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Full text of "Revue Égyptologique"

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REVUE  ÉGYPTOLOGIQUE 


PUBLIÉE  SOUS  LA  DIRECTION  DE 


M.  EUGÈÎs^E  REVILLOUT. 


SEPTIÈME  VOLUME. 


215291 


LABOREMUS! 


PARIS 

EENEST  LEROUX,  ÉDITEUR, 

LIBRAIRE  DE  LA  SOCIÉTÉ  ASUTIQUE 

DE  L'ÉCOLE  DES  LANGUES  ORIENTALES  VIVANTES,   DE  L'ÉCOLE  DTJ  LOUVRE.   ETC. 

28,  RUE  BONAPARTE,  28 

1896. 


VIENNE.  —  TYr.  ADOLPHE  HOLZHAUSEN. 

IMPRIMEUR  DE  LA  COUR  I.   &  R.   FT  DE  I/UNIVFRSITl^.. 


TABLE  DES  MATIÈEES. 


Numéro  I. 


Une  importante  découverte.  Papyrus  contenant  le  célèbre  discours  inédit  d'H3"péride  contre  Athéno- 

géne  (suite),  (E.  EEviLLorT) 1 

Le  poème  de  Pentaour  (suite),  (Vicomte  J.  de  Rougé) -21 

Planchettes  bilingues  (E.  Revillout)     29 

Papyrus  grec  inédit  relatif  à  l'impôt  des  pécheurs 39 

Numéro  II. 

Notice  des  pap3"rus  archaïques  (extrait),  (E.  Re\tlloi"t) 41 

Avant-propos  sur  le  code  de  Bocchoris     45 

Introduction  historique  sur  l'administration  et  l'organisation  légale  des  terres  dans  l'ancienne  Egypte. 

—  A.  Époque  précédant  l'invasion  des  Hyksos G7 

B.  Époque  qui  suivit  l'invasion  des  Hyksos 81 

Numéro  III. 

t  D''  Victor  Re^illoct 105 

Deux  anciennes  lois  du  pays  d'Accad  (Victor  Re^llout) 106 

Quelques  documents  historiques  de  Bocchoris  à  Psammétique  I'"'  (E.  Revillout)     111 

Règne  de  Bocchoris 111 

Règne  de  Shabaku 116 

Règne  de  Tahraku 124 

Règne  de  Piankhi  II 144 

Des  donations  d'enfant  à  l'époque  copte  (suite),  (Fr.  de  Villenoist) 146 

Une  prophétie  messianique  ass)  rienne  (Victor  et  EroÈsE  Revillout)     149 

Mission  de  la  Revue  égyptologique 152 

Revue  bibliographique loi 

Numéro  IV. 

Une  prophétie  messianique  assyrienne  (suite),  (Victoe  et  Eugène  Revillout) 153 

Textes  égyptiens   et  chaldéens   relatifs  à  l'intercession  des  vivants  en  faveur  des  morts   (Victor  et 

Eugène  Reitllout) 164 

Le  poème  de  Pentaour  (suite),  (Vicomte  J.  de  Rougé)     182 

Les  deux  préfaces  du  papyrus  Prisse  (E.  Revillout) 188 

Des  donations  d'enfant  à  l'époque  copte  (suite),  (Fr.  de  Villenoisï) 199 


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Brigham  Young  University 


http://www.archive.org/details/revuegyptologi07pari 


REVUE  ÉGYPTOLOGIQUE 

PUBLIÉE  SOUS  LA  DIEECTIOX  DE 

M.  EUGÈNE  REVILLOUT. 


ERNEST  LEROUX,  EDITEUR 

LIEBAIEE  DE  LA  SOCIÉTÉ  ASIATIQUE,  DE  L'ÉCOLE  DES  LANGUES  ORIENTALES  VIVANTES,  ETC.  ETC. 
28,  EUE  BOXAPAKTE,  23,  A  PARIS. 

Vn«  Volume.  N°  I.  1892. 

La  REVUE  EGYPTOLOGIQUE  paraU  tous   les  trois  mois  par  numéros  de  six  feuilles  au  moins,  avec 

planches,  fac-similé  etc.  —  Aucun  numéro  ne  se  vend  séparément. 

Prix  de  l'abonnement  annuel  :  Paris  30  fr.  —  départements  31  fr.  —  Etranger  32  fr. 

Sommaire  :  Tne  importante  découverte.  Papyrus  contenant  le  célèbre  discours  inédit  d'Hypéride  contre  Athénogène  (fin),  (EcGÈXE 
Eevilloct).  —  Le  poème  de  Pentaour  isnite),  (Vicomte  J.  de  F.ocgé).  —  Planchettes  bilingues  (suite),  (E.  E.).  — ■ 
PapjTus  grec  inédit  relatif  à  l'impôt  sur  les  pécheurs  (E.  R.). 


UNE  IMPOETANTE  DÉCOIRŒRTE. 

PAPYRUS  CONTENANT  LE  CÉLÈBRE  DLSCOLTIS  INÉDIT  D'HYPÉRIDE  CONTRE  ATHÉNOGÉNE. 

LECTUEE  FAITE  A  L'ACADÉIHE  DES  ISSCEIPTIOSS  ET  BELLES  LETTEES  LE  18  JANMER  1889. 

PAE 

Eugène  Revillout. 

(Fin.) 

Athénogène,  comme  il  l'avait  fait  lors  des  reproches  à  lui  ackessés  en  pleine  agora, 
allait  sans  doute  encore  prétendre  avoir  agi  de  bonne  foi,  et  n'avoir  pas  connu  lui-même  les 
dettes  qu'il  n'indiquait  pas. 

Mais  est-ce  admissible?  Serait-ce  possible?  Comment  un  nouvel  acheteur,  étranger 
jusque-là  aux  choses  du  commerce,  se  serait  trouvé  en  ti'ois  mois  ne  rien  ignorer  du 
passif  : 

«Et  lui,  au  contraire!  dans  le  commerce  de  la  parfumerie  depuis  trois  générations,  se 
»  tenant  journellement  dans  l'agora,  ayant  possédé  jusqu'à  trois  boutiques  de  parfumeur,  ayant 
»soin  chaque  mois  d'en  recevoir  les  comptes,  il  n'aurait  pas  connu  les  dettes?  Mais  d'abord 
"et  dans  tout  le  reste,  il  n'e.çt  pas  si  simple  que  cela;  puis,  par  rapport  à  son  esclave,  il 
»  devenait,  lui-même,  garant.  D'aiUeui-s,  quelques-unes  de  ces  dettes,  il  est  clair  qu'il  les  con- 
»  naissait  (celles  qu'il  indiquait  dans  les  actes),  tandis  que  d'autres,  il  prétend  ne  pas  les 
savoir  connues  :  en  aussi  grand  nombre  qu'il  veut  n'en  avoir  rien  su.  Un  tel  langage,  ô 
»  juges,  n'est  pas  une  justification  :  c'est  incontestablement  un  aveul» 

Ot-Tog  ôè  ô  £X  TQr/sviag  o)v  ^ivQOTtwlr^ç,  y.a-^rjfisvoç  ô'  ev  Tfj  àyoQÙ  n:âaai  i]uloai,  rqia  fièv 
fivQonéha  -/.sy.d-r^iiîvog  l^ôr^,  ).6yovg  ôè  y.uTà  fu]va  lauliâviùv,  oiy.  fjôsi  rù  y.qéu;  'A'/.'/J  h>  fxèv  roîç 
Ul'/.oig  oiy.  îôiôjTr^g  iariv.  TtQog  ôt  xàv  oi/.i%i]v  avzog  lyyvi]%f^g  èyévtTO.  Kai  riva  lùv  tûtv  '/iQéutv, 


Eugène  Revillout. 


(&g  Eor/.ev,  jjôei  '  ràâs  (prjaïv  oii%  slôévaL,  ocra  jaî]  (iovXaTai.  ô  âè  toioîtoç  airov  Xôyoç,  â 
Svâçeg  ôiKaazaî,  oiy.  ànoloyia  èaziv,  àXX'  ônol6yi]iia 

En  effet,  nous  voyons  en  quoi  devait  consister  principalement  la  défense  d'Athénogène. 
A  l'entendre,  le  contrat,  tel  qu'il  était  écrit,  avait  été  voulu  par  son  adversaire,  qu'en  toute 
sincérité,  autant  qu'il  le  pouvait,  • —  sans  lui  donner  le  détail  des  dettes,  parce  que  lui-même 
il  ne  l'avait  pas,  mais  sans  rien  lui  cacher  par  fraude,  —  il  avait  mis  d'avance  au  courant 
de  la  situation  et  qui  avait  tenu  à  prendre  pour  soi  toutes  les  chances  bonnes  et  mauvaises. 
Le  client  d'Hypéride  a  beau  jeu  de  montrer  ce  qu'une  telle  défense  présente  de  contradic- 
toire, comme  celle  d'un  homme  acculé  qui  se  coupe  dans  ses  réponses.  Dire  n'avoir  pas 
connu  les  dettes  importantes,  c'est  avouer  n'avoir  pas  d'avance  dit  réellement  à  l'acheteur 
ce  qu'il  aurait  été  nécessaire  de  lui  dire  pour  qu'il  pût  agir  à  bon  escient. 

A  l'emprunteur  il  incombait  de  payer  ses  emprunts.  Pour  qu'une  convention  particulière 
fît  valablement  exception  à  cette  règle  générale,  il  eût  fallu  que  l'acheteur  connût  bien  ce 
qu'étaient  les  dettes  avant  de  les  prendre  pour  soi.  Or,  loin  d'éclairer  sur  ce  point  le  client 
d'Hypéride,  Athénogène  l'avait  trompé  en  lui  faisant  croire  que  l'actif  représenté  par  les 
marchandises  égalait  pour  le  moins  les  dettes.  Quand  il  disait  cela,  il  savait  certainement 
très  bien  le  contraire,  on  ne  pouvait  pas  en  douter.  Mais  supposât-on  qu'il  l'ignorât,  que 
l'erreur  fût  involontaire,  elle  n'en  eût  pas  moins  vicié  les  actes. 

L'orateur  le  prouve,  en  raisonnant  comme  s'il  renonçait  pour  le  moment  h  conti'edire 
les  assertions  d'Athénogène  et  en  entrant  résolument  dans  son  système,  mais  pour  en  monti-er 
l'inanité  et  renverser  cet  échafaudage.  On  peut  reconnaître  encore  ti*ès  bien,  malgré  les  la- 
cunes, vers  le  bas  de  la  colonne  9,  une  phrase  citée  par  Harpocration  «àXXà  ô|ji6ff£  3o6Xo[i.ai 
Tw  Xô^o)  TouTO)  èaGsTv»  ct  sc  faire  une  idée  exacte,  du  moins  quant  au  sens  général,  des 
acquiescements  apparents  par  lesquels  cette  phrase  était  rattachée  à  celle  que  voici,  presque 
intacte  au  haut  de  la  colonne  10  : 

«  D'une  part  donc,  toi,  tu  ne  m'as  pas  indiqué  tout  le  passif  —  «  faute  de  le  connaître  »  —  ; 
»  d'une  autre  part,  moi,  persuadé  qu'il  était  seulement  ce  que  tu  me  disais,  j'ai  accepté  les 
»  actes.  Lequel  en  bonne  justice  doit  payer,  de  nous  deux?  Est-ce  moi  :  est-ce  celui  qui  tout 
»  dernièrement  achetait  la  boutique?  Ou  est-ce  toi  :  l'ancien  possesseur,  celui  qui  faisait  les 
»  emprunts?  Pour  moi,  je  pense  que  c'est  toi.» 

.  .  .  .  aîj  fxèv,  ôià  là  fii)  siôévat,  /.lij  TtQosTrtaç  ifiot  nâvTa  rà  xqéa  "  èyù  ôé,  baa  aov 
iJKOvaa,  rama  jxôvov  ôi6j.ievog  sivai,  raîg  avv&r^aig  èOéfiïjV  tvôtsqoç  ôi/.ai6g  èaiiv  èxTEÎaai;  ô 
Hareços  nqià^iEvog;  ij  ô  nâlai  7.sy.T7][j,évoç,  dç  èdavEit,ETO;  èyù  fièv  yàç  0Ï0f.iai  ge. 

On  ne  pouvait  d'ailleurs  objecter  que  les  emprunts  avaient  été  personnellement  con- 
tractés par  Tesclave  Midas,  gérant  la  boutique,  et  non  par  son  maître  Athénogène,  puisqu'une 
loi  de  Solon  établissait  la  responsabilité  du  maître  pour  les  t\iits  et  gestes  de  son  esclave 
employé  dans  une  boutique  ou  un  atelier. 

«Si  d'ailleurs  nous  avons  encore  à  discuter  à  ce  sujet,  ce  qu'il  nous  faut  prendre  pour 
«arbitre,  c'est  la  loi  même  :  une  loi  que  n'ont  pas  portée  ceux  qui  convoitent  ou  qui  visent 
»par  leurs  embûches  les  biens  d'autrui,  mais  l'auteur  des  institutions  les  plus  populaires, 
»  mais,  lui-même,  Solon.  Ce  législateur,  sachant  que  beaucoup  de  trafics  se  font  dans  la  ville, 
»a  établi  une  loi  très  juste,  reconnue  telle  par  tout  le  monde.  Il  a  voulu  que,  quand  on  se 


Une  importante  découverte. 


«servait  d'esclaves  pour  le  commerce  ou  l'industrie,  le  maître  qui  les  faisait  travailler  fût 
»tenu  de  solder  les  dépenses,  les  frais,  les  indemnités  et  les  pertes  se  rattachant  à  leurs 
«métiers.  Eien  de  plus  équitable  :  car  tout  bénéfice  quelconque,  toute  prospérité  dans  les 
»  affaires  qu'un  esclave  peut  se  procurer,  revient  à  celui  qui  le  possède.  Cette  loi,  tu  la  mets 
»de  côté,  pour  disserter  sur  des  contrats  entachés  de  dol!  Et  cependant  qui  donc  pourrait 
»  n'être  pas  d'avis  qu'un  décret  écrit  justement  par  Selon  lui-même  doit  l'emporter  sur  des 
«contrats  injustes,  tels  que  ceux-là,  qui  n'ont  rien  de  commun  avec  les  lois  et  l'équité,  base 
«des  droits  de  tous?» 

Ei  ô'  à'ça  en  léyoï-iEv  TTeql  zovrov,  ôiaizrjTtjç  fjf.nv  yevéad-ca  ô  v6f.ioç,  dv  oVô'  ol  sqûvtes 
oVô'  oi  èni^ovXeioviEç  xolç  àXJ.OTqioiç  ed-eaav,  à)JJ  ô  âr]f.iOTiy.d)TaTa  â^sig  26la)v.  "Og,  s'tôcos 
OTi  noWal  aval  Tcoiovvtai,  èv  t[]  jioXeî,  ed-r^v-e  v6f.iov  ô'iY.aiov,  mg  naçà  rcàvriov  oi.ioloyEÎTai, 
zàç  i^î]i.ilaç,  Euv  EQyâawvzm  ol  olyJvai,  y.al  %à  UU.'  àvcÛMfiuTa  ôialvEiv  tov  ÔEajtâvrjv  ttoq' 
é  Sv  ËQyâl^wvTai  o\  ol-AÉxai  .  sl-MTOiç  '  y.al  yàq  oaov  av  àyad-àv  TTQCc^rj  J)  Eçyaaiav  eiqooîaav 
ôovXog,  TOv  •/.ET/.Tiqi.iÉvov  avcov  yivExai.    Tovrov  tàv  vô/^ov  àtfEÎç,  tteqI  avv9rf/.iov 

La  loi  ici  invoquée,  Hypéride  y  avait  fait  allusion  déjà  quand,  discutant  le  point  de 
savoir  s'il  était  possible  d'admettre  qu'Athénogène  ignorât  le  passif  du  fonds  de  commerce 
géré  par  Midas,  il  avait  rappelé  que  le  maîti-e,  en  cette  qualité,  se  trouvait  le  répondant  de 
son  esclave  :  ^rpo;  îà  tiv  o!x£T(;v  «ùts;  £YYUï)Tr;ç  èvsveto.  C'est-là  une  très  grande  différence  entre 
le  droit  d'Athènes  et  le  droit  de  Kome. 

A  Kome,  le  maîti-e  pouvait  s'enrichir  par  le  commerce  de  ses  esclaves  sans  encourir 
aucune  espèce  de  responsabilité,  soit  morale,  soit  pécuniaire,  quand  les  esclaves  en  question 
avaient  reçu  de  lui  à  cet  effet  l'administration  sans  contrôle  «  liberam  administrationem  »  de 
leurs  pécules,  constituant  leurs  fonds  de  commerce.  Les  textes  de  jurisconsultes  disséminés 
dans  le  digeste  sont  pleins  de  détails  nous  montrant  bien  à  quels  scandaleux  abus  con- 
duisait alors  ce  système,  sans  doute  emprunté  quelque  part,  mais  qui  faisait  contraste  avec 
le  droit  d'Athènes  établi  par  Solon. 

Solon  ne  voulut  pas  admettre  qu'un  maître  pût  ainsi  se  désintéresser  d'une  faillite, 
abandonner  à  ses  créanciers  le  seul  pécule,  et,  après  avoir  avidement  cherché  des  profits 
aléatoires  en  faisant  entreprendi-e  à  son  esclave  les  opérations  les  plus  hasardées,  se  déclarer 
étranger  aux  pertes,  alors  que  tous  les  bénéfices,  en  cas  de  succès,  eussent  été  pour  lui. 
Cette  grande  raison  d'équité,  sur  laquelle  l'oratem-  insiste,  était  d'ailleurs  tout-à-fait  d'accord 
avec  les  principes  d'une  économie  politique  bien  entendue.  Voulant  faire  de  la  ville  d'Athènes 
une  ville  riche  par  le  commerce,  le  législateur  devait  y  assurer  la  sécurité  dans  les  affaires  : 
c'est-à-dire  pour  cela  supprimer  l'arsenal  des  faux-fuyants,  des  exceptions,  des  théories,  des 
distinctions  dites  juridiques,  par  lesquelles  on  sut  toujours  si  bien  éviter  les  réclamations 
des  tiers  dépouillés  dans  la  ville  de  Rome. 

C'est  donc  une  des  lois  capitales  de  l'ancienne  Athènes  que  nous  fait  connaître  dans 
ce  passage  le  discours  contre  Athénogène,  enfin  retrouvé.  Jusqu'ici  cette  loi  de  Solon,  si 
universellement,  paraît-il,  et  si  justement  admirée  pendant  qu'elle  était  en  vigueur,  n'avait 
pas  laissé  de  traces  bien  nettes.  On  pouvait  croire  que  les  esclaves  de  la  ville  de  Minerve, 
aussi  activement  mis  à  profit  pour  le  commerce,  etc.,  que  ceux  de  la  viUe  de  Eomulus,  n'en- 
gageaient pas  plus  que  ces  derniers  la  responsabilité  du  maître. 


Eugène  Revjllodt. 


Au  poiut  de  vue  de  l'argumentation  d'Hypéride,  '  rien  ne  montrait  mieux  quel  était 
l'esprit  de  la  législation  de  Solon  dans  son  ensemble.  Non!  on  ne  pouvait  pas  soutenir  que 
c'était  pour  laisser  le  champ  libre  au  formalisme,  à  la  chicane,  à  la  mauvaise  foi,  à  la 
fraude,  au  dol,  qu'il  avait  sanctionné  d'avance  les  conventions  entre  particuliers,  les  contrats 
privés.  Personne  n'avait  eu  plus  que  lui  la  préoccupation  constante  de  la  bonne  foi,  de  l'hon- 
nêteté dans  les  affaires,  des  engagements  réfléchis  résultant  d'un  accord  mutuel.  Annuler  un 
acte  entaché  de  fraude,  quelque  régulièrement  dressé  qu'il  pût  être,  c'était  agir  d'après  ses 
principes. 

Comme  d'ordinaire,  Hypéride  est  sobre  de  développements  oratoires.  Parlant  devant 
des  Athéniens,  gens  souverainement  intelligents  et  blasés  sur  les  lieux  communs  de  rhé- 
torique, il  écarte  avec  soin  tout  ce  qui  sent  l'école,  tout  ce  qu'on  s'attendrait  à  voir  recher- 
cher par  un  disciple  d'Isocrate.  Il  est  bref  autant  que  possible.  Il  n'en  arrive  que  mieux  à 
convaincre. 

•  Voici  comment  nous  résumions  très  brièvement  cette  argumentation  dans  l'article  publié  par  la 
Hevue  des  études  grecques  : 

«Hypéride  fait  lire  les  actes  afin  de  prouver  le  dol  par  leur  rédaction  même. 

«Puis  il  invoque,  en  les  commentant,  toute  une  série  de  lois  athéniennes,  pour  montrer  que  la  loi 
»de  Solon,  d'après  laquelle  les  conventions  étaient  souveraines  entre  les  parties  —  loi  qu'invoquait  son 
»  adversaire  —  n'avait  pas  toute  la  portée  que  celui-ci  lui  attribuait  et  n'était  vraiment  applicable  qu'en 
«l'absence  de  dol  et  de  fraude. 

«Cette  exception  du  dol  ou  de  la  fraude,  on  la  trouvait  d'.abord  indiquée,  d'ime  manière  expresse, 
«par  la  loi  relative  aux  ventes  qui  se  faisaient  sur  le  marché  :  loi  qui  ordonnait  à'iEuoEÎv  h  ttj  àyop?.  Har- 
«pocration  avait  cité  ce  passage  de  notre  discours  contre  Athénogéne;  et  il  en  avait  rapproché  judicieuse- 
j>ment  les  renseignements  que  nous  donne  Théophraste  sur  les  agoranomes  d'Athènes  et  sur  les  lois  qu'ils 
«étaient  chargés  d'appliquer  :  tant  relativement  à  la  police  du  marché  que  relativement  aux  affaires  qui 
»s'y  concluaient. 

«Hypéride,  à  ce  propos,  nous  apprend  qu'on  avait  dans  Athènes,  déjà,  formulé  les  principes  qu'ap- 
«pliquèrent  plus  tard  les  jurisconsultes  romains  pour  les  ventes  d'esclaves  ou  d'animaux.  Ces  ventes  étaient 
«déclarées  nulles  quand  l'acheteur  n'avait  pas  connu,  au  moment  où  il  faisait  l'acte,  ce  que  nous  appelle- 
«  rions  les  vices  rédhibitoires,  tels  que  l'épilepsie  par  exemple. 

«L'orateur  fait  ici  remarquer  avec  raison  que  les  conséquences  de  l'achat  d'un  esclave  atteint  d'é- 
»  pilepsie,  pour  la  fortune  de  l'acheteur,  sont  bien  moins  graves  que  les  conséquences  de  l'acte  conclu  par 
«  son  client,  auquel  on  cachait  les  vices  de  la  chose,  pour  sa  fortune  personnelle  et  pour  celle  de  ses  amis 
«qui  voulaient  bien  lui  fournir  des  fonds. 

«  Les  lois  relatives  au  mariage,  à  la  légitimité  des  enfants,  aux  testaments  forment  un  groupe  qu'Hy- 
«péride  examine  ensuite  dans  les  colonnes  7  et  8.  11  montre  que  des  actes  importants  entre  tous  -^  tels 
»  que  cette  garantie  du  père  ou  du  frère,  mariant  la  femme,  qui  lui  assurait  à  Athènes  la  situation  d'épouse 
«légitime  —  restaient  sans  effet  en  cas  de  mensonge.  H  montre  en  même  temps  que  d'autres  actes  qui 
«  traduisaient  la  volonté  de  leurs  auteurs,  par  exemple  les  testaments,  devenaient  nuls  quand  cette  volonté 
«était  viciée  par  quelque  cause.  Nous  avons  déjà  indiqué  plus  haut  comment  la  loi  de  Solon  qui  se  trouve 
«  citée  ici  pouvait  être  d'un  grand  usage  pour  un  avocat  qui,  comme  Hypéride,  en  savait  tirer  très  bon 
«parti,  dans  les  conditions  indiquées  par  la  narration  du  début. 

«Le  consentement  de  l'acheteur  a  été  vicié  :  non  seulement  par  cette  influence  d'une  hétaire  —  à 
«  laquelle  les  Athéniens  attribuaient  les  mêmes  résultats  que  les  physiologistes  les  plus  modernes  attribuent 
«à  la  suggestion  —  mais  par  une  erreur  fondamentale  sur  l'objet  même  de  la  vente.  Ce  que  l'acheteur 
«comptait  acquérir,  c'était  un  fonds  de  commerce  à  peu  près  sans  passif  —  ou  pour  mieux  dire  avec  un 
«  passif  plus  qu'égalé  par  cet  actif  que  représentait  la  valeur  des  marchandises  actuellement  en  boutique. 

«C'était  à  cela  qu'il  avait  donné  son  consentement,  et  non  pas  à  l'acte  captieux  rédigé  par  Athé- 
«nogène  et  invoqué  par  celui-ci 

«  Une  loi  fort  importante  de  Solon,  qui  était  restée  jusqii'ici  complètement  inconnue  et  qui,  réglant 
«les  rapports  du  maître  avec  son  esclave  gérant  et  les  tiers,  rendait  impossibles  d.ans  Athènes  certains 
«abus  du  pécule  servile,  tient  une  large  place  dans  les  raisonnements,  merveilleusement  suivis  au  point 
»de  vue  juridique,  concluant  à  l'annulation  de  l'acte  frauduleux.» 


Une  importante  découverte. 


Après  avoir  cité  la  loi  qui  rend  les  dettes  contractées  par  un  esclave  personnelles  au 
maître,  et  qui  oblige  celui-ci  à  les  payer,  —  loi  formelle,  loi  équitable,  loi  de  Solon,  conçue 
dans  le  même  esprit  que  les  autres  déjà  citées,  —  a-t-il  besoin  de  longues  phrases  pour 
montrer  aux  juges  ce  qu'ils  doivent  en  conclure? 

Lui  dont  la  grande  caractéristique  est  de  savoir  éveiller  les  idées  d'équité,  de  justice, 
de  respect  du  droit  pour  les  autres  comme  pour  soi-même,  qui  forment  le  fond  de  la  con- 
science, il  les  laisse  parler  avec  leur  éloquence,  plus  qu'il  n'y  substitue  la  sienne. 

Ce  n'est  pas  le  genre  de  Démosthène.  Et  cette  invocation  continuelle  du  droit,  cette 
argumentation  par  des  faits  montrant  qui  viole  la  justice,  par  des  textes  dont  les  conclusions 
sont  tirées  presque  abruptement  ont  fait  reconnaître  par  Libanius  la  touche  d'Hypéride  dans 
le  discours  îcsp;  tùv  ::pb;  'AXe^àvîpoj  Aiveov.iôv,  attribué  faussement  à  Démosthène.  Il  est,  en 
effet,  remarquable  de  voir  à  quel  point  les  procédés  oratoires  sont  semblables  dans  ce  dis- 
cours et  dans  le  plaidoyer  contre  Athénogène,  un  des  chefs-d'œuvre  d'Hypéride. 

Il  avait  cette  fois  à  faire  condamner  un  homme  habile,  dont  le  système,  calculé  de 
longue  date,  était  bien  conçu.  Nous  avons  vu  déjà,  en  effet,  qu' Athénogène,  pour  repousser 
l'imputation  de  fraude,  avait  prétendu  n'être  qu'en  apparence  l'auteur  du  contrat  incriminé, 
contrat  voulu,  tel  qu'il  était,  par  le  client  d'Hypéride.  Il  paraît  même  qu'il  aurait  dit  avoir 
désiré  se  charger  de  régler  en  personne,  à  titre  gratuit,  sans  compensation  pécuniaire,  tout  ce 
qui  se  trouvait  dii  par  Midas;  et  en  conséquence  avoir  conseillé  à  celui  qui  voulait  acquérir 
la  parfumerie  de  lui  laisser  Midas,  excluant  de  la  vente  cet  esclave  et  ce  qu'il  devait. 

«Et  c'est  moi,  dit  le  client  d'Hypéride,  c'est  moi  qui  me  serais  refusé  à  cela,  voulant 
»tout  acheter  :  tous  les  esclaves  et  aussi  les  dettes! 

«Il  l'a  prétendu;  et  l'on  dit  qu'il  doit  encore  tenir  devant  vous  ce  langage  dans  le  but 
»  de  se  faire  passer  pour  un  homme  équitable  et  juste,  comme  s'il  avait  à  s'adresser  à  des 
î  imbéciles,  à  des  gens  qui  ne  sentiraient  point  son  impudence  !  » 

«Ce  qui  s'est  passé,  il  faut  vous  en  faii'e  le  récit.  Prêtez  y  l'oreille  :  il  y  a  là  une 
«trame  machinée  qui  vous  paraîtra  bien  confonne  à  tout  le  reste  de  ces  dois.» 

èjxè  ôè  oi-K  è&slEiv,  àXXà  (iovXsad-ai  nâvrag  Trçlaa-S-ai  -/ort  Tavra. 

Kal  TTQÔg  l'i-iâg  aî'iôv,  (faaiv,  j.iéllsi  Xéysiv,  ïva  ôfj  ôoy.oirj  /.istqioç  eivai  '  ôansQ  ttqoç 
■^ï.id'lovç  Tivàç  ôtaXs^é^Evog,  koI  oix  aia&ijGO[.i£vovç  vr^v  tovvov  àvaiôslav. 

Ta  ôè  ysvôfxst'ov  ôeT  vi.iâg  àyiovaai  '  cpavqastai  yàç  «xdZoï'Qo»'  bV  rf]  Hlhj  zovzcov 
Tû)v  STri(iovXm'. 

Malheureusement  tous  les  bas  des  colonnes,  depuis  la  sixième  jusqu'à  la  onzième,  ont 
tellement  souffert  qu'il  reste  à  peine  quelques  letti-es  de  chacune  de  leurs  dernières  lignes. 
Si  l'argumentation  d'Hypéride  était  moins  savamment,  logiquement  conduite,  il  serait  devenu 
parfois  impossible  de  la  suivre,  tant  les  lacunes  sont  considérables.  Dans  un  récit,  la  diffi- 
culté est  plus  grande  encore,  car  certaines  circonstances  se  trouvaient  précisées  par  des  mots 
qui  n'existent  plus. 

Dans  ce  qui  reste  de  la  colonne  1 1  '  nous  croyons  voir  qu' Athénogène,  sans  doute  pour 

'  Les  lignes  25  et  suivantes  de  la  colonne  10  se  trouvent  réduites  à  fort  peu  de  lettres  chacune; 
et  le  trait  par  lequel  un  correcteur  ancien  a  marqué  comme  fautive  dans  AITUTERAT  ...  la  lettre  Cl) 
compliquait  encore  la  question.  J'ai  longtemps  cherché  quelle  restitution  il  serait  possible  de  trouver  pour 


Eugène  Revillodt, 


rendre  plus  probable  l'apologie  qu'il  préméditait,  aurait,  en  effet,  soulevé  des  difficultés  re- 
lativement à  la  livraison  de  l'esclave  Midas  :  mais  après  le  contrat  conclu  et  le  prix  versé. 

ce  passage  difficile;  et  si  je  finis  par  en  risquer  une,  c'est  parce  que  je  me  suis  attaché  à  ne  pas  laisser 
de  vide  entre  le  commencement  de  la  première  colonne  de  ce  qui  nous  reste  et  les  dernières  lignes  de  la 
onzième  colonne,  c'est-à-dire  dans  tout  le  morceau  le  plus  étendu  du  papyrus.  Je  le  répète  ici,  je  me  suis 
surtout  efii'orcé  de  retrouver  la  suite  du  discours  au  point  de  vue  de  la  pensée,  plus  que  des  mots,  mais 
en  tenant  compte  de  toutes  les  lettres  encore  subsistantes. 

Par  quoi  remplacer  la  lettre  tj,  que  le  correcteur  ancien  avait  ainsi  marquée  d'un  trait?  Je  suppose 
que  c'est  par  un  E  suivi  d'un  I.  Dans  certains  papyrus  écrits  en  grec  cursif,  provenant  d'Egypte,  ces  lettres, 
liées  entre  elles,  ressemblent  un  peu  à  l'U;  et  le  remplacement  de  la  seconde  personne  du  pluriel  de  l'im- 
pératif dans  une  phrase  rappelant  celle-ci  (Démosth.  Jtpô?  Znouiim  19)  :  «npb;  izstvo  8è  xi  à^  Xéyoïç;  àxpiPwç 
yàp  ÔTtwç  TouTouoi  otoâÇeiç-  El  Se  [j-rj,  TtâvTE;  û^j-eTç  àTcaixEÎx'  aÙTo'v»  par  la  première  personne  du  présent  de  l'indi- 
catif suivie  de  l'enclitique  te  n'aurait  rien  de  trop  invraisemblable  dans  une  copie  faite,  en  belle  écriture, 
d'après  un  modèle  en  cursive,  par  un  scribe  d'Egypte  peu  instruit  dans  la  littérature  athénienne. 

Je  propose  donc  —  attendant  encore  de  meilleures  conjectures  —  de  remplir  provisoirement  les 
lacunes  de  ce  passage  de  la  façon  suivante  : 

'AXX'  à'p,  alTCti'  en  àrgixiCaç  fia^tCv,  ToTg  Xyçoiç  ov  avv^Sti,,  oiç  cX,eyev;  nû>ç  ovx  aïonoç  Stfe  ô  kàyoç; 
'éwri  yàg  è^ékiiv  /nèv  èS  ctçxvi  ^^  d(piiXàjU.eva  Suiçéav  rà  tikqc(  MCâov  âiotxiTv  '  tôv  âè  MlSav  xtXiéciv  fie 
iâv  aiiTÛ),  xaï  fit]  éi>tTaS-ai.  êftè  (fâ  ovx  l&iXiiv  ■  àXXà  l^ovXia&ai,  nûVTaç  7iQi5a9ca  xal  zavra 

Dans  la  colonne  11  les  lacunes  sont  encore  plus  considérables  que  dans  les  colonnes  précédentes; 
et  si  nous  tentons  hypothétiquement  de  les  remplir  jusqu'à  la  ligne  24,  c'est  sous  les  plus  expresses  ré- 
serves. Sous  le  bénéfice  de  ces  réserves,  voici  en  caractères  épigraphiques,  le  texte,  repris  à  partir  de  la 
ligne  19,  où  une  phrase  commence  avec  la  ligne. 

Col.  10,  1.  19  (TOYTON  TON)  NOMON  A*EIC  HEPI  CYNe(HKCJN) 

20  (EniBOYAEYiOMENlON  AlAAErHI  KAI  O^MCOC  TIC) 

(OYN  ANGPCOnOJN)  O  AIKAICOC  ErPA<t>EN  YH<J>(ICMA  AY) 
(TOC  O  COAOJN  OYKi   OIETAI  AEIN  KYPI(J(TEPON  El) 
(NAI  H  TOlAYTjAC  AAIKOYC  CYNGiNKAC  AAAOTPI) 
(AC  nANTOJN  T)UN  NOMCJN  KAI  niANTUN  TCJN  Al)KAI 

25  (UN  AAA  AP)  AIT(Er)T  ER  AT(PeKIAC  MAGEIN  TOIC  A)H 
(POIC  OY  CYNiHlAEl  OIC  EAiEfEN   HUC  AN  OYK  ATO) 
(HOC  OAE  O  AOrOC  E<J>H  TAP)  EeEA(EIN  MEN  EZ  APXHC) 
(TA  OïDEIAOMENA)  AOJPEA  N  TA  RAPA  MIAOY  AIOI) 
Col.  11,  1.  1  KEfIN  TO)N  AE  MIAAN   KEAEYE(IN  M)E  E(A)N  AYTCJI 
KAI  MH  tONEICGAI  EME  AE  OYK  EGEAEIN  AAAA  BOY 
"ÂËCGAI  RANTAC  HPIACGAI  KAI  TAYTA.   KA(I) 

nPOC  YMAC  AYTON  OACIN  ME(A)AEI  AEfEIN  INA 
5  AH  AOKOIH  AAETPIOC  EINAI  lOCiHEjP  OPOC  HAIGI 
OYC  TINAC  AIAAE20MEN0C  KAI  OYK  AICGHCO 
MENOYC  THN  TOYTOY  ANAIA(IA)N  TO  AE  TE 
"NÔMENON  AEI  YMAC  A(K)OYC(AI  <t>AN)HCETA(l) 
(FAP)  AKOAOYGON  ON  THI  AAAH(I)  TUN  EniB(OY) 

10  (AUJN)  TON  MEN  TAP  HAIAA  ONn(EP  AP)TIUJC  EinO(N) 
(EnE)MnE  MOI  AErONTA  OTI  OYK  (EMOI  AN)  EIH  l(NA) 
(AH  H)rCJMAI  AYTOY  TON  nA(TE)PA  (EIN)AI  TONiAE) 
(AYT)ON  HAH  A  EMOY  CJAAOA(OrHiKOTOC  (TUN  HAI) 
(AU)N  KA)TAGHCEIN  TPICON  OM(OY  OAO)N  TO  APfYPI 

15  (ON  nPO)CEAGCjJN   O  A(G)HNO(rE)NHC  RPOC  TOYC  RCA 
(AOYC  TtON)  <t)|A(iON  TU)N  EMCJN  (EnE)BOY(A)E(YE  TOY) 
(APrYPIOY  E)niKPATHC  HPAfMATA  EXEIN  (KAI) 
(rAP  EMOI  AA)BONTI  TON  HAIAA  (AnHNT)HCE  (<DAC  A+l) 


Une  importante  découverte. 


Il  se  serait  habilement  préparé  pour  l'avenir  des  témoignages  à  faire  valoir  et  à  in- 
voquer, au  moins  comme  indices,  —  jusque  de  la  part  des  amis  de  son  adversaire,  —  en 

(ENAI  ME  AEIN  TAY)THN  MEN  CYKO<!)A(NTIAN  AN) 
20  (AICXYNTUC  E)nOIEITO  TCOI  AE  A(OinOJI  HANTUN) 

(TOYTOY  TCJN  A)AlKHMAT(x)N  KAI  (TUN  YEYAOAOri) 

(UN  HAH  En)ICTEYCA  (Cx))C  EI(nON  AAA  AY  NYN) 

(OYX  YHEIIA  TO)N  MEN  HAlAA  Al(AONAI  OY  THN  Tl) 

(MHN  EAEAUKEIN)  OYK  HGEAON 

(EAHA)OYN  TE  T     

(nEN)TE  TAAA(NTA) 

C'est  ici  que  s'achève  ce  que  nous  nommerions  volontiers  la  première  partie  de  notre  papyrus.  En 
effet,  je  le  répète,  cette  partie  était  déjà  séparée  du  reste  (aussitôt  après  la  onzième  colonne)  quand,  sous 
les  Ptolémées,  on  écrivit  sur  la  seconde  les  comptes  démotiques  dont  nous  parlons.  Quant  à  cette  seconde 
partie,  devenue  un  agenda,  elle  fut  d'abord  pliée  en  deux,  ainsi  que  le  prouve  l'usure  à  peu  près  paral- 
lèle des  deux  bords.  Mais  un  héritier  s'aperçut  de  cette  profanation  et  roula  cette  partie,  si  maltraitée,  avec 
la  précédente,  déjà  alors  sans  doute  isolée  d'un  troisième  morceau  renfermant  l'esorde  et  dont  les  débris 
portent  également  de  l'écriture  démotique  au  revers. 

Nous  nous  sommes  surtout  attaché  à  ne  pas  laisser  de  vide  dans  la  première  partie  ici  terminée  et 
mise  par  nous  à  part  sous  verre.  Nous  en  complétons  la  transcription  en  caractères  modernes,  «  pour  qu'on 
puisse  mieux  suivre  l'ensemble,  tel  que  nous  l'avons  restitué,  sous  toutes  réserves,  je  le  répète.  La  seconde, 
formée  de  morceaux  rétablis  par  nous,  à  grand'  peine,  à  l'aide  de  fragments,  est  encore  dans  un  état  telle- 
ment imparfait  qu'une  restitution  complète  serait  impossible. 

2vv\Hjxat. 
Ta  fièv  loCvvv  niTTgay/Liévc'.,  S)  Svâçiç  SixaaTa(,  xa9-'  iv  'ixaajov  àxyjxàctTi.  'Eqh  Si  ngàç  ifiâg  ainCxa 
(lAla  lA-d^voy^vrjç  (bç  ô  vôfiog  X(yti  ■  Haa  ûv  ïtiqoç  h^Qia  ànoXoyriaij  xiQta  ûvai.  Ta  yt  SCxaia^  ta  ji^XtiaTa' 
rà  de  |ti)),  rovvavjiov  ànayoçivit  jui]  xvgia  tlvai  '  êi  avzmv  Se  oot,  ràiv  vôfiiov  iyài  (paveçuiTiçov  nonjOta. 
Kttl  yàç  oiirto  /ne  Siaxé&uxaç  xcd  niQltpofiov^  ninoCr^xag,  fir]  ànôXia/xai  vnb  aov  xal  Trjg  Stiv6Ti}Tog  Tijg  afjg, 
ôiffTï  TO-ùç  Te  vàfiovg  ^tiâCeiv  xcd  fiekiTàv  vvxrct  xal  ■fifi^çav,  nàQCçya  t'  aXla  navra  Tioirjaà/uêvov. 

'O  fj,ïv  ToCvvv  elg  vôfiog  xtlt-iu  àxpevStlv  iv  rij  àyoçâ.  nqb  nâvTiav,  oî/uai,  naçavo/niTg  rrjv  ]AvTiyovav 
naçayyilXaiv  ■  av/uipevaâfisvog  Se  xal  èv  fiiari  Trj  àyoQÙ  awri^ûg  xaz'  ê/uov  èipivSov,  inil  iàv  S>]lixiarjg,<: 
TiQoemwV  èfioC,  Tovg  êçâvovg  xal  jovg  xçvarag  èv  ratg  aov  avvS-rixaig,  8aovg  nuQiTxH,  ovx'^  àviSixofirjv. 
'Eyé  aot  ciXX'  ôfioXoyài,  ai)  alXo  noiûg.  noàg  Si  roiavTu  'iziçog  vôfiog  xiXivei,  negl  ùiv  ôfioXoyovi'Teg  àXXjjXoig 
avfifiàXXovatv,  brav  rig  TtwXtj  àvSgcÎTroSov,  nooXiyitv  Iciv  t;  £/ ij  àrjôtoaTi]fia  ■  tl  Si  fiij,  ài'ayuiyfj  tovtov  karCi'. 
KaCrot,  Hnov  rà  nagà  tijg  tvx>]Ç  voai\aaTa,  clv  firjS'  ilSùg  ^  Tig  tiwXwv  oîxHtjV  âvâyitv  e^tari.,  nùig  rci  yi  nagà 
aov  àSixrf/xara  avaxevaa^évra  ovx  àvuStxziov  aoC  ianv;  àXXà  fiijv  rà  /J.iv  ànlXrjnrov  àvSgànoSov  ov  ngoaanoX- 
Xvtt  rov  ngiafiivov  rijv  ovalav.  à  Si  MCSag,  8v  ai  fioi  ànéSov,  xal  rtjv  rûiv  (pCXoiv  râiv  àfiûtv  ànoXwXexe. 

Zxéijjtti,  Se,  J)  'AS-rjvôyiveg,  fiî]  fiôvov  negl  ràv  olxéraiv,  éXXà  xal  nigl  rSiv  àXiv&égwv  aaifiârtov,  dv 
rgônov  ot  vo/u-oi  £xovai.v.  ola&a  yàg  Srjnov,  xal  aii  xal  êXXoi  nâvreç,  8rt  ol  àx  rùtv  èyyvrjrùiv  yvvaixùiv 
TtaTSeg,  olroi  yvr\aiol  tîaiv  '  àXXà  filjv  ovx  àji^/gijae  TÔi  vofio&érrj  rà  èyyvtjS-yjvac  rijV  yvvaTxa  vnb  rov  nargàg 
ij  rov  dSeXcpov,  dXX'  'éygaipe  Sta(ig-^SrjV  iv  zçi  vôfico  ■  fiv  clv  iyyvijOri  jtg  inl  Sixatoig  Sâftaçrct,  èx  ravr-i]ç 
naîSaç  yvijaiovg  tîvai.  xalf  Srjg  ovx  ■  iciv  rtg  ipivaàfisvog  riva  nagà  rà  SCxaia  àyyvïiaij.  àXXà  rare  rovg  rs 
naXSag  vàSovg  xal,  Sg  èyyvag  ijyyérjaev,  àxvçovg  nàaag^  ravrag  xaS-iarijaiv. 

"Ert  Si  xal  ô  i  negl  rùiv  Sia&ijxcav  vô/nog  naganXrjcnog  rovrotg  èarC  ■  xeXe'éti  yàgi  ê^eîvai  rà  êavrov 
SiarCS^ta^ai  ég  ëv  rig  povXijrai,  nXrjv  fj  yrigcag  ivexev  ))  vôaov  ^  fiaviSiv,  ^j  yvvaixl  neiS-ôfievov,  *|  imà  Seafiov 
ij  vnô  nvog  àvâyxrjg  xaraXrjcp^évxa.  "Onov  Si  ovSi  negl  rùiv  avrov  îSCaiv  al  lyyijai,  xal  at  SiaS-Tjxai  xvgicU 
elaiv,  nûig  'ASTjvoyévei  ye  xcd  negl  rmv  ifiùv  avv9ifiiv(a  roiavra  Set  xvgiu  eïvat;  xal  iàv  fiév  rtg  eîg  Siolxrjaiv 
rùiv  avrov  yvvaixï  nsiS-ôfievog  SiaS-rixag  ygàcpri,  àxvgot  eaovrai  •  et  S'  lyù  rrj  A&rivoyivovg  êraCgcc  lne(aS-i]v, 
ngoaanoXtoXévaii  fii^  SeT,  dg  exco  fià  &eovgl,  rfjv  ^oriS-etav  rijV  Iv  ri^  vôfica  yeygajUjnh'rjv,  civayxaa9elg  énà 
rovriav  rama  avvS-éa&ai; 

Eha  ai)  ratg  avvd-rjxaig  la/vg^Cn  ^^  iveSgevaavriç  fie,  ai)  xal  ^  kraCga  ij  aov,  iaijfnjraa&e,  xal  vnb 
zrjg  ifierigag  ^ovXe'iaecog  ■iifiâg  olôfievog  iniecxeîç  ûvcu  inl  ro'iroig  ngoaeSeSâfiijv  lineg  ij^^Afrf».  xcd  ovx  îxavôv 

(a)  Le  retard  de  tirage  qu'a  nécessité  pour  ce  numéro  de  la  Revue  la  remise  en  pages  me  permet  d'y  faire  quelques  changements, 
soit  proposés  par  M.  Diels  ou  M.  Blass,  soit  à  moi  personnels  :  ce  qui  indiqueront  les  initiales  (D  ou  B  on  R)  —  comme  d'ailleurs  la  com- 
paraison avec  le  grec  en  caractères  épigraphiques  et  le  postscriptum  publié  dans  le  numéro  précédent.  —  (b)  D.  —  (c)  D.  —  (d)  R.  — 
(e)  D.  —  (f)  D.  —  (g)  R.  —  (h)  D.  —  (i)  B.  —  (j)  D.  —  (k)  R.  Je  ne  crois  plus  entrevoir  ici  dans  des  traces  peu  distinctes  ov,  mais 
lié.  —  (1)  R,  après  la  lacune,  je  crois  voir  la  trace  d'un  a.  —  (m)  D. 


Eugène  Revillout. 


disant  à  qui  voulait  l'entendre  n'avoii-  pas  compris  Midas  dans  la  vente.  Puis,  quand  le  client 
d'Hypéride  serait  venu  prendi-e  possession  de  cet  esclave,  il  s'y  serait  opposé,  par  un  men- 
sono-e  digne  des  sycophantes  :  probablement  en  soutenant  que,  d'après  des  conventions  ver- 
bales, cet  esclave  devait  être  de  suite  mis  en  liberté  par  l'acheteur. 

Celui-ci  se  serait  rebitië  devant  une  prétention  pareille,  le  dépouillant  après  coup  d'un 
de  ces  trois  esclaves  qu'on  avait  tenu  à  lui  vendre  et  dont  il  avait  versé  le  prix  :  il  aurait 
invoqué  les  actes,  ces  mêmes  actes  en  vertu  desquels  on  comptait  lui  extorquer  encore  cinq 
talents.  Or,  c'était  là  précisément  à  quoi  avait  voulu  le  conduire  Athénogène. 

En  effet,  invoquer  ces  actes,  c'était  un  peu  se  donner  l'air  d'en  être  l'auteur  principal, 
particulièrement  en  ce  qui  touchait  l'esclave  Midas  qu'Athéuogène  disait  n'avoir  pas  voulu 
vendre.  Les  souvenirs  des  témoins  pouvaient  facilement  confondre  une  époque  avec  une 
autre  :  celle  qui  avait  précédé  la  confection  des  actes  avec  celle  qui  l'avait  suivie.  Or,  l'in- 
térêt de  chacun  était  tout  différent  avant  qu'après.  Avant,  si  le  client  d'Hypéride  eût  obtenu 

aoi  iâoxet  T«î  TiTTccçâxovia  fivâç  iîXrjtpévai  iiTièo  jov  fivQonuiXtCov,"-  àlXà  xcû  nivn  ràXavra  ifiovXov  avXrj- 
S^îjvaC  fie  tiiajtiQ  vtio/bIqiôv  Tiv'ti  èv  noâoaTQâ^it  iniiXtj/u.uh'ov.'^ 

'AXX'  ïaioç  ègiT  xcd  nçbg  vfiûç  ihg  ovx  ijSvvuxo,  Si'  iniùXti,  tôt'  tiSévai,  zà  nigl  MCSav  àSriXmg  avvrjvix- 
S^ivra  i}  ctvzû)  SavtiaS-évza.  'AXX'  6>yt'l  movâi]  ovSifiCa  eîg  zà  iv  àyoQÛ,  àzQifia  <}!]  iyù)  iv  zçialv  firjalv 
Unavza  zà  XS^"  ""^  ''°*f  ègâvovg  énvd-OfiTjv  •  ovzog  iSè  ô  éx  zQiyivCag  iàv  /j.vQonmXTjg,  xaS-ijfievog  â"  iv  zfj 
àyoçâ  baat'  fjfiéçai,  zqCa  fièv  fivgoTtéXia  xexzijfiévog,  Xâyovg  âè  xazà  (jL^va  Xa/ujicivwv,  ovx  tjSti,  zà  XÇ^"!  "^^' 
êv  uiv  zoTg  iiXXoig  ovx  lâiwzjjg  iaztv,  ngàg  âè  zàv  olx^zrjv  aiizbg  iyyvrjzijg  èyévezo  "  xa(  ztva  /uèv  zàv  ;|fp^<«r, 
ùg  eoixiv,  îj<fft  ■  zdâe  (pr]a\v  ovx  tîSévca,  Saa  /nrj  jSovXczat:  '0  (fâ  zoiovzog  avzov  Xàyog,  ûi  Svâçeg  SixaazaC, 
oiix  ânoXoyCa  êaziv,  dXX'  ôfXoXôyrjfia,  iSig  ovâ'  tiSôzog  zt  vyiîg  àvriçelv.  "Ozctv  yàg  (prj  fii)  tlâévai.  tiz'  èntbXit, 
zà  àœttXôfisva,  ovx  'éaziv  avzcp  Si]nov  S/xaf  tlntïv  ég  nçotîné  /xoi  nigl  zwv  /géiuv.  '!Art€g  ovx  ijxovacc  nagà 
zov  TiaiXovvzog,  zavzcc  ov  Sixaiogg  tî/j.C  SiaXiiiv. 

"Ozi  filv  oîiv  i^Siig,  (à  l:î&j]voyii'sg,  6(ftCXovza  MCSav  noXXà  xcd  fityàXa,  olaat  nùaiv  ih'cti  dijXàzazov 
SX  Z£  zù>v  HXXwv  xal  àx  zov  aiztïv  zà  XQ^"-^  'éaea&a(  fiov  èyyvrj  zcv  '  intxtiv  fitXXovzogJ  Tigàg  zà  XQ^" 
6vza  txavàv  fivgov.  TCg  ae  oïtzai  àXrj»ivâv;  ov  fièv  âij  êyio  ■  àXXà  àfiôde  jiovXofiai  zù>  Xôyio  ziâ  aov  zovzo} 
iX9nv.  'Hg  o7'V  ei^&yjg,  xal  ovx  tïSévai  zà  noXXà  zôiv  xQ^<»v  âvvcifiivog  ■  xal  zù  zoiovzw  uizha  è\pivSàXoytg 
Tovzovl  zàv  zgonov  ■  sazai  zavza.  ai)  fth,  âià  zà  firj  tiS^vcu,  fiij  ngoûnag  Ifiol  nâvza  zà  x$^"  '  iy">  '^^, 
ô'ctc!  cov  ijxovaa,  zavza  fxôvov  olà/usvog  iïvai,  zaîg  avv&i'jxaig  êS-éfirjv.  Hozigog  Sîxaiàg  iaztv  ixztXaai;  à  vaztgog 
ngiâfiivog;  i]  ô  naXai  xixzri/j,évog,  Sg  iâciviCUio;  'Eyù  fièv  yàg  oio/uai  ai  ■  tt  tff  àg'  cirTiXéyofj,iv^  nigl  zovzov, 
âuuzrjziîg  ri/jÂv  yeviad-ia  ô  v6,uog,  Sv  ovx  °'  igàvzig  ovS'  ol  iniiiovXtvovztg  zoîg  âXXozgCoig  e^iaav,  àXX  à 
ârifioztxdzazog  ZôXwv,  8f,  ilâùig  Szi  noXXal  ifinoXall  noiovvzai  iv  z^  noXû,  'é&rjxe  vôfiov  âîxaiov,  ég  nagà 
nàvztav  ôfioXoyiTzat  •  zàg  Çijuiag,  Sg  âv»  igyâavovzai  oî  oixizai  xal  zà  àvaXii/naza  âcaXveiv  zàv  ^tariôzrjv, 
nag'  (5  âv  igyâawvzai  ol  oixézai.  Elxotmg  '  xal  yàg  xàv  zt  «  àya&àv  ngà^ij  fj  igyaaCav  ivgàovaav  SovXog,  zov 
xixxr]fiivov  aizàv  yCyvtzai  ■  av°  yeP  zàv  vàfiov  d(pelg  negl  avvS-rjxuiv  inijiovXtvojxéviav  âiaXéytj  ■  xal  Sfimg  zlg 
oîv  àvd-gtântav,  8  SixaCag  'îyga\ptv  ^l'jcpiafia  avzàg  ô  ZoXmv,  ovx  oïtzai  Sttv  xvgiùizegov  tivai  Jj  zoiavzag 
àSCxovg  avvS-i'jxag  àXXozgCag  ovaagi  zSiV  vôfiiav  xal  nâvzoïv  z&v  SixaCuiv; 

'AXX'  àg\  atzHz'  in  ùzgixtCag  /xa^ûv,  zoTg  i.rjgoig  ov  avinjSet,  olg  'éXiytv;  màg  ovx  cizonog  Sâe  à  Xoyog; 
ïtpri  yàg  iS-éXsiv  /liv  i^  àgxrjg  zà  ôcpiiXàficva  âaigiàv  zà  nagà  MCSov  Sioixiïv  ■  zàv  ai  MCdav  xiXivuv  /ue 
iàv  aizSi,  xal  fii]  obvtTa&ai,  ■  ijuk  Se  ovx  i^iXnv  ■  àXXà  fioiiXsa&ai  n&vzag  ng(aa&ai,  xal  zavza  ■  xal  ngàg 
■bfiag  ttvzàv,  cpaaiv,  fiéXXii  Xéyuv,  ïvd  Srj  SoyoCrj  fiizgiog  ûvai  ■  wanig  ngàg  ijXi&iovg  zivàg  SiaXi^ô/xevog  xal 
ovx  aiaS^aofiévovg  zijv  zovrov  àvaiSCav.  Ta  Si  yivàfiavov  Siî  ifiâg  ùxovaai  ■  ipavrfltzai  yàg  àxôXov9ov  Sv 
zrj  àXXrj  avzov''  zùiv  inipovXSiv.  Tàv  fiiv  yàg  nalâa,  bvmg  xal'  àgziwg  ilnov,  ïnifi\pé  fioi  Xiyovza  bzi  ovx 
wviogt  âv  tïri  •  ïva  ïaing  ijydfiai  avzov  zov  naziga  tJvai  rdrcF'  aiiiôv  •  Jj'tfjj  cf  f^oîi  é/xoXoyijxozog  zùiv  naiS&v 
xaza9i]auv  zgmv  ôfiov  SXov  zà  àgyvgtov,  ngoatXd-ùv  à  'A&r,voyivr]g  ngàg  zovg  noXXovg  zàv  (pCXiav  zùiv 
ifiibv,  inijiovXivi  zov  àgyvgCov  intxgâzrjg  ngây/xaza  êx^iv.  Kal  yàg  ifiol  Xa^ovzi  zàv  naïSa  àn^vzTjOe,  (fàç 
jLi  àifiîvai.  Toittvzijv"  fiiv  avxo(pavzCav  àvaurxvvzwg  inoitïzo  •  zm  Si  Xoin&  îjSr]^  zovzov  xal^  àâixr]- 
ftâziiiv  xal  yjivâoXoyiàiv  ■icpâafiaziy  inCazivaa,  ég  tlnov  •  àXX"  av  vvv  oix  vnti^a.  zàv  fièv  naïSa  di&ovat,  ov 
zijv  zifiTiv  iSiSioxiiv,  ovx  ij^iXov. 

(a)  D.  -  (b)  K.  —  (c)  K.  -  (d)  D.  —  (e)  B.  D.  -  (f)  B.  -  (g)  B.  D.  -  (11)  R.  -  (i)  K.  -  (j)  E.  -  (k)  E.  -  (1)  î  -  (m)  B. 
-  (n)  D.  -  (0)  B.  D.  -  (p)  K.  -  (q)  D.  -  (r)  E.  -  (s)  E.  -  (t)  E.  -  (u)  E.  -  (v)  E.  -  (x)  E.  -  (y)  D. 


Une  importante  découverte. 


qu'Athénogène  gardât  Midas,  la  question  du  transfert  des  dettes  n'aurait  pas  même  eu  à  être 
posée.  Les  dettes  seraient  restées  au  maître,  soit  qu'en  enlevant  à  l'esclave  qui  les  avait 
contractées  son  pécule,  pour  disposer  de  la  boutique  et  des  garçons  au  profit  d'un  tiers,  il 
le  conservât  en  propriété,  —  sauf  à  le  louer  comme  gérant  — ,  soit  qu'il  l'affranchît.  Après,  au 
contraire,  la  vente  de  Midas  et  de  tout  le  reste,  actif  ou  passif,  à  titre  de  pécule  de  Midas, 
l'acheteur  qui  avait  accepté  cet  acte  aurait  eu  beau  déclarer  libre,  à  la  minute  même,  l'esclave 
auquel  avait  été  rattaché  le  pécule,  il  ne  se  serait  pas  pour  autant  libéré  de  ses  obligations. 
Dans  un  pays  où  les  dettes  de  l'esclave  n'étaient  pas  seulement  dettes  de  son  pécule,  mais 
dettes  de  son  maître,  l'affranchissement,  avec  ou  sans  retrait  de  ce  pécule,  ne  pouvait  rien 
changer  aux  droits  des  créanciers.  Il  s'agissait  même  de  savoir,  nous  l'avons  vu  précédem- 
ment, si,  dans  ces  conditions,  le  transfert  des  dettes  de  l'esclave  par  sa  vente  avec  son 
pécule,  actif  et  passif,  était  licite. 

Il  est  vrai  que  parmi  les  dettes,  il  y  en  avait  d'une  nature  toute  particulière  :  les  con- 
tributions amicales,  les  è'pava.  Quand  telle  ou  telle  somme  avait  été  jugée  nécessaire  pour  les 
besoins  de  son  commerce,  Midas  se  l'était  fait  avancer  par  des  amis,  des  connaissances,  des 
habitués  de  la  maison,  qui,  en  certain  nombre,  s'étaient  entendus  à  cette  occasion  pour  en 
verser  chacun  sa  quote-part  remboursable.  Ces  hommes  avaient  surtout  en  vue  la  prospérité 
du  fonds  de  commerce  en  question,  et  l'actif  en  était  pour  aiusi  dire  leur  gage,  en  quelque 
main  que  passât  la  boutique.  Mais  pour  ce  qui  dépassait  cet  actif,  leurs  créances,  aussi  bien 
que  les  autres,  se  seraient  trouvé  vaines,  si  une  loi  de  Solon  n'avait  pas  établi  que  le  maître 
était  engagé  pour  le  tout  par  les  actes  commerciaux  de  son  esclave,  non  moins  que  s'il  eût 
contracté  en  personne.  Ce  qu'Athénogène  avait  voulu  transmettre  dans  cette  vente,  ce  n'étaient 
donc  pas  simplement  des  dettes  reposant  sur  le  pécule  :  c'étaient  des  dettes  à  lui  person- 
nelles, Hypéride  l'a  clairement  montré.  Et  la  cession  des  dettes  personnelles  était  contrau-e 
au  droit  d'Athènes,  comme  à  l'équité  naturelle. 

Mais  quelle  que  fut  la  solution  qu'on  adoptât  pour  cette  question  de  droit,  il  était  clair 
que  si  l'acheteur  se  fût  laissé  forcer  la  main  par  Athénogène  pour  reconnaître  la  liberté  de 
Midas  une  fois  le  marché  conclu  et  le  prix  payé,  il  aurait  perdu  définitivement  —  puisqu'il 
Athènes  l'affranchissement  n'exigeait  aucune  formalité  —  ses  droits  de  maîtrise  sur  cet  homme, 
sans  aucune  espèce  de  compensation.  C'est-là  un  point  facile  à  saisu-,  d'après  les  données  de 
la  cause,  malgré  toutes  les  mutilations  qu'a  subies  le  texte  que  nous  suivons. 

Reste  à  savoir  quelles  péripéties  le  plaideur  avait  à  raconter  relativement  à  cette  nou- 
velle déloyauté  de  son  adversaire. 

La  colonne  11  est  la  dernière  du  morceau  le  moins  abîmé  de  notre  papyrus.  C'est  au 
bout  de  cette  colonne  que,  dans  l'antiquité,  un  Égyptien  a  coupé  ce  papyrus,  en  détachant 
à  peu  près  les  deux  tiers  pour  écrire  par  derrière  ses  comptes  en  démotique.  Après  cette 
section,  la  colonne  12  '  se  trouvait  donc  à  l'extrémité  de  ce  carnet  improvisé  qu'il  portait  sur 

'  Voici  tout  ce  qui  reste  de  cette  colonne  12  : 

Cette  bande  ne  porte  que  les  dernières  lettres  des  douze  premières  lignes  : 

Col.  12,  1.  1 (TEXNHN  E 

AUKEN 

AE  TOi^Y  .  .  .) 


10  Eugène  Revillout. 


Ini;  et  l'usure  n'en  a  plus  laissé  que,  vers  le  haut,  une  bande  très  étroite.  Dans  ce  qui  reste 
de  la  colonne  13,  '  elle-même  détruite  en  très  grande  partie,  nous  voyons  qu'il  s'agit  encore 
des  difficultés  soulevées  par  Athénogène  à  propos  de  l'esclave  Midas.  L'histoire  de  cet  inci- 
dent, toute  cette  nouvelle  narration,  si  habilement  isolée  de  la  première,  occupait  donc  à 
peu  près  trois  colonnes.  jMais  on  ne  peut  se  faire  à' son  sujet  que  des  conjectures  très  risquées. 
On  sent  d'instinct  qu'un  grand  artiste,  revêtant  suivant  la  coutume  la  personnalité  com- 
plète du  plaideur,  surmontait  là  des  difficultés  qui  auraient  pu  arrêter  tout  autre  et  en  arri- 
vait à  fake  regarder  comme  suite  naturelle  et  voulue  des  manœuvi-es  les  plus  pertides  de 
son  adversaire  ce  qui  dans  sa  conduite  eût  pu  d'abord  jiaraître  confirmer  le  mieux  les  asser- 

nOTEPA 

5 ME  THC  Cl  Y) 

nEMHEl 

MOIC  Eni 

Al  YtAAC  Ail) 

EN  AN  El 

10 (A;eHNAI 

.  TW 

'  Cette  colonue  a  perdu  toutes  les  dernières  lignes.  Les  seules  qui  restent,  les  premières,  sont  toutes 
interrompues  vers  le  commencement  par  une  lacune  assez  large  et,  pour  la  plupart  en  présentent  une 
seconde,  moindre,  vers  la  fin.  On  voit  encore  avec  certitude  qu'il  s'agit  de  l'incident  soulevé  à  propos  de 
l'esclave  Midas  par  Athénogène.  Mais  en  dehors  de  cela  tout  est  douteux. 

Le  commencement  de  la  phrase  terminée  à  la  seconde  ligne  se  trouvait  évidemment  au  bas  de  la 
colonne  précédente.  Le  tlient  d'Hypéride,  à  ce  que  j'imagine,  y  reprochait  à  Athénogène  de  prétendi-e  lui 
foire  endosser  toutes  les  dettes,  supporter  toutes  les  charges  de  ce  contrat  qui  avait  été  un  piège,  et  de 
prétendre  garder  les  fruits  de  sa  fourberie.  Les  contradictions  de  la  conduite  de  ce  vendeur  qui  ne  voulait 
pas  reprendre  ce  qu'il  disait  avoir  cédé  avec  tant  de  peine,  qui  avait  raconté  de  la  manière  la  plus  diflfé- 
rente,  suivant  les  époques,  les  circonstances  et  la  portée  de  cette  vente,  qui  avait  voulu  faire  déclarer 
libre  un  esclave  acheté  à  beau.\  deniers  comptant,  et  dont  il  avait  touché  le  prix,  étaient  relevées,  à  ce 
qu'il  me  semble,  dans  les  lignes  suivantes.  Je  m'arrête-h'i  dans  des  conjectures  et  des  tentatives  de  resti- 
tution que  l'état  de  détérioration  du  papynis  rend  très  hypothétiques. 

iTA  MEN  0<DEIAOMENA  AHEP  AYTOC  ECCOPEYCEN) 

Col.  13,  1.  1  ENEi  APEYCAC  H  ANTA  EMOI  EINAI  TA  AE  THC  A 

nAJiHG  KEPAH  A  YTCJI  KAI  TON  MEN  MIAAN   ON 

~nÔÀ    ?! 2AI  ON  AKUN  OHCIN  AROAYCA! 

TOYiTONi lEIN  TOYAE  HAIA  .   .  .   TOTE 

5  nPOIK(Ai AIAONAI   NYN  AYT  ....  (A)ABEIN 

A  .  .  .  YP UN  THC  .  .  .  lAC  OYX  tOClTE  EMON 

E THI  YHOOJI  EAEYGE 

PON  A<J) (ErurE  ME  NTOI   OYK  AZIUI 

"TfOC MtOGENAI  YH  AGH 

10  NOrEN  OYC)  ....  AIAN  MEN   TAP)  AEINO  N  CY  MBAI 

NOI    AN  10  ANAPEC  AIKAC  TAI  El  M OC 

lOYAE)   N  HMAPTO  .   .   .  .  A  .   .  . 

.   .   .   lA  AE  K OY 

KHKEN   E 

15 (A)AIKHCA 

(TilMHMATI  A  .   .   .   . 

TAI  no  A  IT 

NOC  EPCJ  OT 


Une  importante  découverte. 


11 


lions  de  celui-ci,  base  de  son  système  de  défense.  Le  moment  était  venu  de  montrer  ce 
qu'il  fallait  penser  de  cet  homme;  quelle  foi  on  pouvait  avoir  en  lui;  ce  qu'il  était  :  dans  la 
vie  publique  aussi  bien  que  dans  la  vie  privée. 

Progressivement  le  ton  devient  plus  aggressif  contre  Athénogèue.  II  n'est  plus  seulement 
attaqué  comme  contractant,  mais  comme  Athénien  ne  respectant  pas  les  lois  d'Athènes  et  les 
devoirs  du  patriotisme,  et  bientôt  comme  homme  politique  ayant  joué  un  rôle  abominable  à 
l'étranger. 

Qu'avait-il  fait  durant  la  guerre  qui  avait  mis  la  patrie  à  deux  doigts  de  sa  perte? 

«Dans  la  guerre  contre  Philippe »i  —  s'écrie  l'orateur,  —  «peu  avant  la  bataille,  il  quitta 
»  la  ville  :  et  ce  n'était  pas  pour  prendre  les  armes  avec  vous  et  pour  marcher  vers  Chéronée  : 
»  non  !  il  émigrait  à  Trézène.  11  émigrait,  méprisant  la  loi  qui  ordonne  de  mettre  la  main  sur 
»tout  homme  émigraut  au  milieu  d'une  guerre,  s'il  revient  jamais  dans  la  ville  .... 

•  Nous  n'avons  tenté  la  restitution  que  de  quelques-unes  des  lignes  de  cette  colonne.  Pour  les  autres 
nous  donnons  en  place  les  lettres  restantes  : 

(01  nPOGY) 

Col.  u,  1.  1  (M)UTATOI  TCJN  METOIKCON  AOiIKONTO  ERI  TO  MA) 
(X)ECeAl''EN  AE  TUI  nOAEMUl  TUI  nP(0)C   (TON)  <t>\ 

(Ai)nnoN  MiKPON  npo  thc  maxhc  AnE(A)inE  (t)hn 

n(0)AIN   KAI  MEG  YMUN  MEN   OY  CYNECTPATEY 
5  C(AT)0  EIC  XAIPUNEIA(N)  EZCOIKHCE  AE  EIC  (TPOl) 
ZHNA  RAPA  TON   NO(M)ON  OC  KEAEYEI   ENA(EI2IN) 
EI(NA)I  KAI  AHArUrHiN)  TOY  EZOIKHCANTOC  (EN) 
TUI  iniOAEMGJI  EAN  HiA^AIN  EAGHI  KAI  TA(YTA  EHOI) 
El  (TH)N  MEN  EKEINGJ(N)  OOAIN  CJC  EOI(KE  AOYAU) 

10  GE(Ce)AI  YnOAAMBiANCJiN  THC   AE   HME(TEPAC   AOEI) 
NA(I  TH  N  KATArNU(CIN)   KAI  TAC  GYfAiTHPAC  EKEI) 
H(r)rYA»  YMIN  OYAE(N   EIN)AI  EKGPEYAd  NOMIZCON) 
(AYTAC)   E2EAUKiE)N  A(AAO!CE  HAAIN  H(AGEN  AEI) 
(T  AYTA)  EPrACOMEiNOC  En)EI  EIPHNH  TE^rONEN) 

15  T(AXICT)A  TAP  YMilN  HOTE  HlACIN  01  XPHC(IMOI  AY) 
(TCÛI  OjYTOI  nO(AEMIOI  ENi  THI  EIPHNHI  HEnOI) 
(HNTAI  ICT)E  nOJC  iHCAN)  EN  TOIG  KINAiYNOIC  01) 
(TPOIZHNIOI  YMIN  OTEi  MEN  E|N)  nAATAilAlC  EMA) 
(XONTO  OY  TCÛN  YMETEPWN  AKHiAHCANTEC  0(TE  A  E) 

20  (Tl  EBOHTOYN  AAA  EHI  THC  AGH  iNOr(HNOY)C  HiOAl) 

(TEIAG) XEIN  .....   NU) 

TO YQ  .  .   . 


(a)  Dans  ce  premie 
Hypéride  devait  rappeler  sa 
des  patriotes  contre  le  gou 
combattre  côte  à  côte  avec 
lui  aussi,  un  métèque  atbéi 
générations  y  possédait  des 


membre  de  phrase,  pour  faire  contraste  avec  la  conduite  d'Athénogène  durant  la  guerre  contre  Philippe, 
s  doute  les  services  de  ces  métèques  qui,  —  comme  autrefois  l'orateur  Lysias  et  tant  d'autres  dans  la  guerre 
ernement  établi  à  Athènes  par  les  Spartiates,  —  étaient  venus  demander  et  avaient  obtenu  l'honneur  de 
is  citoyens.  Une  question  qui  est  restée  encore  douteuse  pour  moi  est  celle  de  savoir  si  Athénogène  était, 
en  de  naissance,  —  né  dans  une  famille  établie  à  Athènes,  sans  avoir  le  droit  de  cité,  et  qui  depuis  trois 
parfumeries,  —  ou  si  c'était  vraiment  un  Athénien  de  race,   appartenant  à  la  population   autochthone.     Du 


temps  de  la  seconde  hégémonie  les  différences  auraient  été  fondamentales.  Elles  étaient  devenues  moins  importantes  après  la  suite  de 
décrets  rendus  lors  de  la  guerre  contre  Philippe  sous  l'inspiration  d'Hypéride  et  qui,  —  traitant  comme  Athéniens  tous  ceux  qui  étaient 
nés  à  Athènes,  les  appelant  tous  sous  les  armes  contre  un  ennemi  victoriens  déjà,  menaçant  également  de  la  peine  des  traîti'es  tous 
ceux  d'entre  eux  qui  émigreraient  pendant  que  la  patrie  était  en  danger,  —  avaient  conféré  le  droit  de  cité  à  ceux  qui  ne  l'avaient  pas 
encore  et  qui  remplissaient  leur  devoir  envers  la  ville  natale. 

(b)  D'après  Hérodote  {IX,  28)  à  la  bataille  de  Platée,  sur  38,700  grecs  pesamment  armés,  il  y  avait  huit  mille  Athéniens,  mille 
Trézénois,  etc. 

2» 


12  Eugène  Reyillout. 


'Ev    âè    TÔJ    TToléf-lO)    TÛI    7TQÔÇ     OiXlTtTTOV,    /.IfKQàv    TTQO    TTjÇ    juâ/J^Ç,     ànÉXiTte    TrjV     TTÔXlV    x.al 

usd-'  vf.iwv  f.ùv  ov  avvearqaTevaaTO  eiç  XatQÛvstav  è^û-xr^ae  ôè  eig  TqoiÇrjVtt,  naqù  rov  voftov, 
8g  y(slevei  svôsi^iv  alvai  y.ai  ànayMyi]v  tov  è^or/.rjac'oTog  èv  tco  TroXéiiO),  èàv  nâXiv  l'Xd-jj. 

La  loi  que  cite  ici  Hypéride  nous  est  bien  connue.  C'est  un  de  ces  décrets  rendus 
par  le  peuple  lors  de  la  guerre  contre  Phili]ipe  pour  concentrer  toutes  les  forces  de  la  nation 
dans  cette  lutte  héroïque  et  sublime.  D'après  cette  loi  de  salut  public,  ceux  qui  abandon- 
naient la  patrie  en  danger  encouraient  les  peines  de  la  trahison  :  le  peuple  les  jugeait  dignes 
du  dernier  supplice.  ^ 

Durant  la  guerre,  ces  principes  furent  appliqués  sans  hésitation  par  raréopage,^  qui  fit 
notamment  mettre  à  mort,  dans  la  journée  même,  un  homme  an-êté  pendant  qu'il  tâchait  de 
gagner  en  barque  Samos.  ^  Sept  ans  plus  tard,  ils  furent  encore  la  base  du  procès  criminel 
intenté  et  plaidé  par  l'orateur  Lycurgue  contre  Léocrate.  Léocrate  avait  bien  moins  fait 
qu'Athénogène.  Il  avait  eu  peur  après  la  défaite  et,  sous  prétexte  de  commerce,  il  s'était 
réfugié  à  Rhodes.  Et  cependant,  ayant  émigré  en  pleine  guerre,  à  son  retour  il  était  signalé 
et  poursuivi  comme  traître.  Le  pati-iote  Lycurgue,  celui  qui  réorganisa  la  marine  d'Athènes, 
un  des  orateurs,  avec  Hypéride,  avec  Démosthène,  que  les  Athéniens  refusèrent  de  livrer  en 
tant  qu'ennemis  de  la  Macédoine  à  Alexandre  victorieux,  ce  patriote,  dis-je,  demandait  la 
tête  de  l'émigré. 

Il  s'en  fallut  d'un  rien  qu'il  l'obtint.  Les  jurés,  qui  votaient  au  nombre  de  plusieurs 
centaines,  se  partagèrent  de  telle  sorte  que  l'inculpé  eut  le  bénéfice  de  ce  partage.  Eschine 
nous  l'apprend  dans  son  discours  sur  la  couronne,  ^  prononcé  peu  de  temps  après. 

Hypéride,  le  patriote  par  excellence,  sans  défaillance  et  sans  reproche,  l'auteur  de  la 
loi  qui,  à  la  première  nouvelle  de  la  défaite  de  Chéronée,  dans  ces  conditions  désespérées 
organisant  la  résistance,  utilisant  jusques  aux  femmes  pour  la  réparation  des  remparts,  appelait 
aux  armes  indistinctement  —  à  côté  des  vieux  citoyens  qui  s'armaient  oubliant  leur  âge  —  tout 
ce  qui  restait  d'hommes  valides,  les  étrangers  domiciliés  —  les  Métèques  —  parmi  les  esclaves 
ceux  qui  étaient  nés  dans  la  ville,  et  de  ces  défenseurs  de  la  patrie  faisait  aussitôt  des 
citoyens  :  Hypéride,  qui  sentait  venir  cette  lutte  suprême  dans  laquelle  le  culte  de  la  patrie 
devait  ti'ouver  en  lui  un  grand  apôtre  et  un  grand  martyr,  ne  pouvait  pas  ne  pas  déplorer 
lexcessive  bonhomie  de  ceux  qui,  endormis  dans  l'idée  du  paix,  négligeaient  alors  de  punir 
des  déserteurs,  traîtres  ou  lâches,  sans  excuse  possible  à  ses  yeux. 

Mais  son  client  actuel,  campagnard  devenu  possesseur  d'une  parfumerie,  ne  poursuivait 
pas  Athénogène  au  criminel  :  et  le  débat  ne  portait  pas  sur  la  clémence  ou  l'application  sans 
miséricorde  de  la  loi  pénale.  C'est  donc  en  se  plaçant  à  un  point  de  vue  purement  contractuel 
qu'il  accuse  cet  homme  d'avoir  violé  les  conventions  pubhques,  les  lois  de  l'état,  le  pacte 

^  "Eti  û£  Ô  ôf]|J.o;,  ôîivôv  r,Y7]aa|jL=vo;  £Ïvai  -'o  yivo'jjiEvov,  IJ/Tjcpiaaxo  ivo^ouç  sivai  T^  TCpoôoaia  tgÙ;  {pîûyovraç  xov 
ûitèp  T^ç  TtatpîSo;  -/.(vSuvov,   àÇiouç  EÏvai  vopiîÇwv  -rfj;  lojfctTriç  Ti|Jitop(a5  (Esch.   /.atà  KT7]a.   -^52). 

'  'H  jjisv  yàp  ^v  'ApEÎto  îtctyii)  BouXi^  ....  toÙ;  tpuyo'vTa;  -rijv  jt«Tpi8«  xal  lyxataXiTOVTa;  toxz  iol;  jtoXsaioiç  Xa- 
Poïïsa  àjtlxTôiv;  (Lysiag.  /.airà  Aetox.  p.  52). 

'  'EyivîTo  Tiç  (â)(6ojJLai  ôi  TCoXXâi'.is  |j:E[j.vr)|j.£vo;  rà;  àtuj^iaç  x^ç  koXeu;)  ivTaûO'  iirip  iSkÛtt);,  o;  IziiXeiv  e!;  Scïjjlov 
CTij^EipT^aa;  m;  TCpoSd-n;ç  tqi  ^totrpîooç  aÙTTjjiEpôv  6to  tt);  iÇ  'ApEÎou  KifO'j  (îouX^;  Bavocto)  i^jutôS/)  (Esch.  zaxi  Ktrjo.  252). 

■*  "Eiîpo;  ô^  E/.TîXE'jcyaç  îotwTTjÇ  Etç  'Poûov,  OTL  TOV  cpdpov  àvavôpojç  ëv£Y/.£,  xpu)7]V  :ro'U£  EtaTjYYÉXOT]  /.ott  ïaat  al  J/^cpot 
aÙTù  ÈyÉvovco  •  £t  Se  [i(a  [lo'vov  [jiETEnEaEv,  ÔTtEpûpia-'  Sv  î]  otJtÉOavEv  (Esch.  xaxi  Knjo.  252). 


Une  importante  découverte.  13 

social/  comme  il  violait  l'équité  dans  ses  conventions  particulières,  aux  termes  desquelles  il 
s'attachait  :  ^ 

'  L'expression  /.oivil  o-jvO^zai,  par  laquelle  Hypéride  désigne  ici  les  lois,  paraît  empruntée  au  célèbre 
premier  discours  de  Démosthène  contre  Aristogiton  (Démosth.  /.a-'  'ApisToy.  16,  éd.  Blass,  t.  2,  p.  286).  Dans 
ce  discours,  souvent  cité  par  les  anciens  et  par  les  modernes,  Démosthène  développe  l'idée  d'un  pacte 
social,  d'un  contrat  social  xoivrj  auv6/îy.)).  Comparant  un  état  réglé  à  une  association  dans  laquelle  chacun 
fait  son  apport  pour  l'intérêt  commun  et  mettant  en  regard  les  barbares,  qui  n'ont  pas  de  conventions 
communes,  avec  les  peuples  civilisés,  où  ces  conventions  sont  les  lois,  il  accuse  l'agitatexir  écouté  de  la 
foule,  Aristogiton,  d'en  venir  à  déchirer  le  contrat  social  par  sa  désobéissance  aux  lois. 

2  Cette  colonne  est  la  15"  de  notre  papyrus.  Elle  avait  été  dispersée  en  de  nombreux  fragments 
mêlés  avec  les  autres,  et  que  nous  avons  eu  le  bonheur  de  pouvoir  replacer,  ce  qui  la  constitue  beaucoup 
plus  intacte  que  les  précédentes.  Nous  en  dirons  autant  de  la  partie  historique  de  la  14'  colonne  et  des  lignes 
de  la  16°  que  nous  donnons  plus  loin  dans  les  derniers  extraits.  Nous  devons  faire  remarquer  à  ce  sujet  que 
près  de  moitié  de  la  longueur  du  papyrus,  la  dernière,  est  dans  l'état  actuel,  comme  reconstruction,  œuvre 
notre;  car  tous  les  fragments  s'en  trouvaient  mêlés.  Nous  avons  aussi  intercalé  quelques  fragments  man- 
quant dans  les  premières  colonnes. 

Voici  le  fragment  en  question  formant  le  haut  de  la  colonne  1.5. 
Col.  15,  1.  1  KOINA(C)  THC  nOAECJC  CYNGHKAC  RAPABAC 
TAIC  lAlAlC  nPOC  EAAE  ICXYPIZETAI  CJCHEP  AN 
TINA  nEICGENTA  WC  O   TU)N   RPOC  YMAC  AIKA 
(l)CJN   KATAOPONHCAC  OYTOC  AN  TWN  HPOC  E 
5  (M)   E<t>PONTIZEN  OC  OYTUI  nONHPOC  ECTI 
KAI  HANTAXOY  OMOIOC  UJCTE  KAI  EIC  TPOIZH 
(NA  EAGCJN  KAI  nOIHCAMENGJN  AYTON  TPOÏ 
(Z)HNICJN  nOAITHN  YnOnECUJN  MNHCIAN 
(TOiN  APrEION   KAI  YR  EKEINOY  KATACiTAiGEIC 
10  (APXLJ  N  EZEBAAEN  TOYC  nOAEITAC   EK  THC 
(nOAE)COC  CJC  YMIN  AYTOI  MAPTYPHCOYCIN 
(EN  GAAE  TAP  <t>EYrOYCiN   KAI  YMEIC  MEN  CJ  AN 
APiECi  AiliKACTAI   EKHlEiCONTAC  AYTOYC    YiREAE 
(2AC)GE  KAI  nOAITAC   EnOIHCACGE  KAI  TU)N  Y 
15  METEPWN  ArAGGON  (niANTiCJN  METEAOTE  A 
nOMNHMONEYCANTEC  THN  EYEPfEC  I  AN 
(TH)N  nPOC  TON  BAPBAPON  Al   ETCJN   RAEdO  NCJfN) 
(RiENTHKONTA  K  AI  i  EKATON   KAI  OlOMiENOI 
(AEINi  TOYC  EN  TOIC  KINAYNOIC  YMIN  X(P)HCIMOYC 
20  (rENO)MENOYC   TOYTO(Y  C  ATYXON(TAC  XAPIC 

(GHNAI)  Y*  YMION  OYTOC  AE  O  MIAPOG 

Voici  maintenant  nos  essais  actuels  de  restitution  pour  la  fin  de  la  ligne  21  et  les  lignes  suivantes  : 

21 OYTOC  AE  O  MIAPOC  (HAHi  A<1>EIC 

(YMAC  KAI  EiKEl  EfrPA*  GEI  iC  OYTE  THC  HOA  I  TEIAC 
iXAPIN  EXU)N  TOiYC  THC  nOAECOC   OYAEN  RE 
(nOIHKEN  AfAGiON  AAA  lOYT-CJC  OMCJC  TOYC  THC 
25  (nOAEOJC  Y<t>  EAjYTON   i  EROI  iHCATO  (JCTE  i  RAN  iTA 

(AEI  EYE<t)ICAN)TO  EN  THI   EKKAHCIAI 

KATA  TOY 

La  28"  ligne  de  la  colonne  15  a  complètement  disparu  et  ce  n'est  qu'à  l'aide  de  très  petits  frag- 
ments que  nous  avons  pu  reconstituer  à  peu  prés  le  haut  de  la  colonne  16.  A  partir  de  la  12"  ligne,  il 
reste  si  peu  de  chose  du  texte  que  c'est  à  peine  si  on  peut  essayer  d'entrevoir  ce  dont  il  est  question 
dans  le  reste  de  cette  colonne  16. 

D'après  quelques  indices,  malheureusement  bien  faibles,  il  nous  a  paru,  qu'après  le  témoignage  des 
Trézénois,  avant  d'en  venir  à  la  péroraison,  l'adversaire  d'Athénogéne  avait  invoqué,  sur  un  autre  point, 


14  Eugène  Revillout. 


Koivài;  zrjç  TtôKeœç  avv&rf/.aç  naçafiàç  xaïç  iôlaig  ttqoç  è(iè  iaxvçlÇsTai  '  âaneq  Hv  riva 
nsia-9'évTa'  ég  o  zûv  tcqôç  ifiâg  ôr/xàiov  •/.azacpQOviiaag,  ovroç  uv  xôjv  ttqoç  e/tg  (fq6i'cit,sv.  og  ovroi 

le  témoignage  du  propre  beau-père  do  celui-ci.  Ce  beau-père  accusait  son  gendre  de  dissiper  toute  sa  fortune 
en  libéralités  continuelles  envers  Antigonc,  l'hétaire  à  laquelle  Hypéride  feit  jouer  un  si  grand  rôle  dans 
la  conclusion  du  contrat  incriminé.  La  complicité  d'Antigone  se  trouvait  établie  ainsi  par  l'intérêt  qu'elle 
avait  eu  à  faire  grossir  les  ressources  d'un  homme  qui  lui  donnait  tout;  et  dans  ces  conditions  les  jurés 
devaient  plus  aisément  encore,  appliquant  les  principes  posés  par  Solon  relativement  à  l'influence  d'une 
femme,  annuler  l'acte,  entaché  de  dol,  obtenu  par  cette  séductrice. 

1.  28 A*  YMUN  OYK  YMETE) 

Col.  IG,  1.  1  PAN  fAiEAlLJ(C  TIMUPIAiN  AnfEjCTiHCiEN  KAI  TAY 
TA  AllEiTIGH  AE(I)  (AN)ArNU}CETAI  YMIN  HRCOTON 
MEN  TON  NOMON   (OC)  K(AI)  OYK  EAI  TOYG  METOIXOYG 
ElOliKElN  E(N  T)CJI  nOAEMCOI  EHEITA  THN  TPOl 
5  ZHiNiliCJNi  MA(PTiYPIAN  HPOC  AE  TOYTOIC  TO 
TCON  (TPOIZHNICON  AYTOJjN  YH0ICMA  O  EYH<DICAN 
(TO  En  EYNOIAI  )  TH  I  YM  lETEPAI  Al  O  YMEIC  AYTOYG 
(YnEAEZACGE)  KAI   iR  OAITAC  EnOIHCACGE  ANA 

(rNcoei) 

10  (NOMOG)  MAPTYPIA 

(YH<!)|GM)A 
AA(BE  MOI  NYN  KAI  TH)N  TOY  KHAE(CTOY  T)OY  AYTOY 

M(APTYPIAN  UC) MEN  OYCIA(Nj  .   .  .  .   El  AA  .   .  . 

RA (KAI  nOAA)A  AEI<t>ieE)N(TA  YHO  TCJN)  AY(TOY) 

15  AAiEA^LJN  TAYTA  A  E*E)ZHG  nAN(T)(jJ(G  EZEPXEjTA(l) 
n(POC  TAYTHN  THjN  ANTIfO^NAN) 

TE A  ET 

Tout-à-fait  au  bas  de  cette  colonne  commençait  la  péroraison.  Elle  se  continue  dans  la  colonne  17, 
dont  les  six  premières  lignes  ont  perdu  chacune  environ  un  tiers,  et  dont  le  reste  devient  de  plus  en  plus 
lacuneux.  Nous  n'essayerons  pas  de  combler  toutes  ces  lacunes  jusqu'au  bout. 

(TA  riPA) 
Col.  17,  1.  1  XGENTA  KAI  ON  (TP)OnON  E(nEBEBOYAEYKEI  E) 

MOI  AGHNOrENHG  KAI  (JG  YM(IN)  n(POAOTHC  ECJPA) 
TAI  TON  AHI  KAI  lAlA  HONHPON  (KAI  EN  HOAEMUI) 
UG  THN  CCOTHPIAN  AnEAniGAN(TAG"  YMAG  AYTOYG) 
h  EfKATAAinONTA  KAI  HAP  OYG  E2(U)IKEI  TOYTOYG) 
ANACTATOYG  nOIHGANTA''  (TON  TOIOYTON  RUG  AN) 
ElAH't'OTEC  OYK  OAAOITE  K(AAU)G  EfUr  U  ANAPEG) 
(AIKAG)TAI  AEOMAI  YMCÛN  (EN  TU  RAPONTI  MH  HEPI) 

(lAEIN  E)ME  EK(EI)NO  GKEYAMEiNOYC  El  TAP 

10 (EN  TA)YTHI  THI  AIKHI   (EAN  Hl  HPOC  YMAG 

(ANAfKH   HM)IN  EAGEIN  OY  TON   (AYTON  KINAYNON  E) 

(KINAYNEYON  A)N  AAGJI  OYAEN  nACXLJ(N) 

(OY)AE  TOT(E)  TA  nA(NTA) 

....  (NYN)  A  AN  An(0<t))YrHI  M0( Y  THN  BOYAEYCEUC) 
15  (rPA*HN  AnOAA)YMAI  OY  TAP  AN  A(HnOY)  .  . 

(a)  Le  scribe  avait  écrit  A<t>EAniCANTAC  ce  qunn  correcteur  a  transformé  en  AriEAniCANTAC  par  snrciargc. 

(b)  Le  scribe  avait  écrit  nOIHCONTA.  L'O  a  été  cbangé  en  A  par  nne  surcharge  faite  dans  la  lettre  elle-même  (l'écri- 
ture et  l'encre  sont  différentes). 


Une  importante  découveete.  15 

novrjQÔç  èaxi,  xai  navTccfOv  oftoioç,  wars  xai  slg  Tqoi'Çfjva  sl-9-ûv,  -/«t  7toi7]aaf.iév(ov  aixov 
TQOiti]vlwv  TToliTr]v,  inÔTtsaiûv  Mvtjalav  tov  \AqyeTov,  v.ai  vjt  è/slvov  -iiaTaoTadEig  Uq%iov, 
è^é^aksv  tohç  jtoXlzag  èy.  Tfjç  nôlEwç,  wg  vf.ûv  avroi  naqTVQrjaovaLv.  'Evtùôs  y«ç  (ÇËvyovatv 
zat  vf.iETç  (.lêv,  (h  HvÔQsg  ômaarat,  èycTreaôt'tag  avvovg  VTTEÔé^aadE,  ■/«£  TTollzag  snoirjaaad-e, 
•/.ai  Tûv  vf.iETéQwv  àya-d-wv  nàvzuv  (.ietéôote,  ànoi.ivi^f.iovEvaùvTEg  zrjv  siEÇYsalav  tî]v  Ttqàg  ràv 
BÛQ^aQOv  ôi  ETôJv  ttIeiôviov  TiEvrfjy.ovTa  v.al  E-Aarôv,  y.al  otôiiEvoi  âeîv,  tovg  sv  roîç  -MvôvvoLg 
hfûv  %Qriai(.iovg  )'Evo(.iévovg,  romovg  àTv^oîvxag  yfiqia d^fivca  bcp"  ['/.lûiv.  —  Oitog  ôè  ô  fiiaoog  .  .  . 

«  Il  a  violé  les  lois,  les  traités,  les  conventions  commnnes  de  la  ville  :  et  il  se  fait  fort 
»par  rapport  à  moi  de  ses  conventions  particulières,  comme  s'il  m'était  possible  de  croire 
»  qu'après  avoir  méprisé  envers  vous  les  principes  justes  du  droit,  il  aurnit  pu  s'en  inspirer 
»  relativement  à  ma  personne. 

»Lui!  qui  partout  s'est  montré  pareil,  et  d'une  telle  perversité  qu'une  fois  installé  à  Tré- 
»  zène,  ayant  été  fait  citoyen  par  les  citoyens  de  cette  ville,  il  devint  l'instrument  de  Mnésias, 
sl'Argien,  acquit  par  lui  l'autorité,  et  se  mit  alors  à  chasser  de  leur  cité  les  Trézénois  — 
«comme  ils  vont  devant  vous  en  témoigner  eux-mêmes.  C'est  ici  qu'ils  ont  leur  refuge,  ô 
»  hommes  d'Athènes,  qui  nous  jugez  1  Bannis,  ils  furent  accueillis  par  vous.  Vous  en  fîtes 
»des  citoyens.  Ils  reçurent  de  vous  part  dans  tous  vos  privilèges  —  parceque  vous  vous 
«rappeliez  la  belle  et  bienfaisante  conduite  qu'ils  avaient  tenue  envers  vous  contre  le  Bar- 
»bare,  il  y  a  plus  de  cent  cinquante  ans!  Vous  avez  pensé  que  ces  hommes,  auprès  des- 
»  quels  vous  avez  trouvé  une  assistance  si  précieuse  au  moment  des  plus  grands  périls,  vous 
»  deviez  les  payer  ainsi  de  reconnaissance  lorsqu'ils  étaient  atteints  par  la  mauvaise  fortune. 
»Et  lui,  au  contraire,  le  maraud!  .  .  etc.» 

Pour  comprendre  quelle  émotion  ces  paroles  devaient  causer  chez  les  auditeurs,  quelles 
passions  vives  —  et  d'ailleurs  très  nobles  —  elles  mettaient  en  jeu,  il  faut  savoir  qu'après 
la  bataille  de  Cheronée,  suivant  le  témoignage  de  Lycurgue,  dans  son  plaidoyer  contre  Léo- 
crate,  les  Athéniens,  au  moment  où  tous  les  vieillards  prenaient  les  armes,  avaient  fait  appel 
à  Ti'ézène  et  à  quelques  autres  bourgades  qui  leur  étaient  restées  fidèles.  C'était  sans  doute 
comme  Athénien  qu'Athénogène  avait  reçu  le  droit  de  cité  des  habitants  de  Trézène  :  et,  tra- 
hissant les  intérêts  de  sa  patrie,  il  s'était  rattaché  au  parti  de  Mnésias  (ou  Mnasias  ou 
Mnaséas),  de  cet  Argien  que  Démosthènes,  dans  un  passage  de  son  discours  sur  la  Couronne, 
longuement  commenté  par  Polybe,  flétrit  en  dernier  lieu,  relativement  à  Argos,  comme  le 
traître  qui,  le  dernier,  avait  travaillé  et  réussi  à  faire  dominer  dans  l'Argolide  la  puissance 
macédonienne.  Trézène,  petite  ville  de  l'Argolide,  n'avait  pu  résister  au  parti  de  Mnésias 
tout-puissant  dans  Argos.  L'histoire  ne  nous  avait  rien  dit  des  événements  qu'Hypéride  nous 
raconte.  Nous  savions  seulement,  je  le  répète,  qu'Hypéride  lui-même  avait  fait  passer  une  loi 

N  OYAE  (n)OAAOCT(UC) 

AN  ...  Al  AX 

(y)  ANAP(EC  AlK)ACTAi 

....   (MENO)YC  EZ  A(YT)CJN  T(UN) 

Il  me  semble  que  le  discours  devait  se  terminer  à  la  colonne  suivante.  C'était  donc  —  si  on  le 
compare  aux  grands  discours  de  Démosthène  :  sur  la  couronne,  sm'  l'ambassade,  etc.  —  un  petit  discours, 
un  Xoyiâiov  suivant  l'expression  de  Longin.  liais  ce  XoyîBiov  était  considéré  par  les  anciens  comme  un  admi- 
rable chef-d'œuvre,  et  il  méritait  cette  réputation. 


16  Eugène  Revillout. 


accordant  le  droit  de  cité  aux  Métèques  qui,  dans  Athènes,  venaient  en  aide  aux  citoyens.  Que 
les  Trézénois  du  parti  d'Athènes,  chassés  de  leur  ville  par  un  Athénien,  aient  été  bien  reçus 
dans  Athènes,  cela  se  comprend  aisément.  '  Qu'on  ait  fait  pour  eux  ce  qu'on  faisait  pour  toute 
la  masse  des  Métèques,  cela  devait  être.  Mais  on  sent,  rien  qu'en  y  pensant,  la  colère  que 
les  Athéniens  devaient  éprouver  devant  l'Athénien  qui  était  devenu  l'agent  du  parti  macé- 
donien au  lendemain  de  Cliéronéc. 

L'espace  de  plus  de  cent  cinquante  ans  écoulé  alors  depuis  le  temps  des  guerres  mé- 
diques,  depuis  l'époque  où  les  Trézénois  s'étaient  conduits  en  frères  envers  les  Athéniens  dans 
la  lutte  contre  le  Barbare,  nous  indique  que,  lors  du  procès  d'Athéuogène,  on  n'était  pas  très 
loin  du  soulèvement  superbe  d'où  résultèrent  les  derniers  triomphes  de  la  guerre  Lamiaque, 
malheureusement  bientôt  suivis  de  l'écrasement  final  d'Athènes  et  du  supplice  d'Hypéride. 
C'est  le  même  sentiment  patriotique  ^  qui  préside  à  cette  partie  du  discours  contre  Athénogène 

'  Cela  se  comprend  d'autant  mieux  que,  suivant  le  têmoignag-e  de  Cicéron  (De  officiia,  liv.  III,  §  XI), 
les  Athéniens,  quittant  leur  ville  devant  l'invasion  de  Xercés,  avaient  confié  en  dépôt  leurs  femmes  et  leurs 
enfants  aux  citoyens  de  Trézène  avant  de  s'engager  dans  la  lutte  héroïque  où  ils  écrasèrent  les  forces  des 
Perses  et  qu'à  Platée  ils  les  avaient  eus  pour  compagnons  d'armes  (voir  plus  haut  col.  U,  p.  13  note).  C'est 
à  ces  souvenirs  qu'Hypéride  se  référait  quand  il  rappelait  les  services  rendus  par  les  Trézénois  aux  Athé- 
niens en  face  du  Barbare,  il  y  avait  plus  de  cent  cinquante  ans.  Cette  date  nous  amène  plus  près  de  la  guerre 
Lamiaque  que  de  la  bataille  de  Chérouée  pour  le  moment  où  fut  prononcé  le  discours  contre  Athénogène. 

L'auteur  de  la  vie  des  dix  orateurs  nous  raconte  qu'après  son  exil,  avant  sa  réconciliation  avec 
H3'péride,  Démosthène,  potir  se  rapprocher  le  plus  possible  de  cette  chère  patrie  dont  il  était  chassé,  par- 
tageait sa  vie  entre  l'île  d'Egine  et  Trézène.  Si  ce  détail  biographique  est  exact,  il  nous  fait  bien  voir  que 
la  ville  de  Trézène,  malgré  les  expulsions  opérées  par  Athénogène,  était  redevenue  une  amie  d'Athènes 
à  la  veille  de  la  guerre  Lamiaque  comme  au  lendemain  do  la  bataille  de  Chéronée;  car  autrement  le 
patriotisme  en  eût  éloigné  Démosthène. 

2  J'aurais  beaucoup  à  dire  sur  le  genre  oratoire  d'Hypéride,  genre  très  personnel  et  qui  n'était 
possible  qu'à  un  homme  tel  que  lui,  le  patriote  toujours  impeccable.  Mais  cela  prendrait  trop  de  place  et 
retarderait  trop,  sans  doute,  l'apparition,  déjà  tardive,  de  ce  mémoire.  Je  me  bornerai  donc  à  reproduire 
ici  les  quelques  mots  que,  dès  les  premières  impressions,  —  confirmées,  complétées  toujours  dans  le  même 
sens  par  une  étude  plus  approfondie  —  j'avais  écrits  à  ce  sujet  dans  la  Eevue  des  éhides  grecques  : 

«Quand  j'eus  reconstruit  l'ensemble  du  contexte,  je  fus  frappé  de  voir  combien  l'antiquité  avait  eii 
«raison  d'admirer  l'extrême  habileté  d'Hypéride  —  habileté  dont  nous  étions  loin  de  pouvoir  nous  faire 
«une  idée  d'après  les  morceaux  retrouvés  dans  les  papyrus  égyptiens  actuellement  à  Londres. 

«En  eiFet,  le  discours  pour  Euxénippe  n'est  pas  un  plaidoyer  proprement  dit,  mis  par  l'avocat  dans 
»la  bouche  de  la  partie.  C'est  l'intervention  officieuse  d'un  homme  grave  qui,  dans  l'intérêt  d'un  accusé, 
>  expose  son  avis  sur  le  fond  du  procès.  Hypéride  s'adresse  aux  juges  en  son  propre  nom.  11  leur  com- 
»  mente  en  jurisconsulte  la  loi  qu'ils  doivent  appliquer.  Il  entre  donc  pour  ainsi  dire  en  délibération  avec 
»  eux  :  et  la  cause  a  été  plaidée  de  part  et  d'autre  par  les  avocats  quand  il  apporte  à  l'accusé  son  appui 
»  moral. 

«Aussi  prend-il  soin  de  rappeler  que,  cet  appui,  il  l'a  prêté  autrefois  à  l'accusateur  dans  des  cir- 
»  constances  analogues.  Quand  il  oppose  sa  manière  d'agir  dans  les  procès  intentés  par  lui  à  celle  qu'il 
«reproche  à  cet  accusateur,  ce  n'est  plus  Euxénippe,  c'est  lui-mêmo,  Hypéride,  qui  occupe  le  premier  plan. 
•  C'est  là  un  genre  tout  différent  du  genre  habituel  des  plaidoyers  grecs  :  et  le  talent  de  l'avocat  ne  se 
«laisse  entrevoir  qu'à  peine  dans  les  paroles  mesurées  du  personnage  politique,  dictant  aux  juges  leur 
»  sentence. 

«  Quant  au  plaidoyer  pour  Lycophron,  on  n'en  a  qu'un  fragment,  d'après  lequel  on  ne  sait  pas  même 
«quel  était  le  sujet  du  procès. 

«C'est  là,  avec  quelques  débris  du  discours  contre  Démosthène  (débris  dont  le  Musée  du  Louvre 
«possède  une  partie),  tout  ce  que  les  papyrus  acquis  par  l'Angleterre  nous  avaient  rendu  des  plaidoyers, 
«vrais  on  supposés,  d'Hypéride." 


(a)  Le  fragment  que  M.  Kenyon  a  publié  dans  son  nouveau  livre  sur  les  textes  classiques   des  papyrus  du  British  Muséum  — 
que  nous  venons  de  recevoir  à  l'instant  —  sous  l'attribution  très  hypothétique  à  Hypéride  (avec  un  point  d'interrogation  chaque- 


Une  importante  découverte.  17 

et,  plus  tard,  au  discours  funèbre  du  même  orateur  sur  le  général  Leosthène  et  sur  ses  glorieux 
compagnons  de  la  guerre  Lamiaque.  Mais  ici  ce  sentiment  est  encore  comprimé.   Alexandre 


«Je  dis  :  vrais  ou  supposés.  En  effet,  les  anciens  nous  apprennent  que  —  pour  Hypéride,  comme 
«pour  Démosthéne,  pour  Lysias  et  pour  la  plupart  des  orateurs  grecs,  à  côté  des  discours  authentiques, 
«légitimes,  Yviîaioi,  on  avait  fait  figurer  sous  leur  nom  et  on  vendait  comme  étant  d'eux  les  oeuvres  de 
»  contemporains  moins  célèbres  ou  même  de  faussaires. 

«Aucun  doute  de  ce  genre  ne  pourrait  se  produire  relativement  au  plaidoyer  d'Hypéride  contre 
«Athénogéue  découvert  par  nous;  car  c'est  un  des  deux  que  Longin  cite  dans  son  Traité  du  sublime  comme 
«donnant  les  meilleurs  e.xemples  de  grandes  qualités  propres  à  Hypéride  et  étrangères  à  Démosthéne. 

«C'étaient  ces  grandes  qualités  qui,  suivant  le  témoignage  de  l'auteur  de  la  Vie  des  dix  orateurs, 
«faisaient  préférer  Hypéride  à  Démosthéne  par  quelques  critiques. 

«La  différence  entre  les  deux  genres  est  considérable. 

«Démosthéne  est  violent  par  nature  et  souvent  il  se  laisse  aller  pleinement  à  cette  violence.  Dans 
«ses  plaidoyers  d'avocat,  comme  dans  ses  discours  politiques,  les  démentis  les  plus  énergiques  se  ren- 
«contrent  à  chaque  pas.  «Cela  n'est  pas!  Par  Jupiter!  Cela  n'est  pas!»  Voilà  une  phrase  qu'il  affectionne, 
«pour  aborder  la  réfutation  de  ses  adversaires. 

«Pauvres  adversaires!  il  les  traite  comme  les  derniers  des  criminels,  et  cela  non  point  vers  la  fin, 
«mais  souvent  dès  le  début  même  de  ses  discours.  1\  prend  le  taureau  par  les  cornes,  comptant  sur  sa 
«vigueur'  extrême  pour  le  terrasser  et  l'étouffer. 

«Hypéride  procède  autrement.  Mesuré  dans  ses  expressions  et  dans  ses  gestes,  plein  de  grâce  dans 
«ses  mouvements  et  dans  ses  récits,  gardant  la  démarche  la  plus  naturelle  dans  les  manœuvres  de  la 
«tactique  la  plus  savante,  sans  attitude  théâtrale,  aveu  ûjtozpîtjscuç,  avant  de  frapper  les  grands  coups  il  est 
«maître  de  son  adversaire,  qu'il  enlace  et  qu'il  enveloppe  dans  les  mailles  de  ses  arguments. 

«Une  note  qui  vibre  toujours  avec  énergie  dès  qu'il  la  touche,  c'est  la  note  du  patriotisme.  H  est 
«patriote  jusqu'au  fond  du  cœur.  Toute  son  âme  est  là,  on  le  sait  :  et  il  lui  suffit  de  quelques  mots  dits 
«à  voix  basse,  quand  il  se  contient,  pour  évoquer  aux  yeux  de  ses  auditeurs  l'image  sacrée  de  la  patrie, 
«  dont  ils  croient  entendre  la  voix. 

«Ici  encore  la  personnalité  de  l'orateur  est  pour  beaucoup  dans  la  portée  de  son  éloquence.  Si  l'on 
«veut  éprouver  les  émotions  profondes  et  l'admiration  que  les  anciens  nous  ont  exprimées  à  propos  du 
«discours  funèbre  pour  les  morts  de  la  guerre  Lamiaque,  (dont  Strobée  nous  a  conservé  la  péroraison  et 
«dont  on  possède  quelques  fragments  sur  papyrus,)  il  faut  se  rappeler  que  c'est  Hypéride  qui  parle.  Il 
«faut  revoir  devant  soi  cet  homme  :  tel  qu'il  s'était  montré  déjà  dans  la  lutte  contre  Philippe,  quand  il 
«faisait  voter  des  couronnes  à  Démosthéne,  quand  il  le  secondait  en  tout,  quand,  au  lendemain  de  la  dé- 
»  faite  de  Chéronée,  il  portait  une  loi  d'après  laquelle  les  métèques  et  les  esclaves,  recevant  le  droit  de 
«cité,  s'armaient  avec  les  Athéniens  pour  la  résistance  et  une  guerre  à  mort;  tel  qu'il  fut,  plus  tard,  après 
«les  victoires  d'Alexandre  et  la  conquête  de  l'Asie,  quand  il  mit  en  cause  Démosthéne  lui-même  pour 
«n'avoir  pas  su  résister  aux  avances  et  peut-être  aux  dons  de  ce  conquérant  invincible;  tel  qu'il  fut  enfin 
«quand,  après  la  mort  d'Alexandre,  il  jeta  le  gant  à  la  face  d'Antipater  et,  plus  heureux  que  Démosthéne, 


lois  que  cette  attribution  se  présente,  comme  au  iiaut  des  pages)  nous  paraît  tout-à-fait  étranger  à  ce  grand  orateur.  Rien  de  plus  diffé- 
rent en  effet  comme  genre  de  plaidoirie. 

Hypéride  laisse  la  parole  aux  faits  eui-mémes.  Il  est  toujours  sobre  autant  que  possible  de  ce  que  l'on  nomme  vulgairement  les 
développements  oratoires.  L'auteur  du  morceau  en  question  fait  au  contraire  continuellement  de  la  rhétorique  en  l'air,  si  je  puis  m'ei- 
primer  ainsi  —  de  la  même  façon  qu'en  faisait  l'orateur  Lycurgue,  contemporain  et  ami  politique  d'Hypéride. 

Il  est  arrivé  souvent  que  les  deux  orateurs  parlaient  dans  la  même  cause  :  parfois  dans  le  même  sens  —  comme  Lycurgue  le  fit 
relativement  à  Démosthènes  dans  le  procès  contre  Aristogiton  —  parfois  dans  un  sens  opposé,  comme  à  propos  de  l'affaire  de  Lycophron, 
à  propos  de  celle  de  Simmios,  etc. 

Hypéride  d'ailleurs  fait  le  plus  grand  éloge  de  l'administl'ation  de  Lycurgue,  aussi  patriote  qu'il  l'était  lui-même,  dans  un  discours 
dont  nn  fragment  nous  est  parvenu. 

Mais  s'ils  se  resseml>laient  d'une  façon  remarquable  au  point  de  vue  du  patriotisme,  il  n'en  était  pas  de  même  au  point  de  vue 
du  genre  oratoire. 

Lycurgue  va  souvent  cbercher  ses  effets  aussi  loin  que  possible;  et  c'est  à  ce  point  de  vue  qu'est  intéressant  son  discours  contre 
Léocrate.  Or  l'auteur  du  morceau  que  M.  Kenyon  donne  remonte  jusqu'au  temps  de  la  toute -puissance  des  Lacédémoniens  et  de  la 
domination  des  trente  tyrans  à  Athènes.  L'auteur  de  ce  discours  parle  à  peine  de  son  adversaire.  Il  ne  parle  réellement  pas  du  fond 
de  la  cause.  Mais  il  s'étend  beaucoup  sur  un  certain  Démocrates  qui  appartenait  à  cette  descendance  d'Armodius  et  d'Aristogiton,  ayant 
reçu  tant  de  privilèges  dans  la  ville  d'Athènes. 

Ceci  c'est  la  touche  de  Lycurgue.  Et  il  ne  faut  pas  s'étonner  si  à  la  suite  de  ce  morceau  d'un  plaidoyer  contre  un  homme  dont 
le  nom  a  été  restitué  par  M.  Kenyon  en  Philippides  on  avait  écrit  sur  le  même  papyrus  une  lettre  attribuée  à  Démosthènes  et  relative 
aux  enfants  de  l'orateur  Lycurgue. 

3 


18  Eugène  Revillout. 


vit  :  et,  dans  sa  guerre  contre  le  Barbare,  Leosthène  l'accompagne  avec  un  contingent 
d'Athéniens  mêlés  aux  autres  grecs.  Ce  qu'on  rappelle  surtout,  c'est  doue  la  belle  conduite 
des  Trézénois,  unis  aux  Athéniens,  dans  les  premières  guerres  contre  le  Barbare,  il  y  a  plus 
de  cent  cinquante  ans. 

Ces  Trézénois,  ce  sont  les  témoins  qu'on  fait  entendre  contre  Athénogène.  On  lit  les 
décrets  qui  les  concernent,  qui  montrent  pourquoi  on  leur  a  donné  la  cité  d'Athènes,  etc. 
On  leur  fait  raconter  le  rôle  qu' Athénogène  a  joué  dans  leur  ville  quand  il  a  en  banni  ces 
bons  amis  des  Athéniens,  bientôt  après  Athéniens  eux-mêmes.  Cet  homme  qui,  pour  valider 
ses  fraudes,  veut  se  servir  des  termes  d'une  loi  de  Solon,  c'est  un  ennemi  d'Athènes,  c'est 
un  traître! 

Il  ne  fait  pas  de  doute  pour  nous  qu'Hypéride  gagna  son  procès  contre  Athénogène 
dans  ces  conditions;  car,  lui,  en  rappelant  les  lois  contre  les  traîtres,  il  ne  demandait  pas, 
comme  Lycurgue,  la  tête  de  l'accusé  :  il  demandait  seulement  un  changement  dans  la  juris- 
prudence et  dans  l'application  des  lois  sur  les  contrats,  à  l'égard  d'un  homme  bien  plus  cou- 
pable envers  la  patrie,  et  qui  faisait  tort  à  son  client  jiar  un  acte  entaché  de  dol. 

»  vit  d'abord  la  victoire  couronner  ses  efforts,  pouvant  croire  un  instant  qu'un  triomphe  complet  allait  satis- 
»  faire  son  amour  ardent  pour  la  gloire  de  sa  patrie  et  l'indépeudance  de  la  Grèce.  » 

J'aurais  aussi  voulu,  si  j'en  avais  le  temps,  revenir  sur  certaines  questions  grammaticales.  Ainsi  la 
règle  de  Madvig  suivant  laquelle  «avec  les  verbes  passifs  on  met  quelquefois  la  personne  qui  agit  au 
datif  au  lieu  de  la  mettre  au  génitif  avec  ûjtd,  en  prose  seulement  avec  le  parfait  et  le  plus-que-parfait  ^  m'avait 
paru,  comme  première  impression  trop  superficielle,  être  exacte  pour  les  orateurs  de  la  grande  époque. 
J'ai  constaté  depuis  que  le  même  datif  était  loin  d'être  rare  chez  eux  avec  l'aoriste  passif  On  trouve  plu- 
sieurs fois  dans  Démosthène,  pour  dire  «les  choses  faites  par  cet  homme»,  l'expression  «-ïà  repa^^Oiv™  tojtw». 
De  même  dans  le  discours  pour-  la  couronne  (§  32u)  :  «  /.aX  -or?  iiio?;  iirjtp!!;|j.i5i  xsà  vd[j.oi;  /.al  ^tpeojJEÎai;  â^avia 
oi(o/.£iTo»,  etc. 

Je  dois  ajouter  que  souvent,  en  formulant  ses  lois,  JlinviG  commet  de  singulières  inadvertances. 
J'en  vais  citer  un  spedmen.  Pour  prouver  que,  comme  il  le  dit  dans  son  §  209,  «  une  négation  simple 
(où  ou  |jii))  formant  avec  un  prédicat  une  expression  négative,  est  annulée  par  une  négation  qui  précède», 
il  invoque,  comme  premier  exemple,  le  passage  suivant  du  discours  d'Apollodore  contre  Polyclès  «Oùz 
i|iol  (idvo)  où  oi£oiÇa-o  (IloXuzXiîç)  -rijv  vaûv»  (Dém.  50,  68)  et  il  traduit  «prit  ma  place  sur  le  vaisseau».  Or  il 
lui  aurait  suffi  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  l'ensemble  de  ce  discours  pour  voir  que  Polyclès  ne  prit  jamais 
la  place  d'Apollodore  sur  le  vaisseau  où  il  aurait  dû  le  remplacer  au  bout  de  six  mois  comme  triérarque  ; 
que  ce  n'est  pas  de  cela  qu'Apollodore  l'accuse;  mais,  tout  au  contraire,  de  ne  l'avoir  pas  plus  remplacé 
lui-même  au  moment  voidu  qu'il  n'en  avait  remplacé  d'autres  dans  des  conditions  analogues.  Ce  sont  là 
de  ces  accidents  qui  arrivent  toujours  aux  grammairiens  qui  prennent  les  phrases  isolées,  pour  les  inter- 
préter en  dehors  du  contexte,  en  en  faisant  la  base  de  leurs  régies. 

J'aimerais  encore  à  citer,  à  l'appui  des  idées  de  Gail  sxu-  les  nuances  de  sens  attachées  à  l'optatif 
chez  les  Attiques,  des  textes  d'orateurs  montrant  ce  mode  employé  après  îva  alors  que  le  verbe  de  la  pro- 
position principale  est  un  présent,  non-seulement,  comme  les  grammairiens  les  plus  modernes  le  déclarent, 
quand  ce  présent,  de  narration,  est  ce  qu'on  nomme  un  présent  historique,  énonçant  un  fait  déjà  passé  — 
cas  où  M.  Reynach  a  fait  une  correction  au  xpôç  'AOtjvoyIviiv,  afin  d'éviter  à  Hypéride  le  reproche  d'incorrec- 
tion grave  —  ;  mais  quand  c'est  au  contraire  un  présent  d'habitude  comme  dans  ce  passage  de  l'orateur 
Isée  :  ÔXX'  û;  Sv  (is-à  ^cXeiotcov  3uviû|JLe0a  Ta;  £/.|j.api:up(aç  jiivTc;  !toioù|j:EOa,  îva  tùte  ixjiapTupi-îaavTi  \xt\  IÇîCt]  ùaxspov 
êÇâpvu)  ifEvÉoBai  TTiv  [iapTupîotv,  i|J.eïç  zi  r:oXXoÎ5  zaï  xoiXo?;  /.âYaOoi;  taÛTa  |j:ap-uupo3ç  îiiaTÉuoiTS  |j.ïXXov  (ô  Tcsp'i  xou  IIûppou 
xXtJpou  21);  ou  un  présent  tout-à-fait  actuel,  comme  dans  ce  passage  de  Démosthénes  :  tout  im  to3  zoofisrv 
xat  TtEpiaTÉXXeiv,  îva  xai  -coî?  ooûaiv  i;  £Ùa)(7;[j.avia-aT'  i^aîvSTO  /.al  to?ç  X»j3ou(jiv  ùfiîv,  ayet;  eÎ;  [iscrov,  oeixvùeij,  IXeyjçei;, 
[idvov  où/.  ôvEios^Ei;  ....  (ùsèp  <I>op[j..  47).  Mais  j'aurais  peur  de  retarder  encore  par  une  nouvelle  composition 
trop  chargée  de  textes  grecs  l'apparition  de  ce  mémoire  si  impatiemment  attendu. 


Une  importante  découverte.  19 


NOTA. 

Je  dois  expliquer  aux  lecteurs  les  lenteurs  de  cette  iniblication,  lenteurs  dont  on  s'est 
souvent  plaint  à  moi. 

Elles  tiennent  à  plusieurs  causes. 

D'abord  à  la  nature  même  du  document  qui  m'est  parvenu  dans  un  état  aifreux  de 
mutilation  et  de  désordre.  Il  nous  a  fallu,  à  mon  frère  et  à  moi,  remettre  en  place  les  frag- 
ments qui  les  composent  et  en  reconstroire  laborieusement  plusieurs  pièce  à  pièce.  C'était 
œuvre  de  longue  haleine. 

Et  puis,  pendant  que  j'étais  occupé  de  cette  besogne,  j'appris  qu'il  existait  en  Egypte 
d'autres  fragments  du  même  manuscrit.  Je  ne  pouiTais  dire  combien  de  démarches  il  m'a 
fallu  pour  les  obtenir  et  combien  de  temps  ces  négociations  difticiles  m'ont  pris. 

Enfin  l'année  dernière  je  pus  faire  entrer  au  Louvre  de  nouveaux  fragments.  Mais  je 
n'étais  pas  persuadé,  et  je  suis  bien  loin  de  l'être  actuellement,  que  ce  soient  les  derniers. 
Je  me  livrai  donc  encore  à  de  nouvelles  recherches,  malheureusement  sans  résultat,  jiour 
obtenir  le  reste  d'une  page  vue  par  un  de  mes  agents  entre  les  mains  d'un  Arabe  et  dont 
il  n'avait  cédé,  à  ce  qu'il  me  semblait,  qu'une  partie. 

Devant  ses  dénégations  réitérées  j'ai  dû  enfin  m'iucliner  à  regret  :  et  je  me  suis  remis 
sérieusement  à  la  mise  en  œuvre  définitive  de  ce  que  j'avais  entre  les  mains,  m'attachant 
alors  à  en  combler  les  innombrables  lacunes  afin  de  pouvoir  suivre  la  pensée  du  grand  ora- 
teur. Au  fur  et  à  mesure  j'envoj'ais  ma  copie  à  l'imprimeur;  et  il  était  obligé  de  tirer  feuille 
par  feuille;'  car  ma  copie  avait  tellement  grossi  par  les  notes,  etc.  qu'il  lui  aurait  été  impossible 
d'avoir  assez  de  grec  épigraphique  pour  le  tout,  si  l'on  n'avait  pas  eu  recours  à  ce  procédé. 

Ai-je  besoin  de  dire  que  ce  tirage  feuille  par  feuille  n'est  nullement  l'idéal  pour  une 
publication  scientifique;  car  la  suite  du  rétablissement  du  manuscrit  et  les  études  de  plus 
en  plus  approfondies  qu'on  en  fait  éclairent  d'une  lumière  beaucoup  plus  vive  le  commence- 
ment, malheureusement  tiré  déjà,  et  y  font  voir  beaucoup  d'erreurs,  plus  malheureusement 
encore  irréparables. 

Pour  mon  Hypéride  je  n'hésite  pas  à  dire  qu'il  en  est  ainsi,  et  que,  si  j'avais  à  en 
reprendre  la  publication,  elle  serait  notablement  différente  et  meilleure. 

Cette  publication  feuille  par  feuille  demanda  un  temps  infini;  car  l'imprimeur  était 
bien  loin  —  ce  qui  augmentait  encore  les  retards  et  ne  permettait  pas  cette  révision  per- 
sonnelle immédiate  qui  est  si  nécessaire. 

Cet  imprimeur,  M.  Holzhatjsen,  est,  disons-le  bien,  le  plus  distingué  directeur  d'im- 
primerie d'Europe.     Je  ne  connais  personne  qui  s'occupe  avec  une  maestria  si  merveilleuse 

'  Les  feuilles  6  et  7  ont  seules  dû  être  réservées  pom-  un  remaniement  de  mise  en  pages  après 
tirage  à  part,  car  le  nombre  des  feuilles  composant  une  année  de  la  Revue  était  complet  après  la  feuille  5. 
C'est  là  seulement  que  j'ai  pu  faire  quelques  corrections,  et  encore  moins  nombreuses  que  je  l'aurais  voulu, 
car  j'ai  pris  pour  régie  absolue  de  ne  pas  exécuter  les  changements  proposés  qui  me  convenaient  quand 
je  n'en  pouvais  pas  indiquer  en  note  les  auteurs  —  c'est-à-dire  partout  ailleurs  qu'aux  pages  7  et  8  de  ce 
numéro,  où  la  suppression  de  deux  notes  m'avait  donné  un  peu  de  place.  Dans  le  grec  épigraphique  je 
n'ai  jamais  fait,  pour  cette  raison,  que  des  corrections  toutes  personnelles,  corrections  rendues  nécessaires 
par  l'extrême  hâte  du  précédent  bon  à  tirer.    Et  quant  au  texte  de  mon  mémoii-e,  je  n'y  ai  rien  changé. 

3* 


20  Eugène  Revillout. 


de  tous  les  détails  d'un  immense  établissement,  revoyant  lui-même  toutes  les  épreuves,  ré- 
pondant lui-même  à  toutes  les  lettres,  etc.  Il  rappelle  complètement  les  grands  imprimeurs 
du  XVF  siècle,  les  Etienne,  par  exemple,  qui  avaient  la  passion  de  la  science  elle-même 
autant  que  de  l'art  auquel  ils  se  livraient. 

Mais  l'imprimeur  avait  à  lutter,  comme  il  me  l'écrivait,  contre  des  difficultés  tout-à-fait 
exceptionnelles  résultant  de  la  grève  des  ouvriers  typographes  de  Vienne  qui  rendait  souvent 
impossible  tout  travail  et  qui  lui  avait  enlevé  ses  meilleurs  collaborateurs.  Aussi  la  moindre 
épreuve  demandait-elle  ordinairement  plusieurs  semaines. 

Ajoutons  que  souvent,  quand  elle  m'arrivait,  je  ne  pouvais  pas  la  corriger  de  suite. 

Je  professe  trois  cours  sur  des  matières  différentes  à  l'École  du  Louvre,  sans  compter 
de  nombreuses  répétitions  générales,  et  l'un  de  ces  cours,  —  celui  de  droit  égyptien  com- 
paré aux  autres  droits  de  l'antiquité  —  cours  que  je  tiens  à  maintenir  toujoure  au  niveau 
le  plus  élevé  en  ne  me  répétant  jamais,  demande  pour  chaque  leçon  une  semaine  de  pré- 
paration. 

J'ai  aussi  mes  occupations  très  multiples  de  conservateur;  depuis  qu'Hypéride  est  entre 
mes  mains,  j'ai  été  forcé  d'achever  trois  longs  catalogues  et  j'en  ai  commencé  deux  autres. 

Quand  je  me  donnais  tout  entier  à  ces  travaux  indispensables,  obligatoires  et  pressés, 
Hypéride  devait  attendre. 

Et  puis  Hypéride  lui-même  demandait  de  très  longues  recherches  si  l'on  voulait  bien 
comprendre  l'importance  de  son  chef-d'œuvre.  Tous  les  orateurs  grecs  ont  dû  être  relus  à 
plusieurs  reprises  par  nous,  ainsi  que  la  plupart  des  autres  documents  contemporains. 

Dois-je  ajouter  qu'après  ce  travail  énorme,  notre  œuvre  restera  toujours  très  imparfaite, 
bien  inférieure  à  ce  que  nous  avions  rêvé,  bien  inférieure  même  —  je  l'ai  déjà  dit  —  à  ce 
que  nous  saisissons  maintenant. 

Le  sujet  s'est  toujours  agrandi.  Mais  pour  ne  pas  retarder  indéfiniment  l'apparition  du 
texte,  nous  réservons,  pour  un  travail  qui  sera  imprimé  à  part,  immédiatement  après  celui-ci, 
les  conclusions  que  nous  a  suggéré  notre  discours  contre  Athénogène  sur  tout  un  côté  peu 
connu  de  la  civilisation  grecque,  sur  celui  de  ces  prêts  d'amitié  et  de  ces  associations,  de 
ces  éraniesi  que  M.  Foucaet  me  semble  avoir  très  imparfaitement  comprises  parce  qu'il  s'est 

'  Un  délai  de  trois  mois  avait  suffi,  mais  avait  été  nécessaire  pour  que  les  dettes,  y  compris  les 
?pavoi,  se  révélassent  toutes.  Hypéride  l'avait  déjà  dit  dans  la  narration  (colonne  4,  ligne  15  et  suivantes); 
il  le  répète  encore  dans  l'argumentation.  Les  è'pavoi  sont  mis  ici  tout-à-fait  en  parallélisme  avec  les  autres 
genres  de  dettes,  qui,  contractées  à  des  époques  diverses,  poui-  des  causes  diverses,  ont  été  déclarées  à 
l'acheteur  successivement  et  peu  à  peu.  11  ne  s'agit  donc  certainement  pas  d'une  commandite,  faite  col- 
lectivement en  une  seule  fois  par  un  seul  groupe  de  personnes;  mais  d'avances  multiples  d'argent  faites 
à  titre  de  bons  offices  et  indépendantes  les  unes  des  autres.  Le  mot  È'pavo;,  dans  les  orateurs,  a  très  sou- 
vent ce  sens  d'une  avance  d'argent  ne  portant  pas  intérêt  et  pouvant  être  considérée  comme  une  marque 
de  sympathie.  Nous  avons  déjà  vu  plus  havit,  à  la  troisième  ligne  de  la  colonne  5,  que,  dans  ce  discours 
contre  Athénogène,  Hypéride  l'avait  également  employé  pour  désigner,  non  plus  les  sommes  d'argent 
prêtées  par  bienveillance  et  à  rembourser,  mais  les  personnes  même  qui  avaient  do  cette  façon  manifesté 
leur  bienveillance.  Ailleurs,  il  signifie  un  repas  de  camaraderie.  Ailleurs,  la  cotisation  amicale  qui  sert  à 
payer  ce  repas.  Ailleurs,  une  société  fondée  sur  les  bons  sentiments  et  les  bons  rapports,  sur  la  çiXîa,  en 
prenant  l'idée  traduite  par  ce  terme  dans  un  sens  restreint  et  un  peu  banal,  comme  il  faut  prendre  dans 
le  terme  'spavo;  l'idée  originaire  d'affection  qui  lui  est  commune  avec  les  mots  âpiw,  Èpw;,  etc.  —  C'est  ce 
que,  par  exemple,  l'inscription  publiée  sous  le  n°  116  dans  le  Corpus  inscriptionum  grœcarum^  et  que  Fou- 
CAED  a  reproduite  partiellement  sous  le  n°  20  dans  son  mémoire  sur  les  Associations  religieuses,  expose  for- 


Une  importante  découverte.  21 

inspiré  surtout  des  inscriptions  de  basse  époque,  de  cette  époque  romaine  où  la  tendance  des 
empereurs  était  d'interdire  toutes  les  associations,  quand  elles  ne  se  couvraient  pas  de  certains 
manteaux  religieux. 

Je  devais  encore  dire  ceci;  car  une  confusion  de  souvenirs  m'avait  fait  attribuer  plus 
haut  à  M.  FoucART  une  opinion  qui  est  plutôt  le  contraire  de  la  sienne  et  qui  est,  je  crois, 
la  vérité. 

Il  me  reste  à  prier  les  lecteurs  d'être  indulgents  pour  l'œuvre  grecque  d'un  égypto- 
logue,  amoureux  du  grec,  mais  qui  ne  peut  y  consacrer  que  ses  moments  perdus.  Je  serai 
trop  heureux  si  mon  «travail  pénible»,  comme  l'a  qualifié  un  illustre  maître,  peut  préparer 
celui  des  hommes  qui  sont  les  maîtres  dans  cette  spécialité. 


LE  POÈME  DE  PENTAOUE. 

PAR 

LE  Vicomte  J.  de  Rougé. 

(Suite.) 


I 

y///////////////>///////////^^^^ 

m 

m 

liân  pi-d         menjiu       iu      er     tiauu-t  ran-u  àn-sen  '       er 

Voici  que         mon        infanterie    vint  pour     adorer     les  noms  (de  moi).  Ils  revinrent  (?) 


mellement  :  d'abord  à  propos  de  la  fondation  d'une  société  de  ce  genre  « .  .  .  .  ïpavov  aùvayo''  ^''-o'  Svopsç, 
x«i  xoivfi  pou).^  9£CTjj.!)v  !fiiX!r]ç  ûœypaiJiEv»;  puis  à  propos  de  l'esprit  dans  lequel  elle  devra  s'accroître  et  des  per- 
turbateurs à  expulser  de  son  sein  «aùÇavÉtw  o'ô  k'pavoç  im  tpiXoTEi|i(aç  •  il  SI  tiç  |J.ây^«î  5)  Oopùpouç  xivtov  ipalvonro, 
ÈKpaXXÉaOci)  Tou  ipâvou.  »  —  Ailleurs  le  mot  È'pavo;  s'applique  à  l'apport  que  dans  une  société  de  çiXîa,  de 
solidarité,  de  secours,  de  services  mutuels,  chaque  sociétaire  doit  faire  dans  l'intérêt  commun  (Démosth. 
x«x'  'ApiaTOi".  71,  22,  etc.).  Ailleurs  encore,  il  indique  le  service  rendu  par  réciprocité  pour  un  autre  service 
ou  même  la  gratification,  la  bonne  main  qu'un  service  motive  (Démosth.  rapi  tou  axeç.  312).  Ce  n'est  pas 
tout  :  au  mot  TiXrjpwtTÎ;  Harpocration  parle  d'un  l'pavoç  qu'on  obtient  par  tirage  au  sort  ou  qu'on  achète  : 
«7tXr)ptoTàç  âxàXouv  Touç  à:ioSioovTaç  tov  e'pavov  toT;  JJtoi  Xaj^ouatv  rj  È!ovr)[J.Évoiç.  »  Ce  genre  d'spavoç  ne  pouvait  guère 
être  qu'une  sorte  de  pension  viagère,  analogue  à  celles  qu'aujourd'hui  certaines  sociétés  de  secours  mutuels 
assurent  à  quelques-uns  de  leurs  membres.  Harpocration  ajoute  que  le  mot  TtXrjpoTaî  doit  être  alors  pris 
dans  le  sens  qu'eut  plus  tard  le  mot  Ipavâpj^ai,  désignant  les  chefs,  les  directeurs,  les  présidents  d'un  ?pavo;, 
d'une  société  amicale;  dans  notre  discours  d'IIypéride,  l'acception  en  est  très  différente.  La  laxité  de  sens 
du  mot  ?pOToç  s'étendait  aux  termes  avec  lesquels  on  l'associait  habituellement  :  comme  non -seulement 
)tXï)p(o-niç,  mais  les  verbes  ouvâyEiv,  etc.  C'est  ainsi  que  ?p«vo;  pouvant  signiiîer  un  banquet  d'amis,  auvâyEiv  en 
était  venu  à  signifier,  suivant  le  témoignage  d'Athénée,  boire  les  uns  avec  les  autres  :  fis-c'  àXXi-jXtov  jtiveiv. 
•  Le  papyrus  doit  être  ici  fautif  :  malheureusement  les  deux  textes  monumentaux  manquent  dans 
ce  passage;  après  ran-u  il  pouvait  y  avoir  le  pronom  de  la  première  personne.  Le  mot  an  peut  être 

le  verbe  ordinairement  déterminé  par    J^,  «se  retourner,  revenir»   et  au  lieu  du  pluriel   du  papyrus  il  y 
aurait  A>.  —  \\t=,  serait  alors  le  pronom  pluriel.  Le  papyrus  est  également  fautif  lorsqu'il  met  après 

le  verbe  maa,  voir  :  puis  il  passe  des  mots. 


22 


J.    DE   ROUGÉ. 


p.s.vn,io.    -^^^^ 

L.  62. 

K.M.         {^^        rV 


K.  54. 

P.  S.  VIII,  1. 
L.  63. 
K.  54. 


?naa  àn'-i  nâ  nai-â  uer-u   iu     er     s-aa  (ken-)  'd         tai-â 

pour  voir     le  fait  par  moi;  mes        chefs  vinrent  pour  célébrer  ma  vaillance-,  mes 


p.s.vii,io.    Y 

L.  62.         ' 


-     sç 

III. 


'^^   Q  VIII.  l 


•I^" 


nte        hetâr 
cavaliers 


Ainsi 


yerau-ti  ^ 
combattant 


em     mati     (lier)         suha  ^ 
de  même       pour  exalter 


î:sp 


bon!      stable    de    cœur 


'  La  lacune  peut  être  remplie  par  ■; o,  ken  «vaillance»  ou  ,  ne^l  «victoire». 

^    '  V^  rû  ^v  Ql)'  luslquPfois    I  rn  ^i  ««''«.  ««'î  «exalter,  vanter,  s'enor^ieillir»  pris  en  bonne  ou 

en  mauvaise  part.  —  Bedgsch  (I>«<.,  p.  1177)  traduit  ce  mot  par  :  «prier,  adorer»  :  cela  n'est  pas  toujours 

sufiîsant  comme  sens.    Ain.si  suha   est  mis    en  parallélisme  avec  ska  «exalter».    Ex.  :  Benkm.  III,   196. 

^^^  j  ~^  P   y  rn^N  gA  "^  «exaltant  la  vaillance,  célébrant  la  force!»    Benkm.  III,  30, 

24.  Le  roi  dit  :  _n_  ^H 


songe  en  louant  ce  que  j'ai  tait.»  Gr.ande  Inscript.  d'Abj^dos,  1.  99.  Eamsés  II  dit  :  ^    '   vf^^^^  Sft 

^k   I  LlI'io     I  ^1  ^^^^'"^    Il    &\,  V  '  *^^  I ''^^  récrient  sur  ses  mérites  Ea  Hai-makhis 

et  les  habitants  de  l'Enfer.»  —  Suha  est  souvent  suivi  de  ran  «nom»,  qui  devient  alors  presqu'un  type 

pronominal  comme  | |  |,  ka  «  personne  »  :  suha  ran-à  «  célébrer  mon  nom  »  pour  :  «  me  glorifier  ».  —  Suha 

se  prend  également  en  mauvaise  part  :  alors  il  est  suivi  du  déterminatif  -^^  et  passe  au  sens  de  «mau- 
dire, ensorceler,  incaniare».  Ainsi  les  ennemis  sont  frappés  de  fascination.  (Cf.  Chabas,  Mél.  II,  96,  99.) 
Dans  ce  sens  il  faut  en  rapprocher  cevoou-,  maledicere  :  cooe,  increpare,  cioe,  insanire.  —  Le  papyrus  au 
lieu  de  mettre  :  exalter  mon  nom,  donne  la  variante  :  suha  xopeî-a  «exalter  mon  glaive».  —  Les  débris 
du  texte  d'Abydos  donnent  au  complet  le  mot  suha,  dont  le  commencement  seul  est  à  Karnak  et  la  fin 
au  papyrus. 

^      [1  l]  Q7);  X'h  particule  cxclamative.  Xi  répété  signifie  «tel,  tel».  Ex.  :  Inscript,  dédicatoire  d'Abydos, 

'■  55.  [I  0  1^^  1 1 'J 'J  ffl  êP  i  V  '  '^'^'  ''^  ^'^'  *^'  *°°  P^''^  "•  ^^'''  indiquerait  peut-être  que  x*  devrait 
se  rapporter  à  un  radical  de  ressemblance  et  x^  exclamatif  serait  :  donc!  sicî 

*  Xerau-ti.  V.  ci-dessus  Karnak,  1.  53,  note. 

5  Smen  hâti  «au  cœur  ferme». 

^         ^"i D,  sut  «sauver,  protéger».  Cf.  Louqsor,  1.  9  et  56.  Au  sens  propre  sut  signifie  :  extrahere, 


Le  poème  de  Pentaour. 


23 


P.  S.  VIII,  1. 
L.  63. 
K.  54. 

p.s.vni,2. 

L.  63. 
K.  55. 


,fr\m7i^\\:^^M]r] 


W      W 


pai-k       menfi-u       tai-k       tente  ketâr  se      àmen  '       âri-u     em     tut-ui-f 

ton        infanterie,        ta  cavalerie,  ô  fils  d'Ammon,      fait       par  ses  mains! 


^ 


D 


(Ju) 


'^  ^  ^A  ^ 


-    [}^\ 


^8"^^:^^^^®   ^Q:^^£]É: , 

fex-k"^  to  en  yeta         em      x'^pei-k  keni         ntok         x^rau-ti 

Tu  as  détruit  le  pays  de  Khéta    par    ton  glaive  victorieux:     tu  es     le  combattant 


eoi 


Q^^ 


Q^' 


nefer  ^     an     mâ-ti-k     suten         yerau  lier  menfi-u-f^    hru  yerau 

bon!       Pas  semblable  à  toi  de  roi,  combattant    pour  ses  soldats  au  jour   du  combat! 


P.S.VIII,3. 
L.  64. 
K.  55. 


fo^.S^PI^.^^ 


m.- 

ntuk'"         âa       hCiti       tep   em         sekiu^  bu       târ''    -    nek        to 

Tu  es  le  grand  de  cœur,  le  premier  dans  la  mêlée.      Tu  ne  fais  pas    attention  au  monde 

par  exemple:  creuser  un  puits,  et  de  là  :  «tirer  du  danger».  —  Le  papyrus  a  fait  une  nouvelle  faute  en 
mettant  :  sut  kuâ  :  «j'ai  sauvé  du  danger»  :  ce  n'est  pas  le  roi  qui  parle. 

'  Karnak  met  :  fils  d'Ammon,  tandis  que  le  papyrus  porte  :  fils  de  Tum. 

2  "^^ ,  fek  «dépouiller,  ruiner,  dévaster,  détruire».    Bkdgsch  le  rapproche  de  Êuui,  nudare, 

\  ,  «marcher  à  la  ruine»  se  dit  d'un  édifice  :  ce  mot  a  donc  un  sens  assez 


spoliare.  -L     v\    ■^ 

général.  —  Le  papyrus  semble   encore  fautif  :  il  faut  peut-être  supposer  : 


e 


^. 


et  il 

"  '  '  .= — D  \\      \\         ®     ^ a' 

manquerait  en  plus  '^ — -«. 

2  Le  papyrus  donne  la  variante  :  ntuk  neb  a.u.s.  nexlu  «tu  es  le  seigneur  des  victoires».  On  pourrait 
traduire  ce  membre  de  phrase  par  le  vocatif  :  «Toi,  ô  bon  guerrier!  Toi,  ô  seigneur  des  victoires!» 

<  Il  n'y  a  pas  de  roi  semblable  à  toi,   combattant,  etc.  »    Le  papyrus  porte  ici  :  <:^>  i^  ^  I  er 


her  menfiu-f.  Le  premier  pourrait  se  traduire  par 


menfiu-f,  tandis  que  les  monuments  donnent  :   ^  \ 

le   comparatif  :  «combattant  plus  que  ses  soldats^-V  et  le  second  :  «combattant  pour  ses  soldats». 

^  Le  papyrus  emploie  la  forme  emphatique  du  pronom  :  "Sa       '^   .  Cf.  E.  de  Rodgé,  Abrégé  Qram.,  n°  180. 

s  Sek-iu  «mêlée».  V.  plus  loin  Louqsor,  1.  73. 

'  ^°^1  )-^S-  «ar;  ^^  [1  (1  du  papyrus  est  une  faute  :  l'erreur  du  scribe  provient  sans  doute 


24 


J.    DE   ROUGÉ. 


,111 

yt/My;. ,  I  K4^iP6  c        I 

emhuua        (mcuttik  ûa  mr/Ju-tii.  emhaliu)^  menfi-u-k  xefte"^ 
ensemble.        C'est  toi  le  graud  des  victoires  devant  tes  soldats,  en  face 

4  o   ©t 


P.  S.  VIII, 4. 
L.  65. 
K.  56. 


to     er    (er-f  cm     fet  em 

du  monde  entier.  Pas  de  parole  en 


*;-=— ^ — 01   I   I  Ci    I  1 1   I 


ahah-t  ^  (mentuk)  mak        kem-t 

contradiction;    c'est  toi  qui  protèges      l'Egypte, 


e  X 


^ 


© 


.CS'^ 3 


m 


© 


f^/^^ 


>#■ 


îto/""'  t  es-tu 

qui  opprimes  les  natiiins  étrangères. 


saau-k  ^ 
Tu  as  brisé 


àat  en  (pen)       ffita 
le  dos    de  Khéta 


de  ce  qu'un  des  déterminatifs  ordinaire  de  (&r  est  A,  dont  l'hiératique  peut  quelquefois  se  confondre 
avec  celui  de  [1  (1.  —  T'ar  paraît  signifier  :  «explorer,  regarder,  faire  attention.»  Un  exemple  se  trouve 
dans  la  grande  inscription  de  Mènéphtah  :  |  %>  ^3^  '^'l  aa^,^^  <:^^  |  1^  %  ®  fl  -A,  (1  (|  ^^  °  ,  Il  ne 
fait  pas  attention  à  la  multitude  au  jour  du  combat.  »   JJans  l'inscription  de  Kosette,   à  propos  des  funé- 

railles  d'Apis  ou  trouve  la  phrase  :   -^J|  A  «  les  choses  qui  les  regardent  »  ;  dans  le  texte  grec 

il  y  a  :  xh.  xocOrjKovta. 


f=iî)  em  bah.u,  avec  les  compléments  phonétiques  ^^^^       Q  «devant».  Cf.  aiav«.ç^  oniîè. 


(Voy.  Lepage-Renouf,   Zeitschrift,   etc.  1866,  44.) 


dans  le  même  sens  a  auçsi  la  lecture  emto,  cf 


A*.-ôO,  coram,  ante. 

^  ^1.=^  -^  ,  /e/i!e  «en  face».  ^  est  déterminatif  Le  scribe  du  papyrus  a  dû  confondre  ici  x^fi^  avec 
le  verbe  x^f°'  et  encore  aurait-il  commis  une  faute,  car  il  y  a  :  "^^^^  VQs  qui  ne  donne  pas  de 

sens.  — x^fi^  "en  face»  a  déjà  depuis  longtemps  été  étudié  dans  l'Inscription  d'Ahmès;  au  propre  il 
signifie  :  face  et  correspond  alors  à  çojt,  faciès. 

3  .y  /1-[]  n  \  c.,  var. 


^   \\^ — D  j   ^^  yh'  "*"*  "Contre,  contredire,  contradiction».  Cf  ofic. 


contra  de 
vantard  ». 


C'est  un  second  sens. 


il  ^    Sh  "''"'  ™ême  sens.  Bkugsch  (Dkl.   176)  traduit  àhab  par  fia>fie  «  plaisanter,  être 
^^  V\    -M  -M  c'est  :  «  mentir,  dire  le  contraire.  » 
uàf  «opprimer,  châtier».  Cf.  toqe,  castigare.  Ce  membre  de  phrase  fait  partie  de  la 
légende  officielle  de  Ramsès  II  sur  l'obélisque  de  Louqsor.  —  Dans  v\  le  signe  (S  est  premier 

déterminatif  :  c'est  la  corde  qui  sert  à  attacher  les  prisonniers  ;  on  trouve  en  effet  le  mot  écrit  simplement 
v\  i; 0.  Aussi  Brugsoh  (Dkt.)  lui  donne  comme  premier  sens  :  «  tordre,  serrer.  »  (J.  R.) 


|^^\  .^^_^__^,  var.  :  a?|^^&.,  so!«  «briser,   couper.»   Beugsch  {Dict.   1160)  traduit:   «aifaiblir. 


Le  poème  de  Pentaoue. 


25 


han    {et    en  hon-fen  pif-menfi-u  nai-f    uer-u  em  mà-ti       taif         nte     hetàr 
Voici  que  dit    le  roi  à,       ses  soldats,    à  ses  chefs      de  même,      à  ses  cavaliers  : 


%.r^\m?~^. 


p.  s.  vin,  4. 

L.  65. 
K.  56. 

P.  S.  VIII,  5. 
L.  65. 
K.  56. 

P.  S.  VIII,  5. 
L.  66. 
K.  57. 


îilfiP  î^iid^.C^^iilTiiH.Y, 


P.  S.  omis 
L.  66. 


â^    àri '  uer-u,  fia  -  menfi-u         tai-d 

Ah!  vous  avez  fait  (une  \nlaine  action  ô  mes)        généraux,  ô  mes  fantassins,    ô  mes 


nte  hetar  yem-u-         yerau  as  ben'-^  àri  en  ret^      s-aa-f       em  nu-t-f 

cavaliers      en  refusant  le  combat  !  Est-ce  que  le  fait  par  l'homme  n'est  pas  glorifié  dans  sa  ville, 

m. 


K.  57.         \\^\^^^W^^ 


àu-iu  àri-u-f^   ken     (hnaj^       neb-f  nefer    em     ran       (en)  yerau 

lorsqu'il  vient    faire    vaillance     avec    son  seigneur,         bon      son     nom  de  guerrier. 


11   confond   ce   mot   avec    Z,^  ^V^^"    «négliger»  qui  est  traduit  par  le  démotique    \^/^-^  t'alhu, 


en  copte  scoA-ç^,  minirtmm  esse,  impotens.   Il  reconnaît  cependant  le  sens  de  couper  avec    \\    pour  déter- 

minatif,  pour  dire  :  couper  le  nez,  les  oreilles.  (Ex.  Pap.  Judic.)  Remarquez  dans  sau  «couper»  le  déter- 
C3c:i  ^s^  ^,:^  C3EH  .=^i=  xsçj^ 


minatif  "^fe^,  comme  dans  ^^&  ^'^i  ^^^'-  '■  ■^^    ^^^j  *<^ï   «couper»   uji>e..T,  ujct,  exscindere. 

secare.  Le  papyrus  ajoute  avant  sau  un  mot  assez  mal  écrit  et  inutile  :  le  papyrus   est  d'ailleurs  assez 
incorrect  en  cet  endroit  :  il  va  bientôt  successivement  omettre  deux  passages. 
'  Lacune  du  papyrus  :  on  peut  suppléer  la  partie  détruite  de  Karnak  par  : 


D    ©- 


^è^î  sep  ^a5i 


«action  mauvaise». 

2  ® 'S.^   —'1—;  %em-u  «refuser».  Cf.  Louqsor,  1.  ifi. 

3  Nouvelle  phrase  omise  dans  le  papyrus  :  l'erreur  du  scribe  provient  sans  doute  de  ce  que  cette 
phrase  commence  par  IJ  h    '='     et  la  suivante  par  [Il      (g.  (J.  E.) 

■*  Le  pluriel  est  ici  déterminatif  idéographique  :  c'est  un  nom  collectif. 
'  Le  texte  d'Abydos  conserve  ici  :  Wxm         W   \^  ' 


a; 


\ 


On  peut  restituer  par  conjecture  une  particule  comme  «avec s 


<  auprès  » 


A. 


26 


J.    DE   ROUGÉ. 


L.  66. 
K.  67. 


em         er-a 
En  vérité!  En  vérité! 


tàr-tu  ^  sa     lier  y^opeë  ^ 

est  loué         l'homme  par  son  glaive! 


A 
■)iaâ-uà  ^ 


as       bu     âr-à  ^  nefer  en  ua  (em)  àm-ten  pai-ten 

N'ai-je    pas  fait  du  bien  à  un  seul  d'entre  vous  (pour  que)  vous  ayez         abandonné  moi 


em      xennu 
au       milieu 


I    I    I 
pa       %erui-u  sebek-ui-su  ''  mâ-ten 

de       l'ennemi.      Celui  qui  est  vénéré        par  vous 


'  ^^  I  peut-être  faut-il  transcrire  em  er  tôt  (v.  Brcgsch,  Dict.)  :  le  bras  est  pris  quelquefois 

dans  le  sens  â'acte.  Ainsi  :  Leps.,  Denkm.  III,  140  :  Le  roi  dit  :    fl    f)  \fr  — " —  i  '  "T"  I 

H      '^      ri   ~WW,    I      A^AAAA     II         ®       I      I      I      I 

«J'ai  fait  pour  eux  l'action  de  leur  donner  la  vie.»  em  er  tôt  serait  donc  :  de  facto  «véritablement».  C'est 
d'ailleurs  le  sens  indiqué  dans  divers  passages  du  Pap.  d'Orbiney.    Ainsi  :  pi.  VII,   4  :  (1  Mfi 

Ar\  H   1    II  W  "'^^^  *K\  «  Je  suis  pourtant  ton  frère  cadet  en  vérité  (dans,  le  fait).  » 

//-/TH  \_^fl  û  ^'  U2r^  ^ D  I 

'  Ol    H  '"'"'  '^^'■^^  ^^^^  signifiant  :   «invoquer,  acclamer».  On  éclate  en  louanges  sur  la  valeur 

du  guerrier. 

3  On  peut  couper  cette  phrase  ainsi  :  «Est-ce  que  ne  fait  pas  un  homme  quelque  chose  qui  l'exalte 
»dans  son  pays  lorsqu'il  vient  combattre  prés  de  son  seigneiu'?  Celui  qui  a  le  renom  d'un  bon  combattiint, 
»  en  vérité  celui  là  est  loué  pour  sa  valeur.  » 

^  Le  i>apyrus  passe  le  pronom  à  après  le  verbe  àr  :  c'est  encore  une  faute,  car  il  faudrait  alors 
traduire  :  «Voici  que  un  d'entre  vous  a  fait  quelque  chose  de  bien.  » 

'"  Pai-ten /aâ-uà.  Nom  verbal  :  mot-à-mot  :  «Le  votre  abandonner  moi.»  On  peut  aussi  considérer 
ici  2'"^  comme  équivalent  de  G^,  ce  que  justifient  d'autres  exemples. 

^  M  )M  ^  se'jefc  au  propre  signifie  :  «jambe»,  puis  :  «parcourir»  (Brugsch,  Dict.).  —  Il  existe  un 

autre  mot  I  IM^s  ()  qui  désigne  une  espèce  d'arbre  et  l'huile  précieuse  qui  en  est  extraite  :  de  là  la 
valeur  «oindre».  Mais  avec  la  jambe  comme  déterminatif,  le  mot  sebek  semble  avoir  un  autre  sens  :  ainsi  : 
I  )M  ^i  signifierait  :  «s'agenouiller»  et  de  là  souvent:  «vénérer,  vénérable».  Cette  signification  semble 
également  s'appliquer  au  mot  écrit  avec  l'arbre  en  déterminatif.  Ainsi  (DiJM.,  Hist.  Inschr.  I,  6,  1.  13)  : 
•a — D  I  I  1  J  Zl  ()  \>  w  1  \^  ''^^^  Wi  T  A  '  ^^^^  ^^^^  '^^  dieux  qu'il  a  été  vénéré  comme  seigneur». 
Ce  doit  être  un  mot  comparable  à  "^"la  «à  genoux,  bénir».  —  Bbuosch  {Dict.,  1192)  donne  à  ce  mot  la 
valeur  de  faire  un  chemin,  laisser  en  arrière.  Le  sens  de  Ion  coureur  qu'il  donne  comme  qualificatif  à  Chons 
ne  semble  pas  suffisant  dans  l'exemple  cité  par  lui.  —  Dans  l'exemple  suivant  (Pap.  Anast.  V,  8,  4)  : 
^l^^l^^m^^l^PJ^^  J^  'Tu  le  trouveras  auprès  d'un  vieillard  véné- 
rable»,  M.  Behcsch  traduit  ^ar  gesalbten  «oint».  —  Dans  la  grande  inscription  dédicatoire   d'Abydos  on 


Le  poème  de  Pentaour. 


27 


P.  S.  passé 
L.  67. 

K.  58. 


L.  68. 
K.  58. 


P.  S.  VIII,  6. 

L.  6S. 
K.  59. 

P.  S.  VIII,  6. 
L.  69. 
K.  59. 


t 


(uv/        fàr 
vit      donc  ! 


pa-fen  seseni  j)a-nifu  àu-â  «a         ku  à 

Vous  respirez      les  souffles  (et)    j'étais         seul         moi! 


I  m^  ^  '<.^'  ^  i^  Y 


\n 


^ 


I    I  I  !     I  iry^  ^ 

s-bu  rey-ten  er       fat      em      hâti-ten    nok  prd-ten 

Ne  saviez-vous  pas  dire  dans  vos  cœurs  Cque)  je  suis     votre 


Il  1 
sehti 
rempart 


de  fer? 


'•^  âu-tu      lier     setem-f 

(Lorsque)  on  entendra 


i^>{!¥,fifl:rr#, 


A 


''à^jï'à^imm'j^l\ 


•pa  -  ten      yaâ-à       uâ-kuâ        an     seti-à  ^     au      bu     eu         uer  seneni 

le     vous  avoir  laissé  moi  seul,  pas  d'autre  à  moi  :  (que)  pas  venu  de  chef,  de  capitaine  de 

cavalerie, 

>^I8       ^l\c^^n:r^^    ^    rU^^^^AJ  I 


^1 


'^i, 


û D  Ci 


er  tii-t  tot-f  hna-d       àu-à  lier  yerau 


=  - — -&i  M  I  II 
hat  ''-à     heli 


de  capitaine  d'infanterie  pour  placer  sa  main  avec  moi.  Moi,  je  combattais,  je  repoussais  des  millions 

rencontre  deux  fois  ce  mot:  Kamsés  est  appelé  (1.  UO)  ^^   '  jMf  i|"^'0'    |        ^ °- je  traduirais: 

«fils  vénéré,  cœur  pieux»  et  1.  115  :      Q     P    K  l~     Jl       1  "^^  û  J|  «Tu  es  l'œuf  sacré  (?)  de 

Chépra».  M.  Maspero  traduisait  :  «Tu  es  l'œuf  pénétré  par  Khépra.  » 

Dans  la  forme  0  J  ^5^^'  1^  "'"'"'  ^^^  ^^  *"°™'''  intensitive,  ex.  :  ^^  ^^%>1  %=©  ^  .^ 
■«s'est  avili  votre  cœur». 

1  IU7  M  ,  ba  en  pe  <!■  le  fer  ».  Voy.  ci-dessus,  Louqsor,  1.  7. 
JJ      1  000  t=^ 

2  Cette  lacune  devait  contenir  quelque  chose  comme  :  «  Que  dira  le  peuple  d'Egypte  lorsque  »,  etc.  Il  faut 

en  effet  remarquer  la  substitution,  dans  le  membre  de  phrase  suivant,  du  pronom  indéterminé  ci  v\  tu,  au 
lieu  de  *^-=— .  La  tournure  naturelle  était  :  àufher  sotem-f.  Cette  lacune  sera  peut-être  comblée  par  Louqsor. 

3  Restituez  J(  «sans  compagnon». 


^  Le  papyrus  met  au  complet  le  titre  :  ttàu  en  menfiu  «capitaine  d'infanterie». 


[[]  ^^  ^ :,  hat  «s'opposer,  repousser»   (cf.  ci-dessus,    Louqs.,  I.  30).    Ex.  :  Ibsamboul 


28 


J.  DE  RouGÉ.  Le  poème  de  Pentaour. 


■/////M 

(en)  tes-t  âu-â  uakuà         àu-à     li,er  neytu  -  em  -  was  i  Nwàu-hcru-tà'- 

de  nations.  J'étais  seul  :       j'étais    avec  Nechtemus  (et)  Nurahuret 


M\  '^^i  -=-^ 


hetar-u     aa-u       ntu  sen  na         kem-u-à 

chevaux  grands  :  ce  sont  eux        que  j'ai      trouvés 

tot-â       ûu-à  uâu  kud  her^  tes-fu       ahi  yamiu 


de  ma  main.  J'étais  seul  moi  au  milieu 

(La  suite  prochainement.) 


ai 
des  peuples  nombreux,  se  courbant. 


ra^^f^T 


© 


«J'ai  repoussé  toutes  les  nations,   et  j'étais  seul.»  —  Beugsch 


(Dict.J  donne  le  sens  de  «eraiudre»,  qui  ne  pourrait  convenir  dans  ce  passage  :  remarquez  d'ailleurs  le 
déterminatif  ^->--~S>,  qui  se  retrouve  dans  les  mots  signifiant  :  «côté,  mettre  de  côté».   Cf.  ,   rek 

«cesser,  être  séparé». 

'  «Victoire  dans  Thèbes  et  Mu-t  satisfaite.  »  Ce  sont  les  noms  des  chevaux  de  Eamsès,  comme  l'ex- 
pliquent les  textes  monumentaux  :  le  papyrus  se  contente  d'ajouter  le  déterminatif  des  quadrupèdes.  — 
Doit-on  lire  dans  le  second  nom    a\  le  vautour  par  mu-t,  le  nom  de  la  déesse,   ou  par  [1  v\  a\ 

neràii,  iioirpc,  qui  est  le  nom  du  vautour?  L'absence  de  phonétiques  laisse  dans  l'indécision. 

'  rn     ©     I  (J   ^i(r«-tà  est  le  participe  féminin  de   fD  /le?- «être  tranquille»,  cf.  oepi,  guiescere. 


Ex.  :  Champ.,  Notices,  164;  Aménophi?  III 


DX 


;S.  M.  dirige  la  victoire,   con- 


fiant dans  sa  vaillance»  (cf.  Louqsor,  1.  87). 

'  Le  papyrus  a  la  variante  :  àu-à  uâ-k  her-à  en  em-xennu  pe;(erui-u  «  J'étais  seul  moi  de  ma  personne 
au  milieu  des  ennemis».  Dans  ^  ®  le  second  signe  est  déterminatif. 

■*  ^  V  \  [  L  Sa  I  yamui-u  est  un  verbe  assez  rare  :  il  exprime  ici  un  sentiment  de  l'ennemi. 
Si  ce  verbe  est  le  même  que  l'on  rencontre  ainsi  écrit  I  *^.  v\  T^,  ce  serait  les  ennemis  se  cour- 
bant par  soumission;  mais  le  déterminatif  dans  notre  texte  QA  peut  indiquer  une  antre  nuance  (cf.  ci- 
dessus  :  Louqsor,  1.  27  V\     v\  |.  Faut-il  rapprocher  ce  mot  de  T  v\  ,  qui  est  un  verbe 

de  mouvement?   M.  Maspero  {Hymne  au  NU,  p.  12)  compare  ce  mot  à     "    /         V\  A   «s'incliner».  (V^ 
plus  loin  Karnak,   1.  G.B  :  «  Ne  tombez  pas  »    — (U. 


Q 


en    I 


C^oA' 


S 


il    I    I  .^- 

N    A  «Quiconque  vient  à  tomber»,  etc.) 


A  et  Karnak,  1.  64  : 


Planchettes  bilingues.  29 


PLANCHETTES  BILINGUES. 

PAK 

E.  Revillout. 

(Suite.) 

Dans  notre  dernier  article  nous  avons  cité  (sous  le  n"  5)  une  tablette  qui  donnait  la 
valeur  sno  (copte  ch&.tt)  au  chiffre  2  dans  le  mot  bilingue  sansno  (les  deux  frères).  Cette 
valeur  se  retrouve  dans  nos  tablettes  bilingues  9607,  9478,  10100  etc.  Nous  aurons  l'occasion 
de  la  rencontrer  bien  souvent.  Nous  avons  d'autres  tablettes  bilingues  qui  donnent  la  valeur 
fto  (copte  qTO)  au  chiffre  4.  En  voici  une  : 

N°  7  (9513). 
AnOAAUNIOC  YAITOC 
MHTPOC  CEN+eONCNECJC 
AnO  BOMnAH 

«Son  âme  sert'  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur  d'Abydos;  Apollonius,  tils  de 
Psi  (du  très  haut),^  dont  la  mère  est  Tasetnftoson  (la  fille  des  quatre  frères"),  l'habitant 
(l'homme"!  '  de  Bonpaha.  » 

Il  faut  bien  se  garder  de  confondre  le  chiffre  4  avec  le  chiffre  3,  qui  lui  ressemble 
beaucoup  en  démotique  et  qui  est  transcrit  tantôt  x^un  (copte  ujoavut),  tantôt  ymt  (copte 
jijOMT;  hier.  i^=B>-  y  émet)  par  les  bilingues,  comme  on  le  verra  par  les  exemples  suivants. 
La  première  de  ces  transcriptions  est  surtout  curieuse;  car  elle  est  vocalisée  comme  ujmoth 
(8)^  que  de  nombreuses  transcriptions  démotico-grecques  d'époque  ptolémaïque  nous  ont  fait 
connaître  comme  la  transcription  moderne,  empnintée  au  sémite  Jîîîr,  du  vieil  égyptien  sesennu.-' 

N°  8  (9495). 
AVPHAIOC  APVUeHC 
O  KAI  lEPEVC  XEMONECJC 
nPOOHTHC  MHTPOC 
CENYANCNCJTOC 
EBICJCEN  Aj"  MAKPIANOVe 
KAI  KVHTOV  CEBACTUN  L  RA 

'  Nous  verrons  bientôt  que  le  biling-ue  9595  traduit  ses  par  VflHPETEIN. 

2  Voir  Revue  égypt.,  VI,  II,  pi.  24  pour  le  mot  psi. 

'  Il  est  curieux  de  voir  le  mot  rem  prendre  ici  le  déterminatif  géographique  (®)  dans  le  sens  de 
«citoyen». 

*  On  ne  saurait  songer  à  traduire  \o  'i  par  2  (fois)  4  =  8.  Le  signe  initial  a  en  effet  la  valeur  2 
et  la  valeur  pa.  C'est  la  seconde  que  nous  acceptons  ici. 

»  Nous  avons  indiqué  depuis  longtemps  qu'à  l'époque  récente  les  lectures  sémitiques  se  substituèrent 
souvent  aux  anciennes  lectures  égyptiennes.  C'est  ainsi  que  les  n  1 A  devint  ujMuje  à  cause  de  B'CB'  etc. 

s  Dans  les  tessons  et  les  planchettes  d'époque  romaine,  Wilcken  l'a  déjà  remarqué  dans  la  Bévue 


30  Eugène  Revillout. 


«Son  âme  sert  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur  d'Abydos  :  Hor  ufa,  surnommé 
Hiaru  (tepej;)  le  prophète  de  Xmun  (Paxonmtsou  ')  dont  la  mère  est  Tsetnsansnau  —  l'habi- 
tant de  Bopabat.  En  l'an  1'"''  (de  Macrien),  ^  dans  la  84^  année  (de  la  vie  du  mort).  » 

N°  9  (9581). 
YENGAHCIC  L  lA 
YENGAHCIOC  RAXENTINECOC 
MHT.  CENXENTCAN 

«Psentaêsé^  (le)  petit,  ^  fils  de  Psentaésé  (le)  grand,  dont  la  mère  est  Tsexentson-^  (la 
fille  de  Xmun)  en  année  1 1*™°.  » 

Passons  maintenant  à  d'autres  transcriptions  : 


N"  10  (94651 

«Son  âme  vit  et  ses  os  sont  réunis  (l!w<-TOTrtOTJ  devant  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand, 
seigneur  d'Abydos,  et  les  dieux  de  la  salle  des  vérités,  à  jamais  :  Horbek,  fils  d'Hormakheru  » 

(jJPICJN  APMAXOPOV 

Cet  exemple  du  titre  makheru  transcrit  en  grec  est  fort  curieux.  Son  emploi  dmis  un 
nom  propre  est  aussi  rare.'' 

égyptologique,  la  siffle  L  =  ETOC  se  fait  aussi  5.  J'ajouterai  que  l'usage  est  de  ne  lui  donner  cette  forme 
que  quand  elle  suit  le  chiffre  de  l'année.  Quand  le  chiffre  de  l'année  précède  la  sigle,  celle-ci  garde  l'an- 
cienne forme  L.  C'est  une  règle  jusqu'ici  sans  exception. 

1  Pa/oniutson  signifierait  «les  trois  frères»,  c'est-à-dire  sans  doute  Osiris,  Isis  et  Nephthys. 

2  Macrien  (!'='')  était  gouverneur  de  Syrie  lors  de  la  malheureuse  expédition  de  Valerien  et  des 
désastres  des  Romains  vaincus  par  les  Parthes.  Il  fut  proclamé  par  son  armée  en  l'an  260  et  fut  l'un  des 
30  tyrans.  Il  s'associa  ses  fils  Macrien  (II)  et  Quietus.  Mais  il  fut  tué  en  Illyrie.  Ses  tils  furent  tués  l'un 
après  l'autre  :  l'un  à  Emèse  par  Odenat  et  l'autre  avec  son  père,  pense-t-on.  Notre  tablette  était  d'abord 
datée  en  grec  de  Macrien  seul.  On  a  ajouté  KAI  KVHTOV  CEBACTCON  après  coup  et  d'une  autre 
écriture  plus  petite  :  ce  qui  semble  indiquer  qu'on  venait  seulement  d'apprendre  la  mort  de  Macrien  1"  et 
qu'on  datait  dés  lors  de  ses  deux  fils.  Cela  nous  prouve  que  Macrien  possédait  l'Egypte  comme  la  Sj'rie, 
la  Babylonie  et  tout  l'Orient  quand  il  fut  tué  en  Occident. 

3  Le  son  se  est  représenté  par  un  petit  point  au-dessus  de  ta.  Ce  point  =  se  sert  pour  marquer  la 
filiation  dans  les  généalogies;  mais  ne  s'emploie  pas  d'ordinaire  dans  le  corps  des  noms  propres. 

*  C'est  le  mot  ïem  très  cursivement  écrit,  comme  cela  est  fréquent  à  cette  époque. 

^  5  et  J;  se  confondent  souvent  dans  cette  écriture.  Ici  5  doit  se  lire  se  et  le  point  a  été  ajouté  à  tort. 

6  Curieuse  à  noter  est  aussi  la  transcription  de  Horbek  par  OJPItJN.  Ce  mot  WPItJN  servait  à  tra- 
duire certains  noms  théophores  renfermant  le  nom  du  dieu  Horus,  tandis  que  le  nom  du  dieu  Horus  isolé 
se  disait  (JPOC. 


Planchettes  bilingues.  31 


Voici  mainteuaut  deux  exemples,  fort  intéressants,  du  titre  «  roi  du  monde  »  sutento.  On 
remarquera  que  le  mot  suten  est  abrégé  en  s«,   comme  dans  Amon-ra-sonter  (amon-ra-suteu 

neteru)  : 

N°  11  (9524). 

LJPOV  TOV  nOAAOVTOC 
MHTPOC  CENCONTCjJOV 
AnO  BOMnAH 

«  Son  âme  sert  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur  d' Abydos  :  Hor,  tils  d'Hor,  dont 
la  mère  est  Tsetnsutennatoou  '  (la  fille  du  roi  des  mondes),  l'habitant  de  Bonpaha.  » 

N°  12  (9607). 
TACONTCiJOVC  YENTA 
TPI4>I0C  MHTPOC  CEN 
YANCNUJTOC  AHO  BOIN/IHAH 

^cA  1-  T-^H/Api- 

«Son  âme  sert  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur  d' Abydos  :  Ta-Sutennatoou,  fille 
de  Psentaterpit  (le  fils  de  celle  de  la  princesse  héréditaire  ou  Triphis),^  dont  la  mère  est 
Tsetsansnau,  ^  l'habitant  de  Bonpaha.  » 

A  côté  de  la  déesse  Triphis  qui  est  nommée  dans  le  texte  précédent  et  dans  beaucoup 
d'autres  bilingues,  il  faut  noter  la  transcription  de  la  déesse  Thermouthis,  qui  ne  représente  pas 
du  tout  Isis  la  «  mère  divine  »  neier  moût,  ainsi  qu'on  aurait  pu  le  croire,  mais  au  contraire 
la  déesse  Eanen,  qui  se  retrouve  dans  beaucoup  de  bilingues  (N<"^  10111,  9576,  9498,  etc.). 
C'est  ainsi  que  OAPMOVei  est  pour  pa-ranen  (le  mois  de  la  déesse-serpent  Eanen).  —  Citons  : 

N"  13  (9498). 
YAIC  nETEPMOVeOV 
MHTPOC 
CENYAIC 


{i-)))3v 


'  Notre  bilingue,  ainsi  qu'un  passage  de  la  col.  9  du  papyrus  bil.  de  Londres,  prouve  que  le  pluriel 
—  même  écrit  idéographiquement  —  se  prononçait  u  (ou),  comme  l'enseignait  mon  cher  maître  M.  de 
EouGÉ.  Le  monde,  déterminé  par  la  maison  à  la  basse-époque,  se  lisait  simplement  to  au  singulier  —  de 
nombreuses  transcriptions  l'attestent  (pap.  bil.  de  Londres  l''°  col.,  7"  col.,  9°  col.  et  passim). 

2  Trpit  «la  princesse  héréditaire»  est  un  surnom  de  la  déesse  en  question. 

3  eVrATHP  TION  AAEA+CJN. 


32  Eugène  Revillout. 


«Vit  sou  âme  devant  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur  d'Abydos  :  Psi,  fils  de 
Patermoutbis,  dont  la  mère  est  Tsepsi.  » 

N"  14. 

AVPHAIOC  KOAAOVeOC  AErO. 
«DGEVC  CANCNCJTOC  TOV  lEPEW(C) 

MHTPOc  eEPMOveioc  Ano 

BOMnAH 

«  Son  âme  sert  devant  Osiris  Sokaris,  dieu  grand,  seigneur  d'Abydos  :  Alelu  (Aurelios), 
surnommé  Plies,  '  fils  de  Sousnau,  dont  la  mère  est  Tbermoutbis,  l'homme  de  Bonpaha.  » 

Dans  le  n°  10111,  c'est  cette  dernière  forme  du  nom  de  Termoutbis  que  nous  ren- 
controns. TATETPI+IOC  nETEPMOVeOV  =   ^yv<2+\o^f^)ii  ±.7\h. 

Dans  notre  n"  14  le  même  signe  a^,  est  tantôt  le  nom  de  la  déesse  Ranen  ou  Ter- 
moutbis et  tantôt  le  syllabique  hes  —  syllabique  que  nous  connaissons  par  beaucoup  d'autres 
bilingues.  Le  même  signe  représente  aussi  le  syllabique  nem,  particulièrement  dans  les  docu- 
ments gnostiques  d'époque  romaine.  En  voici  d'ailleurs  une  preuve  : 

N"  15  (9472). 

nANOMIHTOC 
ATPHTOC 

«Son  âme  sert  Osiris  Sokaris,  dieu  grand,  seigneur  d'Abydos  :  Panem-t,^  fils  de 
»  Hetar.  » 

Nous  venons  de  rencontrer  dans  les  tablettes  précédentes  plusieurs  surnoms  divins  em- 
ployés à  la  place  des  noms  mêmes  des  divinités.  En  voici  un,  qui  est  bien  fréquent  comme 
surnom  d'Isis  dans  les  inscriptions  blemmyes  de  Nubie. 


'  Il  est  assez  étrange  de  voir  phes  transcrit  <t>9EVC.  D'où  vient  le  t  intercalaire?  S'agit-il  du  tran- 
sitif du  verbe  kes  (^toc)  «  chanter  »  ?  Mais  le  démotique  ne  porte  pas  ptu  hes.  Il  porte  phes. 

2  Cela  donne  raison  à  la  Gramm.  dém.,  p.  188  (conf.  168)  contre  le  Blet,  de  Brdgsch,  p.  1214.  Je  crois 
que  le  verbe  /a<C!Zk°"  /A2»3«H-  «s'approcher,  se  marier»  se  lisait  nem  (conf.^"f3,  Zvii'77,  'jj  Poème, 
V.  57,  139  et  suiv.,  142—143,  209,  Moschion,  Bev.  II,  II— III,  pi.  66  =  /]  |^  (1  A  i^X  (]  A  etc.  pour  le  sens 
voisin).  Cela  n'empêche  pas  1  d'avoir  également  une  signification  analogue  à  celle  de  /\<,lii+-  —  dont  le 
premier  caractère  peut  être  parfois  la  ligature  du  *  (verrou)  et  du  m  (hibou).  —  Mais  aucune  preuve  posi- 
tive n'a  encore  établi  l'identité  des  deux  verbes  et  la  prononciation  sam  pour  le  mot  démotique.  D'ailleurs 
1  est  rendu  en  démotique  dans  le  bilingue  Rhind  par  un   autre  mot  :  le  mot  se/ten  (ujwnû). 


Planchettes  bilingues.  33 


X"  16. 

TCEYIC  YENTCEYIOC 
MHTPOC  APTEMIAOC 

«  Tsepsi  (la  vénérable),  fille  de  Psetasepsi,  dont  la  mère  est  Artemis  —  son  âme  chante 
(hes)  devant  Osiris  Sokaris,  le  grand  dieu,  seigneur  d'Abydos.  » 

Le  syllabique  hes  se  trouve  ainsi  écrit  (avec  la  décomposition  alphabétique  complète 
après  lui)  daus  un  autre  bilingue  qui  le  transcrit  ACIHC  : 

X°  17  (94861. 
CENACIHC  ACIHTOC 
MHTPOC  CENAPVCJTIAOC 
EBICOCEN  ETCJN  N 

«  Son  âme  sert  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur  d'Abydos  :  Tsethes,  fille  de  Hes, 
dont  la  mère  est  Tsethorut'a,  qui  fit  (sic)  années  50.» 

Le  numéro  suivant  nous  donne  la  transcription  intéressante  de  plusieurs  autres  sylla- 
biques  : 

N"  18  (9490). 

YENMECItOT 

TOC  YENTANAPAVTOC 

«  Pse-t-mes-io-tu,  fils  de  Pse-ta-an-ha-roou,  dont  la  mère  est  Tset-bututu-maut-f,  demeure 
continuellement  '  devant  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur  d'Abydos.  » 

Ce  bilingue  nous  donne  :  1°  le  mot  mes  «  enfanter  »,  dont  la  transcription  grecque  n'est 
pas  commune  et  qui  est  écrit  en  entier  avec  son  déterminatif;  2°  ^"^  =  1^=110  «âne», 

auquel  le  papyrus  bilingue  de  Leide  donnait  déjà  la  lecture  lU)  (comme  eu  copte)  dans  ce 
passage  (XVIII,2o5)  «ceux  là  encore  sont  des  ânes»  (U27/ytr  =  ICJANE  (io-an-nai  =  iiDav/i;;); 
3°  le  syllabique  i_  I  H  EN  «apporter»),  dont  la  transcription  ne  se  trouve  qu'une  seule  fois 
dans  le  papyrus  bilingue  gnostique  de  Leide  (XI,  8)  et  qui  est  alors  lu  NN;  4°  le  syllabique 

1  Voir  le  dernier  numéro  de  la  Bevite  pour  la  formule  ainsi  écrite  «demeure  toujours»  men  lai.  Nous 
avons  fait  remarquer  depuis  longtemps  que  le  dernier  mot  (si  fréquent  dans  les  sennents,  les  proseynèmes, 
etc.)  ne  se  lisait  pas  meiii,  comme  le  dit  Bkugsch  dans  son  Dict.,  p.  638,  mais  tei,  tai,  comme  le  prouve 
expressément,  par  sa  transcription,  le  papyrus  bilingue  de  Leide  (X,  20)  et  comme  l'avait  d'ailleurs  déjà 
noté  le  savant  auteur  de  la  publication  de  Leide. 

2  Voir  aussi  ibidem  XIX,  U  la  lecture  ia  du  même  mot. 

5 


34  Eugène  Revillout. 


ru  qui  est  aussi  rarement  transcrit  (y.  pap.  bil.  de  Leide  IX,  5,  et  quelques  noms  bilingues 
comme  f  ^///.Sa^  =  NEXG+EPOVC  et  XIMNAPAVC  i^é/fit]  =  a/.-amen-eroou');  5°  enfin  et 
surtout  le  mot  ha  «œil»,  transcrit  ici  régulièrement  a,  puisque  le  h  est  remplacé  par  l'esprit 
non  écrit.  Cette  transcription  est  curieuse;  car  le  nom  f/è/^î-2_,  dans  lequel  le  second  élé- 
ment est  le  mot  «œil»,  est  fort  commun  dans  les  stèles  du  Sérapéum,  etc.,  tout  autant  que 
le  mot  /py-^lti/.^  set-ha-ban"^  «qui  écarte  le  mauvais  œil».  Mais  pour  ce  nom  même  on 
pourrait  songer  aussi  bien  à  la  transcription  set-ar-han  ou  set-eir-ban,  puisque  en  copte  «  le  mau- 
vais œil  »  se  dit  eiepfeoone  (de  eiep  ou  eiepo,  lopo  visio)  et  que  d'ailleurs  le  papyrus  2420  C 
du  Louvre  donne  la  variante  f^f,„i#5  pour  le  nom  du  cerf  (eioirTV.  en  copte)  ce  qui  suppose 
l'assimilation  a^  =  eip  ou  eiTV..  Or  j'ai  depuis  longtemps  indiqué  l'assimilation  fournie  par 
les  bilingues  biéroglyphico-démotiques  entre  .<s>-  et  ^j-f.  Nous  devons  donc  conclure  que 
cette  forme  démotique  avait  deux  prononciations  distinctes  :  1°  ha;  2°  eir  ou  t'a?'. 

Les  noms  Psetmesio  «le  fils  de  la  génération  de  l'âne»  ou  «le  fils  de  la  petite  de  l'âne», 
Pbutu-maut-f  «la  honte  de  sa  mère»,  Psetaanhaerou  «le  fils  de  celle  qui  amène  l'œil  sur 
eux»  sont,  du  reste,  assez  étranges. 

Quant  au  dernier  nom,  le  sens  nous  en  est  bien  démontré  par  plusieurs  souscriptions 
de  contrats  rédigés  par  un  clerc  et  que  le  notaire  lui-même  avait  révisés.  Cette  expression 
réviser  se  disait  an  ha,  mot-à-mot  «apporter  l'œil».  Mais  il  faut  noter  que,  comme  le  signe 
2_  sert  à  la  fois  à  rendre  A  et  à  rendre  .^&-  même  comme  déterminatif,  on  pouvait  croire 
que  ^2_  était  pour  -i_J  ou  ^,  c'est-à-dire  que  le  signe  de  l'œil  était  suivi  au  lieu  d'être 
précédé  du  signe  qui  l'accompagnait  d'ordinaire.  Ce  signe  se  lisait  ha  ou  eir  ou  iar,  nous 
l'avons  vu.  Rien  d'étonnant  dès  lors  si  l'on  transcrit  lAPAVC  (=  iar-ru)  ce  que  nous  venons 
de  voir  transcrire  «vapauç  (an-ha-ru).  Cela  était  d'autant  moins  étonnant  que  l'habitude  était 
de  contracter  les  consonnes  semblables,  comme  nous  avons  pu  le  constater  pour  le  mot  com- 
posé io-an-nai  devenu  IlOANE.  Voici  l'exemple  dont  nous  parlons  : 

N°  19  (9518). 
CEAICONAI 
lAPCOTOC 
me'  TPEMAIBHOC 

«Vit  son  âme  devant  Osiris  Sokaris,  seigneur  d'Abydos  (?)  :  T(se)sonti,  fille  de  Lar-ra, 
dont  la  mère  est  Tremabtu  (?)  (l'habitante  d'Abydos).» 

Nous  avons  déjà  expliqué  Iar-ru.  Mais  la  question  du  premier  nom  propre  est  plus 
difficile.  Disons  d'abord  que  le  traducteur,  au  lieu  de  transcrire  i-Jl  «les  deux  frères»  par 
CANCNAV,  comme  d'ordinaire,  a  préféré  employer  le  duel  en  ti  (^)  de  l'égyptien  ce  qui  lui 

'  Nom  transcrit  xu-amen-ru  (eroou)-a  «je  suis  la  splendeur  d'Amon  pour  eux  »  sur  la  statue  hier,  du 
prétendu  Rua  :  (n"  211  de  mon  Catalogue  de  sculpture). 

2  J'ai  depuis  bien  longtemps  renoncé  à  lire  set  hek  ban  en  donnant  au  second  élément  la  valeur  hek, 
comme  l'avait  fait  Brugsch.  Car  nous  n'avons  pas  affaire  à  un  2_,  mais  à  "2 —  =  j^s— 


Planchettes  bilingues.  35 


a  donné  CONAl.  Quant  au  mot  CE,  souvent  représenté  en  démotique  par  un  simple  point 
(parfois  oublié  dans  les  généalogies),  il  a  été  négligé  après  l'article  du  féminin  ia  en  dé- 
motique et  rétabli  par  le  traducteur  grec  qui,  selon  l'habitude  pour  les  noms  commençant 
par  Tset  «la  fille»,  a  omis  l'article  et  écrit  CE.  Eeste  la  sjilabe  intercalaire  Al,  donnée  ici 
en  ligature  et  qui  me  paraît  une  fausse  lecture  de  N  faite  par  le  copiste.  On  sait  que  le  N 
de  relation  est  suppléé  en  général  dans  les  transcriptions  grecques  des  mots  commençant 
par  pse,  tset  et  qui  n'ont  pas  cet  N  en  démotique.  Le  copiste  grec  a  également  transcrit  TPEM 
AIBHOC  le  nom  TPEMABITOC  de  l'original,  '  et  en  démotique  il  a  toujours  écrit  ateb  au 
lieu  d'Abet  le  même  nom  géographique.  Encore  le  b  est-il  assez  mal  fait  et  ressemble-t-il 
beaucoup  au  5.  La  transcription  PEM  pour  f  est  assez  intéressante.  En  voici  d'autres 
exemples  : 

N°  20  (9543). 

lOPOC   nETEMI 

NIOC  MHTPOC 

EVMOIPIA 

TPOMnABEIT 

«  Son  âme  chante  (hos)  toujours  devant  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur  d'Abydos  : 
Horus,  fils  de  Petemin,  dont  la  mère  est  Tbaki-to-hor,  l'habitante  de  Pahbéit  (Pharbsetus), 
qui  mourut  avec  lui.» 

Il  est  assez  curieux  de  voir  le  nom  de  la  femme  Tbakitohor  «la  ville  de  la  terre 
d'Horus»,  traduit  par  EVMOIPIA  «la  bonne  part». 

Quant  à  la  transcription  TPOM,  elle  nous  montre  la  vocalisation  copte  pcoMe  pour 
l'homme,  même  dans  les  mots  composés.  En  copte  on  aurait  écrit  plus  tard  TpM,  TipA\.  dans 
ces  mêmes  mots  composés  ethniques. 

N°  21  (9589). 
APTEMIAWPA  nETEMINIOG 
MHTPOC  TPOMnAjBEieiOC 
EBICJCEN  ETH  TPIC   (sic)  EN  TAP 
THI   TENEGAICJ!  HMEPAI  ETE 
AEVTHCEN   EIC  AEI 
MNHCTON 


'  Il  est  vrai  que  H  ressemble  beaucoup  à  IT  liés  dans  cette  écriture.  C'est  la  même  question  que 
pour  AI  lu  à  la  place  de  N. 

5* 


36  Eugène  Revillout. 


«  Son  âme  chante  à  jamais  devant  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur  de  latu  à 
Abydos,  montagne  (sainte)  :  Ta-tu-Artemi  (le  don  d'Artemis),  fille  de  Petemin,  dont  la  mère 
est  Trompahbéit  (l'habitante  de  Pharbsetus).  Le  temps  ....  Bénissez  (Smouj  cette  petite 
(xem)  à  jamais!» 

Ce  texte,  dont  la  fin  est  peu  déchiffrable,  a  ceci  de  très  intéressant  —  en  dehors  de 
la  question  TPOM  '  —  qu'il  nous  donne  en  grec  un  essai  de  transcriptions  de  lettres  égyp- 
tiennes, comme  j'en  ai  signalé  d'autres  depuis  longtemps  dans  certains  papyrus  gnostiques 
de  cette  période.  Ici  le  h  (^)  démotique  a  été  rendu  par  un  signe  nouveau  de  ce  genre. 
Ce  signe  est  identique  à  l'ancienne  lettre  devenue  le  chiiïre  £r  (6)  et  qui,  primitivement, 
paraît-il,  rendait  l'aspiration  comme  en  dorien  le  digamma  f  ou  la  lettre  F  dont  elle  tient  la 
place  dans  l'alphabet,  puisqu'elle  vient  après  le  E.  Mais  peut-être  n'est-ce  là  qu'une  ressem- 
blance fortuite  et  a-t-on  voulu  transcrire  la  lettre  démotique  ;?.,  qui  est  devenue  le  o  copte. 
Dans  la  tablette  précédente,  à  propos  du  même  mot  pahhéit,  le  traducteur  grec  n'avait  d'abord 
mis  que  flABEIT,  puis  entre  lignes  il  a  ajouté  une  lettre  qui  m'a  paru  un  second  A  plus 
cursif;   mais  je  ne  suis  pas  très  sûr  cependant  que  ce  signe  remplaçant  h  soit  bien  un  A. 

Nos  tablettes  nous  donnent  d'ailleurs  d'antres  transcriptions  curieuses  des  lettres  propre- 
ment égyptiennes.  Nous  citerons  le  q  ^  *,  ce  qui  éloigne  de  l'idée  d'y  voir  un  ic.  Nos 
vieux  maîtres  ont  donc  eu  raison  contre  la  nouvelle  école.     Citons  deux  exemples  : 

N"  22  (9542). 
APEMH(DIOC  YAITOC 
MHTPOC  CENYENGA 
MINIOC 

f/^iii  3  V  y  if/  y^:?/S 

«  Hormehf,  ^  fils  de  Psi,  dont  la  mère  est  Tsetpsétamin  :  son  âme  sert  Osiris  Sokaris,  le 
dieu  grand,  seigneur  d'Abydos.  » 

N°  23  (9545). 
nAXOVMIC  HEBU) 
TOC  MHT.  CENAPEMH<t)l 
OV 

«  Pachom  (l'aigle  à.£0M.),  fils  de  Paba  (le  léopard  "f  J  û  0  W' ),  dont  la  mère  est  Tset 
Hormehf  (la  fille  d'Hormehf  «le  dieu  Horus  le  remplit»).» 

'  Notons  que  clans  d'autres  tablettes  f  =  rem  «  l'habitant  »  est  traduit  par  ADO.  Nous  citerons  les 
n°*  9603  et  9607.  Mais  alors  il  ne  s'agit  pas  d'un  nom  propre  renfermant  cet  élément. 

2  Ce  nom  signifie  «Horus  le  remplit».  Notons  cette  très  importante  transcription  du  syllabique  meh 
yo  que  nous  avions  transcrit  d'ailleurs  ainsi  depuis  longtemps  avant  ce  bilingue.  Quant  à  la  lecture  q  =  ♦ 
on  n'en  avait  pour  presque  unique  exemple  que  le  v^/^^iil.  =  NEXG+EPOVC  d'un  bilingue  ptolé- 
maïque  de  Berlin.  Voir  aussi  pour  q  =  (j)  notre  n°  7  dans  le  présent  article. 


Planchettes  bilingues.  37 


K"  24  (9553). 
CENAXIAAATOC  OPCE 
NOV<î)IOC  MHTPOC  GA 
TPHTOC   Lr 

«Tsetachillas,  fille  d'Horpsénoufi  i  (hottcji),  dont  la  mère  est  Tahétar.  » 
Dans  une  autre  planchette  nous  avons  atfaire  à  une  transcription  grecque  du  2t,  trans- 
cription des  plus  précieuses  et  des  plus  conformes  aussi  à  notre  tradition  égyptologique  : 

X"  25  (9480). 
GAMEIN  nTCAPKEC 
MHTPOC  CENCAICAITOC 
nPECBVTEPAC  L  K 

S>J^/ 

«Vit  son  âme,  à  jamais  et  toujours,  devant  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur 
d'Abydos  :  Tamin,  fille  de  Pt'arkes,^  dont  la  mère  est  Tsetsisi  —  la  grande  —  l'habitante 
de  Syène.  Elle  était  d'environ  20  ans.  » 

La  transcription  riTCAPKEC  prouve  la  parenté  du  fsadé  et  du  es.  —  parenté  d'ailleurs 
prouvée  par  les  transcriptions  sémitiques.  Ce  tsadê  hébreu  devient  sad  en  arabe.  Aussi  avons- 
nous  souvent  la  transcription  c  pour  2s..  Exemple  : 

X°  26  (9500). 
CICOiC  TENCENnETEMEINIOC 
AEVTEPOV  nETEMEINIOC 
MHTPOC  AIAUTOC  AHO   BOM 
nAH 


'  Le  nom  mythologique  intéressant  Hor-sé-noufi  «  Horus  le  bon  fils  »  (se  rapportant  à  «  Horus,  vengeur 
de  son  père»)  est  très  fréquent  dans  nos  tablettes,  v.  les  n"'  9424,  9596  etc.  Notons  que  le  mot  tioirqi  cborn» 
est  aussi  transcrit  par  un  <t>  dans  Unnofré  «l'Être  bon»  =  ONNO+PIC  (n°  9664)  qu'on  avait  déjà  dans 
les  contrats  bilingues.  Cela  est  d'autant  plus  à  noter  que  <|)  représente  en  général  les  deux  lettres  p  et  A 
démotiques  se  suivant,  ainsi  que  le  prouve  une  multitude  encore  de  bilingues,  et  jamais  un  fl  adouci,  comme 
plus  tard  en  memphitique.  La  comparaison  semble  prouver  que  le  <|>  se  prononçait  déjà  /  et  non  pas  comme 
un  p  dur  et  aspiré,  ain.si  qu'on  aurait  pu  le  penser. 

2  Mot-à-mot  :  «le  briseur  d'os».  C'est  le  nom  d'un  des  42  juges  du  tribunal  d'Osiris. 


38  Eugène  Revillout.  Planchettes  bilingues. 

«Son  âme  sert  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur  d'Abydos;  son  nom  reste  tou- 
jours :  T'it'oï,  le  second,  i  fils  de  Psetsetpétémin,  dont  la  mère  est  Lilu,  l'habitant  de  Bon- 
paha.  » 

Mais  le  t  ou  cZ  de  2Sl  {^=  tj  ou  dj)  était  bien  accusé  dans  la  prononciation  des  Égyptiens. 
Aussi  —  de  même  qu'à  l'ancienne  époque  où  l  et  |  se  commuaient  souvent  avec  un  i  — 
se  faisait-il  souvent  sentir  comme  dominante,  à  la  place  de  C,  dans  les  transcriptions  grecques. 
Je  citerai  X'o/iJ-o  ^  riTAVTOC  des  papyrus  bilingues  ptolémaïques.  La  transcription  com- 
plète TC  qui  réunit  les  deux  transcriptions  ordinaires  est  donc  la  meilleure  —  d'autant  plus 
que  C  est  la  transcription  originaire  et  légitime  du  ly,  ainsi  que  le  prouve  une  multitude  de 
bilingues  déjà  connus.  Citons  seulement  encore  celui-ci,  qui  nous  montre  la  transcription  cu- 
rieuse ujeepe  «fille»  —  valeur  qu'avait  souvent  <lz  k  côté  de  la  valeur  simple  CE  (uje)  : 

N"  27  (9544). 
CEPENYAIC  NECJTEPA 
YENCENMENXHTOC 
M  HT.  CEPENYAITOC 

Uz-^^t./  fi,  ,„^2„:^/ 

«Son  âme  sert  Osiris  Xent  Ament,  le  dieu  grand,  seigneur  d'Abydos,  à  jamais  :  Tse- 
repsi,  fille  de  Psetsetmen-/,  dont  la  mère  est  Tserepsi.  » 

Dans  cette  tablette,  et  dans  beaucoup  d'autres,  '««ww  .ft  est  transcrit  en  grec  MENX. 
Voici,  pour  en  finir  aujourd'hui  avec  les  lettres  coptes,  un  exemple  dans  lequel  J  (^)  x« 
est  transcrit  également  x  en  grec. 

N"  28  (9470). 
HETERMOVeHC 
XANOCEUC 

«Patermouthis,  fils  de  Xanosi,  l'habitant  de  .  .  .  .,  demeure  perpétuellement  à  Abydos, 
devant  Osiris  Sokaris,  le  dieu  grand,  seigneur  d'Abydos,  à  jamais.  Son  âme  sert  Osiris,  le 
dieu  grand,  seigneur  d'Abydos. 

(La  suite  prochainement.) 

'  Meh  2.  Ce  mot  n'avait  pas  d'abord  été  traduit.  On  en  a  fait  la  remarque  au  scribe  grec  qui,  con- 
fondant «Djidjoi  le  second»  avec  Djidjoi,  fils  de  «Pétémin  le  second»,  a  ajouté  entre  ligne  :  AEVTEPOV 
riETEMEINlOC.  —  Le  nom  de  Djidjoi  est  aussi  traduit  dans  le  bil.  n°  9510  et  dans  plusieurs  papyrus 
bilingues  ptolémaïques.  On  le  retrouve  en  copte  :  rsti^ceoi. 


Papyrus  grec  inédit  relatif  a  l'impôt  sur  les  pêcheurs.  39 


PAPYRUS   GREC   INEDIT 

RELATIF 

A  L'IMPÔT  SUE  LES  PÊCHEUES. 

PAE 

Eugène  Kevillout. 

Dans  mon  article  sur  «La  reine  Cléopatre  invoquée  dans  le  serment  de  Berlin»  j'ai 
fait  notamment  allusion  à  deux  papyrus,  donnés  —  ainsi  que  beaucoup  d'autres  papyrus  in- 
édits —  avec  les  commentaires  nécessaires,  dans  un  mémoire  économique  que  je  publie  en 
ce  moment  et  où  je  traite  d'ailleurs  longuement  de  la  question  de  la  Trapeza,  des  fermes 
d'impôts,  etc.  à  l'époque  Lagide.  liais  j'ai  pensé  qu'il  serait  utile  de  reproduire  en  même 
temps  pour  les  lecteurs  de  la  Revue  égyptologiqiie  un  des  deux  textes  que  j'avais  déjà  visés 
principalement  dans  le  précédent  numéro. 

Ce  papyrus  a  du  reste  l'avantage  de  nous  faire  mieux  connaître  la  ferme  sur  l'impôt  des 
pêcheurs,  ou  taxe  du  poisson  (i-/6upâ),  qui  n'était  mentionné  jusqu'ici  que  dans  un  passage  du 
papyrus  63  du  Louvre,  et  de  nous  éclairer  beaucoup  sur  les  formalités  nécessaires  pour  les 
ventes  d'impôts  et  les  fonctionnaires  qui  avaient  à  y  jouer  le  principal  rôle  ■ —  sujet  dont 
nous  parlons  plus  en  détail  dans  le  mémoire  déjà  cité. 

Voici  d'abord  le  texte  épigraphique,  dont  nous  avons  cru  inutile  de  séparer  les  mots, 
puisque  nous  reproduisons  ensuite,  dans  l'ordre  des  lignes  du  manuscrit  également,  le  même 
document  en  caractères  cursifs  ponctués,  avec  mots  séparés,  bien  entendu  : 

HAIOACJPO(  C  iHPAKAElAHIXAIPEINTOYnPOCTON 

TOYnEPIGHBACrErPAMMENOY 
OIKONOMOiNjXPHMATICMOYANTirPAOON 

YnOKEITA(  I  iANA$EPECeCJOYNOYTOC 

EHECXATOi  N  iTOYMHNIi  E  lOYTOYeUYGTHC 

ENAlOCnOAEdiTHIMEirA  AHITPAnEZHC 

(EPPCJC  iCJLBMWOlKË 

TCJITOYHEP  leiHBACOIKiON  OMUJI 

ANENHNOXENHMINi  n  iXOPXOJNCICOnPOCTHI 

T(  O  inOrPAMMATEIAITHNTCJNAAIEUNCYN 

KEXWPHCGAlArPOITAirATAOYAKBAlATETHC 

A  n  iECTAAMENHCHMINY(n)OnOCEIAUJNIOYTOY 

Ht  A  PHMUNnPACEOJCC  HMiAINETAlYOECTACGAI 

TAi  Y  iTHCnrOAEMAIONKAIi  XKE jKATECTACGAlEAN 

THCTAPAXH  CHAYCAMENHCO  ilAAIEICAYNHGUCI 

Afi  PE  lYElNTONi  AETONENIAYTONCJC  RPOTEPON 

EIG(  IjCMENOIEi  N  TOnOIC(  01  iCANAY  NHTAIHPA  CCECGAI 

HnPOCAXGH  N  AITAE(  ICH  AHPUCINTHC 

nEPYCINHCErAHYECOCl  K  Ali  COY  AEONTOC 

ETEPUJITH(  C  )Cl>NHCMETAAIOIKOYMENHC 

nPOC(  AE  ZAï  C  iGAIMHEAACCONOCTOYEniAEKATOY 

OAHECTINXBÎ-EKTCJNENANTICJNAnOKOnHN 


40  Eugène  Revillodt.  Papyrus  grec  inédit,  etc. 

ETEPCJNXrnEnOIHCAIINAOYNMHCYMBAINH('«c)CE 

EKTOYIAlOYMETAnPOCTIMOYnPACCECeAinPONOHGHTI 

WCMAAICTAMENCYNnAHPUeHCETAITATOY 

nAPEAeONTOCETOYCKEOAAAIAElAEMHrEOYKEAACCGJ 

TWNKZXh'rAIOlKHeHCETAlKATATOnAPON 

AKOAOYeu)CT(  O  )ICECTAMENOICAH*GENTUNT(jJN 

KATHKONTUNAlErrYHMATU)NT^A)YTHCTEKAITCJN 

AAAUNa)NC0NKAeAnEPKAIAIETEP03NCOirErPA4>AMEN 

Voici  maintenant  le  texte  en  cursives  accentuées  : 

H)a6Ô(oqo(ç)  '' HQayXsiôrji  /«/ps/j'.  Toî'  nodg  ràv 

TOÎi  IIiç(^7jiiccç  yiyçcififiivov 

oiY.ov6i.i(ov)  xQ^jl^ccTia[.iov  àvriyQacpov 
vTtoy.EÎxaL.  ^vacpeQÉad-io  ovv  otzog 
in'  iayaro(v)  tov  fi7p'i(s)[ov  tov  âtuvd-  r^g 
èv  /JLoartôXn  Ttji  [is(ya)kfji  TçajriÇjjg. 

('EQQwa)iù.  L  B,  (pawcfl  KE 

Tcji  TOV  IIsQtd-rj^ag  oiv.(ov)6fxioi. 

^AVEVÎ]V0%EV    fj^HV    (nJxÔQXlOVatÇ,    O    TtQOÇ    T^t 

'c(o)7T0YQaf.i(iaTEiai,  xrjv  zôjv  éXiéwv  ^  avv- 
•/iSxwQ^aâ'ai,  Idyqo'vuai  Faràoy  A  KB.  ôtà  ôè  TfjÇ 
à{7t)eaTaX^iévriç  fjiûv  v(jr)o  Tloasidcoviov  tov 
n{a)^  ■^fiûv  TTQCcaéwg  a(r]i.i)aivsTai  icpéavacâ-m 
Ta(v)Trjg  TlToXs^ialov,  xat  (A  KE)  y.aTsavaa&ai,  ëav, 
Tîjg  TaQayjj(g  7Tavaajj4vt]g,  o)l  àXisîg  ôvvi^d-tuat. 
ày(Qs)vsiv  TÔvfôe  tov  èviavràv,  âgj  tvqôtsqov 
eld-(i)a^voi,  èv  TÔrtoig  (oi)g  èV  ôv(vr]Tai  jtqtt)aasa&ai 
5j  nQoaax&ïi(v)aL  rà  e(lç  nJX'^Qwaiv  Trjg 
TtEQVGivTjg  èyX-i^ipewg  •  za/,  (aov)  ôéonog, 
èTéqiùi  Tfj(ç)  àvfjg  iXETaôioi-KOVfisvrjg, 
7tQoa(dé)^aa9(xi  iiij  èXÛTTOvog  tov  ènLÔexâvov, 
S  ërj  èaziv  X  B  F,  è-/.  tûv  èvavTÎœv  àTio/.OTn)v 
STéçuiv  A  r  TiETtoîîjaccL.  "Iva  oiv  (irj  av^tlialvr^i  as 
ex  TOÎ'  iôlov  [isTà  Trçocri'jUoi'  -rcQaaaEad-ai,  TtQOvorjârjTi, 
â)g  fiâXicfTcc  f.ièv  avvnXr^Qwd^r^asTai,  xà  tov 
naQsX&ôvxog  s'xovg  -/^cpàXaia.  el  ôè  [.l'^ys,  ovx  èXâaaco 
T&v  KZ  X  h-  r  ôior/,rj0^rjaexai  y.axà  xà  naqôv, 
ày.oXov&uig  ToTg  êoTo^voig,  XxjCp&Évxiov  xwv 
•/.a^f/.6vT(ov  ôteyyvrjfiàxojv  rfajwjjg  xe  y.ai  t&v 
ItXXcûv  évûv,  y.ad-àjrsQ  -/.al  ôi'  èxégwv  aoL  ysyçécpansv 

'  Sous-entendu  ùiv^r. 


L'Éditeur  Ernest  Leroox,  Propriétaire-Gérant. 


REVUE  ÉGYPTOLOGIQUE 

PUBLIÉE  SOUS  LA  DIRECTION  DE 

M.  EUGÈNE  REVILLOUT. 


ERNEST  LEEOUX,  EDITEUE 

LIBRAIRE  DE  LA  SOCIÉTÉ  ASIATIQUE,  DE  L'ÉCOLE  DES  LANGUES  ORIENTALES  VIVANTES,  ETC.  ETC. 

28,  EUE  BONAPARTE,  28.  A  PARIS. 

VIP  Volume.  N"  II.  1892. 

La  REVUE  EGYPTOLOGIQUE  2>o^o*^   toits   les  troia  mois  par  numéros  de  six  feuilles   au   moins,  avec 

planches,  fac-similé  etc.  —  Aucun  nuTiiéro  ne  se  vend  séparément. 

Prix  de  Vabonnetneni  annuel  :  JParis  30  fr.  —  Déjiartenients  31  fr.  —  Étranger  32  fr, 

Sommaire  :  Notice  des  papyrus  déraotiques  archaïques  et  autres  textes  juridiques  ou  liistoriques  à  partir  du  règne  de  Bocchoris  jusqu'au 
régne  de  Ptolemée  Soter,  par  Eugène  Revillout.  —  Avertissement.  —  Avant-propos.  —  Introduction  historique  sur  Vad- 
ministration  et  l'organisation  légale  des  terres  dans  l'ancienne  Egypte.  —  A.  —  Epoque  précédant  l'invasion  des  Hjksos. 
—  £.  —  Époque  qui  suivit  l'expulsion  des  Hyksos.  —  Correspondance. 


NOTICE 

DES   PAPYRUS  DÉMOTIQUES  ARCHAÏaUES   ET  AUTRES   TEXTES  JURIDIQUES   OU 
HISTORIQUES  A  PARTIR  DU  RÈGNE  DE  BOCCHORIS  JUSQU'AU  RÈGNE  DE  PTOLÉMÉE 

SOTER. 

PAR 

Eugène  Revillout. 

AVERTISSEMENT. 

Cette  notice  commence  toute  une  série  de  notices  semblables. 

Après  «Les  papyrus  démotiques  et  autres  textes  juridiques  ou  historiques  de  la 
période  archaïque,  à  partir  du  règne  de  Bocclioris  jusqu'au  règne  de  Ptolémée  Soter»  vien- 
dront :  1°  Les  papyrus  et  autres  textes  démotiques  et  grecs  de  l'époque  Lagide,  jusqu'à  la 
conquête  d'Auguste;  2°  les  papyrus  et  autres  textes  démotiques  et  grecs  de  l'époque  romaine, 
jusqu'au  règne  de  Constantin;  3°  les  papyrus  et  autres  textes  démotiques,  grecs  et  coptes  de 
l'époque  byzantine,  jusqu'à  la  conquête  arabe;  4"  les  papyrus  et  autres  textes  grecs,  coptes 
et  arabes  de  l'époque  des  califes  jusqu'au  10"  siècle  après  notre  ère. 

De  ces  cinq  notices,  nous  livrons  aujourd'hui  la  première,  et  trois  des  autres  sont 
presque  prêtes. 

Je  n'eu  dirai  pas  tout-à-tait  autant  pour  la  cinquième  et  dernière,  à  laquelle  me  pré- 
parent non-seulement  mes  études  égyptologiques,  mais  mes  vieilles  études  sémitiques  et,  en 
ce  qui  touche  particulièrement  l'arabe,  celles  auxquelles  je  me  suis  livré  pendant  de  longues 
années  avec  mes  chers  maîtres  et  bien  bons  amis,  Caussin  de  Perceval,  de  Slane,  Defré- 
MÉRY,  études  qui  m'ont  déjà  fait  faire  autrefois  plusieurs  publications. 


42  Eugène  Revillout. 


Mais  avant  d'abordei-  sérieusement  les  textes  arabes  du  commencement  de  l'ère  musul- 
mane qui  sont  entièrement  dépourvus,  non-seulement  —  cela  va  sans  dire  —  des  voyelles 
ou  motions,  mais  même  des  points  diacritiques  des  lettres,  j'aurai  besoin  d'un  peu  plus  de 
temps  que  je  n'en  dispose  en  ce  moment. 

C'est  justement  cette  considération  qui  m'a  conduit  à  renoncer  depuis  quelques  jours 
au  projet  que  j'avais  eu  jusque  là  de  réunir  en  une  seule  les  quatre  premières  notices 
annoncées  plus  haut.  D'une  part,  il  m'a  semblé  plus  logique  de  ne  pas  m'arrêter  dans  l'étude 
de  nos  papyrus  à  l'époque  de  la  conquête  musulmane.  Et,  d'une  autre  part,  je  n'ai  pas 
voulu  faire  plus  longtemps  attendre  le  commencement  d'une  publication  annoncée  par  moi 
depuis  vingt  ans  passés  et  à  laquelle  mon  vénérable  ami  M.  de  Ronchaud,  directeur  des 
Musées  Nationaux,  s'intéressait  tant. 

Je  me  borne  aujourd'hui  à  la  première  partie  —  à  la  partie  archaïque  —  dont  l'avant- 
propos,  qui  suit  cet  avertissement,  indiquera  suffisamment  le  grand  intérêt. 

C'est  moi,  je  n'ai  pas  besoin  d'insister  beaucoup  sur  ce  point,  qui  pour  la  première 
fois  ai  interprété  les  textes  démotiques  de  cette  période  arclia'iqne,  dont  on  n'avait  jamais 
osé  essayer  de  traduire  que  quelques  mots  —  et  encore  rien  ne  subsistera-t-il  de  ces  ten- 
tatives, en  dehors  de  certains  noms  de  rois.  J'ai,  du  reste,  reproduit  en  note  ces  essais 
antérieurs  pour  qu'on  en  puisse  bien  juger.  Si  donc  M.  Pierret  avait  eu  raison  de  faire 
remarquer  dans  son  édition  du  «  catalogue  des  manuscrits  »  de  Devéria  le  peu  de  progrès 
qu'avait  fait  alors  l'étude  des  contrats  démotiques  de  l'époque  classique,  —  dont  on  n'avait 
rien  su  tirer  et  que  j'ai  tous  expliqués  depuis,  —  la  remarque  serait  encore  plus  vraie  si 
on  l'appliquait  aux  contrats  archa'iques  traduits  dans  cette  notice.  ^ 

'  Il  est  possible  d'ailleurs  que  j'aie  encore  à  remanier  plus  tard  quelque  détail  dans  les  traductions 
que  j'offre  au  public  et  dont  je  puis  garantir  l'ensemble.  11  est  possible  même  qu'il  se  produise  pour  ceci 
ce  que  certaines  publications  nouvelles,  celle  de  M.  Mahaffy,"  par  exemple,  annonçaient  devoir  se  produire 
pour  les  textes  démotiques  d'époque  classique  dont  j'ai  donné  toutes  les  clefs,  et  dont  M.  Maspero,  avec 
l'aide  d'élèves  qui  ont  longtemps  suivi  mes  cours,  se  proposerait  d'entreprendre  l'étude  critique,  bien  qu'il 
n'ait  jamais  pu  en  traduire  un  seul  mot  par  lui-même,  en  s'emparant  tout  naturellement  des  corrections 
que  j'ai  données  à  ces  élèves  dans  mes  cours.  Je  suis  habitué  depuis  longtemps  à  de  pareils  procédés  dont 
se  plaignait  déjà  M.  de  Eougé  dans  les  derniers  temps  de  sa  vie,  et  je  sais  aussi  combien  de  nos  jours 
on  aime  à  s'approprier  le  mérite  d'autrui  et  on  vous  en  veut  âprement  si  vous  tenez  à  votre  bien.  N'est-ce 
pas  ce  qui  s'est  passé  pour  ma  découverte,  mon  acquit-ition,  ma  restitution  si  laborieuse  et  ma  publication, 
commentée  et  mise  en  valeur,  d'un  des  chefs  d'œuvre  les  plus  illustres  de  la  littérature  grecque  :  le  papyrus 
d'Hypéride?  En  France  on  ne  m'a  pas  pardonné  de  ne  pas  avoir  laissé  à  d'autres  —  plus  en  vue  —  qui 
m'en  avaient  fait  la  demande,  tout  le  mérite  de  cette  affaire.  On  n'a  songé  qu'à  organiser  les  uns  la 
conspiration  du  silence,  tel  autre  une  campagne  de  dénigrement,  par  une  raison  de  jalousie  facile  à  com- 
prendre. En  Allemagne  et  en  Angleterre  il  en  a  été  autrement.  J'ai  déjà  cité  l'opinion  des  professeurs 
DiELs,  Blass,  etc.  Je  citerai  encore  celle  du  savant  qui  a  publié  le  premier  les  acquisitions  anglaises  com- 
parables aux  miennes  ;  l'AOrjvaicov  TioXiTsia  d'Aristote,  etc.  Voici  ce  que  M.  Kentox  dit  en  effet  dans  les  con- 
clusions de  son  article  de  la  Classical  Reciew  :  «Detailed  criticism  of  the  test  would  be  entirely  ont  of 
place  at  présent,  for  M.  Revillout  avowedly  offers  only  a  provisional  text,  which  will  be  thoroughly 
revised  before  the  real  editio  pi-inceps  makes  its  appearance.  Towards  this  revision  he  has  had  the  assis- 
tance of  a  large  number  of  suggestions  by  professors  Blass  and  Diels,  whose  comments  and  coujectiires, 
privately  communicated,  form  an  appendix  to  his  memoir.  At  the  same  time  the  unassisted  hibours  of 
M.  Revilloct,  as  represented  in  the  provisional  test,  deserve  the  very  fullest  récognition  from  ail  scholars, 
of  whatever  country.  In  addition  to  the  restoration  of  the  order  and  collocatiiin  of  tlie  se:ittered  fragments 

(a)  Eev.  Juin  P.  Mahaffy,  Cunningham  memoirs.  n°  VIII,  Dnblin  1891,  p.  3,  §§  Demotic  papyri    Fortunatly  M.  Maspero  and  some 
able  yunger  men  en  France  are  now  atiaking  the  problem,  etc.  —  Je  dois  dire  du  reste  que  dans  maint  pa-ssage  de  ce 
laisse  tant  à  désirer  —  M.  Malialîy  a  montré  fort  pen  de  bonne  foi  à  mon  égard. 


Notice,  etc.  43 

J'ai  maiuteiiuut  à  dire  quelques  mots  de   la  méthode  que  j'ai  suivie  pour  ce  travail. 

J'ai  cru  d'abord  qu'un  catalogue  n'était  pas  une  de  ces  sèches  énumératious  de  docu- 
ments dont  mou  vieil  ami  Mariette  se  moquait  tant,  en  les  considérant  comme  des  sortes 
d'inventaires  bons  pour  le  conservateur,  mais  dont  il  est  absolument  inutile  de  fatiguer  le 
public.  A  mon  avis,  un  catalogue  doit  non-seulement  contenir  l'énumération  des  pièces  cata- 
loguées, mais  aussi  en  faire  comprendre  l'importance  et  la  portée.  Or,  pour  des  documents 
écrits,  cette  importance  ne  se  tait  bien  sentir  que  par  la  lecture.  J'ai  donc  pensé  qu'il  était 
nécessaire  de  tout  traduire. 

Mais  la  traduction  seule  ne  suftit  pas.  Tel  document  prend  surtout  sa  valeur  des  ren- 
seignements historiques  qu'il  nous  fournit;  tel  autre,  des  renseignements  juridiques  ou  éco- 
nomiques; tel  autre,  du  rapprochement  avec  une  pièce  d'une  autre  époque  qui  nous  fait  voir 
la  permanence  d'une  tradition  ou  les  modifications  qu'y  ont  apportées  les  révolutions  politiques 
et  les  invasions  extérieures.  A  ce  triple  point  de  vue  je  ne  pouvais  évidemment  tout  dire. 
Il  m'a  fallu  faire  un  choix.  Voici  donc  ce  que  j'ai  fait.  En  thèse  générale,  j'ai  réservé  les 
questions  de  droit  et  le  commentaire  juridique  de  chaque  pièce  pour  mes  volumes  de  droit 
égyptien  relatifs  à  la  période  archaïque  et  qui  sont  l'écho  des  cours  que  j'ai  consacrés  les 
années  dernières  à  ces  questions.  Au  point  de  vue  documentaire,  j'ai  cru  au  contraire  devoir 
livrer  au  lecteur  celles  des  pièces  analogues  que  je  considérais  comme  les  plus  importantes 
pour  la  comparaison.  On  trouvera  donc  ici,  à  propos  de  nos  documents,  seuls  numérotés, 
non-seulement  tous  les  contrats  archa'iques  démotiques  que  j'ai  pu  consulter,  grâce  à  des 
missions  que  m'ont  confiées  dans  ce  but  MM.  de  Ronchaud  et  Kaemppen,  les  directeurs  suc- 
cessifs de  notre  Musée  et  de  notre  Ecole,  mais  encore  les  principaux  documents  juridiques 
hiéroglyphiques,  soit  de  même  période,  soit  des  périodes  antérieures,  traitant  de  sujets  ana- 
logues. Au  point  de  vue  historique  enfin,  il  m'a  semblé  nécessaire  de  développer  —  avec 
les  détails  utiles  —  les  conclusions  auxquelles  l'étude  de  nos  pièces  m'avait  souvent  amené, 
les  objections  qu'elle  soulevait  souvent  aussi  contre  les  systèmes  en  vigueur,  et  les  argu- 
ments qu'elle  offrait  presque  toujours  pour  les  doctrines,  très  différentes,  de  mes  vieux  maîtres 

of  papyrus  and  the  decipherment  of  their  contents,  which,  it  is  easy  to  believe,  must  hâve  required  infinité 
care  and  patience,  he  has  also  restored  by  conjecture  nearly  ail  the  lines  which  the  mutilation  of  the 
papyrus  has  left  imperfect.  Thèse  restorations  are  offered  with  ail  beooniing  reserve;  but  although  it  is 
not  in  the  nature  of  things  that  one  individual,  working  unaided,  should  in  ail  cases  be  so  successful  as 
to  render  the  suggestions  of  other  scholars  entirely  unnecessary,  still  it  is  only  fair  to  say  that  M.  Re- 
viLLouT  has  restored  with  wonderful  success  the  continuons  sensé  of  the  mutilated  passages,  and  has  opened 
eut  the  way  along  which  ail  others  must  follow.  His  own  words  fairly  represent  the  justice  of  the  case.» 
—  «Surtout  quand  il  s'agit  de  quelque  papjTus  fragmenté,  usé,  effacé  par  places,  plein  de  lacunes,  quand 
il  a  été  laborieux  de  rechercher  jusqu'au  bout  un  contexte,  quand  surtout  d'ailleurs  il  a  fallu  faire  ce 
premier  débrouillement  du  texte,  en  grande  hâte,  au  milieu  d'autres  déchiffrements  journaliers  et  d'un 
enseignement  presque  quotidien  portant  sur  des  langues  très  différentes,  il  est  étonnant  de  voir  à  quel 
point  c'est  un  avantage  considérable  de  ne  venir  qu'en  second,  avec  une  attention  toute  fraîche  et  toute 
reposée  pour  les  quelques  mots  douteux  encore.  »  —  «  But  though  the  first  editor  cannot  hâve  the  sarae 
advantages  as  the  last,  yet  it  is  hardlj'  probable  that  M.  Revillout  would  wish  to  change  places  with 
any  of  his  successors  in  this  field;  and  scholars  will  not  be  slow  to  express  their  gratitude  to  him  for 
his  discovery  and  his  restoration  of  this  latest  addition  to  the  extant  treasures  of  the  literature  of  Greece.  » 

Chose  curieuse  !  dans  le  même  numéro  de  la  CLassical  Beview,  M.  Kenton,  dont  on  opposait  en  France 
les  belles  publications  à  la  mienne  pour  diminuer  cette  dernière,  est  traité  lui-même  avec  la  plus  souveraine 
injustice  par  un  anglais,  qui  ose  l'accuser  de  manquer  de  pénétration,  d'ingéniosité  et  de  science! 

Cela  prouve  simplement  le  vieil  aphorisme  :  «Nul  n'est  prophète  dans  son  pays!» 

6* 


44  Eugène  Revillout. 


DE  Ro0GÉ  et  Mariette.'  «Ceci  est  im  livre  de  bonne  foi»,  et  je  me  suis  surtout  proposé 

d'éveiller  l'attention  sur  certaines  questions,  que  je  ne  me  flatte  pas  d'avoir  résolues. 

Au  point  de  vue  matériel  et  typographique,  pour  ainsi  dire,  je  dois  ajouter  que  j'ai 

donné  en  hiéroglyphes  les  textes  hiéroglyphiques  et  hiératiques  que  je  traduisais,  et  que  j'ai 

réservé  les  textes  démotiques  pour  la  publication  en  héliogravure  de  mon  Corpus  papyrorum 

Aegypti,  dont  trois  fascicules  ont  déjà  paru  et  que  je  vais  continuer  activement. 

Paris  le  1"''  novembre'^  1891. 

EcGÈXE  Revillodt. 

•  Je  dois  ici  faire  une  déclaration,  c'est  que  je  me  considère  sur  tous  les  points  comme  le  fils  et 
comme  le  successeur  légitime  de  cette  vieille  école  égyptologique  française  qui  a  eu,  après  Champollion, 
comme  hiérophantes  incomparables  mes  vieux  amis  de  Rougé,  Chabas  et  Mariette  —  école  qu'on  veut 
remplacer  également  par  une  autre  à  tendances  tout  opposées.  Il  est  vrai  que  le  nihilisme  rétroactif  de 
cette  école  nouvelle  de  détracteurs  s'applique  maintenant  à  toute  l'antiquité,  qu'on  veut  rabaisser  et 
écraser.  Pour  les  partisans  de  cette  doctrine  trop  facile,  les  Égyptiens  n'existent  plus  au  point  de  vue  de 
la  civilisation,  pas  plus  que  les  Babyloniens  :  et  pas  plus  même  les  Grecs  —  ces  pères  de  tout  notre  avoir 
intellectuel.  Eh  bien!  moi,  à  l'imitation  de  nos  vieux  maîtres,  je  suis  d'un  avis  complètement  différent.  Je 
crois  que  les  grands  anciens  nous  valaient  bien,  s'ils  ne  valaient  pas  mieux.  Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui 
se  complaisent  â  comparer  ce  Eamsés  II  ou  Sésostris  dont  les  exploits  nous  ont  été  si  merveilleusement 
peints  par  le  poème  de  Pentaour  et  par  les  Grecs,  —  qui  nous  vantent  aussi  sa  sagesse  de  législateur  et 
d'administrateur  —  à  je  ne  sais  quel  chef  de  hordes  sauvages  des  nègres  d'Afrique.  Je  ne  suis  pas  de 
ceux  qui  nient  l'évidence  même  :  —  comme  cet  art  égyptien  qui,  dès  les  plus  anciennes  périodes,  a  dépassé 
l'art  grec  pour  l'expression  de  la  tête  humaine  et  qui  toujours,  soit  sous  sa  forme  classique  et  officielle, 
soit  sous  sa  forme  libre  et  de  cabinet  (sur  laquelle  j'aurai  longuement  à  revenir,  tant  pour  l'époque  d'Amé- 
nophis  IV  que  pour  celle  des  Ramessides,  etc.),  doit  forcer  l'admiration  de  quiconque  n'est  jias  volontaire- 
ment aveugle;  —  comme  cette  morale  incomparable,  toute  de  charité,  dont  je  me  suis  si  longuement  occupé 
et  que  je  veux  de  plus  en  plus  mettre  en  lumière;  —  comme  ce  droit  si  savant  dont  j'explique  depuis  plus 
de  dix  ans,  à  l'École  du  Louvre,  les  développements  successifs,  les  contours  si  philosophiques  et  l'inflexible 
logique  —  droit  qui  suffirait  à  lui  seul  pour  mettre  à  néant  toutes  les  prétentions  singulières  dont  je 
parlais  tout-à-l'heure.  Oui!  je  le  répète,  l'Egypte  a  comjilètement  mérité  tous  les  éloges  qu'en  ont  fait  les 
Grecs;  et  les  Grecs  de  la  grande  époque  avaient  un  peu  plus  d'intelligence,  un  peu  plus  de  savoir,  un  peu 
plus  de  raison  que  les  crevés  et  que  les  impressionnistes  de  la  nôtre.  Par  tradition  de  famille,  tout  autant  que 
par  nature  et  par  comiction,  je  suis  un  partisan  déclaré  du  libéralisme.  Je  crois  qu'il  reste  beaucoup  à 
fake  dans  cette  voie.  —  Mais  ce  sera  justement  pour  se  rapprocher  des  principes  humanitaires  et  sociaux 
que  je  sens  palpiter  dans  le  cœur  de  la  plus  vieille  Égj'pte.  Voilà  ma  profession  de  foi.  Si  maintenant 
on  en  demande  des  développements  et  des  preuves,  il  faudra  recourii-  à  mes  autres  ouvrages;  car  ceci 
n'est  qu'un  catalogue  et  c'est  ailleurs  que  je  tâcherai  de  faire  resplendir  la  si  lumineuse  civilisation  égyptienne. 
—  L'histoire  de  l'Egypte,  dans  son  ensemble,  telle  que  je  la  comprends,  elle-même,  est  encore  à  faire  et 
peut-être  un  jour  le  tenterai-je.  Ce  qu'il  y  a  de  cei-tain,  c'est  qu'elle  se  rapprochera  beaucoup  plus  des . 
idées  de  MM.  de  Rougé,  Chabas  et  Makiette  que  de  celles  de  M.  Maspero.  Ajoutons  d'ailleurs  que  je  ne 
vois  pas  dans  l'histoire  un  thème  à  développements  littéraires,  une  œuvre  d'imagination  comme  certains 
récits  historiques  et  certains  romans  du  même  genre.  Il  ne  saurait  me  suffire,  quant  à  moi,  de  prendre 
un  nom  dans  Manéthon  pour  faire  la  biographie  complète  du  personnage,  pour  indiquer  ses  parentés,  la 
date  et  les  circonstances  de  son  avènement,  les  principaux  événements  de  son  règne,  la  date  de  sa  mort, 
avec,  au  besoin,  la  peinture  et  l'appréciation  de  son  caractère  et  je  dirais  presque  son  portrait-carte,  comme 
l'a  fait  M.  Maspero  au  sujet  des  noms  de  Stephinatés,  de  Nechepsès,  etc.,  gens  dont  l'identité  et  l'existence 
même  est  un  problème.  Je  n'aime  pas  plus  cette  méthode  appliquée  à  l'ancien  Egypte  qu' Augustin  Thierky 
ne  l'aimait  quand  il  la  trouvait  dans  les  auteurs  des  siècles  derniers  et  du  commencement  de  celui-ci 
appliquée  à  l'histoire  des  Francs,  au  roi  Pharamond,  considéré  comme  roi  légitime  de  France,  et  à  d'autres 
rois,  ses  successeurs,  non  moins  légitimes.  Pour  moi,  l'imagination  n'a  rien  à  voir  dans  l'histoire  et  je  pré- 
fère me  borner  à  poser  des  points  d'interrogation  quand  je  ne  peux  arriver  d'après  l'ensemble  des  té- 
moignages à  une  certitude  absolue.  On  voit  que  tout  diffère  entre  nous  et  certains  de  nos  collègues  pour 
la  manière  dont  on  écrit  l'histoire  tout  autant  que  pour  la  manière  dont  on  comprend  l'antiquité. 

^  Nous  devons  dire  que  toutes  les  notes  de  cet  avertissement  ont  été  écrites  après  coup,  pendant 
l'impression,  pour  surmonter  certaines  difficultés  d'une  mise  en  pages  rendue  des  plus  complexes  par  les 
conditions  dans  lesquelles  elle  se  faisait. 


Notice,  etc.  45 


AVANT- PROPOS/ 

L'année  dernièrCj  tant  dnus  notre  cours  de  démotique  que  dans  notre  cours  de  droit 
égyptien,  nous  avons  longuement  expliqué  les  papyrus  arcliaïques,  qui  forment  le  principal 
objet  de  cette  notice,  et  qui  permettent  de  remonter  jusqu'au  huitième  siècle  avant  notre 
ère,  jusqu'au  règne  même  de  Bocchoris,  le  législateur  des  contrats. 

J'ai  montré  que  le  code  de  Bocchoris  avait  eu  en  Egypte,  pour  la  constitution  de  la 
société  elle-même,  des  conséquences  non  moins  considérables  que  celles  qu'eut  plus  tard  à 
Athènes  le  code  de  Solon.  Bien  des  siècles  après  Selon,  jusqu'au  dernier  jour  de  l'indépen- 
dance de  leur  république,  les  Athéniens  s'appuyaient  sur  lui  comme  sur  le  créateur  de  la 
démocratie.  Les  historiens  grecs,  en  effet,  nous  décrivent  dans  la  ville  d'Athènes,  avant  lui, 
un  état  social  bien  différent  de  ce  qu'il  fut  plus  tard.  Depuis  un  temps  immémorial,  la 
royauté  y  avait  été  abolie.  On  se  trouvait  donc  eu  république  :  mais  la  masse  du  peuple 
n'y  avait  rien  gagné.  L'aristocratie,  ce  qu'on  pourrait  nommer  la  caste  guerrière,  possédait 
du  sol  à  peu  près  tout  ce  qui  n'appartenait  pas  aux  dieux.  Ces  nobles  ne  cultivaient  pas. 
Mais  les  gens  du  peuple  cultivaient  pour  eux  et  ils  étaient  dans  une  sujétion  dont  ils  ne 
pouvaient  pas  sortir. 

Eu  effet,  l'organisation  de  la  propriété  que  nous  avons  constatée  en  Egypte  sous  les 
Eamessides^  avait  été  celle  de  la  plupart  des  peuples  anciens  à  leur  origine.  L'état  de 
guerre  y  dominait  tout.  Celui  qui  dirigeait  les  guerres  et  ceux  qui  les  faisaient  avec  lui, 
le  roi  et  les  guerriers,  étaient  maîtres  de  tout  ce  qui  n'appartenait  pas  aux  temples. 

Je  prends  ces  premières  sociétés  dans  leur  épanouissement  complet  :  car  l'idée  d'avoir 
des  guerriers,  distingués  du  reste  du  peuple  et  dont  la  guerre  fût  le  métier,  n'a  pu  venir 
qu'à  des  nations  présentant  déjà  des  diversités  dans  les  habitudes  de  vie,  dans  les  occu- 
pations de  chacun,  dans  les  classes  sociales,  et  établies  à  demeure  sur  leur  sol.  On  avait 
tout  à  craindre  d'un  ennemi  vainqueur  :  non  seulement,  il  prenait  les  choses,  mais  il  prenait 
aussi  les  personnes.  La  liberté  individuelle  était  à  la  merci  des  hasards  de  la  guerre.  Il 
en  résultait  forcémeut   un  certain  degré  de  collectivisme  dans  les  états  qui  s'étaient  formés 

'  Cet  avant-propos  n'est  pas  autre  chose  que  notre  leçon  d'ouverture  de  l'année  dernière,  sauf  le 
changement  de  quelques  mots  et  de  quelques  tournures  de  phrase  qui  se  rattachaient  directement  à  la 
forme  de  leçon  orale. 

-  Voir  mon  article  sur  «La  caste  militaire  »  du  temps  de  Eamsès  II  dans  la  Revue  égi/ptologique,"  t.  III. 

(a)  Dans  ce  travail  j'ai  étabU  la  concordance  absolue  des  renseignements  historico-économiqaes  à  nous  apportés  par  le  poème 
de  Pentaour  —  dans  les  reproches  que  le  barde  égyptien  fait  adresser  par  le  roi  Ramsès  II  ou  Sésostris  à  ses  piétons,  ses  cavaliers  et 
ses  officiers  en  leur  rappelant  ses  bienfaits  envers  la  caste  militaire  —  et  les  données  fournies  par  Diodore  (de  Sicile)  relativement  au 
même  roi.  Diodore  (1.  l*''',  §§  54  et  83)  attribue  à  Sésostiis  non-seulement  l'organisation  définitive  des  36  nomes  de  l'Egypte,  mais  la 
constitution  juridique  du  sol  et  la  division  des  terres  cultivables  en  trois  parts  :  l'une  pour  le  roi,  une  autre  pour  les  prêtres  et  une 
antre  pour  les  guerriers  (Héiodote  lui  attribue  en  outre  l'arpentage  général  de  ces  terres  cultivables,  évaluées  partout  en  aroures)  ;  d'un 
autre  côté  dans  le  §§  94  relatif  aux  législateurs  Diodore  insiste  surtout  sur  les  lois  données  par  Sésostris  a  l'ordre  militaire.  Il  semble 
en  eiïet  que  ces  deux  réformes,  politiques  et  économiques,  ont  dii  être  faites  par.allèleraent.  L'indication  même  des  guerriers  dans  le 
§§  83  lé  prouve,  car  selon  le  §§  54  Sésostris  réserva  une  bonne  partie  des  champs  de  l'Egypte  à  la  caste  militaire,  quand  il  la  constitua 
définitivement,  en  fixa  le  contingent  à  620000  piétons  et  24000  cavaliers  et  lui  désigna  1700  chefs.  C'est  ces  piétons,  ces  cavaliers  et 
ces  chefs  que  Pentaour  place  en  face  du  roi  quand  celui-ci  leur  dit  qu'il  n'est  pas  un  seul  d'entre  eux  à  qui  il  n'ait  fait  un  bon  sort 
dans  sa  terre,  que  sans  lui  ils  n'auraient  été  que  des  misérables  sans  ressources,  qu'il  les  a  faits  grands  dans  ses  biens  chaque  jour, 
qu'il  a  mis  le  fils  dans  les  choses  de  son  père,  qu'il  les  a  établis  dans  leurs  demeures  et  dans  leurs  villes,  qu'il  leur  avait  tracé  la  route 
vers  leurs  lieux  de  rassemblement,  afin  qu'ils  se  trouvent  tous  ensemble  au  jour  et  à  l'heure  de  marcher  au  combat,  etc.  C'est  là  toute 
l'organisation  de  la  caste  militaire  et  des  terres  attribuées  aux  castes  que  Diodore  a  décrite  de  son  côté. 


46  Eugène  Eevillout. 


et  où  tout  était  à  calculer  j)our  la  durée  et  la  résistance.  Il  y  eut  même  en  Grèce  une 
nation  puissante  où  ce  collectivisme  persista  jusqu'au  bout,  alors  qu'il  avait  ilisi)aru  jiartout 
ailleurs  depuis  des  siècles  :  —  je  parle  des  Spartiates.  La  petite  tribu  dorienne  qui  avait 
conquis  la  vieille  ville  de  Sparte  et  tout  le  pays  environnant  s'était  organisée  en  caste  mili- 
taire; et  à  l'époque  la  plus  brillante  de  la  démocratie  d'Athènes,  chez  les  Spartiates  la  terre 
n'appartenait  pas,  ne  pouvait  jamais  appartenir  à  ceux  qui  en  faisaient  la  culture,  aux  descen- 
dants de  ses  anciens  maîtres,  aux  malheureux  Ilotes.  Elle  se  trouvait  en  principe  partagée 
à  jamais  par  lots  entre  les  rois  et  les  guerriers  d'une  race  dont  le  métier  était  de  porter 
les  armes.  En  fait  elle  restait  collective;  car  la  jouissance  n'en  était  pas  une  jouissance 
individuelle.  N'était-ce  pas  tout-à-fait  le  système  organisé  par  Kamsôs  II  d'après  le  récit  de 
Pentaour,  en  cela  d'accord  avec  Diodore  de  Sicile? 

Eh  bien!  à  Athènes  avant  Solon,  d'après  les  témoignages  multiples  et  formels  des  his- 
toriens, des  orateurs  et  des  économistes,  la  situation  des  laboureurs,  des  -'ecopYtoi  —  aussi  bien 
que  celle  des  hommes  exerçant  dans  les  bourgs  les  divers  métiers  —  n'était  guère  plus 
indépendante,  sur  ce  sol  dont  aucune  parcelle  n'était  à  eux  —  avec  la  saisie  de  leurs  corps 
qui  les  menaçait  pour  leurs  dettes  —  que  celle  des  Ilotes  chez  les  Spartiates.  Le  Yswpï'o.; 
n'était  pas  le  maître  de  ses  champs,  qu'il  faisait  produire.  Il  ne  pouvait  jamais  espérer  le 
devenir  :  pas  plus  qu'à  Sparte;  pas  plus  qu'en  Egypte  sous  les  Ramessides.  Deux  siècles 
plus  tard,  au  contraire,  ce  sont  ces  paysans  qui  constituent  surtout  la  classe  dirigeante,  alors 
qu'Athènes,  jadis  bourgade  presque  ignorée,  est  devenue  une  des  puissances  du  monde  les 
plus  respectées  et  les  plus  grandes.  Ces  changements  n'ont  point  été  le  résultat  d'une  révo- 
lution subite  et  violente  :  c'est  la  suite  graduelle,  naturelle,  du  jeu  même  des  lois  de  Solon. 

Or,  alors  que  Solon  fit  ces  lois,  des  résultats  fort  analogues  s'étaient  eifectués  en  Egypte 
par  le  fonctionnement  du  code  de  Bocchoris.     Le  collectivisme  primitif,^  y  perdant  de  son 

^  Ce  collectivisme  primitif  est  encore  très  apparent  sous  la  XIP  dynastie,  tlu  temps  du  roi  Amenemhat, 
qui  se  vante  lui-même  d'avoir  fait  labourer  le  pays  depuis  le  Delta  jusqu'à  Eléphantiue,  d'être  le  créateur 
des  céréales,  auquel  le  Nil  accorde  l'inondation  et  qui  nourrit  tous  les  habitants.  Le  prince  Ameni,  qui 
gouvernait  en  l'an  43  de  ce  roi  (répondant  à  l'an  25  d'Usurtasen)  le  nome  de  Meh  en  qualité  de  D  °^^, 
après  avoir  développé  la  part  qu'il  prit,  à  la  tête  des  troupes  d'élites  de  son  nome  —  400  guerriers  —  à 
certaines  expéditions  faites  ])ar  le  roi  jusqu'en  Ethiopie,  nous  décrit  ainsi  le  gouvernement  civil  qu'il  exerçait 
dans  ce  nome,  comme  délégué  du  roi,  propriétaire  éminent  du  sol,  pour  l'utilisation  féconde  de  ce  sol  et 
l'administration  de  ses  habitants  [Denk.  II,  pi.  122)  : 


D      I 


Il    I    I  I 


û  I 


^ 


Notice,  etc. 


47 


importance,  laissait  plus  de  place  aux  droits  de  l'homme.     Un  état  réglé  à  peu  près  à  la 
façon  des  états  modernes  relativement  au  régime  des  immeubles  y  remplaçait  l'ancien  état 


^. 


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«Moi,  j'ai  été  plein  de  douceur  et  de  charité,  un  prince  aimant  son  pays.    J'ai  toujours  et  chaque 

année  agi  ainsi,  comme  gouverneur  du  nome  de  Meh.  Tous  les  travaux  de  la  maison  du  roi  étaient  sous  ma 

main;  et  voilà  que  les  intendants  des  demeures  appartenant  a\ix  dieux  dans  le  nome  de  JIeh  se  tenaient  (prêts) 

à  me  donner  3000  bœufs  d'enti-e  ceux  qui  sont  soumis  au  joug  —  ce  dont  j'ai  été  loué  par  la  maison  du  roi  — 

chaque  année  de  production.  Je  portais  tous  leurs  produits  manufocturés  à  la  maison  du  roi  —  sans  que  rien 

ne  m'en  restât  —  provenant  de  tous  ses  entrepôts  et  ateliers.  Mon  nome  travailla  pour  moi  en  sa  totalité 

avec  une  activité  surabondante:  —  et  je  n'ai  pas  affligé  le  fils  du  petit;  je  n'ai  pas  maltraité  la  veuve;  je 

n'ai  pas  fait  tort  aux  hommes  des  champs;  je  n'en  ai  jws  expulsé  le  gardien  (je  n'ai  pas  fait  l'éviction  de 

celui  qui  en  avait  la  garde  et  la  possession).  Il  n'y  eut  pas  de  chef  de  5  hommes  dont  j'enlevai  les  hommes 

de  leurs  travaux.  11  n'y  eut  pas  de  malheureux  dans  mes  jours.  Il  n'y  eut  pas  d'affamé  dans  mon  temps, 

même  quand  il  y  avait  des  années  de  famine.    Voici  qu'assidûment  je  cultivai  tous  les  champs  du  nome 

jusqu'à  ses  limites  (ses  stèles  limitatiices  du  sud  et  du  nord).  Je  fis  vivre  ainsi  de  ses  produits  alimentaires 

(lii-e  <rr>  I  ss  I      v\  '^z-.   j  ses  habitants.  Il  n'y  exista  pas  de  pauvre.  Je  donnai  à  la  veuve  comme 

à  celle  qui  avait  un  mari.  Je  ne  distinguai  pas  le  grand  du  petit  dans  tout  ce  que  je  distribuai  :  et  quand 

les  inondations  du  Nil  furent  grandes,  les  maîtres  .  .  .  devinrent  les  maîtres  de  tontes  choses  et  je  n'exigeai 

rien  (d'eux)  sur  les  produits  des  champs.  > 

Dans  une  autre  inscription  de  Bénihassau  (Denk.  II,  pi.  lii.  125  et  Maspero,  Recueil  \,  i)  toute  cette 

a        ^  ^  n      I 
organisation,  ou  plutôt  cette  réorganisation,  est  expressément  attribuée  au  roi  Amehemhat  :  ^K\ 


«lorsque  vint  sa  Majesté 

réprimer  l'injustice,  resplendissant  comme  le  Dieu  Tum  lui-même,  reconstruisant  ce  qu'il  avait  trouvé  en 
ruine,  prenant  (et  mettant  à  part)  chaque  district  (domaine  ou  ville  mit)  de  son  frère,  (de  son  voisin)  lui 
faisant  connaître  ses  limites  par  rapport  à  l'autre  domaine  (district  ou  viUe  nul),  rétablissant  leurs  stèles 
(solides)  comme  le  ciel,  faisant  connaître  leurs  eaux,  telles  qu'elles  sont  dans  les  écritures,  jugeant  d'après 
ce  qui  était  dans  l'antiquité  à  cause  du  grand  amour  qu'il  avait  pour  la  justice.» 


48  Eugène  Revillout. 


condeusé  dans  un  Pharaon,  maître  de  la  terre,  disposant  de  la  terre,  jouissant  de  la  terre, 
en  réglant  la  culture  comme  de  son  bien  propre. 

Il  ne  faut  pas  s'y  tromper  d'ailleurs,  quand  un  gouvernement  qui  tient  la  terre  en 
mains  se  résout  à  s'en  dessaisir,  quand  il  en  vient  à  concéder  aux  individus  des  droits 
réels  proprement  dits  leur  permettant  de  jouir  eu  maîtres  de  ce  qu'ils  possèdent,  il  ne  tarde 
pas  à  chercher  des  compensations,  des  équivalences  pour  ces  ahandons  de  maîtrise. 

Un  système  fiscal  s'établit  presque  aussitôt  que  la  propriété  commence  à  devenir  indi- 
viduelle. L'étude  de  l'histoire  des  impôts  est  donc  une  étude  parallèle  à  celle  de  l'histoire 
de  l'évolution  de  l'idée  de  propriété. 

Autre  remarque  importante  à  faire. 

Partout  où  le  législateur  attribue  une  iiuissance  effective  au  contrat,  partout  où  il 
donne  aux  particuliers  le  droit  de  régler  leurs  intérêts  par  leurs  conventions,  par  des  actes 
faisant  loi  entre  les  parties,  la  constitution  des  classes  sociales,  la  di.stribution  des  biens 
entre  elles,  cesse  par  cela  même  d'être  immuable. 

L'expression  dont  Solon  s'est  servi  dans  ses  lois  est  curieuse  à  ce  point  de  vue.  Il  a 
déclaré  que  les  conventions  valablement  faites  seraient  xupiai,  c'est-à-dire  maîtresses.  Le  mot 
y.upioç,  mais  c'est  le  terme  dont  on  se  sert  également  en  langue  juridique  athénienne  pour 
exprimer  les  droits  du  maître  sur  son  esclave,  les  droits  du  propriétaire  sur  sa  chose,  les 
droits  de  celui  qui  commande  sur  celui  qui  doit  obéir. 

Voilà  donc  maintenant  les  nouveaux  maîtres!  Ce  ne  sont  plus  des  seigneurs,  des  nobles  : 
ce  sont  des  contrats! 

J'ai  longuement  montré  dans  mes  cours  combien  vite  après  le  code  de  Bocchoris,  en 
Egypte,  s'étaient  modifiées  les  coutumes  légales  relatives  à  la  possession  de  la  terre.  Au- 
paravant, pour  les  terres  de  temple,  par  exemple,  si  l'on  admettait  une  sorte  de  sous-pro- 
priété, ou  plutôt  d'usage,  shcù)  qui  les  plaçait  en  mains  de  telle  ou  telle  famille,  ce  n'était 
qu'à  la  condition  que  ce  bien  ne  pût  pas  sortir  de  cette  famille.  ^  Les  transmissions  n'en  pou- 


Nous  voyons  qu'alors  le  roi  désignait  les  jjrinces  de  chaque  ^i  ville  ou  grand  district  en  tenant 
compte  de  leui-s  parentés  —  même  par  l'intermédiaire  de  femmes  —  avec  les  précédents,  et  que  ces 
administrateurs  viagers,  désignés  par  le  roi,  agissaient  un  peu  comme  de  véritables  propriétaires  puisqu'ils 
donnaient  certaines  des  terres  avec  leurs  habitants  à  des  prêtres  de  ka  chargés  de  fiiire  les  services  funéraires 
de  leur  famille  —  sous  peine  pour  ces  derniers  de  cesser  d'être  et  de  voir  leurs  enfants  chassés  de  leurs 
places  s'ils  n'accomplissaient  pas  bien  leurs  devoirs  —  absolument  comme  cela  est  dit  aussi  dans  la  consti- 
tution analogue  d'un  prêtre  de  Ka  par  Ha])!  Djefa  de  Siut.  Ces  sortes  de  contrats  étaient  tolérés  par  le 
roi,  dont  ils  ne  diminuaient  en  rien  l'autorité  souveraine.  Mais  l'administration  de  la  terre  et  des  habitants 
n'en  devait  pas  moins  garder  le  même  caractère  humanitaire  comme  faite  au  nom  du  roi  rejn'ésentant  la 
divinité.  Aussi  toutes  les  stèles  de  cette  période  —  parmi  lesquelles  je  signalerai  surtout  notre  célèbre 
stèle  d'Antef  —  ont-elles  le  même  ton  et  nous  reflètent-elles  les  mêmes  usages  de  bonté  et  d'impartialité. 

*  Bien  entendu,  j'ai  ici  en  vue  les  familles  des  tenanciers,  des  gens  du  domaine,  des  vassaux,  et  non 
celles  des  quasi-seigneurs,  qui,  dès  l'ancien  empire,  à  l'imitation  du  roi  qui  les  avait  investies,  se  con- 
sidéraient souvent  en  quelque  sorte  comme  les  maîtres  de  la  terre  dont  ils  avaient  l'administration  et 
l'aliénaient  parfois  dans  des  buts  pieux,  etc.  La  grande  réforme  de  Bocchoris  fut  d'investir  en  sous-propriété 
légale  les  paysans  de  la  terre  qu'ils  cultivaient  —  exactement  comme  l'a  fait  le  dernier  Tzar  en  Russie 
et  comme  veut  le  faire  M.  Gladstone  eu  Irlande.  En  fait  d'ailleurs,  depuis  très  longtemps,  nous  l'avons 
montré,  les  tenanciers  occupaient  et  partageaient  à  égales  parts  entre  leurs  enfants  les  domaines  qu'ils 
cultivaient  et  sur  lesquels  ils  ne  pouvaient  cependant  faire  de  contrats  proprement  dits.  Voir  à  ce  sujet 
l'excellent  travail  de  mon  ami  Chabas  sur  les  Maximes  du  scribe  Ani,  etc.  etc. 


Notice,  etc. 


49 


vaieut  être  que  des  transmissious  héréditaires,  des  attributions  dans  un  partage  motivé  par 
la  mort  du  membre  de  cette  famille  qui  possédait  jusque-là  le  bien,  ou  tout  au  plus  peut- 
être  des  échanges  de  parts,  quand  des  convenances  nouvelles  engageaient  les  intéressés  à 
revenir  sur  le  premier  partage.  —  Je  dis  :  tout  au  plus;  car  je  doute  que  ces  échanges  de 
parts  entre  tenanciers  ou  paysans  détenteurs  de  la  terre  se  soient  produits  avant  le  code 
de  Bocchoris.  C'est  là,  en  effet,  un  contrat  proprement  dit,  une  convention  résultant  de  la 
volonté  des  parties,  et  non  le  résultat  naturel  de  la  force  même  des  choses. 

Jusque  très  tard,  jusqu'à  l'époque  actuelle  dans  la  partie  la  plus  reculée  de  la  Plaute- 
Égypte  —  je  vous  l'ai  dit  d'après  les  récits  du  Moudir  d'Assouan  —  l'idée  d'une  co-propriété 
familiale  sans  indivision  avait  conservé  des  applications  très  nombreuses. 

Cette  idée  permettait  de  se  passer  de  contrats.  Après  la  mort  d'un  possesseur  qui 
laissait  des  enfants  capables  de  lui  succéder  dans  la  possession,  l'aîné  de  ses  enfants  venait 
prendre  la  place  du  chef  de  famille  :  et  il  administrait  pour  tous,  comme  le  père  de  famille 
avait  administré;  —  de  telle  sorte  que,  par  rapport  aux  tiers,  par  rapport  au  temple,  seigneur 
de  la  terre  à  Thèbes  dans  ces  temps  antiques,  la  situation  n'était  pas  changée.  Un  seul  de 
ceux  qui  occupaient  les  biens  avait  disparu.  Les  mêmes  gens,  la  même  famille  restait  tou- 
jours en  possession,  sans  qu'il  y  ait  eu  de  transmission  proprement  dite.  ^ 


'  Rien  ne  saurait  donner  une  idée  phis  juste  de  l'état  de  la  propriété  à  cette  époque,  ainsi  que  des 
droits  parallèles  des  propriétaires  émineuts,  des  familles  quasi- projjriétaires  et  des  simples  tenanciers  — 
(triple  distinction  que  nous  trouverons  encore  dans  les  contrats  d'Amasis,  quand  les  quasi -propriétaires 
appartenaient  à  la  caste  sacerdotale)  qu'un  procès  civil  que  mon  cher  ami  le  professeur  Erman  a  savamment 
publié  avec  une  excellente  transcription  hiéroglyphique  dans  la  Zeitschrift  de  1879  (p.  71  et  suiv.)  et  dont 
nous  allons  reproduire  le  texte  avec  notre  propre  traduction.  Encore  ici  c'est  l'aîné  qui  plaide  tant  en  son  nom 
qu'au  nom  de  ses  frères  et  qui,  sous  les  Eamessides,  devant  le  tribunal  des  prêtres  d'Amon  de  Tliébes,  finit 
par  obtenir  un  compromis  judiciaire  analogue  à  ceux  qui,  d'après  deux  de  nos  contrats  démotiques,  furent 
obtenus  sous  les  Lagides  devant  le   même   tribunal   des  prêtres  d'Amon  de  Thèbes  —  jugeant  au  civil  : 


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50 


Eugène  Revillout. 


Il  est  vrai  que  c'est  là  de  tous  les  cas  le  plus  simple.  Quaud  une  famille  devenait 
trop  uombreuse  pour  pouvoir  vivre  de  la  terre  commune  et  habiter  la  maison  commune,  il 
fallait  bien  que  cette  unité  familiale  se  rompît.    Ces  ruptures  d'unités  familiales  étaient  l'oc- 


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Notice,  etc. 


51 


casion  de  contrats  de  partage  sous  le  code  de  Bocchoris,   fait  en  grande  partie  pour  trans- 
former l'usage  concédé  à  perpétuité  par  le  seigneur  éniinent  de   la  terre,   par  exemple  i)ar 


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«L'an  4(5.  le  U  Paoplii,  sous  la  Majesté  tlu  roi  de  la  Haute  et  de  la  Basse-Egypte,  seigneur  des 
deux  régions,  Rauserma-sotepenra,  tils  du  soleil,  seigneur  des  diadèmes,  Ramessu-meriamen-hik-An,  à  lui  vie, 
santé,  force  !  aimant  Amonrasonter,  viviflcateur  éternel.  —  En  ce  jour  :  dans  le  palais  de  justice  de  Pha- 
raon, à  qui  vie,  santé,  force!  au  sud  de  la  ville,  dans  «le  lieu  où  le  cœur  se  repose  dans  la  vérité  et  la 
justice»,  à  la  grande  porte  de  Ramsès  II  —  en  face  d'Amon.  —  Juges  de  ce  jour  :  Le  1"  prophète  d'Amon 
Bokenchonsu;  le  prophète  d'Amon  Usermentu;  le  prophète  d'Amon  Rama;  le  prophète  Unnofrè,  du  temple 
de  Maut;  le  prophète  Ameneman,  du  temple  de  Chons;  (le  père  divin)  Amenemap,  du  temple  d'Amon;  le 
prêtre  et  Kherheb  d'Amon,  Amenhotep;  le  prêtre  et  Kherheb  d'Amon  Ani;  le  prêtre  llui,  du  temple 
d'Amon;  le  scribe  des  comptes  Hui,  des  juges  de  la  ville. 

«  Le  scribe  royal  des  otïrandes  Neferabu  appelle  en  justice  ....  le  préposé  des  magasins  du  temple 
d'Amon  comme  agent  et  représentant  de  ses  frères. 

«Le  scribe  royal  des  otïrandes  Neferabu  dit  :  (j'occupe  tant)  d'aroures  avec  mes  frères,  moi,  et  les 
a  prises  le  préposé  des  magasins  de  Taa  avec  ses  (agents,  ainsi  que  tous  les  produits)  de  l'année,  à  ma  main 
sans  qu'ils  me  dcmncut  ma  part.  A''oyez!  ...  le  prophète  Unnofrè  du  temple  de  JVIaut  m'a  fait  faire  un 
(commandement)  pour  me  faire  un  lien  (de  droit)  siu-  les  herbages  pour  ma  contribution  dont  le  montant 
était  ....  (Faites  des  recherches)  dans  mes  écritures  après  moi.  Regardez!  Le  préposé  des  magasins  du 
temple  d'Amon  de  Taa  (m'a  fait  tort  .  .  .  Vous  direz  certainement  :)  c'est  une  parole  de  vérité  qu'a  dite 
le  scribe  royal  des  offrandes  Neferabu!  (car  toujours  toutes  les  parts  à  donner)  aux  agents  du  terrain 
(sacré)  pour  ce  terrain,  lui-même  il  les  a  transmises  au  temple  de  Maut,  lui-même  (les  a  .  .  .)  sans  en  rien 
prendre  pour  son  usage  (sans  en  rien  manger). 

«Dirent  les  juges  :  Ecoutez  ....  voyez  le  (droit)  qui  échoit  au  scribe  royal  des  offrandes  Neferabu 
(sur  les  terres  de)  Maut. 

7* 


52  Eugène  Reyillout. 


la  caste  sacerdotale,  en  une  sous-propriété,  qui  ressemblerait  de  plus  eu  plus  à  la  propriété 
véritable. 

«Dit  le  prophète  Unnofrê.  du  temple  de  Maut  :  Les  champs  (dépendent  du  temple  de  Maut  et  les 
occupe  en  sous-propriété)  Xeferabu.  Je  suis  à  recevoir  (les  tributs  en  blés  et)  en  herbages.  Or  voici  l'état 
des  champs  que  le  scribe  royal  des  offrandes  Neferabu  (occupe  eu  sous-propriété)  :  Le  terrain  de  terre 
haute  (fcaij  du  temple  de  . .  .  au  sud-est  ....  de  son  bassin,  (terrain  qui  est)  dans  la  main  de  (tel  vassal); 
le  terrain  de  terre  haute  du  domaine  de  Hutal,  sur  la  terre  de  ...  . 

«La  vigne  (?)  qui  est  dans  la  main  de  Nedj  .  .  .  .:  la  terre  basse,  terre  de  prairie,  (formant)  IG  aroures 
dans  la  terre  de  .  .  .;  celle  de  la  viUica  (vivant  sur  le  domaine)  Mautbenra,  (terre  qui  est)  dans  la  main 
de  ses  entants  et  forme  56  aroiu*es  V2  ^/lo  plus  coudées  (t3)  :  le  capital  de  terre  fuu)  (d'un  tel),  où  demeurent 

mes  soldats,  mes  (dites)  aroures  (étant  au  nombre'  de  U^  10  pbïs  4  coudées.  Celui  d'un  tel formant 

14  aroures  ^/lo  plus  4  coudées;  et  celui  de  la  villica  (vivant  sur  le  domaine)  Ant,  14  aroures  ^/lo  plus  4  cou- 
dées; celui  de  la  ri//ica  (vivant  sur  le  domaine)  ttne  telle,  formant  56  aroures  ^2  *  10  pbis  6  coudées;  celui  de 
la  villica  (vivant  sur  le  domaine)  Tamaut,  en  partage  dans  la  maison  de  la  vîllîca  (vivant  sur  le  domaine) 
Mautbenra,  ....  14  aroures  (et  4  coudées)  :  (total  pour  les  2)  70  aroures  ^/^  ^  ,0  plus  10  coudées:  le  capital 
de  terre  de  (une  telle  de)  Memphis,  qui  est  en  ma  main,  formant  23  aroures  et  demi;  celui  de  .  . .  aai,  qui 
est  en  la  main  de  la  villica  (vivant  sur  le  domaine)  Annaa,  formant  23  aroures  et  demi;  celui  du  vilticits 
Panti ....  qui  est  dans  la  main  de  la  villica  (vivant  sur  le  domaine)  Annaa,  23  aroures  \2«. 

Les  juges  dirent  :  (dans  toutes  les  tenances  du  Neterhotep)  de  Maut  les  années  (de  récolte)  doivent 
produire  poiu*  le  magasin   sacré  (le  tribut)  pour  nourrir  (le  personnel  du  temple).    Le  scribe  royal  des  . 
offrandes  Neferabu  est  à  cultiver  la  culture  (de  ses  champs  :  qii'il  en  donne  le  tribut). 

Le  scribe  royal  des  offrandes  Neferabu  dit  au  prophète  Unnofré  du  temple  de  Maut  :  A'oyons!  Mon 
terrain  (saisi),  tu  me  le  rendi-as,  à  la  place  de  (^^>:^  V^  ^  _^/A  I  T/i  "^  euMA-n)  son  tiibut  en 

blés  et  en  herbes  vertes! 

Le  prophète  Unnofré  du  temple  de  Maut  dit  :  Je  tais  protection  et  remise.  Je  le  fais  pour  qull  soit 
fait  ainsi  (pour  que  tu  agisses  en  conformité).» 


(a)  Les  parcelles  de  terres  cultivables  indiquées  dans  ce  document  sont  qnelqnes-nnes  de  1-1  aroxires  plus  *  n,  d'aroore  plus  4  de 
,  ces  coudées  qui  sont  le  centième  de  l'aroure,  c'est-à-dire  de  celles  qui  formaient  en  ^ec  ptolémaiqne  l'unité  nommée  TTTîyu;  et  dont 
nous  avons  longuement  parlé  dans  notre  chapitre  sur  les  mesures  supei-ficielles  à  propos  du  papyrus  bilingae  de  Londres  :  d'antres  de 
ces  parcelles  de  terre  avaient  56  aroures  Vî  *,  10  p'qs  6  coudées  d'aroure.  Il  est  à  noter  que  ce  dernier  chiffre  est  juste  le  quadruple  du 
précédent  et  que  l'addition  des  deux,  fournie  d'ailleurs  par  notre  teste  lui-même  pour  une  unité  territoriale,  nous  produit  un  ensemble 
de  70  aroures  V-  Vio  en  additionnant  les  entiers  et  les  chiffres  fractionnaires  d'aroures  plus  10  coudées,  ce  qui  équivaut  à  un  nouveau 
dixième  d'aroure,  puis,  à  part  le  reste  des  coudées.  En  effet  I41i  multiplié  par  i  donne  5656.  et  ces  deux  chiffres  joints  ensemble 
foiment  7070-  A  côté  de  ce  premier  groupe  nous  en  trouvons  un  autre  comprenant  trois  parcelles  de  terre  dont  chacune  est  de  23  aroures  *  ... 
L'addition  donne  70  aroures  Vz»  chiffre  qui  se  rapproche  beaucoup  du  précédent.  En  effet,  pour  que  ce  domaine  eût  comme  les  précédents 
70  aroures  70  centièmes,  il  faudrait  seulement  admettre  qu'on  aurait  omis  de  noter  le  chiffre  des  condées  dans  l'évaluation  de  chacun 
de  ces  trois  tiers,  ce  qui  ne  serait  nullement  improbable.  Neferabu  était  donc  investi  de  trois  domaines  d'au  moins  70  coudées  et  demi, 
divisés  l'un  par  tiers  entre  les  tenanciers,  les  autres  par  cinqième  entre  les  tenanciers,  et  de  ^/s  d'un  autre  domaine  (si  du  moins 
les  lacunes  n'ont  pas  feît  disparaître  les  indications  de  quelque  autre  parcelle),  le  tout  en  outre  des  terres  basses  de  pré,  des  terres  de 
vignes,  etc.  qui  sont  énumérées  en  tête  de  la  liste  et  rappellent  les  terres  de  même  nature  possédées  par  Amten  près  de  sa  maison  en 
dehors  de  ses  200  aroures  de  terre  cultivable.  Le  droit  quasi-seigneurial  possédé  sur  des  cinquièmes  isolés  de  domaine  ne  paraîtrait 
pouvoir  résulter  que  d'un  partage  de  droit  seigneurial  portant  sur  des  domaines  entiers.  Il  semble  donc  que  Neferabu  et  ses  frères 
devaient  représenter  l'une  des  deux  branches  d'une  famille  qui  avait  été  investie  de  terres  ieas.  fois  plus  considérables  que  les  terres 
énumérées  ici.  On  peut  supposer,  par  exemple,  que  le  grand-père  ou  l'arrière  grand-père  ou  l'un  des  ancêtres  de  Neferabu  avait  reçu 
du  temple  environ  500  aroures  de  terre  cultivable,  plus  des  jardins,  vignes,  etc..  et  que  le  droit  quasi-seigneurial  qu'il  avait  reçu  sur  ses 
domaines  s'était  trouvé  après  sa  mort  partagé  entre  deux  enfants  qu'il  avait  laissés.  Peut-être  cette  investiture  primitive  de  la  famille 
nous  reportait-elle  jusqu'à  l'époque  pleinement  sémite;  car  l'intervention  continuelle  des  nombres  7  et  70  s'expliquerait  beaucoup  mieux, 
ainsi.  7  domaines  de  70  aroures  et  70  coudées  forment  un  total  de  494  aroures,  90  coudées,  ce  qui  se  rapproche  le  plus  possible,  par  l'in- 
terrention  du  nombre  7,  des  500  aroures  en  question.  C'est  ainsi  qu'entre  quasi-seigneurs  les  domaines  se  divisaient.  Puis  dans  les  familles 
des  tenanciers  intervinrent  aussi  des  partages.  Lorsqu'il  v  avait  trois  enfants  dans  une  de  ces  maisons  de  tenanciers,  le  domaine  occupé 
par  cette  famille  se  divisait  naturellement  en  trois.  Il  se  divisait  en  cinq  dans  la  famille  où  les  enfants  se  trouvaient  au  nombre  de  cinq. 
Si  une  des  filles  allait  dans  une  autre  maison  pour  s'y  marier,  elle  pouvait  emporter  en  dot  dans  cette  nouvelle  maison  son  cinqtiième, 
tandis  que  les  autres  enfants  des  mêmes  parents,  ses  frères  et  sœurs,  continuaient  ensemble  la  vie  commune.  C'est  ce  qu'indique  fox*- 
mellement  notre  texte  pour  la  maison  de  la  femme  Mautbenra.  La  femme  Tamaut  était  entrée  en  partage  dans  ce  domaine  de  70  aroures 
Vs  Vio  et  10  coudées  pour  en  recevoir  un  cinquième,  c'est-à-dire  14  aroures  ^,\o  et  4  coudées,  tandis  que  les  autres  enfants  de  Mautbenra 
possédaient  ensemble  pour  leur  mère,  au  nom  de  leur  mère,  et  d'une  façon  indivise,  les  56  aroures  * ,  '  ,oet  6  coudées  d'aroures  formant 
les  quatre  autres  cinquièmes  de  ce  domaine.  La  femme  Tamaut  dotée  par  sa  mère  avait  donc  reçu  à  l'occasion  de  son  mariage  sa  part 
d'héritage,  comme  tant  d'autres  femmes  la  reçoivent  également  à  l'occasion  d'un  mariage  dans  nos  actes  démotiques  archaïques.  On  croit 
entrevoir  au  milieu  des  lacunes  de  notre  acte  qu'une  autre  fille  de  tenancier  s'était  même  mariée  à  Memphis  et  avait  reçu  à  cette  occasiun 
sa  part  du  tiers  d'un  autre  domaine.  11  est  évident  que  dans  les  partages  du  droit  seigneurial  il  fallait  bien  tenir  compte  des  partages 
effectués  dans  les  C&milles  de  tenanciers.  C'est  ainsi  que  la  branche  représentée  par  Neferabu  et  ses  frères  n'aurait  reçu  que  trois  domaines 
et  -!i  sur  un  total  de  sept  domaines,  satif  à  retrouver  la  soulte  dans  une  part  plus  large  de  terre  basse,  de  terre  de  vigne,  etc. 


Notice,  etc.  53 

Accorder  le  droit  de  faire  des  contrats  sur  ce  qu'on  possède,  c'est  rendre  vraiment 
personnelle  et  sérieuse  la  possession;  c'est  lui  donner  les  caractères  d'une  maîtrise  proprement 
dite,  puisqu'on  en  dispose  comme  d'uu  bien  à  soi. 

Les  échanges  de  parts  dans  le  sein  de  la  famille  étaient  déjà  une  affirmation  aussi 
complète  de  cette  maîtrise  individuelle  que  le  furent  bientôt  les  transmissions  hors  de  la 
famille,  déguisées  d'abord  sous  la  forme  d'échanges  intra-familiaux. 

On  peut  donc  dire  qu'eu  ce  qui  touchait  le  paysan,  jadis  attaché  à  la  glèbe,  comme 
le  colomis  du  Bas-Empire  Romain  et  le  serf  de  notre  moyen-âge,  il  lui  suffisait  de  con- 
server toujours  à  partir  de  la  loi  portée  par  Bocchoris  —  malgré  les  tendances  réactionnaires 
qui  se  manifestèrent,  après  la  mort  violente  de  ce  prince,  sous  Shabaka  et  les  autres  rois 
de  la  dynastie  éthiopienne  —  le  droit  de  contracter,   d'une  façon  quelconque,   au  sujet  de 


Les  termes  juridiques  sont  ici  fort  intéressants. 

Le  préposé  des  magiisins  a  joué  dans  cette  affaire  le  rôle  d'agent  d'exécution  en  opérant  la  saisie 

((b^  \i^  )'  ^^  prophète  administrateur  du  temple  de  Maut  avait  fait  un  commandement  à  Neferabu 

pour  lui  faire  un  lien  (de  droit)  sur  les  herbages  pour  sa  contribution    n    fi  «~      vft  ^^<n> 

^  ^  '^"^  ^®  ^  ^^^  "^  ^  ^  I  '^•l''^^'^'^^  ^  ^lli  P  1  ^  ^'  L'''^P''''8^'0"  "'«'■  "1'™  <ïe 
droit»  nous  est  bien  connue  par  les  textes  juridiques  démotiques  d'époque  ptolémaïque.  Elle  se  trouve 
notamment  dans  les  citations  en  behaiosis  que  j'ai  traduites  dans  mon  «procès  jugé  par  les  Laoerites».  L'ache- 
teur fait  alors  lien  (mer)  sur  les  héritiers  de  son  vendeur  pour  les  obliger  à  défendre  en  justice  la  légitimité 
de  sa  possession.  C'est  l'activité  du  lien  juridique  pour  ainsi  dire.  Ici  nous  en  voyons  le  côté  passif.  Le 
lien  est  un  interdit  fait  par  le  prophète  administrateur  enlevant  au  quasi-propriétaire  qui  n'a  pas  pa3'é  la 
redevance,  le  droit  de  jouissance  sur  sa  récolte.  Dans  cette  phrase  le  sens  redevance,  contribution,  ce  qu'en 
di-oit  romain  on  nommait  vectigal,  est  rendu,  comme  dans  bien  d'autres  exemples,  par  le  mot  mes,  qui  sert 
à  exprimer  aussi  le  produit  de  l'argent  —  et  cela  jusqu'en  démotique  et  en  copte.  —  Cela  est  tout  naturel, 
car  le  vectigal  n'est  ici  que  le  produit  en  nature  représentant  l'obligation  causée  par  la  mise  en  tenance 
de  la  terre.  Mais  on  se  sert  aussi  dans  le  même  but  d'une  autre  expression  que  nous  trouvons  à  la  fin 
du  procès  pour  l'accord  transactionnel  définitif:  q  v\  0  [  ^^^\  n       ^^4    \  ■&  \À    a5<    V\ 

AX  (J  m    I  q  ^A/wv^  ,■'         «Mon  terram  tu  me  le  donneras  a  la  place  de  sa  redevance.»  Le  même  mot 
,wwvA //Ors  1  1 1       t^iiii^t    I    I 
se  retrouve  avec  la  même  acception  dans  beaucoup  d'autres  textes,  par  exemple,  à  plusieurs  reprises,  dans 

très    ancienne  inscription  juridique    du  prince  Hapidjefa  (à  Siut)<i  :  <:z:^  j\<=^  ^^AAA^   I  aaa~./.    ^      I 


û  B  t>  O  , 


,.û ^  '^  ''=^  ""^  iz-=i  ^  l\      ®    ™  ...•O  c-n  — ^ 


^J 0 


'^^=—  <^^='   I  L  \\  C--^      ''^■'^'^    "■''  '^"'  ^  donné  (au  prêtre  du  sanctuaire)  pour 

cela  (pour  les  services  liturgiques  à  faire  accompli!-)»  un  heq  ou  sa  de  blé  sur  tout  champ  pour  la  maison 
éternelle  (la  tombe)  sur  les  vectigalia  de  la  maison  du  prince,  comme  le  fait  chaque  vassal  de  Siut  sur  ses 
redevances.  En  conséquence  il  lui  appartient  de  faire  donner  cela  par  chaque  vassal  pour  le  temple  sur  son 
champ.  » 

Notre  procès  est  relatif  au  domaine  sacré  organisé  par  Eamsès  II."  Ainsi  que  je  l'ai  démontré  dans 
un  travail  déjà  cité  de  la  Revue  et  comme  l'avait  dit  Diodore  de  Sicile  aussi  bien  que  Pentaonr,  c'est 


(a)  Antérieurement  la  caste  des  guerriers  n'existait  pas  et  les  temples  ne  possédaient  qu'au  même  titre  que  les  princes  féodaux 
investis  par  le  roi.  que  les  soldats  heureux  auxquels  il  avait  concédé  des  terres,  etc.  Après  l'organisation  des  nomarcbies  par  Sesostris  ou 
Eamsès  II.  foi-t  bien  comprise  par  Diodore,  on  dut  régulariser  la  chose  et  les  hir  oïl  les  seigneurs  ne  purent  posséder  qu'en-dessous  du 
domaine  éminent  du  roi.  des  prêtres  et  des  guerriers,  comme  plus  tard  après  la  réforme  de  Bocchoris  les  vassaux  possédèrent  encore 
à  un  degré  hien  inférieur.  Mais  au-dessus  de  tous  ces  domaines  superposés  dominait  toujours  l'autorité  du  roi  d'où  tout  sortait  et  qui 
était  le  seul  vrai  maître  du  sol,  comme  il  l'était  encore  naguère  avant  l'occupation  européenne. 


54  Eugène  Revillout. 


la  terre  cultivée  par  lui,  pour  que  sa  situation  fut  à  jamais  cliaugée  relativement  à  cette 
terre.  Peu  importait  d'ailleurs  à  ce  jioiut  de  vue  qu'il  pût  en  disposer  librement  en  faveur 
même  d'un  tiers  étranger  à  sa  parenté,  ou  seulement  en  faveur  d'un  membre  de  sa  famille. 

Mais  en  ce  qui  touchait  le  seigneur  éminent,  celui  qui  avait  concédé  l'investiture  à  la 
famille,  ce  ne  put  pas  être  chose  inditférente  que  d'y  laisser  introduire  un  tiers.  C'est  si 
peu  chose  indifférente  que  dans  nos  locations  actuelles  la  sous-location,  la  substitution,  dans 
des  conditions  d'ailleurs  identiques,  d'un  ménage  nouveau  à  celui  qui  a  reçu  le  bail  est  sou- 
vent prévue  pour  être  interdite;  et  que  même  dans  les  fermages  elle  est  interdite,  sans  (|u'il 
soit  besoin  de  l'avoir  expressément  prévue. 

D'ailleurs  rien  n'indique  qu'eu  Egypte,  quand  le  corps  des  prêtres  investissait  telle  ou 
telle  famille  de  l'usage  de  telle  ou  telle  terre  du  domaine  sacré,  à  charge  de  la  cultiver  et 
de  verser  annuellement  sur  les  produits  la  part  que  le  dieu  s'était  réservée  à  titre  de  seigneur 
éminent,  rien  n'indique,  dis-je,  que  cette  investiture  fut  toujours  gratuite  aux  anciennes 
époques.  Au  contraire,  un  acte,  de  date  relativement  un  peu  récente,  puisqu'il  ne  remonte 
qu'à  la  dernière  partie  du  règne  d'Amasis,  nous  fait  voir  que,  du  moins  alors,  il  y  avait  un 
droit  à  payer  en  pareil  cas. 

En  effet  cet  acte  est  uu  reçu  relatif  à  la  perception  de  ce  droit,  reçu  délivré  sous 
forme  de  lettre*  par  le  chef  de  la  nécropole,  agissant  et  parlant  au  nom  de  tout  le  corps 
sacerdotal. 

Ce  chef  de  la  nécropole  ou  montagne  funéraire  n'était  qu'un  agent  en  sous-ordre.  Les 
administrateurs  des  biens  sacrés  étaient  ceux  des  prêtres  qui  dans  les  temples  portaient  le 
titre  de  prophètes  —  les  auteurs  grecs  nous  l'avaient  dit  et  les  papyrus  archaïques  que  nous 
avons  expliqués  dans  nos  cours  l'année  dernière  ne  laissent  aucun  doute  sur  ce  point.  —  Du 
reste,  le  reçu  en  question  suffirait  presque  pour  le  prouver. 

C'était  donc  un  prophète,  le  premier  prophète  du  dieu  Haroeris,  qui  avait  accordé  l'in- 

fu  effet  Ramsès  II,  qui,  en  donnant  à  la  caste  militaire  une  portion  des  biens  royaux  (dont  le.s  princes 
féodaux  du  moyen  empire  n'avaient  en  droit  que  l'usage)  a  définitivement  établi  le  caractère  tripartite  de 
la  propriété  éminente  en  Egypte.  Mais  sous  les  Ramessides,  comme  plus  tard  sous  Amasis  et  sous  Darius, 
nous  trouvons  plusieurs  degrés  bien  distincts  dans  ce  dont  Bocclioris  et  Amasis  tirent  définitivement 
une  quasi-propriété  ou  plutôt  une  sous-propriété.  Il  y  a  d'abord,  pour  les  biens  de  Xeterhotep.  le  personnage 
sacerdotal  qui  est  investi  de  telle  part,  souvent  comme  traitement  pour  ainsi  dire.  Il  y  a  ensuite  en-dessous 
de  lui  les  occupants  du  sol,  les  ■¥•  Vw^  '  ou  ■¥-  J)  i  «  vivant  sur  le  domaine  »  (    \  :  laissant  sou- 

vent,  de  leur  vivant,  admmistrer  par  leurs  enfants,   comme   à  l'époque  Lagide,   ce  domaine,  dont  on  dit 

alors  «qui  est  dans  la  main  (mtot)  de  ses  enfants».    Il  y  a  enfin  d'autres  -4-  ^J)'    ci"i   parfois 

i     ®    Q&lioi 
occupent  comme  remplaçants  des  premiers  et  qui  ont  ces  biens  dans  la  main  (mtot)-^  —  sans  compter  que 

dans  certains  cas  le  prophète  administrateur  du  temple,  vient,  pour  non-paiement,  occuper  lui-même  et 
prend  alors  par  saisie  les  biens  en  sa  main  (mtot),  comme  nous  le  voyons  pour  plusieurs  de  ceux  qui  sont 
énumérés  par  Unnofré  dans  l'état  général  des  biens  de  Neferabu. 

Mais  je  m'arrête  dans  cette  digression  un  peu  longue  et  je  renvoie  le  lecteur  pour  toutes  ces  questions 
juridiques  à  mes  volumes  de  droit  sur  l'état  des  biens.  Je  n'ai  vouln  ici  que  faire  comprendre  un  texte 
dont  on  n'avait  pas  saisi  jusqu'ici  le  sens  général  et  la  très  grande  portée. 

'  Ce  n'est  cependant  point  une  lettre  écrite  de  la  main  de  l'expéditeur,  c'est  un  acte  écrit  par  un 
tiers  et  qui  porte  en  tête  la  mention  suivante  —  analogue  à  celle  qui  dans  une  lettre  se  trouverait  écrite 
au  revers  —  :  «Remis  par  Petiamen,  fils  de  Téos  (Djeho),  le  chef  de  la  nécropole,  à  Haredj,  fils  de  Djet.. 
Celui  qui  a  écrit  le  document  s'indique  nommément  à  la  fin,  comme  le  fait  tout  scribe-rédacteur  d'un  acte  : 
«A  écrit  Tachons-at-ur,  fils  d'Annuhor,  en  l'an  38,  Mésoré. » 


Notice,  etc.  55 

vestiture  de  cette  mesure  de  tesher,  c'est-à-dire  de  terre  cultivable,  à  un  choachyte,  rattaché, 
par  ses  fonctions,  à  cette  nécropole  dont  l'auteur  de  notre  reçu  était  le  chef. 

Voici  ce  reçu,  qui  commence  par  un  souhait  pieux  et  amical  : 

«Don  royal  du  soleil,  durée  de  viel  —  Le  1^''  prophète  du  dieu  Haroeris  t'a  donné  la  pos- 
session (mate)  de  ce  qui  sera  à  toi,  à  savoir  de  la  mesure  de  terre  rouge  (de  tesher),  prise 
sur  la  terre  du  neter  hotep  (domaine  sacré)  du  dieu,  au  nom  des  prophètes  des  quatre  classes 
d'Haroeris.  C'était  à  toi,  le  maître  du  champ,  à  payer  pour  la  mesure  ci-dessus  ce  que  l'on 
donne  au  chef  de  la  nécropole  pour  le  kati^  par  outen  des  choses  reçues  (c'est-à-dire  pour  la 
taxe  du  dixième).  J'ai  reçu  cela  sans  reliquat.  Mon  cœur  en  est  satisfait.  Je  te  donne  quittance 
—  quittance  du  tout  —  au  nom  des  prophètes  des  quatre  classes  du  dieu  Haroeris,  au 
nom  de  la  nécropole,  pour  les  katis  d'Osiris.  » 

Ce  reçu  est  daté  de  l'an  38  du  roi  Amasis.  Il  est  donc  postérieur  de  plusieurs  années 
au  changement  de  législation  qui  avait  eu  lieu  sous  ce  roi.  Aussi  le  choachj-te  investi  de 
la  terre  se  trouve-t-il  nommé  «maître  (neb)  du  champ»,  expression  remarquable  qu'on  ne  ren- 
contre jamais  appliquée  à  des  tenanciers  dans  les  actes  très  archaïques.^ 

Mais  entin  le  corps  sacerdotal,  représenté  par  ce  que  nous  nommerions  aujourd'hui  ses 
procureurs,  par  ses  prophètes,  donnait  encore  l'investiture  :  et  cette  investiture  n'était  nulle- 
ment gratuite. 

S'ils  la  faisaient  payer  déjà  aux  vieilles  époques,  les  prêtres  devaient  ti'ouver  tout  naturel 
de  se  faire  payer  de  nouveau  quand  une  autre  famille  se  trouvait  investie  de  ce  que  la 
première  avait  reçu. 

Telle  paraît  être  l'origine  du  droit  de  mutation,  que  nous  voyons  d'abord  mentionné 
dans  des  actes  de  ti-ansmission  de  biens  datés  du  règne  de  Psammétique  I". 

Ces  droits  de  mutation  étaient  alors  perçus  au  profit  des  seigneurs  éminents  de  la 
terre  :  c'est-à-dire,  comme  dans  ces  actes  il  s'agissait  du  (Inniaiue  sacré,  du  veier  hotep,  au 
profit  du  sanctuaire,  par  les  agents  des  temples. 

Plus  tard,  sous  les  Lagides,  nous  les  voyons  perçus,  pour  les  mêmes  terres,  au  profit 
du  trésor  public,  par  des  agents  de  l'état.  Mais  c'est  qu'alors  les  temples  ne  possédaient  plus 
guère  qu'un  droit  purement  nominal  sur  leur  ancien  netei'  hotep.  On  continuait  à  nommer 
ces  terres  «  terres  de  domaine  sacré,  terres  de  neter  hotep  »  dans  les  contrats  que  rédigeaient 
des  notaires  attachés  aux  temples  et  y  représentant  les  prêtres  des  cinq  classes.  Mais  l'inter- 
vention nécessaire  de  ce  notaire  écrivant  au  nom  de  tout  le  corps  sacerdotal,  l'estampille 
officielle  qu'il  lui  fallait  donner  aux  transmissions  de  biens,  était  le  dernier  exercice  ou  plutôt 
le  dernier  indice  d'une  suzeraineté  jadis  très  effective. 

Le  dieu  Amon  de  Thèbes,  dont  le  temple  a  laissé  de  si  beaux  débris,  avait  joué,  en 
effet,  le  rôle  de  suzerain  sur  toute  la  contrée  environnante,  y  compris  même  les  terres  dé- 
pendant de  sanctuaires  assez  éloignés  et,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  constituant  les  fiefs 
de  ces  sanctuaires. 

^  Le  kati  repéscnte  comme  monnaie  égyptienne  le  dixième  de  l'outen  ou  argentans. 

^  Cette  expression  neb  est  celle  qui,  dans  le  droit  postérieur  de  l'époque  classique,  équivaut  au  grec 
zjpioç.  Il  est  à  remarquer  qu'en  même  temps  que  le  mot  neb  «maître»  s'introduit  dans  le  langage  juridique 
des  actes  officiels  pour  la  sous-propriété,  cette  sous-propriété  elle-même  cesse  de  s'appeler  shaï  «usage», 
pour  prendre  le  nom  de  mate  «possession». 


56  Eugène  Revillout. 


Sous  la  dynastie  étbiopieune  —  préteudaut  desceudre  des  grands  prêtres  d'Amon  de 
Thèbes  qui  avaient  régné  sur  l'Egypte,  où  ils  formèrent  ce  que  l'on  nomme  ordinairement  la 
XXr  dynastie  —  un  agent  spécial,  prêtre  d'Amon,  prêtre  du  roi,'  —  roi  auquel  Amon  avait 
donné  la  puissance,  disent  les  actes  même  —  était  le  représentant  légal  de  cette  puissance 
suzeraine. 

Un  certain  nombre  de  nos  papyrus  sont  relatifs  à  des  terres  dépendant  d'un  sanctuaire 
de  la  ville  d'Hermouthis,  actuellement  Erment,  située  à  plusieurs  lieues  de  Thèbes,  et  qui 
avait  déjà  sous  Talii'aka  assez  d'importance  pour  que  le  roi  niuivite  Assurbanipal,  dans  ses 
cylindres,  mentionnât  expressément  les  fortitications  que  le  roi  éthiopien  d'Egypte  y  avait 
construites,  en  même  temps  qu'à  Thèbes.  Or,  sous  cette  dynastie  éthiopienne,  comme  sous 
celle  de  Psammétique,  qui  en  est  la  continuation  directe,  ainsi  que  nous  l'avons  prouvé  dans 
notre  leçon  d'ouverture  de  l'année  dernière,  le  «prêtre  d'Amon,  prêtre  du  roi,  qui  a  reçu 
d'Amon  la  puissance»,  intervient  toujours  quand  il  s'agit  du  domaine  sacré  d'un  autre  dieu. 
Il  intervient  pour  donner  à  l'acte  l'authenticité  nécessaire.  Il  n'écrit  pas,  comme  le  fera  sous 
les  Ptolémées  le  monographe  :  —  il  laisse  ce  soin  à  un  agent  local,  à  un  préposé  des  trans- 
missions, spécial  pour  les  terres  de  ce  domaine  sacré.  —  Mais  il  se  fait  lire  ce  qu'on  écrit 
et  il  le  rend  valable  par  son  approbation.  Dans  toute  la  contrée  le  dieu  Amon  est  le  seigneur, 
autant  que  le  roi  :  avant  le  roi;  car  celui-ci,  investi  par  le  dieu  Amon,  devient  sa  représen- 
tation vivante.  C'est  le  roi  des  dieux  :  «Amon-ra-sonter»;  et  tous  les  dieux  du  voisinage 
dépendent  de  lui  —  comme  les  grands  seigneurs,  ces  princes  locaux,  auxquels  le  monarque 
ninivite  Assurbanipal  attribue  le  titre  de  rois,  dépendent  du  roi  proprement  dit,  du  vicaire 
d'Amon  sur  la  terre  d'Egypte. 

Il  y  avait  eu  déjà  d'autres  races  royales  qui  avaient  attribué  à  Amon  un  rôle  presque 
aussi  considérable,  avant  même  le  moment  où  la  dynastie  toute  sacerdotale  des  grands  prêtres 
d'Amon  avait  voulu  rendre  visible  le  règne  d'Amon  sur  la  terre  et,  faisant  paraître  sa 
statue  dans  toutes  les  grandes  circonstances  —  statue  dont  la  tête  était  mobile  —  lui  faisait 
indiquer,  par  un  geste,  quelle  décision  il  fallait  prendre,  ou  quelle  sentence  il  fallait  porter. 
Parmi  les  dynasties  qui  précédèrent,  celle  des  Eamessides,  commençant  au  père  de  Séti  F"", 
était  particulièrement  dévote  à  Amon  ;  et  le  poème  de  Pentaour,  en  nous  racontant  les  exploits 
de  Ramsès  II,  fils  de  Séti  F'',  eu  attribue  la  plus  large  part  au  dieu  Amon,  père  divin  du 
roi.  D'autres  documents,  en  grand  nombre,  nous  montrent  le  dieu  Amon  de  Thèbes  rece- 
vant les  tribus  de  contrées  éloignées,  conquises  par  les  rois  d'Egypte,  par  exemple  des 
dîmes  recueillies  en  Asie  mineure.  La  domination  théorique  du  dieu  Amon  du  temps  des  rois 
éthiopiens,  que  continuèrent  Psammétique  et  sa  race,  se  rattachait  donc  à  des  traditions 
plus  anciennes. 

•  Nous  montrerons  dans  la  suite  que  ce  prêtre  d'Amon,  prêtre  du  roi,  qui  seul  pouvait  donner  aux 
actes  (sous  les  deux  branches  de  la  dynastie  éthiopienne)  la  validité  nécessaire,  n'était  à  ce  point  de  vue 
que  le  successeur  du  prophète  d'Amon  qui,  sous  la  dynastie  sacerdotale  des  prêtres  d'Amon,  interro- 
geait le  dieu  sur  les  divers  procès,  même  relatifs  aux  familles  et  à  la  transmission  des  biens  —  procès 
qui  sous  les  Eamessides  étaient  jugés  à  Thèbes  par  un  tribunal  semblable  à  celui  que  nous  voyons 
fonctionner  de  nouveau  sous  les  Lagides.  Il  faut  donc  bien  reconnaître  que  les  Eamessides  étaient  allé 
beaucoup  moins  loin  dans  le  sens  amonien  que  les  prêtres -rois  qid  leur  succédèrent.  Il  y  eut  sous  ce 
rapport  des  réactions  en  divers  sens. 


Notice,  etc.  57 

Nos  actes  nous  la  mettent  parfaitement  en  lumière.  Mais  ils  nous  apprennent  aussi 
que  sous  le  règ:ne  de  Bocchoris,  à  Thébes  même,  on  ne  taisait  nullement  intervenir  un  prêtre 
d'Amon,  prêtre  du  roi. 

Nous  possédons  un  papyrus  rédigé  à  Thèbes  en  l'an  16  de  Bocchoris.  Au  point  de 
vue  historique  cet  acte  est  de  la  plus  haute  importance.  Il  nous  montre  que  le  prince  de 
Memphis  et  de  Sais,  le  tils  de  Tafnekht,  était  bien  parvenu,  en  eifet,  à  réaliser  ce  que  son 
l)ère  avait  tenté  du  temps  du  roi  éthiopien  Piankhi.  Il  avait  soumis  non  seulement  la  Basse- 
Egypte,  mais  la  Thébaïde.  Il  s'était  fiiit  reconnaître  roi  de  lÉgypte  entière;  et  en  la  IG*"  année 
de  son  règne  il  possédait  Thèbes,  lorsque  fut  écrit  le  contrat  dont  nous  vous  parlons. 

Or  ce  contrat  est  relatif  à  la  transmission  d'un  immeuble  situé  où  furent  situés  aussi 
la  plupart  des  terrains  transmis  dans  nos  contrats  datés  de  Shabaka,  Tahraka,  Psammétique 
et  Néchao. 

L'absence  de  toute  mention  du  prêtre  d'Amon,  prêtre  du  roi,  y  e.st  donc  des  plus  re- 
marquables. 

Ce  n'est  pas  par  là  seulement  que  ce  document  est  instructif.  Nous  montrant  sous 
Bocchoris  même  une  application  du  code  de  ce  roi,  il  nous  permet  de  voir  que,  si  Shabaka 
n'abolît  pas  complètement  ce  code  après  avoir  vaincu  Bocchoris,  lavoir  poursuivi  jusqu'à 
Memphis,  l'avoir  pris,  l'avoir  brûlé  vif  —  comme  un  rebelle  impie,  parjure  envers  Amon, 
ayant  violé  le  serment  d'allégeance  prêté  à  Piankhi,  prédécesseur  du  père  de  Shabaka,  par 
son  père  Tafnekht,  —  il  favorisa  du  moins  les  tendances  de  réaction  contre  les  principes 
posés  par  ce  code.  L'allure  du  contrat  daté  du  règne  de  Bocchoris  paraît  presque  aussi  libre, 
au  point  de  vue  des  droits  individuels,  que  celle  des  contrats  datés  de  l'époque  ptolémaïque. 
Rien  n'y  rappelle  la  perpétuité  de  l'investiture  originelle  et  son  caractère  essentiellement 
héréditaire  pour  une  terre  dépendant  du  domaine  d'un  temple.  Pour  abandonner  tout  droit 
sur  cette  terre,  ou  n'a  pas  besoin  de  recourir  à  la  fiction  d'un  échange  de  part,  comme  on 
le  fera  toujours  dans  les  actes  dressés  sous  Shabaka  et  ses  successeurs.  Au  point  de  vue 
juridique,  c'est  là  une  différence  qui  n'est  pas  seulement  de  forme,  mais  de  fond,  et  qui 
cadre  admirablement  avec  cette  autre  différence  :  la  non-intervention  d'un  agent  Amonien 
et  royal  dans  la  confection  de  ce  contrat. 

La  création  d'un  prêtre  d'Amon,  prêtre  du  roi,  chargé  de  surveiller  la  rédaction  des 
actes  et  d'empêcher  qu'on  s'écartât  trop  des  principes  traditionnels  du  droit  antérieur  à 
Bocchoris,  tout  en  consacrant  le  fait  accompli  de  l'existence  même  de  ces  actes  écrits, 
organisés  par  le  novateur,  nous  paraît  être  l'œuvre  de  Shabaka. 

Dans  un  contrat  daté  de  l'an  10  de  Shabaka  nous  voyons,  eu  effet,  déjà  ce  person- 
nage appartenant  à  la  caste  sacerdotale  des  prêtres  d'Amon  jouer  le  rôle  très  important 
qu'il  conserva  jusqu'aux  réformes  d'Amasis. 

Il  ne  faut  pas  oublier  qii'Amasis  fut  un  parvenu,  un  révolté,  qui  monta  sur  le  trône 
en  s'y  substituant  à  la  famille  de  Psammétique,  —  famille  d'origine  éthiopienne  comme  le 
prouvent  les  noms  de  Niku  et  de  Psammétiku,  se  rattachant,  certainement  par  des  alliances, 
probablement  par  la  parenté,  à  la  dj'nastie  éthiopienne  qui  avait  régné  avant  elle.  C'est  là 
même  ce  qui  nous  explique  comment,  dans  une  stèle  officielle  d'Apis,  actuellement  au  Musée 
du  Louvre,   le  roi  Psammétiku  est  présenté  comme  le  successeur  légitime  du  roi  Tahraku  : 


68  Eugène  Revillout. 


et  uou  point  de  son  père  Niku,  désigué  comme  roi  de  Memphis  et  de  Sais  par  les  Assyriens, 
ennemis  de  l'Egypte,  mais  qui  avait  été  simplement  nommé  gouverneur,  prince  ou  préfet 
de  ces  deux  villes  par  le  monarque  éthiopien  d'alors. 

Dans  les  traditions  éthiopiennes  et  Amoniennes,  qu'Amasis  n'avait  aucun  intérêt  à 
perpétuer,  entrait  l'œuvre  de  Shabaka  :  la  sourdine  mise  au  code  de  Bocehoris  par  le  con- 
trôle pratiquement  exercé  sur  toutes  ses  applications;  et  peut-être  aussi  quelque  loi  formelle 
contraire  à  l'esprit  de  ce  code  et  en  limitant  la  portée. 

Il  reste  actuellement  difficile  de  savoir  jusqu'où  était  allé  Bocchoris  dans  le  sens  de 
la  liberté  des  contrats  accordée  au  peuple. 

Avait-il  déjà  permis  la  vente,  la  vente  directe  des  droits  de  possession,  des  droits 
d'usage  et  des  autres  biens?  Avait-il  voulu  que  pour  les  terres,  pour  tous  les  droits  immo- 
biliers, cette  vente  se  fit  en  deux  temps,  à  l'aide  de  deux  actes  distincts,  dont  le  second, 
l'acte  de  transmission,  serait  l'abandon  formel  au  profit  de  l'acquéreur  de  tous  les  droits 
actuels  de  celui  qui  cédait  et,  quand  il  s'agissait  d'immeubles,  de  la  possession  de  la  chose, 
sans  trouble  désormais  de  la  part  de  celui  qui  y  renonçait  ainsi  —  abandon  motivé  par 
l'acte  précédent,  où  s'en  trouverait  indiquée  la  cause  :  c'est-à-dire  le  paiement  du  prix,  en 
cas  de  vente? 

Les  Ethiopiens  auraient  d'abord  interdit  de  nouveau  ce  qui  leur  paraissait  contraire 
au  vieux  principe  de  la  perpétuité  des  biens  dans  les  familles.  Ils  auraient  déclaré  que  le 
paiement  préalable  d'une  somme  d'argent  ne  pouvait  pas  suffire  pour  motiver  la  possession 
d'une  terre  par  une  famille  qui  n'en  avait  pas  été  investie  originairement.  Ils  n'auraient  donc 
plus  laissé  subsister  que  l'un  des  deux  actes  organisés  par  Bocchoris  pour  les  cessions  de 
droits  immobiliers  —  l'acte  de  transmission  —  et  encore  seulement  quand  les  motifs  en 
seraient  fournis  par  les  liens  du  sang,  comme  c'est  le  cas  dans  les  échanges  intra-familiaux 
se  confondant  avec  des  partages  d'hérédité. 

Ils  auraient  d'ailleurs  rattaché  le  plus  possible  cet  acte  de  transmission  intra-familiale, 
par  la  solennité  dont  ils  l'entouraient,  aux  souvenirs  des  décisions  rendues  sous  la  dynastie 
sacerdotale  par  le  dieu  Amon,  les  jours  de  fête,  quand  la  foule  était  rassemblée  et  la  statue 
du  dieu  sortie  de  son  sanctuaire  pour  les  grandes  panégyries.  La  mention  expresse  de  la  fête 
du  jour  dans  le  protocole  des  contrats,  mention  que  nous  trouvons  encore  sous  le  règne  de 
Tahraka,  nous  paraît  être  un  signe  visible  de  cette  préoccupation  traditionnaliste.  ^ 

Un  hiératisme  aux  contours  roides  aurait  donc  été  rétabli  pour  la  forme  et  le  fond  du 
droit  :  et  le  prêtre  spécial  dont  l'autorisation  se  trouvait  substituée  à  celle  du  dieu  lui-même" 
était  chargé  de  perpétuer  ce  hiératisme. 

Il  ne  tarda  pas  cependant  à  se  prêter  à  des  compromis,  motivés  sans  doute  par  l'avan- 
tage pécuniaire  qu'j^  trouvaient  les  temples. 


'  Il  faut  comparer  à  ce  point  de  vue  les  procès  jugés  pur  Amon  sous  la  dynastie  sacerdotale  et 
que  je  donnerai  à  plus  loin,  procès  mentionnant  non-seulement  la  date  de  l'année  et  du  mois,  mais  le  jour 
de  la  fête  ou  manifestation  du  dieu,  avant  l'expression  hoou  pen  «en  ce  jour»,  qu'a  conservée  aussi  le  for- 
mulaire démotique  de  l'époque  éthiopienne. 

^  Il  ne  serait  pas  impossible  d'ailleurs  que  le  prêtre  d'Amon,  prêtre  du  roi,  eût  dû  encore  alors  en 
principe  interroger  le  dieu  sur  les  affaires  qu'on  lui  soumettait  —  comme  sous  la  dynastie  sacerdotale. 


Notice,  etc.  59 

Qui  donc  avait  eu  le  premier  lidée  d'introduire  un  droit  de  mutation  au  protit  de  ces 
temples  pour  les  aliénations  extra-familiales  de  terres  provenant  de  leur  domaine?  On  peut 
se  demander  si  ce  n'avait  pas  été  d'abord  Bocchoris  lui-même,  permettant  ces  aliénations 
dans  son  code.  Portant  par  cette  permission  une  sérieuse  atteinte  à  leurs  droits  domaniaux, 
il  aurait  ainsi,  par  compensation,  créé  pour  les  dieux  une  source  de  revenus. 

Cette  source  aurait  été  tarie  sous  le  règne  de  Shabaka  quand  on  serait  rentré  dans 
toute  la  rigueur  des  vieux  principes,  suivant  lesquels  nul  ne  pouvait  disposer  de  la  possession, 
de  l'usage,  du  shai  d'une  terre  concédée  jadis  à  sa  famille,  comme  d'un  bien  à  lui  personnel. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  voyons  mentionner  —  non  sous  la  branche  aînée  des  Ethiopiens, 
mais  sous  la  branche  cadette  —  dès  le  règne  de  Psammétique  F"",  le  droit  de  mutation  du 
dixième,  perçu  au  nom  du  dieu  Amon,  pour  les  aliénations  déguisées  sous  forme  d'échanges 
intra-familiaux  de  parts  héréditaires. 

Ce  n'est  pas  le  prêti-e  d'Amon,  prêtre  du  roi,  ce  délégué  de  la  puissance  souveraine, 
qui  perçoit  la  taxe  et  en  donne  quittance.  Ce  sont  des  prophètes,  procureurs  ou  administra- 
teurs locaux.  A  Hermonthis,  ville  ayant  Mont  pour  dieu  principal,  un  prophète  de  Mont  est 
le  «receveur  de,  ce  qu'on  apporte,  de  ce  qu'on  verse  pour  la  transmission»  an  an  maseh. 

Sous  ce  titre  il  intervient  au  bas  de  certains  actes,  avec  un  autre  membre  du  corps 
sacerdotal  jouant  par  rapport  à  lui  le  rôle  de  contrôleui-,  à  peu  près  comme  interviendront 
beaucoup  plus  tard,  au  second  siècle  de  la  domination  ptolémaïque,  dans  les  enregistrements 
grecs  des  contrats  démotiques,  ceux  qui,  donnant  quittance  des  droits  de  mutation,  devenus 
royaux,  résumeront  dans  leur  apostille,  sur  le  même  papyrus,  l'acte  en  motivant  la  perception. 

Les  receveurs  et  contrôleurs,  prophètes  de  Mont,  procèdent  de  même  à  l'ancienne  époque, 
avec  cette  différence  pourtant,  que  les  actes  auxquels  ils  souscrivent  sur  le  papyrus  même 
sont  ceux  pour  lesquels  les  droits  de  mutation  n'auraient  pas  k  être  exigés  :  soit  parce  que 
l'échange  est  réel  et  la  parenté  non  fictive  —  tel  est  le  cas  dans  un  papyrus  daté  de  l'an  30 
de  Psammétique;  —  soit  parce  que  l'acquéreur  est  un  prêtre  d'Amon  —  tel  est  le  cas  dans 
un  papyrus  daté  de  l'an  45  du  même  roi. 

Il  semble  donc  bien  que  les  transmissions  pour  lesquelles  le  droit  du  dixième  était  à 
percevoir  n'avaient  pas  tardé  à  devenir  beaucoup  plus  fréquentes  que  les  autres,  puisque, 
malgré  la  rédaction  de  l'acte  par  le  préposé  aux  transmissions,  malgré  l'intervention  du  prêtre 
d'Amon,  prêtre  du  roi,  on  demandait  encore  pour  ces  dernières  l'appréciation  des  cas  de 
dispense  par  des  prophètes,  agents  spéciaux  du  trésor  du  dieu  suzerain  et  portant  un  titre 
basé  sur  la  perception  de  ce  droit  devenue  la  règle  générale. 

Ces  agents  spéciaux  étaient  les  mêmes  qui  recevaient  alors  annuellement  les  sommes 
d'argent  représentant  la  part  du  dieu  dans  les  avantages  de  la  jouissance  d'une  terre  con- 
cédée par  le  temple  quand  ces  sommes,  fixées  d'avance,  restaient  invariables  —  comme  le 
prix  d'un  fei-mage,  —  au  lieu  de  représenter  la  valeur  toujours  variable  et  nécessitant  une 
appréciation  chaque  année  d'une  part  de  récoltes  —  telle  que  celle  qu'un  propriétaire  de 
nos  jours  se  réserverait  dans  un  métayage. 

Sous  la  dynastie  éthiopienne,  avant  qu'il  fût  question  de  ventes  déguisées  motivant  un 
droit  de  mutation,  la  taxe  annuelle  était  perçue  :  mais  par  d'autres  agents  peut-être. 

En  l'an  13  de  Tahraka,  c'est  un  fonctionnaire  intitulé  «scribe  divin  du  roi,  à  qui  vie. 


60  Eugène  Revillout, 


sauté,  force'.»  qui  saisit/  eutre  les  mains  du  possesseur  en  retard  pour  payer,  uue  catacombe 
pour  laquelle  était  due  cette  taxe  annuelle  et  qui  nous  est  montré  comme  devant  eu  jouir 
jusqu'au  moment  où  l'arriéré  sera  vei"sé  entre  ses  mains  par  le  choacliyte  en  question.  Était-ce 
lui  qui  aurait  reçu  cette  taxe  annuelle  si  elle  eût  été  payée  à  son  jour?  La  question  peut 
rester  douteuse;  car  à  l'époque  où,  sous  les  Ptolémées,  les  diverses  taxes  étaient  i)erçues 
par  des  compagnies  de  fermiers,  la  perception  de  certaines  taxes  extraordinaires  rentrait 
dans  les  attributions  d'un  service  administratif  dont  un  basilicogrammate  était  le  chef.  Il 
se  pourrait  donc  que  sous  Taliraka  les  voies  d'exécution  seules  eussent  été  confiées  à  un 
scribe  du  dieu,  agissant  pour  le  roi  dans  cette  exécution  forcée. 

Mais  c'est  toute  une  série  de  reçus  de  taxes  annuelles  payées  à  l'échéance,  reçus  dé- 
livrés entre  l'an  30  et  l'an  45  de  Psammétique,  que  nous  avions  en  vue  quand  nous  avons 
dit  que  les  receveurs  en  étaient  les  prophètes  receveurs  des  droits  de  mutation,  dont  nous 
avons  signalé  l'apostille  au  bas  de  ces  deux  actes.  Le  titre  qu'ils  prennent  nous  indique 
combien  les  cas  dans  lesquels  ces  droits  de  mutation  devaient  être  perçus  étaient  devenus 
peu  exceptionnels. 

Rien  d'ailleurs  de  plus  naturel  que  cette  grande  fréquence  relative  de  la  vente  presque 
aussitôt  après  qu'on  eut  commencé  à  la  laisser  faire  sous  une  forme  déguisée  et  malgré  la 
taxe  dont  on  la  frappait. 

Mais  ou  devait  bientôt  trouver  puériles  les  fictions  dont  on  l'entourait.  Ou  devait  trouver 
bien  inutile  la  présence  du  haut  fonctionnaire,  officiel  et  sacerdotal,  qui  ne  sauvegardait  plus 
que  de  telles  fictions. 

Après  avoir  renversé  du  trône  la  fiimille  de  Psammétique,  Amasis  entreprit  de  grands 
changements  que  j'ai  décrits  dans  mon  cours  de  droit  égyptien  l'année  dernière  et  sur  cer- 
tains détails  desquels  la  chronique  démotique  s'est  longuement  étendue. 

En  ce  qui  touche  le  prêtre  d'Amon,  prêtre  du  roi,  il  commença  par  limiter  ses  attri- 
butions, ne  lui  laissant  plus  qu'un  rôle  honoraire,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi  :  par  exemple, 
dans  certains  mariages  conclus  dans  le  temple,  où  il  figurait  encore  en  l'an  12  pour  donner 
à  l'acte  une  consécration  plus  religieusement  solennelle. 

Mais,  au  moins  à  partir  de  l'an  3  d'Amasis,  il  n'eut  plus  rien  à  voir  pour  les  questions 
de  droit  dans  les  contrats  rédigés,  soit  à  Thèbes,  soit  daus  la  région  dépendant  de  Thèbes, 
relativement  à  des  transmissions  de  biens  immobilier.s,  pas  plus  que  dans  ces  contrats  de 
créance  hypothécaire  ou  antichrétique  qu'il  avait  contrôlés  aussi  sous  Tahraka,  comme  nous 
le  montre  un  acte  du  Louvre.  . 

A  partir  de  ce  moment  les  actes  se  modifièrent  rapidement  par  la  forme  et  ils  se  mo- 
difièrent aussi  pour  le  fond. 

Pour  les  aliénations  d'immeubles  il  restait  encore  quelque  chose  des  vieilles  formules 
des  actes  de  transmissions  jusqu'en  l'an  19  d'Amasis,  pour  le  moins.  Il  n'en  restait  plus 
absolument  rien  dans  les  contrats  de  vente  datés  du  commencement  du  règne  de  Darius  qui 
sont  parvenus  jusqu'à  nous. 

'  Pour  cette  saisie,  comparez  celle  qu'exécuta  en  pareil  cas,  sous  les  Ramessides,  le  préposé  des 
magasins,  au  nom  du  prophète  administrant  le  Neterhotep  dont  dépendait  la  propriété  en  question  (voir 
une  (les  notes  précédentes). 


Notice,  etc.  61 

Un  nouveau  genre  d'actes,  que  nous  n'avions  pas  encore  rencontré  jusqu'à  Amasis,  devient 
très  fréquent  sous  ce  roi.  Ce  sont  ces  locations  faites,  pour  la  durée  d'un  au,  par  le  possesseur 
de  terres  cultivables  :  —  qui  agit  ainsi  à  la  façon  d'un  véritable  propriétaire,  puisqu'il  garde 
complètement  son  droit  sur  la  terre,  tout  en  cédant  temporairement  la  possession  matérielle 
de  cette  terre.  La  tenauce  du  domaine  sacré  était  donc  devenue  dès  lors  une  véritable  sous- 
propriété  conférant  une  maîtrise,  semblable  à  la  maîtrise  du  propriétaire,  un  droit  susceptible 
de  démembrements,  comme  le  droit  de  celui-ci. 

Peu  importait  d'ailleurs  pour  cela  que  l'origine  de  la  tenauce  se  perdît  dans  la  nuit  des 
temps  ou  qu'elle  fût  toute  récente  encore.  D'après  nos  actes  certains  choachytes  qui  jouent  le 
rôle  de  tenanciers  et  qui  louent  pour  un  an  à  des  cultivateurs  cbargés  de  faire  produire  la 
terre,  ont  reçu  eux-mêmes  leur  tenauce  de  prophètes  fort  peu  de  temps  avant.  Il  ne  s'en  com- 
portent pas  moins  à  ce  point  de  vue  absolument  comme  le  feront  les  choachytes  qui,  devenus 
bien  complètement  propriétaires  de  ce  qu'ils  possèdent,  sous  les  Ptolémées,  assureront  de  même, 
par  des  baux  d'une  durée  d'un  au,  faits  avec  des  cultivateurs,  la  mise  en  œuvre  de  leur  terre. 

Mais  en  ce  qui  touche  les  droits  des  temples  sur  ces  terres  données  en  tenance,  la 
situation  sous  Amasis  était  encore  autre  qu'elle  ne  le  devint  un  peu  plus  tard. 

Eu  effet,  la  part  de  récolte  que  le  sanctuaire  s'est  réservée,  il  la  perçoit  en  tant  que 
maître  de  la  teiTe,  et  maître  seigneur,  maître  ayant  juridiction.'  Il  envoie  chaque  année  ses 

^  Cette  maîtrise  n'empêchait  pas  d'ailleurs  une  sorte  de  sous-maîtrise  que  nous  constatons  souvent 
dans  les  documents  d'Amasis  et  de  Darius  ;  je  veux  parler  de  la  concession  faite  à  certains  hauts  per- 
sonnages sacerdotaux  d'une  sorte  de  domaine  intermédiaire  entre  la  propriété  éminente  du  temple  et  la 
sous-propriété  du  tenancier.  Nous  avons  constaté  déjà  une  sous-maîtrise  de  ce  genre  sous  les  Ramessides. 
Je  ne  doute  guère,  pour  ma  part,  que  les  hh-  dont  parlent  nos  contrats  de  l'époque  éthiopienne  —  comme 
plus  tard  ceux  du  temps  d'Amasis  —  représeuteut  ces  seigneurs  intermédiaires,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi, 
placés  entre  la  propriété  éminente  du  nelei-kotep  et  la  sous-propriété  du  tenancier.  Ces  kir  formaient  seuls, 
je  crois,  sous  Amasis  les  assemblées  de  ta  qui  partageaient  avec  eux  le  pouvoir  féodal,  comme  ils  formaient 
seuls  la  grande  assemblée  pléniére  qui  refondit  alors  le  droit  et  siégea  pendant  les  premières  années  de  ce 
règne.  Isolément  les  kir  avaient  pris  plus  d'importance  par  rapport  à  leurs  vassaux.  Ils  ne  se  bornaient  plus, 
comme  sous  les  Ethiopiens,  à  approuver  ou  à  improuver  les  partages  entre  les  tenanciers  de  leurs  domaines. 
Ils  .s'occupaient  alors  même  de  l'état  des  personnes,  des  adoptions,  des  mariages  par  coemptio.  etc.  Leur 
pouvoir  avait  en  effet  grandi  par  le  fait  du  grandissement  du  pouvoir  du  pater  famUias.  Aussi  est  ce  dans 
un  livre  de  morale  écrit  dans  cette  période  que  nous  voyons,  à  côté  d'une  maxime  pom-  conseiller  au  pater 
de  ne  pas  marier  son  fils  contre  son  gré  (chose  impossible  jusque-là),  d'autres  maximes  disant  :  «  ne  maudis 
pas  ton  kir  devant  Dieu»;  ou  bien  :  «ne  dis  pas  à  ton  kir  :  je  te  donnerai  tel  bien  (ou  telle  chose),  car 
il  (ou  elle)  n'est  pas  à  toi*.  Le  fait  était  en  somme  juridiquement  exact,  puisque  le  tenancier  ne  pouvait 
qu'abandonner  le  bien  qu'il  occupait  au  kir  propriétaire  :  et  non  le  lui  donner.  J'ajouterai  que  dans  certains 
cas,  s'il  n'avait  pas  payé  sa  redevance,  par  exemple,  il  pouvait  être  contraint  à  cet  abandon,  —  comme  le  kir 
lui-même  pouvait  y  être  contraint  s'il  ne  payait  pas  le  vectijal  du  temple.  —  Notons  que  les  droits  seigneuriaux 
du  hir  rétablis  par  les  Éthiopiens,  augmentés  par  Amasis,  —  an  moment  même  où  il  diminuait  ceux  des 
temples,  —  maintenus  au  moins  en  partie  sous  la  domination  persane,  disparurent  définitivement  lors  de  la 
réforme  du  droit  qui  fut  opérée  au  lendemain  de  l'expulsion  des  Perses  par  les  dynasties  nationales.  C'est 
pour  cela  qu'à  l'époque  de  nos  contrats  ptolémaïques  le  terme  hir,  opposé  à  celui  de  remkeme  «  égyptien  », 
n'est  plus  qu'un  titre  d'honneur  sans  effet,  comme  nos  titres  nobiliaires  actuels,  et  qui  désignait  seulement 
celui  qu'on  appelait  naguère  en  France  «un  monsieur»  en  l'opposant  au  paysan,  à  l'homme  du  commun. 
Mais  sous  Darius  I"  il  était  loin  d'en  être  ainsi  et  la  propriété  intermédiaire  des  kir  est  encore  prouvée 
par  bien  des  textes  formels.  Depuis  Amasis  d'ailleurs  un  nouveau  contrat  s'était  introduit,  celui  de  la 
prise  en  culture  de  la  terre  pour  un  an,  contrat  qui,  attribuant  au  fermier  de  l'année  un  di-oit  de  possession 
momentané  avait  agrandi  d'un  degré  l'échelle  des  droits  réels  sur  la  terre.  L'ancien  villicus,  le  tenancier, 
ne  cultivant  plus  par  lui-même  —  ou  par  un  autre  tenancier  mis  exactement  en  sa  place  dans  ses  droits  et 
dans  ses  devoh-s,  pendant  une  absence,  par  exemple,  et  comme  cela  s'était  pratiqué  sous  les  Ramessides,  — 
mais  louant  sa  terre  au  cultivateur,  était  devenu  par  là  même  un  vrai  quasi-propriétaire. 


62  Eugène  Revillout. 


scribes  évaluer  sur  pied  la  récolte,  apprécier  en  argent  la  part  qui  lui  est  due,  juger  s'il  u'y 
a  pas  eu  de  faute  dans  la  culture  :  négligence  dans  le  labourage,  insuffisance  de  semailles, 
mauvais  entretien  ou  insuffisance  d'utilisation  de  ce  qui  devait  servir  pour  l'arrosage,  etc. 
Dans  ces  circonstances,  en  vertu  de  la  juridiction  du  temple,  les  scribes  du  temple  pronon- 
çaient une  amende  et  saisissaient  en  gage  la  récolte  ou  le  champ.  Ils  opéraient  ime  saisie 
semblable  dans  le  cas  où  la  somme  d'argent  fixée  par  eux  pour  représenter  la  part  de 
récolte  due  au  temple  ne  leur  avait  pas  été  payée  dans  un  délai  déterminé.  Dans  les  con- 
trats de  location  annuelle  pour  la  culture,  on  a  l'habitude  de  spécifier,  à  cette  époque,  si  la 
I)ai1  du  temple  sera  prise  sur  la  jjart  du  cultivateur,  ou  sur  la  part  de  celui  qui  loue,  ou 
sur  la  part  de  l'un  et  de  l'autre,  et  en  ce  dernier  cas  dans  quelle  proportion.  On  prévoit 
aussi  l'éventualité  d'une  faute  dans  la  culture,  d'une  amende,  d'une  prise  de  gage  en  résul- 
tant; et  l'on  indique  dans  quelle  proportion  tout  cela  sera  supporté  par  chacune  des  deux 
parties,  si  le  fait  se  présente. 

Nous  voyons  donc  que  si  Amasis  avait  enlevé  aux  temples,  ainsi  que  nous  l'apprend 
la  chronique  démotique,  une  très  grande  partie  de  leurs  revenus  et  de  leurs  possessions  tenn- 
toriales,  il  leur  avait  laissé  au  moins  jusqu'à  l'an  37  de  son  règne  leurs  droits  seigneuriaux, 
quasi-régaliens,  sur  ce  qui  leur  restait  encore  de  leurs  domaines. 

Ces  droits  seigneuriaux,  quasi-régaliens,  ils  paraissent  déjà  ne  plus  les  exercer  aussi 
directement  sous  le  règne  de  Darius. 

En  effet,  au  lieu  de  prophètes  et  de  scribes  du  temple  appréciant  eux-mêmes  la  valeur 
des  biens,  le  montant  des  droits  de  mutation  à  payer  au  temple,  comme  la  valeur  des  ré- 
coltes et  la  part  à  en  prélever  annuellement,  —  puis,  une  fois  leur  appréciation  taite,  touchant 
eux-mêmes  le  montant  de  ce  qu'ils  ont  jugé  être  dû,  —  nous  voyons  un  agent  spécial,  n'appar- 
tenant pas  au  sacerdoce,  être  chargé,  pour  le  pays  de  Thèbes,  de  toutes  ces  appréciations. 
Il  perçoit  encore  au  nom  des  temples,  pour  verser  aux  temples.  Mais  déjà  il  porte  le  même 
titre  de  ret  de  Thèbes,  d'agent  de  Thèbes,  que  portera  sous  Evergète  P"'  le  fonctionnaire 
chargé  de  recevoir  le  droit  de  mutation  au  profit  du  trésor  et  au  nom  du  roi. 

Que  cette  espèce  de  bailli,  pour  prendre  nos  comparaisons  dans  le  droit  féodal,  ait  été 
quelque  temps  un  bailli  seigneurial,  avant  d'être  un  bailli  royal,  la  chose  est  possible.  Mais 
le  pouvoir  effectif  du  corps  sacerdotal  devait  rapidement  diminuer  quand  l'exercice  de  son 
droit  de  juridiction,  au  lieu  de  lui  rester  en  mains,  était  remis  à  un  fonctionnaire  purement 
laïc.  Je  ne  veux  pas  dire  que  le  temple  était  dépouillé  de  son  domaine,  puisqu'il  en  touchait 
des  revenus  et  puisque  nous  voyons  d'ailleurs,  en  l'an  25  de  Darius,  un  prophète  administra- 
teur constituer  encore,  par  devant  le  premier  prophète,  un  droit  de  possession,  de  tenance, 
sur  une  teiTC  de  ce  domaine. 

Mais  les  ventes  de  ces  tenances,  depuis  Amasis,  se  font  librement,  sans  qu'aucun  per- 
sonnage sacerdotal  ait  à  présider  à  la  confection  de  tels  actes. 

Nous  avons  longuement  montré,  dans  notre  cours  de  droit  égyptien  de  l'année  der- 
nière, quelle  importance  énorme  avait  prise  sous  Amasis  l'acte  relatif  au  paiement  du  prix, 
l'acte  de  quittance,  —  ce  qui  est  devenu  un  peu  plus  tard  le  premier  des  deux  actes  exigés 
pour  une  vente  :  l'écrit  pour  argent.  Sous  Amasis  l'écrit  pour  argent  était  pleinement  l'équi- 
valent de  la  mancipation  romaine,  suffisant  :  pour  le  changement  d'état  des  personnes  libres; 


Notice,  etc.  63 

pour  le  mariage  sous  une  de  ses  formes;  pour  conférer  au  poiut  de  vue  légal  la  filiation; 
pour  mettre  un  ingénu  dans  un  état  voisin  de  la  servitude;  et  i)our  aliéner  les  innueubies, 
aussi  bien  (jue  les  bêtes  de  somme,  etc. 

Je  ne  reviendrai  pas  ici  sur  le  reste  des  innovations  d'Amasis,  '  dont  j'ai  si  longuement 
traité  dans  mon  cours  de  droit  égyptien  de  l'année  dernière  :  sur  la  grande  assemblée  cen- 
trale qui  siégea  pendant  14  ans;  sur  les  assemblées  de  ta  qui  sous  ce  même  règne  paraissent 
avoir  représenté  l'équivalent  des  béliastes  d'Athènes,  —  de  ces  jurés  qui,  tirés  au  sort  chaque 
année,  au  nombre  de  six  mille,  décidaient,  en  dernier  ressort,  toutes  les  questions  fonda- 
mentales, y  compris  celles  de  nationalité,  de  famille,  d'hérédité  légitime,  celles  que  jugèrent 
à  Eome  jusque  très  tard,  jusque  sous  l'empire,  les  ceutumvirs  assemblés  sous  la  lance,  signe  de 
la  force  et  du  jiouvoir;  —  sur  les  lois  administratives  d'Amasis,  dont  Diodore  nous  parle;  comme 
sur  ce  qui  touchait  l'organisation  même  de  la  famille.  Tout  cela,  —  tous  les  remaniements  si 
profonds  de  la  société  égyptienne  qui  se  produisirent  à  cette  époque,  —  s'expliquerait  difficile- 
ment si  on  ne  savait  pas  qu'Amasis,  homme  du  peuple  de  très  basse  naissance,  s'était  fait 
imposer  d'abord  comme  collègue  au  descendant  de  Psammétique  par  des  soldats  égyptiens 
révoltés.  Pour  se  débarrasser  ensuite  sans  danger  du  vieux  roi  qui  représentait  les  vieux 
souvenirs  pharaoniques,  les  vieilles  traditions  nationales,  il  lui  avait  fallu  provoquer  un  mouve- 
ment de  rénovation  et  de  réforme,  démocratique  pour  ainsi  dire.  Il  avait  imité  jusqu'à  un 
certain  point  les  rois  de  Sparte,  devenus  rois  d'une  république.  Et  il  avait  fait  la  guerre 
aux  temples,  parce  que  les  temples  étaient  le  foyer  principal  d'un  mouvement  tout  opposé. 
De  là  nue  ressemblance  singulière  et  souvent  frappante  entre  certaines  institutions  égyptiennes 
du  temps  d'Amasis  et  certaines  institutions  consacrées  par  les  décemvirs  —  dans  le  code  des 
XII  tables  —  à  la  suite  d'un  soulèvement  populaire.  On  rêvait  alors  une  famille  basée  sur 
les  droits  absolus  du  père  comme  le  resta  toujours  la  famille  romaine.  ^ 

En  ce  qui  touche  la  propriété,  sa  transmission  par  l'acte  constatant  le  paiement  du  prix, 
—  et  par  cet  acte  seul,  —  rentrait  dans  la  même  série  d'idées.  C'est  la  mancipation  romaine; 
c'est  Yécrit  pour  argent  égyptien.  Bocchoris,  nous  l'avons  dit,  avait  peut-être  ]irévu  cet  écrit 
pour  argent,  cet  acte  de  quittance  :  comme  devant  préparer  l'écrit  de  transmission,  de  cession, 
par  lequel  celui  qui  avait  payé  l'argent  pour  devenir  le  maître  d'un  bien,  en  recevait  la 
possession.  Mais  à  quoi  bon  ce  second  écrit,  se  seront  demandé  les  novateurs?  N'est-ce  pas 
un  reste  pur  et  simple  de  hiératisme  que  cette  sorte  d'investiture'?  Ne  suffit-il  pas  de  con- 
stater, à  la  façon  babylonienne,  qu'on  est  convenu  d'échanger  un  bien  contre  une  somme 
d'argent  et  que  la  somme  d'argent,  prix  de  cet  échange,  a  été  versée?  On  se  rapprochait 
ainsi  des  coutumes  de  la  Haute  Asie. 

Et  ce  n'était  pas  sur  ce  poiut  que  le  droit  d'Amasis  devait  être  changé  quand  les  con- 
quérants asiatiques  se  furent  emparé  de  l'Egypte. 

1  Parmi  ces  innovations,  je  dois  rappeler  seulement  celle  du  cens  quinquennal.  Comme  à  Rome  celui 
qui  était  cliargé  du  cens  demandait  alors  à  chaque  mari  s'il  avait  une  femme  pour  en  avoir  des  enfants 
et  cette  déclaration  seule  devenait  la  base  sérieuse  de  l'union  civile.  C'est  pour  cela  que  sous  Amasis,  lors 
des  mariages  religieux  dans  le  temple,  on  ajoutait  aux  formules  anciennes  la  promesse  d'une  déclaration 
à  faire  au  moment  du  cens  quinquennal,  etc. 

2  Voir  sur  toutes  ces  questions  le  cours  de  droit  égyptien  professé  par  nous  l'année  dernière  et  que 
nous  comptons  bientôt  faire  paraître. 


64  Eugène  Revillout. 


Sous  Darius  et  ses  successeurs  les  veutes  criinmeubles  s'effectuaient  par  un  seul  acte, 
l'acte  qui  constatait  le  versement  du  prix,  —  comme  sous  Sbabaka  et  ses  successeurs,  elles 
s'effectuaient  par  un  seul  acte,  l'acte  qui  constatait  la  transmission  pleine,  entière,  immédiate, 
de  tons  droits  à  la  possession. 

Cet  état  de  choses  se  continua  jusqu'à  la  révolte  de  l'Egypte,  le  refoulement  des  Perses, 
l'iustallation  de  rois  nationaux. 

Sous  les  dynasties  nationales  —  originaires  de  la  Basse-Egypte  —  on  se  rattacha  pour 
le  droit  au  roi  national  Bocchoris  —  également  originaire  de  la  Basse-Egypte  —  et  l'on  fit 
revivre  son  œuvre  sous  un  aspect  un  peu  hiératique,  aux  arêtes  saillantes,  aux  contours 
précis,  aussi  différent  que  possible  de  l'aspect  du  droit  des  envahisseurs,  du  droit  de  l'Asie, 
aux  contours  un  peu  flous  et  modifiés  sans  cesse  par  la  jurisprudence. 

Quand  les  Persans  reconquirent  l'Egypte,  après  une  soixantaine  d'années  d'indépendance, 
ils  y  trouvèrent  en  vigueur  le  droit  même  qui  subsistera  jusque  sous  la  domination  macé- 
donienne, jusqu'au  moment  où  les  Égyptiens  cesseront  de  constituer  une  nation  proprement 
dite,  pour  n'être  plus  qu'un  ramassis  d'esclaves,  appartenant  à  un  César. 

La  seconde  invasion  persane  ne  changea  donc  rien  à  ce  droit,  qui,  après  la  conquête 
d'Alexandre,  subsista  et  fut  appliqué,  en  tant  que  droit  du  pays,  droit  du  peuple  égyptien, 
à  côté  du  droit  macédonien,  réservé  d'abord  aux  seuls  Grecs. 

Bien  entendu,  je  n'entrerai  pas  dans  le  détail  des  garanties  dont  il  avait  entouré  la 
vente,  en  dehors  de  celles  qui  résultaient  de  la  confection  consécutive  de  deux  écrits  :  l'écrit 
pour  argent,  portant  quittance;  puis  l'écrit  de  cession,  Hvrant  le  bien. 

Au  point  de  vue  des  droits  de  mutation,  nous  avons  seulement  à  dire  que,  perçus  au 
profit  des  rois,  —  et  non  plus  au  profit  des  temples,  alors  qu'il  était  formellement  indiqué 
dans  le  contrat  qu'il  s'agissait  d'une  terre  de  neter  hotep  — ,  ils  furent  maintenus  au  taux 
du  dixième  pour  les  actes  faits  entre  Égyptiens  de  race  jusqu'au  moment  où  ces  Égyptiens 
de  race  se  révoltèrent  sous  Philopator  et  reçurent  comme  rois  à  Thèbes  Anchmachis,  puis 
Harmachis.  C'étaient  probablement  des  Éthiopiens;  car  ils  portaient  dans  les  protocoles  des 
contrats  les  titres  des  rois  éthiopiens  de  cette  époque  «  aimé  d'Isis,  aimé  d'Amon  »,  titres  qui 
sont  foncièrement  les  mêmes  que  ceux  de  Shabaka  et  de  Tahraka  dans  les  protocoles  de 
nos  actes  archa'iques,  antérieurs  d'environ  cinq  siècles  :  «le  don  d'Isis,  aimé  d'Amon.» 

Pour  rétablir  sou  pouvoir  sur  rÉgy]ite,  le  macédonien  Épiphane  dut  faire  de  grandes 
concessions.  Il  diminua,  de  diverses  manières,  les  charges  très  lourdes  qui  pesaient  alors  sur 
le  peuple.  Il  réduisit  le  droit  de  mutation  au  20",  taxe  perçue  indistinctement  aussi  bien 
pour  des  cessions  de  droits  sans  portée  effective  que  pour  des  transmissions  réelles  de  pro- 
priété. L'ancien  taux,  le  taux  du  dixième,  fut  rétabli  longtemps  après,  vers  le  moment  de 
la  lutte  entre  son  second  fils,  Évergète  II,  et  la  sœur-épouse  répudiée  de  ce  prince,  Cléo- 
patre,  veuve  de  Philométor. 

Depuis  lors  ce  taux  du  dixième  fut  toujours  maintenu  jusqu'à  l'époque  romaine,  où 
nous  le  voyons  percevoir  encore. 

Un  autre  impôt  avait  remplacé  pour  les  terres  de  neter  hotq}  la  part  de  récolte  ré- 
servée aux  temples.  C'était  l'impôt  en  nature  perçu,  par  les  agents  du  gouvernement,  sur 
toutes  les  terres  cultivées.     Chaque  année  un  décret  royal  déterminait  la  proportion  d'après 


Notice,  etc.  65 

le  niveau  qu'avait  atteint  la  crue  du  Nil  :  et  les  receveurs  n'avaieut  qu'à  appliquer  à  chaque 
terre  les  conséquences  de  ce  décret.  A  ce  point  de  vue  donc  les  temples  avaient  perdu  toute 
juridiction  et  toute  jouissance  sur  la  plus  grande  partie  de  leur  ancien  domaine,  —  qu'on 
nommait  encore  neter  hotep.  —  On  les  avait  réduits  à  des  portions  congrues,  que  leur  me- 
suraient les  agents  du  roi  :  et  ces  portions  devinrent  progressivement  si  restreintes  qu'il  fallut 
bientôt  créer,  en  outre,  un  budget  des  cultes,  une  syntaxis  pour  les  prêtres. 

La  propriété  individuelle  s'était  d'ailleurs  pleinement  dégagée;  —  et  ce  n'est  plus  que 
par  une  très  fine  analyse  des  divers  droits  immobiliers  qu'en  étudiant  le  régime  des  terres 
exclusivement  à  cette  époque  on  peut  entrevoir  ses  origines. 

Si,  au  contraire,  on  part  des  anciennes  époques,  —  pour  descendre  graduellement  dans 
l'histoire  des  institutions  égyptiennes  jusqu'à  cette  phase  classique,  —  après  avoir  vu  comment, 
au  nom  des  dieux,  les  corps  sacerdotaux,  d'abord  propriétaires  réels,  puis  vrais  seigneurs  de 
leurs, domaines,  en  sont  venus  à  n'avoir  plus  qu'honorairement  ce  domaine  sacré,  ce  veter 
hotep;  comment  l'occupation  légitime  d'un  champ  de  ce  domaine  sacré,  peu  à  peu  transformée 
en  vraie  maîtrise,  était  originairement  basée  sur  une  sorte  d'investiture  qui,  sans  porter 
théoriquement  atteinte  à  la  propriété  du  dieu,  inaliénable  en  principe,  attribuait  ce  champ, 
en  tant  que  tenance,  à  une  famille  dans  la  suite  légitime  de  ses  générations,  on  comprend 
mieux  les  singularités  de  la  théorie  de  ce  régime  à  cette  époque  classique  :  comment  on 
exigeait  du  vendeur  de  prouver,  par  une  série  d'écrits  remontant  jusqu'à  l'origine  des  con- 
trats, la  légitimité  de  ses  droits  sur  le  bien  et  de  s'obliger  formellement  à  fournir  au  besoin 
cette  preuve  devant  les  tribunaux,  en  se  substituant  à  l'acquéreur  dans  les  procès  qu'on 
pourrait  lui  intenter  à  ce  propos;  comment  celui  qui  avait  acquis  une  terre  par  acte  pour 
argent,  sans  acte  de  cession,  n'avait  acquis  qu'un  titre  nu,  le  titre  de  propriétaire,  sans 
possession  d'aucune  sorte;  comment  non-seidement  le  fait  de  la  possession,  de  la  jouissance, 
mais  le  droit  légal  à  cette  tenance  de  la  terre  restait  encore  entre  les  mains  de  celui  qui 
n'en  était  plus  propriétaire  aux  yeux  de  la  loi;  comment  l'hypothèque  égyptienne  était  un 
droit  portant  sur  la  chose,  mais  ne  conduisant  pas  à  posséder  la  chose,  tandis  que  l'hypo- 
thèque grecque  pouvait  toujours  conduire  à  cette  possession;  comment  enfin  les  démembre- 
ments, si  curieux,  du  droit  sur  un  bien  immobilier,  de  ce  droit  qui  dans  sa  plénitude  est 
ce  que  nous  nommons  la  propriété,  démembrements  qui,  par  l'hypothèque,  ont  laissé  jusqu'à 
nous  des  traces,  furent  en  Egypte  le  résultat  d'une  évolution  naturelle  de  principes  posés 
déjà  dans  le  huitième  siècle  avant  notre  ère  —  et  disons-le  —  beaucoup  plus  tôt. 

On  le  verra  dans  ce  qui  va  suivre;  car  l'étude  des  documents  démotiques,  qui  nous 
conduit  jusqu'à  ce  huitième  siècle,  jusqu'au  code  de  Bocchoris,  serait  incomplète,  si  on  n'en 
rapprochait  pas  celle  des  documents  hiéroglyphiques  et  hiératiques  antérieurs,  dont  l'impor- 
tance n'est  souvent  pas  moindre  au  point  de  vue  de  l'histoire  du  droit  et  des  institutions 
juridiques  de  l'Egypte. 

L'exposé  rapide,  mais  consciencieux,  de  la  masse  de  ceux  qui  nous  dépeignent  la  situation 
du  paysan,  du  possesseur  de  terres  cultivables,  aux  diverses  époques,  constitue  à  nos  yeux 
une  introduction  nécessaire,  sans  laquelle  les  pièces  que  nous  publions  dans  cette  notice 
et  dans  les  notices  suivantes  ne  sauraient  être  nettement  comprises. 

Cette  introduction  permettra  de  mieux  sentir  pourquoi  le  code  de  Bocchoris  a  pu  causer 


66  Eugène  Eevillout. 


l'admiration  des  peuples  grecs  et  faire  élever  sou  auteur  au  rang  des  plus  grands  législa- 
teurs, —  bien  qu'on  y  tint  compte  avec  grand  soin  de  tout  ce  qui  existait  auparavant. 

Les  changements  qu'il  introduisait  pouvaient  d'abord,  aux  yeux  d'un  juriste  superficiel, 
ne  pas  sembler  plus  considérables  que  l'avaient  été  tant  d'autres  changements  apportés  dans 
le  cours  des  siècles  à  l'état  de  chose  primitif. 

En  effet,  le  droit  égyptien  a  toujours  été  un  droit  progressif  :  depuis  les  époques  les 
plus  anciennes  jusqu'au  moment  où  il  fut  fixé,  pendant  la  dernière  période  d'indépendance 
nationale,  après  la  révolte  contre  les  Perses,  sous  la  forme  que  nous  nommons  le  droit  clas- 
sique, forme  sous  laquelle  on  l'appliqua  à  titre  de  loi  du  pays  '  aux  Égyptiens  de  race  sous 
les  conquérants  macédoniens. 

Ce  n'avait  donc  point  été  Bocchoris  qui  avait  à  jamais  arrêté  l'évolution  du  droit 
égyptien. 

Cette  évolution,  longtemps  nécessaire  en  tout  pays  pour  amener  un  droit  au  point  de 
maturité  qui  est  sa  plus  grande  perfection  possible,  se  continua  dans  la  vallée  du  Nil  long- 
temps après  lui.  Nous  le  verrons  par  les  papyrus  et  les  autres  pièces  qui  forment  le  sujet 
de  la  notice  actuelle  et  qui  nous  permettront  de  suivre  les  vicissitudes  du  droit  égyptien 
depuis  son  règne  jusqu'à  celui  de  Ptolémée  Soter. 

Mais,  il  ne  faut  pas  l'oublier,  c'est  surtout  de  l'esprit  de  sa  législation  que  s'inspirèrent 
les  jurisconsultes  qui  fixèrent  le  droit  de  l'époque  classique  dans  ses  contours  définitifs.  Et 
le  renom  de  Bocchoris  s'accrût  encore  loin  de  s'éteindre. 

Pour  la  classe  la  plus  nombreuse,  celle  des  habitants  des  campagnes,  il  devait  rester 
et  il  restait  par  excellence  le  roi  bienfaiteur. 

Le  tenancier  n'était  avant  lui  qu'un  possesseur  précaire  qui  détenait  héréditairement  — 
comme  autrefois  souvent  les  fermiers  et  les  métayers  le  faisaient  chez  nous  de  père  en  fils 
—  mais  qui  n'avait  aucun  droit  de  maître  sur  la  terre  cultivée  par  lui,  et  qui  ne  pouvait 
donc  être  admis  à  faire  un  contrat  régulier  pour  disposer  de  cette  terre  ou  la  grever  d'une 
hypothèque. 

Ce  tenancier,  on  le  cédait  lui-même  en  même  temps  qu'on  cédait  la  terre,  —  comme 
dans  le  moyen-âge  on  cédait  les  serfs  alors  que  l'on  cédait  le  fief  auquel  ils  étaient  rattachés. 

Bocchoris  a  fait  par  son  code  une  grande  révolution.  Il  a  brisé  ce  lien  d'attachement 
à  la  glèbe  et,  rendant  vraiment  libres  les  serfs  de  la  veille,  il  leur  a  permis  de  contracter 
sur  ce  qui  devenait  dès  lors  pour  eux  un  bien  personnel  proprement  dit,  une  quasi-propriété. 
C'est  ce  qu'a  fiiit  de  notre  temps  un  empereur  de  Russie  pour  les  paysans  de  son  vaste 
empire  :  et  l'on  n'ignore  pas  combien  cette  mesure  législative  a  eu  de  portée. 

Dans  notre  cours  de  l'année  dernière  nous  avons  montré  qu'en  Egypte  la  dynastie 
éthiopienne,  —  ayant  pu  vaincre  et  brûler  vif  Bocchoris  —  avait  voulu  revenir  d'abord  sur 
quelques-unes  des  conséquences  que  son  code  avait  eu  de  suite.  Mais  les  principes  étaient 
posés,  —  aussi  féconds  que  le  furent  chez  nous  les  principes  de  89  —  et  malgré  toutes  les 
résistances  ils  devaient  vaincre,  en  définitive,  parce  qu'ils  étaient  justes. 


'  La  loi  du  pays  est  invoquée  à  plusieurs  reprises  par  les  avocats  des  deux  parties  dans  un  procès 
soutenu  plus  de  deux  siècles  après  la  conquête  macédonienne  devant  un  magistrat  macédonien.  Le  papyrus 


Notice,  etc.  67 

INTRODUCTION  HISTORIQUE 

SUR 

L'ADMINISTRATION   ET  L'ORGANISATION    LÉGALE   DES  TERRES   DANS   L'ANCIENNE 

EGYPTE. 

A.'  —  Époque  précédant  l'invasion  des  Hyksos. 

Mes  élèves  savent  que  déjà  depuis  plusieurs  années  nous  sommes  loin  de  nous  en  tenir 
à  l'époque  ptolémaïque  dans  mon  cours  de  démotique,  comme  dans  mou  cours  de  droit 
égyptien.  En  démotiqxie  nous  remontons  jusqu'au  commencement  des  contrats  écrits  dans 
cette  langue  populaire,  jusqu'au  règne  de  Bocchoris,  qui  a  organisé  ces  contrats  par  son 
code.  Dans  l'étude  du  droit  égyptien  nous  remontons  beaucoup  plus  haut;  car  avant  le  code 
de  Boccboris  il  y  avait  un  droit  égyptien  —  droit  que  ce  législateur  modifiait  seulement  sur 
certains  points  et  dont  les  principes  dominèrent  les  principes  posés  par  lui,  pendant  la  période 
de  réaction  qui  suivit  sa  défaite  et  sa  mise  à  mort  par  les  conquérants  éthiopiens. 

Avant  que  le  droit  se  fixât  d'une  façon  définitive  sous  les  dernières  dynasties  nationales 
des  rois  égyptiens  en  révolte  contre  les  Perses  —  devenant  alors  ce  droit  classique  que  nous 
voyons  toujours  en  vigueur  après  la  conquête  macédonienne  —  il  avait  eu  bien  des  fluc- 
tuations, que  j'ai  longuement  racontées  dans  mon  cours  de  l'année  dernière  en  traitant  de 
l'état  des  personnes.  Je  vais  maintenant,  pour  permettre  de  mieux  comprendre  nos  contrats 
archaïques  si  intéressants  à  ce  point  de  vue,  commencer  par  mettre  en  lumière,  dans  une 
série  d'études  rapides  et  parallèles,  les  principaux  documents  qui,  depuis  les  premières  dy- 
nasties, concernent  particulièrement  de  près  ou  de  loin  la  terre  arable,  ses  produits  et  la 
situation  de  l'agriculteur  relativement  aux  autres  personnes  pouvant  invoquer  des  droits  sur 
son  champ,  dans  cette  riche  vallée  du  Nil,  —  si  productive  en  céréales,  —  qui,  après  la 
conquête  d'Auguste,  fut  la  nourricière  du  peuple  romain. 

Relativement  à  l'agriculture  l'Egypte  se  trouvait  en  etïet  dans  des  conditions  toutes 
particulières.  Il  n'y  avait  pas  besoin  de  fumages  comme  dans  les  autres  contrées  pour  entre- 
grec 1"  de  Turin,  si  bien  publié  par  Peyron,  nous  a  conservé  le  procès  verbal  officiel  de  ce  procès.  Nous 
y  voyons  l'avocat  Philoclès,  plaidant  pour  le  Macédonien  Hermias,  invoquer  :  d'abord  des  chapitres  de 
cette  loi  nationale,  v/.  -oj  ttj?  /upa;  vo[jioj  jj-spr;,  relatifs  aux  conditions  de  validité  des  contrats  égyptiens, 
etc.;  puis  une  autre  loi  de  même  source  sur  la  clause  de  garantie  exigée  dans  les  contrats  de  vente.  Nous 
y  voyons  aussi  l'autre  avocat,  Binon,  citer  de  son  côté  cette  même  loi  sur  la  garantie  et  invoquer  eu  outre 
les  lois  nationales  relatives  à  la  procédure  devant  les  tribunaux  nationaux.  Tout  cela  se  passait,  je  le  ré- 
pète, devant  un  magistrat  macédonien  qui,  comme  les  proconsuls  romains,  pouvait  tenir  fort  peu  de  compte 
des  lois  nationales.  Je  dois  ajouter  que  la  ville  de  Thébes,  où  se  soutenait  ce  procès,  était  soumise  à  un 
régime  comparable  à  notre  état  de  siège,  depuis  le  moment  où  Épiphane  s'en  était  emparé  après  qu'elle 
eût  pendant  19  ans,  s'étant  révoltée  contre  les  Grecs,  reconnu  pour  rois  des  Harmachis  et  Anchmachis, 
probablement  de  race  éthiopienne,  comme  il  paraît  d'après  leur  protocole. 

•  Je  distinguerai  ici  par  une  série  de  Majuscules,  intervenant  en  guise  de  numérotage  de  sectionne- 
ment, les  leçons  diverses  faites  par  moi,  à  diverses  époques,  dans  mon  cours  de  droit  égyptien,  dont 
sont  tirés  les  éléments  de  cette  introduction,  qui  fera  mieux  comprendre,  en  l'absence  des  commentaires 
juridiques  réservés  pour  un  autre  ouvrage,  le  sens  réel  et  la  portée  des  contrats  démotiques  de  l'époque 
archaïque  publiés  dans  cette  notice. 

9* 


Eugène  Revillout. 


tenir  la  ricbesse  du  sol.  La  fécondation  était  assurée  par  le  limon  qu'apportait  le  fleuve 
dans  son  inondation  périodique  —  inondation  durant  quatre  mois  chaque  année  et  couvrant 
toute  l'étendue  des  terres  arables.  —  Des  travaux  immenses,  canaux  en  tout  sens,  digues 
puissantes,  réservoirs  nombreux,  avaient  été,  ])resque  à  l'origine  du  peuple  égyptien,  établis 
par  le  gouvernement  central  pour  utiliser  cette  inondation  par  uu  système  régulier  d'irri- 
gations complètes  et  bienfaisantes.  L'entretien  de  ces  travaux  était  considéré  comme  un 
devoir  public  et  la  peine  de  mort  menaçait  quiconque  en  aurait  détruit  quelque  chose.  Les 
Romains,  après  la  conquête,  se  gardèrent  bien  d'abolir  cette  vieille  loi  nationale,  rappelée 
pour  l'Egypte  dans  le  Corpus  Juris. 

Chaque  parcelle  de  terre  avait  droit  à  sa  part  d'eau,  qui  ne  lui  venait  pas,  comme 
ailleurs,  de  pluies  plus  ou  moins  irrégulières,  mais  de  ce  régime  gouvernemental,  si  je  puis 
m'exprimer  ainsi,  et  des  coupures  faites  à  ce  fleuve  réglementé. 

L'Etat,  distributeur  de  l'eau,  la  donnait  en  vue  de  la  culture,  et  la  culture  dans  ces 
conditions  était  elle-même  une  corvée,  un  devoir  social,  un  service  public  auquel  on  ne  pou- 
vait pas  plus  se  refuser  quand  il  vous  était  imposé  qu'on  ne  peut  se  refuser  chez  nous  à 
faire  son  service  militaire.  Ajoutons  même  à  ce  propos  qu'en  Egypte,  depuis  Sésostris,  les 
militaires  avaient  des  terres  à  cultiver  ou  faire  cultiver.  Beaucoup  plus  tard,  moins  de  deux 
siècles  avant  uotre  ère,  une  circulaire  grecque  d'un  ministre  d'un  des  Ptolémées  était  motivée 
par  les  plaintes  de  pauvres  soldats  que  l'on  forçait  à  cultiver  de  leurs  bras  une  étendue  de 
terre  déterminée,  —  d'après  les  termes  d'un  édit  royal  imposant  la  corvée  de  culture  à 
chaque  habitant  de  l'Egypte. 

Si  j'insiste  sur  tout  ceci,  c'est  pour  que  l'on  comprenne  bien  comment  il  était  impossible 
qu'à  l'origine  la  propriété  des  terres  arables  eût  en  Egypte  les  caractères  de  la  propriété 
romaine,  du  dominium  romain,  cette  maîtrise  exclusive,  individuelle,  sans  comptes  à  rendre, 
ayant  le  droit  d'aller  jusqu'aux  derniers  abuf5,  qu'organisa  le  code  quiritaire  des  XII  tables. 

A  Rome  celui  qui  possédait  sa  part  de  champs  faisait  ce  qu'il  voulait  de  ce  champ. 
Il  le  cultivait,  si  cela  lui  plaisait,  comme  cela  lui  plaisait  :  et,  s'il  préférait,  il  pouvait  le 
laisser  en  friches.  Il  ne  dépendait  de  personne;  et  il  n'avait  besoin  de  personne  pour  lui 
assurer  la  jouissance  de  ce  qu'il  avait  reçu  en  mains.  C'était  sa  chose  à  lui.  Il  la  fécondait 
seul.  Il  en  était  le  maître  —  le  seigneur  absolu,  —  beaucoup  plus  absolu  qu'aucun  roi  ne 
peut  l'être. 

En  Egypte,  au  contraire,  le  champ  n'était  jamais,  entre  les  mains  du  cultivateur, 
qu'une  parcelle  du  grand  domaine  organisé  par  le  chef  de  l'État;  et  les  travaux  qu'avait 
fait  faire  le  chef  de  l'État  contribuaient  encore  beaucoup  plus  à  la  production  de  ce  champ 
que  ne  pouvaient  le  faire  ses  propres  travaux.  Il  y  avait  donc  au-dessus  de  lui  un  maître 
naturel  du  champ  :  et  ce  maître  du  champ  était  le  Pharaon. 

Les  produits  de  ce  champ  entraient  dans  les  revenus  du  Pharaon,  véritable  propriétaire 
de  toute  la  terre  égyptienne.  C'était  là  un  principe  fondamental  du  droit.  Mais,  —  par  suite 
même  de  ce  principe,  —  il  se  trouvait  souvent  en  fait  que  telle  ou  telle  portion  de  terre 
pouvait  avoir  été  l'objet  d'une  libéralité  royale  qui,  entre  le  cultivateur  et  le  roi  lui-même, 
avait  introduit  un  personnage  interposé.  A  ce  personnage  le  Pharaon  avait  concédé  les  pro- 
duits annuels  de  cette  parcelle  de  son  domaine,   lui  attribuant  ainsi  de  la  propriété  un  des 


Notice,  etc.  69 

avantages  les  plus  palpables.  Il  lui  avait  abandonué  le  droit  de  perception  directe  et  en 
même  temps  le  soin  de  prendre  toutes  les  mesures  nécessaires  pour  assurer  cette  perception. 
Il  en  avait  fait,  par  conséquent,  en  quelque  sorte  un  maître  du  champ;  mais  sans  que  cette 
maîtrise  de  fait  portât  aucune  atteinte  à  sa  maîtrise  de  droit. 

Quant  aux  paysans  établis  sur  ce  sol  et  chargés  de  mettre  la  terre  en  culture,  leur 
situation  n'était  pas  changée  pour  cela.  Ils  restaient  chargés  de  leurs  champs  comme  devant. 
Comme  devant,  ils  les  fjiisaient  produire;  et  ils  devaient  toujours  verser  la  même  quantité 
ou  la  même  proportion  de  produits  annuels  :  entre  les  mains  du  bénéticiaire  de  cette  donation 
royale,  comme  entre  les  mains  de  l'agent  du  roi.  Ils  étaient  eux-mêmes,  d'ailleurs,  un  des 
éléments  nécessaires  de  la  production  des  céréales  et  du  revenu  concédé.  Aussi  dans  les 
actes  de  concession  était-il  naturel  de  dire  qu'on  donnait  la  terre  avec  ses  gens. 

Ce  régime  des  terres,  appliqué  sous  les  premières  dynasties,  ne  présentat-il  pas  cer- 
taines analogies  avec  le  sj^stème  féodal? 

Comme  le  fief  de  notre  moyen-âge,  la  part  de  terre  ainsi  concédée  en  Egypte  pouvait 
passer  de  père  en  fils  ;  et  il  arriva  même  qu'elle  put  faire  l'objet  de  transactions,  d'échanges, 
d'équivalences.  Déjà  dans  l'inscription  d'Amteu,'  sous  la  IIP  ou  la  TV"  dyuastie,   ce  favori 

'  Il  y  a  quatre  ans,  dans  mon  mémoire  sur  un  papyrus  bilingue  du  temps  de  Philopator,  publié 
dans  les  Proceedings  of  the  Societij  of  bihUcal  archaeologi/,  mémoire  que  j'ai  fait  tirer  à  part,  aux  pages  18  et 
suiv.  de  ce  tirage  à  part  et  à  la  note  49,  p.  64  et  suivantes,  J'ai  longuement  montré  comment  M.  Maspero, 
dans  un  travail  sur  cette  inscription  d'Amten,  déjà  étudiée  par  Biech,  par  Erman,  par  moi  dans  mes  cours 
et  par  bien  d'autres  —  travail  qui  est  d'ailleurs  un  des  meilleurs  de  lui  {Journal  asiatique,  1890,  p.  382  et 
suivantes)  —  ne  s'est  nullement  rendu  compte  de  l'ensemble,  du  parallélisme  des  passages  qui  se  corres- 
pondent, soit  au  point  de  vue  économique,  soit  au  point  de  vue  métrologique,  puisqu'il  est  allé  jusqu'à 
mettre  en  doute  l'existence  de  l'aroure  en  métrologie  égyptienne  comme  mesure  agraire,  alors  que  les 
textes  en  question  donnent  non-seulement  le  nom  de  cette  mesure  agi'aire  à  plusieurs  reprises,  mais  en 
déterminent  en  coudées  les  dimensions,  telles  qu'Hérodote  les  avait  indiquées  et  telles  qu'on  les  retrouve 
dans  une  multitude  d'autres  textes.» 


(a)  Pour  la  maison  qui  est  donnée  à  Amten  par  le  roi  il  est  tîit  : 


*5f^  ^  1  F   8  ""-^^^  T  T  T  ^^^'^0°  (propriété)   longue  de  200  coudées,   large   de  200  coudées,   bâtie,  garnie   de  très  bons   arbres, 

ayant  en  elle  des  bassins  très  nombreux,   plantée   de  figuiers   et   de  vignes  —  (selon)  ce  qui  est  écrit  dans  le  rescrit  royal  :  les  noms 
en  sont  sur  ce  rescrit  royal  —  garnie  (enfin)  de  vignes  nombreuses  où  l'on  fait  du  vin  en  grande  quantité,  car  il  y  fit  une  treille,  de 

deux  aroures  de  terre  yato  'terre  mesurée  habituellement  par  /a  —  1000  coudées  superficielles,  10^  d'aroure  —  et  par  to  '= ',  bande  de 

100  coudées  de  long  sur  une  coudée  de  large,   100^  d'aroure  ou  meh  jliet  —  genre  de  mesures  qui   fut  toujours  spécial  aux  terrains  de 
ville)  entoui'ée  de  murs  et  plantée  de  (bons)  pieds.  » 

Et  ailleurs  :    ù D  ï     ol)      j\      <Ci:> /wwna  i  i    X    \\     )^  J)  -•<  Ordre  fut  donné  de  lui  tninsmettre 

par  lettres  royales,  4  aroures  de  terre,  des  gens,  et  toute  chose.  » 

Ce  qui  revient  exactement  au  même,  puisque  l'aroure  ayant,  selon  Hérodote,  cent  coudées  de  tous  les  côtés,  c'est-à-dire  lOOOO 
coudées,  carrées  —  4  aroures  font  40  000  coudées  carrées. 

Pour  les  champs  il  est  dit  une  fois  : 


A   ^^^^^^  ^ .  8  ^\        ^  ^^    o  uiuTiVai  <:^:£.     «Il  acquit  en  équivalence  200  aroures  de  terre 

es  de  campagne,  inondées  annuellement),  avec  des  hommes  eu  quantité.  » 
Et  dans  le  passage  parallèle  :      A '^"^'^  ^^S  H  ^  X  "^X       ^  O^  l^^^o  <^:|s^  «Cette  répétition. 


70  Eugène  Eevillout. 


du  roi,  iiucien  préfet  de  uomes,  éiiuméraut  ses  possessions  immobilières,  y  fait  tig:urer,  — 
à  côté  d'une  maison  avec  un  parc  qu'il  a  reçue  directement  par  acte  royal,  —  200  aroures 
de  terre  arable  qui  lui  sont  venues  par  équivalence  avec  de  nombreux  cultivateurs.  Ce  que 
possédaient  alors  en  leur  nom  personnel  les  grands  seigneurs,  les  hauts  fonctionnaires,  les 
amis  du  roi  —  et  par  suite  les  descendants  de  ces  favoris  —  c'était  donc  bien  une  jouissance, 
perpétuelle  et  transmissible,  des  produits  de  la  terre  que  les  paysans,  cultivant  pour  eux, 
possédant  sous  eux,  gardaient  en  mains.  Ces  gens  de  la  ferme,  de  ce  que  les  Romains  dé- 
signaient sous  le  nom  de  villa,  —  d'où  vient  en  latin  villicus,  nom  du  fermier,  —  ces  vilains 
d'Egypte,  qui  étaient  cédés  avec  la  glèbe,  ressemblaient  en  cela  aux  serfs  du  moyen-âge. 
Comme  eux  ils  avaient  une  famille,  nne  filiation  légitime,  basée  sur  des  mariages  proprement 
dits  :  somme  toute,  ce  n'étaient  pas  des  esclaves,  tant  s'en  faut,  puisqu'ils  agissaient  à  leur 
guise  en  tout  ce  qui  ne  compromettait  pas  la  bonne  culture  de  la  terre  confiée  à  leurs  soins, 
pourvu  qu'ils  pussent  s'acquitter  en  temps  voulu  de  leurs  redevances  annuelles  sur  les  produits 
du  sol. 

Nous  venons  de  voir  des  portions  de  ces  terres  dont  la  culture  était  assurée  pour  tou- 
jours par  le  rattachement  à  la  glèbe  des  paysans  qui  les  avaient  en  mains  être  attribuées 
en  jouissance  perpétuelle  à  certains  seigneurs  et  à  leurs  familles.  L'inscription  d'Amten, 
remontant,  je  le  répète,  à  une  des  premières  dynasties  et  que  nous  avons  citée  déjà,  nous 
montre  encore  un  autre  genre  d'attribution  de  jouissance  immobilière.  En  effet  il  y  est  dit 
qu'Amten,  mis  à  la  tête  de  deux  nomes,  posséda,  eu  cette  qualité  de  haut  fonctionnaire, 
12  domaines,  en  outre  de  ce  qui  était  ses  biens  à  lui. 

Des  inscriptions  plus  explicites  du  temps  de  la  XIP  dynastie  vont  nous  mettre  à  même 
de  mieux  comprendre  dans  les  détails  ce  dont  il  s'agissait  ici. 

Constatons  d'abord  que  dès  ce  moment,  si  les  céréales  versées  au  trésor  royal  sur  les 
produits  des  terres  conservées  par  le  roi,  ces  céréales  qui  remplissaient  les  greniers  royaux 
disséminés  sur  toute  la  surface  de  l'Egypte,  formaient  une  partie  très  importante  des  re- 
venus généraux  de  l'état,  de  ce  qu'on  nommerait  aujourd'iiui  l'actif  de  son  budget  central, 
on  avait  eu  soin  d'assurer  dans  chaque  nome  le  fonctionnement  d'un  budget  local,  —  in- 
dépendant du  budget  central,  —  par  l'attribution  en  jouissance  de  certains  domaines  au  chef 
de  ce  nome. 

Il  se  ti'ouvait  durant  ses  fonctions  jouer  le  même  rôle  sur  ces  domaines  que  jouaient, 
sur  les  leurs  les  seigneurs  qui  en  avaient  reçu  la  concession  du  roi  à  titre  de  don  per- 
sonnel; et  dans  une  certaine  limite  —  sous  la  XIP  dynastie  du  moins  —  il  n'était  pas  inter- 

disais-je  dans  mon  mémoire  sur  nn  papyrus  bilingue,  avait  un  but.  En  effet,  un  premier  texte,  qui  est  publié  dans  la  pi.  VI  delà  partie 
n  des  Denkmâler,  nous  fournit  l'état  de  tous  les  biens  dont  s'était  enrichi  Amt-^n.  On  nous  y  raconte  comment  il  reçut  par  rescrit  loyal 
quatre  aroures,  comment  il  eut  diverses  fonctions  pour  lesquelles  il  occupa  S  ^  ^^  douze  domaines  ^^  dans  trois  nomes,  comment 
il  reçut  en  équiralence  ^-=saj,  1  ^  200  aroures  de  terres  cultivables,  etc.,  en  dehors  de  100  peryru  qu'il  recevait  chaque  jour  du  châ- 
tean  de  la  nine.  C'est  un  résumé  général. 

«Dans  nn  autre  texte  {ibid.,  pi.  VII)  on  nous  raconte  ce  qu'il  fit  du  domaine  de  quatre  aroures,  on  200  coudées  de  longneor 
sur  chaque  face  d'un  carré  (c'est-à-dire  40,000  coudées  carrées),  domaine  qu'il  avait  reçu  par  rescrit  royal;  comment  il  y  planta  des 
vignes,  qui  en  occupèrent  une  moitié,  etc. 

«Dans  un  antre  texte,  II,  III,  on  nous  donne  des  détails  semblables  sur  ce  que  devinrent  les  200  aroures  de  terre  cultivable, 
précédemment  énumérées  :  Il  avait  reçu  en  équivalence  200  aroures  de  terres  à  blé.  Il  en  donna  50  à  sa  mère  Nebsent.  II  y  bâtit 
une  maison  pour  ses  enfants;  il  leur  donna,  par  permission  royale,  toutes  les  places  dépendant  du  château  royal  de  Honsuten  fsitué 
dans  un  des  trois  nomes  mentionnés  dans  le  premier  texte  et  où  il  avait  possédé  12  domaines),  et  il  donna  (à  cette  occasion)  à  ses 
enfants  12  aroures  de  terre  arable,  avec  des  hommes  et  des  bestiaux.  » 


Notice,  etc.  71 

dit  au  prince  chef  de  nome  de  grever  à  jamais  par  des  fondations  pieuses  les  revenus  des 
terres  qu'il  avait  à  ce  titre  et  qui  passeraient  à  son  successeur. 

Il  est  vrai  qu'alors  le  titre  de  prince  de  tel  ou  tel  nome  tendait  à  devenir  héréditaire. 
La  formidable  féodalité  qui  devait  morceler  l'Egypte  entre  une  quantité  de  petits  souverains 
presque  indépendants,  lorsque  les  grands  rois  d'Assyrie  et  d'Ethiopie  s'en  disputaient  la 
suzeraineté,  apparaissait  déjà  en  germe  à  ce  qu'il  semble;  et  parmi  ces  princes  des  nomes 
il  en  était  qui,  sortis  des  temples,  appartenaient  de  race  au  clergé. 

Tel  était  le  cas  d'Hapidjefa,  prince  de  Siut  et  grand-prêtre  du  temple  principal  de  cette 
ville,  qui,  s'adressant  aux  prêtres,  leur  dit  :  «  Je  suis  fils  de  prêtre  comme  chacun  de  vous.  ^  » 

Du  reste,  ceux  même  des  princes  qui  ne  se  rattachaient  pas  à  la  caste  sacerdotale  par 
leur  origine  s'y  trouvaient  du  moins  rattachés  par  leurs  fonctions,  car  à  cette  époque  celui 
que  le  roi  investissait  d'une  principauté  était  en  même  temps  investi  d'un  sacerdoce. 

C'est  ainsi,  par  exemple,  que,  sous  Amenemhat  et  Usurtasen,  les  princes  héréditaires, 
fils  de  princes,  Xnunihotep  et  Ameni  sont  nommés  :  le  premier,  prêtre  d'Horus  et  de  Pacht; 
le  second,  grand  chef  des  prophètes,  prêtre  de  Sui  et  de  Nekheb. 

Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  les  fondations  pieuses  étaient  en  grande  mode,  surtout 
celles  qui,  ayant  pour  but  d'assurer  à  qui  les  faisait  des  services  religieux  annuels  de  grande 
pompe  après  sa  mort,  flattaient  doucement  sa  vanité. 

C'est  ainsi  que,  d'après  un  document  solennel  écrit  sur  pierre  et  qu'ont  étudié  avant  moi 
MM.  DE  RouGÉ,  Maspero,  Erman,  Griffith,  etc.,  mais  dont  il  restait  à  revoir  encore  cer- 
tains passages  pour  en  préciser  le  sens  juridique,  le  prince  de  Siut,  Hapidjefa,  fils  de  prêtre, 
et  chef  du  sacerdoce  du  temple  d'Anubis,  établissant  en  cette  qualité  dans  le  sanctuaire  sa 
demeure  éternelle,  son  tombeau,  sa  statue,  voulut  y  conserver  après  sa  mort  des  honneurs 
égaux  à  ceux  qu'il  avait  durant  sa  vie. 

Une  des  grandes  fêtes  chez  les  Egyptiens  était  le  1"  de  Thot,  1"  jour  de  l'année,  le 
jour  de  l'an. 

Les  seigneurs  ce  jour-là  recevaient  les  hommages  et  les  offrandes  de  toute  leur  maison, 
qui  processionnellement  défilait  devant  eux. 

Hapidjefa  tenait  beaucoup  à  ce  que  la  statue  le  représentant  —  et  qui  serait  censée 
animée  par  ce  que  Nestor  Lhote  (cité  par  M.  de  Rougé  dans  ses  cours)  a  nommé  son  double, 
ce  qui  serait  plutôt  sa  personnification,  comme  le  disait  M.  de  Rouge,  et  eu  cas  pareil  une 
personnification  de  son  être  divinisé,  ce  que  les  Égyptiens  nommaient  son  Ka,  —  assistée 
d'un  prêtre  spécial  —  son  prêtre  de  Ka,  chargé  de  son  culte  —  reçut  ce  jour-là  les  hom- 
mages et  les  offrandes  du  corps  des  prêtres  qu'il  dirigeait  de  son  vivant. 

Une  autre  fête,  très  importante,  était  le  18  de  Thot,  le  jour  de  Waga  ou,  comme 
nous  dirions  aujourd'hui,  le  jour  des  morts.  Hapidjefa  tenait  aussi  à  entourer  d'une  solennité 
non  moins  grande  l'office  funèbre,  l'office  des  morts  que  ce  jour-là  son  prêtre  de  Ka  aurait 
à  célébrer  pour  lui. 


,¥n: 


1  VJr  iJ  K^v  ■> y   ce  qui  ne  veut  pas   dire  :  «je  suis  un  fils  saint 

comme  l'est  chacun  des  princes  ici»,  ainsi  qu'a  traduit  M.  Maspero.  Mais  nous  ne  relèverons  pas  ici  tous 
les  contre-sens  et  les  non-sens  de  cette  publication. 


72  Eugène  Revillout. 


Les  prêtres  de  service  à  ce  moment  dans  le  temple,  les  prêtres  de  l'heure,  suivant 
l'expression  égyptienne,  durent  tous  prendre  part  à  la  cérémonie  accomplie  en  son  honneur 
soit  le  jour  de  Waga,  soit  le  jour  de  l'an.  Ils  durent  processiounellement  suivre  devant  sa 
statue  le  prêtre  de  Ka  et  remettre  chacun  un  pain  blanc  à  celui-ci  —  à  titre  d'offrande 
envers  lui-même  en  sa  demeure  de  l'éternité. 

Mais  Hapidjefa  n'aurait  pas  pu  leur  imposer  cela  à  perpétuité,  si  c'eût  été  une  dépense 
sans  compensation.  Il  fallait  donc  qu'il  leur  donnât  pour  le  moins  une  équivalence  de  ce 
qu'ils  remettaient  à  sou  prêtre  devant  sa  statue.  Cette  équivalence,  il  la  prit  —  en  ce  qui 
touchait  la  cérémonie  du  jour  de  l'an  —  sur  les  produits  annuels  des  terres  faisant  partie 
des  domaines  du  prince.  Pour  chaque  chani))  de  cette  maison  du  prince  les  vassaux  durent 
verser  au  temple  une  mesure  hekt  ou  sa  de  blé.  ^  La  contenance  de  la  mesure  hekt  ou  sa 
nous  est  connue  par  le  décret  de  Rosette  où  il  est  dit  (dans  l'exemplaire  hiéroglyphique 
de  Naucratis)  que  l'artabe  vaut  6  hekt  ou  sa.  C'était  donc  un  6'^  d'artabe  que  faisait  prélever 
Hapidjefa  sur  chaque  champ  du  domaine  du  prince,  —  hekt  ou  sa  à  percevoir  par  les  agents 
du  temple  de  la  même  façon  qu'ils  percevaient  les  apports  en  nature  des  gens  de  Siut, 
les  sortes  de  dîmes  établies  déjà  sur  eux  au  profit  du  sanctuaire;  car,  Hapidjefii  le  rappe- 
lait à  ce  propos,  il  avait  de  son  vivant,  en  tant  que  prince,  fait  donner  au  temple  par 
chaque  vassal  quelque  chose  de  sa  récolte. 

Si  nous  quittons  un  instant  l'Egypte  pour  nous  transporter  en  Chaldée,  nous  y  voyons 
mentionner  sans  cesse  des  dîmes,  des  sixièmes,  formant  une  des  sources  de  revenus  des 
temples,  particulièrement  en  céréales.  Mais  il  ne  semble  pas  que  le  culte  des  morts  ait  eu 
dans  ce  pays  une  importance  égale  à  celle  qu'il  avait  en  Egypte.  Les  libéralités  des  princes 
envers  les  temples  et  leurs  fondations  pieuses  y  paraissent  moins  intéressées  à  ce  point 
de  vue. 

Eevenons-en  à  l'inscription  d'Hapidjefa. 

Nous  venons  de  voir  qu'en  faveur  des  prêtres  de  l'heure  il  a  disposé  d'une  partie  des 
revenus  en  céréales  du  prince,  partie  importante,  car  beaucoup  plus  tard,  sous  Ptolémée 
Philopator,  quand  les  rois  Lagides  avaient  poussé  le  plus  loin  possible  les  exigences  fiscales, 
élevé  le  plus  possible  le  taux  de  tous  les  impôts,  ce  qu'ils  percevaient  sur  chaque  champ 
d'une  aroure  de  neter  hotep,  c'était  une  artabe,  6  hekt  ou  sa  de  grains,  le  sextuple  de  ce 
qu'Hapidjefa  abandonnait  aux  prêtres  de  l'heure  pour  qu'ils  vinssent  assister  à  ses  services 
funèbres. 

Avait-il  le  droit  de  grever  dans  une  telle  proportion  ceux  qui  lui  succéderaient  eu  qualité 
de  princes  dans  le  nome  de  Siut? 

Il  l'affirme  avec  énergie^  :  «Attention!  dit-il.  Vous  savez  que  tout  ce  qu'un  sar  quel- 
conque vassal  quelconque  fait  donner  au  sanctuaire  sur  son  smou  (sur  ce  qu'il  perçoit  de  la 

'  J'ai  donné  le  texte  hiéroglyphique  de  ce  passage  dans  une  note  de  l'avant-propos. 


Notice,  etc.  73 

récolte),  il  ne  lui  est  pas  licite  de  le  diminuer  par  son  bon  plaisir,  ni  à  aucun  prince,  en  son 
temps,  pour  ce  qui  a  été  convenu  par  un  autre  prince  avec  les  prêtres  en  leur  temps.  » 

Cette  phrase,  il  la  répète  deux  fois  dans  les  mêmes  termes  :  une  fois  à  propos  du 
service  du  jour  de  l'an  et  une  autre  fois  à  propos  de  celui  du  jour  de  Waga,  du  jour 
des  morts.  Il  invoque  donc  ici  la  force  perpétuelle  de  toute  convention  arrêtée  et  scellée,  ^  je 
dirais  presque  de  tout  traité  conclu  entre  les  deux  grandes  puissances  représentant  l'une  le 
pouvoir  civil  et  l'autre  le  pouvoir  religieux  :  d'une  part  le  prince,  et  d'une  autre  part  le  corps 
des  prêtres.  Et  c'est  pourquoi  à  chaque  article  de  sa  fondation  pieuse  il  a  soin  de  donner 
la  forme  d'un  traité  avec  concessions  réciproques. 

Trois  articles  de  ce  traité  concernent  les  prêtres  de  l'heure,  parce  qu'ils  auront  à  tigurer 
trois  fois  par  an  dans  les  cérémonies  dirigées  par  le  prêtre  de  Ka,  et  parce  qu'autant  de 
fois  une  concession  spéciale  leur  est  faite  par  Hapidjefa. 

Celle  que  nous  venons  d'examiner  se  réfère  au  premier  de  l'an.  Pour  la  procession  du 
jour  des  morts  Hapidjefa  engage  encore  à  perpétuité  les  revenus  du  prince.  Tout  le  chautfage 
nécessaire  pour  les  sacriticcs,  —  pour  les  animaux,  bœufs  ou  chèvres,  qu'on  offrira  dans 
l'année  au  temple,  —  sera  pris  désormais  sur  le  trésor  du  prince.  La  quantité  n'en  peut  pas 
être  fixée  d'avance.  Chaque  prince,  en  son  temps,  la  déterminera  suivant  l'importance  des 
sacrifices,  suivant  le  nombre  des  victimes.  Mais  c'est  le  seul  point  sur  lequel  il  garde  une 
certaine  latitude.  Pour  tout  le  reste  il  ne  peut  rien  changer  à  ce  qu'établit  Hapidjefa  :  à  ce 
qu'il  établit,  par  exemple,  relativement  aux  dignitaires  du  temple  et  dont  nous  aurons  à 
parler  plus  loin  pour  la  procession  même  de  ce  jour  des  morts,  de  ce  jour  de  Waga. 

En  ce  qui  touche  les  prêtres  de  l'heure,  un  autre  article,  une  autre  concession  d'Hapi- 
djefa  —  toujours  sur  ce  qu'il  peut  percevoir  en  quahté  de  prince  —  assure  leur  coopération 
à  une  autre  cérémonie. 

Le  prince  de  Siut  avait  à  prélever  sa  part  sur  l'animal  que  l'on  sacrifiait  solennelle- 
ment à  Anubis  le  premier  des  cinq  jours  de  fête  intercalaires  par  lesquels  se  terminait 
l'année. 

Sur  les  tablettes  et  les  inscriptions  chaldéennes  nous  voyons  de  même  les  rois  et  les 
princes  avoir  leur  part  dans  les  animaux  sacrifiés  aux  dieux.  Nous  les  voyons  même  spé- 
cifier dans  des  actes  de  fondation  pieuse  la  part  qui  leur  est  réservée.  Chose  curieuse!  cer- 
tains d'entre  eux,  —  par  exemple  le  fils  aîné  du  roi  Nabouid,  Belsarusur,  que  la  Bible  nomme 
Balthasar,  —  au  lieu  de  faire  prendre  cette  part  sur  les  animaux  déjà  sacrifiés,  avaient 
préféré  l'échanger  contre  des  animaux  vivants  représentant  une  valeur  semblable.  C'est  ainsi 
que  dans  les  holocaustes,  sur  les  troupeaux  destinés  aux  dieux,  ce  prince  faisait  conduire 
directement  à  son  palais  le  nombre  de  têtes  auxquelles  il  estimait  ses  droits.  Il  n'est  pas 
le  seul  qui  agit  de  la  sorte;  et  les  comptes  des  temples,  si  bien  tenus  sur  les  tablettes 
chaldéennes,  nous  apportent  de  nombreux  exemples  semblables.  Je  doute  fort  que  les  Egyp- 


'  Le  mot  ;fe«em       ^KX    Q    signifiant   «  scellement  »   s'applique    à    la  convention  même.    En   tête   de 
chacune  des  conventions  faites   par  Hapidjefa   se   trouve  le  titre   suivant  :        '^X     Q  a  ftA/ww  =^ 

^\   <r=>    |y  9    ^^^  ^\0^^1  8  '•  •  ■  ^*''«"''   f'"*  P*"'  '^  prince,  chef  prophète  Hapidjefa 

avec,  etc.  » 


74  Eugène  Revillout. 


tiens,  plus  vraimeut  pieux,  eussent  jamais  admis  qu'on  dépouillât  ainsi  d'une  partie  de  leur 
pompe  les  sacrifices  offerts  aux  dieux  :  et  cela  par  un  arrangement  basé  sur  le  principe,  — 
bien  sémitique  —  que  toute  chose  ne  vaut  que  par  son  prix  —  ayant  toujours  comme  équi- 
valent, parfaitement  exact,  une  autre  chose  de  même  prix.  Mais  ce  qu'ils  admettaient  très 
bien,  c'est  que  celui  qui  avait  reçu  sa  part  d'animal  sacrifié  pouvait  en  feire  ce  qu'il  voulait. 

En  conséquence,  Hapidjefa  abandonne  aux  prêtres  de  l'heure  la  cuisse  de  taureau  re- 
venant au  prince  —  et  qu'il  a  perçue  de  son  vivant  —  à  la  condition  de  donner  ce  premier 
jour  intercalaire  chacun  un  pain  blanc  à  sa  statue  et  de  donner  en  outre  à  son  prêtre  de 
Ka  un  gîte  à  l'os  sur  cette  cuisse. 

Tout  ceci  était  pris  sur  les  revenus  du  prince,  dont  il  disposait  à  perpétuité  au  profit 
des  prêtres  de  service  lors  des  trois  fêtes  en  question. 

C'était  bien,  en  effet,  à  titre  de  prince  de  Siut,  l'inscription  même  l'indique  expressé- 
ment, et  non  à  titre  de  grand-prêtre  du  dieu  Anubis  qu'Hapidjefa  avait  eu  droit  à  une  cuisse 
du  taureau  sacrifié  à  ce  dieu  Anubis,  patron  de  Siut,  maître  de  Siut,  suivant  l'expression 
égyptienne. 

Il  est  vi-ai  qu'on  peut  se  demander  si  en  Chaldée,  quand  certaines  tablettes  de  terre 
cuite  nous  montrent  des  hommes  cédant  par  acte  de  vente  pour  une  somme  d'argent  les 
morceaux  de  viande  qui  leur  reviendront  dans  les  sacrifices  à  faire  chaque  année  à  tel  jour, 
cette  sorte  de  propriété  à  l'origine  ne  se  rattachait  pas  à  quelque  titre  sacerdotal.  Mais,  en 
Egypte,  un  autre  article  de  la  fondation  pieuse  d'Hapidjefa  nous  prouve  qu'il  eût  eu  des 
scrupules  à  traiter  ainsi  comme  un  bien  propre  ce  qui  pouvait  lui  revenir  en  qualité  de 
chef  du  sacerdoce  dans  tous  les  temples  de  son  nome. 

Dans  le  même  sentiment  qui  avait  motivé  plusieurs  des  articles  précédents,  il  désirait 
faire  apporter  à  sa  statue  après  sa  mort  ce  qu'on  lui  apportait  à  lui-même  de  son  vivant 
quand  il  présidait  aux  cérémonies  religieuses  :  le  morceau  de  choix  de  viande  cuite,  sortant 
de  l'autel,  qu'on  déposait  sur  la  table  d'offrandes  et  la  petite  mesure  de  bière  qu'on  pré- 
levait à  son  profit  sur  chaque  cruche  de  bière  offerte.  Il  ne  l'ordonne  pas  directement.  Il 
préfère  s'entendre  avec  le  chef  prophète  en  exercice  dans  le  temple  d'Apmatennu  :  et  il 
apporte  une  équivalence  pour  cette  portion  minime  des  revenus  du  chef  prophète,  sur  ses 
biens  propres,  —  sur  ce  qui  lui  provient  de  son  père  :  —  tout  souverain  pontife  après  lui 
aura  en  compensation  une  redevance  représentant  Vses  de  ce  qui  constitue  les  revenus  an- 
nuels du  temple  d' Anubis  en  pains,  bière,  viandes,  etc.  —  deux  jours  du  revenu  sacré, 
puisqu'on  tout  l'année  compte  365  jours. 

Ce  genre  de  redevances  annuelles  représentant  des  jours  du  revenu  sacré  lui  sert  égale- 
ment pour  s'assurer  les  soins  du  stoliste,  relativement  aux  tissus  qui  seront  nécessaires  pour 
son  culte  (ce  pourquoi  il  lui  assure  trois  jours  de  revenu)  et  la  participation  des  dignitaires 
du  temple  aux  services  célébrés  pour  lui  le  jour  de  l'an  et  le  jour  des  morts.  Pour  cette 
participation  quatre  jours  du  revenu  sacré  seront  assignés  au  grand- prêtre  et  deux  jours 
seulement  à  chacun  des  neuf  autres.  C'est  la  proportion  qu'on  retrouve  dans  les  tablettes 
des  comptes  de  temples  en  Babylonie  :  le  conservateur  directeur  du  temple,  le  Kipu,  y  reçoit 
toujours,  pour  sou  entretien,  en  bière,  céréales,  etc.,  le  double  de  ce  qui  est  assuré  à  ses 
subordonnés.  La  proportion  de  1  à2  paraît  donc  représenter  ici  une  duplication  hiérarchique; 


Notice,  etc.  75 

et  elle  paraît  aussi  le  faire  plus  loiu,  dans  l'iuscription  d'Hapidjefa,  lorsqu'il  s'y  agit  des 
fonctionnaires  de  la  nécropole. 

Ces  fonctionnaires,  d'un  rang  inférieur  à  celui  des  prêtres,  sont  désignés  par  Hapi- 
djefa  pour  remettre  le  jour  des  morts  à  son  prêtre  de  Ka  de  la  bière,  des  pains,  etc.  afin 
de  compléter  son  revenu  en  nature.  Pour  chacun  des  bas  employés  cette  prestation  égale 
en  pains  le  montant  d'un  des  jours  du  revenu  sacré,  tel  qu'Hapidjefa  le  faisait  verser  à 
chaque  dignitaire  du  temple;  mais  eu  bière  et  en  friandises  elle  est  moitié  moindre.  Pour 
le  chef  de  la  nécropole  on  double  les  chiftVes. 

Ces  versements,  bien  entendu,  sont  motivés  par  des  donations  qu'Hapidjefa  fait  à 
chacun  d'eux.  Ces  donations  consistent  eu  terres;  et  nous  nous  trouvons  ainsi  ramenés  au 
fond  même  de  notre  sujet,  que  le  désir  de  faire  pénétrer  plus  intimement  dans  le  détail  des 
mœurs  égyptiennes  du  temps  de  la  XIF  dynastie,  par  le  compte-rendu  d'un  document 
authentique  de  cette  époque,  semblait  nous  avoir  fait  un  peu  perdre  de  vue. 

Les  terres  en  question  —  comme  les  autres  qu'il  donne  —  devaient  être  prises  sur  le 
domaine  personnel  d'Hapidjefa,  sur  ce  dont  ses  ancêtres  avaient  été  personnellement  investis 
en  leur  qualité  de  seigneurs.  Le  chef  des  demeures  funéraires  (neter  kher)  prenait  sur  ces 
terres  deux  fois  autant  qu'avait  à  recevoir  chacun  de  ses  emploj'és.  Toujours  la  même  pro- 
portion du  simple  au  double  entre  ses  subordonnés  et  lui.  Le  chef  supérieur  de  la  montagne 
où  se  trouvait  la  nécropole  recevait  beaucoup  plus  :  cinq  fois  autant  qu'un  des  employés 
inférieurs  de  cette  nécropole.  Il  avait,   en  revanche,  à  donner  beaucoup  plus  de  bière,  etc. 

Tout  cela  profitait  en  définitive  au  prêtre  de  Ka  :  et  c'est  sans  doute  pourquoi  Hapi- 
djefa,  dans  la  préface  de  son  inscription,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  rappelle  à  ce  prêtre 
de  Ka  —  son  représentant  pour  tout  ce  qui  concerne  ses  biens  dans  sa  demeure  éternelle, 
les  offrandes  qui  lui  seront  faites  et  les  traités  conclus  avec  les  prêtres  sur  ces  biens  du 
mort,  sur  ses  offrandes  —  avoir  été  généreux  envers  lui  en  terres,  paysans,  etc.,  à  propos 
d'actes  où  directement  il  ne  lui  en  donne  absolument  rien. 

Il  lui  dit  :' 

«Attention!  (Toutes)  ces  choses  en  totalité  que  j'ai  scellées  dans  la  maiu  des  prêtres 
sont  sous  la  place  de  ta  face.  Attention  donc!  C'est  le  prêtre  de  ka  d'un  homme  qui  maintient 


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IV 


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76  Eugène  Revillout. 


en  bon  état  ses  biens,  qui  maintient  en  bon  état  ses  offrandes.  Attention  !  Je  t'ai  fait  savoir 
les  choses  que  j'ai  données  à  ces  prêtres  en  équivalence  pour  ces  choses  qu'ils  m'ont  données. 
Veille  relativement  à  toute  diminution  des  choses,  parmi  celles-là!  Quoi  (dire  de  plus)?  toutes 
paroles  sur  toutes  mes  choses  que  je  leur  ai  données  sont  en  ta  main;  écoute-les  pour  tout 
terrain,  toute  terre  cultivée.  Tu  as  été  fait  pour  moi  prêtre  de  ka.  Toi,  tu  as  été  gratifié 
en  champs,  en  hommes,  en  troupeaux,  en  wadis  comme  un  sar  quelconque  de  Siut,  dans 
le  désir  que  tu  fisses  pour  moi  les  choses,  de  ton  bon  cœur.  Voici  que  tu  es  sur  mes  biens 
que  j'ai  remis  sous  ta  main  à  toi.  Ils  sont  devant  ta  face  par  écrit.  Ces  choses  sont  pour  un 
fils  tien  que  tu  voudras  faire  prêti-e  de  ka  d'entre  tes  enfants,  pour  manger  ce  qui  lui 
échoit,  sans  faire  partage  de  ces  choses  à  ses  enfants,  selon  cette  parole  que  j'ai  faite  à  toi.  » 

Dans  ces  actes,  dans  ces  traités,  —  dont  le  prêtre  de  Ka  est  chargé  d'exiger  en  son 
nom  l'accomplissemeut  strict,  —  figure  une  autre  donation  de  terres  —  dont  celui-ci  ne 
doit  pas  profiter  de  la  même  façon.  Cette  donation  est  faite  an  grand -prêtre  pour  qu'il 
vienne  lui-même  apporter  la  flamme  afin  d'illuminer  le  temple  lors  des  cérémonies  faites  en 
l'honneur  d'Hapidjefa  :  le  1"  jour  intercalaire;  la  nuit  précédant  le  jour  de  l'an;  ce  jour 
de  l'an;  la  nuit  précédant  le  jour  des  morts,  le  jour  de  Waga;  ce  jour  de  Waga.  A  cet  effet 
Hapidjefa  lui  attribue  la  même  étendue  qu'il  donnait  au  préposé  de  la  montagne,  mais,  je 
le  répète,  plutôt  au  profit  du  prêtre  de  Ka  que  de  celui-ci  :  ce  qui  n'est  plus  vrai  pour  le 
grand-prêtre,  puisque  le  prêtre  de  Ka  ne  recevait  rien  de  lui. 

Ainsi  dans  cette  seule  inscription  d'Hapidjefa  nous  voyons  des  terres  et  des  paysans 
soumis  à  différents  régimes.  Il  y  a  d'abord  les  terres  de  la  maison  du  prince,  terres  sur 
lesquelles  un  droit  fixe  sera  prélevé  pour  le  temple;  d'une  autre  part,  il  y  a  des  terres 
qu'Hapidjefa  possède  en  propre  en  qualité  de  seigneur,  qui  ont  été  reçues  en  fief  par  quelqu'un 
de  ses  ancêtres,  dont  il  a  lui-même  hérité  et  dont  il  dispose  pour  sa  fondation.  De  ces  terres, 
il  assigne  une  certaine  étendue  aux  employés  de  la  nécropole.  Il  en  attribue  une  autre  étendue 
à  prendre  au  sud  de  son  domaine,  au  chef  du  sacerdoce  dans  le  temple  d'Anubis.  Ces  terres 
vont  devenir  des  terres  sacrées  ;  car  elles  sont  affectées,  d'une  manière  ou  de  l'autre,  au  culte 
du  mort  divinisé;  et  désormais  d'ailleurs  elles  n'appartiendront  plus  comme  biens  personnels  à 
telle  ou  telle  famille,  devant  passer  de  main  en  main  à,  quiconque  occupera  une  fonction 
donnée  dans  le  temple  d'Anubis  ou  dans  ses  dépendances. 

On  voit  comment  se  constituait  à  cette  époque  le  neter  hotep,  ce  domaine  sacré,  que 
nous  montrerons  plus  tard  avoir  une  étendue  si  grande  et  dont  il  est  si  souvent  question 
dans  nos  papyrus  démotiques. 

Quand  Xuumhotep,  contemporain  exact  d'Hapidjefa,  —  non-seulement  chef  de  nome, 
mais  ministre  sous  les  Usurtasen,  dont  Hapidjefa  vénère  les  cartouches,  —  quand  Xnumhotep 
dit,  de  son  côté,  avoir  enrichi  sou  prêtre  de  Ka  en  terres  et  en  cultivateurs,  il  est  probable 
qu'il  s'agit  là  d'une  fondation  très  analogue  à  celle  d'Hapidjefa  lui-même. 


Notice,  etc.  77 

Les  ten-es  et  les  paysans,  dont  les  seigneurs,  en  récompense  de  leurs  services,  avaient 
d'abord  été  investis,  passaient  ainsi  rapidement  aux  temples,  —  morceau  par  morceau,  — 
par  suite  du  désir  qu'avait  chacun  de  donner  le  plus  d'éclat  possible  aux  services  qu'on 
ferait  pour  lui  et  de  grossir  ses  biens  d'outre-tombe  par  des  redevances  considérables  payées 
entre  les  mains  de  son  prêtre  de  Ka. 

Lorsque,  plus  tard,  le  roi  Sésostris,  suivant  le  témoignage  de  Diodore,  assigna  aux 
temples  d'Egypte  comme  domaine  sacré,  comme  neter  hotep,  tout  un  tiers  des  terres  culti- 
vables, il  est  présumable  qu'il  n'a  pas  dû  les  rendre  en  cela  beaucoup  plus  riches  qu'ils  ne 
se  trouvaient  l'être  en  fait. 

Dans  la  suite  de  cette  étude  nous  aurons  longuement  à  examiner  les  conditions  dans 
lesquelles  se  trouva  cultivé  ce  neter  hotep  et  le  mouvement  progressif  qui  détacha  peu  à 
peu  des  temples  la  plus  grande  partie  de  ce  domaine.  Ce  que  nous  tenons  surtout  à  faire 
remarquer  dès  à  présent,  c'est  que,  si  nous  voyons  du  temps  d'Apriès,  du  temps  d'Amasis, 
etc.,  certaines  portions  du  domaine  sacré  être  administrées  individuellement  par  un  des  fonc- 
tionnaires du  temple  comme  si  ce  fonctionnaire  en  était  investi  personnellement  à  titre  de 
seigneur,  cette  particularité,  —  qui  nous  paraît  dabord  si  étrange,  —  s'explique  tout  na- 
turellement par  les  origines  du  domaine  sacré.  N'est-ce  pas  individuellement  que  le  grand 
prêtre  d'Anubis  se  trouve  en  vertu  de  ses  fonctions  investi  des  mesures  de  terres  à  lui  assignées 
par  Hapidjefa? 

Les  paysans  pouvaient  donc  avoir  pour  seigneur  un  prêtre,  un  fonctionnaire  de  la  né- 
cropole, aussi  bien  qu'un  dieu,  représenté  partout  par  le  conseil  de  son  temple. 

Us  pouvaient  aussi  avoir  pour  seigneur,  en  vertu  de  son  titre,  nous  venons  de  le  voir, 
un  préfet  ou  prince  d'un  nome. 

Sous  la  XIP  dynastie,  sous  Amenemha  et  Usurtasen,  il  ne  paraît  pas  que  la  sujétion 
des  princes  de  nomes  par  rapport  aux  rois  ait  été  égale  pour  eux  tous.  Hapidjefa  se  com- 
porte un  peu  comme  le  ferait  un  souverain  presque  indépendant,  tout  eu  honorant  les  car- 
touches de  son  suzerain.  Xnumhotep,  *  au  contraii'e,  parle  comme  un  ministre  et  se  vante  de 
la  faveur  du  roi.  Un  troisième  gouverneur  de  nome,  Ameni,  tient  à  se  poser  comme  l'agent 
dévoué  et  docile  du  roi  qui  lui  a  confié  son  nome  à  gouverner.  C'est  au  nom  du  roi,  pour 
le  roi,  qu'il  veille  à  la  culture  du  nome.  Il  transmet  fidèlement,  sans  rien  eu  détourner,  tout 
ce  qu'il  perçoit  au  nom  du  roi.  Sur  ce  que  donnent  les  récoltes,  sur  les  greniers  qui  sont 
à  sa  disposition,  il  subvient  aux  besoins  de  la  population  sans  faire  de  distinction  entre  le 
fort  et  le  faible,  entre  la  veuve  sans  soutien  et  la  femme  ayant  un  mari  pour  l'appuyer. 
Dans  les  années  de  disette,  ses  greniers  de  réseiTe  s'ouvraient  pour  tous,  pour  les  grands 
comme  pour  les  petits  :  et  il  n'y  eut  jamais  d'affamé  dans  son  temps.  Il  n'y  eut  pas  non 
plus  d'opprimé,  pas  de  malheureux,  pas  d'homme  à  qui  l'on  fît  violence,  à  ce  que  dit  du 
moins  l'autobiographie  de  ce  préfet  modèle.  Jamais  il  ne  fit  tort  aux  hommes  des  champs. 
Jamais  il  n'expulsa  le  gardien  de  ces  champs.  Il  n'y  eut  pas  de  chef  de  cinq  hommes  dont 


•  Pour  l'inscription  de  Xnumhotep  nous  renverrons  surtout  à  l'excellente  thèse  latine  de  M.  Krebs 
de  Berlin  (1890)  qui  a  réalisé  un  progrés  sérieux  sur  les  anciennes  traductions  de  JIM.  Bkugsch  et  Maspero. 


78  Eugène  Revillout. 


il  enleva  les  hommes  de  leurs  travaux.  Mais  il  fit  cultiver  sou  nome  dans  toute  son  étendue 
jusqu'aux  dernières  limites.  C'était  là  sa  grande  mission. 

Quel  était  le  gardien  du  champ  dont  il  est  question  dans  cette  inscription?  N'était-ce 
pas  ce  qu'on  nomma  plus  tard  le  Y^wpv;;  BactA'./.s;,  le  fermier  du  roi  qui  dirigeait  les  tra- 
vaux à  faire  sur  les  terres  royales,  cultivées  sans  doute  alors  déjà  comme  elles  le  furent 
toujours  en  Egypte,  comme  elles  l'étaient  encore  sous  le  précédent  khédive,  eu  partie  à  l'aide 
de  corvées.  Les  chefs  de  cinq  hommes  auxquels  ou  eût  fait  tort  si  l'on  eût  enlevé  des  hommes 
de  leurs  travaux,  u'étaient-ce  pas  des  sortes  d'entrepreneurs  à  tâches  qui,  à  côté  du  Ysiop-fo; 
BaitXiy.o;,  étaient  par  eux-mêmes  l'esponsables  du  labourage,  etc.  sur  une  étendue  de  terre 
déterminée?  Nous  ne  pouvons  ici  que  poser  ces  questions  sans  les  résoudre  encore  d'une  façon 
absolue;  d'autant  plus  que  nous  aurons  bientôt  à  rapprocher  de  cette  inscription  d'Ameui 
d'autres  documents  parallèles  bien  que  d'une  époque  un  peu  plus  récente  ;  mais  ce  qui  paraît 
évident,  c'est  que  les  greniers  publics  devaient  être  considérables  dans  le  nome  gouverné 
par  Ameni,  et  qu'ils  y  jouaient  le  même  rôle  que  ces  greniers  dont  la  Bible  attribue  l'éta- 
blissement à  Joseph  en  vue  de  famines  à  survenir. 

Il  est  vrai  que  le  roi  d'Egypte  du  temps  de  Joseph  était  un  Hyksos  :  et  que  cet 
étranger  pouvait  fort  mal  connaître  les  institutions  de  l'Egypte. 

Après  l'expulsion  des  Hyksos  l'Egypte  se  réorganisa;  et  les  documents,  à  nous  par- 
venus, de  l'époque  des  Ramessides  nous  montrent  pour  les  terres  du  domaine  sacré  une 
sorte  de  co-jouissance  possible  entre  le  temple,  considéré  comme  une  seule  personne  morale 
chargée  de  représenter  le  dieu,  et  certains  fonctionnaires  du  temple.  Ce  n'est  pas  tout,  ils 
nous  montrent  aussi  sur  ces  terres  de  temples  des  tenanciers  qui  les  occupent  et  les  cultivent, 
gardant  pour  eux  une  partie  de  leurs  produits;  —  de  telle  sorte  que  la  possession  de  ces 
terres  de  neter  hotep  comporte  trois  degrés  :  d'abord  les  droits  du  temple,  les  droits  du 
dieu,  considéré  comme  le  seigneur,  comme  le  vrai  maître,  le  vrai  propriétaire  du  sol;  puis 
les  droits  de  celui  des  membres  de  la  caste  sacerdotale  auquel  ce  domaine  était  assigné, 
qui  en  percevait  sa  part  de  produits,  et  qui  sur  cette  part  payait  ce  qui  était  dû  au  ti'ésor 
du  temple;  enfin  le  tenancier,  le  possesseur  de  fait,  celui  qui  faisait  produire  ces  champs. 

Un  procès  curieux,  dont  le  procès  verbal  hiératique,  daté  du  14  Paophi  de  la  46*  année 
de  Ramsès  III,  a  été  transcrit  en  hiéroglyphes  par  mon  ami  Erman,  énumère  et  met  en  pré- 
sence ces  trois  sortes  de  possesseurs.  Le  scribe  royal  des  offrandes  Neferabu  se  trouvait 
investi  d'un  certain  nombre  d'aroures  de  terres,  dont  il  jouissait  avec  ses  frères,  et  que  le 
prophète  Unnofré,  chargé  de  percevoir  les  tributs  en  nature  du  temple  de  Maut,  énumère 
avec  grands  détails.  Cela  comprenait  des  terres  de  différentes  cultures  :  une  prairie  de 
16  aroures;  deux  domaines  de  56  aroures  ^/^  Vs  {ù.)>  ^  coudées  — »  Va!  trois  autres  de 
14  aroures  Vs  (l)  plu^  4  coudées  — »  et  demie  (l.);^  trois  autres  de  23  aroures  1/2  •  •  ■  • 
chacun.  Non-seulement  les  contenances  et  les  genres  de  culture  se  trouvent  indiquées,  mais 
aussi,  pour  chaque  tenance,  le  nom  de  celui  ou  de  celle  qui  la  tient  en  mains.  Or  par  ces 
indications  même  il  devient  évident  que  les  terres  assignées  à  des  tenanciers  restaient  attri- 

^  Je  viens  de  revoir  tous  ces  comptes  et  distingue  nettement  aujourd'hui  :  le  signe  ^  =  Va  du 
signe  ^  =  S"^  «  au  total  »  ;  le  signe  £_  =  '/a  du  signe  ^^  =  ^4-  H  faut  corriger  en  conséquence  texte 
et  traduction  donnés  dans  l'avant-propos  (où  l'on  trouvera  également  le  texte  d'Ameni). 


Notice,  etc.  79 

buées  à  ces  familles  de  génération  en  génération.  Les  enfants  héritaient  de  la  tenance  de 
leurs  pères,  qui  pouvait  ainsi  passer  à  des  femmes;  et  à  leur  tour  les  enfants  de  ces  femmes 
se  partageaient  les  tenances  de  leur  mère.  Souvent  la  transmission  se  faisait  du  vivant  des 
parents,  bien  que  ceux-ci  restassent  en  nom,  —  comme  ce  fut  toujours  la  coutume  en  Egypte 
et  comme  ce  l'était  à  Athènes  du  temps  de  l'orateur  Lysias.  —  C'est  ainsi  que  les  enfants  de 
la  femme  Mautbeura  tiennent  en  mains  pour  elle  le  domaine  inscrit  à  son  nom.  C'est  ainsi 
que  la  femme  Tamaut,  fille  de  Mautbenra,  a  reçu  en  partage,  —  probablement  cà  l'occasion  de 
son  mariage,  —  14  aroures  Vs  (i)  et  4  coudées  et  demie  1-2.)  s"r  ce  domaine,  qui  en  compre- 
nait antérieurement  10  \  V4  i'^)  P'us  dix  coudées  — ^  en  tout  (^)  et  qui,  maintenant,  — 
entre  les  mains  des  autres  enfants  de  Mautbenra  possédant  dans  rindiHsion,  —  ne  comprend 
plus  que  56  aroures  y  2  '/s  P'us  5  coudées  —,  et  demie  (^).  C'est  ainsi  que  les  trois  derniers 
des  domaines  énumérés,  ayant  chacun  une  contenance  de  23  aroures  Vg  .  .  .  .,  forment  par 
leur  ensemble  une  contenance  de  terre  égale  à  celle  qu'avait  primitivement  la  tenance  de 
Mautbenra.  Il  paraît  probable  que  c'étaient  les  parts  de  trois  neveux  et  nièces  de  Mautbenra 
qui  auront  perdu  leur  père  ou  leur  mère  les  rattachant  à  celle-ci  et  après  cette  mort  se  seront 
partagé  une  part  semblable  à  la  sienne  de  la  tenance  provenant  de  l'ancêtre  commun.  Ce 
n'est  pas  tout  :  la  femme  Anuaa,  nièce  de  Mautbenra,  qui  possède  en  son  propre  nom  une 
de  ces  trois  parts,  en  possède  une  autre  au  nom  d'un  villicus,  son  frère  et  son  mari  très 
probablement,  qui  la  lui  abandonne. 

Ainsi  de  même  que  les  parents  cédaient  de  leur  vivant  la  possession  à  leurs  enfants, 
de  même  les  maris  cédaient  la  possession  du  bien  à  leurs  épouses. 

Ce  sont  là  des  mœurs  que  dans  nos  papyrus  démotiques  nous  retrouvons  encore  en 
vigueur,  à  une  époque  beaucoup  plus  tardive;  et  un  papyrus  démotique  de  l'époque  ptolé- 
maïque,  rapproché  d'un  autre  papyrus,  celui-ci  hiératique  de  la  XIF  dynastie,  va  nous  per- 
mettre de  mieux  comprendre  le  fond  même  de  ce  procès. 

Disons  d'abord  que  dans  ce  procès  le  scribe  royal  des  offrandes  Neferabu,  compa- 
raissant devant  des  juges  tous  de  race  sacerdotale,  se  plaignait  à  eux  de  ce  qu'un  prophète, 
qui  agissait  au  nom  du  temple,  l'avait  fait  dépouiller  des  terres  du  domaine  sacré  dont  il 
jouissait  et  avait  saisi  sur  les  produits  de  ses  terres  la  part  qui  était  à  lui.  Le  prophète 
répond  que  Neferabu  était  en  retard  pour  verser  ce  qu'il  avait  à  donner  au  sanctuaire,  la 
quantité  de  grains  destinée  à  nourrir  les  prêtres. 

Il  y  avait  donc  dans  les  récoltes  faites  sur  ce  neter  hotep  un  prélèvement  double  à 
opérer.  Neferabu  se  faisait  payer  par  les  tenanciers  :  d'une  part  ce  qu'il  aurait  à  garder 
pour  lui;  et,  d'une  autre  part,  ce  qu'il  aurait  à  verser  lui-même  entre  les  mains  des  admi- 
nistrateurs du  temple.  Or,  le  papj'rus  démotique  Passalacqua,  nous  donnant  le  compte  des 
redevances  en  nature  que  divers  tenanciers  d'un  domaine  sacré,  d'un  neter  hotep,  auront  à 
pa^-er  entre  les  mains  de  celui  que  joue,  par  rapport  à  eux,  le  rôle  d'un  quasi-propriétaire, 
distingue  toujours  avec  soin  deux  redevances  :  dont  l'ime  se  monte  à  6  hekt  =  sa  ou  à 
9  hekt  =  sa  suivant  les  cultures,  —  c'est-à-dire  soit  à  une  artabe,  soit  à  une  artabe  et  demie 
de  blé  par  aroure,  —  et  dont  l'autre  est  dans  tous  les  cas  le  cinq  pour  cent  de  la  première. 
Le  cinq  pour  cent,  c'est  un  vingtième,  c'est  une  demi  dîme.  Or  un  document  hiératique 
dont  la  composition  remonte  à  la  XII"  dynastie  —  le  papyrus  mathématique  Rhind  publié 


80  Eugène  Revillout. 


par  M.  EisENLOHR,  nous  montre,  ainsi  que  nous  l'avons  établi  dans  un  autre  travail,  relative- 
ment aux  offrandes  proportionnelles  à  faire  au  temple  sur  les  céréales,  trois  proportions  : 
celle  d'un  vingtième,  comme  dans  le  papyrus  Passalacqua ;  i  celle  d'un  dixième,  ce  qui  cor- 
respond à  la  dîme,  à  Yesru  des  tablettes  chaldéennes;  celle  d'un  cinquième,  proportion  plus 
forte,  mais  qui  s'appliquait  probablement  quand  entre  le  temple  et  le  tenancier  il  n'y  avait 
pas  de  possesseur  intermédiaire.  Cette  proportion  d'un  cinquième  est  celle  que,  suivant  la 
Genèse,  le  roi  Hyksos  dont  Joseph  fut  ministre  aurait  exigée  en  Egypte  de  ceux  dont  il 
aurait  acheté  les  terres,  durant  la  famine,  et  qu'il  aurait  laissés  ensuite  en  possession  de 
leurs  domaines.  C'est  un  taux  que  nous  retrouvons  encore  à  l'époque  ptolémaïque  dans  des 
locations  faites  pour  l'année  entre  un  tenancier,  —  devenu  alors  le  véritable  propriétaire  de 
ce  qu'il  occupe  du  neter  hotep,  —  et  un  paysan  cultivant  pour  lui. 

De  ces  trois  taux,  il  nous  est  difficile  de  reconnaître  avec  précision  quel  était  celui 
qu'Hapidjefa  avait  en  vue  quand,  pour  s'assurer  entre  les  mains  de  son  prêtre  de  Ka  des 
offi'andes  sacrées  considérables,  il  avait  disposé  dans  sa  fondation,  comme  il  le  rappelle  à 
son  prêtre  de  ka,  d'une  quantité  d'aroures  de  terre  déterminée  et  des  paysans  qui  la  culti- 
vaient. Il  est  probable  que  ces  paysans  avaient  à  verser  pour  chaque  aroure  tant  de  mesures 
de  céréales,  uue  quantité  fixée  d'avance  et  toujours  la  même  quelle  que  fut  l'abondance  de 
la  récolte,  —  comme  les  cultivateurs  sont  tenus  à  le  faire  entre  les  mains  du  propriétaire 
dans  plusieurs  actes  de  location  de  l'époque  ptolémaïque.  On  pouvait  donc  calculer  d'avance 
la  proportion  qui  existerait  entre  ce  que  le  bénéficiaire  recevrait  comme  maître  du  champ 
et  ce  qu'il  aurait  à  faire  figurer  comme  divine  offrande.  On  se  rappelle  d'ailleurs  sans  doute 
que,  quand  Hapidjefa  assigne  aux  prêtres  dans  son  inscription  une  part  dans  les  revenus  en 
nature  provenant  des  terres  de  la  maison  du  prince,  cette  part  est  une  quantité  fixe  :  un 
heket  =  sa  de  blé  par  aroure  de  terre. 

Il  est  donc  probable  que  le  prince  lui-même  exigeait  de  ses  tenanciers  une  quantité 
fixe  de  céréales,  et  que  ce  système  —  comparable  à  notre  système  de  fermage  —  l'emportait 
à  Siut,  non-seulement  relativement  aux  7ieter  hotep,  mais  relativement  au  domaine  du  prince 
et  aux  domaines  des  seigneurs,  sur  le  système,  plus  compliqué,  du  métayage. 

A  l'époque  ptolémaïque  il  se  trouve  encore  en  effet  que  les  contrats  démotiques  de 
fermage  nous  sont  parvenus  plus  nombreux  que  les  contrats  de  métayage. 

Tout  le  monde  sait  combien  ancienne  est  la  XIF  dynastie,  qui  nous  fait  remonter 
beaucoup  plus  haut  que  le  temps  d'Abraham.  N'est-il  pas  très  intéressant  d'y  voir  déjà  des 
mœurs  et  des  institutions  que  nous  retrouverons  existantes  sous  les  Ptolémées,  quand  l'Egypte 
faisait  à  ce  point  de  vue  l'admiration  des  Grecs? 

La  principale  différence  entre  ces  deux  époques,  c'est  que,  dans  l'intervalle,  Bocchoris 
est  venu  par  son  code  ouvrir  l'ère  d'émancipation  des  tenanciers. 


'  Nous  avons  déjà  dit  plus  haut  que  dans  le  papyrus  Passalacqua  cette  proportion  d'un  vingtième 
était  calculée  d'après  la  redevance  payée  à  celui  qui  jouait  le  rôle  de  quasi-propriétaire,  redevance  variable 
suivant  la  nature  de  la  culture.  Pour  préciser  davantage,  ajoutons  que  les  cultures  pour  lesquelles  la  re- 
devance était  augmentée  d'une  moitié  en  plus,  se  trouvent  désignées  par  la  qualification  de  cultures  nou- 
velles. Ajoutons  aussi  que  d'autres  indications  fournies  dans  les  mêmes  comptes  tendraient  à  faire  penser 
que  ces  cultures  nouvelles  n'étaient  pas  du  blé,  mais  autre  chose.  Il  est  probable  qu'on  avait  permis  au 


Notice,  etc. 


B.  —  Epoque  qui  suivit  l'expulsion  des  Hyesos. 

Il  n'y  a  jamais  eu  de  pays  où  les  inscriptious  des  tombeaux  fussent  plus  instructives 
qu'en  Egypte. 

On  nous  objectera  peut-être  tout  le  parti  que  les  Eenier,  les  Mommsen  et  d'autres  en- 
core ont  su  tirer  de  cette  branche  de  l'épigraphie  en  ce  qui  touche  la  connaissance  des 
institutions  du  peuple  romain  et  la  carrière  administrative  des  fonctionnaires  de  son  gou- 
vernement. Mais  tout  cela  est  bien  peu  de  chose  par  rapport  aux  renseignements  que  nous 
fournissent  pour  l'Egypte  certaines  tombes  de  l'ancien  ou  du  nouvel  empire. 

En  effet,  la  pensée  maîtresse,  l'idée  dominante,  la  foi  profonde  de  l'Égyptien  était  que 
la  vie  sur  la  terre  est  la  préparation  d'une  vie  étemelle,  —  éternelle  du  moins  pour  ceux 
qui,  par  leur  conduite,  auront  mérité  de  s'unir  à  la  divinité  en  devenant  de  nouveaux  Osiris. 
Il  était  donc  tout  naturel  que  sur  les  parois  de  la  tombe  où  reposerait  la  momie  ou  rap- 
pelât la  vie  de  cet  homme  et  les  mérites  qui  lui  valaient  l'éternité  des  récompenses. 

C'était  un  exemple  pour  ses  proches,  pour  ceux  que  ramèneraient  à  la  tombe,  à  des 
époques  déterminées,  les  divers  services  familiaux  relatifs  au  culte  des  morts.  C'était,  pour 
ainsi  dire,  l'exposé  des  motifs  de  ce  culte  perpétuel  d'un  mort  divinisé. 

Ceux  donc  qui  avaient  occupé  des  situations  considérables  et  très  en  vue,  ceux-là  sur- 
tout avaient  sur  leurs  tombeaux  des  inscriptions  très  détaillées,  qui  les  représentaient  sous 
le  plus  beau  jour  dans  l'exercice  même  de  leurs  fonctions.  Les  rédacteurs  de  ces  inscriptions 
ne  se  bornaient  pas,  comme  chez  les  Romains,  à  une  froide  éuumératiou  des  titres  successifs 
et  des  divers  honneurs  par  lesquels  le  mort  avait  passé.  Ils  le  peignaient  en  vie,  exerçant 
son  office  et  y  manifestant  les  grandes  qualités  que  cet  office  demandait. 

Ce  n'est  point  le  ton  d'un  éloge  rétrospectif  fait  après  la  mort.  C'est  un  portrait  pris 
sur  le  vif,  —  un  vrai  portrait,  car  la  peinture  illustre  les  textes  hiéroglyphiques  dans  les 
scènes,  parfois  nombreuses,  qui  mettent  cet  homme  en  action,  comme  on  y  mettait  les  per- 
sonnages dans  un  drame  ou  un  poème  antique;  —  et,  vraiment,  la  grandeur  morale  attri- 
buée à  des  personnages  égyptiens  ainsi  représentés  nous  paraît  pouvoir  excuser  ce  rappel 
des  chefs-d'œuvre  grecs. 

Une  certaine  unité  de  temps,  parfois  regrettable,  je  l'avoue,  pour  la  curiosité  mo- 
derne, est  aussi  bien  la  règle  de  ces  compositions  que  celle  des  pièces  théâtrales  :  bien  que 
cette  règle  subisse  des  exceptions  dans  les  deux  cas,  Le  plus  souvent  on  choisit  dans  la 
vie  une  période  déterminée  et  on  n'en  sort  pas.  Toutes  les  scènes  ont  trait  à  cette  même 
période;  —  naturellement  celle  qui  fut  pour  le  mort  la  plus  honorable,  celle  dont  il  désire 
laisser  à  jamais  le  souvenir  dans  l'esprit  des  hommes.  On  procède  comme  dans  l'Odyssée 
et  dans  l'Enéïde,  sans  se  croire  obhgé  de  suivre  le  héros  dans  toutes  les  vicissitiKles  de 
son  existence. 


cultivateur  de  changer  la  nature  de  ses  récoltes  quand  il  le  trouvait  avantageux,  à  la  condition  de  payer 
alors  un  tribut  plus  fort.  Dans  le  procès  de  l'intendant  du  temple  d'Amon  Thoutmès  sous  la  XXI"  dy- 
nastie nous  voyons  qu'en  effet  on  incriminait  cet  intendant  au  sujet  des  cultures  nouvelles,  parce  qu'il 
n'aurait  pas  tenu  compte  du  changement  de  culture.  Nous  reviendrons  d'ailleurs  plus  loin  sur  ce  sujet. 

11 


82  Eugène  Revillout. 


Mais  ce  qui  constitue  le  liéros,  ce  n'est  pas  la  passion,  en  Egypte,  c'est  l'accomplisse- 
ment du  devoir.  De  là,  un  intérêt  de  tout  autre  nature,  moins  empoignant  pour  le  public, 
mais  très  vif  encore  pour  l'historien,  pour  le  juriste,  pour  le  philosophe. 

Un  tombeau  dont  les  inscriptions  ont  été  en  partie  respectées  par  le  temps,  celui  de 
Ee/mara,  nous  reporte  à  un  des  règnes  les  plus  glorieux  de  l'ancienne  Egypte. 

Bien  peu  de  temps  s'était  écoulé  depuis  le  moment  où  ce  pays,  soulevé  contre  les 
Hyksos  —  ces  étrangers  qui  l'avaient  conquis  et  l'avaient  possédé  pendant  plusieurs  siècles 
—  quand  Tboutmès  III,  menant  les  Egyptiens  à  la  conquête  de  tout  le  monde  civilisé,  fit 
ses  tributaires  des  rois  de  Ninive,  de  Babyloue,  etc.,  comme  des  petits  princes  de  l'Ethiopie, 
de  la  Lybie,  de  l'Arabie,  de  la  Phéuicie,  de  l'Asie  mineure,  des  îles  et  des  presqu'îles  mé- 
diterranéennes qui  devinrent  plus  tard  la  Grèce.  Ce  fut  probablement  sous  ce  grand  Tbout- 
mès III  que  mourut,  vieux  déjà  U  est  vrai,  le  capitaine  de  vaisseau  Ahmès,  compagnon  de 
son  père  dans  une  première  campagne  contre  les  Asiatiques,  mais  qui  avait  fait  son  appren- 
tissage du  métier  des  armes  à  Takami,  à  Avaris,  puis  à  Tenttaa  '  contre  les  Hyksos  même. 

'  Ahmès  l"  régnait  alors.  Ce  roi,  après  avoir  battu  les  Hyksos,  s'empara  de  leur  capitale  Avaris. 
Puis  il  prit  sur  les  Asiatiques,  qui  pouvaient  être  le  même  peuple,  la  ville  de  Sharhana  et  de  là,  remon- 
tant le  fleuve,  il  alla  faire  une  campagne  en  Nubie.  Aussitôt  ceux  que  le  texte  nomme  la  plaie  d'Egypte, 
et  que  Chabas  a  assimilés  avec  raison  avec  les  Hyksos,  reprenant  l'offensive,  marchèrent  vers  le  sud,  en- 
vahirent de  nouveau  le  Delta,  s'emparèrent  de  Keman.  Le  roi  redescendit  le  Nil  à  la  hâte  et  quand  il  les 
eut  vaincus  sm-  le  fleuve  à  Tent-ta-a  (serait-ce  la  Tanta  actuelle,  pas  très  loin  du  Caire?),  il  fut  si  heu- 
reux de  cette  victoire  qu'il  accorda  à  chacun  de  ses  marins,  y  compris  Ahmès,  non-seulement  des  esclaves 
et  des  décorations  comme  il  l'avait  fait  jusque-là,  mais  des  lots  de  terre  dans  leur  propre  nome.  Ahmès 
en  reçut  pom-  sa  part  cinq  aroures. 


''u'^^'W^MZTJn 


^^—^^fn^fl^Hi 


«Il  me  fut  donné  cinq  têtes  d'esclaves  pour  ma  part  et  cinq  aroures  dans  mon  pays.  Cela  fut  fait 
à  toute  la  compagnie  des  marins  d'une  manière  semblable.» 

Après  cette  victoire  navale  il  f;illut  li\Ter  bataille  au  roi  de  ces  ennemis,  roi  qui  portait  un  nom 
complètement  égyptien      [1  .^&-  Teta-an,  qui  rappelait  des  souvenirs  de  l'ancien  empire,  et  quand  la 

Victoire  fut  restée  aux  Egj-ptiens  de  race  qui  massacrèrent,  suivant  ce  récit,  Teta-an  et  tous  ses  serviteurs, 
le  roi  Ahmès  fit  une  nouvelle  distribution  de  terres,  dans  laquelle  notre  Ahmès  reçut  encore  cinq  autres 
aroures. 

Ce  ne  fut  que  plus  tard,   sous  Aménophis  I^',   qu' Ahmès  devint  Q^     ?^^^  ^ a  aaa~w  f  ^,  mot 

que  paraît  traduire  du  temps  des  Ptolémées  le  titre  grec  ato|i.aT:o!puXaÇ;  plus  tard  encore,  sous  Thoutmès  I", 
qu'il  fut  promu  à  la  dignité  de    '^    i;==q  \^  0  0  y^^  'i  chef  de  marins.  Bien  entendu,  ses  possessions 

territoriales  furent  accrues  proportionnellement  à  ses  titres.  Nous  n'en  connaissons  pas  avec  certitude  le 
montant  exact,  car  le  texte  est  interrompu  par  une  lacune  entre  deux  indications  de  lieux,  et  les  60  aroures, 
dont  il  est  question  dans  ce  passage,  paraissent  ne  se  rapporter  qu'à  im  de  ces  lieux.  On  se  rappelle  qu'au 
commencement  de  la  domination  Lagide  les  officiers  d'un  certain  rang  dans  l'armée  conquérante  devinrent 
Hecatontaroures,  c'est-à-dire  possessem-s  de  cent  aroures  de  terre,  tandis  que  les  simples  soldats,  alors  qu'on 
leur  assignait  des  ten-es  et  qu'ils  devenaient  ainsi  cléroukhes,  n'en  recevaient  que  des  parts  bien  moindres. 

Nous  remarquerons  que  les  lots  de  terre  distribués  individuellement  à  tous  les  soldats  qui  avaient 
pris  part  à  une  campagne  déterminée  paraissent  la  caractéristique  d'une  période  de  conquête  eflfectuée  en 
Egypte  même  sur  des  étrangers  qui  l'occupaient.  En  effet,  du  temps  de  Thoutmès  III  toute  l'Egypte  étant 
reconquise,  les  soldats  qui,  comme  Amen-em-heb,  contribuaient  aux  plus  grandes  victoires  ne  recevaient 
plus  leur  récompense  en  lots  de  terre,  mais  seulement  en  décorations  et  en  esclaves.  Dans  les  conquêtes 
étrangères,  en  eô'et,  le  roi  d'Egypte  Thoutmès  III  procéda  comme  le  firent  plus  tard  les  Romains.  Il 


Notice,  etc.  83 

Ahmès  était  ué  d'un  des  compagnons,  et  durant  la  vie,  de  Easkeneu,  ce  clief  de  révoltés 
qui  avait  pris  le  premier  le  titre  de  roi  national  et  qui  fut  tué  en  bataille  rangée  contre 
ces  Hyksos.  On  voit  combien  avait  été  rapide,  au  point  de  vue  des  forces  et  de  la  gloire 
militaires,  le  relèvement  de  l'Egypte.  Mais  cela  ne  s'était  pas  fait  sans  qu'au  point  de  vue 
de  l'organisation  administrative  de  ce  pays,  enfin  délivré  d'une  domination  étrangère,  on 
eût  réalisé  des  progrès  parallèles. 

Re/mara,  dont  le  tombeau  est  le  sujet  de  ce  chapitre,  fut  le  ministre  principal  de 
Thoutmès  III;  et  les  inscriptions  de  ce  tombeau  nous  montrent  les  institutions  égyptiennes 
fonctionnant  alors. 

Ces  inscriptions,  dont  une  partie  avait  été  publiée  déjà  par  Champollion,  Lepsius,  Hop- 
KDJS,  etc.  ont  été  pour  le  plus  grand  nombre  données  dans  un  ouvrage  spécial  de  M.  Vieey. 
Malheureusement  M.  Virey,  qui  publiait  pour  la  première  fois  la  plus  importante,  n'y  a  rien 
compris,  ayant  voulu,  préoccupé  qu'il  était  par  une  théorie  de  M.  Maspero,  la  lire  à  rebours. 

Disons  qu'il  s'y  trouvait,  pour  ainsi  dire,  forcé  pour  pouvoir  aussi  décrire  à  rebours  la 
suite  des  scènes  et  des  textes  de  la  tombe  sur  toute  une  moitié  de  son  étendue  et  paraître 
ainsi  confirmer  la  susdite  théorie  de  M.  Maspero. 

En  réalité,  la  disposition  de  cette  tombe  était  très  simple. 

Deux  salles  se  suivent  :  l'une  plus  large,  l'autre  plus  longue,  constituant  par  leur 
réunion  une  sorte  de  T.  Cette  disposition  en  T  n'existe  pas  toujours;  mais  les  deux  salles 
se  trouvent  toujours  représentées,  depuis  l'aucien  empire,  dans  les  tombeaux  complets.  Mon 
ancien  élève  et  cher  ami  Schiaparelli  a  beaucoup  insisté  sur  ce  point  dans  l'ouvrage  où 
il  a  publié  et  commenté  le  Rituel  des  funérailles. 

La  première  des  salles  d'une  tombe  porte  vulgairement  en  égyptien  le  nom  de  hat  sih 
«salle  de  réunion».  C'est  une  salle  pour  ainsi  dire  publique,  ouverte  à  tous  ceux  qui  s'y 
réunissent  pour  les  cérémonies  funèbres.  La  seconde  salle  porte  le  nom  de  hat  nouh  «salle 
d'or»,  le  même  nom  qui  dans  la  stèle  d'Harris  désigne,  pour  le  temple  de  Memphis,  le  lieu 
mystérieux  où  fut  sacré  le  roi.  C'est  donc  une  salle  mystérieuse  et  sacrée,  comme,  d'ailleurs, 

envoya  dans  les  pays  conquis  ses  agents,  ses  ret,  comparables  aux  procureurs  de  César  dans  les  provinces 
de  l'empereur  qui  étaient  chargés  de  percevoir  les  tributs,  les  vectigalia  de  cette  terre  considérée  comme 
appartenant  au  souverain.  Voici,  par  exemple,  ce  qui  est  dit  au  sujet  du  territoire  de  Mageddo  dans  une 
des  inscriptions  de  Thoutmès  III,  où  les  réquisitions  de  guerre  sont  distinguées  avec  soin  des  contribu- 
tions régulières  exigées  du  pays  conquis,  des  vectigalia  : 


c^  -CS>- 


I  "^^^^  riv~i   „,û  <c3>r-Yn    ,,0 
I    I    I  ^^  i    I    1 1  '•'  I  ^^  I    I    I 


«Voici  que  les  champs  parmi  ces  terres  furent  estimés  par  les  agents  (retu)  de  la  maison  du  roi  — 
à  qui  vie,  santé,  force!  —  pour  prendre  en  mains  leurs  vectigalia.  Connaissance  des  vectigalia  apportés  à  sa 
Majesté  des  champs  de  Mageddo  en  blé  208,  400  hoiep  (-Çl),  de  4  apé  1  .•"'^  ou  /'"*~'l  en  dehors  de  ce 
qui  a  été  coupé  en  prise  (en  réquisition  de  guerre)  par  les  courriers  (fourriers)  des  troupes  de  sa  Majesté.  » 

Reste  à  savoir  si  ce  plan  même  ne  rentre  pas  encore  dans  l'œuvre  du  grand  ministre  de  Thout- 
mès III,  Kex^mara,  dont  le  tombeau  est  le  sujet  de  ce  chapitre. 

11* 


84  Eugène  Revillout. 


nous  l'indique  formellement  le  rituel  de  Schiapaeelli,  eu  nous  apprenant  que  c'est-là  que 
doivent  s'accomplir,  lors  des  funérailles,  les  rites  sacrés  formant  pour  ainsi  dire  la  canoni- 
sation du  mort. 

Très  souvent  il  n'y  a  d'inscriptions  relatives  à  la  vie  que  dans  la  première  salle,  la 
salle  publique;  tandis  que  la  seconde,  où  repose  la  momie,  ne  présente  que  des  murs  nus. 

Dans  le  tombeau  de  Re/,inara  il  n'en  est  pas  ainsi.  Non-seulement  toute  la  première 
salle,  mais  toute  la  première  moitié  de  la  seconde  salle  se  trouvent  couvertes  de  tableaux 
et  de  textes  dépeignant  des  scènes  de  la  vie  officielle  de  ce  grand  ministre. 

Il  est  vrai  que  dans  la  seconde  salle,  particulièrement  religieuse,  ces  scènes  sont  sur- 
tout relatives  à  ce  qu'il  a  fait  pour  les  dieux,  pour  leurs  sanctuaires,  leur  neterhotep  et  leurs 
redevances  sacrées. 

Dans  la  seconde  partie  de  cette  salle,  de  ce  hat  noub,  les  scènes  figurées  sont  toutes 
relatives  aux  funérailles,  à  la  consécration  de  la  statue  du  mort,  à  sa  déification  et  à  son 
culte.  Tout  à  fait  au  fond  de  la  salle,  dans  une  sorte  de  couloir  aboutissant  à  une  fausse 
porte,  —  qui  est  censée  représenter  la  porte  de  l'éternité,  —  le  ministre  canonisé  est  figuré 
recevant  ce  culte,  sous  forme  d'offrandes  semblables  à  celles  qui  sont  faites  aux  dieux  dans 
les  temples. 

Pour  nous  résumer,  dans  la  première  salle,  comme  dans  la  seconde,  le  parallélisme  est 
complet  entre  les  parois  de  droite  et  celles  de  gauclie;  et,  d'un  côté  comme  de  l'autre, 
depuis  la  porte  extérieure  jusqu'à  la  porte  qui  sépare  ces  salles  on  ne  voit  figurer  dans  la 
première  salle  que  des  scènes  de  la  vie  terrestre.  De  même  encore,  après  avoir  franchi  la 
porte  de  séparation,  —  sur  les  deux  côtés  de  laquelle  se  trouvent  parallèlement  inscrites 
certaines  formules  religieuses,  —  on  voit  encore  d'autres  scènes  relatives  à  la  vie  terrestre 
se  continuer,  de  part  et  d'autre,  jusque  vers  le  milieu  :  pour  faire  place  depuis  là  a^ux  scènes 
qui  ont  suivi  la  mort  et  qui  ont  conduit  au  culte  éternel,  figuré  tout  à  fait  au  fond. 

AI.  ViREY,  lui,  a  rompu  complètement  ce  parallélisme.  Il  a  supposé  qu'on  devait  pro- 
céder comme  dans  une  exposition  de  tableaux  à  vendre  en  commençant  par  un  des  côtés 
de  la  porte  extérieure  et  suivant  de  paroi  en  paroi,  sans  faire  de  distinction  de  salles,  pour 
se  retrouver,  sans  avoir  perdu  de  temps,  à  l'autre  côté  de  cette  porte  après  avoir  tout  vu. 

Il  a  commencé  par  le  côté  gauche.  Il  aurait  pu  tout  aussi  bien  commencer  par  le  côté 
droit;  car  il  eût  ainsi  évité  de  faire  décorer  Ee/mara  par  le  roi  Thoutmès  dans  une  auti-e 
vie  et  de  rejeter  à  cette  autre  vie  tant  le  mariage  que  la  naissance  de  tous  les  enfants, 
soigneusement  nommés,  de  ce  grand  ministre,  etc.  —  tout  cela  parce  que  la  théorie  de 
M.  Maspero  consiste  à  assimiler  pleinement  la  vie  terrestre  à  l'autre  vie.' 

'  Le  grand  argument  de  M.  Maspero  pour  cette  tliéorie,  contraire  à  toutes  les  idées  de  notre  maître 
commun  M.  de  Rougé,  c'est  que  pour  les  morts  divinisés  devenus  de  nouveaux  Osiris,  comme  pour  les 
divers  dieux  du  Pantliéon,  il  est  souvent  dans  les  inscriptions  question  d'offrandes  de  pains,  de  bière,  de 
cuisses  de  bœufs  et  d'oies  en  quantités  énormes.  C'est  pour  les  nourrir,  pense  M.  Maspero.  Mais  alors  c'est 
pour  nourrir  aussi  le  bœuf  Apis  mort  qu'on  lui  offre  également  des  cuisses  de  bœufs  dans  les  stèles  du 
Sérapéum,  actuellement  au  Louvre?  Pense-t-on  qu'une  telle  nourriture  aurait  convenu  au  bœuf  de  son 
vivant,  et  qu'il  n'aurait  pas  préféré  des  milliers  de  bottes  de  foin  à  des  milliers  de  cuisses  de  bœufs?  En 
réalité,  les  pains  et  la  viande  offerts  aux  morts  divinisés,  hommes  ou  bœufs,  comme  ceux  qui  sont  offerts 
aux  dieux  proprement  dits,  sont  pleinement  comparables  aux  pains  de  propitiation  et  aux  holocaustes  des 
anciens  juifs.  Ce  sont  des  sacrifices  ritualistiques  et  non  une  nourriture.  On  sait  même  qu'il  y  avait  hérésie 


Notice,  etc.  85 

Reveuons-en  aux  inscriptions  se  rapportant  à  la  vie  terrestre  de  Re/mara  et  nous  le 
montrant  en  action. 

Xous  vous  avons  déjà  dit  que  Ee/mara  était  le  principal  ministre  d'un  grand  conqué- 
rant, du  roi  Thoutmès  III,  que  ses  expéditions  guerrières  conduisaient  souvent  bien  loin  de 
l'Egypte.  En  pareil  cas,  c'était  le  ministre  qui  devait  remplacer  le  roi.  C'était  son  homme 
de  contiance,  jouant  ainsi  l'office  de  régent  lors  de  ses  absences  et  prenant  encore  une  part 
très  active  au  gouvernement  quand  il  était  là.  Les  préfets  du  prétoire  des  empereurs  ro- 
mains jouaient  un  rôle  très  analogue. 

Mais  dans  l'empire  romain,  tel  que  l'organisèrent  les  empereurs  de  race  phénicienne, 
le  préfet  du  prétoire  avait  presque  un  égal  dans  le  préfet  de  la  ville. 

Au  préfet  de  la  \-ille  revenait  la  direction  de  toute  la  justice  criminelle,  comme  au 
préfet  du  prétoire  celle  de  toute  la  justice  civile,  quand  l'empereur  ne  se  la  réservait  pas. 

Le  préfet  de  la  ville  était  en  outi-e  le  souverain  juge  des  banquiers,  des  changeurs, 
de  tout  le  commerce  et  de  tous  les  hommes  de  métier.  Il  présidait  aux  approvisionnements, 
fixait  les  prix  de  vente,  avait  sous  ses  ordres  tous  les  services  de  la  police.  C'était  un  très 
gros  personnage. 

Notre  ministre  de  Thoutmès  a  pour  premier  titre  celui  de  préfet  de  la  ville,  titre  par 
lui-même  assez  vague,  car  il  pourrait  également  s'appliquer  à  tout  préfet,  à  tout  chef  d'une 
ville.  Mais  on  y  joint  un  second  titre,  celui  de  Dja,  —  sans  correspondant  bien  exact  dans 
notre  langue,  —  qui  en  fait  plus  que  l'équivalent  du  préfet  de  la  ville  chez  les  Romains; 
car  ses  fonctions  comprennent  également  celle  d'un  préfet  du  prétoire. 

A  gauche  de  la  porte  d'entrée,  sur  la  première  paroi  de  la  première  salle,  paroi  qui 
fait  suite  à  la  porte,  Re/.mara  était  iîguré  assis  sur  un  siège  d'apparat  en  face  de  scènes 
qui  se  suivaient  dans  deux  tableaux  successifs,  séparés  l'un  de  l'autre  par  la  figuration  d'une 
cloison  ou  d'une  colonne. 

Des  deux  côtés  sont  inscrits  les  textes  illustrés  par  ces  deux  tableaux.  L'un  de  ces 
tableaux  montrait  des  plaideurs  avec  des  rouleaux  de  papyrus,  etc.  L'inscription  la  plus 
proche,  relative  aux  fonctions  judiciaires  de  Rc/mara,  n'a  pas  été  trop  mal  comprise,  pour 
l'ensemble,   par  M.  VraEy.   Mais  je  crois  bon  d'y  préciser  certains  détails.   La  voici  donc  :^ 

à  changer  quoi  que  ce  fût  à  ces  prescriptions  ritualistiques   et  que  les  tempesi  éthiopiens  paj"érent  cette 
erreur  de  leur  tête. 

Nous  avons  dit  «les  morts  divinisés,  hommes  ou  bœufs».  En  eflfet,  à  la  différence  des  autres  ani- 
maux sacrés,  les  bœufs  sacrés  —  par  e.xemple  le  bœuf  Apis  du  Sérapéum  de  llemphis,  quoiqu'il  y  fut 
honoré  comme  seconde  vie  de  Ptah  pendant  qu'il  vivait  —  étaient  pleinement  assimilés  à  des  hommes  après 
leur  mort,  puisqu'ils  devenaient  alors  de  nouveaux  Osiris  comme  les  hommes  canonisés.  Au  contraire,  les 
ibis  sacrés,  les  chats  sacrés,  etc.  représentaient  toujours  après  leur  mort  les  dieux  qu'ils  avaient  représenté 
durant  leur  vie. 


I     \       l  LLk 


86  Eugène  Revillout. 


«Il  siège  pour  écouter  les  requêtes  daus  la  salle  du  Dja  (nous  ue  traduisons  pas  ce  mot 
dja,  qu'on  a  traduit  tantôt  par  comte,  tantôt  par  gouverneur,  tantôt  par  stratège  et  qui, 
comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  forme  la  partie  caractéristique  des  titres  officiels  de  Re/mara) 
le  grand  prince,  royal  ministre,  un  des  compagnons  roj'aux  (tojv  ticotwv  ç'./.wv  comme  on 
aurait  dit  sous  les  Ptolémèes,  tandis  que  sous  l'empire  romain,  comme  daus  l'ancienne  Egypte, 
ou  avait  pris  le  mot  de  compagnon,  cornes,  pour  rendre  à  peu  près  la  même  idée),  aimé  du 
dieu  (c'est-à-dire  du  roi);  mis  à  la  tête  des  chambres  de  Yurt  (conseil  de  justice)  —  pour 
mettre  la  ti"anquillité  dans  le  paj's  entier;  étendant  le  sceptre  /^''^  (symbole  de  la  puissance) 
sur  toute  shenfi  (c'est-à-dire  sur  tout  Egyptien  portant  la  shenti,  costume  national);  jugeant 
la  vérité  sans  faire  accueil  (mot-à-mot  :  sans  faire  face)  aux  dons,  aux  démarches,  aux 
offrandes;  jugeant  le  malheureux,  ainsi  que  le  puissant;  ne  laissant  pas  pleurer  celui  qui 
lui  fait  requête;  remplissant  le  cœur  du  roi;  le  premier  des  deux  pays;  sar  à  la  tête  des 
connaissements  de  tous  les  compagnons  (les  comités,  les  comtes)  allant  chez  le  souverain; 
dans  le  cœur  de  l'habitant  du  palais;  préposé  aux  secrets  (^)  de  la  maison  royale;  préposé 
aux  .  .  .  .;  le  premier  juge  de  la  porte;  prophète  de  la  vérité;  le  préfet  de  la  ville,  Dja  : 
Re/mara,  le  véridique,  enfanté  par  Bâta,  la  véridique  tille  du  prêtre  d'Amon  Nofré-uben,  et 
engendré  par  le  préfet  de  la  ville  Aatutu.  » 

Vous  avez  remarqué  sans  doute  qu'ici  les  fonctions  de  Re/.mara  sont  absolument  celles 
du  préfet  du  prétoire,  puisqu'il  avait  à  présider  d'une  part  à  ce  que  les  Romains  du  bas- 
empire  appelaient  l'auditorium,  c'est-à-dire  au  lieu  où  se  jugeaient  en  conseil  les  affaires 
privées  en  dernier  ressort,  et,  d'une  autre  part,  à  ce  qu'on  appelait  le  consistorium,  c'est-à- 
dire  au  lieu  où  les  comités,  les  compagnons  du  souverain,  délibéraient  sur  les  affaires  d'état. 

Le  préfet  du  prétoire  à  Rome  devait  d'ailleurs  être,  lui  aussi,  l'homme  de  confiance 
du  souverain.  C'est  ce  que  dit  nettement  le  texte  du  Digeste  relatif  à  cette  dignité  en  ex- 
posant les  motifs  par  lesquels  on  a  supprimé  tout  appel  à  l'empereur  pour  les  décisions  que 
ce  magistrat  aurait  rendues.  «  Le  prince,  en  effet,  y  est-il  dit,  a  pensé  que  ceux  qui,  à  cause 
de  leur  mérite  singulier,  leur  fideUté  éprouvée  comme  leur  gravité,  sont  élevés  à  la  gran- 
deur de  cet  office,  ne  jugeraient  pas  autrement,  dans  la  sagesse  et  dans  les  lumières  de 
leur  dignité,  qu'il  aurait  à  juger  lui-même.  » 

Peut-être  le  nom  de  Re/.mara,  dont  le  sens  est  «savant  comme  le  dieu  Ra»  — 
comme  ce  dieu  suprême  auquel  les  rois  s'assimilaient  —  a-t-il  été  donné  un  jour  par  Thout- 
mès  à  son  favori,  au  lieu  d'être  celui  qu'on  lui  aurait  attribué  peu  de  jours  après  la  nais- 
sance —  le  jour  de  la  dation  du  nom. 

Sur  la  paroi  en  face  un  texte  mutilé,  et  que  M.  Virey  n'a  pas  essayé  de  com- 
prendre, est  également  relatif  aux  fonctions  judiciaires  de  Re/.mara,  qu'on  compare  à 
ce  point  de  vue  à  son  père  Aatutu,  son  prédécesseur  dans  les  fonctions  de  préfet  de  la 
ville  Dja. 


Notice,  etc. 


87 


Après  deux  lignes  très  mutilées  commençant  par  les  mots  :  il  est  le  premier,  le  maître 
du  hat  (salle,  chambre  ou  palais),  je  déchiffre,  au  milieu  des  lacunes  :* 

3.  «  Il  est  en  face  (à  mettre  en  parallèle)  de  son  père,  le  préfet  de  la  ville  Dja,  Aatutu. 

4.  «Tous  les  gens  habitant  les  campagnes,  il  les  protège 

5.  «(Il  décide)  pour  eux  la  totalité  des  affaires,  comme  les  cœurs  aiment  .... 

6.  «(Il  donne)  la  vraie  justice  à  tous  les  hommes,  d'abord,  ce  Dja!  à  la  totalité  des  êtres 
et  des  personnes; 

7.  «il  les  (juge)  avec  l'équité  d'un  dieu  principal. 

«En  mettant  les  paroles  par  écrit,   le  Sar  (le  fonctionnaire  qui,  d'après  les  textes  que 
nous  allons  bientôt  voir,  était  chargé  de  lui  faire  rapport  sur  les  affaires)  —  (doit  écarter) 


'  Voici  le  texte  liiéroglyphique  : 

0  III  jMft  ^r^^vVg.   wm.{\^=^^-m 


Eugène  Revillout. 


8.  «  toute  parole  mensongère  qui  s'est  produite.  Lui  (il  ne  vent  que)  la  vérité  :  (ce  qu'il  reçoit) 

9.  «  est  vérité  en  totalité.  Subit  sa  crainte  toute  personne  qui  fait  des  actions  perverses, 
car  il  connaît  les  hommes  (et  il  a  dit  :) 

10.  «Ne  faites  pas  l'injustice,  à  personne,  car  l'injustice  fait  frapper  (ou  fait  écarte- 
meut)  sur  celui  (qui  l'a  faite). 

11.  «Voilà  ce  qu'il  a  dit.  Et  comme  il  parle  ...  il  agit.  ...  (Il  dit  au) 

12.  «««?•  de  faire  de  même  quand  il  est  en  dehors  de  lui,   séjoiu'nant  dans  la  .  .  .  ". 

13.  «C'est  un  dieu  qui  agit  (par  lui).  L'impureté  est  châtiée.  (Les  opprimés), 

14.  «il  examine  les  requêtes  de  tous  ceux  d'entre  eux  qui  le  supplient,  avec  la  justice 
qui  (est  dans  sou  cœur). 

15.  «  Quand  dit  un  d'eux  parole  au  dja,  est  accueillie  cette  parole  de  l'opprimé 

16.  «mieux  que  la  flatterie.  Vérité  est  totalité  des  décisions  prises  par  ce  dja 

17.  »(et  il  a  prescrit)  au  sar  (d'être  équitable)  pour  le  connu  et  l'inconnu,  dans  ses 
actes,  en  totalité  (de  temps)  et  de  lieu. 

18.  « ....  Il  a  ordonné  cet  ordre,  en  disant » 

Ce  ne  sont  pas  d'ailleurs  les  seuls  textes  de  la  première  salle  dans  lesquelles  il  soit 
question  des  fonctions  judiciaires  de  Eeymara.  Dans  une  inscription,  parallèle  à  celle  que 
nous  avons  d'abord  donnée,  située  de  l'autre  côté  de  la  porte  d'entrée,  sur  la  paroi  même 
qui  fait  suite  à  cette  porte,  ces  fonctions  judiciaires  occupent  également  une  large  place. 

Il  y  est  représenté  jugeant  le  faible  et  le  puissant,  se  manifestant  par  des  pacifica- 
tions, le  préfet  de  la  ville,  le  dja,  présidant  aux  chambres  de  Vurt  (à  l'auditorium). 

Sur  la  paroi  qui  de  ce  même  côté  droit  de  la  première  chambre  était  vis-à-vis,  toutes 
les  inscriptions  ayant  complètement  disparu,  suivant  M.  Virey,  rien  ne  prouve  qu'il  y  figu- 
rait de  nouvelles  allusions  au  rôle  de  Re/mara  semblable  au  rôle  d'un  préfet  du  prétoire. 
Mais  cela  nous  paraît  probable. 

Revenons-en  au  côté  gauche  de  cette  première  salle  et  aux  tableaux  qui  se  trouvent  à 
gauche  de  la  porte  d'entrée,  tableaux  dont  vient  de  nous  éloigner  une  longue  digression. 

Nous  vous  avons  dit  que  dans  ces  tableaux,  en  face  de  Re/mara  assis,  ou  avait  peint 
deux  groupes  de  scènes,  séparés  l'un  de  l'autre  par  un  motif  architectural.  Les  textes  que 
nous  venons  de  vous  citer  expliquent  et  commentent  les  scènes  du  premier  de  ces  groupes. 
Le  long  texte,  que  M.  Virey  a  voulu  traduire  à  rebours,  se  rattache  au  second  de  ces  groupes, 
où  sont  figurés  notamment  des  gens  de  la  campagne  portant  dans  leurs  mains  et  présentant 
des  végétaux,  produits  de  leurs  terres. 

Comme  le  préfet  de  la  ville  de  Rome  sous  le  Bas  empire,  le  dja  Re/mara,  préfet  de 
la  ville  sous  Thoutmès,  avait  en  effet  sous  sa  direction  tout  ce  qui  concernait  l'alimentation  : 
mais  non  plus  seulement  d'une  ville,  représentant  à  elle  seule  l'Etat.  En  Egypte  l'Etat,  c'était 
toute  l'étendue  de  la  terre  baignée  par  le  Nil.  La  nationalité  égyptienne  n'était  pas  une  na- 
tionalité citadine,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi.  Dans  son  unité  rentraient  deux  royaumes  :  le 
royaume  du  nord  et  le  royaume  du  midi.  Au  lieu  de  s'inquiéter  seulement  d'alimenter  la 
plèbe  d'une  seule  capitale,  il  fallait  donc  se  préoccuper  des  besoins  de  tous  les  habitants  de 
ces  deux  royaumes  :  et  naturellement  le  rôle  du  dja  préfet  de  la  ville  se  trouvait  par  là 
considérablement  agrandi. 


Notice,  etc.  89 

J'ai  déjà  souvent  insisté  sur  les  conditions  toutes  particulières  de  l'agriculture  en  Egypte  : 
sur  l'intervention  nécessaire  du  gouvernement,  à  tout  instant,  —  pour  entretenir  les  canaux  et 
les  réservoirs  chargés  de  distribuer  l'eau  fécondante;  les  levées  de  terre  et  les  digues  proté- 
geant les  terrains  qui  eussent  autrement  souffert  d'une  inondation  dévastatrice,  etc.  —  :  inter- 
vention qui  justifiait,  plus  que  partout  ailleurs  peut-être,  un  régime  assez  analogue  à  ce  que 
quelques-uns  réclament  aujourd'hui  sous  le  nom  de  socialisme  d'État. 

Comme  actuellement  encore  dans  certaines  communes  rurales  de  la  Russie,  ou  procédait 
à  un  lotissement  pour  le  partage  de  la  culture  :  et  ce  lotissement  n'avait  rien  d'absolument 
définitif.  En  effet,  pour  qu'il  fût  possible  de  faire  produire  au  sol  tout  ce  qu'il  pouvait  pro- 
duire, il  fallait  que  chacun  reçût  suivant  ses  forces  et  qu'on  pût,  au  besoin,  tenir  compte 
du  changement  qui  s'était  produit,  par  le  cours  des  choses,  dans  les  familles. 

Les  décisions  de  cette  sorte  n'avaient  pas  moins  de  gravité  que  les  décisions  judiciaires; 
et  chargé  du  service  des  subsistances,  chargé  par  cela  même  de  l'administration  supérieure 
de  la  terre  du  roi,  le  dja,  en  cette  qualité,  dans  son  palais  de  dja,  dans  sa  salle  d'audience, 
avait  à  recevoir  des  rapports,  beaucoup  plus  nombreux  encore  sans  doute  que  ceux  qu'à  titre 
de  grand  juge  il  recevait  dans  V auditorium. 

Ceux  qui  lui  faisaient  ces  rapports  étaient,  d'une  part,  les  scribes,  les  bureaucrates,  les 
gratte-papiers  chargés  de  tenir  les  archives.  C'étaient,  d'une  autre  part,  les  nobles,  ce  qu'on 
nommait  alors  les  sar,  les  fonctionnaires  du  service  actif,  qu'on  pouvait  charger  de  missions, 
comme  représentants  officiels  du  gouvernement,  qu'on  chargeait  de  suivre  les  enquêtes,  avec 
une  certaine  initiative,  comme  nos  juges  d'instruction  actuels  ou  nos  conseillers  rapporteurs. 
Nous  avons  déjà  vu  plus  haut  des  sar  faire  des  rapports  sur  des  affaires  judiciaires.  Nous 
allons  en  voir  à  présent  faire  des  rapports  sur  des  affaires  administratives. 

Le  titre  de  sar  s'appliquait  d'ailleurs  au  premier  ministre  lui-même,  comme  au  dernier 
des  fonctionnaires  de  cette  noblesse  administrative  qui  gouvernait  sous  le  roi  Thoutmès. 

A  une  autre  époque,  sous  les  Ramessides,  ceux  qui  gouvernaient  ne  se  targuèrent  pas 
d'être  des  sar,  des  hommes  nobles,  mais  d'être  des  scribes,  des  gens  instruits,  ayant  fait 
toutes  leurs  études  et  passé  tous  les  examens.  A  ce  moment  là  les  enfants  des  rois,  les  rois 
eux-mêmes  prenaient  le  costume,  tout  à  fait  spécial,  la  longue  robe  transparente  et  plissée, 
à  manches  bouffantes,  qui  distinguait  les  scribes  royaux,  les  premiers  des  scribes.  Bien  plus  : 
dans  une  stèle  du  Louvre,  Menephta,  fils  et  successeur  de  Sesostris,  prend  par  honneur  avant 
d'être  roi  ce  titre  de  scribe  royal.  Mais  sous  Thoutmès  on  en  était  encore  aux  traditions  de 
la  XIP  dynastie,  distinguant  surtout  la  classe  des  gens  nobles,  la  classe  des  sar,  qui  n'était 
pas  sans  analogie  avec  celle  des  leudes  sous  les  rois  francs. 

Venons-en  à  la  traduction  de  cette  inscription,  si  mal  comprise  par  M.  Virey,  la  plus 
importante  à  notre  point  de  vue  de  toutes  celles  de  ce  tombeau  :  non  seulement  parce 
qu'elle  est  de  beaucoup  la  plus  longue,  mais  parce  qu'elle  a  trait  à  l'histoire  de  l'agricul- 
ture en  Egypte,  sujet  spécial  de  nos  études  depuis  quelque  temps. 

Elle  débute,  comme  celle  qui,  de  l'autre  côté  des  mêmes  tableaux,  lui  fait  pendant, 
par  le  mot  hemsi  «il  est  assis,  il  siège»  —  mot  qui  dépeint  la  situation  de  Re/.mara  dans 
la  représentation  figurée. 

Pour  en  bien  comprendre  la  première  partie,   que  nous  allons  donner  d'abord,  il  faut 


90 


Eugène  Revillout. 


se  rappeler  combien  fut  grande  sous  les  Ptolémées  la  laxité  d'un  terme  employé  très  sou- 
vent, le  mot  Baii/axov.  Ce  mot  s'appliquait  également  bien  quand  il  s'agissait  des  magasins 
de  l'État,  du  ôr.caupoç,  ce  grenier  royal  où  l'on  faisait  entrer  les  redevances  en  nature  et 
dont  on  les  faisait  sortir  ensuite  pour  les  distribuer  aux  soldats,  aux  fonctionnaires  etc.,  que 
quand  il  s'agissait  de  la  Tpa^rs^a,  cette  caisse  royale  dans  laquelle  entraient  et  de  laquelle 
sortaient  les  sommes  d'argent  perçues  par  l'Etat,  et  il  s'appliquait  également  bien  au  domaine 
territorial  du  souverain,  quand  il  s'agissait  de  terrains  qui  en  étaient  sortis  pour  entrer 
dans  la  possession  de  cléroukhes  ou  qui,  cessant  d'appartenir  à  ces  cléroukhes,  y  étaient 
rentrés.  La  maison  du  roi,  la  cour,  le  domaine,  ce  que  signifient  en  égyptien  les  mots  sutenpa 
(traduit  par  ^ajtXixov  dans  le  décret  trilingue  de  Rosette),  youn  sou  synonyme  etc.  doit  être 
pris  du  temps  de  Thoutmès  dans  une  acception  non  moins  large;  et  comme  toute  mutation 
d'une  certaine  importance  dans  le  domaine  royal  devait  être  faite  sous  la  forme  la  plus 
officielle,  un  scellement  intervenait  pour  les  entrées  et  pour  les  sorties  de  cette  nature. 

Voici  maintenant  la  première  partie,  presque  sans  lacunes,  de  notre  texte. 

«Il  siège,  le  préfet  de  la  ville,  dja  de  la  ville  du  midi,  de  la  ville  royale,  pour  tout 
ce  qu'a  à  faire  un  sar  dja,  sur  son  trône,  dans  la  salle  du  dja.  ' 


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Notice,  etc.  91 

«n  siège  pour  les  ordres  de  sectionnement  à  faire  sur  le  sol.  Il  s'occupe  du  sol  di- 
visé. Il  partage  ce  sol  divisé  selon  la  volonté  de  son  cœur. 

«Le  sceptre  yerf  (symbole  de  la  puissance)  est  en  sa  main.  Il  se  fatigue  à  faire  le 
partage. 

«Devant  lui  est  le  grand  basilico-grammate  pour  les  deux  régions.  Devant  lui  est  le 
préfet  de  la  maison  royale.  A  sa  droite  est  le  gardien  de  l'entrée.  A  sa  gauche  sont  les 
scribes  du  dja. 

«L'un  fait  les  rapports  verbaux;  un  autre,  toutes  les  écritures  pour  ses  décisions;  tel 
autre  (mot  à  mot  :  un)  écoute  derrière  son  collègue,  ne  faisant  pas  la  (sourdel  oreille.  (Pour) 
parvenir  devant  le  chef  quand  il  {\t)  dit,  (prête  l'oreille)  tout  auditeur  faisant  affaire  de  son 
haut  pouvoir  par  ordre  du  gouvernem*. 

«  On  lui  fait  rapport  pour  sceller  le  scellement  des  maisons  pour  ceux-ci,  pour  les  ouvrir 
pour  ceux-là.  On  lui  fait  rapport  pour  les  affaires  de  la  maison  du  souverain  dans  le  midi 
et  dans  le  nord. 

«Quand  sort  toute  sortie  de  la  maison  du  roi,  on  lui  fait  rapport.  Quand  entre  toute 
entrée  à  la  maison  du  roi,  on  lui  fait  rapport.  Quand  il  y  a  entrée  quelconque,  sortie  quel- 
conque, des  terrains  du  domaine,  ils  gntrent,  ils  sortent  par  sa  décision.  En  ses  mains  sont 
l'entrée  et  la  sortie. 

«Lui  font  rapport  le  préposé  aux  hommes  des  ordres  et  le  préposé  aux  agents  du 
pouvoir,  pour  ces  choses. 

«Lui-même,  il  entre,  pour  éclairer  toute  affaire,  vers  (le  Pharaon)  —  à  lui  vie,  santé, 
force!  —  et  il  lui  fait  rapport,  sur  les  affaires  des  deux  pays,  dans  son  palais,  chaque  jour. 

«H  entre  vers  le  Pharaon,  devant  le  préposé  du  sceau.  Il  se  tient  debout  devant  ses 
collègues  alors  qu'il  vient,  lui,  le  dja,  traverser  le  portique  du  palais  pour  traiter  les  affaires 
de  Sa  Majesté;  alors  qu'il  pénètre  et  fait  rapport  en  disant  :  «Toutes  les  affaires  du  maître 
»du  pays  sont  en  bon  ordre. 

«M'a  fait  rapport  tout  compagnon  administrateur  en  disant  :  «Toutes  les  affaires  du 
»  maître  du  pays  sont  en  bon  ordre.  La  maison  du  roi  et  le  pays  sont  en  bon  ordre». 


n  D   (^inniffl-    Q  0(2 


92  Eugène  Revillout. 


«  Le  (gardien  des  écritures)  m'a  fait  rapport  en  disant  :  «  Les  biens  du  maître  du  pays 
sont  en  bon  ordre.    Lieu  quelconque  du  domaine  de  la  couronne  est  en  bon  ordre.» 

«M'a  fait  rapport  de  sceller  scellement  des  maisons  pour  quelques-uns,  de  les  ouvrir 
»  pour  quelques-uns,  tout  compagnon  administrateur.  » 

Arrêtons-nous  un  instant  sur  une  expression  que  nous  venons  de  rencontrer  deux  fois  : 
celle  de  compagnon  administrateur.  Le  mot  égyptien  n'est  plus  le  même  que  quand  il  s'a- 
gissait des  compagnons  du  roi,  des  coynites.  Il  y  a  la  même  différence  entre  les  deux  termes 
qu'entre  les  deux  termes  latins  cornes  et  socius,  que  la  pauvreté  de  notre  langue  amènerait 
à  traduire  tous  deux  par  compagnon. 

Les  compagnons  administrateurs  sont  ceux  que  le  chef  s'associe  dans  l'administration. 
Quand,  à  l'époque  ptolémaique,  ce  chef  avait  lui-même  pour  titre  celui  de  l'.v:/.r,rr^z,  c'est-à-dire 
d'administrateur  par  excellence,  quand  ce  diœcete  tenait  la  première  place  parmi  les  mi- 
nistres des  Ptolémées,  il  avait  au-dessous  de  lui  dans  les  diverses  parties  de  l'Egypte  des 
hypo-diœcetes  «  sous-administrateurs  »,  qui  étaient  les  exacts  coiTCspondants  des  compagnons 
administrateurs  du  règne  de  Thoutmès. 

Sous  les  Ptolémées  aucune  décision  un  peu  importante  n'était  prise  relativement  soit 
au  domaine  de  la  couronne,  soit  aux  revenus  de  l'Etat,  soit  à  ce  qui  faisait  entrer  quelque 
chose  dans  le  trésor,  soit  à  ce  qui  en  faisait  sortir  quelque  chose  —  en  dehors  des  prévi- 
sions antérieures,  de  ce  qu'on  pourrait  nommer  le  budget  —  sans  qu'un  rapport  fût  adressé 
au  diœcète  et  sans  une  décision  de  lui.  C'était  lui  qui  était  le  souverain  juge  des  agents 
de  l'administration,  qui  les  nommait,  qui  les  destituait.  C'était  à  lui  qu'on  devait  envoyer 
sous  bonne  garde,  <^i'.%  çuAaxY;ç,  les  fonctionnaires  en  faute,  pour  qu'il  les  punît  suivant  leurs 
méfaits.  Tout  ceci  se  trouve  longuement  expliqué  dans  les  circulaires  ministérielles,  actuelle- 
ment au  Louvre,  de  deux  diœcètes,  ministres  des  enûmts  d'Épiphane,  à  33  ans  de  distance 
l'un  de  l'autre. 

Eeprenons  la  suite  de  notre  morceau  ^  :  «  Alors,  après  qu'a  fait  rapport  chacun  en  la 
transmission  (des  pièces  de  l'affaire)  au  dja,  il  envoie  pour  ouviir  toute  porte  de  la  maison 
royale,  pour  faire  entrer  toute  entrée,  i^sortir)  toute  sortie  selon  son  ordre. 

«En  ses  mains  (tout)  est  par  écrit,  alors  qu'il  donne  puissance  à  un  sar  quelconque 
en  ce  qu'il  fait  dans  sa  salle. 


T  cm  à — D  Zl  A  (Zl  A  ^)   t^)    VA/    <=>      Q    _a^  i 


''-".ri.ks^flira 


Notice,  etc.  93 

«  Quand  il  y  a  faute  dans  les  aifaires  d'un  sar  (agissant)  dans  sa  salle,  alors  il  le  fait 
amener  à  \arrit  du  dja.  Il  châtie  (ou  il  écarte)  son  impureté. 

«Quand  il  donne  puissance  à  un  sar  quelconque,  quand  il  le  frappe,  (il  est  toujours 
juste).  » 

Jusqu'ici  la  ressemblance  est  parfaite  entre  la  manière  d'administrer  de  Keymara  et 
celle  des  diœcètes  de  l'époque  ptolémaïque.  Mais  nous  allons  avoir  à  constater  une  diffé- 
rence importante.  En  effet,  à  côté  des  fonctionnaires  permanents,  sédentaires,  installés  dans 
leurs  bureaux,  dans  leurs  salles,  d'où  ils  traitent  les  affaires  locales,  le  grand  ministre  de 
Tlioutmès  se  servait  d'autres  fonctionnaires  envoyés  en  mission  spéciale  et  jouant  le  rôle  de 
ce  qu'en  Europe  on  nomma  les  missi  dominici  sous  Charlemagne.  Comme  premier  ministre 
Rexmara  avait  sous  ses  ordres  directs,  sous  sa  main,  les  gouverneurs  des  nomes,  les  régents 
des  hatu  de  Varrit,  c'est-à-dire  des  palais  de  gouvernement,  ce  qu'on  nommait  en  grec  sous 
les  Ptolémées,  épistates,  ou  stratèges,  selon  les  époques  et  les  lieux.  C'était  auprès  de  ces 
préfets  que  Re/mara  accréditait  les  nobles  envoyés  par  lui  en  mission  spéciale. 

Il  pouvait  choisir  à  cet  effet,  pour  aller  le  représenter,  avec  des  pouvoirs  très  étendus, 
l'un  quelconque  de  ces  nobles,  de  ces  sar  constituant  son  entourage,  quelle  que  fût  d'ailleurs 
la  situation  à  laquelle  il  était  monté  dans  la  filière  administrative. 

{Sar  quelconque),  portait  notre  texte*,  «il  l'(envoie),  pour  lui,  en  mission  quelconque. 
(Il)  envoie,  lui,  le  dja,  en  mission  de  sar,  depuis  le  premier  sar  jusqu'au  sar  débutant. 

«  Quand  il  le  fait  approcher,  quand  il  le  fait  s'éloigner,  (tout  sar  agit  suivant  son  ordre). 
Le  dja  est  là,  devant  le  sar,  pour  dire  sou  ordre;  et  il  (celui-ci)  sort  pour  aller  (accom- 
plir) sa  mission  qu'il  a  reçue  du  prince  à  l'égard  des  régents  des  hatu  de  Yarrit,  en  mission 
de  lui. 

•  (suite  (le  la  '•  ^D  (|5  ^=^  iï]  J  a)  -^^  ^  ^  ^  <^  ^  ^^^ 

T-&T^^kkM(HL :    J 


ffl 


94 


Eugène  Revillout. 


«En  ses  mains  (sont  toutes  les  missions). 

«  (Il  écrit  aux  régents  des  haiu,  qui  sont  également)  en  ses  mains,  pour  dire  :  j'ai  en- 
voyé en  mission  le  sar  «un  tel».  Il  le  fait  partant.   Il  fait  décret  de  mission,   sur  requête. 

«Il  écoute  le  sar  faisant  (rapport  de  sa  mission  et  de  son)  voyage. 

«Il  s'applique  à  sévir  dans  sa  salle  contre  l'auteur  d'un  abus  quelconque,  bien  plus! 
à  l'écarter,  frappant  du  glaive  ses  membres  :  quand  a  achevé  le  dja  d'entendre  ...» 

Notre  texte  est  ici  coupé  par  une  lacune  peu  considérable;  et  ce  qui  suit  ne  s'applique 
plus  à  la  justice  rendue  directement  par  le  dja  lui-même  contre  les  fonctionnaires  coupables, 
mais  à  celle  que,  dans  leurs  nomes,  les  hauts  fonctionnaires  pouvaient  rendre  contre  tous 
autres  délinquants. 

Il  n'y  avait  pas  pour  ceux-ci  toute  l'instruction  préparatoire  qui  précédait  les  arrêts  du 
dja.  Rey.mara  leur  recommande  donc  de  ne  pas  agir  à  la  légère.  Les  premiers  mots  de  la 
phrase  manquent  ;  mais  peuvent  aisément  être  suppléés  :  ^ 

«  (Il  prescrit  au  gouverneur  jugeant)  dans  son  district  d'être  (pondéré)  à  ce  sujet  :  pour 
que  sa  bouche  ne  dise  pas  de  frapper  dès  qu'il  entend;  que  ce  soit  en  délibération;  qu'on 
inscrive  sur  le  registre  des  délits,  qui  est  dans  le  grand  yent. 

«Pour  que  point  ce  frappement  de  justice  (soit  inconsidéré,  de  remettre)  à  une  autre 
fois  l'affaire  rapportée,  de  transporter  ce  qu'est  cela  sur  le  registre  des  délits,  d'examiner  la 
chose,  d'ajouter  cela  sur  cela  sur  le  registre,  pour  le  reste  de  leur  jugement.  » 

Alin  de  pouvoir  être  certain  que  ses  instructions  à  ce  sujet  seraient  bien  suivies,  le 
ministre  avait  ordonné  que  toutes  les  pièces  des  procès  criminels  lui  fussent  envoyées  pour 
être  placées  sous  ses  yeux,  puis  scellées  de  son  sceau  et  conservées  dans  ses  archives.^ 


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(1.  23) 


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Notice,  etc.  95 

«  Quand  toutes  les  écritures  ont  été  envoyées  (à  la  salle  du  dja,  après  qu'on  lui)  a  fait 
(rapport)  sans  rien  cacher,  alors  s'en  vient,  avec  le  registre,  le  gardien  »  (ce  gardien  des  écri- 
tures qu'on  nommait  sous  les  Ptolémées  et  les  Romains  gigXioipjXa?  et  qu'on  nommerait  au- 
jourd'hui l'archiviste),  «en  compagnie  (du  préposé)  du  sceau  de  l'auditeur  scribe»  (l'auditeur 
scribe,  celui  qui  écoutait  directement  les  ordres  du  dja  pour  les  inscrire  était  naturellement  le 
chef  du  service  du  secrétariat).  «  Quand  après  cela  le  gardien  a  déployé  (le  registre),  alors, 
après  son  scellement,  il  l'emporte  à  sa  demeure,  scellé  par  le  sceau  du  dja.  Quand  il  (le 
dja)  demande  le  livre,  caché  en  réserve,  le  gardien  le  prend  (et  l'apporte).» 

Le  passage  qui  suit  nous  ramène  de  nouveau  à  ces  questions  de  l'agriculture  si  in- 
téressantes pour  nous.  Cette  fois  encore  il  ne  s'agit  pas  du  dja  lui-même,  mais  des  sar, 
nobles  fonctionnaires  qui  ont  reçu  de  lui  leur  pouvoir,  de  ces  sar  que,  d'une  part,  il  envoie 
en  mission  et,  que,  d'une  autre  part,  il  établit  dans  chaque  nome  pour  y  administrer  sous 
sa  direction.  On  les  dépeint  déployant,  par  ses  ordres,  le  plus  grand  zèle  :* 

«  (Un  sar  quelconque),  quand  a  lieu  un  examen  quelconque,  le  dja  l'envoie  pour  cela, 
sur  toute  requête.  Il  est  en  sa  main  :  et  il  va  quand  a  lieu  requête  quelconque  au  dja,  pour 
entendre  cela. 

«Il  lui  a  ordonné  beaucoup  d'entendre  le  préposé  aux  cultures,  ainsi  que  les  chefs 
des  domaines,  sur  la  récolte,  de  lui  donner  délai  jusqu'à  la  fin  du  mois  pour  ses  champs, 
dans  le  midi  ou  dans  le  nord. 

•  (suite  de  la  1.  23)    (0)  <=>  (l^ ^^ )  J_^ <^  ^â"^^  ^J  ^  S^ÎS  ^  Ç^^ 


^3:7 


A 


96  Eugène  Revillout. 


«Alors  que  ses  champs  ont  été  submergés,  dans  le  midi  ou  dans  le  nord,  il  lui  donne 
délai  pour  les  redevances  jusqu'à  un  temps  juste.  Il  écoute  toute  requête,  d'après  ce  droit 
qui  est  en  sa  main. 

«Lui  donc,  il  amène  l'eau  aux  terres  de  l'habitant  des  campagnes.  Lui,  il  l'envoie. 

«On  lui  fait  rapport  au  sujet  des  domaines  transmis  qui  sont  à  cet  homme,  au  sujet 
de  toute  l'hérédité.  Lui,  il  scelle  ces  choses. 

ïLui,  il  fait  la  campagne  dans  tout  dégât,  quand  tout  faiseur  de  requête  est  à  dire  : 
«ont  été  déplacées  nos  bornes».  Alors  vue  de  ces  choses,  avec  scellement  du  sar. 

«  Quand  il  fait  sortir  par  expulsion  les  chefs  des  domaines,  il  fait  écrit  de  leur  déplace- 
ment. Alors  il  refuse  (il  écarte)  tout  présent,  de  tout  homme  venant  pour  le  prier,  et  tonte 
chose  de  là  dedans.  » 

Ce  tableau  du  gouvernement  de  l'Egypte  sous  le  grand  ministre  de  Thoutmès  III  est 
des  plus  flatteurs.  On  voit  celui-ci  portant  sa  sollicitude  jusqu'aux  moindres  fermes  du  fond 
des  provinces  par  des  fonctionnaires  qu'il  a  directement  chargés  de  cette  mission. 

Rey.mara  était  d'ailleurs  bien  premier  ministre,  ministre  dirigeant,  dans  le  sens  le  plus 
étendu,  au  point  d'être  le  plus  souvent  l'auteur  réel  des  édits,  des  rescrits,  des  décrets  et 
de  tous  les  ordres  royaux,  qu'il  transmettait  seul  aux  préfets  -A 

«  Celui  qui  a  fait  requête  quelconque  par  écrit,  (le  dja)  fait  à  lui  audition.  On  lui  fait 
rapport  sur  toute  requête  au  seigneur  roi. 

«Après  qu'il  l'a  mis  par  écrit,  lui,  il  transmet  tout  ordre  (tout  édit)  du  palais  du  roi, 
envoi  du  prince  aux  régents  des  hatu.  C'est  lui  qui  fait  partir  toute  sortie,  toute  expédition 
de  la  maison  royale. 

«  C'est  lui  qui  a  (disposé  tout)  avec  ordre  (pour  que  les  gouverneurs  des  nomes),  au  nord 
comme  au  midi  d'Abydos,  lui  fissent  rapport  de  tout  ce  qui  est  arrivé  entre  leurs  mains 
(dans  leur  gouvernement).  Chaque  premier  du  mois  il  se  fait  apporter  écrit  de  ce  qui  est 
enti'e  leurs  mains  et  entre  les  mains  de  leurs  gens»  (c'est-à-dire  une  expédition  de  toutes 
les  pièces  administratives). 


Msuite.e.a...)^f-^_|^ft|(^7)^^M^p: 


I  V^„ ^M   Ha  =^ 

Dû 


x^. —  -^  ra  11  A' 


(1.  18)  ^.:zz: 

A  i   1   ^      Q  O 


Notice,  etc. 


97 


Les  graucls  services  militaires  du  recrutement  et  de  l'intendance  dépendaient  égale- 
ment de  lui  :^ 

«C'est  lui  qui  fait  le  rassemblement  des  soldats  transportés  pour  accompagner  le 
seigneur  roi  —  à  la  descente  du  fleuve,  à  la  montée.  —  C'est  lui  qui  fait  une  grande  arrivée 
(de  troupes)  être  dans  la  ville  du  midi,  dans  la  ville  royale,  avant  même  d'en  parler  dans 
le  palais  du  roi  :  —  transport  que  pour  lui  (effectuent)  les  régents  des  hatu  et  les  chefs  des 
domaines. 

(«Il  leur  dit  :  Ceux  qui  sont  pris  pour  être)  soldats,  faites  leur  parcourir  les  règles  mili- 
taires. Mettez  les  yertot  (les  procureurs,  les  intendants)  en  mouvement.  Que,  les  comman- 
dant, ils  aillent  à  leur  tête  vers  (Sa  Majesté),  vers  la  salle  de (venant)  à  l'ordre 

sur  ses  (navires).  » 

Le  transport  des  troupes  par  le  fleuve  rappelle  ici  au  rédacteur  de  cette  inscription  les 
bois  nécessaires  pour  la  construction  des  bateaux  et  le  ramène  tout  naturellement  à  ce  que 
nous  nommons  aujourd'hui  le  service  des  eaux  et  forêts  :  et  le  ministère  de  l'agriculture, 
dont  ce  service  fait  partie  :^ 

«C'est  lui  qui  envoie  couper  les  sycomores,  avant  d'en  parler  dans  la  maison  du  roi. 
C'est  lui  qui  envoie  les  préposés  aux  terres  cultivées,  pour  faire  irriguer  dans  la  contrée 
entière.  C'est  lui  qui  fait  aller  —  (lui),  le  prince,  au  moyen  des  régents  des  hatu  —  pour 
labourer  dans  la  saison  de  smou.  » 

Suivant  la  même  méthode,  la  mention  des  préfets  rappelait  l'autorité  qu'il  exerçait  sur 
eux,  sur  des  personnages  bien  plus  puissants,  sur  les  ministres  portant  le  titre  de  princes, 
sur  ceux  même  qui  rédigeaient  les  ordres  de  Sa  Majesté  :' 


1  (suite  de  la  1.  1")      ^ 


i.Troîdîffl]) 


'  (suite  de  la  1.  15) 


©(Q) 


■(1.  i4)nQ0^„    |"f^^^ 


98  Eugène  Revillout. 


«  C'est  lui  qui  institue  les  préposés  aux  ordres  dans  la  (grande)  salle  du  palais  du  roi. 
C'est  lui  qui  fait  audition  des  princes  (c'est-à-dire  des  ministres  et  des  grands  personnages), 
des  régents  des  hatu  (c'est-à-dire  des  gouverneurs  de  nomes),  pour  (entrée),  sortie  et  tout 
acte.  On  lui  fait  rapport  sur  toute  chose.  » 

La  sécurité  des  frontières  rentrait  dans  le  même  ordre  d'idées.  Il  était  chargé  d'y  veiller 
d'une  manière  spéciale  :  ^ 

«On  lui  fait  rapport  sur  les  stations  militaires  du  midi,  de  frontière  quelconque  qu'en- 
vahissent ses  (voisins),  faisant  pillage,  (dévastation)  quelconque.  Lui,  il  écoute  cela.  Lui,  il 
fait  transporter  des  soldats,  des  scribes,  pour  y  voir  :  et  y  établir  l'autorité  du  seigneur  roi.  » 

Jusqu'ici  les  lacunes  étaient  peu  importantes.  Elles  vont  devenir  considérables  à  partir 
du  point  où  elles  interrompront  le  morceau  qui  suit. 

Ce  morceau  nous  montre  le  grand  ministre  Re/mara  exerçant  pratiquement,  non  plus 
vers  les  frontières,  mais  sur  toute  la  terre  de  l'Egypte,  l'autorité  omnipotente  du  seigneur 
roi,  propriétaire  du  sol.^ 

«Il  y  a  un  registre  dans  sa  salle  qui  regarde  toute  terre  cultivée.  C'est  lui  qui  a 
établi  les  limites  des  champs,  en  tout  (nome,  et  qui  a  scellé  cela)  du  sceau  du  seigneur. 
C'est  lui  qui  a  fait  les  parts  de  terrains  quelconques  .  .  .  .» 

Ici  manque  un  tiers  de  colonne. 

Les  fragments  suivants,  qui  se  trouvent  séparés  les  uns  des  autres  par  des  lacunes  de 
plus  en  plus  grandes,  sont  relatifs  :  d'abord  aux  redevevances  dues  au  roi  et  qui  aboutissent 
à  ses  magasins,  à  Yarrit  :^ 

«C'est  par  lui  que  vient  toute  demande  de  la  maison  du  roi.  C'est  lui  qui  préside  à 
tout  ordre.  C'est  lui  qui  écoute  sur  toute  réclamation.  » 

Puis  à  ce  qui  concerne  les  revenus  sacrés  :* 

'  (suite  de  la  1.  14)    ly  n/wwvv<3=>^^^  1  n  ^  ^^  ^^^^^H*^"^^^ 


'E(Cioi:;:M 


Notice,  etc.  99 

«(C'est  lui  qui  règle)  ces  choses  avec  son  scellement,  lui  qui  préside  à  toute  chose  (de 
ce  genre),  lui  (qui  juge)  sur  les  retranchements  faits  par  fraude  aux  apports  (dus)  aux 
temples.  Lui  font  rapport  les  chefs  des  domaines  ...» 

Puis  encore  au  magasin  de  blés  —  qu'on  nommait  sous  les  Ptolémées  le  Oï)(;aupoç  — 
du  temps  de  Thoutmès  Varrit  —  et  à  la  caisse  de  numéraire  —  qu'on  appelait  sous  les 
Ptolémées  la  Tp^creÇa  —  du  temps  de  Thoutmès  la  maison  de  l'or  :' 

«Toutes  les  offrandes  apportées  à  Yarrit,  c'est  lui  qui  préside  à  cela.  Lui,  il  ouvre  la 
maison  de  l'or  avec  le  préposé  au  scellement  (le  caissier,  celui  qu'on  nommait  sous  les  Pto- 
lémées le  trapézite).  Lui,  il  fait  (décision)  ...» 

La  règle  d'administration  ici  visée  s'était  d'ailleurs  maintenue  sous  les  Ptolémées.  Le 
trapézite  ne  pouvait  jamais  ouvrir  sa  caisse  sans  un  ordonnancement,  un  chrématisme  éma- 
nant le  plus  souvent  d'un  des  services  dépendant  du  diœcète. 

Le  fragment  de  la  colonne  9  suivant  le  numérotage  à  rebours  de  M.  Virey,  où  se 
ti'ouvent  nommés  l'intendant  (le  merpa  —  voir  la  correspondance  agricole  officielle  sous  les 
Ramessides)  et  les  chefs  de  culture,  est  trop  incomplet  pour  que  le  sens  en  soit  très  clair.  ^ 

Le  fragment  de  la  colonne  8  est  relatif  aux  vectigalia,  aux  redevances  eu  nature, 
apportés  à  Varrit  dans  chaque  nome  et  sur  lesquels  lui  fait  rapport  tout  régent  de  palais 
de  gouvernement.^ 

Le  fragment  de  la  colonne  7  indique  que  ce  rapport,  «  fait  pour  témoigner  sur  les  im- 
pôts», était  mensuel,  ainsi  que  l'était,  nous  l'avons  déjà  vu  plus  haut,  le  rapport  de  ces 
mêmes  préfets  sur  ce  qui  s'était  passé  dans  leur  gouvernement.* 

Les  fragments  des  colonnes  6  et  5  sont  relatifs  à  la  marine. 

«  C'est  ^  lui  qui  fait  arriver  au  port  les  navires  pour  usage  quelconque  qu'il  a  prévu. 
C'est  lui  qui  fait  transporter  par  navire » 


if^nSn 


(1.  9) 


c^y 


«(Il  entend)  le  sar  intendant  de  palais   et  les  chefs  de  culture  à  VuH.  C'est  lui  qui  fait  la  décision  .  .  . 
en  présence  de  tout  dignitaire  faisant  conseil  dans  ....  » 


«(Il  a)  en  mains  (les  ...  de)  Xm-Hi.  Les  princes  ou  régents  de  palais  de  tous  gouverne- 


ments lui  font  rapport  de  leurs  tributs  à  .  .» 

_S$i  V  l '^  OT  '  ^'®  '^'  ^""^  '■'^PP*'!'*  chaque  mois  pour  témoigner  sur  les  impôts.  Alors  il  y  a  scellement 
(décision  du  prince)  avec  perspicacité.» 


(1.    6)        -      y         .      - 


100  Eugène  Revillout. 


Ici  sans  doute,  dans  la  colonne  6,  suivait  une  éuumération  de  tout  ce  qu'un  navire 
peut  transporter  pour  les  besoins  de  l'état  :  approvisionnements,  matériel  de  guerre,  troupes,  etc. 

Dans  le  fragment  de  la  colonne  5  il  est  dit  :  «Tout  conseil  des  chefs  de  marine  lui  fait 
rapport  (en  ces  termes)  :  «Le  navire  de  transport  est  arrivé.»  A  lui  la  décision  pour  .  .  .»i 

Dans  le  fragment  de  la  colonne  4^  on  voit  que  le  gardien  du  grenier  de  Varrit  lui  fai- 
sait rapport  de  son  côté,  probablement  sur  les  céréales  qu'il  recevait  ou  expédiait  par  cette 
voie,  et  que  ce  rapport  avait  lieu  dans  la  salle  d'audience  du  dja. 

Les  colonnes  3  et  2^  étaient  remplies  par  une  éuumération  de  titres  —  donnée  avec 
emphase  —  qui  formait  une  sorte  de  cursus  honorum  du  défunt  et  qui  terminait  l'éloge  du 
mort,  comme  c'est  le  cas  le  plus  ordinaire  pour  les  textes  de  cette  nature. 

Chose  curieuse  !  après  cela,  la  colonne  jjremière  du  numérotage  à  rebours  de  M.  Viret, 
c'est-à-dire  la  fin  de  l'inscription,  donnait*  l'indication  du  nom  du  rédacteur  de  cette  inscrip- 
tion hiéroglyphique.  Une  indication  de  ce  genre  se  trouve  à  la  fin  de  l'inscription  gravée  en 
l'honneur  de  Ramses  II  sur  les  parois  de  plusieurs  de  ses  temples  :  —  de  ce  poème,  écrit  par 
le  scribe  Pentaour,  dont  on  possède  également  un  exemplaire  transcrit  en  hiératique  sur 
papyrus. 

La  mention  de  l'auteur  indique  que  celui-ci  était  un  écrivain  connu,  qui  avait  fait 
œuvre  de  style.  En  effet,  quiconque  étudiera  avec  tout  le  soin  qu'elle  mérite  cette  inscrip- 
tion, restée  lettre  morte  pour  M.  Virey,  reconnaîtra  que  c'est  bien  l'œuvre  d'un  littérateur 
professionnel.  Il  passe  d'une  idée  à  l'antre  par  des  transitions  de  pensée  toutes  naturelles, 
comme  on  peut  le  faire  dans  un  éloge  d'apparat  :  et  dans  la  fiicture  de  ses  phrases  il  ne 
néglige  pas  le  parallélisme,  cette  élégance  de  la  belle  prose  en  style  égyptien  comme  en 
style  hébreu. 


désignant  la  gravure 
__  _  III 

hiéroglyphique  (voir  Brugsch,  Sup.  au  Lex.,  p.  126)  est  transcrit  en  démotique  2tl  ^  1 1  ^—yt)  |  ®  et  traduit  en 
grec  par  ÇwfXucpoç.  Ici  le  mot  en  question  ne  veut  pas  dire  «écrivain  des  hiéroglyphes»,  mais  «écriture  hiéro- 
glyphique» :  «Il  a  fait  l'éciiture  hiéroglj^phique  ...»  Mon  illustre  maître  M.  E.  de  Rougé  a  fait  voir  que 
dans  le  poème  de  Pentaour,  comme  dans  le  roman  des  deux  frères  et  dans  beaucoup  d'autres  compositions 
littéraires  du  même  genre,  la  signature  de  l'auteiu',  précédée  comme  ici  du  verbe  .<2^  «a  fait»,  suivait 
une  sorte  de  dédicace  adressée  à  un  personnage  quelconque  dont  on  donne  soigneusement  les  noms  et 
les  titres,  et  précédée  de  la  formule  :  \\  T  v\  '\     \    j  awaa  ....  «  Ceci  vient  en 

offrande  à  la  personne  de  ...»  Il  en  était  probablement  de  même  ici  et  cela  nous  expliquerait  comment, 
après  la  légende  de  Ee^mara,  qui  semble  s'être  terminée  d'après  les  titres  finaux  ordinaires  vers  le  milieu 
de  la  ligne  3,  on  voit  figurer  au  commencement  de  la  ligne  2  d'autres  titres,  s'appliquant  également  — 
mais  en  langage  plus  ampoulé  —  à  Rexmara,  auquel  on  aurait  dédié  son  propre  éloge.  Ce  qui  termine  — 
comme  d'ordinaire  —  c'est  la  signature  de  l'auteur,  remplissant  ici,  nous  l'avons  dit,  la  ligne  1''°. 


Notice,  etc. 


101 


Parmi  les  tableaux  et  les  textes  qui  se  trouvent  du  même  côté  de  la  première  salle, 
sur  la  paroi  en  face  de  celle-là,  c'est-à-dire  sur  la  paroi  où  s'ouvre  la  porte  de  communica- 
tion entre  les  deux  salles,  la  plupart  sont  relatifs  à  ce  qui  était  apporté  par  le  service  de 
la  marine,  —  dont  il  était  question  dans  les  fragments  de  la  tin  de  la  grande  inscription,  — 
de  pays  parfois  fort  lointains,  pour  être  rangés  dans  les  magasins  —  dont  il  était  également 
question  dans  ces  mêmes  fragments.  Dans  cette  classe  d'apports  rentraient  les  tributs  de 
toutes  les  nations  soumises  par  Thoutmès,  tributs  dont  l'énumération,  illustrée  de  la  façon 
la  plus  intéressante  au  point  de  vue  de  l'histoire  des  races,  de  leurs  ressources,  de  leurs 
costumes,  occupe  une  grande  partie  de  cette  paroi  du  fond  de  la  première  salle.  Un  texte 
que  M.  ViREY  a,  cette  fois,  reproduit  et  traduit  dans  le  sens  où  il  fallait  le  lire,  termine 
cette  série  et  montre  Reyjnara  jouant  le  rôle  de  régent  en  l'absence  de  Tboutmès  et  rece- 
vant lui-même  pour  le  roi  les  tributs  imposés  aux  peuples  vaincus  et  présentés  par  eux,  à 
titre  d'offrandes  quasi  religieuses,  aux  esprits  de  Sa  Majesté. 

«IP  reçoit  les  apports  du  pays  étranger  du  midi  apportés  à  titre  d'oifrandes,  les  ap- 
ports du  pays  de  Pount,  les  apports  du  pays  de  Rutennu,  les  apports  de  la  Phénicie  (ap- 
portés) à  titre  d'offrandes,  le  prélèvement  sur  tout  pays  étranger  apporté  aux  esprits  de  Sa 
Majesté  le  roi  Tboutmès  (Ramen/eper)  —  à  lui  vie!  santé!  force!  —  :  le  grand  prince,  chef 
des  chefs,  le  distingué  parmi  les  compagnons  (les  comités),  le  préposé  aux  autorités,  le  pre- 
mier (ministre),  remplissant  le  cœur  généreux  du  souverain.  Lui,  qu'a  favorisé  l'habitant  du 
palais  en  le  mettant  à  la  tête  des  compagnons  (des  comités),  à  la  tête  de  la  terre  entière, 
parce  qu'il  l'a  connu  dans  l'accomplissement  des  belles  actions  :  il  y  persiste,  étant  dévoué  à 
sa  face  :  le  préfet  de  la  ville,  (le  clja  Rey.mara.) 


J, 


il   I   I  o        I  i\>_M!s.    "C7 


1^^^^ 


■DDO 


(SBP 


102  Eugène  Revillout. 


«Les  compagnons  de  Pharaon,  —  à  lui  vie,  santé,  force!  —  sortent  au  devant  du  dja  i)our 
l'honorer,  le  louer,  persister  dans  l'acclamation,  disant  :  «Le  bon  régent,  constitué  par  Thout- 
»uiès  (Ramen/.eper)  qui  a  établi  toute  autorité  sous  lui!  Les  maisons,  les  domaines,  les  droits, 
»  toute  règle  est  stable,  (chacune)  à  sa  place.  Les  enfants  des  gens  distingués  (restent)  à  la 
«place  de  leurs  pères.  Il  a  renouvelé  de  faire  seniblablement  des  milliers  d'années. 

«Il  reste  établi  solidement  à  la  place  d'Horus.  Il  a  fait,  il  a  renouvelé  de  faire  les 
»panégyries  de  heh  set.  11  guide  les  vivants  vers  l'éternité  : 

«Venue  en  paix  —  dans  le  palais  de  celui  à  qui  vie,  santé,  force!  —  du  grand  prince, 
»  prophète  de  vérité,  préfet  de  la  ville,  dja,  (Reymara)  véridique!» 

Nous  avons  déjà  dit  plus  haut  que  la  plupart  des  textes  inscrits  de  l'autre  côté  —  du 
côté  droit  —  de  la  salle  avaient  été  considérés  par  M.  Virey  comme  trop  mutilés  pour 
être  reproduits. 

Le  peu  qu'il  en  donne  nous  montre  d'ailleurs  qu'ils  étaient  pleinement  comparables 
sur  ce  côté  droit  à  ceux  qu'on  lisait  sur  le  côté  gauche.  De  même  que  sur  le  côté  gauche, 
des  inscriptions  complémentaires,  revenant  sur  telle  ou  telle  question,  ajoutaient  seulement  cer- 
tains détails  aux  indications  déjà  fournies  par  les  textes  fondamentaux.  C'est  ainsi  que  près 
de  la  porte  d'entrée,  sur  la  paroi  qui  continue,  de  l'autre  côté  de  cette  porte  —  dans  le 
côté  droit  de  la  salle,  —  celle  que  couvre  en  partie  du  côté  gauche  de  cette  salle  la  grande 
inscription,  on  voit  quelques  restes  d'un  texte  qui  dépeignait  Ke/.mara  véritiant  les  pièces 
de  comptabilité  dans  les  écrits  à  lui  transmis  de  toutes  parts  selon  cette  grande  inscrip- 
tion. Tout  contre  se  trouvait  un  tableau  qui  devait  illustrer  ce  texte,  où  l'on  peut  déchiffrer 
encore  :  ^ 

«Il  examine  les  comptes  :  —  comptes  pour  la  chambre  du  dja  de  la  ville  du  midi; 
pour  les  princes  (les  hauts  dignitaires);  pour  les  régents  des  hatu  (les  préfets  ou  épistates); 
pour  le  conseil  de  la  campagne;  pour  le  lieutenant  de  la  terre  divisée;  pour  les  scribes  écri- 
vant (les  listes  des  hommes  du  nome),  de  leurs  champs,  des  terres  élevées  du . . .,  des  terres 
basses  du  ...  :  —  le  grand  prince  etc.» 

La  sollicitude  de  Re/mara  relativement  à  l'agriculture  est  également  dépeinte  dans  un 
autre  texte  de  ce  même  côté  droit  de  la  salle,  texte  dont  nous  avons  déjà  cité  plus  haut 
une  partie  et  que  voici  en  entier  :^ 


;ifl°^— :5i^;ïïîœ]' 


''Wmmmmmm,'^:-.  s   ^         mn       i^.  ^^::: 


Notice,  etc.  •  103 

«H  se  complaît  à  Yoir  les  bons  troupeaux,  se  divertissant  dans  les  travaux  de  la  cam- 
pagne, à  voir  le  travail  des  saisons  de  Smou  et  de  per,  le  favorisé  de  Nepra  (dieu  agricole\ 
le  favorisé  de  Ranen  (déesse  agricole),  le  favorisé  d'Horus  de  ...  .  (vocable  d'Horus,  consi- 
déré probablement  comme  un  des  patrons  de  l'agriculture)  :  le  grand  prince,  qui  remplit  les 
greniers,  qui  protège  le  ut  ( —  le  bien  public?  — )  ....  en  faisant  les  affaires  sans  i per- 
sonne les  faisant)  pour  lui,  sans  personne  pour  les  faire  qui  vienne  à  lui,  jugeant  le  faible 
ainsi  que  le  puissant,  se  manifestant  par  des  pacifications,  le  préfet  de  la  ville,  etc.» 

La  stèle  placée  dans  le  milieu  du  côté  droit  de  cette  salle,  faisant  face  à  une  stèle 
semblable  placée  dans  le  milieu  du  côté  gauche,  énumérait  la  femme  et  les  enfants  de  Eey.- 
mara,  et  le  représentait  eu  famille.  Quant  à  la  dernière  inseriptiou  que  M.  Virey  donne  de 
cette  salle,  elle  a  trait,  de  même  que  certains  passages  de  la  grande  inscription  lue  à  rebours 
par  M.  VntEY  et  que  presque  toutes  les  scènes  peintes  sur  la  première  moitié  du  côté  gauche 
de  la  seconde  salle,  aux  fonctions  de  Re/mara  comme  ministre  des  cultes,  si  je  puis  m'ex- 
primer  ainsi.  Mais  cela  nous  entraînerait  trop  loin  de  notre  sujet  principal  qui  est  Fagricul- 
tnre.  Tout  ce  que  nous  pouvons  dire,  c'est  que  la  distinction  qui  est  devenue  fondamentale 
depuis  les  Ramessides  entre  les  terres  sacrées,  terres  de  neter  hofep,  et  les  terres  royales 
etc.  ne  paraît  nullement  établie  du  temps  de  Thoutniès.  C'est  le  ministre  Re/mara  qui  ins- 
pecte les  vivres  qu'on  offre  aux  dieux  chaque  jour,  comme  il  inspecte  les  travaux  qu'on  fiiit 
dans  les  temples.  C'est  lui  qui  règle  le  montant  des  offrandes  sacrées,  qui  reçoit  les  grains 
destinés  aux  temples,  qui  préside,  ou  du  moins  est  censé  présider  à  la  confection  des  gâteaux 
employés  dans  le  culte  des  dieux  etc.  Le  tombeau  de  Re/mara  vient  donc  apporter  une 
nouvelle  preuve  à  la  démonstration  de  ce  fait  que  la  division  tripartite  de  la  terre  égyp- 
tienne entre  le  roi,  les  dieux,  représentés  par  leurs  prêtres  dans  leurs  sanctuaires,  et  les 
guerriers,  constituant  une  caste,  —  mesure  parallèle  à  celle  qui  constitua  cette  caste  même 
des  guerriers,  —  est  bien  l'œuvre  de  Sésostris  ainsi  que  l'avaient  indiqué  les  Grecs,  de  ce 
Sésostris  Ramses  II  chanté  dans  le  poème  de  Pentaour,  qui  fait  allusion  à  tout  cela. 

Au  fond  l'œuvre  de  Sésostris  fut  moins  permanente  peut-être  en  Egypte  que  les  prin- 
cipes d'administration  déjà  posés  et  mis  en  pratique  du  temps  de  Thoutmès. 

Sous  les  Ptolémées  la  plus  grande  partie  du  domaine  territorial  attribué  aux  temples 
avait  cessé  d'être  en  leur  possession  et  les  deux  grandes  tribus  de  la  caste  militaire  de  race 
égj^tienne  étaient  plus  encore  appauraes. 

Le  Bxs'./.i/.sv,  comprenant  le  domaine,  le  trésor  et  les  greniers  royaux,  se  trouvait  en- 
richi d'autant.  Ce  qu'on  avait  laissé  aux  castes  privilégiées  était  si  peu  considérable  que, 
pour  subvenir  à  leurs  besoins,  il  avait  fallu  assigner  aux  prêtres  et  aux  soldats  des  budgets 
spéciaux  sur  le  trésor  royal. 

Les  frais  du  culte  étaient  d'ailleurs  réglés  par  des  fonctionnaires,  épistates  de  temples, 
relevant  du  diœcète,  ce  ministre  administrateur  qui  avait  également  sous  ses  ordres  le  ser- 
vice des  digues  et  des  canaux,  le  service  de  l'irrigation,  le  service  de  la  culture  des  terres 


104  Eugène  Revillout.  Notice,  etc. 

royales  et  de  toutes  les  corvées,  les  serrices  des  diverses  taxes  et  des  divers  revenus  de 
l'État,  le  service  des  travaux  publics,  le  service  de  toutes  les  dépenses,  —  qui  avait  à  recevoir 
et  contrôler  les  comptes  de  tous  les  fonctionnaires  et  qui  se  réservait  d'ordonnancer  person- 
nellement tout  paiement  et  toute  recette  ne  rentrant  pas  dans  ses  prévisions.  Je  n'irai  pas 
jusqu'au  bout  dans  l'énumération  des  fonctions  du  diœcète,  tout  à  fait  comparables  à  celles 
qu'exerçait,  en  qualité  de  dja,  le  grand  ministre  de  Thoutmès  III. 

En  ce  qui  touche  les  terres  arables  je  dois  seulement  faire  remarquer  que  Ee/.mara, 
bien  qu'on  le  dépeigne  se  fatigant  à  en  effectuer  le  lotissement  général  en  vue  de  la  culture, 
ne  paraît  pas  avoir  à  en  distribuer  des  aroures  aux  soldats  à  titre  de  récompense,  comme  il 
en  avait  été  distribué,  suivant  l'inscription  du  tombeau  d'Ahniès,  bien  peu  de  temps  avant, 
lors  de  l'expulsion  des  Hyksos  par  les  princes  qui,  sur  eux,  reconquérirent  l'Egypte. 

Après  la  conquête  macédonienne  des  attributions  semblables  de  terres  ont  été  faites 
par  les  premiers  Ptolémées  à  leurs  compagnons  d'armes;  et  un  papjTus  découvert  par  M.  Pétrie 
nous  apprend  qu'Évergète  I"  interdit  à  l'administration,  dépendant  du  diœcète,  de  disposer 
de  ces  terres  provenant  du  domaine  royal  et  que  le  roi  seul  pouvait  concéder. 

Les  distributions  d'aroures  de  terres  à  titre  de  gratification  à  tous  les  soldats  d'une 
armée  paraissent  d'ailleurs  avoir  cessé  bientôt  :  soit  à  une  époque,  soit  à  l'autre.  Il  n'en  est 
nullement  question  dans  l'inscription  d'Amenemlieb,  l'un  des  compagnons  d'armes  de  Thout- 
mès m,  lors  de  ses  victoires  en  Asie.  Et  sous  celui  des  Ptolémées  qui  rappela  le  mieux  les 
exploits  de  Thoutmès  tant  en  Asie  que  sur  les  bords  de  la  mer  Rouge  etc.,  sous  ce  même 
Evergète  I'"''  dont  je  viens  de  parler,  les  papyrus  grecs  découverts  par  M.  Pétrie  font  plus 
souvent  mention  de  terres  rentrant  dans  le  BaaiAiy.ov  après  avoir  appartenu  à  des  cléroukhes 
que  de  la  création  de  nouveaux  cléroukhes  par  de  nouvelles  attributions  de  lots  de  terre  à 
des  soldats.  (Sur  tout  ceci  voir  mon  volume  :  «Papyrus  et  tessères  démotiques  et  grecs.») 

(La  suite  prochainement.) 

Correspond  AKCB. 

Pour  la  correspondance  relative  aux  plagiats,  avec  circonstauces  aggi-avantes,  qui  forment  la  base  du  dictionnaire  démotique 

Îiublié  par  deux  de  mes  élèves,  MM.  Denisse  et  Chaejjon,  voir  l'entête  des  «Quelques  textes  traduits  à  mes  cours».  La  seule 
ettre  que  je  donne  ici  a  été  écrite  par  moi  au  propriétaii-e  de  l'Art  au  sujet  d'une  note  qu'un  de  mes  anciens  élèves  M.  BÉ21ÉDITE 
avait  insérée  à  l'occasion  d'un  article  de  moi  : 

«  Monsieur,  vous  me  permettrez  de  m'adresser  à  vous  comme  j'ai  l'habitude  de  le  faire  pour  tout  ce  qui  concerne  votre 
estimable  journal,  bien  que  vous  en  ayez  abandonné  récemment  la  direction  ordinaire  à  deux  personnes  parmi  lesquelles  je  distingue 
un  de  mes  jeimes  collègues.  A  mon  âge  on  ne  change  rien  à  ses  habitudes,  et  j'ai  toujours  eu  tant  à  me  louer  de  mes  rapports  avec 
vous  que  c'est  pour  moi  un  plaisir  que  vous  écrire  puisque  le  temps  me  manque  pour  aller  vous  voir.  J'ai  trouvé  l'occasion  dans 
mon  article  sur  le  don  de  l'Exploration  Fund  (l'Art,  19"  année,  t.  H,  p.  205  et  suivantes)  de  citer  en  passant  un  de  mes  anciens 
élèves  M.  Bénédite,  auquel  j'avais  fourni  l'idée  de  sa  mission  de  Philée  et  que  j'avais  aidé  sous  ce  rapport  en  ce  qui  concernait  le 
Louvre,  comme  je  l'ai  aidé  à  entrer  au  LouvTe  même  dans  le  département  dont  je  fais  partie.  Je  l'ai  fait  d'autant  plus  volon- 
tiers —  sur  un  point  tout  à  fait  secondaire  et  de  détail  — ■  que  c'était  là  lui  montrer  mes  sentiments  amicaux.  Mais  il  ne  me 
serait  jamais  venu  à  la  pensée  de  m'appuyer  sur  son  témoignage  pour  faire  accepter  mes  idées  et  de  m'appliquer  à  faire  croire  inci- 
demment qu'il  les  partageait.  Qu'il  les  partage  ou  non.  ceci  m'importe  peu,  je  l'avoue.  Mais  je  ne  saurais  admettre  que  cet  ancien 
élève  se  prétendît  mon  juge  Çl'Art^  IQ**  année,  t.  II,  p.  296,  2*  col.)  et  osât  affirmer  qu'aucun  archéologue  n'adopterait  mes  conclusions. 
Cela  me  semble  une  audace  un  peu  grande,  alors  surtout  que  j'ai  reçu  certains  témoignages  venant  de  haut  lieu  égypto-archéologique 
et  qui  sont  complètement  conformes  à  l'opinion  exprimée  par  moi  sur  les  fouilles  de  M.  î^aville.  Quant  à  l'étendue  de  l'espace 
attribué  par  M.  Na ville  à  une  salle  hypostyle  et  au  milieu  duquel  on  a  trouvé  les  colonnes,  c'est  un  point  tout  à  fait  secondaire 
dans  mon  article  et  la  note  de  M-  Bénédite  prouve  seulement  qu'il  n'a  rien  compris  à  la  question.  Du  moment  où  M.  Na  ville 
n'a  nullement  indiqué  quelle  était  la  distance  des  piédestaux  l'un  par  rapport  à  l'autre,  alors  qu'ils  étaient  encore  en  place,  la  surface 
qu'occuperaient  les  colonnes  renversées,  ^  ces  colonnes  qui  se  trouvaient  au  milieu  de  la  salle,  dit  M.  Na  ville  —  n'a  qu'un  intérêt 
tout  à  fiùt  secondaire.  Ce  qui  esc  important  c'est  que  le  nombre  des  chapiteaux  hatoriens  se  trouve  absolument  identique  à  celui 
des  colonnes  et  à  celui  des  bases,  que  ces  chapiteaux  ont  été  trouvés  à  côté  des  colonnes,  sans  trace  d'autres  colonnes  ni  d'autres 
bases,  et  que  la  superposition  paraît  évidente,  quand  on  se  rappelle  surtout  que  certaines  colonnes  de  Philée,  ainsi  que  d'autres  colonnes 
égyptiennes  parfaitement  connues  et  décrites,  présentent  sur  un  plus  petit  format  la  même  conception  architecturale  de  superposition 
de  chapiteaux  hatoriens  sur  des  colonnes  lotiformes  complètes.  Quand  j'ai  «fait  intervenir  la  Chaldée,  l'Assyrie  et  la  Perse»,  c'était 
seulement  pour  montrer  l'origine  probable  de  cette  conception  architecturale  dont  le  temple  de  Bubastis  nous  montre  une  phase  par- 
ticulière, mais  dont  l'existence  en  Egypte  ne  peut  être  contestée  par  personne  et  surtout  par  personne  de  ceux  qui  ont  visité  les 
temples  encore  debout  de  Philée.  Je  voué  serai  bien  reconnaissant  de  vouloir  bien  faire  insérer  dans  l'Art  cette  lettre  de  réponse 
nécessaire  —  d'autant  plus  nécessaire  que,  je  le  répète  encore,  je  n'ai  jamais  eu  la  pensée  d'engager  en  quoi  que  ce  soit  la  responsanilité 
de  M.  Bénédite.  Agréez,  etc.  E.  E.» 


L'Éditeur  Ernest  Lerodx,  Propriétaire-Gérant. 


REVUE  ÉGYPTOLOGIQUE 

PUBLIÉE  SOUS  LA  DIRECTION  DE 

M.  EUGÈJ^E  REVILLOUT. 


ERNEST  LEROUX,  ÉDITEUR 

LIBRAIRE  DE  LA  SOCIÉTÉ  ASIATIQUE,  DE  L'ÉCOLE  DES  LANGUES  ORIENTALES  VIVANTES,  ETC.  ETC. 
28,  RUE  BONAPAETE.  28.  A  PAEK. 

VIP  Volume.  N"  III.  1896. 


La  REVVE  ÉOYPTOLOQIQUE  paraît  tous  les  trois  mois  par  numéros  de  six  feuilles  au  moins,  avec 

planches,  fac-similé  etc.  —  Aucun  numéro  ne  se  vend  séparément. 

Vrix  (le  l'abonnement  annuel  :  ïaris  30  fr.  —  Départements  31  fr.  —  Jltranger  31!  fr. 

Sommaire  :  T>'  VicroR  Revillout  t.  —  Deux  anciennes  lois  du  pays  d'Accad  (suite),  par  Victor  Revillout.  —  Quelques  documents 
historiques  de  Bocchoris  à  Paammêtique  I"',  par  Eugène  Revillout.  —  Des  donations  d'enfant  à  l'époque  copte,  thèse 
soutenue  à  l'école  du  Louvre  (suite),  par  Fr.  de  Villenoisy.  —  Une  prophétie  messianique  assyrienne,  par  'Victor  et 
Eugène  Revillout.  —  Mission  de  la  Revue  égyptologique.  par  E.  PvEvillout.  —  Revue  bibliographique. 


W  VICTOR  REVILLOUT. 

Depiii.s  qu'a  été  terminé  par  nous  le  dernier  numéro  de  la  Revue,  j'ai  eu  la 
profonde  douleur  de  perdre  mon  frère  bien  aimé,  le  collaborateur  assidu  de  tous 
mes  travaux,  l'ami  dévoué  qui  ne  m'avait  jamais  quitté. 

Je  n'ai  pas  ici  à  faire  son  élog-e,  que  je  n'ai  pas  même  voulu  laisser  faire 
par  d'autres.  Il  est  des  douleurs  qm  ont  besoin  de  silence. 

D'ailleurs  à  quoi  bon  rappeler  tout  ce  qu'il  a  fait  et  surtout  tout  ce  qu'il  savait, 
cet  homme  universel,  qui,  comme  Pic  de  la  Mirandole,  mais  à  une  époque  beaucoup 
plus  savante,  avait  voulu  pénétrer  toutes  les  connaissances  humaines? 

En  me  plaçant  au-dessus  de  moi-même  et  de  mes  affections,  qu'il  me  soit  seule- 
ment permis  de  regretter  que  nous  n'ayons  pas  pu  achever  ensemble  l'ouvrage  que 
nous  méditions  depuis  tant  d'années  sur  les  origines  du  droit.  A  nous  deux,  et  sur- 
tout à  l'aide  de  ce  juriste  et  de  ce  babylonisant  de  premier  ordre,  nous  voulions 
montrer  qu'il  n'y  a  pas  une  loi  du  Corpus  juris  qui  n'ait  son  point  de  départ  et 
son  commentaire  naturel  dans  les  documents  de  l'Egypte  et  de  la  Chaldée.  Nous 
voulions  montrer  bien  autre  chose  encore  dans  un  ouvrage  qui  devait  être  notre 
monument  et  que  nous  comptions  commencer  l'année  même  où  il  m'a  été  ravi. 

Mais  hélas!  il  n'est  plus,  et  je  n'ai  qu'à  courber  la  tête. 

Eugène  Revillout. 


106  ViCTOE  Revillout. 


DEUX  ANCIENNES  LOIS  DU  PAYS  D'ACCAD. 

PAi; 

Victor  Revillout. 

(Suite.') 

Chacun  de  ces  actes  d'abdication  se  divise  en  deux  parties  qui  commeuceut  l'une  et 
l'autre  par  les  mots  ittursu  tukundibi  (désormais  sentence). 

Ces  deux  parties  se  répondent  l'une  à  l'autre  :  la  première  contient  la  constatation  de 
l'ingratitude  de  l'enfant  qui  méconnaît,  soit  sa  mère  seule,  soit  à  la  fois  son  père  et  sa  mère  ; 
la  seconde  renfenne  le  désaveu  de  ce  lils  ingrat. 

La  conclusion  pratique  de  ces  deux  paragraphes  est  identique  dans  l'acte  que  voici  ^  : 

«  A  partir  d'à  présent,  sentence  :  Ilani  Irba  à  femme  Saatani  sa  mère  «  non  mère  >  a  dit  ; 
de  teiTain,  jardin,  construction  quels  qu'ils  soient  qu'il  soit  mis  dehors.  A  partir  d'à  présent, 
sentence  :  f.  Saatim  à  Ilani  irba  son  lils  «tu  n'es  plus  mon  tils»  a  dit;  de  terrain,  jardin, 
construction  quels  qu'ils  soient  qu'il  soit  mis  dehors.» 

Le  second  acte  commence  par  une  sorte  de  préambule  très  lacuueux  sur  deux  exem- 
plaires qui  ne  paraissent  pas  complètement  identiques  et  où  les  premières  lignes  manquent 
absolument,  du  moins  sur  la  copie  de  M.  Strassjiater,  car  je  n'ai  pas  le  texte  sous  les  yeux. 
Ce  que  l'on  croit  y  découviii-  c'est  qu'il  s'agit,  dans  une  première  phrase,  de  propriétés  : 
terrain,  jardin,  cour,  con.structiou,  d'Etelkasiu  et  de  Sinnaid  sa  femme;  que  leur  nom  se  trouve 
répété  dans  une  seconde  phrase  vis-à-\-is  de  leurs  fils  ingrats.^ 

Après  cela  viennent  les  deux  paragraphes  essentiels*  : 

«A  partir  d'à  présent,  sentence  :  Sin(erib"?^su  à  Etelkasin  son  père,  et  Sinnaid,  sa  mère, 
tu  n'es  pas  mon  père,  tu  n'es  pas  ma  mère  a  dit  :  argent  sera  donné.  —  Sentence;  Etelkasin 
et  Sinnaid,  sa  femme,  à  Sin(erib'?)su,  leur  fils,  tu  n'es  pas  mon  fils  ont  dit  :  propriété,  jardin, 
terrain  nu  :  sa  part,  sera  reprise,  sera  (donnée).» 

On  remarquera  qu'ici  la  sanction,  la  conclusion  se  trouve  très  différente  de  celle  des 
antiques  lois  d'abdication  correspondantes,  puisqu'elle  paraît  uniquement  consister  dans  le  droit 
pour  les  parents  de  déshériter  leur  fils,  de  donner  leur  argent  à  d'autres,  de  lui  reprendre 
sa  part  et  de  la  donner  à  d'autres.  Ajoutons  du  reste  que  le  texte  primitif  de  ces  deux 
paragraphes  fondamentaux  est  entièrement  écrit  en  langue  touranienne,  sans  aucun  mélange 
de  mots  sémitiques,  en  dehors  des  noms  propres. 

Une  autre  loi  également  tirée  des  bilingues  d'Assourbanipal  et  reproduite  dans  les  docu- 
ments juridiques  de  M.  Offert,  qui  avait  pris  soin  d'en  mettre  en  lumière  la  nature  officielle 
et  toute  la  portée,  réglait  le  taux  légal  de  l'intérêt  dans  les  anciennes  villes  accadiennes.  Ce 

'  En  donnant  ici  la  suite  de  l'article  de  mon  frère  je  dois  faire  remarquer  que,  d'après  ses  dires,  il 
avait  beaucoup  d'additions  et  de  modifications  à  y  faire,  cet  article  étant  vieux  de  près  de  dix  ans.  Dans 
la  Revue  je  compte  d'ailleurs  publier  bientôt  d'autres  travaux  assyriens  et  babyloniens  plus  récents  et  plus 
import.ants  de  mon  frère. 

2  Voir  le  texte  de  cet  acte  et  du  suivant  dans  nos  planches  où  nous  donnerons  également  l'hélio- 
gravure des  actes  de  vente  qui  ont  fait  le  sujet  d'un  des  articles  de  mon  frère  dans  cette  .ffevwe  (VI,  102). 

3  Voir  aux  planches  le  texte  tel  qu'il  paraît  devoir  résulter  de  la  copie  bornée  malheureusement  par 
M.  Strassmayer  à  l'un  des  exemplaires  avec  quelques  variantes  tirées  de  l'autre. 

*  Voir  le  texte  aux  planches. 


Deux  anciennes  lois  d'Accad.  107 


taux  légal  était  de  20  pour  100,  nue  unité  divisionnaire  {clou,  darag  mana  ou  sekel)  par  mine. 
Or  c'est  encore  le  même  intérêt  qui  est  toujours  bien  longtemps  après  stipulé  dans  les  nom- 
breux actes  babyloniens  que  nous  avons  vus.  Dans  le  pays  d'Accad,  c'est-à-dire  dans  la  région 
de  Babylone,  il  semble  qu'on  a  toujours  gardé  une  limitation  légale  de  l'intérêt.  Il  en  est 
tout  différemment  en  Assyrie,  dans  ce  royaume  de  Ninive,  infiniment  plus  imprégné  de  l'esprit 
sémite,  et  où  l'on  ne  rencontre  pas  non  plus,  dans  les  actes  entre  particuliers,  comme  si  souvent 
dans  les  contrats  babyloniens,  de  longues  phrases  en  accadieu  pur,  ayant  non-seulement  les 
idéogrammes,  non-seulement  les  racines  transcrites  phonétiquement,  mais  les  particules,  les 
formatives,  les  désinences  verbales,  toute  la  contexture  grammaticale  de  l'ancienne  langue 
touranieune.  A  Ninive  l'intérêt  était  purement  conventionnel  et  sans  maximum.  Tantôt  les 
parties  stipulent  le  quart,  i  tantôt  le  tiers,  tantôt  la  moitié,  quelquefois  même  une  somme 

'  C'est  l'intérêt  du  quart  qui  se  trouve  stipulé  dans  la  tablette  K  309-30  du  Britisli  Muséum,  publiée 
sous  le  n°  9  dans  la  47"^  planche  du  troisième  volume  de  W.  A.  I.  Il  y  est  dit  que  la  somme  due,  5  mines 
d'argent  de  Karkemis,  rapportera  par  mois  5  sekels,  ce  qui  ferait  par  an  GO  sekels,  ou,  en  d'autres  termes, 
une  mine,  juste  le  quart  du  capital.  Sur  cet  intérêt  du  quart  ou  de  25  pour  100,  voir  Lettres,  p.  177. 

Dans  un  très  grand  nombre  d'autres  actes  ninivites,  l'intérêt  n'est  plus  calculé  par  mois,  mais  par 
an,  et  alors  on  se  borne  à  dire  que  le  capital  produira  son  quart.  Cette  expression  «  son  quart  s  est  figurée 
par  le  chiffre  suivi  de  la  finale  tmn,  ou  ti,  ou  utii  W^T,  W>-<T>-,  V'^T>-<T»-;  puis  vient  le  pronom 
possessif  J  «sien».  On  pourrait  d'abord  légitimement  se  demander  s'il  s'agissait  d'une  fraction  ou  d'un  mul- 
tiple. En  effet,  d'après  les  finales  on  pouvait  voir  que  les  expressions  complètes  devaient  être  irbuttum. 
La  traduction  nécessaire  était  donc  quartam  ou  qtiaHum,  selon  le  genre  que  l'on  supposait  au  substantif 
sous -entendu  auquel  se  rapportait  l'adjectif  numéral.  C'est  celle  que  M.  Oppert  a  donnée  dans  ses  mot-à- 
mot.  Mais  rien  n'indiquait  s'il  fallait  croire  à  une  multiplication  par  quatre,  à  une  quadriplicatlon  ou,  au 
contraire,  à  une  division  par  quatre,  à  une  fraction  du  quart.  Aujourd'hui  la  question  est  entièrement 
jugée,  grâce  à  quelques  textes  nouveaux.  En  effet,  les  mêmes  termes  se  trouvent  également  pour  expri- 
mer la  fraction  du  quart  dans  des  cas  où  il  n'est  pas  possible  de  supposer  un  multiple  de  quatre,  car  il 
n'y  est  plus  question  d'un  calcul  d'intérêt,  toujours  délicat,  mais  simplement  de  l'énoncé  d'une  somme 
due  en  capital.  Parmi  les  actes  de  ce  genre  nous  citerons,  entre  autres,  un  acte  inédit  de  Londres,  du 
fonds  babylonien,  daté  de  l'an  1  de  Nabouid  et  portant  les  n">«  79,  7,  30,  3-t.  La  somme  indiquée  eu  tête 
de  cet  acte  est  de  i  mines,  2  sekels  et  quart  d'argent.  Nous  citerons  également  du  même  fonds  un  autre 
acte  que  M.  Steossmayer  a  publié  et  qui  porte  les  Uo,  7,  38,  76,  11,  17.  Cet  acte  commence  par  les  mots 
quatre  sekels  \,  pesés,  d'argent;  cet  acte  est  daté  de  la  30°  année  de  Nabuchodonosor  et  l'expression 
idéographique  T  que  traduirait  en  langue  sémitique  le  verbe  sakalu  :  peser,  est  en  parallélisme  de  sens 
avec  hiika  indiquant  déjà  alors  les  pièces  (cf.  Lettres,  p.  141  et  suiv.).  Nous  avons  en  effet  beaucoup  d'autres 
actes  où  il  est  dit  que  la  somme  sera  payée  «  suivant  un  sekel  pièce  »  c'est-à-dire  en  pièces  de  monnaie  dont 
chacune  valait  un  sekel.  Je  citerai,  par  exemple,  un  acte  inédit  du  Louvre,  relatif  à  une  dette  de  6  sekels 
d'argent,  dont  la  date,  du  régne  de  Nabuchodonosor,  ne  porte  plus  bien  nettement  que  les  dizaines  «... 
vingt .  .  .»;  un  autre  acte,  également  du  Louvre  et  également  inédit,  relatif  à  une  dette  d'une  mine  et  l,  qui 
porte  la  date  de  l'an  18  de  Nabonid.  Mais  ce  n'est  pas  le  lieu  d'insister  sur  ce  point  que  nous  développons 
dans  un  autre  travail  sur  les  monnaies  et  leur  origine.  Ajoutons  seulement  que  le  signe  T  pesé  se  re- 
trouve dans  un  contrat  assyrien  inédit  du  British  Muséum,  le  n°  K  356  et  qu'il  y  précède,  au  lieu  d'y 
suivre,  les  signes  ^  -^y.  La  somme  y  est  énoncée  ainsi  :  «4  mines,  6  du  pesés  et  ^  d'argent.»  Il  est 
donc  impossible  de  lire  «4  tahal^  comme  le  proposait  M.  Steossmayer  dans  l'acte  qu'il  a  publié  et  dont 
nous  avons  parlé  ci-dessus. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  pour  le  quart  est  également  vrai  pour  le  tiers.  Cette  expression  numé- 
rale se  présente  dans  les  contrats  de  Ninive,  non-seulement  à  propos  d'intérêts  annuels,  mais  dans  l'énoncé 
du  capital  de  sommes  dues  ou  encaissées.  C'est  ainsi  que  l'acte  inédit  de  Londres,  marqué  K  336  et  relatif 
à  un  prêt  de  8  mines  un  tiers  d'argent  du  trésor  d'Istar  d'Arbelles,  énonce  cette  somme  de  cette  ma- 
nière au  lieu  d'évaluer  comme  d'ordinaire  la  fraction  de  mine  en  sekels.  De  même  dans  un  relevé  de 
comptes  inédit  qui  est  marqué  K  3782  dans  la  même  collection,  figure,  entre  autres,  une  somme  de  2  mines 
un  sekel  J.  La  finale  paraît  indiquer  que  le  mot  complet,  signifiant  le  tiers,  serait  ici  salissa,  dérivé  de 
salistu,  par  une  action,  souvent  réciproque  en  assyrien,  de  t  sur  *,  et  de  s  sur  t. 

14* 


108  Victor  Revillout. 


éo-ale  au  capital,  ou,  comme  nous  dirions,  cent  pour  cent.  Il  est  à  noter  que  l'intérêt  est  géné- 
ralement d'autant  plus  fort  que  les  sommes  dues  sont  plus  petites,  comme  dans  ce  qu'on 
appelle  pour  les  usuriers  de  bas  étage  le  prêt  à  la  petite  semaine. 

Pour  en  revenir  au  taux  de  l'intérêt,  que  cette  parentlièse,  peut-être  un  peu  longue,  mais  au  moins 
utile,  si  non  nécessaire,  ne  doit  pas  nous  faire  perdre  de  vue,  nous  avons  dit  qu'en  Assyrie  il  était  souvent 
stipulé  du  quart.  Tel  est  le  cas,  par  exemple,  pour  un  prêt  de  10  sekels  d'argent  (tablette  K  179-73  du 
Britisli  Muséum);  pour  un  autre  prêt  également  de  10  sekels  d'argent  (tablette  K  .381,  B.  M.);  pour  une 
dette  de  8  sekels  d'argent  (K  368,  93,  B.  M.);  pour  une  autre  de  30  sekels  (K  323,  B.  M.);  pour  une  autre 
de  3  mines,  10  sekels  (K  337-57,  B.  M.)  ;  pour  un  contrat  relatif  à  5  sekels  d'argent  :  c'est  notamment  dans 
celui-là  que  le  chiffre  4  est  suivi  des  deux  syllabes  terminales  utti  ^1  *~<T*"  (R  ^9;  K  339);  dtans  un  autre 
contrat  relatif  à  une  somme  de  9  mines,  16  sekels  d'argent  (K  342).  Parmi  ces  textes  inédits  que  nous 
avons  étudiés  à  Londres  lors  d'un  court  voyage,  le  dernier  mérite  de  nous  arrêter  un  instant,  car  on 
y  retrouve  une  expression  dont  M.  Oppeet  avait  exactement  indiqué  le  sens  réel  quand  il  la  rencontra 
dans  un  acte  traduit  à  la  page  232  et  suiv.  de  ses  documents  juridiques,  mais  à  laquelle  M.  Pincues  a  voulu 
récemment  donner  une  signification  toute  différente,  en  l'unissant  avec  la  proposition  -y  qui  la  précède 
dans  certains  actes,  l'expression  ginu,  ginnu,  type,  étalon,  système  monétaire.  Cette  expression  se  ren- 
contre surtout  à  deux  époques.  (Conf.  Lettres  sur  les  monnaies  égyptiennes,  '2"  édit.,  p.  141.) 

1°  Quand  les  rois  de  Ninive,  ayant  conquis  la  ville  de  Karkemis,  s'appliquèrent  à  faire  rentrer  dans 
le  système  métrique  d'Assom-,  en  la  modifiant  un  peu  à  cet  effet,  la  mine  de  cette  ville,  fort  usitée  dans 
les  relations  commerciales,  on  eut  soin  d'ajouter  dans  certains  actes  que  les  sommes  étaient  payables  en 
mines  de  l'étalon  d'Assour  ginu  sa  Assour.  J'ai  démontré  d'ailleurs  dans  un  autre  travail,  que  les  diffé- 
rences entre  la  mine  de  Karkemis  proprement  dite,  la  mine  du  roi,  expressément  nommée  dans  plusieurs 
contrats,  entre  autres  nu  acte  inédit  qui  porte  au  British  Muséum  les  n°"  429,  R  140,  celui  qui  est  inscrit 
K  342  et  qui  a  été  publié  sous  le  n°  5  dans  la  pi.  47  du  troisième  volume  de  W.  Â.  L,  etc.,  la  mine  du 
pays,  mentionnée  par  exemple  dans  l'acte  inédit,  K  150  de  la  même  collection,  et  la  mine  sans  désignation 
particvdiére,  en  ce  qui  concerne  la  valeur,  ne  doivent  pas  être  considérables,  car  dans  les  ventes,  les  quantités 
en  sont  à  peu  prés  identiques  pour  le  prix  des  mêmes  objets.  C'est  ainsi  que  dans  l'acte  inédit,  K  457 
du  British  Muséum,  une  femme  est  achetée  une  demi-mine  en  mines  de  Karkemis,  prix  le  plus  habituel 
d'une  esclave  en  mines  ordinaires;  dans  l'acte  K  444,  deux  esclaves  coûtent  une  mine,  en  mines  de  Kar- 
kemis; dans  K  150,  deux  esclaves  sont  vendus  pour  une  mine  du  roi,  etc.  Ce  sont  ces  grandes  ressem- 
blances entre  l'étalon  de  Karkemis  et  les  autres  étalons  monétaires  en  usage  dans  le  reste  de  l'Assyrie 
qui,  quand  cette  ville  si  commerçante  fut  englobée  dans  leur  empire  sans  être  détruite  (nous  avons  encore 
dans  nos  actes  la  mention  expresse  du  palais  de  Karkemis)  permit  aux  rois  de  Ninive  de  les  faire  tous 
rentrer,  par  une  réforme  tout-à-fait  semblable  à  celle  que  plus  tard  firent  les  Ptolémées,  dans  un  même 
système  métrique  ginu  sa  assm:  (Conf.  Lettres  sur  les  monnaies,  p.  146.) 

2°  Quand  Darius  prenant  l'étalon  d'or  pour  étalon  principal,  et  y  rattachant  seulement  l'argent  comme 
monnaies  divisionnaires  avec  la  proportion  de  13^  à  1,  fit  fondre  des  monnaies  qui,  bien  loin  de  peser  ce 
que  pesait  l'ancien  sekel,  n'eu  représentaient  que  les  deux  tiers  et  en  portaient  pourtant  vulgairement  le  nom, 
on  eut  soin  dans  certains  contrats  de  spécifier  que  les  sekels  d'argent  à  recevoir  n'étaient  pas  de  ces  sekels 
en  pièces  divisionnaires  d'une  valeur  moindre  que  le  soixantième  de  la  mine  pesée,  mais  bien  en  soixan- 
tièmes'de  mine,  calculés,  soit  suivant  le  poids,  soit  en  pièces  de  l'ancienne  frappe,  ou  en  pièces  étrangères, 
telles  que  les  antiques  didrachmes  d'Athènes,  frappés  d'un  seul  côté,  portant  l'effigie  d'un  oiseau  et  figurant 
exactement  le  soixantième  d'une  mine  en  poids  dans  le  système  métrique  de  Babylone,  sa  ginnu.  Cette 
fois  M.  PiNCHEs  a  voulu  faire  de  saginnu  un  seul  mot,  mot  qu'il  a  traduit  par  punched,  frappé  :  bévue  que 
devait  rendre  impossible  l'existence  des  actes  de  Ninive  où  le  substantif  se  montre  seul,  sans  être  précédé 
de  la  préposition    -y  . 

L'acte  inédit  qui  nous  a  conduit  à  ces  réflexions  incidentes,  commence  par  les  mots  :  «9  mines, 
16  sekels  d'argent  du  système  d'As.sour.  » 

Il  ne  mentionne  pas  de  témoins.  Après  les  noms  des  parties  et  la  date,  l'intérêt  au  quart  s'y  trouve 
stipulé  dans  une  phrase  surajoutée. 

Cet  intérêt  du  quart  se  rencontre  également,  en  dehors  des  actes  inédits  déjà  mentionnés,  dans  un 
certain  nombre  de  ceux  qui  ont  été  publiés  dans  W.  A.  L  Nous  citerons  notamment  le  n°  8  de  la  pi.  4ô 
relatif  à  un  prêt  de  10  sekels  d'argent  du  trésor  d'Istar  de  Ninive,  le  n°  2  de  la  pi.  47,  relatif  à  un  prêt 
de  17  sekels  d'argent  du  trésor  d'Istar  d'Arbelles,  le  n"  3  de  la  pi.  47  (dette  de  13  sekels)  et  les  n"  u 
et  7  de  la  même  planche  (dettes  de  9  mines,  15  sekels  et  de  6  mines,  6  sekels). 

L'intérêt  du  tiers  est  plus  rare;  sur  quatre  contrats  que  nous  avons  comptés  comme  le  stipulant 


Deux  anciennes  lois  d"Accai>.  109 


Le  système  du  prêt  conveutiouuel  est  celui  que  nous  retrouvons  à  Athènes.  La  loi  s'y 
bornait  à  spécifier  exceptionnellement  des  intérêts  légaux  pour  certaines  dettes  déterminées, 

deux  sont  relatifs  à  des  sommes  dues  en  cuivre;  ce  sont  l'acte  inédit  que  porte  le  n°  K  415  au  British 
Muséum  et  l'acte  K  350,  70  que  forme  le  n°  8  de  la  pi.  47.  Dans  ce  dernier  la  somme  due  sur  le  trésor 
d'Istar  d'Arbelles  s'élève  à  2  talents  de  cuivre,  somme  relativement  assez  élevée  et  dont  la  mention,  en 
cuivre  viéme,  sans  évaluation  en  argent,  montre  que  l'étalon  de  cuivre  devait  avoir  alors  une  certaine  im- 
portance à  côté  de  l'étalon  d'argent.  Les  deux  autres  actes  assvriens  où  il  est  question  d'intérêt  au  tiers 
sont  le  n°  K  413  inédit  et  celui  que  forme  le  n°  10  de  la  pi.  47  du  troisième  volume  de  ir.  A.  I. 

Dans  un  autre  contrat  inédit  du  British  Muséum,  pour  une  dette  de  3  mines  d'argent  de  Karkemis 
l'intérêt  s'élève  à  6  sekels  par  mois,  ce  qui  ferait  par  an  72  sekels,  une  mine  et  un  cinquième  de  mine, 
cVst-à-dire  jjIus  du  tiers  et  moins  de  moitié.  (Conf.  Lettres  mr  les  monnaies,  p.  17S.) 

Dans  le  n"  4  du  British  Muséum,  relatif  à  une  somme  de  8  sekels  d'argent  payable  le  premier  Sivan 
on  rencontre  une  phrase  qui  semble  indiquer  l'intérêt  d'une  moitié  de  la  somme,  50  pour  cent.  Mais  comme 
ce  grossissement  n'est  ici  stipulé  que  pour  le  cas  où  cette  dette,  relativement  minime,  ne  serait  pas  payée 
à  jour  fixé,  on  peut  se  demander  si  cette  clause  pénale  a  été  seulement  un  iutéiêt  grossi,  ou  s'il  ne  s'agit 
pas  d'nne  sorte  d'fiemiolion  dû  dès  le  premier  jour  de  retard,  comme  en  Egypte.  (Conf.  Lettres,  p.  178.) 

La  même  question  se  pose  pour  un  acte  inédit  du  British  Muséum,  portant  le  n°  K  281,  relatif  à 
une  dette  de  3  mines,  30  sekels  et  où  le  même  accroissement  se  trouve  stipulé. 

Enfin,  dans  un  contrat  qui  paraît  être  un  prêt  à  la  petite  semaine,  car  la  dette,  faible  du  reste, 
stipulée  le  3  de  Sebat,  est  remboursable  dès  le  20  du  même  mois,  l'intérêt,  en  cas  de  non-payement,  est 
de  cent  pour  cent,  ana  mahhir  rahbiu  lie  mot  makhar  se  rattache  ici  à  la  racine  mahiru  «égal»).  {Lettres,  p.  178.) 

Avant  d'en  finir  avec  les  actes  assyriens,  nous  devons  dire  quelques  mots  d'un  contrat  fait,  il  est 
vrai,  à  Warka  en  Chaldée,  mais  sous  le  règne  d'Assourbanipal,  en  l'an  16  de  ce  roi  de  Niuive.  Dans  ce 
contrat  qui  appartient  à  M.  Lekocx,  l'intérêt  stipulé  dépasse  d'un  tiers  l'intérêt  habituel  du  royaume  de 
Babylone;  il  est  d'un  sekel  et  demi  par  mine  et  par  mois  (ce  qui  fait  18  pour  60  par  an,  30  pour  cent), 
à  partir  du  mois  de  Sivan  (c'est-à-dire  à  partir  de  la  date  même  de  l'acte).  (Conf.  Lettres,  p.  177.) 

On  trouve  aussi  ce  même  intérêt  de  1  dû  et  demi  par  mois,  30  pour  cent,  dans  un  contrat  inédit, 
fragmenté,  de  la  Bibliothèque  Nationale  dont  la  provenance  est  inconnue. 

A  Babylone  et  dans  le  royaume  de  Babylonie,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  tons  les  actes 
que  nous  avons  vus  jusqu'à  présent,  nous  montrent  un  intérêt  conforme  aux  prescriptions  des  vieilles  lois 
touraniennes  du  pays  d'Accad.  (Conf.  Lettres,  p.  179 — 182.) 

Dans  un  acte  inédit  du  Louvre,  portant  le  n°  1859,  cet  intérêt  de  vingt  pour  cent,  un  sekel  par 
mine  et  par  mois,  est  expressément  stipulé  en  ces  termes  :  «l'argent  produira  à  leur  charge  un  sekel  par 
mine»  pour  une  somme  de  10  sekels  et  demi,  résultant  d'un  règlement  de  compte  et  représentant,  capi- 
talisé, l'intérêt  de  7  mois  (le  7'  mois  étant  compté  comme  commencé  lors  du  règlement  de  compte  et 
l'intérêt  des  six  sekels  étant  abandonné  comme  compensation)  calculé  à  20  pour  cent,  dune  somme  d'une 
mine  et  demie  et  6  sekels  d'argent  antérieurement  prêtée. 

De  même  dans  un  autre  inédit  du  Louvre,  portant  le  n°  1823,  les  intérêts  produits  par  une  dette 
antérieure  à  l'intérêt  légal  de  20  pour  cent,  une  fois  ayant  atteint  la  somme  de  9  sekels,  sont  capitalisés 
de  manière  à  produire  à  leur  tour  intérêt  au  taux  de  20  pour  cent. 

De  même  dans  un  autre  acte  inédit  du  Louvre  dont  le  numéro  est  perdu,  l'intérêt  calculé  d'avance  à 
20  pour  cent  pour  une  dette  de  45  mines,  doit,  quand  il  égalera  cinq  mines,  être  réuni  au  capital,  lequel 
alors  sera,  comme  c'est  aussi  le  cas  dans  plusieurs  actes  égyptiens,  considéré  comme  le  prix  de  la  vente 
des  7  esclaves  et  du  terrain  qui  sont  le  gage  du  débiteur. 

On  voit  que  les  créanciers  sémites  de  Babylone,  alléchés  par  l'exemple  de  ceux  de  Ninive  qui  en 
l'absence  d'un  taux  légal  laissaient  produire  à  leur  argent  le  plus  possible,  avaient  tourné  la  difficulté  dans 
une  certaine  mesure  par  la  répétirion  des  règlements  de  compte.  Au  milieu  de  la  cinquième  année,  une 
somme  de  100  francs,  placée  à  20  pour  cent,  avec  intérêts  capitalisés  tous  les  six  mois  par  des  règlements 
de  compte  successifs,  aura  déjà  produit  un  peu  plus  que  la  même  somme  de  100  francs,  placée  à  30  pour 
cent,  mais  sans  capitalisation  des  intérêts.  (.Le  total  sera  d'une  part  de  235  francs,  77  centimes  et  d'une 
autre  part  235  trancs  juste. 1  On  voit  l'avantage  que  les  prêteurs  de  Babylone  pouvaient  trouver  à  procéder 
comme  ils  le  faisaient.  (Conf  Lettres,  p.  181  —  182.) 

L'intérêt  de  20  pour  cent,  un  sekel  par  mine,  est  aussi  celui  que  l'on  ti-ouve  dans  l'acte  du  temps 
de  Cyrus,  publié  par  M.  Pikches  en  1879,  dans  l'acte  du  temps  de  Cyrus,  publié  par  M.  Pikches  en  1883 
etc.  Dans  celui-ci  le  mot  mana  ne  se  trouvait  pas  décliné;  il  y  avait  tout  simplement  ina  eli  mana  1  du 
irabbi,  cela  n'a  pas  empêché  M.  Pisches  de  traduire  «  Interest  at  the  rate  of  1  i  weak)  mana  1  sekel  »  = 
intérêt  au  taux  d'une  mine  i/aible)  et  un  sekel  par  mois! 


110  Victor  Revillodt. 


par  exemple  pour  la  restitution  retardée  de  la  dot  et  pour  quelques  cas  aualogues  où  les 
conventions  entre  parties  n'avaient  pas  pu  intervenir. 

A  Rome,  au  contraire,  l'intérêt  avait  un  maximum.  Comme  eu  Egypte  et  comme  dans 
le  pays  d'Accad  il  y  avait  un  taux  légal.  Ce  taux  était  celui  que  l'on  spécifiait  convention- 
nellement  à  Athènes  lorsque  l'on  disait  l'intérêt  sera  d'une  drachme,  c'est-à-dire  d'une  drachme 
par  mine  et  par  mois,  ou  en  d'autres  termes  12  pour  100  par  an,  un  pour  100  par  mois, 
d'où  est  venu  le  mot  centesima.  On  se  servait  donc  exactement  dans  ce  cas  à  Athènes  de  la 
même  expression  qu'à  Babylone  ^une  daragmana  par  mine)  avec  cette  seule  différence  que 
la  daragmana  ou  sekel  est  à  Babylone  le  soixantième  de  la  mine,  tandis  que  la  drachme  à 
Athènes  n'était  que  le  centième  de  la  mine.  Tout  en  ayant  la  même  désignation,  l'intérêt 
qui  est  devenu  l'intérêt  romain  était  donc  inférieur  à  l'intérêt  babylonien  dans  la  proportion 
de  60  à  100,  de  12  à  20. 

Dans  les  contrats  de  la  Chaldée  cet  intérêt  de  20  pour  100  se  trouve  habituellement 
indiqué  dans  les  termes  suivants  :  «sa  arah  ana  eli  estin  manie  esfin  du  kaspu  irahhi»,  — 
«par  mois,  pour  une  mine  un  sekel  l'argent  produira,  mot-à-mot  grossira».  M.  Pinches,  publiant 
un  de  ces  contrats  dans  les  Transactions  de  la  société  d'archéologie  bil)lique,  a  traduit  aussi 
cette  formule  :  «for  a  month,  to  (the  amont)  of  1  manie  1  sekel  of  silver  it  increases». 
Par  mois  il  s'accroît  de  la  quantité  (le  montant)  d'une  mine  et  un  sekel,  et  il  a  ajouté  en 
note  :  «le  mot  manie  est  une  autre  forme  du  mot  mania  «marcher»  et  toutes  les  fois  qu'il  se 
rencontre,  il  se  rapporte  à  l'intérêt  d'une  somme  d'argent  prêté.  La  manie  était  probablement 
de  moindre  valeur  que  la  7nana  tqui  ne  se  trouve  que  rarement  eu  connexion  avec  l'intérêt), 
car  autrement  le  taux  de  l'intérêt  serait  souvent  très  exorbitant.  »  Exorbitant!  Il  le  serait  dans 
tous  les  cas,  si  l'on  admettait  la  traduction  de  M.  Pinches,  quelque  petite  qu'on  supposât  la 
mine,  car  on  trouve  les  mêmes  termes  quand  il  s'agit  des  dettes  les  plus  minimes  par  exemple 
de  12  sekels  et  demi  ou  de  10  sekels  ou  de  5  sekels,  qui  se  trouveraient  ainsi  produire  par 
mois,  suivant  la  traduction  de  M.  Pinches,  en  supposant  que  la  prétendue  manie  ne  soit  que 
la  moitié  de  la  mine,  plus  de  3  fois  ou  de  6  fois  leur  montant  (  plus  de  8000  pour  100  par 
année  en  ce  qui  touche  la  dernière). 

On  ne  comprend  pas  du  reste  comment,  ayant  à  sa  disposition  la  multitude  de  contrats 
du  British  Muséum,  pouvant  s'assurer  en  un  instant  que  les  expressions  se  retrouvaient  ratta- 
chées aux  dettes  les  plus  diverses,  M.  Pinches  a  pu  croire  que  toutes  ces  sommes  produisaient 
indifféremment  le  même  total  d'intérêt  mensuel. 

M.  Oppekt  a  démontré  d'ailleurs  dans  le  Journal  asiatique  que  M.  Pinches  n'avait 
rien  compris  à  cet  acte  et  que  toute  sa  traduction  était  une  série  de  contresens  les  moins 
justifiés.  En  ce  qui  touche  l'intérêt,  il  a  montré  que  la  phrase  en  question  représentait  l'intérêt 

L'existence  d'un  taux  légal  n'empêche  nulle  part  de  pouvoir  stipuler  conventionnellement  un  intérêt 
inférieur  à  ce  taux  légal.  C'est  ce  qui  a  lieu,  par  exemple,  dans  un  contrat  de  l'an  8  de  Nabuchodonosor, 
publié  par  M.  Strassmatee  dans  la  revue  allemande  de  MM.  Bezold  et  Hdmmel,  \).  92.  Les  particularités 
de  cet  acte  (dans  lequel  l'intérêt,  au  lieu  d'être  calculé  par  mois,  afin  de  faciliter  sa  capitalisation,  comme 
d'ordinaire  à  Babylone,  est,  au  contraire,  calculé  par  an,  comme  d'habitude  à  Ninive,  et  d'après  lequel 
une  somme  de  §  de  mine  ne  doit  produire  que  sur  le  taux  de  8  sekels  par  mine  pour  l'année),  ces  parti- 
cularités, dis-je,  s'expliquent  par  ce  qu'il  s'agit  d'une  réclamation  relative  au  reliquat  d'un  apport  social  que 
deux  associés  s'étaient  obligés  de  verser  ensemble  et  pour  lequel  l'un  des  deux  se  trouvait  partiellement 
en  retard.  M.  Strassmatek  a  publié  plusieurs  pièces,  fort  intéressantes,  relatives  à  cette  société. 


Quelques  documents,  etc.  111 

annuel  de  12  pour  100  fixé  par  la  loi  accadienne.  Il  n'existe  pas  de  vmme  distincte  de  la 
maiia.  Ces  deux  formes  sont  tout  simplement  deux  cas  différents  du  même  mot.  En  assyrien, 
le  génitif  se  forme  en  i  ou  e  ou  ie,  et  la  préposition  babylonienne  ana  eli  «  pour  »  gouverne 
régulièrement  le  génitif,  comme  les  prépositions  ana,  à;  Ina,  de,  à,  etc.  C'est  pour  cela  que 
l'on  rencontre  les  formes  géuitives  manai,  manie,  non-seulement  quand  il  s'agit  de  l'intérêt 
dans  la  locution  pour  une  mine,  mais  quand  il  s'agit  de  sommes  payables  «en  mine  de  Kar- 
kemis».  Ou  ne  peut  s'étonner  que  d'une  chose,  c'est  de  voir  M.  Pinches,  et  à  son  imitation 
M.  Bertin,  conserver  leur  ancienne  interprétation,  pourtant  absurde,  jusque  dans  leurs  plus 
récents  travaux. 


QUELQUES  DOCUMENTS  HISTOEIQUES 

DE 

BOCCHORIS  A  PSAMMÉTIQUE  F". 

PAU 

Eugène  Revillout. 

De  même  que  nous  avons  donné  aux  lecteurs  de  cette  Revue  comme  spécimen  quelques- 
unes  des  leçons  formant  le  commencement  de  l'introduction  historique  de  notre  notice  des 
papyiais  archaïques,  de  même  nous  croyons  d'avoir  leur  donner  un  spécimen  des  documents 
qui  y  sont  contenus  —  mais  en  laissant  pour  la  notice  elle-même  les  commentaires  juridiques 
et  en  nous  renfermant  seulement  dans  une  étude  limitée  au  seul  point  de  vue  historique. 

RÈGNE  DE  BOCCHORIS. 

E  3168. 

Parmi  les  papyrus  démotiques  de  l'écriture  la  plus  archaïque,  faisant  partie  du  vieux  fonds  du 
Louvre,  le  plus  ancien  est  le  suivant  : 

<.An  16,  26  Tybi. 

«  La  femme  Sethor,  fille  de  Petinamen,  dit  au  choachyte,  frère  de  père,  Arnbokuranf  : 
Je  te  transmets  les  deux  aroures  et  quart  de  terre  de  la  double  maison  de  vie  d'Harshefi  ' 
(c'est-à-dire)  le  terrain  de  Menkh,  —  (aroures)  que  je  t'ai  donné  à  recevoir  en  don  de  do- 
nation. Je  te  transmets  (dis-je)  les  deux  aroures  et  quart  de  terre  de  la  demeure  de  vie 
d'Harshefi  (formant)  leur  terrain,  aroures  qui  furent  apportées  ^  pour  toi  par  Suten  à  mon 
père.  Je  t'ai  donné  cela  en  transmission  et  comme  biens  revenant  à  toi.  Il  n'y  a  point  à 
donner  (ces  aroures)  à  homme  quelconque  —  ni  moi,  ni  mes  fils  (ne  le  peuvent)  —  en  part 
ou  à  les  enlever  en  dehors  de  toi.  Il  n'y  a  point  à  en  donner  part  quelconque  en  dehors 
de  toi. 

«  En  témoignage  Montnebpe,  fils  d'Hormès.  » 

(Le  reste  manque.)  ^ 

'  C'est-à-dire  dépendant  du  teriitoire  sacré  des  hiérogrammates  d'Horshefi. 
'  C'est  le  mot  consacré  pour  ce  que  nous  appelons  aussi  «les  apports». 

'  Notons  que  Devéria  (Catalogue  ties  mavuscrils,  p.  18C.  sous  le  n°  IX,  4)  publie  de  notre  texte  démotique  la  notice  suivante  : 
«IX,  4.  Inventaire  3168.    Manuscrit  hiératique  (1)  sur  un  petit  feuillet  de  papyrus,  liant  0  12,  largeur  013'/,.   onze  lignes   et  les  restes 


112  Eugène  Revillout. 


Le  nom  du  jeune  Arnbokenrant',  iiu(]url  la  femme  Setlior  faisait,  cette  transmission,  nous  montre 
avec  certitude  que  l'an  16  —  qui  forme  la  date  de  l'acte  —  appartient  au  règne  de  Bocchoris.  Tous  les 
égyptologues  savent  en  effet  qu'il  était  de  coutume  de  donner  le  nom  du  roi  régnant  —  ou  plutôt  de 
faire  entrer  ce  nom  comme  élément  dans  le  nom  de  certains  enfants  nés  sous  leur  règne.  C'est  à  l'aide 
de  cette  coutume  que  l'on  a  pu  dater  un  grand  nombre  de  stèles  et  de  documents  de  tout  genre.  Or  ici 
Arnbokenranf  signifie  la  créature  de  Bocchoris  —  roi  qui  s'appelait  en  égyptien  Bokenranf  (le  serviteur 
de  son  nom)  comme  l'ont  prouvé  les  stèles  du  Sérapéum.  Or  ce  nom  Bokenranf  est  un  nom  très  rare,  qu'on 
ne  trouve  pas,  à  ma  connaissance,  avant  ce  prince  et  qu'on  ne  trouve  plus  guère  après  lui  à  cause  des 
changements  de  dynastie  et  des  révolutions  dont  ce  prince  fut  victime.  Selon  Manéthon.  Bocchoris  constitue 
—  point  sur  lequel  insistait  beaucoup  M.  de  Rou(;k  —  à  lui  seul  la  XXIV  dynastie.  Il  en  fut  l'unique 
roi  et  il  fut  vaincu  —  après  44  ans  de  règne  —  par  Shabaku  qui  le  fit  prisonnier  et  le  brilla  vif  Diodore 
abonde  en  détails  sur  ce  grand  législateur  des  Égyptiens,  l'auteur  du  code  des  contrats,  dont  il  parle  tant 
et,  somme  toute,  si  exactement.  Il  nous  en  fait  le  portrait  physique  et  nous  apprend  surtout  un  point  fort 
intéressant,  c'est  qu'il  était  le  fils  de  Tafne^t.  Or  Tafnext  —  le  prince  de  Memphis  et  de  Saïs  —  nous  est 
bien  connu  par  la  stèle  de  Piankhi,  si  admirablement  traduite  et  commentée  par  M.  de  Rougé.  Tafnext,  qui 
n'est  jamais  qualifié  de  roi,  mais  seulement  de  prêtre,  de  chef,  de  prince  particulier,  entreprit  un  instant 
de  soumettre  les  autres  princes  du  nord  et  de  midi  pour  réunir  —  entre  ses  mains  ou  entre  les  mains  d'un 
roi  fainéant  dirigé  par  lui  —  la  totalité  de  l'ancien  royaume  des  Pharaons.  Il  avait  déjà  beaucoup  avancé 
dans  la  Thébaïde  —  qui  reconnaissait  jusqu'alors  l'hégémonie  un  peu  honoraire  du  roi  éthiopien  Piankhi  — 
quand  celui-ci  le  battit  complètement  et  l'obligea  (ainsi  que  tous  les  princes  et  les  roitelets  d'Egypte)  à 
lui  prêter  sennent  d'allégeance.  C'est  pour  avoir  manqué  à  ce  serment  paternel  que  Bocchoris,  le  fils  du 
prince  de  Saïs  et  de  Memphis,  Tafnekht,  s'étant  fiiit  reconnaître  officiellement  roi  et  ayant  pris  le  cartouche, 
fut  brûlé  vif  par  l'Ethiopien  Shabaku,  l'un  des  successeurs  de  Piankhi.  Mais  ce  que  nous  ne  savions  pas, 
ce  dont  nous  doutious  même  —  et  ce  que  notre  contrat  thébain  nous  apprend  —  c'est  que  Bocchoris 
n'avait  pas  été  reconnu  roi  seulement  par  les  princes  de  la  Basse-Egypte,  mais,  au  moins  pendant  16  ans, 
dans  la  Flaute-Egypte  et  jusque  dans  cette  Thèbes  que  Piankhi  possédait  sans  conteste  —  antérieurement 
même  aux  entreprises  et  aux  désastres  de  Tafnekht  qui  avaient  été  l'occasion  de  l'occupation  universelle 
de  l'Egypte  par  les  Éthiopiens.  —  A  ce  point  de  vue,  Manéthon  se  trouve  confirmé  dans  le  sens  même 
qu'indiquait  M.  de  Rougé  :  Bocchoris  fut  véritablement  roi,  grand  roi  et  l'unique  roi  de  sa  dynastie.  Ainsi 
s'explique  aussi  ce  fait  —  qui  me  paraissait  un  mystère  —  de  l'application  persistante  du  code  de  Bocchoris  en 
Thébaïde,  c'est-à-dire  dans  un  pays  où  je  croyais  jusqu'ici  qu'il  n'avait  jamais  régné.  Il  faut  donc  admettre 
que  Bocchoris  ne  se  borna  pas  à  usurper  le  cartouche  dans  les  villes  qu'il  gouvernait  déjà  comme  prince 
héréditaire,  ainsi  que  son  père  Tafnekht,  mais  qu'entre  Piankhi  et  Shabaku  il  trouva  le  moyen  d'intercaler 
à  son  actif  des  victoires,  en  repoussant  la  dynastie  éthiopienne  descendant  de  la  XXP  dynastie  des  prêtres 
d'Amon  de  Thèbes  —  de  cette  Thébes  même  dont  elle  se  considérait  comme  la  maîtresse  légitime  et 
incontestable.  On  comprend  bien  ainsi  la  fureur  sauvage  de  Shabaku  —  et  l'on  comprend  également  qu'à 
Thèbes,  après  Bocchoris  et  sous  les  Éthiopiens,  il  ne  saurait  être  question  d'un  nom  formé  comme  Arn- 
boknranf,  nom  dont  le  porteur  aurait  été  accusé  de  haute  trahison. 

Notons,  du  reste,  que  les  noms  des  contractants  et  de  leurs  parents  se  trouvent  pour  ainsi  dire  isolés 
dans  notre  série  de  contrats  thébains.  On  ne  retrouve  plus  du  temps  de  Shabaku  et  de  Tahraku  aucune 
des  parties  en  question  :  et  cela  paraît  tout  naturel  quand  on  donne  avec  Jlanèthon  44  ans  de  règne 
effectif  à  Bocchoris.  De  l'au  16  de  Bocchoris  à  l'an  10  de  Shabaku  il  y  a  vraiment  un  trop  grand  intervalle. 

Il  faut  bien  reconnaître  d'ailleurs  que  si  Manéthon  se  trouve  confirmé  par  notre  contrat  sur  un 
point  —  celui  de  la  royauté  de  Bocchoris,  effective  dans  toute  l'Egypte  pendant  de  longues  années  et 
unique  pour  sa  race  —  il  est  bien  loin  de  l'être  par  les  divers  documents  sur  tous  les  autres  et  parti- 
culièrement snr  la  place  réelle  de  ce  roi  dans  la  série  des  dynasties  égyptiennes.  C'est  ce  que  nous  aurons 
à  voir  à  propos  du  document  suivant. 


d'une  12*  d'une  écriture  très  négligée  commençant  par  une  date  :  Tan  XVI,  Thoout  le  2fi.  On  distingue  en  plusieurs  endroits  le  mot 
«argent»  (?)  et  deux  ou  trois  chiffres  qui  donnent  à  penser  que  c'est  une  pièce  de  comptabilité,  car  le  reste  est  presque  indéchiffrable  (?). 
Le  nom  du  mois  et  quelques  autres  caractères  se  rapprochent  beaucoup  des  formes  déraotiques,  bien  que  l'ensemble  de  l'écriture  paraisse 
d'une  époque  assez  ancienne.»  —  On  ne  saurait  se  tromper  plus  complètement  et  —  disons-le  —  plus  grossièrement. 

'  Notons  cependant  que  c'était  un  homme  nouveau  ;  car.  selon  la  stèle  de  Pianklii,  son  père  T.ifnel£ht,  —  chef  d'un  corps  de  ces 
étrangers  (sémites)  nommés  ma,  comme  beaucoup  d'autres  chefs  de  villes  nommés  dans  la  même  stèle,  étrangers  jnuant  sous  les  Bu- 
bastites,  et  les  Tanites,  leurs  cousins,  le  rôle  de  gardes  du  corps  du  roi.  comme  les  Turcs  sous  les  Califes,  —  Tafnekht,  dis-.ie,  qui 
n'était  que  le  petit  seigneur  de  Nutei  dans  l'origine,  devint  prince  de  Sais  et  de  Memphis,  villes  dont  il  se  fit  nommer  grand  prêtre, 
comme  il  devint  sans  doute  ministre  tout  puissant  du  roi,  puis  même  un  instant  presque  roi  du  Delta  et  d'une  partie  de  la  Thébaïde 
jusqu'aux  conquêtes  de  Pianchi.    .Son  fils  franchit  le  pas  et  fut  effectivement  roi. 


Quelques  docujients,  etc.  113 


§  9  7j  aucien  1995. 

Voici  la  notice  que  j'avais  donnée  de  cette  stèle  du  Sérapéum  en  1889  dans  mon  catalogue  entière- 
ment achevé,  mais  encore  inédit  de  la  peinture  égyptienne  (n°  189)  : 

«Stèle,  datée  du  roi  Bakenrauf  (Bocchoris),  le  grand  législateur  égyptien  iXXIV^  dyn.) 
en  l'honneur  de  TApis  mort  de  son  temps.  Elle  a  été  trouvée  dans  sa  chambre  funéraire 
avec  son  sarcophage  par  Mariette,  et  elle  représente  en  blanc  et  noir  dans  le  premier  re- 
gistre l'Apis  couché  entre  deux  prêtres  à  genoux;  et  dans  les  deux  autres  registres  d'autres 
adorateurs  à  genoux;  un  d'entre  eux  se  nomme  Ankhhor. 

Notre  cher  maîti'e  M.  de  Bougé  en  avait  déjà  dit  dans  la  notice  sommaire,  p.  60  : 

«Cette  inscription  tracée  à  Tencre  et  bien  peu  lisible  permet  pourtant  de  reconnaître 
les  deux  cartouches  de  Bockoris  dont  ces  stèles  ont  également  révélé  les  premières  le  vrai 
nom  égyptien  qui  se  lit  Bakenranw  (vers  720  av.  J.-Chr.).  » 

La  découverte  du  nom  égyptien  et  de  la  place  chronologique  de  Bocchoris  dans  les  dynasties 
égyptiennes  est  en  effet  une  des  plus  belles  découvertes  que  fit  notre  vieil  ami  Mariette  lors  de  ses 
admirables  fouilles  et  de  ses  remarquables  études  sur  le  Sérapéum  de  Memphis.  Qu'on  me  permette  de 
rappeler  ici  comment  il  a  lui-même  posé  la  question  dans  son  Sérapéum  de  Memphis.^ 

Immédiatement  après  les  Ramessides  ''XIX®  et  XX®  dynasties)  dont  la  liste  est  très  étendue  au 
Sérapéum  et  sous  lesquels  vécurent  19  Apis,  nous  trouvons  trois  Apis  innommés  que  Mariette  conjectu- 
rait pouvoir  peut-être  attribuer  à  cette  XXP  dynastie  tliébaine  des  prêtres  d'Amon^  qui  avait  supplanté 


1  Noos  pai'lons  ici  de  la  grande  édition  in-folio  avec  planches  et  non  de  l'édition  écourtée  que  M.  Maspero  en  a  donné  chez 
Vieweg  et  qui  s'arrête  juste  au  point  oii  se  posaient  pour  Mariette  les  questions  les  plus  importantes,  celles  qui  soulèvent  forcement 
l'idée  de  contemporanéité  de  certaines  dynasties  raanéthoniennes  (considérées  comme  successives  par  M,  Maspero  dans  sou  histoire), 

-  A  côté  de  cette  XXI*=  dynastie  thébaine  il  y  avait  au  moins  une  autre  XXI*'  dynastie  régnant  dans  la  Basse-Egypte.  Je  dis  au  moins; 
car  M.  de  Rougé  admettait  la  co-existence  des  derniers  Karaessides.  des  pretres-rois  de  Thèbes  de  la  XXl®  dynastie  et  de  la  dynastie  tanite  pa- 
rallèle —  dynastie  dont  certains  monuments  ont  fait  d'ailleurs  voir  pour  quelques-uns  de  ses  membres  des  parentés  avec  la  race  de  Herhor. 
Aussi  notons  que  plusieurs  des  rois  de  la  XXI®  dynastie  de  Manéthon  restent  introuvables,  et  que  l'assimilation  des  autres  noms  manéthoniens 
avec  les  noms  tanites  devient  de  plus  en  plus  douteuse.  Quelle  analogie  peut-on  reconnaître  entre  Siamen  et  £[JL£VÔ7]ç.  entre  Peschyannont  et 
<Po'jcjEvjJLrjÇ,  entre  Pinodjem  et  ^*ivaj(^r]ç  —  pour  ne  pas  parler  des  noms  manéthoniens  de  Nstpspj^^sprjç,  d'A[J.£vcuîp6tç  et  d'Odopycop  qui  dé- 
routent tout  le  monde  et  pour  ne  pas  insister  non  plus  sur  le  titre  «fils  d'Araon»  que  portent  certains  rois  des  deux  branches  de  la  XXF  dy- 
nastie succédant  aux  Ammoniens  Raraessîdes.  comme  le  portent  ensuite  les  Éthiopiens,  etc.,  titre  qui  a  cependant  suffi  pour  faire  assimiler  les 
séries  de  cartouches  les  plus  dissemblables?  Il  y  a  peut-être  une  dynastie  de  plus  à  trouver  à  la  même  date.  Mais  c(^  qui  nie  iiaïaît  ctitain,  c'est 

qu'il  n'en  faut  pas  supprimer.  Aussi  n'y  a-t-il  pas  à  s'étonner  si  il.  Daressy  a  assimilé  à  Smendès  un  roi  i    \\  '  Q         [  'V\T7) 

ayant  le  cartouche-prénom   de  Sesac  ou  Shesbonk  I*^'"  (O/Tm  O 


et  dont  la  place  est  jusqu'ici   tout  aussi  inconnue  que   cell 


des  AfX£V(o!p6iç,  des  Nscpsp^epvjç,  des  ^ouffEvvTjç,  des  M^'iva^Tjç  et  des  Oaop/^top,  ayant  régné  sans  doute  dans  quelque  district  ignoré. 
En  effet  à  première  vue  l'unité  de  cette  prétendue  XXI^  dynastie  tanite  paraît  bien  contestable.  Ocropj^top  est  certainement  un  Osor- 
kon  comme  les  princes  du  même  nom  de  la  XXIl^  dynastie  bubastite  (ou  sémite),  taudis  que  NECpspj^epTjÇ,  A[j.£vtuy6tç  et  H^'tvaj^/]; 
représentent  des  noms  bien  égyptiens.  D'une  autre  part  tous  les  détails  de  la  stèle  de  Nesbinebtat  ou  Smendès,  aussi  bien  que  le  cartouche- 
prénom,  se  confondent  selon  M.  Daressy  avec  ceux  des  stèles  de  Shesbonk  I*^^  ou  Sesac.  On  est  donc  amené  avec  une  quasi-certitude  à 
la  conviction  que  Nesbinebtat  ou  amendes  prince  nommé  dans  un  procès  de  la  XXP  dynastie  amonienne  a  dû  précéder  immédiatement 
Sesac  ou  Shesbonk  F'",  qui  a  d'abord  été  général  tout  puissant  des  auxiliaires  assyriens  (ou  de  l'armée  d'occupation  assyrienne),  selon 
la  stèle  d'Abydos.  avant  de  prendre  les  cartouches  de  roi  égyptien  —  en  détrônant  peut-être  ou  en  remplaçant  Smendès  dont  il  avait 
fait  reconnaître  l'autorité  nominale  sur  toute  l'Egypte.  L'utilité  qu'il  y  avait  pour  lui  au  moment  de  cette  révolution  à  s'assimiler  le  plus 
possible  à  son  prédécesseur  est  bien  évidente.  Mais  alors  que  deviennent  les  successeurs  de  Smendès  dans  la  liste  manétbonienne,  à  une 
époque  oii  les  Bubastites  étaient  encore  universellement  reconnus?  On  voit  bien  pour  ces  Bubastites  la  convenance  politique  qu'il  pouvait 
y  avoir  à  laisser  un  petit  apanage  aux  descendants  des  vieux  Kamessides  se  faisant  leurs  patrons  (comme  ils  s'étaient  fait  sans  doute  sous 
Tiglatphalasar  les  vassaux  des  Assyriens  —  ce  qui  avait  amené  bientôt  leur  expulsion  de  Thèbes  par  les  premiers  piTOphètes  d'Amon) 
—  mais  on  ne  voit  pas  du  tout  pourquoi  ils  auraient  laissé  quoi  que  ce  soit  à  ceux-là  même  qu'ils  supplantèrent  jusque  dans  le  sacerdoce 
thébain.  J'aurais  donc  gi*ande  tendance  à  croire  qu'il  en  est  de  la  XXI^  dynastie  manétbonienne  comme  du  commencement  de  la 
XXVI*=  dynastie  saîte  manétbonienne  —  c'est-à-dire  à  y  voir  simplement  le  ramassis  de  tous  les  princes  qui,  à  la  même  époque,  ont  régné 
dans  différentes  villes.  La  XX®  dynastie  de  rois  Diospolitains,  non  nommés  dans  aucune  des  listes  manéthoniennes,  représenterait  alors 
seulement,  non  point,  comme  on  l'a  cru,  la  seconde  partie  de  la  dynastie  des  Ramessides  (dont  la  liste  a  simplement  été  beaucoup  trop 
écourtée  par  Manéthon,  comme  celle  des  Bubastites.  etc  ),  mais  au  contraire  la  dynastie  thébaine  des  prêtres  d'Araon.  à  laquelle  certains 
liens  de  parenté  et  de  culte  semblent  souvent  unir  la  dynastie  distincte  des  Tanites  contemporains,  qui  nous  sont  connue*  par  les  inscrip- 
tions égyptiennes. 

15 


114 


Eugène  Revillout. 


et  exilé  de  leur  province  les  derniers  des  Ramessides^  —  peut-être  même  ceux-là  déjà  qui  figurent  à  la 
fin  de  la  liste  précédente  comme  régnant  encore  à  Memphis  et  qui,  selon  de  M.  de  Roigé,  aurait  alterné 
avec  eux  jusqu'à  Thébaïde'*  —  Apis  que  nous  croirions  plutôt  correspondre  au  temps  des  trois  premiers 
grands  rois  Bubastites  de  la  XXIP  dynastie  dont  Mahiette  n'a  trouvé  nulle  trace  au  Sérapéum  et  dont 


'  Probablement  après  une  défaite  par  les  Assyriens;  car  environ  130  ans  avant  Sesac  ou  Sheshonk  l^^,  fondateur  de  la 
XXIl*^  dynastie  bubastite,  Tiglatphalasar  nous  dit  dans  son  cylindre  avoir  envahi  Musri  (c'est-à-dire  l'Egypte).  Mon  opinion  est  en  cela 
un  peu  analogue  à  celle  de  Brugsch.  qui  admet  une  conquête  assyrienne  vers  l'époque  de  la  XXI^  dynastie,  conquête  assyrienne  qui 
aurait  donné  naissance  à  la  XXII^  dynastie  issue  de  chefs  ninivites.  Les  noms  de  la  dynastie  bubastite  (XXII*=)  et  de  la  dynastie  tanite 
(XXllI®)  prouvent  en  effet  une  origine  assyrienne,  comme  l'avait  déjà  pressenti  Mariette  dans  son  Sérapéum,  (et  non  point  une  origine 
uniquement  lybienne  selon  l'opinion  de  Stern)  et  Ton  comprend  très  bien  la  chute  de  l'empire  des  Bamessides  et  l'émiettement  de  leur 
royaume  entre  plusieurs  dynasties  rivales  après  le  choc  d'une  conquête  étrangère. 

En  ce  qui  concerne  les  Eamessides,  il  faut  remarquer  que.  dépossédés  de  la  Théhaïde  par  les  prêtres  d'Amon  (avec  lesquels  ils 
alternèrent  cependant  selon  M.  de  Rougé),  dépossédés  de  Tanis  par  les  rois  tanites  de  la  XXI*  et  de  la  XXIIP  dynastie  et  de  Merapbis 
par  les  Bubastites,  ils  subsistèrent  encore  longtemps  comme  souverains  locaux.  M.  Brugsch  avait  déjà  remarqué  ce  fait  que  prouvait  avec 
évidence  une  curieuse  tablette  du  Louvre  comparée  à  plusieurs  autres  documents  dont  l'un  est  daté  de  Sheshonk  IIl  —  documents  tous 
relatifs  à  des  enfants  alors  vivants  de  rois  Kamessides.  —  Ce  fait  indéniable  et  inexplicable  autrement,  quoiqu'on  en  ait  dit  (car  la 
supposition  dans  tous  ces  cas  du  mot  ville  non  exprimé  avant  le  nom  royal  est  inadmissible),  faisait  voir  (pie  M.  de  Rougé  avait  eu  raison 
d'admettre  déjà  la  contemporanéité  des  Ramessides  avec  les  prétres-rois  de  la  XXI^  dynastie,  puisque  cette  contemporanéité  dura  jusque 
sous  leurs  successions  bubastites.  En  effet  le  grand  conquérant  Sheshonk  I^'"  ou  Sesac  régna  à  Thèbes  —  comme  il  régnait  jusqu'en 
Palestine  —  et  c'est  ce  qui  explique  comment  la  découverte  de  Déïr  el-Bahari  nous  a  fourni  à  Thèbes  même,  avec  le  cartouche  de-  She- 
shonk ï^^,  la  momie  et  le  papyrus  d'un  fils  d'un  autre  roi  Raraesside,  mort  à  cette  époque.  Il  est  donc  probable  que  les  Ramessides  que 
visait  expressément  à  Thèbes  sous  la  dynastie  sacerdotale  le  décret  d'exil,  ayant  accepté  la  suzeraineté  de  Sheshonk  ou  Sesac, 
comme  Osorkon  ou  Sargou  lïl.  devaient  plus  tard  reconnaître  la  suzeraineté  du  roi  éthiopien  Pianchi  et  purent  se  rendre  à  la  cour  du 
nouveau  monarque  aussi  bien  qu'à  Thèbes  —  où  un  fils  de  Sheshonk  I*^*'  fut'installé  grand-prêtre  —  tandis  que  leurs  adversaires,  les 
prêtres-rois  de  la  dynastie  théhaine.  allaient  se  réfugier^en  Ethiopie,  d'où  ils  devaient  bientôt  revenir  victorieux.  M.  Brugsch  pense  que 
les  Ramessides  possédaient  alors  en  propre  la  principauté  de  l'Oasis  et  il  est  possible  qu'ils  furent  réduits  à  ce  seul  domaine  quand  les 
Bubastites  possédèrent  Merapbis.  Subissant  dès  lors  leur  hégémonie,  ils  conservèrent  jusque  sous  Sheshonk  III  tout  au  moins,  et  peut-être 
jusqu'au  triomphe  toiit-ii-fait  définitif  des  Éthiopiens,  des  excellents  rapports  avec  la  cour  Bubastite  de  Memphis  qui  disparut  au  moment 
du  même  triomphe.  Notons  du  reste  qu'il  ne  serait  pas  impossible  que  la  première  branche  des  Ramessides  se  fiit  continuée  aussi 
parallèlement  à  la  seconde  jusqu'à  une  époque  assez  tardive;  car  on  nous  a  présenté  au  Louvre  une  statue  de  roi  d'art  et  de  pose  saîtes 
qui  porte  la  légende  : 

11/^  -T  O 


^ 
v_^ 


^ 


Cette  légende  «le  roi  de  la  Haute  et  de  la  Basse-Égj'pte  Merenra  binosor,  fils  du  soleil  merenma  Ne/tlra»  se  rapproche  beau- 
coup de  celle  de  Meneplithes  de  la  SIX*  dynastie  portant  «le  roi  de  la  Haute  et  de  la  Basse-Egypte  Merenra  bienamen,  flls  du  soleil 
Merenra  liotephima»..  La  seule  différence  entre  les  deux  cartouches  prénoms  consiste  dans  la  substitution  du  nom  d'Osiris  ii  ceUii  d'Amon. 
Pour  les  cartouches  noms  on  remarque  le  renversement  des  deux  divinités  Ma  et  Ra  et  la  substitution  de  ne/li  à  hotephi. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  nous  nous  rapprochions  beaucoup  de  l'opinion  de  Brugsch.  Il  faut  noter  cependant  une  différence 
capitale,   c'est  que  dans  la  stèle  d'Abydos  Brugsch  voulait  voir  dans  Sheshonk   un  roi  des  rois  assyriens  d'Assyrie,   alors  iiu'il  n'était 

encore   eu  définitive  que  général  des  troupes  assyriennes.    Comme  l'a  remarqué  M.  Naville,  cela  l'amenait  à  traduire  PjV  A  ^  I 

de  deux  façons  toutes  différentes  :  roi  d'Assyrie  dans  la  stèle  d'Abydos  et  OrossTiemn  von  Assyrien  dans  la  stèle  de  l'iankhi.  Pour 
nous,  au  contraire,  nous  croyons  qu'il  s'agit  dans  l'un  et  l'autre  cas  de  généraux  assyriens,  c'est-.'i-dive  de  généraux  de  ces  troupes 
d'occupation  que  Tiglatphalasar  lors  de  sa  conquête,  non  visée  par  Brugsch.  et  ses  successeurs  après  lui  —  comme  plus  tard  le  père 
d'Assurbanipal  et  Assurbanipal  lui-même  d'après  ses  cylindres,  —  avaient  laissés  en  Egypte,  en  leur  permettant  facilement  de  prendre  le 
titre  de  sar  ou  de  rois-fondafaires.  Ce  sont  ces  sar  qui  constituèrent  la  grande  dynastie  bubastite.  comme  plus  tard  beaucoup  des  petites 
dynasties  énumérées  dans  la  stèle  de  Piankhi.  —  Quant  à  la  barrière  infranchissable  que  Naville  croit  trouver  entre  les  Assyriens  et 
l'Egypte  dans  l'empire  de  David  du  temps  de  Sheshonk  —  barrière  qui  n'a  pas  empêché  Sheshonk  d'envahir  Jérusaleu 
du  temps  de  Tiglatphalasar. 

2  Voir  son  étude  sur  la  stèle  de  la  Bibliothèque  nationale.  —  Je  sais  que  quelques-uns  de  nos  éminents  i 
nant  tendance  k  raccourcir  beaucoup  trop  la  liste  des  Ramessides  par  tous  les  moyens  possibles,  en  expliquant  d'u 
.arguant  de  faux  les  monuments  gênants  et  en  se  livrant  à  un  travail  du  même  genre  sur  les  cartouches,  etc.  —  dans  le  but  de  supprimer 
le  parallélisme  des  listes  —  et  en  faisant  une  unification  semblable  pour  les  rois  tanites  thébains.  etc.  de  la  XXI"  (ou  XX")  dynastie  dont 
chacun  aurait  possédé  toute  l'Egypte,  mais  aurait  eu  souvent  selon  les  lieux  de  quatre  à  six  cartouches.  Tout  cela  me  semble  bien 
artificiel  et  je  préférerais  encore  m'en  tenir,  avec  quelques  additions  et  modifications,  au  système  de  M.  de  Kougé,  le  critique  si  perspicace. 
Hâtons-nous  de  dire,  du  reste,  que  notre  ami  'VVieaemann  a  déjà  eu  des  scrupules  semblables  aux  nôtres,  en  ce  qui  touche  les  suppressions 
trop  audacieuses.  Nous  l'avons  dit.  la  nécessité  pratique  do  voir  toujours  un  seul  roi  régnant  en  Egypte  ne  nous  apparaît  nullement 
et  nous  préférons  nous  tenir  aux  données  des  documents  origina\ix  eux-mêmes.  Nous  reviendrons  là-dessus  ailleurs. 


n'existait  pas 


:ûllègues  ont  mainte- 
ne  faç'in  large  ou  en 


Quelques  documents,  etc.  115 

il  avait  parfaitement  reconnu  l'origine  sémitique  ou  ijlutùt  assyrienne,  prouvée  d'ailleurs  par  les  noms  (Osor- 
kon  =  Sargon.  Takelot  =  Tiglat,  Nimrod,  Sheshonk  etc.  des  princes  de  leur  souche). 

"  A  partir  d'Osorkon  II  (4'  roi  de  cette  dynastie),  nous  dit  Maeietïe,  jusqu'aux  derniers  Ptolémées 
les  Apis  «e  succèdent  sans  interruption  notable».  Viennent  d'abord  :  1°  l'Apis  mort  en  l'an  23  d'Osorkon  II; 
■2°  l'Apis  mort  en  l'an  28  de  Sheshonk  III;  3°  l'Apis  né  en  l'an  28  de  Sheshonk  III  et  mort,  après  26  ans 
de  vie,  eu  l'an  2  de  Pimai  (ce  qui,  comme  l'observait  Mariette,  permettait  d'intercaler  Takelot  II  avec 
un  régne  possible  de  22  ou  23  ans);  i°  l'Apis  mort  en  l'an  11  de  Sheshonk  IV;  5°  l'Apis  né  en  l'an  11 
de  Sheshonk  IV  et  mort  en  l'an  37  du  même  régne;  6°  enfin,  ajoute  Mariette,  «à  l'Apis  mort  en  l'an  37 
»de  Sheshonk  IV,  dernier  roi  de  la  XXIP  d3nastie,  succède  un  Apis  mort  en  l'an  6  de  Bocchoris.»' 

Mariette  qui  avait  eu  soin  de  nous  dire  qu'^à  partir  d'Osorkon  II  jusqu'aux  derniers  Ptolémées  les 
a  Apis  se  succèdent  sans  aucune  interruption»  ajoute  ici  :  «il  est  à  noter  cjue  l'Apis  mort  en  l'an  37  de 
'Sheshonk  IV,  dernier  roi  de  la  XXII"  dynastie  et  l'Apis  mort  en  l'an  G  de  Bocchoris,  unique  roi  de  la 
»XXIV"=  dynastie,  furent  ensevelis  dans  la  même  chambre»  —  chambre  dans  laquelle  a  été  trouvée  notre 
stèle  —  «  et  que  l'étude  de  la  chambre  prouve  que  ces  deux  Apis  occupèrent  successivement  et  sans  intei'- 
»ruption  l'étable  sacrée  de  Memphis».  Cela  supprimait  d'un  seul  coup  à  Mem^/ti*  «  la  XXIIP  dynastie  pen- 
»  dant  les  89  années  de  Manéthon  ■'  à  moins  d'admettre  (chose  improbable,  car  tous  les  documents  prouvent 
que  les  prêtres  du  temple  d'Apis  trouvaient  toujours  aussitôt  un  Apis  pour  remplacer  l'Apis  mort) 
qu'« aucun  Apis  ne  se  manifesta»  et  que  la  XXIIl"  dynastie  «fut  privée  de  la  présence  du  dieu». 

Or,  d'après  les  fouilles  de  Mariette,  si  la  XXIIP  dynastie  disparaissait  à  Memphis,  la  XXIP  dynastie 
s'était  allongée  notablement,  comme  le  dit  Mariette  lui-même  à  propos  de  son  tableau  des  princes  de  cette 
XXIP  dynastie  :  «Quant  à  la  chronologie,  elle  conserve  sans  aucun  doute  le  seul  point  à  peu  prés  immo- 
bile qu'à  cette  hauteur  nous  ayons  pu  encore  réussir  à  placer,  point  que  représente  le  synchionisme  de 
j  Sheshonk  I"  et  du  pillage  de  Jérusalem  en  l'an  5  de  Roboam.  Mais  les  espaces  intermédiaires  n'ont  reçu 
«■aucune  lumière  nouvelle.  Bien  au  contraire,  aux  neuf  régnes^  de  Manéthon  correspondent  maintenant  onze 
a  règnes  tout  entiers  et  quarante  années  au  moins  doivent  s'ajouter  aux  totanx  partiels  dont  la  somme 
»  forme  l'ensemble  de  cette  dynastie  royale.  La  chronologie  n'a  donc  reçu  aucun  secours  plus  efficace  que 
«ceux  dont  nous  disposions  déjà;  nous  savons  seulement  qu'entre  nos  deux  jalons  certains,  c'est-à-dire  la 
s  prise  de  Jérusalem  par  Sesak  et  la  conquête  de  l'Egypte  par  Cambyse  il  nous  faut  introduire  quarante 
»  années  de  plus,  quitte  à  les  retrancher  autre  part  de  l'un  des  autres  points  de  cette  durée  intermédiaire. 
»Là  est  tout  notre  profit.» 

Quant  à  la  XXIP  dynastie,  Tanite,  elle  paraît  avoir  été  parallèle  aux  derniers  rois  bubastites  (de 
la  XXII')  et  probablement  aussi  à  la  XXIV  (Sa'ite)  et  aux  premiers  rois  de  la  XXV°  (éthiopienne).  C'est 
ce  qu'avait  parfaitement  senti  M.  de  Rolgé  dés  son  premier  travail  sur  la  stèle  de  Piankhi,  c'est-à-dire 
sur  les  luttes  entre  le  prince  éthiopien  Piankhi,  le  prince  sa'ite  Tafnekht  (père  de  Bocchoris,  de  ce  Boc- 
choris qui  fut  l'unique  roi  de  la  XXV  dynastie  sa'ite),  le  prince  tanite  Osorkon  III,^  etc.  Voici  comment 
il  s'exprimait  :  «  Le  rôle  historique  de  la  ligne  tanite  qui  compose  la  XXIIP  dynastie  est  peut-être  la 
»  partie  la  plus  obscure  de  l'histoire  de  ces  temps  .  .  .  Les  noms  mêmes  de  Petubast  et  d'Osorkon  doivent 
«faire  considérer  cette  famille  comme  un  véritable  rameau  des  Bubastites  analogue  à  tous  ceux  de  notre 
»  stèle,  mais  auquel  on  reconnaît  historiquement  le  droit  légitime  au  titre  de  Pharaon.  Tanis  n'est  pas  citée 
«parmi  les  localités  qui  envoyèrent  leurs  chefs  rendre  l'hommage  à  Pianchi  vainqueur.    Cette  omission  est 


'  Pour  ce  dernier  voir  aussi  le  n**  299  du  catalogue  de  la  salle  historique  par  M.  Pierret. 

*  La  difficulté  aurait  été  encore  plus  grande  pour  Mariette  si,  au  lieu  de  partir  du  Slanétlion  accommodé  par  Bunsen  et  Lepsius 
—  d'après  les  rois  alors  connus  —  il  était  parti  du  Manéthon  vrai,  tel  qu'on  le  trouve  dans  Ideler.  par  exemple.  En  réalité  toutes  les 
listes  manéthouiennes  en  dehors  d'Africain  ne  donnent  que  trois  rois  à  cette  dynastie  et  Africain  a  ajouté  une  seule  j'ois  {et  non  pas 
deux  fois  comme  dans  Lepsius)  après  ces  trois  rois  nommés  par  Manéthon,  la  mention  :  aXXoi  Tpsi;  —  ce  qui  ne  ferait  encore  que  six 
rois  seulement.  Mais  Manéthon  n'avait  sans  doute  compté  que  les  trois  premiers  rois  bubastites  qui  ont  possédé  toute  l'Egypte  —  y 
compris  la  Thébaîde  d'après  les  monuments  —  et  il  a  mis  à  la  suite,  comme  peu  importante,  la  branche  de  cette  même  famille  qui 
régnait  à  Tanis. 

"  Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  les  rois  éthiopiens  entraient  en  lutte  ouverte  avec  les  rois  de  la  souche  bubasto-tanite. 
Déjà  contre  le  bubastite,  Takelot  ou  Tiglat  II,  comme  l'a  remarqué  le  premier  Cbabas,  avait  commencé  les  révoltes  du  nord  et  du  midi  : 
et  Takelot.  à  l'imitation  de  ses  prédécesseurs  Bubastites,  avait  opposé  à  ces  rois  éthiopiens,  descendant  des  anciens  grands  prêtres  d'Âmon 
de  la  SSI®  dynastie  (que  son  ancêtre  Sheshonk  I'^*'  avait  supplantés)  son  fils  Osorkon,  dont  il  fit  le  grand  prêtre  et  le  gouverneur  de  Thèbes 
et  qui  périt  au  milieu  des  gueiTos  continuelles  contre  les  révoltes  du  nord  et  du  midi  ic'est-à-dire  des  Tanites  et  des  Éthiopiens)  pendant 
qu'il  combattait  aux  côtés  de  son  père.  Takelot  et  les  chefs  de  son-armée  prononcèrent  à  Thèbes  son  éloge  funèbre.  Mais  depuis  ce 
temps  l'influence  des  Bubastites  semble  avoir  cessé  dans  le  midi,  .S'il  faut  en  croire  M.  Maspero  (Bist.  380),  le  premier  roi  tanite 
Petubast  poussa,  lui  aussi,  jusqu'à  Thèbes.  Mais  il  ne  nous  donne  comme  preuve  qu'un  renvoi  (Dtnl:.  III.  259  a)  relatif  à  Psémut,  que 
l'on  assimilait  autrefois  à  un  autre  roi  tanite  (Psanimus)  et  que  l'on  sait  maintenant  appartenir  à  une  toute  autre  dynastie.  Ajoutons  que 
M,  Maspero  dans  son  livre  :  Les  momies  royales  de  Dé'lr  eî-Bahari,  p.  445  a  complètement  renoncé  à  voir  à  Thèbes  aucun  Tanite  de 
la  XXIIF  dynastie, 

15* 


116  Eugène  Revillout. 


»  reniai qiiable;  elle  ne  peut  piovenir  que  de  deux  motifs;  ou  le  chef  de  Tanis  put  se  soustraire  aux  armes 
»de  Pianchi,  soit  en  raison  de  sa  position  éloignée,  soit  par  la  force  de  Tanis,  qui,  comme  ville  frontière, 
«était  depuis  longtemps  une  place  de  guerre  très  importante.  On  voit  que  notre  stèle,  malgré  la  multitude 
»de  détails  qu'elle  nous  donne,  ne  permet  pas  de  préciser  dans  quels  rapports  de  temps  se  trouvait  le  père 
»de  Bocclioris  avec  les  derniers  rois  de  la  XXIIP  djnastie;  mais  il  faut  admettre  nécessairement  que 
»  l'autorité  des  Tanites  avait  déjà  cessé  ou  était  interrompue  momentanément  à  Thébes,  puisque  Pianchi- 
»meri-amun  y  entre  sans  coup  férir  et  s'y  conduit  en  souverain.  Il  n'y  a  jusqu'ici  aucune  raison  péremptoire 
»  qui  puisse  empêcher  d'assimiler  notre  Osorkon  de  Bubastis  à  Osorkon  III,  etc.  » 

Pour  nous,  il  nous  parait  assez  probable  que,  tandis  que  le  Tanite  Osorkon  III,  paraissant  être  le 
même  que  le  roi  Osorkon,  père  de  Shapenapi  V°,  la  femme  du  roi  éthiopien  Kashta,  successeur  de  Piauchi, 
régnait,  du  temps  de  Pianchi,  au  siège  primitif  même  de  sa  famille  originaire,  c'est-à-dire  à  Bubastis,  d'où 
étaient  partis  Sheshonk  V,  Osorkon  P'  et  Osorkon  II,  il  avait,  à  Tanis,  le  nouveau  siège  de  son  pré- 
décesseur immédiat,  un  lieutenant  ou  vassal,  membre  lui-même  sans  doute  de  sa  famille,  comme  ces  deux 
Sheshonk,  homonymes  de  Sheshonk  1°'',  le  fondateur  de  la  XXII*  dynastie  bubastite,  que  la  stèle  de 
Pianchi  et  les  cylindres  d'Assurbanipal  nous  montrent  princes,  chefs  des  nm  ou  sar  dans  la  ville  de  Bu- 
siris,  comme  ces  deux  princes  Pimaï,  dont  la  stèle  de  Pianchi  et  les  cylindres  d'Assurbanipal  nous  ont 
également  conservé  les  noms,  etc.  Si,  du  temps  de  Pianchi,  le  prince  de  la  XXIIP  dynastie  siégeant  à 
Tanis  et  lieutenant  d'Osorkon  n'est  pas  nommé  —  peut-être  parce  qu'il  ne  se  hâta  pas  de  se  soumettre 
au  monarque  éthiopien  —  sous  Assurbanipal  on  ne  nous  parle  pas  —  par  quelque  raison  analogue  —  du 
roi  siégeant  à  Bubastis.  Mais,  en  revanche,  le  monarque  assyrien  désigne  expressément  le  roi  de  Tanis, 
nommé  Petubast,  comme  Petubast  I",  prédécesseur  d'Osorkon  III  et  fondateur  de  la  XXIII"  dynastie 
tanite.  Il  y  avait  donc  à  la  fois  plusieurs  branches  de  la  race  bubasto-tanite  qui  régnaient  en  même  temps, 
et,  pour  moi,  j'incline  fort  à  croire  que,  comme  paraît  le  prouver  la  succession  immédiate  dans  la  même 
chambre  de  l'Apis  mort  en  l'an  37  de  Sheshonk  IV  et  de  l'Apis  mort  en  l'an  6  de  Bocchoris,  du  temps 
du  prêtre,  prince  de  Sais  et  de  Memphis,  Tafnekht,  père  de  Bocchoris,  et  qui  (suivant  la  stèle  de  Pianchi 
même  et  suivant  tous  les  monuments  connus)  n'usurpa  jamais  le  titre  de  roi,  le  vieux  Sheshonk  IV  vivait 
encore  quelque  part,  reconnu  nominalement  par  ce  maire  du  palais  tout  puissant.  Ce  fut  seulement  après 
sa  mort  —  et  alors  sans  doute  que  Kashto,  le  successeur  de  Piankhi,  auquel  Tafnekht  avait  été  obligé 
de  prêter  serment  d'allégeance,  ne  montrait  pas  l'énergie  du  conquérant  éthiopien  —  que  Bocchoris,  fils 
de  Tafnekht,  se  proclama  roi  à  son  tour  et  se  fit  reconnaître  iiar  tous  les  grands  vassaux  égyptiens.  Mais 
il  avait  excité  contre  lui  la  haine  des  vieux  pharaons  du  haut  Nil,  qui  prirent  sous  Shabaku,  tils  de  Kashto, 
une  éclatante  revanche.  Bocchoris,  fait  prisonnier,  fut  brûlé  vif.  dans  l'avenue  de  Memphis  qui  portait 
encore  du  temps  des  Ptolémées  le  nom  d'«  avenue  de  Shabaku >  et,  bien  entendu,  toute  sa  famille  fut 
aussitôt  exterminée  pour  punir  le  parjure  commis  par  son  représentant.  Le  conquérant  éthiopien  donna 
alors  l'ancien  fief  de  Tafnekht  —  c'est-à-dire  Saïs  et  iMeiuphis  —  à  son  parent  Niku.  Je  dis  son  parent 
Niku  :  car  —  son  nom  et  le  nom  de  son  flls^Psammetiku,  composés  comme  Shabaku,  Shabatoku,  Tahraku, 
Silku,  etc.,  le  prouvent,  comme  Bkugsch  l'a,  du  reste,  noté  —  il  était  éthiopien  et  appartenait  sans  doute 
en  qualité  de  cadet  à  la  race  ammonienne  des  rois  éthiopiens  —  ainsi  que  l'établissent  également  certaines 
généalogies,  '  tout  autant  que  le  mariage  contracté  par  son  fils  avec  une  princesse  de  la  branche  aînée, 
et  que  la  formule  ammonienne  (que  n'avait  pas  Bocchoris),  identique  à  celle  des  Shabaku  et  des  Tahraku, 
que  son  fils  Psammetiku  et  ses  descendants  prirent  quand  ils  régnèrent  et  sur  laquelle  nous  aurons  à 
revenir.  Bocchoris  fut  donc  le  seul  roi  de  sa  race,  comme  l'a  dit  Manéthon  et  comme  le  démontrent  les 
stèles  du  Sérapéum,  dont  une  des  plus  curieuses  est  celle  que  nous  venons  de  décrire. 


REGNE  DE  SHABAKU. 
E  10571. 

Stèle  représentaut  dans  le  registre  supérieur  le  roi  Shabaku  qualifié  «dieu  bon  Sha- 
baku» |î( Mil^^t-Jj  ^^  offrant  l'hiéroglyphe  du  champ  (]^[)^l]  au  dieu  «Homierti  neb 
shetennu»,  v\  <='°<=s  c'est-à-dire  Hormerti,  seigneur  de  la  ville  de  Pharbaîtus,  ayant 
une  Hathor  derrière  lui. 

^  Voir  dans  le  Kijiiigshuch  de  Lepsius.  p.  020  et  suivantes  une  (lénéalogie  sur  lafjuelle  nous  reviendrons. 


Quelques  documents,  etc. 


117 


Vieut  ensuite  le  texte  juridique  suivant  :  ' 

«L'an  2  sous  la  majesté  du  roi,  seigneur  des  deux  mondes,  Rauofréka,  tils  du  soleil, 
Shabaku,  vivant  à  jamais! 

«Prise  de  possession  (hemak)  de  cinq  aroures  de  champs  du  bourg  de  Taaat-suten- 
Khab-Apt  par  le  dieu  Hormerti. 

«Son  prêtre  (ahf)  des  transmissions  (maseb)'^  ayant  le  titre  de  Hirsotem-teiï"-ur-kherp- 
hat,  (le  haut  serviteur  de  son  père  le  prince  revêtu  de  la  première  puissance)  prophète  du 
dieu  Hormerti,  (nommé)  Ptenf,  a  fait  toutes  les  écritures  pour  le  saisissement  (teh)  de  la 
prise  de  possession  (hemak)  du  dieu  Hormerti,  le  dieu  très  grand. 

«Aa  Khabnef,  le  fils  du  bourg,  a  donné  le  hotmt  (=  pA^^A^ptJ  =  cd^one  admi- 
nistration du  terrain  en  question  sans  doute)  à  Hormerti  le  dieu  très  grand.  » 

Il  est  bien  dommage  que  nous  n'ayons  plus  «toutes  les  écritures»  faites  par  le  «prêtre  des  trans- 
missions »  Ptenf.  Ces  écritures  nous  donneraient  certainement  une  rédaction  démotique  analogue  à  celle  que 
nous  trouvons  à  la  même  époque  dans  nos  contrats  de  transmission  —  sauf  bien  entendu  ce  qui  était 
particulier  au  pays  ammonien  de  Thèbes,  puisqu'il  s'agit  ici  de  la  Basse-Egypte. 

En  effet  notre  stèle,  comme  toutes  les  stèles  analogues  que  nous  possédons  et  dont  la  plus  ancienne' 


-  Le  mot  maseh  était  écrit  ici  d'après  son  ortliographe  ordinaire  par  le  verrou  et  les  jambes.  Dans  nos  contrats  démotiques  il 
t}st  écrit  par  le  verrou  seul  (encore  tracé  comme  en  hiéroglyphes  et  en  hiératique  dans  le  contrat  de  Bocchoris  et  dans  les  contrats  de 
l'an  10  de  Shabaku;  il  se  rapproche  quelquefois  du  signe  su,  dont  il  n"est  distingué  que  par  un  détail  paléographique  et  souvent  par  un 
abrégé  graphique  sous  Tahraka  et  sous  Psamraétique.  Sons  Tahraku  et  Psamraétique  surtout  il  prend  souvent  la  lettre  complémentaire  m) 
et   est  employé  identiquement  dans  les  mêmes  formules  juridiques  que  la  forme  primitive  du  verrou. 

»  Je  parle  ici  des  stèles  de  ce  genre  seulement  ;  car  nous  avons  par  écrit  bien  d'autres  preuves  de  transmissions  de  propriété 
antérieures  avec  mentions  de  titres  annexes  depuis  le  célèbre  tombeau  d'Amten  sous  l'ancien  empire  jusqu'au  caillou  hiératique  du  British 
Muséum  relatif  à  la  donation  d'un  sanctuaire  et  d'esclaves  mâles  et  femelles  faite  par  Amenhotep,  fils  de  Hui,  sous  Amenophis  III,  etc. 
Voir^  du  reste,  sur  toutes  ces  questions  notre  notice  des  papyrus  archaïques  traduits  et  commentés  juridiquement. 

Je  me  bornerai  seulement  à  emprunter  ;i  cette  notice  et  à  l'étude  que  je  viens  de  publier  sur  un  papyn;s  bilingue  les  explications 
des  termes  juridiques  relatifs  à  l'appréciation  des  biens.  Ces  termes  juridiques  qu'on  a  tous  dans  rinscription  d'Amten  sont  : 

1°  La  valeur  juridique  du  mot  aïi  (  H  signifiant  raot-à-mot  «apporter»  et  «emporter»,  comme  Gine  eiJOTrti  et  eitie  GÛoA. 
en  copte)  a  été  spécifiée  par  moi  depuis  15  ans  dans  mes  travaux.  M.  Maspero  l'a  admise  depuis,  et  il  y  consacre  des  notes  dans  les- 
quelles il  a  oublié  de  me  citer.  Notons  que  dans  les  contrats  archaïques  démotiques  cette  expression,  qui  se  rencontre  sans  cesse, 
s'emploie  pour  marquer  soit  l'acquisition  du  contractant,  par  hérédité  directe  surtout,  et  parfois  par  transmission  familiale,  soit  l'éviction 
faite  à  son  préjudice.  Plus  tard  an  etbe  liai  (apporter  pour  argent)  est  la  locution  consacrée  pour  dire  «acheter».  Je  l'ai  rencontrée 
depuis  Darius  P*"  pour  rappeler  des  ventes  antérieures  à  l'acte. 

2°  Le  mot  khev,  écrit  par  la  jambe  dont  le  pied  est  posé  sur  le  sol  ou  pour  mieux  dire  enfoncé  dans  le  sol  (  ^  ],  a  le  sens 
d'occuper,  de  posséder,  ou  plutôt,  de  posséder  comme  administrateur. 

3°  Le  mot  '^"('^^Si  '  v)  ^®  retrouve  dans  les  contrats  archaïques  démotiques  pour  désigner  l'équivalence  en  terre  d'abord 
qui  était  donnée  pour  une  acquisition.  L'équivalence  en  terre  se  disait  aussi  du  temps  de  Tahraka,  de  Psamraétique,  etc.,  teh  (copte 
TOOÊG  retrihuere),  équivalence  qui  était  toujours  exigée  dans  les  arrangements  familiaux  pour  qu'une  transmission  (maseb)  pût  être 
effectuée.  Mais  les  deux  termes  Teb  et  osm  étaient  parallèles,  synonymes  et  employés  concurremment  à  cette  même  époque  dans  les 
mêmes  contrats,  pour  cette  équivalence  en  terre,  comme  parfois  pins  tard  sous  Darius  ils  étaient  synonymes  pour  traduire  l'équivalence 
en  argent,  bien  que  le  mot  propre  du  prix  dût  devenir  peu-à-peu  soim  dans  le  style  contractuel  et  que  son  versement  eût  alors  comme 
expression  parallèle  la  rétribution  (teb)  de  l'argent.  Nous  voyons  asii  pris  dans  ce  sens  de  rétribution,  non  seulement  dans  les  contrats 
archaïques;  mais  dans  les  décrets  de  Rosette  et  de  Canope.  où  il  exprime  la  «rétribution»  que  les  dieux  donnent  au  roi  pour  ses 
bonnes  œuvres;  dans  la  fable  du  lion  et  de  la  souris,  où  il  exprime  la  «réciproque»  dont  la  reconnaissance  fait  un  devoir  aux  cœurs 
vertueux  (comme  dans  d'autres  passages  des  entretiens  du  chacal  Koufi  dont  cette  fable  est  extraite,  teb  exprime  la  «rétribution»  que 
les  dieux  font  aux  œuvres  des  hommes  en  les  punissant),  etc.  On  peut  donc  souvent  hésiter  pour  asu  entre  ces  deux  sens  certains 
d'équivalence  et  de  rétribution  qui  d'ailleurs  se  confondent  un  peu  comme  origine. 


118  Eugène  Revillout. 


jusqu'ici  connue  est  la  stèle  Cattaui.  qui  remonte  nu  commencement  de  la  XXJP  dynastie,  —  notre  stèle, 
dis-je,  ne  constituait  pas  li'  titre  de  projjriété,  mais  un  simple  mémorial  de  ce  titre,  d'une  matière  jîlus 
solide,  déposé  soit  sur  le  champ  lui-même,  soit  plutôt  dans  le  temple  du  nouveau  propriétaire,  le  dieu 
Hormerti,  et  qui  pouvait  tout  au  plus  servir  de  commencement  de  preuve  par  écrit.  Aussi  ne  savons-nous 
pas  qui  avait  transmis  dans  le  titre  original  le  champ  en  question  au  dieu.  La  gravure  représentant  le  roi 
Shabaku  l'offrant  lui-même  ne  nous  éclaire  même  en  Hen;  car  dans  plusieurs  autres  stèles,  nommant  le 
donateur,  une  représentation  figurée  analogue  du  haut  de  la  stèle  semblait  attribuer  cette  donation  au  roi 
régnant.  Nous  aurons  à  apprécier  ailleurs  comment  et  pourquoi  on  faisait  au  roi  cette  politesse. 

On  remarquera  d'ailleurs  une  autre  politesse  assez  curieuse.  Shabaku,  qui  brûla  vif  le  roi  Bocchoris 
et  ([ui  détruisit  sa  famille,'  est  ici  appelé  «dieu  bon».  Il  ne  faudrait  pourtant  pas  trop  s'en  étonner;  car 
l'histoire  et  la  légende  s'accordaient  pour  attribuer  au  roi  Shabaku  des  sentiments  très  jjhilanthropiques. 
Diodore  de  Sicile  (1,  65),  après  avoir  mentionné  Bocchoris,  et  en  venant  à  Shabaku,  nous  dit  en  effet 
expressément  que  ce  roi  fut  supérieur  à  tous  ses  prédécesseurs  par  sa  piété  envers  les  dieu.\  et  par  sa 
bonté.  Il  cite  aussitôt  comme  preuve  de  cette  bonté  la  loi  d'après  laquelle  il  supprima  la  peine  capitale 
et  y  substitua  pour  les  criminels  la  peine  des  travaux  publics,  en  en  faisant  des  servi  pœnœ,  pour  me 
servir  de  l'expression  romaine,  ce  qui  lui  permit  de  creuser  des  canaux,  et  de  faire  beaucoup  de  travaux 
utiles  aux  villes.^  En  cela,  bien  que  ce  récit  soit  également  dans  Hérodote,  nous  pouvons  en  croire  Diodore, 
car  il  a  eu  certainement  entre  les  mains  une  traduction  grecque  du  code  égyptien,  qti'il  résume  partout 
fort  exactement.  Mais  nous  ne  l'en  croirons  pas  pour  la  seconde  preuve  qu'il  donne  de  sa  bonté  et  qui 
consiste  dans  un  récit  certainement  faux,  emprunté  aussi  par  lui  à  Hérodote.  D'après  cette  légende  Sha- 
baku, qui  aurait  régné  50  ans  en  Egypte,  où  il  serait  venu  à  la  suite  d'une  vision  lui  promettant  l'empire, 
s'en  retira  à  la  suite  d'une  autre  vision  qu'il  aurait  eue  et  dans  laquelle  Amon  lui  aurait  dit  de  tuer  tous 
les  prêtres  égyptiens.  Il  me  semble  évident,  ainsi  que  je  le  démontrerai  plus  en  détails  dans  la  suite, 
ilu'Hèrodote  a  ici  attribué  à  Shabaku  les  50  ans  qui  forment  le  total  de  l'occupation  de  la  dynastie 
éthiopienne  en  Egypte,  si  l'on  suit  Manéthon  tout  en  corrigeant  pour  Tahraku  en  26  ans  d'après  les  stèles 
du  Sèrapéum  les  20  ans  de  règne  indiqués  par  Manéthon.  Cette  confusion  se  fit  d'autant  plus  naturellement 
dans  l'esprit  d'Hérodote  que  le  dernier  roi  éthiopien  qui  posséda  un  instant  l'Egypte  s'appelait  Rabaku 
Tonuatamen.  Ce  roi  Rabaku  eut  en  effet,  d'après  sa  stèle,  une  vision  divine  l'engageant  à  envahir  l'Egypte 
—  ce  qui,  nous  le  verrons,  lui  réussit  pleinement,  —  jusqu'à  ce  qu'un  jour  il  s'en  retourna  en  Ethiopie,  on 
ne  sait  pour  quel  motif  et  peut-être  aussi  à  la  suite  d'une  autre  vision.  Kien  ne  prouve  que  Shabaku  ait 
été  visionnaire  à  ce  point.  Mais  comme  il  était,  en  efl'et,  le  premier  Éthiopien  qui  ait  possédé  l'Egypte 
d'une  façon  durable,  et  que  l'occupation  éthiopienne  dura  50  ans  jusqu'à  Rabaku,  il  était  tout  naturel  de 


5^  Le  verbe  tu  ^ a  m  «donner»,  dans  nos  contrats  archaïques  démotiques  est  le  plus  vague  de  tous  au  point  de  vne  juri- 
dique. 11  s'emploie  aussi  bien  dans  les  actes  de  transmission  (cette  fois  concurremment  avec  le  verbe  «transmettre»)  que  dans  les  simples 
cessions  de  droits,   les  abandons  temporaires  s'appliquant   soit  au  fonds,   soit  seulement   ans  produits,   en  faveur   d'un  créancier,  etc. 

Ainsi  qu'on  le  voit  par  ce  que  nous  venons  de  dire,  le  mot  khei-,  est,  à  la  différence  des  autres  termes  (que  nous  retrouvons 
dans  nos  contrats),  surtout  employé  pour  les  appropriations  d'usage  qu'Amten  faisait  en  jouissant  de  certains  biens  en  vertu  de  ses 
fonctions  administratives.  Ce  sens  de  kher  se  rapprochait  aussi  de  sahun  «administration»  qu'on  voulait  enlever  au  possesseur  selon 
le  caillou  hiératique  déjà  cité  du  British  Muséum.  Mais,  quoique  appliqué  à  d'autres  genres  de  biens,  il  se  rapprochait  aussi  foncière- 
ment du  shai  «usage»  servant  de  nom  légal  à  la  qnasi-propriété  chez  les  Éthiopiens  et  dont  on  faisait  maseh  ^transmission»  et  tu 
«donation».  Encore  une  fois  pour  tout  ceci  renvoyons  à  notre  cours  sur  l'état  des  biens  et  à  notre  «notice». 

Revenons  en  à  la  stèle  Cattaui.    Elle  représente  le  roi  Osorkon  l^'  (ayant  à  ses  pieds  un  chantie  jouant  de  la  harpel  qui  fait 

une  olî'rande  à  la  déesse  Hatbor  représentée  sous  une  double  forme.  La  légende  porto  "     "^  " 


I©)  I   «Le  roi   des  deux  regiuns   du  raidi  et 


.   -^  .  _.jo:!^*  D ...     -  _      _, 

du  nord  Raraen  /eper  setep  on  ra,  fils  du  soleil,  seigneur  des  resplendissements  Araen  meri  Osorkon  à  qui  le  soleil  a  donné  vie  éter- 
nelle. —  11  a  donné  une  maison  et  des  champs  au  grand  chantre  d'Hathor.  la  vache.  Paaari  nub  (celui  que  la  déesse  Nnb  a  fait)  fils  du 
grand  chantre  d'Hatlior  de  Tat  Annuha-er-Tebu-suten-se  (nous  sommes  en  joie  à  cause  du  fils  royal)  qu'a  enfanté  Isi-em-j^eb  —  avec 
droit  de  prendre  de  l'or  pour  cela  (de  la  vendre). 

*  Sauf  peut-être  un  certain  Tafne/t  (Tabnahti).  petit  fils  de  Tafnext  I"  et  portant  dans  l'usage  constant  le  nom  de  son  grand 
père,  qui.  après  s'être  peut-être  réfugié  en  Assyrie,  aurait  reçu  comme  compensation,  lors  de  l'occupation  assyrienne,  le  gouvernement  de 
la  ville  de  Bunubu  (Pinoub)  sous  Assarhadon.  selon  les  cylindres  d'Assurbanîpal.  —  Les  Assyriens,  en  effet,  n'avaient  pas  voulu  déplacer 
de  Memphis  et  de  Sais  le  prince  Niku.  très  influent  et  appartenant  à  la  race  royale  éthiopienne. 

-  Les  inscriptions  contemporaines  sur  de  nombreux  monuments  ont.  en  effet,  confirmé  sous  ce  rapport  les  récits  d'Hérodote  et 
de  Diodore. 


Quelques  documents,  etc.  119 

se  perdre  au  milieu  de  ces  noms  analogues  —  d'autant  plus  qu'Hérodote  a  soin  de  nous  dire  que  pour 
toute  l'histoire  ancienne  il  ne  parlait  que  d'après  les  racontars  des  guides  et  les  conversations  des  prêtres; 
tandis  qu'il  avait  des  notes  précises  et  sérieuses  depuis  le  règne  de  Psammétiku  et  la  fondation  de  l;i 
colonie  grecque  de  Naucratis.  Nous  avons  d'ailleurs  une  preuve  positive  de  cette  confusion  d'Hérodote 
dans  un  autre  passage  (1,  CLII)  portant  ;  «Ce  prince  (Psammétique)  s'était  auparavant  sauvé  en  Syrie 
pour  fuir  la  ijersécution  de  Sabacos,  roi  d'Ethiopie,  qui  avait  fait  mourir  son  père  Nécos.  »  Or,  nous  savons 
par  les  cylindres  d'Assurbanipal  que  Niku,  père  de  Psammétiku,  qui  avait  reçu  de  Shabaku  le  fief  pa- 
trimonial de  Bocchoris  mis  à  mort  par  lui,  c'est-à-dire  Sais  et  Memphis,  possédés  déjà  par  Tafnekht,  n'a 
pas  du  tout  été  mis  à  mort  par  Shabaku,  puisqu'il  est  mentionné  pendant  toute  la  campagne  faite  par  les 
Assyriens  contre  Tahraku  :  mais  qu'il  a  été  probablement  mis  à  mort  —  comme  coupable  d'avoir  un 
instant  reconnu  l'hégémouie  d'Assurbanipal  —  par  Eabaku  Tonuatamen,  lors  de  son  invasion  triomphante 
en  Egypte.  Nous  reviendrons,  du  reste,  ailleurs  sur  toutes  ces  questions.  Ce  que  nous  en  avons  dit  suffit 
pour  mieux  faire  comprendre  la  portée  de  l'expression  «dieu  bon»  employée  par  notre  stèle. 

Cette  stèle  est  datée  de  l'an  2.  C'est  exactement  la  date  de  l'ensevelissement  d'un  Apis,  d'après 
Mariette.  D.ins  la  même  chambre  que  cette  inscription  de  l'an  2  de  Shabaku,  s'en  trouvait  aussi  une  autre, 
en  partie  mutilée,  laquelle  peut,  toujours  selon  Maiuette,  se  rapporter  à  un  autre  Apis  mort  sous  Shaba- 
toku,  le  fils  et  le  successeur  de  Shabaku.  et  dont  Maiuette  a  aussi  trouvé  le  nom,  ainsi  que  celui  de  Sha- 
baku, dans  le  temple  de  Ptah  à  Memphis.  La  série  du  Sérapéum  est  donc  ici  absolument  parallèle  à  la 
liste  de  Manéthon,  qui  à  Shabaku  fait  succéder  en  Egypte  même  «  son  fils  Sébichos  »  —  (puis  à  Sébichos, 
Taracos,  comme  le  prouve  encore  le  Sérapéum)  —  sans  aucune  intercalation  ou  substitution  des  prétendus 
rois  saïto-memphites  dont  on  ne  trouve  nulle  trace  sur  les  monuments  de  Memphis.  Nous  savons  par  une 
foule  de  documents  que  telle  est  bien  en  effet  la  suite  de  la  dynastie  éthiopienne. 


3228  D. 

(An  10,  Pbarmoutlii  30,  du  roi  Shabaku,  le  dou  d'Isis,  l'auii  d'Amou  —  à  lui  vie 
saiïté  force!)' 

«En  ce  jour,  la  femme  Tefanan,  fille  de  Paklmum,  dit  au  clioacbyte  Ptuaa,  tils  de 
Petuamenapi  : 

«  Je  t'ai  donné  Jloutekbepertus  (les  biens  de  Montekbepertus),  tils  de  Pkadja,  dont  on 
a  fait  l'équivalence.  Je  te  transmets,  (dis-je)  mes  deux  aroures  et  demie  de  la  double  demeure 
de  vie  d'Horsbeti,  que  j'ai  rétribuées  en  échange  aujourd'hui.  Eu  transmission  je  transmets 
cela,  comme  équivalence,  par  cet  acte.  J'ai  donné  ces  choses  :  à  savoir  le  terrain  de  la 
double  demeure  de  vie  d'Horsbeti. 

«A  reçu  Petuaa,  fils  de  Petuamenapi  de  la  femme  Tefanan,  tille  de  Pakhnum,  fils  de 
Petumont,  le  terrain  de  Montekbepertus,  terrain  de  la  double  demeure  de  vie  d'Horshefi, 
formant  deux  aroures  et  demie. 

«Elle  (Tefanan  la  cédante)  a  dit  (a  fait  la  déclaration!  au  prêtre  d'Amon,  prêtre  du 
roi  florissant,  —  à  qui  Amon  a  donné  la  puissance  1 

«  Il  n'y  a  point  à  donner  à  fils,  fille,  frère,  sœur,  être  quelconque  du  monde  entier  : 
on  a  fait  connaître  à  tous  l'attribution  de  part  ci-dessus  maintenant  et  toujours,  ainsi  que 
celui  qui  prend  cette  part. 

«Personne  ne  peut  faire  aucune  opposition  à  cet  écrit. 

«  Par  l'écriture  du  scribe  d'Horus  pour  les  transmissions. 
(Attestations  de  témoins  :) 


'  Nous  rétablissons  ce  protocole  d'après  les  attestations  de  témoins  de  notre  acte  (particulièrement  la  seconde)  et  les  protocoles 
analogues.  Devéria,  dans  son  catalogue  des  roaniiscrits  (XI,  10— D)  avait  mis  ici  :  «Pièce  acéphale  portant  vingt-deux  lignes  de  texte 
divisées  en  cinq  articles.  On  lit  à  la  dernière  ligne  une  date  de  Tîm  X  sans  indication  de  règne.» 


120  Eugène  Revillouï. 


«Par  la  main  d'IJalièse,  fils  d'Hor-niont,  tils  d'Uahèse,  qui  témoigne  à  l'acte  de  la  femme 
Tefanan,  fille  de  Pakhuum,  fils  de  Petumont,  laquelle  dit  :  je  transmets  mes  deux  aroures 
de  la  double  demeure  de  vie  d'Horshefi,  terrain  de  Montekhepertus,  fils  de  Pkadjadja,  qui 
est  donné  en  équivalence.  L'an  10,  le  30  Mésoré. 

«Par  la  main  d'Ankh-bor-suteu,  le  prêtre  de  Mont,  fils  de  Petuamenapi  (témoignant) 
à  l'acte  de  femme  Tefanan,  fille  de  Pakliuum,  laquelle  dit  :  je  transmets  mes  deux  aroures 
et  demie  de  la  double  demeure  de  vie  d'Horshefi,  terrain  de  Moutekbepertus,  fils  de  Pkadja 
—  et  le  reste  de  l'écrit  quelconque  ci-dessus.  —  An  10,  Mésoré  30  du  roi  Shubaku,  le  don 
d'isis,  aimé  d'A^non  —  à  lui  vie  santé  force  (ankh  udja  seiib). 

«Par  la  main  du  prêtre  du  roi  Sbabaku,  Amenemap,  l'intendant  du  roi  Uuuofré  (du 
dieu  Osiris),  le  prêtre  d'Amon,  (témoignant)  à  l'acte  de  la  femme  Tefanan,  fille  de  Pakbnum, 
laquelle  dit  :  je  transmets  les  deux  aroures  et  demie  de  la  double  demeure  de  vie  d'Hor- 
shefi —  et  le  reste  de  l'écrit  ci-dessus.  —  An  10,  Mésoré  30. 

«Par  la  main  de  Petuamenhir,  tils  de  Djepbirementu,  témoignant  à  l'acte  de  la  femme 
Tefanan,  fille  de  Pakbnum,  laquelle  dit  au  cboacbyte  Ptuaa,  fils  de  Petuamenapi  :  Je  t'ai 
transmis  les  deux  aroures  et  demie  de  la  double  demeure  de  vie  d'Horshefi  —  terrain  de 
Montekhepertus.  fils  de  Pkadja,  en  équivalence  —  et  le  reste  de  l'écrit  ci-dessus.  —  Au  10, 
Mésoré  30.  » 

Ce  contrat  —  (que  nous  commentons  juridiquement,  ainsi  que  tous  ceux  de  la  période  archaïque, 
dans  notre  «notice»  détaillée  des  «papyrus  archaïques  traduits  et  commentés  juridiquement»)  —  est  fort  in- 
téressant de  toutes  les  manières.  Pour  ne  pas  sortir  du  point  de  vue  historique  dont  nous  voulons  seulement 
nous  préoccuper  ici,  nous  ferons  remarquer  d'abord  l'introduction  sous  Shabaku  de  la  formule  consacrée  : 
«Elle  a  dit  (ou  il  a  dit  ou  ils  ont  dit)  au  piètre  d'Amon,  prêtre  du  roi  llorissant  à  qui  Amon  a  donné  la  puis- 
sance »,  formule  que  nous  retrouverons  sous  Tahraku,  sous  Psammétiku  I",  sous  Néchao  ou  Niku  II,  sous 
Psammétiku  II,  sous  Apriès,  mais  qui  n'existait  pas  sous  le  roi  saïte  Bocchoris,  et  qui  disparaîtra  bientôt 
sous  l'usurpateur  Amasis  pour  ne  plus  exister  sous  aucun  de  ses  successeurs.  Cette  formule  ammonienne 
se  rattachait  en  effet  —  (comme  le  titre  «  aimé  d'Amon  »  que  portaient  les  rois  éthiopiens)  à  l'idée  de  leur 
légitimité  ammonienne  —  en  qualité  de  descendants  des  grands  prêtres  d'Amon  de  la  XXI°  dynastie. 
Psammétiku  et  ses  descendants  y  avaient  encore  droit  comme  membres  d'une  branche  cadette  de  cette 
dynastie  éthiopico-ammonienne.  Mais  tout  prince  qui  ne  pouvait  se  glorifier  d'une  telle  descendance  devait 
renoncer  à  se  rattacher  ainsi  directement  à  Amon.  Aussi  ne  Irouvons-nous  l'une  ou  l'autre  de  ces  formules 
et  particulièrement  le  titre  «  don  d'isis,  aimé  d'Amon  »  devenu  «  aimé  d'isis,  aimé  d'Amon  »  '  que  chez  les 
princes  éthiopiens  postérieurs,  qui,  comme  Ergamènc,  comme  Ankhinachis,  comme  Hormachis,  etc.,  préten- 
daient se  rattacher  encore  à  la  dynastie  ammonienne  et  recevoir  d'Amon  lui-même,  solennellement  invoqué, 
leur  investiture  royale  consacrée  par  ses  prêtres.^ 

Une  seconde  question  historique  est  tout  aussi  intéressante  :  c'est  celle  des  années  de  règne  de 
Shabaku.  Selon  la  liste  d'Africain,  que  plusieurs  chronologistes  modernes  préfèrent  d'ordinaire  à  la  liste 
d'Eusèbe,  Manéthon  n'aurait  attribué  que  huit  ans  à  Shabaku.  Notre  contrat  prouve  que  cette  opinion  est 
insoutenable  et  qu'il  faut  probablement  lui  donner  les  12  ans  d'Eusèbe. 

Enfin  les  noms  des  parties  touchent  aussi  à  une  autre  question  historique. 

Parmi  ces  parties  nous  remarquerons  principalement  Petuaa,  fils  de  Petuamenapi,  qui  reçoit  les  biens 

'  Cette  formule  complète  est  ceUe  des  rois  Ancbmacbis  et  Harmachis  dans  leurs  protocoles  démotiques.  Le  contemporain  de  Phi- 
ladelpbe.  Ergamène.  (sur  lequel  il  tant  voir  ce  que  nous  avons  dit  dans  notre  second  mémoire  sur  les  Blemmyes,  p.  a  et  3  et  Revue,  VI,  p.  121) 
portait  dans  son  cartouche  même  l'appellation  «aimé  d'isis»,  ainsi  que  deux  autres  rois  appartenant  à  la  même  dynastie  et  dont  les  cartouches 

renferment  également  le  nom  d'Amon.  Voici  ces  cartouches  :  T  (j  |  ^^  h  ^^^^  â.  "^  fi  q  N  |    [^  "^^  (1  '"""'  •?■  "^  fi  O  M 
(   Û       A     il  '         '  "t*    -^  ri        '        '    |,    D'une  autre  part,   Kahaka   s'intitulait  dans  un  de  ses  cartouche 


-J3^      1  AAAAAA 

,  ce  sujet  la  st^-le  <le  rintronisation. 


Quelques  documents,  etc. 


121 


t;n  question.  Or  ce  Petuaa,  fils  de  Petuamenapi,  dont  nous  donnons  ci-contre  la  généalogie'  d'après  les  con- 
trats contemporains,  est  parfaitement  connu  de  nous,  puisque  c'est  lui  dont  tous  les  papiers  nous  sont 
parvenus  depuis  Shabaku  et  pendant  tout  ce  que  nous  possédons  du  régne  de  Tahraku.  Sous  Tahraku 
même,  nous  voyons  encore  acter  plusieurs  de  ses  grands-parents,  de  ses  grands-oncles,  grandes-tantes,  de 
ses  oncles,  de  ses  tantes,  etc.  soit  en  sa  faveur,  soit  en  faveur  d'antres  personnes  qui  lui  cédèrent  à  leur 
tour.  Il  est  donc  impossible  d'admettre  un  trop  long  intervalle  entre  le  règne  égyptien  de  Shabaku  et  le 
règne  égyptien  de  Tahraku.  L'intervalle  indiqué  par  le  canon  manéthonien  d'Eusèbe,  que  nous  suivons  de 
préférence,  est  au  contraire  très  admissible  d'après  nos  contrats,  puisque,  selon  ce  canon,  entre  l'an  10  de 
Shabaku  et  l'an  l""'  de  Tahraku,  par  exemple,  il  n'y  a  que  14  ans  (les  deux  dernières  années  de  Shabaku 
et  les  12  ans  de  Shabatoku).  Mais  si,  comme  on  le  fait  souvent,  l'on  admet  pour  Tahraku  un  long  règne 
éthiopien  antérieur  au  commencement  de  son  comput  égyptien,  les  difficultés  s'accroissent  de  plus  en  plus. 

Nous  aurons  l'occasion  de  voir  dans  la  suite  qu'une  stèle  chronologique  fort  intéressante  du  Séra- 
péum  met  "27  ans  entre  le  commencement  du  règne  de  Tahraku  et  le  commencement  du  règne  de  Psam- 
métiku  —  à  partir  duquel  la  chronologie  est  paifaitement  fixée  par  une  série  d'autres  stèles,  dont  les  calculs 
ont  été  fort  bien  additionnés  et  comparés  par  M.  de  Eougé  avec  les  diverses  données  conniTes. 

Or,  toute  la  théorie  consistant  à  attribuer  à  Tahraku  un  long  règne  en  Ethiopie  avant  ses  26  ans 
de  règne  en  Egypte  repose  sur  deux  passages  parallèles  d'Isaïe  et  du  livre  des  rois  nous  apprenant  que 
Tahraku  préparait  une  expédition  en  Asie  contre  Sennacherib  du  temps  d'Ezéchias.  Les  textes  hébreux 
disaient  :  en  l'an  14  d'Ezéchias  :  et  cet  an  14,  postérieur  de  huit  ans  seulement  à  la  date  fixée  pour  la 
prise  de  Samarie  par  les  Assyriens,  eut  certainement  fait  remonter  plus  haut  que  ne  le  permettait  pour 
le  règne  égyptien  de  Tahraku  la  stèle  d'Apis  déjà  citée  et  que  nous  reproduirons  plus  loin  dans  ce  cata- 
logue avec  tous  les  calculs  appropriés.  On  supposa  donc  que  Tahraku  avait  dû  régner  hors  d'Egypte  en 
Ethiopie  avant  de  régner  en  Egypte,  et  que  cela  résultait  des  textes  de  la  Bible.  Mais  ces  textes  mêmes 
auraient  dû  prouver  que  Tahraku  possédait  alors  l'Egypte;  car  il  est  impossible  d'admettre  que  Tahraku 
aurait  pu  venir  en  Palestine  depuis  la  Nubie  sans  passer  par  l'Egypte  et  qu'il  aurait  même  eu  l'idée  d'aller 


Voici  cette  généalogie 


f-Hotepamen-anihlior  =  Petamen-api       Petuilniim  =  f-Hon-himt-naannu         f-Hotepcsé  =  Setamenka 


f-Honhimtnaar 


Psenamen  f-Taba. 

16 


122  Eugène  Revillout. 


combiittic  un  adversaire  avec  lequel  il  n'aurait  eu  aucun  rapport  de  voisinage.  Rien  n'est  plus  naturel, 
au  contraire,  quand  on  sait  que  Tahraku  avait  alors  rÉg3'pte  et  qu'il  se  disposait  à  envahir  la  Phénicie, 
dont  il  raconte  dans  ses  inscriptions  avoir  pris  plusieurs  villes,  Palmyre  où  il  a  laissé  de  ses  monu- 
ments, etc. 

Je  nie  permettrai  donc  de  proposer,  sous  toutes  réserves,  une  nouvelle  explication  de  cette  difficulté 
résultant  de  la  mention  de  la  U"  année  d'Ezéclnas,  qui  ne  s'accorde  pas  avec  les  données  de  la  stèle  d'Apis. 

Commençons  par  dire  que  d'après  les  calculs  chronologiques  que  je  publierai  plus  loin  à  propos  de 
cette  stèle  d'Apis,  la  première  année  de  Tahraku  coïnciderait  avec  la  29°  année  du  régne  d'Ezéchias  en 
Juda  et  avec  la  lO"  du  règne  de  Sennaeherib  en  Assyrie.  Une  mise  en  action  simultanée  de  ces  trois  rois 
ne  serait  donc  pas  impossible  alors  qu'on  admettrait  pour  la  durée  du  régne  d'Ezéchias  le  chiffre  de  29  ans 
fourni  par  la  Bible. 

Mais,  on  doit  l'avouer,  ce  chiffre  donné  par  le  livre  des  Rois  et  les  Chroniques  pourrait  bien  être 
inexact,  comme  paraît  l'être  la  date  de  la  14"  année  pour  la  rivalité  de  Tahraku  et  de  Sennaeherib. 

La  préoccupation  constante  qu'ont  eue  les  rabbins  de  mettre  d'accord  les  indications  chronologiques 
des  différents  livres  sacrés  semble  les  avoir  conduits  souvent  à  généraliser  par  des  corrections  à  contre- 
sens les  erreurs  de  chiffres  —  par  faute  de  copiste  ou  toute  autre  cause  —  qui  n'avaient  peut-être  i)orté 
d'abord  que  sur  un  seul  livre.  J'aurais  grande  tendance  à  croire  qu'on  a  raccourci  de  10  ou  20  ans  le 
règne  d'Ezéchias,  parce  qu'on  avait  allongé  d'autant  le  règne  de  son  fils  Manassé  et  parce  qu'on  tenait  à 
conserver  entre  le  sac  de  Samarie  et  le  sac  de  Jérusalem  un  laps  de  temps  bien  connu  de  tous. 

Jlais  où  et  pourquoi  aurait-on  d'abord  allongé  le  règne  de  Manassé?  Très  probablement  dans  les 
Paralipomènex,  autrement  dit  dans  les  Chroniques,  livre  historique  dont  la  rédaction  est  très  postérieure  à 
celle  du  livre  des  Rois  (qu'il  cite  justement  parmi  ses  sources  à  propos  du  règne  de  Manassé)  et  où  la 
vie  de  Jlanassé  est  divisée  en  deux  parties  distinctes  :  une  première,  toute  de  péchés  et  d'idoliitrie,  corres- 
pondant parfaitement  au  récit  du  livre  des  Rois,  une  seconde  de  captivité  à  Babylone'  durant  trois  ans, 
puis  de  conversion  et  de  pénitence,  qui  n'a  aucun  correspondant  dans  le  livre  des  rois  et  qui  est  même 
en  contradiction  la  plus  formelle  avec  ce  livre.  En  effet,  dans  le  livre  des  Rois  les  crimes  de  Manassé,  son 
idolâtrie,  ses  violences  sanguinaires  contre  les  juifs  fidèles  au  culte  de  Jehovah,  durant  jusqu'au  bout  et 
imitées  par  son  fils,  ont  été  la  cause  de  tous  les  malheurs  (lu'éprouva  sa  descendance  à  la  quatrième 
génération. 

Le  livre  des  Rois  a  soin  de  dire  expressément,  à  propos  de  l'asservissement  de  Joachim  au  roi  Na- 
buchodonosor  et  du  pillage  de  la  Judée  par  des  bandits  de  toute  race,  que  cela  advint  par  suite  des  crimes 
de  Manassé.  Bien  entendu,  le  livre  des  Chroniques  ne  fait  aucune  réflexion  de  cette  nature,  puisqu'il  repré- 
sente le  roi  Manassé  dans  une  seconde  partie  de  sa  vie  comme  un  converti  qui  pria,  qui  fut  exaucé  et 
qui  s'appliqua  à  réparer  le  mal  d'abord  causé  par  lui  dans  ses  premières  années. 

Pour  cette  conversion  apocryphe  de  Manassé,  succédant  à  une  caijtivité  non  moins  apocryphe  à 
Babylone  —  dans  un  temps  où  Babylone  appartenait  aux  Assyriens  —  l'auteur  des  chroniques  crut  avec 
raison  devoir  indiquer  à  part  la  soiu'ce  où  il  puisait  tant  de  récits.  C'est  le  livre  d'Hozas,  livre  actuelle- 
ment perdu,  une  sorte  de  roman  historique  semblable  à  la  Cyropédie,  où  la  punition  céleste  attirée  par 
les  crimes  de  Manassé  venait  frapper  Manassé  lui-même,  où  les  prophéties  menaçantes  d'Isaïe  à  son  père 
Ezéohias  à  l'occasion  de  Mérodach  Baladan,  roi  de  Babylone,  venaient  déjà  s'accomplir  en  lui,  où  c'était 
lui-même  qui  subissait  à  Babylone  une  captivité  de  trois  ans  et  où  sa  vie  ne  se  terminait  qu'après  un 
repentir  édifiant  pour  les  lecteurs.  Il  fallait  bien  allonger  cette  vie  pour  trouver  place  à  ces  années  de 
roman,  surajoutées  aux  années  d'histoire  :  et,  pour  laisser  l'espace  nécessaire  entre  les  commencements  des 
deux  captivités,  il  fallait  prendre  au  régne  d'Ezéchias  ce  qu'on  donnait  de  trop  au  règne  de  son  fils. 

Telle  me  paraît  être  l'origine  de  toutes  les  difficultés  qu'avaient  présentées  jusqu'ici  les  textes  de  la 
Bible  relatifs  à  Ezéchias.  Ce  ne  sont,  en  ce  qui  touche  son  régne,  que  questions  do  chift'res  et  de  chiffres 
changés  après  coup  pour  établir  une  concordance  chronologique. 

Il  est  certain  d'ailleurs  que  les  récits  de  la  Bible  nous  représentent  Sennaeherib  comme  survivant 
de  très  peu  à  cette  expédition  contre  les  juifs  dans  laquelle  la  main  de  dieu  avait  déjà  frappé  son  armée. 
Le  livre  des  Chroniques  s'exprime  en  ces  termes  :  «Le  seigneur  envoya  un  ange  qui  frappa  tout  homme 
robuste  et  tout  combattîint  et  tout  commandant  dans  l'armée  du  roi  d'Assyrie;^  et  il  s'en  retourna  igno- 

^  C'est  à  cette  période  que  se  rapporte  IVoratio  Manassae  régis  Juda  cum  captus  teneretur  in  Babylone»  qui  a  été  lungée  parmi 
les  apocryphes  par  le  concile  de  Trente,  et  qui,  d'après  les  décrets  de  ce  concile,  doit  être  insérée  seulement  à  la  fin  des  éditions 
bibliques  et  en  dehors  du  canon. 

*  Une  tradition  analogue  se  trouve  dans  Hérodote  relativement  au  désastre  éprouvé  par  Seniiachérib  au  moment  où  il  venait 
attaquer  l'Egypte.  Mais  le  chef  que  Sennaeherib  rencontra  alors,  selon  lui,  était  Sethos  qui,  nous  le  verrons,  parait  identique  au  Zet  que 
les  listes  d'Africain  donnent  comme  successeur  à  Psammus  dans  la  branche  des  Tanitcs.  Les  princes  tanites,  qui  n'avaient  pas  immé- 
diatement suivi  l'exemple  des  antres  princes  héréditaires  dans  leur  soumission  aux  Éthiopiens  sous  Pianchi,  semblaient,  au  contraire  du 
temps  de  Shabaku,  de  Shabatoku  et  de  Tahraku,  avoir  parfaitement  reconnu  l'hégémonie  éthiopienne.  Le  vassal  Séthos  ou  Zet  i 
dait  sans  doute  l'avant-garde  de  Tahraku. 


Quelques  documents,  etc.  123 


mini  eu  sèment  dans  sou  pays-,  et  comme  il  était  entré  dans  la  maison  de  son  dien,  ses  propres  fils,  qu'il 
avait  engendrés,  le  frappèrent  du  glaive  et  le  tuèrent.»  Les  récits  parallèles  du  livre  des  Eois  et  d'Isaïe 
sont  plus  détaillés.  Mais  ici  l'impression  qui  en  ressort  est  bien  celle  qu'a  traduite  le  livre  des  Chroniques. 
.S'il  fallait  admettre  que  Sennachérib  vécut  encore  pour  le  moins  18  ans  après  son  retour  de  Judée  et  fit 
encore  un  très  grand  nombre  d'expéditions  triomphantes,  le  texte  d'Isaïe,  celui  du  livre  des  Eois  et  celui 
des  Chroniques  perdrait  toute  valeur  historique. 

Ajoutons  que  l'étude  attentive  des  textes  montre  dans  le  livre  des  Rois  deux  récits  tout-à-fait  distincts 
de  campagnes  de  Sennachérib. 

En  eftet,  un  premier  récit,  qui  n'a  aucun  correspondant  dans  Isaïe,  raconte  que  Sennachérib,  ayant 
envahi  la  Judée,  en  prit  toutes  les  places  fortes  en  dehors  de  Jérusalem  et  qu'Ezéchias  alors,  implorant 
la  paix,  se  soumit  et,  pour  payer  au  roi  d'Assyrie  en  tribut  trente  talents  d'or,  sans  compter  l'argent  et  le 
reste,  fit  arracher  les  lames  d'or  qui  recouvraient  les  portes  du  temple. 

Ce  sont  là,  massés,  tous  les  faits  qu'on  trouvera  plus  détaillés  dans  le  cylindre  de  Sennachérib. 
Sennachérib  dit  avoir  pris  4(j  villes  fortes  du  loyaume  de  Juda  et  une  multitude  de  villes  plus  petites.  Il 
dit  avoir  réduit  Ezéchias  à  la  possession  de  Jérusalem  et  il  ajoute  :  -<  Lui,  Ezéchias,  la  crainte  et  l'éclat 
de  ma  Majesté  le  frappèrent  ...  et  pour  me  remettre  son  tribut,  pour  me  faire  sa  soumission,  il  m'en- 
voya des  messagers,  vers  moi,  à  Ninive,  la  ville  de  ma  royauté,  avec  trente  talents  d'or,  etc.  » 

Cette  expédition  dont  on  voit  la  teiminaisou  glorieuse  â  Ninive,  où  le  roi  d'Assyrie  était  retourné 
après  s'être  emparé  des  villes  de  Judée  moins  Jérusalem  et  après  les  avoir  distribuées  au  roi  de  Gaza, 
au  roi  d'Asad,  etc.,  est,  je  le  répète,  tout-à-fait  distincte  de  celle  dont  parle  Isaïe  dans  un  passage  parallèle 
à  la  suite  du  récit  du  livre  des  Rois,  expédition  dont  Sennachérib  ne  pouvait  pas  parler;  car  les  monarques 
orientaux  ne  fixent  jamais  le  souvenir  que  de  leurs  victoires  et  ne  mentionnent  pas  dans  leurs  inscriptions 
historiques  celles  de  leurs  campagnes  qui  se  terminent  par  un  désastre. 

Déjà,  je  me  hâte  de  le  reconnaître,  M.  Rawlin.son,  l'admirable  découvreur  des  cunéiformes  dont  le 
jugement  était  si  sûr  et  qui  le  premier  a  traduit  les  textes  relatifs  aux  rapports  de  l'Assyrie  avec  l'Egypte, 
ne  voulait  pas  croire  que  Sennachérib  eût  raconté  dans  son  cylindre  l'expédition  qui  finit  pour  lui  si  mal- 
heureusement. Il  admettait  deux  expéditions  :  celle  des  cylindres  assyriens  et  celle  d'Isaïe.  Les  objections 
qu'on  lui  a  opposées  ne  sont  pas  sérieuses;  car  ceux  qui  croient  connaître  tout  le  régne  de  Sennachérib 
par  ses  cylindres  ne  peuvent  le  connaître  évidemment  que  par  ses  beaux  côtés.  D'ailleurs  les  cylindres 
ne  vont  jamais  jusqu'aux  derniers  moments  du  roi;  ils  ne  racontent  jamais  sa  mort,  comme  Moïse  dans  le 
Deutéronome.  Nous  possédons  des  cylindres  d'Assaraddon  qui  ne  disent  pas  le  moindre  mot  de  sa  eam- 
pa.gne  victorieuse  en  Egypte,  parce  qu'elle  fut  tardive  dans  son  règne.  Or,  d'après  la  Bible,  il  est  évident 
que  celle  dans  laquelle  Sennachérib  allait  au-devant  de  Tahraku  fut  1res  tnrdive  dans  son  règne,  puisqu'on 
raconte  immédiatement  après  sa  mort  violente,  en  tant  que  suite  ininterrompue  des  punitions  célestes. 

Tout  va  très  bien  si  le  chiffre  de  29  ans,  inscrit  actuellement  dans  la  Bible  pour  la  durée  du  règne 
d'Ezéchias,  est  remplacé  par  le  chififre  de  39  ou  49;  et  si  le  chitt're  représentant  le  règne  de  Manasse,  qui  est 
de  55  ans  dans  le  texte,  se  trouve  réduit  parallèlement  à  -15  ou  à  35.  La  réponse  d'Ezéchias  aux  pro- 
phéties menaçantes  pour  l'avenir  prochain  de  Juda  nous  laisse  l'impression  d'un  vieillard  et  non  d'un  homme 
de  40  ans.  On  ne  se  figure  pas  aisément  qu'il  ait  dii  terminer  son  existence  à  54  ans,  et  qu'il  soit  âgé 
de  39  ans  quand  ce  prophète  Isaïe  lui  promet  encore  15  ans  de  vie  à  titre  de  faveur  toute  exceptionnelle. 

Nous  verrons  d'ailleurs,  je  le  répète,  dans  nos  calculs  chronologiques  relatifs  à  la  stèle  d'Apis  qu'en 
conservant  pour  le  régne  d'Ezéchias  ce  chiffre  si  douteux  de  i9  ans  et  en  ne  tenant  nul  compte,  bien 
entendu,  —  pas  plus  que  personne  ne  le  fait  aujourd'hui  —  de  cette  date  de  la  «  14'^  année  »  (jui  avait 
été  appliquée  d'ailleurs  indifféremment  à  deux  expéditions  différentes,  celle  de  ces  expéditions,  à  propos 
de  laquelle  est  nommé  Tahraku,  aurait  pu  avoir  lieu  du  vivant  d'Ezéchias  et  pendant  le  régne  égyptien 
de  Tahraku,  tel  qu'il  nous  est  montré  par  les  textes  du  Séi-apéum. 

Qu'où  nous  pardonne  d'être  entré  ici  dans  des  détails  si  étendus.  Mais  ils  étaient  nécessaires 
pour  montrer  que  l'on  peut  fort  bien  chronologiquement  ne  pas  admettre  un  long  règne  éthiopien  de 
Tahraku  avant  son  régne  égyptien  —  ce  qui  paraît  une  supposition  gratuite,  impossible  d'autre  part  — 
et  par  conséquent  ne  pas  admettre  non  plus,  comme  on  le  fait  parfois,  les  dynasties  parallèles  de  Tahraku 
et  de  Shabaku  dont  l'une  aurait  régné  à  Thèbes  et  l'autre  en  Ethiopie,  tandis  que  de  prétendus  rois  saïto- 
niemphites  auraient  eu,  de  leur  côté,  les  honneurs  du  cartouche.'   En  réalité,  les  trois  rois  éthiopiens  ont 

*  Bien  entendu,  l'éthiopien  Niku  possédait  toujours  son  fief  de  Sais  et  de  Memphis.  mais  sous  la  suzeraineté  des  Éthiopiens  et 
jamais  il  n'usnrpa  le  cartouche.  Il  en  était  de  même  des  Tanites  régnant  encore  à  Tanis  (avec  ou  sans  cartouche)  et  d'une  foule  d'autres 
princes  de  la  race  Bubasto-tanite  ou  autres  chefs  héréditaires  qui  sont  énuraérés  dans  la  stèle  de  Pianchi  et  dans  le  cylindre  d'Assur- 
hanipal.  Pianchi  accorde  les  honneurs  du  cartouche  au  roi  tanite  Osorkon  III,  le  fils  du  fondateur  de  la  dynastie  tanite.  à  Nimrod  et  à 
Uaput  (alors  qu'il  donne  des  titres  hien  inférieurs  à  tous  les  autres  dynastes.  qui  so  soumirent  à  lui,  y  compris  celui  de  llemphis).  Il 
est  probable  que  Sliabaku,  .Shabatoku  et  Tahratu  continuèrent  cette  tradition  et  ne  laissèrent  les  honneurs  du  cartouche  qu'aux  descen- 
dants de  ceux-  auxquels  Pianchi  les  avait  accordés  et  particulièrement  à  Psammus,  successeur  tanite  d'Osorlon  III,  à  Zct,  successeur  de 
Psammus  ii  Tanis  sous  Shabaku,  etc. 

16* 


124  Eugène  Revillout. 


possédé  siiccessiveraent  l'Ég-yptc,  comme  Tavait  reconmi  Manéthon,  et  ont  tranquillement  régné  à  Memphis 
même,  où,  seuls  de  leur  temps,  ils  ont  pris  le  titre  de  Pharaons;  et  notre  contrat  démotique  nous  prouve 
qu'entre  Tan  10  de  Shabaku  et  Tan  1"  de  Tahraku  l'intervalle  est  loin  d'être  considérable  et  que  les  deux 
rois  ont  pris  identiquement  le  même  protocole  et  les  mêmes  titres  se  rattachant  à  la  même  dynastie 
ammonienne,  etc.  Ajoutons  que  Tahraku  reconnaissait  parfaitement  la  légitimité  de  sou  prédécesseur 
Shabaku  et  laissait  mentionner  son  nom  avec  honneur  dans  les  contrats  —  nous  le  verrons  dans  un  contrat 
de  Tan  6  de  son  régne  citant  un  autre  contrat  de  Shabaku  qui  malheureusement  ne  nous  est  pas  parvenu. 
Sa  mère  se  rattachait  d'ailleurs,  nous  le  verrons  aussi,  à  cette  race  royale  de  Shabaku  qui  de  plus  avait 
épousé  sa  sœur,  selon  Assurbanipal  et  dont,  pour  ma  part,  je  ne  crois  pas  du  tout  qu'il  ait  tué  le  fils.' 


REGNE   DE  TAHRAKU. 

7228  A. 

o^An  3,  Paehons  20^  du  roi  Tabraku.  le  don  d'Isis,  raini  d'Amon  —  à  lui  vie^  santé, 
force!  —  jour  de  fête  (keh)  d'Isis. 

^<Eu  ce  jour  —  Pensmenamenj  tils  de  Setamenka  et  Taba,  sa  sœur  disent  à  l'enfant 
d'Hotepamen,  Dji-(borsi)ésé-ankhndjasenbbeb,  fille  d'Aukbborsuten  : 

«Nous  te  donnons  le  domaine,  le  bien  (mot-â-mot  :  l'existant)  qu'on  a  fait  en  équiva- 
lence [k  savoir  :)  le  hat  de  Setamenka  et  d'Hotepésé,  sa  femme,  notre  mère  et  mon  père.^ 

^  Cette  opinion  soutenue  par  quelques  modernes  et  qui  distingue  deux  périodes  toutes  différentes  dans  la  vie  publique  de  ïaliraku, 
celle  qui  aurait  précédé  et  celle  qui  aurait  suivi  son  règne  égyptien,  règne  égyptien  qui  aurait  débuté  par  le  meurtre  de  Sabetoka,  repose 
sur  trois  textes  d'époque  relativement  très  récente.  Le  premier  do  ces  textes  est  celui  de  Josèphe  (liv.  X.  chap.  1*^^")  dans  lequel  on  a 
cru  voir  (Hlst.  graec,  t.  II,  p.  503  de  l'édition  Didot)  que  Tabraku  n'était  pas  encore  roi.  quand  il  amena  des  secours  aux  Égyptiens 
contre  Sennacherib  :  «Tum  vero  nondum  rex  erat,  sed  auxilîares  copias  ex  Aetbiopia  Aegyptiis  adduxerat.»  Le  second  est  la  copie  palatine 
du  canon  de  St  Jérôme  qui  porte  :  «Taracbus.  Sebicbo  interfecto,  Aegyptiis  annis  XX.»  Le  troisième  qui  a  été  cité  par  Unger  (non  pas  dans 
une  édition  de  Manéthon.  invoquée  par  Maspero  et  qu'il  n'a  jamais  faite,  mais  dans  sa  chronologie,  p.  251)  est  tiré,  pense-t-il.  de  bonnes 
sources  grecques,  et  se  trouve  dans  un  manuscrit  (cod.  Fuc.  zu  Abr.  ISOtj)  portant  :  «Hic  (Taracus)  ab  Actliiopia  duxit  excrcitnm  atque 
Sebiconera  occidit,  regnavitque.» 

En  réalité,  ces  trois  textes  procèdent  tous  les  uns  des  autres  par  suite  d'une  opinion  précon^-ue  et  toute  biblique. 

Le  plus  ancien  est  celui  de  Josèphe.  Mais  cet  auteur  ne  soutient  pas,  comme  on  l'a  prétendu,  que  Tabraku  n'était  pas  encore 
roi  lors  de  l'expédition  de  Seunaclierib.  Il  le  nomme  au  contraire  expressément  alors  «roi  des  Éthiopiens».  Seulement  le  dit  Josèphe  a 
voulu  combiner  les  indications  d'Hérodote  et  celles  de  la  Bible  sur  l'expédition  de  Sennacherib,  expédition  sur  laquelle  il  n'avait  pas 
d'ailleurs  d'autres  renseignements  que  nous  même.  Le  texte  d'Hérodote  lui  faisait  admettre  alors  un  pi'étre  de  Vulcain  (Sethos)  comme 
roi  en  Egypte  et  adversaire  de  Sennacherib.  Le  texte  de  la  Bible  lui  montrait  qu'en  même  moment  l'Éthiopien  Tahraku  régnait,  et  que 
le  roi  assyrien  était  en  guerre  avec  lui.  Il  en  a  conclu  tout  naturellement,  que  Tahraku,  roi  d'Ethiopie,  avait  promis  des  secours  aux 
Égyptiens  —  ce  qui  accordait  tout  également.  Pour  tout  accorder  n'avait-il  pas  coupé  en  deux  le  miracle  détruisant  l'armée  de  Senna- 
cherib d'apxès  les  récits  d'Hérodote  et  de  la  Bible,  en  admettant  que  deux  armées  de  Sennacherib  avaient  été  détruites  en  même  temps? 
Tout  cehi  n'est  qu'une  simple  interprétation  de  deux  textes  que  nous  possédons  comme  lui  et  en  dehors  desquels  Josèphe  ne  savait  rien 
—  à  ce  point  qu'il  se  croit  ensuite  obligé  de  prouver  par  Bérose  Vexistence  même  de  Sennacherib. 

Quant  à  la  variante  du  texte  de  St  Jérôme,  où  interfecto  est  peut-être  mis  à  la  place  de  mortuo  (comme  on  Ta  supposé  depuis 
longtemps),  alors  même  qu'on  la  prendrait  au  pied  de  la  lettre,  elle  ne  serait  que  la  résultante  d'un  travail  de  raccordement  du  mémo 
genre,  inspiré  déjà  par  Josèphe  lui-même,  entre  la  Bible.  Hérodote  et  les  listes  royales  copiées  par  Manéthon 

Cette  préoccupation  est  encore  plus  nette  dans  la  phrase  du  manuscrit  déjà  cité.  qu'Unger  croit  tirée  de  bonnes  sources  grecques, 
et  que  je  croirais  plutôt  venir  de  quelque  chronographe  maladroit. 

Faut-il  marquer  que  Manéthon  et  Bérose  eux-mêmes  pai*aissent  être  fortement  enclins  à  ces  préoccupations  bibliques  et  judaïques, 
n'ayant  vi-aiment  d'utilité  exégétiquc  et  de  raison  d'être  qu'à  l'époque  chrétienne  et  qui  doivent  nous  mettre  en  défiance  contre  leurs 
récits  de  ce  genre  (voir  dans  Bérose  ce  qui  concerne  le  synchronisme  d'Ezéchias,  etc.  et  dans  Manéthon  les  récits,  apocryphes,  relatifs 
à  la  chronologie  des  Hyksos  et  de  l'Exode).  On  sait  que  Manéthon  (homonyme  de  celui  dont  parle  Plutarquc  à  propos  de  la  statue  de 
Serapis)  n'a  été,  pour  ses  œuvi'es  connues,  attribué  au  temps  de  Philadelphe  que  d'après  une  lettre  au  dit  roi  Pbiladelphe  que  Letronne 
a  démontré  être  postérieure  à  l'ère  chrétienne,  et  on  sait  aussi  que  la  première  citation  de  cet  auteur  se  trouve  justement  dans  le  juif 
Josèphe  qui  a  également  cité  le  premier  les  œuvres  historiques  de  Bérose  —  connu  seulement  comme  astronome  par  Pline  et  Vitruve  — 
imité  ensuite  par  Manéthon,  d'après  ses  propres  dires.  Tout  vient  donc  d'une  seule  fabrique  et  c'est  Josèphe  qui  a  seulement  introduit  — 
pour  les  fournir  bientôt  aux  pères  d'Eglise  —  ces  deux  célèbres  chronographes.  dont  la  science  du  siècle  dernier  se  défiait  à  juste  titre, 
en  dépit  des  listes  royales  compilées  par  eux.  Tout  ceci  nous  montre  le  peu  de  fond  qu'il  faut  faire  de  comparaisons  bibliques  provenant 
probablement  d'une  école  judaïque  de  l'époque  chrétienne,  alors  que  le  nouveau  culte  faisait  prendre  intérêt  à  ces  choses.  Les  israélîtes 
qui  en  sont  les  auteurs  travaillaient,  à  leur  insu  ou  non,  déjà  pour  l'église,  comme  le  juif  de  St  Jérôme  le  fit  plus  tard. 

Le  même  jugement  doit  être  porté  pour  les  gloses  interprétatives  de  la  Bible  qui  sont  relatives  à  Sabatoku  et  à  Tahraku  et  qui 
nous  paraissent  d'une  époque  de  bien  des  siècles  encore  postérieure. 

*  C'est-à-dire  que  Pensmenamen  était  seul  fils  de  Setamenka  et  que  sa  sœur  était  une  sœur  de  mère  (pour  tout  ceci  voir  la 
généalogie  annexée  à  l'acte  précédent).  Les  témoins  n'ont  pas  toujours  bien  compris  cette  distinction  et  ils  mettent  souvent  :  notre  père 
€t  notre  mère. 


Quelques  documents,  etc.  125 

Nous  te  transmettons  nos  quatre  aroures  de  la  double  demeure  de  vie  du  dieu  Harshefi. 
Nous  te  rétribuons  en  échange  cela,  c'est-à-dire  le  hat  de  Setamenka  et  d'Hotepésé. 

«  Il  n'y  a  point  à  donner  d'usage  de  terre  ou  d'usage  de  part  à  frère,  sœur,  fils,  fille, 
chef  (hir),  chefesse  (hirt),  être  quelconque  du  monde  entier  dans  les  biens  de  Setamenka, 
(en)  part  des  biens  du  domaine. 

«Ils  ont  dit  i^fait  la  déclaration)  au  prêtre  d'Amou,  prêtre  du  roi  florissant  —  à  qui 
Amon  a  donné  la  puissance,  —  prêtre  de  la  divine  adoratrice  d'Amon,  ma  souveraine  — 
longue  soit  sa  durée  de  vie! 

tOn  ne  peut  écarter  du  registre  royal  (lierit)  ce  qui  est  ci-dessus. 

«En  témoignage  pour  l'acte,  Aukbhor,  prêtre  (des  transmissions)  de  la  double  maison 
de  vie  (d'Horus). 

«Par  la  main  de  Ptuamenapi,  fils  de  Paba,  témoignant  à  tout  ce  qui  est  écrit  ci-dessus, 
An  3,  20  T}  bi. 

«Par  la  main  de  Chouspkbrat,  fils  de  Paba,  témoignant  à  l'acte  de  Pensmen,  fils  de 
Setamenka  et  de  la  femme  Taba,  sa  sœur,  disant  :  Nous  avons  fait  transmission  des  quatre 
aroures  de  terre  de  la  double  demeure  de  vie  d'Harshefi,  c'est-à-dire  de  la  terre  du  domaine 
de  la  montagne  (donné)  eu  échange,  et  qui  est  le  hat  de  Setamenka,  notre  père,  et  d'Hot- 
epésé, notre  mère  —  et  tout  ce  qui  est  dit  ci-dessus 

«Par  la  main  de  Ptuamen,  fils  de  Psenounnofre,  témoignant  à  laete  de  Pensmenamen 
et  de  Taba,  sa  sœur,  qui  disent  :  Nous  transmettons  nos  quatre  aroures  de  terre  de  la  double 
maison  de  vie  d'Harshefi,  formant  la  propriété  de  Setamenka,  notre  père,  et  de  Taba,  notre 
mère,  la  terre  (dis-jei  du  domaine  de  ces  aroures.  Ces  choses,  il  n'y  a  point  à  en  donner 
part  à  quiconque  au  monde.  An  3,  20  Tybi. 

«Par  la  main  de  Meméith,  le  prêtre  de  Chous,  d'Horus  et  de  Mont,  témoignant  à  l'acte 
de  Pensmenamen,  fils  de  Setamenka  et  de  Taba,  sa  sœur  —  et  le  reste  de  l'acte  ci-dessus. 
An  3,  20  Tybi. 

«Par  la  main  de  Sutenankh  .  .  .  (témoignant  à  l'acte  de  Setamenka)  et  de  Taba,  sa 
sœur,  disant  ensemble  d'une  seule  bouche  à  l'enfant  d'Hotepamen,  Djihorudjasenbhib,  fille 
d'Ankhborsuten  :  Nous  te  transmettons  les  quatre  aroures  de  terre  de  la  double  demeure 
de  vie  d'Horshefi.  » 

Au  point  de  viie  historique  ou  remarquera  surtout  dans  cet  acte  la  formule  :  «ils  ont  dit  au  prêtre 
d'Amon,  prêtre  du  roi  à  qui  Amon  a  douné  la  victoire,  prêtre  de  la  divine  adoratrice  d'Amon,  ma  sou- 
veraine (Tahoiit)  —  longue  soit  sa  durée  de  vie  !  » 

C'était  une  véritable  association  à  la  couronne  du  roi  pour  la  femme  qui  est  ainsi  nommée  «  la 
divine  adoratrice  d'Amou,  ma  souveraine». 

Disons  d'abord  que,  sous  la  XXI"  dynastie  amonienne  des  prêtres  de  Thébes,  sous  la  dynastie 
ammonienne  d'Ethiopie,  sous  la  branche  cadette  de  cette  même  famille  qui  régna  depuis  Psammétique 
et  sous  les  rois  amoniens  postérieurs  d'Ethiopie,  le  titre  «  divine  adoratrice  d'Amon  appartenait  aux  reines 
et  aux  princesses  ayant  des  droits  à  la  couronne  —  comme  les  titres  «aimé  d'Amon»  —  «à  qui  Amon 
a  donné  la  puissance»  appartenaient  aux  rois.  De  cette  formule  seule  nous  pouvons  donc  conclure  que  la 
princesse  qui  portait  ce  titre  se  rattachait  par  elle-même  à  la  tige  royale  ammonienne.  Mais  quelle  était- 
elle'?  Etait-ce  la  femme,  la  sœur,'  ou  la  mère  de  Tahraku? 

Un  rapide  coup  d'œil  sur  l'ensemble  de  nos  contrats  nous  amènerait  déjà  à  penser  qu'il  s'agit  de 

'  Nous  savons,  je  l'ai  dit,  par  les  cylindres  d'Âsnrbanipal  que  Shalaku  avait  épousé  la  sœur  de  Tahraku.  Mais  cette  sœur  ne 
paraît  pas  avoir  joué  grand  rôle  politique.  J'en  dirai  autant  de  la  femme  de  Tahraku  qui  nous  est  également  connue  par  des  inscriptions. 


126 


Eugène  Kevillûut. 


la  mère  de  Talu-aku.  En  eô'et,  cette  princesse  devait  être  vieille  puisqu'elle  n'apparaît  qu'au  commence- 
ment du  régne  de  Tahraku  —  jusqu'à  l'an  3  —  et  disparaît  ensuite  définitivement. 

Or,  les  textes  hiéroglyphiques,  fort  bien  mis  en  lumière  par  notre  cher  maître  M.  de  Rougé,  con- 
firment absolument  cette  idée  primesautiére.  La  mère  de  Tahraku,  nommée  Akelat  et  qualifiée  de  «divine 
adoratrice  d'Amon»,  de  «régente  (tiontj  du  nord  et  du  midi»,  de  mère  de  roi  et  de  sœur  de  roi  (roi  am- 
monien  qui  ne  peut  être  que  Shabaku  ou  Shabatoku)  et  enfin  de  «princesse  héritière,  dame  des  deux  pays 
et  de  toutes  les  nations  »,  joue,  en  eii'et,  un  très  grand  rôle  dans  les  inscriptions  de  Tahraku,  soit  dans  la 
Haute,  soit  dans  la  Basse-Egypte.  C'est  elle  qu'on  représente  lançant  des  flèches  vers  le  nord  et  le  midi, 
l'orient  et  l'occident  pendant  que  son  fils  Tahraku  lance  des  boulets  dans  les  mêmes  directions  —  pour 
symboliser  les  grandes  victoires  remportées  dans  tout  le  monde  connu  par  Tahraku  (qui,  selon  Strabon, 
poussa  ses  conquêtes  jusqu'en  Europe  vers  le  nord  et  au  couchant  jusqu'aux  colonnes  d'Hercule).  C'est 
elle  qui,  à  Thèbes,  officie  comme  prétresse  d'Amou  pour  introniser  son  fils,  tandis  qu'un  prêtre  s'écrie,  selon 
la  traduction  de  M.  de  Rougé  :  «Ecoutez  Amon-ra,  seigneur  des  traces  du  monde,  et  Amon-ra,  mari  de 
sa  mère  résidant  à  Thèbes!  Voici  qu'ils  disent  à  leur  fils  le  roi  de  la  Haute  et  de  la  Basse-Egypte,  le  fils 
du  soleil  Tahraku,  doué  de  vie  éternelle  :  tu  es  notre  fils  que  nous  aimons,  sur  lequel  nous  nous  reposons, 
à  qui  nous  avons  donné  la  Haute  et  la  Basse-Egypte  :  nous  n'aimons  pas  les  rois  d'Asie  ...» 

Ceci  était  une  allusion  à  l'expédition  de  Sennachérib  contre  l'Egypte,  expédition  ilont  nous  avons 
eu  l'occasion  de  parler  déjà  à  propos  du  document  précédent  et  qui  avait  eu  pour  occasion  la  demande  de 
secours  et  d'alliance  adressée  par  Ezéchias  à  Tahraku  dés  le  début  du  règne  de  celui-ci.  Tahraku  s'était 
rendu  aussitôt  en  Palestine  et  en  Syrie,  comme  le  prouvent  d'une  part  les  inscriptions  de  sa  statue,  nommant 
parmi  les  peuples  qu'il  avait  vaincus  les  Shasu  ou  Arabes,  les  Khetas  ou  Syriens  du  nord,  la  ville  phé- 
nicienne d'Aradus,  les  Phéniciens  en  général,  Assur  ou  l'Assyrie,  son  principal  ennemi,  et  même  le  Nahara- 
rain  ou  la  JIésoi)Otamie,  et,  d'une  autre  part,  les  monuments  de  lui  qu'on  a  trouvés  eu  Asie  et  jusqu'à 
Palmyre.»  Mais  bientôt  Sennachérib  avait  voulu  reprendre  sa  revanche,  quand  un  châtiment  divin,  dont 
nous  parlent  à  la  fois  la  Bible  et  Hérodote,  l'arrêta  dans  sa  marche,  au  moment  où  Zet-Séthos,  le  4®  roi 
de  la  branche  tanite,  soumise  depuis  Piaukhi  et  Osorkon  III  aux  Ethiopiens,  s'apprêtait  à  lui  résister  en 
l'absence  de  Tahraku. 

Aussi  est-ce  à  Tauis  même  que  nous  voyons  encore  la  divine  adoratrice  d'Amon  Akelat,  mère  de 
Tahraku,  assister  au  couronnement  solennel  que  Tahraku  se  fit  faire  dans  la  ville  de  son  lieutenant,  ainsi 
que  l'établit  une  inscription  de  Tanis,  malheureusement  fragmentée  qu'a  fort  bien  expliquée  M.  de  Rougé,  et 
dont  voici  ma  restitution  -  des  phrases  encore  lisibles  :  «  Il  m'a  mis  (le  dieu  Amon)  toutes  les  régions  sous 
mes  pieds  ...  de  l'orient  à  l'occident  .  .  .  (Alors  Akelat  vint)  en  paix,  en  royale  soeur,  palme  d'amour, 
royale  mère  ....  Je  l'avais  quittée  en  jeune  homme  de  20  ans  (pour  me  diriger  vers)  la  Basse-Egypte  et 
voici  que  quand  elle  vint  je  m'étais  élevé  sur  (tous  les  hommes)  et  qu'après  quelques  années  elle  me  trouva 
seigneur  resplendissant  (comme  le  soleil,  mon  père.  Devant  elle)  je  reçus  les  diadèmes  du  soleil,  la  couronne 
du  nord  et  les  deux  urœus  (alors  que  les  vêtements  royaux)  couvraient  mes  membres.  Elle  fut  transportée 
d'allégresse  (en  voyant)  les  splendeurs  de  sa  Majesté  —  (moi)  —  comme  Isis,  quand  elle  vit  son  fils  Horus 
resplendissant  sur  son  trône.  (Sa  Majesté  avait  soumis  le  monde),  alors  que  (par  l'âge)  elle  était  encore  un 
enfant  dans  son  nid.  (Et  voilà  que)  toutes  les  nations  se  prosternaient  la  face  contre  terre  devant  cette  mère. 
(Les  Asiatiques),  leur.-*  grands  et  leurs  princes  (n'avaient  pu  tenir)  devant  ses  petits'  à  elle  et  (voilà  qu'ils 
saluaient)  cette  mère  en  disant  :  C'est  Isis  qui  a  reçu  (le  gouvernement  du  monde.  —  Elle  parla)  à  son 
fils,  le  roi  Tahraku  vivant  à  jamais  (en  disant)  :  Tu  es  vivant  à  jamais,  recevant  la  transmission  (de  l'héri- 
tage de  ton  père)  Auion  qui  aime  celui  qui  l'aime,  qui  connaît  celui  qui  est  dans  ses  eaux  pour  lui  donner 
(la  puissance  .  .  .).  Il  t'a  fait  tous  les  biens,  0  roi  fort!  (et  nouvel  Horus  en  face)  de  sa  raére  Isis,  tu 
resplendis  sur  ton  trône!»*  Malheureusement  tous  ces  documents  hiéroglyphiques  n'étaient  pas  datés.    On 


'  Pour  tout  ceci  nous  continuons  à  nous  servir  des  travaux  de  nos  vieux  aïois  et  maîtres  de  Kougè  et  Birch  sur  le  règne  de  Tahraku. 
=  Cette  traduction  a  été  faite  sur  le  texte  hiéroglyphique  puhlié  et  déjà  expliqué  mot-à-raût  par  de  lîougé  et  Birch  avec  quelques 
différences  (Mélanges,  t.  I"'',  p.  22  et  suiv.  et  Transactions,  t.  VII,  p.  1941. 
3  II  faut,  je  crois,  corriger  ici  sen  en  s. 

M^^A|iS^A?}ill^^=^    fl\    (?)(r)<^B--lIl 


Voici  le  texte  : 


>l     I     l< 


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Quelques  documents,  etc. 


127 


ne  savait  doue  quand  tous  ces  événements  s'étaient  passés;  car  le  couronnement  des  rois  se  faisait  souvent 
long-temps  après  leur  prise  de  possession  du  pouvoir,  et  notre  dernière  inscription  nous  apprenait  que  pour 
Tahraku  ce  couronnement  avait  eu  lien  après  ses  premières  victoires.  Ce  retard  était  d'ailleurs  d'autant 
plus  naturel  que  ces  victoires  étaient  une  revanche  des  précédentes  victoires  de  Sargon  et  de  Sennacliérib, 
non-seulement  sur  Shabaku,  le  «sultan  d'Egypte»  et  les  «rois  d'Egypte»  ses  vassaux,  non-seulement  sur 
Ezèchias,  l'allié  des  rois  éthiopiens,  auquel  ou  avait  enlevé  antérieurement  toutes  ses  villes  à  l'exception 
de  Jérusalem,  mais,  ijaraît-il  encore,  à  des  temps  beaucoup  plus  rapprochés  sur  des  sujets  ou  alliés  de 
Tahraku,  qui  disent  dans  une  des  inscriptions  thébaines  citées  par  M.  de  Rougé,  et  où  figure  également 
Akela  :  «Viens,  seigneur  des  seigneurs!  Viens  à  nous,  ô  roi  de  la  Haute  et  de  la  Basse-Egypte!  .  .  Fils 
dn  soleil  Tahraku  !  Protège  notre  pays  .  .  .  rends  lui  tons  ses  biens  !  »  Le  jeune  Tahraku  avait  donc  volé 
au  secours  des  siens  en  remettant  à  plus  tard  son  couronnement.  Mais  ce  «plus  tard»  pouvait  être  tardif 
et  nous  ne  saurions  quand  eut  lieu  ce  couronnement  à  Tanis,  auquel  assista  Akela,  si  la  comparaison  de 
nos  contrats  démotiques  ne  nous  montrait  qu'il  ne  peut  être  postérieur  à  cet  an  3,  après  lequel  Akela, 
associée  au  trône  par  son  fils,  ainsi  que  l'avait  très  bien  vu  M.  de  Rougé,  disparaît  des  formules  officielles. 

Mais  pourquoi  ce  couronnement  à  Tanis  plutôt  qu'à  Thébes  ou  à  Memphis?  Oh!  la  raison  en  a  été 
très  bien  signalée  par  M.  de  Rougé  dans  un  autre  travail  :  selon  le  témoignage  formel  du  prophète  contem- 
porain, Isaïe,  les  deu.x  capitales  du  temps  de  Tahraku,  c'étaient  surtout  Tanis  et  Napata. 

Isaïe  nous  dit  en  effet  (19,  il  et  suiv.)  : 

«Les  princes  de  Tanis  sont  tous  des  insensés,  les  sages  cimseillers  du  Pharaon,  leur  conseil  est  une 
folie.  Comment  osez-vous  dire  chacun  au  Pharaon  :  tîls  des  sages,  je  suis  le  fils  des  anciens  roisV  Où 
sont-ils  maintenant  tes  sages?  Qu'ils  te  l'annoncent;  qu'on  apprenne  ce  qne  Jéhovah  Sabaoth  a  résolu  sur 
l'Egypte.  Ils  sont  là  comme  des  fous,  les  princes  de  Tanis;  Os  sont  dans  l'illusion  les  princes  de  Noph.» 
—  «Il  semblerait,  dit  M.  de  Rougé  à  ce  sujet,  qu'Isaïe  eut  sous  les  yeux  la  généalogie  si  nombreuse  des 
diverses  branches  de  la  race  bubastite  (XXII"  dynastie)  à  laquelle  se  rattachaient  la  plus  grande  partie 
des  grands  personnages  du  temps.  Ceux  de  Tanis,  plus  rapprochés  des  Hébreux,  leur  étaient  mieux  connus; 
ceci  se  passait  d'ailleurs  sous  la  XXIIP  dynastie  où  le  pharaon  officiel  était  de  la  branche  tanite.  La  ville 
nommée  ici  Noph  a  été  ordinairement  confondue  avec  Moph-Memphis  ...  Je  suis  convaincu  qu'il  s'agit 
ici  de  Nap  (Napi  ou  Napit),  ville  citée  très  souvent  au  mont  Barkal  et  qui  doit  être  identique  avec  Napata, 
capitale  des  états  éthiopiens  de  Tahraku  et  certainement  aussi  de  notre  Pianchi  meriamun  Isaïe  aurait 
ainsi  nommé  les  villes  royales  des  deux  extrémités  du  pays  :  Tanis  et  Napata.»  Cette  dernière  conclusion 
nous  semble  certaine.  Mais  nous  différons  un  peu  siu'  le  reste  du  commentaire  du  passage  d'Isaïe.  Le 
Pharaon  officiel,  celui  que  nomme  expressément  comme  tel  Isaïe  à  propos  de  Sennachèrib  et  d'Ezéchias, 
c'est  Tahraku.  Le  roi  tanite  n'est  plus  qu'un  roi  soumis  à  l'hégémonie  éthiopienne  —  comme  l'est  actuelle- 
ment le  roi  de  Bavière  à  l'empire  prussien  —  bien  que  depuis  l'époque  de  Pianchi,  qui  l'avait  fait  pour 
Osorkon  III,  on  lui  ait  laissé  les  honneurs  du  cartouche.  Sous  Tahraku  même,  le  roi  tanite  Zet  ou  Sethos, 
second  successeur  d'Osorkon  III'  dans  la  liste  d'Africain,  fit  face  à  Sennachèrib,  comme  vassal  de  Tah- 
raku. Le  texte  d'Isaïe  nous  semble  donc  faire  la  même  distinction  au  commencement  qu'à  la  fin.  Le  pro- 
phète voit  et  oppose,  d'une  part,  les  princes  de  Tanis,  sages  conseillers  du  Pharaon,  et  d'une  antre  part 
le  roi  Tahraku  dont  la  capitale  nationale  —  fort  embellie  par  lui  —  était  Napata,  —  qui  descendait  des 


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^B       _M  »^.=^  U  û  ^ K=^  .=_D       ^  &m^.^^. 

1  La,  dynastie  tanite,  selon  la  liste  manétlionienne  d'Africain,  se  compose  :  1°  De  Petubast  que  M.  Maspero  croyait  à  tort  aToir 
avant  Pianchi  poussé  ses  con().uêtes  jusqu'il  Thèbes  (et  en  avoir  par  conséquent  expulsé  les  Éthiopiens,  ainsi  qu'il  aurait  expulsé  les 
Bnbastites  de  la  branche  ainée  qui  continuaient  à  régner  nominalement  à  Memphis  jusqu'à  Bocchoris);  2°  d'Osorkon  III  qui.  selon 
M.  de  Kougé,  se  soumit  à  Pianchi;  3°  de  Psammus  qui  dut  vivre  du  temps  de  Bocchoris;  4°  de  Zet  ou  Séthos  qui  vivait  au  commence- 
ment de  Tahraku  et  combattit  Sennachèrib. 


128  Eugène  Revillout. 


anciens  prêtres  d'Amon  de  la  XXP  dynastie  et  était  Pharaon  lui-même.  Les  pharaons  de  la  dynastie 
éthiopienne  de  Manéthon,  commençant,  après  Pianehi,  à  Shabaku  et  se  terminant  à  ïalirakii,  avaient  en 
eflfet  alors  l'hégémonie  incontestable  —  les  textes  s'accordent  à  nons  le  prouver  —  sur  tous  les  autres 
princes  égyptiens,  même  sur  les  fils  des  anciens  rois,  c'est-à-dire  sur  les  descendants  de  la  race  bubasto-tanite. 

Hâtons-nous  de  le  dire,  du  reste,  M.  de  Rougé  avait  fort  bien  vu  qu'encore  ici  on  ne  pouvait  chercher 
un  ordre  historique  consécutif  dans  les  listes  royales  de  Manéthon.  De  même  qu'il  avait  admis  le  parallé- 
lisme des  dynasties  éthiopienne  (XXV°)  et  tanite  (XXIII*),  de  même  il  admit  le  parallélisme  de  la  dynastie 
éthiopienne  (XXV^)  et  saïte  (XXVI°). 

Dans  Manéthon,  en  effet,  après  «la  XX V  dynastie  de  trois  rois  éthiopiens»  se  terminant  par 
Tahraku,  vient  «la  XXVP  dynastie  de  neuf  rois  saïtes»,  qui  sont  :  1"  Ammerys,  l'Éthiopien;  2°  Stéphi- 
nates;  3°  Xéchepsos;  4°  Xéchao;  5°  Psammétique  I";  6°  Néchao  II;  7°  Psammétique  II;  8°  Ouaphrès  ou 
Apriès. 

Une  dynastie  saïte  commençant  par  un  Éthiopien  est  un  fait  assez  étrange.  Mais  l'impossibilité 
devient  flagrante  quand  on  sait  que  Néchao  1".  père  de  Psammétique  l",  est  sans  cesse  nommé  comme 
contemporain  de  Tahraku  dans  les  cylindres  d'Assurbanipal,  et  que  d'ailleurs  une  stèle  d'Apis  nous 
montre  un  taureau  intronisé  en  l'an  26  de  Tahraku  et  mort  après  21  ans  de  vie  en  l'an  20  de  Psam- 
métiku  1".  —  Aussi  M.  de  Eocoé  disait-il,  à  propos  de  cette  période  :  «La  chronologie  de  cette 
époque  a  été  étrangement  défigurée  par  les  auteurs  qui  ont  extrait  les  listes  de  Manéthon  :  et  les  chro- 
nologistes  modernes  n'ont  pas  débrouillé  d'une  manière  satisfaisante  le  double  emploi  qui  vicie  le 
commencement  de  la  XXVP  dj'nastie  dans  l'Africain,  aussi  bien  que  dans  Eusèbe.  Ces  listes  placent 
entre  Tahraku  et  Psammétique  I"  les  règnes  successifs  de  Stéphinates,  Néchepsos  et  Néchao  I".  Elles 
allongent  ainsi  outre  mesure  la  XXVP  dynastie.  Il  est  vrai  que  ces  mêmes  listes  avaient  fiiit  en  sens 
contraire  une  erreur  de  dix  ans  que  trois  stèles  du  Musée  de  Leide  et  de  Florence  discutées  par 
Leejiaxs  et  RosEu-DJi  ont  permis  de  rectifier.  Mais,  d'un  autre  côté,  les  listes  de  Manéthon  raccourcissent 
beaucoup  trop  le  règne  de  Tahraku;  '  en  sorte  que  les  chiffres  apportés  par  les  monuments  nons 
prouvent  que  la  plus  grande  confusion  règne  dans  les  chiffres  chronologiques  de  ces  listes  mêmes  pour 
les  derniers  temps  de  la  monarchie  pharaonique,  etc.»  Tous  les  égyptologues,  même  ceux  qui  ont  le 
respect  le  plus  fétichiste  pour  Manéthon,  ont  été  obligé  d'admettre  après  JI.  de  Rougé  «  le  double  emploi  ». 
Mais  ils  ont  souvent  adopté  des  explications  qui  ne  me  semblent  ni  suffisamment  prouvées,  ni  satisfai- 
santes, comme  par  exemple  celle  qui  consiste  à  établir,  en  négligeant  Ammerys  et  à  partir  de  Shabaku, 
une  généalogie  continue  des  rois  saïtes  Stéphinates,  Néchepsos  et  Néchao,  en  disant  qu'après  la  victoire 
de  Raphia  remportée  par  Sargon  sur  Shabaku  «  un  parent  de  Bokenranf  nommé  Stéphinates  par  Manéthon 
rétablit  la  principauté  de  Saïs  et  s'arrogea  le  titre  de  Pharaon  i.  ;  que  «  cette  révolution  était  achevée  en 
714»;  que  «Stéphinates  était  mort  vers  681  en  laissant  pour  héritier  son  fils  Néchepsos»,  etc.  En  réalité, 
rien  ne  nous  semble  moins  prouvé  que  la  succession  de  princes  saïtes  commençant  par  un  éthiopien.  Je 
crois  que  le  mot  saïte  a  été  employé  par  Manéthon  avec  une  signification  tout-à-fait  générique,  comme 
nous  disons  «l'époque  saïre».  tout  simplement  parce  que  la  majorité  des  neuf  rois  indiqués  dans  cette 
dynastie  étaient  de  la  race  de  Niku,  prince  de  Saïs  et  de  Memphis.  Rien  ne  prouve  que  Stéphinates  et 
Néchepsos,  par  exemple,  soient  plus  saïtes  qu'«  Ammerys,  l'Éthiopien  ».  Quant  à  Ammerys,  nous  savons  par- 
f;\itement  qui  il  est.  C'est,  à  n'en  pas  douter,  —  et  nous  nous  étonnons  qu'on  ne  l'ait  pas  dit  encore,  —  celui 
que  les  textes  égyptiens  nomment  Amenrut  et  les  textes  assyriens  Urdamani,  en  remettant  à  sa  place  syn- 
taxique le  nom  du  dieu  Amon,  mis  par  honneur  le  premier,  comme  c'est  la  règle  en  égyptien,  tandis  que 
le  grec  suit  ici  la  place  des  mots  égyptiens  écrits.  Le  nom  d'Amon  s'abrège,  en  effet,  très  souvent  en  grec 
sons  la  forme  am,  ainsi  que  le  prouve  le  nom  d'Amyrtée  qui  dans  la  forme  égj-ptienne  de  la  chronique 
est  Amenher,  etc.  Ammerys  représente  donc  très  légitimement  Amenrut.  Nous  savons  par  les  cylindres 
d'Assurbanapal  que  le  prince  Rutamcn  ou  Urdamani  succéda,  en  effet,  à  son  oncle  Tahraku  et  voulut 
reprendre  l'Egypte  sur  les  Assyriens,  mais  qu'il  fut  repoussé.  Comme  il  n"a,  en  réalité,  jamais  possédé 
l'Egypte,  Manéthon  l'a  mis  parmi  les  petits  princes  pai-ticuliers  qui  constituent  le  commencement  de  sa 
djTiastie  saïte.  En  suivant  le  même  ordre  d'idées,  on  pouiTait,  je  crois,  retrouver  l'identité  réelle  de  Sté- 
phinates et  de  Néchepsos  dans  les  cylindres  d'Assurbanipal,  comme  on  a  déjà  retrouvé  la  personnalité 
réelle  d'Ammerys-Rutamen  et  de  Niku,  si  bien  désignés  par  ces  mêmes  cylindres.  Déjà  M.  Uppert  avait 
eu  l'idée,  malheureusement  aussitôt  abandonnée  par  lui,  d'assimiler  Stéphinates,  dont  il  ignorait  absolu- 
ment la  forme  égyptienne,  à  Ispimaatu,  roi  de  Taani,  selon  les  cylindres  d'Assurbanipal.  Cette  idée  était 
la  bonne.  Stéphinates,  dont  le  nom  était  probablement  écrit  d'abord  dans  Manéthon  Séphimates,  paraît  très 
bien  représenter  Ispimaatu,  Isphimaatu  en  assyrien  et  Nespmété  en  égyptien.  Ce  nom  Nespmété  est  fréquent 
en  démotique.   Souvent  il  est  écrit  en  gi-ec  (avec  ou  sans  l'article  égyptien  p  avant  le  mot  mete).   Comme 


Dlles  Ini  donnent  16  ans  on  20  : 


Quelques  documents,  etc.  129 

d'ordinaire  ««  est  représenté  en  grec  par  C  (comme  nt  par  o)  ce  qui  donne  apmatu.  Quant  à  Néchepsos, 
c'est  un  nom  qui  paraît  devoir  nécessairement  se  décomposer  en  deux  éléments  séparés  par  l'article  mascu- 
lin p.  Le  dernier  élément  pson  est  évidemment  l'ethnique  bien  connu  p.^asu  (en  copte  n^foc)  représentant 
les.  Asiatiques,  les  Nomades  et  les  pasteurs.  \\  rappelle  le  fameux  mot  hyksos  signifiant,  selon  les  Grecs, 
chefs  des  pasteurs  ou  plutôt  des  Asiatiques.  Évidemment  le  personnage  en  question  était  d'origine  sémitique, 
comme  tant  d'autres  princes  égyptiens  de  cette  époque,  par  exemple  les  Bukuminip,  les  Sarludari,  les 
Lameutu,  etc.,  mentionnés  aussi  au  même  titre  par  Assurbanipal.  Aussi  ne  faut-il  pas  nous  étonner  de 
voir  ce  qualificatif  disparaître  dans  les  cjMindres  d' Assurbanipal,  qui  nomme  expressément  Naahkie,  c'est-à- 
dire  Nekhe-psos  ou  Nekhe  l'Asiatique  comme  roi  (sar)  de  Hininsi  (en  copte  hnes),  c'est-à-dire  Héracléopolis. 

Les  difficultés  entassées  pour  le  commencement  de  la  XX  VP  dynastie  manéthonienne  disparaissent 
ainsi,  et  il  ne  nous  reste  en  qualité  de  «prince  (sar)  de  Memphis  et  de  Saïs»  que  le  seul  Niku,  (sans 
cesse  nommé  comme  tel  dans  les  cylindres  d' Assurbanipal,)  qui  paraît  avoir  reçu  ce  fief  des  mains  de 
Shabaku  à  la  mort  de  Bocchoris  et  l'avoir  gardé  pendant  les  26  ans  du  régne  de  Tahraku. 

Quant  à  Tahraku,  l'inscription  hiéroglyphique  de  Tanis  citée  plus  haut  nous  montre  que  c'était  un 
tout  jeune  homme,  presque  un  enfant,  lorsqu'il  remporta  ses  grandes  victoires;  et  la  comparaison  de  notre 
contrat'  établit  que  tout  cela,  y  compris  son  couronnement  raconté  par  l'inscription  de  Tanis,  se  passa 
pendant  les  trois  premières  années  de  son  régne  égyptien. 

3228  G. 

Ce  papyrus  a  une  partie  de  chaque  ligne  enlevée  par  une  malheureuse  brisure.  Nous  avons  ainsi 
perdu  la  date.''  Mais  cette  date  ne  peut  être  antérieure  à  l'an  3  de  Tahraku,  ni  postérieure  à  l'an  5  par 
des  raisons  que  nous  indiquerons  plus  loin.  Nous  tendons  à  croire  qu'elle  est  de  l'an  4,  c'est-à-dire  d'une 
époque  où  la  reine-mére  Akela  était  morte  et  où  Tahraku  avait  inscrit  son  nom  même  dans  les  formules 
officielles  relatives  au  prêtre  d'Amou  pour  y  remplacer  la  mention  du  •<  roi  florissant  et  de  la  divine  adora- 
trice d'Araon  ma  souveraine».  En  l'an  5  on  en  était  revenu  à  la  vieille  rédaction  usitée  sous  Shabaku. 
Voici  comment  nous  restituerions  le  commencement  de  ce  contrat  : 

«(An  4  tel  mois.  Le  choachyte  Aukbliorsiiten,  fils  de  Ptusu)  et  le  choachyte  Amen- 
setsuka,  fils  de  Ptusu  et  Ptuameunofre  et  leurs  enfants  disent  d'une  seule  bouche  (au  choa- 
chyte Ptiiaa\  fils  de  Ptuaraenapi  :  Nous  te  transmettons  la  maison  de  (Ptusu,  fils  de ) 

notre  père  ce  qui  fait  quatre  apports  héréditaires  pour  toi.  »  .  .  .  . 

Vient  ensuite  l'éuumération  malheureusement  trop  fragmentée  pour  être  rétablie  de 
ces  quatre  apports  héréditaires.  Chacun  de  ces  apports  héréditaires  est  précédé  de  l'intitulé 
«un  apport  héréditaire  de  .  .  .  etc.  parmi  les  quatre  apports  pour  toi»  ou  bien  «un  apport 
héréditaire  de  .  .  .  Il  est  en  ta  puissance,  ô  maître  de  la  part,  parmi  les  quatre  apports 
qui  sont  pour  toi».  Parfois  aussi  on  nomme  l'acquéreur  «maître  de  la  maison»  (hir  ppa) 
ou  «  maître  du  champ  »  (hir  pah)  ou  «  maître  du  sol  »  (aten)  au  heu  de  «  maître  de  la  part  » 
et  l'on  répète  toujours  que  l'apport  est  à  compter  «parmi  les  quatre  apports».  C'est  tout  ce 
que  nous  pouvons  dire  sur  un  texte  descriptif  aussi  fragmenté. 

Le  document  se  termine  par  les  formules  légales  obligatoires  : 

«Ils  ont  dit  (^les  cédants)  au  prêtre  du  roi  Tahraku  à  qui  Amon  a  donné  la  puissance. 
On  ne  peut  écarter  cet  acte.  » 

Enfin  vient  la  signature  du  notaire  «  en  témoignage  de  cet  acte  du  choachyte  Ankhhor- 
suten»  et  une  signature  de  témoins. 

L'expression  notariale  concernant  «  l'acte  du  choachyte  Ankhhorsuten  »  est  à  noter,  car  en  effet,  bien 
qu'il  y  eut  plusieurs  parties  cédantes,  c'était  Ankhhorsuten  qui  était  certainement  l'auteur  principal  du 

1  Voici  ce  qu'en  dit  Devéria,  p.  203  de  son  catalogue  des  manuscrits  :  «Pièce  de  comptabilité  (?)  de  l'an  lU  du  règne  de 
l'Éthiopien  Tahraku  (XXV®  dynastie,  690  avant  Jésus-Christ)  ;  elle  porte  2(î  lignes  de  teste  contenant  plusieurs  articles  {?)  qui  se  rapportent 
à  la  même  année.  » 

2  Voici  ce  que  Devéria  en  disait  dans  son  catalogue  des  manuscrits  (p.  207)  après  avoir  mentionné  les  dates  des  autres  pièces 
de  Tahraku  :^  Fragment  d'une  pièce  analogue  aux  précédentes  portant  vingt  lignes  d'écriture  incomplètes.  On  lit  à  la  fin  de  la  ligne  17 
le  commencement  du  nom  du  roi  Tahraku.  L'écriture  est  ti-ès  cursive  (?),  » 

17 


130  Eugène  Revillout. 


contrat.  Un  remarquera  dans  la  généalogie  annexée  à  l'acte  de  l'an  3  de  Shabaku  que  Pétuaa,  auquel  on 
cède,  était  probablement  l'arrière  petit-fils  d'Ankhhorsuten,  fils  de  Pétusu,  qui  prend  ici  le  premier  la  parole 
pour  céder  les  biens  de  son  père  à  lui  Pétusu,  et  que  ses  frères  et  neveux  ne  font  qu'approuver.  Ces  biens 
de  Pétusu  avaient  été  probablement  destinés  d'abord  à  la  propre  fille  d'Ankhhorsuten,  Djihorsiésiankhudja- 
senb  (à  laquelle  on  attribuait  en  l'an  3  de  Tahraku  les  biens  de  Setamenka,  attribués  ensuite  en  l'an  5 
à  notre  Pétuaa.  Mais  entre  l'an  3  et  l'an  ô  —  peut-être  même  dès  l'an  4  —  Djihorsiésiankhudjasenb  était 
morte  et  Pétuaa  était  devenu  héritier  tant  des  biens  de  Ptusu  que  des  biens  de  son  oncle  à  la  mode  de 
Bourgogne  Setamenka  (que  concerne  l'acte  de  l'an  5  de  Tahraku,  comme  auparavant  l'acte  de  l'an  10  de 
Shabaku).  Quant  à  Ankhhorsuten,  qui  cède  ici  lui-même  à  Pétuaa,  il  était  mort  en  l'an  6  de  Tahraku  et 
un  autre  parent,  Pétukhnum,  qui  cède  en  l'an  5  les  biens  de  Setamenka  en  faveur  de  Pétuaa,  est  égale- 
ment forcé  de  renoncer  en  l'an  6  —  en  vertu  même  de  l'acte  d'Ankhhorsuten  que  nous  venons  de  traduire 

—  aux  biens  du  dit  Ankhhorsuten.  Cette  suite  de  contrats  forme  donc  une  série  continue  très  intéressante 
que  nous  étudions  d'une  façon  détaillée  au  point  de  vue  du  droit  dans  notre  notice  déjà  citée. 

3228  b. 
«Au  5,  9  Phauiénoth. 

«  Pétukhuum,  fils  d' Ankbhor,  dit  au  cboachyte  Pétuaa,  fils  de  Pétuamenapi,  son  neveu  :  * 
«  A  toi  l'existant  (sic)  (la  fortune  )  -  de  Setameuka  et  d'Hotepèse,  sa  femme,  mes  frères  ^ 

—  tout  ce  qui  est  dans  la  demeure  de  vie  éternelle,  tout  ce  qui  est  en  part  donnée  dans 
le  domaine  ou  ce  qui  est  offert  en  hotep  et  l'aroure  de  neter  liotep  de  Ptata  qui  s'y  trouve; 
car  iv,  as  fait  aller  (sic)  en  équivalence,  pour  leur  existant  isic")  (leur  fortune)  aussi  et  pour 
leurs  sépultures*  des  biens.  A  toi  est  en  main  ce  que  cela  fait  et  ce  qui  en  dépend.  Mon 
cœur  est  satisfait  de  toute  chose.  A  toi  en  main  ce  qui  est  pour  cela"  comme  reste  d'existant 
(de  fortune). 

«Il  n'y  a  point  à  en  donner  de  part  ou  à  en  enlever  de  toi  depuis  le  jour  ci-dessus. 
En  ta  main  est  ce  qui  dépend  de  Setamenka  et  d'Hotepèse,  sa  femme,  car  tu  as  reçu  après 
avoir  donné  (toi-même)  sept  aroures.  En  ta  possession  sont  leurs  sépultures  et  tous  biens. 
Ils  sont  pour  toi. 

«Il  (le  cédant)  a  dit  (a  fait  la  déclaration)  au  prêtre  d'Amou,  prêtre  du  roi  à  qui  Amon 
a  donné  la  puissance.  Personne  ne  pourra  écarter  l'échange.  '  » 

Viennent  ensuite  la  signature  du  scribe  et  quatre  signatures  de  témoins.'' 

Voir  ce  que  j'ai  dit  de  cet  acte  à  propos  d'un  des  documents  précédents  et  pour  le  commentaire 
juridique  ma  notice  détaillée  déjà  citée. 

3228  c. 

«Au  6,  le  8  Pbaménoth,  du  roi  Tahraku,  le  don  d'Isis,  l'ami  d'Amou  —  à  lui  vie, 
santé,  force! 

«Le  gardien  Ptidibnum,  fils  d'Ankbhor,  dont  la  mère  est  Taba,  fille  du  cboachyte 
Suten  et  la  femme  Houhimtnaannu,  '  iille  du  prêtre  d'Horus  E/eperf  .  .  .  Mont,  sa  femme, 

1  Senson  «fils  de  frère  ou  de  sœur  v. 

2  Ici  il  s'agit  des  biens.  «L'existante  s'applique  aux  choses,  aux  biens,  comme  aux  personnes.  Com[»arez  ;i  ce  point  de  vue  les 
procès  hiéroglyphiques  jugés  par  Âmon  que  nous  donnons  dans  notre  notice. 

'  Biens  qui  me  reviennent  à  moi  en  transmission  de  frères. 

«  Les  sépultures  se  trouvant  dans  la  demeure  de  vie  éternelle  et  pour  lesquelles  les  choacliytes  accomplissaient  les  rites  sacrés 
dont  ils  vivaient. 

'  Voici  la  notice  de  Devéria  dans  son  catalogue  des  manuscrits  (p.  206)  :  «Pièce  datée  de  l'an  5  sans  indication  de  règne,  mais 
de  la  même  écriture  et  de  la  même  provenance,  portant  19  lignes  de  texte  divisées  en  cinq  articles,  v 

'  Les  témoins  se  bornent  à  signer  et  à  dater  sans  analyser  l'acte,  Parmi  leurs  noms  patronymiques  je  signalei-ai  celui  de  Tuamen- 
ankhudjasenbhib  «Amon  a  donné  une  fête  de  vie,  santé  et  force»,  fort  analogue  à  celui  de  Djihorsiésiankhudjasenbbîb  «Horus.  fils 
d'Isis,  a  reçn  une  fête  de  vie.  santé  et  force»  que  nous  avons  rencontré  dans  un  acte  précédent  (le  n^  h). 

^  Ce  nom,  assez  gracieux,  signifie  :  «(la)  face  de  (la)  femme  (est)  belle». 


Quelques  documents,  etc.  131 

actuelle'  disent  au  choaeliyte  Pétukhuum,  tils  de  Pétuamenapi,  le  choachyte,  qu'a  enfanté 
Hoteparaenankhhor,  2  iille  de  Pétuamenapi. 

«  La  catacombe  est  à  toi  en  main  pour  les  revenus  de  la  catacombe  qui  est  celle  de 
Thèbes,  ainsi  que  tous  les  écrits  de  part  (concernant)  mon  terrain  (livré)  à  la  place  de  ton 
terrain  que  tu  nous  as  donné  (c'est-à-dire)  :  (1°)  mon  droit  sur  le  (neter)  hotep  d'Ankhhor- 
suten;  (2°)  l'existant  (la  valeur  existante)  qu'on  a  fait  en  équivalence,  qu'on  m'avait  apporté, 
qui  m'avait  été  passé,  qu'on  m'avait  fait  acquérir  et  ce  qu'avait  accpiis  la  femme  Hotepèse, 
ma  sœur,  la  choachyte  de  la  femme  Amenmeri,  tille  de  Sati,  —  ce  qui  fait  quatre  aroures 

—  en  l'an  7  du  roi  Shabaku  toujours  vivant,  au  total  six  aroures  de  terre  dont  je  suis  le 
hii-  (le  maître)  et  les  revenus  de  la  nécropole  qui  est  celle  de  Thèbes. 

Je  lui  ai  dit  (cet)  écrit  à  savoir  :  D  n'y  a  point  à  en  donner  de  part  ou  à  faire  en- 
lever le  (neter)  hotep  d'Aukhhorsuten,  l'existant  (la  valeur  existante)  qu'on  a  fait  en  équi- 
valence et  qu'où  nous  a  donné.  C'est  ton  terrain  qui  est  rétribué  en  échange.  J'ai  juré  sur 
leur  existant  entier  (sur  toute  leur  valeur  existante)  dans  la  main  du  dieu  Amou  à  savoir  : 
«Tu  seras  le  revendicateur  i?)  de  ces  choses  que  ta  sœur  Honhimtuaannu  a  cédées  —  (à 
savoir)  :  le  bassin  de  la  colonne  et  le  droit  sur  le  (neter)  hotep  d'Ankhhorsuten  —  en  l'an  2» 

—  ce  que  ce  dieu  a  enregistré. 

«Le  gardien  Pétukhnum,  fils  d'Ankhhor  et  la  femme  Sutenpe,  sa  femme  passée, ^ 
Hotepptair  et  femme  Tuuse,  sa  femme  et  le  gardien  Horsuten,  fils  de  Psenpihor,  *  et  la  femme 
Honhimtnaannu,  la  femme  présente^  de  Pétukhnum,  et  la  femme  Aukhra  et  la  femme  Penas, 
et  la  femme  Ekheperu,  fille  de  Pbakuèséntannu''  en  tout  ensemble  trois  hommes  et  six 
femmes,  d'une  bouche  encore  (disent  :)  Il  n'y  a  point  à  donner  par  nous  de  part  ou  à  en- 
lever" le  hotej}  d'Ankhhorsuten,  l'existant  (la  valeur  existante)  en  équivalence  qu'on  nous  a 
donné.  C'est  ton  terrain  qui  a  été  rétribué  eu  échange  depuis  le  jour  ci-dessus. 

«Ils  ont  dit  (fait  la  déclaration)  à  l'agent  d'Amon,  prêtre  du  roi  —  à  qui  vie,  santé, 
force!  —  florissant,  à  qui  Amon  a  donné  la  puissance  :  Il  n'y  a  plus  à  donner  par  nous  à 
fils,  fille,  frère,  sœur,  existant  (homme  existant)  quelconque  du  monde  entier.  On  a  fait 
connaître  à  quiconque  l'attribution  de  part  ci-dessus  —  à  maintenant  et  à  toujours  —  ainsi 
que  celui  qui  prend  cette  part  ci-dessus.  Point  à  pouvoir  homme  quelconque  qui  viendra 
faire  revendication  quelconque  sur  l'écrit. 

«En  témoignage  Hotephor, ■*  fils  d'Horpchrat,  le  préposé  aux  écritures. 

«Par  la  main  de  Thotmès,  fils  de  Pénas,  fils  de  Tbotmès,   (témoignant)  à  l'acte  du 

*  Pétukhnum  avait  eu  antérieurement  une  autre  femme  que  nous  verrons  tignrer  pins  loin.  Elle  est  nommée  «sa  femme  d'ar- 
rière» tefhimt  peli,  tandis  que  Honhimtnaannu  est  nommée  «sa  femme  d'en  avant»  Ufhimt  hat.  Le  mot  pch  est  écrit  par  le  train  de 
derrière  du  lion  et  le  mot  ha  par  la  partie  antérieure  du  même  animal  en  hiéroglyphes  comme  en  démotique. 

^  Ce  nom  de  Hoteparaenanthhor  est  formé  de  deux  noms  absolument  distincts  :  1**  Hotepamen  (unie  à  Amon),  nom  que  portait 
(selon  la  généalogie  que  nous  avons  annexée  à  notre  n"  4  de  l'an  10  de  Shabaku)  Hotepamen.  la  grande-mère  d'Hotepamenankhhor  et 
(selon  l'acte  de  l'an  3  de  Tahraku)  la  femme  d'Ankhhor;  2°  Ankhhor  (vie  d'Horus),  mari  de  la  1''"  Hotepamen  et  grand-père  d'Hotep- 
amenankhhor.  Jamais  un  nom  ne  serait  formé  primitivement  comme  Hotepamenankhhor  ;  car  cela  signifierait  —  gros  contre-sens  mytho- 
logique —  uni  à  Amon  qui  est  la  vie  d'Horus.  Ce  nom  ne  peut  que  rappeler  des  souvenirs  généalogiques.  Et.  en  effet,  en  Egypte  il  est 
de  coutume  que  les  petits  enfants  portent  les  noms  de  leurs  gi-ands  parents. 

^  Mot-à-mot  :  «sa  femme  d'arrière»  (voir  plus  haut  note  1). 

-"  «La  pousse  d'Horus»,  le  «germe  d'Horus». 

^  Mot-à-mot  :  «La  femme  d'avant». 

<■■  «Le  serviteur  d'Isis,  la  belle.» 

ï  Le  même  mot  au  signifie  à  la  fois  apporter  et  emporter  comme  en  eoOTïl  et  Gil  eÊo\  en  copte. 

B  Comme  toujours  dans  tous  les  actes  de  cette  période  le  scribe  ou  notaire  signe  à  la  suite  de  son  acte  sans  paragraphe  distinct 
ni  mise  à  la  ligne,  tandis  que  les  témoins  signent  séparément  et  analysent,  chacun  dans  un  paragraphe  distinct,  l'acte  auquel  ils  témoignent. 

17*' 


132  Eugène  Revillout. 


gardien  Pétukbuum,  fils  d'Ankhhor  et  de  la  femme  Honliimtnaannu,  fille  du  prêtre  d'Horus 
Ekheper  .  .  .  mont,  sa  femme  actuelle,  disant  ensemble  d'une  seule  bouche  au  choacbjie 
Pétuaa,  fils  de  Pétuamenapi,  le  eboacbyte,  et  de  Ankbbor,  ^  fille  de  Pétuamenapi  :  Il  n'y  a 
point  à  donner  part  ou  à  enlever  le  hotep  de  Aukbborsuten,  l'existant  (la  valeur  existante) 
dont  on  a  fait  l'équivalence  —  et  tout  ce  qui  est  écrit  ci-dessus.    L'an  6,  le  8  Phaménoth. 

«Par  la  main  de  Nebemto,^  fils  de  Pséhormen,  le  gardien,  témoignant  à  l'acte  du 
gardien  Pétnkbnum,  fils  d'Ankbbor,  et  de  la  femme  Honbimtnaannu  qui  disent  à  l'enfant 
d'Hotepamenborankb  ^  :  Il  n'y  a  point  à  donner  par  nous  de  part  ou  à  enlever  le  hotep  d'Ankb- 
borsuten,  le  eboacbyte,  dont  on  a  fait  l'équivalence  —  et  l'écrit  ci-dessus.  An  6,  le  8  Pba- 
ménotb. 

«  Par  la  main  de  Ekbepersbimt,  fils  de  Nesmont,  fils  de  Djiborpto,  témoignant  à  l'acte 
de  Pétnkbnum,  fils  d'Ankbbor  et  de  la  femme  Honbimtnaannu,  sa  femme,  disant  :  Il  n'y  a 
point  à  donner  de  part  ou  à  enlever  le  hotep  d'Ankbborsuten  dont  ils  ont  fait  équivalence 
—  et  tout  ce  qui  est  écrit  ci-dessus.  An  6,  Pbaménotb  8. 

«Témoignage  de  Montembat,  fils  d'Ankbbor,  fils  de  Pétuésé,  à  l'écrit  de  transmission 
du  gardien  Pétnkbnum,  fils  d'Ankbbor,  et  de  la  femme  Honbimtnaannu,  sa  femme,  disant 
ensemble  d'une  seule  boucbe  :  Il  n'y  a  point  à  donner  de  part  ou  à  enlever  au  dehors  le 
hotep  d'Ankbborsuten,  le  eboacbyte,  dont  on  a  fait  équivalence  —  et  tout  ce  qui  est  écrit 
ci-dessus.  L'an  6,  le  8  Pbaménotb. 

«Par  la  main  de  Montekbeper  (V),  fils  de  Bak,  témoignant  à  l'acte  de  .  .  .  .*  pour 
écrit  quelconque  ci-dessus. 

«Par  la  main  de  Mont,  fils  d'Horéféansu, ^  témoignant  à  l'acte  de  Pétnkbnum,  tils 
d'Ankbbor,  et  de  la  femme  Honbimtnaannu,  sa  femme,  pom-  l'écbange  ci-dessus.  An  6.»'' 

Pour  l'explication  détaillée  de  ce  contrat  très  compliqué,  nous  ne  pouvons  que  renvoj'er  ù  notre 
notice.  Eu  ce  qui  coucerne  l'hérédité  d' Ankhhorsuten ,  voir  ce  que  nous  avons  dit  à  propos  de  n°  6. 
Quant  aux  liens  de  famille,  ils  sont  indiqués  dans  la  généalogie  annexée  à  notre  contrat  de  l'an  10  de 
Shabaku. 

Notons  seulement  que,  comme  l'avait  déjà  dit  Devéhia,'  notre  pièce  fait  mention  d'une  date  de 
l'an  7  de  Shabaku,  relative  —  nous  le  savons  maintenant  —  à  un  contrat  fait  en  faveur  de  la  sœur  de 
celui  qui  cède  dans  celui-ci,  contrat  qui  malheureusement  ne  nous  est  pas  parvenu. 

Nous  exprimerons  ici  aussi  le  regret  d'une  autre  lacune*  qui  ne  tient  pas  aux  coups  implacables  du 
temps,  je  veux  parler  de  l'absence  d'un  contrat  de  l'an  VII  de  Tahraku,  d'un  autre  contrat  de  l'an  X?  qui 
se  trouvent  l'un  et  l'autre  au  Musée  du  Caire  et  que  Devéria  avait  déjà  signalés  dans  son  catalogue.'  Lors 
de  ma  mission  en  Egypte  j'avais  aperçu  ces  contrats  et  il  avait  été  entendu  avec  les  conservateur  et  con- 
sei-vateur  adjoint  qu'on  m'en  enverrait  la  photographie  au  Louvre  (ce  qui  seulement  m'a  empêché  de  les 

>  La  femme  Hotepamenanîihhor  est  appelée  ici  par  abbréviation  Ankhhor. 

~  «Celui  qui  enlève  une  part.» 

"  Encore  une  variante  intéressante  pour  le  nom  d'Hotepamenankhhor.  l\  faut  aussi  noter  la  disparition  même  du  nom  de  Pétuaa 
qu'on  indique  seulement  comme  enfant  d'Hotepamenliorankli. 

^  Les  noms  des  contractants  n'ont  pas  été  ici  écrits  par  le  témoin. 

^  «Horus  celui  qui  l'apportera.» 

<■•  Les  noms  du  mois  et  du  quantième  ont  été  omis. 

'  Voici  ce  que  Devéria  dit  de  notre  pièce  dans  son  catalogue  des  manuscrits  (p.  20(>)  :  «Pièce  datée  de  l'an  VI  de  Tahraku  et 
portant  cinquante  et  une  lignes  d'écriture  divisées  en  deux  colonnes  et  six  articles.  On  lit  à  la  ligne  neuf  de  la  première  colonne  lii 
mention  d'une  date  de  l'an  VII  de  Shabaku  (Sabacon  I''"',  70S  avant  notre  ère).  » 

B  Notons  qu'entre  l'an  6  et  l'an  13  de  Tahraku  se  placerait  aussi  une  stèle  du  Sérapéum  datée  de  l'an  10  et  qu'a  décrite 
M.  Pierrot  dans  son  catalogue  de  la  salle  historique  sous  le  n°  303.  Mais  comme  cette  stèle  contenant  l'adoration  d'un  prêtre  ne  nous 
apprend  absolument  rien  soit  au  point  de  vue  historique,  soit  au  point  de  vue  juridique  (double  point  de  vue  d'après  lequel  nous  avons 
rédigé  noti'e  notice)  nous  n'avons  pas  à  nous  en  occuper. 

»  Voici  comment  il  s'exprime  après  avoir  parlé  de  nos  contrats  de  Tahraku  (p.  206  de  son  catalogue)  :  «Le  Musée  du  Caire 
possède  également  des  fragments  d'nne  écriture  presque  identiques  et  datés  des  années  7  et  11  du  même  règne  (n°  C337).» 


Quelques  docutments,  etc.  133 

copier,  alors  que  je  copiais  les  autres  papj-nis  démotiques).  M.  Grébaut,  lui-même,  m'a  renouvelé  à  Paris 
cette  promesse  après  mou  retour.  Mais  c'est  seulement  après  le  départ  de  M.  Grébaut  que  j'ai  reçu  des 
photographies  microscopiques  complètement  manquées  et  dont  il  m'est  impossible  de  me  servir.  J'j"  vois 
seulement  des  fragments  de  l'an  5,  de  l'an  7  (dont  il  ne  reste  que  la  première  ligne),  un  de  l'an  9.  Le 
fragment  de  l'an  11  n'est  pas  visible  ponr  moi.  Tous  sont  des  sous  seings  en  dehors  de  celui  de  l'an  7 
et  d'un  autre  dont  la  date  manque. 

3228  e. 

Ce  papyrus  est  eu  fort  mauvais  état.  Il  se  compose  de  deux  colonnes  dont  la  première  est  mainte- 
nant déchirée  et  a  perdu  plusieurs  morceaux.  De  plus  chacune  des  colonnes  a  été  rayée  du  haut  en  bas 
dans  l'antiquité  par  six  grandes  raies  sm-montées  chacune  d'une  espèce  de  fleur  de  lotus  composée  de 
trois  lignes. 

Pour  rétablir  le  texte  principal  du  contrat  il  nous  a  donc  fallu  non-seulement  nous  servir  des  mor- 
ceaux qui  subsistent  en  place,  mais  aussi  nous  servir  du  texte  abrégé  que  reproduisent  avec  quelques 
variantes  les  diverses  attestations  de  témoins  soit  de  la  première,  soit  de  la  2*  colonne. 

Voici  ce  texte  : 

Première  colonne. 

(L'an  13,  25  Atbyr.) 

(Le  choachyte  Pétuaa),  fils  de  Pétiiauieuapi,  dit  au  scrilDe  divin  •  d'Amon  à  Sbawii  pour 
le  roi  —  à  qui  vie,  sauté,  force!  —  (Rausuklieperuohem^)  : 

«Moi,  je  te  donue  les  deux  katis  1,2,  ^  4  —  pour  la  part  (la  part  réservée  comme  impôt, 
du  hat  (à  recevoir)  —  en  l'an  13,  Phaménoth  30,  «  les  dits  katis  étant  apportés  (à  ta  maison 
sans  frais  ^)  et  (à  toi  appartiendra  *)  la  durée  de  l'usage  (du  Aa«)  pour  le  temps  qui  sera  — 
en  équivalence  d'intérêts,  depuis  l'an  13  (ci-dessus ")  —  (sans  qu'il  y  ait')  en  main  d'intérêts 
en  outre  (à  payer).  Je  t'en  ai  donné  l'équivalence,*  sans  que  j'aie  à  donner  part  quelconque 
en  dehors  de  toi. 

«  (Il  a  dit  au  prêtre  d'Amon,  prêtre)  du  roi  florissant  à  qui  Amon  a  donné  la  puissance. 
Personne  ne  peut  écarter  l'écrit  ci-dessus. 

«(En  témoignage  ....  Néchutès 

«  Par  la  main  de témoignant  à  l'acte  du  choachyte  Ptuaa,  tils  de  Pétuamen- 

(api,  qui  dit)  au  scribe  de  Shawu  pour  le  roi  —  à  qui  vie,  santé,  force!  —  Rausukbeper- 
nohem  à  savoir  :  Moi  je  te  donne  les  (deux  katis  ^  2,  V4)  <l"e  tu  recevras-'  pour  le  hat  en 
l'an  13,  Phaménoth  30,  ainsi  que  la  durée  de  l'usage  (du  Jiat  pour  le  temps  qui  sera),  en 
équivalence  d'intérêts  ....  depuis  l'an  13  ci-dessus  —  et  le  reste  de  l'écrit  ci-dessus.  An  13 
25  Atbyr. 

«Par  la  main  du  ...  .  du  temple  d'Amon  Ameuemap,  prêtre  de  .  .  .  témoignant  à 
l'acte  du  choachyte  Pétuaa,  tils  de  Pétuamenapi,  sur  les  deux  katis  Va»  '/4  et  tout  l'écrit  ci- 
dessus.  An  13,  25  Athyr. 


1  Comparez  ces  titres  dans  le  témoignage  de  la  première  colonne,  ainsi  qne  dans  le  troisième  et  le  quatrième  de  la  2<=  colonne. 

■'  Comparez  surtout,  ponr  ce  nom  du  scribe  di\nn  d'Amon  et  du  roi  à  Shawu.  le  premier  témoignage  de  la  première  colonne 
au  troisième  témoignage  de  la  2<=.  Dans  le  4"  de  la  2*=  le  premier  élément  du  nom  a  dispara  dans  une  lacune  et  on  pouvait  hésiter  entre 
Jv-ft  et  nehem  (parfaitement  net  dans  la  première  colonne). 

>  A  la  fin  de  la  tetramenie  suivante,  c'est-à-dire  95  jours  plus  tard.  Les  mots  «à  recevoir»  sont  tirées  du  4'  enregistrement 
de  la  2*^  colonne,  etc. 

■"  Pour-  la  fin  de  cette  proposition  nous  remplissons  la  lacune  dubitativement  h  l'aide  de  formules  contractuelles  postérieures. 

^  Ponr  ceci  voir  le  premier  témoignage  de  la  première  colonne.  Les  autres  ont  simplement  «et». 

'^  Voir  pour  ceci  à  peu  près  tous  nos  témoignages. 

'  Pour  le  commencement  de  cette  incise  voir  le  i"  témoignage  de  la  2"=  colonne.  Le  mot  «en  outre»  dans  la  suite  du  teite  j 
est  remplacé  par  «en  dehors». 

8  Par  l'usage  du  hat. 

*  Comparez  le  4^  témoignage  de  la  2®  colonne. 


134  Eugène  Revillout. 


«Par  la  main  de  Pétosor  .  .  .  témoignant  à  l'acte  du  choachyte  Pétuaa,  fils  de  Pétu- 
ameuapi,  qui  dit  :  Moi,  je  te  donne  les  deux  katis  Va;  'A  (<!"•  ^ont  dus)  pour  le  hat  (à  re- 
cevoir) en  l'an  13,  30  Phaménoth  et  le  temps  de  jouissance  (du  hat],  eu  guise  d'intérêts, 
depuis  l'an  13  ci-dessus.  ' 

«Par  la  main  de  ...  .  témoignant  à  l'acte  de  Pétuaa,  fils  de  Pétuamenapi,  disant  : 
Moi,  je  te  donne  les  deux  katis  V2J  V4  l'edus  pour  le  hat  à  recevoir  en  l'an  1.3,  30  Pha- 
ménoth, ainsi  que  la  durée  de  la  jouissance  (du  hat)  pour  le  temps  qui  sera  en  guise  d'in- 
térêts depuis  l'an  13  ci-dessus  ....  Au  13,  25'  Athyr. 

i"  colonne. 

«Par  la  main  de  Menkh,  tils  d'Amen  .  .  .  .,  le  prêtre  d'Horus  à  Pahi,  témoignant  à 
l'acte  du  choachyte  Pétuaa,  fils  de  Pétuamenapi,  disant  :  Moi,  je  te  donne  les  deux  katis 
V2,  V4  eii  1'™  13,  30  Phaménoth,  et  à  toi  (est  aussi)  la  durée  de  l'usage  (du  hat)  —  pour 
le  temps  qui  sera  —  en  équivalence  d'intérêts  —  depuis  l'an  13  ci-dessus,  sans  que  soient 
en  mains  en  dehors  d'intérêts,  (sans  aucun  autre  compte  d'intérêts).  —  An  13,  25  Athyr. 

«Par  la  main  d'Horus,  le  prêtre  du  bourg,  témoignant  à  l'acte  de  Pétuaa,  fils  de  Pé- 
tuamenapi, lequel  dit  :  Moi,  je  donne  les  deux  katis  ^/^  et  '4  pour  la  part  du  hat  —  en 
l'an  13,  30  Phaménoth  —  ainsi  que  la  durée  de  l'usage  (du  hat)  à  courir  pour  le  temps 
que  sera,  en  guise  d'intérêts,  depuis  l'an  13  ci-dessus  —  et  le  reste  de  l'écrit  ci-dessus.  — 
An  13,  25  Athyr. 

«Par  la  main  de  Paba,  fils  de  Djémont,  le  prêtre,  témoignant  à  l'acte  du  choachyte 
Ptuaa,  tils  de  Pétuamenapi,  lequel  dit  cette  répondance  (cette  garantie)  au  scribe  sacré  de 
Shawu  —  pour  le  roi  —  Ransukhepernohem,  à  savoir  :  Moi,  je  te  donne  les  deux  katis  ^/j, 
1/4  pour  la  part  du  hat  —  en  l'an  13,  30  Phaménoth  —  ainsi  que  la  durée  de  l'usage  (du 
hat)  pour  le  temps  qui  sera  —  en  équivalence  d'intérêts  —  depuis  l'an  13  ci-dessus  —  et 
tout  ce  qui  est  écrit  ci-dessus.  Au  13,  25  Athyr. 

«Par  la  main  d'Hornekht,  fils  d'Hornekht,  témoignant  à  l'acte  du  choachyte  Pétuaa, 
tils  de  Pétuamenapi  lequel  dit  au  scribe  sacré  de  Shawu  —  pour  le  roi  —  Ransukheper- 
nohem à  savoir  :  Moi,  je  te  donne  les  deux  katis  V'2,  1/4  que  tu  recevras  pour  le  hat  en 
l'an  13,  30  Phaménoth,  et  (je  te  donne  aussi)  la  dui-ée  de  l'usage  (du  hat)  que  j'ai  transmis 
à  toi  jusqu'à  l'an  13,  30  Phaménoth,  en  guise  d'intérêts  depuis  l'an  13  ci-dessus,  sans  qu'il 
y  ait,  en  ta  main,  en  dehors  comme  intérêt,  chose  (quelconque)  du  monde  (en  dehors  de) 
mon  temps  dont  je  t'ai  fait  rétribution  2  —  et  tout  ce  qui  est  écrit  ci-dessus.  An  13,  25  Athyr.  ^» 

Je  rie  puis  que  renvoyer  à  ma  notice  déjà  citée  pour  l'explication  juridique  détaillée  de  ce  contrat 
si  intéressant.  Mais  je  dois  faire  remarquer  dès  à  présent  que  si  notre  acte  a  été  bififé,  c'est  certaine- 
ment par  le  débiteur  et  au  moment  où  on  venait  de  le  lui  rendre  après  paiement.  Pétuaa  ne  manquait  pas 
de  constater  ainsi  qu'il  ne  devait  plus  rien  et  il  passait  sa  mauvaise  humeur  sur  le  papyrus.  Notre  choa- 
chyte ne  paraît  plus  alors  dans  la  veine  d'heureuse  prospérité  que  nous  constatons  par  des  enrichissements 
successifs  soit  sous  le  règne  de  Shabaku,  soit  au  commencement  de  Tahraku.  Peut-être,  selon  une  cou- 
tume égyptienne  très  générale  à  toutes  les  époques,  s'était-il  déjà  dépouillé  de  l'usage  d'une  grande  partie 
de   sa   fortune   en  faveur  d'une  femme,  d'un  fils  ou  d'un  héritier  quelconque.    Ou  aurait  d'autant  plus 

'  La  date  n'est  pas  ajoutée  au  témoignage  du  scribe. 

^  Toute  cette  glose  explicative  de  Tacte  est  fort  curieuse. 

3  Voici  ce  'que  dit  Devéria  dans  son  catalogue  (p.  207)  sur  notre  contrat  :  «Pièce  malheureusement  incomplète  portant  37  lignes 
dlécritures  diverses  en  deux  colonnes  et  plusieurs  articles.  On  lit  aux  lignes  4,  9  et  11  de  la  première  colonne  des  dates  de  l'an  13  sans 
indication  de  règne.  Ces  deux  pages  de  texte  ont  été  biffées  au  moyen  d'un  signe  11  ou  12  fois  répété  et  qui  occupe  toute  la  hauteur 
des  lignes  d'écriture.  » 


Quelques  documents,  etc.  135 

tendance  à  le  penser  que  les  derniers  papyrus  qui  émanent  de  lui  après  celui-ci  sont  des  sortes  d'inven- 
taires destinés  à  un  héritier.  C'est  ce  que  nous  aurons  l'occasion  de  voir  du  reste  dans  les  deux  numéros 
suivants. 

3228  H. 

Ce  papyrus  est  malheureusement  fragmenté.  Le  commencement  de  chaque  ligne  nous 
manque,  ce  qui  rendrait  impossibles  pour  un  simple  état  descriptif  toute  restitution  et  toute 
traduction. 

Bornons-nous  à  dire  qu'il  avait  pour  titre  : 

«(Inventaire)  des  domaines  qui  ont  été  donnés  en  Tau  13  à  la  femme  de  Pétiiaa. » 

Les  indications  de  chacun  des  domaines  en  question  sont  mises  à  la  ligne  et  elles  com- 
mencent, pour  la  plupart,  maintenant,  par  le  mot  champ.  Deux  de  ces  alinéas  se  terminent 
par  le  chiffre  3;  et  ces  alinéas  sont  au  nombre  de  19,  en  dehors  du  titre  initial  et  de  l'ad- 
dition finale.  Cette  addition  me  semblerait  en  effet  pouvoir  peut-être  se  lire  «ce  qui  fait 
champs  25,  en  (aroures)  4  et  demi».  Je  ne  peux  pourtant  garantir  cette  dernière  traduction; 
car  le  chiffre  20  est  bien  douteux.  En  tout  cas  c'est  un  inventaire  de  biens  exclusivement 
territoriaux,  '  à  la  différence  de  l'inventaire  suivant  relatif  à  des  comptes  d'argent.  - 

3228  F. 

Ce  second  registre  est  daté  de  l'an  15  et  concerne,  selon  le  titre  même,  les  droits  que 
Pétuaa  a  payés  —  en  part  —  pour  ses  champs.  Les  quatre  premiers  articles  commencent 
par  le  mot  toohe  «rétribution».  Ils  concernent  tous  les  impôts  de  champs,  impôts  s'élevaat 
à  deux  argenteus,  à  trois  argenteus,  à  deux  argenteus  encore  et  à  trois  argenteus.  Dans  la 
suite  le  mot  toobe  n'est  pas  répété;  mais  le  sujet  est  le  même.  Les  alinéas  se  terminent 
tous  par  une  évaluation  en  argent,  souvent  exprimée  par  nue  sigle  inférieure  à  l'argenteus. 
Nous  parlerons  de  ces  sigles  fractionnaires  à  propos  des  comptes  d'Amasis.  Disons  seulement 
que  parmi  ces  sommes  figure  une  petite  gratification  donnée  au  scribe  (collecteur  d'impôts). 
Le  document  se  termine,  comme  il  a  commencé,  par  une  date  de  l'an  15,  qui  se  trouve  à 
la  5"  ligne  de  la  2"  colonne. 

Ce  compte  complète  le  registre  de  doit  et  avoir  de  Pétuaa.  Vavoir  était  représenté 
par  des  terrains.  Mais  le  doit  était  souvent  représenté  par  les  droits  à  payer  (voir  le  n°  9) 
que  notre  document  nous  montre  avoir  été  assez  considérables.' 

Sculp.  454. 

«L'an  24,  23  Pharmouthi,  sous  la  Majesté  du  roi  Tahraku  vivant  à  jamais,  ce  dieu  s'en 
est  allé  en  paix  vers  le  bon  Amenti  par  (les  soins  du)  grand  prince,  Sam  et  Kherp  (premier) 

>  On  y  voit  pai-ler  en  second  lien  du  «champ  do  gai'dien>^  ou  «de  mon  gardien»  que  nous  verrons  figurer  sous  ce  nom  dans 
les  acteï  de  Tan  30  etc.  de  Psammétique  I*'''. 

=  Voici  la  notice  que  donne  Devéria  dans  son  catalogue  (p.  207)  :  «  Fragment  d'une  pièce  analogue  portant  la  fin  de  vingt  lignes 
d'écriture.  On  n'y  distingue  ni  date,  ni  nom  royal.  Mais  elle  appartient  encore  très  probablement  au  même  règne.  x> 

'  Devéria  disait  de  notre  document  (p.  207  de  son  catalogue)  :  «  Pièce  de  comptdbiUti  datée  de  l'an  XV.  sans  indication  de  règne, 
portant  SS  lignes  d'écriture  divisées  en  deux  colonnes.  La  dernière  ligne  de  la  première  colonne  a  été  effacée  et  on  lit  à  la  fin  de  la 
2"^  colonne  une  autre  date  de  l'an  XV  également  sans  nom  de  règne.»  Ici  le  mot  «comptabilité»  est  parfaitement  à  sa  place  et  tout 
se  trouve  exact. 


136  Eugène  Revillout. 


de  tous  les  officiers  divins,  prophète  de  Ptah  et  père  divin  Senbef,  fils  du  père  divin  de 
Sokhetraseh  (nommé)  Ankhounnofré,  enfanté  par  Naua-aa-tesuekht;  let  par  les  soins  de) 
son  frère,  le  père  divin  de  Sokhetraseh  nommé  Ptahhotep.'» 

Cette  légende  accompagne  la  représentation  du  dieu  Apis  debout  dans  une  chapelle  et 
recevant  les  hommages  du  Sam  et  prophète  de  Ptah  Senbef. 

La  stèle  est  fort  intéressante  en  ce  qu'elle  nous  montre  Tahraku  toujours  reconnu  comme  souveraiu 
;ï  Jlempliis  en  l'an  24  d'un  règne  qui  n'eut  que  26  ans,  c'est-à-dire  certainement  après  l'invasion  triom- 
phante du  roi  assyrien  Assaraddon,  qui  croyait  l'avoir  à  tout  jamais  expulsé  d'Egypte.  Cela  veut-il  dire, 
comme  on  l'a  cru,  que  précisément  en  l'an  24  Tahraku  était  de  passage  à  Memphis  après  une  trouée  un 
instant  victorieuse  et  qu'il  avait  présidé  ainsi  ans  funérailles  d'Apis?  Pas  le  moins  du  monde.  Tahraku 
d'abord  ne  semble  rien  avoir  présidé  du  tout  en  l'an  24.  Celui  qui  présidait  à  la  cérémonie  nous  le  dit 
lui-même  :  c'était  le  prophète  de  Ptah  qualifié  de  grand  prince  et  appelé  Senbef.  J'ajouterai  que  Tahraku 
ne  paraît  pas  avoir  été  alors  à  Memphis;  mais  qu'il  y  était  reconnu  par  tous,  y  compris  même  par  Niku, 
ce  prince  éthiopien,  son  cousin,  qui  jamais  n'usurpa  le  cartouche  ni  ne  tenta  de  s'appeler  roi  en  égyptien, 
en  dépit  du  titre  de  sai-  de  Memphis  et  de  Sais  qui  lui  avait  été  donné  par  Assaradon,  selon  le  témoignage 
d'Assurbanipal.  Niku  faisait  déjà  sous  Assaraddon  ce  qu'il  fit  encore,  selon  les  textes  assyriens,  sous  son 
tils,  c'est-à-dire  qu'aussitôt  que  l'armée  assyrienne  s'éloignait  un  peu,  il  écrivait  à  Tahraku,  pour  recevoir 
ses  ordres,  comme  au  seul  roi  légitime.  Il  en  était  du  reste  semblablement  pour  tous  les  prétendus  rois 
(ju'avaient  investis  et  proclamés  les  Assyriens  et  dont  ils  avaient  voulu  faire  leurs  vassaux.  La  haine  de 
l'étranger,  comme  l'a  du  reste  dit  Hérodote,  était  si  vive  en  Egypte  qu'alors  même  qu'ils  ne  l'auraient  pas 
voulu,  ils  étaient  forcés  d'agir  ainsi,  sous  peine  de  se  voir  chassés  eux-mêmes.  Le  roi  éthiopien  représentait 
en  effet  non-seulement  le  patriotisme,  mais  la  religion  —  cette  religion  que,  disaient-ils,  les  rois  assyriens 
voulaient  changer  en  substituant  leurs  dieux  à  eux  aux  dieux  du  pays.  Il  ne  faut  donc  pas  nous  étonner 
si  pour  les  Égyptiens  Tahraku,  battu  par  Assaraddon,  était  toujours  roi  en  l'an  24,  comme,  nous  le  verrons, 
il  l'était  l'année  même  de  sa  mort,  en  l'an  26,  alors  que  cependant,  les  témoignages  historiques  incon- 
testables des  cylindres  le  prouvent,  11  avait  été  chassé  de  toute  l'Egypte  par  Assurbanipal,  dont  l'année 
l'avait  poursuivi  jusqu'en  Ethiopie.  Celui-là  qui  aurait  osé  alors  reconnaître  du  fond  du  cœur  le  cruel  en- 
vahisseur étranger,  celui-là  qui  se  serait  fait  réellement  son  vassal  ou  aurait  essayé  de  diviser  par  des 
compétitions  les  habitants  de  la  vallée  du  Nil  aurait  été  à  l'instant  massacré  par  la  popnlation.  Ces  com- 
pétitions étaient  admissibles  en  temps  de  paix,  mais  non  en  temps  de  guerre,  et,  pas  plus  qu'en  France 
de  nos  jours,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  on  n'aurait  trouvé  là-bas  personne  pour  se  prêter  à  une  trahison  de 
ce  genre.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'aux  yeux  des  Assyriens,  tout  allait  au  gré  de  leurs  désirs.  Le 
grand  conquérant  légendaire,  qui  s'était  vanté  d'avoir  reçu,  après  la  "déroute  de  Sennachérib,  les  tributs  de 
l'Assyrie  et  de  la  Mésopotamie,  qui  avait  occupé  par  ses  armes  la  Syrie,  l'Asie  et,  dit-on,  qui  était  allé 
jusqu'en  Europe  et  jusqu'aux  colonnes  d'Hercule  —  ce  nouveau  Bacchus  des  récits  héroïques  —  avait  été- 
battu  honteusement  à  son  tour  —  comme  chez  nous  le  vainqueur  d'Ansterlitz  —  et  ses  ennemis  avaient 
partagé  son  héritage  entre  des  princes  qu'ils  leur  croyaient  dévoués. 

Ces  princes  étaient  les  descendants  de  ces  chefs  héréditaires  des  nomes  et  de  ces  roitelets  qui  s'étaient 
soumis  au  roi  Pianchi.  A  ce  point  de  vue  rien  n'est  plus  curieux  que  la  comparaison  des  listes  contenues 
dans  les  cylindres  d'Assurbanipal  et  de  celle  qui  était  contenue  dans  la  stèle  du  roi  éthiopien,  complétée 
par  d'autres  documents  de  la  même  période.  Nous  ne  mentionnerons  que  pour  mémoire  Niku,  père  du  roi 
Psammétiku  I",  grand-père  du  roi  Niku,  arrière  grand-père  du  roi  Psammétiku,  selon  la  règle  qui  donnait 
à  l'aîné  des  petits-fils  le  nom  du  grand  père;  car  évidemment  Niku,  qui  était  prince  de  Sais  et  de  Mem- 
phis, selon  Assurbanipal,  comme  l'était  Tafnekht,  père  de  Bocchoris,  selon  Diodore,  et  identique  au  Taf- 
nekht,  prince  de  Sais  et  de  Memphis,  selon  Pianchi,  n'a  avec  ce  Tafnekht  aucun  autre  rapport  possible, 
mais  se  rattache  à  une  famille  toute  différente,  ainsi  que  nous  le  montrerons  à  propos  du  numéro  suivant. 


j 


Quelques  documents,  etc.  137 

Tafnekht,  dont  la  race  fut  expulsée  de  son  flef,  eut  seulement  peut-êtie  pour  petit-fils  un  Tafnekht  II, 
prince  de  Bunubu  d'après  les  cylindres  assyriens. 

Mais,  en  dehors  de  lui,  comme  tontes  les  familles  royales  on  prineières  se  sont  bien  conservées! 

A  Memphis  du  temps  de  Tafnekht  on  reconnaissait  encore  le  roi  Sheshonk  IV  au  nom  duquel  se 
fit  Tensevelissement  d'Apis. 

A  Bubastis  â  la  même  époque  régnait  le  roi  tanite  Osorkon  III,  fils  du  fondateur  de  cette  dynastie 
Pétnbast.  Puis  à  Osorkon  III,  qui  avait  été  obligé  de  rendre  hommage  à  Pianchi  et  de  le  reconnaître  pour 
suzerain,  avait  succédé,  du  temps  de  Bocchoris,  le  roi  Psammus,  qui  occupe  le  troisième  rang  dans  la 
dynastie  tanite  de  Manéthon,  et  à  Psammus,  du  temps  de  Shabaku  et  au  commencement  de  Tahraku,  le 
roi  Zet  ou  Séthos,  qui  occupe  le  quatrième  rang  dans  la  même  dynastie  manéthonienne,  et  qui  a  lutté,  à 
ce  que  nous  raconte  Hérodote,  contre  le  roi  Sennaehérib,  lequel  marchait  en  guerre  contre  son  suzerain 
Tahraku,  expressément  nommé  pour  cette  expédition  par  le  livre  des  Rois.  Là  s'arrête  la  dynastie  Tanite  ' 
manéthonienne  (à  laquelle  Shabaku  aurait  déjà  enlevé  Bubastis  où  il  fit  de  très  grands  travaux,  s'il  faut 
en  croire  Hérodote,  qui  réunit  souvent  sur  une  même  tête  tout  ce  qu'il  sait  sur  les  50  ans  de  règne  des 
Éthiopiens).  Mais  probablement  ce  n'est  là  qu'un  oubli  ^  de  Manéthon  ou  de  ses  copistes,  comme  il  y  en  a 
tant  d'autres;  car  les  cylindres  d'Assurbanipal  nous  apprennent  expressément  qu'aux  précédents  rois 
tanites  avait  succédé  de  son  temps  Pétnbast  II,  roi  de  Tanis,  portant  le  même  nom  que  le  fondateur 
de  la  dynastie  tanite,  Pétnbast  I",  père  d'Osorkon  III  (son  aïeul). 

Enfin  sortant  de  ce  même  tronc  bubasto-tanite  que  d'autres  branches  royales  ou  prineières. 

Déjà,  à  côté  dn  roi  Osorkon  III, '^  Pianchi  énnmére  deux  autres  rois  soumis  à  lui  :  1°  le  roi  Nimrod 
d'IIermopolis,  portant  le  nom  d'un  prince  célèbre  de  la  première  race  bubastite,  2°  le  roi  Uaput  de  Tentrami. 

-Mais  il  y  a  aussi  :  les  deux  Sheshonk,  princes  de  Busiris  sous  Pianchi  et  sous  Assurbanipal,  qui  por- 
taient un  nom  royal  qu'ont  eu  plusieurs  rois  bubastites:  les  deux  Pimai,  homonymes  du  roi  bubastite  Pimai, 
et  dont  nous  parlent  la  stèle  de  Pianchi  et  les  cylindres  d'Assurbanipal;  les  Pétubast,  homonymes  du 
premier  roi  de  la  XXIIP  dynastie,  énumérés  également,  comme  princes,  sous  ces  deux  conquérants.  Ce  ne 
sont  pas  les  seuls  qui  soient  dans  de  semblables  conditions.  Pianchi  nomme  ainsi  un  prince  héréditaire, 
erpa  ha,  Bokennefi  et  Assurbanipal  un  autre  huknaannipi  que  ])ossédait  alors  Athribis.  Ce  nom  est  très  rare 
et  appartenait  éxidemment  à  un  grand  père  et  à  un  petit -fils.  Pianchi  indique  un  Nakhthornashennu 
(nom  également  excessivement  rare)  comme  possédant  Pakerer,  et  Assurbanipal  indique  son  petit -fils 
Nakhtihurunasini  comme  possédant  Pisibtia  ou  Pisibtinouti  (la  forteresse  de  dieu).  Pianchi  fait  de 
Tsikhia  le  prince  de  Khontnefer  et  Assurbanipal  de  Tsihaa  le  prince  de  Siut.  Nous  ne  parlerons  pas 
des  noms  purement  assyriens  que  fournit  Assurbanipal,  tels  que  celui  de  Sarludari,  roi  de  Tsiuu,  dont  le 
père  avait  été  fait  roi  d'une  petite  ville  syrienne  par  un  prédécesseur  d'Assurbanii»! ,  celui  de  Bukiu-- 
ninip,  roi  de  Pahanouti,  de  Lamintu,  roi  d'Hermopolis.  Mais  parmi  les  noms  bien  égyptiens,  dont  la  liste 
serait  trop  longue,  nous  devons  signaler  encore  :  1°  celui  de  Maantimiauhi  ou  Montemhat  dont  Assurbanipal 
fait  le  roi  de  Thèbes,  alors  que  nous  savons,  en  effet,  par  les  inscriptions  recueillies  par  M.  de  Eougé,  qu'il 
était  gouvenieur  de  Thèbes  au  nom  de  Tahraku;  2°  celui  de  Pakruru,  roi  de  Pisupti  (nome  d'Arabia) 
selon  Assurbanipal,  ce  que  nous  pouvons  constater  également  dans  la  stèle  du  songe;  3°  celui  de  Ispi- 
maatu,  roi  de  Taani,  selon  Assiu'banipal,  et  qui,  nous  l'avons  montré,  paraît  être  Spmati  ou  Nespmate  ou 
Séphimatès  (Stephiuatés)  dont  Manéthon  fait,  avec  «Amerys  l'Ethiopien»  dont  nous  parlerons  plus  loin,  un 
des  roitelets  d'époque  saïte;  4°  celui  du  Naahkie  d'Assurbanipal  ou  Nekhe-psos  (Nékhé  le  sémite)  de  la 
même  liste  manéthonienne.  Enfin,  pour  achever  la  liste  des  prétendus  rois  de  ce  temps  qui  ont  laissé  une 
trace  un  peu  notable  dans  l'histoire,  nous  citerons  encore  le  légendaire  Anysis  {an-ese  «  amené  par  Isis  ») 
d'Hérodote  qui  serait  sorti  de  ses  marais  lorsque  la  dynastie  éthiopienne  quitta  l'Egypte  et  qui  pourrait 
bien  avoir  été  en  effet  quelque  petit  prince  de  la  Basse-Egypte,  sans  grande  importance  du  reste.  Mais 
tous  ces  chefs,  ou  gouverneurs  héréditaires,  ou  rois,  dont  Hérodote  réduit  singulièrement  le  nombre  en 
en  faisant  une  dodécarchie,  étaient  du  temps  des  grands  monarques  éthiopiens  les  serviteurs  très  humbles 
du  pharaon,  maître  des  deux  pays.  Il  ne  faut  donc  pas  se  laisser  égarer  par  les  rhapsodies  de  Manéthon, 
en  transformant  en  vraies  dynasties  et  en  dynasties  consécutives  ce  qui  n'est  en  réalité  que  des  listes 
réunies  sans  aucune  espèce  de  critique  ou  de  sentiment  historique  viai  —  un  peu  au  hasard  et  par  une 
compilation  faite  inintelligemment  dans  de  meilleures  soui'ces  historiques. 

'  D'après  ces  données  les  Tanites  n'auraient  plus  régné  que  sur  Tanis  à  partir  soit  d'Osorkon  ni,  soit  de  Psammus,  et  auraient 
perdu  la  ville  de  Bubastis  qu'ils  n'aTaient  acquise  qu'au  moment  de  la  déchéance  progressive  du  vieus  roi  bubastite  Sheshonk  IV  et 
peut-être  même  après  sa  mort. 

=  C'est  par  un  oubli  de  ce  genre  qu'Africain  omet  Zet  ou  Séthos  qu'ont  bien  soin  de  nous  donner  toutes  les  autres  listes  mané- 
thoniennes  et  Hérodote. 

3  Comme  nous  l'avons  déjà  dit  à  propos  de  l'acte  de  Bocchoris,  Osorkon  lit  eut  d'autant  moins  de  peine  à  se  soumettre  au 
victorieux  Pianchi  qu'il  devint  le  beau-père  de  l'héritier  à  la  couronne,  le  roi  Kashta,  successeur  de  Pianchi,  auquel  on  fit  épouser  sa 
fille  Shapenap  I*"^*^. 

18 


138  Eugène  Revillout. 


Sculp.  500. 

En  haut  le  disque  et  les  deux  uraus  avec  le  uom  de  cet  emblème  :  Intt. 

Plus  bas  Apis,  courouné  du  disque  et  de  l'ur.'eus,  ayaut  sur  le  cou  un  collier  surmonté 
d'un  épervier  d'or,  sur  le  dos  un  tapis  et  au-dessus  de  lui  son  nom,  «Apis  vivant  Osiris 
habitant  dans  l'Amenti»,  est  adoré  par  le  roi,  qui  lui  fiiit  des  libations,  lui  oflFre  de  l'encens 
et  auquel  il  dit  :   «Je  te  donne  toute  vie  et  prospérité.»    Plus  bas  l'inscription  suivante'  : 

«En  l'an  20,  le  20  de  Mésoré,  sous  la  Majesté  du  roi  de  la  Haute  et  de  la  Basse- 
Egypte  Uahabra,  fils  du  soleil,  de  .son  flanc,  Psammétiku,  sortit  la  Majesté  d'Apis  \"ivant 
vers  le  ciel.  Ce  dieu  tut  reconduit  en  paix  vers  le  bon  Amenti  en  l'an  21,  le  25  Paophi, 
(voici  qu'il  avait  été  enfanté  dans  l'année  26  du  roi  Tahraku  et  qu'il  avait  été  intronisé  à 
Memphis  [hatkaptah]  le  9  de  Pharmouti,)  taisant  21  ans  (de  vie).  ^» 

Cette  stèle  est  fort  intéressante  au  point  de  vue  chronologique.  Ainsi  que  l'a  fort  bien  vu  M.  de  Eougé, 
elle  renverse  absolument  tous  les  systèmes  que  l'on  avait  cru  devoir  baser  sur  Manttlion  dont  elle  nous 
permet  d'apprécier  la  réelle  valeur  historique  —  ce  qui  n'est  pas  un  mince  avantage. 

Mais  maintenant  il  faut  que,  comme  nous  l'avions  annoncé  déjà,  à  propos  du  n°  4,  nous  en  tirions 
les  conséquences  chronologiques,  en  faisant  voir  comment  elle  concorde  avec  les  autres  renseignements  en 
notre  possession. 

Le  principal  intérêt  des  stèles  chronologiques  d'Apis  avec  double  date,  dont  nous  allons  commencer 
la  série,  consiste  ;i  nous  renseigner  sur  la  durée  du  règne  non  du  prince  sous  lequel  l'Apis  est  mort,  mais 
de  son  prédécesseur  sous  lequel  il  était  né.  C'est  pour  cela  que  nous  avons  classé  celle-ci  au  règne  de 
Tahraku  au  lieu  de  la  classer  au  régne  de  Psammétiku.  Cependant  il  faut  bien  noter  que  ce  n'est  pas  ici 
sur  la  seule  durée  de  règne  de  Tahraku  que  ce  précieux  document  nous  éclaire.  Il  a  le  grand  avantage 
de  nous  donner  aussi  le  temps  réel  de  la  prétendue  dodécarcliie,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  de  l'in- 
terrègne et  des  compétitions  qui  s'y  sont  produites.  Nous  examinerons  successivement  et  brièvement  toutes 
ces  questions.  Et,  d'abord,  commençons  par  celle  du  règne  de  Tahraku. 

A  propos  du  n°  3228  D  nous  avons  déjà  expliqué  longuement  la  principale  difficulté  que  l'on  faisait, 
d'après  la  Bible,  aux  26  ans  environ  du  régne  de  Tahraku.  ^  Il  faut  maintenant  que  nous  voyons  comment 
l'exacte  chronologie  concorderait  soit  avec  nos  observations  antérieures,  soit  avec  celles  que  nous  aurons 
l'occasion  de  faire. 

Un  calcul  certain,  car  il  est  basé  d'une  part  sur  le  canon  des  rois  et  d'une  autre  part  sur  des  stèles 
d'Apis  et  des  .stèles''  biographiques  fort  bien  mises  en  lumière  par  M.  de  Rougé  et  qui  fixent  avec  pré- 


-  Ou  «ce  qui  fait  21  unsj..  Mariette  avait  déjà  "pensé  ii  cette  traduction  (jui  nous  semble  indubitable  (voir  Sirapmm,  p.  29). 
C'était  un  prand  âge;  car,  selon  les  renseignements  fournis  par  les  Grecs  et  admis  par  M.  de  Rougé  dans  son  étude  sur  le  Sérapéum. 
(luand  un"  Apis  atteignait  par  hasard  25  ans,  on  le  tuait.  Mais  il  est  à  peu  près  sans  exemple  qu'un  bœuf  soit  par^'enu  à  cet  âge  maximum. 

3  Les  rois  égyptiens  de  cette  période  prenaient  pour  leur  année  première  ce  qui  restait  de  l'année  au  moment  de  la  mort  de 
leur  prédécesseur  et  ils  commençaient  Tannée  deuxième  au  mois  de  Thot.  Si  Shabatoku  était  mort  au  mois  de  Mésoré.  l'année  première 
de  TaliraVu  se  trouverait  réduite  à  quelques  jours  de  règne.  Et,  d'une  autre  part,  la  mort  d'Apis  ayant  lieu  en  l'an  26  an  mois  de 
Paophi,  deuxième  mois  de  l'année  égyptienne,  il  se  pourrait  que  cette  année  26  n'ait  été.  par  exemple,  que  de  deux  mois.  U  se  pourrait 
aussi  que  Tahraku  ait  survécu  d'avantage  à  l'Apis.  Nous  verrons  plus  loin  quelle  est  l'hypothèse  qu'il  faut  admettre. 

*  M.  de  Eougé  disait  dans  son  mémoire  sur  les  textes  hiéroglyphiques  de  Greene  (p.  38):  «La  suite  du  travail  que  M.  Mariette 
publie  dans  le  Bulletin  archéologique  exposera  les  épitaphes  officielles  qui  déterminent  la  durée  de  la  vie  et  les  époques  de  la  naissance 
et  de  la  mort  des  Apis  qui  se  sont  succédés  sous  la  26*  dynastie.  Je  compte  dans  ces  monuments  138  ans  depuis  la  première  année  de 
Psammétik  I'^'^  jusqu'à  la  44**  année  d'Amasis  inclusivement.  Ce  total  est  parfaitement  conforme  à  celui  que  les  deux  stèles  de  Leide  et 
celle  de  Florence  donnent  pour  les  règnes  de  Nékao,  Psammétik  U  et  Apriès  ;  seulement,  pour  mettre  ces  trois  monuments  en  harmonie 


Quelques  docuivients,  etc.  139 

cision  la  durée  des  régnes  des  souverains  égyptiens,  ne  nous  permet  pas  de  rabaisser  la  dernière  année 
de  Tahraku  en  dessous  de  la  première  année  d'Assourbanipal.  En  effet,  le  canon  des  rois  inséré  en  tête 
des  ouvrages  de  l'astronome-géographe  Ptolémée,  canon  dont  l'exactitude  est  absolue,  ainsi  qu'on  a  pu  le 
vérifier  par  les  contrats  babyloniens,  fixe  à  138  ans  l'intervalle  qui  sépare  la  fin  du  régne  d'Assuraddon 
à  Babylone,  c'est-à-dire  le  commencement  du  régne  d'Assnrbanipal  à  Ninive,  de  la  fin  du  règne  de  Cynis, 
autrement  dit  de  l'avènement  de  Cambyse.  Or,  la  durée  du  régne  de  Psammétiku  P"'  est  de  54  ans,  au 
lieu  de  45  qu'en  indiquait  le  Manéthon  d'Eusébe,  celle  de  Néchao  de  16  ans  au  lieu  de  6  qu'indiquait 
iManéthon,^  celle  de  Psammétiku  II  de  5  ans  au  lieu  de  6  qu'indiquait  Manéthon,^  celle  du  régne  d'Apriès 
de  19  ans  au  lieu  de  21  qu'indiquait  Manéthon,^  ainsi  que  la  montré  notre  cher  maître  M.  de  Rougé  par 
des  preuves  documentaires  incontestables.  Nous  avons  donc  déjà  94  ans  pour  quatre  régnes.  De  son  côté, 
Amasis  a  atteint  la  44"  année  de  son  règne,  une  inscription  hiéroglyphique  le  démontre,  et  cela  ne  fait 
pas  44  ans,  comme  l'avait  dit  Hérodote,  car  la  première  coïncide  avec  la  dernière  d'Apriès.  Mais  son  fils 
Psammétique  III,  qui  était  encore  reconnu  comme  roi  à  Thèbes  au  moins  jusqu'à  la  fin  de  sa  4'  aunée  — 
un  contrat  démotique  que  nous  reproduirons  bientôt  le  prouve  et  d'ailleurs  on  fit  sous  son  nom  dans 
cette  ville  des  constractions  qui  devaient  demander  du  temps  —  a  certainement  régné  d'une  façon  effective 
sur  toute  l'Egypte,  plusieurs  mois  pour  le  moins.  L'intervalle  qui  sépare  l'avènement  de  Psammétique  I""' 
du  renversement  de  Psammétique  III  étant  d'au  moins  137  ans  égale  donc  presque  l'intervalle  de  138  qui 
sépare  la  mort  d'Assaraddon  de  la  mort  de  Cyrus.  Reste  à  déterminer  le  moment  de  son  régne  où  Cam- 
byse conquit  l'Egypte  :  une  stèle  du  Sérapéum,  dont  j'ai  le  premier  fait  remarquer  (en  1888—1889)  les  indi- 
cations historiques  dans  mon  catalogue  de  la  sculpture  égyptienne,  nous  apprend  qu'un  Apis,  mort  la 
quatrième  année  de  Darius,  était  né  la  cinquième  année  d'un  roi  précédent  dont  le  nom  est  effacé,  mais 
qui  ne  peut  être  que  Cambyse,  et  elle  ajoute  que  la  durée  totale  de  sa  vie  fut  de  huit  ans.  Pour  que  huit 
ans  séparent  ainsi  la  cinquième  année  de  Cambyse  de  la  quatrième  de  Darius,  il  faut  que  le  règne  égyptien 
de  Cambyse  n'ait  pas  été  moindre  de  beaucoup  de  son  régne  asiatique,  qui  atteignit,  selon  le  calcul  tou- 
jours si  exact  du  canon  des  rois  de  Ptolémée,  confirmé  du  reste  par  toute  la  série  des  tablettes  babyloniennes, 
la  huitième  année,  en  dehors  de  l'année  d'avènement  toujours  mise  à  part  chez  les  Babyloniens.  En  effet 
si  le  mage  Smerdis,  en  babylonien  Barzia,  dont  le  canon  ne  tient  pas  compte,  parce  que  Darius  se  con- 
sidérait comme  le  successeur  légitime  de  Cambyse,  fut,  au  contraire,  conservé  sur  la  liste  des  règnes  en 
Egypte  où  le  satrape  Aryandès  établi  par  Cambyse  se  conduisait  d'une  façon  si  indépendante  que  Darius 
finit  par  le  mettre  à  mort,  si,  par  conséquent,  le  régne  de  Darius  n'y  commença  officiellement  qu'après 
l'assassinat  de  Barzia,  le  prétendu  mage,  cela  ne  nous  donnerait  encore  qu'un  intervalle  de  dix  ans  au 
plus  entre  l'avènement  de  Cambyse  et  l'avènement  de  Darius  sur  le  trône  égyptien,  puisque  le  régne  de 
Barzia  ne  paraît  pas  avoir  dépassé  en  Asie  sa  première  année  après  son  année  d'avènement.  L'Apis,  mort 
en  Payni,  a  vécu  prés  de  quatre  ans  sous  Darius.  En  admettant  qu'Aryandès  eut  retardé  de  deux  ans 
le  comput  égyptien  de  Darius  après  la  mort  de  Cambyse,  il  faudrait  encore  que  cet  Apis  eut  vécu  plus 
de  deux  ans  sous  Cambyse  depuis  la  cinquième  année  de  ce  régne,  ce  qui  obligerait  à  supposer  que  Canj- 
byse  conquit  l'Egypte  dans  l'année  qui  suivit  celle  de  son  avènement  en  Asie.  Nous  possédons  d'ailleurs 
aussi  au  Louvre  une  stèle  de  l'an  6  de  Cambyse. 

pai"taite  avec  les  stèles  d'Apis,  il  faut  compter  les  chiffres  particuliers  de  ces  trois  règnes  d'une  autre  manière  que  ne  l'ont  fait  Rosellîni 
d'une  part  et  M.  de  Bunsen  de  l'autre.  11  faut  attribuer  chronologiquement  15  ans  à  Nékao  (sa  16^  année  se  confond  avec  la  première 
de  Psammétik  llj,  6  ans  à  Psammétik  11  et  conserver  à  Apriès  les  19  ans  entiers  que  lui  donne  l'Africain.  Ces  chiffres  satisfont  aux 
exigences  des  divers  roonnnients.  comme  on  peut  s'en  convaincre  dans  le  tableau  de  concordance  que  je  joins  à  cette  notice.  » 

Nous  ne  reproduirons  pas  ici  ce  tableau  de  concordance,  fort  bien  calculé  du  reste,  mais  seulement  les  données  qui  en  sont 
le  point  de  départ  —  en  dehors,  bien  entendu,  de  la  stèle  d'Apis  que  nous  traduisons  ici.  Un  autre  Apis,  né  le  19  Méchir  de  l'an  53  de 
Psammétique  1",  est  mort  le  6  Paophi  de  l'an  16  de  Nékao  après  16  ans,  7  mois  et  17  jours  de  vie.  Un  Égyptien,  né  le  1"  Epiphi  de 
l'an  P'-'  de  Nékao,  est  mort  le  28  Pharmouthi  de  l'an  27  d'Amasis  à  68  ans,  10  mois,  2  jours.  Un  Égyptien,  né  le  i^^  Payni  de  l'an  3 
de  Nékao,  est  mort  le  6  Paophi  de  l'an  35  d'Amasis  à  71  ans,  4  mois,  6  jours.  Un  Apis,  né  le  7  Paophi  de  l'an  16  de  Nékao,  est  mort 
le  6  Phaménoth  de  l'an  23  d'Amasis  à  18  ans,  6  mois, 

^  A  propos  de  l'Apis,  né  le  10  Méchir  de  l'an  53  de  Psammétique  I^^'  et  mort  le  6  Paophi  de  l'an  16  de  Néchao  après  16  ans, 
7  mois,  17  jours.  M.  de  Rougé  fait  observer  :  «  Cette  énonciation  dans  l'épitaphe  est  rigoureusement  exacte  ;  dans  cette  manière  de  compter 
on  a  omis  exprès  les  5  jours  épagomènes  de  la  dernière  année  ;  c'était  la  manière  sacrée  de  compter  les  jours. 

=  A  propos  de  l'Apis,  né  le  7  Paophi  de  l'an  16  de  Néchao  et  mort  le  12  Pharmouthi  de  l'an  12  d'Apriès  après  17  ans.  6  mois 
et  5  jours.  jM.  de  Rougé  dit  :  «Cette  16*^  année  de  Néchao  II  fut  interrompue  par  le  changement  de  règne  aiTivé  entre  les  mois  de 
Paophi  et  de  Phaménoth;  chronologiquement  elle  doit  compter  à  Psammétique.  » 

'  Voici  comment  31.  de  Kougé  comprend  les  trois  dernières  inscriptions.  A  propos  de  l'Apis,  né  le  7  Paophi  de  l'an  16  de  Né- 
chao et  mort  le  G  Phaménoth  de  l'an  23  d'Amasis  à  18  ans  et  6  mois,  il  dit  :  «Pour  que  cette  durée  de  la  vie  du  taureau  soit  parfaite- 
ment exacte,  il  faut  admettre  qu'on  a  compté  jusqu'au  jour  de  sa  mort  inclusivement.  »  Pour  l'Égyptien  né  le  1*^  Epiphi  de  l'an  3 
de  Néchao  et  mort  le  28  Pharmouthi  de  l'an  27  d'Amasis  à  6.ô  ans.  10  mois,  2  jours,  il  dit  :  «Pour  retrouver  ce  total,  il  faut  compter 
ici  les  épagomènes  de  la  dernière  année  et  laisser  en  dehors  le  jour  de  la  mort.  »  Enfin  pour  l'Égyptien  né  le  1**'  Payni  de  l'an  3  de 
Néchao  et  mort  le  6  Paophi  de  l'an  35  d'Amasis  à  71  ans,  4  mois,  6  jours,  il  dit  ;  «Ce  calcul  laisse  au  contraire  en  dehors  les  épagomènes 
de  la  dernière  année  et  comprend  le  jour  de  la  mort.  »  Nous  avons  tenu,  pour  une  question  aussi  importante  que  la  chronologie  de  la 
XXVP  dynastie,  à  donner  tous  les  résultats,  fort  exacts  d'ailleurs,  des  calculs  do  31.  de  Rougé  sur  les  stèles  en  question. 

18* 


140  Eugène  Revillout. 


C'est  donc  à  peine  s'il  reste  un  intervalle  possible  de  deux  ans  entre  l'avènement  de  Psammétiku  I" 
et  la  mort  d'Assaraddon ;  car  les  totaux  des  règnes  égyptiens,  qui  nous  sont  connus  en  majeure  partie 
par  les  stèles  fort  bien  mises  en  lumière  par  M.  de  Roigé,  n'en  permettent  pas  davantage. 

Il  est  vrai  qu'Assurbanipal  monta  sur  le  trône  d'Assyrie  du  vivant  de  son  père  Assaraddon,  qui 
s'était  réservé  le  trône  de  Babylone  lorsque,  malade,  sentant  la  nécessité  d'une  exi)édition  immédiate  en 
Egypte  où  Taliraku  avait  repris  tout  ce  qu'il  avait  conquis  sur  lui,  il  avait  cru  devoir  placer  à  la  tête 
de  ses  vieilles  bandes  des  enfants  d'Assour  son  tils  aîné  jeune  et  plein  d'ardeur. 

On  ne  sait  pas,  au  juste,  combien  Assaraddon  vécut  après  l'installation  d'Assurbanipal  à  Ninive,  pas 
plus  qu'on  ne  sait  au  juste  combien  il  régna  à  Babylone  du  temps  de  son  père  Seunachérib,  après  que 
celui-ci  l'y  eut  installé  comme  roi,  tout  en  restant  lui-même  roi  de  Ninive;  (peut-être  deux  ans,  ce  (|ui  por- 
terait à  24  ans  le  règne  de  Sennachérib  à  pjirtir  de  l'installation  qu'il  fit  d'abord  de  Bélibus).  Jlais  ce 
qu'on  sait  avec  certitude  par  le  canon  astronomique  des  rois,  c'est  que  le  règne  d'Assuraddon  à  Babylone 
fut  en  tout  de  13  ans,  y  compris  le  temps  où  il  y  régnait  déjà  pendant  que  son  père  régnait  à  Ninive  et 
y  compris  le  temps  où  il  y  régnait  encore  pendant  que  sou  fils  régnait  à  Ninive. 

Si  donc  on  ne  peut  pas  abaisser  au-dessous  de  la  première  année  du  règne  d'Assurbanipal  la 
24'  année  du  règne  égyptien  de  Tahraku,  on  ne  peut  pas  abaisser  non  plus  au-dessous  de  la  première  année 
du  règne  d'Assuraddon  —  époque  où  Sennachérib  était  encore  roi  d'Assyrie  —  la  14«  année  du  régne 
égyptien  de  Tahraku.  " 

Telles  sont  les  données  certaines  qu'à  propos  du  n°  13228  D,  j'ai  essayé  de  faire  cadrer  avec  les  récits 
bibliques,  en  me  rappelant  que  Tahraku  ne  pouvait  pas  venir  d'Ethiopie  en  Judée,  sans  que  l'Egypte  fut 
traversée  par  lui,  sans  qu'il  y  trouvât  son  passage  toujours  assuré,  sans  qu'il  y  fut  maître. 

Kevenons-en  à  la  mention  curieuse  de  l'an  26  du  règne  de  Tahraku  dans  notre  stèle  du  Sérapéum 
de  Memphis.  On  peut  se  demander  si,  à  cette  époque  très  proche  de  sa  mort,  Tahraku  n'avait  pas  déjà 
été  battu  et  repoussé  de  la  Basse-Egypte  par  Assurbanipal,  lors  de  la  première  campagne  que  le  con- 
quérant assyrien  fit,  aussitôt  monté  sur  le  trône.  Mais  d'après  les  cylindres  mêmes  d'Assurbanipal,  nous 
pouvons  juger  que  Tahraku  restait  encore  après  cela  le  roi  légitime  aux  yeux  de  la  plupart  des  Égyptiens. 
Assurbanipal,  laissant  une  armée  dans  cette  Egypte  qu'il  croyait  avoir  à  jamais  soumise,  était  à  peine 
rentré  à  Ninive  que  déjà  ces  princes  locaux,  auxquels  il  avait  prodigué  le  titre  de  roi  et  qui  n'étaient  que 
des  préfets,  des  gouverneurs,  aux  yeux  du  Pharaon  représentant  Amon  sur  la  terre,  écrivaient  à  ce  Pha- 
raon, à  Tahraku,  pour  lui  demander  de  venir  à  leur  tête  chasser  les  étrangers  impurs.  Le  prince  de  Memphis 


1  11  est  incùntestivlile  que  dans  les  copies  des  récits  bibliques  que  nous  possédons  actuellement  il  y  a  de  grosses  erreurs  de 
chiffres.  En  effet  les  textes  assyriens  prouvent  que  Sargon  prit  Samario  tout  au  commencement  de  son  règne.  11  faudrait  donc  qu'il  eut 
régné  moins  de  neuf  ans  pour  que  son  successeur  Sennachérib  eut  fait  menacer  Ezéchias  en  Fan  14  du  règne  de  celui-ci.  Or,  d'après  celle 
des  listes  d'éponymies  assyriennes  qui  est  numérotée  troisième  dans  les  publications  du  British  Muséum ,  le  règne  de  Sargon  aurait 
commencé  à.  l'année  qui  porte  son  nom,  comme  c'est  du  reste  la  coutume  pour  les  rois  assyriens,  comme,  par  exemple,  le  règne  de  son 
prédécesseur  Salmanasar.  L'absence  du  trait  séparateur  des  règnes  avant  l'éponymie  de  Sargon  dans  d'autres  copies  de  ces  listes  s'ex- 
pliquerait très  bien  si  Sargon  avait  d'abord  été  .issocié  à  la  couronne  par  Salmanasar  du  vivant  de  celui-ci.  et  si  c'était,  par  exemple, 
lui  qui,  en  qualité  de  général  et  au  nom  de  Salmanasar,  avait  commencé  le  siège  de  trois  ans  à  la  suite  duquel  Samarie  fut  prise  an 
début  de  son  règne.  On  a  supposé  généralement  que  ce  règne  a  duré  au  moins  17  ans,  parce  que  dans  les  inscriptions  de  Sargon  il  est 
question  de  sa  quinzième  campagne.  Mais  dans  les  textes  assyriens  le  chiffre  des  campagnes  de  roi  est  loin  de  répondre  toujours  il  ses 
années  de  règne.  Assurbanipal  notamment,  qui  monta  sur  le  trône  à  Ninive  avant  que  Saosdukin  son  frère  ne  devint  roi  de  Babylone, 
raconte  avoir  renversé  ce  frère  et  causé  sa  mort  dans  sa  sixième  campagne.  Or,  le  canon  astronomique  des  rois,  toujours  absolument 
exact,  nous  fait  savoir  que  Saosdukin  a  régné  20  ans.  Les  calculs  basés  sur  les  campagnes  sont  donc  infiniment  moins  sûrs  que  les  cal- 
culs basés  sur  les  listes  d'éponymies;  car  il  peut  y  avoir  deux  campagnes  différentes  dans  la  même  année,  comme  il  peut  y  avoir  plu- 
sieurs années  sans  campagne.  Et,  d'ailleurs,  pour  un  général  associé  au  trône  la  tentation  de  faire  figurer  les  campagnes  antérieures 
pourrait  être  grande. 

Si,  conformément  à  la  liste  d'éponymie  n°  3,  on  attribue  au  règne  de  Sargon  les  14  années  dont  la  première  porte  effectivement 
le  nom  de  Sargon  et  qui  précèdent  le  trait  séparatif  où  commence  le  règne  de  Sennachérib,  on  trouve  qu'Ezéchias  avait  atteint  sa 
20**  année  de  règne,  c'est-à-dire  avait  régné  19  ans  complets  quand  Sennachérib  monta  sur  le  trône.  Or,  les  tablettes  babyloniennes  nous 
disent  que  Sennachérib  prit  Babylone  et  y  installa  Bélébus  dès  le  commencement  de  son  règne,  comme  elles  nous  avaient  dit  que  Sargon 
prit  Samarie  après  trois  ans  de  siège  dès  le  commencement  de  son  règne. 

L'installation  de  Bélibus  à  Babylone  nous  fournit  une  date  absolument  fixe,  car  le  canon  astronomique  des  rois  mis  en  tête  des 
œuvres  de  Ptolémée  établit  pour  cette  période  la  liste  des  rois  de  Babylone  avec  la  durée  de  leur  règne.  L'avènement  de  Bélibus  précéda 
de  22  ans  celui  d'Assuraddon,  fils  de  Sennachérib,  et  Assuraddon,  auquel  son  père  céda  cette  ville  de  son  vivant,  y  régna  13  ans,  pendant 
lesquels  il  ne  régnait  plus  qu'à  Babylone,  parce  que.  malade,  n'ayant  plus  la  force  de  faire  lui-même  une  nouvelle  campagne  d'Égj-ptc, 
devenue  urgente,  il  avait  cédé  à  son  tour  de  son  vivant  une  de  ses  couronnes,  celle  d'Assyrie,  à  son  fils  Assurbanipal,  L'avènement  de 
Bélibus  est  donc  séparé  de  la  première  expédition  d'Assurbanipal  en  Egypte  par  un  intervalle  de  35  ans,  intervalle  durant  lequel  Tabr.\ku 
régna  en  Egypte  pendant  26  ans  environ. 

La  première  année  de  Tahraku  coïnciderait  d'après  ce  calcul  avec  la  29"  année  du  règne  d'Ezéchias  en  Judée  et  avec  la  10"=  année 
du  règne  de  Sennachérib  en  AssjTie.  Une  mise  en  action  simultanée  de  ces  trois  rois  ne  serait  pas  impossible  alors  qu'on  admettrait 
pour  le  règne  d'Ezéchias  le  chiffre  de  29  ans  fourni  par  les  copies  actuelles  de  la  Bible.  Mais,  nous  avons  vu  antérieurement  que  cette 
durée  de  29  ans  devait  éti'e  probablement  corrigée,  et  que.  dans  tous  les  cas.  sans  aucun  doute  —  cela  est  admis  par  tout  le  monde  — 
il  fallait  ch.inger  la  date  de  l'an  14  d'Ezéchias  que  les  textes  portent  actuellement.  ., 


Quelques  documents,  etc.  141 

et  de  Sîiïs,  Niku,  est  désigné  par  Assurbanipal  comme  un  des  chefs  de  cette  conspiration.  Malhenreiisement 
le  messager  que  les  princes  de  la  Basse-Égj'pte  avaient  envoyé  à  Tahraku  fut  supçonné,  la  lettre  saisie, 
la  plupart  des  princes  conjurés  arrêtés,  et  Niku,  entre  autres,  chargé  de  chaînes,  conduit  vers  le  roi  de 
Ninive.  Peu  de  temps  après  on  apprenait  en  Assyrie  que  le  neveu  et  successeur  de  Tahraku,  Urdamani, 
rentré  victorieusement  dans  la  Basse-Egypte,  assiégeait  Mempliis,  ville  que  les  Assyriens  occupaient  et 
gouvernaient  directement  depuis  l'arrestation  de  Niku.  Celui-ci,  pour  sauver  sa  vie,  tit  sans  doute  tous  les 
serments  qu'on  exigea  de  lui.  On  le  renvoya  comblé  d'honneius;  mais  il  ne  paraît  pas  qu'il  rentra  jamais 
à  Memphis,  ville  occupée  par  les  enfants  d'Assur,  c'est-à-dire  par  l'armée  assyrienne  et  qu'Urdamani 
assiégeait  lorsqu'il  fut  à  son  tour  battu  et  refoulé  jusqu'en  Ethiopie.  Il  est  probable  que  les  Assyriens 
restèrent  à  Memphis  jusqu'à  l'expédition  éphémère  de  Eabaku  et  la  mise  à  mort  de  Niku,  dont  nous  aurons 
à  parler  plus  loin.  Mais  la  présence  ou  l'absence  de  Niku,  '  comme  celle  de  Tahraku,  en  l'an  a6,  importe 
peu,  puisque  sous  le  règne  de  Psammétiku,  quand  fut  écrite  la  stèle  en  question,  ce  roi  Psammétiku  était 
considéré  par  tous  les  Égyptiens  de  Memphis  ou  d'ailleurs  comme  le  successeur  légitime  de  la  dynastie 
éthiopienne  descendant  des  prêtres -rois  de  la  dynastie  thébaine,  et  dont  les  droits  sur  toute  l'Egypte 
n'avaient  pas  subi  d'interruption  par  le  fait  des  invasions  d'étrangers  impurs. 

Tout  marche  ainsi  à  merveille  pour  la  chronologie  du  règne  égypto- éthiopien  de  Tahraku,  telle 
qu'elle  nous  est  fournie  par  notre  stèle  du  Sérapéum,  et  il  ne  nous  reste  plus  qu'à  nous  occuper  de  la 
seconde  question  prévue  par  nous  au  commencement  de  cette  notice,  c'est-à-dire  de  l'époque  de  l'inter- 
valle (interrègne  ou  dodécarchie)  qui  sépare  d'après  la  même  stèle  la  mort  de  Tahraku  de  l'avènement  de 
Psammétiku  1"'. 

Cette  durée  est  fort  courte  et  notablement  différente  de  celle  de  15  ans  que  suppose  Hérodote  entre 
le  départ  des  Éthiopiens  et  le  récit  très  légendaire  de  l'accession  du  nouveau  roi  au  trône. 

Il  est  à  peine  besoin  de  dire  que  je  ne  crois  pas  du  tout  pour  ma  part  aux  beaux  récits  sur  le 
casque  d'airain,  sur  les  Grecs  arrivant  comme  le  deus  ex  machina  pour  secourir  le  prétendant,  etc.  Que 
Psammétiku  se  soit  servi  des  Grecs,  cela  est  incontestable.  Qu'il  les  ait  établis  à  Naucratis,  cela  n'est  pas 
douteux.  Mais  les  Grecs  se  vantaient  fort  quand  ils  intervertissaient  les  rôles,  faisaient  de  leur  protecteur 
leur  protégé  et  prétendaient  l'avoir  mis  sur  le  trône.  Sous  bénéfice  d'inventaire  on  doit  recevoir  égale- 
ment tout  ce  qui  concerne  la  dodécarchie.  Qu'il  y  ait  eu  en  Egypte  douze  dynastes  et  même  davantage 
sous  Pianchi,  sous  Shabaku,  sous  Tahraku,  et  Assurbanipal  et  même  entre  la  mort  de  Tahraku  et  la  pro- 
clamation de  Psammétiku,  c'est  certain.  La  stèle  du  songe  nous  démontre  la  chose  pour  cette  dernière 
période,  nous  le  verrons,  tout  autant  que  les  documents  déjà  cités  plus  haut,  p.  136  et  suiv.,  la  démontraient 
pour  l'époque  immédiatement  antérieure.  Mais  ce  n'est  pas  du  tout  ce  que  prétendait  Hérodote  relativement 
à  cette  confédération  de  princes  égaux  qui  se  serait  établie  après  le  départ  des  Éthiopiens,  et  c'est  bien  loin 
également  de  ce  que  prétendait  Manéthon  en  intercalant  entre  Tahraku  et  Psammétiku  1"  la  consécution 
régulière  des  règnes  saïtes  de  Stèphinates,  Néchépsos  et  Néchao.  Pour  cette  période  donc  comme  pour 
les  autres  —  au  moins  jusqu'à  ce  que  les  Grecs  arrivés  en  Egypte  sous  Psammétiku  1"  aient  pu  prendre 
des  notes  régulières  —  il  ne  nous  faut  tenir  qu'un  compte  très  médiocre  d'Hérodote,  qui  parle  surtout 
d'après  eux;  et  il  en  est  de  même  de  Manéthon,  de  ce  Manéthon  dont  la  lettre  à  Philadelphe,  qui  a  servi 
surtout  à  fixer  sa  date,  est  certainement  apocrj^phe  d'après  le  jugement  de  Letkonne,  —  ne  pouvant  pas 
être  antérieure  à  l'ère  chrétienne,-  —  dont  le  nom  n'est  pas  égyptien,'  mais  probablement  grec  —  ayant 
été  porté  par  des  Grecs  en  assez  grand  nombre,  absolument  étrangers  à  l'Egypte,  —  et  dont  les  rhapsodies, 


'  Niku  garda  seulement  saus  doute  la  principauté  de  Sais  pendant  que  l'armée  ass3'rienne  occupait  Memphis.  Il  est  vrai  que, 
selon  les  cylindres  d'Assurl)anipal,  on  donna  alors  comme  compensation  à  son  fils  Nébosalimanni  la  ville  d'Athribis  enlevée  à  Bukannili. 
Ajoutons  du  reste  que  Nébosalimanni.  fils  de  Niku,  ne  doit  nullement  être  confondu  avec  Psammétiku,  fils  de  Niku,  qui  régna  plus  tard 
sur  toute  l'Egypte  du  vivant  d'Assurbanipai,  et  que  le  monarque  assyrien  nomme  lui-même  Pisarailki  ou  Pisaraitki  dans  ses  cylindres. 
Probablement  ce  Nébosalimanni,  qui  avait  accepté  un  nom  assyrien  quand  son  père  prêta  à  l'étranger  serment  d'allégeance,  étant  devenu 
l'objet  de  l'indignation  générale,  fut  tué  en  même  temps  que  sou  père  Niku  par  les  Éthiopiens  de  Eabaku,  au  moment  où,  selon  Hérodote, 
Psammétiku  lui-même  se  sauvait  en  Syrie.  C'est  ainsi  que  Psammétiku  —  auquel  personnellement  on  n'avait  rien  à  reprocher  —  hérita 
des  droits  de  sa  souche  (éthiopienne  aussi  d'origine). 

2  C'est  à  cette  période  que  se  rapportent  sans  aucun  doute  (en  laissant  de  côté  les  listes  de  rois  qui  peuvent  avoir  été  copiées 
à  toute  époque)  la  plupart  des  morceaux  qui  nous  sont  donnés  comme  de  ce  Manéthon  —  y  compris  même  le  fameux  morceau  sur 
les  juifs  et  les  pasteurs  que  Josèphe  a  utilisé  le  premier  (c'est  en  effet  la  première  en  date  des  citations  de  Manéthon)  et  que  re- 
produit Eusèbe  avec  tant  de  complaisance.  Ce  morceau  ne  peut  pas  être  antérieur  de  beaucoup  au  temps  même  de  Josèphe,  c'est-ii-dire 
à  une  époque  où  l'on  ne  connaissait  qu'il  peine  l'ancienne  langue  égyptienne  et  où  l'on  unissait  dans  de  bizarres  barbarismes  des  mots 
hiéroglyphico-démotiques  comme  liik  à  des  mots  coptes  comme  mtoc  «pasteur»  tout  différent  de  l'ancien  sliasn  «nomade»,  etc.  etc. 
Cela  rappelle  tout-à-fait  les  prosédés  de  Plutarque  pour  l'étymologie  d'Osiris  signifiant,  selon  lui,  (ouj-eiep^  «beaucoup  d'yeux», 
etc.  etc.  Si  du  reste  Manéthon  était  un  contemporain  de  Philadelphe,  il  aurait  été  connu  de  Diodore  de  Sicile,  etc. 

'  La  prétendue  étymologie  de  Ma-n-thot  «le  don  de  Thot»  est  tout-ii-fait  inadmissible.  Le  don  de  Tbot  se  serait  dit  alors 
«peti  Thot». 


142  Eugène  Revillout. 


écrites  en  grec,  ramassées  sans  discernement,  seraient  encore,  si  on  admettait,  par  impossible,  qu'elles 
remontent  jusqu'à  Philadelphe,  plus  éloignées  des  événements  que  les  récits  recueillis  par  Hérodote.  ' 

C'est  aux  documents  originaux  qu'il  nous  faut  surtout  recourir. 

Parmi  ces  documents  je  citerai  en  première  ligne,  après  notre  stèle  tl'Apis,  les  cylindres  d'Assur- 
banipal  qui  la  commentent  et  l'expliquent. 

Selon  le  récit  du  roi  assyrien,  Urdaraani,  fils  de  Shabaku  et  de  la  sœur  de  Tahraku,  monta  sur  le 
trône  après  la  mort  de  Tahraku,  se  fortifia  d'abord  dans  Thèbes  et  Hermonthis,  la  ville  voisine,  y  réunit 
son  armée,  mit  en  mouvement  toute  sa  force  guerrière  pour  combattre  les  Assyriens,  les  fils  d'Assour,  qui 
se  trouvaient  dans  Memphis,  assiégea  cette  ville,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  et  la  bloqua  étroitement. 
Un  messager  vint  annoncer  cette  nouvelle  à  Ninive  et  Assurbanipal  courut  au  plus  vite  au  secours  de 
la  ville  assiégée.  Ce  fut  sa  seconde  expédition  en  Égj'pte  et  en  Ethiopie  —  après  celle  dans  laquelle  il 
avait  défait  Tahraku  —  et  elle  fut  faite  probablement  pendant  la  deuxième  année  de  son  règne.  Urdamani, 
aussitôt  qu'il  apprit  l'arrivée  du  monarque  assyrien  en  Egypte,  abandonna  Memphis  pour  se  retirer  dans 
Thèbes  où  il  fut  i)oursuivi  et  battu  par  Assurbanipal,  etc.  Cette  expédition  fut  très  rapide  et  la  ruine 
complète  d'Urdamani  suivit  de  très  prés,  tout  au  plus  de  quelques  mois,  ses  triomphes  momentanés.  Eien  ne 
nous  gêne  donc  sous  ce  rapport  pour  la  chronologie  de  la  stèle  d'Apis.  Le  récit  d' Assurbanipal  se  trouve, 
du  reste,  confirmé  par  les  inscriptions  hiéroglyphiques  thébaines  de  Rutamen  ou  Amenrut,  dont  les 
cylindres  assyriens  transcrivent  le  nom  Urdamani,  d'après  l'ordre  syntaxique,  et  confirmé  aussi  par  les  listes 
de  Manéthon'  qui  le  placent  immédiatement  après  Tahraku,  mais  dans  la  prétendue  dynastie  saïte,  sous 
le  nom  d'«Amerys,  l'Éthiopien»  A|jL|jispt;  AiSioi,  c'est-à-dire,  en  suivant,  pour  la  transcription  grecque,  l'ordre 
dans  lequel  sont  placés  en  hiérogly^ihes  les  éléments  constitutifs  de  ce  nom  où  l'on  met  par  honneur  en 
tête  le  nom  divin.  ^ 

Après  la  mort  d' Amenrut  ou  Urdamani  on  n'en  eut  pas  fini  avec  les  Éthiopiens,  toujours  appelés 
comme  libérateurs  par  les  Égyptiens.  Plus  haut  p.  119  nous  avons  déjà  dit  quelques  mots  du  prince  qui 
représentait  alors  la  monarchie  amonienne  des  prêtres  d'Amon.  C'était  un  nommé  Rabaku-tonuatamen 
qu'Hérodote  semble  avoir  sans  cesse  confondu  dans  ses  récits  avec  Shabaku  à  cause  de  l'analogie  de  nom. 
Shabaku  avait  commencé  l'occupation  durable  de  l'Egypte  par  la  dynastie  éthiopienne.  Rabaku  l'avait 
terminée,  après  environ  ôO  ans  de  règne  de  cette  dynastie.  C'est  pour  cela  qu'Hérodote  attribue  50  ans 
de  règne  à  Shabaku,  dont  il  fait  l'unique  roi  éthiopien  d'Egypte.  C'est  pour  cela  aussi  qu'il  attribue  à 
Shabaku  les  songes,  les  meurtres  et  toutes  les  aventures  de  Rabaku.  Selon  Hérodote,  Shabaku  était  venu 
en  Egypte  à  la  suite  d'un  songe  qui  lui  parut  une  révélation  divine  et  lui  en  promettait  l'empire.  l\  se 
serait  retiré  ensuite,  sans  motifs  sérieux,  à  la  suite  d'un  autre  songe,  après  cependant  avoir  tué  Niku,  père 
de  Psammétiku,  et  avoir  fait  poursuivre  ce  dernier  qui  se  réfugia  en  Syrie  d'où,  une  fois  les  Ethiopiens 
expulsés,  il  revint  régner  quelque  temps  après.  Tout  cela,  nous  l'avons  dit,  ne  peut  s'appliquer  sans  un 
horrible  anachronisme  à  Shabaku,  auquel  succédèrent  en  Egypte  Shabataku,  Tahraku,  Urdamani,  princes 
dont  les  deux  derniers  au  moins  eurent  affaire  à  Niku,  père  de  Psammétiku.  Jlals  cela  s'applique  au  contraire 
très  bien  à  Rabaku  tonuatamen,  l'auteur  de  la  stèle  du  songe  si  bien  étudiée  par  Mariette  et  Maspeko;  et  le 
nouveau  conipiérant  de  l'Egypte.  A  cette  époque  l'armée  assyrienne  paraît  avoir  été  rappelée  jjour  en  finir 
avec  d'autres  révoltes  plus  dangereuses  pour  son  souverain.  Paki-uru,  prince  de  Pisoupti  (nome  Arabia), 
qui,  selon  Assurbanipal,  après  avoir  reconnu  l'autorité  des  Assyriens,  s'était  entendu  avec  Niku,  prince  de 
Sais  et  de  Memphis,  pour  livrer  de  nouveau  l'Egypte  à  Tahraku  —  occasion  à  propos  de  laquelle  Niku  avait 
été  emmené  prisonnier  en  Assyrie,  —  et  qui  s'était  maintenu  dans  sa  ville  forte  de  Pisoubti,  tandis  que  les 
villes  de  ses  co-conjurés  étaient  livrées  au  massacre,  une  fois  les  Assyriens  partis,  joua  de  nouveau  dans 
la  stèle  du  songe  un  rôle  analogue  à  celui  qu'il  avait  joué  déjà  du  temps  de  Tahraku  et  il  acclama  le  nou- 
veau roi  éthiopien,  qui  l'accueillit  à  merveille.  Mais  il  n'en  fut  pas  de  même  pour  son  ancien  complice  Niku, 
auquel  Rabaku  reprochait  sa  trahison  enver.s  la  dynastie  éthiopienne  dont  il  descendait,  trahison  constatée 
par  les  nombreux  présents  qu'il  avait  rapportés  d'Assyrie  et  par  le  nom  assyrien  d'un  de  ses  fils.  H  le  fit 
donc  mettre  à  mort,  comme  l'a  dit  Hérodote,  probablement  en  même  temps  que  son  fils  Nébosalimanni  et 
fit  poursuivre  jusqu'à  Psammétiku.  C'est  pour  cela  qu' Assurbanipal,  qui  nous  raconte  avec  tant  de  détails 
la  trahison,  la  prise,  le  voyage  de  Niku  à  Ninive,  l'investiture  à  lui  conférée  pour  Sais  et  en  même  temps 
l'investiture  donnée  à  son  fils  Nébosalimanni  pour  Athribis,  de  même  qu'il  nous  raconte  longuement  l'ex- 


*  Le  seul  avantage  réel  de  Manéthon  c'est  d'avoir  fait  traduire  en  caractères  grecs  les  listes  hiéroglyphiques  de  rois  copiées  sur 
les  murailles  des  temples  et  dont  plusieurs  sont  arrivées  jusqu'à  nous  (ainsi  que  le  papyrus  hiératique  analogue  de  Turin).  Mais  il  les 
combine  malheureusement  avec  des  renseignements  de  toute  provenance. 

=  D'après  Eusèbe,  St  Jérôme  et  le  Syncelle. 

3  Nous  avons  déjà  fait  remarquer  qu'Amérys  est  formé  sur  Amenrut  de  la  même  façon  qu'Amyrtée  sur  Araenher  qui  nous  est 
donnée  par  la  chronique  démotiqae  de  Paris,  etc.  etc.  Le  n  s'élidait  souvent,  ainsi  que  le  t,  comme  on  le  voit  pour  le  mot  sutm  dans 
les  transcriptions  grecques  Amonvasuter.  Je  connais  de  nombreux  exemples  égypto-grecs  de  cette  même  élision. 


Quelques  docujients,  etc.  143 


pédition  d'Urdamani  et  sou  épouvantable  désastre,  ne  mentionne  en  aucune  façon  la  mort  violente  de  son 
vassal  Niku,  qu'on  attribue  parfois  à  tort  à  Urdamani.  Cette  mort  violente  ne  put  donc  avoir  lieu  que  sous 
Kabaku,  quand  déjà  Assurbanipal  avait  pratiquement  renoncé  à  cette  Egypte  dont  il  est  obligé  d'avouer 
un  peu  plus  tard  que  Psamilku  était  devenu  roi. 

Quant  au  récit  qu'Hérodote  nous  fait  relativement  à  l'oracle  qui  avait  fait  venir  Shabaku  en  Égj-pte, 
ce  récit  est  probablement  basé  sur  le  songe,  interprété  comme  un  oracle  par  les  prêtres,  qui  nous  est  connu 
par  les  récits  mêmes  de  Rabaku-tonuatamen  dans  sa  stèle.  Ce  songe  eut  d'ailleurs  toxis  ses  efl'ets  :  le  nou- 
veau roi  éthiopien  fut  proclamé  par  tous  en  Egypte  et  on  ne  voit  pas  d'autre  explication  possible  de  son 
départ  que  le  nouveau  songe  rapporté  par  Hérodote  songe  qui  lui  fait  quitter  l'Egypte  de  son  propre  mouve- 
ment, parce  que  les  dieux  lui  commandaient,  comme  plus  tard  à  l'Éthiopien  Ergaméne  (conf.  Second  mé- 
moire sur  les  Blemmyes,  p.  2  et  3)  de   massacrer  tous  les  prêtres.   Après  son  départ  —  tranchons  le  mot 

—  son  abdication  volontaire,  presque  immédiate,  les  légitimistes  égyptiens,  habitués  à  la  dynastie  amonienne 
de  ces  rois  éthiopiens  descendant  des  rois-prêtres  d'Amon  de  la  XXI"  dynastie,  durent  nécessairement 
songer  à  la  branche  cadette  de  cette  même  dynastie,  c'est-à-dire  à  Psammétiku,  fils  de  Niku. 

Nous  avons  déjà  longuement  insisté  à  plusieurs  reprises  sur  les  raisons  qui  nous  font  considérer 
cette  famille  comme  se  rattachant  à  la  famille  ro3ale  éthiopienne.  Ainsi  que  l'a  déjà  dit  Beugsch,  les  noms 
seuls  suffiraient  pour  établir  une  origine  éthiopienne.  En  effet  Niku  et  Psammétiku  sont  formés  comme 
Shabaku,  Shabatoku,  Tahraku,  Rabaku,  Silku,  etc.  etc.  à  l'aide  du  suffixe  éthiopien  très  connu  ku,  qui  est 
si  bien  séparable  du  nom  qu'il  en  est  effectivement  séparé  pour  Shabaku,  appelé  Seva  ou  Saba,  par  les 
Hébreux,  les  Assyriens,  etc.  De  même  Psammétiku  II  et  III  sont  appelés  Psammis  et  Psamménite  par 
Hérodote  avec  chute  de  la  syllabe  ku.  Et  puis,  sans  parler  ici  de  très  nombreux  mariages  de  cette  famille 
avec  la  famille  royale  éthiopienne,  il  est  certain  que  Psammétiku  lui-même  était  de  la  même  race  royale 
éthiopienne,  ainsi  que  tous  les  princes  qui  portaient  son  nom  bien  éthiopien.  Je  n'en  veux  potir  preuve 
que  la  généalogie  (donnée  par  Lepsuts  dans  le  Koniqshuch,  p.  620  et  suivantes),  généalogie  qui  rattache  à  la 
fille  royale  éthiopienne  Mautiritis  un  nommé  Uahabra  (mot  composé  dont  Psammétiku  l"'  fit  plus  tard  son 
prénom  royal)  qui  fut  lui-même  père  d'nn  nommé  Psammétiku,  etc.,  en  même  temps  qu'elle  rattache  à  la 
même  origine  une  princesse,  nommée  Shapenap  (et  par  conséquent  homonyme  de  la  femme  de  Psammétiku  !"■). 
Le  roi  Psammétiku  paraît  donc  avoir  réuni  comme  uom  et  comme  prénom  les  appellations  de  deux  de  ses 
ancêtres  de  race  royale  éthiopienne.  Mais,  nous  l'avons  remarqué  déjà,  il  est  une  démonstration  encore 
plus  convaincante,  c'est  celle  qui  nous  est  fournie  par  la  comparaison  de  nos  contrats.  Les  formules  amo- 
niennes  officielles  n'appartiennent  qu'à  la  famille  amonienne  d'Ethiopie  descendant  des  prêtres  d'Amon 
de  la  XXI"  dynastie,  et  ces  formules,  qu'on  ne  rencontre  pas  sous  le  roi  saïte  Bocchoris  et  qui  disparaissent 
sous  l'usurpateur  Amasis,  se  retrouvent,  à  propos  du  prêtre  d'Amon  et  du  roi  par  exemple,  sous  Shabaku, 
sous  Tahraku,  comme  sous  Psammétiku  et  tous  ses  descendants. 

Dans  notre  stèle  officielle  d'Apis,  du  reste,  Psammétiku  se  donne  lui-même  comme  le  successeur 
légitime  et  à  peu  prés  immédiat  du  roi  Tahraku,  par  les  années  duquel  il  date  à  Memphis  même  la  naissance 
d'Apis,  au  lieu  de  la  dater  par  les  années  de  son  père  Niku,  vivant  encore  en  l'an  26  de  Tahraku  —  tout 
le  monde  l'admet  et  les  cylindres  d'Assm-banipal  y  obligent  —  ce  qui  eut  eu  certainement  lieu,  si  son  père 
Niku  avait  effectivement  été  souverain,  comme  on  le  prétend,  et  avait  eu  droit  aux  cartouches  dans  sa 
principauté  en  question.  Il  est,  en  effet,  impossible  d'admettre  que  sous  son  propre  règne,  en  l'an  20,  alors 
qu'il  n'avait  personne  à  ménager  et  que  les  Éthiopiens  ne  possédaient  plus  rien  en  Egypte,  un  Pharaon 
du  nord  et  du  midi  comme  Psammétiku,  ait  substitué  à  la  royauté  légitime  de  son  père  dans  une  inscrip- 
tion tout-à-fait  officielle,  je  le  répète,  du  territoire  paternel  de  Memphis  et  de  Sais,  la  royauté  de  celui 
qu'on  représente  comme  son  principal  adversaire.  Notre  stèle  du  Sérapéum  terminerait  donc,  à  elle  seule, 
la  question  en  démontrant  que  Psammétiku  considérait  Tahraku  comme  son  prédécesseur  légitime,  dont  il 
tenait  les  droits  par  le  sang  même,  et  qu'on  ne  doit  pas  plus  reconnaître  comme  roi  de  Memphis  et  Sais 
Niku  I"  '  —  que  tout  le  reste  de  la  série  manéthonienne,  que  Néchépsos,  Stéphinatés  et  un  Ethiopien  Amerys 

—  tous  d'origine  absolument  différente  d'ailleurs  les  uns  des  autres.  —  C'est  ce  que  nous  avons  voulu 
établir  ici  en  rectifiant  une  histoire  déformée  à  plaisir  par  Manéthon.' 


'  Nous  avons  dit  d'ailleurs  plus  haut  que  Kiku.  père  de  Psammétiku,  avait,  pavait-il,  été  nommé  prince  de  Memphis  et  de  Sais 
(titre  que  portait  Tafnekht.  père  de  Bocchoris  du  temps  de  Piankhi)  au  moment  où  Shabaku  venait  de  tuer  Bocchoris  et  prohablement 
par  Shabaku  lui-même  qui  voulait  avantager  aussi  un  parent  éloigné. 

*  I!  est  vrai  qu'il  faut  faire  aussi  une  part  de  responsabilité  à  ceux  qui  nous  ont  fourni  les  exti'aits  de  Maaéthon.  Rien  ne 
prouve,  par  exemple,  que  Manéthon  lui-même  ait  mis  à  la  fia  de  chaque  dynastie  les  additions  qui  s'y  trouvent  et  réunissent  ensemble 
dans  un  même  total  toutes  les  années  de  règne  des  rois  nommés  pour  cette  dynastie.  Manéthon  s'est  borné  peut-être  à  mettre  en  face 
les  unes  des  autres  les  dynasties  bubastite,  tanite,  la  dynastie  du  seul  Bocchoris,  la  dynastie  éthiopienne  et  la  dynastie  saîte  en  croyant 
devoir  indiquer  pour  celle-ci  le  père  du  premier  roi  et  quelques  roitelets  d'époque  saïte.  ses  contemporains,  recueillis  de  côté  et  d'autre. 


144  Eugène  Revillout. 


REGNE  DE   PIANKHl  II. 
100  sculp.  234. 

Stèle  représeutant  en  haut  le  disque  ailé  appelé  «Hut,  le  dieu  grand,  seigneur  du  ciel». 

Plus  bas  le  roi  Ramenkheper  Piankhii  (Piankhi  II),  suivi  de  sa  royale  fille  Mautiritis, 
adore  la  déesse  thébaine  Moût. 

Le  roi  Piankhi  a  ici  la  légende  «Horsamtaui,  maître  des  diadèmes,  le  protecteur, 
l'Horus  d'or  qui  multiplie  les  victoires  (ou  les  prouesses),  le  roi  Ramenkheper,  fils  du  soleil, 
Piankhi,  aimé  de  Mont  (le  dieu  de  la  guerre),  seigneur  de  Thèbes».^  Il  est  debout,  tenant 
d'une  main  le  fouet,  symbole  de  sa  puissance,  et  recevant,  en  face  de  la  bouche,  les  hiéro- 
glyphes de  la  stabilité  de  vie  qui  sortent  du  sceptre  uas,  tenu  par  la  déesse.  Derrière  lui 
«  sa  royale  fille,  palme  d'amour,  prophétesse  de  Maut,  prophétesse  d'Hathor,  Mautiritis»^  agite 
le  sistre.  Une  légende,  placée  entre  le  roi  et  sa  fille,  nous  apprend  le  motif  de  cette  double 
adoration*  :  «Est  venu,  avec  stabilité  de  prospérité  à  toujours,  se  concilier  Maut,  dame  d'Ashur, 
celui  qui  est  doné  d'une  vie  solide  comme  le  ciel,  le  fils  du  soleil  Piankhi».  A  cela  la  déesse 
répond °  :  «Tu  es  dieu  bon  vivant  comme  le  soleil,  ô  roi  Ramenkheper,  fils  d'Amon,  enfanté 
par  Maut,  Piankhi.  (Je  t'accorde  dans  Thèbes)  toute  puissance»  et  la  réunion  (à  toi)  de  la 
domination  de  la  brillante  couronne  du  midi"  à  sa  place  eu  elle  (dans  la  ville  de  Thèbes).  » 

Vient  ensuite  un  texte  commençant  ainsi'  : 

<:  C'est  une  douce  palme  d'amour  que  la  prophétesse  d'Hathor  Mautiritis,  une  douce 

'  Ce  nom  de  Piankhi  f  □■¥•[][]  I  que  M.  Maspero  avait  essayé  de  lire  (  O  i"""'i  11  []  j  est  tout  à  fait  certain.  Le  □  en  parti- 
culier est  très  bien  formé  et  ne  peut  se  confondre  avec  ©.  Je  distingue  sur  l'estampage  le  -Y-  avant  0  [1  et  je  me  range  par  con- 
séquent complètement  à  l'opinion  de  M.  de  Rongé  disant  :  «il  est  impossible  de  méconnaître  le  nom  de  Pi.%nchi  dans  les  signes  encore 
lisibles  du  cartouche  martelé.»  M.  Maspero  a  été  égaré  par  un  mauvais  plaisant  qui  sur  le  cartouche  (gravé  comme  le  reste  de  l'inscription) 
avait  dessiné  au  crayon  le  signe  l'"""l  qu'un  simple  lavage  a  fait  disparaître.  J'ai  eu  l'occasion  de  constater  plusieurs  faits  de  ce  genre 
dans  notre  Musée  —  par  exemple  dernièrement  encore  l'introduction  nouvelle  d'unités  très  mal  gravées  aux  dates  de  la  stèle  de  Tahraku 
que  Mariette  avait  heureusement  fait  photogi-aphier  pour  son  Sérapéum  et  que  j'avais  souvent  étudiée  immédiatement  avant  la  surcharge. 

•^  Piankhi  est  appelé  dans  l'autre  passage  seigneur  des  deux  couronnes  (celle  qui  était  symbolisée  par  le  vautour  et  celle  qui 
était  symbolisée  par  Turseus)  ce  que  le  décret  de  Rosette  rend  en  grec  par  xupio;  BaaiXsitov  et  en  démotique  par  neb  arai.  Mais  c'est 
l'une  de  ces  deux  couronnes  (celle  de  l'uraeus)  appelée  ici  ut'-t.  qui  est  seule  en  possession  effective  de  Piancbi.  Or  cette  expression  ut'-t 
(bien  qu'elle  se  trouve  au  duel  pour  les  deux  couronnes  dans  d'autres  documents  portant  hek  uaVii)  me  semble  au  propre  le  synonyme 
de  7^e('  déterminé  par  la  couronne  blanche  et  qui  a  souvent  comme  uV  le  sens  de  brillant  (v.  le  décret  de  Rosette  dans  ma  Chreat., 
p.  4S  et  192  pour  -ut'  et  pour  le  symbolisme  des  couronnes).  D'ailleurs,  d'après  le  témoignage  formel  du  même  décret  de  Rosette,  c'est 
l'urseus  figuré  ici  qui  symbolise  le  midi,  tandis  que  le  vautour  symbolise  le  nord  {voir  encore  ma  Chrestotnathie  (h'motique,  p.  48  et  192) 
ce  qui  termine  complètement  la  question.  Piankhi  n'était  que  roi  du  midi.  Il  n'avait  que  la  domination  du  midi.  Ce  texte  avait  passé 
complètement  inaperçu.  Il  est  vrai  qu'il  ne  pouvait  complètement  se  comprendre  avec  son  sens  précis  que  quand  on  avait  étudié  Rosette 
dans  ma  Chre/ttomathie  démotique. 


Quelques  documents,  etc.  145 

palme  d'amour  auprès  du  roi  Eameukheper,  doué  de  vie  :  douce  palme  d'amour  auprès  de 
tous  les  hommes,  elle  est  bien  aimée  des  femmes,  cette  royale  fille,  cette  jeune  jouvencelle, 
dont  on  n'a  pas  vu  la  pareille.  Ses  cheveux  sont  plus  noirs  que  le  noir  de  la  nuit  .  .  etc.  » 
Suit  une  description  détaillée  des  charmes  intimes  de  cette  princesse  (appelée  «palme 
d'amour»  comme  la  reine  Améniritis  et  comme  Akela,  mère  de  Tahraku),  description  dans 
laquelle  nous  ne  voulons  pas  entrer,  pas  plus  que  ne  l'avait  fait  M.  de  Rougé,^  et  pour  la- 
quelle nous  n'avons  qu'à  renvoyer  à  un  article  de  M.  Maspero.  ^ 

Ce  qui  nous  importe  surtout  dans  ce  monument,  c'est  le  côté  historique. 

Nous  savons,  depuis  les  fouilles  de  Greene,  que  Piankhi  ramenkheper  ou  Piankhi  II  (petit-fils  sans 
doute  de  Piankhi  meriamen,  l'adversaire  célèbre  de  Tafnekht  et  grand -père  probablement  de  Piankhi 
rauserma,  le  mari  de  la  reine  Kenensat^)  a  été  le  mari  d'Améniritis  et  le  père  de  la  princesse  Shapenap, 
femme  de  Psammétiku  I"  :  en  un  mot  que  Psammétiku,  descendant  de  la  branche  cadette  de  la  dynastie 
royale  éthiopienne,  avait  voulu  fortifier  les  droits  à  la  succession  de  Tahraku,  qu'il  tenait  de  cette  branche 
par  une  alliance  avec  la  branche  aînée  des  rois  de  Napata.  Son  futur  beau-pére,  Piankhi  II  ramenkheper, 
lui-même,  en  avait  fait  autant.  Descendant  probablement  d'un  des  cadets  de  Piankhi  ï"  meriamen,  il  avait 
cru  utile  d'épouser  Améniritis,  la  fille  de  Kashta,  l'aîné  de  Piankhi  et  de  Shapenap  I'*  (fille  d'Osorkon  III) 
qui  était  aussi  la  sœur  de  Shabaku,  le  fils  et  le  successeur  de  Kashta,  lequel  Shabaku  était  beau-frère 
lui-même  de  Tahraku.  Ce  mariage  avait  sans  aucun  doute  ouvert  la  voie  au  trône  à  Piankhi  II,  en  en 
faisant  en  Ethiopie  et  en  Thébaïde  le  successeur  de  Rabaku  touuatamen,  volontairement  reparti  après 
ses  triomphes  pour  sa  patrie  d'origine  à  la  suite  d'un  songe  et  peut-être  mort  fou.  Le  petit  prince  royal, 
qui  depuis  longtemps  s'était  procuré  une  si  belle  alliance,  avait  tout  naturellement  été  choisi  pour  remplacer 
alors  Rabaku,  et,  paraît-il  d'après  notre  stèle,  il  avait  multiplié  les  victoires  ou  les  prouesses  afin  d'occu- 
per an  moins  la  Thébaïde.  Selon  notre  stèle  encore,  bien  qu'héritier  légitime  de  la  double  couronne,  il 
avait  dû  se  contenter  pratiquement  de  cette  couronne  du  midi  et  se  borner  seulement  à  occuper  Thèbes, 
où  ses  cartouches  furent  soigneusement  martelés  plus  tard.  Sans  doute  même  que  cette  occupation  de  la 
Thébaïde  se  fit,  grâce  à  son  alliance,  avec  Psammétiku,  dont  il  reconnut  les  droits  à  la  couronne  comme 
prince  éthiopien,  auquel  il  donna  en  mariage  sa  fille  Shapenap  II,  née  de  son  union  avec  Aménmtis,  en 
lui  abandonnant  pratiquement  la  couronne  rouge  du  nord,  c'est-à-dire  tout  le  Delta  et  en  se  réservant  la 
couronne  blanche  et  la  Thébaïde.  Notre  stèle  avait  justement  pour  but  de  continuer  dans  l'avenir  ce  par- 
tage en  assurant  à  la  jolie  Mautiritis,  fille  aussi  d'Améniritis^  et  de  Piankhi  —  qui  aurait  certainement 
trouvé  bientôt  un  mari  convenable  —  la  succession  de  Piankhi  en  Thébaïde.  C'est  poiu-  cela  que,  quand 
^  l'Horus-sam-tani,  maître  des  diadèmes,  le  protecteur,  l'Horus  d'or,  qui  multiplie  les  victoires,  le  roi  Ramen- 
kheper, fils  du  soleil,  Piankhi  II»,  présente  à  sa  patronne  la  grande  déesse  thébaine,  Maut,  épouse  divine 
d'Amon,  sa  «royale  fille,  palme  d'amour,  prophétesse  de  Maut,  prophétesse  d'Hathor,  Mautiritis»  —  dont 
il  veut  faire  une  autre  épouse  divine  —  il  est  dit  qu'il  «est  venu,  avec  stabilité  de  prospérité  à  toujours 
se  concilier  Maut,  dame  d'Ashur,  celui  qui  est  doué  dévie,  solide  comme  le  ciel,  le  fils  du  soleil,  Piankhi». 
C'est  une  intronisation  divine  et  définitive,  une  véritable  adoption  qu'on  sollicite  pour  le  prince  amonien 
et  sa  fille,  et  la  bonne  déesse  Maut  le  comprend  quand  elle  répond  :  «Tu  es  dieu  bon,  vivant  comme  le 

*  Voir  le  Catalogue  dta  grands  raonumtnts  par  31.  de  Rongé,  p.  116  et  suiv.  et  sa  brocliure  plus  récente  sur  les  fouilles  de  Greene, 
p.  43  et  sniv. 

*  Voici  comment  dans  la  Zeitocft7^/(  de  1879  M.  Maspero  traduit  la  fin  de  ce  morceau,  fin  que  M.  de  Rougé  avait  cru  devoir  laisser 
de  côté,  et  dont  la  traduction  me  paraît  bien  dontense  —  en  dehors  de  la  dernière  phrase 


't  .  .  .  plus  que  les  baies  dn  prunelier  (Rouge)  sa  (joue)  plus  que  les  grains  du  jaspe,  plus  que  l'entame  d'un  régime  de  palmes. 
Les  pointes  de  sa  gorge  séduisent  encore  plus  que  son  flanc  !  » 

^  Voir  Pierret.  Catalogue,  de  la  salle  historique,  p.  196  et  n**  28.  Pianthi  III  paraît  du  reste  n'avoir  régné  qu'en  Ethiopie. 

^  Notons  que  les  noms  de  Mautiritis  et  d'Améniritis  sont  en  parallélisme  absolu  :  Améniritis  (Amon  Ta  faite);  Mautiritis  (Maut, 
épouse  d'Amon,  l'a  faite). 

19 


146  Eugène  Revillout. 


soleil  ô  roi  Ramenkheper,  fils  d'Aman,  enfaiité  par  Maul,  Piankhi!  Je  t'accorde  dans  Thèbes  toute  puissance 
et  la  réuniou  à  toi  de  la  dovùnatitm  de  la  couronne  du  midi  à  sa  place,  en  elle  (dans  Thèbes).  »  Malheureuse- 
ment en  dépit  de  l'oracle  de  Maut,  la  chose  ne  plut  pas  au  gendre  de  Piankhi,  le  puissant  Psammètiku 
qui  possédait  déjà  la  Basse-Egypte  en  vertu  de  son  mariage  et  qui  prétendait  bien  hériter  aussi  de  la  haute 
après  la  mort  de  Piankhi.  Peut-être  la  guerre  éclata-t-elle  à  cette  occasion  entre  le  beau-père  et  le  gendre, 
celui-ci  aidé  de  ses  terribles  grecs,  bardés  de  fer,  et  est-ce  pour  cela  que  dans  notre  stèle  et  dans  les  autres 
monuments  thébains  de  Piankhi  on  a  si  soigneusement  martelé  les  cartouches  de  ce  roi,  ainsi  que  sa  figure 
et  celle  de  sa  fille,  tandis  qu'on  respectait  avec  un  si  grand  soin  les  magnifiques  statues  et  les  cartouches 
de  la  reine  Améniritis,  sa  femme,  dont  la  fille  avait  apporté  à  Psammètiku  ses  droits  les  plus  considérables 
à  la  couronne  et  à  la  succession  des  rois  amoniens  descendant  des  prêtres  de  la  précédente  dynastie  thébaine. 
C'est  pour  cela  que  M.  de  Rougé  disait  déjà  de  Piankhi  à  propos  de  notre  monument  dans  «les  fouilles 
de  Greexe»  :  «Marié  avec  l'héritière  des  rois  thébains,  peut-être  dès  le  règne  de  Tahraku,  il  aura  été 
contraint  de  se  réfugier  en  Ethiopie  quand  le  pouvoir  de  Psammétik  fut  reconnu  à  Thèbes»  et  qu'à 
propos  de  la  magnifique  statue  d' Améniritis ,  femme  de  Piankhi  (dont  nous  parlerons  dans  la  suite), 
Makieïte,  dans  sa  si  belle  notice  du  musée  de  Boulaq,  indiquait  ainsi  la  place  chronologique  de  notre 
Piankhi  dont  il  faisait  le  successeiu-  direct,  mais  momentané,  de  la  dynastie  éthiopienne  d'Egypte  :  «Le 
premier  roi  de  cette  dynastie  qui  régna  à  la  fois  sur  l'Ethiopie  et  sur  l'Egypte  fut  Sabacon.  Sabatoka  et 
Tahraka  le  remplacèrent  sur  le  trône.  Puis  parut  la  dodècarchie  qui  enleva  à  un  quatrième  roi,  nommé 
Pianchi,  les  provinces  septentrionales  de  l'Egypte,  le  laissant  maître  de  la  Thébaïde  et  de  l'Ethiopie.  Enfin 
à  ce  prince  et  aux  douze  rois  confédérés  succéda  Psammétichus,  sous  lequel  l'Egypte  reprit  ses  frontières 
naturelles.  Améniritis  fut  mêlée  à  ces  grands  événements.  Fille  du  roi  Kashta  (voir  plus  haut,  p.  422,  le 
scarabée  portant  «  la  divine  épouse  Améniritis,  tille  de  Kashta  »)  et  selon  un  bas-relief  sœur  de  Sabakon,  elle 
fut  du  vivant  de  ce  prince,  revêtue  du  titre  de  régente  et  en  cette  qualité  prit  le  double  cartouche.  Plus 
tard  elle  apporta  ses  droits  à  la  double  couronne  d'Egypte  et  d'Ethiopie  à  l'usurpateur  Pianchi  qu'elle 
épousa  et  dont  elle  eut  une  princesse  Shapenap,  qui  devint  la  femme  de  Psammètiku  I".  > 

Quant  il  Pianchi,  beau-père  de  Psammètiku,  qui  avait  renoncé  en  sa  favem-  à  l'Egypte  pour  ne 
garder  que  l'Ethiopie,  c'est  vers  lui  sans  doute  qu'après  son  expulsion  se  réfugièrent,  du  temps  de  Psam- 
mètiku P',  selon  Hérodote,  les  membres  de  la  caste  militaire  égyptienne  qui  avaient  combattu  l'étranger 
avec  les  Shabaku,  les  Tahraku  et  les  Eabaku  tonuatamen.  Ces  vieux  héros,  ennemis  irréconciliables  des 
Assyriens  et  partisans  déclarés  de  la  branche  aînée  d'Ethiopie,  ne  pouvaient  se  consoler  d'être  réduits  à 
cette  branche  cadette  qui  avait  finalement  pactisé  avec  l'étranger  à  Ninive,  et  dont  le  représentant,  Niku, 
père  de  Psammètiku,  venait  pour  cette  trahison  d'être  exécuté  par  Rabaku. 

Ce  fait  nous  explique,  d'une  part,  nous  l'avons  dit,  le  martelage  général  des  cartouches  de  Pianchi 
en  Egypte  et,  d'une  autre  part,  le  soin  que  prit  Psammètiku  II,  petit  fils  de  Psammètiku  l",  mais  peut-être 
par  une  femme  qui  n'était  pas  du  sang  royal  éthiopien,  d'épouser  sa  tante  Nitocris,  fille  de  Psammètiku  1" 
et  de  la  princesse  éthiopienne  Shapenap  II,  fille  de  Pianchi.  C'est  à  cette  branche  aînée  éthiopienne  que 
se  rattache  surtout  Psammètiku  II,  dans  l'inscription  de  Uadi  Gazus,  publiée  par  M.  Erman,  où  il  se 
représente  adorant  lui-même  Amon  et  Khem,  ainsi  que  sa  femme  Nitocris,  sa  belle  mère  Shapenap  II  et 
accompagné  du  cartouche  du  père  de  cette  belle-mère  le  roi  Pianchi,  alors  mort,  puis,  par  la  même  raison, 
accompagné  des  cartouches  d' Améniritis,  mère  de  Shapenap  II,  de  Shapenap  I""  (fille  d'Osorkon  III  et) 
mère  de  Mautiritis  et  probablement  aussi  du  roi  éthiopien  Kashta,  mari  de  Shapenap  I"  et  de  deux  autres 
rois  de  la  même  dynastie  éthiopienne  dont  les  noms  se  trouvent  maintenant  martelés. 


DES  DONATIONS  D'ENFANT  A  L'EPOQUE  COPTE, 

THÈSE  SOUTENUE  A  L  ÉCOLE  DU  LOUVRE. 

PAB 

Fr.  de  Villenoisy. 

(Suite.) 

Chapitre  III. 
C'est  qu'eu  effet  c'est  bien  un  produit  du  vieil  esprit  égyptien,   né  spontanément  sous 
la  double  influence  de  l'ardeur  religieuse  et  de  la  misère  qui  s'était  étendue  sur  l'Egypte, 


Des  donations  d'enfant  a  l'époque  copte.  147 


comme  sur  tout  le  sol  de  l'empire.  Le  monacliisme  se  retrouve  eu  Egypte  à  toutes  les 
époques.  Les  moines  chrétiens  dont  il  est  question  dans  nos  actes  étaient  les  successeurs 
des  reclus  du  Sérapéum,  des  hiérodules  des  anciens  temples,  des  esclaves  des  deux  sexes 
placés  dans  la  chapelle  de  Kak,  en  vertu  de  la  fondation  pieuse  d'Amenhotep,  confirmée 
par  Amenophis  III.  Aussi  loin  que  nous  remontons  dans  l'histoire  de  la  société  égyptienne, 
nous  trouvons  des  hommes  menant  la  vie  monastique,  au  lieu  qu'en  Israël,  les  nabis  datent 
seulement  du  temps  de  Samuel  et  les  nazirs  ne  semblent  pas  beaucoup  plus  anciens.  Dans 
cette  race  si  portée  au  mysticisme,  la  religion  chrétienne  avait  jeté  des  racines  profondes. 
Tous  étudiaient  ses  dogmes,  lisaient  et  commentaient  les  livres  saints;  les  citations  con- 
stantes qu'ils  font  de  la  Bible  le  montrent  bien.  Dans  ce  livre,  il  est  un  récit  qui  devait 
attirer  particulièrement  l'attention,  c'est  la  consécration  de  Samuel  au  Seigneur  par  sa  mère; 
il  y  est  fait  de  fréquentes  allusions.  Du  reste  Samuel  n'était  pas  le  seul  exemple  de  vœux 
de  ce  genre;  il  en  était  de  même  de  Samson  et  de  plusieurs  personnages  cités  dans  les 
Juges  et  dans  les  livres  de  Samuel  et  des  Chroniques.  Ces  récits  servent  à  la  fois  d'exemple 
à  imiter  et  de  justification.  On  le  voit  bien  par  les  explications  des  parents  au  moine  Cyrus 
dans  l'acte  XCV  :  «  enfin,  nous  allâmes  près  de  cet  économe  ...  en  lui  disant  :  le  dieu  du 
»lieu  a  accordé  la  guérison  du  petit  enfant;  veux-tu  qu'il  vienne  au  lieu  saint  pour  y  servir 
ïDieu  avec  toi?  Tu  ordonneras  de  lui,  et  il  donnera  ses  peines  dans  le  saint  monastère. 
»C'est  à  Dieu  et  à  toi  d'en  ordonner.»  Ce  sont  bien  là,  en  effet,  les  sentiments  qui  devaient 
guider  les  parents  dans  un  très  grand  nombre  de  cas. 

Il  est  aussi  une  autre  institution  ancienne  qui  pouvait  leur  servir  de  type,  c'est  celle 
des  hiérodules  ou  prêti'es  esclaves  qui  existaient  dans  un  grand  nombre  de  temples.  Les 
temples  babyloniens,  phéniciens,  ceux  de  Chypre,  de  Corinthe  et  d'Eryx  étaient  célèbres  par 
leur  nombreuse  population  de  courtisanes  .sacrées,  mais  ce  n'étaient  pas  les  seuls  où  il  y  eut 
des  hiérodules.  Nous  avons  cité  plus  haut  les  prêti-es-esclaves  des  deux  sexes  de  la  chapelle 
de  Kak  à  Djème  même;  Cicéron  pro  Cluentio  chap.  XV*  cite  les  Martiaux  du  temple  de 
Mars  à  Larinum  et  les  compare  aux  hiérodules  de  Vénus  dans  les  temples  de  Sicile;  il  dit 
aussi  dans  les  Verrines  que  ces  derniers  servaient  en  même  temps  d'appariteurs  aux  ma- 
gistrats. Le  temple  de  Bellone  à  Comane  en  Cappadoce  possédait,  au  dire  de  Strabon,  plus 
de  six  milles  esclaves  des  deux  sexes.  Enfin,  plusieurs  papyrus  démotiques  ou  grecs  de 
Memphis  et  de  nombreuses  stèles  démotiques  du  Sérapéum,  récemment  traduites  par  notre 
cher  et  savant  maître  M.  Revillout,  nous  révèlent  l'existence  des  hiérodules  de  Memphis 
ou  «bok»  d'Osorapis.  C'est  par  l'un  d'eux  que  fut  consacrée  la  table  d'offrande  qui  porte 
au  Louvre  le  n°  58. 

Les  esclaves  attachés  aux  temples  avaient,  selon  les  pays,  peut-être  aussi  dans  le  même 
temple,  divers  caractères.  Ils  pouvaient  n'être  que  de  simples  gens  de  service  comparables 
de  tous  points  aux  esclaves  des  particuliers;   ils  pouvaient  être  chargés  de  services  déter- 

'  Cicéron  Pro  Cluentio  Chap.  XV.  —  Martiales  quidam  Larini  appellabantur  ministri  publie!  Martis 
atque  ei  deo  veteribus  institutis  reli°-ionibusque  Larinatium  consecrati  :  quorum  quum  satis  magnus  nu- 
merus  esset,  quumque  item,  ut  in  Sicilia  permulti  Venerei  sunt,  si  illi  Larini  in  Maitis  familia  numeraren- 
tur;  repente  Opianicus  eos  omnes  liberos  esse,  cives  que  romanes  coepit  defendere.  Graviter  id  decuriones 
Larinatium,  cuncti  que  municipes  tulerunt. 

19* 


148  Fe.  de  Villenoisy. 


minés,  n'appartenant  qn'à  eux,  comme  c'était  le  cas  des  courtisans  sacrés,  des  esclaves  ap- 
pariteurs et  huissiers  de  Sicile,  et  des  esclaves  publics  des  villes  d'Italie  qui  tenaient  lieu 
de  notaires  pour  la  confection  de  certains  actes;  ils  pouvaient  être  entin  des  prêtres-esclaves 
comme  l'esclave  syrien  attaché  par  Scheschonk  l"  au  culte  de  son  père,  comme  les  hiéro- 
dules  de  Kak,  comme  les  «bok»  d'Osorapis  qui  formaient  la  première  classe  des  prêtres. 
On  s'explique  parfaitement  l'existence  de  prêtres-esclaves,  ou  pour  parler  plus  exacte- 
ment d'esclaves,  prêtres  en  même  temps  qu'esclaves.  Il  est  tout  d'abord  assez  naturel  que 
ceux  qui  se  rattachent  à  un  corps  religieux  soient  revêtus  d'un  caractère  sacré;  c'est  ainsi 
que  le  pape,  considéré  comme  souverain  temporel  et  non  comme  chef  religieux,  n'a  pour 
ministres  et  ambassadeurs  que  des  personnages  ecclésiastiques.  D'autres  motifs  étaient  plus 
spéciaux  à  l'antiquité.  L'esclave  n'avait  pas  de  personnalité  civile,  ni  de  famille,  ou  n'avait 
qu'une  personnalité  inférieure,  selon  les  pays,  et  jamais  de  culte.  Il  se  complétait  par  la  \^e\■- 
sonnalité  de  son  maître,  et  participait  au  culte  de  sa  famille;  dès  lors  il  pouvait  se  trouver 
éventuellement  appelé  à  prendre  la  direction  de  ce  culte,  si  ceux  qui  en  étaient  naturelle- 
ment chargés  se  trouvaient  absents  ou  empêchés.  Ce  que  nous  voyons  pour  le  culte  privé 
avait  également  lieu  pour  le  culte  public.  Lorsque  les  cités  grecques  et  italiques  remplacèrent 
le  gouvernement  monarchique  par  la  forme  républicaine,  elles  durent  transporter  à  d'autres 
personnes  les  fonctions  sacerdotales  des  rois.  De  là  l'existence  des  rois  des  sacritices  à  Rome 
et  à  Athènes.  Après  avoir  renversé  les  familles  souveraines,  on  fut  obligé  de  détruire  les 
diverses  aristocraties  qui  avaient  des  intérêts  analogues,  ou  dont  l'existence  semblait  com- 
promettre l'égalité  politique.  Au  premier  rang  se  trouvaient  les  vieilles  familles  sacerdotales. 
On  s'en  défit  en  laïcisant  le  culte,  si  cette  expression  peut  avoir  un  sens.  On  remplaça  les 
pontifes  héréditaires  tels  que  les  Eumolpides  d'Athènes,  par  des  fonctionnaires  nommés  ou 
élus  à  vie  ou  à  temps,  pour  un  an  généralement,  et  faisant  fonctions  de  prêtres.  Il  ne  reste 
que  fort  peu  de  pontifes.  A  Rome,  il  n'y  avait  que  les  flamines  qui  le  fussent.  Suivant  les 
vieux  rites,  ils  ne  pouvaient  se  marier  que  par  confan-eatio,  ne  devaient  avoir  aucune  tache, 
n'être  retenus  par  aucun  lien,  même  dans  leurs  vêtements;  ils  ne  se  mariaient  qu'une  fois 
et  perdaient  leurs  fonctions  par  veuvage,  etc.  Ces  divers  pontifes  dépendaient  tous  du  flamiue 
de  Jupiter.  Lorsque  le  rite  exigeait  que  le  sacrifice  fut  célébré  par  un  prêtre  véritable,  il 
arrivait  bien  souvent  que  le  laïque  faisant  fonction  de  prêtre  se  trouvait  dessaissi  en  faveur 
de  l'esclave  prêtre,  devenu  ainsi  successeur  des  familles  disparues.  Il  remplissait  d'autant 
mieux  ce  rôle  qu'il  avait  en  lui,  à  un  plus  haut  degré,  le  caractère  sacerdotal,  puisqu'il  était 
prêtre  à  vie,  et  qu'en  même  temps,  comme  propriété  du  temple  ou  de  la  cité,  il  se  trouvait 
ne  représenter  personne  s'il  ne  la  représentait  qu'un  motif  accessoire  venant  à  l'appui  de 
raisons  plus  importantes.  Il  y  aurait  aussi  à  cette  imitation  un  obstacle  de  fait,  résultant 
des  textes  déjà  cités  du  droit  romain.  Ceux  qui,  dans  l'Egypte  antérieure,  embrassaient  la 
vie  monastique  comme  les  reclus  du  Sérapéum,  les  stylites,  étaient  des  hommes  de  condi- 
tion libre,  se  liant  par  des  vœux  librement  consentis;  les  hiérodules,  quelque  fut  leur  fonc- 
tion, étaient  des  esclaves  achetés  par  le  donateur,  qui  pouvait  en  disposer  comme  il  l'enten- 
dait; ici,  au  contraire,  nous  trouvons  des  hommes  en  condition  libre,  et  dont  personne  ne 
peut  dès  lors  disposer,  donnés  à  un  monastère  dont  ils  deviennent  les  esclaves.  Cette  con- 
tradiction nous  conduit  à  nous  demander  quelle  était  la  condition  sociale  de  ceux  qui  fai- 


Une  peûphétie  messiakique  assyeiexxe.  149 


saient  cet  acte,   quelle  était  sa  nature,  et  dans  quelle  situation  se  trouvait  au  juste  la  per- 
sonne donnée.  Sommes-nous  réellement  en  présence  de  donations? 

(La  suite  prochainement.) 


OE  PROPHÉTIE  MESSIANIQUE  ASSYRIENNE 

PAR 

M3I.  Victor  et  Eugène  Retillout. 

Quand  fut  composée,  dans  le  palais  d'Assourbauipal ,  la  bibliothèque  dont  ou  a  re- 
trouvé de  nombreux  débris,  lAssyrie  était  devenue  depuis  un  certain  temps  déjà  la  reine 
des  nations.  Elle  possédait,  soit  directement,  soit  à  titre  de  suzeraine,  non  seulement  l'Asie 
centrale,  mais  la  plus  grande  partie  de  l'Asie  mineure,  la  Phénicie,  la  Palestine,  l'Egypte, 
l'île  de  Chypre,  etc.  La  captivité  d'Israël  avait  commencé.  Il  était  arrivé  pour  Samarie  ce 
qui  devait  arriver  plus  tard  pour  Jérasalem.  Ses  habitants  avaient  été  transportés,  au  loin, 
en  partie  dans  la  capitale  même  du  vainqueur.  C'est  à  Xinive  que  se  placent  les  prophéties 
du  prophète  Jonas;^  et  c'est  à  Xinive  qu'habitait  Tobie,  au  milieu  de  ses  compatriotes  d'après 
le  récit  biblique.  Les  Juifs  faisaient  en  Assyrie  ce  que  Jérémie-'  devait  leur  conseiller  plus 
tard  de  faire  en  Chaldée.  Ils  se  mariaient,  s'occupaient  de  leurs  affaires,  agissaient  dans  la 
ville  où  ils  étaient  établis  comme  s'ils  eussent  été  des  citoyens  originaires  de  cette  vUIe;  et 
c'est  ainsi  qu'ils  nous  apparaissent  dans  des  contrats  de  Xinive,  écrits  sur  des  tablettes  de 
terre  cuite  en  caractères  cunéiformes.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  la  littérature  assy- 
rienne de  cette  époque  contient  tant  de  reflets  d'autres  Uttératures,  si  l'on  y  trouve  des 
morceaux  d'une  inspiration  toute  judaïque,  comme  on  y  trouve  des  morceaux  d'une  inspi- 
ration tout  égyptienne.  ^  Assourbanipal  nous  dit  lui-même  que  dans  des  villes  qu'il  pillait  et 
détruisait  il  avait  soin  de  faire  choisir  les  livres  les  plus  intéressants  ;  car  il  était  fort  amou- 
reux de  l'érudition.  H  avait  procédé  ainsi  dans  les  vieilles  villes  de  la  Chaldée,  où  la  langue 
sacrée  restait  toujours  l'ancienne  langue  non  sémitique.  On  se  senait  du  summérien  ou  de 
l'autre  dialecte  de  cette  ancienne  langue,  suivant  les  provinces,  comme  on  se  sert  encore 
actuellement  du  latin,  pour  tout  ce  qui  se  rapporte  directement  au  culte.  Cétait  même  la 
langue  qu'on  employait,  en  qualité  de  langue  sacrée,  pour  certaines  pièces  mi-religieuses, 

•  Il  ne  nous  paraît  pas  possible  historiquement  d'assimiler  le  prophète  Jonas  du  livre  spécial  inti- 
tulé de  son  nom,  celui  qui  alla  prêcher  les  Ninivites,  avec  un  autre  prophète  Jonas,  son  homonyme,  qui 
vivait  du  temps  de  Jéroboam,  fils  de  Joas.  et  qui  se  trouve  cité  an  chapitre  XIY  du  livre  des  rois  pour 
avoir  parlé  des  exploits  de  ce  monarque.  Le  soin  même  que  prend  l'auteur  du  li^ie  des  rois  d'indiquer 
que  celui  qu'il  cite  était  de  Geth  en  Ophir  semble  avoir  pour  but  d'éviter  une  contusion,  autrement  possible, 
entre  deux  prophètes  qui  avaient  eu  des  noms  identiques.  D'ailleurs  du  temps  de  Jéroboam  on  célébrait 
encore  les  succès  d'Israël  contre  ses  voisins  les  plus  proches,  et  Ninive  n'occupait  nullement  dans  les 
préoccupations  des  Juifs  la  place  qu'elle  y  prit  après  les  expéditions  de  Phul,  de  Tiglatphalasar,  de  Sal- 
manasar  et  de  Sennachérib.  Il  suffit  de  lire  attentivement- dans  le  livre  de  Jonas  ce  qui  s'y  trouve  dit  sur 
Ninive  et  les  Xinivites  pour  voir  que  placer  ce  récit  avant  la  captivité  de  Samarie  et  l'alliance  finale  du 
royaume  de  Juda  avec  les  terribles  souverains  de  l'Assyi-ie  serait  un  grossier  anachronisme. 

2  Jérém.  XXIX. 

'  Nous  reviendrons  bientôt  sur  ce  point. 


150  ViCTOE  ET  Eugène  Revillout. 

mi-poétiques,  dans  lesquelles  étaient  déplorés,  sous  formes  d'apostrophes  à  un  dieu,  les  mal- 
heurs d'une  de  ces  villes  que  des  conquérants  asiatiques  avaient  prises  d'assaut.  Assour- 
hanipal,  procédant  comme  le  fit  plus  tard  Philadelphe,  chargeait  ses  savants  de  copier  et 
de  traduire  des  documents  qui  lui  venaient  de  toiite  source  :  et  c'est  ainsi  que  dans  sa 
bibliothèque  nous  trouvons  des  tablettes  bilingues  écrites  primitivement  à  Babylone,  à  Ur, 
dans  les  villes  que  son  grand-père,  son  père,  et  lui-même  avaient  saccagées  et  qui  deman- 
daient aux  dieux  de  mettre  fin  aux  désastres  de  leur  patrie.  Plusieurs  de  ces  morceaux 
étaient  certainement  de  date  très  récente;  et  il  ne  faudrait  pas  s'aviser  de  les  confondre  à 
ce  point  de  vue  avec  d'autres  morceaux  fort  anciens  que  les  savants  d'Assourbanipal  disent 
avoir  copiés  et  traduits  sur  l'original  «labiru»,  c'est-à-dire  antique.  La  littérature  sémitique 
avait  elle-même  pris  un  développement  considérable  vers  cette  époque  et  sous  un  monarque 
ami  des  arts.  On  était  en  rapports  constants  avec  le  monde  grec;  car  les  flottes  du  grand 
roi,  dont  faisaient  partie  les  flottes  de  la  ville  de  Tyr,  couvraient  la  Méditerranée. 

Le  roi  Lydien  duquel  dépendaient  la  plupart  des  villes  grecques  de  l'Asie  mineure  et 
probablement  la  patrie  d'Homère,  Gygès,  ainsi  que  nous  l'apprend  Assourbanipal  lui-même 
dans  son  grand  cylindre,  avait  reconnu  la  suzeraineté  du  roi  d'Assyrie  et  établi  dans  ses 
états  le  culte  d'Assour.  Aussi  une  épopée,  tout  à  fait  analogue  aux  grandes  épopées  homé- 
riques, l'histoire  d'Isdubar,  dans  laquelle  le  récit  du  déluge  avait  pris  place  comme  épisode 
—  celle-là  écrite  exclusivement  en  sémitique,  car  elle  n'était  pas  religieuse  au  fond  —  fait- 
elle  partie  de  cette  efflorence  du  génie  littéraire  ninivite  vers  l'époque  d'Assourbanipal.  Il 
en  est  de  même  du  poème  si  curieux  de  la  descente  d'Istar  aux  enfers,  poème  qui  paraît 
écrit  en  vers  proprement  dits  et  divisé  en  hémistiches.  Pour  en  revenir  à  des  morceaux  qui 
ont  été  puisés  à  d'autres  sources  et  qui,  ayant  un  caractère  surtout  religieux,  ont  été  d'abord 
traduits  par  des  prêtres  dans  un  des  dialectes  sacrés,  nous  citerons,  entre  autres,  la  tablette 
si  curieuse  que  vient  de  publier  M.  Smith,  pi.  24  de  ses  Miscellaneous  Âssyrian  Texts. 
Cette  tablette,  entrevue  par  M.  Delitzsch,  avait  été,  comme  sens  général,  fort  bien  comprise 
par  cet  assyriologue  éminent.  C'est  bien,  ainsi  que  M.  Delitzsch  l'a  dit,  une  série  de  pré- 
ceptes moraux,  une  règle  de  vie  sous  forme  de  discours  adressé  à  un  dieu,  à  peu  près 
comme  l'est  en  Egypte  cette  fameuse  règle  de  vie  qui  est  entrée  dans  le  Livre  des  morts, 
et  qu'on  appelle  «la  confession  négative». 

La  règle  bilingue  assyrienne  en  question  ne  se  rapporte  certainement  pas  au  culte 
assyrien  proprement  dit.  Elle  indique  ce  que  le  seigneur  n'aime  pas,  ce  qu'il  ne  veut  pas 
qu'on  fasse.  Nous  trouvons  presque  en  première  ligne  :  «Seigneur,  tu  n'entres  pas  dans  les 
lieux  où  l'on  boit  la  boisson  fermentée».  Comme  dans  une  autre  tablette  également  bilingue, 
l'interdiction  des  boissons  fermentées  devient  donc  un  précepte.  Ceci  ne  rappelle-t-il  pas 
l'observance  de  ces  Eechabites  qui  demeuraient  dans  la  Judée,  qui  ne  buvaient  jamais  de 
vin,  qui  couchaient  sous  des  tentes,  et  qui  faisaient  remonter,  du  temps  de  Jérémie,  l'origine 
de  leur  règle  —  règle  à  laquelle  ils  restaient  strictement  fidèles  —  à  une  époque  déjà  re- 
culée. Comme  le  vin  jouait  un  très  grand  rôle  dans  les  oblations  faites  aux  dieux,  soit  à 
Ninive,  soit  à  Babylone,  par  les  partisans  du  culte  établi,  par  ce  que  l'on  pourrait  nommer 
les  orthodoxes  —  et  il  en  était  de  même  en  Egypte  —  il  est  certain  que  les  tablettes  dont 
nous  parlons,  bien  que  bilingues,  ne  représentaient  pas  quelque  vieille  tradition  de  la  reli- 


Une  prophétie  messianique  assyrienne.  151 

gion  uatiouale.  C'était  un  courant  venu  d'ailleurs  :  et  il  en  est  certainement  ainsi  du  courant 
d'idées  messianiques  qui  nous  apparaît  dans  la  tablette  dont  nous  allons  maintenant  parler. 
Ce  n'est  pas  chez  un  peuple  victorieux  qui  tient  sous  sa  domination,  qui  écrase  sous  sou 
talon  les  autres  peuples,  qu'on  voit  naturellement  éclore  l'idée  d'un  Messie,  d'un  rédempteur, 
(l'un  souverain  régnant  par  la  justice  et  rétablissant  le  culte  du  droit.  C'est  l'espoir  d'un 
peuple  opprimé  ou  menacé  de  l'être,  exilé,  déporté,  comme  l'était  alors  Israël,  ou  se  sou- 
mettant en  vassal  à  l'étranger  qui  possédait  la  force,  comme  le  faisait  alors  Juda.  Le  roi  de 
Juda  figure  nommément  au  nombre  des  vingt-deux  vassaux  d'Assourbanipal,  ses  serviteurs, 
qui  vinrent  le  joindre  avec  leurs  armées  et  leurs  navires,  quand  il  était  en  marche  pour 
chasser  de  l'Egypte  l'Ethiopien  Tahraka,  comme  ils  avaient  accompagné  sou  père  Assuraddon 
conquérant  l'Egypte.  Ezéchias,  pour  acheter  la  paix  du  grand-père  d'Assurbanipal,  avait  dû 
faii-e  fondre  les  vases  sacrés,  arracher  des  portes  du  temple  les  barreaux  d'or  qui  les  ornait  : 
et  le  cylindre  de  Sennachérib  nous  apprend  même  qu'il  avait  dû  envoyer  ses  filles  en  cou- 
cubinat  au  roi  de  Kinive.  Depuis,  tous  les  rois  de  Judée  s'étaient  toujours  montrés  très 
fidèles  au  roi  d'Assyrie  et  ils  le  furent  jusqu'aux  derniers  temps,  car  un  d'entre  eux  voulut 
arrêter  Néchao  dans  sa  marche  contre  Ninive,  lors  de  la  grande  coalition  qui  eut  pour  ré- 
sultat la  destruction  de  cette  capitale  et  l'anéantissement  de  l'empire  assyrien.  11  le  pour- 
sui-v-it  jusqu'à  TEupbrate;  il  l'atteignit  à  Mageddo,  bien  que  le  roi  d'Egypte  lui  fit  dire  qu'il 
n'avait  pas  affaire  à  lui,  et  il  fut  tué  dans  cet  effort  suprême  de  fidélité  féodale.  Jérémie, 
qui  se  monti-a  toujours  hostile  à  l'Egypte,  célébra  cette  mort  glorieuse  en  un  chant  de  lamen- 
tation devenu  et  resté  longtemps  liturgique  daus  la  nation  juive. 

Notre  prophétie  messianique  assj'rienne  est  contemporaine  de  celles  du  prophète  Isaïe. 
En  effet,  Isaïe  assista  à  la  chute  de  Samarie.  Il  encoiu-agea  Ezéchias  dans  sa  résistance 
momentanée  contre  l'Assyrie.  Il  le  vit  céder  devant  la  force.  Il  le  blâma  de  chercher  un 
appui  contre  Ninive  dans  une  alliance  babylonienne.  Les  succès  éphémères  qu'avec  l'aide 
du  roi  d'Elam  Mérodach  Baladan  avait  pu  obtenir  contre  Sennachérib,  ne  lui  paraissaient 
présager  en  aucune  façon  l'affranchissement  du  peuple  juif.  Il  annonçait  déjà,  paraît-il,  que 
si  Babylone  l'emportait  un  jour  sur  Ninive,  ce  serait  aux  dépens  de  Juda  et  de  la  famille 
d'Ezéchias,  c'est-à-dire  de  cette  famille  de  David  à  laquelle  lui-même  il  appartenait.  Une 
raison  d'ailleurs,  sous  Assourbanipal,  devait  faire  paraître  plus  acceptable  pour  les  prophètes 
monotbé'ïstes  la  domination  assyrienne,  malgré  les  affreuses  dévastations  que  les  Assyriens 
commettaient  dans  le  monde  entier.  Ainsi  qu'on  l'a  remarqué  déjà,  Assourbanipal  avait  des 
tendances  infiniment  plus  monotbé'ïstes  qu'aucun  de  ses  prédécesseurs.  Il  est  vrai  qu'il  est 
devôt  à  la  déesse  des  batailles,  cette  Istar  qui  le  dirigea  dans  ses  sanglantes  revanches  à 
l'égard  de  ceux  qui  s'étaient  coalisés  avec  son  frère  contre  lui.  Mais  Assour,  le  dieu  national 
de  l'Assyrie,  dont  il  établit  le  culte  dans  tous  les  pays  soumis  à  son  hégémonie,  chez  Gyges 
comme  en  Egypte,  comme  à  Jérusalem,  était  bien  devenu  pour  lui  le  grand  dieu,  le  maître 
des  dieux,  le  maître  suprême,  devant  lequel  les  autres  ne  jouaient  plus  que  le  rôle  de 
ministres  s'inclinant  quand  les  sept  archanges  chambellans  du  ciel  le  leur  ordonnait. 

(La  suite  prochainement.) 


152      Mission  de  la  bévue  égyptologique.    Revue  bibliographiqub. 


MISSION  DE  LA  REVUE  EGYPTOLOGIQUE. 

Nous  tenons  à  prévenir  nos  lecteurs  que  nous  comptons  —  si  aucun  empêchement 
administratif  ou  autre  ne  survient  jusque-là  —  nous  rendre  en  Egypte  avec  quelques-uns  de 
nos  amis  et  collègues  dans  la  science  fin  octobre  prochain  et  y  passer  six  semaines.  La 
mission  de  la  Revue  égyptologique  ira  jusqu'aux  secondes  cataractes,  dans  un  navire  spécial 
destiné  à  ses  seuls  membres  —  qui  pourra,  au  besoin,  s'arrêter  sur  un  point  non  prévu 
d'abord  —  et  qu'elle  prendra  à  la  station  de  Girgèh.  Elle  visitera  les  principales  localités 
antiques  de  la  Thébaïde  et  de  la  Nubie,  en  recueillant  sur  sou  passage  les  inscriptions  nou- 
velles qui  lui  paraîtront  dignes  d'intérêt,  ainsi  que  celles  qui  ont  été  reproduites  jusqu'ici 
d'une  façon  incomplète  ou  insuffisante.  Ceux  de  nos  lecteurs  qui  voudront  faire  partie  de 
cette  mission,  dont  la  direction  nous  appartiendra,  voudront  bien  donner  le  plus  tôt  possible 
leurs  noms  et  s'entendre  pour  les  conditions  du  voyage,  de  Paris  à  Paris,  avec  M.  Lafosse 
DE  Thorigny,  9,  rue  de  Rome,  chargé  du  côté  matériel,  dont  nous  ne  pouvons  ni  ne  voulons 
nous  occuper,  mais  qui  nous  communiquera  la  liste  prise  par  lui,  liste  qui  devra  être  approuvée 
par  nous.  Il  faut,  en  effet,  que  la  cordialité  la  plus  parfaite  règne  pendant  le  voyage  entre 

collaborateurs  visant  tous  au  même  but. 

E.  Revillout. 


EEVUE  BIBLIOGRAPHIQUE. 

Nous  allons  reprendre  d'une  iaçou  continue  la  série  —  trop  longtemps  inteiTompue  —  de  nos  Revues 
hihUographiques,  OÙ,  nous  aussi,  nous  avons  toujours  dit  la  vérité,  rien  que  la  vérité  et  toute  la  vérité,  pour 
nous  servir  d'expressions  devenues  assez  banales  dont  on  usait  naguère.  Nous  croyons  d'ailleurs  que,  quand 
le  journaliste  a  agi  ainsi  suivant  sa  conscience,  il  ne  peut  substituer  cette  conscience  à  celle  de  ses  collègues 
et  les  exempter  de  juger  et  même  de  lire,  comme  le  pense  un  jeune  égyptologue  qui  va  faire  un  journal 
uniquement  bibliographique  aux  frais  d'un  célèbre  brasseur.  Nous  souhaitons  à  ce  journal  bonne  chance 
et  modestie  :  tout  en  regrettant  que  son  riche  patron  n'ait  pas  jugé  plus  utile  de  faire  fonder  un  journal 
où  l'on  produise  soi-même,  au  lieu  de  se  borner  à  transporter  en  égyptologie  une  fable  bien  connue.  «  La 
critique  est  aisée,  mais  l'art  est  difficile»,  aurait  dit  aussi  M.  Prudhomme.  On  ne  saurait  juger  un  égypto- 
logne  d'après  la  manière  dont  il  a  critiqué,  souvent  d'après  des  idées  étroites  et  préconçues  —  des  idées 
de  secte  ou  d'école  —  mais  d'après  ce  qu'il  a  fait  et  ce  qu'il  a  appris  aux  autres. 

En  attendant  la  reprise  continue  de  nos  Revues  bibliographiques  nous  signalerons  à  nos  lecteurs  six  pu- 
blications de  moi  ou  de  mon  frère  que  nous  avons  faites  ou  mises  en  vente  pour  la  première  fois  cette 
année  même  :  1°  Mélanges  sur  la  métrologie,  l'économie  politique  et  l'histoire  de  l'ancienne  Egypte,  avec 
de  nombreux  textes  démotiques,  hiéroglyphiques,  hiératiques  ou  grecs  inédits  ou  antérieurement  mal  publiés 
(vol.  in-i"  de  524  pages);  2°  Lettres  sur  les  monnaies  égyptiennes  (vol.  in-8°  de  246  pages);  3"  Quelques 
textes  traduits  à  mes  cours  (vol.  in-4°  de  96  pages);  4°  Quelques  textes  démotiques-archaïques  traduits  par 
E.  Revillout,  avec  fac-similé,  exécutés  par  E.  Boudier  (vol.  in-4''  de  32  pages  et  16  grandes  planches); 
5"  Un  papyrus  bilingue  du  temps  de  Philopator  (in-8°  de  80  pages);  6°  Mélanges  assyro-babyloniens,  par 
V.  Revillodt  (in-l").  Nous  avons  en  outre  sous  presse  deux  ouvrages  de  600  pages  chacun,  qui  vont  bientôt 
paraître  :  1°  La  propriété,  ses  démembrements,  la  possession,  et  leurs  transmissions  en  droit  égyptien  com- 
paré aux  autres  droits  de  l'antiquité  (deux  volumes  in-S"):  2°  Notice  des  papynis  démotiques-archaïques  et 
autres  textes  juridiques  ou  historiques  traduits  et  commentés  juridiquement  à  partir  du  règne  de  Bocchoris 
jusqu'au  règne  de  Ptolémée  Soter,  avec  une  introduction  complétant  l'histoire  des  origines  du  droit  égyptien. 
Je  me  propose  d'achever  aussi  dans  le  plus  bref  délai  possible  la  publication  de  plusieurs  autres  ouvrages 
dont  la  rédaction  est  depuis  bien  longtemps  terminée,  mais  dont  le  commencement  a  seulement  paru  : 
1°  Le  procès  d'Hermias;  2°  Le  rituel  bilingue  de  Pamout;  3°  Le  concile  de  Nicée,  etc.  Pour  tout  cela  nous 
sommes  entièrement  prêts  et  n'attendons  que  les  effets  de  la  bonne  volonté  de  nos  divers  éditeurs  et 
imprimeurs.  (E.  R.) 

L'Editeur  Ernest  Lebocx,  Propriétaire-Gêi'aDt. 


REVUE  ÉGYPTOLOGIQUE 

PUBLIÉE  SOUS  LA  DIRECTION  DE 

M.  EUGÈNE  REVILLOUT. 


ERNEST  LEROUX,  ÉDITEUR 

LIBRAIRE   DE  LA  SOCIÉTÉ  ASIATIQUE,  DE  L'ÉCOLE  DES  LANGUES  ORIENTALES  VIVANTES,  ETC.  ETC. 

2S,  RUE  BONAPAETE,  28,  A  PARIS. 

Yîî"  Volume,  N°  IV.  1896. 

La  REVUE  ÉOYPTOLOOIQUE  paraît  tous  les  trois  mois  par  miméros  de  six  feuilles  au  moins,  avec 

planches,  fac-similé  etc.  —  Aucun  numéro  ne  se  vend  séparément. 

Prix  de  l'abonnement  annuel  :  Farts  30  fr.  —  Départements  31  fr.  —  Etranger  33  /"/•. 

Sommam  :  Une  prophétie  me.=sianique  assyrienne  (suite),  par  Victor  et  Eugène  Revillodt.  —  Textes  égyptiens  et  ebaldéens  re- 
latifs à  l'intercession  des  vivants  en  faveur  des  morts,  par  Victor  et  Ecgène  Eevilloct.  —  Le  poème  de  Peutaour 
(suite),  par  Vicomte  J.  de  Rougé.  —  Les  deux  préfaces  du  papyrus  Prisse,  par  E.  Revilloct.  —  Des  donfitions  d'enfant 
à  l'époque  copte  (suite),  par  Fr.  de  Villexoisy. 


UNE  PROPHÉTIE  MESSIANIQUE  ASSYRIENNE 

PAR 

MM.  Victor  et  Eugène  Revillout. 

(Suite.') 

Une  tablette  bilingue,  certainement  rédigée  pour  le  palais  d'Assourbanipal  auquel  elle  était 
destinée  et  dont  elle  porte  pour  ainsi  dire  le  timbre,  nous  montre  par  quel  procédé  on  avait 
pu  en  arriver  là.  Le  grand  dieu  des  anciens  Accado-sumériens  était  ce  dieu  Anu,  dont  l'idéo- 
gramme représente  en  même  temps  celui  du  ciel  et  est  d'autres  fois  traduit  par  le  mot  sémitique 
ilu,  signitiant  «dieu».  Or  dans  cette  tablette  singulière,  la  première  de  la  pi.  69  du  tome  III 
des  publications  du  British  Muséum,  on  trouve  une  série  d'assimilations  de  ce  dieu  Anu  avec 
le  dieu  Assour,  avec  le  dieu  Njnip,  qui,  par  une  sorte  de  calembourg,  était  devenu  le  dieu 
éponyme  de  Ninive,  etc.  Anu,  présenté  sous  les  deux  formes  soit  masculine,  soit  féminine, 
tigure  ainsi  un  dieu  possédant  à  lui  seul  toutes  les  pviissances  génératrices.  C'était  un  gnosti- 
cisme  absolument  semblable  à  celui  que  renouvela  plus  tard  une  secte  prétendue  chrétienne. 
Sous  la  diversité  des  noms,  l'auteur  de  cette  tablette  écrite  pour  le  palais  d'Assourbanipal 
reconnaissait  donc  un  seul  dieu  suprême,  qu'on  honorait  par  le  culte  d'Assour,  aussi  bien 
que  par  le  culte  Eloiste  d'ilou.  Dans  de  pareilles  conditions,  la  prédication  de  Jonas  à  Ninive 
et  la  pieuse  retraite  inspirée  par  lui  ne  semblent  plus  invraisemblables.  N'y  eut-il  pas  sous 
le  grand  Assourbanipal  lui-même  un  instant  oii  la  coalition  organisée  contre  Ninive  par  son 
frère,  roi  de  Babylone,  était  devenue  tellement  puissante  que  les  Arabes  du  désert  venaient 


'  La  note  suivante  dont  l'appel  existait  au  mot  «Jérusalem»  a  été  oubliée  p.  151  du  numéro  précé- 
dent :  «Voir  Isaïe  XXVII,  9,  sur  les  D'TiffN  ou  statues  du  dieu  Assour  établies  dans  la  Judée.» 

20 


154  ViCTOE  ET  Eugène  Revillout. 

piller,  sous  les  yeux  du  roi,  jusqu'aux  portes  de  sa  capitale?  Tout  le  moude  craignait  alors 
cette  destruction  de  Ninive,  qui  devait  avoir  lieu,  un  peu  plus  tard,  sous  un  autre  roi.  Et 
jusque  dans  Isaïe  on  trouve  l'écho  douloureux  de  ces  prévisions  de  malheur  pour  ceux  qui 
avaient  tout  renversé  et  qui  devaient  être  renversés  eux-mêmes.  Ils  ne  savent  pas,  disait  le 
prophète,  qu'ils  jouent  le  rôle  de  fléau  entre  les  mains  de  Dieu  et  que,  sa  mission  accomplie, 
le  fléau  doit  être  brisé  :  —  citons  textuellement  :  Isaïe  X,  5  et  sq.  :  «Malheur  à  Assour, 
verge  de  ma  colère;  le  bâton  dans  sa  main  est  l'instrument  de  ma  rage.  Je  l'envoie  contre 
une  nation  hypocrite.  Je  l'expédie  contre  le  peuple  de  ma  colère,  pour  faire  du  butin,  em- 
porter de  la  proie  et  le  rendre  plat  comme  la  boue  des  rues. 

«Mais  lui,  Assour,  il  ne  se  l'imagine  pas  ainsi;  son  cœur  ne  juge  pas  de  cette  manière; 
car  sa  pensée  est  la  destruction  et  l'anéantissement  des  nations,  en  nombre;  car  il  a  dit  : 
«Est-ce  que  mon  sar^  n'a  pas  soumis  les  rois  (vielek)?  Calno  n'eut-il  pas  le  sort  de  Kar- 
»kemis?  Hémat  celui  de  Arpad?  Samarie  celui  de  Damas?  Comme  ma  main  a  atteint  les 
»idoles  dont  les  images  sculptées  étaient  plus  nombreuses  que  celles  de  Jérusalem  et  de  Samarie, 
»ne  ferai-je  pas  à  Jérusalem  et  à  ses  images  comme  j'ai  fait  à  Samarie  et  à  ses  idoles?» 
Mais  lorsque  le  Seigneur  aura  exécuté  tout  son  ouvrage  sur  la  montagne  de  Sion  et  de  Jé- 
rusalem, alors  je  punirai  le  fruit  de  l'orgueil  du  roi  d'Assour  et  sa  fierté  vantarde,  car  il  dit  : 
«Par  la  force  de  ma  main  j'ai  fait  cela;  par  ma  sagesse;  car  j'ai  l'intelligence.  J'ai  enlevé 
»les  bornes  des  peuples,  j'ai  pillé  leurs  trésors  ...  Ma  main  s'est  emparé  des  richesses  des 
«peuples  comme  d'un  nid,  et  je  pris  le  monde  entier,  comme  on  ramasse  des  œufs  aban- 
»  donnés  par  terre.  Nul  ne  remuait  l'aile,  n'ouvrait  le  bec,  ne  gazouillait.»  Mais  la  hache  se 
vante-t-elle  contre  celui  qui  la  manie,  ou  la  scie  s'élève-t-elle  contre  celui  qui  la  dirige?  comme 
si  la  verge  soulevait  celui  qui  l'agite,  comme  si  le  bâton  gouvernait.  N'est-il  pas  de  bois?» 

Dans  bien  d'autres  passages  encore,  il  est  question  de  la  chute  finale  de  ces  terribles 
Assyriens,  qui  détruisaient  tout,  dit  le  prophète,  jusqu'à  eux-mêmes.  Ceci  s'appliquait  admi- 
rablement à  la  lutte  fratricide  entre  Assourbanipal  et  Saosdukin,  les  deux  enfants  également 
partagés  du  conquérant  Assouraddon. 

Mais  on  trouve  aussi  dans  Isaïe  des  allusions  très  évidentes  aux  glorieuses  expéditions 
qui  avaient  signalé  le  commencement  du  règne  d' Assourbanipal,  soumettant  l'Egypte  à  l'aide 
d'une  armée  dont  faisait  partie  l'armée  de  Juda. 

«Prédiction  sur  l'Egypte.  Voilà  que  Jéhova  est  monté  sur  un  nuage  léger.  Il  vient  en 
Egypte.  Les  idoles  de  l'Egypte  sont  agitées  devant  lui  et  le  cœur  des  Égyptiens  s'amollit 
en  eux.  J'exciterai  l'Égyptien  contre  l'Égyptien,  l'homme  combattra  contre  son  frère,   l'ami 

contre  son  ami,  ville  contre  ville,  royaume  contre  royaume,^ Je  livrerai  l'Egypte 

aux  mains  d'un  maître  sévère.    Un  roi  victorieux  dominera  sur  eux,  dit  le  Seigneur  Jéhova 

Sabaoth Le  pays  de  Juda  sera  pour  l'Egypte  un  effroi  :  on  tremble  là  où  on  le 

mentionne En  ce  jour  il  y  aura  une  route  de  l'Egypte  à  Assour.   Ceux  d'Assour 

^  Titre  du  roi  d'Assyrie  inconnu  dans  ce  sens  aux  commentateurs,  ce  qui  a  fait  déformer  singulière- 
ment tout  ce  passage. 

^  Voir  ce  que  nous  .avons  dit  p.  136  et  suiv.  du  numéro  précédent  sur  toutes  les  petites  dynasties 
qui  se  partageaient  alors  l'Egypte,  tout  en  connaissant  comme  roi  suprême,  selon  les  temps,  tantôt  le  roi 
d'Assyrie,  tantôt  le  roi  d'Ethiopie. 


Une  prophétie  messianique  assyrienne.  155 

viendront  en  Egypte  et  ceux  d'Egypte  à  Assour,  et  les  Egyptiens  serviront  Assour.  En  ce 
jour  Israël  sera  la  troisième  nation  avec  l'Egypte;  et  Assour  une  bénédiction  sur  la  terre, 
que  le  Seigneur  des  années  a  bénie  en  disant  :  «Béni  soit  mon  peuple  ég_>q)tieu,  Assour 
»  l'œuvre  de  mes  mains  et  mon  héritage  Israël,»  Isaïe  XIX. 

L'idée  messianique  a  sa  part  dans  le  morceau  que  nous  citons,  mais  c'est  en  se  trou- 
vant intimement  unie  avec  la  préoccupation  immédiate  causée  au  peuple  juif  par  les  événe- 
ments contemporains.  C'est  dans  d'autres  chapitres  que  cette  idée  s'isole  et  prédomine  abso- 
lument, sans  se  colorer  du  reflet  des  incendies  allumés  par  Assour. 

Dans  notre  prophétie  messianique  assyrienne,  traduite  de  la  langue  sacrée  en  sémitique 
de  Ninive  et  par  conséquent  devenue  bilingue,  l'idée  messianique  se  présente  aussi  dégagée 
de  toute  autre  que  dans  les  plus  beaux  morceaux  d'Isaïe. 

Évidemment  l'auteur  primitif  de  cette  prophétie  devait  être  un  Juif  :  peut-être  un  Juif 
né  à  Ninive,  ayant  suivi  toutes  ses  classes  dans  les  écoles  sacrées  des  sanctuaires  ninivites. 
Peut-être  était-ce  Isaïe  lui-même,  dans  un  morceau  aujourd'hui  perdu  et  qui  aura  été  traduit 
dans  le  latin  du  temps,  dans  la  langue  sacrée  et  savante,  par  un  de  ces  Juifs  qui  occupaient 
souvent  une  haute  situation  dans  l'entourage  du  sar.^  On  a  même  pensé  que  l'un  d'eux, 
nommé  dans  un  contrat,  était  entré  par  une  alliance  dans  la  famille  royale. 

Dès  la  première  ligne  de  notre  texte  nous  rencontrons  en  sémitique  une  expression 
rare,  c'est  le  mot  asharu  se  rattachant  certainement  à  la  racine  ^^D,  qui  en  syriaque  prend 
le  sens  de  pretium  redempiionis'^  et  paraît  se  rapprocher  aussi  de  l'hébreu  ^Sti'X  "IDUT 
(démotique  OJj/o — 13,  copte  iuHes.p,  iy5'Hpi.  La  voyelle  qui  précède  cette  racine  —  et  dans 
les  autres  langues  sémitiques  exigerait  pour  la  supporter  une  aspirée  telle  que  cet  S,  qui  in- 
tervient si  fréquemment  dans  la  composition  des  mots  sémitiques  et  particulièrement  des  mots 
arabes  —  n'est  pas  rare  comme  initiale  surajoutée  dans  les  mots  assyriens.  Nous  citerons 
pour  exemple  le  participe  si  fréquent  îmfewnt  «reçu»,  de  maharto  «recevoir»;  les  substantifs 
ou  participes  non  moins  fréquents  irbio  de  rabto,  irkuhu  de  karahu,  inhu  de  nahu;  avec 
l'a  initial,  le  nom  d'agent  atmû,  synonyme  de  mutamu  et  voulant  dire,  comme  ce  participe 
substautialisé,  celui  qui  proclame,  etc.  etc. 

La  forme  asharu  peut  donc  indiquer  un  nom  d'agent  :  celui  qui  fait,  qui  donne  le 
prix  de  la  rançon,  le  rédempteur.  Il  est  à  remarquer  que  l'aphel,  ou  4°  conjugaison,  repré- 
sente un  factitif  dans  la  généralité  des  langues  sémitiques  et  que,  de  plus,  en  babylonien 
comme  en  égyptien,  les  noms  d'agents  affectionnent  surtout  la  vocalisation  par  l'a.  Nous 
pensons  donc  que  cette  expression,   qui  est  pour  nous  un  a^aç  Xs^oij^evov, ^  doit  se  traduire 


'  On  sait  que  sous  la  dynastie  chinoise  qui  a  précédé  la  dynastie  mandchoue  actuelle,  les  Jésuites, 
qui  avaient  de  hautes  situations  à  la  cour  de  Pékin,  ont  fait  ainsi  admettre  parmi  les  livres  chinois  offi- 
ciellement approuvés  l'Évangile  et  l'imitation  de  Jésus-Christ,  qui  ont  pris  place  à  côté  de  Confucius,  des 
livres  boudhistes,  etc. 

^  Avec  ce  sens  premium,  menés,  pretium  redemptionis,  cette  racine  reçoit  en  syriaque  un  aleph  final 
surajouté,  comme  elle  reçoit  ici  un  aleph  initial.  La  vocalisation  générale  en  a  convient  à  un  masdar  comme 
à  un  nom  d'agent;  mais  pour  la  traduction  cela  ne  fait  pas  de  différence,  car  on  nommerait  également  ré- 
dempteur celui  qui  est  comme  celui  qui  fait  le  prix  de  la  rédemption. 

'  Si  on  le  lisait  azkaru  —  ce  que  rend  possible  la  triple  valeur  du  signe  fcV]P^,  il  faudrait  le  ratta- 
cher à  la  racine  12T  et  y  voir  un  rejeton  mâle,  ce  qui  n'enlèverait  rien  —  tant  s'en  faut  —  au  caractère 
messianique  du  morceau. 

20* 


156  Victor  et  Eugène  Revillout. 

par  «le  rédempteur».  Quant  au  mot  sumérien  correspondant,  on  le  rencontre  dans  d'autres 
textes  bilingues  où  il  est  traduit  par  nannaaru  «l'illuminateur».  Lenormant  l'a  ainsi  traduit 
à  deux  reprises  dans  l'incantation  magique  pour  la  guérison  d'un  roi  donnée  par  lui,  p.  121 
et  suiy.,  du  dernier  volume  de  ses  Etudes  accadiennés.  Il  se  trouve  également,  dans  le  même 
morceau,  à  la  ligne  40  de  la  3*  colonne,  dans  un  passage  que  Lenormant^  n'avait  pas  com- 

I  Le  texte  sémitique  de  la  ligne  41  (W.  A.  I.,  IV,  5,  col.  3)  dont  Lenormant  disait  :  «Le  peu  qu'on 
parvient  à  en  discerner  dans  l'état  de  mutilation  où  cette  lig-ne  s'offre  à  nous,  ne  correspond  en  aucune 
façon  à  ce  qui  se  lit  dans  le  verset  accadien,  »  est  au  contraire  une  version  assez  fidèle  de  ce  verset  qui 
permet  d'en  remplir  les  lacunes  avec  certitude. 

Voici  comment  on  doit  le  restituer. 

Kîma  nânnari  essi^  uriddi,  maJiar  elisu,  viakarsit,  saîummatum. 

Nous  allons  voir  en  effet  qu'ainsi  chaque  terme  accadieu  a  bien  son  correspondant  sémitique. 

A  ^  têtj'  premier  mot  du  verset  accadien,  correspond  partout  dans  ce  document  à  «nûnnaruy, 
aussi  bien  ici  que  dans  le  curieux  hymne  bilingue  (W.  A.  I.,  IV,  9),  rédigé  originairement  en  langue  sacrée 
à  Ur  =  Warka  et  où  ce  dieu  -sEnzuna»,  seigneur  d'Ur  (11.  9,  10)  ( —  le  nom  de  Warka  y  est  écrit  pho- 
nétiquement en  sémitique  «Urî»,  ce  qui  tend  à  prouver  que  c'est  bien  cette  ville  d'Ur  d'où  la  Genèse  fait 
sortir  Abraham  — ),  assimilé  à  Sin  parles  Sémites,  est  invoqué  sous  le  nom  de  «oèî<  nannaru»,  —  «père  illu- 
minateur»  traduit  Lenormant  —  et  est  représenté  comme  le  dieu  suprême  (11.  1  et  suiv.)  comme  «le  seigneur 
dieu  Anu,  le  grand  ^  Ae/am  »-*•(—  fih'j  Amtm,  rabti»;  le  «père  engendreiu"  fabu  alid)  des  dieux  et  des 
hommes»  (11.  32,  33),  «de  la  totalité  des  êtres»  (1.  44,  45);  dont  l'ordre,  proclamé  dans  le  ciel,  fait  tomber 
sur  la  face  tous  les  esprits  célestes  (11.  57,  58);  proclamé  sur  la  terre,  fait  baiser  le  sol  à  tous  les  esprits 
qui  l'habitent  (11.  59,  60);  dont  la  parole,  qui  dans  les  cieux  retentit  comme  une  tempête,  a  sur  la  terre 
suscité  la  végétation  et  les  existences  {recto  1.  61,  62,  verso  1.  1,  2,  34),  a  établi  la  justice  et  la  vérité,  et 
fait  proclamer  celle-ci  aux  hommes  (verso  1.  5  et  6);  «le  père  miséricordieux,  qui  rétablit,  qui  prend  en 
main  la  vie  de  l'univers  entier»  {recto  1.  26  et  27). 

Le  second  mot  de  l'accadien  ^.^^A  ^^T  a  le  sémitique  essu  parmi  ses  traductions  courantes  :  et  après 
cela  vient  dans  l'accadien  la  conjonction  comparative  ^^vTT,  qui  suit  dans  cette  langue  ce  qu'elle  gou- 
verne, au  lieu  de  précéder,  comme  en  sémitique,  la  conjonction  équivalente  kima. 

II  faut  remarquer  combien  la  règle  du  parallélisme,  règle  dominante  dans  toutes  ces  compositions 
religieuses,  se  trouve  ici  bien  observée  dans  les  deux  versets  qui  se  suivent.  Au  commencement  de  phrase 
•^T  têlïlj  *  M II  *^*^y I  *''^T  ^SJI  " comme  rilluminateur  Enzuna  =  Sin»  dans  l'un,  répond  le  com- 
mencement de  phrase,  ^T  w-C:T>-T  ^^^i^l5T  ^SjT  «comme  un  illuminateur  nouveau»  dans  l'autre.  Le 
premier  se  termine  par  ►^TT'^f^  ^ITT  ^I  >êl  '^*"T  "  ''  P-'^'^iit  lîi  vie  du  pays  »  que  le  sémitique  rendait 
par  «na|)î"s(j  maiijîifcnHît»  :  le  dernier  se  termine  par  *^TTtlz  ^^  ►sî^TT  \T*^  MM  U'M  \IIl  [y 
que  le  sémitique  rend  par  «  uridi  mahar  ilisu  maharsu  salumraatum  »,  et  dont  il  nous  reste  à  nous  rendre  compte. 

Dans  le  texte  primitif  nous  rencontrons  d'abord  •pTTfîl  J^  sakbi.  En  accadien  on  emploie  souvent 
adverbialement  ou  propositionnellement  les  idéogrammes  des  substantifs  ou  des  verbes.  <^  *T  qui  veut 
dire  «soî«  —  élever»,  traduit  l'adverbe  «élis  =  en  haut»  (W.  A.  I.,  IV,  3,  3,  etc.).  /T>-  qui  représente 
«l'œil»,  signifie  aussi  «à  l'œil  de,  en  face  de,  en  avant,  par  devant»,  etc.;  *^TTct~,  «la  tête»,  veut  aussi 
dire  «en  tête»  et,  par  suite,  d'une  part,  «au  bout,  à  l'extrémité»,  d'une  autre  part,  «en  face,  en  avant,  par 
devant,  devant».  Dans  ce  dernier  sens  il  correspond  exactement  à  \J*~  et  se  traduit  de  même  en  sémitique. 
C'est  ainsi  qu'aux  lignes  44  et  45  de  W.  A.  I.,  IV,  pi.  19  •pTTt^  *">^T|  ®^*  rendu  par  «panika»,  qu'aux 
lignes  46  et  47  de  la  planche  5  du  même  volume  «ina  mahrit  rend  eu  sémitique  •^TTrfz  .  .  .,  etc.  Avec 
l'addition  de  ^~~^.  qui  peut  éti'e  une  formative  adverbiale  ou  le  pronom  possessif  de  la  troisième  personne, 
«saA-éi»  devait  signifier  ici  «par  devant»  ou  «devant  lui».  En  se  référant  à  ce  qui  précédait,  le  traducteur 
sémitique  s'est  demandé  à  qui  s'appliquerait  dans  la  pensée  de  l'auteur  cette  expression  «devant  lui»  : 
était-ce  au  «roi,  fils  de  son  Dieu»  ou  à  ce  dieu  lui-même?  Dans  le  doute,  il  a  fait  ce  que  font  fort  sou- 
vent en  pareil  cas  les  traducteurs  d'Assourbanipal.  Il  a  rendu  successivement  les  deux  manières  de  com- 
prendre possibles  et,  commençant,  bien  entendu,  par  le  dieu  pour  lui  faire  honneur,  il  a  écrit  :  «  devant  son 
dieu,  devant  lui.» 

Le  mot  >^^T  ^J*~,  qui  vient  après  dans  l'accadien,  devait  être  prononcé  phonétiquement  «^««i»,  car 
on  le  trouve  quelquefois  avec  la  variante  ««(si».  C'est  le  correspondant  exact  du  sémitique  «  saîummatum  f 


Une  prophétie  messianique  assyrienne.  157 

pris.  Ce  passag-e  est  curieux;  l'auteur  a  raconté  au  roi  malade  l'histoire  d'uue  éclipse  ex- 
pliquée comme  en  Chine  par  une  lutte  entre  le  mauvais  esprit  et  la  lune,  c'est  à-dire  le  dieu 
lunaire,  l'illuminateur  Sin,  et  —  après  avoir  ajouté  que  cette  éclipse  prit  tin  par  l'interven- 
tion de  Merodach  —  il  dit  à  propos  du  roi  :  «Le  roi,  fils  de  son  dieu,  comme  l'illuminateur 
Sin,  rendra  complète  la  vie  du  pays;  comme  un  nouvel  illumiuateur,  il  portera  devant  lui, 
devant  sou  dieu,  le  salut.  » 

Le  texte  dont  nous  allons  donner  la  traduction  fait  partie  de  toute  une  série  de  mor- 
ceaux religieux  ou  mj^stiques  copiés  pour  la  bibliothèque  d'Assourbauipal.  La  tablette  qui  le 
contient  était  écrite  sur  chaque  face  et  comprenait  quatre  colonnes.  Elle  se  trouve  brisée  ou 

soit  avec  la  première  ortliograplie  «iusii.,  —  par  exemple  au  troisième  verset  du  morceau  messianique  qui  fut 
roceasion  de  cette  lecture  —  soit  avec  l'autre  «râzj»,  par  exemple  dans  W.  A.  I.,  IV,  6,  40;  et  W.  A.  I., 
l'V^,  IS,  10  (LExoEMiXT,  dans  ce  dernier  passage,  le  seul  qu'il  ait  donné,  traduit  salummatum  et  .*«=/  par 
«culte»;  mais  nous  allons  voir  que  ce  sens  ne  convient  nullement  ici). 

Le  dernier  mot  de  l'accadien  est  une  forme  participiale,  ou  plutôt  gérondive  du  verbe  fcTTT'^  111^1 
prononcé  gur  et  recevant  la  syllabe  de  prolongation  )■»  comme  dans  IV,  18,  33  et  35,  où  le  participe  «gumiy 
est  traduit  par  <inâs  =  élevant,  portant  >. 

Dans  le  verset  précédent,  il  était  dit  que  le  roi  guéri  :  «comme  l'illuminateur  Sin,  parfaisait  Ja  \ie 
du  pays»  :  dans  celui-ci,  il  est  dit  que  «comme  un  nouvel  illuminateur,  il  portait  devant  lui  le  k-i^T  \i»-. 
le  <:  salummatum  ».  Comment  traduire  d'après  cela  «  éusi  =  salummatum  »,  en  rattachant  le  mot  sémitique  au 
radical  salamu,  qui  s'écrit  en  babylonien,  soit  avec  un  D,  soit  avec  un  C?  Évidemment  ce  n'est  point  par 
«culte»,  comme  le  faisait  Lenokmakt;  ce  n'est  point  par  «paix»,  ù  quoi  on  aurait  pu  songer  en  se  référant 
à  dSîC.- C'est  plutôt  par  tintegritas,  încolumitas»,  sens  que  ce  mot  possède  en  hébreu  et  en  chalda'ïque,  ou 
plutôt  encore  par  <salus  =  salut»,  sens  que  le  mot  correspondant  prend  en  arabe.  «Porter  devant  soi  le 
salut»,  c'est,  en  effet,  affermir,  «parfaire  la  vie  du  pays»:  et,  comme  d'habitude  dans  ce  genre  de  textes, 
nous  trouvons  dans  les  deux  versets  qui  se  suivent  une  même  idée  sous  deux  formes. 

Dans  le  sémitique,  cette  fois  <i gun-tia  ■»  se  trouve  traduit  par  <<ureddi»,  piel  qu'on  peut  rattacher  soit  à 
mi  'didiuxit,  expaiisity,  soit  à  .IT^,  qui  en  chaldaïque  présente  également  ces  deux  sens.  «  Étendre  au  loin, 
devant  soi,  le  salut»  c'est  bien  au  fond  la  même  chose  que  «porter  le  salut  devant  soi». 

Si  Lenormant  n'avait  trouvé  aucune  analogie  entre  ce  qui  subsistait  de  la  phrase  sémitique  et  la 
phrase  accadienne,  c'est  parce  qu'il  n'avait  rien  compris  à  cette  dernière.  Il  en  passait  le  mot  «susi»  corres- 
pondant de  «aalummatiim:»,  et,  après  cette  suppression,  traduisait  le  reste  ainsi  qu'il  suit  :  «comme  l'illumination 
de  la  flamme,  il  relèvera  sa  tête».  Même  quand  il  se  trompait,  en  homme  intelligent,  il  savait  donner  un 
aspect  satisfaisant  à  ses  contextes. 

Ce  n'est  pas  lui  qui  aurait  jamais  traduit,  alors  qu'il  s'agissait  du  dieu  héros  et  convertisseur  Gibil 
(TV.  A.  I.,  IV.,  "26,  38)  «sa  salummatum  l'ami»  par  «qui  habite  en  santé»,  comme  s'il  pouvait  être  question  de 
la  santé  d'un  dieu.  En  réalité  le  verbe  iramu»  de  la  racine  C'n,  qui  traduit  dans  ce  passage  le  sumérien 
►-[]<[,  y  est  absolument  synonyme  du  verbe  «nosa»  qui  traduit  ailleurs  ce  même  mot  (voir  W.  A.  I.,  IV,  28, 
32.  Lexokmakt,  Etudes  ace,  p.  138,  etc.).  C'est,  du  reste,  comme  l'avait  déjà  remarqué  Lenormakt,  parce  que 
►-TT<T  veut  dire  «  élever,  soulever,  s'élever  »,  que,  quand  il  s'agit  de  vents  qui  s'élèvent  pour  souffler  avec 
force,  on  le  trouve  parfois  (W.  A.  I.,  IV,  29,  15;  IV,  3,  1,  etc.)  traduit  par  izaqu  (cf  Sp'l  signifiant  notamment 
en  chaldaïque  et  en  syinaque  ventus  vehemens,  turbo,  tenipestas,  etc.).  C'est  encore  pour  la  même  raison 
qu'avec  la  formative  accadienne  des  noms  abstraits  *~]J  '^,  ce  même  mot  ►-TT<T  signifie  «  ce  qu'on  lève, 
ce  qu'on  enlève»  et  est  traduit  en  sémitique  par  lisallatum  =  pillage,  butin»  (voir 'W.  A.  I.,  V,  20,  1.  12  et 
13,  etc.).  Dans  W.  A.  I.,  IV,  12,  1.  53  et  54,  la  ligne  53,  en  accadien,  est  ainsi  conçue  :  '^  \]^J  ^^^T^ 
[y  J^  •"l'^i'i^  *"MN  Im  TT^  *"*^T  >??"  fc-^S^  t^T  ^^  1"'  ^^^^  ^^^^  '  '^^•'^  1^  P^y®  ennemi  qu'il  soit 
enlevé  en  butin».  Tous  les  mots  sont  ici  connus,  et  R^y  représente  le  niphal  nusallalu,  comme  «namrit 
représente  sallatum;  on  peut  donc  aisément  remplir  la  lacune  de  la  ligne  suivante  par  une  de  ces  répétitions 
de  la  même  racine  sous  la  forme  de  nom,  puis  sous  celle  de  verbe,  qu'aiment  tant  les  sémites  babj'loniens 
et  lire  ^ana  sallaii  ana  mat  nakii-u  su  lisbilu  su  =  en  butin,  dans  le  pays  de  son  ennemi,  que  celui-ci  l'enlève». 
Or  tous  les  verbes  accadiens  qui  veulent  dire  «élever,  soulever»  veulent  dire  aussi  «porter,  emporter».  La 
traduction  de  <i salummatum  rami*  est  donc  dans  le  passage  que  nous  examinons  «il  porte  le  salut  ^,  ce  qui 
convient  parfaitement  au  dieu  convertisseur  Gibil. 


158  Victor  et  Eugène  Revillout. 

effacée  par  le  bas,  de  telle  sorte  que  le  revers,  qui  a  le  plus  souffert,  présente  une  lacune 
de  plusieurs  lignes  à  la  fiu  de  chacune  des  deux  colonues  y  inscrites.  Le  morceau  messianique 
commence  à  la  quatrième  ligne  de  la  troisième  colonne  du  document,  première  du  revers  (W.  A.  I., 
IV,  125).  Il  devait  se  terminer  sur  cette  même  colonne,  oix  commençait  un  autre  morceau, 
qui  occupait  environ  moitié  de  la  quatrième  et  dernière  colonne,  alors  que  celle-ci  était  intacte. 

Voici  maintenant  la  traduction  de  la  prophétie  messianique,  prophétie  dont  nous^ 
n'avons  vu  aucune  espèce  de  traduction. 

«:Un  jour  Dieu  f*-*^)  engendrera^  un  rédempteur  pur  et  parfait.^ 

'  Nous  avons  tenu  à  insister  sur  la  spontanéité  complète  de  l'impression  profonde  que  nous  avions 
ressentie  en  lisant  ce  morceau.  C'était  à  la  veille  d'une  séance  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  alors 
que  nous  corrigions,  pour  notre  part,  les  épreuves  de  la  partie  assyriologique  du  mémoire  sur  les  prières 
pour  les  morts  dans  l'Egypte  et  dans  la  Chaldée,  envoyé  collectivement  pour  le  1"''  novembre  tant  par  nous 
que  par  notre  frère,  le  professeur  EneÈsE  Revillout.  Une  pensée  vraiment  messianique  nous  parut  ressortir  de 
ce  texte,  alors  même  que  l'on  hésitait  entre  diverses  traductions  pour  tel  ou  tel  terme  pris  isolément.  Cette 
impression  nous  saisit  à  tel  point,  se  confirmant  de  plus  en  plus  par  une  étude  plus  approfondie,  que  nous 
eûmes  hâte  de  la  soumettre  à  la  Société  dans  une  courte  lecture,  où  nous  expliquions  comment  la  chose 
nous  semblait  possible.  Nous  eûmes  à  peine  le  temps  matériel  d'écrire  le  texte  de  cette  lecture  pour  qu'elle 
pût  arriver  au  jour  dit;  et  notre  frère  dut  même  par  ce  motif  renoncer  à  y  ajouter  dès  lors,  comme  il  en 
avait  l'intention,  une  étude  parallèle  sur  une  autre  composition  rédigée  en  Egypte  même  sous  Épiphane 
et  qu'il  a  traduite,  une  première  fois,  du  démotique,  il  y  a  plusieurs  années  déjà.  Nous  nous  réservions 
d'ailleurs  d'introduire,  comme  nous  l'avions  fait  dans  le  mémoire  précédent,  au  moment  de  l'impression,  sur 
les  épreuves,  toutes  les  notes,  tous  les  caractères  cunéiformes  et  les  développements  qui  nous  sembleraient 
indispensables.  Mais  ayant  été  très  malade  depuis  le  commencement  de  janvier,  nous  le  sommes  encore 
assez,  actuellement  après  six  semaines,  pour  ne  pas  quitter  le  coin  du  feu  et  pour  que  le  travail  nous  soit 
pénible.  Nous  nous  bornerons  donc  à  insérer  l'appendice  prévu  et  quelques  notes  dont  les  éléments  étaient 
déjà  préparés  lors  de  notre  premier  examen  de  ce  texte.  On  nous  raconte  que  diverses  personnes,  entre 
autres  M.  Boscowen  auquel  nous  avions  reproché  d'avoir  publié  ou  mentionné  comme  inédits  des  textes 
publiés  par  M.  Strassmaiee,  puis  traduits  par  nous,  auraient  dit  que  ce  morceau  aurait  été  déjà  l'objet 
de  traductions.  C'est  très  possible,  car  le  quatrième  volume  des  Western  Asia  Inscriptioni,  publié  par  le 
regretté  Smith,  est  un  ouvrage  si  répandu  entre  les  mains  des  assyriologues  du  monde  entier  que  l'édition 
en  est  épuisée.  Dés  que  l'état  de  notre  santé  nous  le  permettra,  nous  ferons  des  recherches  et  dans  un 
mémoire,  qui  paraîtra  dans  les  n"'  1—2  de  la  sixième  année  de  la  Revue  égyplologique"-  dirigée  par  notre 
frère,  reprenant  ce  sujet,  nous  aurons  soin  de  comparer  avec  la  nôtre  ces  traductions,  s'il  eu  existe.  Mais 
ce  que  nous  affirmons  de  nouveau  avec  énergie,  c'est  que  nous  n'en  connaissons  aucune  :  que  par  consé- 
quent l'impression  que  nous  avons  traduite  après  avoir  lu  le  morceau  est  bien  une  impression  tout  à  fait 
personnelle,  résultant  du  texte  lui-même,  et  non  d'une  opinion  d'autrui.  Or  c'est  là  le  point  essentiel  quand 
il  s'agit  d'un  document  relatif  aux  idées  religieuses  des  peuples  anciens.  Chacun  sait  en  effet  combien  en 
pareil  cas,  et  même  lorsque  ces  documents  sont  rédigés  dans  les  langues  les  mieux  connues,  la  manière 
de  les  interpréter,  l'importance  qu'on  leur  attribue,  la  portée  de  chacun  des  termes,  la  restitution  du  milieu 
social,  intellectuel  on  religieux,  qui  leur  sert  de  cadre,  peuvent  varier  de  l'un  à  l'autre  entre  les  divers 
interprètes.    V.  R. 

^  On  pourrait  traduire  ici  le  verbe  allibanu»  et  son  correspondant  habituel  '^Sj  j  ]*"  *^W  P*^''  ""^ 
forme  neutre,  au  lieu  de  le  traduire  par  une  forme  active,  et  rapporter  l'idéogramme  »->^,  en  y  voyant 
un  génitif  virtuel,  au  mot  i/ihu,  qui  semble  au  cas  construit.  Jlais  la  pensée  n'en  serait  pas  moins  messianique 
alors  qu'on  lirait  «au  jour  de  Dieu,  naîtra  (sera  produit,  sera  engendré)»  ou  même  «le  jour  de  Dieu,  où 
naîtra»,  au  lieu  de  lire  «un  jour  Dieu  engendrera».  Il  ne  faut  pas  oublier,  en  effet,  que,  dans  l'hymne  cité 
plus  haut,  le  grand  Dieu  d'Ur  est  représenté  comme  le  «  père  engendreur  »  commun  <iabualid»  des  Dieux  et 
des  hommes. 

*  Le  sens  de  «pur»  pour  «elhi^;  celui  de  «parfait»  pour  «.sukluluv  et  son  synonyme  «ustaklilu» 
(l'istaphel  remplaçant  ici  le  saphel  du  verbe  bbs)  sont  établis  par  une  multitude  de  contextes  très  évidents. 
Voir  notamment  notre  mémoire  sur  «l'intervention  pour  les  mots  dans  l'Egypte  et  dans  la  Chaldée». 

(a)  Tont  bien  considéré,  mon  frère  préféra  réservei"  pour  la  Revue  étjyptologique  (occupée  longtemps  par  autre  chose)  ce  mémoire 
entier  (que  l'état  très  précaire  de  sa  santé  Tempêclia  de  retoucher  et  de  compléter  comme  il  le  voulait),  ainsi  que  le  mémoire  sur  l'in- 
tervention pour  les  morts  que  nous  publions  aussi  dans  ce  numéro  même  (K.  K.). 


Une  prophétie  messianique  assyrienne.  '  lô9 

«Il  le  fera  venir ^  pour  tout  l'ensemble^  des  pays. 

«Il  porte  le  salut'  parole  de  justice;*  il  fait  entrer  le  sens  du  juste  dans  toute  poitrine.» 

•  «/fe  ustabuy>  porte  le  sémitique.  Dans  le  sumérien  le  radical  du  verbe  est  /■'  J^j  qui  veut  dire 
«sortir»,  a::' exiit,  processit,  et  qui,  étant  précédé  de  la  formative  factitive  pp,  exige  pour  sa  traduction  un 
sens  .analogue  à  celui  de  «faire  sortir,  faire  venir».  C'est  ju.stement  celui  que  présenterait  «wsteèw»  si  on  le 
considérait  comme  l'istaphel  du  verbe  «  Jaw»  Nia,  déjà  signalé  par  Norris  et  signifiant  «aller,  venir»;  cette 
traduction  est  confirmée  d'ailleurs  par  W.  A.  I.,  II,  19,  col.  2,  1.  19  et  20,  ou  ««o  kima  yumu  nui-i  mbu^  a  pour 
équivalent  ^1  ^Vi^TT  ^ï  ►^  S^Tty  ■^T  k>^I  "V"!  comme  le  jour,  f.ais  venir  la  lumière».  Que  <^subm,  qui 
traduit  .^T  ^^1  dans  un  certain  nombre  d'autres  passages,  soit  certainement  un  saphel,  c'est  prouvé  par 
W.  A.  I.,  IV,  2t),  11.  17,  18,  où  le  membre  de  phrase  (5^  ^J  ^J  t^^^^^J  est  traduit  par  «/««ii,  avec 
la  seconde  forme  de  la  même  racine  verbale,  comme  il  est  traduit  un  peu  plus  loin,  aux  lignes  25  et  26, 
par  «  la  Utztzuu  »,  avec  la  seconde  forme  du  verbe  S2£",  ])résentant  exactement  dans  ce  cas  la  même  nuance  de 
sens,  ainsi  que  le  prouve  le  contexte.  Il  ne  faut  donc  pas  chercher  ici  un  radical  s^^b^l  ou  siipu;  mais  un  verbe 
absolument  synonyme  de  KS'  et  dont  la  première  radicale  soit  en  b.abylonien  un  b  ou  un  p,  ou  une  voyelle. 

^  ^Ana  naphar  matati»  ne  fait  pas  de  difficulté  en  sémitique-,  et  le  sumérien  n'en  fait  pas  d.avautage, 
car  le  groupe  tX-t^  *pT  qui  a  comme  verbe  le  sens  de  malu  (voir  W.  A.  L,  IV,  2,  col.  ;i,  30)  a  naturelle- 
ment comme  substantif  le  sens  de  <^nnpharu^  (voir  W.  A.  L,  IV,  23,  col.  2,  1-5,  etc.  —  cf.  W.  A.  L,  IV,  9,  26; 
IV,  23,  col.  2,  15;  V,  11,  40;  IV,  14,  2,  2.i,  etc.  pour  t^^^A  t't  d'autres  dérivés  de  composés  traduits 
par  «nnphar"). 

^  « Salummatum  nasif  traduit  ici  ►iï^TT  \\*~  *~*T~  ttrlll  '"T'^I  1  '1'"  présente  exiictement  le  même 
sens,  puisque  éitsi  est  le  correspondant  habituel  de  salmnmatmn,  et  puisque  ►~T<|  ^st  déjà  traduit  par  <Knasu^ 
dans  W.  A.  L,  IV,  27,  18,  sans  que  l'acception  de  ce  mot  (qui  pourrait  être  très  différente)  se  trouve  pré- 
cisée, comme  dans  cette  phrase,  par  l'adjonction  de  l'adverbe  «anto  =  élis  =  en  haut».  En  ce  qui  touche  la 
traduction  «il  porte  le  salut»  pour  f salummatnm  nasi»,  nous  renvoyons  à  la  note  précédente  sur  W.  A.  L, 
IV,  5,  col.  3,  1.  41. 

^  ^Edillût  sumum  edil  irta garnir.  =  tj^  >-<  J^J  ^J  >T*^]]  ^t^ITT  ^I^  *~^  ^W  t^T  ^ITI'^  ^ÏHM 
porte  le  sémitique,  auquel  répond  dans  la  langue  sacrée  le  texte  suivant  :  ►-[<|'^  ^TTTT  ^^11  \^I 
y*  ^TT+Y  tu^  ►-<•  Ce  texte  n'est  pas  sans  difficulté  et  il  est  digne  d'une  étude  attentive.  Disons  d'abord  qu'en 
Ce  qui  touche  les  deux  derniers  mots,  régime  de  la  phrase,  la  correspondance  est  pari'aite.  En  effet  lirtu»  est 
la  traduction  régulière  en  sémitique  du  mot  "gab  =  poitrine»  et  f: garnir ^^  est  une  traduction  non  moins 
connue  du  mot  ►-<  qui  verbalement  signifie  notamment  «<;afti  =  compléter»  et  adjectivement  «complet, 
tout,  garnir  ».  Le  mot  t^TTiTT  '"''•  Que  nous  rencontrons  immédiatement  avant  dans  le  texte  en  langue  sacrée, 
et  qui  s'y  retrouve  en  composition  dans  namnira,  a  divers  sens,  parmi  lesquels  il  faut  rechercher  les  sens 
verbaux,  non  seulement  parce  que  ce  sont  généralement  les  sens  primitifs,  mais  parce  que  nir  joue  effec- 
tivement ici  dans  la  phrase  le  rôle  d'un  verbe  (dépourvu  de  toute  formative  pronominale  comme  la  plupart 
des  autres  verbes  de  cette  pièce,  qui  nous  paraît  d'une  composition  très  récente).  Comme  verbe  on  trouve 
^ÎÏtt  traduit  en  sémitique  (W.  A.  L,  V,  31,  1.  64,  n°  6  verso)  par  laralzu  XWc,  ^^II  V^P^  ^'^  chald. 
pn  odirexit,  rectum  fecit y> ,  et  possédant  exactement  les  mêmes  sens  tant  en  syriaque  qu'en  babylonien.  C'est  à 
cette  racine  qu'on  peut  rattacher  les  expressions  si  fréquentes  «  àna  (ou  ina)  tartzi  ou  tirtzi  »  =  «  dans  la  direc- 
tion de»  ou  «sous  la  direction  de»,  etc.,  et  verbalement  lUaratzu»  n'est  guère  moins  souvent  employé.  Mais 
c'est  plus  encore  dans  le  sens  de  <>■  rectum  fecil y,  que  l'accadien  «nie»  semble  se  rapprocher  du  sémitique  «tarazu-i. 
Le  terme  sémitique  kinûatum,  que  W.  A.  L,  II,  48,  3  donne  pour  équivalent  à  ^^yyfT'  ^®  retrouve  dans  des 
contrats  (le  n°  164  de  la  série  de  Leyde  de  M.  Strassmaier,  le  n"  9  de  sa  série  de  Vienne,  etc.)  et  il  y 
désigne  le  règlement,  la  -^  justification  »  d'un  comjjte.  Dans  d'autres  cas  souvent  ^|YYy,  soit  isolé,  soit  entrant 
en  composition  dans  des  termes  tels  que  ^TyyT  ^xC\  CtT~T'  '"^  P°"'^  équivalent  en  sémitique  le  mot  edilu, 
eu  arabe  J J>i  et  signifiant  dans  cette  langue  «  quod  rectum,  justum,  et  aequum  esset  statuil,  juslitiam  recte  ad- 
minislravit,  aequavit,  adaequavit,  aequiparavil » ,  à  la  seconde  forme  :  •sjuslam,  rectam,  aequam,  effecit  rems,  etc. 
On  voit  combien  par  certains  côtés  cette  racine  se  rapproche  de  taratzu  fin  «faire  droit,  rendre  droit». 
C'est  ainsi  qu'en  assyrien  le  verbe  edilu  à  l'iphtael  sous  la  forme  «  ittadalu  »  sert  à  désigner  la  compens.ation 
établie  entre  deux  valeurs,  de  telle  sorte  que  l'aiguille  de  la  bal.ance  qui  les  pèserait  fut  «rendue  droite». 
C'est  donc  à  l'idée  primitive  de  «régulateurs,  de  «justiciers,  de  «haut  justiciers  que  nous  ratt.achons  celle  de 
prince,  de  roi,  etc.  que  représentent  souvent,  par  synonyme,  les  titres  de  t^|*||,  ^TTTT  *~ P 1  ^"  accadien, 
edilu  (edil  au  c.is  construit)  en  sémitique.  Haupt,  du  reste,  avait  déjà  rattaché  au  sens  «taratzu s  ces  .acceptions 
de  ^TTT^  *^T'^I^-  ^®  *^'™  Samas,  nommé  dans  tous  les  textes  le  «juge  du  ciel  et  de  la  terre  »,  est  appelé 


160  Victor  et  Eugène  Revillout. 

Après  cet  en-tête,  très  saisissant,  le  texte  continue  : 


aillem-s  'edil  ffzfZ>-<\  same  u  ivzitim^,  W.  A.  I.,  11,  38,  41;  il  en  est  de  même  de  Sin  dans  la  ville  d'Ur 
quand  il  y  est  représenté  comme  le  dieu  suprême,  établissant  le  «juste  et  le  vrai»  père  des  dieux  et  des 
hommes,  miséricordieux  dans  sa  justice.  Il  ne  faut  pas  s'étonner  d'ailleurs  si,  avec  une  telle  origine,  ces 
mots  sont  devenus  des  titres  royaux  et  divins,  équivalents  dans  l'usage  aux  titres  «soîtm»  (W.  A.  L,  II,  27, 
15;  II,  32,  66;  II,  31,  43),  «sagapiru»  (saphel  de  "1133,  celui  qui  domie  la  puissance,  W.  A.  I  ,  II,  31,  51),  «moftit» 
(II,  26,  15)  :  ils  étaient  bien  moins  éloignés  à  l'origine  de  l'idée  de  souveraineté  que  ce  dernier  mot  dont 
le  sens  verbal  primitif  en  assyrien  et  en  chaldéen  était  celui  de  «délibérer».  Les  empereurs  de  race  phé- 
nicienne, les  successeurs  de  Septime  Sévère,  n'ont-ils  pas  passé  dans  l'empire  romain  la  plus  grande  pai'tie 
de  leur  temps  à  juger  en  dernier  ressort  les  procès  civils  ou  criminels  de  toutes  les  parties  de  cet  empire 
et  à  fixer  la  jurisprudence  par  des  décisions  faisant  loi?  C'est  bien  dans  ce  sens  que  t^yiYT  P'»-'''*  désigner 
le  juge  et  législateur  suprême  dans  W.  A.  I.,  IV,  IV,  n"  3,  1.  3,  où  Nebo  est  représenté  comme  le  greffier 
pi^TTT  w^T»-T  de  toute  chose,  greffier  que  ce  t^TTTT  (ou  7iirik,  car  la  fin  de  la  ligne  est  brisée)  admet 
dans  ses  secrets  «ma  nimigifsujv  en  accadien  »-T<T'^  \jj  *lf\\  >~<  •  '^in  sea-etis»  aurait-on  dit  dans  la 
langue  des  jurisconsultes  romains. 

Il  nous  reste,  dans  chaque  texte,  deux  mots,  dont  le  premier  est,  dans  l'un  et  dans  l'autre,  un  dérivé 
du  terme  que  nous  venons  d'étudier  :  en  accadien  ►-y<|'^  ^TmT  E^II  ^^  ®"  sémitique  «edillût».  Ce  dernier 
mot  paraît  être  au  cas  construit  et  par  conséquent  gouverner  le  terme  qui  suit  ^|  ►■j*^!!  t^t^IJI  '*"^^'"''- 
SuMim  peut  se  rattacher  lui-même,  comme  nominatif  avec  mimmation,  à  la  racine  que  l'on  rencontre  si  fré- 
quemment dans  les  textes  assyriens  et  babyloniens  sous  les  formes  isâUi,  iseisi  (et  même  iési,  comme  si  saSu 
était  le  saphel  d'un  verbe  à  première  radicale  défectueuse)  et  qui  signifie  «dire,  parler».  La  vocalisation 
en  u  indique  un  participe  passif  ou  neutre  (comme  dans  sukMu,  etc.)  ou  un  substantif  renfermant  une  idée 
semblable  :  dictum  ou  verbum.  Le  mot  à  mot  de  <!.edillut  summ  edil  irla  garnira  pourrait  donc  être  «régle- 
mentation (ou  jurisdiction,  ou  principauté)  dite  (ou  de  parole),  il  réglemente  (statuit  quod  rectum  fuisset)  — 
ou  :  «il  rend  juste  (rectum  fecit)  toute  la  poitrine».  Il  ne  faut  pas  oublier  que  la  poitrine  «f^  —  »>i«»  est 
prise  comme  synonyme  de  la  conscience  dans  une  multitude  de  passages.  C'est  ainsi  q\ie  le  dieu  Gibil  est 
représenté  changeant  durant  la  nuit  la  poitrine  du  méchant,  c'est-à-dire  retournant  sa  conscience.  Relativement 
à  l'aecadien,  il  y  a  deux  remarques  à  faire.  D'abord  le  mot  correspondant  au  sémitique  edillut  n'a  pas  en 
accadien  la  forme  ])leine  >-y<y'i<^  ^yyyy  '"| '^1 '*'  (""  peut-être  entre  en  composition  le  thème  verbal  »"y<|'^, 
comme  le  thème  verbal  ^yf']  tvT]  entre  dans  t^yyyy  ^yy  y  »yy  y,  traduit  par  edillum  comme  tyyyy  "^y^^y  } 
forme  qui  se  présente  d'ordinaire  quand  on  peut  également  traduire  par  sarrutum  (W.  A.  I.,  II,  25,  17).  La 
syllabe  ra  qui  suit  namnir  en  paraît  la  syllabe  naturelle  de  prolongation,  du  moment  où  »^yM  ne  s'ajoute 
pas  à  nir,  à  moins  qu'on  ne  préfère  y  voir  la  préposition  ra  dont  le  sens  est  ana).  La  seconde  remarque 
à  faire  c'est  que  nous  ne  nous  rappelons  aucun  texte  dans  lequel  la  racine  acoadienne  \ty  ait  le  sens 
de  «dire»,  de  «parler»,  à  moins  qu'il  ne  faille  la  traduire  ainsi  dans  le  nom  composé  et  significatif  de 
*'^y  <  t^y^^  *n—  temple  où  Anounit  rendait,  prononçait,  ses  oracles,  «  bit  piriskhi  »  dit  le  sémitique,  *yy  y  *4- 
^^yy  «-^yy  dit  la  langue  sacrée,  —  et  dans  certains  noms  divins.  Il  est  vrai  qu'on  peut  relever  pour  ce 
terme  \ty'^  un  assez  grand  nombre  de  traductions  sémitiques  diverses,  parmi  lesquelles  nous  citerons 
nakab^i  et  ses  dérivés  (W.  A.  L,  IV,  2,  col.  3,  1.  16;  IV,  22,  45;  IV,  5,  1;  IV,  col.  2,  11.  "31,  43,  45,  etc.), 
isarrii  (W.  A.  L,  IV,  1,  27;  IV,  5,  39,  etc.),  mina  (W.  A.  I.,  V,  21,  7),  sukkit  (IV,  16,  col.  2,  11.  34  et  35, 
cf.  1.  3fi),  eltziis  (W.  A.  L,  IV,  17,  17),  naos  (W.  A.  L,  II,  32,  33,  II,  22,  76),  sukluht  (W.  A.  L,  V,  51,  46; 
et  d'autres  dérivés  de  kalaU  :  usaklilu  (W.  A.  T.,  IV,  21,  6),  ustaklilu  (IV,  25,  37),  etc.  En  jetant  un  coup 
d'œil  aujourd'hui  sur  la  republication,  avec  transcriptions  et  traductions,  du  fameux  syllabaire  de  la  pre- 
mière planche  de  W.  A.  I.,  II,  que  Lenormant  a  faite  aux  pages  173  et  suiv.  de  ses  Eludes  accadiennes  im- 
primées, nous  y  voyons  <  y^iy-^  rétabli  :  affirmativement  avant  hUu  et  avant  ultzn.  (que  Lenormant  traduit 
par  «fête,  réjouissance»),  dubitativement  cette  fois  avant  le  terme  sémitique  aêamu,  pour  lequel  Lenormant 
ne  tentait  aucune  traduction,  se  bornant  à  mettre  un  point  d'interrogation  à  la  place.  Le  mot  aSamu  nous 
intéresse,  car  suéumu  pourrait  aussi  bien  être  une  forme  apocopée  du  participe  de  son  saphel  qu'une  forme 
nominative  pleine  du  participe  du  saphel  du  verbe  Uh.  Jlais  en  cherchant  des  correspondants  sémitiques 
pour  ce  verbe  aêamu,  nous  n'en  trouvons,  soit  avec  l'aleph,  soit  avec  l'ain  initial,  aucun  qui  puisse  nous 
convenir;  avec  le  n  le  chaldaïque  nous  oifre  iZZT}  balbutiavit;  et  il  faut  changer  la  sifflante  de  la  seconde 
radicale  pour  rencontrer  en  arabe  une  racine  qui,  signifiant  d'abord  fregit,  offre  un  sens  raisonnable  ici, 
celui  de  magnificavit  Asim  une  de  ces  formes  dérivées.  Il  ne  serait  donc  pas  impossible  que  cette  phrase 
puisse  se  traduire  ainsi  :  «  eu  réglementation  (ou  rectification,  ou  direction,  ou  souveraineté)  magnifiée,  il 


Une  prophétie  messianique  assyrienne.  161 

«Sa  crainte  renverse  les  idoles. '  II  soulève  (pour  elles)  la  tempête.^ 

rend  droite  toute  la  poitiine»,  c'est-à-dire  «toute  la  conscience».  Ajoutons  qu'il  reste  un  grand  doute  sur 
le  point  de  savoir  si  c'est  t^TryT  et  son  correspondant  sémitique  «edil»  ou,  au  contraire,  ►-<  et  son  corres- 
pondant sémitique  i. garnir  y>,  qui  joue  dans  cette  phrase  le  rôle  de  verbe.  En  eiFct,  d'une  part,  chacun  de  ces 
deux  termes  sumériens  se  trouve  dépourvu  de  toute  formative  quelconque,  —  comme  il  arrive  d'ailleurs 
souvent  en  cette  langue  et  notamment  dans  ce  même  morceau  pour  la  troisième  personne  du  singulier  du 
temps  présent  des  verbes,  aussi  bien  que  pour  des  racines  prises  adjectivement,  substantivement,  adver- 
bialement, etc.;  et,  d'une  autre  part,  en  sémitique  «etii^»  et  «garnira  peuvent,  l'un  et  l'autre,  représenter  égale- 
ment bien  la  troisième  personne  du  permansif,  ou  la  forme  apoeopée  d'un  substantif  ou  d'un  adjectif.  Ga- 
maru  traduit  en  effet  en  tant  que  verbe  ►-<  employé  lui-même  en  qualité  de  verbe  (voir  notamment  W. 
A.  I.,  Il,  15,  31).  Si  donc  »— <  garnir  était  le  verbe  gouvernant  ^i^  irta,  ^y+yT-  «'^''j  devenant  alors  un  qualifi- 
catif du  sujet,  les  mots  ■>■  edilirta  garnir  i>  signifieraient  «en  directeur  souverain,  il  complète,  il  rend  parfaite 
("liSJ  perfecit,  complevit  et  en  chaldaïque  aussi  docuit)  la  poitrine,  —  c'est-à-dire  en  babylonien  (comme  nous  l'a 
prouvé  le  passage,  cité  plus  haut,  relatif  aux  conversions  du  dieu  Gibil)  la  conscience:).  Au  fond,  cela  nous 
ramènerait  absolument  au  sens  général  de  la  traduction  donnée  d'abord.  De  quelque  manière  qu'on  la 
tourne,  cette  phrase  difficile  nous  maintient  toujours  dans  la  même  série  d'idées,  essentiellement  messianiques. 

'  ^melammisu  taaihar  bunaannis.  Le  mot  assyrien  melamnm  a,  comme  d'ordinaire,  pour  correspondant 
l'accadien  ]*-  ^^^^^T-  Lenormant,  qui  le  rattachait  (de  même  que  l'adverbe  malmalis)  à  la  racine  malu 
«remplir»,  le  traduisait  d'après  les  contextes  par  «force  immense».  D'autres  l'ont  traduit  par  «éclat», 
parce  que  c'est  un  des  six  mots  ]qui  se  trouvent  rapprochés  de  saruru  dans  W.  A.  I.,  11,  35,  1.  4  et  sui- 
vantes. Ce  sens  d'« éclat»  peut  convenir  à  certains  passages,  à  la  condition  d'y  voir  quelque  chose  d'éclatant 
et  de  terrifiant,  comme  Dieu  donnant  la  loi  sur  le  mont  Sinaï  au  milieu  des  éclairs  et  du  bruit  de  la  foudre. 
En  efl'et,  on  trouve  très  souvent  des  phrases  telles  que  celles-ci  données  par  Norris  «  hiduhti  melammi  sarruti 
ia  ikta  su  =  la  crainte  de  l'éclat  terrible  de  ma  royauté  l'écrasa»;  fpidhu  melammi  beliui  ia  Uhap^isu  =  la  crainte 
de  la  melamme  de  ma  puissance  le  renversa»,  etc.  Dans  les  bilingues  traduits  par  Lenormant,  ces  expressions 
s'appliquent  à  l'arme  terrible  d'un  dieu  à  laquelle  nul  ne  peut  résister.  Quand  donc  melamme  (qui,  ainsi 
que  l'a  montré  M.  Haupt,  est  en  réalité  un  mot  accadien  transporté  dans  le  sémitique)  se  trouve  précédé 
du  mot  pulhu  qui  signifie  «crainte»,  l'idée  qu'on  y  attache  peut  bien  être  celle  d'un  éclat  terrifiant  :  mais 
c'est  la  crainte  «pîiWa»  qui  frappe,  qui  saisit,  qui  renverse,  qui  balaye  (sapin)  ceux  qui  en  sont  atteints. 
Mais  quand  melamme  se  trouve  seul,  ce  qui  est  fréquent,  il  représente  tout  aussi  bien  l'impression  produite 
que  ce  qui  la  produit  :  l'idée  de  crainte,  de  terreur,  que  celle  d'un  éclat,  de  quelque  chose  de  terrible. 
Ainsi,  avec  le  même  verbe  que  dans  une  des  phrases  citées  plus  haut,  on  trouve,  sans  aucune  des  formes 
àe pidhu  :  <t«o  melamme  usahhapu^;  ^melamme  sarrutiia  iktumasu»,  etc.,  et  dans  un  bilingue  relatif  à  une  arme 
puissante,  IV,  18,  50,  (comme  les  bilingues  où  Lenormant  traduisait  melamme  par  force  immense)  la  phrase 
suivante  se  rencontre  :  T»-  fZ^^I  .^  ^^  t~X^  *"^I  ^ts^J  ^yf"  en  accadien,  et  en  sémitique  : 
'< melammi  izziiiisu  taihar  ana  idi  su  =  la  crainte  de  sa  force  renverse  à  côté  de  lui  (du  glaive)»;  —  «personne 
ne  lui  résiste»,  ajoute  le  bilingue.  Dans  ce  cas,  comme  dans  la  phrase  que  nous  analysions,  nous  traduisons 
taihar  par  «renverse».  En  effet,  le  verbe  éahara  veut  dire  non-seulement  «envelopper,  entourer,  assiéger», 
mais  aussi,  comme  certains  dérivés  de  la  même  racine  dans  d'autres  langues  sémitiques  :  «  se  prosterner,  se 
jeter  par  terre  devant  un  dieu».  C'est,  ainsi  que  dans  le  poème  de  la  pénitence  qui  forme  le  n°  5  de  la 
29'  planche  du  4"  volume  de  W.  A.  I.  nous  traduirions  (1.  54)  «adi  mali  belti  éuhhuru  panuki^  par  «jusques 
à  quand,  oh  !  dame,  le  renversement  devant  ta  face  »  et  non  «  le  tournoiement  devant  ta  face  »  ce  qui  figurerait 
mal  l'état  de  prostration,  de  repentir  et  de  prière  que  traduit  l'ensemble  du  morceau.  D'ailleurs  '  dans  le 
passage  que  nous  analysions  il  serait  à  peu  prés  indifférent  de  traduire  :  «  sa  crainte  assiège,  enveloppe  les 
idoles»  ou  :  «sa  crainte  renverse  les  idoles»  :  la  pensée  serait  toujours  la  même;  ce  serait  un  enveloppement 
hostile,  et  comme  dans  la  phrase  relative  au  glaive  citée  un  peu  plus  haut,  un  de  ces  enveloppements  qui 
renversent  et  auxquels  on  ne  résiste  pas.  Que  «  bunnanî  »  veuille  dire  «  idoles,  représentations  de  divinités  »,  c'est 
rendu  certain  par  W.  A.  I.,  IV,  2,  col.  3,  26,  où,  dans  un  passage  où  le  premier  mot  manque,  il  est  question, 
à  propos  de  mauvais  esprits  des  *bunannie  ilani  aunu^\  peut-être  accusait-on  ces  mauvais  esprits  de  ne  pas 
respecter  les  idoles  vénérées  «les  statues  de  leurs  dieux».  Le  correspondant  de  bunanie  est  ^i^J^  \^^ 
t;3^  dans  le  texte  accadien  que  nous  venons  de  citer,  comme  dans  W.  A.  I.,  IV,  21,  16  et  dans  notre 
texte  sumérien  messianique.  Dans  celui-ci  seulement  il  se  trouve  précédé  du  terme  ^^T  qui  veut  dire 
•ibanu  =  faire,  fabriquer»  d'une  façon  très  générale  (voir  notamment  W.  A.  I.,  IV,  5,  3;  IV,  27,  6,  etc.). 
C'est  donc  ici  «ce  qui  est  fabriqué  en  statue,  en  image  des  dieux»;  très  souvent  en  effet  le  sémitique 
zalam  traduit  t^J^  ^^  ^^  (W.  A.  L,  IV,  13,  24;  IV,  21,  20,  etc.). 

2  «.A   »-TT  .A   ^*^  '"TT'^T  Tt*'  "^^  l*^®  le  sémitique  traduit  par  ■^rarubatum  rami:>.  L'expression 

21 


162  Victor  et  Eugène  Revillout. 

«Il'  fait  resplendir^  la  royauté,  rédempteur  purement  produit.^ 

«11  est  engendré  dans  le  ciel.  Il  est  engendré  sur  la  terre. 

«Ce  rédempteur,*  il  est  engendré  au  milieu  des  légions  du  ciel  et  de  la  terre. 

«Rédempteur,''  il  fera  pousser  le 

€rarubalumi>  se  rencontre  aussi  dans  W.  A.  I.,  IV,  27,  11.  54  et  56  avec  le  même  correspondant  sumérien.  Ce 
mot  peut  être  rapproché  du  mot  ^rurubu»  que  nous  trouvons  dans  II,  62,  21  comme  synonj'me  sémitique  de 
«jiîVtoOT».  Cela  ne  nous  apprend  pas  grand'  chose  sur  la  nuance  de  sens  qu'il  fiiut  lui  attribuer,  car 
«iniHum.»  a  des  acceptions  très  nombreuses  et  qui  ne  sont  jias  toutes  déterminées.  D'ailleurs  «rurubui-  semble 
avoir  une  origine  non-sémitique,  car  il  se  rencontre  en  composition  «  ruruhune  »  dans  le  texte  accadien  d'un 
bilingue  (W.  A.  I.,  IV,  1 8,  52)  et  il  y  est  traduit  en  sémitique  par  ^ï^s^  ^~^^~^  >-<[<.  Au  contraire,  les  termes 
qui  composent  notre  phrase  accadienne  sont  tous  individuellement  bien  connus  :  .Q^H+-  est  traduit  par  «sâru 
=  vent»  dans  une  multitude  de  passages;  '^  \t*~  ^^^  traduit  comme  adjectif  par  izzu  «fort,  violent, 
puissant»  (W.  A.  I.,  IV,  26,  10,  etc.),  comme  adverbe  par  izzis  (W.  A.  I.,  V,  50,  72),  comme  substantif  par 
izzutu  (W.  A.  I.,  IV,  18,  50)  :  comme  épithète  on  le  trouve  à  un  combat  violent  (W.  A.  I.,  II,  19,  18),  à  des 
serpents  énormes  (W.  A.  I.,  II,  20,  col.  2,  15),  etc.  Quant  au  verbe  ►"[  | <[  et  à  son  correspondant  sémitique 
ramu,  nous  en  avons  longuement  parlé  plus  haut. 

'  La  royauté  est  désignée  ici,  comme  souvent,  en  sumérien  par  un  des  attributs  du  roi  ►-t^TTT  ^T. 

'  ^lUananbit^  est  un  iphtanaël  irrégulier  du  verbe  ?ntjj7.  Il  serait  plus  régulier  s'il  n'y  eût  pas  de  n 
avant  le  b;  mais  on  retrouve  cette  même  forme  dans  W.  A.  L,  IV,  27,  22,  ce  qui  prouve  que  ce  n'est 
point  une  faute  de  scribe. 

3  «/tÎ  *"TT.oiL.  \\>  *T~  >jC--<^  traL^"  porte  le  sumérien;  lellissubu»  porte  le  sémitique.  Le  groupe 
•n  *^-C^  tzï^  traduit  par  «  nubu  »  est  celui  dont  le  sens  est  à  déterminer,  car  subu  peut  tout  aussi  bien 
être  sapliel  du  verbe  nabu  «proclamer,  annoncer»,  que  le  saphel  du  verbe  synonyme  de  Si"  dont  nous 
avons  parlé  plus  haut.  Le  vocabulaire  bilingue  qui  forme  la  planche  70  du  troisième  volume  de  W.  A.  I, 
nous  fournit  deux  lectures  et  deux  équivalences  sémitiques  pour  ce  groupe.  Avec  la  lecture  idU/na  à  la 
ligne  46,  c'est  le  nom  du  tigre  ^idiglat».  A  la  ligne  47  avec  la  lecture  idulla»  c'est,  comme  dans  notre  texte 
l'équivalent  du  sémitique  «  subu  »  :  mais  ceci  ne  nous  apprend  en  aucune  manière  comment  il  faut  traduire  «  subu  » 
*T~  *^~^k  t_u^  ^^  rencontre  encore,  et  cette  fuis  avec  un  contexte,  dans  un  bilingue  du  quatrième  vo- 
lume (i)lanclie  V,  col.  2,  1.  61)  :  malheureusement  la  ligne  sémitique  qui  donne  la  traduction  de  la  phrase 
se  trouve  mutilée.  Il  s'agit  de  la  lutte  des  esprits  méchants  contre  le  dieu  Sin.  Le  dieu-lumière  se  trouve 
arrêté  dans  sa  marche  par  ces  mauvais  esprits  jouant  ainsi  le  même  rôle  que  les  méchants  dragons  des 
légendes  chinoises.  Le  dieu  Belkit  a  vu  la  chose  et  il  l'a  fait  annoncer  du  ciel  au  dieu  Ea  habitant  de 
l'abîme.  Le  dieu  Ea  raconte  à  son  fils  le  héros  Merodak  l'arrêt  de  Sin  et  il  ajoute  «  hmmggabi  »,  en  sémitique 

f:n'atirsu'>  <son  entra  vement»  *~*T~  ^T^  >^-^A  ^^^  *^^  MTT  M  ^\  Il  '  '''^  sémitique  il  reste  ici 
►—  *->Y~  ^iT  fcl  I  I  P'"s  ^^  place  de  deux  signes  effacés  ou  douteux.  En  supposant  que  ces  deux  signes 
composent  la  traduction  de  >-^  ^llj  ^>-I  '^*'  expriment  par  conséquent  l'idée  de  «faire  sortir»  et  «délivrer», 
peut-être  l'impératif  hiUui-  (ou  butir)  «  délivre  »,  il  resterait  après  «  ina  same  »  traduisant  *->t—  le  signe  •^[iT 
à  lire  ici  stib  pour  représenter  le  groupe  en  question.  Mais  comme  l'arrestation  de  Sin  a  été  annoncée  du 
ciel,  proclamée  au  ciel,  on  pourrait  encore  songer  ici  à  voir  dans  sub  un  saphel  de  naba  sous  une  forme 
apocopée.  Cependant  nous  pensons  plutôt  que  c'est  une  redondance  par  rapport  à  ^1  ^>^Ti  ^^  comme 
d'ailleurs  le  sens  habituel  de  <{J  et  de  eîlu  est  «pur»,  bien  que  l'on  trouve  parfois  ces  mots,  ainsi  que 
l'ont  remarqué  Lenormakt  et  Pognon,  s'appliquant  aux  montagnes  dans  le  sens  de  «haut»  ce  qui  semble 
prouver  qu'eHa  et  élu  se  confondaient  parfois,  le  sens  «  il  est  fait  sortir,  il  est  mis  au  monde,  il  est  produit 
en  pureté»  nous  paraît  convenir  le  mieux  pour  notre  passage. 

*  Ces  deux  mots  que  répète  toujours  le  sumérien,  ne  sont  traduits  par  le  sémitique  ni  dans  cette 
ligne,  ni  dans  les  suivantes. 

^  La  ligne  sémitique  ne  contient  plus  que  le  dernier  signe  d'un  mot  effacé  (probablement  du  mot 
îî<  ►" V  >—]  et  la  troisième  personne  du  singulier  de  la  seconde  forme  du  verbe  SS'',  forme  construite 
sur  le  même  modèle  que  udaa,  troisième  personne  de  la  seconde  forme  du  verbe  savoir,  dont  idi  est  la 
troisième  personne  de  la  première  forme.  Le  groupe  sumérien  correspondant  à  uzaa  est  uddu  >^  ^Ijj 
^1  ^^T  qui  effectivement  représente  un  factitif  dans  tous  les  exemples  que  nous  en  connaissons.  C'est 
ainsi  que  dans  W.  A.  I.,  IV,  5,  col.  2,  ligne  24  <y>-  j^  WjjS  ^T  ^!^T,  traduit  par  «imur  =  il  vit»,  signifie 
proprement  «il  fit  sortir  son  action  de  voir,  sa  vision  =  il  jeta  un  regard  (<T>-  f^  est  traduit  par  tamartu, 


Une  prophétie  messianique  assyrienne.  163 

«Ce  rédempteur,  génération ^  céleste,  génération^  de  l'humanité. 

«Ce  rédempteur,  sur  les  tables  de  propitiation,  il  accomplit  en  vérité  la  parole.' 

«En  messager  de  Dieu  il  fait  son  nom.* 

W.  A.  I.,  IV,  20,  5;  par  amiruiu,  W.  A.  I.,  IV,  1,  col.  3,  1.  1,  etc.).  C'est  ainsi  que  dans  W.  A.  I.,  11,  19, 
20,  tmunnuddu^  est  traduit  par  ^subii»,  saphel  qui  signifie  «faire  sortir  ^=  producere».  La  seconde  forme  des 
verbes  babyloniens  étant  aussi  le  plus  souvent  factitive,  il  faut  traduire  «il  fait  sortir».  Le  sumérien  seul 
nous  dit  quoi  :  tT  ^  ^TTTT  *^T  TT^  *J^  E^IT  t^IIr  *^°  °  ''^  malheureusement  point  encore  déter- 
miné l'espèce  d'arbre  qui  était  nommé  îW  *^^  eu  sémitique  comme  en  sumérien,  et  dont  il  est  question 
dans  une  inscription  de  Nabonid,  W.  A.  I.,  V,  65,  1.  5.  Quant  à  •pT  t^TtTT  c'est  un  mot  très  connu,  très 
fréquent,  qui  veut  dire  «forêt  =  kislum»  (W.  A.  I.,  V,  26,  11  et  suiv.)  et  qui  dans  ce  sens  était  passé  en 
sémitique  babylonien  sous  la  forme  «  tirrti  »  (W.  A.  I.,  IV,  23,  col.  2,  36).  L'ensemble  de  la  phrase  signifie  donc  : 
«il  fait  sortir  une  forêt  de  l'arbre  ÎW  ►--^»  =  «il  fait  énergiquement  pousser  l'arbre  î+^  *-V». 

'  ■^Binuiit  iliv  porte  le  sémitique,  c'est-à-dire  « engendrement  de  dieu»,  «^i'  ■(*-*.tT  ^N^tT  ^T"  porte 
le  sumérien,  c'est-à-dire  «engendré  par  celui  qui  fait,  par  le  créateur».  Cette  expression  W  ^^<TT,  com- 
prise comme  signifiant  «  dieu  »  par  le  traducteur  sémitique,  a  pour  corollaire  les  expressions  :  «  père  en- 
gendreur»,  ahu  alid  —  «des  dieux  et  des  hommes»,  —  «père  engendreur  de  tout  ce  qui  existe»,  appliquées 
au  dieu  suprême,  dans  l'hymne  si  curieux  déjà  cité,  écrit,  dans  la  ville  d'Ur,  en  sumérien  proprement  dit, 
c'est-à-dire  dans  le  même  dialecte  que  notre  morceau  messianique. 

^  Le  sumérien  contient  ici  identiquement  la  même  racine  verbale  pour  représenter  «génération»  que 
dans  la  première  partie  de  la  phrase  où  il  s'agissait  d'une  génération  divine  W  ^NjT  et  non  d'une  gé- 
nération de  l'humanité  ^2u  *~^|TTT  IeU'  Q^'-'^nt  au  sémitique,  au  lieu  de  «èmâi»,  il  emploie  cette  fois 
«  ibrit  »,  également  un  nom  abstrait,  mais  cette  f«is  construit  sur  «  biru  »  ~Q,  que  W.  A.  I.,  III,  70,  col.  3, 
1.  23,  n"  170  nous  montre  être  le  synonyme  de  imaru  =  fils». 

^  «/îia  ^ï2s:  ^yï~  *~^TK  ^'""'■'  ^^klula  porte  le  sémificiue  ET  KtT*-  '\>~  *~\\')^  J_^vi  ^T  ^■(i. 
*~^^zl  ^ I  M  porte  le  sumérien.  Pour  ^ï^^  ^yr"  ►^[^  «mis  nous  sommes  laissés  impressionner  par  les 
arguments  de  Pognon  qui,  aux  pages  106  et  107  de  son  récent  mémoire  sur  les  inscriptions  de  Wade  Brissac, 
s'est  attaché  à  démontrer  que  rfz  P^  *^t  t^!^^  ^tt~  t^Tv  se  rapportait  à  «la  table  sur  laquelle  on 
plaçait  les  aliments  destinés  aux  divinités»,  et  qui,  a  répété  cette  même  désignation,  «table  sur  laquelle 
on  plaçait  les  aliments  destinés  aux  dieux  »  dans  son  vocabulaire,  p.  195,  au  mot  ^ï2sz  ^tT  tTt.  Comme 
nous  l'avons  déjà  vu,  >:suklulo  est  une  traduction  courante  pour  le  sumérien    ET  /t:T'^.  Il  en  est  de  même 

de  «ij)u".9»  pour  ►-7T^  J_^^^T  \\\  (W.  A.  I.,  IV,  18,  3)  ou  même  pour  ►-TT^  pris  adverbialement 
sans  autre  formative  (W.  A.  L,  IV,  19,  50).  Reste  dans  le  texte  accadien,  avant  cet  adverbe,  le  signe  V^ 
et  après  >-^T^  CiTTT'^.  Le  terme  ►"t^I^j  ^  I II  ^^  rencontre  très  fréquemment  avec  le  sens  de  «  parole 
=  ce  qui  a  été  dit  =  qabu  =  qibiUu  amat^  (W.  A.  I.,  V,  39,  30;  IV,  17,  52;  V,  39;  IV,  20,  dernière  ligne, 
etc.)  ^ï-  isolément  ne  pourrait  être  ici  qu'un  adverbe  voulant  dire  «largement»,  comme  ailleurs  c'est  un 
adjectif  voulant  dire  «large  =  rapasup  (W.  A.  L,  V,  29,  col.  2,  13).  La  phrase  sumérienne  signifierait  donc 
«il  accomplit  (perfecit)  largement,  véritablement,  la  parole».  Nous  devons  ajouter  cependant  qu'on  trouve 
à  la  planche  2  du  i"  volume  de  W.  A.  I.  (colonne  3,  ligne  19)  un  mot  composé  dans  lequel  entre  à  la  fois 
■^  et  >~^T>~T  CiTTT-^.  Ce  mot  ■^  >^^T»-T  tll  p  est  traduit  en  sémitique  par  «humu  =  ce  qui  est 
établi».  Si,  comme  le  terme  *^II  <Itt,  par  exemple,  il  est  susceptible  de  se  diviser  en  deux  parties 
recevant  entre  elles  des  formatives,  ou  des  régimes,  ou  des  adverbes,  etc.,  il  faudrait  traduire  la  phrase 
sumérienne  ainsi  qu'il  suit  «ce  rédempteur,  il  accomplit  ce  qui  est  établi  en  vérité».  En  tout  cas  la  corres- 
pondance avec  la  phrase  sémitique  ne  semble  pas  rigoureusement  exacte. 

*  Dans  ce  verset  encore,  la  correspondance  ne  semble  pas  rigoureusement  exacte,  bien  que  le  sens 
général  reste  le  même  au  fond,  entre  la  phrase  sumérienne  et  la  phrase  sémitique.  Cette  dernière  est 
bien  simple  « ina  <y>-  ^1  ili  sumu  epus».  Mais  dans  le  sumérien  on  ne  trouve  que  les  deux  premiers  mots 
TEJj  *-*T-  qui  soient  littéralement  traduits.  En  effet  TET]  se  trouve  rendu  dans  les  bilingues  par  le 
sémitique  ■^sipruy  J*~  ^U  «message»  (W.  A.  L,  V,  51,  col.  2,  11.  48  et  50)  par  sipt-u  et  t:§^  Jt-  >-^J<l 
«messager  —  messagers»  (W.  A.  L,  IV,  5,  col.  1,  11.  27,  28,  etc.)  et  il  l'est  aussi  par  ^dteu»  (W.  A.  I ,  II, 
36,  47),  auquel  on  pourrait  rattacher  <y>"  ^T  en  le  lisant  <iaUav,  au  lieu  de  lire  <isipar«,  comme  il  paraît 
y  avoir  lieu  de  le  faire  dans  la  phrase  suivante,  où  il  traduit  également  JETT  (W.  A.  L,  IV,  12,  30  et  31 

21* 


164  Victor  et  Eugène  Revillout. 

«Ce^  rédempteur,  claus  la  retenue  de  la  bouche,^  il  se  comporte. 

«Il  ne  mangera  pas  de  nourriture  et  ne  boira  pas  d'eau  (il  jeûnerai ^i> 

Cette  dernière  ligne  est  interrompue  à  moins  de  moitié.    Nous  ne  savons  donc  pas  la 
durée  du  jeune  annoncé.  Quant  à  la  traduction  sémitique  de  ces  quelques  mots  elle  n'existe  plus. 

(La  suite  prochainement  ) 


TEXTES  EGYPTIENS  ET  CHALDEENS 

RELATIFS  A  LINTERCESSION  DES  VIVANTS  EN  FAVEUR  DES  MORTS. 

PAR 

Victor  et  Eugène  Revillout. 

Un  hasard  singulier  nous  a  fait  à  la  veille  du  jour  où  notre  société  doit  reprendre  ses 
travaux  par  une  séance  tenue  le  1^"'  novembre,*  tomber,  l'un  et  l'autre,  isolément,  sur  des 
documents,  d'une  part  égyptiens  et  d'une  autre  part  babyloniens,  relatifs  à  la  destinée  de 
l'âme  au-delà  de  la  tombe  et  à  l'intervention  des  vivants  en  faveur  des  morts. 

Tout  le  monde  sait  quelle  place  considérable  tenait  en  Egypte,  depuis  les  époques  les 
plus  reculées,  la  croyance  en  une  vie  future.  Une  multitude  de  stèles,  datées  soit  de  l'ancien 

tma  ina  siiav  ramanisu  essis  ibannu»  =  «....  et  par  l'œuvre  de  ses  propres  mains  (de  sa  personne)  re- 
constniira  (construira  à  nouveau)  ceci».  Cette  phrase  prouve  avec  évidence  que  la  traduction  «œuvre» 
proposée  par  Gdyakd  pour  sitav  est  la  bonne.  Si  donc  on  lisait  ici  <y>^  ^J  sitav,  au  lieu  de  lire  sipar,  il 
faudrait  traduire  la  phrase  sémitique  ainsi  qu'il  suit  :  «par  l'œuvre  de  Dieu,  il  fait  son  nom».  Reste  à  se 
rendre  compte  du  membre  de  phrase  assez  compliqué  que  dans  le  sumérien  représente  l'idée  rendue  en 
sémitique  par  «siima  epus^  :  le  voici  ^y^  •^U-^  ^fl:  ^11  ^^I  ^1}  ^T  ^TII-  ^u*^""  ^^  ^^^  ^0*^ 
ne  correspond  au  sémitique  «  mma  »  :  •(^J  tjy  ^J  t^ITI  ^^^  peut-être  une  de  ces  formes  verbales  com- 
pliquées, telles  qu'on  en  rencontre  particulièrement  dans  le  dialecte  sumérien  proprement  dit  (or  c'est  le 
dialecte  dans  lequel  est  écrit  ce  morceau).  Le  verbe  ^^|  veut  dire  en  efl'et  «episîj»  (voir  W.  A.  L,  IV,  18, 
5,  etc.).  Quant  à  /îî  *~TT.4^  et  à  t:§^  ^^|  T'  '^  premier  de  ces  mots  signifie  «  célèbre,  illustre,  brillant, 
pur»,  etc.,  le  second  a  des  sens  nombreux,  particulièrement  relatifs  à  ceux  qui  possèdent  la  royauté,  la 
force  ou  la  puissance  (voir  W.  A.  L,  V,  23,  11,  29  et  suivantes:  IV,  27,  20;  IV,  9,  19,  etc.). 

'  Le  sémitique,  qui  ne  traduit  pas  encore'.^!  ^][^,  rend  du  moins  ici  le  pronom  démonstratif 
J^^^T  tzlZ  ^ammu  =  celui-là». 

^  Une  lacune  à  la  tin  de  la  ligne  a  fait  disparaître  le  verbe  dans  le  sumérien,  qui  ne  porte  plus  que 
►-^T^-T  ij^  t^^  ^^TT  •"•^T  C-^^^T  *^-  La  traduction  sémitique  des  premiers  mots  "ina  la  piit  sa 
pii  =  dans  la  non-ouverture  de  la  bouche  »  se  rapporte  certainement  à  une  locution  particulière  du  baby- 
lonien sémitique,  car  on  trouve  dans  les  vocabulaires  le  sumérien  j^  traduit  isolément  par  «pihtu  sapUt 
(W.  A.  L,  V,  42,  54).  p^  dans  ce  sens  se  prononçait  tâh  dans  le  sumérien  parlé.  Or  ce  signe  en  tant  que 
verbe  a  pour  correspondants  habituels  les  mots  «zagu,  pataru»,  etc.  (W.  A.  L,  II,  1.3,  11.  16,  17,  18,  19;  IV, 
17,  32;  5,  50,  17;  II,  11,  44;  IV,  17,  38;  IV,  17,  58),  c'est-à-dire  les  racines  qui  expriment  les  idées  de  délier, 
de  liberté,  etc.  Il  est  donc  probable  que  «pitim  m  pii  »  avait  comme  babylonisme  un  sens  analogue  aux 
gallicismes  «ouvrir  la  bouche  à  tort  et  à  travers»  =  «avoir  trop  de  liberté  de  langue  ou  de  parole», 
«avoir  une  langue  déliée»,  et,  quand  intervient  la  négation,  au  gallicisme  «retenue». 

'  «trJTTt:  w^  *"t^IyT  t^yi  Tir  "î^-*  ^^  premier  mot  t:TTTt:  veut  dire  «akalus>  dans  le  sens  de 
nourriture  (voir  W.  A.  L,  IV,  19,  11.  60,  61,  64;  IV,  13,  56,  conf.;  IV,  1,  col.  2,  27,  etc.),  >-^|^T  veut  dire 
•aakalu)»  dans  le  sens  de  «manger»  fpassim);  quant  au  verbe  qui  manque,  c'est  >-^TtTT  qui  veut  dire  «safti 
=  boire»  fpassim). 

*  Ce  mémoire  a  été  lu  le  1"  nov.  1887  à  la  société  d'archéologie  biblique.  M.ais  nous  l'avions  ré- 
servé bientôt  pour  ma  Revue  et  depuis  lors  il  attend  son  tour.  (E.  R.) 


Textes  égyptiens  et  chaldéens,  etc.  165 

empire,  soit  d'uue  époque  postérieure,  se  rattacheut  à  cette  croyauce,  aussi  bieu  que  le  livre 
des  morts  en  son  entier  et  les  cérémonies  si  compliquées,  si  nombreuses,  de  l'embaumement 
et  des  funérailles,  qui  nous  sont  connues  par  plusieurs  rituels. 

Les  funérailles  une  fois  terminées,  il  y  avait  encore  d'autres  cérémonies  qui  se  renou- 
velaient aux  anniversaires,  etc.,  et  l'un  de  nous  a  déjà  montré,  dans  ses  études  sur  un  règle- 
ment des  choaebytes  daté  de  l'époque  ptolémaïque,  qu'elles  étaient  alors  considérées  comme 
de  véritables  offices  religieux.  Il  a  également  fait  voir  que,  dans  ce  même  pays  d'Egypte, 
dès  les  origines  du  cbristianisme,  on  avait  prié  pour  les  morts.  ^ 

Eh  bien!  voilà  que  les  stèles  démotiques  du  Sérapéum,  qui,  par  cela  même  qu'elles 
sont  écrites  eu  langue  vulgaire,  reflètent  plus  fidèlement  les  idées  dominantes  à  l'époque  de 
leur  rédaction,  nous  apprennent  que  ces  prières  pour  les  morts,  ces  bénédictions  adressées 
au  mort  avec  l'espoir  qu'elles  pourraient  lui  être  efficaces,  cette  idée  d'intercession,  s'étaient 
déjà,  comme  sous  les  Chrétiens,  dégagées  de  toute  idée  d'oifrande  de  bœufs,  d'oies,  de  vic- 
tuailles quelconques  et  même  de  libations  sacrées  faites  solennellement  par  des  choaebytes. 
Ces  stèles  ont  foncièrement  la  formule  suivante,  que  je  transcris  d'après  le  u°  110  du  Séra- 
péum démotique,  n°  3709  de  Mariette. 

Inciint. 
«Oh!  Ptah,  fils^  du  mur  blanc  (sanefi),^  seigneur  de  la  région  Anchta  (de  Memphis), 
Sokar  Osiris,  dieu  grand,  seigneur  du  Sta  (tombeau).  Apis  Osiris  /entament,  seigneur  d'éter- 

ï  Voir  mon  travail  intitulé  :  «Taricheutes  et  Choacliytes»  (extrait  de  la  ZeiUchrift  de  Lepsius);  et 
dans  ma  Revue  égyplologique  (t.  I,  p.  139  et  suiv.;  t.  II,  p.  15  et  suiv.;  t.  IV,  p.  1  et  suiv.,  etc.),  mes  articles 
sur  «Les  aflfres  de  la  mort»,  «Les  prières  pour  les  morts  dans  l'épigraphie  égj-ptienne»,  etc.  (E.  K.) 

^  Ear  .£>»)  =  M  V>.^s:^  «qui  fait»  ou  «qu'a  fait»;  <h:^  s'emploie  très  souvent  pour  la  génération 
féminine.  Le  texte  peut  signifier  que  Ptah  est  le  créateur  de  Memphis,  ou  bien  qu'il  est  comme  le  germe 
de  Memphis. 

^     fiS)))^ 0  est  le  doublon  de     oSn)^=^  ou  j^ntyZ^  qu'on  trouve  dans  la  même  formule  en 

d'autres  stèles,  toujours  à  propos  de  Ptah.  Le  signe  3  E  «  murailles,  enceintes  »  se  lisait  en  effet  [q]  ^  3  f 
sau,  mot  qu'on  rencontre  dans  Pianchi,  dans  les  testes  d'Edfou  et  de  Dendera,  etc.  (Conf.  Br.,  Dict.,  1161.) 
Cela  nous  montre  que  le  mur  blanc  I^LX  =   y  ^"^0  '^  ^^'^    devait  se  Ih-e  non  aneb  ut,  comme  le  croyait 

Bbugsch,  mais  sa  ut.  Dans  la  langue  vulgaire  ji>iyty O  et  ^)ii^=3=  lui  semblent  les  correspondants 

réguliers  de  "  j  ce  qui  est  plus  que  douteux.  En  outre  Bkuosch  {Dict.  géogr.,  pp.  57,  127,  725)  n'avait 
signalé  que  la  seconde  de  ces  fonnes,  et  il  croyait  que    fù)))_J'=3^>6  était  une  transcription  de  «  |^ 

titre  de  Ptah»,  absolument  comme  il  a  fait,  dans  le  même  ouvrage,  tant  d'autres  confusions  analogues. 
Nous  savons  maintenant  avec  certitude  :  1°  que  .6  ou  .61)  doit  être  séparé  du  mot  suivant;  2°  que  Jl- 
ou  — —  représente  l'élément  q  E  =  sau  (mur).  Quant  â  nefi,  il  paraît  difficile  d'y  voir  un  synonyme  vulgaire 
de  6  ut  «blanc».  Ajoutons,  ce  qu'ignorait  Brcgsch,  qu'on  trouve  la  transcription  hiéroglyphique  de  sa  nefi 


H  È  '^^=^  ),  comme  la  transcription  démotique  de  TIZ. 


166  Victor  et  Eugène  Revillodt. 

nité,  roi  des  dieux,  Anubis  sur  sa  montagne,  Imouth,  le  grand,  fils  de  Ptali,  dieu  grand, 
Hor  net'atef  de  la  demeure  des  années, ^  dieux  et  déesses  qui  habitez  la  région  Amhi,^  vous 

'  Conf.  le  bilingue  hiératique  et  démotique  portant  parmi  les  stèles  démotiques  du  Sérapéum  le 

n"  134,   et  qui  établit  très  bien,   ainsi  que  beaucoup  d'autres  documents,  la  synonymie  entre  ^vU    |'0 

"    J|it-    V--     Cp  fl    '^     et    rA3Glj2DJ^''.6+);S.  Cette  synonymie  était  ignorée  de  Bhcgsch,  qui 

a  consacré  un  article  à  Èo-kat,  «  nécropole  du  Sérapéum,  »  dans  son  Dictionnaire  géographique,  p.  878  et  sulv. 
La  «  demeure  des  années  »  est  cependant  sans  cesse  mentionnée  dans  les  stèles  du  Sérapéum.  Mais  Brucsch, 
qui  parle  continuellement,  i  tout  hasard,  des  stèles  du  Sérapéum,  ne  paraît  pas  les  avoir  jamais  étudiées 
sérieusement.  Nous  aurons  l'occasion  d'en  montrer  des  milliers  de  preuves. 

^  Conf.  parmi  les  stèles  hiéroglyphiques  du   Sérapéum  le   n°  431,  débutant  ainsi  :  M  QTj      Q     y 

lîEH  )  seigneur  d'Anchto,  Apis  Osiris  }(entameut,  seigneur  d'éternité,  roi  des  dieux,  Sokar  Osiris, 

seigneur  du  tombeau  (Setai).  Imhotep,  dieu  grand  (oer),  tils  de  Ptah,  Anubis  sur  sa  montagne,  Hor  dans 
Rokot,  tous  dieux  et  déesses  qui  habitez  la  région  Amhi,  vous  faites  durer  le  bon  nom,  etc.»  Ici  ran 
nofre  «bon  nom»  est  certain,  comme  dans  beaucoup  des  stèles  démotiques  du  Sérapéum.  Y  a-t-il  une 
distinction  à  faire  entre  les  morts  dont  on  demande  le  repos  (hoiep)  et  les  vivants  pour  lesquels  on  demande 
un  bon  nom?  Nous  ne  saurions  le  dire.  Il  n'est  pas  certain  du  tout  que  toutes  les  énumérations  de  noms 
contenues  dans  certaines  stèles  de  ce  type  soient  relatives  à  des  morts.  Mais  il  est  certain  qu'il  en  est 
ainsi  dans  la  stèle  que  nous  étudions  en  ce  moment.  L'avenir  nous  éclairera  peut-être  sur  les  autres  docu- 
ments, très  nombreux,  de  ce  genre.  Voici  maintenant  la  transcription  hiéroglyphique  du  texte  hiératique 
de  la  stèle  bilingue  n°  104  : 


c       I       1       l,WVWvC^5iO 


fiii  r<=^rvi-^/BLa^ior2zxryA3si):bfo+/AJ^2?7ii- 

7-  :bX^ii  i.  J,  î:  ^  Uxj  fo-Uj  ^  2*rJ;  ^^*^^'i  f.l  f  .i.  yX  -^  2^  Tf^ 

.  .  .   uii—'^^ii ^^_  ltz.y.  1  Ain 

Ce  texte  est  surtout  intéressant,  nous  l'avons  dit,  par  l'équivalence  de  Rokot  et  de  '<  la  demeure  des 
années»,  et  par  la  différence  nettement  établie  entre  les  expressions  I  (1 3  P'^^^^  '^*  1  E  T  j"sque  dans  la 
langue  sacrée  (voir  sous  ce  rapport  aussi  la  stèle  431  précédemment  citée).  Je  dois  dire  que  ces  deux 
détails  avaient  échappé  à  notre  cher  maître  M.  Emmanuel  de  Rougé,  qui  nous  a  laissé  une  copie  inédite 
de  ce  texte  hiératique  avec  une  transcription  incomplète  en  caractères  latins.  Mais  il  faut  noter  aussi  (point 
inaperçu  dans  ces  documents  mythologiques)  la  valeur  •=^  her  du  signe  jgi  (tep  ou  ap)  dans  l'expression 


Textes  égyptiens  et  chaldéens,  etc.  167 


Desinif. 

«Voilà  qu'ils  clianteut  ;i  jamais,  Toilà  qu'ils  germeut  et  poussent  éterneilemeut .  les 
hommes  dont  j'ai  dit  les  noms  et  qui  sont  morts  dans  le  mystère  d'Apis  Osiris,  seig'ueur 
des  dieux. 

«  L'homme  qui  lira  cette  stèle,  qu'il  ne  les  fraude  pas  (ces  morts,  de  ses  prières  1 1  Qu'il 
les- bénisse I  — ■  ainsi  que  celui  qui  a  écrit  ces  choses. 

«Ecrit  l'an  15,  qui  fait  an  12,  Payni  2,  de  la  reine  Cléopâtre  et  du  roi  Ptolémée  sur- 
nommé Alexandre.» 

De  même,  dans  la  stèle  335  de  la  salle  historique  ^ provenant  également  du  Sérapéum) 
on  lit  la  formule  abrégée  suivante  : 

Incijjit. 
«Oh  Ptah,  fils  de  Saneti  t^»i^=3^^i)),   seigneur  d'Auchto,  Apis  Osiris,   seigneur  des 
dieux,  et  plérome  (paut)  de  ses  dieux,  ^  vous  faites  demeurer  eu  bon  repos  un  tel  et  un 
tel,  etc.  » 


complexe,  «Auubis  sur  sa  montagne».  Le  démotique  porte  en  effet  toujours  alors  la  variante  _p  =  @ 
(herj,  qui  prouve  l'exactitude  de  cette  valeur  attribuée  déjà  à  g). 

La  stèle  197  est  de  l'an  15,  qui  fait  an  12,  de  la  reine  Cléopâtre  et  de  son  fils  Ptolémée  Alexandre, 
ce  qui  correspond  à  l'an  17  de  TApis  vivant,  né  de  la  vache  kerka,  manifesté  à  Séhotep,  dans  le  nome 
d'Héliopolis.  Le  desinit  démotique  a  soin  de  nous  apprendre  ces  détails,  qui  classent  notre  stèle  dans  une 
série  historique  à  nous  bien  connue,  grâce  aux  beaux  travaux  de  M.  de  Rougé  sur  le  Sérapéum. 

•  Le  texte  porte   ici    nettement   PfÉ =  ^"i-j   hotep.    Ailleurs  parfois  on  croirait  lire  ^-^        = 

'~—^  (      y  ran  «nom». 

^  Les  expressions  «Apis  Osiris  seigneur  des  dieux  »  d'une  part  et  «plérome  (paut)  de  tous  ses  dieux  » 
d'autre  part  sont  curieuses  à  noter.  Elles  indiquent  que,  quand  les  textes  égyptiens  disent  «  seigneur  des 
dieux  »,  cela  ne  veut  pas  dire,  comme  on  l'a  cru,  que  le  dieu  en  question  était  considéré  comme  le  seigneur 
du  panthéon  entier,  (ce  qui  aurait  amené  à  la  pensée  d'un  monothéisme,  avec  plusieurs  noms  divins,  n'étant, 
selon  les  lieux,  que  les  masques  d'une  seule  divinité  suprême,)  mais  que  cela  voulait  dire  tout  simplement 
que  ce  dieu  était  le  dieu  principal  du  temple,  celui  que  le  texte  grec  de  Rosette  nomme  0EOI  KVPIQ- 
TATOS  TOT  lEPOT,  et  le  texte  démotique  "iPSTP"  pneter  neremv,  le  dieu  des  gens  ou  des  habitants, 
seigneur  des  dieux  composant  son  paut,  c'est-à-dire  de  «ses  dieux  auvvaoi».  C'est  pour  cela  qu'immédiate- 
ment après  «seigneur  des  dieux»  on  lit  «et  paut  de  ses  dieux^.  Il  faut  noter  que  le  vrai  seigneur  des 
dieux  est  ici  Ptah,  dieu  suprême  de  Memphis.  Tout  aussi  inférieur  est  le  rôle  «d'Apis  Osiris,  yent  ament, 
roi  des  dieux»  dans  notre  autre  document.  Cette  fois  même  on  intercale  encore  Sokar-Osiris  avant  Apis 
Osiris.  Voir  an  Sérapéum  des  multitudes  d'autres  stèles  analogues. 


168  Victor  et  Eugène  Revillout. 


Desinit. 

«Celui  qui  lira  cette  stèle,  qu'il  accomplisse  les  prières  (ou  invocations'i.  Qu'il  bénisse 
aussi  celui  qui  a  écrit.  II  ne  les  fraudera  pas  (les  défunts).  Il  ne  les  fera  pas  frauder.  Il  ne 
rejetera  pas  une  fête  parmi  leurs  panégyries. 

«Écrit  l'an  5,  23  Payni,  jour  de  la  fête  d'Isis,  qui  est  aussi  le  jour  de  naissance  du 
roi  César  (Césarion).  *  » 

Nous  croyons  inutile  d'allonger  davantage  la  liste  des  documents  similaires,  qui  tous 
renferment  également,  comme  les  stèles  funéraires  proprement  dites,  la  demande  d'une  prière 
pour  les  défunts.  Or  ici  nous  n'avons  pas  affaire  à  des  épitaphes  biographiques  (épitaphes 
dont  chacune  ne  s'apphque  jamais  qu'à  un  mort  seulement),  mais  à  des  proscynèmes  pieux, 
faits  dans  la  catacombe  des  Apis  en  l'honneur  d'autres  morts  —  morts  humains  —  mis  en 
série.  Voilà  donc  là  un  sujet  tout  neuf  de  méditation  pour  les  égyptologues,  voulant  étudier 
les  idées  antiques. 

Le  jugement  de  l'âme,  origine  évidente  de  cette  intercession  pour  les  morts,  n'est  vraiment 
connu  qu'en  Egypte.  Mais  le  document  babylonien  dont  nous  allons  maintenant  parler  prouve 
qu'on  y  croyait  également  en  Chaldée.  Il  est  vrai  que  les  idées  des  peuples  de  la  Chaldée 
et  du  voisinage,  ainsi  que  celles  des  autres  nations  asiatiques,  paraissent  n'avoir  pas  été  bien 
fixes,  bien  arrêtées  relativement  au  sort  ultérieur  des  défunts.  Le  poème  de  la  descente 
d'Istar  aux  enfers  nous  montre  les  ombres  qui  se  pressent  contre  la  porte  comme  des  oiseaux. 
Elles  y  ressemblent  singulièrement  à  ces  ombres  que  nous  décrit  un  autre  poème,  l'Odyssée, 
dans  l'évocation  qu'en  fait  Ulysse.  Ce  sont  véritablement  des  ombres,  n'ayant  conservé  de 
la  vie  réelle  que  des  souvenirs  et  des  regrets.  Elles  déplorent  d'être  privées  de  tout  ce 
qui  faisait  l'existence.  Elles  errent  malheureuses,  n'aspirant  qu'à  sortir  du  pays  des  morts. 
Dans  les  croyances  d'Athènes,  à  l'époque  classique,  nous  voyons  encore  des  ombres  errantes. 
Ce  sont  celles  qui  n'ont  pas  reçu  les  funérailles  solennelles,  et  dont  le  corps  est  abandonné 
sans  sépulture.  On  n'a  pas  oublié  qu'Athènes  tit  condamner  à  mort  les  généraux  qui  venaient 
de  remporter  une  de  ses  plus  grandes  victoires  navales,  parce  qu'en  présence  d'une  tempête 
ils  avaient  négligé  de  recueillir  les  cadavres  de  ceux  qui  avaient  succombé  pendant  les  péri- 
péties de  la  lutte.  Ces  morts,  croyait-on,  criaient  vengeance,  parce  qu'ils  se  trouvaient  privés 
ainsi  de  l'éternel  repos.  L'idée  de  repos  est  encore  une  de  celles  qui  dominent  dans  le  docu- 
ment suméro-babylonien  dont  il  s'agit. 

Ce  document  avait  été  vu  par  Lenormant  qui,  dans  le  dernier  fascicule  de  ses  études 
accadiennes,  en  parle  dans  les  termes  suivants  : 


'  Cette  donnée  historique  est  rigoureusement  exacte  (voir  Letronne,  Inscriptions,  p.  97),  mais  n'en  est 
pas  moins  curieuse,  puisqu'on  savait  déjà  à  Memphis  la  naissance  royale  qui  avait  eu  lieu  ce  jour-là  (à 
Alexandrie  sans  doute). 


Textes  égyptiens  et  chaldéens,  etc.  169 

«Un  autre  psaume  de  la  pénitence,  bilingue,  en  45  versets,  destiné  à  accompagner  un 
sacrifice  au  dieu  Bel,  se  trouve  dans  W.  A.  I.,  IV,  21,  2.  Le  texte  en  est  presque  complet, 
mais  présente  encore  de  grandes  obscurités.  Il  serait  très  difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible, 
dans  l'état  actuel  des  connaissances,  d'en  donner  une  traduction  intégrale  et  suivie.  » 

Sans  doute,  c'est  justement  la  présence  fréquente  du  verbe  reposer  en  sémitique  qui 
aura  fait  croire  à  Lexokmant  qu'il  sagissait  là  d'un  des  psaumes  de  la  pénitence.  En  effet, 
dans  les  psaumes  de  la  pénitence  on  dit  souvent  au  dieu  irrité  :  '^  Que  ta  colère  contre  moi 
se  repose;»  c'est-à-dire  s'apjmise  «Que  tu  te  reposes, ^  c'est-à-dire  :  «Que  tu  cesses  d'agir 
contre  moi.  »  Mais  ici,  quand  cette  même  racine  sémitique  se  rencontre,  c'est  à  propos  d'une 
idée  tout  autre. 

C'est  là  ce  qu'il  faut  d'abord  bien  cnmprendre  pour  saisir  le  sens  général  de  ce  texte, 
dont  les  difficultés  sont  grandes  en  effet,  mais  ne  nous  paraissent  pas  insurmontables. 

Un  point  devait  surtout  étonner  Lexormast  quand  il  y  voyait  la  prière  d'un  pénitent 
qui  se  repentait  de  ses  fautes. 

Les  dieux  qui  sont  invoqués  ici  sont  plutôt  les  dieux  du  monde  des  morts,  ceux  qui 
figurent  dans  la  descente  d'Istar  aux  enfers.  A  côté  de  Bel-Ea,  le  maître  de  la  terre,  '  le 
maître  de  l'abîme,^  le  seigneur  de  ce  qui  ne  change  pas,^  comme  il  est  appelé  dans  la 
tablette  du  déluge,*  sa  femme  Damkina,  dame  et  ornement  de  l'abîme,"  dame  de  la  teiTe,'' 
cette  grande  dame  de  la  terre  qui,  dans  la  descente  d'Istar  aux  enfers,  préside  à  la  garde 
des  morts,'  n'ayant  à  recevoir  des  brdres  que  d'Ea  lui-même.*  Puis  toute  la  cour  infernale  : 
Marduk,  le  fils  d'Ea, ^  le  dieu  de  Babylone,  nommé  ailleurs  «le  cœur  de  l'abîme »,!"  «Mar- 
duk  de  l'abîme»,"  «le  fils  aîné  de  l'abîme»,'^  «le  fils  de  l'Eridu»,"  etc.;  Pap.sukal,'^  ce  grand 
messager  enti-e  la  terre  et  le  ciel  qui,  dans  le  poème  d'Istar,  va,  de  l'enfer,  aumincer  aux 
dieux  la  réclusion  de  la  déesse ;^^  le  dieu  Martu,'''   héros  de  l'abîme,  à  la  corne  puissante; 

'  "^II  (]M  ^-  -^-  !•'  "'  ^^'  ^^-  •"II  ^^I  t^TTT^  ^-  ^-  ^^  ^"^^'  ^■''  ^■^'  '^*^- 

'  <^ll  --^Tl  tt^  w.  A.  L,  II.  55,  -25.  têCîff  •"'^ïï  t^t^T  "'''^■'  '■  ■-*•  IV,  18,  54.  >^^  ,~^JJ 
tiZ^  II,  55,  26. 

'  ►-TJ  15A  *"M-q!l.  tablette  du  déluge,  1.  17;  comme  exemples  de  *-Tl.^^  dans  le  sens  de  changer, 
voir  notamment  'W.  A.  L,  IV,  21,  61,  W.,  TV,  14,  2'  colonne  revers,  1.  22:  IV,  10,  40;  V,  44,  2"  colonne, 
39  et  passim. 

*  Voir  W.  A.  L,  II,  55,  1.  53  et  suivantes;  IV,  3,  23:  IV,  22,  2"^  colonne,  11.  27  et  28,  etc. 

5  -^Vt!  T-  "l^T  .^^TT  ^x]  w.  A.  L,  II,  55, 55.  -^tT  V  >-»tTy  ttj  ''4^- 1-  se. 

^  ►-►f-  **-*..^^  ^Ih  '^'^"*  '"-^  dialecte  sumérien,  *~*^  "*?"^T  \IS  ''''°*  l'autre  dialecte  non  sémi- 
tique, W.  A.  L,  II,  59,  3. 

'  W.  A.  L,  IV,  pi.  31,  1"  colonne,  11.  28,  44,  47,   50,  53,  56,  59,  62,  64,  66;  col.  2,  11.  15,  29. 

"  C'est  à  Ea  que  le  dieu  Samas  et  son  père  Sin  vont  s'adresser,  quand  ils  apprennent  la  réclusion 
d'Istar  dans  les  enfers,  pour  obtenir  son  élargissement;  'W.  A.  I.,  IV,  31,  col.  2,  1.  4  et  suivantes;  et  Ea 
envoie  aussitôt  ans  enfers  ses  ordres  formels,  que  la  grande  dame  de  la  terre  fait  exécuter.  Ihid.,  11.  1 1  et  suiv. 

'  W.  A.  !..  IV,  5,  col.  2,  57;  II,  55,  64;  IV,  7,   18  et  passim. 

10  ^jp  i^|y|  ..^yy  j-j-y  -v^r  ^  j^  y  ^^  ç^]  o^  -^  ^^  i^y|y  ^^yy  ,-j^.^  j  g. 

"  -«4-  <tii]  W  --!    -TT  ^t  w.  A.  L.  V,  51,  col.  2,  1.  56. 

1'  w.  A.  I.,  IV,  3,  col.  2,  26;  IV,  pi.  22,  col.  2,  11.  29  et  30. 

"  W.  A.  I.,  IV,  pi.  3,  col.  2,  1.  41;  IV,  pi.  23,  col.  2,  1.  5.^. 

»  W.  A.  L,  III,  68,  64;  V,  44,  51;  II,  59,  23. 

>^  W.  A.  L,  IV,  SI,  col.  2,  1.  1. 

"  W.  A.  I.,  II,  59,  42;  II,  56,  41  et  42. 


170  Victor  et  Eugène  Revillout. 

sa  femme  Karkara;'  le  héros  Niuip,  en  qualité  de  fils  aîné  de  la  demeure  du  mystère,^ 
Ninip  qui  est  appelé  ailleurs  celui  qui  reçoit  iqui  prend)  les  sentences  des  dieux-'  et  ici  le 
porte -parole  de  la  dame  de  la  ville  du  maître  de  la  terre  (Nipour);  sans  compter  les  Au- 
nunaki,*  esprits  de  la  terre;  les  dieux  bœufs  ou  buffles,  présidant  à  l'entrée  du  lieu  du 
mystère,  de  la  demeure  infernale,  comme  à  l'entrée  des  temples,  des  sanctuaires  vénérés, 
présidaient  d'autres  bœufs  ou  buffles  divins.^ 

Toute  cette  mise  en  scène  est  bien  différente  de  celle  des  psaumes  de  la  i)énitence. 
Dans  ceux-ci  on  invoque  surtout  les  dieux  de  la  vie  :  le  dieu  gardien  et  la  déesse  gardienne 
attachés  à  chaque  personne  pour  la  protéger,''  et  que  ses  fautes  peuvent  seules  détacher 
d'elle,  les  dieux,  connus  et  inconnus,  qui  influent  sur  les  destinées  durant  l'existence.  Si  on 
s'adressait  spécialement  à  un  juge,  ce  serait  au  dieu  Solaire,  à  Samas,  la  lumière  des  grands 
dieux,'  le  seigneur  du  jugement,®  le  juge  suprême  du  ciel  et  de  la  terre ^  :  mais  dans  le 
monde  des  vivants,^"  —  tandis  qu'Ea  est  le  juge  suprême  dans  le  monde  des  morts;  cette 
différence  est  capitale,  elle  pourrait  suffire  à  elle  seule  pour  faire  conclure  que  le  but 
visé,  l'objet  de  la  prière,  le  sujet  de  la  tablette  ne  peuvent  être  identiques  de  part  et 
d'autres. 

Or,  cette  conclusion  devient  plus  évidente  encore  quand  ou  étudie  parallèlement  un 
autre  morceau  bilingue,  dans  lequel  figurent  également  les  divinités  infernales. 

^  AV.  A.  I.,  V,   16,  21;  II,  59,  4a;  conf   11,  56,  43;   11,   19,  45,  etc. 

^  t^^  C^y  t:yyyy  i^k.  ^t^yy  W.  a.  I.,  IV,  pi.  l,  coi.  a,  U.  32  et  33;  .^  est  traduit  par  namqtt 
daus  W.  A.  I.,  V,  U,  18;  c'est  à  cette  acception  que  se  rattachent  les  mots  composés  t^yyyy  ,^^;  ^^^y 
.^  nom  de  l'Eridii  :  et  non  à  celle  de  ^  Kissat  (voir  W.  A.  L,  IV,  12,  19;  IV,  29,  42,  etc.),  dans 
tS:  »TT^y  tyyyy  ^yy.^  yy,  titre  équivalent  qu'il  porte  ici,  ^yi.^  l'I  est  le  participe  présent  du 
verbe  ^►-yy.^^  dans  le  sens  à'ékimu  «prendre»,  c'est  «la  demeure  qui  saisit». 

»  >->^  -j^^y  1^ }}  t=yyyy  kkk  *^  "^H^  ]***'  ^-  ^-  ^-i  ^^'  ^^'  -^'  ^°^^'-  "^'  '^''  "^^  ^^^  p""*' 

^>Jf-  ]^  y^  =  ^«^  "i^^y  ]^,  IV,  23,  col.  2,  11.  45  et  46. 

^  Les  Amuniaki  sont  mis  en  scène  dans  la  descente  d'Istar  aux  enfers,  IV,  31,  col.  2,  1.  37,  etc.; 
en  tant  que  puissances  infernales,  dans  la  tablette  du  déluge,  ils  coopèrent  puissamment  à  l'œuvre  de 
destruction  ordonnée  par  les  dieux.  Il  est  d'ailleurs  souvent  question  d'eux  dans  les  textes  bilingues. 

^  La  tablette  partiellement  bilingue  qui  forme  le  n"  23  du  IV  volume  de  la  publication  du  British 
îluseum  est  relative  à  la  consécration  d'un  bœuf.  On  y  indique,  col.  1,  1.  17,  n°  3,  la  formule  mystérieuse 
►-^T^^y  ^>^yy  ^^y  '*  prononcer,  «à  l'intérieur  des  oreilles  d'un  bœuf  de  droite»,  et  ligne  26  et  suiv.  ce 
qu'il  faut  dire  aux  oreilles  d'un  «bœuf  de  gauche».  Nous  publierons  prochainement  ce  document,  où  les 
colossaux  animaux  sacrés,  gardiens  du  sanctuaire  à  l'entrée  duquel  se  dressaient  leurs  statues  de  métal  ou 
de  pierre,  sont  désignés  par  l'idéogramme  t^l^,  au  lieu  de  l'être  par  l'idéogramme  t^^-  Mais  c'est  ce 
dernier  idéogramme  qu'on  trouve  dans  le  récit  fait  par  Assurbanipal  de  la  destruction  de  ces  statues  vé- 
nérées en  Suziane,  dans  l'inscription  historique  de  Nabuchodonosor,  etc.  L'équivalent  sémitique  en  est  rmm 
dans  W.  A.  L,  V,  50,  50;  IV,  27,  20;  et  dans  la  grande  inscription  de  Nabuchodonosor,  col.  111,  1.  59. 

"  On  croyait  que  chaque  individu  était  coniîé  durant  sa  vie  à  un  dieu  et  à  une  déesse  qui  jouaient 
auprès  de  lui  le  rôle  d'anges-gardiens.  Le  mot  palddu  que  le  texte  bilingue  W.  A.  L,  IV,  3,  col.  1,  traduit 
par  Lenormant,  emjiloie  au  masculin  à  propos  de  la  déesse,  a,  dans  cette  acception,  pour  correspondant, 
le  sumérien  >-t:E^yy  ■j\\  tandis  que  dans  l'acception  un  peu  différente  de  gardien,  en  tant  que  surveillant, 
directeur  et  chef,  il  répond  au  .sumérien  trJTT  (voir  W.  A.  L,  V,  51,  27,  conf.  W.  A.  I.,  I,  65,  11.  25  et  26). 

'  W.  A.  L,  IV,  17,  22. 

«  W.  A.  L,  IV,  2,  col.  4,  1.  4;  conf.  IV,  28,  1. 

»  W.  A.  L,  IV,  28,  38. 

"  W.  A.  L,  IV,  28,  3  et  suiv. 


Textes  égyptiens  et  chaldéens,  etc.  171 

Il  s'agit  d'un  texte  qui  a  paru  dans  le  dernier  fascicule  de  la  publicatinn  du  British 
Muséum  (W.  A.  I.,  tome  V,  planche  51,  ligne  12  et  suivantes). 

Nous  n'en  connaissons  pas  de  traduction,  mais  le  sens  nous  en  paraît  clair,  aussi  bien 
dans  les  phrases  sumériennes  que  dans  les  phrases  sémitiques  correspondantes. 

Le  style  eu  est  remarquable.  C'est  une  sorte  de  poème  religieux  relatif  à  l'apothéose 
d'un  roi,  héros,  mort  probablement  sur  le  champ  de  bataille  au  milieu  d'une  victoire.  Comme 
dans  les  fameux  décrets  d'Ammon,  la  divinité  intervient  directement.  Le  dieu  Ea,  qui,  dans 
le  poème  d'Istar,  fait  rendre  la  vie  à  la  déesse  par  un  message,  ordonne  ici  l'apothéose  par 
un  message,  dont  le  prêtre  inspiré  reproduit  les  termes. 

Mais  auparavant  ce  prêtre  poète  s'adresse  directement  au  roi  défunt,  en  fait  l'éloge, 
et  prie  pour  lui  dans  un  dithyrambe  de  huit  strophes.  Les  quatre  premières  seulement  pré- 
sentent ((uelques  lacunes,  qui  n'empêchent  nullement  de  saisir  la  tournure  générale  de  ce 
début  : 

«Oh  roi,  d'un  cœur  inébranlable,  illustre I ' 

«Tronc  de  cèdre  dans  la  montagne,  dont  la  majesté  (va)  jusqu'au  iciel  I^ 

«Etabhssant  ipar  ton  exemple!  ce  qui  forme  le  propre  de  la  souveraineté!^ 

« l'élévation  de  la  royauté!* 

« —  Dans  la  demeure  Ektu'ki,^  à  ton  entrée, 

ïQu'Ea  te  donne  la  joie. 
Que  Damkina,  la  reine  de  l'abîme,  t'éclaire  de  sa  face. 

'■  C'est  ainsi  qu'il  faut  traïUiire  \jj  et  ellu  quand,  par  exemple,  ce  qualificatif  s'applique  aux  vins  : 
comme  quand  il  s'applique  à  des  montagnes  par  «élevées». 

'  Il  ne  nous  reste  ici  que  des  débris  de  la  fin  de  la  ligne,  soit  en  sumérien,  soit  en  sémitique  :  en 
sumérien  le  pronom  ^  ^  ^son»  s' .appliquant  au  substantif  .^^>îî-  =  emuqu,  etc.  «gloire,  puissance,  force», 
etc.;  en  sémitique  l'adverbe  adi  «jusqu'à  j>.  Le  conteste  pourtant  nous  paraît  clair. 

'  Tout  le  commencement  de  cette  ligne  a  disparu  dans  le  sémitique,  il  ne  reste  plus  que 

(ibjbanà  simat  beliiti.  En  sumérien,  la  ligne  commence  par  le  signe  fi^gi^IvT  correspondant  à  iddUm, 
e»su,  élit  (W.  A.  I.,  II,  30,  col.  3,  1.  14),  etc.  ;  après  cela  vient  une  lacune,  puis  un  signe  un  peu  déformé, 
mais  reconnaissable,  le  signe  ^^T  Hg,  qui  avec  la  syllabe  de  prolongation  ga,  correspond  à  sa  ihanu;  le 
mot  '►-  'V^y,  traduit  ici  comme  d'ordinaire  par  éimal,  et  le  commencement  du  mot  ►-T^T'^  ►-TJ  *-^i 
traduit  par  hiluti. 

*  Encore  une  ligne  dont  il  ne  reste  plus  que  les  derniers  mots;  en  sémitique  nlninl  san-iui;  et  en 
sumérien,  la  dernière  syllabe  du  mot  •-T^'^  ^VT'^  T[T^  ►-^T  et  le  mot  >-7^'^  tê»4W  •"^T  *''^" 
(luit  par  sarruti. 

^  Pour  représenter  l'expression  qui  désigne  ici  en  sumérien  la  demeure  infernale  (expression  facile  à 
suppléer  dans  la  lacune  de  cette  ligne,  car  elle  se  reti'ouve  plusieurs  fois  plus  loin),  celui  qui  a  traduit 
le  document  en  sémitique  s'est  ser\i,  non  point  de  mots  de  cette  dernière  langue;  mais  d'un  terme  em- 
prunté à  la  langue  sacrée,  à  laquelle  appartenait  également  l'autre.  C'est  celui  que  nous  transcrivons  dans 
notre  traduction  française.  Il  se  compose  de  trois  signes,  dont  le  premier  tTTTT  signifie  ^  demeure  >,  le 
troisième  yT&=|  «  lieu  ^  et  le  second  "T  correspondant  (alors  avec  la  lecture  «  kur  »)  à  la  racine  sémitique 
rakasu,  exprime  l'idée  de  réclusion.  C'est  donc  une  demeure  qui  est  un  lieu  de  réclusion  ;  et  ce  nom,  Ekurki. 
correspond  admirablement  à  celui  que  l'on  trouve  dans  la  descente  d'Istar  aux  enfers  '^  *^  ^"^^L  Tt 
le  pays  qui  ne  rend  pas  ses  hôtes,  dont  on  ne  revient  pas.  Quant  à  ce  qui  suit  dans  cette  ligne  et  dans 
les  suivantes,  les  mots  n'en  sont  pas  moins  connus,  la  construction  grammaticale  non  moins  facile,  le  sens 
non  moins  clair  dans  le  sumérien  que  dans  le  sémitique,  ainsi  que  nous  le  montrerons  dans  un  travail  plus 
étendu  :  les  deux  textes  sont  littéralement  collés  l'un  à  l'autre,  à  la  dilïérence  de  ce  qu'on  remarque  dans 
l'autre  document  que  nous  donnons  plus  loin. 


172  Victor  et  Eugène  Revillout. 

«Que  Marduk,  le  gardieu  puissant  des  Egigi,  relève  ta  tête.» 
Ici  vient  le  message  d'Ea  : 

«Grand,  brillant  message  du  dieu  Ealll  —  Il  sera  placé  dans  Yadu; 
«Ses  actions/  dans  le  lieu  de  vérité. 

«Les  esprits  élevés  du  ciel  et  de  la  terre  l'installeront,  celui-là'. 
«  Dans  les  vastes  palais  du  ciel  et  de  la  terre  ils  l'installeront,  celui-là.  » 
Le  dieu  a  prononcé  :  et  le  voyant,  qui  vient  de  proclamer  son  message,  le  commente 
en  son  propre  nom. 

«Voilà  un  décret^  brillant  et  limpide! 

1  Une  faute  s'est  ici  glissée  dans  la  traduction  sémitique.  Le  pronom  bi  qui  suit  le  substantif 
TIT>-1^  *~T^  ^^T  «Ji'sete»  (conf  W.  A.  I.,  IV,  12,  15,  etc.)  aurait  dû  être  rendu  par  su  et  non  par  sunu. 

Ou  plutôt,  suivant  le  sumérien:  «ses  actions,  on  les  placera  en  sou  lieu,»  c'est-à-dire:  «la  gloire  de 
ses  actions  l'y  suivra.» 

"  Le  mot  sémitique  tTTT  '^^F  ^tlT  •"Ètl  ^tziiratu,  que  nous  rencontrons  ici,  et  son  con-espon- 
dant  sumérien  tT  .^^ËÈ:  °"*'  ^*'^  traduits  de  bien  des  manières.  Norkis,  s'appuyant  sur  un  passage  du 
cylindre  brisé  de  Nabonid  (3,  33)  et  sur  deux  autres  du  cylindre  de  Seukereh,  y  voyait  un  synonyme  du 
mot  lemen,  et  traduisait  <i pavement»,  pavé,  pavage.  Il  rappelait  à  l'appui  les  racines  hébraïques  '\T  for- 
malicm  et  IIS  roc.  M.  Offert,  cité  par  lui  à  ce  sujet,  avait  traduit  utzurat  adanni  par  «les  fiiiblesses  de  la 
vieillesse»,  et  Norris  pense  que  pour  en  arriver  à  l'idée  de  faiblesse  il  avait  dû  songer  aux  racines 
liébraïques  "lys  to  resirain  ou  "in  to  hind.  M.  Talbot  avait  suggéré  que  dans  les  passages  relatifs  aux 
reconstructions  de  temple,  ces  utzuvati,  que  l'on  recherchait  avec  si  grand  soin,  pouvaient  bien  être  les 
cylindres  de  terre  cuite  indiquant  qui  les  avait  fondés;  comme  analogie  sémitique  dans  une  langue  déjà 
connue,  il  avait  mentionné  le  mot  "I2£1K  trésor. 

Mais  aucune  de  ces  traductions  n'était  applicable  à  certains  passages  d'hymnes  liturgiques  qu'avait 
rencontrés  Lenormant.  Il  voulut  donc  trouver  autre  chose,  et  s'inspirant  de  la  racine  hébraïque  ^^S  cinxit, 
accmxit,  il  vit  dans  le  sémitique  utzurat  et  dans  son  correspondant  sumérien  tj  ^^y^,  une  harrih-e,  telle 
qu'on  en  place  pour  compléter  une  clôture,  et  par  dérivation  une  home.  Évidemment  il  ne  s'était  servi  de 
cette  traduction  que  faute  d'une  meilleure,  car  l'idée  de  borne  ou  de  harrih-e  cadrait  elle-même  assez  mal 
avec  ses  contextes. 

Ici,  comme  souvent  d'ailleurs,  c'est  le  sumérien  qui  permet  de  préciser,  et  qui  montre  ainsi  dans 
quelle  direction  il  faut  chercher  les  analogies  du  correspondant  sémitique. 

Le  mot  sumérien  tT  .^SE  6st  traduit  par  un  participe  dans  un  document  dont  nous  avons  déjà 
parlé  pi-écédemment  (W.  A.  I.,  IV,  planche  23,  n°  1).  A  la  ligne  9  de  la  seconde  colonne  débute  un  chant 
en  l'honneur  du  dieu  Bel,  célébré  comme  le  divin  maître,  le  roi  suprême  de  tout  le  pays  dont  il  s'agit, 
et  qui  paraît  être  le  pays  d'Accad.  Les  lignes  sont  brisées,  mais  elles  commençaient  par  des  qualificatifs 
formant  une  litanie  que  nous  possédons  encore,  et  cette  idée  se  reproduisait  sous  toutes  les  formes  : 
«  pasteur  véritable,  pasteur  (du  pays),  pasteur  (gouvernant  le  pays),  seigneur  de  toute  la  contrée,  seigneur 
(de  la)  contrée,»  etc.  Or,  au  milieu  de  ces  épithétes,  qui  ne  varient  guère  pour  le  fond,  on  lit  deux  fois, 
aux  lignes  19  et  21,  les  qualifications  suivantes  dans  le  sumérien  ^  ^|  [i  ^yy  tj  .«(k^^  ^^lî  '  \  ^^^ 
un  mot  extrêmement  fréquent,  voulant  dire  seigneur,  en  sémitique  beluv.  Le  mot  ^J  n'est  guère  moins 
fréquent,  et  il  correspond,  suivi  ou  non  de  la  syllabe  complémentaire  ^>-|[,  au  sémitique  matu,  signifiant 
pays.  Ici  la  syllabe  complémentaire  vï^T  n'avait  point  à  intervenir  avant  le  pronom  possessif  ani,  car  elle 
aurait  fait  supposer  un  cas  oblique  gouverné  par  le  substantif  précédent;  taudis  que  son  absence  prouvait 
qu'il  s'agissait  d'un  régime  direct  gouverné  par  une  forme  verbale  subséquente.  Par  conséquent,  puisqu'à 
la  ligne  19  le  mot  C:T  .^^E  E^TT  ^^  trouvait  suivi  des  mots  ^  ^|,  par  lesquels  commençait  un  nou- 
veau membre  de  phrase,  parallèle  au  précédent,  fij  .^^  jouait  certainement  ici  le  rôle  d'un  verbe;  et 
ce  verbe  devait  être  au  participe  présent,  puisque  la  syllabe  complémentaire  (^^^|  |  j  intervenait. 

En  effet,  voici  la  traduction  sémitique  donnée  pour  ce  membre  de  phrase  aux  lignes  20  et  22  : 
s  beluv  ►^  ■!^>-T<T  'i^'^^-pk  '""'  O^"-)-  "  Muutztzir  est  le  participe  d'un  verbe  sémitique  dont  la  première 
radicale  est  une  de  celles  qui  sont  devenues  pleinement  des  voyelles  en  assyrien,  c'est-à-dire  soit  un  aleph, 
soit  un  iod,  soit  un  he,  soit  un  vav,  soit  un  ain.  Quant  au  sens,  il  est  évident.  Le  contexte  ne  laisse  guère 


Textes  égyptiexs  et  chaldéens,  etc.  173 

«Dans  ses  eaux,  brillantes  et  pures, 

ï  Les  Auuuuaki.  dieux  imissants,  se  purifierout  eux-mêmes,  » 

de  choix  qu'entre  des  traductions  telles  que  celles-ci  :  <■■  Seigneur  qui  exerce  le  commandement  sur  ton 
pays;»  «Seigneur  qui  (par  tes  ordres)  dirige  ton  pays,»  etc.  On  se  trouve  donc  conduit  à  la  racine  sé- 
mitique ilïj?  qui  non-seulement  vent  dire  coercuU,  clausit,  etc.,  mais  imperavit,  imperium,  etc. 

Ce  serait  d'ailleurs  une  gra\e  erreur  que  de  croire  que  le  7  des  autres  langues  sémitiques  de\'ient 
tonjours  en  assyrien  un  e;  très  souvent  il  se  change  soit  en  a,  soit  en  ;/,  comme  dans  cet  exemple. 

Ajoutons  que  le  signe  t:|  entrant  dans  le  mot  fzl  ^^^^  semble  n'y  jouer  que  le  rôle  dun  dé- 
termiuatif,  souvent  abusif,  particulièrement  quand  il  s'agit  d'une  forme  verbale.  Le  signe  .^^^E  est 
employé  seul  à  titre  de  racine  verbale,  et  se  trouve  avoir  poiu-  correspondant  le  sémitique  etzir  (avec 
diverses  nuances  de  sens  que  prend  nsj?  soit  en  hébreu,  soit  en  chaldaïque)  dans  un  certain  nombre  de 
textes  bilingues,  panni  lesquels  nous  citerons  W.  A.  !..  V,  50,  38:  IV,  3,  36:  IV,  27,  col.  2,  1.  60,  etc. 
Quant  au  complexe  tT  ^^tj^,  que  nous  trouvons  encore  rapproché,  mais  à  titre  d'idéogramme,  et  dans 
une  phrase  unilingue,  du  mot  sémitique  utzuri,  lorsqu'il  est  employé  substanti\ement  il  nous  paraît  avoir 
généralement  le  sens  soit  de  ■=  décret  >.  soit  de  pièce  officielle  émanant  d'une  autorité  di\-ine  ou  humaine, 
soit,  d'une  façon  plus  générale,  de  quelque  chose  d'institué,  d'arrêté,  de  fixé,  d'établi  avec  une  sanction. 
Il  nous  semblerait  que  ce  serait  l'idée  qui  cadrerait  le  mieux  a\ec  l'ensemble  des  textes  reproduits  ou 
cités  par  Lesoejiast  ou  par  Xokris.  En  eflFet,  les  stèles  ou  les  cylindres,  écrits  lors  de  la  fondation  d'tin 
temple,  et  portant  les  sanctions  qu'y  joignent  tous  les  rois  dans  les  foi-mules  finales,  peuvent  bien  être 
considérés  comme  étant  des  actes  officiels  émanés  de  l'autorité  (ce  qni  nous  indiquerait  comment  le  signe 
du  bois  a  pu  devenir  le  déterminatif-des  pièces  de  ce  genre  à  une  époque  ou,  comme  cela  semble  résulter 
d'un  assez  grand  nombre  d'indices,  on  a  tracé  les  caractères  sur  des  planchettes  de  bois,  avant  de  les  tracer 
sur  de  la  teiTC  à  brique).  L'opinion  de  Talbot,  une  fois  dépouillée  de  Vappaiaim  sémitique  qu'il  lui  avait 
donnée,  serait  donc  encore  celle  qui  se  rapprocherait  le  plus  de  la  vérité,  pour  la  classe  des  ntzurati  dont 
il  est  question  dans  le  cylindre  de  Senkereh  et  dans  le  cylindre  brisé  de  Xabonid. 

Venons  eu  au  texte  reproduit  d'après  Botta  :  vtzurat  adanni  ikmidaâsumma  illika  m~uh  matî.  La  diffi- 
culté ne  portait  que  sur  les  premiers  mots:  mais  elle  nous  paraît  maintenant  disparue.  Le  sens  réel  est  : 
cle  décret  étemel  (ou  de  l'étemel i  l'atteignit  et  il  alla  (c'est-à-dire  lui  fit  parcourir)  le  chemin  de  la  mort.» 
C'est  une  phrase  mystique  que  l'on  trouve  presque  identiquement  dans  un  certain  nombre  d'écrits  de 
rÉg}*pte,  païenne  on  chrétienne. 

Restent  les  documents  bilingues  de  Lesorsiast.  Dans  ceux-ci  les  pièces  officielles  dont  il  s'agit  sont 
de  caractère  magique.  Les  Chaldéens  croyaient  à  la  force  effective  de  telle  ou  telle  formule  qu'ils  pensaient 
remonter  aux  puissances  célestes.  Si  l'on  veut  se  faire  une  idée  de  l'importance  extrême  attribuée  à  ces 
formules  magiques,  et  de  la  foi  qu'on  avait  en  elles,  même  dans  notre  monde  occidental  aux  premiers 
siècles  de  notre  ère.  même  chez  des  Chrétiens  et  des  Pères  de  l'église,  tels  qu'Origéne,  on  n'a  qu'à  lire 
les  textes  reproduits  par  l'un  de  nous  dans  son  ouvrage  inritulé  <^Vie  et  Sentences  de  Secundus».  Les 
formules  magiques  constituaient  donc  pour  les  Chaldéens,  et  pour  tous  ceux  qui  adoptèrent  plus  tard  leurs 
croyances,^ une  sorte  de  talisman  verbal,  imposant  aux  Esprits  l'obéissance,  comme  un  ordre,  un  décret  des 
puissances  dinnes.  C'est  là  ce  qu'ils  nommaient  mamit  quand  il  était  question  d'une  de  ces  paroles  mysté- 
rieuses, comme  ils  nommaient  mamit  le  lien  verbal,  ayant  une  sanction  divine,  créé  par  l'invocation  d'une 
divinité  dans  un  serment.  Le  bilingue  que  forme  le  n"  22  de  Lesormakt  et  le  n°  1  de  la  planche  16  du 
quatrième  volume  de  W.  A.  I.,  commence  ainsi  dans  le  sémitique  :  «mamit.'  mamit!  ulzurtu  sa  la  eteqi.' 
utzural  ilani  ra  M  napalkati!-  etc.  Voici  comment  il  nous  paraît  qu'il  ftiut  traduire  :  <:mamil.'  mamit!  ordre 
des  dieux  qu'on  ne  transgresse  pas,  ordre  des  dieux  par-dessus  lequel  on  ne  passe  pas!  etc.»  Un  mamit 
de  ce  genre  paraît  donc  un  acte  de  l'autorité  di\ine,  ayant  sa  sanction  comme  les  stèles  ou  les  cylindres 
relatifs  aux  fondations  des  temples.  Aussi  trouvons-nous  un  peu  pins  loin,  itUzurtav  ihbalakkita,  utsurat 
ilani,  utzurat  same  u  irtzitiv  aï  umassam,  »  «  celui  qui  enfreint  ce  décret,  le  décret  du  ciel,  le  décret  du  ciel 
et  de  la  terre  ne  le  lâchera  jamais  >.  C'est  exactement  la  même  idée  que  nous  retrouvons  dans  un  certain 
nombre  de  textes  historiques.  Par  exemple,  Assurbanipal,  après  avoir  raconté  que  les  rois  établis  par  lui 
en  Egypte,  et  qui  lui  avaient  prêté  serment,  péchèrent  contre  son  serment  {ina  adiia,  dit-il,  c'est-à-dire 
dans  ce  cas  ^le  serment  à  moi  prêté  :  en  effet  on  pouvait  aussi  bien  dire  «mon  serment-  pour  'le  ser- 
ment fait  à  moi»,  que  «pour  le  serment  fait  par  moi»)  après  avoir  ajouté  qu'ainsi  ils  n'avaient  pas  gardé  le 
(ils  n'avaient  pas  été  fidèles  au)  mamit  des  grands  dieux,  conclut  en  ces  termes,  vers  la  fin  de  la  1"  colonne  : 
«le  mamit  d'Assur  et  des  grands  dieux  les  saisit:  leur  péché  contre  le  serment  des  grands  dieux  (sa  ihtu 
ina  adii  ilani  rabiiti)  fit  en  aller  de  leurs  mains  le  bien,  tout  ce  qu'ils  avaient  fait  de  propice.  »  Le  tableau 
de  l'extermination  des  habitants,  grands  et  perits,  de  plusieurs  villes  suit  immédiatement  comme  un  résultat 


174  Victor  et  Eugène  Revillout. 

«Et  le  rendront  pur  en  face  d'eux  (à  l'égal  d'eux).» 

Puis,  la  vision  le  saisissant,  il  parle  au  présent  et  fait  assister  à  la  scène  du  couronne- 
ment, de  l'apothéose,  qui  se  passe  dans  le  monde  des  morts  : 

«Les  Abkalli  augustes, 

«Les  divins  Ellanun,  habitants  de  l'Eridu, 

«Les  divines  Ellanun,  habitantes  de  l'Eridu, 

«Accomplissent  grandement  la  parole  de  l'abîme. 

«  Ils  couvrent  de  tapis  le  sol  de  l'Eridu  (mot-;i-niot  ils  complètent  grandement  l'habille- 
ment de  la  terre  d'Eridul 

«  Dans  la  demeure  Ekurki,  le  dieu  Ea  l'installe  en  roi.  » 

Mais  cette  royauté  dans  l'abîme  ne  suffit  pas  au  prêtre  inspiré.  Il  voudrait  plus  encore 
pour  son  héros  :  il  redemande  pour  lui  la  vie,  telle  qu'on  peut  l'avoir  dans  le  monde  des 
vivants  quand  on  jouit  à  la  fois  d'une  santé  vigoureuse  et  du  bonheur  de  l'âme.  A  cet  effet 
il  fait  intervenir  le  seigneur  de  tous  ceux  qui  vivent,  le  dieu  Samas  : 

«Que,  par  les  ordres  du  dieu  Samas,  seigneur  puissant  du  ciel  et  de  la  terre, 

«La  vie,  le  bonheur  du  cœur  te  soient  donnés  eu  don.» 

Dans  le  morceau  qui  suit,  comme  dans  celui  du  début,  le  célébrant  se  sert  de  la  seconde 
personne  en  s'adressant  directement  au  roi  défunt,  et  il  exprime  ses  souhaits  pour  lui  sous 
une  forme  impérative. 

Malheureusement,  toutes  les  lignes  sont  interrompues  par  des  lacunes  considérables, 
sauf  les  deux  premières,  ainsi  conçues  : 

«Oh  roi,  resplendissant^  par  le  flamboiement  de  ton  glaive  illustre. 

«  A  ta  réception  dans  la  demeure  Ekurki.  » 

On  peut  cependant  entrevoir  le  sens  général  de  cinq  versets  dont  on  possède  encore 
la  tin  : 

« Marduk  de  l'abîme. 

«Que Samas  t'illumine. 

«Que te  revête  (des  ornements)  de  la  royauté. 

nécessaire  et  fatal,  puisque  le  manùt  du  dieu  Assour  et  des  grands  dieux  les  avait  saisis.  Nous  n'avons 
plus  qu'à  dire  quelques  mots  d'un  dernier  passage  dans  lequel  Lenormant  a  rencontré  le  mot  ulzurat,  et 
l'a  traduit  par  «barrière»,  «clôture.»  Il  s'.agit  d'un  texte  très  fragmenté,  où  il  est  question  des  cérémonies 
à  accomplir  pour  rendre  efficace  l'apposition,  autour  d'un  malade,  de  statuettes  de  bois  fabriquées  à  cette 
intention.  Il  est  d'abord  question  de  l'élévation  des  mains,  du  costume  revêtu,  etc.  (probablement  du  genre 
de  bois  choisi  pour  la  fabrication  des  statues);  puis,  immédiatement  avant  le  commencement  des  lacunes, 
se  trouvent  ces  deux  mots  :  utzurat  usaklil.  Au  milieu  de  la  ligne  suivaute,  eutre  deux  lacunes,  on  distingue 
le  mamit  des  dieux.  Lenormant  a  traduit  ulzarat  usaklil  par  «j'ai  complété  la  barrière».  La  traduction  «j'ai 
parfait  le  rite  prescrit»  nous  paraîtrait  plus  vraisemblable.  Il  est  vrai  que  dans  le  sumérien,  après  le 
passage  correspondant,  vient  une  forme  du  radical  t:TT|^  traduit  fréquemment  par  miiu  (voir  notamment 
W.  A.  I.,  IV,  13,  22;  IV,  13,  5-t;  IV,  26,  10,  etc.),  mais  s'il  s'agit  de  lotions  effectuées  par  le  prêtre,  rien 
n'indique  que  ces  lotions  aient  eu  pour  objet  tin  ulzurat. 

^  Mot-à-mot  :  «roi  resplendissant  d'un  glaive  flamboyant,  illustre  —  bur  (nnn  =  splendens)  litti  (anb 
=  flammeum  gladium  =  Gen.  III,  2-t)  elluti.  »  Ce  passage  donne  raison  à  Lenormant  qui  traduisait  le  terme 
sumérien  \^~\  (prononcé  amar),  ainsi  que  son  correspondant  sémitique  •'bun/y,  par  «splendens»,  et  non 
par  «âne  sauvage»,  comme  on  l'a  fait  depuis.  Il  traduisait  aussi  ►-TTT»-  -^fflU-i  en  sémitique  «fe««»  par 
«glaive  flamboyant». 


Textes  égyptiens  et  chaldéens,  etc.  175 


«Dans  les  palais où  se  fera  ta  résideuce, 

c  Que te  rende  joyeux  chaque  jour.  » 

Après  cela  il  ue  reste  plus  de  tout  le  bas  de  cette  colonne  que  des  vestiges,  au  milieu 
desquels  ou  remarque  :  le  nom,  déjà  invoqué  plus  liaut,  du  dieu  Marduk;  des  lambeaux  de 

phrases  tels  que  ceux-ci  :  «la  vie  et  le  souffle  de  l'existence dans  le  passage  dans 

la  demeure  Ekurki le  dieu  Ea,  seigneur  de  l'isippi par  la  magique 

parole  de  vie  * ,  le  poisson  et  l'oiseau  qui  ont  leur  demeure  au  bout  de ;  » 

et  enfin  le  nom  d'une  déesse,  «dame  de  la  grande  mer,»  nom  qui  paraît  être  identique  à 
celui  de  la  déesse  désignée  dans  d'auti-es  textes  comme  «la  mère  d'Ea»,  «la  mère  qui  a 
engendré  le  ciel  et  la  terre.  »  ^ 

'Vingt  lignes  entières  ont  disparu  au  commencement  de  la  seconde  colonne.  Peut-être 
contenaient-elles  d'autres  détails  sur  les  habitants  de  cette  demeure  infernale,  cette  demeure 
Ekurki  où  le  poète  a  décrit  :  l'arrivée  du  roi  défunt  «à  ton  entrée  dans  la  demeure  Ekurki», 
le  bon  accueil  qui  l'y  attendait  «à  ta  réception  dans  la  demeure  Ekurki >,  le  passage  qu'il 
a  dû  y  faire  «à  ton  passage  dans  la  demeure  Ekurki»;  mais  dont  il  désirerait  maintenant 
le  voir  sortir  par  une  glorieuse  résurrection. 

Le  texte  reprend  au  milieu  de  ces  vœux  de  résurrection,  formulés  dans  des  termes 
qui  ressemblent  beaucoup  à  certaines  expressions  mystiques  des  rituels  égyptiens.  De  même 
que,  dans  ceux-ci,  le  mort  germe,  comme  Osiris,  pour  prendre  par  cette  germination  une 
vie  nouvelle,  de  même  le  prêtre-poète  voudrait  voir  son  héros  germer,  sur  le  heu  même  du 
combat  au  milieu  duquel  il  est  tombé  en  se  couvrant  de  gloire  : 

«A  ta  sortie  de  la  demeure  Ekurki, 

«Que  les  grands  Egigi  te  donnent  en  don  la  vie  et  le  bonheur  de  l'âme. 

«Que  Ninip,  le  héros  puissant,  que  Belkit  te  fassent  germer,^  au  lieu  du  combat. 

«Que  Ninip,  le  messager  d'Ekurra,  te  fasse  sortir  des  zisagal  de  l'existence  1 

«Dans  ta  sortie  de  la  demeure  Ekurki, 

«Que  les  bienfaisants  Uttukn,  les  Lamassu  propices  te  fassent  revenir  eu  paix. 

«Que  les  Ekimu  méchants,  les  Ahi  méchants  (soient  repousses  par)  les  Uttukn  pro- 
pices, les  Lamassu  propices, 

«Et  les  Eggigi,  dieux  puissants. 


'  L'idéogramme  >vJ .  r-FC^,  rendu  ici  en  sémitique  par  le  mot  tesu,  est  habituellement  traduit, 
soit  par  Hpat  (W.  A.  I.,  IV,  21,  recto,  40,  îhid.,  verso,  1,  etc.),  soit  par  mamit,  surtout  quand  la  nuance  de 
sens  en  est  précisée  par  le  génitif  «-^^VJ  CrTTT'^  «de  parole»,  "W.  A.  I.,  W,  7,  44  (conf.  W.  A.  I.,  V,  50, 
63,  etc.).  Quant  au  mot  sémitique  <!-tesu'  il  a  pour  corresijondant  sumérien  le  mot  »~^T»~T  «parole»,  dans 
un  passage  d'hymne  bilingue  CW.  A.  I.,  IV,  51,  col.  1,  1.  41),  que  Lenokmant  lui-même  n'avait  pas  très  bien 
compris,  et  que  M.  Pognok  a  invoqué  pour  attribuer  à  ce  mot  tesu  le  sens  de  «perte»  ou  de  •: destruction». 
Le  sumérien  indiquait  bien  pourtant  qu'il  y  avait  lieu  de  chercher  dans  une  direction  toute  autre. 

^  W.  A.  I.,  II,  54,  n°  3,  1.  17;  W.  A.  I.,  II.  54,  18.  C'est  le  même  nom  divin  qui  entre  dans  le  nom 
du  père  du  roi  Dnngi,  le  nom  royal  T  TJm  ^"'T"  Ipf  '^^  Orcliamus,  Urbagiis,  Urbau,  etc.  Conf.  'W'.  A.  I., 
III,  69.  25:  III,  61,  58;  IV,  15,  col.  2.  1.  liu,  etc.  Si  l'assimilation  de  *~>^  T^  .ivec  Bau  est  douteuse, 
celle  de  *~>f-  •■>^T  fcTTTt  avec  *^>^  ^t^yttt  premier  élément  du  nom  de  Dungi  est  certaine.  (Voir 
W.  A.  I.,  V,  44,  11.  18  et  20.) 

'  Conf.  uritzu,  W.  A.  L,  IV.  27,  64;  IV,  26,  n°  6,  ligues  4,  6,  8,  etc. 


176  Victor  et  Eugène  Revillout. 

<  Que  le  dieu  Samas  proclame  pour  toi  cette  parole  de  faveur.  » 

Dans  l'autre  document,  qui  fait  surtout  l'objet  de  cette  communication,  il  ne  s'agit  plus 
d'un  roi  illustre,  mais  d'un  simple  particulier;  ou  ne  demande  donc  plus  pour  lui  l'apothéose, 
la  royauté  dans  les  vastes  palais  du  ciel  et  de  la  terre,  mais  simplement  le  pardon  de  ses 
fautes,  le  calme  dans  la  tombe,  l'apaisement,  l'éternel  repos.  C'est  un  pécheur,  qui  a  besoin 
de  sacrifices  expiatoires  pour  lui  concilier  la  bienveillance  des  puissances  infernales  :  du 
moins  on  le  craint;  et  c'est  ce  qui  motive  aussi  l'intervention  d'un  intercesseur  possédant 
les  formules  qui  peuvent  calmer  les  dieux. 

11  y  a  donc  ici  de  grandes  analogies  avec  les  tablettes  relatives  aux  paroles  prononcées 
par  un  ineantateur  soit  dans  le  cas  d'une  maladie  que  l'on  croit  résulter  de  la  colère  d'un 
dieu,  soit  dans  le  cas  de  remords  produit  par  une  action  coupable  et  dont  on  désire  être 
délivré  :  souvent  alors  on  se  sert  des  mêmes  termes,  soit  sémitiques,  soit  sumériens,  pour 
désigner  non-seulement  l'apaisement  de  la  colère  divine,  mais  aussi  l'apaisement,  le  repos  de 
l'âme,  qu'on  cherche  à  obtenir  pour  un  pécheur  vivant,  après  le  trouble  causé  par  les  suites 
de  ses  fautes.  Et  ce  devait  être  une  idée  toute  naturelle  que  de  supposer  un  état  analogue 
de  l'âme  chez  un  défunt,  du  moment  où  on  admettait  une  vie  future. 

Cette  idée  se  trouve  nettement  exprimée  dès  le  commencement  de  ce  qui  nous  reste 
de  ce  document.  En  effet,  aussitôt  après  la  lacune  qui  a  fait  disparaître  presque  complète- 
ment deux  lignes  de  ce  texte  sumérien  et  leur  traduction  en  sémitique,  nous  rencontrons  les 
phrases  suivantes  : 

«  Son  cœur  limpide,  son  cœur  pur,  '  son  cœur 

«Seigneur,^  sou  cœur,  dans  le  ciel,^  il  n'y  a  pas  de  repos  pour  lui. 

«Seigneur,  son  cœur,  sur  la  terre,*  il  n'y  a  pas  de  repos  pour  lui  : 

«  Dans  le  ciel  et  sur  la  terre  il  n'y  a  pas  de  repos  pour  lui.  » 

Le  cœur,  qui  personnifiait  l'âme,  ici  comme  dans  le  livre  des  morts  égyptien,  est  donc 
dans  la  même  situation  que  l'ombre  des  Athéniens  ou  des  anciens  Grecs  privés  de  funérailles. 
Il  ne  peut  trouver  de  repos  en  aucun  lieu,  ni  dans  le  ciel,  ni  sur  la  terre.  Mais  ce  qui  suit 
nous  montre  une  cérémonie  auti-e  que  celle  de  l'eusevehssement  ou  de  la  combustion  du 
corps  pour  donner  au  mort  ce  repos  qu'il  cherche.  L'officiant,  —  si  nous  nous  servons  de 
cette  expression  c'est  qu'avec  l'importance  attribuée  par  les  Chaldéens  aux  formules  l'incan- 
tateur  jouait  vraiment  le  rôle  d'officiant,  —  l'officiant,  disons-nous,  recevait  en  lui  la  per- 
sonnalité du  mort  pour  lequel  il  intervenait.  Le  texte  continue  en  ces  termes  : 


'  Le  mot  sumérien  est  effacé,  mais  nous  avons  encore  son  correspondant  sémitique  ihbu. 

-  Le  babylonien  traduit  à  tort  «seigneur  de  son  cœur»  ou  «seigneur  dont  le  cœur»,  en  faisant 
ainsi  du  dieu  lui-même  l'objet  de  cette  phrase  et  des  suivantes. 

^  Ici  se  trouvait  une  variante  pour  le  mot  anta.  Cette  variante,  que  traduisait  également  le  terme 
sémitique  élis,  était  peut-être  le  mot  <^~*T.  employé  adverbialement  avec  ce  sens  (voir  W.  A.  I.,  l'V,  pi.  3, 
col.  2,  1.  9;  IV,  3,  col.  1,  1.  2,  etc.). 

■•  La  variante  qui  suit  dans  cette  phrase  le  mot  kita  paraît  être  nama.  Mais  tout  le  reste  de  cette 
ligne  est  tellement  déformé  dans  la  copie  qu'on  ne  peut  rien  affirme)',  et  que  pour  rétablir  le  sens  il  nous 
a  fallu  recourir  au  sémitique.  D'ailleurs  les  contextes  établis  par  la  phrase  précédente  et  par  la  phrase 
suiv,ante  conduisent  au  même  résultat. 


Textes  égyptiens  et  chaldéens,  etc.  177 


«Il  me  pénètre'  :  (_Me  péuétrant),  il  me  complète. 


'  Cette  phrase,  prise  isolément,  aurait  comporté  deux  traductions  très  différentes.  En  effet  souvent 
le  mot  sumérien  'V^  et  son  correspondant  sémitique  qadadu  ont  exactement  le  sens  du  mot  hébraïque  ■^^p, 
incurcare,  inclinare  «courber».  Nous  citerons  notamment,  comme  exemples  communs  à  la  fois  au  sumérien 
et  au  sémitique,  dans  des  textes  bilingues,  W.  A.  L,  V,  21,  27,  etc.;  et  comme  exemples  propres  au  sumé- 
rien seul,  puisque  ''^  s'y  trouve  rendu  par  un  autre  mot  sémitique.  W.  A.  L,  IV,  24,  col.  2,  ligne  42;  II, 
19,  60;  Lenoemant,  Eludes  accadiennes,  fascic.  III,  p.  94,  1.  13,  etc.  Mais  très  souvent  aussi,  pour  trouver 
en  sémitique  quelque  analogie  avec  le  sens  de  ''^  gam,  traduit  ou  non  par  qadadu,  il  faut  se  rappeler 
qu'en  chaldaïque  et  en  rabbinique  Tip  prend  le  sens  de  perforare,  terebrare,  etc.  Pour  qadadu  seul,  nous 
citerons  un  passage  de  la  tablette  relative  à  la  conséciation  d'un  bœuf,  tablette  dont  nous  avons  déjà 
parlé  dans  plusieurs  des  notes  précédentes.  La  formule  que  l'on  doit  dire  dans  l'intérieur  des  oreilles  du 
bœuf  de  métal  de  la  droite  se  termine  par  les  mots  ana  Bel  Hkda'du  «qu'il  pénètre,  qu'il  soit  introduit 
devant  Bel».  Il  est  évident  qu'un  banif  de  métal  ne  s'incline  pas  devant  Bel,  et  cette  idée  «qu'il  soit  in- 
troduit, qu'il  pénètre»,  ainsi  formulée  dans  la  première  colonne  de  ce  document,  a  pour  corollaire  l'espèce 
de  rubrique  adressée  à  l'officiant  par  laquelle  se  termine,  après  l'indication  de  toutes  les  formules  et  toutes 
les  cérémonies  de  consécration,  ce  chapitre  spécial  du  rituel,  «  voilà  que  tu  introduis  le  bœuf  d.ins  le  temple 
Emiimmu.  »  Une  des  phrases  appelle  l'autre  :  on  promet  au  bœuf  de  l'introduire,  et  on  l'introduit  en  effet. 
Pour  ■*^,  c'est  une  idée  semblable  qu'il  faut  attribuer  à  cette  racine  sumérienne  quand,  par  exemple,  il 
s'agit  d'un  philtre,  d'une  boisson  magique  à  faire  prendre  à  un  malade,  à  iutroduire  dans  son  corps,  et 
quand  'Sv,  'ivec  la  syllabe  de  prolongation  tj  se  trouve  traduit  par  susiti  «fais  boire»,  W.  A.  I.,  IV,  22, 
col.  2,  I.  9  (conf.  11,  45,  63).  Ce  signe  a  aussi  d'autres  sens.  Voir  W.  A.  L,  II,  30,  23;  II,  32,  69,  etc. 
Nous  ne  parlerons  pas,  bien  entendu,  des  cas  dans  lesquels  la  syllabe  de  prolongation  étant  différente, 
•S^  peut  être  considéré  comme  formant  une  autre  racine,  représentant  un  sens  bien  différent  de  celui  de 
courber;  par  exemple  W.  A.  L,  IV,  19,  40,  où  "Sv^  da  a  pour  correspondant  zapik  (conf.  W.  A.  L,  II,  39, 
42,  etc.).  Même  traduit  par  qadadu,  \^  ne  paraît  pas  avoir  le  sens  de  «courber»  dans  W.  A.  I.,  IV,  24, 
col.  2,  ligne  11,  faisant  partie  d'un  texte  où  toutes  les  lignes  sont  malheureusement  brisées,  ce  qui  empêche 
une  traduction  suivie,  mais  où  il  s'agit  A'Ekur  (la  demeure  auguste,  «lieu  qu'on  ne  contemple  pas,  qu'on  ne 
voit  pas,  »  et  dans  laquelle  avait  pénétré,  à  la  façon  d'Istar  descendant  aux  enfers,  un  personnage,  humain 
ou  divin,  qui  l'avait  contemplée  et  vue),  et  de  la  sortie  de  cette  demeure  tTTT T  "V  tirlT T  t^Ty  "^t^tl  '*\'*'-V 
^T  ^Tr~  .Q^»++-  fir|  Il  ^M       I  ►-i^l  '  ^^^  '®  sumérien,  plus  complet  pour  cette  phrase  que  le  sémitique. 

Un  autre  document,  beaucouj)  moins  lacuneux,  bien  qu'il  le  soit  encore,  nous  présente  l'idée  de  pé- 
nétration, sous  la  forme  particulière  d'une  personnalité  pénétrant  dans  une  autre,  d'une  possession  propre- 
ment dite.  On  sait  combien  cette  idée  de  possession  était  répandue  chez  les  peuples  les  plus  anciens;  un 
document  égyptien  d'ancienne  date  qu'ont  traduit  MJI.  Chabas  et  Maspero  raconte  les  malheurs  d'un  veuf 
qui  fut  ainsi  hanté  par  sa  femme  après  la  mort  de  celle-ci,  malgré  tout  ce  qu'il  avait  fait  pour  lui  plaire 
de  son  vivant.  Eh  bien!  la  phrase  dont  nous  parlons  est  ainsi  conçue  en  sumérien  ►->— TT  '*i<^  ^T  ►■rJ^TT 
►^<^  W-  ^>-T  ^~^*^TT  ^^TT  [y  ^77"  yX^  ...  ce  que  le  sémitique  rend  par  tzari  kiddaati  zumri'ia  la 

ipparsu  ma  ina  yumi  lu  iiiusi ce  qu'il  faut  traduire  par  «la  personne  qui  pénètre   (qui  possède) 

mon  corps  (ou  ma  personne,  car,  le  mot  étant  le  même  dans  les  deux  cas  en  sumérien,  il  serait  bon  de 
répéter  aussi  le  même  mot)  ne  s'en  sépare  pas  :  de  jour  comme  de  nuit  .  .  .  etc.  ».  La  preuve  que  paraèu, 
en  hébreu  et  en  chaldaïque  Dis,  signifie  bien,  ainsi  que  son  correspondant  sumérien  «  se  séparer  de  »  (et 
non  «juger»,  comme  dans  beaucoup  d'autres  documents  assyriens)  se  trouve  fournie  par  les  expressions 
qui  précèdent  directement  ce  membre  de  phrase  dans  les  deux  langues.  En  effet  nous  avons,  comme  forme 
différente  de  la  même  idée,  en  assyrien  yumissaam  la  ipparka  «journellement  il  ne  quitte  pas»,  «il  ne 
cesse  pas,»  «il  ne  se  séijare  pas,»  et  en  sumérien,  l'équivalent  exact,  par  le  synonyme  habituel  du  verbe 
uaparku  ^T  T  ^yy  T  ^y  Y  *^^r  ^1  "3^  ►>^T  ti  i'^ouf.  pour  la  synonymie  entre  naparku  et  le  composé 
t^"^  ^y  ^y  ^y,  w.  a.  L,  IV,  5,  coi.  1,  1.  es;  IV,  24,  coi.  2,  1.  50,  etc.).  Cette  comparaison  intervient, 
dans  une  pièce  d'une  tournure  très  poétique,  mais  malheureusement  très  mutilée,  où  il  paraît  être  question 
d'une  invasion  Elamite  qui  avait  saisi  le  pays  comme  une  obsession,  ne  lui  laissant  de  repos  ni  le  jour, 
ni  la  nuit,  et  des  exploits,  du  triomphe  final  d'un  libérateur. 

^  Le  verbe  ►-<  til,  ayant  pour  prolongation  la  syllabe  ►-^y  et  son  correspondant  qatuu,  répondent 
aux  verbes  français  «achever,  compléter»,  même  dans  des  acceptions  telles  que  celle-ci  «achever  un  blessé», 
c'est-à-dire  l'assommer,  le  tuer  d'une  façon  quelconque,  en  finir  avec  lui.  Mais  ici  tel  n'est  pas  le  sens  où 
l'on  est  conduit  par  le  contexte  :  c'est  plutôt  l'acception  à  laquelle  se  rattache  le  mot  gamru,  un  de  ceux 
que  l'on  trouve  employé  dans  les  bilingues  pour  traduire  >-<. 

23 


178  Victor  et  Eugène  Revillout. 

«Eu  ma  maiu  sout  placées  les  fibres  de  la  isai  maiu.' 

«En  mou  corps-  la  i,sa)  personne  s'est  placée. 

«Les  fentes  de  mes  yeux,  les  (ses*  larmes  les  remplissent.^ 

'  Pour  traduire  cette  phrase,  qui  contient  des  termes  effacés  (ou  déformés  par  le  copiste)  dans  le 
sumérien  et  dans  le  babylonien,  nous  nous  sommes  servis  de  l'un  et  de  l'autre  texte,  surtout  du  dernier, 
dans  lequel  nous  avons  restitué  le  mot  qaii  après  le  mot  aru. 

'  Le  mot  sumérien  %'^TT.  traduit  souvent  par  zumtm  «ventre,  corps  ,  l'est  ici,  comme  déjà,  du 
reste,  dans  un  texte  donné  précédemment,  par  l'expression  rare  Izuri.  Ou  pouvait  songer  à  rapprocher  ce 
terme  du  mot  tzuvri,  avec  redoublement  de  la  seconde  consonne,  mot  qui  se  rencontre  dans  les  bilingues, 
notamment  W.  A.  I.,  II,  36,  52,  et  que  Lesokmant  traduit  par  «enveloppe  du  cœur»;  mais  en  arabe  ï.^yo, 
auquel  correspondent  en  chaldaïque  les  mots  snil"  et  "ii'S,  signifie  fiyira,  forma,  effigies,  et  se  rapproche 
par  conséquent  de  l'idée  du  mot  latin  persona  «masque  de  théâtre»  et  par  dérivation  «personne».  Le 
terme  suivant  dans  le  sumérien  est  .^>ï|-  '^T,  dont  la  traduction  sémitique  la  plus  habituelle  est  le  mot 
ramanu,  signifiant  surtout  «personne».  On  dit  ramanuia  ■mia  personne»,  pour  dire  «moi-même».  Ici  c'est 
le  mot  biritlu  «intérieur»;  —  on  dirait  «entrailles»,  si  l'on  traduisait  >^>— Tj  par  «ventre».  —  La  construc- 
tion grammaticale  n'est  pas  la  même  dans  les  deux  langues,  et  nous  avons  pris  une  mojenne.  En  mot-à-mot 
le  sumérien  signifierait  «il  s'est  placé  dans  la  personnalité  de  mon  corps»;  tandis  que  le  sémitique,  lui, 
fait  placer  l'intérieur,  la  réalité  dans  la  forme,  dans  l'apparence. 

=  Purmi  iniia  porte  le  texte  sémitique,  que  nous  suivons  pour  cette  fois.  Punni  est  à  rapprocher  du 
chaldaïque  CiE,  semit,  incidit,  et  paraît  désigner  la  fente  palpébrale.  Ce  qui  correspond  à  ces  mots  en 
aecadien  est  un  peu  déformé  dans  la  copie  de  W.  A.  I.,  mais  est  facile  à  rétablir.  Le  premier  caractère 
n'est  pas  ^>^  gan,  mais  t:^-  L'expression  composée  t^  J_^^^T  >>|-  se  rencontre  assez  fréquemment 
dans  le  dialecte  sumérien  proprement  dit,  dialecte  auquel  apiiartient  la  tablette  que  nous  examinons.  Elle 
y  reçoit  comme  syllabe  complémentaire  la  syllabe  va  ^^|  |  (voir  W.  A.  I.,  IV,  29,  col.  2,  1.  52,  etc.),  ou 
la  syllabe  ►-TTT  ri,  ce  qui  fixe  la  prononciation  du  dernier  signe.  Il  faut  donc  la  lire  inehar.  Le  premier 
élément  ine  est  un  emprunt  évident  au  sémitique,  fait  par  le  dialecte  sumérien,  dialecte  dans  lequel  ce  mot 
prend  toutes  les  acceptions  que  possède  <y>-  dans  l'autre  dialecte  de  la  langue  non-sémitique  parlée  en 
Chaldée.  (Nous  devons  faire  remarquer  en  passant  que  —  bien  qu'ayant  tendance  à  croire  à  l'exactitude 
possible  du  nom  d'accadien,  appliqué  à  ce  dernier,  en  oiiposition  au  dialecte  sumérien,  proprement  dit,  et 
nommé  ainsi  dans  les  documents  assyriens  eux-mêmes  —  comme  les  limites  du  pays  d'Accad.  et  la  distri- 
bution des  dialectes  en  Chaldée,  ne  nous  paraissent  pas  établis  jusqu'ici  d'une  façon  bien  nette,  nous 
avons  préféré  employer  le  nom  de  sumérien  pour  désigner  l'un  et  l'autre  dialecte  de  la  langue  non-sémiti(iue 
en  opposition  à  la  langue  sémitique,  afin  de  ne  pas  avoir  à  nous  engager  dans  une  controverse  qui  exi- 
gerait des  développements  beaucoup  trop  étendus.)  l7ie,  par  exemple,  eu  sumérien,  bien  qu'ayant  pour 
origine  en  sémitique  inu  «œil»,  se  trouve  traduit  dans  cette  langue  parle  mot  panu  (f:^  J_jV^^J  >^>^|y 
=r  panu  ki,  W.  A.  I.,  lY,  29,  Col.  1,  1.  54,  etc.);  comme  <y>-  'W.  A.  L,  IV,  20,  3,  etc.;  par  U'  mot  mahar 
(t:^  tl^t^y  •"►^TI  =  "'"'""'  '"''  ^-  ^'  ^•'  ^^'  -*'  '^°'-  ^'  '•  *''^^'  «omme  <y>-  'W.  A.  L,  V,  51,  40,  etc. 
Du  reste  M.  Haupt  avait  déjà  indiqué  cette  assimilation  complète  de  C:t  ^i;;^^|  à  <y>-,  assimilation 
qui  existe  pour  l'expression  composée  qui  nous  occupe,  car  on  trouve,  suivant  le  dialecte,  avec  la  même 
traduction,  d'une  part  t^  fi;^^!  »^  (W.  A.  L,  IV,  29,  col.  2,  1.  52,  etc.)  et  d'une  autre  part  <y>-  »^ 
(W.  A.  L,  IV,  17,  col.  1,  1.  25,  etc.).  Quant  au  second  élément  >«y-,  il  est  souvent  traduit  par  elitum  ou 
elatum,  W.  A.  I ,  II,  pi.  30,  col.  7,  1.  21;  col.  3,  lignes  9,  12,  19,  20,  etc.  Nous  trouvons  même  l'expression 
complexe  <y>-  *^  traduite  par  élit  inim  «élévation  de  l'œil»  à  la  ligne  9,  déjà  citée,  de  la  planche  30  du 
4'  volume.  Ceci  connu,  rien  n'est  plus  facile  que  de  comprendre  comment  les  significations  dérivées  de  ce 
terme  complexe  se  sont  établies  sur  cette  base.  En  sumérien  il  était  de  régie  très  générale  de  conserver 
le  nom  des  organes  des  sens  dans  les  mots  relatifs  aux  applications  de  ces  organes.  On  procédait  comme 
on  le  fait  en  français  dans  les  locutions  :  «  avoir  l'oreille,  prêter  l'oreille  »  pour  écouler;  «  avoir  l'œil  à,  lever 
l'œil  sur»  pour  re;/arder.  D'après  le  même  principe,  on  trouve  très  souvent  fz^  >-^Gk.  *!  °^  ^*~  *\ 
traduit  verbalement  par  voir  (W.  A.  L,  IV,  12,  32,  etc.);  regarder  et  même  regarder  avec  faveur  (loc.  cit. 
et  pass.  :  notamment  IV,  29,  49,  mot  mal  coupé  par  Lexormast)  et  désignant  substantivement,  soit  le  regard, 
soit  l'objet  du  regard,  soit  l'instrument  du  regard.  Comme  exemple  du  second  de  ces  trois  cas  nous  citeron-i 
W.  A.  I .  IV,  29,  il,  où  la  traduction  littéiale  serait  «ton  regardé^,  c'est-à-dire  celui  que  tu  regardes, 
comme  a  traduit  le  sémitique.  Dans  la  ligue  de  notre  tablette  qui  a  motivé  cette  note,  la  traduction  litté- 


Textes  égyptiens  et  chaldéens,  etc.  179 


«Mon  cœur,  en  son  étreinte/  est  rempli  de  sang 

On  le  voit,  l'ofticiant  et  celui  pour  lequel  il  intercède  ne  font  plus  (luun.  Chaque 
organe  de  l'un  devient  l'organe  de  l'autre.  C'est  une  possession,  une  incarnation.  Le  mort 
reprend  la  vie  dans  le  corps  du  vivant. 

Peut-être  cette  idée  est-elle  également  celle  qui  domine  dans  certains  repas  funèbres. 
Peut-être  les  morts  étaient-ils  censés  jouir  par  les  organes  des  vivants  des  mets  qu'on  leur 
avait  offerts  et  que  ces  vivants  consommaient  pour  eux. 

Quoi  qu'il  eu  soit,  l'iucantateur  reprend  sa  personnalité  pour  dire  les  paroles  qui  doivent 
assurer  le  repos  éternel  au  mort. 

Ici  le  texte  sumérien  devient  beaucoup  plus  net  que  la  traduction,  et  cela  pour  une 
bonne  raison  :  parce  que  le  traducteur  sémitique  a  supprimé  tout  ce  qui  faisait  du  texte  en 
question  le  récit  d'une  cérémonie  accomplie  en  présence  du  père  du  défunt. - 

Voici  le  texte  primitif  : 

«  Son  cœur  élevé,  qu'il  repose,  »   —  à  ton  tils  que  cela  soit  dit  — 

«Son  cœur  en  dignité  (variante  :    <son  cœur  à  sa  sortie»'»,^  qu'il  repose.» 

raie  serait  '<mon  regardant,  les  larmes  le  remplissent»,  et  somme  tonte,  le  sémitique  a  assez  bien  rendu 
la  pensée  en  traduisant,  dans  ce  cas-ei,  -:mou  regardant»  par  «la  fente  de  mon  œil». 

'  Nous  avons  déjà  parlé  longuement  dans  une  note  précédente  du  mot  .^^^E  prenant  pour  pro- 
longement la  syllabe  m,  et  auquel  répond  très  fréquemment  le  radical  sémitique  ISI',  avec  l'un  des  sens 
très  divers  de  ce  radical  soit  en  hébreu,  soit  en  chaldaïque  :  imperavit,  coercuit,  cinxU,  et  même  calcavil. 
Peut-être  est-ce  à  dnxit  qu'il  convient  de  rattacher  le  substantif  .^g^  désignant  les  bracelets  et  les 
anneaux  des  pieds  dans  le  récit  de  la  descente  d'Istar  aux  enfers,  W.  A.  I.,  IV,  .31,  col.  1,  1.  58  et  59. 
Dans  ce  texte  har  a  pour  équivalent  sémitique  semir,  W.  A.  I.,  IV,  31,  col.  2,  1.  40.  Mais  .^^Ë  est  égale- 
ment traduit  dans  d'autres  cas  par  libhu  «coeur»,  'W.  A.  I.,  V,  21,  61;  par  kirbu  «intérieur»,  W.  A.  I.,  V, 
21,  42  et  51.  Et  comme  la  lecture  «ir»  est  donnée  deux  fois  dans  ce  cas  entre  parenthèse  par  le  bilingue, 
il  est  certain  que  .^lS;  possédant  cette  signification  devait  prendre  pour  prolongement  le  syllabe  ^t^j  | . 
Rien  n'empêcherait  donc  de  supposer  que  l'auteur  sumérien  de  ce  document  voulait  exprimer  par  deux 
quasi-synonymes  l'idée  «mon  cœur  dans  lequel  il  est».  La  traduction  ici  donnée  par  le  sémitique  ne  ré- 
pugnerait pas  à  cette  idée,  car  nous  avons  déjà  vu  plus  haut  les  sens  divers  du  mot  qadadu,  et  de  ses 
dérivés,  parmi  lesquels  il  faut  peut-être  comprendre  le  terme  qidudie,  équivalent  du  terme  peneiralia  appliqué 
aux  sanctuaires.  Dans  le  premier  mot  lihhi  «mon  cœur»,  comme  dans  beaucoup  d'autres  exemples  que 
nous  pourrions  citer,  la  finale  i  nous  semble  représenter  non  point  un  génitif,  mais  le  pronom  possessif  de 
la  première  personne,  écrit  ailleurs  ia. 

Le  mot  T|  ■^  g^  paraît  être  un  mot  composé,  comme  T{  <T>^-  Ce  dernier  terme  signifie  les  pleurs, 
littéralement  :  «l'eau  de  l'œil»;  le  premier  veut  dire  les  sanglots,  littéralement  :  «l'eau  du  côté»,  c'est-à-dire 
l'eau  qui  remonte  aux  yeirx  au  milieu  des  con^^llsions  de  la  poitrine,  f  y  'j^  ^yry  est  une  expression  du 
dialecte  sumérien  vrai,  qui  a  pour  correspondant  dans  l'autre  dialecte  non-sémitique  |y  ^TT7Ti  d'après  la 
traduction  sémitique  tanilcu.  C'est  donc  à  tort  que  Lenormant  a  suppléé  le  mot  Jy  ^  ^yyy  dans  une  lacune 
d'un  document  bilingue  écrit  en  ce  dernier  dialecte. 

Il  est  vrai  qu'alors  M,  Haupt  n'avait  point  encore  fait  sa  magnifique  découverte  sur  la  distinction 
des  deux  dialectes  non-sémitiques. 

2  A  moins  que  ces  expre.ssions  «ton  fils»  ne  s'adressent  au  dieu  lui-même  qu'on  invoque  ici.  En 
effet  dans  les  textes  babyloniens  on  trouve  très  souvent  de  ces  formules  tendres  et  toutes  confiantes 
adressées  à  des  dieux  :  quand  on  parle  d'une  déesse  qui  joue  le  rôle  de  gardienne  on  ne  manque  guère 
de  lui  donner  le  titre  de  mère.  Ce  titre  de  mère  est  luême  devenu  un  peu  général  pour  toutes  les  déesses. 
Cependant  il  nous  semble  que  dans  cette  tablette,  ne  s'adressant  pas  au  dieu  gardien,  au  dieu  spécial  du 
défunt,  à  celui  qui  est  plus  loin  nommé  son  dieu,  mais  au  grand  maître  de  l'abîme,  à  Ea,  on  n'eût  point 
choisi  le  titre  «ton  fils»,  comme  qualificatif  d'un  défunt  vulgaire. 

^  Ce  mot  «sortie»  -^T  ^^T  tT,   substantif  établi,  par  la  formative  finale  sumérienne  ^|,  sur   le 

23* 


180  Victor  et  Eugène  Revillout. 


Cette  phrase  est  répétée  deux  fois  :  avec  deux  termes  différents,  rendus  également  par 
libbzi  en  sémitique,  pour  désigner  le  cœur.  Après  cette  formule,  que  l'incantateur  dicte  pour 
ainsi  dire  aux  dieux,  ainsi  que  l'indique  l'incise  sumérienne  supprimée  par  le  sémitique  : 
«:  à  ton  fils  que  cela  soit  dit,  »  nous  constatons  de  nouvelles  divergences  entre  les  deux  ver- 
sions. En  effet  les  mots  :  qu'il  soit  dit  à  lui  «  Uqqahu  sum  >  se  trouvent  introduits  ici  par 
le  sémitique,  alors  que  le  texte  sumérien  se  borne  à  une  affirmation. 

Reprenons  la  suite  de  celui-ci  : 

«Son  cœur  :  l'accueil,  l'accueil,  il  est  à  lui; 

«Son  cœur  :  le  repos,  le  repos,  il  le  possède; 

«Pour  son  cœur,  du  grand  jugement,  l'affaire  est  jugée ;^ 

«Son  cœur,  les  divius  annuna  (variante  :  son  cœur,  à  sa  sortie,  de  ton  fils ) 

ils  l'installent  :» 

Ici  se  termine  le  recto  de  cette  tablette. 

Quant  au  verso,  bien  que  les  huit  premières  lignes  en  soient  mutilées,  et  que  les  sui- 
vantes, dépourvues,  sauf  une  seule,  de  traduction  sémitique,  n'aient  jamais  été  terminées, 
parce  que  la  fin  en  était  semblable  à  celle  des  précédentes,  aujourd'hui  disparue,  il  nous 
semble  qu'il  est  possible  d'en  apercevoir  le  sens  général.  La  première  ligne  en  est  la  suite 
directe  de  la  dernière  du  verso. 

«Les  annuna  (ou  egigi)  qui  gouvernent  le  gouvernement  d'Anu. » 

La  phrase  qui  suit,  composée  en  sumérien  de  deux  lignes,  en  sémitique  de  trois  lignes, 
présente  de  légères  variantes  explicatives  dans  la  langue  où  elle  se  trouve  être  la  plus  longue. 

«Son  dieu,  lui  enlevant  sa  douleur,  (fait)  à  ton  fils  l'onction  du  repos.  En  toi  il  (chante).» 

Nous  avons  suivi  le  plus  littéralement  possible  le  texte  accadien  eu  ce  qu'il  en  reste. 
Le  texte  sémitique  glose  un  peu.  Il  dit  : 

«Son  dieu  enlève  sa  douleur,^  il  (le  purifie  [?],  il  lui  fait) 

«L'onction^  reposante,  dans  les  psalmodies,* 

«  L'onction,  dans  les  psalmodies,  dans  les  invocations.  » 

Après  cela  commence  une  sorte  de  litanie,   dans  laquelle  les  ligues  sont  accouplées 

verbe  ■^T  J^T,  traduit  en  sémitique  par  J^  "i^^  ^TII^'  ®"  ''ébren  XS",  rappelle  absolument  le  titre 
du  rituel  funéraire  égyptien  <==>  ^\      '  '-'         «  sortir  du  jour,  ou  avec  le  jour,  ou  dans  le  jour». 

'  Le  sémitique  traduit  ainsi  :  <!ana  lihbisu  irtasi  rahiti  sa  dini  ramanisu  idinsu,»  «a  son  cœur,  on  lui  a 
donné  le  grand  irtasu  du  jugement  de  lui-même.  »  Le  mot  irtasu,  substantif  construit  sur  l'iphtael  de  rasu,  forme 
factitive  qui  signifie  «faire  avoir,  faire  posséder»  représente  le  «gain»  d'une  cause.  On  peut  donc  traduire 
en  définitive  «à  son  cœur,  on  lui  a  donné,  en  grand  (le  plus  grand  possible)  le  gain  de  sa  propre  cause». 

2  Le  mot  takkaltum  a  pour  correspondant  le  sumérien  [|  <!>-  (avec  la  sj'llabe  de  prolongation  ?•«), 
terme  que  nous  avons  déjà  rencontré  plus  haut,  et  qui  signifie  «pleurs»  (bakitum),  «larmes»  (dimtumj, 
«  sanglots  »  (unninnu),  etc.  Cette  racine  b^n  signifie  en  effet  en  chaldaïque,  sous  la  forme  xbsn,  vermis, 
dolor,  infirmitas,  et  chacune  de  ces  expressions,  même  celle  de  ver  prise  dans  un  sens  mystique,  cadrerait 
bien  avec  le  verbe  u/damma,  qui  a  pour  correspondant  en  sumérien  ^yrr  terme  traduit  ailleiu'S  par  aalalu. 
Nous  disons  uhlamma,  quoique  le  copiste  ait  oublié  la  syllabe  ma,  parce  que  cette  syllabe,  appelée  du 
reste  par  la  terminaison  uhlam,  intervient  de  la  façon  la  plus  générale  alors  que  l'accadien  emploie  pour 
le  verbe  la  forme  muun,  etc. 

^  En  sémitique  muslia,  hébreu  na'B. 

*  Dans  la  version  sémitique  ina  muzmuri,  de  la  racine  zamaru,  en  hébreu  laî  d'où  viennent  les  mots 
riTÛI  cantus,  moî  psalmodia,  cantus,  carmen,  niOiîS  psalmus,  etc. 


Textes  égyptiens  et  chaldéens,  etc.  181 

deux-à-deux  comme  des  distiques,  et  ne  peuvent  être  séparées  si  l'on  veut  obtenir  un  sens. 

Il  paraît  probable  que  cette  partie  du  texte  devait  être  débitée  en  deux  chœurs,  dont  l'un 

invoquait  les  noms  des  dieux,  avec  leurs  titres,  etc.,  tandis  que  l'autre  répétait  toujours  la 

même  jjbrase,  coupée  en  deux  parties.  Voici  donc  comment  nous  disposerions  cette  litanie  : 

«Seigneur    puissant,    à    la    corne    grande!  [ 

(Issakku)'^  Il 

,    (  \  Pour  ton  tils  que  soient  reçus  les  sacrifices. 

«  Porte  parole  de  la  dame  du  seigneur  de 

la  terre ^  ' 

«Dieu  Am  (bœuf),  dieu  Kiam,^  de  la  ville*  1  I 

lieu  du  mystère,  '■'  ,  \  Pour  ton  fils  que  soient  reçus  les  sacrifices. 


:Mère  de  la  grande  demeure,  Damkiua, 

tMarduk,  seigneur  de  Dintirki, 

I .  .  .  .  Papsukal,  messager  du  ciel  et  de  la  |  '  Pour  ton  fils  que  soient  reçus  les  sacrifices. 

terre,  j  | 

t  Messager  eu  vérité  du  dieu  dont  le  nom  j  j 

est  mystérieux  à  proclamer,  '  Pour  ton  fils  que  soient  reçus  les  sacrifices. 

sFils  aîné  de  la  demeure  qui  saisit,  dieuKinip,  )  j 
iDieu  Martou,  seigneur  de  la  montagne, 


_,         „    1  1  1  ,.       i,T^T     I  ,  Pour  ton  fils  que  soient  reçus  les  sacrifices. 

«  Déesse  Karkara,  dame  des  confins  d  Lnin,  |  [ 

A  partir  de  ce  point  le  document  se  termine  par  une  série  de  ijrières  adressées  au  dieu 
Ea,  dans  une  forme  qui  ne  diffère  guère  de  celle  des  prières  que  l'on  trouve  dans  les  psaumes 
de  la  pénitence,  etc.,  sauf  par  la  fin  de  chaque  ligne,  qui  se  répète  toujours  identique,  deman- 
dant pour  le  mort  le  repos  éternel. 

«Dirige  avec  faveur  tes  regards,  fais  le  reposer. '^ 

«Dirige  l'élévation  de  ta  tête'  (fais  un  geste  favorable).  Fais  le  reposer. 

«Que  ton  cœur  s'apaise.  Fais  le  reposer. 

«Que  ta  colère  se  calme.  Fais  le  reposer. 

«Ton  cœur,  comme  le  cœur  d'une  mère  qui  a  engendré,  qu'il  reprenne  sa  place. 

«  Comme  celui  d'une  mère  qui  a  enfanté,  d'un  père  qui  a  engendré,  qu'il  reprenne  sa  place.  » 

Suivant  l'habitude  dans  les  morceaux  de  ce  genre,  le  titre  se  trouve  à  la  fin.  Il  est 
ainsi  conçu  : 

'  Ici  se  trouve  une  lacune  dans  la  seule  ligne  de  cette  fonnule  que  le  scribe  ait  achevée,  comme 
étant  la  première. 

^  Le  sumérien  ne  porte  que  «parole  de  la  dame  du  seigneur  de  la  terre»,  ce  qui  revient  exacte- 
ment au  même. 

^  Bœuf  ou  buffle  de  la  terre. 

*  Nous  aurions  grande  tendance  à  croire  que  le  copiste  s'est  trompé  en  inscrivant  ici  le  signe 
►-^T-^tT  qui  veut  dire  «ville»,  au  lieu  du  signe  *-^T<y^T  qui  veut  dire  «protecteur». 

^  Nous  avons  déjà  parlé  du  sumérien  t^TT  tlji  qui  correspond  à  .^^  dans  l'autre  dialecte  non- 
sémitique,  et  pour  lequel  on  trouve  les  traductions  sémitiques  :  subat,  W.  A.  I.,  V,  62,  48,  etc.;  namqn,  W. 
A.  I.,  V,  11,  18  (conf.  W.  A.  I.,  II,  59,  1.  13,  et  2,  1.  27,  etc.);  taïni,  W.  A.  I.,  V,   11,  27. 

"  Nous  suppléons  ici  la  fin  d'un  mot  interrompu  par  une  lacune. 

'  Voir  W.  A.  L,  II,  30,  4,  etc.  (conf.  \f.  A.  I.,  IV,  28,  31  :  I,  27,  col.  2,  12,  etc.),  rappelle  tout  à  fait 
le  vers  célèbre  «Annuit  et  totum  nutu  tremefacit  Olympum». 


182  J.    DE   ROUGÉ. 


« Lamentatiou,  daus  laquelle'  sout,-  eu  nombre,'  45  ligues. 

«Son  nom*  est"  :  sacrilice  eu  Ihonueur  du  dieu  seigneur  de  la  terre.'*' 

Nous  avons  été  très  sobres  de  notes  daus  Tétude  de  ce  morceau,  aussi  bien  que  dans 
celle  du  morceau  précédent,  car  si  nous  avions  donné  pour  cbaque  mot,  ainsi  que  c'était 
notre  intention  d'abord,  des  détails  aussi  étendus  que  nous  l'avons  fait  pour  deux  ou  trois 
(détails  dont  nous  avions  en  mains  tous  les  éléments\  il  aurait  fallu  un  gros  volume. 

Nous  nous  réservons  de  revenir  bientôt  sur  ce  document  capital,  et  d'en  acbever  la 
publication  avec  tous  les  éclaircissements  nécessaires.  Nous  prions  donc  ceux  qui  sont  à  l'affût 
de  travaux  à  démarquer  d'attendre  un  peu. 

Paris,  le  30  octobre  1887. 

Nota.  —  Nous  avons  retrouvé  le  titre  divin  de  la  ligne  53  :  d'une  part,  sous  sa  forme  sumérienne 
proprement  dite  >^  tr^jy  J^  >-i^y  >-y<y  ^^^^y  ]}  clans  W.  A.  I..  IV,  n"  20,  1.  7,  où  il  a  pour 
correspondant  dans  le  sémitique  l'idéogramme  habituel  de  Nébn  *~*n—  •"13  t*^®  1''®  Lexormant  n'avait 
pas  vu  dans  sa  traduction  de  cet  hymne,  oi'i  une  lacune  a  fait  disparaître  *~>j-  avant  ►-]3-  ^^  d'une 
autre  part,  sous  une  fonue  appartenant  à  l'autre  dialecte  non-sémitique  »-a^  -o^t^yyy^  *"  I  ^y  \^^^^^^^^y 
yi  ►-►y-  dans  W.  A.  I.,  IV,  25,  25,  où  il  est  appliqué  comme  qualificatif  au  dieu  Mérodak. 

On  peut  hésiter  entre  le  sens  «mystère»  et  le  sens  «bon»  pour  t^yy  |,*~l|,  soit  dans  ce  titre 
composé,  soit  à  la  ligne  49,  où  la  dernière  idée  rappellerait  tout  à  fait  celle  que  les  Égyptiens  exprimaient 
par  les  mots  «la  bonne  demeure». 


LE  POEME  DE  PENTAOUR 

PAR 

LE  Vicomte  J.  de  Rougé. 

(Suite.) 


^s.vm,8.    ^^q^     r+kiiP,T,i^ 


L.  70. 


^■"o-    r  ^^Wriki  P.T,  i-r°  n. 


âr-nai-â        tjit         àm     -     sen         avi-t-u       fes-à''    em  bak-d  tennu^    hru 
Je  ferai  faire        manger  eux  (leur)  pâture    moi-même  devant  moi  chaque    jour, 

'  '^yyy  I^y  veut  dire  dans  le  cœur  de  laquelle,  dans  l'intérieur  de  laquelle. 

^  ^TT  y  est  un  verbe  ayant  le  sens  de  sakanu. 

5  yï  •~np  se  rencontre  très  souvent  avec  ce  sens,  dans  les  contrats,  etc. 

*  >^^  ^Z^  égale  sumtisu  et  veut  dire  son  nom. 

=  Lexormaxt  avait  rencontré  une  formule  semblable,  mais  il  ne  l'avait  pas  bieu  comprise. 

^  Il  faut  suppléer  ici  dans  la  lacune  ^J^J  ^ITI  "'-"'''*  *"II  ^ITI  P°"'"  compléter  le  génitif  du 
nom  d'Ea  comme  il  est  écrit  à  la  ligne  47. 

'  Le  papyrus  porte  :  em  balm  Bâ  <ci:r>j|,  «devant  le  dieu  Ra».  Il  y  a  là  une  faute  évidente,  tan- 
dis que  l'on  comprend  le  soin  que  Ramsés  compte  apporter  personnellement  à  ses  chevaux  en  souvenir  du 
service  qu'ils  lui  ont  rendu. 

s  -vvAAAA^aL  temiH  «chaque,  tout».   Teini»  ftcîf  remplace  ici  «chaque  jour»  du  papyms.  Brugscu 

(Dict.)  admet  que  ce  mot  s'est  conservé  dans  le  copte  it-Ten-poAini,  «dans  chaque  année.» 


Le  poème  de  Pentaoue. 


183 


<m^^i='W%Aè. 


m 


0    © 


du-â    em      i^ev-d^  ntu 

quand  je  serai  dans  mon  palais  ;    ce 


mm 

sen  na         kemi-â 

sont  eux    que  j'ai      trouvés 


ma"     nai  -  a 
avec  mes 


3MÊmmm 

àhu-%1^       en(â)     yenti  nti     er  ma-à^     mater-à'' 

officiers  de      l'intérieur     qui  (était)  auprès  de  moi,  mes  témoins 


er      yercm 
au      combat. 


2)târ  kem-â       sen    .  .  .  au''  hon-û  lier 

Voici  que         j'ai  trouvé    eux    (lorsque)     je  suis  revenu       en 


^  Le  papyrus  met  S]  ,  ah  «palais»,  var.  .^^ "  0  S  '  '^  texte  monumental  se  contente  du  mot 

[^^,  pa  ou  per  «demeure  en  général».  (La  ligne  71  à  Louqsor  était  complètement  cachée  par  un  mur 
construit  postérieurement.) 

"  Eat'en  «écuyer».  V.  Louqsor,  1.24.  —  Kâràu  «voiturier».  V.  Louqsor,  1.54. 

^  ^\    à D,  ma  «avec».   On  doit,  ce  me  semble,  maintenir  la  lecture  ma  pour  ce  groupe  eu  s'ap- 

puyant  sur  les  transcriptions  des  mots  sémitiques  comme  Mageddo,  et  les  mots  tels  que  '^^iV'       2?)  màka. 

a      ù D  Jirs   I  Ji 

tôt). 


%\  seul  devrait  se  lire  em  tôt  (cf.  Brugsch,  Dict.  a, 

_^^  û D 

*  n  '^ ^V5r  I    Karnak  donne   le  phonétique   4?      D\>^R  «*"«  :  ce   sont  les  officiers  (cf. 

I  '•'  .  Si  I  ^  4^    -JI  ^^^ 

Chabas,  XIX"  dj-n.,  p.  a9).  4?  paraît  être  un  instrument  destiné  à   creuser  les  vases.  Cf.  OTÊe,  in,  intrà. 

^  Ni    ®'"  "'"'"'  mot-à-mot  :  ad  loaim  meiim. 

IIqA,  mater  «témoin».  Cf.  MCTpe,  testis.  Le  sahidique  MriTpc  ajoute  la  nasale  :  il  n'y  a  pas 


de  forme  verbale. 


,.  La  lecture  du  premier  signe   est  encore  à  trouver  :   ce  mot  ■  a  le  sens  de  :  retourner, 


184 


J.    DE   ROUGÉ. 


P.S.VIII,10. 
L.  72. 
K.  61. 


A       © 


ken  neft  sexe  .  ^  .       ,        (- 

force      et  en  victoire.      J'ai  frappé         des  cent  mille  réunis 


ensemble 


de 


+flqA,^,Q^1k'; 


fa^ei-à  (ken)  haf     to        tes-nâ^         seki-u^  em  ffivau     tu-à 

mon  glaive  victorieux  s'jtaiit éclairée  la  terre  j'ai  disposé  les  bataillons  pour  combattre  :  je  me  suis 


L.  73. 

K.  62. 


*(3|      © 


m^  n    44  è^^ 


hev^     -      kiià°       er  %eraiij  ma       ka  sput^  tu-â        ^fl-kuà 

précipité  au  combat        comme  un  taureau  muni  (de  cornes).  Je  suis       apparu 


;(S^©( 


(? 


revenir.  Cf.  plus  loin  :  Pap.  Sali.  XI,  3.      Ê    '^'""-  ^    ^  ^|\    '  '"      :  «  Il  fit  revenir  en  paix.  »  —  Les 

sens  connus  de  ce  groupe  sont  :  1°  pêcheur,  pèche;  2°  ouvrir,  d'où  :  traduire,  interpréter.  Ce  dernier  sens 
est  donné  par  l'inscription  de  Rosette,   qui  le  rend  (1.  23)  en  démotique  par  xj,  nem  «expliquer». 

'  xer  «frapper»,  se/er  avec  Vs  intensitif 

"  Dans  tout  ce  passage  le  papyrus  met  la  phrase  à  la  troisième  personne,  tandis  que  les  textes  mo- 
numentaux emploient  la  première,  ce  qui  est  évidemment  la  bonne  leçon. 

*  I  ■-A^  (I  (1  i; D,  seki  «la  bataille,  la  mêlée».  \-^^^  1 1  [I  '  '•'•  '  M?'  i,  sekiu  «les  bataillons».  V.  ci- 
dessous  :  Louqsor,  74. 

*  *       '  ''  ,  her  «être  prêt  à  combattre».  Cf.  Louqsor,  1.  5. 

^  àiL-à  lier-kuà  :  aoriste  emphatique  :  mot-à-mot  :  «Je  suis,  je  me  précipite.»  Le  papyrus  donne  : 
àu-f  hâ  her  «il  se  tient  pour  se  précipiter». 

^     '      Ai  *i'"'   «munir»,  ici   sons -entendu   de  cornes.    Il   est  dit   de   Ramsès   II   (Denhm.,   III,    196) 

Ar  fJi  ^iv  i  '  '^  ^  ^  I  ^^^-  '■  "Orné  de  la  couronne  blanche  et  de  la  couronne  rouge, 
»il  a  réuni  les  deux  pays  en  paix  comme  son  père  Horus.  »  —  Cf  ccêtc,  instritere.  Il  faut  remarquer  ce 
passage  du  D  au  ê  :  le  démotique  d'ailleurs  a  déjà  seUi.  —  Le  papyrus  offre  la  variante  :  «comme  un 
taureau  qui  se  précipite  sur  des  oies.» 


Le  poème  de  Pentaouk. 


185 


P.  S.  IX,  2. 
L.  73. 
K.  62. 


©  nn i^^^ 


2i=Mû-k  p+i^^,ikE:;i,ïi 


"îiTr.  î'\  M\ 


er  sen^         ma  raeniu        aper^  -  kuâ     em  sekiu  (em  mati     ken 

à  eux       semblable      à  Mont,        j'étais  habile  d.ins  les  combats      également  .... 


P.  s.  IX, 

2. 

k^l' 

L.  74. 

47-s_   ^' 
1     ^A 

K.  62. 

^^W 

M^i\\M:0^\Mn2l:^,Mm 


em)       ak-kuà^        em         seku         lier     -gérait,  ma  hu  hâuk 

.  ...  Je  suis  entré    clans  les  bataillons  pour  combattre  comme  un  choc  d'épervier 


P.  S.  IX,  2. 
L.  74. 
K.  62. 


her*  . .  . 
contre  des . 


(ta  face 


^Wkn  -  1 


précipite  : 


elle  fait  flamboyer        en        flamme 


P.  S.  IX,  3.      1^    2 


L.  74. 

K.  63. 


em)  lier-u  en     -/eru-à'"         tu-à       inà     ra^    em        V^u-f 


tep 


O 
tuai-t'' 


sur)  les  faces  de  mes  ennemis.  Je  fus  semblable  au  soleil  h  son  lever  an  («mnifiiKmeDt    du  matin. 


'  Le  papyrus,  continuant  à  employer  la  troisième  personne,  dit  :  yjiu-nef  er  ra-sen  àuk  ma  meniu  '.  n 
apparaît  à  eux  :  tu  es  semblable  à  Mont».  —  ro  est  ici  un  type  pronominal.  Puis  le  scribe,  s'il 

n'y  a  pas  une  faute,  change  bnisquement  de  personne. 

^  âper,  peut-être  :  «équipé  pour  le  combat.»  V.  ci-dessus  :  Louqsor,  I.  19. 


^  Que  fait  ici 


;  V^  I  du  papyrus  Sallier?  Les  autres  textes  mettent  simplement  :  ■^  J'entrai 

âk-kuà.  »  —  Le  passage  de  .Sallier  devrait  se  traduire  :  •<  Les  braves  entrent  dans  la  mêlée.  »  La  leçon  mo- 
numentale continue  mieux  le  discours. 

*  Le  papyrus  donne  im  signe  qui  doit  être  l'hiératique  d'un  petit  quadrupède  tel  qu'un  rat  ou  un  lièvre. 
'"  Nous  n'avons  pour  cette  phrase  que  le  texte  du  papyrus:  encore  est-il  incomplet.  Louqsor  per- 
mettra peut-être  d'en  rétablir  l'intégrité. 

*  Râ,  le  soleil.  Le  papyrus  donne  l'orthographe  complète  :  <:z>  jj,  d'abord  le  caractère  idéogra- 
phique, puis  les  deux  compléments  phonétiques,  ce  qui  est  assez  rare. 

'  ^       tep  tuai,  mot-à-mot  :  «  la  tête  du  matin,  »  c'est-à-dire  :  «  la  pointe  du  jour.  » 
^  24 


186 


J.   DE   ROUGÉ. 


P.  S.  IX,  3. 


PJ^ 


(s^i    Me    j_ 


K.63.    T-  WM^^xImPjr^ï' 


satu-à  ^ 
Ma  radiation 


M&e.^^      -      nés     ha-u  (en)  sebàu  au      uâ     ^/...    ..- 

a  brûlé  les  membres  des  impies  :        fut  l'un  à  crier 


P.  S.  IX,  4. 
L.  75. 
K.63. 


D       ^ 


em     àm       sen     en       sen-f  (heri  her)^    sau-ten     âm-ten       yam^  mak 


d'entre  eux  à      l'autre  :  Faites  bien     attention!     Ne  tombez  pas! 


Car 


P.  S.  IX,  4. 
L.  76. 
K.63. 


11  qOI. 

76  n® 


IBV 


.^"ÛJrrS^    5 


'"K- 


:^^ 


sexet    ner-t  ta  -  nti    hnâ-f  si*  ma-f      lier  sesem-t-u-f     ({ut-s)         hnâ-f 
Sekhet  la  grande  qui  (est)  avec  lui,  elle  (est)  a  veelui  sur  ses  chevaux  :  sa  main  (est)  avec  lui. 


1  -^Y**^  sai,  au  propre  :  «lancer  des  flèches,»  d'où  "|"'^n(  'darder  des  rayons»  pour  le  soleil. 
Le  papyrus  donne  à  la  place  de  ce  mot  :  '^AA^A^    A  senen,  qui  paraît  une  erreur  du  scribe.  Senen  veut 

dire  :  «déplacer,  transporter.»   L'hiératique  de    "||       donne  souvent  lieu  à   des  erreurs.    (V.  ci-dessus  : 
Louqsor,  1.  36,  note.)  (J.  E.) 

2  ^i  ||^-=^(1,  uhet  «brûler».  Le  papyrus  n'a  que  la  tin  du  mot  :  était-ce  V\  [L  utet  «brû- 
ler», ou  comme  plus  bas  (IX,  5)  :  Q,  l^^^fl  :  il  est  difficile  de  le  dire,  mais  ici  le  papyrus  semble 
encore  fautif. 

'  Un  fragment  dans  une  cour  de  maison  sur  la  face  postérieure  du  pylône  de  Louqsor  donne  ici  : 


Il    D    ^        \^       §.  ^K^J' 


i    ^  '^  j\^  yâm  «tomber»,  verbe  rare  et  mal  expliqué  jusqu'ici  :  il  se  retrouve  à  la  ligne  sui- 
vante a^w  le  même  sens.   Cf.  Inscript,  dédicatoire  d'Abydos  :  les  chefs  amenés  devant  le  roi  :  waaa^ 

^    aJIaa  _     .i^K    ^  ^>f'  «leurs  nez  rampent  (ou  se  jettent)  sur  le  sol  ».  Maspero  (Hymne  au  Nil) 

I    I    II    I    I  / Jl  / ^"i    i    I 

rapproche  ce  mot  du  verbe  T^^  A-  (V.  ci-dessus  :  Louqsor,  70.) 


I      si,  forme  féminine  du  pronom  réfléchi    1  (E  sn. 


Le  poème  de  Pextaouk. 


187 


P.  S. 
L. 
K, 


IX,  5. 

76. 
63. 


c^-A 


^    I    /^o     W   ^  I 

àr      penti       neh    her        iem 
Quiconque  vient 


-^  -^  mr.fi 


er  /^avi^         -/er-        lu         heh  en  x'*'' 
à  tomber,  or       venait  une  flamme  de  feu. 


1111-=-  \  m^y^^^^^^^^^^R. 
(er)  ubet  hâ-u-f  Un     an      sen    lier  yfiper  Jjâ  em  (ua)uu-f^         lier 

à  brûler        ses  membres.     Étant    ceux  qui  à  l'état  de  s'arrêter  dans  leur  course,     à  l'état 


^J-1   Iw 


9^   ^(jY^^^^M 


seni  ta       em  'ji^a-t  sen^   er     ■/r^efte''-à''  Un    an      hon-à  (yremui)^ 

deseprostemer  sur  leur  ventre    devant  moi.  Était    Ma  Majesté  à  s'emparer 


'  _;fiïni  «tomber».  V.  ci-dessus.  Le  papyrus  met  :ï  tort  :  ,= — d. 

-  -^ ^  v\  (2  ^  I  kau,  dans  le  papyras,  remplace  zei-,  du  te.xte  monumental  :  c'est  une  con- 

jonction. 

^  m  'rn  'lA'  ''«*'<&«  "brùler».  Brugsch  en  rapproche  ce>.OTe,  _/f«mma  ('?).  Le  papyrus  offre  une  forme 
de  phrase  un  peu  différente  :  tus  heshes  er  ubet  Juiu-seu  -«elle  donnait  un  feu  pour  brûler  ses  membres». 


L!=^|J|,  heh  «flamme,  feu».  Cf.  uje^ç^,  /fanima  (Brcgsch,  Dict.).  Cf.  otoç,  otoKC,  radere. 


]}[■, /ut  «flamme,  feu».  Cf  Ta>0T,  incendiun 


9' 


fl 


\v\£çâ  A.  On  peut  rétablir  ce  mot  dans  Louqsor,  sans  crainte  de  se  tromper  :  les 
deux  premières  lettres  seules  manquent,   uauu   «marcher  rapidement».   Souvent   il   est   écrit  simplement  : 

£çî  y\  «a.  Cf.  OTei,  cursus. 

Sen-to  er  ya-t-sen,  mot-à-mot  :  «sentir  la  terre  sur  leur  ventre»  :  locution  bien  connue  pour  :  se 
prosterner  à  terre.  Le  papyrus  donne  seulement  :  «Ils  furent  à  devenir  sentant  la  terre  devant  S.  M.» 

.        «,     i>  y.^f^  '6"  face».  V.  Louqsor,  1.  64. 
'  En  réunissant  ce  qui  subsiste  dans  les  différents  textes,  on  peut  reconstituer  la  phrase  entière  : 

±lP,T,îlf  r  kflk»T:J  î  ^---î^nF,Tr  Î4 

«Cetrs  qui  s'arrêtaient  dans  leur  course,  se  prosternaient  devant  moi.» 

"  Y®^W  ^  \  ^      "  X^"^-"'-  J6  lis  ë  x^^  et  non  seyem,  comme  Beucsch  :  ce  signe  ne  paraît  pas, 

quant  à  présent,  devoir  être  considéré  comme  une  variante  de  \\  s.  /em  «posséder,  prendre».  Cf.  ffOM.. 

n  a  .  I         ■ 

potestas.  —  (A  rapprocher  0  V\   @  «domaine  rural».  Cf.  ffioM.,  proedium,  ujcom,  hortus.  J.  K.) 


J.   DE   ROUGÉ. 


P.  S. 
L. 
K, 

P.  S. 
L. 
K. 


IX,  6. 

77. 
64. 

IX,  7. 

78. 
65. 


(dm)  San     (àu-f-  her  xotnhu  àm       sen     an)     uha^     -     (n)à  àu-u  em 

d'eux.      J'étais  dans  l'action  df  tuer       parmi  eux;     ils  n'échappaient  pas  à  moi.  Ils  étaient 


;78  ^MM 


è:,„ 


kahu  kahu^ 
taillés  en  pièces 


fe,r       lia-t  sesem-i-â    (cm     sen    her)     sefer^      (em) 


devant 


ma  cavale; 


ils       gisaient 


V^W^  ?  ^rti  P,T, 


D    # 
D    ® 


^?^kJt  T 


.0»^ 


s  ooo         III 

feyehi^     em.  hu  nâ   lier       snef      -      sen 
étendus        ensemble     dans       leur  sang. 


LES  DEUX  PEÉFACES  DU  PAPYRUS  PRISSES 

PAR 

Eugène  Revillout. 

Il  ue  faut  pas  croire  que  l'idée  de  faire  uue  préface  à  un  livre  —  préface  tout  à  fait 
distincte  du  corps  même  du  livre  —  soit  une  idée  nouvelle,  puisque  nous  la  trouvons  deux 
fois  appliquée  dans  ce  qu'on  a  appelé  avec  raison  le  plus  ancien  livre  du  monde. 

'  Le  pap3'rus  continue  toujours  à  emploj'er  la  troisième  personne  :  mais  les  autres  textes  devaient 
avoir  la  première,  ainsi  que  le  prouve  le  pronom  à  la  fin  de  la  phrase. 

2  _.^  V\  "^^s,  nha  «échapper».  V.  Louqsor,   1.  44.  Karnak  doit  certainement  être  rétabli  ainsi  qu'il 

^"^bkah?!.  V.  Louqsor,  1.  34  et  61. 

*    '  ^^'    ■'^''^''   "étendre,   se   coucher»,    d'où   le  déterminatif  du  lit  funéraire  sur  lequel    est 

étendue  la  momie. 

6  v\  S^^,  pe/iu  «  tomber  par  terre  ».  Cf.  n».çT  (s.)  cadere  :  \\fekST,  dejicere.  Les  textes  monu- 

mentaux ont  tous  ce  mot,  même  Abydos  qui  conserve  à  la  fin  de  la  ligne  91  :  ^^c:^^^=^.  Le  papj'rus 
le  remplace  par  le  mot  kehkeb,  qui  peut  être  une  erreur,  car  il  vient  d'être  employé  dans  la  même  phrase. 
Les  textes  monumentaux  ajoutent  em  ht  nâ  «en  un  seul  lieu»,  qu'on  pourrait  rendre  exactement  par 
«dans  un  tas». 

^  Pour  les  détails  bibliographiques  je  renvoie  à  la  publication  de  M.  Virey,  le  dernier  éditeur. 


Les  deux  peéfaces  du  papyrus  Prisse.  189 

La  chose  n'a  pas  cependant  été  remarquée  aussi  bien  qu'elle  aurait  ilû  l'être;  et  c'est 
pourquoi  nous  avons  cru  utile  d'écrire  cet  article  pour  mieux  mettre  eu  lumière  cet  inté- 
ressant procédé  littéraire.  Le  papyrus  Prisse  contenait  primitivement  deux  livres  de  morale 
complets,  chacun  précédé  d'une  préface.  Malheureusement,  par  des  raisons  ignorées  de  nous, 
on  n'a  laissé  sidjsister  du  premier,  celui  de  Kakemna,  que  la  préface,  en  effaçant  avec  soin 
tout  le  corps  du  livre,  qui,  sur  l'original,  occupait  une  longueur  de  1  mètre,  35  centimètres. 
C'est  grand  dommage;  car  la  préface  a  un  grand  souffle  :  et  le  style,  —  fort  analogue  à  celui 
de  la  Sagesse  et  de  l'Ecclésiastique  —  tous  deux  composés  en  Egypte  —  a  un  rythme,  un 
nombre,  une  élégance  qui  font  vivement  regretter  de  ne  plus  avoir  la  suite. 

Comme  pour  les  livres  biblico-égyptieus  dont  nous  venons  de  parler  —  et  dont  la  coupe 
primitive  en  vers  ou  versets,  toute  différente  de  celle  qu'a  introduite  dans  la  Bible  le  car- 
dinal HuGUE.s  DE  Saint  Cher,  nous  a  été  fournie  par  le  plus  ancien  des  manuscrits  coptes 
—  ce  manuscrit  de  Turin,  d'après  lequel  nous  avons  fait  fondre,  sous  notre  direction,  sans 
avoir  jamais  été  remercié  d'aucune  manière  pour  cela,  le  caractère  thébaiu  de  l'Imprimerie 
Nationale  —  comme  pour  ces  deux  livres  biblico-égyptiens,  dis-je,  les  vers  sont  courts  et  en 
parallélisme  élégant.  Le  début  de  cette  préface  rappelle  du  reste  beaucoup  celui  de  la  pré- 
face que  Jésu,  fils  de  Sirach,  avait  écrite  en  Egypte  pour  l'Ecclésiastique  sous  le  règne 
d'Evergète  IL  C'est  également  la  sagesse  abstraite  et  divine  qui  est  personnellement  mise 
en  scène,  dans  des  termes  fort  analogues  —  avec  cette  différence  pourtant  que  c'est  elle- 
même  qui  prend  la  parole  —  un  peu  comme  le  fait  Salomon  dans  la  préface  du  livre  des 
proverbes,  quand  il  fait  parler  sa  propre  sagesse  concrète  à  lui-même.  Voici  cet  en-tête  re- 
marquable : 

1.  «Est  sauvé  (oTTSs.e^i')  celui  qui  me  craint  iCHis.Ti; 

2.  «Loué  ipoic^  celui  qui  est  dans  la  justice. 

3.  «Ouvert  lOTrcon)  est  le  trésor  de  ma  parole  i^pwoTri; 


'  Voir  ce  que  j'ai  dit  sur  ce  mot  p.  514  de  mes  Mélanges.  Voir  aussi  plus  loin  daus  la  même  préface 

(]%>    S    dl)'^'" [lOcz^^^^  et  dans  Ptahhotep    <=>  |  ^  ^  _j\_  |  c^>^  ^  ^^^^,  etc., 

etc.   Pour  le  trésor  de  la  sagesse  eouf.  Ecclésiastique,  cli.  I,  V.  "26  et  32. 

-  j*.Ton. 

3  C'onf.  Levt.  t.  IV,  p.  3.  C'est  du  sens  acte  qu'est  venue  pour  sep  la  valeur  fréquente  de  formative 
des  noms  abstraits. 


190  Eugène  Revillout. 


4.  «Large  (ottcùujc)  la  demeure  de  ma  paix  (£epi); 

5.  « —  (Mais)  avec  des  paroles  garnies  (coÉi'^)  de  glaives  pour  repousser  l'indolent. 

6.  <  Poiut  ou  approche  (£wn)  si  ce  n'est  par  son  propre  acte.  ■■> 

Les  conditions  d'âme  nécessaires  pour  entendre  la  voix  de  la  sagesse  étant  ainsi  indi- 
quées, le  divin  mentor  en  vient  aux  préoccupations  charnelles  qui  empêchent  souvent  de  se 
conformer  à  ses  avertissements  et  il  consacre  à  la  conduite  de  la  bouche  tout  un  long  para- 
graphe. 


M^ 


s: 

^(âii  a    r 


7.  ^     „ 


12.    1  O^'l^^S^'V^^vâ 


^    AlOCTC. 

^  C'est  de  ak  «nourriture»  qu'est  venu  ociu  -«pain»  en  copte. 
*  ROTrati. 

^    lûUJM. 

^  eiÊc. 

'    M.&0    pO. 

'  cj*.n. 

'  atno.  Le  mot  ten  =  ^  répond  en  démotique  à  AEIOQ  dans  le  décret  de  Canope  et  à  tbk  (t(o6^) 
dans  la  seconde  version  démotique  (voir  ma  C'hrest.  dém.  158  et  la  thèse  de  mon  élève  Gboff).  J'ai  longue- 
ment parlé  ailleurs  de  ce  mot  qu'on  trouve  aussi  en  déraotique  et  en  hiéroglyphes  sous  la  forme  secon- 
daire maten    i£l. 

^^  C'est  de  là  que  vient  \smù  =  çen  article  indéfini  du  pluriel  en  démotique  et  en  copte. 

•'  Factitif  de  oua  =  o-rei  «éloigner». 

"  sur  hier,  et  dém.  a  donné  cû>  en  copte.  —  "  «i3i   «être  ivre». 


Les  deux  préfaces  du  papteus  Prisse.  191 


13.  m^D 

14.  =^D 

15.  ^-. 

1.  «Si  tu  es  assis  avec  des  gens  détestant  la  nourriture  que  tu  aimes, 

2.  «C'est  un  moment  court  de  gêne,  une  peine  pour  la  gourmandise  de  manger  de  cela. 

3.  « —  Une  tasse  d'eau  éteint  la  soif, 

4.  «Une  bouchée  de  légumes  fortitie  le  cœur, 

5.  « —  Une  bonne  demande  est  une  chose  bonne, 

6.  «(Mais)  quelques  petites  choses,  c'est  demander  beaucoup. 

7.  « —  C'est  un  homme  vil  que  celui  qui  remplit  (garnit)  son  ventre; 

8.  «S'en  va  le  temps,  sans  qu'il  y  prenne  garde  : 

9.  «Conduit  le  ventre  chez  de  telles  gens. 

10.  « —  Si  tu  es  assis  avec  un  glouton, 

11.  «Manger  aussi  eu  parallèle  de  lui  mène  loin  : 

12.  «  —  Si  tu  bois  avec  un  ivrogne, 

13.  «Et  que  tu  en  prennes  à  sa  guise, 

14.  «  C'est  s'unir  dans  la  voracité  pour  les  victuailles  à  côté  d'un  homme  vil  (répugnant); 

15.  «Sa  main  se  saisit  de  toi  pour  te  faire  mal  agir; 

16.  «Vraiment  c'est  dégoûtant.» 

Le  disciple  de  la  sagesse  étant  ainsi  écarté  des  plaisirs  grossiers  de  ceux  qui  ont  pris 
pour  dieu  leur  ventre,  (quorum  chus  venter  est),  peut  désormais  écouter  de  plus  hautes  leçons. 
La  troisième  partie  de  notre  préface  en  vient  donc  à  faire,  d'une  façon  plus  détaillée,  l'éloge 
de  la  sagesse  et  de  ce  livre  de  la  sagesse  qui  doit  lui  révéler  ses  hautes  destinées. 

Voici  d'abord  l'éloge  de  la  sagesse  elle-même  : 


y^m—\.-^-^M^l. 


'  ujton. 

*  Factitif  de 


192 


Eugène  Revillout. 


^ 


nc=^ 


r*^"^ 


»•  i^k^#,¥,-i:¥J' 


9.  -jv, 
10.  """^ 


■q   ®     A  /  ®     îj  \ 


1.  «Celui  qui  manque   de   counaissance   de   (la  sagesse)   n'a  de  puissance   pour   rien 
(aucune  parole  ou  chose). 

2.  «Pour  lui  il  y  a  diminution  (^i"^-  =  T  Vv^^l  1"^"'"  ^^  ^^^'^i 

3.  «Dégoût  pour  son  cœur. 

4.  «  Il  est  repoussé  ! 

5.  «C'est  une  charge,  celui-là,  pour  sa  mère,  ses  gens,  tout  le  monde. 

6.  « —  Fais  ressortir  (briller)  ton  nom  : 

7.  «S'il  y  a  une  parole  de  ta  bouche,  tu  es  célébré  pour  la  grandeur  de  ton  cœur  en 
force,  pour  ta  fermeté  d'esprit; 

8.  «Tes  enfants  apprendront  ta  puissance; 

9.  «Point  on  sait  les  destinées  que  Dieu  fait  à  qui  l'embrasse  (le  saisit); 

10.  «  Le  préfet  fait  appeler  ses  enfants,  après  quïl  a  terminé  la  destinée  des  hommes  : 

11.  «Leur  honneur  sera  d'aller  à  sa  suite  toujours  d'après  ce  qu'il  a  dit.» 
Vient  enfin  l'éloge  du  livre  précieux  qui  doit  amener  ces  magnifiques  résultats. 


12. 

\: 

13. 
14. 
15. 
16. 


■\-^.^%,hï<\^M- 


le  ^ 


I  I  I  I  I 


/wvw»  ^A/v^AA    i        A      I     I      I      I         -B'^  I     '}^'  I     I      I      I 

12.  «Tout  ce  qui  est  par  écrit  dans  ce  livre,  écoute-ie,  comme  je  l'ai  dit,  en  conformité 
avec  les  abondances  en  fait  d'utilité. 

*  Voir  pour  ce  mot  Bau  une  des  notes  de  la  préface  des  Maximes  de  Ptahhotep  (p.  197,  note  6). 
'  Voir  pour  ce  mot  la  note  5  de  la  page  195. 

*  Voir  une  des  notes  suivantes  (p.  197,  note  2). 


Les  deux  préfaces  du  papyrus  Prisse.  193 

13.  « —  Ils  seront  à  placer  ces  choses  dans  leur  sein; 

14.  «Ils  seront  à  réciter  cela  comme  ce  qui  est  jtar  écrit; 

15.  «  Étant  la  beauté  de  ces  choses  dans  leur  cœur  plus  que  toutes  les  choses  qui  sont 
dans  la  terre  entière; 

16.  «Soit  qu'ils  soient  debout,  soit  qu'ils  soient  assis.» 

Après  cela  on  doit  trouver  tout  naturellement  la  signature  du  livre  tant  vanté  et  la 
date  de  sa  fabrication  :  tout  ce  qu'on  trouve  si  souvent  dans  nos  préfaces  contemporaines, 
quand  on  veut  éviter  certains  démarquages,  hélas!  trop  fréquents.  La  date  est,  du  reste,  la 
plus  ancienne  de  celles  de  tous  les  livres  connus,  puisqu'elle  remonte  à  la  IIP  dynastie. 

17.  «Après  que  voici  que  la  Majesté  du  roi  des  deux  Égyptes  Huna  arriva  au  ])ort, 

18.  «Voici  que  se  tint  debout  la  Majesté  du  roi  des  deirx  Égyptes  Snefru  en  qualité  de 
roi  bienfaisant, 

19.  «Voici  que   fit  Kakemna    (ce  livre)    pour   le  préfet  de  la  ville   :  —  je  lui  portai 
cette  offi'ande.  '  » 

Malheureusement  le  livi-e  lui-même  a  disparu  :  ce  que  nous  ne  saurions  assez  regretter. 
Mais  il  est  clair  que  tout  ce  qui  précède  avait  été  écrit  pour  préparer  le  lecteur  à  ce  livre, 
pour  une  véritable  préface  en  un  mot.  S'il  restait,  du  reste,  quelque  doute  à  ce  sujet,  on 
n'aurait  qu'à  comparer  la  préface  du  livre  qui  suivait  celui-ci  dans  le  papyrus  Prisse,  pré- 
face dont  la  composition  est,  nous  le  répétons,  tout  aussi  distincte  de  celle  du  livi-e  qu'elle 
prépare  que  la  préface  du  livi"e  de  Kakemna  l'était  du  sien. 

Ptahhotep  n'est  point,  lui,  un  littérateur  de  profession.  C'est  un  préfet  —  ou  pour  mieux 
dire  un  ministre  remplissant  de  son  temps  les  mêmes  fonctions  que  Rekhmara  remplissait 
du  temps  de  Thoutmès  III.  Aussi  son  style  est-il  moins  poétique,  moins  recherché  que  celui 
de  Kakemna.  C'est  évidemment  celui  d'un  lettré;  mais  d'un  lettré-homme  politique,  comme 
ce  président  du  sénat  qu'on  faisait  naguère  entrer  à  l'Académie  française.  On  ne  sent  plus 
autant  le  parallélisme  élégant  et  le  rythme  poétique  d;ius  ce  qu'il  écrit  que  dans  ce  qu'écri- 
vait le  poète  attitré  de  la  cour  de  Huni.  ilais  en  revanche  on  perçoit  une  grande  ampleur 
d'idées  et,  disons-le,  un  grand  souffle,  quasi-prophétique,  —  et  analogue  à  celui  des  voyants 
d'Israël. 


1  Conf.   Rev.  égypL,  VI,   100  le   desinit    (J  I  liv  t       I  "'^~'   «Ceci   vient  en 

offrande  à  la  personne  de  .  .  .»,  desinit  fort  bien  mis  en  lumière  par  M.  de  Rougé  et  qui  se  rapporte  à  une 
sorte  de  dédicace.  —  En  ce  qui  concerne  le  mot  (C^  *^  il  a  été  omis  à  cause  de  la  répétition  du  signe 
(C^  dans  le  verbe  (C^  n^  •  C'est  une  faute  fréquente  pom-  les  scribes  de  toutes  les  époques  que  de  ne 
mettre  qu'une  fois  un  signe  ou  un  mot  deux  fois  répété.  A  la  différence  du  livre  de  Ptahhotep,  celui-ci 
n'avait  pas  été  fait  par  un  préfet  de  la  ville,  mais  pour  un  préfet  de  la  ville,  par  un  littérateur  de  pro- 
fession, qui  montre  par  son  style  poétique  qu'il  est  bien  tel. 


194  Eugène  Revillout. 


Ptahliotep  lui  aussi  voit.  Il  est  deljout  et  parle  devant  la  divinité  suprême'  qui  lui 
répoud,  comme  Jéhovab  répondait  aux  nebiim  de  son  peuple. 

Ptahhotep,  arrivé  aux  plus  hautes  dignités,  était  vieux,  très  vieux.  11  se  demandait 
avec  anxiété  si,  à  sou  âge  avancé,  il  pouvait  encore  avec  fruit  se  faire  le  docteur  d'un  jeune 
monarque  :  le  roi  Assa  de  la  V"  dynastie,  du  règne  duquel  il  date  son  livre,  et  qui,  comme 
l'a  dit  un  des  récents  éditeurs  de  ce  livre,  mon  ancien  élève  M.  Virey,  est  nommé  avec  lui 
dans  un  monument  publié  par  Lepsius  (Denhn.,  II,  115)  portant  la  mention  :  s  Le  favori 
d'Assa  Ptahliotep.  » 

Le  tableau  qu'il  nous  trace  alors  de  la  vieillesse  est  véritablement  effrayant,  bien  que 
d'une  exactitude  remarquable  pour  ceux  qui  en  sont  arrivés  aux  limites  de  la  décrépitude. 
Tel  n'était  évidemment  pas  le  cas  pour  Ptahhotep,  malgré  ses  110  ans  :  et  c'est  ce  que  lui 
fait  sentir  le  dieu,  dans  sa  réponse,  en  lui  disant  d'entreprendre  cet  enseignement  royal  auquel 
lui  donnait  droit  son  âge,  sa  haute  situation  et,  nous  le  voyons  d'après  un  autre  passage  de  la 
suite,  sa  naissance  royale  aussi. 

Laissons  maintenant  la  parole  à  Ptahhotep  en  reproduisant  ici  le  texte  même  de  sa 
préface. 

Et  d'abord  donnons  le  titre  du  livre  : 


«Enseignement  du  préfet  de  la  ville  Dja,  Ptahhotep,  sous  la  Majesté  du  roi  des  deux 
Égyptes  Assa,  vivant  éternellement  pour  jamais.  ■>■■ 

Ce  titre,  faisons-le  bien  remarquer,  précède  la  préface,  —  préface  que  suit  à  son  tour 
un  nouveau  titre  ainsi  conçu  : 


M 


'ra 


1  II  rappelle  'S3^'=s^=>-  JJ  'v ■>  Mïs.  Le  premier  de  ces  qu.ilificatifs,  ottj",  a  été  comparé  (dans  la  Zeit- 

achrift,   1882,  p.  166)  à  (1  |l  (1  (^  TO  (qui  est  traduit  iMEFAS  BA2IAEV2  par  la  nouvelle  version  du    décret 

trilingue  de  Rosette  et  par  (cî_  par  le  papyrus  Rhind).  Brugsch  traduit  atti  neba  par  Klinig  Herr  dans  le 
papyrus  Prisse.  M.  Maspero  {Eecueil,  III,  116)  a  admis  cette  traduction  «souverain»,  mais  il  transcrit  le 
mot  hanhan.  Chabas  triiduit  simplement  le  mot:  «Osiris»,  parce  que  dans  le  Rituel  142,43  c'est  un  surnom 
d'Osiris.  Mais  ce  surnom,  que  l'on  rencontre  dans  la  stèle  167  de  Turin,  peut  s'appliquer  à  tout  autre  dieu. 
Ce  qui  est  certain  c'est  qu'on  ne  peut  traduire  «double  crocodile»  comme  Virey. 

'  Je  vois  ici  dans  §)  I  O  [— "^  l'équivalent  de   igi  f  |. 

*  X  X  ■^^ô-  Comparez  ^  ^  ^  "^^ê.  «  infirmité  »,  mot  que  nous  trouverons  plus  loin  dans  la  description 

de  la  vieillesse  FQ^v  v  ^  V"^=>1  «arrive  l'infirmité».  Ce  mot  se  retrouve,  comme  l'a  noté  aussi  Virey, 
deux  fois  dans  le  papyrus  médical  Ebers  :  1°  h  <=>  ^^  =0=%>  ^  ^  "^  =^  D  S  ^^  H  fil  ^«'^ 

— ^  V  0  0       '*'  ^^  cœur  est  dégoûté,  c'est  infirmité  du  cœur  et  échauffement  du  derrière»;  2°      4     v\ 


Les  deux  préfaces  du  papyrus  Prisse.  195 

«Commencement  dans  renonciation  de  la  bonne  parole  dite  par  le  père  du  dieu,  aimant 
le  dieu,  le  fils  du  i*oi  aîné  de  son  flanc,  le  préfet  de  la  ville,  le  Dja  Ptahhotep,  pour  l'en- 
seignement des  ignorants  dans  la  science  des  préceptes  de  la  bonne  parole,  pour  le  bien  de 
qui  l'écoute,  pour  la  répression  de  qui  la  viole.  » 

Cet  enseignement  de  la  «bonne  parole»,  analogue  à  la  «bonne  nouvelle»  de  l'Évangile, 
Ptahhotep  le  donne,  on  le  voit,  comme  fils  du  roi  aîné  de  son  flanc  (c'est-à-dire  fils  héritier 
du  Pharaon)  qui  avait  par  conséquent  tous  les  droits  au  trône  et  qui  n'y  avait  renoncé, 
comme  de  notre  temps  l'oncle  d'Ismaïl-pacha,  que  pour  continuer  à  vaquer  à  l'étude  de  la 
sagesse  et  aussi  pour  remplir  à  l'égard  de  son  neveu  ou  plutôt  petit-neveu  Assa  le  rôle  de 
père  bien  aimant.  Il  est  clair,  du  reste,  que  cette  renonciation  d'un  homme  alors  très  vieux 
devait  être  déjà  ancienne  et  que  Ptahhotep  avait  dû  se  contenter  déjà  du  titre  de  ministre, 
de  préfet  de  la  ville  et  peut-être  de  régent  sous  le  prédécesseur  d'Assa.  Ceci  nous  fait  bien 
comprendre  le  caractère  et  la  portée  de  la  préface  que  nous  allons  traduire  et  qui,  placée 
entre  ces  deux  titres,  ne  peut  être,  nous  le  répétons  et  tout  le  monde  en  conviendra,  qu'une 
préface.  Le  prince  s'adresse  donc  en  ces  termes  au  dieu  : 


^•ra^A%5r^*A%(]r%^^>' 


(vient  de)  répaisissemciit  (3a.-e-SejM  obésité)  du  cœur».  Si  l'on  distinguait  (fe«fe«  de  uSesies,  on  pourrait  voir 
dans  Sesses  un  palpel  de  ujc  ictus,  qu'on  retrouve  aussi  sous  la  forme  X  "^^^  dans  le  papyrus  Ebers 
Le  sens  «infirmisation  de  qui  la  viole»  ne  va  pas  très  bien  :  on  aime  mieux  le  sens  de  frappement,  puni- 
tion, répression. 

^  ^  TO  =  "  [1 1^  =  ^frr  qui  dans  le  décret  trilingue  de  Rosette  traduit  MEFAI  daas 
l'expression  MEFAS  BASIAEYS  —  ten  suten  —  ce  que  la  nouvelle  version  de  Rosette  rend  par  II  ft  IJ  IJ  W 
ati  «grand  roi». 

^  Voir  une  des  notes  précédentes  (p.  194,  note  4). 

'  ij  Q  V  ^à^  ^^^  ^  comparer  avec  0  5  (J  tj  f^  "•'  giovane»,  comme  dit  Levy.  Ce  mot  s'employait 
même,  selon  Brugsch,  pour  le  soleil  jeune  (mot  astronomique).  Ici,  selon  l'hypothèse  déjà  formulée  par 
Lauth,  il  désigne  bien  la  faiblesse  du  jeune  âge  qui  revient  à  nouveau  dans  la  vieillesse. 

*  Voir  dans  les  décrets  trilingues  ce  mot  employé  tant  en  démotique  qu'eu  hiéroglyphes  pour  indi- 
quer les  temples  reconstruits  à  nouveau,  etc.  etc. 

^  Pour  ce  mot  (qu'on  trouve  aussi  sous  la  forme  T  ^^,  c^=^  ^^^1  comparez  plus  haut  (p.  191) 
la  forme  ®  <r-=-^  <::>  j  ^^=^  'bms  Kakimna.  Ce  mot  correspond  à  îf\  du  copte  dans  son  double  sens  de 
diminution  et  de  décrépitude. 

»  Conf.  AKo  «perdition»  =  (1  zl  "^^^. 

'  Voir  sur  ce  mot    "^    ^f\,  forme  dialectale  de  |  =  sptooT  ce  que  nous  avons  dit  à  propos 

de  la  préface  de  Kakemna  (p.  189,  note  1).  Il  s'agit  ici  du  vieillard  décrépit  qui  ne  peut  même  plus 
exprimer  ce  qu'il  veut  dire. 

25* 


196  Eugène  Revillout. 


«Il  dit  :  Prince,  mon  maître  : 

«Le  grand  est  devenu  vieux  :  arrive  l'infirmité  :  vient  la  faiblesse  à  nouveau  :  le 
»  couche  (ce  grand)  la  décrépitude  chaque  jour  :  les  yeux  s'affaiblissent  :  les  oreilles  se  dur- 
»  cissent  :  les  forces  sont  en  baisse  (en  perte)  :  le  cœur  mien  n'est  point  tranquille  :  l'esprit 
»se  ferme  (s'hébète)  :  il  ne  se  souvient  plus  de  la  veille  :  l'ossature  s'amoindrit  eu  sa  to- 
»  talité  :  ce  qui  est  bon  devient  mauvais  :  tout  goût  s'en  va  :  la  vieillesse  rend  pour  l'homme 
»tout  mauvais  :  le  nez  d'abord  n'a  plus  de  respiration  du  tout  :» 

Cette  description  de  la  vieillesse  est  vraiment  très  remarquable,  bien  qu'écrite  dans  nu 
style  tout  différent  de  celui  du  précédent  traité.  Au  lieu  des  phrases  rythmées  et  poétiques, 
des  véritables  vers,  se  répondant  l'un  à  l'autre  avec  un  constant  parallélisme  de  mots  et  de 
pensées,  de  manière  à  former  des  strophes  élégantes  —  je  dirais  facilement  des  motets,  — 
nous  trouvons  ici  des  petites  phrases,  coupées  il  est  vrai  à  la  Voltaire,  mais  où  l'on  ne  sent 
nulle  recherche  du  parallélisme  et  de  l'antique  préciosité  orientale,  mais  une  conception 
tout  à  fait  moderne  de  ce  que  certains  écrivains  contemporains  ont  nommé  le  réalisme,  con- 
ception réalisée  par  l'amoncellement  de  phrases  descriptives,  sans  recherche  apparente,  mais 
dont  la  succession  ininterrompue  finît  par  obséder  et  étreindre  en  quelque  sorte  l'esprit,  pour 
lui  donner  sur  l'ensemble  du  tableau  l'impression  voulue.  C'est  de  l'art  et  même  du  grand 
art  :  mais  de  l'art  considéré  d'une  manière  toute  différente  et  plus  libre  que  celle  que  nous 
admirons  dans  les  vieux  classiques.  Pour  nous,  Zola  vaut  les  anciens  maîtres  :  et  il  en  est 
de  même  de  Ptahhotep  par  rapport  à  Kakemna. 

J'ajouterai  que  la  conception  est  peut-être  ici  plus  haute. 

Je  ne  parle  pas  seulement  de  la  mise  en  scène  si  souvent  employée,  nous  l'avons  dit, 
par  les  anciens  prophètes  et  qui  met  l'homme  élu  eu  face  de  la  divinité  et  parlant  librement 
avec  elle. 

Mais  le  développement  de  la  pensée  est  lui-même  bien  loin  de  manquer  de  grandeur. 

Voilà  cet  homme  dont  ou  nous  a  peint  en  quelque  sorte  l'anéantissement  causé  par  la 
décrépitude;  et  c'est  de  ce  néant  qu'on  veut  tirer  l'être  :  de  cette  nuit  qui  assombrit  jusqu'à 
l'esprit  lui-même  qu'il  s'agit  de  faire  jaillir  la  lumière.  Ecoutez  plutôt  cette  eouclu.sion  du 
tableau  de  la  vieillesse  qui,  de  toutes  parts,  semblait  priver  l'auteur  de  toutes  ses  facultés  : 


'  Pour  cette  expression  ab  (ou  het)  lom,  conf.  -©(ojAtiOHT  ohduratio  ou  excoecatio  cordis. 

^  tice^q  «de  la  veille»  en  copte. 

^  Couf.  R^C  os. 

*  Couf.  Tûinoir  en  copte  =  p^- 


Les  deux  préfaces  du  papyrus  Prisse.  197 


^ 


«Debout  ou  assis, ^  point  (n'est  à  moi)  de  puissance  d'iliumiuateur  en  elle  (^dans  la 
»  vieillesse)  pour  faire  parole  à  mon  seigneur:  Quoi?'  Dirai-je  à  lui  les  paroles  de  ceux  qui 
sont  entendu  les  conseils  du  passé,  leur  audition  des  dieux?  Ahl  c'est  à  toi  d'agir  ainsi* 
»pour  repousser  les  infirmités^  des  gens  éclairés,  à  toi  de  faire  éclater  tes  merveilles  1 '"  >> 

Ici,  on  le  voit,  la  phrase  est  moulée  sur  un  modèle  tout  dift'érent  de  celui  qui  a  servi 
pour  la  description  de  la  vieillesse.  Elle  est  moins  sèclie,  plus  chaleureuse,  plus  colorée,  plus 
longue  aussi,  plus  à  périodes  pour  ainsi  dire.  Evidemment  le  marl)re  s'est  animé  et  réchauffé. 
On  sent  non  plus  le  simple  descriptif,  non  pas  aussi  le  poète  à  la  façon  de  Kakemna, 
mais  un  véritable  orateur  qui  aurait  pu  enlever  les  masses  par  des  contrastes  habilement 
combinés. 

Mais  ici  il  ne  s'agit  pas  d'enlever  les  masses,  comme  le  fera  quelques  milliers  d'années 
plus  tard  le  tribun  Sénuti.  Il  .s'agit  d'élever  les  âmes,  de  les  éclairer,  de  leur  enseigner  le 
beau  et  le  bien.  A  cette  mission  un  vieillard  suffit-il?  Peut-il  senir  dilluminateur  aux  autres? 
Peut-il  surtout  dire  à  .son  maître  les  paroles  de  ceux  qui  ont  entendu  les  paroles  du  passé, 
leur  audition  des  dieux,  comme  dit  le  texte,  c'est-à-dire  les  secrets  que  les  dieux  ont  révélés 
à  l'homme  dans  l'antiquité  la  plus  reculée  quand  sou  cœur  était  pur?  C'est  exactement  ce 
que  nous  dit  Cicéron  dans  son  traité  des  lois  liv.  II,  paragraphe  16,  quand  il  uous  enseigne 
que  ce  qu'il  y  a  de  meilleur,  c'est  ce  qu'il  y  a  de  plus  ancien  et  de  plus  proche  de  dieu  : 
«Et  profecto  ita  est  ut  id  habeudum  sit  antiquissimum  et  deo  proximum  quod  sit  optimum.'» 

1  C'est  à  la  racine      ||     m  «répandre  des  rayons»  que  je  rattache  cette  racine,  comme  on  le  verra 

V       111   *JS-m  -www  .^__^  ^ 

aussi   dans   le   passage  parallèle       f[     <; d           /       v\  w  set  nek  baui  «  à  toi  de  faire  éclater  tes  mer- 
veilles ».  (Il  est  vrai  qu'ici  le  sens  projicere  de  'j'  <, o  =  cet  conviendrait  aussi.)  Dans  notre  "t*  M^ 

le  signe  Mîi  n'est  pas  un  déteiminatif  du  verbe,  mais  la  formation  du  nom  d'agent  que  l'on  retrouve  plus  loin 

dans  ^^Qf]^^'  «les  auditeurs»,  "^(Ifl^g^JI  re/iu  «les  gens  éclairés»,  [Ij  H  ^  ^^Ji 
«les  enfants»  (de  |T|  H  (J IJ  Cf)  «enfanter»  dans  le  même  papyrus).  Dans  Kakemna  on  a  aussi  ""^^6  ^^3i 

«homme  vil»,    1  ^^^Vra  «homme  répugnant»,    V' ^Hl'x^Vir  «g'outon»,        v '^  rSr   '"'l'OnOe», 

etc.  etc.  Pour  ^  —  "^  conf.  Prisse  V,  4,  IX,  12,  etc. 

^  Pour  cette  locution  voir  dans  Kakemna  (voir  plus  haut  p.  192)  la  dernière  phrase  qui  précède  sa 
signatiu'e.  Cette  locution  est  comparable  à  la  locution,  «soit  homme,  soit  femme»,  qu'on  rencontre  sans 
cesse  et  d'une  façon  tout  aussi  pléonastique  dans  le  tribun  Sénuti. 

^  Ce  mot  II  =  evuj  =  11,61  «quoi?»  est  souvent  employé  par  Ptahhotep  comme  exclamation. 

*  y      j  semblablement  est  employé  tout  à  fait  dans  le  sens  de  notre  ainsi  français. 

^     A     0  (â  ^^  ujûMve  «infirmité». 

^  Ce  mot  (qui  se  lit  baui)  est  répété  sous  une  forme  plus  pleine  un  peu  plus  loin  dans  la  réponse 
faite  par  le  dieu  :    ]  [1  B^  ^^:r] 

'  Dans  le  traité  de  amicitia  Cicéron  nous  répète  :  «plus  apud  me  antiquorum  auctoritas  valet,  etc.» 


198         Eugène  Revillout.  Les  deux  préfaces  du  papyrus  Prisse. 

Mais  quelle  différence  entre  l'antiquité  dont  nous  parle  Ptahbotep  sous  la  V  dynastie  égyp- 
tienne et  celle  dont  nous  parle  Cicéron  à  la  fin  de  la  république  romaine! 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  voyons  Ptaliliotep  lui-même  Deo  proximum.  Il  parle  intimement 
aussi  avec  le  grand  Dieu,  —  ce  prince,  son  maître,  auquel  était  adressé  le  premier  mot  de  sa 
préface  et  vers  lequel,  conscient  de  sa  faiblesse,  il  s'écrie  encore  :  «  Ah  !  c'est  à  toi  d'agir  ainsi 
»  pour  repousser  les  infirmités  des  gens  éclairés,  à  toi  de  faire  éclater  tes  merveilles.  »  A 
cette  invocation  solennelle  le  grand  Dieu  lui-même  ne  dédaigne  pas  de  répondre  : 


J 


I     I     I 


«  Dit  la  Majesté  de  ce  dieu  : 

«Ta  bouche  l'enseignera  (le  roi)  dans  la  parole  du  passé.  Ahl  elle  fait  la  merveille 
»  (ou  la  stupeur)  des  petits  enfants  et  des  grands.  Celui  qui  l'entend  entre  dans  toute  satis- 
»  faction  de  cœur.  Ce  qu'elle  dit  n'engendre  pas  satiété.  » 

Par  ce  bel  éloge  de  la  sagesse,  éloge  sorti  de  la  bouche  de  Dieu,  se  termine  la  préface 
de  Ptahbotep.  Vient  ensuite  le  second  titre  de  son  livre  dont  nous  avons  déjà  parlé,  titre 
beaucoup  plus  développé  que  le  premier  titre  qui  précédait  la  préface  :  «Commencement 
dans  renonciation  de  la  bonne  parole  dite  par  le  grand  prince,  père  du  dieu,  idu  roi)  aimant 
ce  dieu  (ce  roi),  le  fils  du  roi  aîné  de  son  flanc,  préfet  de  la  ville  Dja  Ptahhotep  pour  l'en- 
seignement des  ignorants  dans  la  science  des  préceptes  de  la  bonne  parole,  pour  le  bien  de 
qui  l'écoute,  pour  la  répression  de  qui  la  viole.  » 

Nous  avons  cru  nécessaire  de  reproduire  de  nouveau  ce  titre  ici,  parce  que,  résumant 
et  encadrant  tout  ce  qui  vient  d'être  dit  par  le  sage  et  par  le  dieu,  il  prépare  admirable- 
ment l'auditeur  à  écouter  cette  «bonne  parole»,  cette  bonne  nouvelle,  cet  évangile  qui  nous 
est  donné  comme  l'évangile  du  passé,  d'autant  plus  neuf  qu'il  est  plus  ancien  et  par  consé- 
quent meilleur. 

De  même  que  la  préface,  d'ailleurs,  le  livre  lui-même  nous  est  donné  sous  la  forme  de 
discours  direct  avec  l' en-tête  «il  dit»,  au  lieu  d'aff'ecter,  comme  le  hvre  de  Kakemna,  une 
forme  impersonnelle,  dans  laquelle  ce  n'est  pas  l'auteur,  mais  la  sagesse  même  qui  parle.  Ici 
l'auteur  est  trop  grand  personnage  pour  se  transformer  ainsi  en  simple  secrétaire.  Tout  est 
vivant,  ou  vécii,  pour  me  servir  d'une  expression  dont  on  abuse  trop. 


1  :*■  \\  li 0  =  efitû  se  retrouve  ici  comme  dans  le  premier  et  —  d'une  façon  plus  développée  — 

dans  le  second  titre  du  livre.  C'est  bien  une  mission  d'enseignement  qui  est  donnée  à  Ptahhotep  à  l'égard 
du  jeune  monarque  qu'il  appelait  plus  haut  sar-a  «mon  maître». 

*  bau,  dont  nous  avons  déjà  parlé  plus  haut  (p.  192,  note  2  et  p.  195,  note  5),  veut  dire  à  la  fois 
«merveille»  et  le  résultat  d'une  merveille,  la  «stupeur»  (eÛH  en  copte). 

'  cei  en  copte  =  i;T  sa  =  Z.)M^  sei  =  2.))11  «e  en  démotique. 


Des  donations  d'enfant  a  l'époque  copte.  199 


DES  DONATIONS  D'ENFANT  A  L'ÉPOQUE  COPTE, 

THÈSE    SOUTENUE    A    L'ÉCOLE    DU    LOUVRE. 

PAR 

Fe.  de  Villenoisy, 

(Suite.) 

Chapitre  IV. 

Nous  sommes  tout  à  fait  iiorté  à  peuser  que,  malgré  leur  singulière  forme  extérieure, 
ces  actes  ue  sont  pas  plus  des  donations  que  les  mariages  de  l'époque  pharaonique,  faits 
sous  forme  de  vente,  n'étaient  des  ventes.  Nous  préférons  y  voir  des  recommandations  «  pro- 
duisant tous  les  effets  qu'elles  produisaient  en  Gaule  à  la  même  époque»;  car  les  mêmes 
causes  produisent  partout  les  mêmes  effets.  Nous  en  donnerons  la  démonstration  un  peu  plus 
loin,  mais  dès  maintenant  nous  pouvons  faire  voir  que,  même  eu  admettant  l'esclavage  des 
enfants,  il  n'était  ui  complet,  ni  définitif;  on  peut  le  déduire  des  actes  eux-mêmes. 

A  première  vue,  les  parents  déclarent  donner  leurs  enfants  au  monastère  pour  y  rem- 
plir toutes  les  fonctions  qu'il  plaira  à  l'économe  de  lui  imposer,  et  ils  ne  cessent  d'insister 
sur  ce  point;  l'acte  8  dit  qu'il  «sera  serviteur  eu  tout  service,  le  jour  et  la  nuit»;  le  n°  8 
ajoute  «serviteur  à  jamais,  comme  un  esclave  acheté  pour  argent»;  le  papyrus  Vaughan  et 
l'acte  sans  numéro  de  Londres  trouvent  une  formule  plus  absolue  encore  :  «Je  veux  que  le 
saint  monastère  soit  seigneur  de  mou  cher  fils,  des  peines  de  ses  mains,  de  l'esclavage  de 
sou  corps;»  le  donateur  de  l'acte  n°  11,  en  décidant  que  cet  esclavage  durera  toute  la  vie 
de  l'enfant,  ajoute  qu'il  en  est  de  même  pour  tous  les  serviteurs  du  monastère. 

Cela  est  très  clair,  c'est  l'esclavage  le  plus  absolu.  Il  n'en  est  rien  cependant,  et  nous 
le  voyons  par  la  suite  de  l'acte.  «Tout  ce  qu'il  plaira  à  l'économe»  est  énuméré  un  peu 
plus  loin  comme  dans  les  papyrus  5  et  Vaughan;  il  balayera  et  lavera  le  monastère,  parera 
l'autel  et  entretiendra  les  lampes,  recevra  les  voyageurs  et  aura  soin  de  la  piscine  qui  leur 
est  réservée,  etc.  Ce  sont  encore  là  les  occupations  des  frères  lais  dans  les  couvents.  Mais 
on  a  cependant  disposé  des  enfants  coutre  leiu-  volonté,  on  les  a  donnés  sans  les  consulter; 
ils  n'auront  plus  tard  aucun  moj'cn  de  se  soustraire  à  leur  condition  pour  s'en  faire  une 
meilleure,  et  c'est  là  le  propre  de  l'esclavage.  Nullement,  nous  lisons  dans  le  papyrus  u"  13 
relatif  à  la  donation  des  deux  enfants  Sabine  et  Job  :  «.  .  .;  pour  qu'ils  soient  à  jamais 
»  serviteurs  de  sou  saint  monastère  tous  les  jours  de  leur  vie  et  qu'ils  deviennent  tels  que 
»  tous  les  hommes  qui  sont  offerts  en  vœux  à  tous  les  monastères,  soit  qu'ils  veuillent  habiter 
»le  monastère  pour  y  servir  selon  la  manière  que  le  supérieur  leur  ordonnera,  soit  qu'ils 
«veuillent  habiter  en  dehors  du  monastère.  En  ce  dernier  cas,  ils  donneront  leur  revenu, 
»pour  y  servir  aux  frais  du  sacrifice  et  du  luminaire  de  l'autel.»  Le  papyrus  8  prévoit 
également  le  cas  où  l'enfant  donné  viendrait  à  se  marier.  Cette  hypothèse  n'est  pas  du  goût 
du  donateur,  qui  cependant  ne  semble  pas  avoir  le  moyen  d'y  mettre  obstacle  :  «Et  s'il 
»  arrive  qu'il  prenne  femme,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise,  les  fils  qu'il  engendrera  serviront  le 


200      Fe.  de  Villenûisy.  Des  donations  d'enfant  a  l'époque  copte. 

»saiut  lieu  de  lapa  Phébamon  comme  lui.»  Le  papyrus  6  s'occupe  du  cas  où  l'eufaut  re- 
fuserait de  ratifier  l'acte  :  «De  plus,  si  l'enfant  ne  veut  pas  être  serviteur  du  monastère 
»qui  est  le  lieu  où  il  a  été  guéri,  du  moins,  tout  ce  qu'il  gagnera  dans  sou  métier,  il  le 
»  donnera  au  monastère.»  Même  mention  dans  le  papyrus  9,  qui  semble  être  copié  sur  le 
n"  6  et  dans  le  n°  14.  Et  encore  ce  n'est  pas  tout  :  «le  fruit  du  travail  qui  appartiendra 
au  couvent,»  malgré  les  mots  :  «tout  ce  qu'il  gagnera,»  insérés  dans  ces  trois  textes;  ce 
qui  nous  rapprocherait  d'un  esclavage  plus  réel  quoique  tempéré;  ce  n'est  ([u'une  partie, 
peut-être  très  faible,  un  dixième  probablement.  En  effet,  voici  la  fin  de  la  phrase  :  «tout 
»ce  qu'il  gagnera  dans  son  métier,  il  le  donnera  au  monastère,  selon  le  partage  qu'en 
»  aura  fait  l'économe  de  ce  temps.  »  Le  n°  13  assimile  le  refus  de  demeurer  dans  le 
monastère  au  refus  de  le  servir,  et  décide  que,  dans  ce  cas,  il  y  aura  lieu  au  partage  des 
revenus. 

L'acte  des  parents,  malgré  ses  termes  si  formels,  n'aboutit  donc  qu'à  imposer  à  l'en- 
fant le  choix  entre  un  service  accompli  personnellement  au  profit  du  monastère  et  le  paiement 
d'une  redevance;  c'est  une  convention  comparable  à  nos  journées  de  prestation  sur  les  chemins 
vicinaux,  payables  en  argent  ou  en  nature,  au  choix  du  contribuable.  Le  mot  d'esclavage 
et  la  description  qui  est  donnée  de  cet  esclavage  ne  sont  là  que  pour  exprimer  d'une  manière 
plus  vive  l'humilité  des  fidèles  à  l'égard  de  Dieu,  car  on  ne  peut  même  pas  dire  qu'il  y  a 
dans  l'espèce  esclavage  éventuel.  En  effet,  si  la  personne  donnée  s'était  rachetée  en  payant 
annuellement  une  somme  fixe,  on  pourrait  soutenir  que  la  liberté  était  donnée  sous  con- 
dition, et  que  le  monastère  pouvait  l'enlever  pour  inexécution  de  cette  condition,  dès  que 
son  débiteur  refusait  de  payer  la  somme  due  ou  ne  gagnait  pas  assez  pour  se  la  procurer. 
Mais,  dans  l'espèce,  le  prix  du  rachat  est  une  somme  variable,  un  partage  de  bénéfice.  Le 
débiteur  gagnera  toujours  quelque  chose,  si  on  le  fait  retomber  en  servitude,  ne  pourra-t-il 
pas,  en  droit,  demander  une  part  dans  les  bénéfices  que  son  travail  aura  procurés  au  cou- 
vent? Ce  n'est  donc  pas  un  esclavage  éventuel,  mais  eu  quelque  sorte  un  esclavage  honoraire. 

Cette  idée  n'était  du  reste  pas  nouvelle  en  Egypte.  Nous  avons  déjà  parlé  des  hiéro"- 
dules  de  Memphis,  les  bok  d'Osorapis.  Notre  savant  maître  a  traduit,  en  1884,  un  acte 
démotique  du  British  Muséum,  daté  de  l'an  XXII  de  Ptolémée  Philométor,  par  lequel  un 
homme  nommé  Hor  —  Horus  —  se  donne  à  Osorapis,  pour  être  son  bok,  ainsi  que  toute 
sa  famille  et  tous  ses  biens.  ^  Cette  donation  n'aboutit  eu  réalité  qu'au  paiement  d'une  re- 
devance égale  au  dixième  de  ses  revenus  annuels. 

(La  suite  prochainement.) 


'  Eugène  Revillout,  Cotas  de  droit  égyptien,  p.  100.  Tout  mon  service,  je  le  consacre  au  dieu  Osor- 
apis et  à  ses  dieux  auwaoï.  Je  suis,  ô  dieux,  votre  sei-viteur,  ainsi  que  mes  femmes,  mes  enfants,  mes  gens, 
mes  biens,  mes  bestiaux,  tout  ce  qui  est  à  moi  et  tout  ce  que  je  posséderai  depuis  ce  jour  à  jamais.  Que 
je  donne  le  dixième  de  toutes  les  choses  qui  proviendront  chaque  année  de  mon  travail.  Je  vous  ai  livré 
tout  ce  qui  est  à  moi  et  tout  ce  que  je  posséderai,  depuis  le  jour  ci-dessus  à  jamais.  C'est  à  vous  qu'il 
appartient  d'exiger  ce  dixième  de  mon  travail  de  l'année  et  de  partager  ...  Si  tout  ce  qui  est  dit  ci- 
dessus  n'est  pas  accompli,  que  je  vous  livre  tous  mes  biens  présents  et  à  venir,  depuis  le  jour  ci-dessus 
à  jamais,  car  je  suis  votre  esclave. 


L  Éditeur  Eknest  Leroux,  Propriétaire-Gérant.