.  Comme  Caton  ne  se  lassait  pas  de  répéter  :  Delenda  Carthago, 
nous  ne  nous  lassons  pas,  depuis  vingt  ans,  de  dire  à  chaque  occasion: 
il  faut  occuper  le  Touàt. 

Que  la  leçon  de  l'incident  de  Fachoda  nous  profite  ;  mettons-nous  en 
situation  de  soutenir  désormais  nos  colonnes  avancées;  faisons  main- 
tenant la  pénétration  de  l'Afrique  en  partant  du  Nord  et  en  allant  vers 
le  Sud  ;  construisons  rapidement,  en  sept  ou  huit  ans,  le  Transsaharien, 
en  commençant  immédiatement  par  le  tronçon,  depuis  si  longtemps 
étudie,  de  Biskra  à  Ouargla.  » 

Paul  Leroy'  BnAtuBu. 


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L'HUMILIATION  DE  FACHODA 

Cédant  à  la  mise  en  demeure  du  gouvernement  britannique,  qu'ap- 
puyaient des  armements  précipités  et  les  excitations  d'un  presse  nette- 
ment hostile  à  notre  pays,  le  gouvernement  français  a  décidé  d'évacuer 
Fachodaet  de  rappeler  la  mission  Marchand. 

Pour  arriver  à  ce  résultat,  l'Angleterre,  avec  laquelle  nous  vivions  en 
bons  rapports  depuis  près  d'un  siècle,  et  dont  les  soldats  ont  combattu 
avec  les  nôtres  sur  les  champs  de  bataille  de  plusieurs  pays,  aurait  cer- 
tainement pu  nous  éviter  Taffiront  de  se  refuser  à  toute  négociation 
avant  l'évacuation  préalable  deFachoda.  Elle  ne  l'a  pas  voulu  et  n'a  pas 
hésité  à  blesser  dans  sa  dignité  mie  nation  amie.  C'est  là  une  humilia- 
tion, nous  n'hésitons  pas  à  le  dire,  et  nous  devons  en  prendre  acte. 

La  France,  avait  pour  elle  les  raisons  de  droit  et  la  possession  de  fait. 
Pour  éviter  une  giierre,  qui  serait  une  calamité,  elle  a  cédé  aux  exigen- 
ces de  l'Angleterre,  qui  n'avait  aucune  raison  de  droit  à  faire  valoir, 
mais  qui  avait  fait  pencher  la  balance  de  tout  le  poids  de  son  épée. 

En  effet.  l'Angleterre  n'avait  aucun  droit  —  la  Revtie  Française  l'a 
démontré  —  à  parler  au  nom  de  l'Egypte,  et  moins  encore  à  revendi- 
quer pour  celle-ci  les  provinces  soudanaises,  qu'elle  avait  forcé  le  Khédive 
à  abandonner  après  Tell  el  Kébir. 

Que  pouvait-elle  invoquer  ?  Ses  appétits  territoriaux  insatiables  et  le 
droit  de  conquête.  Ce  droit,  la  France  le  possédait  au  môme  degré  que 
l'Angleterre.  Opérant  sur  un  territoire  abandonné,. elle  en  prenait  pos- 
session et  l'occupait  eifectivement,  conformément  aux  stipulations  de 
l'acte  de  Berhn.  Dans  ces  conditions  le  pays  convoité  devait  appartenir 
au  premier  occupant.  Nous  avions  devancé  l'Angleterre  à  Fachoda  et 
nous  avions  joué  le  rôle  de  premier  occupant.  Toute  la  question 
est  là! 

Le  gouvernement  français  n'a  pas  cru  devoir  maintenir  ses  prétentions 
devant  la  menace  d'un  casus  helli  et  s'est  vu  dans  la  nécessité  de  reculer 
devant  l'Angleterre.  C'est  une  humiliation  de  pi  us  à  ajouter  à  celles  qui, 
dans  l'histoire  de  ce  siècle,  portent  le  nom  d'affaire  Pritchard,  à  Tahiti, 
et  d'affaire  Shaw  à  Madagascar.  Ah  !  il  est  loin  le  temps  où  la  France 
suivait  une  ligne  politique  étrangère  nettement  tracée  et  où  elle  possé- 
dait des  ministres  de  la  trempe  du  b®"  d'Haussez,  remettant  si  bien  à  sa 


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712  REVUE  FRANÇAISE 


I 


l^  place  l'ambassadeur  d'Angleterre,  qui  avait  commis  Tacte  **  anti-amical" 

de  vouloir  s'opposer  à  Texpédition  d'Alger. 

Les  incertitudes  et  les  déboires  de  la  politique,  sont  bien  de  nature  à 
amollir  tous  les  cœurs  et  à  briser  tous  les  courages.  «  A  quoi  bon  des 
héros  !  »  faisait  naguère  remarquer  le  Soleil,  dans  un  article  plein  d'à 
propos.  En  effet,  à  quoi  sert  de  lancer  en  avant,  d'exposer  aux  effluves 
d'un  climat  malsain,  à  des  souffrances  de  toute  nature,  aux  embuscades 
et  aux  attaques  de  peuplades  barbares,  des  officiers  et  des  soldats  dont 
on  doit  paralyser  les  efforts  et  détruire  l'œuvre  édifiée,  au  prix  de  tant 
de  fatigues  et  de  vies  humaines  bien  inutileinent  sacrifiées! 

Ah!  elle  serait  longue,  la  liste  de  nos  officiers,  depuis  Francis  Garnier, 
au  Tonkin  —  sans  vouloir  remonter  plus  haut — jusqu'au  commandant 

E  Marchand,  en  passant  par  l'amiral  Pierre,  à  Madagascar,  et  le  colonel 

Monteil,  à  la  Côte-di  voire,  qui  ont  vu  leurs  actes  désavoués,  leur  mission 

r  rappelée  ou  leur  marche  arrêtée  brusquement  au  moment  même  où  ils 

allaient  atteindre  le  but  et  avoir  la  profonde  et  douce  satisfaction  d'avoir 
bien  travaillé  pour  la  patrie. 

Il  faut  maintenant  penser  à  lavenir.  Il  faut  que  la  leçon  de  Fachoda 
nous  profite  et  nous  rappelle  que  l'Angleterre,  comme  une  gigantesque 
pieuvre,  se  trouve  en  compétition  avec  la  France  et  les  autres  puissances 
coloniales  sur  tous  les  points  du  globe.  Vis-à-vis  des  puissances  faibles 
elle  est  d'une  brutalité  tout  américaine.  Mais,  en  présence  des  forts,  elle 
s'arrête  et  s'incline.  Soyons  donc  forts,  c'est-à-dire  occupons-nous 
sans  délai  de  mettre  nos  colonies  en  état  de  défense,  de  les  munir  de 
troupes  suffisantes  pour  les  protéger,  de  les  doter  d'un  armement  propre 
à  les  faire  respecter. 

N'oublions  pas  que  l'Angleterre,  qui  a  armé,  ne  désarme  pas.  Son 
rêve  serait  de  nous  rayer  du  nombre  des  grandes  puissances  coloniales 
et  de  nous  faire  subir  un  traitement  analogue  à  celui  que  l'Amérique 
a  infligé  à  l'Espagne.  Sa  presse,  après  l'attitude  agressive  que  l'on  sait, 
a  vanté,  qualid  Marchand  fut  rappelé,  la  sagesse  de  la  France,  avec  une 
hjpocrite  ironie.  Aujourd'hui,  pour  mieux  nous  endormir,  elle  procla- 
me que  l'Angleterre  est  la  meilleure  amie  de  la  France. 

De  leur  côté,  les  ministres  britanniques,  dont  l'éloquence,  dans  les 
meetings  et  les  banquets,  est  d'une  abondance  inaccoutumée,  font  en- 
tendre en  un  langage  sybiUin,  que  l'ère  des  déficultés  n'est  point  close. 
Attendons-nous  donc     d'autres  exigences  de  la  part  de  l'Angleterre. 


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HAUT-ML  713 

exigences  qui  seront  d'autant  plus  grandes  que  nous  avons  déjà  montré 

notre  faiblesse.  Et  comme  les  forts  seuls  sont  respectés,  préparons-nous 

sans  trêve  à  la  guerre.  Ce  sera  le  meilleur  moyen  de  la  prévenir  et  de 

Téviter. 

Georges  Démanche. 


HAUT-NIL 

M.  LIOTARD  A  DEM-ZIBER 

C'est  grâce  à  M.  Liotard,  lieutenant-gouverneur  de  TOubangui,  que 
la  mission  Marchand  a  vu  sa  marche  rendue  relativement  facile  dans  sa 
descente  au  Bahr-el-Ghazal.  Avec  ses  collaborateurs  Paul  Comte, 
Hossinger  (tous  deux  morts  à  la  peine),  Bobichon,  administrateur  colo- 
nial, etc.,  il  a  préparé  les  voies  à  la  pénétration  dans  le  bassin  du  Nil, 
en  prenant  possession  de  Dem-Ziber  et  en  nouant  les  premières  rela- 
tions avec  les  indigènes  de  la  région,  notamment  avec  les  Dinkas,  la 
plus  puissante  tribu  du  Bahr-el-Ghazal. 

M.  Liotard,  qui  est  rentré  récemment  en  France  après  7  ans  de 
séjour  au  Congo  (1891  à  1893  et  1894  à  1898;,  s'était  trouvé  sur  l'Ou- 
bangui  dans  des  conditions  particulièrement  délicates  et  dangereuses. 
Son  premier  séjour  lui  permit  seulement  de  se  maintenir  sur  le  haut 
Oubangui.  Les  difficultés  avec  les  Belges,  une  fois  aplanies,  il  put  oc- 
cuper la  région  du  M'Bomou  et  en  faire  sa  base  d'opération,  ainsi  que 
Texpose  le  BiUletin  du  Comité  de  l'Afrique  française. 

Solidement  établi  à  Sémio,  M.  Liotard,  pour  préparer  sa  marche  sur 
Dem-Ziber,  envoya  tout  d'abord  le  P  Mahieu,  établir  un  poste  à 
Djemah,  par  6®  3'  lat  N.  Cette  région  était  occupée  par  les  Gabous,  peu» 
plade  indépendante,  qui  avait  fort  mal  reçu  Junker  et  n'avait  pas  mieux 
accueilli  les  chefs  Rafaï  et  Sémio.  M.  Liotard  eut  l'habileté  d'imposer  son 
influence  à  cette  tribu  et  d*y  établir  le  poste  précité. 

Ce  point  d'appui  une  fois  établi,  l'interprète  militaire  Grech,  suivi  à 
peu  de  distance  par  un  détachement  commandé  par  le  V  Chapuis,  fu 
chargé  de  préparer  les  voies  à  l'occupation  de  Dem-Ziber.  Parti  de  Sémio 
le  2S  mars  1897.  M.  Grech,  fit  sa  jonction  à  Rabet  avec  le  1^  Chapuis. 
H  reçut  alors  une  lettre  du  chef  Nacer-Andel,  lui  disant  que  le  pays 
était  en  ruines,  qu'il  ne  pourrait  le  recevoir  présentement  et  que  l'appro- 


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714  REVUE  FRANÇAISE 

che  des  Français,  mettait  tout  le  pays  en  effervescence.  M.  Grech  ne 
vit,  dans  cette  lettre,  qu'un  refus  de  le  recevoir,  mais  il  n'en  continua 
pas  moins  son  chemin  et  donna  rendez- vous  au  chef  à  Dem-Ziber. 

C'est  alors,  qu'il  reçut  une  seconde  lettre  de  Nacer-Andel  qui,  ne 
pouvant  empêcher  l'arrivée  de  la  colonne,  témoignait  sa  satisfaction  de 
l'approche  des  Français.  Assuré  désormais  d'être  bien  reçu,  M.  Grech 
arrivait  à  Dem-Ziber  le  17  avril  et  arborait  immédiatement  le  pavillon 
français  sur  les  ruines  de  la  moudirieh. 

Dem-Ziber  s'élève  sur  un  grand  plateau  sans  arbres,  mais  le  pays  y  est 
sain  et  le  sol  fertile.  Des  bâtiments  qui  composaient  l'ancienne  capitale 
de  Lupton-bey,  le  dernier  gouverneur  égyptien,  il  ne  reste  plus  que  les 
murs  ;  tout  est  en  ruines,  et  la  ville  même  était  entièrement  dépourvue 
d'habitants.  Un  des  premiers  soins  de  M.  Grech  fut  de  faire  dégager  la 
source  qui  alimentait  la  ville  et  les  puits  qui  étaient  obstrués.  Dix  Jours 
après,  le  27  avril,  le  V  Chapuis  prenait  possession  de  la  ville  avec  la 
10^  compagnie  de  tirailleurs. 

Des  négociations  étaient  aussitôt  engagées  avec  les  populations  voisi- 
nes, car  il  importait,  avant  tout,  de  repeupler  la  ville  et  d'y  attirer  les 
habitants  des  environs,  afin  de  pouvoir  se  ravitailler  en  vivres. 

Un  des  premiers,  Nacer-Andel  vint  à  Dem-Ziber  et  se  mit  à  lentière 
disposition  du  i^  Chapuis.  Ce  fut  ensuite  le  tour  des  Dinkas  qui,  bien 
reçus  par  M.  Liotard,  qui  était  arrivé  à  Dem-Ziber  dans  le  courant  de 
juin,  s'engagèrent  à  apporter  à  la  petite  garnison  des-  vivres  et  du 
bétail.  Peu  à  peu,  l'heureuse  influence  de  notre  occupation  se  fit  sentir, 
et  Dem-Ziber  devenait  une  base  d'opérations,  destinée  à  protéger  les 
indigènes  asservis  par  les  Derviches  et  à  servir  de  point  d'appui  effectif 
aux  expéditions  effectuées  dans  le  6ahr-el-Ghazal.  C'est  à  la  prudence 
et  à  l'habileté  de  M.  Liotard  qui,  antérieurement  déjà,  avait  fondé  un 
poste  à  Tamboura,  dès  1896,  que  la  mission  Marchand  doit  d'avoir  péné- 
tré sans  trop  de  difBcultés,  dans  le  bassin  du  Nil  et  d'avoir  pu  s'y  ins- 
taller sans  entrer  en  conflit  un  seul  instant  avec  les  indigènes. 


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HAUT-NIL 


715 


LE  RETOUR  DE  LA  MISSION  MARCHAISI) 


PAR  L  ABYSSINIE 


Par  suite  de  la  décision  prise  par  le  gouvernement  français,  la  mission 
Marchand  doit  abandonner  Fachoda. 

A  la  suite  des  pourparlers  engagés  entre  la  France  et  l'Angleterre, 
le  capitaine  Baratier  avait  été  envoyé  de  Fachoda  en  France  pour  mettre 


Le  Faidherhe,  canonnière  de  la  mission  Marchand. 


Comité  de  V Afrique  française. 


son  gouvernement  au  courant  de  la  situation  sur  le  haut  Nil.  Accueilli 
avec  enthousiasme  à  Marseille  et  le  même  jour  (26  oct.)  à  Paris,  le  capi- 
taine Baratier  avait  été  reçu  froidement  dans  les  hautes  sphères,  essuyant 
ainsi,  bien  qu'il  n'en  fût  nullement  cause,  la  mauvaise  humeur  résul- 
tant de  la  situation  tendue  de  nos  rapports  avec  l'Angleterre.  Le  30  oc- 
tobre, il  se  rembarquait  en  hâte  à  Marseille,  pour  porter  à  son  chef  un 
ordre  d'évacuation. 
Mais,  pendant  ce  temps,  le  c'  Marchand,  désireux  de  compléter  les 


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716  REVUE  FRANÇAISE 

renseignements  fournis  par  son  lieutenant,  avait  quitté  Fachoda,  lais- 
sant ses  hommes  sous  les  ordres  du  capitaine  Gennain,  et  était  arrivé  au 
Caire  le  3  novembre.  La  rencontre  des  deux  officiers  fut  navrante.  Ce 
fut  Tâme  profondément  déchirée  que  le  c'  Marchand  reçut  les  ordres 
qui  anéantissaient  tous  les  résultats  d'une  campagne  poursuivie  avec 
une  si  indomptable  énergie,  au  prix  de  tant  de  privations,  de  fatigues 
et  de  souffrances  1  Quelques  jours  après  (13  nov.)  le  c^  Marchand,  suivi 
du  sergent  Dat  et  de  3  trois  tirailleurs  sénégalais  qui  l'avaient  accompa- 
gné, quittait  Je  Caire  avec  le  capitaine  Baratier,  en  route  pour  Khar- 
toum  et  Fachoda. 

L'évacuation  de  ce  point,  dont  le  nom  marquera  désormais  dans  les 
annales  de  notre  politique  étrangère,  demandera  quelque  temps,  car  le 
c*  Marchand  y  avait  amené  peu  à  peu  tous  les  approvisionnements  de  la 
mission.  D  faudra,  à  l'aide  du  vapeur  Faidherbe  et  des  chalands,  rem- 
porter tout  ce  matériel  jusqu'à  Meschra-el-Rek,  au  point  de  la  formation 
du  Bahr-el-Ghazal.  Puis  le  c^  Marchand,  conservant  seulement  ce  qui 
lui  est  nécessaire  pour  atteindre  le  plateau  abyssin,  se  fera  remorquer  par 
le  Faidherbe  jusqu'au  confluent  du  Sobat  et  remontera  ce  fleuve  jusqu'au 
point  où  il  cesse  d'être  facilement  navigable,  c'est-à-dire  probablement 
jusqu'à  l'ancien  poste  de  Nasser,  au  confluent  du  Djouba,  point  extrême 
atteint  par  la  mission  de  Bonchamps  à  la  fin  de  décembre  1897  (1).  On 
sait  que  cette  mission,  qui  avait  pour  objectif  de  rejoindre  la  mission 
Marchand,  fut  arrêtée  par  le  manque  d'embarcations  nécessaires  pour 
descendre  le  Sobat  ou  Baro.  A  la  limite  de  la  navigation,  le  Faidherbe 
reprendra  la  route  de  Meschra-el-Rek  et  le  c*  Marchand  continuera  sa 
route  par  terre. 

La  région  qu'il  lui  faudra  traverser  tout  d'abord  est  marécageuse,  et 
M.  de  Bonchamps  eut  grand'peine  à  faire  passer  tout  son  monde,  par 
les  pistes  difficilement  praticables  des  indigènes.  Mais  si,  comme  il  y  a 
lieu  de  le  croire,  les  Abyssins  ont  depuis  lors  pris  possession  du  pays, 
la  mission  trouvera,  dans  les  chefs  dépendant  deMéaélik,une  assistance 
qui  pourra  être  fort  précieuse. 

Après  les  marais  du  Baro  et  la  grande  plaine  qui  les  sépare  des  pre- 
miers contreforts  du  plateau  abyssin,  la  mission  arrivera  par  Pokodi  et 
Finkéo,  villages  des  Yambos,  à  Goré,  où  M.  de  Bonchamps  fit  un  séjour, 
que  le  mauvais  vouloir  des  chefs  abyssins  prolongea  outre  mesure. 

(1)  Voir  la  carte-itinéraire  de  la  mission  Bonchamps,  H.  Fr.,  sept.  i898,  p. 


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HAUT-NIL  717 

De  Goré  à  Addis  Abbeba,  il  y  a  environ  600  kDomètres,  que  M.  de  Bon- 
champs  mit  plus  de  2  mois  à  franchir,  à  travers  une  région  très  acciden- 
tée, tantôt  boisée,  tantôt  dénudée  et  privée  de  voies  de  communication. 
Mais  depuis  cette  époque,  l'itinéraire  est  connu  et  le  trajet  pourra 
s'effectuer  en  un  temps  relativement  court.  Il  y  a  tout  lieu  d'espérer  que, 
dès  maintenant,  des  ravitaillements  seront  envoyés  à  la  mission  par  la 
voie  de  Djibouti,  ainsi  que  des  vêtements  chauds.  En  effet,  au  sortir  de 
la  plaine  du  Baro,  on  s'élève  brusquement  de  1.000  mètres  pour  atteindre 
le  rebord  du  grand  plateau  abyssin  et  Taltitude  ne  cesse  de  croître 
jusqu'à  Addis  Abbeba  (2.S00  m.).  Passant  presque  sans  transition  d'une 
température  tropicale  à  un  température  souvent  glaciale  sur  le  plateau, 
les  membres  de  la  mission,  blancs  comme  noirs,  seront  cruellement 
éprouvés  par  le  froid  si  la  prévoyance,  trop  souvent  en  retard  de  noije 
gouvernement,  ne  vient  à  leur  aide  en  temps  opportun. 

D'Addis  Abbeba,  où  l'empereur  Ménélik  ne  peut  manquer  de  faire 
à  la  mission  une  brillante  réception,  le  c*  Marchand  pourra  se  rendre 
à  la  côte  soit  par  Ankober,  Tadjoura  et  Obock,  route  diflBcile,  dange- 
reuse et  fort  peu  suivie,  soit  plutôt  par  Baltchi,  Boroma,  Harrar,  Djil- 
dessa,  dernier  poste  abyssin,  et  Djibouti,  soit  encore  GOO  kilomètres 
environ.  Peut-être  même  pourra-t-il  utiliser  en  partie  le  chemin  de  fer 
en  construction  de  Djibouti  à  Harrar,  qui,  partant  de  la  côte,  est  déjà 
terminé  jusqu'à  Mordalé,  à  120  kilomètres  de  Djibouti. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  s'écoulera  enviroQ  6  mois  entre  le  départ  de 
Fachoda,  qui  n'aura  vraisemblablement  lieu  qu'au  commencement  de 
1899,  et  le  retour  de  la  mission  Marchand,  qui,  en  3  années,  aura  effec- 
tué une  des  traversées  les  plus  remarquables,  mais  aussi  les  plus  difficiles 

et  les  plus  dures  du  continent  africain. 

G.  Vasco. 


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AU  PAYS  DES  BA-ROTSI 

Les  voyages  eu  Afrique  tendent  à  se  répandre  de  plus  en  plus  pour 
ceux  qui  peuvent  s'offrir  le  luxe  d'un  pareil  déplacement.  Parmi  ceux 
qui  viennent  d'effectuer  un  voyage  de  cette  nature,  se  trouve  M.  Alfred 
Bertrand,  de  Genèvq,  qui  était  déjà  préparé  au  métier  d'explorateur 
par  un  voyage  qu'il  fit  autour  du  monde  et  par  un  autre  voyage  en 
Cachemire  et  dans  l'Himalaya  (*). 

Ayant  appris  qu'un  de  ses  anciens  compagnons  de  voyage  dans  cette 
dernière  région  se  proposait  d'entreprendre  une  exploration  sur  le 
Haut-Zambèze,  M.  Bertrand  demanda  à  se  joindre  à  l'expédition.  Celle- 
ci  était  organisée  par  le  capitaine  Gibbons,  du  3®  Yorkshire  régiment. 

Le  11  avril  1893,  l'expédition  débarquait  au  Cap.  De  là,  elle  se  ren- 
dait par  chemin  de  fer  jusqu'à  Mafeking,  traversait  le  pays  des  Mata- 
bélès,  arrivait  au  Zambèze,  à  Kazoungoula  et,  de  ce  point,  entreprenait 
une  exploration  de  plusieurs  mois  dans  le  royaume  des  Ba-Rotsi,  puis, 
revenant  sur  ses  pas,  atteignait  le  Limpopo  par  Boulouwayo,  traversait 
le  Transvaal  peu  de  temps  après  le  raid  de  Jameson  et  parvenait,  le 
24  janvier  1896,  à  Natal,  où  se  termina  le  voyage. 

Arrivée  à  Mafeking,  terminus  du  chemin  de  fer  venant  du  Cap,  l'ex- 
pédition forma  sa  caravane,  il  ne  lui  fallut  pas  moins  de  64  jours  pour 
traverser  péniblement,  soit  en  chariot  à  bœufs,  soit  à  cheval,  le  Betchua- 
naland  et  le  désert  de  Kalahari.  Après  avoir  atteint  le  Zambèze,  il  fal- 
lut abandonner  les  chariots  et  renoncer  même  aux  chevaux  de  selle,  la 
mouche  tsé-tsé  exerçant  partout  ses  ravages  et  faisant  périr  successive- 
ment tous  les  animaux  du  convoi.  Au  pays  des  Ba-Rotsi,  on  entrait 
bientôt  dans  un  pays  à  peu  près  inconnu.  M.  Bertrand,  faisant  route 
avec  ses  deux  compagnons  européens,  remonta  jusqu'à  sa  source  le 
cours  de  la  rivière  Machili,  affluent  du  Zambèze,  dont  le  tracé  n'était 
marqué  que  très  approximativement  sur  les  cartes. 

Abandonnant  ensuite  ses  compagnons,  qui  devaient  suivre  des  itiné- 
raires différents,  M.  Bertrand,  ayant  avec  lui  23  indigènes,  se  dirigea 
sur  Lealouyi,  la  capitale  de  Lew^anika,  roi  des  Ba-Rotsi.  La  marche 
fut  très  difficile  dans  cette  région  inexplorée  et  la  caravane  dut  passer 
à  travers  d'affreux  marécages,  où   la  vase  atteignait  parfois  jusqu'à  la 

(1)  Au  Pays  des  Ba-Rotsiy  1  vol.  in-S",  illusiré  de  500  gravures  et  2  cartes,  relié 
élégamment;  20  francs.  —  Hachette,  éditeur. 


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Ai:    PAYS   DES   BA-ROTSI 


719 


ceinture.  Arrivé  enfin  dans  la  capitale  des  Ba-Rotsi,  M.  Bertrand  fut 
J'hôte  du  pasteur  français  Coillard  qui,  venu  du  Basoutoland,  s'est  éta- 
bli là  depuis  une  quinzaine  d'années  et  a  réussi  à  fonder  une  naission 
florissante;  à  Theure  actuelle,  elle  ne  compte  pas  moins  de  cinq  stations 
sur  le  Zambèze.  C  est  grâce  à  ce  missionnaire  dévoué  que  les  idées  de 
civilisation  et  de  christianisme  ont  pu  germer  et  déjà  porter  leurs  fruits 
chez  les  tribus  barbares  du. Zambèze. 

M.  Bertrand  donne  des  renseignements  intéressants  sur  les  Ba-Rotsi. 
«  Si,  au  point  de  vue  physique,  dit-il,  les  types  varient  beaucoup 
entre  eux,  il  n'en  est  pas  de  même  de  Thabillement,  dont  la  pièce  prin- 
cipale est  un  pagne  retenu  à  la  ceinture  par  une  peau  de  serpent.  Les 
plus  fortunés  y  ajoutent  une  dépouille  de  béte  sauvage;  ils  se  parent 
volontiers  de  colliers,  boucles  d'oreilles,  bracelets,  etc.  N'oublions  pas 
l'une  des  particularités,  unique  en  son  genre,  de  la  toilette,  cependant 


Mouchoirs  de  poche  indigènes. 

si  simple,  des  Ba-Rolsi  :  le  mouchoir  de  poche.  Celui-ci  consiste  en  une 
mince  lamelle  de  fer  finement  travaillé,  avec  manche  de  même  métal. 
Le  tout  peut  avoir  12  à  15  centimètres  de  longueur,  sur  3  à  4  de  lar- 
geur; cet  objet  se  porte  suspendu  au  cou  par  des  fibres  végétales  ou  des 


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720 


KEVUE  FRANÇAISE 


nerfs.  Us  s'en  servent  pour  se  moucher  comme  d'un  ressort,  avec  une 
extrême  dextérité,  ce  qui  au  feu  de  bivouac,  j'en  puis  parler  de  wu, 
n'est  pas  chose  plaisante.  Nous  constatons  que  ces  sauvages  ont  su 
perfectionner  le  mode  de  se  moucher  que  pratiquent  encore,  en  pays 
civilisés,  certains  habitants  des  campagnes.  » 

Presque  tous  les  Ba-Rotsi  sont  armés  de  lances  plus  ou  moins  barbe- 
lées; les  transactions  s'effectuent  au  moyen  de  la  brasse  de  calicot  blanc 
qui  est  la  monnaie  courante.  Dans  les  rencontres,  on  salue  les  voya- 
geurs par  le  mot  :  Louméla,  qui  veut  dire  :  au  revoir.  Lorsque  les  indi- 
gènes sont  armés,  ils  déposent  leur  lance  à  distance  respectueuse  jus- 
qu'à ce  qu'ils  soient  interpellés. 

Les  salutations  souvent  fort  bizarres  des  indigènes  varient  à  l'infini, 
suivant  la  position  de  l'individu  et  le  genre  de  relations  que  Ton  a 


Oreiller  en  bois  sculpté. 


Peigne  en  bols  sculi>té. 


avec  lui.  C'est  ainsi  que,  dans  une  rencontre,  l'un  des  hommes  de  la 
caravane,  cracha  aimablement  sur  l'épaule  d'un  indigène  qui  passait, 
marque  d'amitié  qui  serait  certainement  peu  appréciée  en  Europe. 
Quand  on  visite  une  case,  l'usage  veut  que  les  maîtres  de  la  maison 
saluent  d'abord  et  cela  seulement  lorsque  les  visiteurs  sont  assis,  s'ils 
ont  apporté  leurs  sièges,  ou  sinon  accroupis  par  terre. 

Dans  une  excursion  chez  les  Ma-Totéla,  qui  s'arrachent  souvent  les 
deux  incisives  centrales  supérieures,  M,  Bertrand  a  remarqué  particu- 
lièrement la  coiffure  de  ces  indigènes^  «  Voici  près  de  moi,  dit-il,  des 


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AU    PAYS    DES   BA-HOTSI 


721 


hommes  dont  chaque  touffe  de  cheveux  est  terminée  par  un  cône  ré- 
gulier de  pâte  brune,  composée  d'arachides  écrasées.  C'est  un  moyen, 
selon  eux,  de  faire  pousser  leur  chevelure;  la  préparation  de  cette  coif- 
fure demande  2  jours  et  doit  durer  plusieurs  semaines;  aussi,  sacri- 
fiant leurs  aises  à  leur  vanité,  se  servent-ils  comme  «  oreiller  »  d'un 
petit  chevalet  de  bois  qui  rappelle  celui  qu'emploient  les  Japonais  ». 
Le  costume  est  réduit  à  sa  plus  simple  expression.  Comme  armes,  les 


Lovanika  autrefois. 

hommes  portent,  outre  la  lance  barbelée,  une  l<ance  plus  fine  et  effilée 
qui  leur  sert  à  prendre  le  poisson. 

Dans  le  pays  des  Ba-Rotsi,  Tordre  hiérarchique  est  très  sévère;  c'est 
ainsi  que  les  huttes  différent  de  grandeur  suivant  Timporlance  des 
chefs;  il  en  est  de  même  dans  les  relations  de  la  vie;  ainsi  un  inférieur 
n'a  pas  le  droit  d'avoir  des  armes  ou  des  plats  aussi  bien  ornés  que 
ceux  de  son  supérieur  en  grade. 

M.  Bertrand  a  été  reçu  en  audience  par  le  roi  des  Ba-Rotsi.  Celui-ci 
XXIII  (Décembre  98).  N«  240.  ^"7 


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722 


REVUE  FRANÇAISE 


habite  une  grande  hutte  rectangulaire,  dont  les  murs  sont  construits  m 
terre  battue,  mélangée  de  bouse  de  vache,  laquelle  tient  lieu  de  chaux. 
Dix-huit  piliers  de  bois  soutiennent  un  toit  de  chaume  formant  auvent. 
Autour  de  la  demeure  de  Lewanika  se  trouve  le  harem,  grandes  huttes 
rondes  hautes  d'une  dizaine  de  mètres.  Le  roi  est  polygame  et  c'est  ce 
qui  Ta  empêché  jusqu'ici  de  se  convertir  au  christianisme. 
Le  roi  avait  convoqué  pour  la  réception  quelques-uns  de  ses  chefs 


Levanika  aujoiird'liui. 

qui  se  tenaient  accroupis  dans  la  cour.  Lorsqu'ils  furent  appelés,  ils 
s'avancèrent  à  genoux,  s'inclinant  profondément  en  frappant  des  mains, 
puis  s'accroupirent  sur  leurs  mollets.  Lorsque  le  roi  adresse  la  parole 
à  l'une  des  personnes  présentes,  elle  doit  battre  des  mains.  S'il  éternue, 
tout  le  monde  bat  des  mains  également  :  c'est  là  une  coutume  très 
répandue. 

Lorsque  M.  Bertrand  eut  présenté  ses  cadeaux  au  roi,  notamment  un 
fusil  Mannlicher,  Lewanika  lui  donna  quelques  renseignements  sur  son 


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AU   PAYS  DES   BA-ROTSI  723 

royaume  par  l'intermédiaire  du  pasteur  Jalla,  mais  ces  renseignements 
furent  très  sommaires  et  Lewanika  ne  put  indiquer,  même  approxima- 
tivement, quel  était  le  nombre  de  ses  sujets. 

Le  roi  rend  la  justice  sur  la  place  publique,  au  pied  d'un  arbre  à 
caoutchouc.  Précédé  d'un  musicien  et  d'un  porteur  de  siège,  il  se  trans- 
porte ainsi  au  milieu  de  ses  sujets;  les  instruments  de  musique  sont 
figurés  par  des  tambours,  des  serimbas,  instruments  composés  de  cale- 
basses évidées  surmontées  de  planchettes  de  bois  sonores  qui  sont 
frappées  avec  un  petit  marteau.  Les  serviteurs  du  roi,  les  membres  de 
sa  famille,  les  dignitaires  se  rangent  autour  de  lui.  Les  chefs  et  les 
sujets  se  groupent  suivant  leur  degré  hiérarchique.  Les  femmes  n'ont 


Calebasse  à  boire  et  cuiUers  indigènes. 

pas  le  droit  de  paraître  sur  la  place  publique  pendant  la  cérémonie. 
Bientôt,  plus  de  200  hommes  sont  accroupis  sur  le  sable;  en  arrivant, 
ils  se  mettent  tous  à  genoux  et  s'inclinent  profondément  en  frappant 
des  mains.  Les  indigènes  qui  reviennent  de  voyage  viennent  faire  des 
salutations  très  compliquées,  entremêlées  de  cris.  L'un  d'eux,  qui 
arrive  de  loin,  demande  à  conserver  une  peau  de  béte  sauvage  qui  lui 
a  été  donnée  ;  sans  ce  consentement,  le  présent  reviendra  de  droit  au 
souverain. 

Le  roi  représente  à  lui  seul  le  tribunal,  la  cour  d'appel  et  la  cour  de 
cassation;  il  n'est  pas  besoin  de  dire  que  rien  n'y  est  écrit,  et  que 
tout  genre  de  procédure  est  absolument  inconnu  dans  ces  parages.  La 


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pr^'  ;^'\^Wt?^' 


r 


724 


REVUE  FRANÇAISE 


1^- 


t, 


justice  est  sommaire,  prompte,  expéditive  et  elle  n'est  pas  toujours  si 
mal  rençiue. 

Après  avoir  séjourné  pendant  6  semaines  dan?  la  capitale  d&s  Ba- 
Rotsi,  M.  Bertrand  se  mit  en  marche  pour  revenir  à  la  côte.  Il  descendit 
par  le  Zambèze  et  atteignit  les  célèbres  chutes  Victoria  où  il  retrouva 
le  reste  de  sa  caravane  avec  les  chariots.  11  fallut  ensuite  franchir  la 
«  piste  de  la  soif  »  dont  le  nom  indique  suffisamment  Teffroi  qu'elle 
inspire  aux  voyageurs.  Ce  ne  fut  pas  sans  peiné  que  M.  Bertrand, 
tombé  gravement  malade,  put  la  franchir  et  arriver,  après  un  mois  de 


Plat  ruval  eu  bois  sculplô. 

vives  souffrances,  à  Boulouwayo,  la  capitale  de  la  Rhodesia.  Là  il  était 
sauvé,  car  il  se  trouvait  en  pays  civilisé,  et  en  mesure  de  recevoir  tous 
les  soins  que  nécessitait  son  état  de  santé. 

De  Boulouwayo  à  Pretoria,  le  voyage  se  fît  facilement  dans  un  coach 
traîné  par  huit  paires  de  mules.  Là  où  il  y  a  20  ans  la  terre  n'était 
occupée  que  par  des  bêtes  fauves  et  des  tribus  sauvages,  on  trouve  au- 
jourd'hui des  colons  de  jour  en  jour  plus  nombreux.  L'Afrique  australe 
se  peuple  rapidement  et,  grâce  aux  mines  d'or,  de  diamant  et  aux 
autres  richesses  naturelles  du  sol,  le  chemin  de  fer  pénètre  apportant 
partout  le  mouvement,  la  vie  et  la  civilisation. 

L. 


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LES  HABITANTS  DU  LAOS  <*^ 

m.  —  Unité  politique. 

Il  est  à  remarquer  que  malgré  la  multiplicité  des  races,  malgré  l'in- 
vasion du  pays  par  les  Thaïs,  qui  le  mangent  petit  à  petit,  les  Hoa 
Panh  Tang  Hoc  ont  toujours  formé  un  tout  qui  a  constamment  subi  le 
même  sort  à  travers  les  périodes  nombreuses  et  longues  de  luttes. 

Après  les  guerres  avec  le  Vien  Chan,  avec  le  Siam  et  Luang  Pra- 
bang,  pendant  la  domination  de  TAnnam,  Toccupation  du  pays  par 
les  Chinois,  ses  luttes  intérieures  contre  les  Khas,  il  n'a  jamais  été 
porté  atteinte  à  ce  groupe  d'unités  qui  constitue  les  Hoa  Panh  Tang  Hoc. 
On  s'est  tellement  gardé  d'aller  à  rencontre  de  ces  coutumes  qui  font 
marcher  le  pays  ensemble,  que  môme  à  l'époque  où  ces  régions  étaient 
tributaires  de  l'Annam,  elles  payaient  le  même  impôt  à  Luang  Pra- 
bang.  Sur  les  six  hoa  panh,  au  lieu  de  s'entendre  pour  en  attribuer 
par  exemple  trois  à  l'Annam  et  trois  à  Luang  Prabang,  chacun  des 
six  payait  à  la  fois  des  deux  côtés,  moitié  aux  Annamites,  moitié  au  roi 
de  Luang  Prabang.  C'est  un  point  essentiel  qu'il  est  de  notre  intérêt  de 
continuer  à  respecter,  si  nous  ne  voulons  nous  attirer  le  mécontente- 
ment des  vrais  maîtres  du  pays. 

Cette  faute-là  a  été  commise  en  1894.  A  ce  moment-là,  sous  la  pres- 
sion, sans  doute,  et  à  la  suite  des  démarches  du  Tong  Doc  de  Thanh 
Hoa,  on  a  mis  sous  la  dépendance  du  Thanh  Hoa  trois  des  Hoa  Panh, 
les  autres  continuant  à  dépendre  de  Luang  Prabang.  Cette  mesure  avait 
été  prise  je  ne  sais  pourquoi,  mais  dans  tous  les  cas  sans  demander 
aucun  renseignement  aux  officiers  qui  se  trouvaient  dans  le  pays  à  ce 
moment-là. 

Depuis  cette  époque,  m'a-t-on  dit,  à  la  suite  sans  doute  d'observa- 
tions de  M.  Pavie,  à  qui  connaissance  avait  été  donnée  de  cet  état  de 
choses  alors  qu'il  remontait  la  Rivière  Noire  (octobre  1894),  la  mesure 
a  été  rapportée  et  tous  les  hoa  panh  dépendent  à  nouveau  de  Luang 
Prabang;  l'unité  ancienne  a  été  reconstituée. 

Cette  unité  date  de  l'annexion  des  Hoa  Panh  Tang  Hoc  par  le  Vien 
Chan .  A  ce  moment,  les  chefs  des  Hoa  Panh  réunis  à  Vien  Chan  prê- 
tèrent le  serment  devant  le  Pra  bang  «  Bouddha  en  or  très  respecté  » 

(1)  Voir  Reo.  Fr.,  sept.,  oct.  1898,  p.  505  et  571. 


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726  REVUE  FRANÇAISE 

de  rester  toujours  unis,  de  marcher  d'un  commun  accord  contre  un 
ennemi  qui  se  présenterait  sur  un  point  quelconque  du  territoire. 

U  m'a  été  donné,  en  octobre  1894,  de  rappeler  cette  promesse  aux 
chefs  des  divers  hoa  panh,  alors  que  le  hoa  panh  de  Muong  Sam  Teu 
commençait  à  être  brûlé  et  dévasté  par  des  Meos  révoltés,  et  que  je 
n'avais  pas  de  soldats  à  ma  disposition  ;  tous  ces  chefs  ont  fourni  ou 
allaient  fournir  les  contingents  demandés  suivant  leur  importance. 

Divisions  territoriales.  —  Les  élargissements  de  vallée  existant  en 
certains  points  du  cours  des  rivières  sont,  en  général,  habités  ou  l'ont 
été  autrefois.  Ce  sont  les  seuls  endroits  où  Ton  puisse  faire  des  rizières 
de  plaine  et  à  elles  seules,  d'ailleurs,  ces  rizières  donneraient  des  ré- 
coltes insuffisantes  pour  les  habitants. 

Les  rizières  paraissent  présenter  un  classement  par  étendue  analogue 
au  classement  par  «  maùs  »  usité  en  pays  annamite.  A  l'origine,  sans 
doute,  et  cela  se  voit  encore,  d'ailleurs,  dans  quelques  hoa  panh 
comme,  par  exemple,  celui  de  Muong  Het,  les  rizières  étaient  divisées 
ainsi: 

1^  Rizières  de  un  a  Kan  La  »  (étendue  de  terrains  pouvant  rapporter 
50  charges  de  riz,  la  charge  étant  constituée  par  deux  paniers). 

2**  Rizières  de  un  «  Kan  Kang  »  (étendue  de  terrains  pouvant  rap- 
porter 75  charges  de  riz). 

3**  Rizières  de  un  «  Kan  l)at  »  (étendue  de  terrains  pouvant  rapporter 
150  charges  de  riz). 

Ces  divisions  sont  aussi  dénommées  a  Phiek  »  et  il  y  a  trois  espèces 
de  phiek  comme  il  y  a  trois  espèces  de  kan.  Ils  ont  les  valeurs  respec- 
tives des  kan  précédemment  décrits. 

n  fallait  dix  phiek  pour  faire  un  hoa  sib.  Chaque  hoa  panh  était 
divisé  en  un  certain  nombre  de  hoa  sib  (probablement  en  cent,  puisque 
hoa  sib,  en  laotien,  signifie  dix  tètes,  et  hoa  panh,  mille  têtes).  E  y 
avait  douze  hoa  sib  dans  le  territoire  proprement  dit  de  Muong  Het. 

C'est  sans  doute  de  cette  division  par  hoa  sib  que  le  pays  a  tiré  le 
nom  sous  lequel  on  le  désigne  actuellement  «  Hoa  Panh  Ha  Tang  Hoc, 
cinq  ou  six  milles  têtes  réunies  ». 
En  ce  moment,  on  divise  les  rizières  en  deux  catégories  : 
i°  Les  rizièies  dites  «  Na  Khan  sang  »  ou  rizières  communales.  A 
Torigine,  elles  ont  été  partagées  en  deux  parties,  l'une  pour  les  no- 
tables, l'autre  pour  les  habitants.  Ces  rizières,  dont  le  terrain  est  à 


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LES  HABITANTS   DU   LAOS  727 

l'État»  constituent  les  hoa  sib  ;  une  partie  qui  ne  serait  pas  cultivée 
par  le  détenteur  serait  donnée  à  un  autre. 

2^  Les  rizières  dites  «  Na  Khan  Ti  »,  provenant  de  terrains  incultes 
qui  sont  affectés  à  celui  qui  les  défriche  et  passent  à  ses  héritiers.  Ces 
rizières,  bien  que  le  terrain  appartienne  à  TÉtat,  ne  peuvent  pas  être 
enlevées  à  celui  qui  les  a  défrichées,  même  s'il  les  laisse  incultes.  Dans 
le  cas  seulement  où  il  n'y  a  pas  d'héritiers,  on  peut  les  faire  passera 
la  première  catégorie. 

Les  rizières  dites  «  Khan  Ti  »  payent  la  moitié  seulement  des  pre- 
mières. 

Suivant  le  terrain  sur  lequel  se  trouvent  les  rizières,  suivant  la  nature 
de  la  terre  qui  peut  avoir  plus  ou  moins  d'eau,  on  y  cultive  du  riz  qu'on 
appelle  : 

1**  Khaou  Do,  riz  de  première  récolte.  Il  est  cultivé  dans  les  terrains 
qui  ont  peu  d'eau  ;  la  récolte  se  fait  après  la  saison  des  pluies  ; 

2**  Khaou  Kang,  riz  de  2®  récolte,  se  fait  dans  les  terrains  moyens  ; 

3**  Khaou  Pi,  riz  de  l'année,  dans  les  terres  qui  conservent  Teau. 
C'est  la  dernière  récolte. 

Ce  riz  de  l'année  est  en  plus  grande  quantité  que  les  autres  ;  il  est 
même  défendu  par  le  code  de  Luang  Prabang,  aux  chefs  ou  à  ceux  qui 
sont  chargés  de  récolter  l'impôt,  de  prendre  du  riz  des  deux  premières 
récoltes,  qu'ils  doivent  laisser  pour  la  nourriture  des  habitants  :  ils  ne 
doivent  prendre  que  du  riz  dit  de  Tannée, 

Le  riz  de  l'impôt  était  autrefois  ainsi  perçu  avant  l'entrée  des  Chinois 
dans  le  pays  : 

Pour  les  rizières  de  Khan  bat  (150  charges),  on  prenait  deux  piculs 
ou  poids  de  320  barres  d'argent. 

Pour  celles  de  Khan  Kang  (75  charges),  on  prenait  un  picul  ou  poids 
de  160  barres  d'argent. 

Pour  les  rizièrcb  de  Khan  la  (50  charges),  un  demi-picul  ou  un  poids 
équivalent  à  80  barres  d'argent. 

La  division  par  hoa  sib  était  suivie  pour  la  répartition  des  corvées  et 
de  l'impôt  ;  actuellement,  elle  n'est  plus  guère  employée  que  dans  le 
hoa  panh  de  Muong  Het  ;  dans  les  autres,  on  semble  appliquer  la  répar- 
tition par  muongs,  suivant  le  nombre  de  familles  qu'ils  renferment. 

Lorsqu'un  chef  vient  à  mourir,  les  rizières  qui  appartenaient  à  sa 
famille  avant  sa  nomination  (Na  Khan  Ti)  y  font  retour.  B  n'en  est  pas 


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I 

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728  REVUE  FRANÇAISE 

de  même  des  rizières  communes  Na  Khan  Sang  qui  sont  données  «o 
nouveau  chef. 

Les  villages  qui  se  trouvaient  sous  les  ordres  de  Tancien  chef,  qui 
travaillaient  pour  lui,  peuvent  ne  pas  rester  à  sa  famille;  si  les  habi- 
tants de  ces  villages  le  veulent,  ils  peuvent  se  mettre  sous  les  ordres 
d'un  autre.  C'est  ce  qui  arrive  généralement,  ces  gens-là  ne  voulant  pas 
s'attirer  le  mécontentement  du  nouveau  maître. 

Division  du  temps. 

La  journée,  au  Laos,  se  divise  en  douze  veilles  (Nham)  de  deux  heures 
chacune.  Il  y  a  six  veilles  de  jour  «  Nham-Kang-ven  »  et  six  veilles  de 
nuit  «  Nham  Kang  Kun  ». 

A  Luang  Prabang,  sur  une  petite  hauteur  qui  est  située  au  milieu 
do  la  ville,  se  trouve  un  grand  tam-tain  servant  à  battre  les  veilles, 
qui  sont  indiquées  par  une  espèce  de  sablier  ;  les  veilles  de  jour  com- 
mencent à  7  heures  du  matin. 

On  a  le  mois  lunaire,  qui  se  divise  en  quatre  périodes  correspondant 
aux  phases  de  la  lune.  Tous  les  trois  ou  quatre  ans  on  ajoute  à  l'année 
un  treizième  mois. 

Les  années,  qui  ont  chacune  un  nom  particulier,  sont  groupées  par 
périodes  de  60  années  qu'on  appelle  un  cycle.  Le  dernier  a  commencé 
eu  1864  et  se  terminera  en  1923. 

Voies  de  commumcation. 

Pendant  la  saison  des  pluies  (mai  à  septembre),  il  est  excessivement 
difficile  de  circuler  dans  le  pays,  les  chemins  étant  coupés  à  chaque  pas 
par  des  ravins  qui  sont  alors  transformés  en  de  véritables  torrents. 

I^s  voies  de  communication  par  terre  sont  d'ailleurs  tracées,  comme 
dans  le  Haut-Tonkin,  en  prenant  au  plus  court,  une  portion  de  route 
suivant  le  fond  d'un  ravin,  la  fraction  d'après  gravissant  directement 
la  montagne  sans  un  détour,  sans  un  lacet,  allant  droit  au  but,  depuis 
le  pied  jusqu'au  sommet. 

Peu  de  routes  peuvent,  avec  quelque  vraisemblance,  être  dotées  de 
ce  nom.  On  peut  citer  : 

1**  La  route  qui  suit  la  vallée  du  Song  Ma,  de  Muong  Het  à  Muong 
Hao; 

2^  La  route  de  Muong  Ho  à  Muong  Poun,  dans  le  hao  panh  de  Hoa 
Muong, 


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LES  HABITANTS  DU   LAOS  729 

Elles  ont  de  4  à  5  mètres  de  large  environ  ;  la  dernière  surtout  est 
une  belle  route  de  crêtes,  bien  comprise  et  fort  bien  tracée. 

Comme  il  n'y  a,  en  fait  de  moyens  de  transport,  que  l'homme  ou  les 
bœufs,  il  est  difficile  de  faire  comprendre  aux  habitants  les  avantages 
de  voies  de  communication  telles  que  nous  les  entendons.  Il  est  à  re- 
marquer, d'ailleurs,  que,  môme  au  Tonkin,  dans  les  régions  où  nous 
avons  déjà  fait  construire  des  routes  carrossables,  les  indigènes  marchent 
toujours  à  la  file  indienne,  et  bien  rarement  plusieurs  de  front;  ils 
finissent,  à  la  longue,  par  tracer  un  sentier  sur  la  route  elle-même. 

Les  Laotiens  sont  aussi  peu  fixés  que  les  Annamites  sur  les  durées  de 
parcours.  Ici,  c'est  le  «  pak  »  qui  remplace  le  «  theu  »  annamite  et, 
comme  ce  dernier,  il  est  parfois  de  trois  heures,  parfois  d'un  quart 
d'heure  à  peine,  suivant  qu'on  se  trouve  en  pays  plat  ou  en  pays  acci- 
denté, ou  encore  qu'on  est  plus  ou  moins  éloigné  du  moment  où  le 
ventre  crie  la  faim.  Ces  «  pak  »  ou  haltes  ont  généralement  lieu  dans 
lo  voisinage  d'un  cours  d'eau,  grand  ou  petit;  le  laotien  n'emporte 
jamais  sur  lui  de  quoi  étancher  sa  soif  en  route. 

Animaux  sauvages  et  domestiques. 

Dans  un  pays  boisé  et  montagneux  comme  le  I^os,  le  tigre  est  com- 
mun et,  sur  certaines  voies  de  communication,  les  habitants  ne  s'aven- 
turent jamais  seuls.  La  route  de  Muong  Liet  à  Muong  Poua  est  celle  où 
l'on  compte  le  plus  de  victimes  du  tigre.  Un  autre  carnassier,  de  la 
même  famille,  mais  de  taille  plus  petite,  le  chat-tigre,  dévaste  les  pou- 
laillers et  vient  chercher  pâture,  la  nuit,  jusque  dans  les  villages,  au- 
dessous  des  maisons,  parmi  les  chiens  ou  cochons  qui  y  logent-  On 
trouve  également  l'éléphant  à  l'état  sauvage,  mais  en  petite  quantité 
dans  cette  partie  du  Laos,  et  l'ours  à  miel. 

Parmi  les  autres  animaux  vivant  dans  la  forêt,  on  peut  citer  le  cerf, 
en  grande  quantité,  dont  les  habitants  font  boucaner  la  viande  ;  le  paon 
en  abondance  également,  le  faisan  un  peu  plus  rare,  etc.  Tout  le  long 
du  Song  Ma  on  trouve  la  loutre. 

Étant  à  Muong  Het,  j'ai  eu  l'occasion  de  me  procurer  une  peau  de 
«  Galéopithèque  »,  espèce  de  «  singe  volant  »  ayant  une  membrane 
analogue  à  celle  des  chauve-souris,  qui  lui  permet  de  faire  des  bonds 
de  vingt  à  trente  mètres.  Le  poil  est  assez  long  (un  décimètre  à  cer- 
taines parties  du  corps)  et  d'une  finesse  telle  qu'on  croirait  toucher  du 


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730  REVUE  FRANÇAISE 

duvet.  Cette  espèce  est  assez  rare  et  je  n*ai  eu  que  deux  fois  Toccasion 
de  la  rencontrer. 

Les  animaux  domestiques  qui  rendent  le  plus  de  services  sont  les 
buffles.  Comme  partout  où  il  y  a  des  rizières,  ici  aussi  le  buffle  est  un 
animal  à  peu  près  indispensable.  Bien  qu'il  n'y  ait  que  la  dépense  pre- 
mière à  effectuer,  que  cet  animal  ne  demande  pas  de  frais  d'entretien, 
on  ne  voit  guère,  comme  propriétaires  de  buffles,  en  ce  moment  du 
moins,  que  les  gens  de  la  haute  classe  ou  les  familles  très  aisées;  pour 
les  autres,  le  prix  est  trop  élevé.  Un  grand  buffle  se  vend  de  12  à 
15  piastres  et  c'est  une  grosse  somme  pour  ces  gens-là. 

Les  bœufs  aussi  sont  d'une  grande  utilité.  Ils  servent  presque  exclu- 
sivement comme  bêtes  de  somme.  Le  bœuf  des  Hoa  Panh  Tang  Hoc  est 
de  belle  taille  et  présente  une  bosse  sur  le  garrot.  Dans  ces  régions 
montagneuses,  où  il  faut  parcourir  de  longues  distances  pour  se  rendre 
aux  centres  d'approvisionnement  des  choses  indispensables  à  la  vie, 
comme  le  sel,  par  exemple,  les  bœufs  porteurs  (ngoua  tang,  bœuf  de 
route)  rendent  de  réels  services.  De  même  que  les  buffles,  ils  ne  de- 
mandent presque  pas  de  frais  d'entretien. 

Les  buffles  et  les  bœufs  ont  été  massacrés  en  quantité  du  temps  des 
Chinois  et  de  la  révolte  des  Rhas.  On  trouvait  les  bœufs  en  troupeaux 
assez  nombreux  autrefois  dans  la  vallée  du  Nam  Ma,  du  côté  de  Xieng 
Kho.  On  les  tire  maintenant  de  la  région  de  Nong  Kay,  où  ils  abondent. 
Un  bœuf  porteur  se  paye,  à  Muong  Het,  de  60  à  80  dong  Kœn,  soit  de 
9  à  11  piastres. 

Les  chevaux  ne  sont  pas  très  abondants.  Jadis,  paraît-il,  quand  le 
pays  était  calme,  ils  n'étaient  pas  aussi  rares  qu'ils  le  sont  maintenant. 

Les  chefs  ont  à  peu  près  tous  leur  cheval,  auquel  ils  tiennent  beau- 
coup. Ils  s'en  servent  dans  tous  leurs  déplacements,  le  palanquin  étant 
très  rarement  employé  par  eux  comme  moyen  de  transport. 

Il  faudra  encore  du  temps  pour  que  le  pays  se  repeuple  en  chevaux. 
Ces  chevaux  du  Laos  sont  des  bêtes  solides  ;  de  la  même  taille  que  ceux 
du  Tonkin,  habitués  aux  pays  de  montagne  et  partant  ayant  bon  pied 
et  bon  œil,  ils  sont  durs  à  la  fatigue  et  faciles  à  nourrir. 

On  en  trouve  quelques-uns  chez  les  meos  de  Muong  Pouon,  en  dehors 
des  Hoa  Panh,  dans  le  Tranh  ÎNinh.  Ils  se  vendent  de  28  à  33  piastres. 

Les  autres  animaux  domestiques  que  l'on  trouve  en  abondance,  co- 
chons, chèvres,  poulets,  canards,  etc.,  servent  surtout  aux  nombreuses 


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LES   HABITANTS  DU   LAOS  731 

petites  fêtes  que  font  à  tout  moment  les  habitants,  et  pour  lesquelles 
ils  les  tuent  sans  compter. 

Produits  du  pays. 

Dans  les  hoa  panh  de  Sam  Taï,  Muong  Yen,  Sam  Nua,  Hoa  Muong, 
Muong  Son,  on  trouve  du  benjoin.  C'est  une  sorte  de  résine  que  Ton 
récolte  à  époques  fixes,  vers  le  mois  de  janvier.  Pour  cela  faire,  on  pra- 
tique des  entailles  à  Tarbre,  en  ayant  soin  de  placer  au-dessous  un  réci- 
pient pour  recueillir  les  parties  qui  ne  se  solidifieraient  pas.  Dans  tous 
les  hoa  panh,  on  récolte  également  de  la  «  laque  »,  principalement  chez 
les  Khas.  Un  peu  de  cire  est  recueillie  dans  les  différents  hoa  panh, 
mais  ce  produit  est  spécialement  réservé  aux  chefs.  Elle  sert,  dans  le 
pays,  à  la  fabrication  de  petites  chandelles  pour  les  jours  de  fête  et  de 
cérémonie.  C'est  en  benjoin,  en  laque  et  en  cire  que  Tirapôt  était  payé 
à  Luang  Prabang,  tandis  qu'à  TAnnam  on  n'apportait  exclusivement 
que  de  l'argent. 

Le  «  cardamum  »  ou  «  sanien  »  se  trouve  dans  les  hoa  panh  de  Sam 
Taï  et  de  Muong  Het  ;  il  doit  y  en  avoir  également  à  Sam  Nua.  Il  est  de 
qualité  inférieure  au  «  Sanien  »  annamite  et  est  récolté  par  les  Khas  et 
les  P'ou  P'aïs. 

Le  «  cunao  »  est  exporté  de  Muong  Soi  dans  le  Thanh  Hoa,  en  des- 
cendant le  Song  Ma.  En  général,  ceux  qui  se  livrent  à  ce  petit  corn- 
merce  ne  descendent  pas  jusqu'à  Thanh  Hoa  même.  La  vente  ou 
l'échange  de  ce  produit  se  font  avec  les  habitants  du  Quang  Hoa,  du 
côté  de  Hoï  Xuan. 

On  trouve  du  «  vang  sao  »,  qui  est  vendu  à  des  Chinois.  C'est  une 
écorce  d'arbre,  couleur  jonquille,  qui  servirait  à  la  confection  do  re- 
mèdes. 

On  élève  des  «  vers  à  soie  »  un  peu  partout.  La  soie  du  pays  n'est 
pas  très  fine,  les  gens  n'ayant  que  des  outillages  primitifs  ;  elle  ne  peut 
pas  lutter  avec  la  soie  annamite  au  point  de  vue  du  fini  du  travail.  Cette 
industrie  pourrait  être  sérieusement  développée  et  rapporter  de  jolis 
bénéfices.  Dans  les  alentours  des  villages,  on  trouve  souvent  des  mû- 
riers, en  petit  nombre,  il  est  vrai,  mais  qui  prouvent  que  l'arbre  vien- 
drait très  bien. 

n  en  est  de  même  du  coton,  cultivé  dans  de  faibles  proportions, 
pour  les  besoins  de  la  famille  à  peine,  mais  dont  la  culture  réussirait 


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732  REVUE  FRANÇAISE 

sans  nul  doute.  On  n'exporte  pas  de  coton,  tandis  que  la  soie,  achetée 
par  quelques  commerçants  chinois  établis  dans  le  pays  même,  va  vers 
Luang  Prabang  et  la  Birmanie.  Les  Khas,  P'ouocs  et  Pou  P'aïs  ne 
s'adonnent  pas  à  ces  deux  dernières  cultures. 

Le  «  tabac  »  est  cultivé  par  tous,  mais  principalement  par  les  Thaïs. 
On  voit,  vers  le  mois  d'avril,  de  fort  belles  étendues  de  ces  plantations 
de  tabac  sur  les  deux  rives  du  Nani  Ma,  en  aval  de  Xieng  Kho. 

Les  Meos  cultivent  le  «  pavot  »  et  vendent  dans  le  pays  même 
Topium  qu'ils  fabriquent.  Cette  culture  pourrait  être  développée  dans 
de  grandes  proportions. 

Du  côté  de  Muong  Sam  Taï,  sur  la  frontière  du  Thanh  Hoa,  on  trouve 
de  la  «  cannelle  »,  mais  de  qualité  inférieure  à  celle  du  Thanh  Hoa. 
Elle  trouve  son  écoulement  par  le  Thanh  Hoa  et  la  province  de  Vinh, 
régions  limitrophes  de  Sam  Taï. 

Beaucoup  de  variétés  de  fruits  viennent  sur  les  différents  points  du 
pays  :  la  pomme,  de  petite  grosseur,  du  côté  de  Muong  Senen;  la  prune, 
du  genre  de  la  «  reine-claude  »,  mais  plus  petite,  du  côté  de  Hoa  Xieng 
(Sam  Nua);  la  châtaigne,  semblable  à  celle  de  France,  du  côté  de 
Muong  Soï  ;  l'amande  et  la  grenade,  à  Muong  Het.  Les  autres  fruits  du 
Tonkin  viennent  dans  le  pays. 

En  résumé,  les  cultures  de  grand  rapport  venant  très  bien  seraient  : 
les  vers  à  soie,  le  coton,  la  cannelle,  le  benjoin,  la  laque,  le  pavot. 

Commerce. 

L'esprit  du  commerce  n'est  pas  très  développé  dans  les  Hoa  Panh 
Tang  Hoc.  Il  y  a,  à  cela,  plusieurs  raisons.  Durant  de  longues  années, 
le  pays  n'a  pas  été  tranquille  ;  Jes^  habitants  allaient  alors  au  plus 
pressé,  cultivant  leurs  terres  pour  avoir  de  quoi  manger,  mais  se  sou- 
ciant peu  de  travailler  pour  obtenir  des  produits  dont  bien  souvent  ils 
n'auraient  pas  profité  eux-mêmes.  De  plus,  le  pays  n'étant  pas  sûr, 
les  quelques  rares  individus  qui  se  risquaient  à  sortir  de  chez  eux  pour 
se  rendre  au  loin  se  voyaient  assez  souvent  dépouillés  en  route.  Si  Ion 
ajoute  à  cela  l'apathie  des  habitants  poussée  à  un  très  haut  degré,  on 
peut  comprendre  que  le  commerce  ne  se  soit  pas  beaucoup  étendu. 

Un  commerçant  qui  parcourrait  le  pays  au  bon  moment  pourrait 
faire,  rien  qu'en  laque  et  en  benjoin,  un  chiffre  d'affaires  assez  respec- 
table. Pour  la  laque,  il  faudrait  se  rendre  dans  cette  région  vers  la  fin 


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PROGRÈS   INDUSTRIEL   DE   LA   CHINE  733 

d'octobre  ;  un  peu  plus  tard,  vers  le  mois  de  janvier  ou  février,  pour  le 
benjoin. 

Ces  produits  sont  jusqu'ici  achetés  sur  place  aux  prix  suivants  par 
des  commerçants  venant  de  Luang  Prabang  :  pour  le  benjoin  de  pre- 
mière qualité,  30  piastres  le  picul  français  de  60  kilogs  (soit  100  kilogs 
annamites)  ;  pour  le  benjoin  de  seconde  qualité,  la  moitié  de  ce  prix. 
La  laque  se  vend  10  piastres  le  picuL 

La  soie  filée  est  aussi  vendue  principalement  à  des  Chinois  établis 
dans  le  pays  même.  Le  «  pong  »  de  soie  filée  (poids  de  100  dong  Koen 
d'argent)  se  vend  de  3  à  4  dong  Kœn  (soit  0S4S  à  0$ô5  environ).  Des 
Leus,  qui  viennent  des  Sib  song  Panh  na,  échangent  aussi  de  Topium 
contre  cette  soie  filée  qu'ils  rapportent  dans  leur  pays.  Le  commerce 
avec  les  Chinois  ou  les  Leus  se  fait  beaucoup  par  échanges,  surtout 
contre  de  Topium,  dont  les  Laos  usent  jusqu'à  Texcès. 

Ija  laque  est  échangée  principalement  à  Ta-Khoa  ou  du  côté  de  Cho 
Bo  contre  du  sel,  qui  fait  défaut  aux  gens  des  hoa  panh.  Un  kilog.  de 
«  laque  »  s'échange  contre  4  kilogs  de  «  sel  »  ou  un  poids  de  2  dong 
Kœn  d'opium.  Pour  un  kilog.  de  «  vang  sao  ï>,  on  donne  5  kilogs  de 
sel;  le  «  sanien  »  ou  «  cardamum  »  se  vend  OglO  le  kilog.  anna- 
mite, soit  10  $  le  picul  de  60  kilogs  français,  le  môme  prix  que  la  laque. 

C'est  par  échanges  surtout  qu'il  faudrait  procéder,  au  début,  pour 
étendre  le  commerce.  Il  serait  de  plus  grand  profit,  aux  gens  qui  vien- 
draient ainsi  commercer,  de  se  servir  de  bœufs  porteurs  au  lieu  d'em- 
ployer des  coolies.  En  outre  que  les  Laotiens,  pas  plus  que  les  Thaïs,  ne 
font  volontiers  le  métier  de  coolie,  le  prix  de  transport  serait  moins 
élevé  en  se  servant  de  bœufs  porteurs,  sur  lesquels  on  peut  mettre  un 
minimum  de  80  à  60  kilogs  français.  Il  n'y  aurait  qu'une  mise  de  fonds 

initiale  à  sacrifier. 

Capitaine  Bobo, 

de  Vïnfanterie  de  marine. 


PROGRES  INDUSTRIEL  DE  LA  CHINE 

L'ouverture  de  la  Chine  au  commerce  devient  de  plus  en  plus  une 
réalité.  Les  marchandises  européennes  pénètrent  à  l'intérieur  du  Céleste- 
Empire,  et  les  produits  chinois  en  sortent  ;  les  Européens  s'installent 
dans  les  grands  centres,  mais  les  Chinois  se  réveillent  peu  à  peu  de 


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784  REVUE  FRANÇAISE 

leur  torpeur  et  créent  des  usines  et  des  manufactures.  C'est  là  un  symp- 
tôme qui  ne  manque  pas  de  gravité.  On  en  jugera  par  le  rapport  de 
M.  Dautremer,  consul  de  France  à  Hankéou,  dont  nous  publions  les 
extraits  suivants  : 

Il  y  a  bientôt  7  ans,  lorsque  je  suis  arrivé  pour  la  première  fois  à 
Hankéou,  en  1891,  j'ai  trouvé  une  ville  un  peu  en  décadence.  Les  mai- 
sons anglaises  qui  jusque-là  avaient  été  les  seules  à  faire  du  commerce 
dans  ce  port,  s'en  allaient  les  unes  après  les  autres  et  j'ai  assisté  à  de 
nombreuses  vente»  aux  enchères;  de  toutes  les  anciennes  maisons  une 
seule  était  restée. 

Je  ne  considère  pas,  en  effet,  comme  maisons  de  commerce  les 
agences  des  compagnies  de  vapeurs  qui  font  le  service  de  la  navigation 
du  Yangtse  entre  Sanghaï,  Hankéou  et  Itchang.  Les  Russes,  eux,  se 
confinant  dans  leur  commerce  de  thé,  continueraient  leurs  affaires  avec 
la  Russie,  sans  essayer  quoi  que  ce  soit  d'autre.  Trois  maisons  alle- 
mandes faisaient  le  commerce  d'exportation  de  matières  premières  et 
il  n'existait  aucune  maison  française.  Les  seuls  Français  résidant  alors 
à  Hankéou  étaient  trois  employés  des  douanes  impériales. 

Les  choses  ont  beaucoup  changé  aujourd'hui  :  les  Anglais  n'ont  pas 
augmenté  en  nombre,'  mais  les  Allemands  ont  pris  une  place  consi- 
dérable. Les  3  maisons  existantes  ont  augmenté  le  nombre  de  leurs 
employés  ;  deux  nouvelles  maisons  se  sont  installées,  et  actuellement 
trois  autres  Allemands  vont  installer  une  albuminerie. 

Les  Français  se  trouvent  maintenant  représentés  par  quatre  maisons  : 
MM.  Olivier,  de  Langenhagen  et  C'^  Racine,  Ackermann  et  C*^;  Seunet 
frères;  L.  Vrard  et  C'®.  Un  syndicat  marseillais  vient  s'établir  dans  deux 
mois,  ayant  comme  agent  M.  Grosjean,qui  a  fait  partie  de  la  mission 
lyonnaise  en  1896-97. 

Les  Russes  enfin,  se  sonf  accrus  également  :  de  nouvelles  fabriques 
de  thé  se  sont  élevées  et  le  nombre  des  résidents  s'est  augmenté  rapide- 
ment; ils  semblent  vouloir  s'occuper  d'autres  genres  de  négoce;  quel- 
ques-uns essayent. 

Les  Japonais  sont  représentés  par  deux  maisons  de  commerce. 

Quant  aux  indigènes^  ils  ont  marché  de  Vavant.  Deux  manufactures 
de  coton  sont  installées  à  Outchang,  capitale  de  la  province,  en  face  de 
Hankéou  ;  une  manufacture  de  soie  est  en  pleine  activité  et  une  asso- 
ciation s'est  formée  qui  a  construit  une  manufacture  d'allumettes,  genre 


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EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS  735 

suédois,  aujourd'hui  en  plein  rapport.  Les  usines  métallurgiques  de 
Hanyang,  dont  on  avait  presque  désespéré  lorsqu'elles  se  trouvaient 
momentanément  sous  le  contrôle  allemand,  sont  également  en  bonùe 
voie  depuis  qu'elles  sont  retombées  dans  les  mains  de  leurs  fondateurs, 
les  Belges.  Elles  fournissent  déjà  presque  tous  les  rails  pour  les  chemins 
de  fer  du  nord  de  la  Chine,  et  les  ingénieurs  qui  les  dirigent  espèrent 
pouvoir  fournir  les  rails  pour  le  chemin  de  fer  de  Hankéou  à  Pékin.  Ils 
en  font  plusieurs  millions  de  tonnes  par  mois. 

Placé  au  centre  de  la  Chine,  sur  la  grande  artère  commerciale, 
Hankéou  ne  peut  manquer  de  prendre  un  essor  considéi  able,  lorsque 
les  deux  lignes  de  Hankéou-Pékin  et  de  Hankéou-Canton  seront 
achevées.  Là  afflueront,  en  effet,  toutes  les  marchandises  des  différentes 
provinces  et  il  est  hors  de  doute  que  ce  port  deviendra  le  grand  marché 
de  toute  la  Chine.  Pénétrant  au  nord  par  les  provinces  du  Honan  et 
du  Tchéli,  au  sud  par  celles  du  Houman,  du  Kiangsi  et  du  Kouang 
tong,  on  peut  dire  que  ce  chemin  de  fer  mettra  en  œuvre  toutes  les 
forces  latentes  de  la  Chine,  encore  aujourd'hui  endormies,  sauf  dans 
les  ports  ouverts. 


EXPLORATEURS  ET  VOYAGEURS 

M.  Foureau  (XXIII,  619)  a  quitté  Ouargla  avec  le  commandant  Lamy 
se  dirigeant  par  El  Biodh  sur  Tiniassinin.  Son  escorte,  placée  sous  les 
ordres  du  capitaine  Reibell»  est  forte  de  180  tirailleurs  algériens  et  pos- 
sède 2  canons  à  tir  rapide,  afin  de  pouvoir  défendre  son  convoi  qui 
compte  de  900  à  1 000  chameaux  et  plusieurs  centaines  de  chameliers, 
contre  les  attaques  des  Touareg.  Une  autre  colonne  suit  la  mission 
Foureau  dans  le  but  d'établir  à  Timassinin,  un  poste  semblable  à  celui 
de  Fort  Mac-Mahon.  Timassinin  se  trouve  à  environ  450  kilomètres  sud 
d'Ouargla  et  500  kilomètres  d'In-Salah. 

Le  1'  Blondiaux  (XXïil,  45),  est  rentré  en  France  après  15  mois  d'ex- 
ploration dans  les  bassins  du  Cavally  et  du  Sassandra.  Les  bandes  de 
Samory  l'ont  beaucoup  gêné  dans  sa  mission,  ainsi  que  des  peuplades 
anthropophages  comme  les  Diohas.  Entouré  par  500  de  ces  derniers 
avec  sa  troupe  qui  ne  comptait  qu'une  quarantaine  d'hommes,  il  ne  put 
que difiBcilement  continuer  sa  route.  En  rentrant  au  Sénégal,  le  1*  Blon- 


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736  REVUE  FRANÇAISE 

diaux  a  pris  pari  au  siège  de  Sikasso.  Les  documents  qu'il  rapporte 
permettent  d'établir  la  frontière  franco-libérienne  soit  en  suivant  le 
cours  de  la  rivière  Dionou,  soit  celui  de  la  rivière  Nuon,  puis  ensuite  la 
ligne  de  partage  des  eaux  des  rivières  S^-Paul  et  Sassaudra. 

M.  Guillaume  Grandidier  (XXIII,  240),  après  avoir  fait,  à  son  arrivée 
à  Madagascar,  des  fouilles  sur  la  côte  (avril  1898),  a  poussé  jusqu  a 
Mababo,  ancienne  capitale  du  Ménabé.  Arrivé  en  mai  à  Tulléar,  il  a 
essayé  de  pénétrer  dans  le  pays  des  Mahafales,  mais  n*a  pu  y  parvenir 
en  raison  des  troubles  existants.  Il  a  étudié  alors  le  cours  de  la  rivière 
Onilahy,ou  Saint-Augustin,  et  a  fait  d'importantes  collections  d^  fossiles 
notamment  de  la  grosse  tortue  et  de  Yœpyornis,  Voiseau  géant  de  Madas- 
car.  De  Tulléar,  il  s'est  rendu  au  poste  de  Berakcta,  sur  le  Sakondry, 
puis  a  remonté  l'Onilahy  et  est  arrivé  au  pays  des  Antanosses  émigrés, 
après  avoir  échappé  à  une  bande  de  Mahafales.  Après  avoir  traversé 
pendant  5  jours  un  pays  entièrement  désert,  il  est  arrivé  à  Ihosy,  où  il 
a  assisté  à  rinccndie  du  village  et  du  poste  militaire.  Enfin,  le  16  sep- 
tembre, il  entrait  à  Fianarantsoa.  De  là,  après  avoir  visité  Tlkongo,  il 
devait  se  rendre  à  Tananarive. 

L'explorateur  Cavendishy  qui  a  renoncé  au  nouveau  voyage  qu'il  de- 
vait accomplir  au  pays  des  Somalis  (XXIII,  173),  s'est  rendu  au  Zambèze, 
et  a  commencé  l'installation  du  télégraphe  dans  la  région  la  plus  septen- 
trionale du  territoire  de  la  Rhudésia. 

Dans  une  lettre  adressée  au  ministre  des  afiFaires  étrangères,  le  prince 
Henri  d*  Orléans,  déclare  renoncer  h  son  projet  d'exploration  en  Abyssi- 
nie.  Son  but  était  de  tendre  la  main  à  la  mission  Marchand  et  de  lui 
porter  des  renforts  sur  le  Nil,  à  travers  l'Abyssinie.  Mais,  mal  secondé 
dans  les  sphères  gouvernementales,  il  ne  put  réunir  à  temps  les  éléments 
nécessaires  au  succès  de  la  mission,  et  après  2  voyages  en  Abyssinie, 
abandonne  un  projet  rendu  inutile  par  le  rappel  de  l'expédition  Marchand. 

On  annonce  la  mort  du  colonel  Coe//o,  président  de  la  S**"  de  géogra- 
phie de  Madiid.  Il  avait  été  chargé,  par  son  gouvernement, de  la  direc- 
tion de  tous  les  travaux  géographiques,  géodésiqueset  géologiques.  Son 
œuvre  la  plus  importante  est  l'atlas  des  provinces  espagnoles  en  65  feuil- 
les, à  l'échelle  du  1. 200.000.  Né  en  1822,  il  avait  fondé,  en  1876.  la 
S^*^  de  géographie  de  Madrid.  Il  fut  le  promoteur  de  plusieurs  expédi- 
tions en  Afrique  :  au  Maroc,  au  Rio  de  Oro  et  dans  l'Adrar. 


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NOUVELLKS  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 

AFRIQUE 

Tunisie  :  Arsenal  de  Bizerte  —  A  roccasion  du  voyage  du  ministre  de  la 
marine,  le  Yacht  indique  les  travaux  en  exécution  à  Bizerte.  Le  lac  qui 
communique  par  un  goulet  avec  la  baie  de  Sebra,  est  une  vaste  nappe  d'eau 
dans  laquelle  on  peut  décrire  un  cercle  de  3  milles  de  diamètre  ;  on  y  trouve 
des  profondeurs  de  10  mètres  au  moins.  Sidi-Âbdallah,  situé  au  fond  du  lac, 
près  du  ruisseau  qui  le  relie  à  une  seconde  nappe  d'eau  presque  aussi  étendue, 
le  lac  Ishkel,  dont  l'eau  est  douce,  a  été  choisi  comme  point  d'établissement 
d'un  arsenal.  Deux  digues  de  500  et  800  mètres  y  seront  achevées  sous  peu. 
Le  fond  sera  creusé  entre  elles,  à  la  profondeur  de  10  mètres.  Sur  les  700  hec- 
tares que  la  Marine  s'est  réservée  à  terre,  on  élèvera  des  ateliers,  magasins 
et  dépôts  de  charbon  ;  un  bassin  de  radoub  de  grandes  dimensions  y  sera 
creusé.  Ces  travaux  qui  devraient  être  exécutés  depuis  longtemps  assureront  à 
Bizerte  le  rang  qu'il  doit  avoir  comme  port  de  guerre.  Il  ne  restera  plus 
qu'à  le  fortifier  et  à  lui  donner  une  garnison  sérieuse.  Près  de  Sidi-Abdallah, 
on  a  fondé  récemment  une  nouvelle  cité  baptisée  du  nom  de  Ferryville. 

Bou  Grara.  —-  Une  grande  nappe  d'eau,  le  lac  ou  mer  de  Bou-Grara,  s'étend, 
au  sud  de  la  Tunisie,  derrière  la  grande  lie  de  Djerba,  dont  le  point  culmi- 
nant est  de  30  mètres  au  plus.  Le  meilleur  chenal  pour  y  pénétrer  se  trouve 
près  du  village  d'Adjim  ;  la  navigation  y  est  rendue  difficile,  même  pour  un 
torpilleur,  par  les  bancs  de  sable  et  de  petits  fonds,  mais  est  facilitée  aujour- 
d'hui par  un  balisage.  Le  grand  lac  a,  dans  l'intérieur,  des  fonds  de  15  et 
16  mètres.  En  draguant  les  2  chenaux  qui  y  conduisent,  on  pourrait,  à  peu 
de  frais,  y  établir  un  excellent  mouillage  abrité. 

Soudan  français  :  IftMÎoii  de  Trentinian.  —  Le  général  de  Trentinian, 
qui  a  récemment  occupé  les  fonctions  de  gouverneur  du  Soudan,  s'est  embar- 
qué le  19  nov.  pour  y  retourner  au  même  titre,  en  remplacement  du  colonel 
Audéoud.  Pendant  les  2  années  de  sa  1«  administration,  il  a  introduit  dans 
le  budget  de  la  colonie  de  sages  mesures  d'économie,  tout  en  développant 
avec  succès  la  production  et  le  mouvement  commercial  du  Soudan.  Son  retour 
sera  d'autant  plus  apprécié  qu'il  emmène  avec  lui  une  mission  d'hommes 
techniques,  chargés  de  faire  connaître  et  de  développer  les  productions  delà 
colonie.  Parmi  eux  se  trouvent  :  M.  Coppolani,  attaché  aux  affaires  indigènes 
de  l'Algérie,  particulièrement  initié  sur  les  relations  des  confréries  musul- 
manes; M.  Jacquey,  ingénieur  agronome,  chargé  de  l'étude  du  coton; 
M.  Fauque,  connu  par  ses  études  sur  le  caoutchouc  à  Java  et  en  Birmanie; 
M.  Hamet,  ingénieur;  M.  Bastard,  publiciste;  un  ingénieur  électricien; 
2  botanistes  et  un  peintre.  Grâce- à  l'impulsion  que  le  général  de  Trentinian 
ne  manquera  pas  de  donner  à  ces  spécialistes,  le  Soudan,  aujourd'hui  pacifié, 
ne  saurait  manquer  de  devenir  peu  à  peu  une  colonie  productive. 

Côte  d'Ivoire  :  Étude  de  chemin  de  fer.  —  Une  mission  d'officiers  du 
génie,  dirigée  par  le  capitaine  Houdaille,  s'est  embarquée  le  25  nov.  à  Mar- 
xxni  (Décembre  98).  N»  240.  48 


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738  REVUE  FRANÇAISE 

seille  pour  la  Côte  dlvoire.  Elle  comprend  les  capitaines  Cresson,  Dnplessis, 
Thomasset,  le  1^  Macaire,  Tadjudant  Borne  et  une  quinzaine  de  sous-officiers 
et  de  sapeurs.  Son  but  est  d'étudier  un  avant-projet  de  voie  ferrée  allant  de 
la  Côte  d'Ivoire  à  l'intérieur.  Aucune  élude  technique  n'ayant  encore  été 
faite,  la  mission  reconnaîtra  les  trois  voies  suivantes  :  La  1"»  allant  de  Grand 
Bassam  vers  le  nord  par  le  Comoé,  la  2«  de  Grand  Lahou  à  Kong  par  Tias- 
salé,  la  3«  passant  entre  le  Comoé,  et  le  Bandama. 

La  capture  de  Samory  et  la  pacification  qui  en  est  la  conséquence  vont 
permettre  de  développer  la  vie  économique  de  ces  riions. 

Haut-Dahomey  :  Organisation  en  cercles.  —  Le  Journal  O/ficiel  du  Da- 
homey du  i5  août  1898  a  publié  un  arrêté  divisant  en  4  cercles  les  territoire 
du  Haut-Dahomey  compris  entre  le  Niger,  le  Soudan  français,  la  colonie 
allemande  du  Togo,  le  9^  parallèle  et  la  colonie  anglaise  de  Lagos. 

Le  cercle  de  Gourma  (1)  comprend  les  provinces  de  Fada  N'Gourma,  de 
Pâma,  de  Matiacouali,  de  Kodiar,  de  Rotoa  et  dépendances;  il  est  limité  au 
nord  par  le  Soudan  français  et  le  Togo,  à  Test  par  le  Zaberma  ou  Dendi  et 
la  province  indépendante  de  Baniquara,  au  sud  par  la  province  de  Kouandé. 

Le  cercle  de  Djougou-Kouandé  est  formé  par  les  royaumes  de  Rouandé, 
de  Djougou,  les  pays  Kafîris  et  leurs  dépendances;  ce  cercle  est  limité  au 
nord  par  le  Gourma,  à  Test  par  les  provinces  de  Bouay  et  Parakou,  au  sud 
par  le  cercle  de  Savalou-Carnotville  et  à  l'ouest  par  le  Togo. 

Le  cercle  du  Borgou  est  formé  par  les  provinces  de  Nikki  et  Parakou  et 
leurs  dépendances;  ce  cercle  est  limité  au  nord  par  la  province  de  Bouay,  à 
l'est  par  la  colonie  anglaise  de  Lagos,  à  louest  par  la  province  de  Djougou  et 
au  sud  par  le  cercle  de  Savalou-Carnotville. 

Le  cercle  du  Moyen -Niger  est  formé  par  les  provinces  de  Bouay  et  de  Kan- 
di,  par  le  pays  indépendant  de  Baniquara  et  les  territonres  du  &benna  ou 
Dendi,  situés  sur  les  deux  rives  du  Niger,  et  leurs  dépendances;  ce  cercle 
est  limité  au  nord  par  le  Soudan  français  et  la  frontière  firasco-anglaise  du 
14  juin  1898,  à  Pest  par  cette  même  frontière,  au  sud  par  les  provinces  de 
Nikki  et  de  Parakou  et  à  l'ouest  par  le  Gourma  et  la  province  de  Rouandé. 
Ces  4  cercles  sont  administrés  par  des  résidents  placés  sous  la  direction 
du  commandant  supérieur  du  Haut-Dahomey. 

Madagascar  :  Colonisation  militaire .  —  Le  général  Gallieni  a  publié,  le 
9  juin,  dans  le  Journal  Officiel^  ujie  circulaire  prescrivant  aux  chefs  de  corps, 
commandants  de  territoire  et  de  cercle,  de  mettre  les  militaires  qui  ont 
l'intention,  une  fois  libérés,  de  devenir  colons,  à  la  tête,  dès  leur  dernière 
année  de  service,  d'une  exploitation  agricole.  Ils  seront  ainsi  mis  à  même 
de  s'assimiler  les  procédés  de  culture  et  d'élevage  qu'ils  auront  à  appliquer 
plus  tard.  Le  général  Gallieni  enjoint  aussi  aux  commandants  de  poste 
d'aider  les  anciens  soldats  devenus  colons  à  recruter  la  main-d'œuvre  dont 

ils  ont  besoin  ;  des  avances  de  fonds  pourront  même  leur  être  feites.  Mais 

-  -     - —  '  I  ^  — 

il)  Voir  la  carte  de  rHinterlmid  dm  Dahomey,  Hei\  Ft.  a?.  1808,  p.  201. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES 


739 


a>ant  cette  circulaire,  ces  mesures  d'encouragement  avaient  été  appliquées 
dans  ]*!le  et  avaient  donné  d'excellents  résultats. 

Cultures.  —  Des  expériences  ont  été  faites  au  jardin  d'essais  de  Nahanisana 
sur  un  certain  nombre  de  cultures.  Il  en  résulte  que  le  sarrazin  pousse  en 
Érayrne  avec  la  plus  grande  facilité.  L'avoine  a  donné  de  moins  bons  ré- 
sultats, mais  cependant  2  des  6  variétés  essayées  paraissent  réussir.  Les 
essais  de  maïs  de  fourrage  n'ont  réussi  qu'à  moitié.  La  patate  indigène,  dite 
sihanaka,  pourra  être  utilisée  comme  plante  fourragère. 

Port  de  Tulléar,  —  On  éprouve  une  véritable  satisfaction,  dit  une  corres- 
pondance du  Temps  du  4  octobre,  après  avoir  longé,  depuis  Majunga,  la  c6te 
ouest  sans  rades  ni  abris  sérieux,  avec  des  barres  souvent  impraticables,  à 
pénétrer  dans  l'excellent  petit  port  de  Tulléar,  bien  fermé  par  la  terre  et 
une  ligne  de  récifs  qui  le  protège  contre  les  vents  du  large,  il  n'a  qu'un  in- 
convénient, c*est,  à  la  basse  mer,  la  grande  laisse  qui  retient  les  embarca- 
tions à  1.200  ou  4.500  mètres  du  rivage  et  oblige  le  voyageur  à  faire  ce 
trajet  en  filanzane  ou  sur  les  épaules  des  indigènes.  Il  iaudrait  donc,  si  l'on 
voulait  profiter  des  grands  avantages  que  présente  ce  merveilleux  point  de 
débarquement,  y  construire  un  wharf;  cette  question  est  à  l'étude. 

Il  faut  ajouter  que  le  port  de  Tulléar,  le  seul  que  l'on  trouve  sur  la  côte 
occidentale  après  Majunga,  a  devant  lui  un  brillant  avenir.  Autrefois,  malgré 
l'état  troublé  du  pays,  les  traitants  y  faisaient  un  commerce  assez  important 
de  caoutchouc,  bœufe,  pois  du  Cap,  tortues,  etc.  ;  la  pacification  du  pays  ne 
peut  qu'en  développer  la  prospérité.  Toutes  les  maisons  de  commerce,  tous 
les  colons  établis  dans  l'île  de  Nossi-Vé,  où  ils  trouvaient  un  refuge  contre 
les  incursions  des  indigènes  de  Fintérienr,  se  sont  transportés  à  Tulléar,  et 
il  ne  reste  plus  personne  sur  l'ilot  de  sabte  qui  fut  le  si^e  d'une  résidence, 

Ouganda  :  Chemin  de  fer.  —  La  constructioii  du  Chemin  de  fer  de  l'Ou- 
ganda avance  rapidement..  En  mars  dernier,  le  rail  atteignait  le  kiloipètre 
423.  La  pose  de  la  voie  a  dépassé  le  deuxième  parallèle  sud  et  les  travaux 
préparatoires  sont  achevés  sur  la  moitié  de  la  distance,  entre  Monbassa  et  le 
lac  Victoria.  Entre  Monbassa  et  Toto-Andei  (261  kil.),  il  n'y  a  que  quatre  en- 
droits où  l'on  trouve  de  l'eau  ;  le  sol  est  accidenté  et  couvert  d'épines.  La 
section  comprise  entre  la  côte  et  Voi  a  été  livrée  à  Texploitation  le  15  dé- 
cembre 1897  et  le  20  août  1898,  on  a  inauguré  100  autres  kilomètres.  Actuel- 
lement, la  ligne  est  exploitée  entre  Kilindini  (près  Monbassa)  et  Toto-Andei, 
sur  une  longueur  de  261  kil.,  qui  comporte  13  stations,  La  station  de  Voi 
est  à  500  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Il  y  a  un  train  par  jour  en 
chaque  sens.  On  part  de  Kilindini  à  8  h.  m.  et  on  arrive  à  Voi,  où  on  passe 
la  nuit,  à  5  h,  s.  On  repart  à  7  h.  m.,  pour  arriver  à  Toto-Andei  à  il  h.  du 
matin. 

Anglais  au  Nil.  —  L'expédition  du  major  Macdonald  ayant  été  arrêtée  pen- 
dant plus  d'une  année  par  la  révolte  des  troupes  soudanaises  de  l'Ouganda, 
force  lui  avait  été  de  renoncer  à  atteindre  le  Nil,  pour  prévenir  la  mission 
Marchand  à  Fachoda.  La  rébellion  de  l'Ouganda  étant  considérée  comme  ter- 


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740  REVUE  FRANÇAISE 

minée,  les  Anglais  ont  repris  leur  projet  de  descendre  le  Nil  jusqu'au  Sou- 
dan. Le  Times  (23  nov.)  a  publié  une  lettre  datée  de  Foweira-Fort  (Unyoro), 
20  août,  donnant  des  détails  sur  une  expédition  qui  était  sur  le  point  de  par- 
tir de  cet  endroit  dans  la  direction  du  Nord^  en  suiTant  le  Nil.  La  colonne 
principale,  sous  les  ordres  du  major  Martyr,  accompagné  de  8  officiers  an- 
glais, devait  partir  de  Fajao  et  se  diriger  vers  Duûleh,  en  se  servant  du  Nil. 
L'autre  colonne,  commandée  par  le  capitaine  Carlelon,  devait  aller  par  terre 
de  Foweira-Fort,  via  Fatiko,  à  Dnfileh,  d'où  les  deux  colonnes  réunies  de- 
vaient se  rendre  à  Lado,  pour  s*y  arrêter  pendant  un  temps  considérable,  y 
établir  une  station  et  y  réunir  des  vivres  et  du  matériel. 

Soudan  oriental  :  Service  médical  à  Parfnée  anglo^gyptienne,  —  Une 
des  causes  de  la  parfaite  réussite  de  Texpédition  anglo-égyptienne  de  Kbar- 
toum,  a  été  incontestablement  sa  merveilleuse  organisation  sanitaire  et  médi- 
cale. Un  médecin  était  affecté  à  chaque  bataillon,  escadron  et  batterie. 
Dans  chaque  bataillon,  32  hommes  exercés  étaient  désignés  d'avance,  en  cas 
de  besoin,  pour  donner  les  premiers  soins  aux  blessés  ou  malade  et  assurer 
leur  transport  dans  les  hôpitaux  volants  qui  suivaient  les  brigades  ;  chaque 
brigadedisposait  de  5  hôpitaux  de  ce  genre,  avec  médecin  et  25  hommes 
pour  chacun,  sous  les  ordres  d'un  médecin  principal.  Les  blessés  étaient 
transportés,  de  ces  hôpitaux  volants,  à  des  embarcations  amarrées  dans  le 
fleuve  et  pouvant  recevoir  200  hommes.  Deux  installations  pour  la  produc- 
tion et  l'utilisation  des  rayons  Rœntgen,  avaient  été  faites  sur  ces  bateaux. 

Entre  Khartoumet  Atbara,  il  y  avait  8  lignes  d'hôpitaux  de  communica- 
tion de  chacun  50  lits  ;  au  camp  d' Atbara,  on  avait  édiGé  un  hôpital  un  peu 
plus  confortable  pour  250  hommes,  qui  recevaient  les  soins  de  6  médecins. 
Enfin,  l'hôpital  d' Atbara  était  relié  par  des  trains  spéciaux  à  2  autres  hôpi- 
taux construits  en  aval,  l'un  à  Abadéahn,  l'autre  à  une  vingtaine  de  kilo- 
mètres de  Berber.  Chaque  canonnière  avait  son  médecin.  Les  instruments  et 
les  médicaments  n'ont  jamais  manqué.  Cette  excellente  installation  ne 
profita  point  aux  blessés  mahdistes  ;  car  ceux-ci,  ainsi  que  nous  le  confirme 
une  polémique  entre  journaux  britanniques,  furent  égorgés  de  sang-froid 
par  les  vainqueurs  sur  le  champ  de  bataille  d'Omdurman. 

ASIE 

Perse  :  Les  Anglais  à  Bouchir,  —  Une  note  de  Bombay,  26  octobre,  adres- 
sée aux  Débais,  dit  qu'il  y  a  environ  six  mois,  l'Impérial  Bank  of  Persia 
s'était  fait  attribuer  le  contrôle  des  douanes  de  Bouchir,  comme  garantie 
d'une  avance  de  1.250.000  fr.,  au  gouvernement  persan.  C'était  la  mainmise 
par  les  Anglais,  en  vertu  d'une  ligne  de  conduite  dès  longtemps  suivie,  sur 
le  port  le  plus  important  du  golfe  Persique,  en  môme  temps  que  l'introduc- 
tion de  procédés  d'administration  plus  honnêtes,  sans  doute,  mais  aussi  plus 
rigoureux.  Cette  mesure  provoqua,  de  la  part  des  marchands  du  lieu,  une 
opposition  d'autant  plus  vive  que  le  souci  de  leurs  intérêts  y  avait  autant  de 
part  que  le  patriotisme. 


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NOUVELI.es  géographiques  et  coloniales  741 

La  population  de  Bouchir,  ameutée,  se  souleva;  mais  les  Anglais  ayant 
pris  aussitôt  prétexte  de  ces  troubles  pour  débarquer  des  troupes  de  marine, 
les  adversaires  de  leur  influence  ont  eu  recours  à  d'autres  moyens  plus  eOi- 
caces,  bien  que  moins  bruyants.  On  est  parvenu  à  se  débarrasser  de  la  Banque 
en  lui  faisant  rembourser  purement  et  simplement  son  avance.  Cest  un 
échec  pour  la  politique  anglaise  d'intervention  à  outrance  dans  le  golfe 
Persique. 

Hong-Kong  :  Renforcements,  —  Les  Anglais  ne  se  sont  pas  contentés 
d'agrandir  considérablement  leur  territoire  de  Hong-Kong  aux  dépens  de  la 
Chine;  ils  ont,  depuis  plusieurs  années,  renforcé  sans  arrêt  la  défense  de  leur 
possession,  qui  n'a,  d'ailleurs,  jamais  cessé  de  se  développer.  Actuellement, 
la  colonie  renferme  240.000  habitants,  dont  12.000  blancs,  soit  50  0/0  de  plus 
qu'en  1889. 

Pour  mettre  Hong-Kong,  dépôt  de  charbon,  en  état  de  défense,  en  plus  des 
batteries  et  des  travaux  de  défense  qui  étaient  en  cours  de  construction  en 
1889,  une  grande  quantité  de  canons  se  chargeant  par  la  culasse,  du  calibre 
de  23  c,  a  été  installée  sur  l'île  de  Stonecutter  et  dans  la  passe  de  Lye  Ee 
Moon,  ce  qui  s'oppose  à  toute  entrée  dans  le  port  ou  dans  la  rade.  Ces  pièces, 
dit  VEngineor,  sont  dans  des  casemates  protégées  par  des  plaques  d'acier,  et 
s'ajoutent  aux  batteries  de  15  c,  aux  lourdes  pièces  assez  vieilles  qui  furent 
installées  à  la  suite  du  plan  de  défense  de  sir  William  Crossman.  Au  som- 
met du  Peak,  à  une  altitude  de  540  mètres^  une  série  de  batteries  de  23  c.  est 
en  fin  d'achèvement,  et  on  y  a  joint  des  «  chercheurs  de  position  du  système 
Watkin  »  installés  dans  le  roc.  Ces  dernières  pièces  pourront  tirer  par-des- 
sus tout  le  Lamma  Channel  et  les  approches  de  la  rivière  Pearl.  Le  feu  plon- 
geant de  canons  de  si  gros  calibres  (pouvant  lancer  un  projectile  de  172  kg.), 
effectué  par  des  batteries  possédant  un  si  haut  commandement,  peut  s'oppo- 
ser à  toute  approche  d'un  ennemi  venant  de  l'ouest.  A  l'est,  la  passe  de  Lye 
Ee  Moon,  large  d'un  demi-mille  seulement,  est  gardée  de  la  même  ma- 
nière. » 

L'approvisionnement,  d'eau  qui  se  trouve  près  de  Tytam  Took,  au  sud  de 
l'île,  est  assez  précaire  ;  l'eau  coule  vers  la  ville  de  Victoria  par  une  petite 
galerie  percée  dans  le  roc  sur  une  longueur  de  2  milles.  On  travaille  en  ce 
moment  à  la  protection  de  cette  source,  et  le  réservoir  actuel  sera  beaucoup 
agrandi,  pour  tenir  compte  de  l'énorme  consommation  d'eau  de  la  colonie. 
*Les  docks  d'Aberdeen  ne  sont  couverts  encore  par  aucune  bouche  à  feu, 
mais  l'île  de  Stonecutter  est  hérissée  de  canons  et  protège  le  bassin  d'échouage 
et  les  immenses  docks  de  Kowloon. 

Mékong  :  Navigabilité.  —  MM.  Ytier,  1^  de  vaisseau,  Desbos,  ingénieur 
des  ponts  et  Morin,  1^  de  la  légion  étrangère,  ont  fait  un  intéressant  rapport 
sur  la  navigabilité  du  Mékong,  aux  basses  eaux,  entre  KratiéetStung-Treng. 

Jusqu'en  1885,  malgré  les  travaux  de  Doudart  de  Lagrée  et  de  Francis 
Garnier  (qui  avaient  indiqué,  dès  1865,  la  possibilité  de  remonter  avec  un 


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742  HEVUE  FRANÇAISE 

bateiiu  à  vapeur  jusqu'à  Khône  en  franchissant  les  rapides  de  Sambor,  de 
Préapatang  et  de  Rhondinh),  la  navigation  à  vapeur  sur  le  Mékong  ne  dépas- 
sait pas  Kratié.  Grâce  aux  travaux  du  commandant  Réveillère  et  des  1*«  de 
vaisseau  de  Fésigny  et  Heurtel,  de  1885  à  1889,  la  navigation  à  vapeur  entre 
Kratié  et  Khône  fut  réalisée  aux  hautes  eaux. 

La  C^«  des  Messageries  fluviales  construisit,  en  1892,  un  bateau,  le  Bassac, 
assurant  pendant  les  hautes  eaux  un  service  hebdomadaire  entre  Pnom- 
Penh  et  Khône,  le  barrage  de  Khône  étant  infranchissable  pour  les  vapeurs. 

En  1893,  le  service  des  travaux  publics  de  Cochinchine  établissait  dans 
rUe  de  Khône,  une  voie  ferrée  destinée  à  transborder  la  canonnière  La 
Grandièrey  commandée  par  le  1^  de  vaisseau  Simon,  chargé  d'étudier  la  navi- 
gation du  Mékong  supérieur.  Cette  voie  feri-ée,  dont  le  tracé  a  été  modifié  en 
i896,  après  le  transbordement  des  bateaux  de  la  C'^^des  Messigeries  fluviales, 
le  Garcerie  et  le  Colombert,  est  mise  à  la  disposition  du  commerce  pour  le 
transbordement  des  marchandises  de  Khône  ouest  à  Khône  sud,  distants  de 
6  kilomètres. 

En  1894,  le  l^  de  vaisseau  Georges  Rabaglia  conclut  à  la  possibilité  de 
remonter  de  Kratié  à  Khône  au  moment  des  basses  eaux  ;  il  descendit  un 
chenal  sur  Y  Argus  avec  1»"  20  de  crue  à  Stung-treng  correspondant  à  une 
montée  de  2»"  50  à  Kratié. 

En  1896,  Tadministration  du  Laos  a  créé,  avec  le  vapeur  VArgus,  un  ser- 
vice permanent  reliant  Khône  à  Stung-treng  sur  60  kilom.  En  même  temps, 
M.  Catoire  était  chargé  d'exécuter  des  travaux  pour  améliorer  la  navigabilité 
du  Mékong  au-dessus  de  Kratié.  Il  paraît  inutile  de  baliser  une  ligne  pré- 
sentant des  dangers,  à  Taide  d'ouvrages  distants  de  un  mille  environ;  la 
violence  du  courant,  dont  la  direction  varie  d'un  point  à  un  autre,  empêche 
absolument  la  navigation  d'un  bateau  suivant  des  ahgnements  définis  par 
des  points  aussi  éloignés. 

La  chaloupe  à  vapeur  le  Samhor  est  le  1«'  bâtiment  qui  fit  le  trajet  aux 
basses  eaux  de  Kratié  à  Stung-treng.  Cette  chaloupe  calant  J*»50,  les  0"30 
de  tirant  d'eau  qu'elle  a  de  plus  que  le  bateau  dont  le  type  est  donné  par  le 
comité  de  navigation  du  Mékong,  compensent  largement  les  O"*  35  de  diffé- 
rence entre  Tétiage  de  cette  année  et  l'étiage  des  années  précédentes.  Le 
Sambor  ayant  pu  franchir  tous  les  obstacles,  la  mission  Ytier,  Morin  et 
Desbos  pense  que  le  Mékong  sera  navigable  entre  Kratié  et  Slung-treng,  aux 
basses  eaux,  pour  un  bateau  calant  1  mètre,  aux  conditions  suivantes  ; 
1»  Que  le  bateau  donnera  12  nœuds  aux  essais;  2^  Qu'il  y  aura  à  bord  un 
pilote  taïcon,  connaissant  la  passe  des  basses  eaux;  Z^  Que  les  pacages  diffi- 
ciles, entre  autres  ceux  de  la  Doucreacle,  Sambor  et  Samboc  auront  été 
dérochés  et  que  de  petites  bouées  baliseront  la  route  lorsque  le  chenal  ne 
sera  pas  suflisamment  indiqué. 

L'extraction  des  roches  est  commencée  sous  la  direction  du  capitaine 
Denis,  des  Messageries  fluviales  de  Cochinchine. 

Chine  :  Massacre  du  P.  Chanès,  —  Les  Missions  catholiques  de  Lyon  ont 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  743 

publié  le  récit  du  massacre  d'un  missionnaire  et  de  13  de  ses  catéchumènes 
dans  une  chapelle  située  à  Pak-Tong,  sous-préfecture  de  Pok-Lo,  préfecture 
de  Houi-Tchéou,  à  35  lieues  à  Test  de  Canton. 

Le  P.  Chanès,  à  la  suite  de  tracasseries  dont  les  chrétiens  étaient  victimes, 
s'était  rendu  à  Pak-Tong  et  avait  pu  obtenir  une  indemnité  des  mandarins. 
Tout  à  coup,  le  14  octobre,  sur  un  mot  d'ordre,  un  groupe  de  païens  s'élance 
vers  la  chapelle,  située  en  dehors  des  murs  de  Pak-Tong.  Il  était  8  h.  du 
matin.  Le  P.  Chanôs  était  là  avec  20' chrétiens  ou  catéchumènes.  Surpris  par 
cette  masse  d'individus  armés  ou  menaçants,  ils  ont  à  peine  le  temps  de  fer- 
mer les  portes.  A  grands  coups  de  hache,  on  essaye  de  les  enfoncer.  Ne  réus- 
sissant pas,  les  meneurs  vont  chercher  quelques  chaînes  de  paille,  de  bois  et 
du  pétrole.  Ils  disposent  le  tout  à  la  porte  de  la  chapelle  et  y  mettent  le  feu. 
Bientôt  les  flammes  s'élèvent  de  tous  côtés.  11  était  dix  heures. 

11  y  avait  dans  l'église  7  catéchumènes.  Le  père  les  exhorta  à  la  contrition 
et  au  sublime  sacrifice  de  leur  vie,  puis  il  les  régénéra  dans  les  eaux  salu- 
taires du  baptême.  Les  chrétiens  se  confessent  et  tous  reçoivent  avec  l'abso- 
lution l'indulgence  plénière.  Ils  étaient  prêts.  Us  pouvaient  mourir. 

Leur  tourment  durait  depuis  7  heures  :  le  feu  avait  dévoré  les  portes  :  du 
dehors  les  balles  sifflaient  dans  la  chapelle,  lorsque  tout  à  coup  le  mandarin 
militaire  de  la  localité,  traversant  les  rangs  des  émeutiers,  entre  dans  l'église. 
Que  vient-il  faire?  Un  léger  espoir  se  glisse  dans  le  cœur  des  prisonniers... 
Il  ne  dura  pas  longtemps.  11  venait  sauver  un  de  ses  parents.  Le  P.  Chanès 
le  connaissant,  le  prie  de  l'emmener  avec  tous  ses  chrétiens.  Le  mandarin 
Wing  Tching  Tchong  fut  impitoyable  et  refusa  net. 

A  peine  ce  haut  fonctionnaire  était-il  sorti  avec  son  parent  que  la  foule 
se  précipite  à  l'intérieur.  Le  père  était  à  genoux  au  pied  de  l'autel,  offrant  à 
Dieu  son  sacrifice.  Une  balle  l'atteint  à  la  jambe,  une  autre  en  pleine  poitrine 
le  traverse  de  part  en  part.  Une  3®  lui  laboure  la  tempe  droite.  Malgré  ses 
blessures,  le  père  était  encore  vivant.  Les  assassins  se  jettent  sur  lui  à  coups 
de  couteau,  le  frappent  violemment  au  cœur  et  d'un  coup  de  hache  lui  fen- 
dent le  crâne,  d'où  jaillit  une  partie  de  la  cervelle.  Le  sacrifice  était  con- 
sommé. En  ce  moment,  quelques  chrétiens  se  perdirent  dans  la  foule  et  eu- 
rent la  vie  sauve.  Les  13  qui  furent  massacrés  avec  le  père  eurent  presque 
tous  la  tête  tranchée.  Ils  étaient  tellement  défigurés  que  plusieurs  d'entre 
eux  n'ont  pu  être  reconnus.  Il  était  4  heures.  La  chapelle  est  pillée  et  dé- 
molie de  fond  en  comble. 

U  est  à  remarquer  que,  pendant  le  siège  de  la  chapelle,  qui  a  duré  près 
de  9  heures,  aucun  mandarin,  aucun  soldat  n'est  venu  au  secours  du  mis- 
sionnaire. Les  soldats,  pourtant,  n'étaient  éloignés  que  de  2  li  (800  mètres), 
le  mandarin  militaire  était  à  30  pas  et  tous  les  autres  à  moins  d'un  kilo- 
oiètre.  Depuis,  le  sous-préfet  a  été  révoqué.  Se  sentant  coupable,  il  s'est  fait 
ustice  en  s'empoisonnant. 

AMÉRIQUE  ET  DIVERS 

État8-Uhis  :  Croisière  du  Saint-Louis.  —  Les  Américains,  qui  manquaient 


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744  REVUE  FRANÇAISE 

de  navires  légers  et  rapides  dans  la  guerre  contre  l'Espagne,  ont  su  tirer  on 
excellent  parti  de  leurs  vapeurs  de  commerce  ou  de  plaisance  transformés 
en  croiseurs  auxiliaires.  Les  grands  paquebots  de  V American  Line  à  marche 
rapide,  ont  rendu  particulièrement  de  bons  services.  Le  Moniteur  maritime 
retrace  la  croisière  de  Tun  de  ces  paquebots,  le  Saint-Louis, 

Réquisitionné  le  24  avril  i898,  il  sortait  de  New- York  6  jours  après,  avec 
son  artillerie  en  place,  ses  munitions  et  4.000  tonnes  de  charbon  disponible. 
Les  officiers  et  les  matelots  du  paquebot  avaient  reçu  simplement  des  com- 
missions les  tr^ansformant  en  soldats  ;  on  leur  avait  seulement  adjoint  un 
commandant,  des  officiers  et  des  canonniers. 

Ainsi  transformé  en  croiseur  auxiliaire,  le  Saint-Louis  se  rendit  entre  la 
Guadeloupe  et  Haïti  en  vue  d'observer  le  passage  de  l'escadre  espagnole.  Le 
15  mai,  il  était  chargé  de  couper  les  communications  télégraphiques  de  Cuba. 
Trois  jours  après,  il  était  devant  Santiago,  cherchant  à  rompre  le  câble  de 
la  Jamaïque.  Après  avoir,  au  lever  du  jour,  ouvert  le  feu  contre  le  fort  de 
Morro,  il  s'avança  jusqu'à  3  milles  de  terre  et  jeta  ses  grappins  dans  l'espoir 
de  draguer  le  câble.  Ce  fut  seulement  vers  midi,  sous  un  feu  txès  vif  mais 
peu  précis  de  l'ennemi  qu'il  l'accrocha,  à  un  mille  i/4  seulement  de  la  côte. 
Tout  en  travaillant  à  relever  le  câble  et  à  le  couper,  les  Américains  couvraient 
de  projectiles  les  batteries  espagnoles.  Le  Saint-Louis  tira  ainsi  172  coups  de 
canon  et  ne  reçut  que  quelques  boulets  dans  son  gréement.  Le  19  mai,  il  se 
rendit  à  Guantanamo  pour  couper  le  câble  touchant  à  Haïti;  mais  il  fut 
reçu  par  une  canonnière  espagnole  dont  les  pièces,  d'une  portée  supérieure 
â  celles  du  croiseur,  ne  permirent  pas  à  celui-ci  de  couper  le  câble.  Le  Saint- 
Louis  se  dirigea  alors  sur  Haïti  où  il  procéda  à  la  section  du  câble  c  en  deçà 
de  la  limite  de  3  milles  des  eaux  territoriales  neutres  ».  Plus  tard,  il  servit 
au  transport  des  dépêches,  au  maintien  du  blocus  de  Cuba  et  captura 
2  bâtiments  espagnols.  Enfin,  il  transporta  les  marins  espagnols  faits  prison- 
niers à  Santiago  et  prit  part  au  convoi  des  troupes  envoyées  à  Puerto-Rico. 

L'Amirauté  américaine  a  reconnu  l'utilité  des  grands  paquebots  transfor- 
més en  croiseurs;  elle  a  du  reste  généreusement  payé  les  services  des  4  pa- 
quebots de  VAmerican  Une  a  S*-Louis,  S'-Paul,  Yale  et  Harward  »,  en  don- 
nant à  celle-ci  une  indemnité  de  7  milUons  1/2  de  francs. 

Allemagne  :  Expansion  coloniale.  —  Les  diverses  colonies  de  l'Allemagne 
en  Afrique  ont  une  superficie  d'environ  2.133.000  kil.  carrés  et  renfermaient, 
au  i^**  janvier  1897,  3.913  résidents  européens,  dont  2.182  allemands. 

La  colonie  du  Togo  est  la  seule  qui  se  suffise  à  elle-même. 

Les  forces  militaires  allemandes  en  Afrique  comprennent  962  officiers  et 
soldats  allemands  et  2.C50  soldats  coloniaux,  sans  compter  les  forces  de  po- 
lice. Les  dépenses  de  la  Métropole  pour  1898-99  sont  évaluées  â  11  mil- 
lions 1/2  de  francs,  en  augmentation  de  1.475.000  francs  sur  l'exercice 
précédent. 

Le  commerce  total  a  été.  Tan  dernier,  de  41  millions  de  francs,  dont  28 
millions  d'importations.  L'Allemagne  n'entre  que  pour  42  0/0  dans  ce  total. 


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NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES  ET  COLONIALES  745 

Presque  toutes  les  exportations  du  sud-ouest  africain  vont  en  Angleterre  et 
un  quart  des  importations  vient  de  territoires  anglais.  Près  de  la  moitié  des 
importations  de  l'Afrique  orientale  allemande  provient  des  Indes  et  la  plus 
grande  partie  des  exportations  va  à  Zanzibar  pour  y  être  transbordée. 

Colonies  trançaises  :  Colons. —M.  Franck  Chauveau,  dans  son  rapport 
sur  le  budget  colonial  de  1898,  au  Sénat,  a  constaté  que  le  total  des  colons 
établis  dans  nos  colonies  était  de  plus  de  4  300  (en  i897),  dont  1444,  soit 
environ  le  tiers,  en  Nouvelle-Galédoniey  1 032  à,  Madagascar  et  dépendances, 
447  au  Tonkin  et  en  Annam,  367  au  Sénégal,  323  à  Tahiti,  272  en  Cochin- 
chine  et  au  Cambodge,  138  au  Dahomey,  90  au  Congo,  82  en  Guinée,  52  à 
la  Côte  d'Ivoire,  40  au  Soudan,  21  à  la  côte  des  Somalis  (Obock),  19  dans 
rinde  fitmçaise.  On  n'a  pas  les  chifTres  des  colons  établis  à  la  Réunion,  la 
Martinique,  la  Guadeloupe,  la  Guyane,  Saint-Pierre  et  Miquelon. 

Sur  les  4  300  colons,  il  y  a  environ  380  industriels,  950  agriculteurs  ;  les 
commerçants  forment  le  reste,  c'est-à-dire  environ  3  000. 

Les  agriculteurs  se  répartissent  ainsi  :  763  en  Nouvelle-Calédonie,  105  à 
Madagascar,  59  en  Cochinchine  et  au  Cambodge,  23  en  Annam  et  au  Tonkin, 
1  à  Tahiti.  Il  n'y  en  a  aucun  dans  nos  autres  possessions,  sauf  nos  colonies 
séculaires  qui  sont  de  véritables  départements  français. 

Il  y  a  210  industriels  au  Tonkin  et  en  Annam,  49  en  Nouvelle-Calédonie, 
36  en  Cochinchine  et  au  Cambodge,  32  à  Madagascar,  27  au  Sénégal,  19  à 
Tahiti,  etc. 

Les  commerçants  sont  au  nombre  de  632  en  Nouvelle-Calédonie,  340  au 
Sénégal,  303  à  Tahiti,  214  au  Tonkin  et  en  Annam,  177  en  Cochinchine  etau 
Cambodge,  138  au  Dahomey. 

Il  r<^.sulte  de  ces  chiffres  que  la  Nouvelle-Calédonie  a  seule  jusqu'ici  attiré 
un  nombre  notable  de  colons  et  que  Madagascar  est  en  bonne  voie  à  ce  point 
de  vue  ;  on  est  surpris  aussi  de  voir  le  rang  supérieur  qu'occupe  dans  cette 
statistique  notre  petite  colonie  de  Tahiti,  mais  on  est  attristé  par  les  chiffres 
dérisoires  des  colons  établis  au  Soudan,  par  exemple.  Il  est  vrai  que  les 
communications  y  sont  si  difficiles  ! 

Marine  française  :  Construction  rapide.  —  Les  chantiers  maritimes 
français  ont  la  réputation  d'être  fort  longs  pour  achever  la  construction  des 
navires  de  guerre.  Aussi  considère-t-on,  à  bon  droit, comme  un  vériable  tour 
de  force  le  lancement  (1"  septembre)  du  cuirassé  d'escadre  léna^  qui  avait 
été  mis  en  chantier  le  15  janvier  1898,  à  Brest.  On  a  donc  mis  7  mois  1/2 
seulement  pour  construire  ce  navire  ;  c'est  un  exemple  unique,  car  il  fallait 
généralement  2  à  3  ans  pour  faire  un  travail  semblable. 

A  titre  de  curiosité,  rappelons  qu'entre  la  mise  en  place  de  la  l''^  pièce 
et  le  lancement,  il  avait  fallu  25  mois  pour  le  Charles-Martel,  15  mois  1/2 
pour  le  Charlemagne,  9  mois  1/2  pour  le  Gaulois  qui  détenait  jusqu'alors  le 
second  en  vitesse. 

Le  délai  compris  entre  Tordre  de  construction  et  le  lancement  a  été  de 


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36  mois  pour  le  Charles-Martely  de  24  mois  i/2  pour  le  Charlemagne,  de 
ti  mois  pour  le  Gaulois,  et  de  17  mois  pour  Vléna.  C'est  un  progrés  considé- 
rable si  Ton  songe  qu'il  a  fallu  10  années  pour  construire  des  cuirassés 
comme  le  Magenta,  le  Marceau,  etc.  Mais,  ce  qu'il  faut  ajouter,  c'est  que 
Vléna  ne  sera  complètement  armé  et  n'aura  terminé  ses  essais  que  dans  2  à 
3  ans.  C'est  encore  beaucoup. 

Ce  dernier  cuirassé  d'escadre  terminé  coûtera  28  millions  1/2  ;  on  a  em- 
ployé environ  1.000  hommes  par  jour  aux  travaux  de  construction. 

Escadres  françaises  :  Composition,  —  Par  suite  de  l'envoi  de  la  Médi- 
terranée dans  rOcéan,  et  vice-versâ,  de  divers  bâtiments  la  composition  des 
escadres  de  la  Méditerranée  et  du  Nord,  a  été  profondément  modifiée. 

L'escadre  du  Nord,  vice-amiral  Sallandrouze  de  la  Mornaix,  comprend 
6  cuirassés  :  Formidable ^  Courbet,  Amiral-Baudin,  Amiral  Duperré,  Dévastation, 
Redoutable;  1  croiseur  cuirassé  :  Dupuy-de-T^ôme;  2  croiseurs  :  Caiinat, 
Surœuf  et  plusieurs  contre-torpilleurs  et  torpilleurs  de  haute  mer. 

L'esoadre  de  manœuvres  de  la  Méditerranée,  vice-amiral  Fournier,  com- 
prend 6  cuirassés  :  Brennus,  Masséna,  Bouvet,  Charles-Martel,  Camot,  Jauré- 
guiberry  ;  5  croiseurs  cuirassés  :  Pothuau,  LatoucheTréville,  Chanwy,  Chômer, 
Bruix;  6  croiseurs  :  Cassarâ,  du  Chayla,  d'Assas,  Lvnois,  Galilée,  Lavoisier  et  un 
certains  nombre  de  contre-torpilleurs  et  de  torpilleurs  de  haute  mer. 

3  cuirassés  :  Magenta,  Marceau,  Neptune,  formant  la  divison  d'instruction, 
seraient  prêts  à  suivre  l'escadre  dans  les  48  heures. 

En  outre,  une  division  de  réserve  comprenant  les  garde-côtes  cuirassés  : 
Bouvines,  Jemmapes,  Valmy,  Tréhouart,  Caïman,  et  le  croiseur  transport  de 
torpilleurs  la  Foudre,  se  trouve  en  état  de  disponibilité  armée. 

Dans  la  Méditerranée,  l'Angleterre  possède  une  escadre  permanente  qui 
est  égale  en  forces  à  notre  escadre  de  manœuvres.  Elle  a  en  outre  actuelle- 
ment à  Gibratar,  une  2**  escadre  qui  ne  compte  pas  moins  de  8  cuirassés. 

BIBLIOGRAPHIE 

Le  plus  populaire  des  Almanachs  :  rAlxnanach  Hachette,  pour  1899, 
vient  de  paraître.  En  ses  436  pages  illustrées  de  1081  figures  et  10  cartes  en 
couleur,  il  renferme  :  d'abord  des  probabilités  de  temps,  des  conseils  prati- 
ques relatifs  aux  jardins,  au  ménage,  à  l'hygiène,  le  tableau  des  monnaies, 
poids  et  mesures,  un  barème  pour  faire  ses  payements,  et  ce  merveilleux 
Agenda  qui  sert  de  calendrier,  de  mémento  et  de  carnet  de  comptes. 

Aux  articles  sur  les  ordres  religieux  de  femmes,  les  Anglais  au  Soudan, 
Madagascar,  la  guerre  hispano-américaine,  les  peintres  français,  l'histoire  de 
l'habitation,  etc.,  il  faut  ajouter  :  l'art  de  connaître,  les  bons  et  les  mauvais 
serviteurs,  les  chances  qu'une  femme  a  de  se  marier,  les  grandes  découvertes» 
l'automobilisme,  les  marines  de  guerre,  etc. 

Chaque  acheteur  de  VAlmanach  a  droit  d'utiliser  des  bons-primes  qui  lai 
remboursent  50  fois  les  30  sous  que  lui  aura  coûté  l'exemplaire. 


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TABLE  DES  MATIÈRES  DU  TOME  XXIII  -  1898 

Livraisons  de  229  à  240 
Les  articles  de  fonds  sont  en  itaUqtte  et  les  noms  d'explorateurs  en  capitale»* 


Abys8inie:LE0NTiEFr 496 

—  DE  BoNCHAMPs  {catie)  .  306  435  548 

—  La  mission  de  Bonchamps .   .   .  480 

—  DE  PONCTNS 371 

—  H.  d'Orléans  .   .  306  371  496  548 

—  (Le  prince  Henri  iïOrléam  en  '.  151 

—  Lazaristes  français 380 

—  Monnaies 248 

—  Traité  avec  TAngleterre  {texte),  185 
Adamaoua  :  Epaves  mission  iMizon.  183 
Afrique  :  Traversée  Ed.  Foa    .   .  47  239 

—  Zintgrapf  -j* 47 

Afrique  allemande  :  Budget  .  .  .  120 
Afrique  aust.  anglaise  :  Télégraphe.    53 

—  E.  HoYOS 238 

—  Gibbons 238 

—  M.  Rhodes,  diret^teur 377 

Afrique  or*«  anglaise  :  Delakerb.  240 

—  Cavendish 47  175 

—  Macdonald 122 

(Voir  Ouganda). 

Alaska  :  Curieux  lac 190 

Algérie  (Voir  Sahara). 

—  Caravanes  au  Goura ra 550 

—  Contrebande  du  sud 437 

—  Gouverneur  générai 497 

—  (ïouverneur  (pouvoirs  du).   .   .  241 

—  Huile  et  liège  en  Norvège.   .   .  180 

—  Naturalisations 241 

—  Réorganisation  administrative.  551 

—  Vins 307 

Allemagner  :  Emigration.  .  253  444  621 

—  Expansion  coloniale 744 

—  \j[*  Kaher-Wilhelm 127 

—  Lignes  rapides  (paquebots).  126  252 

—  I^sporU  de  Hambourg  et  Brème.    98 

—  Marine  marchande,  progrès.   .  252 

—  Sexennat  naval 315 

Amérique  du  sud  :  H.  Meyeh  .   .   .610 
Andorre  {La  principauté  cl')  (carte).  130 
Angleterre  :  Balles  humanitaires  an- 
glaises {Dum-Dtim) 229 

—  Croiseurs  auxiliaires  anglais  et 

français 557 

—  Traité  Abyssin  (texte) 185 

—  Im  Chine  et  les  prétentions  an- 

glaises (cartes) 625 

Angola  :  peste  bovine 246 

Annam  :  Debay 78 

—  P.  DB  Barthelkmy 78 

—  (M.  Bel  m)  et  au  Laos  .   .     78  163 

—  L'empereur  à  Saigon 126 

—  Port  de  Tourane 311 

—  Famine 381 

Arabie  :  l).  Charnay 68 

Arbre  siffleur 318 

Asie  (Les  explorations  en  4897)  .  65  160 

—  Chafpanjon  (traversée)  ....     72 

—  Massieu  (M-) 48 


Asie  :  G.  Saint-Yves 4S 

—  M.  Monnier 436 

—  SvEN  Hedin  (traversée)  {carte). 

—  (Traversées  de  F) 

Asie  centrale  :  Olupsen.  .  .   .  3(Hj 

—  Chemins  de  fer  russes  .  .  .  , 
Asie  mineure  :  Explorations.   ,  .   . 

—  Cyclisme  à  Smyrne 

Australie  :  J.  et  P.  Garnier.  .  30fi 

—  Carnegie .•  •   ■ 

—  Restriction  de  l'immigration  . 
Aven  (L')  Armand  [plan]  .  .  .  .  , 
Bahr-el-Ghazal  (/>')  et  ses  habitanU. 

—  Dem-Ziber 245 

—  Marchand.  .  .  53  79  245  56t 

Balkans  :  de  Cuverville 

Balles  humanitaires  anglaises  {Dum- 

I>um) 

Ba-Rotsi  (Au  pays  des)  (dessina)  .   . 

Bibliographie  .  61  128  191  254  319 

383  446  503  559  624  687 

Birmanie  :  Anglais 

Bolivie  :  Frontières  avec  Chili .   .  . 

Bonin  (îles)  :  Situation 

Brésil  :  Orton-Kbrbey 

Câble  entre  Brest  et  New- York.  .  . 
Galédonie  (N"M  :  Etat  de  la  colonisa^ 

tion  libre 103 

Cambodge  :  Accaparement  chinois, 

Cameroun  :  de  Carnap 

Canada  :  Exode  au  Klondyke.  .   .   . 

—  Température  au  Klondyke.   .  * 

—  Chemins  de  fer 

—  Commerce  et  navigation,  .   .   . 

—  Industrie  du  saumon(Colombie) 

Caucase  :  Explorations 

Chili  :  Question  de  Tacna  et  d^Aric^i, 
Chine  :  P.  Berthollet (massacre du) 

—  Ch.  Bonin 14 

—  H.  Brrnier  {La  mission  lyon- 

naise)    7ri 

—  M.  Monnier   ...  75  160  436 

—  Anglais  à  Weï-haï-Weï.  278  38;î 

—  Arbre  à  huile 

—  Chemins  de  fer 442 

—  Chemins  de  fer  dcMandchourie 

—  Chemin  (h')  de  fer  de  Pékin.   . 

—  {La)  en  transformation    et  les 

prétentions  anglaises  (carte). 

—  Français  à  Kouang-Tchéou.  28<i 

—  Future  question  d'Orient  {La)  , 

—  Macao 

—  Mission  américaine 

—  Missiim  (La)  commerciale  alh- 

mande 

—  P.  Chanès  (massacre  du)  .   .   . 

—  Prétentions  japonaises  .... 

—  Le  i"  partage  (carte).  221  277 

—  (Progrès  industriel  de  la)  .    .    . 


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748 


REVUE  FRANÇAISE 


Chine  :  Prov**  du  Chan-Toung  (carte)  263 

—  Le  réformateur  t[ang-Yu-Mei  .  683 

—  Russes  à  Port-Arthur  .  57  2i9  276 

—  Le  Sykiang 154 

—  Satisfactions  à  rÂllemagne.  126  249 

—  Succès  de  la  politique  anglaise.  189 

(Voir  Hong-Kong,  Kiao-Tchéou.) 

Colombie  :  J.  de  Brbttbs 550 

Colonies  françaises.  Colons  ....  745 

—  {Le  budget  de  4898) 108 

—  Naturalisation 241 

—  Fraudes  électorales 254 

Colonisation  ofiicielle  française  .   .  191 

Comores  :  Situation 440 

Congo  (Etat  du  Congo)  :  Budget  .   .  119 

—  Chemin  de  fer  .   . 244 

—  Ch.  de  fer  du  Ba«-Co«go  (carte).  583 

—  Commerce 438 

—  En  captivité  cheM  les  rebelles.  .    22 

—  JjjL  défaUedes  rebelles  BatéUlas,    28 

—  Missions  de  Mpala  et  de  Bau- 

doinville 500 

—  Baassbur  + 176 

—  Rbymans  (Oubangui) 48 

—  Lbmaire 176  610 

—  Re4jafattaquéparlesMahdistes  612 

—  Révoltés  Batétélas   ....  308  6l2 
Congo  français  :  Commerce  ....  438 

—  Haoussas 183 

—  Perdrizbt 238 

—  DE  BÉHAGLE  et  B.    DE   MiziÈRES 

238  371  435  547 

—  Gentil  Tchad.  238  371  435  495  689 

—  Fourneau  et  FoNDèsB 677 

(Voir  Oubangui). 
Congrès  (Le)  des  Sociétés  Savantes  .  297 

—  National  de  géographie  ....  559 
Corée  :  Politique  russe 250 

—  Traité  russo- japonais  {texte) .   .  381 
GAte-d'Ivoire  :  Commerce 552 

—  Chemin  de  fer  (étude)    ....  737 

—  Anglais  et  Français  à  Bondou- 

kou 51  118 

—  La  missionNebùutchesSamory.    15 

—  Jonction  avec  le  Soudan.  .   .   .  552 

—  Population 307 

~  Siège  d'Assikasso 679 

—  Travaux  publics  et  télégraphes.  680 

—  Villages  de  liberté 499 

Côte-d'Or  ;  Anglais  à  Bondoukou  et 

à  Bouna 51    52 

—  Anglais  à  Salaga 118 

—  Villages  de  liberté 499 

Coton  :  Production 317 

Cuba  :  Les  insurrections  {carte) .   .   .  417 

—  Commerce  avec  l'Kspagne  .  .   .  315 

—  Santiago  (carte) 359 

Cuivre  :  Production 317 

Dahomey:  La  mission  Baud  et  Ver- 

MEERSGH  au  Gourma  {carte)  193  257 

—  La  mission  B^fnonvET  au  Niger.  205 

—  Bretonnet,  Vermeersch   .  .   .  182 

—  Cercles 738 


Dahomey  :  Commerce 553 

—  Conquête  (La)  du  Borgou  ...  257 

—  Convention  (La)  du  Niger .  385  672 

—  Délimitation  avec  le  Togo.   .  .  500 

—  Flèches  empoisonnées 307 

—  Nos  forces  dans  THlnterland.   .    52 

—  Occupation  de  THinterland  119  182 

—  Occupation  du  Dendi 376 

—  Traités  ratifiés 52 

—  Villages  de  liberté 499 

Dupleix  et  le  protectorat  de  Vlnde  .  321 
Ecole  (L^)  militaire  de  St-Cyr.  .  .339  401 

Egypte  :  Silva  White 496 

Ephémérides  pour  1897.  .  .  .  144  177 
Erythrée  :  Rétrocession  de  Kassala.  56 
Espagne  :F/oae(/>7)(des8in)291  347  411 

—  Guerre  (La]  avec  les  États-Unis 

363  329  484  537 

—  Préliminaires  de  paix  (/earfc)  .  54 i 

—  Marine  marchande 383 

—  Commerce  avec  Cuba  etPuerlo- 

Rico 315 

Etats-Unis  :  Extension  commerciale.  619 

—  {Développement  des) 2«8 

—  Immigration  européenne  .   .   .  62A 

—  Flotte  (La)  (dessins)    .  291  347  411 

—  Key-West 314 

—  Atmée  { //)  pendant  la  guerre  de 

Sécession 354 

—  Guerre  {Li)  avec  l'Espagne.  :i63  429 

4«4  537 

—  Croisière  du  «  St- Louis  »...  743 

—  Origine  du  mot  '*  Jingo".   .   .  503 

—  Conséquences  commerciales  de 

la  guerre  avec  TEspagne  .   .  685 

Europe  :  Populations 445 

Explorateurs  et  Voyageurs  {chro- 
nique)  45  17.S  236  306 

371  434  495  547  60S  676  735 
Explorations  (Les)  en  Asie  en  1897 

(carte) 65 

Exposition  (L')  coloniale  de  4900  .  .  147 
François-Joseph  (Terre)  :  Jackson  .    44 

Gibraltar  :  Navigation 445 

Gourma  :  Bai'd  et  Vermeersch  ...  193 
Grèce  :  Traité  avec  Turquie  (texte)  .    58 

—  Situation 621 

Groenland  :  Peary 42    U 

Guinée  française  :  Baillt,  Palxt  46  434 

—  Route  Je  Konakrj'  au  Niger .   .  181 

—  Populations  indigènes    ....  243 

—  Konakry 243 

—  Télégraphes 498 

Hollande  :  Langue  française  délais- 
sée .   .       622 

Hong-Kong:  Commerce  navigation.  18x 

—  Extension  anglaise  {carte) .  443  643 

—  Renforcements 741 

Houille  :  Production 316 

Inde  :  Explorations 76 

—  Figuiers  gigantesques 616 

Inde  française  :  Suppression  des  ci- 

pahis 380 


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TABLE  DES   MATIERES 


749 


indo-Chine  française  :  Sanitorium.  311 

—  Aperçu  général 123 

—  Décrets  administratifs    ....  624 

—  Chemins  de  fer 682 

—  (Voir  :  Annam,  Tonkin,  Laos) 
Islande  :  Thoroddsbn 42 

—  D.  Bruun 43 

Japon  :  Traité  de  commerce  avec  la 

France 189 

—  Emigration 502  684 

—  Commerce  et  progrès  maritimes  226 

—  Nouveaux  services  maritimes.  382 

—  Situation  économique 659 

Java  :  Ghâillet-Bert 436 

Kiao  Tchéou  (cartes] 213 

—  (Allemands  à).  56  126  213  249  684 

Klondyke 251  502 

Langues  :  (Statistique  des) 319 

Laos  :  Mazeran 124 

—  Bryzinsri 306 

—  NangabiUté  du  Mékong  77  187  741 

—  (Les  habitants  du)  .  .  505  571  725 
Légion  d'honneur  .  .  .  .  128  446  503 
Ligue  coloniale  de  la  jeunesse  (Im)  5 
Macao  :  Population  et  navigation .  .  553 
Madagascar  :  Cyclisme 440 

—  Chemins  de  fer.  Commerce  .   .  681 

—  Colonisation 379  439 

—  Colonisation  militaire .  121  247  738 

—  Concurrence  allemande  ....  379 

—  Cultures 739 

—  Dépenses  militaires 247 

—  Ecoles 55  501 

—  Ecoles  (Les)  frani'aises  et  étran- 

gèj-es 169  595 

—  Industries  indigènes 614 

—  Justice  française 184 

—  Mines 614 

—  Naufrage  du  "  Lapérouse  "    .   .  613 

—  Pénétration  au  Ménabé  ....    54 

—  Pénétration  dans  le  sud  121  246  378 

—  Port  de  Tulléar 739 

—  Prix  de  la  vie  à  Tananarive  .   .  440 

—  Repeuplement 680 

—  Révolte  sakalave 120  184 

--  Route  de  Majunga 54 

—  Situation ...  54  121  184  439  613 

—  Soumission 246 

—  Tremblements  de  terre  ....     56 

—  Voyage  du  général  Gallieni  .   .  613 

—  G.  Grandidier 240 

Marine  :  Croiseurs  auxiliaires  anglais 

et  français 557 

—  Croiseurs  cuirassés  français  et 

la  guerre  hispano-américaine  459 

—  Construction  rapide 745 

—  Escadres  fr*"  :  composition  .   .  746 

—  Flottes  espagnole  et  américaine 

(dessins) 291  347  411 

—  Les  plus  grands  paquebots  .   .  687 

—  Points  d'appui  de  la  flotte  fr'*.  686 

—  Transatlantiques:  rapidité  .  .  559 
Maroc  :  G.  Forret 236 


Marshall  (iles)  :  Situation 555 

Marseille  (Port  de) 58 

Maurice  (île)  :  Commerce 615 

Médaille  coloniale 254 

Mouche  tsétsô 318 

Natal:  Annexion  du  Zoulouland  .  .  183 

Nickel:  Production 317 

Niger:  L'  Brodie 548 

—  La    mission    Bretonnet    (au) 

(carte); 205 

—  Anglais 244 

—  Postes  français.  .  119  182  201  376 

—  (La  Convention  franco-anglaise) 

(Texte,  carte).  .,   ...  385  672 

Nil  :  (Français  et  Anglais  sur  le)  561  661 

-—  Marchand  à  Fachoda.  .  •  566  653 

—  Marchand  et  Kiichenei-  à  Fa- 

choda  661 

—  L'humiliation  de  Fachoda.    .   .  711 
^  Le  retour  de  Marchand  .   .   .   .  715 

—  M.  Liotard  à  Dem  Ziber.  ...  713 
Ocôanie  :  Annexion  anglaise  de  Santa- 

Cruz 555 

Oubangui:  Mission  Marchand  53  79  245 
435  567  653 

—  Ravitaillement  par  le  chemin  de 

fer  belge 244 

Ouganda  :  Inofemnité  aux  P.  Blancs.  247 

—  Révolte  et  déposition  de  Mouan- 

ga 301  379 

—  Chemin  de  fer 553  739 

—  Anglais  au  Nil 739 

Ours  (iles  des) 686 

Pérou:  Frontières  avec  Chili .   .   .   .  684 

Perse  :  Anglais  à  Bouchir 740 

Petites  nouvelles 319  446  624 

Philippines  :  Coprah 443 

—  (Le  Convenio  des) 492 

Pôles  :  (Les)  Explorations  en  4897   ,    42 

—  deGERLACHE 176 

—  BORCHEGRBVINK 496 

—  A  la  recherche  d'ANDRÉE  .   .   .  609 

—  SVERDRUP 677 

Population  de  TËurope 445 

—  Des  Villes  (augmentation  de  la)  559 

Puerto-Rico  :  Commerce 315 

Rhodésia  :  Rhodes  rétabli  directeur  377 
Roumanie  :  Développement  maritime  316 
Russie  :  Mines  d'émeraudes  ....  253 

—  Pétrole  à  Bakou 445 

—  Ouragans  de  poussière  ....  6i3 

—  (Voir:  Sibérie,  Turkestan,  Asie. 
Sahara:  F.  Foureau 610 

—  Assassins  du  W*  d  Mores  ...    49 

—  Météorologie 437 

—  Mission  Flatters 437 

—  Mission  à  In-Salah 497 

—  Longitude  dln-Salah 551 

—  Caiemajou  à  Ghadamès.  .  .  .  535 
Santa-Gruz  :  Annexion  anglaise.  .  .  555 
Sénégal:  Troubles  électoraux   ...    49 

—  Première  exploration  en  1686  .  297 

—  Commerce 678 


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750 


REVUE  FRANÇAISE 


Service  postal:  (Fm  Déoadmcedu) 

de  rAUanlûiue 284 

Siam  :  Expulsion 248 

—  Exploitation  du  bois  de  teak,  .  544 
Sibérie:  Levât 73 

—  te  liouriates  de  V Amour  ...     38 

—  Climat  de  Yakoutsk 190 

—  Transsibérien 65  310  684 

—  Mines 66 

—  D'Omsk  à  Vierryi  329  390  467  517 
Sierra-Leone  :  Chemins  de  fer.  .'.  182 

—  Insurrection 375 

—  Commerce  et  navigation.   .   .   .  498 

Singapore  :  Parasols 617 

Société  (Une)  créole 31 

Société  de  géographie  de  Paris  .  254 
Somalie  :  (Côie  ^«  des)  :  Ch.  de  fer.  186 
Soudan  français  :  Blondiaux.  ...    45 

—  Braulot  f 12 

—  Fr.  Dubois 237 

—  D'  Maclaud 370 

—  Agissements  anglais  au  Mossi  .  678 

—  Anglais  à  Bouna 512 

—  Défaite  des  Sofas 612 

—  Convmtion  franco-anglaise 

(texte,  carte) 385  672 

—  Enseignement  indigène  ....  307 

—  Guet-apens  (Le)  de  Bouna.   .    .     12 

—  Jonction  avec  la  Côte  d'Ivoire  .  552 

—  Massacre  de   la  mission  Caze- 

MAJou 530  612 

—  Mission  de  Trentinian    ....  737 

—  Navigabilité  du  Niger 117 

—  Occupation,  siège  de  Kong.  242,  375 

—  L'Oussourou *  .  181 

—  Prise  de  Sikasso  .\ 374 

—  Samory  (situation)  ....  552  611 

—  Samory 638 

—  Sel  du  Sahel 181 

—  Siège  et  prise  de  Sikasso.   ...  591 

—  Télégraphes 242 

—  Touareg  battus  .   ^  .   .  5U  242  679 

—  Traité  avec  les  Aouélimiden.   .    50 

—  Vicariat  apostolique 242 

—  (Voir  Niger.) 

Soudan  Or'  :  Défaite  des  Derviches.  309 


Soudan  Or'  :  Préparatifs  contre  les 

Madhistes.  186 

—  Prise(La)deKharUmm  .   .  561  661 

—  A  propos  d'Omdurman  et    de 

Fadioda 644 

—  Uabandsm  anglais  du  Soudan.  665 

—  Service  médioal  à  Tarmée  ...  740 

SpUsberg  :  Conway 44 

Sud-0.  africain  aUemand:  Colons.  613 

Suez  :  Navigation  en  1897 441 

Suisse  :  Ch.  de  fer  du  Gornergrat  .  556 
Tahiti:  Commerce 566 

—  Chinois 618 

Tchad  :  Gentil  .   .  238  371  435  495  689 

—  (Au  lac),  (Miasion  Gentil)  (carte)  689 
Terre-Neuve  :  Préparation  du  pois- 
son  619 

Togo  :  Pénétration 200 

—  Délimitation  avec  Dahomey.    .  500 
Tonkin:  Charbons 125 

—  Soumission  du  dé  Tham    ...  125 
~  Création  du  A*  tirailleurs.    .    .  125 

—  Soulèvement  de  fanatiques  .    .  125 

—  Mortalité 553 

Transsaharien  iXécessitè  du).  .   .   .  705 
Transvaal:  Réélection  Kruger.   .   .  183 

—  Commerce  français 308 

Tripolitaine  :  Commerce    avec    le 

Soudan 187 

Tristan  da  Gunha 620 

Tunisie  :  Le  commerce  en  189€.   .    .  2-34 

—-  Bizerte,  arsenal.  Bou-Grara  .   .  737 

—  Naturalisation 241 

—  Vins 307 

—  Régime  douanier 373 

—  Ch.  de  fer  de  la  (loulette    ra- 

cheté   497 

—  Ch.  de  fer  de  Sfax  à  Gafsa.  .   .  611 
Tnrkestan:  Chemins  de  fer.  .  .    69  310 

—  Explorations 69 

Turquie  :  Traité  avec  Grèce  (texte;  .    58 

—  Chemins  de  fer 123 

—  (Voir  :  Asie  Mineure.) 

Vasco  de  Gama  :  (4*  Centenaire  de)  di6>l 
Zélande  (N"«)  :  Kéa  ou  perroquet  des 
moutons 617 


TABLE  DES  EXPLORATEURS  ET  AUTEURS 

(Les  noms  en  italique  sont  ceux  des  explorateurs.) 


AcflTE  (Pi:  Congo 22 

.\LRiTTEh:  Chine 155 

vlndrec;  POlenord 44  609 

BaiUyf:  Guinée  f- 46  434 

Barré  (Paul):  Hambourg  et  Brème.     98 

—  Indo-Chine  française 122 

—  Japon 2i6  669 

—  Traversées  de  l'Asie 313 

—  4"  Cent"  de  Vasco  de  Gama  .  .  367 
Barthélémy  (P.  de)  :  Annam  ....  78 
^attd:  Dahomev-G( m nna.  .  .    .   193  376 


Bèhagle  (dei  :  Congo-Tchad  .  .  238 

435  371  547 

BH:  Xnmm 78  163 

BerthoUHiP.):  Chine "i- 44« 

Bhndiaujc  :  Soudan 44  735 

Bobo  :  Habitants  du  Laos  .   .  505  571  725 

Bogdanoritch  :  Sibérie 66 

Bonchamps  {de)  :  Abyssinie.  306  435 

480  548 

Bonin  :  Chine 74  677 

Bimnei  de  Méeières  :  Congo-Tchad   .  371 


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TABLE   DES   MATIÈRES 


7M 


Borchgrevink  :  Pôle  sud 496 

Brasseur  f  :  Ck)ngo 176 

Brott/otf  .Soudan 12 

Brenier  :  Chine 75  166 

Bretonnel:  Dahomey-Niger.  .   .  182  205 

Brettes  (J.  de)  :  Colombie 550 

Brodie:  Sokolo 548 

Bruun  (D.)  :  Islande 43 

Brysinski  :  Mékong 306 

Camap  (de)  :  Kameroun-Congo.    .  .  237 

Carnegie  :  Australie 372 

Cavendish:  Est  africain.  .  .  47  175  736 
CoJiemajou  :  A  Ghadamès 535 

—  Soudant 530  612 

Chanès  (P.)  :  |  Chine 742 

CharnayiU.}:  Arabie 68 

Chaffanjon:  Asie 72 

Chaaiey-Bert:  Java 436 

Cheviffné  (de)  :  Soudan 50 

Clozel:  Côte-dl voire 118  679 

Coeîloz-f  (Espagne) 736 

Cantenwn  {de)  :  Asie  Mineure  ...    68 

Conway  :  Spitzberg 44 

Cuverinlle{ûe):  Balkans 306 

Debay  :  Annam 78 

/>c/amere  (lord)  :  Somaliî» 240 

Démanche  (G.):  Mission  Marchand^  .    79 

—  Hinlerland  du  Dahomey.  .  193  257 

—  Convention  du  Niger 385 

~  Français  et  Anglais  sur  le  Nil  .  561 

—  Abandon  anglais  du  Soudan .   .  665 

—  L'humiliation  de  Fachoda  .   .   .  711 

DoucHET  (H.):  Andorre 129 

Dubois  (V.):  Soudan 237 

ENGELHARDT(Ed.)  :  Duplcix  et  rinde.  321 
Faovel  (Ad.):  Kiao-Tchéou  ....  213 

—  Province  du  Chantoung.   .   .   .  263 
Foa  (P:d0  :  Traversée  de  TAfrique  47  239 

Forret  (Georgesj  :   Maroc 236 

Foureau:  Sahara 610  735 

Fourneau  :  Congo 677 

Gamier(3.)  :  Australie  ....  306  550 
Gomier  (Pascal):  +  Australie.  .  .  .  550 
Gentil:  Tchad.   .   .  238  371  435  495  689 

Gerlache:  (de)  Pôle  sud 45  176 

Germain:  In-Salah 497 

GibbiJiis:  Afrique 238 

Giraud  (V.):-):  Afrique 677 

Grandidier  (G.)  Madagascar.   .  240  736 

Eenry  :  Congo 28 

Heymans:  Oubangui 48 

Houdaille  :  C.-d'Ivoire 737 

Hoyo${E.)  :  Afrique  australe  ....  238 
HuixîT  :  Explorations  en  Asie.  ...    65 

Jvens-j;':  Afrique 239 

/oc/tso/i  (F.)  :  Pôle  nord 44 

Kerbey  (Or Ion)  :  Amazone 240 

Laperrifie:  In-Salah 497 

Lassallb  (C.  de)  :  Santiago  de  Cuba.  359 

—  Guerre  hispano-américaine   363 

429  485  537 
Lemaire  :  Congo 176  610 


Léantieff:  Abyssinie 496 

Ijemer  :  Pôle  nord 610 

L&vat  :  Sibérie 73 

Macdonald:  Est  africain.  ...  122  739 
Madaud  (D')  :  Fouta-Djallon  ....  371 
M  ARBBAU  (Ed.)  :  Ligue  coloniale  .   .      5 

—  Exposition  coloniale 147 

Marchand:  Oubangui-Nil    53  78  245 

435  566  653  661 

iVarcAe  (Alf.)  t  :  Congo 676 

Massieu  (M"")  :  Asie 48 

Maxwel  t  :  Côte  d'Or 51 

Mazeran:  Mékong 77  124 

Meyer{H.):  Amérique  sud 610 

Mamier  (M.)  :  Asie.  .  .  75  160  436  549 
Montell  (A.)  :  Abyssinie 151 

—  Partage  de  la  Chine.  ...  221  277 

—  Ch.  de  fer  du  Bas-Congo  .   .   .  583 

—  Mission  Marchand 653 

Nebùut:  Soudan 15 

—  Au  lac  Tchad 689 

NoGUES   (A.):    La   future    question 

d'Orient 449 

—  Omdurman  et  Fachoda  ....  644 
Oberhammer  (D')  :  Asie  mineure.   .     67 

Olufsen:  Pamir 306  550 

O'ZouxfL.):  Société  créole 31 

Orléans  (Henri  d')  :  Abyssinie.  .  151 

30t)  372  496  548  736 

Pauly-f:  Guinée  f^* 434 

Peary:  Groenland 42  444 

Perdrizel:  Sangha 238 

Ponciiis  (Ed.  de)  :  Abyssinio  ....  371 

Pn>i.s  (P.):  Congo-T.îhad 495 

Radiguet  :  Atlantique,  serv.  postal  .  284 

Raoul-f:  Sumatra 371 

Boborovski  :  Asie  centrale 70 

Saint-Yves  (G.)  :  d*Omsk  à  Verniy  . 

329  390  467  517 

—  Asie  centrale 48    73 

Salaignac(A.):  Chine  et  Anglais.  .  625 
Servigny  (J.)  :  Bahr-el-Ghazal   ...    89 

Stadling:  Pôle  nord 609 

Sven  Hedin:  Asie 70 

Sverdrup:  Pôle  nord 677 

Thoroddsen:  Islande 42 

Trenliniun  (de)  :  Soudan 737 

Vasco  (G)  :  Soudan  français 12 

—  Balles  Dum-Dum 229 

—  Armée  américaine 354 

—  Insurrection  cubaine 417 

—  Mission  Cazemajou 530 

—  Prise  de  Sikasso 591 

—  Samory 638 

—  Le  retour  de  Marchand  ....  715 
Vermeersch:  Dahomey   .   .  182  l93  257 

W^c%:  Tibet 76 

Wellmann  :  Pôle  nord 609 

White  (Silva)  :  Egypte 496 

Ytier:  Mékong 77  741 

Zintgraff-\-  Afrique 47 


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7S2  REVUE  FRANÇAISE 

..    .  CARTES 

330        Asie  Ci^ntraU^  ;  Ilinérairo  Sven  Hediit, 7t 

230        Le  Bahr-oUGbazal gf 

Sn        PHndmiUé  d'Andorre   ,....,. 136-137 

a3i        Hinterlaud  ila  Dahomey  :  Itinéraires  Baud^  Brelonnet îM 

Î3â        Chine  :   Kiao-TcW'ou.    ,   .    .   , ,    .  217 

233           —        ProviDce  du  ChanLoung i67et  im 

Î33            —        SphèiM-a  d'inOuroce ,,....,,. Jgl 

23^        Santiago  de  Cuba. , 361 

SIlSô        lie  de  Cttïiii  :  PtHitîon  des  belhgéranlA .    .   .   ,  42» 

237        Abvssînie  :  Itinéraire  de  Bonchampa. 519 

i3i*        Chemin  de  fer  du  Bas-Cungo ,.,....  584 

2.18        Rt^au  navigable  du  Co^|^> 589 

i;^9        NVeï-Baï-Wei  :  Sphère  anglaise   .   . *.-..,...  fi3* 

230        E?ileTisioft  de  Hotig-Kong 634 

Îï39        (Convention  fraiit^o-angiaise  du  Niger.   .   *   * 673 

i4Û        Congo-Tchad  :  Itinéraire  Gentil ,   .   .   , 701 


DESSINS 

229       Sibérie  :  Types  et  K)atamcjâ  mongoU 39  H      41 

231        Vue  d'Andurre  —  Sceaux  de  La  priiieipautê 145 

234        Cuiraesésaméncaios  (]>Ionï .     351-353 

i35       Croiseurs  américains  vi  espn^^nol  (plan) 415- tî6 

iSfi  Cnn^uv  Jftifiti*' d  Arc :cmra3sù  Ckfirhmagne  (plan),   .   ,    .    .    ,     465-4456 

2^i8       L'Aven  Armand  (coupe  tU  plan) 607 

238        VuedeMatadt^Congoi 5fô 

240       Tvp»'3  et  objets  du  fla-Rotsi  (Afr.  australej 719-71* 

240        Portrait  de  M.  Gentil $gT 

^40        La  canonnière  Faidïierbe 715 


DOCUMENTS  DIPLOMATIQUES  ET  ST.VTISTIQUES 

i29       Tta i lé  entre  la  France  et  li^sTonar^K  Aou*Hi m iden  (teste)  ....  -  50 

2f9        Turquie- GrM"  :  Traité  de  paiv  ^;U'lte^ 1*1 

230  et  ^^l  Eph(inj*ï rides  coloniales  et  et rangûres  pLîur  1897 tKÎ  HT 

Î31        Trniré  !ïnglo-«bvt^sin  de  1897  (texte)  /,   .   , ,   ,   .    .  18S 

233  Î34  ï:^'*  Flottes  ei^pagnde  lit  américaine 191  347  411 

%M\        Produelions  de  la  houille,  du  cuivre,  du  niekel  cl  du  coton  .  *  ,  .  316 

234  Coré*i  :  Trait*;*  ruiiao-japonaîa  (texte) ....,,  38Ï 

2^J5        Navigation  par  Sue?:  en  1897* *    .   . 441 

235  Population  des  Klats-d'Kurope 445 

237        Cftpitnlatioii  de  Manille  (lexîe) 540 

237        Es jw gn e- Etats -Lniîi  ;  Prélinuriains  de  jiatx.  . 541 

239        Traites  a  n':loH^hinois  (1898)  :  \ang-Tsé;  Weï-Haï-Wcï  (lestes)  .  620  63« 

23 S        Couveutioo  frantîo-iinflaise  du  Niger  (texte).  .......,,,.  67î 


CONCORDANCE    bKS  FASCICCLES 
l|»i  pJï^'L^s.  îS"*  Pa;;ea.  N«»  Pages 

233  (mai).  .  .  257  n  3Î0 
334  (juin).  .  .  321  à  384 
2*5  (juillet) .  .  385  à  44S 
230  (afïûlL  .    ,  449  ù  504 


_J  ^Tierj,  .  t  à    64 

4»(Svrierj,  .  65  à  1S8 

Î31  (mars)   .   .  129  a  192 

23î  iaTHl)    :  .  193  h  256 


237  iseplemh.)  fiOS  à  560 

338  (octobre.   ,  561  à  624 

339  /novemb.).  OiT»  a  t>8 
*40  (décembO  .  689  à  752 


Im  Gérant,  Edouard  MAKBEAU. 


ijipnlHt;Kir  i:nM%,  JtDi  PEDQEftE,  14Ï,  PaHIS.  —  ï^^RA^H^^a. —  Cltvi  UfiUlU^ 


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